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Full text of "Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III"

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J.ES 


A^'CIFJ\'ES  MAISONS  DE  PARIS 


r^OTr^  x^Ai*r)T.ii:o:x  ht. 


BliLXtlLLKS.    —    IMPlîl.MEltlK    HK    C.VSI.MIK    COU.MANS, 


T^F-Ri 


ANCIENNES  MAISONS 

DE  PARIS 

S  0  {]  s    NAPOLÉON   Ui , 


V\]\ 


L'HISTORIOGRAPHE    LEFEUVE 


(SMticiu   internationale. 


TOME    QUATRIÈME. 


PARIS,  I  BRIJXELIES, 

58.  rue  Xcuve-Sainkiugiislin,  58.    I  l-X   rue  Dupont,  io. 

187;! 


Tiie  riieur  île  |):ij;iiiatiiiii   |/niiliiit  une  Imcuiic   île  H\)  )i:j(;es  ilaji.s  ee  volume,  dont 
la   [nige    li'il    se   tion\e   [iiir   celu  niéiuc   siiÎmc   iinniéilirilenienl    la  page  iSO. 


Rne  Childebert.  (i) 


Celle-ci,  le  cardinal  de  Bissy,  abbé  de  Saint- 
Germain -des-Près,  l'ouvrit  sur  l'enclos  monacal, 
dans  l'année  même  où  mourut  Louis  XIV,  et  la 
dédia  à  Childebert  P',  roi  de  France,  qui,  fonda- 
teur de  l'abbaye,  y  avait  été  enterré  en  l'année 
558. 

Une  fois  livrées  à  la  circulation,  les  rues  d'origine 
conventuelle,  comme  l'était  celle  Childebert,  ne 
jetaient  pas  entièrement  le  froc  aux  orties;  elles 
avaient  l'air,  en  devenant  mondaines,  de  garder 
le  petit-collet.  Bien  des  commerces  y  restaient 
interdits,  comme  le  bruit,  comme  les  odeurs 
mauvaises,  et  ce  n'était  lieu  de  plaisance  que  pour 
des  âmes  délicates,  dont  la  dévotion  se  prêtait 
aux  accommodements  d'une  demi-retraite,  ou  que 
désaltérait,  dans  leur  soif  de  s'instruire,  la  riche 
bibliothèque  des  pères.  Les  rues  de  Saint-Germain- 
des-Près  avaient  pourtant  leur  animation  propre  ; 
elles  ne  sont  guère  plus  vivantes  depuis  la  révolution 
qui  les  a  mises  dans  la  voirie  commune. 

Aux  différents  étages  des  n"'  1  et  3,  tels  que 
nous  les  voyons  rue  Childebert,  des  pensionnaires 
de  l'abbaye  avaient  leurs  chambres,  communiquant 
l'une  avec  l'autre,  au-dessous  desquelles  se  suivaient 
des  boutiques,  où  se  vendaient  surplis  et  rabats. 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  Childebert  figurait 
encore  sur  la  carte  de  Paris,  où  la  remplacent  un 
tronçon  du  nouveau  boulevard  Saint-Germain  et  l'espace 
nouvellement  laissé  à  découvert  devant  l'église  Saint- 
Germain-des-Près. 


6  RUE  CHILDEBERT. 

Au  rez-de-cliaussée  du  5  il  y  avait,  sous  Louis  XVI, 
et  une  mercière  et  un  marchand  d'élixir  de  longue 
vie.  Le  il  était  aussi  une  maison  ii  deux  tins, 
habitation  et  boutique;  le  13  pareillement,  et 
M.  Arnheiter,  mécanicien,  occupait  ce  dernier 
immeuble,  avant  d'avoir  ses  magasins  au  8:  il  n'y 
a  donc  pas  moins  de  40  ans  que  ce  fabricant 
d'instruments  d'agriculture  habite  la  petite  rue 
Childebert.  Par  exemple,  2,  4  et  6  n'avaient  qu'un 
seul  étage,  lorsqu'ils  étaient  un  bien  monastique  : 
on  les  a  exhaussés  depuis.  Les  personnes  adonnées 
n'importe  à  quel  commerce,  en  deçà  des  grilles 
qu'on  fermait  tous  les  soirs,  y  profitaient  d'une 
rare  immunité,  en  ce  qu'il  était  interdit  d'opérer 
chez  elles  une  saisie;  dès  qu'il  avait  le  pied  dans 
l'enclos,  l'huissier  perdait  le  droit  d'instrumenter. 
N'enabu*ait-oii  pas  pour  faire  banqueroute?  La  chose 
arriva  quelquefois. 

Un  marchand  de  vin,  nommé  Chanfort,  égayait 
le  n"  10,  dès  le  temps  des  moines;  plus  tard  sa 
veuve  prit  sa  place,  en  faisant  la  cuisine  pour 
tous  les  peintres,  sans  en  excepter  un,  dont  le 
pinceau  becquetait  une  palette  aux  environs  de 
l'ancienne  abbaye.  M"'^'  Chanfort  servait  deux  œufs 
sur  le  plat  à  ses  habitués,  pour  3  sous  ;  ton- 
fessons  qu'elle  les  faisait  cuire  dans  la  graisse.  La 
moyenne  du  prix  de  ses  diners  n'allait  guère  qu'à 
60  centimes,  le  vin  compris.  Qu'on  se  garde  pour- 
tant de  comparer  son  petit  restaurant  aux  gargottes 
dans  lesquelles  les  rapins  d'aujourd'hui  sont  réduits 
à  prendre  leur  pàlure,  moins  saine  à  coup  sûr, 
mais  plus  chère! 


Rue     des     Ciseaux,  (i) 


Nous  avons  essayé  de  retrouver  l'hôtel  des 
Ciseaux,  dont  cette  rue  tire  sa  dénomination, 
d'après  le  Dictionnaire  des  Rues  de  Paris.  Sur- 
gissait-il  rue  du  Four-Saint-Germain?  Son  titre 
venait-il  d'une  enseigne  de  tailleur  ou  de  coutelier? 
Une  famille  portai l-elle  ce  nom  ?  Dernière  version 
s'accordant  mieux  avec  la  qualité  d'hôtel  reconnue 
à  l'habitation. 

On  en  revoit  un  précisément  à  l'angle  de  la  rue  du 
Four  ;  ses  proportions  n'ont  rien  de  vaste  ;  mais  il  a 
pu  se  détacher  d'un  plus  grand,  particulièrement 
de  son  jardin,  car  il  faut  surtout  un  jardin  pour 
élever  une  maison  au  rang  d'hôtel.  De  bonne 
bourgeoisie,  pour  le  moins,  était  cette  bâtisse 
d'encoignure,  remontant  pour  sûr  à  l'époque  où 
d'une  rue  qualifiée  des  Fossés-Saint-Germain  on 
a  fait  une  rue  des  Ciseaux,  autrement  dit  au  milieu 
du  grand  siècle.  Sa  façade  donne  sur  les  deux 
rues  ;  des  arcades  y  sont  dessinées,  répétant  les 
arceaux  de  ses  caves,  qui  sont  encore  vierges  de 
gerçure.  Par  suite  d'une  licitation,  le  20  mars 
1662,  une  sentence  des  requêtes-du-palais  en 
rendait  adjudicataire  le  collège  des  Écossais,  et 
la  seule  mutation  qui,  depuis  lors,  se  soit  produite 
date  de  1847  ;  seulement  il  a  fallu  une  ordonnance 
royale  pour  autoriser  M.  Caire,  administrateur 
temporaire  des  fondations  catholiques  anglaises  et 
écossaises  en  France,  à  aliéner  ledit    immeuble. 


(1)  Notice  écrite   en   1858. 


8  RUE   DES  CISEAUX. 

Le  5  et  le  6  de  la  même  rue,  qui  se  conten- 
tait déjà  de  9  maisons  et  de  2  lanternes  en  1714, 
paraissent  plus  anciens  que  la  propriété  des 
écoliers  écossais. 


Rue   de  la   Clef,  (i) 


L'Enseigne,  —  La  Prison.  —  La  Gueuserie.  —  La 
Victime  cloîtrée  de  bonne  Composition.  —  La 
Pension  bourgeoise.  —  Michel  Fourmont.  — 
Henriot.  —  L'Institution  Savouré.  —  Le  Clos 
du  Chardonnet.  —  L'hôtel  Danês.  —  L'Ogre 
municipal. 

Oji  a  bientôt  dit  d'une  rue  qu'elle  est  la  filleule 
d'une  enseigne.  Celle-ci,  ajoute-t-on,  se  serait 
bi'imbalée,  rue  de  la  Clef,  entre  deux  fenêtres  du 
n"  5.  S'il  s'agit  du  o  d'à-présent,  la  chronique 
semi-officielle  court  le  danger  de  s'être  trompée 
de  porte,  les  titres  de  propriété  de  cet  immeuble 
ne  parlant  même  pas  pour  mémoire  du  signe 
particulier  dont  il  s'agit.  Pas  plus  de  prétentions 
en  face  à  cette  paternité,  dont  la  recherche  n'est 
pas  interdite.  Trois  maisons  d'origine  commune 
y  venant  la  troisième,  la  quatrième  et  la  cinquième 
à  partir  de  la  rue  Copeau  (Lacépède),  étaient  à 
Louise-Catherine  Moreau,  épouse  séparée  de  biens 
de  Pierre  Lemerre,  écuyer,  avocat  au    parlement 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  la  Clef  s'appelait 
encore  rue  Vieille-Notre-Dame  et  rue  du  Pont-aui- 
Biches  à  partir  de  la  rue  d'Orléans,  maintenant  Dau- 
benton.  L'élargissement  et  l'exhaussement  font  qu'elle 
commsnce  du  côté  droit  par  une  place  à  bâtir,  que 
suivent  des  constructions  neuves,  et  à  gauche  par  un 
▼ieui  mur,  au  pied  duquel  est  garde  par  un  petit 
escalier  l'an.-ien  niveau.  Une  place,  en  outre,  s'est  for- 
mée presque  en  face  de  Sainte-Pélagie  ;  elle  prendra  sans 
doute  le  nom  de  Monge,  comme  la  rue  nouvelle  qui 
y  fait  parallèl»  à  celle   de    'a   Clef. 


10  RUE  DE  LA  CLEF. 

et  du  clergé  de  France,  en  1763,  et  à  Borderel 
de  Caumont,  prêtre,  quelques  années  plus    tard. 

Problablement  un  serrurier  s'était  mis  sous 
l'invocation  que  les  captifs  de  Sainte-Pélagie  ont 
dû  souvent  prendre  pour  un  sarcasme.  La  Clef, 
quelle  amère  dérision!  Sainte-Pélagie  en  a  des 
trousseaux,  mais  accrochés  à  des  ceintures  de 
geôliers.  Prison  pour  dettes,  elle  a  fait  rire  ; 
politique,  elle  a  donné  lieu  aux  récriminations  et 
aux  chansons.  Mais  on  y  enferme  de  nos  jours, 
faute  de  Bérangers  et  de  Courriers,  des  hommes 
de  paille  de  la  presse  plus  souvent  que  des  jour- 
nalistes, des  ambitieux,  ou  plutôt  des  envieux,  qui 
ne  cesseraient  d'être  persécutés  que  pour  devenir 
les  plus  ineptes,  les  plus  lâches,  les  plus  odieux 
de  tous  les  persécuteurs,  et  puis  des  marchands 
à  faux-poids,  des  laitiers  trop  chimistes,  des  gé- 
rants de  société  en  commandite  sans  compèi'es 
dans  la  finance,  des  complices  d'adultère,  des 
médecins  si  peu  autorisés  à  soigner  des  malades 
que  leurs  confrères  à  diplôme  en  tuent  bien  davan- 
tage, des  agents  d'affaires  auxquels  on  a  confié 
quoi  que  ce  soit,  des  usuriers  ne  prêtant  qu'à  la 
semaine,  des  cochers  en  contravention,  des  voleurs 
à  leurs  premières  armes,  des  mouchards  en 
apprentissage,  etc. 

Cette  prison  a  cessé  d'être  affectée  à  la  détention 
pour  dettes  en  1834  ;  une  division  ti  part  y  servait 
de  maison  de  correction  pour  des  garçons  de 
catégories  diverses,  et  une  autre  prison  encore, 
ayant  son  greffe  particulier,  recevait  dès-lors  des 
prévenus  et  des  condamnés,  accusés  ou  convaincus 
d'avoir  commis  des  délits  ou  des  crimes.  La 
Révolution  y  avait  fait,  en  outre,  des  prisonniers 
politiques  en  beaucoup  plus  grand  nombre  que  la 
Restauration,  notamment  Millin,  naturaliste  et 
archéologue,  le  peintre  Hubert  Robert  et  M""- 
Joséphine  de  Beauharnais.  C'est    même    en  1792 


RUE  DE  LA  CLEF.  11 

qu'on  avait  converti  en  prison  publique  Sainte- 
Pélagie,  qui  ne  renfermait  sous  l'aDcien  régime 
que  des  pécheresses  repenties  et  non  repenties, 
celles-ci  dans  une  division  dite  le  Refuge,  qui 
relevait  de  l'Hôpital-Général,  en  se  distinguant  du 
couvent  dans  lequel  entraient  celles-là.  M""^  d'Aguil- 
lon  avait  contribué  ii  fonder  en  1665  la  communauté 
religieuse  qui  s'y  était  placée  sous  le  patronage 
spirituel  d'une  comédienne  sanctifiée  par  la 
pénitence. 

Sainte-Pélagie,  ce  purgatoire  des  niŒiurs,  com- 
mença par  purifier  et  transformer,  en  l'absorbant, 
certain  hôtel  de  la  Gueuserie,  dit  aussi  Zone  et 
Jaune.  Pierre  Moue  était  encore  propriétaire  en 
l'année  1660  de  la  Gueuserie,  qui  comportait  trois 
corps-de-iogis  et  autant  d'arpens  de  jardin,  à 
l'angle  de  la  rue  Courtoise  et  de  la  rue  Françoise, 
qui  faisait  suite  à  celle  du  Puits-de-l'Ermite.  Au  nom- 
bre des  maisons  voisines  qui  passèrent  vers  le  même 
temps  aux  religieuses  de  Sainte-Pélagie  et  à 
l'Hôpital-Général,  plusieurs  n'étaient  données  ou 
vendues  qu'en  nue-propriété.  Lépy,  docteur  en 
médecine,  et  sa  femme,  née  Lemoyne,  en  avaient 
encore  l'usufruit,  l'année  1731.  La  rue  s'était 
appelée  d'abord  de  Saint-Médard,  en  raison  de 
l'église  à  laquelle  elle  conduisait  ;  puis  était  venue 
la  dénomination  de  Courtoise,  dont  la  clef  nous 
échappe  encore.  La  moitié  des  pensionnaires  de 
Sainte-Pélagie  s'y  écrouait,  de  par  le  roi,  pour  sauver 
l'honneur  des  familles,  ce  qui  pouvait  être  fort 
utile,  mais  non  pas  fleur  de  courtoisie. 

Une  des  tilles  forcément  repenties  du  Refuge 
était  pourtant  veime,  avec  le  temps,  à  n'en  plus 
vouloir  ù  personne  du  séjour  d'une  année  et  demie 
qu'elle  avait  fait  dans  un  âge  encore  tendre,  qui 
ne  l'avait  déjà  montrée  que  trop  tendre  à  des 
tentations  prématurées.  Elle  revenait  rue  de  la 
Clef  en    1805,    après    avoir   usé   et  abusé  de  la 


12  RUE  DE  LA  CLEF. 

plupart  des  autres  années  de  sa  vie,  et  c'était  pour 
se  retirer  au  n"  25,  en  regard  de  son  ancienne 
maison  de  correction,  dans  une  de  ces  pensions 
bourgeoises  comme  il  en  reste  plusieurs  rue  de 
la  Clef.  Elle  avait  nom  M""'  du  Petitpas  et  environ 
quatre-vingt-cinq  ans  d'âge,  bien  qu'elle  ne  regrettât 
la  perte  que  d'une  seule  de  ses  facultés.  Est-il 
besoin  de  dire  laquelle  ?  Comment  s'appelait-elle 
Petitpas?  point  délicat  à  éclaircir,  car  elle  appartenait 
à  une  honnête  famille,  qui  n'avait  pas  même  attendu 
la  majorité  de  Louis  XV  pour  faire  casser  un 
mariage  clandestin  que  la  petite  avait  contracté, 
en  état  de  minorité,  avec  un  Italien  de  passage 
en  France,  et  déjà  vieille  elle  avait  convolé  en 
second,  puis  en  ti-oisième  divorce,  sous  les  gouver- 
nements républicains.  Tous  les  jours  elle  montrait 
à  M'"''  Simon,  qui  tenait  la  pension  bourgeoise, 
le  donjon  sombre  et  sans  croisées  d'en  face,  en 
regrettant  fort,  si  ce  n'est  le  châtiment,  de  ne 
pouvoir  plus  l'encourir.  M.  Rousseau,  notre  estafette, 
tient  ces  détails  d'une  voisine,  qui,  en  1807,  a  vu 
mourir  la  mère  Simon.  La  pensionnaire  était  fort 
saine  d'esprit  et  de  corps,  en  dépit  d'une  longue 
jeunesse  ;  mais  il  y  avait  alors  sous  le  même  toit 
un  certain  nombre  de  gens  inlirmes  et,  qui  plus 
est,  dans  un  corps-de-logis  à  part,  cinq  ou  six 
fous  et  folles,  gardés  à  vue.  Le  docteur  Ghansaud 
est  mort  centenaire  dans  cette  maison  de  santé 
et  de  convalescence,  dont  il  était  le  médecin,  et 
qui  de  notre  temps  compte  encore  des  pension- 
naires, d'âge  et  de  sexe  différents,  sous  la  direction 
d'une  brave  femme,  M"'^  Vallon. 

Michel  Fourmont,  professeur  de  syriaque  et 
d'éthiopien  au  Collège  de  France,  membre  de  l'aca- 
démie des  Inscriptions  et  frère  de  l'orientaliste 
Etienne  Fourmont,  avait  eu  en  1738  une  propriété, 
qui  n'était  séparée  que  par  deux  autres  de  celle 
dont  M"""  Lemerre  disposait  vingt-cinq  ans  plus  tard. 


RUE  DE  LA  CLEF.  13 

Henriot,  chef  de  factieux,  héros  des  journées 
de  Septembre  et  agent  de  Robespierre,  dont  il  a 
partagé  la  lin,  logea  quelque  temps  rue  de  la 
Clef,  dans  une  maison  qui  semble  en  disconvenir, 
tant  son  aspect  est  plein  de  sérénité  !  Le  nombre 
qu'elle  affiche  est  29.  Cet  Henriot,  natif  de  Nanterre, 
domestique  chez  un  procureur  au  parlement,  qui 
l'avait  renvoyé,  s'était  trouvé  employé  aux  barrières, 
en  qualité  de  commis,  lorsque  l'insurrection  y  avait 
apporté  la  flamme,  dans  la  nuit  du  12  au  13 
septembre,  et  cet  agent  de  l'octroi,  craignant  quel- 
ques mauvais  traitements,  avait  cru  plus  prudent 
de  se  ranger  parmi  les  incendiaires  :  tels  avaient 
été  les  débuts  du  promoteur  de  tant  d'insurrections  ! 

Uu  jour  on  heurtait  violemment  h  la  porte  du 
n"  9,  chez  M.  Savouré,  chef  d'une  institution  de 
jeunes  gens,  qui  vint  lui-même  savoir  ce  qu'on 
voulait.  C'était  l'affreux  voisin  Henriot  et  plusieurs 
autres  terroristes,  ayant  à  lui  intimer  l'ordre  de 
faire  dîner  ses  élèves  dans  la  rue.  Les  tables  furent 
bientôt  disposées,  pour  obéir  à  ces  traîneurs  de 
sabres,  parlant  au  nom  de  la  Nation  ;  mais  M'"^  Sa- 
vouré refusa  prudemment  l'argenterie  et  eut  l'idée 
de  servir  aux  élèves  des  mets  qu'ils  pussent  porter 
aux  lèvres  sans  se  servir  de  cuillers  ni  de 
fourchettes  ;  le  fromage  et  les  artichauds  '  tirent 
donc  les  frais  de  ces  agapes  par  ordre.  Déjà  une 
irruption  pareille  du  citoyen  Henriot  avait  eu  pour 
objet  d'ordonner  au  maître  de  pension  la  destruction 
d'un  certain  nombre  de  bustes  qui  décoraient  la 
façade  sur  la  rue,  et  qu'il  prenait  pour  des  figures  de 
saints  ;  or  ces  malheureux  plâtres  représentaient 
des  dieux  de  la  fable,  et  même,  du  côté  de  la 
cour,  il  en  a  été  conservé  huit  ou  dix,  dont  ne 
différaient  aucunement  les  premiers. 
Lapension  Savouré  fut  fondée  rue  Copeau,  vers  1730, 
sous  les  auspices  d'une  compagnie  de  professeurs 
jansénistes,  qui  avaient  pour  supérieur   Besoigne, 


U  RUE  DE  LA  CI  EF. 

successeur  de  Durieux  et  de  Gillot,  et,  qui  étaient 
expulsés  de  Soi  nte-Bari)e,  à  l'instigation  des  jésuites  de 
Louis-le-Grand,  leurs  adversaires.  Depuis  1:28  ans,  de 
père  eu  fils,  les  Savouré  dirigent  la  maison,  et  cette 
dynastie  tend  à  se  perpétuer.  Jean-Louis  Savouré  P' 
eut  dix-sept  enfants  d'un  seul  lit  ;  Jean-Baptiste  en 
compte  onze.  En  sa  qualité  de  janséniste,  Rollin 
accorda,  dès  le  principe,  son  patronage  aux  Sa- 
vouré ;  il  leur  prodigua  ses  conseils  et  ses  en- 
couragements, et  le  lait  est  qu'ils  ont  mis  en 
honneur   les   doctrines   de   son  Traité  des  Études. 

«  L'honneur   est  lame   de  tous  les  arts,  disait  l'illustre 

•  recteur  de  l'université  de  Paris,  mais  du  nôtre  prin- 
«  cipalement.  Quels  que  soient  les  préjugée  d'un  siècle 
«  corrompu  par  la   frivolité,    il   n'est   rien    de  plus  grand 

•  que  notre  profession  j  rien  qui  exige  des  sentiments 
«  plus  purs  et  plus  élevés.  C'est  l'esprit  et  non  le  corps 
«  qui  est  confié  à  nos  soins.  Un  père  remet  son.  fils 
«  entre  nos  mains;    il  demande  que   nous  cultivions  son 

<  esprit,  que  nous  formions  son  cœur  à  la  vertu,  que 
«  nous  y  gravions  les  principes  de  la  religion  et  de 
<«  la    piélé.  Quel  emploi  !    Est-il  des  fonctions  plus  nobles 

<  et  plus  excellentes?  »  {Opuscules  de  Rollin,  tome  1^^, 
p.  430.1 

Presque  seul  des  établissements  d'éducation,  celui 
que  tenait  les  Savouré  résista  sans  inten-uption 
aux  crises  de  la  Révolution,  en  substituant  des 
cours  particuliers  h  ceux  des  collèges  de  Lisieux 
et  de  Montaigu,  dont  l'exercice  se  trouvait  supprimé. 
Son  droit  de  chapelle  datait  de  la  création  ; 
Napoléon  P''  le  sanctionna,  et  récemment  Pie  IX 
le  contirmait.  Des  élèves  remarquables  de  cette 
institution  citons  le  prince  Jérôme  Bonaparte, 
frère  de  Napoléon  P',  l'amiral  Baudin,  Gay-Lussac, 
les  généraux  de  Grouchy,  fils  du  mai^échal,  MM. 
Naudet,  d'Houdetot,  Delécluze  et  Silvestrede  Sacy, 


RUE  DE  LA  CLEF.  15 

les  docteurs  Chomel,  Donné  et  Vernois,  l'architecte 
Rougevin. 

M.  Lacroix,  professeur,  n'est-il  pas  une  étoile 
de  plus  pour  cette  pléiade?  II  a  mis  au  jour  une 
notice  historique  sur  la  maison,  berceau  de  ses 
études,  au  temps  où  l'auteur  du  présent  ouvrage 
publiait,  de  son  côté,  un  livre  sur  l'ancienne  Saijite- 
Barbe.  Grâce  à  M.  Lacroix,  nous  savons  notamment 
que  la  pension  Savouré  fut  transférée  dès  1779 
dans  le  local  qu'elle  occupe  maintenant.  C'était 
d'abord  l'hôtel  Danès,  qui  a  passé  dans  la  maison 
de  Rohan  avant  que  les  Savouré  l'acquissent  : 
jusque-là  rien  qui  nous  taquine.  Mais  la  notice 
ajoute  que  Pierre  Danès,  précepteur  de  François  II, 
puis  évéque  de  Lavaur,  fut  propriétaire  rue  de  la 
Clef,  et  rien  dans  son  architecture,  dans  ses 
décorations  à  l'intérieur,  n'autorise  à  croire  du  xvi« 
siècle  l'édifice,  qui  nous  a  plutôt  l'air  contemporain 
d'un  autre  Pierre  Dnnès,  curé,  auteur  de  plusieurs 
dictionnaires,  décédé  en  1709.  Trois  plans  de  Paris 
vont  passer  sous  nos  yeux  ;  cherchons-y  cet  hôtel 
Danès.  La  carte  de  1652  n'en  souffle  pas  mot. 
Aucun  trait  ne  l'indique  davantage  sur  le  plan  de 
4714,  dans  lequel  figure  un  corps-de-garde-fran- 
çaise,  au  coin  de  la  rue  d'Orléans,  et  qui  compte 
en  tout,  rue  de  la  Clef,  23  maisons.  Interrogeons 
encore  la  topographie  de  Paris  en  l'année  1739, 
même  absence  de  désignation.  Décidément  il  y  a 
erreur  de  date. 

Vers  l'endroit  où  se  carre  encore  cette  maison, 
cinq  autres  avaient  été  anciennement  bâties  sur 
la  Villeneuve-Saint-Réné,  quartier  de  terre  dit 
aussi  le  clos  du  Chardoiinet  ;  elles  avaient  dû 
60  livres  tournois  de  rente,  pour  une  partie  des- 
quelles Nicolas  Bouchinel,  charcutier,  avait  passé 
reconnaissance  en  1348  h  Raphaël  d'AIbiac,  fils 
de  Louis,  seigneur  du  même  fief.  Le  Canon,  vicaire 
de  Ghoisy-sur-Seinc,   avait  succédé  au  '  charcutier, 


16  RUE  DE  LA  CLEF. 

puis  Marin  Noël,  puis  Dauphin,  archer  de  la 
connétablie,  puis  le  tils  de  l'archer,  sieur  de 
Sainte-Marie,  qui  avait  vendu  en  1643  à  Pierre 
Crochet. 

De  1747  à  1770,  si  ce  n'est  davantage,  la  pro- 
priété appartenait  à  Antoine-Pierre-Hilaire  Danès, 
comte  de  Serris,  baron  de  la  Mothe,  conseiller 
au  parlement,  puis  conseiller  royal  et  président 
de  la  cour  des  Aides,  puis  gouverneur  de  Saint- 
Denis  et  enfin  lieutenant-général  de  la  ville,  pré- 
vôté et  vicomte  de  Paris.  L'ancien  hôtel  de  ce 
grand  personnage  est  menacé  de  perdre  une  portion 
de  son  joli  jardin,  et  les  pensions  bourgeoises 
placées  sur  la  même  ligne  doivent  être  également 
écornées  :  le  percement  probable  d'une  rue  nouvelle 
met  en  émoi  tout  le  quartier.  Il  est  de  fait  qu'on 
y  trouve  encore  de  la  verdure  et  que  les  squares 
y  sont  tout  faits. 

—  Grâce  pour  mes  arbres  !  épargnez  mon  gazon  ! 
s'écrie  plus  d'un  propriétaire. 

—  Respectez,  dit  un  autre,  mon  escalier  à  vis 
et  ma  porte  h  claveaux. 

Malheureusement  il  y  a  un  ogre  dans  cet  omni- 
potent préfet  qui  ne  se  soucie  d'aucune  des  tra- 
ditions conservatrices  de  l'édilité,  et  l'ogre  se 
bouche  les  oreilles. 


Rue     des  Sept-Voies.  (i) 


Dénombrement  des  propriétaires  en   tannée  1660, 


(Bmc\)t  :  IBroite  : 

Le  collège  de  Reims  h  corps- 
de-bâtiment  ft  un  jardin, 
tant  rues  de  Reims,  d'E- 
cosse et  Chartière  que  rue 
des  Sept-Voies. 


Idem,  petit  corps  -  de  -  bâti- 
ment, au  coin  de  la  rue  des 
Sept-Voies  et  de  celle  de 
Reims,  ahàs  de  Bourgogne. 


Idem,  y.  maisons,  dont  l'une 
à  rimage-Saiut-Pierre. 


Brisson,  hôtel  d'Albret. 

La  veuve   de  Bourdon,  à 
Ville-de-Barcelone. 

Le  collège  des  Grassins,  2 
corpsde-bâtiment,  à  la  Di- 
ligence et  à  la  Sphère. 

François  du  Moutier,  prin- 
cipal de  ce  collège,  maison 
du  cul-de-sac  de  la  Cour- 
aux-Bœufs,  attenant  aux 
Grassins. 

Le   collège  da  la  Merci. 

Édeline  et  Claude,  à  la  Chi- 
che-Face. 

Les  abbé,  prévôt  et  confrères 
de  la  Grande- Confrèrie- 
aux-Bourgeo'S,  2  corps-de- 
bâtiment,  à  rimage-Notre- 
Dame  et  à    la  Madeleine. 

Godechal  et  consorts,  à 
rimage-Saint-E  tienne. 

Antoine  de  Saumaville,  à  la 
Bible-d'Or. 

Gellier,  à  l'Image  -  Saint  - 
Claude. 

Poirier,  au  Pot-à-Moyneaui. 

Sellier,  à  la  Corne-de-Cerf. 

Le  collège  de  Forlet. 

Id.    hôtel   de  Marly. 

L'église  Saint  -  Etienne  -  du- 
Mont,  son  petit   cimetièro 

Peu  de  temps  après,  l'Image-Notre-Dame  et  la 


MM.  de 
sons. 


Sorbounc,     2  mai- 


Le  collège  de  Montaigu,  2 
maisons  et  jardin,  au  coin 
de  la  rue  des  Chiens  que. 
Sainte  Barbe    a  absorbée. 


(1)  Notice   écrite  en   18C0. 


18  RUE  DES  SEPT-VOIES. 

Madeleine  passaient    Petit-Saint- Jean,  et  la  Bible- 
d'Or,  Gràce-de-Dieu. 

Le  collège  des  Grassins,  dont  l'iiistorique  est 
présenté  dans  la  notice  de  la  rue  des  Amandiers- 
Sainte-Geneviève  (1),  avait  été  passagèrement  en 
possession  de  la  Ville-de-Barcelone,  que  lui  avait 
vendue  en  1634  la  veuve  de  Michel  Charpentier, 
sieur  du  Plessis,  mais  qu'avait  rachetée  dès  1636, 
par  retrait  lignager,  l'avocat  Brisson,  qui  dans  la 
même  année  avait  eu  Gristophe  Descourtieux  pour 
acquéreur.  Michel  Charpentier  tenait  ce  bien  de 
sa  mère,  née  Marie  Boissart,  fille  et  héritière  de 
Boissart,  conseiller  au  parlement,  et  de  Marguerite 
Chapelain,  y  succédant  h  Jean  Chapelain.  Mais  le 
même  manoir  avait  appartenu  à  des  ducs  de 
Bretagne,  comme  l'hôtel  d'Alhret,  à  l'origine,  et 
cela  remontait,  pour  le  moins,  à  l'époque  de  la 
guerre  des  Deux-Jeannes.  Le  mariage  de  Charles 
de  Blois,  neveu  de  Philippe  de  Valois,  avec 
Jeanne  de  Penthièvre,  nièce  de  Jean  III,  duc  de 
Bretagne,  qui  le  choisit  pour  successeur,  donna 
lieu  à  de  sanglantes  querelles,  que  les  héritiers  des 
compétiteurs  firent  durer  un  siècle.  Ce  souvenir 
historique  rend  tort  peu  surprenant  "que  le  séjour 
des  ducs  de  Bretagne,  au  mont  Saint-Hilaire,  ait 
été  dit  de  Blois,   puis  de    Penthièvre. 

Collège  Montaigu.  —  Tout  en  a  disparu,  en  1844» 
pour  faire  place  à  la  nouvelle  bibliothèque  Sainte- 
Geneviève.  C'était,  en  dernier  lieu,  une  prison 
militaire,  qui  avait  servi  d'hôpital.  La  suppression 
des  classes  n'y  datait  que  de  1792.  Ce  qui  nous  a 
permis  amplement  de  connaître  un  aimable  vieillard, 
M.  Sauvage,  qui  avait  fait  ses  études  à  Montaigu  : 
il  y  était  même  entré  en  1762,  M.  Regnard  y 
remplissant  les  fonctions  de  principal. 


(1)  Maintenant   rue  Laplace. 


RUE  DES  SEPT-VOIES.  19 

La  chapelle  du  collège  renfermait  le  tombeau 
d'Ulrich  Géring,  l'un  des  trois  imprimeurs  attirés 
d'Allemagne  par  la  Sorbonne  pour  fonder  à  Paris 
la  première  imprimerie.  Le  prédicateur  Jean 
Standoutht,  qui  dormait  sous  les  mômes  dalles, 
avait  institué  dans  la  maison,  sous  la  direction 
d'une  comnmnauté,  une  école  si  pauvre  que 
l'université  n'avait  rien  de  pareil  :  on  y  faisait  un 
maigre  qui  ressemblait  par  trop  au  jeûne,  avec 
lequel  il  alternait  toute  l'année.  Ce  régent  de  la 
faculté  de  Théologie  avait  humblement  débuté,  en 
qualité  de  petit  domestique.  Le  collège  toutefois 
avait  pour  fondateur  Gilles  Aycelin  de  Montaigu. 
Il  est  fâcheux  que  ce  chancelier,  ancien  archevêque 
de  ÎXarbonne,  ait  pris  une  part  active  à  la  persé- 
cution suprême  des  templiers.  Mais  ne  se  trouve- 
t-il  pas  qu'il  est  entré  pour  quelque  chose  dans 
l'éducation  d'Érasme  et  de  Calvin,  puisque  l'un  et 
l'autre  ont  fait  la  moitié  de  leurs  humanités  à 
Montaigu  ? 

Collège  Fortet.  —  La  famille  Perducet,  dont  nous 
avons  évoqué  le  patriarche  en  établissant  les 
états  de  service  d'un  des  quais  de  l'île  Saint- 
Louis,  fait  le  commerce  des  vins  depuis  un  siècle  ; 
elle  a  fourni  à  Sainte-Barbe  plusieurs  générations 
d'élèves,  qui,  pour  entrer  à  la  pension  ou  en 
sortir,  n'ont  jamais  eu  que  la  rue  des  Sept- Voies 
à  traverser,  dans  sa  largeur  modeste.  MM.  Perducet 
y  sont  encore  propriétaires,  aux  n"'  19  et  21,  de 
l'ancien  collège  Fortet,  dont  nous  allons  l'aire 
l'histoire. 

Pierre  Fortet,  né  à  Aurillac,  archidiacre  de  Cussac 
et  chanoine  de  plusieurs  églises,  ne  multipliait  sur 
sa  tête  les  bénétices,  au  xiv  siècle,  qu'en  vue  de 
faire  le  plus  de  bien  possible.  La  preuve  suprême  en 
fut  donnée  par  ses  dispositions  testamentaires,  qui 
fondaient  un  petit  collège,  avec  huit  bourses,  sans 
compter  les  offices,  en  laissant  des  maisons  dans 


20  RUE  DES  SEPT -VOIES. 

différents  quartiers  de  Paris,  ainsi  que  des  rentes, 
des  liefs  et  des  terres,  avec  la  liberté  pour  ses 
exécuteurs  testamentaires  d'établir  le  collège  où 
bon  leur  semblerait  quand  sa  succession  serait 
ouverte,  et  elle  s'ouvrit  le  22  avril  4394,  Deux 
des  propriétés  de  ville  ainsi  léguées  reliaient  la 
rue  Saint-Jacques  à  celle  des  Cordiers  ;  nous  en 
retrouvons  au  moins  une,  dont  l'aspect  vénérable 
sourit  aux  antiquaires,  à  travers  deux  petites  portes, 
dont  une  cintrée,  et  qui  égrène  encore,  comme 
un  chapelet,  ses  deux  escaliers  à  balustres,  n''  3, 
rue  des  Cordiers  :  elle  avait  pour  enseigne  le 
Barillet.  L'autre,  qui  a  été  refaite,  montrait  l'image 
de  la  Madeleine.  Là  fut  d'abord  créé  l'établissement, 
transféré  trois  années  plus  tard  rue  des  Sept- 
Voies,  dans  une  maison  acquise  de  Listenois, 
seigneur  de  Montaigu,  moyennant  500  écus  d'or, 
qui  formaient,  avec  une  vingtaine  d'écus  de  pot- 
de-vin  comptés  à  un  intermédiaire,  458  parisis. 
La  chapelle,  qu'on  ajouta  vite  à  l'édifice  en  l'appro- 
priant à  sa  nouvelle  destination,  se  dédia  à  saint 
Géraud,  autrefois  seigneur  d'Aurillac.  La  Corne- 
de-Cerf,  propriété  attenante,  s'incorpora  en  1493 
h  l'établissement,  qui  ne  s'en  défit  qu'au  xvn'  siècle  : 
c'était  bien  un  accroissement.  Néanmoins  les  finances 
du  collège  de  Fortet  n'avaient  pas  prospéré  pen- 
dant le  premier  siècle  de  son  ère  :  ses  rentes 
sur  des  particuliers  en  avaient  trouvé  d'insolvables  ; 
ses  placements  sur  diverses  caisses  avaient  subi 
des  quartiers  de  réduction  ;  l'une  de  ses  maisons, 
sise  rue  des  Prouvaires,  avait  été  vendue  menaçant 
ruine.  La  faute  pouvait-elle  s'en  imputer  aux 
maîtres?  La  principauté  de  Fortet,  à  laquelle 
nommait  le  chapitre  de  Paris,  en  vertu  d'un  droit 
conféré  par  les  statuts  originaires,  passait  en 
l'année  1416  à  Jean  de  Rouvrai,  qui  eut  pour 
successeur  Jean  du  Sellier  ;  mais  le  chapitre  avait 
nommé,  depuis  deux  ans,  un  procureur,  pour  ad- 


RUE  DES  SEPT-VOIES.  21 

minisirer  les  affaires,  à  la  décharge  du    principal 
et  du  chapelain. 

Le  siècle  suivant  se  montra  plus  favorable. 
Charles  de  la  Rivière,  comte  de  Dammartin, 
devait  aux  principal  et  boursiers,  substitués  aux 
droits  de  Pierre  Fortet,  160  livres  parisis  :  des 
procès  intentés  aux  acquéreurs  et  détenteurs  des 
biens  du  débiteur  amenèrent  à  composition,  après 
plus  de  loO  ans,  l'un  d'eux,  M,  de  Harlay,  qui 
se  détermina  à  transporter  au  collège  de  Fortet, 
en  1566,  400  livres  de  rente  à  prendre  sur  celle 
de  1,000,  que  les  prévôt  et  échevins  lui  avaient 
constituée  en  lo6:2  sur  le  clergé.  Jean  Beauchône, 
grand-vicaire  de  Paris,  avait  fondé  trois  nouvelles 
bourses,  en  y  appliquant  l'abandonnement  d'un 
moulin  Martinot,  sis  à  Eaubonne,  à  Andilly  et  à 
Margency,  dans  la  vallée  de  Montmorency,  et  ce 
bienfaiteur  était  mort  en  1566;  Nicole  Watin, 
principal  de  Fortet,  en  ajoutait  deux  autres,  en 
1574.  Les  testaments  de  Jean  Froideval  et  de 
Crouzon,  qui  remplirent  au  même  siècle  les  fonctions 
de  principal,  l'un  avant,  l'autre  après  Watin,  léguaient 
aussi  de  petites  sommes,  à  titre  de  fondations 
d'obit  dans  la  chapelle  de  la  maison.  Du  temps 
de  ce  Froideval  vint  au  collège  pour  la  seconde 
fois  Calvin:  il  y  avait  précédemment  étudié  en 
théologie,  il  en  était  sorti  pourvu  de  bénéfices, 
bien  qu'il  n'eût  pas  encore  vingt  ans,  et  il  avait 
été  suivre  des  cours  de  droit  à  Orléans,  en  s'y 
perfectionnant  comme  helléniste.  Le  second  chef 
de  la  Réforme  se  démettait,  en  rentrant  à  Paris, 
de  ses  titres  et  revenus  ecclésiastiques,  et  la 
savante  montagne  Sainte-Geneviève,  grosse  en 
tout  temps  des  œuvres  du  passé,  se  sentit  mère 
d'idées  nouvelles.  Pierre  Robert  d'Olivetan  s'y 
était  lié  avec  Calvin,  et  l'université  de  Paris  avait 
déjà  des  échos  pour  leurs  voix.  Une  harangue  de 
Michel  Cop,  qui  n'en  était  pas  moins  que  le  recteur, 

2 


22  .  RUE  DES  SEPT-VOIES.- 

l'ut  dénoncée  en  1533,  et  comme  elle  passait  pour 
une  leçon  qu'il  avait  appris  de  Calvin  à  réciter, 
on  voulut  s'en  prendre  à  tous  deux.  Seulement 
l'étudiant  de  Fortet  avait  déjà  quitte  sa  chambre, 
lorsqu'on  vint  l'y  chercher;  le  chanoine  Duiillet, 
frère  du  grelfier  en  chef  du  parlement  de  Paris, 
lui  donna  asile  en  Saintonge,  puis  la  reine  Mar- 
guerite, cl  Nérac.  Après  avoir  prêché,  du  côté  gauche, 
jusqu'à  un  changement  de  communion,  la  rue  des 
Sept-Voies  abonda  dans  le  sens  opposé,  de  l'autre 
côté  de  la  rue,  Sainte-Barbe  y  devenant  le  berceau 
de  la  compagnie  de  Jésus. 

Aussi  bien  l'université  agissait  officiellement, 
par  des  visites,  sur  la  discipline  de  Fortet,  et  le 
parlement  eut  lui-même  à  s'immiscer  dans  ses 
querelles  intestines.  Charles  de  Goussancourt, 
quoique  fait  principal  par  les  chanoines,  se  voyait 
disputer  la  place  par  Jean  Cinqarbres,  que  les 
boursiers  lui  préféraient  :  un  arrêt  de  la  cour  ne 
tarda  pas  à  annuler  la  nomination  de  Goussan- 
court, parce  qu'elle  avait  eu  lieu  pendant  l'office 
divin.  Les  agitations  de  la  Ligue,  avant  d'avoir 
le  royaume  pour  théâtre,  se  ménagèrent  des 
coulisses  dans  le  même  établissement,  où  le  fougueux 
ligueur  Boucher,  curé  de  Saint-Benoît,  qui  fut 
aussi  recteur  de  l'université  et  prieur  de  Sorbonne, 
eut  assez  longtemps  un  asile  :  le  conseil-général 
de  la  faction  des  Seize  y  tint  ses  premières 
séances,  en  1585.  Le  xvi"  siècle  compta  donc 
avec  le  collège  Fortet,  qui  se  passionnait  avec 
lui  et  entrait  des  premiers  en  lice,  au  lieu  de  garder 
la  sage  neutralité  qu'aiment  à  observer  tant  de 
cuistres  !  L'un  des  risques  courus  à  ce  jeu  n'était- 
il  pas  de  passer  d'un  extrême  à  l'autre?  La  jeunesse, 
d'ailleurs,  se  renouvelait  dans  la  pédagogie  de 
la  rue  des  Sept-Voies,  bien  qu'elle  ne  cessât  pas 
d'y  être  vaillante.  Préoccupés  de  questions  exté- 
rieures, ses  écoliers  prenaient  moins  vite    leurs 


RUE  DES  SEPT-VOIES'.  23 

degrés;  le»  finances  de  l'école  n'en  allaient  pas 
plus   mal. 

L'hôtel  des  évêques  de  Nevers,  longeant  le 
jardin  du  collège  et  ouvrant  rue,  des  Amandiers, 
ainsi  qu'au  carrefour  de  Saint-Élienne-du-Mont, 
avait  été  adjugé  au  protil  du  collège,  en  io64. 
Quand,  plus  taVd,  l'évêque  de  Nevers  voulut  proliter 
des  édits  de  1608  et  1613,  autorisant  le  réméré 
des  biens  ecclésiastiques  aliénés  pendant  les  guerres 
de  religion,  les  acquéreurs  lui  réclamèrent  judi- 
ciairement une  somme  trois  l'ois  plus  forte  que 
celle  de  l'adjudication,  à  cause  des  réparations 
qu'ils  avaient  laites  dans  la  propriété,  et  le  vendeur 
préféra  renoncer  h  toute  revendication.  Ladite 
propriété,  dont  les  boursiers  tirèrent  pendant 
deux  siècles  le  revenu,  s'appelait  cour  de  la  Vérité 
du  côté  de  la  rue  des  Amandiers,  où  maintenant 
elle  remplit  encore  les  n°'  13  et  17,  avec  passage 
rue  des  Sept-Voies,  17.  Du  côté  de  Saint-Êtienne- 
du-Mont,  elle  garda  la  dénomination  d'hôtel  de 
Nevers  tant  qu'elle  put. 

Une  acquisition  du  même  temps  est  représentée 
h  nos  yeux  par  un  des  deux  immeubles  de  MM. 
Perducet:  voyons-y  Marly-le-Chàtel,  maison  à  trois 
corps-de-logis,  vendue  par  Claude  de  Lévis,  qui 
était  seigneur  de  Marly,  et  que  le  séminaire  des 
33  avait  quittée  en  1637  pour  passer  à  l'hôtel 
d'Albiac,  rue  de  la  Moniagne-Sainte-Geneviève.  La 
corporation  des  relieurs,  démembrée  de  celle  des 
libraires  en  1689,  renforcée  au  siècle  suivant  par 
celle  des  papetiers-colleurs,  et  reconnaissant  pour 
patron  saint  Jean-Porte-Latine,  avait  là  son  bureau, 
qui  payait  loyer  au  collège.  Autre  maison  encore 
et  puis  jardin,  dans  la  même  rue  des  Sept-Voies, 
adjugés  sous  le  règne  de  Henri  III  aux  mêmes 
boursiers,  qui  n'en  gardaient  pas  moins  d'autres 
biens  par  la  ville,  et  particulièrement  rue  Saint- 
Victor. 


«4  RUE  DES  SEPT-VOIES. 

En  1610,  restauration  complète  du  collège  pro- 
prement dit.  Fondation  de  quatre  bourses  de  plus, 
deux  ans  après,  par  Claude  Croisier,  principal. 
Deux  autres  dues,  en  1719,  à  Grémiot,  chanoine 
de  Castres.  A  cette  dernière  date,  Bernard  Collot 
exerce  la  principalité  ;  ce  fonctionnaire,  d'humeur 
trop  processive,  finit  par  être  détilaré  incapable 
d'ester  en  justice  sans  l'assistance  de  Lavigne, 
avocat,  nommé  d'office  par  la  cour.  Puis  le  collège 
Fortei  est  au  nombre  de  ceux  qu'on  réunit  au 
collège  Louis-le-Grand,  en  1764  :  M.  de  Vernhes, 
le  dernier  principal,  deux  autres  officiers  et  seize 
boursiers  composent  alors  l'effectif  constitution- 
nellement  défrayé.  Le  grand-Lureau  de  Louis-le- 
Grand  administre  ses  biens,  que  la  Révolution  fait 
nationaux  ;  l'immeuble  du  collège  n'est  adjugé  à 
un  particulier  que  le  12    juillet  1806, 

Hôtel  (ïAibret.  —  Le  manoir  à  Paris  de  Charles 
de  Blois,  duc  de  Bretagne,  époux  de  Jeanne  de 
Penthièvre,  ayant  passé  à  un  ou  plusieurs  comtes 
de  Blois,  à  un  ou  plusieurs  comtes  de  Penthièvre, 
Jean  de  la  Chesnaye  n'en  fut  que  partiellement 
donataire  en  l'an  1516.  La  moitié  en  constituait 
déjà  l'hôtel  d'Albret,  qu'on  ne  disait  plus  de  Blois 
que  pour  mémoire.  Alain  d'Albret,  comte  de  Dreux, 
y  commandait  en  maître;  mais  était-il  le  vieux 
sire  de  ce  nom  dont  le  fils  devait  ti  un  mariage  la  cou- 
ronne de  Navarre,  ou  n'était-il  qu'un  autre  membre 
de  la  même  famille?  Henri,  roi  titulaire  de  Navarre, 
héritait  alors  du  Béarn  ;  mais  ce  grand-père  de 
Henri  IV  n'en  faisait  pas  autant  du  séjour  que  voici. 

Alain  d'Albret  y  vendait  en  1520  une  place  et 
une  masure  à  Nicolas  Barrière,  procureur-général 
de  l'ordre  religieux  et  militaire  de  la  Merci,  pour 
établir  le  collège  de  son  ordre.  Ce  collège,  au 
xvin"^  siècle,  n'était  plus  que  l'hospice  de  la  Merci, 
infirmerie  du  couvent  dont  il  reste  des  débris  et 
des  bâtiments  rue  de  Braque  et  rue  du  Chaume. 


RUE  DES  SEPT-VOIES.  25 

Dès  1793  a  été  mis  en  vente  l'ancien  collège  de 
l'ordre. 

Mais  l'édifice  qui  donne  en  face  de  la  rue  du  Four- 
Saint-Hilaire  a-t-il,  comme  on  le  dit  sur  les 
lieux,  fait  partie  du  collège,  tout  en  étant  le  siège 
d'une  imprimerie  royale  pour  la  musique?  Ne  serait- 
ce  même  pas  l'ancienne  masure  refaite,  celle 
qu'avaient  vendue  h  la  Merci  les  parents  du  chef 
de  la  dynastie  des  Bourbons  ?  Deux  escaliers  à 
balustres  de  chêne,  que  nous  avons  l'heur  d'y 
revoir,  étaient  déjà  de  mode  surannée  ii  l'époque 
attribuée  par  Germain  Brice  à  la  construction  de 
la  maison.  D'après  cet  historiographe,  la  maison 
de  la  rue  des  Sept-Voies  occupée  de  son  temps 
par  Frédéric  Léonard,  marchand  libraire  et  impri- 
meur ordinaire  du  i-oi,  avait  été  bâtie  en  1673 
par  son  père,  fameux  dans  la  même  partie.  Brice 
confondait,  selon  nous,  une  reconstruction  avec 
une  construction,  et  des  documents  inédits  viennent 
à  l'appui  de  notre  opinion.  Avant  l'année  1673 
Frédéric  Léonard  avait  déjà  en  cet  endroit  une 
maison  et  un  jeu  de  paume,  que  lui  avait  céûé 
à  titre  d'échange  Claude  Rotrou,  conseiller  et  {pro- 
cureur du  roi  ;  il  y  tenait  d'une  part  aux  grassins 
et  aux  religieux  de  la  Merci,  d'autre  i)art  à  la  maison 
de  la  Grande-Confrérie-aux-Bourgeois.  Il  faudrait 
donc  dans  le  bel  édilice  reconnaître  une  réparation 
complète  de  la  Chiche-Faee.  Quelle  transformation 
avantageuse  !  A  coup  sur,  la  propriété  était  vendue 
en  1768  par  Léonard  des  Malpeines,  conseiller  au 
Ghâtelet,  et  son  beau-frère  Chardon,  maître-des- 
requêtes,  intendant  de  marine,  à  Leguav  d'Haute- 
ville. 

François  du  Moutier,  principal  des  Grassins,  a 
laissé  à  sa  famille  la  maison  de  la  Cour-des-Bœufs, 
qui  attenait  à  son  collège  et  que  la  communauté 
de  provenance  rendait  solidaire  avec  l'hôtel  d'Albret, 
pour   le  cens  dû  à  l'abbaye    de  Sainte-Geiteviève. 


26  RUE  DES  SEPT-VOIES. 

La  marquise  de  Jussac  en  était  propriétaire  quand 
sonnait  la  dernière  heure  de  Louis  XIV.  Lejeune, 
officier  du  roi,  jouissait  des  mêmes  droits,  de  1732. 
à  i740.  Puis  est  venu  le  docteur  en  Sorbonne 
Antoine  de  Sarcey  de  Suttières,  que  le  cardinal  de 
Gesvres,  évéque  et  comte  de  Beauvais,  a  eu  pour 
grand-vicaire.  Son  frère,  Jacques  Sarcey  de  la 
Combe,  négociant  à  Lyon,  a  été  le  légataire  uni- 
versel de  ce  prêtre,  en  vertu  d'un  testament  reçu 
par  Jarry,  notaire  à  Paris,  le  17  avril  1768,  et 
l'exécution  de  ce  testament  a  été  consentie  par 
les  héritiers  légitimes  exhérédés,  dont  les  princi- 
paux s'appelaient  :  J.  B.  de  Suttières,  écuyer,  gentil- 
liomme-servanl  honoraire  du  roi;  M""'  Louise-Marie 
Sarcey,  veuve  d'Etienne  Chanony,  négociant  h  Lyon  ; 
J.  B.  de  Suttières- Sarcey,  ancien  officier  d'infan- 
terie, et  M"''^  Antoinette'  et  Jeanne  Sarcey,  tilles 
majeures,  ses  sœurs  ;  M"'*^  Claude  Simon,  veuve 
de  Jean  Sarcey  l'aîné,  négociant  h  Lyon  ;  Benoît 
Sarcey  ;  M«"*^  Claudine  Sarcey  ;  François  et  Philibert 
Sarcey,  autorisés  par  M*'  Pierre  Perrin,  procureur 
ès-cours  de  Lyon,  leur  curateur  à  conseil  nommé 
])ar  sentence  de  la  chambre  de  la  sénéchaussée 
de  la  ville  du  17  décembre  dernier.  Nomenclature 
d'autant  plus  intéressante  qu'elle  rappelle  à  Fran- 
cisque Sarcey,  notre  confrère,  des  parents  qui  ne 
lui  étaient  pas  encore  aussi  connus  ! 

Il  y  eut  place  aussi  dans  le  cul-de-sac  de  hi 
Coui"-(ies-Bœufs,  mais  plus  au  fond  du  sac,  pour 
le  séminaire  de  Saint-Hilaire,  oii  des  étudiants  en 
théologie  s'exerçaient  aux  cérémonies  du  culte. 
L'église  Saint-Hilaire,  qui  avait  une  porte  h  l'entrée 
de  la  rue  des  Sept-Voies,  était  connue  dès  le 
xii^  siècle  ;  Phiiippe-le-Bel  y  avait  annexé  un 
petit  hospice  pour  six  pauvres  femmes  de  bonne 
vie;   elle  a  été  démolie  en  1790. 

François-Vincent  Bazin,  chapelain  de  Sainl- 
Marcel,    supérieur    de    la  communauté  de  Saint- 


RUE  DES  SEPT-VOIES.  ■  27 

Hilaire,  avait  acheté  la  cour  d'Albret,  en  1718,  de 
la  présidente  Rouillé,  née  Bitault,  demeurant  au 
couvent  de  Bon-Secours,  rue  de  Charonne,  et  de 
sa  lille  mineure.  Les  six  corps-de-logis  que  concer- 
nait principalement  cette  mutation  permettent  de 
croire  que  tout  ce  qu'on  appelait  encore  l'hôtel 
d'Albret  y  passait.  Néanmoins  cela  pouvait  n'être 
que  l'ancienne  Ville-de-Barcelone.  Un  titre  authenti- 
que nous  dit  bien  que  la  cour  d'Albret,  qui  avait 
appartenu  à  François  Brisson,  en  la  censive,  justice, 
police,  voirie,  terre  et  seigneurie  de  l'abbaye, 
s'adjugeait  en  1686  a  Pierre  Rouillé  de  Marbeuf, 
conseiller  du  roi,  lieutenant-général  des  eaux-et- 
lorets,  auquel  nous  savons  de  bonne  part  que 
Rouillé,  président  au  grand-conseil,  succéda.  Mal- 
heureusement un  autre  document  donne  pour 
tenants  a  la  cour  d'Albret  également  une  maison 
aux  grassins  par-ci,  une  maison  au  président 
Rouillé  par-là. 

Collège  de  Reims.  —  Il  y  avait  déjà  près  de  cinq 
siècles  que  la  rue  des  Sept-Voies  avait  sept  dé- 
bouchés sur  ce  versant  de  la  montagne,  heptacorde 
vibrant  au  grand  air,  quand,  sous  le  règne  de 
Charles  VI,  le  testament  do  Guy  de  Roye,  archevêque 
de  Reims,  fut  ouvert  :  le  défunt  enjoignait  à  ses 
héritiers  d'établir  à  Paris  un  collège  de  Reims  et 
de  Réthel.  L'hôtel  de  Bourgogne,  situé  au-dessus 
de  l'église  Saint-Hilaire,  fut  acquis,  en  1412,  à 
cet  effet  pour  une  société  d'écoliers,  et  les  premiers 
bénéficiaires  de  ladite  fondation  champenoise  avaient 
l'honneur  d'être  sous  la  conduite  de  Gerson.  Né 
à  Réthel,  diocèse  de  Reims,  cet  auteur  présumé 
de  Ylmitation  de  Jésus-Christ  avait  fait  ses  études 
au  collège  de  Navarre  ;  comme  curé  de  Saint-Jean- 
en-Grève,  il  s'était  élevé  en  chaire  contre  la  doctrine 
de  Petit,  théologien,  qui  avait  essayé  de  justifier 
le  meurtre  du  duc  d'Orléans,  assassiné  à  la  porte 
Barbette.  L'influence  de  Gerson  dans    l'université 


28  RUE  DES  SEPT-VOIES. 

de  Paris  était  déjà  considérable,  avant  qu'il  y  eût 
succédé,  comme  chancelier,  à  son  ami  le  grand- 
maître  Pierre  d'Ailly. 

Voulez-vous  voir  la  porte  principale  de  cet  ancien 
collège,  dont  la  façade  sur  la  rue  des  Sept-Voies 
a  été  entièrement  refaite  en  1745?  Elle  répond  au 
chiffre  16.  La  somme  de  72,000  livres  était  énorme 
sous  Louis  XV,  et  surtout  au  pays  latin  ;  on  se 
demandait  donc  dans  quelle  caisse  puisait,  à  pleines 
mains,  le  docteur  en  théologie  François  Copettc, 
à  la  fois  principal,  procureur  et  chapelain,  pour 
appliquer  aussi  forte  dépense  à  une  reconslruc- 
tion  partielle.  Il  ne  suffisait  pas  à  maître  Copette, 
pour  la  défrayer,  d'économiser  deux  offices;  il  allait 
jusqu'à  ramener  à  pareille  unité  les  bourses  fon- 
dées à  trois  reprises  dans  la  maison  qu'on 
réparait:  mieux  valait,  après  tout,  subventionner 
quelque  temps  des  maçons  que  des  écoliers,  s'il 
fallait  retenir  ceux-ci  sous  un  toit  qui  se  refusait 
à  les  couvrir,  entre  des  murs  qui  commençaient 
eux-mêmes  à  faire  l'école  buissonnière.  Aussi  bien 
l'archevêque  de  Reims,  collateur  aux  bourses, 
avait  consenti  à  sauvegarder  l'avenir  de  l'institution 
aux  dépens  du  présent. 

Mais  avant  que  ce  prélat  ait  à  sacrer  un  nouveau 
roi,  les  petits  collèges  trop  endettés  doivent  être 
réunis  à  Louis-le-Grand.  Il  s'assemble  donc  un 
conseil,  par  ordre  du  parlement  de  Paris,  pour 
préluder  par  une  enquête  à  la  réduction  et  à  la 
centralisation  des  bourses  de  tant  de  fondations 
pédagogiques.  Or  le  recteur,  les  anciens  recteurs 
et  les  principaux,  qui  composent  ledit  conseil, 
veulent  nu  moins  qu'on  leur  présente,  qu'on  leur 
fasse  connaître  à  fond  l'unique  élève,  rara  avis, 
défrayé  par  le  collège  dont  toutes  les  autres 
bourses  sont  en  souffrance.  Comparaît  donc  un 
jeune  clerc  tonsuré,  arrivé  par  le  coche  la  veille 


RUE  DES  SEPT-VOIES.  29 

de  la  convocation,  et  il  se  nomme  Laurent  Modaine. 
Quand  il  aura  été  examiné  par  des  régents,  ce 
rhétoricien  de  province  ne  sera  reçu,  à  Paris, 
qu'élève  de  troisième  au  collège  de  Lisieux.  Il 
reste  toutefois  dix  autres  étudiants,  tant  en  théologie 
et  en  philosophie  qu'en  médecine,  en  physique 
et  en  droit,  paj'ant  loyer  de  leur  chamhre  au 
collège  de  Reims,  et  ils  ne  sont  pas  tous  ohligés 
d'en  sortir  pour  suivre  le  cours  objet  de  leurs 
études.  Les  professeurs  de  droit  ont,  en  effet, 
pris  à  bail  la  plus  grande  classe  de  la  maison, 
afin  d'y  donner  des  leçons,  et  d'autres  élèves, 
dans  une  autre  salle,  prohtent  des  leçons  de 
maître  Tranchant  du  Tret,  bachelier  en  théologie, 
qui  vise  à  entrer  en  Sorbonne;  la  chapelle  elle- 
même  sert  de  classe  à  un  maître  de  philosophie. 
Enfin  l'instituteur  Dubois,  locataire  d'une  bonne 
portion  des  bâtiments,  conduit  deux  fois  par  jour 
ses  trente-cinq  pensionnaires,  comme  élèves  externes, 
au  collège  de  Beauvais.  Le  principal  de  Reims, 
après  avoir  éditié  ces  messieurs  sur  l'état  de 
l'intérieur,  rend  un  compte  non  moins  fidèle  du 
revenu  de  11  maisons  formant  le  pourtour  du 
collège,  6  rue  de  Reims  et  rue  Chartière,  5  sur 
la  rue  des  Sept- Voies;  sa  place  pourtant  ne  lui 
rapporte  en  tout  que  1,374  livres  10  sous,  sur 
lesquels  250  livres  sont  retenues  pour  son  propre 
logement.  Le  conseil,  au  bas  du  mémoire  que 
lui  a  présenté  Copette,  écrit  :  «  L'état  de  ce 
collège  fournit  une  preuve  bien  sensible  et  bien 
convaincante  de  la  nécessité   de  la  réunion.  » 

La  grande  institution  Sainte-Barbe,  en  notre 
siècle,  a  établi  les  mathématiciens  qu'elle  prépare 
aux  examens  des  écoles  du  gouvernement,  dans 
la  plus  grande  partie  des  bâtiments  qu'avait  occupés 
Reims,   mis  en  vente  par  l'État  les   8    messidor 


80  RUE  DES  SEPT-VOIES. 

an  IV,  2  mai  et  8  août  1807.  L'ancien  collège 
Sainte-Barbe  a  été  pour  nous  le  sujet  de  recherches 
particulières  {i). 


(1)  Risloirc    de    l'ancienne    Sainte-Barbe    et    du    collège 
Rollin.   Iti-8,   1858. 


Rue    du     Jour. 


Le  collège  Fortefc  avait  une  petite  rente  sur 
une  maison  de  la  rue  du  Jour,  en  face  de  l'église 
Saint-Eustaclie.  Le  3  a  pourtant  fait  partie  de 
riiôtel  Chàteauneuf,  ouvrant  rue  Coquillière,  don- 
nant aussi  rue  Platrière  (Jean-Jacques-Rousseau)  : 
M.  de  l'Aubespino,  marquis  de  Chàteauneuf,  garde- 
des-sceaux,  en  était  le  propriétaire  dans  la  première 
moitié  du  wn"  siècle.  Le  marquis  de  Pourpre 
ou  de  Poulprie,  en  1167,  avec  M.  Gressu  de 
Saint-Marsault  pour  tenant,  du  côté  de  la  rue 
Coquillière,  et  M""'  Léger  de  la  Cour,  sur  l'autre 
flanc. 

L'hôtel  de  Royaumont  se  carre,  sur  le 
plan  de  Paris  en  1652,  auprès  de  l'église 
Saint-Eustache  ;  reconnaissons-le  donc  n"  4, 
avec  sa  grande  porte,  au  couronnement  flanqué 
de  deux  chiens  de  faïence  :  un  marchand  de  faïence 
et  de  porcelaine  y  laisse  grimper  du  lierre  sur 
une  des  faces  de  ia  cour.  Philippe  Hurault,  évêque 
de  Chartres,  ahbé  de  Royaumont,  fit  construire 
cet  hôtel  en  1612.  François  Montmorency,  comte 
de  Bouteville,  ne  tarda  pas  à  y  établir  une 
salle-d'armes,  où  se  réunissaient  les  raftinés  du 
point-d'honneur,  qui  s'y  entretenaient  la  main  en 
mettant  des  fleurets  h  la  disposition  do  tout 
brelteur  de  profession,  sauf  à  noyer  sa  raison 
dans  le  vin  s'il  tn  avait  encore  trop  pour  se 
faire  le  second  du  premier-venu.  Cet  illustre  duel- 
liste Bouteville.  père  du  maréchal  de  Luxembourg, 
affronta  jusqu'au  bout  les  édils  de  Louis  XIII 
contre  le  duel.  Forcé  de  se  réfugier  à  Bruxelles, 
après  une  rencontre,  il  revint    tout-à-coup,  pour 


3-2  RUE  DU  JOUR. 

se  battre  en  plein  jour  place  Royale,  où  il  avait 
Croixmart  pour  second.  Arrêté  dans  sa  fuite,  il 
paya  de  sa  tête  en  Grève  cette  forfanterie  suprême. 
M'"^  de  Boutcville,  qui  était  liu;4uenote,  passa 
galamment  le  veuvage  :  elle  couchait  dans  des 
draps  de  lin  écru  pour  paraître  plus  blanche. 
Toutefois  elle  épousa  Croixmart,  catholique  comme 
son  premier  mari. 

Un  grand  cabinet  littéraire  occupait  en  partie 
l'hôtel  de  Royaumont  au  moment  de  la  Révolution, 
et  l'archevêque  de  Cambrai,  en  tant  qu'abbé  de 
Royaumont,  touchait  le  prix  de  cette  location. 

Mais  il  y  eut  du  côté  opposé  un  petit  hôtel 
du  même  nom,  qui  a  donné  le  change  à  plus 
d'un  historiographe.  Il  était  contigu  à  l'habitation 
de  la  communauté  de  Sainte-Agnès,  ouvrant 
surtout  rue  Plàtrière.  On  y  retrouvait  les  ruines 
d'une  tour  du  mur  de  Paris  dû  à  Philippe- 
Auguste.  Un  autre  pan  de  la  même  enceinte  se 
dressait  chez  le  sieur  Legay,  alors  qu'il  disposait 
de  la  mai.son  qui  venait  la  cinquième  avant  la 
rue  Coquillière,  et  ce  tronçon  se  reliait  aux 
restes  d'une  autre  tour,  régnant  chez  Gilles,  rue 
Plàtrière. 

Une  tranche  de  ce  gâteau  de  pierre  avait  été 
concédée  par  la  Ville,  en  l'année  4574,  h  Jean 
du  Tremblav,  dont  la  propriété  appartenait  :  en 
1581  à  Martin  Ballet,  bourgeois;  en  1699  h 
Philippe  de  Laporte;  en  1729  à  Anjorrant,  con- 
seiller au  parlement  de  Paris  ;  en  1767  à  André 
Dufour,  seigneur  de  la  Nau,  ou  de  Lanneau, 
et  à  Anjorrant,  son  beau-frère.  Elst-ce  à  un 
prince  de  Lambesc  ou  à  la  viH€  de  ce  nom  que 
ladite  propriété  devait  la  qualification  d'hôtel  de 
Lambesc  ?  Elle  avait  eu  deux  portes  rue  du  Jour, 
avec  une  dans  la  rue  Montmartre  et  une  dans 
la  rue  Plàtrière;  mais,  Anjorrant  et  Dufour  ayant 
partagé,  la  maison  du  premier  donnait  rue  Mont- 


RUE  DU  JOUR.  33 

martre  et  celle  du  second  rue  du  Jour,  où  il 
séparait  les  religieuses  de  Sainte-Agnès  des 
héritiers  Danets,  qui  avaient  l'encoignure. 

En  ce  temps-là  M.  Mariette,  contrôleur-général 
en  la  grande-chancellerie,  était  propriétaire  sur 
la  même  ligne,  entre  l'abbé  de  Royaumont  et  les 
héritiers  de  Bèze  ;  mais  il  louchait  aussi  d'une 
part  et  dans  le  lond  à  la  succession  du  président 
Mallet,  propriétaire  d'un  cul-de-sac  par-derrière. 
Sa  maison  était  grande;  le  tailleur  Bucy  n'en 
était  pas  le  seul  locataire  ;  elle  avait  porté  l'image 
du  Cormier  et  plus  anciennement  la  dénomination 
du  Séjour.  Jean  Mariette,  libraire,  et  sa  femme, 
née  Coignard,  en  avaient  été  possesseurs  anté- 
rieurement; le  pâtissier  Coring,  sous  Louis  XIII, 
et  Pierre  de  Caen,  sous  Beurï  III.  Le  Séjour, 
qui  plus  est,  avait  valu  à  la  rue  Raoul-Roissolles 
du  siècle  XIII  le  nom  de  Séjour,  dont  Jour  n'est 
que  la  corruption. 

Je  te  salue  encore,  logis  du  roi,  inauguré  par 
Charles  V  sur  la  lisière  du  Paris  de  Philippe- 
Auguste,  et  que  les  historiographes,  à  l'unanimité, 
se  sont  plu  à  jeter  par  terre,  sans  jamais  donner 
une  date  à  celte  prétendue  démolition  !  Le  royal 
pied-à-terre  du  xiv'  siècle  n'est  pas  aussi  rasé 
qu'on  le  croit.  Un  escalier,  bordé  de  pilastres  eu 
bois,  et  les  beaux  dessus-dc-porte  des  paliers,  h 
tous  les  étages,  confirment  au  n"  25  un  droit 
d'aînesse  incontestable  sur  l'hôtel  des  abbés,  avec 
un  air  d'autorité  que  ne  sapent  pas  entièrement 
les  disgrâces  d'une  si  longue  occupation  populaire! 
Que  sera-ce  donc  si  vous  vous  arrêtez  à  deux 
flnes  colonnes,  dont  les  chapiteaux  forment  des 
têtes  de  béliers,  dans  la  cour?  Cela  indique  le 
style  delà  chapelle,  qui  était,  en  elîet,  contemporaine 
du  palais  Saint-Paul  et  de  l'hôtel  de  Sens.  Des 
mascarons    et   des    dorures    intérieures,    qui    ne 


34  ROE  DU  JOUR. 

remontent  qu'au  siècle  de  Louis  XIV,  sout  un 
fard  déjà  paie  et  n'en  dissimulant  que  plus  mal 
un  âge  beaucoup  plus  avancé. 

La  propriété  de  M.  Mariette  était  encore  à  ses 
hoirs  en  1784,  et  les  deux  latérales,  aux  hoirs 
de  Bèze,  à  l'abbé  de  Royaumont.  Mais  le  comte 
de  Montmort  et  le  marquis  de  Goursillon,  un  peu 
plus  tard,  avaient  l'intermédiaire,  si  ce  n'était  pas 
le  29.  Le  10  appartenait  alors  à  M.  de  Voypierre. 

Au  reste,  plus  d'une  maison  s'était  bâtie  sur 
les  dépendances  du  Séjour,  notamment  celle  où 
Mallet,  président  en  la  cour  des  Comptes,  avait 
pour  successeur  le  chevalier  Mallet  de  Ghanleloup, 
qui  résidait  rue  Plâlrière.  Propriétaires  avant  eux, 
même  endroit  :  le  bourgeois  Maupin,  en  l'an  1581, 
et  dame  Jeanne  Sanguin,  veuve  de  Jean  Goret, 
en  1574. 

Les  filîes  de  Sainte-Agnès  avaient  aussi,  en  quelque 
chose,  Charles  V  pour  prédécesseur  indirect.  La 
porte  d'une  crèche,  en  notre  rue  Jean-Jacques- 
Rousseau,  a  été  l'entrée  principale  deces  religieuses, 
tenant  une  école  de  filles  pauvres  et  une  pension 
de  jeunes  demoiselles,  qui  était  séparée  de  l'école. 
Léonard  de  Lamet,  curé  de  Saint-Eustache,  avait 
institué  leur  communauté  en  1678,  et  les  titulaires 
de  la  cure,  depuis  lors,  avaient  continué  à  veiller 
sur  sa  bonne  tenue.  La  grande  révolution  a  sup- 
primé cette  communauté,  que  Colbert  avait  gratifiée 
d'une  rente  de  500  livres,  dont  elle  avait  mis 
en  gage  le  contrat,  pendant  l'hiver  rigoureux  de 
1709,  atin  d'être  plus  secourable  aux  entants  con- 
fiés à  sa  garde. 

Le  dernier  curé  qui  l'ait  assistée  de  ses  conseils 
était  l'abbé  Poupart.  Il  habitait,  ir  2,  une  maison 
appartenant    â    la    fabrique    de     Saint-Eustache. 


RUE  DU  JOUR.  36 

Chaque  fois  que  les  membres  du  comité  révolution- 
naire de  la  section  du  Contrat-Social  vinrent  y 
voir  le  citoyen  Poupart,  c'était  pour  le  conduire 
à  la  Râpée  ou  à  la  Courtille  et  y  déjeuner  copieuse- 
ment à  ses  frais.  Si  le  pauvre  homme  avait  résisté, 
c'en  était  fait  de  sa  liberté  et  de  sa  vie. 


Rue     Laratte.  (d) 


Café  Hardy.  —  CériUti.  —  Le  Marquis  cCHertford. 

—  Laromiguière,  —  Dîner  de  t Exposition.  —  La 
fausse  Malibran.  —  La  Rue  qui  se  range.  — 
MM.    de   Rothschild.   —  M""""   de   Saint- Jullien. 

—  La  Reine  Hortense.  —  Hôtels  Laffitte  et  Thé- 
lusson. 


Riz  au  lait,  riz  au  gras,  cette  inscription 
figurait  sur  les  vitres  des  meilleurs  cafés,  et  ils 
ne  servaient  de  substantiel  que  des  potages  quand 
le  café  Hardy  imagina,  à  l'époque  du  Directoire, 
d'ajouter  à  l'indication  extérieure  :  et  déjeuners  à 
la  fourchette.  L'innovation  d'abord  était  timide  : 
elle  avait  surtout  trait  à  des  déjeuners  froids  ; 
mais  les  œufs  et  les  côtelettes  amenèrent  peu-à- 
peu  bien  des  limonadiers  à  se  faire  restaurateurs, 
à  l'exemple  du  pauvi'o  Hardy,  qui  a  fini  par  se 
couper  le  cou.  Son  café  avait,  du  reste,  commencé 
par  être  l'œil-de-  bœuf  des  affaires,  la  petite  Bourse 
escomptant  les  nouvelles  douteuses  et  la  coulisse 
des  spéculateurs  sur  les  fournitures  des  armées. 
Le  restaurant  de  la  Riaison-d'Or  a  pris  la  suite  du 
café  Riche,  dans  un  immeuble  qui  remplace,  depuis 


(1)  Notice  écrite  eu  1860,  pendant  que  bien  des 
pioches  frayaient,  au  travers  de  la  rue  Laffitte,  passage 
à  Ja  rue  Lafayetle,  en  ce  qu'elle  avait  de  noureau. 
Mais  la  rue  Olivier  ne  s'élargissait  pas  encore  aux  dépens 
des  derniers  numéros  de  la  rue  Laffitte,  pour  se  ])ro- 
longer  des  deux  bouts  et  pour  prendre  bientôt  le  nom 
du  cardinal  Fesch,  qui  avait  résidé  à  l'une  de  ses 
nouvelles  extrémités. 


RUE  LAFFITTE.  37 

4839,  l'ancien  hôtel  do  M'"^  Laferrière,  décédée 
au  milieu  du  règne  de  Louis  XVI.  La  même  rési- 
dence a  été  connue  au  comte  de  Stainville,  qui 
était  un  Choiseul  ;  M™«  Tallien  Ta  habitée  aussi, 
avant  de  passer  princesse  de  Chimay,  mais  après 
Cérutti,  dont  la  rue  a  porté  le  nom  de  1792  fi 
1814.  Cet  élève  relaps  des  jésuites,  rédacteur 
principal  de  la  Feuille  villageoise,  membre  de  la 
Commune  de  Paris  et  député  à  l'Assemblée,  est 
mort  dans  un  bon    lit    à  l'angle  de  sa  rue. 

Le  ci-devant  hôtel  d'Aubeterre,  dont  l'encoignure 
demi-circulaire  fait  vis-à-vis  à  celle-lJi,  ne  s'appelle 
plus  comme  d'anciens  maréchaux  de  France;  mais  le 
marquis  d'Hertlbi'd,  pair  d'Angleterre,  partout 
gentilhomme  accompli,  l'a  acheté  sous  la  Restau- 
ration, afin  de  ne  pas  déménager,  au  moment  où 
sa  mère,  qui  y  demeurait  avec  lui,  devenait  elle- 
même  propriétaire  au  coin  de  la  rue  Taitbout. 

Au  n""  10  ou  au  12,  l'an  vui  voyait  Laromiguière, 
qui  avait  publié,  au  fort  de  la  Terreur,  ses 
Éléments  de  Physique  à   Toulouse. 

Nous  croyons  que  le  16  n'était  pas  étranger 
au  grand  hôtel-garni  que  la  Révolution  avait  fait 
du  ci-devant  hôtel  de  Choiseul,  maiiilenant  occupé 
par  l'administration  de  l'Opéra,  et  dont  une  porte 
donnait  rue  Cérutti.  Un  passage  Laffîtte  s'y  trouvait, 
en  tout  cas,  avant  que  M.  Emile  de  Girardin, 
acquéreur  de  l'immeuble,  y  eût  pour  locataires 
les  fondateurs  du  Dîner  de  l'Exposition-Univer- 
selle.  Plutôt  qu'un  restaurant,  n'était-ce  pas  la 
banque  des  assignats  de  la  gastronomie?  Qu«> 
d'actionnaires  en  sortirent  ayant  faim  ! 

A  la  place  de  ce  restaurant,  où  l'on  mangeait 
si  bien....  l'argent  des  autres,  un  gymnase  erotique 
donnait  auparavant  un  autre  genre  de  leçon.  Bien 
que  les  exercices  n'y  fussent  pas  de  ceux  qui  se 
recommandent  aux    familles,    c'était    encore    pis 

'     3 


38  RUn  LAFFITTE. 

dans  un  corps-de-logis  qui  passait  pour  mieux 
habité,  à  rextrémité  du  passage,  alors  qu'une 
supercherie  odieuse  y  exploitait  la  vogue  si  méritée 
de  M™*^  Malibran.  Une  vieille  femme,  postée  au 
paradis,  assistait  fréquemment  aux  représentations 
des  Italiens,  et  elle  était  habile  h  distinguer  les 
étrangers,  fraîchement  débarqués,  dont  îe  talent 
de  la  prima-dona  portail  l'exaltation  au  comble. 
L'intrigante  heffée  s'arrangeait  pour  en  aborder 
au  moins  un,  dans  l'entr'acte,  en  se  donnant  pour 
la  parente,  pour  l'amie  de  la  cantatrice,  et  que 
n'osait-elle  pas  oftVir  !  Il  y  avait  toujours  rendez- 
vous  pris  au  passage  Laflitte,  et  l'amateur  s'y  rendait, 
au  sortir  du  spectacle,  tout  plein  d'orgueil,  quand  ce 
n'était  qu'un  sot,  mais  avec  hésitation  s'il  avait 
l'esprit  de  craindre  une  mystification.  N'en  arrivait-il 
pas  toujours  à  se  croire  le  plus  fortuné  des  galants 
quand  il  voyait  venir  la  duègne,  accompagnée  d'une 
femme  dont  la  taille,  les  traits  et  l'âge  se  rapportaient 
à  ceux  de  la  grande  artiste  ?  L'étranger  en  bonne 
fortune  vidait  sa  bourse  sans  regret,  et  souvent  il 
quittait  Paris  avant  qu'un  examen  plus  attentif  l'eût 
tiré  d'une  erreur  où  son  amour-propre  trouvait  son 
compte.  L'aventurière  abusait  de  sa  ressemblance 
avec  M""^  Malibran  jusqu'à  se  donner  pour  elle,  tout 
le  carnaval,  au  bal  de  l'Opéra,  et  à  ne  pas  même 
en  démordre  quand  le  Champagne  du  souper 
semblait  lui  délier  la  langue.  M.  de  Girardin,  en 
supprimant  le  passage,  n'a  pas  peu  contribué  à  la 
moralisation  de  la  rue  Laftilte. 

Elle  est  de  plus  en  plus  financière  et  de  moins 
en  moins  décolletée,  cette  avenue  du  quartier 
Bréda,  qui  lui-môme  se  modifie  sensiblement  en 
prenant  du  développement.  Lola  Montés,  qui  a 
donné  des  bals  par  souscription  au  n**  40,  et 
Mogador,  si  connue  à  Mabile  lorsqu'elle  était 
logée  au  52,  ont  des  couronnes  brodées  sur  leurs 
mouchoirs  ! 


RUE  LAFFITTE.  39 

Mais  reiournons  d'un   siècle    Ji    l'autre.    Après 
>!'"'=  Laferrière,  dont  la   propriété  tenait  plus   de 
place  que  la  Maison-d'Or,  venait  M.  de  la  Live   de 
July,  introducteur  des  ambassadeurs.  M.  ^'Aubeteire, 
proche    parent  des    d'Esparbès,    était,    comme    à 
l'entrée  de  la  rue,  propriétaire  aux  n"'  13  et  lîJ. 
En  face  demeurait  M.  de    Courmont,    régisseur- 
général   du  Trésor,  à    côté   M.    de  Saint-JuUien, 
trésorier  des  États  de  Bourgogne,  puis  receveur- 
général  des  rentes  du  clergé.   La  clientèle  ecclé- 
siastique de  ce  dernier  n'empêchait  pas  sa  femme, 
une  La  Toui-du-Pin,   de  s'amuser,  de  fréquenter 
Voltaire  et  de  sacrer  à  la  manière  des  bateliers 
du  coche  de    Vert-Vey^t.  Le  veuvage  ne  la  trouva 
pas  moins  philosophe  que    d'autres    inconstances 
de  l'amour.  Sa  90"'^  et  dernière  année   fut  1820. 
La  reine   Hortense,  bien  que  la  cour  consulaire 
l'eût    mise  plus  à  son   aise    que    la    cour  impé- 
riale, en  était  l'ornement   encoi'e    lorsqu'elle    se 
lixa  à    l'hôtel  Saint-Jullien.  Le  titre  de  reine  lui 
était  conservé,  malgré  sa  séparation  et  l'abdication 
de  son  mari.  Son  salon  devint  tout  de   suite    le 
rendez-vous  de  ce  qu'il  y  avait  de  plus  distingué. 
Elle  ne  suivit  pas    les    membres    de    la    famille 
Bonaparte,  dans  leur  premier  exil,  en  1814;  mais, 
ayant  contribué    au   revirement    des    Cent-Jours, 
elle  en  porta  la  peine  le  reste  de  sa    vie. 

Mieux  encore  qu'un  tel  souvenir,  un  des  rameaux 
de  l'arbre  des  Rothschild  protégecette  belledemeure: 
leur  greffe  de  Vienne  s'y  ente  sur  Paris.  M.  Anselme 
de  Rothschild  ne  veille  pourtant  que  de  loin  sur 
son  immeuble,  naguère  habité  par  M.  Salomon. 
Des  compagnies  de  chemins  de  fer  y  ont  établi 
un  réseau  de  sièges  administratifs,  qui  comptent 
l'espace  par  minutes,  comme  letempspar  kilomètres. 
Chez  M.  le  baron  James  de  Rothschild,  qui  fait 
souvent  des  affaires  avec  les  rois,  le  Trésor  royal 
avilit  ses  bureaux  avant  89,   et  dire  que  le  fonds 


iO  RUE  LAFFITTE. 

de  roulement  s'y  est  accru  considérablement,  en 
passant  d'un  souverain  à  un  particulier  !  Le  garde 
du  Trésor,  M.  Micault  d'Harvelay,  résidait  lui-même 
rue  d'Artois,  vis-à-vis  de  la  rue  Pinon,  maintenant 
Rossini,  aussi  près  de  ses  bureaux  que  l'est  M.  de 
Rothschild.  Naugude,  voisin  de  d'Harvelay,  précé- 
dait aux  n"'  23  et  25  :  le  général  Savary,  duc  de 
Rovigo,  ministre  de  la  police  sous  l'Empire,  M.  de 
Greff'ullie,  M.  Joseph  Périer,  qui  a  fait  bâtir  le 
devant,  entin  M.  James  de  Rothschild. 

Le  comte  de  Laborde,  banquier  de  Joseph  II,  a 
étrenné  l'hôtel  qui  vient  après  et  que  l'on  écorne 
à  cette  heure  pour  faire  place  à  une  rue  de  biais, 
reliant  le  boulevard  des  Capucines  à»la  Nouvelle- 
France.  Cet  inaugurateur,  que  n'a  pas  épargné  le 
tribunal  révolutionnaire,  était  un  honnête  homme, 
d'après  les  uns,  et  un  trop  habile  homme  au  dire 
des  autres.  Valet-de-chambre  du  roi,  puis  banquier, 
il  a  été  encore  plus  connu  par  ses  galanteries  el  ses 
œuvres  musicales.  Un  d'Escars,  chevalier  de  Malte, 
n'a  consenti  à  changer  de  vocation,  en  devenant  le 
gendre  de  ce  linancier,  que  pour  un  million,  plus  le 
gîte  et  la  table.  Substitué  aux  droits  que  Bouret  de 
Vézelay,  un  autre  linancier,  tenait  de  l'édilité  sur 
les  bords  de  l'égout  parallèle  au  boulevard,  M.  de 
Laborde  a  obtenu,  vers  la  fin  du  règne  de  Louis 
XV,  des  lettres-patentes  autorisant  le  percement 
de  la  rue  d'Artois,  dont  Cérutti  ne  fut  plus 
tard  le  parrain  qu'à  la  place  d'un  prince  du 
sang.  On  dit  que  le  même  Laborde  a,  dans 
l'origine,  affermé  l'hôtel  à  sa  maîtresse,  la 
Guimard,  mais  pour  peu  de  temps.  Il  ne  le 
vendit  en  1770  à  M'"'"  Loménie  de  Brienne  que 
pour  bientôt  rentrer  dans  ses  droits,  faute  de 
paiement.  La  duchesse  de  Mouchy  fut  un  acquéreur 
plus  sérieux;  elle  eut  pour  successeurs  :  l'architecte 
Rougevin,  les  époux  Mellier,  Jacques  Laflitte. 

La  révolution  de  1830,  à  laquelle  ce  dernier  avait 


RUE   LAFFITTE.  41 

tant  contribué,  valut  à  son  nom  la  popularité  de 
l'estampille  voyère  où  la  Restauration  avait  remis 
en  honneur  celui  du  prince.  Le  28  juillet,  les 
députés  de  l'opposition  s'étaient  réunis  dans  l'hôtel 
dont  Jacques  Laffitte,  leur  collègue,  était  proprié- 
taire depuis  huit  ans,  et  les  délibérations  y  avaient 
continué  jusqu'à  la  constitution  du  nouveau  gouver- 
nement. L'homme  politique  triomphait  un  moment; 
par  malheur  il  était  financier,  et  les  affaires 
souffraient,  depuis  plusieurs  années,  des  violences 
d'une  polémique  dont  les  tendances  remettaient  en 
question  les  principes  de  l'autorité.  Trop  de  passions 
révolutionnaires  étaient  déchaînées  pour  qu'une 
transaction  libérale  suffit  à  les  assouvir.  Aussi  le 
député  devait-il  promptement  rentrer  dans  l'opposi- 
tion, comme  devant  ;  l'auréole  du  martyre  lui  était 
décernée  en  raison  du  mauvais  état  de  ses  linances, 
qui  n'avait  nullement  attendu,  pour  se  produire, 
les  journées  de  Juillet.  Une  souscription  mémorable 
rachetait  son  hôtel,  pour  le  lui  rendre  à  titre 
de  don  patriotique.  Dans  Laffitte  s'incarnait 
bourgeoisement  le  centre-gauche,  dont  l'idéal  était 
assurément  le  meilleur  des  gouvernements,  mais 
qui  l'a  eu  plus  d'une  fois  pour  adversaire  sans 
s'en  apercevoir. 

La  rue  d'Artois  s'est  prolongée,  en  1823,  jusqu'à 
la  rue  Chantereine,  ou  de  la  Victoire,  en  faisant 
mordre  la  poussière  au  superbe  hôtel  Thélusson, 
dont  la  porte,  en  '  forme  d'arche  de  pont,  se  voyait 
du  boulevard.  M'"-  Thélusson  y  avait  reçu  somp- 
tueusement la  bonne  compagnie,  qui  en  avait  repris 
le  chemin,  sous  le  gouvernement  directorial,  quand 
le  Bal  des  Victimes  s'y  donnait  périodiquement 
par  souscription,  ainsi  qu'au  ci-devant  hôtel  Riche- 
lieu. L'État  avait  confisqué  la  propriété,  qui  n'était 
encore  en  1807  qu'un  hôtel-garni,  auquel  faisait 
concurrence  porte  à  porte  l'ancienne  résidence  de 
Laborde.  Puis  Murât  l'avait  habité;  Napoléon  ensuite 


42  RUE   LAFFITTE. 

l'avait  donné  à  rempercur  Alexandre,  pour  l'am- 
bassade de  Russie.  Eutlii  Bercliut,  naguère  tailleur 
au  Palais-Royal,  avait  acheté  l'immeuble,  et  tout 
le  (piartier  en  voulut  à  ce  spéculateur  alors  que 
disparut  le  beau  jardin  qui  distribuait  de  toutes 
parts  quelque  aperçu  de  sa  verdure,  puriliait  et 
ralraîcbissail  l'aii',  en  y  mêlant  des  senteurs  déli- 
cieuses. 

L'aimée  suivante,  ta  i-ue  lut  continuée  sur  le  terri- 
toire d'Ollivioi',  auquel  nous  consacrons  un  souvenir 
domestique  dans  la  rue  du  Faubourg-Monlmailre. 


Rue  Taitboiit.  (il 


liougainville,  Thénard,  Talleyrand,  M""^  Grandi, 
Parny,,de  Jouy,  les  Magny,  Le  Peletier  du 
Houssay,  Taithout,  La  Michodiêre,  Bouret  de 
Vézelay,  Fleurieu,  Ouvrard,  Ayuado,  Ed.  Re- 
naud, Dantan,  Lablache,  M^^'^  Déjazet,  AP^'-  Flore, 
l'ortoni,  de  Brancas,  lord  Seymour,  M""'  de 
Villoulreys,  Démidofl,   Angilbert   et  Guéras. 

Quand  la.  constitution  de  l'an  vjii  se  promulgua. 
Bougainville  et  Tliénard,  les  deux  savants,  logeaient 
au  cul-de-sac  dont  l'émancipation  n'avait  pas  encore 
faitla  ruedu  Helder.  L'Institul  donnait  à  Bougainville 
pour  collègue  le  premier-consul,  qui  devait  le 
nommer  sénateur,  comte  de  l'Empire  ;  il  avançait 
déjà  dans  ce  voyage  de  la  vie  qui  se  décomposa 
pour  lui  en  tant  d'autres,  et,  à  titre  de  fils  d'un 
échevin,  il  avait  de  bonne  heure  contracté 
des  liaisons  avec  la  famille  de  Taitbout,  greffier 
du  bureau  de  la  Ville.  Ces  relations  suivies  avaient 
même  fait  attribuer  au  grand  navigateur  un  Essai 
sur  Vile  d'O-J'aïti,  qui  était  l'œuvre  d'un  Taitbout. 
Les  croisées  de  Thénard  et  de  Bougainville 
donnaient  à  la  fois  sur  la  rue  Taitbout  et  sur 
son  impasse. 

M.  de  Talleyrand,  autre  membre  de  l'Institut, 
sortait  fréquemment  à  cheval  du  n"  30  de  la  rue, 
précédemment  hôtel  d'Orsay,  avec  M'"-  Grandt, 
une  Indienne,  veuve  d'un  administrateur  de  la 
compagnie  des  Indes.  Le  ministre  du  Directoire, 


(1)  Notice  écrite   en   1858. 


44  '         HUE  TAITBOUT. 

ayant  donné  sa  démission  à  temps,  revenait  aux 
affaires  grâce  au  18  Brumaire.  Le  premier-consul 
vit  d'abord  avec  l'indifférence  d'un  Athénien  que 
l'ancien  évèque  d'Autun  donnât  à  des  femmes, 
en  public,  le  bras  auquel  était  contié  le  portefeuille 
des  relations  extérieures  ;  il  ne  dit  qu'après  rétlexion 
à  son  ministre  :  — Finissez-en  avec  M"""  Grandi.... 
M.  de  Talleyrand,  n'étant  pas  homme  à  se  com- 
plaire aux  longs  attachements,  se  proposait  pré- 
cisément de  rompre  ;  mais,  dans  le  désir  qu'il 
avait  de  n'obéir  et  de  ne  désobéir  qu'incom- 
plètement ;\  l'ordre  ainsi  reçu,  il  trouva  un  biais  : 
le  mariage.  Le  contrat  fut  signé  sans  bruit, 
comme  un  testament,  rue  Taitbout.  Un  bref  de 
Pie  VII,  il  est  vrai,  relevait  peu  de  temps  avant, 
ou  peu  après,  l'homme,  d'église  de  ses  premiers 
vœux  ;  seulement,  la  question  de  l'hyménée  n'y 
étant  que  sous-entendue.  M,  de  Talleyrand  ne  fit 
accueillir  qu'avec  difficulté  M"""  Grandt  aux 
Tuileries. 

Macdonald  et  Français  de  Nantes  avaient  un 
peu  plus  lard  leur  protégé,  félégiaque  et  l'erotique 
Parny,  dans  l'ancienne  maison  du  ci-devant  mar- 
([uis  de  Mesnil.  C'était,  ma  foi,  le  n"  25,  où  un 
autre  homme  d'esprit,  Nestor  Roqueplan,  avec 
délices  Parisien,  né  au  surplus  dans  le  3Iarais, 
a  pris,  avec  un  intervalle  de  quelques  lustres, 
la  survivance  du  poète  qui  a  pleuré  souvent  avec 
les  femmes,  mais  badiné  toujours  avec  les  dieux. 
Le  faubourg  Poissonnière,  au  reste,  fut  aussi 
habité  par  M.  de  Parny,  auquel  Napoléon  Unit 
par  accorder  une  rente  de  3,000  fr.  :  pension, 
pensionnaire  et  Empire,  tout  s'éteignit  en  même 
temps. 

Il  ne  lallut  pas  loin  courir  pour  remplir  à 
l'Académie  le  fauteuil  devenu  vacant.  M.  de  Jouy, 
dont  le  couvert  n'était  plus  mis,  avec  ceux  de 
Jay  et  de  Tissot,  aux  déjeuners  de  Savary,  dans 


RUE  TAITBOUT.  45 

le  lulur  hôtel  Laflitte,  n'en  vivait  pas  moins  eji 
ermite  de  la  Cliaussée-ti'Antin,  au  67  de  notre 
rue.  Mais  elle  s'appelait  parla  rue  des  Trois- 
Frères,  le  percement  en  étant  dû  h. l'année  1778, 
sur  l'initiative  de  M.  Magny  de  Maisoniieuve,  avocat, 
et  de  ses  deux  frères.  Le  père  Murger,  portier  de 
l'académicien,  était  tailleur  ;  il  a  doinié  le  jour 
à  Henry  Murger,  le  l)oliême  par  excellence  de  la 
littérature.  On  ne  remarquait  dans  la  rue  des 
Trois-Frères  que  la  maison  Castéra  (Brunet  fecit 
1802)  et    la  maison   Biteaux  (Blanchard,  1795). 

Pour  mettre  en  communication  la  rue  Taitbout 
primitive  avec  celle  des  Trois-Frères,  M.  Le 
Peletier  du  Houssay  avait  ouvert,  en  même  temps  que 
celle-ci,  la  petite  rue  du  Houssay.  L'unification 
trinitaire  est  de  18S3. 

La  rue  Taitbout  d'auparavant  n'avait  sur  les 
deux  rues  y  faisant  suite  que  trois  ans  de 
primogéniture  ;  celles  d'Artois  (Laflitte)  et  de 
Provence  étaient,  au  contraire,  ses  aînées  de 
plusieurs  années.  L'autorisation  manquait  encore 
au  projet  de  la  former  quand  Jean-Bapliste-François 
de  la  Michodière,  chevalier,  comte  d'Hauteville, 
prévôt  des  marchands,  et  ses  échevins,  vu,  la 
requête  présentée  au  roi  par  Bouret  de  Vézelay, 
trésorier-général  de  tartillerie  et  du  génie,  pour 
obtenir  d'ouvrir  une  nouvelle  rue  sur  un  terrain 
acquis  par  lui  à  titre  d'emphycêose  des  Religieuo; 
Mathurins  à  droite  du  chemin  de  la  Grande-Pinte 
dite  Chaussée  d'Antin,  laquelle  rue  prendrait  son- 
ouverture  sur  le  Rempart,  vers  Vissue  de  la  rue 
de  Grammont ,  entre  la  rue  d'Artois  et  la  Chaussée 
d'Antin,  à  travers  un  terrain  appartenant  p^^oprié- 
tairement  audit  sieur  Bouret  de  Vézelay  et  tenant 
audit  Rempart,  serait  continuée  sur  ledit  terrain 
acquis  des  Mathurins  au  grand  égout,  ainsi  qu'elle 
est  tracée  sur  le  plan  joint  à  ladite  requête, 
demandaient  que  la  nomination  de  cette  rue  leur 


46  RUE  TAITBOUT. 

fût"  réservée  si  Sa  Majesté  n'y  pourvoyait  pas 
par  ses  arrêt  et  lettres-patentes.  Il  souriait  aux 
édiles  d'en  choisir  le  parrain  dans  la  famille 
municipale,  et  le  greffier  du  bureau  de  la  Ville 
eut  l'honneur  de  fixer  leur  choix. 

Quant  Li  Bouret,  qui  mourut  secrétaire  du  roi 
en  1777,  il  ne  fut  pas  le  seul  fermier-général  de 
son  nom.  Le  père  de  ce  financier  avait  été  laquais 
de  Ferriol,  ambassadeur  à  la  Porte,  et  avait  épousé 
une  fenniie-de-chambre  de  M""'  Ferriof.  Sa  famille 
possédait  encore  le  n"  9,  dans  la  seconde  moitié 
du  règne  de  Louis  XVI,  et  deux  maisons  peu 
importantes,  que  séparait  l'une  de  l'autre  l'hôtel 
du  comte  de    Vasan,    h-peu-près  en  face  du  25. 

Il  y  eut  aussi,  avant  la  Révolution,  un  hôtel  de 
Caumont  rue  Taitbout.  M.  de  Fleurieu  était  au 
n"  20  :  il  ne  devint  ministre  de  la  marine  qu'en 
1790,  et  lorsqu'il  cessa  de  vivre,  vingt  ans  après, 
il  était  sénateur,  membre  de  l'Institut.  M""'  de 
la  Live  se  trouvait  au  40,  mis  depuis  lors  en 
communication  avec  l'hôtel  qui  le  touche  par- 
derrière.  La  banque  d'Ouvrard,  fameux  munition- 
naire,  occupa  le  n"  11,  mais  à  partir  du  Directoire. 

Une  petite-maison  du  dernier  siècle  figurait  bien 
encore,  sous  Louis-Philippe,  au  n°  44  :  un  salon 
y  formait  rotonde  à  l'angle  des  rues  Taitbout  et 
de  Provence.  M.  Aguado  y  meubla  une  danseuse 
de  l'Opéra  et  ajouta  le  contenant  au  contenu  en 
la  rendant  propriétaire.  Lorsqu'un  autre  acquéreur 
voulut  augmenter  le  re'^enu  de  l'immeuble,  un 
tour  de  force  s'y  exécuta  :  le  locataire  du  premier 
continuait  à  dormir  sur  les  deux  oreilles,  pendant 
qu'on  refaisait  deux  étages  sous  le  sien  et  qu'on 
le  surchargeait  de  trois  étages  supérieurs.  Les 
amateui's  y  apprécient  les  bas-reliefs  qui  surmontent 
tes  croisées,  et  le  vestibule  de  la  cour  présente 
lui-même  un  beau  travail.  L'honneur  en  revient  à  M. 
Ed.  Renaud,  contrôleur  en  chef  des  grands  travaux 


RUE   TAITBOUT  .J7 

de  la  Ville,  qui  en  aroliitecture  esl.  un  artiste.  Quel 
joli  logement  il  occupe  en  liaut  de  la  maison  ! 
On  y  remarque  une  cheminée,  pleine  d'originalité, 
où  goutîlent  deux  petits  démons  ;  plus  haut  est 
l'Amour  qui  s'échappe,  après  avoir  allumé  son 
flambeau  :  il  fuit  le  foyer  domestique,  oîi  il  n'a 
pas  briîlé  ses  ailes,  car  une  glace  les  montre  tout 
ouvertes.  Dantan  jeune,  ami  de  M.  Renaud,  n'a 
pas  craint  de  commettre  un  calembour  de  plus, 
en  disant  de  cette  œuvre  d'art:  —  Quand  tu  feras, 
mon  cher,  un  autre  Amour,  ne  lui  mets  plus  le 
derrière  à  la  glace  ! 

Le  16  doit  être  bien  bâti,  car  le  gros  Lablache 
y  logeait.  M""  Déjazet,  ce  '  colibri  de  la  scène, 
pèse  infiniment  moins  au  5.  M"''  Flore,  sous  l'Em- 
pire, a  été  mise  dans  ses  meubles  par  un  gros 
fermier  de  la  Brie,  au-dessus  même  de  Tortoni. 
Le  propriétaire  de  l'immeuble  était  alors  M.  Mailet, 
qui  n'y  avait  pas  succédé  directement  à  M.  de 
la  Reynière.  Tortoni,  mort  en  1822,  avait  fondé 
pendant  la  République   son  illustre  établissement. 

L'ancien  hôtel  de  Brancas,  au  coin  du  boulevard, 
recevait  naguère  le  dernier  soupir  de  lord  Seymour, 
le  dandy  populaire  des  carnavals  parisiens  d'avant 
Chicard  et  d'avant  Gavarni.  La  marquise  d"Heitford, 
mère  de  milord,  avait  acheté  l'immeuble  qui,  d'après 
l'acte  du  notaire  Dehérain,  en  date  du  lo  mai 
1825,  pi'ovenait  de  la  Nation  cl  des  matliurins. 
Les  religieux  mathurins  avaient  vendu  à  Bouretde 
Vézelay  le  terrain  sur  lequel  MM.  de  Brancas- 
Lauraguais  avaient  fait  bâtir,  et  Tliôtei  avait  pu, 
comme  bien  d'émigré,  revenir  à  l'État,  substitué 
du  reste  aux  mathurins,  qui  n'avaient  pas  aliéné  la  tota- 
lité de  leurs  droits.  Toujours  est-il  que  Trudaine  et 
Charles  de  la  Sablière  s'étaient  i-endus  propriétaires 
de  la  maison  et  de  ses  dépendances  en  lévrier 
1792.  MM.  Lcfeuve  et  Habert,  prédécesseurs  de  la 
marquise,  avaient  donné  en  échange  la   terre  de 


48  RUE   TAITBOUT. 

la  Jonchère  h  la  comtesse  de  Villoutreys,  épouse 
divorcée  du  général  Rapp  en  premières  noces,  et 
cette  dame  avait  eu  pour  vendeurs  en  juillet  1820 
M.  Le  Cornu,  comte  de  Balivière,  et  sa  femme, 
née  Bouvard.  Dans  l'appartement  de  lord  Seymour, 
le  prédécesseur  de  sa  mère  avait  été  le  baron 
Cardon,  qui  venait  lui-même  après  le  comte 
Nicolas  Démidoff,  dont  un  flls  épousa  en  1840 
la  princesse  Mathilde  Bonaparte.  Angilbert  et  Guéras 
avaient  cependant  ouvert  au  rez-de-chaussée  le  café 
de  Paris,  plus  salon  à  manger  que  restaurant, 
haut  de  plafond  comme  dans  un  château,  et  il 
était  de  meilleur  ton  de  s'y  montrer  qu'en  tout 
autre  cabaret  du  monde.  Ce  lion  des  cafés  a  vécu 
36  ans  :  tous  les  lions  meurent-ils  aussi  vieux  ? 
Trop  gentilhomme  pour  laisser  des  économies, 
il  avait  encore  fait  plus  de  réputations  qu'il 
n'avait  contribué  à  défaire  de  fortunes. 


Rue  et  Quai  des  Grands-Aiigiisiitiiis.  — 

Rues   Git-le-CcBur 

et    de     FHirondelle.     (i) 


Le  Couvent  des  Grands- Augustins .  —  Les  Hôtels 
cVHcrcule,  de  la  Salamandre,  de  Savoie,  d'O, 
de  Luynes,  des  llhar ités- de- Saint- Denis ,  de  Saint- 
Louis,  Lecoigneuœ,  de  Con flans  et  de  Bussy.  — 
Les  Collèges  d'Autun  et  de  Saint-Denis.  —  Et 
leur  Entourage. 

Avant  que  Philippe-le-Bel  fît  établir  le  quai  où 
nous  aboi'dons,  des  saules  y  bordaient  la  Seine 
de  leurs  troncs,  souvent  creux,  et  de  leurs  branches 
flexibles.  Le  siècle  suivant  y  vit  les  augustins 
succéder  à  des  frères  de  la  Pénitence-de-Jésus- 
Christ,  dits  sachets,  que  saint  Louis  y  avait  placés. 
Les  nouveaux-venus  avaient  été  voisins  de  la  porte 
Saint-Bernard  et  de  la  porte  Montmartre  ;  leur 
monastère  délinitif  ne  s'acheva  que  sous  Charles  V. 
De  l'histoire  de  France  fait  pai'lie  celle  du  couvent 
dont  nous  nous  entretenons,  dépositaire  des  archives 
des  ordres  de  la  noblesse  et  des  ordres  du  roi  : 
les  assemblées  du  clergé  s'y    tenaient,    Henri  III 


(1)  Notice  écrite  en  J8C0.  Le  marché  (le  la  Vallée  a 
été  supprimé  depuis,  et  maintenant  la  volaille  se  vend 
principalement  aux  Halles  centrales,  La  foimalion  d'une 
uouvelle  place  Saint-Michel  a  fait  tomber  les  premières 
maisons  du  quai  des  Grands-Augustins  et  presque  toutes 
celles  de  la  rue  de  l'Hirondelle,  qui  ne  serait  plus 
qu'une  impasse  de  la  rue  Gît-le-Cœur  sans  les  arcades 
qui  la  relient  à   la  place,  comme  un  passage. 


50    RUE  ET  QUA[  DES   rrRANDS-AUGUSTINS. 

y  présida  le  chapitre  des  chevaliers  du  Saint- 
Esprit,  Marie  de  Médicis  y  lut  saluée  régente,  la 
chambre  des  comptes  et  plusieurs  chambres  de 
justice  en  occupèrent  les  grandes  salles.  Ainsi 
furent  condamnés  en  1716  aux  Augustins,  comme 
coupables  de  malversations,  les  traitants  GeolTrin, 
Leriche,  Luillier,  Aviat,  Grozat,  Poisson,  Daugny, 
Hénault,  Rouillé  et  autres  ;  mais  leur  maitôte, 
une  lois  les  taxes  payées,  déshonorait  moins  les 
coupables  que  s'ils  avaient  volé  des  objets  de 
peu  de  valeur  à  des  particuliers.  De  l'église, 
dédiée  à  sainte  Anne  en  1443,  où  furent  enterrés 
Philippe  de  Commines,  Réiny  Belleau,  le  seigneui' 
de  Pibrac,  Eustache  de  Caurroy,  et  qui  longeait 
le  quai  à  l'endroit  occupé  par  le  marché  à  la 
volaille,  rien  ne  reste  debout.  Les  religieux  du 
crû  n'ont  pas  même  juslihé,  en  1790,  de  l'envie 
de  résister  que  supposait  ce  vers  de  Boileau  : 

J'aurais    fait   soutenir    uu    siège    aux    Augustins. 

11  subsiste  pourtant  uu  assez  bon  nonjbre  des 
maisons  qui  formaient  le  pourtour  et  les  dépendances 
du  monastère;  les  murs  de  son  réfectoire  s'y 
reconnaissent,  qui  plus  est,  sur  le  derrière,  entre 
les  rues  du  Pont-de-Lodi  et  Christine.  Le  surnom 
de  la  Vallée  s'appliquait  déjà  sous  l'ancien  i-égime 
à  la  portion  du  quai  des  Augustins  où  se  vendaient 
en  plein  vent,  le  long  de  l'église,  le  beurre,  les 
œuls  et  la  volaille.  Il  y  stationnait,  dès  1691,' 
des  calèches  attelées,  qu'on  prenait  à  20  sols 
l'heure. 

Quelques-unes  des  fenêtres  qui  donnent  sur  le 
([uai,  entre  le  marché  actuel  et  la  rue  Dauphine, 
doivent  avoir  ("clairé  le  travail  de  Bérey,  enlu- 
mineur du  roi  il  l'enseigne  des  Deux-Glol)es,  dont 
le  plan  de  Paris  se  dessinait  avant  la  mort  de 
Mazarin.  Une  dame  ïiuchet,  qui,  du  temps  de 
Necker    et    de  Turgot,  regardait  l'eau  couler  au 


RUES  GIT-LE-COEUR  ET  DE  L'HIRONDELLE.  51 

même  endroit,  sans  sortir  de  cliez  elle,  et  qui 
se  faisait  vieille,  avait  été  la  Hautier  de  l'Opéra. 
Difficile  de  reconnaître  en  cette  bonne  femme  une 
beauté,  qui  avait  eu  tanfde  galants  à  ses  trousses  î  On 
eût  dit  qu'elle  oubliait  tout,  voire  même  la  nuit 
où  le  prince  de  Carignan,  son  amant  en  titre, 
avait  surpris  au  lit,  dans  l'appartement  dont  il 
avait  une  ciel',  le  fermier-général  Leriche  de  la 
Popelinière,  brutalement  tiré  de  bonne  fortune,  puis 
exilé  pour  trois  mois  h  Marseille  par  une  mission 
du  cardinal   Fleury. 

A  l'autre  angle  de  la  rue  des  Grands-Augustins 
se  carrait,  sous  François  P'',  le  grand  logis  du 
chancelier  Duprat,  qui  le  tenait  de  Louis  \ll  et 
que  remplaçait  le  prévôt  Nantouillet  sous  les 
règnes  suivants.  C'était  l'hôtel  d'Hercule,  à  cause 
de  peintures  ou  de  tapisseries  qui  représentaient 
à  l'intérieur  les  travaux  de  ce  demi-dieu.  »  En 
septembre  1573,  dit  l'Estoile,  j  ai  vu  nos  trois  rois, 
celui  de  France,  celui  de  Pologne,  celui  de  Navarre  ; 
ils  mandèrent  à  IVantouillet,  prévôt  de  Paris,  qu'ils 
voulaient  aller  prendre  la  collation  chez  lui,  comme 
de  fait  ils  y  allèrent,  quelques  excuses  que  sût 
alléguer  Nantouillet  pour  ses  défenses.  Après  la 
collation,  la  vaisselle  d'argent  de  Nantouillet  et  ses 
coffres  fusrent  touillés,  et  disait-on  dans  l>aris 
qu'on  lui  avait  volé  plus  de  cinquante  mille 
livres.  »  Procéder  ainsi  par  surprise,  même  pour 
se  faire  justice,  était-ce  digne  de  tout  auti-e  roi 
que  de  celui  qui  avait  présidé  à  la  Saint-Barthélémy  '/ 
L'hôtel  de  Nemours  a  pris  la  place  de  celui  d'Her- 
cule, en  en  retenant  beaucoup  plus  qu'un  pavillon. 
Mais  de  c.ette  conversion  étaient  indépendantes 
deux  maisons  qui  appartenaient,  sur  la  tin  du 
règne  de  Louis  XIV,  à  Forget,  comte  de  Bruillevcrt, 
grand-maître  des  eaux-et-forêts,  avec  porte  sur 
le  quai  et  porte  sur  la  rue.  Un  peu  plus  loin  des 
Augustins,    mais    aussi    près    de    la  rivière,  les 


5-2    RUE  ET    QUAI  DES  GRANDS-AUGUSTINS. 

d'Ourset,  correcteurs  des  comptes  de  père  en  fils, 
touchaient  à  Guérin  d'un  côté  et  de  l'autre  au 
marquis  de  Novion,  époux  en  secondes  noces  d'une 
Le  Boulanger. 

Aujourd'hui  se  remarque  davantage  une  façade, 
décorée  de  jolis  dessus-de-croisées  et  sur  laquelle  se 
prend  la  devanture  de  la  librairie  académique  de 
Didier,  h  l'angle  de  la  rue  I^avée  (i).  Le  procureur 
Martin  acquérait,  en  4700,  des  familles  Feydeau  et 
Montholon,  cette  propriété  et  la  contiguë,  que 
décore  le  balcon  d'un  appartement  qui  fut  celui 
du  mathématicien  Laplace,  sous  le  Directoire.  L'autre 
angle  de  la  même  rue  passait,  sous  Louis  XIV  et 
sous  Louis  XV,  de  Revelois  en  Revelois  :  l'un  d'eux 
était  marchand  rue  Sainl-Denis,  ce  qui  n'empêchai! 
pas  tantôt  un  avocat,  tantôt  un  médecin,  de  se 
qualifier  M.  de  Revelois,  seigneur  de  Buire,  dans 
les  actes.  I^ierre  Martin,  sieur  de  la  Guette,  maître- 
des-comptes,  avait  une  maison  à  côté,  mais  résidait 
rue  Saint-Avoye.  Émery,  libraire,  en  tenait  deux 
autres  de  Saint-Simon,  marquis  de  Sandricourt, 
et  de  Lemaistre  de  Bellejamme,  conseiller  au 
parlement;  ses  affaires  devenant  mauvaises,  patatras! 
expropriation.  Bailly,  doyen  de  la  chambre-des- 
comptes,  était  propriétaire  au  coin  de  la  rue  Gît- 
le-Cœur,  un  peu  avant  l'avènement  de  Louis  XVL 

Mais,  un  instant  !  ne  passons  pas  devant  le  n°  2S, 
où  la  Salubrité  eut  ses  bureaux  sous  Louis- 
Philippe,  sans  vous  dire  que  son  origine,  malgré 
cela,  fut  d'un  logis  royal,  l^rançois  L'  le  lit  con- 
struire, po'ur  s'y  rapprocher  d'un  hôtel  habité  par 
la  duchesse  d'Étampes. 

Ce  dernier,  qui  se  revoit  encore  dans  la  rue  de 
l'Hirondelle,  s'étendait  jusqu'à  l'autre    encoiguure 


(1)  On    dit   présentement   rue    Ségiiier. 


RUES  GIT-LE-COEUR  ET  DE  L'HIRONDELLE.  r,3 

do  la  rue  Gît-le-Ccjeur.  Seulement  la  rue  de  Hu- 
repoix  n'était  pas  encore  absorbée  par  le  quai 
parallèle,  qui  devait  s'en  incorporer  avec  le  temps 
tout  un  côté,  dans  ces  parages.  Une  Salamandre 
est  restée  le  signe  caractéristique  de  celte  maison 
historique,  achetée  par  le  roi-chevalier  pour  faire 
plaisir  à  sa  maîtresse,  qui  y  demeurait  déjà,  et 
décorée  en  l'honneur  de  la  belle  de  peintures  îr 
fresque,  de  tapisseries  et  de  devises,  dont  il  ne 
reste  rien  de  plus  tangible  que  de  la  salle  de  bain 
et  du  jardin.  L'auguste  amant  aurait  pu  y  doinier 
Il  la  fameuse  inscription  gravée  de  sa  main  sur 
vne  vitre  cette  variante:  Souvent  maison  varie! 
Celle-là,  en  effet,  avait  appartenu  à  Louis  de 
Sancerre,  connétable  de  France,  dont  les  prédé- 
cesseurs y  avaient  réuni  le  séjour  des  évêques  de 
Chartres  ;  Deuvet,  maître-des-requêtes,  avait  ajouté 
h  cela  une  maison  en  regard  d'une  ruellette  qui 
descendait  à  la  rivière. 

Après  avoir  favorisé  dé  royales  amours,  le  tout 
se  divisa  en  hôtel  d'O,  dont  une  porte  se  retrouve 
au  5  de  la  rue  Gît-le-Co'ur,  et  en  hôtel  de  Luynes, 
duquel  a  dépendu  le  n"i7  du  quai.  Le  chancelier 
Séguier,  pendant  la  Fronde,  pensa  y  être  assassiné; 
mais  des  soldats,  déguisés  en  ma(,;ons,  n'y  décou- 
vrirent pas  sa  cachette,  dans  une  cham>bre  où  son 
frère  l'évêque  de  Meaux,  réfugié  avec  lui,  se  hâtait 
de  le  confesser  :  les  assaillants  s'en  consolèrent 
en  saccageant  le  reste  de  la  maison.  Le  mariage 
de  la  fille  du  chancelier  avec  le  duc  de  Luynes 
réunit   un  hôtel  à  l'autre  encore  une  fois. 

Dix  lots  en  étant  faits  par  x\lbert  de  Luynes, 
duc  de  Chevreuse,  l'année  1671,  l'un  convint  à 
Berrier,  secrétaire  du  conseil,  et  de  nouvelles 
constructions  commencèrent,  mais  en  respectant 
le  plus  possible  des  anciennes  :  circonstance  oubliée 
toujours  par  les  auteurs  des  ouvrages  sur  Paris, 
qui  n'aiment  pas  h  tenir  compte  de  la  répugnance 

i 


54    RUE  ET  QUAI  DES  GRANDS-AUGUSTINS. 

que  nos  pères  avaient  pour  la  démolition.  Berrier, 
lieutenant-depoliee,  hérita  donc  le  5,  Gît-le-Cœur, 
de  son  grand-père.  Un  hôtel,  nouvellement  dit 
de  Saint-Louis,  s'étendait  rue  de  l'Hirondelle 
et  comportait  sans  doute  la  Salamandre,  mais  avec 
une  entrée  rue  Gît-le-Cœur  ;  il  fut  adjugé  en  1689 
au  duc  de  Nivernais,  ministre  d'État,  lieutenant- 
général,  académicien,  etc.,  qui  demeurait  rue  de 
Tournon,  Les  ïhumery  de  Boissise,  que  nous  avons 
vus  rue  Barbette,  et  M.  de  Lespine,  le  premier 
acquéreur  d'un  des  dix  lots,  divers  membres  de  la 
cour  des  comptes  et  Gueffier,  imprimeur-libraire, 
avaient  aussi  pignon  sur  cette  rue,  qui  devait  son 
nom  à  Gilles  Cœur,  ou  bien  h  Gilles,  queux  du 
roi. 

Ne  quittons  pas  celle  de  l'Hirondelle  sans 
reconnaître  en  ses  n"'  23,  25  et  27  l'ancien  collège 
d'Autun,  dont  une  face  regardait  l'église  Saint- 
André-des-Arts,  mais  qui,  dans  le  sens  opposé, 
confinait  à  une  maison,  portée  h  son  avoir,  baillée 
en  location  et  décorée  de  l'image  patronale  delà 
rue,  une  Hirondelle.  Cette  pédagogie  a  été  fondée 
en  1341  par  le  cardinal  Bertrand  ;  deux  autres 
bienfaiteurs  de  l'institution  ont  été  Oudart  de 
Molins,  président  en  la  chambre  des-comptes  sous 
Charles  VI,  et  André  de  Sauséa,  évéque  de  Bethléem 
et  principal  du  collège  sous  Louis  XIIL  Après 
la  réunion  des  petits  collèges  à,  Louis-le-Grand, 
on  a  mis  au  collège  d'Autun  l'École  gratuite  de 
dessin,  pour  ne  la  transférer  qu'en  1770  ti  Saint- 
Gôme,  où  elle  est  encore. 

Le  cardinal  Bertrand  n'avait  connu  le  quai  voisin 
que  sous  la  dénomination  de  rue  de  Seine.  Quant 
à  la  rue  des  Grands-Augustins,  elle  a  été  celle 
à  l'Abbé-de-Saint-Denis,  aliàs  des  Écoliers-de- 
Saint-Denis.  Un  collège,  en  effet,  sorte  de  séminaire 
de  l'abbaye,  a  été  établi  par  Matthieu  de  Vendôme, 


RUES  GIT-LE-COEUR  P:T  DE  L'HIRONDELLE.  5.^ 

abbé  de  Saint-Denis,  avec  une  maison  de  ville  pour 
ses  officiers,  entre  les  rues  Contrescarpe  (i),  Sainl- 
André-des-Arts,  Dauphine,  Anjou-Dauphine  (2), 
Christine  et  de  Savoie,  ces  quatre  dernières 
n'existant  pas  encore.  Il  s'en  projetait  même 
quelque  chose  sur  l'autre  aile  de  la  rue  des  Grands- 
Augustins,  et  un  passage  sous  terre  menait  de 
la  grande  propriété  à  la  petite,  que  le  plan  de 
Paris  en  1652  qualifiait  encore  hôlel  des  Charités- 
de-Saint-Denis.  Le  trésorier  de  l'abbaye  y  avait 
gardé  ses  bureaux.  Or  le  n"  25  avait  pour  occupant 
un  loueur  de  carrosses,  au  XVIIP  siècle,  et  n'était 
séparé  de  ladite  aumônerie  que  par  le  23,  dont 
la  porte  déployé  ses  battants  à  gros  clous  sans 
montrer  aux  passants  son  bouquet  d'arbi-es,  qui 
n'est  pas  seul  h  survivre  par-derrière  au  jardin 
de  la  trésorerie  des  moines.  Le  corps-de-bàtiment 
où  se  retrouve  encore,  dans  l'ancien  hôtel  des 
Charités,  un  escalier  à  balustrade  en  chêne,  remonte 
sans  doute  h  Matthieu  de  Vendôme. 

Plusieurs  historiographes  se  débarrassent  pareille- 
ment (le  l'hôtel  de  Nemours  et  de  Savoie,  en 
disant  qu'il  n'existe  plus  depuis  que  la  rue  de 
Savoit^  est  ouverte.  Il  y  avait  seulement  des  écuries 
entre  les  Charités  et  cette  résidence  princière, 
quand  Charles-Amédée,  duc  de  Savoie,  de  Genevois, 
de  Nemours  et  d'Aumale,  en  hérita,  avec  son 
frère  Henri  de  Savoie.  La  duchesse  de  Savoie, 
tille  de  Charles-Amédée,  la  divisa,  pour  s'en  défaire, 
en  1670  ;  mais  les  morceaux  n'en  étaient  pas 
mauvais.  Les  mansardes  du  7  ne  s'affaissent  pas 
encore  sur  ses  deux  étages,  hauts  de  plafond  ;  un 
escalier  de  figure  seigneuriale  y  tait  monter  sa  vieille 


(1}  Maintenant  rue    Mazet. 
[i)  Maintenant    rue   de  Nesles. 


5G    RUE  ET   QUAI  DES   GRANDS-AUGUSTINS. 

rampe  en  iev  jusqu'à  une  librairie  ancienne,  où 
l'in-folio  domine  sur  les  rayons,  et  le  5,  où 
demeurent  MM.  Pillet,  qui  impriment  le  Journal 
de  la  Librairie,  depuis  1812,  et  le  Journal  des 
Villes  et  Campagnes,  n'a  été  que  refait  pour  M"*"  de 
Bretteville,  propriétaire  des  deux  hôtels  habités 
antérieurement  par  des  princes  de  Garignan,  autre- 
ment dit  par  la  maison  de  Savoie.  M"'"  de  Bretteville 
a  eu  pour  héritière  sa  cousine,  M"^  de  Conflans, 
qui  a  donné,  par  testament,  en  1761,  à  Louis  de 
Conflans,  marquis  d'Armentiéres,  lieutenant-géné- 
ral, toute  sa  fortune  et  notamment  le  5,  devenu 
l'hôtel  de  Contlans-Carignan  ;  mais  la  défunte  avait 
réservé  quelques  legs,  en  laissant  notamment  à 
Brière  de  Bretteville  une  propriété  de  la  rue  des 
Grands-Augustins  qui  avait  la  même  origine,  c'était 
probablement  le  7.  Des  lucarnes  à  la  Ducerceau 
recommandent  h  notre  attention  une  façade  en 
briques  au  n"  3,  même  rue  ;  nous  avons  peine  à 
croire  que  jusque-là  pût  aller  l'hôtel  de  Nemours. 
Elle  a  été  "timbrée  des  panonceaux  du  notaire 
Laideguive,  et  ce  tabellion,  y  succédant  comme 
propriétaire  aux  Dupré  de  Sainl-Maur,  maîtres- 
des-comptes,  devait  en  savoir  plus  long  que  nous 
sur  l'origine  de  son  logis,  qui  s'était  probablement 
détaché  de  l'hôtel  d'Hercule. 

Du  côté  des  chiffres  pairs,  en  face  de  la  rue  de 
Savoie,  les  initiales  E.  B.  s'entrelacent  dans  la 
grille  d'une  terrasse  ;  elles  voudraient  rappeler 
que  la  maison  a  été  l'hôtel  de  Bussy  :  on  y  entre 
par  la  rue  Christine.  Matthieu  Feydeau,  docteur 
en  Sorbonne  et  curé,  plusieurs  fois  exilé  comme 
janséniste  enragé,  n'avait  que  l'usufruit  du  n"  18  ; 
sa  sœur  en  avait  transporté  ia  nu-propriété  au 
couvent  de  la  Conception,  dans  lequel  elle  s'était 
retirée,  à  l'Assomption.  Claude  Feydeau  de 
Marville,  lieutenant  aux  gardes,  était    possesseur 


RUES  GIT  LE-COEUR  ET  DE  L'HIRONDELLE.  57 

du  22.  Enfin  Barberie  de  Saint-Contesl,  que  protégea 
plus  tard  M"'"  de  Pompadouret  qui  devint  ministre 
des  Affaires-Étrangères,  eut  pour  locataire  un 
évéque,  au  fond  du  n"  26. 


Rite  dit  doiÉi*e-]^oli*o-Daiiic.    (i] 


i)an>s  quelles  conditions  s'y  menait  la  vie  de  chanoine. 

Une  loi  du  i24  août  1790  délorminail  la  i)Osilion 
nouvelle  de  ees  proiîriétés  du  cloître  Notre-Dame 
dont  les  titres  principaux  étaient  un  bref  de 
Benoît  VII  et  des  lettres-patentes  de  Lothaire  ;  la 
Nation,  moyennant  le  payement  d'un  sixième  de 
leur  valeur  estimative,  les  affranchissait  des  con- 
ditions particulières  qui  avaient  voulu  perpétuer 
leur  transmission  de  chanoine  à  chanoine.  L'Assem- 
blée nationale,  avant  d'émanciper  l'aveni)'  de  cette 
main-morte  ecclésiastique,  s'était  enquise  du  passé, 
et  nous  allons  sonder,  comme  elle,  les  arcanes 
d'une  situation  amphibie,  qui  était  plus  que  de 
l'usufruit,  moins  que  de  la  toute-propriété,  pour 
les  chanoines  dont  les  33  maisons  du  cloître 
portaient  les  33  noms.  On  disait  ii  coup  sûr  : 
Maison  Cochu  et  maison  Farjonel. 

Et,  en  effet,  elles  étaient  dans  le  commerce  ; 
impossible  de  les  prendre  pour  des  fonds  de 
bénétiees  ecclésiastiques;  on  ne  les  achetait  pas 
du  chapitre,  mais  d'un  chanoine,  en  présence  du 
chapitre,  sans  énoncer  les  conditions  du  marché.  ■ 
L'un  disait  à  la  compagnie  :  — Je  vends  ma  maison; 
l'autre  :— Je  l'accepte,  et  le  chapitre  prenait  acte, 
approuvait,  en  louchant,  à  titre  de  seigneur,  cent 
sols  de  lods  et  ventes,  qui  se  partageaient  entre 
les  capitulants.  Chaque  chanoine,  il   est    vrai,  ne 


(1)  Notice  écrite  en  ISâQ.  La  rue  à  rélude  n'avait  pas 
encort'  i)eidii  deux  ou  trois  de  ^es  maisons  ancieniits 
à   l'angle   de   Ja   i  ue   de  la  Cîtc. 


RUE  t)V  CLOITRE-NOTRE-DAME.  59 

devait  posséder  qu'une  maison  ;  mais  ils  étaient 
51,  et  toutes  les  maisons  situées  dans  le  périmètre 
du  cloître,  dont  les  rues  étaient  entretenue^^  par 
le  chapitre,  ne  se  trouvaient  pas  canoniales.  Quand 
le  chanoine  était  mort  ab  intestat,  le  bureau  du 
chapitre  ouvrait  une  enchère,  et  les  droits  de 
mutation  s'élevaient  au  cinquième  du  prix-,  si, 
avant  de  mourir,  le  chanoine  avait  disposé  m 
extremis  de  sa  propriété,  par-devant  les  commis- 
saires du  chapitre  pour  la  validité  c'est  le  dixième 
qui  revenait  aux  capitulants  ;  dans  ces  deux  cas, 
au  reste,  les  créanciers  primaient  les  héritiers, 
quant  h  la  portion  disponible.  Tout  cela  était  si 
connu  qu'un  chanoine  empruntait  avec  la  plus 
grande  facilité,  soit  pour  acquérir  une  propriété 
dans  le  cloître,  soit  pour  la  réparer  ensuite.  Ils 
avaient  presque  tous  des  dettes,  mais  solidement 
hvpothéquées,  puisque  leurs  maisons  valaient,  en 
général,  de  60  à  100,000  livres.  Celle  de  M.  Bochard, 
décédé  peu  de  temps  avant  la  promulgation  delà 
loi  nouvelle,  lui  avait  coûté  79,  400  fr.,  et  il  y 
avait  fait  poui-  60,000  fr.  de  réparations  dans  l'année 
de  l'acquisition  ;  celle  de  M.  Montagne,  doyen, 
revenait  de  la  même  façon  à  74,000  livres,  plus 
'^0,000,  et  il  n'en  était  pas  différemment  pour  les 
logis  des  chanoines  Dumarsais,  Desplasses,  Leblanc, 
Viet,  Delon  et  de  Bonneval.  DifTérentes  conclusions 
capitulaires  avaient  été  prises  en  1775,  en  1766 
et  en  1745  pour  régler  différents  usages  que  le 
temps  avait  consacrés,  avec  la  sanction  des  autorités 
spirituelle  et  temporelle  ;  toutefois  les  statuts  et 
règlements  conservaient  au  chapitre  pris  en  corps 
le  titre  de  propilétaire-foncier,  en  reconnaissant 
à  ses  membres  la  faculté  de  disposer  de  la  jouis- 
sance des  maisons  par  la  seule  voie  des  résignations 
au  chapitre. 

Les  laïques  habitaid   le  cloître   étaient  surtout 
des   magistrats  ;   on    y  venait  solliciter  un  certain 


60  RUE    DU    CLOITRE-NOTRE-DAME. 

nombre  de  parlementaires,  au  milieu  du  xvur'  siècle. 
Les  maisons  canoniales  étaient  en  possession  de 
donner  asile  à  des  lemmes,  pourvu  qu'elles  lussent 
l)areiites  ou  domestiques  du  détenteur,  et  pourtant, 
en  remontant  h  Tannée  1334,  nous  trouverions  un 
arrêté  par  lequel  le  chapitre  défendait  à  toutes 
femmes  de  franchir  les  portes  du  cloître.  La  preuve 
qu'avant  cette  date  pareille  prohibition  n'existait 
pas,  c'est  qu'Héloïse  et  Abélard,  évangélistes  d'un 
amour  qui  n'était  même  pas  connu  de  l'antiquité 
païenne,  se  sont  donné  des  rendez-vous  dont  le 
lieu  n'était  pas  à  l'extérieur  du  cloître,  sous  le 
prétexte  il  est  vrai  d'étudier.  Mais  le  concours 
qu'y  attiraient  alors  les  écoles  épiscopales  avait  si 
bien  troublé  la  paix  du  cloître  qu'avant  peu  le 
chapitre  avait  résolu  de  conserver  uniquement 
l'école  de  théologie. 

Sur  la  place  du  Parvis-Notre-Dame,  en  sa  largeur 
actuelle,  et  dans  la  rue  du  Cloître-Notre-Dame,  qui 
d'un  côté  se  confond  avec  elle,  il  y  avait  autrefois  : 
et  l'entrée  dudit  cloître,  et  le  bureau  des  Pauvres, 
(jui  donnait  rue  Saint-Pierre,  tout  près  de  Saint- 
Pierre-aux-Bœufs,  presque  en  face  de  Saint- 
Christophe,  et  Saint-Jean-le-Rond,  qui  touchait 
d'une  part  la  cathédrale,  d'autre  part  la  porte  du 
cloître,  et  un  puits,  mais  à  l'autre  extrémité  de 
la  nie,  encore  plus  voisin  de  l'archevêché  que  de 
la  rue  Clianoinessc.  Quant  aux  maisons  sur  les- 
quelles, depuis  tant -de  siècles,  se  projette  l'ombre 
de  Notre-Dame,  voici  des  documents,  inédits  comme 
les  précédents,  qui  les  concernent. 

En  1660,  Jacques  Séguier,  chanoine  théologal 
de  l'église  de  Paris,  avait  le  22  ;  il  était  membre 
de  cette  famille  Séguier  qui  portait  avec  éclat  la 
robe  depuis  le  milieu  du  xvr'  siècle  et  qui  fut 
aussi  celle,  comme  on  l'a  dit,  de  l'apothicaire  de 
Charles  IX.  L'immeuble  a  jeté  le  froc 'aux  orties 
d'une    adjudication  la'ique,  le  8    Jjrumaire  an  iv  ; 


RUE    DU   Cr.OITiîE  NOrilE-DAME.  01 

iTiiiis  h;  cardinal  Mathieu  et  sa  famille  lureiil  depuis 
de  ses  locataires,  ainsi  (|iie  la  duchesse  d'Âumonl. 

Louis-Joachim-Élisaheth  Cochu  n'était  sans  doute 
pas  la  perle  du  chapitre  ;  il  avait  plus  de  dettes 
pi'obablement  que  tout  autre  chanoine,  au  com- 
mencement de  la  Révolution,  et  nous  l'eussions 
trouvé  n"  20.  Le  toit  y  fait  angle  rentrant  sur  une 
petite  place  de  forme  inusitée,  où  il  n'y  a  de 
jeune  que  des  brins  d'herbe,  poussant  comme  la 
l)arbe  au  menton  d'une  vieille  femme.  Cette  maison, 
résignée  m  extremis  par  le  chanoine  Jondon  entre 
les  mains  de  son  confrère,  s'était  donné  depuis  une 
indigestion  d'hypothèques;  il  fallait  bien  tinir  par 
les  purger.  Parmi  les  ciéanciers  h  désintéresser, 
la  malveillance  aurait  remarqué  un  limonadier,  un 
bonnetier  et  un  épicier.  Celui-ci  devenait  l'acqué- 
reur du  chanoine,  qui  se  retira  bien  dégrevé  rue 
Chabanais,   n"  3, 

Sur  la  petite  place  en  relraile  se  rencogne  le 
iS,  dont  les  glaces  et  les  trumeaux  ont  été  enlevés, 
de  notre  temps,  comme  une  garniture  supertiue, 
au  bureau  de  secours  du  IX'' arrondissement,  qui 
n'a  gardé  une  rampe  en  vieux  fer  qu'en  ne  la 
croyant  pas  un  objet  de  luxe. 

Le  16,  où  se  tient  l'école  des  frères,  s'écarte 
un  peu  moins  de  l'alignement  ;  mais,  en  fait  d'âge, 
il  n'a  rien  à  envie.r  aux  voisins  :  j'en  atteste  les 
balustres  de  bois  d'un  escalier.  Maisons  nées  pour 
le  célibat,  elles  en  ont  gard(''  la  discrétion  ;  loin 
de  se  commander,  elles  s'arrangent  d'un,  commun 
accord  pour  isoler  !a  vue  dont  elles  jouissent,  au  ris- 
que de  briser  cinq  fois  l'alignement.  De  là  vient  cet 
angle  rentrant  sur  lequel  prennent  encore  façade, 
en  divers  sens,  le  14  et  le  12.  qui  n'ont  pas  tou- 
jours observé  le  vœu  du  célibat,  convenons-en, 
puisqu'il  lut  un  temi)S  où  les  deux  ne  faisaient 
(lu'iin.  L'abbé  Cœur,  à  présent  évêque,  habitait 
le  14,  comme  le  fait  encore  un  chanoine,  M.  Tré- 


6.'  RUE   DU   CLOITKENOTRE-DAME. 

vaux,  à  charge  de  loyer.  A  M.  Chillaucl-Desficux, 
dernier  détenteur  canonial,  avait  été  résignée  cette 
maison,  le  27  septembre  1780,  par  M.  de  Cliazal, 
ctianoine  ii  l'article  de  la  mort,  et  3,840  livres 
avaient  été  perçues  en  conséquence  par  le  chapitre, 
comme  dîme  de  Vin  extremis.  Avant  Chazal,  c'était 
Gaujel,  membre  aussi  du  conseil  archiépiscopal, 
qui  disposait  de  la  propriété  et  qui  la  dégrevait 
d'une  dette  contractée  par  un  de  ses  prédécesseurs, 
Pierre  de  la  Chasse,  envers  Charles  Perrochel, 
chantre  et  chanoine  de  l'église  de  Paris,  puis 
passée  à  Jean-Jacques  Farjonel  d'Hauterive, 
chanoine  de  la  même  église  et  conseiller  en  la 
grand'chambre  du  parlement  Maupeou.  Ce  Farjonel 
«  adorait  les  bénéfices,  sans  oublier  les  épices,  » 
d'après  une  note  qu'à  laissée  le  chancelier  Maupeou 
sur  les  membres  de  son  parlement.  Il  eut  sans 
doute  été  moins  assidu  aux  offices  sans  le  méreau, 
jeton  de  présence  auquel  avaient  droit  les  chanoines. 

En  revanche,  l'abbé  de  Lafage,  qui  portait  aux 
cérémonies  de  Notre-Dame  la  robe  rouge  et  violette, 
comme  l'abbé  Farjonel,  s'est  imposé  une  sorte 
d'amende  volontaire  pour  avoir  siégé  à  la  même 
cour:  il  a  fait  reblanchir  à  ses  frais  l'intérieur  de 
l'église  métropolitaine. 

De  la  Chasse,  décédé  archidiacre  de  Josas,  avait  été 
l)ropriétaire  Ih  avec  Jacques-Etienne  de  Méromont, 
pénitencier  ;  par  conséquent,  h  leur  époque,  la 
maison  était  divisée.  L'un  et  l'autre  avaient  succédé 
à  un  homme  éminent,  Edme  Picot,  chancelier  de 
ladite  église  et  partant  de  l'université  de  Paris, 
coïifesseur  de  la  fameuse  M'"*  de  Brinvilliers  ; 
Ce  double  chancelier  tenait  la  propriété,  par  con- 
clusion capitulaire  du  4  janvier  1706,  des  vénérables 
doyen,  chanoines  et  chapitre  de  l'église  de  Paris, 
entre  les  mains  desquels  elle  avait  été  remise 
par  l'université  de  Paris.  Rappelons  même  que 
Louis  de  Bernage,    étant  le  titulaire  du  logis  au 


RUE  DU   CLOITRE-NOTRE-DAME.  63 

milieu  du  siècle  xvii,  céda  à  son  collègue  et  voisin 
du  n"  16,  Jean  de  Hillerin,  un  aisément  d'environ 
3  mètres  carrés,  cession  qui  enchevêtre  encore 
l'un  dans  l'autre  ces  deux  immeubles  mitoyens.  Le 
chanoine  Feydeau  avait  été  le  prédécesseur  de 
Hillerin,  et  no  sait-on  pas  que  des  f'amilhis  Feydeau 
ont  produit  des  sujets  brillants  dans  l'église,  la 
magistratui-e  et  les  lettres  ? 

L'abbé  Thiéry,  h  son  tour  chancelier,  prononçait 
un  discours  lorsqu'il  présidait,  en  cetle  (jualiU',  h  la 
clôture  annuelle  de  la  licence  de  théologie;  à  celte 
occasion,  en  1770,  il  lit  l'éloge  de  l'archevêque, 
M.  de  Beaumonf,  dont  l'ardeur  à  détendre  les 
prérogatives  ecclésiastiques  contre  les  droits  de 
la  royauté  passait  alors  pour  abusive.  Le  lendemain, 
selon'  l'usage,  il  donnait  un  repas  d'étiquette  aux 
docteurs  et  suppôts  de  Sorbonne,  en  son  hôtel 
claustral,  qui  n'avait  rien  d'érémitique. 

Le  cabinet  d'histoire  naturelle  de  l'abbé  Bourbon 
était  visible,  sous  Louis  XVI,  en  cette  rue,  à 
proximité  de  celle   Chanoinesse. 

Etienne  Brémont,  né  à  Chàteaudun  en  1714,  avait 
la  vocation  des  sciences  abstraites.  Curé  et  grand- 
pénitencier  à  Chartres,  il  prit  ensuite  le  bonnet 
en  Sorbonne  et  devint  chanoine  à  Paris  ;  mais  à 
l'époque  de  son  changement  d'église,  la  Gazette 
ecclésiastique  l'attaqua,  h  propos  des  prétendus 
miracles  opérés  sur  la  tombe  du  diacre  Paris. 
L'abbé  Brémont  fut  surveillé  par  le  parlement, 
puis  décrété  de  prise  de  corps;  il  se  sauva  jilus 
lard  en  Italie;  seulement  ses  biens  furent  annotés 
pendant  onze  ans.  et  notanmient  sa  maison  dans 
le  cloître,  dont  se  remarquent  la  belle  poi'te 
cintrée,  qu'un  balcon  surmonte,  et  la  rampe  d'cbca- 
lier  enfer,  10,  rue  du  Cloître-Nolre-Dame.  L'amour 
de  la  patrie  l'emportant  sur  les  avantages  qu'on 
lui  offrait  en  Italie,  Brémont  se  plut  à  rentrer 
en  France,  où  ses  ouvrages  obtirn-ent  du  succès, 
outre  autres   un  livre  en  six  volumes,  De  la  Raison 


64  RUE  DU    CLOITRE-NOTRE-DAME. 

dans  Vhomme,  honoré  d'un  bref  de  Pie  VI.  Cet 
ecclésiasticiuo  assistait,  non  sans  émotion,  au 
spectacle  révolutionnaire,  où  ses  amis  jouaient  les 
rôles  de  victimes,  lorsqu'un  érysipèle  goutteux  l'en- 
leva aux  consolations  du  travail,  le  2o  janvier  1793, 
c'est-à-dire  quelques  jours  après  la  mort  du  roi. 
Les  héritiers  d't^lieune  Brémont,  par  un  arrêté 
des  commissaires  de  l'administration  des  Domaines 
nationaux,  le  12  juin  de  la  même  année,  furent 
déclarés  propriétaires  de  la  maison  sise  au  ci-devant 
cloître,  payement  étant  fait  du  sixième  appartenant 
h  la  Nation.  Cette  propriété,  le  17  floréal  an  ni, 
tenait  par-derrière  aux  citoyens  Despinas  et 
Desfieux,  ci-devant  chanoines,  d'un  côté  au  citoyen 
Rivière,  ci-devant  chanoine,  et  k  la  ci-devant 
maîtrise  des  enfants  de  chœur,  d'autre  part  au 
citoyen  de  Lostanges,  ci-devant  chanoine,  et  au 
citoyen  Destieux,  déjà  nommé. 

M.  Boucliardat,  ex-pharmacien  en  chef  de  l'Hôtel- 
Dieu,  possède  en  ce  temps-ci  la  maison  du  précité 
chanoine  Rivière.  Une  rampe  de  fer,  bien  que 
depuis  longtemps  le  style  en  soit  passé  de 
mode,  rajeunit  encore  cet  hôtel,  qui  a  été  la 
résidence  du  médecin  de  Charles  VI.  L'habileté 
de  ce  médecin  royal  est  rappelée  par  Sismondi  ; 
son  domicile  dans  le  cloître,  vis-à-vis  de  la 
porte  Rouge,  est  constaté  de  même  par  Barante, 
dans  YHisloire  des  Ducs  de  Bourgogne.  Probable- 
ment ce  médecin,  qui  s'appelait  Claude  Fréron, 
était  prêtre  ;  on  l'estimait  le  plus  des  médecins 
attachés  au  roi,  dont  la  démence  fut  traitée 
plusieurs  fois  par  des  astrologues  et  des 
sorciers. 


Rue  de   la  Colombe,  (i) 


Des  colombes  de  l'antiquité  faisaient  leur  nid 
dans  des  casques  de  guerriers,  afia  de  prouver 
que  la  bonne  intelligence  régnait  entre  Mars  et 
Vénus  ;  h  plus  forte  raison,  ces  oiseaux  de  paix 
et  d'amour  trouvaient  un  refuge  facile,  au  moyen- 
âge,  dans  les  mitres  des  saints  ëvêques  sculptés 
sur  la  face  des  églises,  et  il  n'en  manquait  pas 
dans  la  Cité.  Paris  est  une  tbrêt  de  Dodone  où 
des  colombes  à  voix  humaine  ont  toujoui's  rendu 
des  oracles  ;  la  plupart  sont  iteiles  et  fêtées, 
tant  que  leur  cieur  est  pur  de  liel,  comme  le  dit 
Lucrèce  de  ses  colombes  : 

Quas  o<lium  nuUitm ,   nec   felleus   inqninat  ardor. 

Quand  la  haine  succède  aux  caresses,  l'oiseau 
de  Cypris  devient  une  chouette. 

De  la  petite  rue  qui  nous  occupe  parie  une 
charte  de  l'an  1223,  sans  dire  quelle  image  douce 
et  blanche,  quelle  colombe  fut  d'abord  son  signe 
particulier.  Peu  de  filles  d'Eve  faisaient  parler 
d'elles,  depuis  la  célèbre  Héloïse,  sur  le  territoire 
canonial  ;  or  le  cloître  de  Notre-Dame  s'étendait, 
en  suivant  la  rue  de  la  Colombe,  jusqu'à  l'extré- 
mité de  la  rue  des  Marmouzets.  Un  amour  dénué 
de  poésie  y  fut  tout  au  i)lus  inspiré  h  un  Dalien,  M. 
de  Salze,  secrétaire  de  l'ambassadeur  de  Naples  sous 
Louis  XV,  par  une  tille  Mercier,  dite  la  Cauchoise  ; 
son  oncle,  chantre  au  lutrin  de  l'église  de  Paris, 
logeait  dans  une  maison,  n°  10,  dont  les  lenêtres 
à  coulisses  et  l'escalier  de  bois  à  balustres  n'ont 


(1)  Notice  écrite   eu   1859. 


0(i  RUE  m:  LA  COLOMBE. 

• 

pas  encore  changé  de  physionomie.  Cet  étranger, 
qui  était  abbé  (le  cour,  avait  rencontré  la  normande 
en  se  rendant  chez  un  chanoine  :  elle  était  grande, 
corsée  et  brune,  mais  d'un  teint  de  lait,  avec 
d'aussi  blanches  dents;  on  ne  lui  reprochait  guèreque 
d'être  bête  et  de  savoir  où  demeurait  la  Varenne, 
complaisante  duègne  de  la  rue  Feydeau.  M.  Je 
Salze  tu  offrir  une  chambre  garnie,  rue  de  Beaune, 
à  la  colombe  sans  défense  ;  mais  il  y  mit  une 
condition,  c'est  que,  revêtue  d'un  manteau  de  lit, 
sans  robe  qui  lui  permît  de  sortir,  elle  garderait 
nuit  et  jour  la  chambre.  La  nièce  du  chantre  ne 
dit  pas  non  et  s'envola  tout-ci-fait  de  chez  son 
oncle. 

La  rue  ne  comptait  alors  que  6  maisons  et  2 
lanternes  ;  c'est  seulement  en  1811  qu'on  l'a 
prolongée  jusqu'au  quai.  De  ses  vieilles  maisons, 
qui  plus  est,  la  plupart  ouvrent  sur  d'autres  rues; 
tels  sont  le  9,  le  7  et  le  o.  Cette  dernière  pro- 
priété 5  double  face  comporte  les  restes  d'une 
chapelle  Saint-Âignan,  près  de  laquelle  nous  ne 
pouvions  moins  faire  que  de  passer  deux  fois. 
Une  ancienne  porte  cochère  est  aussi  condamnée 
au  n°  4,  dont  l'enseigne  ;\  Saint-Nicolas  doit  remonter 
au  moyen-âge  ;  néanmoins  sa  façade  est  décorée 
de  rinceaux,  et  ses  fenêtres,  de  grilles  d'appui, 
qui  prouvent  une  reconstruction  datant  seulement 
du  dernier  siècle.  On  remarque  au  8,  grâce  aux 
marches  d'un  café,  un  changement  de  niveau, 
qui  porte  à  soupçonner  que  d'anciens  fossés 
servaient  par-là  de  limite  au  cloître.  Nul  doute 
que  le  sol  de  la  Cité,  au  lieu  de  s'abaisser,  s'est 
élevé.  Le  12,  une  construction  haute  à  escalier 
d'autant  plus  ténébreux,  s'accote  depuis  longtemps 
sur  le  14,  dont  le  seuil  est  rue  Chanoinesse; 
l'origine  de  l'un  et  de  l'autre  remonte  à  celle  de 
la  rue  de  la  Colombe. 


Place    Germon 

NAGUÈRIC 


Substituée  en  1839  ii  la  rue  des  Poirées,  cette 
place  méritait  à  double  titre  de  poiter  le  nom  du 
collège  dont  elle  a  dégagé  les  abords  et  qui  a 
contribué  aux  frais  de  son  établissement. 

Le  bouquiniste  Loisel  y  a  sa  boutique  n"  3,  après 
avoir  été  rue  Saint-Jacques  et  rue  des  Grès  ;  il 
achète  et  vend  des  livres  d'occasion  depuis  un 
demi-siècle  pour  le  moins.  Cliaque  édition  de  la 
grammaire  grecque  de  Burnouf,  en  dépréciant  la 
précédente,  a  fait  perdre  quelque  argent  audit 
revendeur,  que  pourtant  cet  helléniste,  son  client, 
honorait  autrefois  d'une  protection  familière.  La 
boutique  de  Loisel  était  occupée,  avant  lui,  par 
un  gargotier  plus  heureux,  en  ce  qu'il  regrattait 
il  coup  sûr,  servant  le  malin  en  ragoût  les  rôtis 
rebutés  la  veille,  et  ne  mettant  rien  au  pilon, 
ainsi  que  le  fait  un  libraire  des  ouvrages  classiques 
répudiés  par  les  programmes  de  l'Université.  A 
la  maison  du  bouquiniste  est  conliguë  une  maison 
du  même  âge,  mais  d'une  importance  augmentée 
par  douze  marchamls  d'habits  ambulants  qui  se 
cotisèrent  il  y  a  quinze  ans  pour  en  devenir 
propriétaires. 

De  l'autre  côté  de  la  place,  voici  le  4,    qu'on 


(1)  Notice    écrite   en    185»,  avant  que  la  place  reçût  le 
nom  d'un  aucieu  chancelier  de  l'université    de   Paris. 


0'^  PLACE  GERSON,  ETC. 

a  refait  également  ;  le  6,  où  bruissaieiit  autrefois 
les  ateliers  d'un  serrurier  ;  le  8  enlin,  devenu 
l'hôtel  du  Lot.  Cette  hôtellerie,  ijui  a  beaucoup 
gagné  en  vieillissant,  servit  longtemps  d'abri  aux 
petits  métiers;  le  saltimbanque  y  descendait.  En 
l'année  1741,  quelques  petites  filles  de  la  Savoie 
y  furent  casées  par  uiie  commère,  dans  un  grenier 
plus  que  modeste  :  elles  allaient  chanter  par  la 
ville.  Celle  qui  accompagnait  du  cliquetis  de  son 
triangle  les  glapissements  des  autres  enfants, 
changea  de  position  à  tout  prix  ;  mais  les  gens 
qui  l'avaient  connue  à  ses  débuts,  l'appelèrent 
toujours  la  Sav..i/arde.  Son  véritable  nom  était 
Beàumier  ;  son  pseudonyme,  M"''  de  Ville.  Elle 
avait  quitté  son  galetas,  prête  à  ruiner  toute  lu 
terre,  et  son  train  de  vie  coûta  cher  à  Kulan, 
chevalier  de  Malte  ;  à  Varenne,  avocat  en  parle- 
ment>  ancien  élève  de  Louis-le-Grand  ;  à  Robinet, 
entrepreneur  des  hôpitaux  de  l'armée  ;  à  Villarceau, 
conseiller  au  Chàtelet  ;  à  Roland  de  Trémeville, 
fils  du  receveur-général  des  finances  de  la  généraiité 
de  Riom  ;  mais  elle  n'en  sut  mettre  de  côté  que 
8,000  pauvres  livrt^s  de  rente, .  tant  il  fallait  tenir 
son  nouveau  rang  !  La  ditférence  entre  les  recettes 
brutes  et  le  produit  aurait  permis  à  cette  parvenue 
des  amours  d'acheter  et  de  rebâtir  toute  la  rue 
des  Poirées. 


Galerie   Colberi.  (i) 


L'Hôtel    Colbert.   —   M^^"   Lahsolu. 

M.  Adam,  du  Comptoir  national  d'escompte, 
doit  le  jour  au  fondateur  de  la  galerie  Colbert, 
ouverte  en  1826  entre  les  divers  corps-de-bâti- 
ment d'un  hôtel,  et  non  pas  sur  ses  ruines,  comme 
l'ont  dit  plusieurs  écrivains  qui  ne  prenaient 
pas  la  peine  d'y  aller  voir.  Ancien  hôtel  Bautru- 
Serrant,  il  a  été  aussi  la  résidence  de  Colbert,  puis  au 
marquis  de  Seignelay,  son  lils.  Une  belle  gravure 
de  l'époque  où  Guillaume  Bautru,  comte  de  Serrant, 
l'occupait,  en  représente  la  façade.  Ce  membre  de 
l'Académie-Française,  qui  n'avait  rien  écrit,  mais 
qui  avait  égayé  de  ses  bons  mots  la  Flandre, 
r  Espagne  et  l'Angleterre,  dans  ses  ambassades,  devai 
sa  fortune  à  un  duc  d'Orléans  ;  un  prince  de  la  même 
famille  fit  établir  ses  écuries,  dès  1720,  dans  cette 
ancienne  demeure  du  bel-esprit,  que  les  répara- 
tions de  Levau  avaient  enrichie  pour  le  premier 
ministre.  On  y  avait  lemarqué,  comme  oeuvre  d'art, 
jusqu'à  la  porte  de  ces  écuries  :  elle  jouait  sur  ses  ^ 
gonds,  rue  Vivienne,  et  l'envergure  en  est  présente- 
mentabsorbée  par  les  magasins  demusiqued'Heugel. 
Mais  contigu  au  grand  hôtel  Colbert  était  le  petit 
du  même  nom,  habité  après  la  lamille  du  ministre 
par  Paulin  Fondre,  receveur  des  hnances  de  la 
généralité  de  Lyon,  puis  président  à  la  chambre- 
des-comptes.  On  vantait  de  ce  financier  le  cabinet, 
décoré  de  glaces,  de  trumeaux  et  de  marbres  rares, 
dont  la  cheminée  était  aussi  un  précieux  modèle. 


(l)  Notice  écrite   en    1859, 


70  GALERIE  COLBERT. 

Les  dépendances  de  l'hôtel  Colbert  comportaient, 
outre  les  jardins,  d'autres  constructions  sur  la 
rue  Vivienne. 

Du  côté  de  la  rue  Neuve-des-Petits-Cliamps, 
dans  le  petit  passage  en  équerre  ajouté  à  la  galerie 
deux  ans  après  sa  formation,  est  l'entrée  du  café 
Colbert,  qui  du  rez-de-chausée  a  gagné  le  premier 
étage  de  cet  ancien  corps  de  l'hôtel.  Les  élèves 
de  l'école  Polytechnique  ont  adopté  pour  lieu  de 
rendez-vous  cette  portion  de  résidence  historique 
rendue  publique  par  un  Géorama,  avant  que  ce  fût 
par  un  café  ;  l'uniforme  élégant  et  martial  de  l'École 
apparaît  donc  à  chaque  instant,  le  mercredi  et 
le  dimanche,  à  cette  extrémité  de  la  galerie.  Un 
magasin  de  nouveautés  occupe  de  même,  mais 
d'une  rue  à  l'autre  en  empiétant  sur  la  galerie, 
l'ex-hôtel  de  l'homme  d'État  dont  le  grand  nom 
couvre,  comme  pavillon,  la  marchandise  que  fait 
voguer  la  mode  sur  cette  embarcation  affrétée  à 
l'époque  de  l'ouverture  de  la  galerie. 

Que  d'officiers  en  herbe  projetèrent  des  regards 
d'envie  sur  les  montres  de  ce  magasin,  au  temps 
où  Casimir  Périer  présidait  à  son  tour  aux  destinées 
d'un  règne  !  Plus  d'un  élève  de  l'École,  avant  de 
se  rendre  au  café,  allait  et  venait,  plein  d'une 
curiosité  qu'il  croyait  presque  de  l'amour,  devant 
une  porte  vitrée  de  la  galerie,  au  n"  26.  Là,  sous 
l'apparence  d'une  gantière,  brillait  une  beauté 
accessible,  mais  qui  ne  tenait  compte,  en  fait  de 
jeunesse,  que  de  la  sienne  ;  elle  imposait  aux 
mieux  favorisés  de  pourvoir  aux  atours  dont  elle 
espérait  une  fortune,  qu'en  réalité  lui  ont  faite 
les  galants  qui  cherchaient  à  s'impatroniser,  notam- 
ment le  frère  d'un  ministre.  Cette  jeune  et  belle 
femme  sous  verre,  on  l'appelait  Labsolu  ;  mais  à 
sa  recherche  la  philosophie  aurait  perdu  tout  son 
temps  à  courir.  C'est  sa  bonne  qui  vendait  les 
gants  ;  elle  en  demandait.  Bref,  à  l'époque  dont 


GALERIE  COLBERT.  71 

nous  parlons,  et  en  dépit  de  la  belle  rotonde 
Colbert,  le  point  important  de  la  galerie  était  le 
n"'  26,  que  M"'"  Labsolu  n'a  quitté  que  pour  prendre 
un  appartement,  avec  voiture  et  rentes  sur  le 
grand-livre,  dans  la  rue  Ollivier-Saint-Georges.  A 
la  bonne  heure  !  s'écrièrent  sur  le  coup  plusieurs 
mères  et  beaucoup  de  portiers  de  filles  moins 
bien  partagées  ;  parlez-moi  d'avoir  un  nez  grec 
et  de  se  coilïer  à  la  chinoise,  quand  cela  sert  ii 
quelque  chose  !  La  belle  a  tant  fait  parler  d'elle 
que  l'ombre  de  son  frais  visage,  aux  lignes  pures, 
aux  souris  plus  souples  que  ses  gants,  plane  encore 
sur  la  galerie  qui,  depuis  son  départ,  est  déserte! 


Rue     Colbei't.     (i) 


La  Stainville.  —  La  C'^^se  ^^  Stainville.  —  Les 
Propriétaires  successeurs  de  Colbert.  —  il/""*  de 
Lambert.  — ■  L'Abbé  Barthélémy. 

La  Stainville  fut  connue,  elle  aussi,  des  chalands 
au  détail  de  la  galanterie,  mais  en  qualité  d'agent- 
de-change.  Les  comptoirs  Stainville  et  Germancey, 
quoique  en  concurrence  l'un  avec  l'autre,  .faisaient 
l'escompte  de  l'amour  au  môme  taux  sous  la 
Restauration.  Le  premier  opérait  dans  la  rue  Colbert 
et  il  n'a  pas  encore  changé  de  place.  Une  femme 
AlCxXandre  y  remplace  la  Stainville,  et  ce  n'est 
pas  encore  avec  les  avantages  du  wagon  sur  la 
diligence,  qui  prenait  moins  de  voyageurs  et  qui  les 
gardait  plus  longtemps  ;  mais  elle  a  obtenu,  dit-on, 
plus  de  célérité  dans  l'expédition  des  affaires  : 
times  is  money!  Depuis  soixante-dix  ans,  dans 
cette  académie,  la  pantomime  abrège  incessamment 
cette  comédie  des  amours  que  les  tendres  cœurs 
prolongent  jusqu'au  drame  de  la  séparation,  dé- 
nouement inévitable.  Mais  une  déplorable  confusion  a 
fait  que  la  nommée  Stainville  passait,  aux  yeux 
de  sa  clientèle,  pour  une  véritable  comtesse. 
Plusieurs  Ghoiseul  ont  dû  à  une  terre,  qui  leur 
appartenait,  de  s'appeler  aussi  Stainville,  notamment 
le  ministre  d'État  qui  s'est  illustré  sous  Louis  XV. 
Un  acteur  a  porté  de  nos  jours  le  même  nom,  dans 
un  théâtre  secondaire  ou  tertiaire,  et  il  pouvait 
l'avoir  puisé  à  la  même  source.   Mais  c'esl,  tout 


(1)  Notice  écrite    en   1859.    L'arcade  qui   mettait  à  cou- 
Tert  l'extrémité   de  Ja  rue  n'a  disparu  que  dix  ans  après. 


RUE  COLBERT.  73 

au  plus,  l'ancienne  maîtresse  d'un  comte  de  Stainville 
qui  se  livra  au  genre  dé  commerce  encore  exploité 
dans  une  maison  qui  ne  s'en  cache  guère  :  un  ou 
plusieurs  œils-de-bœuf  et  un  joli  perron,  que 
surmonte  une  plate-forme  à  balustres,  y  donnent 
par-derrière,  et  c'était  originairement  sur  un  jardin. 
Le  bâtiment  en  est  visible  sur  le  plan  de  Paris 
en  1739  :  n'a-t-il  même  pas  compté  pour  l'une  des 
deux  maisons  officiellement  reconnues  dans  cette 
rue  un  quart  de  siècle  auparavant,  avec  une 
fontaine  et  4  lanternes  ?  D'origine  révolutionnaire 
est  l'équivoque  injurieuse  pour  les  Choiseul,  comme 
la  profanation  du  lieu.  La  Stainville  ne  se  retira 
pas  des  affaires  à  la  rentrée  des  Bourbons,  que 
leur  préfet  de  police  eût  odieusement  trahis  en 
tolérant  qu'une  parente  de  l'ancien  ministre  et  de 
son  neveu,  pair-de-France,  les  déshonorât  â  ce 
point,  dans  le  ressort  d'une  surveillance  qui 
regardait  spécialement  la  police  !  Pure  plaisanterie, 
par  conséquent,  que  la  couronne  de  comtesse 
attribuée  à  la  pourvoyeuse,  qu'il  convenait  de 
remettre  à  sa  place  pour  l'honneur  d'un  nom 
qui  va  de  pair  avec  celui  que  la  rue  porte  ! 

Il  y  a  pourtant  eu  un  Stainville  au  nombre  des 
grands  seigneurs  mal  mariés.  Le  mémorial  de 
Bachaumont  nous  en  convainc  à  la  date  du  27 
janvier  .1767  : 

«  Clairval,  acteur  de  la  Comédie-Italieiuie,  vivait  depuis 
longtemps  avec  M^e  de  Stainville.  Son  mari,  indigné  du 
goût  dépravé  de  sa  femme,  a  obtenu  un  ordre  du  roi 
et  vient  de  l'enlever  et  de  la  conduire  lui-même  à 
Nancy.  On  a  fait  une  descente  chez  l'histrion  pour  en- 
lever lettres  et  portraits,  si  aucuns  y  étaient.  On  assure 
que  la.  veille  de  son  départ  M.  de  Stainville  avait  trouvé 
Mi'«  de  Beaumesnii,  de  l'Opéra,  sa  maîtresse,  entre  les 
bras  d'un  jeune  Danseur,  d'autres  disent  d'un  Officier 
aux  Gardes. 

A  propos  de  cette  anecdote,   on  cite   un  bon  mot  de 


74  RUE  COLBERT. 

Caillaud,  camarade  de  Clairval.  Ce  dernier,  assez  in- 
quiet de  sa  position,  consultait  l'autre  sur  ce  qu'il  devait 
faire.  —  M.  de  Stainville,  lui  disait-il,  me  menace  de  cent 
coups  de  bâtOD,  si  je  vais  chez  sa  femme.  Madame 
m'en  offre  deux  cens,  si  je  ne  me  rends  pas  à  ses 
ordres.  Que  faire  ?  —  Obéir  à  la  femme  (répond  Caillaud)  : 
il  y  a  cent   pour  cent  à  gagner.  > 

Sur  requête  présentée  h  Louis  XIV  par  Jean- 
Baptiste  Colberl,  marquis  de  Cliàteauneuf,  secrétaire 
et  ministre  d'État,  contrôleur-général  des  finances, 
surintendant-général  des  bâtiments  de  Sa  Majesté, 
arts  et  manufactures  de  France,  l'ouverture  de 
la  rue  en  question  a  été  autorisée  sur  un  terrain  qui  lui 
appartenait  ;  une  arcade  a  été  percée  sous  la  galerie 
de  l'hôtel  du  duc  deNevers,  un  des  deux  héritiers 
de  Mazarin,  et  cette  arcade  avait  pour  vis-à-vis 
l'hôtel  Louvois,  de  même  qu'à  l'autre  extrémité  la 
voie  nouvelle  débouchait  en  face  de  l'hôtel  de 
Torcy.  Elle  a  porté  moins  d'une  année  la  dénomina- 
tion de  rue  Mazarin,  pour  prendre  celle  de  rue 
de  l'Arcade-Golbert  immédiatement  après  la 
mort  de  son  fondateur. 

Celui-ci,  en  sa  qualité  de  propriétaire,  a  eu 
Golbert,  archevêque  de  Rouen,  pour  successeur, 
à  l'angle  gauche  de  la  rue  Vivienne,  et  Golbert  de 
Seignelay  en  face.  M.  PilTet  tenait,  en  1710,  à 
M.  "de  Seignelay,  et  le  reste  était  à  M.  de  Mazarin, 
duc  de  Nevers. 

Ledit  duc,  héritier  de  la  moitié  du  palais 
3Iazarin,  ne  faisait  aucun  usage  de  la  portion 
de  galerie  dominant  la  nouvelle  arcade  et  reliée 
à  l'hôtel  qu'on  retrouve  de  nos  jours  au  n"  12, 
rue  Golbert;  dès  1698,  il  en  avait  cédé  la  jouissance 
à  la  marquise  de  Lambert,  i)ar  bail  viager.  M""*  de 
Lambert,  élevée  par  Bachnumont,  amie  de  Fon- 
tenelle  et  estimée  par  Fénélon,  a  beaucoup  embelli 
la  maison,  pour  en  faire  un  bureau  d'esprit,  émargé 


RUE  COLBERT.  75 

de  l'hôtel  Rambouillet.  Les  mardis  et  les  mercredis, 
on  y  dînait  ;  le  premier  de  ces  deux  rendez-vous 
hebdomadaires  était  le  grand  jour  pour  les  réputa- 
tions dont  le  cours  allait  h  la  hausse  ;  mais 
souvent  la  marquise  appelait,  au  cercle  du  lendemain, 
des  arrêts  prononcés  par  celui  du  mardi.  Anticham- 
bre de  l'Académie,  son  salon  était  le  seul  où  le  jeu 
n'empiétât  passur  le  terrain  du  bel-esprit.  Combien 
de  fortunes,  en  revanche,  se  taisaient  ou  se' défai- 
saient, tout  près  de  là,  quand  le  financier  Law 
eut  transformé  le  palais  de  Son  Éminence  en  hôtel 
de  la  Banque  royale  et  de  la  Compagnie  des  Indes  ! 
De  cette  métamorphose,  qu'a  opérée  l'architecte 
Mollet,  date  la  prolongation  de  la  galerie  intérieure 
dite  Mazarine  jusqu'à  la  rue  Colbert,  ainsi  que 
l'ouverture  pratiquée  après  coup  rue  Neuve-des- 
Petits-Champs.  La  chute  du  système  de  Law  a 
permis  d'installer  enfin,  comme  sur  ses  ruines, 
la  Bibliothèque  royale  ;  mais  les  droits  de  M"'*'  de 
Lambert,  qui  se  trouvait  en  ce  temps-là  dans  sa 
soixante-quinzième  année,  continuaient  à  être 
respectés.  Des  procès  l'avaient  éprouvée  cruelle- 
ment, et,  les  infirmités  de  l'âge  s'étant  mises  de  la 
partie,  péniblement  se  traînait  sa  vieillesse.  Malgré 
la  marquise,  on  avait  imprimé  ses  Avis  à  sa  fille 
et  Avis  d'une  mère  à  son  fils,  où  elle  donnait 
ce  conseil  distingué:  «  Mon  fils,  ne  faites  jamais 
que  les  sottises  qui  vous  feront  beaucoup  de 
plaisir  ;  »  mais  elle  se  mettait  au  Traité  de  la 
vieillesse  avec  une  douce  résignation,  car  sa  plume 
s'était  retrempée  au  préalable  dans  un  Traité  de 
Vamitié.  L'auteur  de  ces  écrits  a  cessé  de  vivre 
le  12  juillet  1733,  à  l'âge  de  86  ans. 

Le  cabinet  des  Médailles  ne  s'est  transféré  de 
Versailles  qu'après  huit  années  d'intervalle,  dans 
la  galerie  qui  le  retient  toujours  ;  mais  une  in- 
demnité avait  été  payée  à  la  famille,  pour  les 
dépenses  faites  par  la  délunte  dans  la  galerie  et 


76  RUE  COLBERT. 

la  maison.  L'abbé  Barthélémy,  auteur  du  Voyage 
d'Anacharsis,  ami  tidèle  et  reconnaissant  des 
Choiseul,  a  occupé,  de  17o3  à  1793,  comme  garde 
du  cabinet  des  Médailles,  le  logement  de  M'"*  de 
Lambert.  De  nos  jours  encore  l'immeuble  a 
pour  hôtes  des  savants  ou  des  littérateurs,  employés 
supérieurs  de  la  Bibliothèque  impériale. 


Boulevard    ^j^aint-.^larcol 

EN  CE  QUI    s'en  Al'l'EL AIT  NAGUÈRE 

Place     de    la     Collég^iale.  (i) 


La   Mère   Pineur.  —  L'Hymne   à   V Être- Suprême . 
—   Vente   de   Biens  nationaux. 

La  mère  Prieur,  qui  a  été  fermière  rue  Moufletard 
et  qui  l'est  encore  quelque  peu  rue  Pierre-Lombard, 
n"  3,  au  moment  où  nous  tenons  la  plume,  naquit 
en  1782.  Elle  a  souvent  le  mot  pour  rire  ;  les 
anecdotes  qu'elle  raconte  ont  plus  de  montant 
parfois  que  le  petit-lait.  Cette  bonne  femme  est 
voltairienne  et  regarde  P'iiilippe-Égalité  comme 
un  jésuite  h  exécrer;  son  culte  pour  la  monarchie 
lui  fait  voir  dans  Napoléon  le  glorieux  vengeur 
dé  Louis  XVI,  martyr  de  ses  condescendances  pour 
les  ennemis  du  bien  public.  Par  conséquent,  la 
mère  Prieur,  dont  la  mémoire  est  excellente,  pense 
diamétralement  le  contraire  de  feu  M'^e  Cavaignac, 
la  veuve  du  conventionnel,  cette  jacobine  trempée 
dans  l'eau  bénite.  Elle  fit  sa  première  communion, 
très-vraisemblablement  la  seule,  à  l'église  de 
Saint-Marcel,  dont  le  titre  fut  d'abord  partagé  par 
la  place  de  la  Collégiale, 


(1)  Notice  écrite  ea  1859.  Le  boulevard  Saiut-Marcel 
a  postérieurement  em[iorté  la  place  de  Ja  Collégiale,  eu 
s'en  appliquant  un  pavillon  monumental,  qu'on  devrait 
garder  à  titre  de  souvenir.  Cette  relique,  encore  si 
durable,  du  moyen-àgc  fait  presque  facs  à  une  rue 
nouvelle  qui  porte  la  dénomination  de  l'ancienne  place 
et  qui  oommeuce  rue  du  Fer-à-Moulin,  eu  absorbant 
une   portion    de    la   rue  du   Petit-Moine, 


78  BOULEVARD  SAINT-MARCEL,  ETC. 

De  cette  église,  bâtie  à  la  place  même  où  avait 
été  enterré  au  v  siècle  saint  Marcel,  évêque  de 
Paris,  il  reste  encore  quelque  chose.  On  revoit, 
au  n"  5,  la  voùto  du  clocher,  dont  la  tlèchc  fut 
rasée  en  1804  ;  cette  voûte  et  les  murs  y  attenant 
furent  adjugés,  le  11  frimaire  an  vi,  à  Ambroise 
Tinancourt,  ensuite  condamné  aux  fers  par  un 
jugement  du  28  thermidor  an  vni,  qui  emportait 
la  confiscation  de  ses  biens.  Voici  demôme,  n^S, 
la  porte  et  le  bâtiment  du  cloître,  adjugés  le  29 
avril  1793  à  Pierre-Sylvain  Maréchal,  homme  de 
lettres  :  des  numéros  sont  encore  déchiffrables  à 
la  porte  des  chambres,  dans  l'intérieur  de 
cette  propriété.  Tinancourt  avait  deux  enfants, 
dont  les  droits  furent  pris  en  quelque  considéra- 
tions ;  mais  le  citoyen  Lhuillier,  plus  tard  référen- 
daire à  la  cour-des-comptes,  racheta  aux  criées 
l'immeuble  du  condamné,  fit  ensuite  un  échange 
avec  son  voisin  Maréchal,  et,  depuis  1821,  les  deux 
immeubles  sont  réunis  entre  d'autres  mains. 

Maréchal,  à  l'époque  de  son  acquisition,  étaU 
un  sophiste  à  la  mode  ;  il  rima  pour  la  fête  de 
l'Ètre-Suprême  une  hymne,  qui  fut  suivie  d'hymnes 
à  la  Raison  ;  Grétry  composa  la  musique  de  plusieurs 
pièces,  de  sa  façon,  Diogène  et  Alexandre,  Denis 
à  Cormthe,  la  Rosière  républicaine;  il  écrivit,  en 
outre,  une  pièce  en  prose,  le  Jugement  des  rois. 
De  lui  paraissait  chaque  année  une  brochure 
philosophique,  rappelant  son  Almanach  des  honnêtes 
gens,  brûlé  par  le  bourreau  en  1788.  Ce  n'en  était 
pas  moins  un  honime  serviable,  au  milieu  des 
fureurs  déchaînées  par  l'esprit  de  parti.  Ses  débuts, 
ayant  été  faits  dans  la  poésie  pastorale,  l'avaient 
d'abord  autorisé  à  signer  «  le  berger -Sylvain  »; 
puis  il  avait  hurlé  avec  les  loups.  Vers  le  commen- 
cement du  Consulat,  il  habitait  Monlrouge,  avec 
sa  femme  et  quelques  autres  femmes  instruites, 
société  (jui  lui  inspira  une  déclamation  nouvelle  " 


BOULEVARD  SAINT-MARCEL,  ETC.  79 

Projet  de  loi  portant  défense  aux  femmes  d'apprendre 
à   lire. 

La  ferme  de  Saint-Marcel,  qui  appartenait  au 
chapitre,  se  retrouve  n"'  13  et  15,  près*  d'une 
seconde  ferme,  fructifiant  sous  Louis  XVI  pour  le 
marquis  d'Àubouin,  dont  le  château  avoisinait 
Villejuif.  En  ce  temps-là  une  foire  se  tenait,  à  la 
Toussaint,  sur  la  place  de  la  Collégiale.  L'espace  y 
était  découvert  dans  le  commencement  du  xvni"  siècle'; 
mais,  au  milieu  du  précédent,  un  cimetière  obstruait 
encore  le  passage  entre  l'église  précitée  et  celle 
de  Saint-Martin,  dont  il  subsiste  pareillement  des 
fragments.  Au  6  est  sa  vieille  porte  en  pierre, 
qui  n'ouvrait  pas  dans  le  sens  de  la  place  ;  des 
poules  donnent  un  aspect  rustique  à  cette  maison 
de  tonnelier,  vestige  d'un  temjjle  qu'environnaient 
et  que  pavaient,  si  récemment  encoi-e,  plusieurs 
généi'ations  de  tombes,  confondues  dans  le  même 
oubli.  La  ci-devant   église  de  Saint-Martin,   qu'on 

Se  jeta  bas  que  vers  1806,  avait  été  le  chef-lieu 
e  la  section  du  Finistère. 
Ce  qu'on  nommait  le  petit  cimetière  sert  égale- 
ment de  basse-cour,  n"  4,  dans  l'ancien  presbytère 
du  curé  de  Saint-Martin,  qui  .n'avait  alors  qu'un 
étage,  sur  lequel  était  prise  la  salle  des  margniilliers. 
Le  14  lloréal  an  iv,  ce  bâtiment  fut  adjugé  au 
citoyen  Piault,  capitaine  de  vétérans,  par  acte 
dressé  à  7  heures  du  matin,  en  présence  d'un 
citoyen  Jean-Jacques  Rousseau,  commissaire  du 
Directoire  exécutif  près  l'administration  municipale 
du  xn«'  arrondissement  du  département  de  la  Seine, 
canton  de  Paris. 


Kiie  Tliouiii, 

EN  CE  (^UI   s'ÉX  appelait    NAGUÈRE 

de   Foure.y  -  8aiiit  -  Jacqiie^^^ 
et    rue    de  Fourcy, 

XAGCÈRE 

do   Fourcy-Saînt-Antoîiie.  (i) 


Un  grand  jour  pour  l'Hôtel-de- Ville  que  le30  janvier 
1687!  Les  édiles  ce  jour-là  traitaient  le  roi,  les 
princes  et  princesses  du  sang,  des  seigneurs  et 
dames  de  la  cour.  Jamais  dîner  ne  fut  plus  de 
gala.  Le  prévô^-des-marchands  Henri  de  Fourcy, 
président  de  In  chambre-des-enquêtes,  servait  îe 
roi;  Geoffroy,  premier  échevin,  le  Dauphin;  la 
présidente  de  Fourcy,  la  Dauphine  ;  le  deuxième 
échevin.  Monsieur,  et  le  dernier  échevin,  le  duc 
de  Chartres. 

M.  de  Fourcy,  comme  chef  de  l'édilité,  fit  com- 
bler d'anciens  fossés  de  la  ville,  en  exécution  d'un 
arrêt  du  conseil  du  17  avril  1685,  pour  i'ormer 
la  rue  de  Fourcy-Sainte  Geneviève,  alkis  de  Fourcy- 
Saint-Jacques,  dite  aussi  place  Neuve-de-Fourcy 
d'après  Lacaille.  Le  mur  de  l'abbaye,  dans  lequel 
s'était  ouverte  la  porte  Papale  de  ce    monastère, 


(1)  Notice  écrite  en  1867.  La  mémoire  du  naturaliste 
Thouin  ne  se  rattachait  encore  par  aucune  particularité 
à  la  rue  de  Fourcy-Saint- Jacques  qui,  en  changeant  de 
vocable,  a  agripé  un  crochet  de  celle  des  Fossés-Saint- 
Victor. 


RUE  THOUm,  ETC.  81 

et  un  jeu  de  longue-paume  en  occupaient  d'abord 
tout  un  côté,  où  se  trouvait,  au  siècle  suivant, 
le  marchand  de  vin  Thiéry,  h  l'angle  de  la  rue 
Bordet,  aujourd'hui  Descaries. 

En  ce  jeu  de  paume  avait  été  monté  un  petit 
spectacle  par  le  farceur  Legrand,  dit  Turlupin,  et 
ses  deux  acolytes,  Gros-Guillaume,  Gautier-Gar- 
guille.  Ils  venaient  tous  trois  du  faubourg  Saint- 
Laurent,  où  ils  avaient  été  garçons  boulangers 
avant  que  d'y  monter  sur  les  tréteaux  de  la  foire, 
et  ils  s'étaient  particulièrement  arrêtés  dans  la 
région  du  Pont-neuf,  en  accomplissant  le  voyage 
d'outre-Seine  qui  avait  mis  le  sceau  à  leur  réputa- 
tion. Les  bouffonneries  de  ce  triumvirat  créaient 
un  genre,  éminemment  railleur,  et  nous  voyons 
encore  des  personnages  du  répertoire  de  Molière 
se  .  turlupiner  sur  la  scène.  Les  représentations 
données  par  Tui  lupin  et  G*  près  de  l'abbaye  ne 
duraient  guère  que  de  une  heure  à  deux  de  relevée; 
on  en  voyait  la  farce  pour  2  sols  6  deniers  par 
place.  L'esprit  naturel  des  scènes  qu'ils  oifraient 
au  public  avec  succès,  ne  devait  rien  à  l'allicisme  ; 
néanmoijis  les  comédiens  privilégiés  de  l'hôtel  de 
Bourgogne  se  plaignirent  de  cette  concurrence  au 
premier  mniistre  de  Louis  XIIL  Avant  de  faire 
droit  à  leur  réclamation,  le  cardinal  de  Richelieu 
voulut  se  donner  un  plaisir  que  tant  de  monde 
avait  pris  à  si  lx)n  compte  sans  lui,  et  qui  allait 
être  supprimé.  Appelés  à  jouer  au  Palais-Cardinal, 
les  trois  acteurs  y  déridèrent  si  bien  son  Éminence 
qu'elle  les  lit  entrer  par  ordre  dans  la  troupe 
même  de  l'hôtel  de  Bourgogne.  Près  de  là,  en 
1791,  la  place  de  l'Estrapade  eut  6n  théâtre  des 
Muses,  qui  se  ferma  l'année   suivante. 

Les  turlupinades,  que  l'envie  avait  poursuivies 
jubque-là,  s'étaient  pourianl  bien  éloignées  de  leur 
berceau.  N'avaient-elles  pas,  en  outre,  un  voisinage 
sinistre  dans  l'Estrapade?  François  CoUetet,  en  son 


82  RUE  THOUIN,  ETC. 

poème  La  Ville  de  Paris,  disait  de  cet  instrument 
de  supplice  : 

Enfin    tu  vois    bien  l'Estrapade, 
Triste  et  douloureuse  escalade 
Où  l'on   fait   monter     quelquefois 
Ces  grands  Violateurs  de  Loix, 
Je  parle  de  Loix  militaires, 
Qui  sont  justes   et   fort  sévères  ; 
Item  auprès   est  le   gibet 
Où  le   criminel,  au   colet 
Une   fois   pris,   n'en    peut  descendre, 
Par  ce  qu'il   a    gagné  le    pendre. 

En  face  du  susdit  ïhiéry,  la  veuve  Coménil,  née 
Popin,  était  propriétaire.  Puis  venaient  :  une 
maison  à  Nicolas  Defays,  conseiller  aux  aides, 
successeur  de  Moreau,  pelletier  ;  une  maison  et 
un  terrain  au  marbrier  Adam. 

Le  même  prévôt-des-marchands  avait  fait,  en  1684, 
d'un  cul-de-sac  la  rue  Neuve-Fourcy,  dite  également 
Sencée,  puis  de  Fourcy- Saint-Antoine,  au  bout  de 
celle  des  Nonnains-d'Hyères.  Elle  avait  déjà  10 
maisons  avant  le  règne  de  Louis  XV,  sur  la  tin 
duquel  l'abbé  Terray  disposait  du  n"  1  actuel  ; 
M.  Gomont,  d'une  maison  un  peu  plus  haut,  et 
les  dames  de  Bon-Secours  d'une  autre  ensuite. 
Quant  à  notre  n°  7,  il  a  sans  doute  dépendu  de 
l'hôtel  bâti  en  1706  dans  la  rue  Saint-Antoine  pour 
Hénault  de  Cantorbre,  fermier-général.  Les  pro- 
priétaires de  l'autre  rangée,  à  partir  du  n"  2  actuel, 
étaient  :  MM.  Laurent,  Jeault,  Vincent,  les  religieux 
célestins,  M.  de  la  Tour,  encore  les  célestins  et 
enfin  M'"''  Mauduit. 


Rue   de    Greiielle-^aint-Geriiiaiii.  (i) 


Revue    d'hôtels     et  de     couvents, 

Cei'taines  rues  peuvent  être  rajeunies  ;  mais  on 
aurait  beau  faire  pleuvoir  l'eau  de  Jouvence  sur 
la  tête  de  celle-ci,  ses  cheveux  reblanchiraient 
vite,  inséparables  de  la  poudre.  Changez  même 
l'alignement,  le  cordon  des  suisses  reculera  :  c'est 
le  front-de-bandière  du  camp.  Mais  les  hôtels 
resteront  impassibles,  au  fond  d'autant  de  cours 
grandes  encore  ;  ils  garderont  pour  nous  l'habit  ^  la 
française,  avec  une  épée  en  verrouil,  comme  maints 
portraits  de  famille  qui  en  décorent  l'intérieur. 
Assez  de  visites  se  rendent  rue  de  Grenelle  à  nos 
contemporains;  déposons-y,  par  exception,  des 
cartes  à  l'adresse  de  leurs  devanciers,  sans  espérance 
de  retour,  quelque  nombreuse  que  soit  la  distri- 
bution. 

Le  moyen  d'en  vouloir  encore  au  doge  de 
Gênes,  amené  à  Paris,  avec  quatre  de  ses  sénateurs, 
par  Colbert  de  Seignelay,  le  fils  du  grand  Golbert, 
pour  faire  pardonner  aux  Génois  d'avoir  fourni  des 
frégates  ii  l'Espagne!  Celte  république  bombardée, 
venant  laire  ses  soumissions  en  l'an  1686,  est 
descendue  à  l'hôtel  de  Beauyais,  que  Pierre  de 
Beauvais,  conseiller  du  roi,  avait  acquis  d'une 
Dampierre,  veuve  de  Foucaut  de  Saint-Germain, 
comte    de    Dognon,    vice-amiral    et  maréchal  de 


(1)  Notice  écrite  en  1860.  Ultérieur  est  le  percement 
des  rues  des  Saints-Pères  et  Clerc,  de  l'avenue  La  Motte- 
Piquet  et  du  boulevard  Latour-Maubourg  au  travers  de 
la   rue  de   Grenelle. 


R4       RUE  DE    GRENELLE-SAINT-GERMAIN. 

France,    cessionnaire   elle-même    cle  la  marquise 
d'Antin,  née  Zamot,  la  donataire  de  Zamet,  évêque 
de  Langres.   Les  }3etites-cordelières,  religieuses  de 
l'ordre  de  Sainte-Glaire,  réformées    sous  le  titre 
de  la  Nativité  de-Jésus,  s'établirent  aussi,  au  moyen 
d'un  échange,   dans  l'hôtel  de  Beauvais,  après  le 
passage  du  doge  :  elles  n'avaient  été  que  quatre 
ans  rue    Payenne,    près   l'hôtel  d'Angoulême,  en 
quittant  leur  quartier  de  fondation,   qui    était  le 
faubourg  Saint-Marcel.  En  1744,  le  conseil  d'État 
envoya  d'office  un  économe  à  ces  cordelières,  leurs 
affaires  se  trouvant  dans  un  désordre  qui  ne  tarda 
même  pas  h  entraîner  la  suppression  du  couvent. 
A  Saint-Simon,  évêque  de  Metz,  s'adjugea  la  maison, 
et  ses  héritiers  la  vendirent  en  1763  à  Beaumanoir 
de  la  Boissière,   capitaine  de  dragons.  Tout  près, 
le  comte  du  Châtel  a  acheté  l'usufruit  d'un  hôtel 
appartenant  aux  carmes  de  la  rue   des    Billettes, 
et  où  des  religieux  de  Saini-François-de-la-Terre- 
Sainte  avaient  "été  établis  par  décret  du    14  avril 
dG67.  f.a  plus  considérable  de  ces  deux  propriétés 
contiguës  s'est  transformée  (juand  on  la  qualiliait 
grand  et  petit  hôtels  de  Créqui  :  le  marquis  de  Créqui 
laissait  veuve,  en  1771,  la  marquise  sur  laquelle 
on  a  publié  des  mémoires,  et  lui-même  cultivait 
les  lettres.  M.  de  l'Espinasse,  général  d'artillerie, 
habita  le  petit  hôtel,  avant  que  cela  fût  une  mairie, 
et  le  baron  Boyer,   chirurgien  en  renom,  puis  son 
fils,  occupèrenf  le  grand  :   le  pr(>longement  de  la 
rue  des  Saints-Pères  menace  tout  au  moins  l'un 
des  deux. 

Contemporain  de  M.  de  Créqui,  M.  de  Bérulle 
a  lait  bâtir  le  15S  ;  sa  petite-tille  l'y  remplace, 
M|"'"  la  marquise  de  Puybusqué.  Le  soi  en  avait 
dépendu  de  l'ancien  hôtel  de  Beauvais,  car  les 
héritiers  de  Claude  Cahours,  baron  de  Beauvais, 
étaient  encore  propriétaires  au  coin  de  la  rue  de  la 
Chaise,    en    1763,    d'une    portion    des  bâtiments 


RUE  DE    GRENELLE-SAINT-GBKMAIN.        85 

maintenant  en  la  possession  de  M.  le  marquis  de 
Croix.  M'"«  la  comtesse  Ogier  n'est  venue  au  45 
qu'après  Vien,  une  célébrité  de  la  peinture  ;  de 
même,  le  duc  de  Bassano  a  précédé  M"""  Smith 
au  n"  49,  dans  les  appartements  duquel  figurent 
de  jolis  bas-reliefs. 

Pour  inaugurer,  comme  prévôt-des-marchands, 
un  admirable  monument  de  Bouchardon,  la  fontaine 
dont  les  récollettes  de  la  rue  du  Bac  avaient 
donné  remplacement,  Élienne  Turgot  vint  rue  de 
Grenelle  à  la  tête  d'un  pompeux  cortège.  Raison 
de  plus  pour  nous  étonner  que  le  plan  de  Paris,  déuié 
en  1739  à  ce  chef  de  l'édilité,  se  contente  d'in- 
diquer quatre  hôtels  dans  toute  la  rue  :  voyez  vous- 
même  s'il  en  passe  !  La  plupart  des  hôtels  y  datent 
de  plus  loin,  et  les  simples  maisons  y  paraissent 
en  minorité,  tant  elles  prennent  peu  de  place 
au  soleil  !  L'égalité  ne  règne  encore,  h  ce  point 
de  vue,  que  dans  le  numérotage,  malgré  la  révolu- 
tion qui  a  fait  du  quartier  la  section  de  la  Fontaine. 

Au  73,  écart  de  l'hôtel  Galiffet,  M"""  la  comtesse 
d'Arlincourt  perdait  naguère  le  romancier,  son 
mari,  dont  elle  suit  les  traces  en  écrivant  aussi. 
Le  duc  d'Albe,  ambassadeur  de  Philippe  V,  était 
mort,  en  1711,  dans  la  grande  maison  du  président 
Talon,  postérieurement  hôtel  Galiffet,  devenu  sous 
la  République  le  ministère  des  Relations-Extérieures. 
M.  de  ïalleyrand,  étant  ministre,  résida  au  75, 
dont  l'histoire  était  différente.  Le  cardinal  d'Estrées, 
camerlingue  du  sacré  collège,  membre  de  l'Aca- 
démie-Française,  l'avait  créé  au  ww  siècle,  s'en 
payant  le  cens  à  lui-même  comme  abbé  de  Saint- 
Germain-des-Près,  et  il  y  avait  eu  pour  successeur 
le  prince  Égon,  comte'  de  Furstenberg,  puis  le 
maréchal  de  ïessé,  général  des  galères  de  France, 
puis  Phélypeaux  de  la  Vrillière,  ministre,  puis 
Phélypeaux  de  Maurepas,  que  Marmontel  qualifiait 
le  plus  séduisant  des  ministres,  et  dont  le  crédit 


86        RUEDE  GRENNELLE-SAINT-GERMAIN. 

n'avait  pas  nui  à  l'établissement  de  la  belle  fontaine 
peu  distante  de  sa  demeure.  L'ex-hôtel  Maurepas, 
sous  la  Restauration,  appartenait  à  MM.  Moreton 
de  Chabrillan,  en  leur  qualité  d'héritiers  de  la 
duchesse  Du  Plessis-Richelieu  d'Aiguillon.  La  prin- 
cesse de  Talmond,  la  comtesse  de  la  Rochejaquelein 
et  M.  de  Galitfet,  prince  de  Martigues,  figurent 
à  la  suite  sur  les  titres  de  propriété  et  n'y  précèdent 
que  M.  Edmond  Lafond.  M""'  de  ïalmond  a  possédé 
également  l'immeuble  subséquent,  où  M.  de  Maurepas 
avait  autrefois  pour  voisine  la  comtesse  de  La 
Mothe-Houdancourt,  née  de  la  Vergne  de  Tressan. 

Pour  fêter  le  baptême  de  la  maison  d'après,  il 
faut  que  le  curieux  se  reporte  un  peu  avant  la 
fin  du  règne  de  Louis  XIV  :  l'enfant  est  tenu  sur 
les  fonts  de  sa  première  pierre  dans  un  marais, 
appartenant  aux  Lefébure,  famille  d'un  grand- 
audiencier.  Cotte,  premier  architecte  du  roi,  a 
tracé  le  plan  ;  arrivent  les  maçons,  et  un  superbe 
hôtel  sort  de  la  terre  pour  la  duchesse  d'Estrées. 
Celui-là  se  divise  également  en  grand  hôtel  et 
petit.  Le  premier,  tenant  à  l'autre  et  à  l'hôtel  La 
Mothe,  est  vendu  en  1754  par  le  duc  de  Biron, 
légataire  de  sa  tante,  la  duchesse  d'Estrées,  à  une 
princesse  du  sang,  Charlotte-Aglaé  d'Orléans, 
épouse  du  prince  d'Est,  duc  de  Modène.  Puis  le 
marquis  de  Beuvron-d'fiarcourt,  commissaire- 
général  de  la  cavalerie,  achète  des  héritiers  de 
la  duchesse  de  Modène.  Le  duc  de  Feltre,  maréchal 
de  France,  prend  possession  de  l'immeuble  sous 
l'Empire  et  le  cède  sous  la  Restauration  à  la 
marquise  de  Tourzel,  après  laquelle  vient  le  duc 
de  Tourzel,  puis  M""^  la  duchesse  d'Escars,  née 
Tourzel.  Quant  au  moindre  hôtel,  autrement  dit 
le  81,  il  a  eu  pour  acquéreur  le  comte  Annibal 
de  Montmorency-Luxembourg  ;  mais  les  héritiers 
de  celui-ci  en  ont  accommodé  M.  de  Beuvron- 
d'Harcourt,    qui   a    réattelé    ensemble    les  deux 


RUE  DE    GRENELLE-SAINT-G'';RMAIN.        87 

maisons  à  grandes  guides,  après  lesquelles  prenait 
la  filé  l'hôtel  de  Bonneval,  marquis  de  Martonne, 
équipage  domestique  ultérieurement  mené  par  le 
marquis  de  La  Salle,  lieulenant-gënéral. 

Les  Luxembourg,  au  reste,  ont  été,  comme  les 
d'Estrées,  propriétaires  sur  plusieurs  points  de 
la  rue  à  laquelle  se  consacre  cette  monographie. 
Un  hôtel  Desmarest,  ensuite  Rivié,  que 'l'architecte 
Lassurance  avait  dessiné,  est  devenu  Luxembourg, 
du  chef  d'un  duc.  La  duchesse  de  Châtillon,  femme 
de  M.  de  Montmorency-Luxembourg,  duc  de 
Châtillon,  a  disposé,  en  outre,  du  97;  mais  elle 
habitait  rue  du  Bac,  et  cette  maison  de  la  rue 
de  Grenelle  n'était  pas  de  qualité  :  Filz,  avocat, 
et  Boullet,  le  concierge  du  palais  d'Orléans,  l'avaient 
eue,  avant  M.  de  Vertilly,  père  de  la  duchesse. 
Là  n'a  jamais  été  l'hôtel  de  Luxembourg  ;  mais 
nous  ne  serions  pas  moins  empêché  de  vous  le 
montrer  du  doigt  que  ceux  du  Rourre,  de  Dillon, 
de  Konski,  de  Mirepoix,  de  Caumont,  de  Castellane, 
de  Feuquières  et  de  Bréant,  qui  ont  marqué  même 
rue.  En  revanche,  pour  en  dire  autant  de  l'hôtel 
d'Avaray,  il  faudrait  être  aveugle  :  les  lettres  d'or 
d'une  inscription  n'y  laissent  aucun  doute  aux 
passants.  Le  duc  d'Avaray,  qu'eut  pour  favori  le 
comte  de  Provence  et  qui  décéda  en  1810,  y  avait- 
il  remplacé  le  marquis  d'Avaray,  lieutenant-général, 
ambassadeur  près  les  cantons  suisses,  gouverneur 
de  Péronne,  etc  ?  Les  châteaux  eux-mêmes  restent 
rarement  plus  d'un  siècle  dans  la  même  famille  ; 
mais  ils  ne  changent  pas  de  noms  comme  de 
maîtres,  et  les  hôtels  n'en  font  souvent  pas  d'autres. 
Les  d'Avaray  peuvent,  h  notre  insu,  se  contenter 
des  restes  d'un  Mirepoix  ou  d'un  Caumont-Laforce. 
Nul  doute  qu'un  Lamoignon  a  lésidé  en  regard 
du  couvent  de  Panthemont,  et  qu"un  hôtel  de 
Portugal,  vraisemblablement  occupé  par  l'ambassa- 
deur de  ce  royaume,  avait  eu  le  même  vis-à-vis  ; 


88       RUE  DE  GRENELLE-SAINT-GERMAIN. 

mais  il  n'y  a  pas  certitude  que  la  demeure  de 
celui-ci  fût  l'ancienne  de  celui-là  :  le  monastère 
tenait  trop  de  place  pour  ne  faire  face  qu'à  un 
seul  hôtel. 

De  l'hôtel  Seignelay  à  celui  de  Maillehois  toute 
la  distance  pouvait  n'être  que  celle  d'une  généra- 
tion :  le  comte  de  Maillehois,  lieutenanl-géiiéral, 
avait  pour-oncle  Colhert  de  Seignelay.  Mettons-les 
donc  l'un  après  l'autre  au  n"  87,  si  nous  osons  nous 
contenter  de  conjectures  vraisemblables. 

Le  ministère  de  l'Intérieur  n'a  pas  été  que  la 
résidence  de  Le  Voyer  de  Paulmy  d'Argenson. 
L'hôtel  principal  y  remonte  à  1704,  et  Lassurance 
encore  en  est  l'auteur.  Le  marquis  de  Rothelin 
y  a  précédé  le  financier  Hoguier,  baron  de  Presles, 
dont  les  appartements  ont  été  mis  en  1716  à  la 
disposition  d'un  ambassadeur  extraordinaire  du 
roi  de  Suède,  le  comte  de  Sparre,  et  qu'a  remplacé 
sur  saisie,  en  1734,  l'adjudicataireThomas  Legendre, 
seigneur  de  Calandre,  maréchal-de-camp.  Celui- 
ci  a  vendu  l'année  suivante  à  Mademoiselle,  Louise- 
Anne  de  Bourbon-Condé,  princesse  de  Charolais. 
D'où  l'hôtel  a  passé  Conti,  autrement  dit  Condé 
de  branche  cadette,  et  Jaillot  ajoute:  De  la 
Marche. 

Clément  de  Ris,  au  nom  et  comme  fondé  de 
pouvoir  de  Guy  Guérarpin  de  Vauréal,  évêque  de 
Rennes,  ancien  ambassadeur,  grand  d'Espagne, 
grand-maître  de  la  chapelle  du  roi,  se  rendait 
adjudicataire,  au  milieu  du  xvni*^  siècle,  de  notre 
n"  125,  licite  par  les  hoirs  de  la  marquise  de 
Rochechouard,  née  Pincy  de  Saint-Luc.  Or  cet 
hôtel  de  Rochechouard,  œuvre  de  Cherpilel,  attenait 
d'une  part  au  Cours,  dit  impi'oprement  le 
Rempart  (i),  qui  n'était  encore  que  tracé,  d'autre 


(1)  Autrement  rJit  jjour  nous  la  rue  d'Iéna. 


RUE  DE  GRENELLE-SAINT-GERMAIN.         89 

part  à  M"**  de  MonestroUe  et  anx  héritiers  d'Haute- 
ibrt,  par-derrière  à  un  clos,  propriété  des  Invalides  ! 
Il  avait  commencé  par  être  Pompadour  et  le 
devait  à  Glianac,  abbé  de  Pompadour,  qui  descen- 
dait de  la  famille  de  Guillaume  de  Chanac,  évêque 
de  Paris  au  xiv  siècle.  La  marquise  Duchàtelet,  lille 
du  baron  de  Breteuil,  y  avait  passé  quelque  temps; 
vous  savez  tous  que  cette  femme  savante,  qui  s'était 
mariée  jeune  avec  un  lieutenant-général,  avait  su 
mériter  de  célèbres  amis  et  surtout  la  recon- 
naissance de  Voltaire.  Le  même  toit  a  abrité: 
sous  Louis  XVI,  le  duc  de  Guicbe,  mari  d'une 
Polignac,  père  du  menin  du  duc  d'Angoulême  et 
grand'père  du  duc  de  Gramont,  le  plus  beau 
gentilhomme  de  notre  temps;  sous  l'Empire,  le 
duc  de  Cadore;  sous  la  Restauration,  les  bureaux 
de  la  liste  civile,  quand  l'administration  de  la 
maison  du  roi  occupait  le  palais  archiépiscopal 
d'à-présent  ;  sous  Louis-Philippe,  l'ambassade  d'Au- 
triche. Jusqu'en  1838,  notre  rue  s'est  arrêtée  là, 
elle  se  poursuit  depuis  dans  le  quartier  du  Gros- 
Caillou. 

Grand  train  de  maison  chez  l'abbé  de  Pom- 
padour, dont  le  petit  hôtel,  ouvrant  en  face  de 
l'autre,  est  devenu  Bezenval.  Courtisan  de  Marie- 
Antoinette,  le  baron  de  Bezenval  était  inspecteur- 
général  des  gardes-suisses,  et  sa  galerie  de  tableaux 
avait  de  la  réputation:  chargé  d'un  grand  com- 
mandement, avant  d'avoir  désespéré  du  salut  de 
la  monarchie,  il  ne  sut  se  ménager  que  des 
passeports  ;  encore  fut-il  arrêté  dans  sa  fuite  et 
jugé,  mais  absous.  S.  A.  le  prince  Lucien  Bona- 
parte habite,  par  le  temps  qui  court,  l'ancienne 
demeure  du  baron. 

Elle  ne  venait  la  dernière  que  comme  hôtel, 
sur  le  tlanc  droit  de  la  lue.  Il  y  avait  place 
encore  pour  Sainte-Valère,  petite  église  et  com- 
munauté religieuse.   Un  refuge  de  filles  repenties 


90        RUE  DE  GRENEI.LE-SAINT-GERMAIN; 

y  avait  été  autorisé  en  1710.  L'église  n'a  disparu 
qu'en  1840. 

Aussi  bien  l'hôtel  de  Luxembourg-Châtillon, 
qui  nous  taisait  tout-à-l'lieure  tâtonner,  est-ce 
qu'il  n'était  pas  de  ce  côté?  Appreuez  toujours 
que  le  comte  de  Ciiàtillon  vendait  en  1719  au 
duc  de  iSoirmoutiers  le  terrain  sur  lequel  s'exé- 
cuta un  plan  deCortonne.  Son  altesse  sérénissime 
Mademoiselle,  comtesse  de  Sens  donnait,  quinze  ans 
après,  au  marquis  de  Matignon  200,000  livres 
du  grand  et  du  petit  hôtels  Noirmoutiers.  Les 
gardes-du-corps  de  Monsieur,  comte  d'Artois,  y 
ont  eu  leur  quartier  ;  c'est  maintenant  l'École 
impériale  d'état-major. 

Le  184  servait  de  logement  aux  officiers  su  périeui'S 
de  la  caserne  Bellechasse,  un  peu  avant  que  le 
duc  de  Duras,  gentilhomme  de  la  chambre  de 
Louis  XVIII,  s'y  installât  personnellement.  Nous 
serions  étonné  qu'il  n'eût  pas  fait  partie  de 
l'établissement  des  carmélites  de  Sainte-Thérèse, 
venues  là  de  la  rue  du  Bouloi  vers  1688.  Le 
temporel  de  ces  religieuses  ayant  souffert,  elles 
le  mirent  en  direction  ;  M.  d'Argenson,  lieutenant- 
de-police,  régularisa  leurs  affaires  et  lit  tirer,  le 
13  février  1715,  une  loterie  que  le  roi  leur  avait 
accordée:  le  principal  en  montait  à  478,000  livres, 
dont  il   ne  revenait  net  à  la  maison  que    lo/ioo. 

Du  doyen  des  hôtels  de  la  rue,  qui  lui  aussi 
en  formait  deux,  le  moindre  reste  au  118. 
Jacques  Le  Cogiieux,  président  à  mortier,  qui 
s'était  signalé  comme  frondeur,  y  avait  donné  ses 
ordres  avant  le  maréchal  duc  de  Navailles,  pré- 
décesseur de  Charles  de  Lorraine,  duc  d'Elbeuf, 
et  de  l'illustre  maréchal  de  Villars,  dont  la  famille 
conserva  nu  bout  du  jardin  la  statue,  ouvrage  de 
Couslou  l'alné.  Les  bâtiments  de  l'ambassade 
ottomane  sont  tellement  de  notre  siècle  que 
M.    de    Forbinjanson,    évoque    de    Nancy,  en    a 


RUE  DE  GRENELLE-SAINT-GERMAIN.        91 

fait  les  frais.  Cet  immeuble  touchait  presque,  avant 
la  révolution  de  Février,  à  l'ancien  hôtel  de  Brissac, 
où  siégeait  l'ambassade  napolitaine.  Le  ministère 
de  l'Instruction  publique,  au  dire  de  M.  Girault 
de  SaintJFargeau,  est  un  ancien  hôtel  Rocliechouard, 
du  dessin  de  Cherpitel  ;  mais  quelque  chose  nous 
paraît  s'en  étendre  sur  lancien  territoire  des 
religieuses  de  Bellechasse.  BuUet  ne  laissait  guère, 
en  1676,  sur  sa  carte  de  Paris,  que  de  quoi 
bâtir  une  maison  entre  les  derrières  de  ce  monastère 
et  un  hôtel  de  Noailles,  pour  lequel  il  prenait 
sans  doute  celui  de  Navailles. 

Ces  dames  de  Bellechasse  tenaient  de  l'autre 
côté  à  celles  de  Panthemont,  qui  succédaient 
indirectement  à  des  augustines  du  Verbe-Incarné, 
établies  là,  dès  1644,  dans  l'ancienne  orangerie 
du  roi,  mais  n'ayant  pu  s'y  maintenir  que  vingt- 
deux  ans.  Les  biens  de  la  communauté  supprimée 
avaient  été  appliqués  à  l'Hôpital-Général,  qui, 
moyennant  échange,  avait  transmis  la  propriété 
disponible  aux  religieuses  de  Panthemont,  abbaye 
fondée  de  longue  date  en  Picardie.  Coûtant  et 
Fransque  ont  construit  cette  église  à  coupole  de 
leur  monastère  de  Paris  ;  elle  est  depuis  le 
Consulat  un  temple  protestant.  L'administration 
du  génie  .  utilise  un  bâtiment  qui  faisait  partie 
du   monastère. 

Entre  Panthemont  et  le  jardin  des  dames  de  la 
yisitation-Sainte-Marie,  la  comtesse  de  Fontaine, 
née  Marie  Pelart  de  Quincy,  acquit  en  1724  et 
laissa  après  elle  à  son  mari,  qui  était  lieutenant- 
général,  une  maison  dessinée  par  de  Lisle-Mansart 
au  commencement  du  dernier  siècle.  Le  nôtre  y 
vit  au  prince  de  Rosbeck  succéder  des  Laroche- 
foucauld,  avant  qu'un  cai-rossier  s'en  emparât. 
Portons  cela  au  compte  du  102. 

La  marquise  de  Noaillac  disposait,  sous  l'ancien 
régime,  d'un  hôtel  où  le  premier  empire    vit  le 


92         RUE  DE  GRENELLE-SAINT-GERMAIN. 

comte  Chaptal,  et  qui  appartient  encore  à  M.  le  baron 
Delaage,  le  gendre  du  chimiste  que  Napoléon  eut 
pour  ministre:  88-86.  On  donns  en  ce  moment 
une  face  nouvelle  au  n"  84  ;  c'est  masquer  un 
ouvrage  de  Pierre  de  Lisle-Mansart,  qui  y  travaillait 
pour   lui-même  k  la  lîn  du  xvn''  siècle. 

En  vue  de  la  Seine  et  de  la  Marne,  présentées 
à  la  Ville  de  Paris  par  Girardon,  dans  son  allégorie 
en  marbre,  deux  maisons,  touchant  par-derrière  à 
l'hôtel  de  Luynes,  étaient  payées  131,200  livres  par 
Marie-Thérèse  Guyot,  veuve  de  Jubert  de  Bouville, 
maître-des-requêtes,  aux  D"'''Potherat,  dans  le  milieu 
du  siècle  dernier  ;  toutes  les  deux  avaient  appar- 
tenu à  l'évêque  de  Nevers,  et  elles  étaient  occupées, 
l'une  par  la  présidente  Portail,  l'autre  par  le 
sellier  Rigaud. 

Vis-k-vis  la  rue  de  la  Chaise,  auprès  d'une  maison 
appartenant  aux  cordeliers.  Desbordes  était  mar- 
chand de  vin  en  1734,  ainsi  que  Pierre  Carteron 
l'avait  été  en  1681  :  il  paraît  que  la  place  est 
bonne,  car  il  y  reste  encore  un  cabaret.  Près  de 
là,  un  hôiel-garni  a  conservé  le  titre  de  Clarence, 
après  avoir  été,  dit-on,  le  séjour  d'un  duc  de  ce 
nom.  Et  pourquoi  pas?  Nous  pouvons  ajouter  que 
l'immeuJDle  a  été  coiniu,  auparavant  que  d'être 
maison  meublée,  pour  petit  hôtel  de  Beauvais,  eu 
égard  au  plus  grand  hôtel  d'en  l'ace,  dont  il  était 
le  frère  de  lait.  Le  premier  propriétaire  n'en  fut 
pas  Robert  de  Bragelonne,  capitaine  au  régiment 
d'Épagny  ;  Louis  de  Beauvais,  baron  de  Gentilly, 
son  successeur,  changea  la  face  de  l'édifice  en 
1687  ;  les  Séneclerre,  marquis  de  Saint-Victour,  y 
sont  venus  moins  de  trente  ans  après.  Pourquoi 
ne  pas  dire  au  24  qu'il  avait  pour  propriétaire; 
peu  d'années  avant  la  Révolution,  Pierre  Vignon, 
l'un  des  douze  marchands  de  vins  du  roi?  Voilà 
un  titre  de  noblesse  i»our  sa  cave!  L'enseigne  du 


RUE  DE  GRENELLE-SAINT-GERMAIN.         n3 

Bon-Lafontaine  est  celle  d'une  autre  hôtellerie, 
parce  qu'un  petit-neveu  du  tabulisie  a  possédé 
l'immeuble  principal  qu  elle  exploite  ;  l'établissement 
n'a  englobé  qu'ensuite  le  ir'  18,  qui  conserve  un 
petit  jardin,  et  que  des  Beauharnais  ont  habité 
quand  c'était  un  hôtel  de  maître. 


Quai    de  la  Mégisserie,  (i) 


Le  quai  de  la  Mégisserie  aurait  beau  se  pourvoir 
auprès  de  S.  Exe.  le  garde-des-sceaux,  pour 
obtenir  d'ajouter  à  son  nom  ceux  sous  lesquels  il 
a  été  connu,  il  n'en  paraîtrait  pas  plus  noble 
pour  cela.  Les  gens  qui  ne  reculent  pas  devant 
cette  démarche  se  flattent  d'en  tirer  plus  de  profit  ; 
il  y  gagnent  tout  au  moins  un  de,  qui  ne  demande 
qu'à  passer  pour  une  particule  nobiliaire.  Des 
plus  vilains  nominatifs  la  déclinaison  tait  ainsi 
des  génitifs  qui  semblent  d'une  autre  extraction. 
Beaucoup  de  nos  contemporains,  nés  Bardout, 
Chicot  ou  Royer,  qui  en  veulent  à  leurs  ancêtres 
de  ne  leur  avoir  pas  légué  une  carte  de  visite 
à  eflet,  se  contenteraient  d'être  dits  de  la  Saunerie, 
de  la  Poulaillerie,  de  la  Ferraille.  Bien  au  con- 
traire, le  quai  a  répudié  chacune  de  ces  déno- 
minations, rappelant  ses  spécialités  commerciales, 
et  il  les  regrette  aussi  peu  que  celle  de  Vallée- 
de-Misère,  qui   également  a  été  sienne. 

En  face  du  Grenier-à-sel,  situé  dans  la  rue  parallèle 
au  quai,  le  poit  Popin,  dit  Pépin  attirait  les  sauniers  : 
on  y  déchargeait  bien  du  sel,  qui  venait  à  Paris 
par  eau.  Le  port  Marion  recevait  force  blé,  car 
des  moulins  à  eau  se  suivaient  sur  la  Seine, 
outre  des  bateaux  de  blanchisseuses.  Les  arches 
Pépin  et    Marion,     sous    lesquelles    se    vidaient, 


(\)  Notice  écrite  en  J860.  Le  quai  de  la  Mégisserie 
a  perdu  depuis  tout  ce  qu'il  avait  eucorr,  de  séculaire  ; 
son  niveau  s'est  élevé,  et  il  a  perdu  quelque  chose  de 
sa   longueur  au    percement  de  la  rue  du  Pont  Neuf. 


QUAI  DE  LA  MEGISSERIE.  95 

entre  soldats-aux-gardes,  des  affaires  d'honneur, 
protégeaient  également  deux  entrées  d'abreuvoir 
et  deux  sorties  d'égout,  qui  ne  faisaient  pas  du 
quai  la  promenade  la  plus  agréable.  Le  cale  de 
la  Samaritaine  y  avait  pourtant  son  public  un 
siècle  avant  l'année  qui  court.  Il  arrivait  même 
au  quai,  deux  fois  par  semaine,  de  sentir  bon  et 
de  prendre  un  air  de  fête,  qui  attirait  plus  de 
tîlles  que  de  garçons  :  le  marché  aux  fleurs  s'y 
tenait  le  mercredi  et  le  samedi.  Le  dimanche 
matin,  plus  de  fleurs  ;  mais  c'était  le  jour  aux 
oiseaux,  dont  le  marché  hebdomadaire  était 
la  miniature  et  le  reste  d'un  grand  marché  à  la 
volaille.  Le  For  l'Evèque,  prison  des  ct>médiens 
au  xvur'  siècle,  se  trouvait  entre  les  deux  arches, 
mais  plus  près  de  celle  Marion.  Une  barrière 
des  huissiers  et  sergents-à-verge  y  avoisinait 
encore  la  rue  de  la  Monnaie,  en  l'année  17 1 4. 
La  mégie,  c'est-à-dire  l'art  de  préparer  en  blanc 
les  peaux  de  mouton,  avait  dès-lors  quitté  la 
place,  puisqu'elle  avait  reflué  un  siècle  auparavant 
de  la  Seine  à  la  Bièvre.  Mais  des  marchands  de 
vieille  ferraille  étalaient  tout  le  long  du  quai, 
sans  en  occuper  les  bâtiments.  On  y  retrouve 
en  ce  temps-ci,  à  défaut  de  spécialité  bien  accusée, 
des  marchands  de  graines  à  semer,  des  oiseliers 
et  des  quincailliers,  beaucoup  mieux  installés  que 
jadis,  en  des  maisons  dont  la  serrurerie,  plus 
que  séculaire,  j-orte  ça  et  là  des  vestiges  de  dorure, 
des  arabesques  s'enlaçant  avec  art,  des  lettres 
faisant  chercher  un  nom. 

Des  racoleurs,  qui  avaient  leur  bureau  quai  de 
la  Ferraille,  en  plein  vent,  ainsi  que  chez  les 
marchands  de  vin,  il  nous  reste  la  conscription, 
dont  les  contingents  sont  plus  sûrs,  plus  dignes 
surtout  d'un  peuple  libre.  Quand  les  rois,  par 
exemple,  se  battent  pour  leur  plaisir,  dans  un 
intérêt  dynastique,  en  vue  de  cueillir  des  lauriers 


96  QUAI  DE  LA  MEGISSERIE. 

OU  de  mariei"  à  leur  convenance  un  prince  ou  une 
princesse  du  sang,  pardonnons-leur,  louons-les 
même  de  rendre  volontaire,  pour  leurs  sujets, 
l'impôt  du  sang  :  le  sergent  cherche  alors  des  recrues 
pour  le  compte  d'un  colonel,  dont  le  régiment 
sert  le  prince.  Ce  régime  a  rendu  les  boucheries 
humaines  moins  fréquentes  el  moins  meurtrières, 
dans  un  temps  où  les  rois  n'y  eussent  renoncé 
qu'en  passant  pour  d'osés  tyrans.  On  s'engageait 
d'abord  pour  une  campagne  ;  Louis  XIV  donna  une 
année  pour  minimum  aux  engagements.  Des  per- 
pectives  plus  modestes  qu'ti-présent  s'ouvraient  pour 
les  jeunes  recrues  ;  il  fallait  donc  suppléer  aux 
honneurs  par  l'honneur  même  de  porter  l'uniforme. 
En  entrant  dans  un  régiment,  on  changeait  de 
nom  comme  au  couvent.  La  Tulipe  et  Brin-d'Amour 
n'en  voulaient  pas  toujours  au  sergent-recruteur 
qui  leur  avait  promis  plus  de  beurre  que  de  pain, 
moins  de  corvées  que  de  bonnes  fortunes  et  plus 
de  gloire  surtout  que  d'hôpital,  en  arrosant  de 
copieuses  libations  la  signature  de  leur  enrôlement. 
Trop  de  fois  l'apprenti-héros  avait  cédé  à  l'ardeur 
d'uu.  moment,  au  dépit  amoureux,  à  un  accès  de 
chagrin,  à  une  heure  de  découragement,  et  lorsque 
son  enVie  de  se  dépayser  se  noyait  dans  les  larmes 
du  repentir,  de  l'anikié  ou  de  l'amour,  pas  de 
retour  possible  :  la  nouvelle  recrue  ne  s'appartenait 
plus.  Mais  aujourd'hui  un  mauvais  numéro  signe 
l'engagement,  et  la  famille  même  que  le  départ 
du  conscrit  met  en  deuil,  défraye  les  réjouissances 
inséparables  de  l'adieu  qu'il  dit  au  village.  L'un 
s'enivrait  en  contractant  la  dette  ;  l'autre  s'enivre 
devant  la  feuille  de  route,  échéance  d'un  billet 
souscrit  par  la  naissance.  En  dépit  de  ces  différen- 
ces, nos  armées  de  l'ancien  régime  n'ont  pas  été 
toujours  exemptes  d'un  Waterloo  ;  celles  du  nouveau 
ont  vu  luire  plus  encore  de  journées  de  Fontenoy. 

Une  démolition  récente  supprime  la  moitié  des 


QUAI  DE  LA  MEGISSERIE.  97 

immeubles  sur  le  quai  de  la  Mégisserie  :  les  plus 
hauts  numéros  ont  été  épargnés,  ils  en  seront 
quilles  pour  descendre  de  la  moitié  dans  l'ordre 
numérique.  Parmi  les  maisons  disparues,  il  pouvait 
s'en  trouver  du  temps  de  Charles  V,  qui  fut  le 
créateur  du  quai  ;  plusieurs,  du  moins,  avaient  été 
bâties  sous  le  règne  de  François  T',  qui  changea 
l'alignement.  Toujours  est-il  qu'au  dernier  siècle, 
le  82  d'à-présent  appartenait  à  l'évoque  de  Sentis, 
et  le,  74  au  marquis  de  Bovilion.  Le  marquis  de 
Bercy  avait  dans  le  Q6  une  belle  propriété,  alors 
que  son  maître-d'hùtel  était  Tallien,  pérc  du  Tallien 
que  la  Révolution  devait  illustrer. 

Ce  dernier  immeuble,  ou  un  autre  peu  distant, 
avait  été  la  demeure  de  Ticquet,  conseiller  ti  la 
grand'chambre,  aux  jours  duquel  attenta  son  portier, 
assisté  d'un  soîdat-aux-gardes,  en  exécution  d'un 
plan  conçu  par  la  femme  elle-même  de  la  victime. 
Sur  kl  plainte  que  ce  magistrat  avait  portée  l'année 
précédente  à  Fontainebleau,  durant  le  séjour  de 
la  cour,  Montgeorges,  capitaine-aux-gardes,  avait 
rompu,  par  ordre  du  roi,  avec  M'"'"  Ticquet, 
dont  il  était  l'amant,  et  elle  avait  tenu  à 
en  tirer  vengeance.  Le  pauvre  mari,  laissé 
pour  mort,  guérit  de  ses  blessures  par  mi- 
racle ;  la  femme  subit  en  place  de  Grève  la 
peine  capitale,  en  présence  d'un  concours 
immense  de  curieux  et  surtout  de  curieuses; 
les  deux  complices  avaient  été  condamnés  au 
supplice  de  la  roue. 

Aussi  près  de  l'arche  Marion,  et  il  ne  m'élonnerait 
pas  que  ce  fut  au  n*"  54,  la  corporation  des  Tailleurs 
d'habits  tenait  son  bureau.  Elle  avait  été* réunie 
à  celle  des  marchands  pourpointiers  en  1655,  et 
de  plus  les  fripiers  y  avaient  été  agrégés  en 
4775.    L'apprentissage    était    de  trois  armées,  le 


08  QUAI  DE  LA  MEGISSERIE. 

compagnonnage  pareillement.  Le  brevet  coûtait  24 
livres  et  la  maîtrise  800.  Chaque  maître  ne  pouvait 
avoir  qu'un  apprenti  à  la  fois.  La  compagnie  était 
sous  le  patronage  de  la  Trinité,  h  l'église  de  la 
Trinité,  rue  Saint-Denis. 


Place  des  Victoires,  (il 


Ses  Minisires.  —  Ses  Origines.  —  Ses  Maréchaux. 

—  Ses  Financiers.   —   Sa  Noblesse.  —  Sa  Cen- 
tenaire. —  La  Reine  de  sa  Façon.  —  Son  Médecin. 

—  Ce  qu'elle  a  gagné  aux  Journées  de  Juillet  1830. 

François  d'Aubusson  de  la  Feuillade,  duc  et 
pair,  maréchal  de  France,  colonel  des  gardes- 
françaises,  prit  un  jour  la  résolution  d'élever  un 
monument  à  la  gloire  de  son  roi  ;  il  donna  donc 
500,000  livres  du  grand  hôtel  de  M.  de  Laferté- 
Séneclerre,  autre  duc  et  pair.  Mais  il  n'y  eut 
lieu  d'en  appliquer  qu'une  portion  à  l'accomplis- 
sement de  son  projet,  qu'il  avait  fait  adopter  par 
la  Ville.  Celle-ci  avait  acheté  un  hôtel  d'Émery, 
qu'une  simple  rue  séparait  du  premier,  et  quelques 
petits  héritages  contigus.  Là  sans  doute  avait 
résidé  Particelli  d'Emery,  seigneur  de  la  Chevrette, 
épouse  d'une  Lecamus  et  ami  de  Marion  Delorme, 
devenu  argentier  du  roi,  puis  surintendant  des 
finances,  quoique  fils  d'un  banquier  qui  avait  fait 
banqueroute  h.  Lyon.  L'architecte  Prédot,  sur 
croquis  de  Jules  Hardouin-Mansart,  et  à  la  dili- 
gence des  prévôt  et  échevins,  construisit  cette 
belle  place  des  Conquêtes,  puis  des  Victoires, 
qui  fut  inaugurée  le  18  mars  1686,  et  sur  laquelle 
se  faisaient  les  publications  de  paix.  M.  de  la 
Feuillade  avait  pourvu  tout  seul  aux  frais  du 
groupe,  oeuvre  de  Desjardins,  où  était  due  au 
talent    de   Gilles    Guérin    la    statue   pédestre   de 


(1)  Notice  écritt!    en  ISCu. 


100  PLACE    DES    VICTOIRES. 

Louis  XIV,  drapé  dans  le  manteau  du  sacre  et 
roulant  aux  pieds  la  Discorde  :  la  figure  ailée  de 
la  Victoire  déposait  la  couronne  sur  le  iront  du 
monarque.  .Pour  assurer  la  conservation  de  cet 
ouvrage,  le  maréchal  constituait  pour  l'aîné  de 
sa  race  une  sorte  de  majorât,  qui  devait  passer 
à  la  Ville  en  cas  d'extinction  de  postérité  mâle, 
et  cet  apanage  consistait  dans  le  duché  de  la 
Feuillade,  produisant  2ïJ,000  livres  de  rente,  h 
charge  pour  le  bénéficiaire  de  réparer  le  monument 
tous  les  vingt-cinq  ans. 

Mort  en  1691,  La  Feuillade  laissait  pour  héritier 
principal  son  fils,  encore  mineur  comme  sa  fille, 
et  pour  principal  créancier  le  marquis  de  Cléram- 
bault,  qui  avait  hypothèque  sur  les  biens  du  défunt, 
parmi  lesquels  figurait  son  hôtel,  précédemment 
de  Sénecterre  ou  Sennetene,  et  des  maisons  qu'avait 
données  au  duc  le  corps  de  Ville,  en  échange  du 
terrain  que  lui  avait  ôté  la  place.  De  cet  hôtel, 
que  l'archevêque  d'Embrun,  évoque  de  Metz,  se 
proposait  d'acheter,  un  angle  en  saillie  dérangeait 
la  symétrie  de  farchitecture  de  la  place  et  la 
perfection  de  son  ovale  ;  l'édilité  eut  à  donner  une 
nouvelle  indemnité  pour  en  opérer  le  retranche- 
mei.t,  nécessaire  au  couronnement  de  l'œuvre  de 
Mansart.  La  maison  de  La  Feuillade  recula  donc, 
ce  qui  ne  nous  empêche  pas  d'en  retrouver  encore 
la  porte,  surmontée  d'un  joli  balcon,  rue  La  Feuil- 
lade, n"  4,  et  les  derrières  rue  Neuve-des-Petits- 
Pêres.  Tant  que  le  maréchal  avait  vécu,  on  avait 
négligé  aussi  de  régulariser  le  cens  pesant  sur  ce 
nouveau  quartier:  le  contrôleur  des  domaines 
réclama.  Tout  l'ancien  territoire  del'hôtel  Senneterre 
et  plusieurs  des  lots  de  fautre  hôtel,  son  contem- 
porain, avaient  porté  antérieurement  les  fortifica- 
tions de  1358  et  relevaient,  par  conséquent,  du 
roi.  L'archevêque  de  Paris  gardait  en  sa  censive 
plusieurs  lots  de    l'hôtel    d'Émery;  il  demandait, 


PLACE   DES  VICTOIRES.  101 

en  outre,  des  dédommagements  pour  la  construction 
du  Palais-Royal,  pour  la  formation  d'une  place  au  lieu 
de  l'hôtel  de  Vendôme,  pour  l'ouverture  de  celle  des 
Victoires  et  en  raison  de  la  transformation  de 
l'hôtel  Séguier,  le  tout  sis  dans  les  mêmes  parages  et 
ressortissant,  en  général,  mais  pas  exclusivement, 
des  fiefs  et  censives  de  l'Archevêché  de  Paris  :  le 
conseil  du  roi  avait  chargé  M.  de  Poncliartrain, 
contrôleur  des  finances,  de  lui  présenter  un  rapport 
sur  la  validité  de  cette  prétention.  Quant  au  milieu 
de  la  place,  des  épigrammes  suffirent  à  en  faire 
ôter,  avant  la  fin  du  xyu*^  siècle,  les  quatre  lanternes 
qui  éclairaient  le  soir  la  figure  d'un  roi  dont  le 
soleil  était  l'emblème  dans  les  beaux-arts.  Cette 
auguste  figure,  du  moins,  était-elle  immuable  ?  pas 
davantage.  Un  Louis  XIV  de  Coysevox  se  présentait 
avecune  telle  autorité  en  tenue  de  Romain  triompha- 
teur, malgré  sa  perruque  ample,  qu'on  donnait 
celui  dont  la  pose  rappelait  saint  Michel  écrasant 
un  dragon,  h  M.  de  Fourcy,  leprévôt-des-marchands, 
qui  le  reléguait  dans  sa  maison  de  campagne  de 
Chessy. 

Le  n"  3,  derrière  lequel  paraissent  subsister  des 
restes  de  l'hôtel  d'Émery,  fut  acquis,  dans  l'année 
de  la  mort  de  La  Feuillade,  par  M"''  de  Soyecourt, 
veuve  de  l'homme  de  cour  qui  avait  servi 
de  modèle  au  personnage  du  chasseur  bavard, 
dans  une  pièce  de  Molière,  Les  Fâcheux.  C'est 
le  marquis  de  Rrown  qui  occupait  la  maison  de 
M"""  de  Soyecourt. 

Nous  n'aimons  pas  à  nous  inscrire  en  faux  contre 
les  traditions  locales,  car  elles  ont  toujours  une 
raison  d'être,  directe  ou  indirecte.  Le  moyen, 
néanmoins,  d'accorder  au  n°  5  l'honneur  d'avoir 
logé  Turenne  !  Avant  que  le  plan  de  la  place  fût 
tracé,  le  grand  capitaine  était  mort,  l'histoire  de 
France  dit  comment  ;  il  n'avait  pu  avoir  pour  rési- 
dence  que    le   logis    préexistant.  Rendons  au  5 

7 


102  PLACE  DES  VICTOIRES. 

plusieurs  Péreuse-d'Escars,  qui  lui  oiU  mieux  appar- 
tenu. Le  Poreuse  qu'avait  anobli  l'acquisilion  d'une 
charge  de  secrétaire  du  roi,  en  1638,  était  médecin 
et  était  Gourtenay  de  son  nom  patronymique. 

Aussi  bien  les  maréchaux  de  France  ne  brillaient 
que  par  leur  absence  dans  les  hùtels  du  pourtour. 
Le  fameux  Antoine  Crozat  n'y  était  séparé,  comme  pro- 
priétaire,  que  par  M.  Cormery  du  fermier-général 
Jean  Rémi  Hénault,  père  du  président  et  arrière- 
petis-tils  d'un  laboureur.  L'Hénault  et  le  Crozat 
dont  nous  parlons  furent  condamnés  en  l'année 
1716  h  restituer  de  profits  illicites,  celui-ci 
1,800,000  livres,  celui-là  6,600,000  livres  :  l'amende 
élevée  à  cetle  puissance,  quel  brevet  de  solvabilité! 
Entre  M.  Prudot  et  le  marquis  de  Pomponne 
débouchait  la  rue  Pagevin.  Les  autres  propriétaires 
étaient  M.  Glérambaut,  qui  venait  après  le  marquis, 
M.  Nivet,  M.  Roland,  M'"-^  Pelet,  M'"-  de  Mailly, 
M.  Raquin,  M'"''  de  Normande,  M.  Jérémie,  M""'  Pelet, 
M.  Legras.  Il  suffisait,  au  reste,  qu'un  financier 
fût  entré  dans  la  place  pour  que  d'autres  suivissent. 
Bientôt  la  caisse  du  chevalier  Bernard  était  au  7. 
Ce  traitant,  beaucoup  plus  connu  sous  le  nom  de 
Samuel  Bernard,  avait  fait  sa  fortune  sous  le 
ministère  Chamillard;  Louis  XIV,  qui  avait  hguré 
parmi  ses  débiteurs,  lui  avait  accordé  des  lettres 
de  noblesse.  M.  de  Boulainvilliers  possédait  encore, 
sous  Louis  XVI,  la  propriété  de  Bernard,  son  aïeul  ; 
^eulement  un  Voyer-d'Argenson  y  avait  fixé  sa 
demeure.  De  Monchy  et  Lemée,  qui  étaient 
fermiers-généraux,  occupaient  deux  des  autres 
maisons  de  la  place,  du  vivant  de  l'opulent  Samuel. 
Disons  plus  :  le  célèbre  Law  fut  quelque  temps 
au  2  et  au  4,  échus  plus  tard  à  M.  Bergcret. 

^me  (jg  Wolcomte,  sous  l'un  de  ces  deux  toits, 
vécut  97  ans,  existence  emphytéotique  à  fin  de 
bail  vers  l'année  1854  !  Quand  cette  vénérable  dame 
remontait,   par  le  souvenir,  jusqu'à    son  enfance 


PL  A  JE  DES  VICTOIRES.  103 

si  lointaine,   elle  voyait,   à  la  place    de  ceux  qui 
vivaient,  d'anciens  propriétaires  :  n"  i,  M.  Autreau  ; 
n"  3,  M"*'  Oré;  n"  Q,  M.  Lenoir;  n°  8,  les.  héritiers 
Plé;   n^lO,  M.   Gigault  ;   n»  12,  M.   Le    Duc.  Les 
initiales  de  ce  dernier  n'ont  pas  quitté  la  ferrure 
de  sa  porte  ;  il  descendait  d'un  tailleur  en  réputation, 
lequel  avait  habillé  Louis  XIV,   et  la  maison  avait 
été  bâtie  par  ce  Dusautoy  du  grand    siècle. 

L'un  des  toits  qui  ont  un  versant  du  côté  de 
la  rue,  ou  de  la  place  des  Petits-Pères,  a  abrité 
M.   Vénier,    le    secrétaire   particulier  du  cardinal 
Dubois,  premier  ministre.  Cet  ancien  frère-convers 
avait  été  tiré  de  bonne  heure  de  Saint -Germain- 
des-Près  par  le  maître    qui,  en  s'élevant,  l'avait 
haussé,  et  le  service  qu'il  avait  h  faire  ne  demandait 
pas  moins  de  patience  que  de  discrétion.  Dubois 
s'emportait  vite.  Un  jour  entr'autres,  ce  fut  pour 
un  papier  qui  ne  se,  retrouvait  pas,  et  jamais  sa 
colère  n'avait  dégorgé  plus  d'invectives  pour  ses 
nombreux  commis.  —  Si  je  n'ai  pas  encore  assez 
de  ces  gens-là  pour  faire  mes  affaires,    criait-il 
en  jurant  et  en  tapant  sur  la  table  de  Vénier,  j'en 
prendrai    dix,    trente,    cinquante,    cent  de  plus; 
mais  qu'on  ne  me  perde  aueune  pièce.  —  Mon- 
seigneur,   tinit    par   lui    dire    avec    froideur  son 
secrétaire,  ne  prenez  qu'un  commis  de  plus  ;  mais, 
si  vous  m'en  croyez,  il  sera  chargé  de  sacrer  ol 
tempêter  pour  vous,   les  affaires  s'en  expédieront 
mieux  et  vous  aurez  du  temps  de  reste......  L'homme 

d'État  s'apaisa  en  souriant,  au  lieu  de  se  formaliser 
d'un  franc-parler  auquel  Vénier  n'avait  jamais 
recours  qu'à  propos. 

Oh!  par  exemple,  il  s'en  fallait  que  la  centenaire 
eût  vu  naître  l'hôtel  Pomponne,  dont  aucun  historien 
de  Paris  n'a  même  soupçonné  l'origine.  Le  prévôt- 
de-Paris  avait  validé,  en  l'an  1560,' un  congé  donné 
par  les  religieux  de  Saint-Martin-des-Champs  à 
Pasquier  l'archer,   de  la  maison  avec  jardin  qu'il 


104  PI. ACE  DES  VICTOIRES. 

occupait  rue  des  PelUs-Champs,  à  l'enseigne  du 
Cinge-qui-pisle,  et  les  mêmes  propriétaires  en  avaient 
fait  bail  h.  Pasquier  le  riche,  le  81  octobre 
1561.  Jean  Hénault,  ancêlre  du  fermier- général  et 
du  président  de  ce  nom,  avait  pris  cette  propriété 
à  ferme  le  13  décembre  1578,  avec  renouvellement 
de  bail  le  15  novembre  1588. 

Déjîi  le  Singe-qui-pile  s'était  érigé  en  hôtel  du 
Hallièr  quand  les  martiniens,  en  échange  d'une 
rente  de  200  livres,  constituée  par  François  de 
Béthune,  comte  d'Orval,  et  .Jacqueline  Caumont, 
son  épouse,  le  cédèrent,  par  contrai  du  15  septembre 
1628,  à  messire  François  de  l'Hospital,  seigneur  du 
Rallier,  chevalier  des  ordres  du  roi,  conseiller  en 
ses  conseils  d'État  et  privé,  capitaine-lieutenant 
de  sa  campagnie  de  gendarmes,  maréchal  de  ses 
camps  et  armées,  gouverneur  pour  S.  M.  de  Vitry- 
le-Français,  qui  habitait  ledit  hôtel,  sur  la  paroisse 
Saint-Eustache.  Ce  Du  Hallier,  sur  la  tidélité  duquel 
comptait  Louis  XIII,  devint  ministre  d'État;  comme 
il  s'était  d'abord  destiné ii  l'état  ecclésiastique,  Henri 
JV  l'avait  pourvu  de  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève 
de  Paris  et  de  l'évèché  de  Meaux.  Ses  services  mili- 
taires eurent  de  l'éclat  ;  il  commanda  l'aile  gauche  à 
Rocroi.  Mais  son  intérieur  n'avait  rien  d'honorable. 
Charlotte  des  Essarts-Sautour,  sa  première  femme, 
avait  éié  la  maili'osse  de  Henri  IV  et  d'un  prince  de 
Lorraine,  dernier  cardinal  de  Guise  ;  elle  avait  eu  de 
celui  ci  cinq  enfants  et  de  celui-lh  Jeanne-Baptiste  de 
Bourbon,  abbesse  de  Fontevrault.  Veuf  depuis  deux 
années,  le  maréchal  épousait  en  secondes  noces, 
le  25  août  1653,  Françoise  Mignot,  veuve  de  Pierre 
de  Portes,  trésorier  du  Dauphin,  mais  tille  d'une 
blanchisseuse  de  Grenoble,  qui  l'avait  eue  pour 
apprentie.  Il  mourut  en  son  logis  à  77  ans  ;  c'était 
le  20  avril  1660.  Son  légataire  universel  était 
Georges  d'Aubusson,  seigneur  de  la  Feuillade,  arche- 
vêque d'Embrun  ;    seulement  la  maréchale  restait 


PLACE  DRS  VICTOIRES.  \0n 

sa  donatrice  et  son  exécutrice  testamenlaire.  Elle  ne 
changea  pas  de  domicile,  mais  laissa  bientôt  se 
détacher  de  l'hôtel  de  l'Hospital  les  bâtiments  ou 
le  terrain  de  celui  du  Languedoc,  inauguré  par 
Le  Secq,  conseiller  du  roi,  trésorier  de  la  Bourse  des 
Estais  de  la  Province  dic  Languedoc.  A  sa  charge 
passait  une  part  proportionnelle  du  droit  de  cens 
pesant  sur  la  totalité  au  profit  de  Saint-Martin- 
des-Champs,  et  vers  le  même  temps  Duchesiie 
avait  pour  successeurs  Pierre  et  François  Gi-and- 
Cerf.  comme  receveur-général  des  deux-tiers  du 
revenu  temporel  du  prieuré  de  Saint-Martin-des- 
Champs.  Françoise  Mignot.en  convolant  de  nouveau, 
monta  plus  que  jamais  en  grade;  elle  se  mariait, 
le  .4  décembre  167^,  dans  la  chapelle  d(?  son  hôtel, 
avec  un  roi  de  Pologne,  représenté  par  son  fondé 
de  pouvoir;  malheureusement  pour  elle  Casimir  V, 
qui  avait  abdiqué,  n'était  plus  qu'abbé  commendataire 
de  Saint-Martin  de  Nevers  et  de  Saint-Germain- 
des-Près,  outre  qu'il  rendit  le  dernier  soupir  à 
Nevers  dans  le  courant  du  mois.  La  reine  si  peu 
reine  aurait  pu  enterrer  plus  de  trois  maris  ;  elle 
ne  s'arrêtait  sans  doute  en  si  beau  chemin  que 
pour  ne  pas  redescendre  ;  mais  ce  n'est  pas 
dans  le  même  palais  qu'elle  a  vécu  jusqu'au  30 
novembre  171 L 

En  son  lieu,  Jacques  Lafosse,  sieur  de  Villemaloux, 
président  au  bailliage  de  Meaux,  était  propriétaire 
et  avait  même  pour  successeui-,  avant  la  formation  de 
la  place,  Jean  Laguillaumie,  membre  des  conseils 
du  roi,  secrétaire  ordinaire  de  son  conseil  privé,  qui 
transigea,  sur  un  procès  relatif  aux  droits  seigneu- 
riaux, avec  M.  Jules  Paul  de  Lionne,  prieur  commen- 
dataire de  Sa!nt-Martin-des-Champs,  lequel  demeu- 
rait à  l'hôtel  de  M.  de  Lionne,  le  ministre,  rueNeuve- 
des-Petits-Champs.  L'hôtel  de  la  place  des  Conquêtes 
avait  été  attribué  non-seulement  à  ladite  rue, 
mais  encore  aux  rues  (-roix-des-Pelits-Champs,  des 


lOfi  PLACE  DES  VICTOIRES. 

Fossés-Montmartre  et  des  Bons-Enfants  ;  son 
numéro  actuel,  48,  ne  compte  môme  que  pour  la 
rue  Pagevin.  Il  devint  Pomponne,  du  chef  de 
Simon  Amauld,  marquis  de  Pomponne,  ministre 
lui-même  et  secrétaii-e  d'État,  mari  de  Catherine 
Ladvocat,  père  du  second  marquis  de  Pomponne, 
de  l'abbé  Arnauld  et  de  la  marquise  de  Colbert- 
ïorcy.  Ensuite  ce  fut  l'hôtel  Massiac,  où  s'installa 
en  1806  la  Banifue  de  France,  ainsi  que  dans 
l'immeuble  contigu  de  la  rue  des  Fossés-Mont- 
martre (i).  Puis  Ternaux,  fabricant  de  châles,  y  eut 
de  grands  magasins.  • 

Avant  la  Révolution,  les  2  et  4  de  la  rue  Vide- 
Gousset  appartenaient  :  celui-ci  à  M""  Pallu,  fille  ou 
nièce  du  ..conseiller  d'État  auquel  Voltaire  avait 
adressé  des  épîtres,  et  celui-là  îi  M"«  Oré. 

Plusieurs  fois  M""=  de  Wolcomte  vit  la  statue 
elle-même  changer  de  face.  Dès  1790  on  arrachait 
de  son  piédestal  les  quatre  esclaves  qui  formaient 
ses  quatre  angles  et  qui  actuellement  décorent  l'hôtel 
des  invalides.  Puis  une  pyramide  en  bois,  portant 
le  nom  des  citoyens  morts  dans  la  journée  du  10 
Août,  remplaçait  Louis  XIV,  place  des  Victoires- 
Nationales,  besaix  venait  ensuite.  La  restauration 
de  Louis  XIV,  sur  un  nouveau  modèle  de  Bosio, 
avait  lieu  en  1816. 

L'éminent  physiologiste  Barthez,  médecin  con- 
sultant de  Louis  XVI,  s'était  retiré  à  Carcassonne 
pendant  la  Révolution  ;  il  prit  un  appartement  sur 
la  place,  en  i-evcnant  à  Paris,  pour  y  rendre  son 
dernier  soupir  le  15  octobre  1806  :  Napoléon 
avait  aussi  nommé  Barthez  son  médecin  consultant. 
La  mort  du  duc  d'Orléans,  père  de  Philippe- 
Égalité,  n'en  avait  pas  moins  été  imputée  à  la 
maladresse  de  ce  praticien. 


(1)  D  A})Oiil<ir   niaintenant. 


PLACE   DES  VKJTOIRES.  107 

C'est  seulement  en  1830  que  des  enseignes 
commerciales  purent  bai-riolcr  à  leur  aise  ou 
dissimuler  les  arcades,  soubassement  sur  lequel 
il  s'élève  un  grand  oidre  de  pilastres  ioniques  :  des 
ëmigrants  de  la  rue  des  Bourdonnais  colonisaient  la 
place  des  Victoires,  le  lendemain  d'une  révolution 
qui,  devant  au  commerce  de  la  reconnaissance, 
lui  livrait,  à  titre  d'à-coinpte,  une  place  jusque-It» 
vierge   d'inscriptions,   comme   la   place    Vendôme. 


Rue    l\'«tre-Daiiie-de!!i«Victoi re» 
et     rue    Paal-Lelong;, 

EN     CE      QUI    s'en     appelait     NAGUERE 

Saiiit-Pierre-lHoiitinairtre.    (i) 


Samuel  Bernard.  —  Les  Messageries-royales.  — 
L'Escalier  qui  voyage.  —  L'Abbé  de  la  Victoire. 
—  Un  Souper  en  deux  Actes.  —  D'Hozier.  — 
Le  Couvent  des  Petits-Pères.  —  La  Bourse  aux 
Petits- Pères. 

Samuel  Bernard  était  propriétaire,  rue  Notre- 
Dame-des-Victoires,  de  deux  maisons  à  tout  le 
moins,  que  nous  retrouvons  l'une  et  l'autre  entre 
les  rues  SainL-Pierre  et  Joquelet.  Le  n"  52  appar- 
tenait encore  sous  Louis  XVI  à  un  Bernard  ;  mais 
Samuel  était  mort  en  1739,  âgé  de  88  ans,  sans 
avoir  l'ait  mauvais  usage  des  richesses  considérables 
que  lui  avait  rapportées  l'autre  siècle.  Au  surplus, 
ce  prince  des  croquants  avait  été  le  père  d'un 
président  au  parlement,  Bernard  de  Rieux,  et  d'un 
comte  de  Coubert.  Ledit  titre  de  comte  avait  dû  ap- 
partenir tout  aussi  bien  au  chef  de  la  famille  ;  mais 
trop  de  gens  eussent  ri  d'entendre  le  fils  d'un  graveur 
se  faire  annoncer  de  la  sorte  :  on  croyait  encore,  à 
l'époque  do  sa  jeunesse,  qu'il  était  presque  aussi  dilli- 
cile  au  roi  de  faire  un  noble  avec  un  roturier,  qui 
n'avait  pas  porté  l'épée,  que  de  changer  une  fille 


(1)  Notice  écrite   on   1860.   La    rue   Saint  Pierre-Mont- 
martre  et  celle   Paul-LeloDg  en  faissaient  encore  deux. 


RUE  NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES.  109 

en  garçon!  Samuel  Bernard  ne  se  parait  guère 
que  de  la  qualité  de  chevalier.  Sa  deuxième 
propriété,  que  posséda  plus  tard  son  petit-fils, 
le  marquis  de  Boulainvilliers,  était  vraiment  un 
bel  hôtel,  dont  le  28  comporte  encore  une  portion. 
Son  jardin  a  longtemps  servi  d'embarcadère  aux 
Messageries  royales,  avant  l'exploitation  des 
chemins  de  fer.  Lh  Paris  commençait  à  l'arrivée, 
finissait  au  départ.  Que  de  fois  une  femme  y  mettait  en 
voiture  ou  son  amant  ou  son  mari,  avec  des  larmes 
dans  les  yeux,  mais  en  avait  d'autres  à  cacher, 
en  revenant  h  sa  rencontre  !  Les  Messageries 
impériales  ont  changé  d'élément,  pour  exploiter 
principalement  les  paquebots  de  la  Méditerrannée  ; 
les  échelles  du  Levant  sont  pour  elles  de  simples 
relais  ;  l'administration,  néanmoins,  siège  toujours 
au  n"  28.  Les  bureaux  du  rez-de-chaussée  sont 
maintenant  au  chemin  de  fer  d'Orléans,  qui  ne 
rend  pas  h  la  cour  toute  son  activité.  En  revanche, 
les  voyageurs  ne  sont  plus  exposés  à  se  tromper 
de  ligne,  à  monter,  par  exemple,  dans  la  diligence 
de  Marseille  quand  leurs  bagages  prennent  la  route 
de  Brest.  L'escalier  de  Samuel  Bernard  a  fini  par 
céder  lui-même  aux  besoins  de  locomotion  qui 
dominent  de  plus  en  plus:  n'est-ce  pas  entraîné 
par  l'exemple,  qui  lui  était  donné  de  première 
main,  qu'il  a  lui-même  fait  son  petit  voyage  ?  Les 
lecteurs  n'auront  pas  grand'peine  à  le  suivre,  par 
le  train-express  de  nos  notices  :  il  s'est  arrêté 
l'ue  Louis-le-Grand,  où  de  nouveau  il  ne  fait  corps 
avec  l'immeuble  que  par  une  fiction  de  la  loi. 

Le  passage  Saint-Pierre,  reliant  à  la  rue  Mont- 
martre ladite  cour,  n'a  été  sous  l'ancien  régime 
qu'une  impasse.  La  rue  du  même  nom  longe  des 
propriétés  qui  apjtartiennent,  elles  aussi,  aux 
actionnaires  de  la  compagnie  d'Orléans,  finan- 
cier collectif  remplaçant  aujourd'hui  celui  de 
Louis    XIV.    Nous    y  retrouverions  probablement 


110  RUE  NOTPvK-DAME-DKS-VICTOIRES. 

jusqu'au  logis  de  Pierre Pénéclier,  qui  amis  sous 
l'invocation  de  son  patron  celte  petite  rue,  ainsi 
que  le  cul-de-sac.  Ou  les  a  percés  l'un  et  l'autre 
sur  le  clos  Gautier  ou  des  3Iasures,  Henri  IV 
étant  sur  le  trône,  avec  la  qualification  originaire 
de  Petit-Chemin-Herbu  :  à  cette  époque  se  rappor- 
tent les  deux  niches  du  4  et  du  o,  rue  Saint-Pierre, 
auxquels  deux  madones  ou  deux  saints  ont  servi 
d'enseigne  et  d'égide.  Durant  la  Fronderie,  comme 
dit  Tallemant  des  Réaux,  le  petit  Duval  de  Cou- 
peauville,  qui  était  d'une  famille  rouennaise  de 
robe,  avait  ici  ou  là  sa  chambre.  Nommé  en  1639 
abbé  de  la  Victoire,  il  dut  à  ses  bons  mots  de  la 
réputation.  Voiture  l'avait  présenté  à  la  reine  qui, 
en  passant  à  Senlis,  alla  le  voir  dans  son  abbaye 
et  le  complimenta  d'y  avoii-  tout  remis  à  neuf. 
Et  l'abbé  de  répondre  aussitôt  :  —  Madame,  si 
Votre  Majesté  m'en  donnait  encore  deux  où  trois 
vieilles,  je  les  accommoderais  encore  mieux. 

Toutefois  cette  petite  rue  était  peu  fréquentée 
ou  mal  habitée  en  1699,  quand  In  police  y  décou- 
vrit une  nichée  de  petits  voleurs. 

Ce  qu'on  a  pour  2  francs  sans  marcliandei', 
n- 3,  rappelle  de  son  mieux  la  spécialité  luxurieuse 
qu'avaieiii  donnée  deux  ou  trois  grands  seigneurs 
du  XYU!*"  siècle  à  des  maisons  de  la  rue  et  de 
l'impasse.  Devenues  des  hôtels-garnis,  ces  maisons 
ont  de  grandes  portes,  sans  lesquelles  n'aurait  pu 
y  entrer  un  carrosse.  Au  10,  lorsqu'il  était  l'auberge 
des  galanteries  de  Lauzun,  que  de  nuits  blanches 
se  succédèrent  !  De  laquelle  lui  demander  compte? 
Levons  au  moins  le  voile  qui  en  couvre  une.  Tout 
ce  qui  se  passait  chez  Lauzun,  rue  Saint-Pierre, 
un  valet  l'allait  rapporter  îi  l'hôtel  du  lieutenant- 
de-police,  qui  le  colportait  h  Versailles  :  arrêtons 
l'espion  au  passage,  le  matin  du  dernier  lundi 
d'août  1770.  Le  maraud  va  nous  dire  ceci  :  — 
Mon   maître  a  i-e(.'U   hier   soir  bonne  compagnie  : 


RUE  NOTKE-D AME-DE <-VICT(3IRE.S.  111 

d'abord  le  duc  de  Chartres,  dont  la  petite-maison, 
l'ue  Blanche,  garde  un  jieu  mieux  ses  secrets  que 
la  nôtre:  que  ne  puis-je  y  servir  îi  table!  M.  le 
prince  d'Isengbieii,  qui  n'est  autre  qu'un  de  Gand- 
Mérode-Montmorency,  le  comte  d'Osmond,  M.  de 
Bézenval  avaient  aussi  leur  couvert  mis  à  ce  petit- 
souper,  dont  les  autres  convives  taisaient  corps 
avec  le  menu.  La  D"''  Dutlié,  qu'entretient  main- 
tenant !e  marquis  de  Duras,  voilà  pour  le  morceau 
de  roi.  Mon  maître  n'en  a  fait  qu'une  bouchée, 
bien  qu'on  le  croie  amoureux  fou  de  la  D""^  Audinot, 
laquelle  vient  de  recevoir  de  ses  bijoux,  sans  les 
porter  toutefois  devant  le  prince  de  Soubise.  Les 
D"'''  Joinville  et  Legrand,  c'est-à-dire  les  maîtresses 
du  marquis  de  Villette  et  de  M.  Minute,  ont  été 
remerciées  honnêtement  à  minuit,  ainsi  que 
M"*^  Duthé.  C'était  l'heure  du  relais  pour  elles, 
pour  ces  messieurs  également.  Ils  m'avaient  envoyé 
d'avance  chez  la  Brissault,  excellente  maltresse- 
de-poste  :  les  tilles  Argentine  et  Fournier  ont  fait 
le  reste  du  voyage. 

Le  15  et  le  17,  même  rue,  ont  du  le  jour  à 
un  serrurier  en  carrosses.  Le  marquis  de  Courtier, 
M.  de  Saint-Paul,  31.  Cadeau,  trois  contcm|toraiiis 
de  Lauzun,  étaient   propriétaires  là  et  tout  près. 

Rue  Notre-Dame-des-Victoires,  le  4!2  était  alors 
au  comte  de  Durfort,  le  30  au  comte  du  Lude, 
comme  îe  16  au  président  d'Hozier,  grand  généalo- 
giste delà  cour,  auteur  avec  son  père  de  V  Armoriai 
de  France:  d'autres  d'Hozier  successivement  avaient 
rempli  la  même  charge  ;  la  race  en  explorait,  depuis 
Louis  XIII,  les  vieux  titres,  pour  y  chercher  des 
comtes,  des  écuyers,  et  elle  faisait  plus  de  nobles 
que  le  roi!  Maillard,  ci-devant  intéressé  dans  les 
gabelles,  a  laissé,  dans  un  temps  plus  rapproché 
du  nôtre,  le  14  à  son  tlls,  un  conseiller  d'État. 
Que  si  des  mascarons,  des  rampes  de  fer  servent 
de  chevrons  aux  immeubles  précités,   les  états  de 


112         RUE  NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES. 

service  du  6  comptent  encore  plus  de  campagnes  : 
des  balustres  de  chêne  font  créneaux  dans  son 
escalier.  Par  conséquent,  il  date  d'une  époque  où 
sans  doute  le  Chemin-Herbu  n'avait  pas  encore  ceint 
sa  robe  virile  de  rue  Notre-Dame-des-Victoires. 
La  première  pierre  de  l'église  des  Petits- 
Pères,  placée  sous  cette  invocation,  fut  posée  par 
Louis  XIIL  Les  Petits- Pères  étaient  des  augustins 
réformés  ;  leur  territoire  longeait  ladite  rue  et 
n'était  séparé  de  la  rue  Vivienne  que  par  un  hôtel, 
du  côté  de  notre  place  de  la  Bourse  où  ils  ont 
substitué  eux-mêmes  des  constructions  au  mur  de 
jardin.  Ces  religieux,  en  plein  xvni'^  siècle,  étaient  au 
nomhir,e  de  80,  sans  compter  les  novices,  qui 
payaient  de  pension  400  livres.  Les  pères  ne  se 
doutaient  guère  que  leur  église,  pendant  un 
interrègne,  se  travestirait  elle-même  en  une  Bourse, 
à  l'entrée  de  la  rue  des  Victoires-Nationales. 
Fermée  au  Louvre  le  13  janvier  1795,  la  Bourse 
s'ouvrit  aux  Petits-Pères  le  12  janvier  suivant,  puis 
fut  transférée  au  Palais-Royal  le  7  octobre  1807. 

Peu  de  temps  avant  la  suppression  des  monas- 
tères, M.  Pajot  disposait  des  immeubles  répon- 
dant de  nos  jours  aux  premiers  chiffres  pairs. 
Tout  ce  côté  bourgeois  de  la  rue  appartenait 
sous  la  Régence  aux  particuliers  dont  la  nomen- 
clature suit: 

La  maréclialti  d'Eslrées,  au  coia  de  la  rue  du  Mail  ; 
la  veuve  de  Montarlo  ;  le  sieur  André  ;  le  sieur  Vinceut  ; 
le  sieur  Penon  ;  le  sieur  Berthelol  ;  le  marquis  de 
l'Hospital;  le  sieur  Leduc  ;  M.  Orry,  au  premier  angle  de 
la  rue  Saint-Pierre  ;  !e  président  Séguin,  second  angle; 
M.  Dubas,  lieutenant  aux  gardes-suisses;  la  dame 
Rolland  ;  le  président  Séguin  ;  la  comtesse  de  la  Bre- 
tèche  ;  M.  de  la  Touanne  ;  la  dame  Bostel,  au  premier 
coin  de  la  rue  Joquelet;  la  daine  Avise,  second  coin; 
la     même  ;     la    veuve    Masson  ;    la    même  ;     la    veuve 


RUE  NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES.         113 

Delahîye  ;  le  sieur  Hyon,  à  l'enseigne  de  la  Tour- 
d'Argent  ;  le  sieurGirard,  pour  le  mur  d'une  propriété  de 
la  rue  Montmartre;  M.  de  Bourges,  pour  le  derrière 
aussi  d'une  maison  de  la  rue  Montmartre  ;  le  sieur 
Proux,  sculpteur;  le  même;  M.  de  Sérouges,  à  l'en 
coignure  de   la  rue   Montmartre. 


Rue    Loiiis*le«Gi*aii(l.  [i] 


M"^^'  de  Montespan.  —  Le  Général  Chasseloup- 
Lauhat.  —  M.  Double. — Le  Général  Bertin  de 
Vaux.  —  Les   Hôtels  d'Egrnonl  et  Gontaut-Biron. 

—  Le  Duc  d'Antin.  —  Le  Maréchal  de  Richelieu. 

—  Le  Pavillon    de  Hanovre. 

Les  propriétaires  en  celte  rue  étaient,  sous  le 
règne  de  Louis  XVI  : 

Coté  des  numéros  impairs:  —  MM.  de  La  Fon- 
taine de  Brassard,  (ie  Graudbourg,  Castela,  de  Ja 
Bussière,  de  Vdlemarais,  Maurangel.  Taupin,  Gueffier, 
Dàuguy,  d'Egmont,  de  Gonlaut,  la  maréchale  de  Nicolaï, 
MM.   Arthur  el   Grenard. 

Côté  des  numéros  pairs  :  — M.  Duval  de  Lépiuay, 
M"«  Quiuon,  les  hériiiers  Croixmare,  MM.  de  VerviUe, 
Vernier,   de   Richelieu. 

Bien  qu'ouverte  en  1703,  elle  était  bordée  plus 
encore  de  murs  que  de  maisons  sur  le  plan  de 
Paris  en  1739.  Des  hôtels  auxquels  tenaient  ces 
murs,   gardons-nous  d'oublier  le  plus  ancien,  mais 


(1)  Notice  écrite  en  1860.  La  nouvelle  rue  du  Dix- 
Déceuibre  croise  aujourd'hui  la  rue  Louis-F.,e-Grand,  à 
la  rive  gauche  de  laquelle  s'arrête  à  Theure  qu'il  est 
l'avenue  de  l'Enipereiir,  qui  doit  également  passer  outre, 
pour  mettre  eu  communication  directe'  le  nouvel  Opéra 
avec  le  palais  des  Tuileries.  Le  changement  de  niveau 
donne  l'air  de  s'effondier  à  un  tronçon  de  la  rue  Louis- 
le-Grand,  reliée  d'un  côté  par  des  marches  à  la  rue  du 
Dix-Décembre, 


RUE   LOUIS-LE-GRAXD.  115 

le  moins  connu.  C'était  plutôt  une  maison  qu'un 
hôtel,  car  elle  n'avait  pas  de  jardin,  tant  le  couvent 
des  Capucines,  par- derrière,  la  serrait  de  près  ! 
M""^  de  Montespan,  dans  la  disgrâce,  y  passa  quelque 
temps.  Depuis  son  départ  de  Versailles,  elle  menait 
une  vie  de  .péaitence,  quoique  peu  sédentaire, 
après  s'être  essayée  à  l'immobilité  de  la  retraite 
dans  la  communauté  des  tilles  de  Saint-Joseph  : 
ses  terres  la  gai-daul  six  mois  de  l'année,  elle 
prenait,  de  plus,  les  eaux  de  Bourbon.  Le  duc 
du  Maine  et  le  comte  de  Toulouse,  légitimés  princes 
du  sang,  visitaient  à  Paris  M"""  de  Montespan, 
qui  ne  les  traitait  pas  sur  un  autre  pied 
que  le  fils  du  marquis  de  Montespan,  leur  frère 
aîné.  MM.  de  Grandbourg,  et  Castela  ont  disposé 
de  là  propriété;  elle  a  été  occupée  de  plus  fraîche 
date  par  l'ainii-al  Parceval-Deschônes,  parle  général 
Digeon  :   n'"  li  et  o  à-présent. 

M;  de  l'Épinay  était  propriétaire  du  4,  arrière- 
bâtiment  de  l'hôtel  Mondragon,  que  nous  avons 
vu  rue  d'Antin.  L'hôtel  avait  appartenu  conjointe- 
ment à  Marie  Bersin,  femme  de  Louis  Duval  de 
l'Épinay,  secrétaire  des  hnances.  et  au  marquis  de 
Mondràrgon,  secrétaire  des  commandements  de 
Madame,  comtesse  de  Prcivence,  ainsi  qu'à  la 
marquise,  née  Duval  de  l'Épinay.  M.  Varignon  de 
Villemarais,  qui  avait  le  9  du  chef  de  sa  femme, 
veuve  de  Derbais  en  premier  lit,  était  l'un  des 
prédécesseurs  du  général  marquis  de  Chasseloup- 
Laubat,  père  du  ministre  actuel  de  la  Marine. 
Sénateur  depuis  une  année,  !c  général,  en  1814, 
se  rappela  qu'il  était  lils  et  petil-lils  de  brillants 
officiers,  qui  avaient  servi  sous  le  drapeau  des 
maréchaux  do  Saxe  et  de  Luxembourg  ;  il  refusa 
même,  aux  Cent-Jours,  de  reprendre  sa  place  au 
sénat,  ce  qui  n'empêcha  pas  Napoléon  de 
faire  encore  à  Sainte  Hélène  l'éloge  des  talents  et 
de  la  probité  de  Chasseloup-Laubat.  Le  général  a 


116  RUE  LOUrS-LE-GRAND. 

eu  pour  acquéreur  le  beau-père  de  M.  Double, 
propriétaire  à  l'beure  qu'il  est  de  l'immeuble  où 
il  donne  l'hospitalité  à  une  rampe  d'escalier,  tirée 
de  la  maison  de  Samuel  Bernard,  rue  Notre-Dame- 
des- Victoires.  M.  Double  possède  aussi,  dans  la 
vallée  de  Montmorency,  un  ancien  château  des 
ducs  de  Vendôme,  qui  fut  de  plus  à  M"*"  d'Enghien. 
Son  appartement  h  Paris  est  d'un  luxe  devenu 
rare  en  ce  qu'il  ne  parle  pas  qu'aux  yeux:  un 
magnifique  mobilier  historique  y  réveille  le  souvenir 
des  détenteurs  primitifs  de  chaque  objet,  c'est-à- 
dire  des  plus  grands  ministres,  des  ducs' et  pairs, 
des  rois  eux-mêmes,  et  des  femmes  qui,  l'une 
après  l'autre,  taillèrent  dans  chaque  règne  le  leur. 
Tapisseries,  cheminées,  porcelaines,  mosaïques, 
pendules,  bronzes,  doi^ures,  lustres,  sofas  et  guéri- 
dons sont  des  chefs-d'œuvre  de  bonne  compagnie, 
avec  lesquels  jamais  on  n'est  tout  seul  :  chacun 
d'eux  cite  une  date  et  un  nom  historiques,  dont  on 
aime  à  s'entretenir  et  qui  donnent  quantité  d'idées 
qu'un  mobilier  tout  neuf  garde  pour  plus  tard. 
Tout  n'est  pas  une  importation  dans  le  musée 
domestique  de  M.  Double  :  les  sculptures,  les 
peintures  des  plafonds  et  des  dessus-de-portes 
n'ont  jamais  été  autre  part.  Bon  Boulogne  a  passé 
par-là. 

Suit  l'ancienne  propriété  de  M.  Maurangel  ; 
M.  Taupin,  vers  1800,  la  vendit  à  M.  Merlin, 
agent-dechange,  beau-père  du  général  Berlin  de 
Vaux,  qui  y  commande.  Les  immeubles  d'après 
n'ont  fait,  pour  la  plupart,  que  croître,  sans  em- 
bellir, depuis  le  règne  de  Louis  XVT  :  exemples, 
le  grand  hôtel  d'Egmont,  au  "21,  et  le  petit,  dans 
le  fond  du  23.  Jenny-Colon  a  joué  aux  Varié|é§ 
une  pièce  qui  nous  empêche  d'oublier  que  la  jolie 
M™"  d'Egmont  chassait  de  race,  étant  tille  du 
maréchal  de  Richelieu. 

L'hôtel  de  M.  de  Gontaut-Biron  a  quitté  entière- 


RUE  LOUIS-LK-GRAND.  117 

ment  la  place  à  des  maisons  de  revenu  sur  ce 
point  de  la  rue  Louis-le-Crand.  La  fameuse  pension 
Morin  et  cet  hôtel,  pour  lequel  elle  avait  renoncé 
à  l'ancien  théâtre  de  Pierre,  seraient-ils  morts 
dhns  les  bras  l'un  de  l'autre  ?  L'Histoire  du  lycée 
Bonaparte  donne  sur  la  pension  Morin  des  détails 
plus  circonstanciés,  qui  seraient  pour  nous  une 
répétition.  Renvoyons  aussi  le  lecteur  à  la  notice 
de  la  rue  Grange-Batelière  (i)  s'il  tient  à  s'édifier 
sur  le  compte  de  M.  Daugny,  le  second  voisin 
des  d'Egmont.  Mais  les  Gontaut  ont  eu  évidemment, 
eux  aussi,  majeur  et  mineur  hôtels.  L'un  des  deux 
a  passé  Nadara  et  ouvre  plus  bas  :  vous  pénétrez 
dans  son  sous-soi  d'autrefois  en  allant  prendre 
une  glace  chez  Durant,  sur  le  ^  boulevard  des 
Capucines,  où  le  jardin  de  l'hôtel  a  touché  au  jardin 
du  ci-devant  couvent  de  femmes  déboisé  par  le 
percement  de  la  rue  de  la  Paix. 

L'au  1738,  il  n'y  avait  encore  à  l'angie  du 
Rempart  et  de  notre  rue,  à  l'extrémité  de  sa  ligne 
gauche,  que  le  magasin  des  marbres  du  roi.  L'autre 
angle  n'était  qu'un  fossé.  L'égout  de  la  VillegrouillaiL, 
à  n'en  pas  douter,  entre  les  deux. 

Le  financier  Lacour-Deschiens,  sieur  de  Neuville, 
avait  fait  bâtir,  en  l'année  1707,  sur  les  plans 
de  Pierre  Levée,  un  bel  hôtel  rue  Neuve-Saint 
Augustin,  dont  le  jardin  allait  jusqu'au  boulevard, 
entre  les  ruer,  de  la  Michodière  et  Louis-le-Grand. 
II  en  reste,  sur  celle-ci,  notamment  le  rr'  16,  marqué 
déjà  sur  le  plan  de  Lacaille.  Le  duc  d'Antin, 
ingénieux  courtisan  du  roi,  surintendant  de  ses 
bâtiments,  s'était  l'endu  actiuéreur,  en  1713,  de 
l'hôtel   (jui  a   pris  son  nom  pour  le   laisser  l\   un 


(1)  La  portion  de  Ja  rue  Drouot  dans  laquelle  se 
retrouve  l'ancien  hôtel  Daugny  appartenait  naguère  à  la 
rue   de  la   Grange-Batelière. 


118  ItUE  LOUIS-LR-GRAND. 

quartier.  Le  maréchal  de  Richelieu  en  était  pro- 
priétaire dès  1757,  et  il  y  taisait  -taire  des 
embellissements.  Alors  l'ut  dessiné  par  Chevaulet 
ce  joli  pavillon  qui  forme  encore  le  coin  du  bou- 
levard, à  la  place  de  l'ancien  fossé  :  sa  rotonde  y 
délasse  la  vue  des  monotones  pans  coupés  que 
présentent  tant  d'autres  angles  !  Les  masques 
qu'on  y  a  sculptés  demeurent  les  chefs-d'œuvre 
du  genre.  Un  balcon  tourne  autour  de  l'édilice, 
comme  une  ceinture  glissante,  el  c'est  pourtant  la 
seule  que  Richelieu  ait  nouée,  dans  son  pavillon 
de  Hanovre  :  il  faisait  le  contraire  aux  autres  !  On 
sait  que  la  plupart  des  femmes  préféraient  sa 
maturité  à  la  jeunesse  de  ses  rivaux,  le  poursui- 
vaient encore,  octogénaire,  de  leurs  envies  de 
pardonner,  qui  étaient  des  lettres  de  rappel  :  plus 
d'une  Unissait  même  par  le  coucher,  consolation 
désespérée,  dans  la  ruelle  de  son  testament  !  Il 
disait  à  son  tîls,  goutteux  :  —  Imitez  votre  père, 
Fronsac  ;  quand  un  de  mes  pieds  a  la  goutte, 
c'est  l'autre  qui  en  souffre  le  plus  :  je  ne  fais  pas 
un  pas  de  moins. 

En  ce  qui  regarde  notre  rue,  le  duc  plaida 
avec  M.  Arthur,  prédécessseur  des  frères  Robert  : 
cet  Arthur  avait  établi,  à  l'autre  encoignure  du 
Cours,  c'est-à-dire  à  la  place  qu'avait  occupée 
le  dépôt  des  marbres  du  roi,  une  fabrique  de 
papiers  peinls,  qui  masquait  la  moitié  de  la  vue. 
Fronsac  n'hérita  de  son  père  qu'en  1788,  et  des 
entrepreneurs  de  (êtes  publicjues  accaparèrent 
l'hôtel  de  seconde  main,  dans  la  Révolution.  Il 
était  dès-lors  divisé,  car  la  rue  de  Hanovre,  dont 
le  terrain  avait  été  acquis  par  Chéradame,  et  celle 
de  Port-Mahon,  dont  le  nom  rappelait  aussi  une 
victorieuse  campagne  du  maréchal,  avaient  été, 
celle-ci  tracée  et  .l'autre  ouverte,  avant  que 
Richelieu  rendît  le  dernier  soupir  dans  l'hôtel, 
séparé  déjà  du  pavillon.  On  y  assista  à  des  fêtes, 


RUE  LOUIS-LE-GRAND.  J19 

bals,  concerts,  petits  spectacles,  feux  d'artifice  ;  on 
put  s'y  loger  en  garni  ;  une  maison  de  jeu  s'y 
essaya,  qu'éclipsa  bientôt  Frascati  ;  enlin  tortoni 
y  fonda  sa  réputation  de  glacier,  comme  associé 
de  Velloni.  Puis,  les  maçons  revenant  à  la  charge, 
de  nouveau  les  lustres  s'éteigiiirent  dans  les 
salons  où,  au  milieu  d'un  bal,  la  générale  Bonaparte 
avait  reçu  le  glorieux  surnom,  qui  déj^  était  justifié 
en  1798,  de  Notre-Dame-des-Victoires.  iSimon, 
marchand  de  papiers  peints,  devint  le  locataire  du 
pavillon,  occupé  aujourd'hui  par  un  marchand  de 
ruoltz. 

Comment   en    un   vil  plomb  l'or  pur   s'est-il    changé? 


Rue     de     Vareiiiio. 


Documents  recueillis  aux  Archives  de  l'Empire  et 
mis  d'accord,  autant  que  possible,  avec  le  peu 
de  découvertes  ciui  jusquà  2}résent  a  suffi,  sur 
le  même  sujet,  aux  livres  reloiifs  à  V histoire  de 
Paris. 

Les  persomiages  historiques  ne  laissent  pas  sou- 
vent leurs  noms  aux  demeures   que  semblait  pour- 
tant     leur     assimiler     pour     jamais    l'empreinte 
de  leurs  succès  ou  de  leurs    infortunes,    de  leurs 
exploits  ou  de  leurs  défaillances,  de  leurs  vertus  ou  de 
leurs  vices,  de  leurs  croyances  ou  de  leurs  doutes.  Le 
caractère  et  le  rang  d'un  logis  ne  changent  ni  aussi 
vite  ni  aussi  complètement  que  ceux  des  liabitants  qui 
s'y  succèdent.  Un  hidalgo  a  beau  devenir  gueux, 
il  drape   son  manteau  troué  d'une   façoi^    qui    le 
distingue  encore,  et  il   eu  est  de  même  pour  un 
hôtel,  qui  fo  révèle,  en  dépit   de  ses  transforma- 
tions, jusque  dans   la  décrépitude,   et    ne  tombe 
lout-à-iait  qu'en  ruine.  Pour  nous,  qui  n'avons  le 
fanatisme  ni  de  Tliabit  noir,  ni  de   la  blouse  bleue, 
il  y  a  des  maisons  qui   portent  des  pelisses  à  la 
Louis    XI  ;    d'autres,    une    coiifure  à    bandelette 
nouée    par    un    camée  ou  une  pierre  précieuse, 
comme    la    belle  ferronière,  et  plus  encore,   un 
des    costumes  des   personnages   de  Molière.   Cela 
dépend    de    l'époque    où   elles    ont    été    le   plus 
remarquées. 
Le  11  de  la  rue  de  Varenne  porte  ù  nos  yeux 


(1)  Notice  éciite   en  1860. 


RUE  DE  VARENNE  121 

une  perruque. volumineuse,  qui  retombe  sur  les 
épaules  de  Potier  de  Novion,  présideiil  à  mortier, 
pour  lequel  il  tut  édifié  par  Leduc  sous  Louis  XIV  : 
le  pelit-tils  de  ce  président,  ayant  la  survivance 
de  sa  charge,  se  trouva  président  à  quinze  ans. 
Raphaël  delà  Planche,  trésorier  des  bàiimenls-du- 
roi,  laisse  au  lo  comme  une  IVaiso  du  temps  de 
Henri  IV  ;  il  a  créé  la  rue  qui  s'est  dite  de  la 
Planche,  entre  les  rues  de  la  Chaise  et  du  Bac, 
jusqu'à  la  présidence  républicaine  de  Napoléon  IlL 
Une  manufacture  de  tapisseries  y  avait  le  même 
fondateur,  avec  entrée  rue  de  la  Chaise.  Tout  ou 
partie  de  l'hôtel  Novion  passa  Saint-Agnant,  et 
M.  Portail,  président  au  parlement,  l'aclietaii  en 
1750  d'Edme  Duban,  marquis  de  la  Feuillée, 
capitaine  au  régiment  d'Harcourt.  La  moitié  indivise 
de  l'ancien  hôtel  était  celui  de  Venise,  conversion 
due  probablement  à  l'ambassadeur  de  cette  l'épu- 
blique,  lorsque  le  mar(|uis  de  la  Feuillée  vendit 
à  Marie-Florence  du  Chàtelei,  veuve  deMelchior 
Esprit  de  la  Baume,  comte  de  Monlrevei,  maréclial- 
de-camp,  qui  ne  tarda  pas  à  acquéiir  l'autre 
moitié.  M""' Amelot,  née  de  Brion,  laissa  la  maison 
patronymique  de  la  rue  de  la  IManche  à  Amelot, 
ministre  d'État,  qui  la  céda  au  procureur-général 
Joiy  de  Fleui-y.  La  famille  de  ce  magistrat  a  eu 
pour  acquéreur  le  marquis  de  i^Iontmoj'ency,  avec 
lequel  traitaient  dernièrement  les  pères  de  la 
Miséricorde.  Au  momeiil  oi^i  Napoléon  F'"'  nominait 
grande-duchesse  de  Toscane  la  princesse  Élisa 
Bacciochi,  sa  sœur,  qui  avait  déjà  exercé  le  pou- 
voir sous  le  nom  de  son  mari,  couronné  prince 
de  Lucques  et  de  Piombino,  elle  avait  pour  palais 
l'un  de  ces  deux  hôtels. 

Une  varenne  est  un  terrain  inculte  et  fertile 
en  gibier,  ou  une  réserve  de  chasse,  et  cette 
traduction  étymologicjue  convient  à  une  rue  où 
tombe    celle    Bellechasse.    Néanmoins    la  localité 


12•^  RUE  DE   VARENNE. 

pourrait  avoir  eu  pour  parrain  un  abbé  de  Varennes, 
un  seigneur  de  Varennes  ou  eneore  Florent  de 
Varennes,  amiral  de  France.  Mathieu  Pen-ot, 
chancelier  de  l'académie  et  de  l'église  de  Bourges, 
était  abbé  de  Varennes  sous  Charles  IX;  Jacob  de 
Nuchez,  coadjuîeur  de  l'évêque  de  Chalon-sur- 
Saône,  l'était  sous  Louis  XIV  et  avait  pour  contem- 
porain François  Perron,  écuyer,  sieur  de  Varennes. 
Enfin  le  bailliage  et  le  greffe  de  la  Varenne, 
juridiction  forestière,  se  tenaient  au  Louvre;  mais 
il  y  avait  aussi  une  capitainerie  des  chasses  de 
cette  Varenne  du  Louvre,  et  rien  n'aurait  empêché 
le  chef-lieu  de  la  capitainerie  de  s'asseoir  originaire- 
ment à  une  petite  distance  du  palais  des  rois. 
Cai'on  de  Beaumarchais  fut  lui-même  lieutenant- 
général  des  bailliage  et  capitainerie  royale  des 
chasses  de  la  Varenne  du  Louvre,  grande  vénerie 
et  fauconnerie  de  France. 

L'hôtel  Saint-Gelais,  occupé  sous  Louis  XV  par 
la  duchesse  de  Lauzun,  se  délabre,  n"'  24,  26  et  28. 
Quelque  chose  aussi  appartenait  aux  récollettes  dans 
la  ci-devant  rue  de  la  Planche,  habitée  en  notre 
siècle  par  M.  de  Musset,  M.  de  Goyon,  la  duchesse 
de  Lorges,  le  prince  de  3Iontmorency-Tancarviile, 
la  marquise  de   Paris,   le   duc  de  Narbonne. 

Une  salle  d'a.sile  réunit  des  enfants  au  89  ;  41 
et  4o  n'ont  fait  qu'un  ;  la  duchesse  de  Narbonne, 
née  Serraîit,  a  disposé  du  io  ;  le  duc  de  Laroche- 
foucauld-Doudeauville  a  le  47.  A  coup  sûr,  ce 
pàlé  d'hôtels  n'a  pas  cuit  tout  d'une  pièce.  L'hospice 
des  Convalescents,  que  nous  mentionnons  rue  du 
Bac,  donnait  aussi  rue  de  Varenne  sur  ce  poinl. 
L'abbé  de  Fontenille  demeurait,  en  l'année  1736, 
dans  une  pvopi-iélé  tenant  des  deux  côtés  et 
par-derrière  à  cet  établissement  de  charité,  et  le 
duc  de  Laui'agais,  qui  cultivait  les  ietti'es  et  les 
sciences.,  en  était  locataire    ensuite.  Cartaud,  en 


RUE  DE  VARENNE.  123 

173i2,  dessinait  |30ur  3T.  de  Janvry  une  lielle  maison, 
près  des  Convalescents. 

M'"«  de  Narbonne  a  possédé  aussi  le  46  ;  les 
Baignières,  le  48,  ancienne  résidence  de  Cliailes 
Skelton,  marécha!-dc-canip.  L'iiôtel  do  la  duchesse 
d'Estrées,  que  nous  avoiis  vu  rue  de  Grenelle, 
s'étendait  jus(j,ue-l:i.  Goullier,  marquis  de  Thoix, 
Mérita  de  son  père  le  n"  56,  qu'il  céda  à  Cliaumont, 
marquis  de  la  Galaizière,  en  1768.  La  comtesse 
Bernard  du  Prat,  née  Bouigoiiig,  inaugura  l'hôtel 
d'Auroy,  qui  suit,  sur  lequel  est  assis  le  majorât 
créé  pour  le  comte  Bampont,  général  de  l'Empire. 
A  M.  de  la  Galaizière  tut  encoi'e  le  60,  dit  plus 
tard  hôtel  de  ïingry  :  M.  le  comte  de  Béthune- 
Sully  y  succède  il  M.  de  MontmoreiK^y-Luxembourg. 

Ce  Chaumont  de  la  Galaizière  n'avait-il  pas  pour 
proche  Guy-François  de  Cliaumont-Quitry,  qui 
j)renait  la  qualité  de  «  républicain  IVaneais  »  en 
lôte  d'une  brochure  politique,  parue  en  tliermidor 
an  vu  ?  Ce  graiid-père  du  marquis  de  Chaumont- 
Quitry,  chambellan  de  l'empereur  actuel  et  député, 
habi'ait  aussi  la 'me  de  Varenne  ;  il  était  gard'e- 
du-corps  en  1789.  Il  y  avait  un  fusil  à  lui  parmi 
16s  armes  données  en  nantissement  c|ue  le  Mont- 
de-Piété  distribua  au  peuple  pour  la  journée  du  14 
Juillet.  La  restitution  de  ces  gages  étant  devenue 
impossible,  on  vota  à  l'Hôtel-de-Ville,  pour  les 
porteurs  de  reconnaissances,  une  indemnité  dont 
la  répartition  a  été  l'aiie  sur  des  pièces  qui  se 
retro'uvent  à  la  Bibliothèque  impériale,  section  des 
Manuscrits.  Le  reçu  de  Ghaumont-Quitry  s'y  produit, 
le  premier,   pour  80   francs  ûa  boni  sur  son  fusil. 

Le  millésime  1787  ligure  dans  la  seriurerie  de 
la  porte  du  49.  En  l'absence  d'autres  documents, 
nous  regrettons  de  n'y  pas  introduire  un  Jaucourt, 
un  Boisgelin  ou  un  Ségur  :  nous  chei'chons  en 
vain  rue  de  Yarenne  la  place  exacte  de  ces 
trois  contemporains  îles  deux   Gliainiiont. 


124  UUE  DE  VARENNE. 

M""  d'Aiigeiines,  dont  la  vie  a  Uni  avec  le 
xvni"  siècle,  a  laissé  h  M.  de  Vérac  la  propriété 
qui  précède  le  superbe  hôtel  Monaco.  Celui-ci, 
dessiné  par  Corlonne  pour  le  maréchal  de  Mont- 
morency, prince  de  Tingry,  Tut  vendu  inachevé, 
en  1723,  à  Jacques  Goyon  de  Matignon,  comte  de 
Thorigny.  On  y  revoit,  au  fond  d'un  grand  jardin, 
un  petit  Trianon,  pavillon  ajouté  par  M.  de  Mati- 
gnon, A  son  fils,  pair-dc-France,  qui  prit  le 
nom  de  Grimaldi  en  devenant  prince  régnant  de 
Monaco  et  duc  de  Valentinois,  ct^tte  demeure 
donnait  pour  voisins  Roise,  conseiller  au  parlement, 
d'une  part,  et  le  marquis  de  Latour-Maubourg,  de 
l'autre.  M.  de  Quélen,  duc  de  la  Vauguyon,  ce 
lieutenant-général  qui  devint  le  précepteur  des 
quatre  petits-lils  de  Louis  XV,  n'avait  été  là  que 
locataire  de  Matignon  oudeïingry.  Mademoiselle, 
princesse  Adélaïde,  a  occupé  l'hôtel  sous  la  Restaura- 
lion  ;  puis  le  général  Cavaignac,  étant  chef  du 
pouvoir  exécutif;  après  cela,  M.  Raroche,  président 
du    Conseil  d'État. 

Le  su.^noinmé  de  Fay  de  Latour-Maubourg, 
lieutenanl-générai,  avait  "^  eu  pour  prédécesseur 
Pliiiipi'.e  de  Vendôme,  le  grand-prieur  de  France, 
acquéreur  du  comte  de  Tessé  en  1719.  La  duchesse 
de  Mazarin,  née  Françoise  de  Mailly,  mais  d'abord 
femme  du  marquis  de  la  Vrillière,  avait  pris  pour 
son  (compte  la  moitié  de  la  vaste  propriété  adjugéû- 
en  1733  à  M.  de  Latour-Maubourg,  après  une 
saisie  pratiquée  sur  les  héritiers  du  grand-prieur 
à  la  requête  de  ses  créanciers  ;  si  bien  que  cet 
hôtel  en  faisait  deux.  I^e  premier  échut  à  Duprat, 
marquis  de  Barban<.;on,  et  ù  sa  femme,  Éléonore 
de  Latour-Maubourg  ;  il  fut,  au  proht  de  eniïmts 
mineui's  du  marquis,  vendu  au  duc  de  Rohan,  qui 
devait  le  partager  avec  le  piince  de  Monaco,  déjà 
nommé  ;  puis  il  passa  Chimay  :  M""-'  Tallien, 
grâce    au    divorce,  y  enti-a  princesse  de  Chimay. 


RUE  DE   VARENW'E.  l>5 

Reynaukl,  curateur  à  la  succession  vacaute  de 
la  duchesse  de  Mazarin,  céda  l'autre  à  Frédéric 
de  la  ïrémoille,  prince  de  Talmond,  duc  de 
Chàtellerault,  qui  eut  pour  acheteur  eu  1750 
Dominique  de  Rohan-Chahot,  prince  de  l.éon, 
président  de  la  noblesse  de  Bretagne.  Ledit  hôtel 
n'est  devenu  Montebello  que  bien  après  la  mort 
du  maréchal  Launes  sur  le  champ-de-bataille 
d'Essling.  Rougevin,  arcliitecte,  avait,  les  deux 
immeul)les  à  sa  disi)Osition  en  Tannée  18^6  ;  mais 
il  perpétua  leur  divorce  en  les  séparant  par  une 
rue,  qui  s'appela  d'abord  Mademoiselle,  à  cause 
du  voisinage  de  la  princesse  d'Oi'léans,  mais  qui 
prit  ensuite  le  nom  de  Vanneau,  élève  de  l'école 
Polytechnique,  tué  le  29  juillet  1830  en  commandant 
l'attaque  de  l;:i  caserne  Babylone. 

C'est  en  1708  que  l'hôtel  (Wm  lace  est  acquis 
par  Lacroix,  marquis  de  Casti'ies,  et  sa  lémme,  une 
Rochechouart-3Iorte;nart,  d'Angéliqu(;  de  Guynes, 
veuve  de  Diifoui',  seigneur  de  iSogent,  à  l'expiration 
d'un  l)ail  consenti  au  président  Etienne  d'Aligre. 
Leur  tils  épouse  la  lille  du  duc  de  Lévis,  nommée 
dame  d'honneur  de  la  duchesse  de  Chartres  sur 
la  présentation  du  duc  du  3Iaine  ;  il  devient  lieute- 
nant-généi'ai,  maréciial  de  France,  puis  ministre. 
C'est,  nous  le  raiipelons,  c'est  à  la  suite  d'un  duel 
entre  Charles  de  Lameth  et  31.  deCaslries,  mestre- 
de-camp  de  cavalci'ie,  qui  a  blessé  son  adversaire, 
que  tout  un  peuple  excité  se  poiie  rue  de  Varenne, 
le  13  mars  1790  :  l'hôtel  est  mis  à  sac,  et,  au 
bout  d'une  demi-heure,  il  n'en  reste  plus  que  les 
murs,  avec  des  monceaux  de  débris.  Des  petits- 
neveux  du  maréchal  occupent  de  nos  jours  la 
maison. 

M"''  Desmarcs  crée  un  liôlel  au  commence- 
ment du  wnr  siècle  :  le  plan  en  est  dressé  ])ar 
Aubry,  ai'ehitectc  du  roi.  Elle  dilïëre  tellement  de 
M"*  Guimard,  avec  huptelle  des  historiographes  la 


12()  RUE  DE  VARENNE. 

confondent,  que,  In  première,  elle  joue  le  principal 
rôle  (VAthaiiecl  celui  ôeS(^m>ramis.  Les  amoureuses 
(le  (îomédie  sont  égîilement  dans  ses  cordes,  et, 
grâce  à  ses  talents  de  rechange,  l'emploi  des 
soubrettes  lui  vaut  encore  les  suffrages  du  public. 
Vive,  jolie,  intelligente,  M"-  Desmares  obtient  des 
succès  à  la  ville,  "auxquels  elle  sacrilie  ceux  de  la 
scène  en  n'ayant  encore  que  39  ans  ;  mais  ce  n'est 
qu'une  demi-retraite,  car  elle  jone  encore  h  la 
cour  et  sur  des  tlii^àtres  de  société,  où  de  vrais 
seigneurs  lui  donnent  la  réplique.  Hoguier,  baron 
de  Presles,  devient  ensuite  propriétaire  de  la  même 
maison,  dont  il  est  exproprié  par  des  créanciei's, 
alors  que  l'ambassadeur  d'Angleterre  l'occupe,  et 
dont  se  rend  adjudicataire  le  duc  deVilleroi,  qui 
en  augmente  les  proportions.  Ce  gouverneur  de 
l'enlant-roi  était  un  favori  de  Louis  XIV  ;  le  duc 
du  Maine,  moins  heureux,  a  vu  passer  en  d'autres 
mains  la  sui'intendanee  de  l'éducation  de  Louis 
XV,  que  lui  conhait  le  testament  royal.  Aussi 
bien  Villeroi  ne  refuse  pas  à  son  élève  un  exemple 
dont  le  roi  défunt  se  montrait  encore  moins 
avare:  il  est  lié  publiquement  avec  la  spii'itnelle 
et  belle  M""^  de  Caylus.  Ne  voihVt-il  pas  des 
précédents  un  peu  légers,  pour  un  immeuble  qui 
maintenant  est  de  ceux  qu'on  pi-end  le  plus  au 
sérieux?  Il  se  trouvait  déjà  ministériel  au  départe^ 
ment  du  Commerce,  lorsque  lui  a  été  confié  le 
portefeuille  de  la  Police  générale  ;  la  présidence 
du  Conseil-d'Élat  a  quitté  depuis  sept  ans  l'hôtel 
Monaco,  pour  nous  l'emettre  ici  en  présence  de 
l'avocat  distingué  qui  est  le  chef  de  ce  grand  corps 
de  l'État? 

Notre  59  est  fouvrage  du  duc  de  Fornari,  un 
Sicilien,  mettant  ses  talents  d'architecte'  au  service 
du  marquis  Chailes  d'Étaaq)es.  Le  cardinal  de 
Polignac  l'habite  i)endant  la  Régence,  h  l'époiiue 
où   la   conspiration  de  Collamare  recrute  plus  d'un 


RUE  DE   VARENXE.  157 

conjuré  rue  do  Varenne.  Cet  auteur  de  1'^?/^/- 
Lvcrêre,  poëme  latin,  que  commence  à  traduii-e 
le  duc  du  Maine,  occupe  le  lautcuil  de  Bossuel  à 
l'Académie.  Comme  ambassadeur  de  Louis  XIY,  il 
a  pi'is  h  Utreclît  une  revanche  de  précédeiites 
humiliations,  en  traitant  avec  l'Angielerre  sans 
l'assejUimeiit  de  la  Hollande,  et  c'est  alors 
qu'il  a  répondu  aux  néi;ocialeui's  du  pays,  qui 
essayaient  de  l'écarter:  —  Nous  traitons  do  vous 
et  chez  vous;  mais  il  faut  qu(î  ce  soit  i^ans  vous... 
Le  successeur  de  M.  d'Élampes  est  le  marquis  de 
Mézières-Bélhisi,  que  Saint-Simon  nous  représente 
comme  u))  èlre  vaniteux  et  dilVorme,  ayanL  épousé 
une  Anglaise  dont  la  mère  a  été  blanchisseuse  de 
la  reine,  femme  de  Jacques  IL  Cette  marquise, 
qu'on  ose  appelci'  M"''  de  Mézières,  comme  si  elle 
n'était  pas  femme  de  qualité,  fait  restaurer  par 
Dulin  son  hôtel.  L'un  de  ses  enfants  devient 
lieutenant-général  et  gouverneur  de  Long^Yy,  tout 
en  cultivant  les  lettres  et  les  arts.  Des  Rohan, 
alliés  aux  Mézières,  les  remplacent  quelque  temps 
à  l'hôtel  d'Étampes-Mézières-Montauban. 

Le  6ô'-67  a  été  fondé,  mais  plus  tard  que  les 
habitations  qui  l'environnent,  par  la  marquise  de 
la  Suze  et  la  vicomtesse  de  la  Rochefoucauld, 
grand'nière  du  duc  de  la  Rochefoucauld- JJoudeau- 
ville.  Cet  auteur  de  Memorcs  en  cours  de  publi- 
cation habite   maintenant  riiôlel  :   il  y  est   né. 

Si  nous  cherchons  sur  le  plan  de  Comboust 
l'immeuble  où  M.  Ducbâtel,  ancien  ministre,  réside 
en  ce  temps-ci,  nous  y  trouvons  la  plaine  de 
Grenelle  ;  mais  Lacaille  nous  montre,  dès  1714, 
l'hôtel  deChàtillon,  qui  n'est  pas  autre.  L'architecte 
Leblond  Ta  bâti  pour  la  sœur  du  duc  de  Chevreuse, 
qui  venait  d'épouser,  quoique  jeune,  un  vieillard, 
le  marquis  de  Seissac,  grand-maître  de  la  gai-de- 
l'obe.  Ce  mari  avait  pour  le  noir  ime  aversion, 
qui   lui   survécut  poiu"  sa  l'emme  et  (pii    la  (lisi)cnsa 


1-2N  RUE  DE  VARKNNE. 

(lu  (leuii.   Au  lieu   de  M"'"  de  Seissac,  qui   faisait 
empleUe    plus    lard    de    la    maison    de  Lauzun  à 
Passy,  la  rue  do  Varenne  logea   la    duchesse    de 
CluUillou,    dame    d'atours  de   Madame.   Louis  de 
Bourbon-Coudé,  eomle  de  Clermoiit,  eutra  posté- 
rieurement en   possession.  Il  jeta  le  l'roe  aux  orties, 
pour  se  distinguer  h  Fonlenoy,  et    voulut  même 
ôtie    d«   rAcadémie.    Pour    un    pi'ince  du   sang, 
n'était-ce  pas  un  peu  déroger  ?  L'égalité  commençait 
au  liiuteuil  !   Pendant  que  M.   de    Clermont,    ses 
bénélices  résignés,  allait  finir  sa  vie  plus  loin  du 
monde,  son  liôtel    devenait    d'Orsai.    C'était  vers 
1815  riiabitalion  d'Armand  Séguin,  économiste  et 
louinisseur  des  armées,  ami    de    Fourcroy  et  de 
Berlhollet,  mais  qui  l'était  aussi  d'Ouvrard,   qu'il 
fit  écrouer  pour  une  dette  s'élevant  à  60  millions. 
A  la  tète  d'une  immense  fortune,  Séguin  était  un 
grand    original,    un  UKirquis  de  Brunoy   parvenu  ! 
M.  Barbet  de  J('uy,  en  1838,  a  pris  sur  la  propriété, 
qui  se    trouvait  "^  alors   entre  ses  mains,  de  quoi 
ouvrir  la  rue  poilant  son   nom,  et  qu'il  a  défrayée 
de  pavé,  de  trottoirs,   de    bornes-fontaines  et  de 
conduits  pour  le  gaz,    en  acceptant  l'interdiction 
d'y  élever    des    bâtiments    au-dessus  de  16'",  50. 
Remarquez-vous  que  dans  cet  historique  il  y  a 
un  blanc  pour  le  |)remier  empire?  L'hôtel  aurait- 
il  échappé  aux  billets  de  logement  que  le  maitre 
signait  alors  au  profit   de  hauts   dignitaires,   qu'il 
défrayait  aussi  du  train  de  maison?  Oh!   il    était 
tombé  an   sort,  dans  cette  conscription  des  hôtels, 
à  en    juger    par    la    nombreuse  livrée  que  l'on  y 
voyait  dans  son  neuf.  N'était-elle  pas  au    service 
de  son  Excellence  Bigot  de  Préameneu,   l'un  des 
auteurs  du  Gode,  fiue  Napoléon  avait  fait  ministre  des 
Cultes?  Cet  ancier  avocat  au   parlement,  qui  avait 
(Hé    député    à    l'Assemblée    législative,    resta  au 
pouvoir  jusqu'à  la  Restauration  ;  mais  l'ancien  hôtel 
d'Orsai  cessa  pi-obablement  d'être  ministériel  avant 


RUE  DE  VARENNE.  129 

la  fin  de  l'Empire.  L'hôtel  de  Préameneu  était 
le  n°17  de  l'année  1812,  et  il  y  en  avait  un  de 
Bénévent,  numéroté  23,  que  nous  liésitons  plus 
encore  à  reconnaître.  Son  altesse  Talleyrand  avait 
perdu  en  1807  le  portefeuille  des  Aflaires-Étrangères, 
pour  avoir  b.âti  d'autres  châteaux  en  Espagne  que 
ceux  de  l'empereur  ;  mais  il  avait  reçu,  outre  la 
principauté  de  Bénévent,  le  titre  de  vice-grand- 
électeur,  avec  300,000  Iraiics  de  traitement! 

Le  comte  de  Langonnay  a  précédé  la  famille  de 
Brotrlie,  dans  un  hôlel  édifié  en  1704  près  ceUii 
de  Châtillon  et  embelli  an  bout  de  sept  années 
par  Bofifrand.  En  1815  y  résidait  Lebrun,  prince 
de  Plaisance,  archi-trésorier  (leTEmpiie,  qui  avait 
gardé  son  fauteuil  de  sénateur  à  la  chambre  des 
Pairs  de  Louis  XVIII  quand  la  nouvelle  du  retour 
de  l'île  d'Elbe  vint  le  surprend le,  comme  tant 
d'autres!  M.  Valette,  son  secrétaire,  en  l'abordiint 
dans  le  jardin,  lui  rendit  aussitôt  un  titre  qu'il 
avait  cessé  de  porter  :  —  Comment  se  porte  Voire 
Altesse  ?  —  Moi,  je  vais  bien,  lui  répondit  Lebrun  ; 
mais  mon  altesse  îi  la  migraine Toutefois,  pen- 
dant les  Cent-Jours.  l'ancien  consul  J^ebrun  était 
grand-maître  de  l'Université:  au  milieu  même  de 
ses  grandeurs,  il  avait  toujours  fait  état  de  sa 
qualité  d'homme  de  lettres. 

Dernier  hôtel  de  la  rue  deVarenne.  îl  eut  poui- 
architectes  Gabi-iel  et  Aubert,  dont  le  client  était 
Peyrenc  de  Moras,  chef  du  conseil  de  la  maison  de 
Cohdé,  inspecteur-général  de  la  Banque.  Son  altesse 
sérénissime  la  duchesse  du  Maine,  princesse  vive  et 
ambitieuse,  pelite-lille  du  grand  Condé,  que  la 
conspiration  découverte  par  Dubois  avait  éloignée 
de  la  cour,  ne  reparut  qu'en  1721  ;  son  mari 
l'accusait  de  ses  malheurs  et  de  trop  dépenser  : 
elle  acheta  donc,  toute  seule,  mais  à  vie,  la  maison 
Moras.  L'excellent  accueil  que  tous  deux  faisaient 
aux  poètes,   aux  benux-'espril s  du  temps,  les  aidait 


130  RUE  Dl-:  VARENNS. 

à  se  consoler  séparément  de  leurs  disgrâces  ;  cette 
passion  qu'ils  avaient  pour  les  lettres  finit  même 
paries  j-approclier,  dans  le  brillaul  domaine  de 
Sceaux.  La  duchesse  mourut  à  77  ans,  dans  son 
liôlel,  où  le  maréchal  de  Matignon  la  remplaça. 
Néanmoins  Gonlaut  duc  de  Biron.  lieutonant- 
général,  colonel  des  gardes-françaises,  achetait 
des  héritiers  d'Anne  Farges,  veuve  Moras.  Lauzun, 
qui  ne  signa  duc  de  Biron  qu'en  1788,  s'installait  à 
l'hôtel  en  revenant  d'Amérique,  épris  des  libertés 
qu'il  avait  contribué  ù  rendre  au  Nouveau-Monde. 
Aux  États-Généraux,  le  déj)uté  Lauzun  était  encore 
l'ami  du  duc  de  Chartres,  et  tous  deux  eurent 
la  même  lin  en  1793.  L'hôtel,  dont  les  jardins 
avaient  été  publics  à  certaines  heures,  sous  l'ancien 
régime,  servait  de  geôle  sous  la  Terreur,  comme 
succursale  du  Luxembourg.  Maintenant,  c'est  le 
Sacré-Ctt'ur  qui  en  occupe   les  bâtiments. 


Rue     de    Béarii, 


de  la  C!iaiisséc*de*<t-illiiisiiie*4.   (i) 

Se  l'estreii^iiaiit  à  une  sorte  de  carré,  elle  l'ormait 
comme  une  boîte  dont  une  maison  dite  \\à  Pavillon 
de  la  Reine,  sur  la  place  Royale,  iigurait  le  couvercle, 
ouvert  îi  angle  droit,  avec  les  arcades  du  Pavillon 
pour  cliainièi'es.  Commencer  à  la  place  Royale  pour 
aboutir  rue  des  Minimes,  n'éiail-cc  mesurer  plus 
de  longueur  que  de  largeur?  Elle  n'en  avait  pas 
moins  porté  la  dénomination  de  rue  du  Parc-Royal, 
en  mé  noire  du  parc  des  Tournelles,  lors  de  son 
ouverture,  en  1607,  à  la  place  d'un  cliemin  bordé 
par  des  terrains  appartenant  aux  seigneurs  de 
Vitry.  De  I8O0  date  son  prolongement  sur  l'emplace- 
ment de  l'église  des  Minimes.  Les  religieux  de  cet 
ordre  avaient  eu  tout  près  une  bibliothèque  îi  citer* 

Le  bureau  de  bientaisance  de  l'arrondissement 
occupe  le  n"  10,  qui  dépendait  jadis  du  couvent  des 
Hospitalières,  dont  une  impasse  garde  le  nom  (2). 
Fondé  en  1624  pour  donner  du  soulagement  à  de 
pauvres  fdles  et  iémmes  malades,  cet  établissement 
fut  fermé  en  1792  ;  mais  il  est  remplacé  depuis 
lors,  au-delà  du  cul-de-sac,  par  une  tilature  à 
l'usage  des  indigents,  qui  appartient  à  l'administra- 
tion générale  de  l'Assistance-Publique. 

Au  commencement  du  règne  de  Louis-Philippe, 
le  second  étage  du  li"  5  se  complaisait  à  tenir 
clos  et  couvert  un  vieux  ménage,  dont  la  mai- 
son restait  l'aînée  assurément,  mais  qui  avait  déjà 
célébré  depuis  huit  ou  dix  ans  ia  cinquantaine. 

(1)  Notice  écrite  eu  1858.  L  ancieune  oliaussée  ues 
Minimes  n'avait  pas  encore  pris  le  nom  d'une  ancienne 
province. 

(2)  Maintenant   impasse    de  Béaru. 


132  RUE  DE  BEARN,  ETC. 

Sous  les  auspices  de  leur  oncle  commun,  Jacques 
Verbereclit,  sculpteur  du  roi,  demeurant  rue  Basse- 
du-Rempart,  le  cousin  Pion  avait,  obtenu  en  cour 
de  Rome  les  dispenses  nécessaires  pour  épouser 
la  cousine  Dorothée  Verl)ereclit.  Ce  vieux  couple 
amoureux,  tout  au  moins  de  ses  habitudes,  dniait 
sur  le  coup  de  deux  heures  et,  une  t'ois  ou  deux 
par  semaine,  M""^'  Mongolfîer  prenait  place  à  la 
table.  Quand  le  couvert  de  ce  convive  se  trouvait 
mis  en  pure  perte,  les  époux  Pion  mangeaient  et 
dormaient  mal;  ils  ne  digéreaient  l'afïront  fait  à 
la  fortune  du  pot  qu'en  recevant,  le  lendemain, 
des  explications  ou  des  excuses,  qui,  d'ailleurs, 
étaient  si  valables  que  l'affaire  s'arrangeait  toujours. 
Une  fois  même  l'accident  qui  avait  fait  manquer 
le  rendez-vous  donnait  à  craindre  de  dangereuses 
récidives.  En  montant  dans  un  omnibus,  la  bonne 
dame  avait  commencé  par  se  tromper  de  diriiction  ; 
elle  avait,  d'autre  part,  oublié  de  se  munir  des 
o  sous,  prix  d'une  place  alors  dans  ces  voitures, 
et,  pour  surcroît,  en  mettant  pied  à  terre,  à 
rexti'émilé  de  la  ligne,  elle  avait^  senti  le  vide 
se  faire  absolùaicnt  dans  sa  mémoire,  bien  qu'on 
pût  la  teirir  jusque-là  poui'  une  femme  de  sens 
et  douée  de  présence  d'esprit.  —  Votre  nom?  lui 
demanda  une  dame,  qui  venait  de  lui  prêter  cinq 
sous.  —  C'est  singulier,  c'est  a.fTreux,  lui  dit-elle; 
je  ne  m'en  souviens  plus  du  tout.  —  Votre  adresse  ? 
—  Je  ne  la  sais  plus...  M"""  Mongoltier  s'était  assise 
sur  une  chaise,  à  la  porte  d'un  pâtissier,  et  elle 
s'y  mettait  l'esprit  à  la  torture  sans  en  tirer  le 
moindre  souvenir;  heui-eusement  quelqu'un  passa 
qui  la  reconnut,  qui  l'appela  par  son  nom,  en 
demandant  ce  qu'elle  faisait  \l\.  Aussitôt,  le  nuage 
se  dissipa  et  la  conscience  de  soi  reparut.  Mais  il 
était  trop  lard  pour  que  M""-' Monlgoltier  se  rendît  h 
l'invitation  du  couple  Philémon  et  Beaucis  de  la 
chaussée  des  Minimes. 


Rue     des     Petiies-Éeuries.  (i) 


M'"«  la  comtesse  Gudin,  veuve  d'un  général  de 
l'Empiré,  habite  le  56  de  cette  rue  depuis  l'époque  où 
la  paix  de  Tilsitt  était  conclue  avec  les  Russes 
par  le  maréchal  Ney,  dont  la  iamille  demeurait  au 
52.  L'armée  d'Espagne  attendait  Ney,  qui  fit  ensuite 
la  campagne  de  Russie.  M,  Garaot,  dont  nous  croyons 
que  le  maréchal  était  parent,  et  qui  a  rempli  les 
fonctions  de  préfet,  possédait  alors  la  maison, 
dont  M.  de  Lathan,  officier  aux  gardes-françaises, 
avait  été  le  créateur  en  l'année  1783;  M.  François 
Collier,  banquier,  puis  membre  du  conseil  municipal 
de  Paris,  s'en  rendit  acquéreur  sous  la  Restaura- 
tion, ainsi  que  du  54.  M.  André,  associé  de 
M.  Collier,  et  qui  lui  a  donné  son  fds  pour  gendre, 
a  occupé  de  même  le  46.  Or  la  plupart  des  hôtels 
qui  se  suivent  sur  cette  fde  et  sur  l'autre  le  51 
doivent*  à  des  rapports  de  style  et  d'âge  d'être 
attribués  en  masse  à  un  architecte  du  comte 
d'Artois,  qui  n'aurait  travaillé  pour  lui-même 
qu'au  48.  Cet  immeuble  a  été  le  théâtre  d'un 
crime  sous  Louis-Philippe  :  l'assassinat  des  époux 
Maës.  Un  autre,  à  M.  Paravey,  peut  se  qualifier 
rétrospectivement  hôtel  d'Aumonl.  On  a  considéré, 
d'ailleurs,  comme  signé  par  Ledoux  en  1780  un 
hôtel  sis  â  l'angle  de  la  rue  du  Faubourg- 
Poissonnière  et  que  cet  architecte  a  habité,  en 
sortant  d'un  i)avillon  aux  pères  de  Saint-Lazare  ; 
mais  ledit  hôtel  a  été  d'Espinchal  avant  la  Révolu- 
tion :  la    cour    y  séparait    deux    portes  cochères 


(1)  Notice  écrite    en  1860. 


134 


RUE  DES  PETITES-ECURIES. 


d'un  vestibule  rond  à  six  colonnes.  Mais  ce  n'est 
pas  Ledoux,  u'est  Bellanger  que  le  comte  d'Artois 
avait  principalement  pour  architecte. 

Tous  les  immeubles  circonscrits  par  les  rues 
des  Petites-Écuries,  du  Faubourg-Poissonnière,  de 
Paradis  et  d'Hauteville  ont  eu,  sans  exception,  pour 
origine  foncière  uu  marais  vendu  à  Goupy,  entre- 
preneur des  bàtiments-du-roi,  moyennant  70,000 
livres,  par  les  filles-Dieu.  Il  avait  fallu  à  ces  dames, 
pour  aliéner  ledit  terrain,  des  autorisations  spéciales, 
à  commencer  par  celle  que  leur  avait  donnée,  en 
1771,  dame  Jnlie-Sophie  Gillet  de  Pardaillan  d'Antin, 
abbesse  de  Fontevrault  :  le  couvent  des  filles- 
Dieu  était  de  l'ordre  de  Fontevrault.  Les  deux  rives 
de  l'ancien  égout  de  ceinture  appartenaient  encore 
à  ces  religieuses  au  moment  de  la  transformation 
d'un  chemin  de  l'Ancienne-Voirie-de-Saint-Denis 
en  rue  des  Petites-Écuries.  Il  n'en  était  plus  de 
même  en  1738,  d'après  cet  établissement  de 
situation  : 


6aticlje  : 


Jardin  à  Ledru. 

Marais  à    M™»    Pêcheur. 

Id.k  M""  de  Chamjieron. 

Id.   à   Ledru. 

Grand      marais      à     Michel 

Nugue. 
Marais  aux    filles-Dieu. 


BvolU  : 

Maison   à    Drouin. 

Dépôt  du   pavé   de  la   Ville. 

Maisonnette        au         sieur 

Guenon. 
Id.  au   sieur  Buzelin. 
Voirie    de  Saint-Denis. 
Marais  aux  filles-Dieu. 


Mais  plusieurs  lots  avaient  ensuite  fait  retour 
au  couvent,  puisqu'il  était  propriétaire  du  sol 
plus  ou  moins  nu  des  n"'  1,  3,  5,  7,  9,  11, 
et  de  plus  encore,  mais  plus  loin,  lorsque  Verne, 
contrôleur  des  Petites-Écuries,  fit  couvrir  l'égout 
de  ceinture,  en  1769,  sur  toute  la  longueur  de  la 
voie,  après  avoir  obtenu  l'agrément  du  bureau  de 
la  Ville  à  cet  égard,  Bignon  étant  prévôt. 

Des  chevaux  et  des  voitures  du  roi  avaient  leurs 


RUE  DES  PETITES-ÉCURIES.  135 

écuries  et  leurs  remises  au  15,  où  se  trouve  l'une 
des  deux  entrées  de  la  cour  dite  encore  des  Petites- 
Écuries.  La  surveillance  en  était  confiée  au  con- 
trôleur, qui  faisait  du  13  son  hôtel.  Derrière  lui 
demeurait  Aubert,  sculpteur,  peintre  et  doreur  du 
roi,  et  son  cabinet  n'était  pas  l'une  des  moindres 
curiosités  de  Paris.  Il  y  avait  jusqu'à  un  chapelain 
et  une  chapelle  aux  Petites-Écuries.  Ne  dit-on 
pas  sur  les  lieux  que  Ninon  y  avait  tenu  d'abord 
sa  cour  galante  ?  Dans  les  roues  d'une  tradition 
qui  a  fait  son  chemin  sans  bruit,  ne  jetons  pas, 
en  guise  de  bâtons,  que  cette  femme  célèbre  du 
xvn*"  siècle  avait  déjà  fermé  les  yeux  avant  que  la 
rue  lut  ouverte.  La  cour  des  Écuries,  qui  a  pu 
être  un  jardin  pour  Ninon  de  Lenclos,  a  toujours 
eu  sa  porte  principale  sur  la  rue  du  Faubourg- 
Saint-Denis.   De  ce  côté,  pas  d'anachronisme. 

A  la  rue  des  Petites-Écuries,  qui  aboutit  près 
du  Conservatoire,  il  manquerait  à  coup  sûr  quelque 
chose  si  la  musique  n'avait  pas  voix  au  chapitre 
de  ses  souvenirs.  Méhul,  vers  la  fin  de  sa  vie, 
demeurait  au  n°  40.  Cet  ancien  élève  de  Gluck 
mourait  à-peu-près  au  moment  où  se  fêtait  la 
naissance  d'un  héritier  présomptif  de  la  Couronne,  et 
quelle  fête  peut  aller  sans  musique  !  Il  s'ajoutait  alors 
un  intérêt  de  circonstance  au  mérite  si  bien  reconnu 
de  l'ouverture  du  Jeune  Henri,  et  la  musique  du 
Chant  du  Départ,  dont  Méhul  était  aussi  l'auteur, 
paraissait  avoir  fait  son  temps.  Une  autre 
maison  de  la  rue  nous  mettrait  vis-à-vis  d'Alard, 
virtuose  de  nos  concerts. 


Rue   du    Neniier.  (d) 


Laissons  à  la  rue  de  '  Cléry  l'habitation  de 
jyjme  vigée-Lebrun,  dont  la  galerie  de  portraits 
historiques  relie  le  dernier  siècle  au  nôtre.  Mais 
son  mari  a  fait  bâtir  sur  les  dépendances  du 
même  hôtel  une  maison,  que  revendiquerait  la  rue 
du  Gros-Chenet  si  cette  rue  ne  s'était  pas  fondue 
en  1849  dans  celle  dont  voici  la  notice.  Le  n°  8 
que  vous  voyez  a  fait  ainsi  partie  de  l'hôtel  Lebrun. 
Sa  façade  se  trouvait  inférieure  d'un  étage  au 
niveau  du  jardin,  dont  la  terrasse  reposait,  vers 
le  coin  de  la  rue  de  Cléry,  sur  un  pan  de  l'ancien  mur 
de  Paris. 

Du  10  M'"''  de  Bonfils  était  "^lors  propriétaire, 
et  il  appartieut  de  nos  jours  à  M'"'  Chapsal,  veuve 
du  grammairien. 

N°  12.  —  M"'^'  de  Staël  a  habité  cette  propriété, 
dépendance  de  l'hôtel  de  M.  Necker,  dont  nous 
parlerons  aussi  rue  de  Cléiy. 

A  l'angle  de  la  petite  rue  Saint-Roch,  rallonge 
mise  de  nos  jours  à  celle  des  Jeûneurs,  le  comte 
de  Montault  avait  été  propriétaire,  sous  le  ministère 
du  cardinal  Fleury.  La  neuvième  propriété  qui 
venait  à  la  suite  était  un  jeu  de  boules,  après 
lequel  Milieux  avait  une  maison,  donnant  aussi 
rue  Poissonnière,  puis  Jean  Douart,  architecte,  sa 
demeure.  A  gauche  il  ne  s'élevait  encore,  entre  la 
rue  des  Jeûneurs  et  le  Rempart,  qu'une  ou  deux 
constructions  et  puis  des  murs.  C'était  la  rue,  dans 


(Ij  Notice  écrite  en  1860. 


RUE  DU  SENTIER.  137 

toute  la   longueur  que  lui    donnaient  déjà,  mais 
sans  maisons,  les  plans  de  1714  et  de  1652. 

Le  23  a  été  à  la  disposition  du  président 
Hénault,  surintendant  de  la  maison  de  la  reine,  puis 
de  la  maison  de  la  Dauphine,  et  membre  de  l'Académie- 
Française,  qui,  n'ayant  pas  d'enlants,  laissa  ses 
biens,  en  1770,  à  ceux  de  la  comtesse  de  Jonzac, 
sa  sœur.  Cette  dame  avait  tenu  la  maison  de  son 
frère,  dont  les  soupers  réunissaient  une  brillante 
société.  Il  avait  écrit,  outre  son  Abrégé  chronologique, 
des  comédies,  des  poésies  et  un  grand  drame  en 
prose,  François  II,  dont  M.  Mérimée  a  donné, 
dans  ses  États  de  Biois,  le  pendant. 

Vers  le  même  temps,  le  27  appartient  à  M.  de 
Saint-Robert  ;  le  29  et  le  31,  à  M.  Le  Fèvre, 
magistrat,  et  il  s'y  fonde  plus  tard,  en  l'an  vn, 
une  banque  territoriale,  qui  prête  sur  les  biens- 
fonds  la  moitié  de  leur  valeur,  en  émettant 
des  traites;  mais  l'affaire,  au  lieu  de  réussir,  va  se 
liquider  péniblement  rue  Notre-Dame-des-Victoires. 

Aujourd'hui  l'hôtel  contigu  est  divisé  ;  reportons- 
nous,  pour  le  revoir  tout  battant  neuf,  à  l'époque 
où  le  fermier-général  Lenormant  d'Étiolés  y  reçoit 
sa  jeune  épouse.  M'"""  Poisson,  dont  cette  union 
fait  déjà  la  fortune.  Mais  elle  devient  M™"  de 
Pompadour,  et  l'époux  s'en  console  en  face.  La 
petite-maison  du  financier  se  cache  encore  de 
nous  au  fond  du  n°  24,  avec  un  balcon  sur  la 
cour  et  un  jardinet  par-derrière  :  des  médaillons 
de  Boucher  y  font  cercle  avec  des  médaillons  de 
Fragonard,  dans  un  salon  ovale.  M.  d'Étiolés,  une 
fois  veuf,  épouse  la  D"'^  Rem,  iille  d'Opéra,  sur 
cet  autre  versant  de  la  rue.  A  la  bonne  heure 
celle-là  !  On  la  chansonnera  à  discrétion,  sans  avoir 
la  Bastille  à  craindre.  Et  un  quatrain  de  commencer 
l'attaque  : 


138  RUE  DU  SENTIER. 

Pour    réparer    Miseriam, 
Que  Pompadour  fit  à  Ja  France, 
Lenormant,   ploin    de  conscience, 
Vient  d'épouser   Rem  puhlicam. 

Mais  ne  voihVt-il  pas  que  l'ex-danseuse  rend  son 
mari  des  plus  heureux  !  Il  va  donc  publiant  que 
si,  en  premières  noces,  il  a  eu  le  malheur  de 
tomber  sur  une  femme  honnête  qui  est  devenue 
une  catin,  le  contraire  cette  fois  a  lieu.  Comme 
il  donne  de  très-beaux  concerts  rue  du  Sentier, 
M'"*"  de  Coislin  s'y  risque,  entraînant  d'autres 
grandes  dames,  et  la  maîtresse  du  logis  en  fait 
les  honneurs  avec  une  si  chai-mante  modestie 
qu'elle  se  trouve  acceptée  par  un  monde  qui  s'était 
d'abord  bien  promis  de  ne  la  pas  prendre  au 
sérieux.  De  ce  mariage  naît  une  fille,  qui,  devenue 
M'"^  de  Linières,  habite  le  côté  des  numéros  im- 
pairs et  vend  l'autre  propriété,  en  1801,  îi  M.  Bonnet, 
avocat,   dont  la  veuve  y  reçoit  encore  ses  visites. 

Cette  dernière  maison  tient,  sous  Louis  XVI, 
à  M.  Chauveau  d'une  part  et  de  l'autre  à  M"""  Janvier, 
que  suit  M.  de  la  Renaudière.  Après  se  carre  le 
bel  hôtel  du  président  Masson  de  Meslay,  échevin, 
et  qui  peut  provenir  de  Jean  Douart;  il  passera  au 
chancelier  Dambray,  à  Holtinguer,  banquier,  puis 
aux  Legentil,  du  commerce  des  nouveautés,  avec 
le  chiffre  32  sur  la  porte,  plus  des  plaques  de 
marchands  en  gros,  comme  il  n'en  manque  nulle 
part  rue  du  Sentier. 


Rue    des  Colonnes,  (i) 


M.  Rousseau  n'est  ni  marié  ni  prêtre  ;  peu  lui 
importe,  lorsqu'il  va  prendre  en  ville  des  notes 
sur  les  maisons  anciennes,  qu'un  gros  numéro  ça 
et  lii  accuse  une  spécialité  qui  ne  l'attire  ni  ne  le 
fait  reculer.  Paris  n'est  pas  t'ait  tout  d'une  pièce  ; 
les  traditions  qu'on  y  recueille  ne  prêtent  pas 
toujours  à  rire,  nous  ne  leur  demandons  que 
d'être  intéressantes,  sans  les  chicaner  sur  le 
reste,  et  la  méthode  synthétique,  dont  le  caractère 
convient  éminemment  à  des  recherches  historiques, 
aide  ci  recomposer  un  tout,  quelque  distincts  qu'en 
soient  les  éléments.  Nous  ne  sommes  exclusive- 
ment ni  collecteur  d'anas,  ni  archéologue,  ni 
généalogiste,  ni  biographe,  et  si  nous  pouvions 
réunir  en  nous-même  un  bénédictin,  un  rat  de 
l'Université,  un  critique  et  un  peintre  de  mœurs, 
quelle  ambition  complètement  assouvie  !  En  atten- 
dant, le  gibier  que  nous  chassons  nous  entraîne 
par  monts  et  par  vaux  :  c'est  principalement  un 
oiseau  rare,  l'inédit.  Chasse  qui  menaçait  de  se 
perdre,  comme  la  fauconnerie  s'est  perdue.  L'his- 
toriographe, depuis  trop  longtemps,  n'a  plus  rier. 
d'un  oiseau  de  proie,  qui  fend  la  nue  avant  de 
raser  la  terre  ;  il  élève  plutôt  des  lapins  domestiques, 
afin  d'en  régaler  de  petits  gourmands,  dont  c'est 
tout  le  gibier.  Notie  piqueur  bat  les  rues  de  porte 
en  porte,  pendant  que  nous  explorons  des  fourrés 


(1)  Notice  écrite  en  1859.  L'ouverture  de  Ja  rue  du 
Dix-Décembre  n'a  que  postérieurement  tranché  la  tête 
à  la  rue  des  Colonnes, 


140  RUE  r>ES  COLONNES. 

plus  épais,  savoir  :  les  archives  de  la  Ville,  de 
la  Police  et  de  l'Empire,  puis  les  Bibliothèques, 
pour  mettre  d'accord  nos  propres  découvertes 
avec  celles  de  nos  devanciers,  qu'il  nous  faut 
parfois  rectifier. 

Des  trois  ou  quatre  maisons  de  commerce 
faisant  la  place  aux  alentours,  et  qui  valurent  à 
la  rue  des  Colonnes  certain  renom  de  foire  aux 
amours,  une  seule  a  été  retrouvée  par  le  prud'homme, 
notre  envoyé.  La  matrone  en  pensa  mourir  sous 
une  voiture,  durant  l'Exposition  universelle,  dont 
le  succès  fit  valoir  jusqu'à  ses  produits  :  depuis 
l'accident  elle  est  estropiée.  Ce  nom,  trop  connu,  de 
Buquet  qu'elle  affiche  dans  son  escalier,  n'est 
pas  le ^ sien;  il  n'a  même  pas  appartenu  h  sa 
devancière,  courtière  sous  le  manteau,  qui  l'avait 
emprunté  d'un  négociant  américain,  le  protecteur 
en  passant  de  sa  jeunesse.  La  famille  exotique 
de  ce  négociant  ne  se  doute  peut-être  pas  de 
la  notoriété  parisienne  dont  elle  aurait  si  peu  lieu 
de  s'enorgueillir.  La  soi-disant  M'"'=  Buquet  était 
d'abord  marchande  de  vin  et  locataire  de  l'actrice 
Emilie  Comtat,  à  côté  du  théâtre  Feydeau;  elle 
avait  alors  pour  concui'rent,  au  coin  des  rues 
Feydeau  et  des  Colonnes,  un  bonhomme  dit  père 
la  "  Perruque,  ci-devant  portier  de  Robespierre 
dans  une  maison  de  la  rue  Saint-Honoré.  M.  Hen- 
nette,  directeur  du  cadastre  du  département  de 
la  Seine,  a  fait  bail  à  l'ancienne  marchande  de 
vin,  rue  des  Colonnes,  n"  3,  d'une  propriété 
qu'avait  vendue  en  l'an  vni  au  sieur  Chanteloup 
l'architecte  Bénard. 

Ce  dernier  avait  édifié,  en  société  avec  Fichet, 
trois  maisons  touchant  l'une  à  l'autre,  sur  l'em- 
placement de  l'hôtel  de  Verneuil,  acquis  de  la  famille 
de  Baudecourt  par  Bénard  et  Fichet,  avec  obli- 
gation de  suivre    un    plan    mis    au    cahier    des 


RUE  DES  COLONNES.  141 

charges.  Les  galeries  bordant  la  rue  sont,  en 
effet,  les  mêmes  sur  les  deux  rives  ;  mais,  outre 
les  sculptures  identiques,  on  peut  remarquer,  n" 
5,  des  gerbes  représentées  en  piei're,  et  qui 
d'abord  étaient  dorées;  le  boulanger  dont  la 
boutique  est  Ik  fit  les  frais,  il  y  a  trente  années, 
de  ce  décor  emblématique.  II  est  dommage  que 
toutes  les  industries  n'aient  pas  pris  le  parti,  dans 
la  rue,  d'exposer  de  pareils  attributs,  pour  se 
distinguer  l'une  de  l'aulre.  Longtemps  il  y  eut 
n''  8  une  dame  qui  offrait,  par  la  voie  des  journaux, 
d'excellents  partis  aux  célibataires  ;  elle  avait  pour 
état  de  négocier  des  mariage?.  Par  malheur  on 
se  trompait  souvent,  faute  d'enseigne,  et  qui  peut 
même  certifier  que  les  jeunes  gens  à  marier 
n'entraient  pas  au  n"  3? 

Il  est  constant,  au  reste,  que  la  rue  n'était 
premièrement  qu'un  passage  ;  les  héritiers  de 
Chaspon  de  Verneuil  eurent,  par  suite  de  licitation, 
le  citoyen  Baudecourt  et  plusieurs  antres  pour 
successeurs,  comme  propriétaires  fonciers,  en 
1792.  Ces  détenteurs  pétitionnèrent  pour  être 
autorisés  à  supprimer  les  grilles  et  à  faire  une 
rue  du  passage;  le  théâtre  Feydeau  ne  pouvait 
qu'y  gagner  un  débouché  pour  les  voitures,  et 
d'ailleurs  les  propriétaires  offraient  de  se  charger, 
pour  la  rue,  comme  ils  faisaient  pour  le  passage, 
de  tous  les  Irais  d'éclairage,  de  pavage  et  de 
nettoyage,  en  un  mot  d'entretien.  Une  déclaration 
du  lO  avril  1783  s'opposait  à  ce  qu'une  rue 
nouvelle  lut  ouverte  avec  une  largeur  de  mo'.i-s 
de  30  pieds  ;  mais  M.  de  Baudecourt  et  consorts 
eurent  raison  de  cette  difficulté,  en  prouvant  que 
la  rue  des  Colonnes  mesurait  42  pieds,  pourvu 
qu'on  comptât  ses  galeries,  et  l'an  vi  vit  exaucer 
leurs  vœux. 


Rue  du  Colisée.  (i) 


Le  Cotisée   et  son  Puhtic.  —  M.  de  La  Ferté.    — 
Le  Duc  cCUzès. 

Autrefois  le  chemin  des  Gourdes  serpentait 
entre  des  marais;  ce  sentier,  élargi  et  redressé 
en  1769,  devient  ainsi  la  lue  du  Colisée.  Une 
rotonde  est  eu  construction,  entre  la  rive  droite 
de  la  rue  et  le  rond-point,  dit  la  première  étoile 
des  Champs-Elysées.  L'amphithéâtre  en  rappelle, 
il  est  vrai,  le  grand  édifice  romain  qui  a  inspiré  le 
crayon  de  Lecamus  ;  toutefois  il  est  disposé 
principalement  pour  ces  luttes  parisiennes  dont  les 
gladiateurs  ne  rivalisent  que  d'envie  de  plaire, 
et  16  arpens  permettent  d'entourer  le  nouveau 
cirque  d'un  jardin  assez  vaste,  assez  varié,  assez 
wn^  siècle  pour  en  faire  une  encyclopédie  de 
séductions.  Un  projet  primitif,  caressé  par  Greuze, 
affectait  surtout  ce  Colisée  aux  expositions  de 
peinture  de  l'académie  de  Saint-Luc,  lesquelles 
n'y  auront  lieu,  un  peu  plus  tard,  qu'accessoire- 
ment et  comme  par  occasion.  La  destination 
avérée  n'est  plus  la  même.  N'y  a-t-il  rien  de 
dû  au  duc  de  Choiseul  dans  cette  concession 
faite  aux  susceptibilités  jalouses  de  l'Académie 
royale  de  peinture  et  de  sculpture?  Lecamus 
est  bien  l'architecte  ordinaire  de  cet  homme  d'État, 
qui  a  même  eu  à  son  service  l'un  des  autres 
auteurs  du  projet  qui  s'exécute,  le  nommé  Corbie, 
ancien  domestique  de  la  famille    de    sa    femme. 


(l)  Notice    écrite    en    1859. 


RUE  DU  COLISEE  143 

née  Duchâtel.  Monnet,  ancien  directeur  de  l'Opéra- 
Comique,  est  également  de  1  affaire.  Le  sieur  Le 
Rouge  y  reste-t-il  beaucoup  plus  étranger?  La 
description  topographique  du  Colisée,  par  cet 
ingénieur-géographe  du  roi,  empêchera  bientôt 
d'oublier   qu'il  a  coopéré  à  l'œuvre. 

Aussi  bien  la  comtesse  de  Langeac  préside,  en 
1770,  avec  le  duc  de  la  Yrillière,  son  protecteur, 
et  le  chevalier  d'Arcq,  son  protégé,  aux  premières 
fêtes  que  donne  ce  vauxliall  des  Champs-Elysées. 
Il  y  a  Colisée  en  été,  tous  les  jours  fériés,  de 
4  heures  à  10  heures  du  soir  ;  des  lampions  le 
constatent,  échelonnés  dans  l'avenue  de  Neuilly, 
à  partir  de  la  place  Louis  XV,  et  dans  l'avenue 
de  Marigny.  Trente  musiciens,  d'uniforme  vert 
et  or,  composent  l'orchestre  à  l'ordinaire  ;  mais 
chaque  jeudi  a  lieu  une  plus  grande  fêle,  avec 
surcroît  de  personnel  concertant,  et  ces  jours-là 
le  prix  d'entrée  se  double,  ce  qui  le  fait  monter 
h  3  livres.  Une  pièce  d'eau  pour  les  joutes  et 
un  espace  découvert  pour  les  feux  d'artifice,  que 
tirent  Séguin,  Morel,  Torré,  virtuoses  de  la 
pyrotechnie,  sont  environnés  de  pelouses,  que 
séparent  de  larges  avenues  et  que  relient  des 
circuits  ombragés,  .\ussi  bien  le  bouquet  de 
chaque  fête  est  une  collection  nouvelle  de  fleurs 
en  pied,  semées  ailleurs  et  qui  disparaîtront  à 
peine  fanées.  Le  gazon  reverdit,  en  ce  jardin,  si 
vile  et  si  bien  qu'on  ne  se  gêne  guère  pour  le 
fouler  aux  pieds,  et  des  charmilles,  quoique  rasées 
de  moins  près  encore,  ménagent  aux  couples  qui 
s'y  glissent  l'étrenne  de  leur  propre  barbe.  L'ac- 
cessoire vient  partout  en  aide  au  principal,  dans 
le  carrousel  aux  aventures  d'amour  que  dcaine 
périodiquement  le  Colisée,  bourgeois  dans  ses 
après-dinées,  mais  comme  les  rendez-vous  bourgeois 
de  l'Opéra-Comique,  et  plus  leste,  plus  galant  à 
l'heure  du  souper.  L'œillade,  hameçon  de  la  ren- 


144  RUE  DU  COLISEE. 

contre,  fait  des  pêches  miraculeuses  autour  du 
grand  bassin  d'enu  douce  où,  par  des  exercices 
nautiques,  préludent  les  divertissements.  Enfin, 
grâce  aux  jardins  publics,  ces  encyclopédies  vivantes, 
la  société  française  fait  bon  marché  d'une  étiquette 
qui  se  relâche,  et,  gagnant  des  mœurs  plus  faciles 
à  ce  que  les  rangs  se  rapprochent,  elle  fête, 
comme  un  plaisir  de  plus,  une  égalité  qui  s'y 
prête.  La  même  buvette  y  désaltère  la  noblesse 
et  le  tiers-état,  qui  se  succèdent  là  sans  amertume; 
on  commence  même  à  prendre  pour  une  saveur 
l'aigreur  fermentée  de  la  bière,  qui  fait  concur- 
rence aux  sorbets.  Chez  le  traiteur  du  Golisée, 
dont  le  programme  se  livre  à  la  publicité,  «  vous 
êtes  traité  à  tant*  par  tête,  depuis  la  moitié  d'un 
écu  jusqu'à  un  louis,  et  toujours  servi  proprement.  » 

Des  princesses  et  des  ambassadrices  se  donnent 
rendez-vous,  il  est  vrai,  sur  les  gradins  de  l'enceinte 
circulaire,  sans  préjudice  pour  les  familles  bour- 
geoises, bien  que  la  Comédie-Française  et  la  Comé- 
die-Italienne ne  soient  nullement  consignées  au  con- 
trôle. Les  divinités  du  théâtre,  qui  voudraient  faire 
du  monde  entier  leurs  coulisses,  commencent  toujours 
par  les  lieux  où  l'on  soupe.  Bien  qu'elles  soient  en  mi- 
norité, leur  entrée  produit  quelque  effet,  au  Colisée 
même,  sur  le  public,  et  celle  de  M""  Guimard,  qui 
n'apparaît  que  rarement  et  sur  le  tard,  fait  ouvrir 
grands  leséventails,  par  pudeur  ou  par  jalousie,  et 
avancer  plus  d'un  carrosse.  Signalons  deux  autres 
danseuses,  inférieures  en  réputation,  mais  qui  ne 
manquent  pas  un  jeudi.  Voyez-vous  cette  figure 
à  peindre,  mais  qui  se  détache  déjà  peinte  d'un 
groupe  animé,  près  de  l'orchestre  ?  Quels  yeux 
vifs,  sans  cesse  attachés  sur  ceux  d'un  maître- 
de-ballet,  qui  se  tient  auprès  de  la  belle!  Telle 
est  M"'-  Lafond,  de  la  Comédie-Italienne,  qui  aime 
éperdûment  Vestriss  et  pour  laquelle  celui-ci  a 
quitté  M""  Alard,  des   Français.    Jusque-là    vous 


RUE  DU  COLISÉjg.  145 

ne  comprenez  guère,  n'est-il  pas  vrai  ?  le  luxe 
dont  toute  sa  personne  a  princièrement  pri  s  l'habitude; 
vous  seriez  plus  surpris  encore  si  vous  voyiez 
l'appartement  que  cette  danseuse,  liUe  d'un  pauvre 
petit  tailleur,  occupe  rue  Comtesse-d'Artois  (i),  dans 
une  maison  à  sculptures,  vis-à-vis  la  rue  Mau- 
conseil.  Mais  remarquez,  un  peu  plus  loin,  l'in- 
tendant de  ses  menus-plaisirs,  qui  remplit  près 
du  roi  le  même  otlice  ;  c'est  Papillon  de  la  Ferté. 
Derrière  M"''  Lafond,  voici  l'une  de  ses  amies, 
attachée  aux  ballets  de  la  Comédie-Française, 
M"''  Vallée,  dite  Dupin  ;  ses  galants,  les  compte 
qui  pourra.  J'en  remarque  pourtant  un  qui  passe, 
le  seul  dont  la  curiosité  ait  lini  par  devenir  des  assi- 
duités :  le  moyen  que  vous  deviniez  qui  !  Si  je  dis  tou- 
tefois que  jamais  le  pareil  de  ce  monstre  n'a  franchi 
le  seuil  du  Colisée,  les  habitués  reconnaîtront  tout 
de  suite  le  duc  d'Uzès,  vieux  et  petit,  bossu  en 
tous  sens,  défiguré  au  point  qu'une  joue  lui 
manque  et  que  sa  bouche  agrandie  en  dévie. 
Presque  tous  les  soirs  que  Dieu  fait,  la  Dupin 
soupe,  rue  de  l'Arbre-Sec,  en  face  de  cet  allreux 
visage,  qui  fait  encore  plus  de  grimaces  eu  quittant 
son  état  de  repos,  et  que  reçoit-elle  ?  Ah  !  ce 
n'est  pas  trop  payé  :  30  louis  par  mois,  sans 
les  cadeaux. 

Ainsi  va  le  Colisée  sous  la  direction  du  sieur 
Duchesne;  mais  le  privilège  en  est  révoqué  dès 
1779,  en  raison  du  mauvais  état  des  bâtiments. 
Puis  il  reparaît  sous  ce  nom  une  guinguette 
soldatesque,  donnant  aussi   sur  le  rond- point. 

On  veut  qu'à  l'ancien  Colisée  ait  survécu,  n"  44, 
une  manière  de  pavillon,  décoré  de. sculptures  du 
temps  ;  un  pensionnat  de  demoiselles  a  occupé  ce 
petit  bâtiment,  augmenté  par  le  sieur  Gatelouse, 


(l)  Autrement   dite  Montorgueil. 


146  RUE  DU  COLISEE. 

affermé  aujourd'hui  par  bail  à  la  maison  de  l'em- 
pereur, dont  les  écuries,  rue  Monlaigne,  remplissent 
une  portion  de  l'espace  où  était  le  jardin  public. 
Ce  côté  de  la  rue,  au  surplus,  a  pour  fondement 
une  tourbière  ;  on  y  a  bâti  sur  pilotis  ;  des  débris 
de  végétaux,  accumulés  depuis  vingt  siècles,  for- 
ment un  lit  combustible  par-dessous. 

Au  commencement  du  règne  de  Louis-Philippe, 
la  rue  comptait  plus  de  chantiers,  plus  d'ateliers 
sous  des  hangars,  plus  de  jardins  qu'en  ce  temps- 
ci.  Quelles  maisons  y  voyait-on  ?  Le  13,  populeuse 
cité  ouvrière,  précédée  d'une  avenue  et  ouvrant  aussi 
rue  de  PoiUhieu,  rue  d'Angoulême-Saint-Honoré  (i); 
le  14,  le  20,  le  26,  le  30,  et  cette  dernière 
maison,  assez  petite  et  racornie,  est  l'une  de  celles 
qui  succédèrent  rlirectemenl  au  Colisée  ;  le  32,  le 
34,  le  34,  le  36,  en  face  desquels  a  demeuré 
Gautier,  peintre  des  équipages  du  roi,  dans  une 
maison  qui  a  fait  place  h  d'autres  ;  le  35,  aussi 
vieux  que  la  rue,  quant  à  son  bâtiment  du  fond  ; 
le  38  et  le  40,  construits  pour  Bonnet,  carrossier, 
avec  l'argent  que  venaient  de  lui  rapporter  ses 
fournitures  au  maréchal  Davoust  ;  le  46,  déjà 
incorporé  aux  écuries  de  la  duchesse  de  Berri, 
maintenant  écuiies  impériales  ;  le  53,  maison 
rajeunie  d'un  demi-siècle  par  l'enseigne  d'hôtel 
de  l'Aima,  qui  ne  rappelle  que  la  campagne  de  Crimée. 


(1;  Autrement   dite   de   Moriiy. 


L<es  Cours  du  Couiiucrcc  et<le  Roueu.  (i) 


La  cour  du  Commerce  sort  d'un  fossé  creusé 
pour  la  défense  du  [javillon  delà  porte  de  Buci; 
une  portion  de  cet  ancien  fossé  fut  concédée  par 
le  bureau  de  la  Ville,  dès  l'an  1582,  à  Jean 
Bergeron,  capitaine  de  ses  cent  archers,  auquel 
succéda  le  sieur  Bernard,  et  une  autre  poition,  en 
1651,  aux  frères  Leblanc.  Antérieurement  à  l'ouver- 
ture de  cette  cour  du  Commerce,  il  n'y  avait  que  des 
échoppes  et  deux  jeux  de  boules  à  sa   place. 

Parmi  les  boutiques  de  luthiers,  de  libraires  et 
de  papetiers  qui  de  nos  jours  la  bordent,  se 
remarque,  au  n"  8,  un  cabinet  de  lecture  assez 
suivi,  formé  du  temps  de  la  Convention  par  la 
veuve  du  conventionnel  Brissot,  qui  avait  pris  un 
nom  d'emprunt  pour  utiliseï-  de  cette  façon  le 
fonds  de  la  bibliothèque  de  son  mari,  déjù  monté 
sur  l'échafaud.  Dans  la  même  maison  était  l'impri- 
merie de  VAmi  du  Peuple,  que  Marat  avait  placée 
là,  en  vertu  d'une  réquisition  de  la  Commune  : 
il  fallait  franchir  deux  grilles  pour  arriver  aux 
ateliers  de  cette  imprimerie.  Les  travaux  n'en 
étaient-ils  pas  dirigés  par  Brune  ?  L'imprimerie 
de  ce  futur  maréchal  de  France  appartenait  du 
moins  au  même  quartier  et  ne  s'éloignait  pas  plus 
des  Cordeliers  :  la  Bouche  de  fer  s'y  composait, 
feuille  à  laquelle  collaborait  Marat. 

Ducellier,  membre  de  la  Constituante,  avait  bâti 
en  1773  les  n"'  17  et  19,  qui  ne  forment  qu'un  seul 
immeuble,   et  il  en  avait  acquis  le  territoire    du 


(1)  Notice  écrite   en   1859. 


148  LES  COURS  DU  COMMERCE  ET  DE  ROUEN. 

président  de  Mesnières.  A  Lemit,  associé  de 
Ducellier,  était  échu  en  partage  l'hôtel  de  Rouen 
actuel,  quand  avait  cessé  leur  état  respectif 
d'indivision.  La  famille  du  constituant  fit  élever 
plus  tard  les  maisons  basses  qui  occupent  le 
milieu  de  la  cour  du  Commerce,  et  auxquelles 
tient  l'ancien  hangar  qui  est  devenu  la  boutique 
d'une  blanchisseuse,  M""'  Lemor.  Lh  fut  laite  sur 
des  moutons  une  première  expérience  de  la 
guillotine,  instrument  dont  l'inventeur  demeurait 
à  la  fois  cour  du  Commerce  et  rue  de  l'Ancienne- 
Comédie. 

La  propriété  qui  répond  à  l'enseigne  d'hôtel 
Molinié  fut  habitée  par  le  célèbre  Danton,  que 
Robespierre  y  lit  arrêter,  dans  l'appartement  du 
deuxième  étage,  le  31  mars  1794.  Ducellier  avait 
déjà  eu  tout  près  de  \h  le  même  conventionnel 
pour  locataire,  mais  à  une  époque  où  il  n'était 
encore  qu'avocat  au  grand-conseil.  En  arrivant  au 
Luxembourg,  et  avant  d'être  mis  au  secret,  Danton 
dit  aux  autres  prisonniers  :  — J'espérais,  Messieurs, 
vous  faire  sortir  d'ici  ;  mais  je  viens  partager 
votre  sort....  Traduits  devant  le  tribunal  révolu- 
tionnaire, Danton  et  son  collègue  Lacroix  ne 
craignirent  pas  de  jeter  des  boulettes  aux  juges 
et  aux  jurés,  et  quelques  jours  après  l'habitant 
de  la  cour  du  Commerce,  dont  on  préparait  le 
supplice,  adressait  au  bourreau  cette  recomman- 
dation suprême  :  —  Tu  montreras  ma  tête  au  peuple, 
entends-lu  ;   elle  en  vaut  la  peine. 

Les  cours  de  Rouen,  passage  composé  d'une 
triple  cour  et  qui  relie  la  rue  du  Jardinet  à  la 
cour  du  Commerce,  n'étaient  qu'un  cul-de-sac  en 
1714.  Leur  dénomination  nous  rappelle  que  l'arche- 
vêque de  Rouen  eut  pour  séjour  de  ville  et  aliéna 
en  1584  des  bâtiments  qui  y  datent  du  moyen- 
âge.  De  même  que  sur  deux  points  de  la  propriété 
des  héritiers  de  Ducellier,  il  s'y  retrouve  le  soele 


LES  COURS  DU  COMMERCE  ET  DE  ROUEN.  149 

d'une  tourelle,  qui  a  fait  partie  des  fortifications 
du  Paris  de  Philippe-Auguste.  Deux  petits  jardins 
suspendus  y  dominent  l'ancien  rempart  ;  un  pen- 
sionnat de  petites  filles  prend  ses  ébattements 
quotidiens  sur  ce  mur  dix  fois  séculaire.  On  dit 
même  que  l'ancien  hôtel  archiépiscopal  a  été 
restauré  pour  Diane  de  Poitiers  et  que  la  famille 
de  Rohan  l'a  possédé  jusqu'à  la  Révolution.  Aussi 
le  nom  des  trois  cours  s'écrit-il  comme  celui  des 
Rohan  quand  ce  n'est  pas  comme  celui  de 
la  ville  normande.  Il  se  peut,  en  effet,  que  des 
Rohan  s'y  soient  succédé  ;  seulement  nous  décou- 
vrons qu'en  1743  M.  de  Marsal,  avocat-général, 
exerçait  là  des  droits  de  propriétaire.  Des  vestiges 
de  dorure  y  reparaissent,  sous  le  salpêtre,  comme 
pour  attester  une  grandeur  dont  nous  voyons, 
hélas  !.  la  décadence. 


10 


Rue  du  Cliaume.  (i) 


La  Merci.  —  Le  Théâtre.  —  Hôtel  Sourdis-Rostaing . 
—  Lefebvre  cCOrmesson.  —  Le  Gentilhomme  trois 
fois  mort.  —  La    Porte  de   l'Hôtel   de  Guise. 

Un  accord  fut  passé,  en  l'année  1370,  entre 
messire  Matthieu  de  Roquencourt,  prêtre,  chevalier, 
maîlre-d'hôtel  de  Charles  V,  au  nom  et  comme 
gouverneur  de  la  chapelle  de  Braque,  et  frère  Luc 
Pasquier,  procureur  des  religieux  de  l'hôpital  du 
Temple,  à  l'égard  des  droits  seigneuriaux  qui 
d'origine  grevaient  cette  chapelle  au  profit  de  la 
l^lommanderie.  On  élevait  alors  la  Bastille,  et  la 
ceinture  de  la  ville  s'élargissait  de  ce  côté,  en 
supprimant  l'enceinte  qui,  depuis  deux  siècles  à- 
peu-près,  se  restreignait  à  l'angle  des  futures  rues 
de  Paradis  et  du  Chaume,  point  sur  lequel  Philippe- 
le-Bel  avait  fait  pratiquer  la  porte  de  Braque  ou 
du  Chaume.  La  voie  qui  nous  occupe  parait  avoir 
porté,  outre  sa  dénomination,  celle  de  Grande- 
rue-de-Braque  jusqu'au  \\f  siècle;  mais,  grâce  à 
Germain  Braque,  échevin  sous  Charles  VII,  les 
droits  de  cens  sur  la  chapelle  qu'y  avait  fondée 
Arnould  de  Braque,  son  aïeul,  se  trouvaient  amortis 
à  perpétuité,  en  vertu  de  lettres-patentes  du  roi, 
depuis  1447  ;  elle  était  érigée  en  fief  à  part.  Or 
Tristan  de  Rostaing,  en  1566,  avait  acquis  de 
damoiselle  Deshayes  un  hôtel  contigu  à  cette  petite 
église,  et  une  sentence  du  prévôt  de  Paris,  sous 
le  règne  de  Henri  III,  avait  ordonné  la  production 
des  titres  de  propriété  ;  par  suite,    le    chevalier 


(1)  Notice  écrite    en  1858. 


RUE  DU  CHAUME.  151 

Tristan  s'était  vu  condamner  h  payer  diverses 
sommes  au  grand-prieur  de  France,  seigneur  du 
lieu. 

Les  choses  en  étaient  là,  lorsque  la  reine  Marie 
de  Médicis,  qui  patronnait  les  religieux  de  la  Merci, 
ou  de  Nolre-Dame-de-la-Rédemption-des-Gaptifs, 
établis  depuis  l'année  1515  rue  des  Sept-Voies, 
les  aida  k  se  transférer  dans  la  chapellenie  de 
Braque.  L'ordre  de  la  Merci  avait  pris  naissance, 
dès  1218,  à  Barcelone,  comme  congrégation  de 
gentilshommes  qui  se  consacraient,  corps  et  biens, 
à  racheter  des  prisonuiers  de  guerre  ;  donc  les 
étals  de  service  de  ces  chevaleresques  rédempteurs, 
ayant  saint  Pierre  de  Nolasque  pour  modèle,  avaient 
commencé  entre  la  iv  croisade  et  la  v^  ;  la 
règle  de  saint  Augustin  leur  avait  été  imposée  depuis, 
sans  que  toutefois  leur  ordre  de  chevalerie  s'effaçât 
sous  la  discipline  monastique.  L'église  de  ces  pères 
succéda,  rue  du  Chaume,  à  la  chapelle  de  Braque, 
vers  1631  ;  des  tronçons  de  piliers  et  une  porte 
en  survivent,  de  nos  jours,  chez  un  marchand  de 
charbons. 

Quant  au  surplus  de  leur  territoire  conventuel, 
une  portion  en  avait  déjà  appartenu,  Louis  XII 
régnant,  à  leur  gouverneur  et  chapelain,  révérend 
père  en  Dieu  messire  Charles  de  Haulibois,  évéquede 
Touriiay.  L'adjonction  de  la  moitié  de  l'ancien  hôtel 
Rostaing,  dit  de  Sourdis  au  risque  d'être  confondu 
avec  l'hôtel  pareil  de  la  rue  Chariot,  vint  donner  sa 
plus  grande  extension  au  domaine  de  ces  religieux.  Le 
marquis  de  Mesmes  et  celui  de  Ravignan  possédaient 
le  reste  de  ladite  propriété,  avant  son  annexion 
à  l'hôtel  des  recettes-générales.  Le  premier-prési- 
dent de  Mesmes  avait  eu,  pour  sa  part,  les  mêmes 
vendeurs  que  les  pères,  pour  la  leur,  c'est-à-dire  : 
Antoine  d'Escoubleaux,  marquis  de  Sourdis  ;  le 
chevalier  du  même  nom,  dernier  seigneur  de  la 
chapelle  de  Braque,  représentant  Anne  de  Flageot, 


152  RUE  DU  CHAUME. 

épouse  du  comte  de  Serres;  la  comtesse  d'Apeclier; 
^froe  Françoise  des  Serpents,  épouse  de  Hugues  de 
Chasteauneuf,  baron  de  Rochebrune,  et  la  marquise 
d'Aligre,  lesdites  dames  d'Aligre,  de  Château- 
neuf,  d'Apecher  et  de  Serres  étant  les  héritières 
de  leur  sœur  utérine  et  consanguine,  Marguerite  de 
Rostaing,  femme  de  Flageot,  laquelle,  avec  une 
autre  sœur,  Anne  de  Rostaing,  veuve  de  René 
d'Escoubleaux  de  Sourdis,  avait  hérité  de  Tristan 
de  Rostaing,  leur  père.  Le  n**  15,  qui  fit  précisément 
partie  de  cet  hôtel  de  Rostaing-Sourdis,  sur  les 
dépendances  duquel  la  rue  Rambuteau  commence 
son  parcours,  porte  écrit  sur  un  médaillon  : 

R.  P.  de  la  Merci.  Reconstruit  de  il^l  à  1731. 
Godeau,  architecte. 

Il  y  avait  déjà  un  siècle  et  demi  que  ces  révérends 
pères  étaient  rue  du  Chaume,  dans  la  circoncription 
de  la  paroisse  Saint-Nicolas-des-Champs,  lorsque 
Christophe  Dimier,  commandeur  de  l'ordre  royal 
et  militaire  de  Notre-Dame-dela-Merci,  et  Jean- 
Jacques  Aubert,  docteur  en  théologie,  procureur 
de  ladite  communauté,  renouvelèrent  au  comte 
d'Artois,  grand-prieur  de  France,  à  cause  de  sa 
commanderie  du  Temple,  la  reconnaissance  cen- 
sitaire imposée  autrefois  au  sire  de  Rostaing. 

Église  et  monastère  furent  mis  aux  enchères, 
les  15  brumaire  et  9  nivôse  an  VI.  Le  réfectoire 
des  pères  se  transforma  bientôt  en  une  salle  de 
spectacle,  sous  la  direction  d'un  sieur  Cabanis. 
Pendant  que  Martinville  et  Barba,  qui  devinrent  l'un 
journaliste  et  l'autre  libraire,  jouaient  tout  d'abord  la 
comédie  au  théâtre  de  la  Cité,  Lagrenée  fils  débutait 
sur  la  scène  de  la  rue  du  Chaume,  tant  comme 
auteur  que  comme  acteur. 

L'autre  angle  de  la  rue  de  Braque  appartenait, 
sous  Louis-le-Grand,  au  président  Bailleul.  Mais 
Duret,  médecin  de  Charles  IX  et  de  Henri  III,  avait 


RUE  DU  CHAUME,  153 

fait  bâtir  la  maison.  Guy-Patin  a  dit  de  ce  prati- 
cien, mort  de  l'opération  de  la   pierre  : 

Car   si   la  taille    i'a    fait  vivre, 
La  taille  aussi  l'a   fait  mourir. 

Au  n''  5  grande  porte,  ornée  de  mascarons, 
et  vieilles  ferrures,  servant  de  rampe  à  l'escalier, 
ainsi  que  de  grilles  aux  croisées.  C'est,  ma  foi, 
l'ancienne  résidence  d'André  Lefebvre,  seigneur 
d'Ormesson,  conseiller  au  grand-conseil,  commis- 
saire de  la  Cliambre  ardente  !  Ce  membre  d'une 
famille  de  grande  robe  avait  été  formé  aux  belles- 
lettres  par  l'abbé  Fleury,  qui  avait  composé  pour 
son  instruction  une  Histoire  du  Droit  français  ;  il 
eut  nombre  d'enfants,  notamment  une  tille  qu'épousa 
le  chancelier  d'Aguesseau  et  une  autre  à  laquelle 
s'unit  François  Feydeau,  seigneur  du  Plessis,  maître- 
des-requêtes.  Cefle-ci  laissa  l'hôtel  dont  il  s'agit 
au  président  Feydeau,  son  fils.  La  marquise  du 
Quesnoy,  née  Feydeau,  passa  ensuite  un  certain 
nombre  d'années  au  même  endroit  ;  puis  Nicolas 
Vernier,  membre  du  grand-conseil. 

Ne  serait-ce  pas  au  2  que  M.  France  de 
Croisset  avait,  un  peu  plus  tard,  son  cabinet  d'histoire 
naturelle  ?  Comme  le  plan  de  Paris  en  1739  ne 
fait  commencer  la  rue  du  Chaume  qu'au  coin  de 
celle  de  Paradis- au-Marais  (i),  en  ajoutant  ù  celle 
de  l'Homme-Armé  le  bras  de  rue  qu'il  retranche 
de  la  nôtre  et  où  se  trouve  ce  n"  2,  aussi  bien 
que  le  n"  5,  il  y  a  marge  pour  quelque  incertitude. 
N'en  sont  pas  exempts  les  cochers,  à  l'époque 
même  où  nous  tenons  la  plume  ;  lorsqu'ils  chargent 
pour  la  rue  du  Chaume,  ils  oublient  une  fois  sur 


(1)  Voir  la  notice     de    cette     rue,    actuellement    des 
Francs-Bourgeois. 


154  RUE  DU  CHAUME. 

deux  qu'elle  prend  sa  source  rue  des  Blancs- 
Manteaux,  et  la  faute  n'en  serait  audit  plan  que 
si  les  cochers  s'occupaient  d'archéologie. 

Nous  nous  leconnaîtrions  toujours  mieux  au  n"  4, 
si  une  construction  moderne  n'y  remplaçait  pas 
un  séjour  contemporain  de  l'hôtel  Duret.  Y  résidait 
noble  homme  Fi-ançois  Civille,  qui  prit  dans  plu- 
sieurs actes  la   singulière  qualité  de  gentilhomme 

trois   fois   mort,    trois    fois   enterré,    et   le     fait     est 

qu'à  plusieurs  reprises  il  avait  coupé  court  à  ses 
propres  funérailles,  en  s'éveillant  d'une  léthargie 
qu'on  avait  prise  pour  la  mort.  De  sursaut  en 
sursaut,  il  était  parvenu  à  dépasser  l'âge  de 
maturité,  bien  qu'il  fût  encore  fort  épris  dune  de 
ces  hlles-d'lionneur  de  Catherine  de  Médicis  dont 
Brantôme  s'ébaudii  h  célébrer  les  charmes,  sans  se 
porter  garant  de  leur  constance.  Sur  quoi  la 
nouvelle  reprit  cours  que  ce  seigneur  avait  fermé 
les  yeux  ;  sa  maîtresse  ne  s'en  émut  guère,  car 
elle  comptait  sur  une  résurrection  de  plus,  comme 
bien  d'autres  gens  à  la  cour.  Mais  cette  fois  le 
trépas  tint  ])on  ;  la  demoiselle  d'honneur  pleura,  une 
fois  perdu  pour  elle,  ce  même  Françuis  Civille  qu'elle 
avait  moins  aimé  de  son  vivant,  et  elle  semblait 
inconsolable  de  ne  pouvoir  plus  le  tromper.  La 
maison  de  ce  gentilhomme,  un  quart  de  siècle  après 
sa  mort,  servait  encore  de  parloir  amoureux,  mais 
cette  fois  à  Gabriolle  d'Estrée,  qui  y  recevait 
Henri  IV.  La  maison  est  restée  debout  jusqu'en  1846. 
Que  si  la  rue  du  Chaume  doit  son  nom  {\  un 
toit  modestement  couvert  de  tiges  de  blé,  elle  a, 
depuis,  abrité  des  princes,  et  nous  y  voyons  de 
protll  un  palais  dont  la  face  regarde  la  rue  de 
Paradis.  Les  Archives  de  l'Empire  occupent 
l'ancien  hôtel  de  Guise,  acheté  par  M""'  de  Soubise 
avec  l'aide  de  Louis  XIV.  Quelque  grande 
dame  que  parût  celle-ci,  et  bien  que  le  roi  l'eût 
aimée,  elle  eut  de  la  peine  à  fournir  sa  quote-part 


RUE  DU  CHAUME.  155 

maternelle  de  preuves  de  noblesse  pour  faire  rece- 
voir son  tils  chanoine  de  Slrnsbourg  :  il  ne  fallait 
remonter  qu'c\  sa  grandmère  pour  retrouver  la  fille 
d'un  marmiton.  La  porte  principale,  au  temps  des 
Guise,  donnait  rue  du  Chaume;  mais  dès  que 
François  de  Rohan,  prince  de  Soubise,  fit  rétablir 
l'hôtel,  sur  les  dessins  de  Leniaire,  l'entrée  en  fut 
transférée,  rue  de  Paradis.  Le  première  est  devenue 
celle  de  l'École  des  Chartes,  et  les  templiers  avaient 
élevé  des  bâtiments  sur  cette  aile  du  palais  actuel, 
avant  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine  -,  la 
seconde  est  celle  des  Archives.  Le  jardin  n'était  déjà 
plus  dans  son  grand  sous  le  règne  de  Louis  XVI  ; 
on  savait  pourtant  gré  au  grand-aumônier  de  France, 
le  prince-cardinal  de  Rohan,  d'en  avoir  fait  une 
promenade  publique.  Du  reste,  un  passage  Soubise 
traversait  antérieurement  la  propriété  et  mettait  en 
communication  directe,  pendant  le  jour,  la  rue  de 
Braque  avec  celle  Vieiile-du-Templè.  Des  concerts 
d'amateurs  se  donnèrent  h  l'hôtel  Soubise,  pendant 
douze  ans,  et  la  sonate  y  prit  de  l'autorité,  mais 
cessa  en  1780  d'y  renouveler  ses  morceaux  de  carac- 
tère et  de  mouvement  différents,  qui  ne  passionnent 
encore  qu'un  auditoire  d'élite. 


Rue  de   la   Cliaussée-d^Antin. 


Le  gros  Bouffé  au  Café  Foy.  —  M"^^''  d'Épinay, 
Necker,  de  Staël,  Récamier  et  Le  Hon.  —  Le 
Général  Moreau.  —  La  Guimard.  —  Hôtels  de 
Padoue  et  Mallet.  —  Le  Sculpteur  Clodion.  — 
Mirabeau  —  Le  Général  Foy. — Le  Comte  Roy. 
—   Le   Cardinal   Fesch. 

Que  toutes  nos  fautes  nous  soient  remises  aussi 
bien  que  nous  pardonnons  à  M.  Amédée  Achard, 
dont  le  mérite  est  surtout  chose  de  forme,  d'avoir 
pris,  dans  Paris  chez  soi,  l'ancien  hôtel  Mont- 
morency,* bâti  sur  les  dessins  de  Ledoux,  pour 
celui  de  M"""  Guimard,  construit  par  le  même 
architecte!  Mais,  depuis  lors,  la  maison  noble  s'est 
renouvelée  de  fond  en  comble,  n"  1,  rue  de  la 
Chaussée-d'Aiitin. 

L'autre  coin  du  boulevard  n'est  pas  moins  veuf 
d'une  caserne  de  gardes-françaises,  que  remplace 
une  compagnie  de  garçons  et  de  cuisiniers,  com- 
mandée par  Bignon,  restaurateur  en  vogue.  Honneur 
aux  colonels  de  l'ancien  régime  qui   se  ruinaient 


(1)  Notice  écrite  en  J85n.  Quel  tremblement  de  terre 
a,  depuis  renversé  le  tiers  des  maisons  de  la  rue  de  Ja 
Chaussée-d'Antin  !  Le  signal  a  été  donné  par  le  pro- 
loDgemenl  de  la  rue  Lafayette.  Mais  ]«  déplacement  de 
l'Opéra  a  laissé  par-là  un  sillage  particulièrement  sensible. 
Un  peu  plus,  et  la  rue  entière  devenait  un  seul  carrefour. 
Elle  a  i)ien  moins  gagné  à  la  suppression  de  la  rue 
Basse-du-Rempait  que  perdu  au  percement  du  boulevard 
Hausmaun  et  des  ruesMeyerbeer  et  Halévy. 


RITE  DE  LA  CHAUSSEE-DANTIN.  157 

pour  le  service  du  roi  !  Mais,  à  la  tête  du  café 
Foy,  il  n'a  fallu  que  peu  d'années  à  Bignon  pour 
faire  sa  fortune.  Il  est  vrai  qu'un  ou  deux  de 
ses  prédécesseurs,  à  ce  qu'on  dit,  furent  moins 
heureux.  N'appelait-on  pas;M.  Nigaud,  ou  d'un  nom 
approximatif  celui  qui  eut  pour  principal  client 
le  gros  Bouflé,  directeur  du  Vaudeville  ci  quatre  ou 
cinq  reprises  ?  Ce  viveur  de  première  classe  buvait 
beaucoup  de  Champagne  et  ne  réglait  ses  additions 
que  par  le  mot  sacramentel  de  :  —  Garçon,  c'est 
pour  moi!...  Nigaud  voyait  grossir  le  compte  de 
Bouffé,  sans  trouver  le  moment  de  lui  en  toucher 
deux  mots.  Comment  un  pareil  ventre  aurait-il 
Cait  pour  avoir  à  jeun  des  oreilles?  Après  boire, 
c'était  encore  pis,  car  il  suffisait  de  savoir  tout 
ce  qu'il  avait  absorb(3  pour  se  faire  un  cas  de 
conscience  d'en  troubler  la  digestion.  Le  créancier, 
toujours  intimidé  par  la  sérénité  du  débiteur,  qui 
avait  soin  de  ne  lui  donner  audience  qu'à  table, 
ne  tenta  même  qu'une  fois  d'aborder  la  question, 
en  se  plaignant  de  la  dureté  des  temps  ;  mais  cette 
précaution  oratoire  donna  le  loisir  à  Bouffe  de 
parer  le  coup,  encore  mieux  que  Don  Juan  quand 
il  éconduisait  M.  Dimanche.  L'état  de  gêne 
étant  général,  il  n'y  avait  rien  d'étonnant  à  ce 
que  les  affaires  de  Nigaud  s'en  ressentissent;  mais 
un  aveu,  si  plein  de  franchise,  faisait  du  confident  un 
véritable  ami,  qui  lui  révélait  tout  de  suite  que 
le  succès  de  sa  maison  était  une  question  littéraire, 
c'est-à-dire  de  publicité  intelligente,  et  que  si 
l'opinion  de  la  presse  lui  devenait  entin  favorable, 
gloire  et  richesse  de  s'ensuivre  aussitôt.  Cet  ex- 
pédient de  viveur  au  pied  du  mur  reposait, 
dans  le  fond,  sur  une  idée  bien  juste.  Si  jamais 
on  écrit  l'histoire  des  cabarets,  des  cales  et  des 
restaurants,  nous  y  verrons  pas  mal  de  gens 
d'esprit  commencer,  à  leurs  propres  frais,  la 
fortune  de  maint  et  maint  imbéciles.  Mais  Bouffé 


158  RUE  DK  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN. 

déclarait  enfin  :  —  L'heure  est  venue  pour  les 
poètes  et  les  journalistes  de  ne  plus  se  ruiner 
en  détail,  lorsqu'ils  érigent  en  millionnaire  un 
gâte-sauce  ou  un  garçon  de  café  !  Nous  autres, 
directeurs  de  théâtre,  nous  comptons  bien  avec 
la  presse  et  nous  sommes  trop  heureux  qu'elle 
goûte,  la  première,  à  nos  plats  !  Ne  faut-il  pas 
toujours  marcher  avec  le  siècle  ?  A  votre  place, 
cher  monsieur  Nigaud,  je  frapperais  un  grand 
coup,  en  conviant  des  hommes  influents  à  un 
souper,  digne  de  les  captiver  :  tous  les  petits  plats 
dans  les  grands  ! 

—  Très-volontiers,  monsieur  Bouft'é,  répondit  le 
restaurateur  ;  mais  où  demeurent  donc  les  gens 
d'esprit  dont  vous  parlez? 

—  Presque  tous  en  garni  et  sans  domicile  fixe, 
reprit  cet  osé  débiteur  ;  mais  je  les  connais, 
comme  ma  poche.  Chargez-  vous  de  faire  bien 
les  choses  et    comptez    sur  moi  pour  les  gens  ! 

—  Ah  !  quel  service  vous  m'allez  rendre,  s'écria 
aussitôt  Nigaud,  en  renfonçant  la  note  dans  sa 
poche  ! 

Une  nuit  donc,  après  l'heure  du  spectacle,  quel 
beau  couvert  de  noce  au  café  Foy  !  Toutes  les 
raretés  de  la  saison  y  avaient  donné  rendez-vous 
aux  merveilles  de  la  cave,  et  le  directeur  déclassé 
en  faisait  les  honneurs  à  plusieurs  acteurs  du 
Vaudeville,  à  des  régisseurs  d'autres  théâtres 
et  à  des  amis  personnels,  fraîchement  libérés  de 
Clichy,  dont  l'extérieur  peu  cultivé  concordait, 
en  effet,  avec  celui  de  bien  des  poètes.  Nigaud, 
qui  prenait  tout  son  monde  pour  l'élite  même  de 
la  presse,  allait  et  venait,  ne  comptant  que  sur 
lui-même  pour  diriger  les  manœuvres  du  service 
et  jugeant  par  ses  propres  yeux  de  l'effet  croissant 
du  menu.  Jamais  convives  n'avaient  ouvert  plus 
grands  yeux  ni  plus  grandes  bouches  ;   deux    ou 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN.  159 

trois  invités,  entre  autres,  avaient  tout  l'air  de 
manger  pour  huit  jours,  dont  la  moitié  à  titre 
d'arrérages,  et  le  Champagne,  comme  il  coulait  à 
flots  !  Aussi  bien  l'amphytrion  apparent  daigna  se 
retourner,  au  dessert,  du  côté  de  celui  qui  l'était 
réellement,  pour  lui  dire  :  —  Ces  messieurs  sont 
contents  de  vous,  mon  cher  ! 

M.  Nigaud  espérait  éprouver,  à  son  tour, 
le  surlendemain,  une  vive  satisfaction.  Levé 
dès  cinq  heures  du  matin,  il  sentait  vraiment  son 
cœur  battre  chaque  fois  qu'un  porteur  de  journal 
glissait  une  feuille  sous  la  porte  ;  il  se  baissait, 
avec  avidité,  pour  la  débarrasser  de  sa  bande. 
Comment  n'y  soulllait-on  pas  mot  du  somptueux  média- 
noclie?  Même  manège  les  jours  suivants;  même 
déception  pour  unique  résultat.  Lorsque  le  maître- 
queux  s'en  plaignit  à  Bouffe  :  —  Croyez- vous, 
demanda  celui-ci,  qu'on  puisse  bien  juger  d'une 
grande  pièce    sur  une  seule  représentation? 

—  Ho  !  alors,  je  vais  faire  faillite,  avoua  notre 
homme,  et  voici  votre  note,  que  je  vous  supplie 
d'acquitter  entre  nous. 

—  Pauvre  ami,  j'en  suis  désolé,  répliqua  l'autre  ; 
mais  si  vous  faisiez  tort  de  ma  dette  à  vos  créan- 
ciers, vous  les  tromperiez  gratuitement.  Ayez  la 
probité  d'en  renforcer  votre  bilan  ;  j'aime  encore 
mieux  qu'elle  fonde  entre  les  mains  de  personnes 
que  je  ne  connais  pas,  qu'entre  les  vôtres,  qu-i 
me  sont  chères.  Tous  les  syndics  savent  ce  qu'ils 
ont  à  faire  de  mes  factures  en  souffrance. 

Heureusement  les  quittances  de  loyers  sont, 
en  général,  mieux  payées  dans  la  rue  de  la  Chaussée- 
d'Antin  ;  le  fondé  de  pouvoir  de  M""'  la  comtesse 
de  Sommariva  signe  celles  du  u"  5.  Ce  petit  hôtel 
était  au  sieur  Canuel  dès  1784,  et  il  avait  appartenu 
h  une  femme  illustre,  fille  de  Tardieu  des  Ciavelles, 
gentilhomme  de  Flandre  mort  au  service  du  roi, 
veuve  de  Denis-Joseph  de  la  Live  d'Épinay,  intro- 


.160  RUE  DE  LA  CHAUSSÉE-D'ANTIN. 

ducteur  des  ambassadeurs.  Non-seulement  M""* 
d'Épinay  y  avait  vécu  avec  Grimm  ;  mais  encore 
Grimm  y  avait  donné  à  Mozart,  par  ricochet,  une 
hospitalité  de  cinq  mois.  D'anciens  biens  de  campa- 
gne de  cette  protectrice  de  Jean-Jacques  avaient  été 
acquis  eux-mêmes,  à  côté  de  Montmorency,  par 
le  comte  de  Sommariva. 

En  face  de  Canuel,  le  9  messidor  an  vi,  le 
citoyen  Crémieux  achetait  une  maison  dont  la  dame 
Wattebled,  née  Larbalestrier,  se  trouvait  adjudica- 
taire par  arrêt  du  12  janvier  1788  ;  il  la  divisa 
en  deux  propriétés,  dont  l'une  donne  rue  du 
Helder  :  l'autre  porte  le  n°  6  en  notre   rue. 

Le  7,  ce  magnifique  hôtel  dans  lequel  se  distri- 
buent les  bureaux  de  la  compagnie  du  chemin  de 
fer  de  Lyon,  a  pour  auteur  l'architecte  Cherpitel, 
agissant  pour  le  compte  de  M.  Necker,  à  qui 
M"""  d'Épinay  a  justement  écrit  des  lettres  que 
l'impression  a  conservées.  Necker  n'est  encore  que 
ministre  de  la  république  de  Genève  près  du  roi, 
et  il  demeure  place  Vendôme,  lorsqu'il  acquiert 
de  Letellier  et  de  Pion  séparément  deux  terrains 
sur  la  chaussée  d'Anlin,  rue  qui  commence  sur  le 
Cours  à  la  hauteur  de  l'hôtel  du  duc  d'Antin. 
Toutefois  Letellier,  en! repreneur  des  bâtiments-du- 
roi,  n'a  lui-môme  acquis  des  religieux  mathurins 
que  la  jouissance,  à  titre  d'emphytéose,  d'une  portion 
dudit  emplacement,  et  les  99  années  de  son  bail 
couraient  depuis  sept  lorsqu'il  a  transporté  ses 
droits  tels  quels  ii  l'ambassadeur  de  Genève,  le 
16  août  1775.  Quant  à  Pion,  ses  vendeurs  ont 
été  las  héritiers  du  sculpteur  Jacques  Verberecht, 
et  ce  sculpteur  a  commencé  par  acheter,  en 
société  avec  Sandrié  et  Taboureux,  un  plus  vaste 
terrain,  avec  maison,  cour  et  jardin,  de  Pierre 
Ligné,  acquéreur  de  Silvois  en  1714. 

Necker,    le    plus   marquant    des    ministres  de 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'âNTIN.  161 

Louis  XVI,  a  vu  le  jour  en  173;2  ;  il  est  venu 
faire  d'abord  son  noviciat  commercial  h  Paris, 
chez  le  banquier  Vernet  ;  puis,  en  qualité  d'associé, 
il  est  entré  chez  Thélusson  et  il  a  consacré,  en  somme, 
à  faire  sa  fortune  vingt  années.  Sa  femme,  Suzanne 
Curchod  de  Nasse,  accueille  dans  son  hôtel  du 
quartier  neuf  de  la  Chaussée-d'Antin  ces  beaux- 
esprits  :  Thomas,  Buffon,  Grimm,  l'abbé  Raynal, 
Saint-Lambert,  Marmontel.  De  plus,  une  petite 
place  est  réservée  dans  le  salon,  sur  un  tabouret 
de  bois,  à  M"''  Necker,  dont  sa  mère  a  commencé 
l'éducation  avec  assez  de  roideur  pour  que  l'im- 
pulsion en  contraste  avec  le  ton  général  des 
réceptions  ;  mais  on  sait  que  M""'  de  Staël,  née 
Necker,  si  elle  a  toujours  été  jeune,  n'a  jamais 
été  un  enfant.  Extrêmement  charitable,  la  femme  du 
ministre  fonde  un  hospice,  qui  porte  encore  pour  nous 
le  nom  de  son  mari.  Dès  la  première  année  de 
son  installation  dans  le  bel  hôtel  de  sa  création, 
M.  Necker  s'est  vu  appeler  à  la  direction  du 
Trésor,  sur  la  demande  de  M.  de  Maurepas,  et 
en  lui  l'homme  d'État  est  tout-h-fait  sorti  de 
la  chrysalide  du  banquier.  Peu  de  mois  après 
avoir  donné  une  première  fois  sa  démission  de 
ministre,  il  ajoute  à  sa  propriété  un  petit  hôtel, 
rehé  par  un  cul-de-sac  h  la  luc  Basse-du -Rempart 
et  dans  lequel  a  succédé  à  Pion  Catherine  de 
Vernimen,    veuve    de  Louis  Lhermitte. 

On  sait  que  bien  des  royalistes  reprochent 
à  presque  tous  les  actes  de  la  vie  politique  de 
Necker,  encore  ministre  eu  1789,  d'avoir  pro- 
voqué l'explosion  de  la  Piévolutlou  française,  qui 
ne  l'en  a  pas  moins  fait  figurer  au  nombre  de 
ses  réprouvés.  Outre  qu'il  laissait  deux  millions, 
bien  à  lui.  dans  les  coffres  du  Trésor  royal,  il  a 
vu  ses  propriétés  séquestrées  au  nom  de  la  Nation, 
et  son  nom  a  grossi  la  liste  des  émigrés.  M""'  de 
Staël,  admiratrice  passionnée  de  Rousseau,  n'était 


16 i  RUE  DE  LA  CHAUSSE E-D'ANTIN. 

pas  sans  prétendre  elle-même,  comme  écrivain, 
comme  génie, au  panthéon  démocratique;  contidente 
de  Barras,  elle  taisait  partie  du  cercle  constitu- 
tionnel qui  siégeait  à  l'hôtel  de  Salm,  opposé  au 
club  de  Clichy,  et  c'est  elle,  à  coup  sûr,  qui  a 
présenté  au  Luxembourg  M.  de  Talleyrand,  dé- 
barqué à  son  retour  des  États-Unis  sans  autre 
ressource  que  cette  caution  féminine,  qui  est 
devenue  un  lien  d'intimité.  La  Notre-Dame  du  48 
Fructidor  a  ensuite  usé  de  son  crédit  pour  faire 
cesser  la  proscription  de  l'exilé  de  Coppet,  son 
père,  ainsi  que  peut  nous  le  rappeler  la  pièce 
inédite  que  voici  : 

Ministère  de  la    Police  générale    de  la  République. 

Liberté.  Egalité. 

Paris,  !e  13  thermidor,  l'an  VI  de  la  République  Françoise, 

Une    et   Indivisible. 

u  Le  Directoire  Exécutif, 

Vu  les  diverses  réclamations  tendantes  à  ce  que  le 
nom  de  Jacques  Necker  soit  layé  de  la  Liste  des 
émigrés,    et    les  pièces  à     l'appui   de  cette    réclamation; 

Ouï  le  rapport   du  ministre  de   la    Police    générale. 

Arrête  : 

«  Article  1".  Le  nom  de  Jacques  Necker,  ex-directeur 
des  finances,  sera  définitivement  rayé  de  la  Liste  des 
émigrés  du  Département  de  la  Seine,  ainsy  que  de 
toutes  autres  Listes  d'émigration  où  il  auroit  pu  être 
inscrit. 

0  Article.  2.  Le  séquestre  apposé  sur  ses  biens, 
meubles  et  immeublt.«,  sara  levé,  avec  restitution  des 
fruits  et  la  jouissance  de    ces  biens. 

»  Article  3.  Dans  le  cas  où  tout  ou  partie  de  ses 
biens  auroit  été  vendu,  en  exécution  des  Loix,  le 
montant  lui  en  sera  remis,  à  la  charge  par  lui  de  payer 
tant  les  frais  du  séquestre  que  ceux  de  la  vente,  si 
elle  a   eu  lieu. 

»  Article  4.   Le   présent  arrêté  ne   sera  pas  imprimé, 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN.  163 

]es  ministres  de  Ja  Police  générale  et  des  Finances 
sont  chargés  de  son  exécution,  chacun  en  ce  qui  les 
concerne. 

«  Pour   expédition   conforme  : 

Pour  le   Président    du  Directoire   Exécutif, 

Merlin. 

Par   le   Directoire  Exécutif:    pour  le  secrétaire-général, 

L.  M.   Réveilliére  Lépeaux, 

«  Certifié    conforme, 

Le  tninistre  de   }a   Police   générale, 

I.ECARLIER.     a 

Le  25  vendémiaire  an  vn,  Necker,  par  l'entre- 
mise d'Uguiet,  fondé  de  pouvoir,  cède  ses  deux 
propriétés  au  prix  de  37,381^  piastres,  4  réaux, 
somme  qu'on  a  stipulée  payable  en  argent  espagnol 
pour  éviter  le  payement  en  assignais.  Mais  la  rue 
sur  laquelle  donne  le  plus  important  desdits 
immeubles  s'appelle  du  Mont-Blanc,  depuis  la 
réunion  de  ce  département  à  la  France.  Les 
preneurs  de  ces  deux  hôtels  sont  Jacques-Roze 
Récamier,  banquier,  et  sa  femme,  née  Jeanne- 
Francoise-Julie-Adélaïde  Bernard,  qu'ont  rendue 
célèbre  sa  beauté,  son  esprit  et  son  influence. 
Elle  commence  par  donner  aux  incroyables,  rue 
du  Mont-Blanc,  des  bals  dont  le  luxe  est  inouï  : 
les  éventails  et  1-es  bouquets  des  danseuses  y 
sont  renouvelés  autant  de  fois  que  la  chaleur  de 
la  danse  en  a  altéré  la  fraîcheur  et,  de  plus,  une 
provision  de  chaussures,  prévoyance  inconnue 
des  fées,  empêche  qu'aucune  invitée  passe  d'une 
gavotte  à  une  sauteuse  avec  un  soulier  qui 
s'affaisse,  ou  qu'elle  quitte  le  bal  en  Cendrillon. 
Mais  à  ces  fêtes  du  Directoire,  dont  le  Consulat 
rehausse  encore  l'éclat,  succède  un  silence  délicat, 
vers  le  commencement  de  l'Empire.  D'un  côté, 
M'"e  Récamier  a  donné  passagèrement  refuge,  dans 


164  RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN. 

sa  maison  de  campagne  de  Saint-Brice,  à  M"*" 
de  Staël,  dont  le  père  a  voulu  rester  à  Coppet, 
et  les  Neckcr  sont  des  plus  mal  en  cour  ;  d'autre 
part,  M.  Récamier  a  fait  des  pi-rtes  d'argent 
considérables,  disgrâce  contribuant  à  éloigner  sa 
femme  d'un  monde  qui  en  souffre  beaucoup  plus 
qu'elle-même.  Donc  le  4*'  septembre  1808,  M. 
et  M"""  Récamier,  qui  se  contentent  alors  de 
demeurer  rue  et  division  du  Mail,  n"  49,  cèdent 
leurs  deux  maisons  de  la  Cliaussée-d'Antin  au 
riche  épicier  Mossclmann,  établi  dans  la  rue 
Saint-Denis  en  face  de  celle  du   Ponceau. 

C'en  est  fait  dès-lors,  pensez-vous,  des  salons 
où  M'"''  de  Staël,  dont  le  talent  n'a  jamais  eu  de 
sexe,  jouait  tout  enfant  avec  des  philosophes, 
ses  camarades  ;  c'en  est  fait  également  des  grâces, 
si  M'"'^  Récamier  s'éloigne.  Longue  avenue,  tu  ne 
mènes  plus  qu'au  deuil  ;  cour  et  jardin,  que 
ne  vous  entendez-vous,  pour  étouffer  l'édifice 
deux  fois  veuf,  que  vous  n'embrassez  plus  sans 
regrets  !  Mais  cet  hôtel  prédestiné  sourit  à  une 
maîtresse  nouvelle  et  qui  grandit  sous  ses  lambris, 
pendant  que  les  deux  précédentes  partagent  l'exil 
qui  les  fait  enfin  presque  soeurs.  Blonde  étoile 
du  matin,  salut  !  Qu'importe  le  prestige  des 
souveiiirs,  puisqu'une  autre  séduction  commence  ! 
Chaque  génération  veut  la  sienne.  En  un  mot, 
M"''  Françoise-Zoé-Mathilde  Mosselmann,  née  dans 
l'ancien  hôtel  Necker,  porte  â  ravir  un  autre 
nom,  qui  lui  vient  d'un  ambassadeur  du  roi  des 
Belges  ;  c'est  maintenant,  pour  ne  rien  vous  taire, 
M™«  la  comtesse  Le  Hon.  Cette  sœur  cadette  ne 
doit  rien  aux  aînées  ;  néanmoins,  à  Paris,  le 
report  des  adorateurs  sur  le  retour  met  ordinairement 
les  jolies  femmes  de  plusieurs  générations  en  compte 
les  unes  avec  les  autres,  opération  qui  fait  passer  au 
crédit  de  la  dernière-venue  les  économies  de  ses 
devancières.  C'est  à  peine  si  les  hypothèques  de 


RUE  DE  LA  CHAUSSÉE-D'ANTIN.  165 

bonnes  fortunes,  prises  comme  à  perpétuité  par 
certains  merveilleux  de  l'époque  directoriale  sont 
atteintes  par  la  prescription  sous  le  règne  de  Louis- 
Philippe  :  le  mérite  n'a  pas  d'âge  en  France,  où  la 
galanterie  en  est  un.  La  jeune  ambassadrice  n'a  pas 
même  trouvé  d'inscriptions,  au  nom  de  la  fille  du 
ministre  ou  de  la  femme  du  banquier,  sur  l'hôtel 
qu'elle  tenait  d'elles  :  son  père  en  avait  fait  place 
nette  en  s'acquittant  de  ce  qui  restait  dû  tant 
à  dame  Louise-Germaine  Necker,  veuve  du  baron 
de  Staël-Hostein,  qu'à  M'"''  Récamier,  devenue 
l'Égérie  de  l'Académie-Française  et  consultée  sur 
chaque  élection  dans  un  salon  de  l'Abbaye-aux- 
Bois. 

Du  même  côté,  mais  plus  haut  que  la  caserne, 
qui  a  principalement  servi  de  conservatoire  h  la 
musique  des  gardes-françaises,  gît  un  cimetière 
Saint-Rocli,  enterré  à  son  tour,  puis  longtemps 
arrosé  par  des  pompes  à  l'usage  des  porteurs-d'eau. 
Les  constructions  numérotées  8  et  10,  dont  l'une  se 
relie  encore  à  un  jardin  du  côté  de  la  rue  parallèle, 
comportaient  moins  de  plâtre  et  de  pierres  avant  la 
grande  révolution;  Daniel  parlait  en  maître  dans  la 
première  et  l'un  des  frères  Périer  dans  l'autre.  Les 
Périer  dirigeaient  la  compagnie  des  eaux  qui  avait 
établi  la  pompe  à  feu  de  Chaillot  ;  un  écrit  du 
comte  de  Mirabeau,  en  décriant  les  actions  de 
cette  compagnie,  donnait  lieu  â  une  réplique  lavo- 
rable  de  Beaumarchais.  Entre  le  10  et  le  18  se 
trouvait  un  hôtel  moins  rétréci,  à  la  famille 
Mallebranche.  Venait  ensuite  Pierre-Nolasque 
Leblanc  de  Verneuil,  qui  avait  fait  bâtir  au  milieu 
d'un  terrain  concédé  par  les  mathurins  pour  99 
années,  emphytéose  appelée  h  expirer  en  1881  ; 
le  lendemain  même  du  décès  de  ce  détenteur 
primitif,  autrement  dit  le  20  floréal  an  m,  l'immeuble 
était  acquis  par  le  citoyen  Lakanal,  prêtre,  pro- 
fesseur,   vicaire-général    constitutionnel,  conven- 

11 


166  RUE  DE  LA  CHAUSSE E-D'ANTIN. 

tionnel,  puis  censeur  au  lycée  Bonaparte,  membre 
aussi  de  l'Institut,  qu'il  avait  organisé  et  dont  il 
fut  évincé  en  1816,  pour  y  rentrer  sous  le  minis- 
tère Decaze.  Cet  admirateur  de  Marat  n'avait  pas 
attendu,  pour  devenir  propriétaire,  la  loi  agraire 
que  promettait  Babeuf.  Il  fit  élever  deux  corps- 
de-bâtiment  (n"'  18  et  22)  sur  le  devant  de  sa 
propriété,  avec  passage  réservé  au  milieu  pour 
la  construction  du  fond  ;  mais  cette  surcharge 
lui  pesa  à  tel  point  qu'il  fut  forcé  de  vendre. 
L'acquéreur  du  lot  principïU,  que  flanquaient  les 
deux  autres,  fut  le  général  Moreau,  qui,  dans 
le  salon  du  rez-de-chaussée,  concerta  le  plan  de 
la  campagne  du  Rhin  avec  le  général  Bonaparte, 
dont  il  "était  encore  l'égal  en  grade.  Sur  les 
bureaux  installés  par  Moreau,  commandant  en 
chef  d'une  armée,  on  a  jeté  depuis  huit  étages, 
au  bout  de  l'avenue,  à  main  droite  :  que  ce 
fardeau  leur  soit  léger  !  MM.  de  la  Bouillerie, 
Delamarre,  Letissier,  Prat  et  Bergonier  ont  joui 
successivement  de  cette  résidence,  qui  était  celle 
du  général  Bourmont  en  1816.  Bourmont,  dont 
le  nom  réveille  aussi  des  souvenirs  politiques  si 
mal  étouffés  qu'ils  passionnent  encore  tout  le 
monde,  occupait  le  même  appartement  que  le 
général  son  devancier,  et  les  ornements  n'en  ont 
pas  encore  changé  de  style.  Une  salle  de  bain  y 
attenait,  que  le  premier  des  deux  généraux  avait  fait 
ajouter  en  aile  h  la  hauteur  de  sa  chambre  à 
coucher,  c'est-à-dire  du  premier  étage.  Lorsqu'on 
supprima  cet  annexe,  on  découvrit  sous  la  baignoire, 
au  lieu  de  dalles  noires  et  blanches,  qu'elle 
était  suspendue  par  deux  barreaux  de  fer  sur 
une  cachette,  ménagée  dans  la  pierre.     • 

La  rue  dont  nous  parlons  est  revenue,  sous 
Louis  XVIII,  à  ce  nom  de  la  Chaussée-d'Anlin 
qu'elle  partage  avec  un  quartier.  Le  magasin  de 
nouveautés  qui  a  pris  la  même  invocation  rem- 


RQE  DE  LA  CHàUSSEE-D'ANTIN.  167 

placeur!  hôtel,  qui  fut  dit  le  temple  de Terpsychore 
lorsqu'il  s'érigeait  pour  uu/s  danseuse  aux  frais 
du  prince  de  Soubise.  Le  protecteur  avait  soupe 
ailleurs  avec  la  comtesse  de  Lhospital  ;  sa  petite- 
maison  était  rue  de  l'Arcade.  La  protégée, 
M"«^  Guimard,  reçut  en  courtisane  qui  sait  son 
monde  le  financier  Laborde,  l'évêque  de  ïarente 
et  d'autres  grands  personnages  par  la  porte  h  deux 
battants  du  prince  de  Soubise,  sans  que  se  rouillas- 
sent les  gonds  de  la  porte  dérobée.  Mais  le 
prince  défraya  mieux  que  ses  successeurs  en  titre 
les  trois  soupei's  que  donnait  par  semaine  la 
Guimard.  Il  y  en  avait  un  pour  des  grands  seigneurs  ; 
un  qui  réunissait  des  auteurs,  des  artistes  et  des 
savants  ;  le  troisième  était  une  orgie  hebdomadaire, 
avec  des  filles.  La  belle  damnée,  comme  l'appelait 
Marmontel,  avait  pour  armoiries  :  au  milieu  de 
l'écusson  un. marc  d'or,  d'où  sortait  un  gui  de 
chêne,  les  Grâces  servant  de  support  et  les  amours 
couronnant  le  cartouche.  Elle  recevait  ses  amis 
en  foule  dans  sa  propre  salle  de  spectacle  ;  l'élite 
des  troupes  régulières  y  donnait  des  représentations, 
auxquelles  assistaient,  en  loges  grillées,  des  prêtres 
et  des  femmes  honnêtes,  sur  des  billets  sollicités 
d'avance.  Néanmoins  tout  a  une  tin.  Celle  de  l'hôtel 
Guimard  fut  une  loterie  :  2,500  billets  à  5  louis. 
Le  tirage  avait  lieu  aux  Menus-Plaisirs  le  29 
mai  1786,  et  la  comtesse  Dulau,  qui  n'avait  pris 
qu'un  seul  billet,  gagnait.  A  présent,  tout  est  bien 
changé.  Plus  de  porche  décoré  de  colonnes,  plus 
de  bas-reliefs,  plus  de  peintures  de  Fragonard  ! 
Quelle  étoffe  souhaitez-vous,  madame?  Cette  couleur 
vous  sied  à  merveille  ;  vous  mesurez  au  moins 
12  mètres  :  flatteries  qui  réussissent  toujours  ! 

Seulement  la  métamorphose  ne  s'est  pas  opérée 
du  jour  au  lendemain.  L'ancien  temple  du  plaisir 
servait  de  chef-lieu  ii  une  section,  pendant  la 
Révolution.  Le  banquier  Perregaux    l'eut  ensuite 


168  RUE  DE  LA  CHaUSSÉE'D'ANTIN. 

pour  hôtel  et  y  signa  le  contrat  du  mariage  de 
sa  fille  avec  le  maréchal  Marmont.  Lès  bureaux 
de  la  maison  de  banque  se  tenaient  là  également. 
M.  Perregaux  y  reçut,  un  jour,  les  offres  de 
service  d'un  inconnu,  qu'il  refusa  de  prendre  pour 
employé,  mais  qui,  en  se  retirant,  vit  luire  sur 
le  paillasson  une  épingle,  se  baissa  pour  la  ramasser 
et  la  piqua  dans  le  drap  de  sa  lévite,  comme  une 
fiche  de  consolation.  Ce  détail,  qui  prouvait  à 
l'improviste,  que  le  solliciteur  éconduit  avait  de 
l'ordre,  le  fit  aussitôt  rappeler  et  recevoir  à  litre 
de  commis.  II  n'était  autre  que  ce  Jacques  Laffitte 
qui  succéda  plus  tard  à  Perregaux. 

Immédiatement  après  le  grand  magasin  vient, 
comme  avant,  le  siège  central  d'un  chemin  de  fer  ; 
cette  fois  il  s'agit  de  la  ligne  d'Orléans.  Naguère 
le  Casino  y  donnait  des  concerts,  inaugurés  par 
le  violon  de  Paganini,  et  des  soirées,  des  nuits 
dansantes  qui,  en  été,  étendaient  au  jardin  l'illu- 
minat'on  de  la  rotonde.  Celle-ci  avait  été  ajoutée 
par-derrière  à  un  hôtel  qui  faisait  partie  du  majorât 
constitué  par  l'empereur  en  faveur  de  son  parent, 
le  général  Arrighi,  duc  de  Padoue,  par  décret  du 
28  mars  1812.  Une  loi  du  10  juin  1853  a  autorisé 
le  fils  et  héritier  du  général,  titulaire  de  son 
majorât,  à  céder  cet  immeuble  à  la  compagnie 
d'Orléans,  à  la  condition  que  le  prix  en  serait 
appliqué  à  l'acquisition  de  rentes  ou  d'immeubles 
remplaçant  l'hôtel  aliéné  dans  la  composition  du 
majorât.  Le  jardin  en  finissait,  sur  le  passage 
Sandrié,  par  une  élégante  orangerie  et  une  volière, 
que  séparait  l'une  de  l'autre  un  petit  labyrinthe. 
Mais  cet  hôtel  à  fronton,  précédé  d'une  belle 
avenue,  n'avait  pas  été  fait  exprès  pour  le  duc 
de  Padoue.  Pierlol,  receveur-général  de  l'Aube, 
l'avait  acheté,  le  27  pluviôse  an  x,  de  M.  et 
M'"^  Cotlin,  lesquels  avaient  eu  pour  vendeur, 
en   1784,    Jean-Baptiste    marquis    de    Lavalette, 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN.  169 

propriétaire  en  qualité  de  légataire  universel,  pour 
les  biens  existant  en  France,  du  marquis  de 
Castéra,  son  oncle,  décédé  quatre  années  auparavant. 
Les  droits  dont  le  marquis  avait  joui  peu  de  mois 
provenaient  de  la  succession  du  fondateur,  Louis 
de  Pernon,  à  qui  avait  été  cédée  une  portion  du 
terrain  par  l'avocat  Legouvé,  en  1768,  et  qui 
avait  pris  le  reste  de  l'architecte  Louis  Signy. 
Comme  ce  dernier  n'était  en  possession  que  pour 
99  années,  une  moitié  environ  du  .jardin  sera 
reprise  en  1867  ou  1868  par  le  Domaine,  substitué 
aux  pères  mathurins,  qui  avaient  consenti  l'em- 
phytéose. 

Ledit  Legouvé,  dont  le  fils  a  écrit  le  Mérite 
des  femmes  et  le  petit-fils  de  grands  pièces  de 
théâtre,  a  lui-même  essayé  de  se  faire  auteur 
dramatique.  De  lui  reste  imprimée  une  tragédie 
di'AuiUe,  qui  n'a  pas  été  représentée. 

L'auteur  à^Attilie  était  aussi  propriétaire,  mais 
conjointement  avec  le  baron  de  Thun,  ministre 
de  Wurtemberg,  d'un  terrain  contigu  à  celui  de 
l'hôtel  de  Pernon,  sous  la  censive  de  Saint-Denis- 
de-la-Châtre,  et  qui  avait  appartenu  peu  de  temps 
après  la  mort  de  Louis  XIV  à  Claude  de  Prat, 
seigneur  de  Plainville.  M.  Legouvé  y  eut  pour 
acquéreur,  en  1769,  un  secrétaire  du  roi,  qui  se  nom- 
mait Boucher  de  Saint-Martin,  aux  dépens  de 
qui  s'éleva  une  petite-maison,  dont  la  clef  s'afferma 
à  Bouret  de  Vézelai,  le  fermier-général  ;  M">«  Boucher 
de  Saint  Martin  accommoda  ensuite  de  la  propriété 
l'abbé  Berlin  et  son  frère,  lesquels  eurent  à  leur 
tour  pour  successeur  M.  de  Mallet,  oificier  de 
cavalerie,  fils  ou  neveu  du  président  Mallet,  qui 
avait  figuré  parmi  les  anciens  possesseurs  du  terrain 
avec  M""=  Quarante.  En  1791,  M.  de  Mallet  trans- 
portait cet  immeuble  à  une  famille  financière  du 
même  nom,  qui  ne  tenait  nullement  à  la  sienne. 
Les  aînés  de  ces  barons  Mallet  qui,  de  nos  jours 


170  RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN. 

encore,  y  dirigent  une  maison  de  banque  consi- 
dérable, sont  justement  nés  sous  ce  toit  ;  ils  ont 
fait  leur  salle-ù-manger  d'une  pièce  consacrée 
par  leurs  prédécesseurs  à  un  petit  musée  chinois. 
Aussi  bien  de  l'hôtel  Necker  aurait  dépendu, 
nous  dit-on,  la  maison  adjacente,  qui  se  replie 
sur  la  rue  Neuve-des-Mathurins  ;  d'autres  personnes 
prétendent  que  sa  construction  remonte  à  1766  et 
en  font  honneur  à  M"'^  Duthé  :  elle  appartient,  dans 
tous  les  cas,  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  à  la 
famille  d'Érard,  le  facteur  de  pianos. 

On  traitait  le  24  d'hôtel  Quéveron,  Louis  XVI 
régnant,  et  M.  Février  disposait  de  la  maison 
d'après.  Celle-ci,  refaite  plus  tard  par  le  baron 
Méchin,  qui  voulait  y  ouvrir  un  passage  débou- 
chant sur  la  rue  du  Helder,  mais  dont  l'intention 
ne  se  réalisa  pas,  a  été  depuis  pour  M,  Mirés 
un  pur  et  simple  placement.  Voyez  dans  la  maison 
d'ensuite,  aux  allures  aristocratiques  et  qui  ne 
manque  pas  de  profondeur,  l'ancienne  demeure  de 
Clodion  :  il  y  avait  son  atelier,  d'où  sont  sorties 
de  ravissantes  terres-cuites,  pour  se  distribuer 
dans  le  monde  élégant.  Qu'était-ce  encore  que 
le  32  ?  un  hôtel  à  trois  corps,  répondant  au  nom 
de  Montigny,  et  dont  M.  Sartoris,  le  banquier,  a 
laissé  une  portion  à  la  marquise  de  l'Aigle,  sa 
tille.  M.  de  Fontanes,  ce  grand-maître  de  l'Université 
qui  avait  fait  refleurir  les  études,  s'est  éteint  au 
36  en  1821. 

Ces  constructions  de  l'autre  siècle  ont,  en 
général,  des  vis-à-vis  de  celui-ci  ;  néanmoins 
Ethis  de  Coray  était  alors  chez  lui  au  31,  et 
nous  retrouverions  dans  le  plus  ancien  des 
bâtiments  multiples  du  27  bis  le  domicile  d'un 
gentilhomme  breton,  M.  de  Lavau  de  Pansemont, 
président  du  conseil  des  Anciens,  qui  avait 
commencé  par  faire  la  guerre  d'Amérique.  Tra- 
ditions nouvelles  poui-  l'historiographie,  mais  trop 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN.  171 

bourgeoises  pour  ne  pas  s'effacer    devant   celles 
qui  appartiennent  également  à  l'Histoire  ! 

En  1791,  le  2  avril,  le  peuple  obstrue  les 
abords  de  la  rue  ;  l'orateur  vient  de  mourir 
dont  la  vie  politique  s'explique  honnêtement  par 
cette  confession  suprême  :  —  J'ai  voulu  guérir  les 
Français  de  la  superstition  de  la  monarchie  et  y 
substituer  son  culte....  Ainsi  a  parlé  Mirabeau  qui, 
à  l'article  de  la  mort,  n'a  voulu  se  réconcilier 
qu'avec  le  prince  de  Talleyrand.  —  S'il  a  expiré, 
crie  la  foule,  c'est  que  la  cour  l'a  fait  empoi- 
sonner!... Ainsi  le  peuple  compte  pour  rien  les 
fatigues  incessantes  de  la  vie  qui  vient  de 
s'éteindre  ;  mais  il  en  gronde  comme  un  orage 
posthume,  après  tous  ceux  qu'elle  a  bravés, 
essuyés,  couvés,  déchaînés.  Quelle  consternation 
et  quels  regrets  !  Il  y  a  unanimité  plus  qu'en  toute 
autre  des  manifestations  de  la  douleur  ou  de  la 
colère  publique.  Les  théâtres  se  ferment,  l'Assem- 
blée nationale  arrête  que  tous  ses  membres  assis- 
teront aux  obsèques  du  grand  homme,  et  la 
Nation,  pour  recevoir  ses  cendres,  improvise  le 
Panthéon  !  Rien  ne  manque  h.  l'apothéose. 

Le  lendemain  de  la  cérémonie,  la  rue  où 
l'orateur  a  cessé  de  vivre  est  proclamée  la  sienne, 
rue  Mirabeau  :  dénomination  d'un  jour,  mais  qui 
paraît  aussi  celle  de  l'avenir.  Puis  sur  une  table 
de  marbre  noir  s'inscrit,  sur  le  devant  de  sa  maison, 
un  distique  de  Chênier  : 

L'âme  de  Mirabeau   s'exhala  dans   ces  lieux  ! 
Hommes  libres,  pleurez  I   tyrans,   baissez  les  yeux  I 

Ces  vers  ont  disparu,  dès  1793,  et  la  maison, 
dont  le  grand  orateur  avait  payé  à  M""'  Talma 
2,400  francs  de  loyer,  n'est  pas  démolie  ;  elle 
n'a  que  changé  de  face  en  1843.  C'est  n"  46  : 
on  y  revoit  une  cheminée,  style  Louis  XVI,  du 
cabinet  de  Mirabeau. 


172  RUE  DE  LA  CHAUSSÉE-D'ANTIN. 

L'hôtel  Moiitesson,  que  nous  rapportons  à  la  rue  de 
Provence,  comptait  pourtant  dans  celle  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  qui  finissait  par  celui  de  Montfermeil. 
M""®  de  Montesson,  veuve  d'un  lieutenant-général, 
épousa  en  secondes  noces  secrètement,  mais  avec 
l'agrément  tacite  du  roi,  le  duc  d'Orléans.  Des 
dépendances  de  sa  maison  faisait  partie  un  théâtre 
privé,  inauguré  en  1763  et  où  le  prince  ne 
fut  pas  sans  jouer  des  rôles.  M°*  de  Genlis, 
nièce  de  M""'  de  Montesson,  prit  la  direction  de 
ce  spectacle  et  y  lit  débuter  ses  filles,  très-jeunes 
encore.  Quand  le  duc  d'Orléans  ferma  les  yeux, 
sa  mort  fut  attribuée  à  la  maladresse  d'un 
médecin  ;  mais  la  gastronomie  y  devait  être  pour 
quelque  chose.  Une  fois,  ce  gros  mangeur  n'avait- 
il  pas  expédié,  dans  le  même  repas,  27  ailes  de 
perdreaux?  L'hôtel  où  M""'  de  Montesson  rendait 
le  dernier  soupir  en  1806  passa  au  fournisseur 
Ouvrard,  puis  au  banquier  Michel. 

Après  avoir  payé  notre  tribut,  en  passant,  à  de 
tels  souvenirs,  nous  sentons  bien  que,  par  compa- 
raison, l'intérêt  pâlira  des  recherches  relatives  au 
SO,  dont  un  bas  d'escalier,  décoré  d'une  galerie 
de  balustres,  fait  toutefois  plaisir  à  rencontrer. 
Un  bon  bourgeois,  M.  Delore,  en  a  gratifié  ses 
pénates  peu  après  la  mort  de  Louis  XV;  M'"*'  Caubert, 
propriétaire  actuelle,   est  une  nièce  de  Delore. 

Régnait  un  pont  sur  l'égout  de  la  ville  à  la 
hauteur  de  la  rue  de  Provence,  d'après  le  plan 
de  1739;  on  l'appelait  pont  de  l'Hôtel-Dieu,  et 
la  môme  dénomination  en  ce  temps-là  se  donnait 
à  la  voie,  parce  qu'elle  touchait  h  une  ferme  dont 
jouissait  ledit  hôpital.  Quel  nom,  d'ailleurs,  n'a 
pas  porté  la  rue,  qu'habitent  aujourd'hui  les  femmes 
qui,  de  cette  ville  capricieuse,  changent  le  plus 
souvent  de  toilettes  !  A  la  fin  du  xvn«  siècle  on 
a  dit  :  Chemin  des  Porcherons,  de  l'Égout-de- 
Gaillon,    de    la    Chaussée-de-Gaillou.  Puis,  avant 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN.  173 

qu'un  arrêt  du  conseil  ait  prescrit,  en  1720,  le 
redressement  de  la  voie  prolongée  jusqu'à  la 
barrière  des  Porcherons,  on  l'a  bacliiquement  qua- 
lifiée de  la  Grande-Pinte,  eu  égard  à  l'enseigne 
de  ce  même  cabaret  qu'a  tenu  plus  tard  Ramponneau. 

A  gauche,  en  vue  de  la  rue  de  Provence,  bOus 
laquelle  se  cachait  l'ancien  égout,  l'orientaliste 
Anquetil,  membre  de  l'académie  des  Inscriptions 
et  frère  de  l'historien,  vivait  durant  le  ministère 
Necker.  Sur  la  même  rangée,  un  peu  plus  haut, 
le  marquis  Barthélémy,  sénateur  du  premier  empire, 
eut  son  hôlel  :  il  avait  été  l'un  des  directeurs  de 
la  République  et  devint  pair-de  France.  Du  temps 
d'Anquetil,  aussi  près  de  lui,  mais  plus  bas,  une  cour- 
tisane étalait  force  luxe  ;  c'était  M""'  de  Bonneuil, 
qui  se  donna  par  caprice  à  Mirabeau  pour  un  sac 
de  marrons  grillés  de  chez  Benoît,  au  Palais- 
Royal,  mais  qui  coûta  les  yeux  de  la  tête  à  d'autres. 
Quand  cette  Bonneuil  supplanta  la  D"^'  Renard  dans 
l'amour  de  Sartines,  fils  du  ministre,  ce  prodigue 
avait  commandé  pour  la  maîtresse  distancée  une 
voiture  livrée  à  la  nouvelle,  qui  la  fit  décorer 
d'un  écusson  h  ces  armes  parlantes  :  un^  renard 
éventré,  surmonté  d'un  œil  couronné. 

Les  possessions  de  l'Hôtel-Dieu  en  notre  rue 
étaient  ainsi  désignées  sur  un  titre  de   1700  : 

«  1»  maison  aux  Porcherons,  tenant  au  château  du 
Coq,  propriété  de  M.  Lecoq,  et  au  chemin  de  la  porte 
Saint-Honoré  à  Clichy,  dit  pont  ou  chaussée  de  l'Hôlel- 
Dieu,  aboutissant  au  chemin  qui  va  du  Roule  à  Saint- 
Laureat  et  aux  égouts  de  Paris. 

2»  2  arpens  1/-2,  tenant  d'un  côté  aux  dits  égouts, 
d'autre  aux  Mathurins,  d'en  haut  au  chemin  de  Clichy, 
par  bas  auxdits    Mathurins.  » 

Les  gouverneurs  et  administrateurs  de  l'Hôtel- 
Dieu  étaient  alors  : 


174  RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN. 

0  René  Accard,  conseiller  du  Roy,  substitut  du  pro- 
cureur-général, Jean  Petitpied,  éciiyer,  secrétaire  des 
finances  ;  Henri  Herlan,  cooseiller  du  roi  en  l'Hostel 
de  cette  Ville,  ancien  écheviu  ;  Pierre  de  Stricky,  con- 
seiller du  roi,  substitut  du  procureur-général,  et  Michel 
de  Bourges,  écuyer,  conseiller  du  Roy,  trésorier  de 
France  au  bureau  des  finances  de  la  Généralité  de 
Paris.  » 

Sur  la  ligne  opposée,  en  l'année  1738,  la  ruelle 
des  Marais,  rue  actuelle  de  la  Victoire,  débouchait 
entre  1  arpent  i;2,  au  sieur  Bourgeois,  et  une 
maison,  avec  jardin,  oùGraudhomme,  maître-maçon, 
précédait  Ruelle.  Ensuite  se  présentait  le  marais 
des  héritiers  Lefévre,  un  autre  au  sieur  Loisnes 
et  puis  notre  rue  Saint-Lazare. 

L'acquéreur  de  Ruelle  fut  M.  Leriche  de 
la  Popelinière,  l'un  des  fermiers-généraux  du  roi. 
Double  était  sa  propriété  en  1747  ;  une  porte  de 
communication  en  séparait  ou  en  reliait  à  volonté 
les  deux  moitiés,  dont  l'une  avait  comme  l'autre 
sa  maison,  son  jardin  et  son  entrée.  La  totalité  confi- 
nait latéralement  h  la  rue  des  Marais  et  au  terrain  des 
héritiers  Lefèvre,  par-derrière  à  la  propriété  Coypel 
et  par-devant  à  la  chaussée  de  la  Grande-Pinte 
ou  d'Antin.  Au  pavillon  de  gauche  se  réservait 
la  spécialité  des  parties  fines  ;  celui  de  droite 
avait,  au  contraire,  une  destination  littéraire  :  ici 
une  bibliothèque  et  tout  ce  qu'il  fallait  pour  écrire, 
là  ce  qu'on  faisait  de  mieux  était  encore  de  bou- 
quiner à  la  façon  des  lièvres.  La  Popelinière, 
quoique  financier,  se  piquait  de  bel-esprit  ;  il  s'est 
essayé  dans  la  chanson,  la  comédie  et  le  roman. 
De  lui  s'est  imprimé  un  livre  de  débauche,  les 
Mœurs  du  Siècle  ;  mais  il  n'en  a  tiré  que  très-peu 
d'exemplaires,  sa  réputation  de  paillard  étant  déjà 
des  mieux  établies.  Il  en  figurait  un  dans  l'inven- 
taire de  la  succession  de  l'auteur  ;  la  rareté  et 
les  figures  y  ajoutaient  un  si  grand    prix    qu'un 


RUE  DE  LA  CHAUSSEE-DANTIN.  175 

commissaire  avait  empêché,  dans  l'intérêt  des  autres 
héritiers,  M"«  de  Vandi  de  jeter  au  feu,  avec  in- 
dignation, ce  chef-d'œuvre  de  polissonnerie.  Le 
lieutenant-de- police,  averti,  en  réféia  à  M.  de  Saint- 
Florentin,  et  l'ordre  s'expédia  bientôt  de  s'emparer 
du  maudit  livre,  au  nom  du  roi. 

N'avait-il  pas  été  écrit  au  n°  62,  qui  nous 
représente  au  moins  l'un  des  deux  pavillons  du 
fermier-général  ?  Cette  maison,  à  notre  connaissance, 
s'est  surélevée  de  deux  étages,  en  même  temps 
qu'on  remplaçait  par  une  porte  en  chêne  la  grille 
qui  le  mettait  à  jour.  Maison  de  verre  dont  le 
sage  fut  quelque  temps  M'""  Joséphine  de  Beau- 
harnais  et  plus  tard  le  général  Foy,  qui  y  mourut 
en  1825.  Cette  fois  encore  des  questions  brûlantes 
menaient,  pour  ainsi  dire,  le  deuil  :  les  formidables 
manifestations  qui  se  produisirent  aux  funérailles 
du  plus  éloquent  avocat  de  la  cause  du  libéralisme 
ne  hrent  malheureusement  reculer  que  pour  peu 
d'années  la  contre-révolution  devant  l'abîme  qu'elle 
avait  pu  mesurer.  Le  moyen  de  douter  que  la 
France  fût  centre-gauche  !  L'àme  ardente  du  soldat 
que  le  patriotisme  avait  fait  éci-ivain  et  orateur, 
planait  encore  et  remplissait  l'air  de  promesses, 
où  la  cour  ne  voyait  que  des  menaces.  Pendant 
que  la  Chambre  se  disposait  à  jouer  de  nouveau, 
mais  avec  un  peu  plus  de  calme,  celte  partie  de 
boslon  interminable  où  se  gagne  et  se  perd  une 
majorité,  la  galerie,  c'est-à  dire  la  France,  pour 
laquelle  tenaient  les  cartes  Royer-Collard  et  Casimir 
Périer,  ouvrait  et  remplissait  une  souscription 
nationale  pour  ériger  en  monument  la  tombe  du 
•général  Foy   et    offrir  un  million  ii    ses  enfants. 

L'autre  pavillon  de  La  Popelinière  n'est-il  pas 
deux  maisons  plus  haut?  Nous  y  reconnaissons  de 
moins  ancienne  date  le  domicile  mortuaire  du  comte 
Roy,  ancien  ministre  des  finances.  M"""  de  Tal- 
houet  et  de  Lariboisière,  ses  filles,  ont  vendu  à 


176  RUE  DE  LA  CHAUSSEE-D'ANTIN. 

M.  Bonnard,  pour  y  foncier  un  comptoir  financier 
d'une  importance  peu  commune,  ce  qu'on  a  appelé 
le  grand  hôtel  Roy.  C'en  est  fait  du  petit  hôtel  de 
la  même  portée  ;  mais  quelque  chose  reste  du 
jardin,  qui  était  indivis  lors  même  que  M.  Roy 
avait  acheté  de  Charles  Geyler,  le  20  frimaire 
an  xn. 

Trois  petits  hôtels,  53,  55  et  57,  bâtis  depuis 
un  peu  moins  d'un  siècle  sur  le  territoire  de 
l'Hôtel-Dieu,  se  ressemblaient  comme  des  frères 
jumeaux  ;  mais  leur  air  de  famille  se  perd  depuis 
que  M  le  président  Benoit-Ghampi  a  fait  exhausser 
le  premier. 

Au  70  enfin  revient  notre  dernière  visite  ;  aussi 
bien  la  rue  s'y  termine  et  au  même  point  s'est 
tenue  la  barrière  des  Petits-Porcherons.  C'est  l'an- 
cien hôtel  Montfermeil,  refait  pour  le  cardinal  Fesch, 
oncle  maternel  de  Napoléon  P''.  La  chapelle  en  était 
naguère  un  gymnase  où  les  deux  sexes  prenaient 
alternativement  des  leçons  d'agilité,  dans  une 
maison  contiguë  ouvrant  sur  la  rue  Saint-Lazare. 
Après  avoir  été,  à  la  suite  de  son  neveu,  com- 
missaire des  guerres  en  Toscane,  Fesch  a  repris 
l'habit  ecclésiastique  à  la  faveur  du  concordat  ; 
bien  que  nommé  archevêque  de  Lyon,  il  a 
conservé  cet  hôtel,  officiellement  élevé  au  rang 
de  palais.  Élu  en  1810  président  du  concile  de 
Paris,  le  prélat  n'a  pas  craint  de  combattre  les 
mesures  de  violence  exercées  par  l'empereur  sur 
le  Saint-Père  à  cette  époque  ;  une  demi-disgrâce 
en  a  été  la  conséquence  et  a  duré  jusqu'aux 
Cent-Jours.  Napoléon,  voyant  reparaître  le  cardinal 
Fesch  en  compagnie  de  M'^^  Lœtitia  Bonaparte, 
a  mis  de  côté  toute  rancune  pour  embrasser  son 
oncle   et  le  créer  pair. 


Rue  du  Cherehc-Midi.   (ij 


Les  Prémontrés.  —  Un  bâtiment  élevé  sans 
retraite  sur  la  rue  et  en  très-bon  état  encore, 
que  décorent  sobrement  quelques  festons  de  pierre 
et  dont  un  chantier  de  bois  à  brûler  occupe  la 
cour,  est  numéroté  4.  Voyons-y  l'ancien  couvent 
des  prémontrés  de  Sainte-Anne,  dits  aussi  de  la 
Croix-Rouge  et  les  prémontrés  réformés,  établis 
l'année  même  où  mourut  Mazarin  et  patronnés 
par  la  reine  Anne.  Au  temps  de  la  campagne 
d'Egypte,  la  marquise  de  Saint-Simon  habitait 
le  premier  étage  de  cette  maison.  Au-dessous 
d'elle  demeurait  Blangini,  avec  sa  femme  et  six 
enfants,  petits  prodiges  ;  cette  famille  donnait 
des  concerts.  La  marquise  produisit  dans  le 
monde  l'artiste,  jusque-là  peu  connu,  dont  elle 
commençait  la  fortune,  car  il  ne  tarda  pas  h 
devenir  fort  à  la  mode.  La  princesse  Pauline 
Borghèse,  sœur  de  Napoléon  L',  à  laquelle  Blangini 
dédia  une  ou  plusieurs  de  ses  compositions,  daigna 
faire  souvent  pour  lui,  tout  éveillé,  le  sacrifice 
consommé  une  seule  fois  par  Marguerite  d'Ecosse, 
femme  de  Louis  XI,  en  faveur  d'un  poëte  qui 
dormait,  Alain  Chartier. 

iV**  5  :  —  construction  à  porte  cintrée,  de  l'époque 


(1)  Notice  écrite  en  ]858.  Les  flancs  de  la  rue  du 
Cherche-Midi  ne  s'étaient  encore  prêtés  ni  à  1  élargis- 
sement du  carrefour  de  la  Croix-Rouge,  ni  au  prolon- 
gement de  la  rue  Sainte-Placide  et  de  la  rue  des  Missions 
(naguère  Sainl-Maur),  ni  à  la  formation  de  la  rue 
BérUte. 


178  RUE  DU  CHERCHE-MIDI. 

OÙ  elle  ne  pouvait  manquer  d'enseigne,  payant 
maintenant  ses  termes  de  loyers  à  M.  Labric, 
médecin  de  l'hospice  des  Petits-Ménages.  C'est 
rimage-Saint-Nicolas  quand  Toussine  Marigny  la 
cède  h  Jean  Marie!,  en  l'année  1694  ;  puis  un 
boucher  y  l'ait  étal,  après  quoi  elle  est  occupée 
par  Bullion,  marquis  de  Gallardon,  conseiller 
du  roi,  garde  à  la  prévôté  ;  Claude  Le  Roy, 
écuyer,  en  fait  l'acquisition  et  la  revend  en  1726, 
avec  deux  maisons  donnant  aussi  en  face  des 
Prémontrés,  moyennant  200,000  livres,  à  Peyrenc 
de  Moras,  conseiller  du  roi,  maître-des-requêtes 
de  son  hôtel.  La  première  est  occupée,  douze  ans 
ans  après,  par  le  marquis  de  Parabère  ;  la  seconde 
et  la  troisième,  par  M.  de  Monthulé,  conseiller 
au  parlement,  et  alors  elles,  touchent  d'une  part 
à  l'encoignure  de  la  rue  du  Vieux-Colombier,  où 
est  établi  le  maître-maréchal  Élie,  d'autre  part  à 
une  maison  au  baron  de  Montmorency. 

M.  de  Monthulé.  —  Il  parait  avoir  acquis  les 
deux  siennes  des  légataires  ou  héritiers  de  la 
comtesse  de  Vérue,  lesquels  n'étaient  guères  qu'un 
membre  de  la  famille  Mailly  et  un  de  la  famille 
Bournonville,  tous  les  autres,  c'est-à-dire  le  prince 
d'Albert  de  Grimberghen,  la  duchesse  de  Duras, 
le  duc  de  Chaulnes,  la  marquise  de  Goutfier,  la 
marquise  de  Foissac  et  la  comtesse  de  Sassenage 
ayant  renoncé  à  la  succession  de  leurdite  tante 
ou  sœur. 

Les  Ratabon.  —  M"'*'  de  Vérue  a  donné  elle- 
même,  en  1719,  de  trois  maisons  tournant  le  dos 
à  un  couvent  de  la  rue  Cassette,  137,250  livres 
à  l'évêque  et  comte  de  Viviers  et  à  la  comtesse 
de  Crécy,  héritiers  de  leur  neveu,  Martin  Ratabon, 
dont  le  père  y  avait  fait  bâtir.  Mais  ce  n'était 
pas  un  ti  iolet,  c'était  une  demi-douzaine  de  maisons 
ou  de  places  pour  en  édifier,  aboutissant  par-derrière 
au  Saint-Sacrement,  que  Ratabon  d'Herval,  maître- 


RUE  DU  CHERCHE-MIDI.  179 

d'hôtel  du  roi,  avait  cédées  en  1686  à  Louis  de 
Ratabon,  ambassadeui'  en  Italie.  M""'  d'Hcrval,  sœur 
de  M.  de  Bretonviiliers,  était  belle,  sage  et  au- 
monière  ;  elle  n'a  fermé  les  yeux  que  sous  la 
Régence,  dans  un  établissement  religieux.  Louis 
de  Ratal3on  a  vendu  en  169:î  et  1693  à  la  duchesse 
douairière  de  Mecklembourg,  veuve  de  Louis 
Ghétien,  duc  souverain,  deux  de  ces  propriétés  à 
jardins. 

N"9  :  —  anciennes  écuries  d'un  hôlel  de  Montmo- 
rency, que  nous  reconnaîtrons  un  peu  plus  haut. 
Un  M  entrelacé  figure  aux  grilles  des  croisées  ; 
mais  il  est  possible  que  ce  chifiVc  se  rapporte  à 
une  famille  du  Maine,  celle  du  marquis  de  Montecler, 
qui  a  joui  de  cette  résidence.  Le  présent  déten- 
teur, qui  d'ailleurs  n'habite  pas  Paris,  s'appelle 
M.  Maillé-Saint-Prix  ;  le  hasard  fait  donc  que  la 
lettre  majuscule  en  fer  battu  se  trouve  encore 
une  initiale  de  circonstance.  La  maison  ou  le 
terrain  n'en  a  pas  moins  appartenu  à  un  ou  h 
plusieurs  des   Ratabon. 

Les  Députés  cV Artois.  —  Le  fer  aussi  décrit, 
n°  il,  des  verticilles  magnifiques,  rampe  d'un 
escalier  qu'ont  gravi  les  députés  d'Artois,  ayant 
là  leur  maison  de  ville,  puis  des  Sully-Gharost  et 
plus  récemment  le  comte  de  Nicolaï,  antérieur 
à  M.  Cherrier,  propriétaire  actuel. 

Les  Dames  du  Saint-Sacreynent  —  Nous  lisons 
dans  les  notes  prises  par  M.  Rousseau,  pour  les 
besoins  du  présent  recueil,  que  l'immeuble  con- 
sidérable n"  13  est  réputé  d'origine  conventuelle  ; 
notre  envoyé  toutefois  garde  des  doutes  à  cet  égard, 
car  il  a  cru  s'apercevoir  de  la  médiocrité  des 
matériaux  qu'on  y  a  employés  à  la  construction 
d'un  des  corps-de-logis  qui  remontent  aux  siècles 
précédents.  Et  le  fait  est  qu'il  sied  à  la  religion 
de  bâtir  même  en  vue  de  l'éternité  !  N'en  déplaise 
à  M.  Rousseau,  les  religieuses  du    Saint-Sacre- 


180  RUE  DU  CHERCHE-MIDI. 

ment  possédaient  un  hôtel  rue  du  Cherche-Midi  ; 
M'"^  de  Voysin,  femme  d'un  conseiller  d'État,  en 
payait  le  loyer  2,500  livres  pour  chacune  des  der- 
nières ann^^-es  du  règne  de  Louis  XIV.  L'immeuble 
touche  encore  par-derrière  à  des  jardins  de  la  rue 
Cassette  qui  ont  appartenu  aux  mêmes  dames. 
L'ancien  séjour  de  M"'"  de  Voysin  a  été  récemment 
légué  il  M™«  la  comtesse  Hullin  par  le  général 
du  même  nom, 

^^"14.  —  Il  a  dû  appartenir  aux  prémontrés. 
De  belle  rampes  s'y  étagent,  de  style  Louis  XIV. 

Hôtel  Montmorency.  —  Il  s'en  est  détaché,  n"  15, 
comme  une  galerie  ;  on  y  retrouve  aussi  des  degrés 
reliés  par  une  belle  balustrade.  C'est  justement  en 
regard  des  Prémonlrés  qu'un  plan  manuscrit,  accolé 
en  1713  au  Terrier  de  Saint-Germain-des-Près, 
marque  un  hôtel  Montmorency,  vis-à-vis  des  Pré- 
montrés. Mais  les  descendants  des  premiers  barons 
de  France  ont  eu  dans  notre  rue  plus  de  deux 
propriétés.  Antoine  Chaumont  y  prenait  de  Sigis- 
mond  de  Montmorency,  pour  200,000  livres,  l'hôtel 
Châtillon,  le  10  avril  1720,  et  M»""  de  Viviers  n'avait 
reçu  auparavant  du  comte  de  Châtillon  que  72,600 
livres  pour  l'une  de  ses  maisons.  Ce  n'était  plus 
le  duc  de  Montmorency-Luxembourg,  époux  d'une 
Châtillon  ;  mais  c'était  un  comte  de  Montmorency 
qui  habitait  encore  la  rue  en  1752  et  qui,  de  plus, 
y  achetait  du  bourgeois  Petit,  du  marchand  de 
vins  Delahaye  et  du  mercier  Mahon,  tous  trois- 
syndics  des  créanciers  de  Caillou,  une  maison  à 
porte  cochère  et  séparée  de  la  rue  de  Bagneux 
par  une  autre  maison  audit  Caillou.  Passagèrement 
on  fit  de  l'hôtel  Montmorency  proprement  dit  une 
maison  d'éducation,   sous  la  République. 

N°H1  et  18.  —  Qui  songe  à  s'étonner  que  des 
hôtels  soient  occupés  par  des  peintres  dont  les 
toiles  s'étalent  dans  des  palais  ?  C'est  l'exception, 
que  n'est-ce  la  règle!  M.  Duval-Lecamus a  surélevé 


RUE  DU  CHERCHE-MIDI.  181 

d'un  atelier  d'artiste  une  habitation  de  gentilhomme, 
dans  laquelle  est  mort  le  baron  Le  Mercier,  gendre 
du  maréchal  Jourdan,  sur  la  rive  gauche  de  la 
rue  du  Cherche-Midi.  Sur  la  droite,  M.  Mailand, 
confrère  de  Duval-Lecamus,  s'est  accommodé,  pour 
un  temps,  d'une  propriété  échue  aux  hospices, 
mais  aussi  bien  née  que  l'autre  sous  Louis  XVI, 
puis  hôtel  de  Lambrechts,  ministre  dQ  la  Justice 
sous  le  Directoire  et  député  sous  la  Restauration. 

Le  Cherche- Midi.  —  Qu'un  rendez-vous  nous  soit 
à  charge,  et  que  l'heure  prise  en  soit  midi,  nous 
cherchons  tous  midi  à  quatorze  heures.  Une  en- 
seigne, qu'avait  inspirée  cette  vérité,  a  valu  son 
nom  à  la  rue,  dite  aussi  Ghasse-Midi  et  partiellement 
des  Vieilles-Tuileries,  du  Petit-Vaugirard.  0  bonne 
fortune  !  voici  l'enseigne,  médaillon  en  pierre  d'un 
moiule  voyant,  sur  la  façade  du  19.  La  vente 
s'est  opérée  en  1736  de  la  maison  et  d'une  brasseiie, 
à  cette  chère  image  du  Cherche-Midi,  par  -Jacques- 
Etienne  Cousin,  brasseur,  à  Françoise  Fourcroy, 
veuve  d'Etienne  Cousin,  autre  brasseur,  moyennant 
12,000  livres.  Le  bâtiment  fit  d'abord  corps 
avec  ceux  d'un  couvent  dont  la  chapelle,  dédiée 
à  saint  Joseph,  était  au  21,  la  porte  principale 
au  23.  Or  des  religieuses  auguslines  de  la  con- 
grégation de  Notre-Dame  s'installèrent  là,  en  1634, 
sur  un  terrain  acquis  du  sieur  Barbier  ;  puis,  de 
1669  à  1790,  ce  fut  le  prieuré  des  bénédictmes 
de  Notre-Dame-de-Consolation,  dont  la  ci-devant 
propriété  se  vendit  par  lots  de  l'an  vi  à  l'an  vin 
et  servit  à  la  formation  de  la  rue  d'Assas. 

Écoles  nationales  de  la  Rue  du  Cherche-Midi. 
—  Elles  s'ouvrirent,  vers  l'année  1786,  soit  à  l'ancien 
hôtel  Montmorency,  soit  au  n"31,  qui  fut  pour  le 
moins  une  pension  déjeunes  gens,  tenue  sur  le  pied 
militaire,  pendant  la  première  république. 

M'^^  de  Vérue.  —  Cette  charmante  comtesse 
n'avait  quitté  Turin  pour  revenir  en  France  qu'avec 

n 


18i  RUE  DU  CHERCHE-MIDI. 

une  place  retenue  dans  un  couvent  ;  puis  elle  avait 
reparu  dans  le  monde,  pour  y  tenir  un  grand  état* 
Elle  n'était  princesse  que  de  la  main  gauche  et 
n'avait  perdu  dans  son  mari,  qui  avait  péri  à 
la  bataille  d'Hochstet,  qu'un  inspecteur-général  de 
la  cavalerie  ;  mais  elle  était  née  Jeanne- Baptiste 
d'Albert,  fille  du  duc  de  Luynes.  On  admirait  à 
l'hôtel  de  Vérue,  dont  les  dépendances  s'étendaient 
aussi  rue  du  Regard,  des  tableaux  de  maîtres 
tlamands,  un  mobilier  splendide,  une  volière  peuplée 
d'oiseaux  rares,  un  écrin  digne  d'une  reine.  Et 
quels  soupers  la  comtesse  y  donnait  !  Après'  elle, 
ce  lut  l'hôtel  de  Toulouse,  dont  M.  de  Scarnasis, 
ambassadeur  de  Sardaigne,  occupa  au  moins 
la  moitié.  Les  Conseils  de  guerre,  y  siègent 
à-présent. 

Le  Bon-Pasteur,  communauté  fondée  par  une 
protestante  convertie.  M"""  de  Combé,  dans  la 
maison  d'un  calviniste  que  la  révocation  del'Édit 
de  Nantes  avait  poussé  à  s'expatrier,  accueillait 
des  filles  repentantes,  qui  entraient  et  se  retiraient 
à  volonté.  Affecté  d'abord  à  la  maimlention  des 
vivres  militaires,  cet  ancien  monastère  qui  tait  vis- 
à-vis  au  palais-de-justice  de  l'armée  de  Paris  est 
devenu   prison  de  la  même  juridiction. 

Plua  haut  à  droite.  —  Quatre  OU  cinq  hôtels 
y  paraissent  dater  de  la  seconde  moitié  du  xvni^ 
siècle  Nous  les  trouvons  encore  un  peu  jeunes  pour 
pour  affirmer  qu'il  s'en  équipa  deux  pour  le 
maréchal  de  Brancas,  marquis  de  Séreste,  qui 
servit  sur  mer  et  sur  terre.  Mais  s'il  n'a  pas 
jeté  l'ancre  à  ce  degré  de  latitude,  c'est  plus 
bas.  Le  40  abrita  bien  le  comte  de  Rochambeau  et 
son  fils,  dont  la  belle  carrière  militaire  commença 
aux  États-Unis!  La  maison  qui  suit  fut  le  chef- 
lieu  du  district,  section  du  Bonnet-Rouge. 
Le  44,  qui  se  trouvait  le  n^S  de  la  rue  des 
Vieilles-Tuileries,  réunie  en  1832  à  celle  du  Cherche- 


RUE  DU  CHERCHE -MIDI.  183 

Midi,  fut  bâti  en  1770  pour  la  bisaïeule  de  la 
détentrice  actuelle.  La  première  propriétaire  avait 
pour  gendres  Moreton  de  Chabrillan  et  Courtemer, 
tous  deux  aides-de-camp  de  Lafayette  lorsque  ce 
député  à  l'Assemblée-Nationale  était  commandant 
de  la  garde  nationale.  L'arrière-corps-de-logis  fut 
habité  par  le  comte  Garât,  sénateur  et  membre 
de  deux  sections  de  l'Institut,  qui  avait  eu  à 
notifier  à  Louis  XVI  son  arrêt  de  mort,  en  qualité 
de  successeur  de  Danion  au  ministère  de  la  Ju-tice. 
La  C/Omtesse  Lacoste,  femme  d'un  député  du  premier 
empire,  demeura  sous  le  même  toit.  L'abbé  Grégoire 
y  prit  également  domicile.  Ce  député  jacobin,  que 
l'empereur  travestit  aussi  en  sénateur,  avait  prêté 
serment  l'un  des  premiers  à  la  constitution  civile 
du  clergé,  comme  évêque  de  Blois.  Néanmoins  le 
cardinal  Fesch,  désirant  qu'il  rendît  une  visite  à 
Pie  VII,  lors  du  séjour  forcé  de  ce  pape  à  Paris, 
dépêcha  des  prêtres  chargés  de  conseiller  à  Grégoire 
cette  démarche.  Les  ambassadeurs  l'abordèrent  en 
l'appelant  :  Monsieur  le  sénateur  ;  mais  il  commença 
parleur  dire  :  —  Je  n'y  suis  pas,  messieurs,  comme 
sénateur  ;  l'évêque  seulement  veut  bien  vous  rece- 
voir     Ce    début    de   l'ancien  curé  et  tout  ce 

qu'il  dit  h  la  suite  faisaient  bien  craindre  qu'il 
mourût  dans  l'impénitence  finale,  et  l'appréhension 
s'en  justifia  le  28  avril  1834.  Mais,  l'archevêque 
de  Paris  refusant  à  son  tour  les  prières  de  l'Église 
au  mort,  le  peuple  protesta  contre  la  rigueur  de 
ces  représailles  posthumes,  et  le  cercueil,  porté 
à  bras,  fut  suivi  de  20,000  fidèles,  qui  n'auraient 
peut-être  pas  mis  les  pieds  dans    l'église. 

Plus  haut  à  gauche.  —  L'ambassade  sarde  avait  ses 
écuries  passé  la  rue  du  Regard.  Un  hôtel  de 
Péruse-Escars  se  remarquait  au-delà.  N'a-t-il  pas  le 
malheur  de  faire  partie  du  gros  pâté  de  maisons 
à  la  démolition  desquelles  il  est  actuellement 
procédé  pour  que  les  rues  Saint-Maur  et  Sainte- 


184  RUE  DU  CHERCHE-MIDI. 


Placide  aillent  jusqu'à  celle  de'  Vaugirard.  La 
poussière  commence  h  tendre  le  grand  linceul  qui 
doit  tout  ensevelir,  depuis  le  41,  dont  le  rez-de- 
chaussée  est  séculaire  et  où  se  trouve  un  café 
d'artistes,  décoré  de  jolies  peintures  dues  aux  pin- 
ceaux de  ses  consommateurs,  MM.  Foulogne, 
Harpigiiies,  Guérard,  Defaux,  Cléry,  Hamon,  Gluck, 
Nazon,  Francis  Blin  et  Eugène  Tourneux,  jusqu'au 
71.  Cette  série  de  maisons,  qui  appartenaient  aux 
Hospices,  va  tomber  plus  difficilement  qu'un  château 
de  cartes.  Une  sentinelle  y  passait,  h.  la  porte 
d'un  quartier  de  gardes-françaises,  toutes  les  nuits 
sur  le  qui-vive  au  milieu  du  xvn''  siècle  ;  la  rue 
de  Bagnenx  n'en  était  pas  plus  loin  que  celle  du 
Regard.  Est-ce  la  façade  du  quartier  que  je  vois 
déjà  nue,  sans  lérrure  ni  boiserie,  sans  vitre  ni 
gouttière  ?  Quel  bruit  font  les  premiers  coups  de 
pioche  !   Mais  M.  Haussmann  est  content. 

Le  Général  Hullin.  —  Quant  à  l'hôtel  Péruse- 
Escars,  nous  le  croyons  plutôt  au  nombre  des 
maisons  préservées  que  des  atteintes,  au-delà  qu'en- 
deça  du  n"  7i,  qui  lui-môme  a  fait  couple  avec 
le  73,  dont  une  rampe  d'escalier  est  Louis  XV. 
La  veuve  d'un  colonel.  M""  Fournier  dispose  de  la 
plus  grosse  moitié.  Un  des  parents  de  cette  dame, 
le  général  Hullin,  a  rendu  le  dernier  soupir  en 
1840  dans  son  appartement  ;  c'était  l'un  des  vain- 
queurs de  la  Bastille,  commandant  de  la  place  de 
Paris  sous  l'Empire,  retiré  à  Hambourg  sous  la 
Restauration  et  aveugle  sur  la  fin  de  sa  vie. 

iV«*  87,  89  et  91.  —  Au  coin  que  voici  de 
la  rue  de  Bagneux  résidait  le  comte  de  Clermont- 
Tonnerre,  député  aux  États-Généraux,  que  la 
populace  immola  plus  bas,  sur  le  chemin  de  son 
hôtel,  dans  la  journée  du  10  Août.  Le  savant 
Cabanis,  qui  épousa  la  sœur  du  général  Grouchy 
et  de  la  veuve  de  Condorcet,  y  demeurait  peu  de 
temps  après  :  c'est  le  seul  médecin  dont  Mirabeau 


RUE  DU  CHERCHP;-MIDI.  185 

consentît  à  recevoir  les  soins  pendant  sa  dernière 
maladie.  Lors  de  son  édification,  ce  triple  bâti- 
ment était  un.  La  meilleure  part  s'en  trouve,  quant 
à  présent,  à  la  disposition  de  M.  Lucas  de  Monligny, 
le  petit-fils  du  prince  des  orateurs,  dont  nous 
venons  de  prononcer  le  nom.  Le  maréchal 
Lefebvre,  duc  de  Dantzig,  à  également  résidé 
là  ;  sa  vie  militaire  était  une  suite  d'actions 
d'éclat,  parmi  lesquelles  figurait  un  service  person- 
nel rendu  à  la  reine  le   10  juillet  1789. 

iV"  97. — Retraite  qu'a  appropriée  k  son  usage, 
par  une  restauration  de  bon  goût  et  en  y  ajoutant 
un  fort  joli  jardin  d'hiver,  M.  LeNormanl,  depuis 
longtemps  libraire  et  impiimeur  en  nom  du  Journal 
des  Débats.  En  face  de  sa  propriété,  qui  peut 
compter  pour  centenaire,  se  trouvait  l'hôtel  de 
Bissy,  jeté  bas  sous  le  règne  de  Louis-Philippe  : 
la  famille  des  comtes  Thiard  de  Bissy  avait  fourni 
un  cardinal  et  l'un  des  poètes  de  la  pléiade  de 
Ronsard.  Aussi  bien  les  écriteaux  portaient  encore, 
dans  le  haut  de  la  rue  du  Cherche-Midi,  le  nom 
de  rue  du  Petit-Vaugirard  en  1831. 

Au-dessus  du  Boulevard,   vers  1760  : 

Côté  droit:  —  La  fabrique  de  Téelise  de  Vaugirard, 
propriétaire,  avec  un  nounisseur  pour  locataire.  —  Maison 
appartenant  à  la  communauté  de  rEnfaot-Jésus,  avec 
Lejeune,  maître  de  pension,  pour  occupant.  —  Barbier, 
maître-macon. 

Celé  gauche:  —  Mi^e  Chavanne,  propriétaire,  avec 
un  jardinier  pour  fermier. 


Rue    ^aint-Paul    et  rue    Charle»^    V, 

NAGUÈRE 

IVeuve-i^aiiit-Paul.    (i) 


V Église.  —  La  Prison.  —  Les  Filles  de  Saint- 
Paul.  —  Le  Palais.  —  U Hôtel  de  Sens.  —  La 
Reine  Blanche.  — M.  de  Lignerac  et  le  M'^  de 
Sade.  —  Les  Brioches.  —  V Hôtel  Saint-Maur.  — 
Les  Eaux.  —  Coifjier.  —  Les  Frères  Paris.  — 
Le  Médecin  et  X Apothicaire  de  Charles  IX.  — 
La  Varenne.  —  La  M'^''  de  Brinvilliers.  —  M"^''  du 
Boccage.  —  L'Hospice  médico-électrique.  — M"*^  de 
Serrant. 

Saint  Éloi  a  fondé  dans  la  Cité,  sous  l'invocation 
de  saint  Martial,  un  monastère  de  filles,  plus 
tard  abbaye  de  Saint-Éloi.  Nous  rapportons  ailleurs 
comment  ce  monastère  est  devenu  l'église  Saint- 
Bartbélemy,  dont  l'ancien  bâtiment  fait  encore 
face  au  Palais-de-Justice.  Sainte  Aure  a  été  la 
première  abbesse  de  Saint-Martial,  couvent  qui, 
peu  d'années  après  sa  fondation,  comptait  300 
religieuses.  Le  cimetière  du  monastère  était  situé 
hors  de  la  ville  ;  il  attenait  à  la  chapelle  Saint- 
Paul-des-Champs,  également  bâtie  par  saint  Éloi 
et  que  les  Normands  détruisirent.  Rebâtie  et 
flanquée  de  tours  aux  wv  et  xni«  siècles,  c'était 
déjà  l'église  d'un  quartier  ;  elle  fut  agrandie  encore 


(1)  Noiice  écrite  en  1861.  La.  rue  Neuve-Sainl-Paul 
n'avait  pas  reçu  encore  le  nom  du  fondateur  de  l'ancien 
palais    de    Saint-Paul.  ' 


RUE  SAINT-PAUL  ET  RUE  CHARLES  V,  ETC.    187 

par  Charles  V  et  dédiée  de  nouveau,  en  1431, 
par  Jacques  du  Chàtelier,  évèque  de  Paris.  Henri  III 
y  fit  ériger  h  Quélus,  Maugiron  et  Saint-Mégrin 
de  superi)es  mausolées,  que  la  justice  du  peuple 
renversa  deux  siècles  avant  la  Bastille.  D'autres 
monuments  funéraires  y  piolégèrent  plus  longtemps 
les  cendres deRabelais,  deHuet,évêqued'Avranches, 
de  Saint-Sorlin,  d'Adrien  Baillet,  des  deux  Mansart. 
Près  de  l'église,  un  bâtiment,  dit  originairement 
la  grange  Saint-Éloi,  se  convertit  de  bonne  heure 
en  prison.  Aux  pris(>nniers  qu'on  y  a  égorgés,  le 
12  juin  1418,  a  survécu  Villelte,  abbé  de  Saint- 
Denis,  échappé  tout  seul  au  massacre  :  il  avait 
eu  le  temps  de  revêtir  l'habit  sacerdotal,  en  se 
plaçant,  une  hostie  h  la  main,  sur  les  marches  de 
l'autel.  La  grane  est  devenue  postérieurement  une 
prison  de  femmes,  mais  qu'on  a,  vers  la  fin, 
restituée  U  Vautre  sexe.  Il  y  avait  alors,  dans  un 
passage  co^^^^gu  >>  l'église,  une  communauté  de  filles 
de  Saini-Paa\,  qui  se  composait  vraisemblable- 
ment des  sœurs  de  charité  attachées  à  cette  paroisse  ; 
leur  ci-devant  place  a  élé  prise,  sous  le  premier 
empire,  par  une  communauté  de  pauvres  ouvrières, 
au  nojpbre  de  48  jeunes  filles.  L'aliénation  par 
l'État  de  Vancienne  prison  de  _  Saint-Éloi  est  du 
25  vendémiaire  an  V  ;  celle  dé  l'église  est  du  6 
nivôse  même  année.  Or  le  numéro  34  actuel  de 
la  rue'  Saint-Paul  appartenait  h  ladite  église,  et  il 
y  touchait  d'une  part,  comme  d'autre  part  à  la 
prison,  dont  le  geôlier  en  chef  a  habile  un  corps- 
de-logis  du  38.  VjCS  filles  de  Saint-Paul  occupaient 
la  première  de  ces  maisons,  dans  laquelle  se 
retrouvent  et  des  balustres  d'escalier  tournés  au 
xiv'  siècle  et  un  passage  Saint-Pierre,  qui  mène 
rue  Saint-Antoine,  mais  qui  n'a  pas  toujours  été 
ouvert.  L'autre  bâtiment  que  nous  signalons  porte, 
comme  hôtel-garni,  une  dénomination  rappelant  le 
séjour  royal  de  Saint-Paul,  dont  il  a  lait  partie. 


188     RUE  SAINT-PAUL  ET  RUE  CHARLES  V, 

La  prison  de  Saint-Éloi,  ainsi  que  tout  le  territoire 
qui,  de  ce  côté  de  la  rue,  n'appartenait  pas  à 
l'église,  avait  dépendu  du  palais. 

Non-seulement  Charles  V,  n'étant  encore  que 
dauphin,  a  créé  ce  royal  séjour,  sous  les  auspices  de 
l'église  du  lieu  ;  mais  encore,  étant  rôi,  il  a  fait 
élever  la  Bastille,  pour  tenir  en  respect  les  soldats 
du  séditieux  duc  de  Bourgogne,  et  il  a  pris  sur 
les  jardins  de  l'hôtel  l'emplacement  donné  aux 
célestins.  Ce  domaine  princier,  réuni  en  1364  au 
domaine  de  la  Couronne  comme  hostel  solemnel 
des  grants  esbatemens,  avait  été  formé,  pendant  la 
captivité  de  Jean-le-Bon  en  Angleterre  et  le  Dauphin 
étant  régent,  par  l'acquisition  de  plusieurs  hôtels 
et  au  moyen  d'une  taille  particulière  établie  sur 
les  Parisiens.  Il  avait  tini  par  s'étendre  de  l'autre 
côté  de  la  rue  Saint-Paul  et  au-delà  même  de 
YAve-Maria,  rue  des  Barrés.  L'hôtel  de  Sens  ayant 
été  vendu  au  Dauphin,  en  1363,  par  Guillaume 
de  Melun,  archevêque  de  Sens,  Jean-le-Bon  y  avait 
lui-même  résidé.  Diverses  pièces  de  cet  hôtel  de 
Sens  ont  été  spécifiées  la  chambre  où  gît  le  roi, 
la  chambre  des  nappes,  la  grand'chamhre  du  retrait, 
la  chambre  de  Vestude,  les  estuves,  les  chauffedoux  ; 
mais,  sous  François  P',  a  été  rétablie  la  résidence 
archiépiscopale  dont,  nous  parlons  dans  l'historique 
de  la  rue  du  Figuier  et  de  la  rue  des  Barrés. 

Un  autre  hôtel  se  qualifie  ancien  logis  de  la 
reine  Blanche,  au  coin  de  la  rue  Saint-Paul  et  de 
la  rue  des  Barrés.  On  y  remarque  un  chiffre 
merveilleusement  sculpté,  la  décoration  d'une  alcôve 
qu'un  atelier  a  le  bon  goût  de  respecter,  des 
mansardes  du  xvr^  siècle  et  une  rampe  de  fer 
moins  ancienne.  Les  béguines  de  YAve-Mar^ia  ont 
été  établies  par  saint  Louis  à  côté  du  séjour  de 
la  reine-mère,  que  le  palais  a  dû  également  englober 
au  siècle  suivant.  M.  Bournet-Verron,  notaire,  est 
présentement  propriétaire  de  cette  maison,    qu'il 


NAGUERE  NEUVE-SAINT-PAUL.  189 

tient  de  son  beau-père,  et  que  l'État  a  vendue 
pendant  la  République.  M.  Bouniet-Verron,  n'ayant 
entre  les  mains  aucun  titre  de  propriété  séculaire, 
nous  permettra  de  lui  apprendre  que  son  immeuble, 
au  xvni«  siècle,  était  l'hôlel  de  Ligiierac.  Une 
baronnie  audit  nom  était  possédée,  dans  la  Marche 
limousiiie,  par  la  maison  de  Robert  de  Mure. 
Toutefois  M.  de  Lignerai,  dont  les  petits-soupers 
n'ont  pas  laissé  que  de  faire  quelque  bruit,  portait 
le  titre  de  marquis.  Ses  commensaux  étaient 
principalementle  marquisde  GaucourtetM.  Dutillet, 
et  il  donnait  en  ce  temps-là  25  louis  par  mois 
à  Collette,  de  la  Comédie-Italienne,  chez  laquelle 
ce  chef-d'emploi  se  contenta  ensuite  de  servir  de 
doublure,  par  mesure  d'économie,  au  trop  fameux 
comte  de  Sade,  plus  tard  marquis.  Ce  dernier  avait 
été  conduit  à  Vincennes  par  ordre  du  roi,  en  1763, 
puis  dans  les  terres  de  son  beau-père  ;  on  lui 
avait  permis,  l'année  suivante,  de  reparaître  en 
ville,  mais  la  police  avait  défendu  à  la  Brissault 
et  li  d'autres  appareilleuses  de  lui  confier  des  filles 
hors  de  leur  surveillance  directe.  La  comtesse  de 
Lignerac  disposa  aussi,  sous  Louis  XVI,  d'une 
propriété  venant  après  l'ancien  logis  de  la  reine 
Blanche. 

M.  de  Malerme  en  avait  deux  en  face  de  la  rue 
des  Lions-Saint-Paul  ;  la  comtesse  de  Percuit  ou 
de  Péreuil,  deux  autres  vis-à-vis  la  rue  Neuve- 
Saint- Paul  ;  la  comtesse  de  Fontelet,  trois  ou  quatre 
du  même  côté.  Le  35,  avec  une  autre  maison 
contiguë,  appartenait  aux  De  Sève  :  un  conseiller 
d'État,  membre  de  cette  famille  d'origine  piémon- 
taise,  avait  épousé  une  fille  de  Guéiiégaud,  trésorier 
de  l'épargne.  A  la  fabrique  de  Saint-Louis  étaient 
deux  maisons,  situées  à  l'entrée  d'un  cul -de-sac, 
maintenant  passage  à  l'église.  Là  se  trouvaient 
sans  doute  les  six  étaux  de  la  boucherie  ouverte 
dans  la   rue.   Mais  l'angle  de  celle  Saint-Antoine 


190    RUE  SAINT- PAUL  ET  RUE  CHARLES  V, 

avait  été  incontestablement  occupé  au  xvn«  siècle 
par  Flécheux,  pâtissier,  dont  les  brioches  avaient 
de  la  réputation  ;  les  prisonniers  de  la  Bastille 
en  faisaient  prendre  de  toutes  chaudes  :  ils  étaient 
les  premiers  servis. 

Des  autres  pièces  du  palais  Saint-Paul  on  a 
distingué,  sous  le  règne  de  Louis  XI,  le  retrait 
où  dit  ses  heures  monsieur  Louis  de  France  ;  cette 
pièce  ne  dépendait  ni  de  l'ancien  hôtel  de  Sens,  ni  de 
l'hôtel  de  Puytemuce,  mais  faisait  partie  de  celui 
qu'on  avait  appelé  Saint-Maur  et  de  la  Conciergerie, 
sis  entre  la  ménagerie,  que  représente  la  rue  des 
Lions,  et  l'église  Saint-Paul.  Charles  V  y  avait 
logé  ses  deux  fds  ;  la  reine  Isabeau  y  avait  établi 
quelque  temps  après  les  écuries  de  sa    maison. 

La  compagnie  des  Eaux  de  Seine  clarifiées,  qui 
siège  n°  4,  nous  rappelle  qu'en  la  même  rue  des 
bains  se  coulaient  chez  Godefroi  VEstuvéeur  l'an 
1292.  A  vingt-trois  années  delà,  Jacques  de  Laigny 
était  le  particulier  notable  de  la  rue  Saint-Paul, 
où  le  nommé  Hancqun  de  Holla^id,  taunier,  servait 
à  boire  et  à  manger.  CoifTier,  commis  d'Émery 
de  Particelli,  a  marqué  5  son  tour  sur  la  ligne 
de  nos  numéros  pairs  ;  ce  financier  en  sous-ordre 
était  tils  d'un  commissaire  au  Chàtelet,  mais  petit- 
fils  de  la  Coilfier,  pâtissière  connue  pour  avoir  été 
la  première  à  servir  des  dîners  à  tant  par  tête. 
Ledit  4  émargeait  du  royal  séjour  et  en  retenait 
encore  le  nom  quand  les  frères  Paris,  ces  quatre 
fils  Aymon  de  la  finance,  y  demeuraient,  sous  la 
Régence,  Leur  hôtel,  sis  entre  une  fontaine,  qu'on 
nommait  le  regard  Fieubet,  et  le  quai  des  Gélestins, 
passa  La  Vieuville,  et  c'était  vraisemblablement  du 
fait  de  la  famille  de  M'"''  de  Paiabère,  née  de  la 
Vieuville  ;  une  enseigne  du  Dauphin,  royale  quand 
même,  flottait  alors  à  la  porte  d'un  traiteur  du 
voisinage  ai)pelé  Florent. 

La   rue    Neuve-Saint-Paul,    dont    une  moitié  a 


NAGUERE  NEUVE-SAINT-PAUL  ]91 

porté  jusqu'en  1844  le  nom  de  rue  des  Trois- 
Pistolets,  s'est  ouverte  au  milieu  du  xvi'^  siècle 
sur  le  terrain  des  écuries  d'Isabeau,  mais  sans 
jeter  bas.  tout  ce  qui  s'y  élevait.  La  preuve,  c'est 
que  Léonard  Botal,  médecin  de  Charles  IX  et  de 
Henri  III,  a  habité  l'ancien  hôtel  Saint-Maur. 
D'ailleurs,  cette  tourelle  que  nous  voyons  encore 
au  coin  de  la  rue  des  Lions,  y  est-elle  tombée 
des  nues?  Si  ses  dimensions  étaient  celles  des 
tours  qui  gardaient  autrefois  la  résidence  royale 
dont  nous  parlons,  la  voie  publique  serait  inter- 
ceptée. Ce  Botal  qui  n'était  pas  fâché  de  s'y 
retrancher  dans  un  reste  de  fortifications,  il 
inaugurait,  comme  médecin,  l'ère  de  la  saignée  ; 
il  avait  sous  ses  ordres  l'apothicaire  du  roi,  qui 
pouvait  bien  être  un  Séguier,  et  qui  tenait  poui- 
les  purgatifs  ;  ce  médecin  et  cet  apothicaire  va- 
laient donc,  à  eux  deux,  le  docteur  Sangrado, 
création  de  Lesage,  dans  laquelle  Rabelais  aurait 
sans  doute  retrouvé  deux  anciennes  connaissances, 
bien  qu'il  fût  enterré  au  cimetière  de  Saint-Paul 
depuis  4583. 

L'entre-deux  de  l'église  et  de  l'ancienne  ménagerie 
a  été  habité  aussi  par  La  Varenne,  qu'un  chroniqueur 
nous  donne  pour  ancien  fouille-au-pot  et  cuisinier, 
devenu  porte-manteau  de  Henri  IV  et,  mercure  de 
ses  plaisirs.  Ce  parvenu  eut  assez  de  crédit  pour 
favoriser  le  rétablissement  en  France  des  jésuites, 
qui  lui  durent  le  collège  de  la  Flèche,  auprès 
duquel  il  se  relira  très-riche.  N'est-ce  pas  de  la 
jolie  tourelle  que  l'intrigant  avait  vu  venir  son 
monde  ? 

Mais  on  y  cherche  plutôt  l'empreinte  des  pas 
d'une  femme  dont  les  passions  donnaient  la  mort. 
Le  bruit  court  que  M'"-  de  Brinvilliers  y  aurait 
caché  son  amant,  puis  le  premier  fourneau  de 
sa  criminelle  oiVicine,  sous  le  même  prie-Dieu. 
Mais   nous  considérons  comme  plus   certain    que 


192     RUK  SAINT-PAUL  ET  RUE  CHARLES  V, 

la  célèbre  empoisonneuse  a  demeuré  au  n"  12, 
rue  Neuve-Saitit-Paul,  avant  de  passer  au  quartier 
de  la  Tournelle.  Il  est  vrai  qu'elle  pouvait  avoir 
simultanément  grand  et  petit  hôtels  près  Saint- 
Paul  sans  qu'ils  attinssent  tout-à-fait  l'un  à  l'autre. 
On  revoit  dans  celui  de  la  rue  Neuve,  en  haut 
d'un  escalier,  un  bas-relief  où  figurent  des  cornues. 
Quelles  armes  parlantes  !  Un  avocat  de  notre  temps 
en  profiterait  pour  plaider  la  monomanie,  pour 
obtenir  des  circonstances  atténuantes,  et  la  Brinvil- 
liers  n'aurait  plus  de  peine  capitale  h  subir.  Le 
10,  même  rue,  n'est  qu'un  démembrement  de 
ladite  propriété,  où  demeurait  un  Paris  de  la 
chambre  des  Comptes  dès  1692,  postérieurement 
hôtel  de  l'Aigle,  puis  logis  et  bureau  de  Rivière, 
arpenteur  de  la  maîtrise  des  eaux-et-forèts,  ac- 
tuellement en  la  possession  des  sœurs  hospitalières 
de  Bon-Secours. 

Aux  chiffres  impairs  de  la  rue  Neuve-Saint- 
Paul  nous  ne  réclamerions  en  vain  :  ni  un  appar- 
tement qu'a  occupé  M"'*  du  Boccage,  née  Lepage, 
prônée  par  Fonteneile  et  Voltaire,  mais  auteur  de 
poèmes  obscurs,  morte  nonagénaire  pendant  le 
Consulat  ;  ni  les  anciens  hôtels  Gourgues  et 
Delaunay,  qui  pouvaient  n'être  que  deux  phases  de 
la  même  planète  ;  ni  une  maison  hospitalière, 
desservie  par  des  sœurs  de  Saint-Thomas- 
de-Villeneuve.  Les  célestins  étaient  proprié- 
taires de  cette  dernière  maison,  où  se  forma 
en  1783,  sous  les  auspices  du  roi  et  de  M.  de 
Vergennes,  un  hospice  médico-électrique.  Ledru 
père,  surnommé  Connus,  y  traitait  encore  les 
affections  nerveuses  sous  TEmpire,  mais  sans  le 
concours  des  sœurs  de  Saint-Thomas  ;  il  était 
aidé  par  son  fils,  et  les  malades  n'avaient  rien  à 
payer  pour  pi-ohter  de  ses  expériences. 

L'autre  rue,  par  exemple,  avait  pour  habitante 
la  plus  jolie  femme  du  quartier,  sous  Louis  XV, 


NAGUERE  NEUVESAINT-PAUL.  193 

M""'  de  Serrant.  Son  mari,  gouverneur  des  pages 
du  duc  d'Orléans,  ne  lui  souffrait  pour  galant 
prolecteur  le  fermier-général  Bouret  qu'à  la 
condition  pour  celui-ci  d'afficher  également  comme 
sa  maîtresse  M""^  Filleul,  femme  d'un  intéressé 
dans  les  affaires  du  roi.  Les  deux  rivales,  loin 
d0  s'arracher  les  yeux,  prenaient  leur  mal  en 
patience,  et  elles  faisaient  souvent  de  compagnie 
des  parties  de  campagne  h  Croix-Fontaine,  avec 
le  financier.  M'""  de  Serrant  était  la  locataire  de 
M.  de  la  Vicuville. 

Plus  lard,  le  citoyen  Cardon  a  installé  au  ci- 
devant  hôtel  La  Vieuville  une  manufacture  de 
tabac,  remplacée  vers  1808  par  rétabli5>sement  des. 
Eaux.  L'hôtel  ainsi  transformé  en  usine  s'était 
lui-même  détaché  du  palais  de  Saint-Paul,  sous 
le  règne  de  Henri  IL  Les  prédécesseurs  de  ce  roi 
avaient  fixé  leur  résidence  au  château  dei?  Tour- 
nelles,  et,  dès  l'année  I0I6,  Jacques  de  Genouillac, 
dit  Galliot,  grand-maître  de  l'artillerie,  avait  acquis 
de  François  I"  une  portion  du  séjour  abandonné. 


Rue  de    Harlay-au-illarais*  (i) 


Les  filles  du  Saint  Sacrement  avaient  reçu  de 
la  Ville,  par  voie  d'adjudication,  U^errain  que  ces 
religieuses  avaient  vendu  au  chancelier  Boucherat  ; 
le  jardin  de  l'hôlel  Boucherat,  situé  rue  Saint- 
Louis  (2),  ne  finissait  qu'au  Boulevard.  La  fille  du 
chancelier,  Anne-Françoise-Marie-feouise  Boucherat, 
veuve  de  Auguste  de  Harlay,  coi-seiller  d'État, 
vendit  en  plusieurs  lots  une  portion  du  jardin  de 
l'hôtel,  après  avoir  obtenu  l'autorisation  de  percer 
la  rue  de  Harlay,  qui  fut  livrée  à  la  circulation 
en  l'année  1721  et  sur  laquelle  le  Saint-Sacrement 
avait  une  issue. 

On  y  retrouve  trois  maisons  séculaires  qui  ont 
perdu  à  la  Révolution  leur  dénomination  d'hôtels 
de  Ruault,  de  la  Blache  et  de  Villars,  et  aux- 
quelles se  sont  ajoutées  des  constructions. 

La  rue  Neuve-de-Harlay,  qui  ne  se  distingue  plus 
de  la  vieille,  avec  laquelle  elle  formait  équerre,  était 
perpendiculaire  au  Boulevard.  Une  place  de  242  toises 
y  échut  à  la  susnommée  M"'*"  de  Harlay,  née 
Boucherat,  par  donation  de  Françoise  de  Loménie, 
seconde  femme  du  chancelier  Boucherat. 

L'aînée  de  ces  deux  rues  vit  de  bonne  heure 
affluer  les  gourmands  du  Marais  chez  Leroux, 
pâtissier-traiteur,  renommé  pour  «  des  pâtés  en 
croûte  fine  de  jambon  de  Bayonne,  des  dindons 
à  la  Oatinoise,  des  têtes  de  veau  farcies,  etc. 


(1)  Notice  écrite  en    1861. 

(2)  Maintenant  rue  Turenne. 


Rue  8aiiit-8ébastîeii.  (i) 


L'enseigne  d'un  ébéniste  pourrait  avoir  été,  dès 
le  commencement  du  siècle  précédent,  celle  de  la 
maison  qu'il  occupe,  n'^  1^2,  et  avoir  fait  changer 
en  ce  temps-là  le  nom  de  Saini-iLtienne,  que  la 
rue  tenait  d'un  autre  tableau  parlant.  Mais  une 
compagnie  d'arbalétriers,  dont  Saint-Louis  fut 
membre,  avait  pour  patron  saint  Sébastien  ;  elle 
se  fondit  dans  le  corps  des  archers,  chevaliers  de 
l'Arquebuse  et  de  l'Arc,  qui  avaient  leur  lieu  de 
réunion  et  d'exercice  depuis  l'année  1604  à  l'entrée 
actuelle  de  ladite  rue  quand  la  plantation  des 
contr'allées  du  Boulevard,  maintenant  remplacées 
par  des  maisons,  lit  reporter  le  jardin  de  l'Arque- 
buse près  la  rue  de  la  Roquette,  en  regard  de  la 
Bastille.  En  l'honneur  de  cette  compagnie  fut  ar- 
borée probablement  l'enseigne.  Outre  une  barrière 
de  la  ville,  la  rue  Saint-Sébastien  ne  comportait 
d'abord  que  des  champs,  des  jardins  et  6  maisons, 
dont  celle  que  nous  croyons  sa  seconde  mère,  con- 
struction basse  assez  curieuse.  UnnUelier  de  mansar- 
des en  Ibime  de  guérites  y  borde  une  petite  cour  : 
on  s'y  cronait  dans  un  château  de  cartes. 

Un  bâtiment  d'aspect  tout  différent  répond  au 
chiffre  44  ;  la  rue  n'en  voit  que  le  prolil,  dans 
une  muraille  percée  de  jours  irréguliers  et  d'une 
seule  fenêtre,  dont  la  ferrure  est  vieille.  Cette 
habitation  paraît  avoir  compté  sur  une  avenue  ou 


(1)  Notice  écrite  en  1861,  avant  que  la  rue  fut  traversée 
par  le  boulevard  Richard-le-Noir  et  par  celui  du  Prince- 
Eugène. 


196  RUE   SAINT-SEBASTIEN. 

un  chemin  antérieur  à  la  rue  Saint-Sébastien  pour 
communiquer  avec  celle  Popincourt. 

Sur  la  même  ligne,  une  dizaine  d'années  avant 
l'écroulement  de  la  Bastille,  l'architecte  Carteau 
habitait  la  maison  qui  venait  la  seconde;  Gérard, 
chandelier,  la  troisième,  après  laquelle  il  n'y  en 
avait  plus  à  porte  cochère  ou  plus  du  tout. 

Du  côté  opposé,  M.  de  Saint-Germain,  capitaine 
des  chasses,  avait  ses  deux  propriétés,  qui  pro- 
bablement englobaient  nos  n"'  9,  19  et  25.  Une 
seule  au  même  endroit,  et  elle  tenait  moins  de 
place  devant  qu'en  profondeur,  était  à  M.  d'Ormesson 
de  Noiseau,  en   1787. 

Il  y  avait  alors  dans  la  rue  une  manufacture  royale 
de  terre  d'Angleterre.  Le  directeur  de  cet  établis- 
sement demeurait-il  au  24,  au  36  ou  au  48  ?  Deux 
de  ces  trois  propriétés  avaient,  comme  petites- 
maisons,  la  spécialité  des  bonnes  fortunes  et  de» 
gaietés  nocturnes.  Le  dépôt-général  des  pompes 
antiméphytiques  des  bâtiments  du  roi,  pour  le  service 
de  la  vidange,  n'en  était  pas  moins  établi  dans 
le  cul-de-sac    Saint-Sébastien. 


Rne  Sainte-Croix-de-la-Bretoniierie.  (i) 


La  petite  Bretonnerie  et  la  grande.  —  Les  Chanoines 
réguliers.  —  La  Famille  Luillier.  —  Lalande.  — 
Une  Partie  carrée  au  Bal  de  V Opéra.  —  Le 
Bijoutier  Strass.  —  Hôtel  Peletler.  —  Vol  d'un 
Marteau  de  Porte- cochêre.  —  Les  numéros  21 
et   39.  —   L'infortuné  Kornmann. 

La  petite  Bretonnerie  et  les  Arres    des   Vignes 
étaient  deux  petits  fiefs  assis  près    de    la    porte 
Saint-Jacques  et  appartenant  aux  filles  de  Long- 
champs,  religieuses  établies  derrière  le    bois    de 
Boulogne  ;  l'école  de  Droit  y  remplace  l'ancien  collège 
de  Lisieux,  près  duquel  une  ruelle  de  la  Bretonnerie 
se  faisait  jour.  Le  fief  de  Saint-Pierre-de-Lagny  et  le 
champ  aux  Bretons  ont  donné  autre  part  naissance  à 
une  rue  de  la  Grande-Bretonnerie,  qui  s'y  distin- 
guait de  celle    de    Lagny    avant    de    l'absorber. 
Saint  Louis  y  avait  un  hôtel  des  monnaies,  dont 
il  gratifia  des  religieux  originaires  de  Liège.   Le 
docteur  Robert  Sorbon,  chapelain  du  roi,  chanoine 
de  Cambrai,  abandonna  aux  mêmes    moines    des 
maisons  contiguës;  le  roi,  pour  l'en  indemniser, 
se  dessaisit  en   sa  faveur  de    trois  maisons    rue 
Coupe-Gueule,  où  le  savant  fonda  bientôt  le  collège 
de  la  Sorbonne,   que  fit    reconstruire   plus    tard 
avec  magnificence  le  cardinal  de  Richelieu.  L'église 
des  religieux  casés  à  la  grande  Bretonnerie  s'est 
dédiée  sous  le  titre  de  l'Exaltation-de-Sainte-Croix, 
qui  a  fait  appeler  la  rue  où  elle  avait  son  entrée 


(1)  Notice  écrite    en  1861. 

13 


198  RUE  SAINTE-CROrX-DE-LA-BRETONNERIE. 

principale  Saiiite-Groix-de-la-Bretonnerie.  Le  car- 
dinal de  Larocliefoucauld  réforma  sous  Louis  XIII 
cet  établissement  monastique  et  y  introduisit  des 
chanoines  de  Sainte-Geneviève,   abbaye   réformée 
à  la  même  époque  ;  seulement  les  anciens  membres 
de  ce  chapitre  ne  résistaient  pas  moins  aux  innova- 
tions que  les  chanoines  de  Sainte-Croix,  et  ceux-ci 
obtinrent  un  ordre  du  roi  qui,   au  bout  de  trois 
mois,  les  remit  exclusivement  en  possession  de  leur 
couvent,  dont  ne  changea  que  la  règle.  Nous  y  avons 
déjà  introduit  le    lecteur  par  la    porte    conven- 
tuelle de  la  rue  des  Billettes.  Du  côté  de  la  rue 
Sainte-Croix  résidait  le  provincial  des  autres  maisons 
de  France  du  même  ordre,  et  c'était  le  frère  du 
maréchal  de  Balincourt  lors  de  la  seconde  inter- 
diction de  la  compagnie  de  Jésus  dans  le  royaume. 
En  cette  maison   principale,   qui  était  de  fondation 
royale,  chaque  religieux    devait    recevoir    de    sa 
famille,   au  minimum,  une  pension  viagère  de  200 
livres,  qui  dans  les  succursales  demeurait  purement 
arbitraire  ;   on  regardait  moins  à  la  dot  qu'à  la 
famille  pour  y  donner  l'habit.  Le  novice  portait, 
en  attendant,  une  soutane  noire,  et  tant  qu'il  ne 
l'avait  pas  prise  aucun    jour    ne    comptait   pour 
l'année  du  noviciat.  Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 
qui,  en  réunissant'les  crieurs-jurés  des  inhumations 
dans  son  sein,  servit  de  berceau  à  l'administration 
des  Pompes-Funèbres,  fut  longtemps  dépositaire 
des  minutes  du    conseil     privé;    sa    bibliothèque 
estimée  était  à  la  disposition  des  savants  et  des 
curieux  ;  ses  chanoines  prenaient  même  des  laïques 
pour  locataires,  moyennant  200   livres  par   an  et 
800  nourriture  comprise. 

Outre  les  bâtiments  conventuels,  dont  plus  d'un 
survit  à  l'église  dans  le  passage  Sainte-Croix-de- 
la-Bretonnerie,  le  chapitre  n'avait-il  pas  plusieurs 
maisons  rue  des  Billettes  et  deux  se  suivant  rue 
Sainte-Croix  ?  Celles-ci  avaient  appartenu  à  Dreux- 


RUE  SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE.  199 

Hennequin,  abbé  de  Bernay,  conseiller  au  parle- 
ment sous  Louis  XIII,  puis  à  l'une  de  ses  héritières, 
femme  de  Denis  Feydeau  de  Brou  :  nous  en 
revoyons  une  au  n°  35.  L'administration  de  tous 
les  biens  des  chanoines  réguliers  de  Saint e-Croix- 
de-la-Bretonnerie,  maison  de  Paris,  fut  confiée 
par  arrêt  du  conseil,  le  10  juin  1778,  à  M.  Bollioud, 
receveur-général  des  rentes  du  clergé,  et  des 
baux  furent  consentis  à  de  plus  stables  locataires 
par  ledit  administrateur,  qui  demeurait  un  peu 
plus  tai'd  dans  la  rue  et  l'hôtel  qu'habite  pré- 
sentement M.  James  de  Rothschild. 

Le  comte  de  la  Martellière  disposait  alors  du 
n°  5,  rue  Sainte-Croix-de-la-Bretoimerie.  On  y 
remarque,  dans  le  fond,  un  bel  escalier  h  balustres 
de  chêne,  sur  lesquels  a  pu  s'appuyer  un  changeur 
du  temps  de  Jean-le-Bon  et  de  Charles  V,  qui 
avait  nom  Robert  Luillier  et  de  qui  descendait 
Eustache  Luillier  de  la  Malmaison,  prévôt-des- 
marchands  dans  les  premières  années  du  xvi^ 
siècle.  Il  est  du  moins  à  notre  connaissance  que 
Geoffroi  Luillier,  seigneur  de  la  Malmaison  et 
d'Orgeval,  a  hérité  de  ses  ancêtres  une  propriété 
peu  distante  de  Sainte-Croix  ;  qu'il  a  fondé  dans 
cette  église  la  chapelle  de  sa  famille,  et  que  son 
fils,  Nicolas  Luillier,  a  épousé  la  fille  de  Faucon, 
marquis  de  la  Luzerne.  De  la  maison  dudit  La 
Martellière,  rien  n'empêchait  que  se  fût  détachée 
celle  de  Lartat,  ou  mieux  encore  celle  de 
Pannetier,  faisant  le  coin  de  la  rue  Bourtibourg. 
Les  numéros  11,  13,  15,  17  et  19  appartenaient 
àThureau,  Drouard,  Lefebvre,  Guérin  et  Leboucher. 

La  ligne  brisée  par  l'embouchure  de  la  rue 
Bourtibourg  n'est  pas  celle  où  nous  recherchons 
l'hôtel  Lalande  vers  le  même  degré  de  latitude. 
L'astronome  Lalande  prenait  en  pension,  mais 
à  perte,  des  jeunes  gens  dont  l'amour  de  la 
science  le  poussait  à  faire  ses  élèves.  Ce  savant 


200  RUE  SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE. 

s'amusait  à  manger  des  chenilles,  comme  le  moineau- 
franc,  et  ne  croyait  pas  plus  en  Dieu  que  s'il 
ne  savait  pas  un  mot  des  autres  secrets  du  ciel .  N'est-ce 
pas  au  14  ou  au  16  que  se  trouvait  l'hôtel  Lalande  ? 
L'un  des  deux  pour  le  moins  a  été  d'Amblimont. 
Nom  que  répète  un  indiscret  écho,  dans  la  chronique 
des  bals  de  l'Opéra,    note    du  13  février    1767  : 

»  M.  de  Bargemont,  colonel  du  régiment  de  Soubise, 
ne  cache  pas  son  intrigue  avec  M""  de  Beauharnais  ; 
ils  ont  disparu  ensemble  pendant  trois  heures  au  dernier 
bal  deTOpéra.  M.  de  la  Sablière,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  qui  a  été  dans  l'Inde,  faisait  partie  carrée  avec 
M™»  d'Amblimont.  « 

Cette  nouvelle  à  la  main,  qui  aurait  inspiré 
de  la  jalousie  h  Dorât,  ménageait  le  mieux  possible 
M.  Claude  de  Beauharnais,  en  dissimulant  l'exis- 
tence de  (;e  mari  de  Fanny  Beauharnais,  capitaine 
des  vaisseaux  du  roi.  Fanny  était  la  tille  d'un  rece- 
veur des  finances  nommé  Mouchard  ;  elle 
faisait  jusqu'h  des  comédies  et  vivait  en  garçon 
d'esprit. 

Un  peu  plus  bas  était  propriétaire  d'une  maison 
décorée  d'un  fronton,  le  bijoutier  Frédéric  Strass, 
dont  le  nom  et  l'état  s'accordaient  parfaitement. 
Strass  ne  veut-il  pas  dire  cristal  en  allemand  ? 
Pline  citait  déjà  comme  une  industrie  lucrative 
chez  les  Romains  l'art  d'imiter  les  pierres  pré- 
cieuses, pratiqué  par  les  alchimistes  au  moyen-âge 
et  perfectionné  en  Allemagne  avant  de  prendre 
à  Paris  des  développements  nouveaux.  Le  droit  de 
bourgeoisie  que  Frédéric  Strass  avait  su  acquérir 
se  brisa  comme  verre,  à  son  tour  ;  la  maison  du 
bijoutier  fut  saisie,  h  la  requête  d'un  serrurier, 
et  adjugée  en  cour  des  Aides  à  l'échevin  Bernard, 
qui  s'y  fixa. 

Le  fermier-général  Romans  avait  entre  les  murs 
d'après    sa   résidence,    sous    Louis  XIV  :  la  rue 


RUE  SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE.  901 

comptait  en  ce  temps-là  57  maisons,  20  lanternes. 
Le  règne  suivant  vit  stationner  sous  ce  toit  Le 
Peletier  de  Morfontaine,  intendant  delà  généralité 
de  Soissons,  puis  conseiller  d'État,  qui  de  là  fut 
habiter  l'hôtel  Roquelaure,  rue  Notre-Dame-de- 
Nazareth,  en  y  transférant  son  cabinet  de  peinture. 
Cet  homme  à  bonnes  fortunes,  que  s'était  attaché 
pendant  plusieurs  années  la  duchesse  de  Mazarin, 
la  laissa  dans  les  meilleurs  termes  avec  M.  de 
Sainte-Foix,  trésorier  de  la  marine,  qui  toutefois 
n'était  pas  alors  sans  engagement  avec  Jeanne 
Vaubernier  à  la  veille  de  passer  M""  Dubarry.  Le 
Peletier,  trésorier  d'Amiens,  remplaçait  M.  de 
Morfontaine  rue  Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie  :  il 
avait  installé  un  curieux  cabinet  d'histoire  naturelle 
dans  l'ancienne  galerie  de  peinture.  L'hôtel,  qui 
est  devenu  depuis  1840  la  mairie  de  l'arrondisse- 
ment, a  gardé  bonne  contenance.  Mais  la  conser- 
vation a  été  moins  heureuse  quant  au  marteau 
arlislement  ciselé  dont  la  grande  porte  était  tière  : 
il  a  été  enlevé  la  nuit,  en  1858,  par  un  véritable 
amateur,  dont  le  signalement  n'a  pu,  en  même 
temps  que  celui  du  marteau,  être  expédié  à  la 
police  de  Londres,  qui  se  livre  encore  à  des 
recherches  ad  hoc. 

Un  des  hôtels  situés  vers  le  milieu  de  la  rue 
servait  de  bureau,  sous  Louis  XVI,  à  Dufresne  de 
Saint-Cergue,  contrôleur-général  de  la  maison  de 
Madame.  On  y  trouvait,  au  commencement  de 
l'Empire,  une  Caisse  des  employés  et  artisans,  dont 
les  actions  étaient  de  30  francs.  Nous  croyons 
que  l'un  et  l'autre  de  ces  renseignements  intéressent 
le  21. 

Le  39  fut  laissé  par  Quentin,  baron  de  Champlost, 
premier    valet-de-chambre    du    roi,     à    QuentiH, 
chevalier  de  Champlost,  mestre-de-camp  de  cava- 
lerie, également  valet-de-chambre  du  roi,    lequel'' 
demeurait    au   vieux    Louvre  et  faisait  gérer  ses 


S02  RUE  SAINTE-CROIX-DE-LA-BRETONNERIE. 

affaires  par  Jean- Charles  Guinard,  fourrier  du  corps 
de  la  comtesse   d'Artois. 

A  la  famille  Feydeau  de  Brou  avait  appartenu 
le  44.  Il  y  a  demeuré  un  mari  trompé  qui,  loin 
de  prendre  son  mal  en  patience,  le  criait  par- 
dessus les  toits.  M.  Guillaume  Kornmann,  prédestiné 
de  nom  à  ce  genre  de  mésaventures,  avait  été 
banquier,  intéressé  dans  les  affaires  des  Quinze- 
Vingts.  Il  accusait  publiquement  d'avoir  été  les 
amants  de  sa  femme  MM.  Daudet  de  Jossan, 
Caron  de  Beaumarchais,  Lenoir,  ancien  lieutenant- 
général  de  police,  et  le  prince  Louis  de  Rohan, 
avec  des  circonstances  aggravantes,  qu'il  relevait 
avec  aussi  peu  de  scrupules.  M""^  Kornmann  était 
aussi  fidèle  épouse  que  jolie  avant  que  le  premier 
l'eût  séduite  et  puis  rendue  mère  ;  le  second,  non 
content  d'empêcher  que  l'ordre  se  rétablît  dans 
le  ménage,  s'était  mêlé  des  affaires  de  banque  du 
mari  et  lui  avait  fait  faire  faillite  ;  le  troisième,  de  par 
le  roi,  avait  soustrait  la  femme  à  l'autorité  de 
l'époux  outragé,  qui  l'avait  mise  dans  une  maison 
de  correction  ;  le  quatrième  enfin,  par  ses  lar- 
gesses, avait  corrompu  tous  les  domestiques  de 
M.  Kornmann  et  protégé  la  fuite  d'un  malfaiteur. 


Rue    des    Lombards,  (i) 


Boccace.  —  Les  Pourpointiers.  —  La  Buffeterie.  — 
Les  Lombards.  —  Les  Catherinettes.  —  Le  Poids- 
du-Roi.  —  Le  Mortier-d'Or.  —  Le  Fidèle- Berger. 
—  Autres  Enseignes. 

Ah  !  que  nous  donnerions  avec  plaisir  trois 
squares  et  une  trentaine  de  rambuteaux,  créations 
de  notre  temps,  pour  retrouver  dans  la  rue  des 
Lombards  la  maison  où  est  né  Boccace.  Ne  peut- 
elle  pas  encore  y  subsister? 

Celte  rue,  qu'un  large  boulevard  a  de  nos  jours 
pei'cée  de  part  en  part,  ét;iit  déjà  bâtie  à  l'époque 
de  la  V*  croisade  ;  on  la  disait  de  la  Bufl'eterie  à  la 
fin  du  xu«  siècle  et  de  la  Pourpointerie  sous 
Louis  XIIL  II  s'y  était  pourtant  établi  des  lombards 
dès  le  règne  de  Philippe  Auguste,  c'est-à-dire  des 
prêteurs  sur  gages,  primitivement  originaires  de  la 
Lombardie,  qui  ont  fait  longtemps  appeler,  par  exten- 
sion, jusqu'aux  bureaux  de  prêts  des  lombards 
et  des  milans  :  industrie  particulière  anéantie, 
ou  du  moins  rendue  clandestine,  sous  Louis  XVI, 
par  la  fondation  du  Mont-de-Piété.  Les  plans  de 
Paris  donnaient  officiellement,  depuis  1652,  à  l'an- 
cienne rue  de  la  Pourpointerie  la  dénomination  qui 
devait  prévaloir  et  qui  était  adoptée  par  l'usage 
depuis  un  temps  beaucoup  plus  reculé.  La  con- 
frérie des  Pourpointiers,  dont  le  bureau  originaire- 
ment s'était  ouvert  dans  cette  rue,  fusionna  avec 


(1)  Notice  écrite   en  1861. 


204  RUE  DES  LOMBARDS. 

celle  des  Tailleurs  d'habits  en  1655.  Le  nom  plus 
ancien  de  Buffeterie  provenait  du  voisinage  des 
Halles  â  une  époque  où  l'une  des  acceptions  du 
mot  hiiffet  avait  pour  sinonyme  bureau;  une  or- 
donnance de  1368  disait  :  «  Seront  au  buffet  de 
la  Halle  des  clercs  sermentés  ». 

Quant  à  Boccace,  il  avait  vu  le  jour  en  l'année 
1313,  et  sa  naissance  était  le  fruit  d'une  liaison 
contractée  en  dehors  du  mariage  par  un  marchand 
de  Florence  ;  son  père  l'avait  renvoyé  à  Paris  pour 
qu'il  s'y  formât  au  commerce,  mais  il  avait  une 
autre  vocation,  à  laquelle  se  doit  son  immortalité. 
Boccace  fut  donc  Parisien,  par  les  impressions 
de  l'adolescence  encore  plus  que  par  la  naissance, 
et  ne  devait-il  pas  en  jaillir  cette  sève  tout-à-fait 
française  qui  perce  à  chaque  instant,  sous  la  tendre 
écorce  italienne,  dans  le  génie  du  poète  et  du 
conteur?  Tous  les  milans  établis  à  Paris  ne 
l'étaient  pas  près  du  berceau  de  Boccace;  on  en 
connaissait  du  Petit-Pont,  d'outre-Petit-Pont,  de 
Saint-Germain-des-Prés.  La  taille  de  Philippe-le- 
Bel  frappait  dans  la  capitale,  en  fait  de  lombards, 
autant  de  compagnies  florentines,  génoises  et 
vénitiennes  que  de  compagnies  milanaises.  Ceux 
de  la  rué  ou  du  quartier  des  Lombards  s'inscri- 
vaient ainsi  : 

«  Philippe  le  lombart,  près  de  sire  Guillaume  Bour- 
don ;  Bi.he  Je  lombart;  Raimbaut  le  lombart  ;  Courtat 
le  lombart  ;  Jacques  le  lombart,  qui  a  la  fille  à  la 
belle  âmelot  ;  Foursi  le  lombart  ;  Bouchet  le  lombart  ; 
Perruche  le  lombart  ;  Rogier  le  lombart  ;  Bertaut  ; 
Cristophe  ;    François;    Vivien,   de   Milan. 

Nous  regrettons  de  l'hospice  Saint-Catherine, 
qui  s'élevait  rue  des  Lombards  à  l'angle  méridional 
de  la  rue  Saint-Denis,  d'abord  la  porte,  que 
décorait  une  belle  statue  de  sainte  Catherine,  ouvrage 
de  Renaudin.  Mais  dites-moi  quel  est  l'asile  gratuite- 


RUE  DES  LOMBARDS.  «05 

ment  ouvert  aux  bonnes  sans  place,  qu'accueillaient  les 
hospitalières  de  Sainte-Catherine,  soumises  comme 
religieuses  à  la  règle  de  saint  Augustin?  Elles 
étaient  tenues  de  loger  pendant  trois  jours  les 
filles  attirées  dans  la  grande  ville  par  l'espoir 
d'y  entrer  en  condition  et  qui  ne  trouvaient  pas 
tout  de  suite  à  se  placer.  Ces  religieuses  étaient 
chargées,  en  outre,  de  faire  enterrer  tous  les 
morts  qu'on  exposait  à  la  Morgue  du  Chàtelet 
et  qui  n'étaient  pas  réclamés.  Ce  service  répugnant 
est  entièrement  confié  h  des  mains  mercenaires 
depuis  la  suppression  de  l'établissement  des  pieuses 
filles  qui,  en  remplissant  un  grand  devoir,  servaient 
de  famille  à  qui  n'en  avait  plus.  Les  catherinettes 
étaient  au  nombre  de  30  en  1770  ;  elles  donnaient 
en  location,  rue  des  Lombards,  plusieurs  maisons 
à  des  particuliers  ;  il  doit  en  rester  une  ou  deux 
en  face  de  l'emplacement  que  les  religieuses 
occupaient. 

Le  même  rue  avait  le  Poids-du-Roi  au  commen- 
cement du  règne  de  Louis  XIV.  Il  y  demeurait 
un  juré-peseur,  que  nommaient  les  épiciers  et  les 
apothicaires,  en  tant  que  préposés  à  la  garde  et 
et  à  la  véritication  des  poids  et  mesures  ;  ce  juré 
conservait  les  poinçons,  les  matrices,  les  étalons 
des  poids  et  mesures  d'un  usage  légal  en  ville. 
Les  revenus  dudit  Poids  public  avaient  d'abord 
appartenu  au  roi  ;  mais  Louis-le-Gros  en  avait 
gratifié  Henri  de  Puelle,  divers  particuliers  en 
avaient  joui  postérieurement,  puis  la  propriété  en 
avait  fait  retour  à  la  Couronne,  qui  s'en  était  de 
nouveau  dessaisie,  et  enfin  le  chapitre  de  Notre- 
Dame  avait  acquis  le  Poids-du-Roi,  avec  le  droit  y 
attaché  de  visite  sur  les  balances.  Pendant  toute 
la  durée  de  la  foire  de  Saint-Ladre  on  transportait 
ce  Poids  dans  les  Halles  et  il  tinit  par  y  rester. 
L'établissement  d'un  droguiste  à  l'enseigne  du 
Mortier-d'Or,   fondé  en  1689,  passe  pour  occuper 


206  RUE  DES  LOMBARDS. 

l'ancien  bureau  du  Poids-du-Roi  ;  mais  cela  n'est 
absolument  exact  que  si  le  magasin,  que  tenait  en 
1745  M"«  Brocliot,  a  reculé  depuis  de  quelques, 
maisons. 

Le  Fidèle-Berger,  magasin  de  confiseur  touchant 
au  Mortier-d'Or,  a  déjà  fourni  les  dragées  de 
plusieurs  millions  de  baptêmes  et  les  bonbons 
d'éirennes  en  boîtes  ou  en  sacs  de  140  premiers- 
de-l'an.  Mais  presque  tous  les  titres  de  noblesse 
commerciale  dont  se  parent  les  maisons  de  la  rue 
des  Lombards  seraient  d'une  origine  plus  reculée 
si  les  droguistes  et  les  confiseurs  n'y  avaient  pas 
eu  intérêt  à  substituer  des  enseignes  anodines  à 
celles  de  l'usure,  du  prêt  sur  nantissement  et 
même  de  la  droguerie  d'importation  italienne.  Gallet 
ne  se  niontra  pas  le  plus  honnête  de  ces  droguistes; 
collaborateur  de  Panard,  de  Collé,  de  Piron, 
et  aussi  joyeux  que  buveur,  il  se  réfugia,  en 
état  de  banqueroute,  au  Temple,  qui  était  lieu 
d'asile  pour  les  débiteurs  poursuivis  et  qu'il  appelait 
le   Temple  des   Mémoires. 

Notre-Dame-des-Victoires  est  encore  la  patronne 
d'une  maison  jadis  habitée  par  Courtinay,  médecin, 
rue  de  la  Pourpointerie.  Ce  médecin,  qui  traita 
d'une  charge  de  secrétaire  du  roi  en  1638,  y 
gagna  l'anoblissement  et  s'appela  Courtinay  de 
Péreuse. 

Trudaine  disposait,  sous  Louis  XVI,  de  la  pro- 
priété qui  vient  immédiatement  après  la  rue 
Nicolas-Flamel.  Trois  autres  maisons  peu  éloignées 
appartenaient  alors  à  Fildesoye,  à  Sarrazin  et  à 
M™*' Badouleau.  Gautier  avait  acquis  en  1767  une 
maison,  sorte  d'échelle  de  cinq  pièces  superposées, 
qui  touchait  à  l'hôtel  du  Saint-Esprit  et  faisait 
retour  sur  la  rue  Saint-Martin  ;  elle  avait  été 
laissée  en  1663  par  Monnier,  notaire,  à  Anne 
Monnier,  veuve  deTisseney,  marchand  de  Bordeaux. 


RUE  DES  LOMBARDS. 


207 


Aussi  bien  M""  Brochot  aurait  pu  certifier  que, 
de  son  temps,  29  façades  en  regardaient  32  dans 
cette  rue,  et  que,  sur  les  deux  rangées,  12, 
tout  au  plus,  avaient  laissé  tomber,  dans  la  répara- 
tion ou  la  reconstruction,  leur  enseigne  sans  la 
"relever.  Les  images  survivantes  se  présentaient  dans 
cet  ordre  : 


#auct)e  : 


Bxaitt  : 


à  partir   de  la  rue  Saint-Martin. 


Les  Deux-Anges. 

L'Etoile-d' Argent. 

L 'Ecu. 

Le  Cheval-Noir. 

Le  Dauphin. 

L' bnage-Sainl-Louis  ■ 

La  Pucelle-d Or'éans . 

La  Couronne. 

L'Image  Saint-Maurice. 

La    Toison  d'Or. 

Le  Petû-Maiire. 

Le   Bras-d'Or. 

La    Clef-d'Argent. 

L'Image  Notr<-Dame. 

Les   Quatre-Vents. 

L'Image- Sainte-Barbe. 

Le  Cigne. 

Le  Corntt. 

Le  Chapeau-Rouge. 

La  Croix-Blanche. 

VEtoile 

Le  Plat-d'Etain. 


L'Agnus-Dei. 

Le  Petit-Panier. 

Le  Grand-Monarque. 

N  otrc-Dame-des-Victoires . 

L  Image-Notre-Dame. 

Le   Petit-Saint-Jean. 

La    Croix-d  Or. 

Le   Vert-Galant. 

L  a  Truie-  Volante. 

Le  Panier  Fleuri. 

La  Prudence. 

Le  Plat-d'Elain. 

Le  Pavillon-des-Singes. 

Le  Roi-Henri 

Le  Marteau-d'Or. 

Le  Poids-du-Roi  (maison   où 

eu   avait  eié   lo  burtau). 
La  Coupe-d'Or. 
Le  Soleil-dOr. 
La  Fleur  de-Lys. 
Les  Vieux- Anus. 
Le  Mortier-dOr. 
Le  Lion-d'Or. 
La  Teur-d Argent. 
Le  Mouton. 
Le  Soleil-de-France 


Rue   f§iaint<-Gilles.  (i) 


Les  Tournelles .  —  Les  Minimes.  —  La  Cour  de 
Venise.  —  L'hôtel  ''e  Morangis.  —  La  Rue  Neuve- 
Saint-Gilles.  —  i/^'"*  de  Lamotte.  —  Le  M'"'  de 
Vaux. 

Le  palais  des  Tournelles  ne  survécut  qu'un 
demi-siècle  au  séjour  de  Saint-Paul,  qu'il  avait 
remplacé  comme  résidence  royale.  Les  minimes  de 
Chaillot  furent  mis  par  Marie  de  Médicis  en  posses- 
sion d'une  portion  du  jardin  des  Tournelles,  où  se 
perçait,  trente  ans  après,  une  rue  entre  celle  Saint- 
Louis  (2)  et  le  Rempart  :  l'église  d'un  nouveau  monas- 
tère des  Minimes  s'y  ménageait  une  entrée  latérale. 
La  statue  de  saint  Gilles,  qui  avait  décoré  sur  ce 
point  le  parc  royal,  donnait  son  nom  à  la  rue. 
Le  mur  de  la  caserne  qui  succède  principalement 
au  couvent  y  conserve  ostensiblement  une  Sainte- 
Vierge  dans  sa  niche. 

Un  immeuble  très-important  répond  aux  nombres 
12  et  14  ;  c'est,  de  plus,  une  ancienne  cour  de 
Venise.  Or  le  plan  de  Paris  en  1652  marque  un 
hôtel  de  Venise  rue  Saint-Gilles.  Cette  ancienne 
résidence  de  l'ambassadeur  de  la  sérénissime  ré- 
publique devint  hôtel  de  Morangis.  Mais  est-ce 
entièrement  du  chef  de  M°"'  de  Morangis,  née 
Guénégaud?  J.  J.  Barillon,  comte  de  Morangis, 
membre  des  conseils  du  roi,  maître-des-requêtes 
du  quartier  d'avril,  augmenta  les  dépendances  de 
la  maison  par  l'acquisition  d'un  terrain  de  7  perches. 


(1)  Notice  écrite  en    1861. 

(2)  Actuellement   Turenne. 


RUE  SAINT-GILLES.  109 

antérieurement  à  1739.  Le  même  titre  de  comte 
était  porté  en  1778  par  M.  Foullon,  de  l'hôtel 
Foullon,  boulevard  du  Temple.  De  scandaleux  procès 
ont,  par  malheur,  lait  parler  d'un  maréchal-de- 
camp,  Jean-François-Charles  de  Molette,  également 
comte  de  Morangis.  Ce  dernier,  ayant  abandonné 
ses  biens  à  ses  créanciers  en  1768,  épousait  treize 
années  plus  tard  en  secondes  noces  M"*"  de  Lépinière, 
mère  d'un  enfant  naturel  du  sexe  féminin,  légitimé  à 
l'occasion  de  ce  mariage  ;  la  mère  fut  ensuite 
arrêtée  comme  bigame,  et  la  fille  devint  grosse 
des  œuvres  du  marquis  de  Morangis,  son 
frère  ;  puis  ce  dernier  accusa  le  comte  d'avoir 
détourné  le  bien  de  sa  première  femme. 

Pas  un  des  comtes  de  Morangis,  que  nous  sachions, 
ne  s'est  allié  à  la  famille  Péreuse.  Charles  Cour- 
tinay,  seigneur  de  Péreuse,  secrétaire  du  roi  et 
médecin,  avait  marié  sa  fille,  Françoise  Courtinay, 
à  Louis  Pi'osper  Bauyn  d'Ange rvi il iers  :  la  branche 
Bauyn  de  Péreuse  n'eut  pas  d'autre  souche.  Le  lieu- 
tenant-général Bauyn,  marquis  de  Péreuse,  a  acquis 
ce  qu'on  appelait  encore  l'ancien  hôtel  de  Venise, 
mais  qui  n'en  était  qu'une  portion,  des  hoirs  du  prési- 
dent Labrosse,  qui  lui-même  y  succédait  à  M"<'Tarade. 
Les  dépendances  s'en  sont  étendues  jusqu'au 
Boulevard,  mais  derrière  un  crochet  que  formait 
la  rue  Neuve-Saint-Gilles  et  qui  s'est  ajouté  -à 
celle  des  Tournelles. 

La  distintion  entre  cette  rue  Neuve  et  celle 
Saint-Gilles  n'a  pas  toujours  été  assez  marquée 
pour  éviter  les  quiproquos.  La  première  eut,  par 
exemple,  une  maison  qui,  d'après  une  description 
de  tabellion,  donnait  rue  Saint-Gilles  et  rue  des 
Tournelles  ;  elle  était  conjointement  5  Gilbert  de 
Gardaigne  d'Hoslen,  comte  de  Verdun,  lieutenant 
de  roi,  commandant  en  la  province  de  Forest, 
et  à  Deiannoy,  paveur,  lesquels  y  tenaient  d'une 
part  aux  hoirs  Baudelot,  d'autre  part   aux    hoirs 


210  RUE  SAINT-GILLES. 

du  chancelier  Boucherat,  et  elle  avait  fait  partie  de 
l'hôtel  de  Nicolas  Baudelot,  contrôleur  de  la  maison 
du  roi,  à  cela  près  d'un  terrain  provenant 
du  chancelier.  Une  autre  maison  à  jardin  de  la 
même  rue  appartenait  ensuite  aux  enfants  de  Ber- 
nage  de  Luçon,  capitaine  au  régiment  de  Champagne, 
et  de  Marguerite  du  Bornage,  son  épouse  ;  les 
actes  la  disaient  sise  derrière  les  Minimes,  entre 
un  hôtel  au  marquis  de  Charron  et  celui  de 
Morangis,  anciennement  de  Venise.  Or  ce  dernier 
attenait  lui-même,  d'après  les  titres  officiels,  au 
jardin  du  chancelier  Boucherat,  derrière  la  chaussée 
des  Minimes  (i). 

Rue  Saint-Gilles  était  un  hôtel  que  le  comte  de 
Brisay,  qui  le  tenait  de  sa  mère,  née  Pinon, 
vendit  à  Claude-Jacques  de  Vigny,  inarquis  de 
Courquetaine,  maître-des-comptes  ;  la  veuve  et  les 
enfants  de  ce  dernier  y  demeuraient  sous  le 
règne  de  Louis  XVI.  Ladite  maison,  bâtie  sur  un 
terrain  aliéné  vers  l'année  1680  par  les  chanoines 
de  Sainte-Opportune,  est  encore  reconnaissable 
entre  la  cour  de  Venise  et  un  pavillon  pour  le 
moins  de  l'ancien  hôtel  Morangis. 

L'emplacement  do  ce  corps-d'hôtel  fut  acquis 
de  Sainte-Opportune  par  Delisle-Mansart,  qui  ne 
s'est  pas  fait  faute  d'y  créer  un  petit  chef-d'œuvre 
d'architecture  domestique.  Sous  la  Régence,  M™*  de 
Morangis  habita  pour  siîr  celte  maison,  qui  lui 
venait  de  sa  mère.  M'"*'  de  Guénégaud.  Soixante 
années  plus  tard,  le  grand-maître  des  eaux-et- 
forêts  Jules  du  Vaucel,  marquis  de  Castelnau,  en 
avait  fait  ses  petits  appartements.  Un  salon  rond, 
dont  les  boiseries  dorées  sont  illustrées  de  peintures 
de  Watteau,  y  précède  une  salle  de  billard,  que 
d'autres  dessus-de-portes  et  des  sculptures  décorent. 
Une  double  porte,   dont  la  menuiserie  est    aussi 


(1)  Maintenaijt  rue  de  Béarn. 


RUE  SAINT-GILLES.  211 

un  travail  d'artiste,  sépare  le  billard  d'un  boudoir, 
la  miniature  d'un  salon.  Le  jardina  été  plus  vaste 
à  proportion  que  l'hôtel  ;  M.  Savard,  propriétaire 
actuel,  a  pris  une  portion  de  ce  qui  en  restait 
pour  en  faire  des  ateliers  où  se  fabrique  sur  une 
vaste  échelle  la  bijouterie  en  or  doublé.  Mais 
quelques  mascarons  qui  donnent  sur  la  cour  ont 
des  sourires  de  gratitude  pour  le  conservateur 
intelligent  d'un  bijou  immobilier,  qui  est  tombé 
entre  bonnes  mains. 

Aussi  bien  Pierre  Delisle-Mansart,  contrôleur  des 
bâtiments-du-roi,  et  sa  femme,  Jeanne  Mercier, 
avaient  laissé  à  leur  fille,  femme  d'Edme  Duraiichin, 
écuyer,  conseiller  du  roi,  contrôleur  des  guerres, 
une  maison  avec  jardin,  dont  les  signes  particuliers 
pouvaient  convenir  îi  la  susdite.  Un  parchemin 
constate  que  l'unique  héritière  de  l'architecte  y  tient 
«  par-ci  aux  représentants  du  marquis  de  Ghîuiron, 
par-là  à  un  loueur  de  carrosses,  par-devant  au 
derrière  de  l'église  des  Minimes  de  la  place  Royalle, 
par-derrière  au  cul-de-sac  qui  répond  du  côté  du 
Boullevard.  » 

Sous  l'un  des  mausolées  de  cette  église  reposait 
Charles  de  Valois,  duc  d'Angouléme,  fils  de  Charles  IX 
et  de  Marie  Touchet.  La  comtesse  de  Lamotte, 
qui  prétendait  descendre  d'un  bâtard  de  Valois  et 
recevait  h  ce  titre  une  pension  de  la  cour,  a 
ourdi  l'affreuse  trame  de  l'intrigue  du  Collier  dans 
une  maison  que  les  uns  disaient  y^ue  Neuve  Saint- 
Gilles,  n"  13,  et  les  autres  rue  Saint-Claude,  mais 
qui  pouvait  bien  venir  dans  ce  que  nous  qualifions 
la  rue  Saint- Gilles. 

Les  n"»  9, 11,  13  et  15  actuels  n'y  faisaient  qu'un  ; 
leur  construct'on  nous  semble  émaner  des  minimes. 

Le  17  a  été  l'hôtel  du  marquis  de  Vaux. 

L'angle  du  Boulevard,  sur  la  même  ligne,  appar- 
tenait en  1791  à   M.  Ménesssier. 


Lies  deux  Rues  Saini-Claude, 

DONT    l'une    est    MAINTENANT 

Cliénier,     et     les     deux     impasses 
8aini-Claude, 

DONT    l'une    est  maintenant 

Saînt-8auveur.   (i) 


Sept  jardins  et  deux  parcs  dépendaient  des 
Tournelles  ;  ils  avaient  absorJDé  tout  ou  partie  du 
clos  Margot,  propriété  des  célestins.  La  rue  Saint- 
Claude-au-Marais  fut  tracée  en  1640  sur  la  lisière 
d'un  terrain  dit  encore  le  clos  Margot,  adjugé 
par  le  bureau  de  la  Ville  en  1686,  avec  un  terrain 
adjacent,  à  Gon  de  Vassigny,  vicomte  d'Argeolieu. 
On  dit  qu'une  statue  de  saint  Claude,  anciennement 
érigée  à  l'extrémité  du  parc  des  Tournelles,  valait 
à  cette  rue  le  nom  qu'elle  porte  ;  mais  i!  est  plus 
probable  que  Claude  Guénégaud,  trésorier  de 
l'Épargne,  propriétaire  dans  les  rues  Saint-Claude- 
au-Marais,  Saint-Louis  et  Saint-Gilles,  fit  lui-même 
placer    sous   l'invocation   de    son  patron,  dans  le 


(1)  Notice  écrite  en  1861.  L'uue  des  deux  rues  Saint-. 
Claude  n'honorait  pas  encore  comrae  son  saint  particu- 
lier J'un  des  deuï  poètes  Chénier,  et  j'aime  à  croire  que 
c'est  André,  qui  demeurait  en  face,  rue  de  Cléry  ; 
mais  on  a  tort,  en  pareil  cas,  d'économiser  le  prénom 
sur  la  plaque  indicative.  L'impasse  Saint-Sauveur,  qui 
maintenant  semble  continuer  Ja  rue  Saint-Sauveur  par- 
d«là  celle  Montmartre,    s'appelait    encore   Saint-Claude. 


LES  DEUX  RUES  SAINT-CLAUDE,  ETC.     îl8 

calendrier  des  rues  de  Paris,  la  nouvelle  voie  de 
communication. 

Il  n'en  pendait  pas  moins  une  image  Saint- 
Claude,  à  l'angle  d'une  rue  Célestine,  chez  Françoise 
Amelot,  veuve  de  Pierre  Bellefin,  greffier  des  bâti- 
ments-du-roi,  qui  tenait  rue  Saint-Claude  à  Langlois, 
charpentier,  et  par-derrière  aux  célestins. 

L'hôtel  que  Claude  Guénégaud  avait  élevé  sur  un 
terrain  qui  avait  appartenu  à  Victor  de  Chamerayes, 
fut  vendu  en  1690  par  les  créanciers  du  fondateur 
à  Calande  de  Guénégaud,  chevalier,  seigneur  des 
Brosses,  conseiller  du  roi,  maître-des-requétes  de 
son  hôtel,  qui  demeurait  rue  du  Grand-Chantier, 
et  puis  il  passa  au  chancelier  Voysin,  le  protégé  de 
M""*  de  Maintenon.  La  porte  en  ouvre  rue  Saint- 
Louis  ;  mais  il  en  reste  des  dépendances  dans 
l'impasse  Saint-Claude,  contiguës  à  d'autres, maisons 
qu'a  encore  possédées  le  trésorier  de  l'Épargne. 
Guénégaud  des  Brosses  se  trouvait,  le  long  de  notre 
rue,  entre  Dupille  ou  Du  Pillé,  receveur-général 
des  finances,  dont  l'hôtel  appartenait  à  sa  femme, 
Marie-Anne  Bollot  de  la  Cour,  et  Halle,  secrétaire 
du  roi,  qu'avait  précédé  Gelléc  du  Buisson. 

Quant  aux  maisons  construites  par  le  vicomte 
d'Argenlieu,  elles  appartenaient,  en  1727,  à  Antoine 
Le  Feuve  de  la  Malmaison,  conseiller  au  parlement, 
et  plus  tard  à  Petit  de  la  Villonnière,  qui  siégeait 
à  la  même  cour  :  les  n°'  8  et  10  nous  les 
représentent  ;  seulement  elles  s'étendaient  jusqu'au 
Boulevard.  Le  6,  par  exception,  paraît  bien  plus 
ancien  que  la  rue  :  il  a  donc  pu  dépendre  du 
palais  des  Tournelles.  Au  milieu  du  xvn«  siècle  il 
ne  s'élevait  encore  aucune  église  au  coin  de  la 
rue  Saint-Claude  et  de  la  rue  Saint-Louis  ;  on  y 
a  vu  un  hôtel  Levasseur,  auquel  pouvait  se 
rattacher  ledit  6  ;  on  y  a  vu  surtout  l'hôtel  du 
grand  Turenne,  mais  encore  par  des  dépendances. 
Il  fut  vendu  en  1684  par  le  cardinal  de  Bouillon 

14 


Î14     LES  DEUX  RUES  Sâ.INT-CLAUDE,  ETC. 

aux  religieuses  de  l'Adoration-perpétuelle-du-Saint- 
Sacrement-de-l'Autel,  avec  une  maison  dont  la 
façade  mesurait  4  toises  sur  la  rue  Saint-Claude, 
où  ces  dames  tinrent,  une  fois  installées  dans  leur 
nouveau  monastère,  à  M.  de  Sainte-Foy,  à  elles- 
mêmes,  à  M.  de  Guénégaud  et  à  Poullain.  Jacques 
Charnel,  intendant  de  justice,  police  et  finances 
des  pays  de  Loraine  et  généralité  de  Metz  et 
Luxembourg,  était  aussi  propriétaire  entre  la  rue 
Saint-Claude  et  quelque  coin  de  l'hôtel  de  Turenne, 
en  1684  ;  Charles  Bourdin  de  Pierre-Blanche, 
secrétaire  des  finances,  avait  tout  à  côté  une 
double  maison,  en  'avanl  du  jardin  du  même  hôtel, 
mais  en  retour  sur  un  cul-de-sac  ou  rue  projetée 
sur  la  rue  des  Tournelles.  On  attribuait  toutefois  à 
!a  rue  Neuve-Saint-Claude,  vers  le  même  temps, 
une  propriété  dans  laquelle  Despont,  bourgeois, 
tenait  à  Nicolas  Lepère  par-ci,  à  la  veuve  de 
François,  tille  et  héritière  de  Catherine  Bégard, 
par-là,  et  au  maréchal  de  Turenne  par-derrière. 
L'une  de  ces  maisons  était  sans  doute  celle  à  porte- 
cochère  que  le  bourgeois  Lapie  de  Soucy  vendait 
le  14  juin  1729  h.  la  présidente  Bretonvilliers,  née 
d'Albon  ;  cette  veuve  de  Leragois  de  Bretonvilliers, 
président  en  la  cour  des  comptes,  était  là  mitoyenne 
avec  M.  Lemasson,  secrétaire  du  roi,  avec  M.  de 
Brèche  et  avec  les  filles  du  Saint-Sacrement.  Au  même 
couvent  s'adossait  une  des  maisons  dans  lesquelles 
on  croit  qu'a  demeuré  M'"»  de  Lamotte,  qui  a 
tenté  de  faire  un  infâme  carcan  d'un  collier,  en 
attentant  à  la  réputation  de  la  reine  Marie- 
Antoinette. 

Le  comte  de  Cagliostro,  que  cette  comtesse 
accusait  d'avoir  reçu  des  mains  du  prince  de  Rohan, 
cardinal,  le  collier  de  la  reine,  courut  tous  les 
pays,  parla  toutes  les  langues,  changea  souvent 
de  nom  et  fit  tous  les  métiers  ;  il  fut  néanmoins 
mis    à    la    Bastille,  en  vertu  des  dépositions  de 


LKS  DEUX  RUES  SAINT-CLAUDE,   ETC.      215 

'intrigante,  ainsi  que  sa  femme,  la  romaine  Séraphina 
Féliciani,  aussi  belle  que  peu  lettrée,  ne  sachant 
ni  écrire  ni  lire.  Sa  mise  en  liberté  fut  un 
triomphe  ;  on  l'attendait  en  foule  pour  le  reconduire 
dans  son  petit  hôtel  du  nM,  rue  Saint-Claude,  et 
ce  retour  était  fêté  par  des  sérénades  et  des  vers, 
des  acclamations  populaires  et  les  bouquets  des 
dames  de  la  Halle.  Tant  que  la  maison  put  tenir 
de  convives,  il  en  soupa  ;  des  pièces  d'argent  et 
d'or  furent  jetées  par  les  fenêtres  aux  parasites 
forcément  éconduits.  Mais  le  lendemain  parut  un 
commissaire  :  le  roi  donnait  vingt-quatre  heures 
à  Gagliostro  pour  quitter  Paris,  huit  jours  pour 
le  royaume.  Le  mobilier  de  l'illustre  aventurier 
ne  fut  vendu  que  cinq  ans  après  sa  mort,  c'est- 
à-dire  en  1810,  dans  l'appartement  même  qu'il 
avait  occupé.  C'est  la  marquise  d'Orvillé  qui  avait 
eu  pour  locataire  le  thaumaturge  du  xvni'^  siècle; 
le  père  de  la  marquise,  Bouthillier,  comte  de 
Chavigny,  capitaine  des  vaisseaux  du  roi,  avait 
fait  bâtir  tant  sur  un  terrain  détaché  de  l'hôtel 
Boucherai  et  acquis  en  1719  de  M"""  de  Harlay, 
héritière  de  son  père,  le  chancelier  Boucherat,  que 
sur  une  place  vendue  par  Etienne  Pauvel,  maître- 
maçon. 

La  chronique  scandaleuse  donne  aiussi  rue  Saint- 
Claude  l'adresse  d'une  D"*  de  Vauvignolles,  entre- 
tenue par  Collet  fils.  Ce  protecteur  était  intéressé, 
pendant  la  guerre  de  Sept-Ans,  dans  la  fourniture 
des  fourrages  de  l'armée.  Mais  ladite  pouvait  bien 
recevoir  les  visites  de  Collet  dans  une  autre  rue 
Saint-Claude,  ouverte  en  1660  entre  la  rue  de 
Cléry  et  la  petite  rue  Sainte-Foy.  Une  image  de 
Saint-  Claude,  pendue  au  coin  de  la  rue  Bourbon- 
Villeneuve  (i),  avait  fait  prévaloir  ledit  nom  sur  celui 


(l;  Présentement   rue  d'Aboukir. 


516      LES  DEUX  RUIS  SAINT-CLAUDE,  ETC. 

de  Sainte-Anne,  porté  antérieurement  par  cette 
petite  voie  de  communication,  qui  garde  à-peu- 
près,  de  nos  jours,  sa  physionomie  de  l'autre  siècle. 
La  carte  de  Paris  ne  met  pas  moins  d'obstination 
à  conserver  deux  culs-de-sac  Saint-Claude.  Le 
second  est  situé  rue  Montmartre.  La  D"^  Beauvoisin, 
après  avoir  vécu  quelque  temps  avec  le  comte 
Dubarry  dans  la  rue  Basse-du-Rempart,  vint 
s'établir  dans  un  appartement  dont  le  balcon  se 
voit  encore  à  l'angle  de  la  rue  Montmartre  et  de 
l'impasse.  Le  marquis  de  Duras  avait  pourvu  aux 
frais  d'emménagement.  Au  marquis  succéda  le 
chevalîér  de  Jaucourt,  qu'elle  trompa  d'abord  avec 
Tombœuf,  officier  aux  gardes-françaises,  et  le 
comte  de  Sade.  Jaucourt  n'en  destinait  pas  moins 
à  l'infidèle  une  aigrette  de  diamant,  qu'on  lui  vola 
dans  son  carrosse  :  il  n'en  avait  donné  qu'une 
pareille  à  la  princesse  de  Bauffremont. 


Rue    iSoly*  (i) 


Les  venelles  deviennent  des  curiosités  ;  mais  il 
faut  être  Parisien  pour  s'y  engager  d'un  pas  ferme  ; 
l'étranger  craindrait  de  s'y  perdre,  la  femme  honnête 
d'y  être  rencontrée.  On  y  sourit  trop  au  passant, 
d'une  fenêtre  ou  d'une  ailée,  pour  la  moralité 
publique  ;  mais  il  faut  passer  quelque  chose  à  des 
coupe-gorges  qui  en  ont  fait  bien  d'autres.  Où  se 
trouver  mieux  à  l'abri  des  accideiits  et  des  ennuis 
qui  sont  occasionnés  ailleurs  par  une  trop  grande 
circulation  ?  Les  petites  rues  supportent  l'abandon 
avec  philosophie  et  bonne  humeur  ;  l'enfant  y  joue 
et  la  griselte  y  chante  ;  l'aveugle  y  chemine  sans 
bâton.  Si  le  ruisseau  dont  elles  se  contentent  se 
cachait  lui-même  sous  un  trottoir,  les  fentes  du 
pavé  permettraient-elles  encore  de  marcher  un 
peu  sur  la  terre  ?  La  sagesse  de  ces  ruelles  se 
réfugie  dans  le  travail  quotidien,  le  chômage  y 
est  dangereux  et  le  vice  une  misère  de  plus. 

Balzac  a  placé  rue  Soly  une  scène  de  roman, 
qui  se  passe  de  son  temps  :  une  femme  du  monde 
s'y  trouve  compromise,  rien  que  pour  avoir  été 
vue  un  matin  dans  cette  ruelle,  moins  dépeuplée 
alors  d'un  genre  de  femmes  qui  n'y  affiche  plus 
aujourd'hui  qu'une  maison. 

La  comtesse  d'Herselles,  au  siècle  précédent, 
bravait  sans  doute  le  préjugé  qui  l'aurait  empêchée 
de  faire  connaissance  avec  une  propriété  qui  lui 
appartenait  :    le   n»    8    de  la  rue.  Une  église,  la 


(1)  Notice  écrite  en  1861. 


218  RUE  SOLT. 

Sainte-Chapelle,  était  propriétaire  du  10  ;  M.  Dionis, 
du  6  ;  le  comte  de  Luges,  du  4.  La  plupart  des 
numéros  impairs  étaient  en  la  possession  de  M.  de 
la  Poterie. 

Parmi  les  prédécesseurs  de  ce  dernier  avaient 
figuré  non-seulement  Bertrand  Soly,  propriétaire 
aussi  rue  des  Vieux-Augustins,  mais  encore  Antoine 
Soly,  un  échevin  du  temps  de  Henri  II,  parrain 
de  la  petite  rue.  Le  plus  gras  des  Seize  de  la  Ligue 
était  un  Soly,  marchand  établi  près  des  Saints-Inno- 
cents, qui  paraissait  trop  large  des  épaules  pour  la 
rue  dédiée  à  sa  famille.  Au  mois  de  mars  1589  il 
fut  envoyé  avec  le  conseiller  Machault  chez  Molan, 
trésorier  de  l'Épargne,  rue  des  Prouvaires,  pour 
y  saisir  360,000  écus  d'or.  Michel  Soly,  l'un  de 
ses  descendants,  était  libraire  à  Paris  :  il  avait 
pour  marque  de  ses  livres  un  Phénix. 


Ru«    Paçevln.  (i) 


L'ancien  hôtel  Massiac,  pour  lequel  nous  renvoyons 
les  lecteurs  à  la  notice  de  la  place  des  Victoires 
et  à  celle  de  la  rue  des  Fossés-Montmartre,  donne 
pourtant  rue  Pagevin.  Une  des  maisons  qui  y  font 
vis-à-vis  aux  dépendances  de  l'hôtel,  fut  le  siège, 
vers  la  fin  du  xvn^  siècle,  de  l'académie  de  la 
Danse,  établie  en  1661,  et  dont  les  membres  se 
proposaient  de  corriger  et  dépolir  la  danse  en  s'y 
exerçant.  Les  académiciens  n'étaient  qu'au  nombre 
de  13;  la  mort  de  chacun  d'eux  donnait  lieu  à  la 
nomination  d'un  remplaçant  ;  les  membres  survivants 
le  choisissaient  parmi  les  maîtres  à  danser,  qui 
pouvaient  tous  se  porter  candidats  :  la  pluralité 
des  suffrages  déterminait  l'admission.  Les  membres 
de  cette  compagnie  jouissaient  du  droit  de  com~ 
mittimus,  comme  les  officiers  commensaux  de  la 
maison  du  roi  ;  ils  étaient  dispensés  de  garde  et 
de  tutelle,  exempts  de  taille  et  de  guet,  et  leurs 
enfants  pouvaient  montrer  leur  art,  comme  pro- 
fesseurs, sans  lettres  de  maîtrise.  Les  assemblées 
de  l'académie  de  la  Danse  avaient  lieu  chez  son 
directeur,  lequel  payait  loyer  au  sieur  Prudot  dans 
la  propriété  voisine  de  la  place  des    Victoires. 

La  portion  de  la  rue  Pagevin  où  siégea  cette 
compagnie,  s'appelait  rue  du  Petit-Reposoir  depuis 
cent  ans,  à  cause  d'un  reposoir  où  s'arrêtait  la 
procession  de  la  Fête-Dieu,  et  elle  s'était  appelée 
Breneuse  comme  le  reste  de  la  rue  Pagevin.  Ce 
vieux  mot  français  de  breneuse  voulait   dire  mal- 


(1)  Notice  écrite  en  18G1. 


990  RUE  PAGEVIN. 

propre.  Mais  la  rue  avait  dû  à  un  particulier,  dès 
le  commencement  du  xiv^  siècle,  le  nom  de  rue 
Jacques-Breneult.  Nicolas  Pagevin,  seigneur  de  l'île 
Louvier,  fut  trésorier-général  de  la  maison  du  duc 
d'Anjou  et  d'Alençon,  frère  de  Henri  III. 

Son  nom  ne  s'est  appliqué,  pendant  deux  siècles 
et  demi,  qu'à  la  section  de  notre  rue  comprise 
entre  les  rues  des  Vieux-Augustins  (i)  et  Coq- 
Héron.  Les  propriétés  du  côté  impair  y  appar- 
tenaient, avant  la  Révolution,  à  la  comtesse  de 
Choiseul-Gouffier,  et  elles  avaient  été  bâties  à  la 
place  des  écuries  de  l'hôtel  d'Épernon,  maintenant 
hôtel  des  Postes. 

Le  surplus  de  la  rue  Pagevin  a  été  dit  Ver- 
delet, Verderet,  Merderet,  de  l'Ordure  et  Breneuse  : 
qualifications  peu  regrettables.  Jean-Jacques  Rous- 
seau y  prit  un  logement  en  quittant  l'hôtellerie  de 
Saint-Quentin,  afin  de  se  rapprocher  de  M.  Dupin  de 
Francœuil,  dont  l'hôtel  était  rue  Plâtrière,  actuelle- 
ment Jean-Jacques-Rousseau,  en  face  de  celle 
Verdelet.  Le  comte  de  Vannaux  était  propriétaire 
de  la  maison  habitée  par  le  philosophe  et  qui 
porte  le  n"  4. 

A  la  rue  Pagevin  se  sont  ajoutées  les  deux  autres 
en  1849. 


(1)  Présentement  rue  d'Argout. 


Rue     de    la  Vrilliére.  (i) 


La  rue  des  Fossés-Montmartre  allait  jusqu'à 
la  rue  Croix-des  Petits-Champs,  avant  le  rac- 
courcissement de  celle-ci.  Mais  la  place  des 
Victoires,  lors  de  sa  formation,  ne  communiqua 
pas  tout  de  suite  avec  la  rue  de  la  Vrilliére  ;  il 
fallut  jeter  par  terre  un  bâtiment  qui  interceptait 
la  vue  de  part  et  d'autre  :  place  fut  ainsi  faite  à 
une  venelle,  dite  rue  Percée,  puis  petite  rue  de  la 
Vrilliére  et  présentement  Catinat,  sur  laquelle 
quatre  maisons  ont  des  croisées,  mais  pas  une 
porte.  Le  plan  de  Lacaille,  en  1714,  présentait 
ladite  ruelle  comme  une  avenue  ajoutée  au  grand 
hôtel  qui  maintenant  est  celui  de  la  Banque  ; 
toutefois  les  deux  rives  de  la  rue  de  la  Vrilliére 
étaient  loin  de  se  relier  par  l'unité  de  propriété. 

La  première  maison  de  cette  rue,  côté  droit, 
appartenait  à  Leduc,  architecte  ;  elle  fut  restaurée, 
sous  le  règne  de  Louis  XV,  par  un  autre  architecte, 
qui  s'appelait  Desmaisons.  Les  bureaux  du  journal 
YUnion,  qui  en  occupent  un  étage,  ont  des  croisées 
donnant  sur  un  balcon  tournant,  dont  la  grille  est 
en  fer  battu  bien  ouvragé.  L'encoignure  de  l'édifice 
sur  la  rue  Croix-des-Petits-Champs  est  arrondie  et 
dépasse  hardiment  l'aplomb  du  rez-de-chaussée. 
Lallemant,  Ludet  et  Chapuis,  contemporains  de 
Leduc,  étaient  propriétaires  des  n°'  6,  8  et  10,  et 
Chevallier  de  la  Motte  avait  le  4,  qu'on  vient  de 
rétablir  de  fond  en  comble. 

Par  conséquent.  Rouillé,  maître-des-requétes  et 


(1)  Notice  écrite   en  1861. 


2Î3  RUE  DE   LA  VRILLIÉRE. 

fermier  des  postes,  n'avait  réellement  acquis,  en 
l'an  1705,  et  chacun  de  nous  se  contenterait  à 
moins,  que  l'hôtel  édifié  au  siècle-  précédent  par 
François  Mansard  pour  le  secrétaire  d'État  Phély- 
peaux  de  la  Vrillièi-e,  seul  ministre  de  Louis  XIV 
que  le  régent  ait  conservé.  Louis-Alexandre  de 
Bourbon,  comte  de  Toulouse,  s'en  rendit  acquéreur 
deux  années  avant  la  mort  du  roi,  son  père,  et 
il  y  fit  faire  des  changements  considérables  par 
Robert  de  Cotte,  architecte.  La  cour  que  cet 
amiral  de  France  tint  à  Rambouillet,  rivalisait 
pour  l'esprit  et  le  ton  avec  celle  de  Sceaux.  Son 
fils,  le  duc  de  Penthièvre,  dernier  héritier  des  fils 
légitimés  de  Louis  XIV  et  de  M""  de  Montespan, 
servit  avec  distinction  et  se  fit  estimer  par  l'exercice 
de  toutes  les  vertus.  Florian,  d'abord  page  de  ce 
prince,  restait  son  favori,  distribuait  ses  bienfaits 
et  gardait  un  logement  dans  son  palais,  quoique 
la  princesse  de  Lamballe,  belle-fille  du  duc,  y 
résidât.  Cet  ancien  hôtel  de  Toulouse  était  décoré  de 
peintures  et  de  bas-reliefs  magnifiques  :  61 
portraits  en  pied  y  représentaient  les  amiraux  de 
France,  depuis  Florent  de  Varennes  jusqu'au  duc 
de  Penthièvre.  Un  ordre  de  la  Convention  y 
transféra  du  Louvre  l'Imprimerie  nationale.  Les 
discours  des  tribuns  les  plus  ardents,  notamment 
ceux  de  Robespierre,  se  tiraient  alors  à  400,000  ; 
toutes  les  fabriques  de  papier  furent  mises  en 
réquisition,  pendant  trois  ans,  pour  subvenir  aux 
exigences  de  cette  immense  consommation.  Marat, 
pour  travailler  pareillement  au  salut  de  la  liberté, 
ne  mettait  pas  en  jeu,  dans  la  cour  du  Com- 
merce, moins  de  trois  presses,  qu'une  autorisation 
écrite  de  Danton,  ministre  de  la  justice,  lui  avait 
permis  d'enlever  à  l'Imprimerie  nationale,  pour 
le  service  deïAmi  du  Peuple.  Laverne,  directeur 
dudit  établissement,  ne  monta  pas  sur  l'échafaud, 
comme  son  prédécesseur,  Anisson-Duperron  ;  mais 


RUE  DE  LA  VRILLIÈRE.  «23 

il  se  jeta  d'une  des  croisées  de  l'hôtel  en  1804. 
L'immeuble,  sept  années  après,  fut  vendu  par 
l'Étal  à  la  Banque-de-France,  dont  les  bureaux 
remplissaient  précédemment,  sur  la  place  des 
Victoires,  le  ci-devant  hôtel  Massiac. 


Rue     de   Cléry.  (i) 


Les  Censives.  —  La  Maîtresse  de  V Abbé  Terray.  — 
Les  Cochery.  — Hôtel  Poqutlin. — M""^ Lebrun.  — 
Ducis.  — M.  Leblanc.  —  M.Necker.  — ■  M.Roland, 
—  Le  Carrefour.  —  Les  Ébénistes.  —  André 
Chénier. 

Sur  un  titre  du  temps  de  Louis  XIII,  la  rue 
de  Cléry  est  encore  désignée  rue  des  Gravois  et 
chemin  le  long  des  fossez  allant  à  la  porte  Saint- 
Denis.  Un  hôtel  de  Cléry  projetait  ses  dépendances 
jusqu'aux  Fossés  de  la  ville  :  n'apparlenait-il  pas  au 
seigneur  de  Cléry,  près  d'Orléans,  dont  l'église, 
Notre-Dame-de-Cléry,  garde  le  tombeau  de  Louis 
XI?  En  disant  que  la  rue  ne  s'ouvrit  qu'en  1634, 
plusieurs  livres  spéciaux  lui  font  tort  de  plus 
d'une  année;  mais  aucune  des  maisons  préexis- 
tantes n'y  répondait  encore  au  nom  de  Cléry, 
comme  sous  le  règne  de  François  I".  La  rue  a 
servi  de  chemin  de  ronde  entre  ce  séjour  et  les 
Fossés  ;  elle  prend  encore  sa  source  près  d'un 
endroit  où  a  surgi  la  porte  Montmartre. 

N°\:  —  dépendait  du  fief  de  l'Arche-Saint-Mandé, 
adjugé  au  sieur  de  l'Arche  le  26  novembre  1656 
et  qui  s'étendait  sur  les  rues  de  Cléry,  Montmartre 
et  Saint-Joseph,  sous  la  censive  du  roi.  Jean  Cochery 
était  possesseur  de  la  maison,  vingt  ans  avant,  et 
Charles  Gouin,  maître-chirurgien,  vingt  ans  après. 
Reconnaissance  passée  au  Terrier  du  roi,  en  1702, 
par  Gilles  du   Caroy,  «  maistre-d'hôtel  du  grand- 


(1)  Notice   écrite   en    1858, 


kUE  DE  CLERY.  225 

maistre  de  la  maison  du  Roy,  tant  en  son  nom 
que  comme  tuteur  de  Jean  du  Caroy,  fourrier  du 
corps  de  la  ducbesse  de  Bourgogne,  tîls  mineur  de 
luy  et  de  Catherine  Gouin,  sa   femme.  » 

iV"  2  :  —  appartenait,  avec  des  chantiers  atte- 
nants, à  Pierre  Gochery  en  1633.  Il  s'y  débitait 
déjà  du  vin  en  1787,  comme  à-présent. 

La  subséquente  appartenait  en  1703  à  Maschary, 
avocat,   qui  l'habitait. 

Il  ne  tiendrait  qu'à  nous  de  poursuivre  assez 
loin  cette  nomenclature,  de  porte  en  porte.  Mais 
des  noms  propres  qui  se  présentent  sans  évoquer 
de  souvenirs,  nous  aimons  à  faire  bon  marché. 
Le  9  appartenait,  du  vivant  des  Gochery,  à 
M"""  Gagny,  veuve  d'un  conseiller.  M"'^  de  Glercy, 
née  Dupuy,  y  devint  mère  de  M"""  Damerval, 
grâce  à  l'abbé  Terray,  près  duquel  M"^  de  Lagarde 
la  supplanta,  Ge  ministre,  ennemi  déclaré  de  la 
dette  publique,  fit  faire  plus  d'une  banqueroute. 
Ghol  de  Glercy,  écuyer,  chevalier  de  Saint-Louis, 
réclama  publiquement  40,000  livres  à  l'abbé  Terray, 
somme  dont  ce  mari  de  M""'  de  Glercy  disait  avoir 
été  lésé  sur  la  vente  de  sa  charge  de  grand-prévôt 
de  la  maréchaussée  de  Lyon.  Maintenant  l'hôtel 
représente  une  sorte  de  cité,  administrée  par  un 
concierge,  qui  se  tient  à  l'affût,  dans  une  logea 
guichet  grillé  comme  un  bureau  de  papier  timbré  ; 
la  profondeur  y  est  due  à  l'ancien  jardin.  Le  11, 
autre  hôtel  du  grand  siècle,  qui  a  gardé  une  rampe 
de  fer,  fut  élevé  par  Deroux,  occupé  par  M'"^'  Damand, 
puis  arrangé  pour  Damand,  trésorier  du  marc- 
d'or,  vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XV.  Fiez-vous 
au  mascaron  qui  décore  la  grande  porte  du  13 
et  en  reporte  l'origine  au  même  temps  ;  mais 
regardez  comme  plaquées  sur  la  cour  depuis  peu 
de  temps  deux  tourelles,  qui  rappelleraient  l'hôtel 
Oléry.  Hénin,  secrétaire  du  roi,  vivait  sous  le  toit 


226  RUE  DE  CLERY. 

d'après.  La  porte  cintrée  du  14  fut  franchie  par 
Pierre  Cochery,  déjà  nommé,  qui  en  était  proprié- 
taire un  siècle  et  demi  avant  le  clievalier  Lembert. 
N°  17.  —  Encore  le  même  Cochery  à  reconnaître 
pour  père  de  cet  immeuble,  né  sur  l'ancien  em- 
placement de  la  voirie  de  Saint-Magloire,  fief  du 
Glos-aux-Halliers.  De  l'abbaye  Saint-Magloire,  repré- 
sentée par  l'archevêché  de  Paris,  pour  la  percep- 
tion de  quelques  droits  de  cens,  et  de  l'abbaye  de 
Montmartre,  pour  une  dîme,  relève  ce  fief  allant 
jusqu'à  l'égout,  jusqu'au  futur  boulevard  Poisson- 
nière. L'hospice  de  Sainte-Catherine  est  toutefois 
seigneur  censitaire  du  quart  du  terrain  passant  de 
Pierre  Cochery,  qui  trouve  d'autres  amateurs  pour 
le  reste  du  même  lot,  à  Louis-Henri  de  Berthelot, 
qui  y  laisse  à  ses  filles,  M""*  de  Lansac  et  la  mar- 
quise de  Vernouillet,  l'hôtel  dont  il  s'agit  céans. 
Louis-Robert  Halle  de  Chevilly  acquiert  en  1767  ; 
après  lui  vient  sa  veuve.  A  cette  propriété  fait 
vis-à-vis,  dans  le  principe,  un  vaste  espace  où  se 
tient  le  jeu  du  Pai-ie-Maii  ;  mais  avant  peu  il 
s'y  érige  une  série  de  maisons  bourgeoises,  qu'on 
y  retrouve. 

iV°'  19  et  21.  —  Robert  Poquelin,  prêtre  et  docteur 
en  Sorbonne,  est  regardé  comme  l'un  des  nom- 
breux frères  de  Molière  ;  il  a  pris  la  qualité  d'oncle 
en  signant  au  contrat  de  mariage  d'un  neveu  et 
d'une  nièce  du  plus  grand  des  poètes  dramatiques  ; 
un  autre  membre  de  cette  famille,  dont  le  prénom 
est  identique,  n'a  pas  eu  moins  de  vingt  enfants. 
On  fait  naître  le  théologien  en  1630  ou  bien  1632; 
on  assure  qu'il  est  mort  en  décembre  1714  ou  en 
janvier  1715.  Nous  découvrons,  en  ce  qui  nous 
concerne,  qu'aux  termes  d'un  acte  passé  devant 
Lefèvre,  notaire  à  Paris,  le  8  juin  1700,  il  a  fait 
donation  à  Louis  de  Lubert  d'un  grand  hôtel  avec 
jardin,  contenant  759  toises  de  la  ci-devant  voirie 
de  Saint-Magloire,  quoique  tributaire    de    Sainte- 


RUE  DE  CLÉRY.  227 

Catherine  pour  le  cens,  et  dont  les  deux  immeubles 
susindiqués  sont  la  division.  Louis  de  Lubert 
lègue  la  propriété  à  l'une  de  ses  tilles,  qui  a  pour 
héritiers  sa  sœur,  Marie-Madeleine,  fille  majeure, 
et  son  frère,  Louis-Pierre,  lesquels  vendent  l'hôtel 
Poquelin,  en  1778,  à  Jean-Baptiste  Pierre  Lebrun, 
marchand  de  tableaux,  époux  de  M""'  Vigée-Lebrun, 
peintre  célèbre.  Le  mari  forme,  de  son  côté,  une 
riche  galerie  dans  la  maison.  M™"  Lebrun,  dans 
son  appartement,  reçoit  une  fois  par  semaine  tous 
les  princes  de  l'esprit,  des  arts  et  de  la  mode  : 
les  derniers-venus,  fussent-ils  maréchaux  de  France 
ou  princes  de  Prusse,  s'asseoient  par  terre,  faute 
de  place.  Grétry,  Gaiat,  Martin,  Viotti,  Sacchini 
et  Cramer  font  de  la  musique  avec  la  maîtresse 
du  logis,  dont  la  voix  argentine  a  du  charme  et 
qui  joue  aussi  bien  la  comédie  qu'elle  chante.  Une 
fêle  à  la  grecque  s'improvise,  une  après-dînée, 
chez  elle  ;  M.  de  Pezai,  neveu  de  Cassini,  et  qui 
demeure  dans  le  même  hôtel,  contribue  à  la  mise 
en  scène  de  ce  souper  chez  Aspasie  :  en  Athéniennes 
paraissent  des  invitées,  telles  que  M"'"^  Chalgrin, 
fille  de  Vernet,  et  M"'^  de  Bonneuil,  future  comtesse 
Regnault-de-Saint-Jean-d'Angély  ;  des  convives  sont 
à  demi  couchés  autour  d'une  table,  et  le  Chypre 
circule  dans  des  coupes,  pendant  que  la  mélopée 
antique  renaît  de  l'accouplement  des  sons  douce- 
ment tirés  d'une  lyre  d'or  avec  une  ode,  aux 
strophes  qui  s'exhalent  des  lèvres  d'un  poète 
couronné.  Portée  en   1793  sur  la  liste  des  émigrés, 

3uand  M""^  Lebrun  rentre  en  France,  après  un  laps 
e  neuf  années,  elle  est  reçue  par  son  mari  dans 
une  maison  bâtie,  rue  du  Gros-Chenet  (mainte- 
nant du  Sentier),  aux  dépens  du  jardin  de  l'ancien 
hôtel  Poquelin  ;  mais  elle  donne  encore  des 
concerts,  rue  de  Cléry,  dans  une  salle  qui, 
sous  la  Terreur,  a  discrètement  servi  à  dire 
la    messe,    bien    que    la   maîtresse    de    maison 


228  RUE  DE  CLÉRY. 

exilée,  peut-être  même  Molière  à  ses  débuts, 
en  eût  fait  plusieurs  fois  une  salle  de  spectacle. 
Dans  la  même  salle,  sous  la  Restauration,  ont  eu 
lieu  une  exposition  de  peinture,  au  profit  de  quelque 
bonne  œuvre,  et  les  concerts  du  chevalier  Berton, 
compositeur,  fils  et  petit-fils  de  musicien,  habitant 
alors  la  maison. 

N°  23.  — A  Picard,  trésorier  des  Parties-Gasuelles 
au  milieu  du  siècle  xvn,  puis  à  sa  veuve,  puis 
à  M.  de  Bragelongne,  puis  à  M.  de  Ghastulé  :  voilà 
pour  les  propriétaires.  Mais  Ducis,  en  1808,  avait  là 
un  appartement  ;  il  y  fut  honoré  pour  la  seconde 
fois  d'avances  dues  à  son  mérite,  mais  que  ses 
opinions  lui  imposaient  de  refuser.  Bien  que  déjà, 
nouveau  Joseph,  il  eût  laissé  le  manteau  de  sénateur 
entre  les  mains  du  tentateur,  on  lui  offrait  encore 
la  croix-d'honneur.  —  J'ai  refusé  pis,  osait  répondre 
Ducis. 

iV°  25.  —  Les  Picard  en  ont  également  disposé, 
et  la  famille  de  Cuisy  au  siècle  suivant.  Un  des 
grands  noms  de  ce  temps-ci,  qui  a  commencé  au 
barreau,  se  rattache  à  la  même  maison,  où  un 
logement  degarçon  suffisait,  vers  1830,  à  M.  Baroche, 
président  actuel  du  conseil  d'État.  Les  savants  du 
quartier  la  prennent  pour  l'ancien  hôtel  de  M.  Le- 
blanc, ministre  de  la  Guerre,  qui  a  contribué  à 
la  découverte  de  la  conspiration  de  Gellamare  ; 
mais  cette  propriété  voisine,  que  M.  Necker  et 
M'"''  de  Staël  ont  aussi  occupée,  que  M-"*"  des 
Fournels  a  louée  ensuite  à  la  régie  des  Droits-Réunis 
et  puis  IIP  mairie,  section  de  Brutus,  a  disparu, 
en  1842,  sur  le  passage  de  la  rue  de  Mulhouse. 
Plus  ou  moins  près  dudit  hôtel  il  y  en  avait  un 
autre  qu'on  regardait  comme  l'œuvre  de  Richer  et 
que  M.  Roland  habitait  dans  les  commencements 
de  la  Révolution. 

Une  statue  de  sainte  Gatherin'î^  l'angle  de  la 


RUE  DE  CLERY.  229 

rue  Poissonnière,  rappelle  que  l'hospice  de  ce  nom, 
ayant  pignon  sur  le  carrefour,  exerçait  son  droit 
de  censive  sur  les  hôtels  que  nous  venons  de  citer. 
En  face,  une  maison  avance  en  angle  aigu  sur  la 
rue  du  Petit-Carreau  ;  Gabriel  Herbault,  secrétaire 
du  roi,  se  la  fit  adjuger  au  Châtelet  en  1738 
et  la  transmit  aux  siens. 

Là  finissait  en  1714  la  rue  de  Cléry,  forte  de 
39  maisons,  de  15  lanternes.  Elle  portait  le  nom 
de  Mouffetard  depuis  ce  carrefour  jusqu'à  la  porte 
Saint-Denis  et  9  lanternes  pour  42  maisons,  qui 
suivaient  l'ancienne  contrescarpe,  restée  sous  la 
censive  du  roi.  On  y  remarquait  déjà  une 
construction  à  façade  sculptée,  au  second  coin  de 
la  rue  Poissonnière  ;  elle  avait  alors  une  grande 
porte,  et  M.  de  Noisy  en  était  propriétaire,  ainsi 
que  de  la  maison  voisine,  dans  les  premières 
années  du  xvni®  siècle. 

Desgouttières,  marchand  de  vins,  se  rendait 
adjudicataire,  en  1784,  de  l'encoignure  qui  fait  vis- 
à-vis.  La  quatrième  maison,  même  côté,  avait 
enseigne  :  Au  Roi-Louis  XIII  ;  un  rôtisseur,  nommé 
Ruelle,  l'avait  acquise  en  1682  des  héritiers  de 
Forestier,  menuisier,  qui  l'avait  lait  bâtir  trente- 
cinq  années  avant  sur  un  terrain  au  sieur  Anne 
de  Louis.  Beaucoup  de  menuisiers-ébénistes  se 
suivaient  déjà  dans  les  boutiques  de  la  rue.  Néan- 
moins Berthelot  de  Pléneuf,  baron  de  Blaye, 
munitionnaire  des  vivres,  y  possédait  une  grande 
propriété,  cinquième  avant  la  rue  Sainte-Claude  (i), 
que  le  roi  se  vit  obligé  à  prendre  en  compte, 
puis  qui  passa  pour  sûr  à  Leblanc,  le  ministre. 

Enfin,  dans  un  immeuble  à  gauche,  faisant  retour 
sur  la  rue  Beauregard,  à  l'extrémité  de  celle 
Cléry,  s'opéra  l'arrestation  d'André  Chénier,  con- 


(1)  Maintenant  rue  Chénier. 

15 


230  RUE  DE  CLERY. 

damné  à  mort  le  7  thermidor  an  xi.  Le  poète  s'y 
livrait  à  l'étude  beaucoup  plus  qu'aux  conspirations  ; 
mais  il  avait  fait  insérer  dans  le  Journal  de  Paris 
des  lettres  qui  le  rendaient  un  des  chefs  du 
parti  proscrit  le  7,  mais  triomphant  le  9  du 
même  mois. 


Rue   de  Cliehr.  (i) 


Le  Coin  de  Verdure.  —  La  Robe  en  Gage.  —  Le 
Misanthrope.  —  M.  Boulin.  —  Tivoli  I^"  — 
M.  Daiigny.  —  Le  Duc  de  Gramont.  — M^^'^  Coupé. 
—  M.  de  la  Bouxière.  —  Tivoli  H. 

Elle  fut  d'abord  chemin  de.  Glichy,  en  raison 
du  village  dont  elle  prenait  la  direction  ;  puis 
rue  du  Coq,  à  cause  du  château  du  Coq  et  des 
Petits-Porcherons,  devant  lequel  elle  partait  de 
notre  rue  Saint-Lazare. 

Chaque  printemps,  il  n'y  a  pas  longtemps,  char- 
geait encore  trois  acacias,  de  grappes  blanches 
et  parfumées,  au  coin  de  la  rue,  sur  la  droite  ; 
à  l'ombre  de  ces  arbres  se  dressait  une  étagère 
de  melons  à  vendre,  pendant  les  chaleurs  de  l'été, 
et,  aussitôt  que  les  rameaux  épineux  n'avaient  plus 
même  de  feuilles,  un  Auvergnat  faisait  rougir  sa 
poêle,  au  pied  des  acacias,  pour  y  griller  le  fruit 
du  marronnier.  Derrière  cette  sorte  de  tonnelle, 
qu'a  renversée  le  vent  du  progrès  sous  la  dernière 
république,  un  comptoir  en  étain  étalait  déjà  ses 
gobelets,  et  un  homme  en  tablier  brun,  pourvu 
d'un  sac  à  la  malice  comme  (  elui  des  escamoteurs. 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  de  Ciichy  ne  se 
tient  plus  qu'à  cloche-pied  dans  la  rue  Saint-Lazare, 
depuis  que  l'église  et  le  square  de  la  Trinité,  avec  une 
sorte  de  grande  place,  en  ont  absorbé  tout  le  bas  du  côté 
droit.  Elle  finissait  à  la  barrière  Ciichy,  au  lieu  de 
laquelle  une  place  du  même  nom  a  j)Our  centre  un 
monument,  érigé  en  1869  et  commémoratif  de  Ja  défense 
de   Paris    par  le  maréchal  Moncey. 


933  RUE  DE  CLICHY. 

débitait  aux  buveurs  n'ayant  pas  d'autre  cave  que 
celle  du  coin  des  rues,  le  via  d'un  cru  qui  n'aura 
jamais  de  nom,  mais  à  un  prix  plus  élevé  que 
l'ordinaire  des  meilleures  tables.  Du  paysage 
rétrospectif  que  notre  plume  vient  d'esquisser, 
arbres  et  fleurs  ont  disparu  ;  il  ne  l'esté  plus 
que  la  fabrique,  diminutif  d'un  ancien  cabaret  de 
la  Grande-Pinte  ou  delà  Petite-Pologne,  qui  était  plus 
en  regard  de  la  chaussée  de  la  Grande-Pinte  ou 
d'Antin. 

A  côté  du  comptoir  d'étain,  depuis  un  temps 
immémorial,  se  tapit,  au  n*  4,  un  petit  garni, 
le  refuge  des  bonnes  sans  place  qui,  au  lieu  de 
chercher  de  nouvelles  conditions,  prennent  souvent 
le  parti  d'en  faire.  Une  jeune  femme  y  vécut,  au 
commencement  du  règne  de  Louis-Philippe,  dans 
un  état  de  dénùment  que  son  amour  pour  un  tout 
jeune  homme  rendait  alors  intéressant  ;  ayant 
laissé  en  gage  sa  dernière  robe  chez  le  costumier  du 
Prado,  elle  garda  trois  mois  la  chambre;  le  peu 
d'argent  que  l'amant  se  procurait  était  remis  tous 
les  soirs  au  marchand  de  marrons  d'en-bas,  qui 
faisait  quelques  provisions,  mais  si  peu  que  la 
pauvre  lille  en  devenait  maigre  pour  sa  vie,  et 
le  loyer  courait  toujours  :  la  robe  de  cette  Mimi- 
Pinson  ne  iut  dégagée  qu'après  Pâques.  Que  les 
temps  sont  changés  !  elle  roule  maintenant  voiture  ; 
ses  amples  robes  font  un  frou-frou  du  diable. 
Faut-il  vous  dire  enfin  son  nom?  La  chanson  des 
Reines  de  Mabiile  le  fait  rimer  avec  Clara:  par 
malheur,  la  rime  n'est  pas  riche. 

L'autre  encoignure  est  une  maison  Guillaume, 
bâtie  vers  la  fin  du  xvni^  siècle. 

Un  peu  au-dessus  du  petit  garni,  une  grande 
masure  avec  des  dépendances  avait  l'air  d'être 
inhabitée  ;  les  murailles  s'en  lézardaient,  ses  per- 
sienues  se  mangeaient  aux  vers,  malgré  le  rideau 


RUE  DE  CLICHY.  238 

extérieur  des  toiles  d'araignée  qui  y  pendaient 
en  loques,  et  le  toit  pliait.  Le  décès  du  propiùétaire 
s'y  déclara  pourtant  en  1844,  et  il  avait  passé 
là  une  quarantaine  d'années  avec  sa  bonne.  C'était 
un  misanthrope,  qui  ne  souffrait  ni  qu'on  fît  une 
réparation  au  bâtiment  ni  qu'on  échenillàt  le  jardin. 
Reçu  avocat  dans  sa  jeunesse,  il  avait  pris  le 
monde  en  dégoiit  à  la  suite  du  refus  d'une  demoiselle 
dont  il  avait  demandé  la  main. 

Un  des  fondateurs  de  la  compagnie  du  canal 
de  rOurcq,  M.  Hainguerlot,  a  laissé  à  sa  fille, 
M"*  de  Vatry,  un  hôtel  qu'occupait  la  légation 
d'Espagne  il  y  a  douze  ans,  mais  qui  fut  édifié 
au  siècle  dernier  pour  le  financier  Boutin, 
trésorier- général  de  la  marine.  En  ce  temps-là 
on  appelait  des  Folies  les  plus  grandes  maisons  de 
campagne  qui  se  créaient  dans  les  faubourgs  ; 
mais  Boutin  eut  sur  Méricourt,  Regnault  et  Ram- 
bouillet cet  avantage  qu'on  se  contenta  longtemps 
de  dire  Boutin  le  jardin  qu'il  fut  le  premier  à 
qualifier,  en  mémoire  de  celui  d'Horace,  Tivoli. 
Merveille,  en  effet,  que  ce  jardin  !  il  était  dessiné 
surtout  dans  le  genre  anglais,  une  innovation 
pour  la  France;  mais  il  avait  tant  d'étendue 
qu'on  avait  pu  y  faire  la  part  de  la  manière  de 
Lenôtre.  Outre  ses  arbres,  ses  espaliers,  ses  fleurs 
et  ses  pièces  d'eau,  on  vantait  du  riche  finan- 
cier la  collection  de  minéralogie,  le  cabinet 
d'histoire  naturelle  et  les  serres  pleines  de  raretés. 
Cet  hôtel,  qu'embellit  encore  une  spacieuse  cour 
ombragée,  n'était  alors  qu'un  pavillon  d'honneur, 
avec  son  escalier  grandiose  ;  le  domaine  avait, 
rue  de  Clichy,  une  entrée  principale,  c'est  vrai, 
mais  à  l'usage  du  jardin,  qu'on  demandait  souvent 
à  visiter.  De  plus  grande  importance  était  l'hôtel 
de  la  rue  Saint-Lazare  élevé  sur  la  lisière  du 
jardin  Boutin  en  1788,  comme  nous    l'avons    dit 


iU  RUE  DE  CLICHY. 

dans  la  monographie  de  cette  rue  (i).  Combien 
d'autres  rues  devaient  sortir  de  ce  Tivoli,  premier 
du  nom  !  Des  fêles  brillantes  y  eurent  lieu  sous 
le  Directoire,  époque  altérée  de  plaisirs;  les 
incroyables  mirent  donc  à  la  mode  ce  Tivoli  où  l'on 
dansait,  sans  préjudice  pour  divers  autres  jeux, 
pendant  toute  la  belle  saison.  C'était  pourtant  le 
temps  où  les  Clichiens,  dont  les  réunions  politiques 
se  suivaient  de  près  dans  ce  lieu  de  plaisir, 
lurent  déportés  à  la  Guyai'C.  Tivoli,  durant  le 
Consulat,  resta  quand  même  de  bonne  compagnie  ; 
sa  décadence  ne  commença  qu'aux  dernières  années 
de  l'Empire.  Napoléon  y  donna  un  banquet  h  la 
garde  impériale.  Sous  la  Restauration,  les  fêtes 
avaient  pris  de  telles  allures  que  s'en  abstenir  devint 
du  meilleur  ton.  Aussi  bien  le  premier  Tivoli,  sous 
le  règne  de  Charles  X,  fut  transformé  en  un  quartier 
nouveau  par  Mignon  et  Inguermann. 

Cliaussart  avait  dessiné  pour  M.  de  Meulan, 
receveur-général  des  finances,  une  maison  que 
Germain  Brice  disait  située  un  peu  plus  bas  que 
le  jardin  Boutin,  en  notre  rue  ;  une  manière 
d'almanacli  la  mettait,  au  contraire,  un  peu  plus 
haut  en  1787,  et  c'est  à-peu-près  l'endroit  où 
Lemaire  voyait  en  1813  un  hôtel  Gramont.  M.  de 
Meulan  eut  un  tîls  receveur  de  la  généralité  de 
Paris  et  pour  petite-tilie  iM"""  Guizot.  Presque  en 
face  avait  son  hôtel  M.  Daugny,  le  Richer  ou 
le  Domange  de  son  temps.  Le  fermier-général  son 
père  avait  épousé  la  Liancourt,  petite  chanteuse, 
qui  était  la  fille  naturelle  d'une  autre  actrice  de 
ropérn,  nommée  Duvàl,  surnommée  Bout-saiyneux 
et  la    Constitution. 


(1)  L"dit  hôtel  de  la  rue  Saint-Lazare  s'est  recon- 
struit récemment  pour  les  bureaux  du  chemin  de  fer 
de  Lyon.  Ceux  de  la  compagnie  d'Orléans  occupent 
largement   la   place   de  l'hôtel  de   la  rue   de    Clichy. 


RUE  DE  CLICHY.  235 

Le  duc  de  Gramont  ne  doit  pas  a^^oir  eu  moins 
de  deux  hôtels  en  cette  rue  :  l'un  a  pu  être 
antérieurement  à  tel  ou  tel  des  propriétaires  pré- 
cités et  l'autre  postérieurement  à  M"*"  Coupé,  de 
l'Opéra.  Le  terrain  de  la  rue  de  Berlin  lui  appar- 
tenait sans  nul  doute  du  côté  de  celle  Clichy. 

M"«  Coupé  eut  elle-même  deux  hôtels  di  primo 
cartello,  qui  s'embrassaient.  Elle  cacha  dans  l'un 
des  deux,  à  une  époque  où  les  jeux  et  les  ris  ne 
prolongeaient  aucune  jeunesse,  Vergniaud,  Roger- 
Ducos  et  Fonfrède  :  Robespierre  mettait  déjà  les 
girondins  au  ban  de  la  République,  comme  tédéra- 
listes.  La  villa  du  haut,  près  la  barrière,  n'était  à 
M"*"  Coupé  qu'en  jouissance  viagère  ;  Robert  Jaunel, 
intendant-général  des  postes,  avait  donné  80,000 
livres  pour  l'y  metlre,  en  réservant  la  nue-pro- 
priété aux  entants  de  M"''  de  Lumigny,  amie  qui 
vivait  avec  elle.  Une  pension  de  l'Université,  dirigée 
par  M.  Barthélémy,  puis  par  M.  Rouit,  a  occupé 
en  grande  partie  ledit  hôtel  ;  il  en  subsiste  un 
pavillon,  88,  rue  d'Amsterdam,  habilement  refait 
par  M.  Pigeory  pour  M™°  de  Nujac,  élégante  femme 
du  demi-monde  qui  ne  manque  pas  une  course  de 
Chantilly.  L'abbaye  de  Montmartre  avait  directement 
vendu  à  la  charmante  usufruitière  un  arpent  de 
terrain,  sans  que  nous  puissions  dire  sur  quel 
point.  Une  maîtresse  de  pension  exploite  un  peu 
plus  bas,  au  n°  57,  la  seconde  maison  de  M"^  Coupé. 
C'était  vraisemblablement  une  des  libéralités  de 
M.  de  Gramont,  à  qui  revenait  cher  l'amour  de 
sa  voisine.  Il  lui  donnait  100  000  livres  par  enfant, 
elle  ne  fut  pas  moins  de  six  fois  mère.  L'architecte 
Harris,  son  dernier-né,  périt  en  1848,  victime  de 
la  guerre  civile,  à  la  tête  d'une  légion  de  la  garde 
nationale,  dont  il  était  le  colonel. 

Mais  doit-on  voir  en  cette  actrice,  à  laquelle  les 
Biographies  n'ont  pas  consacré  d'article  que  nous 


Î3«  RUE  DE  CLICHY. 

sachions,  une  chanteuse  ou  une  danseuse?   Deux 
quatrains  ont  couru  en  1752,  qui  lui  reconnaissaient 
un  talent  dont  ils  vont  nous  donner  l'écho  : 
L'un  disait  : 

Quand   vous    chanlez,  belle   Coupée, 
Trop  attentif  à   vos    attraits  ; 
J'ignore   si  mon  àme  est  bien    j'ius  occupée 
De  votre   chant  ou   de    vos  traits. 

Et  voici  l'autre  quatrain  : 

Coupé,    mille  amours  sur  vos    traces 
Viennent   entendre   yos   chansons; 
Vous   les   attirez  par   des   sons 
Et  les  retenez  par  des  grâces. 

Une  actrice  récitante  et  chantante  de  ce  nom 
avait  pris  sa  retraite  en  1750,  avec  une  pension 
de  1000  livres,  qui  s'est  élevée  dans  les  bonnes 
années  à  1300,  et  qu'elle  touchait  encore  en  1766. 
Si  elle  ne  reparut  pas  sur  la  scène  après  l'avoir 
quittée,  c'est  qu'elle  avait  laissé  une  fille  ou  une 
soHir  cadette  dans  le  même  emploi.  Impossible  en 
tout  cas  que  les  Coupé  fussent  moins  de  deux,  les 
ballets  ayant  eu  la  leur  pendant  plusieurs  années 
où  le  personnel  du  chant  avait  aussi  la  sienne. 
Le  Journal  de  Barbier,  dès  le  mois  d'aout  1742, 
parlait  d'une  petite  Coupé,  comme  s'il  y  en  avait 
une  plus  grande  : 

«  La  petite  Coupé,  disait-il,  s'est  entêtée  d'un  gre- 
1  uchou  étranger.  Le  milord  StrafFord,  qui  a  été  averti 
qu'elle  voulait  s'enfuir  avec  lui,  a  fait  tapage.  Tout 
est  raccommodé    » 

Ml'''  Coupé  représentait  l'Amour  dans  les  Fêtes  de 
V Hymen  et  de  V Amour,  le  15  mars  1747.  La  danseuse 
appartenait  encore  à  l'Opéra  en  1759  ;  mais 
l'année  suivante  elle  était  déjh   riche,  d'après  une 


RUE  DE  CLlCHY.  237 

chronique  inédite,  et  elle  passait  la  nuit  du  jeudi 
13  novembre  avec  le  comte  de  la  Marche,  prince 
du  Sïing,  qui  n'en  avait  pas  moins  plusieurs 
maîtresses  et  notamment  la  D"'^  Coraliiie,  ancienne 
actrice  de  la  Comédie-Italienne.  Cette  nouvelle 
à  la  main  nous  paraît  concerner  la  belle  de 
nuit  qui  fut  ensuite  celle  du  duc  de  Gramont. 

M.  de  la  Bouxière,  fermier-général,  avait  en 
regard  des  propriétés  Gramont  et  Coupé  un  parc 
de  20  arpens,  avec  un  pavillon  du  dessin  de 
Carpentier.  C'était  un  édifice  à  la  romaine,  d'ordon- 
nance ionique;  à  pilastres  et  couronné  d'une 
balustrade,  Tivoli  ne  quitta  l'ancien  jardin  Boutin 
que  pour  l'ancien  parc  La  Bouxière,  et  ce  lieu  de 
plaisance  public  redevint  à  la  mode.  Par  malheur  la 
prison  pour  dettes,  dite  Clichy,  diminuait  et  assom- 
brissait le  jardin,  avant  que  Tivoli  disparût  de  nou- 
veau sous  la  crue  de  maisons  et  de  rues  qui  l'avait 
déjà  submergé  plus  bas.  Cette  phase  de  l'inondation 
ne  laissait  surnager  du  second  jardin  public  de 
la  rue  de  Clichy  que  des  ilôts  de  verdure,  entière- 
ment entourés  de  murs,  et  le  pavillon  La  Bouxière, 
affilié  à  la  rue  Moncey. 


Rue    Cloehe-Perce.  [i] 


En  l'année  1733  a  paru  le  grand  ouvrage  sur 
Paris  signé  Sauvai  ;  mais  Sauvai,  conseiller  au 
parlement,  n'en  avait  établi  que  les  rudiments, 
sous  la  forme  de  notes,  qu'il  ne  destinait  pas  à 
l'impression,  et  plusieurs  de  ses  collègues  avaient 
fait  le  reste.  D'après  le  livre  dont  nous  parlons, 
la  rue  Cloche-Perce  fut  dite  vers  1660  de  la 
Grosse-Margot,  à  cause  d'un  cabaret.  Bien  que 
Sauvai  et  C'*"  ne  représentent  pas,  à  nos  yeux,  une 
autorité  infaillible,  cette  version  est  plus  vraisem- 
blable que  cei'taine  tradition  qui  veut  que  Marguerite 
de  France,  illlo  de  Henri  II,  puis  reine  de  Navarre, 
ait  séjourné  au  n"  14.  Cette  princesse,  qui  ne 
donnait  pas  l'exemple  de  toutes  les  vertus  s'il  faut 
s'en  rapporter  au  sens  qui  fait  encore  prendre 
adjectivement  l'abrégé  de  son  propre  nom,  peut 
avoir  ou  rendu  ou  reçu  d'amoureuses  visites  rue 
Cloche-Perce  ;  Charles  IX  lui-même  avait  dit  :  — 
En  donnant  ma  sœur  Margot  au  prince  de  Béarn, 
c'est  comme  si  je  la  donnais  à  tous  les  huguenots 
de  France...  Mais  la  résidence  avérée  de  cette 
reine,  depuis  son  divorce  i»  l'amiable,  était  son 
palais  de  la  rue  de  Seine.  D'ailleurs,  il  est  peu 
présumable  que  Louis  XIV,  qui  régnait  h  l'époque 
indiquée  par  Sauvai,  ait  toléré  qu'une  rue  de  Paris 
portât,  du  chef  de  la  première  femme  de  son 
aïeul,  la  dénomination  de  Grosse-Margot.  Mieux 
vaut  donc  croire  à  une  enseigne.  La  rue,  d'ailleurs, 
se  trouvait  habitée  dès  le  milieu  du  xni"  siècle, 
et    elle    s'appelait,    comme  un  de  ses  habitants, 


[l)  Notice  écrite   en     1868. 


RUE  cr,ôt;flï:-PERCE.  239 

Renaut-le-Fèvre  {fêvre  ou  favre  signifiait  fabricant). 
Son  nom  de  Cloche-Perce  venait  d'une  Gloclie-Percée 
servant  d'enseigne. 

Or  le  14  attend,  porte  béante,  quelle  compensa- 
tion notre  recueil  lui  offre  pour  le  découronner 
de  ses  prétentions  à  des  particularités  royales. 
Était-ce  l'hôtel  où  le  poëte  Desmarets  de  Saint- 
Soriin,  qui  a  collaboré  aux  trcigédies  de  Richelieu, 
réunissait  ses  collègues  de  l'Académie-Fiancaise, 
quand  les  séances  de  cette  compagnie  n'avaient 
encore  qu'un  siège  nomade?  Il  est  vrai  queDesmarets 
vivait  à  l'ancien  hôtel  du  cardinal  Nicolas  de 
Pelvé,  archevêque  et  duc  de  Reims,  mort  sous  le 
règne  de  Henri  IV,  contre  lequel  il  avait  d'abord 
pris  le  parti  de  la  Ligue,  et  que  l'hôtel  Pelvé 
donnait  rue  Cloche-Perce  ;  malheureusement  il 
vient  d'être  rasé,  en  dépit  de  ses  trois  portes 
cintrées,  par  la  nouvelle  rue  de  Rivoli.  Les 
états  de  service  du  14  ne  remontent  sûrement, 
pour  nous,  qu'à  l'époque  où  il  chaperonnait  un 
parvenu,  M.  de  Pezai,  ancien  commis  au 
contrôle-général.  On  comptait  alors  dans  la  rue 
4  lanternes  et  12  maisons,  dont  l'une  au  financier 
Geoffrin,  qui  fut  condamné  en  1717  à  restituer 
522,000  livres  à  l'État.  Quel  chemin  avait  fait  lui- 
mêmece paysan,  érigé  d'abord  en  clerc  de  procureur, 
puis  en  commis  11  la  verrerie  et  en  entrepreneur 
de  glaces  !  Sa  veuve  devint  célèbre  par  des  relations 
suivies  avec  les  encyclopédistes.  Quant  au  lilsde 
l'autre  commis,  il  passa  plus  ou  moins  marquis 
de  Pesay,  présenta  à  la  cour  en  1776  sa  femme, 
née  Murard,  qui  était  belle  et  qu'on  disait  dotée 
par  le  feu  roi.  La  sreur  de  ce  gentilhomme  de 
fraîche  impression,  qui  prétendait  descendre  des 
Masoni  d'Italie,  était  M""-Cassini,  maîtresse  alTichée 
du  comte  de  Maillebois.  L'ancienne  habitation  de 
leur  père  appartenait  dès  1748  à  Mignot  de  MonLigny, 


240  RUE  CLOCHE-PERCE. 

président    du    bureau  des  finances,  dont  le  père 
avait  été    trésorier-de-France. 

Cette  pauvre  petite  voie  publique  est  maintenant 
comme  un  ver  de  terre  dont  survivent  la  tète  et 
la  queue,  bien  qu'une  voie  magistrale  ait  emporté 
tout  le  milieu  de  son  corps  inarticulé.  Les  deux 
tronçons  chercbent  à  se  rapprocher  ;  mais  un 
abîme  les  sépare  :  des  deux  côtés,  l'étiage  actuel 
empêche,  par  des  talus  de  pierre,  le  niveau  qu'a 
abaissé  la  rue  de  Rivoli  de  s'en  relever. 


Rues    du   Cloi<re-l§laint-i]lfcrri 
et    des  Jug;es-iCoii(>»uls.  (i) 


La  Barre.  —  Les  Chanoines  Seigneurs.  —  Les 
Chanoines  Propriétaires.  —  M:  Moinery.  —  Le 
Bourgeois  de  Qualité.  —  M.  Broux.  —  La  Rue  en 
Cage.  —  Le  D^  Barroux.  —  Le  Curé  Viennet. 
—  Les  Juges-Consuls.  —  La  Maîtresse  de  Sedaine. 

A  l'angle  de  la  rue  Saint-Martin  et  de  la  rue 
du  Cloîlre-Saint-Merri  s'est  abaissée  et  relevée  la 

Barre  de  Saint-Merry.  Elle  attenait  aux  prisons 
du  chapitre  de  Saint-Merri  et  au  lieu  qui  servait 
aux  assemblées  capitulaires.  Les  liefs  de  Saint- 
Merri  et  de  Maily,  dont  ces  chanoines  étaient 
seigneurs,  portaient  sui-  33  rues  lorsque  fut 
supprimé,  sous  Louis  XIV,  l'exercice  du  droit  de 
justice  pour  les  seigneuries  particulières  qui  tenaient 
encore  audience  à  Paris. 

L'aspect  du  n"  24,  voisin  de  ladite  encoignure 
et  possédé  longtemps  par  les  chanoines,  n'a  pourtant 
rien  d'une  geôle  du  moyen-àge  ;  le  22  est  resté 
lui-même  jusqu'à  la  première  république  au  chapitre 
de  Saint-Merri,  y  ayant  eu  pour  locataire  au  milieu 
du  xvn*'  siècle  Ragueneau,  avocat  en  parlement. 
Pour  en  augmenter  le  produit,  les  chanoine^  avaient 
fait  rebâtir  ces  deux  maisons-Ui  sous  Louis  XV, 
époque  où  !e  commerce  en  gros  dominait  déjà  rue 
du  Cloître,  y  succédant  à  la  magistrature. 

Le  18,  où  se  complaît    M.    Moinery,    naguère 


(1)  Notice  écrite  eu  18&8. 


242  RUES  DU   CLOITRE-SAINT-MERRI 

président  du  tribunal  de  commerce,  date  de  60 
ans  par-devant  ;  mais  par-derrière  il  a  trois 
siècles,  grâce  à  son  origine  commune  avec  le 
20,  dont  la  façade  ne  dissimule  pas  l'âge.  11 
faut  remonter  à  l'époque  où  les  négociants  en 
gros  n'ont  pas  encore  envahi  le  .  cloître,  pour 
y  trouver,  sur  ce  point.  Pierre  Hennequin,  président 
à  mortier,  puis  Nicolas  Hennequin,  président  du 
grand-conseil,  puis  Henri  de  Gouffier,  marquis  de 
Boissy,  époux  de  Renée-Marie  Hennequin.  Charlotte 
Gouffier,  fille  de  ce  couple,  épouse  François 
d'Aubusson,  comte  de  la  Feuillade,  lieutenant-géné- 
ral ;  mais  Charlotte  a  pour  frère  Artus  de  Gouffier, 
seul  héritier  du  litre  de  duc  de  Roanne,  créé  pour 
Claude  Gouffier,  marquis  de  Boissy,  par  Charles  IX. 
Ce  seigneur  désintéressé  abandonne  à  sa  sœur, 
en  l'année  1666,  non-seulement  ses  biens,  mais 
encore  son  marquisat  et  son  duché,  que  la  donataire 
apporte  à  son  mari,  substitution  autorisée  par 
Louis  XIV.  La  seule  réserve  qu'Artus  ail  faite 
a  pour  objet  Fhôlel  héréditaire  qu'il  habile  au 
cloître  Saint-Merri,  et  il  acquitte  une  dette  de 
cœur,  qu'il  colore  du  titre  d'échange,  en  grati- 
fiant de  celte  propriété  une  dame,  qu'un  événe- 
ment récent  rend  opportun  de  consoler,  Marguerite 
Archambault,  qualifiée  dans  l'acte  de  cession 
veuve  de  noble  homme  Pierre  Hëhot,  en  son 
vivant  bourgeois  de  Paris.  Certes,  on  n'est  pas 
plus  gentilhomme  !  Un  autre  eût  enrichi  la  veuve 
sans  y  faire  la  part  du  défunt  ;  mais,  après  le 
titre  mal  sonnant  qu'il  a  fait  porter  de  son  vivant 
au  mari  de  la  tendre  Marguerite,  M.  de  Gouffier 
lui  doit  bien  l'apothéose  qui,  par  acte  notarié, 
rend  amphibie  la  mémoire  du  bourgeois  que 
l'amant  de  sa  femme  fait  un  peu  de  qualité  ! 
M""'  Héliot  vend  une  portion  de  l'hôtel  à  Petitjean, 
chapelier,  auquel  succède  Pajot  d'Ardivilliers. 
Savari,    garde -maître    des  eaux-et-forêts  de  Nor- 


ET  DES  JUGES-CONSULS.  «243 

mandie,  et  sa  femme,  L.  C.  Ragueneau,  acquiè- 
rent ensuite  d'Héliot  de  Boissy.  écuyer,  lieutenant 
pour  le  roi  du  château  Trompette,  le  n°  20  d'à- 
présent.  Les  deux  maisons  alors  touchent  par- 
derrière  à  l'hôtel  Ponlcarré,  qui,  vers  la  fin  du  règne 
de  Louis XV,  devient  l'hôtel  d'Abbeville.  P.  P.  Savari, 
sieur  de  Bontervilliers,  gentilhomme  de  la  maison 
du  roi,  transporte  en  1704  les  droits  qu'il  tient 
de  son  père  sur  la  propriété  à  Jacques  Molin, 
marchand,  bourgeois  de  Paris.  Delbos  de  la 
Borde,  président-trésorier  de  France  au  bureau  des 
finances  de  Guienne,  en  dispose  après  Jacques 
Molin  et,  à  son  tour,  la  baille  à  Le  Conte, 
épicier-droguiste,  qui  en  était  déjà  le  locataire 
ainsi  que  Gerbel,  son  confrère.  Des  Le  Conte, 
en  1808,  l'immeuble  passe  au  sieur  Chevalier, 
lequel,  36  années  après,  est  le  vendeur  de  M. 
Broux,  père  du  propriétaire   actuel. 

Aussi  bien  le  cloître  Saint-Merri  comprenait  dans 
son  périmètre  la  rue  Brise-Miche,  ainsi  que  la 
rue  Taillepain,  qui  côtoie  le  n°  18,  mais  que  les 
quatre  propriétaires  riverains  ont  obtenu  la  per- 
mission de  mettre  en  cage  sous  une  double 
grille.  Cette  fermeture,  au  reste,  n'a  fait  que 
reproduire  de  notre  temps  une  mesure  déjà  prise 
en  1779  ;  les  chevecier  et  chanoines  de  Saint- 
Merri  s'y  étaient  fait  autoriser  par  le  bureau 
des  présidents-trésoriers  de  France,  généraux  des 
finances  et  grands-voyers  de  la  généralité  de 
Paris. 

Antoine-Maximilien  Dabos,  seigneur  de  Binan- 
ville,  conseiller  au  parlement,  était  propriétaire, 
après  les  Lesseville,  du  16,  que  son  fils,  le  marquis 
Dabos  de  Binanville,  premier  chambellan  de 
Monsieur,  frère  du  roi,  réunit  au  14,  vers  le 
commencement  du  règne  de  Louis  XVI  :  cette 
famille  tenait  par  alliance  à  celle  des  Bauyn  de 
Cormery,    qui    a    donné    un   officier-général  aux 


244  RUES  DU  CLOITRE-SAINT-.MERRI 

armées  du  roi.  Derrière  ses  deux  maisons  du 
cloître  Saint-Merri  se  trouvait  l'iiôtel  d'Orléans, 
d'après  une  description  de  1783,  et  dès-lors  la 
pauvre  rue  Taillepain  ne  comptait  plus.  Mais,  que 
dis  je  !  les  Dabos  avaient  déjà  vendu  le  14  à 
Robert  Aniel,  huissier-à-cheval  au  Chàtelet  ;  ils 
ne  possédaient  plus  que  l'autre  maison,  confisquée 
par  l'État  ensuite  et  adjugée  en  1791  au  citoyen 
Simon  Gabriel.  M.  le  docteur  Barroux  signe 
aujourd'hui  les  quittances  de  loyers  des  deux 
immeubles,  ramenés  à  un  sort  commun. 

Une  inscription,  n"  10,  attire  l'attention  des 
curi^fux  :  Fccit  mihi  magna  qui  potens  est,  1783. 
Dans  cette  maison  sont  réunis  un  fourneau  écono- 
mique de  bitntaisance,  un  bureau  de  secours,  une 
école  pour  les  tilles  et  un  hospice  transitoire  de 
15  lits.  Esprit  Viennet,  mort  eu  1796  après  avoir 
été  curé  de  Saint-Merri  pendant  40  ans,  a  fondé 
cet  hospice  dans  une  propriété  à  lui.  Il  avait 
prêté  serment  à  la  constitution  civile  du  clergé, 
en  1790  ;  mais  il  avait  refusé  d'occuper,  comme 
évêque  de  Paris,  le  siège  d'un  titulaire  vivant. 
Ce  curé  bienfaisant  a  eu  pour  frère  Jacques- 
Joseph  Viennet,  député  de  l'Hérault  à  l'Assemblée 
législative  et  à  la  Convention  ;  il  était  l'oncle  de 
M.   Viennet,  de  l'Académie-Française. 

La  rue  du  Cloître-Saint-Merii  n'a  été  prolongée 
jusqu'à  la  rue  du  Renard  qu'après  avoir  perdu 
son  propre  débouché  sur  la  rue  de  la  Verrerie. 
A  l'endroit  où  elle  faisait  coude  s'élevait  l'hôtel 
des  Juges-Consuls,  siège  de  la  juridiction  con- 
sulaire depuis  le  règne  de  Charles  IX  jusqu'à 
celui  de  Charles  X  :  une  statue  de  Louis  XIV 
en  marbre,  par  Guillain,  en  a  décoré  la  porte. 
C'est  en  1844  qu'on  a  donné  au  bout,  facile  à 
détacher,  de  la  rue  du  Cloître-Saint-Merri  la  déno- 
mination rétrospective  de  rue  des  Juges-Consuls. 
Une  belle  maison,  dont  la  nouvelle  rue  a  hérité 


ET  DES  JUGES-CONSULS.  245 

à  l'angle  de  l'ancienne,  s'adosse  à  l'église  même 
de  Sainl-Merri  ;  on  en  vantait  au  milieu  du  dernier 
siècle  l'architecture  virile,  due  à  Rictier,  et  Ricard, 
trésorier-de- France  honoraire,  y  vivait  de  ses 
rentes.  Toute  la  rue  avait  pour  effectif  6  lanternes 
et  15  maisons. 

L'une  des  quinze  reçut,  à  quelque  vingt  ans  delà, 
le  dernier  soupir  d'une  femme  qui  mourait  d'amour, 
M""^  Lecomte.  La  trop  sensible  dame  avait  été  la  maî- 
tresse de  Sedaine,  qui  l'avait  quittée  pour  épouser  la 
fille  d'un  avocat  au  conseil,  et  elle  avait  offert,  pour 
empêcher  ce  mariage,  jusqu'à  50,000  livres  à  sa 
rivale,  qui  les  avait   refusées. 


16 


Rue    Clopin.  (i) 


La  rue  doit  d'être  Clopin  à  un  logis,  qui  le 
devait  au  maître  de  ce  logis,  et  comme  elle  montait, 
sans  décrire  assez  de  courbe,  la  montagne  Sainte- 
Geneviève,  on  y  marchait  avec  difficulté  et  en  y 
clochant  quelque  peu.  Ses  habitants  ont  dû  être 
les  premiers  à  conjuguer  le  verbe  clopiner.  Par 
respect  pour  ce  dérivé,  six  siècles  se  sont  succédé 
sans  la  gratifier  d'un  pavé,  même  h  la  place  du 
trottoir,  et  elle  reste  assez  escarpée  pour  qu'on 
y  chemine  clopin-clopant.  Celte  rue  fut  aussi  dite, 
au  xvi«  siècle,  chemin  Gaillard  et  du  Champ- 
Gaillard,  à  cause  du  champ  dont  nous  parlons 
dans  la  notice  de  la  rue  d'Ârras,  qu'elle  a  main- 
tenant pour  aboutissant  et  au  coin  de  laquelle 
fourche  un  marchand-de-vin. 

Jusque-là  venait  probablement,  sous  Henri  IV,  la 
caserne  d'hommes-d'armes  qui  régnait  rue  d'Arras  ; 
la  salle-basse  où  se  débitent  le  vin  et  l'eau-de-vie 
doit  être  un  ancien  corps-de-garde.  0  chiffonniers, 
ô  chiffonnières,  voilà  vos  Frères-Provençaux  !  Une 
senteur  saumâtre  s'en  exhale,  qui  remplace  l'arôme 
de  la  truffe  ;  ce  qu'on  y  dépèce  de  harengs,  frais 
en  hiver,  saurets  l'été,  pourrait  se  compter  sur  le 
plancher,  jonché  de  têtes,  de  queues  et  d'arêtes. 
Mais  les  habitués  des  deux  sexes,  qui  déjeunent 
sur  le  pouce  chez  ce  marchand  de  vin,  n'oublient 
jamais,  quand  leur  poisson  de  mer  de  prédilection 
est  tout  frais,  de  jeter  en  l'air  certaine  petite 
membrane,    luisante    comme    une  pièce  d'argent 


(1)  Notice  écrite  en   1858. 


RUE  CLOPIN.  247 

neuve  et  que  la  rue  Clopin  appelle  l'âme  du 
hareng,  mais  qui  n'en  est  pas  même  l'estomac.  Si 
le  boyau  reste  collé  au  plafond,  cela  porte  bonheur 
à  l'homme  ou  à  la  femme  qui  en  a  étoile  le  ciel 
enfumé  de  la  salle-basse,  et  la  constellation  y  est 
nombreuse,  tant  les  convives  ont  la  main  heureuse  ! 
Les  mouches  souvent  s'en  réjouissent,  mais  n'y  réus- 
sissent pas  à  faire  place  nette. 

L'ancien  mur  de  Philippe-Auguste  séparait  encore 
la  rue  Clopin  de  celle  des  Fossés-Saint-Victor, 
dite  des  Anglaises  (i),  quand  le  XVIP  siècle  fit 
la  trouée  qui  leur  permit  de  se  rapprocher  l'une  de 
l'autre,  et  la  seule  maison  d'à-présent  dont  l'origine 
s'y  rapporte,  nous  la  voyons  n°  6.  Mais  pour  qu'en 
1714  la  rue  Clopin  ne  fût  encore  forte  que  de 
3  maisons  et  d'une  lanterne,  il  fallait  que  des 
murs  la  bordassent  des  deux  côtés,  car  elle  tra- 
versait à  cette  époque  le  territoire  actuel  de  l'école 
Polytechnique,  en  ayant  pour  appendice  une  Petite- 
rue-Clopin,  qu'on  retrouve  à  l'état  d'impasse  rue 
Descartes.  La  portion  supprimée  en  1809  avait 
longé,  du  côté  droit,  le  collège  de  Boncourt,  fondé 
en  1357  et  où  Voiture  avait  été  élevé,  avant  sa  réunion 
au  collège  de  Navarre,  dont  le  mur  donnait  du 
côté  gauche.  Une  arcade  avait  mis  en  communica- 
tion l'un  avec  l'autre  ces  deux  collèges,  séparés 
par  la  rue  Clopin  et  que  depuis  1809  remplace 
l'école  Polytechnique. 


(1)  Maintenant  ajoutée  à  la  rue  du  Cardinal-Leœoine. 


Rue    du   Clos-Bruneau.  d) 


Les  maisons  neuves,  au  point  de  vue  du  revenu, 
sont  évidemment  les  meilleures.  Quel  dommage 
qu'elles  se  ressemblent  toutes  !  L'ancien  Paris  s'est 
fait  tout]rseul,  quant  aux  maisons  particulières  ; 
ses  rues  ont  de  la  peine  k  perdre  la  physionomie 
particulière  que  rappelle  tel  ou  tel  règne,  mais 
qui  n'empêche  pas  qu'elles  se  sont  ouvertes  à  leur 
jour,  à  leur  heure,  sur  des  initiatives  spontanées 
et  presque  toujours  isolées,  que  révélaient  jusqu'aux 
lettres-patentes  autorisant  l'exécution  de  tracés  déjà 
faits.  Sur  cette  chevelure,  où  frisent  des  traditions  que 
nous  tâchons  d'accommoder,  mais  redevenue  presque 
crépue  pour  avoir  essayé  de  toutes  les  coiffures, 
les  décrets  impériaux  tirent  des  raies  imprévues, 
sans  rendre  chauve  la  tête  volumineuse  dont  les 
cheveux  druidiques,  puis  romains,  se  coupèrent 
à  la  malcontent  cinq  ou  six  fois  en  dix-huit 
siècles,  ondulèrent  pompeusement  du  temps  de 
Louis  XIV  et  jetèrent  tant  de  poudre  aux  yeux 
sous  le  règne  de  son  successeur  !  Les  tranchées 
opérées  par  le  génie  moderne  entassent,  il 
est  vrai,  les  familles  dans  des  habitations  nou- 
velles, plus  pressées  l'une  contre  l'autre,  mais  pour 
rendre  à  la  voie  publique  l'ampleur  retranchée  au 
logement.  Sans  cette  satisfaction  donnée  aux  besoins 
d'une  circulation  multipliée  par  les  chemins  de  fer, 
il  nous  eût  été  impossible,  convenons-en,  d'entre- 
prendre le  travail  auquel  nous  nous  livrons.  N'eût-il 
pas  fallu  plus  d'une  vie  pour  en  réunir  les  éléments, 


(1)  Notice  écrite   en    1858. 


RUE  DU  CLOS-BRUNE  AU.  349 

si  toutes  les  sinuosités  du  vieux  Paris,  insurgé  une 
fois  de  plus,  nous  avaient  joué  le  tour  de  résister 
aux  coups  de  ciseau  de  la  ligne  droite,  diminuant 
les  plis  et  replis  de  l'étoffe  (2)  ? 

C'est  ainsi  que  la  rue  des  Écoles  vient  de 
supprimer  tous  les  numéros  pairs  de  la  vieille  rue 
du  Clos-Bruneau,  oii  nous  a  déjà  entraîné  la  notice 
de  la  rue  des  Carmes.  M.  Rousseau,  qui  connaît 
assez  bien  Paris,  a  gagné  par-là  une  gageure  !  On 
lui  avait  porté  le  défi  de  reconnaître,  à  la  seule 
inspection  de  quatre  maisons  contiguës,  dans  quelle 
rue  s'arrêterait  un  fiacre,  qui  l'amena  par  de  longs 
détours,  les  stores  baissés,  au  beau  milieu  de  la 
rue  dont  nous  parlons.  Notre  présomptueux  colla- 
borateur aurait,  certes,  perdu  son  pari  si  le  cocher 
l'eût  fait  descendre  dans  une  rue  de  création 
récente  :  les  traits  particuliers  y  manquent  à  la 
plupart  des  constructions.  Par  exemple,  on  ne 
trouve  pas  deux  rues  du  Clos-Bruneau,  et  franche- 
ment c'était  assez  d'une. 

Il  exista  pourtant  deux  clos  ayant  cette  déno- 
mination ;  l'un,  à  une  place  occupée  depuis  par 
le  Luxembourg  ;  l'autre,  près  de  la  rue  Judas, 
pseudonyme  de  celle  du  Clos-Bruneau,  dont  le 
nom  fut  aussi  porté  par  la  rue  Jean-de-Beauvais. 
L'ancienne  rue  Judas  est  maintenant  sur  des 
échasses,  à  cause  de  l'abaissement  du  sol, 
déterminé  par  le  niveau  de  la  nouvelle  rue  des 
Écoles.  L'hôtel  des  Pyrénées  s'y  fait  remarquer,  n'^  13, 
en  situation  pittoresque  comme  il  convient  à  son  titre 
montagnard;  on  l'a,  de  plus,  recrépi  à  neuf.  Les 
autres  maisons  de  cette  rive  escarpée  sont  noires, 


(2)  Lorsque  cette  notice  voyait  le  jour  pour  la  première 
fois,  la  démolition  n'avait  pas  encore  pris  les  proportions 
d'une  coupe  sombre;  l'autorité,  tout  eu  ne  prenant 
conseil  que  d'elle-même,  avait  encore  l'air  d'administrer 
Paris  en   père   de  famille. 


250  RUE  DU  CLOS-BRUNEAU. 

comme  si  elles  portaient  le  deuil  de  la  rive  dont 
la  leur  est  veuve,  après  tant  de  siècles  d'hyménée. 
L'enseigne  d'un  marchand-de-vin,  au  coin  de  la 
rue  de  la  Montagne-Sainte-Geneviève,  s'est  de  même 
inspirée  de  l'élévation  du  site  ;  un  paysage  alpestre 
y  repose  la  vue,  avec  ces  mots  :  au  Repos-de-la- 
Montagne.  Des  balayeurs,  des  marchands  de  peaux 
de  lapin  et  des  étameurs  de  casseroUes  couchent, 
par  chambrées,  en  vue  de  la  voie  nouvelle  qui, 
disent-ils,  leur  fera  froid  l'hiver  et  leur  tiendra 
trop  chaud  l'été.  Ils  demandent    une  indemnité. 


Rue   du  Clos-Georg;eau.  (i) 


L'orthographe  des  noms  propres  varie  impuné- 
ment. Certaines  gens  écrivaient  Jargeau,  d'autres 
Georgeot,  quand,  pour  les  mettre  d'accord,  l'édilité 
parisienne  s'est  décidée  à  adopter  une  troisième 
orthographe,  Georgeau.  Si  le  propriétaire  du 
clos  antérieur  â  la  rue  s'appelait  Georges, 
l'estampille  municipale  ne  fait  que  franciser  ce  nom 
propre  importé  en  France  par  la  domination  anglaise, 
et  alors  il  est  évident  que  le  duc  de  Bedford  a 
gratifié  de  l'enclos  l'un  de  ses  serviteurs.  Il 
eût  donc  été  plus  convenable  de  préférer,  en 
cas  de  doute,  la  désignation  de  Jargeau,  qui  ne 
rappelait  aucune  invasion. 

Pierre  Doria,  sieur  de  Cernay,  écuyer,  a  acquis 
en  l'année  1610  un  vaste  terrain,  dont  faisait 
partie  le  clos  Georgeau  et  qui  allait  jusqu'au 
Marché-aux-Chevaux,  en  ce  temps-là  rue  d'Argen- 
teuil.  Or  Doria  se  trouve  encore  un  nom  propre 
tellement  étranger  qu'une  maison  de  Gênes  l'a 
illustré  !  Une  branche  de  cette  famille  s'est 
établie  effectivement  en  Provence,  et  Pierre  Doria 
devait  en  faire  partie  ;  un  de  ses  rejetons,  lieute- 
nani-général,  époux  de  Charlotte  de  Montcalm, 
s'est  fait  tuer  dans  le  siècle  suivant  à  la  tête  de 
l'armée,  en  Canada.  La  rue  du  Clos-Georgeau  a 
été  percée,  en  1620,  sur  le  terrain  même  de 
Doria.  Dès  1647,  elle  avait  quelques  habitants. 
Son  effectif  n'était  encore  en  1714,  d'après 
Lacaille,   que    de    3    maisons,    se    partageant    le 


(1)  Notice  écrite  en  1858. 


252  RUE  DU  CLOS-GEORGEAU. 

soir  la  clarté  d'une  lanterne.  Mais  il  en  était 
accusé  davantage,  quatre  ans  auparavant,  par 
l'état  que  voici  :  à  g  anche,  hôtel  d'Anjou,  au 
coin  de  la  rue  Traversine  (de  la  Fontaine-Molière)  (i); 
Tézou,  ensuite  ;  Charlier,  ensuite  ;  M.  Charron, 
enfin  ;  à  droite  :  l'abbé  de  Loze,  coin  Traversine  ; 
M.  de  Marida,  Lemaistre,  M"^  L.  Ménestrel.  La 
propriété  Lemaistre  était  à  porte  cochère  ;  mais 
celle  Marida  n'ouvrait  que  sur  la  rue  Traversine 
et  les  quatre  d'encoignure  n'avaient  pas  plus  de 
portes  qu'aujourd'hui  sur  la  rue  du  Clos-Georgeau, 
qui  n'arrive  qu'en  les  comptant  à  son  10™* 
numéro. 

Vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XV,  Houel  vendit 
le  7  à  Coulanges,  dont  la  veuve  se  remaria  avec 
Beausire,  lieutenant  au  Grenier-à-sel.  L'un  et 
l'autre  de  ces  immeubles  étaient  sous  la  censive 
de  l'Archevêché.  Du  1  se  rendit  maître,  en  1754, 
l'architecte  Jean  Charpentier. 


(1)  C'est  maintenant  Ja  rue  [Molière. 


Rue    Clovis.  (i) 


Le  Lycée.  —  L'Abbaye    —  La  Patronne  de  Paris. 

—  La   Bibliothèque.  —  Saint -É tienne-du-Mont . 

—  L'ancienne  Chancellerie.  —  L'Enceinte  de 
Philippe- Auguste.  --  Les  Collèges  de  Navarre 
et  de  Boncourt. 

N'attribuons  pas  aux  rois  mérovingiens  l'ouver- 
ture de  la  rue  Clovis  ;  elle  ne  fut  percée  qu'en 
l'an  xni  de  la  République,  entre  les  rues  Clotilde 
et  Descartes,  sur  le  territoire  conventuel  des  ci- 
devant  abbé  et  religieux  de  Sainte-Geneviève,  et 
prolongée  jusqu'à  la  rue  des  Fossés-Saint-Victor  (2) 
qu'en  1809.  L'église  de  ce  monastère,  fondé  par 
Clovis  et  la  reine  Clotilde,  venait  d'être  démolie, 
à  l'exception  de  la  tour  carrée  qu'en  a  gardé  le 
lycée  Napoléon,  autrement  dit  le  collège  Henri  IV, 
ouvert  depuis  l'année  1802.  La  tour  doit  avoir 
fait  partie  de  l'église  incendiée  en  857  par  les 
Danois  ;  la  crypte,  qu'illustraient  les  miracles 
opérés  au  tombeau  de  sainte  Geneviève,  patronne 
de  Paris,  préexistait  également  à  la  reconstruction 
de  1175  (3).  La  châsse  de  la  sainte,  palladium 
historique  de  notre  ville,  fut  publiquement  détruite 
en  1793.  Mais  n'est-ce  pas  comme  un  dernier 
miracle  qui  sauvait  encore  la  bibliothèque  des 
religieux?  Elle  a  reçu  ses  lecteurs,  sous  le  dôme 


(1)  Notice  écrite   en  1858. 

(2)  Actuellement  du  Cardinal-Lemoine. 

(3)  Sujet   amplement  traité    dans    VHistoire    de   Sainte 
Geneviève^  patronne  de  Pans,  par  M.  Lefeuve. 


254  RUE  CLOVIS. 

dont  la  coupole  était  peinte  par  Restout,  jusqu'à 
sa  iranslatioii  sous  Napoléon  III  dans  le  monument 
élevé  à  la  place  de  l'ancien  collège  Monlaigu. 
La  congrégation  dont  l'abbaye  génovéfaine  était 
le  chef-lieu,  depuis  l'introduction  de  la  règle  de 
saint  Augustin,  comptait  109  maisons  en  France 
et  y  nommait  à  oOO  cures.  La  censive  de  l'abbé 
embrassait,  sous  Louis  XIV,  presque  tout  le 
faubourg  Saint-Marcel  et  s'étendait,  de  plus,  en 
54  rues  de  la  ville. 

Les  chanoines  de  Sainte-Geneviève  avaient  bâti, 
dans  leur  enclos  également  et  à  la  place  d'une 
chapelle,  que  l'enceinte  de  Philippe-Auguste  avait 
fait  entrer  dans  Paris,  Saint-Etienne-du-Mont, 
dont  le  jubé  est  une  merveille.  Cette  église 
paroissiale  se  présente  de  profil,  en  regard  du 
lycée,  avec  son  presbytère.  En  l'an  1506,  frère 
Etienne  Contesse,  gén'ovéfain  et  curé  de  Saint- 
Étienne-du-Mont,  avait  obtenu  de  l'abbaye,  après 
maintes  diflicultés,  que  la  maison  où  se  tenait 
la  chancellerie  du  chapitre  devînt  ledit  presbytère, 
restauré  au  xvii''  siècle.  Jusqu'à  la  Révolution  le 
curé  de  cette  église  voisine  était  toujours  l'un 
des  chanoines  de  Sainte-Geneviève.  Aucune  maison 
particulière  ne  participe  au  droit  d'ahiesse  que 
Saint-Étienne-du-Mont  et  ce  qui  de  l'abbaye  reste 
au  lycée  ont  sur  une  voie  publique  qui  a  été 
tracée,  comme  pour  les  séparer,  aussitôt  que 
l'Université  eut  divorcé  avec  l'Église.  Cette  rue 
appelée  à  dominer  Paris,  sur  les  ruines  d'un 
royal  monastère,  ne  se  taillait  pas  dans  le  vide  ; 
elle  ne  pouvait  manquer  d'être  monumentale. 
Honneur  au  fondateur  d'une  dynastie  nouvelle  qui, 
au  lieu  de  lui  infliger  un  nom  tiré  du  Panthéon 
moderne,  l'a  fait  monter  sur  le  pavois  du  con- 
quérant, père  de  la  monarchie  française  ! 

Faute  d'anciens  logis  humains,  nous  découvrons 


RUE  CLOVIS.  255 

le  long  de  la  rue  Clovis,  h  travers  des  bocages  plus 
élevés  que  la  chaussée,  des  nids  d'hirondelles  que 
le  granit  où  ils  s'attachent  rend  presque  historiques. 
Chaque  année  en  renouvelle  uniquement  la  mousse, 
dans  les  fissures  d'un  pan  de  mur,  large  environ 
d'un  mètre  et  demi  et  qui  nous  reste  de  la 
clôture  de  Philippe-Auguste.  Ce  tronçon  d'enceinte 
vu  de  profil,  qu'éclaire  la  nuit  un  bec  de  gaz, 
indique  l'ancien  niveau  du  sol  ;  mais  on  n'y 
retrouve  plus  les  créneaux  qui  couronnaient  d'abord 
le  large  mur.  Longtemps  il  ne  servait  plus  de  limite 
qu'aux  collèges  de  Boncourt  et  de  Navarre,  qui  ont  fini 
par  n'en  former  qu'un  seul. 

Une  Histoire  de  Paris,  publiée  en  1781  par 
Poncelin,  avocat  au  parlement,  fut  ornée  de  gravures 
par  Martinet  ;  nous  y  revoyons  de  ce  collège 
royal  de  Navarre  la  belle  entrée,  que  décoraient  des 
statues  et  d'autres  sculptures  ;  la  grande  cour 
est  également  reproduite,  puis  le  jardin  du  prin- 
cipal, enfin  l'uu  des  dortoirs  de  la  maison,  qu'une 
ingénieuse  disposition  avait  faits  les  modèles  du 
genre.  D^es  bâtiments  et  la  chapelle  de  cet  établis- 
sement célèbre  subsistent  encore  de  nos  jours, 
comme  pour  excuser  Martinet  de  n'en  avoir  pas 
donné  le  dessin.  Fondé  en  1304  par  Jeanne  de 
Navarre,  reine  de  France,  au  profit  de  70  bour- 
siers, ce  collège  de  plein  exercice  a  compté 
pour  élèves  :  Henri  III.  Henri  IV,  le  duc  de  Guise, 
le  cardinal  Louis  de  Bourbon,  le  prince  Eugène 
de  Savoie  ;  on  disait  que  le  roi  de  France  en 
était  le  premier  boursier,  de  fondation,  et  que 
les  revenus  de  sa  boui'se  s'employaient  à  acheter 
des  verges  pour  entretenir  1;>  discipline.  Les 
archives  de  la  Nation  de  France,  ancienne 
division  de  la  Faculté  des  Arts,  étaient  confiées 
aux  écoliers  de  Navarre,  avant  que  l'université 
de  Paris  les  transférât  à  Louis-le-Grand.  Réunie 
à   celle   de    Boncourt,    la  maison  n'a  été  fermée 


256  RUE  CLOvrs. 

que  par  la  grande  révolution.  Ur.  décret  de 
Napoléon,  daté  de  Saint-Cloud  le  9  germinal  an 
xni,  a  transféré  l'école  Polytechnique  dans  les 
ci-devant  collèges  de  Navarre  et  de  Boncourt. 


Rue   Vietor-Cousin, 

NAGUÈRE 

de    Cluiii.  (i) 


La   Maison   des  grands   Hotmnes.  —  Les   Ecoliers 
de     Cluni. 

L'hôtel  de  Saint-Quentin  occupait  le  n"  5  ;  sa 
porte  était  rue  des  Coidiers,  où  la  remplace  de 
nos  jours  la  boutique  d'une  marchande  à  la  toilette. 
Des  pierres  en  saillie,  qui  n'en  ont  plus  d'autres 
à  attendre,  prouvent  qu'une  voûte  a  couvert  l'extré- 
mité de  la  rue  de  Cluni,  du  côté  de  celle  des  Grés  (2). 
Au  surplus,  l'édifice  est  haut,  et  ne  dirait-on  pas 
que  tout  y  parle  ?  Un  escalier  à  balustres  de  bois 
le  mesure  perpendiculairement  ;  des  fenêtres  à 
coulisses,  prenant  jour  sur  différentes  faces  du 
bâtiment,  le  croisent  d'étage  en  étage,  mais  avec 
moins  de  symétrie  que  dans  les  constructions 
modernes  qui  ne  disent  rien.  Au  quatrième,  gémit 
une  porte  en  chêne  lorsqu'elle  met  5  découvert 
un  pas  usé,  seuil  d'une  chambre  mémorable, 
dans  laquelle  Jean-Jacques  Rousseau  reçut  d'abord 
Thérèse  Levasseur.  C'est  même  la  maisonde  plusieurs 
grands  hommes  en  ce  qu'y  habitèrent  le  philosophe 


(1)  Notice  écrite  en  1860  La  rue  n'avait  pas  encore 
répudié  la  mémoire  du  collège  de  la  congrégation 
de  Cluni  pour  convoler,  sur  la  carte  des  rues,  eu  secon- 
des noces  avec  un  maître  que  l'éclectisme  philoso- 
phique, la  politique  libérale,  la  littérature  et  l'Université 
venaient  de   perdre. 

(2)  Aujourd'hui  Cujas. 


«58  RUE  VICTOR-COUSIN, 

Condillac  et  son  frère  Mably,  qui  écrivait  aussi. 
De  notre  temps  encore,  le  poète  Hégésippe  Moreau 
a  passé  dans  le  même  garni  de  longues  nuits,  puis 
le  ciilique  Gustave  Planche,  dont  ce  fut  le  dernier 
domicile. 

Sur  la  même  ligne  sont  le  1  et  le  3  ;  l'une  de 
ces  vieilles  bâtisses  se  tient  parfaitement  droite 
encore,  sur  un  rez-de-chaussée  que  l'abaissement 
du  terrain  a  déchaussé  pourtant  jusqu'au  sous- 
sol  ;  l'autre  s'attaisse,  comme  uu  soldai  obèse,  n'ayant 
plus  que  ses  pieds  qui  gardent  l'alignement.  Toutes 
les  deux,  comme  la  précitée,  datent,  il  n'en  faut 
pas  douter,  de  l'ouverture  de  la  rue,  qui  eut  lieu 
dans  le  xni«  siècle.  On  y  remarque  fort  peu  une 
boutique  où  Robert  donnait  à  manger,  du  temps 
de  Mably  et  de  Condillac,  à  raison  de  12  et  16 
sols,  et  qui  traite  encore  au  même  prix,  mais 
avec  un  menu  réduit.  En  1714,  cette  voie  de 
communication,  qui  finissait  h  l'arcade,  four- 
nissait i\  la  population  de  la  ville  un  contingent 
de  5  maisonnées,  qui  retrouvaient  le  soir  leurs 
portes  à  la  lueur  de  2  lanternes.  Son  prolonge- 
ment jusqu'à  la  rue  Soufflet  ne  remonte  qu'à  l'année 
1849;  mais  le  projet  en  fut  conçu  l'an  xni  et  l'ordre 
de  l'exécuter  se  donna   dès  1826. 

Sur  la  ligne  opposée  à  celle  où  nous  avons 
trouvé  trois  vieilles  maisons,  nous  cherchons  les 
deux  autres.  Mais  ce  côté  a  subi  un  reculement 
notable,  la  seconde  année  du  règne  de  Louis- 
Philippe.  Il  s'y  élève  des  façades  encore  neuves. 
Quoi  de  commun,  en  apparence,  entre  l'hôtel-garni 
que  peuplent  des  étudians,  n"  6,  et  l'ancien  hôtel 
de  Saint-Quentin  ?  Franchissez  néanmoins  la  porte 
et  vous  reconnaîtrez  sans  peine  que  le  bâtiment 
du  fond  n'est  pas  nouveau.  Autrefois  il  faisait 
partie  d'une  propriété  qui  non-seulement  partait 
de  la  place  Sorbonne  pour  aller  jusqu'à  la  rue 
des  Grés,  en  longeant  toute  celle  de  Gluni,  mais 


NAGUERE  DE  CLUNI.  259 

encore  s'étendait,  grâce  à  l'ancienne  arcade,  sur 
la  rue  des  Cordiers^La  maison  qu'habita  Jean- 
Jacques  en  avait  été  originairement  et  le  collège 
de  Cluni  avait  occupé  le  tout. 

Il  en  reste  la  chapelle,  dont  le  fronton,  sur- 
monté d'une  crête  sculptée,  dépasse  à  peine  la 
toiture  du  n°  7  de  la  place  ;  mais  cet  orne- 
ment révélateur  n'est  visible,  pour  le  passant,  que  du 
haut  des  marches  de  l'église  de  laSorbonne.Ungrand 
libraire,  M.  Hachette,  a  pour  magasin  de  livres 
cette  chapelle  abandonnée,  qui  a  servi  d'atelier 
au  peintre  David  de  1806  h  1815;  elle  est  masquée 
sous  toutes  ses  faces  et  abordable  uniquement 
par  la  cour  d'une  autre  maison  neuve,  le  21  de 
la  rue  des  Grés.  Plusieurs  abbés,  prieurs  et 
docteurs  en  théologie  de  la  congrégation  de  Cluni 
reçurent  la  sépulture  dans  les  caveaux  de  la 
petite  église,  à  son  tour  ensevelie  dans  l'ombre. 
Ce  sous-sol,  mis  à  découvert  par  la  décroissance 
du  niveau,  donne  accès,  sons  d'épais  arceaux, 
aux  portefaix  de  la  maison  Hachette,  qui,  chaque 
jour,  font  un  vide  et  en  remplissent  un  autre, 
dans  les  rayons  de  cette  bibliothèque  de  volumes 
en  feuilles  et  brochés,  piolond  tonne  au  des 
Danaides  qui  s'épanche  sur  le  monde  entier! 

Le  collège  de  Cluni  reg.irdait  comme  ses  fon- 
dateurs :  Yves  de  Vergy,  abbé  de  Cluni  sous  le 
règne  de  saint  Louis,  Yves  de  Chasant,  son  neveu 
et  successeur,  puis  Henri  de  Fautières,  abbé  au 
commencement  du  xiv"  siècle.  Ce  séminaire  de 
l'ordre  avait  été  créé  en  1269  dans  l'hôtel  des 
évêques  d'Auxerre,  qui  altenait  h  la  porte  Saint- 
Michel.  La  plupart  des  chroniqueurs  disent  que 
tous  les  prieurs  et  doyens  subordonnés  h  l'abbaye 
de  Cluni  étaient  obligés  d'entretenir  un  ou  deux 
boursiers  dans  ce  collège.  Quel  énorme  contingent 
d'élèves,  si  de  pareils  cadres  avaient  été  remplis  ! 
La  congrégation  comptait  encore,  dix-sept  années 


Ï60  RUE   VICTOR-COUSIN,  ETC. 

avant  sa  suppression,  2,000  maisons  en  Europe 
et  conférait  en  France  plus  de  600  bénéfices. 
Elle  suivait  la  règle  de  saint  Benoit,  et  le  chef 
d'ordre,  cette  abbaye  de  Cluni  dont  le  supérieur 
portait  le  titre  d'archi-abbé,  remontait  à  l'an  910. 
Le  collège  était  exclusivement  destiné  à  l'étude 
de  la  philosophie  et  de  la  théologie.  Quant  au 
nombre  des  élèves,  il  ne  s'élevait  plus  en  1779 
]uh  6,  régentés  par  un  prieur,  au  lieu  de  28, 
nombre  réglementaire  à  cette  époque. 

Il  y  en  avait  eu  bien  davantage;  mais  il  n'avait 
pas  fallu  de  place  que  pour  eux.  L'archi-abbé 
résidait  parfois  au  collège,  lorsqu'il  faisait  un 
séjour  k  Paris,  avant  que  Pierre  de  Chalus  eiît 
acquis  une  portion  de  l'ancien  palais  des  Thermes, 
pour  la  convertir  en  hôtel  de  Cluni.  Nonobstant, 
l'abbé  de  Cluni  avait  en  ville,  ou  dans  le  faubourg 
Saint-Germain,   un  autre  hôtel  antérieurement. 


Rue  Cocatrix.  (i) 


La  halle  de  Beauce,  qui  étalait  dans  la  Cité, 
rue  de  la  Juiverie,  fut  donnée  par  Philippe-le- 
Bel  à  son  échanson,  Geoffroi  Cocatrix,  qui  demeurait 
rue  Cocatrix.  Ce  favori  du  roi  était  même  titulaire 
du  fief  de  Cocatrix,  assis  entre  la  rue  des  Deux- 
Ermites  et  la  rue  d'Arcole,  dans  ce  que  cette 
dernière  a  de  méridional.  Le  taunier,  c'est-à-dire 
le  cabaretier  de  la  rue,  s'appelait  Nicolas  Barbe 
en  1315  ;  mais  il  y  tenait  le  «  cabaret  Cocati'ix, 
proche  celui  des  Marmouzets.   » 

II  y  avait  aussi  hors  Paris  un  val  Cocatrix,  terre 
qui  fut  réunie,  ainsi  que  le  fief  de  la  Croix,  aux 
seigneuries  de  Sintry  et  de  Tremblay  ;  Philippe- 
le-Bel  s'y  arrêta,  les  11  et  12  août  1308,  en 
revenant  du  Poitou,  et,  à  l'occasion  de  cette  résidence 
royale,  la  dîme  du  pain  et  du  vin  consommés  par 
la  cour  fut  octroyée  à  la  léproserie  de  Corbeil. 
Des  lettres  du  prince  se  donnèrent  au  val  Cocatrix 
en  avril  1326. 

De  Jean  de  la  Caille,  imprimeur  de  la  police, 
.qui  dédia  son  plan  de  Paris  à  Desmarets,  contrôleur- 
général  des  finances,  nous  tenons  qu'on  comptait 

10  maisons  et  2  lanternes  rue  Cocatrix  en  1714. 

11  est  vrai  que  cette  voie  publique  formait  alors 
un  retour  d'équerre  du  côté  de  la  rue  d'Arcole, 
crochet  retranché  en  1843  au  profit  de  la  rue 
Constantine.   Des    maisons    dont  La  Caille  a  fait 


(1)  Notice   écrite  en   1858  sur  une   rue  que   l'Ile  de  la 
Cité   A  entièrement  perdue   depuis. 

17 


262  RUE    COCATRIX. 

l'addition,  pas  moins  de  8  ont  disparu  ;  quelques- 
unes  les  ont  remplacées.  Les  n"»  7  et  8,  étant 
les  seuls  qui  n'aient  pas  même  changé  d'alignement, 
nous  donnent  par  conséquent  l'ancienne  largeur 
de  la  rue.  Ne  confondons  pas  le  premier  de  ces 
immeubles,  qui  est  exploité  en  garni,  avec  une 
autre  maison  de  la  rue  qui  avait  plus  de  préten- 
tions. Florentin  y  logeait,  à  l'enseigne  de  la  ïoison- 
d'Or,  les  plaideurs  do  province,  dans  le  cœur  du 
xvin'^  siècle,  moyennant  10,  45  ou  18  livres  par 
mois,  selon  l'importance  du  proc«^s  qui  les  appelait 
salle  des  Pas-Perdus.  Dans'  l'autre  logeait  alors 
Thiébault,  grelïler-commis  au  greffe  civil  du 
parlement. 

Dans  ce  qui  faisait  coude,  le  marquis  de  Verneuil 
était  propriétaire  et  mitoyen  avec  le  chapitre  dé 
Notre-Dame,  sous  Louis  XVI  :  tous  deux  avaient 
M.  Tiron  pour  vis-à-vis. 


Rue   Hoooré-Clievalier.  (i) 


Cilez-moi  un  mot  composé  dont  l'inversion  ne 
dénature  pas  le  sens  !  La  rue  du  Chevalier-Honoré, 
avant  de  mettre  son  nom  à  l'envers,  s'est  ouverte 
Sous  le  règne  de  Henri  IV.  Le  terrain  en  avait 
appartenu  au  chevalier  Honoré  ;  mais  la  rue  tenait 
trop  peu  de  place  pour  que  ce  propriétaire  y  eût 
perdu  ses  trois  maisons  juxtaposées,  avec  leurs 
trois  jardins.  Il  en  reste  au  moins  deux  maisons, 
qui  ont  dû  n'en  former  qu'une  seule,  au  coin  de 
la  rue  Bonaparte;  Ig  fait  est  qu'elles  datent  l'une 
et  l'autre  de  la  fin  du  xvi"  siècle,  mais  que  le 
siècle  suivant  les  a  rhabillées  avant  de  finir.  De 
ces  deux  immeubles  jumeaux,  un  seul  ouvre  sur 
la  rue  Honoré-Chevalier,  qui  n'a  jamais  eu  d'autre 
immeuble  qu'on  pût  se  permettre  d'appeler  un  hôtel. 
Voici  donc  l'hôiel  de  Bargemont,  indiqué  dans 
cette  rue  sous  le  règne  de  Louis  XVI  et  que  des 
Polignac  avaient  habité  antérieurement.  De  six 
frères  Villeneuve  de  Bargemont,  qui  naquirent  au 
dernier  siècle,  trois  se  signalèrent  dans  le  nôtre 
par  leurs  écrits,  dont  deux  préfets. 

Le  marquis  de  Permangle  ne  put  guère  lui-même 
demeurer  que  là  dans  celte  rue.  M'"''  de  Chamois, 
fille  du  comédien  Préville,  fut  enlevée  par  ce 
gentilhomme;  son  mari,  qui  ne  lui  avait  pas  donné 
l'exemple  de  la  fidélité  conjugale,  ne  l'en  fit  pas 
moins  arrêter  à  Toulon,  où  elle  jouait  la  comédie, 
et  ramener  à  Paris.  On   enferma  d'abord  l'infidèle 


(1)  Notice   écrite   en  1862. 


264  RUE  HONORE-CHEVALIER. 

épouse  aux  Madelonettes,  après  lui  avoir  impitoyable- 
ment rasé  les  cheveux,  puis  on  la  iransféra  dans  une 
autre  maison  de  correction,  qui  était  de  meilleure 
compaj^nie.  N'était-ce  pas  chez  les  dames  Donzy,  qui 
tenaient  uii  établissement  de  ce  genre,  fondé  par  la 
police  à  la  Nouvelle-France?  Quand  une  jolie  femme 
séparée  de  son  mari  choisissait  son  refuge,  c'était  le 
couvent  de  Bon-Secours,  rue  de  Charonne. 

Aussi  bien  le  8  et  le  10  sont-ils  plus  jeunes 
que  la  rue  ?  Deux  petites  portes  y  attiennent  à 
deux  puits  et  mènent  à  deux  escaliers*  qui  se 
ressemblent  également,  bien  que  l'un  soit  gai-ni  de 
petits  piliers  en  chêne  au  second  étage,  et  l'autre 
d'une  vieille  ferrure  plus  élégante,  dès  ses  premières 
marches. 

Vis-à-vis,  mais  de  l'autre  ^  côté  de  la  rue  de 
Madame,  n'a  pas  bronché  une  maison  qui  appar- 
tenait h  Clément  Selva,  maître-des-requêtes,  avant 
de  s'adjuger,  en  1752,  h  Adrien  de  Monicault, 
procureur  au  parlement.  Elle  était  alors  dos-à-dos 
avec  le  monastère  des  religieuses  du  Précieux-Sang 
et  relevait  censuelloment  de  l'abbaye  de  Saint- 
Germain-dos-Prés,  ainsi  que  le  rappelle  une  Carte 
planimétrique  des  terrains  situés  clans  la  censive 
de  Saint-Germain ,  levée  sous  la  direction  du  baron 
de   Molina,    colonel,  ingénieur,    en   1752   et     1753. 


Rue    IVotpe-l>aïue-des"CIiainps.    (i) 


L'apôtre  saint  Denis  avait  rendu  dévots  h  la 
Sainte-Vierge  des  fidèles  rassemblés,  en  dehors  de 
la  ville,  dans  un  lieu  où  s'élevait  déjci  l'église  de 
Notre-Dame-des-Champs  sous  les  derniers  rois 
mérovingiens.  Des  moines  de  Marmouliers  la 
desservaient,  sous  le  règne  de  Hugues  Capet,  et 
avant  peu  elle  devint  le  chef-lieu  d'un  prieuré.  La 
communauté  de  bénédictins  que  le  prieur  de  Notre- 
Dame-des-Champs  avait  sous  sa  conduite  céda  le 
monastère,  en  1604,  aux  carmélites,  qu'on  y  retrouve 
encore  de  nos  joiTrs  rue  d'Enfer.  Quand  M"'"  de  la 
Vallière  entra  chez  ces  religieuses,  pour  s'y  appeler 
sœur  Louise,  la  rue  reprit,  au  contraire,  le  nom 
de  l'ancien  prieuré,  après  n'avoir  été  pendant  deux 
siècles  qu'un  chemin  dit  Herbu,  puis  du  Barc. 
D'un  bout  à  l'autre  elle  côtoyait  l'eticlos  des 
chartreux  de  la  rue  d'Enfer,  lequel  avait  plus 
d'étendue  que  le  jardin  du  pnlais  d'Orléans-Luxem- 
bourg. Le  séminaire  d'Orléans  se  trouvait  substitué 
au  prieuré  dans  les  droits  féodaux  <iu'il  avait 
excercés  sur  une  portion  de    cet  enclos. 

Ne  dirait-on  pas  que  la  rue  Notre-Dame-des-Champs 
regrette  encore  de  n'être  plus  un  chemin?  Les  habi- 
tants n'ont  pas  entièrement  cessé  d'y  cuUiver  la 
terre.  Paris,  il  est  vrai,  ne  fit  d'abord  sienne  qu'une 
moitié  du  parcours  de  cette  voie,  laissée  encore 
à  mi-corps  dans  les  champs  ;  mais  ;out  en  était 
dans  la  ville  avant  que  la  Nation  confisquât  le 
clos  des  ,  Chartreux,  déjii  bordé  d'importantes 
contructions. 

(1)  Notice  écrite    en    i86SJ. 


266  RUE   NOTRE-DAME-DEJ-CHAMPS. 

A  l'entrée  de  la  rue,  les  tilles  de  la  Mort 
s'établirent  les  premières,  avec  une  chapelle  sous 
l'invocation  de  sainte  Thècie.  A  cette  congréga- 
tion succéda  la  communauté  de  M"''  Cossard,  ci- 
devant  rue  Princesse,  qui  fut  dite  du  Saint-Esprit. 
La  fondatrice  de  cette  institution  avait  prévu  le 
cas  de  suppression,  qui,  en  effet,  se  présenta,  et,  en 
vertu  des  mesures  qu'elle  avait  prises,  l'Hôpital- 
Général  devint  propriétaire,  l'an  1707,  des  bâtiments 
de  sa  communauté.  Les  frères  des  Écoles  chré- 
tiennes s'en  rendirent  acquéreurs  ;  leur  noviciat, 
maison  de  l'Enfant-Jésus,  y  fut  surpris  par  la 
Révolution,  ainsi  que  la  chapelle  du  Saint-Esprit, 
où  la  messe  était  encore  dite  par  un  chapelain 
à  la  nomination  de  l'Hôpital-Général.  Des  bâti- 
ments, plus  rien  qui  reste  depuis  le  percement 
de  la  rue  de  Rennes. 

Le  plus  ancien  hôtel  de  la  nôtre  fut  construit 
pour  Glienard  d'Honcourt,  qui  eut  pour  successeur 
son  frère,  seigneur  de  Bugny;lc  fils  de  celui-ci 
vendit  à  M.  de  Vil  1ers,  premier  mari  de  la 
comtesse  Duchàtelet,  née  delvlailly;  laquelle  dame 
eut  pour  cessionnaire  en  1753  le  marquis  de 
Mailly,  comte  de  Rubempré,  brigadier  des  armées 
du  roi.  Cette  propriété,  qui  avait  englobé  l'hôtel 
du  président  Ogier,  se  divisait  sur  la  fin  de 
l'ancien  régime  en  grand  et  petit  hôtels  de  Pons. 

L'abbé  Terray,  minisire  de  Louis  XV,  étrenna 
dans  la  même  rue  un  hôtel  richement  meublé  :  il  y 
avait  mis  un  lit  de  80,000  livres,  qu'on  montrait 
aux  curieux.  Une  marquise  de  Fleury,  qui  avait  été 
la  Dufresne,  courtisane  d'une  beauté  rare,  n'avait 
pas  attendu  que  cet  hôtel  passât  Fleury  pour 
souper  en  tête-à-tête  avec  son  fondateur.  Le  mariage 
et  le  titi'e  de  cette  parvenue  ne  l'empêchèrent  pas  de 
mourir  dans  l'indigence,  elle  qui  avait  mangé 
la  rançon  d'un  roi  :  ses  deux  fils  étaient  capitaines, 
l'un  de  dragons  et  l'autre  d'infanterie. 


RUE    NOTRE-DAME-DES-CHAMPS.  2(i7 

Les  lits  et  les  soupers  du  collège  Stanislas  n'ont, 
par  bonheur,  eu  de  commun  avec  ceux  de  l'abbé 
Terray  que  le  local.  La  pension  que  i'abbé  Liautard 
avait  fondée  en  1804  fut  constituée  en  1821  col- 
lège particulier  de  plein  exercice,  sous  le  piincipal 
prénom  de  Louis  XVIII,  qui  portait  un  vif  intérêt 
à  l'établissement.  Ce  collège  occupait  l'ancien 
hôtel  Terray  et  des  propriétés  attenantes  ;  mais, 
avant  la  fin  du  règne  de  Louis-Philippe,  profes- 
seurs et  élèves  se  sont  transportés  dans  l'ancien 
hôtel  de  Mailly,  dont  on  avait  fait  entretemps 
une  brasserie.  La  rue  et  le  passage  Stanislas  se  sont 
ouverts  au  travers  de  l'ancien  territoire  du  collège, 
qu'y  remplacent  encore  deux  pensions,  l'une  au 
coin  de  ladite  rue  et  l'autre  quelques  portes  plus 
loin.  L'entrée  des  catacombes,  pour  les  ouvriers, 
est  en  regard. 

Au-dessous  de  l'hôtel  Fleury,  la  princesse 
de  Rohan-Guémenée,  lille  du  duc  de  Bouillon  et 
gouvernante  des  enfants  de  France,  a  déployé 
un  luxe  que  dépassait  encore  celui  de  son  mari  : 
une  faillite  de  33  millions  fit  tomber  ce  couple 
prodigue  dans  la  disgrâce,  dès  1783,  et  la  liquidation 
s'en  terminait  à  peine  quand  la  princesse  comparut 
devant  un  tribunal  qui  n'en  demandait  pas  tant  pour 
prononcer  un  arrêt  de  mort.  La  déconfiture  avait  mis 
à  sa  place,  rueNotre-Dame-des-Champs,  la  comtesse 
de  Tournon,  qui  avait  été  présentée  comme  telle 
à  la  cour  et  qui  roulait  avec  un  T  sur  la  portière  de 
sa  voiture.  Cette  fdle  d'un  gentilhomme  i)auvre 
du  Vivarais  n'en  était-elle  pas  moins  la  vicomtesse 
Dubarry?  Le  roi  avait  signé  le  18  juillet  1773  au 
contrat  de  son  mariage  avec  le  neveu  de  M"™* 
Dubarry,  qui  avait  été  page,  officier  d'infanterie, 
puis  cornette  des  chevau-légers  de  la  garde  avec  le 
rang  de  mestre-de-camp  de  cavalerie.  Le  mari, 
fils  de  Jean  Dubany,  pouvait  avoir  eu  des  torts 
envers  sa  femme  lorsqu'elle  s'était    évadée,  pour 


368  RUE  NOTRE-DAME-DES-CHAMPS. 

essayer  du  régime  de  la  séparation  ;  mais,  en  revenant, 
elle  l'avait  rendu  père  d'un  garçon,  et  puis,  en 
1778,  aux  eaux  de  Spa,  il  s'était  battu  pour 
elle  avec  un  Anglais,  le  comte  de  Ris,  qui  l'avait 
tué.  C'est  depuis  que  la  veuve  avait  acheté  dans 
l'île  de  Corse  deux  fiefs  eu  friche,  qu'elle  avait 
fait  ériger  en  comté. 

Du  temps  de  M'"*'  de  Tournon,  il  y  avait  sur 
la  ligne  opposée  l'hôtel  Dulau,  plus  haut  que 
l'hôtel  de  Montmorency-Laval,  postérieurement 
raffinerie  Santerre,  qui  se  retrouve  près  la  rue 
de  Fleurus. 

L'architecte  Va  vin  a  construit  en  1790  des 
maisons  rue  Notre-Dame-des-Champs.  L'une  d'elles, 
dans  laquelle  M""  Rosa  Bonheur  a  eu  son  atelier 
de  peinture,  est  maintenant  occupée  par  les  sœurs 
de  Notre-Dame-de-Sion.  Un  passage,  qui  appar- 
tenait à  la  famille  de  l'architecte,  s'érigeait  en 
rue  Vavin  au  commencement  du  règne  de  Louis- 
Philippe. 


Rue   de   Monsieur,    (i) 


Louis  XVI  régnait  depuis  quatre  ans  lorsqu'il 
autorisa  l'ouverture  de  cette  rue  sur  un  terrain 
que  venait  d'acheter  son  frère,  Monsieur,  comte 
de  Provence,  afin  d'y  établir  ses  écuries.  Brongniart 
avait  dessiné  le  plan  de  ces  écuries,  dont  il  se 
trouve  des  bâtiments  et  tout  l'emplacement  aux 
n"'  impairs  qui  suivent  le  n"  7.  L'écuyer  ordinaire 
de  Monsieur  était  le  marquis  de  Bièvres,  que  rem- 
plaça en  1784  M.  Hazon  de  Saint-Firmin.  Le  marquis 
de  Montesquiou-Fezensac,  premier  écuyer  du  prince, 
avait  été  le  menin  des  enfants  de  France  sous  le 
règne  précédent  ;  la  survivance  de  ses  fonctions 
était  acquise  au  baron   de  Montesquieu. 

Sur  le  plan  de  Brongniard  aussi,  l'hôtel  Montes- 
quiou  s'était  élevé  en  face  des  écuries,  avec  jardin 
sur  le  boulevard.  Membre  de  i'Académie-Française 
et  puis  des  États-Généraux,  M.  de  Montesquiou  fut 
un  des  premiers  députés  de  la  noblesse  ii  taire 
cause  commune  avec  le  tiers-état.  Comme  lieutenant- 
général,  la  République  le  chargea  du  commande- 
ment de  l'armée  du  Midi  et  de  l'occupation  de  la 
Savoie  ;  mais,  bientôt  accusé,  il  émigra  en  Suisse. 
Les  bénédictines  du  Saint-Sacrement  habitent 
aujourd'hui  l'ancien  hôtel  du  premier  écuyer  de 
Monsieur. 

Brongniart  fut  encore  l'auteur,  en  1786,  du 
pavillon  des  archives  de  l'ordre  de  Saint-Lazare, 
qui  devint  ensuite  une  pension,  puis  un  hôtel,  puis 
une  des  maisons  conventuelles  du  Sacré-Cœur  et 
enfin  le  collège  arménien  de  Samuel  Moral. 

(X)  Nolicfi  écrite  eu    1862. 


870  RUE  DH  MONSIEUR 

Du  même  temps  et  toujours  du  même  architecte 
est  l'hôtel  coniigu,  inauguré  par  M"*"  de  Bourbon- 
Condë,  abbesse  de  Remiremont.  et  occupé  sous 
Louis-Philippe  par  le  comte  de  Beaumont  et  la 
comtesse,  fille  de  Dupuytreii. 

Un  an  plus  tôt,  Legrand  a  fait  bâtir,  à  côté  de 
la  maison  de  M"*'  de  Condé,  un  autre  hôtel  pour 
le  comte  de  Jarnac.  Le  comté  de  ce  nom  avait 
passé  dans  la  fàmille  de  Rohan-Chabot  en  1745. 
par  suite  du  mariage  de  M.,  de  Rohan-Chabot, 
colonel  d'infanterie,  avec  la  veuve  de  M.  de 
Larochelbucauld-Montendre,  née  de  Jarnac.  Main- 
tenant à  l'hôtel  Jarnac  vivent  religieusement  les  bar- 
nabites,  pères  Italiens,  dont  la  chapelle  donne  rue  de 
Babylone. 

Il  est  plus  facile  de  reconnaître  dans  le  n"  3 
fhôtel  de  Saint-Simon,  puisqu'une  inscription  le 
désigne.  Le  général  duc  de  Saint-Simon,  sénateur, 
ancien  pair-de-France,  y  a  pris  sa  retraite. 

La  rue  de  Monsieur  a  porté  la  dénomination  de 
Fréjus  pendant  le  Consulat  et  le  premier  empire, 
en  mémoire  du  débarquement  ojiéré  par  le  général 
en  chef  de  l'armée  d'Egypte  à  Fréjus  le  9  octobre 
1799. 


Rue    Royale-S^aiiit-llonoré.  (i) 


La  rue  Royale  entre  dans  la  circulation  en 
4757,  avec  la  place  Louis  XV,  dont  elle  est  le 
trait-d'union  pour  le  Boulevard.  Le  plan  qui  leur 
est  commun,  ouvrage  de  Gabriel  approuvé  par  le 
roi,  a  imposé  aux  maisons  de  la  rue  l'identité  de 
façade.  L'inauguration  de  la  place  et  de  la  statue 
de  Louis  XV  a  lieu  le  20  juin  1763.  Néanmoins 
il  reste,  vingt  ans  après,  des  vides  à  remplir  dans 
la  monumentale  avenue  de  la  place.  André  Aubert 
s'y  fait  donc  concéder  par  le  bureau  de  la  Ville 
1,304  toises  de  terrain,  afin  de  les  revendre  en  6 
lots,  et  l'on  peut  lire  sur  les  affiches  qu'il  fait 
placarder  dans  Paris  : 

Lesdits  terrains  sont  exemps  de  droits  seigneuriaux 
et  autres.  Ou  pourra  vendre  à  vie  les  faces  bâties. 
S'adresser  à  Aubert  fils,  architecte,  rue  de  la  Magdeleiue. 

Pour  se  lancer  dans  cette  opération,  Aubert  a 
été  cautionné  par  M.  Rouillé  de  l'Estang,  qui  est 
déjà  propriétaire,  sur  la  place  Louis  XV,  d'un  hôtel 
dont  héritera  M'"''  de  Pastoret,  sa  nièce,  et  que 
grève  une  rente  foncière  de  2,462  livres,  10  sols, 
au  profit  du  prieuré  de  Sainte-Catherine-du-Val- 
des-Écoliers.  En  qualité  de  trésorier  de  la  Police, 
Rouillé  de  l'Estang  a  sous  ses  ordres  des  commis  ; 
il  transfère  bientôt  ses  bureaux  rue  Royale,  au 
n"  13. 

Cette  maison,  qui  a  été  élevée  comme  les 
n"  5,   7,  9,  11  et  15,  sur    le  terrain    adjugé    à 


(1)  Notice  écrite  eu   1862. 


272  RUE  ROYALE-SAINT-HONORE. 

Aubert,  est  habitée  postérieurement  par  Suard, 
lequel  y  meurt  à  86  ans,  le  20  juillet  1817.  Avant 
la  Révolution,  cet  homme  de  lettres  a  rédigé  la 
Gazette  de  France,  avec  l'abbé  Arnaud  ;  il  s'est 
fait  de  bonne  heure  une  réputation  qui  attirait  chez 
lui  les  étrangers  de  marque,  et  il  a  été  élu  membre 
de  l'Académie-Française  dès  i77!2.  Comme  censeur 
royal,  il  a  refusé  son  approbation  -àw  Mariage  de 
Figaro,  et  pourtant  la  famille  royale  assistait  à  la 
première  représentation  de  cet  ouvrage  de  Beau- 
marchais. Poursuivi  et  proscrit  pendant  la  Républi- 
que, Suard  a  vu  supprimer,  en  1810,  lePwôitm^e, 
feuille  qui  lui  appartenait. 

Le  n^S,  tout  d'abord,  voit  M.  de  Montaut 
locataire  de  l'aichitecte  Boullée,  et  ensuite  c'est 
l'hôtel  Fronsac.  Pelit-lils  du  maréchal  de  Richelieu, 
Frousac  y  réside  cinq  ou  six  ans  avant  d'émigrer, 
et  ce  même  duc,  en  servant  la  Russie,  sera  nommé 
gouverneur  d'Odessa  ;  il  reviendra  en  France  pour 
être  ministre  et  membre  de  l'illustre  compagnie 
fondée  par  le  cardinal  de  Richelieu. 

Le  n°l,  sous  Louis  XVI,  fait  partie  de  l'hôtel 
Fronsac,  ou  de  l'hôtel  Coislin,  qui  donne  sur  la 
place  Louis  XV  et  où  la  marquise  de  Coislin  reçoit 
son  monde  en  se  rendant  redoutable  par  les 
vivacités  de  son  esprit. 

La  trésorerie  de  la  Police  fait  au  même  temps 
vis-à-vis  à  l'hôtel  de  Gouvernet.  Un  peu  plus  bas 
que  cet  hôtel,  M.  Lebas  de  Courmont,  payeur  de 
rentes,  a  ses  bureaux  ;  un  peu  plus  bas  encore 
se  trouve  l'hôtel  de  Chastenet,  contigu  au  Garde- 
Meuble,  en  d'autres  termes  à  la  maison  du  roi. 
M.  Randon  de  la  Tour  est  à  cette  époque  trésorier- 
général  de  la  maison  du  roi  et  il  a  pour  voisin 
M.  Thierry  de  la  Ville-d'Avray,  commissaire  sous 
ses  ordres,  dont  la  porte  ouvre  sur  la  place.  Il 
y  a  eniln,  dès  ce  temps-là,  près  de  M.  Thierry 
de  la   Ville-d'Avray,  sur  la  place  et  sur  la  rue  Saint- 


RUE  ROYALE-SAINT-HONORÉ.  278 

Florentin,  le  bureau  de  M.  Chabert,  inspecteur- 
général  des  côtes  maritimes,  et  c'est  le  berceau 
du  ministère  de  la  Marine,  qui  englobera  le 
Garde-Meuble. 

Au  6,  SQus  la  première  restauration,  un  salon 
acquiert  l'importance  d'un  cabinet  diplomatique,  le 
salon  de  M™*  de  Staël.  De  nouveau  celte  femme  célèbre 
quitte  la  France,  pendant  les  Cent- Jours,  et  d'Italie 
elle  revient  malade,  pour  rendre  le  deinier  soupir 
quatre  jours  avant  Suard,  son  voisin.  La  lecture 
d'un  testament  fait  connaître  que  M.  de  la  Rocca 
a  été  le  second  mari  de  M""-'  de  Staël,  dont  Delphine 
donne  le  portrait  et   Corinne  l'idéal. 

La  rue  Royale,  dite  en  1792  de  la  Révolution 
et  trois  ans  plus  tard  de  la  Concorde,  repreiid 
ensuite  son  auguste  nom.  Elle  se  prolonge,  sans 
uniformité  de  construction,  aux  dépens  du  Cours 
ou  Boulevard,  qui  venait  primitivement  jusqu'à  la 
porte  Saint-Honoré,  démolie  en  1733. 


Rue    Rousselet.   (i) 


Rousselet,  propriétaire,  est  devenu  sous  la 
Régence,  père  et  parrain  d'une  rue,  qu'on  appelait 
auparavant  chemin  des  Vachers,  Des  masures  y 
sont  plus  anciennes  que  le:>  maisons  bourgeoises, 
dont  quelques-unes  ont  été  des  hôtels.  L'ordre 
numérique  y  commençait  et  y  finissait  rue  de  Sèvres, 
quand  il  n'était  pas  lait  de  différence  entre  les 
chiffres  pairs  et  les  impairs  ;  maintenant  il  part 
à  la  fois  des  deux  angles  de  la  rue  Oudinot. 
Que  la  noblesse  de  robe  ait  pris  sa  retraite, 
comme  aujourd'hui  la  bourgeoisie  modeste, 
dans  cette  rue  honnête  et  tranquille,  il  n'y  a 
pas  de  quoi  s'en  étonner.  Mais  on  y  a  aussi 
porté  l'épée  avec  honneur.  Les  hôtels  Béon, 
Lastic  et  Saisseval  étaient  occupés  rue  Rousselet, 
avant  la  grande  révolutioii,  par  le  marquis  de 
Béon-Caseaux,  chef  de  brigade  des  armes  du  roi, 
par  le  comte  de  Lastic,  colonel  d'infanterie,  lils 
d'un  lieutenant-général,  et  par  le  marquis  ou  le 
comte  de  Saisseval-Feuquières,  ces  deux  frères 
étant  en  même  temps  capitaines  de  cavalerie. 
Entin,  le  n°  29  a  été  restauré  et  habité  par 
Valérius,  l'ancien  bandagiste  de  la  rue  du  Coq, 
que  ses  opinions  légitimistes  avaient  tant  com- 
promis, au  commencement  du  règne  de  Louis- 
Philippe,  et  qui  a  cessé  de  vivre  en  1855. 


(l)  Notice  écrite    en   1862. 


Rue  Joubert.  (i) 


Plus  l'âge  expose  à  des  affronts  la  vieille  coquette 
et  le  galantin  sur  le  retour,  plus  ils  se  montrent 
jaloux  des  préférences  qu'accorde  souvent  l'amour 
à  la  jeunesse.  Mais  les  maisons  d'un  certain  âge 
sont  de  si  bonne  composition  qu'elles  souffrent 
sans  se  plaindre  de  l'alignement  nouveau  qu'une 
façade  prend  près  des  leurs  et  qui  est  une  menace 
à  leur  adresse.  On  ne  fait  pas  grâce  d'une  crevasse 
à  ces  maisons,  du  moment  qu'on  convoite  leur 
emplacement  ou  leurs  matériaux.  Aucun  ména- 
gement n'est  gardé  par  les  ennemis  que  leur  t'ait 
la  spéculation.  Soni-ce  des  hôiels?  on  les  trouve 
insolents.  Des  bicoques  ?  elles  répugnent  à  une 
grande  ville.  Si  la  vie  qu'on  y  mène  paraît  irré- 
prochable, quelle  jeunesse  orageuse  ne  dissimule 
pas  cette  bonhomie  caduque  !  Parfois  on  évoque 
des  souvenirs  dont  elles  rougissent  sous  leur  badi- 
geon, en  présence  d'un  square  ou  d'un  boulevard 
moderne,  mais  dont  elles  riraient  entre  vieilles 
connaissances.  Toute  maison  qui  a  vécu  est  in- 
dulgente ;  si  elle  ne  dore  que  le  premier  étage, 
elle  en  console  la  mansarde  ;  les  espérances  qui 
ont  séché  ses  plâtres  ne  l'abandonnent  qu'au  dernier 
coup  de  pioche.  C'est  pourquoi  vous  voyez  errer 
inévitablement  aux  alentours,  quand  elle  a  disparu, 
ceux  de  ses  anciens  habitants  qui  lui  survivent  : 
on  la  cherche,  on  voudrait  la  revoir,  on  la  regrette 
comme  un  ami  discret! 

Une  vingtaine  de  maisons,  parmi  celles    de   la 


(1)  Notice  écrite   en   1862. 


276  RUE  JOUBERT. 

rue  Joubert,  ont  vu  le  jour  avant  89  ;  mais,  malgré 
le  peu  de  pruderie  que  leur  donne  l'expérience 
de  la  fin  du  wui"  siècle,  elles  ont  été  des  premières 
à  se  plaindre  d'une  des  maisons  neuves  qui  sont 
nées  sur  l'ancien  jardin  de  la  princesse  de  Wagram. 
Cette  maison,  qui  a  jeté  de  bonne  heure  son  bonnet 
par-dessus  les  moulins,  ne  paraissait  pas  à  sa  place 
dans  une  rue  de  bonne  compagnie.  Le  voisinage, 
à  l'unanimité,  d'en  demander  la  fermeture.  Les 
gens,  s'écriait-on  principalement,  qui  toute  la 
nuit  y  viennent  en  voiture,  pourquoi  n'iraient-ils 
pas  plus  loin  ?  Mais  la  maison  Farcy,  c'était 
alors  son  nom,  compt-iit  sur  des  protections,  qui 
l'ont  emporté,  en  effet,  sur  les  scrupules  du 
voisinage.  Les  établissements  de  ce  genre  devaient 
se  contenter  autrefois  de  locaux  beaucoup  moins 
en  vue,  que  la  spéculation  ne  disposait  pas  exprès 
pour  la  spécialité.  Ayant  cédé  son  fonds,  la  Farcy 
est  devenue  commanditaire  d'un  agent-de-change, 
dont  les  affaires  ont  moins  bien  tourné. 

Un  hôtel  au  n**  3  est  tenu  par  M'"«  Compagnon, 
ancienne  mercière,  qui  a  passé  50  années  de  sa 
vie,  sur  73,  dans  la  rue  dont  nous  vous  parlons. 
Elle  y  a  connu  des  personnages  marquants  du 
Consulat  et  de  l'Empire:  Caulincourt,  duc  de 
Vicence,  au  n°  39;  Lefebvre,  duc  de  Dantzick, 
au  n°  29;  le  général  Digeon,  au  n"  17  ;  le  général 
Vatrin,  au  n"  35. 

Nous  ne  passons  jamais  devant  le  n°  15  sans 
nous  rappeler  de  charmants  mercredis.  Les  salons 
de  M"""  Ancelot  étaient  ouverts,  dans  ce  petit  hôtel, 
à  la  littérature  et  à  la  diplomatie,  sous  le  règne 
de  Louis-Philippe.  Tout  ce  qu'on  y  a  eu  d'esprit 
ne  tiendrait  pas  en  un  gros  livre.  Ancelot,  l'aca- 
démicien, fut  par  malheur  directeur  du  Vaudeville 
et  y  écorna  sa  fortune;  mais  les  procès  qu'en- 
traînent de  telles  affaires  l'ayant  mis  en  rapport 


RUE  JOUBERT.  277 

avec  M*  Lachaud,  cet  avocat  déjà  connu  épousa 
M"«  Ancelot. 

Le  prince  d'Arenberg  a  fait  construire  le  25 
et  le  27  ;  de  la  même  origine  paraît  être  le  23. 
M»"*  Pellaprat  demeurait  au  35,  pendant  le  Consulat, 
et  le  duc  de  Chdiseul,  dans  la  maison  suivante, 
vers  1830;  il  y  avait  alors  au  fond  de  ces  deux 
hôtels,  comme  au  fond  de  l'hôtel  Caulincourt,  de 
petits  jardins,  suspendus  au-dessus    des    remises. 

Le  général  Joubert,  gouverneur  de  Paris  sous 
le  Directoire,  a  sans  doute  habité  la  rue.  Toutefois, 
le  Moniteur  du  27  brumaire  an  VIII  se  borne  à 
dire  :  «  La  rue  Neuve-des-Capucins,  où  demeurent 
la  veuve  et  la  famille  du  général  Joubert,  a  pris 
ce  nom.  »  Le  général  était  mort  à  Novi,  dans 
sa  30'"*'  année.  Sa  veuve,  née  M"*"  de  Montholon, 
demeuraijL  en  haut  de  la  rue,  du  côté  des  chiffres 
impairs,  'au  dire  de  M"'*'  Compagnon. 

L'ouverture  de  la  rue  Neuve-des-Capucins  avait 
été  ordonnée  par  le  roi,  le  8  juin  1780.  sur  des 
terrains  à  M.  de  Sainte-Croix  et  à  l'Hôtel-Dieu, 
en  face  du  couvent  des  capucins  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  actuellement  lycée  Bonaparte.  Les  maisons 
à  bâtir  avaient  été  exemptées  de  diverses  charges, 
telles  que  le  logement  des  gardes-françaises  et 
suisses,  jusqu'à  la  première  vente.  Rouillé  d'Orfeuil, 
intendant  de  Châlons,  n'avait  pas  tardé  à  établir 
ses  bureaux  dans  la  nouvelle  rue.  L'architecte 
Bellanger  y  avait  bâti  en  même  temps  les  n"'  20, 
22  et  24.  Cette  propriété,  qu'habita  Bellanger,  servit 
aussi  de  pied-à-terre  galant  au  comte  d'Artois  et 
même  au  financier  M.  de  Saint-James.  On  en  fit 
une  prison  sous  la  Terreur,  principalement  pour 
des  Anglais  que  Robespierre  y  retint.  Il  paraîtrait 
que  M.  de  Choiseul  y  fut  aussi  incarcéré.  Un  peu 
plus  tôt  ou  plus  tard,  le  citoyen  Fauchard  résidait  là. 


18 


Rue  de    la    Grang^e-Batclièrc.  (i) 


État  de  la  propriété  en  1790  daiiâ  cette  rue, 
qui  commençait  alors  au  Boulevard  et  qui 
abouti»»sait   à  la  rue  du  faubourg-Montmartre. 

Oanche.  —  M''«  de  Villefranche,  y  demeurant  :  Ponroy, 
bourgeois;  Deslauuay,  /(/.  ;  de  Crozat,  y  demettrant, 
avec  une  entrée  par  le  cul-de-sac  devenu  ensuite  la  rue 
Pinun,  puis  la  rue  Rossini  ;  un  maraîcher,  au  fond  dudit 
cu'-de-sac  ;  Pinon  de  Quiticy,  conseil'er  au  parlement, 
seigneur  du  Hef  de  la  Grange-Batelière,  y  demeurant; 
Rameau,  secrétaire  du  roi,  place  à  bâtir  ;  Chenizot,  id.; 
Levass^^ur,  couseiller  au  parlement,  avec  un  menuisier 
pour  locataire;  labbé  Darcy,  place  à  bâtir;  Raymond, 
secrétaire  du  roi,  y  demeurant;  un  maréchal-ferrant  ; 
Vallée,    paveur,    i   inaisons. 

Droite.  —  Le^asseur,  déjà  nommé,  6  maisons  dont  une 
à  son  usage;  Plessj',  menuisier  ;  Davai,  avec  un  menuisier 
pour  locataire  ;  un  paveur;  un  maçon;  Dolville,  procureur, 
y  demeurant;   Vallée,    déjà   nommé. 

Depuis  1847,  la  rue  Grange-Batelière  commence 
où  elle  finissait  depuis  un  siècle  et  demi,  c'est- 
à-dire  h  la  rue  du  Faubourg-Montmartre  :  les 
numéros  de  res  maisons  semblent  avoir  joué  aux 
quatre  coins.  D'autre  part,  au  lieu  de  faire  cro- 
chet sur  le  boulevard,  la  rue  se  prolonge  en  droite 
ligne,  de  façon  que  plusieurs  hôtels  ont  changé 
de  rue  sans  changer  de  place.  Mais  au  nombre 
de    ces   déserteurs    involontaires   ne    figure    pas 


(1)  Notice  écrite   en    1802. 


RUE  DE  LA.    GRANGE-BATELIERE.  579 

l'hôtel  de  Nolivos.  La  maison  de  Raymond,  déjà 
cité,  a  été  refaite  avant  l'avènement  de  Louis  XVI, 
pour  M.  de  Nolivos,  capitaine  aux  gardes-tVan- 
çaises,  ami  de  M.  de  Valençay.  En  ce  temps-là 
un  avocat  nommé  de  Ligny  demeurait  vis-à-vis, 
avec  sa  femme  :  c'est  sans  doute  au  n"  11,  ancien 
22.  M"'e  de  Ligny  se  retira  aux  Anglaises,  dans 
un  âge  où  les  jolies  femmes  ne  renoncent  pas 
aisément  au  monde  ;  mais  elle  reçut  au  parloir 
du  couvent  quelques  visites  du  comte  de  Nolivos, 
qui  ne  lui  était  pas  indifférent.  M.  de  Beaumont, 
archevêque  de  Paris,  réprimanda  la  supérieure 
de  n'avoir  pas  deviné  une  intrigue  dans  l'objet 
de  ces  entrevues,  où  les  liens  de  parenté  et  les 
rapports  d'affaires  n'étaient  pour  rien,  et  tem- 
porairement on  mura,  par  punition,  la  grille  du 
parloir.  L'exilé,  mis  au  pied  du  mur,  l'escalada 
un  soir  ;  il  put  revoir  la  pensionnaire,  qu'on  ne 
surveillait  pas  de  près,  puisqu'elle  était  logée  à 
part  ;  mais  il  fallut  se  quitter  avant  le  jour,  et 
le  temps  avait  passé  vite  !  Aussi  la  femme  de 
l'avocat  donna-t-elle  jilusieurs  fois  audience,  à  ce 
qu'on  dit,  au  comte  de  Nolivos,  dans  les  mêmes 
conditions.  Le  mari,  alors  en  voyage,  n'avait  pas 
appris  sans  plaisir  que  M.  de  Beaumont  supprimait 
le  parloir  ! 

Nous  doutons  fort  que  le  même  prélat  ait  exigé 
que,  pour  donner  des  leçons  aux  demoiselles 
élevées  dans  les  couvents,  les  •  maîtres  à  danser 
portassent  la  tonsure  et  le  petit-collet.  Il  y  eut 
pourtant  rue  Grange-Batelière,  probablement  n"  7, 
un  abbé  Quinion,  maître  de  danse.  Quelque  graves 
que  soient  certaines  danses,  à  commencer  par 
le  menuet,  ne  se  demande-t-on  pas  si  ce  prêtre 
disait  réellement  la  messe  avant  de  courir  le  cachet, 
avec  la  pochette  en  sautoir  ?  Quel  doute  en  laisse 
un  almanach  des  Arts  et  Métiers,  imprimé  en 
Tannée  1769,  qui  constate  que  l'abbé  Quinion  était 


S«0         RUE   DE  LA   GRANGE-BATELIERE. 

maître  de  danse  juré,  en  même  temps  que  prêtre 
habitué  à  Saint-Roch  ? 

Il  avait  pour  voisine  Caroline  Véronèse,  qui 
avait  joué,  comme  sa  sœur  Camille,  h  la  Comédie- 
Italienne.  Le  prince  de  Conti  n'était  encore  que 
comte  de  la  Marche  lorsqu'il  avait  eu  de  Caroline 
un  fils,  cause  de  sa  rupture  avec  la  comtesse 
de  la  Marche,  et  il  avait  acheté  pour  sa  maîtresse 
le  marquisat  de  Silly. 

Quelques  années  plus  tard,  la  compagnie  colonelle 
des  gardes-suisses  se  trouvait  casernée  aux  n"' 
13  et  15  actuels. 

Duportail,  secrétaire  d'État  au  département  de 
la  Guerre,  habitait  la  rue  en  1791.  Naguère  com- 
pagnon d'armes  de  Lafayetle  en  Amérique,  ce 
ministre  révolutionna  et  désorganisa  l'armée,  en 
autorisant  les  soldats  h  fréquenter  les  clubs.  Les 
ordonnances  y  relatives  ont-elles  été  signées  par 
Duportail  dans  la  ci-devant  caserne,  dans  une  des 
deux  maisons  d'en  face,  ou  bien  dans  l'un  des 
grands  hôtels  perdus  pour  la  rue  Grange-Batelière 
depuis  que  la  rue  Drouot  la  croise  ?  Jusque-là 
aucun  ministre  de  la  guerre  n'avait  eu  la  même 
résidence  que  son  prédécesseur  ;  mais  alors  que 
les  mutations  se  succédèrent  avec  une  rapidité 
imprévue,  le  portefeuille,  ce  meuble  si  portatif, 
devint  immeuble  par  destination.  Celui  de  la  Guerre 
changea  de  mains  dix  ou  douze  fois  en  deux  années. 
Le  ministre  Pache,  en  novembre  1792,  prit  pour 
secrétaire-général  Xavier  Ardouin,  vicaire  de  Saint- 
Eustache,  et  mit  des  orateurs  de  club  à  la  place 
d'employés  dont  les  opinions  ne  lui  paraissaient 
plus  à  la  hauteur  des  circonstances.  Pache  avait 
vu  le  jour  en  Suisse  ;  son  père  avait  été  le  suisse 
de  l'hôtel  de  Castries  :  il  ne  lui  manquait  plus 
que  d'occuper  un  ancien  quartier  de  gardes-suisses. 


Rue  Popineoiirl    et    rue 
Folie-lléricourt, 

EN    CE      QUI    s'en     appelait     NAGUÈRK 

Popincourt.    [i] 


Les  Annonciades .  —  Nicolas  de  Blégny,  —  Fronsac. 

—  La   Comédie- Bourgeoise.  —  Le  M'^  de  Pange. 

—  Le  C*«    de  Fodoas. 

Jean  de  Popincourt,  président  au  parlement 
sous  Charles  VI,  avait  une  maison  de 
campagne  près  Paris;  elle  devint  îi  l'époque  des 
guerres  religieuses  un  temple  calviniste,  que  le 
connétable  Anne  de  Montmorency  prit  d'assaut  le 
31  décembre  1561,  en  ne  le  ménageant  guère. 
La  même  propriété  était  vendue  plus  tard  par 
Angrand,  secrétaire  du  roi,  aux  annonciades  du 
Saint-Esprit.  Ces  religieuses  avaient  formé  depuis, 
peu  d'années  à  Saint-Mandé  un  établissement,  sur 
le  modèle  de  leur  maison  de  Melun  ;  elles  se 
transférèrent  à  Popincourt  le  12  août  1636  et  puis 
l'ancienne  chapelle  de  Saint-Marthe  ou  du  Saint- 
Esprit  y  fut  remplacée  par  la  leur.  Une  médaille 
d'argent,  retenue  par  un  cordon  bleu  sur  l'habit 
que  portaient  les  sœurs,  rappelait  que  leur  ordre 
avait  été  institué  en  l'honneur  de  l'Annonciation  : 


(1)  Notice  écrite  en  1862.  La  queue  dp  U  rue  Popin- 
court n'était  pas  encore  devenue  la  tête  de  la  rue  Folie- 
Méricourt,  entre  celle  Oberkampf  (Menilmonlant)  et  le 
boulevard   du   Prince- Eugène. 


282  RUE  POPINCOURT,  ETC. 

l'ange  Gabriel  y  figurait,  annonçant  à  la  Sainte-Vierge 
le  mystère  de  l'Incarnation.  En  1720,  la  3"'«'  propriété 
et  la  4"'"^  qui  venaient  sur  la  droite  h  partir  de 
la  rue  Ménilmontant,  étaient  au  sieur  Albert, 
maître  à  danser  ;  les  annonciades,  dames  de 
Popincourt,  en  avaient  quatre  sur  la  même  ligne 
affermées  à  deux  jardiniers,  en  regard  de  leur 
monastère.  La  communauté  devenait  nombreuse  ; 
mais  de  cet  accroissement  ne  résulta  pas  la 
prospérité  de  ses  affaires  et  force  fut,  pour  y 
mettre  ordre,  d'aliéner  une  portion  du  domaine 
conventuel  en  l'année  1760.  D'autres  nécessités 
provoquèrent  même  le  sacrifice  du  reste,  qui  fut 
vendu,  en  1781,  à  MM.  Perrot  de  Chezelles,  de 
Blosseviile  et  Valentin. 

La  caserne  construite  sur  le  territoire  qu'elles 
avaient  occupé  seivyit  de  quartier  originairement 
k  deux  compagnies  de  fusiliers  et  h  une  de  grena- 
diers, en  tout  310  hommes  des  gardes-françaises. 
Cette  caserne,  depuis  un  an  ou  deux,  sert  d'hospice 
aux  Incurables  (hommes).  L'église  des  religieuses, 
vendue  comme  bien  national  le  2  prairial  an  V, 
fut  érigée  pendant  le  Consulat  en  seconde  succur- 
sale de  la  paroisse  Sainte-Marguerite,  rachetée 
par  la  Ville  en  1811  et  restaurée  en  1818.  Cette 
église,  dédiée  à  saint  Ambroise,  touche  le  pres- 
bytère, qui  ouvre  actuellement  sur  le  boulevard 
du  Prince-Eugène  ;  c'est  une  vieille  maison  où 
Chéradame,  entrepreneur  du  pavé  de  Paris,  rem- 
plaçait immédiatement  les  religieuses. 

Le  village  de  Pincourt,  ainsi  dit  par  abrévation, 
a  eu  beau  entrer  à  demi  et  puis  tout-à-fait  dans 
la  ville,  les  Parisiens  n'ont  cessé  de  s'y  croire  à 
la  campagne  que  plus  d'un  siècle  après  l'annexion. 
Les  maraîchers  et  les  nourrisseurs  n'en  habitaient 
pourtant  pas  exclusivement  la  grande  rue.  Une 
maison  de  santé  y  a  été  fondée,  sous  Louis  XIV, 
par  Nicolas  de  Blégny,  ainsi  que  le  jardin  médi- 


RUE  POPINCOURT,  ETC.  283 

cinal  de  Pincourt.  Le  chef  de  l'établissement 
pratiquait  principalement  la  chirurgie  ;  il  s'était 
fait  connaître  comme  banda^Mste,  avant  d'ouvrir 
un  cours  d'anatomie  et  divers  autres,  voire  même 
un  cours  sur  les  perruques.  Ce  M.  de  Blégny  avait  été 
jusqu'à  se  mettre  h  la  tête  d'une  société  acadé- 
mique, et  elle  publiait  des  mémoires,  dont  l'impres- 
sion en  France  n'a  été  mterdite,  en  1682,  que 
par  égard  pour  tous  les  médecins  qui  se  plai- 
gnaient d'y  être  maltraités.  Au  reste,  notre 
chirurgien  s'atïicliait  de  tous  les  côtés  comme 
préposé  à  la  recherche  et  à  la  vérification  des 
nouvelles  découvertes  de  la  médecine,  et  il  confiait 
au  public  des  Secrets  concernant  la  beauté  et  la 
santé  ;  donc  ses  écrits  étaient  d'un  charlatan, 
exploitant  l'ignorance  et  la  crédulité  dont  le  grand 
siècle  n'était  pas  exempt.  Il  frappait  d'une  contribu- 
tion à  son  profit,  avec  peu  de  savoir,  avec  beaucoup 
d'intrigue,  la  coquetterie  et  les  infirmités,  tous 
les  vices,  tous  les  accidents,  en  se  donnant  pour 
habile  à  guérir  les  descentes,  les  maux  vénériens 
et  généralement  les  tnaladies  extra<.rdïnaires  : 
Spécialité  des  plus  larges  !  Son  cabinet  en  ville 
était  rue  Guénégaud,  tout  près  du  théâtre  de 
Molière,  qui  faisait  rire  tout  le  monde  des  médecins, 
sans  diminuer  la  clientèle  du  praticien  voisin  en 
vogue.  M""'  de  Blégny,  directrice  honoraire  et 
perpétuelle  de  la  communauté  des  jurées  sages- 
iemmes  de  Paris,  pratiquait  également  sur  les 
personnes  de  qualité  et  demeurait  chez  son  fils, 
apothicaire  du  roi,  rue  Guénégaud.  L'officine 
regorgeait  de  remèdes  secrets,  il  est  vrai,  mais 
suffisamment  garantis  par  cette  annonce  excep- 
tionnelle ;  Une  personne  solvable  qui  en  connaît  la 
vertu  s  oblige,  quand  on  le  veut,  d'en  payer  la  valeur 
en  ïacqnit  des  malades  en  cas  quils  ne  guérissent 
pas,  pourvu  quils  conviennent  de  les  payer  au  double 
pour   une  parfaite  guériscn.   Or  la    personne  sol- 


284  RUE  POPINCOURT,  ETC. 

vable,  l'endosseur  invisible,  le  compère  anonyme, 
n'était-ce  pas  Nicolas  de  Blégny  lui-même?  Tout 
le  dénonce.  Homme  d'esprit  pour  se  mettre  en 
vue  et  de  génie  pour  en  tirer  parti,  il  ne  visait  pas 
directement  qu'à  l'argent  ;  il  devait  de  fort  belles 
places  à  la  réputation  qu'il  s'était  faite  lui-même,  car  on 
l'avait  nommé  chirurgien  de  la  reine  en  1678, 
ordinaire  du  duc  d'Orléans  en  1683  et  médecin 
du  roi  quatre  ans  après.  De  sa  vaste  et  belle 
maison  de  santé,  où  il  n'y  avait  pas  qu'une  seule 
porte,  il  subsiste  plusieurs  corps-de-bâtiments,  rue 
Popincourt,  entre  l'hospice  et  les  dernières  maisons 
de  la  rue  actuelle.  Les  malades  et  les  convalescents 
y  étaient  traités  à  des  prix  différents,  depuis  20 
sols  jusqu'à  6  livres  par  jour  :  ils  ne  vivaient  donc 
pas  ensemble.  Un  pavillon  entièrement  séparé 
recevait  les  femmes  qui  venaient  faire  leur  couches. 
On  reléguait  enfin  les  vénériens  à  un  bout  et  les 
fous  à  l'autre.  Une  bibliothèque  dépendait  de  l'é- 
tablissement; elle  était  publique  pour  les  médecins, 
les  apothicaires  et  leurs  élèves,  ainsi  que  le  jardin 
médicinal.  En  allant  jusqu'au  labyrinthe  qui  sur- 
gissait à  l'extrémité,  les  promeneurs  avaient  en 
vue  d'autres  jardins  et  des  maisons  de  plaisance, 
clair-semées  près  du  couvent  et  de  la  maison  de 
santé  ;  ssulement  il  n'y  avait  encore  à  la  hauteur 
de  celle-ci  que  des  marais  bien  cultivés  entre  la 
rue  Popincourt  et  le  Boulevard.  Elle  n'est  pas 
demeurée  au-delà  de  l'année  1693  à  la  disposition 
de  Blégny,  qui  tombait  de  haut  et  bien  bas.  Des 
escroqueries  avérées  l'ayant  fait  dépouiller  de  ses 
charges  et  garder  huit  ans  en  prison  au  château 
d'Angers,  il  est  mort  septuagénaire  à  Avignon 
en  1722. 

En  face  ou  presque  en  face  de  la  rue  Saint- 
Sébastien,  une  petite-maison  fut  taillée  pour  le 
fils  du  maréchal  de  Bichelieu  dans  l'ancien  hôtel 
de  santé.   La  niche  de  saint  qu'on  remarque    au 


RUE  POPINCOURT,  ETC.  285 

même  endroit  est  d'une  origine  antérieure.  Puisque 
les  roués  du  xvni*  siècle  ne  redoutaient  pas  trop 
l'indiscrétion  à  l'endroit  de  leurs  galanteries,  n'en 
citerons-nous  pas  une  ou  quelques-unes  dont  Pin- 
court  ait  été  le  théâtre  ?  Fronsac  y  fit  une  partie 
carrée,  le  7  janvier  1763,  avec  le  marquis  de 
Conflans  et  deux  filles  de  chez  la  Hecquet.  Il 
donnait  k  souper,  le  14  du  même  mois,  au  duc 
de  Goigny,  à  son  frère  et  à  deux  autres  seigneurs, 
près  desquels  figuraient  trois  filles,  pensionnaires 
de  la  Deslongrais.  Néanmoins,  à  la  même  époque, 
la  liaison  de  Fronsac  avec  Sophie  Arnould  durait 
encore,  et  il  aimait  déjà  la  jeune  Dubois,  de  la 
Comédie-Française,  qui  lui  avait  sacrifié  ce  que 
la  plus  belle  fille  du  monde  ne  saurait  donner 
plus  d'une  fois.  Au  mois  d'octobre  de  la  même 
année,  la  porte  de  la  petite-maison  s'ouvrait 
plusieurs  fois  par  semaine  pour  la  présidente  de 
Boulainvilliers. 

Le  père  de  Fronsac,  six  ou  sept  ans  plus  lard, 
avait  pour  sous-secrétaire  Joseph-Jean-Baptiste 
Albouy,  fils  d'un  négociant  de  Marseille.  Ce  jeune 
homme  avait  fait  chez  les  oratoiiens  de  bonnes 
études,  qui  ne  lui  avaient  pas  donné  le  goût  du 
commerce,  et  le  maréchal  l'employait  k  mettre  en 
ordre  les  documents  destinés  à  la  rédaction  de 
ses  mémoires.  Albouy  ne  vivait  pas  du  produit 
de  son  travail  ;  il  recevait  une  pension  de  sa 
famille,  et,  pour  parfaire,  il  contractait  des  dettes  ; 
mais  les  bontés  de  Richelieu  lui  permirent  de  s'ouvrir 
une  carrière  dans  laquelle,  entraîné  par  la  voca- 
tion, il  espérait  mettre  ordre  à  ses  affaires.  Ayant 
fréquenté  le  théâtre  et  appris  des  rôles  â  loisir, 
il  joua  d'abord  en  société  et  reçut  des  encourage- 
ments. La  maison  de  plaisance  de  Fronsac  était 
devenue,  à  cette  époque,  une  petite  salle  de 
spectacle,  appelée  la  Comédie-Bourgeoise  de  Popin- 
court,  et  ce  théâtre  avait  pour  sociétaires  des  fils 


Î8G  RUE  POPINCOURT,  ETC. 

de  famille,  tels  que  les  comtes  de  Sabran,  de 
Goutfier  et  de  Loménie  ;  la  jeune  marquise  de 
Folleville  et  sa  sœur  taisaient  partie  de  la  troupe  ;  le 
public  y  était  aussi  de  la  meilleure  compagnie.  Là  dé- 
buta dans  le  rôle  de  Crispin,  des  Folies  amoureuses, 
Albouy,  qui  illustra  ensuite  sur  la  scène  française 
le  pseudonyme  de  Dazincourt. 

A  égale  distance  de  la  sallq  de  spectacle  et  de 
la  rue  Ménilmontant,  il  y  avait  une  sparterie, 
manufacture  dont  le  siège  est  maintenant  une 
fabrique   de  bronzes  d'art. 

Reconnaissons  pareillement,  au  coin  de  la  rue 
Saint-Sébastien,  quelque  chose  d'une  propriété  dont 
les  trois  corps-de-logis  et  le  jardin  ne  mesuraient 
pas  moins  de  3  arpens.  Ce  bien  fut  vendu  à 
l'abbé  de  Lanne  par  le  marquis  de  Pange,  qui  en 
avait  acquis  un  tiers  de  Caumont,  médecin  ordinaire 
du  roi,  en  1757,  un  tiers  de  Malderie,  seigneur 
de  Catreville,  et  le  reste  de  Bézodis,  marchand- 
bonnetier. 

Une  autre  maison  de  la  rue  Popincourt,  et  ne 
l'apercevons-nous  pas  h  l'angle  de  la  rue  du  Chemin- 
Vert?  fut  louée  au  comte  de  Fodoas,  ancien 
capitaine  de  cavalerie,  qui  peut-être  y  fit  des 
folies,  mais  aux  dépens  de  quelque  riche  douairière. 
La  vieille  princesse  de  Nassau,  de  laquelle  il  était 
aimé,  dépensa  30,000  livres  assez  lestement  avec 
lui.  Létorière,  son  prédécesseur,  n'en  avait  coûté 
que  6,000.  Néanmoins  Fodoas,  médiocrement  con- 
tent de  la  princesse,  chercha  à  mener  plus  loin 
la  comtesse  de  Schlinfelt,  décorée  de  l'ordre  de 
Marie-Thérèse  et  qui  n'avait  guère  moins  d'un 
demi-siècle.  M.  Fontaine  était  propriétaire  de  la 
maison  dont  nous  parlons,  et  les  carmélites  en 
avaient  quatre  qui  faisaient  suite. 


Rue  Tii  renne, 

NAGUÈRE 

Saint-Louis-au-lIlarais.    [i] 


Contingent  de  noms  et  dates  mémorables  fournis 
à  l'histoire  de  Paris,  pour  le  compte  de  cette 
rue,  par  des  documents  inédits   et   des  livres. 

Durant  Tocoupation  anglaise,  le  duc  de  Bedfort 
obligea  le  prieur  de  Sainte-Catherine-du-Val-des- 
Ècoliers  à  renoncer,  moyennaiit  16  sols  parisis 
de  chef-cens,  à  la  propriété  de  8  arpens  et  1/2 
détachés  de  la  culture  Sainte-Catherine  et  qui, 
depuis  la  fondation  du  prieuré,  au  commencement 
du  xni*  siècle,  faisaient  partie  de  son  domaine 
direct.  Mais  des  lettres-patentes  de  Charles  VII, 
en  date  du  3  décembre  1437,  cassèrent  le  contrat 
de  renonciation  passé  devant  Legras  et  Paris, 
notaires  au  Chàtelet,  le  17  juin  1425.  Après  être 
rentrés  en  possession  de  leur  terj'ain,  théâtre  de 
maints  désordres,  les  pères  jugèrent  bon  de  le 
faire  entourer  d'un  mur  ;  les  prévôt  et  échevins 
les  autorisèrent,  qui  plus  est,  en  l'année  1487,  à 
enclore  avec  la  culture  l'égout  dont  elle  était 
bordée,  à  la  condition  de  laisser  une  porte  pour 
la  visite  et  le  curage.   On  forma  en  1560  sur  cet 


(1)  Notice  écrite  en  186-2.  La  rup  Sainl-Louis.  n'ayant 
pas  encore  piis  pour  en-têle  celle  <ia  Va!-Sâiiite- 
Catherine,  ne  se  prolongeait  pas,  comme  aujourd'hui, 
jusqu'aux  ru«s  de  Rivoli  et  Saint-Antoine.  L'un  des  plus 
célèbres  habitants  qu'elle  avait  eus  ne  remplaçait  pas 
encore    salut  Louis  sur   ses   estampilles. 


288  RUE  TURENNE, 

égout,  jusque-là  découvert,  la  rue  dite  des  Nouveaux- 
Égouts,  puis  Saint-Louis  sous  le  règne  de  Louis  XIIL 

Des  constructions  ne  remplacèrent  que  succes- 
sivement des  jardins  et  des  chantiers  sur  les  8 
arpens  et  1/2  provenant  de  Sainte-Catherine,  qui 
s'aliénèrent  en  divers  lots,  au  moyen  de  baux  d 
vente  consentis  par  les  religieux  h  des  particuliers, 
tels  que  Mathieu  Mayert,  orfèvre,  le  dernier  jour 
de  novembre  1545,  et  Gildart  Millet,  praticien  au 
Palais,  le  18  mai  4547,  Une  place  audit  terrain, 
derrière  les  maison  et  jardin  de  Jean  Lair,  pro- 
cureur au  Chàtelet,  était  baillée  à  rente  perpétuelle, 
le  28  février  1560,  à  Méderic  de  Donon,  con- 
trôleur du  Domaine,  et  une  autre  place  à  Jacques 
Saulger,  par  l'évêque  de  Toul,  prieur  de  Sainte- 
Catherine-duVal-des-Écoliers,  Marin  Maupillé,  sous- 
prieur,  Jean  Hanielin,  François  Fouet,  François 
Gottard,  Jean  Choquet,  Jean  de  Sussy  et  Jean 
Chaillou,  tou3  religieux-profès  dudit  prieuré  et 
couvent. 

Un  petit  lot,  vingt  ans  après,  était  cédé  à  Marc 
Miron,  seigneur  de  l'Ermitage,  conseiller  et  premier 
médecin  du  roi,  par  François  de  Berne,  prieur, 
Jean  Chaillou,  sous-prieur,  docteur  en  théologie, 
Jean  Choquet,  procureur  et  syndic,  Godefroy  Hardy, 
Simon  Hamelin,  François  Déranger  et  Jean  Jacob, 
prêtres  ;  Charles  Tallery,  diacre,  et  Jean  Dugué, 
tous  religieux-profès.  Il  s'agissait  d'un  morceau  de 
terre  qui  longeait  les  égouts  de  la  ville,  derrière 
le  jardin  de  M""=  de  Kernevenoy  (Carnavalet),  en 
tenant  au  jardin  de  Jean  Lestelle,  médecin.  Déjà 
Miron,  sept  ans  auparavant,  avait  acheté  de  Fran- 
çoise de  la  Marche  femme  de  Villequier,  gouverneur 
d'Anjou,  deux  maisons  contig4aës  à  celle  de  son 
confière  Lestelle.  Le  père  de  ce  dernier  avait  été 
marchand  et  succédé  dans  sa  propriété  à  Périne 
de  Pisseleu.  De  plus,  Jeanne  Barbedor,  belle- 
mère  de  Miron,  avait  été  propriétaire  par-là,  avant 


NAGUÈRE  SAINT-LOUIS-aU'MARAIS.        289 

son  gendre.  Digne  membre  d'une  famille  de  médecins 
célèbres,  Miron  avait  suivi  le  duc  d'Anjou  en  Pologne 
et  contribué  au  retour  en  France  de  ce  prince, 
devenu  Henri  III  ;  à  deux  reprises  il  avait  siégé 
aux  États  de  Blois,  comme  député  de  la  Faculté 
de  Paris,  et  on  lui  reconnaissait  le  titre  de  cornes 
archiatrorum  : 

Dicitur    archialer  qui   pr inceps  est    medicorum. 

Charles  Miron,  évêque  d'Angers  à  18  ans, 
siégeant  l'année  suivante  aux  États  de  Blois,  était 
fils  de  Marc  ;  il  s'ari-angea  d'une  place  attenante 
à  celle  que  son  père  avait  eue  de  même  origine, 
rue  des  Égouts.  L'hôtel  Miron  touchait  à  la  maison 
de  Laroche-Bonneuil  et  au  petit  hôtel  d'Argouges, 
lorsque  l'évêque  hérita  du  médecin,  c'est-à-dire 
en  1608.  Charles  Miron  prononça  l'éloge  funèbre 
de  Henri  IV,  après  avoir  été  chaudement  son  par- 
tisan. Des  querelles  avec  son  chapitre  le  portèrent 
à  accepter  l'abbaye  de  Saint-Lomer  de  Blois,  en 
échange  de  son  évêché,  qu'il  reprit  pour  peu  de 
temps  en  1622,  et  puis  vint  sa  nomination  k 
l'archevêché  de  Lyon,  qui  fut  déclarée  par  Talon 
attentatoire  aux  libertés  de   l'église  gallicane. 

Le  mariage  de  Marie  Miron  avec  Louis  Lefèvre 
de  Caumartin,  garde-des-sceaux  sous  le  règne  de 
Louis  XIII,  fit  changer  le  nom  de  l'hôtel,  qui  passa 
à  Anne  de  Caumartin,  évêque  il'Amiens,  et  à 
Caumartin  de  Saint-Port,  conseiller  d'Étal,  puis 
intendant  des  finances,  pour  qui  la  terre  de  Cailly 
fut  érigée  en  marquisat.  Celui-ci,  premier  homme 
de  robe  qui  ait  porté  du  velours,  laissa  ses  biens 
à  des  créanciers.  Pierre  Delpech  de  Cailly,  prési- 
dent en  la  cour  des  Aides,  disposa  de  la  propriété 
de  la  rue  Saint-Louis,  après  son  beau-père,  Pajot 
de  Villers,  et  il  y  ajouta  deux  maisons,  acquises 
de  la  famille  Arnaud  de  Pomponne  et  dont  une 
fontaine,  établie  en  1687,  marque  encore  la  place. 


i90  RUE  TURENNE, 

Le  président  maria  sa  fille  au  marquis  de  Joyeuse, 
colouel,  qui  vendit  h  Choux  de  Bussy,  secrétaire 
du   roi,  en  1761. 

Le  plan  de  Paris  en  l'année  1652  place  contre 
l'hôtel  Caumartin  un  hôtel  Villedo  :  quel  était-ii  ? 
Un  terrain  clos  de  166  toises,  au  coin  de  la  rue 
Neuve-Saint-Catherine  (i)  et  de  la  rue  Saint-Louis, 
avait  été  cédé  en  1634  par  Lefèvrede  Caumartin 
à  Villedo,  maître-maçon,  en  échange  de  265  loises 
prises  plus  haut,  dans  la  rue  Saint-Louis,  sur  un 
terrain  aliéné  par  les  religieuses  de  Saint-Gervais, 
lesdites  265  toises  tenant  aux  héritages  de  l'ar- 
chitecte Leroy  et  du  président  Lejay.  Or  Lejay, 
gouverneur  d'Aire,  a  eu  certainement  un  hôtel  à 
l'encoignure  de  la  rue  du  Parc-Royal  et  de  la  rue 
Culture-Sainîe-Catherine  (^2).  La  famille  Villedo  de 
Clichy,  postérieurement  k  la  cession  de  Caumartin, 
disposait  de  quatre  maisons  au  moins  qui  se  sui- 
vaient, à  l'entrée  de  la  nôtre,  et  notamment  de  l'hôtel 
occupé  par  un  de  ses  membres  devenu  conseiller 
du  roi  et  général  des  bâtiments,  ponts-et-chaussées 
de  France.  Une  des  autres  maisons  appartenait  à 
Marguerite  Villedo,  épouse  d'Etienne  Papot,  maître 
des  bâiiments-du-roi,  et  plus  lard  à  Madeleine 
Villedo,  femme  Rostau.  Une  autre  maison  aussi 
avait  été  apportée  par  Catherine  Villedo  à  son  mari, 
Michel  Noblet,  aichiiecte  du  roi  et  garde-des- 
fonlaines,  qui.  en  fit  hériter  son  neveu,  l'architecte 
Bruant.  Une  autre  encore,  contiguë  à  l'hôtel  pro- 
prement dit,  fut  vendue  par  Villedo  jeune,  maîlre- 
des-comptes  des  bàliments-du-roi,  à  Marguerite 
Foucault,  fille  majeure,  en  1658,  Enfin,  dix  ans 
après,  un  partage  de  famille  attribuait  à  une 
D"''  Villedo,  temme  de  Michel  Delavigne,  docteur- 


(1^  Présentement  rue   des  Fraucs-Bourgeois. 
(2)  Présentement  rue   Sévigné. 


NAGUÈRE  SAINT-LOUIS-AU-MARAIS.        291 

régent,  l'hôtel  loué  à  l'abbé  Colbert,  puis  acheté 
par  Meynaud  de  Latour,  secrétaire  des  finances, 
et  ensuite  hôtel  Lowendal.  M.  de  Lowendal,  qui 
demeura  rue  Saint-Louis,  était  un  tils  du  maréchal- 
de-France  ;  il  avait  alors  Beaumarchais  pour  ami. 

Une  masure,  en  face  de  la  rue  des  Minimes, 
paraît  tout  ce  que  la  rue  Saint-Louis  a  conservé 
de  l'hôtel  Caumartin  ;  mais  on  revoit  la  plupart 
•des  constructions  dont  les  Villedo  ont  posé  la 
première  pierre. 

Que  sont  devenues  les  Tournelles,  de  l'autre 
côté  de  la  rue?  Sur  l'emplacement  du  palais  nous 
ne  retrouvons  pas  que  deux  maisons  modestes, 
pourvues  encore  d'escaliers  à  balustres,  qui  des 
premières  y  ont  surgi,  n°  8,  n"  20.  Quelles  y  sont  les 
propriétés  qui  attirent  le  mieux  l'attention?  Pendant 
tout  le  règne  de  Louis  XIV  on  n'appelait  le  n"  16, 
où  le  maréchal  de  Catinat  a  résidé,  que  Ihôtel 
de  Vitry.  Les  .Minimes,  monastère  établi-par-derrière 
depuis  1611,  n'ont  pu  l'englober  que  sous  le  règne 
suivant. 

Girardin,  ambassadeur  de  Louis  XIV  près  du 
Grand-Turc,  n'a  pas  manqué  d'avoir  sur  l'ancien 
parc  royal  une  grande  maison  rue  Saint-Louis, 
près  celîe  de  Mivault,  maîire-des-comptes,  et  une 
autre  maison  par-derrière,  qui  le  mettait  en 
mitoyenneté  avec  Delisle-Mansart.  Quand  toutes 
deux,  plus  tard,  appartenaient  à  Louis-Alexandre 
Girardin,  maître-des-requêtes  de  l'hôtel-du-roi,  en 
sa  qualité  de  donataire  de  Jean  Girardin,  chevalier, 
seigneur  de  la  Cour-des-Bois,  des  Préaulx  et  du 
Cigne,  la  première  ne  communiriuait  plus  avec  la 
rue  que  par  une  longue  allée,  et  il  y  tenait  d'une 
part  à  Petit-Destigny,  d'autre  part  à  Doublet, 
trésorier  du  duc  dOrléans,  dans  le  fond  à  lui- 
même  et  à  la  veuve  Ruelle  ;  il  se  trouvait  également 
propriétaire  derrière  la  seconde,  qui,  au  coin  de 


292  RUE  TURENNE, 

la  rue  Saint-Gilles,  touchait  encore   à  celle    des 
ayant-droits  De  Mivault. 

Après  la  rue  des  Douze-Portes  (i),  Claude 
Guénégaud,  trésorier  de  l'Épargne,  avait  fait  élever 
un  hôtel,  qui  est  devenu  la  proie  des  flammes  ; 
M""^  de  Sévigné  raconte  qu'elle  a  été  témoin  de 
l'incendie  :  elle  habitait  alors  l'hôtel  Carnavalet.  On 
a  réparé  le  désastre  pour  un  nouveau  propriétaire, 
le  chancelier  Boucherat,  dorit  la  bibliothèque  était 
citée  et  dont  le  jardin  allait  jusqu'au  Boulevard. 
De  la  propriété  du  chancelier  ce  qui  restait  de 
mieux  au  xvni*  siècle,  par  suite  de  réductions, 
était  l'hôtel  d'Ecqueyilly,  occupé  de  nos  jours  par 
le  couvent  de  Sainte-Elisabeth.  Le  marquis  d'Ecque- 
villy,  capitaine-général  des  chasses  du  roi,  après 
son  père  et  son  grand-oncle,  épousait,  en  1741, 
la  fille  d'un  de  ses  voisins,  le  marquis  de  Joyeuse. 
Vers  cette  époque,  Lesage  était  logé  à  l'angle  de 
la  rue  des  Douze-Portes:  de  bonnes  positions  avaient 
été  offertes  k  l'auteur  de  Gii  Bias  et  de  Turcaret, 
qui  préférait  vivre  de  sa  plume  en  faisant  jouer 
des  pièces  à  la  foire. 

Thévenin  de  Tanlay,  premier  président  en  la 
cour  des  Monnaies,  n'avait-il  pas  ses  bureaux, 
sous  Louis  XVI,  au  30  ou  au  32,  que  la  famille 
de  Gourgues  a  habités?  En  cas  d'erreur,  ce  serait 
au  44. 

Enfin  au  vénérable  hôtel  que  les  n°*  46  et  48 
nous  représentent  sans  ses  dépendances,  diverses 
traditions  rattachent  d'illustres  noms  :  Turenne, 
Vauban,  La  Bruyère,  M"*=  de  la  Vallière.  Le  plan 
de  Gomboust  y  marque  l'habitation  de  M.  le 
Vasseur.  On  dit  aussi  que  ce  fût  l'hôtel  de  Crosne, 
avant  la  nomination  de  M.   Thiroux    de    Crosne, 


(1)  Piésentement  Viilehardouin. 


NAGUÈRE  SAINT-LOUIS-AU-MARAIS.        293 

intendant  de  Lorraine,  à  la  lieutenance-générale 
de  police.  La  Tour-d'Auvergne,  duc  de  Bouillon, 
y  avait  résidé  avant  Turenne,  son  fils,  qui  recevait 
des  frondeurs,  lorsqu'il  subissait  l'influence  de 
la  duchesse  de  Longueville,  et  entretenait  chez 
lui  des  assemblées  protestantes  périodiques,  avant 
que  Bossuet  l'eût  converti.  Vauban  lui-même, 
n'a-t-il  pas  commencé  par  servir  dans  les  rangs 
de  la  Fronde,  sous  le  grand  Condé?  Quanta 
l'auteur  des  Caractères,  Bossuet  l'a  présenté  pour 
enseigner  l'histoire  ou  fils  de  Condé;  jusque-là 
il  était  trésorier  de  France  à  Caei..  Outre  le  grand 
hôtel  Tui'enne,  aujourd'hui  encore  divisé,  il  y  en 
a  eu  un  petit,  qui  parfois  s'en  est  détaché  :  ainsi 
s'explique  l'exubéiance  des  souvenirs  locaux  par  la 
simultanéité.  Pendant  que  Tuienne,  rentré  dans  le 
devoir,  tenait  campagne  contre  Condé,  sa  femme, 
Charlotte  de  Caumont,  qu'il  avait  fondée  de  pou- 
voir, faisait  fermer  une  rue  Neuve-des-Minimes 
en  vertu  d'une  autorisât  on  royale  du  17  avril  1655. 
De  cette  rue  17  toises  étaient  données  par  le 
roi  au  grand  capitaine,  qui  les  ajoutait  à  son 
jardin,  et  Guénégaud  lui-même  en  gagnait  un 
morceau  entre  Petil-Destigny  et  M"''Scarron.  Cette 
dernière  n'était-elle  pas  la  jeune  femme  du  poète 
Scarron  et  par  conséquent,  propriétaire  du  chef 
de  son  mari? 

La  duchesse  d'Aiguillon  a  doiiné,le  dernier  jour 
d'avril  1684,  au  cardinal  de  Bouillon  la  terre  et 
chûiellenie  de  Pontoise,  en  échange  de  l'hôtel 
Turenne,  atîn  d'y  établir  les  bénédictines  de  l'x^dora- 
tion-perpéluelle-du-Saint-Sacrement.  Leur  entiée  a 
eu  lieu  le  16  septembre  de  la  même  année.  Seulement 
elles  acquéraient,  le9avril suivant,  uneplace  contiguë 
de  384  toises,  qui  avait  déjà  fait  partie  de  l'hôtel 
Turenne  et  qui  se  trouvait  circonscrite  par  leur 
propriété,  par  celles  de  MM.  de  Sainte-Foy,  Boulin 
et  Guénégaud,  ainsi  que  par  la  rue  Saint-Claude, 

19 


294  RUE  TURENNE, 

sur  laquelle  un  bâtiment  à  elles  alignait  4  toises 
de  façade.  Ce  monastère  se  composait  en  premier 
lieu  des  révérendes  mères:  Marie  de  Saint-François- 
de-Paule,  prieure,  Marie-Bernardine  de  la  Concep- 
tion, Marie-Madeleine  de  Saint-Bernard,  Marie- Anne 
de  Saint-Joachim,  Marie-Opportune  de  Sainte- 
Gerlrnde,  Marie-Scolastique  de  Jésus,  toutes 
religieuses  de  l'Adoration- perpétuelle- du- Saint- 
Sacrement-de-l'Autel,  «  maintenant  établies  rue 
Neuve-Saint-Louis,  Marais  du  Temple,  h  l'hôtel  de 
Turenne.  »  L'iiôiel  confisqué  par  la  Nation  sur  les 
ci-devant  religieuses  a  valu  le  nom  de  Turenne  à 
la  rue  Saint-Louis  depuis  l'an  IX  jusqu'à  la 
Restauration,  Une  congrégation  de  franciscaines  a 
fait  bâtir,  â  la  place  de  l'église  du  couvent, 
Saint-Denis-de-Saint-Sacrement,  qui  est  livré  au 
culte  depuis  l'année  1835. 

On  appelait  déjà  Marais  du  Temple  jusqu'à 
l'ancien  jardin  des  rois  lorsque  l'hôtel  Turenne, 
dont  le  terrain  en  provenait  aussi,  enlraiten  religion. 
Mais  ce  n'était  pas  encore  le  quartier  vaste  qui 
depuis  se  qualifie  le  Marais.  M'"«  Cornuel,  dont 
les  bons  mots  faisaient  les  délices  de  la  place 
Royale,  en  était  presque  lorsqu'elle  habitait  le 
Mai'ais  du  Temple,  c'est-à-dii'e  entre  la  place 
Royale  et  le  Temple,  où  le  xvn«  siècle  était  si 
bien  i^eprésenlé.  Celte  tille  de  Bigot,  intendant  de 
M.  de  Guise,  était  la  seconde  femme  de  Cornuel, 
qui  avait  senti  naître  son  amour  pour  elle  le  jour 
même  de  l'enterrement  de  la  première  Le  nom  du 
mari  semblait  le  prédestiner  à  une  disgrâce  qui  ne 
lui  fut  pas  épargnée  ;  il  finit  donc  par  en  prendre 
son  parti,  et  M""®  Cornuel  de  dire  :  —  Les  cornes 
sont  comme  les  dents,   elles  ont  du  mal  à  percer 

et    après   on    en    rit Mais  si  l'esprit  dans  ce 

ménage,  comme  dans  beaucoup  d'autres,  venait  de 
la  femme,  ce  n'était  pas  sous  le  régime  dotal  ; 
Cornuel  en  eut  sa  part  dans  la  communauté.  Il 


NAGUÈRE  SAINT-LOUIS-AU-MARÀIS.        295 

était  déjà  vieux,  très-vieux  quand  un  accident  de 
voiture  le  jeta,  au  péril  de  ses  jours,  dans  le 
même  fossé  que  deux  filles  toutes  jeunes,  qui,  les- 
tement relevées,  l'aidèrent  lui-même  à  se  tirer  de 
là  ;  en  les  remerciant  il  ajoutait  :  —Pauvres  enfants, 
nous  étions  tous  les  trois  du  même  âge  il  y  a 
deux  minutes  ! 

Le  56  et  le  60  ont  abrité  le  chancelier  Voysin, 
dont  M""^  de  Maintenon  avait  fait  la  fortune,  et 
qui  eut  d'Aguesseau  pour  successeur  aux  sceaux. 
La  famille  de  Jumilhac  en  a  disposé,  avant  ou 
après  le  comte  d'Erlach,  colonel  de  gardes-suisses  ; 
le  marquis  de  Jumilhac  commandait  en  1791  la 
garde  constitutionnelle  de  Louis  XVL  Mais  ce  n'était 
plus  l'ancien  parc  royal  et  encore  moins  l'ancienne 
culture  Sainte  Catherine  qu'on  y  foulait  aux  pieds  ; 
c'était  la  superficie  des  plus  anciens  Marais  du 
Temple. 

De  ce  territoire  proprement  dit  dépendait  le 
terrain  vendu  par  les  hospitalières  de  Saint-Gervais 
à  Barthélémy  de  Bissi,  et  n'avons-nous  pas  vu 
Villedo  en  transporter  265  toises  à  Lefèvre  de 
Caumartin  ?  Les  propriétaires  qui  s'y  suivaient  entre 
les  rues  du  Parc-Royal  et  Sainte-Anastase,  vers 
l'an  1780,  étaient  :  Dubreuil,  Hocquart,  Brunet 
d'Évry,  Dassy  de  Beaudreville,  Gesly,  le  comte 
de  Voisenon  et  Richard. 

Sur  l'alignement  opposé,  au  coin  de  la  rue  du 
Pont-aux-Choux,  Yvonnet,  seigneur  de  Bammeville, 
avait  laissé,  sous  la  Régence,  à  sa  fille,  femme 
d'Amyot  d'Inville,  conseiller  aux  Aides,  une  maison 
accotée  à  celle  du  commissaire  Cailly  et  adossée 
à  celle  de  Blanchard.  Le  monastère  des  filles  du 
Calvaire,  fondé  en  1640,  se  présentait,  mais  non 
de  (ace,  entre  cette  rue  du  Pont-aux-Choux  et  celle 
des  Filles  du-Calvaire    (Vieille-du-Temple). 

La  rue  Boucherat  n'avait  servi  de  prolongement  à  la 


896  RUE  TURENNE,  ETC. 

rue  Saint-Louis,  sur  les  Marais  du  Temple,  entre  les 
rues  Vieille-du-Temple  etChaiiot,  qu'au  beau  milieu 
du  règne  de  Louis  XIV.  Jean  Beausire,  architecte 
du  roi,  maître-général,  contrôleur  et  inspecteur  des 
bâtiments  de  la  Ville,  qui  avait  dirigé  les  travaux  pour 
l'établissement  d'un  nouvel  égout,  avait  aussi  spé- 
culé sur  les  terrains  mis  en  valeur  par  l'ouverture  de 
la  rue  Boucherat,  et  Michel  Richer,  entrepreneur  de 
bâtiments,  avait  fait  de  même  h  la  suite.  Sous 
le  règne  suivant,  une  propriété  à  M.  Louis  de 
Monmerqué  précédait  immédiatement  la  fontaine 
de  cette  rue,  qui  ne  s'est  ajoutée  i\  l'autre  qu'en 
1851.  Bloin,  valet-de-chambre  de  Louis  XIV,  avait- 
il  habité  la  même  maison?  Nous  pensons  que 
c'était  plutôt  le  n°  94,  qu'on  dit  lui-même  ancien 
hôtel  Boucherat.  La  fille  de  Mignard,  avant  que  le 
roi  signât  â  son  contrat  de  mariage  avec  le  marquis 
de  Feuquières,  était  publiquement  entretenue  par 
ce  Bloin.  Il  rendit  le  dernier  soupir  dans  le  Marais, 
nous  ne  savons  plus  à  quelle  date  ;  mais  peu 
importe,  redirait  Théophile, 

El     dans    les  noirs    flols   de   l'oubli 
Où  la  Parque  l'a   fa\t  descendre, 
Ne   fùt-il    mort    que    d'aujourd'hui. 
Il  est  aussi   mort   qu'Alexandre. 


Rue  de   Hlirouicnil.  (i) 


Percée  au  commencement  du  règne  de  Louis 
XVI  sur  un  terrain  qui  appartenait  à  Armand- 
Gaston  Camus,  avocat,  propriétaire  de  Tliôtel 
Beauvau,  cette  rue  eut  pour  parrain  Hue  de 
Miroménil,  garde-des-sceaux,  sous  le  ministère 
duquel  fut  abolie  la  question.  A  ladite  s'ajouta 
la  rue  Guyot,  ouverte  deux  années  après  à  la 
diligence  de  Senneville,  Aubert  et  de  Lettre. 
Deux  autres  crues  poussèrent  en  1813  et  en 
1826  cette  voie  de  communication  jusqu'à  la  rue 
de  Valois. 

Au  moment  de  la  première  de  ces  trois  annexions, 
tout  un  côté  de  la  rue  Miroménil  appartenait  au 
susnomméCamus,  h.  l'exception  d'une  seule  propriété 
enclavée  entre  deux  des  siennes  et  qui  était  acquise 
à  Bigonet.  Cinq  propriétaires  de  l'autre  côté  de 
la  rue  semblent  av(»ir  dicté  dans  le  môme  temps 
leurs  noms  à  quelque  scribe,  qui  les  aurait  écrits 
d'une  manière  encore  moins  irréprochable  que 
celle-ci:  D'Orgemont,  la  baronne  d'Alleps  ou  le 
comte  de  Camille,  Marcelin  et  de  Casiellan,  le 
marquis  Andrault  de  Langeron.  On  remarquait 
pourtant,  avant  89,  un  hôtel  de  Roquefeuil  dans 
cette  rue. 


(1)  Notice  écrite  en  1861.  La  rue  Miroménil  n'était 
encore  coupée  ni  par  les  boulevards  Hausmann  et 
Malesherbes,  ni  par  la  place  formée  au  bout  de  Ja 
rue  de  Laborde,  ni  par  les  rues  de  Rovigo  et  de 
Lisbonne.  Elle  ne  s'est  également  prolongée  que  depuis 
entre  la  rue  de  Valois,  qui  s'ajoutait  à  celle  de  Monceau, 
ot  le  boulevard  des  Batignolles. 


238  RUE  DE  MIROMÉNIL. 

Notre  collecteur  de  documents  locaux  a  trouvé, 
pour  sa  part,  au  fond  du  n°  33,  un  pavillon 
décoré  de  bas-reliets,  avec  un  arbre  qui  a  été 
planté  avant  que  l'archilecte  Le  Camus  de  Mézièrcs 
dessinât  l'hôtel  de  Beauvau.  Le  duc  de  Noailles  avait 
été  antérieurement  propriétaire  du  terrain  occupé 
dans  le  faubourg  Saint-Honoré  par  l'hôtel  Castellane 
et  par  les  immeubles  voisins  ;  mais  la  construction 
du  susdit  pavillon  date  encore  de  plus  loin,  il 
n'en  faut  pas  douter,  puisque  son  ancien  escalier, 
qu'on  a  gardé  dans  un  grenier,  est  bel  et  bien 
à  balustres  de  bois. 

Les  sculptures  beaucoup  plus  apparentes  du  n"  53 
représentent  deux  voitures  à  trois  corps,  à  quatre 
chevaux,  et  rien  n'y  manque,  pas  même  les  noms 
de  ces  voitures,  !a  Lmire  et  VÉHsa.  L'administration 
des  gondoles  parisiennes,  diligences  pour  Nanterre, 
Versailles,  Marly  et  Saint-Germain,  s'y  établissait 
en  1824  et  construisait,  pour  se  faire  des  remises, 
le  hangar  qui  est  vis-à-vis.  A  ces  voitures,  qui 
ne  menaient  qu'à  la  campagne,  il  en  succéda 
d'autres  qui  conduisaient  les  gens  jusque  dans 
l'autre  monde.  Mais  les  Pompes  funèbres  n'eurent 
leur  garde-meuble,  leur  vestiaire,  leurs  écuries  et 
leurs  remises  dans  la  rue  de  Miroménil  que 
jusqu'en  1853. 

Contentons-nous,  par  conséquent,  d'un  fiacre 
pour  nous  transporter 


Rue     l^aint-Fiaere.  [i) 


Celle-ci,  déjà  connue  en  1630,  mais  sous  le 
nom  de  rue  du  Figuier,  sortait-elle  d'un  petit  fief 
Saint-Fiacre?  Ou  le  sieur  Fiacre  y  fonda-t-il  le 
service  des  voitures  qui  ont  gardé  ce  nom  dans 
le  vocabulaire  usuel  ?  Des  écuries  et  remises  pou- 
vaient y  rester  subordonnées  à  ce  bureau  de  la 
rue  Saint-Martin  auquel  convenait  si  bien  l'enseigne 
(le  Saint-Fiacre  et  qui  se  tint  plus  isrà  rue  du 
Faubourg-Saint-Denis.  Lesdits  carrosses  de  louage 
étaient  déjà  au  nombre  de  1800,  avant  que  la 
concurrence  des  cabriolets  de  place,  vers  1770, 
en  renvoyât  pas  mal  sous  la  remise.  Le  tarif  était 
alors  :  25  sols  pour  la  première  heure,  20  pour 
les  heures  suivantes,  24  pour  une  course. 

La  rue  Saint-Fiacre  a  été  fermée  pendant  un 
siècle  par  deux  grilles,  qui  paraissent  deux  portes 
bien  murées  sur  le  plan  de  Paris  en  1739.  La 
plupart  des  propriétés  qui  la  bordaient  ayant  leur 
entrée  principale  ailieuîs,  on  ne  comptait 
encore  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  que  4 
maisons  qui  appartinssent  à  la  rue  au  même  litre 
exclusif  que  ses  2  laniernes  ;  elle  n'avait  pourtant 
rien  perdu  depuis  dix  an.^,  époque  où  M"'^  Mouilleron, 
propriétaire  du  n"  2,  ou  du  u«4,  tenait  à  M'"*  Canaple, 
celle-ci  k  Dumesnil,  chantre  à  l'Opéra,  Dumesnil 
à  l'avocat  Baudin  et  Baudin  à  De  Meulle.  Le  jardin 
de  ce  dernier  empiétait  sur  l'ancien  fossé  de  la 
ville,  où  commençait  également  le  jardin  de  l'abbé 
Dufour,   qui,   tout  en  allant    jusqu'au    Boulevard, 


(1)  Notice  écrite    en  1801. 


380  RUE   SAINT-FIACRE. 

faisait  face  à  celui  de  Lhuillier,  contigu  à  celui 
du  conseiller  Guilloye,  après  lequel  venaient  trois 
autres  propriétés  au  même  Lhuillier. 

Le  pavillon  portant  le  chiffre  8  fut  donc  l'habi- 
tation de  Dumesnil,  haute-contre  du  temps  de 
Lulli.  Ce  chanteur  n'avait  rien  gagné  au  privilège 
qui  permettait  alors  aux  gentilshommes  de  devenir 
sans  déroger  pensionnaires  de  l'Opéra  :  il .  avait 
été  le  cuisinier  de  Foucault,  conseiller  d'État  et 
numismate,  cet  ami  du  père  La  Chaise,  puis  inten- 
dant du  prince  deMontauban.  Dans  Armicle,  il  créa  le 
rôle  de  Renaud.  Malheureusement  Dumesnil,  qui  ne 
se  piquait  ni  de  sobriété  ni  de  pudeur,  entrait  souvent 
en  scène  entre  deux  vins  ei  aimait  à  se  mettre 
en  tiers  dans  les  amours  des  filles  de  théâtre, 
pour  en  vivre  plus  à  son  aise.  M"°  Maupin,  sa 
camarade,  qui  n'avait  répudié  que  les  préjugés  de 
son  sexe,  était  mal  avec  ce  chanteur,  qui  la  traita 
d'hermaphrodite,  ne  sachant  plus  par  où  la  prendre. 
La  chanteuse,  fille  d'un  gentilhomme,  avait  appris 
d'un  de  ses  amants,  prévôt  d'armes,  à  tirer  l'épée  ; 
elle  accosta  sur  la  place  des  Victoires  l'habitant 
de  la  rue  Saint-Fiacre,  qui  revenait  de  l'Opéra, 
et  comme  il  refusa  de  croiser  le  fer  avec  la 
cavalière  qu'il  avait  insultée,  celle-ci  lui  administra 
une  volée  de  coups  de  canne,  en  lui  prenant  sa 
montre  avec  sa  tabatière.  Le  lendemain,  au  foyer 
du  théâtre,  Dumesnil  raconta  qu'il  avait  eu  affaire 
à  trois  grcdins,  qui  avaient  profité  des  ténèbres 
d'une  heure  avancée  pour  le  frapper  et  le  voler. 
Mais  M"®  Maupin  arriva  â  propos  pour  lui  dire  : 
—  Palsembleu  !  tu  mens.  J'étais  toute  seule.  Voici 
une  montre,  voilà  une  tabatière  que  te  rend  la 
main  qui  les  a  prises. 

Sous  le  règne  suivant,  M.  de  Cyris  avait  dans 
la  rue  Saint-Fiacre  la  superbe  maison  voisine  ; 
seulement  il  en  sortait  et  y  rentrait  par  la  rue 
du  Sentier.    Cet    amateur  de   petits-soupers    en 


RUE    SAINT-FIACRE.  301 

faisait  quelquefois  avec  M.  de  Jumilhac,  le 
gouverneur  de  la  Bastille  ;  mais  l'un  et  l'autre 
étaient  fort  contrariés  que  M.  *de  Sartines,  le 
lieutenant-de-police,  fût  à  même  de  leur  demander 
peu  de  jours  après  comment  ils  s'en  trouvaient 
et  sût  aussi  bien  qu'eux  en  quel  endroit  s'était 
dressé  le  couvert,  quelles  filles  en  avaient  été 
tout  le  contraire  de  la  pièce  de  résistance  et  à 
quelle  heure  on  s'était  séparé.  N'y  avait-il  donc 
pas  moyen  de  soustraire  leurs  fredaines  aux  inves- 
tigations des  limiers  de  la  police  ?  M.  de  Curis, 
n'en  ayant  pas  trouvé,  prit  enfin  le  parti  de 
supporter  ce  qu'il  ne  pouvait  empêcher  et  proposa 
encore  à  son  ami  de  faire  ce  qu'on  appelait  alors 
des  soupers  de  filles.  —  Volontiers,  répondit  M. 
de  Jumilhac,  mais  à  la  condition  que  M.  de  Sartines 
en  soit. 

Au  16  demeurait  la  Hecquet,  chez  laquelle 
s'engageaient  force  parties  galantes,  dont  elle 
battait  et  rebaltait  les  enjeux.  Cette  pourvoyeuse 
distinguée  avait  aussi  au  faubourg  Saint-Laurent 
une  petite-maison  pour  les  soupers.  L'avocat- 
général  Séguier  ne  mettait  pas  moins  à  profit 
que  ces  MM.  de  la  Ferme-Générale,  la  variété 
des  ressources  de  la  Hecquet,  chez  laquelle  ce 
magistrat  fut  rencontré  le  2  avril  1760.  Il  y 
avait  déjà  fait  acte  de  pi'ësence  dans  les  quatre 
nuits  précédentes  et  Virgile  lui-même  eût  perdu 
son   latin  à    lui  dire  :   Quintam  fuge. 


Rue  Poissonnière*    (i) 


A  Derbais,  marbrier  du  roi,  fut  adjugé,  en 
1686,  un  grand  terrain  qui  longeait  le  Rempart, 
c'est-à-dire  le  Boulevard,  à  partir  de  la  rue  des 
Poissonniers.  C'était  une  portion  de  la  Vallée-aux- 
Voleurs,  dans  laquelle  on  avait  détroussé  les 
passants  et  qui  devait  à  un  autre  genre  de 
licences  le  synonyme  de  Champ-aux-Femmes  ; 
sous  les  mêmes  qualifications  avait  été  connu, 
dès  l'an  1290,  un  chemin  hors  de  ville,  bordant 
ce  territoire,  qui  dépendait  lui-même  du  Clos-aux- 
Halliers,'  fief  dit  aussi  des  Masures-de-Saint- 
Magloire.  Le  passage  des  marchands  de  marée 
et  l'agrandissement  de  la  ville  avaient  érigé  le 
chemin,  sous  une  désignation  nouvelle,  en  une  rue 
de  Paris  qui  comptait  déjà  44  maisons  et  10  lanternes 
à  la  fin  du  xvii*'  siècle  ;  seulement  elle  empiétait 
un  peu  sur  notre  rue  du  Petil-Carreau. 

Les  Derbais  étaient  alors  propriétaires  du  n°  35 
actuel  et  la  veuve  Misson  du  37.  Daniel  Gittard, 
architecte  du  roi,  qui  avait  iravaillé  à  Saini-Jacques- 
du-Haut-Pas  et  à  Saint-Sulpice,  disposait  du  26. 
Un  sieur  Milieu,  dont  h\  propriété  s'étendait  jusqu'à 
la  rue  du  Sentier,  jouissait  probablement  du  21, 
auquel  de  belles  ferrures  et  un  balcon,  donnant 
sur  une  grande  cour,  gardent  l'air  d'un  hôtel  de 
traitant  et  où  des  plaques  de  cheminée  portent 
le  millésime  1660. 

Cette  dernière  maison  se  trouvait  habitée  plus 


(1)  Notice  écrite  en  1861. 


RUE    POISSONNIERE,  303 

tard  par  Gauthier  de  Montdorge,  trésorier  de  la 
chambie  aux  Deniers  et  auteur  des  Fêtes  dCHébé, 
opéra-ballet  dont  la  musique  était  de  Rameau. 
Il  épousa,  vieux,  une  jeune  fille,  qui  resta  femme 
honnête,  quoique  bâtarde  adultérine  de  M.  d'Élioles 
et  de  M'"''  de  Belvaux,  qui  lui  avaient  acheté  un 
père  et  une  mère  d'occasion  en  la  faisant  reconnaître 
pour  la  fille  d'un  gentilhomme  et  d'une  demoiselle 
mariés  à  prix  d'argent.  Plus  tard  encore,  en  1787, 
un  appartement  du  même  hôtel  était  occupé 
par  Grétry  et  sa  famille.  L'illustre  composi- 
teur avait  déjà,  dans  sa  fille  Lucie,  un  élève 
sans  pareil  :  elle  avait  composé,  à  l'âge  de  13 
ans,  la  partition  du  Mariage  cCAntonia.  Aux 
dépens  du  jardin  dudit  hôtel  s'étaient  édifiées, 
du  vivant  de  Milieu,  plusieurs  maisons. 

Voisenon,  l'abbé  galant  que  ses  boiis  mots, 
plutôt  que  ses  œuvres,  allaient  mettre  de  l'Aca- 
démie, demeurait  en  1765  à  l'extrémité  de  la  rue. 
L'architecte  Pruneau  de  Montlouis  était  chez  lui, 
à  quelques  années  de  là,  en  vue  de  la  rue 
Beauregard. 

Le  33,  construction  plus  moderne,  n'a 
pas  même  su  conserver  le  titre  que  lui 
donnait  à  la  notoriété  le  nom  de  Giudicelli,  sur 
la  porte  du  successeur  de  ce  fameux  choi  olatier. 
Il  est  vrai  cpie  Giudicelli,  qui  était  arrivé  à  Paris 
en  sabots  avant  la  grande  révolution,  ne  se 
souciait  plus,  devenu  quatre  fois  millionnaire, 
d'afficher  le  point  de  départ  de  la  fortune  de  sa 
fille,  mariée  au  fils  d'un  comte  de  l'Empire.  Le 
véritable  chocolat  n'a-t-il  pas  fait  son  temps  en 
France,  et  surtout  à  Paris,  depuis  que  les  droguistes 
en  vendent  à  profusion  sans  sucre,  sans  cacao, 
mais  non  pas  sans  annonces  à  la  4""?  page 
des  journaux  ?  Giudicelli  en  fabriquait  de  meilleur, 
en  moins  grande  quantité  ;  heureusement  on  dirait 
qu'il  a  laissé  sa  recette  à  Prévost,  le  chocolatier 


304  RUE    POISSONNIERE. 

du   coin    de  la    rue    et   du  Boulevard,  dont  les 
produits  coûtent  meilleur  marché. 

Peu  de  masures  rappellent  dans  la  rue  Poisson- 
nière l'ancien  clos  des  Masures-de-Saint-Magloire. 
M  is  voici  bien  encore  des  mai>ons  à  porte 
bâtarde  et  à  deux  croisées  par  étage,  ^  fruit  des 
économies  du  cordonnier,  de  la  mercière  et  du 
pâlissier  qui  les  ont  fait  bâtir.  L'architec- 
ture peu  académique  du  25  est  bien  plus 
amusante  pour  le  passant  que  les  façades  signées 
par  les  architectes  d'à-présent  :  il  y  aura  toujours 
des  Parisiens  assez  peu  fortunés  pour  se  contenter 
de  l'abri  que  leur  procure  cette  bicoque  et  pour 
se  sentir  plus  à  l'aise  avec  leur  veste,  leur  blouse, 
leur  tablier,  que  couverts  d'un  habit  acheté  au 
Prophète  OU    à  la   Belle- Jardinière. 

D'autres  traditions  sont  respectées  elles-mêmes 
tant  soit  peu  sur  la  lisière  de  l'ancien  Champ- 
aux-Femmes.  L'amour  vénal  faisait  encore  bon 
feu,  il  y  a  quelques  années,  dans  un  grand  nombre 
d'entre-sols  de  la  rue  ;  il  s'y  cache  aujourd'hui 
dans  les  mansardes,  d'où  il  s'en  va,  transi,  se 
réchauffer  sous  les  lustres  des  bals  publics.  Mais 
il  porte  si  mal,  il  dépose  si  souvent  le  masque 
de  la  grisette  qu'on  ne  s'y  trompe  plus  beaucoup. 
Il  n'y  a  qu'une  nuance  entre  cet  amour-là  et 
celui  que  garde  en  pension,  à  l'angle  de  la  rue 
de  la  Lune,  une  maison  plus  que  séculaire  dans 
la  spécialité.  L'autre  coin  de  la  rue  de  la  Lune 
était  occupé,  sous  Louis  XVI,  par  la  compagnie 
colonelle  des  gardes-françaises. 


Rue  do  la  Lune,  (d) 


Pour  l'honneur  de  la  compagnie  d'élite  dont  il 
s'agit  à  la  fin  de  l'article  précédent,  constatons 
que,  de  son  temps,  il  n'y  avait  encore  à  l'encoignure 
opposée  de  la  rue  Poissoiinièrc  qu'une  seule  des 
deux  maisons  de  tolérance  qui,  aujourd'hui,  relient 
une  rue  à  l'autre.  Celui  des  deux  étahlissements 
dont  la  porte  s''entre-bâille  sur  la  rue  de  la  Lune 
fut  fondé  vers  1820  par  un  marchand  à  la  toilette. 

Un  galant  mettait,  au  contraire,  en  cette  rue  le 
beau  sexe  à  contribution,  dans  des  conditions  peu 
communes,  au  commencement  du  règne  de  Louis 
XIV  ;  on  le  nommait  Henri  Barjot  de  Renneviiliers. 
Fallait-il  qu'une  femme  lui  adroite  pour  passer  par 
ses  mains  sans  autres  frais  !  Si  la  belle  avait 
plusieurs  bagues,  ce  n'était  jamais  la  plus  simple 
qu'il  soutirait  à  titre  de  souvenir,  quand  ce  n'était 
pas  de  l'argent  à  son  mari.  Il  vivait  donc  à  l'aise 
dans  les  meilleurs  quartiers  de  la  ville  et  ne  se 
retirait  à  la  Ville-Neuve,  dont  la  rue  de  la  Lune 
faisait  partie,  que  sur  une  déveine  en  amour  et 
au  jeu,  qui  l'obligeait  à  des  économies.  Son  train 
de  maison,  dans  la  morte-saison,  se  réduisait 
souvent  h  une  vieille  femme,  nommée  Blanche, 
qui  n'attendait  même  pas  après  ses  gages  gour 
vivre  :  elle  avait  appris,  en  servant  dans  un  hôpital, 
à  saigner,  à  remettre  les  membres  disloqués,  et 
elle  continuait  ù  faire  le  chirurgien.  Cette  reuoueuse 
ne  craignait  pas  de  se  tranformer  parfois  en  amazone; 
elle  ne  montait    à   cheval,    sur  le    tard,    qu'avec 


(IJ  Notice  écrite  en  1»G1, 


306  RUE  DE  LA  LUNE. 

une  épée  dans  la  main  droite  et  un  flambeau 
dans  l'autre,  quand  elie  allait  quérir  son  maître 
par  la  ville.  La  bouchère  et  la  boulangère  étaient 
toujours  payées  à  sa  manière  par  ce  mauvais 
sujet,  qui  ne  prenait  jamais  de- lournisseur  veuf  : 
il  ne  laissait  s'arriérer  des  parties,  c'est-à-dire  des 
mémoires,  qu'au  risque  de  régler  avec  des  créan- 
cières d'autant  plus  éloignées  de  la  jeunesse.  Une 
fois  même,  Rennevilliers  avait  affaire  à  une  vieille 
feînme  de  la  rue  de  la  Pourpointerie  ou  des 
Lombards,  qui  lui  avait  longtemps  habillé  des 
laquais.  En  arrivant,  sur  la  promesse  formelle 
qu'il  lui  serait  enhii  donné  satisfaction,  la  mal- 
heureuse déployait  un  sac  vide  ;  mais,  avant  de 
repasser  la  porte,  elle  jetait  ses  parties  au  feu 
en  s'écriant  :  —  Que  demander  à  un  honnête  homme 
qui  a  pour  la  vieillesse  tant  d'égards  ! 

C'est  fort  innocemment,  nous  le  croyons,  qu'à 
la  fin  du  xvn'^  siècle  M.  Plaisir  habitait  le  41  :  le 
véritable  nom  de  ce  propriétaire  était  bien  Claude 
du  Plaisir.  Le  joli  nom  de  qualité  !  Par  malheur, 
à  cette  époque-là,  uue  bonne  moitié  des  marchands 
de  la  rue  Saint-Denis  prenaient  librement  le  de, 
que  l'ignorance  crasse  de  noire  siècU;  en  science 
nobiliaire  prend  pour  l'équivalent  de  messire. 

Entre  les  rues  Neuve-Saiut-Étienne  et  Sainte- 
Barbe  (i),  le  côté  des  numéros  pairs  fut  bàli  par 
François  Berlhelot,  secrétaire  des  commandements 
de  la  Dauphine,  et  Marie  Regnauld,  sa  femme, 
pour  y  placer  50  soldats  blessés.  Mais  la  fondation 
de  l'hôtel  des  InvaUdes,  en  atteignant  royalement 
le  but  des  institutions  du  même  genre,  supprima 
la  moinerie  des  soldats  infirmes.  La  maison  prin- 
cipale de  la  rue  de  la  Lune  fut  achetée,  en  1682, 
par  les  dames  de  Saint-Chaumont,  qui  en    firent 


(1)  Maintenant  de  la  Viile-Neuve  et  Pourtalès« 


RUE  DE  LA  LUNE.  307 

le  petit  Saint-Chaumont.  Le  chef-lieu  de  cette 
communauté  des  filles  de  rUmon-Clirélienne  recevait 
des  élèves,  rue  Saint-Denis,  h  des  conditions  autres 
que  la  succursale,  qui  prenait  des  pensionnaires 
à  raison  de  250  à  400  livres.  Les  bâtiments  de 
cet  annexe  donnaient  également  sur  le  Cours, 
ancien  Rempart,  et  dataient  seulement  de  la 
renaissance  de  la  rue,  dont  l'acte  de  naissance 
remontait  au  milieu  du  xvi"  siècle.  On  en  avait 
rasé  les  maisons  dès  1593,  pour  Ibriifier  la  ceinture 
de  Paris,  dont  la  Ligue  refusait  l'entrée  au  Béarnais. 
Une  chapelle  Sainte  Barbe  .avait  elle-même  disparu 
dans  l'abalis,  et  c'est  trente  ans  plus  tard  qu'on 
avait  élevé  à  sa  pla<e  Notre-Dame-de  Bonne- 
Nouvelle,  presque  entièrement  reconstruite  sous 
la  Restauration. 

De  Caux,  huissier  de  salle  h  la  cour  de  Versailles, 
avait  aussi  Louis  XIV  pour  seigneur  direct  clans 
trois  propriétt's  qui  se  suivaient  rue  de  la  Lune  : 
le  14  bïs  en  était  une.  Voyez-vous  une  maison 
de  secours  et  une  école  de  filles,  n°12?  Cet 
immeuble  et  l'immeuble  adjacent  appartenaient  aux 
pauvres  de  la  paroisse  Bonne-Nouvelle.  Ils  étaient 
chaigés  de  2  livres,  5  sols,  5  deniers  de  cens, 
redevance  acquittée  pour  l'année  1703  par  les 
mains  de  Françoise  Énault,  supérieure,  Marguerite 
Gautier  et  Jacqueline  Guénot,  sœurs  de  la  Chaiité 
attachées  à  ladite  paroisse.  La  plupart  des  maisons 
situées  sur  cette  ligne  avaient  sur  le  Cours  une 
seconde  porte,  que  quelques-unes  conservent  de 
nos  jours  sur  le  Boulevard. 


Rue  du  Peih-Carreau.    (i) 


Le  marché  des  Petits-Carreaijx,  moins  fréquenté 
que  le  carreau  des  Halles,  était  sans  doute  pavé 
originairement  de  ce  qu'on  appelait  du  carreau  ;  le 
même  pavé  tenait  lieu  de  plancher  aux  cabarets 
lorsqu'on  y  laissait  des  buveurs  littéralement  sur 
le  carreau.  Vis-à-vis  de  l'hôtel  des  Grilles,  où  la 
veuve  Boyer  a  commandé  en  maître  et  qui  n'est 
plus  pour  le  vulgaire  que  le  n°43,  les  morceaux 
de  viande  s'étalaient  qui  avaient  un  moment  fait 
une  rue  des  Boucheries  de  l'entrc-deux  des  rues 
Montorgueil  et  Poissonnière.  Le  plan  de  Gomboust, 
il  est  vrai,  faisait  commencer  celle-ci  et  finir 
celle-là,  en  1652,  à  la  hauteur  de  la  rue  Neuve- 
Saini-Eustache  ;  toutefois  on  connaissait  déjà  un 
siècle  avant,  dans  la  rue  Montorgueil,  un  lieu  des 
Petits-Carreaux,  et  58  mai.Nons  étaient  portées  au 
compte  de  notre  rue  en  1714  ;  au  nombre  de  ces 
maisons  hgurait  déjà  le  38,  possédé  sous  Louis  XVI 
par  la  baronne  de  Vignet. 

On  a  toujours  bu  sec  en  ce  quartier.  L'enseigne 
des  Trois-Bouteilles  et  celle  du  Châleau-Gaillard 
rivalisaient,  dans  la  rue  du  Petit-Carreau,  avec 
le  Triomphe-de-Bacchus,  dont  le  propriétaire  lui- 
même  portait,  vers  1714,  un  nom  qui  ratissait 
chaleureusement  la  gorge  et  donnait  soif:  Le  Poivre  ! 
La  corpoiation  des  joueurs  de  violon  avait  bien 
son  bure;iu  rue  Saint-Martin,  attenant  à  Saint- 
Julien-des-Ménétriers  ;  néanmoins  les  musisiens 
à  embaucher  se  donnaient  rendez-vous  chez  Zublet, 


(1)  Notice  écrite  en    1881. 


RUE  DU  PETIT-CARREAU.  309 

aux  Trois-Bouteilles,  près  la  rue  Thévenot,  et,  de 
nos  jours  encore,  tous  les  dimanches,  des  virtuoses 
disponibles  se  réunissent  sur  le  même  point  de 
la  rue  du  Petit-Carreau,  à  la  porte  d'un  marchand- 
de-vin,  et  y  trouvent  un  engagement  pour  la  soirée 
dans  quelque  orchestre  de  bal,  de  spectacle  ou  de 
café-concert. 

Le  cul-de-sac  du  Crucifix,  dit  aussi  du  Petit- 
Carreau,  comportait  7  petites  maisons  en  1768. 
Nicolas  Le  Prieur  en  avait  iicquis  4  ;  Pierre  Le 
Prieur,  fils  de  Nicolas,  y  ajouta  les  autres  et  fit 
bâtir  par  l'entrepreneur  Goupy,  sur  remplacement 
du  tout,  un  hôtel  à  deux  portes,  qui  n'en  a  plus 
qu'une.  C'est  le  n"  14,  et  comment  le  louer  assez 
de  n'avoir  renoncé  qu'à  la  moitié  du  Jardin  qui  le  dis- 
tinguait d'une  maison  de  petite  bourgeoisie  !  Goupy, 
devenu  architecte,  a  dessiné  le  plan  de  plusieurs 
casernes  de  Paris,  notamment  de  celle  de  la  Nouvelle- 
France. 

Le  n°  26  sert  de  passage  officieusement  à  l'an- 
cienne cour  des  Miracles.  Tout  le  monde,  au 
commencement  du  dernier  siècle,  ne  se  hasardait 
pas  encore  le  soir  dans  l'ancienne  vallée  aux 
Mendiants  et  aux  Voleurs,  chef-lieu  de  la  truan- 
derie  au  moyen-âge  :  il  y  avait  pourtant  3  lanternes 
pour  éclairer  4  maisons,  en  comptant  ce  qu'y 
possédaient  les  hospitalières  de  Sainte-Catherine 
et  lés  fllles-Dieu,  sans  compter  par  exemple  les 
échoppes  en  appentis  qui  s'adossaient  aux  murs 
et  qui  n'étaient  pas  habitées  la  nuit.  Une  maison, 
dans  ledit  passage,  ouvre  sa  porte  cochère  en 
face  d'une  ruelle  que  son  éciiteau  donne  pour 
impasse  de  l'Étoile  :  n'était-ce  pas  l'hôtel  Dupressoir? 
De  toute  façon  la  location  y  remit,  sous  Louis  XV, 
un  nouveau  genre  de  malfaiteurs  adroits  en  posses- 
sion de  la  cour  des  Miracles,  que  le  règne  précédent 
avait  purgée  de  ribaudes  et  de  francs-mitous  moins 
civilisés.  Les  charmes  de  Dorothée,  de  la  Beau- 

20 


310  RUE  DU  PETIT  CARREAU. 

voisin  et  puis  de  Jeanne  Vaubernier,  à  l'âge  de 
21  ans,  attiraient  là  des  grands  seigneurs,  tels  que 
le  duc  de  la  Trémoille  et  le  prince  de  Ligne, 
mais  plus  encore  de  financiers,  chez  le  comte 
Dubarry,  qui  leur  dorait  ainsi  les  pilules  de  son 
tapis  vert.  La  plus  séduisante  des  complices  de 
ce  chevalier  d'industrie  était  la  nouvelle  recrue  ; 
ses  bonnes  grâces  avaient  déjà  le  rare  privilège 
de  ramener  les  galants,  encore  plus  que  de 
simples  espérances.  Elle  était  grande,  bien  faite, 
blonde  5  ravir  :  front  dégagé,  beaux  yeux,  sourcils 
à  l'avenant,  visage  ovale  légèrement  marqué  de 
petite-vérole,  mais  parsemé  de  signes  sur  les  joues 
qui  le  rendaient  piquant  comme  pas  d'autre,  nez 
aquilin,  bouche  au  rire  leste,  peau  fine,  gorge  qui 
contrariait  la  mode  en  conseillant  à  beaucoup 
d'autres  gorges  de  se  mettre  à  l'abri  d'une  com- , 
paraison  !  Jeanne,  sans  songer  à  l'avenir,  s'amusait 
pour  son  propre  compte  de  l'empire  exercé  par 
elle  à  bien  moins  de  frais  qu'il  ne  fallait  à  son 
associé  d'expérience  et  de  dextérité  pour  commander 
à  la  fortune  du  jeu.  Tout  commençait  alors,  ou 
finissait  pour  elle  par  un  souper,  où  elle  buvait 
peu  de  vin,  mais  beaucoup  de  liqueurs.  N'avait- 
elle  pas  pour  vocation  le  plaisir,  auquel  était  dû 
tout  ce  qu'elle  avait  et  jusqu'à  sa  naissance?  Son 
père  était  abbé  ;  sa  mère,  une  Lorraine  nommée 
Bécu,  mariée  ensuite  à  Ranson,  qui,  de  domestique, 
s'était  fait  employé  aux  barrières  de  Paris.  Dubarry 
avait  rencontré  cette  jolie  femme  chez  la  comtesse 
Duquesnay,  qui  l'aimait  de  manière  à  en  rendre 
jaloux  M.  de  Chabrillan,  dont  ladite  maîtresse 
donnait  elle  même  à  jouer,  Lebel,  valet-de-chambre 
du  roi,  vint  de  même  cour  des  Miracles,  lia 
facilement  connaissance  avec  l'Égérie  du  tripot, 
et  un  appartement  se  meubla  avant  peu,  rue  des 
Petits-Champs,  pour  Jeanne  Vaubernier,  qu'on  avait 
commencé  à  surnommer  VAnge  dans  la  maison  à 


RUE  DU  PETIT-CARREAU.  311 

parties  de  la  Gourdan,  et  M"«  Lange  changea 
moins  de  conduite  que  de  fortune  et  de  nom, 
chacun  le  sait. 

Dans  l'ancienne  demeure  de  Jean  Dubarry  habitait 
le  publiciste  Hébert,  membre  de  la  Commune  de 
Paris,  pendant  que  Jeanne  Vaubernier  payait  de 
sa  tête  le  luxe  et  le  crédit  dont  elle  avait  joui 
comme  comtesse  Dubarry.  Ce  rédacteur  du  Père 
Duchesne,  journal  de  cynique  mémoire,  avait  été 
receveur  de  contremarques  dans  un  théâtre  ;  il 
acquit  de  nouveaux  titres  h  l'exécration  générale 
lors  du  procès  de  Marie-Aiitoinette,  fut  dénoncé 
par  Saint-Just  à  la  Convention,  qui  le  reconnut 
chef  d'une  faction  menaçante  pour  l'État,  et  il 
ne  finit  pas  autrement  que  M"»  Dubarry. 


Rue  Théveiiot.   (i) 


Ne  venons-nous  pas  de  revoir  dans  la  rue  du 
Petit-Carreau  l'hôtel  Le  Prieur,  qu'on  disait  à  tort 
Thévenot?  Une  lettre  de  M.  le  Prieur  de  Blain- 
villiers,  petit-fils  du  fondateur,  nous  apprend  que 
son  grand-père  fit  construire  en  même  temps  le 
21  de  la  rue  Thévenot. 

Un  Thévenot  remplissait  les  fonctions  d'échevin 
sous  la  prévôté  de  Jacques  Sanguin  ;  un  autre 
a  laissé  des  relations  intéressantes  de  ses  grands 
voyages  et  importé  en  France  le  café.  L'usage  de 
la  liqueur  nouvelle  fut  d'abord  une  affaire  de 
mode  ;  M"""  de  Sévigné  contribua  elle-même,  sans 
le  vouloir,  à  sa  propagation,  en  disant  que  le  café 
passerait  comme  Racine,  ou  Racine  comme  le 
café.  La  réputation  de  l'un  et  de  l'autre  n'a 
guère  fait  que  croître  et  embellir  depuis  cette 
comparaison,  qui  n'a  pas  même  porté  malheur 
à  M"""  de  Sévigné  !  André  Thévenot,  contrôleur 
en  chef  des  rentes  de  l'Hôlal-de-Ville,  survécut 
à  Thévenot  le  voyageur  ;  il  avait  pour  fils  ou  petit-fils 
l'échevin  ;  c'est  à  sa  requête  qu'on  donna,  en 
l'année  1676,  un  débouché  sur  la  rue  Saint- 
Denis  au  cul-de-sac  des  Cordiers,  qui  était  du 
Paris  de  Charles  V. 

Père  et  parrain  de  la  rue  ainsi  née,  Thévenot 
y  laissa  à  ses  héritiers  des  maisons  bien  construites, 
dans  lesquelles  au  xvni^  siècle  se  succédèrent  des 
banquiers  et  des  agents-de-change,  plus  encore 
que  des  magistrats,  et  en  voici  les  n"'  actuels  : 


(1)  Notice  écrite  en   1861. 


RUE  THÉVFNOT.  313 

10,  12,  14,  17,  18,  19,  20,  21,  22,  23,  24. 
En  tout  11  propriétés,  et  la  rue  n'en  nombrait 
que  16,  y  compris  celle  qu'a  fait  rebâtir  ensuite 
Le  Prieur.  Lorsque  la  succession  s'ouvrit  du 
marquis  de  Carabas  de  cette  rue,  les  n'"  6  et  8 
appartenaient  à  Tlioré,  et  le  26,  que  Michel 
Richer  allait  bientôt  reconstruire  avec  le  magnifique 
balcon  qui  décore  aussi  l'impasse  de  l'Étoile, 
était  à  l'hospice  Sainte-Catherine.  Ce  cul-de-sac, 
qui  lui-même  n'en  est  plus  un  pour  les  piétons 
qu'il  mène  à  la  cour  des  Miracles,  avait  dépendu 
de  l'impasse  des  Cordiers  antérieurement  à  la 
formation  de  la  rue. 

Vers  le  milieu  du  règne  de  Louis  XVI,  le 
propriétaire  du  18,  où  un  hôtel-garni  a  repris 
de  nos  jours  le  nom  de  Thévenot,  créateur  de 
l'immeuble,  s'appelait  M.  de  Saint-Péravy  ;  celui  du 
16,  le  D'  Chomel  ;  ceSui  du  14,  M.  Armand.  Au 
même  temps,  le  comte  de  Lallemant,  ou  de 
Latemend.  disposait  du  7  et  9  ;  M.  Bourdin,  du 
11  ;  M.  Osmond,  du  13.  Quant  au  24,  qui  a  été 
mairie  sous  la  Restauration,  l'archilecie  Goupy 
y  a  laissé  des  traces  de  son  passage  sur  les 
brisées  de    Thévenot,  comme  propriétaire. 

Enfin  le  12,  déjh  cité,  était  la  résidence  de  la 
famille  de  Monmorqué,  avant  que  Joséphine  de 
la  Pagerie  y  séjournât,  n'étant  encore  que  M""* 
de  Beauharnais.  Cet  ancien  hôtel  a  conservé  un 
jardinet. 


Rues  de  Viarine,  Ulereier,  de  Sartines, 
De  Vannes,  Oblin  et  rue   8auval, 

EN  CE  QUI  s'en  appelait    NAGUERE 

Devarenne*    (i) 


M.  Rousseau,  qui  songe  h  se  marier,  n'était 
guère  flatté  que  nous  l'envoyassions  faire  le  tour 
de  la  Halle-au-Blé.  La  réputation  acquise  à  ce 
quartier  offrait  des  points  curieux  à  étudier  au 
point  de  vue  des  mœurs,  mais  risquait  de  com- 
promettre publiquement  un  explorateur  qui  ne  se 
contente  pas  toujours  d'interroger  l'enseigne  d'une 
maison,  le  numéro  d'uneporte, l'inscription  angulaire 
d'une  rue.  Les  établissements  séculaires  où  M. 
Rousseau  redoutait  d'avoir  à  prendre  des  notes 
sur  son  calepin,  sont  de  ceux  où  l'on  entre  en 
craignant  d'être  vu,  surtout  lorsqu'on  se  dispose 
à  rompre  avec  le  célibat.  II  partait  donc  h  contre- 
cœur, pour  la  première  fois  sans  doute,  notre 
député  à  la  course,  notre  observateur  au  carnet  ! 
Il  avait  passé  la  nuit  blanche,  additionnant  avec 
appréhension  presque  autant  de  gros  numéros 
qu'il  pouvait  se  trouver  de  portes  dans  les  rues 
dont  la  nomenclature  sert  de  titre  au  présent 
chapitre.  Mais  il  est  revenu  tout  fier  des  progrès 
accomplis,  autour  du  Grenier-d'Abondance,  par  la 
moralité  publique  de  son  siècle.    Sa    philosophie 


^  (1)  Notice  écrite  en  1861.  Le  nom  de  l'historien 
Sauvai  n'était  pas  encore  devenu  celui  de  la  rue 
Devarenne  et  de  la  rue  des  Vieilles-Étuves  Saint-Honoré. 


RUES   DE  VIARME,  ETC.  815 

Optimiste    n'avait  été    mise    à    l'épreuve    qu'une 
seule  fois  dans  six  rues  mal  famées. 

La  seule  maison  de  filles  qui  y  survive  à  beau- 
coup d'autres  date,  comme  établissement,  de  la 
construction  de  la  place.  La  dot  de  la  comtesse 
Ogier  n'en  a  pas  moins  été  constituée  en  partie 
par  l'apport  de  l'immeuble,  dont  le  premier  pro- 
priétaire avait  été  Eyuaud,  son  père.  C'est  le 
n*"  1  de  la  rue  circulaire,  autorisée  en  1762, 
ouverte  trois  années  après  et  appelée  de  Viarme 
à  cause  de  Jean-Baptiste  Élie  Camus  de  Pontcarré, 
chevalier,  seigneur  de  Viarme,  Sengy,  Belloy  et 
autres  lieux,  conseiller  d'État,  qui  a  rempli  les 
fonctions  de  prévôt-des-marchands  de  1758  à 
1764.  Trois  ans  avant  l'élection  de  ce  magistrat, 
la  Ville  avait  acquis  le  terrain  de  l'hôtel  de 
Soissons,  sur  lequel  s'établirent  simultanément, 
d'après  le  plan  général  qu'avait  tracé  Lecamus  de 
Mézières,  la  Halle-au-Blé,  la  rue  de  Viarme  et 
les  rues  qui  rayonnent  autour  de  cette  place. 

Le  père  de  M""'  Ogier  était  aussi  propriétaire, 
rue  de  Viarme,  n°  3,  et  l'échevin  Babille  au 
coin  de  la  rue  Babille,  mais  sans  porte  sur  la 
rue  de  Viarme.  Les  autres  propriétés  qui  ouvrent 
sur  cette  rue  sans  fin,  ont  appa>'tenu  d'origine 
au  sieur  Camus,  t\  l'exception  de  trois  :  le  21, 
qui  fut  bâti  pour  Devarenne;  une  maison  au 
coin  de  la  rue  de  Sartines,  qu'avait  Piedbot,  et 
le  4,  qu'avait  Gallien.  Ce  Camus,  était-il  le  prévôt- 
des-marchands,  l'architecte,  ou  quelqu'un  des  leurs? 
Assurément,  il  avait  derrière  lui  des  associés 
ou  des  bailleurs  de  fonds. 

La  rue  Mercier,  dont  les  constructions  sont 
uniformes,  comme  celles  de  toutes  les  rues  de 
la  même  création,  eut  pour  parrain  Louis  Mercier, 
écuyer,  conseiller  du  roi  en  l'Hôtel-de- Ville,  échevin. 
La  comtesse  du  Bocage  y  disposait   des    n"'    5, 


316  RUES  DE  VIARME,  ETC. 

7,  9,   peu    d'années    après    la    fondation    de    la 
Halle-au-Blé. 

Gabriel  de  Sartines,  comte  d'Alby,  avait  été 
conseiller  au  Châtelet,  lieutenant-criminel  et  maître- 
des-requêtes,  avant  que  de  passer  lieutenant-général 
de  police,  et  il  devint  ensuite  ministre  de  la 
Marii«e.  Son  nom,  placé  sur  l'estampille  d'une  rue, 
en  face  du  Grenier-d'Abondance,  ne  nous  rappelle- 
t-il  pas  qu'on  accusa  ledit  lieutenant-de-police 
d'affamer,  par  calcul,  Paris  et  tous  ses  environs, 
pendant  que  quatre  intendants  des  finances,  Trudaine 
de  Montigny,  Boutin,  Langlois  et  Boulogne,  se 
seraient  entendus  eux-mêmes  avec  Perruchot, 
directeur-général  du  monopole  des  grains,  pour  éten- 
dre cette  cruelle  spéculation  à  toutes  les  provinces? 
Mais  l'agiot  sur  le  blé  n'a  jamais  pu  susciter 
que  des  dangers  locaux  et  momentanés,  entière- 
ment conjurés  de  nos  jours  par  la  rapidité  des 
moyens  de  transport,  et  jamais  l'acquisition  par 
fortes  parties  n'a  menacé  de  la  famine  toutes  les 
places  k  la  fois.  Nos  marchands  de  farine,  qui 
se  réunissent  tous  les  jours  au  café  du  Commerce, 
et  justement  au  coin  de  la  rue  de  Sartines,  sont 
loin  de  craindre  que  les  capitaux  affluent  outre 
mesure  dans  le  commerce  des  grains  en  France: 
la  disette  de  l'argent  y  suit  toujours  de  près 
celle  du  blé.  Rue  de  Sartines,  sur  la  droite, 
Camus,  Devarenne,  Bassin  et  encore  Camus  étaient 
propriétaires  ;  sur  la  gauche,  Prévosteau  et  Camus. 

JoUivet  de  Vannes,  avocat,  procureur  du  roi  et 
de  la  Ville,  a  gravé  également  sa  carte  de  visite 
à  Tangle  d'une  petite  rue.  En  face  de  cette  ruelle 
se  dresse  la  colonne  de  Médicis,  monument  conservé 
grâce  à  l'initiative  du  poète  Bachaumont,  qui  a 
donné  1800  livres  de  cet  observatoire  de  la  reine, 
revendu  ensuite  à  la  Ville,  afin  qu'il  survécût  à 
l'hôtel  de  Soissons,  démoli  par  les  créanciers  du 
prince  de  Carignan.  Camus,  Benoît  et  Dussausaye 


RUE    DE   VIARME,    ETC.  SlT 

signèrent  dans  la  rue  de  Vannes  les  premières 
quittances  de  loyer. 

Le  nom  de  Pierre  Devarenne,  écuyer,  avocat 
au  parlement,  conseiller  du  roi,  quartenier  et  puis 
échevin,  est  arboré  sur  un  autre  écriteau  municipal, 
en  face  de  la  même  rotonde,  entre  les  n"'  1  et  2 
de  la  rue  de  Viarme. 

Avant  que  la  Halle-au-Blé  fût  transférée  d'un 
coin  de  l'emplacement  actuel  des  Halles-Centrales 
sur  le  terrain  de  l'hôtel  de  Soissons,  on  traitait 
de  rue  Bouchée  une  impasse,  dont  le  fond  était 
l'une  des  entrées  de  l'hôtel  :  la  place  de  cette 
porte,  en  regard  de  Saint-Eustache,  est  encore 
marquée  par  des  pierres  en  saillie  au  milieu  de  la 
rue  Oblin.  Dans  cette  rue,  qui  avait  commencé 
par  s'appeler  Carignan,  dernière  dénomination  du 
cul-de-sac,  Bernard  Oblin  et  Charles  Oblin,  in- 
téressés dans  les  affaires  du  roi  et  très-probablement 
dans  celles  de  Camus,  n'ont  rien  fait  édifier  que 
nous  sachions  :  mais  ils  n'y  ont  pas  jeté  par  terre 
les  maisons  préexistantes.  M"'^  Fleuret  y  disposait, 
avant  1780,  de  deux  propriétés  près  de  la  rue 
Coquillière,  et  l'éternel  Camus  en  avait  deux  à 
l'autre  extrémité  de  la  ligne  opposée. 


Rue  de  la  Verrerie,  (i) 


Suger.  —  Saint- Bon.  —  Les  Verriers  et  les  Faïen- 
ciers. —  Notables  des  xvii*  et  xviii^  Siècles.  —  Le 
Saint-Esprit.  —  Les  Juges- Consuls.  —  Les 
Notaires  et  les  Droguistes.  —  Les  Experts  du 
Bâtiment.  —  Les  Huissiers.  —  L'Hôtel  Saint- 
Faron.  _ —  La  Trinité.  —  Le  Petit-Paris.  — 
Les  Tapissiers.  —  Les  Couturières.  —  Valmont 
de  Bomare. 

Sur  l'emplacement  d'une  chapelle,  connue  dès 
le  siècle  vi-,  le  chapitre  de  Notre-Dame  fonda 
la  collf^giale  de  Saint-Merri,  sous  l'épiscopat  de 
Rainaud  II  et  le  règne  de  Robert  II.  Un  séjour  de 
Suger  y  attenait  trente  ans  après.  La  reconstruc- 
tion de  l'église,  au  xvi"  siècle,  englobait  cet  hôtel; 
elle  put  néanmoins  en  respecter  le  gros-œuvre  de 
la  façade  actuelle  du  presbytère,  dont  l'entrée  sert 
de  porte  latérale  aux  fidèles,  malgré  la  sculpture 
du  XYU!**  siècle  qui  la  décore  de  deux  amours, 
pour  lesquels  brûle  un  encens  éternel.  Le  passage 
cessant  d'y  être  public  après  l'heure  des  offices, 
la  maison  a  encore  tout  l'air  d'être  indépendante 
de  l'église,  restaurée  derechef  en  1754,  puis  en 
1836.  A  supposer  même  que  les  seigneurs  cha- 
noines aient  eu  là  le  bailliage  ou  la  chancellerie 
de  leurs  fiefs  de  Marly  et  de  Saint-Merri,  le 
moyen  de  louer  le  chapitre  d'avoir  commandé  ce 
dessus-de-porte  ! 

La  rue  Saint-Bon  y  fait  presque  face  et  rappelle 


(1)  Notice   écrite  en  18G2. 


RUE  DE  LA  VERRERIE.  319 

une  chapelle  Saint-Bon  ou  Saint-Bonnet,  qui 
appartenait  d'abord  à  l'abbaye  de  Saint-Maur-des- 
Fossés  et  dont  le  chef  du  diocèse  prit  possession, 
en  devenant  abbé  de  Saint-Maur,  pour  y  nommer 
chapelain  ordinairement  un  chanoine  de  Saint- 
Merri.  Une  confrérie  de  Sainte-Marguerite  fut 
établie  dans  cette  chapelle,  qui  ne  servait  plus, 
avant  sa  suppression,  qu'à  faire  le  catéchisme  de 
la  paroisse.  Le  bâtiment  en  fut  mis  aux  enchères 
l'an  1792. 

Les  recherches  de  nos  devanciers  ont  constaté 
l'existence  d'une  verrerie  en  l'année  1187  dans 
cette  rue.  Aussi  bien  la  communauté  des  Peintres 
sur  verre  s'y  établit  dans  le  principe  ;  elle  compre- 
nait des  émailleurs,  des  verriers,  des  patenôtriers  ; 
ses  statuts,  réglés  en  1467,  se  modifièrent  en 
1666.  Cette  compagnie,  tige  des  diverses  branches 
de  l'industrie  verrière,  fut  dite  ensuite  des  Vitriers. 
On  y  avait  fixé  la  durée  de  fapprentissage  à  4 
années,  le  coût  de  la  maîtrise  à  500  livres.  Le 
patron  de  la  confrérie  était  saint  Marc,  et  son 
bureau,  au  Renard  de  la  rue  Saint-Denis  avant  la 
fin  du  xvii«  siècle,  mais  au  cimetière  Saint-Jean 
dans  le  cœur  du  siècle  suivant.  Un  peu  plus  tard 
les  Verriers  se  trouvaient  en  concurrence  avec 
les  Faïenciers,  qui  pendant  soixante-dix  années 
étaient  restés  de  la  même  famille,  bien  qu'une 
institution  particulière  les  eût  émancipés  sous 
Henri  IV.  Tout  apprenti  ou  compagnon  faïencier 
qui  avait  abusé  de  la  femme,  de  la  fille,  de  la 
parente  ou  de  la  servante  de  son  maître,  était  par 
cela  même  déchu  du  droit  de  parvenir  à  la  maîtrise. 
Mais,  s'ils  battaient  la  séduction  en  brèche,  les 
statuts  de  la  Faïencerie  favorisaient,  en  revanche, 
la  recherche  pour  le  bon  motif,  en  réduisant  de 
500  à  200  livres  le  taux  de  la  maîtrise  en  cas 
de  mariage  avec  la  fille  du  maître.  Apprentissage, 


320  RUE  DE  LA  VERRERIE. 

5  ans  ;  compagnonnage,  idem  ;  brevet,  80  livres  ; 
patron,   saint  Éloi. 

L'émailleur  Jacquemin  Gringoneur,  inventeur 
des  cartes  à  jouer  sous  Charles  VI,  en  peignait 
à  or  et  à  diverses  couleurs  pour  ïeshattement  du 
roy  dans  la  rue  de  la  Verrerie.  Il  y  précédait 
de  trois  siècles  Trincard,  marchand  de  porcelaines, 
qui  était  membre  de  la  confrérie  avant  qu'elle 
en  formât  deux,  et  dont  le  magasin  attirait  de 
riches  amateurs.  Du  temps  de  Trincard  on  élargit 
la  rue,  parce  qu'elle  se  trouvait  sur  le  passage 
de  Louis  XIV,  quand  il  allait  du  Louvre  à  Vin- 
cennes,  et  sur  le  passage  également  des  ambas- 
sadeurs étrangers,  qu'allaient  prendre  les  carrosses 
du  roi  aux  Folies-Rambouillet,  dans  la  rue  de 
Charenton,  le  jour  de  leur  entrée  officielle. 

Sous  le  règne  précédent,  Bossuet,  fermier  des 
gabelles  du  Lyonnais  et  du  Languedoc,  qui  n'était 
autre  que  le  père  de  l'illustre  évêque  de  Meaux, 
avait,  en  regard  de  la  rue  actuelle  des  Juges- 
Consuls,  sa  maison  de  ville,  qui  appartenait  plus 
tard  à  Huault,  seigneur  de  Bernay.  L'enseigne 
en  était  la  Ville-de-Reims  alors  que  ce  dernier 
avait  pour  acquéreur  le  bourgeois  Leroy.  Un  bas- 
relief  de  forme  ronde  représentait  alors  sur  une 
autre  façade  Henri  IV,  eiure  une  maison  à 
Barthélémy  et  une  à  la  veuve  de  Forcadel,  con- 
seiller aux  Aides.  Celle  de  la  veuve  avait  sa 
petite  porte  sur  la  rue  du  Coq,  dont  deux  propriétés 
touchaient  le  fond  de  celle  à  médaille  et  de 
l'autre. 

Du  côté  opposé  se  suivaient  en  ce  temps- là, 
comme  propriétaires  : 

Les  héritiers  de  Girault,  écuyer,  conseiller  au  Châte'et. 
—  M™e  Renée-Madeleine  de  Rambouillet  de  la  Sablière, 
veuve  de  Trudaine,  ancien  prévôt-des-marchands,  au 
nom  et  comme  tutrice  de  ses  enfants,  avec   Brument, 


RUE  DE  LA  VERRERIE.  821 

tapissier,  pour  locataire.  —  Les  héritiers  de  Desnots, 
secrétaire  des  finances,  an  coin  de  la  rue  du  Renard. 
—  M™»  Marie  Angran,  veuve  de  Philippe  de  Boran, 
M'»  de  Castilly,  avec  entrée  rue  du  Renard.  —  Henri- 
Charles  Arnauld  de  Pomponne,  abbé  commendataire  de 
l'abbaye  royale  de  Saint-Médard  à  Soissons,  conseiller 
d'Etat,  garde-des-sceaux  :  grande  maison,  tenant  plus 
ou  moins  à  la  rue  du  Renard.  —  Jacques  de  Sa+lo, 
seigneur  d'Auvilly:  2  maisons,  venant  des  Saveuse, 
avec  longue  allée  et  des  jardins  Charles  Lebrun, 
greffier  des  bâtiments  :  grande  maison,  petit  jardin.  — 
Croizet,  présidont-aui-enquêtes  du  parlement.  —  Pierre 
Quirot,  architecte  du  roi.  —  Jacques  de  Rinouart  : 
grande  maison,  avec  une  seconde  porte  dans  la  rue 
Barre-du-Bec   (tronçon   de  notre   rue  du    Temple). 

Et  cet  appel  peut  déjà  compter,  quoique  partiel. 
L'arcliitecle  Quirot  habitait  sa  maison  ;  il  l'avait 
achetée  des  hoirs  de  Charpentier,  littérateur 
qui  avait  pris  parti  pour  les  modernes  dans 
la  querelle  de  son  temps  sur  le  mérite  des 
anciens  et  des  modernes.  Denis  de  Sallo,  con- 
seiller au  parlement  et  fondateur  du  Journal  des 
Savants,  devait  être  le  père  de  son  homonyme 
précité.  L'Ainauld  de  Pomporme  sur  le  tapis  avait 
localement  hérité  de  son  pèi^e,  Simon  Arnauld, 
marquis  de  Pomponne,  et  ce  ministre  intégre, 
dont  Saint-Merri  gardait  la  tombe,  était  lui-même, 
à  titre  de  tils,  héritier  de  Robert  Arnauld.  Pour 
la  maison  Desnots,  elle  tenait  par-derrière  à 
celle  des  Juges-Consuls. 

Des  dépendances  de  ce  dernier  hôtel  se  projetaient 
même  rue  de  la  Verreiie.  La  juridiction  consulaire 
avait  été  créée  par  Chaiies  IX;  le  siège  de  ce 
tribunal  resta  derrière  Saint-Merri  jusqu'à  sa 
translation  dans  le  palais  de  la  place  de  la  Bourse. 
André  Bouret  avait  été  propriétaire  dans  notre 
rue,  près  l'hôtel  consulaire,  comme  acquéreur  de 
la  veuve  de  Jacques  Thivol,  sieur  de  Sainte-Foy, 


322  RUE  DE  LA  VERRERIE. 

chef  du  vol  des  oiseaux  du   cabinet  de  feu  le   duc 
d'Orléans. 

Entre  les  rues  de  la  Poterie  (i)  et  Saint- 
Martin,  les  maisons  appartenaient  en  1780  :  à 
Lebel,  au  même,  h.  Sorèze-de-Meuze,  à  Coulon- 
Deslouches,  ii  La  Motte  et  consorts,  au  Saint- 
Esprit,  au  Saint-Esprit  encore,  à  Bourgoin, 
à  De  la  Capelle.  L'ordre  du  Saint-Esprit  n'était 
pour  rien  dans  cette  litanie  bourgeoise;  il  ne 
s'y  agissait  que  de  l'hôpital  du  Saint-Esprit,  fondé 
place  de  Grève  en  1362,  rebâti  en  1746, 
sur  le  plan  de  Boffrand,  pour  recevoir  60  garçons 
et  60  filles  auxquels  on  apprenait  un  état. 

Des  notaires  occupaient  alors  quatre  ou  cinq 
belles  maisons  édifiées  pour  la  grande  robe  et 
maintenant  vouées  au  commerce  en  gros  de 
l'épicerie  et  de  la  droguerie,  qui  n'est  devenu  la 
principale  industrie  de  la  rue  qu'en  notre  siècle. 
Près  la  rue  du  Temple  se  tenait  le  bureau  des 
Experts-jurés  des  Bâtiments,  institués  par  édit  en 
1690,  et  plus  près  de  Saint-Merri  le  bureau  des 
Huissiers-audienciers  au  Châlelet,  où  paraissait, 
imprimé  tous  les  mois,  un  extrait  des  criées  du 
tribunal. 

La  rue  de  la  Tixéranderie,  sacrifiée  à  celle  de 
Rivoli,  suivait  un  cours  quasi-parallèle  à  la  nôtre  ; 
l'une  et  l'autre  ayant  eu  leur  hôtel  Saint-Faron, 
cela  devait  être  le  même  sous  deux  faces  diffé- 
rentes; il  donnait,  qui  plus  est,  rue  des  Deux- 
Portes  ou  rue  du  Coq.  Ses  rapports  ne  furent- 
ils  pas  directs  avec  l'abbaye  de  Sùint-Faron  ?  Les 
comtes  d'Auxerre  avaient  eu,  de  toute  façon,  un 


(1)  Ladite  rue  de  la  Potarie-des-Arcis  est  maintenant 
l'en-lêle  delà  rue  du  Renard,  qui  commençait  naguère 
à  la  rue  de  la  Verrerie. 


RUE  DE  LA  VERRERIE.  323 

séjour  au  même  endroit.  N'était-ce  même  pas  le 
royal  hôtel  de  Navarre,  qu'avait  occupé,  entre 
les  rues  de  la  Verrerie,  du  Coq  et  des  Deux-Portes, 
Blanche  de  Navarre,  veuve  de  Philippe  de  Valois, 
et  qu'avait  aliéné  en  1417  Catherine  d'Alençon, 
veuve  de  Pierre  de  Navarre  ?  Ce  palais  ou  l'hôtel 
Suger  était  évidemment  le  logis  qui  faisait  de 
Charles  Vil  en  personne  un  habitant  de  la  rue 
de  la  Verrerie  alors  que  la  trahison  de  Périnet- 
Leclerc  livrait  l'entrée  de  Paris  aux  Bourguignons. 
Ah  que  l'ancien  palais  dérogeait  donc  en  devenant, 
sur  la  rue  que  voici,  le  bureau  général  des  Fosses 
vétérinaires  pour  l'équarrissage  hors   de  ville  ! 

Un  service  régulier  de  carrosses  pour  Sézanne 
et  pour  d'autres  localités  partait  d^s  le  xvn"  siècle 
d'un  hôtel  de  la  Trinité,  en  la  même  rue,  et  uu 
traiteur  voisin,  à  l'enseigne  du  Petit-Paris,  servait 
jusqu'il  des  repas  de  noces.  De  grands  magasins  de 
tapissiers  s'établirent  postérieurement  sur  plusieurs 
points  et  celte  spécialité  allait  un  moment  jusqu'à 
dominer  dans  la  rue,  au  commencement  de  l'Empire, 
comme  la  verrerie  autrefois.  Roussin  aîné,  tapissier 
du  gouvernement,  entrepreneur  de  la  décoration 
des  fêtes  publiques,  y  occupait  surtout  de  nom- 
breux ouvriers  et  y  chargeait  ou  déchargeait  inces- 
samment des  voitures  de  déménagement. 

Non  loin  de  l'hôtel  Saint-Faron,  mais  pas  du 
même  côté,  a  été  le  bureau  des  maîtresses  Coutu- 
rières découpantes,  communauté  divisée  en  quatre 
classes.  Les  couturières  en  robe  composaient  la 
première;  celles  pour  enfants  venaient  ensuite, 
puis  les  lingères,  puis  les  confectionneuses  de 
garnitures.  Une  maîtresse  ne  pouvait  avoir  qu'une 
apprentie  à  la  fois  ;  l'apprentissage  durait  trois 
ans  ;  le  chef-d'œuvre  était  obligatoire  pour  parvenir 
à  la  maîtrise,  qui  coûtait  174  livres,  comme  le 
brevet  20  livres  10  sols.  Saint  Louis  était  le  patron 
des  Couturières. 


3Î4  RUE  DE  LA  VERRERIE. 

Au  n<*  28  le  naturaliste  Valmont  de  Bomare 
avait  un  riche  cabinet,  dans  lequel  il  faisait  des 
cours,  mais  qui  fut  réuni  en  1787  au  cabinet  du 
prince  de  Condé,  dont  venait  d'être  nommé  garde 
ce  savant,  dans  le  château  de  Chantilly.  Valmont 
de  Bomare,  membre  de  l'académie  des  Sciences, 
avait  utilement  voyagé  pour  le  compte  du  gouverne- 
ment. Il  est  l'auteur  d'un  Dictionnaire  d'Histoire 
naturelle. 

Le  n"  2  de  la  rue  de  la  Verrerie  a   appartenu 
à  la  famille  de  Salignac-Fénélon.  La  fabrique  de- 
l'église  Saint-Jean  était  propriétaire  des   n*'  4,  6 
et  8,  ainsi  que  de  cinq  maisons   les  suivant    de 
près,  mais  en  retour  sur  la  petite  rue  de  Moussi. 


Rue  de  la  Jussienne.    (i) 


La  rue  de  la  Jussienne  commençait  ou  finissait 
par  un  hôtel  de  Givrac,  du  côté  de  nos  chiffres 
pairs,  au  moment  de  la  convocation  des  derniers 
États-Généraux.  Le  16  appartenait  à  M.  Dulac, 
et  une  école  de  filles  y  babille  par  le  temps  qui 
court  ;  ce  n'en  est  pas  moins  un  ancien  hôtel 
Dubarry,  à  façade  encore  décorée  de  sculptures 
et  de  ferrures  qui  n'étaient  pas  d'une  maison 
ordinaire.  Perruchot,  receveur-général  des  armées 
du  roi,  a-vait  précédemment  confié  à  ces  murs, 
qui  ne  s'en  étaient  pas  écroulés,  la  caisse  de  la 
spéculation  fameuse  sur  les  grains  qu'on  a  flétrie 
du  nom  de  Pacte  de  Famine,  et  lui-même  était 
venu  après  Joseph  Dupleix,  gouverneur  des  établis- 
sements français  dans  les  Indes.  Ce  vaillant  défenseur 
de  Pondichéry  tenta  de  faire  de  la  compagnie 
française  des  Indes,  qui  n'était  que  commerçante, 
une  puissance  territoriale  :  projet  réalisé  depuis, 
mais  par  la  compagnie  anglaise. 

Au  8  demeura  l'abbé  de  Latlaignant,  chanoine 
de  Reims,  conseiller  au  parlement  de  Paris  et  poëte 
jovial  ;  mais  cet  homme  d'esprit,  dont  jamais 
les  couplets  n'étaient  mieux  chantés  que  par  lui- 
même,  se  retira  dans  sa  vieillesse  chez  les  pères 
de  la  Doctrine-Chrétienne  et  y  vécut  jusqu'en 
l'année  1779.  Il  y  avait  alors  le  dépôt  principal 
des  pompes  à  incendie  dans  l'ancienne  habitation 
de  Lattaignant,  ou  dans  la  contiguë.  La  compagnie 
des  gardes-pompiers,  institution  de  M.  de  Sartines, 


(1)  Notice  écrite  en  1861. 

fil 


336  RUE  DE  LA  JUSSIENNE. 

comptait  18  autres  corps-de-garde.  Le  chevalier 
Morat  était  directeur-général  des  pompes  en  1784. 

A  Lattaignant  ne  survécut  guère  un  jeune  poète, 
d'un  caractère  tout  différent  ;  le  satirique  Gilbert 
sortit  de  i'Hôlel-Dieu,  où  l'avaient  fait  porter  une 
chute  de  cheval  et  la  misère,  en  lui  donnant  des 
accès  de  folie,  et  son  dernier  souffle  s'exhala  dans 
un   logement  de  cette  rue. 

Les  revenus  du  9  étaient  touchés  par  les  carmé- 
lites de  la  rue  Saint-Jacques.  Le  comte  Danès, 
prédécesseur  ou  successeur  de  M.  Boyetet,  avait 
le  11,  et  Robin,  maréchal-ferrant,  le  13,  acquis 
en  1776  de  la  famille  de  Vigny,  qui  le  tenait 
du  trésorier  de  l'ordre  de  Saint-Louis,  M.  de 
Tourmont,  adjudicataire  en  1703.  Le  15  était 
à  M.  Gaqué,  secrétaire  du  roi.  Dans  ce  dernier 
immeuble  des  plaideurs  élisaient  naguère  domicile 
chez  IVP  Périn,  de  longue  date  avoué  à  la  cour. 
Prenant  économiquement  sa  femme  pour  maître- 
clerc,  sa  fille  pour  expéditionnaire  et  sa  bonne  pour 
saute-ruisseau,  il  n'en  était  pas  moins  de  première 
force  pour  émolumenter  et  déjeunait  souvent  dans 
les  grands  restaurants,  mais  touj.ours  h  titre  d'invité. 
On  connaissait  surtout  ce  gastronome  chez  Véfour, 
aux  Frères-Provençaux  et  au  calé  d'Aguesseau. 
Des  auteurs  et  des  acteurs  faisaient  partie  de  sa 
clientèle  d'amphytrions,  par  ce  qu'il  était  l'un 
des  deux  avoués  en  titre  du  Théâtre-Français. 

La  rue  de  la  Jussienne  qui  a  nombre  longtemps 
26  maisons,  n'en  a  plus  que  22  à  l'heure  qu'il 
est,  dont  quelques-unes  seulement  de  construction 
moderne.  Les  derniers  propriétaires  de  celles  qui 
ont  disparu  au  bout,  du  côté  gauche,  étaient  le 
susnommé  Caqué  et  le  roi  Louis  XVL  Néanmoins 
quelques  historiographes  attribuent  à  la  corpo- 
ration des  Drapiers  la  possession  de  l'ancienne 
chapelle  de  Sainte-Marie-l'Égyptienne,  située  à 
l'angle  de  la  rue  Montmartre.  Déjà  la  messe  s'y 


RUE  DE  LA  JUSSIENNE.  327 

disait  sous  Louis  IX;  mais  on  a  pu  croire 
indûment  que  ce  fut  une  chapelle  donnée  aux 
augustins  établis  près  de  là  au  milieu  du  xni^ 
siècle  et  dont  le  cimetière  confinait  effectivement  à 
Sainte-Marie-l'Égyptienne.  Ces  pères  vendirent  leur 
maison  ii  Guillaune  Lenormand  en  1290,  et, 
trois  ans  après,  Malifas,  évêque  de  Paris,  en 
transporta  la  propriété  à  Robert,  fils  du  comte 
de  Flandre.  Le  nom  de  la  rue  qui  nous  occupe 
vient  par  corruption  du  titre  de  la  chapelle, 
reconstruite  au  xiv«  siècle,  qui  devint  celle  des 
Drapiers,  communauté  primitivement  paroissienne 
de  Saint-Denis-de-la-Chàtre.  Les  six  corps  de 
marchands  de  l'antique  hanse  parisienne,  dits  d'abord 
les  marchands  par  eau,  étaient  les  Drapiers,  les 
Épiciers,  les  Merciers,  les  Fourreurs,  les  Bonnetiers 
et  les  Orfèvres.  Des  lettres-patentes  de  Henri  III 
ont  érigé  la  communauté  des  Marchands-de  vins 
en  septième  corps,  mais  qui  n'a  pu  se  faire 
reconnaître  par  les  six  autres  que  sous  le  dernier 
règne  de  l'ancienne  monarchie.  Une  autre  dévotion 
pai'ticulière  attirait  autrefois,  mais  une  à  une  et  en 
cachette,  dans  l'ori^oire  de  larue  de  la  Jussienne, 
les  jeunes  filles  qui  craignaient  d'être  enceintes. 
Souvent  une  prière  suffisait,  disait-on,  pour  que 
sainte  Marie-l'Égyptienne  fît  un  miracle  en  sens 
inverse  de  l'opération  du  Saint-Esprit.  Malheureuse- 
ment la  chapelle  fut  détruite  dans  les  premières 
années  de  la  Révolution. 


Rue   8aiiit*lS£iuveiir.  (i) 


L'Eglise.  —  Les  Agents-de-change .  —  Les  8  Veuves. 

—  Le  Jeu  de   Boules.  —  La  Claudine  de  Colletei. 

—  Julie    Berville    —  Le   Bout-du-Monde    et    le 
Cadran.   —   Le  Médecin    Chambo7i.  —  Vergier. 

—  jl/iie   Tiercelin. 

Sur  la  rue  Saint-Sauveur  se  profile  un  immeuble 
d'importance,  dont  la  principale  ouverture  est  rue 
Saint-Denis  et  dans  le  fond  duquel  s'exploite  un 
établissement  de  bains.  On  y  reconstruisait  déjà 
l'église  Saint-Sauveur,  démolie  en  1787,  quand 
la  Révolution  lit  suspendre  les  travaux,  qui  ne 
furent  repris  qu'en  vue  de  transformer  le  temple 
en  une  salle  de  spectacle  ;  puis,  ce  nouveau 
projet  ayant  été  abandonné  comme  le  premier, 
une  vente  nationale,  le  13  pluviôse  an  vni,  con- 
vertit l'édifice  public  en  un  bien  ^rivé.  Avant  même 
que  l'ancienne  église  fût  démolie,  on  avait  décidé  de 
l'agrandir  aux  dépens  de  plusieurs  maisons  dont 
la  fabrique  était  en  possession  rue  Saint-Sauveur, 
et  dans  l'une  desquelles  était  organisé  un  service 
portatif  :1e  bains  médicinaux,  qui  revenaient  à  3 
francs. 

Le  bureau  des  Changes  payait  également  loyer 
à  Saint-Sauveur  ;  aussi  bien  les  agents-de-change 
ne  manquaient  pas  dans  le  quartier.  Il  y  en 
avait  un  au  n°  6,  ainsi  que  le  bureau  des  rentes 
sur  les  huissiers-priseurs.  La  recette  desdécimes 
et  d'autres  impositions  était  centralisée  n°  1. 


(1)  Notice  écrite   en    18C1. 


RUE  SAINT-SAUVEUR.  329 

Un  asile  hospitalier  pour  8  femmes  veuves 
avait  été  fondé  ou  transféré  rue  Saint-Sauveur, 
entre  celle  des  Deux-Portes  et  celle  du  Petit- 
Carreau.  Très-possible,  par  conséquent,  que  ce 
fût  au  26  ou  au  28,  où  le  fermier-général  Letellier 
avait  eu,  sous  Louis  XIV,  un  locataire  qui  tenait 
un  jeu  de  boules. 

L'un  des  joueurs  ou  des  amateurs  jugeant 
des  coups,  dans  ce  boulingrin,  fut  Guillaume 
Colletet,  membre  originaire  de  l'Académie-Fran- 
çaise :  les  bourgeois  de  Paris  avaient  alors  la 
passion  du  jeu  de  boules.  Guillaume,  qui  demeurait 
vis-à-vis,  était  le  père  de  François  Colletet,  ce 
poète  crotté,  parasite  des  cuisines,  dont  la 
misère  f^iisait  rire  Boileau  ;  il  eut  plus  que  son 
fils  des  places  lucratives,  mais  il  ne  sut  pas  les 
conserver  mieux,  dans  le  désordre  de  ses  mœurs, 
que  des  terrains  qui  lui  appartenaient  aux  environs 
de  Paris.  Nous  croyons  même  qu'il  fut  propriétaire, 
avant  l'abbé  Colletet,  de  la  maison  qu'il  habitait. 
Des  trois  servantes  qu'il  épousa  l'une  après 
l'autre,  la  dernière  tournait  mieux  les  vers  que 
son  maître.  Une  fois  les  dames  rougirent  jusqu'aux 
oreilles,  dans  une  réunion  chez  Conrart,  de  cette 
question  indiscrète  que  leur  posait  Colletet  :  — 
Quand  nous  nous  réveillons  la  nuit,  Claudine  et 
moi,  que  pensez-vous  que  nous  fassions?....  Comme 
on  se  taisait,  il  répondit  lui-même  :  —  Mesdames, 
nous  lisons  YAstrée. 

Le  plus  grand  personnage  quand  même  de  la 
famille  Colletet  fut  inhumé  dans  l'église  Saint- 
Sauveur  en  1659.  Quelle  touchante  épitaphe  lui 
décernait  sa  veuve  ! 

Comme  je  vous  aimay  d'une    amour     sans    seconde 
Et  que  je  vous    Jouay    d'un    lai:ga^'e    assez   doux, 
Pour  ne   plus    rien  aimer   ny   rien  louer     au   monde 
J'ensevelis   mon   cœur   et   ii;a  plume  arec  vous. 


330  RUE  SAINT-SAUVEUR. 

,  Qui  aurait  alors  deviné  que  Claudine  serait  des 
plus  volages,  se  remarierait  mal,  en  boirait  comme 
un  templier,  pour  noyer  ses  chagrins,  en  arriverait 
même  à  mendier,  n'osant  plus  s'offrir,  et  crèverait 
en  état  d'ivresse  ! 

A  quelques  pas  de  l'abbé  Colletet,  un  Fer-à- 
Cheval  était  l'enseigne  du  sieur  Langlois,  fabricant 
de  buses  et  de  bois  d'éventails  curieux. 

Les  jolies  femnies  ont  eu,  dans  tous  les  temps, 
un  moyen  de  faire  fortune  qui  n'a  aucun  rapport 
avec  là  poésie.  Toutefois  la  rue  Saint-Sauveur, 
vers  la  fin  du  règne  de  M'^«  de  Pompadour,  vit 
une  charmante  personne  cruellement  déchoir  des 
espérances  que  lui  avaient  fait  concevoir  la  galan- 
terie d'un  M.  de  Famini  et  ses  15,000  livres  de 
rente.  Julie  Berville,  fille  d'un  marchand  de  , 
tableaux  de  la  rue  du  Bac,  avait  été  séduite  par 
cet  homme  de  condition,  qui  l'avait  emmenée 
chez  lui,  au  n''  12  ou  14  ;  trois  mois  après,  comme 
elle  était  enceinte,  le  suborneur  la  renvoyait,  en 
reprenant  ses  arrhes,  3,000  francs  de  bijoux,  pour 
les  remplacer  avec  économie  par  2o  louis,  que 
doubla,  il  est  vrai,  la  menace  d'un  procès,  mais 
tout-à-fait  pour  en  finir.  Julie,  après  ses  couches, 
songea  à  profiter  de  l'éducation  qu'elle  avait  reçue  ♦ 
et  s'exerça  à  la  déclamation  en  vue  de  la  Comédie- 
Française  ;  elle  profita  surtout  de  la  leçon  que 
lui  avait  donnée  M,  de  Famini,  en  montrant  moins 
de  confiance  et  plus  d'exigence  au  comte  de 
Martigny. 

En  revanche,  par  le  temps  qui  court,  les  jeux 
de  l'amour  et  du  hasard  sont  simplifiés  outre 
mesure  au  n"  59  de  la  rue,  dans  un  établissement 
à  la  tète  duquel  on  pouvait  s'étonner  de  voir 
il  y  a  vingt  ans  un  homme  décoré.  Le  65  en 
est  encore  jaloux.  Comme  bâtiments,  ces  deux 
maisons  sont  vieilles,  et  il  en  est  dans  la  rue 
Saint-Sauveur  qui  datent  du  xni"  siècle.  Seulement 


RUE    SAINT-SAUVEUR.  331 

on  appelait  rue  des  Egouts  en  4489,  rue  du  Bout- 
du-Monde  dans  les  siècles  suivants  et  dernièrement 
encore  rue  du  Cadran,  la  portion  qui  s'en  trouve 
entre  les  rues  Montorgueil  et  Montmartre. 

Un  fabricant  d'horloges  a  remplacé,  pendant  la 
grande  révolution,  par  un  Cadran,  qui  lui  servait 
d'enseigne,  et  qui  n'a  pas  encore  disparu,  l'enseigne 
du  Bout-du-Monde,  figurée  en  rébus  au  n"  93. 
M'"''  de  Lassure  était  propriétaire  de  la  maison, 
quelques  années  avant  cette  ostensible  modification. 
Mais  au  coin  de  la  rue  Montorgueil,  du  côté 
des  nu'.Tiéros  pairs,  l'enseigne  du  Bout-du- 
Monde  avait  été  portée  aussi  par  une  maison 
à  M"''  Chambon,  sœur  du  médecin  du  duo  de 
Vendôme.  La  propriété  contiguë  était  échue  h 
Chambon,  officier  du  roi,  membre  de  la  même 
famille.  Voltaire  cite  le  médecin  dans  ses  vers, 
en  y  faisant  donner  au  prince  de  Vendôme  un  conseil 
par  François  P'',  sur  une  matière  que  ce  roi  doit 
connaître  : 

Dites-lui   de  troquer    Chambon 
Contre   quelque   once   de  mercure. 

Un  poète  moins  connu,  Vergier,  qui  a  fait  des 
Contes  agréables,  était  assnssiné  au  coin  de  la 
rue  Montmartre,  dans  la  nuit  du  17  au  18  août 
1720  ;  le  chevalier  Le  Craqueur,  complice  de 
Cartouche,  se  reconnut  l'auteur  de  ce  crime, 
expié  avec  bien  d'autres  par  l'exécution  d'une 
sentence  qui  le  condamnait  h  être  rompu  vif,  le 
10  juin  1722.  Vergier,  inhumé  h  Saint-Sauveur, 
près  de  CoUetet,  près  des  acteurs  fameux  Gauthier- 
Garguille,  Gros-Guillaume,  Turlupin  et  Raymond 
Poisson,  avait  très-probablement    habité    la    rue. 

Même  vraisemblance  pour  la  famille  de  la  petite 
Tiercelin,  qu'enleva  dès  l'âge  de  11  ans  Lebel, 
pourvoyeur  principal  du  Parc-aux-Cerfs,    et    qui 


332  RUE   SAINT-SAUVEUR. 

fut  préparée  par  une  éducation  de  trois  années 
à  l'honneur  que  lui  réservait  Louis  XV.  Le  roi 
suivant,  outre  la  pension  de  30,000  livres  qu'il 
servait  de  retraite  à  la  belle,  attribuait  chaque 
année  deux  fois  autant  à  l'extinction  de  ses  dettes, 
qui  toutefois  s'élevaient  encore  à  300,000  livres 
en  1779,  sa  dernière  année  :  le  fils  qu'elle  laissait 
de  son  auguste  amant  avait  vu  le  jour  quinze 
ans  auparavant. 


Quai  de    la    Tourncllo.  (i) 


VHôtel   du   Pain.  —  Le    C*®   d'Artois.   —  Vhôtel 
de  Bar.  —  Le  Danseur  Blondi.  —  M.  de  Nesmond. 

—  M"""  de  Miramion  et  les  Miramiones.  —  M'"^-  de 
la  Sonne.  —  M"^^  de  Nesmond.  —  Le  Coche  de 
Fontainebleau.  —  La  Voiture  de  Montargis.  — 
La  Rue  devenue  Quai.  —  Les  Chantiers .  —  Le 
Président  Rolland.  —  La  Boite  à  Perrette.  — 
M.  de  Clermont- Tonnerre .  —  M.  Leroy  de  Saint- 
Arnaud.  —  Le  Port.  —  La  Porte  Saint-Bernard. 

—  Le  Château  de  la  Tournelle.  —  Le  3  Septembre 
1792. 

Non  loin  d'une  petite  rue  au  Pain,  qui  donnait 
rue  Traversine  et  rue  Saint-Victor,  l'iiôtel  du 
Pain  ne  se  trouvait-il  pas,  en  vérité,  des  mieux 
placés?  Il  s'élevait  même  sur  l'ancien  clos  de 
Garlande,  dont  une  portion  avait  été  donnée  en 
fief  par  l'abbé  de  Sainte-Geneviève,  sous  Philippe- 
Auguste,  à  la  femme  de  Matthieu  de  Montmorency. 
Plusieurs  membres  de  cette  famille  se  trouvèrent, 
comme  grands-panetiers  de  France,  investis  de  la 
maîtrise  impliquant  droit  de  justice  sur  la  boulan- 
gerie de  Paris  et  aussi,  pour  toutes  les  affaires 
concernant  la  discipline  et  les  statuts,  sur  toutes 
les  autres  communautés  de  boulangers  du  royaume. 
Mais  l'hôtel  dont  nous  vous  parlons  ne  fut  pas 
érigé  en  chef-lieu  de  celte  juridiction  par  un 
Montmorency.  Le  chapitre  de  Saint-Victor  avait 
cédé  à  l'abbaye  de  Tiron,  du  temps  de  saint  Louis, 
un  droit  de  cens  sur  le  terrain,  pareillement  grevé 

(1)  Notice  écrite  en  1864. 


S34  QUAI  DE  LA    TOURNELLE. 

au  profit  de  l'évêché  de  Paris,  et  la  maison  elle- 
même  avait  appartenu  aux  religieux  de  Tiron,  à 
l'évêque  de  Paris  et  ii  celui  d'Arras,  avant  de 
passer  h.  Robert  de  Mahaud,  grand-panetier  sous 
Philippe-le-Bel. 

Robert  III,  comte  d'Artois,  en  hérita  ;  mais, 
moins  heureux  dans  le  comté  d'Artois,  que  sa  tante 
Mahaud  avait  apporté  en  mariage  à  Othon,  comte 
de  Bourgogne,  il  perdit  contre  elle  un  procès  en 
revendication.  Comme  fiche  de  consolation,  cet 
époux  de  Jeanne  de  Valois,  fille  de  Charles  de 
France,  comte  de  Valois,  reçut  de  Philippe  VI, 
dont  il  soutenait  d'abord  les  droits  contre  les 
prétentions  du  roi  d'Angleterre,  la  terre  de  Beau- 
mont-Ie-Roger,  érigée  en  pairie.  Néanmoins  le 
plaideur  malheureux  revint  à  la  charge,  et  cette 
fois  il  produisit  des  pièces  dont  on  ne  tarda  pas 
h  reconnaître  la  fausseté.  On  l'accusait  en  même 
temps  d'avoir  empoisonné  sa  tante  et  d'avoir  voulu 
faire  assassiner  le  roi.  Il  se  déguisa  en  marchand 
pour  se  sauver  en  Angleterre,  où  Edouard  III  le 
reçut  h  mei-veille  ;  puis  il  débarqua  en  Bretagne, 
à  la  tête  de  10,000  hommes,  avec  les  titres  de 
comte  Richement  et  de  lieutenaiH  du  roi 
d'Angleterre,  pour  combattre  en  faveur  de  la  maison 
de  Mont  fort  contre  celle  de  Blois,  que  défendait 
Philippe  VI.  Des  suites  d'une  blessure,  en  1343, 
ce  comte  d'Artois  passait  de  vie  h.  trépas  ;  mais 
il  avait  eu  le  temps  de  faire  jurer  «  Edouard 
(qui  avait  déjà  repris,  à  son  instigation,  le  titre 
de  roi  de  France)  que  sa  mort  serait  vengée  : 
représailles  posthumes  qui  durèrent  un  siècle, 
malheureusement  pour  le  royaume  de  France  ! 

Le  comte  de  Boulogne,  sous  Charles  V,  disposait 
de  l'hôtel  du  Pain.  Les  ducs  de  Lorraine  en  firent 
l'hôtel  de  Bar,  dont  s'arrangèrent  les  ducs  de 
Montpensier,  puis  différents  particuliers,  au  nombre 
desquels  nous  remarquons  Despaisse,    avocat  du 


QUAI   DE   LA    TOURNELLE.  «35 

roi,  et  Blondi,  fameux  danseur  de  l'Opéra,  qui 
s'était  fait  connaître  dans  les  intermèdes  du  ré])ertoire 
de  Molière.  Sous  la  direction  de  ce  maître-de- 
ballet,  les  élèves  du  collège  Louis-le-Grand,  qui 
l'avaient  pour  maître  à  danser,  exécutèient  des 
ballets,  tels  que  V Empire  de  la  Sagesse,  dont  il 
avait  composé  les  danses  et  dans  lequel  il  jouait 
le  rôle  de  Minerve  le  7  août  1715.  Chef  d'école, 
il  interdisait  à  ses  élèves  l'étude  de  son  art  dans 
les  livres.  Est-ce  que  des  livres,  en  effet,  depuis 
le  traité  tout  spécial  dû  h  Thoinot  Arbeau,  chanoine 
de  Langres,  vers  1588,  jusqu'à  XEncyciopédie  de 
Diderot  et  de  d'Alembert,  ne  travestissent  pas  la 
chorégraphie  en  manière  de  science  algébrique  ? 
Des  lettres  de  l'alphabet  y  représentent  les  grâces 
comme  des  quantités. 

Mettons  x  pour  l'époque  à  laquelle  se  divisa 
l'hôtel  de  Bar,  où  se  trouvait  un  jeu  de  paume. 
Le  principal  corps-de-bâtiment  avait  été  restauré 
pour  François-Théodore  de  Nesmond,  président  à 
mortier,  surintendant  de  la  maison  du  prince  de 
Coridé.  Durant  la  Fronderie  ce  nouveau-venu  s'était 
montré  passablement  habile  dans  ses  négociations 
avec  les  l^arisiens,  au  nom  du  roi,  et  à  la  même 
époque  M""=  de  iVliramion,  qui  n'était  pas  encore 
sa  voisine,  avait  fait  preuve  du  plus  grand  dévoue- 
ment, en  pansant  des  blessures,  en  distribuant  des 
secours,  en  vendant  diamants  et  vaisselle  pour 
procurer  du  pain  aux  affamés. 

Fille  du  financier  Bonneau,  seigneur  de  Rubelles, 
et  de  Marie  d'Issy,  son  épouse.  M""'  de  Miramion 
s'était  vue  orpheline  h  15  ans  et  veuve,  dès  Tannée 
suivante,  du  magistrat  Beauharnais  de  Miramion, 
qui  la  laissait  enceinte  d'une  fille.  Elle  n'avait 
échappé  que  par  une  défense  héroïque,  deux  ans 
après,  h  un  autre  malheur  auquel  sa  beauté 
l'exposait.  Le  comte  de  Bussi-Rabutin,  comptant 
trop  sur  sa  bonne  i^iinc  pour  s'attendre  à    une 


336  QUAI  DB   LA  TOURNELLE. 

résistance  qui  ne  fût  pas  feinte,  avait  osé  faire 
enlever  la  jeune  veuve  à  la  faveur  des  premiers 
troubles  ;  mais  il  n'avait  pas  même  obtenu,  en  la 
gardant  enfermée  pendant  38  heures  au  château 
de  Launoy,  qu'elle  y  prît  la  moindre  nourriture. 
Une  délicatesse  relative,  plutôt  que  des  remords 
ou  des  craintes,  avait  fait  lâcher  prise  au  ravisseur, 
qui  ne  s'était  tiré  ni  sans  peine  ni  sans  frais  des 
poursuites  exercées  par  une  parenté,  à  laquelle 
n'était  pas  offert  ou  ne  convenait  pas  le  seul  genre 
de  réparation  usité  entre  gentilshommes.  Mais  la 
frayeur  avait  rendu  malade  l'héroïne  de  l'aventure, 
pour  quelque  temps  retirée  chez  les  sœurs  grises, 
et  depuis  elle  avait  fait  vœu  de  chasteté,  avant 
d'être  âgée  de  20  ans,  le  2  lévrier  1649.  Sa  fille 
épousa,  en  1661,  Guillaume  deNesmond,  successeur 
de  son    père  au  siège  présidentiel. 

La  conclusion  de  ce  mariage  donnait  à  M""^  de 
Miramion  la  liberté  de  fonder  personnellement 
une  petite  congrégation,  dite  la  Sainte-Famille, 
qui  ne  se  composait  encore  que  de  6  membres 
au  quartier  Saint-Antoine,  mais  qui  se  rapprocha 
avant  peu  de  Saint-Nicolas-du-Chardonnet.  Une 
autre  communauté,  sous  le  nom  des  filles  de 
Sainte-Geneviève,  avait  été  établie  moins  récemment 
par  Mi'^  Blosset,  à  l'angle  de  la  rue  des  Boulangers 
et  de  la  rue  des  Fossés-Saint-Viclor  (i).  Féret,  curé 
de  Saint-Nicolas,  était  le  supérieur  des  deux 
institutions,  et  l'on  ne  se  vouait  pas  moins  dans 
l'une  que  dans  l'autre,  sans  prise  d'habit,  à  la 
visite  des  malades,  h  la  préparation  des  médicaments 
et  à  la  tenue  des  petites  écoles.  La  fusion  s'opéra 
avec  tacilité.  M'"''  de  Miramion  avait  acquis  une 
maison  bâtie  ou  refaite  pour  Blartin,  riche  partisan, 
proche  l'hôtel  de  Nesmond,  et  une  maison  de 
campagne  â  Ivry  ;  elle  en  gratifia  la  communauté, 

(1)  Ajoutée  à  la  rue   du  Cardinal-Lemoine. 


QUAI  DE   LA  TOURNELLE.  837 

qui,  de  plus,  donna  d'une  propriété  contiguë  80,000 
livres  à  M.  de  Nesmond,  évêque  de  Bayeux,  et  à 
ladite  fondatrice.  Les  filles  de  Saint-Geneviève, 
en  devenant  miramiones,  continuaient  h  distribuer 
onguents,  emplâtres  et  julcps,  comme  ii  faire  pra- 
tiquer des  saignées  gratuilement  ;  mais  elles 
reçurent,  outre  des  enfants  pauvres,  de  jeunes 
pensionnaires  pour  lesquelles  on  payait  de  4  Ji 
500  livres  par  an.  Des  retraites  de  quelques  jours 
avaient  lieu  périodiquement  dans  la  maison  :  deux 
fois  par  année  pour  les  dames,  à  la  disposition 
desquelles  50  cellules  étaient  mises,  et  qualre  fois 
pour  les  femmes,  plus  nombreuses,  qui  y  prenaient 
pendant  les  jours  de  retraite  leur  nourriture,  sans 
la  payer,  mais  qui  retournaient  chez  elles  tous 
les  soirs,  fût-ce  t\  la  campagne,  pour  revenir  le 
lendemain  matin.  La  miramione  par  excellence  avait 
aussi  fondé  l'institution  du  Refuge  h  Sainte-Pélagie  ; 
de  plus,  le  séminaire  de  Saint-Nicolas-du-Char~ 
donnet  avait  participé  h  ses  libéralités.  Des  maisons 
religieuses  n'étaient  pas  seules  à  s'en  ressentir. 
Mais  il  faut  dire  que  M'"''  de  Maintenon  et  Louis  XIV, 
à  j'occasion,  s'associaient  aux  bonnes  œuvres  de 
la  supérieure.  Elle  avait  consolé  M'"<^  de  Monlespan 
et  Saint-Cyr  lui  était  ouvert,  un  jour  entre  autres 
où  l'on  y  jouait  Esther.  Un  autre  jour,  le  24  mars 
4696,  M""=  de  Sévigné  écrivait  à  M.  de  Coulange  : 
«  Pour  M'""  de  Miramion,  cette  mèrii  de  l'Église, 
ce  sera  une  perte  publique.  »  M"="'  de  Sévigné 
honorait  d'iiutant  plus  la  mémoire  de  cette  femme 
qu'elle  connaissait  à  fond  son  Bussi-Rabutin  ! 

Aux  Miramiones  a  demeuré  plus  tard  M"""  de  la 
Sonne,  née  Caron,  ancienne  maîtresse  du  comte 
de  Charolais.  Deux  filles  de  cette  dame  avaient 
été  reprises  par  la  famille  dudit  prince  du  sang  et 
légitimées  MM"*''  de  Bourbon;  elles  étaient  alors  à 
marier.  L'hôtel  qu'avait  eu  la  mère  dans  le  haut  du 
faubourg  Poissonnière  faisait  lui-même  pénitence, 


t38  QUAI  DE  LA  TOURNELLE. 

converti  en  une    maison  de  correction  pour  des 
femmes  mariées. 

Mais  revenons  àM""^  de  Nesmond.  Elle  eut  moins 
d'esprit  que  sa  mère,  M'"'=  de  Miramion,  mais 
plus  de  vanité.  C'est  la  première  femme  de  magistrat 
qui  fiL  graver  en  lettres  d'or  le  nom  de  son  mari 
sur  une  porte,  où  aujourd'hui  encore  nous  lisons  : 
Hôtel  ci-devant  de  Nesmond.  Le  temps  ne  manqua 
pas  à  cette  présidente  pour  tourner  ii  la  dévotion  ; 
elle  mourut,  en  effet,  centenaire  et  directrice  en 
titre  des  séminaire  et  communauté  des  sœurs 
hospitalières  de  la  Providence,  rue  de  l'Arbalète. 
La  direction  de  la  Salubrité  occupait  encore  son 
ancien  hôtel  au  commencem.ent  du  présent  règne, 
et  l'on  ne  prépare  que  plus  en  grand  de  quoi 
faire  des  potions  et  des  emplâtres  dans  l'ancien 
local  des  miramiones,  devenu  Pharmacie  centrale 
des  Hôpitaux. 

Du  vivant  de  la  fondatrice  des  Miramiones,  le 
bureau  du  coche  pour  Fontainebleau,^  service  qui 
se  faisait  par  eau,  était  à  la  Croix-Blanche,  sur 
le  port  de  la  Touriielle.  Ce  port  se  distinguait 
de  la  rue  de  la  Tournelle,  où,  pour  aller  à  Montargi^j 
on  montait  en  voiture  à  l'enseigne  de  la  Corne, 
devant  la  rue  de  Bièvre.  Il  fallut  abattre,  en 
1738,  trois  des  maisons  de  la  rue  du  Pavé-Saint- 
Bernard  ou  de  la  Tournelle,  qui  elle  même  en 
prolongeait  une  des  Grands-Degrés,  pour  que  les 
tilles  de  Sainte-Geneviève  demeurassent  réellement 
au  quai  de  la  Tournelle,  autrement  dit  des  Mira- 
miones, antérieurement  port  Saint-Bernard.  C'est 
encore  sur  la  rue  des  Grands-Degrés  que  donnait 
à  ladite  date  une  maison,  avec  la  Tournelle  pour 
enseigne,  et  elle  appartenait  à  Lecamus,  ancien 
major  des  gardes  de  la  Ville,  qui  succédait  à 
Passart,  maître-des-comptes,  et  précédait  le  cheva- 
lier de  Creil,  le  marchand  de  vins  Bonnet,  le 
rôtisseur  Cormiolle;   cette  maison  était  pourtant 


QUAI  DE  LA   TOURNELLE.  339 

située  entre  les  rues  de  Bièvre  et  des  Bernardins, 
vis-à-vis  les  grands  degrés  et  à  CÔté  d'une  maison 
à  Lavit,  marchand  de  chevaux.  La  rue  de  la  Tournelle 
finissait  au  coin  de  la  rue  des  Bernardins,  qui  devait 
sa  dénomination,  ainsi  que  la  porte  Saint-Bernard, 
au  collège  des  Bernardins. 

Et  notre  quai,  trente  ans  après,  était  encore 
bordé  de  il  chantiers  à  ces  enseignes  : 

Aux  Ar-nesde^France,  au  Cardinal-Lemoiae,  à  Saint- 
Nicolas,  à  la  ('roix-d'Or,  à  la  Boule-Blanche,  à  la  Croix- 
d'Argenl,  à  l'Étoile,  au  Soieil-d'Or,  au  Grand-Chantier, 
à  la  Grande-Forêt,  à  la  Maison-Blanche,  au  Cadran-Bleu, 
k  la  Fleiir-de-Lys,  à  la  Maison-Kouge,  aux  Armes- 
d'Orléans. 

Le  président  Rolland,  dont  l'ancienne  résidence 
est  désignée  par  une  inscription,  s'appelait  aussi 
d'Erceville.  Grand  ennemi  des  jésuites,  il  ne  se 
contenta  pas  de  coopérer  chaudement  à  leur 
proscription  ;  il  s'attacha  ensuite  à  les  flétrir, 
comme  il  les  avait  combattus,  et  publia  un  Plan 
d'études  essentiellement  janséniste.  Le  parlement, 
en  s'emparant  alors  de  l'instruction  publique,  ne 
se  faisait  encore  aucune  idée  du  coup  d'État 
qui  allait  renouveler  le  parlement.  Nul  aussi  bien 
que  Rolland  n'avait  poussé  à  la  suppi^ession  des 
petits  collèges  ;  il  fit  donc  partie  du  cortège  qui 
les  enterrait  décemment.  Le  bureau  d'administration 
de  leur  temporel  se  composait  ainsi  : 

M-  de  la  Roche-Aiinou,  prince  du  sang,  premier 
duc  el  pair,  archevêque  de  Reims,  grand-aumônier  de 
France  et,  en  cette  dernière  qualité,  président  du 
bureau  ;  l'abbé  Terray  ;  le  président  Rolland  :  Roussel 
de  la  Tour;  Cochin  ;  de  Samfray  ;  l'abbé  Valette; 
l'abbé  Legros  ;  Poau  Lempereur  ;  l'abbé  Fourneau, 
grand-maître  temporel  ;  Lecamus  de  Mézières?  architecte 
du  bureau. 

Rolland  fut  disgracié,  avec  tous  ses  collègues 


34t  QUAI  DE  LA  TOURNELLE. 

du  parlement,  en  1771,  et  il  ne  reprit  ses 
fonctions  qu'après  le  règne  de  Louis  XV.  Mais 
il  ne  savait  plus  h  quel  jésuite  s'en  prendre 
d'une  autre  disgrâce  qui  fondit  sur  sa  tête.  Un 
oncle  qu'il  venait  de  perdre,  M.  Rouillé  des 
Filletières,  au  lieu  de  confier  à  sa  garde  la 
Boite  à  Perretie,  trésor  commun  du  parti  janséniste, 
dont  il  était  dépositaire,  avait  légué  ce  dépôt, 
par  testament,  à  d'autres  personnes  zélées  pour 
la  même  cause.  Le  président  attaqua  le  testament, 
et  s'il  avait  gagné  à  ce  jeu-là,  sa  qualité  de 
magistrat  l'eût  fait  soupçonner  de  piperie  ;  heureu- 
sement il  perdit  la  partie.  La  bonne  veine  lui 
revint  encore  moins  devant  le  plus  impitoyable 
des  tribunaux,  en  1794.  L'hôtel  Rolland  était 
Bouffret,  huit  années  avant  cette  échéance. 

Un  Clermont-Tonnerre  occupait  alors,  sur  le 
même  quai,  une  maison  dessinée  par  Gabriel 
Leduc  et  que  naguère  habitait  un  sénateur,  frère 
du  maréchal  Saint-Arnaud  :  le  n°  27.  A  quelques 
pas  Brazier  aurait  fondé  une  maison  de  commerce 
pour  les  vins  en  1711,  d'après  l'inscription  en 
évidence  sur  la  devanture  du  successeur  actuel. 
Un  demi-siècle  après,  maître  Henri,  greffier  en  chef 
de  la  chambre-des-comptes,  avait  certainement 
ses  commis  au  21.  L'embarcadère  du  coche  de 
Fontainebleau  se  maintenait  près  de  là  ;  mais 
le  service  n'avait  lieu  que  pendant  le  séjour  de 
la  cour  en  cette  résidence  royale,  et  l'on  donnait, 
pour  faire  le  trajet  en  douze  heures,  2  livres  10 
sols.  Un  autre  bureau  encore  percevait,  mais  du 
côté  des  Miramiones,  les  droits  de  la  ferme- 
générale  sur  les  ardoises,  tuiles  et  briques,  à 
mesure  quelles  se  débitaient  vis-à-vis,  sur  le 
port  aux  Tuiles,  anciennement  dit  aux  Mulets, 
où  se  déchargeaient  pareillement  des  poires,  des 
pommes,  des  marrons  et  autres  fruits  du  Gâtinais. 
La  Halle-au-Vin,  que  remplace  un  entrepôt  beau- 


QUAI  DE  LA  TOURNELLK.  341 

coup  plus  vaste,  se  trouvait  au-delà  de  la  Tournelle 
et  de  la  porte  Saint-Bernard. 

Cette  ancienne  porte  de  la  ville  était  rhabillée 
par  Blondel,  pour  passer  à  l'état  de  petit  arc-de- 
triomphe  en  commémoration  de  ce  que  Louis  XIV 
venait  de  supprimer  un  impôt  sur  les  marchandises 
qui  arrivaient  de  ce  côté.  La  Tournelle,  qui  était 
tout  près,  avait  dépendu  également  de  l'enceinte 
de  Philippe-Auguste  et  défendu  le  passage  de  la 
rivière.  Vincent  de  Paul  obtint  que  les  galériens, 
au  lieu  d'attendre  à  la  Conciergerie  le  départ  d'une 
chaîne,  fussent  placés  au  fort  de  la  Tournelle,  où 
des  secours  spirituels  et  temporels  leur  étaient  affec- 
tés par  le  donateur  anonyme  d'une  rente  rie  6,000 
livres.  Déjà  un  dépôt  de  ce  genre  avait  été  établi 
près  de  Saint-Roch,  dans  une  maison  louée  par 
Vincent-de-Paul,  avant  que  le  transport  en  eût 
Ueu  dans  ce  château  fortifié.  Le  départ  des 
chaînes  pour  Brest,  Rochefort,  Marseille  et  Toulon 
ne  s'effectuait  pas  plus  de  deux  fois  par  an,  le 
25  mai  et  le  10  septembre.  La  chapelle  du 
fort  était  d'abord  desservie  par  la  congrégation 
de  Saint-Lazare,  que  remplaça  en  1634  le  curé 
de  Saint-Nicolas,  mais  toujours  avec  le  concours 
de  Vincent.  L'administration  du  temporel  se  trou- 
vait dans  les  attributions  du  procureur-général  ; 
la  nominiition  du  concierge  regardait  le  secrétaire 
d'État  qui  avait  la  marine  dans  son  département. 
Comme  la  fausse  porte  Saint-Bernard  et  la  Tournelle 
n'existaient  déjà  plus  au  commencement  de  la 
Révolution,  les  condamnés  aux  fers  furent  placés 
dans  le  ci-devant  couvent  des  Bernardins.  Ils  y 
étaient  au  nombre  de  73  le  jour  où  les  septem- 
briseurs n'en  laissèrent  échapper  que  3. 


%i 


Rue    8aint-iLoiiis, 

NAGUÈRE 

Saiiit-L<ouis«eii-iL<^ile.    (i) 


Vile  au  Moyen-Age.  —  (^.hristophe  Marie,  —  Le 
Chapitre.  —  Les  Marchands  de  Foin.  —  Les 
Fermiers.  —  L'Enquête.  —  Les  Ponts  et  les  Quais. 

—  Poulletier   et  Le  Regrattier.  —  La.  Seigneurie. 

—  Jean  de  Lagrange.  -;—  Le  Syndicat.  —  Le 
Chien  de  Montargis.  —  U Église.  —  Les  Hôtels  et 
les  Maisons.  —  Charles  de  Vains.  —  Les  Par- 
cheminiers. — M'^^  de  Villetaneuse .  —  Bulliard. 

—  Le  Général  Charton.  —  La  Révolution.  —  Le 
Prince  Czartoriski.  —  U  Archevêque    de    Paris. 

Alors  qu'on  se  rendait  du  quartier  de  la  Tour- 
nelle  au  quartier  Saint-Paul  en  passant  l'eau,  on 
relâchait  ordinairement  dans  l'une  des  deux  îles 
dont  la  réunion  forme  celle  Saint-Louis.  C'en  était 
fait  d'un  pont  de  bois  que  le  xive  siècle  y  avait 
jeté.  Les  deux  bras  de  la  Seine,  qui  plus  est, 
n'avaient-ils  pas  porté  une  double  chaîne,  en 
guise  de  bracelets  ?  Cette  barrière  de  la  ville  en 
pleine  eau  faisait  ressembler  la  future  île  Saint- 
Louis  à  un  forçat,  avant  que  les  galériens  ne 
fussent  encore  au  fort  de  la  Tournelle.  Une  cein- 
ture de  peupliers  y  bordait  presque  entièrement 
la  terre  ferme  au  moyen-âge  et  il  arrivait  d'y 
donner  des  fêtes  publiques.  Elle  se  laissa  embrasser, 
après  cela,  par  un  double  pont,  que  noble  homme 


(1)  Notice   écrite   en    1864.  La   rue  qu'elle   concerne  a 
perdu  depuis   ses  quatre   ou    cinq   dernières   maisons. 


RUE   SAINT-LOUIS,    ETC.  343 

Christophe  Marie,  bourgeois  de  Paris,  s'était 
engagé  à  bâtir,  d'après  un  contrat  en  date  du  16 
mai  1614.  ('et  acte,  signé  par  Nicolas  Brûla rt  de 
Sillery,  chancelier  de  France,  y  stipulant  pour  le 
roi  avec  l'assistance  de  Guillaume  de  Laubespine, 
Pierre  Jeannin,  Gilles  de  Maupeou,  Isaac  Arnauld 
et  Louis  Doile,  membres  des  conseils  d'État  et 
privé,  concédait  le  terrain  ii\sulaire  à  Christophe 
Marie,  qui  devait  le  couvrir  de  quais,  de  rues 
et  de  maisons  :  les  deux  îles  à  réunir  s'appelaient 
Notre-Dame  et  aux  Vaches.  Mais  les  chanoines  de 
la  cathédrale  y  exerçant  de  longue  date  des  droits 
aussi  difficiles  à  récuser  qu'à  déterminer,  on  ne 
pouvait,  sans  compter  avec  eux,  envoyer  le  con- 
cessionnaire en  possession.  Le  chapitre  résistait, 
d'ailleurs,  à  l'exécution  du  contrat  sous  le  prétexte 
que  la  sûreté  de  l'église  métropolitaine  et  de  l'hôtel 
épiscopal,  h  l'extrémité  de  l'île  delà  Cité,  se  trou- 
verait compromise  par  les  constructions  nombreuses 
qu'on  se  proposait  d'élever  dans  l'île  Notre-Dame. 
Cette  considération  seule,  à  ce  que  disaient  les  cha- 
noines, leur  avait  fait  refuser  précédemment  50,000 
écus  et  800  livres  de  rente,  offres  du  sieur  Carel,  qui 
les  avait  déjà  livrés  en  pure  perte  à  la  tentation 
d'aliéner  les  mêmes  terrains.  On  leur  opposait 
toutefois,  à  juste  titre,  que  dès  le  5  février  1542, 
aux  termes  d'une  conclusion  capitulaire,  le  chanoine 
Desvoisins  avait  été  chargé  de  solliciter  l'interven- 
tion de  M.  de  Paris  à  l'elfet  d'obtenir  du  roi,  en 
faveur  du  chapitre,  la  pei-mission  de  transformer 
l'île  Notre-Dame  en  un  nouveau  quartier  de  Paris. 

Le  fait  est  que  la  possession  capitulaire,  tout 
en  paraissant  remonter  à  l'année  867,  avait  été 
troublée  par  le  corps  de  Ville  à  différentes  dates  : 
1304,  1462,  1473,  1557.  Louis  XI  avait  reconnu 
aux  chanoines  le  droit  de  confisquer,  sur  le 
territoire  insulaire,  le  foin  qu'on  y  débarquait  pour 
le   faire    sécher    au   soleil  ;  la  prévôté  de  Paris, 


344  RUE   SAINT-LOUIS, 

malgré  cela,  permettait  aux  marchands  d'en  étaler 
et  d'en  botteler,  }3ar  sentence  du  4  janvier  1609. 
Cette  sentence  était  confirmée  le  30  juillet  suivant 
par  un  arrêt,  qui  condamnait  le  chapitre  à  souffrir 
celte  servitude  d'usage  sur  un  espace  où,  de  tout 
temps,  avaient  abordé  et  stationné  les  mariniers 
de  la  Seine.  Comment  le  fermier  du  chapitre  y 
trouvait-il  son  compte?  Il  tenait,  le  plus  souvent 
lui-même,  un  cabaret,  pour  abriter  au  frais  maints 
promeneurs,  qui  débarquaient  si  librement  !  Bail 
avait  été  fait  au  mois  de  janvier  io91,  tant  pour 
l'île  Notre-Dame  que  pour  celle  aux  Vaches,  h 
Jacques  Guchery,  commis  de  barrière;  mais,  comme 
il  y  avait  déji'i  plus  d'une  maison  ou  maisonnette 
de  construite,  la  division  était  probable.  Ledit 
fermier  avait  eu  pour  prédécesseurs  : 

Jehan  Lehoux,  marchand  boucher  ;  Mathurin  Perrotet, 
charretier  ;  Nicolas  Baullard,  lequel  payait  25  lirres 
tournois  par  an,  de  15G1  à  1570  ;  Etienne  Mutet,  dont 
le  loyer  courait  ^ur  le  même  pied,  depuis  1559  ;  Etienne 
Pinot,  manouvrier  :  30  livres  ;  Etienuette  Desnoyers, 
veuve  de  Guillaume  de  la  Perrelle,  sous  le  règne  de 
François  I"  ;  Sanson  Luillier,  marronnier  (c'est-à-dire 
pêcheur  sans  permission)  :  14  livres  en  1513,  10  en 
1509,  et  Jean   Blondel,   8   livres,     même  année. 

L'enquête  de  commodo  vel  incommodo  avait  soulevé 
d'autres  dificultés  encore  que  l'opposition  du 
chapitre.  Des  objections  formulées  après  expertise 
avaient  motivé,  dès  l'année  1611,  un  avis  tout-à-fait 
contraire  au  projet  ;  mais  ensuite  d'autres  experts 
s'étaient  prononcés  pour.  En  ce  temps-là,  avant 
d'ouvrir  une  rue  ou  delà  fermer,  comme  on  réfléchis- 
sait mûrement,  comme  on  délibérait  libéralement  ! 
Prévôt,  échevins,  trésoriers-généraux,  maîtres-ès- 
œuvres  des  Bâtiments-du-Roi  et  de  la  Ville  s'étaient 
déjà  transportés  sur  les  lieux,  en  compagnie  de 
marchands  et  de  voituriers,  ayant  tous  voix  con- 


NAGUÈRE  SAINT-LOUIS-EN-LTLE.  345 

sultative,  avant  qu'on  déterminât  exactement 
l'emplacement  des  deux  ponts  ;  une  visite  nouvelle 
y  ramenait  dix  notables,  marchands  et  bourgeois, 
en  présence  des  mêmes  édiles,  et  c'est  alors  que 
le  procès-verbal  s'exprimait  ainsi  : 

«<  Tous  unanismement  ont  esté  d'asvis  de  laditte 
couslruction  dudit  pont,  comme  ne  se  pouvant  faire 
œuvre  plus  publique  et  plus  nécessaire  pour  Ja  com- 
modité de  tout  le  peuple  et  bien  de  ladite  ville, 
pourveù  que  lesdits  pilliers  fussent  de  pierre»  et  de 
bonnes  étoffes.  » 

Jusque-là  il  n'était  question  que  d'un  double 
pont  de  bois,  en  vue  duquel  on  avait  déjà  fait 
des  études  et  des  commandes.  Le  bureau  de  la 
Ville  avait  octroyé  à  Marie,  le  7  janvier  1613, 
la  maîtrise  dudit  pont,  avec  autorisation  d'y  élever 
des  maisons  comme  dans  les  deux  îles.  De  plus, 
il  pouvait  être  établi  six  moulins  à  eau,  des  étuves, 
des  bains  et  un  jeu  de  paume  par  l'adjudicataire 
privilégié.  Mais  ces  concessions  et  d'autres,  qu'il 
avait  aussi  obtenues,  ne  permirent  pas  aux  travaux 
de  s'achever  dans  le  laps  fixé  par  lui-même  à 
six  années.  Louis  XIII  et  la  reine-mère  posaient 
la  première  pierre  du  pont  Marie  avant  la  fin  de 
1614  ;  puis  les  échafaudages  du  pont  de  la  Tournelle 
firent  pendant  à  ceux  du  pont  Marie,  et  quant  à 
la  passerelle  en  bois  que,  dès  1617,  on  se  disposait 
à  jeter  sur  la  Cité,  elle  eut  beau  se  faire  lentement, 
le  procès  intenté  par  les  chanoines  voisins  n'aboutit 
que  plus  tard  encore. 

PouUetier,  secrétaire  de  la  Chambre  du  roi, 
n'était  devenu  l'associé  de  Marie  qu'après  s'être 
chargé,  dès  l'année  1611,  de  la  fourniture  des  bois 
nécessaires  à  l'entreprise  ;  les  désordres  de  la  guerre 
civile  avaient  fait  perdre  les  deux-tiers  de  4,600 
pieds  de  chêne,  achetés  par  lui  sur  la  frontière 
picarde  18,500  livres,  et  le  reste  n'arrivait  à  bon 


346  RUE  SAINT-LOUIS, 

port  qu'au  moment  où  l'on  exigeait  des  pierres  de 
taille  à  la  place  de  bois.  Mauvais  début  pour  la 
grande  entreprise,  dans  laquelle  Le  Regrattier 
s'était  également  intéressé  ! 

Le  chapitre,  de  son  côté,  forme  opposition  à  la 
poursuite  des  travaux,  en  1616,  et  puis  croyez- 
vous  qu'il  se  tienne,  quoique  débouté,  pour  battu  ? 
On  lui  présente  encore,  l'année  suivante,  un  projet 
qui  convertirait  l'île  Notre-Dame,  si  elle  retombait 
sous  sa  coupe,  en  un  vaste  magasin  pour  la  Ville  ! 
Un  arrêt  du  conseil-d'État  décide,  en  1618,  que 
les  chanoines  jouiront  de  1,200  livres  de  rente 
sur  le  domaine  de  Paris,  et  qu'ils  rentreront  dans 
tous  leurs  droits  de  cens,  lods  et  ventes,  après 
les  60  ans  de  jouissance  accordés  aux  entrepre- 
neurs. Ceux-ci,  quelques  années  après,  interrompent 
les  travaux,  faute  d'argent  et  de  crédit  ;  les  com- 
missaires du  roi  mettent  en  leur  lieu  et  place 
Jean  de  Lagrange,  secrétaire  du  roi,  et  le  chapitre 
offre  aussi,  mais  trop  tard,  d'achever  l'entreprise 
aux  mêmes  conditions.  L'impulsion  rendue  aux 
travaux  par  le  nouvel  adjudicataire  est  keureuse 
pour  quelque  temps  ;  mais  les  autres  se  plaignent 
si  fort  d'avoir  été  mis  à  l'écart  au  moment  le 
plus  favorable,  qu'ils  finissent  par  reprendre  le 
dessus.  Tous  les  propriétaires  des  terrains  in- 
sulaires sont  condamnés  à  payer  aux  entrepreneurs 
ce  dont  il  sont  encore  débiteurs  tant  sur  leur 
prix  d'acquisition  que  de  surcens,  etc.  Mais  les 
chanoines,  d'autre  part,  obtiennent  50,000  livres 
à  titre  d'indemnité,  plus  7,000  pour  les  frais,  et 
lesdits  propriétaires  acquittent  cette  contribution 
à  raison  de  3  livres  par  toise  ;  des  lettres-patentes 
transfèrent  même  au  chapitre  les  droits  réservés 
au  roi  par  le  cahier  des  charges  contre  Marie, 
Lagrange  et  consorts.  De  plus,  la  justice  des 
chanoines  est  reconnue  dans  ce  quartier  tout  neuf, 
où  il  est  défendu  aux  lieutenant-civil  et  ofticiers 


NAGUERE  SAINT-LOUIS- EN-L'ILE,  347 

du  Châtelet  d'empiéter  sur  la  juridiction  du  bailli 
de  la  barre  capilulaire,  et  à  la  même  seigneurie 
sont  reconnus  revenir  les  droits  de  censive,  qui 
ne  feront  retour  au  roi  qu'au  l"  janvier  1584. 
Là  finit  un  antagonisme,  mais  qui  l'ait  place  nette 
à  un  autre.  Les  insulaires,  mécontents  du  peu 
de  solidité  des  ponts  et  des  négligences  qui 
retardent  la  formation  définitive  des  quais,  adres- 
sent, le  9  janvier  1643,  une  requête  aux  commis- 
saires du  roi,  pour  se  débarrasser  enfin  d'une 
administration  qui  ne  vise  qu'à  se  perpétuer.  Cette 
levée  de  boucliers  est  due  à  l'initiative  de  Denis 
Hébert,  maître-couvreur,  que  Poulletier  a  fait 
déguerpir  tout  récemment  d'une  place  mal  acquise, 
et  ce  dernier,  en  ripostant,  énumère  ainsi  les 
compères  du  principal  plaignant  : 

Guillaume  Je  père,  naguère  receveur  du  domaine  de 
Paris,  auquel  est  réclamée  judiciairement  une  place, 
évaluée  lô.OOO  livres,  en  échange  de  laquelle  il  n'a 
donné  à  Lagrange  qu'un  office  de  sergent  au  Châtelet, 
en  valant  80O  ;  —  Simon  Huguet,  procureur  à  la  chambre 
des  Comptes,  qui  redoute  les  mêmes  recherches,  pour 
un  loi  de  24,000  livres,  paye  ainsi  la  moitié  de  son  prix  ; 
—  Antoine  Lemaire,  procureur  au  Châtelet,  dont  les 
230  toises,  achetées  5S  livres  la  toise,  devraient  être 
cotées  trois  fois  autant;  —  Pierre  Lemercier,  confrère 
de  Lemarié,  contre  lequel  s'exercent  des  poursuites 
à  fin  de  restitution  des  pièces  de  criée  relatives  à  un 
autre  lot  ;  —  enfin  Michel  Guillaume,  marchand,  de 
qui  il  a  fallu  arracher,  par  le  moyen  Piirêine  d'une 
prise  de  corps,  le  prix  de  11  toises,  généralement  estimées 
le  double   de    ce  prix   convenu. 

Les  récriminations  de  maître  Poulletier  à 
rencontre  de  tels  plaignants  ne  les  empêchent  pas 
d'obtenir  gain  de  cause.  En  conséquence,  les 
intérêts  communs  des  propriétaires  de  l'île  sont 
confiés  à  leur  propre  gestion  par  la  création  de 


348  RUE  SAINT-LOUIS, 

leur  syndicat,  bien  que  celui  ci  date,  ou  peu  s'en 
faut,  du  moment  où  Claude  Dublet,  maître- 
charpentier,  passe  adjudicataire  des  travaux  qui 
restent  à  faire  et  titulaire  de  12  ëtaux  de  boucherie, 
en  remplacement  de  Lagrange.  Les  réunions 
syndicales  ont  lieu  à  l'hôtel  Bretonvilliers,  où  le 
prince  Emmanuel  de  Portugal  ne  donne  pas  encore 
de  bal  masqué,  avec  feu  d'artifice  tiré  sur  la 
rivière.  Tous  les  propriétaires  de  l'île  ont  été 
condamnés  en  1638  à  payer  aux  entrepreneurs  ce 
qu'ils  devaient  encore.  Parmi  ces  consorts  du 
financier  Le  Ragois  de  Bretonvilliers  figurent  : 

Simon  Hugues,  qui  est  ou  sera  syndic  ;  Philippe  de 
Champagne,  le  grand  peintre  ;  Gaillardon,  intendant 
de  Franche-Comté  ;  l'abbé  Fortia  ;  M.  Meiland,  conseiller 
au  parlemenl;  Lauzun,  le  Lauzun  du  grand  règne;  le 
marquis  de  Richeiieu  ;  Lambert  de  Thorigny,  président 
au  parlement,  pour  qui  Levau  a  dessiné  le  superbe  hôtel 
Lambert;  Charron,  nom  de  famille  illustré  par  le  livre 
De  la  Sagesse  et  à  la  tête  de  l'édilité  parisienne  ;  de 
Jassaud,  magistrat;  Jacques  Pichon,  maître-tailleur 
d'habits  et  ancêtre  du  JB""  Pichon  ;  M,  de  Choisy  ; 
M.  Hesselin  et  ses  deux  voisins,  M.  d'Astry,  M.  Sainctot  ; 
Nicolas  Delaistre,  ancien  échevin  ;  Claude  Chariot, 
secrétaire  du  roi  ;  de  Coulanges,  abbé  de  Livry  ;  Le 
Bossu  Le  Jau,  maître-des-comptes,  qui  a  eu  pour 
prédécesseurs  un  autre  Le  Jau  et  Saiomon  de  Caux 
(nom  bien  pareil  à  celui  d'un  des  inventeurs  de  la  vapeur, 
décédé  en  l'année  16î6)  ;  Archambault,  valet-de-chambre 
du  roi;  maître  Jean  de  la  Grange,   sieur  de  Saint-Evroul. 

Nicolas  Lejeune,  couvreur,  passe  pour  avoir 
habité  l'île  dès  le  règne  de  Henri  IV.  Qui  sait 
même  si  la  maison  unique  dont  le  chapitre  fit 
abandon,  en  touchant  son  indemnité  de  50,000 
livres,  ne  remontait  pas  à  l'époque  du  célèbre  duel 
judiciaire  dans  lequel  le  chien  de  Montargis  vainquit 
l'assassin  de  son  maître?  Ladite  maison,  à  notre 


NAGUERE    SAINT-LOUIS-EN-L'ILE.  349 

sens,  est  celle  qui  porte  rue  Saint-Louis  le  n"  66. 
On  y  désigne  la  cage  d'un  escalier  ii  vis  comme 
ancienne  tourelle  de  Marguerite  de  Bourgogne  ; 
mais  la  seule  tour  qu'ait  connue  assurément  cette 
reine,  en  ladite  île,  s'appelait  Loriot,  et,  puisqu'une 
chaîne  la  rattachait  par  eau  à  la  Tournelle  et  à 
la  tour  de  Billy,  il  nous  semble  qu'elle  aurait  été 
mieux  placée  à  celle  des  deux  pointes  de  File  où 
de  nos  jours  conmaence  l'ordre  numérique  de  la 
rue.  Là  elle  aurait  fait  place  à  l'une  des  deux 
terrasses  des  hôtels  Bretonvilliers  et  Lambert,  dont 
nous  parlons  en  d'autres  notices.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Nicolas  Lejeune  a  érigé,  sous  l'invocation 
de  Notre-Dame,  une  chapelle  qui  est  devenue  l'église 
Saint-Louis.  En  même  temps  qu'elle,  l'île  a  changé 
de  nom,  autrement  dit  en  1664.  Mais  la  rue  Saint- 
Louis-en-l'Ile  avait  été  rue  Palatine  du  côté  des 
deux  grands  hôtels  et  rue  Carel  du  côté  le  plus 
voisin  de  la  Cité,  puis  rue  Marie  d'un  bout  à  l'autre 
pendant  dix  ans. 

Alors  que  les  premiers  numéros  impairs  de  cette 
rue  étaient  occupés  presque  tous  par  Le  Ragois, 
et  les  premiers  numéros  par  Lambert,  l'hôtel 
Galard  se  présentait  à  droite,  contigu  aux  derrières 
de  l'hôtel  Meiland,  qui  tenaient  le  premier  angle 
de  la  rue  Poullelier,  et  en  face  des  dépendances 
de  l'hôtel  d'Astry.  Derrière  l'église  résidaient 
M.  Hesselin  et  M.  Sainctot  ;  vis-ii-vis  étaient  établies 
des  sœurs  de  Charité.  Le  président  d'Aigremulle 
demeurait  au-dessous  de  l'église  ;  Delanoue,  un 
peu  plus  loin  ;  l'avocat  Guillaume,  plus  loin  encore  ; 
Desjardins,  greffier  du  tribunal,  vers  le  69  :  le 
procureur-général,  aux  71  et  73  ;  M.  de  Saint-Gilles, 
au  80  ;  un  Mole  aux  84  et  86  ;  Sévin,  magistrat,  au 
88,  et  Durand,  maître-des-comptes,  au  92.  En  ce 
temps-là  des  Lefèvre  d'Ormesson  étaient  proprié- 
taires, en  la  même  rue,  de  trois  maisons  qui  se 
suivaient. 


150  RUE   SAINT-LOUIS,    . 

L'une  d'elles,  n"  52,  fut  habitée  postérieurement 
par  un  savant,  Charles  de  Valois  de  Lamarre, 
antiquaire  du  roi  et  académicien,  qui  n'avait  que 
peu  de  pas  h  faire  pour  entrer,  sur  le  quai,  chez 
son  ami  Lefeuve  de  la  Malmaison,  conseiller  au 
parlement.  Les  fermiers-généraux  transformaient 
l'hôtel  Brelonvilliers,  h  la  même  époque,  en  grand 
bureau  des  Aides.  Plus  de  Galard,  en  face,  et 
plus  de  Meiland  !  Mais  bureau  des  Saisies-Réelles. 
Toutes  les  juridictions  y  avaient  recours,  et  jamais 
plus  de  saisies  ne  s'y  réalisèrent  que  sous  le 
triumvirat  de  Monnerot,  Beaucousin  et  Beauvisage, 
qui  étaient  commissaires-généraux  de  l'ensaisinement 
lors  de  la  banqueroute  de  Law. 

Le  27  ou  le  29  servait  de  bureau,  beaucoup 
moins  grandement,  à  la  communauté  des  Par- 
cheminiers.  Les  maîtres  chargés  de  faire  une 
tournée  officielle  chez  les  autres  membres  de  cette 
corporation  professsionnelle  devaient  toujours  être 
assistés  par  quatre  parcheminiers-jurés  de  l'univer- 
sité, placés  sous  les  ordres  du  recteur.  L'appren- 
tissage durait  4  ans  :  le  brevet  coûtait  45  livres 
et  la  maîtrise  1.100. 

Sous  la  Régence  également,  M""*^  de  Villetaneuse, 
vieille  bourgeoise  qui  n'avait  pas  d'enfants,  en- 
richissait de  ses  legs  ceux  de  sa  sœur,  la  duchesse 
de  Brancas,  la  duchesse  de  Luxembourg,  fille  de 
sa  cousine-germaine,  et  la  comtesse  de  Boufflers, 
fille  de  Guénégaud,  son  cousin-germain. 

Le  botaniste  Pierre  Bulliard  habitait,  sous 
Louis  XVI,  l'ancien  hôtel  Durand.  Cet  auteur  de 
Flora  parisiensis  et  d'un  Dictionnaire  de  Botanique 
avait  app)-is  de  François  Martinet  à  graver  de  sa 
propre  main  les  planches  de  ses  ouvrages.  S'agis- 
sait-il d'enrichir  son  herbier,  ou  bien  d'empailler 
un  oiseau,  il  ne  prenait  encore  d'autre  aide  que 
lui-même.  Déleurie,  maître  en  chirurgie,  donnait 


NAGUERE   SAINT  LOUIS-EN-L'ILE.  351 

des  leçons  d'accouchemont  à  l'hôtel  Mole.  Quels 
nouveaux  maîtres  disposaient  en  partie  des  hôtels 
Lambert  et  Brelonvillieis ?  M.  de  Beaumont  et 
M.   Devins-Fontenay. 

Du  reste,  on  vit  bientôt  sortir  à  cheval,  tous  les 
matins,  de  la  porte  débouchant  en  face  de  la  rue 
Guillaume  (i),  un  chef  de  division  de  la  garde 
nationale,  qui  ne  se  nommait  plus  au  28*^  de 
ligne  que  le  sous-lieutenant  Charton  en  1792, 
mais  qui  avait  gagné,  trois  ans  après,  ses  épaulettes 
de  général.  Malheureusement  il  fut  tué  en  1796'. 
Un  nom  de  robe,  celui  de  Clieniseau,  était  porté 
depuis  la  Régence  par  un  hôtel  plus  aristocra- 
tique, près  de  ladite  rue  Guillaume.  Pourquoi 
dire  un  ?  ne  voit-on  pas  encore  qu'il  y  avait  grand 
et  petit  hôtels?  Aussi  bien,  dans  cette  île  Saint- 
Louis,  le  train  de  maison  fut  rarement  en  rapport 
avec  la  place  qu'on  tenait  au  soleil  !  On  n'attendit 
même  pas  la  Révolution  pour  y  faire  d'un  petit 
hôtel,  en  regard  de  la  maison  Durand,  un  simple 
corps-de-garde  de  pompiers.  Autant  de  fait  sur 
la  besogne  d'une  ère  nouvelle,  qui  se  croyait 
appelée  îi  supprimer  toutes  les  marques  de  distinc- 
tion !  L'île  et  la  rue  de  la  Fraternité  inaugurèrent 
cette  ère-là  en  donnant  plusieurs  fêles  publiques 
dans  le  jardin  de  leur  ci-devant  hôtel  Bretonvil- 
liers.  En  revanche,  elle  se  passèrent  absolument 
de  leur  ci-devant  église,  vendue  comme  bien 
national  en  l'an  vi,  le  13  thermidor,  et  qui  ne  fut 
rachetée  par  la  Ville  que  le  15  septembre  1817. 
Alors  sa  dénomination  était  déjà  revenue  à  la  rue, 
dite  Blanche-de-Castille  de  1806  à  18U.  Les 
somptueuses  réceptions  du  prince  Cz;irtoriski  et 
la  bienfaisance  héi'oïque  de  ses  œuvres,  se  multipliant 
au  profit  de  la  cause  polonaise,  tirent  encore  plus 


(1)  Mainlciianl  rue    Budé. 


852  RUE  SAINT-LOUIS,  ETC. 

d'honneur  à  l'hôtel  Lambert,  sous  Louis-Philippe, 
que  les  peintures  de  Lebrun  et  de  Lesueur,  dans 
toute  leur  fraîcheur,  n'y  avaient  jeté  d'éclat.  Puis 
d'autres  événements  politiques  ayant  changé  en 
France  la  face  des  choses,  l'hôtel  Gheniseau  devint 
pour  quelque  temps  l'archevêché.  On  y  rapporta 
le  corps  de  Mgr  Affre,  frappé  sur  une  barricade, 
où  il  affrontait,  comme  un  saint,  les  dangers  de 
la  guerre  civile,  pour  en  conjurer  les  horreurs. 
Une  caserne  de  gendarmerie  y  remplaça,  pour 
une  douzaine  d'années,  l'archevêché  en  deuil. 


Rues    llichcl-le-Coiute    et 
Grenier-l^it-iljazare.   (i) 


Elles  se  suivent  depuis  si  longtemps,  sans  se 
confondre,  qu'autant  vaut  ne  les  pas  séparer. 
Qu'elles  remontent  donc  le  cours  des  âges,  comme 
deux  wagons  enchaînés  l'un  h.  l'autre,  qui  laisse- 
raient descendre,  à  chaque  station,  des  souvenirs, 
faute  de  voyageurs.  Parfois  c'est  la  cloche  d'un 
collège  ou  d'un  couvent  du  moyen-âge  qui  donne 
le  signal  du  départ  quand  nous  nous  remettons 
en  route  dans  ce  voyage  brisé  d'histCriographe. 
Ici,  par  extraordinaire,  l'or  et  l'argent  commencent 
par  résonner  :  tout  le  monde  ne  s'en  plaindra  pas. 

Entendez-vous  le  chant  des  lingots  d'or,  balancés 
par  des  poids  de  fer,  et  l'harmonieux  frou-frou  d'un 
grand  comptoir  d'escompte?  Cela  bruit,  sans  fatiguer 
l'oreille,  entre  les  rues  Michel-le-Comte  et  I\k»ntmo- 
rency,  chez  la  veuve  Lyon-Allemand,  dont  le  com- 
merce était  fait  sous  le  premier  empire  par  Joseph 
Allemand  et  Hartzfeld,  en  la  rue  Grenier-Saint- 
Lazare. 

A  la  maison  de  M""  Lyon-Allemand  touche  un 
ancien  hôtel  que  la  rue  Montmorency  partage  aussi 
avec  celle  Michel-le-Comte,  qui  le  cote  n"  22. 
Dubois  de  Crancé,  qui  y  demeura,  était  d'abord 
parvenu  à  entrer  dans  les  mousquetaires  ;  mais 
des  doutes  accentués  sur  sa  noblesse  l'avaient 
réduit  à  la  consolation  de  commander  dans  la 
garde  nationale.  Cet  ardent  révolutionnaire,  dan- 
toniste  à  la  Convention,    s'acharna  surtout  contre 


(1)  Notice  écrite  en   1864. 


354  RUES  MICHEL-LE-COMTE,   ETC. 

Louis  XVI,  dont  il  vota  la  mort,  comme  le  ci- 
devant  comte  Le  Peletie)'  de  Saint-Fargeau, 
qui  fut  assassiné  par  un  -  ancien  garde-du-corps 
la  veille  de  l'exécution  du  foi.  Sur  ce  la  rue 
Michel-le-Comte  prit  sans  déroger,  mais  ne 
garda  pas  longtemps  le  pseudonyme  de  Michel- 
Le-Peletier.  Dubois  de  Crancé,  plus  heureux  que 
son  collègue,  devint  rous  le  Directoire  ministre 
de  la  Guerre  ;  mais,  après  le  18  Brumaire,  il  se 
retira,  faute  d'emploi,  dans  ses  propriétés  cham- 
penoises. 

L'hôtel  des  Hypothèques  portait  le  chiffre  32 
dans  la  même  rue,  sous  l'Empire.  Un  épicier  du 
voisinage  était  à  cette  époque  une  ancienne 
tricoteuse  :  elle  désirait  garder  un  incognito  que, 
par  égard  pour  les  parents  d'une  femme,  revenue 
à  bien,  qui  reniait  jusqu'à  son  sexe,  nous  ne 
violons  même  pas.  Ferry,  autre  épicier  de  la  rue 
Michel-le-Comte,  était  l'un  des  gardes  du  corps 
des  épiciers  et  apothicaires  en    177i2. 

Notabilités    de    cette  rue,  quatorze  ans  après  : 

M.  Lenoir  de  Mézièros,  payeur  de  rentes,  au  u»  19 
de  notre  temps,  hôlel  dont  Je  17  devait  dépendre; 
M.  Vaudé,  banquier,  no  20  ;  J'architecie  Verniquet,  n»  21, 
et  M.  d'Halvil,  au  28,  Lôtei  donnant  aussi  dans  la  rue 
Montmorency,    où   nous  en    parlerons    plus  amplement. 

La  charge  de  commissaire-voyer,  achetée  par 
Edme  Verniquet  en  1774,  l'avait  poussé  ù  réaliser, 
comme  architecte  du  Jardin-du-Roi,  des  projets 
de  Buffon.  Mais  son  grand-œuvre  fut  le  plan  de 
de  Paris,  qui  demanda  28  années  de  travail.  L'ordre 
de  dresser  ce  plan  avait  été  donné  par  Louis  XVI, 
dès  1783,  mais  sur  des  proportions  si  vastes  qu'elles 
avaient  bientôt  lait  reculer  devant  l'exécution.  Le 
commissaire  de  la  vcirie  avait  relevé  ce  projet 
abandonné,  et  ses  planches  étaient  déposées  aux 
Cordeliers.   Puis,  la  Révolution  venue,  le  bureau 


RUES  MICHEL-LE-COMTB  355 

du  Plan  s'installa  au  ci-devant  hôtel  d'Angivilliers, 
près  le  ci-devant  Oratoire-Saint-Honoré,  où  l'au- 
teur se  trouvait  sans  doute  logé  plus  grandement 
que  rue  Michel-le-Comte.  Le  plan  ne  compta  ses 
72  feuilles  grand-atlas  qu'en  1796,  et,  comme  si 
Verniquet  n'avait  plus  rien  à  faire,  son  nom  se 
gravait    sur    une    tombe  vers  la  fin  du  Consulat. 

Verniquet,  en  sortant  de  chez  lui,  avait  souvent 
passé  devant  le  bureau  des  Paumiers,  à  l'entrée  de 
la  rue  Grenier-Saint-Lazare,  et  puis,  quelques 
portes  plus  loin,  devant  les  ateliers  de  Lafontaine, 
inventeur  privilégié  d'uiiC  serrure  dont  l'Académie 
avait  approuvé  les  combinaisons  nouvelles.  Les 
statuts  de  la  communauté  des  maîtres  paulmiers, 
raquediers,  faiseurs  d'estojufs,  peloltes  et  balles, 
remontaient  au  commencement  du  xvn''  siècle. 
Ses  membres  étaient  exclusivement  en  possession 
de  fabriquer  et  de  vendre,  avec  les  ustensiles  du 
jeu  de  paume,  ceux  servant  au  jeu  de  billard.  Le 
bureau  se  trouvait  encore  dans  la  rue  de  Seine 
à  la  fin  du  règne  précédent  ;  depuis  lors,  le  droit 
de  réception  avait  baissé  de  i,oOO  \\  600  livres. 

Il  semble  que  la  piopriété  foncière,  dans  les 
deux  rues  dont  nous  nous  occupons,  ait  été  plus 
divisée  sous  la  Régence  qu'à  notre  époque.  La 
rue  Michel-le-Comte  avait  51  maisons,  et  l'autre, 
45  :  presque  un  tiers  de  plus  qu'aujourd'hui  !  On 
y  a  si  peu  démoli  que  plus  d'une  façade  devait 
appartenir  h.  un  autre  propriétaire  que  le  corps- 
de-bàtiment  élevé  par-derrière.  Il  faut  qu'on  ait 
ainsi  porté  en  compte  pour  plus  d'une  maison 
chaque  hôtel,  et  combien  la  rue  Michel-Lecomte 
en  était  pleine  !  A  main  droite,  elle  partageait 
avec  la  rue  Montmorency  trois  propriétés  de  ce 
genre  ;  à  main  gauche,  elle  commençait  par  une 
aile  et  des  dépendances  de  l'hôtel  Caumartin, 
suivies  de  près  par  un  hôtel  Thiroux  (et  il  y  en 
avait  un  autre  du  même  nom  dans   le    quartier), 


856  RUES  iMICHEL-LK-COMTE,  ETC. 

ensuite  par  un  hôtel  Feiiet,  par  un  hôtel  Lemaître, 
enfin  par  un  hôtel  Méral,  qui  s'appela  aussi  Grillon, 
et  auquel  faisait  vis-ii-vis  l'hôtel  Bouligneux,  plus 
tard  d'Halvil.  Que  de  pratiques  excellentes  à  la 
portée  du  vitrier  Rousseau,  dont  la  boutique  était 
dans  ladite  rue  !  L'honnête  homme  dont  nous 
parlons  est  celui  qui  avait  recueilli  un  enfant 
naturel  de  M"'"  de  Tencin,  abandonné  sur  les 
marches  d'une  église,  mais  h  l'éducation  duquel 
pourvoyait  son  père,  le  chevalier  Destouches-Canon, 
et  cet  enfant  devint  l'illustre  d'Alembert. 

Remontons-nous  encore  de  quelque  trente  années? 
On  parle  alors  de  M.  Le  Vasseur  comme  réu- 
nissant des  curiosités  en  sa  demeure,  rue  Grenier- 
Sainl-Lazare.  Dans  l'autre  rue,  on  vient  de  démolir 
un  théâtre  érigé  en  1632  par  Jacques  Avenet,  à 
la  place  d'un  jeu  de  paume,  et  que  des  comédiens 
de  l'hôtel  de  Bourgogne  exploitaient  depuis  4660. 
Mais  cette  salle  de  spectacle  avait  été  fermée 
longtemps,  sur  une  plainte  adressée  au  parlement 
par  les  habitants  des  deux  rues,  qui  ne  s'accom- 
modaient ni  des  carrosses  bruyants,  ni  de  l'insolence 
des  pages  et  des  laquais,  ni  des  vols  qui  se 
commettaient  plus  fréquemment  aux  abords  d'un 
théâtre  qu'en  un  quartier  sans  foule. 

La  rue  d'en  bas  s'appelait  6^arneer  de- Saint-Ladre, 
en  1315,  et  comptait  au  nombre  des  gens  qui 
l'habitaient;  Nicolas  le  dorelotier ;  Jeacgues  delà 
Salle,  gâcheur;  Jehan,  savetier.  On  dit  qu'une 
famille  était  déjh  connue  au  siècle  précédent  sous 
le  même  nom  que  cette  rue,  laquelle  touchait 
presque  à  la  porte  Saint-Martin  élevée  sous  Philippe- 
Auguste.  Le  comte  Michel,  parrain  de  la  rue 
d'en-haut,  vicus  Micaelis  comitis,  passe  pour 
contemporain  de  ladite  famille. 


Rue     Montmorency.  (i) 


De    1215  à  1854. 

L'avant-dernière  maison  à  gauche  est  surtout 
amusante  à  voir  de  l'une  des  croisées  qui  font 
face  :  elle  paraît  l'agglomération  désordonnée  de 
plusieurs  corps-de-bàtiment,  dont  le  plus  élevé 
s'appuie  sur  ceux  de  devant.  Mais  aux  regards 
des  passants  elle  dérobe  le  toit  figurant  un  V 
renversé  qui,  si  longtemps,  la  fit  appeler  maison 
du  grand  pignon!  Aussi  bien  Germain  Brice,  qui 
ne  la  prenait  pas  pour  une  seule  maison,  écrivait- 
il  :  «  A  l'entrée  de  cette  rue  sont  des  inscriptions 
difficiles  à  lire  et  à  entendre  sur  de  vieilles 
maisons  ;  c'était  autrefois  un  hôpital  pour  les 
passants,  fondé  par  Nicolas  Flamel.  »  Déjà  vieilles 
sous  Louis  XIV,  ces  inscriptions  elles-mêmes  n'en 
feraient  qu'une.  Seulement  deux  petites  boutiques, 
peintes  de  deux  couleurs  différentes  et  crottées 
comme  l'escalier  de  Saint-Nicolas-des-Champs,  se 
sont  assimilé  et  partagé  les  pierres  sur  lesquelles 
restent  gravées  ces  lettres: 

rions  homes  et  fènies  laboureurs  demonrans 
ou  porche  de  ceste  maison  qui  fu  fée  en  Fan 
de  ^race  mil  quatre  cens  et  sept  :  sommes  tenus 
chacù  en  droit  sou  dire  tous  les  jours  une 
pastenostre  et  1  ave  maria  en  priant  dieu  q  de 
sa  grâce  face  pardo  aux  poures  pescheurs 
trespassez,  amen. 

Tout  près  de  là  gisait  le  cimetière  Saint-Nicolas, 

(1)  Notice  écrite    en  1864. 

J3 


3b8  RUE  MONTMORENCY. 

qui  comprenait  une  chapelle  et  que  les  religieux 
de  Sainl-Mai'tin-des-ChaiTips  avaient  donné  à  l'église 
Saint-Nicolas-des-Gliamps  avant  que  l'Hôtel-Dieu 
en  disposât  et  que  les  carmélites  du  quartier  en 
agrandissent  leur  territoire:  raison  de  plus  pour 
que  Nicolas  Flamel  et  sa  femme  Pernelle  se  sou- 
vinssent des  morts!  Mais  on  peut  douter  qu'ils 
aient  eu  le  temps  de  donner  suite  au  projet  d'établir 
un  hospice  dans  leur  maison  de  la  rue  Montmo- 
rency. Celle-ci  fut  laissée,  avec  leurs  autres  biens, 
h  l'église  Saint-Jacques-la-Boucherie,  mais  à  charge 
d'acquitter  tant  de  legs  particuliers  qu'il  ne  fallut 
pas  moins  de  sept  années  aux  marguilliers  pour 
les  remplir.  On  avait  soupçonné  Flamel  de  sor- 
cellerie, parce  qu'il  se  livrait  h  l'alchimie,  et  il 
passait,  ti  cause  de  sa  richesse,  pour  avoir  découvert 
la  pierre  philosophale  ;  mais  cet  écrivain  et  libraire- 
juré  de  l'université  de  Paris,  qui,  de  plus,  tenait 
une  école,  n'avait  fait  son  honnête  fortune  qu'au 
moyen  de  spéculations  heureuses  sur  les  terrains, 
et  tous  les  Parisiens  de  la  croire  sans  bornes, 
comme  sa  générosité! 

Le  parrain  de  la  rue  n'était  autre  que  le  grand- 
connétable  Matthieu  de  Montmorency.  L'hôtel 
qu'y  avait  fait  construire  en  la  1215'"^  année  ce 
proche  paient,  de  deux  empereurs  et  de  six  rois, 
allié  aux  autres  souverains  de  l'Europe,  resta  aux 
connétables  suivants  de  son  illustre  race.  Le 
maréchal  Charles  de  Montmorency,  comme  otage 
volontaire  à  la  place  du  roi  Jean,  se  trouvait 
retenu  en  Angleterre  quand  le  prêtre  Velvet,  muni 
de  la  procuration  du  captif,  et  pour  subvenir  à 
ses  besoins,  vendit  l'hôtel  h  Rognes,  sire  de 
Hangest.  Seulement  il  ne  faut  pas  croire,  avec 
Sauvai,  que  les  .Montmorency  n'en  reprirent  plus 
possession.  Messire  Hangest  fut  nommé  panetier  de 
France  le  11  lévrier  1345,  sur  la  démission  de 
Charles  de  Montmorency,  puis  créé  maréchal-de- 


RUE  MONTMORENCY.  359 

France  par  Jean-le-Bon,  et  les  gages  de  la  paneterie 
furent  augmentés  en  sa  faveur  ;  mais  Charles  V 
ou  Charles  VI  en  retrancha,  après,  5  sols  prélevés 
sur  chaque  boulanger.  La  même  résidence  passâ- 
t-elle à  Guillaume  de  Hangest,  prévôt  de  Paris, 
Philippe-le-Bel  régnant  ?  Cela  se  pouvait  faire. 
Toujours  est-il  qu'au  xvi™''  siècle  le  connétable 
Anne  de  Montmorency  n'avait  pas  moins  de  quatre 
hôtels  il  Paris:  l'hôtel  de  Montmorency,  rue  Sainte- 
Avoye,  l'hôtel  Rochepot,  rue  Saint-Antoine,  l'hôtel 
Damville,  à  la  Couture-Sainte-Catherine,  et  celui 
qui  n'avait  sans  doute  été  l'objet  que  d'une  vente 
à  réméré  200  années  auparavant.  Cet  aîné  de 
tous  les  hôtels  Montmorency  était  donné  par 
Anne  à  Charles,  son  troisième  fils,  capitaine  de 
80  hommes  d'armes. 

L'hospitalité  y  fut  reçue  par  le  poète  Théophile, 
que  Boileau  a  daubé  d'importance  et  dont  le 
frère,  Paul  de  Viau,  était  maître-d'hôtel  du  duc 
Henri  de  Montmorency,  le  petit-fils  du  connétable 
et  le  filleul  de  Henri  IV.  Encore  plus  athée  que 
calviniste,  Théophile  ne  manquait  ni  d'imagination 
ni  d'esprit  ;  mais  des  vers  le  firent  accuser 
de  lèse-majesté  divine  et  humaine  ;  caché  d'abord, 
mais  condamné  par  contumace  h  être  brûlé  vif, 
il  se  vit  charger  de  fers  et  il  n'obtint  qu'avec  dif- 
ficulté la  commutation  de  sa  peine  en  bannissement 
de  la  capitale,  avant  qu'il  lui  fût  fait  grâce  entière  ; 
il  avait  pourtant  conservé  la  fidèle  protection  du 
maréchal  Henri  de  Montmorency  et  touché,  sans 
interruption,  jusqu'à  la  pension  que  lui  servait 
le  roi.  L'acharnement  des  poursuites  s'expliquait 
par  le  crédit  de  ses  ennemis  auprès  du  cardinal 
de  la  Rochefoucauld.  Mais  la  conduite  de  Théophile 
laissait  encore  plus  à  désirer,  sous  le  rapport 
des  mœurs  et  de  la  religion,  que  ses  écrits,  qui, 
à  la  vérité,  ne  méritaient  guère  l'honneur  de  la 
persécution.  La  renommée  du  poète  n'était  qu'à 


360  RUE   MONTMORENCY. 

peine,  de  son  vivant,  obscurcie  par  celle  de 
Malherbe,  et  chez  le  duc,  à  Chantilly  comme  à 
Paris,  il  avait  le  pas  sur  Mairet. 

«  C'était,  dit  Voltaire,  uh  jeune  homme  de  bonne 
compagnie,  faisant  très  facilement  des  vers  médiocres, 
mais  qui  eurent  do  la  réputation  ;  très-instruit  dans  les 
belles-lettres,  écrivant  pjirement  en  latin  ;  homme  de 
table  autant  que  de  cabinet,  bienvenu  chez  les  jeunes 
seigneuis  qui  se  piquaient  d'esprit  et  surtout  chez  cet 
illustre  et  malheureux  duc  de  Monlmorency,  qui,  après 
avoir  gagné    des  batailles,    mourut      ur    un     échafaud.  » 

Le  protégé  avait  rendu  le  dernier  soupir,  à  36 
ans,  dans  l'hôtel  de  son  protecteur,  qui  n'en  avait 
lui-même  que  38  quand  le  cardinal  de  Richelieu 
se  vengeait  impitoyablement  de  sa  rébellion.  La 
branche  directe  des  Montmoi^ency  tombait  avec 
la  tête  du  rebelle  et  la  confiscation  frappait  ses 
biens.  Nicolas  Fouquet,  fils  d'un  riche  armateur, 
était  procureur-général  ;  la  protection  d'Anne 
d'Autriche  ne  l'avait  pas  encore  préposé  ti  J'admi- 
nistration  des  finances  lorsqu'il  occupait  le  grand 
hôtel  Montmot^ency,  présentement  n"  5.  Le  petit 
hôtel  du  même  nom,  que  la  rue  séparait  du  grand, 
porte  le  chiftVe  8.  Il  touchait  tout-ii-fait  ou  pres- 
que, Louis  XIV  étant  déjà  vieux,  h  l'hôtel  de  M.  le 
lieutenant-criminel,  qui  pouvait  sortir  de  chez  lui 
par  cette  rue  et  rentrer  par  la  rue  Chapon. 

Du  côté  de  ce  magistrat,  mais  plus  loin  de  la 
rue  du  Temple,  les  évêques  de  Chàlons  avaient 
vendu  leur  propre  hôtel  aux  carmélites  en  1620; 
ces  dames  en  avaient  fait  le  noyau  de  leur  couvent 
de  la  rue  Chapon,  qui  englobait  une  dizaine  de 
n*"*  de  la  rue  Montmorency  actuelle,  entre  les  rues 
du  Temple  et  Beaubourg.  Il  y  survit  non-seulement 
d'anciens  bâtiments  du  monastère,  mais  encore 
des  murs  de  son  église,  où  fut  inhumée  la  duchesse 


RUE  MONTMORENCY.  361 

de  Longueville  et  qui  se  transforma  dans  la  suite 
en  salle  de  danse,  puis  en  théâtre  Doyen. 

Le  beau  28  de  la  rue  Michel-le-Comte,  17  de 
la  rue  Montmorency,  débuta  au  service  du  lieutenant- 
général  Louis  de  la  Palu,  comte  de  Bouligneux, 
longtemps  colonel  du  régiment  de  Limousin,  qui 
périt  au  siège  de  Vérue  le  14  décembre  1T04. 
D'autres  membres  de  la  même  îamille  gardèrent 
cet  hôtel  Bouligneux,  dont  l'écurie  avait  des  stalles 
pour  18  chevaux.  Puis  les  d'Halvil,  sur  le  plan 
de  Ledoux,  5n  modifièrent  toutes  les  dispositions 
du  côté  du  jardin,  où  une  entrée  de  gala,  avec 
sa  barre  seigneuriale,  se  trouva  remplacée  par  une 
colonnade,  qui  ne  se  voit  plus  de  la  rue,  mais 
qui  n'en  sert  pas  ir.oins  de  portique  démesuré  à 
une  maison  de  commerce.  Tl  régnait  en  face  un 
grand  mur  ;  les  carmélites  permirent  d'y  peindre 
un  paysage  pour  ajouter  la  fiction  d'une  perspective 
aux  charmes  de  la  galerie  couverte.  Un  d'Halvil 
était  maréchal  d'Autriche  et  un  autre  était  colonel 
d'un  régiment  suisse  en  France,  vers  le  milieu 
du  xvni*=  siècle.  Après  cette  famille  arriva,  dans  le 
même  hôtel,  celle  du  prince  Esterhazy,  qui  représen- 
tait la  Hongrie  au  couronnement  de  l'empereur 
François  II,  en  1792,  et  qui  était  ensuite  ambassa- 
deur d'Autriche  ^   Naples,  près  du  roi   Murât. 

N'est-ce  pas  déjà  beaucoup  de  nobles  pour  une 
rue  dont  la  moitié  ne  dédaigna  pas  le  pseudonyme 
de  Courtauvilain  ?  Tous  les  historiens  de  rapporter 
que  ses  habitants  signèrent  et  présentèrent,  en 
1768,  une  supplique  pour  divorcer  avec  ce  vilain 
nom,  dont  un  meilleur  parti,  dit-on,  avait  été  tiré  au 
moyen-âge  par  ses  habitantes.  La  corruption  des 
mœurs  en  cet  endroit  avait  été  autorisée  par  des 
ordonnances,  qui  en  purgeaient  d'autres  quartiers  ; 
la  corruption  du  mot  Cour-aux-Viiains  avait  dû 
être  la  conséquence  (le  l'autre.  Les  vilains 
n'affluaient-ils  pas  dans  notre  rue,   quand  maîtres 


362  RUE   MONTMORENCY. 

et  garçons  boulangers  s'y  présentaient  à  la  barre 
du  panetier,  ou  venaient  y  payer  des  droits,  dont 
la  noblesse  était  exempte?  C'est  entre  la  rue 
Beaubourg  et  la  rue  Saint-Martin  qu'elle  n'a  jamais 
changé  de  dénomination  ;  mais  ses  plus  belles 
maisons  toujours  ont  surgi  dans  l'autre  moitié, 
qui  avait  déjà  recommencé  h  se  nommer  Mont- 
morency bien  avant  l'époque  indiquée  dans  les 
ouvrages  sur  Paris.  Trois  curieux  étaient  cités 
dans  le  Livre  commode,  en  1691  et  92,  avec  in- 
dication de  leur  résidence  dans  la  rue  Montmorency, 
et  pas  un  rue  Courtauvilain  :  le  comte  de  Vaux 
et  M.  de  Crosy,  en  qualité  d'amateurs  de  médailles, 
et  M.  de  Creil,  comme  amateur  de  curiosités  en 
général.  Antérieurement  encore,  M.  Vilain  demeurait 
à  l'hôtel  Vilain,  dans  la  rue  Courtauvilain.  M.  de 
Mandat  avait  un  autre  hôtel,  dont  le  jardin  ouvrait 
sur  la  même  rue  et  la  cour  sur  la  rue  Chapon. 
Ce  dernier  reçut  une  lettre  dont  voici  la  suscrip- 
tion  :  à  M.  de  Mandat,  Chapon  par-devant, 
Courtauvilain  par-derrière.  La  concision  de  ladresse 
flattait  si  peu  le  destinaire  qu'il  en  demanda  sur- 
le-champ  pour  la  rue  un  changement  de  nom,  qui 
lui  fut  accordé,  malgré  l'opposition  du  voisin  qui 
espérait  passer  pour  le  seigneur  du  lieu. 

Brice,  moins  de  vingt  ans  après,  vantait  le 
cabinet  d'antiquités  de  l'abbé  Fauvel,  chapelain  du 
roi,  en  donnant  son  adresse  à  l'entrée  de  la  rue 
Montmorency,  et  tout  porte  à  croire  qu'il  sous- 
entendait  :  ancien  hôtel  Montmorency.  Gresset 
enfin,  étant  déjà  l'auteur  de  ses  chefs-d'œuvre, 
Vert-Vert  et  le  Méchant,  logea  pour  quelque  temps 
en  la  même  rue,  et  nous  pensons  que  c'était 
n"  11,  chez  M°"^^  Thiroux  de  Lailly  ou  d'Arconville. 
j|mc  d'Arconville,  femme  d'un  président,  avait  pour 
beau-frère  M.  Angran  d'Alleray,  lieutenant-civil  : 
elle  publiait  des  livres  qu'il  y  avait  modestie  de 
son  fait  à  ne  pas  signer.   Gresset,   lorsqu'il  était 


RUE   MONTMORENCY.  363 

son  hôte,  pouvait  prendre  le  titre  de  poète  de 
Paris,  qui  se  trouvait  dans  les  attributions  du 
prévôt-des-marchands  et  dont  le  traitement  s'élevait 
à  5,000  livres, 

Le  49  novembre  1853,  un  incendie  dévora 
plusieurs  des  maisons  érigées  sur  l'ancien  cimetière 
Saint-Nicolas,  et  les  corps  de  plusieurs  victimes 
mêlèrent  soudain  leurs  cendres  chaudes  {\  des 
cendres  longtemps  refroidies.  Une  population  ou- 
vrière était  jetée  sur  le  pavé  par  ce  lamentable 
sinistre  ;  la  charité  avait  beaucoup  à  faire  pour 
réparer  le  mal,  en  ce  qui  n'était  pas  irréparable. 
Mais  des  spectacles  se  donnèrent  au  bénéfice  des 
incendiés  et  des  souscriptions  s'ouvrirent,  no- 
tamment chez  M.  Detouche,  le  grand  horloger  de 
la  rue  Saint-Martin,  qui  fit  tant  et  si  bien  que 
M.  Arnaud-Jeanti,  maire  de  l'arrondissement,  versa 
au  bureau  de  bienfaisance  l'excédant  du  budget 
du  feu.  Le  n"  34  en  était  quitte  pour  des  répara- 
tions urgentes  ;  mais  les  décombres  fumaient  à 
la  place  du  32,  et  l'on  en  pouvait  autant  dire 
de  plusieurs  maisons  de  la  rue  Beaubourg. 


Rue     Richer.  (i) 


A  l'hôtel  des  Menus-Plaisirs,  rue  du  Faubourg - 
Poissonnière,  le  Conservatoire'  de  la  danse  avait 
sa  place,  ainsi  que  le  garde-meuble  de  la  Couronne. 
Des  garçons  y  battaient  îi  tour  de  bras  les  fauteuils 
et  les  tapis  de  rechange,  pour  empêcher  que  les 
vers  ne  s'y  missent  ;  mais  ils  ne  braquaient  pas, 
contre  un  autre  genre  d'ennemis,  assez  de  souri- 
cières. Les  élèves  danseuses,  quand  elles  quittaient 
la  classe,  marchaient  encore  sur  la  pointe  du 
pied,  afin  de  laisser  moins  de  prise,  en  cas  de 
rencontre,  à  quelque  autre  rat.  Ce  calembour 
doit  être  de  Cicéri,  qui  demeura  longtemps  aux 
Menus-Plaisirs,  comme  peintre-décorateur  de 
l'Opéra,  et  qui  sans  doute  y  surprit  les  rapports 
primitifs  de  rais  de  la  danse  avec  les  véritables 
rats,  auxquels  ils  doivent  leur  surnom.  Aujourd'hui 
ceux-ci  et  ceux-là  se  font  la  chasse  au  magasin 
de  décors  de  l'Opéra,  6,  rue  Richer. 

La  seconde  porte  qui  vient  après  était  franchie, 
en  1841,  par  les  amis  de  Berton,  lorsqu'ils 
rendaient  visite  à  cet  auteur  de  la  musique  ^ Aline, 
reine  de  Golcondc.  L'acteur  Berton,  notre  contem- 
porain, est  fils,  petit-fils  et  arrière-petit-fils  de 
compositeurs. 

Le  18  était  érigé,  en  1793,  par  et  pour  l'ar- 
chitecte Daiiiesme,  qui  dessina  aussi  l'ancien  théâtre 
de  la  rue  de  la  Victoire  et  le  grand  théâtre  de 
Bruxelles.  M.  Ollivier  succéda  à   Damesme. 

En  1809,  M.  Duval  acquérait   du    sieur   Saint- 


(1)  Notice  écrite    en   18(J4. 


RUE     RICHER.  365 

Pierre  une  maisonnette,  que  remplace  le  n"  1, 
passage  Saulnier,  habité  encore  par  M'"e  veuve 
Duval.  La  même  année,  M™^  Chasseraud  était 
propriétaire  du  34,  rue  Richer,  petit  liôtel  datant 
de  l'ancien  régime.  N'était-ce  pas  un,liôtel  Johannot, 
numéroté  8  sous  l'Empire?  Nous  serions  tenté  d'en 
attribuer  l'origine  à  Jean-Cliar!es  Richer,  écuyer, 
chevalier  de  Saint-Michel,  quarlinier  d'abord,  puis 
échevin  en  1780  ;  mais  les  Almanachs  royaux 
marquaient  rue  des  Petits-Auguslins  la  résidence 
de  cet  édile,  qui  fut  aussi  avocat,  conseiller  du 
roi,  expéditionnaire  en  cour  de  Rome. 

D'ailleurs,  Antoine  Richer,  fabricant  et  marchand 
de  bas  au  métier,  avait  en  1734  une  maison  dans 
la  rue  du  Faubourg-3Ionlmartre  au  lieu  dit  les 
Pointes,  et  il  y  tenait  d'une  part  i\  Pesty,  d'autre 
part  h  Lallemand,  dans  le  fond  aux  héritiers 
Boucher.  L'égout  de  la  ville  baignait  les  Pointes 
et  ne  marquait  encore  qu'étroitement  la  place  de 
la  future  rue  Richer.  Le  terrain  de  Sébastien 
Raoul,  propriétaire  h  l'encoignure  de  la  ruelle  de 
l'Égout,  avait  été  aliéné  par  les  chanoines  de  Sainte- 
Opportune  au  profit  de  Gellée,  en  1601  ;  mais  le 
vendeur  de  Raoul  était  Fontaine,  secrétaire  du  roi  ; 
il  ne  restait  qu'un  droit  de  censive  ù  payer  au 
chapitre  le  2:2  juin  de  chaque  année,  jour  de  la 
fête  de  sainte  Opportune.  Magdeleine  Violle,  veuve 
de  Saveuse,  marquis  de  Bougainville,  avait  laissé 
vers  1680  un  terrain  plus  avant  assis,  le  long  du 
même  égout,  à  sa  fille,  veuve  du  comte  de  la 
Mark,  maréchal-de-camp. 

L'échevin,  qu'il  descendît  ou  non  du  fabricant 
de  bas,  fut  parrain  de  la  rue  ;  mais  les  fonts 
baptismaux  sur  lesquels  il  la  tint  étaient  encore 
l'égORt.  On  ne  la  connaissait  que  comme  ruelle 
de  l'Égout  en  1738,  et  alors  les  jardins,  les  marais 
et  le  peu  de  constructions  qui  y  donnaient,  appar- 


366 


RUE    RICHER 


tenaient  à  des  propriétaires  dont  voici  le  tableau 
complet  : 


Côte    des  numéros  impairs: 

La  présideute  Gilbert. 
Le        marquis      de      Saint- 
Georges. 
L'abbé  Larcher. 
Brière. 
Saulnier. 
Brière. 

Les  héritiers  Bourgeois. 
L'Hôtel-Dieu. 
Raoul. 


Côté  des   numéros  pairs  : 

Leclerc. 

Lépine   ou   ses   hoirs. 
Saulnier. 

Les     hoirs     Tatissier,     avec 
Lachambre  pour  locataire. 
L'abbesse     de     Montmartre- 
Dru  père. 

Les    Quinze-Vingts. 
Bedan    ft   Saulnier. 
Les  hoirs   Haran. 
Les  hoirs   Cliquet. 
Lanoix. 
Girard. 
Gaillon. 


Rue     Coqiiillière. 


Les  Hôtels  de  Flandre,  Diipin,  de  SoissDns,  Bullion, 
Chamillard,  Wiimer,  Crisenoi.  —  La  mère 
Proudhon.  — Le  Jeu  de  Paume  au  Serment.  — 
1703.  —  Talma.  —  Deux  Farceurs  abusant  de  la 
Réputation    du    Sultan.    -  Fleury. 

L'hôtel  de  Flandre  restait  en-dehors  du  Paris 
de  Philippe-Auguste,  dont  une  porte,  la  porte 
Coquillière,  ouvrait  entre  les  rues  actuelles  de 
Grenelle-Saint-Honoréet  Jean- Jacques-Rousseau  (2). 
Coquillier,  qui  avait  vendu  l'une  de  ses  maisons 
au  comte  de  Flandre,  était  d'une  famille  dont  on 
peut  citer  plusieurs  Parisiens  des  wV"  et  xnr'  siècles, 
par  exemple  Robert  et  Adam  Coquillier,  comme 
signataires  de  plusieurs  actes,  et  Odeline  Coquillière, 
pour  avoir  fondé  une  chapelle  à  l'église  Saint- 
Eustache  en  1262.  Porte  et  rue  devaient  leur  nom 
au  propriétaire  Coquilliei'.  Les  confrères  de  la 
Passion  donnèrent  pendant  sept  années  des  représen- 
tations de  leurs  mystères  h.  l'hôtel  de  Flandre, 
avant  sa  démolition,  qui  date  de  1547.  Sur  une 
portion  du  terrain  de  cet  hôtel,  le  fermier-général 
Claude  Dupin  eut  un  hôtel  à  deux  portes,  rue 
Coquillière  et  rue  Plâtrière  ;  il  écrivait  des  livres, 
sans  les  signer,  avec  le  concours  de  sa  femme. 
L'éducation  de  leur  fifs  fut  confiée  quelque  temps 
à  Jean-Jacques  Rousseau,  et  ce  grand  précepteur, 
dont  la  rue  Plâtrière  porte  le  nom  depuis  la 
Révolution,  n'empêcha  pas  l'élève  de  désoler  d'abord 

(1)  Notice   écrite   en   1859. 

(2)  Deux  rues  qui  n'en  font  plus  qu'une,  sous  la 
dernière   dénominaiion.     - 


368  RUE  COQUILLIÉRE. 

ses  père  et  mère  par  son  inconduite.  En  la  propriété 
de  Claude  Diipin,  une  tour  survivait  à  l'enceinte 
du  xn*"  siècle  :  une  exhumation  postérieure  a  mis 
à  jour  des  antiquités  romaines  dans  cet  immeuble, 
ou  dans  un  de  même    provenance. 

D'autre  part  la  même  porte  urbaine  était  flanquée 
d'un  séjour  qui,  tour-h-tour,  porta  les  dénomina- 
tions de  Nesles,  de  la  Reine,  de  Bohême,  des 
Flles-Pénitentes  et  de  Soissons.  Jean  de  Nesles, 
sous  le  règne  de  saint  Louis,  en  fit  hommage  à 
la  reine  Blanche,  dont  le  dernier  soupir  s'y  rendit  ; 
Philippe-le-Bel  en  gratifia  Charles  de  Valois,  son 
frère  ;  puis  Philippe-de-Valois,  en  1327,  c'est-à-dire 
avant  de  prendre  le  sceptre,  en  favorisa  Jean  de 
Luxembourg,  roi  de  'Bohême.  La  fille  de  ce  prince. 
Bonne  de  Luxembourg,  épousa  Jean  de  France,  qui 
monta  sur  le  trône  de  son  père,  Philippe  de  Valois. 
Le  palais  de  Bohême,  par  ce  mariage,  revenait  à  la 
Couronne:  on  y  voyait  clair  par  des  fenêtres  grillées 
de  fils  d'ai'chal  et  presque  étroites  comme  des 
meurtrières.  Son  grand  luxe  était  la  sculpture  ; 
son  jardin,  pourvu  d'un  bassin,  avec  l'agrément 
d'un  jet  d'eau,  qui  était  alors  peu  commun,  s'éten- 
dait depuis  la  rue  d'Orléans  jusqu'il  Saint-Éustache 
ii-peu-près  ;  sa  chapelle,  dite  de  la  Reine,  faisait 
coin  sur  la  rue  de  Grenelle.  La  maison  de  Savoie, 
puis  la  maison  d'Anjou  disposa  du  royal  manoir, 
qu'on  se  passait  comme  une  bague  au  doigt  ; 
Charles  VI  le  racheta,  pour  en  faire  présent  à  son 
frère,  le  duc  d'Orléans.  Plus  tard  Louis  XII  accorda 
aux  filles  Pénitentes  une  portion  de  ce  séjour, 
pour  y  établir  leur  maison  ;  plus  tard  encore, 
Catherine  de  Médicis  transféra  ces  religieuses  rue 
Saint-Denis  et  elle  tit  coniribuer  les  grands  artistes 
de  son  temps  au  rétablissement  du  palais,  pour  y 
fixer  sa  résidence.  Cet  hôtel  de  Soissons  fut  légué 
par  la  même  reine  à  sa  petile-lille,  Christine  de 
Lorraine  ;   la  testatrice,   par  malheur,  avait  laissé 


RUE  COQUILLIERE.  369 

des  créanciers,  qui  le  firent  vendre  à  Catherine 
de  Bourbon,  la  sœur  de  Henri  IV.  Thomas-François 
de  Savoie,  prince  de  Garignan,  fut  le  dernier  pro- 
priétaire ;  ses  créanciers  requirent,  en  1748,  la 
démolition  du  palais  qui  avait  tant  de  fois  changé 
de  mains  sans  déroger.  M.  de  la  Voypière,  sous 
Louis  XVI,  possédait  un  hôtel  bâti  avec  les  pierres 
de  l'hôtel  de  Soissons,  sur  un  point  du  même  sol, 
à  l'angle  de  la  rue  du  Four-Saint-Honoré  (i). 

En  ce  temps-là  M.  de  la  Granville  avait  presque 
en  face,  entre  la  rue  du  Jour  et  la  rue  Plàtrière, 
un  autre  hôtel,  que  M.  Aguado  acquit  en  dernier 
lieu  ;  François  Mansart  avait  créé  pour  Charles 
de  l'Aubespine,  marquis  de  Chàteauneuf,  cette 
résidence,  passée  à  la  famille  de  Laval  en  1765. 
En  interrogeant  les  personnes  qui  habitent  les 
maisons  édifiées  à  sa  place,  et  dont  l'alignement 
n'a  été  pris  qu'en  4850,  mais  en  vertu  d'une 
ordonnance  royale  de  1847,  notre  éditeur  a  fait 
la  connaissance  de  la  portière  du  14,  qui,  lorsqu'elle 
a  vu  jeter  bas  l'œuvre  de  l'architecte  de  Louis  XIV, 
ne  s'appelait  encore  ni  nlie  ni  femme  Proudhon. 
Aucune  alliance,  aucun  degré  de  parenté  que  nous 
sachions  avec  le  sophiste,  seul  homme  de  talent 
révélé  par  la  rérolulion  de  Février,  ne  justifie 
pareille  conjoiiclion  ;  mais  les  oreilles  de  la  bonne 
femme  lui  tintent  depuis  que  sa  maison  fut  un 
club,  et  elle  raconte  incessamment  que  si  le 
tumulte  des  frères  et  amis  de  Sobrier  et  de 
Proudhon  l'a  étourdie  pour  le  restant  de  ses  jours, 
du  moins  les  citoyens  clubistes  avaient  pour  elle 
plus  d'égards  et  lui  montraient  moins  d'exigences 
que  les  locataires  d'à- présent,  qui  sont  portés  k 
se  croire  tout  permis  depuis  qu'on  augmente  leui'S 
loyers.  En  foi  de  quoi  tout  le  quartier  lui  a  voté, 
à  l'unanimité,    le  sobriquet  de   mê7^e  Proudhon. 

Une  plaisanterie  d'un  autre  genre  faisait  traiter 
>    ■  ' 

(1)  Rue  VauTilliers  actuelle. 


370  RUE  COQUILLIÈRE. 

de  ci-devant  liôtel  de  Casse-Noisette,  sous  le 
Directoire,  une  propriété  dont  s'arrondit  encore 
l'angle  de  la  l'ue  du  Bouloi,  avec  un  balcon  pour 
ceinture,  également  nouée  sur  la  rue  Coquillière, 
et  où  siégeait  la  iv'  municipalité.  Avec  le  temps 
on  a  pris  au  sérieux  la  désignation  de  Casse- 
Noisette,  qui  avait  de  quoi  nous  dérouter.  D'ancien- 
nes écuries  de  la  maison  ont  été  transformées, 
il  est  vrai,  en  une  pharmacie  ;  mais,  au  lieu  de 
broyer  les  noisettes  au  mcynu  d'un  petit  étau,  les 
droguistes  les  passent  au  pilon,  et  d'ailleurs  cette 
pharmacie,  fondée  vers  IToO  au  n"  22  de  la  même 
rue,  n'est  au  25  que  depuis  1804.  Des  pièces 
inédites  nous  ont  appris  heureusement  que  cet 
hôtel,  paraissant  annexé  à  l'hôtel  de  la  Douane 
sur  le  plan  deTurgot,  ainsi  que  les  n°' 21  et  23 
actuels,  appartenait  du  temps  de  Louis  XVI  au 
fermier-général  Gigot  de  Crisenoi,  et  nous  avons 
deviné  une  corruption  progressive  de  Crîsewoî  dans 
Brise-Noix,  Casse-Noix,  Casse- Noisette.  Ce  financier 
était-il  parent  du  marquis  de  Ghauvelin,  ambassadeur 
à  Gênes,  et  de  de  son  frère,  chanoine  de  Notre- 
Dame,  siégeant  au  parlement  ?  Louis  Ghauvelin  de 
Crisenoi,  dès  le  milieu  du  xvn''  siècle,  était  receveur- 
général  des  domaines  et  bois  de  la  généralité  de  Paris. 

Le  Domaine  de  l'État  n'en  a  pas  moins  pris 
possession  de  l'hôtel  Crisenoi  h.  l'époque  révolu- 
tionnaire. Puis  la  maison  a  été  cédée  aux  héritiers 
de  Jacques  Vaussy,  en  échange  du  Jeu  de  Paume 
où  avait  commencé  par  un  serment  l'ère  nouvelle 
et  regardé  pour  cela  même  comme  un  monument 
national,  en  exécution  de  la  loi  du  23  messidor 
au  vu,  conformément  ù  un  arrêté  consulaire  du 
19  prairial  an  ix  et  par  décision  du  ministre  des 
Finances  du  12  messidor  même  année.  Les  héritiers 
Vaussy  étaient  les  mineurs  Langlois,  M"'^  Molènes, 
née  Alison,  M"«  Vaussy  et  Angélique-Nicole  Langlois, 
épouse  de  Jacques-Joseph  ïahna.  Permis  de  croire, 


RUE  COQUILLIERE.  371 

par  conséquent,  que  le  crédit  du  tragédien  Talma 
chez  le  premier-consul  n'avait  pas  nui  à  la  conclusion 
de  l'affaire  qui  intéressait  sa  femme  et  qui  demeurait  en 
suspensdepuisle20juinl789.  A  l'audience  des  criées, 
le  8  floréal  an  x,  l'architecte  Lemoyne  se  faisait 
adjuger  l'immeuble  attribué  à  ladite  succession, 
ancien  hôtel  Crisenoi,  dont  une  aile  tenait  alors 
à  Fouché  et  le  fond  à  la  compagnie  Saint-Simon. 
M.  Tiolier,  graveur-général  des  monnaies,  fut.  en 
1808  l'acquéreur  de  Lemoyne. 

Au-delà  de  la  rue  du  Bouloi,  sur  la  même  ligne, 
l'année  1705  voyait  se  suivre  comme  propriétaires  : 

Les  carmélites  (plusieurs  maisons,  ne  comptant  que 
pour  une  encore).  —  Darboulin  (2  portes  cochères).  — 
M"»  Felsot  de  la  Ïour-Saiut-Wast,  à  l'Epée-de-Bois.  — 
Mm»  Yvon  (porte  cochère),  au  Roi-d'Angleterre. —  MUe 
Pornet  (porte  cochère).  —  Dubois  et  consorts.  — 
Fleury,    à   l'Amandier-Fleuri. 

Sur  la  ligne  opposée,  dans  toute  la  longueur  de 
la  rue,  même  date: 

Chevalier  (coin  de  la  rue  du  Jour).  —  La  fabrique 
de  Saint-Eustache.  —  Parquet,  tapissier.  —  Le  même, 
au  Grand-Apollon.  —  Be:rier  (porte  cochère).  —  De 
la  Tbouanne  (porte  cochère).  —  Dieufinois,  médecin, 
aui  Trois-Bouteilles  (coin  de  la  rue  PlâtrièreK  —  De 
Bullion.  prévôt  de  Paris,  à  la  Gerbe-de-Fromer-t  (autre 
encoigoure).  —  Le  même.  —  De  Beauvais,  notaire  (2 
portes).   —  De  Bullion  (porte     cochère).  —    Le     même. 

—  Le  même,  à   Saint-Jean  (coin    de    la  rue  Coq-Hérou). 

—  Le    duc  de  Gesvres  (porte   cochère),  autre  encoignure. 

—  Le  même  (porte  cochère).  —  Le  même.  —  Le  même 
(simple  mur).  —  Maio  (porte  cochère).  — M™"    Lafayette. 

—  Béchet.  —  Aubert,  introducteur  des  ambassadeurs 
(2  portes  cochères).  —  Guyeux,  procureur  (coin  de  la 
me  des  Vieux-Augustins  (1).  ) —  De  Beauvais,  notaire 
(son  étude  et  domicile,  autre  encoignure).  —  Chevalier. 

(1)  En   ce   temps-ci  rue   d'Argout. 


372  RUE   COQUILLIERE. 

L'hôtel  bâti  en  l'année  1630,  sur  le  plan  de 
Levau,  pour  le  surintendant  des  tinances  Bullion, 
donnait  aussi  rue  Coq-Héron,  mais  principalement 
rue  Plàtrière.  Ses  dépendances  sur  la  rue  Coquillière 
n'étaient  pas  toutes  du  même  jet.  Dans  cette 
région,  le  ir  22,  qui  manque  trop  de  profondeur 
pour  avoir  surgi  seul,  garde  un  escalier  à  balustres 
pour  témoigner  d'un  âge  plus  avancé.  L'hôtel 
Bullion  s'est  consacré  aux  ventes  publiques  en 
1780;  mais  les  priseurs  et  les  enchérisseurs  n'avaient 
que  faire  de  la  totalité:  deux  belles  galeries  se 
convertissaient  donc  en  une  loge  maçonnique  et  la 
grand'salle  servait  à  donner  des  concerts;  il  y  avait, 
en  outre,  des  locataires.  Talma  lui-même  demeurait 
à  l'hôtel  Bullion  lors  de  ses  débuts  aux  Français. 

Un  petit  nombre  d'années  après,  le  comité  des 
halles  et  marchés  tenait  des  séances  au  ci-devant 
hôtel  Witmer.  Ainsi  s'appelait  un  fermier-général 
dont  l'ancienne  propriété  était  sous  la  Restauration 
au  général  baron  do  Baltus,  mais  s'exploitait  déjà 
en  hôtel-garni  sous  le  premier  empire  :  c'est  encore 
l'hôtel  Coquillière. 

Du  29  et  de  cinq  autres  maisons  à  la  suite  furent 
en  possession  les  carmélites,  qui  toutefois  aliénèreiit 
plusieurs  lots  de  leur  couvent  de  la  rue  du  Bouloi  et 
de  la  rue  Coquillière,  après  l'avoir  quitté.  Ce  que  le 
duc  de  Gesvres  eut  vis-îi-vis  faisait  aussi  plus  ou 
moins  corps  avec  son  hôtel  de  la  rue  Coq-Héron, 
qui  fut  pareillement  celui  de  Michel  de  Chamillard, 
contrôleur-général  des  finances  et  ministre  de  la 
Guerre  sous  le   même  règne. 

A  l'ancienne  Épée-de-Bois  ou  h  l'ancien  Roi- 
d'Angleterre  cohabitaient,  en  un  temps  moins 
reculé,  les  filles  Dumoulin  et  Viriville.  Ces  deux 
impures  fréquentaient,  en  toilettes  voyantes,  les 
promenades  à  la  mode  ;  mais  une  fois  elles  n'y 
firent  la  conquête  que  de  deux  mystificateurs,  les 


RUE  COQUILLIERE.  373 

acteurs  Musson  et  Dugazon,  qui  leur  offraient,  de 
la  part  du  Grand-Turc,  un  engagement  de  sérail 
pour  trois  ans  :  l'un  se  donnait  pour  le  médecin, 
l'autre  pour  l'essayeur  des  odalisques.  Rien  ne 
manquait  plus  à  l'édification  des  deux  agents 
quand  ils  sortirent,  afin  de  rédiger  le  rapport 
favorable  qu'attendait  Sa  Hautesse  ;  mais  le  secret 
s'en  garda  si  mal  que,  le  lendemain,  les  deux  futures 
pensionnaires  du  harem  étaient  inontrées  au  doigt 
dans  le  jardin  du  Palais-Royal,  où  elles  n'osèrent 
plus  reparaître. 

Le  comédien  Fleury  avait  son  logement,  en 
l'an  vni,  dans  une  autre  maison,  que  distinguent 
sa  cour  illustrée  de  sculptures,  une  rampe  en  fer 
tordu  dans  l'escalier  et  le  chiffre  44  dont  la  porte 
est  guillemettée.  La  distinction  de  ses  manières 
à  la  scène,  dans  V École  des  Bourgeois,  V Homme  à 
bonnes  Fortunes  et  le  Chevalier  à  la  Mode,  faisaient 
de  Fleury  un  modèle,  tant  il  excellait  à  copier 
ceux  qui  donnaient  le  ton  à  l'ancienne  cour  !  Mais 
il  avait  failli,  sous  la  Terreur,  être  traité  absolu- 
ment lomme  un  homme  de  condition  et  jouer  un 
rôle  qu'on  ne  saurait  répéter.  Par  ordre  de  Collot- 
d'Herbois,  Fleury,  Larive,  Dazincourt,  M"^  Contât 
et  M"*^  Raucourt  avaient  été  mis  en  jugement,  à  la 
suite  des  représentations  de  YAmi  des  Lois,  et 
ils  eussent  succombé  assurément  si  M.  de  Russierre, 
qui  ne  pouvait  les  sauver  que  par  un  moyen  de 
comédie,  n'avait  soustrait  le  dossier  de  l'accusation 
au  comité  de  sûreté  générale,  dont  il  se  trouvait 
l'employé. 

La  rue,  en  fin  de  compte,  n'a  guère  l'air  d'être 
du  xn'^  siècle.  Mais  elle  comptait  sous  Louis  XIV 
42  constructions  et  17  luminaires  ;  c'est  approxima- 
tivement le  même  nombre  qu'à-présent.  Une  croix 
y  surgissait  près  Saint-Eustache,  au  droit  de  la 
rue  du  Jour. 


u 


iBoUleVard    Contrescarpe,    rue    Mazei, 

XAGUÈRB 

Contrescarpe-Dauphine, 
et    rue   Blainville, 

NAGUÈRE 

Contresearpe-8aint-illarcel.  (i) 


Feuillets  d'histoire  posthume  pour  les  fortifications 
de  trois  anciennes  portes   de    la  ville. 

Trois  voies  de  communication  portent  encore 
ce  nom  de  Contrescarpe  qui  nous  rappelle  d'an- 
ciennes portes  de  Paris,  dont  elles  contournaient 
l'escarpe. 

La  porte  Saint-Antoine,  construite  sous  Henri 
II  et  que  décoraient  des  sculptures  de  Jean  Goujon, 
fut  sacrifiée  dès  Tannée  1777  à  la  formation  d'une 
petite  place  de  la  Porte-Saint-Antoine,  fondue  depuis 
dans  celle  de  la  Bastille.  La  mise  en  communica- 


(1)  Notice  écrite  eu  1859.  La  rue  Contrescarpe-Dau- 
phine  était  aussi  imiirectement  voisine  de  l'école  de 
^lédecine  que  lame  ContresCc»rpe-Saint-Marcel  du  Jardin- 
des-Plautes;  leur  accouplement,  dû  à  l'identité  d'origine 
et  raaiiitenu  par  l'ordre  alphabétique,  n'a  été  dissous 
que  depuis.  Un  médecin  et  un  naturaliste  de  la  première 
moitié  de  notre  siècle  sont  maintenant  leurs  patrons 
respectifs.  Seulement  la  lue  Blainville  a  perdu  ce 
qu'avait  la  rue  Contrescarpe-Saint-Marcel  entre  la  rue 
Mouffetard  et  la  rue  de  Fourcy,  maintenant  Thouiu  : 
retranchement  qui  profite  à  la  rue  du  Cardinal-Lemoine, 
naguère   des   Fossés-Saint-Victor. 


BOULEVARD   CONTRESCARPE,  ETC.        375 

tion  de  la  rue  du  Faubourg-Saint-Antoine  avec  la 
chaussée  de  Bercy  rétrécissait  le  fossé  de  la  Bastille, 
en  1781,  et  supprimait  quelques  échoppes,  se  don- 
nant en  location,  pour  lesquelles  l'état-major  de  cette 
place-forte  se  contenta  d'une  légère  indemnité, 
payée  par  le  bureau  de  la  Ville,  L'alignement  de 
la  rue  Amelot,  qui  se  trouvait  ainsi  continué,  avait 
reculé  dans  le  fossé  la  contrescarpe  du  bastion 
détaché  de  la  demi-lune  de  la  Bastille.  Mais  plus 
encore  de  murailles  et  de  fossés  auraient  été 
impuissants  à  défendre  la  forteresse  elle-même 
contre  le  vent  qui  se  déchaîna  pour  l'abattre.  Il 
n'en  restait  plus  que  l'emplacement,  dont  Charles 
V  avait  agrandi  Paris  en  élevant  ce  monument 
de  défense,  devenu  celui  des  lettres  de  cachet. 
La  rue  sortie  en  1790  de  l'ancienne  contrescarpe 
a  un  boulevard  pour  seconde  édition,  corrigée 
et  augmentée  vers  la  tin  du  règne  de  Louis- 
Philippe  par  l'édilité  parisienne. 

Une  rue  Contrescarpe-Dauphine  ou  de  Saint- 
André  s'était  ouverte,  dans  la  zone  de  l'enceinte 
de  Philippe-Auguste,  en  aile  de  la  porte  Buci; 
on  l'appelait  néanmoins  de  la  Basoche  en  1636, 
c'est-à  dire  trente-six  années  avant  qu'on  démolît 
la  porte,  qui  avait  aussi  bien  cessé  de  s'ouvrir 
et  de  se  fermer  que  la  porte  Saint-Denis  à  notre 
époque. 

Cette  rue  courbe,  sur  le  plan  de  1714,  accuse 
10  maisons,  qui  sont  les  mêmes  que  de  nos  jours, 
et  dès-lors  elle  se  rétrécit  sensiblement  pour  se 
planter,  comme  une  corne,  dans  le  flanc  de  la  rue 
Saint-André-des-Arts.  Des  fenêtres  h  coulisses  et  à 
petits  carreaux,  voire  même  plusieurs  œils-de-bœuf, 
ne  dissimulent  pas  que  le  côté  droit  aura  quelque 
chose  à  nous  dire  ;  mais  il  semble  que  l'autre  côté 
donne  à  choisir  le  siècle,  avant  d'y  repoiter  le  curieux 
qui  l'interroge.  Par-là  tournait  avec  la  contres- 
carpe un  séjour  de  Navarre,  en  marge  rue  Saint- 


376       BOULEVARD    CONTRESCARPE,  ETC. 

André-des-Arts.  Il  appartint  à  la  reine  Jeanne 
qui,  tout  en  étant  la  femme  de  Phiiippe-le-Bel, 
conserva  personnellemeat  l'administration  de  la 
Navarre  et  de  la  Champagne,  états  qu'elle  tenait 
de  son  père  et  qu'elle  délivra  à  main  armée  de 
leurs  envahisseurs.  L'hôtel  devint  Buci  ;  mais  c'est 
sans  doute  avant  que  Charles  VII  fit  murer  la 
porte  voisine,  dont  Périnet-Leclerc  avait  livré  les 
clefs,  par  trahison,  aux  troupes  du  duc  de  Bour- 
gogne. Celte  pénitence  matérielle  ne  fut  levée 
que  par  François  l"  pour  la  porte  Saint-Germain, 
anciennement  Buci.  Les  archevêques  de  Lyon  ne 
nous  semblent  avoir  pris  possession  de  la  résidence 
qu'au  XVI""^  siècle.  Plusieurs  maisons  contiguës 
à  leurs  grand  et  petit  hôtels,  renouvelés  de  celui 
de  Navarre,   ont  appartenu  aux  mêmes  prélats. 

Quelque  Notre-Dame  de  Fourvière,  devant 
laquelle  on  se  signait,  rayonnait  sans  doute  dans 
la  niche  en  souffrance  du  n"  11.  Le  7  n'est  plus 
au  rez-de-chaussée  qu'une  remise  de  voitures  à 
bras  et  il  n'en  porte  pas  moins  la  tête  haute  ; 
ce  matériel  de  petit  roulage  ne  rappelle  guère 
que  l'auberge  du  Cheval-Blanc,  qui  a  gardé  tout 
à  côté  une  physionomie  si  pittoresque,  était  sous 
Louis  XIV  un  point  de  départ  et  d'arrivée  pour 
les  voyageurs,  h.  l'enseigne  des  Carrosses-d'Orléans. 
Au  milieu  du  règne  suivant,  le  service  avait  déjà 
dû  s'améliorer;  mais  il  y  avait  encore  peu  de 
voyageurs.  Les  carrosses  et  messageries  de  ce 
bureau  desservaient  Orléans,  Vendôme,  Bourges, 
Tours,  La  Rochelle  et  Bordeaux;  il  partait  une 
seule  voiture  par  semaine  pour  chacune  de  ces 
destinations  ;  le  prix  était  de  96  livres  pour 
Bordeaux,  nourriture  comprise,  avec  6  sols  de 
supplément  par  livre  de  bagages.  Des  bâtiments 
que  vous  voyez  formaient  leur  carré  sur  une  cour 
dès  l'année  1652;  mais  ils  dépendaient  toujours 
de  l'hôtel  de  Lyon,   qui  se  maintenait  principale- 


BOULEVARD  CONTRESCARPE,    ETC.        377 

ment  rue  Saint-André-des-Arts,  d'après  Gomboust. 
Par  contre,  un  plan  de  1743  ne  marquait  plus 
le  même  hôtel  qu'en  la  rue  Contrescarpe-Dauphine. 

Le  service  général  de  la  Poste  aux  Chevaux  y 
remplaçait  des  services  partiels  de  diligences  quand 
M.  de  Veymerange  fut  nommé  intendant  des  Postes 
et  Relais.  L'université  de  Paris  avait  joui  d'un 
privilège  de  messageries  et  de  postes,  remplacé 
en  1719  par  le  28""'  de  ce  que  rapporteraient  les 
Messageries  et  Postes  royales:  part  qui  s'élevait 
d'abord  à  120,000  livres  et  qu'avait  dû  grossir 
l'augmentation  croissante  du  bail.  Fallait-il  pourtant 
que  M.  de  Veymerange  gagnât  de  l'argent!  Il 
était  si  gros  joueur  que  M.  de  Choiseul  lui  en 
avait  retiré  l'emploi  de  commissaire  des  guerres; 
mais  la  disgrâce  de  ce  ministre  avait  permis  à 
sa  victime  de  revenir  sur  l'eau  et  d'obtenir,  avant 
de  prendre  les  Postes,  jusqu'à  l'inlendaiice  de  l'armée 
qui  devait  passer  en  Angleterre.  Il  n'en  était 
d'ailleurs  pas  quitte  avec  M"''  Adeline,  de  la  Comédie- 
Italienne,  â  moins  de  10,000  livres  par  mois. 
Encore  cette  beauté  à  hôtel  et  â  équipage  osa- 
t-elle  tromper  avec  un  maquignon  l'intendant  de 
la  Poste  aux  Chevaux  !  Sa  seule  excuse  était  que 
le  protecteur  n'avait  pas  craint  de  marchander, 
pour  le  lui  offrir,  un  attelage,  qui  n'avait  été  livré 
par  le  fournisseur  que  moyennant  ce  pot-de-vin 
en  nature.  Tout  en  taisant  â  Adeline  l'honneur 
de  croire  que  c'était  par  trop  cher,  M.  de  Vey- 
merange rompit  net  avec  elle. 

Les  murs  du  fossé  de  Paris  avaient  été  doubles 
également  et  séparés  l'un  de  l'autre  par  une  con- 
trescarpe près  la  porte  Saint-Marcel.  Messire  de 
Fourcy,  prévôt-des-marchands,  reçut  en  1685 
l'autorisation  de  débarrasser  la  voie  publique  de 
cette  porte,  pour  donner  une  pente  plus  douce 
aux  abords  des  maisons  qui  se  comptaient  dès- 
lors    rue    Contrescarpe  -  Saint  -  Marcel    et    qu'on 


378        BOULEVARD   CONTRESCARPE,    ETC. 

reprit  en  sous-œuvre,  à  15  pieds  de  l'ancien  niveau, 
en  donnant  une  indemnité  à  leurs  propriétaires. 
Sous  Louis  XIV  étaient  aussi  comblés  les  derniers 
des  fossés  creusés  depuis  cinq  siècles  entre  les  portes 
Saint-Victor  et  Saint-Jacques,  ligne  dont  avaient  fait 
partie  ceux  sur  lesquels  régnait  ladite  rue. 

Elle  n'avait  en  ce  temps-là  que  deux  propriétés  qui 
ressortissent  du  quartier  de  la  place  Maubert.  Nous 
estimons  celles  qui  répondent  aux  premiers  chiffres 
impairs  antérieures  au  changement  de  niveau  opéré 
sous  les  auspices  de  Fourcy.  Mais  le  2,  dont  les 
étages  font  nombre,  a  dû  s'asseoir  sur  la  pente 
adoucie,  ainsi  que  le  4  et  le  6,  aux  constructions 
basses   qui    servent  d'ateliers. 

Le  côté  gauche  de  la  rue  commençait,  en  1663, 
par  les  Deux-Aigles,  maison  et  jeu  de  paume  sous 
la  même  clef.  Venaient  après  les  Deux-Bouteilles, 
dont  Michel  Santeuil  était  propriétaire.  Ensuite, 
le- Puits-Tartare,  à  Nicolas  Bouvier. 

Notre  n°  7  appartenait  à  Claude  Coustellier 
et  se  vendit  plus  tard,  en  1740,  à  Baptiste 
Bouille,  officier,  dont  l'héritier  fut  Michel  Rouillé 
de  Fontaine,  conseiller  honoraire  au  parlement. 
Un  jeu  de  paume  y  était  mitoyen  avec  le  Puits- 
Tartare,  au  XVII I*^  siècle;  mais  d'autre  part  s'y 
rattachait,  à  l'angle  de  la  rue  MoulTetard,  le  cabaret 
qui  avait  arboré  le  premier  une  Pomme-de-Pin. 
Ce  tournebride,  qu'on  ne  regardait  pas  comme  plus 
jeune  que  le  mur  d'enceinte,  servait  dans  l'ancienne 
contrescarpe  de  salle  d'attente  aux  domestiques, 
aux  porteurs  de  chaise  et  aux  montures  des 
personnages  qui  ne  faisaient  pas  à  pied  leurs 
visites  de  curiosité  ou  de  famille  au  collège  de 
Navarre  ou  à  l'abbaye  do  Sainte-Geneviève.  Rabelais, 
en  en  vantant  les  agréments,  n'avait-il  pas  signé  les 
lettres  d'anoblissement  d'une  taverne,  deveime 
bientôt  celle  de  la  Pléiade  de  Ronsard  ?  La  même 


BOULEVARD   CONTRESCARPE.   ETC.        379 

invocation  fut  prise  par  d'autres  cabarets,  notam- 
ment par  celui  de  la  rue  de  la  Juiverie  qui  se 
flattait  de  faire  suite  au  premier,  et  où  Racine, 
Molière,  Chapelle,  Lafontaine  se  réunissaient.  Une 
autre  buvette  risquait  la  même  enseigne  à  la 
Vallée-de-Misère,  quai  de  la  Mégisserie  :  c'était  la 
Pomme-de-Pin  des  racoleurs.  La  bravoui-e  en 
bouteilles  se  débita  aussi,  du  temps  de  Louis  XVI, 
chez  un  concie.ge  du  jardin  des  Tuileries,  à 
l'extrémité  de  la  terrasse  du  boid  de  l'eau  :  Pomme-de- 
Pin  encore,  Pomme-de-Pin!  Et  j'en  passe.  Étiquette, 
célèbre,  à  coup  sijr,  et  qui  méritait  d'autant  mieux  de 
survivre  aux  révolutions  que  celles-ci  ont  multi- 
plié jusqu'à  l'abus  ces  sortes  d'établissements,  qui 
tendent  à  devenir  aussi  bêtes  qu'on  y  avait  de 
l'esprit  quand  ils  restaient  encore  clairsemés  !  De 
l'immeuble  s'est  retranchée  son  encoignure,  qui 
n'a  plus  rien  d'ancien  que  pour  mémoire  :  une 
inscription  eu  lettres  gothiques  indique  exactement 
la  place  qu'occupait  le  mémorable  cabaret.  Toutefois 
le  dernier  exploitant  de  ce  fonds  de  commerce 
historique  a  cédé  lui-même  son  enseigne  à  un 
marchand-de-vin,  dont  la  boutique  se  trouve  en  face 
de  l'inscription,  grâce  h  une  place  qui  n'a  été  formée 
qu'en  1853.  Pierre  Dupont  fait  acte  d'apparition 
de  temps  à  autre,  comme  un  fantôme  du  curé 
de  Meudon,  dans  cette  buvette  au  vin  parfumé 
de  souvenances  qui  enorgueillissent  le  buveur 
et  où  une  toile,  en  regard  du  comptoir,  repré- 
sente cette  porte  Saint-Marcel  dont  nous  rappelions 
tout-à-l'heure  l'exécution. 

Le  15,  qui  plie  sous  les  années,  est  aussi 
l'endroit  où  fait  coude  l'avant-bras  de  la  rue 
Contiescarpe-Saint-Marcel,  qui  dépendait  du  quar- 
tier Saint-Benoît,  pour  11  de  ses  maisons,  peu  de 
temps  après  l'aplanissemeut  relatif  de  la  voie. 
Les  n"'  12,  14,  17  et  19  semblent  d'un  âge  plus 
avancé  que  le  21,   maison  à    quatre    portes,    et 


380        BOULEVARD   CONTRESCARPE,  ETC. 

que  le  23,  qui  compte  huit  étages,  dont  cinq 
d'escalier  à  balustres,  filature  de  coton  sous  le 
premier  empire.  A  cette  dernière  propriété  est 
contiguë  une  maison  h  façade  percée  d'une  niche  ; 
vers  la  fin  du  siècle  précédent,  un  charpentier 
y  demeurait.  Plusieurs  de  ces  immeubles  faisaient 
corps,  nous  dit-on,  avec  la  caserne  de  la  rue 
Neuve-Sainte-Geneviève  (i),  annexe  de  la  caserne 
de  Lourcine  ;  mais  on  serait  porté  à  les  prendre 
de  préférence  pour  un  ancien  couvent,  et  il  nous 
revient  d'autre  part  qu'une  communauté  de  Sainte- 
Perpétue  a  siégé  par-là. 

Pas  moyen  de  dire  plus  au  juste  à  quel  n"  de 
la  même  rue  habitait  Catherine  Théos,  visionnaire 
exaltée,  dite  la  Mère  de  Dieu.  Un  arrêt  du  tri- 
bunal révolutionnaire  la  fit  exécuter  avec  dom 
Gerle,  la  marquise  de  Chatenois  et  Quéviemont, 
médecin  du  duc  d'Orléans,  le  27  prairial  an  n, 
d'après  M,  Girault  de  Saint-Fargeau.  Mais  M. 
Bouillet  la  fait  mourir  k  la  conciergerie. 


(1)  Maintenant  rue   Tournefort. 


Rue   de  Coiircelles.  (i) 


Les  Folies  de-Chartres.  —  Autres  Folies  plus  dissi- 
mulées. —  L'hôtel  Choiseul-Gouffier .  —  L'Hôpital. 
—  La  Princesse  Borghèse.  —  Vers  inédits.  — 
Delorme.  —  La  Princesse   Mathilde. 

Delille  a  célébré  en  vers  les  charmes  du  parc 
de  Monceau,  dont  la  dénomination  rappelle  seule 
un  château  habité  près  de  Meaux  par  Catherisiu 
de  Médicis.  Les  Folies-de-Gliartres,  dont  les  fiais 
étaient  faits  en  1778,  sur  le  territoire  du  village 
de  Monceau,  tout  près  de  Paris,  par  le  duc  de 
Chartres,  prince  d'Orléans,  plus  tard  Philipiie- 
Égalité,  n'ont  verdoyé  lilléralement  en  ville  .,  ic 
quand  les  fermiers-généraux  eurent  ceint  Paris  iiu 
nouveau  mur  qui  se  convertissait  en  fossé  .-iir 
la  lisière  de  cet  enclos  princier ,  afin  de 
ne  pas  gêner  la  vue,  tout  en  gênant  la  con- 
trebande. Terrain  nu  et  aride,  habilement  tr^i us- 
formé  en  un  jardin  anglais,  où  l'eau  était  amenée 


(1)  Notice  écrite  en  1859.  La  rue  de  Courrelles  com- 
mençait seulement  à  être  passée  au  crible.  Trois  voies 
nouvelles  s'y  faisaient  déjà  jour  ;  mais  aujourd'hui  elles 
sont  huit  :  les  rues  de  Labautue,  Rembrandt,  de  Lisbonne, 
Muriilo.  Van  Dyck  et  de  Viirny,  le  boulevard  Hau?s- 
maun,  d'abord  boulevard  Beaujon,  et  l'avenue  de  la 
Reine  Hortense,  d'abord  boulevard  Monceau.  La  rue 
lardée  par  tatit  de  itercements  s'est,  de  plus,  élaigie 
à  partir  du  boulevard  Haussniann.  Le  paie  Monce;iii, 
qui  la  longeait,  s'est  morcelé  ;  il  n'en  reste  plus  qu'un 
tiers,  maintenant  livré  a»  public,  dont  la  rue  Van-Dyek 
fait  partie.  Mais  a'issi,  dejiuis  que  la  barrière  est 
recu'ée,  la  rue  rte  Courcelles  qui  y  (inissuit  ab'^orlie 
la  rue  du  même  nom  qui  veiiait  après,  dans  le  hameau 
de  Courcelles,  et  se  pouisuiton  conséquence  jusqu.iux 
Fortifications. 


382  RUE   DE    COURCELLES. 

en  abondance,  et  ingénieusement  accidenté  sur  un 
plan  qui  taisait  honneur  à  l'imagination  de  l'auteur 
dramatique  Carmontelle,  que  le  prince  avait  pour 
lecteur.  En  parsemant  de  fabriques  le  paysage, 
cet  ordonnateur  avait  su  isoler  avec  art,  afin  de 
s'en  montrer  moins  prodigue,  nymphées,  tombeaux, 
forts  crénelés,  obélisques,  temples,  pagodes,  kios- 
ques et  grottes.  La  verdure  séparait  un  château 
en  ruines  d'un  moulin  h  vent  hollandais,  dont  le 
souffle  faisait  frissonner  desvignes  plantées  à  l'ita- 
lienne. Ces  amoureuses  du  soleil,  qui  l'attendaient 
échevelées,  en  eussent  mieux  reçu  les  visites 
dans  le  pays  dont  elle  suivaient  la  mode  ;  toute- 
fois leurs  pieds  frileux  n'auraient  pas  tenu  à  la  cha- 
leur d'une  pompe  îi  feu,  qui  fonctionnait  plus  loin  pour 
donner  la  vie  de  la  nature  aux  aquarelles  de  l'afcum 
si  merveilleusement  réalisé  !  Les  pavillons  étaient 
plusieurs  :  celui  du  prince,  le  bleu,  le  jaune,  le 
transparent,  le  blanc  et  le  chinois.  Un  temple 
de  Mars  et  un  bassin,  disposé  pour  le  bain,  que 
des  statues  décoraient,  se  dégageaient,  comme 
deux  des  principaux  motifs,  de  la  ritournelle  des 
rochers,  des  caveines,  des  pyiamides  égyptiennes, 
des  ruines  grecques  et  gothiques,  des  péristyles, 
des  jeux  de  bagues,  des  rivières,  des  cascades, 
des  balançoires  et  des  jardins  d'hiver.  Com- 
ment vous  dire  toutes  les  pièces  disparues  de 
ce  spectacle  pittoresque,  dont  Carmontelle  était 
le  machiniste  !  Dans  ce  qui  reste  on  remarque  la 
Naumachie,  vaste  bassin  ovale,  bordé  d'une  co- 
lonnade corinthienne,  et  un  autre  bassin,  de  marbre 
blanc,  où  figurait  un  charmant  groupe.  Houdon  y 
avait  représenté  une  femme  au  bain,  derrière 
laquelle  une  autre  femme,  exécutée  en  plomb  et 
peinte  en  noir,  figurait  une  négresse,  tenant  d'une 
main  une  draperie,  de  marbre  blanc  également, 
et    de    l'autre    main  une  aiguière  d'or,   dont  elle 


RUE   DE    COURCELLES.  383 

répandait,  sur  le  corps  de  sa  belle  maîtresse,  l'eau 
qui  retombait  en  nappe  dans  le  bassin. 

Un  décret  de  la  Convention  (tloréal  an  n)  affecta 
les  ci-devant  Foiies-de-Chartres  à  divers  établisse- 
ments d'utilité  publique.  Puis  on  y  remit  quelques 
jeux  en  vigueur,  en  y  donnant  des  bals  d'été, 
qui  ne  furent  pas  longtemps  suivis.  Nfipoléon  P'' 
gratifia  de  cette  propriété  Cambacérès,  qui  la  lui 
rendit  ensuite  à  cause  désirais  d'entretien  que  la 
jouissance  en  exigeait.  Louis  XVIIÏ  la  restitua  à 
la  famille  d'Orléans,  qui  en  fut  légalement  pro- 
priétaire jusqu'aux  décrets  présidentiels  de  janvier 
1852,  bien  que  la  révolution  de  Février  en  eût 
fait  précédemment  le  quartier-général  de  ses 
Ateliers  nationaux. 

Sur  la  rue  de  Courcelles,  quels  étaient  les  vi.s- 
à-vis  du  duc  de  Chartres?  Une  tour  pavoise  le 
jardin  du  77,  disposé  pour  un  grand  seigneur,  qui 
en  fit  sa  petite-maison  quatid  les  Folies  étaient  en 
quelque  chose  le  palais  de  la  spécialité.  La  sagesse 
ne  passe  pas  davantage  pour  avoir  séché  les 
plâtres  d'une  villa  qu'habitait derniè'"ement  M,  Nisard, 
de  rAcadémie-''Fran(;aise,  et  que  vient  de  réduire  la 
formation  d'un  boulevïird  Monceau.  Le  61,  autre 
cottage,  fut  acquis  en  1848  des  héritiers  de 
M.  Daingremont,  officier  supérieur,  par  M.  Artaud, 
vice-recteur  de  l'Académie  de  Paris.  Jusque-là  rien 
qui  fît  absolument  contraste.  Mais  le  derrière  de 
l'hôpital  fondé  en  1784  par  le  financier  Boaujon 
était  loin  de  renvoyer  aux  pavillons  princiers 
du  parc  l'écho  de  leurs  gaietés  nocturnes.  La 
chapelle  et  le  jardin  de  l'hospice  y  ont  leurs 
portes,  et  voilà  celle  d'une  sorte  de  purgatoire  pour 
les  dépouilles  mortelles,  pondant  le  laps  où  ellrs 
peuvent  être  réclamées.  Tout  corps  dont  ne  prend 
souci  personne  est  attendu  dans  un  amphithéâtre, 
où  le  lit  de  la  clinique  posthume  est  encore  plus 
froid  que  l'alité. 


381  RUE    DE   COURCELLES. 

Une  succursale  des  écuries  de  l'empereur  occupe 
d'anciennes  dépendances  des  FoIies-de-Chartres,  où 
l'on  a  supprimé  depuis  peu  un  corps  de-garde.  Là 
commençait  naguère  la  rue  de  Chartres,  qui  s'était 
appelée  de  Mantoue  depuis  l'an  vi  jusqu'à  la  rentrée 
des  Bourbons  en  commémoration  de  l'évacuation 
de  cette  ville  par  les  Autrichiens  (14  pluviôse 
an  v).  Mais  avant  que  le  prince  y  fût  propriétaire, 
la  rue  de  Chartres  s'était  quaiitiée  chemin  de 
Courcelles  et  elle  avait  fait  suite  à  la  rue  de 
Villiers,   dite  de  Courcelles  en  1769. 

Un  bas-relief,  qui  est  un  antique,  décore  la 
façade  du  40  depuis  que  cet  immeuble  et  le  38 
font  deux  pour  le  cadastre.  M.  le  comte  de 
Castellane  achetait  celui-ci,  en  1838,  de  la  famille 
du  comte  de  Vichy,  qui  lui-même  l'avait  acquis, 
le  3  pluviôse  an  x,  de  François  de  Belle,  général 
d'artillerie,  et  la  division  était  postérieure  à  la  Ré- 
volution. Tout  appartenait  donc,  en  1792,  à  Jacques- 
Ezéchiel  de  Trémouille,  conseiller  du  roi,  nommé 
président  de  la  cour  des  Monnaies  en  1781;  son 
beau-père,  M.  d'Émery,  qui  était  mort  porte-manteau 
honoraire  du  duc  d'Angoulême,  tils  du  comte 
d'Artois,  avait  fait  élever  l'hôtel  sur  un  terrain  à 
lui  vendu  par  les  héritiers  de  Lebouteux,  maîire- 
jardinier  ;  mais  l'officier  de  la  maison  princière 
n'avait  pas  plus  habité  rue  de  Courcelles  que 
son  gendre,   le  président. 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  leur  propriété  servait 
aux  menus-plaisirs  d'un  personnage  qui  n'appar- 
tenait pas  moins  à  la  noblesse  couronnée  que  le 
prince  des  Folies  voisines  et  qui  avait  aussi  plus 
d'une  petite-maison.  Preuve  accablante  :  une  chaise 
à  bascule  a  été  retrouvée  dans  les  greniers,  avant 
même  que  les  médecins  fissent  usage  de  cette 
trappe  mobilière  dans  leur  cabinet  de  consultations. 
Fi  l'horreur  !  Un  mari  lui-même  serait  blâmé  d'avoir 
recours,  ne  fût-ce  qu'une  fois,    à    l'expédient  de 


RUE  DE  COURCELLES.  385 

ruse  et  de  violence  qui  sera  permis  au  médecin, 
pour  si  peu  que  la  même  pudeur  en  revienne  à  ses 
hésitations  du  premier  jour,  D'Émery  et  Trémouille 
eurent  ensuite  pour  locataire  la  marquise  de 
Choiseul  jusqu'à  la  mort  de  l'illustre  duc  du  même 
nom,  ancien  ministre  de  Louis  XV,  puis  le  marquis 
de  Gouffîer,  mestre-decamp  de  cavalerie,  et  leur 
alliance  fut  scellée  dans  l'hôtel  par  la  signature 
du  contrat  de  mariage  de  la  fille  du  marquis  avec 
le  comte  qui,  sous  le  nom  de  Choiseul-Gouffier, 
joua  depuis  !ors  un  assez  grand  rôle.  Antonio 
de  la  Cerda  è  Veraa,  marquis  de  la  Rosa  et  de 
la  Mota  cie  Treco,  premier  maître  d'hôtel  du  prince 
des  Asturies,  succéda  sur  les  lieux  au  marquis 
de  Goutïier  en  l'année  1788. 

La  princesse  Borghèse,  sœur  de  Napoléon,  occupa 
sous  l'Empire  le  même  hôtel,  dont  l'état  délabré, 
en  ce  qui  regarde  le  n"  38,  attend  encore  sa 
propre  restauration.  On  y  remarque  une  salle-à- 
manger,  qui  a  dû  être  tort  jolie;  les  murs  et  le 
plafond  en  revêtent  un  paysage  sylvatique,  où 
des  glaces  figurent  l'eau  qui  dort  dans  le  lointain 
et  où  des  nervures  capricieuses,  qui  parcourent 
le  cristal,  jouent  ie  rôle  de  roseaux.  Le  jardin 
suisse  sur  lequel  s'éclairait  la  pièce  a  été,  par 
malheur,  réduit  et  transformé  en  cour  ;  il  en  reste 
toutefois  quelques  arbres.  Un  beau  portrait  de 
Pauline  Borghèse  figure  encore  dans  le  plus  grand 
salon,  où  d'autres  portraits  de  la  famille  Bonaparte 
l'accompagnaient  sous  le  premier  empire  ;  il  est 
signé  Goubaud  et  daté  de  1811.  Ce  millésime 
rappelle  pourtant  l'année  où  l'empereur  exila  de 
la  cour  cette  même  princesse  Pauline,  qui  avait 
été  loin  de  montrer  des  égards  à  la  seconde  im- 
pératrice. La  même  date  se  rapporte  encore  à 
une  belle  statue  de  Canova,  modelée  sur  la 
princesse  et  qui  fut  envoyée  au  prince  Bor- 
ghèse, en  Italie  :  seul  rapprochement  que  celui-ci 


38i>  RUE   DE   COURCELLES. 

crut  possible  !  Pauline  se  contentait  alors  de  cette 
maison,  faute  de  i'Élysée  ;  elle  y  recevait,  comme 
au  château  de  Neuilly,  des  gens  de  lettres  ei  des 
artistes,  cour  qui  remplaçait  l'autre,  el  le  musicien 
Blangini  y  charmait  d'indiscrets  échos.  La  veuve 
do  Mural,  en  1837,  revint  en  pi'lerinage  visiter  cette 
habitation,  qu'elle  avait  IVëquentée  du  temps  de  sa 
sœur,  Pauline;  son  émotion  fut  vive  quand  se  rouvrit 
pour  elle  la  porte  de  la  chambre  blanche,  et  des 
souvenirs  assoupis  se  réveillèrent  que  ni  l'absence 
ni   la  mort  n'avait  entièrement  refroidis. 

Sous  la  Restauration  et  sous  Louis-Philippe, 
mais  cl  des  dates  ditférentes,  cet  hôtel  de  la  rue 
de  Courceiles  servait  encore  de  séjour  :  à  la 
princesse  de  Cantacuzène,  laquelle  y  épousa  le 
marquis  de  Bedniar  ;  à  Charles  Dickens,  le  roman- 
cier anglais  ;  à  sir  Henry  Lylton  Bulwer,  ambassa- 
deur d'x\ngleterre  à  Constantinople,  et  au  duc  de 
Cambacérès.  Mais  ne  dii'ait-on  pas  que  les  maisons 
subissent  elles-mêmes  une  destinée?  La  mauvaise 
étoile  de  celle-ci  a  voulu  qu'un  maître-de-pension  en 
fût  dernièrement  le  locataire,  pendant  un  certain 
nombre  d'années.  Le  temps  n'allait  pas  assez  vite 
au  gré  des.  jeunes  élèves  qui  en  dégradaient  à 
plaisir  fous  les  ornements  intérieurs.  On  sait  cet 
âge  sans  pitié  ! 

Au  n°  34  habite  M""'  Rousset,  qui  est  nonagénaire. 
Les  vertus  et  l'esprit  de  cette  cousine  du  maréchal 
Moncey  ont  inspiré  à  M.  de  Saint-Geniès  les  vers 
suivants  : 

De  vous  garder  longtemps  l'espoir  nous  est  permis. 
Pour  conserver  vos  jours  veillent  des  dieux  amis, 
L'Esprit   qui,    toujours  jeune,    est  toujours  sûr  de  plaire, 

La    Grâce,    unie   à   la  Raison, 
L'Amitié     courageuse,    éclairée    et    sincère, 
La  Boulé,    qu'on   chérit,    la  Vertu,   qu'on  révère, 

Et  le  Bonheur,   leur    compagnon. 

Ces   habitants  de   la   céleste   sphère 


RUE  JDB   COURCELLES.  3«7 

Daignent   rarement  la  quitter  : 
Ils  viennent  peu  nous   visiter. 

Ainsi,  votre   présence  au  monde    est   nécessaire  ; 

Car  ces  aimables   dieux,   pour  les   représenter, 
Ont   besoin   de  vous  sur   la  terre 
Et  vous  ordonnent  d'y  rester. 

Or  le  34,  le  32  et  le  30  sont  un  groupe  de 
charmants  cottages  tout  empreints  de  villégiature, 
occupés  par  >!""=  la  duchesse  douairière  de  Poligiiac, 
M.  Edouard  Thayer,  sénateur,  M.  le  comle  Joachim 
Murât,  député,  M.  Ulric  Gutliuguer,  homme  de 
lettres,  etc.  M.  le  comle  de  Persigiiy  a  figuré 
également  parmi  les  locèitaires  de  ces  villas,  situées 
au  point  de  section  du  nouveau  boulevard  de 
Beaujon,  qui  va  Taire  disparaître  les  unes  et 
déranger  les  dispositions  prises  par  les  autres. 
M.  Delorme  a  l'ait  bâtir  presque  toute  cette  cité  ; 
le  reste  est  de  M.  Belle,  présentement  arciiitecle  du 
Théâtre-Italien, 

Ce  Delorme,  ex-avocat  au  parlement  de  Nancy, 
fut  pourvu,  â  ce  qu'on  dit,  d'un  litre  de  marquis, 
sans  le  porter  davantage  que  M.  Thiei-s  son  titre 
presque  inconnu  de  baron,  et  le  moyen  de  lui 
en  vouloir  de  cette  abstention  peu  commune!  Il 
édifia  en  1808  la  galerie  qui  perpétue  sou  nom 
dans  un  autre  quartier  el  pour  la  construction  de 
laquelle  il  utilisa  les  matériaux  du  château  de 
Villegénis,  qu'il  jetait  bas  pour  le  refaire  kneuf 
et  puis  le  vendre  au  prince  Jérôme.  L'ancienne 
salle-de-spectacle  de  la  rue  de  la  Victoire  fui 
achetée  en  1816  par  le  même  spéculateur,  puis 
démolie  et  remplacée  par  un  immeuble  de  grande 
importance,  où  depuis  lors  s'exploitent  des  bains. 
Il  avait  affiché  ses  opinions  politiques  en  choisissant 
son  jour,  le  21  mai  1815,  pour  otîrir  à  la  Pairie 
une  rente  de  6,000  francs,  avec  le  sacrifice  de  sa 
personne,  et  d'autres  libéralités  prouvaient  que  ce 
galant   homme    était    aussi  un  homme  galant.  Il 


383  RUE   DE    COURCELLES. 

résida  dans  le  plus  grand  hôtel  de  la  rue  de 
Cv)ui'celles,  avec  le  marquis  de  Tamisier,  dont  il 
éiuit  le  beau-père,  et  il  y  eut  pour  successeur 
le,  général  Herrera,  ex-président  de  la  République 
du  Pérou.  La  reine-mère  d'Espagne,  Marie-Christine, 
Cl  a  fait  son  palais  sous  Louis-Philippe,  puis  S.  A.  f. 
la  princesse  Mathilde.  L'immeuble  avait  coûté  un 
million  à  Delorme,  et  la  reine  l'avait  obtenu  à  moitié 
prix  :  l'empereur  actuel  l'eut  pour  800,000  fr.  et  il  en 
dota  sa  cousine,  qui  habitait  d'abord  le  n°  12  de 
la  rue. 

Si  nous  passons  ici  le  n°  16  et  la  pension  y 
établie,  c'est  que  nous  en  avons  parlé  suffisamment 
dans  notre  Histoire  du  Lycée  Bonaparte,  collège 
dont  les  cours  sont  suivis  par  les  élèves  de 
ladite  pension. 


Rue     des     Coutures-Saint-Gervais.  U] 


Les  Coutures.  —  L'École-Centrale.  —  Les  Mémoires 
salés.  —  M.  Le  Camus.  —  M.  de  Villeroi.  —  La 
Camargo.  —  L'Archevêque   de   Paris. 

La  rue  des  Goutures-Saint-Gervais  s'ouvrit  en 
l'an  1620,  ainsi  que  celle  Saint-Gervais,  sur  les 
cultures  des  religieuses  hospitalières  de  Saint- 
Gervais,  marais  qui  avaient  fait  partie  d'un  clos 
Saint-Ladre  et  de  la  Courtille-Barbette.  Mais  la 
rue  Saint-Gervais  fut  dite  aussi  des  Morins,  parce 
qu'elle  conduisait  à  des  chantiers  qui  étaient  en 
la  possession  d'une  famille  pareillement  appelée, 
et  l'autre  portait  en  1653  le  pseudonyme  de  rue 
de  l'Hospice-Saint-Gervais. 

Des  hôtels  de  robe  courte  et  des  maisons  bour- 
geoises du  xvii«  siècle  occupent  tout  un  côté  de  ladite 
rue  ;  deux  de  ces  propriétés  ont  dû  se  rattacher, 
corps-de-bûtiments  latéraux,  aux  hôtels  Caumartin 
et  Villedo,  qui  sont  visibles  rue  Vieille-du-Temple 
sur  le  plan  dressé  par  Gomboust,  mais  que  remplace 
dans  celui  de  Turgot  uniquement  l'hôtel  d'Épernon, 

De  l'autre  côté,  un  petit  palais  se  cache,  dont 
le  Magasin  pittoresque  a  parlé  plus  sciemment  que 
kîs  livres  spéciaux  sur  Paris  ;  en  celle  propriété 
de  M,  Roussilhe  siège  depuis  1830  l'école  centrale 
des  Arts-et-des-Manufactures,  après  une  pension 
de  l'Université.  L'angle  de  la  rue  Vieille-du-Temple 
conserve    des  pans  de  maison  sans  rapport    ar- 


(1)  Notice  écrite  en    1859. 

S5 


390      RUE  DES  COUTURES-SAINT-GERVAIS. 

chitectural  avec  les  constructions  de  l'école  Centrale, 
auxquelles  ils  se  trouvent  contigus  depuis  la 
naissance  presque  de  la  rue  ;  mais  ils  appartenaient 
sans  doute  aux  dames  de  Saint-Gervais  plus  ancien- 
nement. On  remarque  eu  effet  à  cette  encoignure, 
sur  un  ancien  plan  de  Paris,  une  sorte  de  galerie 
de  cloître  ;  la  chapelle  du  grand  hôtel  paraît  y 
occuper  l'angle  opposé,  du  côté  de  la  rue  Thorigny. 

Le  Tableau  de  Paris  dû  à  Saint-Victor  commet 
une  petite  erreur  en  rapportant  au  coin  de  la 
rue  Culture-Sainte-Catherine  l'hôtel  Salé,  attendu 
que  le  voici  bien,  converti  en  école  Centrale.  On 
a  déjà  décomposé  le  grain  de  sel  qui  lui  valait 
le  surnom  qu'il  conserva  jusqu'à  la  grande  révolu- 
tion, car  ce  n'était  pas  un  nom  propre.  Le 
traitant  Aubert  de  Fontenai  faisait  bâtir  en  I606 
cette  maison  splendide  sur  une  portion  de  la  culture 
Saint-Gervais,  et  comme  il  en  coûtait  fort  cher 
à  cet  intéressé  dans  les  gabelles,  qui  bénéficiait 
notamment  sur  l'impôt  du  sel,  il  avait  cherché  à 
s'en  consoler  par  un  bon  mot  :  — Ah,  quel  hôtel  salé  ! 

Qui  fuerant  dulces,   salibus  vilianlur    amans. 

On  ne  connaît  pourtant  le  nom  d'aucun  des 
artistes  distingués  qui  ont  coopéré  à  l'œuvre. 
L'entrée  par  la  rue  Thorigiiy  est  magistrale  ;  une 
lielle  page  d'architecture  sert  de  façade  sur  le 
jardin,  et  le  verso  lui-même  vaut  la  photographie. 
Des  colonnes  corinthiennes  décorent  aussi  les 
cours  ;  un  escalier  royal  est  paré  de  sculptures 
superbes  ;  une  salle  dite  de  Jupiter  et  d'autres 
pièces  montrent  de  belles  peintures,  parmi  lesquelles 
sont  des  originaux,  tels  qu'un  Enlèvement  cC Europe, 
une  Diane  et  un  Jupiter:  toutes  ces  merveilles 
vouées  à  l'incognito,  comme  si  elles  revenaient 
de  Pompéï,  nous  prouvent,  une  fois  de  plus, 
qu'avant  le  grand  interrègne  des  traditions  du  goût 


RUE   DES  COUTURES-SAINT-GERVAIS.      391 

et  de  bien  d'autres,  dans  notre  ville,  on  ne  comptait 
pas  les  chefs-d'œuvre. 

Cessionnaire  d'Aubert  de  Fontenay,  Le  Camus 
était  secrétaire  du  roi  ;  il  put  même  devenir  l'un 
des  présidents  aux  Aides  de  sa  famille,  qui  fournit 
aussi  un  lieutenant-civil  et  un  cardinal.  Leur  auteur, 
d'abord  porte-balle,  avait  fait  de  petites  affaires 
avant  de  se  lancer  dans  les  grandes  :  de  son  temps, 
une  Le  Camus  avait  épousé  Particelli  d'Émery, 
trésorier  de  l'argenterie  du  roi.  Est-ce  à  un  membre 
de  leur  famille  qu'il  convient  d'attribuer  le  chiffre 
A.  C,  qui  se  répète  dans  l'ornementation  locale  ? 

Des  deux  maréchaux  de  Villeroi,  celui  qui  prit 
la  place  du  susnommé  était  l'époux  de  Marie- 
Rénée  de  Montmorency-Luxembourg  et  le  gouver- 
neur de  Louis  XV. 

Le  comte  de  Melun  habita,  h  son  tour,  probable- 
ment l'hôtel,  sûrement  la  rue.  Il  y  amena,  dans 
la  nuit  du  10  au  11  mai  1728,  deux  jeunes 
pensionnaires  que  l'on  aurait  cru  d'un  couvent, 
mais  qui  l'étaient  déjà  de  l'Opéra,  bien  que 
victimes  d'un  rapt  tout-à-fait  pur  de  leur  complicité. 
L'aînée,  qui  avait  18  ans,  résistait  depuis  quelque 
temps  à  une  passion  que  M.  de  Melun  disait  plus 
exclusive.  Cette  D"''  M.  A.  Cuppi,  dite  Gamargo, 
qui  devint  célèbre  et  que  chanta  Voltaire,  avait 
pour  père  un  gentilhomme  espagnol  ;  les  premiers 
galants  qui  s'étaient  présentés  avaient  eu  maille 
à  partir  avec  l'hidalgo,  qui  apprenait  bon  ou 
mal  gré  à  ne  plus  demander  raison  aux  amants  de 
ses  filles  que  du  refroidissement  ou  de  l'abandon 
dont  elles  se  plaignaient  à  dessein.  D'après  les  chro- 
niqueurs enragés  contre  la  noblesse.  M"*'  Caraargo 
avait  quitté  tout  de  suite  l'hôtel  de  Melun  avec 
indignation  ;  mais  il  ne  serait  pas  impossible 
qu'elle  eût  pardonné  jusqu'à  un  affront  indirect, 
en  demeurant  plus  longtemps  encore  la  maîtresse 


392      RUE    DES  COUTURES-SAINT-GERVAIS. 

du  champ-de-bataille  que  celle  du  vainqueur  par 
surprise.  Ne  remarquez-vous  pas  que  l'A  et  le  C 
pourraient  être  les  initiales  de  cette  victime 
consolée?  D'ailleurs,  plutôt  que  de  souffrir  une 
injure  sans  réparation,  elle-même  mettait  les  armes 
à  la  main.  Quelque  mâle  que  fût  h  l'occasion  le 
courage  de  cette  amazone  de  l'Opéra,  elle  avait 
aussi  le  cœur  tendre  ;  mais  quand  elle  aimait 
réellement,  c'était  k  l'espaguole.  Son  prince  du 
sang,  car  il  en  faut  bien  un  à  une  princesse  de 
théâtre,  fut  Louis  de  Bourbon-Condé,  comte  de 
Clermont.  Le  président  de  Rieux  figura  aussi  au 
nombre  des  amants  attitrées  de  la  Camargo  ;  mais 
elle  lui  préféra  si  ostensiblement  le  chanteur 
Jélyotte  que  le  rival  sacrifié  en  reprit  sa  poulette 
Mariette.  La  retraite  commença  pour  la  danseuse 
en  1751,  avec  1,100  livres  de  pension. 

Si  c'est  bien  le  boudoir  de  la  Camargo  qui 
devint  le  cabinet  de  M^'  Lecierc  de  Juigné, 
auchevêque  de  Paris,  quel  contraste  !  Le  grand 
hôtel  se  transforma  incontestablement,  mais  pour 
peu  de  temps,  en  palais  arcbiépiscopal  dans  l'une 
des  dix  dernières  années  de  l'ancienne  monarchie. 
L'escalier  fut  tendu  en  velours,  couleur  de  pourpre, 
comme  dans  l'attente  d'une  dignité  de  plus  pour 
le  prélat,  que  Pie  VT  ne  fit  pourtant  pas  prince 
de  l'Église.  Du  passage  de  Sa  Grandeur,  pour  si 
honorable  qu'il  fut,  les  œuvres  d'art  ne  gardent 
que  trop  de  traces  ;  des  artistes  promenèrent,  par 
son  ordre,  le  bout  de  leurs  pinceaux  sur  les 
nudités  de  la  peintuie,  pour  y  tendre  une  gaze 
pudique,  voile  abaissé  par  d'impérieux  scrupules 
avec  des  regrets  transparents,  mais  que  l'art  en 
demi-deuil  porte  comme  un  crêpe  !  En  sa  qualité  de 
député,  M.  de  Juigné  assistait  à  l'Assemblée  des 
États-Généraux  du  24  juin  1789,  à  l'issue  de  laquelle 
on  cribla  sa  voiture  de  pierres.  Le  marquis  de 
Clermont-Saint-Jean,  à  la  famille  duquel  il    était 


RUE  DES  COUTURES-^AINTGERVAIS.      393 

allié,  l'accueillit  en  Savoie  quand  les  mauvais  jours 
devinrent  pires. 

Dans  l'hôtel  s'entassaient  alors  des  livres  qu'on 
avait  pu  sauver  de  la  bibliothèque  du  ci- devant 
archevêque  et  de  celles  de  plusieurs  couvents  du 
quartier.  Ce  dépôt  ensuite  se  versa  h  la  Bibliothèque 
de  la  Ville. 


Rue    du    Croissant,  (i) 


Les  Falots  de  VOpéra.  —  M.  David.  —  Les  Colbert. 
—  L^ Hôtel  de  Mars.  —  Maison  Badin.  —  Ce 
quêtait  la  Rue  avant  1739.  —  1760.  —  Le 
Tripot.  —  V Hôtel  d'Avaux.  —  Le  Cimetière.  — 
Molière  et  La  font  aine. 

Le  théâtre  de  l'Opéra,  pour  lequel  fut  construite, 
sous  le  règne  de  Louis  XVI,  la  salle  de  la  Porte- 
Saint-Martin,  donnait  alors  des  bals  comme  à- 
présent,  amusants  d'une  autre  manière,  mais  n'en 
ayant  que  plus  de  raisons  d'être  ;  moins  animés, 
mais  tout  aussi  coliue  ;  moins  petite  Bourse  des 
amours,  car  l'oftVe  y  devançait  la  demande,  la 
grande  affaire  étant  de  plaire  et  de  se  faire  regretter 
tin  courant  !  Tiipot  de  galanteries  clandestines, 
où  le  bon  mot,  le  rire  et  le  sourire,  ces  trois 
signes  de  belle  humeur,  servaient  de  fiches  h 
marquer  les  points  ;  où  l'enjeu  profitait  de  l'in- 
cognito du  masque  pour  grossir  ou  pour  s'amoindrir 
à  volonté  ;  où  les  parties  se  jouaient  toutefois  au 
pair,  avec  les  mêmes  règles  des  deux  paris,  après 
que  les  cartes  eussent  été  bien  mêlées  de  ce  qu'on' 
nommait  encore  les  bonnes  fortunes  ;  où  enfin  le 
caprice  et  l'esprit  luttaient  à  l'aventure  contrôles 
réputations  toutes  faites,  dominos  diurnes  qui 
donnent  le  change,  autant  que  les  dominos  du 
bal,  sur  le  mérite  personnel  !  Ce  n'était  pas  le 
samedi,  c'était  le  dimanche  qu'avait  lieu  le  bal  de 
l'Opéra,  toutes  les  semaines,  depuis  la  Saint-Martin 
jusqu'à  l'Avent  et  depuis  le  jour  des  Rois  jusqu'au 


())  Notice    écrite   en    1859. 


RUE  DU   CROISSANT.  395 

carême,  outre  les  jeudi,  lundi  et  mardi-gras.  On 
y  allait  masqué  ou  non  ;  le  prix  d'entrée  était  de 
6  livres  ;  les  portes  s'ouvraient  à  11  heures,  elles 
se  refermaient  à  6.  Les  carrosses  de  maître,  les 
fiacres  et  quelques  chaises  h  porteurs  faisaient 
bien  sentinelle  dehors,  pour  protéger  à  la  sortie 
contre  la  fraîcheur  matinale  l'ivresse  qu'avaient 
produite  les  intrigues,  la  raillerie,  le  rire,  la 
chaleur,  la  poussière  et  un  va-et-vient  prompt  à 
changer  de  bras,  de  conversation  et  d'illusion.  Il 
y  avait  aussi  à  la  porte,  comme  à  l'issue  de  tous 
les  spectacles,  un  certain  nombre  de  falots.  On 
appelait  ainsi  des  porteurs  de  lanternes  numérotées, 
qui  se  chargeaient,  quand  manquaient  les  voitures, 
de  reconduire  les  gens  à  domicile,  jusqu'au  palier 
de  l'étage  qu'ils  habitaient,  moyennant  une  rétri- 
bution variant  selon  l'heure  et  la  distance. 

Un  de  ces  officieux  lampadaires,  en  ramenant 
rue  du  Croissant,  par  une  nuit  du  carnaval,  M.  David, 
un  chevalier  de  Saint-Louis,  ancien  gouverneur- 
général  des  îles  de  France  et  de  Bourbon,  l'escorta 
ponctuellement  jusqu'au  seuil  même  de  son  apparte- 
ment, accepta  sans  réplique  une  pièce  de  24  sols. 
Le  lendemain  seulement,  M.  David,  bien  que  son 
âge  tournât  le  dos  à  celui  des  étourderies,  s'aperçut 
que  sa  montre  était  restée  dans  les  mains  du  falot, 
qui  l'avait  aidé  au  départ  à  se  draper  de  son 
manteau,  et  le  froid  ou  la  mauvaise  humeur, 
peut-être  aussi  le  contre-coup  de  quelque  déception 
au  bal,  l'avait  empêché  de  prendre  garde  au  numéro 
de  la  lanterne.  De  courir  néanmoins  chez  son  ami 
le  chevalier  Duboys.  commandant  de  la  garde  de 
Paris  et  chevalier  du  guet.  —  Mais,  mon  cher, 
lui  dit  celui-ci,  le  mal  est  sans  remède.  Je  ne  peux 
pas  faire  arrêter  tous  les  falots,  pour  en  pendre 
un  que  tu  ne  sais  pas  désigner,  el  les  bourgeois 
attardés  m'en  voudraient  si  j'allais  les  priver,  ce 
soir,    de    leurs    réverbères    ambulants.  —  Avoue 


396  RUE   DU  CROISSANT. 

plutôt,  reprend  le  plaignant,  que  tous  ces  porteurs 
de  lanternes  sont  des  espions  de  police  qu'on 
ménage.  Pourquoi  ne  pas  les  choisir  honnêtes?  — 
Tu  en  parles  à  ton  aise,  réplique  alors  le  chevalier 
du  guet  ;  mais  où  trouver  un  honnête  homme  qui 
se  fasse  mouche  par  dévouement? 

L'ancien  gouverneur  colonial,  victime  de  cette 
petite  mésaventure,  possédait  un  fort  bel  hôtel. 
Il  était  d'une  maison  anoblie  à  Salins,  ou  d'une 
maison  du  Midi  de  laquelle  faisait  partie  Alexandre- 
Alphonse-Joseph,  dit  le  marquis  de  David,  fils 
de  David,  comte  de  Saint-André,  puis  de  Beau- 
regard,  et  dont  les  armoiries  à  allusion  biblique 
comportaient  une  harpe  d'or,  avec  ces  mots  : 
Mémento  nomine  David.  Par  contrat  du  30  décembre 
1770,  Jeanne  David,  fille  du  gouverneur,  avait 
épousé  Louis-Henri-François  comte  de  Colbert, 
lieutenant  aux  gardes-françaises,  puis  lieutenant 
du  roi  au  comté  de  Nantes  et  second  fils  de 
François  Colbert,  marquis  de  Chabanais,  mort 
maréchal-de-camp  en  1765.  Il  est  probable  que 
le  père  de  la  comtesse  avait  connu  le  marquis 
de  Beauharnais,  gouverneur  et  lieutenant-général 
pour  le  roi  de  la  Martinique  et  autres  îles  ;  ce 
qui  put  valoir  dans  la  suite  à  sa  famille  la  protection 
de  Bonaparte,  pour  rentrer  en  possession  de  cet 
hôtel  et  d'autres  biens  confisqués  à  l'époque  de 
la  Révolution.  Pourtant  Stofflet,  qui  avait  été  le 
garde-chasse  d'un  des  frères  Colbert,  demanda 
lui-même,  pour  faire  sa  paix  avec  la  République, 
en  1794,  que  son  ancien  maître  recouvrât  ses 
héritages  légitimes  ;  de  plus,  presque  tous  les 
petits-neveux  du  ministre  de  Louis  XIV  servirent 
vaillamment  l'Empire.  L'un  des  cinq  héritiers  de 
Jeanne  David,  veuve  du  comte  de  Colbert,  s'appelait 
Pierre-David  de  Colbert,  lieutenant-général  des 
armées  du  roi  ;  un  autre,  Louis-Pierre-Alphonse 
de  Colbert,    passa    maréchal-de-camp    en    1814. 


RUE  DU  CROISSANT.  397 

Quant  à  l'aide-de-camp  de  Napoléon  I",  qui  le 
fut  ensuite  de  Louis-Philippe,  il  occupait  encore 
sous  la  Restauration  l'hôtel  qui  a  gardé  son  nom 
et  que,  pour  mettre  ordre  à  ses  affaires,  il  vendit, 
en  y  demeurant  comme  locataire.  Le  baron  Louis, 
ancien  ministre,  occupait  un  appartement  sous  le 
même  toit.  Dans  cet  immeuble,  que  mesurent 
deux  escaliers  à  ferrures  de  l'autre  siècle  et  qui 
replie  chaque  matin  sur  lui-même  les  deux  battants 
d'une  porte  colossale,  fut  fondé  un  journal,  dont 
le  premier  numéro  parut  le  15  juillet  1836  ;  la 
présente  notice  sur  la  rue  du  Croissant  voit  le 
jour  dans  cette  feuille,  le  Siècle,  dont  les  bureaux 
sont  encore  là,  ainsi  que  ceux  du  Charivari. 

Un  sieur  Duval  était  propriétaire,  avant  la  fin 
du  règne  de  Louis  XV,  des  constructions  auxquelles 
ont  succédé,  aux  n°'  12  et  14,  l'immeuble  où  s'im- 
prime la  Patrie.  M.  Preissac  de  Marestang,  dit  le 
vicomte  d'Esclignac,  époux  de  Charlotte  de  Varagnac 
et  fils  du  marquis  de  Gardouch,  disposait  de  la 
maison  voisine  au  même  temps  ;  l'enseigne  de  cet 
hôtel  de  Mars,  à  l'usage  des  voyageurs,  remonte 
nécessairement  a  une  époque  où  l'école  romantique 
des  poètes  et  des  peintres  n'avait  pas  rendu  le  paga- 
nisme ridicule  :  les  dieux  et  les  demi-dieux  qu'on 
invoque  depuis  lors  ne  sont-ils  pas  encore  plus 
ballottés  qu'autrefois,  mais  sont  élus  à  d'autres 
scrutins  ? 

Un  gros  propriétaire,  M.  Badin,  signe  aujourd'hui 
les  nombreuses  quittances  de  loyer  du  8,  où 
M""^  Bouillet  a  précédé  le  sieur  Cadet,  dans  le 
siècle  d!avant,  à  l'enseigne  du  Nom-de- Jésus, 
laquelle  était  aussi  celle  d'un  magasin  de  nécessaires 
tenu  dans  la  galerie  de  Valois  par  le  même  Badin 
sous  la  Restauration.  La  demi-lune  ménagée 
à  l'entrée  de  cette  ruche  de  petits  ménages  est 
marquée  sur  le  plan  de  1739,  où  la  maison  figure 
avec   jardin,    mais    où    n'est    nullement  indiquée 


398  RUE  DU  CROISSANT. 

l'échancrure  pareille  de  l'hôtel  Colbert.  Les  plans 
des  années  1707  et  1717  ne  fortifient  eux-mêmes 
la  rue  qui  nous  occupe  que  d'une  seule  de  ces 
innocentes  demi-lunes,  facilitant  dans  les  rues  trop 
étroites  la  circulation  d'une  voiture.  Gomboust,  en 
1652,  ne  fait  voir  qu'un  jardin,  suivant  le  cours  de 
la  voie  à  une  distance  suffisante  pour  que  des  mai- 
sons le  précèdent  ;  mais  celles-ci  ne  sont  nullement 
accusées.  La  rue  portait  déjà,  l'an  1612,  son  nom, 
qui  lui  ^-enait  d'une  enseigne  ;  les  livres  sur  Paris  en 
conviennent,  mais  leurs  découvertes  se  restreignent, 
rue  du  Croissant,  à  ce  trop  peu  de  documents. 
Pour  en  vérifier  la  valeur,  nous  avons  comparé 
l'enceinte  de  Paris  sous  Charles  V  à  celle  de 
Paris  sous  Henri  IV,  et  le  fait  est  que  le  sol  de  la  rue, 
laissé  hors  de  ville  par  la  première  enceinte,  y 
fut  incorporé  par  la  seconde. 

Voici,  du  reste,  quels  étaient  les  propriétaires 
de  notre  rue,  du  côté  de  celle  des  Jeûneurs,  il  y  a 
à-peu-près  150  années: 

Claude  de  Mesmes.  comte  d'A vaux,  marquis  de  Givry, 
trois  maisons,  dont  il  avait  occupé  au  moins  une.  — 
Ferdinand.  —  L'abbé  Diitot.  —  Caboué,  propriété  ayant  de 
la  profondeur.  —  M'^"  de  la  Haye.  —  Perrichoo.  grande 
propriété.  —  La  Suze.  —  Fouei,  brodeur.  — •  M^e  Bouillet. 
—  Dezègre,   marbrier- 

Dès  1739  étaient  en  façade  sur  la  voie,  tels  que 
nous  les  voyons  encore,  les  n"'  1,  2,  3,  4,  5,  6, 
7,  8,  10,  16,  18,  20  et  22.  Los  sieurs  Cardinal  et 
Desnoyers  payaient,  un  peu  plus  tard,  droit  de  cens 
à  l'archevêque  de  Paris  pour  le  6  et  le  4,  actuelle- 
ment divisés  en  deux  petits  hôtels-garnis,  et  pour 
le  2,  dont  le  devant  est  vieux  et  bas  avec  une 
grande  porte.  Le  1  et  le  3  sont  le  flanc  gauche 
du  ci-devant  hôtel  de  Chalabre,  mis  en  loterie 
sous  la  Révolution  et  qui  donne  rue  du  Sentier. 
Le  5,  fier  d'une  rampe  en  fer,  d'un  mascaron  et 


RUE   DU  CROISSANT.  390 

d'une  prestance  qui  sent  toujours  le  tiers-état, 
appartenait  à  un  bourgeois,  le  sieur  Guyot,  et  logea 
Baculard  d'Arnaud,  grand  romancier,  qui  épousait 
en  1767  M"«  Chouchou,  marchande  de  modes.  Le 
7,  ouvrant  rue  Saint-Joseph,  a  gardé  à  ses  fenêtres 
les  grilles  d'appui  du  temps  de  M.  de  Varagnes, 
dont  la  propriété  formait  équerre  sur  un  jardin, 
remplacé  aujourd'hui  psr  une  maison  moderne. 
A  l'encoignure  de  ce  n°  7  commence  l'élargisse- 
ment de  l'ancienne  ruelle  du  Croissant,  notre  rue. 

Le  président  Massu,  contemporain  de  David, 
avait  le  n°  18,  qui  devint,  sans  qu'il  y  fût  pour 
quelque  chose,  un  tripot  où  se  jouaient  la  belle 
et  le  biribi.  M.  de  Pressigny,  fermier-général, 
était  le  second  voisin  du  président  ;  mais  on 
entrait  dans  sa  propriété  principalement  par  la 
rue  des  Jeûneurs.  Quant  à  l'ancien  hôtel  d'Avaux, 
immeuble  en  partie  double,  il  appartient  en  ce 
temps-ci  à  deux  propriétaires  différents,  bien  que 
l'issue  en  soit  une.  Il  y  avait  déjà  division  en 
1769,  car  le  fond  appartenait  à  M.  Gamont  et 
le  devant,  faisant  angle,  h  M.  Zilgens,  dit  Eclair, 
qui  eut  pour  héritier  son  fils,  un  avocat  au  par- 
lement. Un  café  se  tient  à  ladite  encoignure  depuis 
assez  longtemps;  lorsqu'on  en  refit  la  devanture, 
en  1852,  on  retrouva  intacte,  sous  la  boiserie, 
une  affiche  qui  annonçait  encore,  mais  un  peu 
tard,  une  vente  pour  l'un  des  premiers  jours  de 
1784.  Sur  M.  de  Manneville,  émigré,  fut  saisie 
la  portion  de  cette  propriété  que  M.  Gamont 
avait  eue.  Or  damoiselle  Charlotte-Jacqueline-Fran- 
çoise de  Manneville,  cousine  de  la  duchesse  de 
Rochechouart,  avait  épousé,  en  l'année  1754, 
Colbert,  comte  de  Maulevrier  ;  cette  comtesse  de 
Colbert  était  de  la  famille  des  Manneville,  gouver- 
neurs de  Dieppe.  Il  vivait,  d'autre  part,  un  Jean- 
Robert  Gosselin  de  Manneville,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  en  1766. 


400  RUE  DU  CROISSANT. 

Il  n'y  a  plus  que  deux  immeubles  à  caractériser 
par  des  révélations  sur  leurs  antécédents.  M.  de 
la  Planche  en  était  propriétaire  à  l'autre  coin 
de  la  rue  Montmartre.  A  l'église  Saint-Eustache 
appartenait  le  cimetière  Saint-Joseph,  qui  venait 
après.  Moyennant  échange,  le  chancelier  Séguier 
céda,  en  1625,  à  Saint-Eustache,  dont  il  était  le 
premier  marguillier,  un  grand  terrain  de  la  rue 
du  Croissant  à  celle  Saint-Joseph,  où  il  fit  cons- 
truire une  chapelle,  dont  il  posa,  seulement  quinze 
ans  après,  la  première  pierre,  bénite  par  le  curé 
Etienne  Tonnellier.  Médiocre  était  l'architecture 
de  cette  petite  église,  qui  n'avait  ni  fonts  baptis- 
maux ni  saint-ciboire  ;  mais,  si  l'on  n'y  baptisait 
pas,  en  revanche  &n  enterrait  des  morts  à  l'ombre 
de  son  édifice,  qui,  avant  d'être  jeté  bas,  devint 
le  chef-lieu  d'une  section  pendant  la  République. 

La  dépouille  mortelle  de  Molière  reposait  dans 
ce  cimetière,  en  vertu  d'un  permis  d'inhumation 
signé  en  1674  par  M.  de  Harlay,  archevêque  de 
Paris  ;  on  croit  même  qu'à  côté  de  Molière  gisaient 
les  restes  de  Lafontaine,  ce  qui  depuis  a  été 
contesté.  Néanmoins,  avant  d'établir  le  marché 
Saint-Joseph  à  la  place  de  l'église  et  de  l'asile 
mortuaire  du  même  nom,  l'autorité  chargea  des 
commissaires  de  relever  les  cendres  des  deux 
poètes,  qu'on  déposa  au  musée  des  Petits-Augustins 
et  qu'en  1816  on  transféra  au  Père-Lachaise  : 
muette  odyssée,  qui  ne  séparait  pas  les  deux 
compagnons  de  voyage  !  La  mort  accouplait 
deux  grands  noms,  conviés  ainsi  que  l'un  par 
l'autre  au  banquet  de  l'éternité,  ici-bas  promise 
au  génie  comme  aux  âmes  dans  un  autre  monde. 


Rue  Croix-des-Petits-Champs. 


Comment  se  rajeunissent  les  Maisons.  —  Le  Bureau 
de  Z'Union,  —  Le  Moulin.  —  1710.  — Hôtels.  — 
Malherbe.  ■ —  Hôtelleries.  —  Le  C^  de  Lussan.  — 
Le  Duc  de  Gesvres.  —  La  Plaisante  du  Roi.  — 
Le  Ministre  de  la  Marine.  —  M^'^  d'Étiolés.  — 
Les  Maisons  de  Filles.  —  Les  Luthiers.  —  Guer- 
hois.  —  Les  Petites- Affiches.  — 1780.  —  La  Croix. 
—  Le    Corps-de-Garde. 

On  a  fait  fi  de  l'amidon  en  poudre,  dont  la 
neige  cachait  celle  des  années  sur  la  tête  d'un 
père,  quand  elle  s'accommodait  comme  la  tête  de 
son  fils,  qui  lui-même  eût  paru  trop  jeune  à  ne 
pas  suivre  cette  mode.  L'usage  de  se  poudrer  ten- 
dait pourtant  à  établir  l'égalité  de  l'âge,  qui  serait 
plus  précieuse  que  toute  autre.  Les  femmes  à  cet 
égard  ont  presque  toutes  un  esprit  révolutionnaire. 
Les  maisons  qui,  comme  elles,  cherchent  à  se 
rajeunir,  commencent  aussi  par  la  tête.  Ne  se 
coilfent-elles  pas  d'un  ou  de  plusieurs  étages  qui  les 
grandissent,  sans  recourir  aux  échasses  ?  Fort 
heureusement  M.  Rousseau,  qui,  rue  par  rue, 
mesure  toutes  les  façades,  croit  ne  blesser  aucune 
bienséance  en  nous  dénonçant  celles  qui  portent 
perruque. 

Par  exemple,  on  a  surchargé  une  maison  fort 
originale,  au  coin  de  la  rue  de  la  Vrillière  et  de 
la  rue  Croix-des-Petits-Champs  ;  autrefois  elle  finis- 
sait au  second  étage,  dont  le  joli  balcon  borde 
les  bureaux  de  Y  Union,  feuille  à  la  rédaction  de 
laquelle  nous  ne  sommes  pas  toujours  étranger. 
Le   ministre   Portails  ayant  constitué  un  majorât 


iOÎ  RUE    CROIX-DES  PETITS  CHAMPS. 

appelé  à  se  perpétuer  dans  sa  famille,  cette  pro- 
priété y  est  inféodée.  Le  plan,  exécuté  dès  1733, 
en  avait  été  donné  par  Pierre  Desmaisons,  chevalier 
de  Saint-Michel,  memhre  de  l'Académie  ;  mais  Leduc, 
son  confrère,  était  auparavant  propriétaire  au  même 
endroit.  Hébert  disait  de  la  maison  dans  VAimauach 
de  Paris  pour  l'année  1780  :  «  Elle  forme  une 
encoignure  en  tour  ronde  accompagnée  de  deux 
trompes  ;  la  proportion  de  son  ordonnance  et  la 
hardiesse  de  sa  construction  ont  mérité  l'approba- 
tion générale.  » 

La  rue  Croix  des-Pelils-Champs,  ainsi  nommée 
dès  le  xiv^  siècle,  ne  s'était  prolongée  jusqu'à  la 
place  des  Victoires,  quand  le  maréchal  d'Aubusson 
de  la  Feuillade  avait  créé  celle-ci,  qu'en  prenant 
de  son  côté  la  dénomination  d'Aubusson,  qui  ne 
dura  pas.  En  1615  un  moulin  évoluait  encore 
entre  la  rue  Coquillière  et  le  sol  de  ladite  place 
occupé  par  l'hôlel  d'Émery  ;  l'ancienne  butte  de 
ce  moulin,  au  lieu  de  s'aplanir,  servit  de  niveau 
à  une  élévation  de  terrain  qui,  comme  toujours, 
causa  des  préjudices,  en  encaissant  le  rêz-de- 
chaussée  des  maisons  d'alentour  et  en  laissant 
planter  comme  dans  un  grand  fossé  le  jardin  du 
Palais-Royal. 

TABLEAU  PRESQUE  COMPLET  DES  PROPRIÉTAIRES  VERS  1710. 

à   partir   de  la    place  des    Victoires. 

Crozat,  à  l'angle  de  la  place.  Legras,  banquier,  à  l'angle 
Darboulin,  marchand  de  vins;     de   la  place. 


suivant  la  cour,  5™e  maison 
venant  alors  après  la  rue 
Coquillière. 

Legrain,    hôtel  du   Dauphin. 

De  Voiseuon,  gentilhomme 
de  la  cbauiLre,  hôtel  de 
Provence,  porte    cochère. 


Leduc,  architecte,  deux 
maisons,  la  seconde  au 
coin  de  la  rue  de  la 
Vrillière. 

Rouillé,  l'ermier  des  Postes. 

Boissière,  à  l'enseigne  des 
Trois-Bouteilles,     second 


RUE    CROIX-DES  PETITS-CHAMPS. 


403 


Thuillier,     médecin,      deux 

portes  cochères. 
De   Vo;senou,  coin  de  la  rue 

du  Bouloi. 
Paul  Poisson  de  Bourvallais, 

autre  coin    de  la     rue    du 

Bouloi 
Le  même,  hôtel  de  Bourbon,, 

corn   de  Ja  rue  du  Pélican. 
Les      Quinzo-Vingls,      autre 

coin   de  la  rue  du  Pélican. 
Leseot,  à   l'image   du  Chef- 

de-Cerf. 
Pallu. 
Moulle,  au  Soleil-d'Or,  porte 

coctière. 
Lebel,     à    la    Couronne-de- 

Diamans. 
Nolain. 


coin  de  la   rue    Baillif. 
De  Maupeou,  immédiatement 

après  le     susnommé. 
Bouquant. 
Daumesnil. 
Veuve  Leroux-Selliei. 
Véron. 
De      la     Guillaumie,      deux 

maisons. 
Ranchin,   deux    maisons. 
M'se    de      Gourneray,    avec 

sortie  rue  Neuve-des-Bons- 

Enfants(l). 
Colbert  de  Maulevrier. 
Le  chapitre  de  l'église  Saint- 

Honoré,      propriétaire    de 

tout    ce    qui    séparait    de 

la     rue      Saint-Honoré    la 

maison  précitée. 


En  cette  nomenclature  ne  peut  figurer  que  sous 
un  autre  nom  l'ancien  hôtel  de  Bazin  de  la  Bazinière, 
trésorier  de  l'hpargne,  près  la  rue  du  Bouloi. 
Item  l'ancien  hôtel  d'Aubray,  imputé  en  1664  ii  une 
rue  des  Petits-Champs  qui  pouvait  être  celle  à  la 
Croix  :  d'Aubray,  lieutenant-civil,  avait  le  malheur 
d'être  le  père  de  la  marquise  de  Brinvilliers. 
L'hôtel  du  Hallier-L'hospital  avait  certainement 
appartenu  à  la  rue  Croix-des-Petits-Champs  ;  mais 
il  n'était  plus  porté  qu'au  compte  de  la  place  des 
Victoires.  Malherbe  était  descer:du  en  l'année  1606 
à  l'auberge  de  l'Image-Notre-Dame,  près  l'hôtel  de 
la  Bazinière  :  Henri  IV,  bien  que  ce  poète  eût 
servi  dans  la  Ligue,   le  pensionnait. 

Un  siècle  et  demi  plus  tard,  la  rue  donnait  aux 
voyageurs  le  choix  entre  quatre  hôtelleries,  des- 
quelles deux  étaient  tenues  par  des  loueurs  de 
cari^osses.  Cabaret  et  Francien,  hôtel  d'Anjou  et 
hôtel  de  Bourbon  ;  l'un  de  ces  établissements 
exploitait  les  anciens  bureaux  de  la  compagnie  du 


(1)  Présentement  rue  Radzivijl. 


lOA  RUE    CROIX-DES-PETITS-CHAMPS. 

Sénégal,  maintenant  hôtel  de  la  Marine,  où  une 
rampe  en  fer  tordu  aide  à  monter  de  plus  an- 
cienne date  encore.  Dans  la  même  rue  était  le 
café  Allemand. 

Le  fermier-général  des  Postes  n'entrait  dans  son 
hôtel  de  la  Vriilière,  actuellement  occupé  par  la 
Banque-de-France,  que  par  la  rue  de  Vriilière  et 
par  celle  des  Bons-Enfants. 

La  famille  de  Lussan  avait  son  grand  hôtel  au 
n°  38,  trop  bien  remis  à  neuf  depuis  onze  ans 
pour  qu'on  y  revoie  une  lâche  d'huile  qu'avait 
faite,  disait-on,  dans  un  accès  de  mauvaise  humeur 
le  grand  Colbert,  en  renversant  sur  le  plancher 
la  lampe  du  comte  de  Lussan,  attaché  au  prince 
de  Condé.  La  même  maison  fut  dite  du  Lombard, 
à  cause  d'un  mont  de  3Iilan,  bureau  de  prêt  sur 
gages  qui  s'y  tenait.  Tripier,  avocat  estimé,  l'iiabita 
ultérieurement  et  la  laissa  à  ses  héritiers. 

L'ancienne  porte  de  derrière  du  couvent  des 
carmélites  de  la  rue  du  Bouloi  est  près  et  facile 
à  reconnaître.  Sandrier  des  Fossés  avait  en  1780 
l'une  des  deux  maisons  y  attenantes. 

Le  35,  oùs'exposela  montre  d'un  chemisier,  paraît 
avoir  passé  lui-même  une  gigantesque  chemise  de 
gala  dans  sa  cour  brodée  de  sculptures.  Elle  faisait 
partie  du  trousseau  de  luxe  qu'apporta  en  sa  rési- 
dence le  duc  de  Gesvres,  gouverneur  de  Paris, 
qui  ne  ferma  pas  la  corbeille  sans  y  mettre  les 
armes  du  roi,  à  titre  de  premier  gentilhomme  de 
sa  chambre.  L'écu  est  visible  encore,  mais  privé 
de  signes  sur  la  porte,  et  une  ancre  de  vaisseau, 
dont  l'avait  surchargé  en  1750  une  compagnie 
d'assurances,  a  été  radiée  également.  On  eût  pu 
rehausser  ces  armoiries  d'un  cornet  à  dés  et  d'un 
jeu  de  cartes,  les  ducs  de  Gesvres  n'étant  que 
trop  brelandiers.  L'un  deux  donna  au  comédien 
Poisson  en  location  son  hôtel  de  la  rue  Neuve- 


RUE     CROIX-DES-PETITS-CHAMPS.  406 

Saint-Augustin,  avec  une  permission  de  jeu.  Un  autre 
se  trouvait-il  beaucoup  plus  étranger  h  l'exploitation 
d'un  tripot,  que  la  police  dépista  dans  cet  hôtel 
de  la  rue  Groix-des-Petits-Champs,  où  il  pouvait 
être  né,  mais  qu'il  n'habitait  plus  étant  lui-même 
gouverneur  de  Paris.  Celui-là  aimait  fort  à  rire  ; 
son  dos  était  chargé  d'une  bosse,  qui  lui  fit  dire 
au  peuple,  un  jour  d'émeute  :  —  Mes  amis,  personne 
plus  que  moi  n'a  à  se  plaindre  des  abus  féodaux. 

Du  vieux  balcon  fleurdelisé  qui  régnait  sur  la 
cour,  n°  31,  il  ne  reste  déjà  plus  qu'une  moitié, 
qui  va  être  sacrifiée  à  l'établissement  de  magasins. 
Un  escalier  à  jolie  rampe  y  survivra,  dans  le 
bâtiment  du  fond,  ressortissant  à  la  rue  Neuve-des- 
Bons-Enfants,  et  aidera  encore  à  reconnaître  une 
maison  bâtie,  disent  les  actes,  pour  une  des  plaisan- 
tes d'Henri  IV,  qui  en  fit  don  aux  religieuses  de 
Crécy.  Elle  entrait  il  y  a  120  ans  dans  la  famille 
qui  en  jouit  maintenant. 

Le  hasard  seul  n'a  pas  groupé  plusieurs  com- 
pagnies maritimes  et  une  auberge  de  la  Marine  en 
notre  rue  si,  comme  une  tradition  l'affirme,  ce 
département  ministériel  a  siégé  au  n°  27.  Aujourd'hui 
c'est  l'hôtel  du  Levant,  qui  ouvre  encore  par  une 
belle  porte  à  clous  et  dont  les  chambres  ont  con- 
servé des  dessus-de-portes  peints  et  sculptés, 
auxquelles  conduisent  des  degrés  protégés  par  une 
belle  ferrure  du  même  âge. 

L'exhaussement  du  sol  nous  explique  les  vestiges 
de  peintures  adhérentes  aux  caves  du  25.  Pour 
que  son  joli  balcon  n'ait  pas  l'air  d'être  descendu 
d'un  étage,  faut-il  que  l'auteur  des  raccords  ait 
eu  du  talent  !  Cet  immeuble  adjugé  au  citojen 
Marck,  le  18  prairial  an  ni,  et  pourvu  alors  d'un 
jardin,  avait  été  l'hôtel  du  lieutenant-général 
Scepeaux,  marquis  de  Beaupréau,  mari  de  M"*'  Duché, 
père  de  la  comtesse  de  la  Tour-d'Auvergne.  Néan- 
moins  il   s'y    ajoutait,    vers   la  fin  du  règne  de 

26 


406  RUE    CROIX-DES-PETITS-CHAMPS. 

Louis  XVI,  aux  grandes  maisons  de  banque  et  de 
commerce  déjà  créées  dans  le  quartier,  celle  de 
M.  Rougemont. 

La  propriété  adjacente  fut  vendue  par  M  Mallat, 
gendre  de  Tripier,  au  baron  de  Nivière,  avant  de 
passer  au  père  Brion,  loueur  de  voitures.  Au 
commencement  de  l'Empire  on  y  dînait  chez  le 
traiteur  Barbet. 

On  avait  dîné  de  même  au  24,  durant  tout  le 
demi-siècle  qui  venait  d'échoir  :  il  s'y  tenait  une 
table-d'hôte  h  32  sols,  le  prix  moyen  de  ce  temps- 
là,  mais  avec  des  appartements  qui  ne  coûtaient  pas 
toujours  moins  de  400  livres  par  mois.  C'était  le 
premier  local  de  l'hôtel  de  Bretagne,  qui  n'a  eu, 
vers  1803,  qu'à  traverser  la  rue  pour  passer  au 
second.  Un  roman  avait  fait  descendre  Faublas  à 
cet  hôtel,  qui  n'avait  rien  d'imaginaire,  puisque 
nous  en  donnons  aussi  l'adresse.  Deux  des  fils  du 
marquis  de  Juigué,  colonel  du  régiment  d'Orléans, 
tué  à  la  bataille  de  Guastalla,  et  qui  furent  députés 
aux  États-Généraux,  comme  leur  frère,  l'archevêque 
de  Paris,  donnaient  à  bail  cette  propriété  avant 
que  la  Nation  se  l'appliquât.  Un  écusson  ovale, 
en  marbre  noir,  portant  en  lettres  d'or  l'enseigne 
de  l'ancienne  hôtellerie,  y  a  été  exhumé  de  notre 
temps,  puis  une  borue  lîeurdelisée,  d'une  époque 
plus  reculée.  Aussi  bien  un  passage  usuel  semble 
creusé  sous  le  bâtiment  du  milieu  pour  relier  le 
premier  au  troisième  ;  ce  tunnel  entr'ouvre  le  cer- 
cueil, pour  ainsi  dire,  d'un  rez-de-chaussée,  qu'on  a 
enterré  vif  en  élevant  ses  abords  jusqu'à  la  place 
des  Victoires,  et  qui  s'est  transfoi  mé  en  un  premier 
berceau  de  caves,  tout  en  gardant  le  niveau  du 
jardin  du  Palais-Royal.  Un  escalier  de  palais,  tout 
en  pierre  et  carré,  bien  conservé,  et  des  mansardes 
sur  la  rue,  qui  semblent  avoir  servi  de  modèle  à 
celles  du  château  de  Gliantilly,  font  remonter  à 
la  fin  du  xyi*^  siècle  cette  ancienne    résidence  de 


RUE    (ÎROIX-DES-PETITS-CHAMPS.  407 

l'abbé  de  Saint-Honoré.  L'hôtel,  il  est  vrai,  devint 
laïque  au  point  de  servir  de  berceau  à  de  royales 
amours.  Les  premiers  rendez-vous  de  Louis  XV  et 
de  la  future  marquise  de  Pompadour  avaient  lieu 
rue  Croix-des-Petils-Champs  ;  une  publicité  ménagée 
par  des  indiscrétions  graduelles  préparait  pour 
M'"*  d'Élioles  la  succession  de  M""'  de  Châteauroux  : 
le  roi  entrait  à  l'hôtel  de  Bretagne  par  une  porte 
de  la  rue  Neuve-des-Bons-Enfauts,  et  comme  djeux 
de  ses  courtisans  le  suivaient,  il  n'en  fallait  pas 
davantage  pour  qu'on  attendît  à  Versailles  la 
nouvelle  favorite  qui  faisait  antichambre. 

Un  ordre  moins  relevé  de  galanteries  avait  sa 
chancellerie  chez  la  Gourdan,  qui  ne  demandait 
qu'à  en  multiplier  les  chevaliers,  avec  des  récidives 
et  des  variantes  d'accolade.  Il  faut  croire  que  cette 
entrernetteuse,  qui  habita  la  rue,  avait  l'air  d'une 
femme  honnête  ;  on  l'appelait  ordinairement  la 
petite  comtesse.  Elle  roulait  une  fois  dans  un 
fiacre,  que  bouscula  le  carrosse  de  l'évêque  de 
de  Tarbes,  et  le  prélat  n'hésita  pas  h  offrir  une 
place  auprès  de  lui  à  la  dame  qu'il  avait  versée 
et  qui,  n'en  souffrant  déjà  plus,  demandait  à  re- 
prendre la  course  qu'un  accident  venait  d'interrom- 
pre. M»''  la  conduisit  donc  chez  Beudet,  secrétaire 
de  la  Marine,  à  l'hôtel  Praslin,  où  il  l'aida,  de  sa 
propre  main,  à  mettre  pied  à  terre  ;  mais  cette 
courtoisie  fit  tellement  rire  des  gens  qui  étaient 
dans  la  cour  que  l'évêque  s'en  tint  là.  D'autres 
prélats,  à  ce  qu'on  osait  dire,  auraient  plutôt 
laissé  la  petite  comtesse  sur  le  pavé  que  de  lui 
parler  en  ville,  tant  ils  la  connaissaient  chez  elle  ! 
Certaine  M"""  d'Oppy,  que  son  mari,  ancien  grand- 
bailli  d'épée  de  Douai,  avait  fait  mettre  à  Sainte- 
Pélagie,  prétendait  elle-même  n'avoir  été  chez  la 
Gourdan  qu'en  la  prenant  pour  une  femme  de  son 
rang.  Plus  prudente  que  sa  cliente,  la  matrone 
avait  disparu  ;  on  la  condamna  par  défaut  à  être 


408        RUE  croix-des-petits-chàmps. 

promenée  sur  un  âne  monté  k  rebours;  mais 
elle  finit  par  purger  sa  contumace  et, ,  comme 
ses  livres  étaient  en  règle,  un  acquittement  s'ensui- 
vit. La  même  affaire  avait  maintenu  pour  quelque 
temps  deux  entremetteuses  moins  heureuses  dans 
ledit  lieu  de  correction.  Notre  vieille  drôlesse 
fit  enfin  banqueroute  au  mois  de  mai  1778,  et  c'est 
le  moment  où  deux  personnages  différemment 
connus  sautaient  le  même  pas  :  le  principal 
du'  collège  du  Plessis  et  le  bourreau.  La  Delaunay, 
qui  eut  aussi  de  la  notoriété  dans  la  partie,  prenait 
la  suite  des  affaires  de  la  Gourdan,  qui  avait  eu, 
dans  la  rue  même,  la  Vaudry  pour  rivale.  Nous 
cruyons  que  le  gynécée  de  celle-ci  a  efféminé  le 
n"  26,  dont  la  porte  bâtarde  annonçait  la  discré- 
tion d'un  escalier  peu  clair  et  dont  le  balcon 
se  préiait  aux  œillades.  L'autre  avait  plus  l'air 
d'un  hôtel  et  se  disait  maison  du  Grand-Balcon: 
n'était-ce  pas  le  16? 

Néanmoins  cette  voie  publique  avait  une  spécialité 
musicale  et  presque  éolienne,  comme  quartier- 
général  des  luthiers,  lorsque  la  harpe  faisait  fureur. 
Les  facteurs  d'instruments  ::e  l'ont  pas  entièrement 
quittée  ;  mais  on  chercherait  en  vain  dans  une 
des  maisons  de  rapport  édifiées  par  le  chapitre 
de  Saint-Honoré,  maintenant  le  n°  11,  une  boutique 
de  luthier  que,  du  temps  de  Grétry,  tout  Paris 
connaissait  :  un  mécanisme  à  musique  y  faisait 
danser  des  violons  en  montre.  On  remarque,  par 
exemple,  au  S^  un  magasin  de  layetier-emballeur, 
portant  le  millésime  1740.  Est-ce  par  modestie 
qu'aucune  date  ne  s'affiche  chez  le  successeur  de 
Guerbois,  pâtissier,  dont  le  renom  pour  les  pâtés 
se  constatait  déjà  par  une  note  dans  une  édition  de 
Regnard,  contemporaine  de  cet  auteur  du  Distrait  ? 

Une  ancienne  galerie,  dont  la  balustrade  surmonte 
encore  une  porte  et  deux  boutiques,  fait  soupçonner 
le  16  de  mauvaises  mœurs  dont,  après  tout,  il  a 


RUE     CROIX-DES-PETITS-CHAMPS.  409 

pu  rester  pur  :  pas  d'autre  preuve  ne  se  relève  à 
sa  charge.  Il  s'y  tenait  plus  sûrement,  au  com- 
mencement de  la  Révolution,  le  bureau  des  Petites- 
Arches  de  Ducray-Duminil.  L'arrestation  de  ce 
publiciste,  qui  succédait  à  l'abbé  Auberl  depuis  le 
15  septembre  1790,  fut  provisoirement  décrétée 
le  14  nivôse  an  n,  parce  qu'il  avait  inséré 
l'annonce  d'une  vente  à  faire  en  assignats 
démonétisés  ;  par  bonheur,  il  sut  exciper  de  sa 
bonne  foi  et  revint  en  liberté  rue  Groix-des-Petits- 
Champs.  Dans  cette  feuille,  fondée  en  1612,  l'abbé 
Aubert  donnait  encore  des  fables  et  Demoustiers 
des  épîlres  ;  Ducray-Duminil  avait  l'un  et  l'autre 
au  nombre  de  ses  collaborateurs  pour  une  partie 
littéraire,  que  les  annonces  depuis  ont    envahie. 

Rappelons  encore  que  le  marquis  de  Vérac  était 
propriétaire  de  l'ancien  hôtel  de  Bourbon  avant  la 
Révolution.  La  rue  du  Pélican,  qui  touchait  h 
cette  maison,  n'avait  été  qualifiée  que  trop  gauloi- 
sement Poilecon  au  xni*^  siècle. 

Que  si  les  lecteurs  nous  permettent  de  les 
renvoyer  pour  le  cloître  Saint-Honoré  rue  des 
Bons-Enfants  et  rue  Saint-Honoré,  nous  allons 
être  au  bout  de  notre  rouleau  pour  la  rue  qui 
devait,  son  nom  à  une  croix  placée  à  l'angle  de 
la  rue  du  Bouloi  et  à  des  champs,  extrci-muros 
pour  l'enceinte  de  Philippe-Auguste.  Un  corps-de- 
garde,  qui  marquait  encore,  rue  Croix-des-Petits- 
Champs  et  rue  Saint-Honoré,  la  place  d'une  ancienne 
barrière  des  Sergents,  n'a  été  démoli  qu'en  1805. 


Rue  de    Lille  et  Quai  d'Orsay,  (i) 


Satisfaction  donnée,   en  ce  qui  regarde   deux  voies 
publiques,   à  un  besoin  prévu  dès   1787. 

Dans  le  Provincial  à  Paris  paraissait  en  4787 
cet  avis  de  l'éditeur  : 

«  Nous  supplions  les  acquéreurs  de  vouloir  bien  faire 
écrire  leurs  noms  sur  le  tympan  des  principales  portes 
d'entrée,  et  de  ne  pas  souffrir  qu'on  en  efface  les 
marques  indicatives,  telles  que  les  armes,  les  numéros, 
etc.  Ils  ne  sauraient  imaginer  avec  quel  plaisir  un 
étranger,  un  Parisien,  un  homme  de  lettres,  se  prome- 
nant dans  Paris,  s'arrête  pour  les  lire.  Comme  ces  noms 
sont  plus  ou  moins  connus  par-des  faits  historiques  ou 
des  anecdotes  intéressantes,  sur-le-champ  on  se  les 
rappelle  ;  et  cette  galerie  d'hôtels  sui.erbes,  décorés 
chacun  d'un  nom  illustre  ou  remarquable,  inspire  du 
respect  pour  k-ur  maître  et  une  sorte  de  vénération 
pour   leur    demeure.  » 

A  cet  appel,  qui  fut  mal  entendu,  la  rué  dans 
laquelle  nous  entrons  eût  pu  répondre  par  des  noms 
historiques,  dont  la  liste  n'a  fait  depuis  que  croître 
et  embellir.  Mais  il  est  pi^obable  qu'une  inscription 
révélait  les  écuries  de  S.  A.  R.  la  comtesse 
d'Artois,  Marie-Théièse  de  Savoie,  dans  la  mai.son 
venant  la  première  à  gauche.  Édihée  pour  M.  Pidoux 
dès  les  commencements  du  règne  de   Louis  XIV, 


(1)  Notice  écrite  en  18(51.  Le  quai  d'Orsaj-  n'avait 
encore  pour  affluent  ni  l'une  des  extrémités  du  boulevard 
Suint-Gerraain  ni  la  rue  Solférino,  deux  voies  qui 
traversent  la   rue   de   Lille. 


RUE    DE   LILLE    ET    QUAI    D'ORSAY.       411 

elle  devint,  sous  le  premier  empire,  l'hôtel  de 
M.  Real,  préfet  de  police,  qui  avait  été  procureur 
au  Châtelet,  accusateur  public  el  procureur  delà 
Commune  ;  puis  cela  fut  le  chef-lieu  de  la  l'"'-"  Divi- 
sion militaire.  Le  général  de  Muy,  voisin  de  Real, 
avait  eu  pour  prédécesseurs  un  Créqui  et  un 
Montmorency  ;  sa  famille  avait  résidé  à  l'autre 
extrémité  de  la  rue,  laquelle  recevait  autre  part 
des  voyageurs  à  l'enseigne  des  Armes-de-Mont- 
morency  dès  1768. 

Une  église,  qualifiée  sur  le  plan  de  Gomboust 
aide  de  Saint-Suipice,  a  été  remplacée  par  une 
belle  gentilhomnière  de  ville,  où  le  comte  de 
Lauragais,  duc  de  Brancas,  cultivait  alternativement 
les  lettres  et  les  sciences.  Ce  grand  seigneur  ne 
se  partageait  pas  moins  sous  un  autre  rapport  : 
impossible  à  M"'«  de  Lauragais-Brancas  d'en  garder 
le  plus  petit  doute  le  jour  où  un  carrosse  lui 
apporta  des  bijoux  et  deux  enfants,  contenant  et 
contenu  que  Sophie  Arnould  renvoyait  à  la  femme 
pour  mieux  rompre  avec  le  mari,  de  qui  elle 
tenait  tout  cela.  Le  coupable,  à  son  retour  de 
Genève,  constitua  2,000  écus  de  rente,  dont  le 
contrat  ne  fut  accepté  par  sa  complice  que  sur 
les  instances  de  la  femme  légitime,  qui  n'en  fut 
pas  quitte  pour  si  peu  ;  elle  se  jeta,  de  guerre 
lasse,  dans  un  couvent  quand  il  y  eut  réconcilia- 
tion entre  la  maîtresse  et  l'amant.  Au  oi-devant 
hôtel  Lauragais,  n"  19,  s'est  casée  la  librairie 
Treuttel  et  Wurtz  sous  la  Convention.  Dès-lors  le 
21  avait  été  gagné  à  la  loterie.  Trois  ci-devant 
hôtels  de  Grillon,  du  Chayla  et  de  Béthune  étaient 
et  sont  encore  un  peu  plus  loin.  On  avait  contîs- 
qué  sur  les  chanoines  de  Saint-Honoré  les 
premières  maisons  que  vous  voyez  sur  la  même 
ligne  après  la  rue  du  Bac.  L'une  de  celles-ci  n'est 
donc  pas  la  maison  Weber,  dont  s'enrichissait  la 
rue  de  Lille  en  1801  et  dont  nous  tenons  le  plan, 


412        RUE   DE   LILLE    ET    QUAI   D'ORSAY. 

dù  à  Jacob,  avec  4  croisées  au  rez-de-chausée, 
plus  la  porte-cochère,  et  5  croisées  à  chacun  des 
3  autres  étages. 

M.  Mandat,  colonel  de  la  garde  nationale,  qui 
fut  assassiné  le  10  août  1792,  et  dont  on  condamna 
la  nièce  à  mort  rien  qu'en  mémoire  de  son  oncle, 
demeurait  immédiatement  après  la  rue  de  Poitiers. 
Un  Monaco  de  Valentinois  y  avait  succédé  au 
maréchal  de  Maillebois,  petit-fils  de  Colbert.  La 
marquise  Desmarets  de  Maillebois  avait  acheté  en 
1739  de  la  présidente  Baudoin  et  de  son  fils, 
seigneur  de  Pommeret,  ayant  pour  locataire  le 
marquis  de  la  Fare.  L'emplacement  avait  été  vendu 
en  1700  par  la  veuve  de  Pages,  maître-des- 
requêtes,  à  l'architecte  Prédot,  bailleur  du  prési- 
dent Baudoin. 

La  propriété  contiguë  fut  donnée,  en  1706,  au 
président  Duret  par  le  même  Prédot,  auteur  pro- 
bable de  sa  galerie  h  double  rangée  de  colonnes. 
Courcillon,  marquis  de  Dangeau,  cet  auteur  du 
Journal  de  la  cour  h  qui  Boileau  dédia  sa  satire 
sur  la  noblesse,  y  coulait  ses  derniers  jours  avec 
sa  seconde  femme,  Sophie  de  Loewenstein,  nièce 
du  cardinal  de  Furstenberg.  Leur  petite-fille, 
Sophie  de  Courcillon,  veuve  de  deux  ducs  et 
pairs,  un  Picquigny  et  un  Rohan,  vendit,  dans  le 
cœur  du  xvin*'  siècle,  à  Legendre,  comte  d'Onzem- 
bray,  lieutenant-général.  La  société  de  M'""  de 
Montesson  et  de  M""'  de  Genlis  fut  représentée 
ensuite,  k  l'hôtel  Dangeau  de  notre  rue,  par  le 
comte  de  Nansouty. 

Un  hôtel  subséquent  a  passé,  sous  Louis  XV, 
du  marquis  de  Mouchy  au  marquis  de  Carvoisin,  et 
un  autre  était  successivement  Stonville,  Rouault, 
Puységur  :  propriétés  aujourd'hui  divisées  en  amont 
de  la  rue  Bellechasse.  En  aval,  si  nous  côtoyons 
ce  qui  reste  de  la  même  rive  en  ne  remontant 
qu'au  règne  de  Louis  XVI,   nous  avons  à  recon- 


RUE    DE   LILLE    ET    QUAI  D'ORSAY.        413 

naître  :  —  un  hôtel  de  Périgord,  occupé  plus  tard 
par  le  général  Klein,  et  que  nous  croyons  avoir 
été  acquis,  vers  1812,  par  la  veuve  du  général  Hoche; 
—  un  hôtel  de  Salm-Kirchbourg  ;  —  un  hôtel  de 
Gramont,  qui  peut  élre  l'immeuble  que,  de  nos 
jours,  M.  le  duc  de  Maillé  tient  de  sa  belle-mère, 
M"*  d'Osmont  ;  —  un  petit  hôtel  d'Humières,  qui 
porte  ou  a  porté  le  chiffre  73  ;  —  un  hôtel  Lafayette, 
plus  récemment  d'Harcourt  et  puis  Grillon  ;  — 
enfin  la  résidence  du  comte  de  Muy,  maréchal-de- 
France,  qui  accepta  le  portefeuille  de  la  Guerre, 
après  l'avoir  refusé  de  Louis  XV.  On  avait  redouté 
à  l'hôtel  Forcalquier,  devenu  de  Muy,  la  coterie 
du  Salon-Vert^  bureau  d'esprit  qui  avait  inspiré  à 
Gresset  l'idée  de  sa  pièce,  le  Méchant,  en  lui 
fournissant  des  modèles  à  choisir.  Un  ou  deu^ 
des  hôtels  que  nous  précitons  avaient  dû  être  le 
petit  hôtel  du  Maine,  puis  de  Bombes,  sur  le  jardin 
duquel  fut  percée  la  rue  de  Courty,  vers  1780, 
par  Gourty,  De  Romange  et  G'''.  Le  maréchal 
d'Estrées  n'avait  été  propriétaire  que  du  terrain 
de  celui  donnant  à  la  fois  rue  de  l'Université, 
rue  de  Bourgogne  et  rue  de  Lille,  alors  Bourbon. 

Non-seulement  celle-ci  se  prolongeait  jusqu'à  la 
rue  de  Bourgogne  depuis  1704  ;  mais  encore  elle 
aboutissait  au  Cours,  avant  que  le  prince  de  Condé 
fît  exécuter  par  Belisart  des  changements  et  augmen- 
tations considérables  au  Palais-Bourbon,  dessiné 
par  Girardini  en  1721  pour  la  duchesse  de  Bourbon, 
mais  continué  par  Lassurance,  Gabriel  père  et 
d'autres  architectes.  Get  agrandissement  avait  re- 
porté le  palais  de  la  rue  Bourbon  à  celle  de 
l'Université,  en  transformant  son  autre  façade  sur 
le  quai  d'Orsay,  dit  encore  de  la  Grenouillère,  et 
en  convertissant  l'hôtel  de  Lassay  en  petit  Palais- 
Bourbon.  Lors  de  la  prolongation  de  la  rue. 
Boucher  d'Orsay,  prévôt-des-marchands,  avait  posé 
la    première    pierre   du    quai,    dont  les  travaux, 


414       RUE   DE    LILLE   ET   QUAI  D'ORSAY. 

bientôt  interrompus,  ne  traînèrent  pas  moins  que 
ceux  du  palais  :  un  instant  repris  en  1769,  ils  ne 
le  furent  tout-à-fait  qu'en  1808.  La  rue,  dans  son 
premier  parcours,  s'était  ouverte  sur  le  grand  Pré- 
aux-Clercs, dès  l'année  1640,  sous  le  patronage  de 
Henri  de  Bourbon,  abbé  de  Saint-Germain-des- 
Prés.  Force  étant  de  changer  son  nom  en  1792,  on 
en  profita  pour  consacrer  le  souvenir  de  la  résis- 
tance des  Lillois  aux  Autrichiens.  jMais  les  con- 
fiscations faisaient  subir  d'autres  changements 
encore  à  la  rue,  qui  presque  entièrement  retournait 
à  l'État.  Nous  venons  d'en  suivre  le  courant  ; 
remontons  en  changeant  de  rive. 

Les  propriétaires  y  étaient,  ainsi  que  sur  le 
quai,  du  temps  de  la  duchesse  de  Bourbon  et  de 
M.  de  Lassay  : 

M.  Leclerc,  maison  et  pré  en  feB-à-cheval  sur  le 
Cours.  —  M.  le  C^»  de  Lassay,  —  S.  A.  S.  M"»  la 
duchesse.  —  M.  le  maréchal  d'Estrées.  —  M.  le  duc 
d'Humières. —  Mgr    le  duc   du   Maine.  — M.  de    Torcy. 

—  M.   Bonnet  sur  la  rne   et    le  sieur  Tripet  sur   le  quai. 

—  M"»»  la  princesse  de  Conti,  avec  dis  chantiers  sur 
le  quai.  —  M,  de  Mascany,  l'tem.  —  M.  le  M'»  de  la 
Vrillière     —  M.    de  Bellisle.  —  MM.   Delaunay  et  Collo. 

L'hôtel  d'Estrées  passa  à  M.  de  Salles,  puis  au 
comte  de  Bentheim,  dont  les  ancêtres  avaient  été 
feudataires  immédiats  de  l'empereur  d'Allemagne, 
mais  qui  tut  obligé  en  1753  d'engager  son  domaine 
princier  au  Hanovre.  Au  n"  96,  démembré  de  l'hôtel 
Bentheim,  la  maréchale  Lobau  avait  dernièrement 
pour  lit  mortuaii'e  son  ancien  lit  nuptial,  qu'un  demi- 
siècle  n'avait  pas  changé   de  place. 

Masséna,  duc  de  Rivoli,  prince  d'Essling,  que 
la  campagne  d'Italie  avait  fait  surnommer  à  juste 
titre  Enfant  chéri  de  la  Victoire,  mourut  le  4 
avril  1817  au  n°  94,  qui  est  de  la  même  origine. 
L'ambassade  de  Parme  avait  occupé  l'autre  hôtel 


RUE   DE   LILLE    ET  QUAI  D'ORSAY.        415 

OÙ  M.  de  Vogué  succède  au  prince  de  la  Trémoille, 
et  qui  n'en  a  pas  moins  été  Bentheim  ;  seulement 
l'envoyé  de  Parme  avait,  par  exception,  son  en- 
trée par  le  quai  d'Orsay,  où  la  plupart  des  autres 
propriétaires  de  la  rue  Bourbon,  jusqu'à  la 
rue  du  Bac,  n'alignaient  que  des  jardins. 

Du  crayon  de  Mollet  sortit  l'hôtel  d'Humières, 
qui  nous  rappelle  un  mai'éclial  de  France,  ami. 
de  Louvois,  courtisan  zélé  de  Louis  XIV.  Toutou 
partie  en  devint  Montmorency,  refait  par  Des- 
maisons. M"''  Clairon,  tragédienne  qui  avait  quitté 
sa  principauté  de  théâtre  pour  partager  celle  du 
margrave  d'Anspach,  près  duquel  l'avait  remplacée 
lady  Clarven,  mourut  octogénaire  en  1803  au  petit 
hôtel  d'Humières,  en  regard  du  grand.  Etienne 
écrivit  même  des  mémoires  sur  M"*  Clairon  dans 
cette  maison,  où  il  avait  pris  un  logement.  Le 
conventionnel  Germain,  qui  perdit  la  raison  avant 
la  vie,  préccdja  le  maréchal  Mortier,  duc  de 
Trévise,  au  grand  hôtel  d'Humières.  On  sait  comment 
fut  célébré  en  1835  l'anniversaire  des  journées  de 
Juillet  par  la  machine  infernale  de  Fieschi  :  elle 
n'épargna  les  jours  du  roi  qu'en  enlevant  le  maréchal 
Mortier,  alors  ministre  de  la  Guerre. 

Le  prince  de  Dombes  eut  de  son  père,  le  duc 
du  Maine,  entre  M.  de  Montmorency  et  MM.  de 
Béthune-Charost,  un  grand  hôtel,  aujourd'hui 
disparu,  que  de  Cotte  avait  dessiné  et  que  le 
ministre  au  département  de  la  Guerre  a  occupé 
sous  Napoléon  P''. 

Deux  autres  contigus  furent  l'œuvre  de  Boffrand 
et  au  service  de  plusieurs  héritiers  de  Colbert, 
dont  la  bibliothèque  s'y  conserva  assez  longtemps. 
L'un  s'appela  Seignclay,  comme  le  fils  aîné  dudit 
ministre,  et  d'Ancezune,  comme  son  petit-neveu 
par  alliance  ;  l'autre  Torcy,  comme  son  neveu 
direct.  Ce  marquis  de  Torcy  avait  déjà  joué  un 
grand  rôle  diplomatique  alors  qu'il  acheta,  en  1714, 


416       RUE   DE  LILLE   ET   QUAI  D'ORSAY. 

l'hôtel  que  l'architecte  s'était  d'abord  réservé  pour 
lui-même,  et  c'est  là  qu'il  laissa  sa  veuve  :  le  duc 
d'Ancezune  était  leur  gendre.  Néanmoins  M.  de  Lam- 
bert et  la  famille  Bélhune-Charost  furent  propriétaires 
à  la  place  occupée  par  le  marquis  de  Seignelay  ou 
par  M.  de  Torcy,  et  la  duchesse  de  Mode  ne 
locataire.  M™^  de  Tencin  y  fit  les  honneurs  du 
salon  où  le  système  de  Law  compta  ses  premiers 
adhérents,  et  d'autres  souvenirs  pèsent  sur  la 
chambre  à  coucher  de  cette  femme  d'esprit,  auteur 
du  Siège  de  Calais.  Ses  appartements  furent  plus 
tard  occupés  par  le  prince  Eugène  de  Beauharnais, 
puis  par  le  maréchal  marquis  de  Lauriston,  petit- 
neveu  du  financier  dont  les  premières  actions  y 
avaient  été  souscrites. 

M.  le  duc  de  Noailles  a  pour  prédécesseur,  aux 
68  et  66,  le  maréchal  Ney,  qui  y  reçut  des  visites 
de  l'empereur  Alexandre.  Des  du  Roure  y  vivaient 
en  1T86.  Ne  traitait-on  pas  encore  de  Vil'eroi,  à 
cette  époque,  un  hôtel  contigu  à  celui  de  Saisseval, 
qui  l'était  à  celui  de  Salm?  Le  marquis  et  le 
comte  de  Saisseval  servaient  comme  capitaines  de 
cavalerie  :  leur  façade  à  péristyle  de  six  colonnes 
regardait  la  rivière. 

Quant  au  petit  palais  du  prince  de  Salm,  on  en 
était  aux  bas-reliefs,  on  y  mettait  la  dernière 
main  :  cette  œuvre  de  Rousseau  présentait  vsur  le 
quai  d'Orsay  un  avant-corps  demi-circulaire,  décoré 
d'un  ordre  corinthien,  et  sur  la  rue  une  porte  en 
forme  d'arc-de-triomphe  à  colonnes  ioniques,  pres- 
que en  face  d'une  maison  au  même  propriétaire. 
Ayant  dissimulé  ses  sympathies  pour  les  idées  nou- 
velles, M.  de  Salm  surprit  la  cour  de  France,  qui  le 
comblait  de  ses  faveurs,  en  passant  dans  les  rangs  de 
la  Révolution,  d'abord  en  Hollande  et  puis  à  Paris, 
où  il  commandait  un  bataillon  de  garde  nationale.  Il 
lui  en  coûta  la  vie  ;  mais  sa  seigneurie  immédiate 
de  prince  Allemand  n'était  pas  encore  médiatisée. 


RUE  DE   LILLE   ET   QUAI  D'ORSAY.       417 

Le  nommé  Lieutraud,  dit  marquis  de  Boisregard, 
fut  arrêté  comme  faussaire,  dans  l'ex-hôtel  de 
Salm,  dont  il  s'était  rendu  propriétaire,  avant  que 
M"^  de  Staël  y  présidât,  pendant  le  Directoire,  un 
conciliabule  politique,  auquel  Benjamin  Constant 
prenait  déjà  part.  On  en  fit  en  1802  le  palais  de 
la  Légion-d'Honneur. 

Le  palais  du  conseil  d'État  et  de  la  cour  des 
Comptes,  commencé  sous  le  premier  empire  pour 
le  ministère  des  Affaires-Étrangères,  s'est  achevé 
sous  le  règne  de  Louis-Philippe.  Il  n'y  avait  déjà 
plus  de  gardes-du-corps  à  la  caserne  du  quai 
d'Orsay,  substituée  aux  anciennes  remises  des 
voitures  de  la  cour  ;  mais  Visconti  avait  déjà  orné 
ce  quai  d'un  nouvel  hôtel  du  petit  format,  le  34. 

Le  maréchal  de  Bellisle,  petit-fils  du  surintendant 
Fouquet,  s'était  fait  dessiner  par  Bruant  fils  un 
autre  hôtel,  à  escalier  de  palais,  à  façades  enrichies 
de  balcons,  de  balustrades  et  de  vases  jusqu'aux 
combles  ;  puis  il  était  mort  sans  enfants,  ou  du 
moins  après  ses  enfants.  Les  Praslin  ayant  pris 
la  place  du  maréchal,  la  duchesse  de  ce  nom  laissa 
un  testament,  en  1784,  par  lequel,  eu  léguant  ses 
biens  aux  héritiers  du  prince  de  Soubise,  elle 
deshéritait  ses  enfants,  comme  étant  ceux  d'une 
femme  de  théâtre  qu'on  avait  substitués  aux  siens  ; 
le  fait  est  que  M,  de  Praslin,  qu'elle  laissait  veuf 
et  que  l'académie  des  Sciences  avait  pour  membre 
honoraire,  était  lié  depuis  un  demi-siècle  avec 
M"''  Dangeville  ;  mais  on  cassa  le  testament.  Le 
comte  Démidoff  résidait  dans  l'hôtel  au  moment  où 
il  fut  vendu  à  la  comtesse  d'Harville,  née  d'Alpozzo, 
c'est-à-dire  sous  le  Consulat,  et  bientôt  ce  fut  la 
demeure  d'un  sénateur,  le  général  d'Harville  ;  M.  de 
Lépine  prit  ensuite  possession,  avant  d'être  fait 
pair-de-France;  enfin  la  Caisse  d'amortissement  et 
des  consignations  acquit  et  s'installa.  Un  changement 
de    dispositions    ne    rend  encore  méconnaissable 


41H       RUE   DE    LILLE    ET    QUAI  D'ORSAY. 

ni  sur  le  quai  ni  sur  la  rue  l'extérieur  de  cet 
édifice,  à  la  hauteur  duquel  ne  s'élevait  plus  aucun 
train  de  maison  privée,  et  l'administration  publique 
a  jusqu'au  bout  donné  le  bon  exemple,  en  faisant 
inscrire  sur  la  porte  de  la  rue  de  Lille  ces  deux 
dates  :   1720-1858. 

Le  54  appartient  également  à  la  Caisse.  M.  de 
Praslin  en  avait  fait  lui-même  son  majeur  hôtel, 
par  voia  d'acquisition,  et  y  avait  formé  une  galerie 
de  peinture.  Mais  Robert  de  Cotte,  conseiller  du 
roi  et  architecte  de  l'Académie  royale,  avait  construit 
cette  maison  à  ses  propres  dépens,  ainsi  que  celle 
du  coin  de  la  rue  du  Bac,  qui  a  été  hôtel  d'Har- 
court  alors  que  par-derrière  M.  de  Chastelux 
occupait  la  première  maison  du  quai.  Dans  celle- 
ci,  le  peintre  Robert  Lefèvre,  dont  le  talent  et 
la  raison,  sous  le  coup  du  plus  vif  chagrin,  par- 
tageaient l'exil  de  ses  augustes  protecteurs,  a  fini 
déplorablement  en  octobre  1830.  Dans  celle-là, 
quilti^e  par  les  d'Harcourt,  le  maréchal  Jourdan  a 
demeuré. 

Carie  Vernet,  au  n°  36,  avait  l'ancien  atelier  de 
Lebel,  dans  un  ancien  hôtel  Grillon,  vraisembla- 
blement un  de  ceux  qu'avaient  édifiés  les  religieux 
Ihéatins.  L'hôtel-garni  de  Laon,  qui  s'était  exploité 
près  de  là  au  siècle  dernier,  n'avait  pas  plus  de 
profondeur  ;  mais  d'autres  maisons,  encore  plus 
rapprochées  de  la  rue  des  Saints -Pères,  allaient 
de  la  rue  Bourbon  au  quai  des  Théatins  (Voltaire), 
qui  lui  était  parallèle  entre  les  rues  du  Bac  et  des 
Saint-Pères.  Tel  était  un  hôtel  d'Ancezune,  près 
le  dépôt  de  la  Guerre  ;  telle  une  maison  que 
M.  Pierre  Salle  payait  218,000,  livres,  en  l'année 
1752,  à  la  veuve  de  M.  Tliiroux  d'Arconville,  née 
Darlu,  et  qui  tenait  d'une  part  à  l'hôtel  de  Ruffec, 
d'autre  part  à  une  maison  prise  en  location  par 
le  comte  de  Jarnac. 

Le  monastère  des  Théatins,  fondé  par  le  cardinal 


RUE   DK  LILLE   ET    QUAI   D'ORSAY.        419 

Mazarin,  était  également  double  en  profondeur. 
Les  fidèles  y  entraient  à  l'église  Sainte-Aune,  objet 
des  libéralités  d'Anne  d'Autriche,  par  une  maison 
de  la  rue  Bourbon  à  trois  étages  et  à  deux 
fenêtres  par  étage,  faite  ou  plutôt  refaite  sur  le 
plan  de  Desmaisons.  C'est  aujourd'hui  une  hôtel- 
lerie, sur  la  porte  de  laquelle  n'a  pas  cessé  de 
trôner  un  ange  sculpté  dans  une  gloire,  mais 
auquel  un  bras  manque.  Les  religieux  de  ce  cou- 
vent, seul  de  son  ordre  en  France,  étaient  il  y  a 
cent  ans  au  nombre  de  24,  frères  compris.  Les 
novices  y  payaient  pension  sur  le  pied  de  4  ou 
500  livres  par  an,  à  moins  que  le  sujet  obtînt 
par  son  mérite  d'en  être  dispensé,  et  le  noviciat 
durait  16  mois,  dont  4  de  postulance.  La  Révolu- 
tion a  transformé  l'église  des  théatins,  Sainte-Anne, 
en  une  salle  de  spectacle,  où  il  ne  s'est  pourtant  donné 
que  des  bals,  puis  en  un  café  des  Muses,  démoli 
sous  la  Restauration. 

Une  petite  niche  à  Notre-Dame  fait  encore  vis- 
à-vis  à  une  grande  en  ces  parages,  où  le  temps 
paraît  se  mesurer  sur  le  cadran  solaire  et  légendaire 
du  n"  14,  qui  défle  bien  le  passant  de  savoir 
littéralement  l'heure  qu'il  est  : 

Dum     petis,    illa  fugit. 


Rue     de    Verneuil.  (^) 


1640.  —  Cette  année  voit  tailler  dans  le  grand 
Pré-aux-Clercs  la  rue  de  Verneuil,  en  même  temps 
que  celle  Bourbon  (Lille).  Elles  se  partagent 
en  véritables  sœurs  le  nom  de  Gaston-Henri  de 
Bourbon,  duc  de  Verneuil,  abbé  commeudataire  de 
Sainl-Germain-des-Prés,  et  si  l'une  de  ces  rues 
jumelles  rappelle  au  titulaire  d'un  des  plus  riches 
bénéfices  de  France  que  son  père  fut  Henri  IV, 
l'autre  l'empêcherait  au  besoin  d'oublier  qu'il  a  perdu 
depuis  sept  ans  sa  mère,  la  marquise  de  Verneuil. 
Il  s'en  est  même  fallu  de  peu  que  celle-ci  n'ait 
mêlé,  dans  les  veines  de  son  fils,  le  sang  de  la 
branche  des  Valois  h  celui  du  premier  Bourbon, 
pour  le  rendre  encore  plus  royal  :  elle  est  bien 
la  fille  de  d'Entraigues,  gouverneur  d'Orléans,  et 
de  Marie  Touchet  ;  seulement  celle-ci,  avant  que  de 
passer  M"'«  d'Entraigues,  a  été  la  maîtresse  de 
Charles  IX.  Avec  ledit  duc  de  Verneuil  s'enterre 
son  titre  en  1682  ;  mais  la  d'jchesse  de  Verneuil, 
fille  du  chancelier  Séguier,  mère  de  la  duchesse 
du  Lude  et  belle-mère  de  la  duchesse  de  Sully, 
devient  princesse  du  sang  à  titre  de  veuve,  cin- 
quante après  la  mort  de  la  marquise  qui  lui  vaut 
cet  honneur  tardif,  et  les  prérogatives  y  attachées 
ne  finissent  pas  pour  elle  avec  la  vie.  dans  sa 
SS"*"  année  :   le  roi  prend  le  deuil  pour  15  jours  ! 

Hôtel  de  Saint-Thierri.  —  Un  disciple  de  saint 
Rémi  de  Reims  et  un  évêque  d'Orléans  ayant 
sanctifié  le  nom  de  ïhierri,  nous  n'avons  pas 
donné  la  préférence  à  ceux    de    Saint- Thiry   et 

(ij  Notice   écrite  en   18G1. 


RUE  DE   VERNEUIL.  421 

Saint- Di/fry,  qu'attribuent  aussi  des  titres  manus- 
crits à  un  hôtel  de  la  rue  de  Verneuil.  Suzanne 
Aubert,  veuve  Lecamus,  l'achète  en  1715  de  M.  de 
Montgeron  et  le  revend  en  1736  à  Hébert,  comte 
de  Ferrières. 

Académie  Dugast.  —  L'année  1713  voit  Pierre 
Catinat  acquérir  de  Georges  Roize,  au  second  coin 
de  la  rue  des  Saints-Pères,  une  maison  tenant 
à  l'académie  du  sieur  Dugast,  qui  deviendra  royale  si 
elle  ne  l'est  pas  encore.  Les  institutions  (^e  ce  genre 
sont  des  écoles  oii  l'équitation  fait  le  fonds  de 
l'enseignement,  bien  que  d'autres  leçons  soient 
données  à  leurs  académistes,  jeunes  gens  de  bonnes 
familles.  Les  étrangers  qui  voyagent  pour  s'instruire 
autant  que  pour  leur  agrément,  prennent  encore 
pied-à-terre  dans  ces  académies,  bien  que  la  mode 
commence  à  passer  d'en  faire  ainsi  d'honnêtes 
hôtelleries,  qui  procurent  tout-desuite  des  relations 
et  rendent  moins  indispensables  les  lettres  de  re- 
commandation. Celle  de  la  rue  de  Verneuil  doit 
des  succès  à  un  attrait  particulier  ;  l'auteur  du 
Séjour  de  Paris,  paru  en  1727,  nous  le  dit  en 
ces  termes  : 

<  La  fille  de  Dugast  a  18  ans  et  fait  le  manège  d'une 
façon  admirable.  Je  l'ai  vue  en  présence  du  cardinal 
Bentivoglio  et  en  d'autres  occasions  faire  tous  les 
exercices  à  cheval  ;  en  quoi  elle  surpassait  de  beaucoup 
tous  les  écoliers  qui  avaient  appris  déjà  longtemps  au- 
près de    son  père.  » 

Un  Parvenu.  —  Bragouse,  natif  de  Montpellier,  est 
entré  en  qualité  d'aide  chez  un  chirurgien-barbier 
de  la  rue  de  Verneuil,  près  d'un  hôtel  qui  appar- 
tenait à  la  marquise  de  Glérambault  et  que  son 
entrée  principale  enrôlait  dans  la  rue  Saint-Vincent, 
ou  de  l'Université;  mais  il  a  épousé  une  blanchis- 
seuse et  puis  le  système  de  Law  l'a  enrichi. 
Bragouse  achète  donc  une  charge  de  trésorier  de 

27 


422  RUE  DE   VERNE UIL. 

la  maison  du  roi,  puis  devient  fermier-général. 
Chemin  faisant  il  se  montrait  peu  délicat  sur  le 
choix  des  moyens,  que  la  Un  justifie  en  ne  le 
rendant  pas  plus  scrupuleux. 

1750,  —  A  cette  date,  on  distingue  rue  de 
Verneuil  : 

Les  hôtels  de  Morveau  (nos  1,  :]  et  5  actuels)  et  de 
Gamaches,  antérieurement  Pidoux  (n»  -2;,  l'acailémie 
royale  de  Dugier  (no«  13  et  15),  les  hôtels  de  la 
Gtiistade  (no  30),  d'Aiguillon  (u»  33)  et  d'Avejeaa  (nos  53 
et  bT> 

Quel  est  M.  de  Moiveau  ?  Un  président.  Que 
rappelle  le  nom  suivant,  outre  les  noces  de 
Gamaches?  L'académie  des  Sciences,  à  cette  époque, 
compte  parmi  ses  membres  l'abbé  Étienne-Simon 
de  Gamaches  ;  Louis  XIV  a  choisi  un  officier  du 
même  nom  pour  accompagner  le  duc  de  Bour- 
gogne, et  M"'«  de  Gamaclies,  femme  d'esprit  liée 
avec  M""*  de  Longueville,  a  vécu  ses  quatre-vingts 
ans;  sans  compter  qu'il  y  a  eu, sous  Charles  VII, 
un  maréchal-de-Fiance  Rouault  de  Gamaches. 
Dugier,  successeur  de  Dugast,  forme  comme  lui 
des  gentilshommes.  M.  de  la  Guistade  siège  au 
parlement  de  Paris.  Vigncrot  du  Plessis,  duc 
d'Aiguillon,  dont  la  fortune  a  commencé  sous  les 
auspices  de  M'"''  de  Chàteauroux,  devra  d'entrer 
au  ministère  k  la  disgrâce  de  M.  de  Choiseul 
et  aux  bonnes  grâces  de  M"""  Dubarry. 

1785  —  Côté  gauche:  —  Hôtel  de  Bouville,  qui 
est  Fancienne  académie  Dugier  et  Tune  des  mairies 
t'ulu'es  du  Xe  arrondissement.  —  Hôtel  de  Monlche- 
vreuil,  4'»«  porte  avant  la  rue  de  Beaune.  —  Hôtel  de 
Cély-d'Astorg,  qui-  a  été  d'Aiguillon.  —  Hôtel  de 
Moutesquiou,  un  peu  plus  haut.  —  Hôtel  de  Mont- 
boissier,  dit  aussi  d'Avejeau.  — Côté  droit:  —  Hôtel  de 
Bercheny  (où  se  trouve  de  nos  jours  l'intendance 
militaire   de   la   1'»  division). 


RUE   DE   VERNEUIL.  423 

Une  collection  de  plans,  que  visitent  les  amateurs 
à  l'hôtel  de  Cély-d'Astorg,  a  été  réunie  par 
Desmaisons,  l'un  des  architectes  du  roi.  L'abbé  de 
Montesquiou,  qui  habile  la  rue  de  Verneuil,  sera 
député  aux  Etats-généraux  et  deviendra,  au  retour 
des  Bourbons,  ministre  de  l'Intérieur,  duc  et  l'un 
des  quarante.  Les  Bercheny,  originaires  de  \a 
Hongrie,  servent  en  France  depuis  le  règne  de 
Louis  XIV  et  y  sont  à  la  tête  d'un  régiment  de 
hussards,  qui  s'appelle  comme  eux.  Les  connais- 
seurs n'ignorent  pas  de  quels  tableaux  se  compose, 
à  côté  de  l'hôtel  Bercheny,  le  cabinet  de  M.  Goupry- 
Dupré,  greffier  en  chef  des  présentations  du 
parlement.  Les  deux  dernières  propriétés  de  la 
rue  sur  cette  ligne  ont  été  vendues  par  Antoine 
Quinquevoy,  sieur  d'Olive,  à  François  Coupry- 
Dupré  en  1736.  Un  almanach  et  une  gazette  de 
1807  annoncent  qu'au  même  endroit  «  on  voit 
la  collection  de  gravures  de  l'histoire  de  France, 
chez  Soulavie,  ex-ambassadeur  en  Suisse.  »  Ce 
prêtre  marié,  qui  se  réconcilie  sous  l'Empire  avec 
l'Église,  a  été  résident  de  la  république  française 
à  Genève  et  partisan  compromis  de  Robespierre. 
Des  mémoires  importants,  tels  que  ceux  de  Saint- 
Simon,  mais  encore  incomplets,  ont  pour  éditeur 
Soulavie,  auteur  lui-même  de  travaux  historiques. 


&iiio  8s9iiïi->Aiitir<3«iles>Ai*ts«(i] 


/,(.'  C'/o.f  df  Laas.  —  L'Eglise.  —  Ducange  fils.  — 
Le  Collège  d'Aiitun.  —  M.  de  Monthnlon. 
■--  Billaud-Varennes.  —  André  Duchcsne.  — 
M.  Uoulxrd.  —  La  O^^^''  de  Bon  amour.  — Chérin. 

—  L'hù  el  de  Nevers.  —  Le  Confesseur  Sainfe- 
Bei're.  —  L'hôtel  de  Lyon.  —  La  Porte  de  Bnci. 

—  Le  Ptiktis  d'Orléans.  —  L'Abri-Cotier.  — 
LiU!  11.1,1  lie,  TiUemoni.  —  Coe'mis.  —  Jacques  de  la 
Gnesli-'.  —  Les  C^'^^  de  Châ'.eauvieux  et  de  Villayer. 

—  Le   Papier  et   les  Livres.    —  Les   Traiteurs. 
Le  Pâtissier.    -  L'Hôtel  de  Sai:it-Aignan.  — 

La   Maison  de  Jeu. 

Le  clos  de  Laas,  qui  appartint  à  l'abbaye  Saint- 
Germain-des-Près,  n'était  déjà  plus  un  vignoble 
inhabité  quand  l'abbé  Hugues  en  aliéna  une  bonne 
partie.  C'était  en  Fan  1179,  et  le  commencement 
de  l'an  1000  avait  vu  ériger  en  église  un  oratoire, 
à  l'entrée  d'une  rue  Saint-Germain  qui  traversait 
l'ancien  clos.  Saint  André,  patron  de  l'église,  et 
de  nombreux  marchands  d'arc,  ses  paroissiens, 
la  lirent  appeler  Saint-André-des-Arcs.  Désinence 
modiliéc  ensuite  par  l'usage  et  par  égard  pour  les 
niaîtres-ès-arts  dont  les  collèges  voisins  étaient  la 
péj)inièi'c.  La  rue  a  perdu  récemment  une  vingtaine 
do  maisons,  par  lesquelles  commençait  son  ordre 
numérique;  lâchons  donc  d'indiquer  autrement  que 
par  des  chilTres,  inévitablement  appelés  à  reculer, 
la   i)lacc  des  immeubles  qui  vont  nous    occuper. 

La  seconde  façade  encore  debout  du  côté  gauche 

ylj  Nutice  éciile    en    lH(il. 


RUE   SAIXT-ANDRE-DES-ARTS.  4-25 

a  fait  partie  d'uii  hôtel  de  la  Verrière,  avant  que 
le  propriétaire  y  fût  Durresiie,  seignet!'.' du  Canine, 
président-trésorier  do  France  et  lils  de  riiislo'ieii- 
glossateur  Ducange. 

Sur  l'autre  ligne,  un  pou  avant.  la  l'uc  Gi!-lo- 
Cœur,  il  subsiste  une  ou  deux  dos  huit  maisons 
qui  appartenaient  au  collège  d'Aulun,  dont  nous 
parlions  déjh  rue  de  rHiromlcHe.  Une  d/'cJaralion 
passée  le  6  décembre  1710  par  Fourot,  prèlreet 
principal,  Escomel,  proviseur,  Robert,  Gaclion, 
Teissier,  Badon,  Pajot,  Glouton,  Laurent,  de  Sainl- 
Priest,  Savoye  et  Clia|)uys,  boursiers,  rappelait  (pie 
ces  maisons  élaient  exemptes  de  cens  par  suite 
d'amortissement,  à  l'exception  d'une  seule  donnant 
sur  les  deux  rues  de  l'Hirondelle  el  Saiiit-Aiulré- 
des-Ârts,  h  l'enseigne  du   Ciieval-Noir. 

Après  la  rue  Gît-le-Cœiir,  ancien  logis  de  l'un 
au  moins  des  Monlholon,  père  et  ills,  (lui  furent 
gardes-des-sceaux  au  xvi"  siècle.  Le  premier  avait 
plaidé,  comme  avocat,  contre  François  T'  et  la 
reine-mère,  poui-  le  duc  de  Boui'bon  ;  son  pctil- 
fils,  avocat  aussi,  fil  dire  que  la  probité  «Hait 
liéréditaire  dans  la  famille.  Propriétaire  au  même 
endroit  en  1650  :  Ingrand,  conseiller  au  iiarlenient 
de  Metz,  cl  puis  son  tils,  intendant,  du  commerce. 
Locataire  en  1793  :  Billaud-Vai-einies,  ce  député 
de  Paris  à  la  Convention  nationale  qui  organisa  avec 
Robespierre  le   système  de   la   Terreur. 

Un  balcon  et  des  sculpiuies  distinguent  une 
maison  d'en  face,  où  a  vécu  l'iiistonen  André 
Duchesne,  qui,  après  s'êti'e  concilié  par  des  travaux 
utiles  la  protection  toute-puissante  du  cardinal  do 
Richelieu,  est  mort  écrasé  par  uneclinrroileen  1640. 
Un  peu  plus  loin  une  maison  buurgeoise  nppartenaii 
sous  Louis  XIV  à  Vilard  de  Passy,  avocid.  ;  elle 
('tait  décorée  avant  89  des  panonceaux  du  noiaii-e 
Boulard,  connu  plus  tard  comme  bibliopi:ile.  L'Assis- 
tance publique  dispose  de  la  suivante,  oii  se  tient  uiie 


426  RUE    SAINT-ANDRE-DES-ARTS. 

école  de  filles  et  qui  était  à  l'Hôtel-Dijfu. 
jyjme  Freslon,  comtesse  de  Bonamour,  le  joli  titre 
qu'elle  avait  là  !  vendait  le  premier  coin  de  la 
rue  de  l'Éperon,  en  1754,  à  Pissot,  vrai  nom 
d'encoignure  ! 

Deux  hôtelleries  vis-à-vis  :  celle  de  Bretagne, 
celle  de  Rennes.  Puis  la  demeure  de  Vacherot, 
tapissier,  acquéreur  des  Lefèvre-d'Eaubonne  ;  puis 
une  propriété  de  belle  apparence,  où  était  le 
bureau  de  Chérin,  généalogiste  du  roi,  à  l'angle 
de  la  rue  des  Grands-Augustins,  et  qui  avait  passé 
par  les  mains  de  Cotelle,  juré-vendeur  de  marée, 
ancien  conseiller  du  roi,  après  avoir  été  laissée 
en  héritage  à  Charlotte  de  Roumilley  de  la 
Chesnaye,  femme  de  François  de  l'Hospital,'  marquis 
de  Saint-IVIesme,  par  Dutillet,  baron  de  la  Bussière, 
g^reffier  en  chef  du  parlement.  Un  hôtel  de  Nevers, 
qui  allait  de  la  rue  Pavée  (i)  à  celle  des  Grands- 
Augustins,  avait  été  vendu  20,000  livres  tournois, 
vers  l'année  4556,  par  François  de  Clèves  à  Claude 
Hennequin,  maître-des-requêtes,  et  à  Louis  de 
l'Estoille,  président  aux  enquêtes,  père  de  l'auteur 
du  journal  historique  des  règnes  de  Henri  III  et 
Henri  IV.  La  part  de  Louis  de  l'Estoille,  qui  était 
la  plus  grosse,  comprenait,  à  l'encoignure  de  la 
rue  Pavée,  l'hôlel  de  Saint-Clair,  qu'on  a  démoli 
en  1848.  A  l'autre  angle  de  la  même  rue  a  com- 
mencé en  1  année  1613  et  fini  en  1677  la  vie  d'un 
janséniste  en  montre,  le  casuite  Sainte-Beuve. 

Entre  la  rue  des  Grands-Augustins  et  celle 
Contrescarpe-Dauphine  (2),  vous  remarquez  sans 
peine  l'ancien  hôtel  de  Lyon,  qui  en  a  formé  deux, 
le  grand  et  le  petit,  avec  une  sortie  sur  la  rue 
Contrescarpe,    fort    utile   à  la  Poste-aux-Chevaux 


(1)  Présentement   rue   Séguier. 

(2)  Présentement   rue  Mazet. 


RUE  SAINT  ANDRE-DES-ARIS.  4i7 

lorsqu'elle  y  était  établie.  Comment  les  archevê- 
ques de  Lyon  sont-ils  entrés  en  possession  de  cet 
hôtel,  autrefois  de  Buci,  et  de  plusieurs  maisons 
conliguës  ?  Miron,  Hls  du  médecin  de  Henri  III, 
ou  Richelieu,  frère  du  cardinal,  qui  ont  l'un  après 
l'autre  gouverué  l'église  de  Lyon,  ont  pu  un  en- 
richir leur  temporel.  Le  plan  de  1652  écrit  dé]h  : 
Hôtel  de  Lyon.  L'archevêque  Claude  de  Saint- 
George  en  est  encore  propriétaire,  plus  lard,  mais 
au  moyen  d'un  retrait  opéré  le  il  janvier  1703 
sur  les  enfants  et  autres  liéiitiers  de  Louis  Blanet. 
Aussi  bien  cet  ancien  séjour  est  d'origine  royale  : 
Jeanne  de  Navarre,  femme  de  Philippe-le-Bel,  a 
voulu  y  fonder  par  testament  le  collège  de  Navarre, 
que  les  exécuteurs  testamentaires  de  ladite  reine 
ont  préféré  transporter  autre  part  au  moyen  d'une 
aliénation. 

La  porte  de  Buci,  dont  Périnet-Leclerc  livra  les 
clefs  aux  soldats  du  duc  de  Bourgogne  et  qui  s'ap- 
pelait Saint-Germain  quand  Louis  XIV  la  lit  jeter 
bas,  s'élevait  rue  Saint-André-des-Arts,  auprès 
de  celle  Contrescarpe.  Lorsque  l'ancien  Paris  y 
commençait  par  l'hôtel  de  Navarre  d'un  côté  de 
notre  rue,  il  y  finissait  également  par  un  royal 
séjour  de  l'autre  côté.  De  la  rue  de  l'Éperon  à  la  porte 
de  Buci,  un  grand  logis  fui  occupé  par  les  ducs 
d'Orléans  du  xiv«  etduxv^"  siècle,  dauphins  de  France 
ou  frères  de  roi  :  Louis  XII  en  fit  plusieurs  lots 
avant  son  avènement  au  trône,  et  des  particuliers 
s'en  arrangèrent  en  janvier   1484. 

L'un  d'eux  était  Jacques  Coytier,  l'ancien  médecin 
de  Louis  XI,  tellement  accusé  de  dilapidai  ions  qu'il 
rendit  gorge  de  oO,000  écus,  offerts  à  Charles  VIII 
pour  la  guerre  d'Italie.  Il  avait  la  grange  du 
palais,  qu'il  transforma  un  peu  plus  lard  en  une 
belle  habitation  et  qu'il  appela  VAbri-Cotitr. 
Toutefois,  c'est  un  Éléphant  que  la  porte  montrait 


428  RUE  SAINT-ANDRE-DES-ARTS. 

pour    enseigne.    Il  y  avait   aussi  sur    la   façade 
l'inscription  suivante  : 

Jacobus  Coytier  miles  et  consiliarius  ac  vice-prœses 

Camerœ  computorum  Parisiensis 

Aream  émit  et  in  eâ  œdificavit  hanc  domum 

Anno     1490. 

Du  séjour  d'Orléans  Jie  reste-t-il  rien  rue  de 
l'Éperon?  Quelque  chose  du  moins  survit  en  l'autre 
rue  de  cet  ancien  Abri-Cotier,  sur  lequel  la  porte 
Buci  projetait  son  ombre  dans  l'après-midi.  Le 
janséniste  Lenain  de  Tillemont,  historien  ecclésiasti- 
que, y  est  mort  en  l'année  1698  et  il  a  été  in- 
humé à  Saint-André-des-Arts,  où  l'ancien  médecin 
du  roi  avait  fondé  une  chapelle.  Jean  Lenain, 
avocat-général,  a  vendu  la  propriété  de  l'Eléphant 
à  Lemassoy,  secrétaire  du  roi,  prédécesseur  de 
Michaut  de  Montaran,  conseiller  au  parlement,  et 
ce  dernier  a  eu  pour  acquéreur,  en  1738,  l'architecte 
Richard  Cochois,  qui  a  fait  élever  une  autre 
maison  par-devant.  Mais  il  subsiste  encore  par- 
derrière  une  maison  à  jardin,  plus  ancienne,  avec 
une  porte  cintrée,  venant  après  celle  de  Cochois, 
mais  avant  une  troisième,  également  cintrée,  comme 
les  architectes  du  xvni'  siècle  n'en  faisaient  déjà  plus. 

On  ne  comptait  entre  la  maison  Cochois  et  la 
rue  de  l'Éperon  que  deux  propriétés,  l'hôtel  de 
Villayer,  l'hôtel  de  Châteauvieux  :  nous  trouvons 
dans  l'une  et  dans  l'autre  des  librairies  et  des 
magasins  de  papier,  bien  que  des  cours,  des 
escaliers,  des  ferrures,  des  boiseries,  des  cheminées 
et  des  dessus-de-portes  de  Boucher  ne  cessent 
pas  d'y  être  signes  de  race.  Les  deux  maisons 
n'en  faisaient  qu'une  d'abord  sur  l'ancien  territoire 
dès  princes  d'Orléans,  et  Jacques  de  la  Guesle, 
gentilhomme  lettré,  y  demeurait.  Il  eut  le  malheur 
de  servir  d'introducteur  à  Jacques  Clément  dans 
le  cabinet  de  Henri  III,  sans  se  douter  du  projet 
de  l'assassin.   Vivement    attaché    à  ce  roi,  il  ne 


RUE   SAINT-ANDRE-DES-ARTS  429 

le  fut  pas  moins  h  Henri  IV  et  cessa  de  vivre 
en  l'an  1612.  Après  lui,  l'hôtel  de  la  Guesle  se 
partagea  entre  des  cohéritiers.  Le  plus  gros 
lot  en  passait  du  comte  de  Ghàleauvieux,  qui  avait 
épousé  Marie  de  la  Guesle,  h  son  gendre,  le  duc 
ou  marquis  de  la  Vieuville.  Mais  les  deu.K  parts, 
à  l'époque  où  Gochois  prenait  possession  de 
l'Éléphant,  furent  encore  réunies  pour  quelque 
temps  par  l'adjudication  de  l'hôtel  Châteauvieux 
au  profit  de  Renouard,  comte  de  Villayer  et 
d'Auteuil,  conseiller  du  roi,  maître-des-requêtes, 
qui  venait  dans  l'autre  hôtel  après  les  Dulillet, 
famille  parlementaire  déjà  propriétaire  de  l'autra 
côté.  Au  reste,  le  commerce  du  papier  va  bien 
avec  celui  des  livres;  tous  deux  en  ce  moment  même 
nous  aident  h  consacrer  la  mémoire  d'un  anciea 
hôtel  où  ils  s'exploitent  de  conserve  et  qui  san» 
eux  resterait  dans  l'oubli.  Bien  avant  de  contribuer 
ainsi  à  des  préparations  de  nourriture  plus  ou 
moins  substantielle  pour  la  mémoire,  l'hôlel  Château- 
vieux  a  pourvu  tout  bonnement  à  celle  du  corps. 
On  y  dînait  pour  30  sols  en  1691. 

Il  en  coûtait  alors  un  tiers  de  moins  pouf 
prendre  son  repas  au  Coq-Hardi,  ou  aux  Tro  s- 
Chapelets,  dans  la  même  rue,  en  laquelle,  qui 
plus  est,  l'inventeur  des  pâtés  de  jambon,  nommé 
Jacquet,  avait  son  officine. 

Aussi  bien  l'un  des  hôtels  de  la  rue  Saint- 
André-des-Arts  aétéSaint-Agnan,  ou  Saint-Aignau, 
nous  ne  savons  à  quelle  date.  Possible  que 
l'honneur  en  fût  dû  à  l'un  des  deux  Deauvillier, 
ducs  de  Saint-Aignan,  successivement  en  laveur 
près  de  Louis  XIV. 

Enfin  cette  rue  eut  sa  maison  de  jeu  publique, 
h  l'entrée  de  la  cour  du  Commerce  :  les  tapis- 
verts  en  étaient  transférés  rue  Danphine  sous 
Charles  X. 


Rue    $slég;uier, 

NAGUÈRE 

Pavéc-il§aiiit-André,  et  rue  Pavée, 

NAGUERE 

Pa^ôe-au-^Harais.  {i) 


(iontribuahles,  de  Philippe-le-Bel.  —  Hôtels  de 
t  Nemours,  d'Aguesseau,  Séguier.  —  Didot  /•=■'.  — 
*i  1650.  —  Saint  François  de  Sales.  —  Les  Frères 
U  Cordonniers.  —  Le  Pavé  du  Roi.  —  Hotels  de 
£,  Lorraine,  Brienne,    Laforce,    Lamoignon. 

Taillakles  de  la  rue  Pavée-Saint- André  en  l'an  1292  : 

,Jelianue  Ja  Seurinoe  et  sa  fille.  —  Mestre  Charles.  — 
Erijorreu,  le  ]\Iésagier.  —  Guillaume  de  Corbueill.  — 
Robeit  aux  Molles.  —  Malieut  la  Breite.  —  Gautier,  le 
toillier.  —  Thybaudin,  le  passéeur.  —  Thybaut,  de 
Gournay.  —  Jt  Lan  Petit.  —  Jehanne  Joëte.  —  Robert 
Bequet.  —  Pierre  du  Huic.  —  Le  concierge  de  Néelle.  — 
Loys  TAlemant.  —  Simon  lo  Souffle.  — ■  Gautier  l'Ale- 
mant,  laverniei. 

Mais  la  taille  ne  frappait  que  bourgeois  et 
manants.  Le  connétable  Gaucher  de  Châliliou, 
comte  de  Crécy  et  de  Porthéan,  qui  était  exempt 
de  la  taille,  avait  un  séjour  eu  celte  rue,  et  il 
y  succédait  probablement  à  son  père,  Jean  de 
Châtillon,   comte  de  Chartres  et  de  Blois,  tuteur 


(1)  Notice  éorite  en  1861.  La  rue  Pavée-Sainl-André 
n'avait  pas  encore  pour  patron  le  magistrat  qui  l'avait 
habitée  de  1803  à  1848. 


RUE   SEGUIER,    ETC.  431 

des  enfants  de  Philippe-le-Hardi.  Louis-le-Hutin 
eut  pour  ministre  le  fils,  qui  vendit  la  propriété 
à  Jean  d'Arcy,  évêque  deNoyon  ou  d'Autun.  Elle 
s'étendait  jusqu'à  la  rue  du  CoUège-Saint-Deuis, 
autrement  des  Grands-Augustins  ;  des  près  même 
en  faisaient  partie,  avec  des  jardins,  des  étables, 
un  cellier  et  des  maisonnettes.  Hugues  d'Arcy  la 
légua  en  1352  à  l'église  de  Laoïi.  L'occupation 
anglaise  y  introduisit  Louis  de  Luxembourg,  évêque 
de  Thérouanne,  qui  devint  archevêque  de  Rouen, 
cardinal  et  chancelier  de  France  sous  Henri  VL 
L'évêque  de  Laon  ne  rentra  en  possession  qu'après 
l'expulsion  des  Anglais.  Comme  l'hôtel  donnait 
également  rue  Saint-André-des-Arts,  n'est-ce  pas 
à  ses  dépens  qu'il  a  été  fait  place  de  ce  côté 
à  l'hôtel  de  Nevers,  dont  une  aile  a  passé  hôtel 
Saint-Clair,  au  coin  de  la  rue  Pavée-Saint- André? 
Pourtant  l'ancien  manoir  desChàtillon  s'est  prin- 
cipalement converti  pour  Jacques  de  Savoie,  duc 
de  Nemours,  en  un  hôtel  de  Nemours,  qui  n'est 
sorti  de  sa  famille  que  pou-  faire  placée  la  rue 
de  Savoie.  La  duchesse  Marie-Jeanne-Baptiste  de 
Savoie,  épouse  de  Charles-Emmanuel  duc  de  Savoie, 
prince  de  Piémont  et  roi  de  Chypre,  y  héritait, 
en  l'année  1766,  de  son  père,  Charles-Amédée 
de  Savoie,  et  de  son  oncle,  Henri  de  Savoie, 
comme  si  elle  était  fille  unique,  la  reine  de 
Portugal,  sa  sœur,  ayant  renoncé  en  sa  faveur 
aux  deux  successions.  Les  sieurs  Brière  de  l'Épine, 
secrétaire  du  roi,  Simon  de  l'Épine,  maître-général 
des  ponts-et-chaussées  de  France,  et  Boileau, 
bourgeois  de  Paris,  donnaient  îi  la  duchesse,  le 
29  avril  1672,  260,000  livres  de  la  propriété, 
pour  y  spéculer  sur  le  morcellement  de  la  superficie 
et  sur  la  multiplication  des  taçades. 

Un  reste  de  l'hôtel  de  Nemours  n'en  était  pas 
moins  marqué  par  Jouvin  en  1690  à  l'angle-nord 
de  la  nouvelle  rue  et  de  l'ancienne  ;  nous  croyons 


43-2  RUE    SEGUIER,    ETC. 

même  que  de  nos  jours  les  rues  de  Savoie  et  des 
Graiids-Augustiiis  en  gardent  d'autres  dépendances. 
Ladite  encoignure  appartenaitune  trentaine  d'années 
après  à  François  do  Montholon,  seigneur  d'Au- 
bervilliers.  membre  du  grand-conseil,  qui  s'y  trou- 
vait en  mitoyennelé  avec  Lecoigneux,  conseiller 
au  Gliàtelet,  et  ce  dernier  tenait  d'autre  part  à 
Le  Peletier  delà  Houssayc,  intendant  des  finances, 
flls  d'un  contrôleur-général. 

La  famille  d'Aguessoau  avait  précédé  l'intendant 
des  finances  au  n"  18.  Henri  d'Aguesseau,  ancien 
intendant  du  Limousin,  y  était  entré  avec  ses 
deux  fils,  et  le  célèbre  y  avait  reçu  les  sceaux 
h  29  ans.  Mais  les  belles  mansardes  que  l'immeuble 
a  le  bon  goût  de  conserver  connaissent  de  plus 
ancienne  date  un  autre  chancalier,  Guillaume 
Poyet,  qui,  d'abord  avocat,  plaida  pour  Louise 
de  Savoie  contre  le  connétable  de  Bourbon,  et 
qne  François  P''  revêtit  des  cliarges  dont  la  mal- 
versation le  fit  dépouiller.  L'iiôtel  d'Aguesseau  a 
passé  de  M.  de  la  Iloussaye  à  la  famille  du  car- 
dinal de  la  Roche-Aymon,  archevêque  de  Reims, 
ministre  de  la  feuille  des  bénéfices. 

Le  16,  que  le  baron  Séguier,  premier-présideiil 
à  la  cour  d'appel,  ne  quitta  qu'avec  la  vie,  le 
H  août  1848,  après  un  demi-siècle  de  résidence, 
avait  été  dans  le  princif.o  un  liôtel  de  3Ioussy, 
céJé  à  titre  d'échange  en  1695  i)ar  Henri  d'Orléans, 
marquis  de  Rothelin,  5  la  veuvede  Henri  d'Argouges, 
marquis  de  Rannes,  seigneur  de  Fleury,  gouver- 
neur d'Alençon  ;  légué  ensuite  par  la  maj-quise 
à  la  comtesse  de  la  Palue-Bouligneux,  qui  eut 
pour  héritier  son  cousin,  marquis  de  la  Housse, 
ambassadeur  près  le  roi  de  Danemarck  ;  donné 
en  1728  h  GrossoUcs,  marquis  de  Flamarens, 
grand-chancelier  de  France  ;  vendu  en  1750  à  la 
veuve  de  Marigny,  grand-maître  des  Eaux-et-Forêts. 


RDE    SEGUIER,    ETC.  433 

Vous  ai-je  conduit  jamais,   ô  mes  lecteurs,  dans 
une  rue  plus  chancelière  ? 

François-Ambroise  Didol  et  sa  femme,  Charlotte 
Vaisin,  avaient,  sur  la  fln  du  règne  de  Louis  XV, 
une  maison  en  cette  rue  Pavée  et  une  autre  en 
la  rue  d^e  Savoie,  qui  se  reliaieni  derrière  la 
maison  angulaire  dont  nous  n'avons  rien  dit  encore. 
Là  s'exploitait  d'Mbord  l'imprimerie  qui  a  fait  de 
la  flimille  Didot  une  dynastie  comme  celle  des 
Estienne  :  on  y  établissait,  par  ordre  du  roi,  une 
triple  édition  des  classiques  français,  in-4°,  in-8° 
et  in- 18.  Fondeur,  imprimeur,  éditeur,  le  patriarche 
des  Didot  connus  n'avait  que  peu  de  pas  ii  faire 
pour  se  rendre  au  bureau  de  Lebègue,  garde- 
minute  de  la  chancellerie,  le  n"  14  actuel  :  on  y 
relirait  les  privilèges  de  la  libraiiie,  movennant 
37  livres. 

Vers  le  milieu  du  xvii"  siècle,  l'autre  côté  de  la 
rue  avait  pour  parties  prenantes  : 

—  Eniery,  ira  primeur,  près  du  quai  ;  —  Leruaître,  con- 
seiller au  parlement  ;  —  les  marguilli?r.s  de  Saint-Aadré- 
des-Arts  ;  Jes  deux  frères  Prévost,  l'uu  orfèvre-joailJier, 
J'autre  lieutenant  de  cavalerie  ;  -  de  Chaumont  ;  —  la 
communauté  des  Frères-Cordonnieis  ; —  1  Hôtel-Dieu  ; 
—  î'abbé  Viet  ; — Sainte-Bijuve,  huissier  du  roi  au  par- 
lement, père  du  théologien  que  sou  jansénisme  à  ou- 
trance tii  priver  de   sa  chaire    en   Sorbotme. 

Le  pi'ésident  Lémaître,  en  résidence  rue  des 
Grand s-Augustins  avec  sa  femme,  née  Feydcau, 
avait  été  propriétaire  de  la  maison  ci-dessus  re- 
connue i\  son  fils,  hôtel  de  Saint-François  où 
descendaient  dès  l'année  1617  les  coches  de 
Normandie  et  de  Bretagne.  La  construction  en 
remonte,  qui  plus  est,  S  1590,  et  tout  nous  porte, 
î\  croire  que  saint  François  de  Sales,  né  en  Savoie, 
qui  a  été  évêque  de  Genève,  mais  qui  a  rempli 


434  RUE   SÉGUIER,    ETC. 

en  France  plusieurs  missions  et  a  su  s'y  concilier 
l'affection  d'Henri  IV  el  de  Louis  XIII,  a  lui-même 
dormi  sous  ce  toit. 

La  famille  Lemaître  a  disposé  également  des 
n"*  9,11  et  13,  vendus  en  l'année  1700  par  Anne 
Lemaître  et  son  mari,  Charles  de  la  Boulière, 
sieur  de  Ghagny,  à  Jobard,  maitre-cordonnier  pri- 
vilégié suivant  la  cour  et  conseils  de  Sa  Majesté^ 
qui  demeurait  aussi  rue  des  Grands-Augustins.  Les 
frères-cordonniers  de  Saint-Crépin,  communauté 
fondée  en  1645  par  le  baron  de  Renty,  associé 
au  cordonnier  Buch,  sur  des  statuts  donnés  par 
Coqueret,  docteur  en  Sorbonne,  occupaient  la 
maison  de  Jobard,  ainsi  qu'une  autre,  rue  de  la 
Grande-Truanderie.  Tous  travaillaient,  mangeaient 
et  priaient  en  commun,  chantant  souvent  des 
psaumes.  Comme  on  était  content  des  souliers  de 
leur  fabricalioii,  le  fruit  de  leur  travail  âufïisait  si 
bien  à  leurs  besoins  que  le  superflu  s'en  distribuait 
aux  pauvres.  Leur  chapelle,  Lacaille  nous  la 
,  montre.  Ils  allaient  vêtus  de  noir,  avec  rabat  et 
chapeau  rabattu.  Des  reconnaissances  pour  le  cens, 
dont  l'établissement  desdits  Irères  était  grevé  au 
protit  de  Saint-Germain-des-Prés,  portaient  les 
signatures  suivantes:  Couhomi  Ganeval  en  1718  ; 
Tronquait ,  en  1735  ;  Pierre  Noireaucc,  l'année 
d'après.  Quant  à  Saint-Beuve,  le  directeur  de 
conscience,  il  avait  vu  le  jour  en  1613  dans  la 
maison  du  coin  de  la  rue  Saint-André,  où  il  fer- 
mait les  yeux  64  ans  après. 

C'est  sous  les  rois  de  la  troisième  race  que  la 
rue  Pavée-Saint-André  avait  dû  vraisemblablement 
à  ses  premiers  habitants  les  pierres  dures  de  sa 
chaussée.  Mais  le  travail  était  sans  doute  à  refaire 
du  temps  de  Corrozet  et  des  CoUetet,  la  rue 
s'appelant  alors  Pavée-d'Andouilles  :  mot  qui  pou- 
vait toutefois  être  la  corruption  du  nom  de 
Nantouillet,  propriétaire  en  ces  parages. 


RUE  SEGUIER,    ETC.  435 

Presque  autant  d'années  ont  passé,  sans  qu'il 
y  paraisse,  par  la  rue  Pavée-au-Marais,  dite  aussi 
Pavée-Marivault,  depuis  qu'elle  est  livrée  ci  la 
circulaiion.  Remontons  donc,  comme  elle,  au  moyen- 
âge. 

Le  parlement  y  fait  raser  un  manoir,  h  la 
requête  de  l'université  de  Paris,  en  réparation 
d'une  offense  dont  les  gens  de  Savoisi,  favori  de 
Charles  VI,  se  sont  rendus  coupables  envers  des 
écoliers.  L'université  ne  permet  qu'en  1517  de 
rebâtir  à  la  même  place,  et  elle  exige  qu'une 
inscription,  rappelant  qu'elle  a  fait  justice  de 
l'injure,  figure  sur  la  porte  du  séjoui-  rétabli. 
Après  le  trésorier  Morlet  de  Museau,  général  des 
finances,  les  Savari  y  sont  chez  eux,  puis  l'amiral 
Chabot.  Cet  ancien  compagnon  de  captivité  do 
François  P,  qui  l'a  mis  à  la  têle  d'une  armée, 
finit  aussi  par  tomber  dans  la  défaveur  ;  il  com- 
paraît devant  une  commission  présidée  par  le 
chancelier  Poyet,  qui,  pour  le  même  crime  dont 
ce  président,  à  son  tour,  sera  bientôt  jugé  cou- 
pable, le  condamne  h.  une  grosse  amende,  et 
comme  il  ne  peut  l'acquittei-,  sa  personne  et  ses 
bien  en  répondent.  Après  deux  ans  de  détention. 
Chabot  obtient,  par  l'entremise  de  la  duchesse 
d'Étampes,  la  révision  de  son  procès  et  jusqu'à 
sa  rentrée  en  grâce.  L'amiral  peut  ainsi  mourir 
chez  lui,  bien  que  son  hôtel  ait  fait  légalement 
retour  au  roi,  qui  en  gratifie  Françoise  de  Longwy, 
veuve  de  l'amiral.  Elle  vend  h  Bellassise,  trésorier 
de  l'extraoï'dinaire.  A  ce  dernier  succède  Charles  III, 
duc  de  Lorraine,  qui  déserte  la  maison,  en  y  laissant 
sa  femme,  pour  ne  revenir  qu'une  fois  veuf,  en 
4657.  Adjudication  en  date  du  29  avril  1681  au 
profit  de  la  veuve  de  Dauvet,  comte  Desmarets, 
grand-fauconnier.  La  petite-lille  de  cette  dame 
épouse  le  marquis  Adrien  d'Herbouville,  guidon 
des  gendarmes  ;  un  partage  résulte  de  ce   qu'elle 


436  RUE   SEGUIER,    ETC. 

a  un  frère.  L'hôtel  de  Lorraine  empiétait  et  sur 
La  rue  du  Roi-de-Sicile  et  sur  celle  des  Francs- 
Bourgeois,  où  il  avait  un  jardin  et  une  tour,  en 
remplissant  tout  un  côté  de  la  rue  Pavée-Marivault  ; 
l  l'hôtel  d'Herbouville  manquent  les  deux  en- 
coignures. Le  11  actuel  est  alors  Desmarets,  le 
numéro  suivant  est  d'Herbouville,  comme  l'indiquait 
sans  doute  un  écusson  où  les  propriétaires  de  ce 
temps-ci  ont  faufilé  leurs  initiales. 

Des  concierges  qui  font  fortune  sont  visibles 
dans  tous  les  temps.  Celui  de  l'hôtel  de  Lorraine, 
ayant  nom  Courlavenne,  tenait  le  6  de  dame  Anne 
Phelypeaux,  veuve  de  Le  Bouthillier,  comte  de 
Chavigny,  ministre  ;  il  a  eu  pour  acquéreur  en 
d663  un  sieur  Lecomte.  Le  marquis  Desnos,  qui 
était  aux  droits  de  Lecomle,  a  connu  Dupont, 
banquier,  au  8,  Renault,  correcteur  des  comptes, 
au  10,  et  Tronchel,  avocat,  au  12,  que  recommande 
à  notre  attention  le  nom  d'un  grand  jurisconsulte, 
défenseur  de  Louis  XVL  Deux  escaliers  à  rampe 
de  fer  donnent  à  la  même  construction  un  certificat 
d'origine  aristocratique,  confirmé  par  son  ancienne 
qualité  de  petit  hôtel  de  Brienne.  Les  Loménie  de 
Brienne  en  avaient  hérité  de  leur  aïeul,  lecomte 
de  Chavigny,  et  ce  ministre  avait  été,  en  somme, 
propriétaire  avec  sa  femme  de  presque  toute  la 
rive  droite  de  la  rue,  y  compris  l'hôtel  de  Laforce 
et  le  grand  hôtel  de  Brienne,  transformés  en  prison 
trois-quarts  de   siècle  avant  de  s'évanouir. 

Charles,  roi  de  Naples  et  de  Sicile,  avait,  sous 
le  règne  de  saint  Louis,  le  palais  du  roi  de  Sicile, 
situé  rue  Pavée-au-Marais  et  rue  du  Roi-de-Sicile, 
que  le  duc  d'Alençon  acquit  en  1292  et  Charles  VI 
en  1389.  Les  rois  de  Navarre,  le  comte  de  Tancar- 
ville,  le  cardinal  de  Meudon,  le  cardinal  de 
Birague,  le  duc  de  Roquelaure,  le  comte  de 
Saint-Paul,  le  comte  de  Chavigny  et   le    duc    de 


RUE  SÉGUIER,    ETC.  437 

Laforce  se  succédèrent  dans  cet  hôtel,  rebâti  au 
XVI*  siècle.  Les  bureaux  des  Saisies-Réelles  et  du 
Vingtième,  puis  delà  ferme  des  Cartes,  s'y  établirent 
avant  que  l'année  1780  en  fît  la  prison  de  la  Force, 
à  laquelle  un  jeu  de  mots  maintenait  un  nom 
d'hôtel  essentiellement  dérisoire,  et  dont  rien  ne 
demeure  depuis  que  Mazas  la  remplace. 

Un  autre  hôtel  a  tenu  bon,  sur  la  porte  duquel 
est  écrit  : 

Lamoignon,    premier    président    du   parlement  de 
Paris  (1655). 

Quelle  survivance  de  son  illustration    dans   la 
famille  de  Guillaume  de  Lamoignon,  fils  lui-même 
d'un  premier-président.  Son  petit-fils  fut  chancelier 
de  France,  puis  un  autre  de  ses  descendants,  qui 
collabora  avec  le  ministre  Loménie  de  Brienne  à 
des  édits  que  le  parlement  refusa  d'enregistrer  et 
qui    donna    dès-lors    sa  démission.    Le  vertueux 
Lamoignon-Malesherbes,    cet     autre     avocat    de 
Louis  XVI,  eut,  avec  presque  tous  les  siens,  la 
même  fin  que  son  roi.  Seulement  ce  bel    édifice 
est  évidemment  plus  ancien  que  la    notoriété    du 
nom     qui    le    personnifie    publiquement,    et    le 
millésime  de  la  porte  ne  se  peut  même  rapporter 
qu'à    l'établissement     provisoire    de    la    famille 
Lamoignon  rue  Pavée.  L'historien  Adrien    Baillet, 
excellent  conservateur  de  la  précieuse  bibliothèque 
du  premier-président,  n'a  jamais  vu  cette  inscrip- 
tion. Des  fenêtres  couronnées  de  D  en  disent  plus 
long  que  la  porte  :   c'est  le  chiffre  de  Diane  de 
Poitiers.   Elle-même  y  remplaçait  Robert  de  Beau- 
vais,  dont  la  maison,  avec  un  grand  jardin,  avait 
appartenu  aux  religieux  de  Saint-Antoine  et  s'était 
appelée  la  Porcherie  Saint- Antoine.  Le  duc  d'AngOU- 
lême,  fils  de  Charles  IX  et  de    Marie    Touchet, 
se  rendit,  en  l'année  1S81,  acquéreur  de  l'hôtel, 

28 


438  RUE  SÉGUIER,    ETC. 

qu'un  de  ses  héritiers,  Charles  de  Valois,  comte 
d'Alais,  occupait  encore  sous  Louis  XIII.  Guillaume 
n'a  pu  y  être  que  locataire,  son  fils  Chrétien 
n'ayant  acheté  que  par  contrat  signé  en  1684.  Le 
grand  hôtel  Lamoignon  appartenait  en  '1791  à 
M.  Boursier,  et  le  petit  à  M.  de  Nicolaï,  qui 
venait  après  la  marquise  de  Livry. 


Rue  da  ParenRoyal.  (i) 


M"^^  des  Frisées.  —  Autres  Propriétaires  en  divers 
temps.  —  La  Z)"*  David.  —  M.    Graux-Marly. 

L'application  de  l'acétate  de  plomb  ou  du 
nitrate  d'argent  à  la  chevelure  qui  se  décolore 
est  un  secret  de  toilette  que  notre  époque  divulgue, 
comme  sa  propre  découverte.  Mais  une  recette 
analogue  n'était  pas  inconnue  des  précieuses  de 
l'hôtel  Rambouillet  quand  la  présidente  Bordier, 
qu'on  appelait  aussi  M°'*  des  Fusées,  vit  des 
courants  argentés  s'établir  dans  les  ondes  de  sa 
chevelure;  elle  eut  beau  retourner  les  spirales 
de  sa  sévigné,  il  fallut  recourir  à  l'art  pour  mater 
l'éclat  d'un  reflet  qu'envoyait  le  soleil  d'automne. 
M"*'  des  Fusées,  qui  habitait  la  rue  du  Parc-Royal, 
manda  un  jeune  Italien,  qui  mettait  au  service 
de  la  belle  Ninon,  disait-on,  les  secrets  de  sa 
cosmétique.  —  Faites  votre  prix,  lui  dit-elle,  et 
de  moi  tout  ce  que  vous  voudrez. 

Après  avoir  enduit  d'une  pommade  les  che- 
veux gris  de  M""'  Bordier,  ce  parfumeur,  qui 
était  par  miracle  un  honnête  homme,  hocha  la 
tète  et  risqua  cet  aveu  :  —  Vous  m'appelez  trop 
tard,  bonne  dame;  mon  père,  auquel  je  succède, 
aurait  pu  vous  tirer  d'affaire  il  y  a  dix  ans. 

—  Insolent  !  sécria  trop  vite  la  présidente,  en 
ajoutant  une  giffle  à  ce  mot. 

—  Un  soufflet  vaut  un  démenti,  répliqua  l'Italien 
sans  se  déconcerter.  Vous  laverez  vous-même  cet 


(1)  Notice  écrite  en   1861. 


440  RUE  DU  PARC-ROYAL. 

affront,  si  vous  ne  voulez  pas  vous  réveiller  demain 
matin  avec  les  cheveux  blancs  comme  neige  : 
c'est  l'effet  de  ma  première  couche,  quand  la 
seconde  ne  la  suit  pas  de  près. 

M"'"  Bordier  demanda  grâce  et  offrit  de  payer 
aussi  cher  pour  conserver  la  nuance  intermédiaire 
de  sa  chevelure  que  si  l'opération  en  avait  rétabli 
la  coloration  regrettée.  L'offre  d'argent  fut  repoussée, 
comme  un  surcroît  d'injure  pour  l'offensé,  au 
cou  duquel  la  pauvre  dame  se  jeta,  en  lui  mouil- 
lant la  joue,  encore  chaude,  d'une  larme  qu'elle 
y  baisa. 

—  A  la  bonne  heure,  fit  alors  l'Italien  !  C'est 
le  président  qui  payera. 

—  Mais,  monsieur,  lui  dit-elle,  le  président  n'est 
plus,  et  j'ai  trois  filles,  et  je  suis  femme  de 
qualité  ! 

—  Appelez-vous  cela  des  raisons  ?  demanda 
l'autre  imperturbablement. 

La  seconde  couche  fut  si  différente  de  la  première 
que  M"^  Bordier  en  conçut  d'autres  craintes, 
qui  allèrent  croissant  tout  un  mois.  S'en  voulait- 
elle  d'avoir  fait  l'expérience  de  la  pommade  de 
Ninon!  L'inquiétude  compliquait  un  dérangement 
de  santé  dont,  du  vivant  de  son  mari,  elle  prenait 
beaucoup  mieux  son  parti.  Comment  consulter 
un  médecin,  en  pareil  cas,  sans  le  prendre  pour 
confesseur?  La  veuve  ne  se  fit  pas  porter  sans 
hésitation  chez  l'illustre  Fagon,  qui  séance  tenante 
lui  rendit  sa  visite  et  dit  :  —  Rassurez-vous, 
Madame,  vous  n'aurez  plus  de  la  vie  rien  à  craindre. 

La  présidente  n'était  que  trop  rassurée:  elle 
en  vint  à  regretter  jusqu'à  ses  inquiétudes. 

Des  Fusées,  qui  a  l'air  d'un  nom  de  guerre, 
n'était  même  pas  celui  d'une  terre.  M°^  Bordier 
l'empruntait  tout  bonnement  à  son    hôtel,    situé 


RUE  DU  PARC-ROYAL.  441 

vis-à-vis  de  la  rue  Gulture-Sainte-Catherine  (i),  dans 
celle  du  Parc-Royal,  qu'on  avait  dite  elle  même 
des  Fusées  et  d'abord  du  Petit-Paradis.  Celle-ci 
s'était  ouverte  sur  les  dépendances  de  l'ancien 
palais  Barbette,  dans  la  direction  du  parc  royal 
des  Tournelles;  mais  une  seconde  rue  du  Parc- 
Royal,  entre  la  place  Royale  et  les  Minimes, 
sortait  directement  desdites  Tournelles.  L'arsenal 
delà  Ville,  en  1652,  faisait  presque  face  à  M.  Bordier, 
dont  l'un  des  successeurs  fut  Canillac,  familier 
du  régent.  L'ancien  hôtel  Canillac,  plus  ancienne- 
ment des  Fusées,  se  couronne  de  8  ou  9  mansardes, 
fleurons  duxvi*  siècle.  Quelque  bonne  opinion  qu'elles 
donnent  de  Des  Fusées  I",  nous  ne  savons  même 
pas  s'il  fut  l'un  des  ancêtres  de  Fusée,  abbé  de 
Voisenon,  membre  de  l'Académie-Frauçaise,  qui 
était  né  en  1708  dans  un  château  près  de  Melun. 

Anciens  propriétaires  au  coin  dd  ladite  rue 
Culture  :  Lejay,  gouverneur  d'Aire,  puis  Feydeau 
de  Brou,  dont  les  héritiers  y  avaient  pour  locataire  le 
marquis  de  Pérusse  ou  de  Péreuse. 

Près  la  rue  des  Trois-Pavillons  (2),  une  femme 
a  étonné  le  Marais  par  le  nombre  de  ses  amours 
et  le  luxe  de  ses  atours  ;  c'était  la  D"*^  David, 
plante  qui  avait  poussé  dans  la  serre-chaude  du 
Parc-aux-Cerfs.  Son  installation  dans  la  rue  avait 
été  inaugurée  par  la  conquête  du  prince  de  Rohan, 
que  les  beaux  yeux  de  la  nouvelle  paroissienne 
avaient  séduit  pendant  la  messe,  à  l'église  des 
Minimes. 

A  cela  près,  la  rue  du  Parc-Royal  était  encore 
bien    habitée.   Une   seule    maison    y  séparait  de 
M.  Auger  de  Montyon  M.  de  Montboissier,  qui  avait., 
l'hôtel  des  Fusées.  Plus  d'un  Chàteau-Giron  étaient 


(1)  Actuellement  rue   Sévigné. 
(î)  Actuellement  rue  Elzévir. 


442  RUE  DU  PARC-ROYAL. 

au  n°  5  ;  M.  de  Vigny,  au  n*>  10,  maintenant  pen- 
sionnat, et  M.  de  Boniieval,  au  16,  dont  le  14  a 
dépendu,  et  où  demeurait  un  général  sous  l'Em- 
pire,   puis  le  vicomte  de  Grandeffe. 

En  face  de  la  rue  Payenne,  un  hôtel  avec  son 
jardin  ne  se  souvient  que  du  baron  Lambert.  Le 
8,  qui  semble  aussi  un  hôtel  séculaire  et  dont  la 
décoration  est  des  mieux  entendues,  a  pourtant 
eu  pour  architecte  M.  Graux-Marly,  propriétaire 
actuel.  Ce  fabricant  de  bronzes  n'a  pu  se  rendre 
que  sous  un  prête-nom  acquéreur  de  l'immeuble, 
tel  que  son  confrère  Crozatier  l'avait  laissé  en 
interdisant  à  ses  héritiers  de  le  vendre  à  un 
fabricant  de  bronzes.  C'était  alors  un  petit  hôtel, 
qui  forme  encore  une  aile  du  nouveau  :  un  sou- 
terrain l'avait  relié  au  couvent  du  Saint-Sacrement 
ou  à  l'hôtel  Turenne,  de  la  rue  Saint-Louis  (i). 


(1)  Actuellement  rue  Turenne. 


Place     Royale,  (d) 


Les  Tournelles.  —  La  Manufacture.  —  Le  Camp. 

—  Les  Maréchaux   du   Règne  de   Louis    XIII. 

—  Le  triple  Duel.  —  Marion  Delorme.  —  Victor 
Hugo.  —  Les  Pavillons  du   Roi  et  de   la  Reine. 

—  La   Dame   du  Lit.  —  iW""'  Rachel.  —  Ninon. 

—  Dangeau.  —  Les  Richelieu.  —   Un    Croquant. 

—  MM.  de  Tresmes,  de  Tessé,  de  Canillac, 
d'Ormesson,  d'Escalopier,  de  Villedeuïl,  de  Bre- 
teuil,  Portails.  —  La  Mairie.  —  Sully. 

Par  acte  passé  le  11  février  1394  devant  Gilon 
et  son  collègue,  notaires  à  Paris,  Nicolas  de 
Rousse  vend  au  duc  d'Orléans,  fils  de  Charles  V, 
«  deux  maisons  et  cours  devant  s'entre-tenant, 
sises  rue  Saint- Antoine,  et  leurs  dépendances  ». 
Contrat  d'échange  est  signé,  d'autre  part,  lé  22 
juin  1404,  entre  le  duc  de  Berri,  frère  du  roi, 
et  le  duc  d'Orléans,  par  lequel  «  ledict  de  Berri 
cesde  son  hostel  des  Tournelles  pour  l'hostel  Au- 
briot,  rue  de  Jouy  (2),  près  Sainct-Pol,  ledict  hostel 
des  Tournelles  assiz  près  du  Chaslel  ou  de  la 
Bastide  de  Sainct-Antoine,  lequel  hostel  fust 
paravant  à  Pierre  d'Orgemont,  jadis  chancelier  de 
France,  et  depuis  à  Pierre  d'Orgemont,  son  fils, 
évesque  de  Paris.  »  Ces  deux  pièces  disent  l'origine 
du  palais  des  Tournelles,  qui  ftiit  retour  ensuite 
à  Charles  VI.  Le  duc  de  Bedfort  y  réside  pendant 
l'occupation  anglaise.  Charles  VII  et  ses  successeurs 
l'habitent  plus  volontiers  que  l'hôtel    Saint-Paul. 

(1)  Notice  écrite   en  1864. 

(2)  Voir  ia  notice  de  la  rue  et  du  passage  Charlemagne 
et  de  la  rue  Éginhard. 


444  PLACB  ROTALE. 

Catherine  de  Médicis,  après  la  mort  de  Henri  II, 
abandonne  les  Tournelles,  puis  Charles  IX  enjoint 
au  parlement  d'ouvrir  des  rues  à  la  place  de 
l'hôtel,  «  ne  voulant  pas,  dit-il,  continuer  une 
grande  despence  tant  en  gages  d'officiers  qu'en 
réparations,  par  l'advis  de  nostre  très-honorée 
Dame  et  Mère,  des  princes  de  notre  sang  et  d'autres 
seigneurs  de  nostre  privé  conseil.  »  Néanmoins  la 
démolition  va  si  lentement  qu'elle  est  encore  pen- 
dante sous  Henri  IV,  qui  adresse  en  1604  des 
lettres-patentes  à  son  grand-voyer  «  à  l'effect  de 
faire  transporter  les  trésoriers  de  France  sur  une 
place  appelée  le  Parc-des-Tournelles,  et  donner 
leurs  advis  sur  une  concession  que  le  Roy  veult 
faire  pour  establir  une  manufacture  de  soye  et 
argent  fille  à  la  façon  de  Milan.  »  Ladite  concession 
d'un  terrain  de  100  toises  de  long  sur  60  de  large 
est  faite  à  Moisset,  Saincton-Aumagne,  Camus  et 
Parfait  :  tous  quatre  sont  entrepreneurs  d'une 
fabrication  d'étoffes  de  luxe,  qui  leur  réussit  rapi- 
dement. Ils  ne  quittent  pourtant  les  débris  du 
vieux  palais  que  pour  se  conformer  à  un  nouveau 
plan  adopté  pour  la  création  d'une  place,  dont  le 
roi  fait  construire  un  côté  à  ses  frais  :  ils  entre- 
prennent alors,  moyennant  supplément  de  conces- 
sion à  charge  de  cens,  l'établissement  des  trois 
faces  qui  manquaient  au  quadrilatère. 

Paris  y  gagne  cette  belle  place  Royale  qui 
pourtant  n'a  été  achevée  que  sous  la  régence  de 
Marie  de  Médicis.  Un  compte-rendu  de  fêtes  qui 
s'y  donnaient,  comme  pour  l'inaugurer,  a  paru 
sous  ce  titre: 

Le    Camp    de  la  Place  Royale, 

ou  Relation  de  ce  qui  s'est  passé  les  5™»,  ô"""  et  /™«jOur 
d'Avril  ynil  six  cent  douze  pour  la  publication  des 
Mariages  du  Roy  et  de  Madame,  avec  l'Infante  et  le  Prince 
dEspagne,  le  tout  recueilli  par  le  commandement  de  Sa 
MtLJesté. 


PLACl  ROYALE.  445 

Les  vers  et  la  prose  y  alternent,  chantant  et 
décrivant  à  l'envi  un  palais  de  la  Félicité,  qu'on 
avait  érigé  pour  la  circonstance,  les  36  pavillons 
de  la  place,  y  compris  sans  doute  le  palais,  et  un 
carrousel  dont  les  chevaliers  du  Soleil,  du  Lis, 
de  la  Fidélité,  du  Phénix,  etc,  formaient  les 
quadrilles  en  lice. 

Le  marquis  de  Vitry,  capitaine  des  gardes  de 
Henri  III  et  de  son  successeur,  avait  été  le  premier 
habitant  de  la  place  :  son  hôtel,  qui  touchait  aux 
tours  du  vieux  palais,  limitait,  en  la  rue  du  Pas- 
de-la-Mule  (4),  la  première  concession  faite  par 
Henri  IV.  Vitry  fils,  à  qui  l'arrestation  de  Concini 
valut  le  bâton  de  maréchal  de  France,  habita 
lui-même  ce  coin  du  quadrilatère,  qui,  fut  le 
dernier  où  l'on  mit  les  maçons.  Toutefois  Jean  de 
la  Guiche,  comte  de  la  Palue,  seigneur  de  Saint- 
Géran,  maréchal-de-France  sous  Louis  XIII,  donna 
son  nom  au  pavillon  qu'on  y  retrouve,  le  n"  24. 
Son  fils,  dont  parle  M™"  de  Sévigné,  mourut  avant 
la  fin  du  siècle,  ne  laissant  qu'une  fille  religieuse. 
La  nommée  Blondeau  tenait  une  académie  de  jeu, 
où  ponta  le  maréchal  de  Bassompierre,  près  de 
l'hôtel  Saint-Géran,  qui  ne  passa  Boufflers  que 
plus  tard. 

Marion  de  Lorme  n'eut  pas  le  pucelage  d'un 
autre  pavillon  d'encoignure,  qui  est  marqué  6  ;  le 
maréchal  de  Lavardin  y  avait  précédé  la  belle  : 
cet  ancien  compagnon  d'enfance  d'Henri  IV  s'était 
converti  avant  lui  et  trouvé  dans  le  même  carrosse 
quand  Ravaillac  avait  commis  son  crime.  Pendant 
les  guerres  religieuses  du  règne  suivant,  la  place 
Royale  était  le  centre  des  plaisirs  et  des  élégances 
du  plus  beau  monde.  Toutefois  des  raffinés  s'y 
donnaient  rendez-vous,  le  12  mai  1627,  à  2  heures 
de  l'après-midi,  pour  vider  une  affaire  d'honneur, 

(1)  Ou  des   Vosges. 


446  PLACE  ROYALE. 

et  jamais  la  rigueur  des  édits  qui  défendaient  le 
duel  ne  fut  plus  hautement  bravée.  Ils  se  battaient 
trois  contre  trois.  Bussy-d'Amboise,  frappé  en  pleine 
poitrine,  expirait  un  quart-d'heure  après  ;  Beuvron 
et  son  écuyer,  qui  tenaient  avec  Bussy,  se  sauvèrent 
en  Angleterre  ;  mais  deux  de  leurs  adversaires, 
Montmorency-Boutteville  et  Deschapelles,  qui 
fuyaient  du  côté  de  la  Lorraine,  furent  arrêtés  à 
Vitry-le-Brulé,  condamnés  à  Paris,  exécutés  en 
Grève.  Marion,  qui  inspira  de  l'amour  jusqu'à 
Louis  XIII,,  n'en  dut  voir  qu'avec  plus  de  plaisir, 
au  milieu  de  la  place,  la  statue  de  ce  roi  érigée 
par  le  cardinal  de  Richelieu.  Sa  maison  passa  aux 
Rohan  et  surtout  à  la  branche  de  Rohan-Guéménée, 
qui  a  laissé  son  nom  à  une  impasse,  sur  laquelle 
donne  encore  une  porte  de  derrière.  Mais  le  plus 
grand  poète  de  notre  siècle  y  a  donné  audience 
à  plus  de  flatteurs  qu'un  prince  ou  qu'une  femme 
à  la  mode.  Dans  le  jardin  intermédiaire,  les 
branches  d'un  vieux  figuier  soutenaient,  comme 
autant  de  colonnes  torses,  le  dais  que  formaient 
ses  larges  feuilles  :  Victor  Hugo,  sous  cet  abri, 
a  écrit  tout  son  Roi  s'amuse.  Marion  Delorme 
revivait  surtout,  aans  son  ancien  appartement, 
alors  que  s'y  composait  le  drame  dont  l'héroïne 
est  cette  courtisane  qui,  par  exception,  ne  dés- 
honorait pas  ses  courtisans.  L'institution  Jauffret, 
dirigée  par  M.  Beaumont,  vient  de  quitter  pour 
l'ancien  hôtel  Guéménée  celui  de  Saint-Fargeau, 
rue  Culture-Sainte-Catherine  (i).  M.  Edmond  About 
est  l'un  des  élèves  à  citer  de  M.  Jauffret. 

La  rue  Royale  (-2)  débouche  sur  la  place  par 
trois  arcades  portant  le  pavillon  dit  du  Roi.  Il 
fait  partie  des  constructions  élevées  par  Henri  IV, 
en  face  du  terrain  attribué  en  premier  lieu  aux 
quatre  manufacturiers,  qui  mirent  un  pavillon  de 


(1)  Ou   de  Sévigné. 

(2)  Ou  de  Birague. 


PLACE  ROYALE.  447 

la  Reine  en  face  de  celui  du  Roi  :  l'un  et  l'autre 
n'en  étaient  pas  moins  dès  le  principe  occupés 
par  des  particuliers. 

Le  pavillon  de  Chaulnes  devait  son  nom  à  un 
maréchal  de  France,  le  duc  de  Chaulnes,  qui 
commandait  l'armée  de  Picardie  en  1625  avec  le 
maréchal  de  Latbrce  et  s'emparait  d'Arras,  quinze 
ans  plus  tard,  avec  le  maréchal  de  Châtillon. 
Après  lui  les  Nicolaï  s'invétérèrent  dans  ce  ird. 
Pareillement  MM.  de  Rohan-Chabot  remplacèrent 
au  n"  13  assez  longtemps  un  M.  des  Hameaux, 
que  le  maréchal  y  avait  pu  connaître.  M™''  de 
Laborde  n'a  sans  doute  eu  qu'un  pied-à-terre  à 
l'hôtel  Rohan-Chabot;  son  frère,  M.  de  Vismes, 
avait  été  directeur  de  l'Opéra,  et  son  mari  valet- 
de-chambre  du  roi,  quand  la  charge  de  dame 
du  lit  fut  créée  pour  elle  à  la  cour  :  ses  fonctions 
se  bornant  à  ouvrir  et  à  fermer  les  rideaux  de 
la  reine,  elle  assistait  au  lever  et  au  coucher  de 
Marie-Antoinette,  mais  ne  passait  la  nuit  que 
par  exception  au  pied  du  lit.  M.  dé  Laborde, 
tout  en  étant  banquier,  se  livrait  à  la  composition 
musicale.  De  nos  jours.  M''*'  Rachel  avait  loué 
un  appartement  dans  cette  maison  h  superbe 
escalier,  où  la  vente  de  ses  meubles  et  de  sa 
garde-robe,  après  décès,   fit   courir    tout    Paris. 

Cette  place  ne  nous  paraît  plus  qu'une  douairière 
de  grande  famille,  qui  a  pris  sa  retraite  à  l'entrée 
d'un  faubourg,  où  ne  lui  tiennent  plus  compagnie 
que  des  vieillards  h  la  parole  rare  et  des  enfants 
à  l'innocent  tapage  :  les  deax  extrêmes  !  Les  plus 
gros  péchés  de  sa  jeunesse  ont  été  commis  par 
Marion  et  par  Ninon,  mais  rachetés  par  M'"^  de 
Maintenon,  qui  elle-même  avait  rayonné  dans  ce 
centre  d'une  royauté  purement  honoraire  et  d'ailleurs 
collective,  avant  de  participer  personnellement  à 
celle  de  Louis  XIV.  Plus  encore  que  Ninon  dans 
sa  rue  des  Tournelles,  la  place  demeurait  jeune, 


448  PLACE   ROYALE. 

en  ayant  l'air  de  se  ranger  la  première,  et  cette 
coquetterie  lui  allait  encore  mieux  que  la  beauté 
du  diable.  Pour  les  femmes  aussi  l'âge  de  la 
raison  ne  commence-t-il  pas  quelquefois  quand 
leur  beauté  est  à  son  apogée  et  les  fait  aimer 
le  plus  follement?  La  place  Royale  ressemblait 
au  salon  de  Célimène  alors  qu'y  faisait  son  entrée 
Dangeau,  brillamment  annoncé  par  sa  nomination 
de  colonel  au  régiment  du  roi.  Sa  résidence  touchait 
à  l'hôtel  Rohan-Guéménée,  du  côté  de  la  rue  des 
Tournelles,  et  ajoutons  que  dans  la  suite  sa  petite- 
fille,  Sophie  de  Courcillon,  épousa  un  prince  de 
Rohan,  déjà  veuve  de  François  d'Albon  d'Ailly, 
duc  de  Picquigny.  Philippe  de  Courcillon,  marquis 
de  Dangeau,  devait  surtout  son  avancement  à 
l'habileté  avec  laquelle  il  jouait  aux  cartes;  néan- 
moins il  avait  servi  avec  distinction  près  de  Turenne 
et  il  ne  quitta  plus  le  roi  dans  ses  campagnes.  Des 
conférences  savantes  se  renouvelaient,  de  relevée 
tous  les  mardis,  chez  ce  membre  de  l'Académie- 
Française,  puis  de  l'académie  des  Sciences,  qui 
est  resté  pour  nous  le  type  des  chroniqueurs  de 
cour;  son  journal  manuscrit  n'a  reçu  qu'après  sa 
mort,  et  d'abord  par  extraits,  les  honneurs  de 
l'impression.  Il  y  écrivait  un  jour  :  «  jeudi  15 
octobre  1684  on  apprit  k  Chauibord  la  mort  du 
bonhomme  Corneille.  »  Quelle  réduction  d'apothéose 
pour  l'homme  de  génie  qui  avait  composé  jusqu'à 
une  comédie  sous  ce  titre  :  la  Place  Royale  !  Dans 
quels  détails,  en  revanche,  Dangeau  n'entrait-il 
pas  chaque  fois  qu'il  parlait  de  la  famille  royale  ! 
Par  exemple,  il  ne  laissait  pas  le  duc  de  Chartres, 
ensuite. duc  d'Orléans  et  régent,  épouser  M"''  de 
Rlois,   sans  en  dire: 

a  Dimanche,  Il  février  1692.  Sur  les  6  heures  du  soir, 
dans  le  salon  où  le  roi  s'habille,  se  fireat  les  fiançailles 
de  M.  le  duc  de  Chartres  et  de  Mli«  de  Blois.  Le 
cardinal  de  Bouillon,  grand-aumônier  de  France,  fit  la 


PLACE  ROYALE.  449 

cérémonie  ;  le  secrétaire  d'élat  de  la  maison,  qui  est 
M.  de  Pontchartrain,  fit  signer  le  contrat  au  Roi  et  à 
toute  la  Maison  royale.  Il  ne  donna  point  la  plume 
aux  princes  du  sang.  —  Lundi,  18.  Le  Roi  alla  à  la 
messe  à  son  ordinaire.  Le  cardinal  de  Bouillon  la  dit 
et  maria  le  duc  de  Chartres  et  M"«  de  Blois.  Après 
le  souper,  le  Roi  mena  le  marié  et  la  mariée  à  leur 
appartement,  qui  est  le  même  qu'avant  le  mariage.  Le 
Roi  TOulut  que  le  Roi  d'Angleterre  donnât  la  chemise 
à  M.  de  Chartres  et  M.  d'Arcy  la  lui  présenta.  Madame 
la  donna  à  la  duchesse  de  Chartres.  Le  Roi  après 
dioer  monta  en  carrosse  avec  la  mariée,  Mademoiselle 
et  Ja  princesse  de  Conti,  Monseigneur  et  M™*  de 
Guise,  et  alla  à  Paris  au  Palais-Royal,  où  Monsieur 
et  le  duc  de  Chartres  lui  montrèrent  l'appartement 
destiné  à   la   duchesse    de    Chartres. 

Il  n'y  avait  en  ce  temps-là  que  deux  amateurs 
de  curiosités  parmi  les  habitants  du  quadrilatère 
à  arcades  :  le  marquis  de  Dangeau  et  le  duc  de 
Richelieu,  général  des  galères.  Celui-ci  était  le 
neveu  du  grand  ministre,  qui  avait  résidé  avant 
lui  au  quatrième  angle  de  la  place  pendant  la 
construction  du  Palais-Cardinal,  et  son  til s  portait 
le  nom  de  Fronsac.  Duc  de  Richelieu  à  son  tour, 
Fronsac  était,  de  plus,  le  vainqueur  deFontenoy 
et  il  habitait  le  même  hôtel  quand  il  reçut,  en 
revenant  de  Gênes,  qu'il  avait  délivrée  des  attaques 
des  Anglais,  le  bâton  de  maréchal  et  les  gouverne- 
ments de  Guyenne  et  de  Gascogne. 

Dans  le  répertoire  des  rôles  joués  successivement 
parle  26,  quel  est  le  plus  marquant  ?  celui  d'hôtel 
de  Tresmes.  Il  n'a  même  pas  osé  se  dire  Camuzet 
du  chef  d'un  croquant  de  feririer-général  y  ayant 
ses  appartements,  tant  notre  place,  enducaillée  de 
naissance  et  sans  solution  de  continuité,  dédaignait 
encore  la  finance  !  La  petite  noblesse,  celle  de 
robe  et  de  cloche,  n'osait  même  s'y  trotter  que  rare- 
ment. Camuzet,  fils  d'un  commissaire  de  police  que 
M"*  d'Argenson  honorait  de  ses    bonnes    grâces, 


450  PLACE  ROYALE. 

avait  été  notaire,  puis  nommé  dans  les  fermes  par 
la  protection  de  M'"*^  de  Châteauroux,  mais  après 
la  mort  de  cette  maîtresse  de  Louis  XV.  A  Nantes, 
dans  le  cours  d'une  tournée,  une  maladie,  de  celles 
qui  se  cachent,  emportait  Camuzet  en  1753. 

De  ses  contemporains,  restituons  le  marquis  de 
Tessé  au  n"  18,  un  Canillac  à  l'une  des  maisons 
qui  donnent  aussi  rue  des  Tournelles  et  Henri- 
François-de-Paule  Lefèvre-d'Ormesson,  intendant 
des  iinances,  ancien  membre  du  conseil  de  régence, 
entre  la  rue  du  Pas-de-la-Mule  et  la  chaussée 
des  Minimes  (d). 

Hôtel  d'Escalopier  est  le  25  de  père  en  fils. 
M.  Nouveau,  à  une  date  indéterminée,  avait  le  12, 
mairie  actuelle  de  l'arrondissement.  Est-ce  le  baron 
de  Breteuil  qui  a  laissé  au  n**  14  (où  naguère 
étaient  les  bureaux  de  la  mairie  voisine)  deux 
belles  peintures  de  Lebrun  et  de  Mignard  ?  Nous 
trouvons  dans  ce  pavillon,  un  peu  avant  89,  le 
bureau  de  M.  Laurent  des  Lions,  directeur-général 
du  canal  de  Picardie,  et  l'hôtel  appartient  alors 
à  M.  Laurent  de  Viïledeuil,  son  frère  :  ils  sont 
neveux  de  l'ingénieur  Laurent,  qui  a  construit 
ledit  canal.  Aussi  bien  les  Breteuil  n'ont-ils  pas 
joué  aux  quatre  coins  place  Royale  ?  Au  26  il  y  en 
a  eu,  et  le  4  s'est  appelé  comme  eux  avant  d'abriter 
le  chevalier  de  Favras  et  plus  récemment  M.  Portails, 
premier  président  de  la  cour  de  Cassation  :  la 
grande  robe,  grâce  à  ce  magistrat,  n'abandonnait  pas 
tout-à-fait  ses  galeries  favorites  du  siècle  précédent. 

Néanmoins,  il  faut  l'avouer,  le  ministre  Sully 
trouverait  les  habitants  de  la  place  bien  changés, 
s'il  y  rentrait  par  le  n°  7,  qui  dépendait  jadis  de 
son  hôtel  de  la  rue  Saint-Antoine.  Le  quartier 
des  maréchaux  de  France  et  des  duchesses  n'est 
plus  le  Marais,  tant  s'en  faut. 


(1)  Ou  rue  de  Béarn. 


Rue   Corvisart, 

NAGUÈRE 

du  Champ-de-r Alouette,    (i) 


Champ  de  l'alouette!  un  joli  nom  de  rue  et 
qui  en  dit  bien  l'origine.  Des  murs  neufs  et  de 
vieux  murs  en  ruine  cachent  aux  passants  ce 
qu'est  devenu  le  champ,  depuis  qu'une  rue  tortueuse, 
et  qui  n'est  pas  encore  pavée,  le  traverse.  Quant 
à  l'alouette  matinale,  elle  chante  encore  sur  les 
bords  d'un  ruisseau,  où  il  ne  reste  plus  qu'un 
arbre  des  deux  rangées  de  la  saulaie  d'autrefois. 
Cette  saignée  faite  à  la  rivière  de  Bièvre  s'appelait 
surtout  rue  des  Gobelins  alors  que  les  commis 
d'une  barrière  de  la  ville  semblaient  garder  le 
ponceau  sur  lequel  la  rue  passe  l'eau;  seulement 
le  cours  de  celle-ci  a  plusieurs  fois  varié  en 
quelque  chose  et  celle-là  a  été  exhaussée. 

Des  merveilles  d'architecture  n'attirent  pas 
l'attention  sur  deux  vieilles  maisonnettes  de  maraî- 
cher, restaurées  de  notre  temps  ;  mais  nous 
recherchons  en  vain  l'image  de  Saint-Louis,  qui 
distinguait  l'une  d'elles  et  qui  avait  valu  son 
premier  nom  à  la  rue  du  Champ-de-1'Alouette.  Si 
les  maisons  sont  encore  assez  rares  sur  cette 
espèce  de  chemin  vicinal,  qui  n'en  comptait  que 
6  en  1714,  les  numéros  du  moins  n'en  conviennent 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  Depuis  lors  la  rue  du 
Champ-de-l'Alouette  a  reçu  le  nom  du  b""  Corvissart, 
médecin  de  Napoléon  ler;  ses  deux  pentes  ont  été 
sensiblement  adoucies;  elle  a  été  élargie  du  côté  du 
boulevard  d'Italie  et  pavée  dans  toute  sa  longueur. 


55Î  RUE   CORVISART,   ETC. 

guère;  les  cadres  de  l'effectif  sont  à  remplir  tout 
le  long  de  l'ancien  jardin  des  Cordelières,  et  il 
y  a  d'autres  lacunes  pour  témoigner  de  la  même 
prévoyance. 

En  revanche,  le  52  est  une  construction  à 
plusieurs  corps,  qni  donne  aussi  sur  le  Boulevard, 
flanquée  d'un  clos  par-ci  et  d'un  jardin  anglais 
par-là.  C'est  un  ancien  hôtel  Neubourg,  déjà  vi- 
sible sur  le  plan  de  Turgot  du  côté  de  la  rue 
Croulebarbe;  le  terrain  pour  le  moins  en  avait 
dépendu  du  clos  Payen.  D'autres  Neubourg  que 
la  famille  palatine  de  Bavière,  devenue  électorale 
en  1685  et  issue  de  la  maison  ducale  de  Deux- 
Ponts,  ont  pu  jouir  de  cette  villa  suburbaine. 
La  bonne  femme  qui  en  dispose  depuis  la  pre- 
mière république  a  commencé,  sous  la  Restauration, 
à  y  blanchir  le  linge  des  Hospices,  et  la  même 
buanderie     coule  toujours  ses  lessives. 


Avcuuo  des   Cliaiups-Ëlysées.  (i) 


Notes  pour  empêcher  de  les  confondre  avec  ceux 
dont  la  Fable  fait  le  séjour  exclusif  des  âmes 
vertueuses. 

En  1648  Marie  de  Médicis  crée,  sur  d'anciennes 
cultures  de  maraîchers,  la  promenade  du  Cours- 
la-Reine,  que  d'abord  ferment  des  fossés  et  des 
grilles.  Veis  1670  se  plantent  les  quinconces, 
ainsi  que  la  grande  allée  du  Roule,  dile  depuis 
l'avenue  des  Champs-Elysées.  Au  Rond-Point  se 
jette  le  pont  d'Antin  sur  un  égout,  en  l'année  1719,  et 
la  promenade  h.  cette  époque  sert  toutes  les 
nuits  de  repaire  aux  déclassés,  qui  n'ont  pas 
encore  la  ressource  de  se  mettre  révolutionnaires 
de  profession.  Malheur  aux  petits  bourgeois  de 
Ghaillot  qui  s'y  attardent!  Les  arbres  cachent  nuitam- 
ment des  bras  crochus,  qui  agrippent  le  passant, 
l'entraînent  et  le  fouillent  au  moins  jusqu'aux 
chausses;  quelquefois  même  l'allée  des  Veuves  (2) 
en  fait  réellement  une  de  plus.  Toutefois  il  se 
suit  bientôt  dans  le  faubourg  Saint-Honoré  des 
hôtels  qui  projettent  sans  interruption  un  cordon 
de  jardins  sur  l'avenue  Gabriel,  cette  lisière  des 
Champs-Elysées,  et  l'hôtel  d'Argenson,  séparé 
de  l'Elysée-Pompadour  par  l'avenue  Marigny,  con- 
tribue, avec  un  petit  nombre  d'autres  hôtels, 
avec  le  Colisée,  avec  la  Folie-Beaujon  et  avec  la 
Folie  Marbeuf,  à  border  du  jardins  particuliers 
ce    parc    de  tout  le  monde  aux  grandes  allées, 


(1)  Notice   écrite  en   1859. 

(2)  Ayenue  d'Antin. 

29 


554  AVENUE  DES   CHAMPS-ELYSEES. 

aux  carrés  disposés  pour  les  jeux  de  paume,  de 
quilles  et  de  ballon,  dont  les  abords  sont  embellis 
pompeusement  par  Louis  XV.  Un  monument  en 
l'honneur  de  31arat  et  de  Le  Peletier  y  surgit, 
sous  la  Convention,  mais  tombe  avec  la  tèle  de 
Robespierre.  Puis  la  placée  Louis  XV,  devenue 
place  Louis  XVI  h  titre  d'expiation,  et  l.es  Champs- 
Elysées  se  trouvent  concédés  ù  la  Ville  par  Cliarles 
X,  mais  à  la  condition  qu'elle  y  dépense  d'abord 
2,300,000  francs. 

A  ce  prix-là  se  sont  régularisés  des  alignements, 
rajeunies  des  allées  et  aplanies  des  inégaliiés, 
sur  toute  l'étendue  de  la  promenade,  en  même 
temps  tjuc  s'améliorait  la  viabilité  de  l'avenue 
qui  la  partageait  en  deux.  Mais  c'est  la  révolution 
de  1830,  et  non  pas  la  première,  qui  en  a  fait 
un  lieu  relativement  siîr  h  la  lueur  des  réverbères  ; 
jusqu'alors  il  fallait  être  brave  et  bien  armé  pour  y 
passer  à  minuit  avec  sécurité.  Là  pourtant  com- 
mençaient et  finissaient,  depuis  la  première 
pousse,  toutes  les  réputations  qui  tenaient  essentiel- 
lement h  l'équipage,  comme  si  elles  mangeaint 
au  même  râtelier,  et  les  amours  y  menaient  déjà 
ce  train.  LeLongchamps  de  la  mode  s'y  prolongeait 
d'une  semaine-sainte  à  l'autre  et  s'y  prolonge 
encore  pour  des  pèlerines  et  pèlerins  mondains, 
dont  les  révolutions  n'ont  fait  qu'accroître  le  nombre. 
Seulement  un  palais  de  l'Industrie,  des  théâtres, 
des  cafés,  des  parterres,  des  jets  d'eau  décorent 
et  animent  la  promenade  qui,  depuis  l'Exposition 
universelle,  a  perdu  le  caractère  d'un  spacieux 
boulevard  parisien,  pour  devenir  en  plein  air  le 
caravansérail  du  monde  entier.  Quand  l'avenue 
fêtait  la  saint-Charles  ou  la  saint-Louis,  il  s'y 
dressait  des  pavillons  du  haut  desquels  saucissons 
et  poulets  se  jetaient  à  la  foule,  pour  laquelle 
des  fontaines  de  vin  coulaient  en  bas.  La  saint- 
Napoléon  fait  autrement  ses  libéralités  ;  mais  rien 


AVENUE   DES   CHAMPS-ELYSEES.  555 

n'estcompaiable  à  ses  resplendissantes  illuminations, 
qui  n'attirent  pas  aux  Champs-Elysées  que  des 
badauds  de  leur  pays.  Malgré  cette  extension 
internationale,  _  il  y  aurait  vraiment  ingratitude  à 
oublier  que  l'Elysée,  le  Golisée,  Beaujon,  Marbeuf 
et  d'autres  jardins  d'hôtels  avaient  déjà  donné  sous 
l'ancien  régime,  avec  la  Seine,  leur  magnilique  en- 
cadrement   à  l'ancien  Cours-la-Reine. 

Par  delà  le  Rond-Poinl,  deux  lignes  d'hôtels 
luxueux,  mais  ceux-ci  de  (  réation  moderne,  font 
conduite  à  l'avenue,  dite  précédemment  de  Neuilly, 
jusqu'à  la  barrière  de  l'Étoile,  qui  est  menacée 
elle-même  de  reculer  jusqu'au  Bois-de-Boulogne. 
Ce  quartier  de  Paris  devient,  et  comment  en  douter? 
le  faubourg  Saint-Germain  du  règne  de  Napoléon  III. 

Deux  constructions  anciennes,  y  faisant  exception, 
appartenaient  aussi  aux  rues  d'Angoulême  (i)  et  de 
Berri;  nous  en  parlons  dans  les  notices  affectées 
à  ces  rues.  M"'' Contât  habita  l'un  des  deux  hôtels, 
avant  le  comte  de  Marescalchi,  ambassadeur  d'Italie. 
L'autre  fut  édifié  pour  la  fine  M'""  de  Langeac  par 
Chalgrin,  et  Barthélémy  y  peignit  le  plafond  du  salon 
qui  donnait  sur  ce  qu'on  appelait  alors  le  Grand- 
Cours.  Chalgriii,  architecte  de  Louis  XVI  et  de 
Monsieur,  comte  de  Provence,  aimait  éperdùment 
sa  femme  ;  cette  passion  tout-à-fait  légitime,  mais 
qu'il  n'était  pas  de  mode  au  xvni*^  siècle  d'afficher, 
donna  lieu  au  jeu  de  mots  que  voici  :  sans  l  il  n'y 
aurait  que  chagrin. 

Vis-à-vis  se  projetaient  les  jardins  de  Chaillot, 
formés  par  M.  de  Janssen,  homme  instruit, 
bienfaisant  et  philosophe,  qui  était  baronnet  anglais 
et  qui  mourut  à  un  âge  avancé  le  2    décembre 


(1)  La  rue  d'Angoulême-Saint-Honoré  est  acluellement 
de  Morny. 


556  AVENUE   DES  CHAMPS-ELYSÉES. 

1780.  On  remarquait  dans  son  vaste  enclos,  quand 
M'"*'  de  Marbeuf  en  prit  possession,  un  saule  de 
Babylone  au  tronc  de  84  pieds  de  circonférence. 
Le  comte  de  Choiseul-Gouttier,  favori  de  l'impé- 
ratrice Catherine,  acheta  le  jardin  Marbeuf  et  y 
réunit  des  curiosités  monumentales,  qu'il  avait 
recueillies  dans  son  ambassade  à  Constantinople, 
L'arbre  qu'on  y  admirait  alors  était  un  cèdre  du 
Liban,  contemporain  de  celui  du  Jardin-des-Plantes. 
Converti  en  jardin  public  par  ordre  de  la  Con- 
vention, l'ancien  Marbeuf  devenait  Idalie;  un  hyp- 
podrome  y  fut  même  disposé.  Puis  des  maisons 
remplacèrent  les  taillis,  dans  un  quartier  nouveau, 
qui  s'agrandit  ensuite  aux  dépens  du  Jardin- 
d'Hiver,  ciéalion  du  règne  de  Louis-Philippe. 

On  pourrait  croire  que  l'hôtel  qui  porte  le 
chiffre  44  date  de  la  fin  du  siècle  précédent; 
mais  le  docteur  Villette,  acquéreur  d'une  portion 
du  Colisée,  y  a  fait  bâtir  cette  maison  au  com- 
mencement de  la  Restauration.  Postérieur  encore 
est  un  petit  hôtel  que  possède,  près  la  rue  d'An- 
goulême,  la  baronne  de  Montalleur,  y  succédant  à 
l'architecte  Ducret,  qui  l'a  bâti. 

Au  70  un  marchand  de  chevaux  s'est  établi 
sous  le  premier  empire,  et  jusque-là  les  maquignons 
passaient  sans  s'arrêter  dans  les  Champs-Elysées. 
La  belle  pelouse  que  laisse  voir  la  grille  du  74  !  Une 
pension  de  garçons  y  était  tenue,  sous  Charles  X,  par 
Pierre  Blanchard,  qui  écrivait  et  publiait  des  livres 
pour  les  enfants  ;  au  même  endroit  avait  été  trans- 
férée précédemment  la  pension  de  demoiselles 
que  dirigeait  M"»"  Campan,  auteur  d'un  Traité  de 
VÉducation  des  Demoiselles  et  de  mémoires  sur 
Marie-Antoinette.  Et,  comme  si  ce  n'était  pas 
encore  assez  de  titres  à  la  spécialité  de  la  littérature 
d'éducation,  Bouilly,  des  Contes  à  ma  Fille^  et  la 
famille  du  poète  Legouvé  fréquentaient  aussi  la 
maison.     La   large     porte    du    78     ouvrait    sur 


AVENUE    DES  CHAMPS-ELYSEES  557 

l'hôtel  d'un  prince  régnant,  le  duc  de  Brunswick, 
avant  qu'une  révolution  lui  enlevât  l'exercice  de 
la  souveraineté.  A  ce  prince  succéda,  comme 
propriétaire,  M.  le  comte  de  Caumont-Laforce, 
aujourd'hui  duc,  et  qui  s'est  fait  construire  un 
autre  hôtel  en  face  de  l'ancien  jardin  Beaujon. 
Le  99  et  le  101  ne  remontent  guère  qu'au 
commencement  du  présent  siècle.  A  la  place  du 
109,  qui  appartient  à  la  rue  du  Château-des- 
Fleurs  aussi  et  à  la  rue  des  Vignes  (i),  il  s'élevait, 
sous  Louis  XVI,  un  bâtiment  dont  il  reste  un 
corps  par-derrière,  et  une  échoppe  k  bière  y 
aliénait,  que  fréquentaient  en  ce  temps-là  les 
habitués  du  promenoir  de  Chaillol.  On  appelait 
ainsi  la  promenade  en  terrasse  que  Ghaillot 
accolait  à  l'avenue  des  Champs-Elysées. 


(1)  Maintenant   l'une  est   rue  Bassano  et    l'autre    tue 
Vernet. 


Rue  Boissy-d^An^las, 

EX  en  QUI  S'kX  appelait  NAGUÈaii 

Rue  tHe»  Cliauips-Élysées*  {i) 


Grimod  de  la  Kei/niâre. — M^^*"  Lorphelin.  —  Pelet 
de  la  Lozdre.  —  Logrenée.  —  Junnt.  —  Les 
Diamants  de  la  Couronne.  —  M.  Rousse. 

Le  fermier-général  Grimod  de  la  Reynière,  qui 
devint  administrateur-général  des  Postes,  s'était 
d'abord  cm'ichi  dans  les  fournitures  de  l'armée 
du  maréchal  de  Soubise,  pendant  la  guerre  de 
Sept-ans,  à  l'issue  de  laquelle  il  s'était  fait  bâtir 
un  magnifique  hôtel.  Le  cercle  Impérial  en  paye 
le  loyer  à  l'État  et  y  succède  h  l'ambassade  de 
Turquie,  qui  venait  elle-même  après  celle  de  Russie: 
o,  rue  des  Champs-Elysées.  Le  financier  Giimod 
y  a  fait  décorer  un  grand  salon  sur  les  dessins 
de  Clérisseau,  peintre  du  roi,  premier  architecte 
de  l'impératrice  de  Russie,  et  y  a  réuni  une  belle 
collectiondetablcaux  de  l'école  française,  d'eslami'cs 
rares  et  de  bronzes.  Le  jour  même  où  il  épousait 
M"*  de  Jarente,  nièce  d'un  évêque  auquel  étaient 
connues  de  fastueuses  amours,  il  demandait  Ji 
Malesherbes,  son  beau-frère  :  —  Croyez-vous  qu'elle 
me  rende  heureux  ?  —  Cela  dépend,  répondit 
nettement  le  plus  honnête  homme  de  son  temps  ! 
Cela  dépend   du  premier  amant  qu'elle  aura. 

L'unique    fruit    de    cet  hymen   fut  un  garçon 


(1)  Notice  érrile  pd  1858.  Le  président  rie  la  Convention 
qui  avait  montré  une  si  héroïque  fermeté,  dans  la  journée 
du  ler  prairial  an  ni,  n'était  encore  le  patron  ni  de  la 
rue  des    Champs-Elysées,   ni   de   celle   de  la  Madeleine. 


RUE  BOISSY-D'ANGLAS.    ETC.  559 

assez  osé  pour  dire  souvent  à  sa  mère  qu'elle 
s'était  diablement  mésalliée  en  épousant  le  fils 
d'un  cliarculier.  Le  jeune  Alexandre  Grimod  de 
la  Reynière,  bien  avant  la  prise  de  la  Bastille,  se 
moquait  des  grands  airs  toujours  affichés  dans 
sa  maison,  dont  il  aurait  voulu  que  les  armes 
fussent  un  cervelas  sur  champ  de  gueules.  — 
Pourquoi  ne  pas  acheter  une  charge  de  conseiller  ? 
lui  disaient  ses  amis.  —  Parce  qu'étant  juge, 
répondait  le  jeune  homme,  je  commencerais  par 
condamner  mon  père  pour  l'argent  qu'il  a  mal  acquis. 
En  me  faisant  avocat,  je  ne  pourrai  que  le  défendre. 

L'avocat  offre  ensuite  un  grand  dîner,  dans 
l'hôtel  de  son  père,  5  ceux  de  ses  confrères 
qui  fourniront  le  mieux  leurs  preuves  de  roture  ; 
d'autres  fois  il  invite  pêle-mêle  abbés,  mousque- 
taires, charcutiers,  à  la  condition  de  se  présenter 
tous  la  tête  nue,  sans  épée  et  sans  décoration.  Il 
se  livre  néanmoins  aux  lettres,  d'abord  en  ce 
qu'elles  ont  de  compatible  avec  la  bonne  chère 
et  la  gaieté,  mais  aussi  d'une  façon  plus  sérieuse 
qu'au  Caveau.  On  ne  sert  îi  ses  déjeuners  du 
mercredi  et  du  samedi  que  du  café  au  lait,  des 
tartines  et  les  écrits  nouvellement  mis  au  jour. 
Une  fois  que  le  droit  de  succession  le  rend  lout- 
à-fait  maître  de  la  place,  la  table  de  Grimod  de 
la  Reynière  est  constamment  ouverte  aux  beaux- 
esprits,  qui  lui  font  la  réputation  de  gourmand 
illustre  et  généreux,  pendant  que  mille  fiicéties  et 
mascarades  continuent  à  le  signaler  comme  original 
au  premier  chef.  M'i-^  Contât  et  d'autres  actrices 
participent  h  ces  fêtes,  mais  qui  n'ont  pas 
toujours  pour  décoration  principale  les  emblèmes 
de  la  piofession  de  son  grand-père.  Une  fois, 
entre  autres,  il  tend  de  noir  la  salle  h  manger, 
et  derrière  chacun  de  ses  invités  une  bière 
fait  l'office  de  servante.  Domilien  n'a-t-il  pas,  du 
reste,   joué    un  tour  encore  plus  funèbre  à  des 


560  RUE  BOISSY-DANGLAS.    ETC. 

sénateurs  et  à  des  chevaliers,  chacun  desdits 
convives  de  l'empereur  trouvant  devant  sa  place 
une  colonne  sépulcrale  et  y  lisant  son  nom  à  la  lueur 
d'une  lampe  de  tombeau?  L'amphylrion  plus  vol- 
tairien  que  Voltaire  imagine,  un  autre  jour,  d'éprou- 
ver l'afleclion  de  ses  amis,  en  faisant  adresser  à 
chacun  d'eux  une  lettre  de  faire-part  dans  la 
forme  ordinaire,  qui  les  prie  d'assister  à  ses 
prétendues  funérailles.  Beaucoup  manquent  k 
l'appel  et  se  contentent  de  regretter  sa  table,  où 
ils  n'auront  plus  leur  couvert  ;  ceux  qui  viennent 
pour  rendre  au  défunt  les  derniers  devoirs, 
trouvent  un  cercueil  placé  devant  la  porte  et  les 
domestiques  en  grand  deuil.  On  se  lève  même 
pour  se  rendre  II  l'église  ;  mais  soudain  une  porte 
s'ouvre  derrière  le  mort,  qui  ressuscite,  et  avec  lui 
une  nappe  somptueusement  chargée,  avec  autant 
d'assiettes  (ju'il  a  encore  de  vrais  amis.  La  Révo- 
lution n'en  enlève  pas  moins  à  Grimod  la  majeure 
partie  de  sa  fortune.  Force  lui  étant  de  diminuer 
son  train,  quel  meilleur  moyen  trouverait-il 
d'éclaircir  de  nouveau  le  nombre  (Je  ses  amis  que  de 
se  faire  journaliste  !  De  1803  i\  1812  il  a  encore 
pour  parasites  d'Aigrefeuille  et  Gamérani,  ainsi  que 
le  docteur  Gaslaldi  ;  il  préside  un  nouveau  jury 
de  sa  création,  qui  prononce  sur  les  découvertes 
culinaires,  et  il  écrit  {'Almanach  des  Gourmands, 
qui  le  fait  accueillir  îi  la  table  de  Cambacérès.  En 
18l4  il  se  retire  II  Villiers-sur-Orge,  dans  son  château. 

Au  8,  qui  tient  la  place  de  l'ancien  magasin  de 
marbres  du  roi,  le  premier  empire  voit  prospérer 
la  pension  de  M"**  Lorphelin,  ancienne  institutrice 
des  quatre  filles  du  prince  Victor  de  Broglie  sous 
Louis  XVL  Cette  maison  d'éducation  allant  de  pair 
avec  celle  que  dirige  M'""  Campan,  ci-devant  femme 
de  chambre  de  Marie-Antoinette,  qui  est  déjh 
chargée  de  l'éducation  de  plusieurs  princesses 
Bonaparte,  M""'  Campan  fiiit  attaquer  l'établissement 


RUE    BOISSY-D'ANGLAS,    ETC.  561 

rival  du  sien  par  un  des  rédacteurs  du  Journal 
des  Débais.  On  reproche  ii  M"*  Lorphelin  d'élever 
ses  pensionnaires  trop  pour  le  monde  et  surtout 
de  leur  faire  jouer  la  comédie  ;  il  est  vrai  que  les 
représentations  données  de  loin  en  loin  par  ces 
demoiselles  obtiennent  en  ce  temps-là  tant  de 
succès  que  l'élite  de  la  société  intrigue  pour  y 
assister.  Le  maréchal  comte  Serrurier,  qui  vote 
en  1814  la  déchéance  de  Napoléon,  cesse  toutefois 
en  1816  de  gouverner  les  Invalides  ;  remplacé  dans 
ce  poste  par  le  duc  de  Coigny,  il  se  retire  où 
étaient  naguère  M"«  Lorphelin  et  ses  élèves.  Puis, 
à  la  fin  du  règne  de  Charles  X,  c'est  l'hôtel  du  duc 
de  Raguse.  Nous  y  voyons  mourir,  en  l'année 
1841,  le  comte  Pelet  de  la  Lozère,  ancien  membre 
du  conseil  des  Cinq-Cents,  où  il  s'est  constamment 
montré  le  défenseur  des  libertés  de  la  presse,  et 
l'immeuble  appartient  encore  de  nos  jours  à  l'ancien 
ministre  des  finances  du  même  nom,  homme 
d'État  aux  vues  libérales,  mais  d'application 
conciliante. 

En  face,  voici  le  n"  9,  habité  sous  l'ancien 
régime  par  le  prince  de  la  Trémoille,  époux  de 
la  veuve  du  prince  de  Saint-Maurisse.  Anselme 
Lagrenée,  peintre  de  chevaux,  lils  et  neveu  de 
peintres,  a  disposé  de  la  même  propriété.  La 
belle  M"''  Bazire  avait  quitté  de  bonne  heure  la 
Comédie-Française,  pour  partager  le  nom  de  cet 
homme  de  plaisir,  le  plus  aimable  des  membres 
de  sa  famille,   rictime  du  choléra  en  1832. 

Au  12,  où  demeurent  maintenant  les  princes  de 
Beauvau,  nous  eussions  rencontré  en  son  temps 
le  général  Junot,  duc  d'Abrantès,  mari  d'une  femme 
d'esprit.  Moins  dépourvu  de  goût  que  d'instruction, 
Junot  aimait  les  livres,  les  belles  éditions,  les 
manuscrits  pi'écieux,  les  gravures  en  première 
épreuve,  et  cette  passion  rendait  insuffisants  les 
grands  revenus  dont  il  jouissait;   sa  bibliothèque 


r.r.2  RUE  BOISSY  D'ANGLAS     ETC. 

fort  curieuse  lui  coûtait  encore  plus  cher  que  son 
hôtel,  ci-devant  h  la  marquise  de  Cauvisson,  bien 
qu'il  en  eût  fait  un  palais.  Les  deux  colonnes  qui  en 
décorent  le  seuil  datent  de  cette  restauration. 
D'ailleurs,  un  vieillard  nous  rapporte  de  vUii  que 
ledit  hôtel,  acheté  par  la  liste  civile,  a  servi  à 
l'exposition  des  diamants  de  la  Couronne,  qu'on 
montrait  tous  les  mercredis.  Quant  à  M""*  de  Cau- 
visson, elle  avait  eu  pour  voisins  les  d'Andlau, 
prédécesseurs  probables  du  comte  Pelet, 

Qui  si  nous  remontons  au  plan  de  Turgot,  pour 
voir  les  choses  de  plus  haut,  des  murs  et  des 
chantiers  n'avaient  pas  encore  fait  place  en  1739 
aux  hôtels  dont  nous  venons  d'ébaucher  l'histoire. 
Presque  tout  le  terrain,  du  côté  des  numéros 
pairs,  avait  eu  pour  propriétaire  Paul  Duparan, 
seigneur  en  Brie  et  conseiller  du  roi  Louis  XIV, 
puis  Noël  Odeau,  puis  le  célèbre  Law.  La  .rue 
s'appelait  de  la  Bonne-Morue  et  finissait  à  la  porte 
du  Cours-la-Beine,  en  1714,  après  avoir  porté 
antérieurement,  comme  simple  chemin,  la  dénomina- 
tion de  l'Abreuvoir-l'Evêque.  Toutefois,  dès  le 
milieu  du  xvn"  siècle,  il  avait  été  bâti  du  côté 
précité  une  maison  à  deux  corps,  à  quatre  étages, 
:i  deux  boutiques  et  h  l'image  de  Sainte-Anne,  pour 
Rousse,  conseiller  du  roi  ;  les  actes  la  désignaient 
comme  sise  au  faubourg  Saint-Honoré,  en  la  grande 
rue,  où  donnait  sa  porte  principale.  Mècre,  lieutenant 
de  cavalerie,  en  était  pi'opriétaire  lorsque  des 
lettres-patentes  de  Louis  XV,  en  1757,  donnaient 
à  la  rue  son  nom  artuel,  en  prescrivant  l'alignement 
qui  coupait  en  ccharfie  ladite  propriété,  et  or- 
donnaient l'établissement  de  l'égout  qui  grouille 
encore  sous  le  trottoir.  A  la  place  de  cette 
construction,  doyenne  à  coup  sûr  delà  rue,  deux 
autres  maisons  s'élevaient  sous    la    Restauration. 


Rue  des  Charbonniers  et  rue  Bertliollet, 

NAGOÈRK 

des  Charbonniers«Saint-i]llarce].  (4) 


L'une  des  deux  donne  rue  de  Charenton,  au 
faubourg  Saint-Antoine  ;  I  autre,  rue  des  Bourgui- 
gnons, au  faubourg  Saint-Marceau. 

Celle-ci  date  de  1540,  en  tant  que  chemin  des 
Charbonniers,  qui  demeura  quelque  temps  encore 
inhabité  ;  mais  Henri  IV  eût  pu  y  appliquer  l'un 
des  grands  mots  qui  l'ont  fait  populaire:  «  Char- 
bonnier est  maître  chez  soi.  »  De  son  règne 
datent  le  4  et  le  6,  masures  déjh  vides,  qui  ne 
demandent  plus  que  le  coup  de  grâce.  A  l'enseigne 
des  Trois-Chapelets  a  été  le  7.  Le  9  tient  bon, 
il  porte  ses  deux  siècles  avec  une  certaine  aisance  : 
maison  de  petite  bourgeoisie.  Au  18  Fructidor 
vint  s'y  cacher  Dussault,  qui  avait  rédigé  avec 
Fréron  ["Orateur  du  Peuple,  feuille  rivale  de  cclle 


(l)  Noiicp  écrite  «r-n  185R.  L'avpnue  Daumesni!  et 
1«  Yi'aHiic  du  rhemin  de  fer  de  Viiicennes  croisaient 
déjà  colle  dos  deux  tues  des  Charbonniers  qui  garde 
sa  df-nomination  ;  mais  1rs  travaux  de  voirie  n'y  étaient 
pas  achevés  comme  au  boulevard  Ma/as,  qui  dépassait 
déjà  celle  rue  dans  un  sens  presque  parallèle  à  l'avenue 
et  an  viaduc  La  rue  qu'on  a  dédiée  depuis  à  un 
ffrand  chimiste  ne  commençait  qu'à  celle  de  l'Arbalète  ; 
elle  part  maintenant  de  celle  des  Feuiliaiitines,  pro- 
longement donné  à  un  cnl-de-sac  ;  son  élargissement, 
bien  qu'il  ait  épargné  quelques  maisons  qui  se  regardent 
»u  milieu  du  nouveau  jiarcours,  jiorte  son  embouchure 
un  peu  plus  à  cauche  que  naguère  sur  la  ci-devant 
rue  des  Bourguignons,  tronçon  actuel  du  boulevard 
Arago. 


5o4  RUE  DES  CHARBONNIERS,   ETC. 

de  Marat,  et  la  découverte  de  sa  retraite  le 
contraignit  à  en  chercher  une  autre;  mais  le  18 
Brumaire  lui  permit  de  quitter  l'incognito,  pour 
concourir,  non  sans  éclat,  t»  la  rédaction  des 
Débats.  Une  fabrique  de  poterie  succède  à  un 
jardin,  n"  12,  et  l'école  des  Frères,  qui  fait  vis-à- 
vis,  tient  elle-même  la  place  d'une  serre.  La 
maison  contiguë  aux  classes  n'a  plus  rien,  Dieu 
me  pardonne  !  qui  sente  le  sac  à  charbon  ;  on 
y  vit  et  on  y  respire  sans  poussier  qui  monte 
h  la  gorge.  Un  jardin  s'épanouit  encore  derrière 
la  muraille  du  14,  dont  la  seconde  porte  est  rue 
des  Bourguignons.  Mais  du  temps  de  Buffon  c'était 
bien  autre  chose  :  on  venait  jusqu'à  la  rue  des 
Charbonniers-Saint-Marcel  rien  que  pour  la  pépinière 
de  Descemet,  fleuriste  du  collège  de  Pharmacie  et 
de  Monsieur,  frère  du  roi.  Un  hôtel  de  la  Noblesse 
y  portait,  qui  plus  est,  le  n''  20:  école  formant 
par  l'éducation  nobiliaire  des  officiers  pour  l'artil- 
lej'ie,  le  génie  et  la  marine.  Néanmoins  notre 
rue  et  celle  des  Bourguignons  étaient  privilégiées, 
comme  une  portion  de  celle  de  l'Arbalète,  en  ce 
que  les  ouvriers  pouvaient  s'y  passer  de  maîtrise. 

L'autre  rue  des  Charbonniers  a  porté  la  dési- 
gnation de  Clochepin,  et  d'abord  celle  du  Port- 
au-Plâtre.  Elle  a  changé  du  blanc  au  noir  ;  ce 
n'est  pourtant  pas  une  rue  politique.  Son  n"  25 
se  reconnaît  sur  la  grande  carte  de  1739  :  cette 
maisonnette  ouvrait  dès-lors  sur  la  rue  de  Charen- 
ton,  mais  il  y  altenaitun  jardin  longeant  la  petite 
rue.  Une  jolie  lîlle,  nommée  Rose-Marie,  que  le 
maréchal  de  Soubise  avait  lancée  dans  la  circu- 
lation galante,  et  qui,  au  lieu  de  monter  en  grade, 
ce  qui  eût  été  difficile,  avait  fini,  de  chute  en 
chute,  par  s'affoler  d'un  simple  mousquetaire  de 
la  2''  compagnie,  casernée  rue  de  Charenton, 
logeait  dans  cette  maison  en  1757,  et  de  chagrin 
elle  s'y  jeta  dans  le  puits:  elle  avait  vu  la  veille 


RUE   DES   CHARBONNIERS,   ETC.  5G5 

défiler,  sous  sa  fenêtre,  ceux  des  mousquetaires 
noirs  qui  venaient  d'assister  à  la  funeste  bataille 
de  Rosbacli,  et  une  recrue  occupait  dans  les  rangs 
la  place  de  son  dernier  amant,  frappé  d'une  balle 
sous  les  yeux  du  premier.  Les  prières  suprêmes 
de  l'église  n'étant  pas  accordées  h  Rose-Marie, 
les  soldats  qui  avaient  retiré  son  corps  du  puits 
l'inhumèrent  pendant  la  nuit.  Puis,  pour  purifier 
ce  coin  de  rue  de  la  souillure  qu'y  avaient 
imprimée,  disait-on,  le  genre  de  vie  et  le  genre 
de  mort  de  cette  fille,  on  mit  dans  la  maison 
voisine,  qui  se  bâtit  vers  le  même  temps,  présen- 
tement n"  23,  une  petite  statue  de  la  Sainte- 
Vierge,  dans  une  niche  que  chacun  peut  revoir. 
Le  reste  de  la  rue  des  Gharbonniers-Saint- 
Antoine,  en  1739,  n'était  encore  que  marais. 


Rue  do   Charenioii.  (i) 


VOmnibus.  —  Les  Mousquetaires  noirs.  —  Les 
Enfants  Trouvés.  —  1720.  —  L'Abbaye.  —  Les 
Filles  Anglaises.  — Les  Fabriques.  —  Le  Clos  de 
Rambouillet.  —  La  Vallée  de  Fécamp.  —  La 
Barrière. 

Celte  rue,  qui  embrasse  tant  d'immeubles,  n'a 
pas  toujours  eu  sa  longueur.  Elle  finissait  à  la 
petite  rue  de  Reuilly,  pour  s'appeler  de  la  Planchette 
jusqu'à  celle  Montgallet,  quand  le  reste  en  était 
rue  de  la  Vallée-de-Fécamp,  k  cause  d'un  terrain, 
le  Bas-Fécamp,  sur  lequel  elle  s'était  formée  au 
xv**  siècle.  M.  Rousseau,  notre  éclaireur,  s'est 
engagé  dans  cette  longue  rue  sur  l'impériale  d'un 
omnibus  ;  c'était  le  moyen  de  voir  les  choses  de 
haut.  La  mobilité  de  ce  poste  d'observation  n'a 
pas  empêché  le  vctyageur  de  prendre  ses  notes, 
comme  s'il  était  à  pied.  Mais  des  rames  ne  suffisent 
pas    au   jardinage  ;    il    faut  aussi  que  le.s  petits 


(1)  Notice  écrite  en  1858.  La  rue  qu'elle  concerne, 
depuis  que  la  Barrière  a  reculé  jusqu'aux  FortUications, 
comprend  une  rue  de  Charentou  qui  ne  faisait  pas 
encore  partie  de  Paris.  L'avenue  Danmesnil  la  croise, 
qui  plus  est,  avec  le  chenain  de  fer  de  Vinceunes 
pour  terrasse,  que  borde  aussi,  mais  de  moins,  près, 
la  rue  Mouigallet.  Un  peu  plus  l)as,  la  rue  Érard, 
naguère  petite  rue  de  Reuilly,  rayonne  au  même 
carrefour  que  la  rue  Rambouillet,  que  la  nouvelle  rue 
Chaliguy,  d'abord  de  1  Empereur,  et  que  la  nouvelle 
rue  Crozatier.  Plus  bas  encore,  mais  uu  peu  au-dessus 
du  boulevard  Mazas  et  de  la  rue  Beccaria,  naguère  de 
Beauvau,  le  passage  Abel-Leblauc  a  pris  la  place  d'une 
allée  oe  jardin. 


RUE   DE    CHARENTON.  5«7 

pois  poussent.  Beaucoup  de  vieux  bâtiments,  plus 
ou  moins  refaits,  qu'exploitent  principalenlent  des 
ébénistes,  bordent  la  partie  intérieure  de  la  rue, 
bien  que  l'on  n'y  trouvât  encore  qu'un  petit  nom- 
bre de  constructions  avant  le  règne  de  Louis  XV. 
Le  n"  10,  qu'on  est  en  train  de  démolir,  date  au 
•moins  du  xn*"  siècle.  Le  20  remonte  â  la  même 
époque  ;  sa  porte  cintrée  est  assez  basse  pour 
qu'aucun  grenadier  de  noire  temps  ne  la  franchisse, 
tête  nue,  sans  se  baisser  :  preuve  nouvelle  que, 
depuis  Louis  XII,  la  taille  du  moins  n'a  pas  décru. 
Au  24,  vieilles  ferrures,  grande  porte  cintrée. 
Une  croix  indique  à  peine,  pour  les  passants, 
qu'au  fond  de  la  cour  du  26  est  l'église  Saint- 
Antoine,  ancienne  comme  chapelle,  contiguë  en 
effet  h  l'hospice  des  Quinze-Vingts.  Cet  ancien 
hôtel  des  mousquetaires  noirs,  édihé  en  l'année 
4701,  fut  vendu  4oO,000  livres  aux  Quinze-Vingts 
et  passa  de  caserne  hôpital  en  1780. 

En  face  des  Mousquetaires  il  n'y  avait  encore 
que  des  chantiers  en  1739.  Maintenant  plusieurs 
passages  communiquent,  sur  celte  rive,  avec  le 
faubourg  Saint-Antoine,  notamment  la  cour  de 
Bourgogne,  véritable  cité  ouvrière,  avec  bâtiments 
uniformes,  à  l'intérieur  desquels  chaque  pièce 
forme  aisément  logement  à  part,  et  le  tout  semble 
avoir  fait  partie  ou  d'un  couvent  ou  d'un  hospice  : 
les  petits  carreaux  des  fenêtres  et  la  margelle  d'un 
puits  supprimé  attestent,  dans  tous  les  cas,  une 
origine  séculaire.  Que  risque-t-on  d'y  voir  une  des 
dépendances  de  l'ancien  hospice  des  Enfants- 
Trouvés,  remplacé  de  nos  jours  par  l'hôpital 
Sainte-Eugénie  ?  La  première  pierre  de  ces  Enfants- 
Trouvés  fut  posée  en  1669  par  la  reine  Marie- 
Thérèse  j  mais  l'établissement  d'une  succursale  place 
du  Parvis-Notre-Dame  prouvait,  dès  l'année  sui- 
vante, l'insuffissance  de  cet  hôpital,  qui  vraisembla- 
blement fut  agrandi.  Toutefois  ce  n°  59  n'a-t-il  pas 


568  RUE    DE    CHARENTON. 

fait  corps  avec  une  maison  fondée  dans  la  rue 
du  Faubourg-Saint-Antoine  en  1646,  sous  le  titre 
de  la  Providence,  par  le  prêtre  Antoine  fearberé, 
mais  qui  ne  durait  déjà  plus  au  milieu  du  siècle 
suivant  ?  En  tout  cas,  les  Enfants-Trouvés  donnaient 
par-derrière  sur  la  rue  de  Charenton  en  1720. 
A  la  rive  gauche  de  la  rue  s'appliquait  alors 
ce  relevé  : 

Ua  tapissier,  propriétaire  à  l'angle  de  la  rue  du 
Faubourg-Saint- Antoine.  —  De  Beaufort,  maitre-des- 
comptes,  avec  entrée  rue  du  Faubourg.  —  Pacqué, 
bourgeois,  item.  —  Leclère,  charron,  item.  —  De  Grand- 
champ,  avec  un  brasseur  pour  locataire.  —  Les  D"»s  Bou- 
rassée.  — Un  marchand-de-vin.  —  Un  charpentier.  —  Un 
brasseur.  —  L'hôpital  des  Enfants-Trouvés.  —  M""  Chau- 
moDt,  propriété  quadruple,  avec  entrée  par  la  rue  du 
Faubourg.  —  M"*  d'Epinay,  son  habitation,  en  face  de 
laquelle    commence   le  clos   Rambouillet.   —  Un  boulanger. 

—  La  veuve  Petitfils.  —  Un  plombier.  —  Un  mercier. — 
Baslin.  —  Josse.  —  Oudinguez.  —  Un  boulanger.  —  La 
veuTe  Parisette.  —  Un  maître-mâçon.  —    Un    boulanger. 

—  Un  vigneron.  —  Une  jardinière.  —  De  Lavalette,  chef 
de  cuisine  du  duc  de  Roh&n,  261  toises.  —  Badin, 
géomètre.  —  Un  menuisier.  —  Un  jardinier.  —  Un 
carrier.  —  Un  boulanger.  —  Un  jardinier.  —  Un  gagne- 
denier.  —  Un   vitrier. 

Si  ce  tableau  était  complet,  l'abbaye  royale  de 
Saint-Antoine  y  profilerait  au  moins  des  arbres,  à 
un  plan  même  qui  ne  serais  pas  le  dernier  :  son 
jardin  verdoyait  à  partir  de  notre  ïï°  103.  D'ailleurs, 
Richer  de  Rhodes  était  propriétaire  en  171S  au 
bout  de  la  rue  de  Charenton,  même  côté. 

Sur  l'autre  rive,  au  confluent  de  la  rue  Moreau, 
nous  abordons  à  ce  qui  reste  d'un  couvent  de 
Bethléem,  qu'occupaient  des  filles  anglaises.  Ces 
religieuses  de  la  Conception  s'étaient  réfugiées 
derrière  la  Bastille  dès  1635,  dit  l'abbé  Lebeuf  ; 


RUE   DE    CHARENTON.  S^.O 

trente  ans  plus  tard,  selon  d'autres  historiens,  et 
nous  concluons  de  celte  contradiction  qu'elles  ont 
eu  par-là  un  établissement  provisoire,  avant  de 
s'y  installer  d'une  façon  définitive.  De  leur  chapelle, 
sur  la  rue  Moreau,  la  première  pierre  ne  fut  posée 
que  le  2  juin  1672,  par  la  chancelière  Le  Teliier, 
et  elles  avaient  acqui.^  deux  ans  plus  tôt  une  maison 
avec  jardin  h  l'encoignure  de  ladite  rue,  après  un 
court  séjour  dans  le  faubourg  Saint-Jacques,  le 
tout  sous  la  conduite  de  M""'  Jernigan,  abbesse. 
Leur  ci-devant  propriété  fut  criée  en  trois  lots 
aux  enchères  des  7  et  17  vendémiaire  an  vm. 

Au  80,  qui  vient  après  d'autres  masures,  ses 
contemporaines,  nous  remarquons  encore  une 
porte  bâtarde,  à  cintre  bas,  qu'a  rappetissée  sans 
doute  Texhaussement  du  sol  après  coup  :  l'ancienne 
édililé  de  Paris  était  pourtant  avare  de  ces 
surprises.  N"  90  et  92  :  façades  du  temps  de 
Louis  XVI,  qui  semblent  avoir  toujours  été  celles 
de  deux  grandes  fabriques,  La  pi-incipale  de  la 
rue,  en  l'année  1769,  était  une  manufacture  de 
tabatières  de  carton  verni.  Mais  au-delà  c'est  encore 
la  culture  qui  domine,  à  droite  comme  à  gauche  ; 
les  ustensiles  de  ménage  d'occasion  y  sont  l'article 
de  commerce  le  plus  en  évidence,  et  les  chantiers 
en  moins  grand  nombre  que  ces  étalages   de  rebut. 

Le  chemin  de  fer  de  Vincennes  monte  à  cheval 
sur  la  rue  près  du  n"  202,  où  des  plantes  potagères 
sont  cultivées  dans  l'ancienne  Folie-Rambouillet. 
Celle-ci,  autrement  dite  jardindeReuilly  ethôtel  des 
Quatre-Pavillons,  fut  créée  sous  Louis  XIV  par  le 
financier  Rambouillet,  qui  n'appartenait  nullement 
à  la  famille  d'Angennes  de  Rambouillet,  mais  qui 
eut  pour  neveu  notre  maître  Tallemanl  des  Réaux. 
Son  fils,  Rambouillet  de  la  Sablière,  administrateur 
des  domaines  du  roi,  tournait  galamment  le  madrigal 
et  avait  une  femme  savante,  mais  d'esprit,  qui 
s'est    immortalisée    par    la    protection    qu'elle    a 

30 


57«  RUE   DE    CHARENTON. 

accordée  ti  Lafontaine  et  au  voyageur  Bernier. 
Le  jardin  a  été  célèbre  avant  M""' de  la  Sablière  ; 
d'heureuses  dispositions,  des  IVuits  d'élite,  des 
fleurs  à  prolusion  en  ont  fait  tout  de  suite  une 
des  curiosités  de  Paris  :  les  dames  de  la  place 
Royale,  sous  prétexte  de  le  visiter,  y  acceptaient 
des  rendez-vous,  et  l'amour  y  jouait  aux  quatre 
coins.  Le  clos  était  carré,  avec  un  pavillon  à 
chaque  angle  et  une  maison  au  milieu.  Sur  un 
grand  nombre  d'allées,  il  y  en  avait  que  bordaient 
des  palissades  et  d'autres  que  des  arbres  ombra- 
geaient ;  la  plus  longue  menait  à  une  terrasse  en 
vue  de  la  Seine.  Les  grands  seigneurs  et  le  roi 
lui-même  faisaient  demander  au  jardinier  de  ses 
fruits.  Verge)'  et  cour  d'amour,  la  Folie-Rambouillet 
a,  qui  plus  est,  des  états  de  service  diplomatiques  : 
les  ambassadeurs  des  puissances  étrangères  non 
catholiques,  celui  du  roi  de  Siam  comme  celui 
du  souverain  des  Trois-Royaumes,  s'y  rendaient 
et  y  stationnaient,  en  attendant  les  carrosses  de 
la  cour,  pour  (aire  leur  entrée  solennelle.  Delaunay, 
gouverneur  de  la  Bastille,  n'eut  qu'indirectement 
les  restes  de  ces  ambassadeurs  et  de  M.  de 
Masangy  ou  de  Martangis  :  le  clos  était  déjà 
réduit  et  l'agréable  sacrifié  à  l'utile  par  la  transfor- 
mation de  bocages  et  de  parterres  en  potagers. 
Il  en  survit  encore  la  porte  principale,  avec  son 
petit  guichet  grillé,  et  le  logement  du  jardinier, 
avec  deux  croisées  bien  ferrées. 

En  l'année  1720  étaient  propriétaires: 

Ledit  Masangy  ou  Marlangis,  au  clos  de  Rambouillet, 
affermé  à  divers  maraîchers  :  24  arpens,  935  toises  de 
superficie,  comporlaut  1  maison,  4  pavillons,  4  serres  et 
4  logis  de  jardiniers.  —  Le  môme,  pour  1820  toises  de 
Ja  même  provenance  et  situées  immédiatement  au- 
aessus,  avec  2  autres  corps-de-iogis.  —  Grassin,  directeur 
dâ   la   Monnaie  de   Paris,  marais  à  Ja    suite  aboutissant 


RUE    DE   CHAUENTOX.  571 

rue  de  Bercy,  avec  des  jardiniers  pour  locataires.  — 
Renauld,  caissier  du  Trésor  royal,  maisoii  et  jardin  : 
2812  toises.  —  Vaiitenzie,  item  :  c)077  toises.  —  Un  jar- 
dinier. —  Un  autre  jardinier.  —  Langelée,  avocat  : 
propriété  qu'il  occupe.  —  La  veuve  Gouruiau.  —  La- 
guerre.  —  Un  jardinier.  —  Un  vacher.  —  Un  jardinier. 
—  Enfin    un   cabaretier. 

Que  si  riiôtel  où  faisaient  auticliambi'e  les 
ambassadeurs  protestants  avait  cLé  choisi  par  le 
roi  le  jour  même  où  il  révoquait  l'édit  de  Nantes, 
on  eût  pu  croire  h.  son  intention  de  réveiller  pour 
eux  un  souvenir  comminatoire.  L'ancienne  vallée 
de  Fécjimp,  dont  sortait  le  clos  de  Rambouillet, 
avait  été  notoirement  le  théâtre  d'un  massacre  de 
rélbrmés,  revenant  tant  à  pied  qu'en  carrosses  de 
leur  prêche  de  Charenlon,  le  26  septembi^e  1621. 
Il  est  vrai  que  cette  criminelle  exécution  avait  eu 
pour  mobile  le  vol  et  pour  auteui^s  une  bande 
de  brigands,  échappés  de  la  lorèt  de  Bondy,  qui 
savaient  enrichis  par  le  commerce  la  plupart  des 
religionnaires  du  temple  de  Cliarenton. 

Mais  nous  \oici  à  la  barrière  devant  laquelle 
l'omnibus  dépose  ses  derniers  voyageui^s.  Notre 
ambassadeur  protestant  dit  que  l'aspect  en  est  triste 
et  trouve  étrange  que  tant  de  gens  viennent 
s'y  amuser,  le  lundi,  en  noyant  dans  le  vin  leur 
raison  sur  une  route  qui  mène  h.  Gharenton  ! 
Cette  porte  de  Paris  n'avait  pourtant  pas  tort  de  se 
mettre  en  fête  un  jour  du  mois  de  juillet  de  l'année 
1800  :  par-là  rentrait  le  premier- consul  en  ville, 
peu  de  temps  après  la  victoire  de  Marengo,  et 
les  acclamations  de  la  foule  ouvraient  la  marche  ! 
La  barrière  de  Gharehton  en  a  gardé  le  nom  de 
Marengo  jusqu'en  1815. 


Rue  Cliarlciiiiiffiic    et     l'iic     Eg;inliai*<l, 


]^euvc*-Naini-Anas<asc.  (i) 


Le  pourtour  d'une  ancienne  poterne. 

Vers  la  fin  du  grand  règne,  un  président,  sieur 
de  ChàleaLgiron,  recevait  les  visites,  les  paniers 
d'œufs  et  les  chapons  lins  des  plaideurs,  dans 
l'hôtel  respectable  qui  porte  le  n"  18;  la  cour 
en  est  fermée  sur  la  rue  par  un  mur,  que  surmonte 
un  balcon  à  jolie  balustrade  en  fer.  C'était  souvent 
le  jour  de  l'an  pour  les  juges  de  cette  époque- 
là,  sans  que  les  étrennes  engageassent  leur  con- 
science, l'usage  autorisant  la  robe  à  faire  bon 
accueil  aux  bourriches,  que  depuis  on  a  remplacées 
par  de  simples  cartes  de  visite.  Gomme  président, 
31.  de  Châleaugiron  recevait  toute  Tannée;  mais 
comme  seigneur,  c'était  le  premier  mai,  jour 
pour  lequel  il  se  rendait  dans  sa  tei-re,  située 
près  de  Rennes.  Une  singulière  coutume  voulait 
que  chacun  de  ses  vilains  lui  apportât  après  la 
messe,  sur  lepont-levisdu  château,  et  en  présence 
du  bailli,  sous  peine  de  perdre  la  jouiosance  de 
ses  fruits  pendant  l'année,  une  ceinture  de  laine 
bigarrée,  dite  la    ceinture    du    berger,    et    qu'il 


(1)  Notice  écrite  en  18r)8,  avant  nue  la  ruelle  Neuve- 
Saiut-Anastase  reçut  le  nom  de  Inistorien  Eginhard, 
stcrétaire   de   Charlemdgne. 


RUE    CHARLEMAGNE,    ETC.  573 

chantât  en   même  temps  une    chanson  qui  com- 
mençait ainsi  : 

Belle  bergère,   Dieu  vous   gard, 
Tant   vous   êtes   belle  et  jolie  ; 
Le  fils  du  Roi,  Dieu  vous  sauve   et  gard, 
Vous  et   la  votre    compagnie  ; 
Entrez,  je   suis   en   fantaisie... 

Les  procureurs  qui  habitaient  le  25  et  le  20  de 
la  même  rue  regardaient  comme  très-supertlu  ce 
nombre  immense  de  ceintures,  et  ils  se  conten- 
taient de  remplir  la  leur  sans  musique.  Gilles 
Charpentier,  trésorier-général  de  l'ordre  de  Saint- 
Louis,  léguait  vers  le  même  temps  à  Jean  Char- 
pentier, conseiller  du  roi,  le  n°  21,  où  il  reste 
un  bel  escalier  à  rampe  de  fer;  M.  Charpentier 
de  Sainsot,  qui  s'en  défit  en  1823,  avait  eu  pour 
prédécesseur  Charpentier  de  Foissel.  Du  même 
côté  se  présentait  à  l'envers,  pendant  les  derniers 
siècles,  le  couvent  de  VAve-Maria,  maintenant 
caserne. 

Dans  le  passage  Charlemagne,  qui  met  la  rue  Saint- 
Antoine  en  com.munication  avec  la  nôtre,  on  vous 
parlera  de  la  reine  Blanche,  bien  que  la  jolie 
tour,  cage  d'escalier  h  vis,  et  les  sculptures  qui 
s'y  remarquent  soient  d'un  siècle  postérieur  au 
X'iIP.  Les  reines  avaient  alors  tant  de  logis  qu'elles 
voyageaient  par  étapes  dans  Paris  et  aux  environs, 
en  se  trouvant  partout  chez  elles.  La  rue  de  la 
Fausse-Poterne-Saint-Paul,  aïeule  de  celle  Char- 
lemagne, a  pu  recevoir  la  mère  de  Louis  IX, 
près  de  la  fausse  porte  de  l'enceinte  de  Philippe- 
Auguste  qui  se  trouvait  derrière  le  lycée  Charlemagne 
actuel  ;  mais  il  n'y  a  de  certitude  que  pour  une 
résidence  princière.  Ce  lycée,  l'un  des  quatre  créés 
par  la  loi  du  l'^'  mai  1802,  n'a  donné  que  trente- 
huit  ans  après  son  nom  à  la  rue  et  au  passage. 
Celui-ci    n'avait   jamais    dépendu    de     l'ancienne 


57*       RUE  CHARLEMAGNE.  ETC. 

maison  professe  affectée  au  lycée  et  s'était  ouvert 
avant  la  révolution  de  Juillet.  Les  jésuites  s'étaient 
établis  sous  Henri  III  rue  Saint-Ànloine,  dans  un 
hôtel  Rochepot  et  Damvillc,  que  le  cardinal  de 
Bourbon  avait  acheté  pour  eux  de  la  duchesse 
de  Montmorency.  Or  Damville  avait  eu  pour  frère 
l'amiral  de  Coligni,  dont  les  états  de  service 
pouvaient  avoir  inspiré  le  choix  des  attributs  de 
marine  qui  figurent  parmi  les  sculptures  extérieures 
de  ce  reste  d'hôtel  historique.  Mais  l'église  Saint- 
Paul-Saint-Louis,  bâtie  par  les  jésuites,  qui  se  sont, 
agrandis  en  l'année  1618  par  des  acquisitions  nouvel- 
les, tient  la  place  de  l'hôtel  Rochepot.  La  tourelle 
survit  h  ce  qui  a  été  reconstruit  de  l'ancien  hôtel 
Aubriot    pour  l'amiral   de  Graville  sous  Louis  XII. 

Charles  V  en  avait  fait  les  frais  pour  Hugues, 
Aubriot,  prévôt  de  Paris,  dont  le  prédécesseur 
avait  été  Jacques  de  Paci,  en  sa  maison  des 
Marmouzets.  La  confiscation  avait  mis  le  roi  en 
pi)ssession  de  l'hôtel  du  prévôt  disgracié,  et 
Charles  VI  l'avait  vendu  ii  Pierre  de  Giac,  chan- 
celier de  France,  dont  Louis  duc  d'Orléans  avait 
été  le  preneur.  L'image  du  Porc-Épic,  arborée 
alors  sur  la  porte,  était  l'emblème  d'un  ordre 
institué  par  ce  prince,  qui  avait  donné  ledit  manoir 
à  Jean  duc  de  Berri,  en  échange  des  Tournelles, 
et  Jean  de  Berri  en  avait  gratifié  Jean  Montaigu, 
surintendant  des  finances,  saisi  et  décapité  en  1409 
pour  crimes  de  sortilège  et  de  malversation,  mais 
réhabilité  dans  sa  mémoire  au  bout  de  trois  années. 
Guillaume  de  Bavière,  comte  de  Hainaut,  partisan 
du  duc  de  Bourgogne,  tout  en  n'étant  qu'usufruitier 
h  vie  de  l'ancien  hôtel  Aubriot,  y  avait  précédé, 
au  XV*'  siècle,  son  gendre  Jean  de  Bourgogne, 
duc  de  Brabant,  et  le  connétable  Arthur  de 
Richement,  dont  la  femme,  Marguerite  de  Bourgogne, 
y  était  passée  d'une  vie  dans  l'autre.  Ensuite 
Robert  d'Estouteville    avait  refait  du  logis    celui 


RUE    CHARLEMAGNE,    ETC.  575 

du  prévôt  de  Paris,  en  en  remplissant  les  fonctions, 
et  pareillement  son  fils  Jacques  après  lui.  Louis 
Malet,  dit  l'amiral  de  Graville,  renouait  lui-même 
le  fd  d'une  autre  tradition  :  il  était  arrière-petit-fils  de 
Jean  Monlaigu.  Son  gendre,  Pierre  de  Balzac,  baron 
d'Entraigues,  vendit  h  Guillaume  Legentilhomme. 
Puis  il  y  eut  division.  Mauran,  conseiller  du  roi, 
n'était  propriétaire  en  1608  que  de  la  moitié  ; 
le  reste  appartenait  dans  le  cours  du  même 
siècle  et  du  suivant  -d  la  f^imille  parlementaire  de 
Jassaud,  qui  eut  aussi  le  n°  9  de  la  rue. 

Cette  autre  propriété,  si  elle  ne  comptait  encore 
que  pour  une  dans  les  12  reconnues  en  1714  à 
ladite  rue,  n'en  a  pas  moins  fait  trois,  réunies  en 
1784  par  Pierre  de  Jassaud,  seigneur  de  Bour- 
nonville,  ancien  officier  du  roi.  Une  origine  plus 
reculée  y  est  parfaitement  attestée  par  une  tour, 
encore  en  faction  du  côté  de  la  caserne,  et  par 
un  escalier,  pourvu  jusqu'au  premier  d'une  élégante 
rampe  de  fer,  à  laquelle  font  suite  des  balustrçs 
de  bois.  Jassaud  de  Bournonville  en  tenait  une 
portion  de  M"''  de  Benoimont,  dont  la  famille 
Taillandier  avait  eu  le  père  pour  acquéreur,  et 
un  autre  corps-de-bàtiment  lui  venait  de  Jean 
Pantaléon,  vicomte  de  Butller,  capitaine  au  royal- 
dragons.  Plusieurs  grands-oncles  de  Buttler,  qui 
descendaient  de  Robert,  duc  de  Normandie,  avaient 
été  généralissimes  des  armées  de  la  Grande- 
Bretagne  ;  la  reine  Elisabeth  avait  eu  un  enfant 
d'un  membre  de  ladite  famille,  son  cousin  au 
cinquième  degré,  et  ce  fils  avait  suivi  Jacques  II 
en  France.  M"''  de  Jassaud,  dont  la  mère  était 
née  Boischantel,  avait  en  se  mariant  200,000  livres, 
dont  l'apport  était  constitué  en  totalité  ou  en 
partie  par  celle  maison,  dans  la  censive  et  mou- 
vance de  l'Arcbevêché,  et  par  celle  dont  nous 
parlions  tout-à-riieure. 

Le  9  et  le  7  ne  sont  même  pas  les   seuls  qui 


ô7«  RUE     CHARLEMAGNE,  ETC. 

se  donnent  pour  d'anciennes  dépendances  du  pré- 
tendu séjour  de  la  reine  Blanche.  Mais  des  prêtres 
de  l'église  Saint-Paul,  démolie  sous  la  République, 
ont  tellement  habité  la  rue  qu'on  l'en  a  dite 
longtemps  des  Prêtres-Saint-Paul.  Les  deux  pre- 
mières maisons  qu'ils  y  trouvaient  h  droite  en 
venant  de  la  rue  Saint-Paul  appartenaient  à  la 
iabrique  de  leur  église  ;  les  trois  d'en  face,  aux 
hospitalières  de  Saint-Gervais. 

Le  fanatique  athée  Naigeon  a  pourtant  demeuré 
daiis  la  petite  rue  Neuve-Saint-Ânastase,  originaire- 
ment ruelle  Saint-Paul,  qui  donne  dans  l'ancienne 
rue  des  Prêtres  :   ce  disciple  de  Diderot,   auteur 

d'un     Dictionnaire     de    Philosophie,    a     édité     des 

opuscules  du  baron  d'Holbach.  Du  côté  droit  de  la 
ruelle  formant  équerre,  les  susdites  religieuses 
étaient  propriétaires  de  ce  qui  donnait  aussi  rue 
Saint-Antoine. 


Rue   Chariot,  (i) 


Chariot.   —  Michel  Sigeon.  —  Les  Cambis    et    les 
S  ourdis.    —    Les    Gruyn.  —   Les    Capucins.  — 

M.   de  Brévannes. Nestor  Roqiieplan.  —  Le 

Coadiuteur.  —  M.  de  Charnacé.  —  M.  De- 
helleyme.  —  M .  de  Turménies.  —  Autres  Nobles  et 
autres  Vilains.  —  Les  PoUgnac  et  les  Coli'crt.  — 
Les  Berlin.  —  Les  Pâtés  d  Anguilles.  —  Sébastien 
Cramoisi/.  —  Van  Robais.  —  Bayard.  —  V Ocu- 
liste. —  al/"""  de  Lamotte.  —  M.  de  Mascarani.  — 
Noces,  Festins,   Parties   fines. 

Delà  rue  Chariot,  qu'on  a  dile  aussi  d'Angoumois, 
font  partie  depuis  1851  celles  deBerri  ei  d'Orléans, 
qui  s'étaient  ouvertes  comme  elle  en  l'année  1626. 
La  Tynna  dit,  en  son  Dictionnaire  des  Rues  de 
Paris,  que  des  maisons  bâties  pour  Claude  Chariot, 
paysan  languedocien  qui  était  devenu  un  riche 
tinancier,  l'impatronisèrent  dans  sa  rue.  Ce  trai- 
tant, adjudicataire  des  gabelles  et  des  cinq  grosses 
lermes,  acheta  en  Guyenne  la  terre  de  Fronsac, 
titre  d'un  duché  créé  par  Henri  IV  pour  le  comte 
de  Saint-Paul,  de  la  maison  d'Orléans-Longueville, 
et  qui  passa  plus  tard  dans  celle  de  Richelieu. 
Nous  retrouvons,  d'ailleurs,  au  financier  du  Marais 
deux  parents  :  Joseph  Chariot,  seigneur  de  Prinzé, 
conseiller  au  Chàlelet,  échevin  de  la  ville  de  1635  à 
1637,  sous  la  prévôté  de  Michel  Maureau,  et  Pierre 
Chariot,  échevin  trente-quatre  années  plus  tard. 
H  est  assez  probable  que  le  paysan  parvenu  a 
spéculé  sur  le  terrain    de    beaucoup    des    hôtels 


(1)  Notice   écrite   eu    1858. 


578  RUE    CHARLOT. 

dont  nous  allons  parler;  mais  il  aurait  eu  pour 
associe  Michel  Sigeon,  h  qui  le  grand-prieur  de 
France  avait  accensé  un  quartier  de  la  culture 
du  Temple:  aucun  Chariot  ne  ligure  que  nous 
sachions  dans  les  actes  relatifs  h  cette  opération 
considérable,  qui  remonte  à  l'année  1608. 

Le  n"  3  appartenait,  dès  la  fin  du  règne  de 
Louis  XV,  l\  un  fabricant  d'étoffes,  et  un  avocat, 
M.  Hutin,  en  disposait  avant  89  ;  toutefois  cette 
propriété,  dite  Verheyea,  avait  dépendu  d'un  multiple 
hôtel  Montmorency,  gigantesque  corps  démembré 
au  xvi'^  Siècle  et  clont  celte  côte  avait  été  tirée 
pour  former  l'hôtel  de  Sourdis.  L'impasse  de 
Sourdis,  ancienne  ruelle  qui  a  relié,  en  décrivant 
un  angle  droit,  la  rue  d'Anjou  ii  celle  d'Orléans, 
sépare  encore  le  3  du  5,  autre  survivance  du  séjour 
des  Sourdis,  dont  le  crédit  n'avait  été  que  rafraîchi 
par  Gabrielle  d'Estrées,  nièce  d'une  marquise  de 
Sourdis,  qui  était  née  Babou  de  la  Bourdaisière. 
René  d'Escoubleau  de  Sourdis,  capitaine  de  50 
hommes  d'armes,  s'était  jeté  dans  la  ville  de  Melun, 
que  sa  bravoure  avait  gardée  à  Henri  III,  qui  lui 
en  avait  su  gré;  il  avait  épousé  Anne  de  Rostaing, 
et  de  ce  lit  étaient  sortis  les  grands  propriétaires 
dont  nous  parlons.  La  même  famille  a  donné  deux 
évêques  de  Bordeaux,  dont  l'un  portait  la  pourpre. 

M.  Gruyn,  qui  se  rendit  possesseur  du  second 
des  deux  hôtels  Sourdis,  était  sans  doute  Charles 
Gruyn,  sieur  des  Bordes,  fils  d'un  cabaretier  enrichi 
h  la  Pomme  de-Pin.  Or  il  se  débitait  précisément 
du  vin  à  cette  enseigne  dans  la  rue  d'Orléans  en 
1691.  Le  marquis  Viîleron  de  Cambis,  lieutenant- 
général  et  ambassadeur  on  Angleterre,  épousa 
quand  même  M"*"  Nicole  <iruyn,  fille  d'un  garde 
du  Trésor  royal,  et  elle  eut  pour  second  mari  La 
Vieuville,  marquis  du  Saint-Chamans.  Un  fils  du 
premier  lit  fut  au  moins  maréchal-de-camp  et 
vendit  en  1766  à  Julie  Perbais,  épouse  non  commune 


RUE    CHAR  LOT.  579 

en  biens  de  Langlois,  ancien  intendant  des  finances, 
non-seulement  cette  propriété,  mais  encore  le  n"  8, 
petit  iiôtel  Cambis,  sur  la  ligne  duquel  la  première 
maison  de  la  rue  appartenait  à  Legrand,  fabricant 
d'étoffes  de  soie  rehaussées  d'or  et  d'argent.  Les 
Cambis,  tout  en  servant  dans  les  armées,  avaient 
une  bibliothèque  et  cultivaient  les  lettres:  la 
baronne  d'Aigremont,  née  Cambis,  leur  en  avait 
donné  l'exemple  au  xvi'^  siècle.. 

La  rue  n'était  encore  qu'en  projet  quand  les 
capucins  du  Marais  s'y  établirent,  sous  Louis  XIII, 
k  la  place  d'un  jeu-de-paume,  et  l'église  Saint- 
François,  qui  était  la  leur,  nous  dit  où.  L'établisse- 
ment avait  pour  fondateurs,  avec  le  capucin 
Athanase  Mole,  qui  était  frère  de  Mathieu  Mole, 
procureur-général,  puis  premier-président,  puis 
garde-des-sceaux,  le  duc  d'Elbeuf  et  Regnault, 
quartinier  de  la  ville.  Mais  le  jeu-de-paume  ne 
leur  suffisant  pas,  les  pères  h  deux  reprises 
.rachetèrent  du  terrain  ii  côté;  les  trois  propriétaires 
qu'ils  remplaçaient  étaient  Clozier  de  Juvigny, 
gentilhomme  de  la  chambre,  le  marquis  de 
Bournonville  et  le  sieur  Matice.  On  les  reconnais- 
sait de  loin  à  leur  longue  barbe,  au  capuchon 
pointu  de  leur  manteau.  Sous  Louis  XVI,  leur 
père  temporel  était  Mahiou,  conseiller  du  roi  ; 
leur  sacristain,  Louis  de  Bapaume,  et  le  gardien 
du  couvent  avait  nom  Emmanuel  de  Douay  :  ces 
trois  représentants  renouvelaient,  sans  se  douter 
que  cela  se  fît  pour  la  dernière  fois,  la  recon- 
naissance du  droit  de  cens  h  la  Commanderie  du 
Temple. 

En  vertu  d'un  arrêt  de  la  cour  des  Aides,  ren- 
du en  l'an  1634  contre  Nicolas  de  Villantrois, 
Claude  Corneille,  secrétaire  d'État,  entrait  en 
possession  du  7,  dont  la  paroisse  était  Saint- 
Jean-en-Grève,  et  qui  passait  plus  tard  de  Pariot, 
procureur-général  au  parlement  de  Rouen,  à  Le 


580  RUE  CHARLOT. 

Pileur  de  Brévannes,  conseiller  au  parlement  de 
Paris.  Après  l'hôtel  Brévannes  venait  l'ancien  hôtel 
de  Retz,  où  Nestor  Roqueplan,  dont  les  yeux 
s'y  sont  ouverts  à  la  lumière,  croit  avoir  eu  pour 
prédécesseurs  le  célèbre  chef  départi  et  d'autres 
Gondi  de  Retz.  Le  fait  est  qu'au  moment  où  le 
rétablissement  de  l'ordre,  après  les  troubles  de  la 
Fronde,  n'empêchait  pas  le  cardinal  de  Retz  d'être 
arrêté,  l'hôtel  s'appelait  comme  lui,  et  que  la 
résidence  de  Pierre  de  Gondi,  duc  de  Retz,  et  de 
Beaupréau,  pair-de-France,  n'y  fait  pas  doute. 
François-Emmanuel  de  Bonne  de  Créqui,  duc  de 
Lesdiguières  et  de  Relz,  le  laissait  en  l'année  1678 
à  Lecamus  de  Bligny,  premier-président,  auquel 
succéda  le  marquis  de  Bligny,  maréchal-de-camp, 
dont  le  fils,  capitaine  aux  gardes,  vendit  en  1750 
à  Brion,  marquis  de  3Iarolles.  Après  le  fils  de  ce 
dernier  vint  la  famille  de  Gharnacé,  le  règne  de 
Louis  XVI  finissant.  Dès-lors  était  fermée  la 
ruelle  du  Maine,  sur  laquelle  cette  maison  et  les 
suivantes  avaient  une  seconde  issue,  et  qui  donnait 
sur  la  ruelle  de  Sourdis. 

En  la  rue  manufacturière  dont  le  passé  nous 
préoccupe,  les  magistrats  ne  manquaient  pas,  avant 
la  Révolution  ;  dans  leurs  robes  ont  été  taillées 
des  tabliers  en  plus  grand  nombre.  Toutefois  elle 
a  conservé  pour  habitant  jusqu'en  1848  le  président 
du  tribunal  civil  de  la  Seine,  M.  Debelleyme. 
Pas  une  porte  qui  ne  fût  ouverte,  entre  la  voie 
publique  et  le  cabinet  du  magistral,  pour  si  peu 
qu'il  eût  à  donner  une  signature  !  Des  vraies 
audiences  se  tenaient  donc  au  10,  succursale  de 
la  1''=  Ghambre.  Gette  maison  de  verre  n'en  fut 
pas  moins  investie  un  jour  de  guerre  civile,  en 
juin  1848  ;  des  plaideurs,  qui  gardaient  rancune 
d'une  ordonnance  de  référé,  introduisaient  l'instance 
de  l'émeute  chez  le  président,  qui  se  trouvait  alors 
au  Palais,  et  cette  circonstance  fut  un  rappel  au 


RUE    CHARLOT.  581 

devoir  :  les  plus  menaçants  vauriens  reculaient 
devant  le  viol  du  domicile  d'un  absent  qu'ils 
auraient  été  certainement  les  premiers  h  aborder 
sans  le  saluer.  L'hôtel,  du  reste,  a  vu  passer 
plus  d'une  révolution,  et  la  sérénité  plus  que 
séculaire  de  ses  êtres  paraît  n'en  avoir  pas  souffert. 
Son  jardin,  sa  cour  vaste,  ses  salons  décorés  de 
peintures  et  dorés  étaientau  service  de  M.  Leleu, 
l'un  des  conseillers  du  roi  Louis  XV  et  son  avocat 
au  bureau  des  linances.  M.  de  Turménies,  garde 
du  Trésor  royal,  plein  d'esprit  et  d'usage  du 
monde,  avait  eu  la  maison  auparavant. 

Presque  en  face,  que  trouvons-nous?  Une  propriété 
que  Thouin,  jardinier  en  chef  du  jardin  du  roi, 
tenait  des  tilles  de  Moncheny,  qui  l'avait  établie 
h  la  Un  du  xvn*"  siècle.  Au  même  temps  remonte 
l'occupation  de  l'hôtel  contigu  à  la  maison  Debel- 
leyme  par  i\iesliand,  conseiller  au  parlement,  pré- 
décesseur ou  successeur  de  Bruno,  comte  d'Agay, 
intendant  de  justice,  police  et  tinances  d'Amiens; 
Claude  Lecomte,  trésorier  de  France,  en  avait  joui 
antéiieurement,  et  Guillaume  Brossier,  trésorier- 
général  de  l'Extraordinaire  des  guerres,  pas  plus 
lard  qu'en  l'année  1646.  Quoi  de  la  maison  suivante, 
qui  fait  le  coin  de  la  rue  de  Poitou?  Jamais 
sa  porte  n'a  été  carrossable;  maiô  une  jolie 
rampe  de  fer  battu  se  retrouve  dans  son  escalier, 
et  Boula  de  Monlgodefroy,  contemporain  de  M. 
d'Agay,  en  descendait,  lorsqu'il  allait  siéger  en 
parlement. 

La  porte  cintrée  du  24  replie  ses  deux  battants 
sur  un  ancien  hôtel,  occupé  par  le  maréchal 
marquis  de  Périgûon  en  1815,  par  l'avocat  Manuby 
du  temps  de  M.  Boula,  et  bâti  pour  Robert 
Godefroy,  receveur-général  des  finances  de  Picardie 
dès  l'année  1610  ou  1615.  Car  un  certain  nombre 
de  maisons  s'élevaient  aussi  dans  cette  portion  de 
la  rue  Chariot  avant  môme  qu'elle  portât  légale- 


58-2  RUE    CHARLOT. 

ment  sa  dénomination  de  rue  de  Berri.  L'une  de 
celles  qui  s'alignaient  plus  haut  avec  la  maison 
Godefroy  avait  été  au  comte  de  Villars  et  bâtie 
par  un  sieur  Rousseau,  cessionnaire  de  Michel 
Sigeon. 

Ne  remarquez-vous  pas,  un  peu  plus  loin  sur 
la  même  ligne,  un  hôtel  dont  la  porte  cintrée, 
répondant  au  chiffre  28,  est  du  temps  de  la  Fronde, 
et  à  l'ombre  duquel  un  petit  jardin  se  dissimule? 
Dans  la  seconde  moitié  du  siècle  xvn,  Robinot 
de  Bérancourt  disposait  de  cette  propriété,  qui  était, 
soixante  ans  plus  tard,  au  président  De  la  Garde, 
père  de  la  marquise  de  Polignac.  Aussi  bien  le 
poëte  saint  Sidoine  Apollinaire  parle  déjà,  au 
Y"  siècle,  du  château  seigneurial  des  Polignac  dans 
le  Véhiy,  comme  de  sa  maison  paternelle  ;  il  en 
résulte  qu'au  xvni''  Apollinaire  de  Polignac,  évêque 
de  Meaux,  premier  aumônier  de  la  reine,  honore 
dans  saint  Sidoine  un  de  ses  grands-oncles.  L'au- 
mônier de  la  reine,  le  marquis  de  Sainte-Hermine, 
gentilhomme  d'honneur  du  comte  d'Artois,  ainsi 
que  sa  femme,  née  Polignac,  et  la  marquise  de 
Balihcourt,  née  aussi  Polignac,  comme  héritiers  de 
M"''  de  la  Garde,  épouse  du  marquis  de  Polignac, 
premier  écuyer  du  comte  d'Artois,  vendent  l'iiôtel 
à  Brillon  de  Saint-Cyr,  maltre-des-comptes. 

Non  loin  de  là,  mais  sur  l'autre  côté  de  la  voie, 
ont  eu  pignon,  dans  des  proportions  plus  modestes, 
Robineau  d'Ennemont,  substitut  du  procureur- 
général,  et  De  la  Noue,  valet  de  garde-robe  de 
Louis  XVL  Un  autre  immeuble,  le  21,  qui,  sous 
le  rapport  de  l'âge,  ne  le  cède  pas  h  la  rue,  a 
servi  de  résidence  aux  Colbert,  comtes  de  Mau- 
levrier,  qui  l'avaient  reçu  d'un  oncle,  nommé 
Martin  Plufort,  lequel  avait  traité,  quatre  mois 
avant  de  mourir,  en  l'année  1672,  de  deux  maisons 
pour  les  fondre  en  une  seule  :  la  vie  de  leur  parent, 
l'illustre  ministre  de  Louis  XIV,   s'est    prolongée 


RUE    CHARLOT.  583 

cinq  ans  de  plus  que  celle  de  Martin  Plufort. 
Le  jardiii  de  celle  habilalion  a  fraternisé  par- 
derrière  avec  celui  de  riiôlel  Berlin,  qui,  tout 
en  étant  de  la  rue  d'Anjou,  comportait  sur  celle 
de  Berri  quatre  maisons  avec  une  seule  porte, 
en  1760.  Les  bureaux  s'y  tenaient  des  Parlies- 
Casuelles,  dont  Berlin  gardait  le  trésor,  et  il  avait 
le  salon  des  plus  hospitaliers.  En  amour  même 
ce  financier  ne  négligeait  pas  le  casuel,  bien  qu'il 
eût  pour  maîtresse  à  demeure  M"''  Hus,  de  la 
Comédie-Française,  dont  le  mobilier  coûtait  500,000 
livres.  Il  tenait  la  propriété  de  Berlin  de  Blagny, 
son  prédécesseur  aux  Casuelles,  qui  l'avait  achetée 
presque  toute  en  1640  de  Lefèvre,  trésorier-général 
de  la  maison  de  la  reine.  Le  même  bien  avait 
appartenu  h  une  Lefèvre,  femme  de  Philippe  de 
la  Vieuville,  grand-audiencier  de  France;àBautru, 
marquis  de  Nogent,  et  originairement  à  Jean  Colon, 
conseiller  au  parlement.  Toutefois,  sur  une  place 
de  même  provenance,  trois  bâlimenls  donnant 
en  notre  rue  se  sont  édifiés  au  commencement 
du  xvn*^  siècle  pour  François  Barbon,  payeur  de 
rentes  de  l'Hôtel-de-Ville. 

Les  ir^  31  et  33  ne  font  qu'un  dans  le  prin- 
cipe, puis  se  trouvent  divisés  en  trois  ;  au-corps- 
de-logis  principal  on  arrive  alors  par  l'avenue 
qui  sépare  l'une  de  l'autre  deux  moindres  con- 
structions par-devant,  et  Chuppin,  trésorier-général 
du  Marc-d'Or  des  ordres  du  roi,  en  jouit  per- 
sonnellement vers  1750.  L'avocat  Chaulolte  l'y  a 
précédé.  Une  porte  du  marché  des  Enfants-Rouges 
est  tout  près. 

Annonce  insérée  dans  le  Livre  commode  en 
1692  : 

•  Le  sieur  Grandjean,  raaîlre-pàtissier  de  Melun, 
connu  par  ses  excellents  pâtés  d'anguilJes,  en  fait  des 
envois   en  provinf^e.  Le  prix  est  depuis  la  livres  jusqu'à 


584  RUE    CHARLOT. 

43.  Il  faut   s'adresser  à   lui   rue  des  Oignons    à    Melun, 
ou  au  sieur  Janaineaii,  rôtisseur,  rue  de  Berri  au  Marais.  » 

Propriétaire  alors  un  peu  avant  la  rue  de 
Bretagne:  Sigot.  L'une  des  encoignures  de  ladite 
a  fait  partie  d'un  terrain  vendu  en  i610  par 
Sigeon  à  l'imprimeur  Sébastien  Gramoisy.  Depuis 
1687  la  fille  de  Lenoir,  trésorier  de  France  h 
Caen.  est  veuve  du  président  Maupeou,  qui  a 
remplacé  au  n"  50  Jean  de  l'Écluse,  trésorier  de 
l'Extraordinaire;  elle  garde  la  maison  jusqu'en 
1714.  Puis  la  veuve  de  Gomont,  conseiller  aux 
Aides,  Puisieux,  Despériers  de  Fresne.  Cazalis, 
écuyer  du  petit-commun  du  roi,  et  Rolland  de 
Juvigny  y  parlent  successivement  en  maîtres. 
Près  de  la  présidente  et  de  son  temps,  Jean- 
Frédéric  Douin  de  Vaudreuil,  vicomte  de  Linze, 
est  propriétaire,  sans  y  vivre.  Mais  la  maison 
de  qualité  qui  suit  était  double  en  1633  pour 
Jean  de  3Iontreuil;  elle  abrite  en  1780  Salomon 
Van  Robais,  qui  a  fondé  la  manufacture  royale 
de  draps  d'Abbeville. 

Saluons  encore  le  58  et  le  60,  comme  si  l'on 
avait  absolument  raison  d'y  voir  l'ancien  séjour 
du  chevalier  Bayard.  Après  cette  accolade  courtoise, 
ouvrons  la  lice  à  quelques  dates  qui  ne  donneront 
sans  doute  pas  sans  étonnement  l'une  contre  l'autre. 
N'est-ce  pas  sous  Gharles  VIII,  Louis  XII  et 
François  l"'  que  le  titre  de  chevalier  sans  peur 
el  sans  reproche  fut  glorieusement  gagné  par 
Pierre  du  Terrail,  dit  Bayard  comme  une  terre 
qu'il  possédait  en  Dauphiné?  Or  le  Terrier  de  la 
Commanderie  du  Temple  constate  que  Sigeon, 
deux  ans  avant  la  mort  de  Henri  IV,  prit  à  cens 
le  terrain  sur  lequel  s'érigea  l'immense  hôtel  dont 
nous  parlons,  régnant  d'abord  jusqu'à  la  rue  de 
Bretagne  et  qui  avait  alors  trois  portes,  trois 
corps-de-bàtiment,  aux  ordres  de  Millot,  secrétaire 


RUE    CHARLOT.  585 

de  la  chambre  du  roi,  et  de    Durey  de  Sauroy, 
trésorier  à  l'Extraordinaire  des  guerres,  qui,   par 
suite  d'arrangements  de  famille,  s'appela  du  Terrai), 
comme  sa  mère,  proche  du  chevalier  Bayard.  De 
Ik  vient  toute  la  confusion.  Les  hoirs  du  trésorier 
furent,  au  milieu  du  xyu!*^  siècle,  Marie  Dure^'  de 
Sauroy,    femme    de    Timoléon  duc  de  Cossé,  et 
Joseph  Durey  de    Sauroy,    marquis    du    Terrail, 
maréchal-de-camp  et  auteur  de  plusieurs  romans. 
Celui-ci  avait  épousé  M™**  de  Crussol  d'Uzès    de 
Montausier  ;  il  fonda  avec  elle  un  prix  annuel  à 
l'académie  de  Dijon  et  il  fit  jouer  des  pièces  de 
sa  façon  sur  le  théâtre  privé  de  son  château,  à 
Épinay.  Le  marquis  laissa  la  propriété  de  la  rue 
Chariot  à  son  neveu,  le  duc    de    Cossé-Brissac, 
gouverneur  de  Paris,   qui  eut  pour  acquéreur,  en 
1775,  le  baron  de  Wenzel,  déjk  propriétaire    de 
la  maison  qui  vient  après.  C'est  ainsi  que  l'hôtel 
Bayard,  comme  on  l'appelle  dans  le  quartier,  n'est 
qualifié  que  Sauroy    dans  les  actes.  Mais  combien 
peu   de  traces  a  conservées  cette  demeure  du  sé- 
jour de  ses  premiers  hôtes  !    M,  Durand,  ancien 
notaire,  a  depuis  marqué  son  passage  au  n°  58  en 
faisant  racler  les  dorures,  bijoux  domestiques  sur 
lesquels  on  perd  plus  encore  que  sur  les  bagues 
renvoyées  k  la  fonte.  Aux  peintures,  qui  ne  pouvaient 
s'enlever,  il  semble  que  ce  propriétaire  en  ait  voulu, 
tant  elles  sont  dénaturées  !  Aussi  que  reste-t-il?  Des 
murs,  une  pièce  à  panneaux  sculptés,  les  boiseries 
d'une  chambre  à  coucher    et  puis  un  balcon    de 
pierre,   qui  domine  une  portion  de  jardin  affectée 
aux  ébats  d'une  pension  de  demoiselles. 

Quant  au  baron  du  Saint-Empire  Michel  Wenzel, 
il  était  oculiste  de  LL.  MM.  impériales  et  bri- 
tanniques; il  exerçait  son  arl,  ir  62,  dans  un 
édifice  digne  de  sa  clientèle  étrangère  et  acheté 
de  la  marquise  des  Réaulx;  cette  dame  se  l'était 
fait  adjuger  en  vertu  d'un  décret   poursuivi  sur 

31 


586  RUE    CHARLOT. 

les  héritiers  du  colonel  de  Bragelogne  en  1763. 
Jusque-là  l'origine  est  aristocratique  et  justifie  le 
luxe  d'une  rampe  de  fer,  que  porte  crânement 
fescalier,  comme  les  maîtres  portaient  l'épée  du 
gentilhomme.  Il  nen  est  pas  moins  vrai  que 
Gaultier,  maître-perruquier,  avait  vendu  au  colonel 
le  tiers  ou  le  quart  de  ce  bien  de  ville.  Au 
surplus,  combien  de  maisons  avaient,  d'un  hôtel 
à  l'autre,  pour  détenteurs  des  marchands  et  des 
artisans!  Près  des  rues  de  Bretagne  et  de  Nor- 
mandie, la  rue  Chariot  donnait  droit  de  bourgeoisie 
à  Huyot,  menuisier,  h  Dezègre,  ancien  marbrier, 
à  un  liquoriste  de  la  rue  Saint-Antoine  et  à  un 
marchand-de-vin  de  la  rue  des  Martyrs,  acquéreur 
du  marquis  de  Sourdis.  Sébastien  Cramoisy  n'y 
avait  élevé  des  constructions  que  pour  les  revendre, 
comme  le  font  des  spéculateurs  chaque  fois  qu'une 
voie  nouvelle  se  livre  è^i  la  circulation.  Les  affaires 
démocratisaient  ainsi  la  propriété,  la  bourgeoisie 
n'étant  que  l'élite  du  peuple^  bien  avant  la  ré- 
volution de  89! 

Richer,*  maçon,  avait  construit  h  ses  risques 
et  périls,  dès  1614,  deux  maisons  contiguës,  -  un 
peu  avant  la  rue  de  Forez  ;  la  plus  petite  était 
cédée  plus  tard  par  Triperet,  trésorier-général 
de  la  police,  h  Bernier,  échevin,  qui  la  trans- 
mettait aux  Boulogne,  maîtres-macons,  puis  archi- 
tectes ;  la  plus  grande  avait  eu  de  même  pour 
détenteur  Raimond  d'Albert,  lieutenant-de-police. 
Dans  le  n°  57  voyons  l'hôtel  Boulainvilliers,  où 
fut  généreusement  recueillie  une  jeune  fille,  qui 
descendait  de  la  maison  royale  de  Valois,  par  un 
fils  naturel  de  Henri  II,  et  qui  devint  M""'  de 
Lamotte.  La  marquise  de  Boulainvilliers,  femme 
du  prévôt-de-Paris,  en  prenant  sous  sa  protec- 
tion une  enfant  que  ses  parents  avaient  abandonnée, 
était  loin  de  prévoir  la  triste  célébrité  que  l'affaire 
du   Collier  de  la   reine   vaudrait  à  sa   protégée. 


RUE    CHARLOT,  587 

Au-delà  de  la  rue  de  Forez,  une  grande  maison 
était  donnée  à  l'Hôtel-Dieu  en  1662  par  Jacques 
Josse,  conseiller  du  roi,  lieutenant  au  Grenier-k- 
sel  ;  néanmoins  elle  appartenait  dans  le  siècle 
suivant  à  J.  B,  Léger  Truitie  de  Vaucresson, 
officier  supérieur.  Était-elle  ou  n'était-elle  pas 
le  susdit  hôtel  Boulainvilliers  ? 

En  1695,  pour  faire  place  à  la  rue  de  Vendôme 
et  au  Boulevard,  appelé  le  nouveau  Cours,  ainsi 
que  pour  prolonger  la  rue  Chariot  de  ce  côté, 
un  échange  de  terrain  se  consentit  entre  :  le 
grand-prieur  de  France  et  les  religieux  du  Temple, 
d'une  part;  les  prévôt  et  échevins  de  la  ville 
et  M"e  Le  Trolleur,  d'autre  part.  Claude  Bosc, 
seigneur  d'Ivry-sur-Seine  et  prévôt-des-marchands, 
donna  d'abord  son  nom  au  bout  de  rue.  Sur  ce  point, 
deux  hôtels  appartenant  à  Jean-Baptiste  Beausire 
et  à  sa  femme,  née  Le  Trolleur,  avaient  un  jardin 
en  commun  et  payaient  le  cens,  non  plus  au  com- 
mandeur du  Temple,  mais  au  chapitre  de  Sainte- 
Opportune.  Une  de  ces  grandes  maisons  porte 
présentement  le  n"  83;  Gabriel  Desègre  en  traita 
avec  Beausire;  Fargesse  avec  Desègre,  et  le 
marquis  de  Mascarani  avec  Fargesse  en  1750. 
Riche  personnage,  n'en  doutez  pas,  que  messire 
François-Marie  de  Mascarany,  marquis  de  Paroy, 
président  en  la  cour  des  Comptes  au  milieu  du 
xvni''  siècle!  Il  avait  acheté  325,000  livres  au 
prince  de  Carignan  la  seigneurie  de  Chàteau- 
Chinon,  et  la  valeur  de  cette  terre,  érigée  en 
comté,  triplait  entre  ses  mains.  L'autre  maison, 
celle  qui  a  fait  place  à  de  modernes  bâtisses, 
fut  acquise  par  Malo,  seigneur  de  Sérizy  et  con- 
seiller au  parlement. 

Le  restaurant  Bonvalet,  h  l'angle  du  Boulevard, 
n'était  encore  qu'un  petit  cabaret  en  1830.  Le 
Cadran-Bleu,  à  l'autre  coin,  datait  du  siècle  pré- 
cédent; cet  établissement  mémorable  de  Lebaigue, 


588  RUE    CHARLOT. 

successeur  d'Henneveu  et  prédécesseur  de  Banceliii, 
n'en  avait  pas  moins  commencé  par  être  bouchon 
à  bière  dans  une  maisonnette  à  M.  delà  Vieuville, 
censive  de  Sainte-Opportune.  La  réputation  de  ton 
crû  bordelais,  ô  Chariot,  seigneur  de  Fronsac, 
n'était  pas  encore  venue  jusqu'en  ta  rue. 


Rue  Chanoinesse.  (i) 


Dans  quel  chapitre   de  chanoines  elle  fut  prébendée 
et  comment  s  amortit   son  bénéfice. 

Pour  éviter  quelques  redites,  conseillons  d'abord 
au  lecteur  de  recourir  à  la  monographie  de  la 
rue  Basse-des-Ursins,  avec  laquelle  des  maisons 
à  deux  portes  marient  la  rue  Ghanoinesse  :  elles 
font  deux  lits,, il  est  vrai,  mais  assez  bon  ménage 
pour  qu'ils  se  touchent  !  Le  cloître  Notre-Dame 
formait  comme  une  autre  île,  comme  une  autre  cité 
du  moins,  dans  l'île  de  la  Cité.  Outre  que  ses  rues 
demeuraient  à  la  charge  de  MM.  du  chapitre, 
quant  aux  boues  et  lanternes,  la  censive  des 
chanoines  qui  en  possédaient  les  maisons  s'étendait 
h  38  rues  ;  la  censive  de  l'archevêque  de  Paris, 
en  sa  qualité  de  chef  du  diocèse,  li  500  rues,  et 
comme  prieur  de  Saint-Éloi  ii  59.  Le  bailli  du 
Palais-de-Justice  n'exerçait  de  semblables  droits 
qu'en  8  rues,  hors  du  Palais.  La  juridiction  de 
l'archevêque  ne  se  bornait,  d'ailleurs,  pas  à  l'Offi- 
cialité,  justice  diocésaine,  dont  tout  le  tribunal 
se  composait  d'un  officier,  d'un  promoteur  et  d'un 
greffier  ;  il  y  eut  aussi  la  Temporalité,  dont  le 
juge,  exerrant  au  nom  du  même  prélat,  connaissait 
des  appellations  des  sentences  rendues  en  matière 
civile  par  les  officiers  des  justices  des  terres  de 
l'Archevêché.  Au  débouché  de  la  rue  Ghanoinesse 
sur  celle  de  la  Colombe,  la  porte  des  Marmouzets 
servait  d'entrée  primitivement  au  cloître,  qui,  au 


(1)  Notice  écrite  en  1858. 


590  RUE  CHANOINESSE. 

surplus,  se  fermait  le  soir,  de  chaque  côté,  la 
veille  encore  de  l'ouverture  de  l'Assemblée  natio- 
nale, dont  la  première  séance  était  tenue  à  l'ar- 
chevêché. Grâce  à  tin  bref  de  Benoît  VII,  confirmé 
par  lettres-patentes  du  roi  .  Lothaire  vers  l'an 
980,  les  maisons  canoniales  pouvaient  être  vendues 
par  les  chanoines  à  l'un  de  leurs  collègues  ;  le 
droit  d'en  disposer  a  été  étendu  h  toutes  les 
classes  d'héritiers  et  d'acquéreurs  par  la  loi  du 
24  juillet  1790  sur  le  traitement  du  clergé  {art.  27), 
:i  charge  pour  les  détenteurs  de  payer  au  Domaine 
national,  entre  les  mains  du  receveur  du  district, 
le  sixième  de  la  valeur  des  immeubles,  suivant 
l'estimation   qui  en   serait  faite. 

La  chapelle  Saint-Aignan,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  dissimule  ses  restes  au  n"  26  sur  la  rue 
Chanoinesse.  Elle  est  gothique  ;  les  débris  s'en 
négligent,  nos  antiquités  nationales  passant  bien 
après  les  romaines.  Que  ne  s'agit-il  d'un  fragment 
de  borne  milliaire  !  la  conservation  officielle  en 
serait  requise  par  l'archéologie,  qui  en  ferait  un 
petit  monument.  Saint-Aignan  était  l'une  des  52 
églises  que  l'on  comptait  dans  la  Cité;  on  y 
disait  secrètement  la  messe  pendant  la  Révolution, 
qui  avait  converti  la  cathédrale  en  un  magasin 
de  tonneaux. 

Une  façade  à  large  seuil  cintré  sépare  cet 
immeuble  d'une  autre  propriété,  dont  la  porte 
d'entrée  est  ferrée  de  grosses  têtes  de  clous. 
Encore  une  médaille  dont  la  rue  parallèle  a  le 
revers  !  Cette  maison  à  deux  façades,  qui  a  été 
peu  de  temps  divisée,  Louis  Augustin  Viet,  chanoine, 
la  cédait,  par  acte  passé  le  2  prairial  an  m 
chez  M«  Dosne,  moyennant  i 00,000  livres  en 
assignats,  au  citoyen  Ambroise  Séjourné  ;  le  ven- 
deur tenait  la  maison  de  son  propre  frère,  Pierre- 
Bernard  Viet,  aussi  chanoine,  suivant  conditions 
stipulées  entre  eux  et  agréées  par  le  chapitre  de 


RUE  CHANOINESSE.  5»1 

l'église  de  Paris  aux  termes  d'un  acte  capitulaire 
du  6  avril  1785. 

Le  même  Séjourné  achetait  dans  la  même  étude,  le 
28  vendémiaireanv,  l'hôtel  voisin,  dontl'adresse  alors 
se  donnait  :  Cloître  Notre-Dame,  n°  21,  et  où  nous 
retrouvons  deux  escaliers  à  balustres  de  chêne.  Dans 
un  appartement  qu'a  occupé,  en  ces  dernières  années, 
l'abbé  Blontès,  aumônier-général  des  prisons, 
figurent,  au  premier  étage,  des  boiseries  avec 
encadrements,  cinq  dessus-de-portes  peints  ï 
l'huile,  emblèmes  des  arts  libéraux,  et  des  glaces 
surmontées  d'attributs  dorés  en  relief,  tels  que 
triangles,  livres,  serpents.  Des  ornements  du  même 
style  décoraient  le  rez-de-chaussée,  habité  depuis 
1792  jusqu'au  règne  de  Charles  X  par  Bouilly 
de  Dorée,  ancien  procureur,  puis  avoué.  Cette 
propriété  est  encore  h  la  disposition  du  petit- 
neveu  de  M.  Séjourné,  qui  l'avait  prise  des  héritiers 
Radix.  Le  chanoine  Jacques-Louis-Radix,  conseiller- 
clerc  au  parlement,  la  possédait  lui-même  en  vertu 
d'une  délibération  capitulaire  du  17  mai  1776, 
pièce  en  latin  constatant  que  Devienne,  chanoine, 
s'était  démis  en  faveur  de  Radix,  autorisé  à  jouir 
de  la  maison  sa  vie  durant,  ou  jusqu'à  ce  qu'il 
fût  promu  îi  un  évêché.  Parmi  les  hoirs  de  ce 
dernier,  nous  remarquons  Marie-Chailes  Radix, 
veuve  de  Jean-Baptiste  Talon,  mort  conseiller  au 
parlement  en  1772,  et  elle  avait  pour  enfants  : 
l**  Antoine-Omer  Talon,  qui  avait  émigré,  et  dont, 
par  conséquent,  la  part  héréditaire  revenait  au 
Domaine,  duquel  l'avait  rachetée  un  autre  membre 
de  la  famille;  2"  Marie-Geneviève  Talon,  épouse 
divorcée  du  ci-devant  marquis  de  Villaines,  exempt 
des  gardes-du-corps;  3"  Marie-Victoire  Talon,  mariée 
au  ci-devant  marquis  d'Escorches  de  Sainte- Croix, 
enseigne  aux  gardes-françaises.  Parmi  les  ayant- 
droits  du  défunt  chanoine  figurait  aussi  un  de 
ses  frères,  Claude-Maximilien  Radix  de  Sainte-Foix, 


592  RUE  CHANOINESSE. 

ancien  ministre  plénipotentiaire  de  Louis  XVI  près 
du  prince  de  Deux-Ponts,  et  l'émigré  Malbec,  un 
de  ses  neveux. 

En  remontant  h  l'origine  de  cette  propriété 
Radix,  ne  trouverions-nous  pas  qu'elle  n'en  a  fait 
qu'une  avec  le  vieux  manoir  qui  répond  au  48, 
côté  de  la  rue  Clianoinesse,  et  que  nous  avons 
vu  au  9    dans  la  rue  Basse-des-Ursins  ? 

Le  16  se  rapporte  à  cette  résidence  de  Racine 
que  nous  avons  restituée  soigneusement  à  la  même 
rue  inférieure. 

Le  plus  ancien  corps-de-logis  du  10,  qu'on  a 
remis  h  neuf,  passe  pour  avoir  servi  de  séjour 
au  vindicatif  chanoine  Fulbert,  oncle  d'Héloïse. 
Le  revenu  cessa  d'en  être  une  prébende  ecclésiasti- 
que lorsque  l'immeuble  lit  retour  à  la  Nation, 
substituée  au  chapitre,  et  il  en  était  de  même 
pour  tous  les  immeubles  du  cloître,  qui  n'avait 
reçu  jusque-là  qu'à  titre  de  locataires  les  laïques. 
Dans  celui  où  nous  en  sommes  le  receveur  des 
Consignations  avait  son  bureau  sous  l'ancien  régime. 
Ramet,  ministre  des  tlnances,  le  fit  mettre  aux 
enchères,  l'an  vi,  en  vertu  d'un  arrêté  pris  par 
le  Directoire  exécutif. 

M.  de  Saint-Marsault,  préfet  de  Seine-et-Oise, 
dispose  du  8,  qui  d'ancien  hôtel  de  chanoine  est 
devenu  le  siège  de  l'état-major  des  pompiers. 

De  l'autre  côté  de  cette  rue,  qui  n'est  pas 
toujours  aussi  large  que  la  porte  de  ses  hôtels, 
le  19  a  dans  ses  titres  de  propriété  jusqu'à  un 
édit  de  Charlemagne,  qui  accorde  des  immunités 
à  tous  les  habitants  du  cloître.  Des  vignes  y 
grimpent  sur  les  murs  ;  une  rampe  de  fer,  jusqu'à 
l'ancien  logement  de  l'abbé  Gatignon.  L'immeuble 
est  dans  la  même  famille  depuis  1808. 

Dans  un  renfoncement  voici  le  17,  qui,  comme 


RUE  CHANOINESSE.  593 

tous  les  numéros  dont  nous  venons  de  parler,  a  pu 
étro  l'une  des  maisons  capitulaires  dont  le  cardinal 
de  Retz  fit  son  quartier-général,  en  y  rassemblant  ses 
amis  pour  les  opposer  aux  partisans  de  Mazarin  ; 
mais  de  ce  bien  de  main-morte  canonial  nous  ne 
savons  pertinemment  rien  d'antérieur  aux  disposi- 
tions légales  qui  l'ont   émancipé  en  1790. 


Rue  flci!»   Chaiitreii^.  (i) 


AbélarJ,    Héloïso  habilèrcui  ces  lieux  : 

alexandrin  naguère  inscrit  sur  la  muraille  rue 
des  Chantres,  n"i.  La  maison  ayant  été  refaite 
en  1849,  cette  légende  figure  encore  sur  sa  façade, 
mais  du  côté  du  quai  Napolé'on.  On  lisait,  de 
plus,  à  l'intérieur  : 

Abélard,   Héloïsc,    1118, 

et  quel  curieux  ne  sentait  pas  son  cœur  battre 
en  franchissant  les  degrés  de  l'escalier  en  spirale 
au  pied  duquel  les  deux  amants  avaient  échangé 
leurs  adieux  !  Muet  témoin  de  leurs  embrassements, 
une  porte  est  encore  la  même  n^S.  On  ne  l'ouvre 
plus,  et  c'est  depuis  longtemps  qu'elle  paraît  con- 
damnée, comme  si  la  jalousie  en  avait  poussé  les 
verroux  quand  l'autre  embrasure  encadrait  le 
couple,  qui  devait  à  l'amour  de  la  trouver  encore 
trop  large  !  Deux  petits  supports  en  pierre  flan- 
quent celle-ci,  et  la  sculpture  en  date  de  sept 
siècles  :  piédestaux  de  statuettes  qui  ont  bien  l'air 
d'attendre  Héloise  et  Abélard  !  Dans  le  fait,  un 
pont  a  longtemps  mis  en  communication  avec  le 
bâtiment  qui  n'est  plus  celui  qui  reste,  mais 
qui  prend  ouverture  sur  la  rue  Basse-des-Ursins. 
Un  petit  jardin,  du  côté  de  la  rivière,  bordait  la 
maison  démolie,  où  se  trouvait,  dit-on,  sur  un 
des  pas  de  vis  de  l'escalier,  le  cabinet  de  travail 
d'Héloïse.    Aux   livres    qui    n'y    manquaient    pas 


(1)  Nolicc  écrite    en   ISS-;!. 


RUE    DES    CHANTRES.  595 

faisaient  tort  des  paroles  d'amour,  puis  des  baisers 
à  ces  paroles. 

On  ne  voit  plus  que  des  profils  de  maisons 
dans  cette  petite  rue  des  Chantres.  Mais  la  con- 
damnation de  sa  dernière  porte  n'est  pas  une 
injure  de  plus  pour  le  héros,  en  son  vivnnt 
assez  puni  de  l'amour  que  l'héroïne  partageait. 
Les  chantres  de  la  cathédrale,  beaucoup  moins 
amoureux  qu'ivrognes  s'il  faut  en  croire  le  Lutrin 
de  Boileau,  ont  été,  au  plus  tard,  dans  le  cours 
du  xvr'  siècle  les  dénominateurs  de  la  rue,  où  ils 
demeuraient.  Ceux  d'à-présent,  pour  habiter  encore 
la  même  rue  que  leurs  devanciers,  se  rendraient 
coupables  d'escalade  ;  mais  la  police  a  pris  ses 
précautions,  en  y  faisant  placer  trois  becs  de 
gaz,  dont  la  lueur  protège  en  aîle  de  sombres 
bâtiments  dont    la  face    est    ailleurs. 


Rue    Chapon,  (i) 


Le  Demi-Monde  sous   Louis  XV.  —  Les  Capons.  — 
Le    Cimetiôre.  —   1714. 

Une  jolie  femme,  qui  lit  parler  d'elle  pendant 
les  derniers  lustres  du  règne  de  Louis  XV,  élait 
fille  de  Guynebault,  marquis  de  la  Millière.  Ce 
gentilhomme,  rejeton  d'une  fomille  protestante  du 
Poitou,  avait  Iiérilé  trop  jeune  de  2o,000  livres 
de  revenu,  s'était  ruiné,  puis  avait  abjuré,  puis 
avait  épousé  la  lîUe  de  son  jardinier,  avec  laquelle 
il  vivait  déjà  :  une  pension,  sa  dernière  ressource, 
ne  lui  permit  pas  d'élever  grandement  ses  trois  en- 
fants. L'un  des  trois  obtint  une  compagnie,  mais 
quitta  la  milice  pour  vivre  d'expédients,  et  des 
deux  autres,  qui  étaient  filles,  la  cadette  entra  comme 
pensionnaire  aux  Carmélites  de  la  rue  Saint-Jacques. 
Le  marquis  ayant  cessé  de  vivre  en  laissant  des 
procès  à  suivre,  sa  veuve  eut  à  faire  des  démarches 
près  de  M.  de  la  Valette,  intendant  de  Dijon,  et  du 
procureur-général,  et  de  l'avocat-général.  Ne 
réussissant  pas  toute  seule  à  se  les  rendre  favora- 
bles, elle  alla  prendre  dans  un  couvent  de  Provins 
sa  fille  aînée,  qui  était  sur  le  point  d'y  prononcer  des 
vœux.  Deux  beaux  yeux  de  jeune  fille  sont  un  tel 
avocat  que  la  mère  dut  à  cet  appel  plus  de  succès 
qu'en  première  instance.  La  novice  au  retour  tombant 
malade,  il  fallut  reculer  la  prise  de  voile.  M.  Nivers, 
le  médecin  du  couvent,  ne  remit  sur  sa  tige  cette 
rose  de  Provins,  passée  lys,  et  ne  lui  restitua  ses 
vives  couleurs  qu'en  horticulteur  passionné  :  la  con- 


(1)  Notice  écrite  eu    18ÔN. 


RUE  CHAPON.  597 

valescence  ne  fleurit  que  pour  s'épanouir  en  gros- 
sesse. M""^  de  la  Millière  fut  prise  en  pension  par 
Nivers,  médecin  décrié  au  parloir,  mais  d'autant 
plus  demandé  aux  alentours  par  toutes  les  malades. 
Par  malheur,  il  était  marié,  et  M""^  Nivers,  qui  ne 
pouvait  plus  douter  qu'entre  l'arbre  et  l'écorce  il  y 
avait  eu  place  pour  le  doigt,  était  loin  d'en  prendre 
son  parti,  regardant  comme  fruit  défendu  celui 
qu'elle  n'avait  pas  porté. 

La  jeune  mère  fut  obligée  de  se  réfugier  à 
Paris,  chez  M.  Bellissen,  procureur  aa  Chàlelet, 
père  d'une  de  ses  amies  de  couvent,  qui  demeurait 
rue  Saint-André-des-Arts,  et  elle  n'y  revint  pas  à 
bien.  Un  jour  même  la  police  l'accusa  d'un  vol 
commis  chez  une  marchande  de  modes.  11  y  en 
avait  bien  assez  pour  que  le  procureur  interdît 
à  cette  fille  l'entrée  de  sa  maison  ;  seulement  il 
avait  pour  beau-fils  M.  de  Mandeville,  lieutenant 
au  régiment  de  Rouergue,  qui,  n'y  regardant  pas 
de  si  près,  la  recueillit  avec  amour.  Protégée 
qu'elle  était  toujours  par  le  procureur-général,  elle 
dut  à  son  crédit  une  dot  de  1ÎJ,0Û0  livres,  pro- 
venant d'un  legs  confié  ii  ce  magistrat,  mais 
destiné  par  la  stipulation  du  testament  à  faciliter 
le  mariage  d'une  demoiselle  de  condition  mal 
partagée  du  côté  de  la  fortune.  Le  lieutenant 
épousait  M"*"  de  la  Millière,  en  se  parant  d'un 
titre  de  marquis  que  d'Hozier  lui  eût  marchandé. 
Il  y  avait,  en  effet,  une  terre  de  Mandeville  près 
Bayeux  ;  mais,  sous  Louis  XVI,  le  comte  de  Tré- 
vières  jouissait  de  cette  fiefferme,  incorporée  dans 
son  comté.  Deux  autres  Mandeville,  ceux-là  marquis, 
avaient  successivement  gouverné  Dieppe  ;  mais  ils 
étaient  alliés  aux  familles  d'Aligre,  Mortemart  et 
Colbert.  La  pseudo-marquise,  en  tout  cas,  appar- 
tenait déjà  au  demi-monde,  que  le  nôtre  n'a  pas 
plus  inventé  que  la  poudre. 

M.  de  Moras,  qui  voulait  du  bien  à   la  belle, 


598  RUE   CHAPON. 

pourvut  son  mari  d'un  brevet  de  capitaine  dans 
les  Indes  ;  seulement  l'officier  s'arrêta  en  Orient, 
rebroussa  chemin  et  passa  aux  mousquetaires 
noirs.  M""«  de  Mandeville  était  une  brune  piquante, 
grande,  bien  prise,  avec  de  beaux  yeux  ;  nous 
l'avons  vue  au  pastel,  quai  Voltaire.  Comme  elle 
ressemblait,  ainsi  faite,  à  Louis  XV,  n'était-ce  pas  le 
moins  qu'elle  eût  sa  petite  cour?  Elle  monta  du  moins 
sa  maison,  avec  trois  laquais  à  grande  livrée, 
rue  Chapon,  16.  Malheureusement,  l'esprit  de  cette 
fille  du  monde,  comme  on  disait  alors  des  femmes 
galantes  à  l'usage  de  gens  du  monde,  ne  brillait 
guère,  et  Nivers,  son  amant  de  province,  avait  perdu 
lui-même  à  la  regretter  le  peu  qu'il  en  avait  :  ce 
malheureux,  pour  jouei-  un  dernier  tour  k  son  épouse 
légitime,  une  fois  sa  maîtresse  envolée,  s'était 
pendu  dans  sa  chambre  à  coucher. 

L'ancienne  demeure  de  la  Mandeville  est  mainte- 
nant au  pouvoir  d'un  grand  orfèvre  de  la  rue 
Saint-Martin,  M.  Detouche.  La  plupart  des  numéros 
pairs,  dans  cette  région  de  la  rue,  qu'occupent 
surtout  des  fabricants  de  boiseries,  sont  des  anciens 
logis  de  magistrat,  maisons  dans  tous  les  cas  bâties 
sur  des  terrains  donnés  à  cens  par  les  dames  de 
l'hospice  Sainte-Catherine,  et  que  l'administration 
générale  des  hospices  a  mises  en  vente  au  com- 
mencement du  présent  siècle.  Leur  maître  à  tous 
est  l'ancien  hôtel  de  Jean-Barl,  n"'  2  et  4,  pro- 
priété d'une  magnifique  ampleur  ;  mais  nous  y 
entrerons  une  autre  fois  par  la  porte  principale, 
rue  du  Temple,  115. 

Entre  la  rue  du  Temple  et  celle  Beaubourg, 
la  notre  s'intitulait  d'abord  Robert-Begon  et  dès  le 
xni«  siècle  Capon.  On  appelait  capon  sous  Philippe- 
le-Bel  tout  membre  de  la  communauté  des  juifs, 
dite  societas  Caponum,  et  le  mot  venait  de  capo, 
chapon.  Les  archevêques  de  Reims,  dont  l'hôtel 
se  trouvait  placé  en  cette  rue  au  moyen-âge,  se 


RUE  CHAPON.  599 

plaignaient  fort  qu'elle  fût  au  nombre  des  rues 
affectées  à  la  prostitution  ;  ils  n'en  avaient  pas 
moins  pour  successeurs  dans  ce  quartier  mal 
famé  les  évêques  de  Chàlons. 

Un  de  ceux-ci,  M.  de  Marchaumont,  céda  en 
1619  la  maison  de  ville,  qui  était  aussi  celle  de 
son  chapitre,  à  des  sœurs  carmélites  qui,  depuis 
deux  ans  transfuges  du  faubourg  Saint-Jacques, 
s'étaient  contentées  rue  Chapon  d'un  logement 
qui  ne  leur  suffisait  plus.  Catherine  de  Gonzague 
et  de  Clèves,  veuve  de  Henri  d'Orléans,  duc  de 
Longueville,  les  aidait  de  sa  bourse,  ainsi  que 
le  prince,  fils  de  cette  duchesse  douai:  ière  ; 
la  reine  Anne  d'Autriche  contribuait  aussi  à  l'éta- 
blissement en  cette  rue  d'un  second  prieuré  et 
couvent  de  la  Sainte-Mère  de  Dieu,  ordre  de  Notre- 
Dame  du  Mont-Carmel.  Les  religieuses  en  étaient 
au  nombre  de  40  il  y  aura  tantôt  cent  ans,  et 
leur  dot  ordinaire  montait  h  8000  livres,  outre 
que  la  prise  d'habit  en  coûtait  1000  et  le  novi- 
ciat 3000.  Elles  ne  recevaient  pas  d'élèves  ;  mais 
il  y  avait  place  pour  de  grandes  pensionnaires, 
grâce  h  des  acquisilions  et  h  des  constructions 
supplémentaires.  Plus  de  la  seconde  moitié  de  ce 
qu'enserrent  les  rues  du  Temple  et  Beaubourg 
entre  celles  Chapon  et  Montmorency  était  occupé 
par  ce  monastère,  qui  servait  de  refuge  à  des 
femmes  nées  pour  le  monde,  mais  curieuses  de 
mourir  deux  fois  pour  ainsi  dire.  La  rue  Mont- 
morency en  bordait  principalement  les  jardins  ; 
l'hôtel  à  façade  ornée  de  sculptures,  rue  Chapon  13, 
en  dépendait.  Des  bâtiments  conventuels,  vendus 
le  23  prairial  an  v,  il  reste  même  la  plupart  et 
jusqu'à  des  mufs  de  l'église,  dans  un  immeuble 
de  la  rue  Beaubourg:  sous  le  Directoire- on  y 
dansait,  puis  on  y  jouait  la  comédie. 

En  l'année  1714  la  rue  Chapon  comptait  entre 
les  rues  du  Temple  et   Transnonain,    aujourd'hui 


600  RUE  CHAPON. 

Beaubourg,  26  bâtiments,  dont  l'un  était  l'hôtel 
du  lieutenant-criminel,  au-dessous  des  Carmélites  ; 
mais  il  y  en  avait  27  dans  ce  qui  de  la  rue 
actuelle  s'appelait  encore  du  Cimetière-Saint- 
Nicolas-des-Champs,  entre  les  rues  Transiionain 
et  Saint-Martin. 

La  cour  de  Saint-Martin-des-Champs  servait 
d'abord  de  cimetière  à  la  paroisse  Saint-Nicolas  ; 
mais  dès  le  siècle  xni  l'espace  y  manquait  à  la 
fosse,  et  le  cimetière  fut  transféré  dans  un  clos, 
donné  à  cette  paroisse  par  les  religieux  de  Saint- 
Martin-des-Champs,  puis  affecté  à  l'Hôtel-Dieu. 
L'entrée  en  était  rue  Transnonain,  vis-à-vis  l'hôtel 
de  Châlons,  plus  tard  couvent  des  Carmélites.  Le 
curé  et  ses  paroissiens  étaient  engagés  k  percer 
une  rue,  pour  conduire  à  l'asile  mortuaire,  et 
elle  porta  son  nom  ;  tel  est  l'état-civil  de  cette 
voie  de  communication,  réunie  h  la  rue  Chapon 
en  1851.  En  y  procédant  à  des  réparations,  tout 
dernièrement,'  n°  31,  n'a-t-on  pas  retrouvé  des 
ossements  qui  pouvaient  être  ceux  d'un  sujet  de 
Philippe-le-Bel  ? 


Rue   Chartière.  (i) 


Une  petite  statue  de  Henri  IV  se  remarquait 
encore  sous  le  règne  de  son  quatrième  succes- 
seur au  coin  des  rues  (hartière  et  Fromentel  : 
que  voulait  dire,  je  vous  le  demande,  cette 
tigure  de  roi  vaillant,  mais  qui  n'était  pas  un  grand 
clerc,  au  milieu  des  collèges  de  la  montagne 
Saint-Hilaire  ?  Impossible  d'y  voir  autre  chose  que 
le  monument  commémoratif  d'une  de  ses  campagnes 
amoureuses.  Redites-nous  donc,  échos  savants, 
quelles  leçons  de  galanterie  vint  prendre  le  héros 
d'Arqués  et  d'Ivry  dans  les  parages  de  la  pédago- 
gie! Car  les  maîtres  en  cette  faculté,  fussent-ils 
barbons,  apprennent  jusqu'à  la  fin  plus  qu'ils 
n'enseignent.  La  tradition  multiplie  à  cœur-joie 
les  rendez-vous  d'amour  que  donnait  Henri  IV, 
et  elle  se  plaît,  qui  plus  est,  à  divulguer  que  la  même 
maîtresse  en  a  reçu  sur  tous  les  points  de  la 
grand'ville.  Nous  surprenons  donc  la  belle  Gabrielle 
jusque  dans  la  rue  Fromentel,  et  ce  n'est  pas  en 
chaise  à  porteurs  qu'elle  a  dû  monter  si  haut.  L'au- 
berge auguste  à  citer,  après  tant  d'autres,  dans 
l'odyssée  des  amours  de  Gabrielle,  était  pourvue 
d'écuries,  dont  les  voi^ns  encore  nous  montrent 
la  porte  dans  la  petite  rue  Chartière,  n°  11. 
Le  collège  des  Jésuites  étant  derrière,  mauvaise 
place,  très-mauvaise  pour  l'auteur  de  l'édit  de 
Nantes,  si  celte  compagnie  n'était  pas  bannie  de 
France  depuis  l'assassinat  de  Henri  III  !  «Un  édit 
la  rappelait,  du  reste,  six  ans.  après  la  promulga- 
tion de  l'autre. 


(1)  Notice  écrite   en  1858. 

32 


002  RUE    CHARTIERE. 

Les  montures  de  ce  relais  ne  venaient  pas  plus  que 
leurs  maîtres  dans  le  quartier  écolier  pour  y 
mordre  au  latin  ;  mais  elles  avaient  litière  et  râtelier 
dans  l'ancien  collège  de  Cocqueret.  Le  plein 
exercice  de  ce  collège,  mitoyen  avec  celui  de 
Reims,  avait  été  supprimé  en  lool,  par  sentence 
de  la  faculté  des  Arts,  et  des  bâtiments  en  avaient 
été  vendus  vingt  années  après  à  des  particuliers. 
Il  paraît  néanmoins  que,  du  côté  de  notre  rue, 
une  maison  conserva  le  nom  de  Cocqueret  assez 
longtemps.  Le  précité  n°  11,  dont  une  coquille 
décore  la  porte  cintrée,  se  qualifie  encore  collège 
de  Cocqueret  sur  le  plan  de  la  ville  en  1652. 
Cent-viiigt-sept  ans  plus  tard,  d'après  Hurtaut, 
en  son  Dictionnaire  de  Paris,  pas  plus  de  prin- 
cipal que  de  boursiers;  mais  une  manufacture  de 
carton  exploite  alors  l'ancien    collège. 

Au  reste,  la  statuette  du  chef  de  la  dynastie  des 
Bourbons  regardait  de  près  le  puits  Certain,  au 
bas  de  la  rue  Chartière.  Ce  puits,  ressource  pré- 
cieuse pour  le  mont  Saint-Hilaire  avant  qu'on  y 
fît  venir  de  l'eau  d'Arcueil,  avait  été  foré  par 
les  soins  de  Robert  Certain,  curé  de  Saint-Hilaire, 
puis  principal  de  Sainte-Rarbe,  sous  le  règne  de 
Henri  IL  De  là  venait  une  vieille  enseigne  de 
pâtissier,  que  nous  avons  vue  à  côté,  sur  la 
défunte  place  -Cambrai  :  Au  Puits-Certain. 

Presque  toutes  les  maisons  de  cette  rue  du 
xni«  siècle  appartinrent  à  des  collèges,  les  occupant 
ou  les  donnant  en  location.  Les  ruines  qui  devraient 
porter  à-piésent  le  n°  8,  dépendaient  du  collège 
de  Marmoutiers,  créé  en  1329,  avec  le  collège  du 
Plessis,,  et  vendu  en  1641,  au  prix  de  90,000 
livres,  pour  agrandir  le  collège  des  Jésuites,  avec 
l'agrément  du  cardinal  de  Richelieu  qui,  comme 
abbé  de  Marmoutiers,  restait  supérieur  du  Plessis. 
Amador-.Iean-Baptiste  de  Vignerod,  bientôt  pourvu 
de  la  même  abbaye,  céda  ensuite  à  la  maison  de 


RUE    CHARTIERE.  603 

Sorbonne,  pour  faire  plaisir  à  son  oncle,  le  car- 
dinal de  Richelieu,  le  droit  de  supériorité  sur  le 
Plessis,  en  s'y  réservant  la  collation  aux  bourses. 
Le  collège  de  Glermont  ou  des  Jésuites,  aujourd'hui 
lycée  Louis-le-Grand,  longe  toujours  une  bonne 
portion  de  la  rue  ;  on  y  revoit  son  ancienne 
chapelle,  bùtiment  rond,  aujourd'hui  classe  de 
chimie.  C'est  depuis  le  règne  de  Louis  XIV 
que  cette  maison  a  aussi  englobé  l'ancien  collège 
du  Mans,  fondé  en  1519  sur  les  rues  de  Reims 
et  Chartière  par  le  cardinal  Louis  de  Bourbon, 
dans  l'hôtel  des  évêques  du  Mans,  puis  transféré, 
non  saiis  procès,  h.  l'entrée  de  la  rue  d'Enfer. 

Enfin  nous  rencontrons  à  notre  époque^  depuis 
le  n"  13  jusqu'au  a"  19,  des  murs  et  des  corps- 
de-logis  faisant  partie  d'une  école  préparatoire  aux 
écoles  du  gouvernement,  annexe  de  la  maison  de 
Sainte-Barbe.  C'est  bel  et  bien  l'ancien  collège 
de  Reims,  dont  notre  Histoire  de  Sainte- Bm-be 
rapporte  l'origine.  L'institution  en  périclitait,  sous 
la  Régence,  quand  M^^^'  François  de  Mailly,  archevê- 
que de  Reims,  la  releva.  Les  plus  vieux  biÀtiments 
qu'on  y  retrouve  datent  de  1745  ;  mais  cette  re- 
construction, qui  coûta  72,000  livres,  endetta  si 
fort  les  boursiers  qu'il  n'en  restait  plus  qu'un 
qui  pût  être  défrayé  en  1763,  et  c'est  alors  que 
les  petits  collèges  perdirent  leur  autonomie.  Toute- 
fois diverses  fondations-  avaient  fait  Reims  pro- 
priétaire de  11  maisons,  dans  les  rues  de  Reims, 
des  Sept-Voies  et  Chartière.  On  en  tira,  après  la 
réunion,  environ  1,000  écus  par  an,  en  y  prenant 
vingt  locataires,  et  le  revenant-bon  servit  encore 
de  provision  pour  8  bourses  -à  Louis-le-Grand, 
érigé  en  chef-lieu  de  l'université  de  Paris. 


Rue   de    Charoniic*  (d) 


Le  Vin  des  Funérailles.  —  La  Croix  Fauhin.  — 
La  Folie- Lâchai  se.  —  Les  Filles  de  Sainte- 
Marthe.  —  1720.  —  M.  Rieussec.  —  La  Maison 
de  Santé.  —  L'Acteur  Guyon.  —  La  Famille 
Chevet.  —  La  Maieleine-du-Trainel.  —  La 
Duchesse  d'Orléans.  —  Les  Filles  de  la  Croix. 
—  Notre- Dame- de -Bon- Secours.  —  La  Vocation, 
de  la  Particule.  —  Richard  Lenoir.  —  it/"""  Ledru- 
RolUn.  —  L'hôtel  Mortagne.  —  Vaucanson.  — 
1760.  —  Une    Cour-des-Miracles . 

La  classe  ouvrière,  à  Paris,  conserve  religieuse- 
ment l'usage  de  boire,  après  chaque  enterrement, 
un  coup  qui  ue  peut  plus  être  à  la  santé  que 
des  survivants.  Le  petit  et  le  grand  Çharonne 
ont  des  cabarets,  où  se  boit  hors  barrière  le  vin 
des  funérailles,  et  le  Père-Lachaise  ne  les 
laisse  pas  chômer.  Une  rue  ramène  ensuite  au 
faubourg  Saint-Antoine  la  famille  qui  compte  un 
membre  de  moins,  escortée  de  voisins  ou  de 
voisines,  de  compagnons  ou  de  compagnes  d'atelier, 
et  quand  on  se  sépare,  chacun  emporte  la  con- 
solation d'avoir  rendu  tous  les  derniers  devoirs 
au  défunt  ou  à  la  défunte.  Cette  rue  longue  et 
manufacturière  n'était  encore  qu'un  chemin  au 
xvn'=  siècle. 

Les  droits  d'entrée  des  vins,  pied  fourché,  Domaine, 
barrages    et    poids    le     Roy    s'y    payaient,      SOUS 


(l)  Notice  écrite  en  1853.  La  rue  Keller,  le  boulevard 
du  Prince-Eugène  et  l'avenue  Philippe-Auguste  n'augmen- 
taient pas  CDCore  le  nombre  et  l'importance  des  affluents 
de  la  rue  de  Çharonne. 


RUE  DE  CHARONNE.  G05 

Louis  XIV,  au  premier  angle  de  la  rue  de  la 
Muette  (i),  et  les  laissez-passer  se  donnaient  à 
l'autre  encoignure  pour  ce  qui  n'était  pas  sujet 
aux  droits.  Entre  les  deux  se  dressait  la  croix 
Faubin,  au  milieu  du  chemin  de  Charonne,  qui 
n'était  pas  encore  à  cette  extrémité  une  avenue 
funéraire,  bordée  de  mausolées  et  de  couronnes 
d'immortelles  k  vendre.  Montlouis,  maison  de 
campagne  donnée  par  le  roi  à  son  directeur 
François  d'Aix,  dit  Lacliaisc,  provincial  de  la 
compagnie  de  Jésus,  ressemblait  assez  peu  au 
grandissime  cimetière  actuel  pour  qu'on  l'appelât 
parfois  Folie-Lachaise. 

Plus  tard  la  communauté  des  tilles  de  Sainte- 
Marthe  s'établissait  ù  la  fois  rue  de  Charonne, 
rue  de  la  Muette  et  rue  de  la  Fioquette.  Ces 
religieuses,  qui  ne  prononçaient  pas  de  vœux, 
donnaient  gratuitement  de  l'instruction  aux  filles 
pauvres.  Mais  en  l'année  1720  la  dernière  porte 
cochère  de  notre  rue  sur  cette  ligne  s'ouvrait  et 
se  fermait  habituellement  pour  M.  Lemoine,  au- 
diteur à  la  cour  des  Comptes  ;  la  pénultième 
pour  le  comte  d'Igny,  et  les  trois  précédentes  pour 
la  famille  de  Lignières,  Brunet  de  Rancy  père  et 
fils,  bourgeois  originaires  de  Beaune,  et  Desprez, 
curé  de  Saint-Landry. 

La  propriété  de  l'un  deux  devint  l'hôtel  Château- 
neuf;  celle  d'un  autre,  la  petite-maison  du  mar- 
quis de  Chabanais.  La  moitié  de  celle-ci  était 
acquise,  sous  Charles  X,  par  M.  Rieussec,  ancien 
fournisseur  des  armées,  lieutenant-colonel  de  la 
8""'  légion,  qui  fut  l'une  des  victimes  de  Fieschi 
dans  l'attaire  du  boulevard  du  Temple.  De  l'hôtel 
Chabanais  provient  aussi  la  maison  de  santé  du 
D'Archambault,  successeur  de  Belhomme,  au  n^lGl. 
Cet  établissement,  fondé  en  1768  par  Belhomme 

(1)  Maintenant  tronçon    de  la   rue   des    Boulets. 


606  RUE  DE   CHARONNE. 

père  et  consacré  au  traitement  des  affections 
cérébrales,  se  convertit  sous  la  Terreur  en  prison 
adoucie  pour  la  duchesse  d'Orléans,  mère  de  Louis- 
Philippe,  M""=  Lange,  de  la  Comédie-Française, 
l'avocat  Linguet  et  Portails  père.  Plus  tard  l'acteur 
Guyon  y  rendit  le  dernier  soupir  :  il  avait  perdu 
la  raison  en  bonne  fortune,  un  soir  que  M"'' Rachel 
l'avait  engagé  h  dîner  avec  Samson,  avec  Régnier, 
sachant  bien  que  ces  deux  derniers,  dont  les  noms 
étaient  sur  l'affiche,  laisseraient  de  bonne  heure  l'am- 
phytrionne  en  tôte-à-tète  avec  son  troisième  invité. 

Un  hôtel  vis-à-vis  appartenait  à  la  famille  Chevet, 
qui  l'avait  fait  bâtir  :  des  serres-chaudes  y  per- 
pétuaient la  production  du  jardin,  qui  fournissait 
des  primeurs  h  la  montre  de  ces  éminents  mar- 
chands de  comestibles. 

Une  fabrique  dont  le  chef,  ancien  maire  du 
8''  arrondissement,  est  le  neveu  de  Richard  Lenoir, 
occupe  en  partie,  n"  100,  l'ancien  couvent  des 
religieuses  de  la  Madeleine-du-Traînel,  vendu  aux 
enchères  du  5  brumaire  an  x.  Cette  communauté, 
fondée  au  Traînel,  en  Champagne,  vers  le  milieu 
du  siècle  xu,  fut  transférée  rue  de  Charonne  en 
16o4;  Anne  d'Autriche  y  posa  la  première  pierre 
de  la  chapelle.  Le  garde-des-sceaux  d'Argenson 
fut  aussi  l'un  des  bienfaiteurs  de  celte  maison, 
soumise  à  la  juridiction  de  l'archevêque  de  Paris. 
Une  autre  duchesse  d'Orléans,  avant  de  s'y  reti- 
rer, en  augmenta  beaucoup  les  bâtiments,  qui 
comprenaient  aussi  le  n^lOS;  elle  occupait,  sous 
la  Régence,  deux  des  quatre  maisons  du  monastère. 
Brunost,  intendant  du  duc  d'Orléans,  en  habitait 
une  autre  immédiatement  au-dessus  ;  nous  la 
croyons  celle  qu'avait  fait  construire  rue  de 
Ciiaronne,  vers  17 10,  INourry,  sieur  de  Croixfontaine, 
gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre  du  même 
prince,  et  qui  couvrait,  son  jardin  compris,  2  arpens. 

Au-dessous  dudil  couvent,  un  autre  avait  déjà , 


RUE  DE  CHARONNE.  607 

entre  autres  portes,  une  porte  monumentale  que 
nous  remarquons  encore,  et  il  conserve,  chose 
rare,  jusqu'il  sa  destination.  Les  sœurs  de  la 
Croix,  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  y  sont  rentrées 
en  1817  ;  mais  c'est  seulement  depuis  quelques 
années  que  leur  position  y  est  légalement  déter- 
minée :  elles  n'ont  que  l'usufruit  de  cette  propriété, 
que  s'est  réservée  le  Domaine.  Leur  territoire  était 
beaucoup  plus  vaste  avant  la  République  ;  mais  on 
ne  l'avait  pas  aliéné  pendant  le  quart  de  siècle  où 
elles  avaient  cessé  d'en  jouir.  Leur  sanctuaire  gardait 
le  cœur  de  M""  Ruzé  d'Elïiat,  fille  du  maréchal,  aux 
dépens  de  laquelle  s'était  établie  la  maison,  près  de 
la  tin  du  règne  de  Louis  XIIL  Ces  religieuses,  proté- 
gées également  par  la  duchesse  d'Aiguillon,  n'avaient 
fait  précédemment  que  des  essais  de  résidence  dans 
la  rue  Matignon-du-Louvre.  dans  la  rue  Plâtrière, 
dite  aujourd'hui  Jean-Jacques-Rousseau,  et  tout 
d'abord  au  faubourg  Saint-Marceau.  La  fondatrice, 
mère  Marguerite  de  Jésus,  s'était  concertée  avec 
la  baronne  de  Neuvillette  pour  convertir  le  poète 
Cyrano  de  Rergerac,  au  commencement  de  sa  der- 
nière maladie;  mais  le  libertin,  averti,  eut  le  temps  de 
se  faire  transporter  à  la  campagne,  chez  un  cousin, 
sous  prétexte  de  changer  d'air.  II  n'en  fut  pas 
moins  enterré   chez   les  sœurs  de  la  Croix. 

"  Cite  de  Bon-Secours,  »  nous  dit  en  face  un 
écriteau  qui  attire  les  regards.  Cet  immeuble  et 
les  deux  immeubles  qui  le  touchent  à  droite  et 
k  gauche,  s'inféodaient  au  prieuré  de  Notre-Dame- 
de-Bon-Secours,  créé  au  commencement  des  troubles 
de  la  Fronde  par  dame  Claude  de  Bouchavanne, 
veuve  de  Vignier,  conseiller  du  roi,  et  mis  sous 
la  conduite  de  sa  sa'ur,  Madeleine-Emmanuelle, 
religieuse  au  couvent  de  Notre-Dame  de  Soissons. 

Les  monastères  de  filles,  allez-vous  dire,  pullu- 
laient donc  dans  ces  parages?  J'en  conviens,  et 
les  plus  grandes  dames,  les  plus    distinguées    à 


C'Og  KUE  DE   CHARONNE. 

coup  sûr,  participèrent,  pendant  plus  d'un  siècle, 
à  ces  sortes  de  fondations,  après  avoir  plus  os- 
tensiblement attaché  leurs  noms  aux  passes-d'armes 
et  aux  tournois  durant  le  moyen-âge.  Plus  tard, 
les  femmes  supérieures  étaient  reconnues  aux 
dédicaces  de  livres  qu'on  leur  offrait;  elles  créaient 
alors  des  salons,  et  la  réputation  en  était  faite 
par  l'esprit,  un  hôte  favori,  qui  n'y  parlait  pas  le  plus 
haut,  mais  que  ménageaient  les  personnages  les  plus 
riches,  les  plus  influents,  les  plus  nobles.  Depuis  que 
l'industrie  moderne  et  les  incessantes  préoccupations 
de  la  Bourse  tiennent  les  femmes  du  monde  en  dehors 
de  ce  qu'on  y  fait  de  capital,  elles  ne  cessent  plus  que 
dans  leurs  chambres  à  coucher  d'être  étrangères 
aux  progrès  de  la  production,  et  elles  ne  figurent 
plus  que  par  calcul  aux  colonnes  du  passif,  pour 
une  consommation  de  luxe  équivalente  aux  pré- 
tentions de  crédit  en  affaires  qu'affichent  ainsi 
leurs  époux.  Où  retrouver,  je  vous  prie,  leurs 
couleurs,  c'est-à-dire  quelque  signe  d'initiative,  de 
résistance  ou  de  médiation  qui  soit  la  leur,  au 
milieu  des  lices  financières  où  elles  n'ont  armé 
personne  chevalier?  Les  plus  ardentes,  les  plus 
fines,  les  moins  patientes,  les  sensibles  et  les 
agissantes,  m'apprendrez-vous  à  quoi  elles  se 
rattrappent  dans  notre  société  actuelle?  Que  la 
plupart  de  ces  recrues  nouvelles  de  la  bonne 
compagnie  aient,  encore  mieux  que  leurs  devan- 
cières, l'œil  sur  les  dépenses  de  l'office,  sur  leurs 
cahiers  de  musique,  au  piano  et  sur  l'honneur 
de  leurs  maris,  d'accord  ;  que  non-seulement  ces 
dames,  mais  encore  ces  demoiselles  fassent  acte 
de  présence  à  tous  les  bals  de  charité  et  placent 
même  à  fenvi  les  billets  des  loteries  du  baron  Taylor, 
je  le  veux  fort!  Mais  une  autre  ambition  encore 
agile,  il  faut  le  reconnaître,  les  innombrables 
ménages  des  parvenus,  et  presque  tout  fesprit 
des  mères,  avec  celui  des    filles,  y    passe.    Les 


RUE   DE  CHARONNE.  .609 

moins  actives  s'en  remuent,  comme  les  mélan- 
coliques y  rêvent  ;  les  impatientes  s'en  torturent  ; 
les  plus  heureuses  disent  :  M'y  voilà!...  L'idéal 
est  pour  toutes,  presque  sans  exception,  non  plus 
un  mari,  mais  un  nom;  la  blonde  jeune  tille  trouve 
déplorable  celui  que  son  excellente  mère  subit 
elle-même  en  rougissant;  la  veuve  en  a  deux, 
au  lieu  d'un,  qui  lui  inspirent  la  même  horreur. 
Où  trouver  un  titre,  Tut-il  nu,  une  particule 
nobiliaire,  ne  fût-elle  qu'au  milieu  d'un  nom  à 
compartiments,  mais  qui  ne  rappelle  plus  la  source 
des  flots  de  soie  et  de  dentelles,  ne  transformant 
que  la  personne?  Ancien  régime  ou  Empire,  que 
m'importe  !  magistrature  ou  gabelles,  qui  le  saura  ? 
Mais,  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  ma  dot,  il  me 
faut  une  carte  de  visite,  et  qu'elle  n'ait  plus  rien 
de  commun  avec  le  chocolat,  l'indienne,  le  notariat, 
la  houille,  la  cote  de  la  Bourse  !  Ainsi  parlenl, 
de  seize  à  soixante,  les  plus  enviées  et  les  plus 
provocantes,  entre  les  prétendues  disponibles,  et 
tout  le  reste  pour  elles,  môme  l'amour,  h  plus 
forte  raison  la  vertu,  ne  vient  qu'après.  Vocation 
de  la  particule,  tu  recrutes  dans  la  bourgeoisie  du 
temps  présent  un  bien  grand  nombre  de  novices  ! 
On  voyait,  au  contraire,  des  princesses  de  nais- 
sance, à  l'époque  des  raffinés,  s'appeler  sœur 
Madeleine  ou  Marthe  à  Bon-Secours. 

Un  peu  au-dessus  de  ce  monastère,  quand  la  du- 
chesse d'Orléans  résidait  en  regard,  les  religieuses 
anglaises  de  la  rue  de  Charenton  avaient  affermé  à 
un  maraîcher  un  terrain,  coniigu  d'autre  part  ii  une 
vigne.  Au-dessous,  le  sieur  de  Rouen,  bourgeois 
de  Paris,  était  propriétaire.  Les  bénédictines 
mitigées  de  Bon-Secours  prenaient  des  dames  en 
pension,  et  fallait-il  que  ces  religieuses  eussent 
bonne  réputation  pour  qu'on  leur  contiàt  néan- 
moins des  femmes  enfermées  à  la  requête  de 
leurs  maris,   par  conséquent  difficiles    à    garder 


910  RUE   DE  CHARONNE. 

et  qui  étaient  l'objet  d'une  surveillance  à  part  ! 
Église  et  couvent,  reconstruits  par  l'architecte 
Louis  de  1770  à  1780,  furent  aliénés  par  l'État 
les  21  floréal  an  VIII  et  5  brumaire  an  X.  Richard 
Lenoir  y  organisa  bientôt  une  tilature  de  coton,  et 
c'est  pourquoi  son  nom  reste  au  passage,  voisin. 
Napoléon  P'",  avec  des  membres  de  sa  famille, 
se  rendit  à  une  fête  chez  ce  grand  manufacturier. 
—  L'un  et  l'autre,  lui  dit-il,  nous  avons  livré  une 
rude  guerre  à  l'industrie  anglaise,  mais  jusqu'ici 
le  fabricant  a  été  plus  heureux  que    l'empereur. 

La  révolution  de  Février  et  les  journées  de  Juin 
1848  avaient  tellement  déprécié  les  immeoibles  que 
M""  Ledru-Rollin,  femme  d'un  membre  du  gouver- 
nement provisoire,  lit  une  excellente  affaire, 
le  19  août,  en  se  rendant  adjudicataire  de 
l'hôtel  de  Bon-Secours,  n"  97,  avec  un  grand 
terrain,  et  de  l'hôtel  Richard-Lenoir,  n"  95,  plus 
d'autres  bâtiments  et  terrains,  pour  612,500  francs. 
Le  boulevard  du  Prince-Eugène,  qui  va  passer 
par-lh,  rapportera  à  la  propriétaire  plus  encore 
que  la  manufacture  de  papiers  peints  et  les  autres 
ateliers  qui  remplacent  l'école  du  Commerce, 
qu'on  y  voyait  sous  Louis-Philippe. 

Je  ne  m'explique  guère  pourquoi  len"  77,  dont 
l'édifice  se  délabre,  est  traité  de  la  vieille  Pension 
par  les  commères  du  quartier.  Elles  nous  appren- 
nent aussi  vaguement  que  le  57,  petit  hôtel  à 
façade  bien  sculptée,  fut  habité  par  une  princesse: 
en  tous  cas,  il  a  fait  la  paire  originairement  avec 
le  55,  école  primaire  au  temps  du  Directoire. 

Qui  de  nous,  d'ailleurs,  eût  deviné  que  la  rue 
de  Charonne  était  aussi  orléaniste  !  Ses  oratoires 
féminins  ne  la  purifiaient  encore  qu'imparfaitement 
des  petites-maisons  qui  se  multipliaient  aux  en- 
virons; mais  c'est  pour  le  Palais-royal  qu'elle  faisait 
surtout  pénitence.  L'hôtel    Mortagne,    outre  qu'il 


RUE  DE  CHARONNE.  611 

pouvait  aussi  être  la  création  de  Nourry,  officier  du 
prince,  a  relevé  pour  sûr  du  même  palais.  Aussi 
bien  de  plus  ancienne  date  la  seigneurie  de 
Mortagne  changeait  de  mains  :  le  maréchal 
Goyon  de  Matignon,  prince  de  Mortagne, 
l'avait  vendue  aux  Loménie,  et  le  cardinal  de 
Richelieu  l'avait  acquise,  après  cela,  pour  la  laisser 
h  son  petit-neveu,  avec  substitution  au  profit  des 
aînés.  Le  comte  de  Mortagne,  premier  écuyer  de 
la  duchesse  d'Orléans,  avait  acheté  en  1711  une 
grande  maison  à  jardin,  qui  n'a  perdu  son  nom 
qu'en  le  laissant  à  une  impasse.  Mais  les  pelits-soupers 
du  temps  de  la  Régence  ont  principalement  flori 
pour  l'ambassadeur  de  Portugal,  locataire  de 
M'""  de  Mortagne.  La  propiiélé  mesurait  alors 
2166  toises.  Aux  religieuses  anglaises  de  la  rue 
Saint-Victor  appartenaient  deux  maisons  plus  bas, 
îi  l'endroit  où  la  rue  de  Charonne  oblique,  avec 
une  seconde  porte  rue  de  la  Roquette. 

L'hôtel  Mortagne,  dessiné  par  Delisle,  eut  pour 
habitant  M.  de  Vaucanson,  célèbre  mécanicien,  dont 
les  Canards  sont  la  pièce  la  plus  connue,  mais 
.qui  en  créa  beaucoup  d'autres.  Poursuivi  et  menacé 
par  un  groupe  d'ouvriers,  à  Lyon,  il  inventait 
pour  s'en  venger,  une  machine  avec  laquelle  un 
âne  fabriquait  une  étoife  l\  fleurs.  Dans  une  inten- 
tion beaucoup  moins  malveillante,  il  fournit  à 
Marmontel,  pour  la  première  représentation  de 
Cléopâtre,  un  aspic  remuant,  qui  sitïlait  en  s'élan- 
rant  sur  le  sein  de  l'héroïne.  Malheureusement  le 
succès  du  truc  ne  Ut  pas  celui  de  la  pièce.  — 
Comment  trouvez-vous  cette  tragédie  ?  demandait- 
on  à  l'un  des  spectateurs.  —  Ma  foi,  je  suis  de 
l'avis  de  l'aspic,  répondit-il. 

Mort  en  1782  et  enterré  à  Sainte-Marguerite, 
Vaucanson  avait  donné  son  cabinet  à  la  reine  ; 
rr.ais  les  intendants  du  commerce  réclamèrent  les 
pièces  relatives  aux  manufactures.    Vandermonde, 


Gi2  RQE    DE   CHARONNE. 

mathématicien  et  musicien,  aclopt:i  les  idées  de  la 
Révolution,  qui  l'avait  trouvé  directeur  du  cabinet 
de  Vaucanson.  Le  Flùleur  et  le  Joueur  d'échecs 
passèrent  alors  en  Allemagne,  et  les  autres  auto- 
mates de  la  collection  se  dispersèrent  en  même 
temps.  Quant  à  Yanclermoiide,  il  coopéra,  en  1793, 
avec  Bertholet  et  Monge,  h  un  Avis  aux  ouvriers 
en  fer,  sur  la  composition  de  l'acier,  par  ordre 
du  comité  du  Salut  public,  et  ce  laclum  était  le 
'résultat  de  longues  expériences  faites  rue  de 
Charonne.  L'empereur  logea  ii  l'hôtel  Vaucanson 
des  peintres,  qui  en  furent  congédiés,  ii  ce  qu'on  dit, 
pour  cause  ci'inconduite,  et  Grégoire,  artiste  en 
son  genre,  mais  qui  travaillait  sur  le  velours,  s'y 
mit  h  la  tôle  d'une  manufacture,  que  visita  en 
1814  l'empereur  d'Autriche.  Ou  y  rencontre  de  nos 
jours  un  décorateur-ornemaniste,  et  très-souvent 
des  amateurs  viennent  saluer,  dans  ce  n"  51, 
l'ancienne  demeure  du  grand  mécanicien.  Sa  porte 
majestueuse,  sa  large  cour  et  ses  sculptures  offrent 
un  aspect  de  l'autre  siècle  ;  il  reste  même  une 
petite  portion  du  grand  jardin  qui  s'étendait  jusqu'à 
la  rue  de  la  Roquette.  Du  côté  opposé.  M""'  Mar- 
guerite-Thérèse Potier  de  Fougerais,  veuve  de 
François  de  Launay,  sieur  de  la  Normanderie, 
était  propriétaire  îi  l'angle  de  la  rue  du  Faubourg- 
Saint- Antoine,  en  1760,  à  la  place  de  sa  mère, 
Geneviève  Levassor,  fille  et  héritière  de  Jacques 
Levassor,  avocat  en  parlement.  A  la  maison 
attenait  une  Cour-des-3Iiracles,  peuplée  de  mar- 
chands de  vieille  ferraille  et  qui  avait  été  à  André 
Flory,  écuyer,  sieur  de  Lessart. 


Rue    Chaiicliat.   (i) 


M.  de  Vitrolles.  —  La  Présidente  Pinon.  — 
M.  Bruyère.  —  Maisons  Cuisinier  et  Davillier. 
—  La  Ferme.  —  M^^^  Chameroy. 


En  1779,  le  vidame  Jean-Joseph  de  la  Borde, 
seigneur  de  la  Ferté,  conseiller-secrétaire  du  roi, 
maison  et  couronne  de  France  et  de  ses  finances, 
préside  à  la  formation  d'une  petite  rue,  dont  le 
parrain  est  Jacques-Ghauchat,  avocat,  conseiller 
du  roj,  échevin  de  la  ville  de  Paris.  Celui-ci  se 
rend  acquéreur  du  château  de  Becquet,  à  Deuil 
près  Montmorency,  sous  le  premier  empire  ;  mais 
il  n'en  est  que  plus  loin  d'habiter  la  rue,  en  quelque 
sorte  sa  filleule.  Celui-là,  tout  au  moins,  y  séjourne 
pendant  quelque  temps,  dans  ce  n"  9,  dont 
l'encoignure  sur  la  rue  de  Provence  s'arrondit  en 
un  agréable  pavillon.  M.  de  Vitrolles,  gendre  de 
M.  de  Folleville,  occupe  l'hôtel  sous  la  Restaura- 
tion, et  combien  tout  Paris,  lors  de  l'avènement 
de  Charles  X,  s'étonne  du  silence  qui  se  fait  tout- 
à-coup  autour  du  nom  de  M.  de  Vitrolles,  l'hôte 
assidu  du  pavillon  Marsan  !  Il  est  vrai  que  cet 
agent  du  prince  de  Tallcyrand  a  servi  avec  zèle 
la  famille  royale,  lorsqu'il  y  avait  du  danger  à  le 


(l)  Notice  écrite  en  1858.  La  nie  de  la  Grange-Batelière 
ne  se  prolongeait  pas  encore  jusqu'à  la  rue  Chauchat, 
à  laquelle,  d  ailleurs,  le  prolongement  de  la  rue  Lafayette 
a  fait  psrdre  trois  ou  quatre  immeubles   dans  le   haut. 


614  RUE    CHAUCHAT. 

faire;  il  est  vrai  que  tout  le  monde  lui  attribuait 
ensuite,  sous  Louis  XVIII,  une  grande  influence 
ultra-royaliste  sur  Monsieur.  Oui,  mais  les  bonnes 
grâces  de  la  cour  ont  fini  par  mettre  dans 
l'aisance  le  conseiller  intime  du  comte  d'Artois, 
et  quand  son  prince  prend  le  sceptre,  il  demande  à 
ne  plus  quitter  la  rue  Chauchat,  pendant  que 
d'autres  passent  ministres  ! 

La  citoyenne  Le  Boulanger  et  le  citoyen  Thévenin, 
propriétaires,  obtiennent,  dès  1793,  l'autorisation 
de  prolonger  la  rue  Chauchat  jusqu'il  la  rue 
Pinon,  maintenant  Rossini,  le  long  des  bâtiments 
de  l'ancienne  halle  de  l'Octroi,  transformés  plus 
tard  en  un  temple  ;  mais  l'exécution  de  ce  projet 
n'a  guère  lieu  qu'en  l'année  1821.  Plusieurs 
historiographes,  en  remontant  à  l'origine  légale  de 
cette  rue,  ont  le  tort  d'avancer  le  veuvage  de  la 
présidente  Pinon,  née  Le  Boulanger,  qui  a  repris  son 
nom  de  demoiselle  :  son  mari,  le  président  Pinon, 
propriétaire  de  la  Grange-Batelière,  n'est  qu'arrêté 
sous  la  Terreur,  et  il  échappe  même,  à  l'aide  d'un 
déguisement,  à  la  curée  parlementaire  du  20  avril 
1794  ;  son  beau-frère,  le  président  de  Gourgues, 
est  moins  heureux,  et  tout  le  reste  du  grand 
banc  de  la  cour  sert  de  pâture  â  l'échafaud,  le 
premier  président,  M.  de  Sarron  en  tête,  ainsi 
que  le  doyen,  M.  Pasquier,  père  du  futur  chance- 
lier de  France. 

C'est  en  1798  que  Bruyère,  ingénieur  des  Ponts- 
et-Chaussées,  se  bâtit  un  petit  hôtel  sur  la  droite 
de  la  rue  Chauchat. 

Poussons  une  reconnaissance  jusqu'au  17,  qui 
ouvre  à  la  fois  rue  Chauchat  et  rue  de  la  Victoire  : 
cet  avantage  n'est-il  pas  fait  déjà  pour  lui  mériter 
la  confiance  du  corps-de-ballet  de  l'Opéra? 
M'"*  Bigotini  et  M'""  Stolz,  de  l'Opéra,  l'ont  habité. 
Mais  des  locataires  moins  volages  ont  eu  accès  dans 


RUE    CHAUCHAT.  615 

ce  petit  hôtel,  que  s'était  fait  bâtir  le  père  de 
M.  Cuisinier,  propriétaire  d'à-présent,  musicien- 
amateur  et  Mécène  des  artistes.  De  ce  nid  de 
mélodie,  au  reste,  rossignols  et  fauvettes  ne  se 
sont  envolés  qu'en  emportant  attachées  à  une  aile 
maintes  romances  sigiiées  A.  de  Montis.  MM.  San- 
son  et  Davillier,  à  côté  de  lîi,  ont  rajeuni  une 
propriété  dont  le  fond  seulement  date  de  l'ancien 
régime. 

Du  temps  où  le  terrain  de  cette  rue  se  trou- 
vait hors  de  ville,  il  restait  une  ferme,  encore 
visible  au  n°  18  il  y  a  trente  ans  ;  une  masure, 
qui  en  avait  dépendu,  n'a  même  quitté  que  l'année 
dernière  la  cour  d'une  maison  de  la  rue  du 
Faubourg-Montmartre.  Le  prolongement  de  la  rue 
Drouot  va  faire  k  son  tour  disparaître  la  remise 
du  loueur  de  voitures  qui  a  succédé  à  la  ferme, 
du    côté  de  la  rue  Chauchat. 

Quant  au  n°  16,  c'est  un  hôtel  refait,  bien  que 
M.  le  baron  Évain  n'en  ait  modifié  beaucoup  ni 
les  proportions  ni  le  caractère  extérieur.  M"''  Cha- 
meroy,  danseuse,  saurait  encore  le  reconnaître, 
pour  avoir  abrité  ses  amours  ti  la  fin  du  siècle 
précédent  ;  par  exemple,  elle  n'aurait  jamais  assez 
de  mémoire  pour  faire  ensuite  l'appel  des  mêmes 
amours.  Cette  jeune  femme  est  morte  en  couches, 
àpeu-près  en  1802,  et  l'enfant  qu'elle  avait  conyu 
était  regardé  par  Eugène  de  Beauharnais  comme  le 
sien.  Quoique  le  Concordat,  signé  entre  le  pape  et 
le  premier-consul,  fût  encore  tant  soit  peu  récent, 
le  clergé  refusait  d'abord  à  la  danseuse  les  dernières 
prières  de  l'Église;  mais  le  beau-fils  de  Napoléon  fit 
gronder  vicaires  et  curé,  à  cause  de  leurs  hésitations, 
et  le  service  funèbre  se  célébra  au  couvent  des 
Filles-Saint-Thomas.  M"^  Chameroy,  il  n'en  faut  pas 
douter,  était  une  bonne  flUe  :  elle  demandait  pour 


Clfi 


RUE    CHAUCHAT. 


donner.  Bëranger  n'avait  qu'elle  en  vue  en  com- 
posant une  jolie  chanson  sous  le  titre  de  Ta 
ia7écl/e;4se"^^   ^—;  il  y  faisait  dire  à 

Avec  le   prix  d'une  caresse 
Souvent  j'ai   sauvé  la  vertu  ! 


Rues  Château-iLianfloii  et  Chaudron,  (i) 


—  Qu'avez-vous  vu,  cher  monsieur  Rousseau, 
dans  cet  ancien  chemin  des  Potences,  con- 
verti en  rue  Château-Landon,  dont  le  premier  nom 
contribuait  sans  doute,  avec  le  voisinage  de 
Montfaucon,  à  éloigner  les  gens  qui  pouvaient 
craindre  que  dame  Justice  leur  y  assignât  rendez- 
vous  ?  M'est  avis  que  tous  les  habitants  de  pareille 
avenue  devaient  être  de  fort  honnêtes  gens. 

—  On  y  trouve  peu  de  maisons  neuves  et  peu 
d'anciennes  ;  mais  des  garnis  y  sentent  toujours 
le  chanvre,  en  ce  qu'une  corde  tient  lieu  d'oreillers 
aux  lits  de  leurs  chambrées.  Trois  ou  quatre 
masures  datent  sans  doute  de  l'époque  où  la  rue 
n'était  encore  qu'un  chemin.  J'y  ai  heureusement 
découvert  l'origine  du  nom  qui  reste.  Château- 
Landon  n'était  ni  un  village,  ni  un  nom  de 
famille,  comme  l'ont  cru  certains  chroniqueurs  ; 
c'était  tout  bonnement  un  castel,  construit  pour 
quelque  sieur  Landon,  sous  Louis  XIV,  puis  quelque 
temps  maison  de  campagne  de  la  congrégation  de 
Saint-Lazare.  Au  n"*  39  se  retrouve  cet  ancien  lieu 
de  plaisance  ;  le  jardin  du  41  en  dépendait  évidem- 
ment, ainsi  que  des  terrains  assez  considérables 
par-derrière. 

—  Maintenant,  ô  consciencieux  explorateur, 
rendez-moi  compte,  je  vous  prie,  de  vos  décou- 
vertes rue  Chaudron.  La  Tynna  prétend  qu'une 
enseigne  de  chaudronnier,  placée  à  l'angle  de  la 
rue  Château-Landon,  a  valu  sa    dénomination    à 


(1)  Notice  écrite  en  1858. 

33 


618  RUES  CHATEAU-LANDON  ET  CHAUDRON. 

cette  autre  rue,  formée  au  commencement  du 
xvni''  siècle.  Mais  d'autres  veulent  que  le  parrain 
en  soit  Joseph  Chaudron,  qui  a  fait  établir  en  4718 
une  fontaine  au  coin  de  la  rue  du  Faubourg- 
Saint-Martin  et  du  chemin  de  Pantin  (rue  Lafayette). 
—  La  rue  Chaudron,  bien  qu'elle  date  de  tantôt 
deux  siècles  à  notre  époque,  ne  paraît  encore 
que  tracée,  et  sur  un  sol  qui  n'a  pas  encore  vu 
le  til-à-plomb.  En  face  du  château  dont  vous  parlez, 
une  vieille  bicoque  a  l'air  de  trébucher,  dans  un 
petit  renfoncement  ;  mais  il  s'en  exhale  une 
poussière  à  faire  éternuer  les  gabelous  de  la 
barrière  des  Vertus  :  on ,  y  bat  sans  cesse  des 
tapis.  En  vue  de  la  rue  du  Faubourg-Saint-Martin, 
voici  bien  une  maison  proprette,  avec  une  entrée 
en  jardin  ;  il  est  vrai  qu'elle  fait  exception.  Les 
autres  constructions  sont  en  petit  nombre,  mais 
elles  ne  marquent  plus  :  ne  branlent-elles  pas  un 
peu  la  tête  ?  Quelques  poules,  qu'on  y  voit  gratter 
au  pied  des  murs,  ne  semblent  pas  déjii  si 
rassurées,  et  il  est  vrai  qu'aux  étages  supérieurs 
pas  mal  de  chambres  sont  à  louer,  comme  des 
écriteaux  l'indiquent.  De  ce  côté-là,  Paris  n'est 
jamais  plein.  Mais  ce  n'est  pas  qu'on  y  craigne, 
en  réalité,  l'éboulement.  Comment  donc  expliquer 
l'abandon  et  le  discrédit  qui  font  de  cette  rue 
du  Chaudron,  parallèle  au  mur  de  l'octroi,  une 
sorte  de  second  chemin  de  ronde  ?  Entre  chiffon- 
niers il  est  passé  de  mode  d'avouer  qu'on  y 
couche  à  la  nuit,  car  le  quartier  Mouffetard 
l'emporte,  comme  si  le  prix  du  gîte  y  était  bien 
plus  doux.  Ils  ont  pourtant  baillé  le  sobriquet  de 
rue  QuaV-sous  à    celle    du    Chaudron. 


Rue     Piepiis.   (i) 


Couvents.  —  Pensions.  —  Maisons  de  Plaisance.  — 
Maisons   de   Santé. 

Jeanne  de  Saulx,  veuve  de  René  de  Roche- 
cliouart,  comte  de  Mortemart,  donna  au  commen- 
cement du  xvn«  siècle  le  terrain  et  les  bâtiments 
où  s'établirent  les  pénitents  réibrmés  du  tiers-ordre 
de  Saint-François,  venant  de  Franconville  près 
Beaumont.  Une  épidémie,  au  milieu  du  siècle 
précédent,  avait  couvert  les  bras  des  femmes  et 
des  enfants  d'enflures  pareilles  h  celles  que  causent 
les  puces,  et  un  religieux  avait  donné  la  recette 
d'une  liqueur  parfumée  pour  faire  disparaître  tache 
et  démangeaison  ;  de  là  le  nom  de  Picpus,  que 
porta  non-seulement  le  couvent,  mais  encore  le 
territoire  environnant.  Louis  XIII,  en  posant  la 
première  pierre  d'une  chapelle,  bltie  en  remplace- 
ment d'une  plus  petite,  fit  la  maison  de  fondation 
royale  :  ce  fut  d'ailleurs  la  métropole  des  60 
couvents  de  la  congrégation.  Le  cardinal  Duperron 
y  reçut  la  sépulture  et  le  père  Héliot  y  prit 
l'habit,  après  avoir  été  chanoine  du  Sépulcre  : 
tous  deux  léguèrent  aux  moines  de  Picpus  des 
livres  qui  leur  complétèrent  une  bibliothèque 
considérable.  Des  leurs  était  aussi  frère  Biaise, 
le  sculpteur,  et  il  orna  d'une  Notre-Dame-de-Grâce 
une  des  grottes  de  leur  grand  jardin,  qui  était 
ouvert    au    public.    Le    14    mai    4717,  Régnier, 


(1)  Notice  écrite  en  1862.  Au-delà  du  Boulevard  ex- 
térieur, la  rallonge  d'un  bout  de  rue  a  été  mise  à  la 
rue  Picpus   par   le   dernier  agrandissement  de   Paris. 


630  RUE  PICPUS. 

bourrelier  au  faubourg  Saint-Antoine,  faisait  dona- 
tion aux  Picpus  de  la  nu-propriëté  d'une  maison, 
dont  il  restait  usufruitier  ainsi  que  son  père  ; 
voici  les  signatures  des  religieux-profès  qui  ac- 
ceptaient la  donation  :  Louis  Mirleau,  ministre 
pi'ovincial,  Jérôme,  defflniteur,  Macaire,  ex-pro- 
vincial, Murcian,  gardien,  Eustache,  vicaire  ; 
Emmanuel,  Samuel,  Grégoire,  Charles,  Constance, 
discrets,  et  Bonnot,  aussi  discret  et  procureur. 
Chez  eux  les  frais  du  noviciat  étaient  de  400 
livres  et  la  profession  entraînait  à-peu-près  la 
même  dépense. 

Le  n«  52,  situé  en  regard  du  couvent,  qui  en 
était  propriétaire,  servait  de  point  de  départ  aux 
ambassadeurs  des  puissances  catholiques,  le  jour 
de  leur  entrée  solennelle  à  Paris,  qui  avait  lieu 
ordinairement  le  dimanche.  Cérémonial  qui  com- 
mençait Il  la  Folie-Rambouillet,  rue  de  Charenton, 
pour  les  ambassadeurs  protestants. 

Les  religieux  ont  eu  pour  successeurs  :  au  57, 
un  maître-de-pension,  puis  la  congrégation  de 
la  Mère-de-Dieu,  fondée  par  M""'  de  Lezeau  ;  au 
42,  le  jardinier  du  couvent  de  Sainte-Clotilde; 
aux  41,  39  et  37,  les  dames  des  Sacrés-Cœurs- 
de-Jésus-et-de-Marie,  dont  l'église  au  35  est  neuve. 

On  y  consacre  tous  les  ans  un  service  funèbre 
aux  victimes  immolées  pendant  la  Terreur  sur  la 
place  du  Trône,  alors  du  Trône-renversé,  et  qui 
ont  été  enterrées  dans  un  ci-devant  cimetière  de 
clianoinesses,  voisines  des  religieux  de  Picpus.  Les 
parents  de  ces  victimes  ont  été  autorisés  en  1804 
Il  se  faire  inhumer  près  d'elles.  Le  général  Lafayette 
y  repose  près  de  sa  femme,  tille  du  duc  d'Ayen, 
et  il  n'y  a  pas  longtemps  que  la  marquise  de 
Rosambo  a  pris  sa  place  au  même  cimetière. 

Tubeuf,  intendant  des  finances  d'Anne  d'Autriche, 
avait  fait  venir  de  Reims  et  installé  au  village  de 
Picpus,  avec  le  concours  de  M.  de  Gondi,  arche- 


RUE  PICPUS.  6-21 

veque  de  Paris,  leschanoinesses  deNotre-Dame-de-la- 
Victoire-de-Lépante  :  la  première  supérieure  qu'elles 
y  avaient  élue,  en  1652,  était  Suzanne  Tubeuf, 
sœur  de  leur  bienfaiteur.  Ces  religieuses  célé- 
braient, le  7  octobre  de  chaque  année,  la  victoire 
remportée  en  4572,  dans  le  golfe  de  Lépante,  par 
don  Juan  d'Autriche  sur  les  Turcs.  Elles  suivaient 
la  règle  de  saint  Augustin  et  portaient  un  habit 
de  serge  blanche,  avec  surpli  de  toile  hne,  un 
voile  noir  sur  la  tête,  une  aumusse  sur  le  bras. 
Environ  40  chanoinesses  et  10  converses  com- 
posaient leur  maison,  en  1778  :  des  jeunes  pen- 
sionnaires y  étaient  reçues  n\oyeniiant  la  rétribu- 
tion annuelle  de  400  livres,  élevée  h  500  dans  les 
derniers  temps.  Le  séminaire  de  Picpus,  qui  a 
succédé  en  l830  h  une  fondation  religieuse  irlan- 
daise, occupe  en  partie  l'ancienne  maison  des 
religieuses. 

Il  y  avait  avant  la  Révolution  plus  de  pensions 
de  garçons  que  de  couvents  dans  cette  rue  Picpus, 
et  presque  toutes  du  côté  droit.  La  Mésangère, 
maître-ès-arts,  homme  de  lettres,  qui  avait  reçu 
la  tonsure,  y  fut  le  chef  d'un  établissement,  où 
la  pension  se  payait  500  livres  jusqu'à  10  ans, 
600  au-dessus  de  cet  âge,  plus  20  pour  papier, 
plumes,  encre,' poudre  et  pommade,  et  dans  cette 
maison  d'éducation,  comme  dans  les  voisines,  on 
donnait  par  élève  24  livres  de  bienvenue  pour  les  maî- 
tres et  les  domestiques.  Ayant  quitté  l'enseignement, 
La  Mésangère  fut  rédacteur  du  Journal  des  Dames 
et  des  Mo^?es  de  1790  iM831.  Outre  MM.  Watrin, 
Lottin  et  Coutier,  qui  étaient  établis  plus  haut, 
M.  Collia  tenait  une  pension,  la  plus  ancienne  de 
la  rue,  au  n°  92,  lequel  avait  appartenu  ii  M.  de 
la  Beaume,  maître-des-comptes.  Le  sénateur  Yiltard 
en  ht  sa  maison  de  campagne,  et  depuis  c'est 
une  maison  de  santé  pour  les  afiéctions  mentales. 
On  y  lit  encore  sur  le  mur  l'inscription  que  voici  : 


622  RUE   PICPUS. 

1726.  Do  par  h  roi,  (}éfe7iscs  expresses  sont,  faites  de  bâtir 
dans  cette  rwc  hors  la  présente  borne  et  limite  aux  peines 
portées  par  les  déclarations  de    S.   -M.   de    ll-2i    et  1726. 

M"''  Clairon,  sous  les  auspices  d'un  financier, 
habita  le  82,  précédemment  à  M.  de  Nérac.  Ce 
dernier  avait  eu  pour  voisin  le  musicien  Marais, 
dont  le  jardin  allait  jusqu'à  la  rue  de  Reuilly.  Un 
ouvroir  pour  les  jeunes  filles  est  sous  la  direction 
du  Sacré-Cœur,  au  64,  antérieurement  maison  de 
santé  Sainte-Aure-de-Piepus,  et  dans  deux  immeu- 
bles adjacents.  Par-là  a  demeuré  la  comtesse 
d'Esparda,  Eugénie  de  la  Bouchardie,  que  Marie- 
Joseph  Chénier  a  chantée. 

Ninon  de  Lenclos  avait  eu  pour  maison  de 
campagne  la  propriété  occupée  par  La  Mésangère, 
transformée  en  filature  de  lacets  sous  la  Républi- 
que, et  dans  laquelle  a  été  transféré  en  1828 
l'hospice  d'Enghien,  fondé  neuf  ans  auparavant 
par  la  duchesse  de  Bourbon.  La  maison  d'éduca- 
tion de  M"'e  Blacque,  qui  date  d'un  demi-siècle,  est 
une  transformation  des  anciennes  écuries  de  Ninon. 

Le  10  avait  servi  de  rendez-vous  de  chasse  à 
Henri  IV.  M*"*^  Saint-Marcel  y  créa,  sous  Louis  XV, 
un  établissement  particulier  pour  des  aliénés,  et 
l'immeuble  appartient  encore  à  la  même  famille, 
sans  avoir  changé  de  destination.  L'acteur  Lassagne 
y  est  au  nombre  des  malades  en  traitement. 

Le  4,  ce  pavillon  carré  dans  lequel  un  pen- 
sionnat de  demoiselles  succède  h  un  pensionnat 
de  garçons,  fut  originairement  nue  petite-maison. 
Léonard  Bounaud  de  Tranchecerf,  écuyer,  comte 
du  Saint-Empire,  membre  de  l'Académie  de  chirur- 
gie, demeurant  rue  de  Montreuil,  acquit  cette 
propriété,  en  1786,   de  la  succession   Galle. 


Rue   de    Reuilly   et   rue  Érard, 

NAGDÈRE 

petite   rue  de   Reuilly.  (i) 


Le  Haut  et  le  Bas-Reuilly  sous  les  règnes  de 
Dagobèrt  P',  de  Jean-le-Bon,  de  Louis  XIV,  de 
Louis  XVI,  de  Napoléon   /•""  et  de  Napoléon  IIL 

En  1862  il  y  a  encore  une  rue,  une  petite  rue 
et  une  impasse  de  Reuilly  ;  mais  l'impasse,  désignée 
sur  le  plan  de  Verniquet  comme  cul-de-sac  Si- 
guéri,  est  devenue  une  rue,  en  débouchant  sur  le 
boulevard  Mazas,  et  changera  de  nom  inévitablement. 

Les  rois  mérovingiens  ont  eu  pour  résidence 
d'été  le  château  de  Reuilly,  où  Dagobert  I"  a 
amené  Gomatrude,  sa  première  femme,  puis 
Nanthilde,  après  avoir  répudié  Gomatrude  en  l'année 
629.  Le  roi  Jean,  au  xiv^  siècle,  promettait  encore  h 
Humbert,  patriarche  d'Alexandrie,  de  lui  donner 
son  manoir  de  Reuilly.  De  ce  château,  reconstruit 
au  moyen-âge,  les  ruines  ont  été  longtemps  une 
cour  des  Miracles,  repaire  de  la  bohème.  Rivière 
Dufresny,  patronné  par  Colbert,  y  a  créé,  en 
1634,  la  manufacture  royale  des  glaces,  qu'on 
retrouve  transformée  en  quartier  d'infanterie.  Il 
restait  néanmoins,  derrière  la  manufacture,  une 
maison  de  Reuilly,  dans  la  petite  rue,  entre  le 
cul-de-sac  Siguéry  et  la  rue  de  Charenton.  La 
population  de  ce  hameau  suburbain  était  croissante 
avant  même  qu'une  grande  industrie  s'y  exploitât 


,  (1)  Notice  écrite  eu  18C2.  La  rue  qui  est  dédiée  à 
Erard,  facteur  de  pianos,  s'appelait  alors  petite  rue 
de   Reuilly. 


624         RUE  DE  REUILLY  ET  RUE  ÉRARD, 

royalement .  Ujip  chapelle,  pour  le  desservir, 
ainsi  que  Picpus,  la  Folie-Regnauld  et  autres  lieux 
du  voisinage,  avait  été  construite  dès  1625  à  la 
pointe  Reuilly. 

Le  lieutenant-criminel  Lecomte  avait  pour  loca- 
taire un  jardinier,  en  1720,  dans  l'impasse,  où  De 
Meufve,  banquier,  entretenait  sa  petite-maison  ; 
deux  autres  propriétés  y  appartenaient  à  M"""  de 
Vorce,  qui  en  occupait  une.  De  l'autre  côté  de 
la  petite  rue,  à  l'angle  de  la  rue  de  Charenton, 
un  voiturier  était  propriétaire  ;  puis  venait  le  comte 
de  Noce,  qui  ne  soupait  pas  que  chez  le  régent, 
puis  le  couvent  de  la  Trinité,  donnant  aussi  rue 
de  Reuilly.  Plusieurs  corps-de-bàtiments  datent,  en 
cet  endroit,  des  siècles  précédents.  . 

Suzanne  Sarabat,  protestante  convertie,  et 
M"'"  Voysin,  femme  du  chancelier  de  France,  éta- 
blirent," en  1703,  près  du  cloître  Saint-Marcel  les 
mathurines,  fdles  de  la  Trinité,  transférées  près 
de  l'Observatoire  peu  de  temps  après,  puis,  en 
1707,  rue  du  Faubourg-Saint-Antoine,  et  cinq  années 
plus  tard  dans  une  maison  de  la  petite  rue  de 
Reuilly,  que  leur  cédait  M"''  Fréard  de  Chanteloup. 
Ces  religieuses,  qui  n'étaient  point  cloîtrées  et 
que  des  vœux  simples  engageaient,  portaient  un 
triangle  d'argent  en  sautoir  sur  un  ruban  bleu. 
Elles  enseignaient  gratuitement  des  fdles  pauvres 
et  prenaient  des  pensionnaires  ii  3  ou  400  livres 
par  année.  La  Trinité  devint,  sous  la  République, 
une  fdature  ;  on  y  retrouve  une  manufacture  de 
papiers  peints. 

On  a  appelé  Bas-Reuilly  l'impasse  et  la  petite  rue, 
ainsi  que  la  rive  droite  de  la  rue  de  Reuilly.  La  rue 
Montgallet  elle-même  a  été  dite  du  Bas-Reuilly.  Le 
Haut-Reuilly  a  gardé  le  château,  dont  ce  qui  reste  est 
!)eaucoup  plus  vieux  que  la  manufacture  royale, 
substituée  au  château  d'une  autre  époque.  La  mar- 


NAGUÈRE    PETITE  RUE   DE   REUILLY.      695 

«iuise  de  Brinvilliers  a  fait  de  l'ancien  séjour  des 
mérovingiens  sa  maison  de  campagne,  et  notre  siècle 
une  fabrique  de  chandelles,  rue  de  Reuilly,  37- 
39-44.  Nous  sommes,  de  plus,  tenté  de  croire  que 
cette  propriété  fut  la  maison  à  huit  corps-de- 
logis  et  h  jardin  de  3  arpens,  sise  rue  de  Reuilly, 
vendue  en  1778  h.  Louis  Joron,  conseiller  du  roi, 
commissaire  enquesteur  et  eœMninateur  au  Châtelet, 
par  LafTitte,  procureur  au  Châtelet,  dont  la  mère, 
née  Lefebvre,  avait  acquis,  en  1714,  de  Maignard, 
marquis  de  Bernières. 

Le  2  mai  1775,  Philippe-Louis Poquelin,  demeurant 
rue  Geoffroy-Langevin,  Jean-François  Selon,  Joseph 
Canclaux,  Antoine  Saladin  et  Pierre  Combault,  tant 
pour  eux  que  pour  les  autres  associés  et  intéressés 
en  la  manufacture  royale  de  glaces,  achetaient  le 
14  actuel.  Leur  vendeur  se  nommait  Louis  Mortier. 
Un  de  ses  prédécesseurs  avait  été  Sébastien  Bour- 
bon, peintre  du  roi,  recteur  de  l'académie  royale 
de  Peinture  et  de  Sculpture.  Ce  peintre,  décédé  en 
1671,  avait  passé  les  dix  dernières  années  de  sa  vie 
dans  la  rue  de  Reuilly,  que  sa  veuve  et  une  de 
ses  filles  n'avaient  quittée  que  41  ans  après. 

Ladite  maison  et  beaucoup  d'autres  relevaient 
censuellement  de  l'abbaye  Saint-Antoine  et  s'im- 
matriculaient, par  un  renouvellement  d'aveu,  dans 
le  Terrier  dressé  l'an  1691  en  conséquence  des  lettres 
obtenues  du  roi  et  de  la  sentence  rendue  par  N.  N. 
S.  S.  des  requêtes  du  palais,  des  publications  faites, 
etc.,  à  la  diligence  de  noble  et  vertueuse  dame 
Marie  Madeleine  de  Mornay  de  Montchevreuil, 
abbesse,  dames  Elisabeth  Burin,  prieure,  Marie  de 
la  Proustière,  Elisabeth  Scarron,  Madeleine  ds 
Chevité,  Marguerite  Binot,  Anne  Lévis,  Chrétienne 
Bailly,  Anne  Bouthillier,  Jeanne  Royer,  Catherine 
de  la  Proustière,  Marguerite  Fouquet,  Françoise 
Le  Camus,  Madeleine  de  la  Salle,  Anne  de  Rouvroy, 
Madeleine  Leclerc,    Louise    de   Taunave,    Suzanne 


«26         RUE  DE  REUILLYET  RUEERÀRD, 

Doradour,  Marguerite  Chevré,  Marguerite  Gous- 
sault,  Jeanne  Amelot,  Antoinette  de  Rouvroy,  Anne 
Bonnet,  Marie  Mole,  Elisabeth  Chèvre,  Elisabeth 
de  Sainte- Foigne,  Antoinette  de  Maintenant, 
Madeleine  Chevré,  Madeleine  d'Angest,  Marie- 
Anne  Duhamel  et  Françoise  Macé,  religieuses  pro- 
fesses de  cette  Abbaye  Royale.  La  maison  faisant 
suite  à  la  manufacture  de  glaces  était  louée  à 
une  boulangère  par  ces  religieux,  qui  en  avaient 
la  propriété  absolue.  Beaucoup  de  boulangers 
habitaient  alors  ces  parages.  Le  moyen  de  nous 
étonner  qu'une  boulangerie  Bethmont  et  Béranger, 
33  rue  de  Beuilly,  se  dise  fondée  en  1656  ! 

Lecarurier  de  Saint-Germain,  gendarme  de  la 
garde  ordinaire  de  Louis  XV,  gentilhomme  des 
enfants  de  France,  avait  eu  Dufix,  tailleur  d'habits, 
pour  prédécesseur  dans  une  maison  et  un  jardin 
sis  en  haut  de  la  rue;  Guillaume  Barreau, 
bourgeois,  lui  succéda. 

La  petite-maison  du  marquis  de  Duras  n'est-elle 
pas  devenue,  elle  aussi,  une  manufacture  sous  le 
premier  empire  ?  Le  marquis  y  recevait  M""  Ledoux, 
qui  lui  vola  un  jour  une  boîte  d  or  ;  la  duchesse 
de  Mazarin  en  avait  fait  cadeau,  comme  souvenir, 
à  M.  de  Duras,  lors  de  son  mariage.  Ce  qui 
vient  par  la  flûte  s'en  retourne  par  le  tambour! 

Royer,  maître  de  pension,  et  un  de  ses  confrères 
avaient  été  établis  rue  de  Reuilly  avant  la  fin  du 
règne  de  Louis  XIV  ;  les  sieurs  de  Longpré  et 
Le  François  y  tenaient  une  école  des  sciences 
mathématiques  et  historiques  sous  Louis  XVL 
M.  Saint-Amaiid-Cimetière  y  fut  ensuite  chef  d'insti- 
tution. Des  écoles  et  des  pensionnats  pour  les 
jeunes  filles  catholiques  et  protestantes  rivalisent, 
à  notre  époque,  dans  la  même  rue,  que  n'ont  pas 
entièrement  envahie  les  fabriques.  Les  diaconesses, 
sœurs  de  charité  protestantes,   ont    le  chef-lieu, 


NAGUÈRE  PETITE  RLE  DE  REUILLY.       627 

de  leur  institution  au  n°  95  :  un  hospice,  un  pen- 
sionnat, une  maison  de  refuse  et  une  maison  de 
correction  y  sont  réunies  sans  se  confondre.  Un 
peu  plus  haut,  les  dames  de  Sainte-Clotilde,  dont 
la  communauté  est  enseip:nante,  occupent,  depuis 
4824,  l'ancienne  propriété  dans  laquelle  les  carrosses 
du  roi  allaient  prendre  les  ambassadeurs  catholi- 
ques par  la  porte  qui  donne  rue  Picpus. 


M,u<ts  Pofc'âaléi^, 


Saîute-iBarbc,    et    rue    Villeiieii%'c, 


8aiiit-Éiicnnc>Boniie-]\oiive1le.    (0 


Propriétaires   en   •]7'20   rue  Sainte-Barbe 


Calé  des  ijumcrot;  impairs. 
Godin. 
Cudel. 
Le    l'as. 
Dedieu,  coin   <]o   In  rue  Je  la 

TjUT.c. 
Les  frères    de   Lenoncourt, 

maîtres -cordonniers,  auti-e 

coin . 
Idem. 
Les  filles    de    rUino!i-Ct:ré- 

tienne. 


Côté  des  numéros    pairs. 
Dame   Lcdoux,    à   l'Ècu-de- 

FrancL'. 
Labarque,  tailleur. 
Frémont. 

Denis,  au   Monarque. 
Navet    aux  Trois-Cornefs. 
Subtil,  à  Mainte-Anne. 
Marchand,     archiiecie,    coin 

de  la  rue   de  la  Lune. 
Héron,  autre  roi7i. 
Les   FiUes-Hieu. 
Dame  Lataux. 


(1)  Noies  pnbliées  en  1S(J2  Le  bienfaisant  M.  Porlalè.^;, 
dont  la  rne  Sainte-Barbe  porte  maintenaat  le  }iom,  étdit 
encore  vivant  el  curé  de  l'église  Notre-Dame-de-Bonne- 
Nouvello.  La  i-uc  Saint-Etienne-Bonne-Nouvelle  n'avait 
pas  encore  reçu  la  dénomination  do  l'ancien  quartier 
de  la  Ville-Neuvr,  dont  elle  avait  fait  partie,  comme 
la  lue  Sainte-Barbt^,  comme  la  rue  Bourbon-Villeneuve, 
à-piésent  Aboukir^    etc. 


RUE   PORTALÉS,    ETC. 


629 


Rue    Sainte- Etienne  : 


Ml'e  Mercier, 

Questier. 

Chanibon. 

Nourjs  avocat. 

Leprince,    marbrier. 

Ferré,    tailieur. 

Idem. 

Tirard,  à    la    FJeur-de-Lis. 

Levicomto. 

Veuve  Polsac.  à  Saint  Louis. 

/detn. 

Courin,   coin  de  la  rue   de   la 

Cheuvry. 

Lune. 

Idem. 

X,    autre   rein. 

Veuve    Titon,  à    la    Figure- 

Huarl,  caijituine  du  quartier. 

ci  u-Roi. 

ïurpin. 

Baudoin,  coin  de   la    rue    de 

■ 

la  Lune. 

Dame  Leinaîlre,   autre   coin. 

Dame  Brion. 

Rallolier. 

Rue  llaric-Stuard.   (i) 

En  passant  dans  une  rue  qu'elle  ne  connaissait 
pas,  Marie  Sluard,  reine  d'Ecosse  et  de  France, 
demanda  comment  elle  s'appellait  ;  mais  le  nom 
en  éiait  si  peu  honnête  qu'on  le  corrigea  une 
première  fois  en  répondant  :  —  Rue  Ïire-Boudin. 

Cet  adoucissement  parut  si  nécessaire  (ju'on  en 
oublia  l'autre  nom,  qui  rappelait  trop  que  la  rue 
avait  été  de  celles  où  se  parquaient  les  femmes 
de  mauvaises  vie  et  mœurs.  Deux  siècles  avaient 
déjk  accepté  cette  pudique  réforme  quand  Saint- 
Foix  rappela,  dans  ses  Essais  sur  Paris,  l'anecdote 
à  laquelle  elle  était  due.  Fouché  s'en  inspira,  alors 
qu'il  exerçait  le  commandement  dans  '  la  police 
impériale,  pour  donner  au  même  scrupule  une 
satisfaction  plus  complète,  en  substituant  le  nom 
de  Marie-Stuard  à  celui  de  Tire-Boudin. 

Cinq  paysans,  chargés  de  provisions  pour  les 
halles,  furent  gelés  dans  la  nuit  du  20  janvier 
1608,  à  l'entrée  de  ladite  rue.  Le  froid  avait  eu, 
cette  nuit-là,  une  intensité  rigoureuse  dont  Henri 
IV  lui-même  s'était  ressenti  au  Louvre.  Le  roi 
raconta,  en  effet,  à  Pierre  Mathieu,  assistant  à 
son  petit-lever,  qu'il  s'était  réveillé  la  bai-be  toute 
gelée  dans  le  lit  que  partageait  la  reine  :  circon- 
stance aggravante  pour  la  rigueur  de  la  température! 

Le  n°  24,  à  l'enseigne  de  Sahit-Sauveur,  appartint 
simultanément  à  trois  frères:  Henri  de  Valois, 
écrivain  critique,  avocat,  historiographe  de  Louis 
XIV;  Charles  de  Valois  et  Adrien  de  Valois, 
seigneur  de  la  Mare,  poète  latin,  qui  fut  aussi 
historiographe  du  roi. 


(1)  Notice   écrite   en    1862. 


RUE  MARÎE-STUARD.  631 

Sous  le  règne  suivant,  une  maison  plus  voisine 
de  la  rue  des  Deux-Portes  que  de  la  rue  Mon- 
lorgueil  fut  habitée  par  Carlin  Bertinazzi.  Cet 
arlequin  célèbre  de  la  Comédie-Italienne  impro- 
visait mieux  qu'il  ne  récitait.  Sa  probité  n'était 
pas  moins  connue  dans  le  quartier  que  sa  gaîté. 
Sa  femme  avait  pourtant,  sans  sa  permission, 
des  amants,,  et  pouvait-il  en  rire?  Quand  on  jouait 
des  tours  k  l'arlequin,  alors  qu'il  n'était  plus  en 
scène,  il  s'en  consolait  par  ces  mots:  —  Déci- 
dément je  crois  qu'il  n'y  a  que  moi  de  i)arfaite- 
ment  honnête  homme. 

M'"^  de  Hesse  et  M"«  Trial,  du  même  théâtre, 
ont  demeuré  aussi  rue  Tire-Boudin.  La  première 
était  fille  de  Thomassin,  l'ancien  arlequin  des 
Italiens  ;  elle  avait  débité,  enfant,  des  petits  rôles, 
avant  d'être  reçue  en  1727  amoureuse  et  soubrette. 
M"«  Trial  eut  pour  mari  l'acteur  qui  a  laissé  son 
nom  à  son  emploi  dans  l'opéra-comique. 


Rue    8aint-Joscphé   (i) 

Prudhomme,  auteur  du  Miroir  de  Paris,  fait 
mourir  M""^  de  Montespan  dans  la  rue  Saint-Joseph  ; 
mais  cette  maîtresse  de  Louis  XIV  a  passé  les 
dernières  années  de  sa  vie  tantôt  au  couvent  de 
Saint-Joseph,  situé  rue  Saint-Dominique,  chez  les 
filles  de  la  Providence,  dont  elle  était  la  bien- 
faitrice; tantôt  à  Bourbon-l'Archambault,  où  elle 
a  rendu  le  dernier   soupir. 

Lorsque  M""®  de  Montespan  avait  encore  ses 
appartements  à  Versailles,  Martin  Le  Pas,  archi- 
tecte des  bâtiments-dii-roi,  occupait  déjà  un  hôtel 
dont  le  n"  44,  rue  Saint-Joseph,  a  pris  la  place 
dans  notre  siècle.  La  veuve  de  Leroquier,  couvreur, 
était  propriétaire  n"*  7  et  9,  et  Guignes,  valet-de- 
chambre  du  roi,  n'M.  MM.  de  Maraude  avaient 
sur  l'autre  ligne  la  troisième  maison  et  la  quatrième 
à  partir  de  la  rue  du  Gros-Chenet,  présentement 
du  Sentier. 

Des  scènes  dramatiques  d'un  roman  d'Alexandre 
Dumas,  le  Chevalier  cCHarmental,  se  passent  au 
n"  5  ;  mais  on  n'y  rencontrait  réellement  que 
Vincent  père  et  fils,  banquiers,  dans  la  seconde 
moitié  du  dernier  siècle.  Au  même  temps,  un 
payeur  de  rentes,  nommé  Maupetit,  occupait  le 
n"  4,  postérieurement  hôtel  dHautpoul,  qui  appar- 
tient encore  à  M'""'  la  comtesse  de  Palarain,  fille 
de  la  marquise  d'Hautpoul. 

Le  Conservatoire  de  musique,  dont  les  traditions 
furent  sauvegardées  pendant  la  Terreur  par  le  corps 
de  musique  des  ci-devant  gardes-françaises,  se 
réfugia,  à  cette  époque,   rue    Saint- Joseph  ;   mais 


(1)  Notice  écrite   en  1862. 


RUE    SAINT-JOSEPH.  633 

il  y  resta-  peu  de  temps.  N'était-ce  pas  dans  la 
chapelle  qui  avait  valu  le  nom  de  rue  Saint-Joseph 
à  l'ancienne  rue  du  Temps-Perdu  ?  Ladite  chapelle, 
en  tout  cas.  avait  été  convertie  en  chef-lieu  de 
la  section  de  Brutus,  précédemment  section  de 
Molière  et  Lafontaine,  dite  plus  tôt  encore  de  la 
Fontaine-Montmorency  et  tout  d'ahord  district  de 
Saint-Joseph.  Molière  et  Lafontaine  avaient  reçu 
la  sépulture  dans  le  cimetière  contigu  ;  leurs  corps 
furent  relevés  officiellement,  et  l'aliénation  permit 
de  métamorphoser,  trois  ans  plus  tard,  en  un 
marché  le  cimetière  et  la  chnpelle.  Le  n"  28  ser- 
vait de  presbytère  à  celle-ci,  que  sa  transforma- 
tion ne  rend  méconnaissable  qu'à  l'extérieur.  Le 
marché  est  moins  bien  construit  sur  l'emplacement 
du  cimetière,  c'est-à-dire  du  côté  de  la  rue  du 
Croissant.  Aux  frais  du  chancelier  Séguier  avait 
été  bâtie,  en  1640,  la  petite  église,  donnée  avec 
le  cimetière  aux  marguilliers  de  Saint-Eustache, 
en  échange  d'un  autre  cimetière,  situé  rue  du 
Bouloi    et  que  s'annexait  l'hôtel  Séguier. 


34 


Rue    Naint-IIarc.   (i) 


Le  mauvais  Lieu.  —  La  Gazette  erotique.  — 
Les  Hôtels.  —  Les  Cabinets  cC Amateurs.  —  Le 
Pavillon  du  Duc  de  Montmorency.  —  Ernest 
Legouvé. 

L'explorateur  qui  prend  des  notes  en  ville  pour 
servir  h  la  rédaction  de  nos  notices  croit  que  la 
maison  angulaire  qui  relie  la  rue  Feydeau  à  la 
rue  Saint-Marc  a  toujours  eu  la  destination  qui 
l'oblige  à  tenir  nuit  et  jour  ou  ses  jalousies  abaissées 
ou  ses  Persiennes  fermées.  Il  paraît  qu'on  y  retrouve 
jusqu'à  de  fausses  portes  d'une  construction  sécu- 
laire, et  les  précautions  qu'elles  servaient  pro- 
bablement à  prendre  n'étaient  pas  inutiles. 
L'appareilleuse  Biissault,  établie  rue  Feydeau,  re- 
cevait jusqu'à  des  femmes  mariées,  réduites  aux 
expédients  par  un  moment  de  gêne  et  qui  craignaient 
de  rencontrer  leurs  maris  en  veine  d'infidélité. 
Brissault,  tailleur  d'habits,  s'était  mis  à  la  tête 
de  la  maison,  avec  sa  femme,  déjà  connue  comme 
fille  du  monde,  et  il  en  était  résulté  pour  la 
Gourdan  une  sérieuse  concurrence.  L'engagement 
volontaire  et  le  remplacement  suffisent  au  recru- 
tement incessant  de  l'armée  féminine  dont  le  service 
ne  consiste  qu'à  remplacer  l'amour  et  le  mariage. 
Le  poste  que  voici  tient  sous  les  armes,  depuis 
plus  de  cent  ans,  le  même  nombre  de  jeunes  soldats, 
d'autant  plus  braves  qu'ils  ne  s'enrôlent  pas  sans 
avoir  déjà  vu  le  feu.  Le  chevrons  n'y  sont  de  mise 
que  pour  le  capitaine,  et  les  meilleurs  soldats  s'y 

(1)  Notice  écrite   en  1858. 


RUE   SAINT- M  ARC.  635 

renouvellent  à  la  première  ride.  La  jeunesse  avant 
tout  !  La  manière  d'exploiter  le  vice  n'a  pourtant 
pas  toujours  été  la  même  dans  cet  établissement 
séculaire.  Une  femme,  que  la  nuance  de  ses  cheveux 
avait  fait  surnommer  la  Rouge,  s'y  prenait  sous  la 
République  et  le  premier  empire  différemment  que 
la  Rrissault  sous  Louis  XV  :  h  plein  verre  elle 
versait  h  boire  aux  chalands  du  rez-de-chaussée, 
qui  ne  grimpaient  plus  tous  aux  étages  supérieurs. 
La  Vincent  restitua  ensuite  ii  la  maison  des  habitudes 
moins  soldatesques,  afin  de  rivaliser  avec  la  Saint- 
Aubin  et  la  Mayancourt,  établies  rue  Saint-Marc 
et  rue  Neuve-Saint-Marc,  où  leurs  maisons  du 
moins  vivent  toujours. 

Le  journal  erotique  rédigé  pour  Louis  XV,  sur 
les  rapports  de  la  police,  traitait  presque  les  femmes 
de  qualité  et  les  bourgeoises,  dans  leurs  écarts, 
comme  des  filles  du  monde.  Une  belle  blonde  frisant 
la  quarantaine,  M"'''  Magon  de  la  Balue,  dont  la 
demeure  était  rue  Saint-Marc,  chez  son  mari,  le 
fermier-général,  n'avait-elle  pas  un  ami  de  ce 
dernier  pour  amant?  Jusque-là  rien  de  surprenant. 
Mais  la  chronique  scandaleuse  ad  icsum  régis 
ajoutait  que  M'"<^  de  la  Balue  avait  eu  raison  de 
préférer  h  un  galant  delà  première  jeunesse  le  com- 
plice qu'elle  avait  choisi  :  ce  bel  homme  était  in- 
téressé dans  les  manufactures  de  drap  de  Van  Robais 
et  encore  garçon,  n'ayant  que .53  ans,  âge  compatible 
avec  une  saine  vigueur.  L'anecdote,  ainsi  présentée, 
flattait  Louis  XV,  car  il  avait  passé  la  quarantaine. 
Le  fermier-général  quitla  bientôt  pour  la  rue 
Grange-Batelière,  puis  pour  la  place  Vendôme,  la 
rue  Saint-Marc,  où  son  ancien  hôtel  porte  aujourd'hui 
soit  le  chiffre  24,  soit  les  chiffres  16  et  18,  qui 
se  rapportent  également  h  un  ancien  hôtel  Dubarry. 

Un  terrain  affermé  ii  Duval,  jardinier,  fut  acheté 
en  l'an  1700  par  Bodre,  maître-maçon,  qui  y 
construisit    le    17.   Cette  maison  appartenait,  peu 


(136  RUE     SAINT-MARC. 

d'années  après  la  mort  de  Louis  XIV,  à 
Pierre  Marlinaut  de  Préneuf,  secrétaiie  du  roi, 
lieutenant-général  au  bailliage  de  Cusset,  et  à 
l'épouse  de  Noïlas,  seigneur  de  Montluisant,  aux- 
quels propriétaires  le  procureur  Aillaux  réclamait 
vingt-cinq  ans  d'arrérages  de  cens  au  profit  du 
fief  de  la  Grange-Batelière,  dont  le  financier  Law 
était  tenancier. 

Les  galeries  particulières  d'objets  d'art  aflluaient 
rue  Saint-Marc  au  wn^'  siècle.  On  y  vantait  d'abord 
le  cabinet  d'histoire  naturelle  de  M'"'' de  Boisjour- 
daiii,  puis  celui  du  peintre  Desmoulins  ;  la  galerie 
des  tableaux  de  M™«  veuve  Sorin  et  enfin  le  cabinet 
d'ornithologie  du  duc  de  Montmorency,  établi  dans 
un  pavillon.  Lecarpentier  était  l'architecte  de  ce 
pavillon,  décoré  de  sculptures  par  Pineau  et  d'un 
plafond  représentant  les  Quatre-Saisons,  par  Hallé. 

Un  chartrier  et  une  salle  de  bain  faisaient  subsi- 
diairement  partie  du  pavillon,  dont  fut  locataire  le 
duc  d'Orléans  sous  le  règne  de  Louis-Philippe,  et 
qu'occupe  le  café  de  l'Europe,  rue  Vivienne.  L'hôtel 
de  Montmorency-Luxembourg  avait  été  édifié  en 
1704,  sur  le  dessin  de  Lassurance,  pour  Thomas 
de  Rivié,  secrétaire  du  roi,  prédécesseur  en  cet 
endroit  du  contrôleur-des-finances  Desmarets.  N'en 
survit-t-il  pas  d'autres  bâtiments  moins  importants, 
de  l'autre  côté  du  passage  des  Panoramas?  Le 
roi  avait  autorisé  le  duc,  en  1782,  à  ouvrir  la 
rue  Neuve-Montmorency  (i)  à  ses  dépens,  en  face 
de  l'hôtel.  Les  autres  maisons  principales  de  la 
rue  étaient  habitées  en  ce  temps-là  par  M""*  Sorin, 
par  la  famille  d'Esparbès,  par  Leroy  de  Camilly, 
payeur  de  rentes,  par  Chaumont  de  la  Millière, 
intendant  au  département  des  Ponts-et-chaussées, 
et  par  Desmouhns. 


(1)  Présentement  rue  des  Panoramas. 


RUE     SAINT-MARC.  637 

Le  14  appartenait-il  déjà  à  la  famille  Legouvé  ? 
En  tout  cas,  Ernest  Legouvé,  notre  cher  maître, 
membre  de  l'Académie-Française,  occupe  de  nos 
jours,  au  14,  la  chambre  à  coucher  dans  laquelle 
il  est  né.  Son  père,  l'auteur  du  Mérite  des  femmes, 
fit  décorer  l'appartement  sur  le  plan  de  Percier- 
Delatour. 

Le  patron  de  la  rue  Saint-Marc,  qui  a  vu  le 
jour  au  milieu  du  xvn*"  siècle,  était  un  Vivien, 
comme  les  patrons  de  la  rue  Vivienne  :  tous  les 
Vivien  connus  depuis  le  régne  de  Louis  XII  jusqu'à 
celui  de  Louis  XIV,  étaient  seigneurs  de  Saint- 
Marc  près  Dammartin.  Elle  a  épousé,  en  1847, 
la  rue  Neuve-Saint-Marc,  née  en  1780  sur  le  terrain 
du  duc  et  de  la  duchesse  de  Choiseul-d'Amboise. 
Ceux-ci,  en  vendant  par  lots  leur  hôtel  de  la  rue 
Richelieu,  s'en  étaient  réservé  toute  la  rue  d'Amboise 
et  presque  toute  la  rue  Neuve-Saint-Marc  jusqu'à 
ce  que  leur  hôtel  à  la  Grange-Batelière  fût  prêt 
à  les  recevoir. 


Rue  des  Anglaises.  (i) 


La  rue  Neuve-Saint-Jean-de-Latran,  une  de 
celles  auxquelles  s'étendait  la  censive  du  comman- 
deur de  Saint-Jean-de-Latran,  doit  d'être  devenue 
rue  des  Anglaises  à  un  couvent  dont  l'abbé  Lebeuf 
ne  dit  pas  mot  dans  son  Histoire  du  Diocèse. 
Le  Dictionnaire  des  Rues  le  place  au  n"  20,  OÙ 
une  communauté  religieuse,  mais  différente,  se 
trouvait  établie  il  y  a  vingt  ou  trente  ans. 

Une  autre  encore,  celle  des  Servîtes  de  la 
Sainte-Famille,  s'installe,  sous  le  patronage  de 
Notre-Dame-des-Anges,  aux  n°«  4,  6  et  8,  qui  n'ont 
pas  été  davantage  le  monastère  nominal  de  cette 
rue.  Principe,  bourgeois  de  Paris,  y  plantait  ses 
choux  en  1724.  Un  voilurier  payait  alors  à  Leplus 
le  loyer  d'une  maison  sise  de  l'aun'c  côté  et 
plus  haut,  en  regard  des  Anglaises.  Leur  bâtiment 
conventuel  porte  le  n'^SS. 

Les  lettres-patentes  en  vertu  desquelles  s'éta- 
blirent ces  religieuses  bénédictines  anglaises,  sous 
l'autorité  de  l'archevêque  de  Paris,  sont  du  mois 
de  décembre  1677.  Un  des  articles  de  leurs  statuts 
ordonnait  à  ces  dames  de  prier  pour  le  rétablisse- 
ment de  la  religion  catholique  en  Angleterre.  Leur 
propriété,  ayant  de  snperlicie  1790  mètres,  fut 
vendue  au  profit  de  TÉlat  le  l*"'  brumaire  an  vni. 


(1)  Notice  écrite    eu   1870. 


Rue   Blondel, 

NA.GUi5RE 

IVcuve-8aiiit«Denis.  (i) 


Les  portes  Saint-Denis  et  Saint-Martin,  avant 
de  s'emparer  des  deux  places  qu'elles  conservent 
à  titre  de  monuments,  se  trouvaient  sur  la  même 
ligne  que  la  rue  Neuve-Saint-Denis,  qu'elles  avaient 
fait  naître  au  xyi«  siècle  sous  ce  nom  :  la  rue  des 
Deux-Portes. 

La  Ville  adjugea,  en  1675,  à  Julien  Gervais,  doyen 
de  ses  quarteniers,  une  maison  et  une  place  à 
bâtir,  donnant  à  l'entrée  de  cette  rue,  ainsi  que 
dans  les  rues  •  Saint-Martin  et  Sainte-Apolline.  La 
petite  fille  de  Gervais  apporta  ce  bien  en  mariage 
à  Thomas  Ragon,  trésorier-de-France  au  bureau 
des  finances  de  'la  généralité  de  Rouen. 

Du  même  côté  que  la  famille  Gervais,  l'évêque 
de  Clermont  n'avait  pas  moins  de  9  maisons,  dont 
les  enseignes  se  suivaient  dans  cet  ordre  :  le 
Cheval-Blanc,  la  Perle,  la  Fleur-de-Lis,  le  Chapeau- 
Rouge  (de  bon  augure,  n'est-ce  pas,  pour  un 
évêque?),  Saint-Nicolas,  le  Saint-Esprit,  Saint- 
Martin  et  le  Pied-de-Biche.  La  dernière  propriété 
épiscopale  ne  gardait-elle  l'anonyme  que  par  hasard? 
Si  les  habitantes  n'en  avaient  pas  de  meilleures 
mœurs  que  celles  du  présent  n''  4,  la  pudeur  ne 
conseillait  que  trop  d'y  voiler  l'image  d'une  sainte. 


(1)  Notice  écrile  en  1864.  La  rue  Neuve-Saint-Denis 
n'honorait  pas  encore  d'une  façon  toute  particulière  Ja 
mémoire  de  Blondel,  directeur  de  l'Ecole  royale  d'ar- 
chitecture  et  auteur   de  la  porte   Saint-Denis. 


640  RUE  BLONDEL,  ETC. 

Plus  près  encore  de  la  rue  Saint-Denis,  du  même 
côté,  M""=  Torcherie  débitait  ce  qu'annonçait  l'en- 
seigne des  Trois-Bouteilles.  De  l'autre  côté,  près 
de  l'élude  du  notaire  Gaillard,  il  y  avait  dès-lors 
une  traverse,  boulevard  Sébastopol  en  herbe. 

Peu  de  temps  après,  Claude  Étignard  de  La- 
faulolte,  dont  les  descendants  ne  portent  plus  que 
le  surnom,  était  propriétaire  sur  celte  file,  entre 
Grimaud  et  Havard. 

M"'*  Rivarol,  au  contraire,  ne  portait  même  pas 
en  son  domicile  de  la  rue  Neuve-Saint-Denis  le 
titre  de  comtesse  que  lui  avait  donné  avec  osten- 
tation son  défunt  mari,  le  caustique  écrivain.  Elle 
était  d'origine  anglaise  et  faisait  des  traductions. 
Sa  modestie,  du  reste,  pouvait  résulter  de  ce 
qu'on  avait  contesté  la  noblesse  du  comte  de 
Rivarol,  de  son  frère,  le  chevalier,  et  même  du 
comte  de  Barruel-Beauvert,  courageux  publicistc, 
qui  avait  épousé  leur  sœur.  On  avait  été  jusqu'à 
abuser  de  ce  que  Rivarol  père  avait  tenu  un  cabaret 
à  Bagnols  pour  dire  un  jour  au  fils  : 

\ 

Calmez    un  peu  votre    colère, 

Imitez   monsieur  votre  père, 

Qui  mettait   de   l'eau  dans  son  vin. 


Rue  des    Oravilliers.  (i) 


Avec  la  cendre  gravelée,  on  ne  colore  ni  les 
peaux,  ni  les  étoffes,  mais  on  les  prépare  à  recevoir 
la  teinture.  C'est  de  la  lie  de  vin  séchée,  puis 
calcinée.  On  en  faisait  usage  près  Saint-Martin- 
desChamps  avant  même  que  Paris  ne  s'étendît 
jusque-lh.  Une  rue  aux  Graveliers,  que  l'on  y 
connaissait  déjîi  en  l'an  l:2oO,  se  trouvait  encore 
habitée  sous  le  règne  de  Louis  X  par  des  tanneurs 
et  des  pelletiers,  en  même  temps  que  par  des 
maçons,  des  charpentiers,  des  chauciers,  des 
couteliers  et  des  orfèvres,  sans  compter  le  tau- 
nier  Adam  de  Brou,  sergent  h  cheval.  Les  historiens 
se  bornent  à  rappeler  qu'en  cette  rue,  sous  le 
règne  précédent,  un  boucher  s'appelait  Gravelier  ; 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  cette  époque 
d'éclosion  pour  tant  de  noms  patronymiques, 
l'œuf  en  était  quelquefois  le  hameau,  le  quartier 
ou  la  rue  que  le  ci-devant  anonyme  habitait,  sous 
ce  que  nous  appelons  un  prénom,  qui  n'avait  rien 
d'héréditaire. 

On  se  contente  aussi  de  qualilier  propriétaire 
ce  Jean  Robert  dont  le  nom  passa  vers  1710  à 
une  portion  de  la  rue  des  Gravilliers,  entre  les 
rues  Beaubourg  et  Saint-Martin.  Ne  convient-il 
pas  d'ajouter  que  ce  parrain,  farceur  de  son  état 
en  même  temps  que  marchand  de  cirage,  débitait 
par  les  rues  encore  plus  de  facéties  et  de  calem- 
jjours  que  de  noir?  Assez  d'autres  ne  broient  que 
du  noir;  mais  ceux-là  ne  font  pas  fortune.  En 
la  rue  Jean-Robert,  alors  qu'elle  emprunta    cette 

(1)  Notice  écrite  en  1861. 


642  RUE   DESGRAVILLIERS. 

dénomination  si  populaire,  30  maisons  et  7  lanternes 
faisaient  suite  directement  aux  61  maisons  et  13 
lanternes  de  l'autre  rue,  plus  lidèle  iison  nom  du  xni" 
siècle.  Ces  bâtiments,  comme  on  peut  s'en  rendre 
compte,  n'ont  fait  depuis  lors  que  croître;  ces 
réverbères  n'ont  fait  qu'embellir. 

Au  n"  69  d'à-présent,  le  grand  hôtel  d'Estrées 
garde  sur  la  cour  une  madone  dans  sa  niche  ;  il 
fut  bâti  pour  un  grand-maîlie  de  l'artillerie  de 
France,  père  ou  grand-père  de  la  belle  Gabrielle. 
On  retrouve  au  70  le  petit  hôtel  du  même  nom. 
L'un  et  l'autre  nous  reportent  au  bon  temps  des 
mansardes  ;  elles  ne  couronnaient  alors  que  peu 
d'étages,  et  il  ne  tient  qu'à  nous  d'en  revoir  deux 
à  cheval  l'une  sur  l'autre,  au  n*"  37,  et  qui  sem- 
blent si  entichées  de  leur  célibat  respectif  qu'on 
les  ferait  tomber  en  poussière  plutôt  que  de  les 
accoupler. 

Le  passage  de  Rome,  qui  répond  de  ce  côté 
au  n°  !24,  nous  rappelle  qu'une  rue  des  Cordiers, 
puis  du  Puits-de-Rome,  relia  la  rue  du  Temple  à 
la  rue  au  Maire,  où  elle  se  réduisit  ensuite  à  l'état 
de  cul-de-sac.  Le  plan  de  1652  marque  tout 
simplement  la  place  dudit  cul-de-sac,  maintenant 
passage,   avec  un  seul   mot,  le  mot  :   Rome. 

Raletli,  acteur  de  la  Comédie-Italienne,  demeurait 
en  1761  vers  le  n"  30  actuel.  Lebel,  premier  violon 
au  même  théâtre,  musicien  ordinaire  du  roi, 
habitait  la  môme  rue  vingt  ans  après.  Le  chimiste 
Cadet  de  Vaux  y  avait,  à  la  même  époque,  sa 
pharmacie,  qu'il  vendit,  afm  d'appliquer  plus  libre- 
ment, par  ses  expériences  et  ses  écrits,  la  chimie 
aux  besoins  ruraux  et  domestiques.  Cette  officine 
portait  le  n»  16.  Mais  alors  le  n°  1  faisait  le  coin 
de  la  rue  Transnonain,  ajoîitée  de  nos  jours  â 
celle  Beaubourg,  et  le  n"  2  suivait,  sans  changer 
de    côté  ;    Arbinet,    serrurier    notable,  occupait 


RUE   DES  GRAVILLIERS.  643 

le  n"  14  et  rivalisait  avec  Georges,  établi  ii"  27  ; 
les  angles  de  la  rue  du  Temple  portaient  les  chiffres 
46,  47,   et  Naturali,  banquier,  habitait  le  n°  84. 

Ce  dernier  numéro  est  assez  élevé  pour  faire 
croire  que  la  rue  Jean-Robert  ne  se  distinguait 
déjà  plus,  sous  Louis  XVI,  de  celle  des  Gravilliers. 
Toutefois,  MM.  Lazare  ne  rapportent  ce  rapproche- 
ment qu'à  l'année  1851.  Ils  racontent  en  même 
temps  que,  le  4  germinal  an  xn,  Joyaut,  Burban 
et  Dutry,  compromis  avec  Georges  Cadoudal,  furent 
arrêtés  au  n"  24  de  la  rue  Jean-Robert,  depuis 
lors  n"  88  de  la  rue  des  Gravilliers. 


Rue  du  Poirier,  (i) 


Tliaumasse,  dans  la  Coutume  du  Berri,  parle 
de  grains  vendus  et  à  vendre  «  selon  que  le 
blé  vault  au  Poirier.  »  On  appela  donc  Poirier 
un  marché  au  blé,  et  cette  ancienne  acception 
semble  donner  à  notre  rue,  qui  suit  la  rue  Brise- 
miche,  laquelle  fiiit  angle  avec  la  rue  Taillepain, 
la  seule  étymologie  rationnelle  de  son  nom.  Mais 
celui-ci  fut  également  porté  par  une  sorte  de  jeu. 

Aussi  bien  la  rue  s'était  dite  de  la  Petite- 
Bouclerie  dès  le  commencement  du  xiv«  siècle, 
et  une  reconnaissance  censuelle  de  l'année  1723 
ne  la  nommait  encore  Poirier  qu'en  ajoutant  : 
«  dite  aussi  de  la  Baudroirie.  » 

Ce  titre  confirmatif,  passé  au  profit  du  chapitre 
de  Saint-Merri,  comme  seigneur  censitaire,  était 
conçu  dans  les  termes  ordinaires  ;  seulement  on 
y  relatait  une  circonstance  particulière,  c'est  que 
le  reconnaissant  signait  entre  les  deux  guichets 
du  Chàtelet.  Le  propriétaire  en  prison  n'en  était 
pas  moins  qualifié  messire  Jacques-Edouard  Richer, 
sieur  de  la  Petite-Barre,  Hessel,  Clivot  et  autres 
lieux,  bachelier  de  Sorbonne,  prieur  de  Saint- 
Vincent  de  Laitre.  Sa  maison  de  la  rue  du  Poirier 
comportait  trois  corps-de-bàtiments  et  aboutissait 
par-derrière  à  une  maison  de  la  rue  Neuve-Saint- 
Merri  appartenant  h  l'Hôtel-Dieu  et  que  nous 
désignons  dans  la  notice  consacrée  à  cette  autre 
rue. 


(1)  Notice    écrite    en    1864. 


RUE  DU  POIRIER.  645 

Sur  la  rangée  opposée,  la  rue  Pierre-au-Lard 
avait  deux  coins  :  l'un  à  la  chartreuse  de  Paris, 
représentée  par  dom  Arsène  Le  Boiteux,  prêtre, 
religieux  et  procureur  y  demeurant,  et  l'autre  h 
dame  Marguerite  Rousseau,  veuve  de  Baudouin 
Presty,  écuyer,  ancien  échevin. 

En  1691,  on  dînait  ou  soupait  pour  20  sols  à 
la  Croix-d'Or,   dans  la  rue  du  Poirier. 


Rue  du  Renard, 

EX  CE  QUI  s'eX  appelait    NAGUERE 

Renardr'Saiut-IlIerri,   et  rue   Grenéta, 

EN  CE  QUI    s'en  appelait  naguère 

Renard- 8 aint-8auveur.    (i) 


L'acceptioii  dans  laquelle  a  été  appliqué  à  deux 
rues  le  mot  renard  signifiait  :  fente,  canal  ou 
trou  par  où  se  perdent  des  eaux.  L'une  comme 
l'autre  avait  son  renard  d'égoût  et  prenait  aussi 
le 'nom  de  Saint-Merri  par-ci,  de  Saint-Sauveur 
par-là. 

Néanmoins  une  enseigne,  qui  passait  sous  Louis 
XIV  pour  patronymique,  montrait  un  quadrupède 
carnassier  à  la  queue  touffue  sur  une  maison  de 
la  rue  du  Renard-Saint-Sauveur  ayant  sa  principale 
entrée  rue  Saint-Denis  et  appartenant  à  M"''  Hardy  : 
là  se  trouve  aujourd'hui  le  passage    du    Renard. 

Le  duc  de  Coislin,  qui  était  l'homme  le  plus 
poli  de  France,  occupait  les  n°*  5  et  9  actuels, 
son  petit  et  son  grand  hôtel.  L'acteur  Laruette, 
compositeur  de  musique  pour  les  pièces  à  ariettes, 
demeura  postérieurement  au  petit,  avec  sa  femme, 
M""  Laruelte,  née  Villette.  Le  nom  de  cet  acteur 
désigne  encore  l'emploi  qu'il  remplissait  à  la 
Comédie-Italienne  :  il  avait  réussi  au  théâtre  comme 


(1)  Notice  écrite  en  18i)4.  La  rue  du  Renard-Saint- 
Mevri  n'englobait  pas  encore  Ja  rue  de  la  Poterie-aes 
Arcis  ;  celle  du  Reuard-Sainl-Sauveur  n'était  pas  encore 
ajoutée,  avec  la  rue  Beaurepaire,  à  la  rue   Grenéta. 


RUE   DU    RENARD,  ETC.  647 

père-noble  bien  mieux  que  dans  les  amoureux, 
qu'il  jouait  déjà  à  la  foire  Saint-Germain  en  1752. 
L'actrice  ne  jouait  pas  avec  moins  d'expression 
que  son  mari,  et  elle  chantait  mieux;  les  opéras 
de  Monsigny  et  de  Grélry  lui  trouvèrent  encore 
la  voix  fraîche,  bien  qu'elle  eût  débuté  à  l'Opéra 
en  1758,  pour  entrer  aux  Italiens  trois  ans  après. 
Un  agent-de-change  habitait,  au  milieu  du  règne 
de  Louis  XVI,  une  maison  contiguë  à  celle  que 
les  époux  Laruette  n'habitaient  déjà  plus,  rue 
du  Renard-Saint-Sauveur,  et  alors  un  autre  agent- 
de  change  était  au  grand  hôtel  Coislin,  en  même 
temps  que  le  célèbre  accoucheur  Sigaudde  Lafon, 
qui  y  faisait  son'  cours.  La  laculté  de  Médecine 
avait  voulu,  par  gratitude,  qu'une  médaille  fût 
frappée  en  l'honneur  de  ce  praticien,  pour  con- 
sacrer l'expérience  heureuse  d'ur.e  découverte 
spéciale  qu'il  avait  faite  étant  encore  élève  en 
chirurgie.  Utile  progrès,  qui  ne  laissait  pas  d'être 
la  conséquence  d'un  autre  progrès  encore  plus 
important  !  Les  sages-femmes  avaient-elles  toujours 
eu,  pour  leur  donner  de  salutaires  exemples,  ces 
confrères,  ces  rivaux,  ces  maîtres  qui  différaient 
de  leur  clientèle  par  le  sexe?  Rien  qu'à  ce  mot  : 
un  accoucheur,  combien  de  siècles  antérieurs 
auraient  crié  à  l'indécence  !  Un  magasin  d'épongés, 
au  petit  hôtel,  fut  remplacé  dès  1817  par  le 
magasin  de  parfumerie  que  tient  toujours  la 
famille  Dubuc-Josse.  La  maison  intermédiaire  se 
construisit  vers  le  même  temi5s,  aux  dépens  de 
l'ancien  jardin  de  M.  de  Coislin. 

Leroy,  ancien  greffier,  et  Macé,  greffier  en 
l'élection,  étaient  propriétaires  de  front  avec  le 
duc.  Ceux  d'en  face,  à  partir  de  la  rue  des  Deux- 
Portes,  étaient  Rarthélemy,  maître-maçon,  la 
susdite  D"«  Hardy,  Des  Essarts,  De  la  Vergée  et 
Valbrun. 

L'autre  ruelle  du  Renard  eut  jusqu'à  une  salle- 


648  RUE    DU    RENARD,  ETC. 

de-spectacle.  Des  amateurs  y  jouaient  la  comédie, 
au  commencement  delà  République;  des  acteurs 
plus  ambitieux  leur  succédèrent,  en  ouvrant  au 
public  payant  le  théâtre  de  la  Concorde.  Si  la 
rue  était  trop  étroite  pour  les  voitures,  il  en  fut 
autrement  de  la  salle  pour  les  piétons,  qui  ne 
s'y  aventurèrent  eux-mêmes  que  peu  de  temps. 
Ce  théâtre  était-il  à  gauche,  ou  bien  à  droite? 
D'un  côté  comme  de  l'autre  il  y  avait  eu  place, 
sur  des  cours  ou  jardins  d'anciens  hôtels,  pour 
cet  établissement  malencontreux.  Quels  étaient-ils 
donc,  les  hôtels  d'une  voie  si  peu  carrossable? 
II  se  peut  que  le  n°  1  de  ce  temps-ci  ne  soit 
pas  absolument  autre  qu'une  maison,  située  au 
même  endroit,  dont  le  propriétaire  était  Desnots, 
secrétaire  des  finances,  vers  la  fin  du  xvii''  siècle. 
Mais  les  chiff'res  impairs  qui  suivent  ne  montrent 
plus  rien  d'un  hôtel  qui  communiquait  aussi  par 
une  allée  avec  la  rue  Neuve-Saint-Merri  et  qui 
avait  appartenu  à  René  Potier,  président  au 
parlement  :  le  conseiller  d'État  René  de  Marillac 
y  avait  pour  voisins  le  président  de  Lesseville  et 
M.  de  Buzenval;  puis  la  maison  passa  au  petit- 
fils  de  M.  de  Marillac,  le  duc  de  la  Trémoille, 
encore  mineur,  mais  déjà  pair-de-France  et  pré- 
sident des  États-de-Bretagne  par  droit  de  naissance. 
Quant  aux  chiffres  pairs,  ils  commencent  et  ils 
finissent  aristocratiquement  par  une  construction 
séculaire,  sans  compter  le  n"  10,  qui  se  flatte 
d'avoir  eu  pour  maîtres,  durant  le  dernier  siècle 
presque  entier,  les  princes  d'Orléans.  Il  nous 
paraît  probable  néanmoins  que  le  propriétaire  de 
cette  maison,  sous  la  Régence,  fut  un  simple 
conseiller  au  parlement,  Lucas,  seigneur  de  Muin, 
qui  en  avait  une  autre  adjacente,  et  non  pas  le 
régent.  M.  Lucas  y  tenait  d'une  part  à  Arnauld 
de  Pomponne,  conseiller  d'État,  garde-des-sceaux, 
abbé  commendataire  de  l'abbaye  Saint-Médard  de 


RUE   DU    RENARD,  ETC.  6d9 

Soissons,  qui  succédait  lui-même  au  ministre, 
son  père,  et  à  son  grand-père,  Robert  Arnauld 
d'Andilly,  dans  la  propriété  de  son  hôtel,  ouvrant 
rue  de  la  Verrerie.  Seulement  M.  de  Pomponne 
tenait  aussi  à  la  marquise  de  Castilly,  dont  la 
maison  avait  sa  porte  sur  la  rue  du  Renard-Saint- 
Merri. 


35 


Rue  et  Place  Sainte-Opportune,    (i) 


Vendue  nationalement  le  24  novembre  1792, 
l'église  Sainte-Opportune  fut  bientôt  démolie.  Des 
maisons  la  remplacent,  entre  la  rue  de  l'Aiguillerie, 
la  place  Sainte-Opportune  et  la  rue  du  même 
nom,  qui  s'appelait  aussi  de  l'Aiguillerie  quand  la 
principale  porte  de  l'église  y  donnait.  Était-ce 
assez  d'espace  pour  une  église  royale,  collégiale 
et  paroissiale,  avec  sa  tour  festonnée  de  fleurs 
de  lis  ?  Pas  trop  :  vous  en  pouvez  juger.  Mais 
les  paroissiens  pauvres  remplissaient  le  chœur, 
tandis  que  le  service  curial  se  faisait  dans  une 
chapelle,  sur  le  côté  méridional  'de  la  nef.  Le 
chapitre,  au  surplus,  n'avait-il  pas  comme  sous 
la  main  l'église  des  Saints-Iunocents,  dont  le  cui'é 
était  à  sa  nomination?  Le  jurisconsulte  François 
Gonnan,  élève  de  l'Italien  Alciat,  et  que  François  P'' 
avait  fait  maîlre-des-requêtes,  reposait  à  Sainte- 
Opportune,  au-dessous  d'une  épitaphe  en  vers  latins, 
qui  témoignait  de  la  douleur  de  sa  veuve.  On  ne 
remarquait  pas  moins  un  superbe  candélabre,  dont 
Charles-Quint,  en  passant  à  Paris,  avait  fait  présent 
à  l'église.  Plus  anciennement  il  y  avait  eu  des 
recluses  dans  une  loge  qui  dépendait  du  cloître, 
notamment  Agnès  du  Rochier  :  celte  fille  d'un  gros 
marchand  de  la  rue  Thibautodé  s'était  enfermée  là 
volontairement,  le  5  octobre  1403,  n'ayant  que 
18  ans,  et  elle  y  était  morte  à  98.  A  une  époque 
encore  plus  reculée,  Sainte-Opportmie    avait    été 


(1)  Notice  écrite  en  1864.  La  rue  des  Halles,  qui 
traver?:e  la  place  Samte-Opportune,  est  de  création 
postérieure. 


RUE  ET  PLACE  SAINTE-OPPORTUNE.        C51 

un  prieuré  de  filles.  L'église  datait,  comme  ermitage 
de  Notre-Dame-des-BoiS;  d'avant  l'invasion  des 
Normands  ;  au  siècle  xni  on  l'avait  rebâtie  et  au 
siècle  suivant  érigée  en  paroisse.  Ses  deux  bien- 
faiteurs principaux  étaient  Louis-le-Bègue  et  Louis- 
le-Gros. 

II  y  avait  aussi,  en  1260,  une  maison  à  Simon 
d'Auxerre  sur  la  place  Sainte-Opportune  ;  entre 
cette  maison  et  l'église  siégeait  la  justice  du  fief. 
Or  nous  retrouvons  sur  la  place  les  n°*  4  bis  et 
6,  dont  le  plan  de  1715  a  tenu  compte.  De  ces 
deux  maisons  la  plus  grande  donnait  à  deux  pas 
d'une  porte  latérale  de  l'église,  et  elle  devait  être 
non-seulement  capitulaire,  mais  encore  chef-lieu 
seigneurial  du  fief  de  Sainte-Opportune,  par  destina- 
tion originaire  ;  ce  qui  en  reste  de  mieux  est  voué 
en  notre  siècle  au  commerce  du  bouchon,  de 
l'éponge  et  de  l'amadou.  Aussi  bien  la  justice  du 
chapitre  avait  été  transférée  aux  Porcherons, 
dès  l'année  1483,  par  «  Messieurs  les  chefcier, 
chanoines  et  chapitre  de  l'esglise  Madame  Saincte 
Opportune,  seigneurs  de  leurs  grand  et  petit  cloistres 
et  anciennes  appartenances  d'iceux,  du  fief  de  Saint- 
Caran  et  Cocatrix,  en  partie  des  Porcherons  et 
Marais  de  Paris,  à  prendre  depuis  le  pont  Perrin 
jusqu'au  dessous  de  Chaillot,  et  auslres  lieux.  » 
Du  petit  cloître  dépendait  la  rue  ;  du  grand,  la 
place,  et  on  ne  cessait  pas  encore  d'y  voir,  sous 
Louis  XIV,  un  pressoir  banal  îi  verjus,  propriété 
domaniale.  La  chefcerie  n'en  était  pas  moins 
propriétaire  dans  la  rue  des  Fourreurs,  et  il 
en  était  de  même  du  chapitre,  dans  la  censive 
duquel  il  se  trouvait  des  maisons  situées  en  16 
rues  de  Paris,  d'après  Sauvai.  Les  rues  étaient 
encore  peu  nombreuses,  mais  se  multiplièrent  au 
xvni"  siècle  dans  ce  qu'on  appelait  la  ceinture,  les 
fossés  de  Sainte-Opportune  :  zone  d'abord  de  défense 
militaire,  puis  d'égout  suburbain,  avant  que  Paris, 


«52       RUE  ET  PLACE  SAINTE-OPPORTUNE. 

grandissant  toujours,  l'absorbât.  M'est  avis  que  le 
dénombrement  des  16  rues  ne  comprenait  pas 
encore  ce  qui  demeurait  du  fief  en-dehors  de  Paris. 
Les  droits  de  cens  étaient  payables  à  cette  seigneurie 
le  22  avril,  jour  de  la  Sainte-Opportune. 

Du  temps  de  Henri  III,  une  maison  séparée  dudit 
n"  6  par  quatre  maisons,  tout  au  plus,  appartenait  à 
Benjamin  Leriche,  .receveur-taillon  de  la  gendar- 
merie, lequel  y  venait  après  leu  Blachivaille,  com- 
missaire-examinateur au  Châtelet,  Cette  propriété, 
sise  à  la  pointe  de  la  maison  du  Papegault,  donnait 
sur  le  grand  cloître,  à  l'angle  d'une  rue  de  la 
Tabletterie,  et  aboutissait  par-derrière  à  la  maison 
des  Rats,  rue  Saint-Denis.  Une  autre,  qui  faisait 
en  ce  cloître  le  coin  de  la  rue  des  Fourreurs,  dite 
alors  de  la  Cordonnerie,  était  l'objet  d'une  recon- 
naissance passée  au  Terrier  de  Sainte-Opportune 
par  «  honorable  homme  Claude  Richer,  maître 
paticier  et  poullaier,  demeurant  à  Saint-Germain- 
des-Prez,  au  nom  et  comme  tuteur  des  enfants  de 
Robert  Andry,  maître  paticier,  et  de  Jacqueline 
Berton,  autrefois  sa  femme,  à  présent  femme  dudit 
Richer,  tenant  à  Guillaume  Jallier  sur  la  rue,  à 
Boutin  sur  le  cloistre,  et  par-derrière  à  Charles 
Andry.  »  Un  siècle  plus  tard,  l'enseigne  du  Pape- 
gault avait  fait  place  à  celle  delà  Housse-de-Cheval, 
qui  pendait  à  la  porte  de  M"''  Antoinette  Boursier, 
sage-femme  ordinaire  de  la  reine,  veuve  du  docteur 
en  médecine  Robinet,  tandis  que  l'ancienne  maison 
de  Blachivaille  était  à  la  veuve  de  Leroux  de 
Clairfond,  conseiller  au  bailliage  d'Orléans.  La  rue 
Sainte-Opportune,  qu'on  a  ouverte  en  1836  entre 
la  rue  de  la  Féronnerie  et  la  rue  des  Fourreurs, 
où  commençait  auparavant  celle  de  l'Aiguillerie, 
garde  la  maison  dont  Boutin  disposa,  maintenant 
hôtel-garni  du  Petit-Manteau-Bleu. 

La  place  du  Cloître-Sainte-Opportune,  dont  le 
nom  n'a  subi  qu'une  abréviation,  était  habitée  par 


RUE  ET  PLACE  SAINTE-OPPORTUNE.       653 

Mallet,  agent-de-change,  et  par  Gibert,  notaire, 
peu  de  temps  avant  la  suppression  de  l'église.  Le 
bureau  des  Lingères  s'y  trouvait  également,  près 
la  rue  Courtalon,  alids  ruelle  Sainte-Opportune, 
et  ce  n'était  pas  depuis  peu,  car  il  aliénait  déjà 
sous  la  Régence  aux  derrières  de  la  maison  de  la 
Barbe-d'or,  qui  formait  un  des  angles  de  ladite 
ruelle  avec  la  rue  Saint-Denis.  Pour  les  maîtresses- 
lingères  le  droit  de  réception  '  s'élevait  encore  à 
800  livres,  vers  la  fm,  et  il  avait  été  plus  fort 
de  la  moitié  sous  le  règne  précédent.  Sait-on 
même  pertinemment  si  cette  gracieuse  corpora- 
tion ne  siégeait  pas  au  cloître  Sainte-Opportune 
dès  le  milieu  du  xvn*'  siècle?  C'est  justement 
l'époque  où  la 


Rue   de   TAi^uillerie    (i) 


commençait  à  se  substituer  h  la  rue  du  Cloître- 
Sainte-Opportune,  laquelle  avait  porté  antérieure- 
ment la  dénomination  de  l'Esculerie,  et,  en  1220, 
le  nom  de  particulier  que  voici  :  Alain-de-Dam- 
pierre.  Il  est  vrai  que  la  communauté  des  Aiguilliers- 
épingliers  pouvait  s'être  fixée,  aussi  bien  que  celle 
des  Lingères,  dans  une  des  maisons  aliénées  ou 
affermées  par  les  chanoines  de  Sainte-Opportune. 
L'excellence  des  dragées  et  confitures,  ces  pre- 
mières douceurs  affriolant  Paris,  fit,  moins  légèrement 
que  les  aiguilles,  une  spécialité  de  commerce  à 
notre  rue,  puis  une  réputation  à  la  rue  des 
Lombards,  dont  elle  est  la  queue  en  droite  ligne. 
La  communauté  des  Épiciers  achetait,  en  1563, 
«  dans  la  rue  de  l'Escuillerie,  »  c'est-à-dire  au 
petit  cloître  Sainte-Opportune,  une  maison,  moyen- 
nant une  rente  de  200  livres,  qui  dans  la  suite 
fut  amortie.  Or  les  épiciers-apothicaires  ne  for- 
maient, sous  Philippe-Auguste,  que  le  dernier  des 
quatre  corps  de  marchands,  qui  passa  plus  tard 
le  second.  Les  six  maîtres  ou  gardes  qui  adminis- 
traient ses  alfaires,  au  bureau  de  la  rue  de 
l'Aiguillerie,  portaient  dans  les  cérémonies  des  robes 
de  drap  noir,  ii  bordures  de  velours  et  à  manches 
pendantes,  comme  les  robes  de  juges-consuls. 
Cette  confrérie  était  dépositaire  de  l'étalon  des 
poids.  Une  de  ses  grandes  assemblées  avait  lieu 
à  l'église  Sainte-Opportune,  dès  1572  ;  une  autre, 
dix-sept  années  après,  à  l'église  des  Grands- 
Augustins.  Et  le  patron  était  saint  Nicolas.  Dans 


(1)  Notice   écrite  en.  1864. 


RUE    DE     L'AIGUILLERIE.  655 

le  même  corps  avaient  été  compris  les  chandeliers 
jusqu'au  milieu  du  xv*  siècle.  Mais  les  apothicaires 
eux-mêmes  avaient  cojïimencé  sous  Louis  XII  à  se 
distinguer  des  épiciers,  et  d'autant  plus  facilement 
qu'ils  avaient  déjà  constitué,  sous  le  bon  plaisir  de 
Louis  XI,  une  sorte  de  garde  nationale.  Des  lettres 
qui  interdisaient  l'épicerie  aux  dissidents,  avaient 
été  octroyées  par  le  roi  en  loo3;  mais  défense  aux 
épiciers  de  s'en  servir  avait  été  faite  par  Duprat, 
prévôt  de  Paris,  l'année  suivante.  Les  alternatives 
de  la  lutte  devaient  la  rendre  bi-séculaire  ;  les 
apothicaires  y  gagnaient  le  monopole  du  pain 
d'épices,  et  cependant  leurs  adversaires,  tenant  à 
se  montrer  plus  discrets,  n'empiétaient  pas  sur 
le  chapitre  des  rafraîchissements  plus  lucratifs  que 
toute  ordonnance  de  médecin  faisait  administrer 
à  domicile.  Tant  que  le  divorce  ne  fut  pas  con- 
sommé, l'apothicaire  ne  convolait  que  par  une  sorte 
d'adultère  permanent,  dont  la  complice  était  la 
Faculté,  et  l'épicier  jouait  au  naturel  le  rôle  du 
mari  malcontent.  Au  demeurant,  des  intérêts 
communs  n'étaient-ils  pas  à  sauvegarder?  Les  sieurs 
Rousseau,  Vilain,  Vadurel,  Lambert,  André  et 
Serret  pouvaient  encore  se  dire,  au  milieu  de 
l'année  1683,  maîtres  et  gardes  de  la  marchandise 
d'apotiquairerie  et  d'épicerie.  En  171  o,  qui  plus 
est,  les  garçons  apothicaires  se  louaient  indilTérem- 
ment  à  la  Lamproie,  maison  de  la  rue  de  la 
Huchette,  ou  au  bureau  des  Épiciers,  dans  le 
cloître  Sainte-Opportune. 

Le  siège  de  la  communauté,  lorsque  les  sus- 
nommés étaient  en  charge,  portait  l'enseigne  de 
la  Tête-Noire,  que  remplace  aujourd'hui  le  chiffre 
8.  Le  droit  de  réception  était  de  1700  livres  (qui 
furent  réduites  sous  Louis  XVI  à  800).  Vuatlard 
et  Marsollier  avaient  pour  locataires,  au  n"  6, 
Raguenet,  épicier,  et  Caucheteur,  bourgeois  :  le 
4  appartenait  à  des  marchands,  les  frères  Denis 


636  RUE     DE    L'AIGUILLERIE. 

et    Pierre   Noiret  ;    le    2,    au     chirurgien    Paul 
Emmenez,  successeur  de  Charles  Bernard. 

A  quelque  cinquante  ans  de  là,  Sauvage,  à 
l'image  du  Sauvage,  faisait  un  grand  commerce 
de  soierie  et  de  mercerie,  dans  l'ancienne  pro- 
priété de  Vuaflard  et  de  Marsollier.  Le  même 
magasin  passait,  au  moment  de  la  Révolution, 
pour  le  plus  ancien  de  ce  genre,  sous  la  nouvelle 
raison  de  commerce  Paul  us  et  Reverard.  Les 
épiciers,  tant  que  les  corps-d'état  ne  furent  pas 
entièrement  abolis,  maintinrent  leur  bureau  dans 
cette  rue  ;  une  auberge  s'y  établit  au  commen- 
cement de  notre  siècle;  mais  ce  n'est  plus  qu'une 
maison  ordinaire,  dont  les  habitants  payent  leur 
terme  quatre  fois  par  an. 


Rue  de    la  Huchelte.  (i) 


Le  Bureau   des    Apothicaires.  —  Les    Enseignes. 

—  Revue  de  Propriétaires.  —  Revue  de  Huches. 

—  L'Hôtel  de  Pontigny.  —  V Afficheur .  —  Les 
Aiguilles  à  VY.  —  Les  Tapisseries.  —  Les  Rôtis- 
series. —  Manon  Lescaut  au  Cabaret.  —  La 
Noce  et  V Enterrement.  —  Les  Lapidaires.  — 
Les  Peaussiers.  —  Petit-Radel. 

En  l'année  1714,  le  bureau  des  Apothicaires 
s'ouvrait  tous  les  matins  rue  de  la  Huchette,  à 
l'image  delà  Lamproie.  Toutefois  un  maître-apothi- 
caire, lorsqu'il  était  en  quête  d'un  garçon,  s'adressait 
aussi  au  bureau  des  Épiciers,  rue  de  l'Aiguillerie, 
pour  y  être  mis  en  rapport  avec  des  sujets 
disponibles.  Il  y  avait  déjà  séparation  de  biens, 
mais  la  séparation  de  corps  n'était  pas  encore 
complète  entre  les  épiciers  et  les  apothicaires.  Le 
bureau  particulier  de  ces  derniers  avait  simplifié 
l'enseigne  de  la  maison,  pour  la  purger  du  sens 
trop  culinaire  dont  le  boulanger  Pierre  Budin 
s'accommodait  encore  trente  ans  plus  tôt,  étant 
alors  propriétaire  à  cette  enseigne  :  La  Lamproie- 
sur-le-Gril. 

Ladite  image  pendait  probablement  à  la  porte 
du  n°  13,  en  sortant  de  laquelle  vous  eussiez 
rencontré  sur  votre  droite  : 

—  la  Croix-Verte,  à  Michel  Pelet;  —Saint-Nicolas, 
à  la  veuve  de    Jacques    Daminois  ;  —  l'Ecu-de-France, 


(1)  Notice  écrite  en  1864. 


658  RUE    DE    LA  HUCHE T TE. 

à  Hérard,  chirurgien  ;  —  la  Eure-de-Sanglier,  à  D^l»  Marie 
Meusnier  et  consorts  ;  —  Ja  Bannière-de-France  ; 

et  à  main  gauche: 

—  le  Flacon-d'argent  ;  —  Saint- Jacques,  à  Pierre  Gilet, 
procureur  au  parlement  ;  —  Notre-Dame  (antérieurenaent 
les  Trois-Pigeons),  à  la  famille  Corniquet  ;  —  la  Rose- 
Blanche,  à   Jacques  de  Logny  ;  —  la  Huohette-dOr. 

Cette  Huchette-d'Or  ne  succédait-elle  pas  de 
loin  à  la  Huchette  pure  et  simple,  sous  l'invoca- 
tion deiaqujeile,  Philippe-le-Hardi  régnant,  s'était 
percée  modestement  la  rue  ?  La  vieille  maison  de 
ce  nom  appartenait  au  chapitre  de  Notre-Dame. 
Mais  l'abbé  de  Saint-Germain-des-Prés,  propriétaire 
du  clos  de  Laas,  qui  s'étendait  parallèle  à  la 
Seine  entre  Nesle  et  le  Petit-Pont,  en  avait  aliéné, 
vers  l'année  1179,  de  quoi  bâtir  la  rue  qui  nous 
occupe,  primitivement  de  Laas.  Les  caisses  de 
toute  sorte",  depuis  le  coffre-fort  et  le  bahut  jusqu'à 
la  boîte  à  mettre  les  chandelles,  ont  commencé 
par  être  confondues  le  plus  souvent  sous  la  même 
dénomination  que  la  huche  h  pétrir  et  à  serrer 
le  pain  :  huchier  et  menuisier  ne  faisaient  qu'un. 
La  dénomination  de  huche  s'est  appliquée  aussi, 
par  extension,  à  un  petit  étal  de  marchand  et  à 
un  droit  prélevé  sur  cet  étal,  principalement 
dans  le  commerce  du  poisson.  Si  d'origine  on 
n'en  a  pas  vendu  dans  la  maison  capitulaire,  on 
y  a  du  moins  perçu  le  droit.  Le  receveur,  pour 
parler  de  cet  impôt,  aura  eu  politiquement  recours 
à  un  diminutif  ;  de  \h  huchette,  mot  dont  la  ter- 
minaison cherchait  à  adoucir  la  chose,  et  qui 
souligna  sur  l'enseigne  un  coffret,  qu'on  dorait 
plus  tard.  Sous  Louis  XV,  la  Huchette-d'Or  fut 
remplacée,  en  tant  que  blason  domestique,  par 
les  Trois-Maillets-Couronnés.  A  cette  époque,  la 
maison  tenait  d'une  part  à  Notre-Dame-des-Anges, 
que  possédait  Degland,  un    officier    du    roi,    et, 


RUE    DE    LA  HUCHETTE.  «59 

d'autre  part,  à  la  Rose-Blanche,  que  Bachelier, 
un  charcutier,  avait  au  coin  de  la  rue  du  Petit- 
Pont.  La  propriété  du  milieu  était  alors  dans  la 
censive  du  roi  ;  les  deux  autres  relevaient  des 
abbé  et  religieux  de  Sainte-Geneviève.  La  plupart 
des  maisons  sus-désignées  se  retrouvent  par  le 
temps  qui  court;  on  en  comptait  pourtant  dans 
cette  rue  79,  nombre  réduit  de  plus  de  la  moitié. 

Que  si  vous  demandiez,  par  exemple,  où  est 
l'hôtel  de  Pontigny,  on  ouvrirait  de  grands  yeux 
sans  vous  le  dire.  Il  florissait,  sous  les  règnes  de 
Charles  VI  et  Charles  VII,  à  l'extrémité  occiden- 
tale de  la  rue,  du  côté  de  la  rivière,  et  les  femmes 
se  baignaient  en  ce  temps-là  aux  étuves  de  l'hôtel- 
lerie des  Bœufs,  qui  attenait  à  l'hôtel  de  Pontigny. 
Celui-ci  n'a-t-il  fait  qu'un  avec  la  maison  de 
l'Ange,  où  séjournèrent  des  ambassadeurs  de 
l'empereur  d'Allemagne?  L'abbaye  de  Pontigny, 
l'une  des  quatre  filles  de  Citeaux,  avait  été  fondée 
près  d'Auxerre  en  l'an  1114.  Les  Bœufs  touchaient 
encore  à  son  ancienne  maison  de  ville  en  1691; 
les  messagers  de  la  Ferté-Alais  et  de  ChâtiUon- 
sur-Indre  en  partaient  tous  les  lundis. 

Dans  la  même  rue,  en  revanche,  vous  ne 
chercheriez  pas  en  vain  un  afficheur,  et  déjà  il 
y  en  avait  un  sous  Louis  XIV,  à  l'image  des 
Trois-Bourses  :  le  colleur  d'affiches  Lafolie.  Les 
bonnes  ménagères,  à  Paris,  ont  encore  en  prédi- 
lection les  aiguilles  à  l'Y  ;  apprenons-leur  que 
celte  marque  de  fabrique  fit  sa  réputation,  du 
vivant  de  Lafolie,  dans  une  maison  de  com- 
merce qui  vendait  en  gros  des  épingles  en  même 
temps  que  des  aiguilles,  rue  de  la  Huchette. 
Les  tapisseries  pareillement  étaient  l'objet  d'un 
commerce  local,  qui,  de  til  en  aiguille,  allait 
bien  avec  l'autre.  Mais  passons  de  l'aigu  au  grave, 
en  descendant,  comme  on  fait  en  musique,  et 
nous    relèverons    une    spécialité    infiniment    plus 


680  RUE    DE     LA  HUCHETTE. 

substantielle,   qui  marqua  encore  davantage  dans 
cette  rue  dont  nous  fouillons  le  passé. 

La  Lamproie-sur-le-Gril,  la  Hure,  les  Pigeons  et  la 
Huchette  nous  font  déjà  soupçonner,  comme  au  flair, 
des  habitudes  gastronomiques  ;  la  rôtisserie  n'a  plus 
qu'à  déposer  pour  qu'aucun  doute,  dans  l'espèce, 
ne  fasse  ombre  à  la  conviction.  Un  des  négo- 
ciateurs de  la  paix  de  Vervins,  le  père  Bonaventure 
Catalagirone,  général  des  cordeliers,  se  rappelait 
encore,  de  retour  en  Italie,  avec  un  soupir  de 
regret,  les  broches  qu'il  avait  vues  tourner,  au 
bruit  crépitant  d'un  feu  clair,  chez  les  traiteurs 
de  la  rue  de  la  Huchette.  Quel  fumet,  pour  aller 
si  loin  !  Toutefois  les  rôtisseurs,  à  force  de  servir 
plus  de  vin  que  de  cuisses  d'oie,  devinrent  moins 
nombreux  et  cabaretiers.  L'abbé  Prévost,  qui  avait 
pris  en  affection  l'un  de  ces  restaurants  où  l'on 
buvait  plus  qu'on  ne  mangeait,  y  composa,  dit- 
on,  Manon  Lescaut.  Quel  franc  cabaret  ce  devait 
être!  Malheureusement  l'auteur  avait  quitté  Paris 
depuis  quatre  ans  lorsque  parut  le  roman  qu'il 
y  avait  pris  sur  le  fait.  Chez  Aubry,  à  l'enseigne 
du  Quartier-Général,  se  trouvaient  la  table  et  le 
logement  quand  un  bal  de  noces,  qui  se  donnait 
chez  un  autre  rôtisseur  transfigure,  fut  inter- 
rompu tristement,  le  7  février  1767,  par  l'écroule- 
ment d'un  plancher  :  des  danseuses  et  des  danseurs, 
sans  se  quitter  la  main,  tombaient,  pour  ne  plus 
se  relever. 

Les  lapidaires-diamantaires  faisaient  alors,  comme 
de  juste,  moins  de  bruit  que  les  cabaretiers  ;  ils 
n'en  avaient  pas  moins  en  cette  rue  le  siège  de 
leur  corporation.  Les  statuts  de  la  compagnie 
remontaient  au  règne  de  saint  Louis,  qui  en  était 
resté  le  patron.  Pour  passer  maître,  il  fallait 
300  livres  et  sortir  victorieux  de  l'épreuve  du 
chef-d'œuvre.  L'apprentissage  durait  7  ans. 

Là  n'était  plus  le   bureau    des    Lapidaires    en 


RUE    DE    LA  HUCHETTE.  661 

1787  ;  celui  des  Tanneurs,  hongroyeurs,  peaussiers 
et  parcheminiers  l'y  remplaçait.  Les  tanneurs- 
hongroyeurs,  dont  lès  établissements  se  groupaient 
pour  la  plupart  au  faubourg  Saint-Marceau,  n'étaient 
que  depuis  onze  années  réunis  officiellement  avec 
les  corroyeurs,  les  peaussiers,  les  mégissiers  et 
les  parcheminiers.  Depuis  lors  la  maîtrise,  dans 
cette  corporation  professionnelle,  ne  coûtait  que 
600  livres  ;  le  brevet,  30.  On  demeurait  5  années 
apprenti.  La  compagnie  siégeait  dans  une  maison 
qui  portait  le  n°  8;  mais  l'ordre  numérique,  à 
cette  époque,  partait  de  l'extrémité  de  la  rue 
Saint-André-des-Arts,  sans  que  les  chiffres  pairs 
fussent  appelés  à  faire  vis-à-vis  aux  impairs. 

Au  n°  12  du  même  ordre,  on  venait  suivre  un 
cours  d'anatomie,  fait  par  Petit-Radel,  qui  avait 
été  reçu  docteur-régent  de  la  faculté  de  Médecine 
de  Paris  en  1782  et  que  les  Invalides  eurent 
pour  chirurgien  sous  l'Empire.  L'un  des  deux 
frères  de  ce  médecin  connu  fut  architecte,  élève 
de  Wailly;  l'autre,  prêtre  et  littérateur,  membre 
de  l'Institut. 


Rue  Galande.  (i) 


Jolies  Maisons  qu'on  y  découvre,  —  Comment  on 
se  galandait.  —  Images  servant  de  Numéros.  — 
Bureaux  des  Amidonniers  et  des  Charpentiers. 
—  Hôtels.  —  Saint -Julien -le -Pauvre.  —  Le 
Clos,  le  Fief  et  la  Famille  de  Garlande.  — 
Les  Regrattiers. 

Ne  se  cache-t-il  pas,  à  notre  avis,  quelques-unes 
des  plus  jolies  maisons  de  Paris  dans  cette  rue 
ouvrière  ?  Voici  le  3,  voilà  le  12,  le  27  et  le  31,  nous 
en  citerions  même  plus  de  quatre  aussi  agréaJ)les  à 
voir;  mais  ils  tiennent  si  peu  de  place  qu'un  nouveau 
boulevard,  s'il  les  guette,  n'en  fera  qu'une  bouchée. 
Le  Paris  qu'on  aimait  s'en  va,  et  l'autre  Paris 
jusqu'ici  réalise  des  améliorations  purement  ma- 
térielles, qui  ne  sont  pas  toujours  incontestables. 
Néanmoins  on  retrouverait  encore,  pour  la  plupart, 
les  76  maisons  qu'éclairaient,  dans  la  rue  Galande, 
14  des  lanternes  de  M.  de  la  Reynie,  quand  il 
était  lieutenant-de-police.  L'historique  de  tant  de 
pignons  étant  lettre  close,  décachetons  de  nouveau. 
Ne  semble-t-il  pas  que  chaque  rue  ancienne  soit  un 
personnage  collectif  dont  nous  vous  esquissons  la 
.  biographie  ?  Donnons  cette  fois  encore  la  préférence 
aux  documents  qui  lui  restitueront  son  caractère 
particulier  ; 

Summa   sequar  vesiiçjia  reruin. 

De  prime-abord,  la    personnification    de    cette 
rue  nous  semblait  devoir  être  galonnée  sur  toutes 


(l)  Notice  écrite   en   18G4. 


RUE  GALANDE.  66S 

les  coutures,  ou  vouée  au  commerce  du  galon. 
Oaland  signifiait  aiiciemiement  galon,  et  galander, 
fournir  ou  border  de  galands.  Mais  l'interrogatoire 
a  fait  tomber  tout  de  suite  l'idée  que  nous  avions 
préconçue  d'une  spécialité  primitive  :  pas  un  bout 
de  galon  ne  se  montrait.  D'ailleurs,  près  de  la 
moitié  de  la  rue  Galande  était  encore  des  Trois- 
Portes  sous  Louis  XIV. 

Notre  n"  1,  qui  appartenait  aux  boursiers  du 
collège  de  Presle,  eut  pour  signe  particulier  une 
Sainte-Thérèse,  plus  anciennement  des  Pèlerins, 
plus  anciennement  encore  un  Gril.  Puis  venait 
immédiatement  le  Bon-Secours,  ex-Cheval-Blanc, 
dont  Beaubrun,  peintre  du  roi,  fut  propriétaire. 
Henri  et  Charles  Beaubrun  travaillaient  fraternelle- 
ment aux  mêmes  poitrails,  qui  ne  firent  entrer 
que  l'aîné  à  l'Académie  ;  Louis  Beaubrun,  parent 
de  ces  deux  frères,  les  avait  devancés  comme 
portraitiste.  Etienne  Langlois  disposait  du  n^  5,  où 
des  Rats,  ultérieurement,  ne  craignirent  pas  de 
remplacer  un  Lion-d'Or,  pour  flatter  l'amour-propre 
d'un  autre  propriétaire,  Pierre-François  Le  Rat, 
marchand-bourgeois  de  Paris,  mari  de  Louise- 
Charlotte  de  Bougainville. 

Toutefois  la  rue  des  Rats  tombait  de  bien  plus 
ancienne  date  dans  celle  des  Trois-Portes  ;  c'est 
maintenant  la  rue  de  l'Hôtel-Colbert.  Au  premier 
angle  de  cette  rue  des  Rats,  le  sieur  Desmaisons, 
maître-maçon,  avait  en  1768  la  Corne-de-Cerf, 
contiguë  au  Bout-du-Monde,  qui  tenait  aussi  aux 
deux  riies  et  qui  appartenait  h  Delamesle,  libraire 
et  fondeur  en  caractères.  Après  le  second  coin 
venait  le  Cheval-Alezan,  ci-devant  Saint-Étienne,  à 
Louis  Parmentier,  marchand  de  chevaux,  qui  eut 
pour  successeur  Toudouze,  boucher.  Les  deux 
encoignures  de  la  rue  Jacinthe  étaient  pareillement 
au  pouvoir  de  Hébert,  marchand  de  poissons,  et 
de  Boiste,  conseiller  aux  Eaux-et-Forêts.  A  Ponson, 


«64  RUE  GALANDE. 

officier  du  roi,  les  Balances,  entre  Hébert  et  la 
veuve  de  Geoffroy,  lieutenant  de  l'amirauté,  dont 
les  deux  corps-de-bâtinients  se  disaient  Saint-Claude 
et  le  Chêne- Vert. 

Il  est  probable  que  le  9  et  le  41  ne  formèrent 
aussi  qu'un  :  Grandjean,  chirurgien-oculiste  de  la 
famille  royale,  y  demeurait  au  moment  de  la 
Révolution. 

Jean-Marc  Antoine,  porte-arquebuse  du  roi,  se 
rendit  adjudicataire  du  30  en  l'année  1694. 

Dans  l'une  des  maisons  que  vous  voyez  en  face, 
le  bureau  des  Amidonniers  fut  installé.  Ce  corps 
d'état  n'obtenait  pas  sans  peine,  au  mois  de  mars 
de  l'année  1774,  les  lettres-patentes  du  roi  l'au- 
torisant et  déterminant  ses  statuts.  Toutamidonnier, 
avant  de  passer  maître,  n'avait  que  2  ans  d'appren- 
tissage à  faire  ;  mais  il  ne  pouvait  s'établir  que 
si  le  lieutenant- de-police,  condition  moins  facile  à 
remplir,  ne  lui  refusait  pas  son  agrément. 

L'apprentissage  d'un  charpentier  se  prolongeait 
trois  fois  autant  que  celui  d'un  amidonnier,  et 
quand  il  aspirait  à  la  maîtrise,  il  servait  pendant 
un  trimestre  chez  un  juré  de  sa  corporation,  puis 
le  même  temps  chez  un  des  anciens  maîtres  ; 
après  quoi  il  n'avait  plus  qu'à  subir,  s'il  en  était 
jugé  digne,  l'épreuve  du  chef-d'œuvre  et  à  verser 
à  la  caisse  commune  1,400  ou  1,500  livres,  droit 
de  maîtrise,  dont  n'était  pas  exempt  un  fils  de 
maître.  Les  charpentier-jurés  du  roi  exerçaient 
le  privilège  de  l'estimation  et  du  toisé  des  bois, 
ouvrés  ou  non,  soumis  à  leur  inspection  obliga- 
toire sur  les  ports  et  dans  les  chantiers.  Un  des 
articles  du  règlement  de  la  communauté  des 
Charpentiers,  dont  le  siège  se  trouvait  également 
rue  Galande,  défendait  aux  compagnons  d'enlever 
les  copeaux  sous  peine  de  punition  corporelle. 
Saint  Joseph  était  le  patron  de  cette  compagnie, 


RUE    GALANDE.  '      065 

dont  on  attribuait  la  fondation  au  roi  Charles 
Martel.  Les  maçons  et  les  charpentiers  avaient 
ouvert  ou  adopté,  pour  le  service  de  leurs  con- 
fréries, une  chapelle  Saint-Blaise-et-Saint-Louis, 
attenante  à  Saint-Julien-le-Pauvre.  Cette  chapelle, 
rebâtie  en  1684,  ne  fut  détruite  que  près  d'un 
siècle  plus  tard,  et  alors  on  disait  .  les  messes 
de  la ,  communauté  à  la  chapelle  Saint-Yves,  rue 
des  Noyers,  après  les  avoir  célébrées  quelque  temps 
à  réglise  des  Carmes,   place  i^laubert. 

Avant  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV,  le  n"  36 
appartenait  h  Durfort,  un  maître-des-comptes,  et 
le  suivant,  enjolivé  d'une  Perle,  aux  sieurs 
procureur,  doyen  et  suppôts  de  la  Nation  de 
Picardie,  qui  avaient  aliéné  ladite  maison  sous 
Henri  IV,  mais  qui,  depuis  peu  rentrés  en  pos- 
session, y  succédaient  au  théologien  Bouvard  de 
Fourqueux.  La  Perle,  qui  touchait  rue  du  Fouarre 
k  la  sacristie  de  la  chapelle  et  aux  écoles  de 
ladite  Nation,  était  désignée  sur  le  plan  de  1715 
sous  cet  autre  nom  :  Saint -Ni  colas,  qui  sous- 
entend  à  notre  sens  :  séminaire  de  Saint-Nicolas- 
du-Ghardonnet. 

La  Nation  de  France  avait  le  Chcàteau-de-Vin- 
cennes  ou  de  Bicêtre,  à  l'autre  angle  de  la  rue 
du  Fouarre,  ainsi  que  la  maison  voisine,  à  l'image 
de  Saint-Julien.  Puis  le  Grand-Écu-de-Normandie 
appartenait  à  la  Nation  de  Normandie,  dont  le 
collège  était  rue  du  Fouarre,  du  côté  opposé  au 
collège  de  Picardie. 

Deux  anciens  hôtels  se  révèlent  un  peu  plus 
loin,  au  n''  57,  dont  les  habitants  regardent  Gabrielle 
comme  leur  devancière,  et  au  n°  65,  où  résidèrent 
pour  sûr  des  Châtillon,  et  il  se  pourrait  qu'on  eût  jeté 
bas  un  troisième  bâtiment,  sur  le  rang  des  chiffres 
pairs.  Mais  l'un  de  ces  hôtels  fut  Lamoignon,  grâce 
au  président  â  mortier,  pèreet  grand-père, de  deux 
amis  de  Boileau.  Dans  son  ancienne    cour,  dite 

36 


606  RUE  GàLANDE. 

encore  Lamoignon,  se  tenait  en  1692  un  bureau 
de  papier  et  de  parchemin  timbrés,  ainsi  que  le 
bureau  du  contrôle  des  exploits.  L'un  également 
des  hôtels  signalés  porta  le  nom  de  Lesseville 
pendant  un  siècle  pour  le  moins.  Deux  frères 
Leclerc  de  Lesseville  obtinrent  du  Saint-Siège 
les  dispensés  nécessaires  pour  épouser  deux  sœurs, 
leurs  cousines-germaines.  L'un  était  Charles-Nicolas 
Leclerc  de  Lesseville,  baron  d'Hauton,  seigneur 
de  Saint-Leu  et  de  Saint-Prix,  conseiller  au  par- 
lement de  Paris,  maître-des- requêtes,  puis  inten- 
dant de  Limoges,  d'Auch  et  de  Tours  successi- 
vement; l'autre  demeura  conseiller  au  parlement. 
Le  premier  cessa  de  vivre  au  beau  milieu  du 
XVI n''  siècle,  en  laissant  trois  enfants  :  Charles, 
président  de  la  chambre  des  enquêtes  au  parlement  ; 
Anne,  mariée  à  M.  de  l'Escalopier,  intendant  de 
Tours  en  dernier  lieu,  et  puis  une  seconde  tille, 
en  religion  aux  Filles-Dieu.  Mais  ne  citait-on  pas 
déjà  en  1691,  à  cause  de  son  importance,  la 
bibliothèque  réunie  par  M.  de  Lesseville,  rue  Galande? 
Cet  autre  Charles  Leclerc  de  Lesseville,  qui  se 
qualifiait  seigneur  de  Rubelles,  Saint-Leu,  Saint- 
Prix  et  autres  lieux,  siégeait  à  la  cour  des  Aides; 
il  avait  épousé  en  premières  noces  Marguerite 
Prévost,  fille  d'un  conseiller  au  Grenier-à-sel, 
puis  Anne  Pallu,  fille  d'un  fermier-général.  Les 
deux  frères  mentionnés  tout-à-l'heure  étaient  enfants 
du  premier  lit. 

Dernièrement,  pendant  que  la  cathédrale  était 
l'objet  de  grandes  réparations  à  l'intérieur,  le 
chapitre  de  Notre-Dame  officia  à  Saint-Julien-le- 
Pauvre  ;  mais  celte  petite  église,  depuis  longtemps, 
n'est  plus  que  la  chapelle  de  l'Hôtel-Dieu.  Il 
paraît  qu'elle  doit  son  origine  à  un  établissement 
hospitalier  du  vi«  siècle,  où  logea  saint  Grégoire 
de  Tours,  en  s'arrêtant  de  passage  à  Paris.  La 
rue  Galande  aurait  donc  eu  pour  habitant  l'historien 


RUE  GALANDE.  667 

de  la  première  race  des  rois  de  France  ;  mallieu- 
reusement  elle  était  tout  au  plus  un  chemin  du 
vivant  de  l'évêque  de  Tours  dont  nous  vous  parlons. 

La  rue,  dit-on,   ne  fut  percée  qu'en  l'an  1202, 
sur  la  lisière  du  clos  Mauvoisiii,    lequel    y  con- 
finait au  clos  de  Garlande,  en  dépendant  de    la 
seigneurie  du  même  nom.  A  cette   date,  en  effet, 
le  clos  de  Garlande  fut  donné  en  fief  par  l'abbé 
de  Sainte-Geneviève  h  Matthieu  de   Montmorency 
et    à  sa  femme.  Mais  la  division  ne  s'était-elie  pas 
jetée  antérieurement  dans  le  domaine  seigneurial, 
et  de    façon    à    hâter    l'ouverture  de  cette  voie 
principale  de  communication,  mitoyenne  de  deux 
clos  primitivement  distincts?  Etienne  de  Garlande 
avait  affecté,   dès  l'an  1118,  plusieurs  vignes   de 
Garlande  à  la  dotation  de  la  chapelle  Saint-Aignan, 
établie  à  Paris  par  les  chanoines  de  Saint-Aignan, 
église  d'Orléans,   et  le  fait  est  que,  dans  la  suite, 
on  ne  connut  plus  d'autre  fief  de  Garlande,  aliàs 
Galande,  que  celui  qui  appartenait  audit  chapitre. 
Il  est  vrai  que  la  fusion  de  leurs  droits  respectifs 
a  pu  i*^ésulter  d'une  alliance  que  les  Montmorency 
ont  contractée  avec  la  fomille  de  Garlande,  qui  rem- 
plissait aussi,  au  xn^  siècle,  les  premières  charges 
du  royaume.  Anceau  de  Garlande  fut  sénéchal  de 
France  et  pre.Tjer  ministre,  sous  Philippe  P''    et 
Louis-le-Gros  ;  Etienne  de   Garlande,    son   frère, 
mourut  évêque  de  Beauvais,  en  1151,  après  avoir 
été    lui-même    sénéchal,    chancelier    et    premier 
ministre  pendant  neuf  années  ;  enfin  Anselme  de 
Garlande,  une  quarantaine  d'années  après  la  mort 
de  cet  évêque,  remplissait  les  fonctions  de  prévôt 
de  Paris.  Les  chanoines  de  Saint-Aignan  passèrent 
un  accord  avec  les  juifs,  sous  le  règne  de  Louis  IX, 
pour  leur  vendre  conditionnellement  une  maison 
et  un  terrain,  où  ils  avaient  alors  la  permission 
d'établir  leur  cimetière.  Il  ne  se  passa  pas  longtemps 
sans  qu'on  retirât  cette  autorisation  ;   mais   c'est 


668  RUE   GALANDE. 

précisément  le  cas  aléatoire  que  le  contrat  de 
vente  avait  prévu,  et  le  cliapitre  rentra  dans  tous 
ses  droits. 

Vers  la  fin  du  même  siècle,  presque  tous  les 
états  se  trouvaient  exercés  par  la  population  de 
la  rue  Galande.  Mais  on  y  remarquait  déjà  des 
regraltiers,  dont  les  traditions  industrieuses  sont 
précieusement  conservées,  en  ce  temps-ci,  chez 
autant  de  gargoliers.  Rien  ne  .s'y  perd  ! 


Rue    Drouot*  [i] 


La  Grange-Batelière.  —  Les  Pinon.  —  La  Maison 
du  Jockey-Club.  —  Crozat. — La  Duchesse  de 
Gramont.  —  L' Administration  de  VOpéra.  —  Les 
d'Augny.  —  M.  Aguado.  —  Le  Salon  des  Étran- 
gers. —  La  Mairie. 

L'une  des  deux  branches  de  l'équerre  que  formait 
la  rue  de  la  Grange-Balelière  se  prolongeait  en 
4847,  à  la  place  de  l'hôtel  patronymique  de  cette 
rue,  et  prenait  le  nom  du  général  Drouot,  qui 
venait  de  mourir  à  Nancy.  L'autre  branche  était 
de  première  pousse,  et  ledit  château  avait  servi 
de  tronc  à  toutes  les  deux.  La  rue  Neuve-Grange- 
Batelière,  dite  aussi  du  Faubourg-Richelieu,  se 
distinguait  de  celle  de  la  Grange-Batelière  en  1704 
et  commençait  où  commence  notre  rue  Drouot, 
pour  V  finir  à  la  hauteur  de  notre  rue    Rossini. 

Le  chef-lieu  du  nef  l'avait  pour  avenue.  Ce 
n'était  pas  encore  un  hôtel  ;  mais  depuis  longtemps 
ce  n'était  plus  une  grange,  et  il  ne  fallait  plus, 
comme  autrefois,  y  arriver  par  eau,  dans  un 
bateau.  Vous  étonnez-vous  qu'on  ait  pu  se  baigner 
et  pêcher  dans  une  rue  aussi  peu  vénitienne  ?  Il 
descend  encore  de  Montmartre,  les  jours  de  pluie, 
assez  d'eau  pour  alimenter  un  étang,  ou  inonder 
démesurément  un  saut-de-loup,  comme  il  y  en 
avait  sans  doute  devant  la  grange  érigée  en  manoir, 
à  un  niveau  depuis  lors  exhaussé.  Les  fossés  de 
ce  qu'on  a  appelé  la  ceinture  de  Sainte-Opportune 
sont  depuis  longtemps  affectés  à  l'égout  ;  mais  on 

(1)  Notice   écrite   en  1859. 


670  RUE  DROUOT. 

les  avait  probablement  établis  pour  servir  k  la 
défense,  en  prévision  d'un  retour  offensif  de  l'ennemi. 
Ces  fossés  h.  la  file,  que  depuis  ont  couverts  les 
rues  des  Petites-Écuries,  Riclier,  de  Provence,  etc., 
avaient  pu  d'autant  mieux  s'étendre  à  la  Granofe- 
Batelière  que  Sainte-Opportune  était  en  possession 
du  fief  dès  l'année  1153,  bien  qu'il  relevât  plus  ou 
moins  de  l'évêque.  Les  comtes  de  Laval  en  firent 
l'acquisition  à  la  fin  du  même  siècle  ;  Jean  de 
Malestroit,  évêque  de  Nantes  et  chancelier  de 
Bretagne  sous  Charles  VII,  le  donna  aux  blancs- 
manteaux,  qui  le  vendirent  au  comte  de  Vendôme, 
et  Catherine  de  Vendôme  le  mit  dans  la  maison 
de  Bourbon,  par  son  mariage  avec  le  trisaïeul 
d'Henri  IV.  Les  financiers  Vivien,  qu'avait  anoblis 
en  1491  René  II  duc  de  Lorraine  et  qui  servi- 
rent plus  tard  de  parrains  à  la  rue  Vivienne, 
achetèrent,  au  milieu  du  xyi**  siècle,  cette  Grange- 
Batelière,  terre  surburbaiiie  qui,  originairement, 
ne  contenait  pas  moins  de  194  arpens,  mais  que 
l'établissement  du  Picmpart  de  la  ville,  autrement 
dit  du  Boulevard,  réduisit  à  168.  Louis  Vivien, 
sieur  de  la  Grange -Batelière,  maria  sa  fille,  le 
!28  août  1608,  à  messire  Daniel  Bourgoin,  dont 
l'arrière-pelite-fille  épousa,  le  27  mars  1713,  Anne- 
Louis  Pinon,  vicomte  de  Quincy-sur-Cher,  et  le 
manoir  passa  de  la  sorte  dans  la  famille  Pinon, 
avec  la  terre.  Le  fils  et  le  petit-fils  de  ce  nouveau 
seigneur  portèrent  l'un  après  l'autre  au  parlement 
de  Paris  le  bonnet  rond  de  velours  noir,  bordé 
d'un  galon  d'or  ;  ils  demeuraient  rue  Culture- 
Sainte-Catherine,  avant  de  transformer  en  hôtel 
leur  maison  des  champs,  dont  le  vieux  colombier 
marquait  la  suzeraineté  sur  le  beau  quartier  qui 
commençait  k  sortir  de  leurs  cultures. 

Lorsque  le  président  à  mortier  s'installa  dans 
celte  résidence,  digne  d'un  souverain,  ce  fut  pour 
y   mener  grand  train  :  chaque  dîner  de  cérémonie 


RUE  DROUOT.  671 

qu'il  donnait  h  l'occasion  de  la  rentrée  du  par- 
lement, lui  coûtait  4000  écus.  Le  jardin  de  l'hôtel 
n'avait  alors  qu'un  peu  plus  de  14  arpens  ;  mais 
les  droits  censitaires  et  de  lods  et  ventes,  attribués 
à  la  seigneurie,  décrivaient  un  i-ayon  si  large  et 
pesaient  sur  tant  de  maisons  neuves,  non-seulement 
dans  le  faubourg,  mais  encore  dans  les  rues  de 
Richelieu,  Monimartre,  Notre-Dame-des-Victoires, 
Feydeau,  Saint-Marc,  des  Filles-Saint-Thomas, 
Neuve- Saint- Augustin,  Neuve -des-Petits-Champs, 
Colbert,  Vivienne,  des  Petits-Pères  et  place  des 
Victoires,  qu'ils  faisaient  ressembler  le  magistrat 
Pinon  au  marquis  de  Carabas.  A  l'occasion  d'une 
réclamation  d'une  portion  de  ces  droits,  faile 
judiciairement  au  tenancier  du  domaine  noble, 
mais  que  l'évêché  avait  eu  en  vasselage,  M.  de 
Vintimille,  archevêque  de  Paris,  publia  un  factum, 
par  lequel  on  apprit  que  le  revenu  de  la  Grange  • 
Batelière  dépassait  déjà  un  million  au  commen- 
cement du  règne  de  Louis  XV  :  il  y  avait  de  quoi 
partager  !  Law,  en  ayant  acquis  tout  ou  partie, 
s'était  qualifié  lui-même  seigneur  de  la  Grange- 
Batelière. 

M.  Pinon  n'échappa  que  par  miracle  à  la  terrible 
curée  parlementaire  du  20  avril  1795.  La  Grange- 
Batelière  était  personnellement  occupée,  pendant 
la  Révolution,  par  des  représentants  montagnards  : 
Christiani,  du  Haut -Rhin;  Villars,  de  la  Mayenne. 
Ce  fut  sous  l'Empire  une  magnifique  hôtellerie, 
dans  laquelle  des  princes  descendaient.  Le  duc 
d'Orléans  y  fut  lui-même  le  locataire  de  M.  Pinon, 
à  partir  du  25  mai  1814,  jusqu'à  ce  que  les 
appartements  du  Palais-Royaî  fussent  remis  en 
état.  Puis  la  Ville,  en  1820,  fit  l'acquisition  de 
l'hôtel,  pour  y  établir  la  mairie  du  I^  arrondisse- 
ment, et,  vers  la  fin  du  règne  de  Louis-Philippe, 
les  bâtiments  en  livrèrent  place  tant  au  prolon- 
gement de  la  rue  rectifiée  qu'à  un  nouvel  hôtel 


672  RUE   DROUOT. 

des  Ventes  mobilières  et  à  bien  des  maisons  d'un 
grand  revenu.  Le  nom  de  Pinon  y  restait  encore 
à  une  rue  séculaire,  qui  commençait  à  gauche 
sur  le  point  où  naguère  tournait  à  droite  celle 
de  la  Grange-Batelière  ;  c'est  maintenant  la  rue 
Rossini.  Ne  croirait-t-on  pas  que  s'est  éteinte, 
avant  de  subir  cet  alVront,  la  race  magistrale  des 
derniers  titulaires  du  tief?  Loin  de  IJi  !  des  rejetons 
attendent  que  le  soleil  de  la  fortune  redore  cette 
tige,   qui  n'en  a  plus  que  l'ombre. 

Un  aut^e  hôtel  figure  sur  le  plan  de  1739,  à 
l'encoignure  de  la  rue  Neuve-Grange-Batelière  et 
du  Cours,  et  il  n'a  fait  depuis  que  s'alourdir  de 
force  constructions  supplémentaires.  En  voici 
l'historique.  Du  tief  sont  achetées  2016  toises, 
en  1717,  par  PieiTC  Darieux,  bourgeois  de  Paris, 
qui  en  cède  95:2  à  Nativelle,  architecte  des  bâti- 
ments-du-roi,  et  celui-ci  y  élève  deux  maisons, 
pour  les  transporter,  deux  années  après,  à  Farges 
de  Polizy,  munitionnaire-général  des  troupes. 
Nicolas  Levasseur,  conseiller  au  parlement,  se 
rend  adjudicataire  de  la  double  propriété,  en 
1722,  par  suite  d'un  retrait  lignager  exercé  à  sa 
requête  sur  Nalivelle  et  ses  acquéreurs;  mais  le 
munitionnaire,  au  bout  de  six  années,  prend  de 
tels  arrangements  avec  les  créanciers  du  magistrat 
qu'il  rentre  en  possession.  Au  décès  de  Farges, 
les  biens  de  sa  succession  sont  mis  en  vente 
par-devant  les  commissaires-généraux  du  roi  :  )a 
grande  maison,  celle  qui  forme  l'angle,  est  adjugée, 
avec  son  jardin,  à  messire  François-Louis  Le 
ïellier,  comte  de  Piébenac,  marquis  de  Souvré 
et  de  Louvois,  maître  de  la  garde-robe  du  roi 
et  lieutenant-général  ;  la  petite  passe  au  bourgeois 
Lemaignen.  Après  l'avoir  habité  vingt-huit  ans, 
M.  de  Louvois  cède  son  hôtel,  en  .  1764,  h  Jean- 
Joseph  de  la  Borde,  vidame  de  Chartres,  con- 
seiller-secrétaire du  roi,  lequel  désintéresse  bientôt 


RUE  DROUOT.  673 

les  héritiers  de  Lemaignen,  pour  réunir  de  nouveau 
les  deux  propriétés.  M.  de  la  Borde  transporte 
ses  droits,  en  1783,  au  fermier-général  Clément 
Delaage,  mais  en  se  réservant  le  jardin,  sur  lequel 
se  sont  ultérieurement  casés  les  n"*  16  et  18  du  bou- 
levard Montmartre.  M.  Delaage  s'empresse  de 
démolir  ce  qu'a  fait  bàlir  Nativelle,  à  l'exception 
d'un  bâtiment  qui  fait  retraite  encore  sur  le 
Boulevard,  en  s'y  éclairant  par  deux  fenêtres,  et 
auquel  on  a  ajouté  sous  le  règne  de  Louis  XVIII, 
un  autre  petit  corps-de-logis,  à  l'extrémité  de 
la  propriété.  Les  autres,  présentement  surélevés 
tant  sur  la  rue  que  sur  le  Boulevard,  datent  de 
1784,  comme  l'escalier  superbe  du  premier,  comme 
le  salon  d'encoignure  à  six  fenêtres  et  une  ou 
deux  autres  pièces  dont  la  décoration  est  encore 
de  style  Louis  XVI. 

Aussi  bien  cet  immeuble,  après  la  mort  du 
financier  qui  l'a  renouvelé,  est  acquis,  sous  l'Empire, 
par  le  comte  Alexandre-Edmond  de  Talleyrand- 
Périgord,  aide-de-camp  du  prince  de  Neufchàtel, 
époux  d'une  princesse  de  Courlande.  Ce  neveu  du 
prince  de  Talleyrand  fait  la  campagne  de  Russie 
en  qualité  de  colonel  au  8'  chasseurs,  est  nommé 
maréchal-de-camp  en  1814  et  soutient  au  Congrès 
de  Vienne  les  intérêts  du  roi  de  Naples  qui,  une 
fois  rentré  dans  ses  États,  lui  donne  le  duché 
de  Dino.  C'est  justement  l'année  1815  qui  le  voit 
transmettre  à  M.  Mouroult  ses  droits  sur  la  pro- 
priété dont  il  s'agit.  M.  Mouroult,  neuf  années 
plus  tard,  a  pour  preneur  M.  Debruges-Duménil, 
agent-de-change.  Une  galerie  de  curiosités,  créée 
par  ce  propriétaire,  par  malheur  a  été  vendue  ; 
son  moindre  ornement  n'était  pas  un  cabinet,  tout 
garni  de  laque  jusqu'aux  voussures,  enrichissant  le 
petit  bâtiment  qui  reste  de  l'hôtel  primitif.  M.  Jules 
Labarlhe,  ancien  avoué,  auteur  d'un  savant  volume 
sur  l'art  céramique,  a  épousé  la  tille  de  M.  Debruges, 


674  RUE  DROUOT. 

propriétaire  actuel.  Cette  maison,  si  avantageuse- 
ment située,  a  eu  aussi  pour  locataires  ii  citer  : 
le  Jockey-Club,  depuis  sa  création  en  1836  jusqu'en 
•I800  ;  le  chirurgien  Jules  Cloquet,  durant  vingt 
ans  ;  le  comédien  Arnal,  le  facteur  de  pianos 
Pleyel  et  le  restaurateur  Laiter,  dont  les  officiers 
supérieurs  de  l'armée  alliée  formaient  la  principale 
clientèle   à  la  chute  du  premier  empire. 

En  l'an  de  grâce  1729,  Pinon  do  Quincy  n'était 
encore  que  conseiller  au  parlement,  comme  Le- 
vasseur,  et  ils  se  touchaient  de  près  d'autant  plus 
que  ce  dernier,  à  la  suite  des  deux  maisons  déjà 
portées  à  son  actif,  en  avait  quatre.  Les  pro- 
priétaires sur  l'autre  ligne,  en  deçà  de  l'hôtel 
seigneurial,  étaient  :  M"''  de  Villefranche,  le  bour- 
geois Ponroy,  Delaunay  et  Crozat. 

Le  financier  Pierre  Crozat,  écuyer,  n'avait  guère 
là  qu'un  vaste  potager  en  1709,  alors  que  la 
permission  de  relier  cet  annexe  à  son  hôtel  de 
la  rue  Richelieu,  par  un  passage  souterrain,  lui 
coûtait  oOO  livres  comptant  et  10  de  rente. 
Il  s'y  élevait  au  moins  un  pavillon  quand  Crozat 
le  vendit  à  Lenormand,  en  ne  gardant  à  sa  charge 
que  la  moitié  de  la  petite  redevance  annuelle. 
D'après  une  carte  de  Paris  gravée  en  1763,  le 
jardin  s'étendait  pour  le  moins  jusqu'au  point  où 
la  rue  Taitbout  accoste  la  rue  du  Helder.  Quant 
à  l'hôtel  encore  debout,  Carpenticr  le  dessina 
pour  Bouret,  avec  la  coopération  de  Desportes. 
Un  autre  capitaliste  fameux,  qui  fit  un  peu  de 
tout.  M.  de  Laborde,  y  précéda  M.  de  la  Reynière 
et  M.  de  Choiseul,  ancien  ministre,  dont  ce  fut 
le  dernier  domicile.  On  y  voit,  en  revanche,  où 
se  dressait  le  lit  nuptial  delà  chanoinesse  Béatrix 
de  Choiseul-Stainville  et  du  duc  de  Gramont,  qui 
portait  entre  autres  titres  celui  de  souverain  de 
Bidache  et  qui  s'était  une  première  fois  marié  à 
l'âge  de  17  ans.  Celte  duchesse  de  Gramont  n'était 


RUE  DROUOT.  675 

pourvue  que  des  agréments  de  l'esprit;  l'homme 
d'iitat,  son  frère,  ne  négligeait  ni  ses  conseils,  ni  ceux 
de  M"'^  de  Beauvau.  M""'  Dubarry,  que  la  duchesse 
avait  irritée,  l'a  vue  avec  délices  partager  la 
disgrâce  du  ministre,  qui  tombait  avec  les  par- 
lements ;  mais  l'exil  a  eu  ses  grandeurs  et  puis 
un  terme.  Quelle  catastrophe  attendait  à  son  tour  le 
nouveau  règne  inauguré  par  de  justes  réparations! 
Les  duchesses  de  Gramont  et  du  Châtelet,  deux 
amies,  partagèrent  enfin  le  même  supplice,  à  la 
satisfaction  de  Robespierre  et  de  Fouquier-Tinville. 
L'hôtel  d6  M'""  de  Gramont,  restitué  depuis  à  sa 
famille,  n'attendit  toutefois  pas  la  Restauration 
pour  être  Vindé.  Le  vicomte  de  Morel-Vindé, 
agronome  et  littérateur,  pair-de-France  et  ancien 
conseiller  au  parlement,  était  propriétaire  de  l'im- 
meuble, en  1821,  quand  on  a  fait  de  son  jardin 
l'Opéra  et  les  passages  qui  s'y  rattachent.  L'ad- 
ministration de  ce  théâtre  ne  siège  qu'après  l'état- 
major  de  la  garde  nationale  dans  l'hôtel  même, 
que  la  finance  du  xvin*  siècle  avait  libéralement 
pourvu  de  sa  cour  spacieuse  et  carrée,  de  ses 
sculptures,  parmi  lesquelles  on  remarque  celles 
du  fronton,  et  d'une  porte  qui  serait  assez  haute 
pour  un  arc-de-triomphe.  On  se  hausse  involon- 
tairement pour  passer  dessous  Étonnez-vous  que 
les  amours-propres  et  les  prétentions  des  artistes, 
qu'on  y  voit  plusieurs  fois  par  jour,  grandissent 
aussi  !  Il  faudrait  les  faire  passer  tous  par  la 
petite  porte  du  passage  noir. 

Les  Daugny,  en  revanche,  sont  moins  prétentieux 
au  XIX''  qu'au  xvni«  siècle  :  ils  ont  rengainé  l'apos- 
trophe qui  donnait  à  leur  nom  l'emblème  d'une 
épée  de  gentilhomme  et  relativement  ils  se  rangent 
tous  les  jours.  Le  premier  fermier-général  de 
cette  famille,  qui  pour  Paris  et  la  finance  quittait 
Metz  et  la  robe,  aimait  avec  passion  la  taWe.  S'il 
avait  dissipé  les  2,66 i, 000    livres    qu'il   fut  con- 


676  RUE  DROUOT. 

damné  à  restituer  au  Trésor  en  1716,  alors 
qu'Antoine  Grozat,  son  confrère,  était  taxé  à  6,600,000 
livres,  c'est  la  goinfrerie  qui  lui  avait  fait  faire 
ses  folies.  Son  lils,  également  dans  la  Ferme, 
entrait  35  années  plus  tard  dans  un  hôtel  tout 
battant  neuf  à  la  Grange-Batelière,  vis-à-vis  de 
celui  dont  nous  sortons,  et  quel  hôtel  !  Avenue 
par-devant,  grand  jardin  par-derrière,  plus  un 
manège  couvert;  petits  appartements  pour  les 
maîtresses  de  monsieur,  avec  des  peintures  à 
demeure  de  Boucher,  d'Eisen,  de  Vanloo,  etc. 
Gelui-lii  donc  ne  se  contente  plus  de  la  bonne 
chère.  Que  ne  lui  coûte  pas  notamment  la  Gogo  ! 
On  surnomme  ainsi  M"'*  Bellecour,  qui  a  brillé 
dans  l'opéra-comique  avant  déjouer  à  la  Comédie- 
Française  avec  son  mari,  et  ceGiles  Colson.dit  Belle- 
cour,  prélève  de  quoi  faire  lui-même  des  Hbéralités 
galantes  sur  celles  du  financier.  Le  même  d'Augny 
se  retire  ensuite  des  affaires  pour  se  marier  ; 
seulement  il  est  si  peu  fier  de  prendre  pour 
femme  la  petite  chanteuse  Liancourt,  fille  de  la 
Duval,  qu'il  s'exile  avec  elle  dans  ses  terres  pour 
deux  années,  avant  de  reparaître  h  Paris.  Soit 
lui,  soit  son  fils,  un  d'Augny,  trésorier  des  États 
de  Bourgogne,  occupe  l'hôtel  en  1789,  et  des 
médailles,  des  tableaux,  un  cabinet  d'histoire 
naturelle  y  sont  l'objet  de  Tattention  des  curieux. 

Mais  bientôt  le  comte  de  Mercy-d'Argenteau, 
ambassadeur  de  l'empereur  d'Allemagne,  remplace 
d'Augny.  Puis  la  Révolution  transforme  un  des 
ci-devant  hôtels  de  la  rue  de  la  Grange-Batelière 
en  ministère  de  la  Guerre.  Celui  qui  fut  d'Augny 
ressemble  en  quelque  chose,  peu  de  temps  après 
le  9  thermidor,  i»  l'arche  d'alliance,  d'où  partit  une 
colombe  en  quête  d'une  brandie  d'olivier,  qui 
confirmât  que  le  déluge  finissait  ;  mais  le  ballon 
d'essai  qui  se  lance  pour  cette  fois  est  un  bal, 
le  bal  des  Victimes!   L'Étranger  a  beau   craindre 


RUE  DROUOT.  677 

Paris,  comme  la  peste,  il  viendra  se  l'inoculer, 
sous  le  prétexte  de  relever  des  victimes,  mais 
encore  plus  pour  voir  ce  qui  reste  des  bourreaux, 
et  le  virus,  au  lieu  de  se  cacher  comme  agent 
mystérieux  de  la  contagion,  prend  toutes  les  formes 
de  la  séduction  dans  le  salon  des  Étrangers, 
dont  l'entretien  est  imposé  à  l'administration  des 
Jeux. 

Les  bals  masqués  principalement  font  merveille 
à  l'hôtel  d'Augny  ;  les  pontes  du  trente-et-un  y 
tentent  une  fortune  qu'aveugle  plus  encore  l'incognito 
du  masque.  Seulement  une  dame  d'honneur  de 
M"'"  Bonaparte,  aux  derniers  jours  du  Consulat, 
perd  là  un  argent  dont  la  source  tinit  par  ne 
plus  être  plus  pure  que  le  gouffre  où  il  se  perd, 
et  le  service  de  cette  dame  d'honneur  est  supprimé 
aux  Tuileries,  en  même  temps  que  les  bals  masqués 
au  Salon  des  Étrangers  :  interdiction  que  ne  lève 
pas  l'Empire.  Les  réceptions  continuent,  mais  à 
visage  découvert.  Les  membres  du  corps  diplo- 
matique rencontrent  sur  ce  terrain  neutre  plus 
d'un  souverain,  lors  du  mariage  de  Marie-Louise, 
et  les  gros  fournisseurs  de  l'armée  y  coudoyent  des 
gentilshommes  de  l'ancienne  cour,  sur  le  pied  d'une 
égalité  qui  étonne  encore  moins  ceux-ci  que  ceux- 
là.  On  n'est  reçu  à  l'hôtel  d'Augny  qu'en  justifiant 
d'un  nom  à  conserver  et  d'une  fortune  à  compro- 
mettre ;  les  redingotes  et  les  bottes  servent  elles- 
mêmes  de  titre  à  l'exclusion.  Il  y  a  successivement 
trois  commissaires  chargés  de  maintenir  le  décorum 
et  de  résoudre  les  cas  de  conscience  de  l'étiquette, 
le  marquis  de  Livry,  le  marquis  de  Rueil  et 
M.  de  Cussy,  gourmand  célèbre.  A  deux  ou  trois 
grands  dîners  par  semaine  sont  conviés  les  mem- 
bres du  cercle  ;  Robert  et  Lointier  servent  et 
Brillât-Savarin  prend  ses  notes  sur  le  menu.  Frascati 
ne  peut  donc  être,  de  l'autre  côté  du  Boulevard, 


«78  RUE  DROUOT. 

qu'une  pâle  imitation  de  cette  maison  de  jeu  sans 
pareille  : 

Qu'in  et  erat   magnœ  pars  imilanda  domûs. 

Pendant  que  Frascati  survit  au  Salon  des  Étran- 
gers, M.  Aguado,  marquis  de  Las  Marismas,  prend 
possession  de  l'hôtel  d'Augny  et  y  réunit  une 
collection  de  tableaux,  dont  la  vente  fait  événement 
après  la  mort  de  cet  ancien  banquier,  qui  a  été 
mai'chand  de  comestibles.  Le  n"  4  dépend  alors 
de  la  propriété,  dont  le  jardin  n'a  pas  encore 
cessé  de  se  prolonger  au-delà  du  passage  Jouffroy. 
La  révolution  d€  1848  trouve  les  bureaux  de 
Ganneron  et  Gouin,  banquiers,  dans  l'immeuble 
principal,  qu'une  compagnie  d'assurances  ne  tarde 
pas  k  vendre  h  la  Ville,  qui  aussitôt  y  rétablit  la 
mairie  à  laquelle  manque  l'hôtel  Pinon. 


Rue   des    ]\oycrs.  (i) 


«  Un  avocat  en  une  ville,  dit  le  proverbe,  un 
noyer  en  une  vigne,  un  pourceau  dans  un  blé, 
une  taupe  dans  un  pré,  un  sergent  dans  un  bourg, 
c'est  pour  achever  de  tout  gâter.  »  Or,  près  des 
vignes  de  Garlande  il  y  avait  plus  d'un  noyer  ; 
on  en  voyait  une  allée  toute  garnie,  comme 
l'Hoheveg  d'Interlaken,  et  ce  double  rang  de  noyers 
séparait,  on  ne  peut  mieux,  le  clos  Bruneau  du 
clos  Garlande.  Mais  le  moyen  que  la  vigne  en 
bordure  ne  souffrît  pas  d'un  pareil  voisinage  ! 
L'air  et  le  soleil  y  manquaient  lour-à-tour.  Aussi 
bien  une  rue,  à  la  place  de  l'allée,  amenait  la 
ville  jusque-là  dès  le  règne  de  Philippe-Auguste  ; 
puis  une  chapelle  y  fut  dédiée  à  saint  Yves,  patron 
des  avocats,  et  même  la  dénomination  de  rue 
Saint- Yves  prévalut  au  milieu  du  xiv  siècle,  mais 
moins  longtemps  que  ne  dure  un  bon  procès,  sur  la 
dénomination  héréditaire  qui  rappelait  les  deux 
rangées  d'arbres.  Noyers  en  vigne,  puis  avocats 
en  ville,  quel  surcroît  de  mauvais  augure  !  s'il 
faut  en  croire  la  sagesse  des  nations.  Néanmoins 
la  chapelle,  que  la  Révolution  avait  fermée  au 
culte,  n'a  vu  tomber  ses  quatre  murs,  avec  l'aile 
droite  de  la  rue  des  Noyers,  que  pour  faire  place 
au  boulevard  Saint-Germain,  et  l'aile  qui  reste  ne 
sera  pas  découp.ée  :  le  boulevard  nouveau  se  l'in- 
corpore. Ainsi,  l'allée  d'avant  Philippe-Auguste 
reparaît  plus  large  ei  plus  longue,  mais  sans  changer 
de  direction,  après  avoir  passé  huit  siècles  sans 
verdure. 


(1)  Notice  écrite   en  1861. 


680  RUE    DES    NOYERS. 

Il  nous  est  donc  encore  loisible  d'y  reconnaître 
deux  maisons  séculaires  qui  ont  appartenu  au 
collège  de  Lisieux,  en  face  de  la  rue  des  Lavan- 
dières. Du  même  côté  se  présentait,  sur  la  fin  de 
l'ancien  régime,  l'entrepôt  g:énéral  des  cartes  de 
la  marine  du  roi,  sous  la  direction  de  Desauche, 
et  alors  les  trois  dernières  maisons,  après  lesquelles 
venait  la  rue  Saint-Jacques,  étaient  à  Léonard,  à 
Dubuisson,  à  Desprez,  imprimeur. 

Parmi  les  maisons,  au  contraire,  que  remplace 
le  macadam  du  boulevard,  nous  en  eussions  signalé 
deux,  situées  près  de  la  place  Maubert  :  l'une  et 
l'autre  s'étaient  partagé  l'enseigne  de  la  Pomme- 
de-Pin,  qui  nous  paraît  sentir  le  cabaret.  Mais 
deux  autres  adresses  de  ce  genre,  que  donna 
pour  la  rue  des  Noyers  un  guide  des  amateurs, 
en  l'an  1692,  étaient  celles  de  Payen,  traiteur, 
au  Petit-Panier,  et  d'un  de  ses  confrères,  sous 
le  signe  du  Loup. 


Rues    des  Deux-iPortes.  (i) 


Des  ruelles  qui  se  fermaient  la  nuit,  aux  deux 
extrémités,  comme  les  squares  de  notre  temps, 
quelques-unes  ont  tiré  leur  nom  des  instruments 
de  cette  clôture.  Celle  de  la  paroisse  Saint-André- 
des-Arts  est  déjà  enterrée  sous  le  macadam  du 
boulevard  Saint-Germain  :  de  profundis! 

L'index  d'un  autre  bras  de  rue  rappelle  encore, 
près  de  l'Hôtel-de-Ville,  les  deux  portes  qui 
l'enfermaient  au  couvre-feu,  et  ce  bras  avait  naguère 
pour  bracelet  l'arcade  d'une  maison,  au  coin  de 
la  rue  de  la  Tixéranderie  :  anneau  d'alliance  brisé 
par  la  grande  rue  de  Rivoli,  qui  emportait  bien 
autre  chose  avec  !  Deux  hôtels  bâtis  pour  le  fermier- 
général  Bastonneau  tombaient  du  même  coup. 
Mais  la  petite  rue  des  Deux-Portes-Saint-Jean, 
en  convolant,  a  élargi  le  lit  de  ses  secondes  noces  : 
des  omnibus  y  circulent  plus  à  l'aise  que  les 
litières  d'autrefois.  Elle  n'a  pourtant  reculé  qu'un 
de  ses  deux  côtés  et  demewe  accolée  de  l'autre  à  un 
îlot  du  Paris  séculaire,  par  une  maison  d'origine 
très-bourgeoise,  à  l'angle  de  la  rue  de  la  Verrerie. 
Deux  modestes  constructions  attenantes  rient 
également  sous  cape  d'avoir  échappé  à  la  Saint- 
Barthélémy  immobilière  dont  le  signal  est  parti 
du  palais  voisin,  curieux  de  dégager  ses  abords. 
Ces  maisons  reblanchies,  pittoresques  bien  que 
sans  ornements  et  populaires  quoique  ennemies 
des  révolutions,  sont  comme  des  revenants,  qui 
protestent  contre  l'unité  rectiligne,  à  laquelle  tout 


(1)  Notice  écrite  en  1859. 

37 


082  RUE   DES     DEUX-PORTES. 

près  de  là  ont  été  sacrifiés  la  place  de  Grève 
et  le  marché  Saint-Jean. 

La  reine  Blanche  de  Navarre,  veuve  de  Philippe 
de  Valois,  passait  l'année  1391  dans  un  séjour 
qui  régnait  h  la  fois  rue  des  Deux-Portes-Saint- 
Jean  et  rue  du  Coq-en-Grève.  Cet  hôlel  de  Navarre 
lut  aliéné  en  1417  par  Catherine  d'Alençon,  veuve 
de  Pierre  de  Navarre. 

Chaussard,  versificateur  et  professeur,  habita 
cette  rue  des  Deux-Portes  étant  secrétaire  de  la 
mairie  de  Paris,  puis  du  comité  de  Salut  public. 
L'atfreux  Chauilietle  aussi,  ce  procureur  de  la 
Commune  dont  Hébert  fut  le  digne  substitut. 

Dans  l'ancien  quartier  de  l'hôtel  de  Bourgogne, 
voici  la  rue  des  Deux-Porles-Saint-Sauveur,  que 
vit  planier  le  xin«  siècle,  mais  qui  n'était  pour 
commencer  qu'un  arbuste,  ne  s'élevant  pas  au-dessus 
de  la  rue  Saint-Sauveur.  On  eût  même  pu  la 
classer,  dans  la  flore  des  rues  parisiennes,  parmi 
les  belles-de-jour.  Heurs  de  liseron  dont  la  nuit 
ferme  la  corolle.  Sur  sa  tige  vint  s'enter  l'œil 
d'une  première  branche,  qui  partait  de  la  rue 
Pavée  et  qui  cessa,  une  fois  greffée,  de  s'appeler 
comme  le  fruit  qui  succède  à  la  rose  de  l'églantier  : 
ainsi  se  réhabilitait  une  ruelle,  que  de  vilaines 
mœurs  avaient  flétrie  de  la  dénomination  de 
Gratte  cul  au  moyen-âge.  Puis,  à  la  fin.  du  xvii' 
siècle,  la  rue  des  Deux-Portes-Saint-Sauveur  se 
prolongea  encore  jusqu'à  celle  Thévenot  ;  mais  le 
nouveau  bout  s'en  appela  pour  un  temps  rue 
Neuve-des- Deux-Portes. 

Les  propriétaires  de  l'ancienne  étaient  en  1703, 
sur  le  côté  droit: 

De  Turménies,  fjarde  du  Trésor  roj'al,  au  Saumon.  — 
De  Louvancourt.  —  Jouault.  —  Les  hospitalières  de 
Saiute-Catheriue,  hôtel  du  Grand-Cerf,  avec  seconde 
porte  rue  Saint-Denis.  —  De  la  Neuville.  —  Vieillard; 


RUE   DES    DEUX-PORTES.  683 

maison  et  jeu  de  paume.  —  Le  duc  de  Coislin,  au 
premier  augle  de  la  rue  du  Renard.  —  Valbaiu,  second 
angle.  — Dii»  de  Bragelonne.  —  Aubry,  receveur-général 
des  finances  de  Rouen,  avec  une  autre  porte  sur  la 
rue  Saint-Sauveur  et  une  autre  encore  sur  un  cul-de- 
sac.  —  La  fabrique  de  l'église  Saint-Sauveur,  au  premier 
angle  de  la  rue   Saint-Sauveur. 

Le  susnommé  Turménies  eut  son  fils  pour 
successeur  au  Trésor;  sa  fille  épousa  M.  Bayez, 
puis  M.  de  Laval.  Le  passage  du  Grand-Cerf 
nous  montre  assez  où  était  l'hôtellerie  ti  cette 
enseigne.  M.  de  Coislin,  M"''  de  Bragelonne 
et  M.  Aubry  jouissaient  personnellement  de  leurs 
propriétés  respectives.  De  leur  temps,  la  veuve 
de  l'avocat  Galliot  avait  une  maison  sur  l'autre 
ligne,  au  coin  de  la  rue  Pavée;  M.  de  Nain- 
villiers,  une  autre,  au  second  coin  de  la  rue 
Saint-Sauveur  ;  M'"«  Liber,  la  famille  Cholois, 
MM.  Souleroy  et  Blanchard,  les  quatre  suivantes, 
et  il  n'y  en  avait  plus  qu'une,  au  coin  de  la  rue 
Thévenot. 

Cette  rue  devint  autrement  financière  quand  les 
actions  du  Mississipi  commencèrent  à  circuler  : 
des  banquiers  en  achetaient  ou  prenaient  à  bail  les 
principaux  hôtels.  Parmi  ceux  où  l'agiot  d'alors 
fit  élection  de  domicile,  signalons  le  31,  dont  la 
rampe  de  fer,  les  boiseries  et  les  médaillons 
servent  d'ornement  actuel  à  une  pension  dirigée 
par  M.  Challamet.  On  y  répétait  h  huis-clos  la 
comédie  de  la  hausse  et  de  la  baisse  :  des  ressorts 
h  secrets  n'ouvraient  qu'en  plusieurs  temps  les 
doubles  portes,  où  des  enfants  ne  jouent  plus  qu'à 
cache-cache.  La  maison  de  banque  de  M.  Delaborde, 
maire  de  l'arrondissement  avant  1830,  était  au  20, 
déjà  livré  au  même  genre  d'affaires  sous  la  Régence 
et  maintenant  imprimerie  Malteste. 

Néanmoins  le  n°  9,  qui  est  sujet  à  reculement, 


684  RUE     DES    DEUX-PORTES. 

abrita  MM"**  de  Camargo,  et  elles  ne  portaient  pas 
un  nom  tout-à-fait  d'emprunt,  ayant  eu  pour  grand'- 
mère  M"^  de  Camargo,  noble  espagnole,  bien  que 
leur  père,  appelé  Cuppi,  fût  maître  de  danse  et 
de  musique  à  Bruxelles.  Quand  ces  danseuses 
n'avaient,  l'une  que  18  ans,  l'autre  16,  le  comte 
de  Melun  les  avait  fait  enlever,  comme  des  pen- 
sionnaires de  couvent,  dans  la  nuit  du  10  au  11 
mai  1728,  et  déposer  dans  son  hôtel  des  Coutures- 
Saint-Gervais.  L'aînée  fut  chantée  par  Voltaire,  en 
petits  vers  qui  la  comparaient  à  M'""  Salle,  avec 
laquelle  elle  partageait  le  sceptre  de  la  danse. 

Au  13  et  au  15,  qui  ne  faisaient  pas  deux  et  où 
avait  demeuré  aux  trois-quarts  du  siècle  précé- 
dent le  fils  de  la  marquise  de  Matharel  de  Tiennes, 
née  Bigot  de  Martigny,  M.  de  Magnanville,  garde 
du  Trésor,  entretenait  sa  maîtresse  aux  dernières 
années  du  régne  de  Louis  XV. 

Au  29  ou  au  36,  qui  ne  manquent  pas  de  ram- 
pes en  fer  battu,  a  demeuré  la  D"^  Paganini, 
première  danseuse  de  Lisbonne,  qui  avait  débuté 
à  la  Comédie-Italienne  :  on  disait  cette  grande 
femme  excellente  pour  les  gambades,  mais  voilh 
tout. 

En  1780,  l'ancienne  maison  de  M"*  de  Bragelonne 
était  au  marquis  du  Châtelet,  celle  d'Aubry  à 
M.  de  Launay,  et  celle  de  la  fabrique  Saint- 
Sauveur  en  formait  deux.  Puis  M.  Osmond  et 
M.  Langlois  avaient  chacun  deux  propriétés  et 
M.   de  Sainte-Marie  l'avant-dernière. 


Rue  du  Petit-Pont,   (i) 


Le  Petit-Pont,  qu'il  a  fallu  rebâtir  plus  d'une 
fois  depuis  l'époque  de  la  domination  romaine, 
menait  au  petit  Châtelet,  qu'on  a  démoli  en  1782, 
et  à  la  rue  du  Petit-Pont,  qui  commença  à  être 
connue  dans  le  cours  du  xn''  siècle. 

En  cette  rue,  dont  la  longueur  ne  dépasse 
guère  celle  du  pont,  on  dînait,  du  temps  de 
Boileau  et  de  Colletet,  à  la  Rose-Rouge.  Mais 
c'est  de  l'autre  côté,  le  droit,  que  les  maisons 
ont  toujours  eu  le  plus  d'importance.  A  des  im- 
meubles qui  s'y  suivent  ont  trait  les  notes  que  voici  : 

16H5:  —  Philippe  Lécayer,  propriétaire,  à  la  Pomme- 
de-Pin.  —  Jean  Savary,  à  l'imaga  de  Saiut-Jean.  — 
François  Hersau,  marchand-drapier,  à  l'Etoile-d'Or.  — 
Adrien  de  Croissy  et  Guillaume  Engrand,  au  Grand- 
Cornet.  —  Louis  Brochant,  seigueur  d'Orangis,  à  Saint- 
François-de-Paule.  — Boucher,  au  Panier-Blanc,  ci-devant 
à  la  Clef-d'Argent,  maison  à  Tencoignure  de  la  rue 
Saiut-Séverin. 

1768  :  — •  Brizard,  maître-maçon,  à  la  Madeleine.  — 
Delahaye,  officier  du  roi,  à  la  Pomme-de-Pin.  —  Les 
pères  lazaristes,  à  Saint-Jean.  —  Aubertin,  greffier 
honoraire,  ,à  la  Perle,  ci-devant  à  Saint-François-de- 
Paule.  —  Louis-Etienne  Chabenat  de  Bonneuil,  conseil- 
ler au  parlement,  propriétaire  du  chef  de  sa  femme,  née 
Boucher,  au   Chat-qui-Écrit,   ci-devant  au  Panier-Blanc. 

Le  fief  Outre-Petit-Pont,  qui  appartenait  à 
l'archevêque,  se  composait  du  fief  des  Rosiers,  dont 
l'évêque  de  Paris  n'avait  donné  qu'une  portion  àî 
la  Sorbonne  en  1284,  et  de  plusieurs  autres. 

(1)  Notice  écrite  eu  1861. 


Rue  Amjoi, 

NAGUÈRE 

du  Puitsnqui"ParIe, 
et   rue    Liaromig^uière, 

NAGuiSRF. 

des    Poules,  (i) 


La  dénomination  de  celle-ci  date  de  l'époque 
où  la  poule  au  pol  du  paysan  préoccupait  un  roi 
de  France  ;  mais  elle  lut  dite  aussi  du  Châtaignier 
pendant  les  troubles  de  la  Ligue  et  du  Mûrier 
pendant  ceux  de  la  Fronde.  Les  basses-cours  et 
les  jardins  n'y  manquaient  pas  :  aujourd'hui  encore 
il  en  reste.  Celle-h\  dut  son  nom,  sous  Henri  III, 
à  un  puits  et  à  son  écho.  On  passe  toujours  devant 
le  puits  k  l'angle  des  deux  rues  ;  seulement  il  ne 
parle  pliic,  il  est  bouché. 

La  propriété  contiguë  au  Puits-qui-Parle  n'avait 
pas  d'autre  enseigne,  et  elle  appartenait  à  René  Ber- 
tignon,  au  commencement  du  règne  de  Louis  XIV  ; 
puis  elle  fut  annexée  k  la  Téte-Noire,  maison  de 
la  rue  des  Postes  {-2),  qu'on  abattit  ensuite.  Le 
couvent  des  augustines  de  la  rue  des  Postes 
n'était  pas  plus  étranger  à  celle  du  Puits-qui-Parle. 


(1)  Notice  écrite  en  1864.  La  rue  des  Poules  n'avait 
rien  encore  de  commun  avec  le  professeur  de  philosophie, 
seniimenial  disciple  du  seusualiste  Condillac  ;  Ja  rue 
du  Puits-qui-Parle,  pas  davantage  avec  l'émineut  tra- 
ducteur   de  Plutarque. 

(2)  Présentement  rue  Lhomond. 


RUE   AMYOT,    ETC.  687 

Il  y  avait,  du  temps  de  Bertignon,  un  cimetière 
pour  les  protestants  dans  la  rue  des  Poules, 
iGuillaumet,  avocat,  était  propriétaire  en  la  même 
rue,  à  l'image  du  Petit-Jésus,  dans  le  milieu  du 
xvni*  siècle,  et  le  bourgeois  Turpin  y  disposait  d'une 
maison  pourvue  de  sa  chapelle,  qui  passa  sous 
Louis  XVI  à  Lemoine  de  la  Glartière,  conseiller 
aux  Aides.  La  famille  de  ce  dernier  fut  aussi 
propriétaire  du  Pot-d'Étain,  tout  à  côté.  Aumont, 
bourgeois,  avait  une  autre  maison  de  la 
rue  des  Poules,  et  une  autre  enfin  fut  vendue 
par  la  veuve  de  François  Roland  au  sieur  de 
Chazelles,   bourgeois  de  Paris,  vers  l'année  1755. 


Rues  Dupuytren  et  Antoine-Dubois,  (i) 


Peu  fréquentée  par  les  voitures  à  cause  de  sa 
pente  un  peu  rude  et  de  la  préférence  qui  reste 
due  au  carrefour  de  l'Odéon,  comme  dégagement 
en  divers  sens,  la  rue  Dupuytren  semble  la  cour 
d'un  immense  hôtel  d'étudiants,  un  square  d'avocats 
et  de  médecins  en  herbe.  Pendant  y  est  fait  par 
une  rue  parallèle,  encore  moins  carrossable  dans 
ce  qu'elle  a  de  plus  élevé,  mais  formant  en  bas 
l'un  des  pans  de  la  place  de  l'École-de-Médecine, 
qu'occupait  autrefois  le  couvent  des  Gordeliers.  De 
celle-ci,  qui  porte  le  nom  d'Antoine  Dubois,  célèbre 
médecin  mort  en  1837,  il  était  difficile  de  ne  pas 
parler  en  s'occupant  de  celle-là,  mise  sous  l'invo- 
cation du  baron  Dupuytren,  chirurgien  non  moins 
illustre,  décédé  deux  années  plus  tôt.  L'une  et 
l'autre  ont  pour  front  de  bandière  des  étalages 
de  libraires,  étendards  déployés  par  la  science 
médicale  aux  abords  de  la  citadelle  où  l'assaut  se 
livre  aux  diplômes.  Toutes  les  deux  ont  été  for- 
mées, une  dizaine  d'années  avant  la  fin  du  xvn*  siècle, 
sur  l'emplacement  du  cimetière  des  cordeliers  et 
à  la  diligence  de  ces  religieux,  l'une  comme  rue 
de  l'Observance,  l'autre  comme  rue  de  Touraine 
ou  de  Turenne.  Le  légendaire  duplanTurgot  a  adopté 
cette  dernière  version,  pour  laquelle  militent  les 
convenances  de  date,  car  Henri  de  la  Tour- 
d'Auvergne,  vicomte  de  Turenne,  était  mort  en 
l'année  1675.  Mais  il  venait  aussi  à  l'appui  de  la 
première  version  non-seulement  un  hôtel  seigneurial 
de  Tours,  sis  presque  en  face,  dans  la    rue    du 


(1)  Notice  écrite    en    1859. 


RUES  DUPUYTREN  ET  ANTOINE  DUBOIS.   «89 

Paon,  aujourd'hui  Larrey,  mais  encore  un  collège 
de  Tours,  à  un  coin  de  la  rue  Serpente,  et  l'on 
peut  croire  que  la  rue  nouvelle,  cédant  à  l'influence 
de  la  proximité,  se  fit  également  tourangelle.  La 
grande  Observance,  qui  a  laissé  son  titre  à  l'autre 
rue  jusqu'au  règne  de  Louis-Philippe,  avait  été 
introduite  aux  Cordeliers,  en  l'année  1502,  par 
Gilles  Dauphin,  40*  général  de  l'ordre.  Clément 
XIV  ayant  réuni  tout-Ji-fait  les  conventuels  et 
les  observantins,  le  collège  de  cette  maison, 
aff"ecté  aux  jeunes  religieux  de  la  compagnie 
qiii  venaient  étudier  à  Paris  la  théologie,  fut 
installé  dans  un  vaste  bâtiment  composé  des  n<"  4, 
6  et  8  actuels  de  la  rue  Antoine-Dubois,  ainsi  que 
des  n"'  7  et  9  de  la  rue  Dupuytren.  Une  cour, 
que  l'aliénation  républicaine  a  divisée  en  y  laissant 
un  puits  commun  au  centre,  et  des  rapports 
constants  de  construction  nous  montrent  quelle 
était  l'importance  au  xvni«  siècle,  en  tant  qu'édifice, 
du  collège  de  ces  religieux  de  l'ordre  de  Saint- 
François.  De  leur  maison,  en  des  temps  plus 
reculés,  étaient  sortis  des  docteurs  de  l'Église, 
saint  Bonaventure  et  le  subtil  Jean  Duns,  dit 
Scot,  philosophe  scolastique  ;  elle  avait  aussi  donné 
plusieurs  papes  et  cardinaux.  Les  deux  immeubles 
de  la  rue  Dupuytren  dont  nous  venons  de  dire 
l'origine  ont  deux  rampes  d'escalier  pareilles.  La 
première  a  été  l'objet  d'une  donation  à  l'Assistance 
publique,  qui  y  a  établi  une  école  gratuite  de 
dessin  pour  les  filles,  sous  la  direction  de  M"*  Rosa 
Bonheur,  en  y  mettant  un  logement  au  service 
de  cette  aniste'distinguée.  La  seconde  a  été  occupée 
par  un  savant,  le  baron  Dunoyer,  qui  possédait 
aussi  le  n"  6,  etM.  deMallevilIe,  conseiller  d'État, 
en  perçoit  le  revenu. 

Le  1  n'a  pas  toujours  été  distinct  du  3  ;  des 
fenêtres  y  sont  hautes  et  étroites,  au  point  de 
ressembler  tant  soit  peu  à  des  meurtrières.  Leur 


690   RUES  DUPUYTREN  ET  ANTOINE-DUBOIS. 

vis-à-vis  paraît  plus  vieux  que  la  rue.  Les  deux 
autres  maisons  d'encoignure  ont  été  refaites  vers 
1830,  et  le  8  il  y  a  quelques  années.  Du  5  nous 
n'avons  rien  appris. 

Mais  tous  les  numéros  de  la  rue  n'ont  pas  encore 
répondu  à  l'appel.  Voici  le  n°  4,  qui  sort  des  rangs, 
citons-le  à  l'ordre  du  jour  pour  avoir  logé 
M"*'  Molière  ;  car  le  litre  de  madame  était  re- 
fusé par  les  usages  du  temps  h  la  femme  de 
Molière,  née  Elisabeth-Armande-Clérinde-Claire 
Béjard.  M.  de  Modéne,  son  père,  un  gentilhomme 
du  Gomtat-Vénaissin,  avait  épousé  secrètement  sa 
mère,  qui  était  comédienne  et  qui  avait  refusé 
de  consentir  au  mariage  de  sa  fille,  contracté  en 
l'année  1662,  avec  l'immortel  écrivain,  qu'elle  se 
tlattait  avoir  eu  pour  amant.  M"''  Béjard,  actrice 
dé  naissance,  avait  de  plus  une  sœur  au  théâtre, 
ainsi  qu'un  frère,  longtemps  pensionnaire  de  la 
ti»oupe.  Molière,  encore  plus  mélancolique  et  tendre 
que  plusieurs  de  ses  personnages  féminins,  n'a  pas 
été,  comme  mari,  îi  l'abri  des  passions  jalouses 
dont  il  offrait  surtout  dans  ses  ouvrages  le  côté 
fâcheux,  ridicule  et  éomique.  Veuve  en  1673,  la 
femme  de  Molière  a  épousé  en  secondes  noces 
M.  Guérin  d'Estriches,  s'est  retirée  du  théâtre  en 
1694  et  a  fini  peu  de  temps  après  le  siècle.  Ces 
dates  nous  prouvent  qu'elle  n'a  pu  habiter  qu'aux 
dernières  années  de  sa  vie  la  rue  de  Turenne  ou 
de  Touraine,  dont  les  maisons,  moins  divisées 
alors,  puisqu'on  n'en  a  pas  ajouté,  se  trouvaient 
au  nombre  de  7,  auxquelles  pendaient  2  lanternes. 


Rue    Debelleyme, 

BN     CE     QUI     s'en      appelait     NAGUÈRK 

de  rEchaiide-au-Hf  araîs, 

r 

rue  de  la  Douane  et  rue  de  TEchaude.  [\) 


L'ancienne  édilité  parisienne  appelait  échaudé  un 
Ilot  de  maisons  coupé  en  fichu  par   trois    rues. 

Nous  retrouvons  en  etïet,  rue  de  l'Êchaudé-au- 
Marais,  un  pâté  de  constructions,  ou,  pour  mieux 
dire,  une  pâtisserie  légère,  puisqu'un  immeuble 
unique  s'y  gonfle  sur  une  triple  façade,  entre  les 
rues  Vieille-du-Temple  et  de  Poitou.  Cette  maison, 
qu'on  a  refaite,  n'a  pourtant  rien  changé  à  sa 
forme  triangulaire,  dont  l'hypothénuse. absorbe  tout 
•  le  flanc  droit  de  la  petite  rue  de  l'Échaudé.  Sur 
le  flanc  gauche  il  y  a  le  n"  3,  dont  la  porte  est 
rue  de  Poitou,  mais  qui  date  ostensiblement  de 
l'ouverture  de  notre  ruelle  sur  la  culture  du 
Temple  en  l'année  1626.  Quant  au  n'- 1 ,  il  aff'ectait 
à  l'angle  de  l'autre  rue  des  allures  de  maison  à 
double  pavillon,  en  face  de  l'hôtel  Montlosier  ;  mais 
sa  petite  cour  d'entrée  a  été  recouverte,  convertie 
en  boutique,  et  il  a  été  percé  en  aile  une  porte, 
qui  ne  peut  servir  qu'aux  piétons.  Si  Philippe- 
Robert  Sanson,  maitre  de  la  chambre  aux  Deniers, 
qui  habita  cette  encoignure,  n'allait  pas  jusqu'à  se 


(1)  Notice  écrite  eu  1859.  Le  nom  d'un  président  du  tribu- 
nal civil,  récemment  mort  et  qui  avait  habité  la  rue  Chariot, 
n'était  pas  encore  attribué  à  la  réunion  des  rues  de 
Périgueui,  de  Limoges,  de  l'Échaudé  et  Neuve-Saint- 
François. 


692  RUE    DEBELLEYME,     ETC. 

faire  porter  en  vis-à-vis,  il  avait  tout  au    moins 
une  mule,  ne  fût-ce  que  pour  visiter  ses  propriétés. 

Car  il  possédait  notamment  un  marais  en  culture, 
de  l'autre  côté  du  Cours,  auprès  d'un  emplace- 
ment qui  appartenait  aux  sieurs  Gilbert,  Caumartin 
et  consorts,  pour  le  fonds,  et  à  la  présidente  de 
Fourcy,  quant  à  l'usufruit.  Un  bout  de  rue  Sanson 
y  fut  autorisé  en  1782  ;  mais  la  ruelle  demeura 
barrée  à  ses  deux  extrémités  jusqu'à  ce  qu'elle 
comptât  un  nombre  suftîsant  d'habitants.  Elle  fut 
prolongée  en  1826,  c'est-à-dire  plusieurs  lustres 
après  la  mort  du  maître  de  la  chambre  aux  Deniers, 
et  puis  on  effaça  son  nom,  en  1851,  de  l'estampille 
municipale,  pour  y  porter  rue  de  la  Douane. 
Comptez  donc  sur  l'immortalité  que  décerne  l'inscrip- 
tion voyère  ! 

L'échaudé  du  faubourg  Saint-Germain  est  encore 
formé,  entre  les  rues  de  Seine  et  Jacob,  par  trois 
ou  quatre  maisons  qui ,  donnent  par-derrière  sur 
une  seconde  rue  de  TÉchaudé,  depuis  le  milieu 
du  XVI"  siècle  :  on  la  nommait  aussi  en  ce  temps- 
là  ruelle  allant  au  Quichet  de  l'Abbaye.  Cette  voie 
oblique,  s'élargissant  un  peu  au-delà  de  la  rue 
Jacob,  compte  plus  d'une  construction  neuve  depuis 
le  dénombrement  de  1714,  qui  ne  lui  en  accordait  que 
6  en  propre,  se  partageant  la  lueur  de  3  lanternes, 
et  qui,  par  conséquent,  laissait  de  côté  les  maisons 
prenant  ouverture  sur  d'autres  rues.  Le  14,  le  16 
et  le  17  sont  déjà  deux  fois  séculaires  et  ne  font, 
à  eux  trois,  que  le  dixième  des  numéros  actuels. 
Aussi  bien  le  percement  de  la  rue  Bourbon-Ie- 
Château  avait  coupé,  vers  l'année  1669,  cette  rue 
de  l'Échaudé  en  deux  ;  la  seconde  moitié  en  sui- 
vait la  rue  Abbatiale,  sa  parallèle  du  côté  de 
l'Abbaye,  et  se  terminait  en  un  cul-de-sac,  dit  du 
Guichet.  Les  22,  24  et  26,  construits  sur  un  mode 
identique,  dénoncent  très-bien  l'origine  monastique. 
Un  tout  petit  hôtel-garni,  assez  coquet,  au  n"  28,  ne 


RUE    DEBELLEYME,    ETC.  693 

doit  avoir  pour  chambres  que  d'anciennes  cellules  ; 
son  escalier,  sur  la  rue  de  l'Échaudé,  est  un 
dégagement  d'après  coup  et  d'invention  lilliputienne  : 
on  maigrit  rien  qu'à  passer  devant.  Quel  moine 
fût  allé  jusqu'en  haut  !  L'impasse  était  fermée  par 
le  n°  30,  qui  ne  fut  aliéné  par  l'État  en  1760 
qu'à  la  condition  de  se  diviser  pour  faire  embouchure 
à  la  rue.  Cette  maison,  dont  il  reste  une  aile  sur 
la  place  et  rue  Sainte-Marguerite  (<),  rapportait 
d'assez  bons  revenus  aux  abbé  et  religieux  de 
Saint-Germain-des-Prés,  dont  c'était  la  propriété  : 
une  boucherie  à  9  étaux  s'y  trouvait  au  xvni''  siècle, 
et  l'importance  en  était  d'autant  plus  grande  que 
la  rue  des  Boucheries,  qui  est  encore  à  deux  pas 
de  là,  mais  ajoutée  à  celle  de  l'École  de-Médecine, 
se  trouvait  la  halle  à  la  viande  du  faubourg 
Saint-Germain.  Puis  notre  voie  de  communication 
prit  en  1806  le  nom  de  Durnstein,  commémoratif 
d'une  bataille  ;  mais  la  paix  en  refit  la  rue  de 
l'Échaudé. 


(1)  Présentement  rue  Gozlin. 


Rue  de  rÉehiquier.  (i) 


La  Maison  du  Fleuriste.  —  Le  Pavillon  de  VÉchi- 
quier.  —  L'Inventeur  de  la  Fantasmagorie.  — 
La  Rue  d'Enghien.  —  M.  et  M'""  de  Nervo.  — 
Le  Caissier  du  Duc  d'Orléans.  —  L'ancien  Fossé 
de  la    Ville.  —  Le  fi°"  Louis. 


Le  soleil,  en  se  laissant  arrêter  par  Josué,  ne 
prolongea  que  le  jour  d'une  victoire.  Il  fit  plus 
pour  Wenzel,  en  permettant  que  ce  fleuriste 
convertît  en  un  long  printemps  les  dernières  années 
de  l'ancien  régime  pour  les  plus  jolies  femmes 
de  la  cour,  qui  se  paraient  encore  comme  des 
châsses  quand  la  Révolution  voulut  que  ce  fiât 
comme  des  victimes.  On  a  eu  tort  de  publier 
que  la  jolie  maison  édifiée  par  Wenzel  dans  la 
rue  de  l'Échiquier  n'est  plus:  le  devant  du  46 
n'eut  pas  d'autre  origine,  la  porte  du  36  servait 
d'entrée  d'honneur.  En  ce  dernier  immeuble,  pas 
de  mur  de  refend;  les  pièces  du  premier  au- 
dessus  de  l'entre-sol  sont  séparées  l'une  de  l'autre 
par  des  cloisons  légères  ;  l'édifice  ne  perdrait 
donc  rien  de  sa  solidité  à  ce  qu'on  rétablît  les 
grandes  galeries  dans  lesquelles  de  beaux  bals 
étaient  donnés  par  le  fleuriste  de  la  rue  Bourbon- 
Villeneuve,  qui  également  y  faisait  jouer  des 
comédies  et  des  proverbes. 

Un  pavillon  incorporé  ù  la  même  propriété 
montrait  les  cases  d'un  échiquier  peint,  à  l'angle 
de  la  rue   du    Faubourg-Poissonnière.    Robertson 


(1}  Notice  écrite   en   1859, 


RUE  DE   L'ECHIQUIER.  695 

y  eut,  dans  les  dernières  années  de  l'autre  siècle, 
son  laboratoire,  son  cabinet,  sa  chambre  noire, 
pour  établir  ses  expériences  d'un  nouveau  spec- 
tacle d'optique  faisant  apparaître  des  fantômes, 
et  il  donna,  par  extension,  ses  premières  séances 
de  fantasmagorie  dans  la  maison  Wenzel.  La 
désinence  anglaise  du  nom  de  l'expérimentateur 
était  elle-même  un  innocent  trompe-l'œil  :  Robert, 
natif  de  Liège  et  non  de  Londres,  avait  été 
jeune  prêtre  et  instituteur  dans  une  maison 
particulière  avant  89.  Il  transféra  bientôt  son 
petit  spectacle  dans  l'ancien  couvent  des  Capucines  ; 
mais  ses  connaissances  en  physique  lui  avaient 
ouvert  d'autres  voies.  Ses  travaux  aérostatiques 
eurent  pour  théâtre  le  jardin  de  Tivoli,  lors  de 
la  création  des  fêtes  de  ce  jardin,  et  il  fit  faire 
un  grand  pas  à  la  science,  comme  inventeur 
réel  du  parachute.  La  renommée  acquise  à  Paris 
par  Robertson  fut  ensuite  exploitée  avec  succès 
à  l'étranger.  Ayant  fait  de  son  fils  son  élève, 
il  ne  mourut  qu'en  1837,  aux  Batignolles.  Pour 
le  corps-de-logis  où  avait  point  la  réputation  de 
Robertson,  il  avait  disparu .  pendant  le  Consulat. 
Plus  de  pierres  de  taille,  plus  de  moellons  se  sont 
depuis  lors  entassés  dans  l'ancien  jardin  de  Wenzel 
qu'il  n'y  avait  eu  de  fleurs  pour  servir  de  modèles 
à  celles  de  sa  fabrication. 

Ainsi  finit  le  pavillon  de  l'Échiquier,  que  d'aucuns 
veulent  ressusciter  dans  son  ancien  pendant,  au 
n^M.  Comme  la  Grange-Batelière,  la  maison  de 
l'Échiquier  était  chef-lieu  de  fief.  Ce  fiet\  situé  entre 
les  deux  faubourgs  Saint-Denis  et  Poissonnière, 
avec  une  profondeur  y  englobant  beaucoup  de  rues 
d'à-présent,  appartenait  aux  filles-Dieu,  qui  avaient 
établi  leur  lieu  de  refuge,  avec  un  hôpital,  sur 
ce  point  désert  hors  Paris,  dès  l'année  1226. 
Elles  l'avaient  quitté  au  milieu  du  xiv«  siècle  par 
force  majeure,    alors   qu'on  démolissait  de  fond 


696  RUE  DE  L'ECHIQUIER. 

en  comble  leurs  bâtiments,  dans  l'appréhension 
que  les  Anglais  y  prissent  position  en  assiégeant 
la  ville.  Dans  ces  critiques  circonstances  le  couvent 
hospitalier  s'était  transféré  rue  Saint-Denis,  près  de 
la  rue  dite  encore  des  Filles-Dieu.  Il  y  aurait 
anachronisme  h  exciper  d'un  jeu  de  mot  pour  in- 
férer que  la  retraite  patriotique  et  précipitée  de 
de  ces  religieuses,  devant  les  troupes  d'Edouard  III, 
fut  un  échec  pour  elles,  puis  pour  l'ennemi,  comptant 
sur  cette  facile  capture,  et  que  la  commémoration 
en  fut  confiée  au  tief  de  VÉchîquier.  A  un  autre 
point  de  vue,  il  se  peut  que  la  configuration  du 
territoire  fût  un  carré  semblable  à  la  tablette  du 
jeu  de  l'échiquier,  inventé  de  toute  antiquité,  et 
que  le  sol,  cultivé  en  marais,  s'y  découpât  en  plus 
petits  carrés  :  nous  ne  voyons  effectivement, 
désignés  à  cette  place  sur  le  plan  de  La  Caille, 
que  deux  maisons  et  des  marais,  sans  chemin 
apparent  qui  les  sépare. 

Mais,  selon  nous,  le  titre  d'Échiquier  fut  donné 
à  la  terre  par  l'occupation  étrangère,  qui  l'érigea 
en  fief  pour  récompenser  des  services  que  les 
historiographes  français  ont  pris  plaisir  à  oublier  : 
tout  le  monde  ne  sait-il  pas  qu'une  juridiction, 
en  Angleterre,  s'appelle  l'Échiquier,  et  qu'elle  date 
de  la  Table-Ronde?  Restitué  aux  Filles-Dieu,  le 
fief  garda  une  dénomination  qu'il  ne  devait  pas 
avoir  au  siècle  xni.  A  la  demande  des  prieure  et 
religieuses,  qui  s'étaient  entendues  avec  Claude- 
Martin  Goupy,  entrepreneur  des  bâtiments-du-roi, 
ces  sœurs  furent  autorisées,  en  l'année  1772,  à  ré- 
pondre aux  besoins  de  la  ville  agrandie,  en  aliénant 
leur  territoire,  afin  que  des  rues  s'y  ouvrissent. 
Celle  de  l'Échiquier  fut  d'abord  dite  rue  d'Enghien, 
et  celle  d'Hauteville,  rue  de  la  Michodière.  Sur 
quoi  les  filles-Dieu  réclamèrent,  en  1779,  pour 
que  la  rue  d'Enghien  reprît  le  nom  du  Pavillon, 
qui  fut  alors  bariolé  à  leurs  frais  de  petites  cases 


RUE  DE  L'ECHIQUIER.  697 

noires  et  blanches,  naïf  rébus,  calembour  ingénu, 
et  la  communauté  alla  à  dame.  Enghien,  battu  par 
Échiquier,  fut  mis  en  disponibilité  ;  mais  il  se 
retira  en  bon  ordre  sur  les  derrières  de  la  maison 
de  Wenzel,  où  il  prit  prossession  d'une  rue  parallèle, 
bordée  par  les  jardins  des  mêmes  hôtels,  qui  ne 
tardèrent  pas  à  avoir  deux  façades  et  par  suite 
à  se  dédoubler. 

Revenons  sur  le  46,  cité  plus  haut,  pour  évoquer 
ses  souvenirs  de  l'Empire.  M.  De  Nervo,  d'une 
ancienne  famille  noble  de  la  Suisse,  y  recevait 
beaucoup  de  monde  ;  son  salon  était  un  bureau 
d'esprit  ;  M*"^  de  Nervo  en  faisait  les  honneurs, 
avec  sa  fille.  M""'  de  Montgeroult,  femme  d'un 
ancien  fermier-général,  admirée  par  ses  rares 
talents  en  musique.  Ils  recevaient  le  chevalier 
Laclos,  auteur  des  Liaisons  dangereuses.  M"""  de 
Beaufort-d'Hautpoul,  fille  de  Marsollier,  la  princesse 
napolitaine  de  Belmonte,  Bougainville,  Bureau  de 
la  Malle,  Lebrun  le  pindarique,  le  comte  de  Sainl- 
Geniès,  etc. 

Le  40  et  le  28  sont  ^ respectables  par  leur  âge. 
Le  26,  tout  en  se  coupant  en  deux,  est  demeuré 
au  même  propriétaire  :  les  morceaux  ne  s'en 
prodiguent  que  plus  à  l'aise  des  servitudes  réci- 
proques. M.  de  Gisors,  attaché  aux  bureaux  de 
la  comptabilité  du  duc  d'Orléans  (dit,  plus  tard, 
Égalité),  y  résidait  et  raconta  ensuite  une  anecdote 
se  rapportant  à  cette  époque  de  sa  vie.  Le  prince 
manda  un  jour  au  caissier  principal  de  sa  maison, 
d'avoir  à  tenir  prêts  ses  comptes  et  l'état  de  sa 
caisse  pour  le  samedi  suivant.  Au  jour  dit,  tout 
était  en  règle,  car  le  caissier,  pour  combler  des 
lacunes,  avait  fait  d'assez  forts  emprunts  pour 
vingt-quatre  heures.  —  Je  suis  content  de  vous, 
lui  dit  le  duc,  en  mettant  sur-le-champ  la  clef 
de  la  caisse  dans  sa  poche....  Les  prêteurs  du 
comptable  en  furent  ainsi  pour  leurs  avances.  De 

38 


698  RUE  DE    L'ECHIQUIER. 

la  propriété  qu'a  habitée  M.  de  Gisors,  jouit  depuis 
la  tin  de  l'Empire  M.  Blerzy,  grand-oncle  de  1  au- 
teur des  présentes  notices. 

Du  24  également  la  première  pierre  fut  posée 
avant  la  Révolution,  seulement  il  manque  de 
profondeur:  c'est  maintenant  la  maison  des  sœurs 
de  la  Charité  du  III'^  arrondissement.  Le  22, 
bâti  vers  le  même  temps  par  Andry,  tapissier, 
n'en  est  pas  plus  l'aîné  des  18,  16,  4  et  2,  Or  les 
maisons  de  la  première  pousse  ont  gardé,  rue  de 
l'Échiquier,  outre  des  détails  de  construction  et 
des  ferrures  qui  les  font  reconnaître,  des  carreaux 
en  gros  verre  convexe,  à  reflet  de  verre  de 
bouteille,  qui  ne  sont  plus  de  notre  siècle.  Odoi 
heureux  signe  particulier,  pour  une  rue  qui  com- 
mence h  dater,  et  quelle  preuve  de  sérénité  pour 
les  mœurs  de  ses  habitants,  se  reflétant  sur  celles 
des  passants,  que  jamais  les  vitres  ne  s'y  cassent  ! 
On  voit  bien  que  h\  bourgeoisie,  principal  élément 
de  sa  population,  passe  tout  au  moins  six  mois  de 
l'année  dans  les  villas  des  environs  de  Paris  et  en 
voyage.  Les  croisées  des  appartementsy  restent  closes 
bien  plus  de  la  moitié  du  temps,  car  les  persieniics 
empêchent,  même  en  hiver,  que  le  jour  s'y  fasse 
h  ses  heures.  Plusieurs  coqs  réveillaient  de  grand 
matin  les  dormeurs  mécontents  lorsqu'il  y  avait 
encore  des  nourrisseurs,  des  vachers  de  côté  et 
d'autre  ;  mais  le  dernier  des  baux  consentis  dans 
la  rue  à  ces  paysans  citadins  a  expiré  avant  1830, 
et  le  taux  des  loyers  s'élève  encore,  de  peur  qu'ils 
n'y  reviennent. 

Sur  la  rive  gauche  de  la  rue,  le  1,  le  13,  le 
15,  le  19  et  le  21  ont  été  d'abord  visités  avec 
zèle  par  M.  Rousseau  ;  mais  notre  explorateur 
n'a  rien  trouvé  qui  permît  de  les  signaler  ù 
l'attention  rétrospective.  L'architecte  Bellanger, 
lors  de  l'ouverture  de  la  voie,  fut  le  fondateur 
du    23,    et    la    même    famille  en  dispose  depuis 


RUE  DE  L'ECHIQUIER.  609 

Bellanger  :  un  petit  jardin  s'y  est  maintenu  plus 
bas  que  le  sol  de  la  rue,  dans  l'ancien  fossé  de 
la  ville. 

Casimir  Delavigne  demeurait  au  37  lorsqu'il  fit 
représenter  Marino  Faliero  au  théâtre  de  la 
Porte-Saint-Martin,  c'est-à-dire  le  80  mai  1829. 
Il  y  composait  ensuite  la  Parisienne,  que  chanta 
sur  divers  théâtres  Adolphe  Nourrit,  son  ancien 
condisciple  au  lycée  Napoléon. 

Les  trois  maisons  qui  suivent  ont  une  origine 
commune  ;  mais  celle  du  milieu,  que  précède  une 
avenue  et  qu'occupe  le  consulat  du  duché  de 
Brunswick,  fut  construite  â  un  autre  moment  que 
les  deux  autres,  qu'accouplait  des  pieds  â  la  tête 
le  même  mode  d'architecture.  Le  43  vient  d'être 
refait  ;  mais  il  suftit  de  regarder  son  pendant, 
pour  le  revoir  lui-même  tel  qu'il  était  quand  le 
baron  Louis  l'habitait.  M.  Louis  avait  été,  lui  aussi, 
lié  aux  ordres  sacrés  et,  de  plus,  conseiller-clerc 
au  parlement  de  Paris  ;  il  avait  assisté,  comme 
diacre,  l'évêque  d'Autun,  prince  de  ïalleyrand,  à 
la  messe  célébrée  au  Champ-de-Mars  le  14  juillet 
1790.  Ayant  concouru  à  la  Restauration,  en  1814, 
il  eut  deux  fois  le  portefeuille  des  Finances,  après 
avoir  occupé  des  places  dans  ce  département  sous 
Napoléon.  Une  belle  terre  qu'il  avait  acquise  près 
de  Melun,  en  se  retirant  du  ministère,  prenait  tous 
les  loisirs  que  lui  laissaient  les  aflâires. 

Le  jardin  d'une  de  ces  propriétés,  maintenant 
distinctes  l'une  de  l'autre,  est  encore  mitoyen 
par-derrière  avec  le  théâtre  du  Gymnase.  On  y 
a  déterré,  lors  de  la  construction  du  mur,  quelques 
ossements  humains  qui  rappelaient  un  cimetière, 
antérieurement  établi  entre  la  rue  de  l'Échiquier 
et  le  boulevard.  Un  plan  de  1778  marque,  en  etlét, 
à  cet  endroit  le  cimetière  Bonne-Nouvelle,  sur 
lequel  se  taisait   le  plan  de   1739.   On    apprend 


700  RUE  DE    L'ECHIQUIER. 

ailleurs  que  ce  lieu  de  sépulture,  en  1787,  ne 
recevait  que  des  protestants  et  attenait  à  un  corps- 
de-garde.  Mais  un  cimetière  n'a  pu  être  placé  que 
pendant  peu  d'années  dans  une  excavation  qui 
n'était  encore  qu'un  fossé  au  commencement  du  règne 
de  Louis  XV  et  où  cessèrent  les  inhumations  sous 
la  République. 


r 

Plaee   de  TEcole  et   Quai    du  Louvre, 

NAGUÈRE 

de     rÉeole.  (i) 


it/"^  de  Rieulx.  —  Le  n"  6.  —  Le  Dentiste  de 
Louis  XVI.  —  Ledru-Rollin.  —  M''^''  Danton. — 
La  Mère  Moreaux.  —  Le  bon  vieux  Temps.  — 
Les  Joueurs  de  Dames, 


Les  écoles  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  parmi 
lesquelles  furent  celles  de  chirurgie,  tirent  appeler, 
dès  l'année  1290,  Grande  rue  de  VEschole  Sainct- 
Germain-VAucerroi/  le  quai  dont  nous  nous 
occupons,  redressé  et  élargi  sous  François  I", 
sous  la  Régence,  sous  Louis  XVI  et  au  commen- 
cement du  règne  de  Napoléon  III.  La  rue  du 
Petit-Bourbon,  aujourd'hui  rue  et  place  du  Louvre, 
débouchait  sur  le  quai,  par  l'arche  de  Bourbon, 
entre  le  port  au  Blé  et  le  port  au  Bois-neuf,  qui 
finissait  près  de  la  Samaritaine.  Du  côté  du  Pont- 
Neuf,  les  premières  maisons  ont  gardé  l'alignement 
du  xvi«  siècle  ;  elles  ont  vu  à  coup  sûr,  en  1573, 
Renée  de  Rieulx,  maîtresse  du  duc  d'Anjou,  fouler 
aux  pieds  de  son  palefroi,  par  un  jour  de  céré- 
monie, Nantouillet,  qu'elle  y  rencontra,  marchant 
à  pied.  Jolie  femme  et  vindicative,  qu'avait  aimée 
le  prince  de  Condé  vers  le  temps  de  la  conjura- 
tion d'Amboise,  et  qui  tua  de  sa  propre  main, 
en  d'autres  jours,  le  florentin    Antinotti,    qu'elle 


(1)  Notice   écrite   en    1859.  Le   quai   de  l'École   n'avait 
pas  encore  chiangé   de  nom. 


702  PLACE    DE    L'ECOLE,  ETC. 

avait    épousé,    dit-on,    mais    bientôt  surpris   en 
contravention  avec  la  foi  conjugale  ! 

Le  n"  30  fait  partie  d'un  lot  récemment  adjugé 
à  M.  Coin  et  que  va  lui  rétablir  avec  avantage, 
au  point  de  vue  du  revenu,  l'éminent  architecte 
M.  Brouty,  entre  le  quai  de  l'École,  la  place  du 
Louvre  et  la  rue  des  Prêtres-Saint-Germain-l'Au- 
xerrois.  Ladite  maison  fut  construite  par  ordre  de 
Catherine  de  Médicis,  qui  y  fit  établir  des  bains 
dits  de  là  Reine-Mère.  Il  y  a  eu  depuis  suré- 
lévation ;  mais  le  rez-de-chaussée  et  l'entresol 
sont  du  premier  jet.  Le  couronnement  en  était 
gracieusement  orné  de  sculptures  et  d'une  balustrade 
élégante,  qui  sont  complètement  détruits.  Les 
arcades  du  rez-de-chaussée  ont  été  à  demi  enterrées 
par  l'exhaussement  du  sol.  Le  baron  Larrey  a 
habité  l'immeuble,   puis  le  baron  Dupuytren. 

2  et  4,  beaucoup  plus  hauts  que  larges,  auront 
le  même  sort  que  le  numéro  d'après  :  chacun 
des  trois  s'appuie  sur  les  deux  autres,  comme 
s'ils  avaient  fait  le  serment  des  Horaces.  Or  le 
n*'  6  n'aura  pas  vécu  sans  projeter  l'ombre  de 
son  histoire  jusqu'à  ce  recueil,  appelé  h  y  survivre 
s'il  plaît  à  Dieu.  Son  escalier  tourne  avec  des 
baluslres  sur  des  degrés  étroits  et  roides,  qui 
conduisent  présentement  M.  Le  Vaillant  de  Fiorival, 
professeur  d'arménien  près  la  Bibliothèque  impériale, 
;i  son  logement,  d'où  la  vue  est  Ibrt  belle,  et 
l'orientaliste  y  succède,  mais  à  deux  siècles  d'in- 
tervalle, au  chirurgien  ordinaire  de  la  reine 
Amie  d'Autriche,  aynnt  nom  Nicolas  Prodé.  Messire 
Pierre  Alexis  Dubois,  présidant  la  l''^  chambre 
des  requêtes  du  parlement,  disposait  de  la  pro- 
priété aux  dernières  années  du  règne  de  Louis 
XIV;  puis  ce  fut  Guillaume  Tartarin,  d'abord 
avocat  et  échevin,  ensuite  conseiller-secrétaire 
du  roi  et  avocat-général  du  conseil  de  la  reine  ; 
puis  vint  un   autre    Tartarin,    seigneur    d'Argen- 


PLACE    DE    L'ECOLE,    ETC.  703 

ville,  colonel  d'infanterie.  Cette  maison  dans  la 
censive  de  l'Archevêché  était  contiguë,  sous 
Louis  XV,  d'une  part  à  la  maison  de  M"^  Quarante, 
de  l'autre  à  la  maison  de  M""-'  Descartes.  Le  savant 
philosophe  du  siècle  précédent  avait  illustré  ce 
dernier  nom,  sans  laisser  de  postérité  ;  mais  de 
sa  noble  famille,  originaire  de  Bretagne,  était 
probablement  la  demoiselle,  vouée  comme  lui-même 
au  célibat.  Un  perruquier-baigneur,  dénommé  Jean- 
Entier  Dubois,  tint  le  rez-de-chaussée  et  le  sous- 
sol  à  bail,  de  1738  à  1777,  sous-sol  qui,  aujourd'hui 
encore,  s'étend  jusqu'au-dessous  du  quai  et  se 
trouve  incorporé  de  date  immémoriale  à  la  pro- 
priété. Cet  empiétement  originel  mai-que  sans  doute 
l'alignement  du  temps  de  Pliilippe-le-Bel.  Toutefois 
plusieurs  maisons  riveraines  communiquaient  avec 
la  Seine,  par  des  souterrains  antérieurs  à  la 
construction  du  Pont-Neuf,  ce  qui  conlirme  la  tra- 
dition des  fréquentations  d'Henri  IV  dans  la  maison 
dont  nous  parlons,  à  l'époque  où  ce  roi,  que  la  pru- 
dence avait  initié  aux  ressources  du  sous-sol  pari- 
sien, se  ménageait  de  l'autre  côté  de  l'eau  plus  d'un 
pied-à-terre  de  plaisance. 

Le  8  opère  un  léger  retrait,  et  le  sol  en  pente 
de  sa  cour  ténoigne  de  l'exhaussement  du  quai; 
il  zî'a  pas  moins  de  sept  étages,  mais  qui  ne  sont 
pas  de  même  venue  ;  son  balcon  à  balustres, 
s'appuyant  sur  de  noueuses  consoles,  paraît  avoir 
servi  de  modèle  tout  récemment  à  un  balcon  de 
la  rue  Richelieu  et  à  bien  d'autres,  qui  signalent 
un  des  retours  de  la  mode  et  du  goût.  Bordet, 
dentiste  de  Louis  XVI,  a  créé  cette  propriété, 
qui  n'est  pas  sortie  de  sa  famille  et  que  trois 
dames,  plus  qu'octogénaires,  se  sont  transmise, 
gage  d'affection  domestique  aidant  à  la  longévité. 
Avant  1840  Ledru-RoUin  y  avait  son  appartement, 
n'étant  encore  que  docteur  en  droit,  jurisconsulte 
distingué,  avocat  à  la  Cour  de   cassation    et    au 


704  PLACE     DE    L'ECOLE,     ETC. 

conseil  d'État  ;  il  y  donna  congé  pour  se  marier 
et  se  maria  pour  entrer  à  la  Chambre,  où  il  se 
fit  remarquer  bientôt  comme  orateur,  sur  les  bancs 
de  la  gauche,  mais  loin  des  idées  socialistes  qu'il 
adopta,  le  lendemain  de  son  entrée  au  pouvoir, 
et  qui  tirent  sombrer  l'équipage. 

Plusieurs  dentistes  se  partagent  l'héritage  de 
Bordet,  comme  clientèle,  dans  les  autres  immeubles 
longeant  la  levée  près  du  fleuve,  et  qu'on  a  plus 
ou  moins  refaits  jusqu'au  !26  inclusivement.  Mais 
les  boutiques  voisines  de  la  maison  du  dentiste 
du  roi  étaient  toutes  occupées  par  des  fripiers, 
à  l'exception  d'une  seule,  où  se  trouvait  le  café 
du  Parnasse,  pendant  la  seconde  moitié  de  l'autre 
siècle.  Danton,  l'un  de  ses  habitués,  épousa 
M"^  Charpentier,  fille  du  limonadier,  laquelle  mourut, 
en  1792,  pendant  que  le  tribun,  son  mari,  était 
en  mission  dans  la  Belgique,  nouvellement  conquise 
à  la  France  par  Dumouriez. 

En  1769  M'"^  Lequin  tenait,  quai  de  l'École,  une 
auberge  à  l'image  du  Cheval-Blanc. 

La  place  de  l'École  qyi,  du  temps  de  François  l'\ 
avait  pour  pseudonyme  la  qualitication  de  place 
aux  Marchands,  n'en  remonte  pas  moins  à  la  même 
origine  que  le  quai  où  elle   forme  golfe. 

A  l'entrée  de  la  baie  a  jeté  l'ancre  par  hasard, 
h  l'époque  du  Directoire,  une  cargaison  de  prunes 
à  l'eau-de-vie,  dans  une  cantine  plus  que  modeste 
alors,  où  fut  servie  la  première  goutte  ù  un  soldat 
de  farmée  de  Sam])re-et-Meuse,  dont  le  corps 
partait  pour  l'Egypte.  Combien  de  temps  l'anonyme 
resta-t-il  à  ce  débit  de  fruits  alcoolisés?  Toutes 
les  gloires  n'ont-elles  pas  leurs  étapes  ?  Des  étu- 
diants, sous  la  Restauration,  commençaient  à  s'y 
arrêter,  en  amicale  ou  amoureuse  compagnie,  chaque 
fois  qu'ils  traversaient  la  Seine  ;  la  nière  Moreaux 
leur  faisait  bon  accueil,  qu'ils  eussent  de  l'argent 


PLACE    DE     L'ECOLE,    ETC.  70b 

OU  point.  Les  uns  payèrent,  les  autres  ne  s'acquit- 
tèrent qu'en  réputation  et  en  louanges,  monnaie 
qui  éleva  la  figure  commune  de  l'hôtesse  à  la 
dignité  d'effigie.  Souvent  l'obligeante  liquoriste, 
quand  le  mois  touchait  à  sa  fin,  avait  mis  une 
rallonge  à  sa  modeste  table,  invitant  à  dîner  ses 
pratiques  du  pays  latin.  La  mère  Moreaux,  par 
une  bonne  humeur  qu'augmentaient  ses  petits 
sacrifices,  n'a-t-elle  pas  mérité  cette  immortalité 
qui  profile  à  ses  héritiers,  et  dont  le  principe 
était  la  gratitude  ?  Il  lui  sera  beaucoup  pardonné, 
et  notamment  d'avoir  multiplié  5  l'infini  le  nombre 
de  liquoristes  qui  se  pavanent  maintenant  sous 
ses  auspices.  Elle  a  créé  le  genre  Moreaux,  à  ses 
risques  et  à  ses  dépens  ;  une  famille  innombrable 
de  filles  de  comptoir,  toujours  coquettes,  jeunes 
et  gentilles,  versant  le  sourire  au  fond  du  verre, 
sous  prétexte  de  prunes  ou  d'absinthe,  est  sortie, 
pour  courir  la  ville,  des  jupons  en  indienne  de 
cette  mère  Gigogne  du  comptoir  :  jusque-là  l'ivresse 
des  petites  bourses  n'avait  que  de  répugnantes 
Hébés,  qui  se  sont  mises  gardes-malades  et  aux- 
quelles, par  malheur,  les  liquoristes  taillent  de  la 
besogne  ! 

Quel  contraste  ne  fait  pas,  en  faces  de  telles 
nouveautés,  l'aspect  de  cette  habitation,  contem- 
poraine de  François  P'  tout  au  moins,  qui  forme 
encore  angle  sur  la  place  et  rue  des  Prêtres-Saint- 
Germain-l'Auxerrois  !  La  saillie  de  sa  toiture  en 
angle  aigu  ne  peut  plus  accorder  qu'un  simulacre 
de  protection  h  ces  allées  et  venues  sans  fin  qui 
font  maintenant  que  l'état  de  coureur  est  cumulé 
par  tant  de  professions  !  Autrefois  le  marchand 
d'en-bas  ne  prenait  l'air  que  sur  le  pas  de 
sa  porte,  sortait  le  plus  rarement  possible  en 
jours  ouvrables  ;  l'avocat  du  premier  ne  s'occupait 
de  la  hausse  ou  de  la  baisse  que  de  ses  propres 
honoraires,  curieux  de  s'en  montrer    plus    digne 


706  PLACE     DE    L'ÉCOLE,    ETC. 

par  des  études  répétées  ;  les  fenêtres  des  étages 
supérieurs,  garanties  de  la  pluie  par  le  rebord  du 
toit,  servaient  d'observatoire  au  petit  rentier,  de 
course  en  cbemin  do  fer  à  sa  femme,  de  télégraphie 
pour  l'amour  tant  aux  gens  dépourvus  qu'aux  gens 
mal  pourvus  des  deux  sexes,  avant  que  de  grandes 
découvertes  eussent  lait  naître  des  goûts  et  des 
besoins  insatiables  d'ubiquité  à  tous  égards.  D'autres 
propriétés,  place  de  l'École,  ont  eu  l'heur  ou  le 
malheur  (comme  on  voudra)  de  connaître  ce  bon 
vieux  temps. 

Quoi  de  plus  sédentaire,  par  exemple,  que  le 
jeu  de  dames  !  Comment  croire  que,  comme  théorie, 
il  ait  eu  sa  révolution,  son  changement  de  consti- 
tution en  1770  ?  0  esprit  de  réforme,  voilà  encore 
de  tes  coups!  Un  ouvrage  publié  par  Manoury  en 
ce  temps-là,  et  qu'on  a  depuis  réimprimé  deux 
fois,  a  fait  perdre  huit  pions  au  damier.  L'uni- 
versalité des  joueurs  a  depuis  lors  Manoury  pour 
législateur,  pour  souverain.  Son  nom  brille  encore 
sur  la  porte  du  café  où  il  présidait  aux  exercices 
d'une  véritable  académie  ;  le  maréchal  de  Saxe 
est  venu  prendre  des  leçons  de  ce  maître,  Ih  où 
les  amateurs  de  notre  temps  engagent  encore  les 
parties  de  dames  les  plus  intéressantes.  Comme 
établissement  public,  le  cale  Manoury  date  de 
bien  avant  l'introduction  en  France  de  l'usage  du 
café  ;  il  a  été  ouvert  par  un  chocolatier,  sous 
Henri  IV.  M'"''  Servant,  qui  a  tenu  la  maison  pen- 
dant trente  ans,  avait  eu  son  pore  pour  prédéces- 
seur. Celait  aussi  un  lieu  de  i-éunion  adopté  par 
des  gens  de  lettres  au  xvm'' siècle  et  sous  l'Empire. 


Les  Boulevards  de  rHopital  et  d'Italie, 

NAGUÈRE 

des  Gobclins,  d'Italie   et  autres, 

les  Boulevards  8alnt-Jaeques,  d'Enfer, 

Mont-Parnasse  et  des  Inialides.  (i) 


Promenade  entre    le  Jardin-des- Plantes  et   ïhôtel 
des  Invalides. 

Ces  boulevards  du  Midi,  offîciolleinent  natifs  de 
lettres-patentes  du  9  août  1760,  mais  dont  l'éta- 
blissement était  déjîi  projeté  un  demi-siècle  au- 
paravant, on  ne  les  a  jamais  fréquentés  autant 
que  les  boulevards  du  Nord,  leurs  frères  aînés, 
qui  s'appelaient  dès  le  règne  de  Louis  XV  et  qui 
resteront  malgré  M.  Haussmann  le  grand  boulevard. 
Toutefois  le  monde  élégant  ne  dédaignait  pas,  au 
début,  cette  promenade  méridionale,  où  les  carrosses 
du  faubourg  Saint-Germain  se  croisèrent  libérale- 


(1)  Notice  écrite  en  1864.  Le  boulevard  de  l'Hôpital, 
dont  Je  niveau  s'est  abaissé  du  côté  de  la  nouvelle 
place  d'Italie,  n'avait  encore  au  nombre  de  ses  affluents 
ni  le  boulevard  Saint-Marcel  ni  les  rues  de  Campo- 
Formio,  Fagon,  Piuel,  Coypel,  Philippe-de-Champagne  : 
presque  toutes  les  autres  y  ont.  de  plus,  changé  de 
dénomination.  Le  boulevard  d'Italie  n'englobait  encore  ni 
les  boulevards  de  la  Glacière,  de  la  ."Santé,  d'Arcueil, 
des  Gobelins,  ni  la  portion  du  boulevard  îSaint- Jacques 
comprise  entre  les  rues  de  la  Glacière  et  de  la  Santé. 
Le  nouveau  boulevard  Arago  aboutit,  avec  la  rue  d'Enfer, 
au  boulevard  d'Enfer.  Deux  nouvelles  avenues  embrassent, 
sur  le  boulevard  des  Invalides,  la  nouvelle  église  Saint- 
François-Xavier. 


708   LES  BOULEVARDS  DE   L'HOPITAL,  ETC. 

ment  avec  les  premiers  coupés  de  la  Chaussée- 
d'Antin,  inventés  pour  M""  Coupé,  de  l'Opéra.  De 
grands  arbres  s'y  élevaient  déjà  :  cinq  vues,  prises 
par  Martinet,  ne  nous  permettent  pas  d'en  douter. 
L'une  de  ces  bonnes  petites  gravures  du  temps 
représente  le  boulevard  de  l'Hôpital,  vu  du  pont 
de  la  rivière  de  Bièvre. 

L'hospice  de  la  Vieillesse  pour  les  Femmes  y  fut 
fondé  en  l'année  1632,  comme  dépôt  de  mendiants 
et  de  vagabonds,  à  la  place  d'une  salpétrière,  et 
de  là  vient  un  pseudonyme  que  l'hospice  n'a  pas 
encore  perdu  :  la  Salpétrière.  On  le  qualifia  égale- 
ment Hôpital-Général  ;  néanmoins  la  Pitié  surtout 
fut  le  chef-lieu  de  l'administration  hospitalière  qui 
reliait  les  hospices  de  Bicêtre,  du  Saint-Esprit, 
de  la  Pitié  et  de  la  Salpétrière.  La  maison  du  boule- 
vard de  l'Hôpital,  dont  le  plan  avait  été  jeté  sur 
le  papier  par  le  crayon  de  Libéral  Bruant,  recon- 
naissait particulièrement  pour  ses  bienfaiteurs 
Louis  XIV,  Mazarin,  la  duchesse  d'Aiguillon,  le 
président  Pomponne  de  Bellièvre,  M.  de  Lassay 
et  encore  d'autres.  N'était-ce  pas,  d'ailleurs,  sous 
les  dehors  d'une  magnificence  relative  que  ce 
monument  abrita  jusqu'à  7,000  malheureux  des 
deux  sexes,  parmi  lesquels  il  y  avait  des  fous? 
On  continuait  à  y  garder  des  pauvres,  mais  on 
les  séparant  des  fous,  des  folles  et  des  tilles  de 
joie.  Des  convois  de  ces  dernières  étaient,  en 
cas  de  besoin,  dir'gés  sur  les  colonies,  comme 
nous  le  rappelle  si  dramatiquement  Manon  Lescaut, 
On  en  conclut,  par  exagération  ou  malveillance 
rétrospective,  que  l'hôpital  n'était  qu'une  maison 
de  force.  Mais  la  garde  ne  s'y  composait,  du 
vivant  même  de  l'auteur  du  célèbre  roman,  que 
de  16  fusiliers,  4  caporaux  et  1  sergent.  A 
l'intérieur,  un  nombre  égal  de  prêtres  obéissaient 
à  un  recteur  et  le  service  général  était  confié  à 
des  religieuses.   Les  femmes  avaient  beau  dominer 


LES  BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,  ETC.  7«9 

de  plus  en  plus,  dans  cet  établissement,  combien 
de  divisions  encore,  combien  môme  de  subdivisions  ! 
Le  style  d'architecture  y  mettait  moins  de  diiférence 
entre  le  pavillon  Mazarin  et  tel  autre,  par  exemple 
le  pavillon  Lassay,  que  la  destination  spéciale 
affectée  h  chaque  bâtiment.  On  ne  détenait  que 
trop  réellement,  dans  le  fond  h  gauche,  des  fllles 
à  corriger  et  des  femmes  incorrigibles,  écume 
souvent  pestilentielle  de  la  prostitution  ;  mais  c'était 
un  quartier  à  part.  La  cour  des  folles  et  des 
idiotes  ne  s'y  rattachait  aucunement.  Il  y  avait 
des  ateliers  de  lingerie,  de  broderie  et  de  tapis- 
serie, au  premier  étage,  sur  la  droite,  et  les 
sœurs  se  reliraient  au-dessus,  dans  leurs  cellules. 
De  vieux  ménages  se  partageaient,  plus  loin,  un 
dortoir  réservé  ;  puis  venait  une  salle  pour  soigner 
des  enfants  qui  tombaient  en  convulsions.  Aussi 
bien  la  merveille  de  toute  la  maison,  n'était-ce 
pas  l'apothicairerie  ?  Les  étrangers  visitaient  la 
chapelle'  avec  moins  de  curiosité.  La  maison  de 
force,  par  exemple,  était  moins  accessible  que 
le  reste  aux  visiteurs.  La  princesse  de  Lamballe 
elle-même  ne  réussissait  pas  à  obtenir,  en  août 
1786,  la  permission  de  voir  M""'  de  Lamotte,  que 
l'affaire  du  Collier  de  la  reine  tenait  enfermée  h 
la  Salpétrière  depuis  la  fin  du  mois  de  mai.  Cette 
prisonnière  et  trente-quatre  autres  y  furent  assas- 
sinées par  des  septembriseurs,  qui  venaient  de 
rendres  libres  183  prostituées,  détenues  dans  la 
même  maison,  et  déjà,  depuis  un  jour  ou  deux, 
au  pied  du  mur  d'une  prison,  la  Force,  qui  n'avait 
plus  rien  d'un  hospice,  M"'«  de  Lamballe  était 
tombée  sous  les  coups  de  bourreaux  pareils,  mais 
d'une  barbarie  plus  raffinée. 

Visà-vis  l'hospice  de  la  Vieillesse,  quelques 
maisons  paraissent  du  même  âge  que  le  boulevard, 
et  l'une  d'elles,  n°  26,  fut  une  maison  de  santé 
sous  plusieurs  règnes,  avant  celui  de  Louis-Philippe. 


710   LES  BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,  ETC. 

Le  restaurant,  h  l'enseigne  du  Point-du-Jour,  qui 
occupe  l'un  des  deux  angles  de  la  rue  Poliveau, 
a  remplacé  un  pensionnat  vers  la  fin  du  premier 
empire  ;  mais  il  se  rattachait,  comme  construction, 
au  jardin  des  Chevaliers  de  l'Arc,  avant  la  grande 
révolution,  et  il  se  pourrait  même  que  cette 
maisonnette  datât  d'avant  les  lettres-patentes.  Il 
restait  sous  Louis  XVI  un  tir,  mais  à  l'usage  d'une 
compagnie  de  bourgeois,  dans  le  jardin  du  ci-devant 
hôtel  royal  de  l'Arquebuse,  dont  nous  revoyons 
le  bâtiment  principal  sur  la  place  de  la  Bastille, 
au  coin  du  boulevard  Richard-Lenoir.  Les  chevaliers 
de  l'Arc  ou  de  l'Arquebuse,  devenus  archers  de 
la  Ville,  avaient  pris  en  location  un  autre  jardin 
de  l'autre  côté  de  la  Seine,  entre  le  marché  aux 
Chevaux  et  la  rue  Poliveau.  Cette  royale  compagnie, 
qui  remontait  par  origine  à  la  confrérie  arbalé- 
Irière  de  Saint-Sébastien,  fondée  par  saint  Louis, 
jouissait  de  privilèges  et  d'exemptions  ;  mais  la 
charge  de  chaque  membre  coûtait  2,000  livres, 
et  le  lieutenant-général  duc  de  Montmorency- 
Luxembourg,  en  sa  qualité  de  colonel  des  archers 
de  la  Ville,  signait  le  brevet.  Aussi  quel  brillant 
uniforme!  Bleu  de  roi,  rouge  et  or,  arc  et  flèche 
couronnés,  fleurs  de  lis,  croix  de  Saint-Sébastien, 
veste  jaune,  culotte  et  doublures  de  même  couleur. 
La  tenue  d'été  n'était  modifiée  que  par  la  veste 
et  la  culotte  blanches.  Les  exercices  avaient  lieu 
au  jardin,  tous  les  dimanches,  depuis  le  premier 
dimanche  du  mois  de  mai  jusqu'à  la  Toussaint. 
On  tirait  de  l'arc,  en  visant  le  papigot,  autrement 
dit  le  papegai  :  cet  oiseau  figuré  était  au  bout 
d'une  perche,  qui  prolongeait  elle-même  d'autres 
perches.  Ainsi  gagnés  chaque  semaine,  les  prix 
étaient  des  jetons  d'argent  au  coin  de  la  compagnie; 
mais  il  y  avait  aussi  des  médailles  d'or,  accordées 
extraordinairement  par  le  roi  ou  par  la  Ville. 
Les  armoiries  du  corps  des  archers  étaient  :  une 


LES  BOULEVARDS  DE   L'HOPITAL,  ETC.   711 

arquebuse  et  une  arbalète  sur  champ  d'argent, 
avec  chef  d'azur  chargé  de  trois  tleurs  de  lis 
d'or.  En  même  temps  que  cet  écusson,  le  jeton 
en  portait  deux  autres  :  les  armes  de  la  Ville, 
à  droite,  et  celles  du  roi,  qui  chevauchaient  en 
tête.  Minerve  couronnait  le  tout,  avec  cette  devise  : 
Per  tela,  per  ignés. 

Une  avenue  plantée  d'aibres  conduisait  au  marcjié 
aux  Chevaux,  plus  fréquenté  alors  que  de  nos 
jours  (i).  On  y  achetait  le  plus  souvent  un  cheval 
quand  on  avait  quelque  voyage  h  faire,  et,  s'il 
ne  crevait  pas  en  route,  on  le  ramenait,  avec 
un  autre  bouchon  de  paille  h  la  queue.  Mules  et 
ânes  faisaient  aussi  l'objet  d'un  commerce  plus 
considérable,  qui  se  traitait  en  même  temps.  C'était 
marché  tous  les  mercredis  et  samedis,  depuis 
trois  heures  de  l'après-midi  jusqu'au  soir.  D'im- 
portantes améliorations  étaient  dues  h  M.  de 
Sartincs;  la  place  n'avait  cessé  que  sous  son 
administration  d'être  pour  ainsi  dire  impraticable 
par  les  mauvais  temps.  L'estrapade  y  avait  été 
transférée,  en  1687,  de  la  place  de  la  Vieille- 
Estrapade  ;  mais  Louis  XVI  supprima  définitivement 
la  punition  corporelle  h  l'usage  des  militaires, 
dont  elle  était  publiquement  l'instrument.  De  cette 
façon  disparut  une  machine  dont  on  ne  sait  plus 
que  le  nom.  Elle  était  de  bois  et  s'élevait  très- 
haut,  disposée  en  forme  de  grue.;  à  l'extrémité 
jouait  une  corde,  mue  d'en  bas  par  un  tourniquet  : 
les  pieds  et  les  mains  du  patient  étaient  liés  h 
cette  corde,  et  on  le  hissait  jusqu'en  haut  pour 
qu'il  retombât  brusquement,  mais  encore  suspendu 
à  plusieurs  pieds  du  sol,  autant  de  fois  qu'on 
devait  lui  donner  l'estrapade.  C'était  donc  une 
peine  du  même  genre  que  la  cale,  infligée  à  bord 


(1)  La  nouvelle  rue  Duméril  était   naguère    celle    du 
Marché-aux-Chevaux . 


712   LES   BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,   ETC. 

des  navires.  Depuis  l'an  1642,  le  marché  aux 
Chevaux  touche  presque  au  boulevard  de  l'Hôpital. 
Sa  spécialité  avérée  n'a  pas  empêché  d'y  vendre 
aussi  des  bestiaux,  dont  l'alimentation  tirait  parti 
plus  spécialement  et  plus  ouvertement  dans  la 
ville  et  dans  les  faubourgs.  Le  plus  illustre  des 
intendants  du  Jardin-du-Roi  s'est  montré  bon 
voisin  en  qualifiant  le  cheval  «  la  plus  noble 
conquête  que  l'homme  ait  jamais  faite  »  ;  mais 
Gomboust,  sur  son  plan  de  Paris,  avait  fait  le 
contraire  de  Buffon,  en  reléguant  trop  loin  du 
premier  rang  le  quadrupède  qui  hennit,  par  cette 
inscription  afférente  au  lieu  public  dont  nous 
parlons  :  Marché  aux  Cochons  et  aux  Chevaux. 
De  nos  jours  encore,  le  dimanche,  on  y  met  en 
vente  des  chiens. 

En  1773,  permission  fut  donnée  à  M.  de  Jolly, 
grand-audiencier  honoraire  de  France,  de  se  faire 
bâtir  un  peu  plus  loin,  sur  l'un  des  deux  côtés  du 
même  boulevard,  une  maison  d'encoignure.  Il 
portait  un  de  ces  noms  que  la  particule  suit  de 
meilleure  grâce  qu'elle  ne  les  précède  ;  aussi  bien 
chez  M.  de  Maupeou,  qui  donnait  le  sceau,  on 
annonçait  toujours  M.  Jolly  sans  de.  Mais  chez 
le  notaire  de  ce  robin  et  chez  lui,  rue  Bourbon- 
Villeneuve  (1),  près  celle  des  Filles-Dieu,  y  regar- 
dait-on de  si  près?  Il  est  vrai  que  la  charge 
d'audiencier  anoblissait. 

Ensuite  la  grande  guinguette  des  Fêtes-de-Momus 
vint  égayer  la  porte  de  Paris,  au  pied  de  laquelle 
finissait  le  boulevard  de  l'Hôpital  et  commençait 
le  boulevard  des  Gobelins  {i).  Une  fête  d'un  autre 
genre  y  fut  donnée,  dans  la  nuit  du  12  au  13 
juillet    1789,    par    une    poignée     d'hommes    qui 


(1)  Mainîenaut   d'Aboukir. 

(3)  C'est  maïQteuaut  la  place  d'Italie. 


LES  BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,   ETC.     713 

s'amusaient  révolutionnairement  à  brûler  la  barrière 
en  bois.  Des  rats-de-cave  étaient  de  la  partie  ; 
mais  l'idée  venait  de  Mirabeau,  et  l'exemple,  si 
bien  donné  à  cette  porte  de  la  ville,  allait  être 
fidèlement  suivi  à  toutes  les  autres  par  une 
populace  déjà  ivre  du  vin  sans  droit  qu'elle  pro- 
mettait au  peuple.  Cette  fois  Momus  ne  se  con- 
tentait plus  de  tourner  les  autres  dieux  en  ridicule 
dans  les  limites  du  vaudeville  français  ;  c'est  à 
l'éloquence  d'un  tribun  qu'il  accordait  libéralement 
plus  encore  que  n'avait  demandé  un  carme  du 
XV*  siècle  en  ce  vers  latin  : 

Monte,  procul  hlattis   tineisque  noceniior  esto. 

Un  autre  dieu  du  paganisme  avait-il  eu,  comme 
on  le  prétend,  un  temple  sur  l'emplacement  du  clos 
Payen,  que  traversait  notre  second  boulevard? 
D'après  une  version  plus  modeste,  ce  clos  portait 
tout  simplement  le  nom  d'un  ancien  propriétaire, 
et  le  fait  est  que  des  héritiers  Payen  étaient  encore 
en  1724  propriétaires  de  la  blanchisserie  et  des 
terres  labourables  qu'il  comportait  alors  «  avec 
deux  entrées  en  la  rue  Payenne  ou  de  la  Barrière 
et  une  en  la  rue  du  Ghamp-de-l'Alouetle.  »  Partant 
il  n'y  avait  rien  de  commun  entre  ce  clos  et 
la  terre  de  Payen,  qu'avaient  érigée  en  marquisat, 
dans  le  diocèse  et  l'élection  de  Troyes,  des  lettres  en- 
registrées au  parlement  et  ii  la  chambre  des  Comptes 
les  47  et  21  août  1665,  en  faveur  d'un  Colbert, 
mestre-de-camp,  plus  tard  inspecteur-général  de 
la  cavalerie,  deuxième  fils  d'Edouard  Colbert, 
marquis  de  Villacerf.  La  Bièvre,  en  arrosant  le 
clos,  y  avait  attiré  des  blanchisseurs  ;  il  était 
borné,  du  côté  de  la  ville,  par  le  champ  de 
l'Alouette,  par  la  maison  royale  des  Gobelins.  Il 
s'y  était  élevé,  du  côté  de  la  campagne,  un  .ou 
deux  moulins  à  vent,  que  l'ouverture  des  bou- 
levards du  Midi  avait  forcé  de  jeter  bas,  comme 

39 


714    LES  BOULEVARDS   DLO    L'HOPITAL,  ETC. 

ceux  de  la  ])uUe  Moiil-Parnasse.  Celte  traiisfor- 
malioii,  qui  fail  encoi'c  passer  la  petite  rivière 
sous  le  boulevard  des  Gobelius,  ireinpêcha  pas 
de  couler  la  lessive  et  de  faiie  sécher  le  linge, 
comme  par  le  passé,  au  clos  Payeii.  Le  plan  de 
Veriiiquct  marquait  même,  avant  la  liu  du  siècle, 
un  étang  au-delà  du  mur  d'enceinte  urbaine,  qui 
séparait  le  boulevard  d'ù-présenl,  dans  sa  largeur, 
en  deux  voies  parfaitement  distinctes,  et  sur  la 
même  carte  figurait,  comme  boulevard  de  la 
Glacière,  la  portion  de  celui  des  Gobelins  com- 
prise entre  les  rues  du  Cliamp-de-l'Alouette  et 
de  la  Glacière.  L'autre  voie  contiguë,  c'est-h-dire 
suivant  le  mur,  ne  se  trouvait  alors  qu'uni-  soi  le 
de  chemin  de  ronde  extérieur. 

Un  hôtel  de  campagne  à  colonnade  fut  construit 
en  1762,  sur  le  dessin  de  Peyre  l'aîné,  architecte 
du  roi,  pour  M.  Le  Prêtre  de  Neufbourg,  en 
son  clos  Payen.  Ce  petit  seigneur  n'était-il  pas  aussi 
le  capitaliste  d'une  entreprise  manufacturière  ï  On 
blanchissait  surtout  des  toiles  neuves,  en  leur  don- 
nant de  l'apprêt  pour  le  commerce,  autour  de  sajitbe 
maison,  que  nous  revoyons  n"  58.  A  Saint-Hq)- 
polyte,  sa  paroisse,  on  remarquait  postérieurement, 
dans  une  chapelle  située  au  fond,  un  tombeau- 
sculpté  par  Gauthier,  sous  lequel  reposait  Le 
Prêtre  de  Neufbourg  fils.  Maintenant  la  blan- 
chisserie des  hôpitaux  exploite  l'hôtel. 

Et,  depuis  que  l'octroi  est  reculé  aux  Fortifi- 
cations, la  nouvelle  rive  gauche  du  boulevard  des 
Gobelins  se  dit  boulevard  d'Italie.  Cette  dénomi- 
nation rappelle  que  les  voyageurs  italiens  n'en- 
traient pas  là  dans  notre  ville  par  le  plus  beau 
quartier,  avant  l'invention  des  chemins  de  fer. 
Au  boulevard  d'Italie  font  suite  ceux  de  la  Glacière, 
de  la  Saelé  et  d'Arcueil,  en  regard  du  boulevard 
Croulebarbe,  qui  fusionne  avec  celui  des  Gobelins, 
et  en  regard    du     boulevard    Saint-Jacques.    Le 


LES  BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,  ETC.     715 

clos  Payen,  que  le  Cours  avait  coupé,  donna 
aussi  sur  le  côté  du  sinistre  château  de  Bicêtre, 
comme  l'hôpital  Sainte-Anne. 

L'hôpital  de  la  Santé,  dit  ultérieurement  de 
Sainte-Anne,  avait  été  fondé  pour  les  pesiilérés 
au  faubourg  Saint-Marceau,  puis  transféré  près 
du  tutur  boulevard  par  Anne  d'Autriche.  Non  loin 
de  cet  établissement,  mais  du  côté  de  Paris,  Louis 
XVI  ouvrit  pour  les  militaires  et  pour  les  prêtres 
une  autre  maison  royale  de  Santé,  avec  le  con- 
cours du  clergé  de  France,  qui  avait  donné  100,000 
livres  pour  la  construction  des  bâtiments,  sous 
la  direction  de  l'architecte  Antoine.  Le  moins  an- 
cien des  deux  hospices  devait  au  roi  la  provision 
de  12  lits,  h  la  Ville  celle  de  3  et  à  un  prélat  celle 
du  16"  lit.  Le  premier-président  et  le  procureur- 
général  nommaient  aux  6  lits  destinés  l\  des 
militaires  ;  les  agents-généraux  du  clergé,  aux  lits 
ecclésiastiques.  Mais  il  y  avait  d'autres  chambres  et 
de  grands  jardins,  qui  recevaient  à  un  prix  modéré 
des  malades,  des  convalescents  et  des  infirmes, 
même  quand  leur  religion  n'était  pas  celle  des 
frères  de  la  Charité,  investis  du  gouvernement 
de  la  maison. 

Faut-il  considérer  comme  substituée  indirec- 
tement à  l'une  de  ces  fondations  hospitalières  la 
filature  que  vous  voyez  boulevard  Saint-Jacques, 
à  l'angle  de  la  rue  de  la  Santé?  C'est  l'avis  d'un 
honorable  membre  du  conseil  municipal  de  Paris, 
qui  nous  écrit  à  ce  sujet  en  Suisse,  au  moment 
où  nous  venons  de  passer  de  ce  pays  dans  les 
Pyrénées,  mais  dont  la  lettre  arrive  encore  à 
temps,  et  voilà  le  point  qui  importe.  Que  n'avons- 
nous  toujours  des  collaborateurs  aussi  peu  en 
retard  que  celui-là,  et  aussi  éclairés  !  On  ne 
trouverait  plus  que  nous  prenons  trop  de  vacances. 
L'officieux  correspondant  se  souvient  que  des 
religieuses,  tenant  une  maison  de  correction,  ont 


716     LES  BOULEVARDS  DE   L'HOPITAL,  ETC. 

quitté,  dans  l'une  des  premières  années  du  règne 
de  Napoléon  III,  celte  propriété  qui,  depuis  lors, 
est  devenue  une  filature  :  renseignement  qui  manque 
dans  tous  les  livres.  Plus  haut,  n»  46,  connaissez- 
vous  le  pavillon  dont  jouissent  MM.  Deck,  habiles 
céramistes  ?  Il  dépendit  originairement  de  la  maison 
royale  de  Santé,  et  ensuite  il  s'en  détacha,  avec 
un  superbe  jardin,  pour  devenir  la  proffriété  de 
Masséna.  Ce  général  célèbre  avait  toutefois  pour 
maison  de  campagne,  dès  le  Consulat,  l'ancien 
château  du  cardinal  de  Richelieu,  h  Rueil. 

Le  .  plus  dramatique  des  spectacles  n'a  que  trop 
souvent  attiré  place  Saint-Jacques  un  immense 
concours  de  curieux,  qui  passaient  la  nuit  à  attendre 
que  les  teintes  blafardes  du  petit-jour  y  missent 
lentement  en  lumière  la  guillotine  dressée  dans 
les  ténèbres.  Maintenant  le  lieu  d'exécution  des 
condamnations  capitales  est  la  place  de  la  Roquellc. 

La  rue  d'Enter  débouche,  après  cela,  sur  le 
boulevard  pareillement  appelé,  qui  représente  un 
embranchement,  bien  que  trait-d'union  indispen- 
sable dans  le  réseau  primitif  des  boulevards  du 
Midi.  Le  Val-de-Gràce,  l'Observatoire  et  Port-Royal 
arrêtaient  court  la  ligne  principale,  qui  n'était 
reprise  qu'au  boulevard  Mont-Parnasse.  Le  cimetière 
du  même  nom  et  du  Sud,  longeant  le  boulevard 
d'Enfer,  ne  fut  ouvert  qu'en  l'année  1824;  un 
compartiment  réservé  y  recevait,  encore  tout 
chauds,  les  décapités  de  la  place  Saint-Jacques.  Pour 
établir  ce  boulevard  de  jonction,  il  avait  fallu 
aplanir  une  butte  décorée  du  même  nom  que  la 
plus  haute  montagne  de  la  Phocide,  où  les  poètes 
de  l'antiquité  placent  le  séjour  d'Apollon  et  des 
Muses:  rapprochement  qui  venait,  dit-on,  de 
poésies  chantées  ou  récitées  par  des  écoliers  se 
réunissant  sur  la  butte  !  La  rencontre  des  deux 
boulevards  d'Enfer  et  Mont-Parnasse,  sur  l'em- 
placement de  la  même  butte,  avait   lieu    sous  la 


LES  BOULEVARDS    DE   L'HOPITAL,    ETC.     717 

forme  d'une  demi-lune.  Un  corps-dc-garde  empêchait 
de  passer  toutes  les  voitures  indignes  de  tîgurei- 
sur  l'éléganle  promenade  qui  commençait  derrière 
Port-Royal  pour  linir  près  des  Invalides.  Et  ceux 
de  nos  lecteurs  qui  connaissent  le  quartier,  de 
s'écrier  :  —  Comme  tout  change  ! 

Une  des  vues  gravées  par  Martinet  représente, 
à  l'entrée  du  Cours,  la  maison  de  la  rue  d'Enfer 
où  le  duc  de  Chaulnes  avait  créé  un  cabinet  de 
physique.  Ce  membre  honoraire  de  l'académie  des 
Sciences  fut  ruiné  par  les  folles  dépenses  de  sa 
femme,  fdle  de  Joseph  Bonnier,  baron  de  la 
Mosson,  et  le  chagrin  qu'il  en  conçut  abrégea 
ses  jours,  que  la  guerre  avait  épargnés.  Sa  veuve 
se  remaria  h  l'âge  de  65  ans.  Le  duc  de  Chaulnes, 
leur  fils,  qui  s'adonnait  également  aux  sciences 
physiques,  et  principalement  îi  la  chimie,  se  prit 
de  querelle  avec  Beaumarchais,  et  comme  son 
cabinet  do  physique  avait  été  transféré  rue  de 
Bondy,  vis-à-vis  la  demeure  du  chevalier  du  guet, 
celui-ci  n'eut  qu'un  autre  boulevard  à  traverser 
pour  arrêter  le  duc  de  Chaulnes,  qui  fut  mis  à 
Vincennes,  pendant  que  son  antagoniste  était 
conduit  au  Fort-l'Evêque. 

Le  long  de  ce  clos  des  Chartreux  dont  une 
grande  portion  est  absorbée  par  le  jardin  du 
Luxembourg,  régnait  le  Cours  qui,  en  léle  de  la 
ligne,  s'appela  aussi  boulevard  d'Enfer,  puis  bou- 
levard du  Luxembourg,  avant  de  s'incorporer 
absolument  au  boulevard  Mont-Parnasse,  dont 
l'ordre  numérique  commence  actuellement  ii  la 
rue  de  Sèvres  pour  remonter  à  son  ancien  point 
de  départ. 

Le  n"'  133,  nous  dit-on,  garde  les  cuisines  d'un 
hôtel  de  Chevreuse  disparu,  et  le  l!29  lui-même 
est  séculaire:  il  nous  semble  très-fort  que  l'ancien 
hôtel  de  Rohan-Guémenée  a  dû  englober  le  premier 
et  avoisiner  le  second.  Mais  les  hôtels  de  Fleury 


718     LES  BOULEVARDS   DE  L'HOPITAL.  ETC. 

et  de  Laval  étaient  surtout  remarqués,  sous  Louis 
XVI,  le  premier  entie  les  rues  de  Ghevreuse  et 
du  âlout-Parjiasse,  le  second  entre  les  rues  du 
Mont-Parnr.sse  et  de  Vaugirard.  L'hôtel  de  Fleury, 
construit  pour  l'abbé  Terray,  donnait  aussi  rue 
Nolre-Dame-des-Cliamps  ;  c'est  le  premier  local 
qu'ait  occupé  depuis,  sous  la  direction  de  l'abbé 
Liaulard,  le  collège  Stanislas,  ensuite  transféré 
dans  la  même  rue  à  l'ancien  hôtel  de  Mailly. 
Quant  à  l'hôtel  de  Montmorency-Laval,  qui  fut  double 
rue  Notre- Dame-des-Champs,  la  raffinerie  Santerre 
ne  l'occupa  postérieurement  que  simple,  et  le 
majeur  pouvait  n'y  pas  être  du  même  côté  que 
le  mineur.  Un  document  inédit  nous  révèle  jus- 
tement une  maison  de  chasse,  bâtie  en  1774  sur 
le  boulevard  31onl-Pnrnasse,  pour  le  duc  de  Laval, 
par  l'architecte  Célerié,  avec  salle  de  concert,  avec 
deux  grilles,  et  ne  comportant  qu'un  seul  étage. 
Toutefois  un  marais  entre  rue  et  boulevard  n'aurait- 
il  pas  permis  de  regarder,  par  extension,  comme 
sis  sur  le  boulevard,  l'hôtel  en  vue  derrière  ce 
marais? 

Il  y  avait  \h  non-seulement  des  cultures,  mais 
encore  quelques  maisons,  telles  que  l'hôtel  de 
Mailly,  avant  la  formation  définitive  du  nouveau 
Cours.  L'une  de  ces  maisons  fut  habitée  par  un 
grand  peintre  de  portraits,  Hyacinthe  Rigaud, 
qu'on  surnommait  y  Ros,  c'est-à-dire  le  Roux, 
dans  sa  ville  natale,  à  Perpignan.  Comme.Rigaud 
résida  tantôt  rue  Neuve-dcs-Petils-Champs,  tantôt 
rue  de  Richelieu,  il  n'avait  que  sa  maison  de 
campagne  dans  le  voisinage  du  jardiii  des  char- 
treux, et  l'on  ne  pouvait  guèie  y  donner  plus 
explicitement  son  adresse,  puisque  le  chemin  ne  , 
s'érigea  qu'après  lui  en  boulevard  Mont-Parnasse. 
Or  le  chagrin  d'avoirperdu  sa  femme  emporta  Rigaud 
en  1743,  mais  de  concert,  il  faut  en  convenir, 
avec  son  âge  de   84  ans.    Pour   lui    rendre    une 


'    LES   BOULEVARDS  DE  L"HOPITAL,    ETC.     719 

visite  posthume,  il  sulTil  vraisemblablement  de 
frapper  à  la  porte  du  n"  80,  où  deux  balcons 
présenlent  dans  rornementation  de  leurs  ferrures 
deux  r.  Seulement  M'"*"  Bouchard-Iiuzard  objectera, 
par  délicatesse,  qu'elle  a  eu  pour  prcdéi-esseur, 
comme  propriétaire  de  cette  maison,  un  Rigaux, 
bourgeois  de  Paris,  Suisse  de  naissance,  qui 
l'acheta,  la  refit  et  la  revendit,  de  ITBo  ci  178i2. 
Une  obligeante  lettre  ù  ce  sujet  ne  nous  fait  pas 
chercher  fortune  ailleurs,  bien  que  Rigaud  ait 
pu  se  mettre  au  frais  dans  l'une  des  propriétés 
que  nous  remarquions  tout-à-riieure,  à  la  hauteur 
de  la  rue  de  Chevreuse.  Le  n"  85  paraît  s'être 
élevé  du  même  jet  que  le  87,  qui  touche  une 
autre  propriété  à  l'encoignure  de  la  rue  du  3Iont- 
Parnasse,  et  certaine  tradition  locale,  qui  n'y  va 
pas  de  main-morte  avec  cet  autre  immeuble,  y 
loge  jusqu'à  des  pages  de  Henri  IV.  Oh  !  pour 
le  coup,  une  vraie  maison  de  cli:isse  !  Quoi  de 
plus  naturel  qu'il  s'en  fût  délaché,  sous  l'un  des 
règnes  suivants,  celle  du  peintre,  qui  aurait  été 
rachetée  après  sa  mort  par  un  homonyme,  pouvant 
même  être  un  parent?  Sur  la  la(;ade  qui  a  gardé 
son  chitTre,  deux  petits  pavillons,  reliés  par  une 
terrasse,  étaient  d'un  aspect  moins  bourgeois 
que  l'étage,  depuis  lors  rempli,  qui  donne  plus 
de  logement.  Pierre  Leroux  demeurait  là  lorsqu'il 
initia  Georges  Sand  aux  secrets  de  sa  philosophie, 
dont  le  côté  intelligible  est  purementsaint-simonien. 
C'est  de  l'autre  côté  sans  doute  que  le  maître 
se  toui'uait  pour  montrer  au  disciple,  dans  un 
peuplier  du  jardin,  le  symbole  d'un  gouvernement 
sans  défaut.  Ils  fondèrent  ensemble  la  Revue 
Indépendante.  Puis  une  révolution  peupla  la  grande 
ville  d'exemplaires  innombrables  de  l'arbre  pi'é- 
cor.isé.  Mais  dès-lors  M'"^'  Azaïs,  veuve  d'un 
autre  philosophe  qui  avait  inventé  un  système. 
de  compensations,  habitait,  au  lieu  de  Pierre 
Leroux,  l'intéressante  maison  dont  nous  parlons. 


720     I.lsS    BOULEVARDS  DE   L'HOPITAL,   ETC. 

Qu'est  devenue  une  maison  Leduc,  surélevée 
d'un  belvédère,  et  que  Damesme  avait  dessinée 
en  l'année  1788?  Prenez  de  ses  nouvelles  au 
n°  102. 

Les  quatre  immeubles  que  vous  trouvez  après, 
en  rebroussant  l'ordre  des  numéros,  se  sont  fait 
une  réputation  impérissable  sous  ce  nom  :  la 
Grande-Cliaumière  !  C'est  là  que  la  jeunesse  des 
écoles,  qui  jusqu'alors  avait  tant  résisté  aux  em- 
piélements  de  la  galanterie  vénale,  a  enterré 
elle-même  l'amour  au  pair,  qui  s'endettait  comme 
un  cadet  de  famille  pour  soutenir  vers  la  tîn 
un  rang  déjà  perdu.  Cette  jeunesse,  hélas  !  renonçait 
à  danser,  même  le  cancan,  dont  les  calicots, 
dans  les  bals,  allaient  faire  une  sotte  parodie. 
Mais  la  Chaumière  se  ressentait  elle-même  du 
manque  de  foi  et  de  conscience  qui  devait  faciliter, 
en  politique,  la  révolution  de  Février.  La  grisette 
vieillissait  ;  la  liUe  de  joie  se  cachait  pour  avoir 
trop  fait  le  trottoir  ;  la  loretie  voulait  être  à  la 
fois  l'une  et  l'autre,  en  passant  du  neveu  à  l'oncle, 
ou  de  l'artiste  à  l'agent-de-change.  Par  malheur, 
ce  même  luxe  qui  envahissait  tout  n'excepta  pas 
le  bal  de  la  Chaumière,  qui,  ne  recrutant  plus 
ses  habitués  exclusivement  dans  les  écoles  et 
dans  les  ateliers,  mit  en  présence  souvent  les 
deux  rivaux,  et  la  lorelte  eut  l'embarras  du  choix: 
deux  coupés  en  même  temps  l'attendaient  à  la 
porte,  dont  un  toujours  pris  à  crédit  î  La  bohème 
dorée  repr'ochait  à  la  Chaumière  ses  accointances 
avec  l'auti'e  bohème,  qui  n'y  avait  plus  du  tout 
ses  coudées  franches.  Le  père  Lahire,  en  mettant 
le  holà,  n'empêchait  pas  toutes  les  altercations, 
et  le  temps  était  déjà  loin  où  le  quadrille,  dans 
ses  nombi'eux  écarts,  sollicitait  toute  sa  surveil- 
lance. Une  querelle  pourtant  avait  été  plus  vive, 
année  1833,  entre  les  étudiants  en  droit  et  ceux 
en  médecine  ;  comme  ils  se  distribuaient  jusqu'à 


LES  BOULEVARDS  DE  L'HOPITAL,  ETC.  7-21 

des  coups  de  couteaux,  il  n'avait  pas  fallu  moins 
de  500  soldais,  cachés  dans  les  salons,  pour  se 
jeter  entre  les  combattants  et  taire  évacuer  le 
champ-de-bataille.  La  contredanse  et  les  montagnes 
russes  ont  fini  par  languir  elles-mêmes  dans  ce 
jardin,  le  plus  beau  des  jardins  publics  :  restaurant, 
café,  bal  y  ont  fait  place  nette  à  divers  établis- 
sements  industriels. 

Heureusement  pourLahire,  dernier  entrepreneur 
des  fêtes  de  la  Chaumière,  il  n'avait  pas  qu'une 
corde  à  son  arc  :  non-seulement  il  vendait  du 
vin  en  gros,  mais  encore  il  tenait  la  caisse  dans 
une  pension  de  demoiselles,  que  sa  belle-sœur 
dirigeait  au  Marais.  Du  pensionnat  au  bal,  jolie 
distance!  Malgré  cela,  il  faut  en  convenir,  la 
•mère  avait  longtemps  pu  amener  sa  fille  à  la 
Chaumière;  les  bals  n'avaient  guère  cessé  d'y  être 
honnêtes  et  à  petit  orchestre  qu'en   1830. 

Benoît,  dont  Lahire  était  le  gendre,  avait  tenu  la 
Chaumière  avant  lui.  Les  montagnes  russes  n'y 
dataient,  il  est  vrai,  que  de  1810;  mais  le  bal  et  le  café 
avaient  été  fondés  en  4788,  comme  Vauxhall  des 
boulevards  du  Midi,  par  un  Anglais  nommé  Tickson, 
qui  avait  pris  ensuite  pour  associés  Ettinghausen 
et  le  traiteur  Filard.  Devenu  chef,  Ettinghausen 
avait  fait  du  jardin  une  réunion  pittoresque  de 
curiosités  rustiques.  Ses  atiaires  avaient  tourné 
de  façon  h  lui  donner  le  traiteur  pour  successeur,  et 
les  enfants  de  Filard  avaient  appliqué  le  nom  de 
Grande-Chaumière  à  ce  jardin  public,  déjJi  fréquenté 
par  les  étudiants  et  les  artistes,  mais  aussi  par 
les  orfèvres  et  les  libraires.  Les  maisons  qui 
faisaient  alors  concurrence  h  la  Grande-Chaumière 
étaient  notamment  les  guinguettes  de  l'Arc-eft- 
Ciel  et  de  la  Polonaise,  établies  sur  le  même 
Cours.  Aussi  bien  des  cafés  où  l'on  faisait  de  la 
musique  n'avaient  pas  attendu  l'ouveiture  du  bal 
de  Tickson  pour  .s'installer  là  et   aux    alentours. 


722    LES   BOULEVARDS   DE  L'HOPITAL,   ETC. 

Dès  la  tin  de  l'aunce  1768,  on  avait  jetë  les 
bases  du  Vauxliall,  qui  devait  être  un  théâtre 
hydraulique,  rcpiôseiilant  en  relief  le  palais  de 
Neptune  dans  le  tond  du  jardin  ;  mais  les  travaux 
avaient  été  interiompus  l'année  suivante,  pour 
ne  reprendre  qu'au  mois  de  juin  1775,  avec 
d'autant  plus  de  célérilé  que  l'exécution  y  simpli- 
fiait le  plan  primiiit  de  l.egrand,  architecte  des 
économats.  Toujours  il  y  a  que  l'ambassadeur  de 
Sardaigne  donnait  de  très-grandes  fêtes  en  ce 
Vauxhall,  du  23  au  25  août  de  la  même  année, 
à  l'occasion  du  mariage  de  la  princesse  Clotilde 
de  France  avec  le  prince  de  Piémont.  Qui  de 
nous  aurait  deviné,  ô  Grande-Chaumière,  ton 
auguste  origine? 

Un  souvenir  plus  ancien  se  rattache  au  n"  25 
dudil  boulevard  du  Mont-Parnasse.  On  peut  avoir 
raison,  dans  le  quartier,  d'y  voir  une  des  anciennes 
résidences  du  grand  Turenne  ;  mais  ce  ne  fut, 
à  nous  en  porter  garant,  que  la  petite-maison 
du  duc  de  Vendôme,  démissionnaire  du  grand- 
prieuré  en  1719,  qui  mourut  huit  années  plus 
tard.  Ce  petit-fils  de  Henri  IV  avait  gagné,  comme 
son  frère  Philippe,  des  batailles  qu'on  regardait 
déjà  comme  perdues  à  l'heure  tardive  où  il  sortait 
de  son  lit.  De  notre  temps,  M.  Lucas,  chimiste, 
est  mort  propriétaire  de  l'immeuble. 

On  dit  aussi  de  la  maison  des  Oiseaux,  h  l'angle 
de  la  rue  de  Sèvres  et  du  boulevard  des  Invalides, 
qu'elle  doit  ce  sobriquet  î»  une  ancienne  volière. 
Toutefois  il  est  plus  constant  que  le  sculpteur 
Pigalle,  propriétaire  de  cette  maison,  fit  peindre 
sur  le  mur  d'une  salle  une  multitude  d'oiseaux, 
dont  le  gazouillement  ne  rivalisait  pas  avec  les 
concerts  du  Vauxhall,  mais  encore  mieux  appri- 
voisés, en  revanche,  que  ceux  qui  pouvaient  abuser 
d'une  cage  mal  fermée  pour  prendre  leur  volée. 
Pigalle  ne  put  se  fixer  que  plus  lard  rue  Pigalle.  La 


LES   BOULEVARDS  DE    L  HOPITAL,  ETC.    723 

maison  des  Oiseaux,  sous  la  Terreur,  renfermait 
des  prisonniers  qui,  par  bonheur,  ne  furent  pas 
traduits  au  tribunal  révolutionnaire.  Maintenant 
on' y  met  au  couvent  un  grand  nombre  de  jeunes 
personnes,  sous  la  direction  des  chanoinesses  de  la 
congrégation  de  Notre-Dame. 

Le  terrain  du  boulevard  des  Invalides  avait  servi 
de  dépôt  aux  eaux  du  faubourg  Saint-Germain, 
trois  ou  quatre  puisards  y  recevant  les  ruisseaux 
de  la  rue  de  Varennes  et  des  rues  parallèles. 
Les  grands  hôtels  qui  se  ti'ouvaient  placés  à 
l'extrémité  desdites  rues,  bordaient  le  nouveau 
Cours  de  magnifiques  jardins,  dans  plusieurs  des- 
quels ont  été  données  des  fêtes  populaires  pendant 
la  Révolution.  Raison  de  plus  pour  q  l'il  y  eût 
peu  de  maisons  et  surtout  peu  d'hôtels  qui  appar- 
tinssent en  propre  au  boulevard  des  Invalides  ; 
aussi  essaya-t-on,  vers  1790,  d'appeler  boulevard 
Plumet  celui  sur  lequel  débouchait  la  rue  du 
même  nom,  présentement  rue  Oudinot.  C'est  alors 
que  Brongniait,  architecte  du  roi  et  de  l'hôtel 
des  Invalides,  ouvrit  sur  des  terrains  dont  il  était 
propriétaire  .u^e  rue  nouvelle,  dans  laquelle 
donnait  aussi  l'hôtel  d'Entragues,  construit  ou 
reconstruit  depuis  six  ans  par  le  même  architecte 
et  longtemps  habité  par  le  prince  de  Masserano 
ou  Masseran,  dont  la  rue  conserve  le  nom.  Ce 
noble  Piémontais  qui,  en  iSOo,  était  ambassadeur 
de  Ferdinand  VII,  roi  d'Espagne,  près  Napoléon  P', 
a  ensuite  accepté  le  titre  de  grand-maîlre-des- 
cérémonies  du  roi  Joseph  Bonaparte,  h  Madrid  : 
mais,  au  lieu  de  remplir  ses  fonctions  nouvelles, 
il  est  resté  boulevard  des  Invalides.  Le  prince  y 
a  eu  pour  successeur  M.  Leclerc,  ancien  homme 
d'afiTaires  des  Rohan,  qui,  nous  dit-on,  a  fait 
bâtir  la  belle  maison  adjacente. 

Il  y  eut  néanmoins  un  hôtel  Richepanse  contigu 
à  l'hôtel  Masserano,    et    tout    nous    amènerait    à 


724    LES  BOULEVARDS   DE   L'HOPITAL,  ETC. 

croire  que  le  général  Richepanse,  s'il  eut  person- 
nellement celte  résidence,  y  suivit  de  près  M.  Cliam- 
blin.  L'architecte  des  Invalides  avait  aussi  lait 
le  plan  d'une  maison  Chamblin,  élevée  sur  le 
boulevard   Plumet  en   1789. 

L'hôtel  que  vous  voyez  en  face,  et  qui  se  con- 
tente aujourd'hui  d'une  porte  sur  la  rue  Oudinot, 
lut  occupé  par  l'un  des  auteurs  du  Gode,  le 
comte  Abrial,  bon  sénateur,  mais  pair-de-France 
meilleur,  dont  la  bru  ou  la  petite-bru  est  encore 
propriétaire. 

Plus  modestement  le  39  compte  parmi  ses 
locataires  la  tille  'de  Leierrier,  marbrier  de  Louis 
XVI,  qui  a  fait  construire  la  maison  en  1791.  Le 
premier  propriétaire  du  13  avait  été  un  autre 
marbrier,  plus  d'un  demi-siècle  auparavant.  Enfin, 
quelle  fut  en  ce  quartier  la  résidence  du  fameux  natu- 
raliste Adanson  ?  Elle  fait  place  depuis  peu  ù  l'hôtel 
de  M.  de  Vertillac,   qui  répond  au  chiffre  35. 


Rue  du  Mont-Parnasse.  (i) 


Un  poëte  romantique  piteusement  effacé,  qui 
habite  le  n"  11  de  cette  rue,  est  devenu  le  dis- 
pensateur, aussi  infatigable  que  fatigant,  d'une 
critique  entièrement  dépourvue  de  caractère;  il 
n'a  jamais  été  croyant  et  il  ne  sera  jamais  penseur, 
bien  qu'en  sacristain  qui  raisonne,  il  sache, 
convenons-en,  donner  de  l'eau  bénite  et  convertir 
son  goupillon  immédiatement  en  férule.  Quelque 
mérite  qu'il  reconnaisse  à  un  personnage  qui  ne 
vit  plus,  une  tache  de  bave  envieuse  ne  manque 
jamais  de  faire  contrepartie  à  l'éloge,  parce  qu'il 
est  gratuit.  S'agit-il,  par  exemple,  de  flatter 
quelqu'un  d'influent,  le  flagorneur  y  met  une 
impudence  aussi  peu  commune  que  peu  désinté- 
ressée. Chaque  fois  il  atteint  son  but,  en  chan 
géant  d'amis  politiques  ;  mais  il  n'entend  pas 
différemment  l'indépendance.  Comme  les  honnêtes 
gens  s'en  formalisent,  il  fait  de  temps  en  temps 
un  retour  sur  lui-même  et  s'encanaille  alors  d'une 
popularité  de  mauvais  aloi,  par  des  encourage- 
ments donnés  avec  amour  à  l'auteur  d'un  livre 
immoral  ou  d'une  bravade  anti-religieuse.  Tel 
est  le  bonhomme  Sainte-Beuve,  qu'on  a  pu  prendre 
en  sa  première  manière  pour  un  voluptueux, 
mais  impuissant,  et  qui  n'est  plus  qu'un  raison- 
neur inconséquent  :  s'il  y  avait  encore  deux  écoles 
en  littérature,  elles  se  mettraient  d'accord  pour 
le  siffler. 

Si  Sainte-Beuve  n'est  plus  légitimiste,    l'un    de 
ses  voisins,    M.    Ducoux,    n'a-t-il    pas    dans    un 


(1)  Notice   écrite   en  1864. 


726  RUE  DU  MONT-PARNASSE. 

autre  sens  changé,  d'idées?  Il  était  purement 
démocrate  et  républicain  à  faire  peur  ;  le  voilà 
toutefois  qui  exerce,  comme  fondateur  et  chef 
de  la  compagnie  des  voitures  de  place  et  de 
remise,  un  monopole  sans  pareil,  en  se  moquant 
pas  mal  de  la  seule  liberté  connue  en  industrie, 
la  conçu:  rence!  La  charmante  habitation  de  M. 
Ducoux,  n"  23,  doit  l'ancien  surnom  d'hôtel  des 
Cariatides  à  deux  façades,  que  décorent  princi- 
palement deux  cariatides  élevées  sur  leurs  piédes- 
taux et  portant  un  entablement  dorique.  Les  croisées 
du  premier  étage  sont  ornées  de  chambranles  et 
de  corniches  ;  un  fronton  surmonté  d'un  bas- 
relief  règne  sur  celle  du  milieu.  M.  Parker  y 
succédait,  sous  le  premier  empire,  à  un  notaire, 
M.  Pierron;  mais  le  premier  occupant  avait  été 
Benjamin  Calau,  peintre  de  la  cour  de  Prusse, 
lequel  fit  de  bons  portraits,  retrouva  la  cire 
punique  et  mourut  h  Berlin  un  peu  plus  que 
sexagénaire  en  178S.  Poyet  n'avait  donné  que 
dix  ans  plus  tôt  le  plan  de  la  maison.  L'ouverture 
de  la  rue  avait  été  autorisée  vers  le  même  temps, 
h  la  requête  et  aux  frais  de  Roussel,  curé  de 
Vaugirard,  représenté  par  Morel,  avec  qui  il  avait 
traité;  le  prolongement  de  celte  rue  au  delà  du 
boulevard  Mont-Parnasse  n'eut  lieu,  d'après 
MM.  Lazare,  que  vers  1786,  sur  des  terrains  échus 
à  l'Hôtel-Dieu  ou  à  l'Hôpital-général,  mais  ayant 
dépendu  de  la  ferme   du  Grand-Pressoir. 

Le  bouquet  de  la  fin  des  travaux  ne  fut  pas 
plus  tôt  mis  et  arrosé  à  l'hôtel  des  Cariatides,  que 
le  comte  d'Orliane  fit  jeter,  presque  en  face,  les 
fondements  de  l'hôtel  du  Silène,  qu'il  avait  dessiné 
lui-même  et  que  lui-même  il  occupa.  L'invocation 
du  nourricier  de  Bacchus  était  justifiée  par  une 
statue  et  par  des  bas-reliefs.  Le  sénateur  et 
comte  de  l'Empire  Dubois-Dubais,  qui  avait  siégé 
à  la  Convention,  fut  un  des  successeurs  du  comte 


RUE  DU  MCNT-PARNASSE.  727 

d'Oiiiane,  on  cet  hôtel,  ainsi  qu'un  des  prédé- 
cesseurs de  la  maïquise  Christine  Tridulzi,  prin- 
cesse de  Belgiojoso,  qui  voyage,  qui  écrit,  qui 
fait  de  h\  politique.  Le  collège  Stanislas,  pour 
s'agrandir,  a  depuis  peu  d'années  acquis  de  la 
princesse  l'ancieime  maison  du  Silène,  qui  en 
lonnait  deux  pour  le  nioijis,  tant  sur  la  rue  que 
sur  le  boulevard.  Un  portique  à  quatre  colonnes 
y  distingue  le  principal  corps-de-bàtiment,  celui 
qu'habita  l'architecte. 


Rue  Grég;oirc-iDe-iTours.  (ij 


Raoul  d'Aubusson  avait  acquis,  en  l'an  1254, 
de  l'abbé  de  Saint-Germain-des-Prés,  moyennant 
40  sols  parisis  de  rente,  un  terrain  sis  sur  un 
cliemin  qui,  à  la  fin  du  siècle  suivant,  tirait  encore 
sa  dénomination  d'une  propriété,  la  Folie-Reinier. 
Des  bouchers  survenant  firent  dire  :  rue  de  l'Es- 
corcherie.  On  sait  que  les  règnes  de  Charles  V 
et  de  Charles  VI  se  ressentirent  vivement  de  la 
turbulence  d'une  communauté  de  bourgeois,  prin- 
cipalement composée  de  bouchers,  qui  eut  pour 
chef  Caboche,  un  écorcheur  de  bêtes,  et  qui, 
lors  des  factions  entre  le  duc  d'Orléans  et  le 
duc  de  Bourgogne,  se  déclara  pour  ce  dernier, 
en  commettant  les  plus  alTreux  désordres  :  à  ces 
causes  la  rue  de  l'Escorcherie  passa  rue  des 
Mauvais-Garçons.  Une  rue  de  Craon  prenait  le 
même  nom  le  jour  où  Pierre  de  Craon,  qui  y 
demeurait,  assassina  Olivier  de  Glisson,  conné- 
table de  France;  mais  elle  était  située  entre  les 
rues  de  la  Tixéranderie  et  de  la  Verrerie,  c'est- 
à-dire  dans  la  ville,  et  l'ancienne  rue  de  l'Escor- 
cheiie  ne  se  trouvait  alors  qu'à  Saint-Germain, 
qui  n'était  pas  encore  faubourg  intérieur  de  Paris. 
Une  ordonnance  royale,  en  1846,  fit  de  celle-ci 
la  rue  Grégoire-de-Tours.  Quant  à  celle  du  Cœur- 
Volant,  qui  la  continuait  depuis  la  rue  des  Boucheries 
(maintenant  de  l'École-de-Médecine)  jusqu'à  la  rue 
des  Quatre- Vents,  elle  s'est  appelée  ruelle  de  la 
Tuerie,  de  la  Boucherie  et  de    la   Voirie    avant 


(1)  Notice  écrite    en  IHJI. 


RUE    GREGOIRE-DE-TOURS.  729 

le  x\T  siècle,    et    elle    n'a    été    absorbée    qu'en 
1851  par  la  rue  Grégoire-de-Tours. 

La  plaque  municipale  n'honore  ici  qu'un  historien, 
et  peu  importe  qu'il  ait  été  évêque  ou  capitaine  ; 
néanmoins  on  dirait  qu'une  révolution  vient  de 
passer  par-là,  pour  y  gratter  ce  qui  manquait, 
en  1793,  à  la  rue  Honoré  et  à  la  rue  Antoine. 
Mieux  ne  valait-il  pas  laisser  une  inscription  qui 
rappelait  publiquement  les  nombreuses  boucheries 
que  ces  parages  n'ont  pas  gardées  moins  de 
cinq-cents  ans  ?  Dans  la  rue  des  Mauvais-Garçons 
il  y  aurait  plus  de  filles  que  de  garçons,  et  l'en- 
seigne du  Cœur-Volant  y  conviendrait  surtout  à 
deux  ou  trois  maisonsj  par  la  même  raison  sans 
doute  qui  la  fit  jadis  adopter  dans  la  rue  dont  on 
a  modifié  plus  récemment  l'estampille  indicative. 

On  retrouve  au  n°  6  un  Sauvage  sculpté.  Une 
autre  enseigne,  mais  en  saillie,  c'est-à-di)'e  au 
nombre  de  celles  que  M.  de  Sartines  a  supprimées 
par  ordonnance  de  police  du  17  septembre  1761, 
représentait,  à  l'un  des  angles  de  la  rue  du  Cœur- 
Volant,  une  Devantière.  On  nomme  ainsi  une 
jupe  que  mettent  les  femmes  pour  monter  à 
califourchon  sur  un  bidet.  La  nommée  Pigault 
abritait  sous  ce  pudique  pavillon  la  fabrication 
clandestine  des  vestes  dites  de  petiis-soupers, 
qui,  l'habit  une  fois  dégrafé,  montraient  des  peintures 
licencieuses.  Le  sieur  Passavant,  limonadier,  dis- 
posait de  la  Justice-Royale,  à  l'entrée  de  la  rue 
des  Mauvais-Garçons,  où  le  prêtre  J.-B.  Passavant 
avait  eu  pour  prédécesseurs  Philippe,  bourgeois 
de  Paris,  et  sa  famille. 

Presque  en  face  de  cette  maison  se  trouvait 
établi,  rue  de  Buci,  Landelle,  cabaretier  en  répu- 
tation, bien  que  tailleur  de  son  état.  Crébillon 
et  Gresset,  en  sortant  de  chez  Landelle,  pouvaient 
se  rendre  à  la  Comédie- Française  par  la  rue 
des  Mauvais-Garçons,  où    un    passage    conduisait 

40 


730  RUE    GREGOIRE-DE-TOURS. 

h  leurs  loges  les  comédiens  ordinaires  du  roi. 
Un  coi'ps-de-garde  de  pompiers  veillait  sagement 
au  seuil  de  ce  passage.  Gomme  ladite  salle-de- 
spectacle  menaçait  ruine,  les  comédiens  l'aban- 
donnèrent en  1770,  pour  occuper  le  théâtre  des 
Tuileries, 

Le  comédien  Bellecour,  né  Golson,  logea  près 
de  Ik;  mais  ce  n'était  sans  doute  pas  à  l'époque 
où  il  jouait  lui-même  le  rôle  de  Mondor  dans 
ses  amours,  en  puisant,  par  la  main  de  sa  femme, 
surnommée  Gogo,  dans  le  coffre-fort  du  fermier- 
général  d'Augny.  Le  mari  et  la  femme  étaient 
de  la  Gomédie-Française,  ainsi  que  M"^  Vadé, 
qui  ne  se  montra  pas  insensible  h  l'amoiif  dii 
son  camarade,  mais  qui  trouva  moyen  de  le 
tromper  encore  plus  que  M™e  Bellecour.  Il  acheta 
pour  sa  maîtresse,  •  qui  était  la  tille  du  poète 
burlesque  Vadé,  une  maison,  à  la  barrière  Blanche, 
dont  elle  le  chassa,  sitôt  que  la  quittance  fut  en 
règle,  et  il  en  mourut  de  chagrin. 

Dans  la  rue  où  donnait  par-derrière  le  théâtre 
qui  ne  jouait  plus,  un  jeu  de  paume  était  encore 
tenu  par  François    Farolet,  paulmier  du  roi. 


Rue    de     Pentliièvre.  (i) 


M"^  Galenaire  se  donnait,  au  milieu  du  siècle 
dernier,  comme  héritière  des  secrets,  ou  comme 
ayant  retrouvé  les  recettes  perdues  des  courtisanes 
peuplant  le  Céramique  d'Athènes,  qui  avaient 
vendu  chei'  des  philtres  pour  raviver  les  sens 
épuisés  par  le  libertinage,  ainsi  que  des  breuvages 
narcotiques  pour  endormir  la  surveillance  jalouse, 
et  elle  faisait,  sous  le  manteau,  absolument  le 
même  commerce,  dans  une  maisonnette  solitaire 
de  la  rue  du  Chemin-Vert,  qui  succédait  au 
chemin  des  Marais.  Cette  Gircé  mystérieuse  ne 
descendait-elle  pas  en  droite  ligne  de  Gaténaria, 
inventeur  de  la  seringue?  Le  même  nom  paraît 
s'être  francisé  pour  s'attacher  moins  indiscrète- 
ment ù  une  spécialité  qui  louchait  de  près,  si 
l'on  veut,  à  celle  de  l'aïeul.  La  gloire,  hélas! 
est  comme  la  fortune,  qui  souvent  ne  tient  qu'à 
un  lil  !  Cette  Caténaire  serait  devenue  riche  sans 
un  éclat  fortuit  qui  la  brouilla  trop  tôt  avec  la 
médecine  et  avec  la  justice.  La  femme  du  fermier 
des  Postes,  M"^*^  Thiroux  de  Montsauge,  qui  lui 
avait  acheté  du  narcotique,  fut  surprise  par  sou 
mari  au  moment  où  elle  en  versait  dans  un 
bouillon  qu'il  allait  prendre  ;  les  aveux  complets 
de  sa  femme  en  provoquèrent  de  M.  de  Montsauge, 
à  qui  la  même  pourvoyeuse  venait  de  fournir  de 
l'eau  aphrodisiaque,  et  comme  cette  coïncidence 
d'ettéts  contraires  pouvait  mettre  sa  vie  en  péril, 
il  envoya  directement  les  deux  fioles  au    procu- 


(1)  Notice  écrite  en  1864. 


732  RUE   DE  PENTHIEVRE. 

reur  du  roi,  qui  eu  fil  analyser  le  contenu  par 
un  doct€ur-régent  de  la  Faculté!  On  n'y  "trouva 
aucune  trace  de  poison  ;  mais  on  acquit  formel- 
lement la  preuve  "que  la  Caténaire  se  moquait  du 
monde,  en  aromatisant  tantôt  du  lait  et  tantôt 
du  vinaigre,  pour  vendre  un  louis  ce  qui  valait 
six  liards. 

La  nréme  rue  du  Chemin- Vert  devenait  ensuite 
rue  Bergère,  puis  rue  Verte  et  Grande-Rue-Verte 
sous  Louis  XVL  L'hôtel  de  Ray,  ouvrant  rue  du 
Fauhourg-Saint-Honoré,  s'étendait  à  la  fois  sur 
la  Grande-Rue-Verte  et  sur  la  Petite,  appendice 
aujourd'hui  de  celle  de  Matignon.  La  baronnie 
de  Ray,  en  Bourgogne,  fut  dans  la  maison  tJe 
Mérode,  et  nous  croyons  que  l'hôtel  appartint  h 
Marie-Thérèse-Apolline  de  Mérode,  baronne  de 
Ray,  femme  ou  veuve  du  comte  de  Cosvaren-Loos. 
Néanmoins  le  marquis  de  Ray  était  propriétaire 
en  1780,  et  il  avait  le  sieur  David  pour  voisin, 
dans  la  rue  qui  nous  occupe  ;  MM.  Crosnier, 
Sandrier  de  Jouy  et  Matheron  avaient  trois  maisons 
sur  l'autre  ligne.  Tout  dernièrement,  en  juin 
1864,  on  mettait  à  découvert  des  peintures  murales 
de  jardin,  qu'avaient  faites  h  l'hôtel  de  Ray  le 
peintre  allemand  Nebel,  et  déjà  de  nouvelles 
bâtisses  cachent  pour  jamais  les  pavillons,  les 
arbres  qu'elles  représentaient  si  bien  ! 

Le  génie  militaire  avait  dessiné  en  même  temps 
le  plan  de  la  caserne  que  trois  compagnies  de 
gardes-françaises  occupaient  dans  la    même   rue. 

On  y  remarquait  aussi  un  hôtel  de  Bachmann, 
pour  lequel  il  ne  faut  pas  prendre  le  n"  22,  qui 
date  seulement  de  l'une  des  dernières  années  du 
premier  empire.  Nous  pensons  que  les  n"'  2,  4 
et  6  remplacent  la  maison  de  qualité  dont  nous 
évoquons  le  souvenir.  Le  baron  Bachmann-Ander- 
letz,   Suisse  au  service  de  la  France  depuis  l'âge 


RUE  DE  PENTHIEVRE.  733 

de  19  ai)s,  émigra  après  la  journée  du  10  Août, 
pour  aller  servir  en  Sardaigne,  cl  ce  vieux  générai 
ne  cessa  de  vivre  qu'en   l'année  1831. 

Une  inscription  rappelle  de  haut  que  le  n"  26 
lut  le  séjour  de  l'illustre  Franklin.  I^ucieu  Bona- 
parte habita  aussi  la  rue,  avant  le  18  Brumaire. 

Elle  a  reçu,  en  1846,  la  dénomination  de  rue 
de  Penthièvre,  qu'elle  a  reprise  en  1852,  après 
un  retour  de  quatre  ans  à  la  dénomination  de 
Grande-Rue-Verte. 


FiX    DU    TOME    QUATRIÈME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 
contenues  dans  le  tome  <|uatrièine«    (i) 


Pages. 


Rue  Childeberl. 

5 

Rue  des  Ciseaux. 

7 

Rue  de  la  Clef. 

9 

Rue  des  Sept-Voies. 

17 

Rue  du  Jour. 

31 

Rue  Laffîtle. 

36 

Rue  ïailbout. 

43 

Rue  el  quai  des  Grands-Augustins,  rues  Gît- 

le-Cœur  et  de  l'Hirondelle. 

49 

Rue  du   Cloître-Notre-Dame. 

58 

Rue  de  la  Colombe. 

65 

Place    Gerson,    naguère  du  Collége-Louls-le- 

Grand. 

67 

Galerie  Colbert. 

69 

Rue  Colbert. 

72 

Roulevard  Saint-Marcel,  en  ce  qui  s'en  appe- 

lait naguère  place  de  la  Collégiale. 

77 

(1)  Une   tabla  par  ordre  alphabétique  vient  après  celle- 
ci.   Voir  Ja  Table  Générale  à  la  fin  du   dernier    volume. 


—  735  — 

Pages. 

Rue  Thouin,  en  ce  qui  s'en  appelait  naguère 
de  Fourcy-Saint-Jacques,  et  rue  de  Fourcy, 
naguère  de  Fourcy-Sainl-Antoine.  80 

Rue  de  Grenelle-Saint-Germain.  83 

Quai  de  la  Mégisserie.  94 

Place  des  Victoires.  99 

Rue  Notre-Dame-des-Victoires  et  rue  Paul- 
Lelong,  en  ce  qui  s'en  appelait  naguère 
Saint-Pierre-Montmartrc.  108 

Rue  Louis-le-Grand.  114 

Rue  de  Varenne.  120 

Rue  de  Béarn,  naguère  de  la  Cliaussée-des- 

Minimes.  131 

Rue  des  Petites-Écuries.  133 

Rue  du  Sentier.  136 

Rue  des  Colonnes.  139 

Rue  du  Colisée.  142 

Les  cours  du  Commerce  et  de  Rouen.  147 

Rue  du  Chaume.  150 

Rue  de  la  Chaussée-d'Antin.  156 

Rue  du  Cherche-Midi.  177 

Rue  Saint-Paul    et  rue    Charles    V,    naguère 

Neuve-Saint-Paul.  186 

Rue  de  Harîay-au-Warais.  194 

Rue  Saint-Sébaslien.  195 

Rue  Sainte-Croix-de-la-Rretonnerie.  197 

Rue  des  Lombards.  203 

Rue  Saint-Gilles.  208 

Les  deux  rues  Saint-Claude,  dont  l'une  est 
maintenant  Chénier,   et  les   deux  impasses 


—  136  — 

Pages . 

Saint-Claude,  dont  l'une  est  maintenant  Saint- 
Sauveur.  212 
Rue  Soly.  217 
Rue  Pagevin.  *  219 
Rue  de  la  Vrillière.  221 
Rue  de  Cléry.  224 
Rue  de  Clicliy.  231 
Rue  Cloche-Perce.  238 
Rues  du  Cloître-Saint-Merri  et  des  Juges- 
Consuls.  241 
Rue  Clopin.  246 
.Rue  du  Clos-Bruneau.  248 
Rue  du  Clos-Georgeau.  251 
Rue  Clovis.  253 
Rue  Victor-Cousin,  naguère  de  Cluni.  257 
Rue  Cocatrix.  261 
Rue.  Honoré-Chevalier.  263 
Rue  Notre-Dame-des-Champs.  265 
Rue  de  Monsieur.  269 
Rue  Royale-Saint-Honoré.  271 
Rue  Rousselet.  274 
Rue  Joubert.  275 
Rue  de  la  Grange-Batelière.  278 
Rue  Popincourt  cl  rue  Folie-Méricourt,  en  ce 

qui  s'en  appelait  naguère  Popincourt.  281 
Rue  Turenne,  naguère  Sainl-Louis-au-Marais.     287 

Rue  de  Miroménil.  297 

Rue  Saint-Fiacre.  299 

Rue  Poissonnière.  302 

Rue  de  la  Lune.  305 

Rue  du  Petit-Carreau.  308 


—  737  — 

Pages. 

Rue  Thëvenol.  312 
Rues  de  Viarme,   Mercier,    de    Sartines,    de 
Vannes,  Oblin,  et  rue  Sauvai,  en  ce  qui  s'en 

appelait  naguère  Devarenne.  314 

Rue  de  la  Verrerie.  318 

Rue  de  la  Jussienne.  325 

Rue  Saint-Sauveur.  328 

Quai  de  la  Tournelle.  333 

Rue  Saint-Louis,  naguère  Saint-Louis-eu-L'île.  342 

Rues  Michel-Ie-Comte  et   Grenier-St-Lazare.  353 

Rue  Montmorency.  357 

Rue  Richer.  364 

Rue  Coquillière.  367 
Boulevard  Contrescarpe,  rue  Mazet,    naguère 
Contrescarpe-Dauplîine,    et   rue    Blainville, 

naguère  Contrescarpe-Saint-Marcel.  374 

Rue  de  Courcelles.  381 

Rue  des  Coutures-Saint-Gervais.  389 

Rue  du  Croissant.  394 

Rue  Croix-des-Petits-Cliamps.  401 

Rue  de  Lille  et  quai  d'Orsay.  410 

Rue  de  Verneuil.  420 

Rue  Saint-André-deS'Arts.  424 
Rue  Séguier,  naguère  Pavée-Saint-André,    et 

rue  Pavée,  naguère  Pavée-au-Marais.  430 

Rue  du  Parc-Royal.  439 

Place  Royale.  443 

(i) 


(1)  Une  erreur  de  pagination  laisse  une  Jacuue  de 
100  pages  dans  le  numérotage  de  ce  volume,  où  ia  page 
551   suit  indûment   celle   450. 


--   738  - 

Pages. 

Rue  Corvisart,  naguère  du  Champ-de-l'Alouette.  551 

Avenue  des    Champs-Elysées.  553 
Rue  Boissy-d'Anglas,  en  ce    qui  s'en  appelait 

naguère    rue  des  Champs-Elysées.  558 
Rue    des    Charbonniers    et    rue    Berthollet, 

naguère  des  Charbonniers-Saint-Marcel.  563 

Rue  de  Charenton.  566 
Rue  Charlemagne  et  rue  Éginhard,    naguère 

Neuve-Saint-Anastase.  572 

Rue  Chariot.                                          •  577 

Rue  Clianoinesse.  589 

Rue  des  Chantres.  594 

Rue  Cîiapon.  596 

Rue  Chartière.  601 

Rue  de  Charonne.  604 

Rue  Chauchat.  613 

Rues  Chàteau-Landon  el   Chaudron.  617 

Rue  Picpus.  619 
Rue  de  Reuilly  et  rue  Érard,  naguère  Petite- 

rue-de-Reuilly.  623 
Rue  Portalès,  naguère  Sainte-Barbe,  et  rue  Ville- 
neuve, naguère  Saint-Étienne-Bonne-Nouvelle.  628 
Rue  Marie-St^uard.  630 
Rue  Saint-Joseph.  632 
Rue  Saint-Marc.  634 
Rue  des  Anglaises.  638 
Rue  Blondel,  naguère  Neuve-Sainl-Denis.  639 
Rue  des  Gravilliers.  641 
Rue  du  Poirier.  644 
Rue  du  Renard,  en  ce  qui  s'en  appelait  naguère 
du  Renard-Saint-Merri,  et  rue  Grenéta,  en  ce 


-  739  — 

Pages. 

qui  s'en  appelait  naguère  du  Renard-Saint- 
Sauveur.  *  646 
Rue  et  place  Sainte-Opportune.  650 
Rue  de  l'Aiguillerie.  654 
Rue  de  la  Huchette.  657 
Rue  Galande.  662 
Rue  Drouot.  669 
Rue  des  Noyers.  679 
Rues  des  Deux-Portes.  681 
Rue  du  Petit-Pont.  685 
Rue   Amyot,    naguère  du   Puitsqui-parle,  et 

rue  Laromiguière,  naguère  dçs  Poules.  686 

Rues  Dupuylren  et  Antoine-Dubois.  688 
Rue    Debelleyme,    en    ce   qui    s'en  appelait 
naguère  de  l'Échaudé-au-Marais,  rue  de  la 

Douane  et  rue  de  l'Échaudé.  691 

Rue  de  l'Échiquier.  694 
Place  de  l'École  et  quai  du  Louvre,  naguère 

de  l'École.  701 
Le  boulevard  de  l'Hôpital,  le  boulevard  d'Italie, 
naguère  des    Gobelins,  d'Italie   et  autres  ; 
les  boulevards  Saint-Jacques,  d'Enfer,  Mont- 
Parnasse  et  des  Invalides.  707 
Rue  du  Mont-Parnasse.  725 
Rue  Grégoire-de-Tours.  728 
Rue  de  Penthièvre.  731 
Table  des  matières  contenues  dans  le  tome 

quatrième.  734 

Id.  par  ordre  alphabétique.  740 


(ilablc   par    ox^xt   alpljcxbétiquc 

pour    le  même    tome. 


Pages. 

Aiguillerie   (rue  de  V)  054 

Amyot.    (rue)  686 

AnÊîliises    (rue  des)  638 

Antoine-Dubois,  (rue)  688 

Béarn.    (rue    de)  131 

BerthoUet.    (rue)  563 

Blainville    (rue)  '                                               374 

Blondel.   (rue)  639 

Boissy-d'Ànglas.   (rue)  558 

Chanoinesse.   (rue)  589 

Chantres,   (rue  des)  594 

Champs-Elysées     (avenue    des)  553 

Champs-Elysées,  (rue  des)  558 

Charap-de-1'Alouette.     (rue  du)                                          551 

Chapon,    (rue)  596 

Charbonniers,  (rue    des)  563 

Charbonniers-Saiut-Marcel.  (rue    des)                               5^3 

Charenton.    (rue    de)  566 

Charlemagne.  (rue)  572 

Charles  V.   (rue)  186 

Chariot,   (rue)  577 

Charonne.  (rue    de)  '                                604 

Chartière.  (rue)  60] 

Chàleau-Landon.  (rue)  6l7 

Chauchat.  (rue)  6I3 

Chaudron,  (rue)  6I7 

Chaume,  (rue   du)  150 

Chaussée-d'Anti.n.  (rue   de  la)                                             156 

Chaussée-des-Miuimes.  (rue     de   la)  131 

Chénier.    (rue)  iil2 

Cherche-Midi,   (rue  du)  177 

Childebert.  (rue)  5 

Ciseaux,   (rue   des)  7 

Clef,  (rue  de  la)  9 

Clichy.  (rue  de)  231 

Cléry.   (rue    de)  224 

Cloche-Perce,  (rue)  238 

Cloître-Notrc-Danie.  (rue   du)  58 

Cloître-Saint  Merri.  (rue   du)  241 

Ciopin.   (rue)  246 


—  741  — 

Pages . 

Clos-Bruneau.  (rue  du)  248 

Clos-Georgeau.  (rue   du)  251 

Clovis.   (ruel  253 

C'.uni.    (rue   de)  257 

Cocatrix.    (rue)  2G1 

Colberl    (galerie)  (!9 

Colbert.    (rue)  72 

Collége-Loiiis-le-Grand.  (place  du)  (i7 

Collégiale,  (place   de  la)  77 

Colombe,  (rue    de   la)  C5 

Colisée.    (rue    du)  142 

Colonnes,    (rue    des)  1^9 

Commerce,  (cour  du)  147 

Contrescarpe,  (boulevard)  374 

Coutrescarpe-Dauphine.   (rue)  id. 

Contrescarpe-Saint-Marcel,  (rue)  id. 

Coquillière.   (rue)  367 

Corvisart.    (rue)  551 

Courcelles.   (rue   de)  381 

Coutures-Saint-Gervais.    (rue   des)  389 

Croissant,    (rue    du)  394 

Ctoix-des-Petits-Champs.   (lue)  401 

Debelleyme.   (rue)  691 

Deux  Portes,  (rue  des)  681 

Devarenne.    (rue)  314 

Douane,   (rue    de  la)  691 

Drouot.  (rue)  669 

Dupuytren.    (rue)  688 

Echaudé.    (rue   de    I')  69l 

Echaudé-au-Marais.  (rue  de  1')  id. 

Echiquier,  (rue   de    1')  694 

Ecole,    (place   et  quai   de  1')  701 

Eginhard.    (rue)  572 

Enfer,  (boulevard  d")  707 

Erard.   (rue)  623 

Folie-Méricourl,  (rue)  281 

Fourcy-Sainl-Autoine.   (rue   de)  e^O 

Fourcy-Saint-Jacques.     (rue   de)  id. 

Fourcy.    (rue  de)  id. 

Galande.  (rue)  662 

Gerson.    (place)  67 

Gît-le-Cœur.  (rue)  49 

Gobelins.  (boulevard    des)  707 

Grands-Augustins.  (rue  et    quai  des)  49 

Grange-Batelière,  (rue  de   la)  278 

Gravilliers.   (rue  des)  641 

Grégoire-de-Tours.   (rue)  728 


—  742  — 

Pa^es. 

Grenelle-Saini  Germain,   (rue  de)  83 

Grenela,  (rue)  646 

Greaier-Saint-Lazare.   (rue)  353 

Harlay-au-Marais.   (rue    de)  194 

Hirondelle,   (rue  de   1')  49 

Honoré-Chevalier,  (rue)  263 

Hôpital,  (boulevard    de  1')  707 

Huchette.  (rue   de   la)  ft57 

Invalides,    (boulevard    des)  707 

Italie,   (boulevard   d')  -id. 

Joubert    (rue)  275 

Jour,   (rue   du)  31 

Juges-Cousuls.  (rue   des)  241 

Jussienne.    (rue   de   la)  325 

Laffitte.   (rue)  86 

Laromiguière     (rue)  686 

Lille,  (rue  de)  410 

Lombards,  (rue   des)      v  203 

Louis-ie-Grand.  (rue)  U4 

Louvre,  (quai  du)                                           •  701 

Lune,   (rue  de  la)                                 •  305 

Mane-Stuard.   (rue)  630 

Mazet.   (tue)  374 

^Mégisserie     (quai    de    la)  9* 

Mercier,    (rue)  314 

Michel-le- Comte,    (rue)  353 

Miroménil.   (rue   de)  297 

Monsieur,   (rue   de)  269 

Montmorency,   (rue)  357 

Mont-Parnasse,  (boulevard)  707 

Mont-Parnasse,    (rue    du)  725 

Neuve-Saint-Anastase.  (rue)  572 

Neuve-Siini-Denis.    (rue)  639 

Neuve-Sainl-Paul.   (rue)  1»G 

Notre  Dame-desChamps.  (rue)  265 

Notre-Dame-des-Vicloires.    (rue)  lOS 

Noyers,  (rue   des)  ♦>79 

Oblin.  (ruej  314 

Orsay,   (quai  d")  410 

Pagevm.   (rue;  219 

Parc-Royal,   (rue  de)  439 

PaulLelong,    (rue)  108 

Pavée,    (rue)  4S0 

Pavée-Saini- André.  (lue)  id. 

Pavée-au-Marais.    (rue)  id. 

Peuthièvre.   (rue  de)  731 

Petites-Ecuries,  (rue  des)  133 


—  743  — 

Pages. 

Petit-Carreau.    (lue    du)  308 

Petit-Pont,   (rue   du)  tJ85 

Picpus.   (rue)  619 

Poirier,   (rue   du)  644 

Poissonnière  (rue)  302 

Popincourt.  (rue)  Î8l 

Porlalès.    (rue)  G-28 

Poules,  (rue   des)  686 

Puits-qui-parle.  (rue   du)  id. 

Renard    (rue  du)  646 

Renard-Saini-Merri.   (rue  du)  id. 

Renard-Saint- Sauveur,   (rue  du)  id. 

Reuilly.    (rue   de;  623 
Reuilly.  (Petite-ruc-de)                                                      '  id: 

Richer.  (rue)  364 

Rouen,  (cour    de)  147 

Rousselet.  (rue)  274 

Royale,   (place)  443 

Royale-Saint-Honoré.  iriie)  271 

Saint-André-des-Arts.    (rue)  434 

Sainte-Barbe,  (rue)  628 

Saint-Claude,   (rues)  212 

Saint-Claude,   (impasses)  212 

Sainte7Croix-de-la-Bretonnerie.  (rue)  197 

Saint-Elienne-Bonne-Noureile.   (rue)  628 

Saint- J'iacre.   (rue)  290 

Saint-Gilles,  (rue)  208 

Saint-Jacques,   (boulevard)  707 

Saint-Joseph,    (rue)  6H2 

Saiut-L,ouis-au-Marais.     (rue)  287 

Saim-Louis.  (rue)  342 

Saint-Louis-en-l'Ile.   (rue)  ^<^« 

Saint-Marc,  (rue)  634 

Saint-Marcel,   (boulevard)  77 

Sainte-Opportune,   (rue  et   place)  650 

Saint-Paul,    (rue)  186 

Saint-Pierre-Montmartre.    (rue)  108 

Saiut-Sauveur.    (impasse)  212 

Saint-Sauveur,  (rue)  328 

Saint-Sébastien,    (rue)  195 

Sartines.    (rue    de)  3l4 

Sauvai,  (rue)  'id. 

Séguier,  (rue)  430 

Sentier,  (rue  du)  130 

Sept- Voies,   (rue    des)  17 

Soly.  (rue)  217 

Taitbout.   (rue)  43 


—  744  — 

Pages. 

Thévenot.  (rue)  312 
Thouin.   (rue)                                                                        '        80 

Tournelle.    (quai   de   la)  333 

Turenne.  (rue)  287 

Vannes,    (rue   de)  314 

Varennes.  (rue   de)  120 

Verneuil.    (rue   de)  420 

Verrerie,   (rue   de   Ja)  318 

Viarrae.    (rue  de)  314 

Victoires,    (place   des)                                    •  99 

Victor-Cousin,   (rue)  257 

VilleneuYe.    (rue)  628 

Vrillière.   (rue   de   la)  221 


Fin   des  tables  du  tomb  quatrième. 


I 


UNIVERSrTY  OF  CALIFORNIA  LIBRARY 

Los  Angeles 

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APR  041987 


RENEWALS 


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