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^^^m^
ANCIEN
THÉÂTRE FRANÇOIS
Parif . Imprifflerû Gvirandet , 538, rue S.*Hoiioré.
ANCIEN
THÉÂTRE FRANÇOIS
CoUeclion des ouvrages dramatiques
Lei plu raiDIF^uiblel
H. VIOLLET LE DUC
A PARIS
Chez P. Jannbt, Libraire
ANCIEN
THEATRE FRANÇOIS
MORALITÉ NOUVELLE
DIS
ENFANS DE MAINTENANT
Qui sont des escoliers ée Jabiea , qui lear monstre à jouer
aux cartes et aux des et entretenk luxures . dont l'nng
▼ient à Honte, et de bonté & Désespoir, et de Des-
espoir au gibet de Perdition, et Taultre
se conyertist à bien lUre.
Et est à tréze personnages, c'est assai^oir
LE FOL
MAINTENANT
MIGNOTTE
BON ADVIS
INSTRUCTION
F I N E T, premiar enfuit
M A L D U r G T. second: enfiiat
DISCIPLINE
JABIEN
LUXURE
HONTE
desespoir
perdition:
Le Fol commence.
aix là, paix U, paix là, paix,
[paix,
Qu'il n'y ait homme qui mot
[sonne
Pour tant que ne fiistes jamais.
Paix là , paix là, paix là, paix, paix,
La femme, de ce m'ent^epii^tz ;
6 Moralité des Enfans
La paix de mon ctil je vous donne ;
Paix là, paix là, paix là, paix, paix,
Qa^il n^y ait homme qui mot sonne.
Venu suis le cours de Nerbonne
Pour prendre à Paris la pie.
Mignotte, ma femmeet amie, ,
Dieu mercy, et (la) Vierge Marie ,
Nous avons cy deux beaulx enfans
Qui croissent et ja sont moult grans,
Que j'ay nourris m grant dxâènXe
Par mon labeur et de ma rente
Jusques à icyv loui soit j^eux.
Mais j^afibibUs et deviens vieux ,
Pour quoy je ne poiu-ray fournir
Doresnavant à les nourrir
Ne querre ce qu'est nécessaire.
Âdvisons ce qu'est bon de faire
Pour y donner provision.
Hignotte;
Dire, se me senmle, deussion
Nostre b^soiiig à Bon Adyii» ;
11 est Tqng de nos bons amis^
Moult saige, prudent et cUscret ;
Je croy qu^il nous conseilleroit
Loy animent , selon vérité ^ .
En nostre grant nécessité. *
Allons luy demander conseil.
Maintenant.
C'est bien dit; alkfn9,Je ieyueil,
Trestous ensemble de ce pas ;
Si luy monstrerons no^fre cas
Bfi Maintenant.
•
Le mieulx que poorropspar bon sens.
Venez avec nous, noz enlans;
Allons parler à ce bon bonune.
Le Fol.
Certes, je m'esmenreille comme
En peu de temps je suis si saige,
Car je suis esleu pur usaige
De la terre de Languedoc.
Quant j^oyoje cbanter le coq, .
Je £dsoye resYeilier Karotle.
En dtantaot.
Estes-vous à lliostep]» Perrotte ?
Faictes-Yous les pojreaulx. bouillir ?
Tentreprens tou[t] seid d^assailUr
Qui youldra ces petiz patez^
Car je suis des enians gastez
De ce pays ; par saint Germain,
Je fineroys dedans demain
De compaignons, je croy, gràiit somme.
MAINtENANT.
Bon Âdyis, sainct Pierre de Romme,
Vous doint joye, santé, honneur. '
Bon ÀDTiftr
Bon jour vous doint tiostre Séigbeur <
Et TOUS met en boniie sepmûne.
Maintenant.
Vers TOUS venons sans nul deioaine.
Bon Adti4S;
Bon jour nous doint nostre Sagnenr.
Maintenant.
Pourquoy venons n^estes asseur.
8 Moralité des Enfans
Bon Abvis.
Non.
Maintenant.
Je le diraj, soyez seur ,
Mais que nous vous fadons trop peine.
MiGNOTTE.
Bon jour vous doint nostre Seigneur
Et TOUS met^ bonne sepmaine.
Maintenant.
Sçayoir ne puis chose certaine^
Se, par la yostre courtoysie,
Ne me dictes que signifie
Règle, balance et compas.
Bon Advis.
Je le Yueil, mais n^oubliez pas,
Je compassé ce que je faictz
Par mesure, nombre et poix.
Premièrement je présuppose
La fin, ains que taire aiiltre chose,
A la ligne, au poix et reigle.
Sachez la cause sans desreigle :
Est première rintention.
Apres vient la perfection.
Noz maistres qui moult trayaillèrent
Pour nous enseigner nous bailli^pent
Par leur esisriptung très beau cas.
En latin c^est : Quicquidagas
In primo respice finem.
Qui est à dire en françoys,
Que, quelque chose que tu fays,
Regardes comme tu la fays.
Tu la doitz faire sagement.
OB MAtNTENAIfT. 9
Note dont premièrement
Quel en pourra estre la fin.
Ce que je t'ay dit en latin ,
Se tu Yoys que la fin soit bonne,
Fais-la, car congié je t'en donne ;
Si la fin en ya mal a point,
Laisse la et ne la fais point ;
L'Escriptore si (te) le commande.
Mauttemant.
C'est trestout ce que je demande.
Vous estes ung grant conseilleur.
On ne pourroit trouver meilleur.
Sans barat ne sans tromperie.
Conseillez-moi, je tous en prie,
De nos enfans, que YOjeg cj,
Qui nous donnent moiut de soucy , .
Comment ilz se pourront cheyir,
Après nous, le temps advenir.
Je ne suis pas fort hérité ;
Conseillez-moy en vérité
Comment les apprendray à vivre.
Bon âdvis.
Maintenant , il le fault instruyre
En art de quelque façon :
Car ainsi Tenseigne Cathon : [tam
Inatrue quipossint inopem deffendere vi-
Cum tîùî sint nati nec opes tune artibua
Cathon dit : Se tu as enfans \illo8.
Qui soyent povres et non puissans ,
Telement que ne puissent vivre
De ce que ta rente leur livre,
Âprens-leur mestier ou clergie
Dont ils puissent gaigner leur vie,
10 Moralité des Enfans
On ne les peult mieux hériter
De meilleur œuvre pour s'ayder.
Car il n^est trésor ne finance
Qui vaille tant que faict science.
Car on peult perdre par fortune
Llieritage et Ta pecune ;
Mais on ne pert point. sapîence
Qu^on a apnns en son enfance-;
Au besoing, jamais ne les laisse ;
Exemple en avoiis eti Boece :
Quant Fortune ses biens (}vlj) osta ,
Pbilosopbie le conforta.
Je f en dis mon opinion.
Baille-les k Instruction
Qui loyaulment les instruyra.
MiONOTTE.
Par sainct Nicolas, non fera,
Je les en garderaj, beau sire.
Voulez-vous mes enfans destrujl*e,
Que j'ay nourris si tendrement ?
11 en yra bien aultrement,
Sachez, car je n^en feray rien.
Bon Advis.
Dame , vous ne dictes pas bien ;
Je nVntens pas qu^on les destruyse.
Mais je vous dv qu^on les instruyse
En science et bonnes meurs,
Dont ilz pourront estre meilleurs.
Et par les instruire vivront
Et au besoing vous ayderont
En la fin quant vous serez vieulx.
MlGNOTTE.
Or avant doncques, je le veulx.
BB MAIMTBlfANT. ià
Soyent menez i Instructioii ,
Pour cette seule intention ;
Maiz j'ay peur que ib soyent ))attiiz»
MAIlITENAlfT.
Je n*y donne pas deux festus
S^on les chastie pour leur prouffit.
Puis aue Bon Aavis si Ta dit^
Il fault que tout droit y allons
£t que Instruction prions
De leur aprendre ung me&ûer^
De quoy ilz se puissent aider.
Puis qu^il est ainsi ordonné.
Le Fol, en chantant,
11 est de 2>onne heurt? né
Qui tient s'araye m ung pré^
Dessus la belle herbç )olye.
Marotte fist trop gr$nt follyç
Du sens qu*el[lejpript à 1 esçoUe ;
El en est la moy tie ploer folle
Du clergie qu^el a «9^ la teste ;
Jamais elle ne sera graiid. bes^ ;
Par sainct Mor, ce n'est qu i^ie yesse»
Par trop souTfnt 9^et £aict ouyr ni^sse^
Par sainçt JeWn, eU? fi^^ gouverne.
Puis me maine en la taTeme ■
Et , par le breton bretonnant y
Âpres boire, non aul|i:ement.;
C est la eoustume dé la ville.
r
MiGNOTTË.
Chaseiin de vous tQs| âs'«^ille
Ainsi comme il f^ppa^tient :
Car y me» enians > u v«|ii^ oonTient
11 Moralité dbs Enfans
Estre menez chez Instruction ,
A celle fin que nous soyon «
Trestous joyeulx de yostre faict.
Venez et allons de. bon hayt
 Instruction , que je yoy.
Pau«e.
Monseigneur, entendez k moy ,
Se Yous voulez gaigner argent.
Instruction.
Ouy certes , diligentement ;
Je ne demande que monnoye.
MiGNOTTE.
Mon mary'vers vous mPe] envoyé
Avec mes enfans que yoicy.
Luy et moy nous donnons soucy
Gomment ilz aprendront science
Et mestier par expérience ,
Dont nous sommes tous conseillez ,
Et, par ma foy, si tous voulez
Leur monstrer mestier ou gramoire.
Nous vous donrons si bon salaire
Que debvrez estre bien contetis.
Nous n'avons pas rentes si grans
Dont après nous ilz puissent vivre ;
Aprene»-leur trestout ce livre
Que vous tenez dans vostre main.
Instruction.
Je crois qu'il n'est pas corps humain
Qui le pust sçavoir ne apprendre,
^ar\ certes , trop fort est à comprendre ,
Car il contient tous les mestiers.
Je leur aprendray voolentiers
BE Maintenant. i3
Partie de ce que je sçay,
S'ilz yeullent sçaToir 1 a, b, c.
Ou le psaultier ou le Doonct,
Les enseignements Gathonnet ,
Les acteurs Boece et Thobie,
Logique et ^oeterie ,
Le droit ciyil ou canonicque.
Ou aultre mestier mécanicque ,
Gomme masson ou charpentier ,
Gouvreur, ou boursier, ou gasTtier,
Orfèvre, tondeur, tavernier,
Ou boulengier , ou saretfer ,
Qui au commun a bon mestier,
Et d^aultre part comme musique ,
Géométrie, rbeloriqae.
Se mestier est^ théologie.
Médecine , astrologie ,
Qui en youldra il choisira ;
Prennent celluy qui leur plaira ;
Je leur apprenoray loyaument.
MiGNOTTE.
S*ilz peuvent sçayoir clerement
Toutes sciences et mestiers ,
Je yous payasse youlentiers
De yostre peine bon salaire.
Instruction.
Las , comment se pourroit-il faire
Gomme tant estudier peussent
Que tous les mestiers sceussent
Tous les droictz et toutes sciences?
Nous voyons par expériences
Gil qu^en plusieurs mestiers a'affiche
A grant peine n'est-^il ridie.
«4 Moralité des Ënpans
Qui a pluribus intentas
Major est a singulu sensus,-
Ce proyerbe si est comniçn :
Se chascun en sçaroit bien ung ,
Il luy debyroit assez suffire.
Quel mestier youlez yous eslire ?
Dictes le moy pour abréger.
MiGNOTTE.
Nous ne youlons que plus legîer
Mestier , qui ne coustera guière ,
S'ilz poyyent yiyre sans nen faire ,
Je Taymeroys encores mieulx«
Instruction.
Assez en trouye l'en d'itieulx
Qui yeuUent yiyré sans rièta faire
Et la science contrefaire»
Qui est escript en Genesis \
Qui dit qu'A la sueur dn.yis
Chascun si gagnera son pain.
Telz gens debyroieni mourir de fain ;
L*escripture ainsi le met ;
Qui non lahorat non manducet.
Mourir de £aûn doibt endurer
Qui pour yîyre ne yeult ouvrer ;
L*escripture si le devise.
MjGNOTTE.
Paictes en ung prélat d^^Use,
L*aultre juge ou adyocat,
Dont puissons ayoir grand estât ^
Grant honneur el grans richesses. ,
Instruction.'
Tek seigneuries et lianidtessés
BK Mâihtènant. i5
On n'a pas si legierement.
Il conyient et premièrement
En mainte guyse traYaill^^
Guères doimir ne sommeiller,
Coucher tard et lever mâtin,
Et savoir bien parler latin ,
Avoir industrie et science ,
Et oui n*a bonne conscience
Apres ensujt le danmement.
MlONOTTE.
Nous voulissdQff tant setiUement
Que ilz apprissent bien k lire
Et dedans tètis livres eseripre
Et à parler grée et latin,
Et tout dedans lundjr matin ,
Et vous en aurez bon salaire.
Instruction.
M^amye, il ne se penh faire
Qu'ilz fussent en si peu de temps;
Agrantpeîiié'dedBks dikiana '
En compreHâroaBruBg bioi^àpoint*
* r '
Quoy qu'il soit', noui tte totdOâs point
Qu'ils soyent bàfusV^ëà^ilt sont ta^es;
iNStiiirCifid'N.
J'en ay bien veu battre ttdïneïtrdrés;
L'on aoibt jeûnes geûs cbâstiér, '
Mais, dictes-moy ae quel inestier
Si fut leur pire en soti temps.
Dont a nourris^ ses beftidi «nfans
Et jusques cy ga^pati sa "vie.
i6 Moralité des Enfans
MiGNOTTE. *•
Puis que voulez que je le die',
Il s^est yescu de boulanger.
Instruction.
(Test ung bon mestier pour gaigner
Et décent k vie humaine ;
La science n*est pas yillaine.
Vos enfisms y poyez bien mettre.
Ils apprenmttnt bien ceste lettre
Ou aujtre mestier pour bien yiyre ;
Bon faict ses parens ensu3ryre ;
Besoing n'est point d^auitre escoUe,
Puis que yous en estes si folle ;
Certes, m^amye, yous les gastez
De leur bailler ainsi pastez;
C'est une maulyaise y iande ,
Nonobstant qu'elle soit friande.
Yous ne youiez qu'ilz soient battus.
Aussi ne sont-ilz pas yestus
En manière d'estudians ;
Ilz semblent mieulx à deuxirians;
Leur habit n'est pas convenant.
MiGNOTTE.
C'est la façon de maintenant ;
L'on yest ainsi les escoUiers.
Instruction.
De quoy servent tant de pilliers
A leurs robes à si grans manches ,
Tant jours ouvriers que dimenches ,
Ces grans bonnetz et ces chapeaulx?
MiGNOTTE.
Ils en sont jolys et plus bèaubc ,
DE Maimtefiaiit. «7
Et si en sont jrfos chauldement.
Instruction.
Vous Fentendez bien mescliamment ;
Ce n^est point iliabit qn^il leur fault.
Ung jeune enfant est trop plus chault
Que n*est une yieiik personne.
Et pour cela sagesse est bimne
Quil ne les fault pas trop CQUTiir,
Car on les ferolt aevenir
FriUeux et melencolieux,
Aulcuns dient qu'il yauldroit mieolx
Qu*ilz allassent nues les testes^
Mais sottes gens conune yous estes
Les gastent par telle mignptise.
MiGNOTTE.
Et (rae Toulez-Yous ! c*est la gnyse
Des Dons enfans'de Maâitenaàt.
Instruction.
Le nom est assez consentant,
Et le point ayecques la note.
Mais puisque Maintenant et Mignotte
Habillent ainsi leurs enfans,
Hz sont yestuz coinme gallans
Quand ilz les mettent à FescoUe.
M'amye, yous ested trop folle
Et les perdez jna'u]yaiaemenli
Car on yoit adyenir souyent'
Qu*en£ains tenus chers en jeunesse
Ne yiennent pas à grant prouesse,
Etceulx qui prennent yaiiie gloire
A la fin sçauront le contraire ;
Car ilz auront la froide joye.
T. III. 2
/
iS Moralité des Enfàns
C'eat raison que Dieu y pourvoye ,
Pour ee qum ont toute leur cure
En auhre que au Creatour.
MiONOTTE.
Gouyerne2>-les à yostre. tour ;
Je u*en sçauroys plus arguer.
Instruction.
Mais, cnfans, il vous fault muer
Geste mignotise de vivre ,
Se voulez ma doctrine suyvre ;
Mais premier descouvrez vos testes
Affin que soyez plu^ honnestes
Selon les éscolliers nouveaulx ,
Et laissez tous ces grands chapeaux ,
Et prenez aultres vestemens.
Adonc la femme s'en retourne et t'en ▼«,& Mn-mÉfy.
Maintenant.
Mignotte , dictes-moy conanent
Sont doctrinez noz deux enfans,
•Mignotte.
Hz seront très bien , je m'en vanU ,
Au moins se dit Instruction
Qui en a prins commission
De les fisdre deux grans seigneun ,
Instruction.
Ha , dea , vous n*estes pas taigneux ,
Vous avez assez belles testes.
Se voz babits fussent bonnestes
Et eussiez bonne voulenté ,
Je vous aprinse k planté
De science et de doctrine ;
Et n'y a pièce en vostre ligne
. D^ Maii^tenant. 19
Qui de TOUS ne fust konooraj.
Si ayez beaucoup demouray^
Mais peult estre n^en povez mais;
Il TOUS yault mieulx tart que iamais*
N^attendez pas que soyez yietnx ;
Seroit foUye , se m^aist dieux,
Au propos de Gathon le saige
Ce qui s^ensuyt en brief langaige :
Multorum cwn factasenes mt dicta recensée
Fac tibiêuccurrantjuvenisquefeceria ipae.
Quant tu seras en ta vieillesse
Et racompteras ta prouesse
Et les beaulx faicts de plusieurs gens ,
Fais dès maintenant que les tiens
Te puissent alors secourir.
Et de ce te puisses servir
Que aprins auras en ton. temps.
Pour ce je vous dis, mes enfans,
Fauldra que soyez chastiez ;
Se bons escotiers vouliez
Estre, venez à Discipline
Humblement, la teste encline.
Se voulez avoir loz et pris.
Fin ET, premier enfant de Mennienant.
Sire , nous n^avons point appris
D^estre en tel subjection.
Nous n^avons point intention
D*estre longtemps à vos escolles.
De quoy servent telles paroles?
Nous ne voulons point estre clercs.
Malduigt, second enfant de Maintenant'
Tons nous parlez à motz couverts ;
Ce nVst pas ce que demandons.
30 Moralité des Enfans
A Dieu , Sire , vous commandons ;
Nous en sçayons trop k-moytié.
iNSTRUCtION.
Mes enfans , j*ay de vqus pitié :
Une foys tous repentirez »
Llieure et le jour mauldirez
Qu*à moy ne voulistes entendre ,
Scienoe ne mestiçr apprendre,
Je le TOUS dy , et m^en descharge,
FiNST.
11 nous fâult Yollcr au plus large.
Vous nous tenez trop fort en serre.
Viens tost , allons[-nous] en grant erre
11 est assez temps et sayson ;
Car nous avons sens et rayson
De nous gouverner aultrement.
Je ne vueil plus de chastiment ;
G*est à ses petits jouvenceaulx.
Malbuigt.
J*aymeroys mieulx garder yeaulx.
Par le sacrement de la messe ,
Je lie feray plus cy de presse ,
Ne serviray père ne mère.
Qu'est-il de faire ?
FiNET.
Par sainct père,
Je sçay bien , se tu me yeulx croire
Une chose moult bien notoire ,
Gomme nous nous en chevirons :
Devant mon pire nous yrons
Et compterons tout nostre cas.
DE Maintenant. at
. MÂLDUIGT.
Or allons, et iieliaiUoihs pas;
J*en ay graiit désir et couraige.
Le Fol.
Mieulx yault estre aa:j^ dbamps ,qa^en caige.
Instnictioii les eust battus.
Bien eussent est^ malostrus
D^estre subjectz à ce bcttt homme.
Certes, je m'esmerreiâe comme
Marotte a si bonne teste ; -
Il n Y a si petite beste
Qu'elle ne saiche par nature ,
Et sentiroit une mÀire
D'icy jusques aux Angnitim «
Et je suis de ses galopins;
J'ay aprins jusques à. tout oublie ,
Excepté Fart de liescherie
Et de prendre-mon advantaige.
FiNST.
Père, Dieu vous gard.
Maintenant.
Qwi es saige !
Que yiens^ttt querre, mon enfant?
Mais, or me dy, où as^tii tant
Âpprins de biens comme tu monstres ? ,
Deusses-tu pas , quant tu m'encontres,
Mettre la main au chapperon?
tlNET.
Par mon serment, mon père, non;
G*est aux dames et aux! ségneurs ,
Et nous sommes enfans mineurs -
2a Moralité DES Enfàns
Qui guères ne sçayons de bien.
Maintenant.
Ha , dea , yrayment je le croy bien ;
Gj n^ a point de discrétion.
Esse tout quant que Instruction
Vous a apnns le temps passé ?
Malduigt*
J^en suis desja trestout lassé ;
Il ne nous faict que. rabrouer;
Nous ne voulons plus demeurer
N^ayecques liiy , n^ayecques tous ;
Pardonnez-nous-Y quant est à nous ;
Nous ne vous servirons jamais.
Maintenant.
Me servirez-Tous de telz metz ,
Quant je vous aj , soir et matin ,
Toujours mis la pain en la main ,
Vestuz , nourris si chèrement?
Finet.
Nous sommes deshonnestement ,
Mon père , en cestuy estât ,
Et pour tant , sans plus de desbat ,
Querez-nous au moins vestement.
Et laissons ses enseignemens;
Nous sommes la moytié trop sàijges»
Maintenant.
Vous ne voulez que faulx usaiges ;
Je Faperçoy bien maintenant.
N^avez-vous pas habillement
Pour vostre estât et le mien ?
Je ne voj si homme de bien
DE Maintenaut. 23
Qui ii*eii deust estre bien content.
Malduigt.
Il n^est ne bel ne compétent ;
Habillez-nous, car c*est rayson,
Com enfans de bonne mayson.
Ung cbascuu yroit munnurant »
Se les enfants de Maintenant
Et de Mignotte descendus
N'estoyent jolys et bien yestus ,
A Testât qu'il nous fault mener.
Rien n*en fiault nous en sermonner ,
Car certes nous [n^en avons cure.
FiNET.
De tel babit ce n*est qu^ordure ;
Car aux enfans de Maintenant
^ Il convient faire le galant
'Qui veult parvenir a grant bien.
Malduict.
Par Nostre Daine , je sçay bien
Se vous ne pensez aultrement
De nous quérir babillement
De propre façon et nouveUe , .
Yueille dyable ou Kyrielle,
J'en aurai, certes , dont il vienne ;
Car c'est la coustume ancienne,
Jjamaift ne me vient à plaisir.
Maintenant.
Au monde on ne peult dioisir
En&ns plus pervers et iniques.
Finet.
Sainct sang bien, quelz mirelificques !
a4 Moralité des Enpans
Mais que [nous] valent tJartide mines ?
Voulez-Tous que mangeons racines
Et que vivons iainsi qulieirmites.
Maintehant.
Vous jouez à double et quihot.
Yray dien^ qu^avez-vous en pensées ?
Malbuigt.
Il nous fault robes coulourées ,
Pourpoinctz faictz pannj le corps,
Ghauses tenans par bons àccors.
Et puis chappeaulx de aignelin.
Maintenant.
Voire, mais quelle sera la fin ?
Rentes n^avons pas pour ce faire.
Certes, se vous vouloys complaire,
Je deviendroys le plus povre homme
Qui soit d^icy jusques k Romme.
Je vous pry que vous [vous] taysez.
PiNBT
Mon pire, or tost vous appaisca.
Querez-nous ce que demandons.
Ou je croy que nous [nous] mettrons
A Taventure , pert ou jgaigne,
D^aller à Gana ou en Espagne ,
Dont vous lie serez ja haytté.
MAXbUIGT.
Pire, plus nVnsoit caquette,
Je vous pry , pour le plus lumneste.
Maintenant.
Or ça , donc, à vostre requeste
Et afBn que pis ne faciès ,. '
Dfi Maintenant. a5
Je ne fiairay, ce- sacàes j
Jusqaes à ce que serez, en point.
Tenez cy cbascun ung pourpoint
Et mettez jus ce$te despouiUe.
.. Fm&T.. .
nj le coi^inieuk fiiict ^'nnfmiowSk.
Que ois-tu ? sui$-;}e lu^at çn iKÛnt T
Et Y par mon ame , je suis joint
Par le corps com une puceUe ,
Et trestout le corps me sautelle
D'estre ainsi court habillé. .
Mai«duict.
Je suis tout gay et esTeillé.; .
Venez dancer ayec moy , frère.
FiNETc
Il n'est pas temps ; or çâ^ 'mon pire.
Ayons-nous robes et chapperons ?
Maintenant.
Ony^ dea.
Malduict.
Doncquès nous dancerons
Souvent à la nouvelle guyse,
C'est tout proprement la devise
Que portent ces gentilz galoys.
F IN et,
Playder [il] .nous fault pour la croix ,
Car les enms de Maintenant : .
Ne se pourre^yient pasaep; d'argent. ■■
Entens-tubieai^ jis yttèiljuf^?
Geste glose ne'nou&ffeull'nuir^
Pour bien aller àTayâi^ge.
a6 Moralité des Enfans
Malduigt.
Je Fentens si bien qae c^est raige ;
En parlés ainsi com le saige.
Faictes à chascun son partage,
Père, nous en yoalôns aller.
Mauvtenant, en leur baillarU de
Vargent,
Tenez-cy. Certes , je yoos jure
Que me mettrez en povrète,
Et demeure fort endetté
Pour soustenir touf yostre iaict.
FlWKT.
Nous ne tous mènerons plus de plaict.
A Dieu soyez.
Maihtenant.
Adieu.
Malduict.
Adieu.
FiNET.
De quel mestier ne de quel jeu ,
Dy-moy, nous pourrons-nous chevir?
On ne prendrait point pour servir
Telz escuiers comme nous sonmies.
Malduigt.
Nous sommes ja presque tous hommes,
Dyable nous feroit bien servir.
J^aymeroys trop nûeulx à mourir,
Par mon serment, que prendre peine ;
J*ay de Targent pour la sepmaine,
Yoyre plus que nVn despendrons
De cest an. Mais, se nous trouvons
BE Haintehaiit. «7
Quelque seigneur de grand renom,
Ou ung conte, ou uns baron.
Où eussion quelque auvantaiget
Je croy que ferions que saige
De nous tenir en son service.
Le Fol.
Us font comment fait Fescreyice ,
Qui chemine à reculons.
Je trouvay lundi deux hérons
Qui yindrent pour me assaiUîr ;
Marotte me ymt secourir;
Bien si porta et yaillamment.
Mais les enians de Maintenant,
Faictis et choisis à la main ,
Sont en ce pays, j'en suis certain.
L'eslite y est et le chois.
S*ilz Youlent servir, ouy dea troys ,
Marotte les met à Toffice.
FiNBT,
Je suis fdetis et bien propice
Pmr estre mis en lieu de bien.
Or entens à moy , vien ça, vien,
Je voy U une grant merveille.
Malduict.
Allons pris, je le te conseille ;
Me semJble d une sage femme.
FlKBT.
J^ay trop grant peur quVl me diffame.
Se je m aproche >le trop pris.
Malduict, «n frappant son frère»
Je suis content d'aller auprès.
«8 MOBALITÉ DES EnFANS
FiNET.
Dieu te met en roalle sepmaine,
Eu mal an et en malle estraine ,
Comme rudement lu me boutes.
Malduict.
Mais toy, tu me bouttes de couttes
Si très fort que c'est grant merveille.
FlNET.
Certes, vecy que je conseille ;
Demandons icy qui cl est.
Malduict.
C'est très bien dit. Puisqu'il vous plaist.
Dame, dictes-nous vostre nom.
DlSGipi^INE.
Discipline m'appelle-an.
Je suis au siège de justice.
FiNET.
Voulentiers vous ferons service
Se il est chose qui vous playse.
Mais que vous nous tenez bien ayse.
Et aussi de nous commander.
Discipline.
Je ne vous vueil huy demander.
Mes amys, mal ne villennie.
Mais enfin que brief je vous dye.
Qui me veult servii* bonnement
Doibt tenir mon enseignement
Et m'avoir aussi cher que î'œil.
Maldùict.
Dame, cela tropbien je vueil:
DE Maintsuant. 39
Mais dictes nous premièrement
De quoy tous sert cet instrument
Que TOUS tenez en Tostre main.
Discipline.
Jl me sert; car tout homs humain
Qui yeult venir à mon escoUe,
Quant de mes ditz ne se recolle ,
Je les metz à coirection
Par bonne castigafîon ,
Dont pub après peult mieux yaloir.
Et pourtant vous devez sçavoir
Que Discipline, à entendit ,
Et seulement pour vous apprendre
Réception de congnoissance,
Et, aiSxï gue ayez espérance.
En avez aiffinition ,
Disciplina est receptio
CasUgationis in disciplinant.
Pour ce , telle réception ,
Retenez et n^oubliez m je ;
Car ({ui bien ayme bien cfaastie ^
Comme souvent vous Foyez direi
FlIfET. .
Par sainct Jehan , je m'en puis xire ;
GVst très maulvais esbatement«
Quant on parle de batement ,
Par ma foy , ce n'est pas ma charge ;
Nous vouslairrons cy bien au large
Se ne nous montrés aiiltre chose.
Malduigt.
Noos feisons cy trop longue pose,
Ce n'est point nien ce qui nous ïault;
^9 . Moralité des Enfans
De ces yerges il ne nous chaolt ;
Bien voulons aultre chose querre.
Gomment? se fault-il seoir à terre «
Qui yeult yostre sçayoir apprendre ?
Discipline.
Oay dea , et le srand et le mendre ,
Car c'est signe ahumilité.
Or escoutez ranctorité
Que nous ayons en TEyangille;
A chascun croire est faciJle :
Qui se humiliât exaltabilur^
Celui qui se humiliera
En âpres exaulsé sera ;
C'est Donne retribution.
Et puis aultre réception
Fait Boice , de disciplina
Qui yous monstre trestout cela :
Qui non novit se suhjici
Non nocet se magistri (sic) ;
C'est à dire souverainement :
Celluy qui n'a premièrement
Esté subject , ne se doit mestre
Jamais reputer ne congnpistre.
Vous debyez cest enseignement
Bien retenir entièrement;
Vous en serez trop plus sciens.
FiNET.
Nous yous mercions de yoz biens;
Quant à moy, je suis clerc assez.
Certes , nous sommes ja lassez
De yous et de yostre doctrine.
Or ça , madame pèlerine,
Il nous convient yuider La place.
PIS MaINTEH ANT. 5t
Malduigt.
Elle feict auteUe grimasse
Comme faisoit Instruction.
Allons , que plus cy ne soyons ;
A Dieu soyez et nous aussi.
Discipline.
£t vous en allez-vous ainsi
Sans apprendre à mon escoUe?
Vous ayez la pensée folle
Et estes tris mal conseillez.
Se ne voulez estre reiglez.
Et corrigez tant qu^estes jeunes ,
Il vous viendrja tant de fortunes
Que ne les pourrez soustenir,
Parce que ne voulez souffrir
Qu'on vous tienne en bonne doctrine.
Se n'avez voulenté encline
Maintenant de vous adviser.
Jamais ne serez à priser;
C'est commun k toute geht.
FlWET.
Certes, il ne nous fault qu'argent ,
Et, si par voz enseignemens ,
Yoz raysons et voz areumentz
Vous nous povyez enrichir.
Nous serions prest à vous servir
Tràs voulentiers par chascun jour.
Discipline.
Tous apprendrez bien sans séjour.
Point ne povez avoir puissance
Bonnement, mais avoir prudence,
i comme dit Aristpte,
39 Moralité des Enfans
Qui en paroUes noqs dénote ,
En Ethique en son premier liyre.
Lequel vous debvez oîen ensuivre
Et apprendre et r^enir^
FiNET.
Icy ne nous fault plus tenir.
Car je n*entens po^t ce latin.
Vous estes lerée trop matin
Pour prescher la loi de Moyse.
Dl$CIPLIȣ.
Je ne dy que par courto jsie
Tout cecy, sans vous pàrforcer;
Pas ne tous debyéz courroucer
Se de TOUS adyiser m^acquitte.
Malduict.
Truc, avant ; ce n'est que redicte
De toute ceste prescherie.
FiNET.
Allons, viens-t'en^ je la regkiiei
Il nous fault aller trouver mieulx.
Malduict.
Très bien, de par Dieu , je le venlx;
Huy ne povons trouver pis.
Le fol.
Le jour que les gg. et les pies
Gombatoyent en Lombardie,
Marotte, par graiit goârtnatid»s,
Mengea bien quinze gastelétzà
Se vous voulez estre varletz,
El(le) vous apprendra grant honneur;
Elle n'a cure de labeur;
PB Maiiitenant. 33
Elle vit , sans jlb& , de sa rente
Ou de son ponrdias , crue ne mente.
Elle est^muiaBiie prHideftmme,
Oncques n'eiist honte ne diSbne,
Se n est du cufé de U ville ;
Ung temps je la yis beU^K fille
Appartenant à gens de bien.
Elle est cousine de labien ;
N'est-elle pas de bon li^naige?
Finet, prens la en mariage ;
Certes, tu pourras âdre pis.
J'àbièn.
Où vont ces combaignons gentik?
Ilz sont bien snr le nault verdus.
Vous estes bien* énfans pef dds
D'aller ainsi à Tadventure.
Qui estes-vous?
FiNBT.
Et je vous jure
Que sonunes enfiains de Maintenant.
Jabien.
Que je parle à vous pliis avant :
Youlez-Yous point sçavoir de bien?
Malduict.
Comment vous appelle-on?
Jabien.
JabieU)
Le fils de Malle Àdventure ,
Qui long-temps me mist en nature
D'estre maistre de son escoUe.
Je Yons jure , par sainet NicoUe ,
Qfie toat par tout f^y éseoUiers ,
Dont m'en vient beaueoup de deniers.
T. III. 3
34 Moralité des Enfans
En ce ro jaulme de toutes pars
Y a tant de maulyab paiUars ;
J*en foumiroye bien, pour certain ,
Tant seuUement dedans demain ,
Une douzaine de ma bande ,
Lesquelz je yueil oue Ton me pende
Se ne les laictz maistres passez
A jouer à cartes et detz,
En tous les ars de tromperie ,
De finesse et mocquerie.
Gelluy n^ a que je lé saiche
Bien jouer quant se tient en place
A la romfle et à la chance ,
Aux cartes et au jeu public ,
Au masgaret , aussi au glic ,
En toutes manières de jeux.
Et pourtant cy, entre vous deux.
Mais que vous soyez diligens,
Maistres tous fera[yj suinsans ,
Se vous voulez estudier
Aussi d^en faire ung millier ;
Par tous les lieux où vous serez
A tous yivans vous donnerez ;
Ung coup vous mettra au dessus ;
Gardez ce point que je concluz ,
Et ne croyez père ne mère.
FiNBT.
Nous vous tiendrons pour nostre père
S'il vous plaist de nous bien apprendre ,
A vous sommes tous prestz d'entendre
Et de bien suyvir voz escolles.
Jabien.
N'en faictes ja tant de paroUes ;
PB MaIOIT£NANX. 35
Je TOUS monstreray yoalentiers,
Malduigt.
Nous serons trestousescoliers
S*il plaist à Dieu et nostre mabtre.
Jabien.
Jamais vous ne poyez mieulx estrç
Que vous mettre dessoubz ma main ,
Certes , avant qu'il soit demain ,
Je TOUS feray tous escolliers
En finesse et tous mestiers,
Se vous me voulez très bien ouyr.
Malduigt.
Vous me faictes tout resjouyr.
Mais or me dictes , je vous prie ,
Que ferons-nous de ce clargie ?
En aurons-nous or et argent ?
Jabiem.
Ouy bien certes , largement ,
Et respondrez à tous quarrez ,
Et vous prometz que vous n'aurez ,
PoiiT voz leçons ne vos records ,
Ung seul coup dessus vostre corps.
Mon escolle n est pas pour batre,
El est seuUement pour esbatre
Et pour jouer les compaignons.
FlNET.
C'est très bien ce que demandons ,
Je m'en vois donc seoir à terre
Mais je vous vouldroys bien enquerre
Se vous demandez grand argent.
36 Moralité des Eufans
Jabien.
Je ne yoas demande nient ,
Fors qae me yueillez bien entendre
Et mes enseiffnemens comprendre.
Et,pourpnLer«muuenLment,
Yueil anx enfans de Maintenant
Monstrer une aultre leçon.
Pour commencement de chanson ,
En toute placé et tout Heu ,
Vous regnu*ez le corps de Dieu.
Et tenez coinctes vos personnes ,
Et entretenez les mignonnes.
Soyez aux gens présomptueux
Et vous monstrez bien gracieux
Aux dames pour les acquérir ;
Quant ilz ne youldront obeyr,
Et vous y voyez vostre bon ,
Prenez-les, veulent-ilz ou non;
Gecy est un cas.d^observance.
Scelles se mettent en defiense ,
Pour cela point ne les laissez ,
Car après nien en che virez.
Chascune nuyct faictes grant bruit;
A ce devez prendre (grant) déduit :
Gommé servante en bon point
Vous sçavezi bien ne tardez point
Que elle ne soit enlevée ; .
G^est chose bien recommandée ,
Et en fiait exprés mention
Le livre de Perdition ,
Qui est si notable docteur ;
Groire debvez vostre acteur.
Faictes toujours contentz et noyses
DE H AINTERAHr.' 37
Régnier Diea.âebveft, -et saînctz,
Pour une espingle et pour moins ;
Et qui TOUS Yomdra corriger
Ne vous tenez point dé frapper ;
Et qui Touldra k vous cômbatre
Pour ung soufflet rendé^-en quatre.
Car, se voulez venir k bien ,
Point ne fault estre Jafaien ;
Ainsi nous le dit ung chapitre
D'un livre dont tel est le tittre :
Hic liber pérditionis ^
Que doibt sçavoir homo omrds.
Et pour ce , mes bèaulK escoliers ,
Soyez fermes et bien entiers
De me porter grant reverenee.
Avoir ne debvéz pacience
D'aimer le 5exe feinenin.
Fuyez comme triade venin
Toutes gens de rellij^n:
Esse vostre klentioii
De tenir mon enseignement?
MALbUIGT.
Maistre , j'ay ja Fentendement
Ouvert par vostre discipline.
FiNEt.
Par le sanc bieu\ il nW racine
De finesses que je ne saiehe.
Maldvict.
Par la mort bieu, tu n*én as taeiké
Au regard de ce que jç aç^y*
FlWBT.
Par le sanc bien V je té <liray;
38 Moralité des Enfans
Pratiquer faolt nostre science.
Malduict.
C^est bien dict , le sang bien > je pense
Que tu ne scez rien envers moy.
FiNET.
Ventre bieu , j'argue à toy.
Yoix-tu de ces beaubc detz peluz ?
Malduict.
Parlons moins et en faisons plus.
Gecte là ; qu.*as-tu ?
FlNET.
Deux et ars.
Malduict.
Certes tu mens; c'est embesars ,
Et , voys-tu , voicy deux et quatre.
Jabten.
Vous TOUS sçayez très bien esbàtre ,
Vous estes clercs jusques eunen:
Passez serez à Texamen
Ayant que tous partez d'icy.
FiNET.
De tous clercs du monde dy fy ;
Je respoDs & leurs questions
Jajbien.
Or ça, iaulses pétitions
Dessus le genre femenin.
Malduïct.
Par le corps bieu, c'est le latin ;
Mettre intro et non foras.
' DE Maintenant. 39
Hodie, semper, hery, cras ,
OUm, tune, rame, sempery aero,
FiNET.
Même, modo, diluculo.
Or me respons : da numeri
Vt ter, quater, da negemdi
Vtnon.
Font de femenin les pratiques ;
Car trestous les menus articles
Ne peust sans .le masculin :
Car Iny ayec le femenin
Conjointes ayeccjues le commun
Qui ne se doîbt entendre qu*ung.
Nonne dicit sacra pagina :
Erunt duo in came una.
Ainsi veult estre decUné.
Jabien.
G*est tris haultement latine ;
Vous estes assez suffisans
Et eussiez vous esté dix ans
Aux grans estudes i Paris..
F INET.
Quant à moy, je suis bien apris ;
Vous me porez bien passer maistre.
Malduict.
Etœoy, car je le puis bien estre. . .
J*ay tîes grant engin et memoyre ;
11 n'y a livre ne bystoire
Que n*aye yeu de malle doctrine;
Jamais ne yueil de discipline ;
Mais, se aulcun me disoit injure,
Je regnye bieu à Fadyenture
4o. MoRAiiT.i DES Enfaks
Que pour ung mot j*en dîl^]r^«eIL^
Et ]uy bailleroy, je m'emront, -. ..
Incontineiit sur le TÎ^aige.
Jabïeiï.v ,
G*est dit d^ung eacQUerUensaige,
Et bien parlé nôtablementv .
Bien résolu en argument;
Maistre tous serez a ceste heore*
FiNET.
11 ne fiittlt pas que je demepre ,
Maistre, car j*en sçay bien autant.
Or ça donc, tirez-yous aT«n!L .
Puisqu^aTez tant estndié% .
Vous porterez quotidie l .
Ghascun au costé ces deux dagues :
Car ce sont bien notables bagues .
Pour congnoistre les bons enfans
Qui portent armes et bombans,
Escoiliers de malle doctrine
Ghascun de vous est assez digne
Que maistres soyez ^qppellez.
Gardez que prc^tousjjoursioyez
De praticquer Tostre» Mieiioe
Et en monstrez Fe^iperience ;
Gardez que jamais n^amendez.
Ou nom de cartes ou de detz ,
Soyez maistres ; enfants labien ,
En mal prouffit allez ; emten.
Et tousjours me portez honneur.
MAjt,pipjCT. .
Voire comme à nostre tuleuTf
Car il ne &tilt doubler en rien
Que ne soje enlans Jabien,
Corn les enfans de Maintenant.
Esoontez, enfans^ il eonnent
Que demonrez avec ma fille.
C'est la plus belle de la yille
Et de oe monde, je vous jure.
FlNET.
Je ne la congnop.
Jabien.
. C'e^tl^ojE^pve;
Mais je ne m'en esbabiÀ pas* .
Fiwtst.
Var mon serment, e'Vst ^nbsire cas ;
On ne peult mieulx jaù mtmde djre.
Or que nous la voyions, beau sire,
Menez nous y incontinent.
Vivre npu5 &vit joyeusement
Tandis que ce bon temps nous dure..
Je verroys youlentiers Luxure:
Car c'est tout ce q«e je deanande.
iABIEÎf.
r
Se voulez estre de sa bende,
Vousne jpoyiez au nionde imeult ;
Car il n est rien dessoubz les cieulx
Que je Gongnoisse [iltts propice
Aux jeunes gens que le ^erviee
De Luxure et beati regarda
42 Moralité des Enfans
Maldvigt.
Je TOUS jure qu^il est bien tard,
Tant ay doubte que ne la voye ;
Jabien, mette:&-nous en la yoye
Et au Ueu là où elle demeure.
Jabien.
Très Toulentiers, et tout enllieure
La feray dcyers vous venir.
F INET.
Avant donc, gardez d*y faillir.
Jabien.
Or ça, Luxure, vien avant,
Car les enfans de Maintenant
Veulent avoir ta compaignie.
Luxure.
Veez me cy, coincte et jolye.
Gracieuse et godinette.
FiNET.
Je vous prometz que bien me baitte
Vostre maintien, ma chère dame ;
Je ne vy meshuy, sur mon ame.
Rien qui me fust plus aggreable.
Jabien.
Vrayement, elle est daine notable.
Si vous convient en elle deduyre.
Jamais nul ne vous pourra nuyre
Tant que serez avecques elle.
Luxure.
Ma condition est telle
Que ne demande que soulas, •
DB Maintenant. 4i
Et me fault mener bras k bras
Tout ainsi comme mariée.
Malduigt.
Prenez que soyez Tespousée ;
Or dançons d^ung accord tous quatre.
Jabien.
C^est bien dit, il nous fault esbatre
Et se donner tousjours (du) bon temps.
Avant, qui sont les mieulx chantans ?
Qui commencera de tous troys ?
Luxure.
Ayant, ayant ; le plus courtoys
Doibt commencer sa cbansonnette.
FiNET.
Je diray donc, puisqu^il yoas baitte
Adonc ili chantent tons ensemble çn dançanl.
Au joly bouquet crotst la yîolette.
FXNET.
N^est-ee pas doulcement cbanté ?
Malbuigt.
Certes, tu es trop fort baslé;
Tu nV says non plus ffnv^ dodiit, .
Estrille, utncille, bourain
Ou la mignonne tricotie.
Adonc ilz cbantent tons ensemble avecqnes lé Fol.
Ls Fol, enchantant»
Se Robine si fust au boys.
Je Teik eusse tost emmen:4e.
Vray est quVn la yille aux dames
Il n y demeure que deux femmes
Qui fournissent toute la yille«
44 Moralité des Enfàns
Marotte est plas subtille
Et de plus grande entreprise ; .
EUe faict bien une chemise
A mettre deidx culz tous ensemble,
11 n*y a point qui la ressemble .
En ceste ville, ne au pays.
Se yonlez , sans ankan deyis,
Elle sera maistresse.
Sainçte sang bien, comment tu y esse ;
Longtemps a la yesse couyée.
Le jour que Marotte fut née ,
EUe eut ung grant adyantaige :
El estoit dès lors aussi saige
Que sont les escoHeirs Jabien ;
Je luy ay aprins tout le bien
Dont a la teste affolée.
Luxure.
Vecy une belle assemblée^
Douice, plaisante et ampureuse.
Moy, qui suis la fille d^ûyseuse,
Debyez ayoir et citer tenir.
Quant me poyez entretenir
Du tout à Yostre -todeniii ;
Mais il fiault argent à.pknté
Pour mieulx soustenir mon •estât.
Par ma foy, tout iroit de plat
Qui n^auroit argent et cliquaille ;
Trestout ne yamdroit une maille ,
Car je suis de telle nature.
FiNET.
Ne yous cbaille, dame Luxure ;
Nous aurons or et argent assez.
s
DE MAlNTBNAIfT. 45
Jabiek.
Hz sont pieça muitlied passez
Par moy en tous jeux et finesses
Et sont en fleors de. leurs jeunesses;
De TOUS se doirent tenir près.
Luxure.
À , il nous fsiult jouer aux dez ,
Hi à quelque autre hasart;
Car c^est ma science et mon art
Dont fault que soye so\istenue ;
Les jeux que j*aime soubz la nue,
Ce sont les jeux d'oysiveté.
FlMET.
Il n'est nul en ceste dté
Que je craigne , tant soit subtil ,
De bien jouer k mon péril,
Et m'en laisse hardiment &ire.
MAllDUtGT.
Devisez lequel voiis fault plaire ,
Le glic ou le franc de carreau.
' Ja-mbh.
Le glic est :ang je» moult tris beau
Et a gallans trop pins bonneste.
Luxure,
Quant à moy, je suis toute pi'este.
Ça , les cartes, moh beau seigneur ;
La pire donne au ipeilleur,
Quans grans blâns pour une foys ;
Pour les roynes diascane troys ,
Et troys grans blans pour les varletz;
Quatre grans bletos y joue , mais
4.6 Moralité des Enfans
Mettez-y, qui y Youldra prendre.
FiNBT.
Doncqaes , dame, gV vueil entendre.
Mettez y qui y youldra prendre.
Luxure.
Or sus doncqaes , sans plus attendre ,
Tout maintenant je vueil bailler.
Levez ; qui estez le dernier ?
Qui dit?
FiNET.
Moy, rien pour le premier,
Malduigt.
Ne moy aussi , par sainct Eloy.
Luxure.
J'ay homme donc[ques] , par ma foy.
Et romile tout d^une venue.
FiNET.
Sang bien , la couleur si me mue ;
Quant est à moy, je le vous quitte.
Malduigt.
Tant qu^auray vaillant une picqae ,
Sachez, certes , je le tiendray.
Et Tenuiray ou romfleray
Quoy qu'il en doibve advenir.
Le Fol.
Il s'en pourroit bien repentir,
Mais peult estre sera trop tard.
Ainsi que le chat fist du lai*d,
Quant il y fust trouvé pendu.
On luy coupa auprès dii cul
DE Maintenant. 47
La queue, yueil que le sachez.
Luxure.
Cest bien dit , encores mettez
Deux grans blans , de Taidtre le fais.
Malduigt.
Voyez les là , si me tais.
Combien est-ce que en avez?
Luxure.
Plus de cinquante.
Malduigt.
Or monstrez.
Luxure.
Voyez en là dix et puis troys.
Malduigt.
Ha , maulgré bien , à ceste foys
J'en avoyes quarante et bùyt.
Le Fol.
Et yecy ung très beau deduyt
Et les scet très bien jobiner
Ilz n'auront garde de yoUer
Ayant que de ses mains il parte.
FiNET.
Or sus ayant , yoyla ma carte ,
Je yous pry, laissez-la passer.
Malduigt.
Or ça, m'y lairrez-yous passer?
Par ma foy , sire , je les feys.
FlNET.
Ouy yrayement .
48 Moralité des Envans
Luxuius.
J'ai le glk des roys.
Malduigt.
Tout est à elle sans debatre.
Luxure.
Or m*en baillez chascune quatre
Pour le beau glic, sans les honneurs ,
Et se TOUS voulez , mes seigneurs ,
Tout d'une venue bailler,
Tout de reng les iray coucher
Âffin que ayez moins de peine.
Malduigt.
C'est raison; mais de la sepmaiae
N'y sera faict gain^ ne pertes.
Je vous dy, au moins à ces cartes,
Velà neuf grans blans que jedoy.
FiNET.
Veez en là autant pour moy,
Et jouons au franc de carreau ,
Car c'est ung jeu qui moult est beau ,
Et nul tromper si n^y sçaura ,
Et Jabien des coups jugera.
Vous getterez k Vadventure.
Luxure.
Pour combien?
FlWBT.
Pour une ceinture;
 qui l'aura, de troys éscus.
Luxure.
Argent contant, n'en parlez plus.
i>E Maintenant. " 4^
Mettez au jeu, c^est le'plus beau.
Malduigt.
OrsuSfgette;
FiNBT.
Mais toy?
Malduigt.
Attendez
Je croy que je Tauray, Seigneur.
Veli, sus, gettez sans débat.
Je regny bieu , c'est bel estât ;
Je croy que je Fauray gaigné.
F INET.
Va, qu^en malbeur soyes-tu coi^é
Et entré en malle sepmaine.
Luxure.
Je metz deux escus â Tèstraine; .
Qr sus, chascun couche d'autant.
Malduigt.
J*ay encor vingt escus yaillànt ;
Avant, compalngs ; argent me fault.
FinÉt.
Plus que de paille ne m'en chault
D'or ne d'argent ; or jouons , dame.
Luxure.
Yela partout, et, sur mon ame ,
Il est tout franc, la gaigné est mienne.
II ne peult que bien jne me vienne ;.
De meshuy je ne crains personne.
Malduigt.
Et, pour Dieu, homme mot ne sonne ,
T. m. 4
5o MollAIilTÉ DES ElIFANS
Par le ventre tieu, je Voms jure,
' Qui ne se met k radyanture
Jamais nul jour ne sera riche.
Jabien.
Il est vray ; jamais homme chiche
Et qui se tient tousjours couart
Ne pourrcHt avoir ung hazart ;
Tousjours est meschant et piteux.
LUXDHB.
Et cuydez-vous que malheureux
Osâst ung tel jeu entreprendre ?
Il se sounreroit plustosl; pendre ;
S^appartient à gentilz galans.
Or, sus , or, vous faictes vaillans ,
Yela vingt escus d^une cousche.
FiNBT.
Je n*en fais compte d*une mousche ;
Yé les là, certes, tous contans.
Malduigt.
Et n'y seraj-je pas à temps,
Maulgré en ayt sainct Ypolite.
FiNET.
Yela gettay.
Malduigt.
Je vous dépite.
■'. Luxure.
Maistre, si vous Vskret perdu.
Maiduigt.
Je soye par le col peûda
Se j'ay plus vaitiâut une maille.
BB Maintenant. 5i
Fin ET
Or entens et [si] âe te chaille ;
J*ay affaire eacore mon coup.
Malddigt.
Haro , i'ay esté icy trop ,
Le dyable s'en peult resjouyr.
Finet.
On me puisse vif enfouir
Se n'ay perdu ce que j'avoye ;
Je n*ay })lus argent ne monnoye ;
Je suis bien de malle heure ne ;
Manldict, malbeuretlx fortuné ,
D'ayoir perdu tout mon argent.
Jabibn:
Ung compaings se bel et si ^nt,
Gomme tu es , ne sedoibt plaindre.
N'as-tu pas assez de <{uoy rendre
Trestout l'argent au compagnon?
Luxure.
Robbe prendrayet chapperon,
Comj^amgs, pour le pnx qu'il yault.
Jamais ilz ne yous confondront.
Vous ne faictes que commencer.
Malbuigt.
Jamais ne me yneil advancer
De plus jouer jour de ma vie.
Je voy bien que j'ay faict folye ,
Dont doibs avoir pugnition.
Se j'eusse creu Instruction ,
Je ne fusse pas en ee point.
Trop mallement le cueur me point ;
5d MoRALiTi PES Enfans
Je m^en repens et mauldis llieure.
Jabibn.
Enfans , laisserez-TOus Luxure
Et ceste belk compaignie?
Malduict.
J'ay deshonnorc ma lignée
Pour elle. Que dira mon pire?
Très glorieuse Vierge mère,
Âdressez-moj à Discipline.
Jabien.
Et yeulx-tu laisser ma doctrine?.
Que fiais-tu? Es-tu hors du sens?
Malduigt.
Je te reny, et mVn repens
De tous les maulx du temps passé ;
Car j^ay faulsement trespasse
De Dieu le sainct commandement.
Se Discipline m^en reprent,
Je sera j bien tenu à elle.
FiNET.
Jouons au jeu de la merelle;
Je suis las du franc du carreau.
Jabibn.
G^est bien dit; le jeu du mereau
Est bien commun ; si est la chance.
Luxure.
GVst Tung des beaulx jeulx de France ,
 quoy il me plaist mieulx jouer.
FiNBT,
Ayant donc.
t>E Maintenant* 53
Luxure.
Sus, mon escuyert
Mettez en jeu ce diapperon.
FiNET,
Picque f picque de Fesperon.
Or sus , ]Ouea^ sans plus de plait.
Luxure.
Nous ne faisons rien qui ne met ,
Car c*est du jeu le premier point.
FiNET.
Je vueil jouer jusqu^au pourpoint
I)c cj% qui va pour deux escus.
Luxure.
Gechapperon.
Fine T.
Voyre sans plus,
Ne souffist-il pas , belle dame?
Luxure.
Vêla pour le dé ; par mon âme,
J^ay nuyct*
Fiwbt.
Par sàinct Jehan , et moy neuf.
Luxure.
De ce ne donne pas ung œuf;
Jouez; vous ayez cinq et quatre.
Finet,
Tout justement, sans plus debatre.
Qui Talent autant comme neuf.
Luxure.
Et de sept.
54 Moralité des Enfans
FiNET.
Vccy pour empreuf
Le chapperon aealx escus franc;
Tousjours en jouant on apprent.
LuxureJ
Croq , qu'esse que coucher roulez ?
F INET.
La robe.
Luxure.
Ayant, or couchez;
Je metz troy escus à rencontre.
FiNBT.
J'ay huyct.
Luxure.
Et , par ta foy, rencontre*
Qu'en dictes-TOus , et j'en ay troys?
FlNET.
Le prendray-je?
Luxure.
Non , j'ay le poix ;
Je retiens la robe pour mpy.
Finet.
Dame, qu'en despit de l'arroy,
Il m'est meschamment advenu !
Mon chapperon et ung escu
Metz k l^ncontre , pert ou gaigne.
Luxure.
C'est une très maulvàise fraigne
De mettre troys escus en voye.
Or sus, ayant, Dieu nous pouryoye ; '
DE Maintenaut. 55
Ma chance va de dix k quatre.
FiNET.
Je te pry, metz pour nous esbatre.
Luxure.
Dix et puis quatre ; loat est mien.
Compaignon.9 y a-il plus rien ?
Foumissez-moy deyant )a main.
FiNST.
Haro , le grant IHeu souTerain .
En ayt aujourdtiuj maie feste.
Tout maintenant il ne me reste
Qn*ung escu ayecques ma dague.
Mais il conyient que je desbague
Trestout pour ayoir plus tost &ict.
Luxure.
Ayant , joue.
FiNET.
Je suis reffaicty
S^il ne me yient à ceste heure eur.
Luxure. . .
Dea, Gompaignon , n'ayez ja peur.
PauM.
J A B I E N, e/t admenant Finêt avec Luxure
éef^ani Eonte.
Dieu gard. Honte , qui yous doint joie ,
Santé et planté de monnoye. '
Sçayez-yous que je yous yueil dire?
Honte.
Non; qui aril^ beiatasiit?'
Sçayez-yous chose de nouyeau?
5G Moralité des Ënfàns
» ■
Jabieic.
Ouy.
Honte.
Et quoy, dea?
Jaqien.
Ungjouye^oeaut
Qui demeure avec Luxure ,
De droict est yostr^, par droicture.
Car je Faj si bien introduict
Qu'il ii*a garde dVstre duict
Que jamais se puisse retraire ;
Du pis a &ict qu'il a peu faire.
Il est desja mis en tel point
Qu'il a perdu juscpies au pourpoint
Or, argent, chapperoa et cotte.
Honte.
Meshuj n'ouy si bonne note.
Par moj sera tantost sifflé.
FlNETf.
Maintenant suis tout escoufflé ,
Je m'en puis bien apercevoir. .
HoMte.
Sainct.Hor, compaings, vous dictes y ou:.
Pourtant je metz la Qiain k yous ,
Venez-yous en ayecques nous , ^
Luxure, tost prenez ae là.
FiNET.
Haro, bonnes gens , qu'esse là?
Je ne yis oncq plus layde beste.
Plus yile ne plus dèshonneste ;
Las , Luxure ,conf<nrtez^moy.
DE Maintenant. Sj
Luxure.
Tousjours seraj aTecq[ues] toy;
Ainsi ne te laisseray pas.
Jabien.
11 TOUS oouTient venir le pas
An ffbei de Perdition.
Jamais n^anrez remission,
Car ce seroit contre nature.
Honte.
Ainsi dit la saîncte escriptmre :
Ea mensura qua menai fuerita»
RemitHtur vobis.
Ttt as bien cause d^estre triste ,
Car Marc si dit, Tevangeliste : . . ,
Selon que diascun faict aura
Par droict rémunéré sera.
Ainsi que raison si le veult,
Ghascune vieille son mal deult.
On peult assez crier et braire ,
Justice est tonte contraire
Aux maulvais, com il est escript
Ou psaultier, où David le dit :
No/i reettrgaaf impii injudicio
Neque peccaiores in coneîiio j'uaiorum^
C'est à vous, maistre Aliborum,
Qu'il parle, entendez-vous biçn ?
Vous estes des enfans Jabien
Qui me pourvoit de fines gens.
FiNET.
Las ! Luxure, je me rens.
Vous ne tenez plus de moy compte.
58 Moralité des Enfans
Vous estes ja livré à Honte ,
Qui ne peiut de vous départir.
FlNfiT.
D^elle ne me sçauroYs partir ^
Car je suis à elle subjecte .
HOUTB.
Ça , il convient que je te mette,
Gompaings, k garder ma maison.
Lyé seras , car c*est raison,
Jusques à tant que me plaira.
Luxure avecq toy sera,
Qui me rendra de toj bon ^^mpte.
. FlWET.
Hélas! laissez-moy aller, Honte.;
Je suis difiamé à jamais.
Honte.
Tu n^as pas du tout rebdu ciompte.
FlNET.
Hélas ! laissezrmoy aller, Honte.
Honte.
Tu ne me dis cbose qui monte;
C^estpar toy, car je n*en puis mais.
FiNET.
Hélas! laissez-moy' aller, Honte;
Je suis diffamé h jamaiB. ' > '
Honte.
N*est-il pas vray,.comme tttsçays,
Qu^il faulte^tereeroBion joffice l
DE Maintenant. « 5g
Comment as-tu esté si oice
D^ayoir ainsi p^rdu le temps ?
Et à aultres je ne m^aten» ^
Qu^à gensoyseux etbasardeux y
À bonracim, friàns et mocqaeursy
A larrons, sorciers et sorcières,
Et à gens de toutes maiûèces.
Qui mainent ùulx^ gou^mement ;
Les ungspugBÎB apperteinentt
Les aultres en seps et en gçhayne,
Aulcunes fo js les autres trayne
PuUicquement aval la yillév.
Et si ay bien ung aultse stUle
Pour ce» gran» yieilles maec^ieselles : .
Je les tourne par mes ruelles
Tout au plus nault du pîllory,
Et là dansent le guillerr ;
Aultres £sdctz niétiré en iVsdM^lf y
Aux aultres froisse la jcerrelle
Oiimakie pencbre au gibet.
Toufijours Honte la main j met , *
QQel<|ue diose ({u*il en advienne.
FlNBT.
Puis qu'à ùnlt qôi'k cieeî ^ vienne^
Je mauldieti l'heitre''Bt le jour
Que me trouvay OMUjiies etitoak
Luxure ; Jabièn, ^st par tÎEiy*
. JA»BlEOi^
Tu menlï.
FiNET-
Mais tbf «
6o Moralité des Enfàns
Luxure.
Quant est de moyt
Je dictz que ton £ûct te condanipne ;
Je te prie, point ne me tanne,
Car tu es à mpy mariaj.
FlRET.
Honte, oue jje sojre desliay
Et osté ae dieyant le monde.
Honte.
Tu as trop long temps foUiaj. .
FiNBT.
Honte, que je soye desliay ,
Luxure*
A mal faire t*es alliay ;
Il faut qae raison te confonde.
FiNET.
Honte, que je soye desliay
Et osté de devant le monde.
m
Honte.
Je prie k Dieu que Fon me tonde.
Se par may liommè se desUe.
Premier fault que je tous dbastie
Par ïaxùx et honteux batement.
Sa, deux courgées apertement ;
Faire je vueil exécution ,
Et, pour plus grant desrision.
Que me aesponilleE le pourpoint,
Ayancez-yous, ne tardez point.
Et qu^il soit mis tout en chemise ;
Bâtez delà par bonne guise
B£ Maintenant, 6i
Et moy deçà juscpies an sabg.
Luxure*
Son san^ s^en va , comme eau courant ,
Si très bien qui luy doit suffire.
FiNET.
Las ! ne me vueillez desconfire ,
Car je suis maintenant à Honte.
Luxure.
Il me semble qu*il luy empire.
FiNET.
Las ! ne me yueiUez desconfire.
Luxure.
Ne luy faisons point de martyre.
Toute misère le surmonte.
Finet.
Las ! ne me yueillez desconfire ,
Car je suis maintenant à Honte.
Honte.
Qui bien en sait trouver le compte,
Honte est en double manière.
Car communément la première
Je appelle Honte naturelle.
Car volontiers une.pncelle
L^a quant on la fiaict marier.
Et puis quant on la faict coucber
Âyec son mary, est honteuse ;
Tant soit-elle bien gracieuse,
Encor faict-elle maintes clamours.
De ceste-cy ayons recours
Au philosopl&e, au quart d'Ethiques,
6a Moralité des Envans
Et croy que, si bien y pratiques,
Je te oonray enseignement,
Qu^elle se nonune proprement,
Je croy, Verecunaia.
Mais une aultre Honte y a,
Qu^on appelle effrénée.
La première tris bien m^agrée
Et a Dieu aussi est plaisante;
Mais ceste luy est desplaisante,
Et te rend en subjection.
FiNET.
Trop me donnez d^affliction ;
Honte , tu as sur moy enyye.
Honte, en frappant.
Empoigne^moi ce horion.
FiNET.
Trop me donnes d'affliction.
Honte, en frappant.
Tu auras persécution
Tousjours durant ma compaignie.
FiNET.
Trop me donnes d'affliction ;
Honte , tu as sur moy envye.
Hontb.
Je te feray perdre la vie ,
Ayant que jamais je te laisse.
Luxure.
Or le menons , sans nul délaisse ,
Trestout premier k Désespoir^
Lequel-le jugera pour, you*
I>£ MAlKfTENANT. 63
AU gibet de Pérdidon
Adùne Jabien, Lmir« et Honte «dmènMit Floet A
Deseepoùr. .
ÏÏONTE.
Raige , douleur, affliction
Vous enyoist le roy c^esle*
En enfer puisse^'-TOOs tous estre
À jamais sans rémission.
Dictes-moy tost, sans fiction,
Qui TOUS admaine en cest estre.
Honte.
Nous sçayons que vous este maistre
Mener gens à Perdition.
Ce jeune fîlz y voulsist estre
£t Youlentiers luy menission.
Recordez-luy bien sa leçon ,
Et ne vous chaille pour mentir,
Âfiin que mener le puisson
Enrager sans soy repentir.
Pesespoib.
Je le feray mourir martyr,
Mais que je saicbe tout son cas.
Je sois ceiluy par qui Judas
Se pendit en 1 arbre du seux.
A Perdition maine ceux
Qui yeullent à moy consentir.
Premier fault sçayoir et sentir
De quelz yices est entadiez;
Racomptez-cy tous ses péchez.
HONIIE.
Je les auray tailtost preschez
Et ramenez k brief meinoyre.
64 Moralité pes Eufâns
Escoutez et ne m^empesche? ,
Car tout ces maulx yaeil cy retraire.
Pour Gommencement de llijstoire,
Il est eiifiant de Maintenant,
Et Mignotte vin luy fit bojre y
Manger pastez , et fut friant,
Nourry souef, et, quant fut grant,
(II) ne Youlut aller à Tescoile*
Sa mère en estoit tant folle.
Et puis Mignotte luy fut moUe ;
Maintenant n^osa contredire ,
Luy bailla argent ; il s^en voile ,
Et Tient à Jabien , le bon sire ,
Qui luy aprint tout de grant ire
Régnier Dieu et le despiter,
Malle doctrine et maulvais ars ,
Fuyr le bien de toutes pars ,
Et user son temps en Luxure,
Qui Ta despouillé de ses draps
Tant que povreté lui court sure ;
Adonc je suis trestoute seure
Qu^il estoit cheu entre mes mains.
Nous Pavons prins à la ferure ,
Nous troys, et baillé de coups mains.
Je vous ay dit ne plus ne moins
Sa douleur et sa maladie.
Ilfault qu*il passe par tes mains ;
Il est ennuyé de sa vie.
Desespoir.
Honte , vou» estes bien m^amye.
Il est bien temps qu'il luy meschée.
Mais ou estiez- vous cachée
Quant il faisoit sa grant folye?
i>« Maintenant. 65
Honte.
Alors je ne me monstroye mye.
Le dyable m^avoit attachée ,
Et maintenant en se hasdiée
 son tourment suis restablie.
Desespoir.
Tu voys bien que Ton te publie
En général trestous tes fais.
Plus ne te fault estre confis ;-
N^en fais jà plus de mention ;
Que te yaulora confession , -
Puisque tes faitz sont révéliez?
Et s'us estoient ores celez ,
L*on te donroit srant pénitence.
Et puis, qui rendroit la cfaevance
Et l'argent par toy despendu
Et le temps que tu as perdu ?
Qui feroit satisfaction ?
Ce seroit tribulation
De retourner jamais à Dieu ;
Tu Tas regnie en maint lieu ;
Jamais ne te pardonnerait
Et tousjours Honte te tiendroit;
Car jnnais ne te cessera ,
Près ou loing ne te laissera,
Jusques à ce que tu soys mort.
Si te conseille que soyes d^acord
De mourir chez Perdition,
Affin qu^il ne soit mention
Jamais de toy en cestuy monde.
Je te maulditz , Dieu te confonde
Ou puis d^enfer sans repentance.
Jamais ne feras pénitence
T. m. 5
66 MORALITi DES EnFANS
Ne requerras miséricorde.
Pends-toy avant i ceste corde,
Sans espoir de remission.
FlNET.
Jamais n^auray contrition
Ne espérance de saulvement.
Si me submetz entièrement
A tout ce que Touldrez juger.
Je Yueil ma yie abbreger;
Je ne requier que abbregement.
Desj^spoir*
Or ça donc, par mou jugement,
Je t'envoye à Perdition
Pour toute rétribution.
Le chemin y est grant et large.
Honte , je tous laisse la charge ,
Et TOUS , Jabien , et tous , Luxure ,
Puisque d'espérance n'a cure ,
Je TOUS le baille tout condemné ;
Gardez qull soit bien tost mené
Au gibet de Perdition.
Jabien.
J'entreprens la commission,
Car j'ay faict le commencement.
Il a aprins aTancement
Et ce qu'il sçait à mon escolle.
Luxure.
Cuydez-Tous que je soye si folle
Que je n'entende bien mon compte ?
A damnement meine, et Honte ,
Toute telle manière de gent;
Incontinent que leur ai*gent
BE MAINTSITAlfT. 67
Est despendu , je les fais pendre.
Honte.
Prenez de là, sans plus attendre;
Que de luy ne soy plus memoyre.
Jabien.
Sans faire jà bien longue histoire ,
Luxure , trainez au gibet.
Luxure.
Puisque Désespoir le permet ,
G*y mettray les inains voulentiers ;
Je serviray très bien d^ung tiers.
Passez tost en malle sepmaine.
Jabien.
Perdition, en malle estraine ,
Reveillez-Yous , que maulgré bieulx !
Perdition.
QuW vous puisse crever les yeulx
Et escarteler la cervelle.
Avez-vous viande nouvelle?
Où dyable a- vous tant esté?
Jabien.
Noos avons passé cest esté
Avec enfans de Maintenant.
Nous vous admenons ce gallant
Que vecy (cy) lyé etbiltô.
Par moy est ainsi habillé ,
Et Luxure Tayda à prendre.
Honte.
Onc(^es) ne voulut mestier aprendre ,
Glergie , sâence ne ars ,
6S Moralité des Enfams
Fors jeux de sors et de hazars ,
Où a despendu tout le sien ,
Et Faultruj, avec JaLien.
Son père ndst à poTreté.
Luxure.
11 s'est environ moy frotté.
Quant le feu se fut alumé,
J'ay le gallant si bien plumé
Qu'il n'a plus garde de voiler.
Perdition.
Venez ça tous troys m'acoUer,
Jabien , Honte , et vous Luxure.
Par les vertus bien, je vous jure
Que vous en serez payez
En la fin , ne vous esmayez ,
Car vous avez bien besongné.
Jabien.
Puis q'une foys j'ay empongné
Un g compaignon à mon escolle ,
Il est tiès bien , s'il ne s'envolle.
Sachez que vous en rendrez compte ,
Car dame Luxure et Honte
Sont à ce faire bien propices.
Perdition.
Vous avez bien faict voz offices.
Si en aurez très bon salaire ,
Si ne s'en veult jamais retraîre.
Mais a-il point intention
De faire satisfaction
Et venir à Miséricorde?
HONTEh ^
11 ne demande que la corde.
DE Maintenant. 69
Il a passé pat Desespoir
Qui le condamna dès arsoir.
Faictes en vostre voulenté.
PEaBITION.
Yien ça , gaf son : tu as banté
Luxure et folle compaignie
Dont tu es trestout eshonté ,
Toy et tousceulx de ta lignie
Tu doit>z bien mauldire la yie
Et le jour qu[e] onques fuz né ,
Quant tu escbeuz en ma baillie.
Par Desespoir es condamné ^
Pour ce que tu as contemné
Espérance, miséricorde.
Par Honte es cy admené,
Qui devant tous tes faitz recorde.
FiNET.
Je n'aj mai faict qui ne me morde
Tout le firain de ma conscience.
Si ne puis avoir jpatience.
Car tout vit je suis enraigé'
Perdition.
Chascun sera de. toy. vengé,'
Car, avant le jbur de demain ,
Je t^estrangleray de ma main
A ceste grant cnaine de fer.
Et te mettray au puys d'enfen
Je garde Tentrée du gouffre, ^
Où tu .seras bouilly en souffre ,
En vif argent , en psalpaistre ;
Avecqu^ dyables sera ton estrc, ^
Acompaigne des pridcipaulx ,
70 Moralité des Enfans
Avec coulenvres et crapanix.
Entre céans en la -mallieure.
FiNET.
Las! ie n*en puis mais se je pleure;
Mounr me £aiult en Desespoir.
On peult par mbj apperceyoir
Que, par mon laulx ^ouyememcnt.
Des enfans suis de Maintenant.
Enraigé sois et hors du sais ,
Car j*ay trestout perdu le sens ,
Pourtant que n^ay voulu entendre
Le bien que me youlut apprendre
Discipline par son conseil.
J*aperçoy maintenant k Tœil
Ma faulte ^ las ! mads c'est trop tard.
Perdition.
Tu seras hachié comme lard
Par menus .morceaux à larder.
Rien n^est qui t'en puisse garder,
Puis que tu es entre mes mains;
Or tien, tu n'en auras pas moins.
Adone le pend an gibet, pmi» dit Perdition à Fiset
Au dyable soyez sacrifié.
Le Fol.
Il s'estoit trop en eulx fié ,
Quant il[z] luy promettoyent du bien.
Estes-Yous tek , enfans Jabien ,
Désespoir, Luxure et Honte?
Jamais de tous ne tiendray compte.
Au dyable soyenttelz offiaers.
Quant ilz ont gai^né ses deniers,
11 Font mené au gibet pendre.
DB Maintenant. 71
Vous n^avez garde de me prendre.
J'entens bien vostre pipomelie.
Et Luxure , qui est si Belle
Et qui faict tant du damoyseau ,
Fi gi fi ga au pastoureau,
Par son semblant elle ne seroit
Dieux la, qiu ne la eongnmstroit.
Mais regardés quelle espidère :
El a escoux sa gibecière
Et puis luy a tourné le dos^
Et luy a œX Nescio vos
Et à Ja fin Ta renoncé*
Malbdigt.
Jésus, qui fut crucifié
Et soumit mort et passion
En croix pour nostre rédemption
Et saulyement d'umain li^aige
Que tu as faict à ton jmaige,
Ne te TueiDes de moj venger,
Mais oste-moy de ce danger
Où je suis cheu par ma foliye
Pour hanter folle compaigme.
Il vous plaise moy conforter.
Bon Adtis.
Ne te vneilles desconfortei'^
Ayez patience, doulx amys.
Malduigt.
Mais qui estes-yous?
Bon Abvis.
Bon Âdvis,
Le commencement de tout bien.
72 Moralité des Enfans
Malduict.
Vous me semblez homme de bien
A vous Teoir, comme il m^est âdyis.
Bon Adyis. .
Dit ay mon nom ; dy-mo y lé tien ,
Et nous serons trèsnons amys.
Malbuict.
Maldoict ay nom, maulyais enfant.
Des^nfants suis de Maintenant.
Nourry ay esté en tendresse ,
Et tout le temps de ma jeunesse
Ay suyvy folle çompaignie.
Amender youlsisse ma yie
Se je sceusse quel part tourner.
Bon Adyis.
Amys, il te fault retourner
Et soubmettce à Discipline ; '
S^il te fdct^ouffiir,pKyyeTe&chise
Afïin que tu soyes xM>rrigé ;
Car jamais homme n'est juffé
Qui de soy mesmes se chastie.
Se as grant folie bastie.
Ne te Yueilies désespérer ;
Tu es jeune pour recouyrer
Certes , se Yeulx , ton saulyement.
Tu n'yras point à damnemeni
Puisque tu as contrition ,
Et ne prens point ycelIe.Yoye,
Qui fourvoyé
Et meine à perdition ;
Toume-toy a la monition
Dont la Yoye
DE Maintenant. 73
Bien dure et ne foairbye.
Faictz que soye
Cause de ta ^yation.
Malduigt.
Grans mercys de ^induction ,
Bon Âdyis, que tous m'ayez faict.
Je m'en yoys yers Instruction
Qui m'adnâsera , s'il luy plaist.
Instruction, il me desplaist
Que Paultre' foys yous refusay,
Et yostre doctrine prins n'ay.
Donnez-la moy, je yous en prie ;
Je me repens de ma foUie
Qu'ay faicte de hanter Jabien ;
Ënseignez-moy par quel moyen
Je paryiendray à saulyement.
Instruction.
Tu es conseillé loyaufanent
D'estrc revenu ceste yoye;
Car au ciel on faict plus de joye
De ung pécheur qui se retourne
Et à pénitence s'atounie,
Qui se retourne tout de neuf,
Que de quatre-yingtzrdix-neuf.
Tu scez et yois , sans nul reprouche ,
Que Dieu Ta dit de sa bouche,
Et nous en baille maint exemple
En la Bible , grant et bien ample.
Et, puisque IHeu est très content
D'ung pécheur quant il.se repent,
Repens-toy et faictz pénitence. -
Mai^dui.gt.
Dieu mercy , jj^én ay nepeutance
74 MoRÀLiTi DBS Enfans
Et en £era y confessioi;i ,
Et , se puis , satisfaction
Telle que youldrez ordonner.
Mais, pour Dieu, Tueillez moy donner
Enseignement pour moy bien vivre.
Instruction.
Se veolz bonne vye ensuivre^
Âpprens au premier ta créance
Ayecrques] toy, et espérance.
Ëstudie ung petit livret
Que fist autrefois Gatbonnet,
Qui est tout plain de bonnes meurs^
Et n^estpas long et si est seurs.
Si au premier estudié Teusses
Et bien retenu , pas tu n^eusses
Fréquenté folle compaignie ^
Car Cathonfnec] ne le veult mye,
Qui commande , qui bien veu ra ,
Et dit : Cum bonis ambula.
Hante les bons, tu seras bon.
Maint aultre le dit que Gathon.
Aussi avons-nous de sainct Pierre^
Qui fut ferme com une pierre;
Pour estre en maUe compaignie ,
Regnia Dieu, dont en sa vie
Des yeulx luy tomba mainte larme ,
Et puis fut en la croix moult ferme.
Moult d^aultres en.pourroit-on dire.,
Mais le jour n^ pourrmt suffire.
Si te baille briefve leçon ,
Sans long prescher ne garant tensoa,
Pour la substance retenir
Et affin de tes maulx pugnir,
DE Maintenant. yS
Je te lenToye k Discipline,
Qui t^aprendra mainte doctrine ,
Et tesmaulx faitz corrigera,
Et sur toy plusieurs coups ruera ;
Mais ce ne sera que rousée
Qui bientost te sera passée.
Quant du bien (ne) te souviendra
Qui pour ce âpres te viendra,
Le mal auras tost oubljé.
Malbuigt.
A vous je suis fort obligé
De la peine que vous prenez
Et du Dien que vous m'*aprenez ;
]e ne le sçauroye desservir.
Si m^en soubmetz à vous servir,
Et à vostre commandement.
Jamais ne ferajaultrement.
Si vous mercj, teste encline.
Je m*en voys dbroict i Discipline
Qui m^enseignera aulcun art.
Je n*en puis mai3 se c'est trop tard.
Adone l'eo va k DiscipUiM , et dit :
Dieu vous gard, madame.
Du cueur vous réclame.
Vous pry et supplye
Que soyez la femme.
Qui, sans nul diffame
Adressez ma vie.
A toute foUye
Ay mon estudie
Mis et ma pensée.
Ne m'oubliez myè,
Humblement vous prie,
y6 Moralité des Enfans
Maistressie amée. . .
Discipline.
Dy moy ta pensée ,
Enfant, s'il t'aggrée :
Veuk-ta Discipline ?
Malduict.
Dame redoubtée,
D'amour moalt louée,
Grâce si jn*encline.
Discipline.
Veulx tu ma doctrine
Tenir entérine ,
Sçavoir et gai^der ?
Ton mal te termine ,
Et jamais ne fine ,
Sans point retarder.
Malduict.
Las ! dame, je n'ay que tarder.
S'il TOUS plaisoit moy regarder
De Toslre grâce très betagne ,
De;Yoa$ Jeoie vuèil bienl>ender.
Et désormais bien garder ,
Que honte ppint ne me domine.
Mais pardonnez-moy
Se reffusé j'ay
A vous me soubmettre ; »
D'orgueil le convoy
Soubzmis fut en moy. '
Si m'en vueil desmettre. •
Dl^iGIPLINE.
Pense donc de* toy retraire
DE Maintenant. 77
De toy mal faire
Se tu yeulx ma grâce avoir ;
Aultrement ne me pealx plaire
N'aussy complaire ;
Tu le peulx assez oien sçavoir.
On ne te peult pas decepvoir,
Tout pour voir.
Se veulx mon enseignement
Bien retenir et sçavoir,
Recepvoir,
Peulx avour avancement.
Malduigt.
S*eusse eu premièrement
Sentement
De vous croire ma maistresse,
Point n^eusse si faulcement
Ne follement
Démenée ma jeunesse
Mais Oyseuse qui me blesse,
Et Paresse
M^a ordonné à ce faire ;
Luxure m'a mené presse,
Qui ne cesse.
De chascun à luy retraire.
Discipline.
Dieu, qui as sur tous puissance.
Sans nuissance ,
Vacilles à cestuy pardonner.
Se veulx avoir congnoissance,
Repentance
Te pourra grâce donner:
C'est celle qui peult saulver
Et mener
78 Moralité des Emfass
A la voje de saulyement ,
Et bien te pealt ordonner
Et saulyer.
Se la requiers homblement.
Malduict.
A Yoos, excellente dame ,
Corps et ame
Dis maintenant habandonne
Trestont, mon cueor, corps etamet
Sans nul blasme.
Plus qu'à nul aultre personne.
Je n^en s'ay nulle si bonne.
Qui s adonne
Mieulx i conduire mon £ÛGt;
Puisque raison se consomme
Et Tordonne
J^en suis gi*andemcnt reffaict.
Discipline.
Dy moy sans long exploict [plait?],
Meschant malotru ,
Où t'en allas~tu ,
Quant tu me laissas ?
Ton bien trespassas ,
Folle créature.
Malduict.
Je trouvay Luxure
Qui m'a amusay ;
Si m'en suis rusay,
Car ce n'est qu'ordure.
Yostre amour procure
A tout mon povoir.
Certes , je yous jure ,
- DE Maintenaut. 79
Toasjours , sans injare ,
Faire mon debyoir.
Discipline.
Il te fault sçayoir
Ton gouvernement.
Tout premieremçnt
Discipline avoir.
Ta te mettras à deux genoulx
Et en auras deux ou trois coups
De mes yerges dessus la teste.
Adone il le bit.
Tu as yescu com une Leste
Et senry folle compaignie ;
En mal as mis ton estudie.
Entens que Fescripture dit :
Beatus vir qui non abiit
In concilio impiorum.
Cela nous dit le sainct psaultier^
Qui n'est escript d'iiuy ne d'hyer;
Cecy te yault autant a dire :
Benoist soit cil qui yeult desdire
Des maulyais le conseil et yoye.
Malbuict.
Honneur, salut, santé et joye
Vous doint Dieu, dame Discipline.
Bien yoy yostre amour s'endine
En moy , dont je vous remercie.
Yostre escolle, quoy qu'on dye,
Jamais je ne yeulx plus changer.
De yous ne me dmbz estranger ;
Secouru m'ayez au besoîng.
Je suis de mon propos bien loing ,
8o Moralité: des Ehfans
Qui cujdoys estre si très saige.
Discipline.
Saige estes pour faulx usaige.
Le philosopne, au contraire,
Bien au long , qui n W pas à faire.
Et dit qd nemo juvenes eligat in
judiciis
En son escript le bon Hierosme
Geste conclusion luj mesme
Aussi preuve , comme je Fay veu.
De ce doibt-il bien estre creu :
Quia non constat esse prudentes
Et pourtant bien te.decepvoyes.
C'est à dire que jeunes gens ,
Pour ce qu'ils sont jeunes de sens ,
Ne sont esleuz pour estre juges.
Jamais aultrement ne conjuges ;
Ce seroit fol oppinion.
Malduigt.
Argent fut grant occasion
De moy donner si grant couraige.
Mon père me fist grant dommaige
De me mettre argent es mains ;
Car pour luy j'ay juré les sainctz
Et regnyé Dieu follement.
Discipline.
Argent fut trouvé seullement -
Pour chose qui est nécessaire
A lliomme , et non pas à fdre *
Plaisance ne deduict. mondain;
De cecy doibz estre certain ;
Ou dnquiesme d'Ethiques vise,
AB Maint ENANT. 8t
0& Âristote le devise.
On en doibt justement user^
Sans follement en' abuser ;
Pour ceste cause fut trouTé.
Bien en doibt estre reprouyé
Cil qui le despend en ordure ^
Au jeu de detz et de luxure.
Mal as recordé ta leçon
Dedans le livre de Cathon ,
En ce lieu là, sans dire ho.
Qui dit : Luxuriam fugùo»
Il dict qu'on doibt fuyr luxure
Pour ce qu'on faict à Dieu injure ,
Et est pecné moult desplaisant.
Pense donc[ques] doresnavant
De estudier à bien vivre.
Se veulx ma doctrine ensuyvre,
Tu ne peulx jamais penUer.
Malduigt.
Bien m'avez voulu conseiller.
Quant à vous , Madame , m'accorde
Et vueil tirer à vostre corde ,
En faisant vostre voulénté.
Discipline.
Toutes gens que tu as hanté
Te £ault laisser, et telz manières
Qui sont tris honteuses et fiires.
Aultre chose que bien se notte ,
Laisser te fault chappeau et cotte.
Affin qu'entendes bien le cas,
Le temps qui vient , il ne fault pas
Que y retournes de rechief ,
T. III. è
82 HollALlTÉ DES EnFANS
Car ce seroit trop grant meschief ,
P]as la moytié que ce nW dWe
Maulyaise et malle fortiine
A corriger fiDablement
Que ce n^est au commencement;
Car tu sçays qu'une maladie
Est trop plus ajsement guérie
La moytié quant elle commence
Que n'est en sa perseyerance ;
Aussi la rayson y est bonne.
Car trop longue domine (sic) donne
Empeschement à médecine ,
Par quoy le mal trop plus s'encline
Et qu'il est quasi incurable.
Oyide, poète notable,
Traicte bien cest enseignonent;
On ce doibt au conmiencement
Arrester et se tenir quoy ,
Et yecy la raison pourquoy.
Le philosophe , en aultre terme ,
Comme il semble , le conferme ,
Et luy mesme le contredit;
Au premier De Celo il dit :
A virtute certa prineipium aecundum,
Parvus enim donec in principio magnu9 in
Il dit que , quant on pert la yoye , [fine.
Plus de mille foys se foryoye
Que perdre au commencement.
Pour tant mieulx yault amendement
De pechié puis peu commencié
Que d'atendre trop longuement.
Car, tant plus dure , c'est pitié.
Adonc il le T«st en eiooUtt.
Simplement et honnestement
DB Maintsuant. 83
Prens ceste robe aae te bâille ;
Ta n^en payeras denier ne maille
£t seras bien bonnesteolent.
Malbuigt.
Je vous mercje humblement,
Dame, c*cst ung plaisant habit.
Discipline.
Or te gouyeme sagement»
Malduigt.
Je TOUS mercye humblement;
Je suis yestu mignonnement
De Tostre grâce, sans llifl^it;
Je TOUS mercye humblement ,
Dame , c'est ung plaisant bd>it.
En Toz ritz ne metz contredit
Et TOUS prometz que , se je puis ,
Jamais je ne m^ rencherray.
Yostre serviteur tousjours suis
En tous les lieux où je seray.
Mais dictes moy comment pourray
Fuyr le faùlx las de Luxure;
Nul bon remide je n*y sçay ;
De jour en jour mon mal procure.
Discipline.
Je te dy bien, quant est à moy^
Ne meilleur conseil je ne sçay,
An moins ainsi comme je croy
Que lire ce que dit Oyide :
Otia si toUas, etc.
On doibt fîiyr oysiyeti
S4 MORALITi DES EnFANS
Qui yeult fonjr la ûaccté
De Luxure et sa compaignie ,
Et, se tu yeulx cpie je le dye ,
Comment oysiveté lairras ,
En bien Tiyant tu la fuyras
Par firequente occupation
Ou pour bonne opération ;
C'est le remède qui y est.
Garde que tousjours tu soys prest
D'estre moult fort hnmUiant
Autant au petit comme au ^ant,
Et ne change point ton babit ;
Il est de trop plus grantproufit
Et k toutes gens plus bonneste
Que la robbe , sans plus d'enqueste ,
Que tu portes. C^est yérité ;
Ce n*est que toute vanité. .
Malduigt.
Retourner par humilité
Fault à mon père et à ma mère :
Pardonnez-moy en charité;
J'ay en mon cueur douleur amère.
Maintenant.
Tu viens de très bonne manière ;
Raison le veult et équité :
Je te reçoys à bonne chèce* ,
Dieu paraoint ton iniquité.
MiGNOTTE.
Au nom de saincte Trinité^
Pardonnez-nous f seigneurs et dames.
DÉ Maintihart. 85
Pour donner i aultruy diffame ,
On n^en sera jà mieulx prisé.
Malduict*.
Se le jeu n*est moralisé ,
Il y a cause excusant,
Dont ne doibt estre desprisé,
Car ce n*est que jeu d^en£mt«
Maintenant.
L^auteur est encore apprenant
Qui a cest œuvre composée ;-
Et est enfant de Maintenant
Dont mieulx doîbt estre excusée.
Honte.
Une chose est bien formée
Où Ton ne treuve que redire ;
Cfaascun a tris soureiit'^y dire :
Commencement n^est pas fusée.
Maintenant.
A Dieu toute ceste assemblée,
Qui la yueille à bon [port] conduire.
Luxure.
Il sera dVnians bonne année ;
Adieu toute ceste assemblée.
Discipline.
Seigneurs , c^estoit nostre pensée
D^enÊins seulement introduyre.
86 UoB. Dss Eitr. DB Haiht.
Maldcïct.
A Dira tonte cest assemblée ,
Qui la Tueille â bon port conduire.
MORALITÉ NOUVELLE
CONTENANT
Gomment Envie , au temps de Maintenant ,
Fait que les frères que Bon Amour assemble
Sont ennemys et ont discord ensemble , -
Dont les parens souffrent maint desplaisir,
An lien d^avoir de leurs enfans plaisir.
Mais à la fin Remort de Conscience,
Vueillant user de son art et science,
Les fait ranger en paix et nnion ,
Et tout leur temps vivre en communion.
A neuf personnaiges, c'est assavoir
LEPREGO' LE TIERS FILZ
LE PÈRE AMOUR FRATERNEL
LA HÈRE ENVIE
LE PREMIER FILZ ET REMORT DE GON-
LE SECOND FILZ SClENGE
Lb PregO commence.
ourgeoîs, marchans, dames et damoy-
Je TOUS salue en généralité , [sellés,
Vous suppliant que prestéz vos oreilles
Âflin d^ouyr nostre Moralité,
Que fisdcte avons, non par mondanité ,
Mais pour le vray déclarer seulement
Au nom de Dieu, pour quoy la vérité
Vous congnoistrez icy présentement.
SS Moralité
Le Père.
Loué soit Dieu, mon pire et redemptear,
A toiujoars mais, puisque vray directeur
Il s^est montré enrcrs moy en ce monde.
De plusieurs biens je suis maistre et recteur ;
La grâce Dieu, je ne suis point debteur ;..
Je le puis dire sans, estre jacts^iuide.
La Mère.
Louons le maistre de la machine ronde.
Par qui avons receu joje profonde
De noz enfans, tant aymez eu tout lieu.
Mon cher mary ^ le point o& je me fonde
Est que nul d'euK je ne yoys yacabunde ;
Ce sont enfiains enclins à servir Diea«
Le Père.
Loué en soit le hault roy supemel.
Et ce qullz ont bon Amour Fraternel
En toute place ayoc eulx me plaist bien ,
Et en ma yye n'auray faulte de rien.
Tant que yerray iiz s^aymeront ainsi.
La Mère.
J*ay bon espoir que vivrons sans soucy
Sur noz viculx ans , et que leur bon support
Nous conduira finalement au port
De tonte joye, car leur commencanent
Est bien entier. ,
Le JPÈRE.
Femme '^ certainement,
Je me repute tn^ plus quli^reux d'avoir .
Eu telz enfans, mats il coiivientsçavoir
Où c'est qu'ilz sont pour les faire venir.
La MtRE<
En yerité, je ne me pois tenir
Qu*à tontes heures ne soient aiq^ris de moy ;
Et j*apperçoy« quHIs chassent tout esnu>y
En toutes.pars ou on les peult trou^.
Le Père.
U est certain ; toutesfois esproUver
Je Touldrois bien si leur amour est stable.
Car en jeunefse le monde est yariable^
Dont je crains for^ quW la fin ne se change[nt].
Là MitRB.
U n^est possible; considère <[a*ilz mangent
Journellement aisemble^
Le Père.
Yrayement,
Sans long propos, appeler les conyient.
La MÉre.
Je yoidz Tun d^eulx, lequel contre nous yient ,
Je suis joyeuse : les voicy tous ensemble ,
Et avec eulx ont tousjours, ce me semble,
Leur Fraternel Amour.
Le Père.
Meftfchers eoHuis,
A tous de vous maintenant je,defiens .
Que ne soyez à jamais deapouryeus
De yostre amour, dont.yous estes pounreuf.
Car c*est la chose laquelle plus meplaist.
JeHAH LE FREM1ERFILZ.
Mon tris cher pire, sachez, saifs plus de plaist,
Qa*k tonsJQfàrs mais il sera de ma part
Ainsi quu est.
90 Moralité
Pierre LE second filz.
Sans chercher autre port,
De mon costé inyiolablement
Le garderay.
Ana^hoile le tiers filz.
Je nY yeulx nullement
Contrarier, et pour ce que j^entens
Vous pourriez estre contre moj mal contens
Pour ce que j*ay grant argent despendu.
Affin qu au double le tout vous soit rendu,
Je veiux de vous estre le serviteur.
Le Père.
Mon cher enfant, Jésus ton directeur
Et de chascun, te face , par sa srace,
Venir k luy : car, j'aj en toute place
Ma confidence que celuy tu seras
Qui plus de bien au monde me feras.
Et j^y en toy si avant mon cueur mis
Qu impossible est qu^'il soit par moy demis.
Je t^ay aymé sur (tous) mes autres enfans ,
Et m as tbusjours obéy sans contraincte ;
Si tu sçavois, sans que je parle en fainte.
Le grand amour lequel mon cueur te porte,
Ton bon vouloir, que tousjours me conforte,
S*augmentcroit envers moy seurement.
AnATHOILE le tiers l^ILZ.
Redoubté père , je suis entièrement
Tenu à vous par la loy de nature
Et par tout droit, dont ne fault qu^ayez cure
Que vous soyez à jamais délaissé
Par moy, et si, d*adventure, au passé,
Je vous avoys quelquement, par jeunesse.
NOUTELLS. 91
Rien ofiêncé, j*eii demande en hamblesse
Pardon et grâce , yous merciant, cher père,
Paismill yous plaist de cest honneur me faire
Que de me dire lé bon youloir qu'ayez
A moy sur tous. De ma part yous sçayez
Que Je yous dy , espérant qu'en bref tempz
Yous' cogDoistrez, ainsi que je prétends,
Que yous n'aurez celuy a Fadyenir
Pour yous traicter et yous entretenir
Meilleur que moy ; aussi je y suis tenu.
Le Père.
Tu sçais comment je f ay entretenu
A grans despens , en estrange proyince ,
Pour poursuyyir tes estudes , et prins ce
Qu^ay despendu pour toy jusques icy,
Et que tes frères , lesquelz sont presens cy ,
Sont demourez tousjours en la maison
Ayecques moy ; ie dy c^est bien raison
Qtt*enyers eulx deux en face recompense.
Anathoile le tiers filz.
Redoubté père, ainsi comme je pense ,
Je feray tant, ayec Tayde de Dieu,
Que tous contens les rendray en tout lieu;
Tant que jpourray pour eulx en quelque chose
Moy employer, je le feray .
Le Père.
Ma rose ,
Mon cher enfant, de f ouyr suis tant ayse
Que je ne sçay si suis sain ou malayse;
ie sois rayy aesprit entièrement.
AnATHOLLE LE TIERS FILZ.
Le mien parler ne sçaiffoit bonnement
93 Moralité
Vous exprimer ma bomie yobinté.
Le Père.
Or, mes enfans, je tous -vaeil cy compter
Ce (pie je pense qu^il seroit bon de fidre :
Qa*est que tous , Jehan, tous fei^ùrcez deffaire
Gestuy laisseaa de boys «pie je vous donne.
Jbhah premier filz.
Puis qu^il TOUS plaîst, il fault (pie je m^adonne
Pour esprouTer si rompre le pourroys.
Ha, mon bon pire, trop plus tost je mourroys
Que le desrompre ; je ne suis assez fort.
Lfe Père.
Pierre , prendz-le et y faitz ton effort ,
Pour esprouTer si ta for(^ est bien grande.
Pierre le second filz.
Puis (pie mon père ores me le commande ,
Je le leray , sans longuement tarder.
Mon père , helas , il conTient regarder
Qu^impossible est (pie quelquement le face.
Ie Père.
Si conTient-il que (iuel(pi*un le defface.
Prendz-le ^ Anathoille ; montres-y ta Tertu.
LièTe le tost. Comment! où pense-tu?
Veulx-tu pas faire le mien commandement?
Anathoile le tiers filz.
Plustost mourir qae de faire autrement
Qu*il ne tous plaist; mais je seii^ ma puissance
Tant inhabile , (pie je sçay que nuisance
Ne pourrois faire à ce aisseau de bois.
Puisqu*il TOUS plaist , neanmointz je m*y Tois
Tost employer pour Teoir (pie c^en sera.
En bonne foy , mon père , ce sera
NOUVRI^LB. 93
Autre que moy ; je n'y hk recevoir.
Le Père.
Or, mes enfanS) ainsi que je puis yeoir.
Vous ne pourriez le rompre en cet^ sorte»
Prenons doncq piice après pièce ; aporte
Qu'on le deslye sans tarder davantage ;
Chascun de vous y face son ouvrage;
Despeschez-vous.
Jehan le premier filz.
Par monsieur sainct N^thièr,
J'aymeroyes mieulx rompre de la moytier
En ceste sorte deux faisseaulx qu'autrement.
Pierre le second filz.
Par mon serment^ et moy semblablement.
C'est une chose qiie n'est point difficille.
Anathoile le tier^ filz.
En mon vivant n'euz chose si &ciie
A acomplir qu'à rompre ces bûchettes.
Le Père.
Bien , mes enfans , je cuydè que vous faictes
Facilement ce que vous ay enjeiinfct
Depuis qu'on a le gros Êdssean desjomct.
Est-il pas vray ?
Jehan le premier filz.
Vous voyez patiemment
Goimnent l'avons éespesdié vistement.
Mais , 1 la fob , il estoit impossible.
Le Père.
Mes diers en&ns , il ne sera possible
A quelque humain, de vous porter dommage , .
Pourveu qu'ayez tous trob jnesme courage ,
94 MORÀLITi
San» TOUS desjoindre^ comme réxperience
Vous ay monstre. Et tençz pour science
Que Yostre force n'estoit pas suffisante
Pour k ce bois estre en riens nuysante
Estant conjoinct. Mais , estant séparé ,
Alors ayez par pièces esgaré
Tout le faisseau. Dont prenez souYenance
Que ne prendrez en vous outrecnydance [proffit.
Pour yostre [yous?] disjoindre , pour yostre grant
Pierre le second filz.
Nostre bon pire , pour ceste beure il suffit.
J*ay bon espoir de mener telle yie
Ayec mes frères , qu*il n ^ aura enyie
Entre nous trois , ains Amour Fraternel
Ayecques nous demourra éternel.
Amour Fraternel.
Mon désir est de faire demourance
Ayecques yous ; quoy faisant , Tabondance
De biens yiendra à yous , sans y faillir.
Où je demeure, sans nulle decadance
Tous biens abundent, et nV a defTaillance ;
M*entretenant on ne peut deffaillir.
Anathoile tiers filz.
Amour, bêlas , autre cas ne désire
Entre mes frères et moy , sinon yous seul.
Dont je yous prie ne me point esconduire ,
Mais me suyyir jusques au dernier linceul.
Jehan premier filz.
Mon espérance est que si nous t'ayons
Ayecques nous , Amour tant désirable ,
Nous ne sçaurions nullement , ny poyons
Perdre le loz de gloire pardurable.
Nouvelle. 95
Pierre second filz.
Loyal Amour Fraternel , si ta grâce
S*est adonnée k nous jusques icy ,
Encor te prie venir en toute place
Âvecques nous, par ta sainte jnercy.
Amour Fraternel,
Mon naturel ne requiert autre cas
Que tout honneur , toutUen , joye et lyesse ;
De mon costé, sans plus grands altercas ,
Je suis contend suyvir vostre noblesse.
Mais ffardez bien qu^Enyie ne vous blesse ,
Car eue prent trop cauteleusement
Ceulx qu'elle yeult fouUer par quelque oppresse.
Gardez tumber en son tresbuchement.
Jehan premier filz^
Il n'est possible qu^Ënvie me sceust abattre ,
Tant elle soit pleine diversité.
Amour Fraternel.
J^ay grant paour qu^il n^en faille rabattre
Si elle veult quelquefois irriter.
Pauce , et vont les premier et second fils sur la verdure,
où Hz se couchent .
Ij E itE RE.
J*ay en mon cueur tant de joye conceu
Qu impossible est d'en avoir davantage.
Par cy devant J'ay veu et apperceu
Le grant amour des filz de mon ménage.
Tous biens me viennent en voyant tel ouvrage
Et semble au vray que jeune je deviens.
Jamais ne fut que n en eusse présage. .
Certes, je suis joyeulx quuit m'en souviens.
96 moealité
La Mère. . .
Le seul plaisir que prt noiis ea Iwgesse
De noz enfuis yault trop mieulx que richesse,
Or D y argent, nVutre faien de ce. monde.
Ehyie.
Vrayement, je Teuk que Ton me tonde
Si je ne fiads ae nK>j parler.
Où est-ce que pourrày aller
Pour j donner quelque escarmouche?
Hola, hola , chasseur de mouche.
Je sçay ce que voulois sçavoir.
Or, messieurs, si Ton veult avoir
Notice dé moy et ma yie ,
Par mon nom je me nomme Enyie,
Née en enfer, cela s^entent.
Et, si quelque personne tend
SWder de moy, il est à croire
Qu il nVra point en purgatoire,
Mais delà d*où je suis sortie.
Ma puissance estoit amortie
Le temps passé; biais maintenant
Chascun est sa partie tenant
Et suis en bruict et renommée;
Et cela que suis surnommée
Mauldite, ce n^est sans raison;
Car bien maiddite est la maison
En laquelle Ton m^entretîent.
Mais qui est-ce qui ne me tient
Maintenant poa/dame etmabtrase?
Si oenyientoue soys de la presse;
Je feray bouulir le polage;
G^est trop parlé de tripotage ;
Il £inlt penser d^juitre matière.
N^OUVELLE. 97
Il me convienr trouver manière
B'atraper à moj qaeloue beste,'
Et, si Ton ne voit belle feste,
Je yeulx bien tost que Ton me pende.
Peu s^en fault que je ne débande
Mon arc contre ces deux dormans ;
Peult estre ce sont wros gourmans
Qu'ont plain le sac jusqu'à la bouche.
Sus donc , il fault que je descrouche
Après, de par le dyable, après.
Je vous ordonne par exprès
Que soyez tous deux envieulx.
Elle se tire; puis les deux frères s'esyeillent, et dit
Jehan le premier filz.
Je ne sçay qu'ont trouvé mes yeulx ;
Je ne cesse de me dormir.
Pierre second filz.
Jeban, mon cher frère, mon amv ;
Sçay-tu de quoy je m'esmerveille?
Jehan premier filz.
' ■ <
Ouy; de ce qu'ainsi je sommeille.
N'est-ce pas cela, respondz moy?
Pierre le second filz.
Frère , tu me metz en esmoy
De me respondre en ceste sorte.
Jehan premier filz.
Si sçavois le mal que je porte
Tu ne me tourmenterois tant.
Pierre second filz.
Et comment, es-tu mal content
De quelque chose, dys, mon frère?
T. m. 7
98 Moralité
Jehan le premier filz.
Quant je pense k nostre affaire,
Nous sommes bien folz, sur mon ame.
Pierre le second filz.
Mon frère, je n^entends ta gamme ;
Il te fault parler clerement.
Jehan premier filz.
Quant je pense au gouyemement
D*entre nous deux et nostre frère.
Par Dieu, ce jD*tst grant vitupère.
Quant en avons tant endurer.
Et quoy, je voys tout empirer ;
Tout y va à rdbours de bien.
Je cuyde que tu mVntens bien.
Nostre père nous fait grant tort;
11 a fait la buée et tord.
Je m^esbahis de son affaire ;
Je ne vojs point qu^il cujde faire.
Sinon nous rendre pauvres gens,
Et, si ne sommes diligens
A nostre oas , j'âj grande craincte
Que nostre part ne soit estaincte
Quant à son bien , car, tout comprins ,
Si ce que nostre frère a prins
Et despendu estoit ensemble ^
Nous aurions deux fois, ce me semble.
Plus de bien que nous n^avons pas.
Et puis il marche par compas^
Il le fera son successeur ;
Il sera son héritier seul,
A ce qu'en puis conjecturer.
Mais il nous fault adventurer
A j mettre empeschement.
Nouvelle. 99
Pierre second filz.
C'est la chose certainement
Que j'avoys désir de te dire,
Et mon Dieu me puisse mauldire
Si ne suis marry de mon pire ,
Qui nous procure Timpropère
Que de nous faire ses Lastardz.
Je ne prise point deux patardz
Mon frère Ânathoille et sa yie.
Je luy veulx porter une envie
Qui ne luy prouffitera rien,
Et, sang bien, il n'est terrien
Qu^endnrast chose tant frivole.
Par Dieu, j'ay esté à TescoUe ,
Oii j'ay aprins jouer des tours,
Et en brefr jours, sans longs atours,
Monstreray l'erreur de mon père.
Il dit qu'il ayme nostre frère
Plus que nous, sans comparaison,
Qu'avons maintenu la maison
Où il despendoit nostre bien.
11 congnoistra tantost combien
J'ay désir vendre mes espices.
Jehan le premier filz.
C'est ce que vouloys que tu fisses ;
Il le iault faire sans demeure.
Pierre second filz.
Si Dieu plaist que bientost ne meure.
Tu voirras le tout mis à un.
Jehan premier filz.
Vois-lu pas bien, mon frère ? Affin
Que nostre père puisse entendre
«00 Moralité
Ce doDt nous le voulons reprendre,
Il fault plainement luy monstrer
Que Famour qu'il a dCemonstré
A nostre frère nous desplaist.
Pierre second filz.
Desclairez'ie donc, s'il vous plaist ,
Yous-mesmes, affin de mieulx dire.
Jehan premier filz.
Gela que nostre fait s'empire
Me fait enrager de despit.
Pierre second filz.
Or, mon frère, allons sans respit
Par devers nostre domicilie ;
Allons-y tenir le concilie
Pour faure une conclusion.
Remort de conscience.
Enfans , la grant abusion
Que vous suyvez vous damnera.
Pensez quel gref dueil ce sera
A vostre père débonnaire.
Quand il verra qu'à vostre frère
Portez une mauldicte envye.
Il vous fault changer vostre vie
Et prendre avec vous Bon Amour.
Enfans ^ entendez ma clamour :
Délaissez suyvir telle chose ,
Ou par mon arrest je propose
Que serez cause qu'a jamais
Vostre père sera marry ; mais
Pensez un peu à vostre cas ,
Et vous verrez , sans altercas ,
Qu'avez grand tort d'ainsi parler.
Nouvelle. 101
Jehan premier filz.
Pierre , je De veulx plus aller
Vers nostre père déclarer
Ce que avions délibéré ,
Car ce nous estoit grand folye ;
Mon enyie est toute abolie.
Je cognois par expérience
Que par Remort de conscience
Nous nous devons tost désister.
Pierre second filz.
Je ne tous youldrois assister
Si j Yjpulez aller aussi.
Car, ayant vu de près cecy.
Nous avons le tort, sur mon ame ,
Et nous seroit, certes, grant blasme.
Si nostre frère autre estoit
Qu*il n'est , et si beaucoup coustoit
Du temps qu'il estoit à Festude ,
Il n'usera d'ingratitude
Cy après , comme on peult entendre.
Puis , si mon père veult estendre
Et mettre son amour entier
En luy, il ne nous est mestier
Nous en douloir ; ce qu'il veult faire
Nous devroit en tous moyens plaire.
Jehan premier filz.
Ne parlons plus de ces matières ;
Noz voluntez nettes et entières
Nous £aidlt rendre, et, pour conclure,
11 nous fault prendre voye seure
Vers nostre père maintenant.
Pierre second filz.
Je vous suis ici de tenant.
103 Moralité
Allons, sans plus nous abuser;
Si d'adventure il veult user
Entre nous d'admonesteinent,
Obéissons luy droictement.
Jehâm premier filz.
Il fault qu'au chemin nous boutons ;
Car je crains fort que nos moutons
Ne tardent trop partir pour paistre.
Honoré père , nostre maistre ,
Dieu vous préserve en tout honneur.
Pierre second filz.
Père , Dieu vous garde en bon «heur.
Retournez sommes pour sçavoir
Si vous voulez faire pourveoir
A ce que les moutons on mène
Paistre en quelque prochaine plaine.
Le Père.
Mes enfans , il [en] est saison ;
Partez vous tost de la maison,
Et les menez en quelque lien
Paistre , sous la grâce de Dieu.
Jehan premier filz.
Ainsi soit fait que Tavez dit.
Je mY voys, sans nul contredit,
Les garder avec[ques] mon frère ,
Pourauoi adieu vous dy, mon père
Jusqu au retour.
Pierre second filz.
Et moy aussi.
Li E Jr E RE.
Nostre seigneur, par sa mercy.
Vous vueille garder dé dommaige.
Nouvelle. io3
Je sens tant joyeulx mon courage
Que mon cueur tressaillit de joye.
Or je prie à Dieu qu'il convoyé
Tes frères, mon £Qz bien aym[é].
En moy je ne sens rien d'amer,
Quand je vois qu'estes adonnez
A vous aymer, et vous donnez
Totallement à vous servir
L'un l'autre.
ÂrïATHOILE LE TIERS FILZ.
Si j'ai desservy
D'estre aymé par eulx en tout lieu , *
J'en donne grâce au puissant Dieu,
Et , si vous plaist que me transporte
Vers eulx aux champs , je le feray.
Le Père.
Mon filz, en tout ta me conforte;
Tant que vivray ie t'aymeray.
Si tu les veulx aller veoir,
Ce ne sera que pour mouvoir
Leurs cueurs à t'aymer davantage.
Anathoile le tiers filz.
Sçachez , père , qu'en tout passage
De leur complaire ay appétit. ;
Le Père. »,
Or, mon fik , attens un petit ; ^
Il n'est pas encor temps d'aller.
Je veulx à toy un peu parler.
Car ce m'est joye quand je te voys.
Je n'ay corps , visage ny voix
Qu'à ceste neure ne s'esjouyssent ,
Pour ce que de te veoir joùyssent
I
M
?»
io4 Moralité
Présentement en grand plaisir.
Anathoile le tiers filz.
Père , si c'est vostre désir
Que de me compter ou enjoindre
Quelque chose , je n'ay pas moindre
La Yolunté que du passe.
Le Père.
Mon filz , je suis un peu lassé.
Mettons-nous tous deux àrecoy,
Et puis je te diray pourquoy
Je t ay mt que je aesirois
Parler avec toy.
Anathoile le tiers filz.
Je serois
Très aise qui fussions desja.
Celuy qui les maulditz rengea ,
Nous donne tousijours, par sa grâce.
Bonne amytié en toute place.
Hz se retirent , puit le premier et second filz se couchent
sur la verdure ; et j^ause.
Envie.
Gomment! Où est-ce que je pense?
Nul ne me donne recompense ,
Et si suis preste au besoigner.
De toutes pars fault cheminer
Pour frapper quelquW de ma flesche.
Je rendray la personne sèche
Qui recevra mon. premier coup.
Sus , Envye , à coup , à coup !
Il est temps que faces ta monstre ,
Et convient que tu te demonstre
Telle que tu es rénommée.
Sans faire plus grande chommée«
Nouvelle. io5
Cherche qaelqu'un pour assaillir.
Ça , ça , il ne me fault faillir
Pour donner la part à ces deux.
Elle tire à Jehan le premier filx et ne treuTe point de
. flesches en son carquois pour tirer à l'autre , disant :
dyable , gramment je me deulz :
Je n'ay point de flesches icy
Pour donner encor à cestuy cy
Cela qu'il luy fault receroir.
Elle se retire , et
Jehan premier filz dit:
Ainsi que puis appercevoir,
Mon {îrere , nous sommes bien bestes ;
On nous devroit couper les testes ;
Nous nous monstrons par trop caignardz ;
Ne faisons non plus des canardz ;
Ne marchons plus dedans la boue.
J'ay désir donner sur la joue
A nostre frère tant mauldit.
Nous sommés bien en fait, en dit,
Mocquez par nostre pervers père ;
Ce nous sera grant vitupère
Si nous ne luy portons dommage.
Pierre second filz.
Helas ! mon frère, quel courage,
T'a ainsi esmeu chauldement ?
Jehan premier filz.
Allons, despecbons vistement.
Allons luy payer sa desserte.
Mort bien. Ton y recevra perte
Puis qu'ay esqhaufie le cerveau ;
Et, mon friret ^ ^ hien veau ,
Si tu ne voys la grant laydure .
io6 Moralité
Qa'on nous fait.
PlERRB SECOND FILZ.
Sur la verdure
Il nous fault un peu recoucher.
Hz se couchent , puis
Entte dit en tirant contre Pierre
Or, sus, sus, voyla depesché
Ce dont j'avoys plus grant désir.
Pi erre , en se levant,
! mon frère, quel desplaisir
Quant j'ay pense et repensé.
11 nous fiault aller commencer
La feste par nostre maison.
Départons ; il en est maison.
Je prometz à Dieu de veneer
L'injure dont je suis renge ;
C'est trop enduré, somme toute.
Jehan premier filz.
Or, mon frfa-e Pierre^ escoute ;
J'ai regardé un bon moyen.
Par lequel nous chevirons bien
Quant a mettre à mort nostre frère
' A rinsceu de nostre père.
Tout beau, ne bougeons, je te prie.
Pierre second filz.
Voys-tu bien , j'ay tant grande envie
Que nostre frère soit deffait.
Pour le desbonneur qu'il nous fiaict^
Que ne puis modérer mon yrè.
Mais non pourtant, si tu veulx dire
Le moyen que tu dis savoir,
Je veulx bien patience àvojrr
De l'ouyr.
Nouvelle. 107
Jehan premier filz.
Je ne veulx tarder
De le dire. J^ai regardé
Tous moyens que j^ay sceu songer.
Mais je ne youldrois point changer
Celuy que te veulx racompter.
C^est que nous irons en lliostel
De nostre père, puis après
Nous luy dirons par motz exprès
Nostre vouloir et que, s'il veult
Tousjours poursuy vir le sien veu
Quant à aymer plus nostre frère
Que nous, l'injure et impropère
Nous repoulserions en brief temps.
Sang bien , nous sommes ses entans
Aussi bien que luy, vertu bieu;
Il fault qu'on en parle en tout lieu.
Pour le fait tost expédier,
11 nous conviendra hardier
Et mettre nostre ûrère à mort ,
A quelque coing , sans nul remort,
Et que ce soit secrettement ,
A l'msceu entièrement
De nostre père et de ma mère.
Pierre i^e second filz.
Ce leur sera douleur amère
Si une foys le pevent sçavoir.
Mais , quelque dueil qu'ilz puissent avoir.
Il le fault mettre à fin et chefz.
C'est k faire au couper le chef
De nostre frère tant pervers.
Puis , s'il venoit quelqu'un devers
Nostre père, luy declairer
io8 Moralité
Il nous fauldroit luy séparer
La teste d'avecques le corps ,
Et après vivre en bons accordz ,
Mettans en Testât nostre père
Qu^il mérite, aimant nostre frère.
D^abondant autant fauldra faire
Si nostre mère nous vient braire ;
Nous en avons trop enduré ;
De ma part je ne puis durer
Que n*en fais expédition.
Et puis , au pis aller, si on
Nous en mesprisoit quelquement.
Il nous fauldroit prendre hardiement
Vengeance sur nos ennemys.
Jehan premier filz.
Ceulx ne seront pas mes amys
Qui me viendront rompre la teste ,
Et , pour te repondi'e à la reste ,
Je veulx qu^il soit sans contredit
Fait tout ainsi que tu Tas dit.
Paase , et
Le Père dit:
Mon filz bien aymé , ton désir
Soit fait, si veulx prendre plaisir
D'aller veoir tes frères aux champs.
ÂNATHOILE LE TIERS FILZ.
Helas , mon père , voz doulx cbantz
Me font frémir le cueur de joye.
Tantost je m'en voys mettre en voye
Pour les trouver à la bonne heure.
Le Père.
Or, mon cher fi]z , va sans demem'c ,
Nouvelle. 109
Jésus te garde par sa grâce.
Il départ et ya contre ses frères lentement. Puis dit
Jehan premier filz.
Je voys quelqu^un suivir la trace
Du chemin , par vers nous venir.
Il le nous fauidra convenir
Pour sçavoir quel homme il peult estre.
Pierre second filz.
, nostre Dieu , nostre hon maistre ,
Loué sois-tu très grandement.
C'est nostre frère, vrayement.
Il le nous fault faire mourir.
Nul ne le pourra secourir
Qu'à ce jour ses jours il ne fine.
Jehan premier filz.
Il nous fault tenir honne myne ,
Et le laissons fort aprocher.
Pierre second filz.
On le nous pourroit reproucher,
Si l'on trouvoit son corps sur terre,
Pourquby fault garder que l'on ne erre ;
Mettons-le en quelque caverne.
Jehan premier filz.
Mon frère, ceste grant cyterne
Est le lieu 011 le convient mettre.
Nous luy donrons tantost sa lettre ;
Il sera tost maistre passé.
Pierre second filz.
Mais de le faire trespasser
Il fauidra regarder comment.
Jehan premier filz.
Je pense à sontrespassement;
110 Moralité
Mais il me semble on le deust prendre
Et au font du creux le descendre,
Où quelque temps il languira,
Et puis tost après il mourra.
Si tous les djables ne Tempxurtent.
Pierre second filz.
Je voys que vers nous se transporte ;
Ne disons plus mot, je te prie ,
Mais rendons la chose acomplie.
Anathoile le tiers filz.
Mes frères, et puis?
Jehan premier filz.
Et fontaines.
Hz le lyent de cordes.
Anathoile le tiers filz.
Qu'est-ce cy?
Pierre second filz.
Tes fiebvres quartaines,
Tu Tentendras tantost, beau père.
Anathoile tiers filz.
Qu'est-ce que vous me voulez faire?
Dictes-le moy, je vous supplie.
Jehan premier filz.
Nous te ferons perdre la vie
Avant que partir de noz mains.
Anathoile à genoulx,
doulx créateur des humains ,
Helas, prends tost de moy mercy.
Pierre le relièçe rudement i
De cecy nous n'avons soucy,
Meschant -pendu; cette cyteme
Nouvelle. m
Te servira d'une taverne
Pour^ si tu veulx, faire grand chère
AnATHOILE TI^RS FILZ.
Helas ! helas ! cruelle chère !
Vous ay-je point fait desplaisir?
Jehan premier filz.
Si maintenant avions lojsir,
Nous te le dirions ; aussy bien
De la cause (tu) n'ynore rien ;
Tu la peulx bien conjecturer.
Anathoile tiers filz.
Helas , me (ault-il endurer
La mort par vostre faulce envie?
Pierre second filz.
Despeche , c*est fait de ta vie.
Entre en ceste cy terne cy.
Anathoile tiers filz.
Helas, dont procède cecy?
Je meurs par vostre faulse envie.
Jehan premier filz.
Despesche , c'est fait de ta vie ;
Je croy tu n'es peint nostre frère.
Anathoile tiers filz.
Helas ! et que dira mon père ?
Qui me commandera à luy?
Pferre second filz.
Du moins tu ne seras celuy.
Hz le jectent en la cyterae , et
Jehan le premier filz dit:
En voyla l'expédition.
Mais , Dour faire conclusion ,
lia Moralité
Il noas fault tromper uostre père.
Pierre second filz.
Sçais-tu bien qu^il nous fauldra faire ?
Il nous fault tiier ung mouton ,
Et puis dans le sang nous mettron
Quelque habitz , dont nous ferons monstre
A nostre père , qui à Teticontre
Ne pensera point au'une beste
N*ayt porté a son nlz moleste
Et deyoré, pour faire court.
Jehan premier filz.
Tu es un yray galant de court ;
Soit fai^t ainsi que tu le dis. .
Hz tuent un mouton et mettent un habit dans le ftang, et
Le Père, remort d'eulx, dit en parlant à sa
femme :
Loué soit Dieu de paradis ,
De mes enfans qui sont bien nez.
Jamais les mieuix morigénez
Ne se trouvèrent sur la terre.
L'un contre l'autre ne prent guerre ,
Mais ont un Amour fraternel
Qu'il me fera comme étemel. -
La Mère.
Mon amy , ce sont les enfans
Peult estre les plus triompbans
Qui soient point en ce quartier.
Le Père.
Ma grâce leur est impartie ,
Et les 'Aymé profondement :
Car jamais ung bon cneur ne ment.
Mais j'ayme le moindre d'entre eulx
NotJVBLLt. it3
Beaucot^ |diii me tes «ultras deux,
Tant pour ce qu^ell nostre vieillesse
Le Saiiy^tur, par sa grand largesse.
Le nous a donné, comme aussi
Qu^il obehist, sans qua ne si,
Tousjours à mon commandement.
Là Mère.
De mon eost^, semblabbment,
Il me plaist fort sur tous ses frires.
Le Père.
combien sont beureuxles pères
Qui ont enfans de bonne sorte.
De ma part mon fait me conforté ,
Car, la mercy Dieu et nature,
J'ay irh bonne progéniture,
Et telle, que la oesiroys.
Vunw et
Jehàii premier Pitz salue son père
en disant :
Cher père, le bault roy des roys
Vous doint yostre noble désir.
Le Père.
Dictes moy, car c^st mon plaji^ii:,
Yostre frère ne yient-il pas ?
Pierre secokR' filz:.
Je sommes yenns pas à pas.
Sans nostre frère avoir ven. ' '
Le Père.
Helas, or suis-je desponryeti
De tout plaisir et tout soûlas.
Helas , helas , helas , helas ,
Entièrement me desoonforle.
T. III. 8
ii4 Moralité
Je Yoidz ses Itabitz. qae tuporle., .
Tous plaiss de sai»g et tout uoircy .
Jehan premier filz.
Certes, quant à ces habits cy, .
Nous les ayons au boys trouvez ,
Et, par propos non controuvez ,
Vous dis que nous ne ^çavions mye
Nostre frère eust; fait départie
D'avec vous..
Le Père.
quelle nouvelle !
Mort , dure mort , o mort cruelle,
Viens moy jecter à la renverse.
la fortune trop diverse !
Or fault-il maintenant plourer.
Quelque beste aura dévoré
Mon cher enfant. quel effort !
Où est-ce que prendi'ay confort ?
Il me fault mourir sans relais.
Helas , helas , helas , helas !
beste lubricque.
Si fort tu me picque
Qu'il fault que m applicqae
A éhanter helas.
Ton faict inique
Me; donne ■■ colicque
Fort dure. et oblicque, /
Dont je pers soûlas.
La Mère.
Helas, mon amy, patience;
J*ay mon entière confience
Qu'on le tiouvera à bonne heure.
Il fault que allions sans demeure .
Nouvelle. ii5
Pour le chercher dilîgemtneiit.
N Y pensez ppint tant yistement.
LjE "ERE* '
Helas , pauyre fière,
Et toy, chère mère,
Pour ce dur affaire
Vous convient mourir.
Que pouriez-vous faire
Fors crier et braire ,
En lieu solitaire
Dans les boys courir ?
Mon Dieu me yueille secourir,
A luy veulx tousjours recourir ;
Mon enfant je luy recommande.
La Mère.
•
Amy , s'il youjs plaist que je mande
Noz en&ns par noys et par terre
Pour de leur frère soy enquerre, -
Je le feray très Toluntiers.
Le Père.
Où sont les chemins ny sentiers
Où je le pourroys une foys
Veoir de mes deux yeulx ? Toutesfoys
Que noz enfans Taillent chercher.
La Mère.
Enfans ,' il tous fault enchercher
Où vostre frère pourroit estre ;
Ponrquoy tous J&ult au chemin mettre
Pour le chercher sans demoureri
Jehan premier filz.
Une beste Ta devorexw
L*aller ckercher séroit.folUe. ' ,
Uelas, mes eii£sias; je.Txius prie
Me Youloir faire ce'plaiair.
Pierre secoiïi^'filz.
Frère, vous falctes desplaisir
A ma mère et à moy aussi.
Pourquoy prenons ce cbemin cy
Pour aller chercher nostre frère.
Vrayement , voicy un bel affaire ;
Nous ayons ce qu'il fault avoir.
Nostre père aille sçavoir
Si son mignbn a point de pain.
Jehan prishier filz.
11 devroit avoir grande fain ;
Il a long temps qu'ail n*a mangé.
Revo&t j>e conscience.
Et, enfans, jave^vou» eh^ip^^é
Vostre vouloir tantmeschamment ?
Regardez un petit comment
Vous rendez marry vostre père^'
Parce qu'avez mis vostre frère
A.mbrt <»iieUe de voz mains.
enfans pires- des humains.
Qu'avez tel meivtre perpétré.
Gomment ppurrez-yous iiupçtrer ■
Remission a un tel péché.
Vostre frère avez dçpesché ' ..
Sont quatre jours ; tué l'avez.
Dont je ne sçay si Lien lavez
Vous serez d'un tel meschanf-acte.
Amour Fratemd vousdetracle.;:
i:
Vous V^rtt laiftfté toaalrfemekit.
Pourquoi peuéez nnaUement
Qu'en sereE spreAremfittt pagiûs.
Vous estiez de tous maulx houniz
Quant né pensiés, à Tadventure,
Meuiftrir yostre progéniture.
cas sur tous a&hominable
Acompagné d'un mescKant diable '
Pour oondacCenr ) o duré cbose !
En. parler plus avant je n'ose«
De mpn costé j'en ay piûéé
immodérée inimitié t' .
Qui par meschanté euyieas faict
Le plus estrange ^et gie&.' fdrCait
Qu'on ,pouroit dire ny {penser !
Pienre «^ nous avons offensé
Nostre }>èr6 trop mandement;
Je le congnoi^ cectapraeihent;
Nous aTovs tué noftre)lrère .
Pourquoy le y^ifuiiiea-i^oas faire?
Ce fut à nous fait meschanunent.
Et pour QB je YenLi: br^fVement .
M'aber pendre par desplaisance.
le faict de ^ande importance 1 .
C'est un peclié irrémissible.
Pierre xe abcond filz. .
enyye ti^p inyj^ncij}le V
Jamais je ne l'eusse çuydé.
cueur par trop qutrecuydé ,
D'avoir ainsi meurtri ton frcre.
Hélais , Frèrr, le grand affaire !
Je ne me iiab^jÂuis soh&zténîr.
ii8 Moralité
JePAN PREMIER FILZé
Il te Cault avec moy venir
Et nous yrons noyer ou pendre.
Pierre le second filz.
Allons, helas , sans plus attendre,
Que jamais on ne nous revoye.
Or marchons ; que Dieu nous convoyé.
ReMORT de GO^SGIENGI^.
Enfans , qu^est-ce que voulez faire?
Allez-vous rendre a vostre père,
Luy demandant remission
De ceste.faulse occision
Qu^avez fait de vostre bon frère.
Jehan premier filz.
Comment aller devers mon père ?
Jamais! j*ayme trop mieulx mourir*
A qui pourrions-nous recourir ?
Ou sera-ce , n^en quelle place
Que de ce fait recevrons grâce?
Nous avons par trop offense
Nostre père.'
Remort DE conscience..
Il te fault penser
Que , si ainsi te desconforte
Et que tu meure en telle sorte ,
A jamais tu seras damné. '
Jehan premier filz.
Aussi bien suis-je condamné ;
A cela mon faict m^y condamne.
Remort de conscience.
En fusant ainsi tu te damne.
Croyez qnloirccMDBeiletimBs dscts^
Si youlezayoir paradis.
Allez en devjuit vostre pire,
Et lu j ciictes que yostre frère
Vous ayez meurtri , en efiect,
Et que TOUS repentez du fait ,
Luy- criant mercy humblement.
Pierre LE SECOND filz.
Mon frère , allons-y vistemetit ,
N^atendehs îcy dayantaige
Jehan PREMIER filz.
Tu perdz temps,- car j'ay un couraige
Qu^une le permettra jamais.
Pour quoyjene yeulx désormais
Me trouyer deyant 3a personne. .
Remort de gons€1engb.
Misérable, tut'abandonne
A tous les grans dyables d^enfer.
Doncques pense batre le.fer
Pendant qu'il est chault*
Xeban premier :filz.
Ha, Remort
De conscience , la griefVe mort
De mon frère ne le permet.
Remort de conscience
parlant à Pierre,
Je ne sçay où ton frère met
Son espnt; prendz-le par la main;
Vostre père s^a humain ,
Prenant de youa miséricorde.
Pierre second filz.
Remort, hàa^l je. m^ accorde^
#!• HORALITi
Mon ù^re^ pfenês ooDCOUiragc.
Allons tout oroitJiir £f passage
Crier mercj ii noofipe pire.
Helas ! las f que (ta) me fais-ta faire ? .
Je ne s^y certes où je suis.
' Ptiifte.
Le Pèrb.
Ma îemau^^ tousjours je poursuis
Ma complaincte d<^ noKtice filz*
Ses frères ^ e% 4{^i«lears cpnfitz , ^
Viennent des chànip^ tous deax ensemble.
' Lb Pèbb.
Helas !• femme V !cêlk^e il tfe ^èHible ,
Jamais doik' neie reveirons.-
La MÈtiB^
Vers noz cn&ns nous etiquerrons
S^ilz en ont point eu ile noctvelle.
Je sens tristesse nomparèille ;
De ce qa!ik neilf amènent pooit.'.
Attendons le^ cj sur ce point.
Pftttte , et fe dwMPtjiwi^Hr à 'gesoubi I« p^Moieeet second
fils devant leur père. '
Jehan i^liBiriEii filz.' '
Helas , mon père, je ne sçay
Si perferay le coup dVssay ^
Qu ay proposé en ceste jplaèe
Déclarer devant vostre lace.
Car le cueur, iieïas, tant m>straint '
Que de me taire suis conltâint,
Et ne ponrroltiiors de ma bouche
Sortir je imalque' Unli lite toèche.
l
s
Mon ûk , la «Hm'Yielle t$^ ^ileilse.
As-tu trouyé la be^te hfimse
Qu'a deYorérnMmâbw tQo.fiofere?
Impossible est '^' hdaà ! kubn père ,
Que TOUS dise la ymié :,
; Car moacneoreslt tant airité .
Que ne sçay si suis yif .ou mort.
L]$;PSRE. : .
Helas , belaa , et quel remort .
Te garde de ,1e deelairert
JSHAir PREIflER 7ILZ.'
Nous detissions bien estre esgarei , •
Sans à tous jioqs Tenir monstrer ;
Le vouloir qu'avons demonstré
 nostre frj^e faulcement
Bannist perpetuelléinent
Nous àeniL oe devant vostre face.
Enfans , rtspondéfc <a k placé :
Est-ce TOI» par qui il cfli «nart?
PtERRE LE SECOND FILZ.
Est-ce vous par qui il est mort ? . .
Ouy, mon p&e , et iioa pas autie.
Le Père.
» • • . ^ • . . i
Jectons pleurs d'un çosté et d'autre.
Nostre nlz est 'in(^ seorement.
Comptes 16^ prestttttèBtent
Gomme ¥9iia*Vavez d^esçhé* - > «
laa MoR'ALiTÉ
jEHAN.P&EMrEll FILZ.
La grandité de mon péché
Ne me le'pennettra jamais
Déclarer à personne ; mais
Mon firèce le vous poiuira dire.
: Le Père.
Helas, Pierre, sans contredire,
Je te prie, dis le moy doncques.
PfERRE SECOND FILZ.
Je n^y obmetray riens quelcon^es.
Or, aîmn que je tous commence
Reciter le fait de la danse.
Mon frère et moy , presamptaeulx ,
Yoyans les despens sumptueux
Que faisiez après nostre frère,
Fusmes enyieulx de tel affaire,
Tellement qu^à diverses foys
Voulions Toccire. Toutesfois,
Tousjours nous Payons différé ,
Et, puis qu^il le fault proférer.
Par nostre envie tant meschante ,
Nous avions paroUe fréquente
De luy jouer un maurais'tour.
Ce que feismes, .sans grant ataur,
Sont quatre jours entiers passez.
Car nous ayons ses os cassez
En îe jectant eh lieu infect . .
Qu^est en la cyterne, en effect,
Que d^cy n^est pas trop loingtaine.
Le Père.
Mes yeulx, feictes une fontaine
De force de jecter des larmes.
! NOU.VXLIB, 4^3
mes eHÊuits , tqz durs allanues
l Me rendent [de] mort.la présence*
Ieham premier filz.
Mon pb'e, yela nostre ofienoe.
Faicte»-en Ja punition
Sans nous donner remission;
N^attendez plus, je vous supplie.
s Le Père.
mauldicte envye ,
Tu feras.ina vye
En mélancolie .
Tout mon temps durer.
Las , mort, je te prie.
Fais chose accomplye :
L^ame soit ravye
Sans plus endurer.
Pauvre yiellard , ton soûlas est perdu.
Las , mes enfants , je suis tout esperdu.
Menez-moy tost où vous l'avez jette.
La Mère.
Il ne vous fauh tant lamenter ;
Dieu vedlt que tout ainsi se fiatce.
Ls^ Père.
Je veulx mourir en mesme place
Où mon bon filz a prins sa mort.
Las , mes en&nts., las, tpiel remort !
Menez m^y tost sans plus attendre.
Jehan premier filz.
Mon père, il vous fault entendre
Qu'il est mqrt sont plujs de trob jours.
Le Pèrb.
Mes enHainsvvoukz^voas tottsjoors
M^enteetenir par toE paroUes ? ^
Ne m^uez meshuf «le&iyble;
Ains id0ttsjmn conmandjeiiieiit.
PlBREK SBfiOlf 0: :FILZ«:
Allons y donc appùtement.
Et je yoos ménerajr âu lieu
Où il est.
ItB PtRE.
Or sus^ de, par Dieu.
Pierre ssçoniv f ilk.
Mon père, par la mesme place -
Que nous sommes nous rayons mis.
Le Père.
Je prie k Dieu que par sa grâce
Ce grand péché vous soit remis.
Or ça, ines enfants, mes amys,
L'aveZ'Vous cy dedans meùrtry ?
JEHAN PREMIER FILZ»
Point ne prouffite Je-mentir ;
GW là jèdans, sans nulle faulte, , ;
Le P^re , 4 gemux à joùtckfi. mmn^.
Souverain Dieu, paj? ta.|ii^jeit haulte,
Mercy te rendz icy présentement
De ce que suis sur le lieu proprement
Où mon enfant tant cher» par grande enyye
A prins sa.mort« Le reste de ma yye
inespéré user à pleurer son trespas. .
Quand tu youldras quie je passé le pas,
Je m^ snbmetz, afin de vivre au)L cieulx
Avec mon filz, que ses frères envienlx
Ont mis à mort en -fert piteîix'arroy.
Las, monenfii]it,pcîe sans dtiarpoy
Nosire SauTeor qn'aTeclojil me pnenne,
Sans que. jamais oa monde je m'esprenne.
An ATftOILE TIERS FILZ.
Redonbté pire, je suis encore en vie
En la cytéme, et croyez que Tenvie
De mes frères ne me ntiist nullement.
Lfi :PèR£.
Mon filz, helas, je.te prie, doulœment
Viens au pertuis , que dehors jeté tiré.
Helas, helas, je ne sçay queitedire,":
Tant j^ay de joye en U comvaleaèeiieè*
Le» prenûer et.MQOnditti'H'iMittfiità genoulx.
Jehan premier ^iiOr^ parlant à son frère.
Las> mon S0i9»elu^, que ikoftreoiilieciiydançé
Encontre tous par YOuasQittostpittiie:^
ÀNATàOÏLË le TIERS >IL'Z.
Frères, amys, laissez tost vôs^tre envié ;
Je ne demande que' cela seulement,
Et à la resté levez-tous vistement , '
Que de mes bras tous deux je Vous embrasse.
. ' • • ■ ' - ^
Jehan premier filz.
Degrant yergoigne je meurs en eeste place.
PlBRRB.&EClOiin EfLZ.
Monsieur et frire, à jmiretc^ mïiiil9{4oy] ,
De mon forfaict je yons requiers mercy.
Anâthoile tiers filz.
Leyez-yous, frire ; debon cueur tous pardonne.
Le Père.
Or sur ce point il fault que je m^adonne
A m'esjouyr , car jeune je deviens.
ia6 Moralité Nouvelle.
Vous, mesenfans, gardez-rotis qu'aax lyenâ
D'EDvie mauldicte ne tombez cj apràs;
Car je vous dy, par mon dicton exprès.
Qu'ayant Ënyie avec vous, vous serez ■ -
Tous pauvres gens en tout vous penserez.
Je suis fort joyeulx
Veoir devant mes yeùlx
Les iauCx envienlx
Vaincus en la place.
En&ns precieulx ,
Soyez curieux
D'avoir en tous lieux
Du Sauveur la grâce.
Le prego ftnat.
Seigneurs et dames, vous avez veu Pexemple
Gomment Envyeses gens a convoyé.
Il n'est celu^ qui bien le tout contemple
Lequel contienne ses yeulx de larmoyer.
Si nostre stile a esté desvoyé ,
Et cra'ayons dit nostre cas rudement, .
Paraonnez-nous , et de tout le loyer
Vous donnera le roy du jQrmament.
Fin de la moralité des Frères de Maintenant. Nou-
vellement imprimée k Paris par Nicholas
Ghrestien , demourant en la rue
Neufve Nostre Dame , à
l'enseigne de l' Escu
de France.
MORALITÉ NOUVELLE
D'UN G EMPEREUR
Qui tua son nepyeu qui tToit prins ope fille k force* •
Et comment, ledict empereur estant au lict
dé la mort, la salncte hostie luy fut '
apportée mirabuleuse- -
ment.
Et est d dix personnaiges^ c'est assavoir
L'EMPEREUR
LE GHAPPELAIN
LE DUC
LE CaNTE
LE NEPYEU de TEm-
pereur
L'BSGUTER
BERTAUT et QUIL-
LOT, serviteurs du nep-
Teu
LA FILLÏTiolée
LA MÈREdelafiUe
AVecLA SAINTE HOS-
TIE <iui se pTéaanU A
rEmperenr
L*ACTEUH.
Leigneurs , dames et damoîsdles ^ :
r Plaise vous ouïr les nouvelles
lue raeoiupter nous tous voulons
^'ung empereur saige et preudhoms
Qui tout' temps vemt justice faire ,
Et nous bailla bel exemplaire
D^ang nepveu qui seul noir avoit, >
Lequel de sibon cueur amoit
Que Fempire lui resigna.
Et du tout il le. couronna.
laB Moralité
Après eft <m%€iit conroiBie ^
Il fat mocut fiortenamoui'e
D'une graeieuse poeelle ,
Jeune mk .plaisant «t b^e ^' -
£t tant amour son cueur força
QuelaMune^e efforf!» r - • ■
MaÙIgré eUe; par gi-ant ardeur.
Lofs vint la plamte à Tcmpereur^
Et telle justice en fist
Qcte de sa propre main Foccîst,
Pour cbascun droit et raison rendre,
Sans aux aticuns en rien attendre.
Et après TOUS verra comment
Il receut le sainct sacrement
Par miracle que Dieu inonstra ,
-Gcmmie appercevoir on pourra
. En peu dneure, s'il plaist â Dieu.
L^ËiiPEfR&UR commence^ >
En grant douleur. suis en ce lieu.
Ghappelain f entendez à moy '
Je SUIS aneien, et cognoj
De Dieu la suppellative gr^ce.
Pour ce , tandis que j^ay espace,
De Temptre viiéil dii$posc»r,
Et au sermé Diettfioser
' TrestôUt ^mcrn à^ «t U«c ison temps ;
Car de 1& tinoirt^tit n'est dosant,,
Ne sçavonrcond^eb llfêtire^stbriéf^e.
Maladie sen^ qifi mei^ë^ré . ' ^ : ' «
Mon corps, et tietlt^Wi gtmrWilf^: <
Si Youloroye bien nv^if cmisi^ï ^
Que j'ay de mon empire^ i'fem, -
Car u me semble HiBoessiÉm) '
d'UNO ExPBRBUR. «29
Que d'autre qu^moy-sotl^poorveu;
Or n'ai-je aultre que mon nc^yeu
Que Tempire peust jgouvenier.
Si Youlsisse detenniner,
Se bon conseil Tbsast à dire ,
Que je résinasse Fempire
A mon nepyeu t, et qu'il en fist
Son utilité et proufist.
Yueillez vostre opinion dire.
Le Chappelàiii.
Or me pardonnez, très' cho: sire.
Pom* Dieu, ne tous vueille desplaire ;
Déterminer de telle affaire
Ne suis pas ei^pert ne propice.
Le gouvernement et pollice
Doit aux nobles appartenir.
fovac vouloir tel conseil tçnir '
Fault parler à ung plus discret.
L'Empereur. ., , .
Chappelain, trestout inon secret
Vous savez, n'autre que vous seul.
Pour ce dictez^moy , te le vueil,
Yostre opinion de celait.
Le Ghappelain.
Certes , sire , puis qu'il vous plaist,
Je le vous diray : il me semble
Qui sera tris lion qu'on assemble
Les ducs , les barons et les contes,
Et au'on leur Wpose les coçiptes
Du laict, qui leur semblera bon,
Et , selon leur (^inion ,
On pourra pourveir à la terre.
T. m. 9
i3o Moralité
L'EMPEREUR.
C'est bien dit ; envoyez-les quérré ;
Faictes les moy si tost venir.
Le Chappelain.
Yoalentiers , à vostre plaisir.
Escoyer dlionneur, venez m.
-L'ESCUTER.
Que TOUS plaist?
Le Ghappelaik.
On le vous dira :
Allez tantost dire aux seigneurs , •
Ducs , contes , petits, et greigneurs ,
Qu'ilz viennent prendre leurs sentiers
Devers la court.
L'ESCUYER.
Très voulentiers.
J'en feray brief la diligence ; .
Tantost les verrez en présence.
Duc de Guerdelain, plain d'honneur»
Yueillez venir vers l'Empereur,
Car expressément le vous mande
Pour une nécessité grande;
Vous aussi, comte de Namur ;
Il a ung faict pesant et dur
Dont k vous se veult conseiller.
. Le Duc.
Nous le ferons sans varier.
C'est raison , puisqu'il conuaande.
Où est-il?
L'Esguyer;
En pensée grande
d'ung Empebeur. i3i
En sa chambre, .car moult désire
Yostre conseil.
Le Conte.
A vous, beau sire .
J'ay désir de yeoir FEmpereur. .
Le Duc.
Sire, Jésus, nostre seigneur,
En yalleur, haulteur et prouesse
Yueille garder yostre noblesse ;
Que TOUS plaist , prince, pouryeus?
L'Empereur.
Vous soyez les très bien yenus.
Duc, soyez-yous en celle part.
Le Conte.
Noble Empereur, Jésus yous gard.
Mandé m'ayez , c'est yerité ;
Vers yostre royal majesté
Je suis yenu.
L'Empereur.
J'ay ung pesant faict qui aussi
Est digne de moult grant conseil.
Messeigneurs, à yous me conseil
D'une chose que moult désire.
Grief accident moult fort m'entire ;
Mon corps plus n'est à demy yis.
Se seroit bon , se m'est adyis ,
Tant qu'à moy nature domine ,
Que l'empire nrief je resigne
A personne qui soit habille.
Mon nepyeu est en eage agille
Pour gouyemer telle noblesse.
Ma yinlité et yieillesse
i3a Moralité
Est amortie ; le corps tremble.
Et pour ce, seigneurs, que vous semble
De ceste résignation?
Le Duc.
Cher sire , mon opinion
Assez à la yostre consonne ,
Yeu (pie n^ayez aultre personne
Ydone k la succession
Que Yostre nepveu , qui renom
A d*estre bien moriginé.
Se vous estes déterminé ,
La chose me semble licite.
L'Empereur.
Et TOUS?
Le Conte.
La chose (si) est bien eslite ,
Pourveu que vous n'avez aultre hoir.
Je dis avec vostrè vouloir:
La chose n'en peult qu'amender.
L'Empereur.
Chappelaîn , iaictes luy mander
Quil viengne tost par devers nous*
Le Chappelaîn.
Escnyer !
L'ESCUTER.
Que voulez-vous?
Le Chappelaîn.
Allez, comme bon serviteur.
Vers le nepveu de l'empereur;
Qu'a s'en yiengnedaigemment
Pour son bien et avancement.
d'ung Empereur. i33
A coup son onde Ta mandé.
L'ESCUTSR.
Puisque le m^ayes commandé.
Mon message luy yray dire.
Le NspyBu.
L^ardeur qui me tire
Me Tient tu*e k tire ,
Par quoy je m'entire
En angoesse dure.
Sy ne sçay que dire
D une que désire ;
Car son escondire ,
Si fault que Tendcire ,
Me seroit poincture
Et aspre morsure
Plus aure que rage ,
Car, pour sa trarcture
Et plaisant figure 9
Tn^ fort me figure
Et corps et courage.
Amours, quel Eommaîge
Pour son pucellaige
Et quel vasselaige .
Vous pourrai-je faire ?
Mon naultain lignage
Et noble bemage
Ne faict avantage
Qui me puisse plaire.
L'ESCUTER.
Sire , ne vous vueiUe desplaire ,
L^empereur à conseil vous atant ,
Qui a vous pourveoir fort contant.
'i34 Moralité
Venez deyers laj, s'il tous plaist.
Le Nepvbu.
Allons , car trop fort me deisplaist
D^estreen si dure penence.
Onde de très.noble;puis5ance,
 Yostre hault commandement
Je suis venu hastivement.
L'Empereur.
Or entendes k mpi, nepyeu :
J*ay une assemblée eslevée
Pour ce que nature a grevée
Mon eage en mon corps déclinent ;
Car je ne puis dôrennayant
Bonnement entendre à police.
Or aj-je en tout en mon temps justice
Excercée gramment àï droict,
En rendant à cbascun son droict ;
Or ne peult nature soufinr
Que je le puisse plus régir,
Par vieillesse, qui trop domine.
Si sera bon quW détermine
De vous remettre eh nostre empire^
Affin qu'après moi il n'empire
Par faulte de (bon) gouvernement. ,
Le Nepveu.
Mon cher onde etmon seigneur,
A vostrc vueil me couronner,
Ce nonobstant qu'en moy n'a sens,*
Sdence ne instruction,
Mais , soubz vostre correction ,
Je suis pcest à vou^ obéir.
d'ung Empereur. i35
L'Empereur.
Jeune cueur ne doibt point liayr
D'entreprendre belle entreprinse ,
Car, puis qu'elles sont entrepiinses
Par engin yif et très parfaict ,
On apprent bien en excersant.
M onstrer dèbyez et mettre en œuvre
Le bien que Ton tous a donné ,
Car qui en ce monde bien ceuvre
Paradis lui est ordonné.
Duc de Guerlant , vostre adyis
Veuilles dire sur cette chose ;
Estre ne poyons toujours yifz ,
Il fault penser à la parclose.
Le Duc.
Gbier sire , en mon entendement ,
Vous ayez bien parlé tout oultre ; .
Mais , pour ouyrèr plus seurement ,
Jeune a bien besoing qu^on lui monstre.
Par la chaleur d'ardant jeunesse
On est aucunesfoys surpris,
Et, quant on rentre en yiellesse^
Il se repent qu'il n'a apris.
Au gouyememeRt el police >
Appartient d'aymer loyaulté ,
Et fouyr les tours de malice
Par qui maint homme est enchanté.
Estre en parolle véritable
Appartient à puissant seigneur,
Car, s'en le trouye en bourde ou fâdble ,
Il acquiert unsç grand deshonnet^;
A srans langaigeurs et flatteurs '
Il doit tousJQors fenaer la porte.
i36 MonAtiLTi .
De paroUes sont rappoiteors
Souvent , qui pou de prooffit porte.
S*aucnn yient fidre sa complainte ,
N*en aTOÎr trop compassion ,
Tant [que] la cause soitataînté
Par certaine information.
Ung prince se doibt emploier,
Quant pour son bien on iuy conseille.
Sans pour argentan riens ployer;
A beau parler dorre roreillç. •
Noblement ares gouyemé ,
Mais desoremais estes yieulx ;
Si fault qui soit déterminé
En procédant de mieulx en mieulx..
L^ËMPEREUR.
Je TOUS ay bien entendu.
Q'en dictes-Yous, au résidu?
Pensez de vous délibérer.
Le Conte.
Certes, atout considérer,
La matière est fort difficile :
Car il y faiult prompt et habiUe
Qui avecques haute science ,
Soit militant , lÎMt » science ,
Entreprenent et courageux ,
Aux ennemb avantureux , . .
En force , valeur elprouease.
Or ne peut vieillesse
Prendre hardiesse ,
Carnatuve laisse
Auplusfortyîetoijne, : . .
Et veult que jeimes^e
Soit sur tons maîHitsse ^
D'uifG Empb&sur, 13;
Car sa grant soplesse
La met ion -niMiioire*
D'autre {lait, considère
Et parler.
Que jeune coeur n*a science
Pour le peuple gouverner
Et mener
En amoureuse scillence
Dont le saigeprodiance
Etdessance
Faict en tous ces dis et fais ,
Disant que jeuœ cueur en ce
En saence.
Nonobstant esse prudence ,
Mais très bien luy remonstres.
II est assez fort et hardi^,
Et pour ee^ i^er ûrt «je dy
Que par luy isera pourveiu
L'Empereur.
Or entendes k moy, nepyeo:
Nature , saige et srant maistresse ,
Vous a mis en fleur dé jeunesse ,
Et A moi advient le contraire ,
Car je dedine en ma vieillesse. ,
Si est taufs de laisser prouesse,
Et lai&ser au jeune painire.
Pour ce je pnb conseil traire
De vous si endroit, pour mièalx ledie ,
En siège royal couronner.
Car empereur je vous vn^ faire.
Si prie à Jésus débonnaire
Que bien le puisse gouverner.
Ceste espée vous finih pottefi
i38 Moralité
Si ne TOUS yueillez- déporter <
QvCk chascun tous faciez justice ;
De ce vous yueil bien exiiorter.
Le poyre et riche supporter
Ne déyez , selon Tostre office ,
Mais à chascun estre propice ,
Selon ce que le cas requiert.
De les pugnir ne soyez nice.,
Selon leur mefiaict et leur yice^ *
Comme k juste prince il affiert*.
Saichez , mon nepyeu , de certain ,
Se ne le faictes , de ma main
Vous pugniray, n'en doubtez mye.
J'ay faict justice soir et main ,
Et au gentil et au.yillain , . .
Tant connue j'ay peu en ma yie ;
Pour ce je yous requiers et prie
Qu*en ce me yueiUez ensuyyir.
Ne jugez pas par felonnie ,
Par yengeance ne par enyie ,
Et bien yous en pourra yenir.
LÉ NEpyÊU.
Je pence si bien maintenir
Chascun^ de degré en degré,
Que Dieu et yous m'en sçaiura gré.
Humblement je yous remercie
Quand m'ayez pounreu; en ma yie
Ja par moy n'en, aur^z reproche ,
Ne chose qui yostre honneur touche ,
Ne blasme en nulle, qualité.' ■
Par moy sera ûiict. équité, .
Se je puis, entrestous estas,.
Et pugniray selon le cas ,
b'ung Empereur. 189
Très cher onde, si plaist â Dieu.
L'Empereur.
Ainsi vous pourra en tout lieu
Bien venir, et ii yoz subjectz.
Vostre peuple point ne rongés :
Onques ne le ns en ma vie ;
Et, combien qu^àyez k baillie
Du noble enipire excercer,
Pour aucun Hl cbascun] son droit donner,
S'en retiens -je la segneurie
Tant que j'auray au corps la vie;
Mais, en tant qu'au gouyememeât.
En tes mains les metz pleinonent.
Si TOUS prie, bien le démenez.
Vostre terre gouvernez ,
Et tenez
Yoz juffes paisiblement,
La justice maintenez.
Et donnez
 cbascun yray jugement;
Faulx juges ne soustenez
Ne souffrez
Sans les pugnir aigrement ;
Les esglises visitez ;
Si poun^ez
Gaigner vostre sauvement.
Aux povres.ancelles,
Veufves et pucelles ,
Et trestotes celles
Qui feront clamours
Ne soyez rebellés;
Ayez pitié d'elles ;
Leurs' Jbonnes quefellés
i4o Moralité
Sousteniez toiisjours.
Les pouTres pas n'oubliez ;
Emjdojez
Vostre temps en charité.
Dons n^estre employer '
SupplojeZ)
Et soyez
Vostre temps en chasteté.
Devez venté
Et virginité
A sa purité.
Gardez en tous cas
Droit [et] équité.
Pure loyauité ,
Yver et esté
Tenez en ppnrchas.
Le Nepveu.
Tris cher oncle, ne doubtés pas
J^ay bien entendu et noté
Tout ce oue m'avez recité.
J'acomplurai de point en point
Tout ce que m'avez cy enjoint
 mon povoir, je vouspromet^^.
Je ne trespasserai jamais
Voz bons enseignemens notables ,
Car je les con^nois proufitables ;
Et faire , au plaisir de Dieu ,
Si bien justice en tout lieu ,
Se je puis , qu'en sera mémoire.
Le Duc.
Dieu vous en doint aucun victoire;
Vous estes nostre droict seigneur;
Si VQus promis tous sans faveur
D'uNG Empereur. i4«
Vous Cadre service et hommage.
Le Comte.
Et moy de caear et de couraige
Me tiendraj vostre serriteur.
Et, comme souyerain seigneur,
Vous serez de moy lioiiiioréb!
Le Nepteu.
Or çà doncques , Dieu soit lonë ,
Puis que suis dessus ma besougne ,
J*acompliray, qui que en grongne ,
Mon plaisir, Touknr et pensée.
J^ay une fille fort aymée
Et de qui jouyr je ne puis.
Mais, puisque me sens où je suis,
Mon plaisir en acompliray.
le suis empereur; bien sçay de vray
Qu^on ne m^osera contredire.
Si,Bertault.
Bertault.
Que vous pîaist[-îl], sire?
Le Nepteu.
Où est Guillot? Venez avant.
Berthàclt.
11 estoit icy maintoiant.
Où es-tu, dy, filz de putain?
GuiLLÔT.
Mon frire, baille sa ta main.
Or si, qui a-il de nouveau? - -
Nostre iaict seroit bon et beau ,
Se puissons gaigner nostre escot.
Bertault.
Avance-toy, et ne dis^mot;
i4a MoRAiiiTÉ .
Je croy que nostre faict est bon. .
Chier empereur de grant renom ,
Vecy Ouillot, qui est tout prest ,
Et moy aussi , pour faire faict ,
Si TOUS plaist le moy commander.
Lb Nepveu.
Gallans , je tous ay faict mander
Pource que tous congnois habilles :
Car par vos moyens et setilles
Mon désir sera retrouvé.
Vray est que suis énamouré
D^une gent(iU)e fille pucelle.
Et en tel point pour 1 amour d^elle
Suis qu^onc(ques) ne souffris telle peine:
Pour ce je vueil , ribpn ribaine.
Que la faciez icy venir
Tost.
GUILLOT.
Je puisse Dieu devenir
Se ne la veez avant une heure.
Bertault.
Dictes-moy où elle demeure.
Par le sang que Dieu dégoûta ,
Se je puis , ja ne m^eschapera.
Yostre plaisir acomplirez.
Le Nepvbit.
E31e demeure icy emprès.
Pieça luy ay m*amour donnée.
Faictes que cy soit amenée
Droit ou tort ; vous aurez bon vin.
GuiLLOT.
 tous il y aura hutain,
d'ung Empereur. i43
Se je puis , ayant ^'il smt nayt .
Bertaclt.
Au5si esse tout mon deduyt
De frapper Tun et bouter Taultre.
GUILLOT.
Se ne fust mon chapeau de fautrc,
J*estoye arsoir en mauvais point.
Bertault.
Et comment?
GUILLOT.
Te souvient-il point
D'un oui tira sa grant espée?
Gharbieu 1 la testé m'eust coupée ,
Se je ne m'en feusse aperçu.
/ Bertault.
Trout ! Taj aucunnesfois receu
Des horions très bien assis,
Pour ung [bien] plus de xxvj ,
Mais il ne m'en challoit en nen«
GyiLLOT.
Vien ça, il fault trouver moyen
De faire par aucun fin tour
Se qu'on nous a dit. Si entour
Demeure la belle mignotte.
Bertault.
Je n'aj pas paour que on la me oste.
Se je mes une fois la grape.
GuiLLOT.
Voire mis, se on nous atirappe ,
Par le ventre bieu , nous perdrons
l44 MO&ALLTi
Le moUe de noz chaj^roBS. . . .
Vêla nostre procès jugé.
Bertaclt.
Trout, ayant, troat, c'est biea songé!
Es-ta pour si peu esbahy?
Grains-tu la mort?
GUILLOT.
Sambieu , ouy .
Je n'ay que [ma] vie en ce monde.
Bbrtault.
Je Tueil que Ton me tonde ,
Se deyant peuh estré trouy ée ,
Si tout à coup n'est esleyée
Par quelque tour d'abileté.
Là Fille.
Royne de bonté,
Dame de beauté , .
Fontaine beniffne,
Enmacbastete
Et yirginité
Yueillez estre encKne.
yertu diyine
Qui tout enlumine
Et sur tout domine,
Vueillez-moy garder,
Par ta grâce d^e, .
Que. mon temps se àne
En pureté fine,
Sansmoyyioller.
Bertault.
■ I
Guillot, je l\j ouye parler^
b'uhg Empereur. i45
Despechoiu-iioiu ayant i eUe.
GUILLOT.
Dea, gardons qa*il n^en soit nonrelle ;
Chascnn de nous seroit destruit ;
Car cVUe crie ou maine bruit,
Tant que le monde il y acoure ,
Il fauldra partir de bonne heure
Et montrer les talions aux gens.
Bertàult.
Nous n*ayons garde que sergens
N^autre mettent sur nous la main ;
Nous luy jou[e]rons d'ung tour fin.
GUILLOT.
Voire, mais comment?
Bertàuxt.
Se m*aist dieux ,
Il luy fauldra band«> les yenlx
D*une cornette gentement.
GuiLLOT.
Or y ya donc preuîerement,
Et je serai de costé toy.
Bertàult*
Aoopficop!
La Fille.
Ha! laissezrmoy,
Messeigneurs ; yous ayez granttort.
GuiLLOT.
Or yous taisez , .fille. .
La Fille.
A la mort!
T. ni. 10
i46 Moralité
Vray Dieu , yueilJés-moy secourir.
Bertault.
Dy, Guillot, pensons de courir
Devant que quelc'un nous esmouche.
GUILLOT.
Je luy estouperay la bouche ^
Affin qu*-elle ne çrye plus.
Bertault.
Nous la mettrons en tel reclus ,
Car il y a bien secret lieu.
Le Nepyeu.
Gomment va ?
GuiLLOT.
Par le sanc bien ,
Nous ayons fait nostre debyoir.
Le Nepybu.
Ou est-elle?
Bertault.
AlezlaToir;
Elle est en ceste chambre là.
Le Neptbu.
C^est tris bien faict. Prenés cela
Pour aler boire du meilleur.
GuiLLOT.
Sainct Mor, ^ant mercy, monseigneur.
Nous alons £aare bonne diiire.
Le Nepveu.
Vous m^ayez esté rude et fiire;
Toutefois je yous tiens icy.
d'ung Empereur. 147
Là Fille.
A, monseigneur, pour Dieu, mercj!
Ne me monstres si grant rudesse ;
En l'honneur de la gentillesse ,
Je vous prie, laissez-moj aller.
Le Nbpveu.
Par bien , tous ayés beau parler,
Car je feray ce qui m^agree.
Là Fille.
Je suis fille desbonnorée.
Nostre Dame , secourez-moj.
Là Mère de là Fille.
Vierge Marie , je ne voy
Ma fille dedans ne dehors.
Mon pauvre cueur me tremble au corps
Aussitost qne j^en pers la yeue ,
Et grant pièce a qiie ne Pay vue.
Dieu , qu elle soit bien adressée !
Le Nepveu.
'Or ay-je acomply ma pencée,
Tout mon faict qu'onque desiroye;
Autre chose je ne queroye.
J^en suis au dessus. Dieu mercy.
Là Fille,
A , très doulce mère , vecy
Triste , doulant et esplourée.
Las ! Fempereur m'a deshonnourée
Maulgré moy; je le dy à vous.
Là Mère.
Ha, ma fille, que dictes-yous?
i4B Moralité
Douleur me doit bien par droicture
De ceste piteuse adventure,
Car tu es Danie des pucelles.
Vecy les plus dures nouvelles
Que jamais femme peult ouyr
De sa fille ; bien esbahir
M*en doy, car douleur plus ^amire
En sent nécessités (à) sa mère.
effbrceur faulx et mauldict ,
Que luy as-tu faict?
Le Nepveu.
C'est mal dit
De dire que Fay efforcée.
Se plus le dis , vieille damnée ,
Tu pourras bien «voir la torche.
La Fille.
Je dis que vous m^avez afibrce
Viollée , homme deshonneste.
Le Nepvbu.
Taisez-vous ! que vous estes beste!
Ne vous chault: qui est fait est. fait.
La Mère.
cuenr villain, triste et défiait,
Comment as-tu eu la pensée
D'avoir une fleur, violée
Où chasteté se reposoit?
Quel dure rage forcenée , .
Quel plaisance desordonnée !
Helas! qui le repareroit?
Si justice faisoit son droit ,
Ton faulx corps plus haute on pendroit
Que le gibet n'en pourroit«stre«
d'ung Empereur. i49
Las ! qui tel horreur penseroit !
Jamais on ne le cuyderoit,
Noble cueur à tel fait commettre !
La Fille.
Helas ! or suis-je indigne d^estre
Ayec les pucelles comptée.
Ma mire, qui m^ayez portée.
Vous debyez estre bien marrie,
Quant de mou honneur suis banie.
Qu*aj-je affaire jamais de yiyre?
À , mort , yiens a moy , me liyre
Âssault mortel , perce mon cueur ;
Puisque j ^ perdu mon honneur
Et le nien qu on. ne me peult rendre ;
J'ayme mieulx mourir sans attendre
Que yiyre et estre reprouchée.
La Mère.
Taisez-yous, mon enfant, m'amye.
Vous ayez perdu yostre rose,
Mais on ne peult faire aultre chose.
Il a la domination ;
Du tout jà n^en aurons raison.
De youloir cecy poursuyyir
Jamais n^en pourrion cneyir.
Pour ce le yault trop mieulx celer.
La Fille.
Me doit-il pourtant -violler
S*il est le seigneur du pays?
Pour tout Tayoir qu^il a conquis.
Ne qu^il en peult jamais attencbe.
Il n est pas en luy de me rendre
Mon honneur qu il m^a huy toHu.
Demourra donc mon corps perdu
iSo Moralité
Par force, sans amende avoir?
La Mère.
Se corps deusse perdre, et avoir,
Ma fille , si serez-vous vengée
De la grant honte et viUannie
Qu'avez eu du faulx efforceur.
Allons devers l'ancien empereur.
Qui nous fera droict et raison.
Cher empereur de grant renom ,
Je vous prie , faictes-moy justice
D'ung meurtrier et piteulx malice
Que vostre nepveu efforceur
A faict, Dar cruelle ardeur,
Sur ma nlle malleurée.
Il Q'] a par force defflourée.
Je vous prie, vueillez pugnir.
Et nous vueillez justice ouvrir;
Je vous en requiers à genoulx.
La Fille.
Ha ! monseigneur, je viens à vous
Par grant courroux ,
Priant que justice (me) faciez.
L'Empereur.
Mes damoiseUes , approuchez ,
Et dictes vostre pensée.
La Fille.
La plus désolée
Suis de la contrée,
Et toute espk»^e ;
Vous orrez pourquoy :
J'ay esté emblée,
En chambre enfermée ,
d'ung Empereur. i5i
Et puis TÎollée
Gomme manlgré moy.
De force me plains
En souspirs et plains ,
Dont mon cueur est plains.
Faictes-moy justice ,
Empereur hautains.
J*ay les bras tous tains.
Ne soyez lointains
Au pauvre n^au riche.
J^ay perdu honneur,
Bonté et yalleur.
Helas! empereur,
Que j^aye raison
DW faulx efforceur.
Qui, en sa ehalleur,
M'a de tout son cueur
Monstre trahyson.
J^estoye pucelle ,
Las ! or suis-je garce.
Celuy qu^on appeUe
diet de ceste marche
M'a huy deceue.
L'empereur, nouyel
M'a par force eue. '
Mal de son reyel !
Se je n'ay yengeance
Du mal qu*il m a faict
Par yostre ordonnance ,
Dieu prie de faict
Qu'il m'ottroye son ire,
Tant que tout défiait
i52 Moralité
Soit la Yostre empire.
S^il est y parent
NY remariiez pas;
Jugez justement, .
Regardez au cas.
Car j^aj (ait pourchas
Pour justice avoir,
Mon procès du cas,
Et amande ayoir.
Faictes, puiscpH a me8[MÎ[n]sy
Qu^u soit prins
Et pugny pour ceste force
G*onque je n^ayoye apris
Mais surpris.
Il me semble que on m*escorche.
L^Empereur.
Tout ouy, ie yueil qu^oa s'efforce
Pour manaer mon nepyeu icy.
La Mère.
Sire , je yous requier mercy , ■
Et yous suplie qu'on nous esgarde.
L'Empereur.
Dames , je yous oy et. regarde.
Qu'esse que yostre cueur désire?
La Mère.
Je yous re€[uier justice, sire.
Pour la jeune fiU^ diffamée
A force et à tort.
La Fille.
SeuUeetesffarée,
Tris descontortée ,
Des dames priyée ,
b'ung Empereur. i53
Tant suis yillanéé.
Doimez^moj confort.
L'EMPEREUR.
Qae querez-Yous?
La Fille.
Mort,
Ou TOUS avez tort.
Regardez , empereur.
Folle erreur,
Fellonneur,
Sans clameur,
Mon lionneur
Faict par trahison
Mon seigneur.
L'Empereur.
Quelle clameur !
La Mère.
Justice crion ;
Point ne yarion
Ne ne mentiron
De ce que dirons
En aucun propos.
Force et ses supos
Soit par vous pugnie,
Sans quérir repos
Ne mettre en depos
Heure ne demye.
La Fille.
Raison , je tous prie ,
Car yoicj partie
Qui offre à prouyer
Sur ma yie
i54 Moralité
Qu^il n'est mie
Fort de TOUS preuve trouTer,
L'Empereur.
Puisque de mon nepveu réprouver
Huy de tel force avoir commise ,
La chose m'en sera submise ,
J'en seraj juge , quoj qu'il tarde.
La Mère. -
Je vous supplie qu'on y regarde ,
ÂfBn qn'aujç aultres ne soit pis.
L'Empereur.
Jugement sera accomply
Sur luy, comme le cas requiert.
Mandez-le moy.
Le Duc.
Il y affiert.
Présentement l'iray quérir.
Sa , sire Y plaise vous venir; .
L'^npereur vous attant icy.
Le Nepveu.
A , mon amy, pour Dieu, mercy !
Plaise vous ma paix pourssuyvir.
Bien sçay qu'il me fera mounr.
Car j'ay, de mauvaise pensée ,
Huy une fille violée.
Xas ! or voy bien que je suis mort.
Le Duc.
Ne vous chaille , prenez confort ;
Se je puis la paix je fairay.
Ha , cner sire , je sçay de vray
Que du faict il est très doullent ,
Et n'ose venir nullement
D^uNG Empereur. i55
Pour Yostre ire, comme je eroy.
L'Empereur.
Faictes du moins qvTû vienne à moy,
Poursçayoir s'il s'excusera.
La Mère.
Or on verra que ce sera.
Monseigneur, adieu vous dy.
La Fille.
CeOe qui estoit h midy
PuceUe ores ne Test plus ;
De la force c'est mise jus
Vostre ordonnance ; or y pensez.
L'Empereur..
Je feray tant, ne vous doubtez ,
Que cause aurez d'estre contente,
Et pour venir à mon attente,
Puis que nul ne me peult veoir.
Quérir m'en vois sur mon dressouer
Les tranchans de mon escuyer.
Les voilà soubz mon oreillier
Boutez, que nul rien n'en sçaura ;
Car, se je puis , mon corps fera
Justice pour à Dieu complaire ,
Et pour donner vrày exemplaire
A plusieurs , se j'en viens à chef.
Le Duc.
A, sire, je viens de rechef :
Humblement vous requiert mercy.
Pardonnes luy, sire , et aussi
Tantost venra à vostre mand.
L'Empereur.
De sault allant à sault venant
i56 Moralité
N^aura poiRt mes fdicte qu^il viengne.
Qu'esse a dire? Fault^^il qu'il craigne
Ne s*oze monstrer devant moy?
S*il ne 'vient , par la foy que doy
A Dieu, je Fenvoyray quérir.
Le Conte.
Ha , sire , il vous convient venir ;
Ne vous vueillez de rien doubter,
Car Tempereur vousveult escouter
Parler, et, comme je suppose,
C'est pour veriffier la chose.
Il vous sera misericors.
Le Nepveu.
Justice fera de mon corps.
Seigneurs, soyez en mon ayde.
Certes , autrement ne le cuyde ,
Se coup icy , je vous empne.
Onde , Dieu vous doint bonne vie ;
Vous m'avez mandé ; que vous plaist?
L'Empereur.
Tu scis assez bien pour quoy c'est : ,
Une fille palle et destainte
Par courroux c'est de force plainte
De toy , et a dit en la place
Que de ton corps justice face.
Ainsi qu'à tel cas appartient.
Le Nepveu.
Cher oncle, puisqu'il le convient,
Je vous diray la vérité.
Vray est qu'avec elle ay esté ;
Mais, certes, que i'aye commis
L'effbrcement qm m'est submis ,
b'uiig Empereur. 167
Oncques ne commis le meffîdt.
L\ËMPEREUR.
EOe a cause, et mis en faict
Qu^on prouvera Tefibrce assez ,
Et aussi TOUS le confessez.
Si fault oue justice soit faite ,
Car la mère ne la fillette
Ne yeullent (ne) richesse ne avoir,
Fors seuUement justice avoir»
J'en suis chargé par elle deux.
Xe Duc.
A , sire , vous povez bien mieulx.
Considérez que la jeunesse
N'est pas pareille à la vieiUesse ,
Et supposez aue ceste fois
Il ayt £adt faulte ; toutes foys
N'est-il si sage ou bien apris
Qu'aucune foyz ne soit surpris
En cas pareil , et puis qu'ainsi
Humblement vous requiert mercy,
Vostre grâce vers luy s'estende
En pardon.
L'Empereur.
Àffîn qu'on l'entende ,
Qui bien vouroit pugnir le faict ,
On le pendroit à un gibet
Ou on luy trançheroit la teste.
Le Nepveu.
Pour Dieu, mercy, mon oncle !
L'Empereur.
Tès-toy!
l58 MORALITi
Je ne puis ou^r ta personne.
Donné t*ayoye la couronne
De Fempire , et fis serment
De régir bien et justement.
Garder devoys églises belles ,
Veuves , orphelins et pucelles ,
Et, qui yeult ton fait regarder,
Celles que tu deusses earder,
Tu Tas toy mesme yiolée ,
Et par force tant rayallée
Quelle yient à moy k refuge.
Et tu es digne d^estre juge :
Gerte , nenny, jour de ta yie !
Quel desbonneur m^as-tu bastie
Pourayoir commis tel horreur!
J'ay esté trente ans empereur,
Qu onc(ques), tel deshonneur ne me yint.
Mais en ay pugny plus de yingt
Gruellement par tel péché.
N*oncques je ne fus reprouché
D'ayoir espargné en justice
Nul homme , tant fust grant ne riche ,
Et maintenant , se je f espargné ,
La noble empire d Almaigne
Est deshonnoré à tousjours.
Le Duc.
Ha , sire , bonté et amours
Peuvent bien faire la concorde.
Vostre doulce miséricorde
Plus grant proofit lui portera.
Le Gonte.
Au nom de Dieu, qui tout créa,
Plaise yotts, par doulce ordonnance.
b'ung Empereur. iSg
Luy octroyer sa. pardonnance.
Sire , ne soyez escondrt.
L'Empereur.
Gliascun de yous a assez dit,
Mais Qe] nV yoy homme discret.
Parler yaeii à luy en secret;
Yoas aoltres, y uy dés hors de lliuys.
Je sçauray son youloir, et puis
Sur sa response auray adyis.
Le Chappelàin.
Il est en très grant blasme mis ;
Je ne sçay s'il a droit ou tort ,
Se par droit en doit prendre mort ,
Nui ne le scet, si ce n^est Dieu.
L'Empereur.
Or sa, yien près de moy, pour mieulx
Entendre ce que youldras dire.
Le NEpyEu.
Par mon ame , mon très cher sire ,
J'ay copulation charnelle
Par grant delict eu ayec elle ,
Etn'ay fiaict aultre mesprison.
L'Empereur.
Or sa , de toy , qui ayoys nom
D'empereur au propre lieu de n^oy ,
Ne m as-tu pas tait grant esmoy,
Quant on peult nommer efibrceur
Le lieutenant de l'empereur?
Quel reproche , quel desplaisir!
N'es-tu pas digne de mourir?
Respons, et me dy yerité.
i6o Moralité
Le Nepteu.
Hélas , sire , se j*ay esté
Surprins de trop rolle challeur,
Ne me monstres si grant rigueur ,
Car je tous congnoys tout seul vice.
L'Empereur.
Par ma fby , je feraj justice;
De ce Cousteau seras occis.
J'ay fait justice jusques icy ,
Au plaisir de mon Dieu : saint George !
Il en a tout parmy la gorge;
Jamais fenune n'efiforcera.
Venez sa^ seigneurs , venez sa ,
Portez au feu ce corps defaict.
Le Duc.
Ha, cher sire , qu'ayez-yous faict?
Nostre Damé ! amy , amy !
L'Empereur.
J'ay fadct jusdce ^ mon amy,
Et yous ne [Fjeussiez osé fSaare.
Le Conte.
U a detrenché tout parmy.
L'Empereur.
J'ay faict justice , mon amy.
Le Chappelaîn.
En moy [je] n'ay sens ne demy,
Quant me trouye en tel affaire.
L'Empereur.
J'ay fiûct justice, mon âmy,
Et yous ne l'eussiez osé faire.
Bien sçay que luy yueiUez complaire
d'urg Empereur. 161
Et qae vous Y&jmez et craignez ;
Se je vous [en] eusse chargez ,
On eust mis la chose à demain ;
Et pour tant ay-je de ma main
Faict justice , aoubtant mon blasme.
Le Duc.
DîeuYueille avoir mercy de Tame.
C'est justice moult exemplaire
A chascnn pour justice faire.
Or est pour meschante challeur
Occis le souverain seigneur ;
Se nous est belle demonstrance.
Le Conte.
Forfaiture faicte à onltrance
Jamais ne demeure impugnie
Par justice vraye unie
Dieu veultpugnir Teuvre cruelle.
Bertault.
Où est-ta, masson sans truelle?
Dieu met en mal an ton aumusse !
Mais que faict-tu la?
GUILLOT.
Je me musse
Que je ne soye regardez.
J'en joué au soir tout aux dez,
Mais, avant.nostre départie ,
Je happé une grand partie
De Targent qm estoit au jeu,
Et puis , tout aussi tost que j^eu
Faict mon ùîcX , je fus resjouy.
Bektault.
Et que fis-tu?
T. III. It
i6a Moralité
GUILLOT.
Je rn^en fuy.
Fusse pas faict en fin marchant ?
Tu ne sçais : on nous ya sarchant.
Tous deux pour bouter en prison.
Bertault.
Etpourquoy?
GuiLLOT.
Pour la mesprison
De la fille qu'avons emblée.
J*ay yeu , en passant, l'assemblée
D'officiers et de bons sergens ;
Mais je me boutay par les gens,
Tellement qu'ilz ne m'ont point vea.
Bertault.
Il fault que chascun soit pouryeu
De bonnes pierres en sa manche,
Et tenir dagues par le manche ;
Ib n'auront garde de nous prendre.
GuiLLOT.
Char bien, se seroit pour nous pendre
S'une foys estions attrappez.
Bertault.
Nous en ayons bien eschappez
De plus terrible ; ne te chaïUe.
Je ne donneray pas une maille
Mais que les puisse yeoir à l'œil.
Allons hardiment.
GuiLLOT.
Je le yueil.
Mais s'ilz sont dix ou douze? .
b'ung Empereur. i63
Bertault.
La fièvre t Vspouse !
Tune Taulxpas deux porions..
Mâia que crains-tu?
GUILLOT.
Les horions
Et le danger qu'apris s'en suyt. .
Celuj est saise qui s*enfuyt
Pour mieulx le aanger éviter..
Bertault.
Me vouldroy-tu doncques planter
Quant se vçnroit à ung besoing ?
GuiLLOT.
Et nenny dya ; mëà ayez soing
Que nul ne te fera viÛennie ,
Si je puis, en ma compaignie ;
On me congnoit par trop rebelle.
La Mère.
J'ay ouy très grande nouvelle.
Fille , vous estes bien vengée
De la grant boute et villanie ,
Qu'avez eu de l'empereur à tort,
Car son oncle l'a mis à mort
En sa chambre hastivement.
La Fille.
Ma mère, dictes-moy comment
Il est mort ; esse par sentence?
La Mère.
Il a jugé en conscience;
Pour éviter toute faveur,
Luy qui est baultain empereur
Huyla gorge lui a couppée.
i64 Moralité
Là Fille.
Pour yeu qa^il m^avoit diffamée
Par force , il ne luy a faict tort.
Or Dieu luy pardonne ; il est mort.
Je luj paraonne de ma part.
Si requiers Jésus qui gart
Toutes bonnes filles en cueur
D^estre séparée dlionneur
Par force , ainsi que j'ay esté.
La Mère.
Je prie la hanlte Trinité
Qu elle y ueille ayoir de luy mercy
Ëtle mettre en repos; ainsi
Soit de tous loyaulx trespassez.
L*Empereur.
Je suis de mort fort opressez.
Car le sang au corps m^est esmeu
A la cause de mon nepyeu.
Sur qui j^ay justice acomplie.
Mon chappelain , je yons suplie
Que tost me puisse confesser,
Et si me yueillez apporter
Mon sauyeur, car j'entens la mort*
Le Chappelain.
Ha, cher sire, prenez confort ;
Vous n^ayez garde , se Dieu plaist.
Et nonobstant cp'k Dieu en est,
C^est bien fait de se confesser
Pour sa conscience adresser
Et recepyoir son créateur.
L'Empereur.
Hélas , je yous prie, sans fayeur,
D^oNG Empereur. i65
Confession, par charité.
Le Ghappelain.
Or dictes bénédicité ;
Mais TOUS n^avez garde pourtant.
L'Empereur.
Absolution maintenant
Requier humblemait, mon amy ;
Et puis le corpus domini
Deyotement recepyeray :
Âpportez-le moy.
Le GHÀPPBiiAiif.
Non feraj.
Certes , sire ; je n'oséroye ,
Et aussi trop je mefferoye
En la foy.
L'Empereur.
Pour quoy mefferiés-*yous?
Le Chappelain.
Hélas! voussçavez, sire doulx, .
Le grant péché qu'avez commis.
L'EMPEREUR.
En faict de conscience, amy,
Certes, je me suis confessé
De tout ce que j'ay offensé.
Je n'ai rien laiily, que je saicHe.
Le Chappelain.
Ha , cher sire , sauf yostre grâce,
Vous sçavezbien, tanstiiil destry ,
Yostre nepyeu avez meurtiy^
Qui est ung tris orrible yiof . ^
L'Empereur»
J'ay faict et acoomply justice.
'i66 Moralité
Je ne m^en puis à mains passer.
Que je m*endeussc confesser,
Certes , ce n^est pas mon entente ;
Rien n*ay mcspns. Donc sans attente
Vous requiers d^ayoir mon sauveur.
Le Ghappelain.
Certes, non feray, mon seigneur.
Au moins en Pestât où vous estes ,
Se aultre amendement ne £aictes
Et se TOUS n'estes confessez.
L'ElfPERfeUR,
Vous en pourrez parler assez ;
Mais se confesse-on de bien faire?
Se j^ay faict, pour à Dieu complaire,
Justice, ay-je pourtant péché?
Ja ne me sera reproché
Que face péché ae vertu;
Il me seroit fort mescheu
Se me monstroye repentans
D'avoir faict justice en mon temps.
Jamais ne m^en confesseray.
Le Chappelain.
Certes donc je vou3 laisseray
Pourtant que soyez en ce point;:
L'Empereur»
Comment! Me 4on[ne]rez-vous point
Le sacrement?
Le ChappelaiK.
Je nWroye.
L'Empereur.
Souffres au moins que je le vôye
De loing , avant que mort me prende.
b'un'g Empereur. 167
Luy priraj que de mal deffende
M^ame, si yray qu'il est entiers.
Le Ghàppelain.
Certes , je l'oy moult youlentiers ;
11 est en grant dévotion.
L'Empereur.
Jésus (Christ), qui soui&îs passion ,
Ayez nuy compassion
De ma poyre humanité ; .
En ma désolation ,
Ouy ma supplication
Par tris grant bénignité.
Je croy estre au sacrement ,
En sanc et chair proprement,
Le corps de nostre sauyement.
Cil qui le croit fermement
Et le reçoit dignement,
Il prend divine saveur
Et infinie doulceur.
Car du ciel vient la liqueur
Descendre divinement
Quant le prestre dit de cueur
Des parolles la teneur
A Fautel secrètement.
Je tecry mercy,
Mon Dieu, mon amy;
Car deTennemy
Ay esté lié ;
J'ay moult defailly.
Las ! (et) commis parmy
Des vii. ors péchés ,
Orgueil , ire , envie ,
Paresse, gloutoninie.
.j
l68 MOR;ALlTÉ..
Usure et luxi^e; :
Hélas, je n'ay mye
Mené sainçte TÎe .
Qui est bonne et sure ;
Point n'ay faict les œuyres,
De miséricorde
Dont les eueurs avienneirt
Qui à toy s'accordent.
Et , se j a j en foy
Erré nullement.
Pardonne le moy
Ains ton jugement.
Autre benepcè
Que faire justice
J'ay faict jusques sy
Et, s'il y a vice,
Fais que de moy ysse.' -
Je te cry mercy.
Monstre-moy^doulx Dieux,
Se t'ay mis justice
Cy et en tous lieirx.
Ma joye appetice
Quant ton corps propice
En bon point suffice ,
Jeté peusseay(Mr*
Le CwAPPBLArN.
Glorieux Dieu du hault manoir,
Chascun te doit cy grâces rendre
Quant il t'a pieu vers luy descendre
Par divine opération.
Le hvc . i
Vray Dieu , qui domination : , . . , '
A partout, en siècle et en tenre ^.
h'vnG Empeaeur. 169
Humblement te remeràon
Et Tenons mercy tereqoerre,
GeUuy est trop mauvais qui erre
Contre la divine puissance» •
Chascun doibt bien ta grâce adquerre
Et avoir de toj congnoissance.
Le Conte.
A toy, vray createnr du monde.
Rendons grâce , et en tou9 lieiix.
Ta grant miséricorde habpnde,
(Et) dessus jeunes et dessus vieulx.
Beau miracle et euvre divine !
Octroyé nous, beau sire Dieux ,
Le règne qui jamais ne fine.
L'Empereur.
vray sauveur, (à) moy^ coiame indigne
T*ay receu par ta doulce grâce ;
Yssu: as voulu de ta place
Pour jusques en ma bouche venir;
Et ainsi [Ainsi ne?] povez maintenir
Que justice tenir et fere
N*est pas chose qui à Dieu plaise;
Qu'il soit vray il est cy monstre.
Le Chappelain.
Dieu de majesté ,
Haulte trinité .
En vertu unie ,
De ce qu'as monstre
Par ta deité
Je te remercie.
Hvnkble^ent te prie;,
Requiers et suppye
Que tu me parwHme
170 Moralité d'ung Empereur.
Si j'ay par folyc
Refiusé la yye
A ceste persoime.
Sire , priés Dieu qu'il vous donne
Confort et qu'il vous soit propice
Aussy yrayement comme justice
A esté tousjours par tous laicte.
L'Empereur.
Je requiers Dieu quem'ame mette
En son paradis, s il luy plaist.
De recepvoir là mort suis prest
Quant plaira à mon créateur.
Le Duc.
Ainsi conclus que tout seigneur,
Qui a grant rèsne et srant pollice ,
Doit, sans avoir à nul faveur,
Exercer et faire justice.
Car équité est artifice
Que béatitude consnoist ,
Et chascun en son bénéfice
Jugera celuy qui tout voit.
LÉ Conte.
Comme voyés par expérience,
Ung chascun selon son degré ,
Si vous prye que nostre sentence
YueiUés tous recepvoir en gré.
Finis.
Beati qui faciuntjusticiam in omni tempore.
Imprimé nouveUementà Lyon, en lamayson
de feu Barnabe Chaussard, près Nostre-
Dame de Conforta M.D.xHii. .
MORALITÉ
OU
HISTOIRE ROMMAINE
D'une femme qui avoit tooIu trahir la ché de Romme
Et comment la fille la nourrist six sepmaines
de son lait en prison
A cinq personnaiges, cest assai^oir
ORAGIUS
VALERIUS
LE SERGENT
LA MÈRE
ET LA FILLE
R A G I U S commente.
^eigneurs Roinmains , dé geste vertueuse,
Qui régentez là monarche du monde,
jPar &ens , adyis , peine laborieuse \
ÂTons acquis renommée doùbteuse^
Sans que en nous soit aulcune tache immonde,
Je TOUS prie que cy on me responde
SHl est aulcun qui ayt conyalessence ,
Qui transgresser "viieille nostre deffence.
Vous sçavez lien qu^ou a fait traslatci^
De Salomon le saige les loix belles \
Que tout cbascun a voulu accorder
Le contenu d^iceUes et garder.
Et promettant de piignir Jes rebelles.
17a Moralité
]Sj9us ne £aisoii3 pas besongnes nouyelles ,
Gardons nos loix et les cinlretenons,
Car à lousjours en ayons bon renom.
Valérius.
Oracios consul le vénérable ,
Les bonnes [lois.] se doîbyent maintenir,
Car les Ronunains, par estre vortuable
Et par leurs dictz très bien entretenir^
Ont faict plusieurs à Tempire obeyr,
Et ont acquis le nom de loyaulté
Que par armes ont youlu soubtenir,
En approuvant la pure yecité.
ORAGIU&»
Par les Rommains nous sommes establis
Grans justiciers en icelle cité.
Le cas nous a grandement embellis.
Gomme sçayez, à dire (la) yerité ;
Et pourtant dont il est nécessité
Sçayoir s'aulcun a commis quelque ma) ,
Pour luy livrer, selon juste équité,
Sa déserte , selon le cas égal.
Valerius.
Vous en parlez comme juste et loyal ;
Gar nous debvons estre la main tenant
A corriger tous vices en normal;
Gar aultrement ne sommes pas sçachans.
Oragics.
G^est vray ; ]jourtant, s'on est sachant
Personne qm ay t oSencé ,
QuW nous le dye cy maintenant t
S^il est quelque yicel>rassé.
Je ne me suis pas appencé
ou Histoire Roumaine. 178
Qu^il y ayt quelque nouveau vice ;
IMais , is*il y a rien despenaé ,
Sachons le, pour faire justice.
Le Sergent.
Sire, c^est dr6ict qu\>n accomplisse
Vostre vouloir toute saison ,
Et , affin aue k effect sortisse
Le cours ae justice et raison ,
Il y a en ceste prison
Une femme , que Pon renomme
D^avoir faict quelque trahison
Encontre la cité de Rommo.
Obàgius.
Certes , vous estes bon corps dliomme.
Que on la face legierement
Venir, à la fin que on luy somme
Sa fin et cruel jugement.
Le Sergent.
Sire , vostre commandement
Sera faict sans dilation.
Sus , sus , sortez legierement
Pour recepvoir pugnition.
La Mère.
grièfve désolation !
suis-je mise en basse lame !
dure lamentation !
Mourir me fauldra à grant blasme.
Que feras-tn, povre et infâme femme?
Tu souffriras huy grant laidure dure;
Plus ne seras nommée d^ame dame.
Mort tient sur moy trop sa morsure sure.
Ton corps yra à corrompure pure ;
<74 Moralité
A ce joor dlniy toate Ijesse lesse.
Nul D'est vivant qui me procure cure ;
Car aujourdliuj trop ma noblesse blessé.
Le Sergent.
Sire, voicy la pécheresse
Que vous m'ayez baillé en garde ;
Devant vostre noble baultesse
Je la metz sans aultre avant-garde. .
Oragius.
Ha, femme, quand je te regarde,
J'ay pitié de toy, vrayement.
Considérant la mort piaillarde
Qu'endurer te convient briefinent.
Sus , que on voyse legierement ,
Noncer que on soit cy en présence
Pour cy ouyr publicquement
Prononcer sur elle sentence.
Le Sergent.
On en fera la diligence ;
Plus ne se fault rameutevoir ;
Puisque tel est la conséquence ,
Laissez m'en faire le debvoir.
Oyez : on vous faict assavoir
Que on s'en va juger une femme ,
Laquelle a voulu concevoir
En eUe trahison infâme
Contre l'empire , dont en blasme
On la va ce jour corriger
A son deshonneur et diffame.
La vienne veoir qui veult juger.
La Fille.
créateur et père droicturier
ou Histoire Ro.mmaine. 176
Que deviendra ceste pauyre esgarée ?
Las (pi*ay-je ouy en ce lieu [publier] ?
Mon cueur se doibt humilier ,
Larmes gecter des yeulx par randonnée.
Cessez yos chantz, oyseaiux yolans es cieulx ,
Et yueillez huy avec moy lamenter.
Ne pourray-je mon esmoy différer
Et m^en aUer ouyr juger ma mère ?
Je m^ en yois. Cognue ne suis d^ame,
Nul ne sçaura dont celle m^apartient.
Mais ({ue dis-tu , très malheureuse femme?
Yeulx-tu ouyr juger k mort infâme
Ta mère? Helas , foUye bien te tient ;
G^est dommaige que terre te soustient
Quant tu accord a estre huy en la présence
Du juge qui va donner la sentence.
Le Sergent.
Sire, j*ay fait la diligence
De ce que la charge avoye.
QRAGIUjf.
Vous estes homme d^intelligence ;
Yostre habileté me resjoye.
La Fille.
Helas , helas , mon vray Dieu qui m^esmoye ,
Voyant ma mère en [un] si piteulx ploy ; ^
Gonfortez-moy, de tous (les) biens la montjoye ,
Car je ne sçay que je dis, sur ma foy .
Oragius.
Or sa , m^amye , entends à moy :
Tu as par tes faictz inhumains ,
Au moins si n*eust tenu à toy ,
Chercher la perte des Rommains.
176 Moralité
Tes faictz sont perven et Tillaîns ;
De toy me prent à esbahir.
Cealx où [tu] es à'tout le moins,
Ta as contendu de trahir.
La Mère.
Helas, yiieiilez--moy secourir,
Noble seigneur.
Oracius.
Certes, m^amye,
Tu as beau pardon requérir,
Car, pour vray, tu ne Tauras myc.
Par ta convoitise et envie
Tu as perpetray trabyson.
Je te juse à perdre la vie,
Pour faire justice et raison.
La Mère.
mon vray Dieu , que tant prison ,
Me £siult[-ir] en tel vitupère
Finer mes jours ceste saison ,
Et endurer tel peine amere?
La Fillb.
Ayez pitié de ma doulente mire ,
Juste juge; pardonnez cemeffaict.
Ayez pitié de ma dolente mère.
Sans la ju^er ce jour de mort amère,
Mettez pitié i. rencontre du faict.
Las ! elle meurt en peine et en misère.
Jugez aussi, sans que nul y diffère,
Que je meure; car certes bien me plaist ;
Puisqu^ainsi e^t que sa vie vous de^plaist,
Jamais ne quiers que mort, car dueu m*avère.
ou UlSTOIRE ROMMAINB. 177
Helas, yrayment, mon solas est deffaict.
Se sentence, de mort on y profère.
Juste juge, pardonnez ce meffaict.
Vàlerius.
Geste fille pitié me faict,
Mais il fault justice accomplir.
Là Mère.
souverain Dieu, qui tout deffaict.
Veuillez moy (à) ce jour secouiir.
Oracius.
Or sus , à coup ! pour maintenir
Ghascun en droict, il [fault] que bref
(Que) à ceste femme, ^ans faillir,
On Yoyse tost trencher le chef.
Là Fille.
noble seigneur, quel meschef !
Trencher le chef, vierge dame !
Si la besongne -vient à chef.
Que feray-je, moy, pouyre femme?
Seigneurs , tous n'auriez point de blasme
A ce que vouldray reciter ;
Je TOUS prie de corps et d^ame
Qui TOUS plaise de m'escouter.
Yalerius.
Or sus, vueillez le faict compter;
Si oiTons que vous youldrez dire.
Là Fille
Puisque voulez descapiter
Ma mire, je requier, chier sire^
AfiBn la besongne assoufîre ,
C^est que la sentence sera mùéo,
T. m. it
iyS Moralité
Et qae j^aye part au martyre
En cruoy ma mère est condampnée ;
Qu'elle ayt une jambe couppée,
Et moy une , je le yeulx. bien ,
Puis sa langue luy soit ostée^
Et la mienne par tel moyen.
Pour la délivrer du lyen
De la mort , trenchez-moy les bras.
Car, cVlle meurt, je congnoy bien
Que jamais je n'auray soudas.
Oragius.
Ma fille, par ma foy , tu as
En to^ yraye amour matemeUe ;
J'ay Inen yeu des filles ung tas ,
Mais oncques n'en yis une telle;
Et , pour ta requeste tant belle ,
Ta mère, pouyre malheureuse.
Ne mourra , je le te reveUe ,
Par moy au moins, de mort honteuse.
Yalerius.
Vous alléguez chose doubteuse ;
Juge ne se doibt rappeller.
Oragius.
Yalerius , chose piteuse ,.
Si peult en pitié modérer ;
N'ayez-yous pas ouy compter
Que Trajan jugea son enfant
A mort, puis le youI(u)t repeter .
C'estoit empereur triomphant ;
Ha , ce fut ung cas suffisant
Et qui estoit de noble arroy ;
Il en acquist regnon, bruyant
ou Histoire Rohmaine. 179
Et si tint justice en son ploy.
Zeleacus , pour tenir la loy
Que luy-mesme ordonné ayoyt,
Jugea son fils, pour ung desroy,
Que les yeulx en luy creyeroit?
Toutesfoys luy, qui roy estoit,
Revocqua le dit en comun ,
Disant que luy-mesme auroit
Ung œil creyé et son fîlz ung ;
Cela fut faict deyant chascun ,
Et cela fist-il pour le mieux
Pour eyiter jpius grant envie;
Je croy qu^il en eust gloire es cieux.
Valerius.
Dieu monstra là resJlement
Comment justice est nécessaire ;
Si plaist à Dieu moult grandement
Celui qui yeolt justice faire.
Si ne sçay que youlez retraire
Icy pour saulyer ceste femme ;
Pensez donc bien sur cest affaire
£Bn que [nous] n^ ayons blasme.
Oragius.
Le cas ne sera pas infâme ,
Doubter ne se fault de cecy ;
Si ne perdrez bruyt ne famé
Sur Taffaire, ne moy aussi.
Nous disons par sentence infâme
Que icelle sera en prison
A tousjours maiis, pour ce cas (i)€y
Abolir, et sa trahison.
S^rdonnons quW fennera la porte
Et que ame nul n'y entrera
flSo Moralité
Jasques à ce qaW nous rapOJCte
Pour certain qae morte sera ;
Je consède bien sur cela
Que Fallez yeoir et que parlez,
Par la treille qui est yla ,
Trestout le mieulx que vous pourrez.
La Fille.
Grant mercy , sire ; tous m'avez
Remply le cueur de toute joye.
Oragius.
Or sus , à coup , or Temmenez ,
Comme il est dit.
Le Sergent.
Je n'attendoye
Àultre chose. Sus , sus , en Toye.
Venez-TOUs-en en la prison ;
Plus [tous] n'empêcherez la toye ;
Yoicy Toz dernière maison.
La Mère.
Obeyr doy, c'est bien raison,
£ncor[e] me faict-on grant grâce.
Que mauldite soit trahison!
Celuy est fol qui la pourchasse*
La Fille.
Je vous lerray en ceste plasse :
Ung peu Yoy jusques à l'hostel ,
Ma mère.
La Mère.
Las! enbriefreéspasse, .
Retourne^ (ma fille)^ {tour mon daeil mortel
Appaife[r]. Dieu immortel ,
ou Histoire Rommainè. i8i
Que Toicy piteulx accidans ,
Quant pour mon meffaict conyient
Mourir me fauldra cy dedans
Le Sergent.
M^amje , aussi comme j^entens ,
Jamais ne partirez d'ic y ;
Folye est SI à yuyder pretens ;
Crier TOUS fault a Dieu mercy .
La Mère
Mon cher amy , il est ainsi.
Mon Dieu, donnez moy patience
Contre mon ésmoy et souicy ,
Et pardonnez-moy mon onence.
La Fille.
H est grant temps, comme je pense,
Que en prison soye retournant ,
Où ma mère [est],, par sentence ,
(Est) sans estre beuyant ne mengeant.
Je yiens dliabiller mon en£ant ;
Il est couché, dont je m'enyoys,
Affin d'estre reconfortant
Ma mère en son cruel esmoy.
La Mère.
Mon Dieu et souyerain roy,
Fort suis atainte de fisimyne.
Mourir me £a[ult, ainsi le croy,
Car la grant fain mon cueur amayne.
yierge , des sainctz cieulx royne ,
Conforte&-moy en ce danser,
Car de hrief rauldra que je fine «
Puis que n^auray riens quemenger.
i89 Moralité
La Fille.
Mère, Diea tous Tueille alléger
Par sa très bénigne puissance.
Gomme en va?
La Mère.
Certes , au Tray juger,
Fille , je me meurs , sans doubtance.
La Fille.
De Jésus ayez souvenance
Et prenez tout enpatiance.
Ne tournez en désespérance
Le mal , pas ne seroit science.
La Mère.
mon enfant , j^ay si grant indigence
Que n^est homme vivant qui le sceust dire.
La Fille.
Je congnoys bien et sçay Tintelligence
Que &myne fort vostre corps empine.
Mais toutes foys mercyez nostré sire
Qui a souffert que de ce cas villain
fVous] n^avez pas enduré le martyre ,
Tel que le cas le requeroit àplain.
La Mère.
Helas, ma fille, je meurs de fain !
La Fillb.
Helas , ce poyse moy, ma mère.
La Mère.
Qne voicy nouvre et piteulx tram .:
HelaSy ma nlle, je meurs de fain !
ou Histoire Roumaine. i63
Là Fille.
Je n'ay yin > diair, pasté ne pain
Pour Yoos ayder en vo misère*
Là Mère.
Helas, ma fille , je meurs defain.
Là Fille.
Hélas, cepoise moy, ma mère.
Là Mère.
mon enfiani, je souffre peine amère :
Las ! Tueille moy donner allégement.
Prent pitié de me voyr tant austère ;
Pour toy nounir tant ay eu de tourment.
Là Fille.
Helas , à peu que le cueur ne me fend
En escoutant yostre douleur cruelle ;
Dont, si TOUS plaist, sans user de rigueur,
Rendre vous yeux huy amour maternelle ;
Venez ycy allaicterma mamelle
Et en prenez Tostre réfection. .
En ma jeunesse nie fessiez chose teUe
Dont j^en ayoye ma substantation.
Le Sergent.
J'ay en moy admiration .
Gomme ceste femme yitfant
Sans ayoir quelque portion
De yiyre, dont soit substantant.
Là Mère.
O , me yoylà bien , mon enfant ;
Je suis bien refectionnée ,
Grâce au yray père tout puissant,
^S4 Moralité
Quant de cecj t^^t adyi^ée.
t.' La Fi'tLK.
G'y yiendrày cfaascime. journée,
Ma mire , pour you» conforter.
La Mère.
Ma fille , la yierge honorée
Te yueille tousjours convoyer-
Oragics.
Je m^esbahis , an yray narrer,
Que personne ne nous rapporté
Si la femme (pie ay fiaict serrer
En prison est en yie ou Hiorte.
Oyez un peu que je diray :
ÂUez en (la) prison où la femme
Est, et nous dictes sans delay
Si de son corps est party Tame.
Le Sergent.
Nenny, sire ; par mon baptesme ,
Elle n^est encore en decours.
La Fille.
Mère, Dieu vous vueille (entre)tenir
En santé, ma mère et amye.
La Mère.
En gloire puissez parvenir.
Ma mie , dont je tiens ma vie.
La Fille.
Sa, estes vous appareillée
De venir allaicter ma mamelle?
La Mère.
Ouy dea , nia fille poise Çsic),
ou Histoire RoirvAiivE. lëS
Gela ma forcé Venotiydle.
Oracius.
Jamais je iïe tîs chose telle ; >
Par mon serment, ceste femme a
En SOT traye amour maternelle.
Pour bien , regardez que c^est là.
Valbrius.
A elle parler conviendra
Pour congnoistre ungpeu sa mère ;
Je croji quant e}le nous verra.
Qu'elle fera bien maste chère.
Oracius.
Ha , femme , pour ta manière ,
Ta mère icv ou te redonne ,
Mais qu'elfe n'offence jamais.
La Mère.
Jésus Christ , amateur de paix ,
Soit loué de ce cas icj,
Quant aujourdliui de mes meffaictz
J'aj obtenu grâce et mercy.
Oracius.
Certainement il est ainsi : '
Ta fille ce bien nous procure ;
Ostc-toy hors.de tout solcy .
La Fille.
souverain Dieu de nature,
Que voicy joyeuse adventure !
Je vous remercie humblement
Que k ma mère son injure
Luy pardonnez si donlcement.
f66 Moralité ou Hist. Romm.
ViLLERIUS.
C'est par le bon goaTernement
Et le men; qu'en vous yen ayons •
Or la ramenez prestement ,
Car ses mefiaictz luy pardonnons.
La Fille.
Allons , ma m^ , et Dieu louons
De ce cas, puisipie ainsi ya.
La Mèrb.
Las ! je voy qu'en nulle saison
Oncques inore ne trouya
TçUe fiUe.
LaFillb.
Laissons cela ;
Je suis à yous bien plus tenue ,
Car je congnoys tant qu'à cela
Que par yous suis au monde yenue.
Finis.
Cy fine l'Histoire rommaine. Imprimé nonyelle-
ment à Lyon, en la maison de feu Barnabe
Chaussart, près Nostre-
Dame-dêConfort.
M.D.xlyiii.
FARCE NOUVELLE
FORT JOYEUSE ET MORALE
A quatre personnaiges, c'est eissavoîr
BIEN MONDAIN
HONNEUR SPIRITUEL
POUVOIR TEMPOREL
ET LA FEMME
Bien Mondain commence.
ien mondain me £âiis nommer
Et mon renom tant estimer
Que chascun désire à m^ayoir;
Aux ungz je donne de Favoir,
Et aux aultres force sçayoir,
Puis mulles, chcvaulx , destriers ,
Hamoys , lances ^ espées ^ bougliers ,
Maisons, chasteaulx et grosses yilles ,
Et choses qui ne sont pas yilles.
J^aj tout en ma subjection
Sans en faire exception ,
Et pour ce ne craignez jamais,
Quant yous me aurez eu désormais
Entre yos mains ,
Qu'autre[s] humains
Vous puissent nujre ;
Mais fault preyoir
i88 Farce
, Moyen avoir
Pour me ayder [conduire ?],
Ou tantost me departiroys ,
Et guères long-temps ne seroys
Avec vous , pour brief vous le dire.
Prenez y donc garde, en effect.
Honneur Spirituel.
De Bien Mondain je suis plain et refect.
Des bénéfices j^en ay tant que, en effeçt,
Plus ne m'en fault ; mais avant que je fine
Je présuppose et en mon cueur macnine./.
Pouvoir Temporel.
Quoi?
Honneur Si>iRiTUEL.
Une office tris digne.
PoUTOm TiSMPORËL.
Quelle?
[Honneur Spirituel.]
Divine.
[Pouvoir Temporel.]
Est-ce chose que Ton voye ?
Honneur Spirituel.
Non, non. J*ay Bien Mondain par voye ,
Qui chascun jour en voyage je envoyé
Pour obtenir...
Pouvoir Temporel.
Quoy?
Honneur Spirituel.
Ce ique je présuppose.
Pouvoir Temporel.
Ce que tu présuppose!
DE Bien Mondain. 189
Par supposer ung homme pert science y
Par supposer toute magnincence
Peult advenir, et semble k la personne
Qu^en supposant on doit charger, en somme ,
D*or ung mulet qui soit de grande essence.
Honneur Spirituel..
En supposant je prens toute plaisance ;
En supposant je mais ma confidence
Et mon espoir, donc ne dors ung seul somme
Par supposa.
Pouvoir Temporel.
Tous supposeurs enfin ont desplaisance ^
Sans estre en eux ung seul plaisir, en somme ;
Pour quoy je dis que malheureux est lliomme
Qui tant suppose et y pert sa cheyance
Par supposer.
Idein,
Jamais ceulx <|ui ont dç Tavoir
Ne doibyent nens présupposer.
Mais se doyyent tenir contens.
Honneurt Spirituel.
Sans avoir gume ne contens ,
Vous et moy marcherons d^ung train ,
Puisque gouffemoh Bien MondainV '
Où fleur^rc^n^^pafiUng «jccort. .. '
FouvoiR Temporel.
Garder nous convient de discort,.
Honneur Spiritcbl.
lUen, rien, de moy n^a eu maulvais record^
^^^^ Bien sçay qail n'en descorderà,
190 Farce
Et celuy qui ^son) discord aura ,
Tous deux je les rendra y d'acord.
PouYOïR Temporel.
Ce que nous pourrons deviser
Faisons~lay sans plus deviser;
Nous aurons sayson
Et biens à foyson
Plus que n*en avon,
Et tost, sans songer.
Sur le Temporel j^ay pouvoir ;
Le Spirituel faict dêo voir
De te obéir.
Honneur Spirituel.
Et sans y faillir,
Venger fiaiult par la région ;
Pas ne voulions religion,
Mais tout Honneur et Bien Mondain.
Pouvoir Temporel.
Ne faisons point cas de demain;
n convient nous aller jouer.
Honneur Spirituel.
Jouer allons,
Mais en nostre estât regardons.
Pouvoir Temporel.
Pourquoy?
Honneur Spirituel.
^ . Je: ticais., par fas et par nefas ,
Des Bénéfices vais grant tas,
Pirebendes , pensions , chapelles ;.
DE Bien Mondain. 191
Quant on me condampne, j'appelle.
Je fournis en tout et partout.
raj Bien Mondaiii^^ui \a partout :
Si Taj padyais droit , il inapointe ;
Âultrement il ya par la pointe
De son espée et son bouclier ;
Par ainsi me faict appoincter.
Pouvoir Temporel.
Je suis le yostre tout entier,
Mon haûlt Honneur Spirituel ,
Vostre serviteur sans doubter,
Moj qui suis Pouvoir Temporel.
Jamais ung frère [tous] n'aurés
Ne feist ce que je vouldroye faire.
Je suis celuy que , se je veulx parfaire
Une sepnëre y
Je le puis faite,
GarnuUy contredire n'oze.
De Tung^ suppose ,
L'autre propose.
Et de mon pouvoir naturel
Entre les amtres je dispose.
Bien Mondain.
Ce que (je) dis est tenu pour faict,
Car, en effect ,,
Jefsîictz deffaict
Ce que ung aultre ne çeut parfaire ,
Et Fimparfaict
Je: faictz parfaict
Sans nul contraire.
Pourmioy n'épargnez ne doubtez ^
Bien Mondain, que cj vous voyez ,
Lequel patrtont yous^veult cofiqilaire.«
igi Parce
HoNT^ÈUR Spirituel.
Pour à vostre honneur ne desplaire
Grâces et mercj tous rendons.
Nostre cas très bien concordons
A yostre amour bien ilie.
La femme nommée Vertu entre ayant ung cor-
hùlonà oublieur sur ses espauUes, en crjant :
Oublie, oublie, oublie.
Honneur Spirituel.
Qui a ceste folle deslyée ?
Qui la mect de présent aux cbamps ?
PouTOiR Temporel.
Elle est folle ou incencée.
Honneur^ Spirituel.
Elle chante merveilleux chant.
Pouvoir Temporel.
Qui a ceste folle deslyée?
La Femme.
Oublie , oublie , oublie.
Honneur Spiriipubl* >
Âprochez^vous!
Qu^esse que vous allez- <^erehant?
Pouvoir Temporel.
Desployez nous iey contant
Les dez dessus le cerlnUdB» r
La Femme.
Sans nuUftlJMdlei» ooropaîgnea ,
DE BiEK JIqKbain. 1|^3
Voulentiers je ywis ro\ivrîray* .
Icy Honneur met lee mains dedans le. corbilon et tire ,
en disnilt ■' ^
Honneur SptKiTUEL.
Comment! qû^esse cy?
POUTOIR TeK^Ô^BL.
Jenesçay.
La Femite,
C'est dé plaisante mercerye ;
Voulez vpus' pas que je vous die
Que c'est?
Honneur Spirituel.
Et ouy, s'il vous plaist.
Là Femme.
Ce sont eenk qui j)ar leurs, beaux faicts
Ont acquis tiltre de parEsdctz , .
Co«une Hector^ filz de PriaçiuSf
Avec le vaillant Troylus,
Nombrez au conte des neàf preux.
Pouvoir Temporel.
Et U derHiie yeà voys- deux •
Quisont-ilz?,.
XiA Femme.
(Celuy-cy) le grait Alexandre
Qu^ &ist des Sarrasins espandre
Par diire mort,
Et puis voicy Sanson le fort ;
Hercules 9 qui mourut par sort,
Et le puissaotroy Cbar^emaine. .
T. m. )3
«94 Fargb
HONHBUK SpIRITUBL.
Et ce n'est pas ce qui nous maine.
Laissons là tousses anciens :
Ce n*est point de présent le temps
Que de yertu on yneille user;'
11 ne nous y fault amuser*
La femme.
Que Youlez-ypus que je tous &ce?
Voie y ce bon homme de Horace ,
Gaton , Vergille avec Omère.
Yoicy Logique avec Grammaire
De tous les sayans personnage^.
PouyoïR Temporel.
Nous'radoterons en noz ases,
Si nous suyyons ses yieilles gens.
Honneur Spirituel.
Venez çk ; n Vyous point céans
Ge que on [nous?] yous demanderoni?
La Femme.
Et quoy?
HoNtYEUR Spirituel.
Lafason^
D*acquenr du bien sans main mettre.
La Femme.
(Sans main mettfe 1)
En cela je ne suis point maistre.
Honneur Spirituel.
Ayez- yous donc pas le moyen
DE BlSN MOK0AIN. 196
De m^' £wreuns moulin bien gent
Pour eiigi euei neiirej et matiiies?
La Femme.
Ailleurs chercherez yoz mesc[uines ;
Car icy n*en trouverez pas.
PouYOïii Temporel.
En Yoicy encore(s) ung srant tas;
N'y a-il riens qui me soit bon?
La Femme.
Voicy le bonhomme Platon,
Hannibal et Métamorphose.
PouYOtR Temporel.
Ce n*est pas cela; mais je n'ose
Demander ce que je youlsisse.
La Femme.
Je n'ay chose pour tous propice ,
Si voua ne voulez des vertus.
Pouvoir Temporel.
Pour ces femmes qui ont gros culx ,
Il me fault la riche couleur;
Si j'en ay , je suis à honneur,
Je feray très bien mon proufit.
La Femme.
Il n'y en a point à cest estuit ; -
Vous ne cherchez que choses nices.
Pouvoir Temporel.
Je vouldroys bien avoir offices ,
Mais UQg clia$<iuii jour: on les vent
 ceulx qui portent de l'argent ,
Et bien peu je yoys que on en donne.
La Femme.
Ce n^est pas ceste vertu bonne ;
Gairde n'avez de la trouver
En mon corbillon.
Pouvoir Temporel.
Je ne sçay : quelque or ne billon^
Tu n'as rien de ce que on demande.
La Femme.
Voulez-vom avoir Alexandre?
Il a faict des vertus tout plain.
Pouvoir Temporel^
Laissez-luj jusquès à demain ;
Ce n'est pas ce -que nous cberchon.
Honneur Spirituel. ^
As-tu point , sans aiikun blason ^ . - .
Tromperies avec. bs^ratz, ,
Inventions , mescbans b'aratz,
Flateries et meséhafntes langues ,
Déceptions , -mille baretigues
Qui nous scèùssentknettre en train
D'avoir, sans rien faire , dupaiii?
Je le vouldroys bien acheter,
Quelque chose qu'il deiist côuster. ^
La Femme.
Et, je vous ay dit, sans doubter.
Cela ne trouverez chezmoy.
Vous y trouvera. bonne foy^ ._ ^
Bon rdion V bonne gottv^*naiice.^
• PotVOIfe TElÉtOftEt*^
C'est un penliier qai n*a point d*ance ;
Ce n'est pas pour le Temps qui court,
c' Garde ta mercerie :mêsl4é» y ..
Crier je puis assez licîfemeirt • >
Que V voiremeint ,' - j
Bien je suis oubliée;
Car vous voyez icy apartement
Quoy soit comment
De tous suis decbasée;
Je suis aussi si très palle et passée
Rompue, cassée
Et si je ne me oze plaindre
Que je ne puis avour pour ma passée
Mor^eati 9e piàiil ^
Si mon bien ne vois vendre.
Voyçz Honneur Spirituel
Et pttîs le Pouvoir Temporel, .
Qm tienneiit tout entre leurs mains.
L'ont-il eu par droict iiaturel ?
Non, non, maïs par fâletz inhumains.
Hz ont donné des escus mains
Pour avoir leurs grans dignitez.
Au derrière Vertus remains (1),
Et ne s'en rompent les cosiez.
Par quoy conclurons briefment
Sy des biens voulez largement
Faire vous fault du Temps qui court
En contrefaisant le billourt.
Et que Vertu soit mise au vent,
(1) Texte : Rommains.
19S Fabck SB BïEn HOndain.
CarTons TOyez au temps iHïMnt
Que ong châscan fàict comme Gacni
Qni Êùsoit de vices vertus.
Cj fine la Carce de Bien Mondain. Imprimée
nonTeUanent k Lyon, en la maison
de fea Bamahé Chauuard ,
jnïs NtMtre-Dame-de-
Confort.
FARCE NOUVELLE
TRàS BONMBy MDRALLB BT PORT JOYECftB
A troys personnaigeê, c'est aasauoir
TOUT
RIEN
ET CHASGUN
Tout commence.
I est bien heureux qui a Tout,
€ar il a le vent à son gré . [lout,
En comptant par un âiasçun
II est bien heureux qui à Téùt ;
Prisé il «st en Tout , par Tout ;
C'est un serviteur [bien] de het ;
Il est bien heureux qut a Tout ,
Car il a le vent à soh het.
Tout je suis , nulluv ne me het ;
Giascun se veùlt de moy fournir;
Car je puis le pauvre garnir,
*Ly esse tenir,
Tous biens maintenir
. En prospérité;
Argent retenir,
Les gens contenir
Enfelieité,
Sans estre odieux.
200 Farce
Les gens fréquente en grande ({aamité#
Quiâ Tout se trouve jojeulx.
' Point ne sius melencoheux
Maint entretenir par mon bieti . '
Rien, en chantant.
Il est btem ajraeqm i^Vguîcref, * t
Encore plus aise qui n*a lîen.
Quitt^ft ricainesesoulcié; .
Il n*a point peur de perdre Rien.
nais qu'il soit jO]f eulx
En temps et en beu[x].
Il est trop heureux.
Tout.
Quoy parlez- vous? Quoy, vertu bien,
Jasez-voùs en ce past
Rien.
Ha! je ne vous avisois pas. .
Nadies, nadies, dominusTotus.
Avez-vous mestier d'un potua?
Yoicy la l^oùteille pour boire^ , .
Tout.
Qu'esse cy? Vousîpérdee mfemoyrè
Qu'ic^ de m6y*voiis*parieZi
Par bien , si de rien v^oiis gabet ,
Je vous mestray en grant esmoy. .
RlEJJf.
Dyable! quoy, vous parlez demoy?
Vous m'avez nommé aessus^us.
TOIhTv i
Or me dictes , qui estes-Vous^
Qui respondez.siiôeèaaràit?
.RiKtt.
Je sais mpy< mesmé^ «etireiDeiit. -
Voire dea, me eo^ôisse^rYoïis,?
Tout.
Or bien , 'comment vous nommez-vous ?
Dictes vostre nom Sans celer,
Affin que vous puisse appeller, '[ ' ■
Sans cnercher de çà ni de Ui. . '
RïBNi
Or,* regardez qu'il y a U.
Tout.
Parmonamé^ilnYarie».
RlEN«
Dea ,' vous me cognoiàsez bien :
Par mon ame, je suis joyeulx.
four. , _ .
Le diable te créye.les yeulx, . ,
Rien mauldit,^ Bien Éiubc adversaire ! - '
Mkîs , dis-mpy -, -^ue vièns-tu cy faii« .. -
En ce JUeus yeu qae/tà sces ' ' . -
Que Je' suis Tout , qui pai' uxes tstc)?
Vous estes T^ut^et je siii^ Rieki -
Qui cy me suis vécu ded^yjre. : ■
Partant, si je ne puis y pus nuyre,
Toutesfois vfiukrrje proffiter^ - ; - .
Mab qu'esse qui puisse inciter
Le cueur des^gens.àtèTdulmr?
■ » <
ao2 Farce
Rien.
Si ay yrayement ; j*ay du pOToir;
Car par cy, par U, fais ma Goarce,
Et tel regarde daas sa boorce
Qui Rien ne treuTe bien souvent.
. Tout.
Tu n[e] es forgé que de vent,
Tout ton fait n^a aulcune loy»
Rien.
Si viendront tous les gens à moy
Et par moy seront depoiirveuz;
Plusieurs an monde sont venus
Qui vouldroient que fusse à iaire.
Tout.
Toy! Jésus, (et) que sçaurois-tu faire?
Mon ame, tù es trop infâme*
Rien.
Souvent je fais battre les femmes . .
Jusques à^*arracher les yeux,
I^rendre Fun Faultre (par) les cheveuk,
Crier, burler, ne sçay conuiien.
Toutesfois on dit : QnVsse? — Rien.
Voila £ce] qu^ay en ma puissance.
Tout.
C'est moy qui ay la jouyssahce
De tous biens etbeaulx presftns.
Rien.
Et moy j[e] ay la oognoissance
Sur le guemier des pauvres gens.
Tout.
Point ne cherche les indigeas,
Mais les maisons des gros 'seigneurs,
Et chercher bons enseignemens.
 tromper j^ay bonne espace. .
Rien.
Vertu bieu , tu tiens trop de place.
Autant derrière que devant ,
Et si ne viens pas trop souvent
De paour de perdre ton alaine. .
Tout.
Souvent je fais la bource plaine, : .
Resjouyssans les langoureux.
Rien.
Voire , mais tu rens trop paoureux
Et qui t^a comme ne^igait;
Car tu portes or et argent .
Par leslieux où passeras,
Et moy, pauvre, tu îne craindras..
Car su ne vient qu^un seul recours
Tantost se dira estre mort,
Tremblans comme plume en balance;
Totttesfoy s qu^esse ? Rien , xpi passe ,
Duquel on eût si peu de compte.
Tout.
J^entretiens prince^ duc, conte ,
Leur baillant chemin et adresse*
Rien.
Etpuis après, se tu lès laisse ,
A moy, seigneur, gentement.
Plus que du pas vistement;
Sont bien ayse trouver mA porte.
Tout.
Les despourveoz je réconforte^
âo4 ::Fà:iiCè -'
Après (ftr'ilz ont bien fraTaillé.
•' Rien.
Combien de fois sttis-je baiHé'
Aux pauvres pour* Honneur de Dieu;
Et puis si Ton^a perdu âti jeu , '
Je suis le dernier Teconfbrt.
TOCT.
Bran, bran ! ton parler est trop fort.
Tout faict-on par Tout au commun.
Adieu, je A%n vois veoir Cbascun ,
Lequel m'a mâindé pour service.
Je ne luy fauldray- que je puisse ,
Mais TentMftiendray en son éstre:
♦ Rien*. ;
Chascun , Jésus! et cVst mon maistre ;
Plus souvent m'a q^ll ne t'a pas.
Comment'. déà, te mocques-tu pas?
Luy seras-tù en chascun endroit? "
Je ne 5Çay pas-s'il me vouldroit
Mescoghoistce pour le présent ;
Mais sds luy sùis-je bien souvent ,
Quasi plas que tous les jours.
Tu me comptes- teiTib)es tours
Qui me font grand(e^ent esbaïiir.
Si m'a-il envoyé quérir . • , .
Et me souhaite;
. RiEN' -
: .r LasJ jejte croys. . .
TOUJTé
Par mon ameVje idi'y^eilj^oyil^ -
t • «•
1 *
Affin que son yoploirsoit&iet,
Car sans moy yroit mal son fsâct ;
Maintes foys je ray.apperceu.
Rien.
Tu sera3 bien plus toist receu
Que moy, 'car ta rohbe Test] meilleur;
On ne prendra nul coliCet. . -
Tout.
On fera ton sentant gibet. .
Qui te puisse romprele col.
Rien. '
Par Tobies^ je ne sois pas fol;
J^entens yostre bénédiction.
. - Tout.
Je m*en yoys sans dilation
Veoir Chascun ; je n'y fauldray pas.
' Rien.
Et je te suiyray pas à pas,
Pour veoir s^il me recognoistra.
G HA S G UN commence.
Quand esse que le temps naistra
Que Tout me viendra entre mains?
J'espère que mon fûct naistera
Tel que j away de boi^- moyens .
Tout me fault, mais, comme j'entens.
Je le chercheray là et icy ;
Qui a Tout 4e Kien n'a soàcy. .
ToKis...
Et , par mon amé ,.mé voîcy,
Lequel avez tant desin..
' Ghâsguh.
Vous soyez le bien arriyé ,
Tout num amj et le tout rostre,
Gar très grant joje m^est venus ;
Long temps a que (je) tous desiroys.
Tout.
Vous avez Tout à vostre choix ;
Puisque ainsi vous estes heureulx,
Doresnavant soyez joyeulx ;
De luy ne sçaunez avoir iaulte.
Ghascun.
De grant joye Je cueur me saulte ;
Bien heureux suis-je par ce bout.
Mais oue me fault-il quand j'av Tout,
Lequel m^estoit fort nécessaire ?
Rien.
Monsieur, si vous ayez affaire
De Rien , le voicy en présence,
Qui fait bien tenir contenance ,
Quant il voit'qu[e] on le reclame.
Ghasgun.
Qui estes-vous?
Rien.
Rien, surmon ame.
Ghasgun.
Et de quoy (me) servirez-vous bien?
Rien.
Monsieur, je serviray de Rien.
Advisez-vous ; me voulez-vous?
Gha^jcun.
Mais, dictes(-moy), k quoy valèï-yous?
RllÇN.
A Rien.
Ghasgun.
A Rien ! quel bon yarlet !
Vous estes un peu solellet.
Allez ailleurs chercher un maistre.
Rien.
Advisez; me voulez-vous mettre
En quelque lieu de la maison?
Chasgun.
Allez ailleurs quérir raison ;
Puisque j'ày Tout entre mes mains ,
De Rien n^ay cure ; Tout est miéuz ;
Rien de vous me sçaurôîs passer.
Tout. ■ *
Ha Y maistre Rielî , allez chercher
Ailleurs party ; on le vous dit;
Car vous perdez yostre crédit Y
Où Tout est. Yuidez de ce pas«
Rien.
Et donc ne me voulez-vous pas?
Chasgun.
Nenny, nenny, vuidez la place;
Où Tout est vous perdez espacie
Y fréquenter; à coup yuydez. . ;
RlEN«
Par bien, vous :me appellerez
Que du faict n'y penserez point.
Tout.
Ho, qu'A a bien faiUys^n points
Mon ame, il s^est bien .al>senté.
Que luy aTez-*yous présenté?
CHAscen.
Mon ame, Rien.
RlEIf.
Et, par ma fôy, je sçaTois biea
Que de moy il tous souvieudroit.
Pourquoy me bûchez ofendroit?
Que TOUS fiaûlt-il?
Chasgun.
Quoy, un badin.
Nous serions icy jusques à demain.
Sortez tost, ayancez le pas.
Rl£N.
Je vous en feray repentir.
Par bien, je feray tout taire.
Cha&cum.. ;
Vieulx loudier , que sçaurofS'^ia £aire ?
Tout ton fait ne ^t quVn malheur.
RiEïr.
Quelque joui» vous £sray frayeur.
Ainsi sera; notez-le bien.
Tout.
Bien fol est qui^paonr de Km ,
Car trop peu est ma]|oieu)x.
GHAsetrm
Helas, suis-je pas biei» heureux
D*ayoirTout deysoit^iiApiiîspdnfie?
NOITTSIilJS. 209
Plus grosse n^est resjouyssance;
Soucy n^ay de diose du monde.
Tout.
Bienheureux est-il en ce monde
Qui a Tout; nul bien neluj fault.
Ghascun.
Celuy suis-je.
. Rien.
Bou , bou , boir.
Ghàsgun.
Â, Nostre Dame, qu'esse là?
Jésus, c^est quelque deffortune.
Tout.
Onerques] ne fut telle fortune
Troublé. Jésus, quepeult-ce estre?
[Rien.]
Or tenez , suis-je pas bon maistre.
De les avoir espoventez
Pour faire bon? Or vous veniez
De dire que ne me craignez pas.
Avez-vous veu?
Chascun.
Je ne sçay pas
Que ce villain vieulx assoty
Si souvent cherche [par] icy,
Tousjours portant quelque rasée.
Tout.
Allez en maUe destinée,
Villain , prince des estourdis.
Rien.
Ha, villain I or bref je vous dis,
T. III. 14
aio Farce
Puis que ayez autre que moy ,
Qu'en la fin vous Tiendrez à moy
Aussi droit que compas 4^ lune ;
Car un jour la malle fortune
Tombera suf Tout etGbascun;
Puis s'en Viendront tout à descun
 moy ; ainsi est ordonné.
C H ASC UN.
Va t'en ; tu as tpop sermonné ;
Va t'en tost, tu feras que sage.
Est-il au monde tel passage
Qu'avoir Tout en gouvernement?
Tout.
Cbascun est en avancement
Quand il a Tout entre les mains.
Chasgun.
Mais que dira-on par lieux mains?
Ghascun a Tout conune je sume ;
Mais qu'il n'ait la malle fortune,
Tout il tient « il est remonté.
Tout.
Yostre honneur en sera remonté
Autant que l'on en sçauroit dire ;
Mais que la roue ne vous vire ,
Jamais n'eustes si grant honneur.
Rie Hjecte le sort de fortune .
Nostre Dame, voicy malheur.
Jésus! adieu, Tout, nostre maistre^
Tout.
Dea , monsieur , je vous demande :
Dictes-moy que ce peult estre.
Nouvelle. a.ii
Chascun.
Mort dWe !
Ma foy , c'est la- malle fortune ;
Voici grosse subtilité.
Tout..
Je me sens tout débilité
De mon sens , je le.cognois.bien.
Ghasgun.
Helas , aller me fault à Rien.
Voicy grosse desconyenance ,
MaUe Ktrtune à grand meschance
Dessus moy tient son maintien.
Tout.
Tout et GbascuD s'en vont à Rien ,
La fin le dit sans faulte aucune.
Car sommes subjelz à Fortune
Qui nous rend despourveuz de ^ns.
Ghasgun.
Ha Y par mon ame , je me sens
Mal ordonné. Or sus , allons.
Tout.
Je vois premier (et) nous avançons ;
Allons à Rien pour Mieulx trouver.
Ghasgun.
Monseigneur, nous vous venons louer ,
Faire bommage et révérence.
Rien.
Vertu bien , la grand contenance !
Esse pas vous , messieurs les braves?
Je vous tiendray comme esclaves,
aia Farce Nouvelle.
Et TOUS me youlez dejecter«
Dea , TOUS me venez vbiter.
Yrayement , je vousl-avoys bieni dit.
Tout.
Nous y venons , sans contredit ,
Vous saluer à voix commune.
Ghàscun.
Puis que Sort et malle Fortune
Le veulent, nous vous servirons.
Rien.
Par le sang bieu , nous le voulons.
Je vous retiens de ma cuysine ,
Mais que teniés bonne mine.
Or ça , messieurs, voyez-vous bien
Que Tout et Chascun vont à Rien
En la fin ; ainsi est ordonné ,
Que tel cuide au monde estre né
Pour abonder où est Tout et Bien ,
Et en la fin tout yient à Rien.
Voylà que c'est de nostre vie.
Prenez en gré, je vous supplie.
FIN.
BERGERIE NOUVELLE
FORT JOYEUSE ET MORALE
DE
MIEULX QUE DEVANT
A quatre personnaiges, c'est asswoir
MIEUI<XÛUE DEVANT
PLATRAIS
PEUPLE PENSIF
ET LABERGIÈRE
Plat Pays commence.
essus ces beaulx champs
; Sont faillis les chans
Des bergiiers:de nom.
PeuVlE PENSIF.
Guerre par les champs
Nous a fait meschans ; .
Mort est leur reQQm,
Plat Pays.
Bon Temps , que prison ,
Est-il eQjp^rison? ^, ^
Rien je n y entens. ,
Peuple.
Fault-il en tous sens
Laisser terre et sens
2i4 Bergerie
Pour ces gendarmèanlx?
Plat Pays.
* Par leurs fins ayeaulx
Ilz tuent moutons , y«aulx ,
Et à noK dc^spens..
Peuple,
Cessons ces trayaulx ;
Par mons et par vaulx
Demourons suspens.
Plat Pays.
Peuple Pensif.
Peuple.
Quoy ?
Plat Pays.
Où est Bon Temps?
PEUPLE,
Je ne sç*y,
• Plat Pays.
. . Ne moy.
Il nY a plus ayril ^e may. ^
Long temps y a que je Fattens.
Peuple.
Gomment sont aulcuns diligens
De folle noise maintenir?
Plat Pays.
C^estaux dépens dés pôrrès gens,
Se Dieu n^ yeuh ia main tenir.
Peuple.
Où sont bergiers? ^ '
DE MiEVLX ÛU£/a>EYANT. ai5
•Plat Pay^.
En desplaisir.
Peuple.
Qui les y met?
PtAT Pays.
MaulYaises nouVeUes»
PBUi»LB PîBNSIP.
Bany de quoy?
PhAf PAtâ.
De tout plaisiir.
Peuple*
Ou sont bergiers?
Plat Pays.
En desplaisir*
I^euple.
Comment?
Plat Pays.
Noiseles Yi^t saisir*
Peuple.
Ce sont maies nouYelles.
Plat Pays»
OùsontWgiers?
Peuple.
En desplaisir.
PLAt Pays.
Quile^ymet?
Peuple*
Noise nouYelIe*
ai6 Bxm6EAI£«
Plat Pat».
C'est ung jamais.
Peupls.
C'est uQg Ubelle*.
Plai Pay?.
Qui Tachette?
Peuple.
Noz brebîètes.
Plat Pays,
Je perdy, par guerre rebelle,
Mon pourpoint à grosse pompette.
Peuple.
Quant je os la trompette
Sonner la retraicte,
Je suis en souoj.
Plat Pats.
Se je vois en feste ,
Salade en teste, ^
J'aj le Jeueur transy.
PBUPLEi.
AUons sur les champs.
Plat Pays.
Si hardy r
Peuple.
Pourquoy? .
Plat Pays.
De peur des gensdatmes»
Peuple.
Sont-ilzreTenus?
DE MiKIXLX QUE BEYANT* «I7
PiAT Pats,
Dèsmardy,
Peu^IiE,
Ou dyable Tont-ilz?
PiAT Pats.
Le ttûen querre*
PeUPIiE. .
G*est ung maulyais vent.
Pi,AT Pats.
, . D^Angleterre.
Peuple Peniif.
Dodbter le faillit.'
Plat Pats.
Je crains leurs grippes «
Peuple Pensif.
Ils ont cassé mon pot de terre
Qui seryoit à cuire mes* tripes.
Plat Pays.
Guerre bien -nous pi<$que ;
Hz ont beu deux pipes
De Yin dWé tire.
Peuple.
Foy que doy sainct Pbilippe ,
Dep^urinedefrippe,, '^
Tant craius ce martyre.
.Plat Pays,
C'est ung jamais.
• Peuple.
C'est une lyre.
Plat P>alys,
Où est le temps?
Peuple..
Il es\ eu arme.
Plat Pats.
Rien n'y cognois.*
Peuple.
Rien n'y sçay lirft^
Plat Pays. '
Qui règne sur les champ?
. P£UPLE.
- Gendarmes.
Plat ]Pats.
De leurs maintiens?
Peuple.
Rigoreux termes.
Plat Pays.
Où vont-azt ,
Peuple.
Le diable le sache.
Hz ont £adt sur. moy tel Vacarme
Qu'ilz ont mange et veau et vache*
Plat Pays.
Ce temps cy me fiaiche;
Dy , hay ! prenons iadîe
A faire ung edit. .
DE MiErxx <2i7B "devant. aiQ
Peuple Pensif,
Se mon chien le lâche ^
Et bien il né chasse ,
Je soye mauldit.
Plat' Pays.
Vont-il en guerre?
Peuplé.
On le .4it.
PjiA^ Pays.
Que yont-ilz faire? ,
Peuple.
,, Leur esbatre.
PLjA^ Jt^^LYS.
A noz despens ?
Peuple.'
Sans contredit.
Plat Pay$. c
Et puis quoy?
• Peuple.-
'Le bonhonmieau batre.
PiîAt Pa^ys.
Et en chemin?
.Peuple..
, . ; Poukslabatre.
P.LAT Pjilrs.
Vda leur train*
. Pbxjp^e..
■ 'Cesi leur destinée.
aao Bergerie
Emporté ont mon fléau à batro
Et le lard de ma cheminée.
Plat Pays.
Guerre fortunée^
De malheure née
Par toy je me duefl.
Peuple.
Lliorrible assemblée
Print hier d'emblée
De mes moutons deux.
Plat Pays.
Hz m^ont mengé...»
Peuple.
Plat Pays.
Deux cens d'eux.
Peuplé.
Sont-ilz deslogez? "
Plat Pays.
Ouy, des yeaulx !
Peuple.
QuWportent-ilz ?
Plat Païs.
Mes soûliez neu£c.
. Peuplb»
Boy vent-ilz bien?
Plat Pays.
Comme pourceaulx.
de mieulx que devant. 221
Peuple.
A quel mesure?
Plat Pays.
A plains seaulx.
P-ËUPLË.
Vêla leur train.
Plat PAts.
Vêla leur dance.
Peuple.
Emporté ont mes yielz houseaulx
Et mon beau cliauderon sans ance.
Plat Pays.
Bergerète fraàchè,
Qui vit sans soufirance,
Vien toy cy esbatre.
Peuple.
Se quelcW te lance , .
Donne un coup de lance
Pour la guerre abattre.
Plat Pays.
T'ont-ilz batu?
Peuple.
Gomme beau piastre.
Plat Pays.
I pert-ilfort? .
Peuple.
Ouy, sur ma teste.
Plat PAts.
Qu'i as-tu mis?
122' « &ERGERIB
Peuple.
«
IJag emplastre.
Plat Pays.,
Nous sommes martyrs*^
PEUI»L.f^
Et je Fcbtete. -
Plat Pats,
Je pers mon temps.
Peuple.
Riens je n^acqjaeste.
Plat Pays.
Je suis sans pain.
Peuple.
. Et moy sans placqaes.
Plat Pays.
Hz m^ont derobbé ma jaquette
Et mon chappeau jausne de Pasques.
Peuple.
J^auroy, par sainct Jacques ,
Capeline et Jacques
Pour leur faire assault.
Plat Pays.
Faisons bucquemaques ,
A hacques.et à.macques,
Sur eulx de plain sault.
Peuple.
Hz deslogent.
Plat Pays.
Une m'en chault.
de mieulx que devant. 223^
Peuple.
En yiendra-il d^autres?
Plat Pays.
' Assez.
Peuple.
Tout en passe.
Plat Pays.
Soufilè, Michault.
Peuple,
C'est le pis que la queue.
Plat Pays.
Ç'ensez.
Peuple.
Sont-ilz d'ordonnance.
Plat Pays.
Quassez.
Peuple.
Parlons àbaston. '
Plat Pays..
Hz m'ont trestous les raihs quassez ,
Par Nostre Dame , d'un baston.
Peuple.
Point n'entens le son.
II fault que façon
Ung coup à la chaulde.
Plat Pays.
Mon gentil garson ,
Note la' leçon :
a»4 Bergeris
Trop hasté s^eschaulde.
Peuple.
Du remède?
.Plat Pays.
Une botte fauwe.
Peuple. .
Pasdence.
Plat Pays.
Par trop ml dure.
Peuple.
Je n'y sçay tour.
Plat Pays.
Je n'y sçay Êiuye.
Peuple.
Quedisent-ilz?
Plat Pays.
Yillain endure.
Peuple.
Bon temps viendra.
Plat Pays.
Par adyènture.
Peuple.
Je suis tout mast.
Plat Pays.
Te fault Palayne?
Peuple.
Hz m'ont desrobé ma ceinture
Qui estoit, sur ma foy, de layne.
DE Ml£0LX QUE DEVANT. ^^5
Plat Pays.
Par la Magdelaine ,
Et moutons et byne
Hz ont, bref et court.
PBUPLEt
Guerre trop soubdaine ,
Prent blé et ayeine
Et nous tient dé court.
Plat Pays.
<^'est le train.
Peuple Pensif.
G*est la loy qui court.
Plat Pays.
Hz ont tué mon coq.
Peuple.
(Hz) ont mes oyes* ,
Plat Pays.
Les plument-ilz?
Peuple.
En nostre court.
Plat Paxs.
De quoy font-ilz feu ?
Peuple^
Pe nos bayes.
Plat ;Pays.
Quelz gens sont-ce?
Peuple,
Ce sont laqnayes.
T. ni. . 4S
aa6 Bergerie
Plat Pays.
Mot tout coys.
Peuple.
Gardons(-noa5) de reprise.
Il n^est pas mes vielles brayes ,
Que tu saches , qu^ilz n'ajent prises.
Autant m'est la paix que la treye.
BergièrE, en charUani,
Saillez hors , hors de no fève ,
Saillez hors , hors de do pois.
Plat Pays.
Bergiire , tu resye.
Bergière.
Saillez hors , hors de no fève ,
Saillez hors , hors de no pois.
Bon jour.
Plat Pays.
Bon yespre.
Peuple.
Hault le bob.
Bergière.
Quel est le cry?
Plat Pays.
Tout ung, tout ung.
Peuple.
l*enrage qu'ayec tous ne Toys.
Bergière.
Bon jour.
DE MiEUUX ûU.E DEVANT, aay
Plat Pays.
Bon vespre.
Peuple.
Hault le boys.
Beagière.
Vous me tenez en voz aboys ;
De moy n^ayez mercy aucun.
Bonjour.
Plat Pays. '
Bon Yespre.
cPeuple.
[Hault le boys.]
Quel est le cry î
Plat Pays.
Tout ùng, tout ung.
Peuple.
J^ay icy autant comme a Jung.
En TOUS je prens mon aliance
Et Yostre nom.
Berûière.
Bonne espérance ;
Bergière plaine de science ,
Je me loue , soit blanc , soit bis ,
En gardant brebis
Sur ces vers herbisy
Au soleil Iwant,
Etlàmehubisi;
Rien ne m^est nuysant.
Par déduit plaisant ,
228 Bergerie
Au chant du iisâsant ,
Fois ma panetière
Où paix a démène.
Plat Pats.
Bergière souveraine,
Honneu]^.
Beroière.
Et à TOUS aussi.
Que faictes[-T0tt8 ty]1
Songez-yous mallMwr?
Peuple.
Daine sans sdussi ,
J*ay le caeur transi,.
Espérant bon heur.
Bergière.
Est-ce par ardeur,
Ou par grans chaleurs ,
Qu^estes ainsi nus ?
Plat Pays.
D^abit de pasteur, .
Par moii créateur,
Il n'en eitrplns huki
Bergière* J
Et sans jouster, à cuk bus,' ., -
Essayons-nous dessus êeste herbey
Il n'est [ne] doussaina nt bair]^
Ne son de manyoordibd >! . a i..
Qui sceust faire tel gavdÎMi ^
Que nous ferons à ceste: fois. '
DE MiEULX QUB DEVANT. 229
MiEULX QUE .DElTAIft, en chantant.
Je tienA de Phebcis^, de Phefton,
De Phebé, des dieux , des déesses ,
£t d*0rpheu5 vent de doulx ton.
Je Yois chez princes et princesses ,
Lesquelz j'entretiens en Ijesses.
En court suis le premier devant.
Garny suis de tonte: sasesses
Et fus né vers sonieil leyaiit.
Peuple;
Qui estes-YOus?
MlE'tJLX*
Mîenlx que devant.
Bergière.
Qu'aportez-Yous ?
Bonnes nouvelles.
Plat Pats.
Suyvir vous Yeulx doresnavant.
Quiestes-vous?
MiEULX.
Miéttix que devant ;
Roger Bou^Tembs k vois suyvant ,
Faisant chapeaulx de/Lç9rs nouvelles.
BERéliBfi.
Quiestes-vous? .
MiEULX.
Mieulx que devant.
23o Bergerie
Peuple.
Voz motz ne [nous] sont pas rebellés ,
Et sont fournis de doulees taillés.
Plat Pays.
Par TOUS rabesseront les tailles.
Beegiârb.
Mieulx que devant ^ c'est un beau nom.
MlEULX.
Je veus estre rostre guydon;
Oster TOUS puis de inauetoste.
Peuple.
Si vous plaist, vous serez nostre hoste ,
Pour nous préserver des gensdarmes.
Mieulx.
Il £iult que vous soyiez tous fermes ^
Et ne soiez point esbahjs.
Quel est vostre nom?
Plat Pays.
Plat Pays.
Mieulx.
Et vous, comment?
Peuple.
Peuple Pensif.
Mieulx.
Affin qu'il n'y ait point d'estrif ,
Je manpieré vostre logis y
Et, n'en serez point esbabys,
Aux gendarmjes direz comptant
Que vous avez Mieulx que devant.
de hieclx que dbtant. 93
Plat Pays.
Grates.
Peuple.
Toat est à TO commant.
Hais je tous prie, Mieuli qne deraot,
Ainsi comme bon eschanson ,
Qne chantons , au département ,
Icy ung motet de chûuon.
Cy fine la Farce joyeuse de Hieulx
que devant , k quatre
persoimaiges.
y 1 -^^ "^ *'
>
X.. /
FARCE NOUVELLE
i
MORALIdÊiB ■ '■ ' .
DES
gens'no.uveaulx
Qui mangent le OlOïd» et lu logtnt de mal en pire
il quatre personrudgea, c'est oêsaf^oîr
LE PREMIER NOUVEAU
LE SECOND NOUVEAU
LE TIERS NOUVEAU
ET LE MONDE
Le PREMIER Nouveau commence»
ui de nous se yeult enquérir
Pas ae fâùlt que trop se démente;
Nostre repom peulton quérir,
Com yemt k i-héure présente.
0^ anciens ne vient b sente ,
Copibien qu'ilz fussent fort loyaulx.
Chascun à part soy se régente ;
Somme , nous sommes gens nouveaulx.
Le s]^coni> Nouveau.
A gens nouyeaulx nourel coustume ;
Chascun yeult veoir noureUeté.
Bien sçayons que tel Toyson plume
Qu^an menger n^est pas invite.
Farce des Gens icouv. !i33
Et , pour voas dire'Ttrité ^" , !
Nous avons mons aàgaon» et beaiilx , •
Pour procéder!^ équité ^ . *
Somme , nou9 sommés gens nouyeaulx.
, Le tiers Nouveau.
Du temps passé n^aVcms que faire
Ne du faictdes ge^ aifi<|iei»s«
L'on Fa paint ou ^pprjrs par Jbistoire ,
Mais , de vray, nous n en sçavons. riens.
S'ilz ont bien faict y il ont leurs biens ;
S*ilz ont malfâict, aussi les maulx.
Nous allons par aultres moyens ;
Somme , nous sommes gens nouveaulx .
Le premier.
Gouverner, tenir tenues baulx ,
Régenter i nostrç appe^tit ,
Par quelques moyens bons ou faulx ;
Nous avons du temps ung petit.
Le second.
Les vieulx ont régné, îl souffît;
Cbascun doit rergjner à scm.tour.
Chascun pense de son profit ,
Car après la nuyt vient le jou^.
. Le tiers.
Or ne flûsons^ph» de sdkMVv - '
Mais avisons qu'il «atde luire. .
LE>iI!fKEM3BR;
Compaignons ,'âést iieeessaire
D'aller ung pèdtfif Tesbat. : .: /
A nouveaulx gens nouvel estât.
Puisque les gens nouveaulx nous sommes,
a34 Farce :
Acqaerir de bruit si ^ans sommes
Que par tout il en soit nouvelles.
Le second.
Faisons oyseaulx yoler sans elles ,
Faisons gens d^armes sans cheyaulx,
Ainsi serons-nous gens nouveaulx.
Le tiers.
Faisons adyocatz aumosniers,
Et qu^ilz ne prennent nulz deniers ,
Et , sur la peine d'estre faulx ,
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx.
Le premier.
Faisons que tous couars gens d^armes
Se tiennent les premiers aux armes
Quant on ya crier aux assaulx ;
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx.
Le second.
Faisons au'il n*y ait nulz sergeans
Par la yule ne par les champs,
S'ilz ne sont justes et lojaulx ;
Ainsi serons^nous gens nouyeaulx.
Le tiers.
Faisons que tous ces chicaneurs,
Ces prometteurs, ces procureurs,
Ne seignentplus memoriaulx ,
Ainsi serons-nous gens nouyeaiilx.
Le premier.
Faisons que curez et yicaires
Se tiennent en leurs presbjrtaires
Sansayoir garces ne cheyaulx ;
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx.
'b£s Gens nouyeaulx. a35
Le second.
Qr faisons tant que ces sras moines ,
Ces gros prieurs et ces chanoines ,
Ne mangeussent plus gras morceaulx ;
Ainsi serons^nous gensnouveaulx.
Le tiers.
Faisons que tous les médecins
Parviennent tousjours en leurs fins
Et qu^ilz guérissent de tous mauls^ ;
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx.
Le premier Nouveau.
Cheminons par mons et par vaulx
En pourchassant nostre aventure.
C*esl droict, c*est le cours de nature;
Nostre cours dure maintenâmt;
Les anciens ont faict devant
Leurs jours , il faut les nostres faire.
Gens nouveaulx ne se doivent taire ;
Car nous avons des anciens
Par succession tous leurs biens
Quelque part quHlz soient vertiz.
Le second.
Pourquoj ne sont-ilz bien partis?
Hz en avoient tant , mère dieux !
Le tiers.
Hz sont cachez en trop de lieux,
Voyre qu^on ne sçait ou ilz sont.
Le premier.
Massons qui vielles maisons font
En trouvent souvent à pleins potz;
Mais , quant à nous , nesdo vos.
a36 Farce
Le second.
C'est ang poîiit trop nud assorte ,
Les gens yieulx ont tout eni^rté ;
Hz ont fondé tant de ehattoincs.
Tant d^abayes.v tant de noynes ,
Que les gens noayeaulx. en ont moins.
Le tiers.
Que servent un tas de nonnains., .
Que mon pire jadis fonda?
Et cinq cens liyres leur donna,
Dont je suis poyre maintenant.
Le premier.
J^en peulx bien dire peu ou tant.
Que peult estre tout devenu
Que nous n^ayons le résidu?
Il nous devroit app^rlenip.
L« second.
C^est faulte de sa paît tenir.
Le tiers.
Or sus , ilz sont mors de par Dieu,
Et si ne sçavons,en quj^l liçu .
Estoyent leurs trésors souverains.
Le premier.
Youlentiers , à ses jours, derrains,
Ung riche cile sa licheisse.
Le second,
Unde locus , mais pourquoy esse ?
Pourquoy n'en ont-ils souvenir?
Le premier.
Ilz cuident tousjours reyenir ;
DES Gens nouteaulx. 337
Mais espérance les déçoit , *
Et par ainsi on apparçoit .
Que plaiseors ont esté deçeuz.
Le second.
Or prenons ung chemin , sus -y sus ;
Chascun eu son propos se fonde.
LS TlKRS.i
Il nous fault gouyemer le Honde^
YeU notre faict tout Conclus ;
Aux anciens n\ippartîent plus ;
G^estnous qui devons gouverner;
Le pi^eiiieii.
Rien ne nous vaplt le s^otmier ;
Allons veoic que le Mona^iaiet*. .
Le MoifDE.
Et que fiera«c6 de mcfn fricl?
Pourqttoj m'a hîs9é Zephirpisî
Je suis tout destruict et defiaict.
Tous mes biens sont i Neptunus.
Jamais asseiiré je ne fbs', -
Pource que j'avojeesperancie;
Mais mamtenant je n*en puis plus ,
Le Monde vit en grant balance.
Le premiei^.
Uo, j*ay ouy le Monde, quW s'avance;
Il £aut tirer par devets lu y.
■'>•,.■
L|;^^KÇOND«
Gardons-nousde tayifaîre enwrjf ;
Traicter le convient doolcement.
236 Farce
Le prekier.
Et puis. Monde, comment, comment,
Gomment se porte la santé ?
Le Monde.
Honneur et des biens k planté
Vous doint Dieu, m^s bons gentilzhonmies.
Le premier.
Vous ne sçayez pas qui nous sommes?
Le Monde.
Ma foy, je ne tous cognoys riçn.
Le premier.
Par ma foj, je vous en croy bien.
Monde, nous sommes Gens nouyeaulx.
Le Monde.
Dieu vous guarissè de tons maulz ;
Gens nouyeaulx , que venez-yous faire?
Le second.
G*est pour penser de ton affiire
Et de ton estât discerner.
Le tiers.
Nous yenons pour te gouyerner
Pour ung temps à nostre appétit.
Le Monde.
Vous y congnoissez bien petit.
Dieu ! tant de gens m*ont gouyemé
Depuis llieure cpe je fus né !
En moy ne yis point d'asseurance ;
DES Gehs nouveaulx. aÎQ
yaj esté tODJouis en balance.
Ëncores sois-je pour ceste heure.
Le peuple tranalle et labeure ^
Et est de tous costez pillé ;
Quant labeur est bien tranouillé,
Il rient ung tas de tmandailles
Oui prennent moutons et poulailles.
Marcnandise ne les marchans
N'osent plus aller sur les champs ,
Et chascun dessus moy se fonde ,
En disant : Mauldit soit le Monde!
J'en ay pour rétribution
Du peuple malédiction ;
C'est le salut que j'[en] emporte.
Le. PREMIER.
Vous çouyerneron de tel sorte?
Qui faict cela?
Le Monde.
Gens envieux ,
Qui sont de guerre curieux
Et "vivent tousjours en murmure ^
Et jamais de paix n'eurent cure.
Geulx-là ont mon gouvernement
Sans savoir pourquoy ne comment j
Ne à quelle nn ilz prétendent ;
Je ne sçay que c'est qu'ilz attendent ,
Et ne sçay qu'ilz deviendront.
Je cuide qu ilz me meilgeront,
Se Dieu de brief n'y remédie.
Le second.
Taisés^vous, Mondes non feront :
Gens nouveaulx vous en garderont ^
a4o Fàrcb
Qodqae chose ^pe Tom tous die»
Le M.oiiDE:'
II vous court une^pillerie
Voyre sant cause ne x'^son.
Laoeur n*a riens ien sa rn^ao^
Qu'ilz n*emportent4 yel^ les. tenues.
Et si ne sont mie sen^d^ianiies
Qui so jent mis k 1 ordonnance
Serrans au royaulme de FrançQ»
Ce ne sont q^ung tas de faiUars,
Meschans, coquins, laitons, iiillars.
Je prie A Dieu qui les confonde.
Le tiers.
Paix nous tous garderons , le Monde %
Et TOUS deffendrons contre tous.
Le Monde.
Je seroye bien tenus à vous
Et le yerroye youlentiers
Le premuçr.
Monde , il mms Ênlt^des deniers ,
Et puis après arâenmB t
Que c^esX que de tous nous leroiis ;
11 n'y a point de* bfonllerie* .
Lé MOiNBE.'
Vous Tenez donc par.piU<^rie^f ji
Je ne Tentens fMis.aultiWleiilU <
Lv ss4:aNà>.
Nous Tenons, neTous-chsinlteonmieiit;
Tantost tous le congnoîstrés hien.>
DES GeiYS l^OtVEAULX. 24i
Le Monde.
Ne me doit-û demourer rien?
Le premier.
Vivre fault par quelque moyen.
Voycy pour moj.
Le tiers.
Cecy est mien.'
Monde, il fault avoir sa yie.
Le Monde.
Je prie k Dieu quHl tous mauldie»
Esse cy le commencement
De vostre beau gouvernement?
Gens nottveaulx sont-ilz de tel sorte?
Le premier.
Monde, plains-tu ce que j'emporte?
Quaquettes'tu? Que veulx-tu dire?
Le Monde.
Nenny, je ne m*en fais que rire.
J^ay assez plus que tant perdu.
Le SECOND. ,
Nous ne Favons pas despeadu ; .
Ceulx qui le diront seront folz;
Le Monde.
Sont esté tels gens comme vous.
Ainsi je suis de tous assaulx ,
Pillé aes vieulx et des nouveaolz ;
Je ne sçay quel part je me boute.
Le tiers.
Ce D*est pas tout.
T. m. M
ti% Faeçe
Le Monde. .
J*eii hjs bien dottbte.
Le premier.
Aussi t*y doibz-ta bien attendre.
Le Monde.
Au moins , quant n*j aura cnie prendre ,
Vous ne sçaurez que demander.
La[s] , je pensoye qu^amender
il me c(eust de Yostre venue.
U n'est rien pire soubz la nue
Que Gens nouyeaulx de maintenant.
Le second.
Nous vous gouTemerous content.
Monde , cbenûnez quant et nous.
Le Monde.
Voyre, mais où me menrez-yous?
Je le youldro je bien sçayoir.
Or ça donc[ques], il £ault sçayoir
Quelz gouyemeurs [cy'] on nous baille.
Le second.
De yous [nous] aurons srain et paille «
Par ma ioy ^ je n en double pas^
«
Le premier.
ë
Cheminez encore deu^ pas ,
Et puis nous yous abrégerons.
Le Monde.
Où esse que nous logerons?
J*en suis grandement en soucy.
DES Gens nouveaulx. ^43
Le second.
Ne TOUS ckaille ; c*est pris i^kj.
Sans cheminer jà plus ayal,
Logez-yous icy.
Le Monde.
le suis mal ,
Et & mal m^ayez amené.
poyre Monde infortuné !
Fortune , tu m^es bien contraire j
Contraire dès que je fuz né.
Ne fîiz qu*en peine et eu misère.
Misérable , que doy-je faire ? . .
Faire ne puis pas bonne chère :
Cher me sont trop les Gens nouy eaux.
Nouyellement sourdenC assaulx.
Viyre ne peult le poyre Monde*
Monde souloye estre jadis;
Jadis portoye face faconde ;
Faconde estoye.etf plaîsans'dis,
Dis je disoye , et jelarmis
Larmes et pleurs de desplaisance.
Plaisir me fault; douleur s^ayance.
Le premier.
Vous estes logé à plaisance ,
Monde , cVst le point prindpal.
Le Monde.
Gens nouyeaulx , soubz yos6:e asseurance,
Vous m*ayez amené à mal.
Lé second.
Venez çà ; n^estes-yons pas mieulx
Que yous n^estiez anciennement?*
244 Farce
Le Monde.
Je regrette le temps des yieulx ,
Se TOUS me tenez longuement.
Le tiers.
Vous desplaisent les Gens nouyeaulx ?
De quoy menez-rTOOs si graut bruit?
Le Monde.
Au premier, vous me sembliez beaulx
Mais en vous n'y a point de fruit.
Le premier.
Vous plaignez-vous pour si petit?
Sommes-nous gens si enragez?
Le Monde.
Gens nouveaulx , petit à petit ,
J^ay grant peur que ne me mangez.
Le second.
11 fault que vous vous réclamez»
A vous le dire franc et court.
Le Monde.
Vous estes si très affamez
Que ne povez entrer en court.
Le tiers.
Vous parlez en parpUes maigres; .
ÏDictes vostre desconvenue.
Le Monde.
Vous mordez dêimirsures aîgi^es ,
Gens Bouveaulx ^ à la bienvenne.
DES Gens nocyeaulx.* i^
Le premier.
Les Gens nouyeaulx auront leur tour,
Puis que une foys sont esyeillez.
Le Monde.
En me monstrant signe d^amour,
De nuyt et jour vous me pillez.
Le second.
Il faut mie tous appareillez
A nous nailler ung peu dWgent ,
Monde.
Le Monde.
Si souvent! sisouyent!
Le tiers.
Voire si souvent, plus encor.
Ça , de Targent.
Le PREXIEft.
Ça , ça , de For,
Monde , nous vous garderons bien.
Le Monde,
Or ça , quant je n^auray plus rien ,
Sur moy ne trouverez que prendre.
Le SEGO^p. •
Nous sommes encore k prendre;
Monde, endurez cette saison.
Le TIERS.
Je cuide que ceste maison
Lui ennuyé. Changeons de place ,
Aflin que soyons en sa grâce.
346 Farce
Monde , youleE-yous- desloger ?
Nous vous ferons ailleurs loger
Homiesfement, mais qull vous plaise. :
Le Monde.
Je ne suis pas fort k mon aise ;
Je suis en mal; c^esf grand soucy.
Le premier.
Sus , sus , TOUS partirez d^icj.
Venez-TOQS cn^
Le Monde.
Dieu mer conduye.
Le tiers.
Pour guérir yostre cueur transy^
Sus , sus y TOUS partirez d'icy .
Le Monde.
Gens nouyeaulx v feictes-vous ainsi ?
Le premier.
Il est conclus, n*en doubtez mye.
Vecy plaisante hôtellerie.
Monde , logez-YOus y, beau sirc^
Le Monde.
Ha f Dieu , je yois de mal en pire !
Que me faictes-yous , Geas nouyeaulx t
Vous m*estes ùasix et desloyaulx.;
Vous me logez de mal en pire.
Le premier.
Autant yous tault plourer que rire.
Monde, prenez^btti recon^ftrt.
i>ES Gens nouteaùlx. 247
Le MoNDlB.
Qa& ae descend tântost la mort ,
Mordant par diverse poincture !
Privé me sens de tout confort ;
Fort est grant le mal que j^endure.
Dure dureté et passion dure.
Dures pleurs me convient getter,
Sans nul espoir, fors regreter,
•Regretz pitisulx , et lamenter
Lamentz mortelz qu'on ne peult dire;
D'ire me £siult tout ^unnenter,
Tourmenté en [trisjgrant martire,
Tiré suis en losis mauldit.
Gens nouveaulx en font leur edit.
Ha! Monde, où est le bon temps
Que tu plaisoys à toutes gens?
Et ores tu es desplaisant. *
Peuple , d'avoir Dieu ne te attens
Quant Gens nouveaulx sont sur les rens,
Toujours viendra pis que devant.
Le SEGONb.
Vous estes en logis pbisànt.
De quov vous aUei-vous plaignant?
Vous plaignez-Vous des Gens nouveaulx?
Le tiers.
Se plus vous allez complaignant
Encore aurez pis que devant;
Ce ne sont que premiers assaulx.
Le Monde.
Or voy-je bien qu'il m'est mestîer
De le porter patiemment.
Cbascun tire de son carder
%iS Farcb des Gens nout.
• • •
Pour m*aYoir, ne lu^* chault comment.
Vous povez bien voir clerement
Que Gens nouYèauIx , sans plus rien dtt^^
Ont bien tost et soubdainement
Mjs le Monde de mal en pire.
Finis.
Farce nooyelle moralysée des Gens wm-
Teauk nui menant le Monde
et le loi^t de mal
en pire.
FARCE NOUVE^LLE
A cinq persormaiges, c'est assaçoir,
MARCHANDISE ET if ËSTIER
POU D'A'GQfUEST
LE TEMPS QUI COURT
ET GROSSE DESPENSE
BIarghanD'IS£ commence.
6 quel estât me puis^je outiller
Pour.parveoir a eç- que je pretens?
De jour en journe fais que trayailler;
far qùoy je dis , 'pàr1>iétt , sans me railler,
Qu'à grant peme p^ifeavèn* mes despens.
J'ay bien méjugé éeuU oii troi^f bons airpem
De mes meubles, sans gaigner une maille.
Ettoy, Mestier?
Mestier.
Je (re)pays de babiller ;
De jour et nuict on me Tient réveiller.
Au grant dyaUe en soit la quoquÎDaille.
Marchandise.
Se anicun Lombart me yient livrer bataille y
Prendre noz biens par exécution «
Je le payray , par beu rquoy qu'il en aille ;
^5o . Farce
Soit d*ang re^it ou d*ane cession.
Mestier.
raj grant borreur voir la/confusiou.
Marchandise.
Tout est bien cher ; c^est piteulx contrepoint^
Mestier.
Le Temps qui court nous tient en jussion.
Mais jay srant petfr que par succession '
Il ne me udUe menger mon vieil porpoint.
Marchandise.
Le grant dieu Mars se lasse[r]a-il point
De nous battre tant d^estoc et de taille?
Mestier.
Les gros larrons, les pendera Peu point?
Nous tiendront-il'toosjours en leur {enoaiUe-?
Marchandise.
Tel a brague , qui n*a denier ne maille.
Mestier.
Tel mendye, qui a esté bien gourt.
Marchandise. <
Tel est y auteur qui couche sur la paille ;
Voilà le train^.par biéu , du Temps qui court.
Mestier*
Marchandise, pour vous [lej faire court,
Passer le fault, sans plus cner ne braire.
Marchandise. '
Passer le Temps ? Ma foy , il e^t trop lôurt ;
Les plu» huppez y onll»en Ibrt a &ire.
BE Marchandise. iSn
Mestier.
Kahu kaha , il nous le conTient faire,
Qui me croira.
Marchandise.
De ce i moy ne tienne»
Mestier.
En attendant que le bon Temps viendra ,
Le maulyais fault passer, qui me croira.
Marchandise.
Vj prendrai peine si bien qu^il y perra
A quelque pns, par bien, qu'il en advienne*
Mestier.
Passer le fault ; par bieu , qui me croira,
Gentil mignon.'
Marchandise.
De ce k moy ne tienne».
ley Mestier et Marchandite prennent l'estamîne pour passer
le Temps.
Pou D^ACQUEST.
Matin , matin , les aultres ne reviennent
Passer le Temps ; il nV a que ce dangier.
Hé, cessez^vous, que bon gré saint Estienne,,
Je ne croy pas que aulcun mal ne vous vienne..
Les gens icy , estes- vous enragez?
Mestier.
Nous ne sommes pas encore avoyez.
. Marchandise.
Je ne voy rien passer par Festairone.
Pou DlActt^EST.
11 me semble qiie soyez eniiùyeeif ". .■ '
Avez-vous tous vos escus desployez?
Je vous viens TJeoir; dqimez-nioy mes estraines.
Mestiçr.
Hé , bona nox.
Pou d'Agquest.
Dieu card lez capitaines.
Comment se portent le^ joyeulx assistens?
MAEGHÀnBISE.
YoyU comment Fortune nous demaine.
Mestier.
Hé, bona nox.
Pou d'Agqubst.
[Dieu çardles capitaines.]
Gomment se portent les joyeulx assistens ?
Que, tous les dyables, vous faictes layde mine.
Que faictes-vous?
Marchandise.
Et nous passons le Temps.
Pou n'AcQUEST.
Ouy dea, ouy dea ; vous le passerez tant.
Par sainct Jaques, vous n^en estes p^s prestsw
Mestïer.
Tu me semblés ung joyeulx applicquant;
Gomme est Um nom?
Pou b'Agqubst.
J^ay à nom Pon d^Acquest.
DE Marchandise. 253
Marchandise.
Pou d^Àcquest ?
Mestier.
Pou d*Âcquest?
Pau d'Agqusst.
Voire je le suis ;
Longtemps y a que je ydus sojs.
Quoy, ne me congnoissiez-yous point?
Marchandise.
Corbieu , nous sommes bien empoint ;
Pou d^Acquest, cela me desgoute.
Pou d'Acquest.
Vous en estes bien de sainct prins.
Il ne passe ne grain ne goutte.
Mestier.
Je me suis rompu le costé.
Marchandise.
Je commence à me lasser.
Pou d'Acquest.
Pour le TOUS dire , sommé toute,
Le Temps est trop fort à passer. -
Mestier.
Tel cuide par trop embrasser
Qui laisse eschaper son fardeau;
Marchandise.
Tel cnide souvent menasser
Qui est fiippé de son Cousteau:
Noos en ^onnie» tràs-bicn et beaar'
%Si Farcb
Possible ii*est passer le Ten^i^
Pou d'Acquest.
J^ay encore ung grant vieil drapeaa ;
Vous le passerez bien dedans .-
UxaCHANDISE.
Voicy ung droict engin nouveau.
Ayde-nous.
Pou d*Agquest.
A , fen suis content.
Mestier.
Or ça, ca, qu'en despit du Temps
Il n'y passe goutte ne grain.
Pou d'Agquest.
C'est Testamine de cba^rin ;
Vous n'aurez pas fait de dix ans.
Marchandise.
Soit en chagrin ou aultrement ,
Nous n'en sçaurions venir à bout.
Pou d'Agquest.
Vous n'ayez pmilt d'entendement
Par ma foy , vous estes trop lourt.
Si vous voulez v[e]oir le bout.
De passer le Temps en chagrin,
Je vous [en] diray le ragoût.
Mestier.
Compte nous en ung petit brin.*
Pou.d'Agquest.*
Si vo|it vablez^ sçavoir le train ,
Escoqteir tons £Miif «igii %lmêm.
Quant il njeat en TOtÊ m uéson
Un sergent pdav ez^eofer,
£t il TOUS ùk tout emporter
Qu'il nyi/tÊOenre que Ia place ,
V^w drm-Tous pas chagrigner ?
Marchandise.
Par ce moyen le Temps se passe.
Pou d'Acquest.
Si vous voulez avoir crédit ,
Dictes ainsi que m^orrez dire ,
Et vous Taurez sans contredire.
Mais il est requis à Taffaire
Faire ainsi que me voirrez faire ,
Et vous Faurez sans contredit.
Mestier.
Faict sera.
Pou d'Agquest.
Monsieur mon amj.
Faire vous veulx , sans long quaquet ,.
Le plus très grant villain banquet ,
Ou le diable d'enfer Wemporte
De la .plus grant villaine sorte.
Pour le vous dire brief et court;
Yoyla comine flateurs de court
Disent aujourdliuy.
Marchandise.'
C'est oultraige •
De contlrefaire son langaige.
Pou d'Acquest..
Sang bieu/moEbieut je tway itout !
256 Farce
Je regny bieu , j*en TÎendray  bout ,
Nul n*j peult mettre contredit.
Mestier.
Tel cuydoit bien avoir crédit
En aulcùn lieu , a tout gasté.
Pou d'Acquest.
Pour ce qui s*est par trop hasté
De monter, il est cheu à val.
Marchandise.
Pour peu de chose il vient beaucoup ^e mal.
Mbstibr.
De moins que néant on lÎHGt maintes reproches.
Marchandise.
Par icellu y qui les péchez rabat ,
Une démarche nous mect en gros débat.
Pou d'Agquest.
Voyre sans plus pour avoir une crosse.
Mestier.
Fort à ferrer a tousjours fer qui loche.
Marchandise»
Cheval hargneux une estable a par soy.
Pou d'Acquest^
Passe partout soùventes foys s^acroche
Et deschire ce qui est autour soy.
Le Temps.
Est-il saison que me tienne à requoy,
Puisque sur tous ay le bruyct, somme toute?
Le peuple tien et tiendray en aboy.
Est-il saison queiae tienne ijFequoy?
DE Marchandise. 267
Si je règoe jusques au mois de may,
D^effosion il cherra mainte goutte.
Est-il saison que me tienne à requoy,
Puisque sur tous aj le bruyct, somme toute?
Les ungs m'ayment, les autres me déboute ;
Si n Y entens , parbieu , ni qui ne quoy ;
Resyeiller Mars feray, quoy qui me couste ,
Si je rigne jusques au mois de may.
Marchandise.
Gens de mestier, m'est advis que je yoy
Le Temps qui court.
Mestier.
C'est mon , 'sans nulle doubte.
Pou d'Acquest.
Qu'il est pervers ! je croy qu'il ayt les gouttes.
Ma]le santé l'est venu visiter.
Marchandise.
Il va.
Mestier.
Il vient.
Marchandise.
11 oreille.
Mestier.
Il escoute.
Pou d'Acquest.
Je luy donroys une horrible sacoutte ,
Se contre luy je puis résister.
Marchandise.
Par devers luy nous convient assister,
Sans attendreplus tart dessus la brune.
T. m. a
258 Farce
Pou d'àcquest.
Parlez tout doulx , car il tient de la liuie ,
Et a la teste massive de grillons;
Il nous mettera à la roue de fortune ;
C*est pour nous faire avoir les oreillons.
Mestier.
Dieu gart le Temps.
Le Temps.
Dieu vous gard , mes mignons.
Qui vous meult de venir en cest estre?
Vous me semblez tous gentilz compaignons.
Marchandise.
Dieu gart le Temps.
Le Tekps.
Dieu vous gart, mes mignons.
Marchandise.
Par devers vous comparer nous voulons
Gomme voz cer££.
Le Temps.
Itelz vous devez estre.
Pou d'Acquest.
Dieu gart le Temps.
Le Temps.
Dieu vous gart, mes mignons.
Hée , Pou d'Acquest !
Pou d'Agquest.
Dieu vous gart, nostre maistre.
DE Marchandise. aSg
Le Temps.
Gomment te va?
Pou d'Acquest.
Mieulx ne me pourroit estre.
"Le Temps.]
Estes-vous fort de pecone comblé?
Mestier.
À yostre £ait ne nous povons congnoîstre.
Pou D*ACQUEST.
£t taisez-yous , le grant diable y puist estre I
Il est laneau, tous le ferez troubler.
Le Temps.
Que disent-il?
Pou d'Acquest.
Se nous aurons du blé.
Le Temps.
Ouy, on vous en apporte.
Marchandise.
Que le Teiùps est d'une saulyaige sorte 1
Par sainct Jaques , je ne le puis congnoistre.
Pou d'Acquest.
Et taisez-yous , le diable yous emporte.
Mestier.
Que le Temps est d'une maulyaise sorte !
Marohandise.
Malice bruyict.
Pou d'Acquest.
La bonne année est morte.
x6o Farce
Mbstier.
Pour le présent chascun vealt estre maistre.
Pou d'àgquest.
Qae le Temps est d'aae terrible sorte ,
Par saint Jaques , je ne le puis <x>ngnoistre.
Le Temps.
Tenez , mignons , Yoyla qui est pour mettre
Sur Yostre dos ; voyez que je tous baSle.
Marchandise*
Nous vculez-vous de telz bourdes remettre?
Et qu^esse cy?
Le Temps.
Que cVst? ce sont retailles.
Quoy, vous tremblez?
Mestier.
Pas ne sommes asseurez.
Pou D^ACQUEST.
Cecy , sang bien , ce nVst chose qui raille ;
Se ne sont pas bànifares à consturiers.
Marchandise.
Où prins aubert?
Mestier.
Où pKÎDS tant de deniers ?
Le peuple Ta il dayanfaige?
Marchandise.
Que ferons-nous de tant d'ayanturiers ?
Pou d'àgqubst.
Hé , on A Êuct ung tas de francs arcbiers
DE Marchandise. 261
Pour achever de piller les viUages.
Le Temps.
Plusieurs par moy recèleront leurs gaiges,
Si je ne suis [al<N:s} mort ou pery.
MfiSTiEa^
J^ay si gcant dueil qu'a peu que je n^&aaàa/^^
Ha ! Temps qui court, tant tu nous iaitz d^nnuy .
Ls Temps.
Ha, au'esse-cy? Me Teult-on ai^oordliuy
Supeoiter? G^ mettray [bien] police ;
Puisque à ce coup me œetK à-regiber,
Croyez de vray que j'enyoyray briber
Ceulxqui m'ont tinslong temps soubz leur p[e]lisse .
Grosse, Dispense.
C'est moy, c'est moy qui suis bonne nourrisse ;
Je faitz raire banquetz delicieulx.
A. plusieurs je suis àfisez' propice;
Croyez d'ung cas que je ne suis pas nice ,
Car je gouverne toutes gens somptueux.
Pou d'àcqubst.
Ne vous desplaise , je suîsfantasieulx.
Qui estes-vous?
Grosse Despense.
Qui je suis? Or y pense.
Pou d'âcquest.
Ma foy, j'en suis tout melencolieux.
Mais qui estes-vous ?
Grosse Desperse.
Je suis Grosse Despense.
26a Farce
Pou b'Acqubst.
Grosse Despense'^
Marchandise.
Grosse Despence?
Grosse Despense*
Pour vous en dire la briefve conséquence ,
De par le Temps suis transmise en ce lieu.
Pou d'Acquest.
Hola f bola , que personne ne tence.
Mais aydez-moy a regarder/ sa pance;
Je croy que c'est la mère Maulgrébieu.
Mestier.
Grosse Despense , vertu bien !
El ya plus yiste que le pas.
Marchandise.
Partir nous convient de ce lieu ;
Grosse Despense , vertu bien !
Mestier.
Allons-nous en.
Marchandise.
Adieu.
Mestier.
Adieu.
Grosse Despense.
Je vous suyvray pas à pas.
Pou d^Aquest.
Grosse Despense, vertu bien!
DE Marchandise* ïi63
No$tre esta^ n'y fourniroit pas.
Marchandise.
Gorbieu, nous ne tous cherchons pas;
Pourvoyez-vous d'auitrepasture.
Pou d'Acquest.
Vous avez faict un bon repas ;
Mon Dieu , que vOstre pance est dure !
Grosse Despense.
Je ne dy pas ce que mon cueur procure ;
Je vous prometz que vous verrez beau jeu.
Pou d'Acquest.
Nous direz-voùs nostre bonne adventure?
Vous amusez tousjours à la pasture ;
Ung temps viendra que nous sçaurons le neu.
Le Temps.
Qu'est-ce que j'o tempester en ce lieu
Si longuement?
• Pou d'Acquest.
Je ne sçay , par ma' conscience «
Se ce n'estoit cette Grosse Despense
Qui se complaint.
Le Temps.
Ella cause pourquoy?
La laissez-votfs tomber en décadence ?
Mestier.
Remédier n'y sçauroys , sur ma foy.
Marchandise.
Temps qui court, ce n'est pas la loy
De nous bailler tout d'une instance
a64' . Farce
Pou d*Acqiiet et Grosse Despense.
Cela me faict craindre et doubler.
Mestier.
Le fardeau est lourd à porter,
Sans defiault.
Le Temps«
Tant de quaquet !
Entretenez Grosse Despense;
Voz dictz ïïj font pas un nicquet.
Grosse Despense.
Tenez , yoyla vostre paccniet ;
Prenez estât de Marchandise.
Aller vous fault au brunicquet ,
Puisque sur tous ay la mam mise.
Marchandise.
Nous brasse Fea tel saupîcquet?
Pou d'Acquest.
Aller vous fault au brunicquet.
Grosse Despense.
Il ne huit point tant de qnacquet.
Vous ne sçauriez trouver renuse.
Pou D^ACQUEST.
Aller vous fault au brunicquet ;
Tenez estât de Marchandise.
Grosse Despense.
Or ça , il fault tout d*une mise ,
Gens de mestier, soit gré ougrace ,
Prendre vous fault ceste besasse ,
Combien que ne sojés mestien.
DB Marchandise. a^5
Mestiïsr.
Que dyaWe £aiilt-ii que j'en face?
Pou d'Acquest.
Quoy ! reffusez-yous la besasse?
Grosse Despbnsb.
Puisque je ay poToir et audace ,
Je y j>esongneray par bons moyens.
Pou d'Acquest.
Mestier, prenez ceste besasse ,
Vous serez Fung des mendiens.
Marchandise.
Je ne m*en tiens pas trop content.
Mestier.
Pugnis sommes à la rigueur.
Pou d'Acquest.
On TOUS fera beaucoup dé biens ;
Vous estes beau £rke mineur.;
Marchandise.
Or ça , de par Nostre Seigneur,
Or sonmies-nous de tous^ biens séparez.
MESTliâR.
A nostre faict n'y a plus de vigueur.
Po^u d'Acquest.
Le Temps qui court vous a bien reparez.
Marchandisb.
U convient donc que «oyons séparez
Sans tenir cy si longuement quaquet.
z66 Fakcb de Hakchahdisb.
Au Temps qm court point. ne lault diffcrer;
Grosse Despepse m'envoye au brunicquet.
Me s t I E r.
Pour conclure , nous avons P<m d'Acqaest ,
Qui d^ pieçâ nous a baillé chagrin .
Pas ne convient que face groi excès ;
fk j:_j^ jg ^^ prendre le train.
LA VIE ET L'HISTOIRE
DU
MAUL VÀI S RICHE
A traize personnaiges, c*est assavoir
LEMAULVAISRICHE
LA FEMME du mauWais
Riche
LE LADRE
LE PRESCHEUR
TROTEMENU
TRIPETeoisinier
DIEU LE PÈRE
RAPHAËL
ABRAHAM
LUCIFER
SATHAN
RAHOUART
AGRAPPART(I)
Icy commence le Sermon
Le Prescheur.
^omo quidem eratdivea qui indue-
^mtur purpura et histo et epule^
\afur quûtidie eplendide, Scribi'
^tur Luce» xxii. ca.
Mes chères sens , ceste parolle
Que nul ne dowt tenir pour folle ,
Que j'ay cy deyant proposée ,
Dessus revangile est trouvée,
(1 ) Cette MoraHté e été imprimée plusienrs fois. Outre
l'édition de Lyon, que nous reproduisons, on en connolt
deux autres du seizième siècle ; il en a été fait une réim-
pression à Aix, par Pontier, en IBS3, et une autre à Paris,
par M. SUvestre, en 1853.
a68 La Vie
Ainsi que saint Luc le tesmoigne ,
Qai fut présent k la besongne ,
Quant Jesuchrist nous enseigna
Geste parole, et prescha,
Et leur dit maint enseignement
Pour aprendre leur saulVement,
Et pour le peuple endoctriner
Pour mieulx k la foj encliner ,
Et pour la grâce Dieu ac<|u«rre ,
Qui pour nous vint mounr en terre
Et prendre nostre humanité
En la Vierge de grant bonté ,
Qui est de grâce tresorière
Et des saintz cieulx dame et lumière.
Or luy pryons de cueur entier ,
Que grâce nous yueille enyoyer ;
Et, pour celle grâce impetrer,
Nous dirons tous , sans arrester,
Le salut que Tange apporta
Quant luy dit Ai^e Maria,
Homo quidem erat dii^es , etc.
Mes très ehères gens , long temf& a
Qu^il fut ung hom à gr^itt pujBsance,
Qui de trésor eut gràtit jGnanfie
Et se delectoit moult forment
A estre yesia noblement.
Comme de pouipre. et' de' soye ;
C^estoit son soûlas et sa joye;
Et à vivre tràs largement
Avoit mis tout son pensement.
Mais de povres sens n^avoit cure ,
Ains leurfaisoit liontc et laidure,
Dont U fut griefv^ement pugnis
Et en enfer à tousjours mis.
DU MAULTAis Riche. 269
Quant il vit que damné estoit,
Adonc Ibnnent se repentôit
De ce que plus n^avoit donné
Aux pouvres gens, et aulmosné.
Celuy riche homs que je conte
N*e$toit ne roy, ne duc, ne conte.
A sa porte souvent yenoit
IJng poyre ladre, qui estoit
Moult aggrayé de maladie,
Et avoit sa melencolie ,
Et à manger moult desiroit
Du relief qui luy démooroit
Et des myettes qui cheo jent
Jus de la table et degoutoyent.
Mais pour néant s^en dementoit ,
Car nul ne luy en presentoit ;
Si sonnoit-il moult baultement
Ses cliquettes abondamment,
Dont au mauvais riche despleut,
Et envoya plus tost qu'il {^eut
Son variet par grant felonnie.
Et luy dit : Va , si me desHe
Mes chiens , sans plus arrester /
Pour ce iiie&eau le devourei^ ,
Qui si souvent vieftt à ma porte.
Ya tost , et point tie le déporte.
Et le variet lors respondit.
Quant son maistre parier ouit :
Sire , vottlentievs le feray ,
Et voz chiens luy hareray*.
Alors le variet, sans attendre,
Alla aux chiens courant les prendre ,
Et les hara appeitemeut
Sur le ladre moult asprement;
270 La Vib
Mais, par la yerta sodyerainef
Oncques ne peult tant mettre peine
Qu^au ladre voulsissent mal £aare ,
Car pas à Diea ne youloit plaire,
Mais allèrent sans retarder
Au ladre ses playes lescher,
Dont au riche forment despleust,
Et du courroax que il en eust
Âcoucba malade au lit.
Et le ladre , sans nul respit ,
Mourut k sa porte devant ,
Et puis le riche incontinant
Trespassa assez tost après,
Qui tut moult félon et divers
Et plain de maulvaise nature.
Oncques de bien faire n^eust cure ,
Dont il fust en enfer dampné,
Et des dyables emporté ,
Et le IsLOre , qui eut sa vie
Usée en si grant maladie ,
Si fîit porte en paradis
En grant soûlas et en delis.
Et tout cela verrezr-vous faire ,
Mais qu^il vous plaise de vous taire
Sans taire noise ne content,
AfiGmi que cest esbatement
Se puist parfaire et accomplir
Ainsi que nous avons désir.'
Priez pour moy , je vous en prie ;
Dieu vous gart tous de villennié.
Commence qui doibt commancer;
Trotemenu.
Hahay, or me fault-il lever.
DU MÀULVAIS RiGHB. 971
Haro ! que je suis endormis ,
Paresseux et efietardis ,
Que pieça ne suis appresté.
Je croy le soleil est levé ,
Qui ha abattu la rosée.
J^ay dormy grande matinée ;
Or me fault-il pourpenser
Comment me pourray excuser
Envers mon seigneur et mon maistre,
Que Je voy en celle fenestre.
Mon seigneur, le bon jour ayez.
Je suis prest et appareillé
D^aller partout ou vous plaira ,
Soit de là la mer ou deçà ;
Or me dictes vostre plaisir.
Le MAULVAIS Riche.
Trotemenu , j^ai grant désir
De vivre planteureusement
Et d^estre vestu noblement
De drap de pourpre ou de soye ;
Car j'ay assez or et monnoye
Pour mon estât entretenir
Ainsi qu^il me vient à plaisir.
Or va tost, sans plus retarder,
Sçavoir que nous pourrons manger ,
Car il est de disner saison.
Trotemenu.
G Y voys sans plus d'aretoyson ;
A raire vo cominand m'enâine.
Tout droit m^en vois en la cuisine
Sçavoir si le disner est prest.
Hau ! Tripet , dis moy : est tout prest?
Monsieur veult aller disner.
27^ I«A ViE
Or me dis , sans plus séjourner.
Se je iray dresser la tafile.
Tripet le Queux.
Ouy, va tost, sans faire fable;
Tu es trop mallement songaeux .
Se fusses aussi angoisseux
De labourer et de ^aigner
Que tu es prest d'aller manger ,
Ce fust merveilles de ton faict.
Trotemenu.
Laisse-moy en paix , s''il te plaist ,
Et me parie d'aultre acointance ,
Car de la pance vient la dance.
Pour ce m*en voys , sans arrester ,
Mettre la table pour disner,
Mais qu^elle soit très bien garnie
De viande et devis sur lye.
G^est ung mestier qui bien me ptaist.
Mon seigneur, sachez qu'il est prest.
11 ne fault que voz mains laver
Et vous seou* sans séjourner,
Car la viande vous attent. .
Tripet le m'a dit en présent,
Yostre queux , qui est moult isnel ,
Qui vous a farcy ung poreel
Et d'aultres yiiindes as^^.
Le VAULVAIS.RlÇ&E.
Et le bon jour té soit donnes. '
Comme ta es de franche érine
Et as le cueur à la cùysine !
Tu ne feras jà malle nn.
Dame , venez à ce bassin ,
«% ■
DU HAQLVAI3 KiGUE. 27^
Yoz mains layer^ sans retarder ,
Affin que nous aillons disner.
Délivrez-vous appertement,
Car la viande nous attent ,
Ainsi que Trotemenu dit.
Là Femme du Riche.
Monseigneur, sans nul contredit ,
Allons laver quant vous plaira.
De ce ne vous desdiray ja ,
Ne ne m'en Verrez remiser.
Le MAULVÀis Riche.
C'est bien dit. Or allons disner.
Trotemenu, ferme la porte ,
Et la viande nous aporte ,
Et va tost sans plus séjourner.
TfiOTEMEMU.
Je m'y en voys sans plus songer.
Tripet, baille çà la viande,
Puisque mon maistre la demande ,
Et te délivre , je t'en prie.
Tripe T.
Trotemenu , k chère lye ,
Viens avant, to^. . . que til y metz \
Porte à monseigneur ce metz ,
Si m'osteras de ceste paine.
TnOTBMENU.
Sa dont. Dieu t'envoye bonne estraine.
Monseigneur , vecy la viande.
J'ay tost fiadt ce .que on me commande ,
Puisque la chose si me haitte.
Mais j'ay ouy ime cliquette
Sonner à la porte devant.
T. m. 18
«74 L^ Vie
Je croj c'est ce meseau paant -
Qui vient tous les jours au disner. .
Il ne se veult pas oublier.
Que Toulez-yous que on en face?
Le haulyais Riche.
Je t*en prie , ya , si le chasse.
Il revient céans trop souvent.
Hare luy les chiens vistement ,
Ce tu Toz plus riens demander.
Le Ladre.
Et que Dieu soit en ce disner.
Ënvovez-moy aulcune chose ,
Car plus avant aller je n^ose ;
Trestous les jours mon mal empire.
Helas, comme mon cueur désire ^
D^estre saoulé des miettes
Du relief et des chosettes
Qui jus de la taUe dégouttent.
Se sont choses qui bien peu coustent^
Mais je les désire forment.
Si vous prie amoureusement
Que m*en vueillez rassasier;
Que Dieu vous vueille héberger
Lassus en son sainct paradis .
Le maulvais Riche.
Trotemenu, mon bel amy,
N^as-tu pas ouj ce truant
Que je t avoye dit cy devant
Que de ma porte tu chassasses ,
Et que les chiens tu luy harasses ?
Vas le moy chasser vistement.
i
DU MAULVAIS RiGHE. 376
Trotemenu.
Sire, par le Dieu qui ne ment ,
J^en iray faire mon debyoir,
Et si vous diray tout de voir,
Trestous voz chiens luy hareray, '
Sçavoir se chasser lé pourray.
Çà , çà , Touret, et toy , Rosette,
A celluy à ceste cliquette ,
Hare , hare , va là , va là.
Par Dieu , truant, or y perra.
Trop me faictes avoir note
Que tous les jours à ceste porte
Venez voz cliquettes sonner,
Qui fait mon seigneur estonner.
Et luy tournent à desplaisir.
Le Ladre.
Helas, mon amy, j*ay désir
Trop fort de manger du relief,
Dont mon cueur est à tel meschief ,
Qu^il m^est advis certainement
Que je mourray cy en présent ,
Se je n'en suis rassasié.
Helas, ce sera grantpecbé
A ton maistre et à toy aussy.
Trotemenu.
Sus tost, paillard, vnide d'icy.
Ou tu seras tout deyouré
De mes chiens et si atoumé
Que jamais ne me feras paine.
Ilare, Touret, en' maUé estraine
Sur cest ort vil.mesel puant ;
Comme il fait or le meschani ,
376 La Vie
Faictes le tost,d*icy par^.
Le Labre.
Vray Dieu, il me fauldra mourir.
En la garde Dieu me commaat
Qui des chiens me face garant^
Si qu^ilz ne me puissent mal faire.
Helas, qu^il me vient à, contraire
Que je ne me puis remuer !
Très doulx Dieu, yueillez conforter
Ceste chetive créature
Qui Tit en paine et en dure
En ceste vie temporelle ;
Dieu me doint Tespirituelle,
Quant ceste cy si me fauldra
Que j'ay désir ce long temps a ,
Car je voy bien certainement
Que ne yiyray pas longuement;
Je le sens bien a mon poulmpn.
Le MAULYAis Riche.
Trotemenu , i'ay grant tenson
Et me yient a grant desplaisir
De ce truant que j*oz gémir.
Que fait-il ores le piteux ?
De Dieu aymer n^est pas honteux ?
Que ne as-tu les chiens harez
Et que par eux*fust deyourez ,
Ainsi que comHMmdét>yoye?
Délivre t en , se Dieu tÇ; YQJ9 %
Se tu me veulx faire^pja^ir.
Va -y tost ; tu as bon Ipy^ir, i
Puisque nous sommes toui; as$is;
TnOTEHENtU.
Par le grant Dieu de paradis ,
BU MAULVÂrs Riche. ij^
Mon seigneur, g^ hay hnj esté,
Et tons yoz chiens Iny bay haré ;
Mais oncques mal il ne luy firent
Ne pour le mordre ne se penent (i).
Ainçoys Faloyent eonvetant
Et ses deux jambes «delediant ,
Et lui faisoyent tant grant fesie,
Je ne sçay, moy, que ce peult estre ;
Je croy que Dieu y taii^ 'yertu.
Le maultais Riche.
Par Dieu, tu es bien maloisti'u ,
Que cuides que Dieu Vembesongne,
D^une si'très orde cbarongne
Et de si yille creatut>e ;
Se seroit pour lay grant laidure.
Je croy que tu esrasso^;
Fais que lliuys si soit bien fermé,
Que ce meseau hy puisse entrer*
Va tost, Dieu te puisse crdyaoter^
Car riens donner ne luy feray •
TltaTBKKNIJ.
Mon seigneur, je le chassera v
Se je puis par quelque tnaniere.
Or sa, truant, passez arrière ,
Très ort vilain- meseau ponrry .
Que de Dieu soyez yous pugny ,
Tant me faictes ayoir de peine.
. Lb Labre.
Amy , Dieu te doint boniïe estraine.
Pour quoy me dis tant de laidure,
Se je suis poyre créature,
(i) Variante : Ne pour le mordre ne se mirent.
2y$ La .Vie
De maladie entrepiins?
Dieu,, qui est sur toas prefix,
M^a battu, dont je suis malade
Par tout le corps et le visaige.
Aller ne puis n avant n'arriere>
Car gY ay perdu la lumière ,
Et si sçay bien certainement
Que pas ne yiyray longuement.
Je sens bien la mort qui m'aproche,
Qui tout homme prent et acroche.
Laisse-moy ester, ie t'en prie.
Que Dieu te gard de yiUenie y
Je ne puis plus à toj parler.
Trotemenu.
Pour veoir, tu me feras blasmer
Se ne t'en vas de ceste porte ;
Tu ne sçais pas la grant riote
Que mon maistre pour toj demaine.
Car tu ne cessas de sepmaine
De tes cliquettes cliqueter,
Qui font mon seigneur estonner.
Je m'en reyoys, adieu te dis.
Le Ladre.
Ha , très doulx Dieu de paradis ,
Que ce mal me va angoissant !
Vray Dieu, par ton digne commant,
Oste moy tost de cesté vie ,
Car de vivre trop il m'ennuye,
Et m'enyoye avec tes àmys
Qui sont à toy en paradis y
A celle digne compaignie
Où ne règne orgueil n envye.
Si te requiers de bon guerdon y
DU MAULYAXS RiCHE. 379
Doulx Diea*, qae me faces pacdon
De mes péchez , et allegance.
Et me garde de la puyssance
Des las de lennemy a enfer,
Qu'ilz ne me puy^ent attraper ;
Je le te requiers Donnement.,
Et que à mon trespassement
N *ay en t de mon ame puissance .
Dieu le Père.
Abrakam, j'ay grant congnoissance
Et compassion et pitié
Du poyre Lazare , qui est
A long temps en grief maladie ;
Pour ce luy veulx donner la yie
Que j'ay promise à mes amys ,
Pour ce sera posé et mis
Par mes anges prochainement
En ton saing, je luy ay comment;
Mes anges y yueil enyoyer.
Abraham.
Vray Dieu, Lien m'y doibs ottroyer,
Puisque c'est yostre youlenté.
Louée en soit la Trinité
Et yostre hault nom glorieux ,
Qui est tant digne et précieux
Que nul ne le sçauroit nombrér;
On ne yons peult assez louer ;
Soit faicte yostre youlenté.
Dieu le Père.
Raphaël, il me yient à gré
Du poyre ladre yisiter ;
Pour ce te conyient deyaller
Là bas i luy incontinent.
i8o La Vie
Rendre Ittj Toeil son payement
Du mal qu'il a tant enduré •
Et si pasdamment porté ;
Il aura joye sans finen
Raphaël.
Vray Dieu, bien mV doibs endiner
A faire to conunanaemept ;
Pour ce m'en voys joyeusement
Le povre ladre coniorter,
Et Youldroye son ame porter
Au sain nostrepere Abraham:
Car il a souffert grant alian
Tant comme il a esté au monde ;
Pour ce doit eslre pur, et monde
Son ame et bien purifiée.
Le Lai>re.
Vray Dieu, cnie ceste malacËe
Forment me destraint et oppresse.
Longtemps ay souffert grant destresse «
Dont je loue mon créateur,
Qui de tous maulx. rend le labeur
A ceulx qui ont la congnoissance
De son nom et de sa puissance.
Vray Dieu, je ne puis plusparler.
En tes mains yueil recommander
L'ame de moy ; je n'en puis plus.
Sathan.
Haro, que je suis esperdu !
Se meseau nous escnappera ;
Je Yoy Raphaël par delà
Qui a ja son ame aaysie.
Rahouart, yien ça , je te ^ôe ,
BU MÂULyAis Riche. 2^4
Allons à lay sam arrester
Sçayoir se luy pourrons oster.
Si le merrons a la chauldièFe
Où il n'a clarté ne lumière ^
£t nous ayançons , je Ven pry .
Ra;houart.
Sathan , trop ayons fait pour ty,
Maulgré bieu.de ce Bapnael 1
Comme il est spngneux et ysnel
De yenir sa yroye irequerre !
J'ay tel dueil que le.cueur me «erre
Qu il nous est ainsi escKappé ;
Que Dieu en ayt ores maufgré. .
Non pourtant, nousfault approuyejr,
Sçayoir se luy pourrons oster ; .
Or y a delà et moy deçà.
Sathan.
Sa , Raphaël , or y perra ,
Le ladre n'emporterez mye ;
Il sera en no compagnie ,
En enfer ennuyt hostellez.
.Raphaël.
Certes, ja partyous n'y aurez , .
Car yous y perdrez yostre paine ;
Allez-yous en , en pute estraine ,
De par Dieu je yous le command.
. Rarouart.
Bien ayons perdu se truânt ,
Sathan, par trop longue demeure.
Maulgré bien que ne sçavons l'heure ! ^
Or nous en allons, je t'en prie ,
Là bas en ceste manaudie :
aSa La Vie
Où demeure le maulyais riche ,
Qui est tant pervers et tant chiche.
De cestuy là me puis vanter
Que il ne nous peult eschapper :
Or y allons appertement.
Sathan:
Maulgré bien, je m^en voys huant ;
Je suis plus songneux que tu n^es.
Or nous tenons de luy men près ,
Si qu'il ne nous puist eschapper.
Lucifer.
Âgrappart, ya, sans arrester,
Querre Sathan et Rahouart,
Qu'ilz Tiennent tantost celle part ,
Car sçayoir yueil de leur commine.
Ne cuydes pas que le devine ,
Va tost ; que tu es endormis !
Agrappart.
Mau]gré bien et tous ses amys ,
Que je soys entré en mal an ,
Je m'en voys pour quérir Sathan.
Tous les dyabtes y ayent part.
Je croy que vêla Rahouart;
Je m'en voys à luy sans tarder
Pour luy dire et dénoncer
Qu'il vienne k Lucifer parler,
Et que Sathan vueille avancer.
Rahouart, dis-moy dont viens-tu ;
Mais as-rtu point Sathan veu?
Se tu l'as veu, cy le me dy,
Et venez tous deux sans detry
Parler à Lucifer, mon maistre.
DU HAULTAIS RiGHE. 283
Je ne sçay pas que ce péult estre,
Car il est men, fort courroucé.
Advis m'est au'il.est enragé.
Venez à lu j ailigemtaent.
Rahouart.
Sathan, j'ay veu en présent
Âgrappart, qui se part d'icy.
AUons m*en sans faire estry,
Lucifer nous envoyé querre :
Hastons-nous, allons y grant erre.
Je cuyde que il soit troublé
Du meseau qui est escbappé.
Ennuyt auras malle journée.
Sathan.
Que maulgré Lieu de cest allée !
Je croy que nous serons blasmez.
Très bien battus et frottez ,
Et ne le povons amender.
Je TOUS salue, prince d'enfer :
A nous dire rostre plaisir.
Lucifer.
Sathan, j'ay très grant deSplaisir,
A pou que ne suis forcené.
Du Ladre qui. nous est esté.
S'a esté pai* yostre ignorance ,
Et aussi par la négligence
De Rahouart, que là je yoy ;
Mais, par la foy qu'à tous je doy ,
Batus en serez et fastes* ■
Sathan.
Or ça, que Dieu en ait maugrés,
Nous n'eusmes repos de sepmaine
ft84 La Yib
Pour ce Ladre^ qui tant de peine
Nous a donné nuyt et le jour ;
Or ayons perdano labour,
Et encores sommes battos^
Rahouart»
Haro , que je suis esperdus
Et ay le cueur triste et many
De ce que nous ayons £ailly;
Mais endurer le nous conyient.
Scez-tu de quoy il me souvient?
Je le te diray maintenant.
SathAn.
Or le me dis(t) incontinent ,
Et puis nous allons Teposer ,
Car je suis ttayaillé daller.
Dis-moy que c'est, je t'en requier.
Rahouart.
Tu scez bien que nous fusmés hyer
Pour espier etescouter
Le ricke, qui à son disner
Se faisoitl^eryir baultement,
Quant il nous yint ong mandement
Que Lucifer noua envoya
Par Âgrappart que je yoyjlà,.
Que nous yenisamns aans tarder
Par deyers ]uy sansarresteVi
Gela nous demst iiostre«faîL.
Raphaël.
Très doulx Dieu, j'ai eu bien tost fait,
Si comme m'ayiez commandé.
Au poyre Ladre où j'ay esté ,
Qui est trespassé de ce monde.
BU MAULVÂis Riche. 285
Voicy son ame pure et monde ^
Qu^ayeccpies moj ay apportée ;
Dictes-moy où sera posée ,
Car elle souffre grant afaan.
Dieu.
Au sain de son père Abraham
Yeulx mi^elle soit posée et mise :
Car rendre luy vùeil le service
De ]a peine qu*il a soufertte.
Or n*aura il jamais souffertte,
Mais ioye et consolation.
Se je luy donne en gardon.
Pour ce que cy pasdentement
A porté, et si longuement,
Sa douleur et sa maladie ;
Pource yueil que luy soit merie
A cent doubles, c^est bien raison.
Or la mets sans arrestaison
Où je t'ay incontinent dit ,
Où toute joye et délit
Aura, car |e le yueil ainsi ;
Aussy il a nien desseryy ,
Car souffert a grant maladie.
Raphaël.
Tris doux Dieu^ je ^vmu,Ttmercie ,
Car on ne yous pente trop^toHier;
Or bien sçayez giurdonner'
A chascun selon sattoeKter :
Or sera cest ame offerte '
En la joye oui tousjoui» dure.
Sainct Abranam-, preneif la cure
De ceste ame que yous présente ^
Qui ausé sa juyente
a86 La Vie
En ardeur et en maladie ;
Pource Iny a Dieu remer(c)ie
En joje, soûlas et doulcour,
Sans avoir paine ne tresour. '
Or la prenez, ne yous dis plus.
Abraham.
Beau filz , tu soyez bien yenus !
Que benoiste soit la journée
Que tu yins en cestc contrée !
Or t'est ta paine en joye doublée ,
Qui ne peult estre racontée
De terrienne créature
Ne de boucbe ne d'eiscripture,
Ainsi comme tu peux yeoir.
Le MAULVAis Riche.
Haro , dame, saichez pour yeoir
Que je me sens en maulyais point.
Je croy a'un yer au cueur me point ,
Qui tout le corps me faict frémir.
Je yous prie , sans plus de loisir ,
Que meiaictes tantost coucher.
Car je me sens trop eng(r)oisser.
Vostre main ung pou me prestez ;
Tatez, que je suis eschaufiez ;
De douleur yoys tout tressùant.
Je croy ce m'a faict ce truant
Meseau pourry, qui à maporte
Nous a mené si grant note;
Huy ne cessa de mVstonner,
De prescher et de sermonner
Qu'on lui donnast de no relief.
De dueil m'a eschauffé le chief ,
Aussi le corps et le yisaige.
DU MÂULYÂis Riche. 287
Haro , a pou que je n^enraige ;
Je me sens trop fort agrayé.
Je vous prie que soie porté
Dessus mon lit ; le cueur me fault.
La Femme du Riche.
Mon seignfi^ir , vous avez trop chault ;
£t si TOUS estes eschauâe,
Aussi yré et courroucé.
Or TOUS rasseurez un g poy.
Le maultais Riche.
Dame, par la foT que tous doy.
Je né me puis plus soubstenir ;
A terre je me fairray choir :
Portez-moy tost , sans plus attendre.
La Femme.
Monsieur , j'ay le cueur trop tendre.
Et me Tient à grant desplaisir
Du mal que je tous Toy souSrir.
Ttotemenu', Tiens sans tarder;
Monsieur fault tous aller coucher.
Je ne sçay quel mal luy est pris ,
Dont tout le corps a entrepns.
Je croy, certes, qu'il se mourra;
Jà'de ce mal n'escnappera. .
Il le nous fault aller coucher.
DelÎTre-toy , je t'en requier,
Ainçoys qu'il soit plus agraTé ;
Moult est palle et descoulouré.
Cela luy a faict ce truant
Qui à celle porte dcTant
Ne cessa huy de cliqueter,
SçaToir s'on luy Touldroit donner
98S La Vie
Des mjetes de nostre tablé.
Se n*tst pas chose trop coastabk ;
Mais monsieur trop le heoit
Pource aue tousjours reyenoit
Geans à llieure de disner ;
Ses diquetes faisoit sonner.
Dont mon seigneur est courroucé.
Or &ult qu'il soit tantost couché.
Allons le coucher yistement.
Trotehenu.
Ma dame, k \o commandement.
Allons y donc sans plus atendre.
Je voys la couverture estândre;
AUez , si le faictes venir.
La Femme.
Lasse, il ne sepeult soubstenir. •
Vien t'en m'ayder à le mener ,
A pou qu'il ne peult mais aller.
Voy comment il est noircy.
Or sa, monseigneur, je vous pry ,
Plaise de vous resconforter,
Il vous £ault ung peu reposer
Et vous coucher sur vostre Ht.
Le Riche.
Par Dieu, dame, j'ay grant despit;
Trestout le cucur me fnt et art.
Se m'a fait le truant paillait :
Faictes qu'il soit dehors bontés.
La Femme.
Mon seigneur , or ne vous IrouMiés,
N'y pensez plus , je vous en prie ,
DU MAfrLVAis Riche. -289
Car je cayde qu'il n'y est mye :
Allé s'en est, ai mon cuyder.
Non pourtant ; g'y voys envoyer.
Trotemenu , va tost courant
Sçayoir se le meseau puant
S'en est allé de ceste porte :
Trop nous fait ennuy et riotte ,
Que ainsi vietit de jour en jour.
Trotemenu.
G'y voys sans faire nul séjour,
Sçavoir s'il est plus là dehors.
Haro, je cuide qu'il soit mors.
A ma dame le voys noncer.
Ma dame, sachez, sans cuider.
Que le meseau est trespassé ;
Là hors il gist tout enversé ;
Monseigneur plus n'estourdiira.
Je cuide , quant il le saura ,
Son mal luy sera allégé;
Or luy soit l'affaire conté ,
Ma dame, ce c'est vo plaisir ;
Assavoir mon , se resjouir
Se vouldra quant il Torra dire.
La Femme.
Tu as bien dit , je luy vois dire.
Monseigneur, de çà^ vous tourner
Et soyez tout reconfortez :
Trotemenu vient de la porte ,
Qui des nouvelles vous apporte
Du povre ladre, qui est mors ;
Le corpsgist iUecques dehors ,
Plus ne votts fera desp^aisir.
Or pensez de vous resjouir
T. m. 19
ago La Vie
Car plus ne vous estonnera.
Ne nens ne TOUS demandera;
De ce pencez e$tre certains.
Le h aulyàis Riche.
Dame, de mal suis trop attains ,
Je croy que mourir me £auldra.
Tirez-vous près de moy deçà ;
Je cuyde et croy de certain
Pas ne vivray jusqu'à demain :
La douleur me tient en la teste.
Lucifer.
Sathan, va tost et si t'apreste.
Que tu es paresseux et )entz !
Nous aurons aujourd^ui céans
Le maulvais riche ^ sans doubter ;
Il ne peult plus avant aller.
Or va doncques icelle part,
Et maine avec toy Ranouart,
Et gardez qu'on ne le vous oste;
Apportez le en ceste hotte
Et faictes qu'il soit bien liés
Par bras , par jambes et par piedz.
Je vous pne que vous hastez.
Sathan.
Or sa , Dieulx en ayt maulgres !
Rahouart , pensons de aller
Et de nostre affaire haster.
Prens ton croq et nous en allons :.
J'ay désir que nous le trouvons
Avant qu'autre Ja main y mette ;
De ce me vouldroye entremettre
Et le liray estroictement
DU MAULVAIS RiGHE. agi
Et luY feray assez tourment ,
Car il a très bien desservy.
ÀTançons-nous, je te supply,
Affin qu^il ne puisse escnapper.
Rahouart.
J^ay très grant fain de le trouver.
Maulgré bieu, je m'en voys devant ;
De ce croq Viray accrochant,
Puis sera mis en ceste botte ;
Et affin qu'on ne le nous oste
Nous le lierons estroictement.
Je luy feray assez tourment.
Or escoutons icy dehors
Sçavoir ce Tame est plus au corps,
Affin que la puissons happer.
Sathan.
Tu dis vray, il fault escouter
En quel point ils sont là dedens.
J'ay apporté deux bons liens
Pour la lier en ceste hotte ;
J'aypaour qu'on ne la nous oste.'
Or allons sçavoir, je t'en prie ,
Se l'aùie est du corps départie ,
Affin que j'en soyons saisis.
Maulgré bieu, il est encor vifz !
Je croy qu'il nous eschappera.
Bien mal advenu nous sera ;
Battre nous fera etrouller.
Il le nous vault mieulx emporter.
En ame et en corps, tout en vye.
Rahouart.
Tu as bien dit, je m'en agrie ;
99^ La Vie
Mais j'aj double qoe no poîssanee
N^ayt pas du corps la congBoissance;
Aussj du corps n^ayons que faire.
Tu as souTest ouy retraire
A nostre maistre Lucifer,
Qui est assez plus noir que fer,
Que Famé du riche estoit nostre.
Or gardons qu^on ne la nous oste;
Attendons le département ,
Pas ne peult vivre longuement.
Va au chevet, g'yray aux piedz.
Que nous ne soyons enginez,
Et pense de bien espier,
Sathan.
De cela ne me fault prier.
Maulgré bieu, qu'il vit longuement!
Je luy rendray son payement
De ce qu'il nous fait tant de poyne.
Nous ne cessâmes de sepmaine ;
Mais sachez qu'il Tachatera
Quant en enfer bouté sera ;
Là luy feray assez souffrir.
Le maulvais Riche.
C'est £dct, dame, il me ûiult mourir;
De ce mal jà n'eschapperay
Et plus avec vous ne seray.
Uns pou de moy vous approchez
Et d'icy ne vous eslongnez.
De ce siècle m'y feult partir.
Or vient trop tard le repentir
De ce que ay peu aulmosné
Du mien et aux povres donné ,
Et par cspecial au Ladre
DU IIAULYAIS RrCHE. 393
Qui à ma porte fut mallade
Tant que du siècle tre$passa ;
Oncques ung morceau ne gousta ;
Mais commanday qu'il fust batu ,
Et laidangé et mal venu.
Je croy le diable me tenoit,
Qui de ce faire m'enliortoit,
Qui me tenoit en avarice.
Trop je creu, dont je Aus nîce.
Or me fault tout laisser et perdre ,
Puis que la mort me vient enhardre.
Je ne puis plus à vous parler,
Mon cueur ne le peult endurer.
Jem'envoys, plus ne parleray,
La Femme.
Lasse , dolente que feray ,
Puis que j'ay mon seigneur perdu?
Trop mal il mVn est advenu ;
Car il m^aymoit de bonne amour,
Et portoit nonnenr nuyt et jour.
Combien qu^il fust moult oôrguiUeax;
Et pou vers povres gêné piteux ^
Envers moy ne Testoit-il mye.
Or ay perdu sa compaignie.
C'est fait, Tame du corps se part.
Satban.
Âdvance-toy tost, Rabouart:
Voy-tu pas qu'il est trespassé ?
Bien tost nous seroît esehappé.
Prens-en garde, je t'en requier.
Rahouart. . ,
Satban, point ne t'eh fault doubter,
394 La Vie
Ne vois-tu pas que je la tiens?
Apporte ça ces aeux liens ,
Puis sera en la hotte mis.
11 a eu trop faictz et delitz
Au monde où il a vescu;
Oncoues plus ayers homs ne feu ,
Ne plus convoiteux, voirement.
Or remportons joyeusement
En enfer, où il sera mis.
Là sera batu et laudis
Et aura paine sans cesser.
Sathan.
A Lucifer Talions porter,
Qui en aura joye moult grant;
Or nous en allons en chantant ,
Car il a long temps désiré ;
Or en fera sa youtenté.
Je yous salue, Lucifer,
Prince , maistre de tout enfer,
Nous yous aportons cy le riche.
Qui au grant péché d ayarice
Si a régné toute sayie ;
Or est en yostre seigneurie,
Faictes-en tout yo&tre plaisir.
Lucifer.
Sathan, tu scez que mon désir
N^est qu^à mal &ire et penserf
De ce ne me puis-ie lasser;
Oncques de yerite n^euz 4cure^
Ainço^s hay toute créature
En qui venté se demaine.
Or va tost, sans faire demaine ,
Mettre ceste ame en la châuldière
BU màulyais Riche. 29$
Où il n^a clerté ne lamiire.
Pencez de bien la tourmenter;
De ce ne tous vueillez lasser,
Je vous le command orendroit.
Agràppart.
Si fort souffleraj que rougir
Luy feray os et n^rh et cnars.
Mal fut de son avoir eschars
D^ung peu du relief de sa table
Quant il en refusa au Ladre.
Au monde grant morceaux mengeoye,
En esbattemens et en joye ;
Durement est le descbangé
Quant de Dieu est si estrangé.
Ayant , ayant, tous cy endroit.
Le MAULYAIS Riche.
Helas, î*ay faict màulyais exploit
Quant j*ay ainsi mon temps usé
Sans faire nulle charité ;
Oncques de bien faire n^euz cure
Aux poyres gens, mais toute injure
Et toute désolation.
Or suis yenu en la maison
Où me fault tant souffirir de maulx -
Par la puissance aux infernaulx.
Père Aoraham, je yous requiers
Que yous me yueillez cnyoyer
Le poyre Ladre que tenez ,
Qui ayec yous est hostellez ,
En ce sainct paradis- lassus.
Pour Dieu, qui descende çâ jus ,
Son petit doy vueille toucher
En eaue, pour moy adoulcer
296 La Vie
Ma langue, qui en la flaïube. art
Du feu d*enfer dont j'ay mapact. •
Or enprens pitié, je t'en pry !
ÀBRAtiAV.
Beau filz, tu Tas bien desservi ;
Or te souvienne des grans biens ,
Des grans estats et des maintiens
Des richesses que tu as euz ,
Quant jadis au siècle tu fus ;
Ton corps en délit abondoit.
Lors de Dieu ne te souvenoit
Ne de ses povres soubstenir,
NWcques de tes biens départir,
Ne leur voulus riens donner.
Or t*en fault la paine endurer
DVnfer, qui jamais ne fautdra ,
Mais de plus en jdus te crdbstrà ,
Et le Ladre, qui a sa vie
Souffert si griefve maladie ,
L*a portée paciemment,
Et enduré si doulcemènt
Le mal que Dieu lui envejoit,
Saichez qu'il a fait bon exploit:
Or est en cônsolalion ,
En joye et délectation ,
Car il a moult bien desserv y.
Et pas ne Ta mis en oubly -
Gelluy qui sçait rémunérer
Et Ten a en îoyç doubler
A ceulx qui le veulent servir;
C*est celuy qui sçait bien, merir, .
C'est celluy qui nul bien n'oublie.
C'est cil qui a Ja seigneurie
BU MAULYÀis Riche. 297
Dessus tous cecdx qni sont au monde,
Tant comme il dufe à la ronde.
Tousjonrs aura joye et toulas,
Et tu demouiras là en bas
En enfer avec les dyables ,
Qui sont si très epoventables ,
Que c*est merveille de le yeoir.
Assez peulx plaindre et gémir,
Car prière n j a mestier.
Le maulyais Ricbe.
Père Abraham, je te reqnier.
Puis que mercv ne puis avon*.
Ne pour plaindre ne ponr douloir,
Que le Ladre TOUS transmettes
Chez mon père , par vos bontez ,
Où cinq ît&ts ay encor Ttfz ,
Que leur die , par bon advis t
Qu^ilz vueillent amender leur vie,
Âffin que ilz ne vienent mye
Aux tourmens ou je suis entré.
Où il n'a mercy ne pitié.
Mais pleurs et grans gemiswmens ,
Et tant de si divers toanntns
Qu'il n'est clerc qiui le sceust escripre.
Ne cueur penser, ne boucbe dire.
Père Abranam , quant le, sçauront ,
Bien leurs vices adviseront;
Or t'en souvienne , je t'en pry .
Abraham:
Ta reqneste ne te octry':
Hz ont Moyse et les prophètes ,
Qui sont saiges et môdlt honnestes ;
Croyent les , ilz iferont que saige,
298 La Vie
N'y auront poyne ne dommaige.
De cela ne leur £auk doubler.
Car par eux pourront conquester
Le royaume de paradis ,
Où il n'a que joye et delictz ,
Qui toujours dure sans cesser.
Le maulyàis Riche.
Père Abraham , àbrief parler,
S'aulcun des mors à eux allast
Qui les choses leur affermast
Qui sont doubteuses et obscures
Aux terriennes créatures ,
Certes, trop mieulx il les croiroîent
Et aussy moins redoubteroyent
Que ilz ne font pas sainctz prophètes.
Combien qu'ilz sont saiges, hoîmestes
Et que leurs ditz sont yerital>les
Et leurs enseignemens estableâ.
Pource te supplie et requier
Le Ladre y yueillez envoyer,
Affin quHlz amendent leurs vies
Et que leurs âmes pas peries
Ne soyent, ainsi comme je suis.
Abraham.
En tes parolles n^a qu^ennuy.
Ne tu ne sçay que tu veulx dire.
11 leur devroit assez souffire
Des prophètes ouyr parler,
Car je t en puis bien affermer
Que leurs parolles et leurs ditz
Sont assez de plus grans profits
Que des mors qui sont trespassez ,
Et faict trop nueiJx encore assez.
DU HAULYAIS RiGHE. 999
Comme les mors croyre -ponrroient ,
Quant les prophètes qu'ilz voyent
Ne vueiUent croire ne entendre ?
Nul homs ne me fera entendre
Ne ne me pourroye accorder,
Q'un mort les peust mieulx sermonner
Que Moyse , [se] ilz youloient ,
Et à faire bien entendoyent.
Croyent les , et ilz feront bien
En failz , en ditz et en maintien.
Car par ealx pourront conquester
La joye 5pii ne peult finer.
Laquelle joye yous ottroyt
Cil qui tout sçait et par tout yoyt ,
Qui yit et règne [et] régnera
In aeculçrum aecida,
ÂMEN.
Cy fine THystoire du Manlyais Riche.
Imprimée nouyellement à Lyon, en
la maison de feu Barnabe Qiaus-
sard, près Nostre Dame
de Confort.
FARCE NOUVELLE
CINQ SENS DE L'HOMME
MOEALlSiiB BT FOB.T JOTBUSB
POUR RIRE BT BBCBBATITB
Et est à sept peraonnaiges^ cest asêapoîr
L'HOMME LESPIEDZ
LA BOUCHE L'OUTE
LES VAINS ETLECCL
LESTEULX
L^HOMKE commence,
e doibs bien Diea rm-acier
Et reyeïer très granaeineiït ,
^Quant, ^iir mon liocps solader,
^Jéfimsserryf *£iieii sçait oomBient.
Tay mes einq sens, qui nuQemenl»
De moy bien servir ne sont las.
Si Yueil continuellement
Avecq eulx tous prendre soûlas.
Mes cinq sens !
Les cinq Gens tous ensemble.
Monsieur?
L'Homme.
Hault et bas
Faictes subit que tout soit prest :
Farce des cinq Sens. 3oi
Car je vueil faire sans arrest
Avecq vous mig bancquet jojeax.
La Bouche.
De Mans metz délicieux
La table m^en yoys préparer.
Les Mains.
Et, en despit des enyieulx,
Pain , sel et vin youldro j porter
Sus la taUe.
Les Ybulx.
Sans arrester,
D^un franc Touloir non yicieulx
Sur la table youldra y poser
Trenchotters et hanapz sumptueulx.
Les PIEB2.
Et moy je seray curieulx
De mettre ce lt>on fort passet
Gy dessoubz ^ pour mieulx tous les deux
Pieds de mon maistre mettre à soubet.
L'OUYE.
Plus royde que yolle ung mousquet,
Monstrant que point ne suis rebelle ,
'^J^aporteray une scabelle
Pour assoir mon maistre et seigneur.
L'Homme.
Ghascun de vous de très bon cueur
Me sert en paix et union. .
Si yueil estre en collation
Ayecq yous ; pas n'en youldray mains.
Approcbez-yons , les Piedz (et^ les Mains ;
Si ferons chère très notable.
3oa Farce
Les Piedz, boutez-TOus soubz la table
Sur ce marcliepied k ceste heure.
L^CNSil , vous serez tout au dessure ,
Car vous estes bien mon am j ;
Et les Mains seront deyant mj,
Et mon Ouje de costé.
La Bouche.
Et moj?
L^HOMME.
Sied-toy à (ta) volunté.
La Bouche.
Velà la place où je me plante.
L'Homme.
Scis-tu qu'il y a , Bouche? Chante.
La Bouche.
Attendons doncq que j'aye mangé.
Les Mains.
Chantons ensemble par congé
Quelques beaux gratieulx mottez.
La Bouche.
Je suis d'accord.
L'OUYE.
Et moy .
Lns Yeulx.
De hait.
Commençons k faire ranchire..
Ilx chantent tons.
L'homme a tant lyesse chère
Qu'il employé ses cinq sens
A £sdre joyeuse chère :
DES CINQ Sens. 3o3
Car il est de peu contens.
Il ne yise pas aux despens
Ne à amasser grant richesse.
Fy d'avarice qui ard gens ;
Il n'est trésor que de lyessc
L'HOHUE.
Vive soulaSf vive largesse !
Je boy d'autant k vous trestous.
Les Yeulx.
Pleiger vous voys.
Là Bouche.
Et nous sans cesse.
Ih boyyent tous.
Les Mains.
Vive soûlas !
L'Ouye.
Vive largesse !
Lfs PlEDS'^oa^2 la table.
Et moy, que buray-je? une vesse?
Qui suis bouté icy dessoubz.
LIHOHUE.
Vive soûlas^ vive largesse !
Je boys d'autant à vous^ trestous.
L Ê G U L commence.
Je criefve , tant sens grant couitoux ;
Qu'on en puist avoir maie feste !
Je suis icy comme une beste
Tout seul , et il îont là grant chère.
S'on me devoit bouter e» bière
Ou nY)yer par dedans* laid chault.
3o4 Farce
Si iray-je Caire tel assault
En eolx quW me recogooistra.
En parle (pii parler youldra;
Je suis d^eulx tons le plus puissant.
La Bouche.
L^Homme , vives en accroissant
Yoz biens et aussi vostre honneur.
L^OËil sera vostre conducteur
Et les Mains vostre chamberière.
L'Homme.
Ettoy?
La Bouche.
Tousjours de très bon cueur
Seray la vostre despensière.
1/HOMME.
EtlesPiedz?
La Bouche.
Sa charge planière
Est de porter et raporter
Vostre corps, par bonne i
Puis rOuye , qu'on doibt aymer
Vous servura, ne faolt doid)ter,
D'ouyr, d'escoùter et d'entandre.
Et les biens et les uiaulx compreodre
De tout le monde en gênerai.
L'Homme.
Si me vueil i mont et k val
Par vostre bon CMiseil dedoin) :
Car c'est le moyen principal
Pour me fisûre en soulas conduire.
Pour mon fiaict donc en bien réduire
Bonne manière.
DES CINQ Sens. 3o5
le TOUS prometz de 4»ieur non sombre
Que nul de tous je ne yueil nuire ,
Se grant fortune ne m'encombre.
Le Cul.
9
Et ne seray-je point dujiombre
Des cinq cens ? me boutte-on arriire ?
L'Homme.
Et qui es(t)-tu ?
La Bouche.
C'est le derrière.
Gomment le congnoissés-TOus point?
Il n'a ne chausse ne pourpoint,
Et de plus ort n'en y oit-on nul.
L'Homme.
Qui es-tu? Le dos ?
Le Cul.
Je suis le Cul.
Ne TOUS desplaise , c'est mon nom ,
Qui a partout tris grant renom ,
Combien que soye mal Testu.
Les Mains.
Et pourquoy te descoeuyre-tu?
C'est dommaige qu'on ne t'assomme.
Le Cul.
C*estoit pour faire honneur à l'Homme ;
À coup bauldement l'ai-je ouyert.
L'Homme.
Laissez ce bassinet couvert.
Si nous dictes qui tous acadie
Si gentement en ceste place.
T. III. 90
3o6 Farce
Tons ne Usaei ne sens ne disme.
Le Gcl.
Je viens pour estre le sîkiesme
Des sens de nature , nostre maîstre ;
Je y doibz aussi bien ou miealx estre
Que les Pieds qui sont là dessoubz.
La Bouche.
Va , si ({uaquète arrière de nous ,
Vilain coquin et détestable l
Ung cul se monstre-il k table?
QvL^ou te puist batre de beaulx coups
D^une yieille plaque de fours ,
Si asprement qu^on te désbiffe.
Le Cul.
Et qu[e] as-tu dit? Hé , grant bijBTe,
Gloutte, quelle orde caquettoire !•
Tu es la plus grande mentoire
Que jamais huoit après liepyres.
La Bouche.
Et je suis tes sanglantes fiebyres ,
Brenatier inÊime et punais !
LEià Teulx.
Ma foy, s*il quaquette buy mais,
Nous le banirons par'assens'.
Le Cul.
Je puis bien ayec les cinq cens ,
S^on ne t'estrangle , cachineulx !
Je y seray, ya t en se tu yeulx ;
Je yiens pour grâces desseryir.
Les Maiics.
Mais de quoy pourras-tu seryir?
DES CINQ Sens. 307
Tu ne sçais aller ne parler.
Là Bouche.
Il ne sert riens que de grouller ;
Aussi est-il souvent' escoux.
Le Ccl.
Et de quoy dyable servez-vous^
Gargatelle? N'y voit-on goutte.
Vous serves d'estre la plus gloutte
Que jamais homme ne trouva.
Tant vous en dys.
Les Mains.
Va chier, va,
Foyreux , morveux , niche et pulent.
Le Cul.
Je iray bien quant j'auray talent,
Voire tout parmy les balbares.
Les Yeulx.
Tu es , entre tous les orfebvres ,
Le plus ort ^es ors coquibus.
Le Cul.
Et qu'as-tu dict, hé, borgnibus?
Tu es bany du beau regard.
Venette [Vois ?] en Poyctou se Brebant ard.
Tu ne peulx point ung poil souÔrir.
Je me laisse battre et ferir
Joyeusement en compaignie ;
Si j^avoye du poil par pongnie,
Si ne me greveroit-il point.
Les Yeulx.
Je n*en souffre que bien à point,
3o8 Farce
Âffin que tout puis apparoir.
J^aj le plus du temps ung miroer
Pour moy mirer de place en place.
Le Cul.
JVn ay cy ung k brune glace;
Se TOUS le voulés vous 1 aurés ,
Pour yeoir si vous serés parés
Gomme (il) affiert à vostre personne.
Les Yeulx.
Que du feu monsieur sainct Andioine
Soit la brune glace allumée.
Le Cul.
Se je vous monstre ma fumée ,
Bien y pourra avoir discorde.
Les Yeulx..
Je croy aue la fumée est orde ^
Qui vuyae hors de la cervelle.
Le Cul.
Faictes ma requeste nouveUe j
L*Homme ; accorde moy d'estre Tung
Dei cinq cens.
L'HOMHE.
S^il plaist à chascuns
U me plaist bien , quant est à my>
Mais k quel jeu , mon bel amy.
Te. sçais-tu le plu3 occuper?
Le Cul.
Je me mesle un^ peu de tromper ;
Si corne aussi bien le dessoubï
Que tous ceulx qui sont ayec vous ,
DES CINQ Sens. 309
Voir tant que Talaine me dore.
Lès Mains.
Fy de ton £aict, ce iiest qu'ordure
Au regard de moy et la Bouche ;
Elle chante bien ; et je touche
Sus Finstrument joyeusement.
Je y sçay mon raiiet plainement '
Au jeux.
Le Cul.
C'est bien pour estriver.
Au fort , se yous youlés jouer
Des orgues , montrés yosti'e engin ;
Je yous soufleray aussy bien
Que personne qui soit céans.
Si yiens pour estre Tung des sens ,
S'il yous plaist à m'y recepyoir.
La Bouche.
Nous ne t'y youlons point ayoir.
Le Cul*
Et je y seray, yueiUez ou non.
Les Yeulx.
Tu es trop ort matin et soir.
Les Mains.
Nous ne te youlons point ayoir.
Le Cul.
Laissés-moy à ce bout assoir.
j La Bouche.
Ha, fy, tu nous griefye, ortPluton
L'HOHME.
Nous ne te youlons point ayoir.
3io Farce
Lk Col. '
Et je y seray, rueiUés on non ;
Par ŒToict ciyil ou droict cation
Vous ne me sçaariés débouter.
Par la char bien , je irâj monter
Par dessus et tenir estatz
Droictement en pontificatz ^
Comme Fung des sens de native. .
L'HOMMlg.
Or en faictz à ton adventure ;
Je ne m*en mesle plus avant.
Le Cul^
Je deusse estre tout devant -
Les sens ; mais , pour tenir manière ,
Contens suis dVstre tout derrière ^
Comme le sixiesme du compte.
La Bouche.
Par mon serment, voicy grant bonté;
Jamais si bardy cul ne vis.
Les Yeulx.
U m^en desplaist.
Les Mains.
Sacbez que envis
Luy voy cy faire ses fréd^ne^.
Descendes ; que fiebvres quartaines
Vous puissent bapper au museau.
Le Cul.
Laissés-moy ainçoys i deux allaines
Vuyder le yii^ de mon plateau.
DES CINQ Sens. 3ii
• Les Mains.
Par ftt^u , non feray, gros museau ;
Sus , tost en bas.
Le Gul.
Quelle coquarde!
Hail., sans debatz.
Les Mains.
Sua t tost en bas.
Le CùL.
Point ne suis las.
Les Mains.
Âins que plus tarde ,
Sus , tost en bas.
Le Cul.
Quelle coquarde !
L^s Mains.
Et le feu sainct Autboine t^arde.
Veulx-tu faire nouyel usaige ?
Tu auras [sur] ton gros visage -
De mes poings à tort à travers.
Ls Gul.
Quelle loudière, quelz revers !
Gonmient elle fiert et tambure !
Que ne sont ses deux, poings de beurre ,
Droict au meiUcu d'ung four bien cbault !
L'Homme.
Le cul grouille fort.
Les Mains.
Ne m^en cbault.
3tft Farce
N*a-îl point dessenry le batrCf
Quant il s^est cy venu esbatre
Pour esire au nombre des sens mis?
Lb Cul.
Je TOUS tiens tous mes ennemjs^
Celuy qui m*a les coups offert >
Et les aultres oui Font souffert :
le TOUS deffie dès ceste heure,
Et, pour moy tenir au déssurey
Ton chasteau je Toys préparer.
Et si très bien darre et serrer
Que personne n^ entrera.
Ïà, qfà est-ce qui ostera
es biens qui sont cy demeo^sat?
La Bouche.
Ce sera inoy, en espérant
D*en manger demain au disner.
L'Homme.
Pour ma personne recréer,
Puis que prins aTons noz repas ,
Que ferons-nous?
La Bouche.
«
Tout pas à pas
Irons ensemble promener.
Les Yeulx.
Il nous Tault mieulx au flux jouer.
Au quinoula , ou ii la prime ,
Ou à rimperial.
L*HOMME.
J^estime
DES CINQ Sens. 3i3
Je jeu des tables ou des eschetz
Plus honneste.
Les Mains.
Oyez mes pletz :
Je dis qui veult bastiyenieiit
Perdre ou gaigner or ou argent ^
1}u*il n^est aue de prendre en la main
Le gentil de.
L'Homme.
Par sainct Germain ,
Je sens terrible passion !
Le cueur me fault. A, sainct Divonj
Coucber me fault sans [plus] attendre.
La Bouche.
Et où vous tient ce mal?
L'Homme.
Au ventre.
Sur ma foy, je n'en puis durer. '
Les Yeulx.
U TOUS conyient à chambre aller ; ,
Je n'y sçay point meilleur remède.
L'Ouye.
Pour lesboyaulx yentositer,
Il yous conyient à chambre aller.
Les Piedz.
L'Homme , je yous y yueil porter.
L'Homme.
Hà ! je suis mort si Dieu ne m'ayde !
Les Mains.
Il yous conyient à chambre aller.
5i4 Farce
La Bouche^
Je nY sçay point meilleur remède.
Les Pie0z.
Je Yous porteray jusques en merde ,
Ainçoys cpe n*ayez garison.
La Bouche.
Sus tost. Cul, sans division,
Ouvre-nous Hays de ce retraict.
Les Mains.
Despescke-toy.
Le Cul.
Gare le trait!
Retirez-vous de ma fortresse..
La Bouche.
Plus royde qu^on ne boit ung traict ,
Depesche-toy.
Le Cul.
Gare le trait!
Les Yeulx^
Brodier !
L'OUYE*
Puant!
Les PiED^^z.
Ripp0ul]|! '
Les Maims.
. : GcNibraict!
Le Cul.
A vous jf3 pe <s(m|pte ^e :vesse.
DES xiiNQ Sens. ^SirS
La BotFCHE.
Dcpesche-toy.
Le Cvh.
Gare le tiraict l
Retirez-y ous de ma fortrease.
L'Homme.
Helas ! je seufi&e tel destresse
Que je ne sçais que fais où dys.
Mon amy, ouTre les tatddys ;
Je te dis que c*estsans gaber.
Il me convient à chambre aller^
Car le coraiile nte tQijtppie,
.'L:e Cul.
A chambre, dea! or dictes pie;
Vous n'irez pas^se n'est paar force.
Lfis Mains.
Sus, tost à luy; qu'il àyt là torche.
Le Cul.
Ha (dea) , qui me griefve , je lé griefve
La BoucaÈ.
Se de ouvrir tost tu ne te abrège ,
Tonhuys ort, cavestemeschant.
Souffrir te ferons de mai tant ,
Que ame ne sçauroit penser»
Les Yeulx.
Sus, àl'assault. » -
L^ES Maitvs.
Sans riens donbter^
Chascun de nous y vaille deoixv
3i6 Farce
4
L'OUYE.
Rendz-nous la place , malheureux !
Les Piedz.
Frappons sus , à tort ou à droict.
Les Mains.
Tuons-le !
Le Cul.
Dea , il fait trop froid
Maintenant saler, et si cujde .
Que TOUS aurez, ains que je vuyde,
Voz lourdz museaux cnargez dé laigne.
La Bouche.
Araigne, araigne, araigne, araigne!
Infâme , yujde hors , se t'ose.
Les Mains.
Pour toy faire plus grande ëngaigne ,
Araigne, araigne ^ araigne ^ araigne.
Les Yeulx.
Villain brodier, laid et estraingne ,
Velà pour toy !
Le Cul.
C^est pou de chose.
. Les Piedz.
Araigne , araigne , araigne , araigne I
L'OUYE.
Infâme, vuide hors, se t^ose.
Le Gul.
Se vous renés près , je suppose
Que le jea tournera [en] merde.
DES CINQ Sens* 317
Recoips celle couUée yerde
Que f ay donné par amitié.
Là Bouche.
Croys de certaine vérité
Que tu seras, à tes chers coust[z] ,
Prestement aussi bien escoux
Qu^oncque homme nul secouist gerbe.
Le Cul.
Et fault-il que je me rebarbe ,
Par le sang, à toute une playe?
Les Yeulx.
Ay my, je pisse en ma braye ,
De paour que autre chose escloix.
Les Mains.
Malheureux, t'espovente-tu?
Les Yeulx.
(Nenny.) Ay my, j'ay pisse en ma braye.
L'OUYE.
Va f en bouter en une haye
De bonne alleure.
Les Yeulx.
Je y voys , je y voys.
Ay my, j'ay pissé en L braÇe , ^ '
De paour que aultre chose escloix.
Le Cul.
Or va, que [le] mal sainct Eloy
Te puist manger le blanc des yeulx.
La Bouche.
ATassault!
3i8 Faacb
L'Homme.
Ha! beau sire IHeu,
Mes cmq sens^ias, je n'en puis plus!
Les Mains.
Les Piedz » monstre cy tes vertus;
Vien t'ea donner contre ces portes
Deux ou trois pilleures bien lortes ,
Pour tost amollir son couraige.
Les Piedz.
Tu nous livreras tost passage ;
Ta force n'y vault ung festu.
Le Gul.
Et, ors, meschans piedz, que fais-tu?
Viens- tu cy bailler tes pàlures?
L'Odye» '
Ayant.
La Bouché.
Sans craindre ses bastures. '
Les Mains.
Rendz-toy, ord villaiki espicier.
Les Pieds.
Nous ne craignons bajstons n'armures.
Le Cvi4>
Afiulle ce pot à pisser.
Les Pieds.
Que mauldit soit Tort tapissier ;
Je croy que je suis bien en point.
DES CINQ SeHS. 3^9
Il m*a et sayon et poiirpoint
Gasté de son epissepç.
Or querés qui plus en guerrie ,
Car j'en ay mon saoul, par mon ame.
L'OUYB.
Et ppurquoy?
Les Piebs.
Il m*a faict infâme ;
Je mVn voys torcher et layer.
La Bouche.
Bien poyons le siège lever ;
Avoir ne le povons pair force.
Les Mâins.
G^est dommaige qu'on [ne] Fescorche.
Le Gul.
Adviengne qu'advenir pourra,
Jamais rhomme àG^mbray n'ira,
Quoy que saichés faire ne dire,
Et deussiez tous <^ever de ire,
Se ne suis à ma volenté.
Du tout en suis bien reparé
Des Mains qui tant m'ont faict d'injure.
L'Homme.
Gui, mon vray amy, je wu* jure.
Se À moy il vous plaist la pai* ^ire ,
-Que de la vostrè forfaicture
Vous vouldray dû tout satisfaire ;
Doresnavant voua Vuéil complaire.
Monstrés-vous vers moy pitoyable.
3ao Far€e
Le Cul.
Moyennant amende notable
le me contente , c^est raison.
La Bouche.
Vous aurés réparation
Des Mains à yostre yolunté
Qui TOUS ont par derrision
Faict yillennie et fort frappé.
Le Cul.
Bouche Y me dis-tu yerite ?
La Bouche.
Ouy, le Cul, certainement,
Sans penser à de3loyaulté«
Le Cul.
Bouche y me dis-tu yerité ?
La Bouche.
Ouy, le Cul, certainement.
Le Cul.
Si feray tout incontinent
A lliomme partout ouyerture.
L'Homme.
Du surplus yoys à Fadyenture ;
A Cambray m en yoys par icy.
La Bouche.
Çk , les Mains, yous criez mercy
A genoulx et k joinctes mains
Au Cul, que yous ayez ainsi
DES CINQ Sens. 32i
Batu et dit motz si yillains ,
Et en faictes pleurs, cris et plains
En demandant miséricorde.
Ne faictes point ?
Les Mains.
Par tous les sainctz,
Ouy.
Le Cul.
Et je le vous accorde ,
Mais par tel si que , sans discorde,
A tousjours mais tu me feras
Service, par vraie concorde.
Gomme la Bouctie te dira.
Les Mains.
Je feray ce qui lui plaira
A comi^ander, certainement.
La Bouche.
Il vous fault tout premièrement.
Sans vous riens qu'il soit monstrer nice ,
Faire au Cul autant de service
Qu'il luy fault et est nécessaire.
Et premier, pour son plaisir faire ,
Quant il se mect k descouvert,
Il faut qu'il soit tost recouvert
Des Mains, qu^il n'ait rume ou toux.
Le Cul.
Il est vray.
La Bouche.
Après , devant tous
Vous promettez , levant la main ,
T. III. 21
3aa Farce
Que , quant le Cul yra au baing
Ou aux estuves s'estuver.
De luy doulcettement laver
D^une ponge son gros visaige.
Les Mains.
Ce faict mon.
La Bouche.
Pour le tiers passaige ,
C^est , se le Cul ya au retraict
Quant il aura trop beu d^ungtraict,
Que les Mains si le nestiront ,
Au tour de Tanneau qui est rond,
De doulx foing, non dVstrain de gerbe.
Le Cul.
Je Tueil qu^elle me face la barbe
Toutes les foys qu'il me plaira.
Qu'en dis-tu?
Les Mains.
Riens.
Le Cul.
Tu le feras ,
Et dcusse-tu saiUir es nues.
La Bouche.
Item, les Mains seront tenues,
Quant le Cul se demandera ,
De le gratter ou il youldra ,
Soit en la joue ou au yertcnlle.
Le Cul.
Et de mon bassinet de toille
Chausser et deschausser souvent.
D£^ CINQ Sens. 323
Les Mains.
Sera-ce à faire longuement
Ce seryaige-cy ?
Là Bouche.
Il durera ,
Alitant que THoinme viyera.
Le Cul.
En estes -vous content ?
Les Mains.
Ouy voir.
Le Cul.
Or commence à faire devoir
De m*y gratter et de m^ tondre.
Les Mains.
Ça , qu'on puist le broudier confondre.
Le Cul.
Et qu'esse cy? En grousse-tu?
Se tu ne m'eusse mye batu
Quant je ne te faissoye riens.
L'Homme.
Qui n'eust sceu trouver les moyens ,
Le Cul me tenoit en dangier?
Et pourtant peult-on bien juger
Qu'il n'est royz, ducs, comtes, n'empereurs,
Marquis ne cnevaliers dlionneurs.
Femme ne homme, tant soit-il nul ,
Qu'il ne soyeut subjectz au Cul ,
334 Fabcb des cinq Sehs.
Camme nom avons cy moosiré.
Et k tant fin. Prentz-en gré ,
Ctr l'aTons faict d'entente lye
Pour lesjooir la compaignie.
Finis.
Imprimé DOUTellement à Lyon , à la m
son de feu Barnabe Cnatusard,
pris Nostre-dame-de-Con-
fort , l'an mil dnq cens
qnarante et cinq,
le IX jour de
septem-
DEBAT
DU
CORPS ET DE L'AME*"
Cj commence le débat du Corps et de VAme.
ne ^ant vision est en ce livre escripte ;
Jadis fut révélée à Dam Philebert lliermite,
Qui fut si très preudhom et de si grand mérite
Qu^oncquesparluy ne futfaulceparoUe dicte
Il estoit grant au siècle, de grant estraction;
Mais , pour fuyr le monde et sa déception ,
A luy tut révélée la dicte vision ;
Tantost devint hermite en grant devodon.
Par nuyt, quant le corps dort et Famé souvent veille ,
Advint à ce preudhom une très grand merveille :
Car il vit un corps mort murmurant à son oreille ,
Et Famé , d*aultre part, qui du corps se merveille.
L^Ame se plaint du Corps et deses grans oultraiges.
Le Corps respond à TAme : uTu as îsoX ces dommaiges ,
ce Or allègues raisons et puis après usaiges. »
Tout ce retient lliermite, comme prudhoms etsaiges.
(1) Cette pièce a été imprimée plusienrs fois.
326 Débat.
'Comment l'Ame parle au Corps,
Hé, doulant Corps, ditTÂme, quWta^'à derenu?
Devant hyer ta estois pour saige homme tenu ;
Devant toy s^encKnoient le grant et le menu.
Or es soundaînement à grant honte venu.
Le monde te.portoit révérence et honneur;
Les grans.et les peti:t« te damoyent seigneur,
^ Il n'y iivoit si hault <|ui n'eust de toy grant peur.
Or as-tu tout perdu, ta gloire et ta valeur.
Où sont tes grans maisons et tes grans édifices
Tous plains ]_....'] ,. et tes tours painctes de couleurs
Oii sont tes escuyers mis en divers offices, [riches?
Ton sens et ta memoyref Bien es musard et niées.
Bien est le [temps] changé et la chance muée ;
En lieu de ^nt palais et dédiante parée,
Dedens sept pie£ de terre est ta dbair enserrée ,
Et je, par tes meffaicts, en enfer suis dampnèer
Helas ! Dieu m'avoit faicte si noUè créature.
De moult noble matière , de moult noble -figure,
Et après , par baptesme, m^avoît fsdçt nette et pure.
Mais je suis en pcché par toy et en ordure.
Par toy , donlente chair, suis de Dieu reprouvée.
Je puis bien dire : Hélas ! pour quoy fus oncques née?
Mieulx me vaulsist assez que fus^ annichillée.
Et du ventre ma mère au sepuli^e portée.
Tant que tu as vescu en ceste iQOrtelle vie ,
De toy bien ne me vint ne de.ta compaignie.
A péché m'as attraict et à faire îblie ,
Dont nous serons en peine qui ne nous fauldra mie.
Nostre peine surmonte le mal et le martyre ; .
Mais , quant dire ? Tousjours la peine est tant pire
DU Corps et de l'Ame. 327
Qae caetv cpii aoithumaia ne 5€et penser ne dire.
Sans confort ne remide tonte henre je souque.
Où sont tes lictz de plumes , tes nobles couyertures ,
Et tes draps d'escarlate de diverses couleurs ,
Les espices confites de diverses faveurs ,
Et les taces d'argent pour servir les beuveurs ?
Où sont tes e^reviers et tes nobles oyseaux ,
Tes chiens et tes lévriers courans en ces bois haultz ;
Où est ta sauvagine ? Ou sont tes gras morceaulx ? '
Ta chair si n'est pas digne de manger aux pourceaux*
Le faict de ta maison envers toy moult l'approche.
Quant tu es la bouté, tu es comme la roche.
Tu n'as. membre sur toy qui n'ait aulcun reproche.
Os, chair et cuir pourrist ; n'y a dent qui ne loche.
Tu as par grant péché moult de biens amassé ;
Par force de barat ton serment as faulcé ;
Par peine et labeur tu as ton corps lassé ;
Mais en une sculle heure tout s'en est jà passé
Tu n'eus onques parent ne amy en ta vie
Qui n'ayt honte de toy et de ta compaignie ;
Ta femme , tes enfans , tes servans, ta maignie,
Ne donneroîent pour toy une pomme poume.
Hz se passent de toy moult bien legierement ,
Car ilz ont maintenant en leur commandement
Ton or et ton argent , et ton grand tenement,
Et n'as du demourant fors que ton damuement.
De toute ta richesse , de toute ta chevance ,
Qu'as au monde laissée en moult grant abondance,
Ne donneroient pour toy, ne pour ta délivrance ,
Doojt ung povre homme peult prendre ung jour sa
^ [suostance.
328 Débat
Or peolx , dolente chair, sendr et e^^ayer
Pourquoy on doit le monde fdir et reproay».
Car nul ne peult en luy que faulceté trouver.
Et ce ne ce peult (on) mieiux qae parla mort prouyer.
Tu n^as besoing dWvrier qui riche robe taille,
Tu es en la livrée de povre garsonnaille;
Tu ne feras jamais à novre homme la taille ,
Jamais n^auras cheval pour entrer en bataille.
Tu n*as [pas] maintenant la peine et le tomrment
Que je souffre pour tov et sans allégement ;
Mais tu Fauras après le jour du jugement,
Quant tu viendras en vie , se TÉscripture ne ment.
Regarde bien ta vie , et puis ta mort remire ;
Tu as esté tyrant qui toujours prent et tyre.
Or te tyre le ver qui te romp et dessire,
A mon parler metz fin , car plus ne sçay que dire.
L'Acteur.
Quant le Corps voit que TAme si forment le demaine,
Les dens estraint moult fort et la teste demaine ,
Lors gemist fort et ploure et met toute sa peine
Comment respirer puisse et reprendre s'aleine. • "^
Le Corps.
Quant eut levé sa teste et sa vigueur reprise,
Il dist à TËsperit : J'ay mal mis mon service,
Prins as plait contre moy; mais, quand bien[je]ravîse ,
11 ne finera pas du tout à ta devise. .
Il n'est pas de merveille se la chair se meffaict ,
Legierement s'encline, legieremént deffaict:
En ce qui est en elle n'y a riens de parfaict ,
Ce que raison ordonne et ce que raison faict.
DU Corps et de l'Ame. 339
D'une part i'ennemy, d'aultre la chair rae ;
Pour ce la pouvre chair ne peult avoir tenue ,
Que ne soit par delict de legier abbatue ,
Ou par consentement desconfite et perdue.
Mais, ainsi que tu dis. Dieu t'a faicte et créée
De sens et de raison noblement adomée.
Tu es du tout ma dame , à toy suis-je donnée ;
Ta chamberière suis et par toy gouyemée.
Puis doncques que Dieu t'a donné sur moy puissance.
Et t'a donné raison et clère congnoissance ,
Tu deusses bien estre de telle pouryeance ,
Que péché n'eusse faict par ma grant ignorance.
Pour ce tout saiges homs doibt savoir et entendre,
L'Ame doibt-oii blasmer qui ne se veult defibndre ,
Que Ton ne doibt la chair ne blasmer ne reprendre;
Le Corps laisse remplir et les gras morceaux prendre.
L'esperit du tout doibt la chair bien gouverner;
Ne rain , ne £roit , ne soif, ne luy faict endurer ;
Les délices du monde la font desmesurer ,
Aultrement sans péché ne peult la chair durer.
L'Ame donques si a la chair en sa coi&mande,
A la chair convient faire ce que l'Ame commande ;
Si tiens à grant folie contre moy la demande ,
Se nous faisons folie , ne sçay qu'elle demande.
Tu as de bien et mal parfaicte congnoissance;
Se j'ay faict mal ou bien , c'est tout par ta licence ,
Car bien scis que sans toy je n'ay nulle puissance :
Doncques tu doib? porter du tout la pénitence.
De toy vient le péché, de toy vient la folie.
Je ne puis plus parler, ne te desplaise mie,
33o Dbbat
Car je sens aatoiir moy si tris malk maigaie
Qui me moirt et ne rômp. Or f en ya , ie t*en piîe.
L'Ame.
Lors dist TAme à la Chair : Encor n'est-pas à point
De laisser la quereUe et le plaît en tel point :
Car ta parolle amère, où de donloenr n a {Miint^
La couJpe. met sur moy et durem^t me point.
Chair poyre et doulûite, pleine d'iniquitév
Ta maulyai&tié m'a £aict perdre ma dignité.
En tes par(des [n'a] aultune yeiité;
Mais tout le remainant estplain de yanité.
Vérité est que FAme doit le Corps adresser;
Mais la chair ne se yeult par FAme ooniger;
Se FAme le reprent, ne laict que rechainer ;
Riens le Corps ne yeult fiûre que boyre et jBonger.
Quant le Corps doit jeûner ,^lors a mal en la teste;
S'il ne hoit au matin , c'est une grant tempeste ;
Ung peu de pénitence luy feict si grant moleste,
Qu'on ne peiut de luy traire joye, ne ris , ne feste.
]e deusse hien ayoir par droit la seigneurie,
Mais tu me Fas ostée par ta forcennerie.
Tez délices chamelz, ta doutante folie,.
Au parfond puis d'enfer nous font abergerie.
Bien sçay que j'a)r £ûlly que ne t'ay refrénée ;
Mais par ta flatterie j'ay esté barattée.
Par les delictz mondains après toy m^as menée ;
Contre toy en doibt estre la sentence donnée.
Tu es tousjours allé le dtiemin et la yoye
Des delictz corporek , que je te defiènaoye,
DU Corps et de l*Ahe. 33i
De Tennemy d'enfer, auitousiours nous guerroje.
Pour ce perdu avons ae paradii la joye. -
Le nom de baratteur doibt bien le monde avoir,
Car adont, quant il veult les pécheurs decepvoir,
Plus leur donne de bien, richesses et avoir;
Puis leur fait par la mort leur povreté sçavoir.
Le monde devant hyèr fa monstre beau visaige ;
Richesses te donnoit, beaulté et grant lignage,
Et si te prometloit de vivre grant aage;
Il Ta du tout failly; perdu en a Fusaige.
La face t'a esté souveutesfoys mirée ;
Tes mains; tes jpiedz, tes bras, souvent mis en buée.
Bien puis- dire que suis de trop maie eure née ,
Quant partes grans délices maintenant suis dampnée.
L'Acteur^
Quant le Corps voit que FAme si foiment le reprent,
A crier et à braire et à plourer se prçnf ,
Joye n'est plus en Iny; Tristesse le comprent;
Puis après par parolle simplement se reprent.
Le Corps, respond à l'Ame et dît :
[Helas] quand me souloye haulte^Ient maintenir,
Mes grans possessions et mes terres tenir y
Lors oncques de la mort ne me peult souvenir.
Ne jamais ne cnidassê à tel honte venir.
Je voy la mort venir qui si forment m^attrappe.
Commandement de roy riens n'y vault, ne de pape ;
N'y vault or ne argent, manteau fouiTé, nechappe;
Lamort faict tous et toutes arrester en sa trappe.
Ame , tu es dampnée ; après je le seray .
Tu souffres maintenant, apes je souffriray.
33i Débat
Mais assis doibs soufirir plus qae je ne feray,
Et par moult àê raisons que je te monstreray.
Quant la sainte Eseripturenous dit et nous raccompte
Que, tant que Dieu plus faict et plus hault lliomme
[monte ,
Tant plus estroictement lui requerra le compte ,
Et, sil faut à compter, tant plus sera grant honte.
Dieu t^a donné raison , sens et entendement ,
Force pour faire tout le sien commandement,
Voulenté pour fuir le maulvais mouvement;
Tu en rendras le compte au jour du jugement.
De tes nobles puissances as follement usé ;
Ton temps as despendu et si as trop musé ;
Pour ce es devant Dieu durement accusé ,
Et Dieu t^a par raison paradis refusé.
Mais de ce qu*en peut mais ceste pouvre pouldrière.
Que la vermine assault par devant et derrière ?
Dieu ne m^avoit donné puissance ne manière ,
Où je puisse sans toy aller devant n^arrière.
La Chair ne peut sans FAme ne venir, ne aller.
Monter en paradis , nV^ enfer devaller ;
Sans luy ne peult ouyr, ne sentir, ne parler.
Ne les nudz revestir, ne le povre hosteller.
Mais, se TAme vouloit ouvrer en bonne ^i^e,
Aymer nostre Seigneur et faire son service ,
Eue menroit du tout la Chair à sa devise.
Et tu ne Tas pas faict; pour ce je suis mal mise.
De la sainte Escripture très bien il me souvient.
Qui dit que au dernier révéler me convient.
Helas ! dure sera la journée qui me vient ,
Quant peine corporelle perpétuelle devient.
DU Corps et de l'Ame. 333
^ L'Aue.
Adonc c'est TAme misé en grant affliction :
Hé, pourquoy suis-je faicte de tel condiction,
Que je yiyray tous ditz sans termination ,
Puisque suis obligée à telle damnation.
Je tiens la beste mue à moult fort bienheurée ;
Car, quant le Corps default, TA me est tost finée ,
Pour ce me yaulsist mieux que fusse porccllée ,
Ou du yentre ma mère au sepulchre portée.
Le Corps.
Respons moy, dit la Chair, a ce que je demande :
Ceulx qui sont en enfer en si grant pénitence ,
Comme tu yas disant , ont-ils point d'espérance
De leur allégement ne de leur deliyrance?
Les nobles , les gentilz , qui sont de hault parage ,
Les riches , qui ont or et argent à oultrage ,
Sans [sur?] les autres dampuez ont-il pas aayantage.
Par or ne par argent, par sang ne par lignage?
L'Ame. \
La demande, dist l'Ame, est trop peu raisonnable;
Tous ceulx qui sont damâez ostpaine pardurable.
Et selon la sentence de Dieu ferme et estable ,
Que force ne pouvoir ne peult faire muable.
Se tous les religieux , prescheurs et cordeliers
Chantoyent tous diz messes et lisoyent psaultiers ,
Et le monde donnast pour Dieu tous ses deniers ,
Ne tiréroyent une Ame de cent mille milliers.
Le diable est toujours en sa forsennerie ;
De tourmenter les Ames luy prent toùsjours enyie,
Donne luy, prie luy^ ton corps luy samfie ,
Jà pour ce n en auras ung gnn de courtoisie.
334 Débat
Et des peines des riches(ses) te diray la manière :
Sans graœ, sani espoir, leur peine est tout entière ,
Et de tant com ilz furent de tant plus en arrière.
De tant souffrent-il plus pouvrete et nûsère.
L'Acteur.
Lors, auant FÂme mettoit à parler toute (sa) cim.
Deux cuables sont yenuz, en leor laide figure, '
Tant horrible yisaige, tant grant contreËuctore
Qu'en n'en sçauroit troorer en livre n'en painctnre.
Grippes de fer aguës entre leurt mains tenoyent ;
Feu gregoys tout,puant par leurs gueules gettoyent;
Serpens envenimez de leurs corps enyssoient
A bassins embrasez leurs yeulx, semblans estoyent.
Dont chacun de ses deux getta sa trappe torte.
La poyre Ame chargèrent, comme une beste nMNrte.
Quant la tris douloureuse entra d'enfer la porte^
[Qtuvment se contrainct,] forment se desconforte.
L Ame*
Entre les mains des dyables à haulte voix s'escrie :
Secourez*moy, Jésus , tris doulx filz de Marie ;
Ne considérez pas maintenant ma jfbllie ;
Ayes mercy de moy par ta grant eourtoisie.
Les Diables.
Quant ces deux ennemis ont ce mot entendu ,
Crient : Dame musarde , trop ayez attendu ;
Tout le temps de ta yie , tu l'as mal despendu ,
Donnée est ta sentence et le loyer rendu.
Doresnayant n'y yaull riens plus crier et braire,
Car plus ne trouverez Jesuchnst débonnaire.
Maintenant te convient en ung tel lieu retraire
Où jamais ne verras soleil ne lumière.
BU Corps et dï: l'Ame. 335
L'Acteur.
A ces dures parolles, le preudliomme s'esveille ;
S'il fîit espoyenté ne fut pas de ilieryeille.
A tel vie mener du tout [u] s'appareille,
Dont de tousses péchiez Dieu absoudre le yueille.
Tantost se ioingt à Dieu et tous honneurs desprise ,
Et de tous biens mondains perdit la convoytise.
Aux mains de [Jhesujchrist et à. sa commandisse
Son corps et ame mect pour faire son service.
Tout le monde, dit-il, est plain de tricherie :
Car il tient en despit la bonne et saincte vie.
Vertu est, dist-il, vice, et sagesse folie.
Doncques est fol prouvé qui au monde se fie.
L'acteur.
Cil qui veult estre au monde pour saiges homs tenu,
Fau qu'il ayt deniers , argent et or moulu.
Mais de ce luy souviengne que, quand sera venu
Au dernier de son compte , le gamg sera menu.
Les vertus>dn tout traient à la divinité ,
Comme Foy, Espérance et dame Qharité.
On les tient aujourd'huy pour une vaaité.
Barat et tricherie sont en authorité.
On ne croit aujourd'huy es amys Dieu sans gaigc ;
On ne prise une pomme la divine parage.
Jà ne seras tenu pour vaillant et pour saige,
1 Se tu ne scès honneurs ou se n'as grant lignaige.
Tu seras réputé vaillant et honoraUe
Se tu aymes flatteurs et tu tiens bonne table,
' Salomon ne dit onques proverbe si véritable
' Qui s'accordast aux tiens , soit mensong[e] ou fable.
!i
336 Débat du Corps et de L'Ame.
Langue ne pourroit dire, ne penser cueurs humains,
Le nombre de tes frères, de tes cousins germains;
Mais , quant ne verront plus d'argent entre tes mains.
Ne te seront amys, ne cousins, ne prochains.
délices mondains qui navrez la pensée ,
Peu vous devroit priser raison enluminée.
Car estoupes au feu sont de plus grant durée
Que la saveur de vous, qui tant est désirée.
Qui pourroit par deniers achepter en sa vie
Sans vieillesse jeunesse et sans tache lignie,
Santé de corps tousjours sans nulle maladie ,
Des délices acquerre devroit avoir envie.
De telle marchandise ne s'entremet la mort;
Jà par or que tu ayes n'auras à elle accord;
Riens ne te vault jeunesse, remède ne confort;
A la fin te convient arriver à son port.
En ce port trouveras doulente establerie.
Toutes les branches sont de matière pourrie;
Jà n'y trouveras homme qui soit joyeulx ne rie.
Cil qui vient a tel port toute sa joie oublié.
Faulceté maintenant est souvent coulourée,
Innocence est souvent à grant tort condampnée ;
Mais adoncques chascun recepvera sa livrée.
Quant selon son mérite sera sentence donnée. .
Pour ce pry à celluy qui si justement livre.
Qui les biens et les maux a escriptz en son livre.
Qu'il me doint en ce monde si maintenir et vivre
Que m'ame à la mort soit de tous maulx délivre.
Amen.
MORALITÉ NOUVELLE
TRÈSBONNE ET TRÈS EXCELLENTE
DE CHARITÉ
Où e«t démontré les manlx qui Tiennent. aaioardliay
an monde par faulte de Charité.
Et est ladicte moralité à xij, persannaiges
dont les noms a' ensuivent cy-aprèa
et premièrement
LE MONDE
CHARITÉ
JEUNESSE
VIEILLESSE
TRICHERIE
LE ROUVRE
LE RELIGIEUX
LA MORT
LE RICHE AYARIGIEUX
ET SON YARLET
LE BON RICHE VERTUEUX
ET LE FOL
In nomine Patrie et Filii et Spiritus Sancti
Charitae patienê estj benigna est.
Ad Corinthios, xiîj\ cap.
t à celle fin que puissons dire
Chose qui soit bonne et utile,
La grâce Dieu demanderons ;
Mais ayoir ne la pourrions
Sans celle qui en est tresonire.
Nous luy feron donc prière
Qu^elle deprie son filz et son pire,
Et pour ce luy presenteron
La noble salutation
T. m. Il
338 Moralité
Que Gabriel lay présenta
En disant : Ave Maria.
Ckaritas patiens eât^ henigna est.
Qui' paricroit toutes les langues
Des nommes et aussi des anges ,
Et charité ne aoroit en sor^
Rien ne sçauroit, en yerite.
Et qui sçauroit les prophéties
Et congnoistrcMt tous les mystères
Qui oncques mais furent baillez
Et ditz des anciens pères ,
Et charité ne auroit en soy.
Riens ne sçauroit , en venté.
Et qui auroit distribué
Ses facultez emmy les Toyes
Et toutes depparties aux pouvres ^
Et qui auroit baillé son corps
Pour ardre dedans et dehors
Par martyre t ainsi que propose.
Et charité n^auroit en soy.
Riens ne feroit, en yerité.
En Dieu est toute charité.
Comme cela bien demonstré ;
Il est yenu sonffîir pour nous ,
Et s^a esté par charité.
De charité donc annez-oyous.
Il est bien temps de devise
Les personnaiges et nommer.
Je yous les yeulx nommer à tous.
Je yoys au Monde commancer.
Velecy bien riche habandonné»
C'est ung tris beau mirouer ponr nous;
Mais encore n*a-il suffisance
Et bien peu £ûct recongnoissaaoë
DE Charité. 339
De cduy qui nous a faictz tou5.
Monstrado :
Et de çà si est Tricherie
Que le Monde a faict et nourrye
Par son avarice et envie.
Et voicy ung Avaricieux
Et son varlet auprès de Inv,
Qui de le servir est joyeulx,
Et voicy le bon Vertueux.
Et de cest aultre costé
Vous veulx monstrer [la] Pouvreté;
Et voicy la pouvre Viciflesse ,
Qui est plaine de grant foiblesse.
Jeunesse , qui la doibt nourrir,
Povez veoir dancer et saillir,
Qui d^icelle ne tient pas compte.
Sinon en despit et en honte.
Et voicy ung Religieux
Qui de bien faire est moult joyeux ,
Qui au Monde viendra prescner
Affin qu^il vueille délaisser
Tous les peschez qu'il a commis
Envers le roy de Paradis.
Voycy la noble Charité,
De quoy est la Moralité
Que présent voulons demonstrer.
Il y a en une ruelle
La Mfort, moult hydeuse et cruelle.
Qui viendra les gens ajourner
Pour aller devant Dieu compter.
Or vous ay-je tout advise
Les personnages et nommé.
Si vous supplye humblement
Que TOUS nous donnez patience,
34o MoiiALiTi
Et vous verrez présentement
Beaa jeu, puisque le Fol commence.
Le Fol commence en chantant.
Rigolle-toy, rigolle , rigoUe-toy, Robin.
Que vous en semble, mon cousin?
Voas semble-il bon, ce notaté?
Vrayement, tous ayez bistoqué ;
Je les prens sus ma conscience.
Hé dea , il n*j a point d'offense
Quant on se treuve de loysir.
Or paix , or me laissez cho jsir
Celle qui yient de faire ung pet.
Levez la main; vous Pavez raiçt;
NVn rougissez ià ; a-vous bonté?
Si estyés fille d ung compte ,
Si aurions tost faict le £aict ;
Par le corps bien, en efiFaict,
Vous qui estes tant gracieuse ,
Je gaige que vous estes foureuse :
Or, par sainct Jacques , je vouldroye
Que ton nez fut dedans sa roye.
Quant une femme mariée
 esté baysée ou hocbée
D'un^ autre que de son mary ,
El doibt, pour cbascune journée
Qu'el se faict donner la ressée ,
Ung denier à saint Gultin.
Je parles aussi bien latin
Comme ung prebstre qui dit la messe.
Or parlez à moy. Trousse-fesse :
Se dedans ung lict , nu à nu ,
Fusson couchez , fesse sur fesse ^
Ung de nous deux seroit foutu*
DE Charité. 34i
Le Fol chante.
Il estoitbien malostru,
Sus goguelu,
De cuyder qu'elle fust pucelle;
El cW faict tant bistoquer,
Tant janculer
Dessus llierbette nouyelle ,
Tourlourette, tourlourette,
LjFon £91.
Charité commence.
Monde , yueilles à moy entendre :
Venue suis de Dieu pour f aprendre
A gouverner bien sagement
Les biens dont tu as largement
Par la grâce de Dieu le père .
Car tu sçays bien , c'est chose clerc ,
Que Dieu nous dist en TËscripture,
En rEyangille nette et pure :
mUge proxîmum tmm,
Dist Dieu, sicut te ipsum,
Doncques est-il nécessité
Que les biens dont tu as planté
Soyent departb bien saigement
Ayecques bon souTemement.
Pour ce faictz Fen bien ton debvoir,
Qui n'y ayt riens à réprouver
Quant tu t'en viendras devant Dieu ;
Car il n'y aura pas de jeu ,
Ou soit a gaing , ou soit à perte ;
Payé seras de ta déserte.
Si me ditz ce que tu vouldras.
Le Monde commence.
Dame , vrayment j'ay de bons draps ,
34a Moralité
Et des moutons et de la layne»
Et des bledz forment et de avoyne.
Mais encor ne suis pas content
Que je n^ay plus d or et d*argent.
Je feisse une très srant chière ^
Se ie veisse ma gibissyère
Qu elle en fust une foys emplye.
Mais d'une chose je tous pne ,
Que me dissiez présentement
Qui TOUS estes et de quel gent ,
Car point ne you5 congnoys, sans doubte.
Charité.
Ha, Monde, Monde, je me doubte
Qui ne te soit bien reproché
Que tu ne tiens compte de moy.
Moult à toy je me suis offerte,
Et t'aroys bien la porte ouverte
De paradis, la hanlte gloire;
Mais tu as bien aultre memoyre;
De moy tu ne tiens guères compte.
Le Monde.
A peu que ne me faictes honte ;
Dame , dictes moy yostre nom ,
Et se j*ay excusation ,
Je vous prie que je y soys ouy.
Charité.
Monde, saiches bien , mon amy^
Que Ton m'appelle Charité ,
Celle qui pour Tamour de toy
Fist à Dieu humanité prendre
Et en la croix mourir et pendre
Pour toy rachepter des tourmens
i>E Charité. 343
D^enfer, où alloyent toutes gens
Et là tu estoys obligé
Par le faulx et maulyais péché
Que fist Adam, le premier homme
Quant il mordit deaans la pomme .
Encontre le commandement
De Dieu le père omnipotent.
Si te supply, mon doulx amy.
Que , se tu as vers Dieu failly,
Retourne vers luy humblement
Et garde son commandement.
Se tu l'aymes de cueur parfaict,
Il te pardonnera ton meffaict ;
Se tu Faymes , tu m'aymeras
Et voulentiers k moy seras ;
Car saiche bien, en vérité,
Qu'il ayme bien fort Charité ,
Et je suis Charité , s'amye.
Si te requiers et te supplye
Que des biens dont je l'ay parlé
Que en faces ma voulente.
De bien faire n ays point de honte ;
Je te feray rendre bon compte
Quant tu viendras au jugement.
Le Monde.
Je vous mcrcye entièrement ;
Vous me faictes belle promesse.
Je vueil que soyés la maistresse '
De moy et de trestous mes biens.
Je voys appeller [tous] mes gens ,
Si en feray département.
PauM.
Onez , ouez , toute ma gent ^ .
344 Moralité
Riches , poayres , jeunes et vieulx.
Venez tous, tous ne poyez mieufaL.
Venez trestous k Glianté ,
A qui je suis habandonnét
Moy et mes biens, entièrement.
Par elle le département
De tous mes biens si sera £adct.
Vieillesse commence.
Ou es-tu allé , Jehannet?
Hélas ! où [donc] es-tu, Jeunesse?
Laisses-tu ta mère Vieillesse
Sy emprès toy mourir de fain ?
le n^ay mengé ennuyt de pain
Ne de chair, ne de nul potaige.
Le Monde à présent a couraige
Que ses biens soient par Charité
Mis où il a nécessité ,
Et je n'ay maille ne denier.
Je ne puis jamais riens gaigner.
Et pour tant je te prie , mon filz ,
Pense comme je t ay nourryz
Quant tu estoys petit enfiant,
Et que je te cnenssoys tant
Que je ne m'en pov[o]ye soûler
Bonnement de toy regarder.
J'estoye en peine nuyt et jour.
Et mettoys mcm cueur en douleur.
Pour toy nourrir en paix et ayse ;
Pour ce je te prie qu^u te plaise
Que de ce tu ayes souvenance.
Jeunesse commence.
Vous ayez bien nlalle attenance;
Que youlez-you« que je yous fàotl
DB Charité. .^4^
Le grant diable d^enfér le sache.
Vous estes tant arriottée ,
Et si parfaicte radottée^
Que se n^est que peine de vous.
Je prie à Dieu que malle toux
Vous puisse ennuyt estrangler.
Vieillesse.
Hélas î je t'avoys tant cliier,
Et t^aympys de si bon cueur,
Que une paroUe de rigueur
Je ne t^eusse , à Toir, jectée.
Mais aujourd%uy ne te scauroye
Si humblement parolle dire ,
Que tu ne soys a me mauldire
Gomme se fusse escumengie.
Je doibs bien estre au cueur marrie
D'avoir nourry tel nourriture.
Je ne sçayois pas radventure.
Ne que me debroit advenir.
Jeunesse.
Ennuyt te puisse veoir mourir !
Que vous faict Fen, diable le saiche !
Paister vous faulsist de fouasse
Et de rost et de vin daret ;
Car vous nous faictes ung beau faict ;
Nous en sommes bien advancez.
Pleust or k Dieu que vous fussiez
A fouyr avec les mulotz.
Vieillesse.
Hé, Dieu de paradis, quelz motz
D'un en&nt de dire k sa mire.
Je m'esbdbys que Dieu le père
i
!
346 MOBALITÉ
Ne prent de toy quelque vengeaDee ;
Car tu as toute ma cheyance
Et tout, tant que je peulx finer,
Pour tant que ne puis mes allar,
Ne moy ffouverner ne cheminer.
Me Youloroys^tu laisser mourir
De faim , de soif et d^ froydure ?
Tu es bien de faulse nature.
Je ne demande seulement,
Sinon itel gouvernement
Que tu donnes à tes serrans.
Jeunesse.
Il a passé plus de troys ans
Que de TOUS n euz demer ne maille;
Et si me coustez en fouaille
Plus de quarante soulz Tannée,
Et si mangez belle escuUée ,
Je le TOUS dis ayal la main,
Et si despensez plus de pain
Que tous les gens de nostre hostel.
Vieillesse.
Helas^ mon filz, es-tu y tel?
Me reproches-tu ma despence?
Et je prens sus ma conscience
Que tu m'as cousté plus de francs
Que je n'ay à toy petis blancs.
Ne me vueilles pas reprocher
Ne mon boire ne mon menger ,
Car il n'y a rien de par toy ;
Dieu sçait bien que tu m'as cousté.
Et, quant je seroye d'Aliemaigne
Venue ou du royauhae d'Espaigne,
Si seroys-tu tenu à moy
DE Charité. 347
En la vertu de Cfaarité.
L'evangille en faict mention :
Bilige proximum tuum.
Tu n^aymes ne Dieu ne moy;
Tu n'aymes fors ta Toulente ,
Qui est à ne me faire bien.
Jeunesse.
Par ma foy, tous ne gaignez rien
A me vemr aguillonner.
Vieillesse.
Et que ne faictz-tu ton debvoir
Ainsi comme tu le doibs faire?
Tu scez bien qu^il est nécessaire ,
Qull me conyient ma TÎe avoir.
Yrayment, pas ne sers ung dénie)
Tu t'en vasDoyre et galler
S'en de quoy tu deusses gouverner
Toy et toute ta famille.
Tu t'en vas jouer à la ville
Avecques d'autres larronneaulx ,
Qui t'apprennent beaucoup de maulx,
Et aymes mieulx à les suyr
Que tu ne faictz à les fuyr.
Et pour ce , mon filz , je me doubte
Que ne tresbuchez lourdement
Par vostre faulx gouvernement ;
Gardez-vous en doresnavent.
Jeunesse.
Il semble que je suis enfant ,
Et que je ne sçay que je fais.
Ne vous souciez de mes fais
Non plus que je faictz de vous,
Car je n'en feray rien pour vous
348 Moralité
Plus qae je feroye pour mon chat,
Oseray-je aller a 1 esbat
Pour ceste yieille redotée?
Qu*eii très mal an soit-elle entrée ,
Car elle vit trop longuement !
Vieillesse.
Ha, tu mourras meschantement,
Garson ! M*as-tu encore mauldicte?
Par ma foj, tu n^en es pas quitte ;
Tu es ung Caiulx traistre sarson.
Ung beau lopin de mon baston
Tu auras , se je peulx attaindre.
Jeunesse.
Je vous batrez jusques au jaindre ,
Vieille , si tous en dementeiE.
Et, par Dieu , si yous me bâtez ,
Je yous jouray d^ung aultre jeu;
Se ne craignisse aultre que Dieu,
Je yous ostasse le quaquet.
Vieillesse.
Hé , fiaulx garson , que t^ay-je fait ?
Pour quel cause me maulditz-tu?
Je ne t ai heurté ne batu,
Ne dit aulcune -villennie..
Je te blasme de ta follie ,
Mais c*est pour ton prouffit garder.
Et tu m'en deusses mieulx aymer.
n pert bien que tu ne scez rien ;
Tu fiaiictz mal à qui te faict bien,
Qui est chose dyabdlique.
Pourtant , je te prie , or f aplique
A bien £^uI^e doresnayant.
DE Charité. 349
Ne Yueilles point estre ffourmant,
Joueur de dez ne hasardeur ;
Ne regnye point nostre saulveur ;
Fa j-moy raison comme ta doibz ,
Et tu auras des biens assez.
Si tu n^en as , si en demande,
Ainsi que raison le commande ,
Et bien te viendra et lyesse.
Jeunesse.
Par ma foy, ma mère Vieillesse ,
Ma femme ne laisseroys mye ,
Et non feray-je ma mesgnye ,
Mourir de fain pour tous repaistre.
Je ne suis pas au tout le maistre ;
Vous savez bien comme il en va.
Vieillesse.
Tu dis vray ; je scay bien cela.
Ta femme est de toy la maistresse ;
Mais je vous ay baillé la gresse
De quoy vous estes gros et gras ;
Vous estes vestus de mes draps ,
Et je meurs de froit et de fain.
Jeunesse.
Tenez ceste croste de pain ,
Et mengez , se voulez menger.
C'est quant que faicles que hongner ;
Vous estes toute radoptee.
Vieillesse.
Tu scez bien, s'elle n'estoit trempée
Que je ne la mengeroys mye ;
A grant peine mangez la mye ,
Et tu me baiUes ceste croste.
I
35o Moralité
Jeunesse.
El amollist quant on la toste,
Mengez-la et puis la tostez.
Vieillesse.
Quant tu toumoys en mes costez ^
Pas ne cuydoje celle adventure.
Hélas , tant mainte créature
Est advenue comme je suy !
Hélas , je meurs à grant ennuy,
Je ne me sçauroys soustenir
A me gouverner, ne chevir,
Ne gaigner ung morceau de pain ,
Et deussé-je mourir de fain.
J^ay bien perdu trestout mon temps.
J^ayoye tant amassé de biens
A mes enfans et à mes hers
Qui me laissent menger aux vers ;
Vermine , puces et poux
M Wt assailly de tous costez.
Helas, où es-tu. Charité?
Jeunesse , en deffaulte de toy.
Me laisse mourir en destresse.
Charité.
Monde, allons conforter Vieillesse;
El m'appelle piteusement.
Le Monde.
Vous dictes vray, certainement;
Allon y, Charité m*amye,
Car, certes , el est esbahye
Quant el ne se peult gouvemer.
PauM.
DE CUAHITÉ. S5l
Charité.
Vieillesse , Diea tous doint bon soir.
Et TOUS doiut bonne patience l
Vieillesse.
Dame , le Dieu de sapience
Vous gard et vostre compaignye !
Or me dictes, je vous supplye ,
Qui vous estes et de quel gent,
Car je n'y voy pas clerement.
Mais, pour Dieu , qu'il ne vous desplaise.
Charité.
Vous n^estes pas trop à vostre aise ,
Vieillesse , ma très doulce amye ;
Mais, pour Dieu , ne vous ennuyez mye.
Je suis vertu de Charité,
Qui vous ay icy amené
Le Monde pour vous conforter.
Le Monde.'
Je suis venu vous apporter
Du pain blanc et du beurre frays ;
Car bien sçay que n'y voyez mais.
Grant besoin avez de confort.
Vieillesse.
J'avoye bien désiré la mort;
Dieu me le veuille pardonner
Et vous vueille remercier.
Car vous m'avez bien confortée.
Jeunesse, mon filz, que j'avoye
Si ayse et si souef nourry,
A mon grant besoîng m'a failly
Car il me laisse cy jeûner
35d Moralité
Et monlt grant besoing endurer.
En cest cornet cy m'a boutée ,
Où n!a que vent, aussi fumée.
G*est sa fenmié qui le conforte ,
Qui voudrait que je feusse morte.
De moy ilz sont tant ennuyez ,
Et dient que je n'ay que procez ,
Et que je suis toute puante ,
Très oroe et très mal adyenante.
De me diffamer point ne cessent;
Hz ne me chaussent ne me Testent.
Voicy trestoute ma vesture ;
Mais ilz ont de belles fourrures ,
Qu'ils ont acbepté de mes biens ,
Et je suis celle qui n!a riens.
Sinon poyreté et douleur.
Charité.
Or merciez le Créateur,
Vieillesse , ma très doulce amye.
Vous avez la verge baillye
A voz enfans dont ilz vous bâtent.
Pourtant, s'ilz vous touchent ou frappent,
C'est du mesme vostre baston.
Vosire filz , qui est £aulx garson ,
Vous l'avez ainsi chastié.
Pourtant il est bien employé
Qu'il vous face assez de rudesse.
Car, en sa petite jeunesse ,
Le laissiez laiiie en sa guise.
Il n'ayme ne Dieu ne l'église ;
Il n'ayme fors esbatement ,
Aller aux tavemez souvent
Avecques gens de mal affaire.
DE Charité. 353,
Qui à Dieu ne yeuUent complaire ,
Et ce qu^il sçait lui ont apris ;
G^est : Cum sancto sanctus erU*
S^il eust ensuyyy gens de bien ,
De tout ce mai il n en fust rien ;
Et à ce Payez soustenu ^
Et ne Payez contretenu
Ne chastié de son malfaict.
Plustost il eust eu de bon laict^
Quant il n^eust point ouy les messes,
Que une yerge sur les fesses.
Moult en est d^ainsi adyenus
Qui sont pouyres enfans perdus
Par deffaulte de chastiment.
Vieillesse.
Vous dictes yray, certainement ,
Je Papperçoy bien maintenant:
Il n^ayme pas bien son enfant
Qui ne le cbastie de bonne heure.
Le Monde.
Yrayement, on luy deust courre seure,
Au traistre garson Jeunesse,
Qui sa poyre mère Vieillesse
Laisse mourir à tel yitay .
Il prent Jeunesse.
Vous serez en la mer gettay,
Faulx garson, traistre, larronnastre ,
Et qui yous batist comme piastre ,
L^on yous fist bien yostre debyoir.
Jeunesse.
Voire dea ! or allez cbier.
Pour quel cause me batez-yous?
Mebalrezp-yous, yilain ordoux?
T. III. 13
354 Moralité
Pour qad cause me Teax-ta batre ?
Le Monde, .
Pour ce au*Q a troys jours pu quatre
Que ta mère , qui t^a porté, :
Qui tout est plaine de bouté ,
Ne meugea ung morceau de pain.
Et est presque morte de faiu.
Et si as ses bledz et ses biens
Et tous ses heritaiges tiens ;
Ses rentes , ses possessions ,
Tu as eu en toutes saisons ;
Tu es m)s et gras , riche et plain
De ses biens, et el meurt de fain.
Or regarde quel consciance.
S*el n ayoit en el sapiance ,
Ce seroit assez pour mourir. .
Et si te deust bien soubyenir
De la peine qu^el a soufferte
Pour te garder de toute perte.
Or regardez , Charité dame ,
Se c^est pour Iny grande diffame
Et qui lui convient reprocher.
Charité.
Je te prometz , mon amy cher,
Se tu as failly vers ta mère ,
Si crie mercy à Dieu le pare
Et à elle seinblablement ,
Et te gouverne sagement.
Croy le conseil de gens de bien ,
Et tu ne fourvôiras en rien ;
Tu es jeune , tu es bouillant ;
Soys de bien faire désirant.
Tu mourras , il est tout certain ,
D£ GHAaiTÉ. 355
Et nesçaysennujt.ou demain.
Tu ne sçais llieure de ta mort.
Certainement n^ a si fort.
Se de la mort estoit frappé ,
Qui ne fust h terre gecte.
Or y pense , je te supplyé.
Jeunesse.
Ne TOUS en souciez , m^amye y
Car je sçay bien que j^ay affaire ;
De cela tous avez beau taire ,
Ne TOUS en debatez jà tant.
Le Monde.
Hé dieux , que tu es bon enfant !
Que Tendras-tu abonne fin?
Il ne Tist que de larrecin
Qu'il emble k sa pouTre mère.
Charité.
Jeunesse , je prie Dieu le père
Qu'il te domt grâce de bien faire.
Jeunesse.
11 TOUS Taidsist aussi bien taire ,
Car pour tous je n'en feray rien ;
Je garderay ce qui est mien
Et en feray à mon plaisir.
Le Monde.
Je Toy bien que c'est ton désir
Que vieillesse meure de fain.
Jeunesse.
Vous mentez comme ung faulx Tillain
Parmy lefons de Tostre goj^e;
Fais Teu à Dieu et à sainct George
35& MOBALITé
Se tu ne t*en repentiras.
Et bref rheure tu mauldiras,
Ou j'en mourray dedans la paine.
Le Monde.
Je feray ta fiebvre quartaine ,
Faulx traistre, garson orgueilleux.
Ha ! tant tu feras de grans deulx
Souffrir k la pouyre Vieillesse !
£1 peult bien gésir en sa cresche ,
Et attendre son reconfort.
Tu luy avanceras sa mort
Par ton orgueil , ingratitude ,
Et si te prometz que je curde
Que tu Tiendras a malle fin.
Jeunesse frappe.
Voylà pour toy, vilain crabin ,
Et encor n'estes-vous pas quitte ;
Je payeray vostre débite ,
Parbieu , ains que vous m^cscbappez.
Tricherie commence.
Eh , par diable , cVst assez ;
Jeunesse , tueras -tu le Monde?
Jeunesse.
Par cel(uy) en qui tout bien habonde ,
Je luy donray peine à souffrir ;
Il m*a dit plus de vilennie
Que Ton n en diroit à ung cbien ,
Et si n^ay pas maille du sien ;
Mais j'en auray, je vous prometz.
Que parie k vous en secretz.
Tricherie, ma dame et maistresse,
Se très ort villain grosse fesse
DÉ Charité. 35;
M*a si très fort injurié
Que je Touldroye qu'il fust noyé ;
Car il m'a dit , c'est chose clère ,
Que je fais TieiUesse , ma mère,
Mourir de fain, aussi de ûoit.
Or esse ce que chascun soyt ?
Je luy fais trestout son plaisir.
Et , tant qu'elle se yeult gésir.
Je la laisse dedans son lict ,
Et si plus est qui ne luy chiet
De tous les biens de la maison ,
Pas ung morceau de venayson
Je n'auroye d'où el n'est sa part.
Tricherie.
Yoylà bien ung meschant quoquart
Qui vous dit tant de desplaisir;
On l'en fera bien repentir,
Jeunesse , si vous me croyez ,
Et de ce ne vous esmayez ,
Car, puisque tous fiez en moy
Et que c'est yostre yolunté
Que je soys de yostre famiUe ,
Oncques ne trouyastes de fille
Comme je suis pour yous seryir.
Jeunesse.
Par ma foy, j'ayoye grant désir
Que yous feussiez de ma partie;
Et, par bien , yous estes m'amye
Et serez tant que je yiyray.
Tricherie.
Or yrayment je yous bayseray.
Jeunesse , et yous m'acoÛerez.
358 Moralité
Jeunesse.
Jamais de moy ne partirez ,
Certes , tant que je soyes en Yie.
Jeunette accole Tricherie.
Hé , Tricherie ^ Tricherie ,
Riens ne crains plus en plaiderie y
Puiscnie nous sommes assortez ;
Nous beurons dessus les costez
Au Monde avant qu^il soit ung an.
Le Monde.
Du mal monseigneur saint Jehan
Puisse estre se garson saisy !
Et, se le sergent fust icy.
Bouter le feisse (de)daDs la gaulle,
11 m'a escorché oeste espajole ;
Je pense qu'elle soit desnouée.
Tricherie.
Jeunesse, le Monde gorgée ;
Je luy Toys donner ung maintien.
Jeunesse.
Helas , c'est tout ce qui me tien
Et aussi que mon cœiir désiré.
Se hors du pays m*en débvop flaire,
Si en auray*je Tengement.
Tricherie.
Tu as baillé adjoornement.
Monde , à Tencontre de Jeunesse ;
Tu dis que sa mère Vieillesse
Il faict mourir de fain et £roit.
DE Charité. 35^
Lb Monde»
Et vî'esse ce que chascun soit?
Le faict se montre , regardez.
Tricherie.
Par mafoy, vous Tamenderez
Et TOUS constera de Fargent.
Le Monde.
CVst la coustame de présent
Qui est batu Famendera.
Hélas , tant le diable fera
Grant feste au jour du jugement ^
Et eu jde que bien largement
11 en aura d'jteolx garsons.^
Tricherie.
Je croy que assez en trouverons
DHteulx paillars truandeaulx ,
Mais ilz feroyent beaucoup de maulx ,
Vrayment qui ne s^en guetteroit,
Et qui ne se subtilleroit
 ce guetter de leur malice.
Pourtant, Monde, est-*il propice
Que je demeure avecques toy.
Je te prometz en vérité ,
Jcte«nTiraykyaument.
Le Monde.
Hau, Tricherie, certainement,
Je n*ay cure de voz promesses.
\ ung sourt ne fault point deux messes.
Je vous dirai en briei langaige
Charité , qui est bonne et saige ,
Me conseillera qu'est affaire.
36o Moralité
Tricherie.
Or par le sang que Dieu fist faire,
El te mettra k povreté.
Or, yrayment, j*ay pitié de toy.
Charité est de telle nature
Que des biens du monde n*a cure ;
El te fera tout départir
Et en la fin de iain mourir.
Tout ainsi comme £adct Vieillesse.
Qui n'a rien n'a point de lyesse ,
Et aussi n'est ^ nen prisé
Plus q'ung pot de terre brisé.
Qui est riche est honnouré ;
L'en dit qu'il a bien labouré.
Et qu'il est très homme de bien.
L'en se moque de qui n'a rien.
Et l'en dit : c'est ung fol mescbant;
Et pource je t'en dis autant
Pour l'amour de toy, sur ma vie..
Le Monde.
Trayment, dame, je vous mercye,
^ Car vous me dites yerité.
Mais j'ayme trestant Charité
Que oncques chose n'ayme tant.
Trigheili'e.
Par mon ame ,'tu es meschant;
Car si tu queroys à menger.
Elle ne te donroit pas uns denier
Ne tous tes voisins aussi bien.
Le Monde.
Yrayement, tous ne mentez de rien.
De cela ay bien congnoissanqe ;
BE Charité. 36i
Mais Charité a tel puissance
Qu'el[le] peult ouvrir paradis
Et y mettre tous ses amys.
Par quoy je la doibs bien aymer,
Et je ne la pourroye garder
S^ayecques moy demourîez.
Tricherie.
Par mafoy, vous ne pourriez;
Car de son hostel je n ay cure.
Mais tu as la teste trop aure.
Je t^enseigne la voye bien ample.
Resarde-moi ses avocats ,
Qui sont fourrez comme prelatz.
Marchands de draps et tavemiers.
Et gens de quelconques mestiers ,
Marchands de vaches et de bœufz ;
Hz jureront Dieu pour deux œufz ,
Le pouvre peuple en decepvant.
Il n est point marchand qui ne ment y
Et , pour te dire la vérité ,
Hz n*ont denier que de par moy.
Voicy Jeunesse qui t^assault.
Qui est fort, orgueilleux etbault.
Tu n'as garde dVoir honneur
Se je ne suis de ton conseil.
11 te donnera grant ennuy.
Le Monde.
Vrayment , je suis tout esbahy,
CkMT (tres)tout cecy que m'as compté
Est' î>resque toute vérité .
J'ay aé;r«sé tout elerement
Que me conseillez loyaument;
Vous serez de ma portion ».
363 MaRALlTÉ
Et puis en la fin compteron.
Or vous en allez , Charité,
Car TOUS ne serez plus à moy.
Allez->yous en , ma doulce amye ,
Car o moy sera Tricherie
Tout le demourant de mon temps.
Par elle amasseray des biens.
Plus oue de par vous la moytié.
CHARlTi.
Ha , Monde , j'ay de toy pitié.
Les bons biens espirituelz
Tu laisses pour les temporels;
Mais saiches bien certainement.
Se tu ne les as loy aument
Et de bonne acquisition.
Etemelle dampnation
Te feront donner en la fin.
Monde, ne soys jà trop enclin
D^ayoir des biens oultre mesure ;
Car ce sera grande adventure
Si tu n'en sçays bien compte rendre ;
Et tu doibs sçavoir et entendre
Qui t'en cony^idra rendre compte.
Ou soit k droit, ou soit à honte.
Dont se seroit pour toy follie
De les avoir par tricherie ;
Car ce seroit grant larredn.
D'avoir les biens à son voysin ^
Par tricherie ne par cautefle.
Mais honnorable vie et belle .
Maine , et selon ton estât ,
Et se Jeunesse te desbat ,
Ou face quelque extorcion ,
]>Ê Chabité. 363
Àdjoume lay derant Rai$on ,
Ou deyant nostre seur Justice^
Qui pagnicioii bien propice
En fera , si tu la yeulx croire.
Jeunesse.
Vrayment, je veulx aller en guerre»
Car du Monde prendray vengeance.
Je lui donray ung coup de lance
Qui sera éi estroict assis
Que mieulx il s^aymast mort que yi& ;
Je TOUS en faictz bonne promesse.
Ghabité.
Entendez , mou beau filz Jeunesse ,
Ne soyez pas si à ioysir
Que TOUS faciez tout le plaisir
De ce queyostre cuenr désire.
Mais croyez la sainte Escripturé,
Et y mettez bien yostre cure
A raire ce quVl yous commande.
Car saiohez que Dieu ne commande
A nul que toute yolunté
En la yertu de Charité »
En gardant ses commandemens
Comme bons et yrays cbrestiens.
Et , se yous le faictes ainsi ^
Je yous prometz et {vous] afiy
Que vous viendrez à bonne nn.
Ne vivez point de larrecîn ,
Mais vivez de loyalle vie ,
Et ne croyez pas Tricbeiie ,
Car elle est moult fort decevaUe
Et serviteure du diable.
Et fille de grant Avarice,
564 Moralité
Qui fit dampner le mauly ais riche ;
Et si fist Cayn et Judas ;
Et pour tant ne la croyez pas.
Soyez saige et vertueulx ,
Et en la fin serez jo^eulx.
Tousjours soyez à Dieu fiable.
Tricherie.
Or TOUS taysez , de par le dyable ,
Et allez prescher aux hubans
Et es bestes qui sont aux champs.
Vous n^estes quWe enchanteresse ;
Maulgré vous seraj la maistresse
De Jeunesse , aussi du Monde.
Car yrayement il n^ a homme au monde
Qui les sceust si bien apoinctiér
Gomme moy, car c'est mon mestier.
Il n'est discord que je n'apoincte ,
Et de toute part suis acoincte ;
Aussi je vous appointeray ;
S'il est mestier je plaideray
Et demerray bien le procès ,
Et si seray des deux costez. ^
Nous troys irons à la taverne ;
C'est le lieu où je me goureme,
C'y suis plus aise qu'au mbustier
Pour ces plaidereaulx appoincter.
Ne TOUS souciez plus de rien ,
Vous deux vous appoincteray bien .
Faisons grand chère tous ensemble.
Mais , yrayment , tout le cueur me tremble
De celle dame Charité ;
El a dit de moy villennye^
Et pour tant, vous deux , je vous'prye ,
DB Charité. 565
Boutez la hors i^içj entour,
Et qa*el se garde du retour.
Yoyse s^en , par diable , bien loing ^
Ou qu^on luy tortera le groing
Si bien que la merde j viendra.
Jeitnesse.
Pendu soit-il qui s'en faindra ,
Car je suis content qu'el s'en voyse.
£1 nous a esmeu plus de noyse
Avecques ma mère Vieillesse ;
Voyse ce, car d'elle n'ay cure.
Le Monde.
Vrayement , je crains bien l'adventure.
De la mettre hors de céans ,
Car el m'enseignoit tant de biens
Que oncques ne vis si belle chose ;
El est plus âouke que une rose.
Bonnement ne la doy chastier.
Mais puis que je suis du mestier
Et de la court de Tricherie ,
Je m'accorde qu'ele soit charie .
Jeunesse , allez la chasser.
Pansa.
Jeunesse.
Or pensez de.yous recourser,
Et turez pignoUes.ayant.
Allez yous en bien tost courant
En la terre des Sarrazins. ;
Vous y beyrez de très bons yins.
Allez y, que plus ne yous yoye ;
Car Tricherie yous y enyoye ,
Et si faict le Monde i sans doùhte.
3G6 Moralité
Charité.
Ha , Jeunesse , tu n'y voys go[u]tte :
Le Monde et toy estes soulliez
De Tricherie et ayeugliez.
Mais saichez bien, ung temps Tiendra
Que Tricherie vous trichera ;
Tricherie fait son mestier
Son maistre triche(rie) le premier.
Quant el yeult tirer en son parc ,
£1 met deux fléchez en son arc.
Sa langue est de telle manière ,
Gomme est d^ung coutel k tripière ,
Car il trenche des deux costez.
Pour tant ceulx sont bien abusez
Qui s*abusent de Tricherie.
Ha , Monde , je ne cuydoye mye
Que tu me voulsisses laisser.
Jeunesse.
Allez vous en ailleurs prescher,
Car icy perdez yostre paine ;
Se n^est pas ce qui nous amaine
Que d'ouyr vostre preschement.
Allez TOUS en bien yistement
Ayec les hermites des boys.
Charité.
Adieu , Monde , adieu , je m*en yoys ;
Adieu tous , amont et ayal;
Adieu France, en espeeial ;
Adieu la pouyre Normendie ;
Je suis donccpies de toy duissie :
Tricherie en est la maistresse.
Hélas ! Monde , où est la promesse
Que tu as faicte à Dieu le pire
DÉ Charité. 367
Dedens FEsglise nostre mère
Que tu receupz lliuille et le cresme
Dessus les samcts fons de baptesme?
Où sont les dix commandemens
Que Dieu t^a donnez à garder ?
Ceulx ne sont pas bons chrestiens
Quant ilz n^en font bien leur deb^oir.
Ha Y Tricherie Êiulse et mauvaise,
Tu as esmeu une grant nojse
Au Monde , qui luj sera cnière.
Ha , Monde , tu yas par empire
Quant tu ne pensez à ta fin.
Tu n^entens pas bien ton latin ,
Qui tant est doulx , bon et propice ,
Au desrain de la saincte espistre :
Opéra enim illorum
Et en cecy a deux beaux motz,
Où il a : sequantur illoêj
Et tu fen vas à Tricherie,
Qui de trestout mal est remplye.
Tout premier el est mocqueresse ,
Et ayecques ce menteresse ;
En el n*a point de feaulté ,
Certes , non a il de beaulté;
El parjure Dieu et Marie
Pour approuver sa menterie.
Son regard si est decepyant ,
Car el mort les gens en riant.
Par elle c'est meue mainte meslée.
Que mauldit[e] soit la dampnée !
Et si a faict mourir maint homme ;
Pour dire yraj, trestout en somme ,
El a faict faire par iceulx
Cinq cens mille péchez morteulx ,
368 MoRALiTi
Ponrce la doîbt Fan l»en fajr
Qui tant de maulx fait advenir.
Le Monde en est si fort espiins ,
Qui n*y a mais pire ne filz
Qu^ilz n^essoyent à tricher Tong Paatre.
Helas ! Tridiene les espeaultre
Et esGorche de toutes pars ,
Et le djable, par ses taux ars, . ,
Les tient en sa subjection ;
Devant nos jenlx nous le voyons.
Il n'y a frère ne cousin
Qui ne se boute en plaiderie
Par le conseil de Tricherie ,
Et mettre leur cueur et couraige
A s'entreponrchasser dommaige
Et s^entrehayent jusques à la mort.
Ha , Trichene , tu fais grant tort
Au filz de Dieu le. créateur,
Qui tant avoit eu de douleur
Pour le monde tirer d'enfer,
Et de rechief luy veulx bouter .
Tu fais k Dieu grant desraison.
Je veulx aller à la maison
De ce riche avaricieulx.
Si ne sera pas fort joyeulx ,
Gomme je croy, de ma venue ;
Mais pourtant je suis tenue.
De le conseilHer k bien faire.
Pauu. — Elle s'en va.
Sire, le doulx Dieu débonnaire
Vous vueille garder corps et ame.
Le Riche avarigieulx commence.
Hé, Dieu gard celle belle dame,
HB GharitI. 369
Que demaBdez-Totis , belle amye?
Chabité.
S'il vous plaist que Je soy logée
vous, sire, pour ramour aip Dieu.
L'ÂYARIGIEULX.
Par mon serment, il n'y a Heu
Céans où Ton vous sceust loger.
Charité.
Je ne vueil boire ne manger,
Ne aussi rien ayoir du vostre ;
Monseigneur saint Pierre Tapostre
M'envoyeo vous* pour demeurer .
L'AVARICIEULX.
Or pensez de vous en aller.
Car je n'ay que faire de vous.
Or, voire dea, qui estes- vous
Qui voulez demourer o moy ?
Charité.
Je suis vertu de Charité ,
Qui viens, pour vostre saulvement.
Vous donner bon enseignement, ,
Fors qu'il ne vous vueiUe desplaire.
L'AVARICIEULX.
M 'amye , je n'ay de vous que faire;
Allez vous en sans plus attendre.
Rien ne me sçauriez apprendre;
Je sçay plus que vous ne sçavez.
Charité.
Sire , pour Dieu , or m'entendez ;
Je vous diray deux motz de Dieu
T. III. 34
370 Moralité
Qui moult TOUS pourront tenir Jtba
Pour la vostre salyation.
En iWangille nous Ibons
Et nous dist ainsi : Beaiî oui audùuU ver^
bum Dêi et cuatodiuiU lUud,
Geste evansîlie icj
Dicte de Dieu pour celle cause.
Et qui bien garaast celle clause.
Pas ne fust le monde entadié.
Comme il est, de mortel péché.
Pourtant, mon amy, je vous prie.
Que TOUS soyez de bonne vie
Et TOUS gardez de damnement;
Mais aymez Dieu parfaictemei^,
Et pour Tamour de lu y donnez
De telz biens comme vous ayez
 ceulx qui ont nécessité ,
En la Tertu de Charité.
Ne vivez pas comme les bestes ;
Gardez et honnorez les festes ;
Ne jurez pas Dieu ne les sainctz ,
Car moult tous en vauldriez mains.
Ne soyez pas fomicateur,
Et crai^ez Dieu le créateur;
Fuyez la faulce plaiderie ,
Et TOUS gardez de Tricherie ,
Car el est £aulce et dangereuse.
L'Atarigieulx.
Par ma foy, elle est sracieuse ,
N'en dictes point de aesplaisir.
Vous seriez trop à loysir
Devant moy de la diffamer,
Car je vous £aictz bien assavoir
DE GHARltÉ. 371
QuejelWparfaictement; /
Et SI prens dessus mon serment
Que vaillant deux oeufe je n'ay mye
Que tout ne soit de Tricherie.
Pour tant je la doibz bien aymer.
Charité.
Âmy , je te faictz assavoir
Que ce que tu as de par luy
N[e] est point loyaulment gaîgné ,
Et en auras grant compte à rendre.
L'AVARl€fEUIiX.
J^ay plus de cent francs à despendre
De par elle (par) chasçune année ^
Et , par mon serment , je n'avoye
Pas ung blanc se n'eust esté elle ,
Et si vous promets que c'est celle
Par qui j'ay le plus de ma gaigne ;
En especial au dymenche ,
Et à toutes les haultes festes
]*aeliettes et y vens des bestes ,
Et y lais de très bons marchez
En la taverne , quant g'y suis ,
Et là est dame Trichene ,
Dessoubz ma robbe bien mussie ;
Mais toutes gens ne la voyent pas .
Et pourtant je vous dv le cas ;
Ne la vueillez point difiamer.
Charité.
Âmy, je te faictz assavoir
Que tu pèches mortellement
Quant tu vas mettre empeschemenl
379 Moralité
An dymencbe et liaultes festeSt
Et sont tons ceulx pins folx que testes
Qni les empesdient ni^dlement;
G*est de Dien le commandement
Qne Fen doit les festes garder. . .
L*ÂYÀRICI£1}LX.
Dame , je te £ais assavoir
Que c'estlejourdelasepmaine
Où j^ay Tonlentiers plus de peine
Que au djmenche en marcliandisé;
Car il 7 a grant gourmandise y
Et là je fais bien à ma gujse.
CâARltÉ.
Que dis(*tu) ? Vas-tu point à Teglise ?
L'ÀYARICIEULX.
Ouy, dea ! j'y ay bien aStàre
A chose qui m'est nécessaire :
C'est pour prier à mes.marchans;
J V parle plus Ajse qu'aux champs ,
C est la cause qui plus m'y tiudne.
Charité.
Helas, tu y pers bien ta peine*
Or me dy^ où est ta créance?
L'AVARICIEULX.
En ung grant pot plain de châvaQce v.
Que j'ay enfouy dedans terre.
Mais j'ay si grant peiir de la guerre y
Que je ne le sçay où mussier,
Et aussi d'ung larron furtier • '
Qui est de ces pays environ r
i^E Charité. 373
Non , pourtant je saj bien son nom ,
Mais je ne le nommeray mye ,
Car il est des gens Tricherie ;
Noos sommes tons deux d^ung tinel ;
Il a faict maint cas criminel
Par quoy je le crains plus, sans donbte.
Charité.
Hc , riche M, ta ù'y voys go[u]tte.
Soys vers Jésiis da'caeur enchn;
Rens à chascilh.ce qui est sien.
L'ÂVAIIICIBIILX.
Par ma foy^ j« nVn feray rien.
Je seroys plus sot q'ung honmie yyre.
Youlez-yous que je me délivre
De mon trésor et de mes biens ?
Charité.
Or me dy, comme sont -il tien[s] ,
Et comme tu les as acquis ?
L'Ayarigieulx.
 marchander i mes yoysins
Quant quelque ohoie ayoyent à vendre ,
Tel marché comme vouloys prendre. ,
Je rayoye'trestoùt k mon tauU ,
Car ilz ayoyent bésoing d'argent ;
Et ce qui yalloit des francs cent ,
Je Tayoye pour une dizaine ;
A ce ne perdoye pas ma peine.
Charité.
Vrayement, tu lie fusses pas digne
DVstre parmy les gens de bien.
Helas, bien yoys que tu n^as rien
374 Moralité
Qae tout ne soit de larredn :
Car tu as ton pouyre Toysin
Deceu et franlaé par ta vie
Et par ta faulce Tricherie*
Or me respoas en rente :
Ëusses-tu DÎen voulu qu'à toy
Eust fiaict comme tu as à lui?
L'AVARIGIEULX.
Et, par Nostre Dame , nenny ;.
J*en seroye bien courQrousjse.
Charitâ.
Donc esse pour toy grant peehé-
De Paroir ainsi abusé.
Mais, certes, tu t'es abusé
Mille fois plus cpiè tu n*as luy ;
Car ceulx qui ont rien de rautruy
Par manière de larrecin ,
Hz seront dampnez en la fin
S^ilz n'en font satisfaction»
Or retiens bien ceste leçui,.
Mon amy, je le te requiers.
Et TOUS ne faictes que bongpier.
N'ont-il pas le sens de nature?
Il n'a rien qui ne s'adventure.
Chascun doibt gaigner quant il peult ;
L'on ne gaigne pas quant Ton yeult.
Il ne mW cnauit d'où l'argent vienne ;
Mais , une fovs que je le tienne ^
Il n^a garde de m'eschapper.
Je sQjs tant ayse A le compter
Que je n'ay point d'aultre plaisance.
DE Charité. 3y^
Il n^est plaisir que de chevance .
Je Toys se pouvre malheureux :
Mais il est toujours tant honteux !
11 meurt de froidure et de fain.
Demy le temps n^a pas de pain;
Il n'a rien , par sa soterie.
Charité.
Helas , c^est par ta tricherie ,
A mon advis, certainement.
Il a ung poyre vestement ,
J^ ne sçay qui lui a baillé;
Mais , yrayement , il est bien taillé
Pour mourir de froit cest yrer.
Pau«a.
Pouvre meschant, or me dy yoir :
Qui fa donné ces grans robiUes ?
Le PouyRE Mesghant commence.
Pas ne les ay pour des quoquilles ;
Hz m'ont cousté de bon argent.
Dame , saichez certainement «
Hz m*ont cousté deux escus d'or
De ce marchant, et plus encor.
Car o luy seryy deux journées,
Et si luy ay fait des corvées
A mon advis plus de quarante ,
De qnoy ie n'eus onc , ie m'en vante ,
Pas la value d'ung petit blanc;
Si en a-il eu plus d ung franc,'
Yrayement , s'il me faisoit raison.
Charité.
Helas ! et pour quelle achoisou
Veulx-ta sa peine retenir?
3y6. Moralité
Le TOuldriesHu faire mourir
De fain , et sa ponyre Camille?
Il*as-ta pas. oay FËTaDgille :
Dilige proximum tman.
Ta es bien ung parfaict larron ,
Qui sa peine Teulx retenir,
Et devant toy le voyr mourir
De £ûn, et sa poyre mesgnje.
Et, dame , par saincte Marie,
Il a mentf mauWaisement.
Si m*a senry^ anlconement ,
Je Tay bien payé de sa peiâe.
Je luy ay preste de rayoyne^
Du bon seigle et du fonrment,
Et si ay-je de bon argent ,
Et doncques n*est-^il pas tenu ,
Pour tant (|ae luy ay bien acrea , .
De me donner deux ou tntyîs jours?
Charité*
Nenny ; tu Fentens au rebouh.
C^est droicle puante usure.
Tu es ûiulx et maûlyais parjure;
Car sainte Eglise té dèffent
Que tu ne [uréstes nullement
Pour en avoir quelque loyer.
Sinon , Dieu te s^a droicturier.
Et tu as eu de ce povré bommé
Bien près d'autant comme là somme
Se montoit quaiit4\i lui prestas.
L'A^AiklCISULX.
Par bien , ta t*en r^éotiras ,
Dfi Charité. 377
Villain : en as-tu faiet complaincte ?
Se de Charité es accointe,
Par ma foy, pas ne le seray.
Et se jamais il vient taillé ,
Par mon senoent , tu la payeras .
CHAkiTÉ.
Ha, faulx lîehe, tu- le feras
Mourir, par ta grant avarice.
Tu yras le maulvais riche
En enfer, se tu te maintiens.
Tu n^as plus de foy (pie les chiens ;
Tu ne crains ne Dieu ne sa mère ,
Et je te dis , c'est chose clère ,
Que , se tu pi^ns de luy vengeance
Par ta force , par ta chevance ,
Plus que raison ne peult porter,
A tous les diables en enfer,
T'abandonnes entièrement.
L*ÂVARIGIEULX.
Je vous jure , par mon serment,
Que je luy feray de&plaisir.
Charité.
Jà , se Dieu plaist , n'auras loysir ,
De luy faire oultre raison.
Plus ne véulx éstre en ta maison ,
Car tu es de maulvaise vie.
Tu ne veulx sinon Tridierie
Et trestoute déception.
l^JilCHERIB.
Vuidez tost , il eu est saison.
Que venez-yous feîi^ céans?
37^ Moralité
GHAlttTÉ.
Je y ayoYS apporté des biens
I>Q benoist Dieu et de sa grâce ;
Mais je n'y ay peu trouyer place
On je les puisse ayoir logez ;
Car il y a tant de péchez
Par tons les lieulx de la maison ,
Qu'à grant peine trouyeroit-on
Lieu ou place où je puisse mettre
Une seulle petite lettre
De la digne sainte Eyangitle.
Tricherie , tn es tant subtiUe
De Fencin du dyàble d'enfer.
Qu'à peine te peult eschapper,
Qui oncques est en tes lyens.
Tricherie..
J'en ay d'adyocatz et sergens,
Et de gens de trestous mestiers ,
Plus de cinq cens mille milliers.
Je faictz ses sei*gens recorder
Faulcement , pour plus en ayoir
Qui n'en chiet de leur juste pris.
Les adyocatz font encore pis ,
Car ilz prennent de tous costez }
C'est ce de quoy sont tant rentez.
Il ne leur chault qui perde ou gaigne ,
Mais que force d'argent leur yiengne.
J*ay encor plus de ces marchans
Qui se parjurent pour deux blancs
A leur marchandise gaigner;
Si feroient il pour ung dealer,
Et si ay sur eulx tel poyer
Que je les feroys parjurer
Djs Charité. 379
Plus de cent fois en une place
Pour vendre ang bœuf ou une vache.
Aussi fais-je à ces tavemiers
Qui ont les vins en leurs seliers ,
Où ilz mettent belle fontaine ;
moy ne perdent pas leur peine ,
Car le vin dure longuement
£t en assemblent plus d'argent.
J'ay partout grande seigneurie.
Ce n est*pas la charbonnerie
Qui trestout ne tienne de moy ;
Encor, si je puis , en auroy .
Si en ay-je de tous mestiers,
Se ne sont les loyauU mouniers ;
En eux je n'ay pas.grant regret.
Car ils emplent bien leur godet.
Bien doibs mener une grant joye :
Je suis de trestous bonnoree ;
Aussi seray-je la maistresse.
Charité , je vous fais promesse ,
Se de briefz ne vous en allez ,
En mesprison vous trouverez.
ÂUez-vous Qn appertement.
Charité.
Je ne te crains rien nullement ,
Ne toy, ne toutes lesmenasse».
Mais j^ai grant. paour que tû ne faces
Le Monde, par ta grauf trahyson>
S'en aller à perdition.
Hé , je prie Dieu le droicturier
Qui luy plaise le radressier ,
Car il est bien fort desvo^é ; -
Tu Tas faulsement cQQseiUé ,
88o Modalité
Et il est biea fol de te croyre ;
Il endura ou mort ou guerre;
Car je scay bien certainement
Que Dieu en prendra yengement ,
Et detoy, Avaricicux,
Une fois seras douloureux
Que tu n*as mis raison en toy.
Et que tu n*as £ûct loyaulté
Partout où ta la debyois faire.
Tu desires tout le contraire
De tout ce (}ui est proaffitable.
Tu renonces IMett ^ur le dyabk , .
Car tu ne yeulx pomt Charité ,
Et non faiMu de loyaulté;
Tu ne yeulx mon tricherie
Et te yîyre de pillerie ^
De lai[re]ei|is et de forfsdctx.
Qui sont oontrûres a la paix
De Dieu et de sa saincle gloire.
Le PoyEE.
Charité, je yous diencoire
Qu'il m'a faict tant de mderies
En Tassiete de ses tailles
Que toutes les m*a fàict payer.
Et si n'en eusse osé ^usser.
Pour cause me je Im deliyois ,
Pour aymr de !ay j^adence.
Cha^bité.
Hé Dieux , hé ÏHéux ,* quel pacience !
Quel amour c'est à son prochain
A ung homme qui meurt de faim
Aller gomviaiiaer sur ses lûens!
DB Charité. 38i
L'ÀVARIGIEXJtX.
Allez TOUS en hors de céans ,
Malle grâce pubsez (tous) avoir!
Plus ne vous vueil ouyr parler;
Allez vous en appertement. .
Charité..
Tu t'en yras à dampnement ,
Se tu ne changes ton vouloir.
Mesbuj ne t'en veulx plus parler; ' '
Dieu te doint gracé de bien faire.
Allon en ung aultre repaire ,
Povreté , mon très doulx amy ;
Cest avaricieux icy
Se gouverne trop mallement.
Nous deulx yron présentement
Chieulx lebeii riâie vertâeali. *
le sçay bien au'il sera joyeulx -
Grandement ae nostre venue. . . . -
.Le PovRE. ::
C'est le meilleur dessoùbz la nue
Pour réconforter pouvre gent'.
11 me fiadct gaigner de l'airgent '
Et me donne eneor de ses biens ,
Et si vous ditz que povres gen^s
Y arrivent de tous costez, ■
Et s'en vont tous reconfortez
Des biens qui sont à la maison.
Et tousjours est en oraison.
Oncques ne vy plus })elle chose.
Charité.
Le sainct esprit en luy repose
Qui se tient en son ssiinct service» •
l
38i Moralité *
Son ctteur n^est point en avarice
Comme sont ceulx de ses tyrans
Qui de piller sont desirans ,
Et rapinent de toutes pars.
Au feu d*enfer ib seront ars ,
S*ilz ne s^advisent de bonne heure.
Le Poyrb.
Dame, yoicy où il demeure ,
S*il TOUS plaisoit à luy parler.
Charité.
luy je me yueil reposer,
Et demeurer doresnavant ;
Pnisan^ilest à Dieu son servant;,
Jamus nepardraj cTo hij.
voas dnntiai jour, mMimij^
Honnettr, «aEnectè etbonne vie*
Le Riche vertueux commence.
Ha, Charité, ma doulce amye.
Vous soyez la très bien venue ,
Je vous cuydoye avoir perdue
Par celle faulse Trichene.
Charité.
Je suis du Monde très marrie ;
Car A elle c'est habandonné.
Le Riche.
Helas ! il est bien affolé
De soy fier en Tricheiîe ;
Il ne luy fault que plaiderie
Et que toute déception.
Celluv qui souffrit passion
Vueille son couraige changer.
BB Charité. 383
Charité.
Or entendez , mon amy chler,
Voicy se couvre malfieureux :
Le faulx nche ayaricieulx
L*a pillé par sa tricherie ,
Tant qu^u ne peult avoir sa vie ,
Et si travaille nûyt et jour, "
Tant que c'est pitié et doulour.
Ne luy ne toute sa famille
N'ont pas vaillant une quoquille.
Le faïux riche , par sa cautelle ,
Luy a vendu ceste quotelle,
Bien la value de deux escus.
Le bon Riche.
H elas ! se ne sont que pertus ,
Et ne vault point , à mon advis ,
Deux blancs de monnoye de Paris.
Vrayement , il a faict grant péché ,
Car il a son voysin trompé
Et Ta deceu bien lourdement.
Charité.
Mon amy, certes, il convient
Que par vous soit reconforté.
Vous voyez sa nécessité ;
Il est honteux à demander,
Et si ne veult point truander
Ne demander, s'il n'a besoing.
Il n'est [ne] de près ne de loing
Que ne voye comment il luy est.
Le bon RicttE.
Charité, je voy bien que c'est.
Mon bon frire, despouille toy,
384 MoiALlTi
Et , ponr Famonr de Charité,
Te donne ceste robe linge.
Ta es pelu conune ang cingè,
Tant es descheut en jpoTrete. .
Tien ceste robbe , afflube.toy,
Pour Tamour de Dieu , nostre ptré^
Lb Pouvas:.
Je TOUS remer^e, mon dpulx frère ^ -
Vous me donnez ung beau prci99^;
Celuy qui fist le firmament,
Mon frère , tous le yueille rendra ;
Et , vrayement, Tay honte de Rendre
Ainsi largement de vos biens.
Lb bon Riche.
Mon amy, ik ne sont pas miens |
Ilz sont a Dieu le créateur;
Je n*en suis cpie le serviteur,
Pour loyaulmenten disposer.
Dieu m^en doint faire mon debyoir.
Si bien que j'en rende bon compte ^
Que (je) ne puisse pas ayoir honte
Quant je yiendray devant mon maistre.
Mon amy, il vous fault repaistre
Et menger du pain de céans.
Le Pouvrb.
Ha , sire , j'ay tant de voz. bijens ^
Qu'il n^est homme qui le sceuat dire.
Je prie au doulx Dieu, nostre. sire; «
Qui vous yueille remercier.
Lb BOjN'RicH^.
Ne vueillés pas multiplier ; .
Ne £ûre louengc en la ville .
DE Charité. 385
Que Vay donné cesté robiUe.
Louense ne yeubL ne honneur^
Sinon de Dieu , le créateur,
Par qui j^ay les biens de sa grâce.
Le Pouvre.
Sire , Dieu vueille que je face
Tout ce qui yous est prouffitable.
Le Boif Riche.
Mon frère , seyez-vous à table ;
Faictes la bénédiction ;
Si prendrez la reffeçtion , .
Ainsi qu^il yous est nécessaire.
Lj; Pouvre.
Puisque il yous plaist, je le yoys faire.
Benedicite^
Le bon Riche.
Bomùius^
Le Pouvre.
Nos etea que sumua sumpturi
Benedicat dextera Christî.
Le bon Riche.
Amen.
Beuvez, mansez tout à loysir,
Et, se yous plaisoit revenir
Demain ^ai^er yostre journée ,
En vente, je vous payeroye
Demain au soir bien loyaulment.
Le Pouvre.
Et je le veux, par inon serment ,
Car j^ay bien besoing de gaigner.
T. III. is
586 Moralité
Et encor, s'il estoit mestier, .
Je commenceroye dès présent.
Le bon Riche.
Je le Tueil bien certainement.
rxj icy des gerbes à battre ,
De vin^ et trois à vingt et quatre.
Battez-les ceste relevée ,
Et je suis d'acord que je paye
Ce qui Tenchiet bien loyaulment.
Le Pouvre. '
Battues vous seront loyaulment.
Mais premier veulx mercy rendre
De ces biens que je viens de prendre.
Je mercye Dieu , le créateur,
Et vous de céans , monseigneur.
Dieu , qui nous fist par sa bonté ,
Nous doint faire sa voulenté ,
Et nous vueille , es mors et es vi£c ,
En la fin donner paradis.
Tricherie.
Mon maistre, j'ay pour vous veillé.
Depuis que n'ay à vous parlé ,
Et , certes, si feray encore.
J ej mus diray une mémoire
QWous sera bonne et utile.
Vous estes de toute la ville
Le plus grant maistre et le plus ricbe ;
Il ne faut point que Ten vous trische.
Ne payés plus de ces tailles ,
Car se ne sont que mengealles.
Faictes payer ses pouvres gens ,
Car saicbez bien que tous voz biens
DE Charité. 387
Ilz seroient présent tous perdus.
Se ces pouvres gens sont Dien nudz «
Vous ne yendrés que mieulx yoz draps ,
Et h. ces taincturiers de. draps
Vous faictes bien servir et craindre ,
Et <ni*ilz soient battus jusques au jaindre ,
Ou de baston où de procès ,
Tant que les facez si lassez
Qui ne vous osent regarder.
Si justice si veult mesler.
Nous y feron bien vostre paix ,
Et si vous pajeron bien yoz journées
Tous ceulx qui s*y opposeront.
(j'ÂyARICIEULX.
le ne les crains pas d'ung estront
Depuis que yous estes o moy ;
Mais j*ay œrant despit, par ma foy,
De se mesdiaiit là malheureux.
Tricherie.
Présent yous en feray joyeulx ;
Ne yous en souciez ja plus.
Je sçay bien encore ung pertus
Par ou je le feray passer.
Ennuyt nous donra à soupper
En la tayeme de bon yin,
Et si yendra dès le matin
Vous seryir, sll en est besoing.
Je le feray rire et chanter,
Maulgré qui en youldra parler.
Et saichez qu^il yous seryira
Tout ainsi coomie il yous plaira ;
De cela je yous fais promesse.
388 HomALiTÉ
L'ÂTA&ICIEULX.
Ha , Tricherie , je suû tant ayse
Quant me dictes telles nouyelles.
Tontes mes causes et qœrellés
Vous m^apoinctez si noblement
Que je ne sçauroys nullement.
Certes, oue je ne tous aymasse.
Je assemole tousjours et amasse
De Targent autant com(me^ de paiUe.
n n^est le denier ne la maiUe,
Se une fojs le puis happer,
Que jamais me peult escnapper ;
De cela je suis tout certain. •
Teichbris^.
Je Yoys à cebafilear.À^estraîii
Jouer ung tour de mon mestier.
Je luy aprendray à plaider, •
Et le feray homme de ebnrt.
Il n Y aura bossu ne sourt
Que je ne mette en plaiderie.
Lb Fouvre.
Or ça, je n'ay metz q'une ayrie
De tout ce que j'avois à batre' ;-
Je n'en voys plus icy que quatre.
J'ay Éaict très Jbonne rdevée. -
TRICHEft^B^
Comme tu cours la queue levée!
Repose-toy, pouvre meschant.
Cmdes-tu ainsi en courant
Gaigner Targentàcç marchant?
Pas ne porteras les ahans
DE Charité. 389
Que tu auras k le servir.
Bepose-toy tout à loysir,
Et ne te vueilles pas grever.
Il semble que tu dôibz avoir
Bien quinze solz de ta journée.
Le Pouvre.
Hé, par mon serment, je vouldroye
La faire bien et loyaulment.
Tricherie.
Dea , je ne dis pas aultrement.
Mais tu n'as pas si erant salaire.
Fors qui ne te vueiUe déplaire ,
Que tu en doibs ton corps grevex.
Le Pouvre.
Par mon serment, vous dictes voir.
Je suis tous les jours de Tannée
À besongner, battre et houer,
Et n'ay q'ung pouvre onzain au soir.
Et, vrayement, je suis si lassé
Que j'en ay le corps tout cassé ,
Et ne me peux plus sousteniF.
Trixtrerie.
Maidieux , il t^ea;dint'8eqv0iiir^
Et besoigner trestont en paix ,
Et faire bonnes reposées. '
Espargne ton corps et te/ garde ,
Et, metz qu[e] onne te regarde,
Ne te chaille du demourant.
Et tu es ung pôvre meschant
D'y faire si grant loyaulté ,
Car il ne donneroit en toy
Ung estronc, se tu estois mort.
390 Moralité
Le Pouvre.
Par sainct Jehan , je suis d^acort
De me reposer une pose.
Tricherie.
Je te diray une aultre chose.
Se ta fusses gentil marchant
Et que tu en seusses le tour.
Tu gaignasses plus en uns jour
Que tu ne Cads tout aval Pan.
Le Pouvre.
Je TOUS en croy , par sainct Jehan ,
Nais je n^ay de cpioy marchander ;
Il ne m*en fault point dementer ;
Je n*ay denier, je tous affie.
Tricherie.
Et congnoys-tu point Tricherie?
T'en TOuldroys-tu point acointer ?
Le Poutre.
Se ne seroit pas bon mestier,
Qui Touldroit avoir paradis.
Tricherie.
Ha , que tu es ung poTre adTis !
Et ces marchans qui Tont par terre ,
Qui Teullent tant de biens acquerre ,
Ont-il point 6 eulx Tricherie ?
Le Poutre.
Par mon serment , ma doulce amye ,
Je croy bien qu'el n^en est pas lomg.
Tricherie.
Or dont, quant tu en as besoing,
DE Charité. 391
Pourquoy ne crois-tu mon conseil ?
Au monde n^eust point ton pareil ,
De richesse ne de tous biens.
Le Pouvre.
Seroient-ilz bien acquis et miens ,
Et feussent-ilz de Tricherie ?
Tricherie.
Ha , mon amy , Dieu te benye ,
Tant tu es plain de grant folleur.
Se rhommene vit par Tricherie,
11 ne viendra jà à honneur.
Le Pouvre.
Par la mère nostre Seigneur,
Je m^en Yueil dopcques acointer;
Mais de cest an ne fus si fier ;
Je m'en yray avecques vous.
Charité.
Povre meschant , où alez-vous ?
Vous en allez à Tricherie?
Le Pouvre.
Ouy , vrayement , ma doulce amye ,
Je leray ou luy une pose ,
Car el m'a. promis une chose
De quoy je suis bien resjouy.
Charité.
Retourne k moy, mon doulx amy,
Je te conseilleray trop mieulx.
Le -Pouvre.
Non feray , dame , se m'i dieux ;
Premier yerrayqa'el me fm.
39^ moealité
Charité.
Gro js certain qa^el te mocquera t
Mocqué CD afs) de plus espers.
Tu cuides gaigner, mab tu pers.
Retourne k moy, tu feras Inen.
Le Pocvre.
Par ma foy, je D'en feray rien ,
Car je YeuJx aprendre à plaider.
Doresnavant m'en Tueil ayder
De ces mengenrs et qu6tz de Tille*
Hz m*ont bien graté o Festrille ,
Mais je les pense restrillen
Tricherie m'a aprins 4 plaidàr.
De quoy je suis bien asseuray*
Charité.
Or, mon amy, je te diray :
Par defiaulte de patience ,
Tu yas perdre ta conscience ;
Tu f en yas au dyable seryir.
Je yoy bien qae c'est ton désir.
Tu t'en yas perdre ame et corps y
Et tu yiyras comme les porcs ;
Tous les jours seras yrre et plain ^
Et jamais n'auras le corps sain ; .
Le tien et l'autniy despendras.
Et après tu en jusneras ;
Tes enfans en mourront de fain y
Et ta femme aura peu de pain ;
Es tayemes et es procès ^ .
Despendras le tien à excès
Par le conseil de Tridierie.
Et , ûrès doulce y iei^ Marie,
9[B Chaaïté. 3g3
Tout le monde va au rebours.
Tant il en aura de doulours ,
jy^ ay le cueiir tout esbahy.
^ais c'est raison qu'il soit pugny
Ainsi qu'il aura.desservy.
/ Plus [je] ne cômbatray o luy.
Mon amy Ricbe vertueux ,
Allon à cest religieux
Luy demonstrer la playderie
Qui est au inonde et Tiicherie ;
Faison-l uy supplication
Qu'il face prédication
Pour le pouvre peuple adyertir.
Le bon Riche.
S'il le povoit bien couyertir.
Il feroit à Dieu beau service,
Et acompliroit son office.
Il est saige , il est grant clergie,
Il est docteur en tbeologie.
Allons à luy ignellement. .
Charité, en parlant au Prescheur.
Celuy qui fit le firmament ,
Mon maistre, vous benye et gart.
Le Religieux commence^
Et bien yiengez-voos oeste part ,
Cbarité, toa tris douloe ainye.
Le BON Riche.
Nostre maistre, il est forbennye
Du monde tout entièrement.
Le Religieux.
Voyre dieux; yray Dieu, et conmwnt?
394 Moralité
Vous me iaictes tout esbahy.
Ghâeité.
Certainement il est ainsi.
Ayarice et Tricherie
En ont saigné la seigneurie.
Playdene, Cautelle et Debatz
Sont , présent , tous les troys estatz.
Il n'y a ne porre ne riche
Qui ne soit si plain d^avarice ;
l'en ay grant pitié d'en parler.
Si pensez de vous aprester
De faire prédication
En demonstrant la passion
Du filz de Dieu le créateur.
Le Religieux.
(0) Charité de noble valeur !
le ne vous doy pas escondire ,
Pour l'amOttr de Dieu nostre sire.
Je Yoys donc au monde prescher.
Ne jamais ne youldray cesser
Tant qu'il soit hors de ses péchez»
Le bon Riche.
Hz sont en luy si fort fichez ,
Qu'à peine s'en départiront.
Le Keïj lOii&VTL ^ parlant cùi peuple.
Beaii qui aiudiuni verbum Dei et cueto-
diunt illud.
Benoistz soyent tous ceuix qui orront
Et qui de bon cueur entendront
Les parolles que je veulx dire .
En Fhonneur de Dieu notre sire.
Dévot peuple, vueillez ooyr
DE Charité. SqS
Les parolles, et retenir,
Que je vous ày cy devant dictes
Qui sont en PEvangille escriptes.
Faire je vous veulx mention
De la benoiste passion
De nostre saulveur Jesu Christ
£t des grans peines qu^il soufinst
Pour la povre huïnaine li^ie.
Mais la aoulce Vierge Marie
Premièrement nous salueron
D^icelle salutation ,
De (moi Tange là salua
En disant : Af>e Maria
Beati qui audiunt verbum Dei, etc.
Le filz de Dieu , par sa bonté ,
Eut en luv si grant charité,
Qu'il soumist mort et passion
Pour humaine rédemption.
Or faictes paix , mes bons amys;
 m'escouter sovez tentis.
Je vueil parler aune partie
Des peines du filz de Marie,
Qu'il soufirist pour nous rachapter
Des horribles peines d'enfer.
Le benoist fUz de Dieu , sans doubte ,
Avoit o luy une graht routte
De disciples qui lé suivoyent
Et moult de bien y aprenoient.
11 faisoit moult de beaulx miracles ;
Mais les faulx juifs demoniaçles
Eurent si grande envye sus luy,
Qui n'y eut onc guères celuy
Qui ne fusttrestout hors du sens*
Il leur enseignoit tant de biens .
596 Moralité
Et les reprenoit de leurs vices,
De leurs cantelies et malices;
Hz en estoient tous assotez.
Helas , tant il en est assez
De telz gens comme estoyent les jiii£i ,
Et je croj qu^z font encor pis.
Dieu nous vueiile tous .aropncLeT.
Les fauLx juifz s'allèrent penser
Gomme ilz se pourroyent contenir
De Jesu Christ faire mourir. -
Et lors fut le traistre Judas
Qui commit ung très maulvais cas ;
Aux faulx juifz son maistre vendit
Et bien tost apris se pendit.
Et si feront certainement
Tous ceulx oui leurs voysins trayront;
Avec Judas aamnez seront,
Dont Dieu nous Yueille tous garder.
Quant Judas son maisire eust livré.
Les faulx juifz fort Font lyé ^
Et battu SI piteusement,
Qu'ilz ne le povoyent bonnement
Regarder, tant estoit deffaict.
Son povre corps estoit couvert
De sang et de playes mortelle^.
Helas, c'estoyent dures nouvelles
Pour la mère qui le porta ;
Benoist soit qui la conforta.
Les faulx juiu oncques ne cess^ent;
Une couronne luy posèrent
Dessus sa précieuse teste.
Helas , c^estoit piteuse feste.
Si asprement si luy fichèrent
Que les espines lui per cère&t
DE Charité. 397
La teste josques k la cervelle.
Helas , c estoit dure nouvelle,
Car il n'avoitpas desservy
Que on le tourmentast ainsi.
Certes, Monde, ce fust par toy.
Helas , peuple , remembre-toy
De la peine et de la douleur
Que souffrit nostre créateur.
Ëncor fut-il bien aultrement;
Je le vous diray en présent.
Quant les juifz l'eurent tant battu ,
Dessus la croix Vont estendu;
En la croix les deux piedz cousirent ;
Adoncfpies en hault le sourdirent.
Or estoit-il en bault pendu.
En la croix ainsi estendu.
luy n'ont pas grant amytié,
Vrayment, ceulx qui n'en ont pitié.
Sa aoulce mère regàrdoit
La grant douleur qu'il enduroit ,
Qui avoit le cueur si estraint
Quasi qu'il ne valoit estaint.
Piteusement la regarda
Son doulx filz , qui la conforta.
Âdoncques pria Dieu son père.
Devant sa glorieuseu mère ,
Que le pecnié fust pardonné
A ceulx qui l'ont crucefié ,
Et que nullement ne sçaVoyent
Ces meschans gens qu[e] ilfc faisoyent.
Ua , Monde , Monde , entens cecy ;
Tu ne pardonneras ainsi
Une haine ; quant tu l'auras ,
Dedans ton cueur la garderas
308 Moralité ■
L'espace de six ou sept ans ;
Et Dieu , qui souffirit taot d^ahans
Qui n'ayoït oncques desservy,
Il pardonna sa mort; ainsi
Ne Yueille nullj demander
Pardon , si ne yeult pardonner,
Après Dieu , qui \k nault estoit
Dessus la croix où il pendoit.
A rkeure de nonne si fut
Que son précieux corps mourut;
Et Famé du corps s'en partit ,
Et les portes d'enfer rompit,
Et les prophètes de jadjs
A mys liors , et touï ses amys.
Ainsi fiit humaine lîgnie
Délivrée par le filz Marie;
Par sa benoiste passion
Nous mist hors de dampnacio.n.
Helas , bien le debyons a jmer.
Qui pour nous voulut endurer •
Si grande douleur et martyre ,
Qu il n'est homme qui le sCeust dire.
Encore firent les félons juifz
Par un homme nommé Lougis
Son costé percer o la lance ,
Dont il sortit grant habondance
De sang, pour noz peschez laver.
Helas, conune oses-tu jurer,
Homme , cest sang cy espandu
Qui tant de l»ens nous a valu
Et en la fin nous peult valoir.
Se bien faison nostre debvoir?
Or regardez , mes bons amys,
Gomme le roy de paradis
DE Charité. 399
Nous aymoit bien parfaitement,
Qui tant de peine et de tourment
Pour nous ilyoulut endurer.
Yrayement , bien le debrons aymer
Et garder ses commandemens
A 1 donneur de la Trinité.
Ayez tous en tous Ghaiité ;
Aymez Dieu tout premièrement,
Et vous entr'aymez loyaulment;
Gardez-vous de pèche d'envie ,
D'avarice et de tricherie ;
De tous les sept péchez mortelz ,
Pour Tamour de Dieu , vous gardez.
Icy endroit je me recorde
Des œuvres de miséricorde.
Je vous reconm[iandpouvres gens,
Que TOUS leur donniez de vos biens ,
A tous ceulx qui le pourront faire,
Ainsi comme u est nécessaire.
Gardez-les , chacun endroit soy,
Gardez-les bien et loyaument ,
Trestous. ainsi qu'il appartient.
Au sacrement de mariage
Je vous prie que chascun soit saige.
Le saint sacrement de Fautel ,
Qui tant est précieux et bel ,
Et tous les autres sacrcmens ,
Gardez-les, comme vrays chrestiens.
Qr retenez , mes bons amys ,
Les paroles que je vous dis
Au commencement du sermon :
Beati qui audiunt verbum Deij etc.
Benoist soit-il qui bien fera ,
Et qui son voysin aymera.
4oo Moralité
Si prions le donlx roy Jesos , .
Quant de nos jouis n j aura plus j
Que ayecques luy nous en aQon
In eecula êeeulorum.
Mes bons amys , Dieu depriez
Pour les âmes des trespassez ,
Et , s^il TOUS plaist , aussi pour nous ,
Et nous prirous Dieu pour vous ;
En la fin , pour avoir pardon ,
De noz pecnez remission.
Dévotement chascun dira
Pater nasier et At^ Maria.
Le Podvre.
Helas, Monde, que ferons-nous?
Le Monde.
Pouvre meschant, et qu'avex-vous?
' Le Pouvre.
N'a-vouspas ouy le preschcur?
Le Mombb.
Par m*ame, ce n^est q^ung hongnenr.
L'Avarigieulx.
Par mon serment, vous dictes vraj.
Pourtant je ne Tay point ouy ;
Car, certes , je me suis endormy
Trestout au long du preschement.
Jeunesse.
Et moy aussi , par mon serment,
Je n'y ay onçques esveillé.
Le Pouvre.
Je suis trestout esmerveillé ,
•*
Vrayement, de ce qu'à nous a dit.
Car, certes , il est en eçcript
Au livre de la passion ;
LWangi]le en faict mention ;
Je le sçay bien certainement.
TricHERIET.
Et cominent vous et-il, comment?
Povre meschant , boyron nous plus ?
Le Pouvre,
Qneferay-ge, mon douk Jesu&?
Helas , d.onBez-moy patience ^ :
Car je voy. que ma conscience
Est plus orde que la charongne
Qui est jectée en une fosse,
Trigj^ii^iis.
Par mon serment, tu meurs de soif: *
Allons-nous enveoîrniostFe hostesse:
Tu luv souldras nna peu la fesse :
AdonclecueurluyreviendRi.
Jeunesse.
Pendu soit-il qui fën fauldra ;
Allons y donc trestous ensemble*
Le Pouvré.
Par ma foy, tout le cueur me tremble
De ceste prédication ,
Et, vrayement, j^ay intention
De laisser ceste ôrdeuse vie ;
Plus ne veulx vostre compaignie;
Allez-vous en, car je vous quitte.
JEUNESSE.
Le regnart deviendra bermite;.
T. III. S6
4o9 Moralité
Et par bien, o nous yrova yiendres.
Le Poutre.
Par ma foj, tous yoos combatez ,
Car je n^ entreray jamais.
Tricherie.
Ne TOUS chault, laissez lay en paix ;
Nous Faoroiis par aultre manière.
Je sçaj sur laj une matière,
Par ma foy, qui lui coustera ,
Et, par bieu, que Ton en boira
De potz de vin plus de quarante ,
Et , par mon serment , je me yente
Que ce sera à ses despens.
Jeunesse.
Par mon serment, je me repens
Que je ne fus homme de guerre,
Car ie luy eusse faict acroire
Qu'il eust pissé contre le yent;
Et si eusse eu de son argent
Ayant qu'il me fust escbappé.
Tricherie.
Parbieu , il sera attrappe ;
Ne yous chaille , laissez-moy faire.
Jeunesse.
Par ma foy, que dire , que taire?
A la guerre youlsisse auer,
Et se j'eusse me quoy monter,
G'iroye ayant qu il fiist trois jours.
Tricherie.
Vrayement, yous estes de bon jour
Pour manier bien une lance ,
11
DB Charité. 4o3
Et si eussez de la chevance
Autant que tous en youldriez,
Car, certes , vous pUIeriez
Et mangeriez bienla pouUe.
Jeunesse.
Je soys pendu par soubz la goulle
Si je n^ayoye un bon cheyal.
Tricherie.
Vra jement , il ne seroit pas mal
Empoigner le premier trouyé ,
Et puis yous en yenez à moy ; '
Et, s*il y a quelque poursuytte ,
Je octroyé que [soye] arse et cuytte
Si je ne fais bien yoistre paix.
Jeunesse.
• . <
Je ne me dormirayjamais,
Yrayement , tant que je soys monté.
Je m^en iray par cest coste ,
Droict icy tout à Tadyenture.
Pansa.
Le PouyRE.
Helas , moy, pouyre créature ,
Que feray-je, poyre meschant !
La mort yiendra, ie ne sçay quant ,7
Et me prendra soundainëment,
Et me suis tant ordeusement "
Gouyemé en ce monde icy,
Ha , Monde , je ditz de toy f^.
C^est par toy que je suis souillé.
Ha , Monde , tu m as ayeiglé ,
Trop longuement je t'ay obay>
4o4 MORALITi
Le MoicBE.
Gomment m^as-ta si fort obaj,
Pouyretc , et que t*ày-jc faict ?
Lb Pouvez,
Ta m^as mis en ung manyais plaict
Encontre Dieu mon createuc :
Car je t'ay aymé d'une amoiir
Du cneur si parfsdcienKnt
Que ne povois certainement.
Dormir ne de nuyt ne de jour^
Qae mauldit soit Hieore et le jour
Que eu jamais à toy congnoissance ;
Tu m'as porté très malle chance.
J'estoye ainsi comme les porcs,'
Qui guettent quant le glan cherraJ
Le Moifi>E.
Et pren le temps comme il Tiendra ,
Et ne te marrys jà si fort;
Il m'est adyis que tu as tort.
Pourtant que [tu] m'as tant aymé ,
Aussi en as-tu assemblé
Or et argent et grant honnenif.
Geulx qui mettent en moy leurs cueurs,
Ilz ont Youleniiers plus de biphé
Que n'ont les povres nxen3ie]ds
Qui ne tiennent compte de. jaoy* \. ' /
Aussi je te dis , par ma toj^ * \.
Que n en suis point for^ aÔollé ,
Et si n'ont que malheureté :
Je n'ayme point fort leur .ve^ué. .
Le PouvkE* ,
Helas , et se la mofttnùVBi tue^
DE GHARirÉ. 4o5
Tant comme nous sommes chargez
De ces mauldictz mQrte[lls péchez ,
Que nous yauldra For etTargent ?
Le Monde.
Je n^en sçaj rien, par mon serment.
Vaille ce que pourra yalloir.
Il ne fault point cela penser ;
La mort ne Tiendra metz em pose.
Lb Poutre.
J^ay bien à penser atiltre chose.
Je prie la Benoiste Marie
Qu elle Tueille son filz deprier
Qu^il luy plaise me pardonner
Tous mes péchez entièrement,
Se que puisse aToir saulTement ;
Car prendre Veulx ûng aultre usaige.
Jeunesse monte à cheval.
 ceste fojs auray bon gaifiet
Puis que je suis ainsi monte*
Tel ne se guette pôii^t de moy
Qui me donra l)ien A fioupp^.
Au Monde donneray tant peine.
Puis que ouTrier suis de cheTaucher
Trestous les jours de la sepmaine,
Qui ne saura ou se musser.
Je le pense bien attraper
ÂTant qu*il soit le matin jour.
Mon chcTal luy feriay iroter,
Et fusse un^ prince ou ung seigneur :
Je regnye Dieu le créateur
Se mon cheTal n^a peint de fain ,
Et n'en fust-il poûil de mèîlleiur,
4o6 HORALÎTÉ
Car il aura son saoul de ^aîn.
Je battray tant ce faulx villain
Qui a dit Vieillesse ma mcre ;
Je le feray mourir de fain.
Qui requerra la mort amere.
J'ay en pensay ennuyt de boire
De son yin tant pleine ma pance ,
Et , si me fait maulvaise chère ,
Uns coup aura de ceste lance.
Je luy donray dessus la pance
Ung si grant coup de cel>aston y.
Que le mettray, comme je pense»
A terre du premier borion.
Est-y là , le villàin garson y
De me venir tant çoppier ?
Bien luy monstreray sa leçon ;
Ne se £aigne d'estucuer.
Il fault s'a^vancer
De fort cbevaucber
Plus fort que le pas»
Je m'en voys piller
Le Monde , qui fier
Si n en sera pas.
Je îe mettray bas *
Le traistre garson
Ne s^en doiwte pas ;
Couché en blancs drapa
Il ne sera pas
En céste taçon.
Plus fort cheyaiidion t
Et nous ayançon
De trouver logis ;
Dedans la maison
 ce Êiulx garson
DE Charité. 407
M'ennuye que ne suy.
Le Fol.
Mais où s^en. va cest estourdy ?
Il pense le Monde destruyre.
Si chiet à teire , je pleuvy
Qu^il nous fera trestous bien rire.
Mais a-il point de gibecière?
Nenny, ne bourse, ne boursette.
Pleusist à Dieu qui fust en bière ,
Et puis luy hette ou luy deshette.
Hau , entendez , Marionnette :
Voulez-vous point en guerre venir?
Je vous feisse vostre cnosette
En y allant tout alloisir.
Vertu bien , qu'esse là venir?
Garde n'avez d'en eschapper;
L'en vous gardera de courir,
Et fiissez-vous vestu de fer.
Se estiez encore plus fort ,
Si passerez vous i ceste foys
Par dessoubz sa main, (je; m'en fais fort;
Plus ne mengerez nulz pouletz.
La Mort commence»
Chascun deust bien grant pour avoir
Quant présentement suis par voye*
Tous les mal allons je devoye ;
Les pltis faault monter je metz bas ,
En la fin leur £aictz dire : helas.
J'ay obay à mon créateur
Pour estre venue jusques icy .
Je ne luy puis riens à nul fenr
Que n'obeysse tousjours à luy.
Mais après luy n'a créature
4a8 MoiLixiTi
Icy bas que ne mette 4 fin.
Se meschant là se 4esmescve ;
Bien est hors de son bon chemin ;
Ne se faigne bien de se armer ;
Il n'est anneurè contre moy,
Si non deument se goayeroer
En amjtié et loyaulté.
On en peut allongier sa yie ;
Mais encor conyient-il niôurir.
Bien est fol qui ajme foUie,
Car il contiendra tous mourir. .
Oncques riens ne gousta de vie
Qui ne faille goûter de mort,
Soit au matin ou à comply.e. .
Depuis que metz sus eulx mon sort,
Trestous s^en vont en pourriture.
CongMHssez un peu ma nature :
Tu Yoys ennuyt mourir ton père.
Et demain se mourra ta mère,
Et, certes, tu n^ penses pas.
Si te fauldra(-i]) passer le pas.
Je les prens quant font bonne chère;
Mais ma venue leur est bien chère ,
Et puis deVienent tant marris;
Si leur fault de la boudie ung ris ,
J e m'oblige qoG Ton me ton£.
Ainsi passe la Jeye du inonde.
Ceulx quî^s mm tnsors amaueiit ,
Se leurs ameè bienilé ajnbàsaent,
Hz pensassent k mx vemie!; . <
Mais laissent rame tonte^niie, *
Des biens mondain Testent lèvrscorpff.
Qui seront à poomrrdéliort -
Comme très puante cfaarongiie*
ht Charité. 4<>9
De tant parier, ce nW (foe honglie.
uorps comiptible ,
Corps tris noysible ;
Sac très puant.
Humainecrejftiire,
Pourrie en ordure.
Àdrîsez TOUS se tous Toulez ,
Car tous par ma Aiain passerez.
Tel est icy qui toe regarde ,
Qui de mo j ^as fort fte se garde ,
Qui de brief aura dis mon dart.
Se garde de moy qui Touldra.
Le Fol.
Et par mon ame , je yoy là
Celle noire Mort enfumée.
Jamais en paix ne se tiendra.
Le dyable l^a bien admenée ;
Il semble que je Tay mandée ;
Je croy que Jeunesse el tura :
Jeunesse est en mallp année;
C'est le dyable comme elle Ta.
La Mort.
Je m'en yoys Jeunesse assaillir,
Qui yeult ainsi piller k Monde ;
Il est temps que je le confmde ;
D'autant qn^i ^st plu» hault monté ,
Plus tostà mort je le mettray;
Il ne se guette pas de moy;
Il ne fust pas si faault monté. .
Avefc la pointe de mon dart
Le perceray de part en port y
Et par icy je m en iitay,
4lb MORALITi
Tout droict à lay et le turaj,
Et planeurs aultres, je ni^en vaut.
Sans attendre ne tant ne quant.
PaaM«
Ung peu à moy or entendez ,
Jeunesse , et bien escoutez :
Devant Dieu , . le roy soureraîn ,
Vous adjoume , soyez certain.
Âyec la pointe de mon dart
Vous perseray de part en part.
Car TOUS faictes ouiti^e mesure.
Jeunesse.
Helas, ung peu de moy endure.
Je te donray ce que vouldras;
Se tu veulx , mes biens tu auras , .
Et me donne terme de vivre ,.
Au moins que (je) puisse avoir moa livre.
Haa, Mort, je ne pensoye mye
Que de moy fusses approchie.
Je te donray mon grant cheval
Et la bride , et le petral ,
Et la selle , et les estriers ,
Et m^alongne ung peu mes jours ,
Que bon compte rendre je puisse.
La Mort.
De mourir, enfant, si tVvise^
Car trestous tes biens je ne prise
Pas la value dWe coquille.
N*as-tu pas eu terme ae vivre
L^espace de plus de vingt ans?
Et SI n^aymas onc povres^gens.
Plus tu n^aura3 terme de vivre.
Avance-toy, et te délivre
DB Charité. 4ii
De venir tost rendre ton compte.
Jeunesse.
Helas, (i)cy mourray à grant honte*
Je Tay tousjours bien desservy.
Présent aussi seray pugny, '
Car j'ay faict.ma mère Viellesse
Mourir de fiain et de povresse.
Le Monde me conseiUoit bien ;
Mais en luy je ne donnez lien.
Venu je suis à malle fin.
Car à mal faire (i')estois enclin ;
Et à mon ayde j^appelasse
Charité , mais en toute place
Je la hayoye comme reûin.
Je n'oseroye à nulle fin
La requenr [ci], car pour elle
Ne donnay onc uns seul denier.
Hau , Tricherie , viens à mon ayde ;
Je suis à mon trespassement.
Tricherie.
Je ne sçauroye, par mon serment y
Contre la Mort quel pièce pous^.
El vous gardera bien de tousser.
Puis que vous estes attrapé ,
Devant le dyabie porteray
Tous voz beaulx faiétz, n'en doutez mye.
Par moy sçaura bien vostre vie ;
Pas ung mot je n'en laisseray;
Vostre vie bien luy compteray,
Je vous le prometz et ame.
.Jeunesse.
Helas, Tricherie, Tricherie, '
ii% MOftALITi '
Me lairras-ta ainsi mflBirir?
Haa, Tricherie, Tridierie,
A ceste heure tù m V Êûlly,
Quant de la mort ivàs assailly.
Je ne sçanroys plus mot parler.
Le Fol.
Qu^esse là? Veut-il trçspasser?
Il iaict une maul^aise chière.
Il ne luj fauldra que souper ;
Meshuy tous ne le yerrez rire.
Pensoit-il le Monde destruyre
Et battre ainsi la poyre geut ?
Je Toys fouillei: sa eibbecière.
Je auray tout ce qu il a d^argent,
La MoaT.
Je Toy jouer de mon mestier
EnTers cest^yaricieux.
Il ne ffaigaera rien de plaider;
Pas ny acompteray deux œnh.
Il a tant esté orgueilleux
Quepoyres gens neprisoit grain.
Je lui ietoj soufirir grant deulz
Deyant que soit yemi demain.
Il passera par sotbt ma main ;
Bien le garderay d^arrester.
Plus il ne luy fauldra de pain ;
Si grant lain ne sçanra avoir.
Pensez tost de yoûs ayataçer,
Maistre Huron , plus que le pas ;
De yenir deyant Dieu compter
Vous adjoume, n*en doublez pas.
L*ÀyARicii;OLx.
Helas, Mort, Jielafli.nan/eras.
1
i
DB GHARITi. 4t3
Je te prie, par mon sennetit,
Que tout (piant oue j^aurày d'argent
Voluntîers te le aônnerày.
Là MaRT.
Je te diray :' atance-toy,
Car présentement tu mourras.;
Encore ce coup te donnerày,
Car le Monde phis ne traliyras.
L*Ataricieulx.
A ce coup je suis au trespas ;
Plus ne sçauroys tenir du cueur.
Le Fol*
Vertu bien , as -tu mal an cueur ?
Rien ne te peult doniier confort ;
Cest une beste qui tout mort.
Chair bien , ,comme pally est.jà !
Il est venu qui aulnera;
Le meschant tantost se mourra;
Il porte meschant vidîmus.
C'est bien chié , chia , chia ;
Il est Tenu qui aulnera.
Tousjours reviens à ma lesçon :
Il vault mieulx que nous nous musson.
Je m'en vueil fiiyr vistement ;
Je yoys chevaudier ung baston
En defiaulte d'une jument.
L'Ayarigieulx. .
Helas, je ne sçauroye comment
Ozer parler à Charité ,
Car îe ne l'aymoye nullement
Tandis que j estoye enfant.
Helas, où es-tu, Charité?
4i4 Moralité
Giarîté, Tiens moy conforter;
Car il me convient trespasser;
Je ne me puis metz soustenir.
Charité.
Ho, Riche , t'en va*-tu mourir ?
Metz en ton cneur contricion
Et demande confesâon.
Confesse trestoi» tes péchez,
Qui sont dedans ton cueur fichez ;
Crye mercy au Dieu souverain.
L'AVARICIEULX.
Je me confesseray demain ,
Quant j'auray fait mon testament.
Mais je suis en adjoumf ment
Pour aller compter devant Dieu.
De cela je n'ay pas grant jeu,
Car je ne sçauroye que compter. .
Plaise vous à m'y conforter,
Ou je suis ung homme perdu.
Charité.
Se tu debvoys estre pendu
Devant le dyable en enfer^
Je ne sçauroye pour toy monstrer
Une seulle petite aulmosne
Que ne te sceu mettre en la cosne
Que tu voulsisse riens donner
Pour la grâce de Dieu avoir.
Dieu t'a donné beaucoup de biens ,
Mais pour lui tu n'en donnes rien ;
 messe , à prédication ,
N'estoys en nonne intention ;
Tu ne pensoys qu'à rapiiier
DE Charité. 4«^
Et les poyres gens decepyoir ;
Tu ne pensoys fors à ta pance ,
A Tricnerie et decepyaoce.
En mon livre n^a nen de toy.
Pour tant, amy, confesse-toy,
Et crye mercy à Dieu le père
Et k sa glorieuse mère ,
A tous les sainctz du paradis «
Tandis que tu as ton advis;
Il te fera miséricorde.
L'AVARICIEULX.
Vrayement, dame, je vous accorde
Que , se je vis encore demain ,
Je manderay le chappelain '
Et feray trestous mes dovers.
Mais prenez garde k mes avers.
Et où est-tUf hau. Renouait?
RenoUART SERyiTEVK commence.
Que vous fault-il? Dyable y ayt part;
Vous ne cessez point de crier.
Or pensez de Dieu mercier,
Car (il) ne vous fault plus demourer.
L'AVARIGIEULX.
Baille-moy tost ma gibescière ;
Tu Tas emblée, mescbant garson.
Le S]brviteur.
Se vous fîissez dedens la bière ,
Je chantasse mainte chanson.
Mon maistre , pour Famour de Dieu ,
Donnez-moy vostre grant morel,
Car plus ne seray en cest lieu.
J'ay &ict faire vostre tombel ,
4i6 Maa ALITÉ
Pour TOUS mettre en sépulture
Honnorablement , s'il vous plaist;
Donnez-moy [donc], sans-forfiiiture.
Tout le meuble cpii vostne est^
Et je le metraj si à point -
Que sera grande mélodie.
L'Ataricieulx.
Pense de moy, j» te supplye,
Qui ne demeure maittenc
Que tu ne faces touser ;
Helas , je- nV sçauroys aller.
J'ay bien mille rucbes de sel,
Qui soit vendu au renouvel,
Qui te yauldra beaucoup d^argent.
Ne preste pas à pôuvre gent ,
S^ilz ne font obbgatioQS
Ou aultres bonnes escripfures.
De trestoua ees tillains nurons,
Obligez en bonnes ceduUes ,
J^ayoye de disme et de blé ;
Que tout me soit mis «a goemiër ;
Ne soit Tendu ne tran^irté:
Jusques à ce qu'il soit bien diier.
J'ay bien du yoy de trente sommes
Qui soit yendu du renouyel.
Et , quant tu le mettras es poques ,
Mesle le yiel o le nouyèL -
J^ay tant de yacheis en louage;
Pense de toutes les retraite ,
Et à ceux qui les ont en gavd
Ne leur paye lien ; laisse-moy faîni-:
Car je guariray, si Dieu plaist.
Et puis eulx et laoy eonieroii. .
Je te supplye , 9$m plus d/arrest^
Fais tout coyntae nous devî^om
Lb Servïteôr,
Vous avez bonne ôppinioïi.
Mais ton argent, cfy où il' est.
L'AYÀRiGiEULX fine^
Par ma foy, je né sni^ pas prest;
Je ne puis metzâ ritn.peDSer.
Plaise TOUS [de] n^e conforter,
Charité , je vous en ^upplye ,
Car certes mon [corps] afibyblie ;
Je ne puis metz guères parler,
Chariïé; '
Bien roy que tu doïbs tréspasàer.
Àmy, pense à Dieu de laisus ;
Es Liens mondains ne pense pl^s ,
Mais pense de ta consQencé ^ .
Et ayez en toy bonne paciençe ^
Et te souTienne de Jésus.
Paoïa.
Helas , il ne parlera plus; -
Il mourra sans confession.
Dieu luy face remission
Ainsi comment il luy plaira.
Le Monde.
Je ne sçay que Dieume£ara;
Mais je suis treaitout «sbaky ;
Tout entour me voy assaiÛy
De la mort si emeUement,
Je crpy qu'el vêult de sa, puissance
Sus moy prendre aulcune yengeance.
J'en SUIS trestout eam^inreillé;
T. III. 9T
4i8 Moralité
La guerre mVyoît tant pillé
Qae je ne sçayoye plus confott ,
Et, présent, je suis de la Mort
Âssailly de trestoaz coostez.
Charité.
Celuy qui-sns tous a postez ,
Monde, te Tueille conforter.
Le Monde.
Dame , bien poissez-yous ayoîr.
Desconforté suis durement :
Car la MoH si cruellement
Est si près tout entour de moy.
Que, par mon ame, je ne sçay
Que je doibs plus faire ne dire.
Charité.
Monde , tu appaiseras Vjte
De Dieu le père créateur,
Fors que tu luj donnes f amour
Et qoik luy yueiUes retourner.
Car il congnoist bien ton youloir.
Tu ne Pas ne craint ne aymé.
Ne son commandement gardé.
Et, pourtant que tu as failly,
C^est raison que tu soys pugny ;
Si seras-tu certainement.
Le Monde.
Helas, yray Dieu, je merepent
De fayoir ainsi ofièncé ,
Et si sçay bien que j^ay faulcé
Ton commandement plusieuit feyr ;
C'est par moy cpe je n'ay la paix.
De mes péchés je siejwcorde;
DE Charité. 4i9
Donne moy ta miséricorde ,
S'il te plaist , mon donlx créateur.
La Mort.
Je ne feray plus de séjour
De cest bon nomme yertueux ;
Je feray son cueur douloureux.
Car plus je ne le lairray vivre.
Pausa.
Mon amy, apporte ton livre ;
Si vien compter devant le roy,
Celuy qui fa faict et formé ,
Car plus n'auras terme de vivre.
Il chiet , et [elle] dit :
Or en est le monde deUvre ;
Je Tay percé de part en part
Avec la pointe de mon dart.
Il n'a garde de relever ;
Avant qu'il soit demain au soir.
Il aura Tame hors du corps ;
Et d'aultres , qui sont moult plus fors,
Qui point ne se guettent de moy,
Aussi mourir je les feray
Avant qu'il soit le matin jour.
Le Vertueux.
He , Nostre Dame , quel douleur
M'ett-il prins au cueur tout présent.
Je sui$ mort tout certainement ;
Je ne me peulx mes soutenir ,
A ceste foys m'y fault mourir.
Helas, or me fault-il aller
Devant mon maistre pour compter.
Helas , mon Dieu , mon vray amy,
De bon cueur je vous crye mércy .
^%fi Moralité
Où es-tu, dame Charité?
Je te prye, réconforte moy,
Car mon grant besoing ^st venu.
Chaaité.
Àmy, je t^ay bien entendu ;
Tu es assailiy de la mort.
Âmy, sois vertueulx et fort
Encontre Tennemy d^enfer.
Et pense de te confesser
Et reçoys les sainctz sacrements ,
Que recepvent les chrestiens
Quant ilz sont au point de la mort.
Le bon Vertueux.
Ha , Charité , je suis d^acort.
Tout premier *fBe Vueil confesser,
Et après le vueil recepVoÂr,
Tout ainsi comme il appàrûent;
Et que ce soit hastiîrement ,
Devant que le mal plus n^e prengne.
Aussi TOUS prie qu'Q vous souyiengne.
Quant g^iray devant Dieu compter.
Qu'il vous plaise me conforter,
Que le vray Dieu ne me refuse
Quant g^iray co|npter devant luy.
Charité^
Saiches bien àe vray, mon àmy.
Que tous les Inens que tu as faictz
Devant Dieu seront présentez.
Jà n Y aurés empeschement ;
Croyez exï Dieu bien feftnement.
Je voys, pour vous, ledeprier
Qui luy plaise à reeepvoir
1
i
dK Charité. 4^i
Vostre ame quant e\ psotira
De vostre corps, qnant il môiinra.
Yray Dieu , qui l<e moiMle'foriiias
Et qui d'enfer le radbqptas
Par ta benoiste passion ,
Yueiltes ouyr mon oraison :
Cest homme , qui est adjourné
Pour aller compter devant toy.
Il a esté ferme en tous temps
De garder tes commandemens ;
Pas ung il n'en a trespassé ;
One en sa vie n'en fut lassé
Des œuvres de inisericorde.
A trestout ton plai$ir s'acorde
Et n'a point voulu aultrement
Offencer ton commandement ,
Et n'a point esté en sa vie
Un jour hors de ta compaignie.
Si te deprie , douk roy de gloire ,
Que luy faces- miséricorde
Quant l'ame du corps j^artira ,
Qui puisse aller in dona
Âvecque les anges lass'is.
Quérir vousr vueil ung confesseur,
Qui vostre benoist créateur
Vous apportera en présent.
Et le benoist saint sacrement
Du bon caeur le recepvez,
Et humblement vous confessez
De vos péchez entièrement.
Le bon Vertueux.
Si feray-je certainement ;
Jà ung péché ne latsseray;
42a Moralité
Trestous je les confesseri^,
Ainsi comme [je] les ay raitz,
Et n'y retourneray jamais ;
Chanté, je le tous affie.
Charité, ^n parlant au Religieux,
Sire , le doulx filz de Marie
Tousjours vofus tienne en son service.
Une chose qui est propice
Vous suis Tenu admonnester.
C'est que vous venez confesser
Le nome homme vertueulx :
Car Jésus Christ, le roy des cieulx ,
L'a feict adjoumer par la Mort,
Qui au cueur l'a frappé si fort
Qu'il est malade durement.
Et si vous supply humblement
Que son saulveur luy apportez
Et en onxion le mettez
Ainsi comme ung vray chrestien.
Le Religieux.
Ha , Charité , vous faictes bien ;
Je ne vous doibs pas escondire,
Car qui confession désire
Et de bon vray cueur se repent
Il est en voye de saulvement
Et qu'il ayt bonne intention
De faire satisfaction.
Pausa.
Pourtant je voys à luy parler.
Dieu vous doint bonjour, moYi amy y
Voulez-vous estre confessé ?
BE ChARIT]^. i%3
Le bon Vertueux.
Oay, monseigneur; en la loy
De Jesuchrist je yueil mourir.
Le Religieux.
Or dictes trestout à loysir
Segretement tous vos peschez ,
Et gardez que vous n^en laissez
Nuiz du monde en Tostre pensée ,
Car vostre ame seroit dampnée
Et de rechief pécheriez .
Le bon Vertueux.
Je les ay trestous confessez ;
Mais i Dieu je requier pardon ,
Et je vous prie que me donnez
Présent yostre absolution.
Le Religieux.
Vous Taurez ,, e*est.très biat raison.
Dictes yostre confiteor.
Le BON Vertueux.
Confiieor Dec ommpotentî, etc.
Le Religieux.
Amen. Miaereatur tui omnipotens Deus
ei dîmiitat tihi omnia peccaia tua etper^
ducat te ad vitamœternam. Amen,
Oremus. Indulgentîam , abeolutionem et
remissionem peccatorum tuorum tribuat
tihi pater omnipotens , pius et misericors
Dominus, In nomine Patrie et Filii etSpi"
ritua Sancti. Amen*
4i4 MoEALiTi Dfi Chahité.
• î L* Fol.
Or allon trestons, sH tous plaiâ i
Remercier le iy>j des ciéiiaL^ '
En lui priant qu'il nous doînt paix ^
Chantant Te'Deum iaudamus.
Cj fine ]a bonne Charité. Imprimé nou-
yeUementen la maison de feu Bar-*
nabé Chàussard, pràs Nos*
trè Dame de Con-
fort:
LE CHEVALIER
QUI DONNA SA FEMME AU DYABLE
A éUx personnaigeaye'èêt ciésavoir
DIEU LE PÈRE
NOSTRE DAME
GABRIEL
RAPHAËL
LE CHEVALIER
SA FEMME
AMAURY escuyer
A NT H € 1^0 R eseayw
LEPfPEDR
ET LE DYABLE (1)
Le Geevalier commtfRo^*
ame^ tdos povei bien «(Utvoir
Que Fortune mVbieiis donné
Et qu'el ili> traor dMMàié
Pour mainfoiiir^seigaettrie
En estât de dbeyaiém!. : V '
11 VLj a, en totit ee psip-,
Plus riche homme cpLfi ]é suis.
Je yis sans sôucy ; • -•
De yilains dis fy;
De gens suis garuv ;
Tant que j'en vouldray
De l)iens . suis garny .
(I) Le lff«Mw 4n CkeBtM» qui imm m fmmm a»
êUihU a étd imprimé deux foit «n leitidm* lièi^e , sans
parler de l'édition qoe nous reproduisons. U en a été fut
une réimpreuion par !•• umà dt Caroo.
4a6 Le Cheyàlier qui dokn a
Je ^liis mettre aitt^iiy *
Ceux qpe je youldraj.
Là Dàxe.
Mon dottlx amj, je tous dîray,
Se des biens avez largement,
Merdez Dieu deyotement,
Car sachez yeritablement
Que sa grâce les tous envoyé.
Qui bien s*i emi^loye ^
Des cieulx la montjoye
U peut acquérir.
Le Chevalier.
' Et puis béste me maintenir (i)
Pour mon estât faire valoir.
Nul ne m'ose desdire ;
Gbascun ta,e dit : « Sire ,
Dieu vous doint bon jour^ »
J'ay ce que vueil dire ;
Je puis rire «t bruyre ,
Pour le fiairë court.
De mes biens seray plantureux
En* donnant k ceulx de ma court.
De me servir seront jojeulx ;
Doubter me feray, brief et court. .
Là Dàme.
Dissimuler, faire le sourt,
Yault mieulx que pompé trop régner :
Car on voit, par fe temps qui court,
Presumptueux bien bas mener.
Moyennement se fault gouverner
Sans vouloir à hault monter tendre;
(i) Variante : Je pois , belle , me malnténif .
SA Femme ÂÛ Byable. 427'
Fortune Tient souvent miner'
Geulx qui yuellent trop entreprendre.
Le.Ckeyaliër.
Il n^est nul qui me sceut reprendre
De mes fisdz ; si feray mon- ytieil/
LÀ Dame.
Qui veult foUement tout despendre
Doit mourir en paine et en dueil.
Le Chevalier.
Dame y je vous defièns sur Poil
Que (ne) m^en parlez plus.
La Dame.
Mon amy,
Puis c[ull vous plaist, dont je le yueil v
Car bien voy qiren estes marry .
Le Chevalier.
Venez avant tostv Âmaury,
Et vous , Anthenor ; je vous donné
De mon avoir et abandonné
Une très grosse quantité , .
Car je congnois , en vérité ,
Que me servez bonnestement ^
Sans me frauder aucunement.
Et pour tant ceste cy aurés
DW tout plain , et le partirés
Ensemble comme il vous plaira.
Amaury.
Gbascun de nous vous servira ,
Monseigneur, à tous voz affaires.
Pas ne debvon^estrè contraires
A vostre vouloir, sans doubtanèe ,
4^8 LeGhetalibrquidohna
Yea cest argent cf^ qu'en presmee
Nous ayez oonné, Graut mercj*
Arthenor.
MonseigneuTt n'aja uul MNiey.
Nous TOUS senrisoiB en tel cas.;
Ung tel mabtre ne deronè pas
Desdire k faire son talent.
Certes^ fauroys le cuéur dolent
Se rien aviez qiii ne fust bon.
Je TOUS mercie dé ce don',
Qu*à présent nous ares donné.
Le Chevalier.
A tous vueîl estre haLandonné,
Sans reffiiser riais à nully»
Affin que je soje renommé ,
A tous vueil estre liabandonné.
Ghascun si sera gucf donné
Qui me servira sans ennuy^
Sans refibser riens à nully.
La Dame.
Helas f au cueur navré je suis
Quant mon doulx espoux et mary
Dissipe ses biens sans raisoii.
Quant se trouvera dessaisi
De ses biens en toute saison ,
vierge de très grant renom !
Par ta sainte conception
Me vueille préserver de blasme.
En toy est n^on affection ,
En toy est jma protection ;
Mère de Dieu , sans nul diffame ,
0,haultedamel
i
SA: Femjkb au Dyàble. 4^9
Guarde sa pouTre ame,
Que mal ne rent^mé
Dont puisse périr;
Ta doulceur redame
Que mon cueur enflame
Tant quWfin la flamme
Ne puisse sentir.
AlIAURY*
Ânthenor, il noQS £ault partir
Nostre avoir, quant nims aurons temps.
Selon ce que voya et entens v
Nostre maistre nous fera riohes ;
Ne ressemble pas ees^na ckiebes
Qui n^osent pas leur saoul tnehger.
Anthênor. - '.
Nous sommes hors de tout danger
Quant avons argent à puissance.
La chair bieu , bien prendray [Pusance]
De le flater soir et matin ;
Tant feray que aulcun gl'ant butin
Me donra; (à) présent je m'en doubte.
AmA€RT. '
Velà vostre part ; somme toute ,
Faictes-en ce que vous voûldrez.
Antv£NOR. .
Pai* devers nobis vchis viendrez;
Je prendray cecy et tant moins.
Amaurt.
Quant nous deux aurons les sâcz plains ,
Il fauidra de luy congé prendre.
Mais avant il nous fault x^ntràdre
43o Le CHEYALIEft QVl ]>OIf NA
A le servir de belles bourdes
Pour tousjours attraper du caire.
ÂNTHENOR.
Je sçay tout ce qu'il y fault faire :
Bayer, dater et oien mentir
Font souvent [les] flateurs venir
En grant bruyt et court de seigneurs.
Le Chevalier.
]*ay regnom sus tous les greigneurs
Pour mes largesses et honneurs
Que fais à tous ceulx de ma terre.
Certes, tous mes prédécesseurs
Ne furent oncques possesseurs
De tant de biens sans avoir guerre.
Si tost que aulcun me vient querre ,
Ung don je luy octroyé bonne erre ,
Et pour tant ae tous suis prisé.
Grans possessions puis acquerre ;
Mon plaisir par tout je vueil querre
Pour estre mieulx auctorisé.
Quant j'ay [ad] visé
Et tout devisé ,
Un tel advis ay
Que mieulx m'en sera.
IJomme desprisé ,
De tous refusé,
S'il est accusé,
Nul ne Taydera.
Mais moy^ j'ay grant port.
Avoir et rapport,
, Par quoy me tiens fort
Encontre tous cas :
Car^ se j'avoye tort,
SA F^mm£,au.Dtabl^e.' .43i
Par mon dureffort
Je.yaineray lamort
Noyses et debatz.
J'ay ce que désire ;
Puis chanter et bruyre.
Ghascunmedit : «Sire (i),
Dieu vous doint bonjour. »
Nul n^ose desdire
Ce que je vueil(le) dire ;
Saillir puis pt bruyre
Quant Tient à mon tour.
Mais que vault finance?
Qui n a sa plaisance y
Ou qui ne s^avance
D^estre plantureux ,
Par juste éloquence ,
Chascun , sans doubtance ,
Dit, par sa sentence,
Qu^il est maleureux.
Comment ya, fi*anc cuer gracieux?
M^amye, quelle chiire faictes-vous?
Vous voyez que je suis sur tous '
Honnore par ma grant largesse.
Je suis l^apuy de gentillesse ;
Chascun m*obeyt sans fayeur.
La Dame.
Pensés à la fin , monseigneur,
Et sachez que joye dissolue
Deyant Dieu n^est point d« yalue (a).
Prodiffue(s) estes ; trop bien le yoy.
Dont j ay grant doubte , par ma foy,
\
1) Ancienne édition : Maiitre.
1) Texte : Ttlear.
4^9 Le€HBTALI£E:QUJ OONHA
Qu*eD la fin n'ea'.soytz.voainj.-. .
Et que pensez -TOUS, monr amy,
D^ainsi le yostre dissq>èr?
Vos jours voulez anticiper .
Pour mourir misérablement.
Se des biens avez largement ,
Donnez anlmosnes pour Dieu ,
£t certes , en temps et en lieu , -^
Vous yauldra, soycz-^n certain.
Flateurs tous soutenez A plain ,
Et leurs impartissez voz biens
Tellement que n^avez plus riens.
Vous avez fait Joustes , toumoys ,
Et tout ne vous vault ung tonmoys.
Que sont devenus vos cbevaulx ,
Sur quoy Caisiez les gtans sànlx ?
Vostre avoir fort se diminue.
Que vault tel pompe entretenue
Qui vient à tel confusion ?
Ou nom de la conception
De la très glorieuse dame,
Que r Eglise aujourdliy reclame ,
VueiUez siu* ce point cy [v]iser
Et de ce mal vous adviser,
Qui ainsi vous maine k déclin.
Le ChbvaIiIER.
Me tenez-vous tant pour badiîi
Que je n^ay point de sens eh moy ?
Je n^en ferây riens , par ma foy,
Pour cbose que m'aïuiez preschant ;
Et , se plus me venez prèscliaut ,
Puis qu^il me plaist, saicbez sans faille
Qu'entre nous deux aura bataille.
SA Feuve au Dyable. 433
Tabez-vouS) ne m^en partez plus,
La Dame.
Puisque à cella estes conclus ,
Plus ne pense à tous en parler;
Mais je me double, au pis aller.
Que pis ne nous soit à tous deux.
Le Chevalier.
Or TOUS en taisez , je le veulx ,
Que n^ayez sus Tostre Tisaige.
Je suis assez prudent et saige
Pour me gouTemer par honneur.
La Dame.
Pieu Tueille ainsi, mon seigneur;
Âultrement marrie j*en seroye.
Le Ghetalier.
Saichez que mon TouUoir sWploye
A tout plaisir mondain âToir,
Et n'espargneray or ne monnoye
Pour acomplir tout mon désir.
Ung seigneur, tant qull a loysir,
Si se 4oit donner de Don temps.
La Dame.
Aulcunes foys , par grans desp^ns
Excessifz et trop oultrageux ,
Plusieurs en Tiennent souffreteux ,
Qui puis si se Tont repentant
De ce qu'ilz ont despendu tant
Que plus n*ont de quoy bien faire.
Le Ghetalier.
Ne cesserez-TOus huy debrayre?
Je m^en Toys et TOUS laisseray;
T. III. ts
434 Lb GHBTALtER QUI DONNA
Mon courroux en peu passeray
Arec mes gens. QuVst cecy, dea ,
A tant parler? Hau, Amaurji -
Amaury.
Monseigneur.
Le Chevalier.
J'ay le cueur many
£t troublé moult ameremmt.
Amaury.
De quoy, sire ?
Le Chevalier.
Certainement
Ma femme [est une] caquetoire ;
Si me veult par son consistoire
Me faire devenir herniite.
Elle m'a dit que je Tay destruite
De donner en ce point le mien.
Amaury.
Ha , monseigneur, ne croyez rien
De chose que femme vous die .
Avoir en pourrez maladie
Se le mettiés en vostre cueur.
Vous estes ung homme d'honneur,
Prudent , large et abandonné ;
Se riens du vostre avez donné ,
N'est nul qui vous en sceut reprendre.
Anthenor.
Par le sang , vous povez despendre
Tout vostre vaillant , vueille ou non .
Mais femmes si on[t] tel renom
Que pour riens ne se véullent taire. -
SA Femme :A.iJ Dyable., 435
Pensez de bonne chère faire
Tant qu^estes en bonne santé.
Quant mort serez , en verké
Ghascun vous mettra en oublj.
Le Chevalier.
Par la mort bieu , il est ainsy .
Il n'est tel que d*estre joyeux.
Quant je seray usé et vieux ,
Je me tiendray lors à Thostel.
A^maury.
Par le sacrement de l'autel ,
Vous avez très bien proposé.
Le Chevalier.
Chascun de vous soit disposé
De venir ; on se peuit esbatre
Jusques à troys heures [ou] quatre ,
Pour passer ma melencplie.
ÀNmENOR.
Quant vous plaira , ne doubtez mye ,
Âmaury eto^oy nous irons.
ÂMAURT.
Vostre voulenté nous ferons ;
Sire , bien y sommes tenus , .
Quant par vous tous deux soustenus
Nous avons esté jusques cy.
Le Chevalier.
Cecy vouSi dpnne.
Tous DEUX.
Gwnt mercy.
436 LBGHETÂLIERQUIBOlIlfA
Pensons tons d*aller k Tesbat.
(Amavrj.)
S^anlcon galant yers nous s^abat,
Pouryeu qu^îl soit de lieu de bien ,
Nous trouYçrons ({uelque moyen
De jouçr k quelque bon jeu.
Anthenor:
Vous dictes bien, par la mort bien ;
Eneores aj-je cinquante escus.
Le DTÂBiiE.
Se je puis yenir au dessus
De ce Gheralier, par mon art,
Je le tireray de ma part,
En despit oe sa feuice femme ,
Qui ainsi chascnn jour rechme
Celle Marie ^ qui tant nous £ak
e)e despit] et noz gens reiraict
ar sa tr^ orde baywie.
Par mon baaràt et tricherie
Les auray tous deux , se je putfé
On sçait bien que «auteUn SUIS'
Assez pour trouyer la nïanière
De le taire en quelque manière
Gheoir en yoye de désespérance.
Or, a.yant, il ùttùt que m'ayance '
D'aller faire mon entreprise.
La Dame.
Aller je m'en yueil à Teglise
Pour ma priire bumblement ùire
Deyers la Vierge débonnaire
Qui porta le doux créateur,
Affîn qu'elle garde d'erreur
8Â Femme au Dtable. 4^7
Mon maiy [et] que par sa grâce
Veuille que son saint plaisir &ce.
G y endroit m^agenouuéray
Et ma requeste luy feray.
doulx confort , dame d^auctorité ,
Noble séjour où la diyinité
Se reposa pour les humains guérir ;
Trésor joyeux de grande dignité ,
Lys odorant par ta Tirginite,
Jésus portas , qui tout peult remerir.
Très humblement à toy viens recourir
Et à genoulx icy te reqnerir
Que ta grâce sus mon mary oppaire.
Par toy gardé soit , dame , de mourir
Vilainement y si que né puist périr
Sapoyre ame par aulcun vitupère.
Doulce Vierge , tresoi; très plantureux ,
Advocate des pouvreslangoureux
Qui sont entez par leur fragilité ,
Vers toy je viens , caeur très amoureux ,
Fay que sente ton con&rt savoureux,
Car tu congnoys ma grand nécessité.
Las ! mon marv « par prodigalité,
A consummi^ et mrt débilité
Son domaine et sa possession.
Par toy, Vierge , soit stabilité
En bonnes meurs, et de mal ac^uité
Pour le saint nom de ta conception.
Tu as tant fait vers Dieu pour les humains,
Que de péril tu as engarde maintz
Et délivrez d*enfer. Doulce Marie,
Si te suplie, oy mes pleurs et mes plains ;
Garde mon ame qu*elle ne soit pêne.
doulx ruisseau, fontaine très série.
438 Le Chetàliee QUiDONi^A
Oy-moy, dame, si te vient à plaisir;
Pour mon maiy humblement te supplie ,
Car je yoy bien que son sens fort yarîe;
Le l)on cbemin ha pas yodu saisir. ■
' Oy mon yray désir,
Confort gracieux ,
Par toy puist choisir
Le règne des cieulx.
Ouvre tes doux yeulx,
■ Estens luy ta grâce.
Et que en tous lieux
Ton sainct plaisir face.-
' Le PiPEUR.
J ^ay trop esté en une place ;
11 convient aller gaingner.
Despendu ay jà maint denier
Depuis que n^aquestay unUanc.
Si trouver me puis sus le banc
Et quelque gavion de ludie ,
Croyez que je ne fauldray mie
A abatre pain largement.
De piper ne crains nullement
Homme qui soit au monde vif.
Mais pas ne faùlt estre hastif
Du premier quant on trouve proyè.
J^ay ycy cent solz en monnoye.
Et encore deux o.u troys escus;
Mais que soye avec les plus drus ,
J'en attraperay, quoy qu'il cousté.
Akaury.
Sire , je vois venir sans doubte
Ung gâllant vers nous , se me seinblé.
,^A Femme. AU Dtable. 439
Le Chevalier.
• ■
Laissez venir; mais qa'il sWemble
Avec(ques) nous , enquérir fauldr»
Qu'il est.
Anthènor.
Il vient devers çà ,
Mon seigneur; desjà fort approche.
Le Chevalier.
Or avant donc[ques] sans reproche ;
Enquérir fault de son estât.
Le Pipeur.
J'aperçoy là ung grant débat.
11 me convient vers euLx tirer.
S'ilz se veulent aventurer
Aux dez ou cartes , somme toutç ^
Mais que fussions dessus.le coûte ,
Mon faict seroit bie^.
Amaurt.
Hau, gallant.
Ne vueillez estre refusant,
Si vousplaist, de dire où allez.
Le Pipeur.
(Passer temps)
Pour esbatre , se vous voulez ,
Avecques vous passer le temps ,
Car vostre faict ÎDienj'entens
Que vous estes de lieu d^hpnneur.
Amthbnor.
Venez parler i mon seigneur.
PeuJt estre que., quant vous orra,
Que voulentuers il s'esbatra
Aux dez ; . ainsi je le suppose. .
44» Le Ghktalisrquibohii^
Amaurt.
Certes , îl ne quiert aultre chose,
Ne TOUS aussi, à dire yray.
Lb Pipeur.
Vouleiitiers parler je Fonray. :
PttBte.
Sire, Diea tous doint bonne 'm.
Le Obetalibr.
Et TOUS, gallant. Dieu tous bénie.
Que querez-TOUs en ce lieu cy f
Le PiPEUR.
Que sçay-je ? Pour j^a^er souc^
M'en Yoys quelque lieu pour m esbatre
Joyeusement, sans point ddbatre,
Heure et demye ou deux , sans plus.
Le Chevalier.
A quel jeu?
Le Pipeur.
Abonsdezpellus
Ou à quelque jeu que youldrez.
Le Chevalier.
Par la charbieu ^ à nous l'aurez.
Sus , Amaury et Anthenor.
]'ay cy apporte mon trésor;
Jouons ung peu pour, temps passer.
AllAURT.
Monseigneur, vous povez penser
Que de ce ne vousoesdirons ;
Mais aussi [ce] que gaignerons
Nostre sera. .
SA Fbmme au Dyable. 44i
Le CllEYALlBR.
N'en faictcs doubte.
S'aviez gaigné ma terre toute ^
Si youl£>07s-je ^e tous Teussiez.
Le PiPEUR.
Yoicy des dez. Sus, choisissez.
Quel jeu jouerons-nous ? .
ÀNTHENOR.
A la chance.
Amaury.
Ayant, sus, [icy] qu'on s'avance.
Prenez place cy, mon seigneur ;
Nous TOUS debyons porter honneur.
Gettez le dé*
Le Chevalier.
iMoy]J'en ay dix.
Amaury.
^t moy sept.
Anthenôr^.
Je n^en ay que six.
Le Pipeur.
J'en ay douze; le dé est mien,
Veez-la pour bon.
Le Gheyalier.
Sus,je le tiens;
En yoylà pour cincjpiante escus.
Lis Pipeur.
A fout ; ontques maiz je ne fiis
En lieu où eust si belle couche.
44> LbGhBTALIER QUIBOI^IfA
Je ray gaygné; homnw nV touche ;
Je prendraj €e<^ sur la bune.
Le Ghetalier.
Que nul bomme [si] ne se tnifiè;
Il est sien.
Le Pipeur.
Sus, quW mette en jep.
. Am AUR.Y.
Yelipour.moy.
Le Gheyalier.
Je rcny bien,
Velà pour oelluy qui i^aura.
Le Pipeur.
Hazart! bay, il m'eschappera.
Gentil denionstre tout hazart.
JVn ay dix :. rencontré [liazart]
Je le pers.
Le Gheyalier.
Je Yueil donc jouer ;
Je puisse, bien desaYouer .
Se je ne gaigne à ceste foys.
Rien ne Yient. J'en ay six et troys ;
En despit de Dieu se pùist çstre.
Amacry.
Je Yoys monstrer ung tour de maistre ;
Hazart ! j*ay gagné ceste main.
Le Gheyalierv
Or suis-je bien filz dé putain.
Je regnye bien ; j'ay tout perdue
Maintenant j'enrage de du^:. .
SA Femme au Dyable. 443
Le PiPEuia.
Sans (ce) courroucer.
Anthenor.
Sus, je le Tuéil.
Couchez ; yelà pour Anthenor.
Lé Chevalier.
Je jouray ceht escus encor ,
Et puis trestolit sera failly.
Amaury.
Je jouray premier, je le dy.
Yelà dix ; c'est iris Donne chance.
Le Cheyalier.
Mes cent escus sont en balance.
Maulgré Dieu qu'oncques m'y bptitay.
Je le pers ; il m a ja cousté
En ce lieu bien deux cens escus.
Le Pipeur.
Sire , ne tous (en) courroucez plus ;
Vostre courroux n'y vault pas maille.
Hé , garde bien que je ne faille. '
Hazart , j'ay douze ; tout est mien.
Anthenor.
Par la chair bien , je n'y fais rien ;
Bon gré en ayt-on de la feste.
Le^ Chevalier.
Qui aura argent si m'en preste ,
Jusques i tant que soys a lliostel.
Amaury.
Quant à moy, j'ay ung serment tel
444 Le Chbvaliee qui donna
Qae jamais riens ne presteray
A jeu de dez. Je tous diray :
Quérir vous en fault aultre part.
Anthenor.
Mort bien ^ je sero je bien coquart
S'argent à mon sei^eur prestoye.
Je regnie bieu , se j'en ayoye
Mille foys plus que n*ay yaillant.
Si n*anroyt-il pas maintenant
Ung denier pour jouer à moy.
Le Chevalier.
Or ayant donc ; à ce que yoy.
Sans croix ne pille me lairrez.
Le Pipeur.
Querez-en ailleurs où vouldrez ,
Car de cestuy yous n*aurez point.
Le Ghetai^ibr,
Départir me Eaiult en ce point
Sans ayoir de nul reconfort*
'Le Pipeur.
La char bieu, je m'en voys, au fort.
Puisque j*ay ïua bourse mumye.
Anthenor.
Boyye mon seigneur sa fbllye ;
S*ii a tout perdu , c^est par luy .
Il ne me yerra aujourd^nay.
Ne de cest an , se bon me semble. .
Amaurt.
Puis que foumiz. somn^ ensemble ,
Et qu il est dessaisi d^escuz ,-
$A Femme au Dyable. 44^
Alons m^en ; il n*y en a nulz
Endroit laj ; ce n^est q^ung coqaart ;
Il se repent; il est trop tart.
Mais il ne m^en chault , par ma foy .
Anthenor.
Ne s'attende jamais à moj,
Puis que le sien est despendu.
Quant à moy, j'ay bien entendu
A mon faict , je suis bien gamy •
Le Pipbua.
i)e bonne heure j*arriTay cy ;
Il y a cy plus pour le gueux.
Le cheralier est bien piteux
Qui a perdu le sien ainsi.
Mais au fort, puis que sub saisi
De ma part , je m'en yois galler.
Le Dyable.
Au devant me conyient aller
De ce cheyalier que je voys.
A sa chière bien j aperçoys
Qu'il est très fort navré au cueur.
Si monstre signe de seigneur.
Si je puis , annnyt tant feray
Que luy et sa femme j'aùrày.
Ou peu je priseray mon faict.
Ls Chbvaxi'biu
Ha , fortune , que ta m*as £det !
Suis-je par toy ^nsi deffaict !
Ho, qmafor£ûctl
Quel desplaisûr, voicy de rage !
Las que sera-ce de mon &dct?
J'ay tout perdu, il en est faictj
444 Le Chevalier QUI DONNA
Par mon for£aict.
Haraa, peu s'en fault que n!enrage. ..
Quel honreur, quel cruel dpmmage ,
Quel dueil , quel criminel orage ,
Quel dur oultrage
Par fol couraige^
A peu que ne me pens de £sdt.
dueil passif et oultrageuxi
ennemy ûer et courageux !
quels lours jeux
J'ay perpétré par ma follie !
Abisme de mal envieux ,
Me sourdra de ire en tous lieux.
Mes dolens yeulx
Seront plains de mélancolie.
C'est dommaige qu'on ne me lye
Au gibet pour finir ma vie.
Quel yillennie
Je fais à tous chevalereux.
J'ay perdu toute seigneurie;
Ghascun de moy faict moquerie
Et me hane,
Et tout par mes faiz yicieux.
Ha , Mort, viens tost à moy bonne erre,
Prens ton dard et sus moy le serre
Sans terme querre.
Mort, Mort, acours, je te requiers.
Que ne me engloutist la terre
Pour les maulx qu'ay voulu enquerr
Mort, Mort, deserre
Ta fureur; plus viyre ne querxc.
SA Febme au Dyablë. 44;
Je n'ay plus rien de quoy payer; ,
On ne se veult en moy fier :
Car désirer
Ây voulu, sans riens enquerre.
On me souloit auctoriser
Pour mon estât , et hault priser ;
Mais dissiper
Me yeult chascun et mener guerre.
La Dame.
I4e cueurme deult fort et me serre
Pour mon seigneur, que venir voy
Tout seul. Il a,, en bonne foy.
Quelque chose qui n^est pas Donne.
Pieçà ne le vis sans personne
Venir, comme il fait maintenant.
Monseigneur le très bien venant,
Gonunent vous va? quel[le] chière ?
Quant j'aperçoy vostre manière ,
Vous me semblez tout esbahy.
Estes-vous troublé ?
Le Chevalier.
Helas, ouy.
Et cause y a , ma doulce amye.
La. Dame.
Helas, pour Dieu, ne vueillez mye
Vous troubler si amèrement ,
Que pis vous en soit iiullement ;
Prendre fault tout en patience.
Le Chevalier.
J'ay- substance
Perdue , sans doubtance.
Pour ce , tpïant j'y pence ,
449 LbGheyalibr qui bohha
Navré suis au caeor.
Plus n^ay de finance ,
N^argent à puissance
Pour avoir plaisance ,
Et m^est desnonneur.
La Damb.
HelaS) mon seigneur,
Nostre oreateur.
Si soyez tout seur.
Assez a pour nous;
Se par vo foleur
Avez par malheur
Vetdu yo labeur,
Las! appaise^-vous.
Le Chevalier.
J^estoye bien venu
Et entretenu,
Enjoyesoustenu;
Maintenant n^ay rien.
Je me voy tout nu.
De mal prévenu;
Grant n a ne menu
Quimedie : « Tien. »
La Dame.
Apaisez^vbus, sire.
Le Chevalier.
Mon mal trop empire.
La Dame.
Que vous vault vostre yreî
Le Chevalier.
Bien mourir vouldroyc.
&À FSMME AU DtÀ'BLE. 449
La Dave.
Jésus TOUS soit miie. . .-^
Le Chevalier.
Las ! plus ne puis vivre..
La Dame.
Trop donner peult nuyre.
Le Chevalier.
Tris mal j pensoye.
La DauG. :.
Faict avez oultrage.
Le Chevai^ier. .
Cest mon grant dommage.
La Dame.
Fol ne croit langaige^
Tant qu'il ayt receu (i).
Le Chevalier.
Pas n'aj esté saige ;
Du mien , par usage ,
 j £iict vasselage ,
Dont me sens deceu.
La Dame.
Se Dieu plaist, vous serez pourveu ;
Ayez en la Vierge fiance.
Le Chevalier,
Par ma foy^ je pers 'patience ,
Quant [je] me voy tout desnué.
Encore ceulx que tenu ay
En bruyt , pose en estât,
(t) Vtriante : Ttnt qoll loit d«ceii,
T. m. 99
45o Le Chevalier QUI DONNA
ai me dient eschec et mat
Pour ce que ii*ay riens plus vjôllaiit.
La Dame.
Quant Fortune Ta assaillant
Âulcun estant en disnité ,
Chascun luy tourne le costé ,
Mesmes ceulx qui deussent a jder
A souffreteux et regarder
Dont les biens leur sont peu venir.
Le Chevalier.
Je ne me veulx plus cy tenir.
Ung peu m^en voys esbatre aux champs
Pour faire là mes piteux cbantz
Et mes regretz puons d*amettume.
J'ay le cueur plus gros q'ung enclume
De desplaisir que je reçoy.
La Dahe.
Je requier au souverain roy
Et à la glorieuse dame
Qu'ilz vous gardent de tout diffame.
Passez vostre mal doulcement ,
Mon sei^eur; se Dieu plaist, briefvement
Serez mis en convalescence.
Le Dtable.
Maintenant est temps que m^avance
De couduyre mon entreprise.
Le Chevalier chascun desprisé
Pour ce que tout est despendu.
Mais que [mes] motz ayt entendu ,
Il sera mien , point je n^en donbte ^
Et si auray ]a faidse gloutte
Sa femme , qui sert à Marie.
SA Femme au Dyable. 45i
Le Chevalier.
Or doy-je bien hayr ma vie^
Quant ainsi chascun me harie
Par mocquerie.
De mes servans suis dechassé ;
Fortune trop me contrarie ;
Noblesse est bien à moy perie :
Mon sens varie.
Las ! qu'ay-je faict le temps passé ?
J'avoye graut avoir amassé ;
J'estoye en honneur enlyessé,
Et n'ay cessé
De dissiper tout par foUie.
Mon estât est îbien abaissé.
De mes servans suis délaissé,
Qui amassé
Ont tous mes biens par tricherie.
J'ay donné mes biens follement
Et despendu prodiguement
Et largement
Sans avoir a la fin regard ,
Dont je mourray honteusement.
Il me desplaist très grandement.
A grant tourment
Fineray devant qu'il soit tard.
Chascun si m'appelle musart ,
Et dit l'en : « Veez là un coquart ,
Chassez à part ;
C'est dommage qu'il vit, vrayement. »
A , Mort , mort sur moy de ton dart ;
Aultre chose n'ay esgard ,
Quant se départ
Ainsy de moy esbatemeiit.
45a Le CnfiYALIER QUI DONNA
Le Dtable.
Qu^as-tu, Chevalier? Hardiment
Dedaire-moj tout seurement
Le faict qui tant te touche au cueur.
Le Chevalier.
Qui es-tu ? Viens soubdainement ;'
Esbahy me fais grandement
Quant tu me portes tel honneur.
Le Dtable.
Ne te chaille , et soys seur
Que te puis oster la douleur
Qui te tient si amèrement.
Le Chevalier.
A peine pourroit ton labeur,
Ou tu es trop puissant seigneur,
Me faire appaiser bonnement.
Le Dyable.
J*ay en moy le gouyemement
Du monde ; sache vrayement
Que puis ung povre homme enrichir.
Le Chevalier.
S^ainsi estoit certainement,
Tantost seroys hors de tourment;
D^aultre chose je n'ay désir. .
Le Dtable.
Dy moy, puis que tu as* loysîr,
Se tu veulx faire mon plaisir ;
Puis après riche te feray.
Le Chevalier.
Mais que je sache , sans faillir^ '['
SA Femiie au Dyable. 4^S
Qui tu es , seur te peulx tenir
Qu'à ton vouloir obeiray.
Le Dyable.
Mon nom jamais ne [te] diraj ;
Mais k ton faict remeoiray
Se tu yeulx faire à mon dict.
Le Chevalier.
La mort bien , je te serviraj
Et ton vouloir acompHraj
Se tu fais ce que tu m'as dit.
Le Dyable.
Ho, n'en parle plus, il safiist.
Bien sçay que caascun si te feult ,
Pour ce que n'as plus de quibus.
Le Chevalier.
Il est vray.
Le Dyable.
Venons au surplus.
Par moy tu seras remis sus ;
Mais aussi mon vouloir feras.
Le Chevalier.
De ce ne feray nul reffus ;
Je te le promets et conclus.
Et me dis ce que tu vouldras.
Le Dyable.
De ton sang lettre me feras
Et de ta main tu l'escripras ,
Puis après tu sera^ -poùrveu. -
Le Chevalier.
Ainsi que ditter la vouldras
454 Le Cheyalier qui donna
Je te Tescripraj ; cVst le cas.
Puis que à nonnear seraj pourveu.
Le Dtable.
Saches que ton faict ay cogneu :•
Ta propre femme fa deceu ;
Pour tant la doys abandonner.
Le Ghetalier. .
Certes, nul mal ge n'y ay veu;
De ton dit je suis tout esmeu.
Le Dyable.
Viens ça, me la yeulx-tu donner?
Le Chevalier.
Se tu me vouloye guerdonner
Et en grant estât m'ordonner,
Peult-estre je m'adviseroyc.
Le Dtable.
Se tu me la veulx cy livrer
Dedens ung temps , tost délivrer
Te feray assez de monnoye.
Le Chevalier.
Par la mort bieu, je te Tottroye;
Mais qu'en estât posé je soye.
Dedans sept ans je Famenray.
Le Dtable.
Fais m^en lettre, que je la voye,
Et tantost te mettray en voye
Que ton vouloir accompliray.
Le Chevalier.
Tris voulentiers je Fescripray
Et de ma miain la signeray,
SA Femme au Dtabxe. 455
Ainsi quB tu la dittetas.
Le Dyable.
Or escripz: je te nommeray /
Et les pointz te deviseray
Ainsi comme tu la feras.
Or premièrement tu mettras
Que la Trinité regnyeras
Et la foy de toute TËglise.
Le Chevalier.
Âdea , ainsi ne m^aura[s] pas.
Je m^adyiseray sur ce cas ;
La cause requiert quVn y vise.
Le Dyable.
Se yeulx estre mis en franchise ,
Il te convient ce point passer. .
Le Chevalier.
C'est ung cas de srant entreprise,
Et pour tant y m y faùlt penser.
Le Dtable.
Veulx-tu ton estât abaisser
Et vivre en tel mendicité ?
Accorde mon dit sans faulser.
Mis seras en grant. dignité. .
Le Chevalier.
De regnier la Trinité ,
C*est ung dur point et détestable ;
Mais d'estre mis en liberté ,
Cela m*est au cueur aggfeable.
Le Dyable.
Or le faitz tost , de par le dyable,
456 Le Chevalier QUI donna
Se tu Ycux , ou [bien] je m'en voix.
Le Chevalier.
Or avant, pour estre v^illable
Et en honneur, je le feray.
Le Dyable.
Après aussi je te diray. :
La Vierge Marie ngnicras.
Le Chevalier.
Par ma foy, tant que je vivray.
Je n^en feray rien , c^est le cas.
Le Dtable.
Pourquoy, meschant, ne peux-tu pas
Aussi l)ien regnier la mère
Comme le fils :
Le Chevalier.
Passe ce pas ,
La chose si mW trop amère.
Le Cyable.
Tu ne ^ulx en ^ulle manière
Avoir nens se tu ne le fais. ^
Le Chevalier.
Laissons en p«x cèste lAatière ;
Pour mort je ne le feroys jamais.
Le Dyab1l«.
lï '
Or avant donc; tu me pi^oimetz
Que ta femme si amèneras.
Escriptz ta lettre et la parfaictz,
Et puis après la signeras.
SA Femme au Dyable. 4^7
Le Cheyalier.
Tantost achevée tu l'auras .
Veulx-tu plus rien? Vêla cy faicte.
Le Dtable.
Il fault donc que je m'entremette
De te fournir de grant aroîr.
Premièrement, ta dois sçavoir
Que , pour parveipr a les pointz ,
Tu axons tes «lesirs oonjbintz
A faire ce que m'as:promis.
£t , afin que tu soys remis
En honneur, près d'îcy iras
En ung lieu que tu trouyei'as ,
Lequel au dôy te monstreray,
Et là dedans sache de-y^y,
Ung très grant trésor, c'est la somme ,
Y est pour te ùàre ndie homme
Et plus que (tu) ne fus oncques jour.
Voy-tu , regarde cy autour : .
Voici le lieu^ue je te dis.
Or ne soys pas si estourdis,
Que ne vienne cy à ton terme.
Le Chevalier.
Puisque la lettre te conferme ,
N'ayez doubte que ne. vienne cy.
Tantost seray hors de soucy,
Puisqu'auray argent et pecune.
Sang bien, en voicy, s^ns faulte aulcune.
Je suis bien; priser me feray.
Cest avoir cy Temporteray
Pour acheter habitz nouveau^!;
Et avoir mulles et chèvauk
458 Le Chevalier QUI i>ONNA
Et estât comme il appartient.
11 ne me chault ja oontil vient,
Puisque j'en ay.
Le Dtable.
J*aT tant brassé
Que le cheyalier enlassé
Se est du tout à ma cordelle.
J'anraj aussi sa damojselle;
Ve la cy obligée dedans;
Quant ce viendra llieure et U temps,
Pas ne fauldray à venir cy.
Le Chevalier.
M^amye, ne soyez en soucy,
J^ay eu de Targent largement.
La Dahe.
Loué soit Dieu certainement ;
Mon amy, j^en ay tris grant joye.
Sachez que Dieu les siens pourvoye ;
Jamais ne les laisse périr.
Le Chevalier.
Je ne en pense point enquérir.
Se Dieu ou dyable le m'envoye ;
Puisque j'ay argent et monnoye ,
Ne me cnault dont il soit venu.
La Dame.
De quoy vous est-il souvenu
De dire ces motz? Taisez-vous.
Au cueur deussiez avoir couriroux
D'ainsi proférer telles paroUes.
Le Chevalier.
Pour Dieu , délaissez ces ûîvolles ;
SA Femme au Dyable. 4%
Je n^ay pour en nulle manière
D^avoir jamais nécessité.
La Dame.
Vous avez mon cueur incité.
A quoy pensez-vous , mon doulx sire ,
Quana vous ouy proférer ou dire
Parolles si très détestables ?
Le Chevalier.
Taisez-vous , de par tous les dyables ,
Qu^il n^ayt hutin entre nous deux.
S^il fault que j'entre en mon courroux ,
Le dyable vous chantera messe.
La Dame.
Hé, Nostre-Dame, quel destresse
Est en mon caeur de ce faict cy !
Mais au fort, puisqu'il est ainsi,
Il me fault tout laisser aller.
Le Chevalier.
Plus ne veulx que tire et galler.
Puisque (je) sou pourveu de finance.
C'est DÎen raison que je m'avance
D'aller à l'esbat soir et main ;
Car i'ay or et argent à plain,
En despit des faux envieux.
Amaury.
Anthenor, je suis bien joyeux :
Mon seigneur si est remplumé.
Il a en quelque lieu plumé,
Ou faict finance de ciiquaille.
Anthenor.
A^ons vers luy, vaille que vaille,
*
46o Le Chevalier QUI DONNA
Pour sçaTOÎr sH nous reprendra.
Pieuk-estre «{ne encores nous donra
Qoelipe diose pour le servir.
Ahaurt.
Jamais ne îaiuk compte tenir
De gens, <{oant tout est despenda ;
Long-tcn^ a que Tay entenda,
Ung mot qu^on dît à 1 adyenture :
L^amoBT SI raolt quant argent dure;
Mais, quant finance est Cadllye,'
A peine troirre on nnl amje.
AUons-noos en yeoir qa^il dira.
Ahthsnor.
Encores font ioyeax sera
De nous prendre k belle fayeor.
Voyex-lc (jà). -
. Ahaort.
Diea gard Monsdgneor.
Comme se porte la santé?
Le Chevalier.
Très bien. I*aj argent à planté.
Amaury, je sois ranis sas.
Anthenor.
On tiendra de vous compte plus
QuW ne Êdsoit^ n*en ayez doubte.
Vous sçayez que chascun dd>ootte
Les gen; quant ilz n^ont de quibus.
Amaurt.
Maintenant estes au dessus
De Toz besMignes , bien le voy.
Si TOUS ayez mestier de moy.
SA Femme au Dyable. 46i
. ' «. . . •
Ne m^espargnez en lic^ns qui soit.
Anthemor.
Quant est de moy , s'il tous plaisoit
Quelque chose me commapder,
Sachez, Monseigneur, sans tarder,
Que de hon cueur Tacompliroye
Et vostre serviteur seroye ,
Et me tiens tel tant qu'auray yie.
Le Chevalier.
Je vous retiens de ma mesgnye,
Et , se riens vous avez mespris
Contre moy, sans estre mespris,
Vous le pardonne entièrement.
Amaurt.
Je vous mercye très humblement,
Monseigneur, quant est.de ma part.
Anthenor.
Pour ce joyeulx advenement
Je vous mercye très humblement^
Le Chevalier.
NVspargnez argent nullement;
J'en ay assez où nul n'a part»
Amadrt.
Je vous mercye très humblement ,
Monseigneur, quant est de ma.part.
Le Dtable.
Il me convient avoir regard
Au terme que ce chevaher
C'est voulu à moy obliger .
Et me livrer icy sa femme.
Je Fauray en corps et en àme,
46a Le Chevalier QUI DONNA
L*eussent juré Dieu et les saints,
Car il m*a esciipt de ses mains
La lettre sellée de son signe.
Tantost ùuldra que mVnckemine
Pour Palier attendre au lieu dit.
Il est mien , sans nul contredit ,
Jamais il n'en peult eschapper.
Marie ne me pourra tromper
Que ne Taje, maulgré son yisage.
La Dame.
Je suis moult troublée en couraige
Que ne puis nullement sçayoir
Où mon seigneur prent cest ayoir
Qu'il a maintenant abandon.
A grant et à petit ûiict don.
Ne sçay dont vient ceste finance,
Mais , certes , quant au cas je pense ,
Je suis bien marrie en mon cueur.
A toy, mère du créateur,
Pour ma douleiur
Refraindre, viens à mon secours.
Garde moy de tout déshonneur
Et mon seigneur
Gonferme en erace tous les jours.
Humblement a toy me recours ;
Fais que les tours
Dont je doubte qu'il se mefface ,
Au nom de ta Conception ,
Sans fiction ,
Soit tousjours en bien par ta gracê.
Garde le de tentation,
De lesioh
Que son ame ne soit damnée.
SA Femme au Dyable. 463
A toy, doulce vierge honnourée ,
Sur tous louée,
Je viens eu ma nécessité.
Tu congnoys du tout ma pensée ,
Dame prisée ;
Deffens moy en adversité.
Le Chevalier.
Je me sens au cueur molesté
Quant pense au cas que j'ay commis.
Au dyable je me suis submis
Et obligé , moy et ma femme.
haro ! suis-je bien infâme
De l'avoir en ce point lyée
Et envers le dyable obligée?
De luy rendre quel dur mefiaict !
Ha, traistre meschant , qu'as-tu faict?
Cest pour néant ; il fault qu^il se face.
Je luy doy mener en la place
Où luy £s obligation.
Or vient la confirmation
De mon jour, quHl fault que je livre
Ma fenmie, se je veulx plus vivre.
Et ponr tant je luy meneray.
Mais premièrement luy diray
Qu'elle et moy passer temps yrons.
Puis après, quant au lieu serons ,
Du demourant je m'en rapporte
A celluy qui ma lettre porte.
Si la veult prendre, si la prenne.
Affin que mon faict s'entretienne
Desclairer luy fault mon vouloir.
La Dame.
Ne sçay que vous povez avoir,
464 LbChETÀLI&R QUI DONKA
Monseigneur, tous este&pensif.,
Dites-moj, pour Dieu, le motif
Qui TOUS tient ainsi en pensée.
.Lb Chktai;ièr.
La vérité tost dedairéé
Vous sera, quant le demande! . .
Venir tous fault» plus n'attende,
ÀTec[aues] moj ung peu esbatre,
D\cj a trois jours ou a auatre ,
En ce boys qui est près alcj.
Point ne seray hors de soucy,
Tant que tous [y] soye^ menée.
La Dame.
ÂTezr-TOus Toulenté fermée
À ce propous, mon bon seigneur?
Mais que ce soit sans desbonneur
Ne sans Tillennie de mon corps ,
Je suis de tons voz bons accordz
Contente ; mais je suis en doobte
Pourquoy Tostre Touloir se boute
De me mener en ce boys là ,
Car il ne tous adTint pieçà
D'en parler. (Je) ne sçay dont ce Tient.
Le Chevalier.
N'en parlés plus ; il le conTient ;
ÂTancez-TOus ; il le fault faire.
La Dame.
Puis que le cas est nécessaire.
Allons y donc quant ToliS vonldrez ;
Voz gens aTec nous mènerez ;
Compaignie est bonne en tel cas.
SA Femme au Dyable. 465
L$ Chevalier.
Non feraY« car jette veulx pas
Qu^il j'âit nul que yous et moj.
La Dame.
^la me fait au cueur esmay
Quant y Youlez aller seullet,
Sans avoir paige ne varlet
Que vous et moy; que vcult ce dire ?
Le Chevalier.
N^en parlez plus.
La Dame.
Nenny, beau sire;
Puis qu'il vous plaist, je le veulx bien ,
Ponrveu qu'on ne me face rien
Avec vous.
Le Ghevalibr.
Estes-vous en doubte?
La Dame.
Nenny. Mais je crains, somme toute «
Âulcun que pourrons rencontrer.
Le Chevalier.
Ne vous en vueillez point doubter ;
Homme ne vous fera nul mal.
Devaller vous fault pai* ce val
Âffîn que nul [si] ne vous voye.
La Dame.
Or allons f que Dieu nous convoyé
Et la doulce Vierge Marie,
À laquelle requiers et prie ,
Au nom de sa conception,
T. UI. 30
46$ Le Chetalier qui donna
Que de cruelle afflicdon. •
Nous vueille garder et deffendre.
Le Dtable.
Il me conyient aller attendre
Le chevalier qui doibt venir
Et sa femme , pour parvenir
Au point oà j*ay pieçà tendu.
Puisque du tout il s'est rendu
A moy, et puis sa femme aussi,
Par ceste lettre que j'ay cy,
Qu'ilz ne soyent tous miens par sentence
Rien n'y vault le contredire.
La Dame.
Je vous requiers qu'en ceste église
Yoyse ong petit pour Dieu prier,
La Vierge où je me veulx fier,
Et puis après viendray à vous.
Mon cueur sera hors de courroux
Et de pensée , mais que humblement
J'aye présenté dévotement
Ma pétition à Marie.
Mon doulx seigneur, je vous en prie
Que vous m'ottroyez ma requeste.
Le Chevalier.
Vous me faistes mal en la teste
De tant quaqueter ; allez doucques
Et gardez, pour choses quelconques.
Que vous veniez incontinent
Qu'aurez fiait.
' La Dame.
Croyez seurement
Si feray-je ; n'ayez soucy,
"SA Femme au Dyable. 46;
Je reyiendray en ce liea'cy
Tout maintenant sans airrester.
Devant toy me viens présenter^
Vierge , que chascun doibt prier
Et honnorer ;
Vueille entendre ma prière ;
Plourer, gémir et lamenter
Je dois bien , et me dementer,
Sans déporter ;
Assez y a cause et matière :
Mon mary, vierge tresorière ,
M'ameine en ce boys là derrière ,
Mais la manière
Ne me veult jamais declairer.
Si te prie , estens ta lumière ;
En toy est ma fiance entière.
Soys ma bannière,
Viens moy, s'il te plaist, conforter.
Par ta saincte Conception,
Soye garantie , vierge digne.
En toy est ma protection.
Sans fiction ,
Humblement vers toy je m^endine ;
Helas, dame, je suis indigne ,
Que ta doulce grâce bemgne
Sur moy consigne
Pour avoir supportation.
Mais tu es la vraye médecine
Qui des cueurs oste la racine
Très maligne
Qui fait estre en perdition.
Garde mon mary, doulce dame ,
De pensée villaine et de blasme
De corps et d*ame y
468 Le GHBVALIER QUI DONNA
Tant qa^à te setyit il s^accorde.
Oste le de la Yoye infâme.
Et moj, qui sois sa poTre femme
Qui te réclame ,
Fais nous vivre en paix et concorde.
Le faulx Sathan pomt ne le morde.
Se sa vie a esté orde ,
Si le recorde
Bien pour éviter ]a flamme
DVnfer. Oste le de la chorde
De péché remply de discorde ;
Son faict recorde ,
Devant Dieu, qu'il n'ayt diffame.
NOSTRE DaMK.
Mon filz , graoe je te (p)reclame.
Pour une qui est bien m^amje,
Laquelle n a desservj mye
Qu'elle soit du tout reffusée ;
Car elle a tousjours sa pensée
A te servir et moy aussi.
Or est-elle en grant soucy
Pour ce que le faulx Sathanas
Tient son mary fort en ses las ^
Et tant que luy a fait promettre
Et de son sang faire une lettre
Que sa femme luy livreroit.
Si te prie , filz , pir bon droit,
Que la fenune soit garantie ,
Et pour le chevalier te prie
Que du dyable délivré soit.
Car Sathan [très] fort le déçoit
Par ses abus dyal>olieques
Et par ses fallaces oblicques.
SA Femme au Dyable. 469
Dont son ame est en gJrant danger.
Mon fîlz , ne te vueiUeâ venger
De loy, je t^en prie humblement.
Dieu.
Mire, tous sçavez plainemeut
Qu^à Toz justes pétitions
Ne fais point contradictions.
Yostre yooloir s*accorde au mien ,
Et pour tant, mère, je yeux bien
Que la femme soit délivrée ,
Car à tort elle est obligée.
Mais au resard de son marj,
Mère , saicnez qull est ainsi
Qull m^a regnyé, et Teglise,
Par quoy il pert toute franchise,
Et de son sang lettre en a faict^
Dont il a grandement mefifaict.
Or est ainsi que ne doy pas ,
Veu le mervedleux (mefjfaict et cas ,
Luy pardonner legierement.
NosTRE Dame.
juge, voy planierement
Que ce auM a fait et commis ,
Comme nors [de sens] et desmis
De raison il a perpétré ;
Par quoy luy aoit estre impetré
Remission en ce cas cy.
Et de rechef, mon filz, aussi
Tu scès , quant il te regnia ,
Que raison en lui fourvoya
Et nVut pas k la fin regard.
Item et mesme, d^auhre part,
Oncques ne voulut regnyer
470 Le Ghetalier qui donhà
Mon nom.. Ponr tant je te requier
Qa^il soit de ce péril dehors
Et (pie luY soys.mjsericors ,
Entenda rorde abosion
Et la grant persuasion
Que le dyabie son adversaire
Luy a faict par cas soubdain faire
Mon filz, n^n prens pas par sentence
De son meffaict telle yengence ,
Gomme le cas bien le désire.
Dieu.
A yous ne yeolx point contredire ,
Doulce mère , c^est bien raison ,
Jaçoit ce que sa desraison
A peine se peult pardonner.
Gonfort yous luy yrez donner
Et délivrer là damoyseUe
Qui yous sert en yostre chàppellé
En faisant sa pétition. .
A luy yrez en fiction
De sa femme ^ et puis yous menra
Au lien où mener tous youldra ,
Guydant que ce soit sa partie ;
Elle demourra endormie
Jusques à tant que yous viendrez.
Au faulx Sathan.vous osterez
La lettre qu'il tient en sa main ,
Et le chevalier tout à plain
Délivrerez , aussi la dame ;
Gar yostre pitié me reclame
A luy faire grâce et patdon.
Anges , tous allez à bàndon-
La convoyer benignefficnt.
SA Femme au Dtâble. iji
NosTRE Dame.
Je te mercye humblement,
Mon doulx fils coiirtoys et begnin.
Anges , mettons-nous à chemin
Pour aUer vers ce chevalier.
Gabriel.
Pour llionneur du roy droicturicr,
Royne de très haulte excellence ,
Le ferons par grant diligence.
Chantons , Raphaël , en allant.
Raphaël.
En louant le roy tout puissant
D'ung mot [très] bel et gracieux ,
Et la royne aussi des haulx cieubc ,
Gabriel, je vous ayderay.
Le Chevalier.
Je croy que meshuy ey seray
En attendant ceste bourgoise.
Sang bien, s'il fault que g^y voise,
Bien sçay qull y aura hutin.
Je la voy ; elle est en chemin.
Sa , dame , sa , venez avant. •
NosTRE Dame.
Sus , mon amy , allez devant.
Long-temps m^avez cy attendue;
Mais j^ay pour vous grâce rendue
A Dieu , qu^il vous vueille -conduyre.
Le Dtable.
Tantost je me pourray dedayre
Du chevalier et de sa femme ;
En enfer porteray son ame ,
m^m
4j% Lb Cheyalibr qui donna
En despit qaXeOe) a Marie senry»
Mais , haro ! je suis trahy :
Le cheralier n^amaine mye
Sa femme avec lay; c'est Marie.
Bien sçay qu'elle me lera meschef ;
Mais, an fort, je yiendraj à chef
Du chevalieri car il, est mien
Par ceste lettre que Je tien.
Haro, ne sçaj que nure do je.
Le Ghbtalier^
Tout le cneur durement m'effinoye
Quant aproche de ce lieu cy.
NosTRE Dame.
Sire, ne soyez en soucy,
Allez hardiment , n'ayez peur :
Car la mire du Créateur
Vous aydera , soyes certain.
Le Chetalieb.
Je ne m'ose monstrer à plain ;
Je Toy bien que je suis perdu.
Le Dtable.
Je t'ay longuement attendu.
Faulx traistre , tu m'as bien trahy ; .
Que m'as-4a amené icy t
Le GHEirALiER*
Ma femme.
Le Dtabi^e»
Tu mens &ulsement< '
Le CHBTAtlER.
Regarde , réà cy Yrajremént^ .
SA Femme au Dtable. ij3
Le Dyable.
Haro ! Toicy grant mocquerie ;
Tu amaines celle Marie
Qui tant nous faict grief et enmiy.
NosTBB Dame.
Ha, faulx Sathan, venue ^e suis
Pour celle que Kvree t'aToit.
Tu scez bien que tu n'as nul droit
Sur elle , qui est ma serrante.
Ya-t'en en la prison puante
À tousjours, saAs jamais partir.
Le Dtable.
D'icy ne me vueil départir
Tant que le chevalier j'auray :
Car par raison je monstreray
Qu'il est mien ; en voycy la lettre
De ses mains ; jamais ne peak estre
Il çn a escript [le] libelle.
Le CttEVALlEB.
digne puceUe !
Enaydet'apelle;
J'ay (tatit) esté rebelle »
Ne soye débouté.
Fille matemelie ,
Soys pour ma querelle
Contre la eautélle ,
Royne de bonté.
vierge baultaine !
Oste-moy de peine ;
Mon cas te remaiue ;
J'ay 1res mal vescu;
474 Le Chevalier QUI DONHÂ
Saincte souyeraine,
Soyez-moi prochaine;
doulce fontaine.
Soyez mon escu.
NosTRE Daue;
Faulx Sathan , tu seras vaincu ,
Car par malice tu Tas faict.
Baille-moy la lettre; de faict
Le cheyalier nul mal n'aura;
De tes mains délivré sera.
Et sa femme pareillement;
Mon filz Ta dit par jugement,
Qui congnoit assez tes abus.
Gabriel.
Sathan, ne fais plus de refus,
Baille tost la lettre à Marie ;
Ta cautelle sera perie ;
Tu as perdu le chevalier.
Lequel tu as fait obliger
De son sang par abusion.
Le Dyable.
Je n'entens pas bien ung faict tel
De m'oster ce qu il m'appartient.
Nostre.Dame.
Or n'en parle plus, c'est pour néant.
Laisse ta lettre sans espace ,
Car mon filz si luy a Éit grâce ;
Pour tant la leltre avoir nous fault.
Le DVABLEi
Haro ! de dueil le cueur me fault.
J'ay perdu ma possession ,
Et tout par ton abusion.
SA Femiie au Dtablb. 4y5
Marie , tu destruis enfer.
Haro ! Cfue dira Lucifer
Quant il saura ceste nouvelle?
Bien sçaj que pas ne Tauraj belle ;
Batu seray et tourmenté.
Je m^en yoys d^ung aultre costé
Faire tant qu'auray aultre proye ;'
Je ne puis arrester en voye;
Maintenant il s'en fault fouyr.
NosTRE Dame.
VueiDe-toy, amy, resjouyr,
£t t'en ya vers ta bonne femme ,
Laquelle à genoux me reclame
En ma chapelle dévotement.
Vis doresnavant saintement,
Et de très bonne intention
Aymé ma Conception,
Et en fais srânt solennité.
Il a pieu à la Trinité '
De t avoir préservé de mal.
Encore le faulx infernal
Si te tenoit fort en ^es las.
Mon amy, jamais ne soys las
De Dieu servir dévotement.
Le Chevalier.
Mercier vous doy humblement ,
Glorieuse Vierge Marie ,
Car vous me monstrez dignement*
Signe de très grant conrtoysie.
Par voiis mon ame est appaisée.
Qui estoit subjecte k misère.
Qui bien vous sert il ne fault mye >
Car en la fin luy estes mère.
47^ LKClETALIEm QUI DONNA
O royne de kaahe excellence,
O duw de grant dignité,
O waiit de très grant paissance ,
O ido^ CB capliTité,
Par TOUS je me sens acquitté
Dn dyakk , 1 qoi lyé j'estoye ;
Signe me monstre aequité
Quant par tous sots en bonne yoye.
Comme poonra j*je grâce rendre ,
Comme tous pooiraj-je servir.
Quant ça jos yoos Tenez descendre
Pour hors dn péché m*assenrir ?
Qoi Tostre amour peolt dessendr?
Bien est eureux , certainement.
Qui TOUS Teuh servir justement.
Tu m*as ddivré de tourment.
MVn voys qucnr ma bonne fenmie ;
Par die je sms bars de blasme.
Par die suis misai délivre;
Se Dieu plaist , tant oue pourray vivre^
Lut porteray signe abonneur
Et Taymeray de très bon cueur.
Car i elle je suis tenu.
Esveilles-vous , je suis venu ,
M^amye, pour vous crier mercy.
La Dams.
Hdas ! Monseigneur, qn^est cecy ?
Qn'aveE-vons?
Le Chevalier.
Pëj tris tùtl Hiespris.
Contre vous j^avoye entreprins
De TOUS donn^ au Sadiainas ,
Et m^estoye ainsi pour ce cas
SA Femme au Dyable. 477
Obligé; en voicy la lettre.
Mais TOUS avez fait entremettre
Par Yostre humble pétition ,
Au nom de la Conception,
La digne Vierge glorieuse ,
Qui de son oreille piteuse
À yostre prière entendue ,
Et des saincts cieulx descendue ,
Et Tenue au lieu avec mby.
Voire cuydant en bonne îoj
Que ce fust vous , ma doulce amye ;
£t poiurtant vous requiers et prie
Que me pardonnez ce meffaict;
Carie ay contre vous mefïait,
Carmen voy que vous estes bonne.
La Dame.
Mon chier Seigneur, qui s^abandonne
À Dieu servir ne peult périr.
Levez-vous. De parfait désir
Vous le pardonne doulcement ;
Et pourtant , mon loyal mary ,
Vivons désormais chastement,
Sans désirer aulcunement
Habitz curieux ne mondains.
Vous povez veoir les cas soubdains
Qui peuvent venir de jour en jour
A ceulx qui ont mis leur amoui*
Et leur cueur en mondanité ;
Car ce nVst fors que vanité.
Ainsi nous devons sans cesser
Pour la saincte foy exaulcer
De la Conception très digne.
Pour tant tous de cueur vous supplye
478 Lb Chevalier.
Que chascuD selon son povoir
De la seiriif face devoir,
A£Sd que , au pas de ta mort ,
La Vierge doui lace confort.
Amen.
Cj fine le mystère du Chevalier qui donna
sa femme au Dvafale. Imprimé à Lyon,
à la maison de feu Barnabe Chaus-
sard, pr^ Nostre-dame-de-
Confoit, H.D. xliiij.
Le XVI> jour de
juillet.
f DU TOME TBOISlkMl.
L'
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME TROISIÈME.
5i. Moralité nouvelle des Enfans de Maintenant , qui sont des
escoliers de Jabien , qui leur monstre à jouer aux cartes et
aux dez et entretenir Luxures , dont Tung vient à Honte,
et de Honte à Desespoir, et de Desespoir au gibet de Per-
dition, et Taultre se convertist & bien faire. Et est à treize
personnages, c'est assavoir : le Fol, Maintenant, Mignotte,
Bon Advis, Instruction, Finet, premier enfant; Malduit,
second enfant ; Discipline , Jabien, Luxure, Honte, Des-
espoir, Perdition. Page 5
5a. Moralité nouvelle, contenant
Comment Envie, au temps de Maintenant,
Fait que les Frères que Bon Amour assemble
Sont ennemis et ont discord ensemble ,
Dont les parens souffrent maint desplaisir.
Au lieu d'avoir de leurs enfans plaisir.
Mais à la fin Remort de conscience ,
Veuillant user de son art et science ,
Les fait renger en paix et union ,
Et tout leur temps vivre eu communion.
A neuf personnaiges , c'est assavoir : le Preco , le Père ,
la Mère, le premier Filz, le second Filz, le tiers Filz,
Amour Fraternel , Envie, et Remort de conscience. 87
55. Moralité nouvelle d*ung Empereur, qui tua son neveu qui
avoit prins une fille à force ; et comment, ledict Empereur
estant au licl de la mort, la sainte Hostie lui. fut apportée
miraculeusement. Et est à dix personnaiges, c'est assavoir :
l'Empereur, le Ghappelain, le Duc, le Conte, le Nepveu
de l'Empereur, l'Escuyer, Bertaut et Guillot , serviteurs
du Nepveu; la Fille violée, la Mère de la Fille, avec la
sainte Hostie qui se présenta à TEmpereur. la?
54. Moralité ou histoire rommaiue d'une Femme qui avoit
48o Table des Matières.
Toolit tnhir la elté de Romme , et comment sa Fille 1«
nourrit tii sepratines de son lait en prison, à cinq per-
toimiiges, e^est assavoir : Oraeios, Valerias, le Sergent,
la Mère, et la Fille. , 171
55. Farce nouvelle , fort joyeuse et morale , à quatre per-
sonnaigea , c'est assavoir : Bien Mondain , Honneur Spiri-
tuel , Pouvoir Temporel , et la Femme. rs-j
56. Farce nouvelle, très bonne, morale et fort jojeuse, àtroys
personnaigea, c'est assavoir : Tout, Rien, et Caascnn. 1 99
57. Bergerie nouvelle, fort joyeuse et morale, deMienlx que
devant, à quatre persounaiges, e*est assavoir : Mieulx que
devant, Plat Pays , Peuple Pensil, et la Bergiëre. ai3
5ft. Farce nouvelle morali«âe des Gens Nouveanlx , qui man-
gent le Monde et Je logent de mal en pire, à quatre per-
sonnaiges , c'est assavoir : le Premier nouveau , le Second
Nouveau, le Tiers Noaveau, et le Monde. aSa
59. Farce nouvelle, à cinq personnaiges , c'est assavoir :
Marchandise et Mestier, Pou d'Acqoest, le Temps qui court,
et Grosse Bespense. 349
60. La ¥ie et hystoire du Maulvais Ridie, k treize person*
naiget, ô'est assavoir : le Maulvais Riche, la Femme do
Maulvais Riche , le Ladre, le Prescheur, Troiemenn, Tri-
pet , cuisiiiier; Dieu le Ptoe, Raphaël, Abraham, Lucifer,
Satban, Rahouart,*Agrappart* 267
6i. Farce nouvelle des Cinq Sens de lHomme, moralisée et
fort joyeuse pour rire et recréative , et est à sept person-
naiaes, c'est asaavoir : l'HonuDe, la Boui^e, les Mains,
les Yeulz , les Plede , l'Ouye, et le Col. 5oo
€9. Débat du Corps et de l'Ame. 3a5
63. Moralité nouvelle, très bonne et très excelielite, de
Charité, otL est demonstré les maoU qui' viennent aujonr-
d'huy au monde par faulte de Charité , h douse personnai-
ges : le Monde , Charité , Jeunesse , Vieillesse , Tricherie ,
le Ponvre, le Religieux, la Mort, le Riche Avaricieox et
son Varlet, le Bon Riche Vertueux , et le Fol. S37
64* Le Chevalier qui donna sa Femme au Dyable, è dix per^
aonnaiges, c'est atoavoir : Dieu le Père, Nostre Dame,
Gobrieî, Rophael, le Chevalier, sa Femme, Amaury, es-
cnyer; Anthenor, escuyer; le Pipeur> et le DyaUe. 435
F m.
I
I I
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