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J.ES
A^'CIFJ\'ES MAISONS DE PARIS
r^OTr^ x^Ai*r)T.ii:o:x ht.
BliLXtlLLKS. — IMPlîl.MEltlK HK C.VSI.MIK COU.MANS,
T^F-Ri
ANCIENNES MAISONS
DE PARIS
S 0 {] s NAPOLÉON Ui ,
V\]\
L'HISTORIOGRAPHE LEFEUVE
(SMticiu internationale.
TOME QUATRIÈME.
PARIS, I BRIJXELIES,
58. rue Xcuve-Sainkiugiislin, 58. I l-X rue Dupont, io.
187;!
Tiie riieur île |):ij;iiiatiiiii |/niiliiit une Imcuiic île H\) )i:j(;es ilaji.s ee volume, dont
la [nige li'il se tion\e [iiir celu niéiuc siiÎmc iinniéilirilenienl la page iSO.
Rne Childebert. (i)
Celle-ci, le cardinal de Bissy, abbé de Saint-
Germain -des-Près, l'ouvrit sur l'enclos monacal,
dans l'année même où mourut Louis XIV, et la
dédia à Childebert P', roi de France, qui, fonda-
teur de l'abbaye, y avait été enterré en l'année
558.
Une fois livrées à la circulation, les rues d'origine
conventuelle, comme l'était celle Childebert, ne
jetaient pas entièrement le froc aux orties; elles
avaient l'air, en devenant mondaines, de garder
le petit-collet. Bien des commerces y restaient
interdits, comme le bruit, comme les odeurs
mauvaises, et ce n'était lieu de plaisance que pour
des âmes délicates, dont la dévotion se prêtait
aux accommodements d'une demi-retraite, ou que
désaltérait, dans leur soif de s'instruire, la riche
bibliothèque des pères. Les rues de Saint-Germain-
des-Près avaient pourtant leur animation propre ;
elles ne sont guère plus vivantes depuis la révolution
qui les a mises dans la voirie commune.
Aux différents étages des n"' 1 et 3, tels que
nous les voyons rue Childebert, des pensionnaires
de l'abbaye avaient leurs chambres, communiquant
l'une avec l'autre, au-dessous desquelles se suivaient
des boutiques, où se vendaient surplis et rabats.
(1) Notice écrite en 1858. La rue Childebert figurait
encore sur la carte de Paris, où la remplacent un
tronçon du nouveau boulevard Saint-Germain et l'espace
nouvellement laissé à découvert devant l'église Saint-
Germain-des-Près.
6 RUE CHILDEBERT.
Au rez-de-cliaussée du 5 il y avait, sous Louis XVI,
et une mercière et un marchand d'élixir de longue
vie. Le il était aussi une maison ii deux tins,
habitation et boutique; le 13 pareillement, et
M. Arnheiter, mécanicien, occupait ce dernier
immeuble, avant d'avoir ses magasins au 8: il n'y
a donc pas moins de 40 ans que ce fabricant
d'instruments d'agriculture habite la petite rue
Childebert. Par exemple, 2, 4 et 6 n'avaient qu'un
seul étage, lorsqu'ils étaient un bien monastique :
on les a exhaussés depuis. Les personnes adonnées
n'importe à quel commerce, en deçà des grilles
qu'on fermait tous les soirs, y profitaient d'une
rare immunité, en ce qu'il était interdit d'opérer
chez elles une saisie; dès qu'il avait le pied dans
l'enclos, l'huissier perdait le droit d'instrumenter.
N'enabu*ait-oii pas pour faire banqueroute? La chose
arriva quelquefois.
Un marchand de vin, nommé Chanfort, égayait
le n" 10, dès le temps des moines; plus tard sa
veuve prit sa place, en faisant la cuisine pour
tous les peintres, sans en excepter un, dont le
pinceau becquetait une palette aux environs de
l'ancienne abbaye. M"'^' Chanfort servait deux œufs
sur le plat à ses habitués, pour 3 sous ; ton-
fessons qu'elle les faisait cuire dans la graisse. La
moyenne du prix de ses diners n'allait guère qu'à
60 centimes, le vin compris. Qu'on se garde pour-
tant de comparer son petit restaurant aux gargottes
dans lesquelles les rapins d'aujourd'hui sont réduits
à prendre leur pàlure, moins saine à coup sûr,
mais plus chère!
Rue des Ciseaux, (i)
Nous avons essayé de retrouver l'hôtel des
Ciseaux, dont cette rue tire sa dénomination,
d'après le Dictionnaire des Rues de Paris. Sur-
gissait-il rue du Four-Saint-Germain? Son titre
venait-il d'une enseigne de tailleur ou de coutelier?
Une famille portai l-elle ce nom ? Dernière version
s'accordant mieux avec la qualité d'hôtel reconnue
à l'habitation.
On en revoit un précisément à l'angle de la rue du
Four ; ses proportions n'ont rien de vaste ; mais il a
pu se détacher d'un plus grand, particulièrement
de son jardin, car il faut surtout un jardin pour
élever une maison au rang d'hôtel. De bonne
bourgeoisie, pour le moins, était cette bâtisse
d'encoignure, remontant pour sûr à l'époque où
d'une rue qualifiée des Fossés-Saint-Germain on
a fait une rue des Ciseaux, autrement dit au milieu
du grand siècle. Sa façade donne sur les deux
rues ; des arcades y sont dessinées, répétant les
arceaux de ses caves, qui sont encore vierges de
gerçure. Par suite d'une licitation, le 20 mars
1662, une sentence des requêtes-du-palais en
rendait adjudicataire le collège des Écossais, et
la seule mutation qui, depuis lors, se soit produite
date de 1847 ; seulement il a fallu une ordonnance
royale pour autoriser M. Caire, administrateur
temporaire des fondations catholiques anglaises et
écossaises en France, à aliéner ledit immeuble.
(1) Notice écrite en 1858.
8 RUE DES CISEAUX.
Le 5 et le 6 de la même rue, qui se conten-
tait déjà de 9 maisons et de 2 lanternes en 1714,
paraissent plus anciens que la propriété des
écoliers écossais.
Rue de la Clef, (i)
L'Enseigne, — La Prison. — La Gueuserie. — La
Victime cloîtrée de bonne Composition. — La
Pension bourgeoise. — Michel Fourmont. —
Henriot. — L'Institution Savouré. — Le Clos
du Chardonnet. — L'hôtel Danês. — L'Ogre
municipal.
Oji a bientôt dit d'une rue qu'elle est la filleule
d'une enseigne. Celle-ci, ajoute-t-on, se serait
bi'imbalée, rue de la Clef, entre deux fenêtres du
n" 5. S'il s'agit du o d'à-présent, la chronique
semi-officielle court le danger de s'être trompée
de porte, les titres de propriété de cet immeuble
ne parlant même pas pour mémoire du signe
particulier dont il s'agit. Pas plus de prétentions
en face à cette paternité, dont la recherche n'est
pas interdite. Trois maisons d'origine commune
y venant la troisième, la quatrième et la cinquième
à partir de la rue Copeau (Lacépède), étaient à
Louise-Catherine Moreau, épouse séparée de biens
de Pierre Lemerre, écuyer, avocat au parlement
(1) Notice écrite en 1858. La rue de la Clef s'appelait
encore rue Vieille-Notre-Dame et rue du Pont-aui-
Biches à partir de la rue d'Orléans, maintenant Dau-
benton. L'élargissement et l'exhaussement font qu'elle
commsnce du côté droit par une place à bâtir, que
suivent des constructions neuves, et à gauche par un
▼ieui mur, au pied duquel est garde par un petit
escalier l'an.-ien niveau. Une place, en outre, s'est for-
mée presque en face de Sainte-Pélagie ; elle prendra sans
doute le nom de Monge, comme la rue nouvelle qui
y fait parallèl» à celle de 'a Clef.
10 RUE DE LA CLEF.
et du clergé de France, en 1763, et à Borderel
de Caumont, prêtre, quelques années plus tard.
Problablement un serrurier s'était mis sous
l'invocation que les captifs de Sainte-Pélagie ont
dû souvent prendre pour un sarcasme. La Clef,
quelle amère dérision! Sainte-Pélagie en a des
trousseaux, mais accrochés à des ceintures de
geôliers. Prison pour dettes, elle a fait rire ;
politique, elle a donné lieu aux récriminations et
aux chansons. Mais on y enferme de nos jours,
faute de Bérangers et de Courriers, des hommes
de paille de la presse plus souvent que des jour-
nalistes, des ambitieux, ou plutôt des envieux, qui
ne cesseraient d'être persécutés que pour devenir
les plus ineptes, les plus lâches, les plus odieux
de tous les persécuteurs, et puis des marchands
à faux-poids, des laitiers trop chimistes, des gé-
rants de société en commandite sans compèi'es
dans la finance, des complices d'adultère, des
médecins si peu autorisés à soigner des malades
que leurs confrères à diplôme en tuent bien davan-
tage, des agents d'affaires auxquels on a confié
quoi que ce soit, des usuriers ne prêtant qu'à la
semaine, des cochers en contravention, des voleurs
à leurs premières armes, des mouchards en
apprentissage, etc.
Cette prison a cessé d'être affectée à la détention
pour dettes en 1834 ; une division ti part y servait
de maison de correction pour des garçons de
catégories diverses, et une autre prison encore,
ayant son greffe particulier, recevait dès-lors des
prévenus et des condamnés, accusés ou convaincus
d'avoir commis des délits ou des crimes. La
Révolution y avait fait, en outre, des prisonniers
politiques en beaucoup plus grand nombre que la
Restauration, notamment Millin, naturaliste et
archéologue, le peintre Hubert Robert et M""-
Joséphine de Beauharnais. C'est même en 1792
RUE DE LA CLEF. 11
qu'on avait converti en prison publique Sainte-
Pélagie, qui ne renfermait sous l'aDcien régime
que des pécheresses repenties et non repenties,
celles-ci dans une division dite le Refuge, qui
relevait de l'Hôpital-Général, en se distinguant du
couvent dans lequel entraient celles-là. M""^ d'Aguil-
lon avait contribué ii fonder en 1665 la communauté
religieuse qui s'y était placée sous le patronage
spirituel d'une comédienne sanctifiée par la
pénitence.
Sainte-Pélagie, ce purgatoire des niŒiurs, com-
mença par purifier et transformer, en l'absorbant,
certain hôtel de la Gueuserie, dit aussi Zone et
Jaune. Pierre Moue était encore propriétaire en
l'année 1660 de la Gueuserie, qui comportait trois
corps-de-iogis et autant d'arpens de jardin, à
l'angle de la rue Courtoise et de la rue Françoise,
qui faisait suite à celle du Puits-de-l'Ermite. Au nom-
bre des maisons voisines qui passèrent vers le même
temps aux religieuses de Sainte-Pélagie et à
l'Hôpital-Général, plusieurs n'étaient données ou
vendues qu'en nue-propriété. Lépy, docteur en
médecine, et sa femme, née Lemoyne, en avaient
encore l'usufruit, l'année 1731. La rue s'était
appelée d'abord de Saint-Médard, en raison de
l'église à laquelle elle conduisait ; puis était venue
la dénomination de Courtoise, dont la clef nous
échappe encore. La moitié des pensionnaires de
Sainte-Pélagie s'y écrouait, de par le roi, pour sauver
l'honneur des familles, ce qui pouvait être fort
utile, mais non pas fleur de courtoisie.
Une des tilles forcément repenties du Refuge
était pourtant veime, avec le temps, à n'en plus
vouloir ù personne du séjour d'une année et demie
qu'elle avait fait dans un âge encore tendre, qui
ne l'avait déjà montrée que trop tendre à des
tentations prématurées. Elle revenait rue de la
Clef en 1805, après avoir usé et abusé de la
12 RUE DE LA CLEF.
plupart des autres années de sa vie, et c'était pour
se retirer au n" 25, en regard de son ancienne
maison de correction, dans une de ces pensions
bourgeoises comme il en reste plusieurs rue de
la Clef. Elle avait nom M""' du Petitpas et environ
quatre-vingt-cinq ans d'âge, bien qu'elle ne regrettât
la perte que d'une seule de ses facultés. Est-il
besoin de dire laquelle ? Comment s'appelait-elle
Petitpas? point délicat à éclaircir, car elle appartenait
à une honnête famille, qui n'avait pas même attendu
la majorité de Louis XV pour faire casser un
mariage clandestin que la petite avait contracté,
en état de minorité, avec un Italien de passage
en France, et déjà vieille elle avait convolé en
second, puis en ti-oisième divorce, sous les gouver-
nements républicains. Tous les jours elle montrait
à M'"'' Simon, qui tenait la pension bourgeoise,
le donjon sombre et sans croisées d'en face, en
regrettant fort, si ce n'est le châtiment, de ne
pouvoir plus l'encourir. M. Rousseau, notre estafette,
tient ces détails d'une voisine, qui, en 1807, a vu
mourir la mère Simon. La pensionnaire était fort
saine d'esprit et de corps, en dépit d'une longue
jeunesse ; mais il y avait alors sous le même toit
un certain nombre de gens inlirmes et, qui plus
est, dans un corps-de-logis à part, cinq ou six
fous et folles, gardés à vue. Le docteur Ghansaud
est mort centenaire dans cette maison de santé
et de convalescence, dont il était le médecin, et
qui de notre temps compte encore des pension-
naires, d'âge et de sexe différents, sous la direction
d'une brave femme, M"'^ Vallon.
Michel Fourmont, professeur de syriaque et
d'éthiopien au Collège de France, membre de l'aca-
démie des Inscriptions et frère de l'orientaliste
Etienne Fourmont, avait eu en 1738 une propriété,
qui n'était séparée que par deux autres de celle
dont M""" Lemerre disposait vingt-cinq ans plus tard.
RUE DE LA CLEF. 13
Henriot, chef de factieux, héros des journées
de Septembre et agent de Robespierre, dont il a
partagé la lin, logea quelque temps rue de la
Clef, dans une maison qui semble en disconvenir,
tant son aspect est plein de sérénité ! Le nombre
qu'elle affiche est 29. Cet Henriot, natif de Nanterre,
domestique chez un procureur au parlement, qui
l'avait renvoyé, s'était trouvé employé aux barrières,
en qualité de commis, lorsque l'insurrection y avait
apporté la flamme, dans la nuit du 12 au 13
septembre, et cet agent de l'octroi, craignant quel-
ques mauvais traitements, avait cru plus prudent
de se ranger parmi les incendiaires : tels avaient
été les débuts du promoteur de tant d'insurrections !
Uu jour on heurtait violemment h la porte du
n" 9, chez M. Savouré, chef d'une institution de
jeunes gens, qui vint lui-même savoir ce qu'on
voulait. C'était l'affreux voisin Henriot et plusieurs
autres terroristes, ayant à lui intimer l'ordre de
faire dîner ses élèves dans la rue. Les tables furent
bientôt disposées, pour obéir à ces traîneurs de
sabres, parlant au nom de la Nation ; mais M'"^ Sa-
vouré refusa prudemment l'argenterie et eut l'idée
de servir aux élèves des mets qu'ils pussent porter
aux lèvres sans se servir de cuillers ni de
fourchettes ; le fromage et les artichauds ' tirent
donc les frais de ces agapes par ordre. Déjà une
irruption pareille du citoyen Henriot avait eu pour
objet d'ordonner au maître de pension la destruction
d'un certain nombre de bustes qui décoraient la
façade sur la rue, et qu'il prenait pour des figures de
saints ; or ces malheureux plâtres représentaient
des dieux de la fable, et même, du côté de la
cour, il en a été conservé huit ou dix, dont ne
différaient aucunement les premiers.
Lapension Savouré fut fondée rue Copeau, vers 1730,
sous les auspices d'une compagnie de professeurs
jansénistes, qui avaient pour supérieur Besoigne,
U RUE DE LA CI EF.
successeur de Durieux et de Gillot, et, qui étaient
expulsés de Soi nte-Bari)e, à l'instigation des jésuites de
Louis-le-Grand, leurs adversaires. Depuis 1:28 ans, de
père eu fils, les Savouré dirigent la maison, et cette
dynastie tend à se perpétuer. Jean-Louis Savouré P'
eut dix-sept enfants d'un seul lit ; Jean-Baptiste en
compte onze. En sa qualité de janséniste, Rollin
accorda, dès le principe, son patronage aux Sa-
vouré ; il leur prodigua ses conseils et ses en-
couragements, et le lait est qu'ils ont mis en
honneur les doctrines de son Traité des Études.
« L'honneur est lame de tous les arts, disait l'illustre
• recteur de l'université de Paris, mais du nôtre prin-
« cipalement. Quels que soient les préjugée d'un siècle
« corrompu par la frivolité, il n'est rien de plus grand
• que notre profession j rien qui exige des sentiments
« plus purs et plus élevés. C'est l'esprit et non le corps
« qui est confié à nos soins. Un père remet son. fils
« entre nos mains; il demande que nous cultivions son
< esprit, que nous formions son cœur à la vertu, que
« nous y gravions les principes de la religion et de
<« la piélé. Quel emploi ! Est-il des fonctions plus nobles
< et plus excellentes? » {Opuscules de Rollin, tome 1^^,
p. 430.1
Presque seul des établissements d'éducation, celui
que tenait les Savouré résista sans inten-uption
aux crises de la Révolution, en substituant des
cours particuliers h ceux des collèges de Lisieux
et de Montaigu, dont l'exercice se trouvait supprimé.
Son droit de chapelle datait de la création ;
Napoléon P'' le sanctionna, et récemment Pie IX
le contirmait. Des élèves remarquables de cette
institution citons le prince Jérôme Bonaparte,
frère de Napoléon P', l'amiral Baudin, Gay-Lussac,
les généraux de Grouchy, fils du mai^échal, MM.
Naudet, d'Houdetot, Delécluze et Silvestrede Sacy,
RUE DE LA CLEF. 15
les docteurs Chomel, Donné et Vernois, l'architecte
Rougevin.
M. Lacroix, professeur, n'est-il pas une étoile
de plus pour cette pléiade? II a mis au jour une
notice historique sur la maison, berceau de ses
études, au temps où l'auteur du présent ouvrage
publiait, de son côté, un livre sur l'ancienne Saijite-
Barbe. Grâce à M. Lacroix, nous savons notamment
que la pension Savouré fut transférée dès 1779
dans le local qu'elle occupe maintenant. C'était
d'abord l'hôtel Danès, qui a passé dans la maison
de Rohan avant que les Savouré l'acquissent :
jusque-là rien qui nous taquine. Mais la notice
ajoute que Pierre Danès, précepteur de François II,
puis évéque de Lavaur, fut propriétaire rue de la
Clef, et rien dans son architecture, dans ses
décorations à l'intérieur, n'autorise à croire du xvi«
siècle l'édifice, qui nous a plutôt l'air contemporain
d'un autre Pierre Dnnès, curé, auteur de plusieurs
dictionnaires, décédé en 1709. Trois plans de Paris
vont passer sous nos yeux ; cherchons-y cet hôtel
Danès. La carte de 1652 n'en souffle pas mot.
Aucun trait ne l'indique davantage sur le plan de
4714, dans lequel figure un corps-de-garde-fran-
çaise, au coin de la rue d'Orléans, et qui compte
en tout, rue de la Clef, 23 maisons. Interrogeons
encore la topographie de Paris en l'année 1739,
même absence de désignation. Décidément il y a
erreur de date.
Vers l'endroit où se carre encore cette maison,
cinq autres avaient été anciennement bâties sur
la Villeneuve-Saint-Réné, quartier de terre dit
aussi le clos du Chardoiinet ; elles avaient dû
60 livres tournois de rente, pour une partie des-
quelles Nicolas Bouchinel, charcutier, avait passé
reconnaissance en 1348 h Raphaël d'AIbiac, fils
de Louis, seigneur du même fief. Le Canon, vicaire
de Ghoisy-sur-Seinc, avait succédé au ' charcutier,
16 RUE DE LA CLEF.
puis Marin Noël, puis Dauphin, archer de la
connétablie, puis le tils de l'archer, sieur de
Sainte-Marie, qui avait vendu en 1643 à Pierre
Crochet.
De 1747 à 1770, si ce n'est davantage, la pro-
priété appartenait à Antoine-Pierre-Hilaire Danès,
comte de Serris, baron de la Mothe, conseiller
au parlement, puis conseiller royal et président
de la cour des Aides, puis gouverneur de Saint-
Denis et enfin lieutenant-général de la ville, pré-
vôté et vicomte de Paris. L'ancien hôtel de ce
grand personnage est menacé de perdre une portion
de son joli jardin, et les pensions bourgeoises
placées sur la même ligne doivent être également
écornées : le percement probable d'une rue nouvelle
met en émoi tout le quartier. Il est de fait qu'on
y trouve encore de la verdure et que les squares
y sont tout faits.
— Grâce pour mes arbres ! épargnez mon gazon !
s'écrie plus d'un propriétaire.
— Respectez, dit un autre, mon escalier à vis
et ma porte h claveaux.
Malheureusement il y a un ogre dans cet omni-
potent préfet qui ne se soucie d'aucune des tra-
ditions conservatrices de l'édilité, et l'ogre se
bouche les oreilles.
Rue des Sept-Voies. (i)
Dénombrement des propriétaires en tannée 1660,
(Bmc\)t : IBroite :
Le collège de Reims h corps-
de-bâtiment ft un jardin,
tant rues de Reims, d'E-
cosse et Chartière que rue
des Sept-Voies.
Idem, petit corps - de - bâti-
ment, au coin de la rue des
Sept-Voies et de celle de
Reims, ahàs de Bourgogne.
Idem, y. maisons, dont l'une
à rimage-Saiut-Pierre.
Brisson, hôtel d'Albret.
La veuve de Bourdon, à
Ville-de-Barcelone.
Le collège des Grassins, 2
corpsde-bâtiment, à la Di-
ligence et à la Sphère.
François du Moutier, prin-
cipal de ce collège, maison
du cul-de-sac de la Cour-
aux-Bœufs, attenant aux
Grassins.
Le collège da la Merci.
Édeline et Claude, à la Chi-
che-Face.
Les abbé, prévôt et confrères
de la Grande- Confrèrie-
aux-Bourgeo'S, 2 corps-de-
bâtiment, à rimage-Notre-
Dame et à la Madeleine.
Godechal et consorts, à
rimage-Saint-E tienne.
Antoine de Saumaville, à la
Bible-d'Or.
Gellier, à l'Image - Saint -
Claude.
Poirier, au Pot-à-Moyneaui.
Sellier, à la Corne-de-Cerf.
Le collège de Forlet.
Id. hôtel de Marly.
L'église Saint - Etienne - du-
Mont, son petit cimetièro
Peu de temps après, l'Image-Notre-Dame et la
MM. de
sons.
Sorbounc, 2 mai-
Le collège de Montaigu, 2
maisons et jardin, au coin
de la rue des Chiens que.
Sainte Barbe a absorbée.
(1) Notice écrite en 18C0.
18 RUE DES SEPT-VOIES.
Madeleine passaient Petit-Saint- Jean, et la Bible-
d'Or, Gràce-de-Dieu.
Le collège des Grassins, dont l'iiistorique est
présenté dans la notice de la rue des Amandiers-
Sainte-Geneviève (1), avait été passagèrement en
possession de la Ville-de-Barcelone, que lui avait
vendue en 1634 la veuve de Michel Charpentier,
sieur du Plessis, mais qu'avait rachetée dès 1636,
par retrait lignager, l'avocat Brisson, qui dans la
même année avait eu Gristophe Descourtieux pour
acquéreur. Michel Charpentier tenait ce bien de
sa mère, née Marie Boissart, fille et héritière de
Boissart, conseiller au parlement, et de Marguerite
Chapelain, y succédant h Jean Chapelain. Mais le
même manoir avait appartenu à des ducs de
Bretagne, comme l'hôtel d'Alhret, à l'origine, et
cela remontait, pour le moins, à l'époque de la
guerre des Deux-Jeannes. Le mariage de Charles
de Blois, neveu de Philippe de Valois, avec
Jeanne de Penthièvre, nièce de Jean III, duc de
Bretagne, qui le choisit pour successeur, donna
lieu à de sanglantes querelles, que les héritiers des
compétiteurs firent durer un siècle. Ce souvenir
historique rend tort peu surprenant "que le séjour
des ducs de Bretagne, au mont Saint-Hilaire, ait
été dit de Blois, puis de Penthièvre.
Collège Montaigu. — Tout en a disparu, en 1844»
pour faire place à la nouvelle bibliothèque Sainte-
Geneviève. C'était, en dernier lieu, une prison
militaire, qui avait servi d'hôpital. La suppression
des classes n'y datait que de 1792. Ce qui nous a
permis amplement de connaître un aimable vieillard,
M. Sauvage, qui avait fait ses études à Montaigu :
il y était même entré en 1762, M. Regnard y
remplissant les fonctions de principal.
(1) Maintenant rue Laplace.
RUE DES SEPT-VOIES. 19
La chapelle du collège renfermait le tombeau
d'Ulrich Géring, l'un des trois imprimeurs attirés
d'Allemagne par la Sorbonne pour fonder à Paris
la première imprimerie. Le prédicateur Jean
Standoutht, qui dormait sous les mômes dalles,
avait institué dans la maison, sous la direction
d'une comnmnauté, une école si pauvre que
l'université n'avait rien de pareil : on y faisait un
maigre qui ressemblait par trop au jeûne, avec
lequel il alternait toute l'année. Ce régent de la
faculté de Théologie avait humblement débuté, en
qualité de petit domestique. Le collège toutefois
avait pour fondateur Gilles Aycelin de Montaigu.
Il est fâcheux que ce chancelier, ancien archevêque
de ÎXarbonne, ait pris une part active à la persé-
cution suprême des templiers. Mais ne se trouve-
t-il pas qu'il est entré pour quelque chose dans
l'éducation d'Érasme et de Calvin, puisque l'un et
l'autre ont fait la moitié de leurs humanités à
Montaigu ?
Collège Fortet. — La famille Perducet, dont nous
avons évoqué le patriarche en établissant les
états de service d'un des quais de l'île Saint-
Louis, fait le commerce des vins depuis un siècle ;
elle a fourni à Sainte-Barbe plusieurs générations
d'élèves, qui, pour entrer à la pension ou en
sortir, n'ont jamais eu que la rue des Sept- Voies
à traverser, dans sa largeur modeste. MM. Perducet
y sont encore propriétaires, aux n"' 19 et 21, de
l'ancien collège Fortet, dont nous allons l'aire
l'histoire.
Pierre Fortet, né à Aurillac, archidiacre de Cussac
et chanoine de plusieurs églises, ne multipliait sur
sa tête les bénétices, au xiv siècle, qu'en vue de
faire le plus de bien possible. La preuve suprême en
fut donnée par ses dispositions testamentaires, qui
fondaient un petit collège, avec huit bourses, sans
compter les offices, en laissant des maisons dans
20 RUE DES SEPT -VOIES.
différents quartiers de Paris, ainsi que des rentes,
des liefs et des terres, avec la liberté pour ses
exécuteurs testamentaires d'établir le collège où
bon leur semblerait quand sa succession serait
ouverte, et elle s'ouvrit le 22 avril 4394, Deux
des propriétés de ville ainsi léguées reliaient la
rue Saint-Jacques à celle des Cordiers ; nous en
retrouvons au moins une, dont l'aspect vénérable
sourit aux antiquaires, à travers deux petites portes,
dont une cintrée, et qui égrène encore, comme
un chapelet, ses deux escaliers à balustres, n'' 3,
rue des Cordiers : elle avait pour enseigne le
Barillet. L'autre, qui a été refaite, montrait l'image
de la Madeleine. Là fut d'abord créé l'établissement,
transféré trois années plus tard rue des Sept-
Voies, dans une maison acquise de Listenois,
seigneur de Montaigu, moyennant 500 écus d'or,
qui formaient, avec une vingtaine d'écus de pot-
de-vin comptés à un intermédiaire, 458 parisis.
La chapelle, qu'on ajouta vite à l'édifice en l'appro-
priant à sa nouvelle destination, se dédia à saint
Géraud, autrefois seigneur d'Aurillac. La Corne-
de-Cerf, propriété attenante, s'incorpora en 1493
h l'établissement, qui ne s'en défit qu'au xvn' siècle :
c'était bien un accroissement. Néanmoins les finances
du collège de Fortet n'avaient pas prospéré pen-
dant le premier siècle de son ère : ses rentes
sur des particuliers en avaient trouvé d'insolvables ;
ses placements sur diverses caisses avaient subi
des quartiers de réduction ; l'une de ses maisons,
sise rue des Prouvaires, avait été vendue menaçant
ruine. La faute pouvait-elle s'en imputer aux
maîtres? La principauté de Fortet, à laquelle
nommait le chapitre de Paris, en vertu d'un droit
conféré par les statuts originaires, passait en
l'année 1416 à Jean de Rouvrai, qui eut pour
successeur Jean du Sellier ; mais le chapitre avait
nommé, depuis deux ans, un procureur, pour ad-
RUE DES SEPT-VOIES. 21
minisirer les affaires, à la décharge du principal
et du chapelain.
Le siècle suivant se montra plus favorable.
Charles de la Rivière, comte de Dammartin,
devait aux principal et boursiers, substitués aux
droits de Pierre Fortet, 160 livres parisis : des
procès intentés aux acquéreurs et détenteurs des
biens du débiteur amenèrent à composition, après
plus de loO ans, l'un d'eux, M, de Harlay, qui
se détermina à transporter au collège de Fortet,
en 1566, 400 livres de rente à prendre sur celle
de 1,000, que les prévôt et échevins lui avaient
constituée en lo6:2 sur le clergé. Jean Beauchône,
grand-vicaire de Paris, avait fondé trois nouvelles
bourses, en y appliquant l'abandonnement d'un
moulin Martinot, sis à Eaubonne, à Andilly et à
Margency, dans la vallée de Montmorency, et ce
bienfaiteur était mort en 1566; Nicole Watin,
principal de Fortet, en ajoutait deux autres, en
1574. Les testaments de Jean Froideval et de
Crouzon, qui remplirent au même siècle les fonctions
de principal, l'un avant, l'autre après Watin, léguaient
aussi de petites sommes, à titre de fondations
d'obit dans la chapelle de la maison. Du temps
de ce Froideval vint au collège pour la seconde
fois Calvin: il y avait précédemment étudié en
théologie, il en était sorti pourvu de bénéfices,
bien qu'il n'eût pas encore vingt ans, et il avait
été suivre des cours de droit à Orléans, en s'y
perfectionnant comme helléniste. Le second chef
de la Réforme se démettait, en rentrant à Paris,
de ses titres et revenus ecclésiastiques, et la
savante montagne Sainte-Geneviève, grosse en
tout temps des œuvres du passé, se sentit mère
d'idées nouvelles. Pierre Robert d'Olivetan s'y
était lié avec Calvin, et l'université de Paris avait
déjà des échos pour leurs voix. Une harangue de
Michel Cop, qui n'en était pas moins que le recteur,
2
22 . RUE DES SEPT-VOIES.-
l'ut dénoncée en 1533, et comme elle passait pour
une leçon qu'il avait appris de Calvin à réciter,
on voulut s'en prendre à tous deux. Seulement
l'étudiant de Fortet avait déjà quitte sa chambre,
lorsqu'on vint l'y chercher; le chanoine Duiillet,
frère du grelfier en chef du parlement de Paris,
lui donna asile en Saintonge, puis la reine Mar-
guerite, cl Nérac. Après avoir prêché, du côté gauche,
jusqu'à un changement de communion, la rue des
Sept-Voies abonda dans le sens opposé, de l'autre
côté de la rue, Sainte-Barbe y devenant le berceau
de la compagnie de Jésus.
Aussi bien l'université agissait officiellement,
par des visites, sur la discipline de Fortet, et le
parlement eut lui-même à s'immiscer dans ses
querelles intestines. Charles de Goussancourt,
quoique fait principal par les chanoines, se voyait
disputer la place par Jean Cinqarbres, que les
boursiers lui préféraient : un arrêt de la cour ne
tarda pas à annuler la nomination de Goussan-
court, parce qu'elle avait eu lieu pendant l'office
divin. Les agitations de la Ligue, avant d'avoir
le royaume pour théâtre, se ménagèrent des
coulisses dans le même établissement, où le fougueux
ligueur Boucher, curé de Saint-Benoît, qui fut
aussi recteur de l'université et prieur de Sorbonne,
eut assez longtemps un asile : le conseil-général
de la faction des Seize y tint ses premières
séances, en 1585. Le xvi" siècle compta donc
avec le collège Fortet, qui se passionnait avec
lui et entrait des premiers en lice, au lieu de garder
la sage neutralité qu'aiment à observer tant de
cuistres ! L'un des risques courus à ce jeu n'était-
il pas de passer d'un extrême à l'autre? La jeunesse,
d'ailleurs, se renouvelait dans la pédagogie de
la rue des Sept-Voies, bien qu'elle ne cessât pas
d'y être vaillante. Préoccupés de questions exté-
rieures, ses écoliers prenaient moins vite leurs
RUE DES SEPT-VOIES'. 23
degrés; le» finances de l'école n'en allaient pas
plus mal.
L'hôtel des évêques de Nevers, longeant le
jardin du collège et ouvrant rue, des Amandiers,
ainsi qu'au carrefour de Saint-Élienne-du-Mont,
avait été adjugé au protil du collège, en io64.
Quand, plus taVd, l'évêque de Nevers voulut proliter
des édits de 1608 et 1613, autorisant le réméré
des biens ecclésiastiques aliénés pendant les guerres
de religion, les acquéreurs lui réclamèrent judi-
ciairement une somme trois l'ois plus forte que
celle de l'adjudication, à cause des réparations
qu'ils avaient laites dans la propriété, et le vendeur
préféra renoncer h toute revendication. Ladite
propriété, dont les boursiers tirèrent pendant
deux siècles le revenu, s'appelait cour de la Vérité
du côté de la rue des Amandiers, où maintenant
elle remplit encore les n°' 13 et 17, avec passage
rue des Sept-Voies, 17. Du côté de Saint-Êtienne-
du-Mont, elle garda la dénomination d'hôtel de
Nevers tant qu'elle put.
Une acquisition du même temps est représentée
h nos yeux par un des deux immeubles de MM.
Perducet: voyons-y Marly-le-Chàtel, maison à trois
corps-de-logis, vendue par Claude de Lévis, qui
était seigneur de Marly, et que le séminaire des
33 avait quittée en 1637 pour passer à l'hôtel
d'Albiac, rue de la Moniagne-Sainte-Geneviève. La
corporation des relieurs, démembrée de celle des
libraires en 1689, renforcée au siècle suivant par
celle des papetiers-colleurs, et reconnaissant pour
patron saint Jean-Porte-Latine, avait là son bureau,
qui payait loyer au collège. Autre maison encore
et puis jardin, dans la même rue des Sept-Voies,
adjugés sous le règne de Henri III aux mêmes
boursiers, qui n'en gardaient pas moins d'autres
biens par la ville, et particulièrement rue Saint-
Victor.
«4 RUE DES SEPT-VOIES.
En 1610, restauration complète du collège pro-
prement dit. Fondation de quatre bourses de plus,
deux ans après, par Claude Croisier, principal.
Deux autres dues, en 1719, à Grémiot, chanoine
de Castres. A cette dernière date, Bernard Collot
exerce la principalité ; ce fonctionnaire, d'humeur
trop processive, finit par être détilaré incapable
d'ester en justice sans l'assistance de Lavigne,
avocat, nommé d'office par la cour. Puis le collège
Fortei est au nombre de ceux qu'on réunit au
collège Louis-le-Grand, en 1764 : M. de Vernhes,
le dernier principal, deux autres officiers et seize
boursiers composent alors l'effectif constitution-
nellement défrayé. Le grand-Lureau de Louis-le-
Grand administre ses biens, que la Révolution fait
nationaux ; l'immeuble du collège n'est adjugé à
un particulier que le 12 juillet 1806,
Hôtel (ïAibret. — Le manoir à Paris de Charles
de Blois, duc de Bretagne, époux de Jeanne de
Penthièvre, ayant passé à un ou plusieurs comtes
de Blois, à un ou plusieurs comtes de Penthièvre,
Jean de la Chesnaye n'en fut que partiellement
donataire en l'an 1516. La moitié en constituait
déjà l'hôtel d'Albret, qu'on ne disait plus de Blois
que pour mémoire. Alain d'Albret, comte de Dreux,
y commandait en maître; mais était-il le vieux
sire de ce nom dont le fils devait ti un mariage la cou-
ronne de Navarre, ou n'était-il qu'un autre membre
de la même famille? Henri, roi titulaire de Navarre,
héritait alors du Béarn ; mais ce grand-père de
Henri IV n'en faisait pas autant du séjour que voici.
Alain d'Albret y vendait en 1520 une place et
une masure à Nicolas Barrière, procureur-général
de l'ordre religieux et militaire de la Merci, pour
établir le collège de son ordre. Ce collège, au
xvin"^ siècle, n'était plus que l'hospice de la Merci,
infirmerie du couvent dont il reste des débris et
des bâtiments rue de Braque et rue du Chaume.
RUE DES SEPT-VOIES. 25
Dès 1793 a été mis en vente l'ancien collège de
l'ordre.
Mais l'édifice qui donne en face de la rue du Four-
Saint-Hilaire a-t-il, comme on le dit sur les
lieux, fait partie du collège, tout en étant le siège
d'une imprimerie royale pour la musique? Ne serait-
ce même pas l'ancienne masure refaite, celle
qu'avaient vendue h la Merci les parents du chef
de la dynastie des Bourbons ? Deux escaliers à
balustres de chêne, que nous avons l'heur d'y
revoir, étaient déjà de mode surannée ii l'époque
attribuée par Germain Brice à la construction de
la maison. D'après cet historiographe, la maison
de la rue des Sept-Voies occupée de son temps
par Frédéric Léonard, marchand libraire et impri-
meur ordinaire du i-oi, avait été bâtie en 1673
par son père, fameux dans la même partie. Brice
confondait, selon nous, une reconstruction avec
une construction, et des documents inédits viennent
à l'appui de notre opinion. Avant l'année 1673
Frédéric Léonard avait déjà en cet endroit une
maison et un jeu de paume, que lui avait céûé
à titre d'échange Claude Rotrou, conseiller et {pro-
cureur du roi ; il y tenait d'une part aux grassins
et aux religieux de la Merci, d'autre i)art à la maison
de la Grande-Confrérie-aux-Bourgeois. Il faudrait
donc dans le bel édilice reconnaître une réparation
complète de la Chiche-Faee. Quelle transformation
avantageuse ! A coup sur, la propriété était vendue
en 1768 par Léonard des Malpeines, conseiller au
Ghâtelet, et son beau-frère Chardon, maître-des-
requêtes, intendant de marine, à Leguav d'Haute-
ville.
François du Moutier, principal des Grassins, a
laissé à sa famille la maison de la Cour-des-Bœufs,
qui attenait à son collège et que la communauté
de provenance rendait solidaire avec l'hôtel d'Albret,
pour le cens dû à l'abbaye de Sainte-Geiteviève.
26 RUE DES SEPT-VOIES.
La marquise de Jussac en était propriétaire quand
sonnait la dernière heure de Louis XIV. Lejeune,
officier du roi, jouissait des mêmes droits, de 1732.
à i740. Puis est venu le docteur en Sorbonne
Antoine de Sarcey de Suttières, que le cardinal de
Gesvres, évéque et comte de Beauvais, a eu pour
grand-vicaire. Son frère, Jacques Sarcey de la
Combe, négociant à Lyon, a été le légataire uni-
versel de ce prêtre, en vertu d'un testament reçu
par Jarry, notaire à Paris, le 17 avril 1768, et
l'exécution de ce testament a été consentie par
les héritiers légitimes exhérédés, dont les princi-
paux s'appelaient : J. B. de Suttières, écuyer, gentil-
liomme-servanl honoraire du roi; M""' Louise-Marie
Sarcey, veuve d'Etienne Chanony, négociant h Lyon ;
J. B. de Suttières- Sarcey, ancien officier d'infan-
terie, et M"''^ Antoinette' et Jeanne Sarcey, tilles
majeures, ses sœurs ; M"'*^ Claude Simon, veuve
de Jean Sarcey l'aîné, négociant h Lyon ; Benoît
Sarcey ; M«"*^ Claudine Sarcey ; François et Philibert
Sarcey, autorisés par M*' Pierre Perrin, procureur
ès-cours de Lyon, leur curateur à conseil nommé
])ar sentence de la chambre de la sénéchaussée
de la ville du 17 décembre dernier. Nomenclature
d'autant plus intéressante qu'elle rappelle à Fran-
cisque Sarcey, notre confrère, des parents qui ne
lui étaient pas encore aussi connus !
Il y eut place aussi dans le cul-de-sac de hi
Coui"-(ies-Bœufs, mais plus au fond du sac, pour
le séminaire de Saint-Hilaire, oii des étudiants en
théologie s'exerçaient aux cérémonies du culte.
L'église Saint-Hilaire, qui avait une porte h l'entrée
de la rue des Sept-Voies, était connue dès le
xii^ siècle ; Phiiippe-le-Bel y avait annexé un
petit hospice pour six pauvres femmes de bonne
vie; elle a été démolie en 1790.
François-Vincent Bazin, chapelain de Sainl-
Marcel, supérieur de la communauté de Saint-
RUE DES SEPT-VOIES. ■ 27
Hilaire, avait acheté la cour d'Albret, en 1718, de
la présidente Rouillé, née Bitault, demeurant au
couvent de Bon-Secours, rue de Charonne, et de
sa lille mineure. Les six corps-de-logis que concer-
nait principalement cette mutation permettent de
croire que tout ce qu'on appelait encore l'hôtel
d'Albret y passait. Néanmoins cela pouvait n'être
que l'ancienne Ville-de-Barcelone. Un titre authenti-
que nous dit bien que la cour d'Albret, qui avait
appartenu à François Brisson, en la censive, justice,
police, voirie, terre et seigneurie de l'abbaye,
s'adjugeait en 1686 a Pierre Rouillé de Marbeuf,
conseiller du roi, lieutenant-général des eaux-et-
lorets, auquel nous savons de bonne part que
Rouillé, président au grand-conseil, succéda. Mal-
heureusement un autre document donne pour
tenants a la cour d'Albret également une maison
aux grassins par-ci, une maison au président
Rouillé par-là.
Collège de Reims. — Il y avait déjà près de cinq
siècles que la rue des Sept-Voies avait sept dé-
bouchés sur ce versant de la montagne, heptacorde
vibrant au grand air, quand, sous le règne de
Charles VI, le testament do Guy de Roye, archevêque
de Reims, fut ouvert : le défunt enjoignait à ses
héritiers d'établir à Paris un collège de Reims et
de Réthel. L'hôtel de Bourgogne, situé au-dessus
de l'église Saint-Hilaire, fut acquis, en 1412, à
cet effet pour une société d'écoliers, et les premiers
bénéficiaires de ladite fondation champenoise avaient
l'honneur d'être sous la conduite de Gerson. Né
à Réthel, diocèse de Reims, cet auteur présumé
de Ylmitation de Jésus-Christ avait fait ses études
au collège de Navarre ; comme curé de Saint-Jean-
en-Grève, il s'était élevé en chaire contre la doctrine
de Petit, théologien, qui avait essayé de justifier
le meurtre du duc d'Orléans, assassiné à la porte
Barbette. L'influence de Gerson dans l'université
28 RUE DES SEPT-VOIES.
de Paris était déjà considérable, avant qu'il y eût
succédé, comme chancelier, à son ami le grand-
maître Pierre d'Ailly.
Voulez-vous voir la porte principale de cet ancien
collège, dont la façade sur la rue des Sept-Voies
a été entièrement refaite en 1745? Elle répond au
chiffre 16. La somme de 72,000 livres était énorme
sous Louis XV, et surtout au pays latin ; on se
demandait donc dans quelle caisse puisait, à pleines
mains, le docteur en théologie François Copettc,
à la fois principal, procureur et chapelain, pour
appliquer aussi forte dépense à une reconslruc-
tion partielle. Il ne suffisait pas à maître Copette,
pour la défrayer, d'économiser deux offices; il allait
jusqu'à ramener à pareille unité les bourses fon-
dées à trois reprises dans la maison qu'on
réparait: mieux valait, après tout, subventionner
quelque temps des maçons que des écoliers, s'il
fallait retenir ceux-ci sous un toit qui se refusait
à les couvrir, entre des murs qui commençaient
eux-mêmes à faire l'école buissonnière. Aussi bien
l'archevêque de Reims, collateur aux bourses,
avait consenti à sauvegarder l'avenir de l'institution
aux dépens du présent.
Mais avant que ce prélat ait à sacrer un nouveau
roi, les petits collèges trop endettés doivent être
réunis à Louis-le-Grand. Il s'assemble donc un
conseil, par ordre du parlement de Paris, pour
préluder par une enquête à la réduction et à la
centralisation des bourses de tant de fondations
pédagogiques. Or le recteur, les anciens recteurs
et les principaux, qui composent ledit conseil,
veulent nu moins qu'on leur présente, qu'on leur
fasse connaître à fond l'unique élève, rara avis,
défrayé par le collège dont toutes les autres
bourses sont en souffrance. Comparaît donc un
jeune clerc tonsuré, arrivé par le coche la veille
RUE DES SEPT-VOIES. 29
de la convocation, et il se nomme Laurent Modaine.
Quand il aura été examiné par des régents, ce
rhétoricien de province ne sera reçu, à Paris,
qu'élève de troisième au collège de Lisieux. Il
reste toutefois dix autres étudiants, tant en théologie
et en philosophie qu'en médecine, en physique
et en droit, paj'ant loyer de leur chamhre au
collège de Reims, et ils ne sont pas tous ohligés
d'en sortir pour suivre le cours objet de leurs
études. Les professeurs de droit ont, en effet,
pris à bail la plus grande classe de la maison,
afin d'y donner des leçons, et d'autres élèves,
dans une autre salle, prohtent des leçons de
maître Tranchant du Tret, bachelier en théologie,
qui vise à entrer en Sorbonne; la chapelle elle-
même sert de classe à un maître de philosophie.
Enfin l'instituteur Dubois, locataire d'une bonne
portion des bâtiments, conduit deux fois par jour
ses trente-cinq pensionnaires, comme élèves externes,
au collège de Beauvais. Le principal de Reims,
après avoir éditié ces messieurs sur l'état de
l'intérieur, rend un compte non moins fidèle du
revenu de 11 maisons formant le pourtour du
collège, 6 rue de Reims et rue Chartière, 5 sur
la rue des Sept- Voies; sa place pourtant ne lui
rapporte en tout que 1,374 livres 10 sous, sur
lesquels 250 livres sont retenues pour son propre
logement. Le conseil, au bas du mémoire que
lui a présenté Copette, écrit : « L'état de ce
collège fournit une preuve bien sensible et bien
convaincante de la nécessité de la réunion. »
La grande institution Sainte-Barbe, en notre
siècle, a établi les mathématiciens qu'elle prépare
aux examens des écoles du gouvernement, dans
la plus grande partie des bâtiments qu'avait occupés
Reims, mis en vente par l'État les 8 messidor
80 RUE DES SEPT-VOIES.
an IV, 2 mai et 8 août 1807. L'ancien collège
Sainte-Barbe a été pour nous le sujet de recherches
particulières {i).
(1) Risloirc de l'ancienne Sainte-Barbe et du collège
Rollin. Iti-8, 1858.
Rue du Jour.
Le collège Fortefc avait une petite rente sur
une maison de la rue du Jour, en face de l'église
Saint-Eustaclie. Le 3 a pourtant fait partie de
riiôtel Chàteauneuf, ouvrant rue Coquillière, don-
nant aussi rue Platrière (Jean-Jacques-Rousseau) :
M. de l'Aubespino, marquis de Chàteauneuf, garde-
des-sceaux, en était le propriétaire dans la première
moitié du wn" siècle. Le marquis de Pourpre
ou de Poulprie, en 1167, avec M. Gressu de
Saint-Marsault pour tenant, du côté de la rue
Coquillière, et M""' Léger de la Cour, sur l'autre
flanc.
L'hôtel de Royaumont se carre, sur le
plan de Paris en 1652, auprès de l'église
Saint-Eustache ; reconnaissons-le donc n" 4,
avec sa grande porte, au couronnement flanqué
de deux chiens de faïence : un marchand de faïence
et de porcelaine y laisse grimper du lierre sur
une des faces de ia cour. Philippe Hurault, évêque
de Chartres, ahbé de Royaumont, fit construire
cet hôtel en 1612. François Montmorency, comte
de Bouteville, ne tarda pas à y établir une
salle-d'armes, où se réunissaient les raftinés du
point-d'honneur, qui s'y entretenaient la main en
mettant des fleurets h la disposition do tout
brelteur de profession, sauf à noyer sa raison
dans le vin s'il tn avait encore trop pour se
faire le second du premier-venu. Cet illustre duel-
liste Bouteville. père du maréchal de Luxembourg,
affronta jusqu'au bout les édils de Louis XIII
contre le duel. Forcé de se réfugier à Bruxelles,
après une rencontre, il revint tout-à-coup, pour
3-2 RUE DU JOUR.
se battre en plein jour place Royale, où il avait
Croixmart pour second. Arrêté dans sa fuite, il
paya de sa tête en Grève cette forfanterie suprême.
M'"^ de Boutcville, qui était liu;4uenote, passa
galamment le veuvage : elle couchait dans des
draps de lin écru pour paraître plus blanche.
Toutefois elle épousa Croixmart, catholique comme
son premier mari.
Un grand cabinet littéraire occupait en partie
l'hôtel de Royaumont au moment de la Révolution,
et l'archevêque de Cambrai, en tant qu'abbé de
Royaumont, touchait le prix de cette location.
Mais il y eut du côté opposé un petit hôtel
du même nom, qui a donné le change à plus
d'un historiographe. Il était contigu à l'habitation
de la communauté de Sainte-Agnès, ouvrant
surtout rue Plàtrière. On y retrouvait les ruines
d'une tour du mur de Paris dû à Philippe-
Auguste. Un autre pan de la même enceinte se
dressait chez le sieur Legay, alors qu'il disposait
de la mai.son qui venait la cinquième avant la
rue Coquillière, et ce tronçon se reliait aux
restes d'une autre tour, régnant chez Gilles, rue
Plàtrière.
Une tranche de ce gâteau de pierre avait été
concédée par la Ville, en l'année 4574, h Jean
du Tremblav, dont la propriété appartenait : en
1581 à Martin Ballet, bourgeois; en 1699 h
Philippe de Laporte; en 1729 à Anjorrant, con-
seiller au parlement de Paris ; en 1767 à André
Dufour, seigneur de la Nau, ou de Lanneau,
et à Anjorrant, son beau-frère. Elst-ce à un
prince de Lambesc ou à la viH€ de ce nom que
ladite propriété devait la qualification d'hôtel de
Lambesc ? Elle avait eu deux portes rue du Jour,
avec une dans la rue Montmartre et une dans
la rue Plàtrière; mais, Anjorrant et Dufour ayant
partagé, la maison du premier donnait rue Mont-
RUE DU JOUR. 33
martre et celle du second rue du Jour, où il
séparait les religieuses de Sainte-Agnès des
héritiers Danets, qui avaient l'encoignure.
En ce temps-là M. Mariette, contrôleur-général
en la grande-chancellerie, était propriétaire sur
la même ligne, entre l'abbé de Royaumont et les
héritiers de Bèze ; mais il louchait aussi d'une
part et dans le lond à la succession du président
Mallet, propriétaire d'un cul-de-sac par-derrière.
Sa maison était grande; le tailleur Bucy n'en
était pas le seul locataire ; elle avait porté l'image
du Cormier et plus anciennement la dénomination
du Séjour. Jean Mariette, libraire, et sa femme,
née Coignard, en avaient été possesseurs anté-
rieurement; le pâtissier Coring, sous Louis XIII,
et Pierre de Caen, sous Beurï III. Le Séjour,
qui plus est, avait valu à la rue Raoul-Roissolles
du siècle XIII le nom de Séjour, dont Jour n'est
que la corruption.
Je te salue encore, logis du roi, inauguré par
Charles V sur la lisière du Paris de Philippe-
Auguste, et que les historiographes, à l'unanimité,
se sont plu à jeter par terre, sans jamais donner
une date à celte prétendue démolition ! Le royal
pied-à-terre du xiv' siècle n'est pas aussi rasé
qu'on le croit. Un escalier, bordé de pilastres eu
bois, et les beaux dessus-dc-porte des paliers, h
tous les étages, confirment au n" 25 un droit
d'aînesse incontestable sur l'hôtel des abbés, avec
un air d'autorité que ne sapent pas entièrement
les disgrâces d'une si longue occupation populaire!
Que sera-ce donc si vous vous arrêtez à deux
flnes colonnes, dont les chapiteaux forment des
têtes de béliers, dans la cour? Cela indique le
style delà chapelle, qui était, en elîet, contemporaine
du palais Saint-Paul et de l'hôtel de Sens. Des
mascarons et des dorures intérieures, qui ne
34 ROE DU JOUR.
remontent qu'au siècle de Louis XIV, sout un
fard déjà paie et n'en dissimulant que plus mal
un âge beaucoup plus avancé.
La propriété de M. Mariette était encore à ses
hoirs en 1784, et les deux latérales, aux hoirs
de Bèze, à l'abbé de Royaumont. Mais le comte
de Montmort et le marquis de Goursillon, un peu
plus tard, avaient l'intermédiaire, si ce n'était pas
le 29. Le 10 appartenait alors à M. de Voypierre.
Au reste, plus d'une maison s'était bâtie sur
les dépendances du Séjour, notamment celle où
Mallet, président en la cour des Comptes, avait
pour successeur le chevalier Mallet de Ghanleloup,
qui résidait rue Plâlrière. Propriétaires avant eux,
même endroit : le bourgeois Maupin, en l'an 1581,
et dame Jeanne Sanguin, veuve de Jean Goret,
en 1574.
Les filîes de Sainte-Agnès avaient aussi, en quelque
chose, Charles V pour prédécesseur indirect. La
porte d'une crèche, en notre rue Jean-Jacques-
Rousseau, a été l'entrée principale deces religieuses,
tenant une école de filles pauvres et une pension
de jeunes demoiselles, qui était séparée de l'école.
Léonard de Lamet, curé de Saint-Eustache, avait
institué leur communauté en 1678, et les titulaires
de la cure, depuis lors, avaient continué à veiller
sur sa bonne tenue. La grande révolution a sup-
primé cette communauté, que Colbert avait gratifiée
d'une rente de 500 livres, dont elle avait mis
en gage le contrat, pendant l'hiver rigoureux de
1709, atin d'être plus secourable aux entants con-
fiés à sa garde.
Le dernier curé qui l'ait assistée de ses conseils
était l'abbé Poupart. Il habitait, ir 2, une maison
appartenant â la fabrique de Saint-Eustache.
RUE DU JOUR. 36
Chaque fois que les membres du comité révolution-
naire de la section du Contrat-Social vinrent y
voir le citoyen Poupart, c'était pour le conduire
à la Râpée ou à la Courtille et y déjeuner copieuse-
ment à ses frais. Si le pauvre homme avait résisté,
c'en était fait de sa liberté et de sa vie.
Rue Laratte. (d)
Café Hardy. — CériUti. — Le Marquis cCHertford.
— Laromiguière, — Dîner de t Exposition. — La
fausse Malibran. — La Rue qui se range. —
MM. de Rothschild. — M"""" de Saint- Jullien.
— La Reine Hortense. — Hôtels Laffitte et Thé-
lusson.
Riz au lait, riz au gras, cette inscription
figurait sur les vitres des meilleurs cafés, et ils
ne servaient de substantiel que des potages quand
le café Hardy imagina, à l'époque du Directoire,
d'ajouter à l'indication extérieure : et déjeuners à
la fourchette. L'innovation d'abord était timide :
elle avait surtout trait à des déjeuners froids ;
mais les œufs et les côtelettes amenèrent peu-à-
peu bien des limonadiers à se faire restaurateurs,
à l'exemple du pauvi'o Hardy, qui a fini par se
couper le cou. Son café avait, du reste, commencé
par être l'œil-de- bœuf des affaires, la petite Bourse
escomptant les nouvelles douteuses et la coulisse
des spéculateurs sur les fournitures des armées.
Le restaurant de la Riaison-d'Or a pris la suite du
café Riche, dans un immeuble qui remplace, depuis
(1) Notice écrite eu 1860, pendant que bien des
pioches frayaient, au travers de la rue Laffitte, passage
à Ja rue Lafayetle, en ce qu'elle avait de noureau.
Mais la rue Olivier ne s'élargissait pas encore aux dépens
des derniers numéros de la rue Laffitte, pour se ])ro-
longer des deux bouts et pour prendre bientôt le nom
du cardinal Fesch, qui avait résidé à l'une de ses
nouvelles extrémités.
RUE LAFFITTE. 37
4839, l'ancien hôtel do M'"^ Laferrière, décédée
au milieu du règne de Louis XVI. La même rési-
dence a été connue au comte de Stainville, qui
était un Choiseul ; M™« Tallien Ta habitée aussi,
avant de passer princesse de Chimay, mais après
Cérutti, dont la rue a porté le nom de 1792 fi
1814. Cet élève relaps des jésuites, rédacteur
principal de la Feuille villageoise, membre de la
Commune de Paris et député à l'Assemblée, est
mort dans un bon lit à l'angle de sa rue.
Le ci-devant hôtel d'Aubeterre, dont l'encoignure
demi-circulaire fait vis-à-vis à celle-lJi, ne s'appelle
plus comme d'anciens maréchaux de France; mais le
marquis d'Hertlbi'd, pair d'Angleterre, partout
gentilhomme accompli, l'a acheté sous la Restau-
ration, afin de ne pas déménager, au moment où
sa mère, qui y demeurait avec lui, devenait elle-
même propriétaire au coin de la rue Taitbout.
Au n"" 10 ou au 12, l'an vui voyait Laromiguière,
qui avait publié, au fort de la Terreur, ses
Éléments de Physique à Toulouse.
Nous croyons que le 16 n'était pas étranger
au grand hôtel-garni que la Révolution avait fait
du ci-devant hôtel de Choiseul, maiiilenant occupé
par l'administration de l'Opéra, et dont une porte
donnait rue Cérutti. Un passage Laffîtte s'y trouvait,
en tout cas, avant que M. Emile de Girardin,
acquéreur de l'immeuble, y eût pour locataires
les fondateurs du Dîner de l'Exposition-Univer-
selle. Plutôt qu'un restaurant, n'était-ce pas la
banque des assignats de la gastronomie? Qu«>
d'actionnaires en sortirent ayant faim !
A la place de ce restaurant, où l'on mangeait
si bien.... l'argent des autres, un gymnase erotique
donnait auparavant un autre genre de leçon. Bien
que les exercices n'y fussent pas de ceux qui se
recommandent aux familles, c'était encore pis
' 3
38 RUn LAFFITTE.
dans un corps-de-logis qui passait pour mieux
habité, à rextrémité du passage, alors qu'une
supercherie odieuse y exploitait la vogue si méritée
de M™*^ Malibran. Une vieille femme, postée au
paradis, assistait fréquemment aux représentations
des Italiens, et elle était habile h distinguer les
étrangers, fraîchement débarqués, dont îe talent
de la prima-dona portail l'exaltation au comble.
L'intrigante heffée s'arrangeait pour en aborder
au moins un, dans l'entr'acte, en se donnant pour
la parente, pour l'amie de la cantatrice, et que
n'osait-elle pas oftVir ! Il y avait toujours rendez-
vous pris au passage Laflitte, et l'amateur s'y rendait,
au sortir du spectacle, tout plein d'orgueil, quand ce
n'était qu'un sot, mais avec hésitation s'il avait
l'esprit de craindre une mystification. N'en arrivait-il
pas toujours à se croire le plus fortuné des galants
quand il voyait venir la duègne, accompagnée d'une
femme dont la taille, les traits et l'âge se rapportaient
à ceux de la grande artiste ? L'étranger en bonne
fortune vidait sa bourse sans regret, et souvent il
quittait Paris avant qu'un examen plus attentif l'eût
tiré d'une erreur où son amour-propre trouvait son
compte. L'aventurière abusait de sa ressemblance
avec M""^ Malibran jusqu'à se donner pour elle, tout
le carnaval, au bal de l'Opéra, et à ne pas même
en démordre quand le Champagne du souper
semblait lui délier la langue. M. de Girardin, en
supprimant le passage, n'a pas peu contribué à la
moralisation de la rue Laftilte.
Elle est de plus en plus financière et de moins
en moins décolletée, cette avenue du quartier
Bréda, qui lui-môme se modifie sensiblement en
prenant du développement. Lola Montés, qui a
donné des bals par souscription au n** 40, et
Mogador, si connue à Mabile lorsqu'elle était
logée au 52, ont des couronnes brodées sur leurs
mouchoirs !
RUE LAFFITTE. 39
Mais reiournons d'un siècle Ji l'autre. Après
>!'"'= Laferrière, dont la propriété tenait plus de
place que la Maison-d'Or, venait M. de la Live de
July, introducteur des ambassadeurs. M. ^'Aubeteire,
proche parent des d'Esparbès, était, comme à
l'entrée de la rue, propriétaire aux n"' 13 et lîJ.
En face demeurait M. de Courmont, régisseur-
général du Trésor, à côté M. de Saint-JuUien,
trésorier des États de Bourgogne, puis receveur-
général des rentes du clergé. La clientèle ecclé-
siastique de ce dernier n'empêchait pas sa femme,
une La Toui-du-Pin, de s'amuser, de fréquenter
Voltaire et de sacrer à la manière des bateliers
du coche de Vert-Vey^t. Le veuvage ne la trouva
pas moins philosophe que d'autres inconstances
de l'amour. Sa 90"'^ et dernière année fut 1820.
La reine Hortense, bien que la cour consulaire
l'eût mise plus à son aise que la cour impé-
riale, en était l'ornement encoi'e lorsqu'elle se
lixa à l'hôtel Saint-Jullien. Le titre de reine lui
était conservé, malgré sa séparation et l'abdication
de son mari. Son salon devint tout de suite le
rendez-vous de ce qu'il y avait de plus distingué.
Elle ne suivit pas les membres de la famille
Bonaparte, dans leur premier exil, en 1814; mais,
ayant contribué au revirement des Cent-Jours,
elle en porta la peine le reste de sa vie.
Mieux encore qu'un tel souvenir, un des rameaux
de l'arbre des Rothschild protégecette belledemeure:
leur greffe de Vienne s'y ente sur Paris. M. Anselme
de Rothschild ne veille pourtant que de loin sur
son immeuble, naguère habité par M. Salomon.
Des compagnies de chemins de fer y ont établi
un réseau de sièges administratifs, qui comptent
l'espace par minutes, comme letempspar kilomètres.
Chez M. le baron James de Rothschild, qui fait
souvent des affaires avec les rois, le Trésor royal
avilit ses bureaux avant 89, et dire que le fonds
iO RUE LAFFITTE.
de roulement s'y est accru considérablement, en
passant d'un souverain à un particulier ! Le garde
du Trésor, M. Micault d'Harvelay, résidait lui-même
rue d'Artois, vis-à-vis de la rue Pinon, maintenant
Rossini, aussi près de ses bureaux que l'est M. de
Rothschild. Naugude, voisin de d'Harvelay, précé-
dait aux n"' 23 et 25 : le général Savary, duc de
Rovigo, ministre de la police sous l'Empire, M. de
Greff'ullie, M. Joseph Périer, qui a fait bâtir le
devant, entin M. James de Rothschild.
Le comte de Laborde, banquier de Joseph II, a
étrenné l'hôtel qui vient après et que l'on écorne
à cette heure pour faire place à une rue de biais,
reliant le boulevard des Capucines à»la Nouvelle-
France. Cet inaugurateur, que n'a pas épargné le
tribunal révolutionnaire, était un honnête homme,
d'après les uns, et un trop habile homme au dire
des autres. Valet-de-chambre du roi, puis banquier,
il a été encore plus connu par ses galanteries el ses
œuvres musicales. Un d'Escars, chevalier de Malte,
n'a consenti à changer de vocation, en devenant le
gendre de ce linancier, que pour un million, plus le
gîte et la table. Substitué aux droits que Bouret de
Vézelay, un autre linancier, tenait de l'édilité sur
les bords de l'égout parallèle au boulevard, M. de
Laborde a obtenu, vers la fin du règne de Louis
XV, des lettres-patentes autorisant le percement
de la rue d'Artois, dont Cérutti ne fut plus
tard le parrain qu'à la place d'un prince du
sang. On dit que le même Laborde a, dans
l'origine, affermé l'hôtel à sa maîtresse, la
Guimard, mais pour peu de temps. Il ne le
vendit en 1770 à M'"'" Loménie de Brienne que
pour bientôt rentrer dans ses droits, faute de
paiement. La duchesse de Mouchy fut un acquéreur
plus sérieux; elle eut pour successeurs : l'architecte
Rougevin, les époux Mellier, Jacques Laflitte.
La révolution de 1830, à laquelle ce dernier avait
RUE LAFFITTE. 41
tant contribué, valut à son nom la popularité de
l'estampille voyère où la Restauration avait remis
en honneur celui du prince. Le 28 juillet, les
députés de l'opposition s'étaient réunis dans l'hôtel
dont Jacques Laffitte, leur collègue, était proprié-
taire depuis huit ans, et les délibérations y avaient
continué jusqu'à la constitution du nouveau gouver-
nement. L'homme politique triomphait un moment;
par malheur il était financier, et les affaires
souffraient, depuis plusieurs années, des violences
d'une polémique dont les tendances remettaient en
question les principes de l'autorité. Trop de passions
révolutionnaires étaient déchaînées pour qu'une
transaction libérale suffit à les assouvir. Aussi le
député devait-il promptement rentrer dans l'opposi-
tion, comme devant ; l'auréole du martyre lui était
décernée en raison du mauvais état de ses linances,
qui n'avait nullement attendu, pour se produire,
les journées de Juillet. Une souscription mémorable
rachetait son hôtel, pour le lui rendre à titre
de don patriotique. Dans Laffitte s'incarnait
bourgeoisement le centre-gauche, dont l'idéal était
assurément le meilleur des gouvernements, mais
qui l'a eu plus d'une fois pour adversaire sans
s'en apercevoir.
La rue d'Artois s'est prolongée, en 1823, jusqu'à
la rue Chantereine, ou de la Victoire, en faisant
mordre la poussière au superbe hôtel Thélusson,
dont la porte, en ' forme d'arche de pont, se voyait
du boulevard. M'"- Thélusson y avait reçu somp-
tueusement la bonne compagnie, qui en avait repris
le chemin, sous le gouvernement directorial, quand
le Bal des Victimes s'y donnait périodiquement
par souscription, ainsi qu'au ci-devant hôtel Riche-
lieu. L'État avait confisqué la propriété, qui n'était
encore en 1807 qu'un hôtel-garni, auquel faisait
concurrence porte à porte l'ancienne résidence de
Laborde. Puis Murât l'avait habité; Napoléon ensuite
42 RUE LAFFITTE.
l'avait donné à rempercur Alexandre, pour l'am-
bassade de Russie. Eutlii Bercliut, naguère tailleur
au Palais-Royal, avait acheté l'immeuble, et tout
le (piartier en voulut à ce spéculateur alors que
disparut le beau jardin qui distribuait de toutes
parts quelque aperçu de sa verdure, puriliait et
ralraîcbissail l'aii', en y mêlant des senteurs déli-
cieuses.
L'aimée suivante, ta i-ue lut continuée sur le terri-
toire d'Ollivioi', auquel nous consacrons un souvenir
domestique dans la rue du Faubourg-Monlmailre.
Rue Taitboiit. (il
liougainville, Thénard, Talleyrand, M""^ Grandi,
Parny,,de Jouy, les Magny, Le Peletier du
Houssay, Taithout, La Michodiêre, Bouret de
Vézelay, Fleurieu, Ouvrard, Ayuado, Ed. Re-
naud, Dantan, Lablache, M^^'^ Déjazet, AP^'- Flore,
l'ortoni, de Brancas, lord Seymour, M""' de
Villoulreys, Démidofl, Angilbert et Guéras.
Quand la. constitution de l'an vjii se promulgua.
Bougainville et Tliénard, les deux savants, logeaient
au cul-de-sac dont l'émancipation n'avait pas encore
faitla ruedu Helder. L'Institul donnait à Bougainville
pour collègue le premier-consul, qui devait le
nommer sénateur, comte de l'Empire ; il avançait
déjà dans ce voyage de la vie qui se décomposa
pour lui en tant d'autres, et, à titre de fils d'un
échevin, il avait de bonne heure contracté
des liaisons avec la famille de Taitbout, greffier
du bureau de la Ville. Ces relations suivies avaient
même fait attribuer au grand navigateur un Essai
sur Vile d'O-J'aïti, qui était l'œuvre d'un Taitbout.
Les croisées de Thénard et de Bougainville
donnaient à la fois sur la rue Taitbout et sur
son impasse.
M. de Talleyrand, autre membre de l'Institut,
sortait fréquemment à cheval du n" 30 de la rue,
précédemment hôtel d'Orsay, avec M'"- Grandt,
une Indienne, veuve d'un administrateur de la
compagnie des Indes. Le ministre du Directoire,
(1) Notice écrite en 1858.
44 ' HUE TAITBOUT.
ayant donné sa démission à temps, revenait aux
affaires grâce au 18 Brumaire. Le premier-consul
vit d'abord avec l'indifférence d'un Athénien que
l'ancien évèque d'Autun donnât à des femmes,
en public, le bras auquel était contié le portefeuille
des relations extérieures ; il ne dit qu'après rétlexion
à son ministre : — Finissez-en avec M""" Grandi....
M. de Talleyrand, n'étant pas homme à se com-
plaire aux longs attachements, se proposait pré-
cisément de rompre ; mais, dans le désir qu'il
avait de n'obéir et de ne désobéir qu'incom-
plètement ;\ l'ordre ainsi reçu, il trouva un biais :
le mariage. Le contrat fut signé sans bruit,
comme un testament, rue Taitbout. Un bref de
Pie VII, il est vrai, relevait peu de temps avant,
ou peu après, l'homme, d'église de ses premiers
vœux ; seulement, la question de l'hyménée n'y
étant que sous-entendue. M, de Talleyrand ne fit
accueillir qu'avec difficulté M""" Grandt aux
Tuileries.
Macdonald et Français de Nantes avaient un
peu plus lard leur protégé, félégiaque et l'erotique
Parny, dans l'ancienne maison du ci-devant mar-
([uis de Mesnil. C'était, ma foi, le n" 25, où un
autre homme d'esprit, Nestor Roqueplan, avec
délices Parisien, né au surplus dans le 3Iarais,
a pris, avec un intervalle de quelques lustres,
la survivance du poète qui a pleuré souvent avec
les femmes, mais badiné toujours avec les dieux.
Le faubourg Poissonnière, au reste, fut aussi
habité par M. de Parny, auquel Napoléon Unit
par accorder une rente de 3,000 fr. : pension,
pensionnaire et Empire, tout s'éteignit en même
temps.
Il ne lallut pas loin courir pour remplir à
l'Académie le fauteuil devenu vacant. M. de Jouy,
dont le couvert n'était plus mis, avec ceux de
Jay et de Tissot, aux déjeuners de Savary, dans
RUE TAITBOUT. 45
le lulur hôtel Laflitte, n'en vivait pas moins eji
ermite de la Cliaussée-ti'Antin, au 67 de notre
rue. Mais elle s'appelait parla rue des Trois-
Frères, le percement en étant dû h. l'année 1778,
sur l'initiative de M. Magny de Maisoniieuve, avocat,
et de ses deux frères. Le père Murger, portier de
l'académicien, était tailleur ; il a doinié le jour
à Henry Murger, le l)oliême par excellence de la
littérature. On ne remarquait dans la rue des
Trois-Frères que la maison Castéra (Brunet fecit
1802) et la maison Biteaux (Blanchard, 1795).
Pour mettre en communication la rue Taitbout
primitive avec celle des Trois-Frères, M. Le
Peletier du Houssay avait ouvert, en même temps que
celle-ci, la petite rue du Houssay. L'unification
trinitaire est de 18S3.
La rue Taitbout d'auparavant n'avait sur les
deux rues y faisant suite que trois ans de
primogéniture ; celles d'Artois (Laflitte) et de
Provence étaient, au contraire, ses aînées de
plusieurs années. L'autorisation manquait encore
au projet de la former quand Jean-Bapliste-François
de la Michodière, chevalier, comte d'Hauteville,
prévôt des marchands, et ses échevins, vu, la
requête présentée au roi par Bouret de Vézelay,
trésorier-général de tartillerie et du génie, pour
obtenir d'ouvrir une nouvelle rue sur un terrain
acquis par lui à titre d'emphycêose des Religieuo;
Mathurins à droite du chemin de la Grande-Pinte
dite Chaussée d'Antin, laquelle rue prendrait son-
ouverture sur le Rempart, vers Vissue de la rue
de Grammont , entre la rue d'Artois et la Chaussée
d'Antin, à travers un terrain appartenant p^^oprié-
tairement audit sieur Bouret de Vézelay et tenant
audit Rempart, serait continuée sur ledit terrain
acquis des Mathurins au grand égout, ainsi qu'elle
est tracée sur le plan joint à ladite requête,
demandaient que la nomination de cette rue leur
46 RUE TAITBOUT.
fût" réservée si Sa Majesté n'y pourvoyait pas
par ses arrêt et lettres-patentes. Il souriait aux
édiles d'en choisir le parrain dans la famille
municipale, et le greffier du bureau de la Ville
eut l'honneur de fixer leur choix.
Quant Li Bouret, qui mourut secrétaire du roi
en 1777, il ne fut pas le seul fermier-général de
son nom. Le père de ce financier avait été laquais
de Ferriol, ambassadeur à la Porte, et avait épousé
une fenniie-de-chambre de M""' Ferriof. Sa famille
possédait encore le n" 9, dans la seconde moitié
du règne de Louis XVI, et deux maisons peu
importantes, que séparait l'une de l'autre l'hôtel
du comte de Vasan, h-peu-près en face du 25.
Il y eut aussi, avant la Révolution, un hôtel de
Caumont rue Taitbout. M. de Fleurieu était au
n" 20 : il ne devint ministre de la marine qu'en
1790, et lorsqu'il cessa de vivre, vingt ans après,
il était sénateur, membre de l'Institut. M""' de
la Live se trouvait au 40, mis depuis lors en
communication avec l'hôtel qui le touche par-
derrière. La banque d'Ouvrard, fameux munition-
naire, occupa le n" 11, mais à partir du Directoire.
Une petite-maison du dernier siècle figurait bien
encore, sous Louis-Philippe, au n° 44 : un salon
y formait rotonde à l'angle des rues Taitbout et
de Provence. M. Aguado y meubla une danseuse
de l'Opéra et ajouta le contenant au contenu en
la rendant propriétaire. Lorsqu'un autre acquéreur
voulut augmenter le re'^enu de l'immeuble, un
tour de force s'y exécuta : le locataire du premier
continuait à dormir sur les deux oreilles, pendant
qu'on refaisait deux étages sous le sien et qu'on
le surchargeait de trois étages supérieurs. Les
amateui's y apprécient les bas-reliefs qui surmontent
tes croisées, et le vestibule de la cour présente
lui-même un beau travail. L'honneur en revient à M.
Ed. Renaud, contrôleur en chef des grands travaux
RUE TAITBOUT .J7
de la Ville, qui en aroliitecture esl. un artiste. Quel
joli logement il occupe en liaut de la maison !
On y remarque une cheminée, pleine d'originalité,
où goutîlent deux petits démons ; plus haut est
l'Amour qui s'échappe, après avoir allumé son
flambeau : il fuit le foyer domestique, oîi il n'a
pas briîlé ses ailes, car une glace les montre tout
ouvertes. Dantan jeune, ami de M. Renaud, n'a
pas craint de commettre un calembour de plus,
en disant de cette œuvre d'art: — Quand tu feras,
mon cher, un autre Amour, ne lui mets plus le
derrière à la glace !
Le 16 doit être bien bâti, car le gros Lablache
y logeait. M"" Déjazet, ce ' colibri de la scène,
pèse infiniment moins au 5. M"'' Flore, sous l'Em-
pire, a été mise dans ses meubles par un gros
fermier de la Brie, au-dessus même de Tortoni.
Le propriétaire de l'immeuble était alors M. Mailet,
qui n'y avait pas succédé directement à M. de
la Reynière. Tortoni, mort en 1822, avait fondé
pendant la République son illustre établissement.
L'ancien hôtel de Brancas, au coin du boulevard,
recevait naguère le dernier soupir de lord Seymour,
le dandy populaire des carnavals parisiens d'avant
Chicard et d'avant Gavarni. La marquise d"Heitford,
mère de milord, avait acheté l'immeuble qui, d'après
l'acte du notaire Dehérain, en date du lo mai
1825, pi'ovenait de la Nation cl des matliurins.
Les religieux mathurins avaient vendu à Bouretde
Vézelay le terrain sur lequel MM. de Brancas-
Lauraguais avaient fait bâtir, et Tliôtei avait pu,
comme bien d'émigré, revenir à l'État, substitué
du reste aux mathurins, qui n'avaient pas aliéné la tota-
lité de leurs droits. Toujours est-il que Trudaine et
Charles de la Sablière s'étaient i-endus propriétaires
de la maison et de ses dépendances en lévrier
1792. MM. Lcfeuve et Habert, prédécesseurs de la
marquise, avaient donné en échange la terre de
48 RUE TAITBOUT.
la Jonchère h la comtesse de Villoutreys, épouse
divorcée du général Rapp en premières noces, et
cette dame avait eu pour vendeurs en juillet 1820
M. Le Cornu, comte de Balivière, et sa femme,
née Bouvard. Dans l'appartement de lord Seymour,
le prédécesseur de sa mère avait été le baron
Cardon, qui venait lui-même après le comte
Nicolas Démidoff, dont un flls épousa en 1840
la princesse Mathilde Bonaparte. Angilbert et Guéras
avaient cependant ouvert au rez-de-chaussée le café
de Paris, plus salon à manger que restaurant,
haut de plafond comme dans un château, et il
était de meilleur ton de s'y montrer qu'en tout
autre cabaret du monde. Ce lion des cafés a vécu
36 ans : tous les lions meurent-ils aussi vieux ?
Trop gentilhomme pour laisser des économies,
il avait encore fait plus de réputations qu'il
n'avait contribué à défaire de fortunes.
Rue et Quai des Grands-Aiigiisiitiiis. —
Rues Git-le-CcBur
et de FHirondelle. (i)
Le Couvent des Grands- Augustins . — Les Hôtels
cVHcrcule, de la Salamandre, de Savoie, d'O,
de Luynes, des llhar ités- de- Saint- Denis , de Saint-
Louis, Lecoigneuœ, de Con flans et de Bussy. —
Les Collèges d'Autun et de Saint-Denis. — Et
leur Entourage.
Avant que Philippe-le-Bel fît établir le quai où
nous aboi'dons, des saules y bordaient la Seine
de leurs troncs, souvent creux, et de leurs branches
flexibles. Le siècle suivant y vit les augustins
succéder à des frères de la Pénitence-de-Jésus-
Christ, dits sachets, que saint Louis y avait placés.
Les nouveaux-venus avaient été voisins de la porte
Saint-Bernard et de la porte Montmartre ; leur
monastère délinitif ne s'acheva que sous Charles V.
De l'histoire de France fait pai'lie celle du couvent
dont nous nous entretenons, dépositaire des archives
des ordres de la noblesse et des ordres du roi :
les assemblées du clergé s'y tenaient, Henri III
(1) Notice écrite en J8C0. Le marché (le la Vallée a
été supprimé depuis, et maintenant la volaille se vend
principalement aux Halles centrales, La foimalion d'une
uouvelle place Saint-Michel a fait tomber les premières
maisons du quai des Grands-Augustins et presque toutes
celles de la rue de l'Hirondelle, qui ne serait plus
qu'une impasse de la rue Gît-le-Cœur sans les arcades
qui la relient à la place, comme un passage.
50 RUE ET QUA[ DES rrRANDS-AUGUSTINS.
y présida le chapitre des chevaliers du Saint-
Esprit, Marie de Médicis y lut saluée régente, la
chambre des comptes et plusieurs chambres de
justice en occupèrent les grandes salles. Ainsi
furent condamnés en 1716 aux Augustins, comme
coupables de malversations, les traitants GeolTrin,
Leriche, Luillier, Aviat, Grozat, Poisson, Daugny,
Hénault, Rouillé et autres ; mais leur maitôte,
une lois les taxes payées, déshonorait moins les
coupables que s'ils avaient volé des objets de
peu de valeur à des particuliers. De l'église,
dédiée à sainte Anne en 1443, où furent enterrés
Philippe de Commines, Réiny Belleau, le seigneui'
de Pibrac, Eustache de Caurroy, et qui longeait
le quai à l'endroit occupé par le marché à la
volaille, rien ne reste debout. Les religieux du
crû n'ont pas même juslihé, en 1790, de l'envie
de résister que supposait ce vers de Boileau :
J'aurais fait soutenir uu siège aux Augustins.
11 subsiste pourtant uu assez bon nonjbre des
maisons qui formaient le pourtour et les dépendances
du monastère; les murs de son réfectoire s'y
reconnaissent, qui plus est, sur le derrière, entre
les rues du Pont-de-Lodi et Christine. Le surnom
de la Vallée s'appliquait déjà sous l'ancien i-égime
à la portion du quai des Augustins où se vendaient
en plein vent, le long de l'église, le beurre, les
œuls et la volaille. Il y stationnait, dès 1691,'
des calèches attelées, qu'on prenait à 20 sols
l'heure.
Quelques-unes des fenêtres qui donnent sur le
([uai, entre le marché actuel et la rue Dauphine,
doivent avoir ("clairé le travail de Bérey, enlu-
mineur du roi il l'enseigne des Deux-Glol)es, dont
le plan de Paris se dessinait avant la mort de
Mazarin. Une dame ïiuchet, qui, du temps de
Necker et de Turgot, regardait l'eau couler au
RUES GIT-LE-COEUR ET DE L'HIRONDELLE. 51
même endroit, sans sortir de cliez elle, et qui
se faisait vieille, avait été la Hautier de l'Opéra.
Difficile de reconnaître en cette bonne femme une
beauté, qui avait eu tanfde galants à ses trousses î On
eût dit qu'elle oubliait tout, voire même la nuit
où le prince de Carignan, son amant en titre,
avait surpris au lit, dans l'appartement dont il
avait une ciel', le fermier-général Leriche de la
Popelinière, brutalement tiré de bonne fortune, puis
exilé pour trois mois h Marseille par une mission
du cardinal Fleury.
A l'autre angle de la rue des Grands-Augustins
se carrait, sous François P'', le grand logis du
chancelier Duprat, qui le tenait de Louis \ll et
que remplaçait le prévôt Nantouillet sous les
règnes suivants. C'était l'hôtel d'Hercule, à cause
de peintures ou de tapisseries qui représentaient
à l'intérieur les travaux de ce demi-dieu. » En
septembre 1573, dit l'Estoile, j ai vu nos trois rois,
celui de France, celui de Pologne, celui de Navarre ;
ils mandèrent à IVantouillet, prévôt de Paris, qu'ils
voulaient aller prendre la collation chez lui, comme
de fait ils y allèrent, quelques excuses que sût
alléguer Nantouillet pour ses défenses. Après la
collation, la vaisselle d'argent de Nantouillet et ses
coffres fusrent touillés, et disait-on dans l>aris
qu'on lui avait volé plus de cinquante mille
livres. » Procéder ainsi par surprise, même pour
se faire justice, était-ce digne de tout auti-e roi
que de celui qui avait présidé à la Saint-Barthélémy '/
L'hôtel de Nemours a pris la place de celui d'Her-
cule, en en retenant beaucoup plus qu'un pavillon.
Mais de c.ette conversion étaient indépendantes
deux maisons qui appartenaient, sur la tin du
règne de Louis XIV, à Forget, comte de Bruillevcrt,
grand-maître des eaux-et-forêts, avec porte sur
le quai et porte sur la rue. Un peu plus loin des
Augustins, mais aussi près de la rivière, les
5-2 RUE ET QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS.
d'Ourset, correcteurs des comptes de père en fils,
touchaient à Guérin d'un côté et de l'autre au
marquis de Novion, époux en secondes noces d'une
Le Boulanger.
Aujourd'hui se remarque davantage une façade,
décorée de jolis dessus-de-croisées et sur laquelle se
prend la devanture de la librairie académique de
Didier, h l'angle de la rue I^avée (i). Le procureur
Martin acquérait, en 4700, des familles Feydeau et
Montholon, cette propriété et la contiguë, que
décore le balcon d'un appartement qui fut celui
du mathématicien Laplace, sous le Directoire. L'autre
angle de la même rue passait, sous Louis XIV et
sous Louis XV, de Revelois en Revelois : l'un d'eux
était marchand rue Sainl-Denis, ce qui n'empêchai!
pas tantôt un avocat, tantôt un médecin, de se
qualifier M. de Revelois, seigneur de Buire, dans
les actes. I^ierre Martin, sieur de la Guette, maître-
des-comptes, avait une maison à côté, mais résidait
rue Saint-Avoye. Émery, libraire, en tenait deux
autres de Saint-Simon, marquis de Sandricourt,
et de Lemaistre de Bellejamme, conseiller au
parlement; ses affaires devenant mauvaises, patatras!
expropriation. Bailly, doyen de la chambre-des-
comptes, était propriétaire au coin de la rue Gît-
le-Cœur, un peu avant l'avènement de Louis XVL
Mais, un instant ! ne passons pas devant le n° 2S,
où la Salubrité eut ses bureaux sous Louis-
Philippe, sans vous dire que son origine, malgré
cela, fut d'un logis royal, l^rançois L' le lit con-
struire, po'ur s'y rapprocher d'un hôtel habité par
la duchesse d'Étampes.
Ce dernier, qui se revoit encore dans la rue de
l'Hirondelle, s'étendait jusqu'à l'autre encoiguure
(1) On dit présentement rue Ségiiier.
RUES GIT-LE-COEUR ET DE L'HIRONDELLE. r,3
do la rue Gît-le-Ccjeur. Seulement la rue de Hu-
repoix n'était pas encore absorbée par le quai
parallèle, qui devait s'en incorporer avec le temps
tout un côté, dans ces parages. Une Salamandre
est restée le signe caractéristique de celte maison
historique, achetée par le roi-chevalier pour faire
plaisir à sa maîtresse, qui y demeurait déjà, et
décorée en l'honneur de la belle de peintures îr
fresque, de tapisseries et de devises, dont il ne
reste rien de plus tangible que de la salle de bain
et du jardin. L'auguste amant aurait pu y doinier
Il la fameuse inscription gravée de sa main sur
vne vitre cette variante: Souvent maison varie!
Celle-là, en effet, avait appartenu à Louis de
Sancerre, connétable de France, dont les prédé-
cesseurs y avaient réuni le séjour des évêques de
Chartres ; Deuvet, maître-des-requêtes, avait ajouté
h cela une maison en regard d'une ruellette qui
descendait à la rivière.
Après avoir favorisé dé royales amours, le tout
se divisa en hôtel d'O, dont une porte se retrouve
au 5 de la rue Gît-le-Co'ur, et en hôtel de Luynes,
duquel a dépendu le n"i7 du quai. Le chancelier
Séguier, pendant la Fronde, pensa y être assassiné;
mais des soldats, déguisés en ma(,;ons, n'y décou-
vrirent pas sa cachette, dans une cham>bre où son
frère l'évêque de Meaux, réfugié avec lui, se hâtait
de le confesser : les assaillants s'en consolèrent
en saccageant le reste de la maison. Le mariage
de la fille du chancelier avec le duc de Luynes
réunit un hôtel à l'autre encore une fois.
Dix lots en étant faits par x\lbert de Luynes,
duc de Chevreuse, l'année 1671, l'un convint à
Berrier, secrétaire du conseil, et de nouvelles
constructions commencèrent, mais en respectant
le plus possible des anciennes : circonstance oubliée
toujours par les auteurs des ouvrages sur Paris,
qui n'aiment pas h tenir compte de la répugnance
i
54 RUE ET QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS.
que nos pères avaient pour la démolition. Berrier,
lieutenant-depoliee, hérita donc le 5, Gît-le-Cœur,
de son grand-père. Un hôtel, nouvellement dit
de Saint-Louis, s'étendait rue de l'Hirondelle
et comportait sans doute la Salamandre, mais avec
une entrée rue Gît-le-Cœur ; il fut adjugé en 1689
au duc de Nivernais, ministre d'État, lieutenant-
général, académicien, etc., qui demeurait rue de
Tournon, Les ïhumery de Boissise, que nous avons
vus rue Barbette, et M. de Lespine, le premier
acquéreur d'un des dix lots, divers membres de la
cour des comptes et Gueffier, imprimeur-libraire,
avaient aussi pignon sur cette rue, qui devait son
nom à Gilles Cœur, ou bien h Gilles, queux du
roi.
Ne quittons pas celle de l'Hirondelle sans
reconnaître en ses n"' 23, 25 et 27 l'ancien collège
d'Autun, dont une face regardait l'église Saint-
André-des-Arts, mais qui, dans le sens opposé,
confinait à une maison, portée h son avoir, baillée
en location et décorée de l'image patronale delà
rue, une Hirondelle. Cette pédagogie a été fondée
en 1341 par le cardinal Bertrand ; deux autres
bienfaiteurs de l'institution ont été Oudart de
Molins, président en la chambre des-comptes sous
Charles VI, et André de Sauséa, évéque de Bethléem
et principal du collège sous Louis XIIL Après
la réunion des petits collèges à, Louis-le-Grand,
on a mis au collège d'Autun l'École gratuite de
dessin, pour ne la transférer qu'en 1770 ti Saint-
Gôme, où elle est encore.
Le cardinal Bertrand n'avait connu le quai voisin
que sous la dénomination de rue de Seine. Quant
à la rue des Grands-Augustins, elle a été celle
à l'Abbé-de-Saint-Denis, aliàs des Écoliers-de-
Saint-Denis. Un collège, en effet, sorte de séminaire
de l'abbaye, a été établi par Matthieu de Vendôme,
RUES GIT-LE-COEUR P:T DE L'HIRONDELLE. 5.^
abbé de Saint-Denis, avec une maison de ville pour
ses officiers, entre les rues Contrescarpe (i), Sainl-
André-des-Arts, Dauphine, Anjou-Dauphine (2),
Christine et de Savoie, ces quatre dernières
n'existant pas encore. Il s'en projetait même
quelque chose sur l'autre aile de la rue des Grands-
Augustins, et un passage sous terre menait de
la grande propriété à la petite, que le plan de
Paris en 1652 qualifiait encore hôlel des Charités-
de-Saint-Denis. Le trésorier de l'abbaye y avait
gardé ses bureaux. Or le n" 25 avait pour occupant
un loueur de carrosses, au XVIIP siècle, et n'était
séparé de ladite aumônerie que par le 23, dont
la porte déployé ses battants à gros clous sans
montrer aux passants son bouquet d'arbi-es, qui
n'est pas seul h survivre par-derrière au jardin
de la trésorerie des moines. Le corps-de-bàtiment
où se retrouve encore, dans l'ancien hôtel des
Charités, un escalier à balustrade en chêne, remonte
sans doute h Matthieu de Vendôme.
Plusieurs historiographes se débarrassent pareille-
ment (le l'hôtel de Nemours et de Savoie, en
disant qu'il n'existe plus depuis que la rue de
Savoit^ est ouverte. Il y avait seulement des écuries
entre les Charités et cette résidence princière,
quand Charles-Amédée, duc de Savoie, de Genevois,
de Nemours et d'Aumale, en hérita, avec son
frère Henri de Savoie. La duchesse de Savoie,
tille de Charles-Amédée, la divisa, pour s'en défaire,
en 1670 ; mais les morceaux n'en étaient pas
mauvais. Les mansardes du 7 ne s'affaissent pas
encore sur ses deux étages, hauts de plafond ; un
escalier de figure seigneuriale y tait monter sa vieille
(1} Maintenant rue Mazet.
[i) Maintenant rue de Nesles.
5G RUE ET QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS.
rampe en iev jusqu'à une librairie ancienne, où
l'in-folio domine sur les rayons, et le 5, où
demeurent MM. Pillet, qui impriment le Journal
de la Librairie, depuis 1812, et le Journal des
Villes et Campagnes, n'a été que refait pour M"*" de
Bretteville, propriétaire des deux hôtels habités
antérieurement par des princes de Garignan, autre-
ment dit par la maison de Savoie. M"'" de Bretteville
a eu pour héritière sa cousine, M"^ de Conflans,
qui a donné, par testament, en 1761, à Louis de
Conflans, marquis d'Armentiéres, lieutenant-géné-
ral, toute sa fortune et notamment le 5, devenu
l'hôtel de Contlans-Carignan ; mais la défunte avait
réservé quelques legs, en laissant notamment à
Brière de Bretteville une propriété de la rue des
Grands-Augustins qui avait la même origine, c'était
probablement le 7. Des lucarnes à la Ducerceau
recommandent h notre attention une façade en
briques au n" 3, même rue ; nous avons peine à
croire que jusque-là pût aller l'hôtel de Nemours.
Elle a été "timbrée des panonceaux du notaire
Laideguive, et ce tabellion, y succédant comme
propriétaire aux Dupré de Sainl-Maur, maîtres-
des-comptes, devait en savoir plus long que nous
sur l'origine de son logis, qui s'était probablement
détaché de l'hôtel d'Hercule.
Du côté des chiffres pairs, en face de la rue de
Savoie, les initiales E. B. s'entrelacent dans la
grille d'une terrasse ; elles voudraient rappeler
que la maison a été l'hôtel de Bussy : on y entre
par la rue Christine. Matthieu Feydeau, docteur
en Sorbonne et curé, plusieurs fois exilé comme
janséniste enragé, n'avait que l'usufruit du n" 18 ;
sa sœur en avait transporté ia nu-propriété au
couvent de la Conception, dans lequel elle s'était
retirée, à l'Assomption. Claude Feydeau de
Marville, lieutenant aux gardes, était possesseur
RUES GIT LE-COEUR ET DE L'HIRONDELLE. 57
du 22. Enfin Barberie de Saint-Contesl, que protégea
plus tard M"'" de Pompadouret qui devint ministre
des Affaires-Étrangères, eut pour locataire un
évéque, au fond du n" 26.
Rite dit doiÉi*e-]^oli*o-Daiiic. (i]
i)an>s quelles conditions s'y menait la vie de chanoine.
Une loi du i24 août 1790 délorminail la i)Osilion
nouvelle de ees proiîriétés du cloître Notre-Dame
dont les titres principaux étaient un bref de
Benoît VII et des lettres-patentes de Lothaire ; la
Nation, moyennant le payement d'un sixième de
leur valeur estimative, les affranchissait des con-
ditions particulières qui avaient voulu perpétuer
leur transmission de chanoine à chanoine. L'Assem-
blée nationale, avant d'émanciper l'aveni)' de cette
main-morte ecclésiastique, s'était enquise du passé,
et nous allons sonder, comme elle, les arcanes
d'une situation amphibie, qui était plus que de
l'usufruit, moins que de la toute-propriété, pour
les chanoines dont les 33 maisons du cloître
portaient les 33 noms. On disait ii coup sûr :
Maison Cochu et maison Farjonel.
Et, en effet, elles étaient dans le commerce ;
impossible de les prendre pour des fonds de
bénétiees ecclésiastiques; on ne les achetait pas
du chapitre, mais d'un chanoine, en présence du
chapitre, sans énoncer les conditions du marché. ■
L'un disait à la compagnie : — Je vends ma maison;
l'autre :— Je l'accepte, et le chapitre prenait acte,
approuvait, en louchant, à titre de seigneur, cent
sols de lods et ventes, qui se partageaient entre
les capitulants. Chaque chanoine, il est vrai, ne
(1) Notice écrite en ISâQ. La rue à rélude n'avait pas
encort' i)eidii deux ou trois de ^es maisons ancieniits
à l'angle de Ja i ue de la Cîtc.
RUE t)V CLOITRE-NOTRE-DAME. 59
devait posséder qu'une maison ; mais ils étaient
51, et toutes les maisons situées dans le périmètre
du cloître, dont les rues étaient entretenue^^ par
le chapitre, ne se trouvaient pas canoniales. Quand
le chanoine était mort ab intestat, le bureau du
chapitre ouvrait une enchère, et les droits de
mutation s'élevaient au cinquième du prix-, si,
avant de mourir, le chanoine avait disposé m
extremis de sa propriété, par-devant les commis-
saires du chapitre pour la validité c'est le dixième
qui revenait aux capitulants ; dans ces deux cas,
au reste, les créanciers primaient les héritiers,
quant h la portion disponible. Tout cela était si
connu qu'un chanoine empruntait avec la plus
grande facilité, soit pour acquérir une propriété
dans le cloître, soit pour la réparer ensuite. Ils
avaient presque tous des dettes, mais solidement
hvpothéquées, puisque leurs maisons valaient, en
général, de 60 à 100,000 livres. Celle de M. Bochard,
décédé peu de temps avant la promulgation delà
loi nouvelle, lui avait coûté 79, 400 fr., et il y
avait fait poui- 60,000 fr. de réparations dans l'année
de l'acquisition ; celle de M. Montagne, doyen,
revenait de la même façon à 74,000 livres, plus
'^0,000, et il n'en était pas différemment pour les
logis des chanoines Dumarsais, Desplasses, Leblanc,
Viet, Delon et de Bonneval. DifTérentes conclusions
capitulaires avaient été prises en 1775, en 1766
et en 1745 pour régler différents usages que le
temps avait consacrés, avec la sanction des autorités
spirituelle et temporelle ; toutefois les statuts et
règlements conservaient au chapitre pris en corps
le titre de propilétaire-foncier, en reconnaissant
à ses membres la faculté de disposer de la jouis-
sance des maisons par la seule voie des résignations
au chapitre.
Les laïques habitaid le cloître étaient surtout
des magistrats ; on y venait solliciter un certain
60 RUE DU CLOITRE-NOTRE-DAME.
nombre de parlementaires, au milieu du xvur' siècle.
Les maisons canoniales étaient en possession de
donner asile à des lemmes, pourvu qu'elles lussent
l)areiites ou domestiques du détenteur, et pourtant,
en remontant h Tannée 1334, nous trouverions un
arrêté par lequel le chapitre défendait à toutes
femmes de franchir les portes du cloître. La preuve
qu'avant cette date pareille prohibition n'existait
pas, c'est qu'Héloïse et Abélard, évangélistes d'un
amour qui n'était même pas connu de l'antiquité
païenne, se sont donné des rendez-vous dont le
lieu n'était pas à l'extérieur du cloître, sous le
prétexte il est vrai d'étudier. Mais le concours
qu'y attiraient alors les écoles épiscopales avait si
bien troublé la paix du cloître qu'avant peu le
chapitre avait résolu de conserver uniquement
l'école de théologie.
Sur la place du Parvis-Notre-Dame, en sa largeur
actuelle, et dans la rue du Cloître-Notre-Dame, qui
d'un côté se confond avec elle, il y avait autrefois :
et l'entrée dudit cloître, et le bureau des Pauvres,
(jui donnait rue Saint-Pierre, tout près de Saint-
Pierre-aux-Bœufs, presque en face de Saint-
Christophe, et Saint-Jean-le-Rond, qui touchait
d'une part la cathédrale, d'autre part la porte du
cloître, et un puits, mais à l'autre extrémité de
la nie, encore plus voisin de l'archevêché que de
la rue Clianoinessc. Quant aux maisons sur les-
quelles, depuis tant -de siècles, se projette l'ombre
de Notre-Dame, voici des documents, inédits comme
les précédents, qui les concernent.
En 1660, Jacques Séguier, chanoine théologal
de l'église de Paris, avait le 22 ; il était membre
de cette famille Séguier qui portait avec éclat la
robe depuis le milieu du xvr' siècle et qui fut
aussi celle, comme on l'a dit, de l'apothicaire de
Charles IX. L'immeuble a jeté le froc 'aux orties
d'une adjudication la'ique, le 8 Jjrumaire an iv ;
RUE DU Cr.OITiîE NOrilE-DAME. 01
iTiiiis h; cardinal Mathieu et sa famille lureiil depuis
de ses locataires, ainsi (|iie la duchesse d'Âumonl.
Louis-Joachim-Élisaheth Cochu n'était sans doute
pas la perle du chapitre ; il avait plus de dettes
pi'obablement que tout autre chanoine, au com-
mencement de la Révolution, et nous l'eussions
trouvé n" 20. Le toit y fait angle rentrant sur une
petite place de forme inusitée, où il n'y a de
jeune que des brins d'herbe, poussant comme la
l)arbe au menton d'une vieille femme. Cette maison,
résignée m extremis par le chanoine Jondon entre
les mains de son confrère, s'était donné depuis une
indigestion d'hypothèques; il fallait bien tinir par
les purger. Parmi les ciéanciers h désintéresser,
la malveillance aurait remarqué un limonadier, un
bonnetier et un épicier. Celui-ci devenait l'acqué-
reur du chanoine, qui se retira bien dégrevé rue
Chabanais, n" 3,
Sur la petite place en relraile se rencogne le
iS, dont les glaces et les trumeaux ont été enlevés,
de notre temps, comme une garniture supertiue,
au bureau de secours du IX'' arrondissement, qui
n'a gardé une rampe en vieux fer qu'en ne la
croyant pas un objet de luxe.
Le 16, où se tient l'école des frères, s'écarte
un peu moins de l'alignement ; mais, en fait d'âge,
il n'a rien à envie.r aux voisins : j'en atteste les
balustres de bois d'un escalier. Maisons nées pour
le célibat, elles en ont gard('' la discrétion ; loin
de se commander, elles s'arrangent d'un, commun
accord pour isoler !a vue dont elles jouissent, au ris-
que de briser cinq fois l'alignement. De là vient cet
angle rentrant sur lequel prennent encore façade,
en divers sens, le 14 et le 12. qui n'ont pas tou-
jours observé le vœu du célibat, convenons-en,
puisqu'il lut un temi)S où les deux ne faisaient
(lu'iin. L'abbé Cœur, à présent évêque, habitait
le 14, comme le fait encore un chanoine, M. Tré-
6.' RUE DU CLOITKENOTRE-DAME.
vaux, à charge de loyer. A M. Chillaucl-Desficux,
dernier détenteur canonial, avait été résignée cette
maison, le 27 septembre 1780, par M. de Cliazal,
ctianoine ii l'article de la mort, et 3,840 livres
avaient été perçues en conséquence par le chapitre,
comme dîme de Vin extremis. Avant Chazal, c'était
Gaujel, membre aussi du conseil archiépiscopal,
qui disposait de la propriété et qui la dégrevait
d'une dette contractée par un de ses prédécesseurs,
Pierre de la Chasse, envers Charles Perrochel,
chantre et chanoine de l'église de Paris, puis
passée à Jean-Jacques Farjonel d'Hauterive,
chanoine de la même église et conseiller en la
grand'chambre du parlement Maupeou. Ce Farjonel
« adorait les bénéfices, sans oublier les épices, »
d'après une note qu'à laissée le chancelier Maupeou
sur les membres de son parlement. Il eut sans
doute été moins assidu aux offices sans le méreau,
jeton de présence auquel avaient droit les chanoines.
En revanche, l'abbé de Lafage, qui portait aux
cérémonies de Notre-Dame la robe rouge et violette,
comme l'abbé Farjonel, s'est imposé une sorte
d'amende volontaire pour avoir siégé à la même
cour: il a fait reblanchir à ses frais l'intérieur de
l'église métropolitaine.
De la Chasse, décédé archidiacre de Josas, avait été
l)ropriétaire Ih avec Jacques-Etienne de Méromont,
pénitencier ; par conséquent, h leur époque, la
maison était divisée. L'un et l'autre avaient succédé
à un homme éminent, Edme Picot, chancelier de
ladite église et partant de l'université de Paris,
coïifesseur de la fameuse M'"* de Brinvilliers ;
Ce double chancelier tenait la propriété, par con-
clusion capitulaire du 4 janvier 1706, des vénérables
doyen, chanoines et chapitre de l'église de Paris,
entre les mains desquels elle avait été remise
par l'université de Paris. Rappelons même que
Louis de Bernage, étant le titulaire du logis au
RUE DU CLOITRE-NOTRE-DAME. 63
milieu du siècle xvii, céda à son collègue et voisin
du n" 16, Jean de Hillerin, un aisément d'environ
3 mètres carrés, cession qui enchevêtre encore
l'un dans l'autre ces deux immeubles mitoyens. Le
chanoine Feydeau avait été le prédécesseur de
Hillerin, et no sait-on pas que des f'amilhis Feydeau
ont produit des sujets brillants dans l'église, la
magistratui-e et les lettres ?
L'abbé Thiéry, h son tour chancelier, prononçait
un discours lorsqu'il présidait, en cetle (jualiU', h la
clôture annuelle de la licence de théologie; à celte
occasion, en 1770, il lit l'éloge de l'archevêque,
M. de Beaumonf, dont l'ardeur à détendre les
prérogatives ecclésiastiques contre les droits de
la royauté passait alors pour abusive. Le lendemain,
selon' l'usage, il donnait un repas d'étiquette aux
docteurs et suppôts de Sorbonne, en son hôtel
claustral, qui n'avait rien d'érémitique.
Le cabinet d'histoire naturelle de l'abbé Bourbon
était visible, sous Louis XVI, en cette rue, à
proximité de celle Chanoinesse.
Etienne Brémont, né à Chàteaudun en 1714, avait
la vocation des sciences abstraites. Curé et grand-
pénitencier à Chartres, il prit ensuite le bonnet
en Sorbonne et devint chanoine à Paris ; mais à
l'époque de son changement d'église, la Gazette
ecclésiastique l'attaqua, h propos des prétendus
miracles opérés sur la tombe du diacre Paris.
L'abbé Brémont fut surveillé par le parlement,
puis décrété de prise de corps; il se sauva jilus
lard en Italie; seulement ses biens furent annotés
pendant onze ans. et notanmient sa maison dans
le cloître, dont se remarquent la belle poi'te
cintrée, qu'un balcon surmonte, et la rampe d'cbca-
lier enfer, 10, rue du Cloître-Nolre-Dame. L'amour
de la patrie l'emportant sur les avantages qu'on
lui offrait en Italie, Brémont se plut à rentrer
en France, où ses ouvrages obtirn-ent du succès,
outre autres un livre en six volumes, De la Raison
64 RUE DU CLOITRE-NOTRE-DAME.
dans Vhomme, honoré d'un bref de Pie VI. Cet
ecclésiasticiuo assistait, non sans émotion, au
spectacle révolutionnaire, où ses amis jouaient les
rôles de victimes, lorsqu'un érysipèle goutteux l'en-
leva aux consolations du travail, le 2o janvier 1793,
c'est-à-dire quelques jours après la mort du roi.
Les héritiers d't^lieune Brémont, par un arrêté
des commissaires de l'administration des Domaines
nationaux, le 12 juin de la même année, furent
déclarés propriétaires de la maison sise au ci-devant
cloître, payement étant fait du sixième appartenant
h la Nation. Cette propriété, le 17 floréal an ni,
tenait par-derrière aux citoyens Despinas et
Desfieux, ci-devant chanoines, d'un côté au citoyen
Rivière, ci-devant chanoine, et k la ci-devant
maîtrise des enfants de chœur, d'autre part au
citoyen de Lostanges, ci-devant chanoine, et au
citoyen Destieux, déjà nommé.
M. Boucliardat, ex-pharmacien en chef de l'Hôtel-
Dieu, possède en ce temps-ci la maison du précité
chanoine Rivière. Une rampe de fer, bien que
depuis longtemps le style en soit passé de
mode, rajeunit encore cet hôtel, qui a été la
résidence du médecin de Charles VI. L'habileté
de ce médecin royal est rappelée par Sismondi ;
son domicile dans le cloître, vis-à-vis de la
porte Rouge, est constaté de même par Barante,
dans YHisloire des Ducs de Bourgogne. Probable-
ment ce médecin, qui s'appelait Claude Fréron,
était prêtre ; on l'estimait le plus des médecins
attachés au roi, dont la démence fut traitée
plusieurs fois par des astrologues et des
sorciers.
Rue de la Colombe, (i)
Des colombes de l'antiquité faisaient leur nid
dans des casques de guerriers, afia de prouver
que la bonne intelligence régnait entre Mars et
Vénus ; h plus forte raison, ces oiseaux de paix
et d'amour trouvaient un refuge facile, au moyen-
âge, dans les mitres des saints ëvêques sculptés
sur la face des églises, et il n'en manquait pas
dans la Cité. Paris est une tbrêt de Dodone où
des colombes à voix humaine ont toujoui's rendu
des oracles ; la plupart sont iteiles et fêtées,
tant que leur cieur est pur de liel, comme le dit
Lucrèce de ses colombes :
Quas o<lium nuUitm , nec felleus inqninat ardor.
Quand la haine succède aux caresses, l'oiseau
de Cypris devient une chouette.
De la petite rue qui nous occupe parie une
charte de l'an 1223, sans dire quelle image douce
et blanche, quelle colombe fut d'abord son signe
particulier. Peu de filles d'Eve faisaient parler
d'elles, depuis la célèbre Héloïse, sur le territoire
canonial ; or le cloître de Notre-Dame s'étendait,
en suivant la rue de la Colombe, jusqu'à l'extré-
mité de la rue des Marmouzets. Un amour dénué
de poésie y fut tout au i)lus inspiré h un Dalien, M.
de Salze, secrétaire de l'ambassadeur de Naples sous
Louis XV, par une tille Mercier, dite la Cauchoise ;
son oncle, chantre au lutrin de l'église de Paris,
logeait dans une maison, n° 10, dont les lenêtres
à coulisses et l'escalier de bois à balustres n'ont
(1) Notice écrite eu 1859.
0(i RUE m: LA COLOMBE.
•
pas encore changé de physionomie. Cet étranger,
qui était abbé (le cour, avait rencontré la normande
en se rendant chez un chanoine : elle était grande,
corsée et brune, mais d'un teint de lait, avec
d'aussi blanches dents; on ne lui reprochait guèreque
d'être bête et de savoir où demeurait la Varenne,
complaisante duègne de la rue Feydeau. M. Je
Salze tu offrir une chambre garnie, rue de Beaune,
à la colombe sans défense ; mais il y mit une
condition, c'est que, revêtue d'un manteau de lit,
sans robe qui lui permît de sortir, elle garderait
nuit et jour la chambre. La nièce du chantre ne
dit pas non et s'envola tout-ci-fait de chez son
oncle.
La rue ne comptait alors que 6 maisons et 2
lanternes ; c'est seulement en 1811 qu'on l'a
prolongée jusqu'au quai. De ses vieilles maisons,
qui plus est, la plupart ouvrent sur d'autres rues;
tels sont le 9, le 7 et le o. Cette dernière pro-
priété 5 double face comporte les restes d'une
chapelle Saint-Âignan, près de laquelle nous ne
pouvions moins faire que de passer deux fois.
Une ancienne porte cochère est aussi condamnée
au n° 4, dont l'enseigne ;\ Saint-Nicolas doit remonter
au moyen-âge ; néanmoins sa façade est décorée
de rinceaux, et ses fenêtres, de grilles d'appui,
qui prouvent une reconstruction datant seulement
du dernier siècle. On remarque au 8, grâce aux
marches d'un café, un changement de niveau,
qui porte à soupçonner que d'anciens fossés
servaient par-là de limite au cloître. Nul doute
que le sol de la Cité, au lieu de s'abaisser, s'est
élevé. Le 12, une construction haute à escalier
d'autant plus ténébreux, s'accote depuis longtemps
sur le 14, dont le seuil est rue Chanoinesse;
l'origine de l'un et de l'autre remonte à celle de
la rue de la Colombe.
Place Germon
NAGUÈRIC
Substituée en 1839 ii la rue des Poirées, cette
place méritait à double titre de poiter le nom du
collège dont elle a dégagé les abords et qui a
contribué aux frais de son établissement.
Le bouquiniste Loisel y a sa boutique n" 3, après
avoir été rue Saint-Jacques et rue des Grès ; il
achète et vend des livres d'occasion depuis un
demi-siècle pour le moins. Cliaque édition de la
grammaire grecque de Burnouf, en dépréciant la
précédente, a fait perdre quelque argent audit
revendeur, que pourtant cet helléniste, son client,
honorait autrefois d'une protection familière. La
boutique de Loisel était occupée, avant lui, par
un gargotier plus heureux, en ce qu'il regrattait
il coup sûr, servant le malin en ragoût les rôtis
rebutés la veille, et ne mettant rien au pilon,
ainsi que le fait un libraire des ouvrages classiques
répudiés par les programmes de l'Université. A
la maison du bouquiniste est conliguë une maison
du même âge, mais d'une importance augmentée
par douze marchamls d'habits ambulants qui se
cotisèrent il y a quinze ans pour en devenir
propriétaires.
De l'autre côté de la place, voici le 4, qu'on
(1) Notice écrite en 185», avant que la place reçût le
nom d'un aucieu chancelier de l'université de Paris.
0'^ PLACE GERSON, ETC.
a refait également ; le 6, où bruissaieiit autrefois
les ateliers d'un serrurier ; le 8 enlin, devenu
l'hôtel du Lot. Cette hôtellerie, ijui a beaucoup
gagné en vieillissant, servit longtemps d'abri aux
petits métiers; le saltimbanque y descendait. En
l'année 1741, quelques petites filles de la Savoie
y furent casées par uiie commère, dans un grenier
plus que modeste : elles allaient chanter par la
ville. Celle qui accompagnait du cliquetis de son
triangle les glapissements des autres enfants,
changea de position à tout prix ; mais les gens
qui l'avaient connue à ses débuts, l'appelèrent
toujours la Sav..i/arde. Son véritable nom était
Beàumier ; son pseudonyme, M"'' de Ville. Elle
avait quitté son galetas, prête à ruiner toute lu
terre, et son train de vie coûta cher à Kulan,
chevalier de Malte ; à Varenne, avocat en parle-
ment> ancien élève de Louis-le-Grand ; à Robinet,
entrepreneur des hôpitaux de l'armée ; à Villarceau,
conseiller au Chàtelet ; à Roland de Trémeville,
fils du receveur-général des finances de la généraiité
de Riom ; mais elle n'en sut mettre de côté que
8,000 pauvres livrt^s de rente, . tant il fallait tenir
son nouveau rang ! La ditférence entre les recettes
brutes et le produit aurait permis à cette parvenue
des amours d'acheter et de rebâtir toute la rue
des Poirées.
Galerie Colberi. (i)
L'Hôtel Colbert. — M^^" Lahsolu.
M. Adam, du Comptoir national d'escompte,
doit le jour au fondateur de la galerie Colbert,
ouverte en 1826 entre les divers corps-de-bâti-
ment d'un hôtel, et non pas sur ses ruines, comme
l'ont dit plusieurs écrivains qui ne prenaient
pas la peine d'y aller voir. Ancien hôtel Bautru-
Serrant, il a été aussi la résidence de Colbert, puis au
marquis de Seignelay, son lils. Une belle gravure
de l'époque où Guillaume Bautru, comte de Serrant,
l'occupait, en représente la façade. Ce membre de
l'Académie-Française, qui n'avait rien écrit, mais
qui avait égayé de ses bons mots la Flandre,
r Espagne et l'Angleterre, dans ses ambassades, devai
sa fortune à un duc d'Orléans ; un prince de la même
famille fit établir ses écuries, dès 1720, dans cette
ancienne demeure du bel-esprit, que les répara-
tions de Levau avaient enrichie pour le premier
ministre. On y avait lemarqué, comme oeuvre d'art,
jusqu'à la porte de ces écuries : elle jouait sur ses ^
gonds, rue Vivienne, et l'envergure en est présente-
mentabsorbée par les magasins demusiqued'Heugel.
Mais contigu au grand hôtel Colbert était le petit
du même nom, habité après la lamille du ministre
par Paulin Fondre, receveur des hnances de la
généralité de Lyon, puis président à la chambre-
des-comptes. On vantait de ce financier le cabinet,
décoré de glaces, de trumeaux et de marbres rares,
dont la cheminée était aussi un précieux modèle.
(l) Notice écrite en 1859,
70 GALERIE COLBERT.
Les dépendances de l'hôtel Colbert comportaient,
outre les jardins, d'autres constructions sur la
rue Vivienne.
Du côté de la rue Neuve-des-Petits-Cliamps,
dans le petit passage en équerre ajouté à la galerie
deux ans après sa formation, est l'entrée du café
Colbert, qui du rez-de-chausée a gagné le premier
étage de cet ancien corps de l'hôtel. Les élèves
de l'école Polytechnique ont adopté pour lieu de
rendez-vous cette portion de résidence historique
rendue publique par un Géorama, avant que ce fût
par un café ; l'uniforme élégant et martial de l'École
apparaît donc à chaque instant, le mercredi et
le dimanche, à cette extrémité de la galerie. Un
magasin de nouveautés occupe de même, mais
d'une rue à l'autre en empiétant sur la galerie,
l'ex-hôtel de l'homme d'État dont le grand nom
couvre, comme pavillon, la marchandise que fait
voguer la mode sur cette embarcation affrétée à
l'époque de l'ouverture de la galerie.
Que d'officiers en herbe projetèrent des regards
d'envie sur les montres de ce magasin, au temps
où Casimir Périer présidait à son tour aux destinées
d'un règne ! Plus d'un élève de l'École, avant de
se rendre au café, allait et venait, plein d'une
curiosité qu'il croyait presque de l'amour, devant
une porte vitrée de la galerie, au n" 26. Là, sous
l'apparence d'une gantière, brillait une beauté
accessible, mais qui ne tenait compte, en fait de
jeunesse, que de la sienne ; elle imposait aux
mieux favorisés de pourvoir aux atours dont elle
espérait une fortune, qu'en réalité lui ont faite
les galants qui cherchaient à s'impatroniser, notam-
ment le frère d'un ministre. Cette jeune et belle
femme sous verre, on l'appelait Labsolu ; mais à
sa recherche la philosophie aurait perdu tout son
temps à courir. C'est sa bonne qui vendait les
gants ; elle en demandait. Bref, à l'époque dont
GALERIE COLBERT. 71
nous parlons, et en dépit de la belle rotonde
Colbert, le point important de la galerie était le
n"' 26, que M"'" Labsolu n'a quitté que pour prendre
un appartement, avec voiture et rentes sur le
grand-livre, dans la rue Ollivier-Saint-Georges. A
la bonne heure ! s'écrièrent sur le coup plusieurs
mères et beaucoup de portiers de filles moins
bien partagées ; parlez-moi d'avoir un nez grec
et de se coilïer à la chinoise, quand cela sert ii
quelque chose ! La belle a tant fait parler d'elle
que l'ombre de son frais visage, aux lignes pures,
aux souris plus souples que ses gants, plane encore
sur la galerie qui, depuis son départ, est déserte!
Rue Colbei't. (i)
La Stainville. — La C'^^se ^^ Stainville. — Les
Propriétaires successeurs de Colbert. — il/""* de
Lambert. — ■ L'Abbé Barthélémy.
La Stainville fut connue, elle aussi, des chalands
au détail de la galanterie, mais en qualité d'agent-
de-change. Les comptoirs Stainville et Germancey,
quoique en concurrence l'un avec l'autre, .faisaient
l'escompte de l'amour au môme taux sous la
Restauration. Le premier opérait dans la rue Colbert
et il n'a pas encore changé de place. Une femme
AlCxXandre y remplace la Stainville, et ce n'est
pas encore avec les avantages du wagon sur la
diligence, qui prenait moins de voyageurs et qui les
gardait plus longtemps ; mais elle a obtenu, dit-on,
plus de célérité dans l'expédition des affaires :
times is money! Depuis soixante-dix ans, dans
cette académie, la pantomime abrège incessamment
cette comédie des amours que les tendres cœurs
prolongent jusqu'au drame de la séparation, dé-
nouement inévitable. Mais une déplorable confusion a
fait que la nommée Stainville passait, aux yeux
de sa clientèle, pour une véritable comtesse.
Plusieurs Ghoiseul ont dû à une terre, qui leur
appartenait, de s'appeler aussi Stainville, notamment
le ministre d'État qui s'est illustré sous Louis XV.
Un acteur a porté de nos jours le même nom, dans
un théâtre secondaire ou tertiaire, et il pouvait
l'avoir puisé à la même source. Mais c'esl, tout
(1) Notice écrite en 1859. L'arcade qui mettait à cou-
Tert l'extrémité de Ja rue n'a disparu que dix ans après.
RUE COLBERT. 73
au plus, l'ancienne maîtresse d'un comte de Stainville
qui se livra au genre dé commerce encore exploité
dans une maison qui ne s'en cache guère : un ou
plusieurs œils-de-bœuf et un joli perron, que
surmonte une plate-forme à balustres, y donnent
par-derrière, et c'était originairement sur un jardin.
Le bâtiment en est visible sur le plan de Paris
en 1739 : n'a-t-il même pas compté pour l'une des
deux maisons officiellement reconnues dans cette
rue un quart de siècle auparavant, avec une
fontaine et 4 lanternes ? D'origine révolutionnaire
est l'équivoque injurieuse pour les Choiseul, comme
la profanation du lieu. La Stainville ne se retira
pas des affaires à la rentrée des Bourbons, que
leur préfet de police eût odieusement trahis en
tolérant qu'une parente de l'ancien ministre et de
son neveu, pair-de-France, les déshonorât â ce
point, dans le ressort d'une surveillance qui
regardait spécialement la police ! Pure plaisanterie,
par conséquent, que la couronne de comtesse
attribuée à la pourvoyeuse, qu'il convenait de
remettre à sa place pour l'honneur d'un nom
qui va de pair avec celui que la rue porte !
Il y a pourtant eu un Stainville au nombre des
grands seigneurs mal mariés. Le mémorial de
Bachaumont nous en convainc à la date du 27
janvier .1767 :
« Clairval, acteur de la Comédie-Italieiuie, vivait depuis
longtemps avec M^e de Stainville. Son mari, indigné du
goût dépravé de sa femme, a obtenu un ordre du roi
et vient de l'enlever et de la conduire lui-même à
Nancy. On a fait une descente chez l'histrion pour en-
lever lettres et portraits, si aucuns y étaient. On assure
que la. veille de son départ M. de Stainville avait trouvé
Mi'« de Beaumesnii, de l'Opéra, sa maîtresse, entre les
bras d'un jeune Danseur, d'autres disent d'un Officier
aux Gardes.
A propos de cette anecdote, on cite un bon mot de
74 RUE COLBERT.
Caillaud, camarade de Clairval. Ce dernier, assez in-
quiet de sa position, consultait l'autre sur ce qu'il devait
faire. — M. de Stainville, lui disait-il, me menace de cent
coups de bâtOD, si je vais chez sa femme. Madame
m'en offre deux cens, si je ne me rends pas à ses
ordres. Que faire ? — Obéir à la femme (répond Caillaud) :
il y a cent pour cent à gagner. >
Sur requête présentée h Louis XIV par Jean-
Baptiste Colberl, marquis de Cliàteauneuf, secrétaire
et ministre d'État, contrôleur-général des finances,
surintendant-général des bâtiments de Sa Majesté,
arts et manufactures de France, l'ouverture de
la rue en question a été autorisée sur un terrain qui lui
appartenait ; une arcade a été percée sous la galerie
de l'hôtel du duc deNevers, un des deux héritiers
de Mazarin, et cette arcade avait pour vis-à-vis
l'hôtel Louvois, de même qu'à l'autre extrémité la
voie nouvelle débouchait en face de l'hôtel de
Torcy. Elle a porté moins d'une année la dénomina-
tion de rue Mazarin, pour prendre celle de rue
de l'Arcade-Golbert immédiatement après la
mort de son fondateur.
Celui-ci, en sa qualité de propriétaire, a eu
Golbert, archevêque de Rouen, pour successeur,
à l'angle gauche de la rue Vivienne, et Golbert de
Seignelay en face. M. PilTet tenait, en 1710, à
M. "de Seignelay, et le reste était à M. de Mazarin,
duc de Nevers.
Ledit duc, héritier de la moitié du palais
3Iazarin, ne faisait aucun usage de la portion
de galerie dominant la nouvelle arcade et reliée
à l'hôtel qu'on retrouve de nos jours au n" 12,
rue Golbert; dès 1698, il en avait cédé la jouissance
à la marquise de Lambert, i)ar bail viager. M""* de
Lambert, élevée par Bachnumont, amie de Fon-
tenelle et estimée par Fénélon, a beaucoup embelli
la maison, pour en faire un bureau d'esprit, émargé
RUE COLBERT. 75
de l'hôtel Rambouillet. Les mardis et les mercredis,
on y dînait ; le premier de ces deux rendez-vous
hebdomadaires était le grand jour pour les réputa-
tions dont le cours allait h la hausse ; mais
souvent la marquise appelait, au cercle du lendemain,
des arrêts prononcés par celui du mardi. Anticham-
bre de l'Académie, son salon était le seul où le jeu
n'empiétât passur le terrain du bel-esprit. Combien
de fortunes, en revanche, se taisaient ou se' défai-
saient, tout près de là, quand le financier Law
eut transformé le palais de Son Éminence en hôtel
de la Banque royale et de la Compagnie des Indes !
De cette métamorphose, qu'a opérée l'architecte
Mollet, date la prolongation de la galerie intérieure
dite Mazarine jusqu'à la rue Colbert, ainsi que
l'ouverture pratiquée après coup rue Neuve-des-
Petits-Champs. La chute du système de Law a
permis d'installer enfin, comme sur ses ruines,
la Bibliothèque royale ; mais les droits de M"'*' de
Lambert, qui se trouvait en ce temps-là dans sa
soixante-quinzième année, continuaient à être
respectés. Des procès l'avaient éprouvée cruelle-
ment, et, les infirmités de l'âge s'étant mises de la
partie, péniblement se traînait sa vieillesse. Malgré
la marquise, on avait imprimé ses Avis à sa fille
et Avis d'une mère à son fils, où elle donnait
ce conseil distingué: « Mon fils, ne faites jamais
que les sottises qui vous feront beaucoup de
plaisir ; » mais elle se mettait au Traité de la
vieillesse avec une douce résignation, car sa plume
s'était retrempée au préalable dans un Traité de
Vamitié. L'auteur de ces écrits a cessé de vivre
le 12 juillet 1733, à l'âge de 86 ans.
Le cabinet des Médailles ne s'est transféré de
Versailles qu'après huit années d'intervalle, dans
la galerie qui le retient toujours ; mais une in-
demnité avait été payée à la famille, pour les
dépenses faites par la délunte dans la galerie et
76 RUE COLBERT.
la maison. L'abbé Barthélémy, auteur du Voyage
d'Anacharsis, ami tidèle et reconnaissant des
Choiseul, a occupé, de 17o3 à 1793, comme garde
du cabinet des Médailles, le logement de M'"* de
Lambert. De nos jours encore l'immeuble a
pour hôtes des savants ou des littérateurs, employés
supérieurs de la Bibliothèque impériale.
Boulevard ^j^aint-.^larcol
EN CE QUI s'en Al'l'EL AIT NAGUÈRE
Place de la Collég^iale. (i)
La Mère Pineur. — L'Hymne à V Être- Suprême .
— Vente de Biens nationaux.
La mère Prieur, qui a été fermière rue Moufletard
et qui l'est encore quelque peu rue Pierre-Lombard,
n" 3, au moment où nous tenons la plume, naquit
en 1782. Elle a souvent le mot pour rire ; les
anecdotes qu'elle raconte ont plus de montant
parfois que le petit-lait. Cette bonne femme est
voltairienne et regarde P'iiilippe-Égalité comme
un jésuite h exécrer; son culte pour la monarchie
lui fait voir dans Napoléon le glorieux vengeur
dé Louis XVI, martyr de ses condescendances pour
les ennemis du bien public. Par conséquent, la
mère Prieur, dont la mémoire est excellente, pense
diamétralement le contraire de feu M'^e Cavaignac,
la veuve du conventionnel, cette jacobine trempée
dans l'eau bénite. Elle fit sa première communion,
très-vraisemblablement la seule, à l'église de
Saint-Marcel, dont le titre fut d'abord partagé par
la place de la Collégiale,
(1) Notice écrite ea 1859. Le boulevard Saiut-Marcel
a postérieurement em[iorté la place de Ja Collégiale, eu
s'en appliquant un pavillon monumental, qu'on devrait
garder à titre de souvenir. Cette relique, encore si
durable, du moyen-àgc fait presque facs à une rue
nouvelle qui porte la dénomination de l'ancienne place
et qui oommeuce rue du Fer-à-Moulin, eu absorbant
une portion de la rue du Petit-Moine,
78 BOULEVARD SAINT-MARCEL, ETC.
De cette église, bâtie à la place même où avait
été enterré au v siècle saint Marcel, évêque de
Paris, il reste encore quelque chose. On revoit,
au n" 5, la voùto du clocher, dont la tlèchc fut
rasée en 1804 ; cette voûte et les murs y attenant
furent adjugés, le 11 frimaire an vi, à Ambroise
Tinancourt, ensuite condamné aux fers par un
jugement du 28 thermidor an vni, qui emportait
la confiscation de ses biens. Voici demôme, n^S,
la porte et le bâtiment du cloître, adjugés le 29
avril 1793 à Pierre-Sylvain Maréchal, homme de
lettres : des numéros sont encore déchiffrables à
la porte des chambres, dans l'intérieur de
cette propriété. Tinancourt avait deux enfants,
dont les droits furent pris en quelque considéra-
tions ; mais le citoyen Lhuillier, plus tard référen-
daire à la cour-des-comptes, racheta aux criées
l'immeuble du condamné, fit ensuite un échange
avec son voisin Maréchal, et, depuis 1821, les deux
immeubles sont réunis entre d'autres mains.
Maréchal, à l'époque de son acquisition, étaU
un sophiste à la mode ; il rima pour la fête de
l'Ètre-Suprême une hymne, qui fut suivie d'hymnes
à la Raison ; Grétry composa la musique de plusieurs
pièces, de sa façon, Diogène et Alexandre, Denis
à Cormthe, la Rosière républicaine; il écrivit, en
outre, une pièce en prose, le Jugement des rois.
De lui paraissait chaque année une brochure
philosophique, rappelant son Almanach des honnêtes
gens, brûlé par le bourreau en 1788. Ce n'en était
pas moins un honime serviable, au milieu des
fureurs déchaînées par l'esprit de parti. Ses débuts,
ayant été faits dans la poésie pastorale, l'avaient
d'abord autorisé à signer « le berger -Sylvain »;
puis il avait hurlé avec les loups. Vers le commen-
cement du Consulat, il habitait Monlrouge, avec
sa femme et quelques autres femmes instruites,
société (jui lui inspira une déclamation nouvelle "
BOULEVARD SAINT-MARCEL, ETC. 79
Projet de loi portant défense aux femmes d'apprendre
à lire.
La ferme de Saint-Marcel, qui appartenait au
chapitre, se retrouve n"' 13 et 15, près* d'une
seconde ferme, fructifiant sous Louis XVI pour le
marquis d'Àubouin, dont le château avoisinait
Villejuif. En ce temps-là une foire se tenait, à la
Toussaint, sur la place de la Collégiale. L'espace y
était découvert dans le commencement du xvni" siècle';
mais, au milieu du précédent, un cimetière obstruait
encore le passage entre l'église précitée et celle
de Saint-Martin, dont il subsiste pareillement des
fragments. Au 6 est sa vieille porte en pierre,
qui n'ouvrait pas dans le sens de la place ; des
poules donnent un aspect rustique à cette maison
de tonnelier, vestige d'un temjjle qu'environnaient
et que pavaient, si récemment encoi-e, plusieurs
généi'ations de tombes, confondues dans le même
oubli. La ci-devant église de Saint-Martin, qu'on
Se jeta bas que vers 1806, avait été le chef-lieu
e la section du Finistère.
Ce qu'on nommait le petit cimetière sert égale-
ment de basse-cour, n" 4, dans l'ancien presbytère
du curé de Saint-Martin, qui .n'avait alors qu'un
étage, sur lequel était prise la salle des margniilliers.
Le 14 lloréal an iv, ce bâtiment fut adjugé au
citoyen Piault, capitaine de vétérans, par acte
dressé à 7 heures du matin, en présence d'un
citoyen Jean-Jacques Rousseau, commissaire du
Directoire exécutif près l'administration municipale
du xn«' arrondissement du département de la Seine,
canton de Paris.
Kiie Tliouiii,
EN CE (^UI s'ÉX appelait NAGUÈRE
de Foure.y - 8aiiit - Jacqiie^^^
et rue de Fourcy,
XAGCÈRE
do Fourcy-Saînt-Antoîiie. (i)
Un grand jour pour l'Hôtel-de- Ville que le30 janvier
1687! Les édiles ce jour-là traitaient le roi, les
princes et princesses du sang, des seigneurs et
dames de la cour. Jamais dîner ne fut plus de
gala. Le prévô^-des-marchands Henri de Fourcy,
président de In chambre-des-enquêtes, servait îe
roi; Geoffroy, premier échevin, le Dauphin; la
présidente de Fourcy, la Dauphine ; le deuxième
échevin. Monsieur, et le dernier échevin, le duc
de Chartres.
M. de Fourcy, comme chef de l'édilité, fit com-
bler d'anciens fossés de la ville, en exécution d'un
arrêt du conseil du 17 avril 1685, pour i'ormer
la rue de Fourcy-Sainte Geneviève, alkis de Fourcy-
Saint-Jacques, dite aussi place Neuve-de-Fourcy
d'après Lacaille. Le mur de l'abbaye, dans lequel
s'était ouverte la porte Papale de ce monastère,
(1) Notice écrite en 1867. La mémoire du naturaliste
Thouin ne se rattachait encore par aucune particularité
à la rue de Fourcy-Saint- Jacques qui, en changeant de
vocable, a agripé un crochet de celle des Fossés-Saint-
Victor.
RUE THOUm, ETC. 81
et un jeu de longue-paume en occupaient d'abord
tout un côté, où se trouvait, au siècle suivant,
le marchand de vin Thiéry, h l'angle de la rue
Bordet, aujourd'hui Descaries.
En ce jeu de paume avait été monté un petit
spectacle par le farceur Legrand, dit Turlupin, et
ses deux acolytes, Gros-Guillaume, Gautier-Gar-
guille. Ils venaient tous trois du faubourg Saint-
Laurent, où ils avaient été garçons boulangers
avant que d'y monter sur les tréteaux de la foire,
et ils s'étaient particulièrement arrêtés dans la
région du Pont-neuf, en accomplissant le voyage
d'outre-Seine qui avait mis le sceau à leur réputa-
tion. Les bouffonneries de ce triumvirat créaient
un genre, éminemment railleur, et nous voyons
encore des personnages du répertoire de Molière
se . turlupiner sur la scène. Les représentations
données par Tui lupin et G* près de l'abbaye ne
duraient guère que de une heure à deux de relevée;
on en voyait la farce pour 2 sols 6 deniers par
place. L'esprit naturel des scènes qu'ils oifraient
au public avec succès, ne devait rien à l'allicisme ;
néanmoijis les comédiens privilégiés de l'hôtel de
Bourgogne se plaignirent de cette concurrence au
premier mniistre de Louis XIIL Avant de faire
droit à leur réclamation, le cardinal de Richelieu
voulut se donner un plaisir que tant de monde
avait pris à si lx)n compte sans lui, et qui allait
être supprimé. Appelés à jouer au Palais-Cardinal,
les trois acteurs y déridèrent si bien son Éminence
qu'elle les lit entrer par ordre dans la troupe
même de l'hôtel de Bourgogne. Près de là, en
1791, la place de l'Estrapade eut 6n théâtre des
Muses, qui se ferma l'année suivante.
Les turlupinades, que l'envie avait poursuivies
jubque-là, s'étaient pourianl bien éloignées de leur
berceau. N'avaient-elles pas, en outre, un voisinage
sinistre dans l'Estrapade? François CoUetet, en son
82 RUE THOUIN, ETC.
poème La Ville de Paris, disait de cet instrument
de supplice :
Enfin tu vois bien l'Estrapade,
Triste et douloureuse escalade
Où l'on fait monter quelquefois
Ces grands Violateurs de Loix,
Je parle de Loix militaires,
Qui sont justes et fort sévères ;
Item auprès est le gibet
Où le criminel, au colet
Une fois pris, n'en peut descendre,
Par ce qu'il a gagné le pendre.
En face du susdit ïhiéry, la veuve Coménil, née
Popin, était propriétaire. Puis venaient : une
maison à Nicolas Defays, conseiller aux aides,
successeur de Moreau, pelletier ; une maison et
un terrain au marbrier Adam.
Le même prévôt-des-marchands avait fait, en 1684,
d'un cul-de-sac la rue Neuve-Fourcy, dite également
Sencée, puis de Fourcy- Saint-Antoine, au bout de
celle des Nonnains-d'Hyères. Elle avait déjà 10
maisons avant le règne de Louis XV, sur la tin
duquel l'abbé Terray disposait du n" 1 actuel ;
M. Gomont, d'une maison un peu plus haut, et
les dames de Bon-Secours d'une autre ensuite.
Quant à notre n° 7, il a sans doute dépendu de
l'hôtel bâti en 1706 dans la rue Saint-Antoine pour
Hénault de Cantorbre, fermier-général. Les pro-
priétaires de l'autre rangée, à partir du n" 2 actuel,
étaient : MM. Laurent, Jeault, Vincent, les religieux
célestins, M. de la Tour, encore les célestins et
enfin M'"'' Mauduit.
Rue de Greiielle-^aint-Geriiiaiii. (i)
Revue d'hôtels et de couvents,
Cei'taines rues peuvent être rajeunies ; mais on
aurait beau faire pleuvoir l'eau de Jouvence sur
la tête de celle-ci, ses cheveux reblanchiraient
vite, inséparables de la poudre. Changez même
l'alignement, le cordon des suisses reculera : c'est
le front-de-bandière du camp. Mais les hôtels
resteront impassibles, au fond d'autant de cours
grandes encore ; ils garderont pour nous l'habit ^ la
française, avec une épée en verrouil, comme maints
portraits de famille qui en décorent l'intérieur.
Assez de visites se rendent rue de Grenelle à nos
contemporains; déposons-y, par exception, des
cartes à l'adresse de leurs devanciers, sans espérance
de retour, quelque nombreuse que soit la distri-
bution.
Le moyen d'en vouloir encore au doge de
Gênes, amené à Paris, avec quatre de ses sénateurs,
par Colbert de Seignelay, le fils du grand Golbert,
pour faire pardonner aux Génois d'avoir fourni des
frégates ii l'Espagne! Celte république bombardée,
venant laire ses soumissions en l'an 1686, est
descendue à l'hôtel de Beauyais, que Pierre de
Beauvais, conseiller du roi, avait acquis d'une
Dampierre, veuve de Foucaut de Saint-Germain,
comte de Dognon, vice-amiral et maréchal de
(1) Notice écrite en 1860. Ultérieur est le percement
des rues des Saints-Pères et Clerc, de l'avenue La Motte-
Piquet et du boulevard Latour-Maubourg au travers de
la rue de Grenelle.
R4 RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN.
France, cessionnaire elle-même cle la marquise
d'Antin, née Zamot, la donataire de Zamet, évêque
de Langres. Les }3etites-cordelières, religieuses de
l'ordre de Sainte-Glaire, réformées sous le titre
de la Nativité de-Jésus, s'établirent aussi, au moyen
d'un échange, dans l'hôtel de Beauvais, après le
passage du doge : elles n'avaient été que quatre
ans rue Payenne, près l'hôtel d'Angoulême, en
quittant leur quartier de fondation, qui était le
faubourg Saint-Marcel. En 1744, le conseil d'État
envoya d'office un économe à ces cordelières, leurs
affaires se trouvant dans un désordre qui ne tarda
même pas h entraîner la suppression du couvent.
A Saint-Simon, évêque de Metz, s'adjugea la maison,
et ses héritiers la vendirent en 1763 à Beaumanoir
de la Boissière, capitaine de dragons. Tout près,
le comte du Châtel a acheté l'usufruit d'un hôtel
appartenant aux carmes de la rue des Billettes,
et où des religieux de Saini-François-de-la-Terre-
Sainte avaient "été établis par décret du 14 avril
dG67. f.a plus considérable de ces deux propriétés
contiguës s'est transformée (juand on la qualiliait
grand et petit hôtels de Créqui : le marquis de Créqui
laissait veuve, en 1771, la marquise sur laquelle
on a publié des mémoires, et lui-même cultivait
les lettres. M. de l'Espinasse, général d'artillerie,
habita le petit hôtel, avant que cela fût une mairie,
et le baron Boyer, chirurgien en renom, puis son
fils, occupèrenf le grand : le pr(>longement de la
rue des Saints-Pères menace tout au moins l'un
des deux.
Contemporain de M. de Créqui, M. de Bérulle
a lait bâtir le 15S ; sa petite-tille l'y remplace,
M|"'" la marquise de Puybusqué. Le soi en avait
dépendu de l'ancien hôtel de Beauvais, car les
héritiers de Claude Cahours, baron de Beauvais,
étaient encore propriétaires au coin de la rue de la
Chaise, en 1763, d'une portion des bâtiments
RUE DE GRENELLE-SAINT-GBKMAIN. 85
maintenant en la possession de M. le marquis de
Croix. M'"« la comtesse Ogier n'est venue au 45
qu'après Vien, une célébrité de la peinture ; de
même, le duc de Bassano a précédé M""" Smith
au n" 49, dans les appartements duquel figurent
de jolis bas-reliefs.
Pour inaugurer, comme prévôt-des-marchands,
un admirable monument de Bouchardon, la fontaine
dont les récollettes de la rue du Bac avaient
donné remplacement, Élienne Turgot vint rue de
Grenelle à la tête d'un pompeux cortège. Raison
de plus pour nous étonner que le plan de Paris, déuié
en 1739 à ce chef de l'édilité, se contente d'in-
diquer quatre hôtels dans toute la rue : voyez vous-
même s'il en passe ! La plupart des hôtels y datent
de plus loin, et les simples maisons y paraissent
en minorité, tant elles prennent peu de place
au soleil ! L'égalité ne règne encore, h ce point
de vue, que dans le numérotage, malgré la révolu-
tion qui a fait du quartier la section de la Fontaine.
Au 73, écart de l'hôtel Galiffet, M""" la comtesse
d'Arlincourt perdait naguère le romancier, son
mari, dont elle suit les traces en écrivant aussi.
Le duc d'Albe, ambassadeur de Philippe V, était
mort, en 1711, dans la grande maison du président
Talon, postérieurement hôtel Galiffet, devenu sous
la République le ministère des Relations-Extérieures.
M. de ïalleyrand, étant ministre, résida au 75,
dont l'histoire était différente. Le cardinal d'Estrées,
camerlingue du sacré collège, membre de l'Aca-
démie-Française, l'avait créé au ww siècle, s'en
payant le cens à lui-même comme abbé de Saint-
Germain-des-Près, et il y avait eu pour successeur
le prince Égon, comte' de Furstenberg, puis le
maréchal de ïessé, général des galères de France,
puis Phélypeaux de la Vrillière, ministre, puis
Phélypeaux de Maurepas, que Marmontel qualifiait
le plus séduisant des ministres, et dont le crédit
86 RUEDE GRENNELLE-SAINT-GERMAIN.
n'avait pas nui à l'établissement de la belle fontaine
peu distante de sa demeure. L'ex-hôtel Maurepas,
sous la Restauration, appartenait à MM. Moreton
de Chabrillan, en leur qualité d'héritiers de la
duchesse Du Plessis-Richelieu d'Aiguillon. La prin-
cesse de Talmond, la comtesse de la Rochejaquelein
et M. de Galitfet, prince de Martigues, figurent
à la suite sur les titres de propriété et n'y précèdent
que M. Edmond Lafond. M""' de ïalmond a possédé
également l'immeuble subséquent, où M. de Maurepas
avait autrefois pour voisine la comtesse de La
Mothe-Houdancourt, née de la Vergne de Tressan.
Pour fêter le baptême de la maison d'après, il
faut que le curieux se reporte un peu avant la
fin du règne de Louis XIV : l'enfant est tenu sur
les fonts de sa première pierre dans un marais,
appartenant aux Lefébure, famille d'un grand-
audiencier. Cotte, premier architecte du roi, a
tracé le plan ; arrivent les maçons, et un superbe
hôtel sort de la terre pour la duchesse d'Estrées.
Celui-là se divise également en grand hôtel et
petit. Le premier, tenant à l'autre et à l'hôtel La
Mothe, est vendu en 1754 par le duc de Biron,
légataire de sa tante, la duchesse d'Estrées, à une
princesse du sang, Charlotte-Aglaé d'Orléans,
épouse du prince d'Est, duc de Modène. Puis le
marquis de Beuvron-d'fiarcourt, commissaire-
général de la cavalerie, achète des héritiers de
la duchesse de Modène. Le duc de Feltre, maréchal
de France, prend possession de l'immeuble sous
l'Empire et le cède sous la Restauration à la
marquise de Tourzel, après laquelle vient le duc
de Tourzel, puis M""^ la duchesse d'Escars, née
Tourzel. Quant au moindre hôtel, autrement dit
le 81, il a eu pour acquéreur le comte Annibal
de Montmorency-Luxembourg ; mais les héritiers
de celui-ci en ont accommodé M. de Beuvron-
d'Harcourt, qui a réattelé ensemble les deux
RUE DE GRENELLE-SAINT-G'';RMAIN. 87
maisons à grandes guides, après lesquelles prenait
la filé l'hôtel de Bonneval, marquis de Martonne,
équipage domestique ultérieurement mené par le
marquis de La Salle, lieulenant-gënéral.
Les Luxembourg, au reste, ont été, comme les
d'Estrées, propriétaires sur plusieurs points de
la rue à laquelle se consacre cette monographie.
Un hôtel Desmarest, ensuite Rivié, que 'l'architecte
Lassurance avait dessiné, est devenu Luxembourg,
du chef d'un duc. La duchesse de Châtillon, femme
de M. de Montmorency-Luxembourg, duc de
Châtillon, a disposé, en outre, du 97; mais elle
habitait rue du Bac, et cette maison de la rue
de Grenelle n'était pas de qualité : Filz, avocat,
et Boullet, le concierge du palais d'Orléans, l'avaient
eue, avant M. de Vertilly, père de la duchesse.
Là n'a jamais été l'hôtel de Luxembourg ; mais
nous ne serions pas moins empêché de vous le
montrer du doigt que ceux du Rourre, de Dillon,
de Konski, de Mirepoix, de Caumont, de Castellane,
de Feuquières et de Bréant, qui ont marqué même
rue. En revanche, pour en dire autant de l'hôtel
d'Avaray, il faudrait être aveugle : les lettres d'or
d'une inscription n'y laissent aucun doute aux
passants. Le duc d'Avaray, qu'eut pour favori le
comte de Provence et qui décéda en 1810, y avait-
il remplacé le marquis d'Avaray, lieutenant-général,
ambassadeur près les cantons suisses, gouverneur
de Péronne, etc ? Les châteaux eux-mêmes restent
rarement plus d'un siècle dans la même famille ;
mais ils ne changent pas de noms comme de
maîtres, et les hôtels n'en font souvent pas d'autres.
Les d'Avaray peuvent, h notre insu, se contenter
des restes d'un Mirepoix ou d'un Caumont-Laforce.
Nul doute qu'un Lamoignon a lésidé en regard
du couvent de Panthemont, et qu"un hôtel de
Portugal, vraisemblablement occupé par l'ambassa-
deur de ce royaume, avait eu le même vis-à-vis ;
88 RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN.
mais il n'y a pas certitude que la demeure de
celui-ci fût l'ancienne de celui-là : le monastère
tenait trop de place pour ne faire face qu'à un
seul hôtel.
De l'hôtel Seignelay à celui de Maillehois toute
la distance pouvait n'être que celle d'une généra-
tion : le comte de Maillehois, lieutenanl-géiiéral,
avait pour-oncle Colhert de Seignelay. Mettons-les
donc l'un après l'autre au n" 87, si nous osons nous
contenter de conjectures vraisemblables.
Le ministère de l'Intérieur n'a pas été que la
résidence de Le Voyer de Paulmy d'Argenson.
L'hôtel principal y remonte à 1704, et Lassurance
encore en est l'auteur. Le marquis de Rothelin
y a précédé le financier Hoguier, baron de Presles,
dont les appartements ont été mis en 1716 à la
disposition d'un ambassadeur extraordinaire du
roi de Suède, le comte de Sparre, et qu'a remplacé
sur saisie, en 1734, l'adjudicataireThomas Legendre,
seigneur de Calandre, maréchal-de-camp. Celui-
ci a vendu l'année suivante à Mademoiselle, Louise-
Anne de Bourbon-Condé, princesse de Charolais.
D'où l'hôtel a passé Conti, autrement dit Condé
de branche cadette, et Jaillot ajoute: De la
Marche.
Clément de Ris, au nom et comme fondé de
pouvoir de Guy Guérarpin de Vauréal, évêque de
Rennes, ancien ambassadeur, grand d'Espagne,
grand-maître de la chapelle du roi, se rendait
adjudicataire, au milieu du xvni*^ siècle, de notre
n" 125, licite par les hoirs de la marquise de
Rochechouard, née Pincy de Saint-Luc. Or cet
hôtel de Rochechouard, œuvre de Cherpilel, attenait
d'une part au Cours, dit impi'oprement le
Rempart (i), qui n'était encore que tracé, d'autre
(1) Autrement rJit jjour nous la rue d'Iéna.
RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN. 89
part à M"** de MonestroUe et anx héritiers d'Haute-
ibrt, par-derrière à un clos, propriété des Invalides !
Il avait commencé par être Pompadour et le
devait à Glianac, abbé de Pompadour, qui descen-
dait de la famille de Guillaume de Chanac, évêque
de Paris au xiv siècle. La marquise Duchàtelet, lille
du baron de Breteuil, y avait passé quelque temps;
vous savez tous que cette femme savante, qui s'était
mariée jeune avec un lieutenant-général, avait su
mériter de célèbres amis et surtout la recon-
naissance de Voltaire. Le même toit a abrité:
sous Louis XVI, le duc de Guicbe, mari d'une
Polignac, père du menin du duc d'Angoulême et
grand'père du duc de Gramont, le plus beau
gentilhomme de notre temps; sous l'Empire, le
duc de Cadore; sous la Restauration, les bureaux
de la liste civile, quand l'administration de la
maison du roi occupait le palais archiépiscopal
d'à-présent ; sous Louis-Philippe, l'ambassade d'Au-
triche. Jusqu'en 1838, notre rue s'est arrêtée là,
elle se poursuit depuis dans le quartier du Gros-
Caillou.
Grand train de maison chez l'abbé de Pom-
padour, dont le petit hôtel, ouvrant en face de
l'autre, est devenu Bezenval. Courtisan de Marie-
Antoinette, le baron de Bezenval était inspecteur-
général des gardes-suisses, et sa galerie de tableaux
avait de la réputation: chargé d'un grand com-
mandement, avant d'avoir désespéré du salut de
la monarchie, il ne sut se ménager que des
passeports ; encore fut-il arrêté dans sa fuite et
jugé, mais absous. S. A. le prince Lucien Bona-
parte habite, par le temps qui court, l'ancienne
demeure du baron.
Elle ne venait la dernière que comme hôtel,
sur le tlanc droit de la lue. Il y avait place
encore pour Sainte-Valère, petite église et com-
munauté religieuse. Un refuge de filles repenties
90 RUE DE GRENEI.LE-SAINT-GERMAIN;
y avait été autorisé en 1710. L'église n'a disparu
qu'en 1840.
Aussi bien l'hôtel de Luxembourg-Châtillon,
qui nous taisait tout-à-l'lieure tâtonner, est-ce
qu'il n'était pas de ce côté? Appreuez toujours
que le comte de Ciiàtillon vendait en 1719 au
duc de iSoirmoutiers le terrain sur lequel s'exé-
cuta un plan deCortonne. Son altesse sérénissime
Mademoiselle, comtesse de Sens donnait, quinze ans
après, au marquis de Matignon 200,000 livres
du grand et du petit hôtels Noirmoutiers. Les
gardes-du-corps de Monsieur, comte d'Artois, y
ont eu leur quartier ; c'est maintenant l'École
impériale d'état-major.
Le 184 servait de logement aux officiers su périeui'S
de la caserne Bellechasse, un peu avant que le
duc de Duras, gentilhomme de la chambre de
Louis XVIII, s'y installât personnellement. Nous
serions étonné qu'il n'eût pas fait partie de
l'établissement des carmélites de Sainte-Thérèse,
venues là de la rue du Bouloi vers 1688. Le
temporel de ces religieuses ayant souffert, elles
le mirent en direction ; M. d'Argenson, lieutenant-
de-police, régularisa leurs affaires et lit tirer, le
13 février 1715, une loterie que le roi leur avait
accordée: le principal en montait à 478,000 livres,
dont il ne revenait net à la maison que lo/ioo.
Du doyen des hôtels de la rue, qui lui aussi
en formait deux, le moindre reste au 118.
Jacques Le Cogiieux, président à mortier, qui
s'était signalé comme frondeur, y avait donné ses
ordres avant le maréchal duc de Navailles, pré-
décesseur de Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf,
et de l'illustre maréchal de Villars, dont la famille
conserva nu bout du jardin la statue, ouvrage de
Couslou l'alné. Les bâtiments de l'ambassade
ottomane sont tellement de notre siècle que
M. de Forbinjanson, évoque de Nancy, en a
RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN. 91
fait les frais. Cet immeuble touchait presque, avant
la révolution de Février, à l'ancien hôtel de Brissac,
où siégeait l'ambassade napolitaine. Le ministère
de l'Instruction publique, au dire de M. Girault
de SaintJFargeau, est un ancien hôtel Rocliechouard,
du dessin de Cherpitel ; mais quelque chose nous
paraît s'en étendre sur lancien territoire des
religieuses de Bellechasse. BuUet ne laissait guère,
en 1676, sur sa carte de Paris, que de quoi
bâtir une maison entre les derrières de ce monastère
et un hôtel de Noailles, pour lequel il prenait
sans doute celui de Navailles.
Ces dames de Bellechasse tenaient de l'autre
côté à celles de Panthemont, qui succédaient
indirectement à des augustines du Verbe-Incarné,
établies là, dès 1644, dans l'ancienne orangerie
du roi, mais n'ayant pu s'y maintenir que vingt-
deux ans. Les biens de la communauté supprimée
avaient été appliqués à l'Hôpital-Général, qui,
moyennant échange, avait transmis la propriété
disponible aux religieuses de Panthemont, abbaye
fondée de longue date en Picardie. Coûtant et
Fransque ont construit cette église à coupole de
leur monastère de Paris ; elle est depuis le
Consulat un temple protestant. L'administration
du génie . utilise un bâtiment qui faisait partie
du monastère.
Entre Panthemont et le jardin des dames de la
yisitation-Sainte-Marie, la comtesse de Fontaine,
née Marie Pelart de Quincy, acquit en 1724 et
laissa après elle à son mari, qui était lieutenant-
général, une maison dessinée par de Lisle-Mansart
au commencement du dernier siècle. Le nôtre y
vit au prince de Rosbeck succéder des Laroche-
foucauld, avant qu'un cai-rossier s'en emparât.
Portons cela au compte du 102.
La marquise de Noaillac disposait, sous l'ancien
régime, d'un hôtel où le premier empire vit le
92 RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN.
comte Chaptal, et qui appartient encore à M. le baron
Delaage, le gendre du chimiste que Napoléon eut
pour ministre: 88-86. On donns en ce moment
une face nouvelle au n" 84 ; c'est masquer un
ouvrage de Pierre de Lisle-Mansart, qui y travaillait
pour lui-même k la lîn du xvn'' siècle.
En vue de la Seine et de la Marne, présentées
à la Ville de Paris par Girardon, dans son allégorie
en marbre, deux maisons, touchant par-derrière à
l'hôtel de Luynes, étaient payées 131,200 livres par
Marie-Thérèse Guyot, veuve de Jubert de Bouville,
maître-des-requêtes, aux D"'''Potherat, dans le milieu
du siècle dernier ; toutes les deux avaient appar-
tenu à l'évêque de Nevers, et elles étaient occupées,
l'une par la présidente Portail, l'autre par le
sellier Rigaud.
Vis-k-vis la rue de la Chaise, auprès d'une maison
appartenant aux cordeliers. Desbordes était mar-
chand de vin en 1734, ainsi que Pierre Carteron
l'avait été en 1681 : il paraît que la place est
bonne, car il y reste encore un cabaret. Près de
là, un hôiel-garni a conservé le titre de Clarence,
après avoir été, dit-on, le séjour d'un duc de ce
nom. Et pourquoi pas? Nous pouvons ajouter que
l'immeuJDle a été coiniu, auparavant que d'être
maison meublée, pour petit hôtel de Beauvais, eu
égard au plus grand hôtel d'en l'ace, dont il était
le frère de lait. Le premier propriétaire n'en fut
pas Robert de Bragelonne, capitaine au régiment
d'Épagny ; Louis de Beauvais, baron de Gentilly,
son successeur, changea la face de l'édifice en
1687 ; les Séneclerre, marquis de Saint-Victour, y
sont venus moins de trente ans après. Pourquoi
ne pas dire au 24 qu'il avait pour propriétaire;
peu d'années avant la Révolution, Pierre Vignon,
l'un des douze marchands de vins du roi? Voilà
un titre de noblesse i»our sa cave! L'enseigne du
RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN. n3
Bon-Lafontaine est celle d'une autre hôtellerie,
parce qu'un petit-neveu du tabulisie a possédé
l'immeuble principal qu elle exploite ; l'établissement
n'a englobé qu'ensuite le ir' 18, qui conserve un
petit jardin, et que des Beauharnais ont habité
quand c'était un hôtel de maître.
Quai de la Mégisserie, (i)
Le quai de la Mégisserie aurait beau se pourvoir
auprès de S. Exe. le garde-des-sceaux, pour
obtenir d'ajouter à son nom ceux sous lesquels il
a été connu, il n'en paraîtrait pas plus noble
pour cela. Les gens qui ne reculent pas devant
cette démarche se flattent d'en tirer plus de profit ;
il y gagnent tout au moins un de, qui ne demande
qu'à passer pour une particule nobiliaire. Des
plus vilains nominatifs la déclinaison tait ainsi
des génitifs qui semblent d'une autre extraction.
Beaucoup de nos contemporains, nés Bardout,
Chicot ou Royer, qui en veulent à leurs ancêtres
de ne leur avoir pas légué une carte de visite
à eflet, se contenteraient d'être dits de la Saunerie,
de la Poulaillerie, de la Ferraille. Bien au con-
traire, le quai a répudié chacune de ces déno-
minations, rappelant ses spécialités commerciales,
et il les regrette aussi peu que celle de Vallée-
de-Misère, qui également a été sienne.
En face du Grenier-à-sel, situé dans la rue parallèle
au quai, le poit Popin, dit Pépin attirait les sauniers :
on y déchargeait bien du sel, qui venait à Paris
par eau. Le port Marion recevait force blé, car
des moulins à eau se suivaient sur la Seine,
outre des bateaux de blanchisseuses. Les arches
Pépin et Marion, sous lesquelles se vidaient,
(\) Notice écrite en J860. Le quai de la Mégisserie
a perdu depuis tout ce qu'il avait eucorr, de séculaire ;
son niveau s'est élevé, et il a perdu quelque chose de
sa longueur au percement de la rue du Pont Neuf.
QUAI DE LA MEGISSERIE. 95
entre soldats-aux-gardes, des affaires d'honneur,
protégeaient également deux entrées d'abreuvoir
et deux sorties d'égout, qui ne faisaient pas du
quai la promenade la plus agréable. Le cale de
la Samaritaine y avait pourtant son public un
siècle avant l'année qui court. Il arrivait même
au quai, deux fois par semaine, de sentir bon et
de prendre un air de fête, qui attirait plus de
tîlles que de garçons : le marché aux fleurs s'y
tenait le mercredi et le samedi. Le dimanche
matin, plus de fleurs ; mais c'était le jour aux
oiseaux, dont le marché hebdomadaire était
la miniature et le reste d'un grand marché à la
volaille. Le For l'Evèque, prison des ct>médiens
au xvur' siècle, se trouvait entre les deux arches,
mais plus près de celle Marion. Une barrière
des huissiers et sergents-à-verge y avoisinait
encore la rue de la Monnaie, en l'année 17 1 4.
La mégie, c'est-à-dire l'art de préparer en blanc
les peaux de mouton, avait dès-lors quitté la
place, puisqu'elle avait reflué un siècle auparavant
de la Seine à la Bièvre. Mais des marchands de
vieille ferraille étalaient tout le long du quai,
sans en occuper les bâtiments. On y retrouve
en ce temps-ci, à défaut de spécialité bien accusée,
des marchands de graines à semer, des oiseliers
et des quincailliers, beaucoup mieux installés que
jadis, en des maisons dont la serrurerie, plus
que séculaire, j-orte ça et là des vestiges de dorure,
des arabesques s'enlaçant avec art, des lettres
faisant chercher un nom.
Des racoleurs, qui avaient leur bureau quai de
la Ferraille, en plein vent, ainsi que chez les
marchands de vin, il nous reste la conscription,
dont les contingents sont plus sûrs, plus dignes
surtout d'un peuple libre. Quand les rois, par
exemple, se battent pour leur plaisir, dans un
intérêt dynastique, en vue de cueillir des lauriers
96 QUAI DE LA MEGISSERIE.
OU de mariei" à leur convenance un prince ou une
princesse du sang, pardonnons-leur, louons-les
même de rendre volontaire, pour leurs sujets,
l'impôt du sang : le sergent cherche alors des recrues
pour le compte d'un colonel, dont le régiment
sert le prince. Ce régime a rendu les boucheries
humaines moins fréquentes el moins meurtrières,
dans un temps où les rois n'y eussent renoncé
qu'en passant pour d'osés tyrans. On s'engageait
d'abord pour une campagne ; Louis XIV donna une
année pour minimum aux engagements. Des per-
pectives plus modestes qu'ti-présent s'ouvraient pour
les jeunes recrues ; il fallait donc suppléer aux
honneurs par l'honneur même de porter l'uniforme.
En entrant dans un régiment, on changeait de
nom comme au couvent. La Tulipe et Brin-d'Amour
n'en voulaient pas toujours au sergent-recruteur
qui leur avait promis plus de beurre que de pain,
moins de corvées que de bonnes fortunes et plus
de gloire surtout que d'hôpital, en arrosant de
copieuses libations la signature de leur enrôlement.
Trop de fois l'apprenti-héros avait cédé à l'ardeur
d'uu. moment, au dépit amoureux, à un accès de
chagrin, à une heure de découragement, et lorsque
son enVie de se dépayser se noyait dans les larmes
du repentir, de l'anikié ou de l'amour, pas de
retour possible : la nouvelle recrue ne s'appartenait
plus. Mais aujourd'hui un mauvais numéro signe
l'engagement, et la famille même que le départ
du conscrit met en deuil, défraye les réjouissances
inséparables de l'adieu qu'il dit au village. L'un
s'enivrait en contractant la dette ; l'autre s'enivre
devant la feuille de route, échéance d'un billet
souscrit par la naissance. En dépit de ces différen-
ces, nos armées de l'ancien régime n'ont pas été
toujours exemptes d'un Waterloo ; celles du nouveau
ont vu luire plus encore de journées de Fontenoy.
Une démolition récente supprime la moitié des
QUAI DE LA MEGISSERIE. 97
immeubles sur le quai de la Mégisserie : les plus
hauts numéros ont été épargnés, ils en seront
quilles pour descendre de la moitié dans l'ordre
numérique. Parmi les maisons disparues, il pouvait
s'en trouver du temps de Charles V, qui fut le
créateur du quai ; plusieurs, du moins, avaient été
bâties sous le règne de François T', qui changea
l'alignement. Toujours est-il qu'au dernier siècle,
le 82 d'à-présent appartenait à l'évoque de Sentis,
et le, 74 au marquis de Bovilion. Le marquis de
Bercy avait dans le Q6 une belle propriété, alors
que son maître-d'hùtel était Tallien, pérc du Tallien
que la Révolution devait illustrer.
Ce dernier immeuble, ou un autre peu distant,
avait été la demeure de Ticquet, conseiller ti la
grand'chambre, aux jours duquel attenta son portier,
assisté d'un soîdat-aux-gardes, en exécution d'un
plan conçu par la femme elle-même de la victime.
Sur kl plainte que ce magistrat avait portée l'année
précédente à Fontainebleau, durant le séjour de
la cour, Montgeorges, capitaine-aux-gardes, avait
rompu, par ordre du roi, avec M'"'" Ticquet,
dont il était l'amant, et elle avait tenu à
en tirer vengeance. Le pauvre mari, laissé
pour mort, guérit de ses blessures par mi-
racle ; la femme subit en place de Grève la
peine capitale, en présence d'un concours
immense de curieux et surtout de curieuses;
les deux complices avaient été condamnés au
supplice de la roue.
Aussi près de l'arche Marion, et il ne m'élonnerait
pas que ce fut au n*" 54, la corporation des Tailleurs
d'habits tenait son bureau. Elle avait été* réunie
à celle des marchands pourpointiers en 1655, et
de plus les fripiers y avaient été agrégés en
4775. L'apprentissage était de trois armées, le
08 QUAI DE LA MEGISSERIE.
compagnonnage pareillement. Le brevet coûtait 24
livres et la maîtrise 800. Chaque maître ne pouvait
avoir qu'un apprenti à la fois. La compagnie était
sous le patronage de la Trinité, h l'église de la
Trinité, rue Saint-Denis.
Place des Victoires, (il
Ses Minisires. — Ses Origines. — Ses Maréchaux.
— Ses Financiers. — Sa Noblesse. — Sa Cen-
tenaire. — La Reine de sa Façon. — Son Médecin.
— Ce qu'elle a gagné aux Journées de Juillet 1830.
François d'Aubusson de la Feuillade, duc et
pair, maréchal de France, colonel des gardes-
françaises, prit un jour la résolution d'élever un
monument à la gloire de son roi ; il donna donc
500,000 livres du grand hôtel de M. de Laferté-
Séneclerre, autre duc et pair. Mais il n'y eut
lieu d'en appliquer qu'une portion à l'accomplis-
sement de son projet, qu'il avait fait adopter par
la Ville. Celle-ci avait acheté un hôtel d'Émery,
qu'une simple rue séparait du premier, et quelques
petits héritages contigus. Là sans doute avait
résidé Particelli d'Emery, seigneur de la Chevrette,
épouse d'une Lecamus et ami de Marion Delorme,
devenu argentier du roi, puis surintendant des
finances, quoique fils d'un banquier qui avait fait
banqueroute h. Lyon. L'architecte Prédot, sur
croquis de Jules Hardouin-Mansart, et à la dili-
gence des prévôt et échevins, construisit cette
belle place des Conquêtes, puis des Victoires,
qui fut inaugurée le 18 mars 1686, et sur laquelle
se faisaient les publications de paix. M. de la
Feuillade avait pourvu tout seul aux frais du
groupe, oeuvre de Desjardins, où était due au
talent de Gilles Guérin la statue pédestre de
(1) Notice écritt! en ISCu.
100 PLACE DES VICTOIRES.
Louis XIV, drapé dans le manteau du sacre et
roulant aux pieds la Discorde : la figure ailée de
la Victoire déposait la couronne sur le iront du
monarque. .Pour assurer la conservation de cet
ouvrage, le maréchal constituait pour l'aîné de
sa race une sorte de majorât, qui devait passer
à la Ville en cas d'extinction de postérité mâle,
et cet apanage consistait dans le duché de la
Feuillade, produisant 2ïJ,000 livres de rente, h
charge pour le bénéficiaire de réparer le monument
tous les vingt-cinq ans.
Mort en 1691, La Feuillade laissait pour héritier
principal son fils, encore mineur comme sa fille,
et pour principal créancier le marquis de Cléram-
bault, qui avait hypothèque sur les biens du défunt,
parmi lesquels figurait son hôtel, précédemment
de Sénecterre ou Sennetene, et des maisons qu'avait
données au duc le corps de Ville, en échange du
terrain que lui avait ôté la place. De cet hôtel,
que l'archevêque d'Embrun, évoque de Metz, se
proposait d'acheter, un angle en saillie dérangeait
la symétrie de farchitecture de la place et la
perfection de son ovale ; l'édilité eut à donner une
nouvelle indemnité pour en opérer le retranche-
mei.t, nécessaire au couronnement de l'œuvre de
Mansart. La maison de La Feuillade recula donc,
ce qui ne nous empêche pas d'en retrouver encore
la porte, surmontée d'un joli balcon, rue La Feuil-
lade, n" 4, et les derrières rue Neuve-des-Petits-
Pêres. Tant que le maréchal avait vécu, on avait
négligé aussi de régulariser le cens pesant sur ce
nouveau quartier: le contrôleur des domaines
réclama. Tout l'ancien territoire del'hôtel Senneterre
et plusieurs des lots de fautre hôtel, son contem-
porain, avaient porté antérieurement les fortifica-
tions de 1358 et relevaient, par conséquent, du
roi. L'archevêque de Paris gardait en sa censive
plusieurs lots de l'hôtel d'Émery; il demandait,
PLACE DES VICTOIRES. 101
en outre, des dédommagements pour la construction
du Palais-Royal, pour la formation d'une place au lieu
de l'hôtel de Vendôme, pour l'ouverture de celle des
Victoires et en raison de la transformation de
l'hôtel Séguier, le tout sis dans les mêmes parages et
ressortissant, en général, mais pas exclusivement,
des fiefs et censives de l'Archevêché de Paris : le
conseil du roi avait chargé M. de Poncliartrain,
contrôleur des finances, de lui présenter un rapport
sur la validité de cette prétention. Quant au milieu
de la place, des épigrammes suffirent à en faire
ôter, avant la fin du xyu*^ siècle, les quatre lanternes
qui éclairaient le soir la figure d'un roi dont le
soleil était l'emblème dans les beaux-arts. Cette
auguste figure, du moins, était-elle immuable ? pas
davantage. Un Louis XIV de Coysevox se présentait
avecune telle autorité en tenue de Romain triompha-
teur, malgré sa perruque ample, qu'on donnait
celui dont la pose rappelait saint Michel écrasant
un dragon, h M. de Fourcy, leprévôt-des-marchands,
qui le reléguait dans sa maison de campagne de
Chessy.
Le n" 3, derrière lequel paraissent subsister des
restes de l'hôtel d'Émery, fut acquis, dans l'année
de la mort de La Feuillade, par M"'' de Soyecourt,
veuve de l'homme de cour qui avait servi
de modèle au personnage du chasseur bavard,
dans une pièce de Molière, Les Fâcheux. C'est
le marquis de Rrown qui occupait la maison de
M""" de Soyecourt.
Nous n'aimons pas à nous inscrire en faux contre
les traditions locales, car elles ont toujours une
raison d'être, directe ou indirecte. Le moyen,
néanmoins, d'accorder au n° 5 l'honneur d'avoir
logé Turenne ! Avant que le plan de la place fût
tracé, le grand capitaine était mort, l'histoire de
France dit comment ; il n'avait pu avoir pour rési-
dence que le logis préexistant. Rendons au 5
7
102 PLACE DES VICTOIRES.
plusieurs Péreuse-d'Escars, qui lui oiU mieux appar-
tenu. Le Poreuse qu'avait anobli l'acquisilion d'une
charge de secrétaire du roi, en 1638, était médecin
et était Gourtenay de son nom patronymique.
Aussi bien les maréchaux de France ne brillaient
que par leur absence dans les hùtels du pourtour.
Le fameux Antoine Crozat n'y était séparé, comme pro-
priétaire, que par M. Cormery du fermier-général
Jean Rémi Hénault, père du président et arrière-
petis-tils d'un laboureur. L'Hénault et le Crozat
dont nous parlons furent condamnés en l'année
1716 h restituer de profits illicites, celui-ci
1,800,000 livres, celui-là 6,600,000 livres : l'amende
élevée à cetle puissance, quel brevet de solvabilité!
Entre M. Prudot et le marquis de Pomponne
débouchait la rue Pagevin. Les autres propriétaires
étaient M. Glérambaut, qui venait après le marquis,
M. Nivet, M. Roland, M'"-^ Pelet, M'"- de Mailly,
M. Raquin, M'"'' de Normande, M. Jérémie, M""' Pelet,
M. Legras. Il suffisait, au reste, qu'un financier
fût entré dans la place pour que d'autres suivissent.
Bientôt la caisse du chevalier Bernard était au 7.
Ce traitant, beaucoup plus connu sous le nom de
Samuel Bernard, avait fait sa fortune sous le
ministère Chamillard; Louis XIV, qui avait hguré
parmi ses débiteurs, lui avait accordé des lettres
de noblesse. M. de Boulainvilliers possédait encore,
sous Louis XVI, la propriété de Bernard, son aïeul ;
^eulement un Voyer-d'Argenson y avait fixé sa
demeure. De Monchy et Lemée, qui étaient
fermiers-généraux, occupaient deux des autres
maisons de la place, du vivant de l'opulent Samuel.
Disons plus : le célèbre Law fut quelque temps
au 2 et au 4, échus plus tard à M. Bergcret.
^me (jg Wolcomte, sous l'un de ces deux toits,
vécut 97 ans, existence emphytéotique à fin de
bail vers l'année 1854 ! Quand cette vénérable dame
remontait, par le souvenir, jusqu'à son enfance
PL A JE DES VICTOIRES. 103
si lointaine, elle voyait, à la place de ceux qui
vivaient, d'anciens propriétaires : n" i, M. Autreau ;
n" 3, M"*' Oré; n" Q, M. Lenoir; n° 8, les. héritiers
Plé; n^lO, M. Gigault ; n» 12, M. Le Duc. Les
initiales de ce dernier n'ont pas quitté la ferrure
de sa porte ; il descendait d'un tailleur en réputation,
lequel avait habillé Louis XIV, et la maison avait
été bâtie par ce Dusautoy du grand siècle.
L'un des toits qui ont un versant du côté de
la rue, ou de la place des Petits-Pères, a abrité
M. Vénier, le secrétaire particulier du cardinal
Dubois, premier ministre. Cet ancien frère-convers
avait été tiré de bonne heure de Saint -Germain-
des-Près par le maître qui, en s'élevant, l'avait
haussé, et le service qu'il avait h faire ne demandait
pas moins de patience que de discrétion. Dubois
s'emportait vite. Un jour entr'autres, ce fut pour
un papier qui ne se, retrouvait pas, et jamais sa
colère n'avait dégorgé plus d'invectives pour ses
nombreux commis. — Si je n'ai pas encore assez
de ces gens-là pour faire mes affaires, criait-il
en jurant et en tapant sur la table de Vénier, j'en
prendrai dix, trente, cinquante, cent de plus;
mais qu'on ne me perde aueune pièce. — Mon-
seigneur, tinit par lui dire avec froideur son
secrétaire, ne prenez qu'un commis de plus ; mais,
si vous m'en croyez, il sera chargé de sacrer ol
tempêter pour vous, les affaires s'en expédieront
mieux et vous aurez du temps de reste...... L'homme
d'État s'apaisa en souriant, au lieu de se formaliser
d'un franc-parler auquel Vénier n'avait jamais
recours qu'à propos.
Oh! par exemple, il s'en fallait que la centenaire
eût vu naître l'hôtel Pomponne, dont aucun historien
de Paris n'a même soupçonné l'origine. Le prévôt-
de-Paris avait validé, en l'an 1560,' un congé donné
par les religieux de Saint-Martin-des-Champs à
Pasquier l'archer, de la maison avec jardin qu'il
104 PI. ACE DES VICTOIRES.
occupait rue des PelUs-Champs, à l'enseigne du
Cinge-qui-pisle, et les mêmes propriétaires en avaient
fait bail h. Pasquier le riche, le 81 octobre
1561. Jean Hénault, ancêlre du fermier- général et
du président de ce nom, avait pris cette propriété
à ferme le 13 décembre 1578, avec renouvellement
de bail le 15 novembre 1588.
Déjîi le Singe-qui-pile s'était érigé en hôtel du
Hallièr quand les martiniens, en échange d'une
rente de 200 livres, constituée par François de
Béthune, comte d'Orval, et .Jacqueline Caumont,
son épouse, le cédèrent, par contrai du 15 septembre
1628, à messire François de l'Hospital, seigneur du
Rallier, chevalier des ordres du roi, conseiller en
ses conseils d'État et privé, capitaine-lieutenant
de sa campagnie de gendarmes, maréchal de ses
camps et armées, gouverneur pour S. M. de Vitry-
le-Français, qui habitait ledit hôtel, sur la paroisse
Saint-Eustache. Ce Du Hallier, sur la tidélité duquel
comptait Louis XIII, devint ministre d'État; comme
il s'était d'abord destiné ii l'état ecclésiastique, Henri
JV l'avait pourvu de l'abbaye de Sainte-Geneviève
de Paris et de l'évèché de Meaux. Ses services mili-
taires eurent de l'éclat ; il commanda l'aile gauche à
Rocroi. Mais son intérieur n'avait rien d'honorable.
Charlotte des Essarts-Sautour, sa première femme,
avait éié la maili'osse de Henri IV et d'un prince de
Lorraine, dernier cardinal de Guise ; elle avait eu de
celui ci cinq enfants et de celui-lh Jeanne-Baptiste de
Bourbon, abbesse de Fontevrault. Veuf depuis deux
années, le maréchal épousait en secondes noces,
le 25 août 1653, Françoise Mignot, veuve de Pierre
de Portes, trésorier du Dauphin, mais tille d'une
blanchisseuse de Grenoble, qui l'avait eue pour
apprentie. Il mourut en son logis à 77 ans ; c'était
le 20 avril 1660. Son légataire universel était
Georges d'Aubusson, seigneur de la Feuillade, arche-
vêque d'Embrun ; seulement la maréchale restait
PLACE DRS VICTOIRES. \0n
sa donatrice et son exécutrice testamenlaire. Elle ne
changea pas de domicile, mais laissa bientôt se
détacher de l'hôtel de l'Hospital les bâtiments ou
le terrain de celui du Languedoc, inauguré par
Le Secq, conseiller du roi, trésorier de la Bourse des
Estais de la Province dic Languedoc. A sa charge
passait une part proportionnelle du droit de cens
pesant sur la totalité au profit de Saint-Martin-
des-Champs, et vers le même temps Duchesiie
avait pour successeurs Pierre et François Gi-and-
Cerf. comme receveur-général des deux-tiers du
revenu temporel du prieuré de Saint-Martin-des-
Champs. Françoise Mignot.en convolant de nouveau,
monta plus que jamais en grade; elle se mariait,
le .4 décembre 167^, dans la chapelle d(? son hôtel,
avec un roi de Pologne, représenté par son fondé
de pouvoir; malheureusement pour elle Casimir V,
qui avait abdiqué, n'était plus qu'abbé commendataire
de Saint-Martin de Nevers et de Saint-Germain-
des-Près, outre qu'il rendit le dernier soupir à
Nevers dans le courant du mois. La reine si peu
reine aurait pu enterrer plus de trois maris ; elle
ne s'arrêtait sans doute en si beau chemin que
pour ne pas redescendre ; mais ce n'est pas
dans le même palais qu'elle a vécu jusqu'au 30
novembre 171 L
En son lieu, Jacques Lafosse, sieur de Villemaloux,
président au bailliage de Meaux, était propriétaire
et avait même pour successeui-, avant la formation de
la place, Jean Laguillaumie, membre des conseils
du roi, secrétaire ordinaire de son conseil privé, qui
transigea, sur un procès relatif aux droits seigneu-
riaux, avec M. Jules Paul de Lionne, prieur commen-
dataire de Sa!nt-Martin-des-Champs, lequel demeu-
rait à l'hôtel de M. de Lionne, le ministre, rueNeuve-
des-Petits-Champs. L'hôtel de la place des Conquêtes
avait été attribué non-seulement à ladite rue,
mais encore aux rues (-roix-des-Pelits-Champs, des
lOfi PLACE DES VICTOIRES.
Fossés-Montmartre et des Bons-Enfants ; son
numéro actuel, 48, ne compte môme que pour la
rue Pagevin. Il devint Pomponne, du chef de
Simon Amauld, marquis de Pomponne, ministre
lui-même et secrétaii-e d'État, mari de Catherine
Ladvocat, père du second marquis de Pomponne,
de l'abbé Arnauld et de la marquise de Colbert-
ïorcy. Ensuite ce fut l'hôtel Massiac, où s'installa
en 1806 la Banifue de France, ainsi que dans
l'immeuble contigu de la rue des Fossés-Mont-
martre (i). Puis Ternaux, fabricant de châles, y eut
de grands magasins. •
Avant la Révolution, les 2 et 4 de la rue Vide-
Gousset appartenaient : celui-ci à M"" Pallu, fille ou
nièce du ..conseiller d'État auquel Voltaire avait
adressé des épîtres, et celui-là îi M"« Oré.
Plusieurs fois M""= de Wolcomte vit la statue
elle-même changer de face. Dès 1790 on arrachait
de son piédestal les quatre esclaves qui formaient
ses quatre angles et qui actuellement décorent l'hôtel
des invalides. Puis une pyramide en bois, portant
le nom des citoyens morts dans la journée du 10
Août, remplaçait Louis XIV, place des Victoires-
Nationales, besaix venait ensuite. La restauration
de Louis XIV, sur un nouveau modèle de Bosio,
avait lieu en 1816.
L'éminent physiologiste Barthez, médecin con-
sultant de Louis XVI, s'était retiré à Carcassonne
pendant la Révolution ; il prit un appartement sur
la place, en i-evcnant à Paris, pour y rendre son
dernier soupir le 15 octobre 1806 : Napoléon
avait aussi nommé Barthez son médecin consultant.
La mort du duc d'Orléans, père de Philippe-
Égalité, n'en avait pas moins été imputée à la
maladresse de ce praticien.
(1) D A})Oiil<ir niaintenant.
PLACE DES VKJTOIRES. 107
C'est seulement en 1830 que des enseignes
commerciales purent bai-riolcr à leur aise ou
dissimuler les arcades, soubassement sur lequel
il s'élève un grand oidre de pilastres ioniques : des
ëmigrants de la rue des Bourdonnais colonisaient la
place des Victoires, le lendemain d'une révolution
qui, devant au commerce de la reconnaissance,
lui livrait, à titre d'à-coinpte, une place jusque-It»
vierge d'inscriptions, comme la place Vendôme.
Rue l\'«tre-Daiiie-de!!i«Victoi re»
et rue Paal-Lelong;,
EN CE QUI s'en appelait NAGUERE
Saiiit-Pierre-lHoiitinairtre. (i)
Samuel Bernard. — Les Messageries-royales. —
L'Escalier qui voyage. — L'Abbé de la Victoire.
— Un Souper en deux Actes. — D'Hozier. —
Le Couvent des Petits-Pères. — La Bourse aux
Petits- Pères.
Samuel Bernard était propriétaire, rue Notre-
Dame-des-Victoires, de deux maisons à tout le
moins, que nous retrouvons l'une et l'autre entre
les rues SainL-Pierre et Joquelet. Le n" 52 appar-
tenait encore sous Louis XVI à un Bernard ; mais
Samuel était mort en 1739, âgé de 88 ans, sans
avoir l'ait mauvais usage des richesses considérables
que lui avait rapportées l'autre siècle. Au surplus,
ce prince des croquants avait été le père d'un
président au parlement, Bernard de Rieux, et d'un
comte de Coubert. Ledit titre de comte avait dû ap-
partenir tout aussi bien au chef de la famille ; mais
trop de gens eussent ri d'entendre le fils d'un graveur
se faire annoncer de la sorte : on croyait encore, à
l'époque do sa jeunesse, qu'il était presque aussi dilli-
cile au roi de faire un noble avec un roturier, qui
n'avait pas porté l'épée, que de changer une fille
(1) Notice écrite on 1860. La rue Saint Pierre-Mont-
martre et celle Paul-LeloDg en faissaient encore deux.
RUE NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES. 109
en garçon! Samuel Bernard ne se parait guère
que de la qualité de chevalier. Sa deuxième
propriété, que posséda plus tard son petit-fils,
le marquis de Boulainvilliers, était vraiment un
bel hôtel, dont le 28 comporte encore une portion.
Son jardin a longtemps servi d'embarcadère aux
Messageries royales, avant l'exploitation des
chemins de fer. Lh Paris commençait à l'arrivée,
finissait au départ. Que de fois une femme y mettait en
voiture ou son amant ou son mari, avec des larmes
dans les yeux, mais en avait d'autres à cacher,
en revenant h sa rencontre ! Les Messageries
impériales ont changé d'élément, pour exploiter
principalement les paquebots de la Méditerrannée ;
les échelles du Levant sont pour elles de simples
relais ; l'administration, néanmoins, siège toujours
au n" 28. Les bureaux du rez-de-chaussée sont
maintenant au chemin de fer d'Orléans, qui ne
rend pas h la cour toute son activité. En revanche,
les voyageurs ne sont plus exposés à se tromper
de ligne, à monter, par exemple, dans la diligence
de Marseille quand leurs bagages prennent la route
de Brest. L'escalier de Samuel Bernard a fini par
céder lui-même aux besoins de locomotion qui
dominent de plus en plus: n'est-ce pas entraîné
par l'exemple, qui lui était donné de première
main, qu'il a lui-même fait son petit voyage ? Les
lecteurs n'auront pas grand'peine à le suivre, par
le train-express de nos notices : il s'est arrêté
l'ue Louis-le-Grand, où de nouveau il ne fait corps
avec l'immeuble que par une fiction de la loi.
Le passage Saint-Pierre, reliant à la rue Mont-
martre ladite cour, n'a été sous l'ancien régime
qu'une impasse. La rue du même nom longe des
propriétés qui apjtartiennent, elles aussi, aux
actionnaires de la compagnie d'Orléans, finan-
cier collectif remplaçant aujourd'hui celui de
Louis XIV. Nous y retrouverions probablement
110 RUE NOTPvK-DAME-DKS-VICTOIRES.
jusqu'au logis de Pierre Pénéclier, qui amis sous
l'invocation de son patron celte petite rue, ainsi
que le cul-de-sac. Ou les a percés l'un et l'autre
sur le clos Gautier ou des 3Iasures, Henri IV
étant sur le trône, avec la qualification originaire
de Petit-Chemin-Herbu : à cette époque se rappor-
tent les deux niches du 4 et du o, rue Saint-Pierre,
auxquels deux madones ou deux saints ont servi
d'enseigne et d'égide. Durant la Fronderie, comme
dit Tallemant des Réaux, le petit Duval de Cou-
peauville, qui était d'une famille rouennaise de
robe, avait ici ou là sa chambre. Nommé en 1639
abbé de la Victoire, il dut à ses bons mots de la
réputation. Voiture l'avait présenté à la reine qui,
en passant à Senlis, alla le voir dans son abbaye
et le complimenta d'y avoii- tout remis à neuf.
Et l'abbé de répondre aussitôt : — Madame, si
Votre Majesté m'en donnait encore deux où trois
vieilles, je les accommoderais encore mieux.
Toutefois cette petite rue était peu fréquentée
ou mal habitée en 1699, quand In police y décou-
vrit une nichée de petits voleurs.
Ce qu'on a pour 2 francs sans marcliandei',
n- 3, rappelle de son mieux la spécialité luxurieuse
qu'avaieiii donnée deux ou trois grands seigneurs
du XYU!*" siècle à des maisons de la rue et de
l'impasse. Devenues des hôtels-garnis, ces maisons
ont de grandes portes, sans lesquelles n'aurait pu
y entrer un carrosse. Au 10, lorsqu'il était l'auberge
des galanteries de Lauzun, que de nuits blanches
se succédèrent ! De laquelle lui demander compte?
Levons au moins le voile qui en couvre une. Tout
ce qui se passait chez Lauzun, rue Saint-Pierre,
un valet l'allait rapporter îi l'hôtel du lieutenant-
de-police, qui le colportait h Versailles : arrêtons
l'espion au passage, le matin du dernier lundi
d'août 1770. Le maraud va nous dire ceci : —
Mon maître a i-e(.'U hier soir bonne compagnie :
RUE NOTKE-D AME-DE <-VICT(3IRE.S. 111
d'abord le duc de Chartres, dont la petite-maison,
l'ue Blanche, garde un jieu mieux ses secrets que
la nôtre: que ne puis-je y servir îi table! M. le
prince d'Isengbieii, qui n'est autre qu'un de Gand-
Mérode-Montmorency, le comte d'Osmond, M. de
Bézenval avaient aussi leur couvert mis à ce petit-
souper, dont les autres convives taisaient corps
avec le menu. La D"'' Dutlié, qu'entretient main-
tenant !e marquis de Duras, voilà pour le morceau
de roi. Mon maître n'en a fait qu'une bouchée,
bien qu'on le croie amoureux fou de la D""^ Audinot,
laquelle vient de recevoir de ses bijoux, sans les
porter toutefois devant le prince de Soubise. Les
D"''' Joinville et Legrand, c'est-à-dire les maîtresses
du marquis de Villette et de M. Minute, ont été
remerciées honnêtement à minuit, ainsi que
M"*^ Duthé. C'était l'heure du relais pour elles,
pour ces messieurs également. Ils m'avaient envoyé
d'avance chez la Brissault, excellente maltresse-
de-poste : les tilles Argentine et Fournier ont fait
le reste du voyage.
Le 15 et le 17, même rue, ont du le jour à
un serrurier en carrosses. Le marquis de Courtier,
M. de Saint-Paul, 31. Cadeau, trois contcm|toraiiis
de Lauzun, étaient propriétaires là et tout près.
Rue Notre-Dame-des-Victoires, le 4!2 était alors
au comte de Durfort, le 30 au comte du Lude,
comme îe 16 au président d'Hozier, grand généalo-
giste delà cour, auteur avec son père de V Armoriai
de France: d'autres d'Hozier successivement avaient
rempli la même charge ; la race en explorait, depuis
Louis XIII, les vieux titres, pour y chercher des
comtes, des écuyers, et elle faisait plus de nobles
que le roi! Maillard, ci-devant intéressé dans les
gabelles, a laissé, dans un temps plus rapproché
du nôtre, le 14 à son tlls, un conseiller d'État.
Que si des mascarons, des rampes de fer servent
de chevrons aux immeubles précités, les états de
112 RUE NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES.
service du 6 comptent encore plus de campagnes :
des balustres de chêne font créneaux dans son
escalier. Par conséquent, il date d'une époque où
sans doute le Chemin-Herbu n'avait pas encore ceint
sa robe virile de rue Notre-Dame-des-Victoires.
La première pierre de l'église des Petits-
Pères, placée sous cette invocation, fut posée par
Louis XIIL Les Petits- Pères étaient des augustins
réformés ; leur territoire longeait ladite rue et
n'était séparé de la rue Vivienne que par un hôtel,
du côté de notre place de la Bourse où ils ont
substitué eux-mêmes des constructions au mur de
jardin. Ces religieux, en plein xvni'^ siècle, étaient au
nomhir,e de 80, sans compter les novices, qui
payaient de pension 400 livres. Les pères ne se
doutaient guère que leur église, pendant un
interrègne, se travestirait elle-même en une Bourse,
à l'entrée de la rue des Victoires-Nationales.
Fermée au Louvre le 13 janvier 1795, la Bourse
s'ouvrit aux Petits-Pères le 12 janvier suivant, puis
fut transférée au Palais-Royal le 7 octobre 1807.
Peu de temps avant la suppression des monas-
tères, M. Pajot disposait des immeubles répon-
dant de nos jours aux premiers chiffres pairs.
Tout ce côté bourgeois de la rue appartenait
sous la Régence aux particuliers dont la nomen-
clature suit:
La maréclialti d'Eslrées, au coia de la rue du Mail ;
la veuve de Montarlo ; le sieur André ; le sieur Vinceut ;
le sieur Penon ; le sieur Berthelol ; le marquis de
l'Hospital; le sieur Leduc ; M. Orry, au premier angle de
la rue Saint-Pierre ; !e président Séguin, second angle;
M. Dubas, lieutenant aux gardes-suisses; la dame
Rolland ; le président Séguin ; la comtesse de la Bre-
tèche ; M. de la Touanne ; la dame Bostel, au premier
coin de la rue Joquelet; la daine Avise, second coin;
la même ; la veuve Masson ; la même ; la veuve
RUE NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES. 113
Delahîye ; le sieur Hyon, à l'enseigne de la Tour-
d'Argent ; le sieurGirard, pour le mur d'une propriété de
la rue Montmartre; M. de Bourges, pour le derrière
aussi d'une maison de la rue Montmartre ; le sieur
Proux, sculpteur; le même; M. de Sérouges, à l'en
coignure de la rue Montmartre.
Rue Loiiis*le«Gi*aii(l. [i]
M"^^' de Montespan. — Le Général Chasseloup-
Lauhat. — M. Double. — Le Général Bertin de
Vaux. — Les Hôtels d'Egrnonl et Gontaut-Biron.
— Le Duc d'Antin. — Le Maréchal de Richelieu.
— Le Pavillon de Hanovre.
Les propriétaires en celte rue étaient, sous le
règne de Louis XVI :
Coté des numéros impairs: — MM. de La Fon-
taine de Brassard, (ie Graudbourg, Castela, de Ja
Bussière, de Vdlemarais, Maurangel. Taupin, Gueffier,
Dàuguy, d'Egmont, de Gonlaut, la maréchale de Nicolaï,
MM. Arthur el Grenard.
Côté des numéros pairs : — M. Duval de Lépiuay,
M"« Quiuon, les hériiiers Croixmare, MM. de VerviUe,
Vernier, de Richelieu.
Bien qu'ouverte en 1703, elle était bordée plus
encore de murs que de maisons sur le plan de
Paris en 1739. Des hôtels auxquels tenaient ces
murs, gardons-nous d'oublier le plus ancien, mais
(1) Notice écrite en 1860. La nouvelle rue du Dix-
Déceuibre croise aujourd'hui la rue Louis-F.,e-Grand, à
la rive gauche de laquelle s'arrête à Theure qu'il est
l'avenue de l'Enipereiir, qui doit également passer outre,
pour mettre eu communication directe' le nouvel Opéra
avec le palais des Tuileries. Le changement de niveau
donne l'air de s'effondier à un tronçon de la rue Louis-
le-Grand, reliée d'un côté par des marches à la rue du
Dix-Décembre,
RUE LOUIS-LE-GRAXD. 115
le moins connu. C'était plutôt une maison qu'un
hôtel, car elle n'avait pas de jardin, tant le couvent
des Capucines, par- derrière, la serrait de près !
M""^ de Montespan, dans la disgrâce, y passa quelque
temps. Depuis son départ de Versailles, elle menait
une vie de .péaitence, quoique peu sédentaire,
après s'être essayée à l'immobilité de la retraite
dans la communauté des tilles de Saint-Joseph :
ses terres la gai-daul six mois de l'année, elle
prenait, de plus, les eaux de Bourbon. Le duc
du Maine et le comte de Toulouse, légitimés princes
du sang, visitaient à Paris M""" de Montespan,
qui ne les traitait pas sur un autre pied
que le fils du marquis de Montespan, leur frère
aîné. MM. de Grandbourg, et Castela ont disposé
de là propriété; elle a été occupée de plus fraîche
date par l'ainii-al Parceval-Deschônes, parle général
Digeon : n'" li et o à-présent.
M; de l'Épinay était propriétaire du 4, arrière-
bâtiment de l'hôtel Mondragon, que nous avons
vu rue d'Antin. L'hôtel avait appartenu conjointe-
ment à Marie Bersin, femme de Louis Duval de
l'Épinay, secrétaire des hnances. et au marquis de
Mondràrgon, secrétaire des commandements de
Madame, comtesse de Prcivence, ainsi qu'à la
marquise, née Duval de l'Épinay. M. Varignon de
Villemarais, qui avait le 9 du chef de sa femme,
veuve de Derbais en premier lit, était l'un des
prédécesseurs du général marquis de Chasseloup-
Laubat, père du ministre actuel de la Marine.
Sénateur depuis une année, !c général, en 1814,
se rappela qu'il était lils et petil-lils de brillants
officiers, qui avaient servi sous le drapeau des
maréchaux do Saxe et de Luxembourg ; il refusa
même, aux Cent-Jours, de reprendre sa place au
sénat, ce qui n'empêcha pas Napoléon de
faire encore à Sainte Hélène l'éloge des talents et
de la probité de Chasseloup-Laubat. Le général a
116 RUE LOUrS-LE-GRAND.
eu pour acquéreur le beau-père de M. Double,
propriétaire à l'beure qu'il est de l'immeuble où
il donne l'hospitalité à une rampe d'escalier, tirée
de la maison de Samuel Bernard, rue Notre-Dame-
des- Victoires. M. Double possède aussi, dans la
vallée de Montmorency, un ancien château des
ducs de Vendôme, qui fut de plus à M"*" d'Enghien.
Son appartement h Paris est d'un luxe devenu
rare en ce qu'il ne parle pas qu'aux yeux: un
magnifique mobilier historique y réveille le souvenir
des détenteurs primitifs de chaque objet, c'est-à-
dire des plus grands ministres, des ducs' et pairs,
des rois eux-mêmes, et des femmes qui, l'une
après l'autre, taillèrent dans chaque règne le leur.
Tapisseries, cheminées, porcelaines, mosaïques,
pendules, bronzes, doi^ures, lustres, sofas et guéri-
dons sont des chefs-d'œuvre de bonne compagnie,
avec lesquels jamais on n'est tout seul : chacun
d'eux cite une date et un nom historiques, dont on
aime à s'entretenir et qui donnent quantité d'idées
qu'un mobilier tout neuf garde pour plus tard.
Tout n'est pas une importation dans le musée
domestique de M. Double : les sculptures, les
peintures des plafonds et des dessus-de-portes
n'ont jamais été autre part. Bon Boulogne a passé
par-là.
Suit l'ancienne propriété de M. Maurangel ;
M. Taupin, vers 1800, la vendit à M. Merlin,
agent-dechange, beau-père du général Berlin de
Vaux, qui y commande. Les immeubles d'après
n'ont fait, pour la plupart, que croître, sans em-
bellir, depuis le règne de Louis XVT : exemples,
le grand hôtel d'Egmont, au "21, et le petit, dans
le fond du 23. Jenny-Colon a joué aux Varié|é§
une pièce qui nous empêche d'oublier que la jolie
M™" d'Egmont chassait de race, étant tille du
maréchal de Richelieu.
L'hôtel de M. de Gontaut-Biron a quitté entière-
RUE LOUIS-LK-GRAND. 117
ment la place à des maisons de revenu sur ce
point de la rue Louis-le-Crand. La fameuse pension
Morin et cet hôtel, pour lequel elle avait renoncé
à l'ancien théâtre de Pierre, seraient-ils morts
dhns les bras l'un de l'autre ? L'Histoire du lycée
Bonaparte donne sur la pension Morin des détails
plus circonstanciés, qui seraient pour nous une
répétition. Renvoyons aussi le lecteur à la notice
de la rue Grange-Batelière (i) s'il tient à s'édifier
sur le compte de M. Daugny, le second voisin
des d'Egmont. Mais les Gontaut ont eu évidemment,
eux aussi, majeur et mineur hôtels. L'un des deux
a passé Nadara et ouvre plus bas : vous pénétrez
dans son sous-soi d'autrefois en allant prendre
une glace chez Durant, sur le ^ boulevard des
Capucines, où le jardin de l'hôtel a touché au jardin
du ci-devant couvent de femmes déboisé par le
percement de la rue de la Paix.
L'au 1738, il n'y avait encore à l'angie du
Rempart et de notre rue, à l'extrémité de sa ligne
gauche, que le magasin des marbres du roi. L'autre
angle n'était qu'un fossé. L'égout de la VillegrouillaiL,
à n'en pas douter, entre les deux.
Le financier Lacour-Deschiens, sieur de Neuville,
avait fait bâtir, en l'année 1707, sur les plans
de Pierre Levée, un bel hôtel rue Neuve-Saint
Augustin, dont le jardin allait jusqu'au boulevard,
entre les ruer, de la Michodière et Louis-le-Grand.
II en reste, sur celle-ci, notamment le rr' 16, marqué
déjà sur le plan de Lacaille. Le duc d'Antin,
ingénieux courtisan du roi, surintendant de ses
bâtiments, s'était l'endu actiuéreur, en 1713, de
l'hôtel (jui a pris son nom pour le laisser l\ un
(1) La portion de Ja rue Drouot dans laquelle se
retrouve l'ancien hôtel Daugny appartenait naguère à la
rue de la Grange-Batelière.
118 ItUE LOUIS-LR-GRAND.
quartier. Le maréchal de Richelieu en était pro-
priétaire dès 1757, et il y taisait -taire des
embellissements. Alors l'ut dessiné par Chevaulet
ce joli pavillon qui forme encore le coin du bou-
levard, à la place de l'ancien fossé : sa rotonde y
délasse la vue des monotones pans coupés que
présentent tant d'autres angles ! Les masques
qu'on y a sculptés demeurent les chefs-d'œuvre
du genre. Un balcon tourne autour de l'édilice,
comme une ceinture glissante, el c'est pourtant la
seule que Richelieu ait nouée, dans son pavillon
de Hanovre : il faisait le contraire aux autres ! On
sait que la plupart des femmes préféraient sa
maturité à la jeunesse de ses rivaux, le poursui-
vaient encore, octogénaire, de leurs envies de
pardonner, qui étaient des lettres de rappel : plus
d'une Unissait même par le coucher, consolation
désespérée, dans la ruelle de son testament ! Il
disait à son tîls, goutteux : — Imitez votre père,
Fronsac ; quand un de mes pieds a la goutte,
c'est l'autre qui en souffre le plus : je ne fais pas
un pas de moins.
En ce qui regarde notre rue, le duc plaida
avec M. Arthur, prédécessseur des frères Robert :
cet Arthur avait établi, à l'autre encoignure du
Cours, c'est-à-dire à la place qu'avait occupée
le dépôt des marbres du roi, une fabrique de
papiers peinls, qui masquait la moitié de la vue.
Fronsac n'hérita de son père qu'en 1788, et des
entrepreneurs de (êtes publicjues accaparèrent
l'hôtel de seconde main, dans la Révolution. Il
était dès-lors divisé, car la rue de Hanovre, dont
le terrain avait été acquis par Chéradame, et celle
de Port-Mahon, dont le nom rappelait aussi une
victorieuse campagne du maréchal, avaient été,
celle-ci tracée et .l'autre ouverte, avant que
Richelieu rendît le dernier soupir dans l'hôtel,
séparé déjà du pavillon. On y assista à des fêtes,
RUE LOUIS-LE-GRAND. J19
bals, concerts, petits spectacles, feux d'artifice ; on
put s'y loger en garni ; une maison de jeu s'y
essaya, qu'éclipsa bientôt Frascati ; enlin tortoni
y fonda sa réputation de glacier, comme associé
de Velloni. Puis, les maçons revenant à la charge,
de nouveau les lustres s'éteigiiirent dans les
salons où, au milieu d'un bal, la générale Bonaparte
avait reçu le glorieux surnom, qui déj^ était justifié
en 1798, de Notre-Dame-des-Victoires. iSimon,
marchand de papiers peints, devint le locataire du
pavillon, occupé aujourd'hui par un marchand de
ruoltz.
Comment en un vil plomb l'or pur s'est-il changé?
Rue de Vareiiiio.
Documents recueillis aux Archives de l'Empire et
mis d'accord, autant que possible, avec le peu
de découvertes ciui jusquà 2}résent a suffi, sur
le même sujet, aux livres reloiifs à V histoire de
Paris.
Les persomiages historiques ne laissent pas sou-
vent leurs noms aux demeures que semblait pour-
tant leur assimiler pour jamais l'empreinte
de leurs succès ou de leurs infortunes, de leurs
exploits ou de leurs défaillances, de leurs vertus ou de
leurs vices, de leurs croyances ou de leurs doutes. Le
caractère et le rang d'un logis ne changent ni aussi
vite ni aussi complètement que ceux des liabitants qui
s'y succèdent. Un hidalgo a beau devenir gueux,
il drape son manteau troué d'une façoi^ qui le
distingue encore, et il eu est de même pour un
hôtel, qui fo révèle, en dépit de ses transforma-
tions, jusque dans la décrépitude, et ne tombe
lout-à-iait qu'en ruine. Pour nous, qui n'avons le
fanatisme ni de Tliabit noir, ni de la blouse bleue,
il y a des maisons qui portent des pelisses à la
Louis XI ; d'autres, une coiifure à bandelette
nouée par un camée ou une pierre précieuse,
comme la belle ferronière, et plus encore, un
des costumes des personnages de Molière. Cela
dépend de l'époque où elles ont été le plus
remarquées.
Le 11 de la rue de Varenne porte ù nos yeux
(1) Notice éciite en 1860.
RUE DE VARENNE 121
une perruque. volumineuse, qui retombe sur les
épaules de Potier de Novion, présideiil à mortier,
pour lequel il tut édifié par Leduc sous Louis XIV :
le pelit-tils de ce président, ayant la survivance
de sa charge, se trouva président à quinze ans.
Raphaël delà Planche, trésorier des bàiimenls-du-
roi, laisse au lo comme une IVaiso du temps de
Henri IV ; il a créé la rue qui s'est dite de la
Planche, entre les rues de la Chaise et du Bac,
jusqu'à la présidence républicaine de Napoléon IlL
Une manufacture de tapisseries y avait le même
fondateur, avec entrée rue de la Chaise. Tout ou
partie de l'hôtel Novion passa Saint-Agnant, et
M. Portail, président au parlement, l'aclietaii en
1750 d'Edme Duban, marquis de la Feuillée,
capitaine au régiment d'Harcourt. La moitié indivise
de l'ancien hôtel était celui de Venise, conversion
due probablement à l'ambassadeur de cette l'épu-
blique, lorsque le mar(|uis de la Feuillée vendit
à Marie-Florence du Chàtelei, veuve deMelchior
Esprit de la Baume, comte de Monlrevei, maréclial-
de-camp, qui ne tarda pas à acquéiir l'autre
moitié. M""' Amelot, née de Brion, laissa la maison
patronymique de la rue de la IManche à Amelot,
ministre d'État, qui la céda au procureur-général
Joiy de Fleui-y. La famille de ce magistrat a eu
pour acquéreur le marquis de i^Iontmoj'ency, avec
lequel traitaient dernièrement les pères de la
Miséricorde. Au momeiil oi^i Napoléon F'"' nominait
grande-duchesse de Toscane la princesse Élisa
Bacciochi, sa sœur, qui avait déjà exercé le pou-
voir sous le nom de son mari, couronné prince
de Lucques et de Piombino, elle avait pour palais
l'un de ces deux hôtels.
Une varenne est un terrain inculte et fertile
en gibier, ou une réserve de chasse, et cette
traduction étymologicjue convient à une rue où
tombe celle Bellechasse. Néanmoins la localité
12•^ RUE DE VARENNE.
pourrait avoir eu pour parrain un abbé de Varennes,
un seigneur de Varennes ou eneore Florent de
Varennes, amiral de France. Mathieu Pen-ot,
chancelier de l'académie et de l'église de Bourges,
était abbé de Varennes sous Charles IX; Jacob de
Nuchez, coadjuîeur de l'évêque de Chalon-sur-
Saône, l'était sous Louis XIV et avait pour contem-
porain François Perron, écuyer, sieur de Varennes.
Enfin le bailliage et le greffe de la Varenne,
juridiction forestière, se tenaient au Louvre; mais
il y avait aussi une capitainerie des chasses de
cette Varenne du Louvre, et rien n'aurait empêché
le chef-lieu de la capitainerie de s'asseoir originaire-
ment à une petite distance du palais des rois.
Cai'on de Beaumarchais fut lui-même lieutenant-
général des bailliage et capitainerie royale des
chasses de la Varenne du Louvre, grande vénerie
et fauconnerie de France.
L'hôtel Saint-Gelais, occupé sous Louis XV par
la duchesse de Lauzun, se délabre, n"' 24, 26 et 28.
Quelque chose aussi appartenait aux récollettes dans
la ci-devant rue de la Planche, habitée en notre
siècle par M. de Musset, M. de Goyon, la duchesse
de Lorges, le prince de 3Iontmorency-Tancarviile,
la marquise de Paris, le duc de Narbonne.
Une salle d'a.sile réunit des enfants au 89 ; 41
et 4o n'ont fait qu'un ; la duchesse de Narbonne,
née Serraîit, a disposé du io ; le duc de Laroche-
foucauld-Doudeauville a le 47. A coup sûr, ce
pàlé d'hôtels n'a pas cuit tout d'une pièce. L'hospice
des Convalescents, que nous mentionnons rue du
Bac, donnait aussi rue de Varenne sur ce poinl.
L'abbé de Fontenille demeurait, en l'année 1736,
dans une pvopi-iélé tenant des deux côtés et
par-derrière à cet établissement de charité, et le
duc de Laui'agais, qui cultivait les ietti'es et les
sciences., en était locataire ensuite. Cartaud, en
RUE DE VARENNE. 123
173i2, dessinait |30ur 3T. de Janvry une lielle maison,
près des Convalescents.
M'"« de Narbonne a possédé aussi le 46 ; les
Baignières, le 48, ancienne résidence de Cliailes
Skelton, marécha!-dc-canip. L'iiôtel do la duchesse
d'Estrées, que nous avoiis vu rue de Grenelle,
s'étendait jus(j,ue-l:i. Goullier, marquis de Thoix,
Mérita de son père le n" 56, qu'il céda à Cliaumont,
marquis de la Galaizière, en 1768. La comtesse
Bernard du Prat, née Bouigoiiig, inaugura l'hôtel
d'Auroy, qui suit, sur lequel est assis le majorât
créé pour le comte Bampont, général de l'Empire.
A M. de la Galaizière tut encoi'e le 60, dit plus
tard hôtel de ïingry : M. le comte de Béthune-
Sully y succède il M. de MontmoreiK^y-Luxembourg.
Ce Chaumont de la Galaizière n'avait-il pas pour
proche Guy-François de Cliaumont-Quitry, qui
j)renait la qualité de « républicain IVaneais » en
lôte d'une brochure politique, parue en tliermidor
an vu ? Ce graiid-père du marquis de Chaumont-
Quitry, chambellan de l'empereur actuel et député,
habi'ait aussi la 'me de Varenne ; il était gard'e-
du-corps en 1789. Il y avait un fusil à lui parmi
16s armes données en nantissement c|ue le Mont-
de-Piété distribua au peuple pour la journée du 14
Juillet. La restitution de ces gages étant devenue
impossible, on vota à l'Hôtel-de-Ville, pour les
porteurs de reconnaissances, une indemnité dont
la répartition a été l'aiie sur des pièces qui se
retro'uvent à la Bibliothèque impériale, section des
Manuscrits. Le reçu de Ghaumont-Quitry s'y produit,
le premier, pour 80 francs ûa boni sur son fusil.
Le millésime 1787 ligure dans la seriurerie de
la porte du 49. En l'absence d'autres documents,
nous regrettons de n'y pas introduire un Jaucourt,
un Boisgelin ou un Ségur : nous chei'chons en
vain rue de Yarenne la place exacte de ces
trois contemporains îles deux Gliainiiont.
124 UUE DE VARENNE.
M"" d'Aiigeiines, dont la vie a Uni avec le
xvni" siècle, a laissé h M. de Vérac la propriété
qui précède le superbe hôtel Monaco. Celui-ci,
dessiné par Corlonne pour le maréchal de Mont-
morency, prince de Tingry, Tut vendu inachevé,
en 1723, à Jacques Goyon de Matignon, comte de
Thorigny. On y revoit, au fond d'un grand jardin,
un petit Trianon, pavillon ajouté par M. de Mati-
gnon, A son fils, pair-dc-France, qui prit le
nom de Grimaldi en devenant prince régnant de
Monaco et duc de Valentinois, ct^tte demeure
donnait pour voisins Roise, conseiller au parlement,
d'une part, et le marquis de Latour-Maubourg, de
l'autre. M. de Quélen, duc de la Vauguyon, ce
lieutenant-général qui devint le précepteur des
quatre petits-lils de Louis XV, n'avait été là que
locataire de Matignon oudeïingry. Mademoiselle,
princesse Adélaïde, a occupé l'hôtel sous la Restaura-
lion ; puis le général Cavaignac, étant chef du
pouvoir exécutif; après cela, M. Raroche, président
du Conseil d'État.
Le su.^noinmé de Fay de Latour-Maubourg,
lieutenanl-générai, avait "^ eu pour prédécesseur
Pliiiipi'.e de Vendôme, le grand-prieur de France,
acquéreur du comte de Tessé en 1719. La duchesse
de Mazarin, née Françoise de Mailly, mais d'abord
femme du marquis de la Vrillière, avait pris pour
son (compte la moitié de la vaste propriété adjugéû-
en 1733 à M. de Latour-Maubourg, après une
saisie pratiquée sur les héritiers du grand-prieur
à la requête de ses créanciers ; si bien que cet
hôtel en faisait deux. I^e premier échut à Duprat,
marquis de Barban<.;on, et ù sa femme, Éléonore
de Latour-Maubourg ; il fut, au proht de eniïmts
mineui's du marquis, vendu au duc de Rohan, qui
devait le partager avec le piince de Monaco, déjà
nommé ; puis il passa Chimay : M""-' Tallien,
grâce au divorce, y enti-a princesse de Chimay.
RUE DE VARENW'E. l>5
Reynaukl, curateur à la succession vacaute de
la duchesse de Mazarin, céda l'autre à Frédéric
de la ïrémoille, prince de Talmond, duc de
Chàtellerault, qui eut pour acheteur eu 1750
Dominique de Rohan-Chahot, prince de l.éon,
président de la noblesse de Bretagne. Ledit hôtel
n'est devenu Montebello que bien après la mort
du maréchal Launes sur le champ-de-bataille
d'Essling. Rougevin, arcliitecte, avait, les deux
immeul)les à sa disi)Osition en Tannée 18^6 ; mais
il perpétua leur divorce en les séparant par une
rue, qui s'appela d'abord Mademoiselle, à cause
du voisinage de la princesse d'Oi'léans, mais qui
prit ensuite le nom de Vanneau, élève de l'école
Polytechnique, tué le 29 juillet 1830 en commandant
l'attaque de l;:i caserne Babylone.
C'est en 1708 que l'hôtel (Wm lace est acquis
par Lacroix, marquis de Casti'ies, et sa lémme, une
Rochechouart-3Iorte;nart, d'Angéliqu(; de Guynes,
veuve de Diifoui', seigneur de iSogent, à l'expiration
d'un l)ail consenti au président Etienne d'Aligre.
Leur tils épouse la lille du duc de Lévis, nommée
dame d'honneur de la duchesse de Chartres sur
la présentation du duc du 3Iaine ; il devient lieute-
nant-généi'ai, maréciial de France, puis ministre.
C'est, nous le raiipelons, c'est à la suite d'un duel
entre Charles de Lameth et 31. deCaslries, mestre-
de-camp de cavalci'ie, qui a blessé son adversaire,
que tout un peuple excité se poiie rue de Varenne,
le 13 mars 1790 : l'hôtel est mis à sac, et, au
bout d'une demi-heure, il n'en reste plus que les
murs, avec des monceaux de débris. Des petits-
neveux du maréchal occupent de nos jours la
maison.
M"'' Desmarcs crée un liôlel au commence-
ment du wnr siècle : le plan en est dressé ])ar
Aubry, ai'ehitectc du roi. Elle dilïëre tellement de
M"* Guimard, avec huptelle des historiographes la
12() RUE DE VARENNE.
confondent, que, In première, elle joue le principal
rôle (VAthaiiecl celui ôeS(^m>ramis. Les amoureuses
(le (îomédie sont égîilement dans ses cordes, et,
grâce à ses talents de rechange, l'emploi des
soubrettes lui vaut encore les suffrages du public.
Vive, jolie, intelligente, M"- Desmares obtient des
succès à la ville, "auxquels elle sacrilie ceux de la
scène en n'ayant encore que 39 ans ; mais ce n'est
qu'une demi-retraite, car elle jone encore h la
cour et sur des tlii^àtres de société, où de vrais
seigneurs lui donnent la réplique. Hoguier, baron
de Presles, devient ensuite propriétaire de la même
maison, dont il est exproprié par des créanciei's,
alors que l'ambassadeur d'Angleterre l'occupe, et
dont se rend adjudicataire le duc deVilleroi, qui
en augmente les proportions. Ce gouverneur de
l'enlant-roi était un favori de Louis XIV ; le duc
du Maine, moins heureux, a vu passer en d'autres
mains la sui'intendanee de l'éducation de Louis
XV, que lui conhait le testament royal. Aussi
bien Villeroi ne refuse pas à son élève un exemple
dont le roi défunt se montrait encore moins
avare: il est lié publiquement avec la spii'itnelle
et belle M""^ de Caylus. Ne voihVt-il pas des
précédents un peu légers, pour un immeuble qui
maintenant est de ceux qu'on pi-end le plus au
sérieux? Il se trouvait déjà ministériel au départe^
ment du Commerce, lorsque lui a été confié le
portefeuille de la Police générale ; la présidence
du Conseil-d'Élat a quitté depuis sept ans l'hôtel
Monaco, pour nous l'emettre ici en présence de
l'avocat distingué qui est le chef de ce grand corps
de l'État?
Notre 59 est fouvrage du duc de Fornari, un
Sicilien, mettant ses talents d'architecte' au service
du marquis Chailes d'Étaaq)es. Le cardinal de
Polignac l'habite i)endant la Régence, h l'époiiue
où la conspiration de Collamare recrute plus d'un
RUE DE VARENXE. 157
conjuré rue do Varenne. Cet auteur de 1'^?/^/-
Lvcrêre, poëme latin, que commence à traduii-e
le duc du Maine, occupe le lautcuil de Bossuel à
l'Académie. Comme ambassadeur de Louis XIY, il
a pi'is h Utreclît une revanche de précédeiites
humiliations, en traitant avec l'Angielerre sans
l'assejUimeiit de la Hollande, et c'est alors
qu'il a répondu aux néi;ocialeui's du pays, qui
essayaient de l'écarter: — Nous traitons do vous
et chez vous; mais il faut qu(î ce soit i^ans vous...
Le successeur de M. d'Élampes est le marquis de
Mézières-Bélhisi, que Saint-Simon nous représente
comme u)) èlre vaniteux et dilVorme, ayanL épousé
une Anglaise dont la mère a été blanchisseuse de
la reine, femme de Jacques IL Cette marquise,
qu'on ose appelci' M"'' de Mézières, comme si elle
n'était pas femme de qualité, fait restaurer par
Dulin son hôtel. L'un de ses enfants devient
lieutenant-général et gouverneur de Long^Yy, tout
en cultivant les lettres et les arts. Des Rohan,
alliés aux Mézières, les remplacent quelque temps
à l'hôtel d'Étampes-Mézières-Montauban.
Le 6ô'-67 a été fondé, mais plus tard que les
habitations qui l'environnent, par la marquise de
la Suze et la vicomtesse de la Rochefoucauld,
grand'nière du duc de la Rochefoucauld- JJoudeau-
ville. Cet auteur de Memorcs en cours de publi-
cation habite maintenant riiôlel : il y est né.
Si nous cherchons sur le plan de Comboust
l'immeuble où M. Ducbâtel, ancien ministre, réside
en ce temps-ci, nous y trouvons la plaine de
Grenelle ; mais Lacaille nous montre, dès 1714,
l'hôtel deChàtillon, qui n'est pas autre. L'architecte
Leblond Ta bâti pour la sœur du duc de Chevreuse,
qui venait d'épouser, quoique jeune, un vieillard,
le marquis de Seissac, grand-maître de la gai-de-
l'obe. Ce mari avait pour le noir ime aversion,
qui lui survécut poiu" sa l'emme et (pii la (lisi)cnsa
1-2N RUE DE VARKNNE.
(lu (leuii. Au lieu de M"'" de Seissac, qui faisait
empleUe plus lard de la maison de Lauzun à
Passy, la rue do Varenne logea la duchesse de
CluUillou, dame d'atours de Madame. Louis de
Bourbon-Coudé, eomle de Clermoiit, eutra posté-
rieurement en possession. Il jeta le l'roe aux orties,
pour se distinguer h Fonlenoy, et voulut même
ôtie d« rAcadémie. Pour un pi'ince du sang,
n'était-ce pas un peu déroger ? L'égalité commençait
au liiuteuil ! Pendant que M. de Clermont, ses
bénélices résignés, allait finir sa vie plus loin du
monde, son liôtel devenait d'Orsai. C'était vers
1815 riiabitalion d'Armand Séguin, économiste et
louinisseur des armées, ami de Fourcroy et de
Berlhollet, mais qui l'était aussi d'Ouvrard, qu'il
fit écrouer pour une dette s'élevant à 60 millions.
A la tète d'une immense fortune, Séguin était un
grand original, un UKirquis de Brunoy parvenu !
M. Barbet de J('uy, en 1838, a pris sur la propriété,
qui se trouvait "^ alors entre ses mains, de quoi
ouvrir la rue poilant son nom, et qu'il a défrayée
de pavé, de trottoirs, de bornes-fontaines et de
conduits pour le gaz, en acceptant l'interdiction
d'y élever des bâtiments au-dessus de 16'", 50.
Remarquez-vous que dans cet historique il y a
un blanc pour le |)remier empire? L'hôtel aurait-
il échappé aux billets de logement que le maitre
signait alors au profit de hauts dignitaires, qu'il
défrayait aussi du train de maison? Oh! il était
tombé an sort, dans cette conscription des hôtels,
à en juger par la nombreuse livrée que l'on y
voyait dans son neuf. N'était-elle pas au service
de son Excellence Bigot de Préameneu, l'un des
auteurs du Gode, fiue Napoléon avait fait ministre des
Cultes? Cet ancier avocat au parlement, qui avait
(Hé député à l'Assemblée législative, resta au
pouvoir jusqu'à la Restauration ; mais l'ancien hôtel
d'Orsai cessa pi-obablement d'être ministériel avant
RUE DE VARENNE. 129
la fin de l'Empire. L'hôtel de Préameneu était
le n°17 de l'année 1812, et il y en avait un de
Bénévent, numéroté 23, que nous liésitons plus
encore à reconnaître. Son altesse Talleyrand avait
perdu en 1807 le portefeuille des Aflaires-Étrangères,
pour avoir b.âti d'autres châteaux en Espagne que
ceux de l'empereur ; mais il avait reçu, outre la
principauté de Bénévent, le titre de vice-grand-
électeur, avec 300,000 Iraiics de traitement!
Le comte de Langonnay a précédé la famille de
Brotrlie, dans un hôlel édifié en 1704 près ceUii
de Châtillon et embelli an bout de sept années
par Bofifrand. En 1815 y résidait Lebrun, prince
de Plaisance, archi-trésorier (leTEmpiie, qui avait
gardé son fauteuil de sénateur à la chambre des
Pairs de Louis XVIII quand la nouvelle du retour
de l'île d'Elbe vint le surprend le, comme tant
d'autres! M. Valette, son secrétaire, en l'abordiint
dans le jardin, lui rendit aussitôt un titre qu'il
avait cessé de porter : — Comment se porte Voire
Altesse ? — Moi, je vais bien, lui répondit Lebrun ;
mais mon altesse îi la migraine Toutefois, pen-
dant les Cent-Jours. l'ancien consul J^ebrun était
grand-maître de l'Université: au milieu même de
ses grandeurs, il avait toujours fait état de sa
qualité d'homme de lettres.
Dernier hôtel de la rue deVarenne. îl eut poui-
architectes Gabi-iel et Aubert, dont le client était
Peyrenc de Moras, chef du conseil de la maison de
Cohdé, inspecteur-général de la Banque. Son altesse
sérénissime la duchesse du Maine, princesse vive et
ambitieuse, pelite-lille du grand Condé, que la
conspiration découverte par Dubois avait éloignée
de la cour, ne reparut qu'en 1721 ; son mari
l'accusait de ses malheurs et de trop dépenser :
elle acheta donc, toute seule, mais à vie, la maison
Moras. L'excellent accueil que tous deux faisaient
aux poètes, aux benux-'espril s du temps, les aidait
130 RUE Dl-: VARENNS.
à se consoler séparément de leurs disgrâces ; cette
passion qu'ils avaient pour les lettres finit même
paries j-approclier, dans le brillaul domaine de
Sceaux. La duchesse mourut à 77 ans, dans son
liôlel, où le maréchal de Matignon la remplaça.
Néanmoins Gonlaut duc de Biron. lieutonant-
général, colonel des gardes-françaises, achetait
des héritiers d'Anne Farges, veuve Moras. Lauzun,
qui ne signa duc de Biron qu'en 1788, s'installait à
l'hôtel en revenant d'Amérique, épris des libertés
qu'il avait contribué ù rendre au Nouveau-Monde.
Aux États-Généraux, le déj)uté Lauzun était encore
l'ami du duc de Chartres, et tous deux eurent
la même lin en 1793. L'hôtel, dont les jardins
avaient été publics à certaines heures, sous l'ancien
régime, servait de geôle sous la Terreur, comme
succursale du Luxembourg. Maintenant, c'est le
Sacré-Ctt'ur qui en occupe les bâtiments.
Rue de Béarii,
de la C!iaiisséc*de*<t-illiiisiiie*4. (i)
Se l'estreii^iiaiit à une sorte de carré, elle l'ormait
comme une boîte dont une maison dite \\à Pavillon
de la Reine, sur la place Royale, iigurait le couvercle,
ouvert îi angle droit, avec les arcades du Pavillon
pour cliainièi'es. Commencer à la place Royale pour
aboutir rue des Minimes, n'éiail-cc mesurer plus
de longueur que de largeur? Elle n'en avait pas
moins porté la dénomination de rue du Parc-Royal,
en mé noire du parc des Tournelles, lors de son
ouverture, en 1607, à la place d'un cliemin bordé
par des terrains appartenant aux seigneurs de
Vitry. De I8O0 date son prolongement sur l'emplace-
ment de l'église des Minimes. Les religieux de cet
ordre avaient eu tout près une bibliothèque îi citer*
Le bureau de bientaisance de l'arrondissement
occupe le n" 10, qui dépendait jadis du couvent des
Hospitalières, dont une impasse garde le nom (2).
Fondé en 1624 pour donner du soulagement à de
pauvres fdles et iémmes malades, cet établissement
fut fermé en 1792 ; mais il est remplacé depuis
lors, au-delà du cul-de-sac, par une tilature à
l'usage des indigents, qui appartient à l'administra-
tion générale de l'Assistance-Publique.
Au commencement du règne de Louis-Philippe,
le second étage du li" 5 se complaisait à tenir
clos et couvert un vieux ménage, dont la mai-
son restait l'aînée assurément, mais qui avait déjà
célébré depuis huit ou dix ans ia cinquantaine.
(1) Notice écrite eu 1858. L ancieune oliaussée ues
Minimes n'avait pas encore pris le nom d'une ancienne
province.
(2) Maintenant impasse de Béaru.
132 RUE DE BEARN, ETC.
Sous les auspices de leur oncle commun, Jacques
Verbereclit, sculpteur du roi, demeurant rue Basse-
du-Rempart, le cousin Pion avait, obtenu en cour
de Rome les dispenses nécessaires pour épouser
la cousine Dorothée Verl)ereclit. Ce vieux couple
amoureux, tout au moins de ses habitudes, dniait
sur le coup de deux heures et, une t'ois ou deux
par semaine, M""^' Mongolfîer prenait place à la
table. Quand le couvert de ce convive se trouvait
mis en pure perte, les époux Pion mangeaient et
dormaient mal; ils ne digéreaient l'afïront fait à
la fortune du pot qu'en recevant, le lendemain,
des explications ou des excuses, qui, d'ailleurs,
étaient si valables que l'affaire s'arrangeait toujours.
Une fois même l'accident qui avait fait manquer
le rendez-vous donnait à craindre de dangereuses
récidives. En montant dans un omnibus, la bonne
dame avait commencé par se tromper de diriiction ;
elle avait, d'autre part, oublié de se munir des
o sous, prix d'une place alors dans ces voitures,
et, pour surcroît, en mettant pied à terre, à
rexti'émilé de la ligne, elle avait^ senti le vide
se faire absolùaicnt dans sa mémoire, bien qu'on
pût la teirir jusque-là poui' une femme de sens
et douée de présence d'esprit. — Votre nom? lui
demanda une dame, qui venait de lui prêter cinq
sous. — C'est singulier, c'est a.fTreux, lui dit-elle;
je ne m'en souviens plus du tout. — Votre adresse ?
— Je ne la sais plus... M""" Mongoltier s'était assise
sur une chaise, à la porte d'un pâtissier, et elle
s'y mettait l'esprit à la torture sans en tirer le
moindre souvenir; heui-eusement quelqu'un passa
qui la reconnut, qui l'appela par son nom, en
demandant ce qu'elle faisait \l\. Aussitôt, le nuage
se dissipa et la conscience de soi reparut. Mais il
était trop lard pour que M""-' Monlgoltier se rendît h
l'invitation du couple Philémon et Beaucis de la
chaussée des Minimes.
Rue des Petiies-Éeuries. (i)
M'"« la comtesse Gudin, veuve d'un général de
l'Empiré, habite le 56 de cette rue depuis l'époque où
la paix de Tilsitt était conclue avec les Russes
par le maréchal Ney, dont la iamille demeurait au
52. L'armée d'Espagne attendait Ney, qui fit ensuite
la campagne de Russie. M, Garaot, dont nous croyons
que le maréchal était parent, et qui a rempli les
fonctions de préfet, possédait alors la maison,
dont M. de Lathan, officier aux gardes-françaises,
avait été le créateur en l'année 1783; M. François
Collier, banquier, puis membre du conseil municipal
de Paris, s'en rendit acquéreur sous la Restaura-
tion, ainsi que du 54. M. André, associé de
M. Collier, et qui lui a donné son fds pour gendre,
a occupé de même le 46. Or la plupart des hôtels
qui se suivent sur cette fde et sur l'autre le 51
doivent* à des rapports de style et d'âge d'être
attribués en masse à un architecte du comte
d'Artois, qui n'aurait travaillé pour lui-même
qu'au 48. Cet immeuble a été le théâtre d'un
crime sous Louis-Philippe : l'assassinat des époux
Maës. Un autre, à M. Paravey, peut se qualifier
rétrospectivement hôtel d'Aumonl. On a considéré,
d'ailleurs, comme signé par Ledoux en 1780 un
hôtel sis â l'angle de la rue du Faubourg-
Poissonnière et que cet architecte a habité, en
sortant d'un i)avillon aux pères de Saint-Lazare ;
mais ledit hôtel a été d'Espinchal avant la Révolu-
tion : la cour y séparait deux portes cochères
(1) Notice écrite en 1860.
134
RUE DES PETITES-ECURIES.
d'un vestibule rond à six colonnes. Mais ce n'est
pas Ledoux, u'est Bellanger que le comte d'Artois
avait principalement pour architecte.
Tous les immeubles circonscrits par les rues
des Petites-Écuries, du Faubourg-Poissonnière, de
Paradis et d'Hauteville ont eu, sans exception, pour
origine foncière uu marais vendu à Goupy, entre-
preneur des bàtiments-du-roi, moyennant 70,000
livres, par les filles-Dieu. Il avait fallu à ces dames,
pour aliéner ledit terrain, des autorisations spéciales,
à commencer par celle que leur avait donnée, en
1771, dame Jnlie-Sophie Gillet de Pardaillan d'Antin,
abbesse de Fontevrault : le couvent des filles-
Dieu était de l'ordre de Fontevrault. Les deux rives
de l'ancien égout de ceinture appartenaient encore
à ces religieuses au moment de la transformation
d'un chemin de l'Ancienne-Voirie-de-Saint-Denis
en rue des Petites-Écuries. Il n'en était plus de
même en 1738, d'après cet établissement de
situation :
6aticlje :
Jardin à Ledru.
Marais à M™» Pêcheur.
Id.k M"" de Chamjieron.
Id. à Ledru.
Grand marais à Michel
Nugue.
Marais aux filles-Dieu.
BvolU :
Maison à Drouin.
Dépôt du pavé de la Ville.
Maisonnette au sieur
Guenon.
Id. au sieur Buzelin.
Voirie de Saint-Denis.
Marais aux filles-Dieu.
Mais plusieurs lots avaient ensuite fait retour
au couvent, puisqu'il était propriétaire du sol
plus ou moins nu des n"' 1, 3, 5, 7, 9, 11,
et de plus encore, mais plus loin, lorsque Verne,
contrôleur des Petites-Écuries, fit couvrir l'égout
de ceinture, en 1769, sur toute la longueur de la
voie, après avoir obtenu l'agrément du bureau de
la Ville à cet égard, Bignon étant prévôt.
Des chevaux et des voitures du roi avaient leurs
RUE DES PETITES-ÉCURIES. 135
écuries et leurs remises au 15, où se trouve l'une
des deux entrées de la cour dite encore des Petites-
Écuries. La surveillance en était confiée au con-
trôleur, qui faisait du 13 son hôtel. Derrière lui
demeurait Aubert, sculpteur, peintre et doreur du
roi, et son cabinet n'était pas l'une des moindres
curiosités de Paris. Il y avait jusqu'à un chapelain
et une chapelle aux Petites-Écuries. Ne dit-on
pas sur les lieux que Ninon y avait tenu d'abord
sa cour galante ? Dans les roues d'une tradition
qui a fait son chemin sans bruit, ne jetons pas,
en guise de bâtons, que cette femme célèbre du
xvn*" siècle avait déjà fermé les yeux avant que la
rue lut ouverte. La cour des Écuries, qui a pu
être un jardin pour Ninon de Lenclos, a toujours
eu sa porte principale sur la rue du Faubourg-
Saint-Denis. De ce côté, pas d'anachronisme.
A la rue des Petites-Écuries, qui aboutit près
du Conservatoire, il manquerait à coup sûr quelque
chose si la musique n'avait pas voix au chapitre
de ses souvenirs. Méhul, vers la fin de sa vie,
demeurait au n° 40. Cet ancien élève de Gluck
mourait à-peu-près au moment où se fêtait la
naissance d'un héritier présomptif de la Couronne, et
quelle fête peut aller sans musique ! Il s'ajoutait alors
un intérêt de circonstance au mérite si bien reconnu
de l'ouverture du Jeune Henri, et la musique du
Chant du Départ, dont Méhul était aussi l'auteur,
paraissait avoir fait son temps. Une autre
maison de la rue nous mettrait vis-à-vis d'Alard,
virtuose de nos concerts.
Rue du Neniier. (d)
Laissons à la rue de ' Cléry l'habitation de
jyjme vigée-Lebrun, dont la galerie de portraits
historiques relie le dernier siècle au nôtre. Mais
son mari a fait bâtir sur les dépendances du
même hôtel une maison, que revendiquerait la rue
du Gros-Chenet si cette rue ne s'était pas fondue
en 1849 dans celle dont voici la notice. Le n° 8
que vous voyez a fait ainsi partie de l'hôtel Lebrun.
Sa façade se trouvait inférieure d'un étage au
niveau du jardin, dont la terrasse reposait, vers
le coin de la rue de Cléry, sur un pan de l'ancien mur
de Paris.
Du 10 M'"'' de Bonfils était "^lors propriétaire,
et il appartieut de nos jours à M'"' Chapsal, veuve
du grammairien.
N° 12. — M"'^' de Staël a habité cette propriété,
dépendance de l'hôtel de M. Necker, dont nous
parlerons aussi rue de Cléiy.
A l'angle de la petite rue Saint-Roch, rallonge
mise de nos jours à celle des Jeûneurs, le comte
de Montault avait été propriétaire, sous le ministère
du cardinal Fleury. La neuvième propriété qui
venait à la suite était un jeu de boules, après
lequel Milieux avait une maison, donnant aussi
rue Poissonnière, puis Jean Douart, architecte, sa
demeure. A gauche il ne s'élevait encore, entre la
rue des Jeûneurs et le Rempart, qu'une ou deux
constructions et puis des murs. C'était la rue, dans
(Ij Notice écrite en 1860.
RUE DU SENTIER. 137
toute la longueur que lui donnaient déjà, mais
sans maisons, les plans de 1714 et de 1652.
Le 23 a été à la disposition du président
Hénault, surintendant de la maison de la reine, puis
de la maison de la Dauphine, et membre de l'Académie-
Française, qui, n'ayant pas d'enlants, laissa ses
biens, en 1770, à ceux de la comtesse de Jonzac,
sa sœur. Cette dame avait tenu la maison de son
frère, dont les soupers réunissaient une brillante
société. Il avait écrit, outre son Abrégé chronologique,
des comédies, des poésies et un grand drame en
prose, François II, dont M. Mérimée a donné,
dans ses États de Biois, le pendant.
Vers le même temps, le 27 appartient à M. de
Saint-Robert ; le 29 et le 31, à M. Le Fèvre,
magistrat, et il s'y fonde plus tard, en l'an vn,
une banque territoriale, qui prête sur les biens-
fonds la moitié de leur valeur, en émettant
des traites; mais l'affaire, au lieu de réussir, va se
liquider péniblement rue Notre-Dame-des-Victoires.
Aujourd'hui l'hôtel contigu est divisé ; reportons-
nous, pour le revoir tout battant neuf, à l'époque
où le fermier-général Lenormant d'Étiolés y reçoit
sa jeune épouse. M'""" Poisson, dont cette union
fait déjà la fortune. Mais elle devient M™" de
Pompadour, et l'époux s'en console en face. La
petite-maison du financier se cache encore de
nous au fond du n° 24, avec un balcon sur la
cour et un jardinet par-derrière : des médaillons
de Boucher y font cercle avec des médaillons de
Fragonard, dans un salon ovale. M. d'Étiolés, une
fois veuf, épouse la D"'^ Rem, iille d'Opéra, sur
cet autre versant de la rue. A la bonne heure
celle-là ! On la chansonnera à discrétion, sans avoir
la Bastille à craindre. Et un quatrain de commencer
l'attaque :
138 RUE DU SENTIER.
Pour réparer Miseriam,
Que Pompadour fit à Ja France,
Lenormant, ploin de conscience,
Vient d'épouser Rem puhlicam.
Mais ne voihVt-il pas que l'ex-danseuse rend son
mari des plus heureux ! Il va donc publiant que
si, en premières noces, il a eu le malheur de
tomber sur une femme honnête qui est devenue
une catin, le contraire cette fois a lieu. Comme
il donne de très-beaux concerts rue du Sentier,
M'"*" de Coislin s'y risque, entraînant d'autres
grandes dames, et la maîtresse du logis en fait
les honneurs avec une si chai-mante modestie
qu'elle se trouve acceptée par un monde qui s'était
d'abord bien promis de ne la pas prendre au
sérieux. De ce mariage naît une fille, qui, devenue
M'"^ de Linières, habite le côté des numéros im-
pairs et vend l'autre propriété, en 1801, îi M. Bonnet,
avocat, dont la veuve y reçoit encore ses visites.
Cette dernière maison tient, sous Louis XVI,
à M. Chauveau d'une part et de l'autre à M""" Janvier,
que suit M. de la Renaudière. Après se carre le
bel hôtel du président Masson de Meslay, échevin,
et qui peut provenir de Jean Douart; il passera au
chancelier Dambray, à Holtinguer, banquier, puis
aux Legentil, du commerce des nouveautés, avec
le chiffre 32 sur la porte, plus des plaques de
marchands en gros, comme il n'en manque nulle
part rue du Sentier.
Rue des Colonnes, (i)
M. Rousseau n'est ni marié ni prêtre ; peu lui
importe, lorsqu'il va prendre en ville des notes
sur les maisons anciennes, qu'un gros numéro ça
et lii accuse une spécialité qui ne l'attire ni ne le
fait reculer. Paris n'est pas t'ait tout d'une pièce ;
les traditions qu'on y recueille ne prêtent pas
toujours à rire, nous ne leur demandons que
d'être intéressantes, sans les chicaner sur le
reste, et la méthode synthétique, dont le caractère
convient éminemment à des recherches historiques,
aide ci recomposer un tout, quelque distincts qu'en
soient les éléments. Nous ne sommes exclusive-
ment ni collecteur d'anas, ni archéologue, ni
généalogiste, ni biographe, et si nous pouvions
réunir en nous-même un bénédictin, un rat de
l'Université, un critique et un peintre de mœurs,
quelle ambition complètement assouvie ! En atten-
dant, le gibier que nous chassons nous entraîne
par monts et par vaux : c'est principalement un
oiseau rare, l'inédit. Chasse qui menaçait de se
perdre, comme la fauconnerie s'est perdue. L'his-
toriographe, depuis trop longtemps, n'a plus rier.
d'un oiseau de proie, qui fend la nue avant de
raser la terre ; il élève plutôt des lapins domestiques,
afin d'en régaler de petits gourmands, dont c'est
tout le gibier. Notie piqueur bat les rues de porte
en porte, pendant que nous explorons des fourrés
(1) Notice écrite en 1859. L'ouverture de Ja rue du
Dix-Décembre n'a que postérieurement tranché la tête
à la rue des Colonnes,
140 RUE r>ES COLONNES.
plus épais, savoir : les archives de la Ville, de
la Police et de l'Empire, puis les Bibliothèques,
pour mettre d'accord nos propres découvertes
avec celles de nos devanciers, qu'il nous faut
parfois rectifier.
Des trois ou quatre maisons de commerce
faisant la place aux alentours, et qui valurent à
la rue des Colonnes certain renom de foire aux
amours, une seule a été retrouvée par le prud'homme,
notre envoyé. La matrone en pensa mourir sous
une voiture, durant l'Exposition universelle, dont
le succès fit valoir jusqu'à ses produits : depuis
l'accident elle est estropiée. Ce nom, trop connu, de
Buquet qu'elle affiche dans son escalier, n'est
pas le ^ sien; il n'a même pas appartenu h sa
devancière, courtière sous le manteau, qui l'avait
emprunté d'un négociant américain, le protecteur
en passant de sa jeunesse. La famille exotique
de ce négociant ne se doute peut-être pas de
la notoriété parisienne dont elle aurait si peu lieu
de s'enorgueillir. La soi-disant M'"'= Buquet était
d'abord marchande de vin et locataire de l'actrice
Emilie Comtat, à côté du théâtre Feydeau; elle
avait alors pour concui'rent, au coin des rues
Feydeau et des Colonnes, un bonhomme dit père
la " Perruque, ci-devant portier de Robespierre
dans une maison de la rue Saint-Honoré. M. Hen-
nette, directeur du cadastre du département de
la Seine, a fait bail à l'ancienne marchande de
vin, rue des Colonnes, n" 3, d'une propriété
qu'avait vendue en l'an vni au sieur Chanteloup
l'architecte Bénard.
Ce dernier avait édifié, en société avec Fichet,
trois maisons touchant l'une à l'autre, sur l'em-
placement de l'hôtel de Verneuil, acquis de la famille
de Baudecourt par Bénard et Fichet, avec obli-
gation de suivre un plan mis au cahier des
RUE DES COLONNES. 141
charges. Les galeries bordant la rue sont, en
effet, les mêmes sur les deux rives ; mais, outre
les sculptures identiques, on peut remarquer, n"
5, des gerbes représentées en piei're, et qui
d'abord étaient dorées; le boulanger dont la
boutique est Ik fit les frais, il y a trente années,
de ce décor emblématique. II est dommage que
toutes les industries n'aient pas pris le parti, dans
la rue, d'exposer de pareils attributs, pour se
distinguer l'une de l'aulre. Longtemps il y eut
n'' 8 une dame qui offrait, par la voie des journaux,
d'excellents partis aux célibataires ; elle avait pour
état de négocier des mariage?. Par malheur on
se trompait souvent, faute d'enseigne, et qui peut
même certifier que les jeunes gens à marier
n'entraient pas au n" 3?
Il est constant, au reste, que la rue n'était
premièrement qu'un passage ; les héritiers de
Chaspon de Verneuil eurent, par suite de licitation,
le citoyen Baudecourt et plusieurs antres pour
successeurs, comme propriétaires fonciers, en
1792. Ces détenteurs pétitionnèrent pour être
autorisés à supprimer les grilles et à faire une
rue du passage; le théâtre Feydeau ne pouvait
qu'y gagner un débouché pour les voitures, et
d'ailleurs les propriétaires offraient de se charger,
pour la rue, comme ils faisaient pour le passage,
de tous les Irais d'éclairage, de pavage et de
nettoyage, en un mot d'entretien. Une déclaration
du lO avril 1783 s'opposait à ce qu'une rue
nouvelle lut ouverte avec une largeur de mo'.i-s
de 30 pieds ; mais M. de Baudecourt et consorts
eurent raison de cette difficulté, en prouvant que
la rue des Colonnes mesurait 42 pieds, pourvu
qu'on comptât ses galeries, et l'an vi vit exaucer
leurs vœux.
Rue du Colisée. (i)
Le Cotisée et son Puhtic. — M. de La Ferté. —
Le Duc cCUzès.
Autrefois le chemin des Gourdes serpentait
entre des marais; ce sentier, élargi et redressé
en 1769, devient ainsi la lue du Colisée. Une
rotonde est eu construction, entre la rive droite
de la rue et le rond-point, dit la première étoile
des Champs-Elysées. L'amphithéâtre en rappelle,
il est vrai, le grand édifice romain qui a inspiré le
crayon de Lecamus ; toutefois il est disposé
principalement pour ces luttes parisiennes dont les
gladiateurs ne rivalisent que d'envie de plaire,
et 16 arpens permettent d'entourer le nouveau
cirque d'un jardin assez vaste, assez varié, assez
wn^ siècle pour en faire une encyclopédie de
séductions. Un projet primitif, caressé par Greuze,
affectait surtout ce Colisée aux expositions de
peinture de l'académie de Saint-Luc, lesquelles
n'y auront lieu, un peu plus tard, qu'accessoire-
ment et comme par occasion. La destination
avérée n'est plus la même. N'y a-t-il rien de
dû au duc de Choiseul dans cette concession
faite aux susceptibilités jalouses de l'Académie
royale de peinture et de sculpture? Lecamus
est bien l'architecte ordinaire de cet homme d'État,
qui a même eu à son service l'un des autres
auteurs du projet qui s'exécute, le nommé Corbie,
ancien domestique de la famille de sa femme.
(l) Notice écrite en 1859.
RUE DU COLISEE 143
née Duchâtel. Monnet, ancien directeur de l'Opéra-
Comique, est également de 1 affaire. Le sieur Le
Rouge y reste-t-il beaucoup plus étranger? La
description topographique du Colisée, par cet
ingénieur-géographe du roi, empêchera bientôt
d'oublier qu'il a coopéré à l'œuvre.
Aussi bien la comtesse de Langeac préside, en
1770, avec le duc de la Yrillière, son protecteur,
et le chevalier d'Arcq, son protégé, aux premières
fêtes que donne ce vauxliall des Champs-Elysées.
Il y a Colisée en été, tous les jours fériés, de
4 heures à 10 heures du soir ; des lampions le
constatent, échelonnés dans l'avenue de Neuilly,
à partir de la place Louis XV, et dans l'avenue
de Marigny. Trente musiciens, d'uniforme vert
et or, composent l'orchestre à l'ordinaire ; mais
chaque jeudi a lieu une plus grande fêle, avec
surcroît de personnel concertant, et ces jours-là
le prix d'entrée se double, ce qui le fait monter
h 3 livres. Une pièce d'eau pour les joutes et
un espace découvert pour les feux d'artifice, que
tirent Séguin, Morel, Torré, virtuoses de la
pyrotechnie, sont environnés de pelouses, que
séparent de larges avenues et que relient des
circuits ombragés, .\ussi bien le bouquet de
chaque fête est une collection nouvelle de fleurs
en pied, semées ailleurs et qui disparaîtront à
peine fanées. Le gazon reverdit, en ce jardin, si
vile et si bien qu'on ne se gêne guère pour le
fouler aux pieds, et des charmilles, quoique rasées
de moins près encore, ménagent aux couples qui
s'y glissent l'étrenne de leur propre barbe. L'ac-
cessoire vient partout en aide au principal, dans
le carrousel aux aventures d'amour que dcaine
périodiquement le Colisée, bourgeois dans ses
après-dinées, mais comme les rendez-vous bourgeois
de l'Opéra-Comique, et plus leste, plus galant à
l'heure du souper. L'œillade, hameçon de la ren-
144 RUE DU COLISEE.
contre, fait des pêches miraculeuses autour du
grand bassin d'enu douce où, par des exercices
nautiques, préludent les divertissements. Enfin,
grâce aux jardins publics, ces encyclopédies vivantes,
la société française fait bon marché d'une étiquette
qui se relâche, et, gagnant des mœurs plus faciles
à ce que les rangs se rapprochent, elle fête,
comme un plaisir de plus, une égalité qui s'y
prête. La même buvette y désaltère la noblesse
et le tiers-état, qui se succèdent là sans amertume;
on commence même à prendre pour une saveur
l'aigreur fermentée de la bière, qui fait concur-
rence aux sorbets. Chez le traiteur du Golisée,
dont le programme se livre à la publicité, « vous
êtes traité à tant* par tête, depuis la moitié d'un
écu jusqu'à un louis, et toujours servi proprement. »
Des princesses et des ambassadrices se donnent
rendez-vous, il est vrai, sur les gradins de l'enceinte
circulaire, sans préjudice pour les familles bour-
geoises, bien que la Comédie-Française et la Comé-
die-Italienne ne soient nullement consignées au con-
trôle. Les divinités du théâtre, qui voudraient faire
du monde entier leurs coulisses, commencent toujours
par les lieux où l'on soupe. Bien qu'elles soient en mi-
norité, leur entrée produit quelque effet, au Colisée
même, sur le public, et celle de M"" Guimard, qui
n'apparaît que rarement et sur le tard, fait ouvrir
grands leséventails, par pudeur ou par jalousie, et
avancer plus d'un carrosse. Signalons deux autres
danseuses, inférieures en réputation, mais qui ne
manquent pas un jeudi. Voyez-vous cette figure
à peindre, mais qui se détache déjà peinte d'un
groupe animé, près de l'orchestre ? Quels yeux
vifs, sans cesse attachés sur ceux d'un maître-
de-ballet, qui se tient auprès de la belle! Telle
est M"'- Lafond, de la Comédie-Italienne, qui aime
éperdûment Vestriss et pour laquelle celui-ci a
quitté M"" Alard, des Français. Jusque-là vous
RUE DU COLISÉjg. 145
ne comprenez guère, n'est-il pas vrai ? le luxe
dont toute sa personne a princièrement pri s l'habitude;
vous seriez plus surpris encore si vous voyiez
l'appartement que cette danseuse, liUe d'un pauvre
petit tailleur, occupe rue Comtesse-d'Artois (i), dans
une maison à sculptures, vis-à-vis la rue Mau-
conseil. Mais remarquez, un peu plus loin, l'in-
tendant de ses menus-plaisirs, qui remplit près
du roi le même otlice ; c'est Papillon de la Ferté.
Derrière M"'' Lafond, voici l'une de ses amies,
attachée aux ballets de la Comédie-Française,
M"'' Vallée, dite Dupin ; ses galants, les compte
qui pourra. J'en remarque pourtant un qui passe,
le seul dont la curiosité ait lini par devenir des assi-
duités : le moyen que vous deviniez qui ! Si je dis tou-
tefois que jamais le pareil de ce monstre n'a franchi
le seuil du Colisée, les habitués reconnaîtront tout
de suite le duc d'Uzès, vieux et petit, bossu en
tous sens, défiguré au point qu'une joue lui
manque et que sa bouche agrandie en dévie.
Presque tous les soirs que Dieu fait, la Dupin
soupe, rue de l'Arbre-Sec, en face de cet allreux
visage, qui fait encore plus de grimaces eu quittant
son état de repos, et que reçoit-elle ? Ah ! ce
n'est pas trop payé : 30 louis par mois, sans
les cadeaux.
Ainsi va le Colisée sous la direction du sieur
Duchesne; mais le privilège en est révoqué dès
1779, en raison du mauvais état des bâtiments.
Puis il reparaît sous ce nom une guinguette
soldatesque, donnant aussi sur le rond- point.
On veut qu'à l'ancien Colisée ait survécu, n" 44,
une manière de pavillon, décoré de. sculptures du
temps ; un pensionnat de demoiselles a occupé ce
petit bâtiment, augmenté par le sieur Gatelouse,
(l) Autrement dite Montorgueil.
146 RUE DU COLISEE.
affermé aujourd'hui par bail à la maison de l'em-
pereur, dont les écuries, rue Monlaigne, remplissent
une portion de l'espace où était le jardin public.
Ce côté de la rue, au surplus, a pour fondement
une tourbière ; on y a bâti sur pilotis ; des débris
de végétaux, accumulés depuis vingt siècles, for-
ment un lit combustible par-dessous.
Au commencement du règne de Louis-Philippe,
la rue comptait plus de chantiers, plus d'ateliers
sous des hangars, plus de jardins qu'en ce temps-
ci. Quelles maisons y voyait-on ? Le 13, populeuse
cité ouvrière, précédée d'une avenue et ouvrant aussi
rue de PoiUhieu, rue d'Angoulême-Saint-Honoré (i);
le 14, le 20, le 26, le 30, et cette dernière
maison, assez petite et racornie, est l'une de celles
qui succédèrent rlirectemenl au Colisée ; le 32, le
34, le 34, le 36, en face desquels a demeuré
Gautier, peintre des équipages du roi, dans une
maison qui a fait place h d'autres ; le 35, aussi
vieux que la rue, quant à son bâtiment du fond ;
le 38 et le 40, construits pour Bonnet, carrossier,
avec l'argent que venaient de lui rapporter ses
fournitures au maréchal Davoust ; le 46, déjà
incorporé aux écuries de la duchesse de Berri,
maintenant écuiies impériales ; le 53, maison
rajeunie d'un demi-siècle par l'enseigne d'hôtel
de l'Aima, qui ne rappelle que la campagne de Crimée.
(1; Autrement dite de Moriiy.
L<es Cours du Couiiucrcc et<le Roueu. (i)
La cour du Commerce sort d'un fossé creusé
pour la défense du [javillon delà porte de Buci;
une portion de cet ancien fossé fut concédée par
le bureau de la Ville, dès l'an 1582, à Jean
Bergeron, capitaine de ses cent archers, auquel
succéda le sieur Bernard, et une autre poition, en
1651, aux frères Leblanc. Antérieurement à l'ouver-
ture de cette cour du Commerce, il n'y avait que des
échoppes et deux jeux de boules à sa place.
Parmi les boutiques de luthiers, de libraires et
de papetiers qui de nos jours la bordent, se
remarque, au n" 8, un cabinet de lecture assez
suivi, formé du temps de la Convention par la
veuve du conventionnel Brissot, qui avait pris un
nom d'emprunt pour utiliseï- de cette façon le
fonds de la bibliothèque de son mari, déjù monté
sur l'échafaud. Dans la même maison était l'impri-
merie de VAmi du Peuple, que Marat avait placée
là, en vertu d'une réquisition de la Commune :
il fallait franchir deux grilles pour arriver aux
ateliers de cette imprimerie. Les travaux n'en
étaient-ils pas dirigés par Brune ? L'imprimerie
de ce futur maréchal de France appartenait du
moins au même quartier et ne s'éloignait pas plus
des Cordeliers : la Bouche de fer s'y composait,
feuille à laquelle collaborait Marat.
Ducellier, membre de la Constituante, avait bâti
en 1773 les n"' 17 et 19, qui ne forment qu'un seul
immeuble, et il en avait acquis le territoire du
(1) Notice écrite en 1859.
148 LES COURS DU COMMERCE ET DE ROUEN.
président de Mesnières. A Lemit, associé de
Ducellier, était échu en partage l'hôtel de Rouen
actuel, quand avait cessé leur état respectif
d'indivision. La famille du constituant fit élever
plus tard les maisons basses qui occupent le
milieu de la cour du Commerce, et auxquelles
tient l'ancien hangar qui est devenu la boutique
d'une blanchisseuse, M""' Lemor. Lh fut laite sur
des moutons une première expérience de la
guillotine, instrument dont l'inventeur demeurait
à la fois cour du Commerce et rue de l'Ancienne-
Comédie.
La propriété qui répond à l'enseigne d'hôtel
Molinié fut habitée par le célèbre Danton, que
Robespierre y lit arrêter, dans l'appartement du
deuxième étage, le 31 mars 1794. Ducellier avait
déjà eu tout près de \h le même conventionnel
pour locataire, mais à une époque où il n'était
encore qu'avocat au grand-conseil. En arrivant au
Luxembourg, et avant d'être mis au secret, Danton
dit aux autres prisonniers : — J'espérais, Messieurs,
vous faire sortir d'ici ; mais je viens partager
votre sort.... Traduits devant le tribunal révolu-
tionnaire, Danton et son collègue Lacroix ne
craignirent pas de jeter des boulettes aux juges
et aux jurés, et quelques jours après l'habitant
de la cour du Commerce, dont on préparait le
supplice, adressait au bourreau cette recomman-
dation suprême : — Tu montreras ma tête au peuple,
entends-lu ; elle en vaut la peine.
Les cours de Rouen, passage composé d'une
triple cour et qui relie la rue du Jardinet à la
cour du Commerce, n'étaient qu'un cul-de-sac en
1714. Leur dénomination nous rappelle que l'arche-
vêque de Rouen eut pour séjour de ville et aliéna
en 1584 des bâtiments qui y datent du moyen-
âge. De même que sur deux points de la propriété
des héritiers de Ducellier, il s'y retrouve le soele
LES COURS DU COMMERCE ET DE ROUEN. 149
d'une tourelle, qui a fait partie des fortifications
du Paris de Philippe-Auguste. Deux petits jardins
suspendus y dominent l'ancien rempart ; un pen-
sionnat de petites filles prend ses ébattements
quotidiens sur ce mur dix fois séculaire. On dit
même que l'ancien hôtel archiépiscopal a été
restauré pour Diane de Poitiers et que la famille
de Rohan l'a possédé jusqu'à la Révolution. Aussi
le nom des trois cours s'écrit-il comme celui des
Rohan quand ce n'est pas comme celui de
la ville normande. Il se peut, en effet, que des
Rohan s'y soient succédé ; seulement nous décou-
vrons qu'en 1743 M. de Marsal, avocat-général,
exerçait là des droits de propriétaire. Des vestiges
de dorure y reparaissent, sous le salpêtre, comme
pour attester une grandeur dont nous voyons,
hélas !. la décadence.
10
Rue du Cliaume. (i)
La Merci. — Le Théâtre. — Hôtel Sourdis-Rostaing .
— Lefebvre cCOrmesson. — Le Gentilhomme trois
fois mort. — La Porte de l'Hôtel de Guise.
Un accord fut passé, en l'année 1370, entre
messire Matthieu de Roquencourt, prêtre, chevalier,
maîlre-d'hôtel de Charles V, au nom et comme
gouverneur de la chapelle de Braque, et frère Luc
Pasquier, procureur des religieux de l'hôpital du
Temple, à l'égard des droits seigneuriaux qui
d'origine grevaient cette chapelle au profit de la
l^lommanderie. On élevait alors la Bastille, et la
ceinture de la ville s'élargissait de ce côté, en
supprimant l'enceinte qui, depuis deux siècles à-
peu-près, se restreignait à l'angle des futures rues
de Paradis et du Chaume, point sur lequel Philippe-
le-Bel avait fait pratiquer la porte de Braque ou
du Chaume. La voie qui nous occupe parait avoir
porté, outre sa dénomination, celle de Grande-
rue-de-Braque jusqu'au \\f siècle; mais, grâce à
Germain Braque, échevin sous Charles VII, les
droits de cens sur la chapelle qu'y avait fondée
Arnould de Braque, son aïeul, se trouvaient amortis
à perpétuité, en vertu de lettres-patentes du roi,
depuis 1447 ; elle était érigée en fief à part. Or
Tristan de Rostaing, en 1566, avait acquis de
damoiselle Deshayes un hôtel contigu à cette petite
église, et une sentence du prévôt de Paris, sous
le règne de Henri III, avait ordonné la production
des titres de propriété ; par suite, le chevalier
(1) Notice écrite en 1858.
RUE DU CHAUME. 151
Tristan s'était vu condamner h payer diverses
sommes au grand-prieur de France, seigneur du
lieu.
Les choses en étaient là, lorsque la reine Marie
de Médicis, qui patronnait les religieux de la Merci,
ou de Nolre-Dame-de-la-Rédemption-des-Gaptifs,
établis depuis l'année 1515 rue des Sept-Voies,
les aida k se transférer dans la chapellenie de
Braque. L'ordre de la Merci avait pris naissance,
dès 1218, à Barcelone, comme congrégation de
gentilshommes qui se consacraient, corps et biens,
à racheter des prisonuiers de guerre ; donc les
étals de service de ces chevaleresques rédempteurs,
ayant saint Pierre de Nolasque pour modèle, avaient
commencé entre la iv croisade et la v^ ; la
règle de saint Augustin leur avait été imposée depuis,
sans que toutefois leur ordre de chevalerie s'effaçât
sous la discipline monastique. L'église de ces pères
succéda, rue du Chaume, à la chapelle de Braque,
vers 1631 ; des tronçons de piliers et une porte
en survivent, de nos jours, chez un marchand de
charbons.
Quant au surplus de leur territoire conventuel,
une portion en avait déjà appartenu, Louis XII
régnant, à leur gouverneur et chapelain, révérend
père en Dieu messire Charles de Haulibois, évéquede
Touriiay. L'adjonction de la moitié de l'ancien hôtel
Rostaing, dit de Sourdis au risque d'être confondu
avec l'hôtel pareil de la rue Chariot, vint donner sa
plus grande extension au domaine de ces religieux. Le
marquis de Mesmes et celui de Ravignan possédaient
le reste de ladite propriété, avant son annexion
à l'hôtel des recettes-générales. Le premier-prési-
dent de Mesmes avait eu, pour sa part, les mêmes
vendeurs que les pères, pour la leur, c'est-à-dire :
Antoine d'Escoubleaux, marquis de Sourdis ; le
chevalier du même nom, dernier seigneur de la
chapelle de Braque, représentant Anne de Flageot,
152 RUE DU CHAUME.
épouse du comte de Serres; la comtesse d'Apeclier;
^froe Françoise des Serpents, épouse de Hugues de
Chasteauneuf, baron de Rochebrune, et la marquise
d'Aligre, lesdites dames d'Aligre, de Château-
neuf, d'Apecher et de Serres étant les héritières
de leur sœur utérine et consanguine, Marguerite de
Rostaing, femme de Flageot, laquelle, avec une
autre sœur, Anne de Rostaing, veuve de René
d'Escoubleaux de Sourdis, avait hérité de Tristan
de Rostaing, leur père. Le n** 15, qui fit précisément
partie de cet hôtel de Rostaing-Sourdis, sur les
dépendances duquel la rue Rambuteau commence
son parcours, porte écrit sur un médaillon :
R. P. de la Merci. Reconstruit de il^l à 1731.
Godeau, architecte.
Il y avait déjà un siècle et demi que ces révérends
pères étaient rue du Chaume, dans la circoncription
de la paroisse Saint-Nicolas-des-Champs, lorsque
Christophe Dimier, commandeur de l'ordre royal
et militaire de Notre-Dame-dela-Merci, et Jean-
Jacques Aubert, docteur en théologie, procureur
de ladite communauté, renouvelèrent au comte
d'Artois, grand-prieur de France, à cause de sa
commanderie du Temple, la reconnaissance cen-
sitaire imposée autrefois au sire de Rostaing.
Église et monastère furent mis aux enchères,
les 15 brumaire et 9 nivôse an VI. Le réfectoire
des pères se transforma bientôt en une salle de
spectacle, sous la direction d'un sieur Cabanis.
Pendant que Martinville et Barba, qui devinrent l'un
journaliste et l'autre libraire, jouaient tout d'abord la
comédie au théâtre de la Cité, Lagrenée fils débutait
sur la scène de la rue du Chaume, tant comme
auteur que comme acteur.
L'autre angle de la rue de Braque appartenait,
sous Louis-le-Grand, au président Bailleul. Mais
Duret, médecin de Charles IX et de Henri III, avait
RUE DU CHAUME, 153
fait bâtir la maison. Guy-Patin a dit de ce prati-
cien, mort de l'opération de la pierre :
Car si la taille i'a fait vivre,
La taille aussi l'a fait mourir.
Au n'' 5 grande porte, ornée de mascarons,
et vieilles ferrures, servant de rampe à l'escalier,
ainsi que de grilles aux croisées. C'est, ma foi,
l'ancienne résidence d'André Lefebvre, seigneur
d'Ormesson, conseiller au grand-conseil, commis-
saire de la Cliambre ardente ! Ce membre d'une
famille de grande robe avait été formé aux belles-
lettres par l'abbé Fleury, qui avait composé pour
son instruction une Histoire du Droit français ; il
eut nombre d'enfants, notamment une tille qu'épousa
le chancelier d'Aguesseau et une autre à laquelle
s'unit François Feydeau, seigneur du Plessis, maître-
des-requêtes. Cefle-ci laissa l'hôtel dont il s'agit
au président Feydeau, son fils. La marquise du
Quesnoy, née Feydeau, passa ensuite un certain
nombre d'années au même endroit ; puis Nicolas
Vernier, membre du grand-conseil.
Ne serait-ce pas au 2 que M. France de
Croisset avait, un peu plus tard, son cabinet d'histoire
naturelle ? Comme le plan de Paris en 1739 ne
fait commencer la rue du Chaume qu'au coin de
celle de Paradis- au-Marais (i), en ajoutant ù celle
de l'Homme-Armé le bras de rue qu'il retranche
de la nôtre et où se trouve ce n" 2, aussi bien
que le n" 5, il y a marge pour quelque incertitude.
N'en sont pas exempts les cochers, à l'époque
même où nous tenons la plume ; lorsqu'ils chargent
pour la rue du Chaume, ils oublient une fois sur
(1) Voir la notice de cette rue, actuellement des
Francs-Bourgeois.
154 RUE DU CHAUME.
deux qu'elle prend sa source rue des Blancs-
Manteaux, et la faute n'en serait audit plan que
si les cochers s'occupaient d'archéologie.
Nous nous leconnaîtrions toujours mieux au n" 4,
si une construction moderne n'y remplaçait pas
un séjour contemporain de l'hôtel Duret. Y résidait
noble homme Fi-ançois Civille, qui prit dans plu-
sieurs actes la singulière qualité de gentilhomme
trois fois mort, trois fois enterré, et le fait est
qu'à plusieurs reprises il avait coupé court à ses
propres funérailles, en s'éveillant d'une léthargie
qu'on avait prise pour la mort. De sursaut en
sursaut, il était parvenu à dépasser l'âge de
maturité, bien qu'il fût encore fort épris dune de
ces hlles-d'lionneur de Catherine de Médicis dont
Brantôme s'ébaudii h célébrer les charmes, sans se
porter garant de leur constance. Sur quoi la
nouvelle reprit cours que ce seigneur avait fermé
les yeux ; sa maîtresse ne s'en émut guère, car
elle comptait sur une résurrection de plus, comme
bien d'autres gens à la cour. Mais cette fois le
trépas tint ])on ; la demoiselle d'honneur pleura, une
fois perdu pour elle, ce même Françuis Civille qu'elle
avait moins aimé de son vivant, et elle semblait
inconsolable de ne pouvoir plus le tromper. La
maison de ce gentilhomme, un quart de siècle après
sa mort, servait encore de parloir amoureux, mais
cette fois à Gabriolle d'Estrée, qui y recevait
Henri IV. La maison est restée debout jusqu'en 1846.
Que si la rue du Chaume doit son nom {\ un
toit modestement couvert de tiges de blé, elle a,
depuis, abrité des princes, et nous y voyons de
protll un palais dont la face regarde la rue de
Paradis. Les Archives de l'Empire occupent
l'ancien hôtel de Guise, acheté par M""' de Soubise
avec l'aide de Louis XIV. Quelque grande
dame que parût celle-ci, et bien que le roi l'eût
aimée, elle eut de la peine à fournir sa quote-part
RUE DU CHAUME. 155
maternelle de preuves de noblesse pour faire rece-
voir son tils chanoine de Slrnsbourg : il ne fallait
remonter qu'c\ sa grandmère pour retrouver la fille
d'un marmiton. La porte principale, au temps des
Guise, donnait rue du Chaume; mais dès que
François de Rohan, prince de Soubise, fit rétablir
l'hôtel, sur les dessins de Leniaire, l'entrée en fut
transférée, rue de Paradis. Le première est devenue
celle de l'École des Chartes, et les templiers avaient
élevé des bâtiments sur cette aile du palais actuel,
avant les princes de la maison de Lorraine -, la
seconde est celle des Archives. Le jardin n'était déjà
plus dans son grand sous le règne de Louis XVI ;
on savait pourtant gré au grand-aumônier de France,
le prince-cardinal de Rohan, d'en avoir fait une
promenade publique. Du reste, un passage Soubise
traversait antérieurement la propriété et mettait en
communication directe, pendant le jour, la rue de
Braque avec celle Vieiile-du-Templè. Des concerts
d'amateurs se donnèrent h l'hôtel Soubise, pendant
douze ans, et la sonate y prit de l'autorité, mais
cessa en 1780 d'y renouveler ses morceaux de carac-
tère et de mouvement différents, qui ne passionnent
encore qu'un auditoire d'élite.
Rue de la Cliaussée-d^Antin.
Le gros Bouffé au Café Foy. — M"^^'' d'Épinay,
Necker, de Staël, Récamier et Le Hon. — Le
Général Moreau. — La Guimard. — Hôtels de
Padoue et Mallet. — Le Sculpteur Clodion. —
Mirabeau — Le Général Foy. — Le Comte Roy.
— Le Cardinal Fesch.
Que toutes nos fautes nous soient remises aussi
bien que nous pardonnons à M. Amédée Achard,
dont le mérite est surtout chose de forme, d'avoir
pris, dans Paris chez soi, l'ancien hôtel Mont-
morency,* bâti sur les dessins de Ledoux, pour
celui de M""" Guimard, construit par le même
architecte! Mais, depuis lors, la maison noble s'est
renouvelée de fond en comble, n" 1, rue de la
Chaussée-d'Aiitin.
L'autre coin du boulevard n'est pas moins veuf
d'une caserne de gardes-françaises, que remplace
une compagnie de garçons et de cuisiniers, com-
mandée par Bignon, restaurateur en vogue. Honneur
aux colonels de l'ancien régime qui se ruinaient
(1) Notice écrite en J85n. Quel tremblement de terre
a, depuis renversé le tiers des maisons de la rue de Ja
Chaussée-d'Antin ! Le signal a été donné par le pro-
loDgemenl de la rue Lafayette. Mais ]« déplacement de
l'Opéra a laissé par-là un sillage particulièrement sensible.
Un peu plus, et la rue entière devenait un seul carrefour.
Elle a i)ien moins gagné à la suppression de la rue
Basse-du-Rempait que perdu au percement du boulevard
Hausmaun et des ruesMeyerbeer et Halévy.
RITE DE LA CHAUSSEE-DANTIN. 157
pour le service du roi ! Mais, à la tête du café
Foy, il n'a fallu que peu d'années à Bignon pour
faire sa fortune. Il est vrai qu'un ou deux de
ses prédécesseurs, à ce qu'on dit, furent moins
heureux. N'appelait-on pas;M. Nigaud, ou d'un nom
approximatif celui qui eut pour principal client
le gros Bouflé, directeur du Vaudeville ci quatre ou
cinq reprises ? Ce viveur de première classe buvait
beaucoup de Champagne et ne réglait ses additions
que par le mot sacramentel de : — Garçon, c'est
pour moi!... Nigaud voyait grossir le compte de
Bouffé, sans trouver le moment de lui en toucher
deux mots. Comment un pareil ventre aurait-il
Cait pour avoir à jeun des oreilles? Après boire,
c'était encore pis, car il suffisait de savoir tout
ce qu'il avait absorb(3 pour se faire un cas de
conscience d'en troubler la digestion. Le créancier,
toujours intimidé par la sérénité du débiteur, qui
avait soin de ne lui donner audience qu'à table,
ne tenta même qu'une fois d'aborder la question,
en se plaignant de la dureté des temps ; mais cette
précaution oratoire donna le loisir à Bouffe de
parer le coup, encore mieux que Don Juan quand
il éconduisait M. Dimanche. L'état de gêne
étant général, il n'y avait rien d'étonnant à ce
que les affaires de Nigaud s'en ressentissent; mais
un aveu, si plein de franchise, faisait du confident un
véritable ami, qui lui révélait tout de suite que
le succès de sa maison était une question littéraire,
c'est-à-dire de publicité intelligente, et que si
l'opinion de la presse lui devenait entin favorable,
gloire et richesse de s'ensuivre aussitôt. Cet ex-
pédient de viveur au pied du mur reposait,
dans le fond, sur une idée bien juste. Si jamais
on écrit l'histoire des cabarets, des cales et des
restaurants, nous y verrons pas mal de gens
d'esprit commencer, à leurs propres frais, la
fortune de maint et maint imbéciles. Mais Bouffé
158 RUE DK LA CHAUSSEE-D'ANTIN.
déclarait enfin : — L'heure est venue pour les
poètes et les journalistes de ne plus se ruiner
en détail, lorsqu'ils érigent en millionnaire un
gâte-sauce ou un garçon de café ! Nous autres,
directeurs de théâtre, nous comptons bien avec
la presse et nous sommes trop heureux qu'elle
goûte, la première, à nos plats ! Ne faut-il pas
toujours marcher avec le siècle ? A votre place,
cher monsieur Nigaud, je frapperais un grand
coup, en conviant des hommes influents à un
souper, digne de les captiver : tous les petits plats
dans les grands !
— Très-volontiers, monsieur Bouft'é, répondit le
restaurateur ; mais où demeurent donc les gens
d'esprit dont vous parlez?
— Presque tous en garni et sans domicile fixe,
reprit cet osé débiteur ; mais je les connais,
comme ma poche. Chargez- vous de faire bien
les choses et comptez sur moi pour les gens !
— Ah ! quel service vous m'allez rendre, s'écria
aussitôt Nigaud, en renfonçant la note dans sa
poche !
Une nuit donc, après l'heure du spectacle, quel
beau couvert de noce au café Foy ! Toutes les
raretés de la saison y avaient donné rendez-vous
aux merveilles de la cave, et le directeur déclassé
en faisait les honneurs à plusieurs acteurs du
Vaudeville, à des régisseurs d'autres théâtres
et à des amis personnels, fraîchement libérés de
Clichy, dont l'extérieur peu cultivé concordait,
en effet, avec celui de bien des poètes. Nigaud,
qui prenait tout son monde pour l'élite même de
la presse, allait et venait, ne comptant que sur
lui-même pour diriger les manœuvres du service
et jugeant par ses propres yeux de l'effet croissant
du menu. Jamais convives n'avaient ouvert plus
grands yeux ni plus grandes bouches ; deux ou
RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN. 159
trois invités, entre autres, avaient tout l'air de
manger pour huit jours, dont la moitié à titre
d'arrérages, et le Champagne, comme il coulait à
flots ! Aussi bien l'amphytrion apparent daigna se
retourner, au dessert, du côté de celui qui l'était
réellement, pour lui dire : — Ces messieurs sont
contents de vous, mon cher !
M. Nigaud espérait éprouver, à son tour,
le surlendemain, une vive satisfaction. Levé
dès cinq heures du matin, il sentait vraiment son
cœur battre chaque fois qu'un porteur de journal
glissait une feuille sous la porte ; il se baissait,
avec avidité, pour la débarrasser de sa bande.
Comment n'y soulllait-on pas mot du somptueux média-
noclie? Même manège les jours suivants; même
déception pour unique résultat. Lorsque le maître-
queux s'en plaignit à Bouffe : — Croyez- vous,
demanda celui-ci, qu'on puisse bien juger d'une
grande pièce sur une seule représentation?
— Ho ! alors, je vais faire faillite, avoua notre
homme, et voici votre note, que je vous supplie
d'acquitter entre nous.
— Pauvre ami, j'en suis désolé, répliqua l'autre ;
mais si vous faisiez tort de ma dette à vos créan-
ciers, vous les tromperiez gratuitement. Ayez la
probité d'en renforcer votre bilan ; j'aime encore
mieux qu'elle fonde entre les mains de personnes
que je ne connais pas, qu'entre les vôtres, qu-i
me sont chères. Tous les syndics savent ce qu'ils
ont à faire de mes factures en souffrance.
Heureusement les quittances de loyers sont,
en général, mieux payées dans la rue de la Chaussée-
d'Antin ; le fondé de pouvoir de M""' la comtesse
de Sommariva signe celles du u" 5. Ce petit hôtel
était au sieur Canuel dès 1784, et il avait appartenu
h une femme illustre, fille de Tardieu des Ciavelles,
gentilhomme de Flandre mort au service du roi,
veuve de Denis-Joseph de la Live d'Épinay, intro-
.160 RUE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN.
ducteur des ambassadeurs. Non-seulement M""*
d'Épinay y avait vécu avec Grimm ; mais encore
Grimm y avait donné à Mozart, par ricochet, une
hospitalité de cinq mois. D'anciens biens de campa-
gne de cette protectrice de Jean-Jacques avaient été
acquis eux-mêmes, à côté de Montmorency, par
le comte de Sommariva.
En face de Canuel, le 9 messidor an vi, le
citoyen Crémieux achetait une maison dont la dame
Wattebled, née Larbalestrier, se trouvait adjudica-
taire par arrêt du 12 janvier 1788 ; il la divisa
en deux propriétés, dont l'une donne rue du
Helder : l'autre porte le n° 6 en notre rue.
Le 7, ce magnifique hôtel dans lequel se distri-
buent les bureaux de la compagnie du chemin de
fer de Lyon, a pour auteur l'architecte Cherpitel,
agissant pour le compte de M. Necker, à qui
M""" d'Épinay a justement écrit des lettres que
l'impression a conservées. Necker n'est encore que
ministre de la république de Genève près du roi,
et il demeure place Vendôme, lorsqu'il acquiert
de Letellier et de Pion séparément deux terrains
sur la chaussée d'Anlin, rue qui commence sur le
Cours à la hauteur de l'hôtel du duc d'Antin.
Toutefois Letellier, en! repreneur des bâtiments-du-
roi, n'a lui-môme acquis des religieux mathurins
que la jouissance, à titre d'emphytéose, d'une portion
dudit emplacement, et les 99 années de son bail
couraient depuis sept lorsqu'il a transporté ses
droits tels quels ii l'ambassadeur de Genève, le
16 août 1775. Quant à Pion, ses vendeurs ont
été las héritiers du sculpteur Jacques Verberecht,
et ce sculpteur a commencé par acheter, en
société avec Sandrié et Taboureux, un plus vaste
terrain, avec maison, cour et jardin, de Pierre
Ligné, acquéreur de Silvois en 1714.
Necker, le plus marquant des ministres de
RUE DE LA CHAUSSEE-D'âNTIN. 161
Louis XVI, a vu le jour en 173;2 ; il est venu
faire d'abord son noviciat commercial h Paris,
chez le banquier Vernet ; puis, en qualité d'associé,
il est entré chez Thélusson et il a consacré, en somme,
à faire sa fortune vingt années. Sa femme, Suzanne
Curchod de Nasse, accueille dans son hôtel du
quartier neuf de la Chaussée-d'Antin ces beaux-
esprits : Thomas, Buffon, Grimm, l'abbé Raynal,
Saint-Lambert, Marmontel. De plus, une petite
place est réservée dans le salon, sur un tabouret
de bois, à M"'' Necker, dont sa mère a commencé
l'éducation avec assez de roideur pour que l'im-
pulsion en contraste avec le ton général des
réceptions ; mais on sait que M""' de Staël, née
Necker, si elle a toujours été jeune, n'a jamais
été un enfant. Extrêmement charitable, la femme du
ministre fonde un hospice, qui porte encore pour nous
le nom de son mari. Dès la première année de
son installation dans le bel hôtel de sa création,
M. Necker s'est vu appeler à la direction du
Trésor, sur la demande de M. de Maurepas, et
en lui l'homme d'État est tout-h-fait sorti de
la chrysalide du banquier. Peu de mois après
avoir donné une première fois sa démission de
ministre, il ajoute à sa propriété un petit hôtel,
rehé par un cul-de-sac h la luc Basse-du -Rempart
et dans lequel a succédé à Pion Catherine de
Vernimen, veuve de Louis Lhermitte.
On sait que bien des royalistes reprochent
à presque tous les actes de la vie politique de
Necker, encore ministre eu 1789, d'avoir pro-
voqué l'explosion de la Piévolutlou française, qui
ne l'en a pas moins fait figurer au nombre de
ses réprouvés. Outre qu'il laissait deux millions,
bien à lui. dans les coffres du Trésor royal, il a
vu ses propriétés séquestrées au nom de la Nation,
et son nom a grossi la liste des émigrés. M""' de
Staël, admiratrice passionnée de Rousseau, n'était
16 i RUE DE LA CHAUSSE E-D'ANTIN.
pas sans prétendre elle-même, comme écrivain,
comme génie, au panthéon démocratique; contidente
de Barras, elle taisait partie du cercle constitu-
tionnel qui siégeait à l'hôtel de Salm, opposé au
club de Clichy, et c'est elle, à coup sûr, qui a
présenté au Luxembourg M. de Talleyrand, dé-
barqué à son retour des États-Unis sans autre
ressource que cette caution féminine, qui est
devenue un lien d'intimité. La Notre-Dame du 48
Fructidor a ensuite usé de son crédit pour faire
cesser la proscription de l'exilé de Coppet, son
père, ainsi que peut nous le rappeler la pièce
inédite que voici :
Ministère de la Police générale de la République.
Liberté. Egalité.
Paris, !e 13 thermidor, l'an VI de la République Françoise,
Une et Indivisible.
u Le Directoire Exécutif,
Vu les diverses réclamations tendantes à ce que le
nom de Jacques Necker soit layé de la Liste des
émigrés, et les pièces à l'appui de cette réclamation;
Ouï le rapport du ministre de la Police générale.
Arrête :
« Article 1". Le nom de Jacques Necker, ex-directeur
des finances, sera définitivement rayé de la Liste des
émigrés du Département de la Seine, ainsy que de
toutes autres Listes d'émigration où il auroit pu être
inscrit.
0 Article. 2. Le séquestre apposé sur ses biens,
meubles et immeublt.«, sara levé, avec restitution des
fruits et la jouissance de ces biens.
» Article 3. Dans le cas où tout ou partie de ses
biens auroit été vendu, en exécution des Loix, le
montant lui en sera remis, à la charge par lui de payer
tant les frais du séquestre que ceux de la vente, si
elle a eu lieu.
» Article 4. Le présent arrêté ne sera pas imprimé,
RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN. 163
]es ministres de Ja Police générale et des Finances
sont chargés de son exécution, chacun en ce qui les
concerne.
« Pour expédition conforme :
Pour le Président du Directoire Exécutif,
Merlin.
Par le Directoire Exécutif: pour le secrétaire-général,
L. M. Réveilliére Lépeaux,
« Certifié conforme,
Le tninistre de }a Police générale,
I.ECARLIER. a
Le 25 vendémiaire an vn, Necker, par l'entre-
mise d'Uguiet, fondé de pouvoir, cède ses deux
propriétés au prix de 37,381^ piastres, 4 réaux,
somme qu'on a stipulée payable en argent espagnol
pour éviter le payement en assignais. Mais la rue
sur laquelle donne le plus important desdits
immeubles s'appelle du Mont-Blanc, depuis la
réunion de ce département à la France. Les
preneurs de ces deux hôtels sont Jacques-Roze
Récamier, banquier, et sa femme, née Jeanne-
Francoise-Julie-Adélaïde Bernard, qu'ont rendue
célèbre sa beauté, son esprit et son influence.
Elle commence par donner aux incroyables, rue
du Mont-Blanc, des bals dont le luxe est inouï :
les éventails et 1-es bouquets des danseuses y
sont renouvelés autant de fois que la chaleur de
la danse en a altéré la fraîcheur et, de plus, une
provision de chaussures, prévoyance inconnue
des fées, empêche qu'aucune invitée passe d'une
gavotte à une sauteuse avec un soulier qui
s'affaisse, ou qu'elle quitte le bal en Cendrillon.
Mais à ces fêtes du Directoire, dont le Consulat
rehausse encore l'éclat, succède un silence délicat,
vers le commencement de l'Empire. D'un côté,
M'"e Récamier a donné passagèrement refuge, dans
164 RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN.
sa maison de campagne de Saint-Brice, à M"*"
de Staël, dont le père a voulu rester à Coppet,
et les Neckcr sont des plus mal en cour ; d'autre
part, M. Récamier a fait des pi-rtes d'argent
considérables, disgrâce contribuant à éloigner sa
femme d'un monde qui en souffre beaucoup plus
qu'elle-même. Donc le 4*' septembre 1808, M.
et M""" Récamier, qui se contentent alors de
demeurer rue et division du Mail, n" 49, cèdent
leurs deux maisons de la Cliaussée-d'Antin au
riche épicier Mossclmann, établi dans la rue
Saint-Denis en face de celle du Ponceau.
C'en est fait dès-lors, pensez-vous, des salons
où M'"'' de Staël, dont le talent n'a jamais eu de
sexe, jouait tout enfant avec des philosophes,
ses camarades ; c'en est fait également des grâces,
si M'"'^ Récamier s'éloigne. Longue avenue, tu ne
mènes plus qu'au deuil ; cour et jardin, que
ne vous entendez-vous, pour étouffer l'édifice
deux fois veuf, que vous n'embrassez plus sans
regrets ! Mais cet hôtel prédestiné sourit à une
maîtresse nouvelle et qui grandit sous ses lambris,
pendant que les deux précédentes partagent l'exil
qui les fait enfin presque soeurs. Blonde étoile
du matin, salut ! Qu'importe le prestige des
souveiiirs, puisqu'une autre séduction commence !
Chaque génération veut la sienne. En un mot,
M"'' Françoise-Zoé-Mathilde Mosselmann, née dans
l'ancien hôtel Necker, porte â ravir un autre
nom, qui lui vient d'un ambassadeur du roi des
Belges ; c'est maintenant, pour ne rien vous taire,
M™« la comtesse Le Hon. Cette sœur cadette ne
doit rien aux aînées ; néanmoins, à Paris, le
report des adorateurs sur le retour met ordinairement
les jolies femmes de plusieurs générations en compte
les unes avec les autres, opération qui fait passer au
crédit de la dernière-venue les économies de ses
devancières. C'est à peine si les hypothèques de
RUE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN. 165
bonnes fortunes, prises comme à perpétuité par
certains merveilleux de l'époque directoriale sont
atteintes par la prescription sous le règne de Louis-
Philippe : le mérite n'a pas d'âge en France, où la
galanterie en est un. La jeune ambassadrice n'a pas
même trouvé d'inscriptions, au nom de la fille du
ministre ou de la femme du banquier, sur l'hôtel
qu'elle tenait d'elles : son père en avait fait place
nette en s'acquittant de ce qui restait dû tant
à dame Louise-Germaine Necker, veuve du baron
de Staël-Hostein, qu'à M'"'' Récamier, devenue
l'Égérie de l'Académie-Française et consultée sur
chaque élection dans un salon de l'Abbaye-aux-
Bois.
Du même côté, mais plus haut que la caserne,
qui a principalement servi de conservatoire h la
musique des gardes-françaises, gît un cimetière
Saint-Rocli, enterré à son tour, puis longtemps
arrosé par des pompes à l'usage des porteurs-d'eau.
Les constructions numérotées 8 et 10, dont l'une se
relie encore à un jardin du côté de la rue parallèle,
comportaient moins de plâtre et de pierres avant la
grande révolution; Daniel parlait en maître dans la
première et l'un des frères Périer dans l'autre. Les
Périer dirigeaient la compagnie des eaux qui avait
établi la pompe à feu de Chaillot ; un écrit du
comte de Mirabeau, en décriant les actions de
cette compagnie, donnait lieu â une réplique lavo-
rable de Beaumarchais. Entre le 10 et le 18 se
trouvait un hôtel moins rétréci, à la famille
Mallebranche. Venait ensuite Pierre-Nolasque
Leblanc de Verneuil, qui avait fait bâtir au milieu
d'un terrain concédé par les mathurins pour 99
années, emphytéose appelée h expirer en 1881 ;
le lendemain même du décès de ce détenteur
primitif, autrement dit le 20 floréal an m, l'immeuble
était acquis par le citoyen Lakanal, prêtre, pro-
fesseur, vicaire-général constitutionnel, conven-
11
166 RUE DE LA CHAUSSE E-D'ANTIN.
tionnel, puis censeur au lycée Bonaparte, membre
aussi de l'Institut, qu'il avait organisé et dont il
fut évincé en 1816, pour y rentrer sous le minis-
tère Decaze. Cet admirateur de Marat n'avait pas
attendu, pour devenir propriétaire, la loi agraire
que promettait Babeuf. Il fit élever deux corps-
de-bâtiment (n"' 18 et 22) sur le devant de sa
propriété, avec passage réservé au milieu pour
la construction du fond ; mais cette surcharge
lui pesa à tel point qu'il fut forcé de vendre.
L'acquéreur du lot principïU, que flanquaient les
deux autres, fut le général Moreau, qui, dans
le salon du rez-de-chaussée, concerta le plan de
la campagne du Rhin avec le général Bonaparte,
dont il "était encore l'égal en grade. Sur les
bureaux installés par Moreau, commandant en
chef d'une armée, on a jeté depuis huit étages,
au bout de l'avenue, à main droite : que ce
fardeau leur soit léger ! MM. de la Bouillerie,
Delamarre, Letissier, Prat et Bergonier ont joui
successivement de cette résidence, qui était celle
du général Bourmont en 1816. Bourmont, dont
le nom réveille aussi des souvenirs politiques si
mal étouffés qu'ils passionnent encore tout le
monde, occupait le même appartement que le
général son devancier, et les ornements n'en ont
pas encore changé de style. Une salle de bain y
attenait, que le premier des deux généraux avait fait
ajouter en aile h la hauteur de sa chambre à
coucher, c'est-à-dire du premier étage. Lorsqu'on
supprima cet annexe, on découvrit sous la baignoire,
au lieu de dalles noires et blanches, qu'elle
était suspendue par deux barreaux de fer sur
une cachette, ménagée dans la pierre. •
La rue dont nous parlons est revenue, sous
Louis XVIII, à ce nom de la Chaussée-d'Anlin
qu'elle partage avec un quartier. Le magasin de
nouveautés qui a pris la même invocation rem-
RQE DE LA CHàUSSEE-D'ANTIN. 167
placeur! hôtel, qui fut dit le temple de Terpsychore
lorsqu'il s'érigeait pour uu/s danseuse aux frais
du prince de Soubise. Le protecteur avait soupe
ailleurs avec la comtesse de Lhospital ; sa petite-
maison était rue de l'Arcade. La protégée,
M"«^ Guimard, reçut en courtisane qui sait son
monde le financier Laborde, l'évêque de ïarente
et d'autres grands personnages par la porte h deux
battants du prince de Soubise, sans que se rouillas-
sent les gonds de la porte dérobée. Mais le
prince défraya mieux que ses successeurs en titre
les trois soupei's que donnait par semaine la
Guimard. Il y en avait un pour des grands seigneurs ;
un qui réunissait des auteurs, des artistes et des
savants ; le troisième était une orgie hebdomadaire,
avec des filles. La belle damnée, comme l'appelait
Marmontel, avait pour armoiries : au milieu de
l'écusson un. marc d'or, d'où sortait un gui de
chêne, les Grâces servant de support et les amours
couronnant le cartouche. Elle recevait ses amis
en foule dans sa propre salle de spectacle ; l'élite
des troupes régulières y donnait des représentations,
auxquelles assistaient, en loges grillées, des prêtres
et des femmes honnêtes, sur des billets sollicités
d'avance. Néanmoins tout a une tin. Celle de l'hôtel
Guimard fut une loterie : 2,500 billets à 5 louis.
Le tirage avait lieu aux Menus-Plaisirs le 29
mai 1786, et la comtesse Dulau, qui n'avait pris
qu'un seul billet, gagnait. A présent, tout est bien
changé. Plus de porche décoré de colonnes, plus
de bas-reliefs, plus de peintures de Fragonard !
Quelle étoffe souhaitez-vous, madame? Cette couleur
vous sied à merveille ; vous mesurez au moins
12 mètres : flatteries qui réussissent toujours !
Seulement la métamorphose ne s'est pas opérée
du jour au lendemain. L'ancien temple du plaisir
servait de chef-lieu ii une section, pendant la
Révolution. Le banquier Perregaux l'eut ensuite
168 RUE DE LA CHaUSSÉE'D'ANTIN.
pour hôtel et y signa le contrat du mariage de
sa fille avec le maréchal Marmont. Lès bureaux
de la maison de banque se tenaient là également.
M. Perregaux y reçut, un jour, les offres de
service d'un inconnu, qu'il refusa de prendre pour
employé, mais qui, en se retirant, vit luire sur
le paillasson une épingle, se baissa pour la ramasser
et la piqua dans le drap de sa lévite, comme une
fiche de consolation. Ce détail, qui prouvait à
l'improviste, que le solliciteur éconduit avait de
l'ordre, le fit aussitôt rappeler et recevoir à litre
de commis. II n'était autre que ce Jacques Laffitte
qui succéda plus tard à Perregaux.
Immédiatement après le grand magasin vient,
comme avant, le siège central d'un chemin de fer ;
cette fois il s'agit de la ligne d'Orléans. Naguère
le Casino y donnait des concerts, inaugurés par
le violon de Paganini, et des soirées, des nuits
dansantes qui, en été, étendaient au jardin l'illu-
minat'on de la rotonde. Celle-ci avait été ajoutée
par-derrière à un hôtel qui faisait partie du majorât
constitué par l'empereur en faveur de son parent,
le général Arrighi, duc de Padoue, par décret du
28 mars 1812. Une loi du 10 juin 1853 a autorisé
le fils et héritier du général, titulaire de son
majorât, à céder cet immeuble à la compagnie
d'Orléans, à la condition que le prix en serait
appliqué à l'acquisition de rentes ou d'immeubles
remplaçant l'hôtel aliéné dans la composition du
majorât. Le jardin en finissait, sur le passage
Sandrié, par une élégante orangerie et une volière,
que séparait l'une de l'autre un petit labyrinthe.
Mais cet hôtel à fronton, précédé d'une belle
avenue, n'avait pas été fait exprès pour le duc
de Padoue. Pierlol, receveur-général de l'Aube,
l'avait acheté, le 27 pluviôse an x, de M. et
M'"^ Cotlin, lesquels avaient eu pour vendeur,
en 1784, Jean-Baptiste marquis de Lavalette,
RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN. 169
propriétaire en qualité de légataire universel, pour
les biens existant en France, du marquis de
Castéra, son oncle, décédé quatre années auparavant.
Les droits dont le marquis avait joui peu de mois
provenaient de la succession du fondateur, Louis
de Pernon, à qui avait été cédée une portion du
terrain par l'avocat Legouvé, en 1768, et qui
avait pris le reste de l'architecte Louis Signy.
Comme ce dernier n'était en possession que pour
99 années, une moitié environ du .jardin sera
reprise en 1867 ou 1868 par le Domaine, substitué
aux pères mathurins, qui avaient consenti l'em-
phytéose.
Ledit Legouvé, dont le fils a écrit le Mérite
des femmes et le petit-fils de grands pièces de
théâtre, a lui-même essayé de se faire auteur
dramatique. De lui reste imprimée une tragédie
di'AuiUe, qui n'a pas été représentée.
L'auteur à^Attilie était aussi propriétaire, mais
conjointement avec le baron de Thun, ministre
de Wurtemberg, d'un terrain contigu à celui de
l'hôtel de Pernon, sous la censive de Saint-Denis-
de-la-Châtre, et qui avait appartenu peu de temps
après la mort de Louis XIV à Claude de Prat,
seigneur de Plainville. M. Legouvé y eut pour
acquéreur, en 1769, un secrétaire du roi, qui se nom-
mait Boucher de Saint-Martin, aux dépens de
qui s'éleva une petite-maison, dont la clef s'afferma
à Bouret de Vézelai, le fermier-général ; M">« Boucher
de Saint Martin accommoda ensuite de la propriété
l'abbé Berlin et son frère, lesquels eurent à leur
tour pour successeur M. de Mallet, oificier de
cavalerie, fils ou neveu du président Mallet, qui
avait figuré parmi les anciens possesseurs du terrain
avec M""= Quarante. En 1791, M. de Mallet trans-
portait cet immeuble à une famille financière du
même nom, qui ne tenait nullement à la sienne.
Les aînés de ces barons Mallet qui, de nos jours
170 RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN.
encore, y dirigent une maison de banque consi-
dérable, sont justement nés sous ce toit ; ils ont
fait leur salle-ù-manger d'une pièce consacrée
par leurs prédécesseurs à un petit musée chinois.
Aussi bien de l'hôtel Necker aurait dépendu,
nous dit-on, la maison adjacente, qui se replie
sur la rue Neuve-des-Mathurins ; d'autres personnes
prétendent que sa construction remonte à 1766 et
en font honneur à M"'^ Duthé : elle appartient, dans
tous les cas, depuis plus d'un demi-siècle, à la
famille d'Érard, le facteur de pianos.
On traitait le 24 d'hôtel Quéveron, Louis XVI
régnant, et M. Février disposait de la maison
d'après. Celle-ci, refaite plus tard par le baron
Méchin, qui voulait y ouvrir un passage débou-
chant sur la rue du Helder, mais dont l'intention
ne se réalisa pas, a été depuis pour M, Mirés
un pur et simple placement. Voyez dans la maison
d'ensuite, aux allures aristocratiques et qui ne
manque pas de profondeur, l'ancienne demeure de
Clodion : il y avait son atelier, d'où sont sorties
de ravissantes terres-cuites, pour se distribuer
dans le monde élégant. Qu'était-ce encore que
le 32 ? un hôtel à trois corps, répondant au nom
de Montigny, et dont M. Sartoris, le banquier, a
laissé une portion à la marquise de l'Aigle, sa
tille. M. de Fontanes, ce grand-maître de l'Université
qui avait fait refleurir les études, s'est éteint au
36 en 1821.
Ces constructions de l'autre siècle ont, en
général, des vis-à-vis de celui-ci ; néanmoins
Ethis de Coray était alors chez lui au 31, et
nous retrouverions dans le plus ancien des
bâtiments multiples du 27 bis le domicile d'un
gentilhomme breton, M. de Lavau de Pansemont,
président du conseil des Anciens, qui avait
commencé par faire la guerre d'Amérique. Tra-
ditions nouvelles poui- l'historiographie, mais trop
RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN. 171
bourgeoises pour ne pas s'effacer devant celles
qui appartiennent également à l'Histoire !
En 1791, le 2 avril, le peuple obstrue les
abords de la rue ; l'orateur vient de mourir
dont la vie politique s'explique honnêtement par
cette confession suprême : — J'ai voulu guérir les
Français de la superstition de la monarchie et y
substituer son culte.... Ainsi a parlé Mirabeau qui,
à l'article de la mort, n'a voulu se réconcilier
qu'avec le prince de Talleyrand. — S'il a expiré,
crie la foule, c'est que la cour l'a fait empoi-
sonner!... Ainsi le peuple compte pour rien les
fatigues incessantes de la vie qui vient de
s'éteindre ; mais il en gronde comme un orage
posthume, après tous ceux qu'elle a bravés,
essuyés, couvés, déchaînés. Quelle consternation
et quels regrets ! Il y a unanimité plus qu'en toute
autre des manifestations de la douleur ou de la
colère publique. Les théâtres se ferment, l'Assem-
blée nationale arrête que tous ses membres assis-
teront aux obsèques du grand homme, et la
Nation, pour recevoir ses cendres, improvise le
Panthéon ! Rien ne manque h. l'apothéose.
Le lendemain de la cérémonie, la rue où
l'orateur a cessé de vivre est proclamée la sienne,
rue Mirabeau : dénomination d'un jour, mais qui
paraît aussi celle de l'avenir. Puis sur une table
de marbre noir s'inscrit, sur le devant de sa maison,
un distique de Chênier :
L'âme de Mirabeau s'exhala dans ces lieux !
Hommes libres, pleurez I tyrans, baissez les yeux I
Ces vers ont disparu, dès 1793, et la maison,
dont le grand orateur avait payé à M""' Talma
2,400 francs de loyer, n'est pas démolie ; elle
n'a que changé de face en 1843. C'est n" 46 :
on y revoit une cheminée, style Louis XVI, du
cabinet de Mirabeau.
172 RUE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN.
L'hôtel Moiitesson, que nous rapportons à la rue de
Provence, comptait pourtant dans celle de la Chaussée-
d'Antin, qui finissait par celui de Montfermeil.
M""® de Montesson, veuve d'un lieutenant-général,
épousa en secondes noces secrètement, mais avec
l'agrément tacite du roi, le duc d'Orléans. Des
dépendances de sa maison faisait partie un théâtre
privé, inauguré en 1763 et où le prince ne
fut pas sans jouer des rôles. M°* de Genlis,
nièce de M""' de Montesson, prit la direction de
ce spectacle et y lit débuter ses filles, très-jeunes
encore. Quand le duc d'Orléans ferma les yeux,
sa mort fut attribuée à la maladresse d'un
médecin ; mais la gastronomie y devait être pour
quelque chose. Une fois, ce gros mangeur n'avait-
il pas expédié, dans le même repas, 27 ailes de
perdreaux? L'hôtel où M""' de Montesson rendait
le dernier soupir en 1806 passa au fournisseur
Ouvrard, puis au banquier Michel.
Après avoir payé notre tribut, en passant, à de
tels souvenirs, nous sentons bien que, par compa-
raison, l'intérêt pâlira des recherches relatives au
SO, dont un bas d'escalier, décoré d'une galerie
de balustres, fait toutefois plaisir à rencontrer.
Un bon bourgeois, M. Delore, en a gratifié ses
pénates peu après la mort de Louis XV; M'"*' Caubert,
propriétaire actuelle, est une nièce de Delore.
Régnait un pont sur l'égout de la ville à la
hauteur de la rue de Provence, d'après le plan
de 1739; on l'appelait pont de l'Hôtel-Dieu, et
la môme dénomination en ce temps-là se donnait
à la voie, parce qu'elle touchait h une ferme dont
jouissait ledit hôpital. Quel nom, d'ailleurs, n'a
pas porté la rue, qu'habitent aujourd'hui les femmes
qui, de cette ville capricieuse, changent le plus
souvent de toilettes ! A la fin du xvn« siècle on
a dit : Chemin des Porcherons, de l'Égout-de-
Gaillon, de la Chaussée-de-Gaillou. Puis, avant
RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN. 173
qu'un arrêt du conseil ait prescrit, en 1720, le
redressement de la voie prolongée jusqu'à la
barrière des Porcherons, on l'a bacliiquement qua-
lifiée de la Grande-Pinte, eu égard à l'enseigne
de ce même cabaret qu'a tenu plus tard Ramponneau.
A gauche, en vue de la rue de Provence, bOus
laquelle se cachait l'ancien égout, l'orientaliste
Anquetil, membre de l'académie des Inscriptions
et frère de l'historien, vivait durant le ministère
Necker. Sur la même rangée, un peu plus haut,
le marquis Barthélémy, sénateur du premier empire,
eut son hôlel : il avait été l'un des directeurs de
la République et devint pair-de France. Du temps
d'Anquetil, aussi près de lui, mais plus bas, une cour-
tisane étalait force luxe ; c'était M""' de Bonneuil,
qui se donna par caprice à Mirabeau pour un sac
de marrons grillés de chez Benoît, au Palais-
Royal, mais qui coûta les yeux de la tête à d'autres.
Quand cette Bonneuil supplanta la D"^' Renard dans
l'amour de Sartines, fils du ministre, ce prodigue
avait commandé pour la maîtresse distancée une
voiture livrée à la nouvelle, qui la fit décorer
d'un écusson h ces armes parlantes : un^ renard
éventré, surmonté d'un œil couronné.
Les possessions de l'Hôtel-Dieu en notre rue
étaient ainsi désignées sur un titre de 1700 :
« 1» maison aux Porcherons, tenant au château du
Coq, propriété de M. Lecoq, et au chemin de la porte
Saint-Honoré à Clichy, dit pont ou chaussée de l'Hôlel-
Dieu, aboutissant au chemin qui va du Roule à Saint-
Laureat et aux égouts de Paris.
2» 2 arpens 1/-2, tenant d'un côté aux dits égouts,
d'autre aux Mathurins, d'en haut au chemin de Clichy,
par bas auxdits Mathurins. »
Les gouverneurs et administrateurs de l'Hôtel-
Dieu étaient alors :
174 RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN.
0 René Accard, conseiller du Roy, substitut du pro-
cureur-général, Jean Petitpied, éciiyer, secrétaire des
finances ; Henri Herlan, cooseiller du roi en l'Hostel
de cette Ville, ancien écheviu ; Pierre de Stricky, con-
seiller du roi, substitut du procureur-général, et Michel
de Bourges, écuyer, conseiller du Roy, trésorier de
France au bureau des finances de la Généralité de
Paris. »
Sur la ligne opposée, en l'année 1738, la ruelle
des Marais, rue actuelle de la Victoire, débouchait
entre 1 arpent i;2, au sieur Bourgeois, et une
maison, avec jardin, oùGraudhomme, maître-maçon,
précédait Ruelle. Ensuite se présentait le marais
des héritiers Lefévre, un autre au sieur Loisnes
et puis notre rue Saint-Lazare.
L'acquéreur de Ruelle fut M. Leriche de
la Popelinière, l'un des fermiers-généraux du roi.
Double était sa propriété en 1747 ; une porte de
communication en séparait ou en reliait à volonté
les deux moitiés, dont l'une avait comme l'autre
sa maison, son jardin et son entrée. La totalité confi-
nait latéralement h la rue des Marais et au terrain des
héritiers Lefèvre, par-derrière à la propriété Coypel
et par-devant à la chaussée de la Grande-Pinte
ou d'Antin. Au pavillon de gauche se réservait
la spécialité des parties fines ; celui de droite
avait, au contraire, une destination littéraire : ici
une bibliothèque et tout ce qu'il fallait pour écrire,
là ce qu'on faisait de mieux était encore de bou-
quiner à la façon des lièvres. La Popelinière,
quoique financier, se piquait de bel-esprit ; il s'est
essayé dans la chanson, la comédie et le roman.
De lui s'est imprimé un livre de débauche, les
Mœurs du Siècle ; mais il n'en a tiré que très-peu
d'exemplaires, sa réputation de paillard étant déjà
des mieux établies. Il en figurait un dans l'inven-
taire de la succession de l'auteur ; la rareté et
les figures y ajoutaient un si grand prix qu'un
RUE DE LA CHAUSSEE-DANTIN. 175
commissaire avait empêché, dans l'intérêt des autres
héritiers, M"« de Vandi de jeter au feu, avec in-
dignation, ce chef-d'œuvre de polissonnerie. Le
lieutenant-de- police, averti, en réféia à M. de Saint-
Florentin, et l'ordre s'expédia bientôt de s'emparer
du maudit livre, au nom du roi.
N'avait-il pas été écrit au n° 62, qui nous
représente au moins l'un des deux pavillons du
fermier-général ? Cette maison, à notre connaissance,
s'est surélevée de deux étages, en même temps
qu'on remplaçait par une porte en chêne la grille
qui le mettait à jour. Maison de verre dont le
sage fut quelque temps M'"" Joséphine de Beau-
harnais et plus tard le général Foy, qui y mourut
en 1825. Cette fois encore des questions brûlantes
menaient, pour ainsi dire, le deuil : les formidables
manifestations qui se produisirent aux funérailles
du plus éloquent avocat de la cause du libéralisme
ne hrent malheureusement reculer que pour peu
d'années la contre-révolution devant l'abîme qu'elle
avait pu mesurer. Le moyen de douter que la
France fût centre-gauche ! L'àme ardente du soldat
que le patriotisme avait fait éci-ivain et orateur,
planait encore et remplissait l'air de promesses,
où la cour ne voyait que des menaces. Pendant
que la Chambre se disposait à jouer de nouveau,
mais avec un peu plus de calme, celte partie de
boslon interminable où se gagne et se perd une
majorité, la galerie, c'est-à dire la France, pour
laquelle tenaient les cartes Royer-Collard et Casimir
Périer, ouvrait et remplissait une souscription
nationale pour ériger en monument la tombe du
•général Foy et offrir un million ii ses enfants.
L'autre pavillon de La Popelinière n'est-il pas
deux maisons plus haut? Nous y reconnaissons de
moins ancienne date le domicile mortuaire du comte
Roy, ancien ministre des finances. M""" de Tal-
houet et de Lariboisière, ses filles, ont vendu à
176 RUE DE LA CHAUSSEE-D'ANTIN.
M. Bonnard, pour y foncier un comptoir financier
d'une importance peu commune, ce qu'on a appelé
le grand hôtel Roy. C'en est fait du petit hôtel de
la même portée ; mais quelque chose reste du
jardin, qui était indivis lors même que M. Roy
avait acheté de Charles Geyler, le 20 frimaire
an xn.
Trois petits hôtels, 53, 55 et 57, bâtis depuis
un peu moins d'un siècle sur le territoire de
l'Hôtel-Dieu, se ressemblaient comme des frères
jumeaux ; mais leur air de famille se perd depuis
que M le président Benoit-Ghampi a fait exhausser
le premier.
Au 70 enfin revient notre dernière visite ; aussi
bien la rue s'y termine et au même point s'est
tenue la barrière des Petits-Porcherons. C'est l'an-
cien hôtel Montfermeil, refait pour le cardinal Fesch,
oncle maternel de Napoléon P''. La chapelle en était
naguère un gymnase où les deux sexes prenaient
alternativement des leçons d'agilité, dans une
maison contiguë ouvrant sur la rue Saint-Lazare.
Après avoir été, à la suite de son neveu, com-
missaire des guerres en Toscane, Fesch a repris
l'habit ecclésiastique à la faveur du concordat ;
bien que nommé archevêque de Lyon, il a
conservé cet hôtel, officiellement élevé au rang
de palais. Élu en 1810 président du concile de
Paris, le prélat n'a pas craint de combattre les
mesures de violence exercées par l'empereur sur
le Saint-Père à cette époque ; une demi-disgrâce
en a été la conséquence et a duré jusqu'aux
Cent-Jours. Napoléon, voyant reparaître le cardinal
Fesch en compagnie de M'^^ Lœtitia Bonaparte,
a mis de côté toute rancune pour embrasser son
oncle et le créer pair.
Rue du Cherehc-Midi. (ij
Les Prémontrés. — Un bâtiment élevé sans
retraite sur la rue et en très-bon état encore,
que décorent sobrement quelques festons de pierre
et dont un chantier de bois à brûler occupe la
cour, est numéroté 4. Voyons-y l'ancien couvent
des prémontrés de Sainte-Anne, dits aussi de la
Croix-Rouge et les prémontrés réformés, établis
l'année même où mourut Mazarin et patronnés
par la reine Anne. Au temps de la campagne
d'Egypte, la marquise de Saint-Simon habitait
le premier étage de cette maison. Au-dessous
d'elle demeurait Blangini, avec sa femme et six
enfants, petits prodiges ; cette famille donnait
des concerts. La marquise produisit dans le
monde l'artiste, jusque-là peu connu, dont elle
commençait la fortune, car il ne tarda pas h
devenir fort à la mode. La princesse Pauline
Borghèse, sœur de Napoléon L', à laquelle Blangini
dédia une ou plusieurs de ses compositions, daigna
faire souvent pour lui, tout éveillé, le sacrifice
consommé une seule fois par Marguerite d'Ecosse,
femme de Louis XI, en faveur d'un poëte qui
dormait, Alain Chartier.
iV** 5 : — construction à porte cintrée, de l'époque
(1) Notice écrite en ]858. Les flancs de la rue du
Cherche-Midi ne s'étaient encore prêtés ni à 1 élargis-
sement du carrefour de la Croix-Rouge, ni au prolon-
gement de la rue Sainte-Placide et de la rue des Missions
(naguère Sainl-Maur), ni à la formation de la rue
BérUte.
178 RUE DU CHERCHE-MIDI.
OÙ elle ne pouvait manquer d'enseigne, payant
maintenant ses termes de loyers à M. Labric,
médecin de l'hospice des Petits-Ménages. C'est
rimage-Saint-Nicolas quand Toussine Marigny la
cède h Jean Marie!, en l'année 1694 ; puis un
boucher y l'ait étal, après quoi elle est occupée
par Bullion, marquis de Gallardon, conseiller
du roi, garde à la prévôté ; Claude Le Roy,
écuyer, en fait l'acquisition et la revend en 1726,
avec deux maisons donnant aussi en face des
Prémontrés, moyennant 200,000 livres, à Peyrenc
de Moras, conseiller du roi, maître-des-requêtes
de son hôtel. La première est occupée, douze ans
ans après, par le marquis de Parabère ; la seconde
et la troisième, par M. de Monthulé, conseiller
au parlement, et alors elles, touchent d'une part
à l'encoignure de la rue du Vieux-Colombier, où
est établi le maître-maréchal Élie, d'autre part à
une maison au baron de Montmorency.
M. de Monthulé. — Il parait avoir acquis les
deux siennes des légataires ou héritiers de la
comtesse de Vérue, lesquels n'étaient guères qu'un
membre de la famille Mailly et un de la famille
Bournonville, tous les autres, c'est-à-dire le prince
d'Albert de Grimberghen, la duchesse de Duras,
le duc de Chaulnes, la marquise de Goutfier, la
marquise de Foissac et la comtesse de Sassenage
ayant renoncé à la succession de leurdite tante
ou sœur.
Les Ratabon. — M"'*' de Vérue a donné elle-
même, en 1719, de trois maisons tournant le dos
à un couvent de la rue Cassette, 137,250 livres
à l'évêque et comte de Viviers et à la comtesse
de Crécy, héritiers de leur neveu, Martin Ratabon,
dont le père y avait fait bâtir. Mais ce n'était
pas un ti iolet, c'était une demi-douzaine de maisons
ou de places pour en édifier, aboutissant par-derrière
au Saint-Sacrement, que Ratabon d'Herval, maître-
RUE DU CHERCHE-MIDI. 179
d'hôtel du roi, avait cédées en 1686 à Louis de
Ratabon, ambassadeui' en Italie. M""' d'Hcrval, sœur
de M. de Bretonviiliers, était belle, sage et au-
monière ; elle n'a fermé les yeux que sous la
Régence, dans un établissement religieux. Louis
de Ratal3on a vendu en 169:î et 1693 à la duchesse
douairière de Mecklembourg, veuve de Louis
Ghétien, duc souverain, deux de ces propriétés à
jardins.
N"9 : — anciennes écuries d'un hôlel de Montmo-
rency, que nous reconnaîtrons un peu plus haut.
Un M entrelacé figure aux grilles des croisées ;
mais il est possible que ce chifiVc se rapporte à
une famille du Maine, celle du marquis de Montecler,
qui a joui de cette résidence. Le présent déten-
teur, qui d'ailleurs n'habite pas Paris, s'appelle
M. Maillé-Saint-Prix ; le hasard fait donc que la
lettre majuscule en fer battu se trouve encore
une initiale de circonstance. La maison ou le
terrain n'en a pas moins appartenu à un ou h
plusieurs des Ratabon.
Les Députés cV Artois. — Le fer aussi décrit,
n° il, des verticilles magnifiques, rampe d'un
escalier qu'ont gravi les députés d'Artois, ayant
là leur maison de ville, puis des Sully-Gharost et
plus récemment le comte de Nicolaï, antérieur
à M. Cherrier, propriétaire actuel.
Les Dames du Saint-Sacreynent — Nous lisons
dans les notes prises par M. Rousseau, pour les
besoins du présent recueil, que l'immeuble con-
sidérable n" 13 est réputé d'origine conventuelle ;
notre envoyé toutefois garde des doutes à cet égard,
car il a cru s'apercevoir de la médiocrité des
matériaux qu'on y a employés à la construction
d'un des corps-de-logis qui remontent aux siècles
précédents. Et le fait est qu'il sied à la religion
de bâtir même en vue de l'éternité ! N'en déplaise
à M. Rousseau, les religieuses du Saint-Sacre-
180 RUE DU CHERCHE-MIDI.
ment possédaient un hôtel rue du Cherche-Midi ;
M'"^ de Voysin, femme d'un conseiller d'État, en
payait le loyer 2,500 livres pour chacune des der-
nières ann^^-es du règne de Louis XIV. L'immeuble
touche encore par-derrière à des jardins de la rue
Cassette qui ont appartenu aux mêmes dames.
L'ancien séjour de M"'" de Voysin a été récemment
légué il M™« la comtesse Hullin par le général
du même nom,
^^"14. — Il a dû appartenir aux prémontrés.
De belle rampes s'y étagent, de style Louis XIV.
Hôtel Montmorency. — Il s'en est détaché, n" 15,
comme une galerie ; on y retrouve aussi des degrés
reliés par une belle balustrade. C'est justement en
regard des Prémonlrés qu'un plan manuscrit, accolé
en 1713 au Terrier de Saint-Germain-des-Près,
marque un hôtel Montmorency, vis-à-vis des Pré-
montrés. Mais les descendants des premiers barons
de France ont eu dans notre rue plus de deux
propriétés. Antoine Chaumont y prenait de Sigis-
mond de Montmorency, pour 200,000 livres, l'hôtel
Châtillon, le 10 avril 1720, et M»"" de Viviers n'avait
reçu auparavant du comte de Châtillon que 72,600
livres pour l'une de ses maisons. Ce n'était plus
le duc de Montmorency-Luxembourg, époux d'une
Châtillon ; mais c'était un comte de Montmorency
qui habitait encore la rue en 1752 et qui, de plus,
y achetait du bourgeois Petit, du marchand de
vins Delahaye et du mercier Mahon, tous trois-
syndics des créanciers de Caillou, une maison à
porte cochère et séparée de la rue de Bagneux
par une autre maison audit Caillou. Passagèrement
on fit de l'hôtel Montmorency proprement dit une
maison d'éducation, sous la République.
N°H1 et 18. — Qui songe à s'étonner que des
hôtels soient occupés par des peintres dont les
toiles s'étalent dans des palais ? C'est l'exception,
que n'est-ce la règle! M. Duval-Lecamus a surélevé
RUE DU CHERCHE-MIDI. 181
d'un atelier d'artiste une habitation de gentilhomme,
dans laquelle est mort le baron Le Mercier, gendre
du maréchal Jourdan, sur la rive gauche de la
rue du Cherche-Midi. Sur la droite, M. Mailand,
confrère de Duval-Lecamus, s'est accommodé, pour
un temps, d'une propriété échue aux hospices,
mais aussi bien née que l'autre sous Louis XVI,
puis hôtel de Lambrechts, ministre dQ la Justice
sous le Directoire et député sous la Restauration.
Le Cherche- Midi. — Qu'un rendez-vous nous soit
à charge, et que l'heure prise en soit midi, nous
cherchons tous midi à quatorze heures. Une en-
seigne, qu'avait inspirée cette vérité, a valu son
nom à la rue, dite aussi Ghasse-Midi et partiellement
des Vieilles-Tuileries, du Petit-Vaugirard. 0 bonne
fortune ! voici l'enseigne, médaillon en pierre d'un
moiule voyant, sur la façade du 19. La vente
s'est opérée en 1736 de la maison et d'une brasseiie,
à cette chère image du Cherche-Midi, par -Jacques-
Etienne Cousin, brasseur, à Françoise Fourcroy,
veuve d'Etienne Cousin, autre brasseur, moyennant
12,000 livres. Le bâtiment fit d'abord corps
avec ceux d'un couvent dont la chapelle, dédiée
à saint Joseph, était au 21, la porte principale
au 23. Or des religieuses auguslines de la con-
grégation de Notre-Dame s'installèrent là, en 1634,
sur un terrain acquis du sieur Barbier ; puis, de
1669 à 1790, ce fut le prieuré des bénédictmes
de Notre-Dame-de-Consolation, dont la ci-devant
propriété se vendit par lots de l'an vi à l'an vin
et servit à la formation de la rue d'Assas.
Écoles nationales de la Rue du Cherche-Midi.
— Elles s'ouvrirent, vers l'année 1786, soit à l'ancien
hôtel Montmorency, soit au n"31, qui fut pour le
moins une pension déjeunes gens, tenue sur le pied
militaire, pendant la première république.
M'^^ de Vérue. — Cette charmante comtesse
n'avait quitté Turin pour revenir en France qu'avec
n
18i RUE DU CHERCHE-MIDI.
une place retenue dans un couvent ; puis elle avait
reparu dans le monde, pour y tenir un grand état*
Elle n'était princesse que de la main gauche et
n'avait perdu dans son mari, qui avait péri à
la bataille d'Hochstet, qu'un inspecteur-général de
la cavalerie ; mais elle était née Jeanne- Baptiste
d'Albert, fille du duc de Luynes. On admirait à
l'hôtel de Vérue, dont les dépendances s'étendaient
aussi rue du Regard, des tableaux de maîtres
tlamands, un mobilier splendide, une volière peuplée
d'oiseaux rares, un écrin digne d'une reine. Et
quels soupers la comtesse y donnait ! Après' elle,
ce lut l'hôtel de Toulouse, dont M. de Scarnasis,
ambassadeur de Sardaigne, occupa au moins
la moitié. Les Conseils de guerre, y siègent
à-présent.
Le Bon-Pasteur, communauté fondée par une
protestante convertie. M""" de Combé, dans la
maison d'un calviniste que la révocation del'Édit
de Nantes avait poussé à s'expatrier, accueillait
des filles repentantes, qui entraient et se retiraient
à volonté. Affecté d'abord à la maimlention des
vivres militaires, cet ancien monastère qui tait vis-
à-vis au palais-de-justice de l'armée de Paris est
devenu prison de la même juridiction.
Plua haut à droite. — Quatre OU cinq hôtels
y paraissent dater de la seconde moitié du xvni^
siècle Nous les trouvons encore un peu jeunes pour
pour affirmer qu'il s'en équipa deux pour le
maréchal de Brancas, marquis de Séreste, qui
servit sur mer et sur terre. Mais s'il n'a pas
jeté l'ancre à ce degré de latitude, c'est plus
bas. Le 40 abrita bien le comte de Rochambeau et
son fils, dont la belle carrière militaire commença
aux États-Unis! La maison qui suit fut le chef-
lieu du district, section du Bonnet-Rouge.
Le 44, qui se trouvait le n^S de la rue des
Vieilles-Tuileries, réunie en 1832 à celle du Cherche-
RUE DU CHERCHE -MIDI. 183
Midi, fut bâti en 1770 pour la bisaïeule de la
détentrice actuelle. La première propriétaire avait
pour gendres Moreton de Chabrillan et Courtemer,
tous deux aides-de-camp de Lafayette lorsque ce
député à l'Assemblée-Nationale était commandant
de la garde nationale. L'arrière-corps-de-logis fut
habité par le comte Garât, sénateur et membre
de deux sections de l'Institut, qui avait eu à
notifier à Louis XVI son arrêt de mort, en qualité
de successeur de Danion au ministère de la Ju-tice.
La C/Omtesse Lacoste, femme d'un député du premier
empire, demeura sous le même toit. L'abbé Grégoire
y prit également domicile. Ce député jacobin, que
l'empereur travestit aussi en sénateur, avait prêté
serment l'un des premiers à la constitution civile
du clergé, comme évêque de Blois. Néanmoins le
cardinal Fesch, désirant qu'il rendît une visite à
Pie VII, lors du séjour forcé de ce pape à Paris,
dépêcha des prêtres chargés de conseiller à Grégoire
cette démarche. Les ambassadeurs l'abordèrent en
l'appelant : Monsieur le sénateur ; mais il commença
parleur dire : — Je n'y suis pas, messieurs, comme
sénateur ; l'évêque seulement veut bien vous rece-
voir Ce début de l'ancien curé et tout ce
qu'il dit h la suite faisaient bien craindre qu'il
mourût dans l'impénitence finale, et l'appréhension
s'en justifia le 28 avril 1834. Mais, l'archevêque
de Paris refusant à son tour les prières de l'Église
au mort, le peuple protesta contre la rigueur de
ces représailles posthumes, et le cercueil, porté
à bras, fut suivi de 20,000 fidèles, qui n'auraient
peut-être pas mis les pieds dans l'église.
Plus haut à gauche. — L'ambassade sarde avait ses
écuries passé la rue du Regard. Un hôtel de
Péruse-Escars se remarquait au-delà. N'a-t-il pas le
malheur de faire partie du gros pâté de maisons
à la démolition desquelles il est actuellement
procédé pour que les rues Saint-Maur et Sainte-
184 RUE DU CHERCHE-MIDI.
Placide aillent jusqu'à celle de' Vaugirard. La
poussière commence h tendre le grand linceul qui
doit tout ensevelir, depuis le 41, dont le rez-de-
chaussée est séculaire et où se trouve un café
d'artistes, décoré de jolies peintures dues aux pin-
ceaux de ses consommateurs, MM. Foulogne,
Harpigiiies, Guérard, Defaux, Cléry, Hamon, Gluck,
Nazon, Francis Blin et Eugène Tourneux, jusqu'au
71. Cette série de maisons, qui appartenaient aux
Hospices, va tomber plus difficilement qu'un château
de cartes. Une sentinelle y passait, h. la porte
d'un quartier de gardes-françaises, toutes les nuits
sur le qui-vive au milieu du xvn'' siècle ; la rue
de Bagnenx n'en était pas plus loin que celle du
Regard. Est-ce la façade du quartier que je vois
déjà nue, sans lérrure ni boiserie, sans vitre ni
gouttière ? Quel bruit font les premiers coups de
pioche ! Mais M. Haussmann est content.
Le Général Hullin. — Quant à l'hôtel Péruse-
Escars, nous le croyons plutôt au nombre des
maisons préservées que des atteintes, au-delà qu'en-
deça du n" 7i, qui lui-môme a fait couple avec
le 73, dont une rampe d'escalier est Louis XV.
La veuve d'un colonel. M"" Fournier dispose de la
plus grosse moitié. Un des parents de cette dame,
le général Hullin, a rendu le dernier soupir en
1840 dans son appartement ; c'était l'un des vain-
queurs de la Bastille, commandant de la place de
Paris sous l'Empire, retiré à Hambourg sous la
Restauration et aveugle sur la fin de sa vie.
iV«* 87, 89 et 91. — Au coin que voici de
la rue de Bagneux résidait le comte de Clermont-
Tonnerre, député aux États-Généraux, que la
populace immola plus bas, sur le chemin de son
hôtel, dans la journée du 10 Août. Le savant
Cabanis, qui épousa la sœur du général Grouchy
et de la veuve de Condorcet, y demeurait peu de
temps après : c'est le seul médecin dont Mirabeau
RUE DU CHERCHP;-MIDI. 185
consentît à recevoir les soins pendant sa dernière
maladie. Lors de son édification, ce triple bâti-
ment était un. La meilleure part s'en trouve, quant
à présent, à la disposition de M. Lucas de Monligny,
le petit-fils du prince des orateurs, dont nous
venons de prononcer le nom. Le maréchal
Lefebvre, duc de Dantzig, à également résidé
là ; sa vie militaire était une suite d'actions
d'éclat, parmi lesquelles figurait un service person-
nel rendu à la reine le 10 juillet 1789.
iV" 97. — Retraite qu'a appropriée k son usage,
par une restauration de bon goût et en y ajoutant
un fort joli jardin d'hiver, M. LeNormanl, depuis
longtemps libraire et impiimeur en nom du Journal
des Débats. En face de sa propriété, qui peut
compter pour centenaire, se trouvait l'hôtel de
Bissy, jeté bas sous le règne de Louis-Philippe :
la famille des comtes Thiard de Bissy avait fourni
un cardinal et l'un des poètes de la pléiade de
Ronsard. Aussi bien les écriteaux portaient encore,
dans le haut de la rue du Cherche-Midi, le nom
de rue du Petit-Vaugirard en 1831.
Au-dessus du Boulevard, vers 1760 :
Côté droit: — La fabrique de Téelise de Vaugirard,
propriétaire, avec un nounisseur pour locataire. — Maison
appartenant à la communauté de rEnfaot-Jésus, avec
Lejeune, maître de pension, pour occupant. — Barbier,
maître-macon.
Celé gauche: — Mi^e Chavanne, propriétaire, avec
un jardinier pour fermier.
Rue ^aint-Paul et rue Charle»^ V,
NAGUÈRE
IVeuve-i^aiiit-Paul. (i)
V Église. — La Prison. — Les Filles de Saint-
Paul. — Le Palais. — U Hôtel de Sens. — La
Reine Blanche. — M. de Lignerac et le M'^ de
Sade. — Les Brioches. — V Hôtel Saint-Maur. —
Les Eaux. — Coifjier. — Les Frères Paris. —
Le Médecin et X Apothicaire de Charles IX. —
La Varenne. — La M'^'' de Brinvilliers. — M"^'' du
Boccage. — L'Hospice médico-électrique. — M"*^ de
Serrant.
Saint Éloi a fondé dans la Cité, sous l'invocation
de saint Martial, un monastère de filles, plus
tard abbaye de Saint-Éloi. Nous rapportons ailleurs
comment ce monastère est devenu l'église Saint-
Bartbélemy, dont l'ancien bâtiment fait encore
face au Palais-de-Justice. Sainte Aure a été la
première abbesse de Saint-Martial, couvent qui,
peu d'années après sa fondation, comptait 300
religieuses. Le cimetière du monastère était situé
hors de la ville ; il attenait à la chapelle Saint-
Paul-des-Champs, également bâtie par saint Éloi
et que les Normands détruisirent. Rebâtie et
flanquée de tours aux wv et xni« siècles, c'était
déjà l'église d'un quartier ; elle fut agrandie encore
(1) Noiice écrite en 1861. La. rue Neuve-Sainl-Paul
n'avait pas reçu encore le nom du fondateur de l'ancien
palais de Saint-Paul. '
RUE SAINT-PAUL ET RUE CHARLES V, ETC. 187
par Charles V et dédiée de nouveau, en 1431,
par Jacques du Chàtelier, évèque de Paris. Henri III
y fit ériger h Quélus, Maugiron et Saint-Mégrin
de superi)es mausolées, que la justice du peuple
renversa deux siècles avant la Bastille. D'autres
monuments funéraires y piolégèrent plus longtemps
les cendres deRabelais, deHuet,évêqued'Avranches,
de Saint-Sorlin, d'Adrien Baillet, des deux Mansart.
Près de l'église, un bâtiment, dit originairement
la grange Saint-Éloi, se convertit de bonne heure
en prison. Aux pris(>nniers qu'on y a égorgés, le
12 juin 1418, a survécu Villelte, abbé de Saint-
Denis, échappé tout seul au massacre : il avait
eu le temps de revêtir l'habit sacerdotal, en se
plaçant, une hostie h la main, sur les marches de
l'autel. La grane est devenue postérieurement une
prison de femmes, mais qu'on a, vers la fin,
restituée U Vautre sexe. Il y avait alors, dans un
passage co^^^^gu >> l'église, une communauté de filles
de Saini-Paa\, qui se composait vraisemblable-
ment des sœurs de charité attachées à cette paroisse ;
leur ci-devant place a élé prise, sous le premier
empire, par une communauté de pauvres ouvrières,
au nojpbre de 48 jeunes filles. L'aliénation par
l'État de Vancienne prison de _ Saint-Éloi est du
25 vendémiaire an V ; celle dé l'église est du 6
nivôse même année. Or le numéro 34 actuel de
la rue' Saint-Paul appartenait h ladite église, et il
y touchait d'une part, comme d'autre part à la
prison, dont le geôlier en chef a habile un corps-
de-logis du 38. VjCS filles de Saint-Paul occupaient
la première de ces maisons, dans laquelle se
retrouvent et des balustres d'escalier tournés au
xiv' siècle et un passage Saint-Pierre, qui mène
rue Saint-Antoine, mais qui n'a pas toujours été
ouvert. L'autre bâtiment que nous signalons porte,
comme hôtel-garni, une dénomination rappelant le
séjour royal de Saint-Paul, dont il a lait partie.
188 RUE SAINT-PAUL ET RUE CHARLES V,
La prison de Saint-Éloi, ainsi que tout le territoire
qui, de ce côté de la rue, n'appartenait pas à
l'église, avait dépendu du palais.
Non-seulement Charles V, n'étant encore que
dauphin, a créé ce royal séjour, sous les auspices de
l'église du lieu ; mais encore, étant rôi, il a fait
élever la Bastille, pour tenir en respect les soldats
du séditieux duc de Bourgogne, et il a pris sur
les jardins de l'hôtel l'emplacement donné aux
célestins. Ce domaine princier, réuni en 1364 au
domaine de la Couronne comme hostel solemnel
des grants esbatemens, avait été formé, pendant la
captivité de Jean-le-Bon en Angleterre et le Dauphin
étant régent, par l'acquisition de plusieurs hôtels
et au moyen d'une taille particulière établie sur
les Parisiens. Il avait tini par s'étendre de l'autre
côté de la rue Saint-Paul et au-delà même de
YAve-Maria, rue des Barrés. L'hôtel de Sens ayant
été vendu au Dauphin, en 1363, par Guillaume
de Melun, archevêque de Sens, Jean-le-Bon y avait
lui-même résidé. Diverses pièces de cet hôtel de
Sens ont été spécifiées la chambre où gît le roi,
la chambre des nappes, la grand'chamhre du retrait,
la chambre de Vestude, les estuves, les chauffedoux ;
mais, sous François P', a été rétablie la résidence
archiépiscopale dont, nous parlons dans l'historique
de la rue du Figuier et de la rue des Barrés.
Un autre hôtel se qualifie ancien logis de la
reine Blanche, au coin de la rue Saint-Paul et de
la rue des Barrés. On y remarque un chiffre
merveilleusement sculpté, la décoration d'une alcôve
qu'un atelier a le bon goût de respecter, des
mansardes du xvr^ siècle et une rampe de fer
moins ancienne. Les béguines de YAve-Mar^ia ont
été établies par saint Louis à côté du séjour de
la reine-mère, que le palais a dû également englober
au siècle suivant. M. Bournet-Verron, notaire, est
présentement propriétaire de cette maison, qu'il
NAGUERE NEUVE-SAINT-PAUL. 189
tient de son beau-père, et que l'État a vendue
pendant la République. M. Bouniet-Verron, n'ayant
entre les mains aucun titre de propriété séculaire,
nous permettra de lui apprendre que son immeuble,
au xvni« siècle, était l'hôlel de Ligiierac. Une
baronnie audit nom était possédée, dans la Marche
limousiiie, par la maison de Robert de Mure.
Toutefois M. de Lignerai, dont les petits-soupers
n'ont pas laissé que de faire quelque bruit, portait
le titre de marquis. Ses commensaux étaient
principalementle marquisde GaucourtetM. Dutillet,
et il donnait en ce temps-là 25 louis par mois
à Collette, de la Comédie-Italienne, chez laquelle
ce chef-d'emploi se contenta ensuite de servir de
doublure, par mesure d'économie, au trop fameux
comte de Sade, plus tard marquis. Ce dernier avait
été conduit à Vincennes par ordre du roi, en 1763,
puis dans les terres de son beau-père ; on lui
avait permis, l'année suivante, de reparaître en
ville, mais la police avait défendu à la Brissault
et li d'autres appareilleuses de lui confier des filles
hors de leur surveillance directe. La comtesse de
Lignerac disposa aussi, sous Louis XVI, d'une
propriété venant après l'ancien logis de la reine
Blanche.
M. de Malerme en avait deux en face de la rue
des Lions-Saint-Paul ; la comtesse de Percuit ou
de Péreuil, deux autres vis-à-vis la rue Neuve-
Saint- Paul ; la comtesse de Fontelet, trois ou quatre
du même côté. Le 35, avec une autre maison
contiguë, appartenait aux De Sève : un conseiller
d'État, membre de cette famille d'origine piémon-
taise, avait épousé une fille de Guéiiégaud, trésorier
de l'épargne. A la fabrique de Saint-Louis étaient
deux maisons, situées à l'entrée d'un cul -de-sac,
maintenant passage à l'église. Là se trouvaient
sans doute les six étaux de la boucherie ouverte
dans la rue. Mais l'angle de celle Saint-Antoine
190 RUE SAINT- PAUL ET RUE CHARLES V,
avait été incontestablement occupé au xvn« siècle
par Flécheux, pâtissier, dont les brioches avaient
de la réputation ; les prisonniers de la Bastille
en faisaient prendre de toutes chaudes : ils étaient
les premiers servis.
Des autres pièces du palais Saint-Paul on a
distingué, sous le règne de Louis XI, le retrait
où dit ses heures monsieur Louis de France ; cette
pièce ne dépendait ni de l'ancien hôtel de Sens, ni de
l'hôtel de Puytemuce, mais faisait partie de celui
qu'on avait appelé Saint-Maur et de la Conciergerie,
sis entre la ménagerie, que représente la rue des
Lions, et l'église Saint-Paul. Charles V y avait
logé ses deux fds ; la reine Isabeau y avait établi
quelque temps après les écuries de sa maison.
La compagnie des Eaux de Seine clarifiées, qui
siège n° 4, nous rappelle qu'en la même rue des
bains se coulaient chez Godefroi VEstuvéeur l'an
1292. A vingt-trois années delà, Jacques de Laigny
était le particulier notable de la rue Saint-Paul,
où le nommé Hancqun de Holla^id, taunier, servait
à boire et à manger. CoifTier, commis d'Émery
de Particelli, a marqué 5 son tour sur la ligne
de nos numéros pairs ; ce financier en sous-ordre
était tils d'un commissaire au Chàtelet, mais petit-
fils de la Coilfier, pâtissière connue pour avoir été
la première à servir des dîners à tant par tête.
Ledit 4 émargeait du royal séjour et en retenait
encore le nom quand les frères Paris, ces quatre
fils Aymon de la finance, y demeuraient, sous la
Régence, Leur hôtel, sis entre une fontaine, qu'on
nommait le regard Fieubet, et le quai des Gélestins,
passa La Vieuville, et c'était vraisemblablement du
fait de la famille de M'"'' de Paiabère, née de la
Vieuville ; une enseigne du Dauphin, royale quand
même, flottait alors à la porte d'un traiteur du
voisinage ai)pelé Florent.
La rue Neuve-Saint-Paul, dont une moitié a
NAGUERE NEUVE-SAINT-PAUL ]91
porté jusqu'en 1844 le nom de rue des Trois-
Pistolets, s'est ouverte au milieu du xvi'^ siècle
sur le terrain des écuries d'Isabeau, mais sans
jeter bas. tout ce qui s'y élevait. La preuve, c'est
que Léonard Botal, médecin de Charles IX et de
Henri III, a habité l'ancien hôtel Saint-Maur.
D'ailleurs, cette tourelle que nous voyons encore
au coin de la rue des Lions, y est-elle tombée
des nues? Si ses dimensions étaient celles des
tours qui gardaient autrefois la résidence royale
dont nous parlons, la voie publique serait inter-
ceptée. Ce Botal qui n'était pas fâché de s'y
retrancher dans un reste de fortifications, il
inaugurait, comme médecin, l'ère de la saignée ;
il avait sous ses ordres l'apothicaire du roi, qui
pouvait bien être un Séguier, et qui tenait poui-
les purgatifs ; ce médecin et cet apothicaire va-
laient donc, à eux deux, le docteur Sangrado,
création de Lesage, dans laquelle Rabelais aurait
sans doute retrouvé deux anciennes connaissances,
bien qu'il fût enterré au cimetière de Saint-Paul
depuis 4583.
L'entre-deux de l'église et de l'ancienne ménagerie
a été habité aussi par La Varenne, qu'un chroniqueur
nous donne pour ancien fouille-au-pot et cuisinier,
devenu porte-manteau de Henri IV et, mercure de
ses plaisirs. Ce parvenu eut assez de crédit pour
favoriser le rétablissement en France des jésuites,
qui lui durent le collège de la Flèche, auprès
duquel il se relira très-riche. N'est-ce pas de la
jolie tourelle que l'intrigant avait vu venir son
monde ?
Mais on y cherche plutôt l'empreinte des pas
d'une femme dont les passions donnaient la mort.
Le bruit court que M'"- de Brinvilliers y aurait
caché son amant, puis le premier fourneau de
sa criminelle oiVicine, sous le même prie-Dieu.
Mais nous considérons comme plus certain que
192 RUK SAINT-PAUL ET RUE CHARLES V,
la célèbre empoisonneuse a demeuré au n" 12,
rue Neuve-Saitit-Paul, avant de passer au quartier
de la Tournelle. Il est vrai qu'elle pouvait avoir
simultanément grand et petit hôtels près Saint-
Paul sans qu'ils attinssent tout-à-fait l'un à l'autre.
On revoit dans celui de la rue Neuve, en haut
d'un escalier, un bas-relief où figurent des cornues.
Quelles armes parlantes ! Un avocat de notre temps
en profiterait pour plaider la monomanie, pour
obtenir des circonstances atténuantes, et la Brinvil-
liers n'aurait plus de peine capitale h subir. Le
10, même rue, n'est qu'un démembrement de
ladite propriété, où demeurait un Paris de la
chambre des Comptes dès 1692, postérieurement
hôtel de l'Aigle, puis logis et bureau de Rivière,
arpenteur de la maîtrise des eaux-et-forèts, ac-
tuellement en la possession des sœurs hospitalières
de Bon-Secours.
Aux chiffres impairs de la rue Neuve-Saint-
Paul nous ne réclamerions en vain : ni un appar-
tement qu'a occupé M"'* du Boccage, née Lepage,
prônée par Fonteneile et Voltaire, mais auteur de
poèmes obscurs, morte nonagénaire pendant le
Consulat ; ni les anciens hôtels Gourgues et
Delaunay, qui pouvaient n'être que deux phases de
la même planète ; ni une maison hospitalière,
desservie par des sœurs de Saint-Thomas-
de-Villeneuve. Les célestins étaient proprié-
taires de cette dernière maison, où se forma
en 1783, sous les auspices du roi et de M. de
Vergennes, un hospice médico-électrique. Ledru
père, surnommé Connus, y traitait encore les
affections nerveuses sous TEmpire, mais sans le
concours des sœurs de Saint-Thomas ; il était
aidé par son fils, et les malades n'avaient rien à
payer pour pi-ohter de ses expériences.
L'autre rue, par exemple, avait pour habitante
la plus jolie femme du quartier, sous Louis XV,
NAGUERE NEUVESAINT-PAUL. 193
M""' de Serrant. Son mari, gouverneur des pages
du duc d'Orléans, ne lui souffrait pour galant
prolecteur le fermier-général Bouret qu'à la
condition pour celui-ci d'afficher également comme
sa maîtresse M""^ Filleul, femme d'un intéressé
dans les affaires du roi. Les deux rivales, loin
d0 s'arracher les yeux, prenaient leur mal en
patience, et elles faisaient souvent de compagnie
des parties de campagne h Croix-Fontaine, avec
le financier. M'"" de Serrant était la locataire de
M. de la Vicuville.
Plus lard, le citoyen Cardon a installé au ci-
devant hôtel La Vieuville une manufacture de
tabac, remplacée vers 1808 par rétabli5>sement des.
Eaux. L'hôtel ainsi transformé en usine s'était
lui-même détaché du palais de Saint-Paul, sous
le règne de Henri IL Les prédécesseurs de ce roi
avaient fixé leur résidence au château dei? Tour-
nelles, et, dès l'année I0I6, Jacques de Genouillac,
dit Galliot, grand-maître de l'artillerie, avait acquis
de François I" une portion du séjour abandonné.
Rue de Harlay-au-illarais* (i)
Les filles du Saint Sacrement avaient reçu de
la Ville, par voie d'adjudication, U^errain que ces
religieuses avaient vendu au chancelier Boucherat ;
le jardin de l'hôlel Boucherat, situé rue Saint-
Louis (2), ne finissait qu'au Boulevard. La fille du
chancelier, Anne-Françoise-Marie-feouise Boucherat,
veuve de Auguste de Harlay, coi-seiller d'État,
vendit en plusieurs lots une portion du jardin de
l'hôtel, après avoir obtenu l'autorisation de percer
la rue de Harlay, qui fut livrée à la circulation
en l'année 1721 et sur laquelle le Saint-Sacrement
avait une issue.
On y retrouve trois maisons séculaires qui ont
perdu à la Révolution leur dénomination d'hôtels
de Ruault, de la Blache et de Villars, et aux-
quelles se sont ajoutées des constructions.
La rue Neuve-de-Harlay, qui ne se distingue plus
de la vieille, avec laquelle elle formait équerre, était
perpendiculaire au Boulevard. Une place de 242 toises
y échut à la susnommée M"'*" de Harlay, née
Boucherat, par donation de Françoise de Loménie,
seconde femme du chancelier Boucherat.
L'aînée de ces deux rues vit de bonne heure
affluer les gourmands du Marais chez Leroux,
pâtissier-traiteur, renommé pour « des pâtés en
croûte fine de jambon de Bayonne, des dindons
à la Oatinoise, des têtes de veau farcies, etc.
(1) Notice écrite en 1861.
(2) Maintenant rue Turenne.
Rue 8aiiit-8ébastîeii. (i)
L'enseigne d'un ébéniste pourrait avoir été, dès
le commencement du siècle précédent, celle de la
maison qu'il occupe, n'^ 1^2, et avoir fait changer
en ce temps-là le nom de Saini-iLtienne, que la
rue tenait d'un autre tableau parlant. Mais une
compagnie d'arbalétriers, dont Saint-Louis fut
membre, avait pour patron saint Sébastien ; elle
se fondit dans le corps des archers, chevaliers de
l'Arquebuse et de l'Arc, qui avaient leur lieu de
réunion et d'exercice depuis l'année 1604 à l'entrée
actuelle de ladite rue quand la plantation des
contr'allées du Boulevard, maintenant remplacées
par des maisons, lit reporter le jardin de l'Arque-
buse près la rue de la Roquette, en regard de la
Bastille. En l'honneur de cette compagnie fut ar-
borée probablement l'enseigne. Outre une barrière
de la ville, la rue Saint-Sébastien ne comportait
d'abord que des champs, des jardins et 6 maisons,
dont celle que nous croyons sa seconde mère, con-
struction basse assez curieuse. UnnUelier de mansar-
des en Ibime de guérites y borde une petite cour :
on s'y cronait dans un château de cartes.
Un bâtiment d'aspect tout différent répond au
chiffre 44 ; la rue n'en voit que le prolil, dans
une muraille percée de jours irréguliers et d'une
seule fenêtre, dont la ferrure est vieille. Cette
habitation paraît avoir compté sur une avenue ou
(1) Notice écrite en 1861, avant que la rue fut traversée
par le boulevard Richard-le-Noir et par celui du Prince-
Eugène.
196 RUE SAINT-SEBASTIEN.
un chemin antérieur à la rue Saint-Sébastien pour
communiquer avec celle Popincourt.
Sur la même ligne, une dizaine d'années avant
l'écroulement de la Bastille, l'architecte Carteau
habitait la maison qui venait la seconde; Gérard,
chandelier, la troisième, après laquelle il n'y en
avait plus à porte cochère ou plus du tout.
Du côté opposé, M. de Saint-Germain, capitaine
des chasses, avait ses deux propriétés, qui pro-
bablement englobaient nos n"' 9, 19 et 25. Une
seule au même endroit, et elle tenait moins de
place devant qu'en profondeur, était à M. d'Ormesson
de Noiseau, en 1787.
Il y avait alors dans la rue une manufacture royale
de terre d'Angleterre. Le directeur de cet établis-
sement demeurait-il au 24, au 36 ou au 48 ? Deux
de ces trois propriétés avaient, comme petites-
maisons, la spécialité des bonnes fortunes et de»
gaietés nocturnes. Le dépôt-général des pompes
antiméphytiques des bâtiments du roi, pour le service
de la vidange, n'en était pas moins établi dans
le cul-de-sac Saint-Sébastien.
Rne Sainte-Croix-de-la-Bretoniierie. (i)
La petite Bretonnerie et la grande. — Les Chanoines
réguliers. — La Famille Luillier. — Lalande. —
Une Partie carrée au Bal de V Opéra. — Le
Bijoutier Strass. — Hôtel Peletler. — Vol d'un
Marteau de Porte- cochêre. — Les numéros 21
et 39. — L'infortuné Kornmann.
La petite Bretonnerie et les Arres des Vignes
étaient deux petits fiefs assis près de la porte
Saint-Jacques et appartenant aux filles de Long-
champs, religieuses établies derrière le bois de
Boulogne ; l'école de Droit y remplace l'ancien collège
de Lisieux, près duquel une ruelle de la Bretonnerie
se faisait jour. Le fief de Saint-Pierre-de-Lagny et le
champ aux Bretons ont donné autre part naissance à
une rue de la Grande-Bretonnerie, qui s'y distin-
guait de celle de Lagny avant de l'absorber.
Saint Louis y avait un hôtel des monnaies, dont
il gratifia des religieux originaires de Liège. Le
docteur Robert Sorbon, chapelain du roi, chanoine
de Cambrai, abandonna aux mêmes moines des
maisons contiguës; le roi, pour l'en indemniser,
se dessaisit en sa faveur de trois maisons rue
Coupe-Gueule, où le savant fonda bientôt le collège
de la Sorbonne, que fit reconstruire plus tard
avec magnificence le cardinal de Richelieu. L'église
des religieux casés à la grande Bretonnerie s'est
dédiée sous le titre de l'Exaltation-de-Sainte-Croix,
qui a fait appeler la rue où elle avait son entrée
(1) Notice écrite en 1861.
13
198 RUE SAINTE-CROrX-DE-LA-BRETONNERIE.
principale Saiiite-Groix-de-la-Bretonnerie. Le car-
dinal de Larocliefoucauld réforma sous Louis XIII
cet établissement monastique et y introduisit des
chanoines de Sainte-Geneviève, abbaye réformée
à la même époque ; seulement les anciens membres
de ce chapitre ne résistaient pas moins aux innova-
tions que les chanoines de Sainte-Croix, et ceux-ci
obtinrent un ordre du roi qui, au bout de trois
mois, les remit exclusivement en possession de leur
couvent, dont ne changea que la règle. Nous y avons
déjà introduit le lecteur par la porte conven-
tuelle de la rue des Billettes. Du côté de la rue
Sainte-Croix résidait le provincial des autres maisons
de France du même ordre, et c'était le frère du
maréchal de Balincourt lors de la seconde inter-
diction de la compagnie de Jésus dans le royaume.
En cette maison principale, qui était de fondation
royale, chaque religieux devait recevoir de sa
famille, au minimum, une pension viagère de 200
livres, qui dans les succursales demeurait purement
arbitraire ; on regardait moins à la dot qu'à la
famille pour y donner l'habit. Le novice portait,
en attendant, une soutane noire, et tant qu'il ne
l'avait pas prise aucun jour ne comptait pour
l'année du noviciat. Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie,
qui, en réunissant'les crieurs-jurés des inhumations
dans son sein, servit de berceau à l'administration
des Pompes-Funèbres, fut longtemps dépositaire
des minutes du conseil privé; sa bibliothèque
estimée était à la disposition des savants et des
curieux ; ses chanoines prenaient même des laïques
pour locataires, moyennant 200 livres par an et
800 nourriture comprise.
Outre les bâtiments conventuels, dont plus d'un
survit à l'église dans le passage Sainte-Croix-de-
la-Bretonnerie, le chapitre n'avait-il pas plusieurs
maisons rue des Billettes et deux se suivant rue
Sainte-Croix ? Celles-ci avaient appartenu à Dreux-
RUE SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE. 199
Hennequin, abbé de Bernay, conseiller au parle-
ment sous Louis XIII, puis à l'une de ses héritières,
femme de Denis Feydeau de Brou : nous en
revoyons une au n° 35. L'administration de tous
les biens des chanoines réguliers de Saint e-Croix-
de-la-Bretonnerie, maison de Paris, fut confiée
par arrêt du conseil, le 10 juin 1778, à M. Bollioud,
receveur-général des rentes du clergé, et des
baux furent consentis à de plus stables locataires
par ledit administrateur, qui demeurait un peu
plus tai'd dans la rue et l'hôtel qu'habite pré-
sentement M. James de Rothschild.
Le comte de la Martellière disposait alors du
n° 5, rue Sainte-Croix-de-la-Bretoimerie. On y
remarque, dans le fond, un bel escalier h balustres
de chêne, sur lesquels a pu s'appuyer un changeur
du temps de Jean-le-Bon et de Charles V, qui
avait nom Robert Luillier et de qui descendait
Eustache Luillier de la Malmaison, prévôt-des-
marchands dans les premières années du xvi^
siècle. Il est du moins à notre connaissance que
Geoffroi Luillier, seigneur de la Malmaison et
d'Orgeval, a hérité de ses ancêtres une propriété
peu distante de Sainte-Croix ; qu'il a fondé dans
cette église la chapelle de sa famille, et que son
fils, Nicolas Luillier, a épousé la fille de Faucon,
marquis de la Luzerne. De la maison dudit La
Martellière, rien n'empêchait que se fût détachée
celle de Lartat, ou mieux encore celle de
Pannetier, faisant le coin de la rue Bourtibourg.
Les numéros 11, 13, 15, 17 et 19 appartenaient
àThureau, Drouard, Lefebvre, Guérin et Leboucher.
La ligne brisée par l'embouchure de la rue
Bourtibourg n'est pas celle où nous recherchons
l'hôtel Lalande vers le même degré de latitude.
L'astronome Lalande prenait en pension, mais
à perte, des jeunes gens dont l'amour de la
science le poussait à faire ses élèves. Ce savant
200 RUE SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE.
s'amusait à manger des chenilles, comme le moineau-
franc, et ne croyait pas plus en Dieu que s'il
ne savait pas un mot des autres secrets du ciel . N'est-ce
pas au 14 ou au 16 que se trouvait l'hôtel Lalande ?
L'un des deux pour le moins a été d'Amblimont.
Nom que répète un indiscret écho, dans la chronique
des bals de l'Opéra, note du 13 février 1767 :
» M. de Bargemont, colonel du régiment de Soubise,
ne cache pas son intrigue avec M"" de Beauharnais ;
ils ont disparu ensemble pendant trois heures au dernier
bal deTOpéra. M. de la Sablière, chevalier de Saint-
Louis, qui a été dans l'Inde, faisait partie carrée avec
M™» d'Amblimont. «
Cette nouvelle à la main, qui aurait inspiré
de la jalousie h Dorât, ménageait le mieux possible
M. Claude de Beauharnais, en dissimulant l'exis-
tence de (;e mari de Fanny Beauharnais, capitaine
des vaisseaux du roi. Fanny était la tille d'un rece-
veur des finances nommé Mouchard ; elle
faisait jusqu'h des comédies et vivait en garçon
d'esprit.
Un peu plus bas était propriétaire d'une maison
décorée d'un fronton, le bijoutier Frédéric Strass,
dont le nom et l'état s'accordaient parfaitement.
Strass ne veut-il pas dire cristal en allemand ?
Pline citait déjà comme une industrie lucrative
chez les Romains l'art d'imiter les pierres pré-
cieuses, pratiqué par les alchimistes au moyen-âge
et perfectionné en Allemagne avant de prendre
à Paris des développements nouveaux. Le droit de
bourgeoisie que Frédéric Strass avait su acquérir
se brisa comme verre, à son tour ; la maison du
bijoutier fut saisie, h la requête d'un serrurier,
et adjugée en cour des Aides à l'échevin Bernard,
qui s'y fixa.
Le fermier-général Romans avait entre les murs
d'après sa résidence, sous Louis XIV : la rue
RUE SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE. 901
comptait en ce temps-là 57 maisons, 20 lanternes.
Le règne suivant vit stationner sous ce toit Le
Peletier de Morfontaine, intendant delà généralité
de Soissons, puis conseiller d'État, qui de là fut
habiter l'hôtel Roquelaure, rue Notre-Dame-de-
Nazareth, en y transférant son cabinet de peinture.
Cet homme à bonnes fortunes, que s'était attaché
pendant plusieurs années la duchesse de Mazarin,
la laissa dans les meilleurs termes avec M. de
Sainte-Foix, trésorier de la marine, qui toutefois
n'était pas alors sans engagement avec Jeanne
Vaubernier à la veille de passer M"" Dubarry. Le
Peletier, trésorier d'Amiens, remplaçait M. de
Morfontaine rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie : il
avait installé un curieux cabinet d'histoire naturelle
dans l'ancienne galerie de peinture. L'hôtel, qui
est devenu depuis 1840 la mairie de l'arrondisse-
ment, a gardé bonne contenance. Mais la conser-
vation a été moins heureuse quant au marteau
arlislement ciselé dont la grande porte était tière :
il a été enlevé la nuit, en 1858, par un véritable
amateur, dont le signalement n'a pu, en même
temps que celui du marteau, être expédié à la
police de Londres, qui se livre encore à des
recherches ad hoc.
Un des hôtels situés vers le milieu de la rue
servait de bureau, sous Louis XVI, à Dufresne de
Saint-Cergue, contrôleur-général de la maison de
Madame. On y trouvait, au commencement de
l'Empire, une Caisse des employés et artisans, dont
les actions étaient de 30 francs. Nous croyons
que l'un et l'autre de ces renseignements intéressent
le 21.
Le 39 fut laissé par Quentin, baron de Champlost,
premier valet-de-chambre du roi, à QuentiH,
chevalier de Champlost, mestre-de-camp de cava-
lerie, également valet-de-chambre du roi, lequel''
demeurait au vieux Louvre et faisait gérer ses
S02 RUE SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE.
affaires par Jean- Charles Guinard, fourrier du corps
de la comtesse d'Artois.
A la famille Feydeau de Brou avait appartenu
le 44. Il y a demeuré un mari trompé qui, loin
de prendre son mal en patience, le criait par-
dessus les toits. M. Guillaume Kornmann, prédestiné
de nom à ce genre de mésaventures, avait été
banquier, intéressé dans les affaires des Quinze-
Vingts. Il accusait publiquement d'avoir été les
amants de sa femme MM. Daudet de Jossan,
Caron de Beaumarchais, Lenoir, ancien lieutenant-
général de police, et le prince Louis de Rohan,
avec des circonstances aggravantes, qu'il relevait
avec aussi peu de scrupules. M""^ Kornmann était
aussi fidèle épouse que jolie avant que le premier
l'eût séduite et puis rendue mère ; le second, non
content d'empêcher que l'ordre se rétablît dans
le ménage, s'était mêlé des affaires de banque du
mari et lui avait fait faire faillite ; le troisième, de par
le roi, avait soustrait la femme à l'autorité de
l'époux outragé, qui l'avait mise dans une maison
de correction ; le quatrième enfin, par ses lar-
gesses, avait corrompu tous les domestiques de
M. Kornmann et protégé la fuite d'un malfaiteur.
Rue des Lombards, (i)
Boccace. — Les Pourpointiers. — La Buffeterie. —
Les Lombards. — Les Catherinettes. — Le Poids-
du-Roi. — Le Mortier-d'Or. — Le Fidèle- Berger.
— Autres Enseignes.
Ah ! que nous donnerions avec plaisir trois
squares et une trentaine de rambuteaux, créations
de notre temps, pour retrouver dans la rue des
Lombards la maison où est né Boccace. Ne peut-
elle pas encore y subsister?
Celte rue, qu'un large boulevard a de nos jours
pei'cée de part en part, ét;iit déjà bâtie à l'époque
de la V* croisade ; on la disait de la Bufl'eterie à la
fin du xu« siècle et de la Pourpointerie sous
Louis XIIL II s'y était pourtant établi des lombards
dès le règne de Philippe Auguste, c'est-à-dire des
prêteurs sur gages, primitivement originaires de la
Lombardie, qui ont fait longtemps appeler, par exten-
sion, jusqu'aux bureaux de prêts des lombards
et des milans : industrie particulière anéantie,
ou du moins rendue clandestine, sous Louis XVI,
par la fondation du Mont-de-Piété. Les plans de
Paris donnaient officiellement, depuis 1652, à l'an-
cienne rue de la Pourpointerie la dénomination qui
devait prévaloir et qui était adoptée par l'usage
depuis un temps beaucoup plus reculé. La con-
frérie des Pourpointiers, dont le bureau originaire-
ment s'était ouvert dans cette rue, fusionna avec
(1) Notice écrite en 1861.
204 RUE DES LOMBARDS.
celle des Tailleurs d'habits en 1655. Le nom plus
ancien de Buffeterie provenait du voisinage des
Halles â une époque où l'une des acceptions du
mot hiiffet avait pour sinonyme bureau; une or-
donnance de 1368 disait : « Seront au buffet de
la Halle des clercs sermentés ».
Quant à Boccace, il avait vu le jour en l'année
1313, et sa naissance était le fruit d'une liaison
contractée en dehors du mariage par un marchand
de Florence ; son père l'avait renvoyé à Paris pour
qu'il s'y formât au commerce, mais il avait une
autre vocation, à laquelle se doit son immortalité.
Boccace fut donc Parisien, par les impressions
de l'adolescence encore plus que par la naissance,
et ne devait-il pas en jaillir cette sève tout-à-fait
française qui perce à chaque instant, sous la tendre
écorce italienne, dans le génie du poète et du
conteur? Tous les milans établis à Paris ne
l'étaient pas près du berceau de Boccace; on en
connaissait du Petit-Pont, d'outre-Petit-Pont, de
Saint-Germain-des-Prés. La taille de Philippe-le-
Bel frappait dans la capitale, en fait de lombards,
autant de compagnies florentines, génoises et
vénitiennes que de compagnies milanaises. Ceux
de la rué ou du quartier des Lombards s'inscri-
vaient ainsi :
« Philippe le lombart, près de sire Guillaume Bour-
don ; Bi.he Je lombart; Raimbaut le lombart ; Courtat
le lombart ; Jacques le lombart, qui a la fille à la
belle âmelot ; Foursi le lombart ; Bouchet le lombart ;
Perruche le lombart ; Rogier le lombart ; Bertaut ;
Cristophe ; François; Vivien, de Milan.
Nous regrettons de l'hospice Saint-Catherine,
qui s'élevait rue des Lombards à l'angle méridional
de la rue Saint-Denis, d'abord la porte, que
décorait une belle statue de sainte Catherine, ouvrage
de Renaudin. Mais dites-moi quel est l'asile gratuite-
RUE DES LOMBARDS. «05
ment ouvert aux bonnes sans place, qu'accueillaient les
hospitalières de Sainte-Catherine, soumises comme
religieuses à la règle de saint Augustin? Elles
étaient tenues de loger pendant trois jours les
filles attirées dans la grande ville par l'espoir
d'y entrer en condition et qui ne trouvaient pas
tout de suite à se placer. Ces religieuses étaient
chargées, en outre, de faire enterrer tous les
morts qu'on exposait à la Morgue du Chàtelet
et qui n'étaient pas réclamés. Ce service répugnant
est entièrement confié h des mains mercenaires
depuis la suppression de l'établissement des pieuses
filles qui, en remplissant un grand devoir, servaient
de famille à qui n'en avait plus. Les catherinettes
étaient au nombre de 30 en 1770 ; elles donnaient
en location, rue des Lombards, plusieurs maisons
à des particuliers ; il doit en rester une ou deux
en face de l'emplacement que les religieuses
occupaient.
Le même rue avait le Poids-du-Roi au commen-
cement du règne de Louis XIV. Il y demeurait
un juré-peseur, que nommaient les épiciers et les
apothicaires, en tant que préposés à la garde et
et à la véritication des poids et mesures ; ce juré
conservait les poinçons, les matrices, les étalons
des poids et mesures d'un usage légal en ville.
Les revenus dudit Poids public avaient d'abord
appartenu au roi ; mais Louis-le-Gros en avait
gratifié Henri de Puelle, divers particuliers en
avaient joui postérieurement, puis la propriété en
avait fait retour à la Couronne, qui s'en était de
nouveau dessaisie, et enfin le chapitre de Notre-
Dame avait acquis le Poids-du-Roi, avec le droit y
attaché de visite sur les balances. Pendant toute
la durée de la foire de Saint-Ladre on transportait
ce Poids dans les Halles et il tinit par y rester.
L'établissement d'un droguiste à l'enseigne du
Mortier-d'Or, fondé en 1689, passe pour occuper
206 RUE DES LOMBARDS.
l'ancien bureau du Poids-du-Roi ; mais cela n'est
absolument exact que si le magasin, que tenait en
1745 M"« Brocliot, a reculé depuis de quelques,
maisons.
Le Fidèle-Berger, magasin de confiseur touchant
au Mortier-d'Or, a déjà fourni les dragées de
plusieurs millions de baptêmes et les bonbons
d'éirennes en boîtes ou en sacs de 140 premiers-
de-l'an. Mais presque tous les titres de noblesse
commerciale dont se parent les maisons de la rue
des Lombards seraient d'une origine plus reculée
si les droguistes et les confiseurs n'y avaient pas
eu intérêt à substituer des enseignes anodines à
celles de l'usure, du prêt sur nantissement et
même de la droguerie d'importation italienne. Gallet
ne se niontra pas le plus honnête de ces droguistes;
collaborateur de Panard, de Collé, de Piron,
et aussi joyeux que buveur, il se réfugia, en
état de banqueroute, au Temple, qui était lieu
d'asile pour les débiteurs poursuivis et qu'il appelait
le Temple des Mémoires.
Notre-Dame-des-Victoires est encore la patronne
d'une maison jadis habitée par Courtinay, médecin,
rue de la Pourpointerie. Ce médecin, qui traita
d'une charge de secrétaire du roi en 1638, y
gagna l'anoblissement et s'appela Courtinay de
Péreuse.
Trudaine disposait, sous Louis XVI, de la pro-
priété qui vient immédiatement après la rue
Nicolas-Flamel. Trois autres maisons peu éloignées
appartenaient alors à Fildesoye, à Sarrazin et à
M™*' Badouleau. Gautier avait acquis en 1767 une
maison, sorte d'échelle de cinq pièces superposées,
qui touchait à l'hôtel du Saint-Esprit et faisait
retour sur la rue Saint-Martin ; elle avait été
laissée en 1663 par Monnier, notaire, à Anne
Monnier, veuve deTisseney, marchand de Bordeaux.
RUE DES LOMBARDS.
207
Aussi bien M"" Brochot aurait pu certifier que,
de son temps, 29 façades en regardaient 32 dans
cette rue, et que, sur les deux rangées, 12,
tout au plus, avaient laissé tomber, dans la répara-
tion ou la reconstruction, leur enseigne sans la
"relever. Les images survivantes se présentaient dans
cet ordre :
#auct)e :
Bxaitt :
à partir de la rue Saint-Martin.
Les Deux-Anges.
L'Etoile-d' Argent.
L 'Ecu.
Le Cheval-Noir.
Le Dauphin.
L' bnage-Sainl-Louis ■
La Pucelle-d Or'éans .
La Couronne.
L'Image Saint-Maurice.
La Toison d'Or.
Le Petû-Maiire.
Le Bras-d'Or.
La Clef-d'Argent.
L'Image Notr<-Dame.
Les Quatre-Vents.
L'Image- Sainte-Barbe.
Le Cigne.
Le Corntt.
Le Chapeau-Rouge.
La Croix-Blanche.
VEtoile
Le Plat-d'Etain.
L'Agnus-Dei.
Le Petit-Panier.
Le Grand-Monarque.
N otrc-Dame-des-Victoires .
L Image-Notre-Dame.
Le Petit-Saint-Jean.
La Croix-d Or.
Le Vert-Galant.
L a Truie- Volante.
Le Panier Fleuri.
La Prudence.
Le Plat-d'Elain.
Le Pavillon-des-Singes.
Le Roi-Henri
Le Marteau-d'Or.
Le Poids-du-Roi (maison où
eu avait eié lo burtau).
La Coupe-d'Or.
Le Soleil-dOr.
La Fleur de-Lys.
Les Vieux- Anus.
Le Mortier-dOr.
Le Lion-d'Or.
La Teur-d Argent.
Le Mouton.
Le Soleil-de-France
Rue f§iaint<-Gilles. (i)
Les Tournelles . — Les Minimes. — La Cour de
Venise. — L'hôtel ''e Morangis. — La Rue Neuve-
Saint-Gilles. — i/^'"* de Lamotte. — Le M'"' de
Vaux.
Le palais des Tournelles ne survécut qu'un
demi-siècle au séjour de Saint-Paul, qu'il avait
remplacé comme résidence royale. Les minimes de
Chaillot furent mis par Marie de Médicis en posses-
sion d'une portion du jardin des Tournelles, où se
perçait, trente ans après, une rue entre celle Saint-
Louis (2) et le Rempart : l'église d'un nouveau monas-
tère des Minimes s'y ménageait une entrée latérale.
La statue de saint Gilles, qui avait décoré sur ce
point le parc royal, donnait son nom à la rue.
Le mur de la caserne qui succède principalement
au couvent y conserve ostensiblement une Sainte-
Vierge dans sa niche.
Un immeuble très-important répond aux nombres
12 et 14 ; c'est, de plus, une ancienne cour de
Venise. Or le plan de Paris en 1652 marque un
hôtel de Venise rue Saint-Gilles. Cette ancienne
résidence de l'ambassadeur de la sérénissime ré-
publique devint hôtel de Morangis. Mais est-ce
entièrement du chef de M°"' de Morangis, née
Guénégaud? J. J. Barillon, comte de Morangis,
membre des conseils du roi, maître-des-requêtes
du quartier d'avril, augmenta les dépendances de
la maison par l'acquisition d'un terrain de 7 perches.
(1) Notice écrite en 1861.
(2) Actuellement Turenne.
RUE SAINT-GILLES. 109
antérieurement à 1739. Le même titre de comte
était porté en 1778 par M. Foullon, de l'hôtel
Foullon, boulevard du Temple. De scandaleux procès
ont, par malheur, lait parler d'un maréchal-de-
camp, Jean-François-Charles de Molette, également
comte de Morangis. Ce dernier, ayant abandonné
ses biens à ses créanciers en 1768, épousait treize
années plus tard en secondes noces M"*" de Lépinière,
mère d'un enfant naturel du sexe féminin, légitimé à
l'occasion de ce mariage ; la mère fut ensuite
arrêtée comme bigame, et la fille devint grosse
des œuvres du marquis de Morangis, son
frère ; puis ce dernier accusa le comte d'avoir
détourné le bien de sa première femme.
Pas un des comtes de Morangis, que nous sachions,
ne s'est allié à la famille Péreuse. Charles Cour-
tinay, seigneur de Péreuse, secrétaire du roi et
médecin, avait marié sa fille, Françoise Courtinay,
à Louis Pi'osper Bauyn d'Ange rvi il iers : la branche
Bauyn de Péreuse n'eut pas d'autre souche. Le lieu-
tenant-général Bauyn, marquis de Péreuse, a acquis
ce qu'on appelait encore l'ancien hôtel de Venise,
mais qui n'en était qu'une portion, des hoirs du prési-
dent Labrosse, qui lui-même y succédait à M"<'Tarade.
Les dépendances s'en sont étendues jusqu'au
Boulevard, mais derrière un crochet que formait
la rue Neuve-Saint-Gilles et qui s'est ajouté -à
celle des Tournelles.
La distintion entre cette rue Neuve et celle
Saint-Gilles n'a pas toujours été assez marquée
pour éviter les quiproquos. La première eut, par
exemple, une maison qui, d'après une description
de tabellion, donnait rue Saint-Gilles et rue des
Tournelles ; elle était conjointement 5 Gilbert de
Gardaigne d'Hoslen, comte de Verdun, lieutenant
de roi, commandant en la province de Forest,
et à Deiannoy, paveur, lesquels y tenaient d'une
part aux hoirs Baudelot, d'autre part aux hoirs
210 RUE SAINT-GILLES.
du chancelier Boucherat, et elle avait fait partie de
l'hôtel de Nicolas Baudelot, contrôleur de la maison
du roi, à cela près d'un terrain provenant
du chancelier. Une autre maison à jardin de la
même rue appartenait ensuite aux enfants de Ber-
nage de Luçon, capitaine au régiment de Champagne,
et de Marguerite du Bornage, son épouse ; les
actes la disaient sise derrière les Minimes, entre
un hôtel au marquis de Charron et celui de
Morangis, anciennement de Venise. Or ce dernier
attenait lui-même, d'après les titres officiels, au
jardin du chancelier Boucherat, derrière la chaussée
des Minimes (i).
Rue Saint-Gilles était un hôtel que le comte de
Brisay, qui le tenait de sa mère, née Pinon,
vendit à Claude-Jacques de Vigny, inarquis de
Courquetaine, maître-des-comptes ; la veuve et les
enfants de ce dernier y demeuraient sous le
règne de Louis XVI. Ladite maison, bâtie sur un
terrain aliéné vers l'année 1680 par les chanoines
de Sainte-Opportune, est encore reconnaissable
entre la cour de Venise et un pavillon pour le
moins de l'ancien hôtel Morangis.
L'emplacement do ce corps-d'hôtel fut acquis
de Sainte-Opportune par Delisle-Mansart, qui ne
s'est pas fait faute d'y créer un petit chef-d'œuvre
d'architecture domestique. Sous la Régence, M™* de
Morangis habita pour siîr celte maison, qui lui
venait de sa mère. M'"*' de Guénégaud. Soixante
années plus tard, le grand-maître des eaux-et-
forêts Jules du Vaucel, marquis de Castelnau, en
avait fait ses petits appartements. Un salon rond,
dont les boiseries dorées sont illustrées de peintures
de Watteau, y précède une salle de billard, que
d'autres dessus-de-portes et des sculptures décorent.
Une double porte, dont la menuiserie est aussi
(1) Maintenaijt rue de Béarn.
RUE SAINT-GILLES. 211
un travail d'artiste, sépare le billard d'un boudoir,
la miniature d'un salon. Le jardina été plus vaste
à proportion que l'hôtel ; M. Savard, propriétaire
actuel, a pris une portion de ce qui en restait
pour en faire des ateliers où se fabrique sur une
vaste échelle la bijouterie en or doublé. Mais
quelques mascarons qui donnent sur la cour ont
des sourires de gratitude pour le conservateur
intelligent d'un bijou immobilier, qui est tombé
entre bonnes mains.
Aussi bien Pierre Delisle-Mansart, contrôleur des
bâtiments-du-roi, et sa femme, Jeanne Mercier,
avaient laissé à leur fille, femme d'Edme Duraiichin,
écuyer, conseiller du roi, contrôleur des guerres,
une maison avec jardin, dont les signes particuliers
pouvaient convenir îi la susdite. Un parchemin
constate que l'unique héritière de l'architecte y tient
« par-ci aux représentants du marquis de Ghîuiron,
par-là à un loueur de carrosses, par-devant au
derrière de l'église des Minimes de la place Royalle,
par-derrière au cul-de-sac qui répond du côté du
Boullevard. »
Sous l'un des mausolées de cette église reposait
Charles de Valois, duc d'Angouléme, fils de Charles IX
et de Marie Touchet. La comtesse de Lamotte,
qui prétendait descendre d'un bâtard de Valois et
recevait h ce titre une pension de la cour, a
ourdi l'affreuse trame de l'intrigue du Collier dans
une maison que les uns disaient y^ue Neuve Saint-
Gilles, n" 13, et les autres rue Saint-Claude, mais
qui pouvait bien venir dans ce que nous qualifions
la rue Saint- Gilles.
Les n"» 9, 11, 13 et 15 actuels n'y faisaient qu'un ;
leur construct'on nous semble émaner des minimes.
Le 17 a été l'hôtel du marquis de Vaux.
L'angle du Boulevard, sur la même ligne, appar-
tenait en 1791 à M. Ménesssier.
Lies deux Rues Saini-Claude,
DONT l'une est MAINTENANT
Cliénier, et les deux impasses
8aini-Claude,
DONT l'une est maintenant
Saînt-8auveur. (i)
Sept jardins et deux parcs dépendaient des
Tournelles ; ils avaient absorJDé tout ou partie du
clos Margot, propriété des célestins. La rue Saint-
Claude-au-Marais fut tracée en 1640 sur la lisière
d'un terrain dit encore le clos Margot, adjugé
par le bureau de la Ville en 1686, avec un terrain
adjacent, à Gon de Vassigny, vicomte d'Argeolieu.
On dit qu'une statue de saint Claude, anciennement
érigée à l'extrémité du parc des Tournelles, valait
à cette rue le nom qu'elle porte ; mais i! est plus
probable que Claude Guénégaud, trésorier de
l'Épargne, propriétaire dans les rues Saint-Claude-
au-Marais, Saint-Louis et Saint-Gilles, fit lui-même
placer sous l'invocation de son patron, dans le
(1) Notice écrite en 1861. L'uue des deux rues Saint-.
Claude n'honorait pas encore comrae son saint particu-
lier J'un des deuï poètes Chénier, et j'aime à croire que
c'est André, qui demeurait en face, rue de Cléry ;
mais on a tort, en pareil cas, d'économiser le prénom
sur la plaque indicative. L'impasse Saint-Sauveur, qui
maintenant semble continuer Ja rue Saint-Sauveur par-
d«là celle Montmartre, s'appelait encore Saint-Claude.
LES DEUX RUES SAINT-CLAUDE, ETC. îl8
calendrier des rues de Paris, la nouvelle voie de
communication.
Il n'en pendait pas moins une image Saint-
Claude, à l'angle d'une rue Célestine, chez Françoise
Amelot, veuve de Pierre Bellefin, greffier des bâti-
ments-du-roi, qui tenait rue Saint-Claude à Langlois,
charpentier, et par-derrière aux célestins.
L'hôtel que Claude Guénégaud avait élevé sur un
terrain qui avait appartenu à Victor de Chamerayes,
fut vendu en 1690 par les créanciers du fondateur
à Calande de Guénégaud, chevalier, seigneur des
Brosses, conseiller du roi, maître-des-requétes de
son hôtel, qui demeurait rue du Grand-Chantier,
et puis il passa au chancelier Voysin, le protégé de
M""* de Maintenon. La porte en ouvre rue Saint-
Louis ; mais il en reste des dépendances dans
l'impasse Saint-Claude, contiguës à d'autres, maisons
qu'a encore possédées le trésorier de l'Épargne.
Guénégaud des Brosses se trouvait, le long de notre
rue, entre Dupille ou Du Pillé, receveur-général
des finances, dont l'hôtel appartenait à sa femme,
Marie-Anne Bollot de la Cour, et Halle, secrétaire
du roi, qu'avait précédé Gelléc du Buisson.
Quant aux maisons construites par le vicomte
d'Argenlieu, elles appartenaient, en 1727, à Antoine
Le Feuve de la Malmaison, conseiller au parlement,
et plus tard à Petit de la Villonnière, qui siégeait
à la même cour : les n°' 8 et 10 nous les
représentent ; seulement elles s'étendaient jusqu'au
Boulevard. Le 6, par exception, paraît bien plus
ancien que la rue : il a donc pu dépendre du
palais des Tournelles. Au milieu du xvn« siècle il
ne s'élevait encore aucune église au coin de la
rue Saint-Claude et de la rue Saint-Louis ; on y
a vu un hôtel Levasseur, auquel pouvait se
rattacher ledit 6 ; on y a vu surtout l'hôtel du
grand Turenne, mais encore par des dépendances.
Il fut vendu en 1684 par le cardinal de Bouillon
14
Î14 LES DEUX RUES Sâ.INT-CLAUDE, ETC.
aux religieuses de l'Adoration-perpétuelle-du-Saint-
Sacrement-de-l'Autel, avec une maison dont la
façade mesurait 4 toises sur la rue Saint-Claude,
où ces dames tinrent, une fois installées dans leur
nouveau monastère, à M. de Sainte-Foy, à elles-
mêmes, à M. de Guénégaud et à Poullain. Jacques
Charnel, intendant de justice, police et finances
des pays de Loraine et généralité de Metz et
Luxembourg, était aussi propriétaire entre la rue
Saint-Claude et quelque coin de l'hôtel de Turenne,
en 1684 ; Charles Bourdin de Pierre-Blanche,
secrétaire des finances, avait tout à côté une
double maison, en 'avanl du jardin du même hôtel,
mais en retour sur un cul-de-sac ou rue projetée
sur la rue des Tournelles. On attribuait toutefois à
!a rue Neuve-Saint-Claude, vers le même temps,
une propriété dans laquelle Despont, bourgeois,
tenait à Nicolas Lepère par-ci, à la veuve de
François, tille et héritière de Catherine Bégard,
par-là, et au maréchal de Turenne par-derrière.
L'une de ces maisons était sans doute celle à porte-
cochère que le bourgeois Lapie de Soucy vendait
le 14 juin 1729 h. la présidente Bretonvilliers, née
d'Albon ; cette veuve de Leragois de Bretonvilliers,
président en la cour des comptes, était là mitoyenne
avec M. Lemasson, secrétaire du roi, avec M. de
Brèche et avec les filles du Saint-Sacrement. Au même
couvent s'adossait une des maisons dans lesquelles
on croit qu'a demeuré M'"» de Lamotte, qui a
tenté de faire un infâme carcan d'un collier, en
attentant à la réputation de la reine Marie-
Antoinette.
Le comte de Cagliostro, que cette comtesse
accusait d'avoir reçu des mains du prince de Rohan,
cardinal, le collier de la reine, courut tous les
pays, parla toutes les langues, changea souvent
de nom et fit tous les métiers ; il fut néanmoins
mis à la Bastille, en vertu des dépositions de
LKS DEUX RUES SAINT-CLAUDE, ETC. 215
'intrigante, ainsi que sa femme, la romaine Séraphina
Féliciani, aussi belle que peu lettrée, ne sachant
ni écrire ni lire. Sa mise en liberté fut un
triomphe ; on l'attendait en foule pour le reconduire
dans son petit hôtel du nM, rue Saint-Claude, et
ce retour était fêté par des sérénades et des vers,
des acclamations populaires et les bouquets des
dames de la Halle. Tant que la maison put tenir
de convives, il en soupa ; des pièces d'argent et
d'or furent jetées par les fenêtres aux parasites
forcément éconduits. Mais le lendemain parut un
commissaire : le roi donnait vingt-quatre heures
à Gagliostro pour quitter Paris, huit jours pour
le royaume. Le mobilier de l'illustre aventurier
ne fut vendu que cinq ans après sa mort, c'est-
à-dire en 1810, dans l'appartement même qu'il
avait occupé. C'est la marquise d'Orvillé qui avait
eu pour locataire le thaumaturge du xvni'^ siècle;
le père de la marquise, Bouthillier, comte de
Chavigny, capitaine des vaisseaux du roi, avait
fait bâtir tant sur un terrain détaché de l'hôtel
Boucherai et acquis en 1719 de M""" de Harlay,
héritière de son père, le chancelier Boucherat, que
sur une place vendue par Etienne Pauvel, maître-
maçon.
La chronique scandaleuse donne aiussi rue Saint-
Claude l'adresse d'une D"* de Vauvignolles, entre-
tenue par Collet fils. Ce protecteur était intéressé,
pendant la guerre de Sept-Ans, dans la fourniture
des fourrages de l'armée. Mais ladite pouvait bien
recevoir les visites de Collet dans une autre rue
Saint-Claude, ouverte en 1660 entre la rue de
Cléry et la petite rue Sainte-Foy. Une image de
Saint- Claude, pendue au coin de la rue Bourbon-
Villeneuve (i), avait fait prévaloir ledit nom sur celui
(l; Présentement rue d'Aboukir.
516 LES DEUX RUIS SAINT-CLAUDE, ETC.
de Sainte-Anne, porté antérieurement par cette
petite voie de communication, qui garde à-peu-
près, de nos jours, sa physionomie de l'autre siècle.
La carte de Paris ne met pas moins d'obstination
à conserver deux culs-de-sac Saint-Claude. Le
second est situé rue Montmartre. La D"^ Beauvoisin,
après avoir vécu quelque temps avec le comte
Dubarry dans la rue Basse-du-Rempart, vint
s'établir dans un appartement dont le balcon se
voit encore à l'angle de la rue Montmartre et de
l'impasse. Le marquis de Duras avait pourvu aux
frais d'emménagement. Au marquis succéda le
chevalîér de Jaucourt, qu'elle trompa d'abord avec
Tombœuf, officier aux gardes-françaises, et le
comte de Sade. Jaucourt n'en destinait pas moins
à l'infidèle une aigrette de diamant, qu'on lui vola
dans son carrosse : il n'en avait donné qu'une
pareille à la princesse de Bauffremont.
Rue iSoly* (i)
Les venelles deviennent des curiosités ; mais il
faut être Parisien pour s'y engager d'un pas ferme ;
l'étranger craindrait de s'y perdre, la femme honnête
d'y être rencontrée. On y sourit trop au passant,
d'une fenêtre ou d'une ailée, pour la moralité
publique ; mais il faut passer quelque chose à des
coupe-gorges qui en ont fait bien d'autres. Où se
trouver mieux à l'abri des accideiits et des ennuis
qui sont occasionnés ailleurs par une trop grande
circulation ? Les petites rues supportent l'abandon
avec philosophie et bonne humeur ; l'enfant y joue
et la griselte y chante ; l'aveugle y chemine sans
bâton. Si le ruisseau dont elles se contentent se
cachait lui-même sous un trottoir, les fentes du
pavé permettraient-elles encore de marcher un
peu sur la terre ? La sagesse de ces ruelles se
réfugie dans le travail quotidien, le chômage y
est dangereux et le vice une misère de plus.
Balzac a placé rue Soly une scène de roman,
qui se passe de son temps : une femme du monde
s'y trouve compromise, rien que pour avoir été
vue un matin dans cette ruelle, moins dépeuplée
alors d'un genre de femmes qui n'y affiche plus
aujourd'hui qu'une maison.
La comtesse d'Herselles, au siècle précédent,
bravait sans doute le préjugé qui l'aurait empêchée
de faire connaissance avec une propriété qui lui
appartenait : le n» 8 de la rue. Une église, la
(1) Notice écrite en 1861.
218 RUE SOLT.
Sainte-Chapelle, était propriétaire du 10 ; M. Dionis,
du 6 ; le comte de Luges, du 4. La plupart des
numéros impairs étaient en la possession de M. de
la Poterie.
Parmi les prédécesseurs de ce dernier avaient
figuré non-seulement Bertrand Soly, propriétaire
aussi rue des Vieux-Augustins, mais encore Antoine
Soly, un échevin du temps de Henri II, parrain
de la petite rue. Le plus gras des Seize de la Ligue
était un Soly, marchand établi près des Saints-Inno-
cents, qui paraissait trop large des épaules pour la
rue dédiée à sa famille. Au mois de mars 1589 il
fut envoyé avec le conseiller Machault chez Molan,
trésorier de l'Épargne, rue des Prouvaires, pour
y saisir 360,000 écus d'or. Michel Soly, l'un de
ses descendants, était libraire à Paris : il avait
pour marque de ses livres un Phénix.
Ru« Paçevln. (i)
L'ancien hôtel Massiac, pour lequel nous renvoyons
les lecteurs à la notice de la place des Victoires
et à celle de la rue des Fossés-Montmartre, donne
pourtant rue Pagevin. Une des maisons qui y font
vis-à-vis aux dépendances de l'hôtel, fut le siège,
vers la fin du xvn^ siècle, de l'académie de la
Danse, établie en 1661, et dont les membres se
proposaient de corriger et dépolir la danse en s'y
exerçant. Les académiciens n'étaient qu'au nombre
de 13; la mort de chacun d'eux donnait lieu à la
nomination d'un remplaçant ; les membres survivants
le choisissaient parmi les maîtres à danser, qui
pouvaient tous se porter candidats : la pluralité
des suffrages déterminait l'admission. Les membres
de cette compagnie jouissaient du droit de com~
mittimus, comme les officiers commensaux de la
maison du roi ; ils étaient dispensés de garde et
de tutelle, exempts de taille et de guet, et leurs
enfants pouvaient montrer leur art, comme pro-
fesseurs, sans lettres de maîtrise. Les assemblées
de l'académie de la Danse avaient lieu chez son
directeur, lequel payait loyer au sieur Prudot dans
la propriété voisine de la place des Victoires.
La portion de la rue Pagevin où siégea cette
compagnie, s'appelait rue du Petit-Reposoir depuis
cent ans, à cause d'un reposoir où s'arrêtait la
procession de la Fête-Dieu, et elle s'était appelée
Breneuse comme le reste de la rue Pagevin. Ce
vieux mot français de breneuse voulait dire mal-
(1) Notice écrite en 18G1.
990 RUE PAGEVIN.
propre. Mais la rue avait dû à un particulier, dès
le commencement du xiv^ siècle, le nom de rue
Jacques-Breneult. Nicolas Pagevin, seigneur de l'île
Louvier, fut trésorier-général de la maison du duc
d'Anjou et d'Alençon, frère de Henri III.
Son nom ne s'est appliqué, pendant deux siècles
et demi, qu'à la section de notre rue comprise
entre les rues des Vieux-Augustins (i) et Coq-
Héron. Les propriétés du côté impair y appar-
tenaient, avant la Révolution, à la comtesse de
Choiseul-Gouffier, et elles avaient été bâties à la
place des écuries de l'hôtel d'Épernon, maintenant
hôtel des Postes.
Le surplus de la rue Pagevin a été dit Ver-
delet, Verderet, Merderet, de l'Ordure et Breneuse :
qualifications peu regrettables. Jean-Jacques Rous-
seau y prit un logement en quittant l'hôtellerie de
Saint-Quentin, afin de se rapprocher de M. Dupin de
Francœuil, dont l'hôtel était rue Plâtrière, actuelle-
ment Jean-Jacques-Rousseau, en face de celle
Verdelet. Le comte de Vannaux était propriétaire
de la maison habitée par le philosophe et qui
porte le n" 4.
A la rue Pagevin se sont ajoutées les deux autres
en 1849.
(1) Présentement rue d'Argout.
Rue de la Vrilliére. (i)
La rue des Fossés-Montmartre allait jusqu'à
la rue Croix-des Petits-Champs, avant le rac-
courcissement de celle-ci. Mais la place des
Victoires, lors de sa formation, ne communiqua
pas tout de suite avec la rue de la Vrilliére ; il
fallut jeter par terre un bâtiment qui interceptait
la vue de part et d'autre : place fut ainsi faite à
une venelle, dite rue Percée, puis petite rue de la
Vrilliére et présentement Catinat, sur laquelle
quatre maisons ont des croisées, mais pas une
porte. Le plan de Lacaille, en 1714, présentait
ladite ruelle comme une avenue ajoutée au grand
hôtel qui maintenant est celui de la Banque ;
toutefois les deux rives de la rue de la Vrilliére
étaient loin de se relier par l'unité de propriété.
La première maison de cette rue, côté droit,
appartenait à Leduc, architecte ; elle fut restaurée,
sous le règne de Louis XV, par un autre architecte,
qui s'appelait Desmaisons. Les bureaux du journal
YUnion, qui en occupent un étage, ont des croisées
donnant sur un balcon tournant, dont la grille est
en fer battu bien ouvragé. L'encoignure de l'édifice
sur la rue Croix-des-Petits-Champs est arrondie et
dépasse hardiment l'aplomb du rez-de-chaussée.
Lallemant, Ludet et Chapuis, contemporains de
Leduc, étaient propriétaires des n°' 6, 8 et 10, et
Chevallier de la Motte avait le 4, qu'on vient de
rétablir de fond en comble.
Par conséquent. Rouillé, maître-des-requétes et
(1) Notice écrite en 1861.
2Î3 RUE DE LA VRILLIÉRE.
fermier des postes, n'avait réellement acquis, en
l'an 1705, et chacun de nous se contenterait à
moins, que l'hôtel édifié au siècle- précédent par
François Mansard pour le secrétaire d'État Phély-
peaux de la Vrillièi-e, seul ministre de Louis XIV
que le régent ait conservé. Louis-Alexandre de
Bourbon, comte de Toulouse, s'en rendit acquéreur
deux années avant la mort du roi, son père, et
il y fit faire des changements considérables par
Robert de Cotte, architecte. La cour que cet
amiral de France tint à Rambouillet, rivalisait
pour l'esprit et le ton avec celle de Sceaux. Son
fils, le duc de Penthièvre, dernier héritier des fils
légitimés de Louis XIV et de M"" de Montespan,
servit avec distinction et se fit estimer par l'exercice
de toutes les vertus. Florian, d'abord page de ce
prince, restait son favori, distribuait ses bienfaits
et gardait un logement dans son palais, quoique
la princesse de Lamballe, belle-fille du duc, y
résidât. Cet ancien hôtel de Toulouse était décoré de
peintures et de bas-reliefs magnifiques : 61
portraits en pied y représentaient les amiraux de
France, depuis Florent de Varennes jusqu'au duc
de Penthièvre. Un ordre de la Convention y
transféra du Louvre l'Imprimerie nationale. Les
discours des tribuns les plus ardents, notamment
ceux de Robespierre, se tiraient alors à 400,000 ;
toutes les fabriques de papier furent mises en
réquisition, pendant trois ans, pour subvenir aux
exigences de cette immense consommation. Marat,
pour travailler pareillement au salut de la liberté,
ne mettait pas en jeu, dans la cour du Com-
merce, moins de trois presses, qu'une autorisation
écrite de Danton, ministre de la justice, lui avait
permis d'enlever à l'Imprimerie nationale, pour
le service deïAmi du Peuple. Laverne, directeur
dudit établissement, ne monta pas sur l'échafaud,
comme son prédécesseur, Anisson-Duperron ; mais
RUE DE LA VRILLIÈRE. «23
il se jeta d'une des croisées de l'hôtel en 1804.
L'immeuble, sept années après, fut vendu par
l'Étal à la Banque-de-France, dont les bureaux
remplissaient précédemment, sur la place des
Victoires, le ci-devant hôtel Massiac.
Rue de Cléry. (i)
Les Censives. — La Maîtresse de V Abbé Terray. —
Les Cochery. — Hôtel Poqutlin. — M""^ Lebrun. —
Ducis. — M. Leblanc. — M.Necker. — ■ M.Roland,
— Le Carrefour. — Les Ébénistes. — André
Chénier.
Sur un titre du temps de Louis XIII, la rue
de Cléry est encore désignée rue des Gravois et
chemin le long des fossez allant à la porte Saint-
Denis. Un hôtel de Cléry projetait ses dépendances
jusqu'aux Fossés de la ville : n'apparlenait-il pas au
seigneur de Cléry, près d'Orléans, dont l'église,
Notre-Dame-de-Cléry, garde le tombeau de Louis
XI? En disant que la rue ne s'ouvrit qu'en 1634,
plusieurs livres spéciaux lui font tort de plus
d'une année; mais aucune des maisons préexis-
tantes n'y répondait encore au nom de Cléry,
comme sous le règne de François I". La rue a
servi de chemin de ronde entre ce séjour et les
Fossés ; elle prend encore sa source près d'un
endroit où a surgi la porte Montmartre.
N°\: — dépendait du fief de l'Arche-Saint-Mandé,
adjugé au sieur de l'Arche le 26 novembre 1656
et qui s'étendait sur les rues de Cléry, Montmartre
et Saint-Joseph, sous la censive du roi. Jean Cochery
était possesseur de la maison, vingt ans avant, et
Charles Gouin, maître-chirurgien, vingt ans après.
Reconnaissance passée au Terrier du roi, en 1702,
par Gilles du Caroy, « maistre-d'hôtel du grand-
(1) Notice écrite en 1858,
kUE DE CLERY. 225
maistre de la maison du Roy, tant en son nom
que comme tuteur de Jean du Caroy, fourrier du
corps de la ducbesse de Bourgogne, tîls mineur de
luy et de Catherine Gouin, sa femme. »
iV" 2 : — appartenait, avec des chantiers atte-
nants, à Pierre Gochery en 1633. Il s'y débitait
déjà du vin en 1787, comme à-présent.
La subséquente appartenait en 1703 à Maschary,
avocat, qui l'habitait.
Il ne tiendrait qu'à nous de poursuivre assez
loin cette nomenclature, de porte en porte. Mais
des noms propres qui se présentent sans évoquer
de souvenirs, nous aimons à faire bon marché.
Le 9 appartenait, du vivant des Gochery, à
M""" Gagny, veuve d'un conseiller. M"'^ de Glercy,
née Dupuy, y devint mère de M""" Damerval,
grâce à l'abbé Terray, près duquel M"^ de Lagarde
la supplanta, Ge ministre, ennemi déclaré de la
dette publique, fit faire plus d'une banqueroute.
Ghol de Glercy, écuyer, chevalier de Saint-Louis,
réclama publiquement 40,000 livres à l'abbé Terray,
somme dont ce mari de M""' de Glercy disait avoir
été lésé sur la vente de sa charge de grand-prévôt
de la maréchaussée de Lyon. Maintenant l'hôtel
représente une sorte de cité, administrée par un
concierge, qui se tient à l'affût, dans une logea
guichet grillé comme un bureau de papier timbré ;
la profondeur y est due à l'ancien jardin. Le 11,
autre hôtel du grand siècle, qui a gardé une rampe
de fer, fut élevé par Deroux, occupé par M'"^' Damand,
puis arrangé pour Damand, trésorier du marc-
d'or, vers la fin du règne de Louis XV. Fiez-vous
au mascaron qui décore la grande porte du 13
et en reporte l'origine au même temps ; mais
regardez comme plaquées sur la cour depuis peu
de temps deux tourelles, qui rappelleraient l'hôtel
Oléry. Hénin, secrétaire du roi, vivait sous le toit
226 RUE DE CLERY.
d'après. La porte cintrée du 14 fut franchie par
Pierre Cochery, déjà nommé, qui en était proprié-
taire un siècle et demi avant le clievalier Lembert.
N° 17. — Encore le même Cochery à reconnaître
pour père de cet immeuble, né sur l'ancien em-
placement de la voirie de Saint-Magloire, fief du
Glos-aux-Halliers. De l'abbaye Saint-Magloire, repré-
sentée par l'archevêché de Paris, pour la percep-
tion de quelques droits de cens, et de l'abbaye de
Montmartre, pour une dîme, relève ce fief allant
jusqu'à l'égout, jusqu'au futur boulevard Poisson-
nière. L'hospice de Sainte-Catherine est toutefois
seigneur censitaire du quart du terrain passant de
Pierre Cochery, qui trouve d'autres amateurs pour
le reste du même lot, à Louis-Henri de Berthelot,
qui y laisse à ses filles, M""* de Lansac et la mar-
quise de Vernouillet, l'hôtel dont il s'agit céans.
Louis-Robert Halle de Chevilly acquiert en 1767 ;
après lui vient sa veuve. A cette propriété fait
vis-à-vis, dans le principe, un vaste espace où se
tient le jeu du Pai-ie-Maii ; mais avant peu il
s'y érige une série de maisons bourgeoises, qu'on
y retrouve.
iV°' 19 et 21. — Robert Poquelin, prêtre et docteur
en Sorbonne, est regardé comme l'un des nom-
breux frères de Molière ; il a pris la qualité d'oncle
en signant au contrat de mariage d'un neveu et
d'une nièce du plus grand des poètes dramatiques ;
un autre membre de cette famille, dont le prénom
est identique, n'a pas eu moins de vingt enfants.
On fait naître le théologien en 1630 ou bien 1632;
on assure qu'il est mort en décembre 1714 ou en
janvier 1715. Nous découvrons, en ce qui nous
concerne, qu'aux termes d'un acte passé devant
Lefèvre, notaire à Paris, le 8 juin 1700, il a fait
donation à Louis de Lubert d'un grand hôtel avec
jardin, contenant 759 toises de la ci-devant voirie
de Saint-Magloire, quoique tributaire de Sainte-
RUE DE CLÉRY. 227
Catherine pour le cens, et dont les deux immeubles
susindiqués sont la division. Louis de Lubert
lègue la propriété à l'une de ses tilles, qui a pour
héritiers sa sœur, Marie-Madeleine, fille majeure,
et son frère, Louis-Pierre, lesquels vendent l'hôtel
Poquelin, en 1778, à Jean-Baptiste Pierre Lebrun,
marchand de tableaux, époux de M""' Vigée-Lebrun,
peintre célèbre. Le mari forme, de son côté, une
riche galerie dans la maison. M™" Lebrun, dans
son appartement, reçoit une fois par semaine tous
les princes de l'esprit, des arts et de la mode :
les derniers-venus, fussent-ils maréchaux de France
ou princes de Prusse, s'asseoient par terre, faute
de place. Grétry, Gaiat, Martin, Viotti, Sacchini
et Cramer font de la musique avec la maîtresse
du logis, dont la voix argentine a du charme et
qui joue aussi bien la comédie qu'elle chante. Une
fêle à la grecque s'improvise, une après-dînée,
chez elle ; M. de Pezai, neveu de Cassini, et qui
demeure dans le même hôtel, contribue à la mise
en scène de ce souper chez Aspasie : en Athéniennes
paraissent des invitées, telles que M"'"^ Chalgrin,
fille de Vernet, et M"'^ de Bonneuil, future comtesse
Regnault-de-Saint-Jean-d'Angély ; des convives sont
à demi couchés autour d'une table, et le Chypre
circule dans des coupes, pendant que la mélopée
antique renaît de l'accouplement des sons douce-
ment tirés d'une lyre d'or avec une ode, aux
strophes qui s'exhalent des lèvres d'un poète
couronné. Portée en 1793 sur la liste des émigrés,
3uand M""^ Lebrun rentre en France, après un laps
e neuf années, elle est reçue par son mari dans
une maison bâtie, rue du Gros-Chenet (mainte-
nant du Sentier), aux dépens du jardin de l'ancien
hôtel Poquelin ; mais elle donne encore des
concerts, rue de Cléry, dans une salle qui,
sous la Terreur, a discrètement servi à dire
la messe, bien que la maîtresse de maison
228 RUE DE CLÉRY.
exilée, peut-être même Molière à ses débuts,
en eût fait plusieurs fois une salle de spectacle.
Dans la même salle, sous la Restauration, ont eu
lieu une exposition de peinture, au profit de quelque
bonne œuvre, et les concerts du chevalier Berton,
compositeur, fils et petit-fils de musicien, habitant
alors la maison.
N° 23. — A Picard, trésorier des Parties-Gasuelles
au milieu du siècle xvn, puis à sa veuve, puis
à M. de Bragelongne, puis à M. de Ghastulé : voilà
pour les propriétaires. Mais Ducis, en 1808, avait là
un appartement ; il y fut honoré pour la seconde
fois d'avances dues à son mérite, mais que ses
opinions lui imposaient de refuser. Bien que déjà,
nouveau Joseph, il eût laissé le manteau de sénateur
entre les mains du tentateur, on lui offrait encore
la croix-d'honneur. — J'ai refusé pis, osait répondre
Ducis.
iV° 25. — Les Picard en ont également disposé,
et la famille de Cuisy au siècle suivant. Un des
grands noms de ce temps-ci, qui a commencé au
barreau, se rattache à la même maison, où un
logement degarçon suffisait, vers 1830, à M. Baroche,
président actuel du conseil d'État. Les savants du
quartier la prennent pour l'ancien hôtel de M. Le-
blanc, ministre de la Guerre, qui a contribué à
la découverte de la conspiration de Gellamare ;
mais cette propriété voisine, que M. Necker et
M'"'' de Staël ont aussi occupée, que M-"*" des
Fournels a louée ensuite à la régie des Droits-Réunis
et puis IIP mairie, section de Brutus, a disparu,
en 1842, sur le passage de la rue de Mulhouse.
Plus ou moins près dudit hôtel il y en avait un
autre qu'on regardait comme l'œuvre de Richer et
que M. Roland habitait dans les commencements
de la Révolution.
Une statue de sainte Gatherin'î^ l'angle de la
RUE DE CLERY. 229
rue Poissonnière, rappelle que l'hospice de ce nom,
ayant pignon sur le carrefour, exerçait son droit
de censive sur les hôtels que nous venons de citer.
En face, une maison avance en angle aigu sur la
rue du Petit-Carreau ; Gabriel Herbault, secrétaire
du roi, se la fit adjuger au Châtelet en 1738
et la transmit aux siens.
Là finissait en 1714 la rue de Cléry, forte de
39 maisons, de 15 lanternes. Elle portait le nom
de Mouffetard depuis ce carrefour jusqu'à la porte
Saint-Denis et 9 lanternes pour 42 maisons, qui
suivaient l'ancienne contrescarpe, restée sous la
censive du roi. On y remarquait déjà une
construction à façade sculptée, au second coin de
la rue Poissonnière ; elle avait alors une grande
porte, et M. de Noisy en était propriétaire, ainsi
que de la maison voisine, dans les premières
années du xvni® siècle.
Desgouttières, marchand de vins, se rendait
adjudicataire, en 1784, de l'encoignure qui fait vis-
à-vis. La quatrième maison, même côté, avait
enseigne : Au Roi-Louis XIII ; un rôtisseur, nommé
Ruelle, l'avait acquise en 1682 des héritiers de
Forestier, menuisier, qui l'avait lait bâtir trente-
cinq années avant sur un terrain au sieur Anne
de Louis. Beaucoup de menuisiers-ébénistes se
suivaient déjà dans les boutiques de la rue. Néan-
moins Berthelot de Pléneuf, baron de Blaye,
munitionnaire des vivres, y possédait une grande
propriété, cinquième avant la rue Sainte-Claude (i),
que le roi se vit obligé à prendre en compte,
puis qui passa pour sûr à Leblanc, le ministre.
Enfin, dans un immeuble à gauche, faisant retour
sur la rue Beauregard, à l'extrémité de celle
Cléry, s'opéra l'arrestation d'André Chénier, con-
(1) Maintenant rue Chénier.
15
230 RUE DE CLERY.
damné à mort le 7 thermidor an xi. Le poète s'y
livrait à l'étude beaucoup plus qu'aux conspirations ;
mais il avait fait insérer dans le Journal de Paris
des lettres qui le rendaient un des chefs du
parti proscrit le 7, mais triomphant le 9 du
même mois.
Rue de Cliehr. (i)
Le Coin de Verdure. — La Robe en Gage. — Le
Misanthrope. — M. Boulin. — Tivoli I^" —
M. Daiigny. — Le Duc de Gramont. — M^^'^ Coupé.
— M. de la Bouxière. — Tivoli H.
Elle fut d'abord chemin de. Glichy, en raison
du village dont elle prenait la direction ; puis
rue du Coq, à cause du château du Coq et des
Petits-Porcherons, devant lequel elle partait de
notre rue Saint-Lazare.
Chaque printemps, il n'y a pas longtemps, char-
geait encore trois acacias, de grappes blanches
et parfumées, au coin de la rue, sur la droite ;
à l'ombre de ces arbres se dressait une étagère
de melons à vendre, pendant les chaleurs de l'été,
et, aussitôt que les rameaux épineux n'avaient plus
même de feuilles, un Auvergnat faisait rougir sa
poêle, au pied des acacias, pour y griller le fruit
du marronnier. Derrière cette sorte de tonnelle,
qu'a renversée le vent du progrès sous la dernière
république, un comptoir en étain étalait déjà ses
gobelets, et un homme en tablier brun, pourvu
d'un sac à la malice comme ( elui des escamoteurs.
(1) Notice écrite en 1858. La rue de Ciichy ne se
tient plus qu'à cloche-pied dans la rue Saint-Lazare,
depuis que l'église et le square de la Trinité, avec une
sorte de grande place, en ont absorbé tout le bas du côté
droit. Elle finissait à la barrière Ciichy, au lieu de
laquelle une place du même nom a j)Our centre un
monument, érigé en 1869 et commémoratif de Ja défense
de Paris par le maréchal Moncey.
933 RUE DE CLICHY.
débitait aux buveurs n'ayant pas d'autre cave que
celle du coin des rues, le via d'un cru qui n'aura
jamais de nom, mais à un prix plus élevé que
l'ordinaire des meilleures tables. Du paysage
rétrospectif que notre plume vient d'esquisser,
arbres et fleurs ont disparu ; il ne l'esté plus
que la fabrique, diminutif d'un ancien cabaret de
la Grande-Pinte ou delà Petite-Pologne, qui était plus
en regard de la chaussée de la Grande-Pinte ou
d'Antin.
A côté du comptoir d'étain, depuis un temps
immémorial, se tapit, au n* 4, un petit garni,
le refuge des bonnes sans place qui, au lieu de
chercher de nouvelles conditions, prennent souvent
le parti d'en faire. Une jeune femme y vécut, au
commencement du règne de Louis-Philippe, dans
un état de dénùment que son amour pour un tout
jeune homme rendait alors intéressant ; ayant
laissé en gage sa dernière robe chez le costumier du
Prado, elle garda trois mois la chambre; le peu
d'argent que l'amant se procurait était remis tous
les soirs au marchand de marrons d'en-bas, qui
faisait quelques provisions, mais si peu que la
pauvre lille en devenait maigre pour sa vie, et
le loyer courait toujours : la robe de cette Mimi-
Pinson ne iut dégagée qu'après Pâques. Que les
temps sont changés ! elle roule maintenant voiture ;
ses amples robes font un frou-frou du diable.
Faut-il vous dire enfin son nom? La chanson des
Reines de Mabiile le fait rimer avec Clara: par
malheur, la rime n'est pas riche.
L'autre encoignure est une maison Guillaume,
bâtie vers la fin du xvni^ siècle.
Un peu au-dessus du petit garni, une grande
masure avec des dépendances avait l'air d'être
inhabitée ; les murailles s'en lézardaient, ses per-
sienues se mangeaient aux vers, malgré le rideau
RUE DE CLICHY. 238
extérieur des toiles d'araignée qui y pendaient
en loques, et le toit pliait. Le décès du propiùétaire
s'y déclara pourtant en 1844, et il avait passé
là une quarantaine d'années avec sa bonne. C'était
un misanthrope, qui ne souffrait ni qu'on fît une
réparation au bâtiment ni qu'on échenillàt le jardin.
Reçu avocat dans sa jeunesse, il avait pris le
monde en dégoiit à la suite du refus d'une demoiselle
dont il avait demandé la main.
Un des fondateurs de la compagnie du canal
de rOurcq, M. Hainguerlot, a laissé à sa fille,
M"* de Vatry, un hôtel qu'occupait la légation
d'Espagne il y a douze ans, mais qui fut édifié
au siècle dernier pour le financier Boutin,
trésorier- général de la marine. En ce temps-là
on appelait des Folies les plus grandes maisons de
campagne qui se créaient dans les faubourgs ;
mais Boutin eut sur Méricourt, Regnault et Ram-
bouillet cet avantage qu'on se contenta longtemps
de dire Boutin le jardin qu'il fut le premier à
qualifier, en mémoire de celui d'Horace, Tivoli.
Merveille, en effet, que ce jardin ! il était dessiné
surtout dans le genre anglais, une innovation
pour la France; mais il avait tant d'étendue
qu'on avait pu y faire la part de la manière de
Lenôtre. Outre ses arbres, ses espaliers, ses fleurs
et ses pièces d'eau, on vantait du riche finan-
cier la collection de minéralogie, le cabinet
d'histoire naturelle et les serres pleines de raretés.
Cet hôtel, qu'embellit encore une spacieuse cour
ombragée, n'était alors qu'un pavillon d'honneur,
avec son escalier grandiose ; le domaine avait,
rue de Clichy, une entrée principale, c'est vrai,
mais à l'usage du jardin, qu'on demandait souvent
à visiter. De plus grande importance était l'hôtel
de la rue Saint-Lazare élevé sur la lisière du
jardin Boutin en 1788, comme nous l'avons dit
iU RUE DE CLICHY.
dans la monographie de cette rue (i). Combien
d'autres rues devaient sortir de ce Tivoli, premier
du nom ! Des fêles brillantes y eurent lieu sous
le Directoire, époque altérée de plaisirs; les
incroyables mirent donc à la mode ce Tivoli où l'on
dansait, sans préjudice pour divers autres jeux,
pendant toute la belle saison. C'était pourtant le
temps où les Clichiens, dont les réunions politiques
se suivaient de près dans ce lieu de plaisir,
lurent déportés à la Guyai'C. Tivoli, durant le
Consulat, resta quand même de bonne compagnie ;
sa décadence ne commença qu'aux dernières années
de l'Empire. Napoléon y donna un banquet h la
garde impériale. Sous la Restauration, les fêtes
avaient pris de telles allures que s'en abstenir devint
du meilleur ton. Aussi bien le premier Tivoli, sous
le règne de Charles X, fut transformé en un quartier
nouveau par Mignon et Inguermann.
Cliaussart avait dessiné pour M. de Meulan,
receveur-général des finances, une maison que
Germain Brice disait située un peu plus bas que
le jardin Boutin, en notre rue ; une manière
d'almanacli la mettait, au contraire, un peu plus
haut en 1787, et c'est à-peu-près l'endroit où
Lemaire voyait en 1813 un hôtel Gramont. M. de
Meulan eut un tîls receveur de la généralité de
Paris et pour petite-tilie iM""" Guizot. Presque en
face avait son hôtel M. Daugny, le Richer ou
le Domange de son temps. Le fermier-général son
père avait épousé la Liancourt, petite chanteuse,
qui était la fille naturelle d'une autre actrice de
ropérn, nommée Duvàl, surnommée Bout-saiyneux
et la Constitution.
(1) L"dit hôtel de la rue Saint-Lazare s'est recon-
struit récemment pour les bureaux du chemin de fer
de Lyon. Ceux de la compagnie d'Orléans occupent
largement la place de l'hôtel de la rue de Clichy.
RUE DE CLICHY. 235
Le duc de Gramont ne doit pas a^^oir eu moins
de deux hôtels en cette rue : l'un a pu être
antérieurement à tel ou tel des propriétaires pré-
cités et l'autre postérieurement à M"*" Coupé, de
l'Opéra. Le terrain de la rue de Berlin lui appar-
tenait sans nul doute du côté de celle Clichy.
M"« Coupé eut elle-même deux hôtels di primo
cartello, qui s'embrassaient. Elle cacha dans l'un
des deux, à une époque où les jeux et les ris ne
prolongeaient aucune jeunesse, Vergniaud, Roger-
Ducos et Fonfrède : Robespierre mettait déjà les
girondins au ban de la République, comme tédéra-
listes. La villa du haut, près la barrière, n'était à
M"*" Coupé qu'en jouissance viagère ; Robert Jaunel,
intendant-général des postes, avait donné 80,000
livres pour l'y metlre, en réservant la nue-pro-
priété aux entants de M"'' de Lumigny, amie qui
vivait avec elle. Une pension de l'Université, dirigée
par M. Barthélémy, puis par M. Rouit, a occupé
en grande partie ledit hôtel ; il en subsiste un
pavillon, 88, rue d'Amsterdam, habilement refait
par M. Pigeory pour M™° de Nujac, élégante femme
du demi-monde qui ne manque pas une course de
Chantilly. L'abbaye de Montmartre avait directement
vendu à la charmante usufruitière un arpent de
terrain, sans que nous puissions dire sur quel
point. Une maîtresse de pension exploite un peu
plus bas, au n° 57, la seconde maison de M"^ Coupé.
C'était vraisemblablement une des libéralités de
M. de Gramont, à qui revenait cher l'amour de
sa voisine. Il lui donnait 100 000 livres par enfant,
elle ne fut pas moins de six fois mère. L'architecte
Harris, son dernier-né, périt en 1848, victime de
la guerre civile, à la tête d'une légion de la garde
nationale, dont il était le colonel.
Mais doit-on voir en cette actrice, à laquelle les
Biographies n'ont pas consacré d'article que nous
Î3« RUE DE CLICHY.
sachions, une chanteuse ou une danseuse? Deux
quatrains ont couru en 1752, qui lui reconnaissaient
un talent dont ils vont nous donner l'écho :
L'un disait :
Quand vous chanlez, belle Coupée,
Trop attentif à vos attraits ;
J'ignore si mon àme est bien j'ius occupée
De votre chant ou de vos traits.
Et voici l'autre quatrain :
Coupé, mille amours sur vos traces
Viennent entendre yos chansons;
Vous les attirez par des sons
Et les retenez par des grâces.
Une actrice récitante et chantante de ce nom
avait pris sa retraite en 1750, avec une pension
de 1000 livres, qui s'est élevée dans les bonnes
années à 1300, et qu'elle touchait encore en 1766.
Si elle ne reparut pas sur la scène après l'avoir
quittée, c'est qu'elle avait laissé une fille ou une
soHir cadette dans le même emploi. Impossible en
tout cas que les Coupé fussent moins de deux, les
ballets ayant eu la leur pendant plusieurs années
où le personnel du chant avait aussi la sienne.
Le Journal de Barbier, dès le mois d'aout 1742,
parlait d'une petite Coupé, comme s'il y en avait
une plus grande :
« La petite Coupé, disait-il, s'est entêtée d'un gre-
1 uchou étranger. Le milord StrafFord, qui a été averti
qu'elle voulait s'enfuir avec lui, a fait tapage. Tout
est raccommodé »
Ml''' Coupé représentait l'Amour dans les Fêtes de
V Hymen et de V Amour, le 15 mars 1747. La danseuse
appartenait encore à l'Opéra en 1759 ; mais
l'année suivante elle était déjh riche, d'après une
RUE DE CLlCHY. 237
chronique inédite, et elle passait la nuit du jeudi
13 novembre avec le comte de la Marche, prince
du Sïing, qui n'en avait pas moins plusieurs
maîtresses et notamment la D"'^ Coraliiie, ancienne
actrice de la Comédie-Italienne. Cette nouvelle
à la main nous paraît concerner la belle de
nuit qui fut ensuite celle du duc de Gramont.
M. de la Bouxière, fermier-général, avait en
regard des propriétés Gramont et Coupé un parc
de 20 arpens, avec un pavillon du dessin de
Carpentier. C'était un édifice à la romaine, d'ordon-
nance ionique; à pilastres et couronné d'une
balustrade, Tivoli ne quitta l'ancien jardin Boutin
que pour l'ancien parc La Bouxière, et ce lieu de
plaisance public redevint à la mode. Par malheur la
prison pour dettes, dite Clichy, diminuait et assom-
brissait le jardin, avant que Tivoli disparût de nou-
veau sous la crue de maisons et de rues qui l'avait
déjà submergé plus bas. Cette phase de l'inondation
ne laissait surnager du second jardin public de
la rue de Clichy que des ilôts de verdure, entière-
ment entourés de murs, et le pavillon La Bouxière,
affilié à la rue Moncey.
Rue Cloehe-Perce. [i]
En l'année 1733 a paru le grand ouvrage sur
Paris signé Sauvai ; mais Sauvai, conseiller au
parlement, n'en avait établi que les rudiments,
sous la forme de notes, qu'il ne destinait pas à
l'impression, et plusieurs de ses collègues avaient
fait le reste. D'après le livre dont nous parlons,
la rue Cloche-Perce fut dite vers 1660 de la
Grosse-Margot, à cause d'un cabaret. Bien que
Sauvai et C'*" ne représentent pas, à nos yeux, une
autorité infaillible, cette version est plus vraisem-
blable que cei'taine tradition qui veut que Marguerite
de France, illlo de Henri II, puis reine de Navarre,
ait séjourné au n" 14. Cette princesse, qui ne
donnait pas l'exemple de toutes les vertus s'il faut
s'en rapporter au sens qui fait encore prendre
adjectivement l'abrégé de son propre nom, peut
avoir ou rendu ou reçu d'amoureuses visites rue
Cloche-Perce ; Charles IX lui-même avait dit : —
En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn,
c'est comme si je la donnais à tous les huguenots
de France... Mais la résidence avérée de cette
reine, depuis son divorce i» l'amiable, était son
palais de la rue de Seine. D'ailleurs, il est peu
présumable que Louis XIV, qui régnait h l'époque
indiquée par Sauvai, ait toléré qu'une rue de Paris
portât, du chef de la première femme de son
aïeul, la dénomination de Grosse-Margot. Mieux
vaut donc croire à une enseigne. La rue, d'ailleurs,
se trouvait habitée dès le milieu du xni" siècle,
et elle s'appelait, comme un de ses habitants,
[l) Notice écrite en 1868.
RUE cr,ôt;flï:-PERCE. 239
Renaut-le-Fèvre {fêvre ou favre signifiait fabricant).
Son nom de Cloche-Perce venait d'une Gloclie-Percée
servant d'enseigne.
Or le 14 attend, porte béante, quelle compensa-
tion notre recueil lui offre pour le découronner
de ses prétentions à des particularités royales.
Était-ce l'hôtel où le poëte Desmarets de Saint-
Soriin, qui a collaboré aux trcigédies de Richelieu,
réunissait ses collègues de l'Académie-Fiancaise,
quand les séances de cette compagnie n'avaient
encore qu'un siège nomade? Il est vrai queDesmarets
vivait à l'ancien hôtel du cardinal Nicolas de
Pelvé, archevêque et duc de Reims, mort sous le
règne de Henri IV, contre lequel il avait d'abord
pris le parti de la Ligue, et que l'hôtel Pelvé
donnait rue Cloche-Perce ; malheureusement il
vient d'être rasé, en dépit de ses trois portes
cintrées, par la nouvelle rue de Rivoli. Les
états de service du 14 ne remontent sûrement,
pour nous, qu'à l'époque où il chaperonnait un
parvenu, M. de Pezai, ancien commis au
contrôle-général. On comptait alors dans la rue
4 lanternes et 12 maisons, dont l'une au financier
Geoffrin, qui fut condamné en 1717 à restituer
522,000 livres à l'État. Quel chemin avait fait lui-
mêmece paysan, érigé d'abord en clerc de procureur,
puis en commis 11 la verrerie et en entrepreneur
de glaces ! Sa veuve devint célèbre par des relations
suivies avec les encyclopédistes. Quant au lilsde
l'autre commis, il passa plus ou moins marquis
de Pesay, présenta à la cour en 1776 sa femme,
née Murard, qui était belle et qu'on disait dotée
par le feu roi. La sreur de ce gentilhomme de
fraîche impression, qui prétendait descendre des
Masoni d'Italie, était M""-Cassini, maîtresse alTichée
du comte de Maillebois. L'ancienne habitation de
leur père appartenait dès 1748 à Mignot de MonLigny,
240 RUE CLOCHE-PERCE.
président du bureau des finances, dont le père
avait été trésorier-de-France.
Cette pauvre petite voie publique est maintenant
comme un ver de terre dont survivent la tète et
la queue, bien qu'une voie magistrale ait emporté
tout le milieu de son corps inarticulé. Les deux
tronçons chercbent à se rapprocher ; mais un
abîme les sépare : des deux côtés, l'étiage actuel
empêche, par des talus de pierre, le niveau qu'a
abaissé la rue de Rivoli de s'en relever.
Rues du Cloi<re-l§laint-i]lfcrri
et des Jug;es-iCoii(>»uls. (i)
La Barre. — Les Chanoines Seigneurs. — Les
Chanoines Propriétaires. — M: Moinery. — Le
Bourgeois de Qualité. — M. Broux. — La Rue en
Cage. — Le D^ Barroux. — Le Curé Viennet.
— Les Juges-Consuls. — La Maîtresse de Sedaine.
A l'angle de la rue Saint-Martin et de la rue
du Cloîlre-Saint-Merri s'est abaissée et relevée la
Barre de Saint-Merry. Elle attenait aux prisons
du chapitre de Saint-Merri et au lieu qui servait
aux assemblées capitulaires. Les liefs de Saint-
Merri et de Maily, dont ces chanoines étaient
seigneurs, portaient sui- 33 rues lorsque fut
supprimé, sous Louis XIV, l'exercice du droit de
justice pour les seigneuries particulières qui tenaient
encore audience à Paris.
L'aspect du n" 24, voisin de ladite encoignure
et possédé longtemps par les chanoines, n'a pourtant
rien d'une geôle du moyen-àge ; le 22 est resté
lui-même jusqu'à la première république au chapitre
de Saint-Merri, y ayant eu pour locataire au milieu
du xvn*' siècle Ragueneau, avocat en parlement.
Pour en augmenter le produit, les chanoine^ avaient
fait rebâtir ces deux maisons-Ui sous Louis XV,
époque où !e commerce en gros dominait déjà rue
du Cloître, y succédant à la magistrature.
Le 18, où se complaît M. Moinery, naguère
(1) Notice écrite eu 18&8.
242 RUES DU CLOITRE-SAINT-MERRI
président du tribunal de commerce, date de 60
ans par-devant ; mais par-derrière il a trois
siècles, grâce à son origine commune avec le
20, dont la façade ne dissimule pas l'âge. 11
faut remonter à l'époque où les négociants en
gros n'ont pas encore envahi le . cloître, pour
y trouver, sur ce point. Pierre Hennequin, président
à mortier, puis Nicolas Hennequin, président du
grand-conseil, puis Henri de Gouffier, marquis de
Boissy, époux de Renée-Marie Hennequin. Charlotte
Gouffier, fille de ce couple, épouse François
d'Aubusson, comte de la Feuillade, lieutenant-géné-
ral ; mais Charlotte a pour frère Artus de Gouffier,
seul héritier du litre de duc de Roanne, créé pour
Claude Gouffier, marquis de Boissy, par Charles IX.
Ce seigneur désintéressé abandonne à sa sœur,
en l'année 1666, non-seulement ses biens, mais
encore son marquisat et son duché, que la donataire
apporte à son mari, substitution autorisée par
Louis XIV. La seule réserve qu'Artus ail faite
a pour objet Fhôlel héréditaire qu'il habile au
cloître Saint-Merri, et il acquitte une dette de
cœur, qu'il colore du titre d'échange, en grati-
fiant de celte propriété une dame, qu'un événe-
ment récent rend opportun de consoler, Marguerite
Archambault, qualifiée dans l'acte de cession
veuve de noble homme Pierre Hëhot, en son
vivant bourgeois de Paris. Certes, on n'est pas
plus gentilhomme ! Un autre eût enrichi la veuve
sans y faire la part du défunt ; mais, après le
titre mal sonnant qu'il a fait porter de son vivant
au mari de la tendre Marguerite, M. de Gouffier
lui doit bien l'apothéose qui, par acte notarié,
rend amphibie la mémoire du bourgeois que
l'amant de sa femme fait un peu de qualité !
M""' Héliot vend une portion de l'hôtel à Petitjean,
chapelier, auquel succède Pajot d'Ardivilliers.
Savari, garde -maître des eaux-et-forêts de Nor-
ET DES JUGES-CONSULS. «243
mandie, et sa femme, L. C. Ragueneau, acquiè-
rent ensuite d'Héliot de Boissy. écuyer, lieutenant
pour le roi du château Trompette, le n° 20 d'à-
présent. Les deux maisons alors touchent par-
derrière à l'hôtel Ponlcarré, qui, vers la fin du règne
de Louis XV, devient l'hôtel d'Abbeville. P. P. Savari,
sieur de Bontervilliers, gentilhomme de la maison
du roi, transporte en 1704 les droits qu'il tient
de son père sur la propriété à Jacques Molin,
marchand, bourgeois de Paris. Delbos de la
Borde, président-trésorier de France au bureau des
finances de Guienne, en dispose après Jacques
Molin et, à son tour, la baille à Le Conte,
épicier-droguiste, qui en était déjà le locataire
ainsi que Gerbel, son confrère. Des Le Conte,
en 1808, l'immeuble passe au sieur Chevalier,
lequel, 36 années après, est le vendeur de M.
Broux, père du propriétaire actuel.
Aussi bien le cloître Saint-Merri comprenait dans
son périmètre la rue Brise-Miche, ainsi que la
rue Taillepain, qui côtoie le n° 18, mais que les
quatre propriétaires riverains ont obtenu la per-
mission de mettre en cage sous une double
grille. Cette fermeture, au reste, n'a fait que
reproduire de notre temps une mesure déjà prise
en 1779 ; les chevecier et chanoines de Saint-
Merri s'y étaient fait autoriser par le bureau
des présidents-trésoriers de France, généraux des
finances et grands-voyers de la généralité de
Paris.
Antoine-Maximilien Dabos, seigneur de Binan-
ville, conseiller au parlement, était propriétaire,
après les Lesseville, du 16, que son fils, le marquis
Dabos de Binanville, premier chambellan de
Monsieur, frère du roi, réunit au 14, vers le
commencement du règne de Louis XVI : cette
famille tenait par alliance à celle des Bauyn de
Cormery, qui a donné un officier-général aux
244 RUES DU CLOITRE-SAINT-.MERRI
armées du roi. Derrière ses deux maisons du
cloître Saint-Merri se trouvait l'iiôtel d'Orléans,
d'après une description de 1783, et dès-lors la
pauvre rue Taillepain ne comptait plus. Mais, que
dis je ! les Dabos avaient déjà vendu le 14 à
Robert Aniel, huissier-à-cheval au Chàtelet ; ils
ne possédaient plus que l'autre maison, confisquée
par l'État ensuite et adjugée en 1791 au citoyen
Simon Gabriel. M. le docteur Barroux signe
aujourd'hui les quittances de loyers des deux
immeubles, ramenés à un sort commun.
Une inscription, n" 10, attire l'attention des
curi^fux : Fccit mihi magna qui potens est, 1783.
Dans cette maison sont réunis un fourneau écono-
mique de bitntaisance, un bureau de secours, une
école pour les tilles et un hospice transitoire de
15 lits. Esprit Viennet, mort eu 1796 après avoir
été curé de Saint-Merri pendant 40 ans, a fondé
cet hospice dans une propriété à lui. Il avait
prêté serment à la constitution civile du clergé,
en 1790 ; mais il avait refusé d'occuper, comme
évêque de Paris, le siège d'un titulaire vivant.
Ce curé bienfaisant a eu pour frère Jacques-
Joseph Viennet, député de l'Hérault à l'Assemblée
législative et à la Convention ; il était l'oncle de
M. Viennet, de l'Académie-Française.
La rue du Cloître-Saint-Merii n'a été prolongée
jusqu'à la rue du Renard qu'après avoir perdu
son propre débouché sur la rue de la Verrerie.
A l'endroit où elle faisait coude s'élevait l'hôtel
des Juges-Consuls, siège de la juridiction con-
sulaire depuis le règne de Charles IX jusqu'à
celui de Charles X : une statue de Louis XIV
en marbre, par Guillain, en a décoré la porte.
C'est en 1844 qu'on a donné au bout, facile à
détacher, de la rue du Cloître-Saint-Merri la déno-
mination rétrospective de rue des Juges-Consuls.
Une belle maison, dont la nouvelle rue a hérité
ET DES JUGES-CONSULS. 245
à l'angle de l'ancienne, s'adosse à l'église même
de Sainl-Merri ; on en vantait au milieu du dernier
siècle l'architecture virile, due à Rictier, et Ricard,
trésorier-de- France honoraire, y vivait de ses
rentes. Toute la rue avait pour effectif 6 lanternes
et 15 maisons.
L'une des quinze reçut, à quelque vingt ans delà,
le dernier soupir d'une femme qui mourait d'amour,
M""^ Lecomte. La trop sensible dame avait été la maî-
tresse de Sedaine, qui l'avait quittée pour épouser la
fille d'un avocat au conseil, et elle avait offert, pour
empêcher ce mariage, jusqu'à 50,000 livres à sa
rivale, qui les avait refusées.
16
Rue Clopin. (i)
La rue doit d'être Clopin à un logis, qui le
devait au maître de ce logis, et comme elle montait,
sans décrire assez de courbe, la montagne Sainte-
Geneviève, on y marchait avec difficulté et en y
clochant quelque peu. Ses habitants ont dû être
les premiers à conjuguer le verbe clopiner. Par
respect pour ce dérivé, six siècles se sont succédé
sans la gratifier d'un pavé, même h la place du
trottoir, et elle reste assez escarpée pour qu'on
y chemine clopin-clopant. Celte rue fut aussi dite,
au xvi« siècle, chemin Gaillard et du Champ-
Gaillard, à cause du champ dont nous parlons
dans la notice de la rue d'Ârras, qu'elle a main-
tenant pour aboutissant et au coin de laquelle
fourche un marchand-de-vin.
Jusque-là venait probablement, sous Henri IV, la
caserne d'hommes-d'armes qui régnait rue d'Arras ;
la salle-basse où se débitent le vin et l'eau-de-vie
doit être un ancien corps-de-garde. 0 chiffonniers,
ô chiffonnières, voilà vos Frères-Provençaux ! Une
senteur saumâtre s'en exhale, qui remplace l'arôme
de la truffe ; ce qu'on y dépèce de harengs, frais
en hiver, saurets l'été, pourrait se compter sur le
plancher, jonché de têtes, de queues et d'arêtes.
Mais les habitués des deux sexes, qui déjeunent
sur le pouce chez ce marchand de vin, n'oublient
jamais, quand leur poisson de mer de prédilection
est tout frais, de jeter en l'air certaine petite
membrane, luisante comme une pièce d'argent
(1) Notice écrite en 1858.
RUE CLOPIN. 247
neuve et que la rue Clopin appelle l'âme du
hareng, mais qui n'en est pas même l'estomac. Si
le boyau reste collé au plafond, cela porte bonheur
à l'homme ou à la femme qui en a étoile le ciel
enfumé de la salle-basse, et la constellation y est
nombreuse, tant les convives ont la main heureuse !
Les mouches souvent s'en réjouissent, mais n'y réus-
sissent pas à faire place nette.
L'ancien mur de Philippe-Auguste séparait encore
la rue Clopin de celle des Fossés-Saint-Victor,
dite des Anglaises (i), quand le XVIP siècle fit
la trouée qui leur permit de se rapprocher l'une de
l'autre, et la seule maison d'à-présent dont l'origine
s'y rapporte, nous la voyons n° 6. Mais pour qu'en
1714 la rue Clopin ne fût encore forte que de
3 maisons et d'une lanterne, il fallait que des
murs la bordassent des deux côtés, car elle tra-
versait à cette époque le territoire actuel de l'école
Polytechnique, en ayant pour appendice une Petite-
rue-Clopin, qu'on retrouve à l'état d'impasse rue
Descartes. La portion supprimée en 1809 avait
longé, du côté droit, le collège de Boncourt, fondé
en 1357 et où Voiture avait été élevé, avant sa réunion
au collège de Navarre, dont le mur donnait du
côté gauche. Une arcade avait mis en communica-
tion l'un avec l'autre ces deux collèges, séparés
par la rue Clopin et que depuis 1809 remplace
l'école Polytechnique.
(1) Maintenant ajoutée à la rue du Cardinal-Leœoine.
Rue du Clos-Bruneau. d)
Les maisons neuves, au point de vue du revenu,
sont évidemment les meilleures. Quel dommage
qu'elles se ressemblent toutes ! L'ancien Paris s'est
fait tout]rseul, quant aux maisons particulières ;
ses rues ont de la peine k perdre la physionomie
particulière que rappelle tel ou tel règne, mais
qui n'empêche pas qu'elles se sont ouvertes à leur
jour, à leur heure, sur des initiatives spontanées
et presque toujours isolées, que révélaient jusqu'aux
lettres-patentes autorisant l'exécution de tracés déjà
faits. Sur cette chevelure, où frisent des traditions que
nous tâchons d'accommoder, mais redevenue presque
crépue pour avoir essayé de toutes les coiffures,
les décrets impériaux tirent des raies imprévues,
sans rendre chauve la tête volumineuse dont les
cheveux druidiques, puis romains, se coupèrent
à la malcontent cinq ou six fois en dix-huit
siècles, ondulèrent pompeusement du temps de
Louis XIV et jetèrent tant de poudre aux yeux
sous le règne de son successeur ! Les tranchées
opérées par le génie moderne entassent, il
est vrai, les familles dans des habitations nou-
velles, plus pressées l'une contre l'autre, mais pour
rendre à la voie publique l'ampleur retranchée au
logement. Sans cette satisfaction donnée aux besoins
d'une circulation multipliée par les chemins de fer,
il nous eût été impossible, convenons-en, d'entre-
prendre le travail auquel nous nous livrons. N'eût-il
pas fallu plus d'une vie pour en réunir les éléments,
(1) Notice écrite en 1858.
RUE DU CLOS-BRUNE AU. 349
si toutes les sinuosités du vieux Paris, insurgé une
fois de plus, nous avaient joué le tour de résister
aux coups de ciseau de la ligne droite, diminuant
les plis et replis de l'étoffe (2) ?
C'est ainsi que la rue des Écoles vient de
supprimer tous les numéros pairs de la vieille rue
du Clos-Bruneau, oii nous a déjà entraîné la notice
de la rue des Carmes. M. Rousseau, qui connaît
assez bien Paris, a gagné par-là une gageure ! On
lui avait porté le défi de reconnaître, à la seule
inspection de quatre maisons contiguës, dans quelle
rue s'arrêterait un fiacre, qui l'amena par de longs
détours, les stores baissés, au beau milieu de la
rue dont nous parlons. Notre présomptueux colla-
borateur aurait, certes, perdu son pari si le cocher
l'eût fait descendre dans une rue de création
récente : les traits particuliers y manquent à la
plupart des constructions. Par exemple, on ne
trouve pas deux rues du Clos-Bruneau, et franche-
ment c'était assez d'une.
Il exista pourtant deux clos ayant cette déno-
mination ; l'un, à une place occupée depuis par
le Luxembourg ; l'autre, près de la rue Judas,
pseudonyme de celle du Clos-Bruneau, dont le
nom fut aussi porté par la rue Jean-de-Beauvais.
L'ancienne rue Judas est maintenant sur des
échasses, à cause de l'abaissement du sol,
déterminé par le niveau de la nouvelle rue des
Écoles. L'hôtel des Pyrénées s'y fait remarquer, n'^ 13,
en situation pittoresque comme il convient à son titre
montagnard; on l'a, de plus, recrépi à neuf. Les
autres maisons de cette rive escarpée sont noires,
(2) Lorsque cette notice voyait le jour pour la première
fois, la démolition n'avait pas encore pris les proportions
d'une coupe sombre; l'autorité, tout eu ne prenant
conseil que d'elle-même, avait encore l'air d'administrer
Paris en père de famille.
250 RUE DU CLOS-BRUNEAU.
comme si elles portaient le deuil de la rive dont
la leur est veuve, après tant de siècles d'hyménée.
L'enseigne d'un marchand-de-vin, au coin de la
rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, s'est de même
inspirée de l'élévation du site ; un paysage alpestre
y repose la vue, avec ces mots : au Repos-de-la-
Montagne. Des balayeurs, des marchands de peaux
de lapin et des étameurs de casseroUes couchent,
par chambrées, en vue de la voie nouvelle qui,
disent-ils, leur fera froid l'hiver et leur tiendra
trop chaud l'été. Ils demandent une indemnité.
Rue du Clos-Georg;eau. (i)
L'orthographe des noms propres varie impuné-
ment. Certaines gens écrivaient Jargeau, d'autres
Georgeot, quand, pour les mettre d'accord, l'édilité
parisienne s'est décidée à adopter une troisième
orthographe, Georgeau. Si le propriétaire du
clos antérieur â la rue s'appelait Georges,
l'estampille municipale ne fait que franciser ce nom
propre importé en France par la domination anglaise,
et alors il est évident que le duc de Bedford a
gratifié de l'enclos l'un de ses serviteurs. Il
eût donc été plus convenable de préférer, en
cas de doute, la désignation de Jargeau, qui ne
rappelait aucune invasion.
Pierre Doria, sieur de Cernay, écuyer, a acquis
en l'année 1610 un vaste terrain, dont faisait
partie le clos Georgeau et qui allait jusqu'au
Marché-aux-Chevaux, en ce temps-là rue d'Argen-
teuil. Or Doria se trouve encore un nom propre
tellement étranger qu'une maison de Gênes l'a
illustré ! Une branche de cette famille s'est
établie effectivement en Provence, et Pierre Doria
devait en faire partie ; un de ses rejetons, lieute-
nani-général, époux de Charlotte de Montcalm,
s'est fait tuer dans le siècle suivant à la tête de
l'armée, en Canada. La rue du Clos-Georgeau a
été percée, en 1620, sur le terrain même de
Doria. Dès 1647, elle avait quelques habitants.
Son effectif n'était encore en 1714, d'après
Lacaille, que de 3 maisons, se partageant le
(1) Notice écrite en 1858.
252 RUE DU CLOS-GEORGEAU.
soir la clarté d'une lanterne. Mais il en était
accusé davantage, quatre ans auparavant, par
l'état que voici : à g anche, hôtel d'Anjou, au
coin de la rue Traversine (de la Fontaine-Molière) (i);
Tézou, ensuite ; Charlier, ensuite ; M. Charron,
enfin ; à droite : l'abbé de Loze, coin Traversine ;
M. de Marida, Lemaistre, M"^ L. Ménestrel. La
propriété Lemaistre était à porte cochère ; mais
celle Marida n'ouvrait que sur la rue Traversine
et les quatre d'encoignure n'avaient pas plus de
portes qu'aujourd'hui sur la rue du Clos-Georgeau,
qui n'arrive qu'en les comptant à son 10™*
numéro.
Vers la fin du règne de Louis XV, Houel vendit
le 7 à Coulanges, dont la veuve se remaria avec
Beausire, lieutenant au Grenier-à-sel. L'un et
l'autre de ces immeubles étaient sous la censive
de l'Archevêché. Du 1 se rendit maître, en 1754,
l'architecte Jean Charpentier.
(1) C'est maintenant Ja rue [Molière.
Rue Clovis. (i)
Le Lycée. — L'Abbaye — La Patronne de Paris.
— La Bibliothèque. — Saint -É tienne-du-Mont .
— L'ancienne Chancellerie. — L'Enceinte de
Philippe- Auguste. -- Les Collèges de Navarre
et de Boncourt.
N'attribuons pas aux rois mérovingiens l'ouver-
ture de la rue Clovis ; elle ne fut percée qu'en
l'an xni de la République, entre les rues Clotilde
et Descartes, sur le territoire conventuel des ci-
devant abbé et religieux de Sainte-Geneviève, et
prolongée jusqu'à la rue des Fossés-Saint-Victor (2)
qu'en 1809. L'église de ce monastère, fondé par
Clovis et la reine Clotilde, venait d'être démolie,
à l'exception de la tour carrée qu'en a gardé le
lycée Napoléon, autrement dit le collège Henri IV,
ouvert depuis l'année 1802. La tour doit avoir
fait partie de l'église incendiée en 857 par les
Danois ; la crypte, qu'illustraient les miracles
opérés au tombeau de sainte Geneviève, patronne
de Paris, préexistait également à la reconstruction
de 1175 (3). La châsse de la sainte, palladium
historique de notre ville, fut publiquement détruite
en 1793. Mais n'est-ce pas comme un dernier
miracle qui sauvait encore la bibliothèque des
religieux? Elle a reçu ses lecteurs, sous le dôme
(1) Notice écrite en 1858.
(2) Actuellement du Cardinal-Lemoine.
(3) Sujet amplement traité dans VHistoire de Sainte
Geneviève^ patronne de Pans, par M. Lefeuve.
254 RUE CLOVIS.
dont la coupole était peinte par Restout, jusqu'à
sa iranslatioii sous Napoléon III dans le monument
élevé à la place de l'ancien collège Monlaigu.
La congrégation dont l'abbaye génovéfaine était
le chef-lieu, depuis l'introduction de la règle de
saint Augustin, comptait 109 maisons en France
et y nommait à oOO cures. La censive de l'abbé
embrassait, sous Louis XIV, presque tout le
faubourg Saint-Marcel et s'étendait, de plus, en
54 rues de la ville.
Les chanoines de Sainte-Geneviève avaient bâti,
dans leur enclos également et à la place d'une
chapelle, que l'enceinte de Philippe-Auguste avait
fait entrer dans Paris, Saint-Etienne-du-Mont,
dont le jubé est une merveille. Cette église
paroissiale se présente de profil, en regard du
lycée, avec son presbytère. En l'an 1506, frère
Etienne Contesse, gén'ovéfain et curé de Saint-
Étienne-du-Mont, avait obtenu de l'abbaye, après
maintes diflicultés, que la maison où se tenait
la chancellerie du chapitre devînt ledit presbytère,
restauré au xvii'' siècle. Jusqu'à la Révolution le
curé de cette église voisine était toujours l'un
des chanoines de Sainte-Geneviève. Aucune maison
particulière ne participe au droit d'ahiesse que
Saint-Étienne-du-Mont et ce qui de l'abbaye reste
au lycée ont sur une voie publique qui a été
tracée, comme pour les séparer, aussitôt que
l'Université eut divorcé avec l'Église. Cette rue
appelée à dominer Paris, sur les ruines d'un
royal monastère, ne se taillait pas dans le vide ;
elle ne pouvait manquer d'être monumentale.
Honneur au fondateur d'une dynastie nouvelle qui,
au lieu de lui infliger un nom tiré du Panthéon
moderne, l'a fait monter sur le pavois du con-
quérant, père de la monarchie française !
Faute d'anciens logis humains, nous découvrons
RUE CLOVIS. 255
le long de la rue Clovis, h travers des bocages plus
élevés que la chaussée, des nids d'hirondelles que
le granit où ils s'attachent rend presque historiques.
Chaque année en renouvelle uniquement la mousse,
dans les fissures d'un pan de mur, large environ
d'un mètre et demi et qui nous reste de la
clôture de Philippe-Auguste. Ce tronçon d'enceinte
vu de profil, qu'éclaire la nuit un bec de gaz,
indique l'ancien niveau du sol ; mais on n'y
retrouve plus les créneaux qui couronnaient d'abord
le large mur. Longtemps il ne servait plus de limite
qu'aux collèges de Boncourt et de Navarre, qui ont fini
par n'en former qu'un seul.
Une Histoire de Paris, publiée en 1781 par
Poncelin, avocat au parlement, fut ornée de gravures
par Martinet ; nous y revoyons de ce collège
royal de Navarre la belle entrée, que décoraient des
statues et d'autres sculptures ; la grande cour
est également reproduite, puis le jardin du prin-
cipal, enfin l'uu des dortoirs de la maison, qu'une
ingénieuse disposition avait faits les modèles du
genre. D^es bâtiments et la chapelle de cet établis-
sement célèbre subsistent encore de nos jours,
comme pour excuser Martinet de n'en avoir pas
donné le dessin. Fondé en 1304 par Jeanne de
Navarre, reine de France, au profit de 70 bour-
siers, ce collège de plein exercice a compté
pour élèves : Henri III. Henri IV, le duc de Guise,
le cardinal Louis de Bourbon, le prince Eugène
de Savoie ; on disait que le roi de France en
était le premier boursier, de fondation, et que
les revenus de sa boui'se s'employaient à acheter
des verges pour entretenir 1;> discipline. Les
archives de la Nation de France, ancienne
division de la Faculté des Arts, étaient confiées
aux écoliers de Navarre, avant que l'université
de Paris les transférât à Louis-le-Grand. Réunie
à celle de Boncourt, la maison n'a été fermée
256 RUE CLOvrs.
que par la grande révolution. Ur. décret de
Napoléon, daté de Saint-Cloud le 9 germinal an
xni, a transféré l'école Polytechnique dans les
ci-devant collèges de Navarre et de Boncourt.
Rue Vietor-Cousin,
NAGUÈRE
de Cluiii. (i)
La Maison des grands Hotmnes. — Les Ecoliers
de Cluni.
L'hôtel de Saint-Quentin occupait le n" 5 ; sa
porte était rue des Coidiers, où la remplace de
nos jours la boutique d'une marchande à la toilette.
Des pierres en saillie, qui n'en ont plus d'autres
à attendre, prouvent qu'une voûte a couvert l'extré-
mité de la rue de Cluni, du côté de celle des Grés (2).
Au surplus, l'édifice est haut, et ne dirait-on pas
que tout y parle ? Un escalier à balustres de bois
le mesure perpendiculairement ; des fenêtres à
coulisses, prenant jour sur différentes faces du
bâtiment, le croisent d'étage en étage, mais avec
moins de symétrie que dans les constructions
modernes qui ne disent rien. Au quatrième, gémit
une porte en chêne lorsqu'elle met 5 découvert
un pas usé, seuil d'une chambre mémorable,
dans laquelle Jean-Jacques Rousseau reçut d'abord
Thérèse Levasseur. C'est même la maisonde plusieurs
grands hommes en ce qu'y habitèrent le philosophe
(1) Notice écrite en 1860 La rue n'avait pas encore
répudié la mémoire du collège de la congrégation
de Cluni pour convoler, sur la carte des rues, eu secon-
des noces avec un maître que l'éclectisme philoso-
phique, la politique libérale, la littérature et l'Université
venaient de perdre.
(2) Aujourd'hui Cujas.
«58 RUE VICTOR-COUSIN,
Condillac et son frère Mably, qui écrivait aussi.
De notre temps encore, le poète Hégésippe Moreau
a passé dans le même garni de longues nuits, puis
le ciilique Gustave Planche, dont ce fut le dernier
domicile.
Sur la même ligne sont le 1 et le 3 ; l'une de
ces vieilles bâtisses se tient parfaitement droite
encore, sur un rez-de-chaussée que l'abaissement
du terrain a déchaussé pourtant jusqu'au sous-
sol ; l'autre s'attaisse, comme uu soldai obèse, n'ayant
plus que ses pieds qui gardent l'alignement. Toutes
les deux, comme la précitée, datent, il n'en faut
pas douter, de l'ouverture de la rue, qui eut lieu
dans le xni« siècle. On y remarque fort peu une
boutique où Robert donnait à manger, du temps
de Mably et de Condillac, à raison de 12 et 16
sols, et qui traite encore au même prix, mais
avec un menu réduit. En 1714, cette voie de
communication, qui finissait h l'arcade, four-
nissait i\ la population de la ville un contingent
de 5 maisonnées, qui retrouvaient le soir leurs
portes à la lueur de 2 lanternes. Son prolonge-
ment jusqu'à la rue Soufflet ne remonte qu'à l'année
1849; mais le projet en fut conçu l'an xni et l'ordre
de l'exécuter se donna dès 1826.
Sur la ligne opposée à celle où nous avons
trouvé trois vieilles maisons, nous cherchons les
deux autres. Mais ce côté a subi un reculement
notable, la seconde année du règne de Louis-
Philippe. Il s'y élève des façades encore neuves.
Quoi de commun, en apparence, entre l'hôtel-garni
que peuplent des étudians, n" 6, et l'ancien hôtel
de Saint-Quentin ? Franchissez néanmoins la porte
et vous reconnaîtrez sans peine que le bâtiment
du fond n'est pas nouveau. Autrefois il faisait
partie d'une propriété qui non-seulement partait
de la place Sorbonne pour aller jusqu'à la rue
des Grés, en longeant toute celle de Gluni, mais
NAGUERE DE CLUNI. 259
encore s'étendait, grâce à l'ancienne arcade, sur
la rue des Cordiers^La maison qu'habita Jean-
Jacques en avait été originairement et le collège
de Cluni avait occupé le tout.
Il en reste la chapelle, dont le fronton, sur-
monté d'une crête sculptée, dépasse à peine la
toiture du n° 7 de la place ; mais cet orne-
ment révélateur n'est visible, pour le passant, que du
haut des marches de l'église de laSorbonne.Ungrand
libraire, M. Hachette, a pour magasin de livres
cette chapelle abandonnée, qui a servi d'atelier
au peintre David de 1806 h 1815; elle est masquée
sous toutes ses faces et abordable uniquement
par la cour d'une autre maison neuve, le 21 de
la rue des Grés. Plusieurs abbés, prieurs et
docteurs en théologie de la congrégation de Cluni
reçurent la sépulture dans les caveaux de la
petite église, à son tour ensevelie dans l'ombre.
Ce sous-sol, mis à découvert par la décroissance
du niveau, donne accès, sons d'épais arceaux,
aux portefaix de la maison Hachette, qui, chaque
jour, font un vide et en remplissent un autre,
dans les rayons de cette bibliothèque de volumes
en feuilles et brochés, piolond tonne au des
Danaides qui s'épanche sur le monde entier!
Le collège de Cluni reg.irdait comme ses fon-
dateurs : Yves de Vergy, abbé de Cluni sous le
règne de saint Louis, Yves de Chasant, son neveu
et successeur, puis Henri de Fautières, abbé au
commencement du xiv" siècle. Ce séminaire de
l'ordre avait été créé en 1269 dans l'hôtel des
évêques d'Auxerre, qui altenait h la porte Saint-
Michel. La plupart des chroniqueurs disent que
tous les prieurs et doyens subordonnés h l'abbaye
de Cluni étaient obligés d'entretenir un ou deux
boursiers dans ce collège. Quel énorme contingent
d'élèves, si de pareils cadres avaient été remplis !
La congrégation comptait encore, dix-sept années
Ï60 RUE VICTOR-COUSIN, ETC.
avant sa suppression, 2,000 maisons en Europe
et conférait en France plus de 600 bénéfices.
Elle suivait la règle de saint Benoit, et le chef
d'ordre, cette abbaye de Cluni dont le supérieur
portait le titre d'archi-abbé, remontait à l'an 910.
Le collège était exclusivement destiné à l'étude
de la philosophie et de la théologie. Quant au
nombre des élèves, il ne s'élevait plus en 1779
]uh 6, régentés par un prieur, au lieu de 28,
nombre réglementaire à cette époque.
Il y en avait eu bien davantage; mais il n'avait
pas fallu de place que pour eux. L'archi-abbé
résidait parfois au collège, lorsqu'il faisait un
séjour k Paris, avant que Pierre de Chalus eiît
acquis une portion de l'ancien palais des Thermes,
pour la convertir en hôtel de Cluni. Nonobstant,
l'abbé de Cluni avait en ville, ou dans le faubourg
Saint-Germain, un autre hôtel antérieurement.
Rue Cocatrix. (i)
La halle de Beauce, qui étalait dans la Cité,
rue de la Juiverie, fut donnée par Philippe-le-
Bel à son échanson, Geoffroi Cocatrix, qui demeurait
rue Cocatrix. Ce favori du roi était même titulaire
du fief de Cocatrix, assis entre la rue des Deux-
Ermites et la rue d'Arcole, dans ce que cette
dernière a de méridional. Le taunier, c'est-à-dire
le cabaretier de la rue, s'appelait Nicolas Barbe
en 1315 ; mais il y tenait le « cabaret Cocati'ix,
proche celui des Marmouzets. »
II y avait aussi hors Paris un val Cocatrix, terre
qui fut réunie, ainsi que le fief de la Croix, aux
seigneuries de Sintry et de Tremblay ; Philippe-
le-Bel s'y arrêta, les 11 et 12 août 1308, en
revenant du Poitou, et, à l'occasion de cette résidence
royale, la dîme du pain et du vin consommés par
la cour fut octroyée à la léproserie de Corbeil.
Des lettres du prince se donnèrent au val Cocatrix
en avril 1326.
De Jean de la Caille, imprimeur de la police,
.qui dédia son plan de Paris à Desmarets, contrôleur-
général des finances, nous tenons qu'on comptait
10 maisons et 2 lanternes rue Cocatrix en 1714.
11 est vrai que cette voie publique formait alors
un retour d'équerre du côté de la rue d'Arcole,
crochet retranché en 1843 au profit de la rue
Constantine. Des maisons dont La Caille a fait
(1) Notice écrite en 1858 sur une rue que l'Ile de la
Cité A entièrement perdue depuis.
17
262 RUE COCATRIX.
l'addition, pas moins de 8 ont disparu ; quelques-
unes les ont remplacées. Les n"» 7 et 8, étant
les seuls qui n'aient pas même changé d'alignement,
nous donnent par conséquent l'ancienne largeur
de la rue. Ne confondons pas le premier de ces
immeubles, qui est exploité en garni, avec une
autre maison de la rue qui avait plus de préten-
tions. Florentin y logeait, à l'enseigne de la ïoison-
d'Or, les plaideurs do province, dans le cœur du
xvin'^ siècle, moyennant 10, 45 ou 18 livres par
mois, selon l'importance du proc«^s qui les appelait
salle des Pas-Perdus. Dans' l'autre logeait alors
Thiébault, grelïler-commis au greffe civil du
parlement.
Dans ce qui faisait coude, le marquis de Verneuil
était propriétaire et mitoyen avec le chapitre dé
Notre-Dame, sous Louis XVI : tous deux avaient
M. Tiron pour vis-à-vis.
Rue Hoooré-Clievalier. (i)
Cilez-moi un mot composé dont l'inversion ne
dénature pas le sens ! La rue du Chevalier-Honoré,
avant de mettre son nom à l'envers, s'est ouverte
Sous le règne de Henri IV. Le terrain en avait
appartenu au chevalier Honoré ; mais la rue tenait
trop peu de place pour que ce propriétaire y eût
perdu ses trois maisons juxtaposées, avec leurs
trois jardins. Il en reste au moins deux maisons,
qui ont dû n'en former qu'une seule, au coin de
la rue Bonaparte; Ig fait est qu'elles datent l'une
et l'autre de la fin du xvi" siècle, mais que le
siècle suivant les a rhabillées avant de finir. De
ces deux immeubles jumeaux, un seul ouvre sur
la rue Honoré-Chevalier, qui n'a jamais eu d'autre
immeuble qu'on pût se permettre d'appeler un hôtel.
Voici donc l'hôiel de Bargemont, indiqué dans
cette rue sous le règne de Louis XVI et que des
Polignac avaient habité antérieurement. De six
frères Villeneuve de Bargemont, qui naquirent au
dernier siècle, trois se signalèrent dans le nôtre
par leurs écrits, dont deux préfets.
Le marquis de Permangle ne put guère lui-même
demeurer que là dans celte rue. M'"'' de Chamois,
fille du comédien Préville, fut enlevée par ce
gentilhomme; son mari, qui ne lui avait pas donné
l'exemple de la fidélité conjugale, ne l'en fit pas
moins arrêter à Toulon, où elle jouait la comédie,
et ramener à Paris. On enferma d'abord l'infidèle
(1) Notice écrite en 1862.
264 RUE HONORE-CHEVALIER.
épouse aux Madelonettes, après lui avoir impitoyable-
ment rasé les cheveux, puis on la iransféra dans une
autre maison de correction, qui était de meilleure
compaj^nie. N'était-ce pas chez les dames Donzy, qui
tenaient uii établissement de ce genre, fondé par la
police à la Nouvelle-France? Quand une jolie femme
séparée de son mari choisissait son refuge, c'était le
couvent de Bon-Secours, rue de Charonne.
Aussi bien le 8 et le 10 sont-ils plus jeunes
que la rue ? Deux petites portes y attiennent à
deux puits et mènent à deux escaliers* qui se
ressemblent également, bien que l'un soit gai-ni de
petits piliers en chêne au second étage, et l'autre
d'une vieille ferrure plus élégante, dès ses premières
marches.
Vis-à-vis, mais de l'autre ^ côté de la rue de
Madame, n'a pas bronché une maison qui appar-
tenait h Clément Selva, maître-des-requêtes, avant
de s'adjuger, en 1752, h Adrien de Monicault,
procureur au parlement. Elle était alors dos-à-dos
avec le monastère des religieuses du Précieux-Sang
et relevait censuelloment de l'abbaye de Saint-
Germain-dos-Prés, ainsi que le rappelle une Carte
planimétrique des terrains situés clans la censive
de Saint-Germain , levée sous la direction du baron
de Molina, colonel, ingénieur, en 1752 et 1753.
Rue IVotpe-l>aïue-des"CIiainps. (i)
L'apôtre saint Denis avait rendu dévots h la
Sainte-Vierge des fidèles rassemblés, en dehors de
la ville, dans un lieu où s'élevait déjci l'église de
Notre-Dame-des-Champs sous les derniers rois
mérovingiens. Des moines de Marmouliers la
desservaient, sous le règne de Hugues Capet, et
avant peu elle devint le chef-lieu d'un prieuré. La
communauté de bénédictins que le prieur de Notre-
Dame-des-Champs avait sous sa conduite céda le
monastère, en 1604, aux carmélites, qu'on y retrouve
encore de nos joiTrs rue d'Enfer. Quand M"'" de la
Vallière entra chez ces religieuses, pour s'y appeler
sœur Louise, la rue reprit, au contraire, le nom
de l'ancien prieuré, après n'avoir été pendant deux
siècles qu'un chemin dit Herbu, puis du Barc.
D'un bout à l'autre elle côtoyait l'eticlos des
chartreux de la rue d'Enfer, lequel avait plus
d'étendue que le jardin du pnlais d'Orléans-Luxem-
bourg. Le séminaire d'Orléans se trouvait substitué
au prieuré dans les droits féodaux <iu'il avait
excercés sur une portion de cet enclos.
Ne dirait-on pas que la rue Notre-Dame-des-Champs
regrette encore de n'être plus un chemin? Les habi-
tants n'ont pas entièrement cessé d'y cuUiver la
terre. Paris, il est vrai, ne fit d'abord sienne qu'une
moitié du parcours de cette voie, laissée encore
à mi-corps dans les champs ; mais ;out en était
dans la ville avant que la Nation confisquât le
clos des , Chartreux, déjii bordé d'importantes
contructions.
(1) Notice écrite en i86SJ.
266 RUE NOTRE-DAME-DEJ-CHAMPS.
A l'entrée de la rue, les tilles de la Mort
s'établirent les premières, avec une chapelle sous
l'invocation de sainte Thècie. A cette congréga-
tion succéda la communauté de M"'' Cossard, ci-
devant rue Princesse, qui fut dite du Saint-Esprit.
La fondatrice de cette institution avait prévu le
cas de suppression, qui, en effet, se présenta, et, en
vertu des mesures qu'elle avait prises, l'Hôpital-
Général devint propriétaire, l'an 1707, des bâtiments
de sa communauté. Les frères des Écoles chré-
tiennes s'en rendirent acquéreurs ; leur noviciat,
maison de l'Enfant-Jésus, y fut surpris par la
Révolution, ainsi que la chapelle du Saint-Esprit,
où la messe était encore dite par un chapelain
à la nomination de l'Hôpital-Général. Des bâti-
ments, plus rien qui reste depuis le percement
de la rue de Rennes.
Le plus ancien hôtel de la nôtre fut construit
pour Glienard d'Honcourt, qui eut pour successeur
son frère, seigneur de Bugny;lc fils de celui-ci
vendit à M. de Vil 1ers, premier mari de la
comtesse Duchàtelet, née delvlailly; laquelle dame
eut pour cessionnaire en 1753 le marquis de
Mailly, comte de Rubempré, brigadier des armées
du roi. Cette propriété, qui avait englobé l'hôtel
du président Ogier, se divisait sur la fin de
l'ancien régime en grand et petit hôtels de Pons.
L'abbé Terray, minisire de Louis XV, étrenna
dans la même rue un hôtel richement meublé : il y
avait mis un lit de 80,000 livres, qu'on montrait
aux curieux. Une marquise de Fleury, qui avait été
la Dufresne, courtisane d'une beauté rare, n'avait
pas attendu que cet hôtel passât Fleury pour
souper en tête-à-tête avec son fondateur. Le mariage
et le titi'e de cette parvenue ne l'empêchèrent pas de
mourir dans l'indigence, elle qui avait mangé
la rançon d'un roi : ses deux fils étaient capitaines,
l'un de dragons et l'autre d'infanterie.
RUE NOTRE-DAME-DES-CHAMPS. 2(i7
Les lits et les soupers du collège Stanislas n'ont,
par bonheur, eu de commun avec ceux de l'abbé
Terray que le local. La pension que i'abbé Liautard
avait fondée en 1804 fut constituée en 1821 col-
lège particulier de plein exercice, sous le piincipal
prénom de Louis XVIII, qui portait un vif intérêt
à l'établissement. Ce collège occupait l'ancien
hôtel Terray et des propriétés attenantes ; mais,
avant la fin du règne de Louis-Philippe, profes-
seurs et élèves se sont transportés dans l'ancien
hôtel de Mailly, dont on avait fait entretemps
une brasserie. La rue et le passage Stanislas se sont
ouverts au travers de l'ancien territoire du collège,
qu'y remplacent encore deux pensions, l'une au
coin de ladite rue et l'autre quelques portes plus
loin. L'entrée des catacombes, pour les ouvriers,
est en regard.
Au-dessous de l'hôtel Fleury, la princesse
de Rohan-Guémenée, lille du duc de Bouillon et
gouvernante des enfants de France, a déployé
un luxe que dépassait encore celui de son mari :
une faillite de 33 millions fit tomber ce couple
prodigue dans la disgrâce, dès 1783, et la liquidation
s'en terminait à peine quand la princesse comparut
devant un tribunal qui n'en demandait pas tant pour
prononcer un arrêt de mort. La déconfiture avait mis
à sa place, rueNotre-Dame-des-Champs, la comtesse
de Tournon, qui avait été présentée comme telle
à la cour et qui roulait avec un T sur la portière de
sa voiture. Cette fdle d'un gentilhomme i)auvre
du Vivarais n'en était-elle pas moins la vicomtesse
Dubarry? Le roi avait signé le 18 juillet 1773 au
contrat de son mariage avec le neveu de M"™*
Dubarry, qui avait été page, officier d'infanterie,
puis cornette des chevau-légers de la garde avec le
rang de mestre-de-camp de cavalerie. Le mari,
fils de Jean Dubany, pouvait avoir eu des torts
envers sa femme lorsqu'elle s'était évadée, pour
368 RUE NOTRE-DAME-DES-CHAMPS.
essayer du régime de la séparation ; mais, en revenant,
elle l'avait rendu père d'un garçon, et puis, en
1778, aux eaux de Spa, il s'était battu pour
elle avec un Anglais, le comte de Ris, qui l'avait
tué. C'est depuis que la veuve avait acheté dans
l'île de Corse deux fiefs eu friche, qu'elle avait
fait ériger en comté.
Du temps de M'"*' de Tournon, il y avait sur
la ligne opposée l'hôtel Dulau, plus haut que
l'hôtel de Montmorency-Laval, postérieurement
raffinerie Santerre, qui se retrouve près la rue
de Fleurus.
L'architecte Va vin a construit en 1790 des
maisons rue Notre-Dame-des-Champs. L'une d'elles,
dans laquelle M"" Rosa Bonheur a eu son atelier
de peinture, est maintenant occupée par les sœurs
de Notre-Dame-de-Sion. Un passage, qui appar-
tenait à la famille de l'architecte, s'érigeait en
rue Vavin au commencement du règne de Louis-
Philippe.
Rue de Monsieur, (i)
Louis XVI régnait depuis quatre ans lorsqu'il
autorisa l'ouverture de cette rue sur un terrain
que venait d'acheter son frère, Monsieur, comte
de Provence, afin d'y établir ses écuries. Brongniart
avait dessiné le plan de ces écuries, dont il se
trouve des bâtiments et tout l'emplacement aux
n"' impairs qui suivent le n" 7. L'écuyer ordinaire
de Monsieur était le marquis de Bièvres, que rem-
plaça en 1784 M. Hazon de Saint-Firmin. Le marquis
de Montesquiou-Fezensac, premier écuyer du prince,
avait été le menin des enfants de France sous le
règne précédent ; la survivance de ses fonctions
était acquise au baron de Montesquieu.
Sur le plan de Brongniard aussi, l'hôtel Montes-
quiou s'était élevé en face des écuries, avec jardin
sur le boulevard. Membre de i'Académie-Française
et puis des États-Généraux, M. de Montesquiou fut
un des premiers députés de la noblesse ii taire
cause commune avec le tiers-état. Comme lieutenant-
général, la République le chargea du commande-
ment de l'armée du Midi et de l'occupation de la
Savoie ; mais, bientôt accusé, il émigra en Suisse.
Les bénédictines du Saint-Sacrement habitent
aujourd'hui l'ancien hôtel du premier écuyer de
Monsieur.
Brongniart fut encore l'auteur, en 1786, du
pavillon des archives de l'ordre de Saint-Lazare,
qui devint ensuite une pension, puis un hôtel, puis
une des maisons conventuelles du Sacré-Cœur et
enfin le collège arménien de Samuel Moral.
(X) Nolicfi écrite eu 1862.
870 RUE DH MONSIEUR
Du même temps et toujours du même architecte
est l'hôtel coniigu, inauguré par M"*" de Bourbon-
Condë, abbesse de Remiremont. et occupé sous
Louis-Philippe par le comte de Beaumont et la
comtesse, fille de Dupuytreii.
Un an plus tôt, Legrand a fait bâtir, à côté de
la maison de M"*' de Condé, un autre hôtel pour
le comte de Jarnac. Le comté de ce nom avait
passé dans la fàmille de Rohan-Chabot en 1745.
par suite du mariage de M., de Rohan-Chabot,
colonel d'infanterie, avec la veuve de M. de
Larochelbucauld-Montendre, née de Jarnac. Main-
tenant à l'hôtel Jarnac vivent religieusement les bar-
nabites, pères Italiens, dont la chapelle donne rue de
Babylone.
Il est plus facile de reconnaître dans le n" 3
fhôtel de Saint-Simon, puisqu'une inscription le
désigne. Le général duc de Saint-Simon, sénateur,
ancien pair-de-France, y a pris sa retraite.
La rue de Monsieur a porté la dénomination de
Fréjus pendant le Consulat et le premier empire,
en mémoire du débarquement ojiéré par le général
en chef de l'armée d'Egypte à Fréjus le 9 octobre
1799.
Rue Royale-S^aiiit-llonoré. (i)
La rue Royale entre dans la circulation en
4757, avec la place Louis XV, dont elle est le
trait-d'union pour le Boulevard. Le plan qui leur
est commun, ouvrage de Gabriel approuvé par le
roi, a imposé aux maisons de la rue l'identité de
façade. L'inauguration de la place et de la statue
de Louis XV a lieu le 20 juin 1763. Néanmoins
il reste, vingt ans après, des vides à remplir dans
la monumentale avenue de la place. André Aubert
s'y fait donc concéder par le bureau de la Ville
1,304 toises de terrain, afin de les revendre en 6
lots, et l'on peut lire sur les affiches qu'il fait
placarder dans Paris :
Lesdits terrains sont exemps de droits seigneuriaux
et autres. Ou pourra vendre à vie les faces bâties.
S'adresser à Aubert fils, architecte, rue de la Magdeleiue.
Pour se lancer dans cette opération, Aubert a
été cautionné par M. Rouillé de l'Estang, qui est
déjà propriétaire, sur la place Louis XV, d'un hôtel
dont héritera M'"'' de Pastoret, sa nièce, et que
grève une rente foncière de 2,462 livres, 10 sols,
au profit du prieuré de Sainte-Catherine-du-Val-
des-Écoliers. En qualité de trésorier de la Police,
Rouillé de l'Estang a sous ses ordres des commis ;
il transfère bientôt ses bureaux rue Royale, au
n" 13.
Cette maison, qui a été élevée comme les
n" 5, 7, 9, 11 et 15, sur le terrain adjugé à
(1) Notice écrite eu 1862.
272 RUE ROYALE-SAINT-HONORE.
Aubert, est habitée postérieurement par Suard,
lequel y meurt à 86 ans, le 20 juillet 1817. Avant
la Révolution, cet homme de lettres a rédigé la
Gazette de France, avec l'abbé Arnaud ; il s'est
fait de bonne heure une réputation qui attirait chez
lui les étrangers de marque, et il a été élu membre
de l'Académie-Française dès i77!2. Comme censeur
royal, il a refusé son approbation -àw Mariage de
Figaro, et pourtant la famille royale assistait à la
première représentation de cet ouvrage de Beau-
marchais. Poursuivi et proscrit pendant la Républi-
que, Suard a vu supprimer, en 1810, lePwôitm^e,
feuille qui lui appartenait.
Le n^S, tout d'abord, voit M. de Montaut
locataire de l'aichitecte Boullée, et ensuite c'est
l'hôtel Fronsac. Pelit-lils du maréchal de Richelieu,
Frousac y réside cinq ou six ans avant d'émigrer,
et ce même duc, en servant la Russie, sera nommé
gouverneur d'Odessa ; il reviendra en France pour
être ministre et membre de l'illustre compagnie
fondée par le cardinal de Richelieu.
Le n°l, sous Louis XVI, fait partie de l'hôtel
Fronsac, ou de l'hôtel Coislin, qui donne sur la
place Louis XV et où la marquise de Coislin reçoit
son monde en se rendant redoutable par les
vivacités de son esprit.
La trésorerie de la Police fait au même temps
vis-à-vis à l'hôtel de Gouvernet. Un peu plus bas
que cet hôtel, M. Lebas de Courmont, payeur de
rentes, a ses bureaux ; un peu plus bas encore
se trouve l'hôtel de Chastenet, contigu au Garde-
Meuble, en d'autres termes à la maison du roi.
M. Randon de la Tour est à cette époque trésorier-
général de la maison du roi et il a pour voisin
M. Thierry de la Ville-d'Avray, commissaire sous
ses ordres, dont la porte ouvre sur la place. Il
y a eniln, dès ce temps-là, près de M. Thierry
de la Ville-d'Avray, sur la place et sur la rue Saint-
RUE ROYALE-SAINT-HONORÉ. 278
Florentin, le bureau de M. Chabert, inspecteur-
général des côtes maritimes, et c'est le berceau
du ministère de la Marine, qui englobera le
Garde-Meuble.
Au 6, SQus la première restauration, un salon
acquiert l'importance d'un cabinet diplomatique, le
salon de M™* de Staël. De nouveau celte femme célèbre
quitte la France, pendant les Cent- Jours, et d'Italie
elle revient malade, pour rendre le deinier soupir
quatre jours avant Suard, son voisin. La lecture
d'un testament fait connaître que M. de la Rocca
a été le second mari de M""-' de Staël, dont Delphine
donne le portrait et Corinne l'idéal.
La rue Royale, dite en 1792 de la Révolution
et trois ans plus tard de la Concorde, repreiid
ensuite son auguste nom. Elle se prolonge, sans
uniformité de construction, aux dépens du Cours
ou Boulevard, qui venait primitivement jusqu'à la
porte Saint-Honoré, démolie en 1733.
Rue Rousselet. (i)
Rousselet, propriétaire, est devenu sous la
Régence, père et parrain d'une rue, qu'on appelait
auparavant chemin des Vachers, Des masures y
sont plus anciennes que le:> maisons bourgeoises,
dont quelques-unes ont été des hôtels. L'ordre
numérique y commençait et y finissait rue de Sèvres,
quand il n'était pas lait de différence entre les
chiffres pairs et les impairs ; maintenant il part
à la fois des deux angles de la rue Oudinot.
Que la noblesse de robe ait pris sa retraite,
comme aujourd'hui la bourgeoisie modeste,
dans cette rue honnête et tranquille, il n'y a
pas de quoi s'en étonner. Mais on y a aussi
porté l'épée avec honneur. Les hôtels Béon,
Lastic et Saisseval étaient occupés rue Rousselet,
avant la grande révolutioii, par le marquis de
Béon-Caseaux, chef de brigade des armes du roi,
par le comte de Lastic, colonel d'infanterie, lils
d'un lieutenant-général, et par le marquis ou le
comte de Saisseval-Feuquières, ces deux frères
étant en même temps capitaines de cavalerie.
Entin, le n° 29 a été restauré et habité par
Valérius, l'ancien bandagiste de la rue du Coq,
que ses opinions légitimistes avaient tant com-
promis, au commencement du règne de Louis-
Philippe, et qui a cessé de vivre en 1855.
(l) Notice écrite en 1862.
Rue Joubert. (i)
Plus l'âge expose à des affronts la vieille coquette
et le galantin sur le retour, plus ils se montrent
jaloux des préférences qu'accorde souvent l'amour
à la jeunesse. Mais les maisons d'un certain âge
sont de si bonne composition qu'elles souffrent
sans se plaindre de l'alignement nouveau qu'une
façade prend près des leurs et qui est une menace
à leur adresse. On ne fait pas grâce d'une crevasse
à ces maisons, du moment qu'on convoite leur
emplacement ou leurs matériaux. Aucun ména-
gement n'est gardé par les ennemis que leur t'ait
la spéculation. Soni-ce des hôiels? on les trouve
insolents. Des bicoques ? elles répugnent à une
grande ville. Si la vie qu'on y mène paraît irré-
prochable, quelle jeunesse orageuse ne dissimule
pas cette bonhomie caduque ! Parfois on évoque
des souvenirs dont elles rougissent sous leur badi-
geon, en présence d'un square ou d'un boulevard
moderne, mais dont elles riraient entre vieilles
connaissances. Toute maison qui a vécu est in-
dulgente ; si elle ne dore que le premier étage,
elle en console la mansarde ; les espérances qui
ont séché ses plâtres ne l'abandonnent qu'au dernier
coup de pioche. C'est pourquoi vous voyez errer
inévitablement aux alentours, quand elle a disparu,
ceux de ses anciens habitants qui lui survivent :
on la cherche, on voudrait la revoir, on la regrette
comme un ami discret!
Une vingtaine de maisons, parmi celles de la
(1) Notice écrite en 1862.
276 RUE JOUBERT.
rue Joubert, ont vu le jour avant 89 ; mais, malgré
le peu de pruderie que leur donne l'expérience
de la fin du wui" siècle, elles ont été des premières
à se plaindre d'une des maisons neuves qui sont
nées sur l'ancien jardin de la princesse de Wagram.
Cette maison, qui a jeté de bonne heure son bonnet
par-dessus les moulins, ne paraissait pas à sa place
dans une rue de bonne compagnie. Le voisinage,
à l'unanimité, d'en demander la fermeture. Les
gens, s'écriait-on principalement, qui toute la
nuit y viennent en voiture, pourquoi n'iraient-ils
pas plus loin ? Mais la maison Farcy, c'était
alors son nom, compt-iit sur des protections, qui
l'ont emporté, en effet, sur les scrupules du
voisinage. Les établissements de ce genre devaient
se contenter autrefois de locaux beaucoup moins
en vue, que la spéculation ne disposait pas exprès
pour la spécialité. Ayant cédé son fonds, la Farcy
est devenue commanditaire d'un agent-de-change,
dont les affaires ont moins bien tourné.
Un hôtel au n** 3 est tenu par M'"« Compagnon,
ancienne mercière, qui a passé 50 années de sa
vie, sur 73, dans la rue dont nous vous parlons.
Elle y a connu des personnages marquants du
Consulat et de l'Empire: Caulincourt, duc de
Vicence, au n° 39; Lefebvre, duc de Dantzick,
au n° 29; le général Digeon, au n" 17 ; le général
Vatrin, au n" 35.
Nous ne passons jamais devant le n° 15 sans
nous rappeler de charmants mercredis. Les salons
de M""" Ancelot étaient ouverts, dans ce petit hôtel,
à la littérature et à la diplomatie, sous le règne
de Louis-Philippe. Tout ce qu'on y a eu d'esprit
ne tiendrait pas en un gros livre. Ancelot, l'aca-
démicien, fut par malheur directeur du Vaudeville
et y écorna sa fortune; mais les procès qu'en-
traînent de telles affaires l'ayant mis en rapport
RUE JOUBERT. 277
avec M* Lachaud, cet avocat déjà connu épousa
M"« Ancelot.
Le prince d'Arenberg a fait construire le 25
et le 27 ; de la même origine paraît être le 23.
M»"* Pellaprat demeurait au 35, pendant le Consulat,
et le duc de Chdiseul, dans la maison suivante,
vers 1830; il y avait alors au fond de ces deux
hôtels, comme au fond de l'hôtel Caulincourt, de
petits jardins, suspendus au-dessus des remises.
Le général Joubert, gouverneur de Paris sous
le Directoire, a sans doute habité la rue. Toutefois,
le Moniteur du 27 brumaire an VIII se borne à
dire : « La rue Neuve-des-Capucins, où demeurent
la veuve et la famille du général Joubert, a pris
ce nom. » Le général était mort à Novi, dans
sa 30'"*' année. Sa veuve, née M"*" de Montholon,
demeuraijL en haut de la rue, du côté des chiffres
impairs, 'au dire de M"'*' Compagnon.
L'ouverture de la rue Neuve-des-Capucins avait
été ordonnée par le roi, le 8 juin 1780. sur des
terrains à M. de Sainte-Croix et à l'Hôtel-Dieu,
en face du couvent des capucins de la Chaussée-
d'Antin, actuellement lycée Bonaparte. Les maisons
à bâtir avaient été exemptées de diverses charges,
telles que le logement des gardes-françaises et
suisses, jusqu'à la première vente. Rouillé d'Orfeuil,
intendant de Châlons, n'avait pas tardé à établir
ses bureaux dans la nouvelle rue. L'architecte
Bellanger y avait bâti en même temps les n"' 20,
22 et 24. Cette propriété, qu'habita Bellanger, servit
aussi de pied-à-terre galant au comte d'Artois et
même au financier M. de Saint-James. On en fit
une prison sous la Terreur, principalement pour
des Anglais que Robespierre y retint. Il paraîtrait
que M. de Choiseul y fut aussi incarcéré. Un peu
plus tôt ou plus tard, le citoyen Fauchard résidait là.
18
Rue de la Grang^e-Batclièrc. (i)
État de la propriété en 1790 daiiâ cette rue,
qui commençait alors au Boulevard et qui
abouti»»sait à la rue du faubourg-Montmartre.
Oanche. — M''« de Villefranche, y demeurant : Ponroy,
bourgeois; Deslauuay, /(/. ; de Crozat, y demettrant,
avec une entrée par le cul-de-sac devenu ensuite la rue
Pinun, puis la rue Rossini ; un maraîcher, au fond dudit
cu'-de-sac ; Pinon de Quiticy, conseil'er au parlement,
seigneur du Hef de la Grange-Batelière, y demeurant;
Rameau, secrétaire du roi, place à bâtir ; Chenizot, id.;
Levass^^ur, couseiller au parlement, avec un menuisier
pour locataire; labbé Darcy, place à bâtir; Raymond,
secrétaire du roi, y demeurant; un maréchal-ferrant ;
Vallée, paveur, i inaisons.
Droite. — Le^asseur, déjà nommé, 6 maisons dont une
à son usage; Plessj', menuisier ; Davai, avec un menuisier
pour locataire ; un paveur; un maçon; Dolville, procureur,
y demeurant; Vallée, déjà nommé.
Depuis 1847, la rue Grange-Batelière commence
où elle finissait depuis un siècle et demi, c'est-
à-dire h la rue du Faubourg-Montmartre : les
numéros de res maisons semblent avoir joué aux
quatre coins. D'autre part, au lieu de faire cro-
chet sur le boulevard, la rue se prolonge en droite
ligne, de façon que plusieurs hôtels ont changé
de rue sans changer de place. Mais au nombre
de ces déserteurs involontaires ne figure pas
(1) Notice écrite en 1802.
RUE DE LA. GRANGE-BATELIERE. 579
l'hôtel de Nolivos. La maison de Raymond, déjà
cité, a été refaite avant l'avènement de Louis XVI,
pour M. de Nolivos, capitaine aux gardes-tVan-
çaises, ami de M. de Valençay. En ce temps-là
un avocat nommé de Ligny demeurait vis-à-vis,
avec sa femme : c'est sans doute au n" 11, ancien
22. M"'e de Ligny se retira aux Anglaises, dans
un âge où les jolies femmes ne renoncent pas
aisément au monde ; mais elle reçut au parloir
du couvent quelques visites du comte de Nolivos,
qui ne lui était pas indifférent. M. de Beaumont,
archevêque de Paris, réprimanda la supérieure
de n'avoir pas deviné une intrigue dans l'objet
de ces entrevues, où les liens de parenté et les
rapports d'affaires n'étaient pour rien, et tem-
porairement on mura, par punition, la grille du
parloir. L'exilé, mis au pied du mur, l'escalada
un soir ; il put revoir la pensionnaire, qu'on ne
surveillait pas de près, puisqu'elle était logée à
part ; mais il fallut se quitter avant le jour, et
le temps avait passé vite ! Aussi la femme de
l'avocat donna-t-elle jilusieurs fois audience, à ce
qu'on dit, au comte de Nolivos, dans les mêmes
conditions. Le mari, alors en voyage, n'avait pas
appris sans plaisir que M. de Beaumont supprimait
le parloir !
Nous doutons fort que le même prélat ait exigé
que, pour donner des leçons aux demoiselles
élevées dans les couvents, les • maîtres à danser
portassent la tonsure et le petit-collet. Il y eut
pourtant rue Grange-Batelière, probablement n" 7,
un abbé Quinion, maître de danse. Quelque graves
que soient certaines danses, à commencer par
le menuet, ne se demande-t-on pas si ce prêtre
disait réellement la messe avant de courir le cachet,
avec la pochette en sautoir ? Quel doute en laisse
un almanach des Arts et Métiers, imprimé en
Tannée 1769, qui constate que l'abbé Quinion était
S«0 RUE DE LA GRANGE-BATELIERE.
maître de danse juré, en même temps que prêtre
habitué à Saint-Roch ?
Il avait pour voisine Caroline Véronèse, qui
avait joué, comme sa sœur Camille, h la Comédie-
Italienne. Le prince de Conti n'était encore que
comte de la Marche lorsqu'il avait eu de Caroline
un fils, cause de sa rupture avec la comtesse
de la Marche, et il avait acheté pour sa maîtresse
le marquisat de Silly.
Quelques années plus tard, la compagnie colonelle
des gardes-suisses se trouvait casernée aux n"'
13 et 15 actuels.
Duportail, secrétaire d'État au département de
la Guerre, habitait la rue en 1791. Naguère com-
pagnon d'armes de Lafayetle en Amérique, ce
ministre révolutionna et désorganisa l'armée, en
autorisant les soldats h fréquenter les clubs. Les
ordonnances y relatives ont-elles été signées par
Duportail dans la ci-devant caserne, dans une des
deux maisons d'en face, ou bien dans l'un des
grands hôtels perdus pour la rue Grange-Batelière
depuis que la rue Drouot la croise ? Jusque-là
aucun ministre de la guerre n'avait eu la même
résidence que son prédécesseur ; mais alors que
les mutations se succédèrent avec une rapidité
imprévue, le portefeuille, ce meuble si portatif,
devint immeuble par destination. Celui de la Guerre
changea de mains dix ou douze fois en deux années.
Le ministre Pache, en novembre 1792, prit pour
secrétaire-général Xavier Ardouin, vicaire de Saint-
Eustache, et mit des orateurs de club à la place
d'employés dont les opinions ne lui paraissaient
plus à la hauteur des circonstances. Pache avait
vu le jour en Suisse ; son père avait été le suisse
de l'hôtel de Castries : il ne lui manquait plus
que d'occuper un ancien quartier de gardes-suisses.
Rue Popineoiirl et rue
Folie-lléricourt,
EN CE QUI s'en appelait NAGUÈRK
Popincourt. [i]
Les Annonciades . — Nicolas de Blégny, — Fronsac.
— La Comédie- Bourgeoise. — Le M'^ de Pange.
— Le C*« de Fodoas.
Jean de Popincourt, président au parlement
sous Charles VI, avait une maison de
campagne près Paris; elle devint îi l'époque des
guerres religieuses un temple calviniste, que le
connétable Anne de Montmorency prit d'assaut le
31 décembre 1561, en ne le ménageant guère.
La même propriété était vendue plus tard par
Angrand, secrétaire du roi, aux annonciades du
Saint-Esprit. Ces religieuses avaient formé depuis,
peu d'années à Saint-Mandé un établissement, sur
le modèle de leur maison de Melun ; elles se
transférèrent à Popincourt le 12 août 1636 et puis
l'ancienne chapelle de Saint-Marthe ou du Saint-
Esprit y fut remplacée par la leur. Une médaille
d'argent, retenue par un cordon bleu sur l'habit
que portaient les sœurs, rappelait que leur ordre
avait été institué en l'honneur de l'Annonciation :
(1) Notice écrite en 1862. La queue dp U rue Popin-
court n'était pas encore devenue la tête de la rue Folie-
Méricourt, entre celle Oberkampf (Menilmonlant) et le
boulevard du Prince- Eugène.
282 RUE POPINCOURT, ETC.
l'ange Gabriel y figurait, annonçant à la Sainte-Vierge
le mystère de l'Incarnation. En 1720, la 3"'«' propriété
et la 4"'"^ qui venaient sur la droite h partir de
la rue Ménilmontant, étaient au sieur Albert,
maître à danser ; les annonciades, dames de
Popincourt, en avaient quatre sur la même ligne
affermées à deux jardiniers, en regard de leur
monastère. La communauté devenait nombreuse ;
mais de cet accroissement ne résulta pas la
prospérité de ses affaires et force fut, pour y
mettre ordre, d'aliéner une portion du domaine
conventuel en l'année 1760. D'autres nécessités
provoquèrent même le sacrifice du reste, qui fut
vendu, en 1781, à MM. Perrot de Chezelles, de
Blosseviile et Valentin.
La caserne construite sur le territoire qu'elles
avaient occupé seivyit de quartier originairement
k deux compagnies de fusiliers et h une de grena-
diers, en tout 310 hommes des gardes-françaises.
Cette caserne, depuis un an ou deux, sert d'hospice
aux Incurables (hommes). L'église des religieuses,
vendue comme bien national le 2 prairial an V,
fut érigée pendant le Consulat en seconde succur-
sale de la paroisse Sainte-Marguerite, rachetée
par la Ville en 1811 et restaurée en 1818. Cette
église, dédiée à saint Ambroise, touche le pres-
bytère, qui ouvre actuellement sur le boulevard
du Prince-Eugène ; c'est une vieille maison où
Chéradame, entrepreneur du pavé de Paris, rem-
plaçait immédiatement les religieuses.
Le village de Pincourt, ainsi dit par abrévation,
a eu beau entrer à demi et puis tout-à-fait dans
la ville, les Parisiens n'ont cessé de s'y croire à
la campagne que plus d'un siècle après l'annexion.
Les maraîchers et les nourrisseurs n'en habitaient
pourtant pas exclusivement la grande rue. Une
maison de santé y a été fondée, sous Louis XIV,
par Nicolas de Blégny, ainsi que le jardin médi-
RUE POPINCOURT, ETC. 283
cinal de Pincourt. Le chef de l'établissement
pratiquait principalement la chirurgie ; il s'était
fait connaître comme banda^Mste, avant d'ouvrir
un cours d'anatomie et divers autres, voire même
un cours sur les perruques. Ce M. de Blégny avait été
jusqu'à se mettre h la tête d'une société acadé-
mique, et elle publiait des mémoires, dont l'impres-
sion en France n'a été mterdite, en 1682, que
par égard pour tous les médecins qui se plai-
gnaient d'y être maltraités. Au reste, notre
chirurgien s'atïicliait de tous les côtés comme
préposé à la recherche et à la vérification des
nouvelles découvertes de la médecine, et il confiait
au public des Secrets concernant la beauté et la
santé ; donc ses écrits étaient d'un charlatan,
exploitant l'ignorance et la crédulité dont le grand
siècle n'était pas exempt. Il frappait d'une contribu-
tion à son profit, avec peu de savoir, avec beaucoup
d'intrigue, la coquetterie et les infirmités, tous
les vices, tous les accidents, en se donnant pour
habile à guérir les descentes, les maux vénériens
et généralement les tnaladies extra<.rdïnaires :
Spécialité des plus larges ! Son cabinet en ville
était rue Guénégaud, tout près du théâtre de
Molière, qui faisait rire tout le monde des médecins,
sans diminuer la clientèle du praticien voisin en
vogue. M""' de Blégny, directrice honoraire et
perpétuelle de la communauté des jurées sages-
iemmes de Paris, pratiquait également sur les
personnes de qualité et demeurait chez son fils,
apothicaire du roi, rue Guénégaud. L'officine
regorgeait de remèdes secrets, il est vrai, mais
suffisamment garantis par cette annonce excep-
tionnelle ; Une personne solvable qui en connaît la
vertu s oblige, quand on le veut, d'en payer la valeur
en ïacqnit des malades en cas quils ne guérissent
pas, pourvu quils conviennent de les payer au double
pour une parfaite guériscn. Or la personne sol-
284 RUE POPINCOURT, ETC.
vable, l'endosseur invisible, le compère anonyme,
n'était-ce pas Nicolas de Blégny lui-même? Tout
le dénonce. Homme d'esprit pour se mettre en
vue et de génie pour en tirer parti, il ne visait pas
directement qu'à l'argent ; il devait de fort belles
places à la réputation qu'il s'était faite lui-même, car on
l'avait nommé chirurgien de la reine en 1678,
ordinaire du duc d'Orléans en 1683 et médecin
du roi quatre ans après. De sa vaste et belle
maison de santé, où il n'y avait pas qu'une seule
porte, il subsiste plusieurs corps-de-bâtiments, rue
Popincourt, entre l'hospice et les dernières maisons
de la rue actuelle. Les malades et les convalescents
y étaient traités à des prix différents, depuis 20
sols jusqu'à 6 livres par jour : ils ne vivaient donc
pas ensemble. Un pavillon entièrement séparé
recevait les femmes qui venaient faire leur couches.
On reléguait enfin les vénériens à un bout et les
fous à l'autre. Une bibliothèque dépendait de l'é-
tablissement; elle était publique pour les médecins,
les apothicaires et leurs élèves, ainsi que le jardin
médicinal. En allant jusqu'au labyrinthe qui sur-
gissait à l'extrémité, les promeneurs avaient en
vue d'autres jardins et des maisons de plaisance,
clair-semées près du couvent et de la maison de
santé ; ssulement il n'y avait encore à la hauteur
de celle-ci que des marais bien cultivés entre la
rue Popincourt et le Boulevard. Elle n'est pas
demeurée au-delà de l'année 1693 à la disposition
de Blégny, qui tombait de haut et bien bas. Des
escroqueries avérées l'ayant fait dépouiller de ses
charges et garder huit ans en prison au château
d'Angers, il est mort septuagénaire à Avignon
en 1722.
En face ou presque en face de la rue Saint-
Sébastien, une petite-maison fut taillée pour le
fils du maréchal de Bichelieu dans l'ancien hôtel
de santé. La niche de saint qu'on remarque au
RUE POPINCOURT, ETC. 285
même endroit est d'une origine antérieure. Puisque
les roués du xvni* siècle ne redoutaient pas trop
l'indiscrétion à l'endroit de leurs galanteries, n'en
citerons-nous pas une ou quelques-unes dont Pin-
court ait été le théâtre ? Fronsac y fit une partie
carrée, le 7 janvier 1763, avec le marquis de
Conflans et deux filles de chez la Hecquet. Il
donnait k souper, le 14 du même mois, au duc
de Goigny, à son frère et à deux autres seigneurs,
près desquels figuraient trois filles, pensionnaires
de la Deslongrais. Néanmoins, à la même époque,
la liaison de Fronsac avec Sophie Arnould durait
encore, et il aimait déjà la jeune Dubois, de la
Comédie-Française, qui lui avait sacrifié ce que
la plus belle fille du monde ne saurait donner
plus d'une fois. Au mois d'octobre de la même
année, la porte de la petite-maison s'ouvrait
plusieurs fois par semaine pour la présidente de
Boulainvilliers.
Le père de Fronsac, six ou sept ans plus lard,
avait pour sous-secrétaire Joseph-Jean-Baptiste
Albouy, fils d'un négociant de Marseille. Ce jeune
homme avait fait chez les oratoiiens de bonnes
études, qui ne lui avaient pas donné le goût du
commerce, et le maréchal l'employait k mettre en
ordre les documents destinés à la rédaction de
ses mémoires. Albouy ne vivait pas du produit
de son travail ; il recevait une pension de sa
famille, et, pour parfaire, il contractait des dettes ;
mais les bontés de Richelieu lui permirent de s'ouvrir
une carrière dans laquelle, entraîné par la voca-
tion, il espérait mettre ordre à ses affaires. Ayant
fréquenté le théâtre et appris des rôles â loisir,
il joua d'abord en société et reçut des encourage-
ments. La maison de plaisance de Fronsac était
devenue, à cette époque, une petite salle de
spectacle, appelée la Comédie-Bourgeoise de Popin-
court, et ce théâtre avait pour sociétaires des fils
Î8G RUE POPINCOURT, ETC.
de famille, tels que les comtes de Sabran, de
Goutfier et de Loménie ; la jeune marquise de
Folleville et sa sœur taisaient partie de la troupe ; le
public y était aussi de la meilleure compagnie. Là dé-
buta dans le rôle de Crispin, des Folies amoureuses,
Albouy, qui illustra ensuite sur la scène française
le pseudonyme de Dazincourt.
A égale distance de la sallq de spectacle et de
la rue Ménilmontant, il y avait une sparterie,
manufacture dont le siège est maintenant une
fabrique de bronzes d'art.
Reconnaissons pareillement, au coin de la rue
Saint-Sébastien, quelque chose d'une propriété dont
les trois corps-de-logis et le jardin ne mesuraient
pas moins de 3 arpens. Ce bien fut vendu à
l'abbé de Lanne par le marquis de Pange, qui en
avait acquis un tiers de Caumont, médecin ordinaire
du roi, en 1757, un tiers de Malderie, seigneur
de Catreville, et le reste de Bézodis, marchand-
bonnetier.
Une autre maison de la rue Popincourt, et ne
l'apercevons-nous pas h l'angle de la rue du Chemin-
Vert? fut louée au comte de Fodoas, ancien
capitaine de cavalerie, qui peut-être y fit des
folies, mais aux dépens de quelque riche douairière.
La vieille princesse de Nassau, de laquelle il était
aimé, dépensa 30,000 livres assez lestement avec
lui. Létorière, son prédécesseur, n'en avait coûté
que 6,000. Néanmoins Fodoas, médiocrement con-
tent de la princesse, chercha à mener plus loin
la comtesse de Schlinfelt, décorée de l'ordre de
Marie-Thérèse et qui n'avait guère moins d'un
demi-siècle. M. Fontaine était propriétaire de la
maison dont nous parlons, et les carmélites en
avaient quatre qui faisaient suite.
Rue Tii renne,
NAGUÈRE
Saint-Louis-au-lIlarais. [i]
Contingent de noms et dates mémorables fournis
à l'histoire de Paris, pour le compte de cette
rue, par des documents inédits et des livres.
Durant Tocoupation anglaise, le duc de Bedfort
obligea le prieur de Sainte-Catherine-du-Val-des-
Ècoliers à renoncer, moyennaiit 16 sols parisis
de chef-cens, à la propriété de 8 arpens et 1/2
détachés de la culture Sainte-Catherine et qui,
depuis la fondation du prieuré, au commencement
du xni* siècle, faisaient partie de son domaine
direct. Mais des lettres-patentes de Charles VII,
en date du 3 décembre 1437, cassèrent le contrat
de renonciation passé devant Legras et Paris,
notaires au Chàtelet, le 17 juin 1425. Après être
rentrés en possession de leur terj'ain, théâtre de
maints désordres, les pères jugèrent bon de le
faire entourer d'un mur ; les prévôt et échevins
les autorisèrent, qui plus est, en l'année 1487, à
enclore avec la culture l'égout dont elle était
bordée, à la condition de laisser une porte pour
la visite et le curage. On forma en 1560 sur cet
(1) Notice écrite en 186-2. La rup Sainl-Louis. n'ayant
pas encore piis pour en-têle celle <ia Va!-Sâiiite-
Catherine, ne se prolongeait pas, comme aujourd'hui,
jusqu'aux ru«s de Rivoli et Saint-Antoine. L'un des plus
célèbres habitants qu'elle avait eus ne remplaçait pas
encore salut Louis sur ses estampilles.
288 RUE TURENNE,
égout, jusque-là découvert, la rue dite des Nouveaux-
Égouts, puis Saint-Louis sous le règne de Louis XIIL
Des constructions ne remplacèrent que succes-
sivement des jardins et des chantiers sur les 8
arpens et 1/2 provenant de Sainte-Catherine, qui
s'aliénèrent en divers lots, au moyen de baux d
vente consentis par les religieux h des particuliers,
tels que Mathieu Mayert, orfèvre, le dernier jour
de novembre 1545, et Gildart Millet, praticien au
Palais, le 18 mai 4547, Une place audit terrain,
derrière les maison et jardin de Jean Lair, pro-
cureur au Chàtelet, était baillée à rente perpétuelle,
le 28 février 1560, à Méderic de Donon, con-
trôleur du Domaine, et une autre place à Jacques
Saulger, par l'évêque de Toul, prieur de Sainte-
Catherine-duVal-des-Écoliers, Marin Maupillé, sous-
prieur, Jean Hanielin, François Fouet, François
Gottard, Jean Choquet, Jean de Sussy et Jean
Chaillou, tou3 religieux-profès dudit prieuré et
couvent.
Un petit lot, vingt ans après, était cédé à Marc
Miron, seigneur de l'Ermitage, conseiller et premier
médecin du roi, par François de Berne, prieur,
Jean Chaillou, sous-prieur, docteur en théologie,
Jean Choquet, procureur et syndic, Godefroy Hardy,
Simon Hamelin, François Déranger et Jean Jacob,
prêtres ; Charles Tallery, diacre, et Jean Dugué,
tous religieux-profès. Il s'agissait d'un morceau de
terre qui longeait les égouts de la ville, derrière
le jardin de M""= de Kernevenoy (Carnavalet), en
tenant au jardin de Jean Lestelle, médecin. Déjà
Miron, sept ans auparavant, avait acheté de Fran-
çoise de la Marche femme de Villequier, gouverneur
d'Anjou, deux maisons contig4aës à celle de son
confière Lestelle. Le père de ce dernier avait été
marchand et succédé dans sa propriété à Périne
de Pisseleu. De plus, Jeanne Barbedor, belle-
mère de Miron, avait été propriétaire par-là, avant
NAGUÈRE SAINT-LOUIS-aU'MARAIS. 289
son gendre. Digne membre d'une famille de médecins
célèbres, Miron avait suivi le duc d'Anjou en Pologne
et contribué au retour en France de ce prince,
devenu Henri III ; à deux reprises il avait siégé
aux États de Blois, comme député de la Faculté
de Paris, et on lui reconnaissait le titre de cornes
archiatrorum :
Dicitur archialer qui pr inceps est medicorum.
Charles Miron, évêque d'Angers à 18 ans,
siégeant l'année suivante aux États de Blois, était
fils de Marc ; il s'ari-angea d'une place attenante
à celle que son père avait eue de même origine,
rue des Égouts. L'hôtel Miron touchait à la maison
de Laroche-Bonneuil et au petit hôtel d'Argouges,
lorsque l'évêque hérita du médecin, c'est-à-dire
en 1608. Charles Miron prononça l'éloge funèbre
de Henri IV, après avoir été chaudement son par-
tisan. Des querelles avec son chapitre le portèrent
à accepter l'abbaye de Saint-Lomer de Blois, en
échange de son évêché, qu'il reprit pour peu de
temps en 1622, et puis vint sa nomination k
l'archevêché de Lyon, qui fut déclarée par Talon
attentatoire aux libertés de l'église gallicane.
Le mariage de Marie Miron avec Louis Lefèvre
de Caumartin, garde-des-sceaux sous le règne de
Louis XIII, fit changer le nom de l'hôtel, qui passa
à Anne de Caumartin, évêque il'Amiens, et à
Caumartin de Saint-Port, conseiller d'Étal, puis
intendant des finances, pour qui la terre de Cailly
fut érigée en marquisat. Celui-ci, premier homme
de robe qui ait porté du velours, laissa ses biens
à des créanciers. Pierre Delpech de Cailly, prési-
dent en la cour des Aides, disposa de la propriété
de la rue Saint-Louis, après son beau-père, Pajot
de Villers, et il y ajouta deux maisons, acquises
de la famille Arnaud de Pomponne et dont une
fontaine, établie en 1687, marque encore la place.
i90 RUE TURENNE,
Le président maria sa fille au marquis de Joyeuse,
colouel, qui vendit h Choux de Bussy, secrétaire
du roi, en 1761.
Le plan de Paris en l'année 1652 place contre
l'hôtel Caumartin un hôtel Villedo : quel était-ii ?
Un terrain clos de 166 toises, au coin de la rue
Neuve-Saint-Catherine (i) et de la rue Saint-Louis,
avait été cédé en 1634 par Lefèvrede Caumartin
à Villedo, maître-maçon, en échange de 265 loises
prises plus haut, dans la rue Saint-Louis, sur un
terrain aliéné par les religieuses de Saint-Gervais,
lesdites 265 toises tenant aux héritages de l'ar-
chitecte Leroy et du président Lejay. Or Lejay,
gouverneur d'Aire, a eu certainement un hôtel à
l'encoignure de la rue du Parc-Royal et de la rue
Culture-Sainîe-Catherine (^2). La famille Villedo de
Clichy, postérieurement k la cession de Caumartin,
disposait de quatre maisons au moins qui se sui-
vaient, à l'entrée de la nôtre, et notamment de l'hôtel
occupé par un de ses membres devenu conseiller
du roi et général des bâtiments, ponts-et-chaussées
de France. Une des autres maisons appartenait à
Marguerite Villedo, épouse d'Etienne Papot, maître
des bâiiments-du-roi, et plus lard à Madeleine
Villedo, femme Rostau. Une autre maison aussi
avait été apportée par Catherine Villedo à son mari,
Michel Noblet, aichiiecte du roi et garde-des-
fonlaines, qui. en fit hériter son neveu, l'architecte
Bruant. Une autre encore, contiguë à l'hôtel pro-
prement dit, fut vendue par Villedo jeune, maîlre-
des-comptes des bàliments-du-roi, à Marguerite
Foucault, fille majeure, en 1658, Enfin, dix ans
après, un partage de famille attribuait à une
D"'' Villedo, temme de Michel Delavigne, docteur-
(1^ Présentement rue des Fraucs-Bourgeois.
(2) Présentement rue Sévigné.
NAGUÈRE SAINT-LOUIS-AU-MARAIS. 291
régent, l'hôtel loué à l'abbé Colbert, puis acheté
par Meynaud de Latour, secrétaire des finances,
et ensuite hôtel Lowendal. M. de Lowendal, qui
demeura rue Saint-Louis, était un tils du maréchal-
de-France ; il avait alors Beaumarchais pour ami.
Une masure, en face de la rue des Minimes,
paraît tout ce que la rue Saint-Louis a conservé
de l'hôtel Caumartin ; mais on revoit la plupart
•des constructions dont les Villedo ont posé la
première pierre.
Que sont devenues les Tournelles, de l'autre
côté de la rue? Sur l'emplacement du palais nous
ne retrouvons pas que deux maisons modestes,
pourvues encore d'escaliers à balustres, qui des
premières y ont surgi, n° 8, n" 20. Quelles y sont les
propriétés qui attirent le mieux l'attention? Pendant
tout le règne de Louis XIV on n'appelait le n" 16,
où le maréchal de Catinat a résidé, que Ihôtel
de Vitry. Les .Minimes, monastère établi-par-derrière
depuis 1611, n'ont pu l'englober que sous le règne
suivant.
Girardin, ambassadeur de Louis XIV près du
Grand-Turc, n'a pas manqué d'avoir sur l'ancien
parc royal une grande maison rue Saint-Louis,
près celîe de Mivault, maîire-des-comptes, et une
autre maison par-derrière, qui le mettait en
mitoyenneté avec Delisle-Mansart. Quand toutes
deux, plus tard, appartenaient à Louis-Alexandre
Girardin, maître-des-requêtes de l'hôtel-du-roi, en
sa qualité de donataire de Jean Girardin, chevalier,
seigneur de la Cour-des-Bois, des Préaulx et du
Cigne, la première ne communiriuait plus avec la
rue que par une longue allée, et il y tenait d'une
part à Petit-Destigny, d'autre part à Doublet,
trésorier du duc dOrléans, dans le fond à lui-
même et à la veuve Ruelle ; il se trouvait également
propriétaire derrière la seconde, qui, au coin de
292 RUE TURENNE,
la rue Saint-Gilles, touchait encore à celle des
ayant-droits De Mivault.
Après la rue des Douze-Portes (i), Claude
Guénégaud, trésorier de l'Épargne, avait fait élever
un hôtel, qui est devenu la proie des flammes ;
M""^ de Sévigné raconte qu'elle a été témoin de
l'incendie : elle habitait alors l'hôtel Carnavalet. On
a réparé le désastre pour un nouveau propriétaire,
le chancelier Boucherat, dorit la bibliothèque était
citée et dont le jardin allait jusqu'au Boulevard.
De la propriété du chancelier ce qui restait de
mieux au xvni* siècle, par suite de réductions,
était l'hôtel d'Ecqueyilly, occupé de nos jours par
le couvent de Sainte-Elisabeth. Le marquis d'Ecque-
villy, capitaine-général des chasses du roi, après
son père et son grand-oncle, épousait, en 1741,
la fille d'un de ses voisins, le marquis de Joyeuse.
Vers cette époque, Lesage était logé à l'angle de
la rue des Douze-Portes: de bonnes positions avaient
été offertes k l'auteur de Gii Bias et de Turcaret,
qui préférait vivre de sa plume en faisant jouer
des pièces à la foire.
Thévenin de Tanlay, premier président en la
cour des Monnaies, n'avait-il pas ses bureaux,
sous Louis XVI, au 30 ou au 32, que la famille
de Gourgues a habités? En cas d'erreur, ce serait
au 44.
Enfin au vénérable hôtel que les n°* 46 et 48
nous représentent sans ses dépendances, diverses
traditions rattachent d'illustres noms : Turenne,
Vauban, La Bruyère, M"*= de la Vallière. Le plan
de Gomboust y marque l'habitation de M. le
Vasseur. On dit aussi que ce fût l'hôtel de Crosne,
avant la nomination de M. Thiroux de Crosne,
(1) Piésentement Viilehardouin.
NAGUÈRE SAINT-LOUIS-AU-MARAIS. 293
intendant de Lorraine, à la lieutenance-générale
de police. La Tour-d'Auvergne, duc de Bouillon,
y avait résidé avant Turenne, son fils, qui recevait
des frondeurs, lorsqu'il subissait l'influence de
la duchesse de Longueville, et entretenait chez
lui des assemblées protestantes périodiques, avant
que Bossuet l'eût converti. Vauban lui-même,
n'a-t-il pas commencé par servir dans les rangs
de la Fronde, sous le grand Condé? Quanta
l'auteur des Caractères, Bossuet l'a présenté pour
enseigner l'histoire ou fils de Condé; jusque-là
il était trésorier de France à Caei.. Outre le grand
hôtel Tui'enne, aujourd'hui encore divisé, il y en
a eu un petit, qui parfois s'en est détaché : ainsi
s'explique l'exubéiance des souvenirs locaux par la
simultanéité. Pendant que Tuienne, rentré dans le
devoir, tenait campagne contre Condé, sa femme,
Charlotte de Caumont, qu'il avait fondée de pou-
voir, faisait fermer une rue Neuve-des-Minimes
en vertu d'une autorisât on royale du 17 avril 1655.
De cette rue 17 toises étaient données par le
roi au grand capitaine, qui les ajoutait à son
jardin, et Guénégaud lui-même en gagnait un
morceau entre Petil-Destigny et M"''Scarron. Cette
dernière n'était-elle pas la jeune femme du poète
Scarron et par conséquent, propriétaire du chef
de son mari?
La duchesse d'Aiguillon a doiiné,le dernier jour
d'avril 1684, au cardinal de Bouillon la terre et
chûiellenie de Pontoise, en échange de l'hôtel
Turenne, atîn d'y établir les bénédictines de l'x^dora-
tion-perpéluelle-du-Saint-Sacrement. Leur entiée a
eu lieu le 16 septembre de la même année. Seulement
elles acquéraient, le9avril suivant, uneplace contiguë
de 384 toises, qui avait déjà fait partie de l'hôtel
Turenne et qui se trouvait circonscrite par leur
propriété, par celles de MM. de Sainte-Foy, Boulin
et Guénégaud, ainsi que par la rue Saint-Claude,
19
294 RUE TURENNE,
sur laquelle un bâtiment à elles alignait 4 toises
de façade. Ce monastère se composait en premier
lieu des révérendes mères: Marie de Saint-François-
de-Paule, prieure, Marie-Bernardine de la Concep-
tion, Marie-Madeleine de Saint-Bernard, Marie- Anne
de Saint-Joachim, Marie-Opportune de Sainte-
Gerlrnde, Marie-Scolastique de Jésus, toutes
religieuses de l'Adoration- perpétuelle- du- Saint-
Sacrement-de-l'Autel, « maintenant établies rue
Neuve-Saint-Louis, Marais du Temple, h l'hôtel de
Turenne. » L'iiôiel confisqué par la Nation sur les
ci-devant religieuses a valu le nom de Turenne à
la rue Saint-Louis depuis l'an IX jusqu'à la
Restauration, Une congrégation de franciscaines a
fait bâtir, â la place de l'église du couvent,
Saint-Denis-de-Saint-Sacrement, qui est livré au
culte depuis l'année 1835.
On appelait déjà Marais du Temple jusqu'à
l'ancien jardin des rois lorsque l'hôtel Turenne,
dont le terrain en provenait aussi, enlraiten religion.
Mais ce n'était pas encore le quartier vaste qui
depuis se qualifie le Marais. M'"« Cornuel, dont
les bons mots faisaient les délices de la place
Royale, en était presque lorsqu'elle habitait le
Mai'ais du Temple, c'est-à-dii'e entre la place
Royale et le Temple, où le xvn« siècle était si
bien i^eprésenlé. Celte tille de Bigot, intendant de
M. de Guise, était la seconde femme de Cornuel,
qui avait senti naître son amour pour elle le jour
même de l'enterrement de la première Le nom du
mari semblait le prédestiner à une disgrâce qui ne
lui fut pas épargnée ; il finit donc par en prendre
son parti, et M""® Cornuel de dire : — Les cornes
sont comme les dents, elles ont du mal à percer
et après on en rit Mais si l'esprit dans ce
ménage, comme dans beaucoup d'autres, venait de
la femme, ce n'était pas sous le régime dotal ;
Cornuel en eut sa part dans la communauté. Il
NAGUÈRE SAINT-LOUIS-AU-MARÀIS. 295
était déjà vieux, très-vieux quand un accident de
voiture le jeta, au péril de ses jours, dans le
même fossé que deux filles toutes jeunes, qui, les-
tement relevées, l'aidèrent lui-même à se tirer de
là ; en les remerciant il ajoutait : —Pauvres enfants,
nous étions tous les trois du même âge il y a
deux minutes !
Le 56 et le 60 ont abrité le chancelier Voysin,
dont M""^ de Maintenon avait fait la fortune, et
qui eut d'Aguesseau pour successeur aux sceaux.
La famille de Jumilhac en a disposé, avant ou
après le comte d'Erlach, colonel de gardes-suisses ;
le marquis de Jumilhac commandait en 1791 la
garde constitutionnelle de Louis XVL Mais ce n'était
plus l'ancien parc royal et encore moins l'ancienne
culture Sainte Catherine qu'on y foulait aux pieds ;
c'était la superficie des plus anciens Marais du
Temple.
De ce territoire proprement dit dépendait le
terrain vendu par les hospitalières de Saint-Gervais
à Barthélémy de Bissi, et n'avons-nous pas vu
Villedo en transporter 265 toises à Lefèvre de
Caumartin ? Les propriétaires qui s'y suivaient entre
les rues du Parc-Royal et Sainte-Anastase, vers
l'an 1780, étaient : Dubreuil, Hocquart, Brunet
d'Évry, Dassy de Beaudreville, Gesly, le comte
de Voisenon et Richard.
Sur l'alignement opposé, au coin de la rue du
Pont-aux-Choux, Yvonnet, seigneur de Bammeville,
avait laissé, sous la Régence, à sa fille, femme
d'Amyot d'Inville, conseiller aux Aides, une maison
accotée à celle du commissaire Cailly et adossée
à celle de Blanchard. Le monastère des filles du
Calvaire, fondé en 1640, se présentait, mais non
de (ace, entre cette rue du Pont-aux-Choux et celle
des Filles du-Calvaire (Vieille-du-Temple).
La rue Boucherat n'avait servi de prolongement à la
896 RUE TURENNE, ETC.
rue Saint-Louis, sur les Marais du Temple, entre les
rues Vieille-du-Temple etChaiiot, qu'au beau milieu
du règne de Louis XIV. Jean Beausire, architecte
du roi, maître-général, contrôleur et inspecteur des
bâtiments de la Ville, qui avait dirigé les travaux pour
l'établissement d'un nouvel égout, avait aussi spé-
culé sur les terrains mis en valeur par l'ouverture de
la rue Boucherat, et Michel Richer, entrepreneur de
bâtiments, avait fait de même h la suite. Sous
le règne suivant, une propriété à M. Louis de
Monmerqué précédait immédiatement la fontaine
de cette rue, qui ne s'est ajoutée i\ l'autre qu'en
1851. Bloin, valet-de-chambre de Louis XIV, avait-
il habité la même maison? Nous pensons que
c'était plutôt le n° 94, qu'on dit lui-même ancien
hôtel Boucherat. La fille de Mignard, avant que le
roi signât â son contrat de mariage avec le marquis
de Feuquières, était publiquement entretenue par
ce Bloin. Il rendit le dernier soupir dans le Marais,
nous ne savons plus à quelle date ; mais peu
importe, redirait Théophile,
El dans les noirs flols de l'oubli
Où la Parque l'a fa\t descendre,
Ne fùt-il mort que d'aujourd'hui.
Il est aussi mort qu'Alexandre.
Rue de Hlirouicnil. (i)
Percée au commencement du règne de Louis
XVI sur un terrain qui appartenait à Armand-
Gaston Camus, avocat, propriétaire de Tliôtel
Beauvau, cette rue eut pour parrain Hue de
Miroménil, garde-des-sceaux, sous le ministère
duquel fut abolie la question. A ladite s'ajouta
la rue Guyot, ouverte deux années après à la
diligence de Senneville, Aubert et de Lettre.
Deux autres crues poussèrent en 1813 et en
1826 cette voie de communication jusqu'à la rue
de Valois.
Au moment de la première de ces trois annexions,
tout un côté de la rue Miroménil appartenait au
susnomméCamus, h. l'exception d'une seule propriété
enclavée entre deux des siennes et qui était acquise
à Bigonet. Cinq propriétaires de l'autre côté de
la rue semblent av(»ir dicté dans le môme temps
leurs noms à quelque scribe, qui les aurait écrits
d'une manière encore moins irréprochable que
celle-ci: D'Orgemont, la baronne d'Alleps ou le
comte de Camille, Marcelin et de Casiellan, le
marquis Andrault de Langeron. On remarquait
pourtant, avant 89, un hôtel de Roquefeuil dans
cette rue.
(1) Notice écrite en 1861. La rue Miroménil n'était
encore coupée ni par les boulevards Hausmann et
Malesherbes, ni par la place formée au bout de Ja
rue de Laborde, ni par les rues de Rovigo et de
Lisbonne. Elle ne s'est également prolongée que depuis
entre la rue de Valois, qui s'ajoutait à celle de Monceau,
ot le boulevard des Batignolles.
238 RUE DE MIROMÉNIL.
Notre collecteur de documents locaux a trouvé,
pour sa part, au fond du n° 33, un pavillon
décoré de bas-reliets, avec un arbre qui a été
planté avant que l'archilecte Le Camus de Mézièrcs
dessinât l'hôtel de Beauvau. Le duc de Noailles avait
été antérieurement propriétaire du terrain occupé
dans le faubourg Saint-Honoré par l'hôtel Castellane
et par les immeubles voisins ; mais la construction
du susdit pavillon date encore de plus loin, il
n'en faut pas douter, puisque son ancien escalier,
qu'on a gardé dans un grenier, est bel et bien
à balustres de bois.
Les sculptures beaucoup plus apparentes du n" 53
représentent deux voitures à trois corps, à quatre
chevaux, et rien n'y manque, pas même les noms
de ces voitures, !a Lmire et VÉHsa. L'administration
des gondoles parisiennes, diligences pour Nanterre,
Versailles, Marly et Saint-Germain, s'y établissait
en 1824 et construisait, pour se faire des remises,
le hangar qui est vis-à-vis. A ces voitures, qui
ne menaient qu'à la campagne, il en succéda
d'autres qui conduisaient les gens jusque dans
l'autre monde. Mais les Pompes funèbres n'eurent
leur garde-meuble, leur vestiaire, leurs écuries et
leurs remises dans la rue de Miroménil que
jusqu'en 1853.
Contentons-nous, par conséquent, d'un fiacre
pour nous transporter
Rue l^aint-Fiaere. [i)
Celle-ci, déjà connue en 1630, mais sous le
nom de rue du Figuier, sortait-elle d'un petit fief
Saint-Fiacre? Ou le sieur Fiacre y fonda-t-il le
service des voitures qui ont gardé ce nom dans
le vocabulaire usuel ? Des écuries et remises pou-
vaient y rester subordonnées à ce bureau de la
rue Saint-Martin auquel convenait si bien l'enseigne
(le Saint-Fiacre et qui se tint plus isrà rue du
Faubourg-Saint-Denis. Lesdits carrosses de louage
étaient déjà au nombre de 1800, avant que la
concurrence des cabriolets de place, vers 1770,
en renvoyât pas mal sous la remise. Le tarif était
alors : 25 sols pour la première heure, 20 pour
les heures suivantes, 24 pour une course.
La rue Saint-Fiacre a été fermée pendant un
siècle par deux grilles, qui paraissent deux portes
bien murées sur le plan de Paris en 1739. La
plupart des propriétés qui la bordaient ayant leur
entrée principale ailieuîs, on ne comptait
encore à la fin du règne de Louis XIV que 4
maisons qui appartinssent à la rue au même litre
exclusif que ses 2 laniernes ; elle n'avait pourtant
rien perdu depuis dix an.^, époque où M"'^ Mouilleron,
propriétaire du n" 2, ou du u«4, tenait à M'"* Canaple,
celle-ci k Dumesnil, chantre à l'Opéra, Dumesnil
à l'avocat Baudin et Baudin à De Meulle. Le jardin
de ce dernier empiétait sur l'ancien fossé de la
ville, où commençait également le jardin de l'abbé
Dufour, qui, tout en allant jusqu'au Boulevard,
(1) Notice écrite en 1801.
380 RUE SAINT-FIACRE.
faisait face à celui de Lhuillier, contigu à celui
du conseiller Guilloye, après lequel venaient trois
autres propriétés au même Lhuillier.
Le pavillon portant le chiffre 8 fut donc l'habi-
tation de Dumesnil, haute-contre du temps de
Lulli. Ce chanteur n'avait rien gagné au privilège
qui permettait alors aux gentilshommes de devenir
sans déroger pensionnaires de l'Opéra : il . avait
été le cuisinier de Foucault, conseiller d'État et
numismate, cet ami du père La Chaise, puis inten-
dant du prince deMontauban. Dans Armicle, il créa le
rôle de Renaud. Malheureusement Dumesnil, qui ne
se piquait ni de sobriété ni de pudeur, entrait souvent
en scène entre deux vins ei aimait à se mettre
en tiers dans les amours des filles de théâtre,
pour en vivre plus à son aise. M"° Maupin, sa
camarade, qui n'avait répudié que les préjugés de
son sexe, était mal avec ce chanteur, qui la traita
d'hermaphrodite, ne sachant plus par où la prendre.
La chanteuse, fille d'un gentilhomme, avait appris
d'un de ses amants, prévôt d'armes, à tirer l'épée ;
elle accosta sur la place des Victoires l'habitant
de la rue Saint-Fiacre, qui revenait de l'Opéra,
et comme il refusa de croiser le fer avec la
cavalière qu'il avait insultée, celle-ci lui administra
une volée de coups de canne, en lui prenant sa
montre avec sa tabatière. Le lendemain, au foyer
du théâtre, Dumesnil raconta qu'il avait eu affaire
à trois grcdins, qui avaient profité des ténèbres
d'une heure avancée pour le frapper et le voler.
Mais M"® Maupin arriva â propos pour lui dire :
— Palsembleu ! tu mens. J'étais toute seule. Voici
une montre, voilà une tabatière que te rend la
main qui les a prises.
Sous le règne suivant, M. de Cyris avait dans
la rue Saint-Fiacre la superbe maison voisine ;
seulement il en sortait et y rentrait par la rue
du Sentier. Cet amateur de petits-soupers en
RUE SAINT-FIACRE. 301
faisait quelquefois avec M. de Jumilhac, le
gouverneur de la Bastille ; mais l'un et l'autre
étaient fort contrariés que M. *de Sartines, le
lieutenant-de-police, fût à même de leur demander
peu de jours après comment ils s'en trouvaient
et sût aussi bien qu'eux en quel endroit s'était
dressé le couvert, quelles filles en avaient été
tout le contraire de la pièce de résistance et à
quelle heure on s'était séparé. N'y avait-il donc
pas moyen de soustraire leurs fredaines aux inves-
tigations des limiers de la police ? M. de Curis,
n'en ayant pas trouvé, prit enfin le parti de
supporter ce qu'il ne pouvait empêcher et proposa
encore à son ami de faire ce qu'on appelait alors
des soupers de filles. — Volontiers, répondit M.
de Jumilhac, mais à la condition que M. de Sartines
en soit.
Au 16 demeurait la Hecquet, chez laquelle
s'engageaient force parties galantes, dont elle
battait et rebaltait les enjeux. Cette pourvoyeuse
distinguée avait aussi au faubourg Saint-Laurent
une petite-maison pour les soupers. L'avocat-
général Séguier ne mettait pas moins à profit
que ces MM. de la Ferme-Générale, la variété
des ressources de la Hecquet, chez laquelle ce
magistrat fut rencontré le 2 avril 1760. Il y
avait déjà fait acte de pi'ësence dans les quatre
nuits précédentes et Virgile lui-même eût perdu
son latin à lui dire : Quintam fuge.
Rue Poissonnière* (i)
A Derbais, marbrier du roi, fut adjugé, en
1686, un grand terrain qui longeait le Rempart,
c'est-à-dire le Boulevard, à partir de la rue des
Poissonniers. C'était une portion de la Vallée-aux-
Voleurs, dans laquelle on avait détroussé les
passants et qui devait à un autre genre de
licences le synonyme de Champ-aux-Femmes ;
sous les mêmes qualifications avait été connu,
dès l'an 1290, un chemin hors de ville, bordant
ce territoire, qui dépendait lui-même du Clos-aux-
Halliers,' fief dit aussi des Masures-de-Saint-
Magloire. Le passage des marchands de marée
et l'agrandissement de la ville avaient érigé le
chemin, sous une désignation nouvelle, en une rue
de Paris qui comptait déjà 44 maisons et 10 lanternes
à la fin du xvii*' siècle ; seulement elle empiétait
un peu sur notre rue du Petil-Carreau.
Les Derbais étaient alors propriétaires du n° 35
actuel et la veuve Misson du 37. Daniel Gittard,
architecte du roi, qui avait iravaillé à Saini-Jacques-
du-Haut-Pas et à Saint-Sulpice, disposait du 26.
Un sieur Milieu, dont h\ propriété s'étendait jusqu'à
la rue du Sentier, jouissait probablement du 21,
auquel de belles ferrures et un balcon, donnant
sur une grande cour, gardent l'air d'un hôtel de
traitant et où des plaques de cheminée portent
le millésime 1660.
Cette dernière maison se trouvait habitée plus
(1) Notice écrite en 1861.
RUE POISSONNIERE, 303
tard par Gauthier de Montdorge, trésorier de la
chambie aux Deniers et auteur des Fêtes dCHébé,
opéra-ballet dont la musique était de Rameau.
Il épousa, vieux, une jeune fille, qui resta femme
honnête, quoique bâtarde adultérine de M. d'Élioles
et de M'"'' de Belvaux, qui lui avaient acheté un
père et une mère d'occasion en la faisant reconnaître
pour la fille d'un gentilhomme et d'une demoiselle
mariés à prix d'argent. Plus tard encore, en 1787,
un appartement du même hôtel était occupé
par Grétry et sa famille. L'illustre composi-
teur avait déjà, dans sa fille Lucie, un élève
sans pareil : elle avait composé, à l'âge de 13
ans, la partition du Mariage cCAntonia. Aux
dépens du jardin dudit hôtel s'étaient édifiées,
du vivant de Milieu, plusieurs maisons.
Voisenon, l'abbé galant que ses boiis mots,
plutôt que ses œuvres, allaient mettre de l'Aca-
démie, demeurait en 1765 à l'extrémité de la rue.
L'architecte Pruneau de Montlouis était chez lui,
à quelques années de là, en vue de la rue
Beauregard.
Le 33, construction plus moderne, n'a
pas même su conserver le titre que lui
donnait à la notoriété le nom de Giudicelli, sur
la porte du successeur de ce fameux choi olatier.
Il est vrai cpie Giudicelli, qui était arrivé à Paris
en sabots avant la grande révolution, ne se
souciait plus, devenu quatre fois millionnaire,
d'afficher le point de départ de la fortune de sa
fille, mariée au fils d'un comte de l'Empire. Le
véritable chocolat n'a-t-il pas fait son temps en
France, et surtout à Paris, depuis que les droguistes
en vendent à profusion sans sucre, sans cacao,
mais non pas sans annonces à la 4""? page
des journaux ? Giudicelli en fabriquait de meilleur,
en moins grande quantité ; heureusement on dirait
qu'il a laissé sa recette à Prévost, le chocolatier
304 RUE POISSONNIERE.
du coin de la rue et du Boulevard, dont les
produits coûtent meilleur marché.
Peu de masures rappellent dans la rue Poisson-
nière l'ancien clos des Masures-de-Saint-Magloire.
M is voici bien encore des mai>ons à porte
bâtarde et à deux croisées par étage, ^ fruit des
économies du cordonnier, de la mercière et du
pâlissier qui les ont fait bâtir. L'architec-
ture peu académique du 25 est bien plus
amusante pour le passant que les façades signées
par les architectes d'à-présent : il y aura toujours
des Parisiens assez peu fortunés pour se contenter
de l'abri que leur procure cette bicoque et pour
se sentir plus à l'aise avec leur veste, leur blouse,
leur tablier, que couverts d'un habit acheté au
Prophète OU à la Belle- Jardinière.
D'autres traditions sont respectées elles-mêmes
tant soit peu sur la lisière de l'ancien Champ-
aux-Femmes. L'amour vénal faisait encore bon
feu, il y a quelques années, dans un grand nombre
d'entre-sols de la rue ; il s'y cache aujourd'hui
dans les mansardes, d'où il s'en va, transi, se
réchauffer sous les lustres des bals publics. Mais
il porte si mal, il dépose si souvent le masque
de la grisette qu'on ne s'y trompe plus beaucoup.
Il n'y a qu'une nuance entre cet amour-là et
celui que garde en pension, à l'angle de la rue
de la Lune, une maison plus que séculaire dans
la spécialité. L'autre coin de la rue de la Lune
était occupé, sous Louis XVI, par la compagnie
colonelle des gardes-françaises.
Rue do la Lune, (d)
Pour l'honneur de la compagnie d'élite dont il
s'agit à la fin de l'article précédent, constatons
que, de son temps, il n'y avait encore à l'encoignure
opposée de la rue Poissoiinièrc qu'une seule des
deux maisons de tolérance qui, aujourd'hui, relient
une rue à l'autre. Celui des deux étahlissements
dont la porte s''entre-bâille sur la rue de la Lune
fut fondé vers 1820 par un marchand à la toilette.
Un galant mettait, au contraire, en cette rue le
beau sexe à contribution, dans des conditions peu
communes, au commencement du règne de Louis
XIV ; on le nommait Henri Barjot de Renneviiliers.
Fallait-il qu'une femme lui adroite pour passer par
ses mains sans autres frais ! Si la belle avait
plusieurs bagues, ce n'était jamais la plus simple
qu'il soutirait à titre de souvenir, quand ce n'était
pas de l'argent à son mari. Il vivait donc à l'aise
dans les meilleurs quartiers de la ville et ne se
retirait à la Ville-Neuve, dont la rue de la Lune
faisait partie, que sur une déveine en amour et
au jeu, qui l'obligeait à des économies. Son train
de maison, dans la morte-saison, se réduisait
souvent h une vieille femme, nommée Blanche,
qui n'attendait même pas après ses gages gour
vivre : elle avait appris, en servant dans un hôpital,
à saigner, à remettre les membres disloqués, et
elle continuait ù faire le chirurgien. Cette reuoueuse
ne craignait pas de se tranformer parfois en amazone;
elle ne montait à cheval, sur le tard, qu'avec
(IJ Notice écrite en 1»G1,
306 RUE DE LA LUNE.
une épée dans la main droite et un flambeau
dans l'autre, quand elie allait quérir son maître
par la ville. La bouchère et la boulangère étaient
toujours payées à sa manière par ce mauvais
sujet, qui ne prenait jamais de- lournisseur veuf :
il ne laissait s'arriérer des parties, c'est-à-dire des
mémoires, qu'au risque de régler avec des créan-
cières d'autant plus éloignées de la jeunesse. Une
fois même, Rennevilliers avait affaire à une vieille
feînme de la rue de la Pourpointerie ou des
Lombards, qui lui avait longtemps habillé des
laquais. En arrivant, sur la promesse formelle
qu'il lui serait enhii donné satisfaction, la mal-
heureuse déployait un sac vide ; mais, avant de
repasser la porte, elle jetait ses parties au feu
en s'écriant : — Que demander à un honnête homme
qui a pour la vieillesse tant d'égards !
C'est fort innocemment, nous le croyons, qu'à
la fin du xvn'^ siècle M. Plaisir habitait le 41 : le
véritable nom de ce propriétaire était bien Claude
du Plaisir. Le joli nom de qualité ! Par malheur,
à cette époque-là, uue bonne moitié des marchands
de la rue Saint-Denis prenaient librement le de,
que l'ignorance crasse de noire siècU; en science
nobiliaire prend pour l'équivalent de messire.
Entre les rues Neuve-Saiut-Étienne et Sainte-
Barbe (i), le côté des numéros pairs fut bàli par
François Berlhelot, secrétaire des commandements
de la Dauphine, et Marie Regnauld, sa femme,
pour y placer 50 soldats blessés. Mais la fondation
de l'hôtel des InvaUdes, en atteignant royalement
le but des institutions du même genre, supprima
la moinerie des soldats infirmes. La maison prin-
cipale de la rue de la Lune fut achetée, en 1682,
par les dames de Saint-Chaumont, qui en firent
(1) Maintenant de la Viile-Neuve et Pourtalès«
RUE DE LA LUNE. 307
le petit Saint-Chaumont. Le chef-lieu de cette
communauté des filles de rUmon-Clirélienne recevait
des élèves, rue Saint-Denis, h des conditions autres
que la succursale, qui prenait des pensionnaires
à raison de 250 à 400 livres. Les bâtiments de
cet annexe donnaient également sur le Cours,
ancien Rempart, et dataient seulement de la
renaissance de la rue, dont l'acte de naissance
remontait au milieu du xvi" siècle. On en avait
rasé les maisons dès 1593, pour Ibriifier la ceinture
de Paris, dont la Ligue refusait l'entrée au Béarnais.
Une chapelle Sainte Barbe .avait elle-même disparu
dans l'abalis, et c'est trente ans plus tard qu'on
avait élevé à sa pla<e Notre-Dame-de Bonne-
Nouvelle, presque entièrement reconstruite sous
la Restauration.
De Caux, huissier de salle h la cour de Versailles,
avait aussi Louis XIV pour seigneur direct clans
trois propriétt's qui se suivaient rue de la Lune :
le 14 bïs en était une. Voyez-vous une maison
de secours et une école de filles, n°12? Cet
immeuble et l'immeuble adjacent appartenaient aux
pauvres de la paroisse Bonne-Nouvelle. Ils étaient
chaigés de 2 livres, 5 sols, 5 deniers de cens,
redevance acquittée pour l'année 1703 par les
mains de Françoise Énault, supérieure, Marguerite
Gautier et Jacqueline Guénot, sœurs de la Chaiité
attachées à ladite paroisse. La plupart des maisons
situées sur cette ligne avaient sur le Cours une
seconde porte, que quelques-unes conservent de
nos jours sur le Boulevard.
Rue du Peih-Carreau. (i)
Le marché des Petits-Carreaijx, moins fréquenté
que le carreau des Halles, était sans doute pavé
originairement de ce qu'on appelait du carreau ; le
même pavé tenait lieu de plancher aux cabarets
lorsqu'on y laissait des buveurs littéralement sur
le carreau. Vis-à-vis de l'hôtel des Grilles, où la
veuve Boyer a commandé en maître et qui n'est
plus pour le vulgaire que le n°43, les morceaux
de viande s'étalaient qui avaient un moment fait
une rue des Boucheries de l'entrc-deux des rues
Montorgueil et Poissonnière. Le plan de Gomboust,
il est vrai, faisait commencer celle-ci et finir
celle-là, en 1652, à la hauteur de la rue Neuve-
Saini-Eustache ; toutefois on connaissait déjà un
siècle avant, dans la rue Montorgueil, un lieu des
Petits-Carreaux, et 58 mai.Nons étaient portées au
compte de notre rue en 1714 ; au nombre de ces
maisons hgurait déjà le 38, possédé sous Louis XVI
par la baronne de Vignet.
On a toujours bu sec en ce quartier. L'enseigne
des Trois-Bouteilles et celle du Châleau-Gaillard
rivalisaient, dans la rue du Petit-Carreau, avec
le Triomphe-de-Bacchus, dont le propriétaire lui-
même portait, vers 1714, un nom qui ratissait
chaleureusement la gorge et donnait soif: Le Poivre !
La corpoiation des joueurs de violon avait bien
son bure;iu rue Saint-Martin, attenant à Saint-
Julien-des-Ménétriers ; néanmoins les musisiens
à embaucher se donnaient rendez-vous chez Zublet,
(1) Notice écrite en 1881.
RUE DU PETIT-CARREAU. 309
aux Trois-Bouteilles, près la rue Thévenot, et, de
nos jours encore, tous les dimanches, des virtuoses
disponibles se réunissent sur le même point de
la rue du Petit-Carreau, à la porte d'un marchand-
de-vin, et y trouvent un engagement pour la soirée
dans quelque orchestre de bal, de spectacle ou de
café-concert.
Le cul-de-sac du Crucifix, dit aussi du Petit-
Carreau, comportait 7 petites maisons en 1768.
Nicolas Le Prieur en avait iicquis 4 ; Pierre Le
Prieur, fils de Nicolas, y ajouta les autres et fit
bâtir par l'entrepreneur Goupy, sur remplacement
du tout, un hôtel à deux portes, qui n'en a plus
qu'une. C'est le n" 14, et comment le louer assez
de n'avoir renoncé qu'à la moitié du Jardin qui le dis-
tinguait d'une maison de petite bourgeoisie ! Goupy,
devenu architecte, a dessiné le plan de plusieurs
casernes de Paris, notamment de celle de la Nouvelle-
France.
Le n° 26 sert de passage officieusement à l'an-
cienne cour des Miracles. Tout le monde, au
commencement du dernier siècle, ne se hasardait
pas encore le soir dans l'ancienne vallée aux
Mendiants et aux Voleurs, chef-lieu de la truan-
derie au moyen-âge : il y avait pourtant 3 lanternes
pour éclairer 4 maisons, en comptant ce qu'y
possédaient les hospitalières de Sainte-Catherine
et lés fllles-Dieu, sans compter par exemple les
échoppes en appentis qui s'adossaient aux murs
et qui n'étaient pas habitées la nuit. Une maison,
dans ledit passage, ouvre sa porte cochère en
face d'une ruelle que son éciiteau donne pour
impasse de l'Étoile : n'était-ce pas l'hôtel Dupressoir?
De toute façon la location y remit, sous Louis XV,
un nouveau genre de malfaiteurs adroits en posses-
sion de la cour des Miracles, que le règne précédent
avait purgée de ribaudes et de francs-mitous moins
civilisés. Les charmes de Dorothée, de la Beau-
20
310 RUE DU PETIT CARREAU.
voisin et puis de Jeanne Vaubernier, à l'âge de
21 ans, attiraient là des grands seigneurs, tels que
le duc de la Trémoille et le prince de Ligne,
mais plus encore de financiers, chez le comte
Dubarry, qui leur dorait ainsi les pilules de son
tapis vert. La plus séduisante des complices de
ce chevalier d'industrie était la nouvelle recrue ;
ses bonnes grâces avaient déjà le rare privilège
de ramener les galants, encore plus que de
simples espérances. Elle était grande, bien faite,
blonde 5 ravir : front dégagé, beaux yeux, sourcils
à l'avenant, visage ovale légèrement marqué de
petite-vérole, mais parsemé de signes sur les joues
qui le rendaient piquant comme pas d'autre, nez
aquilin, bouche au rire leste, peau fine, gorge qui
contrariait la mode en conseillant à beaucoup
d'autres gorges de se mettre à l'abri d'une com- ,
paraison ! Jeanne, sans songer à l'avenir, s'amusait
pour son propre compte de l'empire exercé par
elle à bien moins de frais qu'il ne fallait à son
associé d'expérience et de dextérité pour commander
à la fortune du jeu. Tout commençait alors, ou
finissait pour elle par un souper, où elle buvait
peu de vin, mais beaucoup de liqueurs. N'avait-
elle pas pour vocation le plaisir, auquel était dû
tout ce qu'elle avait et jusqu'à sa naissance? Son
père était abbé ; sa mère, une Lorraine nommée
Bécu, mariée ensuite à Ranson, qui, de domestique,
s'était fait employé aux barrières de Paris. Dubarry
avait rencontré cette jolie femme chez la comtesse
Duquesnay, qui l'aimait de manière à en rendre
jaloux M. de Chabrillan, dont ladite maîtresse
donnait elle même à jouer, Lebel, valet-de-chambre
du roi, vint de même cour des Miracles, lia
facilement connaissance avec l'Égérie du tripot,
et un appartement se meubla avant peu, rue des
Petits-Champs, pour Jeanne Vaubernier, qu'on avait
commencé à surnommer VAnge dans la maison à
RUE DU PETIT-CARREAU. 311
parties de la Gourdan, et M"« Lange changea
moins de conduite que de fortune et de nom,
chacun le sait.
Dans l'ancienne demeure de Jean Dubarry habitait
le publiciste Hébert, membre de la Commune de
Paris, pendant que Jeanne Vaubernier payait de
sa tête le luxe et le crédit dont elle avait joui
comme comtesse Dubarry. Ce rédacteur du Père
Duchesne, journal de cynique mémoire, avait été
receveur de contremarques dans un théâtre ; il
acquit de nouveaux titres h l'exécration générale
lors du procès de Marie-Aiitoinette, fut dénoncé
par Saint-Just à la Convention, qui le reconnut
chef d'une faction menaçante pour l'État, et il
ne finit pas autrement que M"» Dubarry.
Rue Théveiiot. (i)
Ne venons-nous pas de revoir dans la rue du
Petit-Carreau l'hôtel Le Prieur, qu'on disait à tort
Thévenot? Une lettre de M. le Prieur de Blain-
villiers, petit-fils du fondateur, nous apprend que
son grand-père fit construire en même temps le
21 de la rue Thévenot.
Un Thévenot remplissait les fonctions d'échevin
sous la prévôté de Jacques Sanguin ; un autre
a laissé des relations intéressantes de ses grands
voyages et importé en France le café. L'usage de
la liqueur nouvelle fut d'abord une affaire de
mode ; M""" de Sévigné contribua elle-même, sans
le vouloir, à sa propagation, en disant que le café
passerait comme Racine, ou Racine comme le
café. La réputation de l'un et de l'autre n'a
guère fait que croître et embellir depuis cette
comparaison, qui n'a pas même porté malheur
à M""" de Sévigné ! André Thévenot, contrôleur
en chef des rentes de l'Hôlal-de-Ville, survécut
à Thévenot le voyageur ; il avait pour fils ou petit-fils
l'échevin ; c'est à sa requête qu'on donna, en
l'année 1676, un débouché sur la rue Saint-
Denis au cul-de-sac des Cordiers, qui était du
Paris de Charles V.
Père et parrain de la rue ainsi née, Thévenot
y laissa à ses héritiers des maisons bien construites,
dans lesquelles au xvni^ siècle se succédèrent des
banquiers et des agents-de-change, plus encore
que des magistrats, et en voici les n"' actuels :
(1) Notice écrite en 1861.
RUE THÉVFNOT. 313
10, 12, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24.
En tout 11 propriétés, et la rue n'en nombrait
que 16, y compris celle qu'a fait rebâtir ensuite
Le Prieur. Lorsque la succession s'ouvrit du
marquis de Carabas de cette rue, les n'" 6 et 8
appartenaient à Tlioré, et le 26, que Michel
Richer allait bientôt reconstruire avec le magnifique
balcon qui décore aussi l'impasse de l'Étoile,
était à l'hospice Sainte-Catherine. Ce cul-de-sac,
qui lui-même n'en est plus un pour les piétons
qu'il mène à la cour des Miracles, avait dépendu
de l'impasse des Cordiers antérieurement à la
formation de la rue.
Vers le milieu du règne de Louis XVI, le
propriétaire du 18, où un hôtel-garni a repris
de nos jours le nom de Thévenot, créateur de
l'immeuble, s'appelait M. de Saint-Péravy ; celui du
16, le D' Chomel ; ceSui du 14, M. Armand. Au
même temps, le comte de Lallemant, ou de
Latemend. disposait du 7 et 9 ; M. Bourdin, du
11 ; M. Osmond, du 13. Quant au 24, qui a été
mairie sous la Restauration, l'archilecie Goupy
y a laissé des traces de son passage sur les
brisées de Thévenot, comme propriétaire.
Enfin le 12, déjh cité, était la résidence de la
famille de Monmorqué, avant que Joséphine de
la Pagerie y séjournât, n'étant encore que M""*
de Beauharnais. Cet ancien hôtel a conservé un
jardinet.
Rues de Viarine, Ulereier, de Sartines,
De Vannes, Oblin et rue 8auval,
EN CE QUI s'en appelait NAGUERE
Devarenne* (i)
M. Rousseau, qui songe h se marier, n'était
guère flatté que nous l'envoyassions faire le tour
de la Halle-au-Blé. La réputation acquise à ce
quartier offrait des points curieux à étudier au
point de vue des mœurs, mais risquait de com-
promettre publiquement un explorateur qui ne se
contente pas toujours d'interroger l'enseigne d'une
maison, le numéro d'uneporte, l'inscription angulaire
d'une rue. Les établissements séculaires où M.
Rousseau redoutait d'avoir à prendre des notes
sur son calepin, sont de ceux où l'on entre en
craignant d'être vu, surtout lorsqu'on se dispose
à rompre avec le célibat. II partait donc h contre-
cœur, pour la première fois sans doute, notre
député à la course, notre observateur au carnet !
Il avait passé la nuit blanche, additionnant avec
appréhension presque autant de gros numéros
qu'il pouvait se trouver de portes dans les rues
dont la nomenclature sert de titre au présent
chapitre. Mais il est revenu tout fier des progrès
accomplis, autour du Grenier-d'Abondance, par la
moralité publique de son siècle. Sa philosophie
^ (1) Notice écrite en 1861. Le nom de l'historien
Sauvai n'était pas encore devenu celui de la rue
Devarenne et de la rue des Vieilles-Étuves Saint-Honoré.
RUES DE VIARME, ETC. 815
Optimiste n'avait été mise à l'épreuve qu'une
seule fois dans six rues mal famées.
La seule maison de filles qui y survive à beau-
coup d'autres date, comme établissement, de la
construction de la place. La dot de la comtesse
Ogier n'en a pas moins été constituée en partie
par l'apport de l'immeuble, dont le premier pro-
priétaire avait été Eyuaud, son père. C'est le
n*" 1 de la rue circulaire, autorisée en 1762,
ouverte trois années après et appelée de Viarme
à cause de Jean-Baptiste Élie Camus de Pontcarré,
chevalier, seigneur de Viarme, Sengy, Belloy et
autres lieux, conseiller d'État, qui a rempli les
fonctions de prévôt-des-marchands de 1758 à
1764. Trois ans avant l'élection de ce magistrat,
la Ville avait acquis le terrain de l'hôtel de
Soissons, sur lequel s'établirent simultanément,
d'après le plan général qu'avait tracé Lecamus de
Mézières, la Halle-au-Blé, la rue de Viarme et
les rues qui rayonnent autour de cette place.
Le père de M""' Ogier était aussi propriétaire,
rue de Viarme, n° 3, et l'échevin Babille au
coin de la rue Babille, mais sans porte sur la
rue de Viarme. Les autres propriétés qui ouvrent
sur cette rue sans fin, ont appa>'tenu d'origine
au sieur Camus, t\ l'exception de trois : le 21,
qui fut bâti pour Devarenne; une maison au
coin de la rue de Sartines, qu'avait Piedbot, et
le 4, qu'avait Gallien. Ce Camus, était-il le prévôt-
des-marchands, l'architecte, ou quelqu'un des leurs?
Assurément, il avait derrière lui des associés
ou des bailleurs de fonds.
La rue Mercier, dont les constructions sont
uniformes, comme celles de toutes les rues de
la même création, eut pour parrain Louis Mercier,
écuyer, conseiller du roi en l'Hôtel-de- Ville, échevin.
La comtesse du Bocage y disposait des n"' 5,
316 RUES DE VIARME, ETC.
7, 9, peu d'années après la fondation de la
Halle-au-Blé.
Gabriel de Sartines, comte d'Alby, avait été
conseiller au Châtelet, lieutenant-criminel et maître-
des-requêtes, avant que de passer lieutenant-général
de police, et il devint ensuite ministre de la
Marii«e. Son nom, placé sur l'estampille d'une rue,
en face du Grenier-d'Abondance, ne nous rappelle-
t-il pas qu'on accusa ledit lieutenant-de-police
d'affamer, par calcul, Paris et tous ses environs,
pendant que quatre intendants des finances, Trudaine
de Montigny, Boutin, Langlois et Boulogne, se
seraient entendus eux-mêmes avec Perruchot,
directeur-général du monopole des grains, pour éten-
dre cette cruelle spéculation à toutes les provinces?
Mais l'agiot sur le blé n'a jamais pu susciter
que des dangers locaux et momentanés, entière-
ment conjurés de nos jours par la rapidité des
moyens de transport, et jamais l'acquisition par
fortes parties n'a menacé de la famine toutes les
places k la fois. Nos marchands de farine, qui
se réunissent tous les jours au café du Commerce,
et justement au coin de la rue de Sartines, sont
loin de craindre que les capitaux affluent outre
mesure dans le commerce des grains en France:
la disette de l'argent y suit toujours de près
celle du blé. Rue de Sartines, sur la droite,
Camus, Devarenne, Bassin et encore Camus étaient
propriétaires ; sur la gauche, Prévosteau et Camus.
JoUivet de Vannes, avocat, procureur du roi et
de la Ville, a gravé également sa carte de visite
à Tangle d'une petite rue. En face de cette ruelle
se dresse la colonne de Médicis, monument conservé
grâce à l'initiative du poète Bachaumont, qui a
donné 1800 livres de cet observatoire de la reine,
revendu ensuite à la Ville, afin qu'il survécût à
l'hôtel de Soissons, démoli par les créanciers du
prince de Carignan. Camus, Benoît et Dussausaye
RUE DE VIARME, ETC. SlT
signèrent dans la rue de Vannes les premières
quittances de loyer.
Le nom de Pierre Devarenne, écuyer, avocat
au parlement, conseiller du roi, quartenier et puis
échevin, est arboré sur un autre écriteau municipal,
en face de la même rotonde, entre les n"' 1 et 2
de la rue de Viarme.
Avant que la Halle-au-Blé fût transférée d'un
coin de l'emplacement actuel des Halles-Centrales
sur le terrain de l'hôtel de Soissons, on traitait
de rue Bouchée une impasse, dont le fond était
l'une des entrées de l'hôtel : la place de cette
porte, en regard de Saint-Eustache, est encore
marquée par des pierres en saillie au milieu de la
rue Oblin. Dans cette rue, qui avait commencé
par s'appeler Carignan, dernière dénomination du
cul-de-sac, Bernard Oblin et Charles Oblin, in-
téressés dans les affaires du roi et très-probablement
dans celles de Camus, n'ont rien fait édifier que
nous sachions : mais ils n'y ont pas jeté par terre
les maisons préexistantes. M"'^ Fleuret y disposait,
avant 1780, de deux propriétés près de la rue
Coquillière, et l'éternel Camus en avait deux à
l'autre extrémité de la ligne opposée.
Rue de la Verrerie, (i)
Suger. — Saint- Bon. — Les Verriers et les Faïen-
ciers. — Notables des xvii* et xviii^ Siècles. — Le
Saint-Esprit. — Les Juges- Consuls. — Les
Notaires et les Droguistes. — Les Experts du
Bâtiment. — Les Huissiers. — L'Hôtel Saint-
Faron. _ — La Trinité. — Le Petit-Paris. —
Les Tapissiers. — Les Couturières. — Valmont
de Bomare.
Sur l'emplacement d'une chapelle, connue dès
le siècle vi-, le chapitre de Notre-Dame fonda
la collf^giale de Saint-Merri, sous l'épiscopat de
Rainaud II et le règne de Robert II. Un séjour de
Suger y attenait trente ans après. La reconstruc-
tion de l'église, au xvi" siècle, englobait cet hôtel;
elle put néanmoins en respecter le gros-œuvre de
la façade actuelle du presbytère, dont l'entrée sert
de porte latérale aux fidèles, malgré la sculpture
du XYU!** siècle qui la décore de deux amours,
pour lesquels brûle un encens éternel. Le passage
cessant d'y être public après l'heure des offices,
la maison a encore tout l'air d'être indépendante
de l'église, restaurée derechef en 1754, puis en
1836. A supposer même que les seigneurs cha-
noines aient eu là le bailliage ou la chancellerie
de leurs fiefs de Marly et de Saint-Merri, le
moyen de louer le chapitre d'avoir commandé ce
dessus-de-porte !
La rue Saint-Bon y fait presque face et rappelle
(1) Notice écrite en 18G2.
RUE DE LA VERRERIE. 319
une chapelle Saint-Bon ou Saint-Bonnet, qui
appartenait d'abord à l'abbaye de Saint-Maur-des-
Fossés et dont le chef du diocèse prit possession,
en devenant abbé de Saint-Maur, pour y nommer
chapelain ordinairement un chanoine de Saint-
Merri. Une confrérie de Sainte-Marguerite fut
établie dans cette chapelle, qui ne servait plus,
avant sa suppression, qu'à faire le catéchisme de
la paroisse. Le bâtiment en fut mis aux enchères
l'an 1792.
Les recherches de nos devanciers ont constaté
l'existence d'une verrerie en l'année 1187 dans
cette rue. Aussi bien la communauté des Peintres
sur verre s'y établit dans le principe ; elle compre-
nait des émailleurs, des verriers, des patenôtriers ;
ses statuts, réglés en 1467, se modifièrent en
1666. Cette compagnie, tige des diverses branches
de l'industrie verrière, fut dite ensuite des Vitriers.
On y avait fixé la durée de fapprentissage à 4
années, le coût de la maîtrise à 500 livres. Le
patron de la confrérie était saint Marc, et son
bureau, au Renard de la rue Saint-Denis avant la
fin du xvii« siècle, mais au cimetière Saint-Jean
dans le cœur du siècle suivant. Un peu plus tard
les Verriers se trouvaient en concurrence avec
les Faïenciers, qui pendant soixante-dix années
étaient restés de la même famille, bien qu'une
institution particulière les eût émancipés sous
Henri IV. Tout apprenti ou compagnon faïencier
qui avait abusé de la femme, de la fille, de la
parente ou de la servante de son maître, était par
cela même déchu du droit de parvenir à la maîtrise.
Mais, s'ils battaient la séduction en brèche, les
statuts de la Faïencerie favorisaient, en revanche,
la recherche pour le bon motif, en réduisant de
500 à 200 livres le taux de la maîtrise en cas
de mariage avec la fille du maître. Apprentissage,
320 RUE DE LA VERRERIE.
5 ans ; compagnonnage, idem ; brevet, 80 livres ;
patron, saint Éloi.
L'émailleur Jacquemin Gringoneur, inventeur
des cartes à jouer sous Charles VI, en peignait
à or et à diverses couleurs pour ïeshattement du
roy dans la rue de la Verrerie. Il y précédait
de trois siècles Trincard, marchand de porcelaines,
qui était membre de la confrérie avant qu'elle
en formât deux, et dont le magasin attirait de
riches amateurs. Du temps de Trincard on élargit
la rue, parce qu'elle se trouvait sur le passage
de Louis XIV, quand il allait du Louvre à Vin-
cennes, et sur le passage également des ambas-
sadeurs étrangers, qu'allaient prendre les carrosses
du roi aux Folies-Rambouillet, dans la rue de
Charenton, le jour de leur entrée officielle.
Sous le règne précédent, Bossuet, fermier des
gabelles du Lyonnais et du Languedoc, qui n'était
autre que le père de l'illustre évêque de Meaux,
avait, en regard de la rue actuelle des Juges-
Consuls, sa maison de ville, qui appartenait plus
tard à Huault, seigneur de Bernay. L'enseigne
en était la Ville-de-Reims alors que ce dernier
avait pour acquéreur le bourgeois Leroy. Un bas-
relief de forme ronde représentait alors sur une
autre façade Henri IV, eiure une maison à
Barthélémy et une à la veuve de Forcadel, con-
seiller aux Aides. Celle de la veuve avait sa
petite porte sur la rue du Coq, dont deux propriétés
touchaient le fond de celle à médaille et de
l'autre.
Du côté opposé se suivaient en ce temps- là,
comme propriétaires :
Les héritiers de Girault, écuyer, conseiller au Châte'et.
— M™e Renée-Madeleine de Rambouillet de la Sablière,
veuve de Trudaine, ancien prévôt-des-marchands, au
nom et comme tutrice de ses enfants, avec Brument,
RUE DE LA VERRERIE. 821
tapissier, pour locataire. — Les héritiers de Desnots,
secrétaire des finances, an coin de la rue du Renard.
— M™» Marie Angran, veuve de Philippe de Boran,
M'» de Castilly, avec entrée rue du Renard. — Henri-
Charles Arnauld de Pomponne, abbé commendataire de
l'abbaye royale de Saint-Médard à Soissons, conseiller
d'Etat, garde-des-sceaux : grande maison, tenant plus
ou moins à la rue du Renard. — Jacques de Sa+lo,
seigneur d'Auvilly: 2 maisons, venant des Saveuse,
avec longue allée et des jardins Charles Lebrun,
greffier des bâtiments : grande maison, petit jardin. —
Croizet, présidont-aui-enquêtes du parlement. — Pierre
Quirot, architecte du roi. — Jacques de Rinouart :
grande maison, avec une seconde porte dans la rue
Barre-du-Bec (tronçon de notre rue du Temple).
Et cet appel peut déjà compter, quoique partiel.
L'arcliitecle Quirot habitait sa maison ; il l'avait
achetée des hoirs de Charpentier, littérateur
qui avait pris parti pour les modernes dans
la querelle de son temps sur le mérite des
anciens et des modernes. Denis de Sallo, con-
seiller au parlement et fondateur du Journal des
Savants, devait être le père de son homonyme
précité. L'Ainauld de Pomporme sur le tapis avait
localement hérité de son pèi^e, Simon Arnauld,
marquis de Pomponne, et ce ministre intégre,
dont Saint-Merri gardait la tombe, était lui-même,
à titre de tils, héritier de Robert Arnauld. Pour
la maison Desnots, elle tenait par-derrière à
celle des Juges-Consuls.
Des dépendances de ce dernier hôtel se projetaient
même rue de la Verreiie. La juridiction consulaire
avait été créée par Chaiies IX; le siège de ce
tribunal resta derrière Saint-Merri jusqu'à sa
translation dans le palais de la place de la Bourse.
André Bouret avait été propriétaire dans notre
rue, près l'hôtel consulaire, comme acquéreur de
la veuve de Jacques Thivol, sieur de Sainte-Foy,
322 RUE DE LA VERRERIE.
chef du vol des oiseaux du cabinet de feu le duc
d'Orléans.
Entre les rues de la Poterie (i) et Saint-
Martin, les maisons appartenaient en 1780 : à
Lebel, au même, h. Sorèze-de-Meuze, à Coulon-
Deslouches, ii La Motte et consorts, au Saint-
Esprit, au Saint-Esprit encore, à Bourgoin,
à De la Capelle. L'ordre du Saint-Esprit n'était
pour rien dans cette litanie bourgeoise; il ne
s'y agissait que de l'hôpital du Saint-Esprit, fondé
place de Grève en 1362, rebâti en 1746,
sur le plan de Boffrand, pour recevoir 60 garçons
et 60 filles auxquels on apprenait un état.
Des notaires occupaient alors quatre ou cinq
belles maisons édifiées pour la grande robe et
maintenant vouées au commerce en gros de
l'épicerie et de la droguerie, qui n'est devenu la
principale industrie de la rue qu'en notre siècle.
Près la rue du Temple se tenait le bureau des
Experts-jurés des Bâtiments, institués par édit en
1690, et plus près de Saint-Merri le bureau des
Huissiers-audienciers au Châlelet, où paraissait,
imprimé tous les mois, un extrait des criées du
tribunal.
La rue de la Tixéranderie, sacrifiée à celle de
Rivoli, suivait un cours quasi-parallèle à la nôtre ;
l'une et l'autre ayant eu leur hôtel Saint-Faron,
cela devait être le même sous deux faces diffé-
rentes; il donnait, qui plus est, rue des Deux-
Portes ou rue du Coq. Ses rapports ne furent-
ils pas directs avec l'abbaye de Sùint-Faron ? Les
comtes d'Auxerre avaient eu, de toute façon, un
(1) Ladite rue de la Potarie-des-Arcis est maintenant
l'en-lêle delà rue du Renard, qui commençait naguère
à la rue de la Verrerie.
RUE DE LA VERRERIE. 323
séjour au même endroit. N'était-ce même pas le
royal hôtel de Navarre, qu'avait occupé, entre
les rues de la Verrerie, du Coq et des Deux-Portes,
Blanche de Navarre, veuve de Philippe de Valois,
et qu'avait aliéné en 1417 Catherine d'Alençon,
veuve de Pierre de Navarre ? Ce palais ou l'hôtel
Suger était évidemment le logis qui faisait de
Charles Vil en personne un habitant de la rue
de la Verrerie alors que la trahison de Périnet-
Leclerc livrait l'entrée de Paris aux Bourguignons.
Ah que l'ancien palais dérogeait donc en devenant,
sur la rue que voici, le bureau général des Fosses
vétérinaires pour l'équarrissage hors de ville !
Un service régulier de carrosses pour Sézanne
et pour d'autres localités partait d^s le xvn" siècle
d'un hôtel de la Trinité, en la même rue, et uu
traiteur voisin, à l'enseigne du Petit-Paris, servait
jusqu'il des repas de noces. De grands magasins de
tapissiers s'établirent postérieurement sur plusieurs
points et celte spécialité allait un moment jusqu'à
dominer dans la rue, au commencement de l'Empire,
comme la verrerie autrefois. Roussin aîné, tapissier
du gouvernement, entrepreneur de la décoration
des fêtes publiques, y occupait surtout de nom-
breux ouvriers et y chargeait ou déchargeait inces-
samment des voitures de déménagement.
Non loin de l'hôtel Saint-Faron, mais pas du
même côté, a été le bureau des maîtresses Coutu-
rières découpantes, communauté divisée en quatre
classes. Les couturières en robe composaient la
première; celles pour enfants venaient ensuite,
puis les lingères, puis les confectionneuses de
garnitures. Une maîtresse ne pouvait avoir qu'une
apprentie à la fois ; l'apprentissage durait trois
ans ; le chef-d'œuvre était obligatoire pour parvenir
à la maîtrise, qui coûtait 174 livres, comme le
brevet 20 livres 10 sols. Saint Louis était le patron
des Couturières.
3Î4 RUE DE LA VERRERIE.
Au n<* 28 le naturaliste Valmont de Bomare
avait un riche cabinet, dans lequel il faisait des
cours, mais qui fut réuni en 1787 au cabinet du
prince de Condé, dont venait d'être nommé garde
ce savant, dans le château de Chantilly. Valmont
de Bomare, membre de l'académie des Sciences,
avait utilement voyagé pour le compte du gouverne-
ment. Il est l'auteur d'un Dictionnaire d'Histoire
naturelle.
Le n" 2 de la rue de la Verrerie a appartenu
à la famille de Salignac-Fénélon. La fabrique de-
l'église Saint-Jean était propriétaire des n*' 4, 6
et 8, ainsi que de cinq maisons les suivant de
près, mais en retour sur la petite rue de Moussi.
Rue de la Jussienne. (i)
La rue de la Jussienne commençait ou finissait
par un hôtel de Givrac, du côté de nos chiffres
pairs, au moment de la convocation des derniers
États-Généraux. Le 16 appartenait à M. Dulac,
et une école de filles y babille par le temps qui
court ; ce n'en est pas moins un ancien hôtel
Dubarry, à façade encore décorée de sculptures
et de ferrures qui n'étaient pas d'une maison
ordinaire. Perruchot, receveur-général des armées
du roi, a-vait précédemment confié à ces murs,
qui ne s'en étaient pas écroulés, la caisse de la
spéculation fameuse sur les grains qu'on a flétrie
du nom de Pacte de Famine, et lui-même était
venu après Joseph Dupleix, gouverneur des établis-
sements français dans les Indes. Ce vaillant défenseur
de Pondichéry tenta de faire de la compagnie
française des Indes, qui n'était que commerçante,
une puissance territoriale : projet réalisé depuis,
mais par la compagnie anglaise.
Au 8 demeura l'abbé de Latlaignant, chanoine
de Reims, conseiller au parlement de Paris et poëte
jovial ; mais cet homme d'esprit, dont jamais
les couplets n'étaient mieux chantés que par lui-
même, se retira dans sa vieillesse chez les pères
de la Doctrine-Chrétienne et y vécut jusqu'en
l'année 1779. Il y avait alors le dépôt principal
des pompes à incendie dans l'ancienne habitation
de Lattaignant, ou dans la contiguë. La compagnie
des gardes-pompiers, institution de M. de Sartines,
(1) Notice écrite en 1861.
fil
336 RUE DE LA JUSSIENNE.
comptait 18 autres corps-de-garde. Le chevalier
Morat était directeur-général des pompes en 1784.
A Lattaignant ne survécut guère un jeune poète,
d'un caractère tout différent ; le satirique Gilbert
sortit de i'Hôlel-Dieu, où l'avaient fait porter une
chute de cheval et la misère, en lui donnant des
accès de folie, et son dernier souffle s'exhala dans
un logement de cette rue.
Les revenus du 9 étaient touchés par les carmé-
lites de la rue Saint-Jacques. Le comte Danès,
prédécesseur ou successeur de M. Boyetet, avait
le 11, et Robin, maréchal-ferrant, le 13, acquis
en 1776 de la famille de Vigny, qui le tenait
du trésorier de l'ordre de Saint-Louis, M. de
Tourmont, adjudicataire en 1703. Le 15 était
à M. Gaqué, secrétaire du roi. Dans ce dernier
immeuble des plaideurs élisaient naguère domicile
chez IVP Périn, de longue date avoué à la cour.
Prenant économiquement sa femme pour maître-
clerc, sa fille pour expéditionnaire et sa bonne pour
saute-ruisseau, il n'en était pas moins de première
force pour émolumenter et déjeunait souvent dans
les grands restaurants, mais touj.ours h titre d'invité.
On connaissait surtout ce gastronome chez Véfour,
aux Frères-Provençaux et au calé d'Aguesseau.
Des auteurs et des acteurs faisaient partie de sa
clientèle d'amphytrions, par ce qu'il était l'un
des deux avoués en titre du Théâtre-Français.
La rue de la Jussienne qui a nombre longtemps
26 maisons, n'en a plus que 22 à l'heure qu'il
est, dont quelques-unes seulement de construction
moderne. Les derniers propriétaires de celles qui
ont disparu au bout, du côté gauche, étaient le
susnommé Caqué et le roi Louis XVL Néanmoins
quelques historiographes attribuent à la corpo-
ration des Drapiers la possession de l'ancienne
chapelle de Sainte-Marie-l'Égyptienne, située à
l'angle de la rue Montmartre. Déjà la messe s'y
RUE DE LA JUSSIENNE. 327
disait sous Louis IX; mais on a pu croire
indûment que ce fut une chapelle donnée aux
augustins établis près de là au milieu du xni^
siècle et dont le cimetière confinait effectivement à
Sainte-Marie-l'Égyptienne. Ces pères vendirent leur
maison ii Guillaune Lenormand en 1290, et,
trois ans après, Malifas, évêque de Paris, en
transporta la propriété à Robert, fils du comte
de Flandre. Le nom de la rue qui nous occupe
vient par corruption du titre de la chapelle,
reconstruite au xiv« siècle, qui devint celle des
Drapiers, communauté primitivement paroissienne
de Saint-Denis-de-la-Chàtre. Les six corps de
marchands de l'antique hanse parisienne, dits d'abord
les marchands par eau, étaient les Drapiers, les
Épiciers, les Merciers, les Fourreurs, les Bonnetiers
et les Orfèvres. Des lettres-patentes de Henri III
ont érigé la communauté des Marchands-de vins
en septième corps, mais qui n'a pu se faire
reconnaître par les six autres que sous le dernier
règne de l'ancienne monarchie. Une autre dévotion
pai'ticulière attirait autrefois, mais une à une et en
cachette, dans l'ori^oire de larue de la Jussienne,
les jeunes filles qui craignaient d'être enceintes.
Souvent une prière suffisait, disait-on, pour que
sainte Marie-l'Égyptienne fît un miracle en sens
inverse de l'opération du Saint-Esprit. Malheureuse-
ment la chapelle fut détruite dans les premières
années de la Révolution.
Rue 8aiiit*lS£iuveiir. (i)
L'Eglise. — Les Agents-de-change . — Les 8 Veuves.
— Le Jeu de Boules. — La Claudine de Colletei.
— Julie Berville — Le Bout-du-Monde et le
Cadran. — Le Médecin Chambo7i. — Vergier.
— jl/iie Tiercelin.
Sur la rue Saint-Sauveur se profile un immeuble
d'importance, dont la principale ouverture est rue
Saint-Denis et dans le fond duquel s'exploite un
établissement de bains. On y reconstruisait déjà
l'église Saint-Sauveur, démolie en 1787, quand
la Révolution lit suspendre les travaux, qui ne
furent repris qu'en vue de transformer le temple
en une salle de spectacle ; puis, ce nouveau
projet ayant été abandonné comme le premier,
une vente nationale, le 13 pluviôse an vni, con-
vertit l'édifice public en un bien ^rivé. Avant même
que l'ancienne église fût démolie, on avait décidé de
l'agrandir aux dépens de plusieurs maisons dont
la fabrique était en possession rue Saint-Sauveur,
et dans l'une desquelles était organisé un service
portatif :1e bains médicinaux, qui revenaient à 3
francs.
Le bureau des Changes payait également loyer
à Saint-Sauveur ; aussi bien les agents-de-change
ne manquaient pas dans le quartier. Il y en
avait un au n° 6, ainsi que le bureau des rentes
sur les huissiers-priseurs. La recette desdécimes
et d'autres impositions était centralisée n° 1.
(1) Notice écrite en 18C1.
RUE SAINT-SAUVEUR. 329
Un asile hospitalier pour 8 femmes veuves
avait été fondé ou transféré rue Saint-Sauveur,
entre celle des Deux-Portes et celle du Petit-
Carreau. Très-possible, par conséquent, que ce
fût au 26 ou au 28, où le fermier-général Letellier
avait eu, sous Louis XIV, un locataire qui tenait
un jeu de boules.
L'un des joueurs ou des amateurs jugeant
des coups, dans ce boulingrin, fut Guillaume
Colletet, membre originaire de l'Académie-Fran-
çaise : les bourgeois de Paris avaient alors la
passion du jeu de boules. Guillaume, qui demeurait
vis-à-vis, était le père de François Colletet, ce
poète crotté, parasite des cuisines, dont la
misère f^iisait rire Boileau ; il eut plus que son
fils des places lucratives, mais il ne sut pas les
conserver mieux, dans le désordre de ses mœurs,
que des terrains qui lui appartenaient aux environs
de Paris. Nous croyons même qu'il fut propriétaire,
avant l'abbé Colletet, de la maison qu'il habitait.
Des trois servantes qu'il épousa l'une après
l'autre, la dernière tournait mieux les vers que
son maître. Une fois les dames rougirent jusqu'aux
oreilles, dans une réunion chez Conrart, de cette
question indiscrète que leur posait Colletet : —
Quand nous nous réveillons la nuit, Claudine et
moi, que pensez-vous que nous fassions?.... Comme
on se taisait, il répondit lui-même : — Mesdames,
nous lisons YAstrée.
Le plus grand personnage quand même de la
famille Colletet fut inhumé dans l'église Saint-
Sauveur en 1659. Quelle touchante épitaphe lui
décernait sa veuve !
Comme je vous aimay d'une amour sans seconde
Et que je vous Jouay d'un lai:ga^'e assez doux,
Pour ne plus rien aimer ny rien louer au monde
J'ensevelis mon cœur et ii;a plume arec vous.
330 RUE SAINT-SAUVEUR.
, Qui aurait alors deviné que Claudine serait des
plus volages, se remarierait mal, en boirait comme
un templier, pour noyer ses chagrins, en arriverait
même à mendier, n'osant plus s'offrir, et crèverait
en état d'ivresse !
A quelques pas de l'abbé Colletet, un Fer-à-
Cheval était l'enseigne du sieur Langlois, fabricant
de buses et de bois d'éventails curieux.
Les jolies femnies ont eu, dans tous les temps,
un moyen de faire fortune qui n'a aucun rapport
avec là poésie. Toutefois la rue Saint-Sauveur,
vers la fin du règne de M'^« de Pompadour, vit
une charmante personne cruellement déchoir des
espérances que lui avaient fait concevoir la galan-
terie d'un M. de Famini et ses 15,000 livres de
rente. Julie Berville, fille d'un marchand de ,
tableaux de la rue du Bac, avait été séduite par
cet homme de condition, qui l'avait emmenée
chez lui, au n'' 12 ou 14 ; trois mois après, comme
elle était enceinte, le suborneur la renvoyait, en
reprenant ses arrhes, 3,000 francs de bijoux, pour
les remplacer avec économie par 2o louis, que
doubla, il est vrai, la menace d'un procès, mais
tout-à-fait pour en finir. Julie, après ses couches,
songea à profiter de l'éducation qu'elle avait reçue ♦
et s'exerça à la déclamation en vue de la Comédie-
Française ; elle profita surtout de la leçon que
lui avait donnée M, de Famini, en montrant moins
de confiance et plus d'exigence au comte de
Martigny.
En revanche, par le temps qui court, les jeux
de l'amour et du hasard sont simplifiés outre
mesure au n" 59 de la rue, dans un établissement
à la tète duquel on pouvait s'étonner de voir
il y a vingt ans un homme décoré. Le 65 en
est encore jaloux. Comme bâtiments, ces deux
maisons sont vieilles, et il en est dans la rue
Saint-Sauveur qui datent du xni" siècle. Seulement
RUE SAINT-SAUVEUR. 331
on appelait rue des Egouts en 4489, rue du Bout-
du-Monde dans les siècles suivants et dernièrement
encore rue du Cadran, la portion qui s'en trouve
entre les rues Montorgueil et Montmartre.
Un fabricant d'horloges a remplacé, pendant la
grande révolution, par un Cadran, qui lui servait
d'enseigne, et qui n'a pas encore disparu, l'enseigne
du Bout-du-Monde, figurée en rébus au n" 93.
M'"'' de Lassure était propriétaire de la maison,
quelques années avant cette ostensible modification.
Mais au coin de la rue Montorgueil, du côté
des nu'.Tiéros pairs, l'enseigne du Bout-du-
Monde avait été portée aussi par une maison
à M"'' Chambon, sœur du médecin du duo de
Vendôme. La propriété contiguë était échue h
Chambon, officier du roi, membre de la même
famille. Voltaire cite le médecin dans ses vers,
en y faisant donner au prince de Vendôme un conseil
par François P'', sur une matière que ce roi doit
connaître :
Dites-lui de troquer Chambon
Contre quelque once de mercure.
Un poète moins connu, Vergier, qui a fait des
Contes agréables, était assnssiné au coin de la
rue Montmartre, dans la nuit du 17 au 18 août
1720 ; le chevalier Le Craqueur, complice de
Cartouche, se reconnut l'auteur de ce crime,
expié avec bien d'autres par l'exécution d'une
sentence qui le condamnait h être rompu vif, le
10 juin 1722. Vergier, inhumé h Saint-Sauveur,
près de CoUetet, près des acteurs fameux Gauthier-
Garguille, Gros-Guillaume, Turlupin et Raymond
Poisson, avait très-probablement habité la rue.
Même vraisemblance pour la famille de la petite
Tiercelin, qu'enleva dès l'âge de 11 ans Lebel,
pourvoyeur principal du Parc-aux-Cerfs, et qui
332 RUE SAINT-SAUVEUR.
fut préparée par une éducation de trois années
à l'honneur que lui réservait Louis XV. Le roi
suivant, outre la pension de 30,000 livres qu'il
servait de retraite à la belle, attribuait chaque
année deux fois autant à l'extinction de ses dettes,
qui toutefois s'élevaient encore à 300,000 livres
en 1779, sa dernière année : le fils qu'elle laissait
de son auguste amant avait vu le jour quinze
ans auparavant.
Quai de la Tourncllo. (i)
VHôtel du Pain. — Le C*® d'Artois. — Vhôtel
de Bar. — Le Danseur Blondi. — M. de Nesmond.
— M""" de Miramion et les Miramiones. — M'"^- de
la Sonne. — M"^^ de Nesmond. — Le Coche de
Fontainebleau. — La Voiture de Montargis. —
La Rue devenue Quai. — Les Chantiers . — Le
Président Rolland. — La Boite à Perrette. —
M. de Clermont- Tonnerre . — M. Leroy de Saint-
Arnaud. — Le Port. — La Porte Saint-Bernard.
— Le Château de la Tournelle. — Le 3 Septembre
1792.
Non loin d'une petite rue au Pain, qui donnait
rue Traversine et rue Saint-Victor, l'iiôtel du
Pain ne se trouvait-il pas, en vérité, des mieux
placés? Il s'élevait même sur l'ancien clos de
Garlande, dont une portion avait été donnée en
fief par l'abbé de Sainte-Geneviève, sous Philippe-
Auguste, à la femme de Matthieu de Montmorency.
Plusieurs membres de cette famille se trouvèrent,
comme grands-panetiers de France, investis de la
maîtrise impliquant droit de justice sur la boulan-
gerie de Paris et aussi, pour toutes les affaires
concernant la discipline et les statuts, sur toutes
les autres communautés de boulangers du royaume.
Mais l'hôtel dont nous vous parlons ne fut pas
érigé en chef-lieu de celte juridiction par un
Montmorency. Le chapitre de Saint-Victor avait
cédé à l'abbaye de Tiron, du temps de saint Louis,
un droit de cens sur le terrain, pareillement grevé
(1) Notice écrite en 1864.
S34 QUAI DE LA TOURNELLE.
au profit de l'évêché de Paris, et la maison elle-
même avait appartenu aux religieux de Tiron, à
l'évêque de Paris et ii celui d'Arras, avant de
passer h. Robert de Mahaud, grand-panetier sous
Philippe-le-Bel.
Robert III, comte d'Artois, en hérita ; mais,
moins heureux dans le comté d'Artois, que sa tante
Mahaud avait apporté en mariage à Othon, comte
de Bourgogne, il perdit contre elle un procès en
revendication. Comme fiche de consolation, cet
époux de Jeanne de Valois, fille de Charles de
France, comte de Valois, reçut de Philippe VI,
dont il soutenait d'abord les droits contre les
prétentions du roi d'Angleterre, la terre de Beau-
mont-Ie-Roger, érigée en pairie. Néanmoins le
plaideur malheureux revint à la charge, et cette
fois il produisit des pièces dont on ne tarda pas
h reconnaître la fausseté. On l'accusait en même
temps d'avoir empoisonné sa tante et d'avoir voulu
faire assassiner le roi. Il se déguisa en marchand
pour se sauver en Angleterre, où Edouard III le
reçut h mei-veille ; puis il débarqua en Bretagne,
à la tête de 10,000 hommes, avec les titres de
comte Richement et de lieutenaiH du roi
d'Angleterre, pour combattre en faveur de la maison
de Mont fort contre celle de Blois, que défendait
Philippe VI. Des suites d'une blessure, en 1343,
ce comte d'Artois passait de vie h. trépas ; mais
il avait eu le temps de faire jurer « Edouard
(qui avait déjà repris, à son instigation, le titre
de roi de France) que sa mort serait vengée :
représailles posthumes qui durèrent un siècle,
malheureusement pour le royaume de France !
Le comte de Boulogne, sous Charles V, disposait
de l'hôtel du Pain. Les ducs de Lorraine en firent
l'hôtel de Bar, dont s'arrangèrent les ducs de
Montpensier, puis différents particuliers, au nombre
desquels nous remarquons Despaisse, avocat du
QUAI DE LA TOURNELLE. «35
roi, et Blondi, fameux danseur de l'Opéra, qui
s'était fait connaître dans les intermèdes du ré])ertoire
de Molière. Sous la direction de ce maître-de-
ballet, les élèves du collège Louis-le-Grand, qui
l'avaient pour maître à danser, exécutèient des
ballets, tels que V Empire de la Sagesse, dont il
avait composé les danses et dans lequel il jouait
le rôle de Minerve le 7 août 1715. Chef d'école,
il interdisait à ses élèves l'étude de son art dans
les livres. Est-ce que des livres, en effet, depuis
le traité tout spécial dû h Thoinot Arbeau, chanoine
de Langres, vers 1588, jusqu'à XEncyciopédie de
Diderot et de d'Alembert, ne travestissent pas la
chorégraphie en manière de science algébrique ?
Des lettres de l'alphabet y représentent les grâces
comme des quantités.
Mettons x pour l'époque à laquelle se divisa
l'hôtel de Bar, où se trouvait un jeu de paume.
Le principal corps-de-bâtiment avait été restauré
pour François-Théodore de Nesmond, président à
mortier, surintendant de la maison du prince de
Coridé. Durant la Fronderie ce nouveau-venu s'était
montré passablement habile dans ses négociations
avec les l^arisiens, au nom du roi, et à la même
époque M""= de iVliramion, qui n'était pas encore
sa voisine, avait fait preuve du plus grand dévoue-
ment, en pansant des blessures, en distribuant des
secours, en vendant diamants et vaisselle pour
procurer du pain aux affamés.
Fille du financier Bonneau, seigneur de Rubelles,
et de Marie d'Issy, son épouse. M""' de Miramion
s'était vue orpheline h 15 ans et veuve, dès Tannée
suivante, du magistrat Beauharnais de Miramion,
qui la laissait enceinte d'une fille. Elle n'avait
échappé que par une défense héroïque, deux ans
après, h un autre malheur auquel sa beauté
l'exposait. Le comte de Bussi-Rabutin, comptant
trop sur sa bonne i^iinc pour s'attendre à une
336 QUAI DB LA TOURNELLE.
résistance qui ne fût pas feinte, avait osé faire
enlever la jeune veuve à la faveur des premiers
troubles ; mais il n'avait pas même obtenu, en la
gardant enfermée pendant 38 heures au château
de Launoy, qu'elle y prît la moindre nourriture.
Une délicatesse relative, plutôt que des remords
ou des craintes, avait fait lâcher prise au ravisseur,
qui ne s'était tiré ni sans peine ni sans frais des
poursuites exercées par une parenté, à laquelle
n'était pas offert ou ne convenait pas le seul genre
de réparation usité entre gentilshommes. Mais la
frayeur avait rendu malade l'héroïne de l'aventure,
pour quelque temps retirée chez les sœurs grises,
et depuis elle avait fait vœu de chasteté, avant
d'être âgée de 20 ans, le 2 lévrier 1649. Sa fille
épousa, en 1661, Guillaume deNesmond, successeur
de son père au siège présidentiel.
La conclusion de ce mariage donnait à M""^ de
Miramion la liberté de fonder personnellement
une petite congrégation, dite la Sainte-Famille,
qui ne se composait encore que de 6 membres
au quartier Saint-Antoine, mais qui se rapprocha
avant peu de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Une
autre communauté, sous le nom des filles de
Sainte-Geneviève, avait été établie moins récemment
par Mi'^ Blosset, à l'angle de la rue des Boulangers
et de la rue des Fossés-Saint-Viclor (i). Féret, curé
de Saint-Nicolas, était le supérieur des deux
institutions, et l'on ne se vouait pas moins dans
l'une que dans l'autre, sans prise d'habit, à la
visite des malades, h la préparation des médicaments
et à la tenue des petites écoles. La fusion s'opéra
avec tacilité. M'"'' de Miramion avait acquis une
maison bâtie ou refaite pour Blartin, riche partisan,
proche l'hôtel de Nesmond, et une maison de
campagne â Ivry ; elle en gratifia la communauté,
(1) Ajoutée à la rue du Cardinal-Lemoine.
QUAI DE LA TOURNELLE. 837
qui, de plus, donna d'une propriété contiguë 80,000
livres à M. de Nesmond, évêque de Bayeux, et à
ladite fondatrice. Les filles de Saint-Geneviève,
en devenant miramiones, continuaient h distribuer
onguents, emplâtres et julcps, comme ii faire pra-
tiquer des saignées gratuilement ; mais elles
reçurent, outre des enfants pauvres, de jeunes
pensionnaires pour lesquelles on payait de 4 Ji
500 livres par an. Des retraites de quelques jours
avaient lieu périodiquement dans la maison : deux
fois par année pour les dames, à la disposition
desquelles 50 cellules étaient mises, et qualre fois
pour les femmes, plus nombreuses, qui y prenaient
pendant les jours de retraite leur nourriture, sans
la payer, mais qui retournaient chez elles tous
les soirs, fût-ce t\ la campagne, pour revenir le
lendemain matin. La miramione par excellence avait
aussi fondé l'institution du Refuge h Sainte-Pélagie ;
de plus, le séminaire de Saint-Nicolas-du-Char~
donnet avait participé h ses libéralités. Des maisons
religieuses n'étaient pas seules à s'en ressentir.
Mais il faut dire que M'"'' de Maintenon et Louis XIV,
à j'occasion, s'associaient aux bonnes œuvres de
la supérieure. Elle avait consolé M'"<^ de Monlespan
et Saint-Cyr lui était ouvert, un jour entre autres
où l'on y jouait Esther. Un autre jour, le 24 mars
4696, M""= de Sévigné écrivait à M. de Coulange :
« Pour M'"" de Miramion, cette mèrii de l'Église,
ce sera une perte publique. » M"="' de Sévigné
honorait d'iiutant plus la mémoire de cette femme
qu'elle connaissait à fond son Bussi-Rabutin !
Aux Miramiones a demeuré plus tard M""" de la
Sonne, née Caron, ancienne maîtresse du comte
de Charolais. Deux filles de cette dame avaient
été reprises par la famille dudit prince du sang et
légitimées MM"*'' de Bourbon; elles étaient alors à
marier. L'hôtel qu'avait eu la mère dans le haut du
faubourg Poissonnière faisait lui-même pénitence,
t38 QUAI DE LA TOURNELLE.
converti en une maison de correction pour des
femmes mariées.
Mais revenons àM""^ de Nesmond. Elle eut moins
d'esprit que sa mère, M'"'= de Miramion, mais
plus de vanité. C'est la première femme de magistrat
qui fiL graver en lettres d'or le nom de son mari
sur une porte, où aujourd'hui encore nous lisons :
Hôtel ci-devant de Nesmond. Le temps ne manqua
pas à cette présidente pour tourner ii la dévotion ;
elle mourut, en effet, centenaire et directrice en
titre des séminaire et communauté des sœurs
hospitalières de la Providence, rue de l'Arbalète.
La direction de la Salubrité occupait encore son
ancien hôtel au commencem.ent du présent règne,
et l'on ne prépare que plus en grand de quoi
faire des potions et des emplâtres dans l'ancien
local des miramiones, devenu Pharmacie centrale
des Hôpitaux.
Du vivant de la fondatrice des Miramiones, le
bureau du coche pour Fontainebleau,^ service qui
se faisait par eau, était à la Croix-Blanche, sur
le port de la Touriielle. Ce port se distinguait
de la rue de la Tournelle, où, pour aller à Montargi^j
on montait en voiture à l'enseigne de la Corne,
devant la rue de Bièvre. Il fallut abattre, en
1738, trois des maisons de la rue du Pavé-Saint-
Bernard ou de la Tournelle, qui elle même en
prolongeait une des Grands-Degrés, pour que les
tilles de Sainte-Geneviève demeurassent réellement
au quai de la Tournelle, autrement dit des Mira-
miones, antérieurement port Saint-Bernard. C'est
encore sur la rue des Grands-Degrés que donnait
à ladite date une maison, avec la Tournelle pour
enseigne, et elle appartenait à Lecamus, ancien
major des gardes de la Ville, qui succédait à
Passart, maître-des-comptes, et précédait le cheva-
lier de Creil, le marchand de vins Bonnet, le
rôtisseur Cormiolle; cette maison était pourtant
QUAI DE LA TOURNELLE. 339
située entre les rues de Bièvre et des Bernardins,
vis-à-vis les grands degrés et à CÔté d'une maison
à Lavit, marchand de chevaux. La rue de la Tournelle
finissait au coin de la rue des Bernardins, qui devait
sa dénomination, ainsi que la porte Saint-Bernard,
au collège des Bernardins.
Et notre quai, trente ans après, était encore
bordé de il chantiers à ces enseignes :
Aux Ar-nesde^France, au Cardinal-Lemoiae, à Saint-
Nicolas, à la ('roix-d'Or, à la Boule-Blanche, à la Croix-
d'Argenl, à l'Étoile, au Soieil-d'Or, au Grand-Chantier,
à la Grande-Forêt, à la Maison-Blanche, au Cadran-Bleu,
k la Fleiir-de-Lys, à la Maison-Kouge, aux Armes-
d'Orléans.
Le président Rolland, dont l'ancienne résidence
est désignée par une inscription, s'appelait aussi
d'Erceville. Grand ennemi des jésuites, il ne se
contenta pas de coopérer chaudement à leur
proscription ; il s'attacha ensuite à les flétrir,
comme il les avait combattus, et publia un Plan
d'études essentiellement janséniste. Le parlement,
en s'emparant alors de l'instruction publique, ne
se faisait encore aucune idée du coup d'État
qui allait renouveler le parlement. Nul aussi bien
que Rolland n'avait poussé à la suppi^ession des
petits collèges ; il fit donc partie du cortège qui
les enterrait décemment. Le bureau d'administration
de leur temporel se composait ainsi :
M- de la Roche-Aiinou, prince du sang, premier
duc el pair, archevêque de Reims, grand-aumônier de
France et, en cette dernière qualité, président du
bureau ; l'abbé Terray ; le président Rolland : Roussel
de la Tour; Cochin ; de Samfray ; l'abbé Valette;
l'abbé Legros ; Poau Lempereur ; l'abbé Fourneau,
grand-maître temporel ; Lecamus de Mézières? architecte
du bureau.
Rolland fut disgracié, avec tous ses collègues
34t QUAI DE LA TOURNELLE.
du parlement, en 1771, et il ne reprit ses
fonctions qu'après le règne de Louis XV. Mais
il ne savait plus h quel jésuite s'en prendre
d'une autre disgrâce qui fondit sur sa tête. Un
oncle qu'il venait de perdre, M. Rouillé des
Filletières, au lieu de confier à sa garde la
Boite à Perretie, trésor commun du parti janséniste,
dont il était dépositaire, avait légué ce dépôt,
par testament, à d'autres personnes zélées pour
la même cause. Le président attaqua le testament,
et s'il avait gagné à ce jeu-là, sa qualité de
magistrat l'eût fait soupçonner de piperie ; heureu-
sement il perdit la partie. La bonne veine lui
revint encore moins devant le plus impitoyable
des tribunaux, en 1794. L'hôtel Rolland était
Bouffret, huit années avant cette échéance.
Un Clermont-Tonnerre occupait alors, sur le
même quai, une maison dessinée par Gabriel
Leduc et que naguère habitait un sénateur, frère
du maréchal Saint-Arnaud : le n° 27. A quelques
pas Brazier aurait fondé une maison de commerce
pour les vins en 1711, d'après l'inscription en
évidence sur la devanture du successeur actuel.
Un demi-siècle après, maître Henri, greffier en chef
de la chambre-des-comptes, avait certainement
ses commis au 21. L'embarcadère du coche de
Fontainebleau se maintenait près de là ; mais
le service n'avait lieu que pendant le séjour de
la cour en cette résidence royale, et l'on donnait,
pour faire le trajet en douze heures, 2 livres 10
sols. Un autre bureau encore percevait, mais du
côté des Miramiones, les droits de la ferme-
générale sur les ardoises, tuiles et briques, à
mesure quelles se débitaient vis-à-vis, sur le
port aux Tuiles, anciennement dit aux Mulets,
où se déchargeaient pareillement des poires, des
pommes, des marrons et autres fruits du Gâtinais.
La Halle-au-Vin, que remplace un entrepôt beau-
QUAI DE LA TOURNELLK. 341
coup plus vaste, se trouvait au-delà de la Tournelle
et de la porte Saint-Bernard.
Cette ancienne porte de la ville était rhabillée
par Blondel, pour passer à l'état de petit arc-de-
triomphe en commémoration de ce que Louis XIV
venait de supprimer un impôt sur les marchandises
qui arrivaient de ce côté. La Tournelle, qui était
tout près, avait dépendu également de l'enceinte
de Philippe-Auguste et défendu le passage de la
rivière. Vincent de Paul obtint que les galériens,
au lieu d'attendre à la Conciergerie le départ d'une
chaîne, fussent placés au fort de la Tournelle, où
des secours spirituels et temporels leur étaient affec-
tés par le donateur anonyme d'une rente rie 6,000
livres. Déjà un dépôt de ce genre avait été établi
près de Saint-Roch, dans une maison louée par
Vincent-de-Paul, avant que le transport en eût
Ueu dans ce château fortifié. Le départ des
chaînes pour Brest, Rochefort, Marseille et Toulon
ne s'effectuait pas plus de deux fois par an, le
25 mai et le 10 septembre. La chapelle du
fort était d'abord desservie par la congrégation
de Saint-Lazare, que remplaça en 1634 le curé
de Saint-Nicolas, mais toujours avec le concours
de Vincent. L'administration du temporel se trou-
vait dans les attributions du procureur-général ;
la nominiition du concierge regardait le secrétaire
d'État qui avait la marine dans son département.
Comme la fausse porte Saint-Bernard et la Tournelle
n'existaient déjà plus au commencement de la
Révolution, les condamnés aux fers furent placés
dans le ci-devant couvent des Bernardins. Ils y
étaient au nombre de 73 le jour où les septem-
briseurs n'en laissèrent échapper que 3.
%i
Rue 8aint-iLoiiis,
NAGUÈRE
Saiiit-L<ouis«eii-iL<^ile. (i)
Vile au Moyen-Age. — (^.hristophe Marie, — Le
Chapitre. — Les Marchands de Foin. — Les
Fermiers. — L'Enquête. — Les Ponts et les Quais.
— Poulletier et Le Regrattier. — La. Seigneurie.
— Jean de Lagrange. -;— Le Syndicat. — Le
Chien de Montargis. — U Église. — Les Hôtels et
les Maisons. — Charles de Vains. — Les Par-
cheminiers. — M'^^ de Villetaneuse . — Bulliard.
— Le Général Charton. — La Révolution. — Le
Prince Czartoriski. — U Archevêque de Paris.
Alors qu'on se rendait du quartier de la Tour-
nelle au quartier Saint-Paul en passant l'eau, on
relâchait ordinairement dans l'une des deux îles
dont la réunion forme celle Saint-Louis. C'en était
fait d'un pont de bois que le xive siècle y avait
jeté. Les deux bras de la Seine, qui plus est,
n'avaient-ils pas porté une double chaîne, en
guise de bracelets ? Cette barrière de la ville en
pleine eau faisait ressembler la future île Saint-
Louis à un forçat, avant que les galériens ne
fussent encore au fort de la Tournelle. Une cein-
ture de peupliers y bordait presque entièrement
la terre ferme au moyen-âge et il arrivait d'y
donner des fêtes publiques. Elle se laissa embrasser,
après cela, par un double pont, que noble homme
(1) Notice écrite en 1864. La rue qu'elle concerne a
perdu depuis ses quatre ou cinq dernières maisons.
RUE SAINT-LOUIS, ETC. 343
Christophe Marie, bourgeois de Paris, s'était
engagé à bâtir, d'après un contrat en date du 16
mai 1614. ('et acte, signé par Nicolas Brûla rt de
Sillery, chancelier de France, y stipulant pour le
roi avec l'assistance de Guillaume de Laubespine,
Pierre Jeannin, Gilles de Maupeou, Isaac Arnauld
et Louis Doile, membres des conseils d'État et
privé, concédait le terrain ii\sulaire à Christophe
Marie, qui devait le couvrir de quais, de rues
et de maisons : les deux îles à réunir s'appelaient
Notre-Dame et aux Vaches. Mais les chanoines de
la cathédrale y exerçant de longue date des droits
aussi difficiles à récuser qu'à déterminer, on ne
pouvait, sans compter avec eux, envoyer le con-
cessionnaire en possession. Le chapitre résistait,
d'ailleurs, à l'exécution du contrat sous le prétexte
que la sûreté de l'église métropolitaine et de l'hôtel
épiscopal, h l'extrémité de l'île delà Cité, se trou-
verait compromise par les constructions nombreuses
qu'on se proposait d'élever dans l'île Notre-Dame.
Cette considération seule, à ce que disaient les cha-
noines, leur avait fait refuser précédemment 50,000
écus et 800 livres de rente, offres du sieur Carel, qui
les avait déjà livrés en pure perte à la tentation
d'aliéner les mêmes terrains. On leur opposait
toutefois, à juste titre, que dès le 5 février 1542,
aux termes d'une conclusion capitulaire, le chanoine
Desvoisins avait été chargé de solliciter l'interven-
tion de M. de Paris à l'elfet d'obtenir du roi, en
faveur du chapitre, la pei-mission de transformer
l'île Notre-Dame en un nouveau quartier de Paris.
Le fait est que la possession capitulaire, tout
en paraissant remonter à l'année 867, avait été
troublée par le corps de Ville à différentes dates :
1304, 1462, 1473, 1557. Louis XI avait reconnu
aux chanoines le droit de confisquer, sur le
territoire insulaire, le foin qu'on y débarquait pour
le faire sécher au soleil ; la prévôté de Paris,
344 RUE SAINT-LOUIS,
malgré cela, permettait aux marchands d'en étaler
et d'en botteler, }3ar sentence du 4 janvier 1609.
Cette sentence était confirmée le 30 juillet suivant
par un arrêt, qui condamnait le chapitre à souffrir
celte servitude d'usage sur un espace où, de tout
temps, avaient abordé et stationné les mariniers
de la Seine. Comment le fermier du chapitre y
trouvait-il son compte? Il tenait, le plus souvent
lui-même, un cabaret, pour abriter au frais maints
promeneurs, qui débarquaient si librement ! Bail
avait été fait au mois de janvier io91, tant pour
l'île Notre-Dame que pour celle aux Vaches, h
Jacques Guchery, commis de barrière; mais, comme
il y avait déji'i plus d'une maison ou maisonnette
de construite, la division était probable. Ledit
fermier avait eu pour prédécesseurs :
Jehan Lehoux, marchand boucher ; Mathurin Perrotet,
charretier ; Nicolas Baullard, lequel payait 25 lirres
tournois par an, de 15G1 à 1570 ; Etienne Mutet, dont
le loyer courait ^ur le même pied, depuis 1559 ; Etienne
Pinot, manouvrier : 30 livres ; Etienuette Desnoyers,
veuve de Guillaume de la Perrelle, sous le règne de
François I" ; Sanson Luillier, marronnier (c'est-à-dire
pêcheur sans permission) : 14 livres en 1513, 10 en
1509, et Jean Blondel, 8 livres, même année.
L'enquête de commodo vel incommodo avait soulevé
d'autres dificultés encore que l'opposition du
chapitre. Des objections formulées après expertise
avaient motivé, dès l'année 1611, un avis tout-à-fait
contraire au projet ; mais ensuite d'autres experts
s'étaient prononcés pour. En ce temps-là, avant
d'ouvrir une rue ou delà fermer, comme on réfléchis-
sait mûrement, comme on délibérait libéralement !
Prévôt, échevins, trésoriers-généraux, maîtres-ès-
œuvres des Bâtiments-du-Roi et de la Ville s'étaient
déjà transportés sur les lieux, en compagnie de
marchands et de voituriers, ayant tous voix con-
NAGUÈRE SAINT-LOUIS-EN-LTLE. 345
sultative, avant qu'on déterminât exactement
l'emplacement des deux ponts ; une visite nouvelle
y ramenait dix notables, marchands et bourgeois,
en présence des mêmes édiles, et c'est alors que
le procès-verbal s'exprimait ainsi :
«< Tous unanismement ont esté d'asvis de laditte
couslruction dudit pont, comme ne se pouvant faire
œuvre plus publique et plus nécessaire pour Ja com-
modité de tout le peuple et bien de ladite ville,
pourveù que lesdits pilliers fussent de pierre» et de
bonnes étoffes. »
Jusque-là il n'était question que d'un double
pont de bois, en vue duquel on avait déjà fait
des études et des commandes. Le bureau de la
Ville avait octroyé à Marie, le 7 janvier 1613,
la maîtrise dudit pont, avec autorisation d'y élever
des maisons comme dans les deux îles. De plus,
il pouvait être établi six moulins à eau, des étuves,
des bains et un jeu de paume par l'adjudicataire
privilégié. Mais ces concessions et d'autres, qu'il
avait aussi obtenues, ne permirent pas aux travaux
de s'achever dans le laps fixé par lui-même à
six années. Louis XIII et la reine-mère posaient
la première pierre du pont Marie avant la fin de
1614 ; puis les échafaudages du pont de la Tournelle
firent pendant à ceux du pont Marie, et quant à
la passerelle en bois que, dès 1617, on se disposait
à jeter sur la Cité, elle eut beau se faire lentement,
le procès intenté par les chanoines voisins n'aboutit
que plus tard encore.
PouUetier, secrétaire de la Chambre du roi,
n'était devenu l'associé de Marie qu'après s'être
chargé, dès l'année 1611, de la fourniture des bois
nécessaires à l'entreprise ; les désordres de la guerre
civile avaient fait perdre les deux-tiers de 4,600
pieds de chêne, achetés par lui sur la frontière
picarde 18,500 livres, et le reste n'arrivait à bon
346 RUE SAINT-LOUIS,
port qu'au moment où l'on exigeait des pierres de
taille à la place de bois. Mauvais début pour la
grande entreprise, dans laquelle Le Regrattier
s'était également intéressé !
Le chapitre, de son côté, forme opposition à la
poursuite des travaux, en 1616, et puis croyez-
vous qu'il se tienne, quoique débouté, pour battu ?
On lui présente encore, l'année suivante, un projet
qui convertirait l'île Notre-Dame, si elle retombait
sous sa coupe, en un vaste magasin pour la Ville !
Un arrêt du conseil-d'État décide, en 1618, que
les chanoines jouiront de 1,200 livres de rente
sur le domaine de Paris, et qu'ils rentreront dans
tous leurs droits de cens, lods et ventes, après
les 60 ans de jouissance accordés aux entrepre-
neurs. Ceux-ci, quelques années après, interrompent
les travaux, faute d'argent et de crédit ; les com-
missaires du roi mettent en leur lieu et place
Jean de Lagrange, secrétaire du roi, et le chapitre
offre aussi, mais trop tard, d'achever l'entreprise
aux mêmes conditions. L'impulsion rendue aux
travaux par le nouvel adjudicataire est keureuse
pour quelque temps ; mais les autres se plaignent
si fort d'avoir été mis à l'écart au moment le
plus favorable, qu'ils finissent par reprendre le
dessus. Tous les propriétaires des terrains in-
sulaires sont condamnés à payer aux entrepreneurs
ce dont il sont encore débiteurs tant sur leur
prix d'acquisition que de surcens, etc. Mais les
chanoines, d'autre part, obtiennent 50,000 livres
à titre d'indemnité, plus 7,000 pour les frais, et
lesdits propriétaires acquittent cette contribution
à raison de 3 livres par toise ; des lettres-patentes
transfèrent même au chapitre les droits réservés
au roi par le cahier des charges contre Marie,
Lagrange et consorts. De plus, la justice des
chanoines est reconnue dans ce quartier tout neuf,
où il est défendu aux lieutenant-civil et ofticiers
NAGUERE SAINT-LOUIS- EN-L'ILE, 347
du Châtelet d'empiéter sur la juridiction du bailli
de la barre capilulaire, et à la même seigneurie
sont reconnus revenir les droits de censive, qui
ne feront retour au roi qu'au l" janvier 1584.
Là finit un antagonisme, mais qui l'ait place nette
à un autre. Les insulaires, mécontents du peu
de solidité des ponts et des négligences qui
retardent la formation définitive des quais, adres-
sent, le 9 janvier 1643, une requête aux commis-
saires du roi, pour se débarrasser enfin d'une
administration qui ne vise qu'à se perpétuer. Cette
levée de boucliers est due à l'initiative de Denis
Hébert, maître-couvreur, que Poulletier a fait
déguerpir tout récemment d'une place mal acquise,
et ce dernier, en ripostant, énumère ainsi les
compères du principal plaignant :
Guillaume Je père, naguère receveur du domaine de
Paris, auquel est réclamée judiciairement une place,
évaluée lô.OOO livres, en échange de laquelle il n'a
donné à Lagrange qu'un office de sergent au Châtelet,
en valant 80O ; — Simon Huguet, procureur à la chambre
des Comptes, qui redoute les mêmes recherches, pour
un loi de 24,000 livres, paye ainsi la moitié de son prix ;
— Antoine Lemaire, procureur au Châtelet, dont les
230 toises, achetées 5S livres la toise, devraient être
cotées trois fois autant; — Pierre Lemercier, confrère
de Lemarié, contre lequel s'exercent des poursuites
à fin de restitution des pièces de criée relatives à un
autre lot ; — enfin Michel Guillaume, marchand, de
qui il a fallu arracher, par le moyen Piirêine d'une
prise de corps, le prix de 11 toises, généralement estimées
le double de ce prix convenu.
Les récriminations de maître Poulletier à
rencontre de tels plaignants ne les empêchent pas
d'obtenir gain de cause. En conséquence, les
intérêts communs des propriétaires de l'île sont
confiés à leur propre gestion par la création de
348 RUE SAINT-LOUIS,
leur syndicat, bien que celui ci date, ou peu s'en
faut, du moment où Claude Dublet, maître-
charpentier, passe adjudicataire des travaux qui
restent à faire et titulaire de 12 ëtaux de boucherie,
en remplacement de Lagrange. Les réunions
syndicales ont lieu à l'hôtel Bretonvilliers, où le
prince Emmanuel de Portugal ne donne pas encore
de bal masqué, avec feu d'artifice tiré sur la
rivière. Tous les propriétaires de l'île ont été
condamnés en 1638 à payer aux entrepreneurs ce
qu'ils devaient encore. Parmi ces consorts du
financier Le Ragois de Bretonvilliers figurent :
Simon Hugues, qui est ou sera syndic ; Philippe de
Champagne, le grand peintre ; Gaillardon, intendant
de Franche-Comté ; l'abbé Fortia ; M. Meiland, conseiller
au parlemenl; Lauzun, le Lauzun du grand règne; le
marquis de Richeiieu ; Lambert de Thorigny, président
au parlement, pour qui Levau a dessiné le superbe hôtel
Lambert; Charron, nom de famille illustré par le livre
De la Sagesse et à la tête de l'édilité parisienne ; de
Jassaud, magistrat; Jacques Pichon, maître-tailleur
d'habits et ancêtre du JB"" Pichon ; M, de Choisy ;
M. Hesselin et ses deux voisins, M. d'Astry, M. Sainctot ;
Nicolas Delaistre, ancien échevin ; Claude Chariot,
secrétaire du roi ; de Coulanges, abbé de Livry ; Le
Bossu Le Jau, maître-des-comptes, qui a eu pour
prédécesseurs un autre Le Jau et Saiomon de Caux
(nom bien pareil à celui d'un des inventeurs de la vapeur,
décédé en l'année 16î6) ; Archambault, valet-de-chambre
du roi; maître Jean de la Grange, sieur de Saint-Evroul.
Nicolas Lejeune, couvreur, passe pour avoir
habité l'île dès le règne de Henri IV. Qui sait
même si la maison unique dont le chapitre fit
abandon, en touchant son indemnité de 50,000
livres, ne remontait pas à l'époque du célèbre duel
judiciaire dans lequel le chien de Montargis vainquit
l'assassin de son maître? Ladite maison, à notre
NAGUERE SAINT-LOUIS-EN-L'ILE. 349
sens, est celle qui porte rue Saint-Louis le n" 66.
On y désigne la cage d'un escalier ii vis comme
ancienne tourelle de Marguerite de Bourgogne ;
mais la seule tour qu'ait connue assurément cette
reine, en ladite île, s'appelait Loriot, et, puisqu'une
chaîne la rattachait par eau à la Tournelle et à
la tour de Billy, il nous semble qu'elle aurait été
mieux placée à celle des deux pointes de File où
de nos jours conmaence l'ordre numérique de la
rue. Là elle aurait fait place à l'une des deux
terrasses des hôtels Bretonvilliers et Lambert, dont
nous parlons en d'autres notices. Quoi qu'il en
soit, Nicolas Lejeune a érigé, sous l'invocation
de Notre-Dame, une chapelle qui est devenue l'église
Saint-Louis. En même temps qu'elle, l'île a changé
de nom, autrement dit en 1664. Mais la rue Saint-
Louis-en-l'Ile avait été rue Palatine du côté des
deux grands hôtels et rue Carel du côté le plus
voisin de la Cité, puis rue Marie d'un bout à l'autre
pendant dix ans.
Alors que les premiers numéros impairs de cette
rue étaient occupés presque tous par Le Ragois,
et les premiers numéros par Lambert, l'hôtel
Galard se présentait à droite, contigu aux derrières
de l'hôtel Meiland, qui tenaient le premier angle
de la rue Poullelier, et en face des dépendances
de l'hôtel d'Astry. Derrière l'église résidaient
M. Hesselin et M. Sainctot ; vis-ii-vis étaient établies
des sœurs de Charité. Le président d'Aigremulle
demeurait au-dessous de l'église ; Delanoue, un
peu plus loin ; l'avocat Guillaume, plus loin encore ;
Desjardins, greffier du tribunal, vers le 69 : le
procureur-général, aux 71 et 73 ; M. de Saint-Gilles,
au 80 ; un Mole aux 84 et 86 ; Sévin, magistrat, au
88, et Durand, maître-des-comptes, au 92. En ce
temps-là des Lefèvre d'Ormesson étaient proprié-
taires, en la même rue, de trois maisons qui se
suivaient.
150 RUE SAINT-LOUIS, .
L'une d'elles, n" 52, fut habitée postérieurement
par un savant, Charles de Valois de Lamarre,
antiquaire du roi et académicien, qui n'avait que
peu de pas h faire pour entrer, sur le quai, chez
son ami Lefeuve de la Malmaison, conseiller au
parlement. Les fermiers-généraux transformaient
l'hôtel Brelonvilliers, h la même époque, en grand
bureau des Aides. Plus de Galard, en face, et
plus de Meiland ! Mais bureau des Saisies-Réelles.
Toutes les juridictions y avaient recours, et jamais
plus de saisies ne s'y réalisèrent que sous le
triumvirat de Monnerot, Beaucousin et Beauvisage,
qui étaient commissaires-généraux de l'ensaisinement
lors de la banqueroute de Law.
Le 27 ou le 29 servait de bureau, beaucoup
moins grandement, à la communauté des Par-
cheminiers. Les maîtres chargés de faire une
tournée officielle chez les autres membres de cette
corporation professsionnelle devaient toujours être
assistés par quatre parcheminiers-jurés de l'univer-
sité, placés sous les ordres du recteur. L'appren-
tissage durait 4 ans : le brevet coûtait 45 livres
et la maîtrise 1.100.
Sous la Régence également, M""*^ de Villetaneuse,
vieille bourgeoise qui n'avait pas d'enfants, en-
richissait de ses legs ceux de sa sœur, la duchesse
de Brancas, la duchesse de Luxembourg, fille de
sa cousine-germaine, et la comtesse de Boufflers,
fille de Guénégaud, son cousin-germain.
Le botaniste Pierre Bulliard habitait, sous
Louis XVI, l'ancien hôtel Durand. Cet auteur de
Flora parisiensis et d'un Dictionnaire de Botanique
avait app)-is de François Martinet à graver de sa
propre main les planches de ses ouvrages. S'agis-
sait-il d'enrichir son herbier, ou bien d'empailler
un oiseau, il ne prenait encore d'autre aide que
lui-même. Déleurie, maître en chirurgie, donnait
NAGUERE SAINT LOUIS-EN-L'ILE. 351
des leçons d'accouchemont à l'hôtel Mole. Quels
nouveaux maîtres disposaient en partie des hôtels
Lambert et Brelonvillieis ? M. de Beaumont et
M. Devins-Fontenay.
Du reste, on vit bientôt sortir à cheval, tous les
matins, de la porte débouchant en face de la rue
Guillaume (i), un chef de division de la garde
nationale, qui ne se nommait plus au 28*^ de
ligne que le sous-lieutenant Charton en 1792,
mais qui avait gagné, trois ans après, ses épaulettes
de général. Malheureusement il fut tué en 1796'.
Un nom de robe, celui de Clieniseau, était porté
depuis la Régence par un hôtel plus aristocra-
tique, près de ladite rue Guillaume. Pourquoi
dire un ? ne voit-on pas encore qu'il y avait grand
et petit hôtels? Aussi bien, dans cette île Saint-
Louis, le train de maison fut rarement en rapport
avec la place qu'on tenait au soleil ! On n'attendit
même pas la Révolution pour y faire d'un petit
hôtel, en regard de la maison Durand, un simple
corps-de-garde de pompiers. Autant de fait sur
la besogne d'une ère nouvelle, qui se croyait
appelée îi supprimer toutes les marques de distinc-
tion ! L'île et la rue de la Fraternité inaugurèrent
cette ère-là en donnant plusieurs fêles publiques
dans le jardin de leur ci-devant hôtel Bretonvil-
liers. En revanche, elle se passèrent absolument
de leur ci-devant église, vendue comme bien
national en l'an vi, le 13 thermidor, et qui ne fut
rachetée par la Ville que le 15 septembre 1817.
Alors sa dénomination était déjà revenue à la rue,
dite Blanche-de-Castille de 1806 à 18U. Les
somptueuses réceptions du prince Cz;irtoriski et
la bienfaisance héi'oïque de ses œuvres, se multipliant
au profit de la cause polonaise, tirent encore plus
(1) Mainlciianl rue Budé.
852 RUE SAINT-LOUIS, ETC.
d'honneur à l'hôtel Lambert, sous Louis-Philippe,
que les peintures de Lebrun et de Lesueur, dans
toute leur fraîcheur, n'y avaient jeté d'éclat. Puis
d'autres événements politiques ayant changé en
France la face des choses, l'hôtel Gheniseau devint
pour quelque temps l'archevêché. On y rapporta
le corps de Mgr Affre, frappé sur une barricade,
où il affrontait, comme un saint, les dangers de
la guerre civile, pour en conjurer les horreurs.
Une caserne de gendarmerie y remplaça, pour
une douzaine d'années, l'archevêché en deuil.
Rues llichcl-le-Coiute et
Grenier-l^it-iljazare. (i)
Elles se suivent depuis si longtemps, sans se
confondre, qu'autant vaut ne les pas séparer.
Qu'elles remontent donc le cours des âges, comme
deux wagons enchaînés l'un h. l'autre, qui laisse-
raient descendre, à chaque station, des souvenirs,
faute de voyageurs. Parfois c'est la cloche d'un
collège ou d'un couvent du moyen-âge qui donne
le signal du départ quand nous nous remettons
en route dans ce voyage brisé d'histCriographe.
Ici, par extraordinaire, l'or et l'argent commencent
par résonner : tout le monde ne s'en plaindra pas.
Entendez-vous le chant des lingots d'or, balancés
par des poids de fer, et l'harmonieux frou-frou d'un
grand comptoir d'escompte? Cela bruit, sans fatiguer
l'oreille, entre les rues Michel-le-Comte et I\k»ntmo-
rency, chez la veuve Lyon-Allemand, dont le com-
merce était fait sous le premier empire par Joseph
Allemand et Hartzfeld, en la rue Grenier-Saint-
Lazare.
A la maison de M"" Lyon-Allemand touche un
ancien hôtel que la rue Montmorency partage aussi
avec celle Michel-le-Comte, qui le cote n" 22.
Dubois de Crancé, qui y demeura, était d'abord
parvenu à entrer dans les mousquetaires ; mais
des doutes accentués sur sa noblesse l'avaient
réduit à la consolation de commander dans la
garde nationale. Cet ardent révolutionnaire, dan-
toniste à la Convention, s'acharna surtout contre
(1) Notice écrite en 1864.
354 RUES MICHEL-LE-COMTE, ETC.
Louis XVI, dont il vota la mort, comme le ci-
devant comte Le Peletie)' de Saint-Fargeau,
qui fut assassiné par un - ancien garde-du-corps
la veille de l'exécution du foi. Sur ce la rue
Michel-le-Comte prit sans déroger, mais ne
garda pas longtemps le pseudonyme de Michel-
Le-Peletier. Dubois de Crancé, plus heureux que
son collègue, devint rous le Directoire ministre
de la Guerre ; mais, après le 18 Brumaire, il se
retira, faute d'emploi, dans ses propriétés cham-
penoises.
L'hôtel des Hypothèques portait le chiffre 32
dans la même rue, sous l'Empire. Un épicier du
voisinage était à cette époque une ancienne
tricoteuse : elle désirait garder un incognito que,
par égard pour les parents d'une femme, revenue
à bien, qui reniait jusqu'à son sexe, nous ne
violons même pas. Ferry, autre épicier de la rue
Michel-le-Comte, était l'un des gardes du corps
des épiciers et apothicaires en 177i2.
Notabilités de cette rue, quatorze ans après :
M. Lenoir de Mézièros, payeur de rentes, au u» 19
de notre temps, hôlel dont Je 17 devait dépendre;
M. Vaudé, banquier, no 20 ; J'architecie Verniquet, n» 21,
et M. d'Halvil, au 28, Lôtei donnant aussi dans la rue
Montmorency, où nous en parlerons plus amplement.
La charge de commissaire-voyer, achetée par
Edme Verniquet en 1774, l'avait poussé ù réaliser,
comme architecte du Jardin-du-Roi, des projets
de Buffon. Mais son grand-œuvre fut le plan de
de Paris, qui demanda 28 années de travail. L'ordre
de dresser ce plan avait été donné par Louis XVI,
dès 1783, mais sur des proportions si vastes qu'elles
avaient bientôt lait reculer devant l'exécution. Le
commissaire de la vcirie avait relevé ce projet
abandonné, et ses planches étaient déposées aux
Cordeliers. Puis, la Révolution venue, le bureau
RUES MICHEL-LE-COMTB 355
du Plan s'installa au ci-devant hôtel d'Angivilliers,
près le ci-devant Oratoire-Saint-Honoré, où l'au-
teur se trouvait sans doute logé plus grandement
que rue Michel-le-Comte. Le plan ne compta ses
72 feuilles grand-atlas qu'en 1796, et, comme si
Verniquet n'avait plus rien à faire, son nom se
gravait sur une tombe vers la fin du Consulat.
Verniquet, en sortant de chez lui, avait souvent
passé devant le bureau des Paumiers, à l'entrée de
la rue Grenier-Saint-Lazare, et puis, quelques
portes plus loin, devant les ateliers de Lafontaine,
inventeur privilégié d'uiiC serrure dont l'Académie
avait approuvé les combinaisons nouvelles. Les
statuts de la communauté des maîtres paulmiers,
raquediers, faiseurs d'estojufs, peloltes et balles,
remontaient au commencement du xvn'' siècle.
Ses membres étaient exclusivement en possession
de fabriquer et de vendre, avec les ustensiles du
jeu de paume, ceux servant au jeu de billard. Le
bureau se trouvait encore dans la rue de Seine
à la fin du règne précédent ; depuis lors, le droit
de réception avait baissé de i,oOO \\ 600 livres.
Il semble que la piopriété foncière, dans les
deux rues dont nous nous occupons, ait été plus
divisée sous la Régence qu'à notre époque. La
rue Michel-le-Comte avait 51 maisons, et l'autre,
45 : presque un tiers de plus qu'aujourd'hui ! On
y a si peu démoli que plus d'une façade devait
appartenir h. un autre propriétaire que le corps-
de-bàtiment élevé par-derrière. Il faut qu'on ait
ainsi porté en compte pour plus d'une maison
chaque hôtel, et combien la rue Michel-Lecomte
en était pleine ! A main droite, elle partageait
avec la rue Montmorency trois propriétés de ce
genre ; à main gauche, elle commençait par une
aile et des dépendances de l'hôtel Caumartin,
suivies de près par un hôtel Thiroux (et il y en
avait un autre du même nom dans le quartier),
856 RUES iMICHEL-LK-COMTE, ETC.
ensuite par un hôtel Feiiet, par un hôtel Lemaître,
enfin par un hôtel Méral, qui s'appela aussi Grillon,
et auquel faisait vis-ii-vis l'hôtel Bouligneux, plus
tard d'Halvil. Que de pratiques excellentes à la
portée du vitrier Rousseau, dont la boutique était
dans ladite rue ! L'honnête homme dont nous
parlons est celui qui avait recueilli un enfant
naturel de M"'" de Tencin, abandonné sur les
marches d'une église, mais h l'éducation duquel
pourvoyait son père, le chevalier Destouches-Canon,
et cet enfant devint l'illustre d'Alembert.
Remontons-nous encore de quelque trente années?
On parle alors de M. Le Vasseur comme réu-
nissant des curiosités en sa demeure, rue Grenier-
Sainl-Lazare. Dans l'autre rue, on vient de démolir
un théâtre érigé en 1632 par Jacques Avenet, à
la place d'un jeu de paume, et que des comédiens
de l'hôtel de Bourgogne exploitaient depuis 4660.
Mais cette salle de spectacle avait été fermée
longtemps, sur une plainte adressée au parlement
par les habitants des deux rues, qui ne s'accom-
modaient ni des carrosses bruyants, ni de l'insolence
des pages et des laquais, ni des vols qui se
commettaient plus fréquemment aux abords d'un
théâtre qu'en un quartier sans foule.
La rue d'en bas s'appelait 6^arneer de- Saint-Ladre,
en 1315, et comptait au nombre des gens qui
l'habitaient; Nicolas le dorelotier ; Jeacgues delà
Salle, gâcheur; Jehan, savetier. On dit qu'une
famille était déjh connue au siècle précédent sous
le même nom que cette rue, laquelle touchait
presque à la porte Saint-Martin élevée sous Philippe-
Auguste. Le comte Michel, parrain de la rue
d'en-haut, vicus Micaelis comitis, passe pour
contemporain de ladite famille.
Rue Montmorency. (i)
De 1215 à 1854.
L'avant-dernière maison à gauche est surtout
amusante à voir de l'une des croisées qui font
face : elle paraît l'agglomération désordonnée de
plusieurs corps-de-bàtiment, dont le plus élevé
s'appuie sur ceux de devant. Mais aux regards
des passants elle dérobe le toit figurant un V
renversé qui, si longtemps, la fit appeler maison
du grand pignon! Aussi bien Germain Brice, qui
ne la prenait pas pour une seule maison, écrivait-
il : « A l'entrée de cette rue sont des inscriptions
difficiles à lire et à entendre sur de vieilles
maisons ; c'était autrefois un hôpital pour les
passants, fondé par Nicolas Flamel. » Déjà vieilles
sous Louis XIV, ces inscriptions elles-mêmes n'en
feraient qu'une. Seulement deux petites boutiques,
peintes de deux couleurs différentes et crottées
comme l'escalier de Saint-Nicolas-des-Champs, se
sont assimilé et partagé les pierres sur lesquelles
restent gravées ces lettres:
rions homes et fènies laboureurs demonrans
ou porche de ceste maison qui fu fée en Fan
de ^race mil quatre cens et sept : sommes tenus
chacù en droit sou dire tous les jours une
pastenostre et 1 ave maria en priant dieu q de
sa grâce face pardo aux poures pescheurs
trespassez, amen.
Tout près de là gisait le cimetière Saint-Nicolas,
(1) Notice écrite en 1864.
J3
3b8 RUE MONTMORENCY.
qui comprenait une chapelle et que les religieux
de Sainl-Mai'tin-des-ChaiTips avaient donné à l'église
Saint-Nicolas-des-Gliamps avant que l'Hôtel-Dieu
en disposât et que les carmélites du quartier en
agrandissent leur territoire: raison de plus pour
que Nicolas Flamel et sa femme Pernelle se sou-
vinssent des morts! Mais on peut douter qu'ils
aient eu le temps de donner suite au projet d'établir
un hospice dans leur maison de la rue Montmo-
rency. Celle-ci fut laissée, avec leurs autres biens,
h l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, mais à charge
d'acquitter tant de legs particuliers qu'il ne fallut
pas moins de sept années aux marguilliers pour
les remplir. On avait soupçonné Flamel de sor-
cellerie, parce qu'il se livrait h l'alchimie, et il
passait, ti cause de sa richesse, pour avoir découvert
la pierre philosophale ; mais cet écrivain et libraire-
juré de l'université de Paris, qui, de plus, tenait
une école, n'avait fait son honnête fortune qu'au
moyen de spéculations heureuses sur les terrains,
et tous les Parisiens de la croire sans bornes,
comme sa générosité!
Le parrain de la rue n'était autre que le grand-
connétable Matthieu de Montmorency. L'hôtel
qu'y avait fait construire en la 1215'"^ année ce
proche paient, de deux empereurs et de six rois,
allié aux autres souverains de l'Europe, resta aux
connétables suivants de son illustre race. Le
maréchal Charles de Montmorency, comme otage
volontaire à la place du roi Jean, se trouvait
retenu en Angleterre quand le prêtre Velvet, muni
de la procuration du captif, et pour subvenir à
ses besoins, vendit l'hôtel h Rognes, sire de
Hangest. Seulement il ne faut pas croire, avec
Sauvai, que les .Montmorency n'en reprirent plus
possession. Messire Hangest fut nommé panetier de
France le 11 lévrier 1345, sur la démission de
Charles de Montmorency, puis créé maréchal-de-
RUE MONTMORENCY. 359
France par Jean-le-Bon, et les gages de la paneterie
furent augmentés en sa faveur ; mais Charles V
ou Charles VI en retrancha, après, 5 sols prélevés
sur chaque boulanger. La même résidence passâ-
t-elle à Guillaume de Hangest, prévôt de Paris,
Philippe-le-Bel régnant ? Cela se pouvait faire.
Toujours est-il qu'au xvi™'' siècle le connétable
Anne de Montmorency n'avait pas moins de quatre
hôtels il Paris: l'hôtel de Montmorency, rue Sainte-
Avoye, l'hôtel Rochepot, rue Saint-Antoine, l'hôtel
Damville, à la Couture-Sainte-Catherine, et celui
qui n'avait sans doute été l'objet que d'une vente
à réméré 200 années auparavant. Cet aîné de
tous les hôtels Montmorency était donné par
Anne à Charles, son troisième fils, capitaine de
80 hommes d'armes.
L'hospitalité y fut reçue par le poète Théophile,
que Boileau a daubé d'importance et dont le
frère, Paul de Viau, était maître-d'hôtel du duc
Henri de Montmorency, le petit-fils du connétable
et le filleul de Henri IV. Encore plus athée que
calviniste, Théophile ne manquait ni d'imagination
ni d'esprit ; mais des vers le firent accuser
de lèse-majesté divine et humaine ; caché d'abord,
mais condamné par contumace h être brûlé vif,
il se vit charger de fers et il n'obtint qu'avec dif-
ficulté la commutation de sa peine en bannissement
de la capitale, avant qu'il lui fût fait grâce entière ;
il avait pourtant conservé la fidèle protection du
maréchal Henri de Montmorency et touché, sans
interruption, jusqu'à la pension que lui servait
le roi. L'acharnement des poursuites s'expliquait
par le crédit de ses ennemis auprès du cardinal
de la Rochefoucauld. Mais la conduite de Théophile
laissait encore plus à désirer, sous le rapport
des mœurs et de la religion, que ses écrits, qui,
à la vérité, ne méritaient guère l'honneur de la
persécution. La renommée du poète n'était qu'à
360 RUE MONTMORENCY.
peine, de son vivant, obscurcie par celle de
Malherbe, et chez le duc, à Chantilly comme à
Paris, il avait le pas sur Mairet.
« C'était, dit Voltaire, uh jeune homme de bonne
compagnie, faisant très facilement des vers médiocres,
mais qui eurent do la réputation ; très-instruit dans les
belles-lettres, écrivant pjirement en latin ; homme de
table autant que de cabinet, bienvenu chez les jeunes
seigneuis qui se piquaient d'esprit et surtout chez cet
illustre et malheureux duc de Monlmorency, qui, après
avoir gagné des batailles, mourut ur un échafaud. »
Le protégé avait rendu le dernier soupir, à 36
ans, dans l'hôtel de son protecteur, qui n'en avait
lui-même que 38 quand le cardinal de Richelieu
se vengeait impitoyablement de sa rébellion. La
branche directe des Montmoi^ency tombait avec
la tête du rebelle et la confiscation frappait ses
biens. Nicolas Fouquet, fils d'un riche armateur,
était procureur-général ; la protection d'Anne
d'Autriche ne l'avait pas encore préposé ti J'admi-
nistration des finances lorsqu'il occupait le grand
hôtel Montmot^ency, présentement n" 5. Le petit
hôtel du même nom, que la rue séparait du grand,
porte le chiftVe 8. Il touchait tout-ii-fait ou pres-
que, Louis XIV étant déjà vieux, h l'hôtel de M. le
lieutenant-criminel, qui pouvait sortir de chez lui
par cette rue et rentrer par la rue Chapon.
Du côté de ce magistrat, mais plus loin de la
rue du Temple, les évêques de Chàlons avaient
vendu leur propre hôtel aux carmélites en 1620;
ces dames en avaient fait le noyau de leur couvent
de la rue Chapon, qui englobait une dizaine de
n*"* de la rue Montmorency actuelle, entre les rues
du Temple et Beaubourg. Il y survit non-seulement
d'anciens bâtiments du monastère, mais encore
des murs de son église, où fut inhumée la duchesse
RUE MONTMORENCY. 361
de Longueville et qui se transforma dans la suite
en salle de danse, puis en théâtre Doyen.
Le beau 28 de la rue Michel-le-Comte, 17 de
la rue Montmorency, débuta au service du lieutenant-
général Louis de la Palu, comte de Bouligneux,
longtemps colonel du régiment de Limousin, qui
périt au siège de Vérue le 14 décembre 1T04.
D'autres membres de la même îamille gardèrent
cet hôtel Bouligneux, dont l'écurie avait des stalles
pour 18 chevaux. Puis les d'Halvil, sur le plan
de Ledoux, 5n modifièrent toutes les dispositions
du côté du jardin, où une entrée de gala, avec
sa barre seigneuriale, se trouva remplacée par une
colonnade, qui ne se voit plus de la rue, mais
qui n'en sert pas ir.oins de portique démesuré à
une maison de commerce. Tl régnait en face un
grand mur ; les carmélites permirent d'y peindre
un paysage pour ajouter la fiction d'une perspective
aux charmes de la galerie couverte. Un d'Halvil
était maréchal d'Autriche et un autre était colonel
d'un régiment suisse en France, vers le milieu
du xvni*= siècle. Après cette famille arriva, dans le
même hôtel, celle du prince Esterhazy, qui représen-
tait la Hongrie au couronnement de l'empereur
François II, en 1792, et qui était ensuite ambassa-
deur d'Autriche ^ Naples, près du roi Murât.
N'est-ce pas déjà beaucoup de nobles pour une
rue dont la moitié ne dédaigna pas le pseudonyme
de Courtauvilain ? Tous les historiens de rapporter
que ses habitants signèrent et présentèrent, en
1768, une supplique pour divorcer avec ce vilain
nom, dont un meilleur parti, dit-on, avait été tiré au
moyen-âge par ses habitantes. La corruption des
mœurs en cet endroit avait été autorisée par des
ordonnances, qui en purgeaient d'autres quartiers ;
la corruption du mot Cour-aux-Viiains avait dû
être la conséquence (le l'autre. Les vilains
n'affluaient-ils pas dans notre rue, quand maîtres
362 RUE MONTMORENCY.
et garçons boulangers s'y présentaient à la barre
du panetier, ou venaient y payer des droits, dont
la noblesse était exempte? C'est entre la rue
Beaubourg et la rue Saint-Martin qu'elle n'a jamais
changé de dénomination ; mais ses plus belles
maisons toujours ont surgi dans l'autre moitié,
qui avait déjà recommencé h se nommer Mont-
morency bien avant l'époque indiquée dans les
ouvrages sur Paris. Trois curieux étaient cités
dans le Livre commode, en 1691 et 92, avec in-
dication de leur résidence dans la rue Montmorency,
et pas un rue Courtauvilain : le comte de Vaux
et M. de Crosy, en qualité d'amateurs de médailles,
et M. de Creil, comme amateur de curiosités en
général. Antérieurement encore, M. Vilain demeurait
à l'hôtel Vilain, dans la rue Courtauvilain. M. de
Mandat avait un autre hôtel, dont le jardin ouvrait
sur la même rue et la cour sur la rue Chapon.
Ce dernier reçut une lettre dont voici la suscrip-
tion : à M. de Mandat, Chapon par-devant,
Courtauvilain par-derrière. La concision de ladresse
flattait si peu le destinaire qu'il en demanda sur-
le-champ pour la rue un changement de nom, qui
lui fut accordé, malgré l'opposition du voisin qui
espérait passer pour le seigneur du lieu.
Brice, moins de vingt ans après, vantait le
cabinet d'antiquités de l'abbé Fauvel, chapelain du
roi, en donnant son adresse à l'entrée de la rue
Montmorency, et tout porte à croire qu'il sous-
entendait : ancien hôtel Montmorency. Gresset
enfin, étant déjà l'auteur de ses chefs-d'œuvre,
Vert-Vert et le Méchant, logea pour quelque temps
en la même rue, et nous pensons que c'était
n" 11, chez M°"^^ Thiroux de Lailly ou d'Arconville.
j|mc d'Arconville, femme d'un président, avait pour
beau-frère M. Angran d'Alleray, lieutenant-civil :
elle publiait des livres qu'il y avait modestie de
son fait à ne pas signer. Gresset, lorsqu'il était
RUE MONTMORENCY. 363
son hôte, pouvait prendre le titre de poète de
Paris, qui se trouvait dans les attributions du
prévôt-des-marchands et dont le traitement s'élevait
à 5,000 livres,
Le 49 novembre 1853, un incendie dévora
plusieurs des maisons érigées sur l'ancien cimetière
Saint-Nicolas, et les corps de plusieurs victimes
mêlèrent soudain leurs cendres chaudes {\ des
cendres longtemps refroidies. Une population ou-
vrière était jetée sur le pavé par ce lamentable
sinistre ; la charité avait beaucoup à faire pour
réparer le mal, en ce qui n'était pas irréparable.
Mais des spectacles se donnèrent au bénéfice des
incendiés et des souscriptions s'ouvrirent, no-
tamment chez M. Detouche, le grand horloger de
la rue Saint-Martin, qui fit tant et si bien que
M. Arnaud-Jeanti, maire de l'arrondissement, versa
au bureau de bienfaisance l'excédant du budget
du feu. Le n" 34 en était quitte pour des répara-
tions urgentes ; mais les décombres fumaient à
la place du 32, et l'on en pouvait autant dire
de plusieurs maisons de la rue Beaubourg.
Rue Richer. (i)
A l'hôtel des Menus-Plaisirs, rue du Faubourg -
Poissonnière, le Conservatoire' de la danse avait
sa place, ainsi que le garde-meuble de la Couronne.
Des garçons y battaient îi tour de bras les fauteuils
et les tapis de rechange, pour empêcher que les
vers ne s'y missent ; mais ils ne braquaient pas,
contre un autre genre d'ennemis, assez de souri-
cières. Les élèves danseuses, quand elles quittaient
la classe, marchaient encore sur la pointe du
pied, afin de laisser moins de prise, en cas de
rencontre, à quelque autre rat. Ce calembour
doit être de Cicéri, qui demeura longtemps aux
Menus-Plaisirs, comme peintre-décorateur de
l'Opéra, et qui sans doute y surprit les rapports
primitifs de rais de la danse avec les véritables
rats, auxquels ils doivent leur surnom. Aujourd'hui
ceux-ci et ceux-là se font la chasse au magasin
de décors de l'Opéra, 6, rue Richer.
La seconde porte qui vient après était franchie,
en 1841, par les amis de Berton, lorsqu'ils
rendaient visite à cet auteur de la musique ^ Aline,
reine de Golcondc. L'acteur Berton, notre contem-
porain, est fils, petit-fils et arrière-petit-fils de
compositeurs.
Le 18 était érigé, en 1793, par et pour l'ar-
chitecte Daiiiesme, qui dessina aussi l'ancien théâtre
de la rue de la Victoire et le grand théâtre de
Bruxelles. M. Ollivier succéda à Damesme.
En 1809, M. Duval acquérait du sieur Saint-
(1) Notice écrite en 18(J4.
RUE RICHER. 365
Pierre une maisonnette, que remplace le n" 1,
passage Saulnier, habité encore par M'"e veuve
Duval. La même année, M™^ Chasseraud était
propriétaire du 34, rue Richer, petit liôtel datant
de l'ancien régime. N'était-ce pas un,liôtel Johannot,
numéroté 8 sous l'Empire? Nous serions tenté d'en
attribuer l'origine à Jean-Cliar!es Richer, écuyer,
chevalier de Saint-Michel, quarlinier d'abord, puis
échevin en 1780 ; mais les Almanachs royaux
marquaient rue des Petits-Auguslins la résidence
de cet édile, qui fut aussi avocat, conseiller du
roi, expéditionnaire en cour de Rome.
D'ailleurs, Antoine Richer, fabricant et marchand
de bas au métier, avait en 1734 une maison dans
la rue du Faubourg-3Ionlmartre au lieu dit les
Pointes, et il y tenait d'une part i\ Pesty, d'autre
part h Lallemand, dans le fond aux héritiers
Boucher. L'égout de la ville baignait les Pointes
et ne marquait encore qu'étroitement la place de
la future rue Richer. Le terrain de Sébastien
Raoul, propriétaire h l'encoignure de la ruelle de
l'Égout, avait été aliéné par les chanoines de Sainte-
Opportune au profit de Gellée, en 1601 ; mais le
vendeur de Raoul était Fontaine, secrétaire du roi ;
il ne restait qu'un droit de censive ù payer au
chapitre le 2:2 juin de chaque année, jour de la
fête de sainte Opportune. Magdeleine Violle, veuve
de Saveuse, marquis de Bougainville, avait laissé
vers 1680 un terrain plus avant assis, le long du
même égout, à sa fille, veuve du comte de la
Mark, maréchal-de-camp.
L'échevin, qu'il descendît ou non du fabricant
de bas, fut parrain de la rue ; mais les fonts
baptismaux sur lesquels il la tint étaient encore
l'égORt. On ne la connaissait que comme ruelle
de l'Égout en 1738, et alors les jardins, les marais
et le peu de constructions qui y donnaient, appar-
366
RUE RICHER
tenaient à des propriétaires dont voici le tableau
complet :
Côte des numéros impairs:
La présideute Gilbert.
Le marquis de Saint-
Georges.
L'abbé Larcher.
Brière.
Saulnier.
Brière.
Les héritiers Bourgeois.
L'Hôtel-Dieu.
Raoul.
Côté des numéros pairs :
Leclerc.
Lépine ou ses hoirs.
Saulnier.
Les hoirs Tatissier, avec
Lachambre pour locataire.
L'abbesse de Montmartre-
Dru père.
Les Quinze-Vingts.
Bedan ft Saulnier.
Les hoirs Haran.
Les hoirs Cliquet.
Lanoix.
Girard.
Gaillon.
Rue Coqiiillière.
Les Hôtels de Flandre, Diipin, de SoissDns, Bullion,
Chamillard, Wiimer, Crisenoi. — La mère
Proudhon. — Le Jeu de Paume au Serment. —
1703. — Talma. — Deux Farceurs abusant de la
Réputation du Sultan. - Fleury.
L'hôtel de Flandre restait en-dehors du Paris
de Philippe-Auguste, dont une porte, la porte
Coquillière, ouvrait entre les rues actuelles de
Grenelle-Saint-Honoréet Jean- Jacques-Rousseau (2).
Coquillier, qui avait vendu l'une de ses maisons
au comte de Flandre, était d'une famille dont on
peut citer plusieurs Parisiens des wV" et xnr' siècles,
par exemple Robert et Adam Coquillier, comme
signataires de plusieurs actes, et Odeline Coquillière,
pour avoir fondé une chapelle à l'église Saint-
Eustache en 1262. Porte et rue devaient leur nom
au propriétaire Coquilliei'. Les confrères de la
Passion donnèrent pendant sept années des représen-
tations de leurs mystères h. l'hôtel de Flandre,
avant sa démolition, qui date de 1547. Sur une
portion du terrain de cet hôtel, le fermier-général
Claude Dupin eut un hôtel à deux portes, rue
Coquillière et rue Plâtrière ; il écrivait des livres,
sans les signer, avec le concours de sa femme.
L'éducation de leur fifs fut confiée quelque temps
à Jean-Jacques Rousseau, et ce grand précepteur,
dont la rue Plâtrière porte le nom depuis la
Révolution, n'empêcha pas l'élève de désoler d'abord
(1) Notice écrite en 1859.
(2) Deux rues qui n'en font plus qu'une, sous la
dernière dénominaiion. -
368 RUE COQUILLIÉRE.
ses père et mère par son inconduite. En la propriété
de Claude Diipin, une tour survivait à l'enceinte
du xn*" siècle : une exhumation postérieure a mis
à jour des antiquités romaines dans cet immeuble,
ou dans un de même provenance.
D'autre part la même porte urbaine était flanquée
d'un séjour qui, tour-h-tour, porta les dénomina-
tions de Nesles, de la Reine, de Bohême, des
Flles-Pénitentes et de Soissons. Jean de Nesles,
sous le règne de saint Louis, en fit hommage à
la reine Blanche, dont le dernier soupir s'y rendit ;
Philippe-le-Bel en gratifia Charles de Valois, son
frère ; puis Philippe-de-Valois, en 1327, c'est-à-dire
avant de prendre le sceptre, en favorisa Jean de
Luxembourg, roi de 'Bohême. La fille de ce prince.
Bonne de Luxembourg, épousa Jean de France, qui
monta sur le trône de son père, Philippe de Valois.
Le palais de Bohême, par ce mariage, revenait à la
Couronne: on y voyait clair par des fenêtres grillées
de fils d'ai'chal et presque étroites comme des
meurtrières. Son grand luxe était la sculpture ;
son jardin, pourvu d'un bassin, avec l'agrément
d'un jet d'eau, qui était alors peu commun, s'éten-
dait depuis la rue d'Orléans jusqu'il Saint-Éustache
ii-peu-près ; sa chapelle, dite de la Reine, faisait
coin sur la rue de Grenelle. La maison de Savoie,
puis la maison d'Anjou disposa du royal manoir,
qu'on se passait comme une bague au doigt ;
Charles VI le racheta, pour en faire présent à son
frère, le duc d'Orléans. Plus tard Louis XII accorda
aux filles Pénitentes une portion de ce séjour,
pour y établir leur maison ; plus tard encore,
Catherine de Médicis transféra ces religieuses rue
Saint-Denis et elle tit coniribuer les grands artistes
de son temps au rétablissement du palais, pour y
fixer sa résidence. Cet hôtel de Soissons fut légué
par la même reine à sa petile-lille, Christine de
Lorraine ; la testatrice, par malheur, avait laissé
RUE COQUILLIERE. 369
des créanciers, qui le firent vendre à Catherine
de Bourbon, la sœur de Henri IV. Thomas-François
de Savoie, prince de Garignan, fut le dernier pro-
priétaire ; ses créanciers requirent, en 1748, la
démolition du palais qui avait tant de fois changé
de mains sans déroger. M. de la Voypière, sous
Louis XVI, possédait un hôtel bâti avec les pierres
de l'hôtel de Soissons, sur un point du même sol,
à l'angle de la rue du Four-Saint-Honoré (i).
En ce temps-là M. de la Granville avait presque
en face, entre la rue du Jour et la rue Plàtrière,
un autre hôtel, que M. Aguado acquit en dernier
lieu ; François Mansart avait créé pour Charles
de l'Aubespine, marquis de Chàteauneuf, cette
résidence, passée à la famille de Laval en 1765.
En interrogeant les personnes qui habitent les
maisons édifiées à sa place, et dont l'alignement
n'a été pris qu'en 4850, mais en vertu d'une
ordonnance royale de 1847, notre éditeur a fait
la connaissance de la portière du 14, qui, lorsqu'elle
a vu jeter bas l'œuvre de l'architecte de Louis XIV,
ne s'appelait encore ni nlie ni femme Proudhon.
Aucune alliance, aucun degré de parenté que nous
sachions avec le sophiste, seul homme de talent
révélé par la rérolulion de Février, ne justifie
pareille conjoiiclion ; mais les oreilles de la bonne
femme lui tintent depuis que sa maison fut un
club, et elle raconte incessamment que si le
tumulte des frères et amis de Sobrier et de
Proudhon l'a étourdie pour le restant de ses jours,
du moins les citoyens clubistes avaient pour elle
plus d'égards et lui montraient moins d'exigences
que les locataires d'à- présent, qui sont portés k
se croire tout permis depuis qu'on augmente leui'S
loyers. En foi de quoi tout le quartier lui a voté,
à l'unanimité, le sobriquet de mê7^e Proudhon.
Une plaisanterie d'un autre genre faisait traiter
> ■ '
(1) Rue VauTilliers actuelle.
370 RUE COQUILLIÈRE.
de ci-devant liôtel de Casse-Noisette, sous le
Directoire, une propriété dont s'arrondit encore
l'angle de la l'ue du Bouloi, avec un balcon pour
ceinture, également nouée sur la rue Coquillière,
et où siégeait la iv' municipalité. Avec le temps
on a pris au sérieux la désignation de Casse-
Noisette, qui avait de quoi nous dérouter. D'ancien-
nes écuries de la maison ont été transformées,
il est vrai, en une pharmacie ; mais, au lieu de
broyer les noisettes au mcynu d'un petit étau, les
droguistes les passent au pilon, et d'ailleurs cette
pharmacie, fondée vers IToO au n" 22 de la même
rue, n'est au 25 que depuis 1804. Des pièces
inédites nous ont appris heureusement que cet
hôtel, paraissant annexé à l'hôtel de la Douane
sur le plan deTurgot, ainsi que les n°' 21 et 23
actuels, appartenait du temps de Louis XVI au
fermier-général Gigot de Crisenoi, et nous avons
deviné une corruption progressive de Crîsewoî dans
Brise-Noix, Casse-Noix, Casse- Noisette. Ce financier
était-il parent du marquis de Ghauvelin, ambassadeur
à Gênes, et de de son frère, chanoine de Notre-
Dame, siégeant au parlement ? Louis Ghauvelin de
Crisenoi, dès le milieu du xvn'' siècle, était receveur-
général des domaines et bois de la généralité de Paris.
Le Domaine de l'État n'en a pas moins pris
possession de l'hôtel Crisenoi h. l'époque révolu-
tionnaire. Puis la maison a été cédée aux héritiers
de Jacques Vaussy, en échange du Jeu de Paume
où avait commencé par un serment l'ère nouvelle
et regardé pour cela même comme un monument
national, en exécution de la loi du 23 messidor
au vu, conformément ù un arrêté consulaire du
19 prairial an ix et par décision du ministre des
Finances du 12 messidor même année. Les héritiers
Vaussy étaient les mineurs Langlois, M"'^ Molènes,
née Alison, M"« Vaussy et Angélique-Nicole Langlois,
épouse de Jacques-Joseph ïahna. Permis de croire,
RUE COQUILLIERE. 371
par conséquent, que le crédit du tragédien Talma
chez le premier-consul n'avait pas nui à la conclusion
de l'affaire qui intéressait sa femme et qui demeurait en
suspensdepuisle20juinl789. A l'audience des criées,
le 8 floréal an x, l'architecte Lemoyne se faisait
adjuger l'immeuble attribué à ladite succession,
ancien hôtel Crisenoi, dont une aile tenait alors
à Fouché et le fond à la compagnie Saint-Simon.
M. Tiolier, graveur-général des monnaies, fut. en
1808 l'acquéreur de Lemoyne.
Au-delà de la rue du Bouloi, sur la même ligne,
l'année 1705 voyait se suivre comme propriétaires :
Les carmélites (plusieurs maisons, ne comptant que
pour une encore). — Darboulin (2 portes cochères). —
M"» Felsot de la Ïour-Saiut-Wast, à l'Epée-de-Bois. —
Mm» Yvon (porte cochère), au Roi-d'Angleterre. — MUe
Pornet (porte cochère). — Dubois et consorts. —
Fleury, à l'Amandier-Fleuri.
Sur la ligne opposée, dans toute la longueur de
la rue, même date:
Chevalier (coin de la rue du Jour). — La fabrique
de Saint-Eustache. — Parquet, tapissier. — Le même,
au Grand-Apollon. — Be:rier (porte cochère). — De
la Tbouanne (porte cochère). — Dieufinois, médecin,
aui Trois-Bouteilles (coin de la rue PlâtrièreK — De
Bullion. prévôt de Paris, à la Gerbe-de-Fromer-t (autre
encoigoure). — Le même. — De Beauvais, notaire (2
portes). — De Bullion (porte cochère). — Le même.
— Le même, à Saint-Jean (coin de la rue Coq-Hérou).
— Le duc de Gesvres (porte cochère), autre encoignure.
— Le même (porte cochère). — Le même. — Le même
(simple mur). — Maio (porte cochère). — M™" Lafayette.
— Béchet. — Aubert, introducteur des ambassadeurs
(2 portes cochères). — Guyeux, procureur (coin de la
me des Vieux-Augustins (1). ) — De Beauvais, notaire
(son étude et domicile, autre encoignure). — Chevalier.
(1) En ce temps-ci rue d'Argout.
372 RUE COQUILLIERE.
L'hôtel bâti en l'année 1630, sur le plan de
Levau, pour le surintendant des tinances Bullion,
donnait aussi rue Coq-Héron, mais principalement
rue Plàtrière. Ses dépendances sur la rue Coquillière
n'étaient pas toutes du même jet. Dans cette
région, le ir 22, qui manque trop de profondeur
pour avoir surgi seul, garde un escalier à balustres
pour témoigner d'un âge plus avancé. L'hôtel
Bullion s'est consacré aux ventes publiques en
1780; mais les priseurs et les enchérisseurs n'avaient
que faire de la totalité: deux belles galeries se
convertissaient donc en une loge maçonnique et la
grand'salle servait à donner des concerts; il y avait,
en outre, des locataires. Talma lui-même demeurait
à l'hôtel Bullion lors de ses débuts aux Français.
Un petit nombre d'années après, le comité des
halles et marchés tenait des séances au ci-devant
hôtel Witmer. Ainsi s'appelait un fermier-général
dont l'ancienne propriété était sous la Restauration
au général baron do Baltus, mais s'exploitait déjà
en hôtel-garni sous le premier empire : c'est encore
l'hôtel Coquillière.
Du 29 et de cinq autres maisons à la suite furent
en possession les carmélites, qui toutefois aliénèreiit
plusieurs lots de leur couvent de la rue du Bouloi et
de la rue Coquillière, après l'avoir quitté. Ce que le
duc de Gesvres eut vis-îi-vis faisait aussi plus ou
moins corps avec son hôtel de la rue Coq-Héron,
qui fut pareillement celui de Michel de Chamillard,
contrôleur-général des finances et ministre de la
Guerre sous le même règne.
A l'ancienne Épée-de-Bois ou h l'ancien Roi-
d'Angleterre cohabitaient, en un temps moins
reculé, les filles Dumoulin et Viriville. Ces deux
impures fréquentaient, en toilettes voyantes, les
promenades à la mode ; mais une fois elles n'y
firent la conquête que de deux mystificateurs, les
RUE COQUILLIERE. 373
acteurs Musson et Dugazon, qui leur offraient, de
la part du Grand-Turc, un engagement de sérail
pour trois ans : l'un se donnait pour le médecin,
l'autre pour l'essayeur des odalisques. Rien ne
manquait plus à l'édification des deux agents
quand ils sortirent, afin de rédiger le rapport
favorable qu'attendait Sa Hautesse ; mais le secret
s'en garda si mal que, le lendemain, les deux futures
pensionnaires du harem étaient inontrées au doigt
dans le jardin du Palais-Royal, où elles n'osèrent
plus reparaître.
Le comédien Fleury avait son logement, en
l'an vni, dans une autre maison, que distinguent
sa cour illustrée de sculptures, une rampe en fer
tordu dans l'escalier et le chiffre 44 dont la porte
est guillemettée. La distinction de ses manières
à la scène, dans V École des Bourgeois, V Homme à
bonnes Fortunes et le Chevalier à la Mode, faisaient
de Fleury un modèle, tant il excellait à copier
ceux qui donnaient le ton à l'ancienne cour ! Mais
il avait failli, sous la Terreur, être traité absolu-
ment lomme un homme de condition et jouer un
rôle qu'on ne saurait répéter. Par ordre de Collot-
d'Herbois, Fleury, Larive, Dazincourt, M"^ Contât
et M"*^ Raucourt avaient été mis en jugement, à la
suite des représentations de YAmi des Lois, et
ils eussent succombé assurément si M. de Russierre,
qui ne pouvait les sauver que par un moyen de
comédie, n'avait soustrait le dossier de l'accusation
au comité de sûreté générale, dont il se trouvait
l'employé.
La rue, en fin de compte, n'a guère l'air d'être
du xn'^ siècle. Mais elle comptait sous Louis XIV
42 constructions et 17 luminaires ; c'est approxima-
tivement le même nombre qu'à-présent. Une croix
y surgissait près Saint-Eustache, au droit de la
rue du Jour.
u
iBoUleVard Contrescarpe, rue Mazei,
XAGUÈRB
Contrescarpe-Dauphine,
et rue Blainville,
NAGUÈRE
Contresearpe-8aint-illarcel. (i)
Feuillets d'histoire posthume pour les fortifications
de trois anciennes portes de la ville.
Trois voies de communication portent encore
ce nom de Contrescarpe qui nous rappelle d'an-
ciennes portes de Paris, dont elles contournaient
l'escarpe.
La porte Saint-Antoine, construite sous Henri
II et que décoraient des sculptures de Jean Goujon,
fut sacrifiée dès Tannée 1777 à la formation d'une
petite place de la Porte-Saint-Antoine, fondue depuis
dans celle de la Bastille. La mise en communica-
(1) Notice écrite eu 1859. La rue Contrescarpe-Dau-
phine était aussi imiirectement voisine de l'école de
^lédecine que lame ContresCc»rpe-Saint-Marcel du Jardin-
des-Plautes; leur accouplement, dû à l'identité d'origine
et raaiiitenu par l'ordre alphabétique, n'a été dissous
que depuis. Un médecin et un naturaliste de la première
moitié de notre siècle sont maintenant leurs patrons
respectifs. Seulement la lue Blainville a perdu ce
qu'avait la rue Contrescarpe-Saint-Marcel entre la rue
Mouffetard et la rue de Fourcy, maintenant Thouiu :
retranchement qui profite à la rue du Cardinal-Lemoine,
naguère des Fossés-Saint-Victor.
BOULEVARD CONTRESCARPE, ETC. 375
tion de la rue du Faubourg-Saint-Antoine avec la
chaussée de Bercy rétrécissait le fossé de la Bastille,
en 1781, et supprimait quelques échoppes, se don-
nant en location, pour lesquelles l'état-major de cette
place-forte se contenta d'une légère indemnité,
payée par le bureau de la Ville, L'alignement de
la rue Amelot, qui se trouvait ainsi continué, avait
reculé dans le fossé la contrescarpe du bastion
détaché de la demi-lune de la Bastille. Mais plus
encore de murailles et de fossés auraient été
impuissants à défendre la forteresse elle-même
contre le vent qui se déchaîna pour l'abattre. Il
n'en restait plus que l'emplacement, dont Charles
V avait agrandi Paris en élevant ce monument
de défense, devenu celui des lettres de cachet.
La rue sortie en 1790 de l'ancienne contrescarpe
a un boulevard pour seconde édition, corrigée
et augmentée vers la tin du règne de Louis-
Philippe par l'édilité parisienne.
Une rue Contrescarpe-Dauphine ou de Saint-
André s'était ouverte, dans la zone de l'enceinte
de Philippe-Auguste, en aile de la porte Buci;
on l'appelait néanmoins de la Basoche en 1636,
c'est-à dire trente-six années avant qu'on démolît
la porte, qui avait aussi bien cessé de s'ouvrir
et de se fermer que la porte Saint-Denis à notre
époque.
Cette rue courbe, sur le plan de 1714, accuse
10 maisons, qui sont les mêmes que de nos jours,
et dès-lors elle se rétrécit sensiblement pour se
planter, comme une corne, dans le flanc de la rue
Saint-André-des-Arts. Des fenêtres h coulisses et à
petits carreaux, voire même plusieurs œils-de-bœuf,
ne dissimulent pas que le côté droit aura quelque
chose à nous dire ; mais il semble que l'autre côté
donne à choisir le siècle, avant d'y repoiter le curieux
qui l'interroge. Par-là tournait avec la contres-
carpe un séjour de Navarre, en marge rue Saint-
376 BOULEVARD CONTRESCARPE, ETC.
André-des-Arts. Il appartint à la reine Jeanne
qui, tout en étant la femme de Phiiippe-le-Bel,
conserva personnellemeat l'administration de la
Navarre et de la Champagne, états qu'elle tenait
de son père et qu'elle délivra à main armée de
leurs envahisseurs. L'hôtel devint Buci ; mais c'est
sans doute avant que Charles VII fit murer la
porte voisine, dont Périnet-Leclerc avait livré les
clefs, par trahison, aux troupes du duc de Bour-
gogne. Celte pénitence matérielle ne fut levée
que par François l" pour la porte Saint-Germain,
anciennement Buci. Les archevêques de Lyon ne
nous semblent avoir pris possession de la résidence
qu'au XVI""^ siècle. Plusieurs maisons contiguës
à leurs grand et petit hôtels, renouvelés de celui
de Navarre, ont appartenu aux mêmes prélats.
Quelque Notre-Dame de Fourvière, devant
laquelle on se signait, rayonnait sans doute dans
la niche en souffrance du n" 11. Le 7 n'est plus
au rez-de-chaussée qu'une remise de voitures à
bras et il n'en porte pas moins la tête haute ;
ce matériel de petit roulage ne rappelle guère
que l'auberge du Cheval-Blanc, qui a gardé tout
à côté une physionomie si pittoresque, était sous
Louis XIV un point de départ et d'arrivée pour
les voyageurs, h. l'enseigne des Carrosses-d'Orléans.
Au milieu du règne suivant, le service avait déjà
dû s'améliorer; mais il y avait encore peu de
voyageurs. Les carrosses et messageries de ce
bureau desservaient Orléans, Vendôme, Bourges,
Tours, La Rochelle et Bordeaux; il partait une
seule voiture par semaine pour chacune de ces
destinations ; le prix était de 96 livres pour
Bordeaux, nourriture comprise, avec 6 sols de
supplément par livre de bagages. Des bâtiments
que vous voyez formaient leur carré sur une cour
dès l'année 1652; mais ils dépendaient toujours
de l'hôtel de Lyon, qui se maintenait principale-
BOULEVARD CONTRESCARPE, ETC. 377
ment rue Saint-André-des-Arts, d'après Gomboust.
Par contre, un plan de 1743 ne marquait plus
le même hôtel qu'en la rue Contrescarpe-Dauphine.
Le service général de la Poste aux Chevaux y
remplaçait des services partiels de diligences quand
M. de Veymerange fut nommé intendant des Postes
et Relais. L'université de Paris avait joui d'un
privilège de messageries et de postes, remplacé
en 1719 par le 28""' de ce que rapporteraient les
Messageries et Postes royales: part qui s'élevait
d'abord à 120,000 livres et qu'avait dû grossir
l'augmentation croissante du bail. Fallait-il pourtant
que M. de Veymerange gagnât de l'argent! Il
était si gros joueur que M. de Choiseul lui en
avait retiré l'emploi de commissaire des guerres;
mais la disgrâce de ce ministre avait permis à
sa victime de revenir sur l'eau et d'obtenir, avant
de prendre les Postes, jusqu'à l'inlendaiice de l'armée
qui devait passer en Angleterre. Il n'en était
d'ailleurs pas quitte avec M"'' Adeline, de la Comédie-
Italienne, â moins de 10,000 livres par mois.
Encore cette beauté à hôtel et â équipage osa-
t-elle tromper avec un maquignon l'intendant de
la Poste aux Chevaux ! Sa seule excuse était que
le protecteur n'avait pas craint de marchander,
pour le lui offrir, un attelage, qui n'avait été livré
par le fournisseur que moyennant ce pot-de-vin
en nature. Tout en taisant â Adeline l'honneur
de croire que c'était par trop cher, M. de Vey-
merange rompit net avec elle.
Les murs du fossé de Paris avaient été doubles
également et séparés l'un de l'autre par une con-
trescarpe près la porte Saint-Marcel. Messire de
Fourcy, prévôt-des-marchands, reçut en 1685
l'autorisation de débarrasser la voie publique de
cette porte, pour donner une pente plus douce
aux abords des maisons qui se comptaient dès-
lors rue Contrescarpe - Saint - Marcel et qu'on
378 BOULEVARD CONTRESCARPE, ETC.
reprit en sous-œuvre, à 15 pieds de l'ancien niveau,
en donnant une indemnité à leurs propriétaires.
Sous Louis XIV étaient aussi comblés les derniers
des fossés creusés depuis cinq siècles entre les portes
Saint-Victor et Saint-Jacques, ligne dont avaient fait
partie ceux sur lesquels régnait ladite rue.
Elle n'avait en ce temps-là que deux propriétés qui
ressortissent du quartier de la place Maubert. Nous
estimons celles qui répondent aux premiers chiffres
impairs antérieures au changement de niveau opéré
sous les auspices de Fourcy. Mais le 2, dont les
étages font nombre, a dû s'asseoir sur la pente
adoucie, ainsi que le 4 et le 6, aux constructions
basses qui servent d'ateliers.
Le côté gauche de la rue commençait, en 1663,
par les Deux-Aigles, maison et jeu de paume sous
la même clef. Venaient après les Deux-Bouteilles,
dont Michel Santeuil était propriétaire. Ensuite,
le- Puits-Tartare, à Nicolas Bouvier.
Notre n° 7 appartenait à Claude Coustellier
et se vendit plus tard, en 1740, à Baptiste
Bouille, officier, dont l'héritier fut Michel Rouillé
de Fontaine, conseiller honoraire au parlement.
Un jeu de paume y était mitoyen avec le Puits-
Tartare, au XVII I*^ siècle; mais d'autre part s'y
rattachait, à l'angle de la rue MoulTetard, le cabaret
qui avait arboré le premier une Pomme-de-Pin.
Ce tournebride, qu'on ne regardait pas comme plus
jeune que le mur d'enceinte, servait dans l'ancienne
contrescarpe de salle d'attente aux domestiques,
aux porteurs de chaise et aux montures des
personnages qui ne faisaient pas à pied leurs
visites de curiosité ou de famille au collège de
Navarre ou à l'abbaye do Sainte-Geneviève. Rabelais,
en en vantant les agréments, n'avait-il pas signé les
lettres d'anoblissement d'une taverne, deveime
bientôt celle de la Pléiade de Ronsard ? La même
BOULEVARD CONTRESCARPE. ETC. 379
invocation fut prise par d'autres cabarets, notam-
ment par celui de la rue de la Juiverie qui se
flattait de faire suite au premier, et où Racine,
Molière, Chapelle, Lafontaine se réunissaient. Une
autre buvette risquait la même enseigne à la
Vallée-de-Misère, quai de la Mégisserie : c'était la
Pomme-de-Pin des racoleurs. La bravoui-e en
bouteilles se débita aussi, du temps de Louis XVI,
chez un concie.ge du jardin des Tuileries, à
l'extrémité de la terrasse du boid de l'eau : Pomme-de-
Pin encore, Pomme-de-Pin! Et j'en passe. Étiquette,
célèbre, à coup sijr, et qui méritait d'autant mieux de
survivre aux révolutions que celles-ci ont multi-
plié jusqu'à l'abus ces sortes d'établissements, qui
tendent à devenir aussi bêtes qu'on y avait de
l'esprit quand ils restaient encore clairsemés ! De
l'immeuble s'est retranchée son encoignure, qui
n'a plus rien d'ancien que pour mémoire : une
inscription eu lettres gothiques indique exactement
la place qu'occupait le mémorable cabaret. Toutefois
le dernier exploitant de ce fonds de commerce
historique a cédé lui-même son enseigne à un
marchand-de-vin, dont la boutique se trouve en face
de l'inscription, grâce h une place qui n'a été formée
qu'en 1853. Pierre Dupont fait acte d'apparition
de temps à autre, comme un fantôme du curé
de Meudon, dans cette buvette au vin parfumé
de souvenances qui enorgueillissent le buveur
et où une toile, en regard du comptoir, repré-
sente cette porte Saint-Marcel dont nous rappelions
tout-à-l'heure l'exécution.
Le 15, qui plie sous les années, est aussi
l'endroit où fait coude l'avant-bras de la rue
Contiescarpe-Saint-Marcel, qui dépendait du quar-
tier Saint-Benoît, pour 11 de ses maisons, peu de
temps après l'aplanissemeut relatif de la voie.
Les n"' 12, 14, 17 et 19 semblent d'un âge plus
avancé que le 21, maison à quatre portes, et
380 BOULEVARD CONTRESCARPE, ETC.
que le 23, qui compte huit étages, dont cinq
d'escalier à balustres, filature de coton sous le
premier empire. A cette dernière propriété est
contiguë une maison h façade percée d'une niche ;
vers la fin du siècle précédent, un charpentier
y demeurait. Plusieurs de ces immeubles faisaient
corps, nous dit-on, avec la caserne de la rue
Neuve-Sainte-Geneviève (i), annexe de la caserne
de Lourcine ; mais on serait porté à les prendre
de préférence pour un ancien couvent, et il nous
revient d'autre part qu'une communauté de Sainte-
Perpétue a siégé par-là.
Pas moyen de dire plus au juste à quel n" de
la même rue habitait Catherine Théos, visionnaire
exaltée, dite la Mère de Dieu. Un arrêt du tri-
bunal révolutionnaire la fit exécuter avec dom
Gerle, la marquise de Chatenois et Quéviemont,
médecin du duc d'Orléans, le 27 prairial an n,
d'après M, Girault de Saint-Fargeau. Mais M.
Bouillet la fait mourir k la conciergerie.
(1) Maintenant rue Tournefort.
Rue de Coiircelles. (i)
Les Folies de-Chartres. — Autres Folies plus dissi-
mulées. — L'hôtel Choiseul-Gouffier . — L'Hôpital.
— La Princesse Borghèse. — Vers inédits. —
Delorme. — La Princesse Mathilde.
Delille a célébré en vers les charmes du parc
de Monceau, dont la dénomination rappelle seule
un château habité près de Meaux par Catherisiu
de Médicis. Les Folies-de-Gliartres, dont les fiais
étaient faits en 1778, sur le territoire du village
de Monceau, tout près de Paris, par le duc de
Chartres, prince d'Orléans, plus tard Philipiie-
Égalité, n'ont verdoyé lilléralement en ville ., ic
quand les fermiers-généraux eurent ceint Paris iiu
nouveau mur qui se convertissait en fossé .-iir
la lisière de cet enclos princier , afin de
ne pas gêner la vue, tout en gênant la con-
trebande. Terrain nu et aride, habilement tr^i us-
formé en un jardin anglais, où l'eau était amenée
(1) Notice écrite en 1859. La rue de Courrelles com-
mençait seulement à être passée au crible. Trois voies
nouvelles s'y faisaient déjà jour ; mais aujourd'hui elles
sont huit : les rues de Labautue, Rembrandt, de Lisbonne,
Muriilo. Van Dyck et de Viirny, le boulevard Hau?s-
maun, d'abord boulevard Beaujon, et l'avenue de la
Reine Hortense, d'abord boulevard Monceau. La rue
lardée par tatit de itercements s'est, de plus, élaigie
à partir du boulevard Haussniann. Le paie Monce;iii,
qui la longeait, s'est morcelé ; il n'en reste plus qu'un
tiers, maintenant livré a» public, dont la rue Van-Dyek
fait partie. Mais a'issi, dejiuis que la barrière est
recu'ée, la rue rte Courcelles qui y (inissuit ab'^orlie
la rue du même nom qui veiiait après, dans le hameau
de Courcelles, et se pouisuiton conséquence jusqu.iux
Fortifications.
382 RUE DE COURCELLES.
en abondance, et ingénieusement accidenté sur un
plan qui taisait honneur à l'imagination de l'auteur
dramatique Carmontelle, que le prince avait pour
lecteur. En parsemant de fabriques le paysage,
cet ordonnateur avait su isoler avec art, afin de
s'en montrer moins prodigue, nymphées, tombeaux,
forts crénelés, obélisques, temples, pagodes, kios-
ques et grottes. La verdure séparait un château
en ruines d'un moulin h vent hollandais, dont le
souffle faisait frissonner desvignes plantées à l'ita-
lienne. Ces amoureuses du soleil, qui l'attendaient
échevelées, en eussent mieux reçu les visites
dans le pays dont elle suivaient la mode ; toute-
fois leurs pieds frileux n'auraient pas tenu à la cha-
leur d'une pompe îi feu, qui fonctionnait plus loin pour
donner la vie de la nature aux aquarelles de l'afcum
si merveilleusement réalisé ! Les pavillons étaient
plusieurs : celui du prince, le bleu, le jaune, le
transparent, le blanc et le chinois. Un temple
de Mars et un bassin, disposé pour le bain, que
des statues décoraient, se dégageaient, comme
deux des principaux motifs, de la ritournelle des
rochers, des caveines, des pyiamides égyptiennes,
des ruines grecques et gothiques, des péristyles,
des jeux de bagues, des rivières, des cascades,
des balançoires et des jardins d'hiver. Com-
ment vous dire toutes les pièces disparues de
ce spectacle pittoresque, dont Carmontelle était
le machiniste ! Dans ce qui reste on remarque la
Naumachie, vaste bassin ovale, bordé d'une co-
lonnade corinthienne, et un autre bassin, de marbre
blanc, où figurait un charmant groupe. Houdon y
avait représenté une femme au bain, derrière
laquelle une autre femme, exécutée en plomb et
peinte en noir, figurait une négresse, tenant d'une
main une draperie, de marbre blanc également,
et de l'autre main une aiguière d'or, dont elle
RUE DE COURCELLES. 383
répandait, sur le corps de sa belle maîtresse, l'eau
qui retombait en nappe dans le bassin.
Un décret de la Convention (tloréal an n) affecta
les ci-devant Foiies-de-Chartres à divers établisse-
ments d'utilité publique. Puis on y remit quelques
jeux en vigueur, en y donnant des bals d'été,
qui ne furent pas longtemps suivis. Nfipoléon P''
gratifia de cette propriété Cambacérès, qui la lui
rendit ensuite à cause désirais d'entretien que la
jouissance en exigeait. Louis XVIIÏ la restitua à
la famille d'Orléans, qui en fut légalement pro-
priétaire jusqu'aux décrets présidentiels de janvier
1852, bien que la révolution de Février en eût
fait précédemment le quartier-général de ses
Ateliers nationaux.
Sur la rue de Courcelles, quels étaient les vi.s-
à-vis du duc de Chartres? Une tour pavoise le
jardin du 77, disposé pour un grand seigneur, qui
en fit sa petite-maison quatid les Folies étaient en
quelque chose le palais de la spécialité. La sagesse
ne passe pas davantage pour avoir séché les
plâtres d'une villa qu'habitait derniè'"ement M, Nisard,
de rAcadémie-''Fran(;aise, et que vient de réduire la
formation d'un boulevïird Monceau. Le 61, autre
cottage, fut acquis en 1848 des héritiers de
M. Daingremont, officier supérieur, par M. Artaud,
vice-recteur de l'Académie de Paris. Jusque-là rien
qui fît absolument contraste. Mais le derrière de
l'hôpital fondé en 1784 par le financier Boaujon
était loin de renvoyer aux pavillons princiers
du parc l'écho de leurs gaietés nocturnes. La
chapelle et le jardin de l'hospice y ont leurs
portes, et voilà celle d'une sorte de purgatoire pour
les dépouilles mortelles, pondant le laps où ellrs
peuvent être réclamées. Tout corps dont ne prend
souci personne est attendu dans un amphithéâtre,
où le lit de la clinique posthume est encore plus
froid que l'alité.
381 RUE DE COURCELLES.
Une succursale des écuries de l'empereur occupe
d'anciennes dépendances des FoIies-de-Chartres, où
l'on a supprimé depuis peu un corps de-garde. Là
commençait naguère la rue de Chartres, qui s'était
appelée de Mantoue depuis l'an vi jusqu'à la rentrée
des Bourbons en commémoration de l'évacuation
de cette ville par les Autrichiens (14 pluviôse
an v). Mais avant que le prince y fût propriétaire,
la rue de Chartres s'était quaiitiée chemin de
Courcelles et elle avait fait suite à la rue de
Villiers, dite de Courcelles en 1769.
Un bas-relief, qui est un antique, décore la
façade du 40 depuis que cet immeuble et le 38
font deux pour le cadastre. M. le comte de
Castellane achetait celui-ci, en 1838, de la famille
du comte de Vichy, qui lui-même l'avait acquis,
le 3 pluviôse an x, de François de Belle, général
d'artillerie, et la division était postérieure à la Ré-
volution. Tout appartenait donc, en 1792, à Jacques-
Ezéchiel de Trémouille, conseiller du roi, nommé
président de la cour des Monnaies en 1781; son
beau-père, M. d'Émery, qui était mort porte-manteau
honoraire du duc d'Angoulême, tils du comte
d'Artois, avait fait élever l'hôtel sur un terrain à
lui vendu par les héritiers de Lebouteux, maîire-
jardinier ; mais l'officier de la maison princière
n'avait pas plus habité rue de Courcelles que
son gendre, le président.
Il y a lieu de croire que leur propriété servait
aux menus-plaisirs d'un personnage qui n'appar-
tenait pas moins à la noblesse couronnée que le
prince des Folies voisines et qui avait aussi plus
d'une petite-maison. Preuve accablante : une chaise
à bascule a été retrouvée dans les greniers, avant
même que les médecins fissent usage de cette
trappe mobilière dans leur cabinet de consultations.
Fi l'horreur ! Un mari lui-même serait blâmé d'avoir
recours, ne fût-ce qu'une fois, à l'expédient de
RUE DE COURCELLES. 385
ruse et de violence qui sera permis au médecin,
pour si peu que la même pudeur en revienne à ses
hésitations du premier jour, D'Émery et Trémouille
eurent ensuite pour locataire la marquise de
Choiseul jusqu'à la mort de l'illustre duc du même
nom, ancien ministre de Louis XV, puis le marquis
de Gouffîer, mestre-decamp de cavalerie, et leur
alliance fut scellée dans l'hôtel par la signature
du contrat de mariage de la fille du marquis avec
le comte qui, sous le nom de Choiseul-Gouffier,
joua depuis !ors un assez grand rôle. Antonio
de la Cerda è Veraa, marquis de la Rosa et de
la Mota cie Treco, premier maître d'hôtel du prince
des Asturies, succéda sur les lieux au marquis
de Goutïier en l'année 1788.
La princesse Borghèse, sœur de Napoléon, occupa
sous l'Empire le même hôtel, dont l'état délabré,
en ce qui regarde le n" 38, attend encore sa
propre restauration. On y remarque une salle-à-
manger, qui a dû être tort jolie; les murs et le
plafond en revêtent un paysage sylvatique, où
des glaces figurent l'eau qui dort dans le lointain
et où des nervures capricieuses, qui parcourent
le cristal, jouent ie rôle de roseaux. Le jardin
suisse sur lequel s'éclairait la pièce a été, par
malheur, réduit et transformé en cour ; il en reste
toutefois quelques arbres. Un beau portrait de
Pauline Borghèse figure encore dans le plus grand
salon, où d'autres portraits de la famille Bonaparte
l'accompagnaient sous le premier empire ; il est
signé Goubaud et daté de 1811. Ce millésime
rappelle pourtant l'année où l'empereur exila de
la cour cette même princesse Pauline, qui avait
été loin de montrer des égards à la seconde im-
pératrice. La même date se rapporte encore à
une belle statue de Canova, modelée sur la
princesse et qui fut envoyée au prince Bor-
ghèse, en Italie : seul rapprochement que celui-ci
38i> RUE DE COURCELLES.
crut possible ! Pauline se contentait alors de cette
maison, faute de i'Élysée ; elle y recevait, comme
au château de Neuilly, des gens de lettres ei des
artistes, cour qui remplaçait l'autre, el le musicien
Blangini y charmait d'indiscrets échos. La veuve
do Mural, en 1837, revint en pi'lerinage visiter cette
habitation, qu'elle avait IVëquentée du temps de sa
sœur, Pauline; son émotion fut vive quand se rouvrit
pour elle la porte de la chambre blanche, et des
souvenirs assoupis se réveillèrent que ni l'absence
ni la mort n'avait entièrement refroidis.
Sous la Restauration et sous Louis-Philippe,
mais cl des dates ditférentes, cet hôtel de la rue
de Courceiles servait encore de séjour : à la
princesse de Cantacuzène, laquelle y épousa le
marquis de Bedniar ; à Charles Dickens, le roman-
cier anglais ; à sir Henry Lylton Bulwer, ambassa-
deur d'x\ngleterre à Constantinople, et au duc de
Cambacérès. Mais ne dii'ait-on pas que les maisons
subissent elles-mêmes une destinée? La mauvaise
étoile de celle-ci a voulu qu'un maître-de-pension en
fût dernièrement le locataire, pendant un certain
nombre d'années. Le temps n'allait pas assez vite
au gré des. jeunes élèves qui en dégradaient à
plaisir fous les ornements intérieurs. On sait cet
âge sans pitié !
Au n° 34 habite M""' Rousset, qui est nonagénaire.
Les vertus et l'esprit de cette cousine du maréchal
Moncey ont inspiré à M. de Saint-Geniès les vers
suivants :
De vous garder longtemps l'espoir nous est permis.
Pour conserver vos jours veillent des dieux amis,
L'Esprit qui, toujours jeune, est toujours sûr de plaire,
La Grâce, unie à la Raison,
L'Amitié courageuse, éclairée et sincère,
La Boulé, qu'on chérit, la Vertu, qu'on révère,
Et le Bonheur, leur compagnon.
Ces habitants de la céleste sphère
RUE JDB COURCELLES. 3«7
Daignent rarement la quitter :
Ils viennent peu nous visiter.
Ainsi, votre présence au monde est nécessaire ;
Car ces aimables dieux, pour les représenter,
Ont besoin de vous sur la terre
Et vous ordonnent d'y rester.
Or le 34, le 32 et le 30 sont un groupe de
charmants cottages tout empreints de villégiature,
occupés par >!""= la duchesse douairière de Poligiiac,
M. Edouard Thayer, sénateur, M. le comle Joachim
Murât, député, M. Ulric Gutliuguer, homme de
lettres, etc. M. le comle de Persigiiy a figuré
également parmi les locèitaires de ces villas, situées
au point de section du nouveau boulevard de
Beaujon, qui va Taire disparaître les unes et
déranger les dispositions prises par les autres.
M. Delorme a l'ait bâtir presque toute cette cité ;
le reste est de M. Belle, présentement arciiitecle du
Théâtre-Italien,
Ce Delorme, ex-avocat au parlement de Nancy,
fut pourvu, â ce qu'on dit, d'un litre de marquis,
sans le porter davantage que M. Thiei-s son titre
presque inconnu de baron, et le moyen de lui
en vouloir de cette abstention peu commune! Il
édifia en 1808 la galerie qui perpétue sou nom
dans un autre quartier el pour la construction de
laquelle il utilisa les matériaux du château de
Villegénis, qu'il jetait bas pour le refaire kneuf
et puis le vendre au prince Jérôme. L'ancienne
salle-de-spectacle de la rue de la Victoire fui
achetée en 1816 par le même spéculateur, puis
démolie et remplacée par un immeuble de grande
importance, où depuis lors s'exploitent des bains.
Il avait affiché ses opinions politiques en choisissant
son jour, le 21 mai 1815, pour otîrir à la Pairie
une rente de 6,000 francs, avec le sacrifice de sa
personne, et d'autres libéralités prouvaient que ce
galant homme était aussi un homme galant. Il
383 RUE DE COURCELLES.
résida dans le plus grand hôtel de la rue de
Cv)ui'celles, avec le marquis de Tamisier, dont il
éiuit le beau-père, et il y eut pour successeur
le, général Herrera, ex-président de la République
du Pérou. La reine-mère d'Espagne, Marie-Christine,
Cl a fait son palais sous Louis-Philippe, puis S. A. f.
la princesse Mathilde. L'immeuble avait coûté un
million à Delorme, et la reine l'avait obtenu à moitié
prix : l'empereur actuel l'eut pour 800,000 fr. et il en
dota sa cousine, qui habitait d'abord le n° 12 de
la rue.
Si nous passons ici le n° 16 et la pension y
établie, c'est que nous en avons parlé suffisamment
dans notre Histoire du Lycée Bonaparte, collège
dont les cours sont suivis par les élèves de
ladite pension.
Rue des Coutures-Saint-Gervais. U]
Les Coutures. — L'École-Centrale. — Les Mémoires
salés. — M. Le Camus. — M. de Villeroi. — La
Camargo. — L'Archevêque de Paris.
La rue des Goutures-Saint-Gervais s'ouvrit en
l'an 1620, ainsi que celle Saint-Gervais, sur les
cultures des religieuses hospitalières de Saint-
Gervais, marais qui avaient fait partie d'un clos
Saint-Ladre et de la Courtille-Barbette. Mais la
rue Saint-Gervais fut dite aussi des Morins, parce
qu'elle conduisait à des chantiers qui étaient en
la possession d'une famille pareillement appelée,
et l'autre portait en 1653 le pseudonyme de rue
de l'Hospice-Saint-Gervais.
Des hôtels de robe courte et des maisons bour-
geoises du xvii« siècle occupent tout un côté de ladite
rue ; deux de ces propriétés ont dû se rattacher,
corps-de-bûtiments latéraux, aux hôtels Caumartin
et Villedo, qui sont visibles rue Vieille-du-Temple
sur le plan dressé par Gomboust, mais que remplace
dans celui de Turgot uniquement l'hôtel d'Épernon,
De l'autre côté, un petit palais se cache, dont
le Magasin pittoresque a parlé plus sciemment que
kîs livres spéciaux sur Paris ; en celle propriété
de M, Roussilhe siège depuis 1830 l'école centrale
des Arts-et-des-Manufactures, après une pension
de l'Université. L'angle de la rue Vieille-du-Temple
conserve des pans de maison sans rapport ar-
(1) Notice écrite en 1859.
S5
390 RUE DES COUTURES-SAINT-GERVAIS.
chitectural avec les constructions de l'école Centrale,
auxquelles ils se trouvent contigus depuis la
naissance presque de la rue ; mais ils appartenaient
sans doute aux dames de Saint-Gervais plus ancien-
nement. On remarque eu effet à cette encoignure,
sur un ancien plan de Paris, une sorte de galerie
de cloître ; la chapelle du grand hôtel paraît y
occuper l'angle opposé, du côté de la rue Thorigny.
Le Tableau de Paris dû à Saint-Victor commet
une petite erreur en rapportant au coin de la
rue Culture-Sainte-Catherine l'hôtel Salé, attendu
que le voici bien, converti en école Centrale. On
a déjà décomposé le grain de sel qui lui valait
le surnom qu'il conserva jusqu'à la grande révolu-
tion, car ce n'était pas un nom propre. Le
traitant Aubert de Fontenai faisait bâtir en I606
cette maison splendide sur une portion de la culture
Saint-Gervais, et comme il en coûtait fort cher
à cet intéressé dans les gabelles, qui bénéficiait
notamment sur l'impôt du sel, il avait cherché à
s'en consoler par un bon mot : — Ah, quel hôtel salé !
Qui fuerant dulces, salibus vilianlur amans.
On ne connaît pourtant le nom d'aucun des
artistes distingués qui ont coopéré à l'œuvre.
L'entrée par la rue Thorigiiy est magistrale ; une
lielle page d'architecture sert de façade sur le
jardin, et le verso lui-même vaut la photographie.
Des colonnes corinthiennes décorent aussi les
cours ; un escalier royal est paré de sculptures
superbes ; une salle dite de Jupiter et d'autres
pièces montrent de belles peintures, parmi lesquelles
sont des originaux, tels qu'un Enlèvement cC Europe,
une Diane et un Jupiter: toutes ces merveilles
vouées à l'incognito, comme si elles revenaient
de Pompéï, nous prouvent, une fois de plus,
qu'avant le grand interrègne des traditions du goût
RUE DES COUTURES-SAINT-GERVAIS. 391
et de bien d'autres, dans notre ville, on ne comptait
pas les chefs-d'œuvre.
Cessionnaire d'Aubert de Fontenay, Le Camus
était secrétaire du roi ; il put même devenir l'un
des présidents aux Aides de sa famille, qui fournit
aussi un lieutenant-civil et un cardinal. Leur auteur,
d'abord porte-balle, avait fait de petites affaires
avant de se lancer dans les grandes : de son temps,
une Le Camus avait épousé Particelli d'Émery,
trésorier de l'argenterie du roi. Est-ce à un membre
de leur famille qu'il convient d'attribuer le chiffre
A. C, qui se répète dans l'ornementation locale ?
Des deux maréchaux de Villeroi, celui qui prit
la place du susnommé était l'époux de Marie-
Rénée de Montmorency-Luxembourg et le gouver-
neur de Louis XV.
Le comte de Melun habita, h son tour, probable-
ment l'hôtel, sûrement la rue. Il y amena, dans
la nuit du 10 au 11 mai 1728, deux jeunes
pensionnaires que l'on aurait cru d'un couvent,
mais qui l'étaient déjà de l'Opéra, bien que
victimes d'un rapt tout-à-fait pur de leur complicité.
L'aînée, qui avait 18 ans, résistait depuis quelque
temps à une passion que M. de Melun disait plus
exclusive. Cette D"'' M. A. Cuppi, dite Gamargo,
qui devint célèbre et que chanta Voltaire, avait
pour père un gentilhomme espagnol ; les premiers
galants qui s'étaient présentés avaient eu maille
à partir avec l'hidalgo, qui apprenait bon ou
mal gré à ne plus demander raison aux amants de
ses filles que du refroidissement ou de l'abandon
dont elles se plaignaient à dessein. D'après les chro-
niqueurs enragés contre la noblesse. M"*' Caraargo
avait quitté tout de suite l'hôtel de Melun avec
indignation ; mais il ne serait pas impossible
qu'elle eût pardonné jusqu'à un affront indirect,
en demeurant plus longtemps encore la maîtresse
392 RUE DES COUTURES-SAINT-GERVAIS.
du champ-de-bataille que celle du vainqueur par
surprise. Ne remarquez-vous pas que l'A et le C
pourraient être les initiales de cette victime
consolée? D'ailleurs, plutôt que de souffrir une
injure sans réparation, elle-même mettait les armes
à la main. Quelque mâle que fût h l'occasion le
courage de cette amazone de l'Opéra, elle avait
aussi le cœur tendre ; mais quand elle aimait
réellement, c'était k l'espaguole. Son prince du
sang, car il en faut bien un à une princesse de
théâtre, fut Louis de Bourbon-Condé, comte de
Clermont. Le président de Rieux figura aussi au
nombre des amants attitrées de la Camargo ; mais
elle lui préféra si ostensiblement le chanteur
Jélyotte que le rival sacrifié en reprit sa poulette
Mariette. La retraite commença pour la danseuse
en 1751, avec 1,100 livres de pension.
Si c'est bien le boudoir de la Camargo qui
devint le cabinet de M^' Lecierc de Juigné,
auchevêque de Paris, quel contraste ! Le grand
hôtel se transforma incontestablement, mais pour
peu de temps, en palais arcbiépiscopal dans l'une
des dix dernières années de l'ancienne monarchie.
L'escalier fut tendu en velours, couleur de pourpre,
comme dans l'attente d'une dignité de plus pour
le prélat, que Pie VT ne fit pourtant pas prince
de l'Église. Du passage de Sa Grandeur, pour si
honorable qu'il fut, les œuvres d'art ne gardent
que trop de traces ; des artistes promenèrent, par
son ordre, le bout de leurs pinceaux sur les
nudités de la peintuie, pour y tendre une gaze
pudique, voile abaissé par d'impérieux scrupules
avec des regrets transparents, mais que l'art en
demi-deuil porte comme un crêpe ! En sa qualité de
député, M. de Juigné assistait à l'Assemblée des
États-Généraux du 24 juin 1789, à l'issue de laquelle
on cribla sa voiture de pierres. Le marquis de
Clermont-Saint-Jean, à la famille duquel il était
RUE DES COUTURES-^AINTGERVAIS. 393
allié, l'accueillit en Savoie quand les mauvais jours
devinrent pires.
Dans l'hôtel s'entassaient alors des livres qu'on
avait pu sauver de la bibliothèque du ci- devant
archevêque et de celles de plusieurs couvents du
quartier. Ce dépôt ensuite se versa h la Bibliothèque
de la Ville.
Rue du Croissant, (i)
Les Falots de VOpéra. — M. David. — Les Colbert.
— L^ Hôtel de Mars. — Maison Badin. — Ce
quêtait la Rue avant 1739. — 1760. — Le
Tripot. — V Hôtel d'Avaux. — Le Cimetière. —
Molière et La font aine.
Le théâtre de l'Opéra, pour lequel fut construite,
sous le règne de Louis XVI, la salle de la Porte-
Saint-Martin, donnait alors des bals comme à-
présent, amusants d'une autre manière, mais n'en
ayant que plus de raisons d'être ; moins animés,
mais tout aussi coliue ; moins petite Bourse des
amours, car l'oftVe y devançait la demande, la
grande affaire étant de plaire et de se faire regretter
tin courant ! Tiipot de galanteries clandestines,
où le bon mot, le rire et le sourire, ces trois
signes de belle humeur, servaient de fiches h
marquer les points ; où l'enjeu profitait de l'in-
cognito du masque pour grossir ou pour s'amoindrir
à volonté ; où les parties se jouaient toutefois au
pair, avec les mêmes règles des deux paris, après
que les cartes eussent été bien mêlées de ce qu'on'
nommait encore les bonnes fortunes ; où enfin le
caprice et l'esprit luttaient à l'aventure contrôles
réputations toutes faites, dominos diurnes qui
donnent le change, autant que les dominos du
bal, sur le mérite personnel ! Ce n'était pas le
samedi, c'était le dimanche qu'avait lieu le bal de
l'Opéra, toutes les semaines, depuis la Saint-Martin
jusqu'à l'Avent et depuis le jour des Rois jusqu'au
()) Notice écrite en 1859.
RUE DU CROISSANT. 395
carême, outre les jeudi, lundi et mardi-gras. On
y allait masqué ou non ; le prix d'entrée était de
6 livres ; les portes s'ouvraient à 11 heures, elles
se refermaient à 6. Les carrosses de maître, les
fiacres et quelques chaises h porteurs faisaient
bien sentinelle dehors, pour protéger à la sortie
contre la fraîcheur matinale l'ivresse qu'avaient
produite les intrigues, la raillerie, le rire, la
chaleur, la poussière et un va-et-vient prompt à
changer de bras, de conversation et d'illusion. Il
y avait aussi à la porte, comme à l'issue de tous
les spectacles, un certain nombre de falots. On
appelait ainsi des porteurs de lanternes numérotées,
qui se chargeaient, quand manquaient les voitures,
de reconduire les gens à domicile, jusqu'au palier
de l'étage qu'ils habitaient, moyennant une rétri-
bution variant selon l'heure et la distance.
Un de ces officieux lampadaires, en ramenant
rue du Croissant, par une nuit du carnaval, M. David,
un chevalier de Saint-Louis, ancien gouverneur-
général des îles de France et de Bourbon, l'escorta
ponctuellement jusqu'au seuil même de son apparte-
ment, accepta sans réplique une pièce de 24 sols.
Le lendemain seulement, M. David, bien que son
âge tournât le dos à celui des étourderies, s'aperçut
que sa montre était restée dans les mains du falot,
qui l'avait aidé au départ à se draper de son
manteau, et le froid ou la mauvaise humeur,
peut-être aussi le contre-coup de quelque déception
au bal, l'avait empêché de prendre garde au numéro
de la lanterne. De courir néanmoins chez son ami
le chevalier Duboys. commandant de la garde de
Paris et chevalier du guet. — Mais, mon cher,
lui dit celui-ci, le mal est sans remède. Je ne peux
pas faire arrêter tous les falots, pour en pendre
un que tu ne sais pas désigner, el les bourgeois
attardés m'en voudraient si j'allais les priver, ce
soir, de leurs réverbères ambulants. — Avoue
396 RUE DU CROISSANT.
plutôt, reprend le plaignant, que tous ces porteurs
de lanternes sont des espions de police qu'on
ménage. Pourquoi ne pas les choisir honnêtes? —
Tu en parles à ton aise, réplique alors le chevalier
du guet ; mais où trouver un honnête homme qui
se fasse mouche par dévouement?
L'ancien gouverneur colonial, victime de cette
petite mésaventure, possédait un fort bel hôtel.
Il était d'une maison anoblie à Salins, ou d'une
maison du Midi de laquelle faisait partie Alexandre-
Alphonse-Joseph, dit le marquis de David, fils
de David, comte de Saint-André, puis de Beau-
regard, et dont les armoiries à allusion biblique
comportaient une harpe d'or, avec ces mots :
Mémento nomine David. Par contrat du 30 décembre
1770, Jeanne David, fille du gouverneur, avait
épousé Louis-Henri-François comte de Colbert,
lieutenant aux gardes-françaises, puis lieutenant
du roi au comté de Nantes et second fils de
François Colbert, marquis de Chabanais, mort
maréchal-de-camp en 1765. Il est probable que
le père de la comtesse avait connu le marquis
de Beauharnais, gouverneur et lieutenant-général
pour le roi de la Martinique et autres îles ; ce
qui put valoir dans la suite à sa famille la protection
de Bonaparte, pour rentrer en possession de cet
hôtel et d'autres biens confisqués à l'époque de
la Révolution. Pourtant Stofflet, qui avait été le
garde-chasse d'un des frères Colbert, demanda
lui-même, pour faire sa paix avec la République,
en 1794, que son ancien maître recouvrât ses
héritages légitimes ; de plus, presque tous les
petits-neveux du ministre de Louis XIV servirent
vaillamment l'Empire. L'un des cinq héritiers de
Jeanne David, veuve du comte de Colbert, s'appelait
Pierre-David de Colbert, lieutenant-général des
armées du roi ; un autre, Louis-Pierre-Alphonse
de Colbert, passa maréchal-de-camp en 1814.
RUE DU CROISSANT. 397
Quant à l'aide-de-camp de Napoléon I", qui le
fut ensuite de Louis-Philippe, il occupait encore
sous la Restauration l'hôtel qui a gardé son nom
et que, pour mettre ordre à ses affaires, il vendit,
en y demeurant comme locataire. Le baron Louis,
ancien ministre, occupait un appartement sous le
même toit. Dans cet immeuble, que mesurent
deux escaliers à ferrures de l'autre siècle et qui
replie chaque matin sur lui-même les deux battants
d'une porte colossale, fut fondé un journal, dont
le premier numéro parut le 15 juillet 1836 ; la
présente notice sur la rue du Croissant voit le
jour dans cette feuille, le Siècle, dont les bureaux
sont encore là, ainsi que ceux du Charivari.
Un sieur Duval était propriétaire, avant la fin
du règne de Louis XV, des constructions auxquelles
ont succédé, aux n°' 12 et 14, l'immeuble où s'im-
prime la Patrie. M. Preissac de Marestang, dit le
vicomte d'Esclignac, époux de Charlotte de Varagnac
et fils du marquis de Gardouch, disposait de la
maison voisine au même temps ; l'enseigne de cet
hôtel de Mars, à l'usage des voyageurs, remonte
nécessairement a une époque où l'école romantique
des poètes et des peintres n'avait pas rendu le paga-
nisme ridicule : les dieux et les demi-dieux qu'on
invoque depuis lors ne sont-ils pas encore plus
ballottés qu'autrefois, mais sont élus à d'autres
scrutins ?
Un gros propriétaire, M. Badin, signe aujourd'hui
les nombreuses quittances de loyer du 8, où
M""^ Bouillet a précédé le sieur Cadet, dans le
siècle d!avant, à l'enseigne du Nom-de- Jésus,
laquelle était aussi celle d'un magasin de nécessaires
tenu dans la galerie de Valois par le même Badin
sous la Restauration. La demi-lune ménagée
à l'entrée de cette ruche de petits ménages est
marquée sur le plan de 1739, où la maison figure
avec jardin, mais où n'est nullement indiquée
398 RUE DU CROISSANT.
l'échancrure pareille de l'hôtel Colbert. Les plans
des années 1707 et 1717 ne fortifient eux-mêmes
la rue qui nous occupe que d'une seule de ces
innocentes demi-lunes, facilitant dans les rues trop
étroites la circulation d'une voiture. Gomboust, en
1652, ne fait voir qu'un jardin, suivant le cours de
la voie à une distance suffisante pour que des mai-
sons le précèdent ; mais celles-ci ne sont nullement
accusées. La rue portait déjà, l'an 1612, son nom,
qui lui ^-enait d'une enseigne ; les livres sur Paris en
conviennent, mais leurs découvertes se restreignent,
rue du Croissant, à ce trop peu de documents.
Pour en vérifier la valeur, nous avons comparé
l'enceinte de Paris sous Charles V à celle de
Paris sous Henri IV, et le fait est que le sol de la rue,
laissé hors de ville par la première enceinte, y
fut incorporé par la seconde.
Voici, du reste, quels étaient les propriétaires
de notre rue, du côté de celle des Jeûneurs, il y a
à-peu-près 150 années:
Claude de Mesmes. comte d'A vaux, marquis de Givry,
trois maisons, dont il avait occupé au moins une. —
Ferdinand. — L'abbé Diitot. — Caboué, propriété ayant de
la profondeur. — M'^" de la Haye. — Perrichoo. grande
propriété. — La Suze. — Fouei, brodeur. — • M^e Bouillet.
— Dezègre, marbrier-
Dès 1739 étaient en façade sur la voie, tels que
nous les voyons encore, les n"' 1, 2, 3, 4, 5, 6,
7, 8, 10, 16, 18, 20 et 22. Los sieurs Cardinal et
Desnoyers payaient, un peu plus tard, droit de cens
à l'archevêque de Paris pour le 6 et le 4, actuelle-
ment divisés en deux petits hôtels-garnis, et pour
le 2, dont le devant est vieux et bas avec une
grande porte. Le 1 et le 3 sont le flanc gauche
du ci-devant hôtel de Chalabre, mis en loterie
sous la Révolution et qui donne rue du Sentier.
Le 5, fier d'une rampe en fer, d'un mascaron et
RUE DU CROISSANT. 390
d'une prestance qui sent toujours le tiers-état,
appartenait à un bourgeois, le sieur Guyot, et logea
Baculard d'Arnaud, grand romancier, qui épousait
en 1767 M"« Chouchou, marchande de modes. Le
7, ouvrant rue Saint-Joseph, a gardé à ses fenêtres
les grilles d'appui du temps de M. de Varagnes,
dont la propriété formait équerre sur un jardin,
remplacé aujourd'hui psr une maison moderne.
A l'encoignure de ce n° 7 commence l'élargisse-
ment de l'ancienne ruelle du Croissant, notre rue.
Le président Massu, contemporain de David,
avait le n° 18, qui devint, sans qu'il y fût pour
quelque chose, un tripot où se jouaient la belle
et le biribi. M. de Pressigny, fermier-général,
était le second voisin du président ; mais on
entrait dans sa propriété principalement par la
rue des Jeûneurs. Quant à l'ancien hôtel d'Avaux,
immeuble en partie double, il appartient en ce
temps-ci à deux propriétaires différents, bien que
l'issue en soit une. Il y avait déjà division en
1769, car le fond appartenait à M. Gamont et
le devant, faisant angle, h M. Zilgens, dit Eclair,
qui eut pour héritier son fils, un avocat au par-
lement. Un café se tient à ladite encoignure depuis
assez longtemps; lorsqu'on en refit la devanture,
en 1852, on retrouva intacte, sous la boiserie,
une affiche qui annonçait encore, mais un peu
tard, une vente pour l'un des premiers jours de
1784. Sur M. de Manneville, émigré, fut saisie
la portion de cette propriété que M. Gamont
avait eue. Or damoiselle Charlotte-Jacqueline-Fran-
çoise de Manneville, cousine de la duchesse de
Rochechouart, avait épousé, en l'année 1754,
Colbert, comte de Maulevrier ; cette comtesse de
Colbert était de la famille des Manneville, gouver-
neurs de Dieppe. Il vivait, d'autre part, un Jean-
Robert Gosselin de Manneville, chevalier de Saint-
Louis, en 1766.
400 RUE DU CROISSANT.
Il n'y a plus que deux immeubles à caractériser
par des révélations sur leurs antécédents. M. de
la Planche en était propriétaire à l'autre coin
de la rue Montmartre. A l'église Saint-Eustache
appartenait le cimetière Saint-Joseph, qui venait
après. Moyennant échange, le chancelier Séguier
céda, en 1625, à Saint-Eustache, dont il était le
premier marguillier, un grand terrain de la rue
du Croissant à celle Saint-Joseph, où il fit cons-
truire une chapelle, dont il posa, seulement quinze
ans après, la première pierre, bénite par le curé
Etienne Tonnellier. Médiocre était l'architecture
de cette petite église, qui n'avait ni fonts baptis-
maux ni saint-ciboire ; mais, si l'on n'y baptisait
pas, en revanche &n enterrait des morts à l'ombre
de son édifice, qui, avant d'être jeté bas, devint
le chef-lieu d'une section pendant la République.
La dépouille mortelle de Molière reposait dans
ce cimetière, en vertu d'un permis d'inhumation
signé en 1674 par M. de Harlay, archevêque de
Paris ; on croit même qu'à côté de Molière gisaient
les restes de Lafontaine, ce qui depuis a été
contesté. Néanmoins, avant d'établir le marché
Saint-Joseph à la place de l'église et de l'asile
mortuaire du même nom, l'autorité chargea des
commissaires de relever les cendres des deux
poètes, qu'on déposa au musée des Petits-Augustins
et qu'en 1816 on transféra au Père-Lachaise :
muette odyssée, qui ne séparait pas les deux
compagnons de voyage ! La mort accouplait
deux grands noms, conviés ainsi que l'un par
l'autre au banquet de l'éternité, ici-bas promise
au génie comme aux âmes dans un autre monde.
Rue Croix-des-Petits-Champs.
Comment se rajeunissent les Maisons. — Le Bureau
de Z'Union, — Le Moulin. — 1710. — Hôtels. —
Malherbe. ■ — Hôtelleries. — Le C^ de Lussan. —
Le Duc de Gesvres. — La Plaisante du Roi. —
Le Ministre de la Marine. — M^'^ d'Étiolés. —
Les Maisons de Filles. — Les Luthiers. — Guer-
hois. — Les Petites- Affiches. — 1780. — La Croix.
— Le Corps-de-Garde.
On a fait fi de l'amidon en poudre, dont la
neige cachait celle des années sur la tête d'un
père, quand elle s'accommodait comme la tête de
son fils, qui lui-même eût paru trop jeune à ne
pas suivre cette mode. L'usage de se poudrer ten-
dait pourtant à établir l'égalité de l'âge, qui serait
plus précieuse que toute autre. Les femmes à cet
égard ont presque toutes un esprit révolutionnaire.
Les maisons qui, comme elles, cherchent à se
rajeunir, commencent aussi par la tête. Ne se
coilfent-elles pas d'un ou de plusieurs étages qui les
grandissent, sans recourir aux échasses ? Fort
heureusement M. Rousseau, qui, rue par rue,
mesure toutes les façades, croit ne blesser aucune
bienséance en nous dénonçant celles qui portent
perruque.
Par exemple, on a surchargé une maison fort
originale, au coin de la rue de la Vrillière et de
la rue Croix-des-Petits-Champs ; autrefois elle finis-
sait au second étage, dont le joli balcon borde
les bureaux de Y Union, feuille à la rédaction de
laquelle nous ne sommes pas toujours étranger.
Le ministre Portails ayant constitué un majorât
iOÎ RUE CROIX-DES PETITS CHAMPS.
appelé à se perpétuer dans sa famille, cette pro-
priété y est inféodée. Le plan, exécuté dès 1733,
en avait été donné par Pierre Desmaisons, chevalier
de Saint-Michel, memhre de l'Académie ; mais Leduc,
son confrère, était auparavant propriétaire au même
endroit. Hébert disait de la maison dans VAimauach
de Paris pour l'année 1780 : « Elle forme une
encoignure en tour ronde accompagnée de deux
trompes ; la proportion de son ordonnance et la
hardiesse de sa construction ont mérité l'approba-
tion générale. »
La rue Croix des-Pelils-Champs, ainsi nommée
dès le xiv^ siècle, ne s'était prolongée jusqu'à la
place des Victoires, quand le maréchal d'Aubusson
de la Feuillade avait créé celle-ci, qu'en prenant
de son côté la dénomination d'Aubusson, qui ne
dura pas. En 1615 un moulin évoluait encore
entre la rue Coquillière et le sol de ladite place
occupé par l'hôlel d'Émery ; l'ancienne butte de
ce moulin, au lieu de s'aplanir, servit de niveau
à une élévation de terrain qui, comme toujours,
causa des préjudices, en encaissant le rêz-de-
chaussée des maisons d'alentour et en laissant
planter comme dans un grand fossé le jardin du
Palais-Royal.
TABLEAU PRESQUE COMPLET DES PROPRIÉTAIRES VERS 1710.
à partir de la place des Victoires.
Crozat, à l'angle de la place. Legras, banquier, à l'angle
Darboulin, marchand de vins; de la place.
suivant la cour, 5™e maison
venant alors après la rue
Coquillière.
Legrain, hôtel du Dauphin.
De Voiseuon, gentilhomme
de la cbauiLre, hôtel de
Provence, porte cochère.
Leduc, architecte, deux
maisons, la seconde au
coin de la rue de la
Vrillière.
Rouillé, l'ermier des Postes.
Boissière, à l'enseigne des
Trois-Bouteilles, second
RUE CROIX-DES PETITS-CHAMPS.
403
Thuillier, médecin, deux
portes cochères.
De Vo;senou, coin de la rue
du Bouloi.
Paul Poisson de Bourvallais,
autre coin de la rue du
Bouloi
Le même, hôtel de Bourbon,,
corn de Ja rue du Pélican.
Les Quinzo-Vingls, autre
coin de la rue du Pélican.
Leseot, à l'image du Chef-
de-Cerf.
Pallu.
Moulle, au Soleil-d'Or, porte
coctière.
Lebel, à la Couronne-de-
Diamans.
Nolain.
coin de la rue Baillif.
De Maupeou, immédiatement
après le susnommé.
Bouquant.
Daumesnil.
Veuve Leroux-Selliei.
Véron.
De la Guillaumie, deux
maisons.
Ranchin, deux maisons.
M'se de Gourneray, avec
sortie rue Neuve-des-Bons-
Enfants(l).
Colbert de Maulevrier.
Le chapitre de l'église Saint-
Honoré, propriétaire de
tout ce qui séparait de
la rue Saint-Honoré la
maison précitée.
En cette nomenclature ne peut figurer que sous
un autre nom l'ancien hôtel de Bazin de la Bazinière,
trésorier de l'hpargne, près la rue du Bouloi.
Item l'ancien hôtel d'Aubray, imputé en 1664 ii une
rue des Petits-Champs qui pouvait être celle à la
Croix : d'Aubray, lieutenant-civil, avait le malheur
d'être le père de la marquise de Brinvilliers.
L'hôtel du Hallier-L'hospital avait certainement
appartenu à la rue Croix-des-Petits-Champs ; mais
il n'était plus porté qu'au compte de la place des
Victoires. Malherbe était descer:du en l'année 1606
à l'auberge de l'Image-Notre-Dame, près l'hôtel de
la Bazinière : Henri IV, bien que ce poète eût
servi dans la Ligue, le pensionnait.
Un siècle et demi plus tard, la rue donnait aux
voyageurs le choix entre quatre hôtelleries, des-
quelles deux étaient tenues par des loueurs de
cari^osses. Cabaret et Francien, hôtel d'Anjou et
hôtel de Bourbon ; l'un de ces établissements
exploitait les anciens bureaux de la compagnie du
(1) Présentement rue Radzivijl.
lOA RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS.
Sénégal, maintenant hôtel de la Marine, où une
rampe en fer tordu aide à monter de plus an-
cienne date encore. Dans la même rue était le
café Allemand.
Le fermier-général des Postes n'entrait dans son
hôtel de la Vriilière, actuellement occupé par la
Banque-de-France, que par la rue de Vriilière et
par celle des Bons-Enfants.
La famille de Lussan avait son grand hôtel au
n° 38, trop bien remis à neuf depuis onze ans
pour qu'on y revoie une lâche d'huile qu'avait
faite, disait-on, dans un accès de mauvaise humeur
le grand Colbert, en renversant sur le plancher
la lampe du comte de Lussan, attaché au prince
de Condé. La même maison fut dite du Lombard,
à cause d'un mont de 3Iilan, bureau de prêt sur
gages qui s'y tenait. Tripier, avocat estimé, l'iiabita
ultérieurement et la laissa à ses héritiers.
L'ancienne porte de derrière du couvent des
carmélites de la rue du Bouloi est près et facile
à reconnaître. Sandrier des Fossés avait en 1780
l'une des deux maisons y attenantes.
Le 35, oùs'exposela montre d'un chemisier, paraît
avoir passé lui-même une gigantesque chemise de
gala dans sa cour brodée de sculptures. Elle faisait
partie du trousseau de luxe qu'apporta en sa rési-
dence le duc de Gesvres, gouverneur de Paris,
qui ne ferma pas la corbeille sans y mettre les
armes du roi, à titre de premier gentilhomme de
sa chambre. L'écu est visible encore, mais privé
de signes sur la porte, et une ancre de vaisseau,
dont l'avait surchargé en 1750 une compagnie
d'assurances, a été radiée également. On eût pu
rehausser ces armoiries d'un cornet à dés et d'un
jeu de cartes, les ducs de Gesvres n'étant que
trop brelandiers. L'un deux donna au comédien
Poisson en location son hôtel de la rue Neuve-
RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS. 406
Saint-Augustin, avec une permission de jeu. Un autre
se trouvait-il beaucoup plus étranger h l'exploitation
d'un tripot, que la police dépista dans cet hôtel
de la rue Groix-des-Petits-Champs, où il pouvait
être né, mais qu'il n'habitait plus étant lui-même
gouverneur de Paris. Celui-là aimait fort à rire ;
son dos était chargé d'une bosse, qui lui fit dire
au peuple, un jour d'émeute : — Mes amis, personne
plus que moi n'a à se plaindre des abus féodaux.
Du vieux balcon fleurdelisé qui régnait sur la
cour, n° 31, il ne reste déjà plus qu'une moitié,
qui va être sacrifiée à l'établissement de magasins.
Un escalier à jolie rampe y survivra, dans le
bâtiment du fond, ressortissant à la rue Neuve-des-
Bons-Enfants, et aidera encore à reconnaître une
maison bâtie, disent les actes, pour une des plaisan-
tes d'Henri IV, qui en fit don aux religieuses de
Crécy. Elle entrait il y a 120 ans dans la famille
qui en jouit maintenant.
Le hasard seul n'a pas groupé plusieurs com-
pagnies maritimes et une auberge de la Marine en
notre rue si, comme une tradition l'affirme, ce
département ministériel a siégé au n° 27. Aujourd'hui
c'est l'hôtel du Levant, qui ouvre encore par une
belle porte à clous et dont les chambres ont con-
servé des dessus-de-portes peints et sculptés,
auxquelles conduisent des degrés protégés par une
belle ferrure du même âge.
L'exhaussement du sol nous explique les vestiges
de peintures adhérentes aux caves du 25. Pour
que son joli balcon n'ait pas l'air d'être descendu
d'un étage, faut-il que l'auteur des raccords ait
eu du talent ! Cet immeuble adjugé au citojen
Marck, le 18 prairial an ni, et pourvu alors d'un
jardin, avait été l'hôtel du lieutenant-général
Scepeaux, marquis de Beaupréau, mari de M"*' Duché,
père de la comtesse de la Tour-d'Auvergne. Néan-
moins il s'y ajoutait, vers la fin du règne de
26
406 RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS.
Louis XVI, aux grandes maisons de banque et de
commerce déjà créées dans le quartier, celle de
M. Rougemont.
La propriété adjacente fut vendue par M Mallat,
gendre de Tripier, au baron de Nivière, avant de
passer au père Brion, loueur de voitures. Au
commencement de l'Empire on y dînait chez le
traiteur Barbet.
On avait dîné de même au 24, durant tout le
demi-siècle qui venait d'échoir : il s'y tenait une
table-d'hôte h 32 sols, le prix moyen de ce temps-
là, mais avec des appartements qui ne coûtaient pas
toujours moins de 400 livres par mois. C'était le
premier local de l'hôtel de Bretagne, qui n'a eu,
vers 1803, qu'à traverser la rue pour passer au
second. Un roman avait fait descendre Faublas à
cet hôtel, qui n'avait rien d'imaginaire, puisque
nous en donnons aussi l'adresse. Deux des fils du
marquis de Juigué, colonel du régiment d'Orléans,
tué à la bataille de Guastalla, et qui furent députés
aux États-Généraux, comme leur frère, l'archevêque
de Paris, donnaient à bail cette propriété avant
que la Nation se l'appliquât. Un écusson ovale,
en marbre noir, portant en lettres d'or l'enseigne
de l'ancienne hôtellerie, y a été exhumé de notre
temps, puis une borue lîeurdelisée, d'une époque
plus reculée. Aussi bien un passage usuel semble
creusé sous le bâtiment du milieu pour relier le
premier au troisième ; ce tunnel entr'ouvre le cer-
cueil, pour ainsi dire, d'un rez-de-chaussée, qu'on a
enterré vif en élevant ses abords jusqu'à la place
des Victoires, et qui s'est transfoi mé en un premier
berceau de caves, tout en gardant le niveau du
jardin du Palais-Royal. Un escalier de palais, tout
en pierre et carré, bien conservé, et des mansardes
sur la rue, qui semblent avoir servi de modèle à
celles du château de Gliantilly, font remonter à
la fin du xyi*^ siècle cette ancienne résidence de
RUE (ÎROIX-DES-PETITS-CHAMPS. 407
l'abbé de Saint-Honoré. L'hôtel, il est vrai, devint
laïque au point de servir de berceau à de royales
amours. Les premiers rendez-vous de Louis XV et
de la future marquise de Pompadour avaient lieu
rue Croix-des-Petils-Champs ; une publicité ménagée
par des indiscrétions graduelles préparait pour
M'"* d'Élioles la succession de M""' de Châteauroux :
le roi entrait à l'hôtel de Bretagne par une porte
de la rue Neuve-des-Bons-Enfauts, et comme djeux
de ses courtisans le suivaient, il n'en fallait pas
davantage pour qu'on attendît à Versailles la
nouvelle favorite qui faisait antichambre.
Un ordre moins relevé de galanteries avait sa
chancellerie chez la Gourdan, qui ne demandait
qu'à en multiplier les chevaliers, avec des récidives
et des variantes d'accolade. Il faut croire que cette
entrernetteuse, qui habita la rue, avait l'air d'une
femme honnête ; on l'appelait ordinairement la
petite comtesse. Elle roulait une fois dans un
fiacre, que bouscula le carrosse de l'évêque de
de Tarbes, et le prélat n'hésita pas h offrir une
place auprès de lui à la dame qu'il avait versée
et qui, n'en souffrant déjà plus, demandait à re-
prendre la course qu'un accident venait d'interrom-
pre. M»'' la conduisit donc chez Beudet, secrétaire
de la Marine, à l'hôtel Praslin, où il l'aida, de sa
propre main, à mettre pied à terre ; mais cette
courtoisie fit tellement rire des gens qui étaient
dans la cour que l'évêque s'en tint là. D'autres
prélats, à ce qu'on osait dire, auraient plutôt
laissé la petite comtesse sur le pavé que de lui
parler en ville, tant ils la connaissaient chez elle !
Certaine M""" d'Oppy, que son mari, ancien grand-
bailli d'épée de Douai, avait fait mettre à Sainte-
Pélagie, prétendait elle-même n'avoir été chez la
Gourdan qu'en la prenant pour une femme de son
rang. Plus prudente que sa cliente, la matrone
avait disparu ; on la condamna par défaut à être
408 RUE croix-des-petits-chàmps.
promenée sur un âne monté k rebours; mais
elle finit par purger sa contumace et, , comme
ses livres étaient en règle, un acquittement s'ensui-
vit. La même affaire avait maintenu pour quelque
temps deux entremetteuses moins heureuses dans
ledit lieu de correction. Notre vieille drôlesse
fit enfin banqueroute au mois de mai 1778, et c'est
le moment où deux personnages différemment
connus sautaient le même pas : le principal
du' collège du Plessis et le bourreau. La Delaunay,
qui eut aussi de la notoriété dans la partie, prenait
la suite des affaires de la Gourdan, qui avait eu,
dans la rue même, la Vaudry pour rivale. Nous
cruyons que le gynécée de celle-ci a efféminé le
n" 26, dont la porte bâtarde annonçait la discré-
tion d'un escalier peu clair et dont le balcon
se préiait aux œillades. L'autre avait plus l'air
d'un hôtel et se disait maison du Grand-Balcon:
n'était-ce pas le 16?
Néanmoins cette voie publique avait une spécialité
musicale et presque éolienne, comme quartier-
général des luthiers, lorsque la harpe faisait fureur.
Les facteurs d'instruments ::e l'ont pas entièrement
quittée ; mais on chercherait en vain dans une
des maisons de rapport édifiées par le chapitre
de Saint-Honoré, maintenant le n° 11, une boutique
de luthier que, du temps de Grétry, tout Paris
connaissait : un mécanisme à musique y faisait
danser des violons en montre. On remarque, par
exemple, au S^ un magasin de layetier-emballeur,
portant le millésime 1740. Est-ce par modestie
qu'aucune date ne s'affiche chez le successeur de
Guerbois, pâtissier, dont le renom pour les pâtés
se constatait déjà par une note dans une édition de
Regnard, contemporaine de cet auteur du Distrait ?
Une ancienne galerie, dont la balustrade surmonte
encore une porte et deux boutiques, fait soupçonner
le 16 de mauvaises mœurs dont, après tout, il a
RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS. 409
pu rester pur : pas d'autre preuve ne se relève à
sa charge. Il s'y tenait plus sûrement, au com-
mencement de la Révolution, le bureau des Petites-
Arches de Ducray-Duminil. L'arrestation de ce
publiciste, qui succédait à l'abbé Auberl depuis le
15 septembre 1790, fut provisoirement décrétée
le 14 nivôse an n, parce qu'il avait inséré
l'annonce d'une vente à faire en assignats
démonétisés ; par bonheur, il sut exciper de sa
bonne foi et revint en liberté rue Groix-des-Petits-
Champs. Dans cette feuille, fondée en 1612, l'abbé
Aubert donnait encore des fables et Demoustiers
des épîlres ; Ducray-Duminil avait l'un et l'autre
au nombre de ses collaborateurs pour une partie
littéraire, que les annonces depuis ont envahie.
Rappelons encore que le marquis de Vérac était
propriétaire de l'ancien hôtel de Bourbon avant la
Révolution. La rue du Pélican, qui touchait h
cette maison, n'avait été qualifiée que trop gauloi-
sement Poilecon au xni*^ siècle.
Que si les lecteurs nous permettent de les
renvoyer pour le cloître Saint-Honoré rue des
Bons-Enfants et rue Saint-Honoré, nous allons
être au bout de notre rouleau pour la rue qui
devait, son nom à une croix placée à l'angle de
la rue du Bouloi et à des champs, extrci-muros
pour l'enceinte de Philippe-Auguste. Un corps-de-
garde, qui marquait encore, rue Croix-des-Petits-
Champs et rue Saint-Honoré, la place d'une ancienne
barrière des Sergents, n'a été démoli qu'en 1805.
Rue de Lille et Quai d'Orsay, (i)
Satisfaction donnée, en ce qui regarde deux voies
publiques, à un besoin prévu dès 1787.
Dans le Provincial à Paris paraissait en 4787
cet avis de l'éditeur :
« Nous supplions les acquéreurs de vouloir bien faire
écrire leurs noms sur le tympan des principales portes
d'entrée, et de ne pas souffrir qu'on en efface les
marques indicatives, telles que les armes, les numéros,
etc. Ils ne sauraient imaginer avec quel plaisir un
étranger, un Parisien, un homme de lettres, se prome-
nant dans Paris, s'arrête pour les lire. Comme ces noms
sont plus ou moins connus par-des faits historiques ou
des anecdotes intéressantes, sur-le-champ on se les
rappelle ; et cette galerie d'hôtels sui.erbes, décorés
chacun d'un nom illustre ou remarquable, inspire du
respect pour k-ur maître et une sorte de vénération
pour leur demeure. »
A cet appel, qui fut mal entendu, la rué dans
laquelle nous entrons eût pu répondre par des noms
historiques, dont la liste n'a fait depuis que croître
et embellir. Mais il est pi^obable qu'une inscription
révélait les écuries de S. A. R. la comtesse
d'Artois, Marie-Théièse de Savoie, dans la mai.son
venant la première à gauche. Édihée pour M. Pidoux
dès les commencements du règne de Louis XIV,
(1) Notice écrite en 18(51. Le quai d'Orsaj- n'avait
encore pour affluent ni l'une des extrémités du boulevard
Suint-Gerraain ni la rue Solférino, deux voies qui
traversent la rue de Lille.
RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY. 411
elle devint, sous le premier empire, l'hôtel de
M. Real, préfet de police, qui avait été procureur
au Châtelet, accusateur public el procureur delà
Commune ; puis cela fut le chef-lieu de la l'"'-" Divi-
sion militaire. Le général de Muy, voisin de Real,
avait eu pour prédécesseurs un Créqui et un
Montmorency ; sa famille avait résidé à l'autre
extrémité de la rue, laquelle recevait autre part
des voyageurs à l'enseigne des Armes-de-Mont-
morency dès 1768.
Une église, qualifiée sur le plan de Gomboust
aide de Saint-Suipice, a été remplacée par une
belle gentilhomnière de ville, où le comte de
Lauragais, duc de Brancas, cultivait alternativement
les lettres et les sciences. Ce grand seigneur ne
se partageait pas moins sous un autre rapport :
impossible à M"'« de Lauragais-Brancas d'en garder
le plus petit doute le jour où un carrosse lui
apporta des bijoux et deux enfants, contenant et
contenu que Sophie Arnould renvoyait à la femme
pour mieux rompre avec le mari, de qui elle
tenait tout cela. Le coupable, à son retour de
Genève, constitua 2,000 écus de rente, dont le
contrat ne fut accepté par sa complice que sur
les instances de la femme légitime, qui n'en fut
pas quitte pour si peu ; elle se jeta, de guerre
lasse, dans un couvent quand il y eut réconcilia-
tion entre la maîtresse et l'amant. Au oi-devant
hôtel Lauragais, n" 19, s'est casée la librairie
Treuttel et Wurtz sous la Convention. Dès-lors le
21 avait été gagné à la loterie. Trois ci-devant
hôtels de Grillon, du Chayla et de Béthune étaient
et sont encore un peu plus loin. On avait contîs-
qué sur les chanoines de Saint-Honoré les
premières maisons que vous voyez sur la même
ligne après la rue du Bac. L'une de celles-ci n'est
donc pas la maison Weber, dont s'enrichissait la
rue de Lille en 1801 et dont nous tenons le plan,
412 RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY.
dù à Jacob, avec 4 croisées au rez-de-chausée,
plus la porte-cochère, et 5 croisées à chacun des
3 autres étages.
M. Mandat, colonel de la garde nationale, qui
fut assassiné le 10 août 1792, et dont on condamna
la nièce à mort rien qu'en mémoire de son oncle,
demeurait immédiatement après la rue de Poitiers.
Un Monaco de Valentinois y avait succédé au
maréchal de Maillebois, petit-fils de Colbert. La
marquise Desmarets de Maillebois avait acheté en
1739 de la présidente Baudoin et de son fils,
seigneur de Pommeret, ayant pour locataire le
marquis de la Fare. L'emplacement avait été vendu
en 1700 par la veuve de Pages, maître-des-
requêtes, à l'architecte Prédot, bailleur du prési-
dent Baudoin.
La propriété contiguë fut donnée, en 1706, au
président Duret par le même Prédot, auteur pro-
bable de sa galerie h double rangée de colonnes.
Courcillon, marquis de Dangeau, cet auteur du
Journal de la cour h qui Boileau dédia sa satire
sur la noblesse, y coulait ses derniers jours avec
sa seconde femme, Sophie de Loewenstein, nièce
du cardinal de Furstenberg. Leur petite-fille,
Sophie de Courcillon, veuve de deux ducs et
pairs, un Picquigny et un Rohan, vendit, dans le
cœur du xvin*' siècle, à Legendre, comte d'Onzem-
bray, lieutenant-général. La société de M'"" de
Montesson et de M""' de Genlis fut représentée
ensuite, k l'hôtel Dangeau de notre rue, par le
comte de Nansouty.
Un hôtel subséquent a passé, sous Louis XV,
du marquis de Mouchy au marquis de Carvoisin, et
un autre était successivement Stonville, Rouault,
Puységur : propriétés aujourd'hui divisées en amont
de la rue Bellechasse. En aval, si nous côtoyons
ce qui reste de la même rive en ne remontant
qu'au règne de Louis XVI, nous avons à recon-
RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY. 413
naître : — un hôtel de Périgord, occupé plus tard
par le général Klein, et que nous croyons avoir
été acquis, vers 1812, par la veuve du général Hoche;
— un hôtel de Salm-Kirchbourg ; — un hôtel de
Gramont, qui peut élre l'immeuble que, de nos
jours, M. le duc de Maillé tient de sa belle-mère,
M"* d'Osmont ; — un petit hôtel d'Humières, qui
porte ou a porté le chiffre 73 ; — un hôtel Lafayette,
plus récemment d'Harcourt et puis Grillon ; —
enfin la résidence du comte de Muy, maréchal-de-
France, qui accepta le portefeuille de la Guerre,
après l'avoir refusé de Louis XV. On avait redouté
à l'hôtel Forcalquier, devenu de Muy, la coterie
du Salon-Vert^ bureau d'esprit qui avait inspiré à
Gresset l'idée de sa pièce, le Méchant, en lui
fournissant des modèles à choisir. Un ou deu^
des hôtels que nous précitons avaient dû être le
petit hôtel du Maine, puis de Bombes, sur le jardin
duquel fut percée la rue de Courty, vers 1780,
par Gourty, De Romange et G'''. Le maréchal
d'Estrées n'avait été propriétaire que du terrain
de celui donnant à la fois rue de l'Université,
rue de Bourgogne et rue de Lille, alors Bourbon.
Non-seulement celle-ci se prolongeait jusqu'à la
rue de Bourgogne depuis 1704 ; mais encore elle
aboutissait au Cours, avant que le prince de Condé
fît exécuter par Belisart des changements et augmen-
tations considérables au Palais-Bourbon, dessiné
par Girardini en 1721 pour la duchesse de Bourbon,
mais continué par Lassurance, Gabriel père et
d'autres architectes. Get agrandissement avait re-
porté le palais de la rue Bourbon à celle de
l'Université, en transformant son autre façade sur
le quai d'Orsay, dit encore de la Grenouillère, et
en convertissant l'hôtel de Lassay en petit Palais-
Bourbon. Lors de la prolongation de la rue.
Boucher d'Orsay, prévôt-des-marchands, avait posé
la première pierre du quai, dont les travaux,
414 RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY.
bientôt interrompus, ne traînèrent pas moins que
ceux du palais : un instant repris en 1769, ils ne
le furent tout-à-fait qu'en 1808. La rue, dans son
premier parcours, s'était ouverte sur le grand Pré-
aux-Clercs, dès l'année 1640, sous le patronage de
Henri de Bourbon, abbé de Saint-Germain-des-
Prés. Force étant de changer son nom en 1792, on
en profita pour consacrer le souvenir de la résis-
tance des Lillois aux Autrichiens. jMais les con-
fiscations faisaient subir d'autres changements
encore à la rue, qui presque entièrement retournait
à l'État. Nous venons d'en suivre le courant ;
remontons en changeant de rive.
Les propriétaires y étaient, ainsi que sur le
quai, du temps de la duchesse de Bourbon et de
M. de Lassay :
M. Leclerc, maison et pré en feB-à-cheval sur le
Cours. — M. le C^» de Lassay, — S. A. S. M"» la
duchesse. — M. le maréchal d'Estrées. — M. le duc
d'Humières. — Mgr le duc du Maine. — M. de Torcy.
— M. Bonnet sur la rne et le sieur Tripet sur le quai.
— M"»» la princesse de Conti, avec dis chantiers sur
le quai. — M, de Mascany, l'tem. — M. le M'» de la
Vrillière — M. de Bellisle. — MM. Delaunay et Collo.
L'hôtel d'Estrées passa à M. de Salles, puis au
comte de Bentheim, dont les ancêtres avaient été
feudataires immédiats de l'empereur d'Allemagne,
mais qui tut obligé en 1753 d'engager son domaine
princier au Hanovre. Au n" 96, démembré de l'hôtel
Bentheim, la maréchale Lobau avait dernièrement
pour lit mortuaii'e son ancien lit nuptial, qu'un demi-
siècle n'avait pas changé de place.
Masséna, duc de Rivoli, prince d'Essling, que
la campagne d'Italie avait fait surnommer à juste
titre Enfant chéri de la Victoire, mourut le 4
avril 1817 au n° 94, qui est de la même origine.
L'ambassade de Parme avait occupé l'autre hôtel
RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY. 415
OÙ M. de Vogué succède au prince de la Trémoille,
et qui n'en a pas moins été Bentheim ; seulement
l'envoyé de Parme avait, par exception, son en-
trée par le quai d'Orsay, où la plupart des autres
propriétaires de la rue Bourbon, jusqu'à la
rue du Bac, n'alignaient que des jardins.
Du crayon de Mollet sortit l'hôtel d'Humières,
qui nous rappelle un mai'éclial de France, ami.
de Louvois, courtisan zélé de Louis XIV. Toutou
partie en devint Montmorency, refait par Des-
maisons. M"'' Clairon, tragédienne qui avait quitté
sa principauté de théâtre pour partager celle du
margrave d'Anspach, près duquel l'avait remplacée
lady Clarven, mourut octogénaire en 1803 au petit
hôtel d'Humières, en regard du grand. Etienne
écrivit même des mémoires sur M"* Clairon dans
cette maison, où il avait pris un logement. Le
conventionnel Germain, qui perdit la raison avant
la vie, préccdja le maréchal Mortier, duc de
Trévise, au grand hôtel d'Humières. On sait comment
fut célébré en 1835 l'anniversaire des journées de
Juillet par la machine infernale de Fieschi : elle
n'épargna les jours du roi qu'en enlevant le maréchal
Mortier, alors ministre de la Guerre.
Le prince de Dombes eut de son père, le duc
du Maine, entre M. de Montmorency et MM. de
Béthune-Charost, un grand hôtel, aujourd'hui
disparu, que de Cotte avait dessiné et que le
ministre au département de la Guerre a occupé
sous Napoléon P''.
Deux autres contigus furent l'œuvre de Boffrand
et au service de plusieurs héritiers de Colbert,
dont la bibliothèque s'y conserva assez longtemps.
L'un s'appela Seignclay, comme le fils aîné dudit
ministre, et d'Ancezune, comme son petit-neveu
par alliance ; l'autre Torcy, comme son neveu
direct. Ce marquis de Torcy avait déjà joué un
grand rôle diplomatique alors qu'il acheta, en 1714,
416 RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY.
l'hôtel que l'architecte s'était d'abord réservé pour
lui-même, et c'est là qu'il laissa sa veuve : le duc
d'Ancezune était leur gendre. Néanmoins M. de Lam-
bert et la famille Bélhune-Charost furent propriétaires
à la place occupée par le marquis de Seignelay ou
par M. de Torcy, et la duchesse de Mode ne
locataire. M™^ de Tencin y fit les honneurs du
salon où le système de Law compta ses premiers
adhérents, et d'autres souvenirs pèsent sur la
chambre à coucher de cette femme d'esprit, auteur
du Siège de Calais. Ses appartements furent plus
tard occupés par le prince Eugène de Beauharnais,
puis par le maréchal marquis de Lauriston, petit-
neveu du financier dont les premières actions y
avaient été souscrites.
M. le duc de Noailles a pour prédécesseur, aux
68 et 66, le maréchal Ney, qui y reçut des visites
de l'empereur Alexandre. Des du Roure y vivaient
en 1T86. Ne traitait-on pas encore de Vil'eroi, à
cette époque, un hôtel contigu à celui de Saisseval,
qui l'était à celui de Salm? Le marquis et le
comte de Saisseval servaient comme capitaines de
cavalerie : leur façade à péristyle de six colonnes
regardait la rivière.
Quant au petit palais du prince de Salm, on en
était aux bas-reliefs, on y mettait la dernière
main : cette œuvre de Rousseau présentait vsur le
quai d'Orsay un avant-corps demi-circulaire, décoré
d'un ordre corinthien, et sur la rue une porte en
forme d'arc-de-triomphe à colonnes ioniques, pres-
que en face d'une maison au même propriétaire.
Ayant dissimulé ses sympathies pour les idées nou-
velles, M. de Salm surprit la cour de France, qui le
comblait de ses faveurs, en passant dans les rangs de
la Révolution, d'abord en Hollande et puis à Paris,
où il commandait un bataillon de garde nationale. Il
lui en coûta la vie ; mais sa seigneurie immédiate
de prince Allemand n'était pas encore médiatisée.
RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY. 417
Le nommé Lieutraud, dit marquis de Boisregard,
fut arrêté comme faussaire, dans l'ex-hôtel de
Salm, dont il s'était rendu propriétaire, avant que
M"^ de Staël y présidât, pendant le Directoire, un
conciliabule politique, auquel Benjamin Constant
prenait déjà part. On en fit en 1802 le palais de
la Légion-d'Honneur.
Le palais du conseil d'État et de la cour des
Comptes, commencé sous le premier empire pour
le ministère des Affaires-Étrangères, s'est achevé
sous le règne de Louis-Philippe. Il n'y avait déjà
plus de gardes-du-corps à la caserne du quai
d'Orsay, substituée aux anciennes remises des
voitures de la cour ; mais Visconti avait déjà orné
ce quai d'un nouvel hôtel du petit format, le 34.
Le maréchal de Bellisle, petit-fils du surintendant
Fouquet, s'était fait dessiner par Bruant fils un
autre hôtel, à escalier de palais, à façades enrichies
de balcons, de balustrades et de vases jusqu'aux
combles ; puis il était mort sans enfants, ou du
moins après ses enfants. Les Praslin ayant pris
la place du maréchal, la duchesse de ce nom laissa
un testament, en 1784, par lequel, eu léguant ses
biens aux héritiers du prince de Soubise, elle
deshéritait ses enfants, comme étant ceux d'une
femme de théâtre qu'on avait substitués aux siens ;
le fait est que M, de Praslin, qu'elle laissait veuf
et que l'académie des Sciences avait pour membre
honoraire, était lié depuis un demi-siècle avec
M"'' Dangeville ; mais on cassa le testament. Le
comte Démidoff résidait dans l'hôtel au moment où
il fut vendu à la comtesse d'Harville, née d'Alpozzo,
c'est-à-dire sous le Consulat, et bientôt ce fut la
demeure d'un sénateur, le général d'Harville ; M. de
Lépine prit ensuite possession, avant d'être fait
pair-de-France; enfin la Caisse d'amortissement et
des consignations acquit et s'installa. Un changement
de dispositions ne rend encore méconnaissable
41H RUE DE LILLE ET QUAI D'ORSAY.
ni sur le quai ni sur la rue l'extérieur de cet
édifice, à la hauteur duquel ne s'élevait plus aucun
train de maison privée, et l'administration publique
a jusqu'au bout donné le bon exemple, en faisant
inscrire sur la porte de la rue de Lille ces deux
dates : 1720-1858.
Le 54 appartient également à la Caisse. M. de
Praslin en avait fait lui-même son majeur hôtel,
par voia d'acquisition, et y avait formé une galerie
de peinture. Mais Robert de Cotte, conseiller du
roi et architecte de l'Académie royale, avait construit
cette maison à ses propres dépens, ainsi que celle
du coin de la rue du Bac, qui a été hôtel d'Har-
court alors que par-derrière M. de Chastelux
occupait la première maison du quai. Dans celle-
ci, le peintre Robert Lefèvre, dont le talent et
la raison, sous le coup du plus vif chagrin, par-
tageaient l'exil de ses augustes protecteurs, a fini
déplorablement en octobre 1830. Dans celle-là,
quilti^e par les d'Harcourt, le maréchal Jourdan a
demeuré.
Carie Vernet, au n° 36, avait l'ancien atelier de
Lebel, dans un ancien hôtel Grillon, vraisembla-
blement un de ceux qu'avaient édifiés les religieux
Ihéatins. L'hôtel-garni de Laon, qui s'était exploité
près de là au siècle dernier, n'avait pas plus de
profondeur ; mais d'autres maisons, encore plus
rapprochées de la rue des Saints -Pères, allaient
de la rue Bourbon au quai des Théatins (Voltaire),
qui lui était parallèle entre les rues du Bac et des
Saint-Pères. Tel était un hôtel d'Ancezune, près
le dépôt de la Guerre ; telle une maison que
M. Pierre Salle payait 218,000, livres, en l'année
1752, à la veuve de M. Tliiroux d'Arconville, née
Darlu, et qui tenait d'une part à l'hôtel de Ruffec,
d'autre part à une maison prise en location par
le comte de Jarnac.
Le monastère des Théatins, fondé par le cardinal
RUE DK LILLE ET QUAI D'ORSAY. 419
Mazarin, était également double en profondeur.
Les fidèles y entraient à l'église Sainte-Aune, objet
des libéralités d'Anne d'Autriche, par une maison
de la rue Bourbon à trois étages et à deux
fenêtres par étage, faite ou plutôt refaite sur le
plan de Desmaisons. C'est aujourd'hui une hôtel-
lerie, sur la porte de laquelle n'a pas cessé de
trôner un ange sculpté dans une gloire, mais
auquel un bras manque. Les religieux de ce cou-
vent, seul de son ordre en France, étaient il y a
cent ans au nombre de 24, frères compris. Les
novices y payaient pension sur le pied de 4 ou
500 livres par an, à moins que le sujet obtînt
par son mérite d'en être dispensé, et le noviciat
durait 16 mois, dont 4 de postulance. La Révolu-
tion a transformé l'église des théatins, Sainte-Anne,
en une salle de spectacle, où il ne s'est pourtant donné
que des bals, puis en un café des Muses, démoli
sous la Restauration.
Une petite niche à Notre-Dame fait encore vis-
à-vis à une grande en ces parages, où le temps
paraît se mesurer sur le cadran solaire et légendaire
du n" 14, qui défle bien le passant de savoir
littéralement l'heure qu'il est :
Dum petis, illa fugit.
Rue de Verneuil. (^)
1640. — Cette année voit tailler dans le grand
Pré-aux-Clercs la rue de Verneuil, en même temps
que celle Bourbon (Lille). Elles se partagent
en véritables sœurs le nom de Gaston-Henri de
Bourbon, duc de Verneuil, abbé commeudataire de
Sainl-Germain-des-Prés, et si l'une de ces rues
jumelles rappelle au titulaire d'un des plus riches
bénéfices de France que son père fut Henri IV,
l'autre l'empêcherait au besoin d'oublier qu'il a perdu
depuis sept ans sa mère, la marquise de Verneuil.
Il s'en est même fallu de peu que celle-ci n'ait
mêlé, dans les veines de son fils, le sang de la
branche des Valois h celui du premier Bourbon,
pour le rendre encore plus royal : elle est bien
la fille de d'Entraigues, gouverneur d'Orléans, et
de Marie Touchet ; seulement celle-ci, avant que de
passer M"'« d'Entraigues, a été la maîtresse de
Charles IX. Avec ledit duc de Verneuil s'enterre
son titre en 1682 ; mais la d'jchesse de Verneuil,
fille du chancelier Séguier, mère de la duchesse
du Lude et belle-mère de la duchesse de Sully,
devient princesse du sang à titre de veuve, cin-
quante après la mort de la marquise qui lui vaut
cet honneur tardif, et les prérogatives y attachées
ne finissent pas pour elle avec la vie. dans sa
SS"*" année : le roi prend le deuil pour 15 jours !
Hôtel de Saint-Thierri. — Un disciple de saint
Rémi de Reims et un évêque d'Orléans ayant
sanctifié le nom de ïhierri, nous n'avons pas
donné la préférence à ceux de Saint- Thiry et
(ij Notice écrite en 18G1.
RUE DE VERNEUIL. 421
Saint- Di/fry, qu'attribuent aussi des titres manus-
crits à un hôtel de la rue de Verneuil. Suzanne
Aubert, veuve Lecamus, l'achète en 1715 de M. de
Montgeron et le revend en 1736 à Hébert, comte
de Ferrières.
Académie Dugast. — L'année 1713 voit Pierre
Catinat acquérir de Georges Roize, au second coin
de la rue des Saints-Pères, une maison tenant
à l'académie du sieur Dugast, qui deviendra royale si
elle ne l'est pas encore. Les institutions (^e ce genre
sont des écoles oii l'équitation fait le fonds de
l'enseignement, bien que d'autres leçons soient
données à leurs académistes, jeunes gens de bonnes
familles. Les étrangers qui voyagent pour s'instruire
autant que pour leur agrément, prennent encore
pied-à-terre dans ces académies, bien que la mode
commence à passer d'en faire ainsi d'honnêtes
hôtelleries, qui procurent tout-desuite des relations
et rendent moins indispensables les lettres de re-
commandation. Celle de la rue de Verneuil doit
des succès à un attrait particulier ; l'auteur du
Séjour de Paris, paru en 1727, nous le dit en
ces termes :
< La fille de Dugast a 18 ans et fait le manège d'une
façon admirable. Je l'ai vue en présence du cardinal
Bentivoglio et en d'autres occasions faire tous les
exercices à cheval ; en quoi elle surpassait de beaucoup
tous les écoliers qui avaient appris déjà longtemps au-
près de son père. »
Un Parvenu. — Bragouse, natif de Montpellier, est
entré en qualité d'aide chez un chirurgien-barbier
de la rue de Verneuil, près d'un hôtel qui appar-
tenait à la marquise de Glérambault et que son
entrée principale enrôlait dans la rue Saint-Vincent,
ou de l'Université; mais il a épousé une blanchis-
seuse et puis le système de Law l'a enrichi.
Bragouse achète donc une charge de trésorier de
27
422 RUE DE VERNE UIL.
la maison du roi, puis devient fermier-général.
Chemin faisant il se montrait peu délicat sur le
choix des moyens, que la Un justifie en ne le
rendant pas plus scrupuleux.
1750, — A cette date, on distingue rue de
Verneuil :
Les hôtels de Morveau (nos 1, :] et 5 actuels) et de
Gamaches, antérieurement Pidoux (n» -2;, l'acailémie
royale de Dugier (no« 13 et 15), les hôtels de la
Gtiistade (no 30), d'Aiguillon (u» 33) et d'Avejeaa (nos 53
et bT>
Quel est M. de Moiveau ? Un président. Que
rappelle le nom suivant, outre les noces de
Gamaches? L'académie des Sciences, à cette époque,
compte parmi ses membres l'abbé Étienne-Simon
de Gamaches ; Louis XIV a choisi un officier du
même nom pour accompagner le duc de Bour-
gogne, et M"'« de Gamaclies, femme d'esprit liée
avec M""* de Longueville, a vécu ses quatre-vingts
ans; sans compter qu'il y a eu, sous Charles VII,
un maréchal-de-Fiance Rouault de Gamaches.
Dugier, successeur de Dugast, forme comme lui
des gentilshommes. M. de la Guistade siège au
parlement de Paris. Vigncrot du Plessis, duc
d'Aiguillon, dont la fortune a commencé sous les
auspices de M'"'' de Chàteauroux, devra d'entrer
au ministère k la disgrâce de M. de Choiseul
et aux bonnes grâces de M""" Dubarry.
1785 — Côté gauche: — Hôtel de Bouville, qui
est Fancienne académie Dugier et Tune des mairies
t'ulu'es du Xe arrondissement. — Hôtel de Monlche-
vreuil, 4'»« porte avant la rue de Beaune. — Hôtel de
Cély-d'Astorg, qui- a été d'Aiguillon. — Hôtel de
Moutesquiou, un peu plus haut. — Hôtel de Mont-
boissier, dit aussi d'Avejeau. — Côté droit: — Hôtel de
Bercheny (où se trouve de nos jours l'intendance
militaire de la 1'» division).
RUE DE VERNEUIL. 423
Une collection de plans, que visitent les amateurs
à l'hôtel de Cély-d'Astorg, a été réunie par
Desmaisons, l'un des architectes du roi. L'abbé de
Montesquiou, qui habile la rue de Verneuil, sera
député aux Etats-généraux et deviendra, au retour
des Bourbons, ministre de l'Intérieur, duc et l'un
des quarante. Les Bercheny, originaires de \a
Hongrie, servent en France depuis le règne de
Louis XIV et y sont à la tête d'un régiment de
hussards, qui s'appelle comme eux. Les connais-
seurs n'ignorent pas de quels tableaux se compose,
à côté de l'hôtel Bercheny, le cabinet de M. Goupry-
Dupré, greffier en chef des présentations du
parlement. Les deux dernières propriétés de la
rue sur cette ligne ont été vendues par Antoine
Quinquevoy, sieur d'Olive, à François Coupry-
Dupré en 1736. Un almanach et une gazette de
1807 annoncent qu'au même endroit « on voit
la collection de gravures de l'histoire de France,
chez Soulavie, ex-ambassadeur en Suisse. » Ce
prêtre marié, qui se réconcilie sous l'Empire avec
l'Église, a été résident de la république française
à Genève et partisan compromis de Robespierre.
Des mémoires importants, tels que ceux de Saint-
Simon, mais encore incomplets, ont pour éditeur
Soulavie, auteur lui-même de travaux historiques.
&iiio 8s9iiïi->Aiitir<3«iles>Ai*ts«(i]
/,(.' C'/o.f df Laas. — L'Eglise. — Ducange fils. —
Le Collège d'Aiitun. — M. de Monthnlon.
■-- Billaud-Varennes. — André Duchcsne. —
M. Uoulxrd. — La O^^^'' de Bon amour. — Chérin.
— L'hù el de Nevers. — Le Confesseur Sainfe-
Bei're. — L'hôtel de Lyon. — La Porte de Bnci.
— Le Ptiktis d'Orléans. — L'Abri-Cotier. —
LiU! 11.1,1 lie, TiUemoni. — Coe'mis. — Jacques de la
Gnesli-'. — Les C^'^^ de Châ'.eauvieux et de Villayer.
— Le Papier et les Livres. — Les Traiteurs.
Le Pâtissier. - L'Hôtel de Sai:it-Aignan. —
La Maison de Jeu.
Le clos de Laas, qui appartint à l'abbaye Saint-
Germain-des-Près, n'était déjà plus un vignoble
inhabité quand l'abbé Hugues en aliéna une bonne
partie. C'était en Fan 1179, et le commencement
de l'an 1000 avait vu ériger en église un oratoire,
à l'entrée d'une rue Saint-Germain qui traversait
l'ancien clos. Saint André, patron de l'église, et
de nombreux marchands d'arc, ses paroissiens,
la lirent appeler Saint-André-des-Arcs. Désinence
modiliéc ensuite par l'usage et par égard pour les
niaîtres-ès-arts dont les collèges voisins étaient la
péj)inièi'c. La rue a perdu récemment une vingtaine
do maisons, par lesquelles commençait son ordre
numérique; lâchons donc d'indiquer autrement que
par des chilTres, inévitablement appelés à reculer,
la i)lacc des immeubles qui vont nous occuper.
La seconde façade encore debout du côté gauche
ylj Nutice éciile en lH(il.
RUE SAIXT-ANDRE-DES-ARTS. 4-25
a fait partie d'uii hôtel de la Verrière, avant que
le propriétaire y fût Durresiie, seignet!'.' du Canine,
président-trésorier do France et lils de riiislo'ieii-
glossateur Ducange.
Sur l'autre ligne, un pou avant. la l'uc Gi!-lo-
Cœur, il subsiste une ou deux dos huit maisons
qui appartenaient au collège d'Aulun, dont nous
parlions déjh rue de rHiromlcHe. Une d/'cJaralion
passée le 6 décembre 1710 par Fourot, prèlreet
principal, Escomel, proviseur, Robert, Gaclion,
Teissier, Badon, Pajot, Glouton, Laurent, de Sainl-
Priest, Savoye et Clia|)uys, boursiers, rappelait (pie
ces maisons élaient exemptes de cens par suite
d'amortissement, à l'exception d'une seule donnant
sur les deux rues de l'Hirondelle el Saiiit-Aiulré-
des-Ârts, h l'enseigne du Ciieval-Noir.
Après la rue Gît-le-Cœiir, ancien logis de l'un
au moins des Monlholon, père et ills, (lui furent
gardes-des-sceaux au xvi" siècle. Le premier avait
plaidé, comme avocat, contre François T' et la
reine-mère, poui- le duc de Boui'bon ; son pctil-
fils, avocat aussi, fil dire que la probité «Hait
liéréditaire dans la famille. Propriétaire au même
endroit en 1650 : Ingrand, conseiller au iiarlenient
de Metz, cl puis son tils, intendant, du commerce.
Locataire en 1793 : Billaud-Vai-einies, ce député
de Paris à la Convention nationale qui organisa avec
Robespierre le système de la Terreur.
Un balcon et des sculpiuies distinguent une
maison d'en face, où a vécu l'iiistonen André
Duchesne, qui, après s'êti'e concilié par des travaux
utiles la protection toute-puissante du cardinal do
Richelieu, est mort écrasé par uneclinrroileen 1640.
Un peu plus loin une maison buurgeoise nppartenaii
sous Louis XIV à Vilard de Passy, avocid. ; elle
('tait décorée avant 89 des panonceaux du noiaii-e
Boulard, connu plus tard comme bibliopi:ile. L'Assis-
tance publique dispose de la suivante, oii se tient uiie
426 RUE SAINT-ANDRE-DES-ARTS.
école de filles et qui était à l'Hôtel-Dijfu.
jyjme Freslon, comtesse de Bonamour, le joli titre
qu'elle avait là ! vendait le premier coin de la
rue de l'Éperon, en 1754, à Pissot, vrai nom
d'encoignure !
Deux hôtelleries vis-à-vis : celle de Bretagne,
celle de Rennes. Puis la demeure de Vacherot,
tapissier, acquéreur des Lefèvre-d'Eaubonne ; puis
une propriété de belle apparence, où était le
bureau de Chérin, généalogiste du roi, à l'angle
de la rue des Grands-Augustins, et qui avait passé
par les mains de Cotelle, juré-vendeur de marée,
ancien conseiller du roi, après avoir été laissée
en héritage à Charlotte de Roumilley de la
Chesnaye, femme de François de l'Hospital,' marquis
de Saint-IVIesme, par Dutillet, baron de la Bussière,
g^reffier en chef du parlement. Un hôtel de Nevers,
qui allait de la rue Pavée (i) à celle des Grands-
Augustins, avait été vendu 20,000 livres tournois,
vers l'année 4556, par François de Clèves à Claude
Hennequin, maître-des-requêtes, et à Louis de
l'Estoille, président aux enquêtes, père de l'auteur
du journal historique des règnes de Henri III et
Henri IV. La part de Louis de l'Estoille, qui était
la plus grosse, comprenait, à l'encoignure de la
rue Pavée, l'hôlel de Saint-Clair, qu'on a démoli
en 1848. A l'autre angle de la même rue a com-
mencé en 1 année 1613 et fini en 1677 la vie d'un
janséniste en montre, le casuite Sainte-Beuve.
Entre la rue des Grands-Augustins et celle
Contrescarpe-Dauphine (2), vous remarquez sans
peine l'ancien hôtel de Lyon, qui en a formé deux,
le grand et le petit, avec une sortie sur la rue
Contrescarpe, fort utile à la Poste-aux-Chevaux
(1) Présentement rue Séguier.
(2) Présentement rue Mazet.
RUE SAINT ANDRE-DES-ARIS. 4i7
lorsqu'elle y était établie. Comment les archevê-
ques de Lyon sont-ils entrés en possession de cet
hôtel, autrefois de Buci, et de plusieurs maisons
conliguës ? Miron, Hls du médecin de Henri III,
ou Richelieu, frère du cardinal, qui ont l'un après
l'autre gouverué l'église de Lyon, ont pu un en-
richir leur temporel. Le plan de 1652 écrit dé]h :
Hôtel de Lyon. L'archevêque Claude de Saint-
George en est encore propriétaire, plus lard, mais
au moyen d'un retrait opéré le il janvier 1703
sur les enfants et autres liéiitiers de Louis Blanet.
Aussi bien cet ancien séjour est d'origine royale :
Jeanne de Navarre, femme de Philippe-le-Bel, a
voulu y fonder par testament le collège de Navarre,
que les exécuteurs testamentaires de ladite reine
ont préféré transporter autre part au moyen d'une
aliénation.
La porte de Buci, dont Périnet-Leclerc livra les
clefs aux soldats du duc de Bourgogne et qui s'ap-
pelait Saint-Germain quand Louis XIV la lit jeter
bas, s'élevait rue Saint-André-des-Arts, auprès
de celle Contrescarpe. Lorsque l'ancien Paris y
commençait par l'hôtel de Navarre d'un côté de
notre rue, il y finissait également par un royal
séjour de l'autre côté. De la rue de l'Éperon à la porte
de Buci, un grand logis fui occupé par les ducs
d'Orléans du xiv« etduxv^" siècle, dauphins de France
ou frères de roi : Louis XII en fit plusieurs lots
avant son avènement au trône, et des particuliers
s'en arrangèrent en janvier 1484.
L'un d'eux était Jacques Coytier, l'ancien médecin
de Louis XI, tellement accusé de dilapidai ions qu'il
rendit gorge de oO,000 écus, offerts à Charles VIII
pour la guerre d'Italie. Il avait la grange du
palais, qu'il transforma un peu plus lard en une
belle habitation et qu'il appela VAbri-Cotitr.
Toutefois, c'est un Éléphant que la porte montrait
428 RUE SAINT-ANDRE-DES-ARTS.
pour enseigne. Il y avait aussi sur la façade
l'inscription suivante :
Jacobus Coytier miles et consiliarius ac vice-prœses
Camerœ computorum Parisiensis
Aream émit et in eâ œdificavit hanc domum
Anno 1490.
Du séjour d'Orléans Jie reste-t-il rien rue de
l'Éperon? Quelque chose du moins survit en l'autre
rue de cet ancien Abri-Cotier, sur lequel la porte
Buci projetait son ombre dans l'après-midi. Le
janséniste Lenain de Tillemont, historien ecclésiasti-
que, y est mort en l'année 1698 et il a été in-
humé à Saint-André-des-Arts, où l'ancien médecin
du roi avait fondé une chapelle. Jean Lenain,
avocat-général, a vendu la propriété de l'Eléphant
à Lemassoy, secrétaire du roi, prédécesseur de
Michaut de Montaran, conseiller au parlement, et
ce dernier a eu pour acquéreur, en 1738, l'architecte
Richard Cochois, qui a fait élever une autre
maison par-devant. Mais il subsiste encore par-
derrière une maison à jardin, plus ancienne, avec
une porte cintrée, venant après celle de Cochois,
mais avant une troisième, également cintrée, comme
les architectes du xvni' siècle n'en faisaient déjà plus.
On ne comptait entre la maison Cochois et la
rue de l'Éperon que deux propriétés, l'hôtel de
Villayer, l'hôtel de Châteauvieux : nous trouvons
dans l'une et dans l'autre des librairies et des
magasins de papier, bien que des cours, des
escaliers, des ferrures, des boiseries, des cheminées
et des dessus-de-portes de Boucher ne cessent
pas d'y être signes de race. Les deux maisons
n'en faisaient qu'une d'abord sur l'ancien territoire
dès princes d'Orléans, et Jacques de la Guesle,
gentilhomme lettré, y demeurait. Il eut le malheur
de servir d'introducteur à Jacques Clément dans
le cabinet de Henri III, sans se douter du projet
de l'assassin. Vivement attaché à ce roi, il ne
RUE SAINT-ANDRE-DES-ARTS 429
le fut pas moins h Henri IV et cessa de vivre
en l'an 1612. Après lui, l'hôtel de la Guesle se
partagea entre des cohéritiers. Le plus gros
lot en passait du comte de Ghàleauvieux, qui avait
épousé Marie de la Guesle, h son gendre, le duc
ou marquis de la Vieuville. Mais les deu.K parts,
à l'époque où Gochois prenait possession de
l'Éléphant, furent encore réunies pour quelque
temps par l'adjudication de l'hôtel Châteauvieux
au profit de Renouard, comte de Villayer et
d'Auteuil, conseiller du roi, maître-des-requêtes,
qui venait dans l'autre hôtel après les Dulillet,
famille parlementaire déjà propriétaire de l'autra
côté. Au reste, le commerce du papier va bien
avec celui des livres; tous deux en ce moment même
nous aident h consacrer la mémoire d'un anciea
hôtel où ils s'exploitent de conserve et qui san»
eux resterait dans l'oubli. Bien avant de contribuer
ainsi à des préparations de nourriture plus ou
moins substantielle pour la mémoire, l'hôlel Château-
vieux a pourvu tout bonnement à celle du corps.
On y dînait pour 30 sols en 1691.
Il en coûtait alors un tiers de moins pouf
prendre son repas au Coq-Hardi, ou aux Tro s-
Chapelets, dans la même rue, en laquelle, qui
plus est, l'inventeur des pâtés de jambon, nommé
Jacquet, avait son officine.
Aussi bien l'un des hôtels de la rue Saint-
André-des-Arts aétéSaint-Agnan, ou Saint-Aignau,
nous ne savons à quelle date. Possible que
l'honneur en fût dû à l'un des deux Deauvillier,
ducs de Saint-Aignan, successivement en laveur
près de Louis XIV.
Enfin cette rue eut sa maison de jeu publique,
h l'entrée de la cour du Commerce : les tapis-
verts en étaient transférés rue Danphine sous
Charles X.
Rue $slég;uier,
NAGUÈRE
Pavéc-il§aiiit-André, et rue Pavée,
NAGUERE
Pa^ôe-au-^Harais. {i)
(iontribuahles, de Philippe-le-Bel. — Hôtels de
t Nemours, d'Aguesseau, Séguier. — Didot /•=■'. —
*i 1650. — Saint François de Sales. — Les Frères
U Cordonniers. — Le Pavé du Roi. — Hotels de
£, Lorraine, Brienne, Laforce, Lamoignon.
Taillakles de la rue Pavée-Saint- André en l'an 1292 :
,Jelianue Ja Seurinoe et sa fille. — Mestre Charles. —
Erijorreu, le ]\Iésagier. — Guillaume de Corbueill. —
Robeit aux Molles. — Malieut la Breite. — Gautier, le
toillier. — Thybaudin, le passéeur. — Thybaut, de
Gournay. — Jt Lan Petit. — Jehanne Joëte. — Robert
Bequet. — Pierre du Huic. — Le concierge de Néelle. —
Loys TAlemant. — Simon lo Souffle. — ■ Gautier l'Ale-
mant, laverniei.
Mais la taille ne frappait que bourgeois et
manants. Le connétable Gaucher de Châliliou,
comte de Crécy et de Porthéan, qui était exempt
de la taille, avait un séjour eu celte rue, et il
y succédait probablement à son père, Jean de
Châtillon, comte de Chartres et de Blois, tuteur
(1) Notice éorite en 1861. La rue Pavée-Sainl-André
n'avait pas encore pour patron le magistrat qui l'avait
habitée de 1803 à 1848.
RUE SEGUIER, ETC. 431
des enfants de Philippe-le-Hardi. Louis-le-Hutin
eut pour ministre le fils, qui vendit la propriété
à Jean d'Arcy, évêque deNoyon ou d'Autun. Elle
s'étendait jusqu'à la rue du CoUège-Saint-Deuis,
autrement des Grands-Augustins ; des près même
en faisaient partie, avec des jardins, des étables,
un cellier et des maisonnettes. Hugues d'Arcy la
légua en 1352 à l'église de Laoïi. L'occupation
anglaise y introduisit Louis de Luxembourg, évêque
de Thérouanne, qui devint archevêque de Rouen,
cardinal et chancelier de France sous Henri VL
L'évêque de Laon ne rentra en possession qu'après
l'expulsion des Anglais. Comme l'hôtel donnait
également rue Saint-André-des-Arts, n'est-ce pas
à ses dépens qu'il a été fait place de ce côté
à l'hôtel de Nevers, dont une aile a passé hôtel
Saint-Clair, au coin de la rue Pavée-Saint- André?
Pourtant l'ancien manoir desChàtillon s'est prin-
cipalement converti pour Jacques de Savoie, duc
de Nemours, en un hôtel de Nemours, qui n'est
sorti de sa famille que pou- faire placée la rue
de Savoie. La duchesse Marie-Jeanne-Baptiste de
Savoie, épouse de Charles-Emmanuel duc de Savoie,
prince de Piémont et roi de Chypre, y héritait,
en l'année 1766, de son père, Charles-Amédée
de Savoie, et de son oncle, Henri de Savoie,
comme si elle était fille unique, la reine de
Portugal, sa sœur, ayant renoncé en sa faveur
aux deux successions. Les sieurs Brière de l'Épine,
secrétaire du roi, Simon de l'Épine, maître-général
des ponts-et-chaussées de France, et Boileau,
bourgeois de Paris, donnaient îi la duchesse, le
29 avril 1672, 260,000 livres de la propriété,
pour y spéculer sur le morcellement de la superficie
et sur la multiplication des taçades.
Un reste de l'hôtel de Nemours n'en était pas
moins marqué par Jouvin en 1690 à l'angle-nord
de la nouvelle rue et de l'ancienne ; nous croyons
43-2 RUE SEGUIER, ETC.
même que de nos jours les rues de Savoie et des
Graiids-Augustiiis en gardent d'autres dépendances.
Ladite encoignure appartenaitune trentaine d'années
après à François do Montholon, seigneur d'Au-
bervilliers. membre du grand-conseil, qui s'y trou-
vait en mitoyennelé avec Lecoigneux, conseiller
au Gliàtelet, et ce dernier tenait d'autre part à
Le Peletier delà Houssayc, intendant des finances,
flls d'un contrôleur-général.
La famille d'Aguessoau avait précédé l'intendant
des finances au n" 18. Henri d'Aguesseau, ancien
intendant du Limousin, y était entré avec ses
deux fils, et le célèbre y avait reçu les sceaux
h 29 ans. Mais les belles mansardes que l'immeuble
a le bon goût de conserver connaissent de plus
ancienne date un autre chancalier, Guillaume
Poyet, qui, d'abord avocat, plaida pour Louise
de Savoie contre le connétable de Bourbon, et
qne François P'' revêtit des cliarges dont la mal-
versation le fit dépouiller. L'iiôtel d'Aguesseau a
passé de M. de la Iloussaye à la famille du car-
dinal de la Roche-Aymon, archevêque de Reims,
ministre de la feuille des bénéfices.
Le 16, que le baron Séguier, premier-présideiil
à la cour d'appel, ne quitta qu'avec la vie, le
H août 1848, après un demi-siècle de résidence,
avait été dans le princif.o un liôtel de 3Ioussy,
céJé à titre d'échange en 1695 i)ar Henri d'Orléans,
marquis de Rothelin, 5 la veuvede Henri d'Argouges,
marquis de Rannes, seigneur de Fleury, gouver-
neur d'Alençon ; légué ensuite par la maj-quise
à la comtesse de la Palue-Bouligneux, qui eut
pour héritier son cousin, marquis de la Housse,
ambassadeur près le roi de Danemarck ; donné
en 1728 h GrossoUcs, marquis de Flamarens,
grand-chancelier de France ; vendu en 1750 à la
veuve de Marigny, grand-maître des Eaux-et-Forêts.
RDE SEGUIER, ETC. 433
Vous ai-je conduit jamais, ô mes lecteurs, dans
une rue plus chancelière ?
François-Ambroise Didol et sa femme, Charlotte
Vaisin, avaient, sur la fln du règne de Louis XV,
une maison en cette rue Pavée et une autre en
la rue d^e Savoie, qui se reliaieni derrière la
maison angulaire dont nous n'avons rien dit encore.
Là s'exploitait d'Mbord l'imprimerie qui a fait de
la flimille Didot une dynastie comme celle des
Estienne : on y établissait, par ordre du roi, une
triple édition des classiques français, in-4°, in-8°
et in- 18. Fondeur, imprimeur, éditeur, le patriarche
des Didot connus n'avait que peu de pas ii faire
pour se rendre au bureau de Lebègue, garde-
minute de la chancellerie, le n" 14 actuel : on y
relirait les privilèges de la libraiiie, movennant
37 livres.
Vers le milieu du xvii" siècle, l'autre côté de la
rue avait pour parties prenantes :
— Eniery, ira primeur, près du quai ; — Leruaître, con-
seiller au parlement ; — les marguilli?r.s de Saint-Aadré-
des-Arts ; Jes deux frères Prévost, l'uu orfèvre-joailJier,
J'autre lieutenant de cavalerie ; - de Chaumont ; — la
communauté des Frères-Cordonnieis ; — 1 Hôtel-Dieu ;
— î'abbé Viet ; — Sainte-Bijuve, huissier du roi au par-
lement, père du théologien que sou jansénisme à ou-
trance tii priver de sa chaire en Sorbotme.
Le pi'ésident Lémaître, en résidence rue des
Grand s-Augustins avec sa femme, née Feydcau,
avait été propriétaire de la maison ci-dessus re-
connue i\ son fils, hôtel de Saint-François où
descendaient dès l'année 1617 les coches de
Normandie et de Bretagne. La construction en
remonte, qui plus est, S 1590, et tout nous porte,
î\ croire que saint François de Sales, né en Savoie,
qui a été évêque de Genève, mais qui a rempli
434 RUE SÉGUIER, ETC.
en France plusieurs missions et a su s'y concilier
l'affection d'Henri IV el de Louis XIII, a lui-même
dormi sous ce toit.
La famille Lemaître a disposé également des
n"* 9,11 et 13, vendus en l'année 1700 par Anne
Lemaître et son mari, Charles de la Boulière,
sieur de Ghagny, à Jobard, maitre-cordonnier pri-
vilégié suivant la cour et conseils de Sa Majesté^
qui demeurait aussi rue des Grands-Augustins. Les
frères-cordonniers de Saint-Crépin, communauté
fondée en 1645 par le baron de Renty, associé
au cordonnier Buch, sur des statuts donnés par
Coqueret, docteur en Sorbonne, occupaient la
maison de Jobard, ainsi qu'une autre, rue de la
Grande-Truanderie. Tous travaillaient, mangeaient
et priaient en commun, chantant souvent des
psaumes. Comme on était content des souliers de
leur fabricalioii, le fruit de leur travail âufïisait si
bien à leurs besoins que le superflu s'en distribuait
aux pauvres. Leur chapelle, Lacaille nous la
, montre. Ils allaient vêtus de noir, avec rabat et
chapeau rabattu. Des reconnaissances pour le cens,
dont l'établissement desdits Irères était grevé au
protit de Saint-Germain-des-Prés, portaient les
signatures suivantes: Couhomi Ganeval en 1718 ;
Tronquait , en 1735 ; Pierre Noireaucc, l'année
d'après. Quant à Saint-Beuve, le directeur de
conscience, il avait vu le jour en 1613 dans la
maison du coin de la rue Saint-André, où il fer-
mait les yeux 64 ans après.
C'est sous les rois de la troisième race que la
rue Pavée-Saint-André avait dû vraisemblablement
à ses premiers habitants les pierres dures de sa
chaussée. Mais le travail était sans doute à refaire
du temps de Corrozet et des CoUetet, la rue
s'appelant alors Pavée-d'Andouilles : mot qui pou-
vait toutefois être la corruption du nom de
Nantouillet, propriétaire en ces parages.
RUE SEGUIER, ETC. 435
Presque autant d'années ont passé, sans qu'il
y paraisse, par la rue Pavée-au-Marais, dite aussi
Pavée-Marivault, depuis qu'elle est livrée ci la
circulaiion. Remontons donc, comme elle, au moyen-
âge.
Le parlement y fait raser un manoir, h la
requête de l'université de Paris, en réparation
d'une offense dont les gens de Savoisi, favori de
Charles VI, se sont rendus coupables envers des
écoliers. L'université ne permet qu'en 1517 de
rebâtir à la même place, et elle exige qu'une
inscription, rappelant qu'elle a fait justice de
l'injure, figure sur la porte du séjoui- rétabli.
Après le trésorier Morlet de Museau, général des
finances, les Savari y sont chez eux, puis l'amiral
Chabot. Cet ancien compagnon de captivité do
François P, qui l'a mis à la têle d'une armée,
finit aussi par tomber dans la défaveur ; il com-
paraît devant une commission présidée par le
chancelier Poyet, qui, pour le même crime dont
ce président, à son tour, sera bientôt jugé cou-
pable, le condamne h. une grosse amende, et
comme il ne peut l'acquittei-, sa personne et ses
bien en répondent. Après deux ans de détention.
Chabot obtient, par l'entremise de la duchesse
d'Étampes, la révision de son procès et jusqu'à
sa rentrée en grâce. L'amiral peut ainsi mourir
chez lui, bien que son hôtel ait fait légalement
retour au roi, qui en gratifie Françoise de Longwy,
veuve de l'amiral. Elle vend h Bellassise, trésorier
de l'extraoï'dinaire. A ce dernier succède Charles III,
duc de Lorraine, qui déserte la maison, en y laissant
sa femme, pour ne revenir qu'une fois veuf, en
4657. Adjudication en date du 29 avril 1681 au
profit de la veuve de Dauvet, comte Desmarets,
grand-fauconnier. La petite-lille de cette dame
épouse le marquis Adrien d'Herbouville, guidon
des gendarmes ; un partage résulte de ce qu'elle
436 RUE SEGUIER, ETC.
a un frère. L'hôtel de Lorraine empiétait et sur
La rue du Roi-de-Sicile et sur celle des Francs-
Bourgeois, où il avait un jardin et une tour, en
remplissant tout un côté de la rue Pavée-Marivault ;
l l'hôtel d'Herbouville manquent les deux en-
coignures. Le 11 actuel est alors Desmarets, le
numéro suivant est d'Herbouville, comme l'indiquait
sans doute un écusson où les propriétaires de ce
temps-ci ont faufilé leurs initiales.
Des concierges qui font fortune sont visibles
dans tous les temps. Celui de l'hôtel de Lorraine,
ayant nom Courlavenne, tenait le 6 de dame Anne
Phelypeaux, veuve de Le Bouthillier, comte de
Chavigny, ministre ; il a eu pour acquéreur en
d663 un sieur Lecomte. Le marquis Desnos, qui
était aux droits de Lecomle, a connu Dupont,
banquier, au 8, Renault, correcteur des comptes,
au 10, et Tronchel, avocat, au 12, que recommande
à notre attention le nom d'un grand jurisconsulte,
défenseur de Louis XVL Deux escaliers à rampe
de fer donnent à la même construction un certificat
d'origine aristocratique, confirmé par son ancienne
qualité de petit hôtel de Brienne. Les Loménie de
Brienne en avaient hérité de leur aïeul, lecomte
de Chavigny, et ce ministre avait été, en somme,
propriétaire avec sa femme de presque toute la
rive droite de la rue, y compris l'hôtel de Laforce
et le grand hôtel de Brienne, transformés en prison
trois-quarts de siècle avant de s'évanouir.
Charles, roi de Naples et de Sicile, avait, sous
le règne de saint Louis, le palais du roi de Sicile,
situé rue Pavée-au-Marais et rue du Roi-de-Sicile,
que le duc d'Alençon acquit en 1292 et Charles VI
en 1389. Les rois de Navarre, le comte de Tancar-
ville, le cardinal de Meudon, le cardinal de
Birague, le duc de Roquelaure, le comte de
Saint-Paul, le comte de Chavigny et le duc de
RUE SÉGUIER, ETC. 437
Laforce se succédèrent dans cet hôtel, rebâti au
XVI* siècle. Les bureaux des Saisies-Réelles et du
Vingtième, puis delà ferme des Cartes, s'y établirent
avant que l'année 1780 en fît la prison de la Force,
à laquelle un jeu de mots maintenait un nom
d'hôtel essentiellement dérisoire, et dont rien ne
demeure depuis que Mazas la remplace.
Un autre hôtel a tenu bon, sur la porte duquel
est écrit :
Lamoignon, premier président du parlement de
Paris (1655).
Quelle survivance de son illustration dans la
famille de Guillaume de Lamoignon, fils lui-même
d'un premier-président. Son petit-fils fut chancelier
de France, puis un autre de ses descendants, qui
collabora avec le ministre Loménie de Brienne à
des édits que le parlement refusa d'enregistrer et
qui donna dès-lors sa démission. Le vertueux
Lamoignon-Malesherbes, cet autre avocat de
Louis XVI, eut, avec presque tous les siens, la
même fin que son roi. Seulement ce bel édifice
est évidemment plus ancien que la notoriété du
nom qui le personnifie publiquement, et le
millésime de la porte ne se peut même rapporter
qu'à l'établissement provisoire de la famille
Lamoignon rue Pavée. L'historien Adrien Baillet,
excellent conservateur de la précieuse bibliothèque
du premier-président, n'a jamais vu cette inscrip-
tion. Des fenêtres couronnées de D en disent plus
long que la porte : c'est le chiffre de Diane de
Poitiers. Elle-même y remplaçait Robert de Beau-
vais, dont la maison, avec un grand jardin, avait
appartenu aux religieux de Saint-Antoine et s'était
appelée la Porcherie Saint- Antoine. Le duc d'AngOU-
lême, fils de Charles IX et de Marie Touchet,
se rendit, en l'année 1S81, acquéreur de l'hôtel,
28
438 RUE SÉGUIER, ETC.
qu'un de ses héritiers, Charles de Valois, comte
d'Alais, occupait encore sous Louis XIII. Guillaume
n'a pu y être que locataire, son fils Chrétien
n'ayant acheté que par contrat signé en 1684. Le
grand hôtel Lamoignon appartenait en '1791 à
M. Boursier, et le petit à M. de Nicolaï, qui
venait après la marquise de Livry.
Rue da ParenRoyal. (i)
M"^^ des Frisées. — Autres Propriétaires en divers
temps. — La Z)"* David. — M. Graux-Marly.
L'application de l'acétate de plomb ou du
nitrate d'argent à la chevelure qui se décolore
est un secret de toilette que notre époque divulgue,
comme sa propre découverte. Mais une recette
analogue n'était pas inconnue des précieuses de
l'hôtel Rambouillet quand la présidente Bordier,
qu'on appelait aussi M°'* des Fusées, vit des
courants argentés s'établir dans les ondes de sa
chevelure; elle eut beau retourner les spirales
de sa sévigné, il fallut recourir à l'art pour mater
l'éclat d'un reflet qu'envoyait le soleil d'automne.
M"*' des Fusées, qui habitait la rue du Parc-Royal,
manda un jeune Italien, qui mettait au service
de la belle Ninon, disait-on, les secrets de sa
cosmétique. — Faites votre prix, lui dit-elle, et
de moi tout ce que vous voudrez.
Après avoir enduit d'une pommade les che-
veux gris de M""' Bordier, ce parfumeur, qui
était par miracle un honnête homme, hocha la
tète et risqua cet aveu : — Vous m'appelez trop
tard, bonne dame; mon père, auquel je succède,
aurait pu vous tirer d'affaire il y a dix ans.
— Insolent ! sécria trop vite la présidente, en
ajoutant une giffle à ce mot.
— Un soufflet vaut un démenti, répliqua l'Italien
sans se déconcerter. Vous laverez vous-même cet
(1) Notice écrite en 1861.
440 RUE DU PARC-ROYAL.
affront, si vous ne voulez pas vous réveiller demain
matin avec les cheveux blancs comme neige :
c'est l'effet de ma première couche, quand la
seconde ne la suit pas de près.
M"'" Bordier demanda grâce et offrit de payer
aussi cher pour conserver la nuance intermédiaire
de sa chevelure que si l'opération en avait rétabli
la coloration regrettée. L'offre d'argent fut repoussée,
comme un surcroît d'injure pour l'offensé, au
cou duquel la pauvre dame se jeta, en lui mouil-
lant la joue, encore chaude, d'une larme qu'elle
y baisa.
— A la bonne heure, fit alors l'Italien ! C'est
le président qui payera.
— Mais, monsieur, lui dit-elle, le président n'est
plus, et j'ai trois filles, et je suis femme de
qualité !
— Appelez-vous cela des raisons ? demanda
l'autre imperturbablement.
La seconde couche fut si différente de la première
que M"^ Bordier en conçut d'autres craintes,
qui allèrent croissant tout un mois. S'en voulait-
elle d'avoir fait l'expérience de la pommade de
Ninon! L'inquiétude compliquait un dérangement
de santé dont, du vivant de son mari, elle prenait
beaucoup mieux son parti. Comment consulter
un médecin, en pareil cas, sans le prendre pour
confesseur? La veuve ne se fit pas porter sans
hésitation chez l'illustre Fagon, qui séance tenante
lui rendit sa visite et dit : — Rassurez-vous,
Madame, vous n'aurez plus de la vie rien à craindre.
La présidente n'était que trop rassurée: elle
en vint à regretter jusqu'à ses inquiétudes.
Des Fusées, qui a l'air d'un nom de guerre,
n'était même pas celui d'une terre. M°^ Bordier
l'empruntait tout bonnement à son hôtel, situé
RUE DU PARC-ROYAL. 441
vis-à-vis de la rue Gulture-Sainte-Catherine (i), dans
celle du Parc-Royal, qu'on avait dite elle même
des Fusées et d'abord du Petit-Paradis. Celle-ci
s'était ouverte sur les dépendances de l'ancien
palais Barbette, dans la direction du parc royal
des Tournelles; mais une seconde rue du Parc-
Royal, entre la place Royale et les Minimes,
sortait directement desdites Tournelles. L'arsenal
delà Ville, en 1652, faisait presque face à M. Bordier,
dont l'un des successeurs fut Canillac, familier
du régent. L'ancien hôtel Canillac, plus ancienne-
ment des Fusées, se couronne de 8 ou 9 mansardes,
fleurons duxvi* siècle. Quelque bonne opinion qu'elles
donnent de Des Fusées I", nous ne savons même
pas s'il fut l'un des ancêtres de Fusée, abbé de
Voisenon, membre de l'Académie-Frauçaise, qui
était né en 1708 dans un château près de Melun.
Anciens propriétaires au coin dd ladite rue
Culture : Lejay, gouverneur d'Aire, puis Feydeau
de Brou, dont les héritiers y avaient pour locataire le
marquis de Pérusse ou de Péreuse.
Près la rue des Trois-Pavillons (2), une femme
a étonné le Marais par le nombre de ses amours
et le luxe de ses atours ; c'était la D"*^ David,
plante qui avait poussé dans la serre-chaude du
Parc-aux-Cerfs. Son installation dans la rue avait
été inaugurée par la conquête du prince de Rohan,
que les beaux yeux de la nouvelle paroissienne
avaient séduit pendant la messe, à l'église des
Minimes.
A cela près, la rue du Parc-Royal était encore
bien habitée. Une seule maison y séparait de
M. Auger de Montyon M. de Montboissier, qui avait.,
l'hôtel des Fusées. Plus d'un Chàteau-Giron étaient
(1) Actuellement rue Sévigné.
(î) Actuellement rue Elzévir.
442 RUE DU PARC-ROYAL.
au n° 5 ; M. de Vigny, au n*> 10, maintenant pen-
sionnat, et M. de Boniieval, au 16, dont le 14 a
dépendu, et où demeurait un général sous l'Em-
pire, puis le vicomte de Grandeffe.
En face de la rue Payenne, un hôtel avec son
jardin ne se souvient que du baron Lambert. Le
8, qui semble aussi un hôtel séculaire et dont la
décoration est des mieux entendues, a pourtant
eu pour architecte M. Graux-Marly, propriétaire
actuel. Ce fabricant de bronzes n'a pu se rendre
que sous un prête-nom acquéreur de l'immeuble,
tel que son confrère Crozatier l'avait laissé en
interdisant à ses héritiers de le vendre à un
fabricant de bronzes. C'était alors un petit hôtel,
qui forme encore une aile du nouveau : un sou-
terrain l'avait relié au couvent du Saint-Sacrement
ou à l'hôtel Turenne, de la rue Saint-Louis (i).
(1) Actuellement rue Turenne.
Place Royale, (d)
Les Tournelles. — La Manufacture. — Le Camp.
— Les Maréchaux du Règne de Louis XIII.
— Le triple Duel. — Marion Delorme. — Victor
Hugo. — Les Pavillons du Roi et de la Reine.
— La Dame du Lit. — iW""' Rachel. — Ninon.
— Dangeau. — Les Richelieu. — Un Croquant.
— MM. de Tresmes, de Tessé, de Canillac,
d'Ormesson, d'Escalopier, de Villedeuïl, de Bre-
teuil, Portails. — La Mairie. — Sully.
Par acte passé le 11 février 1394 devant Gilon
et son collègue, notaires à Paris, Nicolas de
Rousse vend au duc d'Orléans, fils de Charles V,
« deux maisons et cours devant s'entre-tenant,
sises rue Saint- Antoine, et leurs dépendances ».
Contrat d'échange est signé, d'autre part, lé 22
juin 1404, entre le duc de Berri, frère du roi,
et le duc d'Orléans, par lequel « ledict de Berri
cesde son hostel des Tournelles pour l'hostel Au-
briot, rue de Jouy (2), près Sainct-Pol, ledict hostel
des Tournelles assiz près du Chaslel ou de la
Bastide de Sainct-Antoine, lequel hostel fust
paravant à Pierre d'Orgemont, jadis chancelier de
France, et depuis à Pierre d'Orgemont, son fils,
évesque de Paris. » Ces deux pièces disent l'origine
du palais des Tournelles, qui ftiit retour ensuite
à Charles VI. Le duc de Bedfort y réside pendant
l'occupation anglaise. Charles VII et ses successeurs
l'habitent plus volontiers que l'hôtel Saint-Paul.
(1) Notice écrite en 1864.
(2) Voir ia notice de la rue et du passage Charlemagne
et de la rue Éginhard.
444 PLACB ROTALE.
Catherine de Médicis, après la mort de Henri II,
abandonne les Tournelles, puis Charles IX enjoint
au parlement d'ouvrir des rues à la place de
l'hôtel, « ne voulant pas, dit-il, continuer une
grande despence tant en gages d'officiers qu'en
réparations, par l'advis de nostre très-honorée
Dame et Mère, des princes de notre sang et d'autres
seigneurs de nostre privé conseil. » Néanmoins la
démolition va si lentement qu'elle est encore pen-
dante sous Henri IV, qui adresse en 1604 des
lettres-patentes à son grand-voyer « à l'effect de
faire transporter les trésoriers de France sur une
place appelée le Parc-des-Tournelles, et donner
leurs advis sur une concession que le Roy veult
faire pour establir une manufacture de soye et
argent fille à la façon de Milan. » Ladite concession
d'un terrain de 100 toises de long sur 60 de large
est faite à Moisset, Saincton-Aumagne, Camus et
Parfait : tous quatre sont entrepreneurs d'une
fabrication d'étoffes de luxe, qui leur réussit rapi-
dement. Ils ne quittent pourtant les débris du
vieux palais que pour se conformer à un nouveau
plan adopté pour la création d'une place, dont le
roi fait construire un côté à ses frais : ils entre-
prennent alors, moyennant supplément de conces-
sion à charge de cens, l'établissement des trois
faces qui manquaient au quadrilatère.
Paris y gagne cette belle place Royale qui
pourtant n'a été achevée que sous la régence de
Marie de Médicis. Un compte-rendu de fêtes qui
s'y donnaient, comme pour l'inaugurer, a paru
sous ce titre:
Le Camp de la Place Royale,
ou Relation de ce qui s'est passé les 5™», ô""" et /™«jOur
d'Avril ynil six cent douze pour la publication des
Mariages du Roy et de Madame, avec l'Infante et le Prince
dEspagne, le tout recueilli par le commandement de Sa
MtLJesté.
PLACl ROYALE. 445
Les vers et la prose y alternent, chantant et
décrivant à l'envi un palais de la Félicité, qu'on
avait érigé pour la circonstance, les 36 pavillons
de la place, y compris sans doute le palais, et un
carrousel dont les chevaliers du Soleil, du Lis,
de la Fidélité, du Phénix, etc, formaient les
quadrilles en lice.
Le marquis de Vitry, capitaine des gardes de
Henri III et de son successeur, avait été le premier
habitant de la place : son hôtel, qui touchait aux
tours du vieux palais, limitait, en la rue du Pas-
de-la-Mule (4), la première concession faite par
Henri IV. Vitry fils, à qui l'arrestation de Concini
valut le bâton de maréchal de France, habita
lui-même ce coin du quadrilatère, qui, fut le
dernier où l'on mit les maçons. Toutefois Jean de
la Guiche, comte de la Palue, seigneur de Saint-
Géran, maréchal-de-France sous Louis XIII, donna
son nom au pavillon qu'on y retrouve, le n" 24.
Son fils, dont parle M™" de Sévigné, mourut avant
la fin du siècle, ne laissant qu'une fille religieuse.
La nommée Blondeau tenait une académie de jeu,
où ponta le maréchal de Bassompierre, près de
l'hôtel Saint-Géran, qui ne passa Boufflers que
plus tard.
Marion de Lorme n'eut pas le pucelage d'un
autre pavillon d'encoignure, qui est marqué 6 ; le
maréchal de Lavardin y avait précédé la belle :
cet ancien compagnon d'enfance d'Henri IV s'était
converti avant lui et trouvé dans le même carrosse
quand Ravaillac avait commis son crime. Pendant
les guerres religieuses du règne suivant, la place
Royale était le centre des plaisirs et des élégances
du plus beau monde. Toutefois des raffinés s'y
donnaient rendez-vous, le 12 mai 1627, à 2 heures
de l'après-midi, pour vider une affaire d'honneur,
(1) Ou des Vosges.
446 PLACE ROYALE.
et jamais la rigueur des édits qui défendaient le
duel ne fut plus hautement bravée. Ils se battaient
trois contre trois. Bussy-d'Amboise, frappé en pleine
poitrine, expirait un quart-d'heure après ; Beuvron
et son écuyer, qui tenaient avec Bussy, se sauvèrent
en Angleterre ; mais deux de leurs adversaires,
Montmorency-Boutteville et Deschapelles, qui
fuyaient du côté de la Lorraine, furent arrêtés à
Vitry-le-Brulé, condamnés à Paris, exécutés en
Grève. Marion, qui inspira de l'amour jusqu'à
Louis XIII,, n'en dut voir qu'avec plus de plaisir,
au milieu de la place, la statue de ce roi érigée
par le cardinal de Richelieu. Sa maison passa aux
Rohan et surtout à la branche de Rohan-Guéménée,
qui a laissé son nom à une impasse, sur laquelle
donne encore une porte de derrière. Mais le plus
grand poète de notre siècle y a donné audience
à plus de flatteurs qu'un prince ou qu'une femme
à la mode. Dans le jardin intermédiaire, les
branches d'un vieux figuier soutenaient, comme
autant de colonnes torses, le dais que formaient
ses larges feuilles : Victor Hugo, sous cet abri,
a écrit tout son Roi s'amuse. Marion Delorme
revivait surtout, aans son ancien appartement,
alors que s'y composait le drame dont l'héroïne
est cette courtisane qui, par exception, ne dés-
honorait pas ses courtisans. L'institution Jauffret,
dirigée par M. Beaumont, vient de quitter pour
l'ancien hôtel Guéménée celui de Saint-Fargeau,
rue Culture-Sainte-Catherine (i). M. Edmond About
est l'un des élèves à citer de M. Jauffret.
La rue Royale (-2) débouche sur la place par
trois arcades portant le pavillon dit du Roi. Il
fait partie des constructions élevées par Henri IV,
en face du terrain attribué en premier lieu aux
quatre manufacturiers, qui mirent un pavillon de
(1) Ou de Sévigné.
(2) Ou de Birague.
PLACE ROYALE. 447
la Reine en face de celui du Roi : l'un et l'autre
n'en étaient pas moins dès le principe occupés
par des particuliers.
Le pavillon de Chaulnes devait son nom à un
maréchal de France, le duc de Chaulnes, qui
commandait l'armée de Picardie en 1625 avec le
maréchal de Latbrce et s'emparait d'Arras, quinze
ans plus tard, avec le maréchal de Châtillon.
Après lui les Nicolaï s'invétérèrent dans ce ird.
Pareillement MM. de Rohan-Chabot remplacèrent
au n" 13 assez longtemps un M. des Hameaux,
que le maréchal y avait pu connaître. M™'' de
Laborde n'a sans doute eu qu'un pied-à-terre à
l'hôtel Rohan-Chabot; son frère, M. de Vismes,
avait été directeur de l'Opéra, et son mari valet-
de-chambre du roi, quand la charge de dame
du lit fut créée pour elle à la cour : ses fonctions
se bornant à ouvrir et à fermer les rideaux de
la reine, elle assistait au lever et au coucher de
Marie-Antoinette, mais ne passait la nuit que
par exception au pied du lit. M. dé Laborde,
tout en étant banquier, se livrait à la composition
musicale. De nos jours. M''*' Rachel avait loué
un appartement dans cette maison h superbe
escalier, où la vente de ses meubles et de sa
garde-robe, après décès, fit courir tout Paris.
Cette place ne nous paraît plus qu'une douairière
de grande famille, qui a pris sa retraite à l'entrée
d'un faubourg, où ne lui tiennent plus compagnie
que des vieillards h la parole rare et des enfants
à l'innocent tapage : les deax extrêmes ! Les plus
gros péchés de sa jeunesse ont été commis par
Marion et par Ninon, mais rachetés par M'"^ de
Maintenon, qui elle-même avait rayonné dans ce
centre d'une royauté purement honoraire et d'ailleurs
collective, avant de participer personnellement à
celle de Louis XIV. Plus encore que Ninon dans
sa rue des Tournelles, la place demeurait jeune,
448 PLACE ROYALE.
en ayant l'air de se ranger la première, et cette
coquetterie lui allait encore mieux que la beauté
du diable. Pour les femmes aussi l'âge de la
raison ne commence-t-il pas quelquefois quand
leur beauté est à son apogée et les fait aimer
le plus follement? La place Royale ressemblait
au salon de Célimène alors qu'y faisait son entrée
Dangeau, brillamment annoncé par sa nomination
de colonel au régiment du roi. Sa résidence touchait
à l'hôtel Rohan-Guéménée, du côté de la rue des
Tournelles, et ajoutons que dans la suite sa petite-
fille, Sophie de Courcillon, épousa un prince de
Rohan, déjà veuve de François d'Albon d'Ailly,
duc de Picquigny. Philippe de Courcillon, marquis
de Dangeau, devait surtout son avancement à
l'habileté avec laquelle il jouait aux cartes; néan-
moins il avait servi avec distinction près de Turenne
et il ne quitta plus le roi dans ses campagnes. Des
conférences savantes se renouvelaient, de relevée
tous les mardis, chez ce membre de l'Académie-
Française, puis de l'académie des Sciences, qui
est resté pour nous le type des chroniqueurs de
cour; son journal manuscrit n'a reçu qu'après sa
mort, et d'abord par extraits, les honneurs de
l'impression. Il y écrivait un jour : « jeudi 15
octobre 1684 on apprit k Chauibord la mort du
bonhomme Corneille. » Quelle réduction d'apothéose
pour l'homme de génie qui avait composé jusqu'à
une comédie sous ce titre : la Place Royale ! Dans
quels détails, en revanche, Dangeau n'entrait-il
pas chaque fois qu'il parlait de la famille royale !
Par exemple, il ne laissait pas le duc de Chartres,
ensuite. duc d'Orléans et régent, épouser M"'' de
Rlois, sans en dire:
a Dimanche, Il février 1692. Sur les 6 heures du soir,
dans le salon où le roi s'habille, se fireat les fiançailles
de M. le duc de Chartres et de Mli« de Blois. Le
cardinal de Bouillon, grand-aumônier de France, fit la
PLACE ROYALE. 449
cérémonie ; le secrétaire d'élat de la maison, qui est
M. de Pontchartrain, fit signer le contrat au Roi et à
toute la Maison royale. Il ne donna point la plume
aux princes du sang. — Lundi, 18. Le Roi alla à la
messe à son ordinaire. Le cardinal de Bouillon la dit
et maria le duc de Chartres et M"« de Blois. Après
le souper, le Roi mena le marié et la mariée à leur
appartement, qui est le même qu'avant le mariage. Le
Roi TOulut que le Roi d'Angleterre donnât la chemise
à M. de Chartres et M. d'Arcy la lui présenta. Madame
la donna à la duchesse de Chartres. Le Roi après
dioer monta en carrosse avec la mariée, Mademoiselle
et Ja princesse de Conti, Monseigneur et M™* de
Guise, et alla à Paris au Palais-Royal, où Monsieur
et le duc de Chartres lui montrèrent l'appartement
destiné à la duchesse de Chartres.
Il n'y avait en ce temps-là que deux amateurs
de curiosités parmi les habitants du quadrilatère
à arcades : le marquis de Dangeau et le duc de
Richelieu, général des galères. Celui-ci était le
neveu du grand ministre, qui avait résidé avant
lui au quatrième angle de la place pendant la
construction du Palais-Cardinal, et son til s portait
le nom de Fronsac. Duc de Richelieu à son tour,
Fronsac était, de plus, le vainqueur deFontenoy
et il habitait le même hôtel quand il reçut, en
revenant de Gênes, qu'il avait délivrée des attaques
des Anglais, le bâton de maréchal et les gouverne-
ments de Guyenne et de Gascogne.
Dans le répertoire des rôles joués successivement
parle 26, quel est le plus marquant ? celui d'hôtel
de Tresmes. Il n'a même pas osé se dire Camuzet
du chef d'un croquant de feririer-général y ayant
ses appartements, tant notre place, enducaillée de
naissance et sans solution de continuité, dédaignait
encore la finance ! La petite noblesse, celle de
robe et de cloche, n'osait même s'y trotter que rare-
ment. Camuzet, fils d'un commissaire de police que
M"* d'Argenson honorait de ses bonnes grâces,
450 PLACE ROYALE.
avait été notaire, puis nommé dans les fermes par
la protection de M'"*^ de Châteauroux, mais après
la mort de cette maîtresse de Louis XV. A Nantes,
dans le cours d'une tournée, une maladie, de celles
qui se cachent, emportait Camuzet en 1753.
De ses contemporains, restituons le marquis de
Tessé au n" 18, un Canillac à l'une des maisons
qui donnent aussi rue des Tournelles et Henri-
François-de-Paule Lefèvre-d'Ormesson, intendant
des iinances, ancien membre du conseil de régence,
entre la rue du Pas-de-la-Mule et la chaussée
des Minimes (d).
Hôtel d'Escalopier est le 25 de père en fils.
M. Nouveau, à une date indéterminée, avait le 12,
mairie actuelle de l'arrondissement. Est-ce le baron
de Breteuil qui a laissé au n** 14 (où naguère
étaient les bureaux de la mairie voisine) deux
belles peintures de Lebrun et de Mignard ? Nous
trouvons dans ce pavillon, un peu avant 89, le
bureau de M. Laurent des Lions, directeur-général
du canal de Picardie, et l'hôtel appartient alors
à M. Laurent de Viïledeuil, son frère : ils sont
neveux de l'ingénieur Laurent, qui a construit
ledit canal. Aussi bien les Breteuil n'ont-ils pas
joué aux quatre coins place Royale ? Au 26 il y en
a eu, et le 4 s'est appelé comme eux avant d'abriter
le chevalier de Favras et plus récemment M. Portails,
premier président de la cour de Cassation : la
grande robe, grâce à ce magistrat, n'abandonnait pas
tout-à-fait ses galeries favorites du siècle précédent.
Néanmoins, il faut l'avouer, le ministre Sully
trouverait les habitants de la place bien changés,
s'il y rentrait par le n° 7, qui dépendait jadis de
son hôtel de la rue Saint-Antoine. Le quartier
des maréchaux de France et des duchesses n'est
plus le Marais, tant s'en faut.
(1) Ou rue de Béarn.
Rue Corvisart,
NAGUÈRE
du Champ-de-r Alouette, (i)
Champ de l'alouette! un joli nom de rue et
qui en dit bien l'origine. Des murs neufs et de
vieux murs en ruine cachent aux passants ce
qu'est devenu le champ, depuis qu'une rue tortueuse,
et qui n'est pas encore pavée, le traverse. Quant
à l'alouette matinale, elle chante encore sur les
bords d'un ruisseau, où il ne reste plus qu'un
arbre des deux rangées de la saulaie d'autrefois.
Cette saignée faite à la rivière de Bièvre s'appelait
surtout rue des Gobelins alors que les commis
d'une barrière de la ville semblaient garder le
ponceau sur lequel la rue passe l'eau; seulement
le cours de celle-ci a plusieurs fois varié en
quelque chose et celle-là a été exhaussée.
Des merveilles d'architecture n'attirent pas
l'attention sur deux vieilles maisonnettes de maraî-
cher, restaurées de notre temps ; mais nous
recherchons en vain l'image de Saint-Louis, qui
distinguait l'une d'elles et qui avait valu son
premier nom à la rue du Champ-de-1'Alouette. Si
les maisons sont encore assez rares sur cette
espèce de chemin vicinal, qui n'en comptait que
6 en 1714, les numéros du moins n'en conviennent
(1) Notice écrite en 1858. Depuis lors la rue du
Champ-de-l'Alouette a reçu le nom du b"" Corvissart,
médecin de Napoléon ler; ses deux pentes ont été
sensiblement adoucies; elle a été élargie du côté du
boulevard d'Italie et pavée dans toute sa longueur.
55Î RUE CORVISART, ETC.
guère; les cadres de l'effectif sont à remplir tout
le long de l'ancien jardin des Cordelières, et il
y a d'autres lacunes pour témoigner de la même
prévoyance.
En revanche, le 52 est une construction à
plusieurs corps, qni donne aussi sur le Boulevard,
flanquée d'un clos par-ci et d'un jardin anglais
par-là. C'est un ancien hôtel Neubourg, déjà vi-
sible sur le plan de Turgot du côté de la rue
Croulebarbe; le terrain pour le moins en avait
dépendu du clos Payen. D'autres Neubourg que
la famille palatine de Bavière, devenue électorale
en 1685 et issue de la maison ducale de Deux-
Ponts, ont pu jouir de cette villa suburbaine.
La bonne femme qui en dispose depuis la pre-
mière république a commencé, sous la Restauration,
à y blanchir le linge des Hospices, et la même
buanderie coule toujours ses lessives.
Avcuuo des Cliaiups-Ëlysées. (i)
Notes pour empêcher de les confondre avec ceux
dont la Fable fait le séjour exclusif des âmes
vertueuses.
En 1648 Marie de Médicis crée, sur d'anciennes
cultures de maraîchers, la promenade du Cours-
la-Reine, que d'abord ferment des fossés et des
grilles. Veis 1670 se plantent les quinconces,
ainsi que la grande allée du Roule, dile depuis
l'avenue des Champs-Elysées. Au Rond-Point se
jette le pont d'Antin sur un égout, en l'année 1719, et
la promenade h. cette époque sert toutes les
nuits de repaire aux déclassés, qui n'ont pas
encore la ressource de se mettre révolutionnaires
de profession. Malheur aux petits bourgeois de
Ghaillot qui s'y attardent! Les arbres cachent nuitam-
ment des bras crochus, qui agrippent le passant,
l'entraînent et le fouillent au moins jusqu'aux
chausses; quelquefois même l'allée des Veuves (2)
en fait réellement une de plus. Toutefois il se
suit bientôt dans le faubourg Saint-Honoré des
hôtels qui projettent sans interruption un cordon
de jardins sur l'avenue Gabriel, cette lisière des
Champs-Elysées, et l'hôtel d'Argenson, séparé
de l'Elysée-Pompadour par l'avenue Marigny, con-
tribue, avec un petit nombre d'autres hôtels,
avec le Colisée, avec la Folie-Beaujon et avec la
Folie Marbeuf, à border du jardins particuliers
ce parc de tout le monde aux grandes allées,
(1) Notice écrite en 1859.
(2) Ayenue d'Antin.
29
554 AVENUE DES CHAMPS-ELYSEES.
aux carrés disposés pour les jeux de paume, de
quilles et de ballon, dont les abords sont embellis
pompeusement par Louis XV. Un monument en
l'honneur de 31arat et de Le Peletier y surgit,
sous la Convention, mais tombe avec la tèle de
Robespierre. Puis la placée Louis XV, devenue
place Louis XVI h titre d'expiation, et l.es Champs-
Elysées se trouvent concédés ù la Ville par Cliarles
X, mais à la condition qu'elle y dépense d'abord
2,300,000 francs.
A ce prix-là se sont régularisés des alignements,
rajeunies des allées et aplanies des inégaliiés,
sur toute l'étendue de la promenade, en même
temps tjuc s'améliorait la viabilité de l'avenue
qui la partageait en deux. Mais c'est la révolution
de 1830, et non pas la première, qui en a fait
un lieu relativement siîr h la lueur des réverbères ;
jusqu'alors il fallait être brave et bien armé pour y
passer à minuit avec sécurité. Là pourtant com-
mençaient et finissaient, depuis la première
pousse, toutes les réputations qui tenaient essentiel-
lement h l'équipage, comme si elles mangeaint
au même râtelier, et les amours y menaient déjà
ce train. LeLongchamps de la mode s'y prolongeait
d'une semaine-sainte à l'autre et s'y prolonge
encore pour des pèlerines et pèlerins mondains,
dont les révolutions n'ont fait qu'accroître le nombre.
Seulement un palais de l'Industrie, des théâtres,
des cafés, des parterres, des jets d'eau décorent
et animent la promenade qui, depuis l'Exposition
universelle, a perdu le caractère d'un spacieux
boulevard parisien, pour devenir en plein air le
caravansérail du monde entier. Quand l'avenue
fêtait la saint-Charles ou la saint-Louis, il s'y
dressait des pavillons du haut desquels saucissons
et poulets se jetaient à la foule, pour laquelle
des fontaines de vin coulaient en bas. La saint-
Napoléon fait autrement ses libéralités ; mais rien
AVENUE DES CHAMPS-ELYSEES. 555
n'estcompaiable à ses resplendissantes illuminations,
qui n'attirent pas aux Champs-Elysées que des
badauds de leur pays. Malgré cette extension
internationale, _ il y aurait vraiment ingratitude à
oublier que l'Elysée, le Golisée, Beaujon, Marbeuf
et d'autres jardins d'hôtels avaient déjà donné sous
l'ancien régime, avec la Seine, leur magnilique en-
cadrement à l'ancien Cours-la-Reine.
Par delà le Rond-Poinl, deux lignes d'hôtels
luxueux, mais ceux-ci de ( réation moderne, font
conduite à l'avenue, dite précédemment de Neuilly,
jusqu'à la barrière de l'Étoile, qui est menacée
elle-même de reculer jusqu'au Bois-de-Boulogne.
Ce quartier de Paris devient, et comment en douter?
le faubourg Saint-Germain du règne de Napoléon III.
Deux constructions anciennes, y faisant exception,
appartenaient aussi aux rues d'Angoulême (i) et de
Berri; nous en parlons dans les notices affectées
à ces rues. M"'' Contât habita l'un des deux hôtels,
avant le comte de Marescalchi, ambassadeur d'Italie.
L'autre fut édifié pour la fine M'"" de Langeac par
Chalgrin, et Barthélémy y peignit le plafond du salon
qui donnait sur ce qu'on appelait alors le Grand-
Cours. Chalgriii, architecte de Louis XVI et de
Monsieur, comte de Provence, aimait éperdùment
sa femme ; cette passion tout-à-fait légitime, mais
qu'il n'était pas de mode au xvni*^ siècle d'afficher,
donna lieu au jeu de mots que voici : sans l il n'y
aurait que chagrin.
Vis-à-vis se projetaient les jardins de Chaillot,
formés par M. de Janssen, homme instruit,
bienfaisant et philosophe, qui était baronnet anglais
et qui mourut à un âge avancé le 2 décembre
(1) La rue d'Angoulême-Saint-Honoré est acluellement
de Morny.
556 AVENUE DES CHAMPS-ELYSÉES.
1780. On remarquait dans son vaste enclos, quand
M'"*' de Marbeuf en prit possession, un saule de
Babylone au tronc de 84 pieds de circonférence.
Le comte de Choiseul-Gouttier, favori de l'impé-
ratrice Catherine, acheta le jardin Marbeuf et y
réunit des curiosités monumentales, qu'il avait
recueillies dans son ambassade à Constantinople,
L'arbre qu'on y admirait alors était un cèdre du
Liban, contemporain de celui du Jardin-des-Plantes.
Converti en jardin public par ordre de la Con-
vention, l'ancien Marbeuf devenait Idalie; un hyp-
podrome y fut même disposé. Puis des maisons
remplacèrent les taillis, dans un quartier nouveau,
qui s'agrandit ensuite aux dépens du Jardin-
d'Hiver, ciéalion du règne de Louis-Philippe.
On pourrait croire que l'hôtel qui porte le
chiffre 44 date de la fin du siècle précédent;
mais le docteur Villette, acquéreur d'une portion
du Colisée, y a fait bâtir cette maison au com-
mencement de la Restauration. Postérieur encore
est un petit hôtel que possède, près la rue d'An-
goulême, la baronne de Montalleur, y succédant à
l'architecte Ducret, qui l'a bâti.
Au 70 un marchand de chevaux s'est établi
sous le premier empire, et jusque-là les maquignons
passaient sans s'arrêter dans les Champs-Elysées.
La belle pelouse que laisse voir la grille du 74 ! Une
pension de garçons y était tenue, sous Charles X, par
Pierre Blanchard, qui écrivait et publiait des livres
pour les enfants ; au même endroit avait été trans-
férée précédemment la pension de demoiselles
que dirigeait M"»" Campan, auteur d'un Traité de
VÉducation des Demoiselles et de mémoires sur
Marie-Antoinette. Et, comme si ce n'était pas
encore assez de titres à la spécialité de la littérature
d'éducation, Bouilly, des Contes à ma Fille^ et la
famille du poète Legouvé fréquentaient aussi la
maison. La large porte du 78 ouvrait sur
AVENUE DES CHAMPS-ELYSEES 557
l'hôtel d'un prince régnant, le duc de Brunswick,
avant qu'une révolution lui enlevât l'exercice de
la souveraineté. A ce prince succéda, comme
propriétaire, M. le comte de Caumont-Laforce,
aujourd'hui duc, et qui s'est fait construire un
autre hôtel en face de l'ancien jardin Beaujon.
Le 99 et le 101 ne remontent guère qu'au
commencement du présent siècle. A la place du
109, qui appartient à la rue du Château-des-
Fleurs aussi et à la rue des Vignes (i), il s'élevait,
sous Louis XVI, un bâtiment dont il reste un
corps par-derrière, et une échoppe k bière y
aliénait, que fréquentaient en ce temps-là les
habitués du promenoir de Chaillol. On appelait
ainsi la promenade en terrasse que Ghaillot
accolait à l'avenue des Champs-Elysées.
(1) Maintenant l'une est rue Bassano et l'autre tue
Vernet.
Rue Boissy-d^An^las,
EX en QUI S'kX appelait NAGUÈaii
Rue tHe» Cliauips-Élysées* {i)
Grimod de la Kei/niâre. — M^^*" Lorphelin. — Pelet
de la Lozdre. — Logrenée. — Junnt. — Les
Diamants de la Couronne. — M. Rousse.
Le fermier-général Grimod de la Reynière, qui
devint administrateur-général des Postes, s'était
d'abord cm'ichi dans les fournitures de l'armée
du maréchal de Soubise, pendant la guerre de
Sept-ans, à l'issue de laquelle il s'était fait bâtir
un magnifique hôtel. Le cercle Impérial en paye
le loyer à l'État et y succède h l'ambassade de
Turquie, qui venait elle-même après celle de Russie:
o, rue des Champs-Elysées. Le financier Giimod
y a fait décorer un grand salon sur les dessins
de Clérisseau, peintre du roi, premier architecte
de l'impératrice de Russie, et y a réuni une belle
collectiondetablcaux de l'école française, d'eslami'cs
rares et de bronzes. Le jour même où il épousait
M"* de Jarente, nièce d'un évêque auquel étaient
connues de fastueuses amours, il demandait Ji
Malesherbes, son beau-frère : — Croyez-vous qu'elle
me rende heureux ? — Cela dépend, répondit
nettement le plus honnête homme de son temps !
Cela dépend du premier amant qu'elle aura.
L'unique fruit de cet hymen fut un garçon
(1) Notice érrile pd 1858. Le président rie la Convention
qui avait montré une si héroïque fermeté, dans la journée
du ler prairial an ni, n'était encore le patron ni de la
rue des Champs-Elysées, ni de celle de la Madeleine.
RUE BOISSY-D'ANGLAS. ETC. 559
assez osé pour dire souvent à sa mère qu'elle
s'était diablement mésalliée en épousant le fils
d'un cliarculier. Le jeune Alexandre Grimod de
la Reynière, bien avant la prise de la Bastille, se
moquait des grands airs toujours affichés dans
sa maison, dont il aurait voulu que les armes
fussent un cervelas sur champ de gueules. —
Pourquoi ne pas acheter une charge de conseiller ?
lui disaient ses amis. — Parce qu'étant juge,
répondait le jeune homme, je commencerais par
condamner mon père pour l'argent qu'il a mal acquis.
En me faisant avocat, je ne pourrai que le défendre.
L'avocat offre ensuite un grand dîner, dans
l'hôtel de son père, 5 ceux de ses confrères
qui fourniront le mieux leurs preuves de roture ;
d'autres fois il invite pêle-mêle abbés, mousque-
taires, charcutiers, à la condition de se présenter
tous la tête nue, sans épée et sans décoration. Il
se livre néanmoins aux lettres, d'abord en ce
qu'elles ont de compatible avec la bonne chère
et la gaieté, mais aussi d'une façon plus sérieuse
qu'au Caveau. On ne sert îi ses déjeuners du
mercredi et du samedi que du café au lait, des
tartines et les écrits nouvellement mis au jour.
Une fois que le droit de succession le rend lout-
à-fait maître de la place, la table de Grimod de
la Reynière est constamment ouverte aux beaux-
esprits, qui lui font la réputation de gourmand
illustre et généreux, pendant que mille fiicéties et
mascarades continuent à le signaler comme original
au premier chef. M'i-^ Contât et d'autres actrices
participent h ces fêtes, mais qui n'ont pas
toujours pour décoration principale les emblèmes
de la piofession de son grand-père. Une fois,
entre autres, il tend de noir la salle h manger,
et derrière chacun de ses invités une bière
fait l'office de servante. Domilien n'a-t-il pas, du
reste, joué un tour encore plus funèbre à des
560 RUE BOISSY-DANGLAS. ETC.
sénateurs et à des chevaliers, chacun desdits
convives de l'empereur trouvant devant sa place
une colonne sépulcrale et y lisant son nom à la lueur
d'une lampe de tombeau? L'amphylrion plus vol-
tairien que Voltaire imagine, un autre jour, d'éprou-
ver l'afleclion de ses amis, en faisant adresser à
chacun d'eux une lettre de faire-part dans la
forme ordinaire, qui les prie d'assister à ses
prétendues funérailles. Beaucoup manquent k
l'appel et se contentent de regretter sa table, où
ils n'auront plus leur couvert ; ceux qui viennent
pour rendre au défunt les derniers devoirs,
trouvent un cercueil placé devant la porte et les
domestiques en grand deuil. On se lève même
pour se rendre II l'église ; mais soudain une porte
s'ouvre derrière le mort, qui ressuscite, et avec lui
une nappe somptueusement chargée, avec autant
d'assiettes (ju'il a encore de vrais amis. La Révo-
lution n'en enlève pas moins à Grimod la majeure
partie de sa fortune. Force lui étant de diminuer
son train, quel meilleur moyen trouverait-il
d'éclaircir de nouveau le nombre (Je ses amis que de
se faire journaliste ! De 1803 i\ 1812 il a encore
pour parasites d'Aigrefeuille et Gamérani, ainsi que
le docteur Gaslaldi ; il préside un nouveau jury
de sa création, qui prononce sur les découvertes
culinaires, et il écrit {'Almanach des Gourmands,
qui le fait accueillir îi la table de Cambacérès. En
18l4 il se retire II Villiers-sur-Orge, dans son château.
Au 8, qui tient la place de l'ancien magasin de
marbres du roi, le premier empire voit prospérer
la pension de M"** Lorphelin, ancienne institutrice
des quatre filles du prince Victor de Broglie sous
Louis XVL Cette maison d'éducation allant de pair
avec celle que dirige M'"" Campan, ci-devant femme
de chambre de Marie-Antoinette, qui est déjh
chargée de l'éducation de plusieurs princesses
Bonaparte, M""' Campan fiiit attaquer l'établissement
RUE BOISSY-D'ANGLAS, ETC. 561
rival du sien par un des rédacteurs du Journal
des Débais. On reproche ii M"* Lorphelin d'élever
ses pensionnaires trop pour le monde et surtout
de leur faire jouer la comédie ; il est vrai que les
représentations données de loin en loin par ces
demoiselles obtiennent en ce temps-là tant de
succès que l'élite de la société intrigue pour y
assister. Le maréchal comte Serrurier, qui vote
en 1814 la déchéance de Napoléon, cesse toutefois
en 1816 de gouverner les Invalides ; remplacé dans
ce poste par le duc de Coigny, il se retire où
étaient naguère M"« Lorphelin et ses élèves. Puis,
à la fin du règne de Charles X, c'est l'hôtel du duc
de Raguse. Nous y voyons mourir, en l'année
1841, le comte Pelet de la Lozère, ancien membre
du conseil des Cinq-Cents, où il s'est constamment
montré le défenseur des libertés de la presse, et
l'immeuble appartient encore de nos jours à l'ancien
ministre des finances du même nom, homme
d'État aux vues libérales, mais d'application
conciliante.
En face, voici le n" 9, habité sous l'ancien
régime par le prince de la Trémoille, époux de
la veuve du prince de Saint-Maurisse. Anselme
Lagrenée, peintre de chevaux, lils et neveu de
peintres, a disposé de la même propriété. La
belle M"'' Bazire avait quitté de bonne heure la
Comédie-Française, pour partager le nom de cet
homme de plaisir, le plus aimable des membres
de sa famille, rictime du choléra en 1832.
Au 12, où demeurent maintenant les princes de
Beauvau, nous eussions rencontré en son temps
le général Junot, duc d'Abrantès, mari d'une femme
d'esprit. Moins dépourvu de goût que d'instruction,
Junot aimait les livres, les belles éditions, les
manuscrits pi'écieux, les gravures en première
épreuve, et cette passion rendait insuffisants les
grands revenus dont il jouissait; sa bibliothèque
r.r.2 RUE BOISSY D'ANGLAS ETC.
fort curieuse lui coûtait encore plus cher que son
hôtel, ci-devant h la marquise de Cauvisson, bien
qu'il en eût fait un palais. Les deux colonnes qui en
décorent le seuil datent de cette restauration.
D'ailleurs, un vieillard nous rapporte de vUii que
ledit hôtel, acheté par la liste civile, a servi à
l'exposition des diamants de la Couronne, qu'on
montrait tous les mercredis. Quant à M""* de Cau-
visson, elle avait eu pour voisins les d'Andlau,
prédécesseurs probables du comte Pelet,
Qui si nous remontons au plan de Turgot, pour
voir les choses de plus haut, des murs et des
chantiers n'avaient pas encore fait place en 1739
aux hôtels dont nous venons d'ébaucher l'histoire.
Presque tout le terrain, du côté des numéros
pairs, avait eu pour propriétaire Paul Duparan,
seigneur en Brie et conseiller du roi Louis XIV,
puis Noël Odeau, puis le célèbre Law. La .rue
s'appelait de la Bonne-Morue et finissait à la porte
du Cours-la-Beine, en 1714, après avoir porté
antérieurement, comme simple chemin, la dénomina-
tion de l'Abreuvoir-l'Evêque. Toutefois, dès le
milieu du xvn" siècle, il avait été bâti du côté
précité une maison à deux corps, à quatre étages,
:i deux boutiques et h l'image de Sainte-Anne, pour
Rousse, conseiller du roi ; les actes la désignaient
comme sise au faubourg Saint-Honoré, en la grande
rue, où donnait sa porte principale. Mècre, lieutenant
de cavalerie, en était pi'opriétaire lorsque des
lettres-patentes de Louis XV, en 1757, donnaient
à la rue son nom artuel, en prescrivant l'alignement
qui coupait en ccharfie ladite propriété, et or-
donnaient l'établissement de l'égout qui grouille
encore sous le trottoir. A la place de cette
construction, doyenne à coup sûr delà rue, deux
autres maisons s'élevaient sous la Restauration.
Rue des Charbonniers et rue Bertliollet,
NAGOÈRK
des Charbonniers«Saint-i]llarce]. (4)
L'une des deux donne rue de Charenton, au
faubourg Saint-Antoine ; I autre, rue des Bourgui-
gnons, au faubourg Saint-Marceau.
Celle-ci date de 1540, en tant que chemin des
Charbonniers, qui demeura quelque temps encore
inhabité ; mais Henri IV eût pu y appliquer l'un
des grands mots qui l'ont fait populaire: « Char-
bonnier est maître chez soi. » De son règne
datent le 4 et le 6, masures déjh vides, qui ne
demandent plus que le coup de grâce. A l'enseigne
des Trois-Chapelets a été le 7. Le 9 tient bon,
il porte ses deux siècles avec une certaine aisance :
maison de petite bourgeoisie. Au 18 Fructidor
vint s'y cacher Dussault, qui avait rédigé avec
Fréron ["Orateur du Peuple, feuille rivale de cclle
(l) Noiicp écrite «r-n 185R. L'avpnue Daumesni! et
1« Yi'aHiic du rhemin de fer de Viiicennes croisaient
déjà colle dos deux tues des Charbonniers qui garde
sa df-nomination ; mais 1rs travaux de voirie n'y étaient
pas achevés comme au boulevard Ma/as, qui dépassait
déjà celle rue dans un sens presque parallèle à l'avenue
et an viaduc La rue qu'on a dédiée depuis à un
ffrand chimiste ne commençait qu'à celle de l'Arbalète ;
elle part maintenant de celle des Feuiliaiitines, pro-
longement donné à un cnl-de-sac ; son élargissement,
bien qu'il ait épargné quelques maisons qui se regardent
»u milieu du nouveau jiarcours, jiorte son embouchure
un peu plus à cauche que naguère sur la ci-devant
rue des Bourguignons, tronçon actuel du boulevard
Arago.
5o4 RUE DES CHARBONNIERS, ETC.
de Marat, et la découverte de sa retraite le
contraignit à en chercher une autre; mais le 18
Brumaire lui permit de quitter l'incognito, pour
concourir, non sans éclat, t» la rédaction des
Débats. Une fabrique de poterie succède à un
jardin, n" 12, et l'école des Frères, qui fait vis-à-
vis, tient elle-même la place d'une serre. La
maison contiguë aux classes n'a plus rien, Dieu
me pardonne ! qui sente le sac à charbon ; on
y vit et on y respire sans poussier qui monte
h la gorge. Un jardin s'épanouit encore derrière
la muraille du 14, dont la seconde porte est rue
des Bourguignons. Mais du temps de Buffon c'était
bien autre chose : on venait jusqu'à la rue des
Charbonniers-Saint-Marcel rien que pour la pépinière
de Descemet, fleuriste du collège de Pharmacie et
de Monsieur, frère du roi. Un hôtel de la Noblesse
y portait, qui plus est, le n'' 20: école formant
par l'éducation nobiliaire des officiers pour l'artil-
lej'ie, le génie et la marine. Néanmoins notre
rue et celle des Bourguignons étaient privilégiées,
comme une portion de celle de l'Arbalète, en ce
que les ouvriers pouvaient s'y passer de maîtrise.
L'autre rue des Charbonniers a porté la dési-
gnation de Clochepin, et d'abord celle du Port-
au-Plâtre. Elle a changé du blanc au noir ; ce
n'est pourtant pas une rue politique. Son n" 25
se reconnaît sur la grande carte de 1739 : cette
maisonnette ouvrait dès-lors sur la rue de Charen-
ton, mais il y altenaitun jardin longeant la petite
rue. Une jolie lîlle, nommée Rose-Marie, que le
maréchal de Soubise avait lancée dans la circu-
lation galante, et qui, au lieu de monter en grade,
ce qui eût été difficile, avait fini, de chute en
chute, par s'affoler d'un simple mousquetaire de
la 2'' compagnie, casernée rue de Charenton,
logeait dans cette maison en 1757, et de chagrin
elle s'y jeta dans le puits: elle avait vu la veille
RUE DES CHARBONNIERS, ETC. 5G5
défiler, sous sa fenêtre, ceux des mousquetaires
noirs qui venaient d'assister à la funeste bataille
de Rosbacli, et une recrue occupait dans les rangs
la place de son dernier amant, frappé d'une balle
sous les yeux du premier. Les prières suprêmes
de l'église n'étant pas accordées h Rose-Marie,
les soldats qui avaient retiré son corps du puits
l'inhumèrent pendant la nuit. Puis, pour purifier
ce coin de rue de la souillure qu'y avaient
imprimée, disait-on, le genre de vie et le genre
de mort de cette fille, on mit dans la maison
voisine, qui se bâtit vers le même temps, présen-
tement n" 23, une petite statue de la Sainte-
Vierge, dans une niche que chacun peut revoir.
Le reste de la rue des Gharbonniers-Saint-
Antoine, en 1739, n'était encore que marais.
Rue do Charenioii. (i)
VOmnibus. — Les Mousquetaires noirs. — Les
Enfants Trouvés. — 1720. — L'Abbaye. — Les
Filles Anglaises. — Les Fabriques. — Le Clos de
Rambouillet. — La Vallée de Fécamp. — La
Barrière.
Celte rue, qui embrasse tant d'immeubles, n'a
pas toujours eu sa longueur. Elle finissait à la
petite rue de Reuilly, pour s'appeler de la Planchette
jusqu'à celle Montgallet, quand le reste en était
rue de la Vallée-de-Fécamp, k cause d'un terrain,
le Bas-Fécamp, sur lequel elle s'était formée au
xv** siècle. M. Rousseau, notre éclaireur, s'est
engagé dans cette longue rue sur l'impériale d'un
omnibus ; c'était le moyen de voir les choses de
haut. La mobilité de ce poste d'observation n'a
pas empêché le vctyageur de prendre ses notes,
comme s'il était à pied. Mais des rames ne suffisent
pas au jardinage ; il faut aussi que le.s petits
(1) Notice écrite en 1858. La rue qu'elle concerne,
depuis que la Barrière a reculé jusqu'aux FortUications,
comprend une rue de Charentou qui ne faisait pas
encore partie de Paris. L'avenue Danmesnil la croise,
qui plus est, avec le chenain de fer de Vinceunes
pour terrasse, que borde aussi, mais de moins, près,
la rue Mouigallet. Un peu plus l)as, la rue Érard,
naguère petite rue de Reuilly, rayonne au même
carrefour que la rue Rambouillet, que la nouvelle rue
Chaliguy, d'abord de 1 Empereur, et que la nouvelle
rue Crozatier. Plus bas encore, mais uu peu au-dessus
du boulevard Mazas et de la rue Beccaria, naguère de
Beauvau, le passage Abel-Leblauc a pris la place d'une
allée oe jardin.
RUE DE CHARENTON. 5«7
pois poussent. Beaucoup de vieux bâtiments, plus
ou moins refaits, qu'exploitent principalenlent des
ébénistes, bordent la partie intérieure de la rue,
bien que l'on n'y trouvât encore qu'un petit nom-
bre de constructions avant le règne de Louis XV.
Le n" 10, qu'on est en train de démolir, date au
•moins du xn*" siècle. Le 20 remonte â la même
époque ; sa porte cintrée est assez basse pour
qu'aucun grenadier de noire temps ne la franchisse,
tête nue, sans se baisser : preuve nouvelle que,
depuis Louis XII, la taille du moins n'a pas décru.
Au 24, vieilles ferrures, grande porte cintrée.
Une croix indique à peine, pour les passants,
qu'au fond de la cour du 26 est l'église Saint-
Antoine, ancienne comme chapelle, contiguë en
effet h l'hospice des Quinze-Vingts. Cet ancien
hôtel des mousquetaires noirs, édihé en l'année
4701, fut vendu 4oO,000 livres aux Quinze-Vingts
et passa de caserne hôpital en 1780.
En face des Mousquetaires il n'y avait encore
que des chantiers en 1739. Maintenant plusieurs
passages communiquent, sur celte rive, avec le
faubourg Saint-Antoine, notamment la cour de
Bourgogne, véritable cité ouvrière, avec bâtiments
uniformes, à l'intérieur desquels chaque pièce
forme aisément logement à part, et le tout semble
avoir fait partie ou d'un couvent ou d'un hospice :
les petits carreaux des fenêtres et la margelle d'un
puits supprimé attestent, dans tous les cas, une
origine séculaire. Que risque-t-on d'y voir une des
dépendances de l'ancien hospice des Enfants-
Trouvés, remplacé de nos jours par l'hôpital
Sainte-Eugénie ? La première pierre de ces Enfants-
Trouvés fut posée en 1669 par la reine Marie-
Thérèse j mais l'établissement d'une succursale place
du Parvis-Notre-Dame prouvait, dès l'année sui-
vante, l'insuffissance de cet hôpital, qui vraisembla-
blement fut agrandi. Toutefois ce n° 59 n'a-t-il pas
568 RUE DE CHARENTON.
fait corps avec une maison fondée dans la rue
du Faubourg-Saint-Antoine en 1646, sous le titre
de la Providence, par le prêtre Antoine fearberé,
mais qui ne durait déjà plus au milieu du siècle
suivant ? En tout cas, les Enfants-Trouvés donnaient
par-derrière sur la rue de Charenton en 1720.
A la rive gauche de la rue s'appliquait alors
ce relevé :
Ua tapissier, propriétaire à l'angle de la rue du
Faubourg-Saint- Antoine. — De Beaufort, maitre-des-
comptes, avec entrée rue du Faubourg. — Pacqué,
bourgeois, item. — Leclère, charron, item. — De Grand-
champ, avec un brasseur pour locataire. — Les D"»s Bou-
rassée. — Un marchand-de-vin. — Un charpentier. — Un
brasseur. — L'hôpital des Enfants-Trouvés. — M"" Chau-
moDt, propriété quadruple, avec entrée par la rue du
Faubourg. — M"* d'Epinay, son habitation, en face de
laquelle commence le clos Rambouillet. — Un boulanger.
— La veuve Petitfils. — Un plombier. — Un mercier. —
Baslin. — Josse. — Oudinguez. — Un boulanger. — La
veuTe Parisette. — Un maître-mâçon. — Un boulanger.
— Un vigneron. — Une jardinière. — De Lavalette, chef
de cuisine du duc de Roh&n, 261 toises. — Badin,
géomètre. — Un menuisier. — Un jardinier. — Un
carrier. — Un boulanger. — Un jardinier. — Un gagne-
denier. — Un vitrier.
Si ce tableau était complet, l'abbaye royale de
Saint-Antoine y profilerait au moins des arbres, à
un plan même qui ne serais pas le dernier : son
jardin verdoyait à partir de notre ïï° 103. D'ailleurs,
Richer de Rhodes était propriétaire en 171S au
bout de la rue de Charenton, même côté.
Sur l'autre rive, au confluent de la rue Moreau,
nous abordons à ce qui reste d'un couvent de
Bethléem, qu'occupaient des filles anglaises. Ces
religieuses de la Conception s'étaient réfugiées
derrière la Bastille dès 1635, dit l'abbé Lebeuf ;
RUE DE CHARENTON. S^.O
trente ans plus tard, selon d'autres historiens, et
nous concluons de celte contradiction qu'elles ont
eu par-là un établissement provisoire, avant de
s'y installer d'une façon définitive. De leur chapelle,
sur la rue Moreau, la première pierre ne fut posée
que le 2 juin 1672, par la chancelière Le Teliier,
et elles avaient acqui.^ deux ans plus tôt une maison
avec jardin h l'encoignure de ladite rue, après un
court séjour dans le faubourg Saint-Jacques, le
tout sous la conduite de M""' Jernigan, abbesse.
Leur ci-devant propriété fut criée en trois lots
aux enchères des 7 et 17 vendémiaire an vm.
Au 80, qui vient après d'autres masures, ses
contemporaines, nous remarquons encore une
porte bâtarde, à cintre bas, qu'a rappetissée sans
doute Texhaussement du sol après coup : l'ancienne
édililé de Paris était pourtant avare de ces
surprises. N" 90 et 92 : façades du temps de
Louis XVI, qui semblent avoir toujours été celles
de deux grandes fabriques, La pi-incipale de la
rue, en l'année 1769, était une manufacture de
tabatières de carton verni. Mais au-delà c'est encore
la culture qui domine, à droite comme à gauche ;
les ustensiles de ménage d'occasion y sont l'article
de commerce le plus en évidence, et les chantiers
en moins grand nombre que ces étalages de rebut.
Le chemin de fer de Vincennes monte à cheval
sur la rue près du n" 202, où des plantes potagères
sont cultivées dans l'ancienne Folie-Rambouillet.
Celle-ci, autrement dite jardindeReuilly ethôtel des
Quatre-Pavillons, fut créée sous Louis XIV par le
financier Rambouillet, qui n'appartenait nullement
à la famille d'Angennes de Rambouillet, mais qui
eut pour neveu notre maître Tallemanl des Réaux.
Son fils, Rambouillet de la Sablière, administrateur
des domaines du roi, tournait galamment le madrigal
et avait une femme savante, mais d'esprit, qui
s'est immortalisée par la protection qu'elle a
30
57« RUE DE CHARENTON.
accordée ti Lafontaine et au voyageur Bernier.
Le jardin a été célèbre avant M""' de la Sablière ;
d'heureuses dispositions, des IVuits d'élite, des
fleurs à prolusion en ont fait tout de suite une
des curiosités de Paris : les dames de la place
Royale, sous prétexte de le visiter, y acceptaient
des rendez-vous, et l'amour y jouait aux quatre
coins. Le clos était carré, avec un pavillon à
chaque angle et une maison au milieu. Sur un
grand nombre d'allées, il y en avait que bordaient
des palissades et d'autres que des arbres ombra-
geaient ; la plus longue menait à une terrasse en
vue de la Seine. Les grands seigneurs et le roi
lui-même faisaient demander au jardinier de ses
fruits. Verge)' et cour d'amour, la Folie-Rambouillet
a, qui plus est, des états de service diplomatiques :
les ambassadeurs des puissances étrangères non
catholiques, celui du roi de Siam comme celui
du souverain des Trois-Royaumes, s'y rendaient
et y stationnaient, en attendant les carrosses de
la cour, pour (aire leur entrée solennelle. Delaunay,
gouverneur de la Bastille, n'eut qu'indirectement
les restes de ces ambassadeurs et de M. de
Masangy ou de Martangis : le clos était déjà
réduit et l'agréable sacrifié à l'utile par la transfor-
mation de bocages et de parterres en potagers.
Il en survit encore la porte principale, avec son
petit guichet grillé, et le logement du jardinier,
avec deux croisées bien ferrées.
En l'année 1720 étaient propriétaires:
Ledit Masangy ou Marlangis, au clos de Rambouillet,
affermé à divers maraîchers : 24 arpens, 935 toises de
superficie, comporlaut 1 maison, 4 pavillons, 4 serres et
4 logis de jardiniers. — Le môme, pour 1820 toises de
Ja même provenance et situées immédiatement au-
aessus, avec 2 autres corps-de-iogis. — Grassin, directeur
dâ la Monnaie de Paris, marais à Ja suite aboutissant
RUE DE CHAUENTOX. 571
rue de Bercy, avec des jardiniers pour locataires. —
Renauld, caissier du Trésor royal, maisoii et jardin :
2812 toises. — Vaiitenzie, item : c)077 toises. — Un jar-
dinier. — Un autre jardinier. — Langelée, avocat :
propriété qu'il occupe. — La veuve Gouruiau. — La-
guerre. — Un jardinier. — Un vacher. — Un jardinier.
— Enfin un cabaretier.
Que si riiôtel où faisaient auticliambi'e les
ambassadeurs protestants avait cLé choisi par le
roi le jour même où il révoquait l'édit de Nantes,
on eût pu croire h. son intention de réveiller pour
eux un souvenir comminatoire. L'ancienne vallée
de Fécjimp, dont sortait le clos de Rambouillet,
avait été notoirement le théâtre d'un massacre de
rélbrmés, revenant tant à pied qu'en carrosses de
leur prêche de Charenlon, le 26 septembi^e 1621.
Il est vrai que cette criminelle exécution avait eu
pour mobile le vol et pour auteui^s une bande
de brigands, échappés de la lorèt de Bondy, qui
savaient enrichis par le commerce la plupart des
religionnaires du temple de Cliarenton.
Mais nous \oici à la barrière devant laquelle
l'omnibus dépose ses derniers voyageui^s. Notre
ambassadeur protestant dit que l'aspect en est triste
et trouve étrange que tant de gens viennent
s'y amuser, le lundi, en noyant dans le vin leur
raison sur une route qui mène h. Gharenton !
Cette porte de Paris n'avait pourtant pas tort de se
mettre en fête un jour du mois de juillet de l'année
1800 : par-là rentrait le premier- consul en ville,
peu de temps après la victoire de Marengo, et
les acclamations de la foule ouvraient la marche !
La barrière de Gharehton en a gardé le nom de
Marengo jusqu'en 1815.
Rue Cliarlciiiiiffiic et l'iic Eg;inliai*<l,
]^euvc*-Naini-Anas<asc. (i)
Le pourtour d'une ancienne poterne.
Vers la fin du grand règne, un président, sieur
de ChàleaLgiron, recevait les visites, les paniers
d'œufs et les chapons lins des plaideurs, dans
l'hôtel respectable qui porte le n" 18; la cour
en est fermée sur la rue par un mur, que surmonte
un balcon à jolie balustrade en fer. C'était souvent
le jour de l'an pour les juges de cette époque-
là, sans que les étrennes engageassent leur con-
science, l'usage autorisant la robe à faire bon
accueil aux bourriches, que depuis on a remplacées
par de simples cartes de visite. Gomme président,
31. de Châleaugiron recevait toute Tannée; mais
comme seigneur, c'était le premier mai, jour
pour lequel il se rendait dans sa tei-re, située
près de Rennes. Une singulière coutume voulait
que chacun de ses vilains lui apportât après la
messe, sur lepont-levisdu château, et en présence
du bailli, sous peine de perdre la jouiosance de
ses fruits pendant l'année, une ceinture de laine
bigarrée, dite la ceinture du berger, et qu'il
(1) Notice écrite en 18r)8, avant nue la ruelle Neuve-
Saiut-Anastase reçut le nom de Inistorien Eginhard,
stcrétaire de Charlemdgne.
RUE CHARLEMAGNE, ETC. 573
chantât en même temps une chanson qui com-
mençait ainsi :
Belle bergère, Dieu vous gard,
Tant vous êtes belle et jolie ;
Le fils du Roi, Dieu vous sauve et gard,
Vous et la votre compagnie ;
Entrez, je suis en fantaisie...
Les procureurs qui habitaient le 25 et le 20 de
la même rue regardaient comme très-supertlu ce
nombre immense de ceintures, et ils se conten-
taient de remplir la leur sans musique. Gilles
Charpentier, trésorier-général de l'ordre de Saint-
Louis, léguait vers le même temps à Jean Char-
pentier, conseiller du roi, le n° 21, où il reste
un bel escalier à rampe de fer; M. Charpentier
de Sainsot, qui s'en défit en 1823, avait eu pour
prédécesseur Charpentier de Foissel. Du même
côté se présentait à l'envers, pendant les derniers
siècles, le couvent de VAve-Maria, maintenant
caserne.
Dans le passage Charlemagne, qui met la rue Saint-
Antoine en com.munication avec la nôtre, on vous
parlera de la reine Blanche, bien que la jolie
tour, cage d'escalier h vis, et les sculptures qui
s'y remarquent soient d'un siècle postérieur au
X'iIP. Les reines avaient alors tant de logis qu'elles
voyageaient par étapes dans Paris et aux environs,
en se trouvant partout chez elles. La rue de la
Fausse-Poterne-Saint-Paul, aïeule de celle Char-
lemagne, a pu recevoir la mère de Louis IX,
près de la fausse porte de l'enceinte de Philippe-
Auguste qui se trouvait derrière le lycée Charlemagne
actuel ; mais il n'y a de certitude que pour une
résidence princière. Ce lycée, l'un des quatre créés
par la loi du l'^' mai 1802, n'a donné que trente-
huit ans après son nom à la rue et au passage.
Celui-ci n'avait jamais dépendu de l'ancienne
57* RUE CHARLEMAGNE. ETC.
maison professe affectée au lycée et s'était ouvert
avant la révolution de Juillet. Les jésuites s'étaient
établis sous Henri III rue Saint-Ànloine, dans un
hôtel Rochepot et Damvillc, que le cardinal de
Bourbon avait acheté pour eux de la duchesse
de Montmorency. Or Damville avait eu pour frère
l'amiral de Coligni, dont les états de service
pouvaient avoir inspiré le choix des attributs de
marine qui figurent parmi les sculptures extérieures
de ce reste d'hôtel historique. Mais l'église Saint-
Paul-Saint-Louis, bâtie par les jésuites, qui se sont,
agrandis en l'année 1618 par des acquisitions nouvel-
les, tient la place de l'hôtel Rochepot. La tourelle
survit h ce qui a été reconstruit de l'ancien hôtel
Aubriot pour l'amiral de Graville sous Louis XII.
Charles V en avait fait les frais pour Hugues,
Aubriot, prévôt de Paris, dont le prédécesseur
avait été Jacques de Paci, en sa maison des
Marmouzets. La confiscation avait mis le roi en
pi)ssession de l'hôtel du prévôt disgracié, et
Charles VI l'avait vendu ii Pierre de Giac, chan-
celier de France, dont Louis duc d'Orléans avait
été le preneur. L'image du Porc-Épic, arborée
alors sur la porte, était l'emblème d'un ordre
institué par ce prince, qui avait donné ledit manoir
à Jean duc de Berri, en échange des Tournelles,
et Jean de Berri en avait gratifié Jean Montaigu,
surintendant des finances, saisi et décapité en 1409
pour crimes de sortilège et de malversation, mais
réhabilité dans sa mémoire au bout de trois années.
Guillaume de Bavière, comte de Hainaut, partisan
du duc de Bourgogne, tout en n'étant qu'usufruitier
h vie de l'ancien hôtel Aubriot, y avait précédé,
au XV*' siècle, son gendre Jean de Bourgogne,
duc de Brabant, et le connétable Arthur de
Richement, dont la femme, Marguerite de Bourgogne,
y était passée d'une vie dans l'autre. Ensuite
Robert d'Estouteville avait refait du logis celui
RUE CHARLEMAGNE, ETC. 575
du prévôt de Paris, en en remplissant les fonctions,
et pareillement son fils Jacques après lui. Louis
Malet, dit l'amiral de Graville, renouait lui-même
le fd d'une autre tradition : il était arrière-petit-fils de
Jean Monlaigu. Son gendre, Pierre de Balzac, baron
d'Entraigues, vendit h Guillaume Legentilhomme.
Puis il y eut division. Mauran, conseiller du roi,
n'était propriétaire en 1608 que de la moitié ;
le reste appartenait dans le cours du même
siècle et du suivant -d la f^imille parlementaire de
Jassaud, qui eut aussi le n° 9 de la rue.
Cette autre propriété, si elle ne comptait encore
que pour une dans les 12 reconnues en 1714 à
ladite rue, n'en a pas moins fait trois, réunies en
1784 par Pierre de Jassaud, seigneur de Bour-
nonville, ancien officier du roi. Une origine plus
reculée y est parfaitement attestée par une tour,
encore en faction du côté de la caserne, et par
un escalier, pourvu jusqu'au premier d'une élégante
rampe de fer, à laquelle font suite des balustrçs
de bois. Jassaud de Bournonville en tenait une
portion de M"'' de Benoimont, dont la famille
Taillandier avait eu le père pour acquéreur, et
un autre corps-de-bàtiment lui venait de Jean
Pantaléon, vicomte de Butller, capitaine au royal-
dragons. Plusieurs grands-oncles de Buttler, qui
descendaient de Robert, duc de Normandie, avaient
été généralissimes des armées de la Grande-
Bretagne ; la reine Elisabeth avait eu un enfant
d'un membre de ladite famille, son cousin au
cinquième degré, et ce fils avait suivi Jacques II
en France. M"'' de Jassaud, dont la mère était
née Boischantel, avait en se mariant 200,000 livres,
dont l'apport était constitué en totalité ou en
partie par celle maison, dans la censive et mou-
vance de l'Arcbevêché, et par celle dont nous
parlions tout-à-riieure.
Le 9 et le 7 ne sont même pas les seuls qui
ô7« RUE CHARLEMAGNE, ETC.
se donnent pour d'anciennes dépendances du pré-
tendu séjour de la reine Blanche. Mais des prêtres
de l'église Saint-Paul, démolie sous la République,
ont tellement habité la rue qu'on l'en a dite
longtemps des Prêtres-Saint-Paul. Les deux pre-
mières maisons qu'ils y trouvaient h droite en
venant de la rue Saint-Paul appartenaient à la
iabrique de leur église ; les trois d'en face, aux
hospitalières de Saint-Gervais.
Le fanatique athée Naigeon a pourtant demeuré
daiis la petite rue Neuve-Saint-Ânastase, originaire-
ment ruelle Saint-Paul, qui donne dans l'ancienne
rue des Prêtres : ce disciple de Diderot, auteur
d'un Dictionnaire de Philosophie, a édité des
opuscules du baron d'Holbach. Du côté droit de la
ruelle formant équerre, les susdites religieuses
étaient propriétaires de ce qui donnait aussi rue
Saint-Antoine.
Rue Chariot, (i)
Chariot. — Michel Sigeon. — Les Cambis et les
S ourdis. — Les Gruyn. — Les Capucins. —
M. de Brévannes. Nestor Roqiieplan. — Le
Coadiuteur. — M. de Charnacé. — M. De-
helleyme. — M . de Turménies. — Autres Nobles et
autres Vilains. — Les PoUgnac et les Coli'crt. —
Les Berlin. — Les Pâtés d Anguilles. — Sébastien
Cramoisi/. — Van Robais. — Bayard. — V Ocu-
liste. — al/""" de Lamotte. — M. de Mascarani. —
Noces, Festins, Parties fines.
Delà rue Chariot, qu'on a dile aussi d'Angoumois,
font partie depuis 1851 celles deBerri ei d'Orléans,
qui s'étaient ouvertes comme elle en l'année 1626.
La Tynna dit, en son Dictionnaire des Rues de
Paris, que des maisons bâties pour Claude Chariot,
paysan languedocien qui était devenu un riche
tinancier, l'impatronisèrent dans sa rue. Ce trai-
tant, adjudicataire des gabelles et des cinq grosses
lermes, acheta en Guyenne la terre de Fronsac,
titre d'un duché créé par Henri IV pour le comte
de Saint-Paul, de la maison d'Orléans-Longueville,
et qui passa plus tard dans celle de Richelieu.
Nous retrouvons, d'ailleurs, au financier du Marais
deux parents : Joseph Chariot, seigneur de Prinzé,
conseiller au Chàlelet, échevin de la ville de 1635 à
1637, sous la prévôté de Michel Maureau, et Pierre
Chariot, échevin trente-quatre années plus tard.
H est assez probable que le paysan parvenu a
spéculé sur le terrain de beaucoup des hôtels
(1) Notice écrite eu 1858.
578 RUE CHARLOT.
dont nous allons parler; mais il aurait eu pour
associe Michel Sigeon, h qui le grand-prieur de
France avait accensé un quartier de la culture
du Temple: aucun Chariot ne ligure que nous
sachions dans les actes relatifs h cette opération
considérable, qui remonte à l'année 1608.
Le n" 3 appartenait, dès la fin du règne de
Louis XV, l\ un fabricant d'étoffes, et un avocat,
M. Hutin, en disposait avant 89 ; toutefois cette
propriété, dite Verheyea, avait dépendu d'un multiple
hôtel Montmorency, gigantesque corps démembré
au xvi'^ Siècle et clont celte côte avait été tirée
pour former l'hôtel de Sourdis. L'impasse de
Sourdis, ancienne ruelle qui a relié, en décrivant
un angle droit, la rue d'Anjou ii celle d'Orléans,
sépare encore le 3 du 5, autre survivance du séjour
des Sourdis, dont le crédit n'avait été que rafraîchi
par Gabrielle d'Estrées, nièce d'une marquise de
Sourdis, qui était née Babou de la Bourdaisière.
René d'Escoubleau de Sourdis, capitaine de 50
hommes d'armes, s'était jeté dans la ville de Melun,
que sa bravoure avait gardée à Henri III, qui lui
en avait su gré; il avait épousé Anne de Rostaing,
et de ce lit étaient sortis les grands propriétaires
dont nous parlons. La même famille a donné deux
évêques de Bordeaux, dont l'un portait la pourpre.
M. Gruyn, qui se rendit possesseur du second
des deux hôtels Sourdis, était sans doute Charles
Gruyn, sieur des Bordes, fils d'un cabaretier enrichi
h la Pomme de-Pin. Or il se débitait précisément
du vin à cette enseigne dans la rue d'Orléans en
1691. Le marquis Viîleron de Cambis, lieutenant-
général et ambassadeur on Angleterre, épousa
quand même M"*" Nicole <iruyn, fille d'un garde
du Trésor royal, et elle eut pour second mari La
Vieuville, marquis du Saint-Chamans. Un fils du
premier lit fut au moins maréchal-de-camp et
vendit en 1766 à Julie Perbais, épouse non commune
RUE CHAR LOT. 579
en biens de Langlois, ancien intendant des finances,
non-seulement cette propriété, mais encore le n" 8,
petit iiôtel Cambis, sur la ligne duquel la première
maison de la rue appartenait à Legrand, fabricant
d'étoffes de soie rehaussées d'or et d'argent. Les
Cambis, tout en servant dans les armées, avaient
une bibliothèque et cultivaient les lettres: la
baronne d'Aigremont, née Cambis, leur en avait
donné l'exemple au xvi'^ siècle..
La rue n'était encore qu'en projet quand les
capucins du Marais s'y établirent, sous Louis XIII,
k la place d'un jeu-de-paume, et l'église Saint-
François, qui était la leur, nous dit où. L'établisse-
ment avait pour fondateurs, avec le capucin
Athanase Mole, qui était frère de Mathieu Mole,
procureur-général, puis premier-président, puis
garde-des-sceaux, le duc d'Elbeuf et Regnault,
quartinier de la ville. Mais le jeu-de-paume ne
leur suffisant pas, les pères h deux reprises
.rachetèrent du terrain ii côté; les trois propriétaires
qu'ils remplaçaient étaient Clozier de Juvigny,
gentilhomme de la chambre, le marquis de
Bournonville et le sieur Matice. On les reconnais-
sait de loin à leur longue barbe, au capuchon
pointu de leur manteau. Sous Louis XVI, leur
père temporel était Mahiou, conseiller du roi ;
leur sacristain, Louis de Bapaume, et le gardien
du couvent avait nom Emmanuel de Douay : ces
trois représentants renouvelaient, sans se douter
que cela se fît pour la dernière fois, la recon-
naissance du droit de cens h la Commanderie du
Temple.
En vertu d'un arrêt de la cour des Aides, ren-
du en l'an 1634 contre Nicolas de Villantrois,
Claude Corneille, secrétaire d'État, entrait en
possession du 7, dont la paroisse était Saint-
Jean-en-Grève, et qui passait plus tard de Pariot,
procureur-général au parlement de Rouen, à Le
580 RUE CHARLOT.
Pileur de Brévannes, conseiller au parlement de
Paris. Après l'hôtel Brévannes venait l'ancien hôtel
de Retz, où Nestor Roqueplan, dont les yeux
s'y sont ouverts à la lumière, croit avoir eu pour
prédécesseurs le célèbre chef départi et d'autres
Gondi de Retz. Le fait est qu'au moment où le
rétablissement de l'ordre, après les troubles de la
Fronde, n'empêchait pas le cardinal de Retz d'être
arrêté, l'hôtel s'appelait comme lui, et que la
résidence de Pierre de Gondi, duc de Retz, et de
Beaupréau, pair-de-France, n'y fait pas doute.
François-Emmanuel de Bonne de Créqui, duc de
Lesdiguières et de Relz, le laissait en l'année 1678
à Lecamus de Bligny, premier-président, auquel
succéda le marquis de Bligny, maréchal-de-camp,
dont le fils, capitaine aux gardes, vendit en 1750
à Brion, marquis de 3Iarolles. Après le fils de ce
dernier vint la famille de Gharnacé, le règne de
Louis XVI finissant. Dès-lors était fermée la
ruelle du Maine, sur laquelle cette maison et les
suivantes avaient une seconde issue, et qui donnait
sur la ruelle de Sourdis.
En la rue manufacturière dont le passé nous
préoccupe, les magistrats ne manquaient pas, avant
la Révolution ; dans leurs robes ont été taillées
des tabliers en plus grand nombre. Toutefois elle
a conservé pour habitant jusqu'en 1848 le président
du tribunal civil de la Seine, M. Debelleyme.
Pas une porte qui ne fût ouverte, entre la voie
publique et le cabinet du magistral, pour si peu
qu'il eût à donner une signature ! Des vraies
audiences se tenaient donc au 10, succursale de
la 1''= Ghambre. Gette maison de verre n'en fut
pas moins investie un jour de guerre civile, en
juin 1848 ; des plaideurs, qui gardaient rancune
d'une ordonnance de référé, introduisaient l'instance
de l'émeute chez le président, qui se trouvait alors
au Palais, et cette circonstance fut un rappel au
RUE CHARLOT. 581
devoir : les plus menaçants vauriens reculaient
devant le viol du domicile d'un absent qu'ils
auraient été certainement les premiers h aborder
sans le saluer. L'hôtel, du reste, a vu passer
plus d'une révolution, et la sérénité plus que
séculaire de ses êtres paraît n'en avoir pas souffert.
Son jardin, sa cour vaste, ses salons décorés de
peintures et dorés étaientau service de M. Leleu,
l'un des conseillers du roi Louis XV et son avocat
au bureau des linances. M. de Turménies, garde
du Trésor royal, plein d'esprit et d'usage du
monde, avait eu la maison auparavant.
Presque en face, que trouvons-nous? Une propriété
que Thouin, jardinier en chef du jardin du roi,
tenait des tilles de Moncheny, qui l'avait établie
h la Un du xvn*" siècle. Au même temps remonte
l'occupation de l'hôtel contigu à la maison Debel-
leyme par i\iesliand, conseiller au parlement, pré-
décesseur ou successeur de Bruno, comte d'Agay,
intendant de justice, police et tinances d'Amiens;
Claude Lecomte, trésorier de France, en avait joui
antéiieurement, et Guillaume Brossier, trésorier-
général de l'Extraordinaire des guerres, pas plus
lard qu'en l'année 1646. Quoi de la maison suivante,
qui fait le coin de la rue de Poitou? Jamais
sa porte n'a été carrossable; maiô une jolie
rampe de fer battu se retrouve dans son escalier,
et Boula de Monlgodefroy, contemporain de M.
d'Agay, en descendait, lorsqu'il allait siéger en
parlement.
La porte cintrée du 24 replie ses deux battants
sur un ancien hôtel, occupé par le maréchal
marquis de Périgûon en 1815, par l'avocat Manuby
du temps de M. Boula, et bâti pour Robert
Godefroy, receveur-général des finances de Picardie
dès l'année 1610 ou 1615. Car un certain nombre
de maisons s'élevaient aussi dans cette portion de
la rue Chariot avant môme qu'elle portât légale-
58-2 RUE CHARLOT.
ment sa dénomination de rue de Berri. L'une de
celles qui s'alignaient plus haut avec la maison
Godefroy avait été au comte de Villars et bâtie
par un sieur Rousseau, cessionnaire de Michel
Sigeon.
Ne remarquez-vous pas, un peu plus loin sur
la même ligne, un hôtel dont la porte cintrée,
répondant au chiffre 28, est du temps de la Fronde,
et à l'ombre duquel un petit jardin se dissimule?
Dans la seconde moitié du siècle xvn, Robinot
de Bérancourt disposait de cette propriété, qui était,
soixante ans plus tard, au président De la Garde,
père de la marquise de Polignac. Aussi bien le
poëte saint Sidoine Apollinaire parle déjà, au
Y" siècle, du château seigneurial des Polignac dans
le Véhiy, comme de sa maison paternelle ; il en
résulte qu'au xvni'' Apollinaire de Polignac, évêque
de Meaux, premier aumônier de la reine, honore
dans saint Sidoine un de ses grands-oncles. L'au-
mônier de la reine, le marquis de Sainte-Hermine,
gentilhomme d'honneur du comte d'Artois, ainsi
que sa femme, née Polignac, et la marquise de
Balihcourt, née aussi Polignac, comme héritiers de
M"'' de la Garde, épouse du marquis de Polignac,
premier écuyer du comte d'Artois, vendent l'iiôtel
à Brillon de Saint-Cyr, maltre-des-comptes.
Non loin de là, mais sur l'autre côté de la voie,
ont eu pignon, dans des proportions plus modestes,
Robineau d'Ennemont, substitut du procureur-
général, et De la Noue, valet de garde-robe de
Louis XVL Un autre immeuble, le 21, qui, sous
le rapport de l'âge, ne le cède pas h la rue, a
servi de résidence aux Colbert, comtes de Mau-
levrier, qui l'avaient reçu d'un oncle, nommé
Martin Plufort, lequel avait traité, quatre mois
avant de mourir, en l'année 1672, de deux maisons
pour les fondre en une seule : la vie de leur parent,
l'illustre ministre de Louis XIV, s'est prolongée
RUE CHARLOT. 583
cinq ans de plus que celle de Martin Plufort.
Le jardiii de celle habilalion a fraternisé par-
derrière avec celui de riiôlel Berlin, qui, tout
en étant de la rue d'Anjou, comportait sur celle
de Berri quatre maisons avec une seule porte,
en 1760. Les bureaux s'y tenaient des Parlies-
Casuelles, dont Berlin gardait le trésor, et il avait
le salon des plus hospitaliers. En amour même
ce financier ne négligeait pas le casuel, bien qu'il
eût pour maîtresse à demeure M"'' Hus, de la
Comédie-Française, dont le mobilier coûtait 500,000
livres. Il tenait la propriété de Berlin de Blagny,
son prédécesseur aux Casuelles, qui l'avait achetée
presque toute en 1640 de Lefèvre, trésorier-général
de la maison de la reine. Le même bien avait
appartenu h une Lefèvre, femme de Philippe de
la Vieuville, grand-audiencier de France;àBautru,
marquis de Nogent, et originairement à Jean Colon,
conseiller au parlement. Toutefois, sur une place
de même provenance, trois bâlimenls donnant
en notre rue se sont édifiés au commencement
du xvn*^ siècle pour François Barbon, payeur de
rentes de l'Hôtel-de-Ville.
Les ir^ 31 et 33 ne font qu'un dans le prin-
cipe, puis se trouvent divisés en trois ; au-corps-
de-logis principal on arrive alors par l'avenue
qui sépare l'une de l'autre deux moindres con-
structions par-devant, et Chuppin, trésorier-général
du Marc-d'Or des ordres du roi, en jouit per-
sonnellement vers 1750. L'avocat Chaulolte l'y a
précédé. Une porte du marché des Enfants-Rouges
est tout près.
Annonce insérée dans le Livre commode en
1692 :
• Le sieur Grandjean, raaîlre-pàtissier de Melun,
connu par ses excellents pâtés d'anguilJes, en fait des
envois en provinf^e. Le prix est depuis la livres jusqu'à
584 RUE CHARLOT.
43. Il faut s'adresser à lui rue des Oignons à Melun,
ou au sieur Janaineaii, rôtisseur, rue de Berri au Marais. »
Propriétaire alors un peu avant la rue de
Bretagne: Sigot. L'une des encoignures de ladite
a fait partie d'un terrain vendu en i610 par
Sigeon à l'imprimeur Sébastien Gramoisy. Depuis
1687 la fille de Lenoir, trésorier de France h
Caen. est veuve du président Maupeou, qui a
remplacé au n" 50 Jean de l'Écluse, trésorier de
l'Extraordinaire; elle garde la maison jusqu'en
1714. Puis la veuve de Gomont, conseiller aux
Aides, Puisieux, Despériers de Fresne. Cazalis,
écuyer du petit-commun du roi, et Rolland de
Juvigny y parlent successivement en maîtres.
Près de la présidente et de son temps, Jean-
Frédéric Douin de Vaudreuil, vicomte de Linze,
est propriétaire, sans y vivre. Mais la maison
de qualité qui suit était double en 1633 pour
Jean de 3Iontreuil; elle abrite en 1780 Salomon
Van Robais, qui a fondé la manufacture royale
de draps d'Abbeville.
Saluons encore le 58 et le 60, comme si l'on
avait absolument raison d'y voir l'ancien séjour
du chevalier Bayard. Après cette accolade courtoise,
ouvrons la lice à quelques dates qui ne donneront
sans doute pas sans étonnement l'une contre l'autre.
N'est-ce pas sous Gharles VIII, Louis XII et
François l"' que le titre de chevalier sans peur
el sans reproche fut glorieusement gagné par
Pierre du Terrail, dit Bayard comme une terre
qu'il possédait en Dauphiné? Or le Terrier de la
Commanderie du Temple constate que Sigeon,
deux ans avant la mort de Henri IV, prit à cens
le terrain sur lequel s'érigea l'immense hôtel dont
nous parlons, régnant d'abord jusqu'à la rue de
Bretagne et qui avait alors trois portes, trois
corps-de-bàtiment, aux ordres de Millot, secrétaire
RUE CHARLOT. 585
de la chambre du roi, et de Durey de Sauroy,
trésorier à l'Extraordinaire des guerres, qui, par
suite d'arrangements de famille, s'appela du Terrai),
comme sa mère, proche du chevalier Bayard. De
Ik vient toute la confusion. Les hoirs du trésorier
furent, au milieu du xyu!*^ siècle, Marie Dure^' de
Sauroy, femme de Timoléon duc de Cossé, et
Joseph Durey de Sauroy, marquis du Terrail,
maréchal-de-camp et auteur de plusieurs romans.
Celui-ci avait épousé M™** de Crussol d'Uzès de
Montausier ; il fonda avec elle un prix annuel à
l'académie de Dijon et il fit jouer des pièces de
sa façon sur le théâtre privé de son château, à
Épinay. Le marquis laissa la propriété de la rue
Chariot à son neveu, le duc de Cossé-Brissac,
gouverneur de Paris, qui eut pour acquéreur, en
1775, le baron de Wenzel, déjk propriétaire de
la maison qui vient après. C'est ainsi que l'hôtel
Bayard, comme on l'appelle dans le quartier, n'est
qualifié que Sauroy dans les actes. Mais combien
peu de traces a conservées cette demeure du sé-
jour de ses premiers hôtes ! M, Durand, ancien
notaire, a depuis marqué son passage au n° 58 en
faisant racler les dorures, bijoux domestiques sur
lesquels on perd plus encore que sur les bagues
renvoyées k la fonte. Aux peintures, qui ne pouvaient
s'enlever, il semble que ce propriétaire en ait voulu,
tant elles sont dénaturées ! Aussi que reste-t-il? Des
murs, une pièce à panneaux sculptés, les boiseries
d'une chambre à coucher et puis un balcon de
pierre, qui domine une portion de jardin affectée
aux ébats d'une pension de demoiselles.
Quant au baron du Saint-Empire Michel Wenzel,
il était oculiste de LL. MM. impériales et bri-
tanniques; il exerçait son arl, ir 62, dans un
édifice digne de sa clientèle étrangère et acheté
de la marquise des Réaulx; cette dame se l'était
fait adjuger en vertu d'un décret poursuivi sur
31
586 RUE CHARLOT.
les héritiers du colonel de Bragelogne en 1763.
Jusque-là l'origine est aristocratique et justifie le
luxe d'une rampe de fer, que porte crânement
fescalier, comme les maîtres portaient l'épée du
gentilhomme. Il nen est pas moins vrai que
Gaultier, maître-perruquier, avait vendu au colonel
le tiers ou le quart de ce bien de ville. Au
surplus, combien de maisons avaient, d'un hôtel
à l'autre, pour détenteurs des marchands et des
artisans! Près des rues de Bretagne et de Nor-
mandie, la rue Chariot donnait droit de bourgeoisie
à Huyot, menuisier, h Dezègre, ancien marbrier,
à un liquoriste de la rue Saint-Antoine et à un
marchand-de-vin de la rue des Martyrs, acquéreur
du marquis de Sourdis. Sébastien Cramoisy n'y
avait élevé des constructions que pour les revendre,
comme le font des spéculateurs chaque fois qu'une
voie nouvelle se livre è^i la circulation. Les affaires
démocratisaient ainsi la propriété, la bourgeoisie
n'étant que l'élite du peuple^ bien avant la ré-
volution de 89!
Richer,* maçon, avait construit h ses risques
et périls, dès 1614, deux maisons contiguës, - un
peu avant la rue de Forez ; la plus petite était
cédée plus tard par Triperet, trésorier-général
de la police, h Bernier, échevin, qui la trans-
mettait aux Boulogne, maîtres-macons, puis archi-
tectes ; la plus grande avait eu de même pour
détenteur Raimond d'Albert, lieutenant-de-police.
Dans le n° 57 voyons l'hôtel Boulainvilliers, où
fut généreusement recueillie une jeune fille, qui
descendait de la maison royale de Valois, par un
fils naturel de Henri II, et qui devint M""' de
Lamotte. La marquise de Boulainvilliers, femme
du prévôt-de-Paris, en prenant sous sa protec-
tion une enfant que ses parents avaient abandonnée,
était loin de prévoir la triste célébrité que l'affaire
du Collier de la reine vaudrait à sa protégée.
RUE CHARLOT, 587
Au-delà de la rue de Forez, une grande maison
était donnée à l'Hôtel-Dieu en 1662 par Jacques
Josse, conseiller du roi, lieutenant au Grenier-k-
sel ; néanmoins elle appartenait dans le siècle
suivant à J. B, Léger Truitie de Vaucresson,
officier supérieur. Était-elle ou n'était-elle pas
le susdit hôtel Boulainvilliers ?
En 1695, pour faire place à la rue de Vendôme
et au Boulevard, appelé le nouveau Cours, ainsi
que pour prolonger la rue Chariot de ce côté,
un échange de terrain se consentit entre : le
grand-prieur de France et les religieux du Temple,
d'une part; les prévôt et échevins de la ville
et M"e Le Trolleur, d'autre part. Claude Bosc,
seigneur d'Ivry-sur-Seine et prévôt-des-marchands,
donna d'abord son nom au bout de rue. Sur ce point,
deux hôtels appartenant à Jean-Baptiste Beausire
et à sa femme, née Le Trolleur, avaient un jardin
en commun et payaient le cens, non plus au com-
mandeur du Temple, mais au chapitre de Sainte-
Opportune. Une de ces grandes maisons porte
présentement le n" 83; Gabriel Desègre en traita
avec Beausire; Fargesse avec Desègre, et le
marquis de Mascarani avec Fargesse en 1750.
Riche personnage, n'en doutez pas, que messire
François-Marie de Mascarany, marquis de Paroy,
président en la cour des Comptes au milieu du
xvni'' siècle! Il avait acheté 325,000 livres au
prince de Carignan la seigneurie de Chàteau-
Chinon, et la valeur de cette terre, érigée en
comté, triplait entre ses mains. L'autre maison,
celle qui a fait place à de modernes bâtisses,
fut acquise par Malo, seigneur de Sérizy et con-
seiller au parlement.
Le restaurant Bonvalet, h l'angle du Boulevard,
n'était encore qu'un petit cabaret en 1830. Le
Cadran-Bleu, à l'autre coin, datait du siècle pré-
cédent; cet établissement mémorable de Lebaigue,
588 RUE CHARLOT.
successeur d'Henneveu et prédécesseur de Banceliii,
n'en avait pas moins commencé par être bouchon
à bière dans une maisonnette à M. delà Vieuville,
censive de Sainte-Opportune. La réputation de ton
crû bordelais, ô Chariot, seigneur de Fronsac,
n'était pas encore venue jusqu'en ta rue.
Rue Chanoinesse. (i)
Dans quel chapitre de chanoines elle fut prébendée
et comment s amortit son bénéfice.
Pour éviter quelques redites, conseillons d'abord
au lecteur de recourir à la monographie de la
rue Basse-des-Ursins, avec laquelle des maisons
à deux portes marient la rue Ghanoinesse : elles
font deux lits,, il est vrai, mais assez bon ménage
pour qu'ils se touchent ! Le cloître Notre-Dame
formait comme une autre île, comme une autre cité
du moins, dans l'île de la Cité. Outre que ses rues
demeuraient à la charge de MM. du chapitre,
quant aux boues et lanternes, la censive des
chanoines qui en possédaient les maisons s'étendait
h 38 rues ; la censive de l'archevêque de Paris,
en sa qualité de chef du diocèse, li 500 rues, et
comme prieur de Saint-Éloi ii 59. Le bailli du
Palais-de-Justice n'exerçait de semblables droits
qu'en 8 rues, hors du Palais. La juridiction de
l'archevêque ne se bornait, d'ailleurs, pas à l'Offi-
cialité, justice diocésaine, dont tout le tribunal
se composait d'un officier, d'un promoteur et d'un
greffier ; il y eut aussi la Temporalité, dont le
juge, exerrant au nom du même prélat, connaissait
des appellations des sentences rendues en matière
civile par les officiers des justices des terres de
l'Archevêché. Au débouché de la rue Ghanoinesse
sur celle de la Colombe, la porte des Marmouzets
servait d'entrée primitivement au cloître, qui, au
(1) Notice écrite en 1858.
590 RUE CHANOINESSE.
surplus, se fermait le soir, de chaque côté, la
veille encore de l'ouverture de l'Assemblée natio-
nale, dont la première séance était tenue à l'ar-
chevêché. Grâce à tin bref de Benoît VII, confirmé
par lettres-patentes du roi . Lothaire vers l'an
980, les maisons canoniales pouvaient être vendues
par les chanoines à l'un de leurs collègues ; le
droit d'en disposer a été étendu h toutes les
classes d'héritiers et d'acquéreurs par la loi du
24 juillet 1790 sur le traitement du clergé {art. 27),
:i charge pour les détenteurs de payer au Domaine
national, entre les mains du receveur du district,
le sixième de la valeur des immeubles, suivant
l'estimation qui en serait faite.
La chapelle Saint-Aignan, dont nous avons déjà
parlé, dissimule ses restes au n" 26 sur la rue
Chanoinesse. Elle est gothique ; les débris s'en
négligent, nos antiquités nationales passant bien
après les romaines. Que ne s'agit-il d'un fragment
de borne milliaire ! la conservation officielle en
serait requise par l'archéologie, qui en ferait un
petit monument. Saint-Aignan était l'une des 52
églises que l'on comptait dans la Cité; on y
disait secrètement la messe pendant la Révolution,
qui avait converti la cathédrale en un magasin
de tonneaux.
Une façade à large seuil cintré sépare cet
immeuble d'une autre propriété, dont la porte
d'entrée est ferrée de grosses têtes de clous.
Encore une médaille dont la rue parallèle a le
revers ! Cette maison à deux façades, qui a été
peu de temps divisée, Louis Augustin Viet, chanoine,
la cédait, par acte passé le 2 prairial an m
chez M« Dosne, moyennant i 00,000 livres en
assignats, au citoyen Ambroise Séjourné ; le ven-
deur tenait la maison de son propre frère, Pierre-
Bernard Viet, aussi chanoine, suivant conditions
stipulées entre eux et agréées par le chapitre de
RUE CHANOINESSE. 5»1
l'église de Paris aux termes d'un acte capitulaire
du 6 avril 1785.
Le même Séjourné achetait dans la même étude, le
28 vendémiaireanv, l'hôtel voisin, dontl'adresse alors
se donnait : Cloître Notre-Dame, n° 21, et où nous
retrouvons deux escaliers à balustres de chêne. Dans
un appartement qu'a occupé, en ces dernières années,
l'abbé Blontès, aumônier-général des prisons,
figurent, au premier étage, des boiseries avec
encadrements, cinq dessus-de-portes peints ï
l'huile, emblèmes des arts libéraux, et des glaces
surmontées d'attributs dorés en relief, tels que
triangles, livres, serpents. Des ornements du même
style décoraient le rez-de-chaussée, habité depuis
1792 jusqu'au règne de Charles X par Bouilly
de Dorée, ancien procureur, puis avoué. Cette
propriété est encore h la disposition du petit-
neveu de M. Séjourné, qui l'avait prise des héritiers
Radix. Le chanoine Jacques-Louis-Radix, conseiller-
clerc au parlement, la possédait lui-même en vertu
d'une délibération capitulaire du 17 mai 1776,
pièce en latin constatant que Devienne, chanoine,
s'était démis en faveur de Radix, autorisé à jouir
de la maison sa vie durant, ou jusqu'à ce qu'il
fût promu îi un évêché. Parmi les hoirs de ce
dernier, nous remarquons Marie-Chailes Radix,
veuve de Jean-Baptiste Talon, mort conseiller au
parlement en 1772, et elle avait pour enfants :
l** Antoine-Omer Talon, qui avait émigré, et dont,
par conséquent, la part héréditaire revenait au
Domaine, duquel l'avait rachetée un autre membre
de la famille; 2" Marie-Geneviève Talon, épouse
divorcée du ci-devant marquis de Villaines, exempt
des gardes-du-corps; 3" Marie-Victoire Talon, mariée
au ci-devant marquis d'Escorches de Sainte- Croix,
enseigne aux gardes-françaises. Parmi les ayant-
droits du défunt chanoine figurait aussi un de
ses frères, Claude-Maximilien Radix de Sainte-Foix,
592 RUE CHANOINESSE.
ancien ministre plénipotentiaire de Louis XVI près
du prince de Deux-Ponts, et l'émigré Malbec, un
de ses neveux.
En remontant h l'origine de cette propriété
Radix, ne trouverions-nous pas qu'elle n'en a fait
qu'une avec le vieux manoir qui répond au 48,
côté de la rue Clianoinesse, et que nous avons
vu au 9 dans la rue Basse-des-Ursins ?
Le 16 se rapporte à cette résidence de Racine
que nous avons restituée soigneusement à la même
rue inférieure.
Le plus ancien corps-de-logis du 10, qu'on a
remis h neuf, passe pour avoir servi de séjour
au vindicatif chanoine Fulbert, oncle d'Héloïse.
Le revenu cessa d'en être une prébende ecclésiasti-
que lorsque l'immeuble lit retour à la Nation,
substituée au chapitre, et il en était de même
pour tous les immeubles du cloître, qui n'avait
reçu jusque-là qu'à titre de locataires les laïques.
Dans celui où nous en sommes le receveur des
Consignations avait son bureau sous l'ancien régime.
Ramet, ministre des tlnances, le fit mettre aux
enchères, l'an vi, en vertu d'un arrêté pris par
le Directoire exécutif.
M. de Saint-Marsault, préfet de Seine-et-Oise,
dispose du 8, qui d'ancien hôtel de chanoine est
devenu le siège de l'état-major des pompiers.
De l'autre côté de cette rue, qui n'est pas
toujours aussi large que la porte de ses hôtels,
le 19 a dans ses titres de propriété jusqu'à un
édit de Charlemagne, qui accorde des immunités
à tous les habitants du cloître. Des vignes y
grimpent sur les murs ; une rampe de fer, jusqu'à
l'ancien logement de l'abbé Gatignon. L'immeuble
est dans la même famille depuis 1808.
Dans un renfoncement voici le 17, qui, comme
RUE CHANOINESSE. 593
tous les numéros dont nous venons de parler, a pu
étro l'une des maisons capitulaires dont le cardinal
de Retz fit son quartier-général, en y rassemblant ses
amis pour les opposer aux partisans de Mazarin ;
mais de ce bien de main-morte canonial nous ne
savons pertinemment rien d'antérieur aux disposi-
tions légales qui l'ont émancipé en 1790.
Rue flci!» Chaiitreii^. (i)
AbélarJ, Héloïso habilèrcui ces lieux :
alexandrin naguère inscrit sur la muraille rue
des Chantres, n"i. La maison ayant été refaite
en 1849, cette légende figure encore sur sa façade,
mais du côté du quai Napolé'on. On lisait, de
plus, à l'intérieur :
Abélard, Héloïsc, 1118,
et quel curieux ne sentait pas son cœur battre
en franchissant les degrés de l'escalier en spirale
au pied duquel les deux amants avaient échangé
leurs adieux ! Muet témoin de leurs embrassements,
une porte est encore la même n^S. On ne l'ouvre
plus, et c'est depuis longtemps qu'elle paraît con-
damnée, comme si la jalousie en avait poussé les
verroux quand l'autre embrasure encadrait le
couple, qui devait à l'amour de la trouver encore
trop large ! Deux petits supports en pierre flan-
quent celle-ci, et la sculpture en date de sept
siècles : piédestaux de statuettes qui ont bien l'air
d'attendre Héloise et Abélard ! Dans le fait, un
pont a longtemps mis en communication avec le
bâtiment qui n'est plus celui qui reste, mais
qui prend ouverture sur la rue Basse-des-Ursins.
Un petit jardin, du côté de la rivière, bordait la
maison démolie, où se trouvait, dit-on, sur un
des pas de vis de l'escalier, le cabinet de travail
d'Héloïse. Aux livres qui n'y manquaient pas
(1) Nolicc écrite en ISS-;!.
RUE DES CHANTRES. 595
faisaient tort des paroles d'amour, puis des baisers
à ces paroles.
On ne voit plus que des profils de maisons
dans cette petite rue des Chantres. Mais la con-
damnation de sa dernière porte n'est pas une
injure de plus pour le héros, en son vivnnt
assez puni de l'amour que l'héroïne partageait.
Les chantres de la cathédrale, beaucoup moins
amoureux qu'ivrognes s'il faut en croire le Lutrin
de Boileau, ont été, au plus tard, dans le cours
du xvr' siècle les dénominateurs de la rue, où ils
demeuraient. Ceux d'à-présent, pour habiter encore
la même rue que leurs devanciers, se rendraient
coupables d'escalade ; mais la police a pris ses
précautions, en y faisant placer trois becs de
gaz, dont la lueur protège en aîle de sombres
bâtiments dont la face est ailleurs.
Rue Chapon, (i)
Le Demi-Monde sous Louis XV. — Les Capons. —
Le Cimetiôre. — 1714.
Une jolie femme, qui lit parler d'elle pendant
les derniers lustres du règne de Louis XV, élait
fille de Guynebault, marquis de la Millière. Ce
gentilhomme, rejeton d'une fomille protestante du
Poitou, avait Iiérilé trop jeune de 2o,000 livres
de revenu, s'était ruiné, puis avait abjuré, puis
avait épousé la lîUe de son jardinier, avec laquelle
il vivait déjà : une pension, sa dernière ressource,
ne lui permit pas d'élever grandement ses trois en-
fants. L'un des trois obtint une compagnie, mais
quitta la milice pour vivre d'expédients, et des
deux autres, qui étaient filles, la cadette entra comme
pensionnaire aux Carmélites de la rue Saint-Jacques.
Le marquis ayant cessé de vivre en laissant des
procès à suivre, sa veuve eut à faire des démarches
près de M. de la Valette, intendant de Dijon, et du
procureur-général, et de l'avocat-général. Ne
réussissant pas toute seule à se les rendre favora-
bles, elle alla prendre dans un couvent de Provins
sa fille aînée, qui était sur le point d'y prononcer des
vœux. Deux beaux yeux de jeune fille sont un tel
avocat que la mère dut à cet appel plus de succès
qu'en première instance. La novice au retour tombant
malade, il fallut reculer la prise de voile. M. Nivers,
le médecin du couvent, ne remit sur sa tige cette
rose de Provins, passée lys, et ne lui restitua ses
vives couleurs qu'en horticulteur passionné : la con-
(1) Notice écrite eu 18ÔN.
RUE CHAPON. 597
valescence ne fleurit que pour s'épanouir en gros-
sesse. M""^ de la Millière fut prise en pension par
Nivers, médecin décrié au parloir, mais d'autant
plus demandé aux alentours par toutes les malades.
Par malheur, il était marié, et M""^ Nivers, qui ne
pouvait plus douter qu'entre l'arbre et l'écorce il y
avait eu place pour le doigt, était loin d'en prendre
son parti, regardant comme fruit défendu celui
qu'elle n'avait pas porté.
La jeune mère fut obligée de se réfugier à
Paris, chez M. Bellissen, procureur aa Chàlelet,
père d'une de ses amies de couvent, qui demeurait
rue Saint-André-des-Arts, et elle n'y revint pas à
bien. Un jour même la police l'accusa d'un vol
commis chez une marchande de modes. 11 y en
avait bien assez pour que le procureur interdît
à cette fille l'entrée de sa maison ; seulement il
avait pour beau-fils M. de Mandeville, lieutenant
au régiment de Rouergue, qui, n'y regardant pas
de si près, la recueillit avec amour. Protégée
qu'elle était toujours par le procureur-général, elle
dut à son crédit une dot de 1ÎJ,0Û0 livres, pro-
venant d'un legs confié ii ce magistrat, mais
destiné par la stipulation du testament à faciliter
le mariage d'une demoiselle de condition mal
partagée du côté de la fortune. Le lieutenant
épousait M"*" de la Millière, en se parant d'un
titre de marquis que d'Hozier lui eût marchandé.
Il y avait, en effet, une terre de Mandeville près
Bayeux ; mais, sous Louis XVI, le comte de Tré-
vières jouissait de cette fiefferme, incorporée dans
son comté. Deux autres Mandeville, ceux-là marquis,
avaient successivement gouverné Dieppe ; mais ils
étaient alliés aux familles d'Aligre, Mortemart et
Colbert. La pseudo-marquise, en tout cas, appar-
tenait déjà au demi-monde, que le nôtre n'a pas
plus inventé que la poudre.
M. de Moras, qui voulait du bien à la belle,
598 RUE CHAPON.
pourvut son mari d'un brevet de capitaine dans
les Indes ; seulement l'officier s'arrêta en Orient,
rebroussa chemin et passa aux mousquetaires
noirs. M""« de Mandeville était une brune piquante,
grande, bien prise, avec de beaux yeux ; nous
l'avons vue au pastel, quai Voltaire. Comme elle
ressemblait, ainsi faite, à Louis XV, n'était-ce pas le
moins qu'elle eût sa petite cour? Elle monta du moins
sa maison, avec trois laquais à grande livrée,
rue Chapon, 16. Malheureusement, l'esprit de cette
fille du monde, comme on disait alors des femmes
galantes à l'usage de gens du monde, ne brillait
guère, et Nivers, son amant de province, avait perdu
lui-même à la regretter le peu qu'il en avait : ce
malheureux, pour jouei- un dernier tour k son épouse
légitime, une fois sa maîtresse envolée, s'était
pendu dans sa chambre à coucher.
L'ancienne demeure de la Mandeville est mainte-
nant au pouvoir d'un grand orfèvre de la rue
Saint-Martin, M. Detouche. La plupart des numéros
pairs, dans cette région de la rue, qu'occupent
surtout des fabricants de boiseries, sont des anciens
logis de magistrat, maisons dans tous les cas bâties
sur des terrains donnés à cens par les dames de
l'hospice Sainte-Catherine, et que l'administration
générale des hospices a mises en vente au com-
mencement du présent siècle. Leur maître à tous
est l'ancien hôtel de Jean-Barl, n"' 2 et 4, pro-
priété d'une magnifique ampleur ; mais nous y
entrerons une autre fois par la porte principale,
rue du Temple, 115.
Entre la rue du Temple et celle Beaubourg,
la notre s'intitulait d'abord Robert-Begon et dès le
xni« siècle Capon. On appelait capon sous Philippe-
le-Bel tout membre de la communauté des juifs,
dite societas Caponum, et le mot venait de capo,
chapon. Les archevêques de Reims, dont l'hôtel
se trouvait placé en cette rue au moyen-âge, se
RUE CHAPON. 599
plaignaient fort qu'elle fût au nombre des rues
affectées à la prostitution ; ils n'en avaient pas
moins pour successeurs dans ce quartier mal
famé les évêques de Chàlons.
Un de ceux-ci, M. de Marchaumont, céda en
1619 la maison de ville, qui était aussi celle de
son chapitre, à des sœurs carmélites qui, depuis
deux ans transfuges du faubourg Saint-Jacques,
s'étaient contentées rue Chapon d'un logement
qui ne leur suffisait plus. Catherine de Gonzague
et de Clèves, veuve de Henri d'Orléans, duc de
Longueville, les aidait de sa bourse, ainsi que
le prince, fils de cette duchesse douai: ière ;
la reine Anne d'Autriche contribuait aussi à l'éta-
blissement en cette rue d'un second prieuré et
couvent de la Sainte-Mère de Dieu, ordre de Notre-
Dame du Mont-Carmel. Les religieuses en étaient
au nombre de 40 il y aura tantôt cent ans, et
leur dot ordinaire montait h 8000 livres, outre
que la prise d'habit en coûtait 1000 et le novi-
ciat 3000. Elles ne recevaient pas d'élèves ; mais
il y avait place pour de grandes pensionnaires,
grâce h des acquisilions et h des constructions
supplémentaires. Plus de la seconde moitié de ce
qu'enserrent les rues du Temple et Beaubourg
entre celles Chapon et Montmorency était occupé
par ce monastère, qui servait de refuge à des
femmes nées pour le monde, mais curieuses de
mourir deux fois pour ainsi dire. La rue Mont-
morency en bordait principalement les jardins ;
l'hôtel à façade ornée de sculptures, rue Chapon 13,
en dépendait. Des bâtiments conventuels, vendus
le 23 prairial an v, il reste même la plupart et
jusqu'à des mufs de l'église, dans un immeuble
de la rue Beaubourg: sous le Directoire- on y
dansait, puis on y jouait la comédie.
En l'année 1714 la rue Chapon comptait entre
les rues du Temple et Transnonain, aujourd'hui
600 RUE CHAPON.
Beaubourg, 26 bâtiments, dont l'un était l'hôtel
du lieutenant-criminel, au-dessous des Carmélites ;
mais il y en avait 27 dans ce qui de la rue
actuelle s'appelait encore du Cimetière-Saint-
Nicolas-des-Champs, entre les rues Transiionain
et Saint-Martin.
La cour de Saint-Martin-des-Champs servait
d'abord de cimetière à la paroisse Saint-Nicolas ;
mais dès le siècle xni l'espace y manquait à la
fosse, et le cimetière fut transféré dans un clos,
donné à cette paroisse par les religieux de Saint-
Martin-des-Champs, puis affecté à l'Hôtel-Dieu.
L'entrée en était rue Transnonain, vis-à-vis l'hôtel
de Châlons, plus tard couvent des Carmélites. Le
curé et ses paroissiens étaient engagés k percer
une rue, pour conduire à l'asile mortuaire, et
elle porta son nom ; tel est l'état-civil de cette
voie de communication, réunie h la rue Chapon
en 1851. En y procédant à des réparations, tout
dernièrement,' n° 31, n'a-t-on pas retrouvé des
ossements qui pouvaient être ceux d'un sujet de
Philippe-le-Bel ?
Rue Chartière. (i)
Une petite statue de Henri IV se remarquait
encore sous le règne de son quatrième succes-
seur au coin des rues (hartière et Fromentel :
que voulait dire, je vous le demande, cette
tigure de roi vaillant, mais qui n'était pas un grand
clerc, au milieu des collèges de la montagne
Saint-Hilaire ? Impossible d'y voir autre chose que
le monument commémoratif d'une de ses campagnes
amoureuses. Redites-nous donc, échos savants,
quelles leçons de galanterie vint prendre le héros
d'Arqués et d'Ivry dans les parages de la pédago-
gie! Car les maîtres en cette faculté, fussent-ils
barbons, apprennent jusqu'à la fin plus qu'ils
n'enseignent. La tradition multiplie à cœur-joie
les rendez-vous d'amour que donnait Henri IV,
et elle se plaît, qui plus est, à divulguer que la même
maîtresse en a reçu sur tous les points de la
grand'ville. Nous surprenons donc la belle Gabrielle
jusque dans la rue Fromentel, et ce n'est pas en
chaise à porteurs qu'elle a dû monter si haut. L'au-
berge auguste à citer, après tant d'autres, dans
l'odyssée des amours de Gabrielle, était pourvue
d'écuries, dont les voi^ns encore nous montrent
la porte dans la petite rue Chartière, n° 11.
Le collège des Jésuites étant derrière, mauvaise
place, très-mauvaise pour l'auteur de l'édit de
Nantes, si celte compagnie n'était pas bannie de
France depuis l'assassinat de Henri III ! «Un édit
la rappelait, du reste, six ans. après la promulga-
tion de l'autre.
(1) Notice écrite en 1858.
32
002 RUE CHARTIERE.
Les montures de ce relais ne venaient pas plus que
leurs maîtres dans le quartier écolier pour y
mordre au latin ; mais elles avaient litière et râtelier
dans l'ancien collège de Cocqueret. Le plein
exercice de ce collège, mitoyen avec celui de
Reims, avait été supprimé en lool, par sentence
de la faculté des Arts, et des bâtiments en avaient
été vendus vingt années après à des particuliers.
Il paraît néanmoins que, du côté de notre rue,
une maison conserva le nom de Cocqueret assez
longtemps. Le précité n° 11, dont une coquille
décore la porte cintrée, se qualifie encore collège
de Cocqueret sur le plan de la ville en 1652.
Cent-viiigt-sept ans plus tard, d'après Hurtaut,
en son Dictionnaire de Paris, pas plus de prin-
cipal que de boursiers; mais une manufacture de
carton exploite alors l'ancien collège.
Au reste, la statuette du chef de la dynastie des
Bourbons regardait de près le puits Certain, au
bas de la rue Chartière. Ce puits, ressource pré-
cieuse pour le mont Saint-Hilaire avant qu'on y
fît venir de l'eau d'Arcueil, avait été foré par
les soins de Robert Certain, curé de Saint-Hilaire,
puis principal de Sainte-Rarbe, sous le règne de
Henri IL De là venait une vieille enseigne de
pâtissier, que nous avons vue à côté, sur la
défunte place -Cambrai : Au Puits-Certain.
Presque toutes les maisons de cette rue du
xni« siècle appartinrent à des collèges, les occupant
ou les donnant en location. Les ruines qui devraient
porter à-piésent le n° 8, dépendaient du collège
de Marmoutiers, créé en 1329, avec le collège du
Plessis,, et vendu en 1641, au prix de 90,000
livres, pour agrandir le collège des Jésuites, avec
l'agrément du cardinal de Richelieu qui, comme
abbé de Marmoutiers, restait supérieur du Plessis.
Amador-.Iean-Baptiste de Vignerod, bientôt pourvu
de la même abbaye, céda ensuite à la maison de
RUE CHARTIERE. 603
Sorbonne, pour faire plaisir à son oncle, le car-
dinal de Richelieu, le droit de supériorité sur le
Plessis, en s'y réservant la collation aux bourses.
Le collège de Glermont ou des Jésuites, aujourd'hui
lycée Louis-le-Grand, longe toujours une bonne
portion de la rue ; on y revoit son ancienne
chapelle, bùtiment rond, aujourd'hui classe de
chimie. C'est depuis le règne de Louis XIV
que cette maison a aussi englobé l'ancien collège
du Mans, fondé en 1519 sur les rues de Reims
et Chartière par le cardinal Louis de Bourbon,
dans l'hôtel des évêques du Mans, puis transféré,
non saiis procès, h. l'entrée de la rue d'Enfer.
Enfin nous rencontrons à notre époque^ depuis
le n" 13 jusqu'au a" 19, des murs et des corps-
de-logis faisant partie d'une école préparatoire aux
écoles du gouvernement, annexe de la maison de
Sainte-Barbe. C'est bel et bien l'ancien collège
de Reims, dont notre Histoire de Sainte- Bm-be
rapporte l'origine. L'institution en périclitait, sous
la Régence, quand M^^^' François de Mailly, archevê-
que de Reims, la releva. Les plus vieux biÀtiments
qu'on y retrouve datent de 1745 ; mais cette re-
construction, qui coûta 72,000 livres, endetta si
fort les boursiers qu'il n'en restait plus qu'un
qui pût être défrayé en 1763, et c'est alors que
les petits collèges perdirent leur autonomie. Toute-
fois diverses fondations- avaient fait Reims pro-
priétaire de 11 maisons, dans les rues de Reims,
des Sept-Voies et Chartière. On en tira, après la
réunion, environ 1,000 écus par an, en y prenant
vingt locataires, et le revenant-bon servit encore
de provision pour 8 bourses -à Louis-le-Grand,
érigé en chef-lieu de l'université de Paris.
Rue de Charoniic* (d)
Le Vin des Funérailles. — La Croix Fauhin. —
La Folie- Lâchai se. — Les Filles de Sainte-
Marthe. — 1720. — M. Rieussec. — La Maison
de Santé. — L'Acteur Guyon. — La Famille
Chevet. — La Maieleine-du-Trainel. — La
Duchesse d'Orléans. — Les Filles de la Croix.
— Notre- Dame- de -Bon- Secours. — La Vocation,
de la Particule. — Richard Lenoir. — it/""" Ledru-
RolUn. — L'hôtel Mortagne. — Vaucanson. —
1760. — Une Cour-des-Miracles .
La classe ouvrière, à Paris, conserve religieuse-
ment l'usage de boire, après chaque enterrement,
un coup qui ue peut plus être à la santé que
des survivants. Le petit et le grand Çharonne
ont des cabarets, où se boit hors barrière le vin
des funérailles, et le Père-Lachaise ne les
laisse pas chômer. Une rue ramène ensuite au
faubourg Saint-Antoine la famille qui compte un
membre de moins, escortée de voisins ou de
voisines, de compagnons ou de compagnes d'atelier,
et quand on se sépare, chacun emporte la con-
solation d'avoir rendu tous les derniers devoirs
au défunt ou à la défunte. Cette rue longue et
manufacturière n'était encore qu'un chemin au
xvn'= siècle.
Les droits d'entrée des vins, pied fourché, Domaine,
barrages et poids le Roy s'y payaient, SOUS
(l) Notice écrite en 1853. La rue Keller, le boulevard
du Prince-Eugène et l'avenue Philippe-Auguste n'augmen-
taient pas CDCore le nombre et l'importance des affluents
de la rue de Çharonne.
RUE DE CHARONNE. G05
Louis XIV, au premier angle de la rue de la
Muette (i), et les laissez-passer se donnaient à
l'autre encoignure pour ce qui n'était pas sujet
aux droits. Entre les deux se dressait la croix
Faubin, au milieu du chemin de Charonne, qui
n'était pas encore à cette extrémité une avenue
funéraire, bordée de mausolées et de couronnes
d'immortelles k vendre. Montlouis, maison de
campagne donnée par le roi à son directeur
François d'Aix, dit Lacliaisc, provincial de la
compagnie de Jésus, ressemblait assez peu au
grandissime cimetière actuel pour qu'on l'appelât
parfois Folie-Lachaise.
Plus tard la communauté des tilles de Sainte-
Marthe s'établissait ù la fois rue de Charonne,
rue de la Muette et rue de la Fioquette. Ces
religieuses, qui ne prononçaient pas de vœux,
donnaient gratuitement de l'instruction aux filles
pauvres. Mais en l'année 1720 la dernière porte
cochère de notre rue sur cette ligne s'ouvrait et
se fermait habituellement pour M. Lemoine, au-
diteur à la cour des Comptes ; la pénultième
pour le comte d'Igny, et les trois précédentes pour
la famille de Lignières, Brunet de Rancy père et
fils, bourgeois originaires de Beaune, et Desprez,
curé de Saint-Landry.
La propriété de l'un deux devint l'hôtel Château-
neuf; celle d'un autre, la petite-maison du mar-
quis de Chabanais. La moitié de celle-ci était
acquise, sous Charles X, par M. Rieussec, ancien
fournisseur des armées, lieutenant-colonel de la
8""' légion, qui fut l'une des victimes de Fieschi
dans l'attaire du boulevard du Temple. De l'hôtel
Chabanais provient aussi la maison de santé du
D'Archambault, successeur de Belhomme, au n^lGl.
Cet établissement, fondé en 1768 par Belhomme
(1) Maintenant tronçon de la rue des Boulets.
606 RUE DE CHARONNE.
père et consacré au traitement des affections
cérébrales, se convertit sous la Terreur en prison
adoucie pour la duchesse d'Orléans, mère de Louis-
Philippe, M""= Lange, de la Comédie-Française,
l'avocat Linguet et Portails père. Plus tard l'acteur
Guyon y rendit le dernier soupir : il avait perdu
la raison en bonne fortune, un soir que M"'' Rachel
l'avait engagé h dîner avec Samson, avec Régnier,
sachant bien que ces deux derniers, dont les noms
étaient sur l'affiche, laisseraient de bonne heure l'am-
phytrionne en tôte-à-tète avec son troisième invité.
Un hôtel vis-à-vis appartenait à la famille Chevet,
qui l'avait fait bâtir : des serres-chaudes y per-
pétuaient la production du jardin, qui fournissait
des primeurs h la montre de ces éminents mar-
chands de comestibles.
Une fabrique dont le chef, ancien maire du
8'' arrondissement, est le neveu de Richard Lenoir,
occupe en partie, n" 100, l'ancien couvent des
religieuses de la Madeleine-du-Traînel, vendu aux
enchères du 5 brumaire an x. Cette communauté,
fondée au Traînel, en Champagne, vers le milieu
du siècle xu, fut transférée rue de Charonne en
16o4; Anne d'Autriche y posa la première pierre
de la chapelle. Le garde-des-sceaux d'Argenson
fut aussi l'un des bienfaiteurs de celte maison,
soumise à la juridiction de l'archevêque de Paris.
Une autre duchesse d'Orléans, avant de s'y reti-
rer, en augmenta beaucoup les bâtiments, qui
comprenaient aussi le n^lOS; elle occupait, sous
la Régence, deux des quatre maisons du monastère.
Brunost, intendant du duc d'Orléans, en habitait
une autre immédiatement au-dessus ; nous la
croyons celle qu'avait fait construire rue de
Ciiaronne, vers 17 10, INourry, sieur de Croixfontaine,
gentilhomme ordinaire de la chambre du même
prince, et qui couvrait, son jardin compris, 2 arpens.
Au-dessous dudil couvent, un autre avait déjà ,
RUE DE CHARONNE. 607
entre autres portes, une porte monumentale que
nous remarquons encore, et il conserve, chose
rare, jusqu'il sa destination. Les sœurs de la
Croix, de l'ordre de saint Dominique, y sont rentrées
en 1817 ; mais c'est seulement depuis quelques
années que leur position y est légalement déter-
minée : elles n'ont que l'usufruit de cette propriété,
que s'est réservée le Domaine. Leur territoire était
beaucoup plus vaste avant la République ; mais on
ne l'avait pas aliéné pendant le quart de siècle où
elles avaient cessé d'en jouir. Leur sanctuaire gardait
le cœur de M"" Ruzé d'Elïiat, fille du maréchal, aux
dépens de laquelle s'était établie la maison, près de
la tin du règne de Louis XIIL Ces religieuses, proté-
gées également par la duchesse d'Aiguillon, n'avaient
fait précédemment que des essais de résidence dans
la rue Matignon-du-Louvre. dans la rue Plâtrière,
dite aujourd'hui Jean-Jacques-Rousseau, et tout
d'abord au faubourg Saint-Marceau. La fondatrice,
mère Marguerite de Jésus, s'était concertée avec
la baronne de Neuvillette pour convertir le poète
Cyrano de Rergerac, au commencement de sa der-
nière maladie; mais le libertin, averti, eut le temps de
se faire transporter à la campagne, chez un cousin,
sous prétexte de changer d'air. II n'en fut pas
moins enterré chez les sœurs de la Croix.
" Cite de Bon-Secours, » nous dit en face un
écriteau qui attire les regards. Cet immeuble et
les deux immeubles qui le touchent à droite et
k gauche, s'inféodaient au prieuré de Notre-Dame-
de-Bon-Secours, créé au commencement des troubles
de la Fronde par dame Claude de Bouchavanne,
veuve de Vignier, conseiller du roi, et mis sous
la conduite de sa sa'ur, Madeleine-Emmanuelle,
religieuse au couvent de Notre-Dame de Soissons.
Les monastères de filles, allez-vous dire, pullu-
laient donc dans ces parages? J'en conviens, et
les plus grandes dames, les plus distinguées à
C'Og KUE DE CHARONNE.
coup sûr, participèrent, pendant plus d'un siècle,
à ces sortes de fondations, après avoir plus os-
tensiblement attaché leurs noms aux passes-d'armes
et aux tournois durant le moyen-âge. Plus tard,
les femmes supérieures étaient reconnues aux
dédicaces de livres qu'on leur offrait; elles créaient
alors des salons, et la réputation en était faite
par l'esprit, un hôte favori, qui n'y parlait pas le plus
haut, mais que ménageaient les personnages les plus
riches, les plus influents, les plus nobles. Depuis que
l'industrie moderne et les incessantes préoccupations
de la Bourse tiennent les femmes du monde en dehors
de ce qu'on y fait de capital, elles ne cessent plus que
dans leurs chambres à coucher d'être étrangères
aux progrès de la production, et elles ne figurent
plus que par calcul aux colonnes du passif, pour
une consommation de luxe équivalente aux pré-
tentions de crédit en affaires qu'affichent ainsi
leurs époux. Où retrouver, je vous prie, leurs
couleurs, c'est-à-dire quelque signe d'initiative, de
résistance ou de médiation qui soit la leur, au
milieu des lices financières où elles n'ont armé
personne chevalier? Les plus ardentes, les plus
fines, les moins patientes, les sensibles et les
agissantes, m'apprendrez-vous à quoi elles se
rattrappent dans notre société actuelle? Que la
plupart de ces recrues nouvelles de la bonne
compagnie aient, encore mieux que leurs devan-
cières, l'œil sur les dépenses de l'office, sur leurs
cahiers de musique, au piano et sur l'honneur
de leurs maris, d'accord ; que non-seulement ces
dames, mais encore ces demoiselles fassent acte
de présence à tous les bals de charité et placent
même à fenvi les billets des loteries du baron Taylor,
je le veux fort! Mais une autre ambition encore
agile, il faut le reconnaître, les innombrables
ménages des parvenus, et presque tout fesprit
des mères, avec celui des filles, y passe. Les
RUE DE CHARONNE. .609
moins actives s'en remuent, comme les mélan-
coliques y rêvent ; les impatientes s'en torturent ;
les plus heureuses disent : M'y voilà!... L'idéal
est pour toutes, presque sans exception, non plus
un mari, mais un nom; la blonde jeune tille trouve
déplorable celui que son excellente mère subit
elle-même en rougissant; la veuve en a deux,
au lieu d'un, qui lui inspirent la même horreur.
Où trouver un titre, Tut-il nu, une particule
nobiliaire, ne fût-elle qu'au milieu d'un nom à
compartiments, mais qui ne rappelle plus la source
des flots de soie et de dentelles, ne transformant
que la personne? Ancien régime ou Empire, que
m'importe ! magistrature ou gabelles, qui le saura ?
Mais, pour l'amour de Dieu et de ma dot, il me
faut une carte de visite, et qu'elle n'ait plus rien
de commun avec le chocolat, l'indienne, le notariat,
la houille, la cote de la Bourse ! Ainsi parlenl,
de seize à soixante, les plus enviées et les plus
provocantes, entre les prétendues disponibles, et
tout le reste pour elles, môme l'amour, h plus
forte raison la vertu, ne vient qu'après. Vocation
de la particule, tu recrutes dans la bourgeoisie du
temps présent un bien grand nombre de novices !
On voyait, au contraire, des princesses de nais-
sance, à l'époque des raffinés, s'appeler sœur
Madeleine ou Marthe à Bon-Secours.
Un peu au-dessus de ce monastère, quand la du-
chesse d'Orléans résidait en regard, les religieuses
anglaises de la rue de Charenton avaient affermé à
un maraîcher un terrain, coniigu d'autre part ii une
vigne. Au-dessous, le sieur de Rouen, bourgeois
de Paris, était propriétaire. Les bénédictines
mitigées de Bon-Secours prenaient des dames en
pension, et fallait-il que ces religieuses eussent
bonne réputation pour qu'on leur contiàt néan-
moins des femmes enfermées à la requête de
leurs maris, par conséquent difficiles à garder
910 RUE DE CHARONNE.
et qui étaient l'objet d'une surveillance à part !
Église et couvent, reconstruits par l'architecte
Louis de 1770 à 1780, furent aliénés par l'État
les 21 floréal an VIII et 5 brumaire an X. Richard
Lenoir y organisa bientôt une tilature de coton, et
c'est pourquoi son nom reste au passage, voisin.
Napoléon P'", avec des membres de sa famille,
se rendit à une fête chez ce grand manufacturier.
— L'un et l'autre, lui dit-il, nous avons livré une
rude guerre à l'industrie anglaise, mais jusqu'ici
le fabricant a été plus heureux que l'empereur.
La révolution de Février et les journées de Juin
1848 avaient tellement déprécié les immeoibles que
M"" Ledru-Rollin, femme d'un membre du gouver-
nement provisoire, lit une excellente affaire,
le 19 août, en se rendant adjudicataire de
l'hôtel de Bon-Secours, n" 97, avec un grand
terrain, et de l'hôtel Richard-Lenoir, n" 95, plus
d'autres bâtiments et terrains, pour 612,500 francs.
Le boulevard du Prince-Eugène, qui va passer
par-lh, rapportera à la propriétaire plus encore
que la manufacture de papiers peints et les autres
ateliers qui remplacent l'école du Commerce,
qu'on y voyait sous Louis-Philippe.
Je ne m'explique guère pourquoi len" 77, dont
l'édifice se délabre, est traité de la vieille Pension
par les commères du quartier. Elles nous appren-
nent aussi vaguement que le 57, petit hôtel à
façade bien sculptée, fut habité par une princesse:
en tous cas, il a fait la paire originairement avec
le 55, école primaire au temps du Directoire.
Qui de nous, d'ailleurs, eût deviné que la rue
de Charonne était aussi orléaniste ! Ses oratoires
féminins ne la purifiaient encore qu'imparfaitement
des petites-maisons qui se multipliaient aux en-
virons; mais c'est pour le Palais-royal qu'elle faisait
surtout pénitence. L'hôtel Mortagne, outre qu'il
RUE DE CHARONNE. 611
pouvait aussi être la création de Nourry, officier du
prince, a relevé pour sûr du même palais. Aussi
bien de plus ancienne date la seigneurie de
Mortagne changeait de mains : le maréchal
Goyon de Matignon, prince de Mortagne,
l'avait vendue aux Loménie, et le cardinal de
Richelieu l'avait acquise, après cela, pour la laisser
h son petit-neveu, avec substitution au profit des
aînés. Le comte de Mortagne, premier écuyer de
la duchesse d'Orléans, avait acheté en 1711 une
grande maison à jardin, qui n'a perdu son nom
qu'en le laissant à une impasse. Mais les pelits-soupers
du temps de la Régence ont principalement flori
pour l'ambassadeur de Portugal, locataire de
M'"" de Mortagne. La propiiélé mesurait alors
2166 toises. Aux religieuses anglaises de la rue
Saint-Victor appartenaient deux maisons plus bas,
îi l'endroit où la rue de Charonne oblique, avec
une seconde porte rue de la Roquette.
L'hôtel Mortagne, dessiné par Delisle, eut pour
habitant M. de Vaucanson, célèbre mécanicien, dont
les Canards sont la pièce la plus connue, mais
.qui en créa beaucoup d'autres. Poursuivi et menacé
par un groupe d'ouvriers, à Lyon, il inventait
pour s'en venger, une machine avec laquelle un
âne fabriquait une étoife l\ fleurs. Dans une inten-
tion beaucoup moins malveillante, il fournit à
Marmontel, pour la première représentation de
Cléopâtre, un aspic remuant, qui sitïlait en s'élan-
rant sur le sein de l'héroïne. Malheureusement le
succès du truc ne Ut pas celui de la pièce. —
Comment trouvez-vous cette tragédie ? demandait-
on à l'un des spectateurs. — Ma foi, je suis de
l'avis de l'aspic, répondit-il.
Mort en 1782 et enterré à Sainte-Marguerite,
Vaucanson avait donné son cabinet à la reine ;
rr.ais les intendants du commerce réclamèrent les
pièces relatives aux manufactures. Vandermonde,
Gi2 RQE DE CHARONNE.
mathématicien et musicien, aclopt:i les idées de la
Révolution, qui l'avait trouvé directeur du cabinet
de Vaucanson. Le Flùleur et le Joueur d'échecs
passèrent alors en Allemagne, et les autres auto-
mates de la collection se dispersèrent en même
temps. Quant à Yanclermoiide, il coopéra, en 1793,
avec Bertholet et Monge, h un Avis aux ouvriers
en fer, sur la composition de l'acier, par ordre
du comité du Salut public, et ce laclum était le
'résultat de longues expériences faites rue de
Charonne. L'empereur logea ii l'hôtel Vaucanson
des peintres, qui en furent congédiés, ii ce qu'on dit,
pour cause ci'inconduite, et Grégoire, artiste en
son genre, mais qui travaillait sur le velours, s'y
mit h la tôle d'une manufacture, que visita en
1814 l'empereur d'Autriche. Ou y rencontre de nos
jours un décorateur-ornemaniste, et très-souvent
des amateurs viennent saluer, dans ce n" 51,
l'ancienne demeure du grand mécanicien. Sa porte
majestueuse, sa large cour et ses sculptures offrent
un aspect de l'autre siècle ; il reste même une
petite portion du grand jardin qui s'étendait jusqu'à
la rue de la Roquette. Du côté opposé. M""' Mar-
guerite-Thérèse Potier de Fougerais, veuve de
François de Launay, sieur de la Normanderie,
était propriétaire îi l'angle de la rue du Faubourg-
Saint- Antoine, en 1760, à la place de sa mère,
Geneviève Levassor, fille et héritière de Jacques
Levassor, avocat en parlement. A la maison
attenait une Cour-des-3Iiracles, peuplée de mar-
chands de vieille ferraille et qui avait été à André
Flory, écuyer, sieur de Lessart.
Rue Chaiicliat. (i)
M. de Vitrolles. — La Présidente Pinon. —
M. Bruyère. — Maisons Cuisinier et Davillier.
— La Ferme. — M^^^ Chameroy.
En 1779, le vidame Jean-Joseph de la Borde,
seigneur de la Ferté, conseiller-secrétaire du roi,
maison et couronne de France et de ses finances,
préside à la formation d'une petite rue, dont le
parrain est Jacques-Ghauchat, avocat, conseiller
du roj, échevin de la ville de Paris. Celui-ci se
rend acquéreur du château de Becquet, à Deuil
près Montmorency, sous le premier empire ; mais
il n'en est que plus loin d'habiter la rue, en quelque
sorte sa filleule. Celui-là, tout au moins, y séjourne
pendant quelque temps, dans ce n" 9, dont
l'encoignure sur la rue de Provence s'arrondit en
un agréable pavillon. M. de Vitrolles, gendre de
M. de Folleville, occupe l'hôtel sous la Restaura-
tion, et combien tout Paris, lors de l'avènement
de Charles X, s'étonne du silence qui se fait tout-
à-coup autour du nom de M. de Vitrolles, l'hôte
assidu du pavillon Marsan ! Il est vrai que cet
agent du prince de Tallcyrand a servi avec zèle
la famille royale, lorsqu'il y avait du danger à le
(l) Notice écrite en 1858. La nie de la Grange-Batelière
ne se prolongeait pas encore jusqu'à la rue Chauchat,
à laquelle, d ailleurs, le prolongement de la rue Lafayette
a fait psrdre trois ou quatre immeubles dans le haut.
614 RUE CHAUCHAT.
faire; il est vrai que tout le monde lui attribuait
ensuite, sous Louis XVIII, une grande influence
ultra-royaliste sur Monsieur. Oui, mais les bonnes
grâces de la cour ont fini par mettre dans
l'aisance le conseiller intime du comte d'Artois,
et quand son prince prend le sceptre, il demande à
ne plus quitter la rue Chauchat, pendant que
d'autres passent ministres !
La citoyenne Le Boulanger et le citoyen Thévenin,
propriétaires, obtiennent, dès 1793, l'autorisation
de prolonger la rue Chauchat jusqu'il la rue
Pinon, maintenant Rossini, le long des bâtiments
de l'ancienne halle de l'Octroi, transformés plus
tard en un temple ; mais l'exécution de ce projet
n'a guère lieu qu'en l'année 1821. Plusieurs
historiographes, en remontant à l'origine légale de
cette rue, ont le tort d'avancer le veuvage de la
présidente Pinon, née Le Boulanger, qui a repris son
nom de demoiselle : son mari, le président Pinon,
propriétaire de la Grange-Batelière, n'est qu'arrêté
sous la Terreur, et il échappe même, à l'aide d'un
déguisement, à la curée parlementaire du 20 avril
1794 ; son beau-frère, le président de Gourgues,
est moins heureux, et tout le reste du grand
banc de la cour sert de pâture â l'échafaud, le
premier président, M. de Sarron en tête, ainsi
que le doyen, M. Pasquier, père du futur chance-
lier de France.
C'est en 1798 que Bruyère, ingénieur des Ponts-
et-Chaussées, se bâtit un petit hôtel sur la droite
de la rue Chauchat.
Poussons une reconnaissance jusqu'au 17, qui
ouvre à la fois rue Chauchat et rue de la Victoire :
cet avantage n'est-il pas fait déjà pour lui mériter
la confiance du corps-de-ballet de l'Opéra?
M'"* Bigotini et M'"" Stolz, de l'Opéra, l'ont habité.
Mais des locataires moins volages ont eu accès dans
RUE CHAUCHAT. 615
ce petit hôtel, que s'était fait bâtir le père de
M. Cuisinier, propriétaire d'à-présent, musicien-
amateur et Mécène des artistes. De ce nid de
mélodie, au reste, rossignols et fauvettes ne se
sont envolés qu'en emportant attachées à une aile
maintes romances sigiiées A. de Montis. MM. San-
son et Davillier, à côté de lîi, ont rajeuni une
propriété dont le fond seulement date de l'ancien
régime.
Du temps où le terrain de cette rue se trou-
vait hors de ville, il restait une ferme, encore
visible au n° 18 il y a trente ans ; une masure,
qui en avait dépendu, n'a même quitté que l'année
dernière la cour d'une maison de la rue du
Faubourg-Montmartre. Le prolongement de la rue
Drouot va faire k son tour disparaître la remise
du loueur de voitures qui a succédé à la ferme,
du côté de la rue Chauchat.
Quant au n° 16, c'est un hôtel refait, bien que
M. le baron Évain n'en ait modifié beaucoup ni
les proportions ni le caractère extérieur. M"'' Cha-
meroy, danseuse, saurait encore le reconnaître,
pour avoir abrité ses amours ti la fin du siècle
précédent ; par exemple, elle n'aurait jamais assez
de mémoire pour faire ensuite l'appel des mêmes
amours. Cette jeune femme est morte en couches,
àpeu-près en 1802, et l'enfant qu'elle avait conyu
était regardé par Eugène de Beauharnais comme le
sien. Quoique le Concordat, signé entre le pape et
le premier-consul, fût encore tant soit peu récent,
le clergé refusait d'abord à la danseuse les dernières
prières de l'Église; mais le beau-fils de Napoléon fit
gronder vicaires et curé, à cause de leurs hésitations,
et le service funèbre se célébra au couvent des
Filles-Saint-Thomas. M"^ Chameroy, il n'en faut pas
douter, était une bonne flUe : elle demandait pour
Clfi
RUE CHAUCHAT.
donner. Bëranger n'avait qu'elle en vue en com-
posant une jolie chanson sous le titre de Ta
ia7écl/e;4se"^^ ^—; il y faisait dire à
Avec le prix d'une caresse
Souvent j'ai sauvé la vertu !
Rues Château-iLianfloii et Chaudron, (i)
— Qu'avez-vous vu, cher monsieur Rousseau,
dans cet ancien chemin des Potences, con-
verti en rue Château-Landon, dont le premier nom
contribuait sans doute, avec le voisinage de
Montfaucon, à éloigner les gens qui pouvaient
craindre que dame Justice leur y assignât rendez-
vous ? M'est avis que tous les habitants de pareille
avenue devaient être de fort honnêtes gens.
— On y trouve peu de maisons neuves et peu
d'anciennes ; mais des garnis y sentent toujours
le chanvre, en ce qu'une corde tient lieu d'oreillers
aux lits de leurs chambrées. Trois ou quatre
masures datent sans doute de l'époque où la rue
n'était encore qu'un chemin. J'y ai heureusement
découvert l'origine du nom qui reste. Château-
Landon n'était ni un village, ni un nom de
famille, comme l'ont cru certains chroniqueurs ;
c'était tout bonnement un castel, construit pour
quelque sieur Landon, sous Louis XIV, puis quelque
temps maison de campagne de la congrégation de
Saint-Lazare. Au n"* 39 se retrouve cet ancien lieu
de plaisance ; le jardin du 41 en dépendait évidem-
ment, ainsi que des terrains assez considérables
par-derrière.
— Maintenant, ô consciencieux explorateur,
rendez-moi compte, je vous prie, de vos décou-
vertes rue Chaudron. La Tynna prétend qu'une
enseigne de chaudronnier, placée à l'angle de la
rue Château-Landon, a valu sa dénomination à
(1) Notice écrite en 1858.
33
618 RUES CHATEAU-LANDON ET CHAUDRON.
cette autre rue, formée au commencement du
xvni'' siècle. Mais d'autres veulent que le parrain
en soit Joseph Chaudron, qui a fait établir en 4718
une fontaine au coin de la rue du Faubourg-
Saint-Martin et du chemin de Pantin (rue Lafayette).
— La rue Chaudron, bien qu'elle date de tantôt
deux siècles à notre époque, ne paraît encore
que tracée, et sur un sol qui n'a pas encore vu
le til-à-plomb. En face du château dont vous parlez,
une vieille bicoque a l'air de trébucher, dans un
petit renfoncement ; mais il s'en exhale une
poussière à faire éternuer les gabelous de la
barrière des Vertus : on , y bat sans cesse des
tapis. En vue de la rue du Faubourg-Saint-Martin,
voici bien une maison proprette, avec une entrée
en jardin ; il est vrai qu'elle fait exception. Les
autres constructions sont en petit nombre, mais
elles ne marquent plus : ne branlent-elles pas un
peu la tête ? Quelques poules, qu'on y voit gratter
au pied des murs, ne semblent pas déjii si
rassurées, et il est vrai qu'aux étages supérieurs
pas mal de chambres sont à louer, comme des
écriteaux l'indiquent. De ce côté-là, Paris n'est
jamais plein. Mais ce n'est pas qu'on y craigne,
en réalité, l'éboulement. Comment donc expliquer
l'abandon et le discrédit qui font de cette rue
du Chaudron, parallèle au mur de l'octroi, une
sorte de second chemin de ronde ? Entre chiffon-
niers il est passé de mode d'avouer qu'on y
couche à la nuit, car le quartier Mouffetard
l'emporte, comme si le prix du gîte y était bien
plus doux. Ils ont pourtant baillé le sobriquet de
rue QuaV-sous à celle du Chaudron.
Rue Piepiis. (i)
Couvents. — Pensions. — Maisons de Plaisance. —
Maisons de Santé.
Jeanne de Saulx, veuve de René de Roche-
cliouart, comte de Mortemart, donna au commen-
cement du xvn« siècle le terrain et les bâtiments
où s'établirent les pénitents réibrmés du tiers-ordre
de Saint-François, venant de Franconville près
Beaumont. Une épidémie, au milieu du siècle
précédent, avait couvert les bras des femmes et
des enfants d'enflures pareilles h celles que causent
les puces, et un religieux avait donné la recette
d'une liqueur parfumée pour faire disparaître tache
et démangeaison ; de là le nom de Picpus, que
porta non-seulement le couvent, mais encore le
territoire environnant. Louis XIII, en posant la
première pierre d'une chapelle, bltie en remplace-
ment d'une plus petite, fit la maison de fondation
royale : ce fut d'ailleurs la métropole des 60
couvents de la congrégation. Le cardinal Duperron
y reçut la sépulture et le père Héliot y prit
l'habit, après avoir été chanoine du Sépulcre :
tous deux léguèrent aux moines de Picpus des
livres qui leur complétèrent une bibliothèque
considérable. Des leurs était aussi frère Biaise,
le sculpteur, et il orna d'une Notre-Dame-de-Grâce
une des grottes de leur grand jardin, qui était
ouvert au public. Le 14 mai 4717, Régnier,
(1) Notice écrite en 1862. Au-delà du Boulevard ex-
térieur, la rallonge d'un bout de rue a été mise à la
rue Picpus par le dernier agrandissement de Paris.
630 RUE PICPUS.
bourrelier au faubourg Saint-Antoine, faisait dona-
tion aux Picpus de la nu-propriëté d'une maison,
dont il restait usufruitier ainsi que son père ;
voici les signatures des religieux-profès qui ac-
ceptaient la donation : Louis Mirleau, ministre
pi'ovincial, Jérôme, defflniteur, Macaire, ex-pro-
vincial, Murcian, gardien, Eustache, vicaire ;
Emmanuel, Samuel, Grégoire, Charles, Constance,
discrets, et Bonnot, aussi discret et procureur.
Chez eux les frais du noviciat étaient de 400
livres et la profession entraînait à-peu-près la
même dépense.
Le n« 52, situé en regard du couvent, qui en
était propriétaire, servait de point de départ aux
ambassadeurs des puissances catholiques, le jour
de leur entrée solennelle à Paris, qui avait lieu
ordinairement le dimanche. Cérémonial qui com-
mençait Il la Folie-Rambouillet, rue de Charenton,
pour les ambassadeurs protestants.
Les religieux ont eu pour successeurs : au 57,
un maître-de-pension, puis la congrégation de
la Mère-de-Dieu, fondée par M""' de Lezeau ; au
42, le jardinier du couvent de Sainte-Clotilde;
aux 41, 39 et 37, les dames des Sacrés-Cœurs-
de-Jésus-et-de-Marie, dont l'église au 35 est neuve.
On y consacre tous les ans un service funèbre
aux victimes immolées pendant la Terreur sur la
place du Trône, alors du Trône-renversé, et qui
ont été enterrées dans un ci-devant cimetière de
clianoinesses, voisines des religieux de Picpus. Les
parents de ces victimes ont été autorisés en 1804
Il se faire inhumer près d'elles. Le général Lafayette
y repose près de sa femme, tille du duc d'Ayen,
et il n'y a pas longtemps que la marquise de
Rosambo a pris sa place au même cimetière.
Tubeuf, intendant des finances d'Anne d'Autriche,
avait fait venir de Reims et installé au village de
Picpus, avec le concours de M. de Gondi, arche-
RUE PICPUS. 6-21
veque de Paris, leschanoinesses deNotre-Dame-de-la-
Victoire-de-Lépante : la première supérieure qu'elles
y avaient élue, en 1652, était Suzanne Tubeuf,
sœur de leur bienfaiteur. Ces religieuses célé-
braient, le 7 octobre de chaque année, la victoire
remportée en 4572, dans le golfe de Lépante, par
don Juan d'Autriche sur les Turcs. Elles suivaient
la règle de saint Augustin et portaient un habit
de serge blanche, avec surpli de toile hne, un
voile noir sur la tête, une aumusse sur le bras.
Environ 40 chanoinesses et 10 converses com-
posaient leur maison, en 1778 : des jeunes pen-
sionnaires y étaient reçues n\oyeniiant la rétribu-
tion annuelle de 400 livres, élevée h 500 dans les
derniers temps. Le séminaire de Picpus, qui a
succédé en l830 h une fondation religieuse irlan-
daise, occupe en partie l'ancienne maison des
religieuses.
Il y avait avant la Révolution plus de pensions
de garçons que de couvents dans cette rue Picpus,
et presque toutes du côté droit. La Mésangère,
maître-ès-arts, homme de lettres, qui avait reçu
la tonsure, y fut le chef d'un établissement, où
la pension se payait 500 livres jusqu'à 10 ans,
600 au-dessus de cet âge, plus 20 pour papier,
plumes, encre,' poudre et pommade, et dans cette
maison d'éducation, comme dans les voisines, on
donnait par élève 24 livres de bienvenue pour les maî-
tres et les domestiques. Ayant quitté l'enseignement,
La Mésangère fut rédacteur du Journal des Dames
et des Mo^?es de 1790 iM831. Outre MM. Watrin,
Lottin et Coutier, qui étaient établis plus haut,
M. Collia tenait une pension, la plus ancienne de
la rue, au n° 92, lequel avait appartenu ii M. de
la Beaume, maître-des-comptes. Le sénateur Yiltard
en ht sa maison de campagne, et depuis c'est
une maison de santé pour les afiéctions mentales.
On y lit encore sur le mur l'inscription que voici :
622 RUE PICPUS.
1726. Do par h roi, (}éfe7iscs expresses sont, faites de bâtir
dans cette rwc hors la présente borne et limite aux peines
portées par les déclarations de S. -M. de ll-2i et 1726.
M"'' Clairon, sous les auspices d'un financier,
habita le 82, précédemment à M. de Nérac. Ce
dernier avait eu pour voisin le musicien Marais,
dont le jardin allait jusqu'à la rue de Reuilly. Un
ouvroir pour les jeunes filles est sous la direction
du Sacré-Cœur, au 64, antérieurement maison de
santé Sainte-Aure-de-Piepus, et dans deux immeu-
bles adjacents. Par-là a demeuré la comtesse
d'Esparda, Eugénie de la Bouchardie, que Marie-
Joseph Chénier a chantée.
Ninon de Lenclos avait eu pour maison de
campagne la propriété occupée par La Mésangère,
transformée en filature de lacets sous la Républi-
que, et dans laquelle a été transféré en 1828
l'hospice d'Enghien, fondé neuf ans auparavant
par la duchesse de Bourbon. La maison d'éduca-
tion de M"'e Blacque, qui date d'un demi-siècle, est
une transformation des anciennes écuries de Ninon.
Le 10 avait servi de rendez-vous de chasse à
Henri IV. M*"*^ Saint-Marcel y créa, sous Louis XV,
un établissement particulier pour des aliénés, et
l'immeuble appartient encore à la même famille,
sans avoir changé de destination. L'acteur Lassagne
y est au nombre des malades en traitement.
Le 4, ce pavillon carré dans lequel un pen-
sionnat de demoiselles succède h un pensionnat
de garçons, fut originairement nue petite-maison.
Léonard Bounaud de Tranchecerf, écuyer, comte
du Saint-Empire, membre de l'Académie de chirur-
gie, demeurant rue de Montreuil, acquit cette
propriété, en 1786, de la succession Galle.
Rue de Reuilly et rue Érard,
NAGDÈRE
petite rue de Reuilly. (i)
Le Haut et le Bas-Reuilly sous les règnes de
Dagobèrt P', de Jean-le-Bon, de Louis XIV, de
Louis XVI, de Napoléon /•"" et de Napoléon IIL
En 1862 il y a encore une rue, une petite rue
et une impasse de Reuilly ; mais l'impasse, désignée
sur le plan de Verniquet comme cul-de-sac Si-
guéri, est devenue une rue, en débouchant sur le
boulevard Mazas, et changera de nom inévitablement.
Les rois mérovingiens ont eu pour résidence
d'été le château de Reuilly, où Dagobert I" a
amené Gomatrude, sa première femme, puis
Nanthilde, après avoir répudié Gomatrude en l'année
629. Le roi Jean, au xiv^ siècle, promettait encore h
Humbert, patriarche d'Alexandrie, de lui donner
son manoir de Reuilly. De ce château, reconstruit
au moyen-âge, les ruines ont été longtemps une
cour des Miracles, repaire de la bohème. Rivière
Dufresny, patronné par Colbert, y a créé, en
1634, la manufacture royale des glaces, qu'on
retrouve transformée en quartier d'infanterie. Il
restait néanmoins, derrière la manufacture, une
maison de Reuilly, dans la petite rue, entre le
cul-de-sac Siguéry et la rue de Charenton. La
population de ce hameau suburbain était croissante
avant même qu'une grande industrie s'y exploitât
, (1) Notice écrite eu 18C2. La rue qui est dédiée à
Erard, facteur de pianos, s'appelait alors petite rue
de Reuilly.
624 RUE DE REUILLY ET RUE ÉRARD,
royalement . Ujip chapelle, pour le desservir,
ainsi que Picpus, la Folie-Regnauld et autres lieux
du voisinage, avait été construite dès 1625 à la
pointe Reuilly.
Le lieutenant-criminel Lecomte avait pour loca-
taire un jardinier, en 1720, dans l'impasse, où De
Meufve, banquier, entretenait sa petite-maison ;
deux autres propriétés y appartenaient à M""" de
Vorce, qui en occupait une. De l'autre côté de
la petite rue, à l'angle de la rue de Charenton,
un voiturier était propriétaire ; puis venait le comte
de Noce, qui ne soupait pas que chez le régent,
puis le couvent de la Trinité, donnant aussi rue
de Reuilly. Plusieurs corps-de-bàtiments datent, en
cet endroit, des siècles précédents. .
Suzanne Sarabat, protestante convertie, et
M"'" Voysin, femme du chancelier de France, éta-
blirent," en 1703, près du cloître Saint-Marcel les
mathurines, fdles de la Trinité, transférées près
de l'Observatoire peu de temps après, puis, en
1707, rue du Faubourg-Saint-Antoine, et cinq années
plus tard dans une maison de la petite rue de
Reuilly, que leur cédait M"'' Fréard de Chanteloup.
Ces religieuses, qui n'étaient point cloîtrées et
que des vœux simples engageaient, portaient un
triangle d'argent en sautoir sur un ruban bleu.
Elles enseignaient gratuitement des fdles pauvres
et prenaient des pensionnaires ii 3 ou 400 livres
par année. La Trinité devint, sous la République,
une fdature ; on y retrouve une manufacture de
papiers peints.
On a appelé Bas-Reuilly l'impasse et la petite rue,
ainsi que la rive droite de la rue de Reuilly. La rue
Montgallet elle-même a été dite du Bas-Reuilly. Le
Haut-Reuilly a gardé le château, dont ce qui reste est
!)eaucoup plus vieux que la manufacture royale,
substituée au château d'une autre époque. La mar-
NAGUÈRE PETITE RUE DE REUILLY. 695
«iuise de Brinvilliers a fait de l'ancien séjour des
mérovingiens sa maison de campagne, et notre siècle
une fabrique de chandelles, rue de Reuilly, 37-
39-44. Nous sommes, de plus, tenté de croire que
cette propriété fut la maison à huit corps-de-
logis et h jardin de 3 arpens, sise rue de Reuilly,
vendue en 1778 h. Louis Joron, conseiller du roi,
commissaire enquesteur et eœMninateur au Châtelet,
par LafTitte, procureur au Châtelet, dont la mère,
née Lefebvre, avait acquis, en 1714, de Maignard,
marquis de Bernières.
Le 2 mai 1775, Philippe-Louis Poquelin, demeurant
rue Geoffroy-Langevin, Jean-François Selon, Joseph
Canclaux, Antoine Saladin et Pierre Combault, tant
pour eux que pour les autres associés et intéressés
en la manufacture royale de glaces, achetaient le
14 actuel. Leur vendeur se nommait Louis Mortier.
Un de ses prédécesseurs avait été Sébastien Bour-
bon, peintre du roi, recteur de l'académie royale
de Peinture et de Sculpture. Ce peintre, décédé en
1671, avait passé les dix dernières années de sa vie
dans la rue de Reuilly, que sa veuve et une de
ses filles n'avaient quittée que 41 ans après.
Ladite maison et beaucoup d'autres relevaient
censuellement de l'abbaye Saint-Antoine et s'im-
matriculaient, par un renouvellement d'aveu, dans
le Terrier dressé l'an 1691 en conséquence des lettres
obtenues du roi et de la sentence rendue par N. N.
S. S. des requêtes du palais, des publications faites,
etc., à la diligence de noble et vertueuse dame
Marie Madeleine de Mornay de Montchevreuil,
abbesse, dames Elisabeth Burin, prieure, Marie de
la Proustière, Elisabeth Scarron, Madeleine ds
Chevité, Marguerite Binot, Anne Lévis, Chrétienne
Bailly, Anne Bouthillier, Jeanne Royer, Catherine
de la Proustière, Marguerite Fouquet, Françoise
Le Camus, Madeleine de la Salle, Anne de Rouvroy,
Madeleine Leclerc, Louise de Taunave, Suzanne
«26 RUE DE REUILLYET RUEERÀRD,
Doradour, Marguerite Chevré, Marguerite Gous-
sault, Jeanne Amelot, Antoinette de Rouvroy, Anne
Bonnet, Marie Mole, Elisabeth Chèvre, Elisabeth
de Sainte- Foigne, Antoinette de Maintenant,
Madeleine Chevré, Madeleine d'Angest, Marie-
Anne Duhamel et Françoise Macé, religieuses pro-
fesses de cette Abbaye Royale. La maison faisant
suite à la manufacture de glaces était louée à
une boulangère par ces religieux, qui en avaient
la propriété absolue. Beaucoup de boulangers
habitaient alors ces parages. Le moyen de nous
étonner qu'une boulangerie Bethmont et Béranger,
33 rue de Beuilly, se dise fondée en 1656 !
Lecarurier de Saint-Germain, gendarme de la
garde ordinaire de Louis XV, gentilhomme des
enfants de France, avait eu Dufix, tailleur d'habits,
pour prédécesseur dans une maison et un jardin
sis en haut de la rue; Guillaume Barreau,
bourgeois, lui succéda.
La petite-maison du marquis de Duras n'est-elle
pas devenue, elle aussi, une manufacture sous le
premier empire ? Le marquis y recevait M"" Ledoux,
qui lui vola un jour une boîte d or ; la duchesse
de Mazarin en avait fait cadeau, comme souvenir,
à M. de Duras, lors de son mariage. Ce qui
vient par la flûte s'en retourne par le tambour!
Royer, maître de pension, et un de ses confrères
avaient été établis rue de Reuilly avant la fin du
règne de Louis XIV ; les sieurs de Longpré et
Le François y tenaient une école des sciences
mathématiques et historiques sous Louis XVL
M. Saint-Amaiid-Cimetière y fut ensuite chef d'insti-
tution. Des écoles et des pensionnats pour les
jeunes filles catholiques et protestantes rivalisent,
à notre époque, dans la même rue, que n'ont pas
entièrement envahie les fabriques. Les diaconesses,
sœurs de charité protestantes, ont le chef-lieu,
NAGUÈRE PETITE RLE DE REUILLY. 627
de leur institution au n° 95 : un hospice, un pen-
sionnat, une maison de refuse et une maison de
correction y sont réunies sans se confondre. Un
peu plus haut, les dames de Sainte-Clotilde, dont
la communauté est enseip:nante, occupent, depuis
4824, l'ancienne propriété dans laquelle les carrosses
du roi allaient prendre les ambassadeurs catholi-
ques par la porte qui donne rue Picpus.
M,u<ts Pofc'âaléi^,
Saîute-iBarbc, et rue Villeiieii%'c,
8aiiit-Éiicnnc>Boniie-]\oiive1le. (0
Propriétaires en •]7'20 rue Sainte-Barbe
Calé des ijumcrot; impairs.
Godin.
Cudel.
Le l'as.
Dedieu, coin <]o In rue Je la
TjUT.c.
Les frères de Lenoncourt,
maîtres -cordonniers, auti-e
coin .
Idem.
Les filles de rUino!i-Ct:ré-
tienne.
Côté des numéros pairs.
Dame Lcdoux, à l'Ècu-de-
FrancL'.
Labarque, tailleur.
Frémont.
Denis, au Monarque.
Navet aux Trois-Cornefs.
Subtil, à Mainte-Anne.
Marchand, archiiecie, coin
de la rue de la Lune.
Héron, autre roi7i.
Les FiUes-Hieu.
Dame Lataux.
(1) Noies pnbliées en 1S(J2 Le bienfaisant M. Porlalè.^;,
dont la rne Sainte-Barbe porte maintenaat le }iom, étdit
encore vivant el curé de l'église Notre-Dame-de-Bonne-
Nouvello. La i-uc Saint-Etienne-Bonne-Nouvelle n'avait
pas encore reçu la dénomination do l'ancien quartier
de la Ville-Neuvr, dont elle avait fait partie, comme
la lue Sainte-Barbt^, comme la rue Bourbon-Villeneuve,
à-piésent Aboukir^ etc.
RUE PORTALÉS, ETC.
629
Rue Sainte- Etienne :
Ml'e Mercier,
Questier.
Chanibon.
Nourjs avocat.
Leprince, marbrier.
Ferré, tailieur.
Idem.
Tirard, à la FJeur-de-Lis.
Levicomto.
Veuve Polsac. à Saint Louis.
/detn.
Courin, coin de la rue de la
Cheuvry.
Lune.
Idem.
X, autre rein.
Veuve Titon, à la Figure-
Huarl, caijituine du quartier.
ci u-Roi.
ïurpin.
Baudoin, coin de la rue de
■
la Lune.
Dame Leinaîlre, autre coin.
Dame Brion.
Rallolier.
Rue llaric-Stuard. (i)
En passant dans une rue qu'elle ne connaissait
pas, Marie Sluard, reine d'Ecosse et de France,
demanda comment elle s'appellait ; mais le nom
en éiait si peu honnête qu'on le corrigea une
première fois en répondant : — Rue Ïire-Boudin.
Cet adoucissement parut si nécessaire (ju'on en
oublia l'autre nom, qui rappelait trop que la rue
avait été de celles où se parquaient les femmes
de mauvaises vie et mœurs. Deux siècles avaient
déjk accepté cette pudique réforme quand Saint-
Foix rappela, dans ses Essais sur Paris, l'anecdote
à laquelle elle était due. Fouché s'en inspira, alors
qu'il exerçait le commandement dans ' la police
impériale, pour donner au même scrupule une
satisfaction plus complète, en substituant le nom
de Marie-Stuard à celui de Tire-Boudin.
Cinq paysans, chargés de provisions pour les
halles, furent gelés dans la nuit du 20 janvier
1608, à l'entrée de ladite rue. Le froid avait eu,
cette nuit-là, une intensité rigoureuse dont Henri
IV lui-même s'était ressenti au Louvre. Le roi
raconta, en effet, à Pierre Mathieu, assistant à
son petit-lever, qu'il s'était réveillé la bai-be toute
gelée dans le lit que partageait la reine : circon-
stance aggravante pour la rigueur de la température!
Le n° 24, à l'enseigne de Sahit-Sauveur, appartint
simultanément à trois frères: Henri de Valois,
écrivain critique, avocat, historiographe de Louis
XIV; Charles de Valois et Adrien de Valois,
seigneur de la Mare, poète latin, qui fut aussi
historiographe du roi.
(1) Notice écrite en 1862.
RUE MARÎE-STUARD. 631
Sous le règne suivant, une maison plus voisine
de la rue des Deux-Portes que de la rue Mon-
lorgueil fut habitée par Carlin Bertinazzi. Cet
arlequin célèbre de la Comédie-Italienne impro-
visait mieux qu'il ne récitait. Sa probité n'était
pas moins connue dans le quartier que sa gaîté.
Sa femme avait pourtant, sans sa permission,
des amants,, et pouvait-il en rire? Quand on jouait
des tours k l'arlequin, alors qu'il n'était plus en
scène, il s'en consolait par ces mots: — Déci-
dément je crois qu'il n'y a que moi de i)arfaite-
ment honnête homme.
M'"^ de Hesse et M"« Trial, du même théâtre,
ont demeuré aussi rue Tire-Boudin. La première
était fille de Thomassin, l'ancien arlequin des
Italiens ; elle avait débité, enfant, des petits rôles,
avant d'être reçue en 1727 amoureuse et soubrette.
M"« Trial eut pour mari l'acteur qui a laissé son
nom à son emploi dans l'opéra-comique.
Rue 8aint-Joscphé (i)
Prudhomme, auteur du Miroir de Paris, fait
mourir M""^ de Montespan dans la rue Saint-Joseph ;
mais cette maîtresse de Louis XIV a passé les
dernières années de sa vie tantôt au couvent de
Saint-Joseph, situé rue Saint-Dominique, chez les
filles de la Providence, dont elle était la bien-
faitrice; tantôt à Bourbon-l'Archambault, où elle
a rendu le dernier soupir.
Lorsque M""® de Montespan avait encore ses
appartements à Versailles, Martin Le Pas, archi-
tecte des bâtiments-dii-roi, occupait déjà un hôtel
dont le n" 44, rue Saint-Joseph, a pris la place
dans notre siècle. La veuve de Leroquier, couvreur,
était propriétaire n"* 7 et 9, et Guignes, valet-de-
chambre du roi, n'M. MM. de Maraude avaient
sur l'autre ligne la troisième maison et la quatrième
à partir de la rue du Gros-Chenet, présentement
du Sentier.
Des scènes dramatiques d'un roman d'Alexandre
Dumas, le Chevalier cCHarmental, se passent au
n" 5 ; mais on n'y rencontrait réellement que
Vincent père et fils, banquiers, dans la seconde
moitié du dernier siècle. Au même temps, un
payeur de rentes, nommé Maupetit, occupait le
n" 4, postérieurement hôtel dHautpoul, qui appar-
tient encore à M'""' la comtesse de Palarain, fille
de la marquise d'Hautpoul.
Le Conservatoire de musique, dont les traditions
furent sauvegardées pendant la Terreur par le corps
de musique des ci-devant gardes-françaises, se
réfugia, à cette époque, rue Saint- Joseph ; mais
(1) Notice écrite en 1862.
RUE SAINT-JOSEPH. 633
il y resta- peu de temps. N'était-ce pas dans la
chapelle qui avait valu le nom de rue Saint-Joseph
à l'ancienne rue du Temps-Perdu ? Ladite chapelle,
en tout cas. avait été convertie en chef-lieu de
la section de Brutus, précédemment section de
Molière et Lafontaine, dite plus tôt encore de la
Fontaine-Montmorency et tout d'ahord district de
Saint-Joseph. Molière et Lafontaine avaient reçu
la sépulture dans le cimetière contigu ; leurs corps
furent relevés officiellement, et l'aliénation permit
de métamorphoser, trois ans plus tard, en un
marché le cimetière et la chnpelle. Le n" 28 ser-
vait de presbytère à celle-ci, que sa transforma-
tion ne rend méconnaissable qu'à l'extérieur. Le
marché est moins bien construit sur l'emplacement
du cimetière, c'est-à-dire du côté de la rue du
Croissant. Aux frais du chancelier Séguier avait
été bâtie, en 1640, la petite église, donnée avec
le cimetière aux marguilliers de Saint-Eustache,
en échange d'un autre cimetière, situé rue du
Bouloi et que s'annexait l'hôtel Séguier.
34
Rue Naint-IIarc. (i)
Le mauvais Lieu. — La Gazette erotique. —
Les Hôtels. — Les Cabinets cC Amateurs. — Le
Pavillon du Duc de Montmorency. — Ernest
Legouvé.
L'explorateur qui prend des notes en ville pour
servir h la rédaction de nos notices croit que la
maison angulaire qui relie la rue Feydeau à la
rue Saint-Marc a toujours eu la destination qui
l'oblige à tenir nuit et jour ou ses jalousies abaissées
ou ses Persiennes fermées. Il paraît qu'on y retrouve
jusqu'à de fausses portes d'une construction sécu-
laire, et les précautions qu'elles servaient pro-
bablement à prendre n'étaient pas inutiles.
L'appareilleuse Biissault, établie rue Feydeau, re-
cevait jusqu'à des femmes mariées, réduites aux
expédients par un moment de gêne et qui craignaient
de rencontrer leurs maris en veine d'infidélité.
Brissault, tailleur d'habits, s'était mis à la tête
de la maison, avec sa femme, déjà connue comme
fille du monde, et il en était résulté pour la
Gourdan une sérieuse concurrence. L'engagement
volontaire et le remplacement suffisent au recru-
tement incessant de l'armée féminine dont le service
ne consiste qu'à remplacer l'amour et le mariage.
Le poste que voici tient sous les armes, depuis
plus de cent ans, le même nombre de jeunes soldats,
d'autant plus braves qu'ils ne s'enrôlent pas sans
avoir déjà vu le feu. Le chevrons n'y sont de mise
que pour le capitaine, et les meilleurs soldats s'y
(1) Notice écrite en 1858.
RUE SAINT- M ARC. 635
renouvellent à la première ride. La jeunesse avant
tout ! La manière d'exploiter le vice n'a pourtant
pas toujours été la même dans cet établissement
séculaire. Une femme, que la nuance de ses cheveux
avait fait surnommer la Rouge, s'y prenait sous la
République et le premier empire différemment que
la Rrissault sous Louis XV : h plein verre elle
versait h boire aux chalands du rez-de-chaussée,
qui ne grimpaient plus tous aux étages supérieurs.
La Vincent restitua ensuite ii la maison des habitudes
moins soldatesques, afin de rivaliser avec la Saint-
Aubin et la Mayancourt, établies rue Saint-Marc
et rue Neuve-Saint-Marc, où leurs maisons du
moins vivent toujours.
Le journal erotique rédigé pour Louis XV, sur
les rapports de la police, traitait presque les femmes
de qualité et les bourgeoises, dans leurs écarts,
comme des filles du monde. Une belle blonde frisant
la quarantaine, M"''' Magon de la Balue, dont la
demeure était rue Saint-Marc, chez son mari, le
fermier-général, n'avait-elle pas un ami de ce
dernier pour amant? Jusque-là rien de surprenant.
Mais la chronique scandaleuse ad icsum régis
ajoutait que M'"<^ de la Balue avait eu raison de
préférer h un galant delà première jeunesse le com-
plice qu'elle avait choisi : ce bel homme était in-
téressé dans les manufactures de drap de Van Robais
et encore garçon, n'ayant que .53 ans, âge compatible
avec une saine vigueur. L'anecdote, ainsi présentée,
flattait Louis XV, car il avait passé la quarantaine.
Le fermier-général quitla bientôt pour la rue
Grange-Batelière, puis pour la place Vendôme, la
rue Saint-Marc, où son ancien hôtel porte aujourd'hui
soit le chiffre 24, soit les chiffres 16 et 18, qui
se rapportent également h un ancien hôtel Dubarry.
Un terrain affermé ii Duval, jardinier, fut acheté
en l'an 1700 par Bodre, maître-maçon, qui y
construisit le 17. Cette maison appartenait, peu
(136 RUE SAINT-MARC.
d'années après la mort de Louis XIV, à
Pierre Marlinaut de Préneuf, secrétaiie du roi,
lieutenant-général au bailliage de Cusset, et à
l'épouse de Noïlas, seigneur de Montluisant, aux-
quels propriétaires le procureur Aillaux réclamait
vingt-cinq ans d'arrérages de cens au profit du
fief de la Grange-Batelière, dont le financier Law
était tenancier.
Les galeries particulières d'objets d'art aflluaient
rue Saint-Marc au wn^' siècle. On y vantait d'abord
le cabinet d'histoire naturelle de M'"'' de Boisjour-
daiii, puis celui du peintre Desmoulins ; la galerie
des tableaux de M™« veuve Sorin et enfin le cabinet
d'ornithologie du duc de Montmorency, établi dans
un pavillon. Lecarpentier était l'architecte de ce
pavillon, décoré de sculptures par Pineau et d'un
plafond représentant les Quatre-Saisons, par Hallé.
Un chartrier et une salle de bain faisaient subsi-
diairement partie du pavillon, dont fut locataire le
duc d'Orléans sous le règne de Louis-Philippe, et
qu'occupe le café de l'Europe, rue Vivienne. L'hôtel
de Montmorency-Luxembourg avait été édifié en
1704, sur le dessin de Lassurance, pour Thomas
de Rivié, secrétaire du roi, prédécesseur en cet
endroit du contrôleur-des-finances Desmarets. N'en
survit-t-il pas d'autres bâtiments moins importants,
de l'autre côté du passage des Panoramas? Le
roi avait autorisé le duc, en 1782, à ouvrir la
rue Neuve-Montmorency (i) à ses dépens, en face
de l'hôtel. Les autres maisons principales de la
rue étaient habitées en ce temps-là par M""* Sorin,
par la famille d'Esparbès, par Leroy de Camilly,
payeur de rentes, par Chaumont de la Millière,
intendant au département des Ponts-et-chaussées,
et par Desmouhns.
(1) Présentement rue des Panoramas.
RUE SAINT-MARC. 637
Le 14 appartenait-il déjà à la famille Legouvé ?
En tout cas, Ernest Legouvé, notre cher maître,
membre de l'Académie-Française, occupe de nos
jours, au 14, la chambre à coucher dans laquelle
il est né. Son père, l'auteur du Mérite des femmes,
fit décorer l'appartement sur le plan de Percier-
Delatour.
Le patron de la rue Saint-Marc, qui a vu le
jour au milieu du xvn*" siècle, était un Vivien,
comme les patrons de la rue Vivienne : tous les
Vivien connus depuis le régne de Louis XII jusqu'à
celui de Louis XIV, étaient seigneurs de Saint-
Marc près Dammartin. Elle a épousé, en 1847,
la rue Neuve-Saint-Marc, née en 1780 sur le terrain
du duc et de la duchesse de Choiseul-d'Amboise.
Ceux-ci, en vendant par lots leur hôtel de la rue
Richelieu, s'en étaient réservé toute la rue d'Amboise
et presque toute la rue Neuve-Saint-Marc jusqu'à
ce que leur hôtel à la Grange-Batelière fût prêt
à les recevoir.
Rue des Anglaises. (i)
La rue Neuve-Saint-Jean-de-Latran, une de
celles auxquelles s'étendait la censive du comman-
deur de Saint-Jean-de-Latran, doit d'être devenue
rue des Anglaises à un couvent dont l'abbé Lebeuf
ne dit pas mot dans son Histoire du Diocèse.
Le Dictionnaire des Rues le place au n" 20, OÙ
une communauté religieuse, mais différente, se
trouvait établie il y a vingt ou trente ans.
Une autre encore, celle des Servîtes de la
Sainte-Famille, s'installe, sous le patronage de
Notre-Dame-des-Anges, aux n°« 4, 6 et 8, qui n'ont
pas été davantage le monastère nominal de cette
rue. Principe, bourgeois de Paris, y plantait ses
choux en 1724. Un voilurier payait alors à Leplus
le loyer d'une maison sise de l'aun'c côté et
plus haut, en regard des Anglaises. Leur bâtiment
conventuel porte le n'^SS.
Les lettres-patentes en vertu desquelles s'éta-
blirent ces religieuses bénédictines anglaises, sous
l'autorité de l'archevêque de Paris, sont du mois
de décembre 1677. Un des articles de leurs statuts
ordonnait à ces dames de prier pour le rétablisse-
ment de la religion catholique en Angleterre. Leur
propriété, ayant de snperlicie 1790 mètres, fut
vendue au profit de TÉlat le l*"' brumaire an vni.
(1) Notice écrite eu 1870.
Rue Blondel,
NA.GUi5RE
IVcuve-8aiiit«Denis. (i)
Les portes Saint-Denis et Saint-Martin, avant
de s'emparer des deux places qu'elles conservent
à titre de monuments, se trouvaient sur la même
ligne que la rue Neuve-Saint-Denis, qu'elles avaient
fait naître au xyi« siècle sous ce nom : la rue des
Deux-Portes.
La Ville adjugea, en 1675, à Julien Gervais, doyen
de ses quarteniers, une maison et une place à
bâtir, donnant à l'entrée de cette rue, ainsi que
dans les rues • Saint-Martin et Sainte-Apolline. La
petite fille de Gervais apporta ce bien en mariage
à Thomas Ragon, trésorier-de-France au bureau
des finances de 'la généralité de Rouen.
Du même côté que la famille Gervais, l'évêque
de Clermont n'avait pas moins de 9 maisons, dont
les enseignes se suivaient dans cet ordre : le
Cheval-Blanc, la Perle, la Fleur-de-Lis, le Chapeau-
Rouge (de bon augure, n'est-ce pas, pour un
évêque?), Saint-Nicolas, le Saint-Esprit, Saint-
Martin et le Pied-de-Biche. La dernière propriété
épiscopale ne gardait-elle l'anonyme que par hasard?
Si les habitantes n'en avaient pas de meilleures
mœurs que celles du présent n'' 4, la pudeur ne
conseillait que trop d'y voiler l'image d'une sainte.
(1) Notice écrile en 1864. La rue Neuve-Saint-Denis
n'honorait pas encore d'une façon toute particulière Ja
mémoire de Blondel, directeur de l'Ecole royale d'ar-
chitecture et auteur de la porte Saint-Denis.
640 RUE BLONDEL, ETC.
Plus près encore de la rue Saint-Denis, du même
côté, M""= Torcherie débitait ce qu'annonçait l'en-
seigne des Trois-Bouteilles. De l'autre côté, près
de l'élude du notaire Gaillard, il y avait dès-lors
une traverse, boulevard Sébastopol en herbe.
Peu de temps après, Claude Étignard de La-
faulolte, dont les descendants ne portent plus que
le surnom, était propriétaire sur celte file, entre
Grimaud et Havard.
M"'* Rivarol, au contraire, ne portait même pas
en son domicile de la rue Neuve-Saint-Denis le
titre de comtesse que lui avait donné avec osten-
tation son défunt mari, le caustique écrivain. Elle
était d'origine anglaise et faisait des traductions.
Sa modestie, du reste, pouvait résulter de ce
qu'on avait contesté la noblesse du comte de
Rivarol, de son frère, le chevalier, et même du
comte de Barruel-Beauvert, courageux publicistc,
qui avait épousé leur sœur. On avait été jusqu'à
abuser de ce que Rivarol père avait tenu un cabaret
à Bagnols pour dire un jour au fils :
\
Calmez un peu votre colère,
Imitez monsieur votre père,
Qui mettait de l'eau dans son vin.
Rue des Oravilliers. (i)
Avec la cendre gravelée, on ne colore ni les
peaux, ni les étoffes, mais on les prépare à recevoir
la teinture. C'est de la lie de vin séchée, puis
calcinée. On en faisait usage près Saint-Martin-
desChamps avant même que Paris ne s'étendît
jusque-lh. Une rue aux Graveliers, que l'on y
connaissait déjîi en l'an l:2oO, se trouvait encore
habitée sous le règne de Louis X par des tanneurs
et des pelletiers, en même temps que par des
maçons, des charpentiers, des chauciers, des
couteliers et des orfèvres, sans compter le tau-
nier Adam de Brou, sergent h cheval. Les historiens
se bornent à rappeler qu'en cette rue, sous le
règne précédent, un boucher s'appelait Gravelier ;
mais il ne faut pas oublier qu'il cette époque
d'éclosion pour tant de noms patronymiques,
l'œuf en était quelquefois le hameau, le quartier
ou la rue que le ci-devant anonyme habitait, sous
ce que nous appelons un prénom, qui n'avait rien
d'héréditaire.
On se contente aussi de qualilier propriétaire
ce Jean Robert dont le nom passa vers 1710 à
une portion de la rue des Gravilliers, entre les
rues Beaubourg et Saint-Martin. Ne convient-il
pas d'ajouter que ce parrain, farceur de son état
en même temps que marchand de cirage, débitait
par les rues encore plus de facéties et de calem-
jjours que de noir? Assez d'autres ne broient que
du noir; mais ceux-là ne font pas fortune. En
la rue Jean-Robert, alors qu'elle emprunta cette
(1) Notice écrite en 1861.
642 RUE DESGRAVILLIERS.
dénomination si populaire, 30 maisons et 7 lanternes
faisaient suite directement aux 61 maisons et 13
lanternes de l'autre rue, plus lidèle iison nom du xni"
siècle. Ces bâtiments, comme on peut s'en rendre
compte, n'ont fait depuis lors que croître; ces
réverbères n'ont fait qu'embellir.
Au n" 69 d'à-présent, le grand hôtel d'Estrées
garde sur la cour une madone dans sa niche ; il
fut bâti pour un grand-maîlie de l'artillerie de
France, père ou grand-père de la belle Gabrielle.
On retrouve au 70 le petit hôtel du même nom.
L'un et l'autre nous reportent au bon temps des
mansardes ; elles ne couronnaient alors que peu
d'étages, et il ne tient qu'à nous d'en revoir deux
à cheval l'une sur l'autre, au n*" 37, et qui sem-
blent si entichées de leur célibat respectif qu'on
les ferait tomber en poussière plutôt que de les
accoupler.
Le passage de Rome, qui répond de ce côté
au n° !24, nous rappelle qu'une rue des Cordiers,
puis du Puits-de-Rome, relia la rue du Temple à
la rue au Maire, où elle se réduisit ensuite à l'état
de cul-de-sac. Le plan de 1652 marque tout
simplement la place dudit cul-de-sac, maintenant
passage, avec un seul mot, le mot : Rome.
Raletli, acteur de la Comédie-Italienne, demeurait
en 1761 vers le n" 30 actuel. Lebel, premier violon
au même théâtre, musicien ordinaire du roi,
habitait la môme rue vingt ans après. Le chimiste
Cadet de Vaux y avait, à la même époque, sa
pharmacie, qu'il vendit, afm d'appliquer plus libre-
ment, par ses expériences et ses écrits, la chimie
aux besoins ruraux et domestiques. Cette officine
portait le n» 16. Mais alors le n° 1 faisait le coin
de la rue Transnonain, ajoîitée de nos jours â
celle Beaubourg, et le n" 2 suivait, sans changer
de côté ; Arbinet, serrurier notable, occupait
RUE DES GRAVILLIERS. 643
le n" 14 et rivalisait avec Georges, établi ii" 27 ;
les angles de la rue du Temple portaient les chiffres
46, 47, et Naturali, banquier, habitait le n° 84.
Ce dernier numéro est assez élevé pour faire
croire que la rue Jean-Robert ne se distinguait
déjà plus, sous Louis XVI, de celle des Gravilliers.
Toutefois, MM. Lazare ne rapportent ce rapproche-
ment qu'à l'année 1851. Ils racontent en même
temps que, le 4 germinal an xn, Joyaut, Burban
et Dutry, compromis avec Georges Cadoudal, furent
arrêtés au n" 24 de la rue Jean-Robert, depuis
lors n" 88 de la rue des Gravilliers.
Rue du Poirier, (i)
Tliaumasse, dans la Coutume du Berri, parle
de grains vendus et à vendre « selon que le
blé vault au Poirier. » On appela donc Poirier
un marché au blé, et cette ancienne acception
semble donner à notre rue, qui suit la rue Brise-
miche, laquelle fiiit angle avec la rue Taillepain,
la seule étymologie rationnelle de son nom. Mais
celui-ci fut également porté par une sorte de jeu.
Aussi bien la rue s'était dite de la Petite-
Bouclerie dès le commencement du xiv« siècle,
et une reconnaissance censuelle de l'année 1723
ne la nommait encore Poirier qu'en ajoutant :
« dite aussi de la Baudroirie. »
Ce titre confirmatif, passé au profit du chapitre
de Saint-Merri, comme seigneur censitaire, était
conçu dans les termes ordinaires ; seulement on
y relatait une circonstance particulière, c'est que
le reconnaissant signait entre les deux guichets
du Chàtelet. Le propriétaire en prison n'en était
pas moins qualifié messire Jacques-Edouard Richer,
sieur de la Petite-Barre, Hessel, Clivot et autres
lieux, bachelier de Sorbonne, prieur de Saint-
Vincent de Laitre. Sa maison de la rue du Poirier
comportait trois corps-de-bàtiments et aboutissait
par-derrière à une maison de la rue Neuve-Saint-
Merri appartenant h l'Hôtel-Dieu et que nous
désignons dans la notice consacrée à cette autre
rue.
(1) Notice écrite en 1864.
RUE DU POIRIER. 645
Sur la rangée opposée, la rue Pierre-au-Lard
avait deux coins : l'un à la chartreuse de Paris,
représentée par dom Arsène Le Boiteux, prêtre,
religieux et procureur y demeurant, et l'autre h
dame Marguerite Rousseau, veuve de Baudouin
Presty, écuyer, ancien échevin.
En 1691, on dînait ou soupait pour 20 sols à
la Croix-d'Or, dans la rue du Poirier.
Rue du Renard,
EX CE QUI s'eX appelait NAGUERE
Renardr'Saiut-IlIerri, et rue Grenéta,
EN CE QUI s'en appelait naguère
Renard- 8 aint-8auveur. (i)
L'acceptioii dans laquelle a été appliqué à deux
rues le mot renard signifiait : fente, canal ou
trou par où se perdent des eaux. L'une comme
l'autre avait son renard d'égoût et prenait aussi
le 'nom de Saint-Merri par-ci, de Saint-Sauveur
par-là.
Néanmoins une enseigne, qui passait sous Louis
XIV pour patronymique, montrait un quadrupède
carnassier à la queue touffue sur une maison de
la rue du Renard-Saint-Sauveur ayant sa principale
entrée rue Saint-Denis et appartenant à M"'' Hardy :
là se trouve aujourd'hui le passage du Renard.
Le duc de Coislin, qui était l'homme le plus
poli de France, occupait les n°* 5 et 9 actuels,
son petit et son grand hôtel. L'acteur Laruette,
compositeur de musique pour les pièces à ariettes,
demeura postérieurement au petit, avec sa femme,
M"" Laruelte, née Villette. Le nom de cet acteur
désigne encore l'emploi qu'il remplissait à la
Comédie-Italienne : il avait réussi au théâtre comme
(1) Notice écrite en 18i)4. La rue du Renard-Saint-
Mevri n'englobait pas encore Ja rue de la Poterie-aes
Arcis ; celle du Reuard-Sainl-Sauveur n'était pas encore
ajoutée, avec la rue Beaurepaire, à la rue Grenéta.
RUE DU RENARD, ETC. 647
père-noble bien mieux que dans les amoureux,
qu'il jouait déjà à la foire Saint-Germain en 1752.
L'actrice ne jouait pas avec moins d'expression
que son mari, et elle chantait mieux; les opéras
de Monsigny et de Grélry lui trouvèrent encore
la voix fraîche, bien qu'elle eût débuté à l'Opéra
en 1758, pour entrer aux Italiens trois ans après.
Un agent-de-change habitait, au milieu du règne
de Louis XVI, une maison contiguë à celle que
les époux Laruette n'habitaient déjà plus, rue
du Renard-Saint-Sauveur, et alors un autre agent-
de change était au grand hôtel Coislin, en même
temps que le célèbre accoucheur Sigaudde Lafon,
qui y faisait son' cours. La laculté de Médecine
avait voulu, par gratitude, qu'une médaille fût
frappée en l'honneur de ce praticien, pour con-
sacrer l'expérience heureuse d'ur.e découverte
spéciale qu'il avait faite étant encore élève en
chirurgie. Utile progrès, qui ne laissait pas d'être
la conséquence d'un autre progrès encore plus
important ! Les sages-femmes avaient-elles toujours
eu, pour leur donner de salutaires exemples, ces
confrères, ces rivaux, ces maîtres qui différaient
de leur clientèle par le sexe? Rien qu'à ce mot :
un accoucheur, combien de siècles antérieurs
auraient crié à l'indécence ! Un magasin d'épongés,
au petit hôtel, fut remplacé dès 1817 par le
magasin de parfumerie que tient toujours la
famille Dubuc-Josse. La maison intermédiaire se
construisit vers le même temi5s, aux dépens de
l'ancien jardin de M. de Coislin.
Leroy, ancien greffier, et Macé, greffier en
l'élection, étaient propriétaires de front avec le
duc. Ceux d'en face, à partir de la rue des Deux-
Portes, étaient Rarthélemy, maître-maçon, la
susdite D"« Hardy, Des Essarts, De la Vergée et
Valbrun.
L'autre ruelle du Renard eut jusqu'à une salle-
648 RUE DU RENARD, ETC.
de-spectacle. Des amateurs y jouaient la comédie,
au commencement delà République; des acteurs
plus ambitieux leur succédèrent, en ouvrant au
public payant le théâtre de la Concorde. Si la
rue était trop étroite pour les voitures, il en fut
autrement de la salle pour les piétons, qui ne
s'y aventurèrent eux-mêmes que peu de temps.
Ce théâtre était-il à gauche, ou bien à droite?
D'un côté comme de l'autre il y avait eu place,
sur des cours ou jardins d'anciens hôtels, pour
cet établissement malencontreux. Quels étaient-ils
donc, les hôtels d'une voie si peu carrossable?
II se peut que le n° 1 de ce temps-ci ne soit
pas absolument autre qu'une maison, située au
même endroit, dont le propriétaire était Desnots,
secrétaire des finances, vers la fin du xvii'' siècle.
Mais les chiff'res impairs qui suivent ne montrent
plus rien d'un hôtel qui communiquait aussi par
une allée avec la rue Neuve-Saint-Merri et qui
avait appartenu à René Potier, président au
parlement : le conseiller d'État René de Marillac
y avait pour voisins le président de Lesseville et
M. de Buzenval; puis la maison passa au petit-
fils de M. de Marillac, le duc de la Trémoille,
encore mineur, mais déjà pair-de-France et pré-
sident des États-de-Bretagne par droit de naissance.
Quant aux chiffres pairs, ils commencent et ils
finissent aristocratiquement par une construction
séculaire, sans compter le n" 10, qui se flatte
d'avoir eu pour maîtres, durant le dernier siècle
presque entier, les princes d'Orléans. Il nous
paraît probable néanmoins que le propriétaire de
cette maison, sous la Régence, fut un simple
conseiller au parlement, Lucas, seigneur de Muin,
qui en avait une autre adjacente, et non pas le
régent. M. Lucas y tenait d'une part à Arnauld
de Pomponne, conseiller d'État, garde-des-sceaux,
abbé commendataire de l'abbaye Saint-Médard de
RUE DU RENARD, ETC. 6d9
Soissons, qui succédait lui-même au ministre,
son père, et à son grand-père, Robert Arnauld
d'Andilly, dans la propriété de son hôtel, ouvrant
rue de la Verrerie. Seulement M. de Pomponne
tenait aussi à la marquise de Castilly, dont la
maison avait sa porte sur la rue du Renard-Saint-
Merri.
35
Rue et Place Sainte-Opportune, (i)
Vendue nationalement le 24 novembre 1792,
l'église Sainte-Opportune fut bientôt démolie. Des
maisons la remplacent, entre la rue de l'Aiguillerie,
la place Sainte-Opportune et la rue du même
nom, qui s'appelait aussi de l'Aiguillerie quand la
principale porte de l'église y donnait. Était-ce
assez d'espace pour une église royale, collégiale
et paroissiale, avec sa tour festonnée de fleurs
de lis ? Pas trop : vous en pouvez juger. Mais
les paroissiens pauvres remplissaient le chœur,
tandis que le service curial se faisait dans une
chapelle, sur le côté méridional 'de la nef. Le
chapitre, au surplus, n'avait-il pas comme sous
la main l'église des Saints-Iunocents, dont le cui'é
était à sa nomination? Le jurisconsulte François
Gonnan, élève de l'Italien Alciat, et que François P''
avait fait maîlre-des-requêtes, reposait à Sainte-
Opportune, au-dessous d'une épitaphe en vers latins,
qui témoignait de la douleur de sa veuve. On ne
remarquait pas moins un superbe candélabre, dont
Charles-Quint, en passant à Paris, avait fait présent
à l'église. Plus anciennement il y avait eu des
recluses dans une loge qui dépendait du cloître,
notamment Agnès du Rochier : celte fille d'un gros
marchand de la rue Thibautodé s'était enfermée là
volontairement, le 5 octobre 1403, n'ayant que
18 ans, et elle y était morte à 98. A une époque
encore plus reculée, Sainte-Opportmie avait été
(1) Notice écrite en 1864. La rue des Halles, qui
traver?:e la place Samte-Opportune, est de création
postérieure.
RUE ET PLACE SAINTE-OPPORTUNE. C51
un prieuré de filles. L'église datait, comme ermitage
de Notre-Dame-des-BoiS; d'avant l'invasion des
Normands ; au siècle xni on l'avait rebâtie et au
siècle suivant érigée en paroisse. Ses deux bien-
faiteurs principaux étaient Louis-le-Bègue et Louis-
le-Gros.
II y avait aussi, en 1260, une maison à Simon
d'Auxerre sur la place Sainte-Opportune ; entre
cette maison et l'église siégeait la justice du fief.
Or nous retrouvons sur la place les n°* 4 bis et
6, dont le plan de 1715 a tenu compte. De ces
deux maisons la plus grande donnait à deux pas
d'une porte latérale de l'église, et elle devait être
non-seulement capitulaire, mais encore chef-lieu
seigneurial du fief de Sainte-Opportune, par destina-
tion originaire ; ce qui en reste de mieux est voué
en notre siècle au commerce du bouchon, de
l'éponge et de l'amadou. Aussi bien la justice du
chapitre avait été transférée aux Porcherons,
dès l'année 1483, par « Messieurs les chefcier,
chanoines et chapitre de l'esglise Madame Saincte
Opportune, seigneurs de leurs grand et petit cloistres
et anciennes appartenances d'iceux, du fief de Saint-
Caran et Cocatrix, en partie des Porcherons et
Marais de Paris, à prendre depuis le pont Perrin
jusqu'au dessous de Chaillot, et auslres lieux. »
Du petit cloître dépendait la rue ; du grand, la
place, et on ne cessait pas encore d'y voir, sous
Louis XIV, un pressoir banal îi verjus, propriété
domaniale. La chefcerie n'en était pas moins
propriétaire dans la rue des Fourreurs, et il
en était de même du chapitre, dans la censive
duquel il se trouvait des maisons situées en 16
rues de Paris, d'après Sauvai. Les rues étaient
encore peu nombreuses, mais se multiplièrent au
xvni" siècle dans ce qu'on appelait la ceinture, les
fossés de Sainte-Opportune : zone d'abord de défense
militaire, puis d'égout suburbain, avant que Paris,
«52 RUE ET PLACE SAINTE-OPPORTUNE.
grandissant toujours, l'absorbât. M'est avis que le
dénombrement des 16 rues ne comprenait pas
encore ce qui demeurait du fief en-dehors de Paris.
Les droits de cens étaient payables à cette seigneurie
le 22 avril, jour de la Sainte-Opportune.
Du temps de Henri III, une maison séparée dudit
n" 6 par quatre maisons, tout au plus, appartenait à
Benjamin Leriche, .receveur-taillon de la gendar-
merie, lequel y venait après leu Blachivaille, com-
missaire-examinateur au Châtelet, Cette propriété,
sise à la pointe de la maison du Papegault, donnait
sur le grand cloître, à l'angle d'une rue de la
Tabletterie, et aboutissait par-derrière à la maison
des Rats, rue Saint-Denis. Une autre, qui faisait
en ce cloître le coin de la rue des Fourreurs, dite
alors de la Cordonnerie, était l'objet d'une recon-
naissance passée au Terrier de Sainte-Opportune
par « honorable homme Claude Richer, maître
paticier et poullaier, demeurant à Saint-Germain-
des-Prez, au nom et comme tuteur des enfants de
Robert Andry, maître paticier, et de Jacqueline
Berton, autrefois sa femme, à présent femme dudit
Richer, tenant à Guillaume Jallier sur la rue, à
Boutin sur le cloistre, et par-derrière à Charles
Andry. » Un siècle plus tard, l'enseigne du Pape-
gault avait fait place à celle delà Housse-de-Cheval,
qui pendait à la porte de M"'' Antoinette Boursier,
sage-femme ordinaire de la reine, veuve du docteur
en médecine Robinet, tandis que l'ancienne maison
de Blachivaille était à la veuve de Leroux de
Clairfond, conseiller au bailliage d'Orléans. La rue
Sainte-Opportune, qu'on a ouverte en 1836 entre
la rue de la Féronnerie et la rue des Fourreurs,
où commençait auparavant celle de l'Aiguillerie,
garde la maison dont Boutin disposa, maintenant
hôtel-garni du Petit-Manteau-Bleu.
La place du Cloître-Sainte-Opportune, dont le
nom n'a subi qu'une abréviation, était habitée par
RUE ET PLACE SAINTE-OPPORTUNE. 653
Mallet, agent-de-change, et par Gibert, notaire,
peu de temps avant la suppression de l'église. Le
bureau des Lingères s'y trouvait également, près
la rue Courtalon, alids ruelle Sainte-Opportune,
et ce n'était pas depuis peu, car il aliénait déjà
sous la Régence aux derrières de la maison de la
Barbe-d'or, qui formait un des angles de ladite
ruelle avec la rue Saint-Denis. Pour les maîtresses-
lingères le droit de réception ' s'élevait encore à
800 livres, vers la fm, et il avait été plus fort
de la moitié sous le règne précédent. Sait-on
même pertinemment si cette gracieuse corpora-
tion ne siégeait pas au cloître Sainte-Opportune
dès le milieu du xvn*' siècle? C'est justement
l'époque où la
Rue de TAi^uillerie (i)
commençait à se substituer h la rue du Cloître-
Sainte-Opportune, laquelle avait porté antérieure-
ment la dénomination de l'Esculerie, et, en 1220,
le nom de particulier que voici : Alain-de-Dam-
pierre. Il est vrai que la communauté des Aiguilliers-
épingliers pouvait s'être fixée, aussi bien que celle
des Lingères, dans une des maisons aliénées ou
affermées par les chanoines de Sainte-Opportune.
L'excellence des dragées et confitures, ces pre-
mières douceurs affriolant Paris, fit, moins légèrement
que les aiguilles, une spécialité de commerce à
notre rue, puis une réputation à la rue des
Lombards, dont elle est la queue en droite ligne.
La communauté des Épiciers achetait, en 1563,
« dans la rue de l'Escuillerie, » c'est-à-dire au
petit cloître Sainte-Opportune, une maison, moyen-
nant une rente de 200 livres, qui dans la suite
fut amortie. Or les épiciers-apothicaires ne for-
maient, sous Philippe-Auguste, que le dernier des
quatre corps de marchands, qui passa plus tard
le second. Les six maîtres ou gardes qui adminis-
traient ses alfaires, au bureau de la rue de
l'Aiguillerie, portaient dans les cérémonies des robes
de drap noir, ii bordures de velours et à manches
pendantes, comme les robes de juges-consuls.
Cette confrérie était dépositaire de l'étalon des
poids. Une de ses grandes assemblées avait lieu
à l'église Sainte-Opportune, dès 1572 ; une autre,
dix-sept années après, à l'église des Grands-
Augustins. Et le patron était saint Nicolas. Dans
(1) Notice écrite en. 1864.
RUE DE L'AIGUILLERIE. 655
le même corps avaient été compris les chandeliers
jusqu'au milieu du xv* siècle. Mais les apothicaires
eux-mêmes avaient cojïimencé sous Louis XII à se
distinguer des épiciers, et d'autant plus facilement
qu'ils avaient déjà constitué, sous le bon plaisir de
Louis XI, une sorte de garde nationale. Des lettres
qui interdisaient l'épicerie aux dissidents, avaient
été octroyées par le roi en loo3; mais défense aux
épiciers de s'en servir avait été faite par Duprat,
prévôt de Paris, l'année suivante. Les alternatives
de la lutte devaient la rendre bi-séculaire ; les
apothicaires y gagnaient le monopole du pain
d'épices, et cependant leurs adversaires, tenant à
se montrer plus discrets, n'empiétaient pas sur
le chapitre des rafraîchissements plus lucratifs que
toute ordonnance de médecin faisait administrer
à domicile. Tant que le divorce ne fut pas con-
sommé, l'apothicaire ne convolait que par une sorte
d'adultère permanent, dont la complice était la
Faculté, et l'épicier jouait au naturel le rôle du
mari malcontent. Au demeurant, des intérêts
communs n'étaient-ils pas à sauvegarder? Les sieurs
Rousseau, Vilain, Vadurel, Lambert, André et
Serret pouvaient encore se dire, au milieu de
l'année 1683, maîtres et gardes de la marchandise
d'apotiquairerie et d'épicerie. En 171 o, qui plus
est, les garçons apothicaires se louaient indilTérem-
ment à la Lamproie, maison de la rue de la
Huchette, ou au bureau des Épiciers, dans le
cloître Sainte-Opportune.
Le siège de la communauté, lorsque les sus-
nommés étaient en charge, portait l'enseigne de
la Tête-Noire, que remplace aujourd'hui le chiffre
8. Le droit de réception était de 1700 livres (qui
furent réduites sous Louis XVI à 800). Vuatlard
et Marsollier avaient pour locataires, au n" 6,
Raguenet, épicier, et Caucheteur, bourgeois : le
4 appartenait à des marchands, les frères Denis
636 RUE DE L'AIGUILLERIE.
et Pierre Noiret ; le 2, au chirurgien Paul
Emmenez, successeur de Charles Bernard.
A quelque cinquante ans de là, Sauvage, à
l'image du Sauvage, faisait un grand commerce
de soierie et de mercerie, dans l'ancienne pro-
priété de Vuaflard et de Marsollier. Le même
magasin passait, au moment de la Révolution,
pour le plus ancien de ce genre, sous la nouvelle
raison de commerce Paul us et Reverard. Les
épiciers, tant que les corps-d'état ne furent pas
entièrement abolis, maintinrent leur bureau dans
cette rue ; une auberge s'y établit au commen-
cement de notre siècle; mais ce n'est plus qu'une
maison ordinaire, dont les habitants payent leur
terme quatre fois par an.
Rue de la Huchelte. (i)
Le Bureau des Apothicaires. — Les Enseignes.
— Revue de Propriétaires. — Revue de Huches.
— L'Hôtel de Pontigny. — V Afficheur . — Les
Aiguilles à VY. — Les Tapisseries. — Les Rôtis-
series. — Manon Lescaut au Cabaret. — La
Noce et V Enterrement. — Les Lapidaires. —
Les Peaussiers. — Petit-Radel.
En l'année 1714, le bureau des Apothicaires
s'ouvrait tous les matins rue de la Huchette, à
l'image delà Lamproie. Toutefois un maître-apothi-
caire, lorsqu'il était en quête d'un garçon, s'adressait
aussi au bureau des Épiciers, rue de l'Aiguillerie,
pour y être mis en rapport avec des sujets
disponibles. Il y avait déjà séparation de biens,
mais la séparation de corps n'était pas encore
complète entre les épiciers et les apothicaires. Le
bureau particulier de ces derniers avait simplifié
l'enseigne de la maison, pour la purger du sens
trop culinaire dont le boulanger Pierre Budin
s'accommodait encore trente ans plus tôt, étant
alors propriétaire à cette enseigne : La Lamproie-
sur-le-Gril.
Ladite image pendait probablement à la porte
du n° 13, en sortant de laquelle vous eussiez
rencontré sur votre droite :
— la Croix-Verte, à Michel Pelet; —Saint-Nicolas,
à la veuve de Jacques Daminois ; — l'Ecu-de-France,
(1) Notice écrite en 1864.
658 RUE DE LA HUCHE T TE.
à Hérard, chirurgien ; — la Eure-de-Sanglier, à D^l» Marie
Meusnier et consorts ; — Ja Bannière-de-France ;
et à main gauche:
— le Flacon-d'argent ; — Saint- Jacques, à Pierre Gilet,
procureur au parlement ; — Notre-Dame (antérieurenaent
les Trois-Pigeons), à la famille Corniquet ; — la Rose-
Blanche, à Jacques de Logny ; — la Huohette-dOr.
Cette Huchette-d'Or ne succédait-elle pas de
loin à la Huchette pure et simple, sous l'invoca-
tion deiaqujeile, Philippe-le-Hardi régnant, s'était
percée modestement la rue ? La vieille maison de
ce nom appartenait au chapitre de Notre-Dame.
Mais l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, propriétaire
du clos de Laas, qui s'étendait parallèle à la
Seine entre Nesle et le Petit-Pont, en avait aliéné,
vers l'année 1179, de quoi bâtir la rue qui nous
occupe, primitivement de Laas. Les caisses de
toute sorte", depuis le coffre-fort et le bahut jusqu'à
la boîte à mettre les chandelles, ont commencé
par être confondues le plus souvent sous la même
dénomination que la huche h pétrir et à serrer
le pain : huchier et menuisier ne faisaient qu'un.
La dénomination de huche s'est appliquée aussi,
par extension, à un petit étal de marchand et à
un droit prélevé sur cet étal, principalement
dans le commerce du poisson. Si d'origine on
n'en a pas vendu dans la maison capitulaire, on
y a du moins perçu le droit. Le receveur, pour
parler de cet impôt, aura eu politiquement recours
à un diminutif ; de \h huchette, mot dont la ter-
minaison cherchait à adoucir la chose, et qui
souligna sur l'enseigne un coffret, qu'on dorait
plus tard. Sous Louis XV, la Huchette-d'Or fut
remplacée, en tant que blason domestique, par
les Trois-Maillets-Couronnés. A cette époque, la
maison tenait d'une part à Notre-Dame-des-Anges,
que possédait Degland, un officier du roi, et,
RUE DE LA HUCHETTE. «59
d'autre part, à la Rose-Blanche, que Bachelier,
un charcutier, avait au coin de la rue du Petit-
Pont. La propriété du milieu était alors dans la
censive du roi ; les deux autres relevaient des
abbé et religieux de Sainte-Geneviève. La plupart
des maisons sus-désignées se retrouvent par le
temps qui court; on en comptait pourtant dans
cette rue 79, nombre réduit de plus de la moitié.
Que si vous demandiez, par exemple, où est
l'hôtel de Pontigny, on ouvrirait de grands yeux
sans vous le dire. Il florissait, sous les règnes de
Charles VI et Charles VII, à l'extrémité occiden-
tale de la rue, du côté de la rivière, et les femmes
se baignaient en ce temps-là aux étuves de l'hôtel-
lerie des Bœufs, qui attenait à l'hôtel de Pontigny.
Celui-ci n'a-t-il fait qu'un avec la maison de
l'Ange, où séjournèrent des ambassadeurs de
l'empereur d'Allemagne? L'abbaye de Pontigny,
l'une des quatre filles de Citeaux, avait été fondée
près d'Auxerre en l'an 1114. Les Bœufs touchaient
encore à son ancienne maison de ville en 1691;
les messagers de la Ferté-Alais et de ChâtiUon-
sur-Indre en partaient tous les lundis.
Dans la même rue, en revanche, vous ne
chercheriez pas en vain un afficheur, et déjà il
y en avait un sous Louis XIV, à l'image des
Trois-Bourses : le colleur d'affiches Lafolie. Les
bonnes ménagères, à Paris, ont encore en prédi-
lection les aiguilles à l'Y ; apprenons-leur que
celte marque de fabrique fit sa réputation, du
vivant de Lafolie, dans une maison de com-
merce qui vendait en gros des épingles en même
temps que des aiguilles, rue de la Huchette.
Les tapisseries pareillement étaient l'objet d'un
commerce local, qui, de til en aiguille, allait
bien avec l'autre. Mais passons de l'aigu au grave,
en descendant, comme on fait en musique, et
nous relèverons une spécialité infiniment plus
680 RUE DE LA HUCHETTE.
substantielle, qui marqua encore davantage dans
cette rue dont nous fouillons le passé.
La Lamproie-sur-le-Gril, la Hure, les Pigeons et la
Huchette nous font déjà soupçonner, comme au flair,
des habitudes gastronomiques ; la rôtisserie n'a plus
qu'à déposer pour qu'aucun doute, dans l'espèce,
ne fasse ombre à la conviction. Un des négo-
ciateurs de la paix de Vervins, le père Bonaventure
Catalagirone, général des cordeliers, se rappelait
encore, de retour en Italie, avec un soupir de
regret, les broches qu'il avait vues tourner, au
bruit crépitant d'un feu clair, chez les traiteurs
de la rue de la Huchette. Quel fumet, pour aller
si loin ! Toutefois les rôtisseurs, à force de servir
plus de vin que de cuisses d'oie, devinrent moins
nombreux et cabaretiers. L'abbé Prévost, qui avait
pris en affection l'un de ces restaurants où l'on
buvait plus qu'on ne mangeait, y composa, dit-
on, Manon Lescaut. Quel franc cabaret ce devait
être! Malheureusement l'auteur avait quitté Paris
depuis quatre ans lorsque parut le roman qu'il
y avait pris sur le fait. Chez Aubry, à l'enseigne
du Quartier-Général, se trouvaient la table et le
logement quand un bal de noces, qui se donnait
chez un autre rôtisseur transfigure, fut inter-
rompu tristement, le 7 février 1767, par l'écroule-
ment d'un plancher : des danseuses et des danseurs,
sans se quitter la main, tombaient, pour ne plus
se relever.
Les lapidaires-diamantaires faisaient alors, comme
de juste, moins de bruit que les cabaretiers ; ils
n'en avaient pas moins en cette rue le siège de
leur corporation. Les statuts de la compagnie
remontaient au règne de saint Louis, qui en était
resté le patron. Pour passer maître, il fallait
300 livres et sortir victorieux de l'épreuve du
chef-d'œuvre. L'apprentissage durait 7 ans.
Là n'était plus le bureau des Lapidaires en
RUE DE LA HUCHETTE. 661
1787 ; celui des Tanneurs, hongroyeurs, peaussiers
et parcheminiers l'y remplaçait. Les tanneurs-
hongroyeurs, dont lès établissements se groupaient
pour la plupart au faubourg Saint-Marceau, n'étaient
que depuis onze années réunis officiellement avec
les corroyeurs, les peaussiers, les mégissiers et
les parcheminiers. Depuis lors la maîtrise, dans
cette corporation professionnelle, ne coûtait que
600 livres ; le brevet, 30. On demeurait 5 années
apprenti. La compagnie siégeait dans une maison
qui portait le n° 8; mais l'ordre numérique, à
cette époque, partait de l'extrémité de la rue
Saint-André-des-Arts, sans que les chiffres pairs
fussent appelés à faire vis-à-vis aux impairs.
Au n° 12 du même ordre, on venait suivre un
cours d'anatomie, fait par Petit-Radel, qui avait
été reçu docteur-régent de la faculté de Médecine
de Paris en 1782 et que les Invalides eurent
pour chirurgien sous l'Empire. L'un des deux
frères de ce médecin connu fut architecte, élève
de Wailly; l'autre, prêtre et littérateur, membre
de l'Institut.
Rue Galande. (i)
Jolies Maisons qu'on y découvre, — Comment on
se galandait. — Images servant de Numéros. —
Bureaux des Amidonniers et des Charpentiers.
— Hôtels. — Saint -Julien -le -Pauvre. — Le
Clos, le Fief et la Famille de Garlande. —
Les Regrattiers.
Ne se cache-t-il pas, à notre avis, quelques-unes
des plus jolies maisons de Paris dans cette rue
ouvrière ? Voici le 3, voilà le 12, le 27 et le 31, nous
en citerions même plus de quatre aussi agréaJ)les à
voir; mais ils tiennent si peu de place qu'un nouveau
boulevard, s'il les guette, n'en fera qu'une bouchée.
Le Paris qu'on aimait s'en va, et l'autre Paris
jusqu'ici réalise des améliorations purement ma-
térielles, qui ne sont pas toujours incontestables.
Néanmoins on retrouverait encore, pour la plupart,
les 76 maisons qu'éclairaient, dans la rue Galande,
14 des lanternes de M. de la Reynie, quand il
était lieutenant-de-police. L'historique de tant de
pignons étant lettre close, décachetons de nouveau.
Ne semble-t-il pas que chaque rue ancienne soit un
personnage collectif dont nous vous esquissons la
. biographie ? Donnons cette fois encore la préférence
aux documents qui lui restitueront son caractère
particulier ;
Summa sequar vesiiçjia reruin.
De prime-abord, la personnification de cette
rue nous semblait devoir être galonnée sur toutes
(l) Notice écrite en 18G4.
RUE GALANDE. 66S
les coutures, ou vouée au commerce du galon.
Oaland signifiait aiiciemiement galon, et galander,
fournir ou border de galands. Mais l'interrogatoire
a fait tomber tout de suite l'idée que nous avions
préconçue d'une spécialité primitive : pas un bout
de galon ne se montrait. D'ailleurs, près de la
moitié de la rue Galande était encore des Trois-
Portes sous Louis XIV.
Notre n" 1, qui appartenait aux boursiers du
collège de Presle, eut pour signe particulier une
Sainte-Thérèse, plus anciennement des Pèlerins,
plus anciennement encore un Gril. Puis venait
immédiatement le Bon-Secours, ex-Cheval-Blanc,
dont Beaubrun, peintre du roi, fut propriétaire.
Henri et Charles Beaubrun travaillaient fraternelle-
ment aux mêmes poitrails, qui ne firent entrer
que l'aîné à l'Académie ; Louis Beaubrun, parent
de ces deux frères, les avait devancés comme
portraitiste. Etienne Langlois disposait du n^ 5, où
des Rats, ultérieurement, ne craignirent pas de
remplacer un Lion-d'Or, pour flatter l'amour-propre
d'un autre propriétaire, Pierre-François Le Rat,
marchand-bourgeois de Paris, mari de Louise-
Charlotte de Bougainville.
Toutefois la rue des Rats tombait de bien plus
ancienne date dans celle des Trois-Portes ; c'est
maintenant la rue de l'Hôtel-Colbert. Au premier
angle de cette rue des Rats, le sieur Desmaisons,
maître-maçon, avait en 1768 la Corne-de-Cerf,
contiguë au Bout-du-Monde, qui tenait aussi aux
deux riies et qui appartenait h Delamesle, libraire
et fondeur en caractères. Après le second coin
venait le Cheval-Alezan, ci-devant Saint-Étienne, à
Louis Parmentier, marchand de chevaux, qui eut
pour successeur Toudouze, boucher. Les deux
encoignures de la rue Jacinthe étaient pareillement
au pouvoir de Hébert, marchand de poissons, et
de Boiste, conseiller aux Eaux-et-Forêts. A Ponson,
«64 RUE GALANDE.
officier du roi, les Balances, entre Hébert et la
veuve de Geoffroy, lieutenant de l'amirauté, dont
les deux corps-de-bâtinients se disaient Saint-Claude
et le Chêne- Vert.
Il est probable que le 9 et le 41 ne formèrent
aussi qu'un : Grandjean, chirurgien-oculiste de la
famille royale, y demeurait au moment de la
Révolution.
Jean-Marc Antoine, porte-arquebuse du roi, se
rendit adjudicataire du 30 en l'année 1694.
Dans l'une des maisons que vous voyez en face,
le bureau des Amidonniers fut installé. Ce corps
d'état n'obtenait pas sans peine, au mois de mars
de l'année 1774, les lettres-patentes du roi l'au-
torisant et déterminant ses statuts. Toutamidonnier,
avant de passer maître, n'avait que 2 ans d'appren-
tissage à faire ; mais il ne pouvait s'établir que
si le lieutenant- de-police, condition moins facile à
remplir, ne lui refusait pas son agrément.
L'apprentissage d'un charpentier se prolongeait
trois fois autant que celui d'un amidonnier, et
quand il aspirait à la maîtrise, il servait pendant
un trimestre chez un juré de sa corporation, puis
le même temps chez un des anciens maîtres ;
après quoi il n'avait plus qu'à subir, s'il en était
jugé digne, l'épreuve du chef-d'œuvre et à verser
à la caisse commune 1,400 ou 1,500 livres, droit
de maîtrise, dont n'était pas exempt un fils de
maître. Les charpentier-jurés du roi exerçaient
le privilège de l'estimation et du toisé des bois,
ouvrés ou non, soumis à leur inspection obliga-
toire sur les ports et dans les chantiers. Un des
articles du règlement de la communauté des
Charpentiers, dont le siège se trouvait également
rue Galande, défendait aux compagnons d'enlever
les copeaux sous peine de punition corporelle.
Saint Joseph était le patron de cette compagnie,
RUE GALANDE. ' 065
dont on attribuait la fondation au roi Charles
Martel. Les maçons et les charpentiers avaient
ouvert ou adopté, pour le service de leurs con-
fréries, une chapelle Saint-Blaise-et-Saint-Louis,
attenante à Saint-Julien-le-Pauvre. Cette chapelle,
rebâtie en 1684, ne fut détruite que près d'un
siècle plus tard, et alors on disait . les messes
de la , communauté à la chapelle Saint-Yves, rue
des Noyers, après les avoir célébrées quelque temps
à réglise des Carmes, place i^laubert.
Avant la fin du règne de Louis XIV, le n" 36
appartenait h Durfort, un maître-des-comptes, et
le suivant, enjolivé d'une Perle, aux sieurs
procureur, doyen et suppôts de la Nation de
Picardie, qui avaient aliéné ladite maison sous
Henri IV, mais qui, depuis peu rentrés en pos-
session, y succédaient au théologien Bouvard de
Fourqueux. La Perle, qui touchait rue du Fouarre
k la sacristie de la chapelle et aux écoles de
ladite Nation, était désignée sur le plan de 1715
sous cet autre nom : Saint -Ni colas, qui sous-
entend à notre sens : séminaire de Saint-Nicolas-
du-Ghardonnet.
La Nation de France avait le Chcàteau-de-Vin-
cennes ou de Bicêtre, à l'autre angle de la rue
du Fouarre, ainsi que la maison voisine, à l'image
de Saint-Julien. Puis le Grand-Écu-de-Normandie
appartenait à la Nation de Normandie, dont le
collège était rue du Fouarre, du côté opposé au
collège de Picardie.
Deux anciens hôtels se révèlent un peu plus
loin, au n'' 57, dont les habitants regardent Gabrielle
comme leur devancière, et au n° 65, où résidèrent
pour sûr des Châtillon, et il se pourrait qu'on eût jeté
bas un troisième bâtiment, sur le rang des chiffres
pairs. Mais l'un de ces hôtels fut Lamoignon, grâce
au président â mortier, pèreet grand-père, de deux
amis de Boileau. Dans son ancienne cour, dite
36
606 RUE GàLANDE.
encore Lamoignon, se tenait en 1692 un bureau
de papier et de parchemin timbrés, ainsi que le
bureau du contrôle des exploits. L'un également
des hôtels signalés porta le nom de Lesseville
pendant un siècle pour le moins. Deux frères
Leclerc de Lesseville obtinrent du Saint-Siège
les dispensés nécessaires pour épouser deux sœurs,
leurs cousines-germaines. L'un était Charles-Nicolas
Leclerc de Lesseville, baron d'Hauton, seigneur
de Saint-Leu et de Saint-Prix, conseiller au par-
lement de Paris, maître-des- requêtes, puis inten-
dant de Limoges, d'Auch et de Tours successi-
vement; l'autre demeura conseiller au parlement.
Le premier cessa de vivre au beau milieu du
XVI n'' siècle, en laissant trois enfants : Charles,
président de la chambre des enquêtes au parlement ;
Anne, mariée à M. de l'Escalopier, intendant de
Tours en dernier lieu, et puis une seconde tille,
en religion aux Filles-Dieu. Mais ne citait-on pas
déjà en 1691, à cause de son importance, la
bibliothèque réunie par M. de Lesseville, rue Galande?
Cet autre Charles Leclerc de Lesseville, qui se
qualifiait seigneur de Rubelles, Saint-Leu, Saint-
Prix et autres lieux, siégeait à la cour des Aides;
il avait épousé en premières noces Marguerite
Prévost, fille d'un conseiller au Grenier-à-sel,
puis Anne Pallu, fille d'un fermier-général. Les
deux frères mentionnés tout-à-l'heure étaient enfants
du premier lit.
Dernièrement, pendant que la cathédrale était
l'objet de grandes réparations à l'intérieur, le
chapitre de Notre-Dame officia à Saint-Julien-le-
Pauvre ; mais celte petite église, depuis longtemps,
n'est plus que la chapelle de l'Hôtel-Dieu. Il
paraît qu'elle doit son origine à un établissement
hospitalier du vi« siècle, où logea saint Grégoire
de Tours, en s'arrêtant de passage à Paris. La
rue Galande aurait donc eu pour habitant l'historien
RUE GALANDE. 667
de la première race des rois de France ; mallieu-
reusement elle était tout au plus un chemin du
vivant de l'évêque de Tours dont nous vous parlons.
La rue, dit-on, ne fut percée qu'en l'an 1202,
sur la lisière du clos Mauvoisiii, lequel y con-
finait au clos de Garlande, en dépendant de la
seigneurie du même nom. A cette date, en effet,
le clos de Garlande fut donné en fief par l'abbé
de Sainte-Geneviève h Matthieu de Montmorency
et à sa femme. Mais la division ne s'était-elie pas
jetée antérieurement dans le domaine seigneurial,
et de façon à hâter l'ouverture de cette voie
principale de communication, mitoyenne de deux
clos primitivement distincts? Etienne de Garlande
avait affecté, dès l'an 1118, plusieurs vignes de
Garlande à la dotation de la chapelle Saint-Aignan,
établie à Paris par les chanoines de Saint-Aignan,
église d'Orléans, et le fait est que, dans la suite,
on ne connut plus d'autre fief de Garlande, aliàs
Galande, que celui qui appartenait audit chapitre.
Il est vrai que la fusion de leurs droits respectifs
a pu i*^ésulter d'une alliance que les Montmorency
ont contractée avec la fomille de Garlande, qui rem-
plissait aussi, au xn^ siècle, les premières charges
du royaume. Anceau de Garlande fut sénéchal de
France et pre.Tjer ministre, sous Philippe P'' et
Louis-le-Gros ; Etienne de Garlande, son frère,
mourut évêque de Beauvais, en 1151, après avoir
été lui-même sénéchal, chancelier et premier
ministre pendant neuf années ; enfin Anselme de
Garlande, une quarantaine d'années après la mort
de cet évêque, remplissait les fonctions de prévôt
de Paris. Les chanoines de Saint-Aignan passèrent
un accord avec les juifs, sous le règne de Louis IX,
pour leur vendre conditionnellement une maison
et un terrain, où ils avaient alors la permission
d'établir leur cimetière. Il ne se passa pas longtemps
sans qu'on retirât cette autorisation ; mais c'est
668 RUE GALANDE.
précisément le cas aléatoire que le contrat de
vente avait prévu, et le cliapitre rentra dans tous
ses droits.
Vers la fin du même siècle, presque tous les
états se trouvaient exercés par la population de
la rue Galande. Mais on y remarquait déjà des
regraltiers, dont les traditions industrieuses sont
précieusement conservées, en ce temps-ci, chez
autant de gargoliers. Rien ne .s'y perd !
Rue Drouot* [i]
La Grange-Batelière. — Les Pinon. — La Maison
du Jockey-Club. — Crozat. — La Duchesse de
Gramont. — L' Administration de VOpéra. — Les
d'Augny. — M. Aguado. — Le Salon des Étran-
gers. — La Mairie.
L'une des deux branches de l'équerre que formait
la rue de la Grange-Balelière se prolongeait en
4847, à la place de l'hôtel patronymique de cette
rue, et prenait le nom du général Drouot, qui
venait de mourir à Nancy. L'autre branche était
de première pousse, et ledit château avait servi
de tronc à toutes les deux. La rue Neuve-Grange-
Batelière, dite aussi du Faubourg-Richelieu, se
distinguait de celle de la Grange-Batelière en 1704
et commençait où commence notre rue Drouot,
pour V finir à la hauteur de notre rue Rossini.
Le chef-lieu du nef l'avait pour avenue. Ce
n'était pas encore un hôtel ; mais depuis longtemps
ce n'était plus une grange, et il ne fallait plus,
comme autrefois, y arriver par eau, dans un
bateau. Vous étonnez-vous qu'on ait pu se baigner
et pêcher dans une rue aussi peu vénitienne ? Il
descend encore de Montmartre, les jours de pluie,
assez d'eau pour alimenter un étang, ou inonder
démesurément un saut-de-loup, comme il y en
avait sans doute devant la grange érigée en manoir,
à un niveau depuis lors exhaussé. Les fossés de
ce qu'on a appelé la ceinture de Sainte-Opportune
sont depuis longtemps affectés à l'égout ; mais on
(1) Notice écrite en 1859.
670 RUE DROUOT.
les avait probablement établis pour servir k la
défense, en prévision d'un retour offensif de l'ennemi.
Ces fossés h. la file, que depuis ont couverts les
rues des Petites-Écuries, Riclier, de Provence, etc.,
avaient pu d'autant mieux s'étendre à la Granofe-
Batelière que Sainte-Opportune était en possession
du fief dès l'année 1153, bien qu'il relevât plus ou
moins de l'évêque. Les comtes de Laval en firent
l'acquisition à la fin du même siècle ; Jean de
Malestroit, évêque de Nantes et chancelier de
Bretagne sous Charles VII, le donna aux blancs-
manteaux, qui le vendirent au comte de Vendôme,
et Catherine de Vendôme le mit dans la maison
de Bourbon, par son mariage avec le trisaïeul
d'Henri IV. Les financiers Vivien, qu'avait anoblis
en 1491 René II duc de Lorraine et qui servi-
rent plus tard de parrains à la rue Vivienne,
achetèrent, au milieu du xyi** siècle, cette Grange-
Batelière, terre surburbaiiie qui, originairement,
ne contenait pas moins de 194 arpens, mais que
l'établissement du Picmpart de la ville, autrement
dit du Boulevard, réduisit à 168. Louis Vivien,
sieur de la Grange -Batelière, maria sa fille, le
!28 août 1608, à messire Daniel Bourgoin, dont
l'arrière-pelite-fille épousa, le 27 mars 1713, Anne-
Louis Pinon, vicomte de Quincy-sur-Cher, et le
manoir passa de la sorte dans la famille Pinon,
avec la terre. Le fils et le petit-fils de ce nouveau
seigneur portèrent l'un après l'autre au parlement
de Paris le bonnet rond de velours noir, bordé
d'un galon d'or ; ils demeuraient rue Culture-
Sainte-Catherine, avant de transformer en hôtel
leur maison des champs, dont le vieux colombier
marquait la suzeraineté sur le beau quartier qui
commençait k sortir de leurs cultures.
Lorsque le président à mortier s'installa dans
celte résidence, digne d'un souverain, ce fut pour
y mener grand train : chaque dîner de cérémonie
RUE DROUOT. 671
qu'il donnait h l'occasion de la rentrée du par-
lement, lui coûtait 4000 écus. Le jardin de l'hôtel
n'avait alors qu'un peu plus de 14 arpens ; mais
les droits censitaires et de lods et ventes, attribués
à la seigneurie, décrivaient un i-ayon si large et
pesaient sur tant de maisons neuves, non-seulement
dans le faubourg, mais encore dans les rues de
Richelieu, Monimartre, Notre-Dame-des-Victoires,
Feydeau, Saint-Marc, des Filles-Saint-Thomas,
Neuve- Saint- Augustin, Neuve -des-Petits-Champs,
Colbert, Vivienne, des Petits-Pères et place des
Victoires, qu'ils faisaient ressembler le magistrat
Pinon au marquis de Carabas. A l'occasion d'une
réclamation d'une portion de ces droits, faile
judiciairement au tenancier du domaine noble,
mais que l'évêché avait eu en vasselage, M. de
Vintimille, archevêque de Paris, publia un factum,
par lequel on apprit que le revenu de la Grange •
Batelière dépassait déjà un million au commen-
cement du règne de Louis XV : il y avait de quoi
partager ! Law, en ayant acquis tout ou partie,
s'était qualifié lui-même seigneur de la Grange-
Batelière.
M. Pinon n'échappa que par miracle à la terrible
curée parlementaire du 20 avril 1795. La Grange-
Batelière était personnellement occupée, pendant
la Révolution, par des représentants montagnards :
Christiani, du Haut -Rhin; Villars, de la Mayenne.
Ce fut sous l'Empire une magnifique hôtellerie,
dans laquelle des princes descendaient. Le duc
d'Orléans y fut lui-même le locataire de M. Pinon,
à partir du 25 mai 1814, jusqu'à ce que les
appartements du Palais-Royaî fussent remis en
état. Puis la Ville, en 1820, fit l'acquisition de
l'hôtel, pour y établir la mairie du I^ arrondisse-
ment, et, vers la fin du règne de Louis-Philippe,
les bâtiments en livrèrent place tant au prolon-
gement de la rue rectifiée qu'à un nouvel hôtel
672 RUE DROUOT.
des Ventes mobilières et à bien des maisons d'un
grand revenu. Le nom de Pinon y restait encore
à une rue séculaire, qui commençait à gauche
sur le point où naguère tournait à droite celle
de la Grange-Batelière ; c'est maintenant la rue
Rossini. Ne croirait-t-on pas que s'est éteinte,
avant de subir cet alVront, la race magistrale des
derniers titulaires du tief? Loin de IJi ! des rejetons
attendent que le soleil de la fortune redore cette
tige, qui n'en a plus que l'ombre.
Un aut^e hôtel figure sur le plan de 1739, à
l'encoignure de la rue Neuve-Grange-Batelière et
du Cours, et il n'a fait depuis que s'alourdir de
force constructions supplémentaires. En voici
l'historique. Du tief sont achetées 2016 toises,
en 1717, par PieiTC Darieux, bourgeois de Paris,
qui en cède 95:2 à Nativelle, architecte des bâti-
ments-du-roi, et celui-ci y élève deux maisons,
pour les transporter, deux années après, à Farges
de Polizy, munitionnaire-général des troupes.
Nicolas Levasseur, conseiller au parlement, se
rend adjudicataire de la double propriété, en
1722, par suite d'un retrait lignager exercé à sa
requête sur Nalivelle et ses acquéreurs; mais le
munitionnaire, au bout de six années, prend de
tels arrangements avec les créanciers du magistrat
qu'il rentre en possession. Au décès de Farges,
les biens de sa succession sont mis en vente
par-devant les commissaires-généraux du roi : )a
grande maison, celle qui forme l'angle, est adjugée,
avec son jardin, à messire François-Louis Le
ïellier, comte de Piébenac, marquis de Souvré
et de Louvois, maître de la garde-robe du roi
et lieutenant-général ; la petite passe au bourgeois
Lemaignen. Après l'avoir habité vingt-huit ans,
M. de Louvois cède son hôtel, en . 1764, h Jean-
Joseph de la Borde, vidame de Chartres, con-
seiller-secrétaire du roi, lequel désintéresse bientôt
RUE DROUOT. 673
les héritiers de Lemaignen, pour réunir de nouveau
les deux propriétés. M. de la Borde transporte
ses droits, en 1783, au fermier-général Clément
Delaage, mais en se réservant le jardin, sur lequel
se sont ultérieurement casés les n"* 16 et 18 du bou-
levard Montmartre. M. Delaage s'empresse de
démolir ce qu'a fait bàlir Nativelle, à l'exception
d'un bâtiment qui fait retraite encore sur le
Boulevard, en s'y éclairant par deux fenêtres, et
auquel on a ajouté sous le règne de Louis XVIII,
un autre petit corps-de-logis, à l'extrémité de
la propriété. Les autres, présentement surélevés
tant sur la rue que sur le Boulevard, datent de
1784, comme l'escalier superbe du premier, comme
le salon d'encoignure à six fenêtres et une ou
deux autres pièces dont la décoration est encore
de style Louis XVI.
Aussi bien cet immeuble, après la mort du
financier qui l'a renouvelé, est acquis, sous l'Empire,
par le comte Alexandre-Edmond de Talleyrand-
Périgord, aide-de-camp du prince de Neufchàtel,
époux d'une princesse de Courlande. Ce neveu du
prince de Talleyrand fait la campagne de Russie
en qualité de colonel au 8' chasseurs, est nommé
maréchal-de-camp en 1814 et soutient au Congrès
de Vienne les intérêts du roi de Naples qui, une
fois rentré dans ses États, lui donne le duché
de Dino. C'est justement l'année 1815 qui le voit
transmettre à M. Mouroult ses droits sur la pro-
priété dont il s'agit. M. Mouroult, neuf années
plus tard, a pour preneur M. Debruges-Duménil,
agent-de-change. Une galerie de curiosités, créée
par ce propriétaire, par malheur a été vendue ;
son moindre ornement n'était pas un cabinet, tout
garni de laque jusqu'aux voussures, enrichissant le
petit bâtiment qui reste de l'hôtel primitif. M. Jules
Labarlhe, ancien avoué, auteur d'un savant volume
sur l'art céramique, a épousé la tille de M. Debruges,
674 RUE DROUOT.
propriétaire actuel. Cette maison, si avantageuse-
ment située, a eu aussi pour locataires ii citer :
le Jockey-Club, depuis sa création en 1836 jusqu'en
•I800 ; le chirurgien Jules Cloquet, durant vingt
ans ; le comédien Arnal, le facteur de pianos
Pleyel et le restaurateur Laiter, dont les officiers
supérieurs de l'armée alliée formaient la principale
clientèle à la chute du premier empire.
En l'an de grâce 1729, Pinon do Quincy n'était
encore que conseiller au parlement, comme Le-
vasseur, et ils se touchaient de près d'autant plus
que ce dernier, à la suite des deux maisons déjà
portées à son actif, en avait quatre. Les pro-
priétaires sur l'autre ligne, en deçà de l'hôtel
seigneurial, étaient : M"'' de Villefranche, le bour-
geois Ponroy, Delaunay et Crozat.
Le financier Pierre Crozat, écuyer, n'avait guère
là qu'un vaste potager en 1709, alors que la
permission de relier cet annexe à son hôtel de
la rue Richelieu, par un passage souterrain, lui
coûtait oOO livres comptant et 10 de rente.
Il s'y élevait au moins un pavillon quand Crozat
le vendit à Lenormand, en ne gardant à sa charge
que la moitié de la petite redevance annuelle.
D'après une carte de Paris gravée en 1763, le
jardin s'étendait pour le moins jusqu'au point où
la rue Taitbout accoste la rue du Helder. Quant
à l'hôtel encore debout, Carpenticr le dessina
pour Bouret, avec la coopération de Desportes.
Un autre capitaliste fameux, qui fit un peu de
tout. M. de Laborde, y précéda M. de la Reynière
et M. de Choiseul, ancien ministre, dont ce fut
le dernier domicile. On y voit, en revanche, où
se dressait le lit nuptial delà chanoinesse Béatrix
de Choiseul-Stainville et du duc de Gramont, qui
portait entre autres titres celui de souverain de
Bidache et qui s'était une première fois marié à
l'âge de 17 ans. Celte duchesse de Gramont n'était
RUE DROUOT. 675
pourvue que des agréments de l'esprit; l'homme
d'iitat, son frère, ne négligeait ni ses conseils, ni ceux
de M"'^ de Beauvau. M""' Dubarry, que la duchesse
avait irritée, l'a vue avec délices partager la
disgrâce du ministre, qui tombait avec les par-
lements ; mais l'exil a eu ses grandeurs et puis
un terme. Quelle catastrophe attendait à son tour le
nouveau règne inauguré par de justes réparations!
Les duchesses de Gramont et du Châtelet, deux
amies, partagèrent enfin le même supplice, à la
satisfaction de Robespierre et de Fouquier-Tinville.
L'hôtel d6 M'"" de Gramont, restitué depuis à sa
famille, n'attendit toutefois pas la Restauration
pour être Vindé. Le vicomte de Morel-Vindé,
agronome et littérateur, pair-de-France et ancien
conseiller au parlement, était propriétaire de l'im-
meuble, en 1821, quand on a fait de son jardin
l'Opéra et les passages qui s'y rattachent. L'ad-
ministration de ce théâtre ne siège qu'après l'état-
major de la garde nationale dans l'hôtel même,
que la finance du xvin* siècle avait libéralement
pourvu de sa cour spacieuse et carrée, de ses
sculptures, parmi lesquelles on remarque celles
du fronton, et d'une porte qui serait assez haute
pour un arc-de-triomphe. On se hausse involon-
tairement pour passer dessous Étonnez-vous que
les amours-propres et les prétentions des artistes,
qu'on y voit plusieurs fois par jour, grandissent
aussi ! Il faudrait les faire passer tous par la
petite porte du passage noir.
Les Daugny, en revanche, sont moins prétentieux
au XIX'' qu'au xvni« siècle : ils ont rengainé l'apos-
trophe qui donnait à leur nom l'emblème d'une
épée de gentilhomme et relativement ils se rangent
tous les jours. Le premier fermier-général de
cette famille, qui pour Paris et la finance quittait
Metz et la robe, aimait avec passion la taWe. S'il
avait dissipé les 2,66 i, 000 livres qu'il fut con-
676 RUE DROUOT.
damné à restituer au Trésor en 1716, alors
qu'Antoine Grozat, son confrère, était taxé à 6,600,000
livres, c'est la goinfrerie qui lui avait fait faire
ses folies. Son lils, également dans la Ferme,
entrait 35 années plus tard dans un hôtel tout
battant neuf à la Grange-Batelière, vis-à-vis de
celui dont nous sortons, et quel hôtel ! Avenue
par-devant, grand jardin par-derrière, plus un
manège couvert; petits appartements pour les
maîtresses de monsieur, avec des peintures à
demeure de Boucher, d'Eisen, de Vanloo, etc.
Gelui-lii donc ne se contente plus de la bonne
chère. Que ne lui coûte pas notamment la Gogo !
On surnomme ainsi M"'* Bellecour, qui a brillé
dans l'opéra-comique avant déjouer à la Comédie-
Française avec son mari, et ceGiles Colson.dit Belle-
cour, prélève de quoi faire lui-même des Hbéralités
galantes sur celles du financier. Le même d'Augny
se retire ensuite des affaires pour se marier ;
seulement il est si peu fier de prendre pour
femme la petite chanteuse Liancourt, fille de la
Duval, qu'il s'exile avec elle dans ses terres pour
deux années, avant de reparaître h Paris. Soit
lui, soit son fils, un d'Augny, trésorier des États
de Bourgogne, occupe l'hôtel en 1789, et des
médailles, des tableaux, un cabinet d'histoire
naturelle y sont l'objet de Tattention des curieux.
Mais bientôt le comte de Mercy-d'Argenteau,
ambassadeur de l'empereur d'Allemagne, remplace
d'Augny. Puis la Révolution transforme un des
ci-devant hôtels de la rue de la Grange-Batelière
en ministère de la Guerre. Celui qui fut d'Augny
ressemble en quelque chose, peu de temps après
le 9 thermidor, i» l'arche d'alliance, d'où partit une
colombe en quête d'une brandie d'olivier, qui
confirmât que le déluge finissait ; mais le ballon
d'essai qui se lance pour cette fois est un bal,
le bal des Victimes! L'Étranger a beau craindre
RUE DROUOT. 677
Paris, comme la peste, il viendra se l'inoculer,
sous le prétexte de relever des victimes, mais
encore plus pour voir ce qui reste des bourreaux,
et le virus, au lieu de se cacher comme agent
mystérieux de la contagion, prend toutes les formes
de la séduction dans le salon des Étrangers,
dont l'entretien est imposé à l'administration des
Jeux.
Les bals masqués principalement font merveille
à l'hôtel d'Augny ; les pontes du trente-et-un y
tentent une fortune qu'aveugle plus encore l'incognito
du masque. Seulement une dame d'honneur de
M"'" Bonaparte, aux derniers jours du Consulat,
perd là un argent dont la source tinit par ne
plus être plus pure que le gouffre où il se perd,
et le service de cette dame d'honneur est supprimé
aux Tuileries, en même temps que les bals masqués
au Salon des Étrangers : interdiction que ne lève
pas l'Empire. Les réceptions continuent, mais à
visage découvert. Les membres du corps diplo-
matique rencontrent sur ce terrain neutre plus
d'un souverain, lors du mariage de Marie-Louise,
et les gros fournisseurs de l'armée y coudoyent des
gentilshommes de l'ancienne cour, sur le pied d'une
égalité qui étonne encore moins ceux-ci que ceux-
là. On n'est reçu à l'hôtel d'Augny qu'en justifiant
d'un nom à conserver et d'une fortune à compro-
mettre ; les redingotes et les bottes servent elles-
mêmes de titre à l'exclusion. Il y a successivement
trois commissaires chargés de maintenir le décorum
et de résoudre les cas de conscience de l'étiquette,
le marquis de Livry, le marquis de Rueil et
M. de Cussy, gourmand célèbre. A deux ou trois
grands dîners par semaine sont conviés les mem-
bres du cercle ; Robert et Lointier servent et
Brillât-Savarin prend ses notes sur le menu. Frascati
ne peut donc être, de l'autre côté du Boulevard,
«78 RUE DROUOT.
qu'une pâle imitation de cette maison de jeu sans
pareille :
Qu'in et erat magnœ pars imilanda domûs.
Pendant que Frascati survit au Salon des Étran-
gers, M. Aguado, marquis de Las Marismas, prend
possession de l'hôtel d'Augny et y réunit une
collection de tableaux, dont la vente fait événement
après la mort de cet ancien banquier, qui a été
mai'chand de comestibles. Le n" 4 dépend alors
de la propriété, dont le jardin n'a pas encore
cessé de se prolonger au-delà du passage Jouffroy.
La révolution d€ 1848 trouve les bureaux de
Ganneron et Gouin, banquiers, dans l'immeuble
principal, qu'une compagnie d'assurances ne tarde
pas k vendre h la Ville, qui aussitôt y rétablit la
mairie à laquelle manque l'hôtel Pinon.
Rue des ]\oycrs. (i)
« Un avocat en une ville, dit le proverbe, un
noyer en une vigne, un pourceau dans un blé,
une taupe dans un pré, un sergent dans un bourg,
c'est pour achever de tout gâter. » Or, près des
vignes de Garlande il y avait plus d'un noyer ;
on en voyait une allée toute garnie, comme
l'Hoheveg d'Interlaken, et ce double rang de noyers
séparait, on ne peut mieux, le clos Bruneau du
clos Garlande. Mais le moyen que la vigne en
bordure ne souffrît pas d'un pareil voisinage !
L'air et le soleil y manquaient lour-à-tour. Aussi
bien une rue, à la place de l'allée, amenait la
ville jusque-là dès le règne de Philippe-Auguste ;
puis une chapelle y fut dédiée à saint Yves, patron
des avocats, et même la dénomination de rue
Saint- Yves prévalut au milieu du xiv siècle, mais
moins longtemps que ne dure un bon procès, sur la
dénomination héréditaire qui rappelait les deux
rangées d'arbres. Noyers en vigne, puis avocats
en ville, quel surcroît de mauvais augure ! s'il
faut en croire la sagesse des nations. Néanmoins
la chapelle, que la Révolution avait fermée au
culte, n'a vu tomber ses quatre murs, avec l'aile
droite de la rue des Noyers, que pour faire place
au boulevard Saint-Germain, et l'aile qui reste ne
sera pas découp.ée : le boulevard nouveau se l'in-
corpore. Ainsi, l'allée d'avant Philippe-Auguste
reparaît plus large ei plus longue, mais sans changer
de direction, après avoir passé huit siècles sans
verdure.
(1) Notice écrite en 1861.
680 RUE DES NOYERS.
Il nous est donc encore loisible d'y reconnaître
deux maisons séculaires qui ont appartenu au
collège de Lisieux, en face de la rue des Lavan-
dières. Du même côté se présentait, sur la fin de
l'ancien régime, l'entrepôt g:énéral des cartes de
la marine du roi, sous la direction de Desauche,
et alors les trois dernières maisons, après lesquelles
venait la rue Saint-Jacques, étaient à Léonard, à
Dubuisson, à Desprez, imprimeur.
Parmi les maisons, au contraire, que remplace
le macadam du boulevard, nous en eussions signalé
deux, situées près de la place Maubert : l'une et
l'autre s'étaient partagé l'enseigne de la Pomme-
de-Pin, qui nous paraît sentir le cabaret. Mais
deux autres adresses de ce genre, que donna
pour la rue des Noyers un guide des amateurs,
en l'an 1692, étaient celles de Payen, traiteur,
au Petit-Panier, et d'un de ses confrères, sous
le signe du Loup.
Rues des Deux-iPortes. (i)
Des ruelles qui se fermaient la nuit, aux deux
extrémités, comme les squares de notre temps,
quelques-unes ont tiré leur nom des instruments
de cette clôture. Celle de la paroisse Saint-André-
des-Arts est déjà enterrée sous le macadam du
boulevard Saint-Germain : de profundis!
L'index d'un autre bras de rue rappelle encore,
près de l'Hôtel-de-Ville, les deux portes qui
l'enfermaient au couvre-feu, et ce bras avait naguère
pour bracelet l'arcade d'une maison, au coin de
la rue de la Tixéranderie : anneau d'alliance brisé
par la grande rue de Rivoli, qui emportait bien
autre chose avec ! Deux hôtels bâtis pour le fermier-
général Bastonneau tombaient du même coup.
Mais la petite rue des Deux-Portes-Saint-Jean,
en convolant, a élargi le lit de ses secondes noces :
des omnibus y circulent plus à l'aise que les
litières d'autrefois. Elle n'a pourtant reculé qu'un
de ses deux côtés et demewe accolée de l'autre à un
îlot du Paris séculaire, par une maison d'origine
très-bourgeoise, à l'angle de la rue de la Verrerie.
Deux modestes constructions attenantes rient
également sous cape d'avoir échappé à la Saint-
Barthélémy immobilière dont le signal est parti
du palais voisin, curieux de dégager ses abords.
Ces maisons reblanchies, pittoresques bien que
sans ornements et populaires quoique ennemies
des révolutions, sont comme des revenants, qui
protestent contre l'unité rectiligne, à laquelle tout
(1) Notice écrite en 1859.
37
082 RUE DES DEUX-PORTES.
près de là ont été sacrifiés la place de Grève
et le marché Saint-Jean.
La reine Blanche de Navarre, veuve de Philippe
de Valois, passait l'année 1391 dans un séjour
qui régnait h la fois rue des Deux-Portes-Saint-
Jean et rue du Coq-en-Grève. Cet hôlel de Navarre
lut aliéné en 1417 par Catherine d'Alençon, veuve
de Pierre de Navarre.
Chaussard, versificateur et professeur, habita
cette rue des Deux-Portes étant secrétaire de la
mairie de Paris, puis du comité de Salut public.
L'atfreux Chauilietle aussi, ce procureur de la
Commune dont Hébert fut le digne substitut.
Dans l'ancien quartier de l'hôtel de Bourgogne,
voici la rue des Deux-Porles-Saint-Sauveur, que
vit planier le xin« siècle, mais qui n'était pour
commencer qu'un arbuste, ne s'élevant pas au-dessus
de la rue Saint-Sauveur. On eût même pu la
classer, dans la flore des rues parisiennes, parmi
les belles-de-jour. Heurs de liseron dont la nuit
ferme la corolle. Sur sa tige vint s'enter l'œil
d'une première branche, qui partait de la rue
Pavée et qui cessa, une fois greffée, de s'appeler
comme le fruit qui succède à la rose de l'églantier :
ainsi se réhabilitait une ruelle, que de vilaines
mœurs avaient flétrie de la dénomination de
Gratte cul au moyen-âge. Puis, à la fin. du xvii'
siècle, la rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur se
prolongea encore jusqu'à celle Thévenot ; mais le
nouveau bout s'en appela pour un temps rue
Neuve-des- Deux-Portes.
Les propriétaires de l'ancienne étaient en 1703,
sur le côté droit:
De Turménies, fjarde du Trésor roj'al, au Saumon. —
De Louvancourt. — Jouault. — Les hospitalières de
Saiute-Catheriue, hôtel du Grand-Cerf, avec seconde
porte rue Saint-Denis. — De la Neuville. — Vieillard;
RUE DES DEUX-PORTES. 683
maison et jeu de paume. — Le duc de Coislin, au
premier augle de la rue du Renard. — Valbaiu, second
angle. — Dii» de Bragelonne. — Aubry, receveur-général
des finances de Rouen, avec une autre porte sur la
rue Saint-Sauveur et une autre encore sur un cul-de-
sac. — La fabrique de l'église Saint-Sauveur, au premier
angle de la rue Saint-Sauveur.
Le susnommé Turménies eut son fils pour
successeur au Trésor; sa fille épousa M. Bayez,
puis M. de Laval. Le passage du Grand-Cerf
nous montre assez où était l'hôtellerie ti cette
enseigne. M. de Coislin, M"'' de Bragelonne
et M. Aubry jouissaient personnellement de leurs
propriétés respectives. De leur temps, la veuve
de l'avocat Galliot avait une maison sur l'autre
ligne, au coin de la rue Pavée; M. de Nain-
villiers, une autre, au second coin de la rue
Saint-Sauveur ; M'"« Liber, la famille Cholois,
MM. Souleroy et Blanchard, les quatre suivantes,
et il n'y en avait plus qu'une, au coin de la rue
Thévenot.
Cette rue devint autrement financière quand les
actions du Mississipi commencèrent à circuler :
des banquiers en achetaient ou prenaient à bail les
principaux hôtels. Parmi ceux où l'agiot d'alors
fit élection de domicile, signalons le 31, dont la
rampe de fer, les boiseries et les médaillons
servent d'ornement actuel à une pension dirigée
par M. Challamet. On y répétait h huis-clos la
comédie de la hausse et de la baisse : des ressorts
h secrets n'ouvraient qu'en plusieurs temps les
doubles portes, où des enfants ne jouent plus qu'à
cache-cache. La maison de banque de M. Delaborde,
maire de l'arrondissement avant 1830, était au 20,
déjà livré au même genre d'affaires sous la Régence
et maintenant imprimerie Malteste.
Néanmoins le n° 9, qui est sujet à reculement,
684 RUE DES DEUX-PORTES.
abrita MM"** de Camargo, et elles ne portaient pas
un nom tout-à-fait d'emprunt, ayant eu pour grand'-
mère M"^ de Camargo, noble espagnole, bien que
leur père, appelé Cuppi, fût maître de danse et
de musique à Bruxelles. Quand ces danseuses
n'avaient, l'une que 18 ans, l'autre 16, le comte
de Melun les avait fait enlever, comme des pen-
sionnaires de couvent, dans la nuit du 10 au 11
mai 1728, et déposer dans son hôtel des Coutures-
Saint-Gervais. L'aînée fut chantée par Voltaire, en
petits vers qui la comparaient à M'"" Salle, avec
laquelle elle partageait le sceptre de la danse.
Au 13 et au 15, qui ne faisaient pas deux et où
avait demeuré aux trois-quarts du siècle précé-
dent le fils de la marquise de Matharel de Tiennes,
née Bigot de Martigny, M. de Magnanville, garde
du Trésor, entretenait sa maîtresse aux dernières
années du régne de Louis XV.
Au 29 ou au 36, qui ne manquent pas de ram-
pes en fer battu, a demeuré la D"^ Paganini,
première danseuse de Lisbonne, qui avait débuté
à la Comédie-Italienne : on disait cette grande
femme excellente pour les gambades, mais voilh
tout.
En 1780, l'ancienne maison de M"* de Bragelonne
était au marquis du Châtelet, celle d'Aubry à
M. de Launay, et celle de la fabrique Saint-
Sauveur en formait deux. Puis M. Osmond et
M. Langlois avaient chacun deux propriétés et
M. de Sainte-Marie l'avant-dernière.
Rue du Petit-Pont, (i)
Le Petit-Pont, qu'il a fallu rebâtir plus d'une
fois depuis l'époque de la domination romaine,
menait au petit Châtelet, qu'on a démoli en 1782,
et à la rue du Petit-Pont, qui commença à être
connue dans le cours du xn'' siècle.
En cette rue, dont la longueur ne dépasse
guère celle du pont, on dînait, du temps de
Boileau et de Colletet, à la Rose-Rouge. Mais
c'est de l'autre côté, le droit, que les maisons
ont toujours eu le plus d'importance. A des im-
meubles qui s'y suivent ont trait les notes que voici :
16H5: — Philippe Lécayer, propriétaire, à la Pomme-
de-Pin. — Jean Savary, à l'imaga de Saiut-Jean. —
François Hersau, marchand-drapier, à l'Etoile-d'Or. —
Adrien de Croissy et Guillaume Engrand, au Grand-
Cornet. — Louis Brochant, seigueur d'Orangis, à Saint-
François-de-Paule. — Boucher, au Panier-Blanc, ci-devant
à la Clef-d'Argent, maison à Tencoignure de la rue
Saiut-Séverin.
1768 : — • Brizard, maître-maçon, à la Madeleine. —
Delahaye, officier du roi, à la Pomme-de-Pin. — Les
pères lazaristes, à Saint-Jean. — Aubertin, greffier
honoraire, ,à la Perle, ci-devant à Saint-François-de-
Paule. — Louis-Etienne Chabenat de Bonneuil, conseil-
ler au parlement, propriétaire du chef de sa femme, née
Boucher, au Chat-qui-Écrit, ci-devant au Panier-Blanc.
Le fief Outre-Petit-Pont, qui appartenait à
l'archevêque, se composait du fief des Rosiers, dont
l'évêque de Paris n'avait donné qu'une portion àî
la Sorbonne en 1284, et de plusieurs autres.
(1) Notice écrite eu 1861.
Rue Amjoi,
NAGUÈRE
du Puitsnqui"ParIe,
et rue Liaromig^uière,
NAGuiSRF.
des Poules, (i)
La dénomination de celle-ci date de l'époque
où la poule au pol du paysan préoccupait un roi
de France ; mais elle lut dite aussi du Châtaignier
pendant les troubles de la Ligue et du Mûrier
pendant ceux de la Fronde. Les basses-cours et
les jardins n'y manquaient pas : aujourd'hui encore
il en reste. Celle-h\ dut son nom, sous Henri III,
à un puits et à son écho. On passe toujours devant
le puits k l'angle des deux rues ; seulement il ne
parle pliic, il est bouché.
La propriété contiguë au Puits-qui-Parle n'avait
pas d'autre enseigne, et elle appartenait à René Ber-
tignon, au commencement du règne de Louis XIV ;
puis elle fut annexée k la Téte-Noire, maison de
la rue des Postes {-2), qu'on abattit ensuite. Le
couvent des augustines de la rue des Postes
n'était pas plus étranger à celle du Puits-qui-Parle.
(1) Notice écrite en 1864. La rue des Poules n'avait
rien encore de commun avec le professeur de philosophie,
seniimenial disciple du seusualiste Condillac ; Ja rue
du Puits-qui-Parle, pas davantage avec l'émineut tra-
ducteur de Plutarque.
(2) Présentement rue Lhomond.
RUE AMYOT, ETC. 687
Il y avait, du temps de Bertignon, un cimetière
pour les protestants dans la rue des Poules,
iGuillaumet, avocat, était propriétaire en la même
rue, à l'image du Petit-Jésus, dans le milieu du
xvni* siècle, et le bourgeois Turpin y disposait d'une
maison pourvue de sa chapelle, qui passa sous
Louis XVI à Lemoine de la Glartière, conseiller
aux Aides. La famille de ce dernier fut aussi
propriétaire du Pot-d'Étain, tout à côté. Aumont,
bourgeois, avait une autre maison de la
rue des Poules, et une autre enfin fut vendue
par la veuve de François Roland au sieur de
Chazelles, bourgeois de Paris, vers l'année 1755.
Rues Dupuytren et Antoine-Dubois, (i)
Peu fréquentée par les voitures à cause de sa
pente un peu rude et de la préférence qui reste
due au carrefour de l'Odéon, comme dégagement
en divers sens, la rue Dupuytren semble la cour
d'un immense hôtel d'étudiants, un square d'avocats
et de médecins en herbe. Pendant y est fait par
une rue parallèle, encore moins carrossable dans
ce qu'elle a de plus élevé, mais formant en bas
l'un des pans de la place de l'École-de-Médecine,
qu'occupait autrefois le couvent des Gordeliers. De
celle-ci, qui porte le nom d'Antoine Dubois, célèbre
médecin mort en 1837, il était difficile de ne pas
parler en s'occupant de celle-là, mise sous l'invo-
cation du baron Dupuytren, chirurgien non moins
illustre, décédé deux années plus tôt. L'une et
l'autre ont pour front de bandière des étalages
de libraires, étendards déployés par la science
médicale aux abords de la citadelle où l'assaut se
livre aux diplômes. Toutes les deux ont été for-
mées, une dizaine d'années avant la fin du xvn* siècle,
sur l'emplacement du cimetière des cordeliers et
à la diligence de ces religieux, l'une comme rue
de l'Observance, l'autre comme rue de Touraine
ou de Turenne. Le légendaire duplanTurgot a adopté
cette dernière version, pour laquelle militent les
convenances de date, car Henri de la Tour-
d'Auvergne, vicomte de Turenne, était mort en
l'année 1675. Mais il venait aussi à l'appui de la
première version non-seulement un hôtel seigneurial
de Tours, sis presque en face, dans la rue du
(1) Notice écrite en 1859.
RUES DUPUYTREN ET ANTOINE DUBOIS. «89
Paon, aujourd'hui Larrey, mais encore un collège
de Tours, à un coin de la rue Serpente, et l'on
peut croire que la rue nouvelle, cédant à l'influence
de la proximité, se fit également tourangelle. La
grande Observance, qui a laissé son titre à l'autre
rue jusqu'au règne de Louis-Philippe, avait été
introduite aux Cordeliers, en l'année 1502, par
Gilles Dauphin, 40* général de l'ordre. Clément
XIV ayant réuni tout-Ji-fait les conventuels et
les observantins, le collège de cette maison,
aff"ecté aux jeunes religieux de la compagnie
qiii venaient étudier à Paris la théologie, fut
installé dans un vaste bâtiment composé des n<" 4,
6 et 8 actuels de la rue Antoine-Dubois, ainsi que
des n"' 7 et 9 de la rue Dupuytren. Une cour,
que l'aliénation républicaine a divisée en y laissant
un puits commun au centre, et des rapports
constants de construction nous montrent quelle
était l'importance au xvni« siècle, en tant qu'édifice,
du collège de ces religieux de l'ordre de Saint-
François. De leur maison, en des temps plus
reculés, étaient sortis des docteurs de l'Église,
saint Bonaventure et le subtil Jean Duns, dit
Scot, philosophe scolastique ; elle avait aussi donné
plusieurs papes et cardinaux. Les deux immeubles
de la rue Dupuytren dont nous venons de dire
l'origine ont deux rampes d'escalier pareilles. La
première a été l'objet d'une donation à l'Assistance
publique, qui y a établi une école gratuite de
dessin pour les filles, sous la direction de M"* Rosa
Bonheur, en y mettant un logement au service
de cette aniste'distinguée. La seconde a été occupée
par un savant, le baron Dunoyer, qui possédait
aussi le n" 6, etM. deMallevilIe, conseiller d'État,
en perçoit le revenu.
Le 1 n'a pas toujours été distinct du 3 ; des
fenêtres y sont hautes et étroites, au point de
ressembler tant soit peu à des meurtrières. Leur
690 RUES DUPUYTREN ET ANTOINE-DUBOIS.
vis-à-vis paraît plus vieux que la rue. Les deux
autres maisons d'encoignure ont été refaites vers
1830, et le 8 il y a quelques années. Du 5 nous
n'avons rien appris.
Mais tous les numéros de la rue n'ont pas encore
répondu à l'appel. Voici le n° 4, qui sort des rangs,
citons-le à l'ordre du jour pour avoir logé
M"*' Molière ; car le litre de madame était re-
fusé par les usages du temps h la femme de
Molière, née Elisabeth-Armande-Clérinde-Claire
Béjard. M. de Modéne, son père, un gentilhomme
du Gomtat-Vénaissin, avait épousé secrètement sa
mère, qui était comédienne et qui avait refusé
de consentir au mariage de sa fille, contracté en
l'année 1662, avec l'immortel écrivain, qu'elle se
tlattait avoir eu pour amant. M"'' Béjard, actrice
dé naissance, avait de plus une sœur au théâtre,
ainsi qu'un frère, longtemps pensionnaire de la
ti»oupe. Molière, encore plus mélancolique et tendre
que plusieurs de ses personnages féminins, n'a pas
été, comme mari, îi l'abri des passions jalouses
dont il offrait surtout dans ses ouvrages le côté
fâcheux, ridicule et éomique. Veuve en 1673, la
femme de Molière a épousé en secondes noces
M. Guérin d'Estriches, s'est retirée du théâtre en
1694 et a fini peu de temps après le siècle. Ces
dates nous prouvent qu'elle n'a pu habiter qu'aux
dernières années de sa vie la rue de Turenne ou
de Touraine, dont les maisons, moins divisées
alors, puisqu'on n'en a pas ajouté, se trouvaient
au nombre de 7, auxquelles pendaient 2 lanternes.
Rue Debelleyme,
BN CE QUI s'en appelait NAGUÈRK
de rEchaiide-au-Hf araîs,
r
rue de la Douane et rue de TEchaude. [\)
L'ancienne édilité parisienne appelait échaudé un
Ilot de maisons coupé en fichu par trois rues.
Nous retrouvons en etïet, rue de l'Êchaudé-au-
Marais, un pâté de constructions, ou, pour mieux
dire, une pâtisserie légère, puisqu'un immeuble
unique s'y gonfle sur une triple façade, entre les
rues Vieille-du-Temple et de Poitou. Cette maison,
qu'on a refaite, n'a pourtant rien changé à sa
forme triangulaire, dont l'hypothénuse. absorbe tout
• le flanc droit de la petite rue de l'Échaudé. Sur
le flanc gauche il y a le n" 3, dont la porte est
rue de Poitou, mais qui date ostensiblement de
l'ouverture de notre ruelle sur la culture du
Temple en l'année 1626. Quant au n'- 1 , il aff'ectait
à l'angle de l'autre rue des allures de maison à
double pavillon, en face de l'hôtel Montlosier ; mais
sa petite cour d'entrée a été recouverte, convertie
en boutique, et il a été percé en aile une porte,
qui ne peut servir qu'aux piétons. Si Philippe-
Robert Sanson, maitre de la chambre aux Deniers,
qui habita cette encoignure, n'allait pas jusqu'à se
(1) Notice écrite eu 1859. Le nom d'un président du tribu-
nal civil, récemment mort et qui avait habité la rue Chariot,
n'était pas encore attribué à la réunion des rues de
Périgueui, de Limoges, de l'Échaudé et Neuve-Saint-
François.
692 RUE DEBELLEYME, ETC.
faire porter en vis-à-vis, il avait tout au moins
une mule, ne fût-ce que pour visiter ses propriétés.
Car il possédait notamment un marais en culture,
de l'autre côté du Cours, auprès d'un emplace-
ment qui appartenait aux sieurs Gilbert, Caumartin
et consorts, pour le fonds, et à la présidente de
Fourcy, quant à l'usufruit. Un bout de rue Sanson
y fut autorisé en 1782 ; mais la ruelle demeura
barrée à ses deux extrémités jusqu'à ce qu'elle
comptât un nombre suftîsant d'habitants. Elle fut
prolongée en 1826, c'est-à-dire plusieurs lustres
après la mort du maître de la chambre aux Deniers,
et puis on effaça son nom, en 1851, de l'estampille
municipale, pour y porter rue de la Douane.
Comptez donc sur l'immortalité que décerne l'inscrip-
tion voyère !
L'échaudé du faubourg Saint-Germain est encore
formé, entre les rues de Seine et Jacob, par trois
ou quatre maisons qui , donnent par-derrière sur
une seconde rue de TÉchaudé, depuis le milieu
du XVI" siècle : on la nommait aussi en ce temps-
là ruelle allant au Quichet de l'Abbaye. Cette voie
oblique, s'élargissant un peu au-delà de la rue
Jacob, compte plus d'une construction neuve depuis
le dénombrement de 1714, qui ne lui en accordait que
6 en propre, se partageant la lueur de 3 lanternes,
et qui, par conséquent, laissait de côté les maisons
prenant ouverture sur d'autres rues. Le 14, le 16
et le 17 sont déjà deux fois séculaires et ne font,
à eux trois, que le dixième des numéros actuels.
Aussi bien le percement de la rue Bourbon-Ie-
Château avait coupé, vers l'année 1669, cette rue
de l'Échaudé en deux ; la seconde moitié en sui-
vait la rue Abbatiale, sa parallèle du côté de
l'Abbaye, et se terminait en un cul-de-sac, dit du
Guichet. Les 22, 24 et 26, construits sur un mode
identique, dénoncent très-bien l'origine monastique.
Un tout petit hôtel-garni, assez coquet, au n" 28, ne
RUE DEBELLEYME, ETC. 693
doit avoir pour chambres que d'anciennes cellules ;
son escalier, sur la rue de l'Échaudé, est un
dégagement d'après coup et d'invention lilliputienne :
on maigrit rien qu'à passer devant. Quel moine
fût allé jusqu'en haut ! L'impasse était fermée par
le n° 30, qui ne fut aliéné par l'État en 1760
qu'à la condition de se diviser pour faire embouchure
à la rue. Cette maison, dont il reste une aile sur
la place et rue Sainte-Marguerite (<), rapportait
d'assez bons revenus aux abbé et religieux de
Saint-Germain-des-Prés, dont c'était la propriété :
une boucherie à 9 étaux s'y trouvait au xvni'' siècle,
et l'importance en était d'autant plus grande que
la rue des Boucheries, qui est encore à deux pas
de là, mais ajoutée à celle de l'École de-Médecine,
se trouvait la halle à la viande du faubourg
Saint-Germain. Puis notre voie de communication
prit en 1806 le nom de Durnstein, commémoratif
d'une bataille ; mais la paix en refit la rue de
l'Échaudé.
(1) Présentement rue Gozlin.
Rue de rÉehiquier. (i)
La Maison du Fleuriste. — Le Pavillon de VÉchi-
quier. — L'Inventeur de la Fantasmagorie. —
La Rue d'Enghien. — M. et M'"" de Nervo. —
Le Caissier du Duc d'Orléans. — L'ancien Fossé
de la Ville. — Le fi°" Louis.
Le soleil, en se laissant arrêter par Josué, ne
prolongea que le jour d'une victoire. Il fit plus
pour Wenzel, en permettant que ce fleuriste
convertît en un long printemps les dernières années
de l'ancien régime pour les plus jolies femmes
de la cour, qui se paraient encore comme des
châsses quand la Révolution voulut que ce fiât
comme des victimes. On a eu tort de publier
que la jolie maison édifiée par Wenzel dans la
rue de l'Échiquier n'est plus: le devant du 46
n'eut pas d'autre origine, la porte du 36 servait
d'entrée d'honneur. En ce dernier immeuble, pas
de mur de refend; les pièces du premier au-
dessus de l'entre-sol sont séparées l'une de l'autre
par des cloisons légères ; l'édifice ne perdrait
donc rien de sa solidité à ce qu'on rétablît les
grandes galeries dans lesquelles de beaux bals
étaient donnés par le fleuriste de la rue Bourbon-
Villeneuve, qui également y faisait jouer des
comédies et des proverbes.
Un pavillon incorporé ù la même propriété
montrait les cases d'un échiquier peint, à l'angle
de la rue du Faubourg-Poissonnière. Robertson
(1} Notice écrite en 1859,
RUE DE L'ECHIQUIER. 695
y eut, dans les dernières années de l'autre siècle,
son laboratoire, son cabinet, sa chambre noire,
pour établir ses expériences d'un nouveau spec-
tacle d'optique faisant apparaître des fantômes,
et il donna, par extension, ses premières séances
de fantasmagorie dans la maison Wenzel. La
désinence anglaise du nom de l'expérimentateur
était elle-même un innocent trompe-l'œil : Robert,
natif de Liège et non de Londres, avait été
jeune prêtre et instituteur dans une maison
particulière avant 89. Il transféra bientôt son
petit spectacle dans l'ancien couvent des Capucines ;
mais ses connaissances en physique lui avaient
ouvert d'autres voies. Ses travaux aérostatiques
eurent pour théâtre le jardin de Tivoli, lors de
la création des fêtes de ce jardin, et il fit faire
un grand pas à la science, comme inventeur
réel du parachute. La renommée acquise à Paris
par Robertson fut ensuite exploitée avec succès
à l'étranger. Ayant fait de son fils son élève,
il ne mourut qu'en 1837, aux Batignolles. Pour
le corps-de-logis où avait point la réputation de
Robertson, il avait disparu . pendant le Consulat.
Plus de pierres de taille, plus de moellons se sont
depuis lors entassés dans l'ancien jardin de Wenzel
qu'il n'y avait eu de fleurs pour servir de modèles
à celles de sa fabrication.
Ainsi finit le pavillon de l'Échiquier, que d'aucuns
veulent ressusciter dans son ancien pendant, au
n^M. Comme la Grange-Batelière, la maison de
l'Échiquier était chef-lieu de fief. Ce fiet\ situé entre
les deux faubourgs Saint-Denis et Poissonnière,
avec une profondeur y englobant beaucoup de rues
d'à-présent, appartenait aux filles-Dieu, qui avaient
établi leur lieu de refuge, avec un hôpital, sur
ce point désert hors Paris, dès l'année 1226.
Elles l'avaient quitté au milieu du xiv« siècle par
force majeure, alors qu'on démolissait de fond
696 RUE DE L'ECHIQUIER.
en comble leurs bâtiments, dans l'appréhension
que les Anglais y prissent position en assiégeant
la ville. Dans ces critiques circonstances le couvent
hospitalier s'était transféré rue Saint-Denis, près de
la rue dite encore des Filles-Dieu. Il y aurait
anachronisme h exciper d'un jeu de mot pour in-
férer que la retraite patriotique et précipitée de
de ces religieuses, devant les troupes d'Edouard III,
fut un échec pour elles, puis pour l'ennemi, comptant
sur cette facile capture, et que la commémoration
en fut confiée au tief de VÉchîquier. A un autre
point de vue, il se peut que la configuration du
territoire fût un carré semblable à la tablette du
jeu de l'échiquier, inventé de toute antiquité, et
que le sol, cultivé en marais, s'y découpât en plus
petits carrés : nous ne voyons effectivement,
désignés à cette place sur le plan de La Caille,
que deux maisons et des marais, sans chemin
apparent qui les sépare.
Mais, selon nous, le titre d'Échiquier fut donné
à la terre par l'occupation étrangère, qui l'érigea
en fief pour récompenser des services que les
historiographes français ont pris plaisir à oublier :
tout le monde ne sait-il pas qu'une juridiction,
en Angleterre, s'appelle l'Échiquier, et qu'elle date
de la Table-Ronde? Restitué aux Filles-Dieu, le
fief garda une dénomination qu'il ne devait pas
avoir au siècle xni. A la demande des prieure et
religieuses, qui s'étaient entendues avec Claude-
Martin Goupy, entrepreneur des bâtiments-du-roi,
ces sœurs furent autorisées, en l'année 1772, à ré-
pondre aux besoins de la ville agrandie, en aliénant
leur territoire, afin que des rues s'y ouvrissent.
Celle de l'Échiquier fut d'abord dite rue d'Enghien,
et celle d'Hauteville, rue de la Michodière. Sur
quoi les filles-Dieu réclamèrent, en 1779, pour
que la rue d'Enghien reprît le nom du Pavillon,
qui fut alors bariolé à leurs frais de petites cases
RUE DE L'ECHIQUIER. 697
noires et blanches, naïf rébus, calembour ingénu,
et la communauté alla à dame. Enghien, battu par
Échiquier, fut mis en disponibilité ; mais il se
retira en bon ordre sur les derrières de la maison
de Wenzel, où il prit prossession d'une rue parallèle,
bordée par les jardins des mêmes hôtels, qui ne
tardèrent pas à avoir deux façades et par suite
à se dédoubler.
Revenons sur le 46, cité plus haut, pour évoquer
ses souvenirs de l'Empire. M. De Nervo, d'une
ancienne famille noble de la Suisse, y recevait
beaucoup de monde ; son salon était un bureau
d'esprit ; M*"^ de Nervo en faisait les honneurs,
avec sa fille. M""' de Montgeroult, femme d'un
ancien fermier-général, admirée par ses rares
talents en musique. Ils recevaient le chevalier
Laclos, auteur des Liaisons dangereuses. M""" de
Beaufort-d'Hautpoul, fille de Marsollier, la princesse
napolitaine de Belmonte, Bougainville, Bureau de
la Malle, Lebrun le pindarique, le comte de Sainl-
Geniès, etc.
Le 40 et le 28 sont ^ respectables par leur âge.
Le 26, tout en se coupant en deux, est demeuré
au même propriétaire : les morceaux ne s'en
prodiguent que plus à l'aise des servitudes réci-
proques. M. de Gisors, attaché aux bureaux de
la comptabilité du duc d'Orléans (dit, plus tard,
Égalité), y résidait et raconta ensuite une anecdote
se rapportant à cette époque de sa vie. Le prince
manda un jour au caissier principal de sa maison,
d'avoir à tenir prêts ses comptes et l'état de sa
caisse pour le samedi suivant. Au jour dit, tout
était en règle, car le caissier, pour combler des
lacunes, avait fait d'assez forts emprunts pour
vingt-quatre heures. — Je suis content de vous,
lui dit le duc, en mettant sur-le-champ la clef
de la caisse dans sa poche.... Les prêteurs du
comptable en furent ainsi pour leurs avances. De
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698 RUE DE L'ECHIQUIER.
la propriété qu'a habitée M. de Gisors, jouit depuis
la tin de l'Empire M. Blerzy, grand-oncle de 1 au-
teur des présentes notices.
Du 24 également la première pierre fut posée
avant la Révolution, seulement il manque de
profondeur: c'est maintenant la maison des sœurs
de la Charité du III'^ arrondissement. Le 22,
bâti vers le même temps par Andry, tapissier,
n'en est pas plus l'aîné des 18, 16, 4 et 2, Or les
maisons de la première pousse ont gardé, rue de
l'Échiquier, outre des détails de construction et
des ferrures qui les font reconnaître, des carreaux
en gros verre convexe, à reflet de verre de
bouteille, qui ne sont plus de notre siècle. Odoi
heureux signe particulier, pour une rue qui com-
mence h dater, et quelle preuve de sérénité pour
les mœurs de ses habitants, se reflétant sur celles
des passants, que jamais les vitres ne s'y cassent !
On voit bien que h\ bourgeoisie, principal élément
de sa population, passe tout au moins six mois de
l'année dans les villas des environs de Paris et en
voyage. Les croisées des appartementsy restent closes
bien plus de la moitié du temps, car les persieniics
empêchent, même en hiver, que le jour s'y fasse
h ses heures. Plusieurs coqs réveillaient de grand
matin les dormeurs mécontents lorsqu'il y avait
encore des nourrisseurs, des vachers de côté et
d'autre ; mais le dernier des baux consentis dans
la rue à ces paysans citadins a expiré avant 1830,
et le taux des loyers s'élève encore, de peur qu'ils
n'y reviennent.
Sur la rive gauche de la rue, le 1, le 13, le
15, le 19 et le 21 ont été d'abord visités avec
zèle par M. Rousseau ; mais notre explorateur
n'a rien trouvé qui permît de les signaler ù
l'attention rétrospective. L'architecte Bellanger,
lors de l'ouverture de la voie, fut le fondateur
du 23, et la même famille en dispose depuis
RUE DE L'ECHIQUIER. 609
Bellanger : un petit jardin s'y est maintenu plus
bas que le sol de la rue, dans l'ancien fossé de
la ville.
Casimir Delavigne demeurait au 37 lorsqu'il fit
représenter Marino Faliero au théâtre de la
Porte-Saint-Martin, c'est-à-dire le 80 mai 1829.
Il y composait ensuite la Parisienne, que chanta
sur divers théâtres Adolphe Nourrit, son ancien
condisciple au lycée Napoléon.
Les trois maisons qui suivent ont une origine
commune ; mais celle du milieu, que précède une
avenue et qu'occupe le consulat du duché de
Brunswick, fut construite â un autre moment que
les deux autres, qu'accouplait des pieds â la tête
le même mode d'architecture. Le 43 vient d'être
refait ; mais il suftit de regarder son pendant,
pour le revoir lui-même tel qu'il était quand le
baron Louis l'habitait. M. Louis avait été, lui aussi,
lié aux ordres sacrés et, de plus, conseiller-clerc
au parlement de Paris ; il avait assisté, comme
diacre, l'évêque d'Autun, prince de ïalleyrand, à
la messe célébrée au Champ-de-Mars le 14 juillet
1790. Ayant concouru à la Restauration, en 1814,
il eut deux fois le portefeuille des Finances, après
avoir occupé des places dans ce département sous
Napoléon. Une belle terre qu'il avait acquise près
de Melun, en se retirant du ministère, prenait tous
les loisirs que lui laissaient les aflâires.
Le jardin d'une de ces propriétés, maintenant
distinctes l'une de l'autre, est encore mitoyen
par-derrière avec le théâtre du Gymnase. On y
a déterré, lors de la construction du mur, quelques
ossements humains qui rappelaient un cimetière,
antérieurement établi entre la rue de l'Échiquier
et le boulevard. Un plan de 1778 marque, en etlét,
à cet endroit le cimetière Bonne-Nouvelle, sur
lequel se taisait le plan de 1739. On apprend
700 RUE DE L'ECHIQUIER.
ailleurs que ce lieu de sépulture, en 1787, ne
recevait que des protestants et attenait à un corps-
de-garde. Mais un cimetière n'a pu être placé que
pendant peu d'années dans une excavation qui
n'était encore qu'un fossé au commencement du règne
de Louis XV et où cessèrent les inhumations sous
la République.
r
Plaee de TEcole et Quai du Louvre,
NAGUÈRE
de rÉeole. (i)
it/"^ de Rieulx. — Le n" 6. — Le Dentiste de
Louis XVI. — Ledru-Rollin. — M''^'' Danton. —
La Mère Moreaux. — Le bon vieux Temps. —
Les Joueurs de Dames,
Les écoles de Saint-Germain-l'Auxerrois, parmi
lesquelles furent celles de chirurgie, tirent appeler,
dès l'année 1290, Grande rue de VEschole Sainct-
Germain-VAucerroi/ le quai dont nous nous
occupons, redressé et élargi sous François I",
sous la Régence, sous Louis XVI et au commen-
cement du règne de Napoléon III. La rue du
Petit-Bourbon, aujourd'hui rue et place du Louvre,
débouchait sur le quai, par l'arche de Bourbon,
entre le port au Blé et le port au Bois-neuf, qui
finissait près de la Samaritaine. Du côté du Pont-
Neuf, les premières maisons ont gardé l'alignement
du xvi« siècle ; elles ont vu à coup sûr, en 1573,
Renée de Rieulx, maîtresse du duc d'Anjou, fouler
aux pieds de son palefroi, par un jour de céré-
monie, Nantouillet, qu'elle y rencontra, marchant
à pied. Jolie femme et vindicative, qu'avait aimée
le prince de Condé vers le temps de la conjura-
tion d'Amboise, et qui tua de sa propre main,
en d'autres jours, le florentin Antinotti, qu'elle
(1) Notice écrite en 1859. Le quai de l'École n'avait
pas encore chiangé de nom.
702 PLACE DE L'ECOLE, ETC.
avait épousé, dit-on, mais bientôt surpris en
contravention avec la foi conjugale !
Le n" 30 fait partie d'un lot récemment adjugé
à M. Coin et que va lui rétablir avec avantage,
au point de vue du revenu, l'éminent architecte
M. Brouty, entre le quai de l'École, la place du
Louvre et la rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Au-
xerrois. Ladite maison fut construite par ordre de
Catherine de Médicis, qui y fit établir des bains
dits de là Reine-Mère. Il y a eu depuis suré-
lévation ; mais le rez-de-chaussée et l'entresol
sont du premier jet. Le couronnement en était
gracieusement orné de sculptures et d'une balustrade
élégante, qui sont complètement détruits. Les
arcades du rez-de-chaussée ont été à demi enterrées
par l'exhaussement du sol. Le baron Larrey a
habité l'immeuble, puis le baron Dupuytren.
2 et 4, beaucoup plus hauts que larges, auront
le même sort que le numéro d'après : chacun
des trois s'appuie sur les deux autres, comme
s'ils avaient fait le serment des Horaces. Or le
n*' 6 n'aura pas vécu sans projeter l'ombre de
son histoire jusqu'à ce recueil, appelé h y survivre
s'il plaît à Dieu. Son escalier tourne avec des
baluslres sur des degrés étroits et roides, qui
conduisent présentement M. Le Vaillant de Fiorival,
professeur d'arménien près la Bibliothèque impériale,
;i son logement, d'où la vue est Ibrt belle, et
l'orientaliste y succède, mais à deux siècles d'in-
tervalle, au chirurgien ordinaire de la reine
Amie d'Autriche, aynnt nom Nicolas Prodé. Messire
Pierre Alexis Dubois, présidant la l''^ chambre
des requêtes du parlement, disposait de la pro-
priété aux dernières années du règne de Louis
XIV; puis ce fut Guillaume Tartarin, d'abord
avocat et échevin, ensuite conseiller-secrétaire
du roi et avocat-général du conseil de la reine ;
puis vint un autre Tartarin, seigneur d'Argen-
PLACE DE L'ECOLE, ETC. 703
ville, colonel d'infanterie. Cette maison dans la
censive de l'Archevêché était contiguë, sous
Louis XV, d'une part à la maison de M"^ Quarante,
de l'autre à la maison de M""-' Descartes. Le savant
philosophe du siècle précédent avait illustré ce
dernier nom, sans laisser de postérité ; mais de
sa noble famille, originaire de Bretagne, était
probablement la demoiselle, vouée comme lui-même
au célibat. Un perruquier-baigneur, dénommé Jean-
Entier Dubois, tint le rez-de-chaussée et le sous-
sol à bail, de 1738 à 1777, sous-sol qui, aujourd'hui
encore, s'étend jusqu'au-dessous du quai et se
trouve incorporé de date immémoriale à la pro-
priété. Cet empiétement originel mai-que sans doute
l'alignement du temps de Pliilippe-le-Bel. Toutefois
plusieurs maisons riveraines communiquaient avec
la Seine, par des souterrains antérieurs à la
construction du Pont-Neuf, ce qui conlirme la tra-
dition des fréquentations d'Henri IV dans la maison
dont nous parlons, à l'époque où ce roi, que la pru-
dence avait initié aux ressources du sous-sol pari-
sien, se ménageait de l'autre côté de l'eau plus d'un
pied-à-terre de plaisance.
Le 8 opère un léger retrait, et le sol en pente
de sa cour ténoigne de l'exhaussement du quai;
il zî'a pas moins de sept étages, mais qui ne sont
pas de même venue ; son balcon à balustres,
s'appuyant sur de noueuses consoles, paraît avoir
servi de modèle tout récemment à un balcon de
la rue Richelieu et à bien d'autres, qui signalent
un des retours de la mode et du goût. Bordet,
dentiste de Louis XVI, a créé cette propriété,
qui n'est pas sortie de sa famille et que trois
dames, plus qu'octogénaires, se sont transmise,
gage d'affection domestique aidant à la longévité.
Avant 1840 Ledru-RoUin y avait son appartement,
n'étant encore que docteur en droit, jurisconsulte
distingué, avocat à la Cour de cassation et au
704 PLACE DE L'ECOLE, ETC.
conseil d'État ; il y donna congé pour se marier
et se maria pour entrer à la Chambre, où il se
fit remarquer bientôt comme orateur, sur les bancs
de la gauche, mais loin des idées socialistes qu'il
adopta, le lendemain de son entrée au pouvoir,
et qui tirent sombrer l'équipage.
Plusieurs dentistes se partagent l'héritage de
Bordet, comme clientèle, dans les autres immeubles
longeant la levée près du fleuve, et qu'on a plus
ou moins refaits jusqu'au !26 inclusivement. Mais
les boutiques voisines de la maison du dentiste
du roi étaient toutes occupées par des fripiers,
à l'exception d'une seule, où se trouvait le café
du Parnasse, pendant la seconde moitié de l'autre
siècle. Danton, l'un de ses habitués, épousa
M"^ Charpentier, fille du limonadier, laquelle mourut,
en 1792, pendant que le tribun, son mari, était
en mission dans la Belgique, nouvellement conquise
à la France par Dumouriez.
En 1769 M'"^ Lequin tenait, quai de l'École, une
auberge à l'image du Cheval-Blanc.
La place de l'École qyi, du temps de François l'\
avait pour pseudonyme la qualitication de place
aux Marchands, n'en remonte pas moins à la même
origine que le quai où elle forme golfe.
A l'entrée de la baie a jeté l'ancre par hasard,
h l'époque du Directoire, une cargaison de prunes
à l'eau-de-vie, dans une cantine plus que modeste
alors, où fut servie la première goutte ù un soldat
de farmée de Sam])re-et-Meuse, dont le corps
partait pour l'Egypte. Combien de temps l'anonyme
resta-t-il à ce débit de fruits alcoolisés? Toutes
les gloires n'ont-elles pas leurs étapes ? Des étu-
diants, sous la Restauration, commençaient à s'y
arrêter, en amicale ou amoureuse compagnie, chaque
fois qu'ils traversaient la Seine ; la nière Moreaux
leur faisait bon accueil, qu'ils eussent de l'argent
PLACE DE L'ECOLE, ETC. 70b
OU point. Les uns payèrent, les autres ne s'acquit-
tèrent qu'en réputation et en louanges, monnaie
qui éleva la figure commune de l'hôtesse à la
dignité d'effigie. Souvent l'obligeante liquoriste,
quand le mois touchait à sa fin, avait mis une
rallonge à sa modeste table, invitant à dîner ses
pratiques du pays latin. La mère Moreaux, par
une bonne humeur qu'augmentaient ses petits
sacrifices, n'a-t-elle pas mérité cette immortalité
qui profile à ses héritiers, et dont le principe
était la gratitude ? Il lui sera beaucoup pardonné,
et notamment d'avoir multiplié 5 l'infini le nombre
de liquoristes qui se pavanent maintenant sous
ses auspices. Elle a créé le genre Moreaux, à ses
risques et à ses dépens ; une famille innombrable
de filles de comptoir, toujours coquettes, jeunes
et gentilles, versant le sourire au fond du verre,
sous prétexte de prunes ou d'absinthe, est sortie,
pour courir la ville, des jupons en indienne de
cette mère Gigogne du comptoir : jusque-là l'ivresse
des petites bourses n'avait que de répugnantes
Hébés, qui se sont mises gardes-malades et aux-
quelles, par malheur, les liquoristes taillent de la
besogne !
Quel contraste ne fait pas, en faces de telles
nouveautés, l'aspect de cette habitation, contem-
poraine de François P' tout au moins, qui forme
encore angle sur la place et rue des Prêtres-Saint-
Germain-l'Auxerrois ! La saillie de sa toiture en
angle aigu ne peut plus accorder qu'un simulacre
de protection h ces allées et venues sans fin qui
font maintenant que l'état de coureur est cumulé
par tant de professions ! Autrefois le marchand
d'en-bas ne prenait l'air que sur le pas de
sa porte, sortait le plus rarement possible en
jours ouvrables ; l'avocat du premier ne s'occupait
de la hausse ou de la baisse que de ses propres
honoraires, curieux de s'en montrer plus digne
706 PLACE DE L'ÉCOLE, ETC.
par des études répétées ; les fenêtres des étages
supérieurs, garanties de la pluie par le rebord du
toit, servaient d'observatoire au petit rentier, de
course en cbemin do fer à sa femme, de télégraphie
pour l'amour tant aux gens dépourvus qu'aux gens
mal pourvus des deux sexes, avant que de grandes
découvertes eussent lait naître des goûts et des
besoins insatiables d'ubiquité à tous égards. D'autres
propriétés, place de l'École, ont eu l'heur ou le
malheur (comme on voudra) de connaître ce bon
vieux temps.
Quoi de plus sédentaire, par exemple, que le
jeu de dames ! Comment croire que, comme théorie,
il ait eu sa révolution, son changement de consti-
tution en 1770 ? 0 esprit de réforme, voilà encore
de tes coups! Un ouvrage publié par Manoury en
ce temps-là, et qu'on a depuis réimprimé deux
fois, a fait perdre huit pions au damier. L'uni-
versalité des joueurs a depuis lors Manoury pour
législateur, pour souverain. Son nom brille encore
sur la porte du café où il présidait aux exercices
d'une véritable académie ; le maréchal de Saxe
est venu prendre des leçons de ce maître, Ih où
les amateurs de notre temps engagent encore les
parties de dames les plus intéressantes. Comme
établissement public, le cale Manoury date de
bien avant l'introduction en France de l'usage du
café ; il a été ouvert par un chocolatier, sous
Henri IV. M'"'' Servant, qui a tenu la maison pen-
dant trente ans, avait eu son pore pour prédéces-
seur. Celait aussi un lieu de i-éunion adopté par
des gens de lettres au xvm'' siècle et sous l'Empire.
Les Boulevards de rHopital et d'Italie,
NAGUÈRE
des Gobclins, d'Italie et autres,
les Boulevards 8alnt-Jaeques, d'Enfer,
Mont-Parnasse et des Inialides. (i)
Promenade entre le Jardin-des- Plantes et ïhôtel
des Invalides.
Ces boulevards du Midi, offîciolleinent natifs de
lettres-patentes du 9 août 1760, mais dont l'éta-
blissement était déjîi projeté un demi-siècle au-
paravant, on ne les a jamais fréquentés autant
que les boulevards du Nord, leurs frères aînés,
qui s'appelaient dès le règne de Louis XV et qui
resteront malgré M. Haussmann le grand boulevard.
Toutefois le monde élégant ne dédaignait pas, au
début, cette promenade méridionale, où les carrosses
du faubourg Saint-Germain se croisèrent libérale-
(1) Notice écrite en 1864. Le boulevard de l'Hôpital,
dont Je niveau s'est abaissé du côté de la nouvelle
place d'Italie, n'avait encore au nombre de ses affluents
ni le boulevard Saint-Marcel ni les rues de Campo-
Formio, Fagon, Piuel, Coypel, Philippe-de-Champagne :
presque toutes les autres y ont. de plus, changé de
dénomination. Le boulevard d'Italie n'englobait encore ni
les boulevards de la Glacière, de la ."Santé, d'Arcueil,
des Gobelins, ni la portion du boulevard îSaint- Jacques
comprise entre les rues de la Glacière et de la Santé.
Le nouveau boulevard Arago aboutit, avec la rue d'Enfer,
au boulevard d'Enfer. Deux nouvelles avenues embrassent,
sur le boulevard des Invalides, la nouvelle église Saint-
François-Xavier.
708 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
ment avec les premiers coupés de la Chaussée-
d'Antin, inventés pour M"" Coupé, de l'Opéra. De
grands arbres s'y élevaient déjà : cinq vues, prises
par Martinet, ne nous permettent pas d'en douter.
L'une de ces bonnes petites gravures du temps
représente le boulevard de l'Hôpital, vu du pont
de la rivière de Bièvre.
L'hospice de la Vieillesse pour les Femmes y fut
fondé en l'année 1632, comme dépôt de mendiants
et de vagabonds, à la place d'une salpétrière, et
de là vient un pseudonyme que l'hospice n'a pas
encore perdu : la Salpétrière. On le qualifia égale-
ment Hôpital-Général ; néanmoins la Pitié surtout
fut le chef-lieu de l'administration hospitalière qui
reliait les hospices de Bicêtre, du Saint-Esprit,
de la Pitié et de la Salpétrière. La maison du boule-
vard de l'Hôpital, dont le plan avait été jeté sur
le papier par le crayon de Libéral Bruant, recon-
naissait particulièrement pour ses bienfaiteurs
Louis XIV, Mazarin, la duchesse d'Aiguillon, le
président Pomponne de Bellièvre, M. de Lassay
et encore d'autres. N'était-ce pas, d'ailleurs, sous
les dehors d'une magnificence relative que ce
monument abrita jusqu'à 7,000 malheureux des
deux sexes, parmi lesquels il y avait des fous?
On continuait à y garder des pauvres, mais on
les séparant des fous, des folles et des tilles de
joie. Des convois de ces dernières étaient, en
cas de besoin, dir'gés sur les colonies, comme
nous le rappelle si dramatiquement Manon Lescaut,
On en conclut, par exagération ou malveillance
rétrospective, que l'hôpital n'était qu'une maison
de force. Mais la garde ne s'y composait, du
vivant même de l'auteur du célèbre roman, que
de 16 fusiliers, 4 caporaux et 1 sergent. A
l'intérieur, un nombre égal de prêtres obéissaient
à un recteur et le service général était confié à
des religieuses. Les femmes avaient beau dominer
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 7«9
de plus en plus, dans cet établissement, combien
de divisions encore, combien môme de subdivisions !
Le style d'architecture y mettait moins de diiférence
entre le pavillon Mazarin et tel autre, par exemple
le pavillon Lassay, que la destination spéciale
affectée h chaque bâtiment. On ne détenait que
trop réellement, dans le fond h gauche, des fllles
à corriger et des femmes incorrigibles, écume
souvent pestilentielle de la prostitution ; mais c'était
un quartier à part. La cour des folles et des
idiotes ne s'y rattachait aucunement. Il y avait
des ateliers de lingerie, de broderie et de tapis-
serie, au premier étage, sur la droite, et les
sœurs se reliraient au-dessus, dans leurs cellules.
De vieux ménages se partageaient, plus loin, un
dortoir réservé ; puis venait une salle pour soigner
des enfants qui tombaient en convulsions. Aussi
bien la merveille de toute la maison, n'était-ce
pas l'apothicairerie ? Les étrangers visitaient la
chapelle' avec moins de curiosité. La maison de
force, par exemple, était moins accessible que
le reste aux visiteurs. La princesse de Lamballe
elle-même ne réussissait pas à obtenir, en août
1786, la permission de voir M""' de Lamotte, que
l'affaire du Collier de la reine tenait enfermée h
la Salpétrière depuis la fin du mois de mai. Cette
prisonnière et trente-quatre autres y furent assas-
sinées par des septembriseurs, qui venaient de
rendres libres 183 prostituées, détenues dans la
même maison, et déjà, depuis un jour ou deux,
au pied du mur d'une prison, la Force, qui n'avait
plus rien d'un hospice, M"'« de Lamballe était
tombée sous les coups de bourreaux pareils, mais
d'une barbarie plus raffinée.
Visà-vis l'hospice de la Vieillesse, quelques
maisons paraissent du même âge que le boulevard,
et l'une d'elles, n° 26, fut une maison de santé
sous plusieurs règnes, avant celui de Louis-Philippe.
710 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
Le restaurant, h l'enseigne du Point-du-Jour, qui
occupe l'un des deux angles de la rue Poliveau,
a remplacé un pensionnat vers la fin du premier
empire ; mais il se rattachait, comme construction,
au jardin des Chevaliers de l'Arc, avant la grande
révolution, et il se pourrait même que cette
maisonnette datât d'avant les lettres-patentes. Il
restait sous Louis XVI un tir, mais à l'usage d'une
compagnie de bourgeois, dans le jardin du ci-devant
hôtel royal de l'Arquebuse, dont nous revoyons
le bâtiment principal sur la place de la Bastille,
au coin du boulevard Richard-Lenoir. Les chevaliers
de l'Arc ou de l'Arquebuse, devenus archers de
la Ville, avaient pris en location un autre jardin
de l'autre côté de la Seine, entre le marché aux
Chevaux et la rue Poliveau. Cette royale compagnie,
qui remontait par origine à la confrérie arbalé-
Irière de Saint-Sébastien, fondée par saint Louis,
jouissait de privilèges et d'exemptions ; mais la
charge de chaque membre coûtait 2,000 livres,
et le lieutenant-général duc de Montmorency-
Luxembourg, en sa qualité de colonel des archers
de la Ville, signait le brevet. Aussi quel brillant
uniforme! Bleu de roi, rouge et or, arc et flèche
couronnés, fleurs de lis, croix de Saint-Sébastien,
veste jaune, culotte et doublures de même couleur.
La tenue d'été n'était modifiée que par la veste
et la culotte blanches. Les exercices avaient lieu
au jardin, tous les dimanches, depuis le premier
dimanche du mois de mai jusqu'à la Toussaint.
On tirait de l'arc, en visant le papigot, autrement
dit le papegai : cet oiseau figuré était au bout
d'une perche, qui prolongeait elle-même d'autres
perches. Ainsi gagnés chaque semaine, les prix
étaient des jetons d'argent au coin de la compagnie;
mais il y avait aussi des médailles d'or, accordées
extraordinairement par le roi ou par la Ville.
Les armoiries du corps des archers étaient : une
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 711
arquebuse et une arbalète sur champ d'argent,
avec chef d'azur chargé de trois tleurs de lis
d'or. En même temps que cet écusson, le jeton
en portait deux autres : les armes de la Ville,
à droite, et celles du roi, qui chevauchaient en
tête. Minerve couronnait le tout, avec cette devise :
Per tela, per ignés.
Une avenue plantée d'aibres conduisait au marcjié
aux Chevaux, plus fréquenté alors que de nos
jours (i). On y achetait le plus souvent un cheval
quand on avait quelque voyage h faire, et, s'il
ne crevait pas en route, on le ramenait, avec
un autre bouchon de paille h la queue. Mules et
ânes faisaient aussi l'objet d'un commerce plus
considérable, qui se traitait en même temps. C'était
marché tous les mercredis et samedis, depuis
trois heures de l'après-midi jusqu'au soir. D'im-
portantes améliorations étaient dues h M. de
Sartincs; la place n'avait cessé que sous son
administration d'être pour ainsi dire impraticable
par les mauvais temps. L'estrapade y avait été
transférée, en 1687, de la place de la Vieille-
Estrapade ; mais Louis XVI supprima définitivement
la punition corporelle h l'usage des militaires,
dont elle était publiquement l'instrument. De cette
façon disparut une machine dont on ne sait plus
que le nom. Elle était de bois et s'élevait très-
haut, disposée en forme de grue.; à l'extrémité
jouait une corde, mue d'en bas par un tourniquet :
les pieds et les mains du patient étaient liés h
cette corde, et on le hissait jusqu'en haut pour
qu'il retombât brusquement, mais encore suspendu
à plusieurs pieds du sol, autant de fois qu'on
devait lui donner l'estrapade. C'était donc une
peine du même genre que la cale, infligée à bord
(1) La nouvelle rue Duméril était naguère celle du
Marché-aux-Chevaux .
712 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
des navires. Depuis l'an 1642, le marché aux
Chevaux touche presque au boulevard de l'Hôpital.
Sa spécialité avérée n'a pas empêché d'y vendre
aussi des bestiaux, dont l'alimentation tirait parti
plus spécialement et plus ouvertement dans la
ville et dans les faubourgs. Le plus illustre des
intendants du Jardin-du-Roi s'est montré bon
voisin en qualifiant le cheval « la plus noble
conquête que l'homme ait jamais faite » ; mais
Gomboust, sur son plan de Paris, avait fait le
contraire de Buffon, en reléguant trop loin du
premier rang le quadrupède qui hennit, par cette
inscription afférente au lieu public dont nous
parlons : Marché aux Cochons et aux Chevaux.
De nos jours encore, le dimanche, on y met en
vente des chiens.
En 1773, permission fut donnée à M. de Jolly,
grand-audiencier honoraire de France, de se faire
bâtir un peu plus loin, sur l'un des deux côtés du
même boulevard, une maison d'encoignure. Il
portait un de ces noms que la particule suit de
meilleure grâce qu'elle ne les précède ; aussi bien
chez M. de Maupeou, qui donnait le sceau, on
annonçait toujours M. Jolly sans de. Mais chez
le notaire de ce robin et chez lui, rue Bourbon-
Villeneuve (1), près celle des Filles-Dieu, y regar-
dait-on de si près? Il est vrai que la charge
d'audiencier anoblissait.
Ensuite la grande guinguette des Fêtes-de-Momus
vint égayer la porte de Paris, au pied de laquelle
finissait le boulevard de l'Hôpital et commençait
le boulevard des Gobelins {i). Une fête d'un autre
genre y fut donnée, dans la nuit du 12 au 13
juillet 1789, par une poignée d'hommes qui
(1) Mainîenaut d'Aboukir.
(3) C'est maïQteuaut la place d'Italie.
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 713
s'amusaient révolutionnairement à brûler la barrière
en bois. Des rats-de-cave étaient de la partie ;
mais l'idée venait de Mirabeau, et l'exemple, si
bien donné à cette porte de la ville, allait être
fidèlement suivi à toutes les autres par une
populace déjà ivre du vin sans droit qu'elle pro-
mettait au peuple. Cette fois Momus ne se con-
tentait plus de tourner les autres dieux en ridicule
dans les limites du vaudeville français ; c'est à
l'éloquence d'un tribun qu'il accordait libéralement
plus encore que n'avait demandé un carme du
XV* siècle en ce vers latin :
Monte, procul hlattis tineisque noceniior esto.
Un autre dieu du paganisme avait-il eu, comme
on le prétend, un temple sur l'emplacement du clos
Payen, que traversait notre second boulevard?
D'après une version plus modeste, ce clos portait
tout simplement le nom d'un ancien propriétaire,
et le fait est que des héritiers Payen étaient encore
en 1724 propriétaires de la blanchisserie et des
terres labourables qu'il comportait alors « avec
deux entrées en la rue Payenne ou de la Barrière
et une en la rue du Ghamp-de-l'Alouetle. » Partant
il n'y avait rien de commun entre ce clos et
la terre de Payen, qu'avaient érigée en marquisat,
dans le diocèse et l'élection de Troyes, des lettres en-
registrées au parlement et ii la chambre des Comptes
les 47 et 21 août 1665, en faveur d'un Colbert,
mestre-de-camp, plus tard inspecteur-général de
la cavalerie, deuxième fils d'Edouard Colbert,
marquis de Villacerf. La Bièvre, en arrosant le
clos, y avait attiré des blanchisseurs ; il était
borné, du côté de la ville, par le champ de
l'Alouette, par la maison royale des Gobelins. Il
s'y était élevé, du côté de la campagne, un .ou
deux moulins à vent, que l'ouverture des bou-
levards du Midi avait forcé de jeter bas, comme
39
714 LES BOULEVARDS DLO L'HOPITAL, ETC.
ceux de la ])uUe Moiil-Parnasse. Celte traiisfor-
malioii, qui fail encoi'c passer la petite rivière
sous le boulevard des Gobelius, ireinpêcha pas
de couler la lessive et de faiie sécher le linge,
comme par le passé, au clos Payeii. Le plan de
Veriiiquct marquait même, avant la liu du siècle,
un étang au-delà du mur d'enceinte urbaine, qui
séparait le boulevard d'ù-présenl, dans sa largeur,
en deux voies parfaitement distinctes, et sur la
même carte figurait, comme boulevard de la
Glacière, la portion de celui des Gobelins com-
prise entre les rues du Cliamp-de-l'Alouette et
de la Glacière. L'autre voie contiguë, c'est-h-dire
suivant le mur, ne se trouvait alors qu'uni- soi le
de chemin de ronde extérieur.
Un hôtel de campagne à colonnade fut construit
en 1762, sur le dessin de Peyre l'aîné, architecte
du roi, pour M. Le Prêtre de Neufbourg, en
son clos Payen. Ce petit seigneur n'était-il pas aussi
le capitaliste d'une entreprise manufacturière ï On
blanchissait surtout des toiles neuves, en leur don-
nant de l'apprêt pour le commerce, autour de sajitbe
maison, que nous revoyons n" 58. A Saint-Hq)-
polyte, sa paroisse, on remarquait postérieurement,
dans une chapelle située au fond, un tombeau-
sculpté par Gauthier, sous lequel reposait Le
Prêtre de Neufbourg fils. Maintenant la blan-
chisserie des hôpitaux exploite l'hôtel.
Et, depuis que l'octroi est reculé aux Fortifi-
cations, la nouvelle rive gauche du boulevard des
Gobelins se dit boulevard d'Italie. Cette dénomi-
nation rappelle que les voyageurs italiens n'en-
traient pas là dans notre ville par le plus beau
quartier, avant l'invention des chemins de fer.
Au boulevard d'Italie font suite ceux de la Glacière,
de la Saelé et d'Arcueil, en regard du boulevard
Croulebarbe, qui fusionne avec celui des Gobelins,
et en regard du boulevard Saint-Jacques. Le
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 715
clos Payen, que le Cours avait coupé, donna
aussi sur le côté du sinistre château de Bicêtre,
comme l'hôpital Sainte-Anne.
L'hôpital de la Santé, dit ultérieurement de
Sainte-Anne, avait été fondé pour les pesiilérés
au faubourg Saint-Marceau, puis transféré près
du tutur boulevard par Anne d'Autriche. Non loin
de cet établissement, mais du côté de Paris, Louis
XVI ouvrit pour les militaires et pour les prêtres
une autre maison royale de Santé, avec le con-
cours du clergé de France, qui avait donné 100,000
livres pour la construction des bâtiments, sous
la direction de l'architecte Antoine. Le moins an-
cien des deux hospices devait au roi la provision
de 12 lits, h la Ville celle de 3 et à un prélat celle
du 16" lit. Le premier-président et le procureur-
général nommaient aux 6 lits destinés l\ des
militaires ; les agents-généraux du clergé, aux lits
ecclésiastiques. Mais il y avait d'autres chambres et
de grands jardins, qui recevaient à un prix modéré
des malades, des convalescents et des infirmes,
même quand leur religion n'était pas celle des
frères de la Charité, investis du gouvernement
de la maison.
Faut-il considérer comme substituée indirec-
tement à l'une de ces fondations hospitalières la
filature que vous voyez boulevard Saint-Jacques,
à l'angle de la rue de la Santé? C'est l'avis d'un
honorable membre du conseil municipal de Paris,
qui nous écrit à ce sujet en Suisse, au moment
où nous venons de passer de ce pays dans les
Pyrénées, mais dont la lettre arrive encore à
temps, et voilà le point qui importe. Que n'avons-
nous toujours des collaborateurs aussi peu en
retard que celui-là, et aussi éclairés ! On ne
trouverait plus que nous prenons trop de vacances.
L'officieux correspondant se souvient que des
religieuses, tenant une maison de correction, ont
716 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
quitté, dans l'une des premières années du règne
de Napoléon III, celte propriété qui, depuis lors,
est devenue une filature : renseignement qui manque
dans tous les livres. Plus haut, n» 46, connaissez-
vous le pavillon dont jouissent MM. Deck, habiles
céramistes ? Il dépendit originairement de la maison
royale de Santé, et ensuite il s'en détacha, avec
un superbe jardin, pour devenir la proffriété de
Masséna. Ce général célèbre avait toutefois pour
maison de campagne, dès le Consulat, l'ancien
château du cardinal de Richelieu, h Rueil.
Le . plus dramatique des spectacles n'a que trop
souvent attiré place Saint-Jacques un immense
concours de curieux, qui passaient la nuit à attendre
que les teintes blafardes du petit-jour y missent
lentement en lumière la guillotine dressée dans
les ténèbres. Maintenant le lieu d'exécution des
condamnations capitales est la place de la Roquellc.
La rue d'Enter débouche, après cela, sur le
boulevard pareillement appelé, qui représente un
embranchement, bien que trait-d'union indispen-
sable dans le réseau primitif des boulevards du
Midi. Le Val-de-Gràce, l'Observatoire et Port-Royal
arrêtaient court la ligne principale, qui n'était
reprise qu'au boulevard Mont-Parnasse. Le cimetière
du même nom et du Sud, longeant le boulevard
d'Enfer, ne fut ouvert qu'en l'année 1824; un
compartiment réservé y recevait, encore tout
chauds, les décapités de la place Saint-Jacques. Pour
établir ce boulevard de jonction, il avait fallu
aplanir une butte décorée du même nom que la
plus haute montagne de la Phocide, où les poètes
de l'antiquité placent le séjour d'Apollon et des
Muses: rapprochement qui venait, dit-on, de
poésies chantées ou récitées par des écoliers se
réunissant sur la butte ! La rencontre des deux
boulevards d'Enfer et Mont-Parnasse, sur l'em-
placement de la même butte, avait lieu sous la
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 717
forme d'une demi-lune. Un corps-dc-garde empêchait
de passer toutes les voitures indignes de tîgurei-
sur l'éléganle promenade qui commençait derrière
Port-Royal pour linir près des Invalides. Et ceux
de nos lecteurs qui connaissent le quartier, de
s'écrier : — Comme tout change !
Une des vues gravées par Martinet représente,
à l'entrée du Cours, la maison de la rue d'Enfer
où le duc de Chaulnes avait créé un cabinet de
physique. Ce membre honoraire de l'académie des
Sciences fut ruiné par les folles dépenses de sa
femme, fdle de Joseph Bonnier, baron de la
Mosson, et le chagrin qu'il en conçut abrégea
ses jours, que la guerre avait épargnés. Sa veuve
se remaria h l'âge de 65 ans. Le duc de Chaulnes,
leur fils, qui s'adonnait également aux sciences
physiques, et principalement îi la chimie, se prit
de querelle avec Beaumarchais, et comme son
cabinet do physique avait été transféré rue de
Bondy, vis-à-vis la demeure du chevalier du guet,
celui-ci n'eut qu'un autre boulevard à traverser
pour arrêter le duc de Chaulnes, qui fut mis à
Vincennes, pendant que son antagoniste était
conduit au Fort-l'Evêque.
Le long de ce clos des Chartreux dont une
grande portion est absorbée par le jardin du
Luxembourg, régnait le Cours qui, en léle de la
ligne, s'appela aussi boulevard d'Enfer, puis bou-
levard du Luxembourg, avant de s'incorporer
absolument au boulevard Mont-Parnasse, dont
l'ordre numérique commence actuellement ii la
rue de Sèvres pour remonter à son ancien point
de départ.
Le n"' 133, nous dit-on, garde les cuisines d'un
hôtel de Chevreuse disparu, et le l!29 lui-même
est séculaire: il nous semble très-fort que l'ancien
hôtel de Rohan-Guémenée a dû englober le premier
et avoisiner le second. Mais les hôtels de Fleury
718 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL. ETC.
et de Laval étaient surtout remarqués, sous Louis
XVI, le premier entie les rues de Ghevreuse et
du âlout-Parjiasse, le second entre les rues du
Mont-Parnr.sse et de Vaugirard. L'hôtel de Fleury,
construit pour l'abbé Terray, donnait aussi rue
Nolre-Dame-des-Cliamps ; c'est le premier local
qu'ait occupé depuis, sous la direction de l'abbé
Liaulard, le collège Stanislas, ensuite transféré
dans la même rue à l'ancien hôtel de Mailly.
Quant à l'hôtel de Montmorency-Laval, qui fut double
rue Notre- Dame-des-Champs, la raffinerie Santerre
ne l'occupa postérieurement que simple, et le
majeur pouvait n'y pas être du même côté que
le mineur. Un document inédit nous révèle jus-
tement une maison de chasse, bâtie en 1774 sur
le boulevard 31onl-Pnrnasse, pour le duc de Laval,
par l'architecte Célerié, avec salle de concert, avec
deux grilles, et ne comportant qu'un seul étage.
Toutefois un marais entre rue et boulevard n'aurait-
il pas permis de regarder, par extension, comme
sis sur le boulevard, l'hôtel en vue derrière ce
marais?
Il y avait \h non-seulement des cultures, mais
encore quelques maisons, telles que l'hôtel de
Mailly, avant la formation définitive du nouveau
Cours. L'une de ces maisons fut habitée par un
grand peintre de portraits, Hyacinthe Rigaud,
qu'on surnommait y Ros, c'est-à-dire le Roux,
dans sa ville natale, à Perpignan. Comme.Rigaud
résida tantôt rue Neuve-dcs-Petils-Champs, tantôt
rue de Richelieu, il n'avait que sa maison de
campagne dans le voisinage du jardiii des char-
treux, et l'on ne pouvait guèie y donner plus
explicitement son adresse, puisque le chemin ne ,
s'érigea qu'après lui en boulevard Mont-Parnasse.
Or le chagrin d'avoirperdu sa femme emporta Rigaud
en 1743, mais de concert, il faut en convenir,
avec son âge de 84 ans. Pour lui rendre une
' LES BOULEVARDS DE L"HOPITAL, ETC. 719
visite posthume, il sulTil vraisemblablement de
frapper à la porte du n" 80, où deux balcons
présenlent dans rornementation de leurs ferrures
deux r. Seulement M'"*" Bouchard-Iiuzard objectera,
par délicatesse, qu'elle a eu pour prcdéi-esseur,
comme propriétaire de cette maison, un Rigaux,
bourgeois de Paris, Suisse de naissance, qui
l'acheta, la refit et la revendit, de ITBo ci 178i2.
Une obligeante lettre ù ce sujet ne nous fait pas
chercher fortune ailleurs, bien que Rigaud ait
pu se mettre au frais dans l'une des propriétés
que nous remarquions tout-à-riieure, à la hauteur
de la rue de Chevreuse. Le n" 85 paraît s'être
élevé du même jet que le 87, qui touche une
autre propriété à l'encoignure de la rue du 3Iont-
Parnasse, et certaine tradition locale, qui n'y va
pas de main-morte avec cet autre immeuble, y
loge jusqu'à des pages de Henri IV. Oh ! pour
le coup, une vraie maison de cli:isse ! Quoi de
plus naturel qu'il s'en fût délaché, sous l'un des
règnes suivants, celle du peintre, qui aurait été
rachetée après sa mort par un homonyme, pouvant
même être un parent? Sur la la(;ade qui a gardé
son chitTre, deux petits pavillons, reliés par une
terrasse, étaient d'un aspect moins bourgeois
que l'étage, depuis lors rempli, qui donne plus
de logement. Pierre Leroux demeurait là lorsqu'il
initia Georges Sand aux secrets de sa philosophie,
dont le côté intelligible est purementsaint-simonien.
C'est de l'autre côté sans doute que le maître
se toui'uait pour montrer au disciple, dans un
peuplier du jardin, le symbole d'un gouvernement
sans défaut. Ils fondèrent ensemble la Revue
Indépendante. Puis une révolution peupla la grande
ville d'exemplaires innombrables de l'arbre pi'é-
cor.isé. Mais dès-lors M'"^' Azaïs, veuve d'un
autre philosophe qui avait inventé un système.
de compensations, habitait, au lieu de Pierre
Leroux, l'intéressante maison dont nous parlons.
720 I.lsS BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
Qu'est devenue une maison Leduc, surélevée
d'un belvédère, et que Damesme avait dessinée
en l'année 1788? Prenez de ses nouvelles au
n° 102.
Les quatre immeubles que vous trouvez après,
en rebroussant l'ordre des numéros, se sont fait
une réputation impérissable sous ce nom : la
Grande-Cliaumière ! C'est là que la jeunesse des
écoles, qui jusqu'alors avait tant résisté aux em-
piélements de la galanterie vénale, a enterré
elle-même l'amour au pair, qui s'endettait comme
un cadet de famille pour soutenir vers la tîn
un rang déjà perdu. Cette jeunesse, hélas ! renonçait
à danser, même le cancan, dont les calicots,
dans les bals, allaient faire une sotte parodie.
Mais la Chaumière se ressentait elle-même du
manque de foi et de conscience qui devait faciliter,
en politique, la révolution de Février. La grisette
vieillissait ; la liUe de joie se cachait pour avoir
trop fait le trottoir ; la loretie voulait être à la
fois l'une et l'autre, en passant du neveu à l'oncle,
ou de l'artiste à l'agent-de-change. Par malheur,
ce même luxe qui envahissait tout n'excepta pas
le bal de la Chaumière, qui, ne recrutant plus
ses habitués exclusivement dans les écoles et
dans les ateliers, mit en présence souvent les
deux rivaux, et la lorelte eut l'embarras du choix:
deux coupés en même temps l'attendaient à la
porte, dont un toujours pris à crédit î La bohème
dorée repr'ochait à la Chaumière ses accointances
avec l'auti'e bohème, qui n'y avait plus du tout
ses coudées franches. Le père Lahire, en mettant
le holà, n'empêchait pas toutes les altercations,
et le temps était déjà loin où le quadrille, dans
ses nombi'eux écarts, sollicitait toute sa surveil-
lance. Une querelle pourtant avait été plus vive,
année 1833, entre les étudiants en droit et ceux
en médecine ; comme ils se distribuaient jusqu'à
LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC. 7-21
des coups de couteaux, il n'avait pas fallu moins
de 500 soldais, cachés dans les salons, pour se
jeter entre les combattants et taire évacuer le
champ-de-bataille. La contredanse et les montagnes
russes ont fini par languir elles-mêmes dans ce
jardin, le plus beau des jardins publics : restaurant,
café, bal y ont fait place nette à divers établis-
sements industriels.
Heureusement pourLahire, dernier entrepreneur
des fêtes de la Chaumière, il n'avait pas qu'une
corde à son arc : non-seulement il vendait du
vin en gros, mais encore il tenait la caisse dans
une pension de demoiselles, que sa belle-sœur
dirigeait au Marais. Du pensionnat au bal, jolie
distance! Malgré cela, il faut en convenir, la
•mère avait longtemps pu amener sa fille à la
Chaumière; les bals n'avaient guère cessé d'y être
honnêtes et à petit orchestre qu'en 1830.
Benoît, dont Lahire était le gendre, avait tenu la
Chaumière avant lui. Les montagnes russes n'y
dataient, il est vrai, que de 1810; mais le bal et le café
avaient été fondés en 4788, comme Vauxhall des
boulevards du Midi, par un Anglais nommé Tickson,
qui avait pris ensuite pour associés Ettinghausen
et le traiteur Filard. Devenu chef, Ettinghausen
avait fait du jardin une réunion pittoresque de
curiosités rustiques. Ses atiaires avaient tourné
de façon h lui donner le traiteur pour successeur, et
les enfants de Filard avaient appliqué le nom de
Grande-Chaumière à ce jardin public, déjJi fréquenté
par les étudiants et les artistes, mais aussi par
les orfèvres et les libraires. Les maisons qui
faisaient alors concurrence h la Grande-Chaumière
étaient notamment les guinguettes de l'Arc-eft-
Ciel et de la Polonaise, établies sur le même
Cours. Aussi bien des cafés où l'on faisait de la
musique n'avaient pas attendu l'ouveiture du bal
de Tickson pour .s'installer là et aux alentours.
722 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
Dès la tin de l'aunce 1768, on avait jetë les
bases du Vauxliall, qui devait être un théâtre
hydraulique, rcpiôseiilant en relief le palais de
Neptune dans le tond du jardin ; mais les travaux
avaient été interiompus l'année suivante, pour
ne reprendre qu'au mois de juin 1775, avec
d'autant plus de célérilé que l'exécution y simpli-
fiait le plan primiiit de l.egrand, architecte des
économats. Toujours il y a que l'ambassadeur de
Sardaigne donnait de très-grandes fêtes en ce
Vauxhall, du 23 au 25 août de la même année,
à l'occasion du mariage de la princesse Clotilde
de France avec le prince de Piémont. Qui de
nous aurait deviné, ô Grande-Chaumière, ton
auguste origine?
Un souvenir plus ancien se rattache au n" 25
dudil boulevard du Mont-Parnasse. On peut avoir
raison, dans le quartier, d'y voir une des anciennes
résidences du grand Turenne ; mais ce ne fut,
à nous en porter garant, que la petite-maison
du duc de Vendôme, démissionnaire du grand-
prieuré en 1719, qui mourut huit années plus
tard. Ce petit-fils de Henri IV avait gagné, comme
son frère Philippe, des batailles qu'on regardait
déjà comme perdues à l'heure tardive où il sortait
de son lit. De notre temps, M. Lucas, chimiste,
est mort propriétaire de l'immeuble.
On dit aussi de la maison des Oiseaux, h l'angle
de la rue de Sèvres et du boulevard des Invalides,
qu'elle doit ce sobriquet î» une ancienne volière.
Toutefois il est plus constant que le sculpteur
Pigalle, propriétaire de cette maison, fit peindre
sur le mur d'une salle une multitude d'oiseaux,
dont le gazouillement ne rivalisait pas avec les
concerts du Vauxhall, mais encore mieux appri-
voisés, en revanche, que ceux qui pouvaient abuser
d'une cage mal fermée pour prendre leur volée.
Pigalle ne put se fixer que plus lard rue Pigalle. La
LES BOULEVARDS DE L HOPITAL, ETC. 723
maison des Oiseaux, sous la Terreur, renfermait
des prisonniers qui, par bonheur, ne furent pas
traduits au tribunal révolutionnaire. Maintenant
on' y met au couvent un grand nombre de jeunes
personnes, sous la direction des chanoinesses de la
congrégation de Notre-Dame.
Le terrain du boulevard des Invalides avait servi
de dépôt aux eaux du faubourg Saint-Germain,
trois ou quatre puisards y recevant les ruisseaux
de la rue de Varennes et des rues parallèles.
Les grands hôtels qui se ti'ouvaient placés à
l'extrémité desdites rues, bordaient le nouveau
Cours de magnifiques jardins, dans plusieurs des-
quels ont été données des fêtes populaires pendant
la Révolution. Raison de plus pour q l'il y eût
peu de maisons et surtout peu d'hôtels qui appar-
tinssent en propre au boulevard des Invalides ;
aussi essaya-t-on, vers 1790, d'appeler boulevard
Plumet celui sur lequel débouchait la rue du
même nom, présentement rue Oudinot. C'est alors
que Brongniait, architecte du roi et de l'hôtel
des Invalides, ouvrit sur des terrains dont il était
propriétaire .u^e rue nouvelle, dans laquelle
donnait aussi l'hôtel d'Entragues, construit ou
reconstruit depuis six ans par le même architecte
et longtemps habité par le prince de Masserano
ou Masseran, dont la rue conserve le nom. Ce
noble Piémontais qui, en iSOo, était ambassadeur
de Ferdinand VII, roi d'Espagne, près Napoléon P',
a ensuite accepté le titre de grand-maîlre-des-
cérémonies du roi Joseph Bonaparte, h Madrid :
mais, au lieu de remplir ses fonctions nouvelles,
il est resté boulevard des Invalides. Le prince y
a eu pour successeur M. Leclerc, ancien homme
d'afiTaires des Rohan, qui, nous dit-on, a fait
bâtir la belle maison adjacente.
Il y eut néanmoins un hôtel Richepanse contigu
à l'hôtel Masserano, et tout nous amènerait à
724 LES BOULEVARDS DE L'HOPITAL, ETC.
croire que le général Richepanse, s'il eut person-
nellement celte résidence, y suivit de près M. Cliam-
blin. L'architecte des Invalides avait aussi lait
le plan d'une maison Chamblin, élevée sur le
boulevard Plumet en 1789.
L'hôtel que vous voyez en face, et qui se con-
tente aujourd'hui d'une porte sur la rue Oudinot,
lut occupé par l'un des auteurs du Gode, le
comte Abrial, bon sénateur, mais pair-de-France
meilleur, dont la bru ou la petite-bru est encore
propriétaire.
Plus modestement le 39 compte parmi ses
locataires la tille 'de Leierrier, marbrier de Louis
XVI, qui a fait construire la maison en 1791. Le
premier propriétaire du 13 avait été un autre
marbrier, plus d'un demi-siècle auparavant. Enfin,
quelle fut en ce quartier la résidence du fameux natu-
raliste Adanson ? Elle fait place depuis peu ù l'hôtel
de M. de Vertillac, qui répond au chiffre 35.
Rue du Mont-Parnasse. (i)
Un poëte romantique piteusement effacé, qui
habite le n" 11 de cette rue, est devenu le dis-
pensateur, aussi infatigable que fatigant, d'une
critique entièrement dépourvue de caractère; il
n'a jamais été croyant et il ne sera jamais penseur,
bien qu'en sacristain qui raisonne, il sache,
convenons-en, donner de l'eau bénite et convertir
son goupillon immédiatement en férule. Quelque
mérite qu'il reconnaisse à un personnage qui ne
vit plus, une tache de bave envieuse ne manque
jamais de faire contrepartie à l'éloge, parce qu'il
est gratuit. S'agit-il, par exemple, de flatter
quelqu'un d'influent, le flagorneur y met une
impudence aussi peu commune que peu désinté-
ressée. Chaque fois il atteint son but, en chan
géant d'amis politiques ; mais il n'entend pas
différemment l'indépendance. Comme les honnêtes
gens s'en formalisent, il fait de temps en temps
un retour sur lui-même et s'encanaille alors d'une
popularité de mauvais aloi, par des encourage-
ments donnés avec amour à l'auteur d'un livre
immoral ou d'une bravade anti-religieuse. Tel
est le bonhomme Sainte-Beuve, qu'on a pu prendre
en sa première manière pour un voluptueux,
mais impuissant, et qui n'est plus qu'un raison-
neur inconséquent : s'il y avait encore deux écoles
en littérature, elles se mettraient d'accord pour
le siffler.
Si Sainte-Beuve n'est plus légitimiste, l'un de
ses voisins, M. Ducoux, n'a-t-il pas dans un
(1) Notice écrite en 1864.
726 RUE DU MONT-PARNASSE.
autre sens changé, d'idées? Il était purement
démocrate et républicain à faire peur ; le voilà
toutefois qui exerce, comme fondateur et chef
de la compagnie des voitures de place et de
remise, un monopole sans pareil, en se moquant
pas mal de la seule liberté connue en industrie,
la conçu: rence! La charmante habitation de M.
Ducoux, n" 23, doit l'ancien surnom d'hôtel des
Cariatides à deux façades, que décorent princi-
palement deux cariatides élevées sur leurs piédes-
taux et portant un entablement dorique. Les croisées
du premier étage sont ornées de chambranles et
de corniches ; un fronton surmonté d'un bas-
relief règne sur celle du milieu. M. Parker y
succédait, sous le premier empire, à un notaire,
M. Pierron; mais le premier occupant avait été
Benjamin Calau, peintre de la cour de Prusse,
lequel fit de bons portraits, retrouva la cire
punique et mourut h Berlin un peu plus que
sexagénaire en 178S. Poyet n'avait donné que
dix ans plus tôt le plan de la maison. L'ouverture
de la rue avait été autorisée vers le même temps,
h la requête et aux frais de Roussel, curé de
Vaugirard, représenté par Morel, avec qui il avait
traité; le prolongement de celte rue au delà du
boulevard Mont-Parnasse n'eut lieu, d'après
MM. Lazare, que vers 1786, sur des terrains échus
à l'Hôtel-Dieu ou à l'Hôpital-général, mais ayant
dépendu de la ferme du Grand-Pressoir.
Le bouquet de la fin des travaux ne fut pas
plus tôt mis et arrosé à l'hôtel des Cariatides, que
le comte d'Orliane fit jeter, presque en face, les
fondements de l'hôtel du Silène, qu'il avait dessiné
lui-même et que lui-même il occupa. L'invocation
du nourricier de Bacchus était justifiée par une
statue et par des bas-reliefs. Le sénateur et
comte de l'Empire Dubois-Dubais, qui avait siégé
à la Convention, fut un des successeurs du comte
RUE DU MCNT-PARNASSE. 727
d'Oiiiane, on cet hôtel, ainsi qu'un des prédé-
cesseurs de la maïquise Christine Tridulzi, prin-
cesse de Belgiojoso, qui voyage, qui écrit, qui
fait de h\ politique. Le collège Stanislas, pour
s'agrandir, a depuis peu d'années acquis de la
princesse l'ancieime maison du Silène, qui en
lonnait deux pour le nioijis, tant sur la rue que
sur le boulevard. Un portique à quatre colonnes
y distingue le principal corps-de-bàtiment, celui
qu'habita l'architecte.
Rue Grég;oirc-iDe-iTours. (ij
Raoul d'Aubusson avait acquis, en l'an 1254,
de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, moyennant
40 sols parisis de rente, un terrain sis sur un
cliemin qui, à la fin du siècle suivant, tirait encore
sa dénomination d'une propriété, la Folie-Reinier.
Des bouchers survenant firent dire : rue de l'Es-
corcherie. On sait que les règnes de Charles V
et de Charles VI se ressentirent vivement de la
turbulence d'une communauté de bourgeois, prin-
cipalement composée de bouchers, qui eut pour
chef Caboche, un écorcheur de bêtes, et qui,
lors des factions entre le duc d'Orléans et le
duc de Bourgogne, se déclara pour ce dernier,
en commettant les plus alTreux désordres : à ces
causes la rue de l'Escorcherie passa rue des
Mauvais-Garçons. Une rue de Craon prenait le
même nom le jour où Pierre de Craon, qui y
demeurait, assassina Olivier de Glisson, conné-
table de France; mais elle était située entre les
rues de la Tixéranderie et de la Verrerie, c'est-
à-dire dans la ville, et l'ancienne rue de l'Escor-
cheiie ne se trouvait alors qu'à Saint-Germain,
qui n'était pas encore faubourg intérieur de Paris.
Une ordonnance royale, en 1846, fit de celle-ci
la rue Grégoire-de-Tours. Quant à celle du Cœur-
Volant, qui la continuait depuis la rue des Boucheries
(maintenant de l'École-de-Médecine) jusqu'à la rue
des Quatre- Vents, elle s'est appelée ruelle de la
Tuerie, de la Boucherie et de la Voirie avant
(1) Notice écrite en IHJI.
RUE GREGOIRE-DE-TOURS. 729
le x\T siècle, et elle n'a été absorbée qu'en
1851 par la rue Grégoire-de-Tours.
La plaque municipale n'honore ici qu'un historien,
et peu importe qu'il ait été évêque ou capitaine ;
néanmoins on dirait qu'une révolution vient de
passer par-là, pour y gratter ce qui manquait,
en 1793, à la rue Honoré et à la rue Antoine.
Mieux ne valait-il pas laisser une inscription qui
rappelait publiquement les nombreuses boucheries
que ces parages n'ont pas gardées moins de
cinq-cents ans ? Dans la rue des Mauvais-Garçons
il y aurait plus de filles que de garçons, et l'en-
seigne du Cœur-Volant y conviendrait surtout à
deux ou trois maisonsj par la même raison sans
doute qui la fit jadis adopter dans la rue dont on
a modifié plus récemment l'estampille indicative.
On retrouve au n° 6 un Sauvage sculpté. Une
autre enseigne, mais en saillie, c'est-à-di)'e au
nombre de celles que M. de Sartines a supprimées
par ordonnance de police du 17 septembre 1761,
représentait, à l'un des angles de la rue du Cœur-
Volant, une Devantière. On nomme ainsi une
jupe que mettent les femmes pour monter à
califourchon sur un bidet. La nommée Pigault
abritait sous ce pudique pavillon la fabrication
clandestine des vestes dites de petiis-soupers,
qui, l'habit une fois dégrafé, montraient des peintures
licencieuses. Le sieur Passavant, limonadier, dis-
posait de la Justice-Royale, à l'entrée de la rue
des Mauvais-Garçons, où le prêtre J.-B. Passavant
avait eu pour prédécesseurs Philippe, bourgeois
de Paris, et sa famille.
Presque en face de cette maison se trouvait
établi, rue de Buci, Landelle, cabaretier en répu-
tation, bien que tailleur de son état. Crébillon
et Gresset, en sortant de chez Landelle, pouvaient
se rendre à la Comédie- Française par la rue
des Mauvais-Garçons, où un passage conduisait
40
730 RUE GREGOIRE-DE-TOURS.
h leurs loges les comédiens ordinaires du roi.
Un coi'ps-de-garde de pompiers veillait sagement
au seuil de ce passage. Gomme ladite salle-de-
spectacle menaçait ruine, les comédiens l'aban-
donnèrent en 1770, pour occuper le théâtre des
Tuileries,
Le comédien Bellecour, né Golson, logea près
de Ik; mais ce n'était sans doute pas à l'époque
où il jouait lui-même le rôle de Mondor dans
ses amours, en puisant, par la main de sa femme,
surnommée Gogo, dans le coffre-fort du fermier-
général d'Augny. Le mari et la femme étaient
de la Gomédie-Française, ainsi que M"^ Vadé,
qui ne se montra pas insensible h l'amoiif dii
son camarade, mais qui trouva moyen de le
tromper encore plus que M™e Bellecour. Il acheta
pour sa maîtresse, • qui était la tille du poète
burlesque Vadé, une maison, à la barrière Blanche,
dont elle le chassa, sitôt que la quittance fut en
règle, et il en mourut de chagrin.
Dans la rue où donnait par-derrière le théâtre
qui ne jouait plus, un jeu de paume était encore
tenu par François Farolet, paulmier du roi.
Rue de Pentliièvre. (i)
M"^ Galenaire se donnait, au milieu du siècle
dernier, comme héritière des secrets, ou comme
ayant retrouvé les recettes perdues des courtisanes
peuplant le Céramique d'Athènes, qui avaient
vendu chei' des philtres pour raviver les sens
épuisés par le libertinage, ainsi que des breuvages
narcotiques pour endormir la surveillance jalouse,
et elle faisait, sous le manteau, absolument le
même commerce, dans une maisonnette solitaire
de la rue du Chemin-Vert, qui succédait au
chemin des Marais. Cette Gircé mystérieuse ne
descendait-elle pas en droite ligne de Gaténaria,
inventeur de la seringue? Le même nom paraît
s'être francisé pour s'attacher moins indiscrète-
ment ù une spécialité qui louchait de près, si
l'on veut, à celle de l'aïeul. La gloire, hélas!
est comme la fortune, qui souvent ne tient qu'à
un lil ! Cette Caténaire serait devenue riche sans
un éclat fortuit qui la brouilla trop tôt avec la
médecine et avec la justice. La femme du fermier
des Postes, M"^*^ Thiroux de Montsauge, qui lui
avait acheté du narcotique, fut surprise par sou
mari au moment où elle en versait dans un
bouillon qu'il allait prendre ; les aveux complets
de sa femme en provoquèrent de M. de Montsauge,
à qui la même pourvoyeuse venait de fournir de
l'eau aphrodisiaque, et comme cette coïncidence
d'ettéts contraires pouvait mettre sa vie en péril,
il envoya directement les deux fioles au procu-
(1) Notice écrite en 1864.
732 RUE DE PENTHIEVRE.
reur du roi, qui eu fil analyser le contenu par
un doct€ur-régent de la Faculté! On n'y "trouva
aucune trace de poison ; mais on acquit formel-
lement la preuve "que la Caténaire se moquait du
monde, en aromatisant tantôt du lait et tantôt
du vinaigre, pour vendre un louis ce qui valait
six liards.
La nréme rue du Chemin- Vert devenait ensuite
rue Bergère, puis rue Verte et Grande-Rue-Verte
sous Louis XVL L'hôtel de Ray, ouvrant rue du
Fauhourg-Saint-Honoré, s'étendait à la fois sur
la Grande-Rue-Verte et sur la Petite, appendice
aujourd'hui de celle de Matignon. La baronnie
de Ray, en Bourgogne, fut dans la maison tJe
Mérode, et nous croyons que l'hôtel appartint h
Marie-Thérèse-Apolline de Mérode, baronne de
Ray, femme ou veuve du comte de Cosvaren-Loos.
Néanmoins le marquis de Ray était propriétaire
en 1780, et il avait le sieur David pour voisin,
dans la rue qui nous occupe ; MM. Crosnier,
Sandrier de Jouy et Matheron avaient trois maisons
sur l'autre ligne. Tout dernièrement, en juin
1864, on mettait à découvert des peintures murales
de jardin, qu'avaient faites h l'hôtel de Ray le
peintre allemand Nebel, et déjà de nouvelles
bâtisses cachent pour jamais les pavillons, les
arbres qu'elles représentaient si bien !
Le génie militaire avait dessiné en même temps
le plan de la caserne que trois compagnies de
gardes-françaises occupaient dans la même rue.
On y remarquait aussi un hôtel de Bachmann,
pour lequel il ne faut pas prendre le n" 22, qui
date seulement de l'une des dernières années du
premier empire. Nous pensons que les n"' 2, 4
et 6 remplacent la maison de qualité dont nous
évoquons le souvenir. Le baron Bachmann-Ander-
letz, Suisse au service de la France depuis l'âge
RUE DE PENTHIEVRE. 733
de 19 ai)s, émigra après la journée du 10 Août,
pour aller servir en Sardaigne, cl ce vieux générai
ne cessa de vivre qu'en l'année 1831.
Une inscription rappelle de haut que le n" 26
lut le séjour de l'illustre Franklin. I^ucieu Bona-
parte habita aussi la rue, avant le 18 Brumaire.
Elle a reçu, en 1846, la dénomination de rue
de Penthièvre, qu'elle a reprise en 1852, après
un retour de quatre ans à la dénomination de
Grande-Rue-Verte.
FiX DU TOME QUATRIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
contenues dans le tome <|uatrièine« (i)
Pages.
Rue Childeberl.
5
Rue des Ciseaux.
7
Rue de la Clef.
9
Rue des Sept-Voies.
17
Rue du Jour.
31
Rue Laffîtle.
36
Rue ïailbout.
43
Rue el quai des Grands-Augustins, rues Gît-
le-Cœur et de l'Hirondelle.
49
Rue du Cloître-Notre-Dame.
58
Rue de la Colombe.
65
Place Gerson, naguère du Collége-Louls-le-
Grand.
67
Galerie Colbert.
69
Rue Colbert.
72
Roulevard Saint-Marcel, en ce qui s'en appe-
lait naguère place de la Collégiale.
77
(1) Une tabla par ordre alphabétique vient après celle-
ci. Voir Ja Table Générale à la fin du dernier volume.
— 735 —
Pages.
Rue Thouin, en ce qui s'en appelait naguère
de Fourcy-Saint-Jacques, et rue de Fourcy,
naguère de Fourcy-Sainl-Antoine. 80
Rue de Grenelle-Saint-Germain. 83
Quai de la Mégisserie. 94
Place des Victoires. 99
Rue Notre-Dame-des-Victoires et rue Paul-
Lelong, en ce qui s'en appelait naguère
Saint-Pierre-Montmartrc. 108
Rue Louis-le-Grand. 114
Rue de Varenne. 120
Rue de Béarn, naguère de la Cliaussée-des-
Minimes. 131
Rue des Petites-Écuries. 133
Rue du Sentier. 136
Rue des Colonnes. 139
Rue du Colisée. 142
Les cours du Commerce et de Rouen. 147
Rue du Chaume. 150
Rue de la Chaussée-d'Antin. 156
Rue du Cherche-Midi. 177
Rue Saint-Paul et rue Charles V, naguère
Neuve-Saint-Paul. 186
Rue de Harîay-au-Warais. 194
Rue Saint-Sébaslien. 195
Rue Sainte-Croix-de-la-Rretonnerie. 197
Rue des Lombards. 203
Rue Saint-Gilles. 208
Les deux rues Saint-Claude, dont l'une est
maintenant Chénier, et les deux impasses
— 136 —
Pages .
Saint-Claude, dont l'une est maintenant Saint-
Sauveur. 212
Rue Soly. 217
Rue Pagevin. * 219
Rue de la Vrillière. 221
Rue de Cléry. 224
Rue de Clicliy. 231
Rue Cloche-Perce. 238
Rues du Cloître-Saint-Merri et des Juges-
Consuls. 241
Rue Clopin. 246
.Rue du Clos-Bruneau. 248
Rue du Clos-Georgeau. 251
Rue Clovis. 253
Rue Victor-Cousin, naguère de Cluni. 257
Rue Cocatrix. 261
Rue. Honoré-Chevalier. 263
Rue Notre-Dame-des-Champs. 265
Rue de Monsieur. 269
Rue Royale-Saint-Honoré. 271
Rue Rousselet. 274
Rue Joubert. 275
Rue de la Grange-Batelière. 278
Rue Popincourt cl rue Folie-Méricourt, en ce
qui s'en appelait naguère Popincourt. 281
Rue Turenne, naguère Sainl-Louis-au-Marais. 287
Rue de Miroménil. 297
Rue Saint-Fiacre. 299
Rue Poissonnière. 302
Rue de la Lune. 305
Rue du Petit-Carreau. 308
— 737 —
Pages.
Rue Thëvenol. 312
Rues de Viarme, Mercier, de Sartines, de
Vannes, Oblin, et rue Sauvai, en ce qui s'en
appelait naguère Devarenne. 314
Rue de la Verrerie. 318
Rue de la Jussienne. 325
Rue Saint-Sauveur. 328
Quai de la Tournelle. 333
Rue Saint-Louis, naguère Saint-Louis-eu-L'île. 342
Rues Michel-Ie-Comte et Grenier-St-Lazare. 353
Rue Montmorency. 357
Rue Richer. 364
Rue Coquillière. 367
Boulevard Contrescarpe, rue Mazet, naguère
Contrescarpe-Dauplîine, et rue Blainville,
naguère Contrescarpe-Saint-Marcel. 374
Rue de Courcelles. 381
Rue des Coutures-Saint-Gervais. 389
Rue du Croissant. 394
Rue Croix-des-Petits-Cliamps. 401
Rue de Lille et quai d'Orsay. 410
Rue de Verneuil. 420
Rue Saint-André-deS'Arts. 424
Rue Séguier, naguère Pavée-Saint-André, et
rue Pavée, naguère Pavée-au-Marais. 430
Rue du Parc-Royal. 439
Place Royale. 443
(i)
(1) Une erreur de pagination laisse une Jacuue de
100 pages dans le numérotage de ce volume, où ia page
551 suit indûment celle 450.
-- 738 -
Pages.
Rue Corvisart, naguère du Champ-de-l'Alouette. 551
Avenue des Champs-Elysées. 553
Rue Boissy-d'Anglas, en ce qui s'en appelait
naguère rue des Champs-Elysées. 558
Rue des Charbonniers et rue Berthollet,
naguère des Charbonniers-Saint-Marcel. 563
Rue de Charenton. 566
Rue Charlemagne et rue Éginhard, naguère
Neuve-Saint-Anastase. 572
Rue Chariot. • 577
Rue Clianoinesse. 589
Rue des Chantres. 594
Rue Cîiapon. 596
Rue Chartière. 601
Rue de Charonne. 604
Rue Chauchat. 613
Rues Chàteau-Landon el Chaudron. 617
Rue Picpus. 619
Rue de Reuilly et rue Érard, naguère Petite-
rue-de-Reuilly. 623
Rue Portalès, naguère Sainte-Barbe, et rue Ville-
neuve, naguère Saint-Étienne-Bonne-Nouvelle. 628
Rue Marie-St^uard. 630
Rue Saint-Joseph. 632
Rue Saint-Marc. 634
Rue des Anglaises. 638
Rue Blondel, naguère Neuve-Sainl-Denis. 639
Rue des Gravilliers. 641
Rue du Poirier. 644
Rue du Renard, en ce qui s'en appelait naguère
du Renard-Saint-Merri, et rue Grenéta, en ce
- 739 —
Pages.
qui s'en appelait naguère du Renard-Saint-
Sauveur. * 646
Rue et place Sainte-Opportune. 650
Rue de l'Aiguillerie. 654
Rue de la Huchette. 657
Rue Galande. 662
Rue Drouot. 669
Rue des Noyers. 679
Rues des Deux-Portes. 681
Rue du Petit-Pont. 685
Rue Amyot, naguère du Puitsqui-parle, et
rue Laromiguière, naguère dçs Poules. 686
Rues Dupuylren et Antoine-Dubois. 688
Rue Debelleyme, en ce qui s'en appelait
naguère de l'Échaudé-au-Marais, rue de la
Douane et rue de l'Échaudé. 691
Rue de l'Échiquier. 694
Place de l'École et quai du Louvre, naguère
de l'École. 701
Le boulevard de l'Hôpital, le boulevard d'Italie,
naguère des Gobelins, d'Italie et autres ;
les boulevards Saint-Jacques, d'Enfer, Mont-
Parnasse et des Invalides. 707
Rue du Mont-Parnasse. 725
Rue Grégoire-de-Tours. 728
Rue de Penthièvre. 731
Table des matières contenues dans le tome
quatrième. 734
Id. par ordre alphabétique. 740
(ilablc par ox^xt alpljcxbétiquc
pour le même tome.
Pages.
Aiguillerie (rue de V) 054
Amyot. (rue) 686
AnÊîliises (rue des) 638
Antoine-Dubois, (rue) 688
Béarn. (rue de) 131
BerthoUet. (rue) 563
Blainville (rue) ' 374
Blondel. (rue) 639
Boissy-d'Ànglas. (rue) 558
Chanoinesse. (rue) 589
Chantres, (rue des) 594
Champs-Elysées (avenue des) 553
Champs-Elysées, (rue des) 558
Charap-de-1'Alouette. (rue du) 551
Chapon, (rue) 596
Charbonniers, (rue des) 563
Charbonniers-Saiut-Marcel. (rue des) 5^3
Charenton. (rue de) 566
Charlemagne. (rue) 572
Charles V. (rue) 186
Chariot, (rue) 577
Charonne. (rue de) ' 604
Chartière. (rue) 60]
Chàleau-Landon. (rue) 6l7
Chauchat. (rue) 6I3
Chaudron, (rue) 6I7
Chaume, (rue du) 150
Chaussée-d'Anti.n. (rue de la) 156
Chaussée-des-Miuimes. (rue de la) 131
Chénier. (rue) iil2
Cherche-Midi, (rue du) 177
Childebert. (rue) 5
Ciseaux, (rue des) 7
Clef, (rue de la) 9
Clichy. (rue de) 231
Cléry. (rue de) 224
Cloche-Perce, (rue) 238
Cloître-Notrc-Danie. (rue du) 58
Cloître-Saint Merri. (rue du) 241
Ciopin. (rue) 246
— 741 —
Pages .
Clos-Bruneau. (rue du) 248
Clos-Georgeau. (rue du) 251
Clovis. (ruel 253
C'.uni. (rue de) 257
Cocatrix. (rue) 2G1
Colberl (galerie) (!9
Colbert. (rue) 72
Collége-Loiiis-le-Grand. (place du) (i7
Collégiale, (place de la) 77
Colombe, (rue de la) C5
Colisée. (rue du) 142
Colonnes, (rue des) 1^9
Commerce, (cour du) 147
Contrescarpe, (boulevard) 374
Coutrescarpe-Dauphine. (rue) id.
Contrescarpe-Saint-Marcel, (rue) id.
Coquillière. (rue) 367
Corvisart. (rue) 551
Courcelles. (rue de) 381
Coutures-Saint-Gervais. (rue des) 389
Croissant, (rue du) 394
Ctoix-des-Petits-Champs. (lue) 401
Debelleyme. (rue) 691
Deux Portes, (rue des) 681
Devarenne. (rue) 314
Douane, (rue de la) 691
Drouot. (rue) 669
Dupuytren. (rue) 688
Echaudé. (rue de I') 69l
Echaudé-au-Marais. (rue de 1') id.
Echiquier, (rue de 1') 694
Ecole, (place et quai de 1') 701
Eginhard. (rue) 572
Enfer, (boulevard d") 707
Erard. (rue) 623
Folie-Méricourl, (rue) 281
Fourcy-Sainl-Autoine. (rue de) e^O
Fourcy-Saint-Jacques. (rue de) id.
Fourcy. (rue de) id.
Galande. (rue) 662
Gerson. (place) 67
Gît-le-Cœur. (rue) 49
Gobelins. (boulevard des) 707
Grands-Augustins. (rue et quai des) 49
Grange-Batelière, (rue de la) 278
Gravilliers. (rue des) 641
Grégoire-de-Tours. (rue) 728
— 742 —
Pa^es.
Grenelle-Saini Germain, (rue de) 83
Grenela, (rue) 646
Greaier-Saint-Lazare. (rue) 353
Harlay-au-Marais. (rue de) 194
Hirondelle, (rue de 1') 49
Honoré-Chevalier, (rue) 263
Hôpital, (boulevard de 1') 707
Huchette. (rue de la) ft57
Invalides, (boulevard des) 707
Italie, (boulevard d') -id.
Joubert (rue) 275
Jour, (rue du) 31
Juges-Cousuls. (rue des) 241
Jussienne. (rue de la) 325
Laffitte. (rue) 86
Laromiguière (rue) 686
Lille, (rue de) 410
Lombards, (rue des) v 203
Louis-ie-Grand. (rue) U4
Louvre, (quai du) • 701
Lune, (rue de la) • 305
Mane-Stuard. (rue) 630
Mazet. (tue) 374
^Mégisserie (quai de la) 9*
Mercier, (rue) 314
Michel-le- Comte, (rue) 353
Miroménil. (rue de) 297
Monsieur, (rue de) 269
Montmorency, (rue) 357
Mont-Parnasse, (boulevard) 707
Mont-Parnasse, (rue du) 725
Neuve-Saint-Anastase. (rue) 572
Neuve-Siini-Denis. (rue) 639
Neuve-Sainl-Paul. (rue) 1»G
Notre Dame-desChamps. (rue) 265
Notre-Dame-des-Vicloires. (rue) lOS
Noyers, (rue des) ♦>79
Oblin. (ruej 314
Orsay, (quai d") 410
Pagevm. (rue; 219
Parc-Royal, (rue de) 439
PaulLelong, (rue) 108
Pavée, (rue) 4S0
Pavée-Saini- André. (lue) id.
Pavée-au-Marais. (rue) id.
Peuthièvre. (rue de) 731
Petites-Ecuries, (rue des) 133
— 743 —
Pages.
Petit-Carreau. (lue du) 308
Petit-Pont, (rue du) tJ85
Picpus. (rue) 619
Poirier, (rue du) 644
Poissonnière (rue) 302
Popincourt. (rue) Î8l
Porlalès. (rue) G-28
Poules, (rue des) 686
Puits-qui-parle. (rue du) id.
Renard (rue du) 646
Renard-Saini-Merri. (rue du) id.
Renard-Saint- Sauveur, (rue du) id.
Reuilly. (rue de; 623
Reuilly. (Petite-ruc-de) ' id:
Richer. (rue) 364
Rouen, (cour de) 147
Rousselet. (rue) 274
Royale, (place) 443
Royale-Saint-Honoré. iriie) 271
Saint-André-des-Arts. (rue) 434
Sainte-Barbe, (rue) 628
Saint-Claude, (rues) 212
Saint-Claude, (impasses) 212
Sainte7Croix-de-la-Bretonnerie. (rue) 197
Saint-Elienne-Bonne-Noureile. (rue) 628
Saint- J'iacre. (rue) 290
Saint-Gilles, (rue) 208
Saint-Jacques, (boulevard) 707
Saint-Joseph, (rue) 6H2
Saiut-L,ouis-au-Marais. (rue) 287
Saim-Louis. (rue) 342
Saint-Louis-en-l'Ile. (rue) ^<^«
Saint-Marc, (rue) 634
Saint-Marcel, (boulevard) 77
Sainte-Opportune, (rue et place) 650
Saint-Paul, (rue) 186
Saint-Pierre-Montmartre. (rue) 108
Saiut-Sauveur. (impasse) 212
Saint-Sauveur, (rue) 328
Saint-Sébastien, (rue) 195
Sartines. (rue de) 3l4
Sauvai, (rue) 'id.
Séguier, (rue) 430
Sentier, (rue du) 130
Sept- Voies, (rue des) 17
Soly. (rue) 217
Taitbout. (rue) 43
— 744 —
Pages.
Thévenot. (rue) 312
Thouin. (rue) ' 80
Tournelle. (quai de la) 333
Turenne. (rue) 287
Vannes, (rue de) 314
Varennes. (rue de) 120
Verneuil. (rue de) 420
Verrerie, (rue de Ja) 318
Viarrae. (rue de) 314
Victoires, (place des) • 99
Victor-Cousin, (rue) 257
VilleneuYe. (rue) 628
Vrillière. (rue de la) 221
Fin des tables du tomb quatrième.
I
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Los Angeles
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APR 041987
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