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Full text of "Ancien théâtre françois; ou, Collection des ouvrages dramatiques les plus ..."

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ANCIEN 



THÉÂTRE FRANÇOIS 






Parif . Imprifflerû Gvirandet , 538, rue S.*Hoiioré. 



ANCIEN 

THÉÂTRE FRANÇOIS 

CoUeclion des ouvrages dramatiques 

Lei plu raiDIF^uiblel 

H. VIOLLET LE DUC 



A PARIS 
Chez P. Jannbt, Libraire 




ANCIEN 



THEATRE FRANÇOIS 



MORALITÉ NOUVELLE 

DIS 

ENFANS DE MAINTENANT 

Qui sont des escoliers ée Jabiea , qui lear monstre à jouer 
aux cartes et aux des et entretenk luxures . dont l'nng 
▼ient à Honte, et de bonté & Désespoir, et de Des- 
espoir au gibet de Perdition, et Taultre 
se conyertist à bien lUre. 

Et est à tréze personnages, c'est assai^oir 



LE FOL 

MAINTENANT 

MIGNOTTE 

BON ADVIS 

INSTRUCTION 

F I N E T, premiar enfuit 

M A L D U r G T. second: enfiiat 



DISCIPLINE 
JABIEN 
LUXURE 
HONTE 

desespoir 
perdition: 



Le Fol commence. 

aix là, paix U, paix là, paix, 

[paix, 
Qu'il n'y ait homme qui mot 

[sonne 
Pour tant que ne fiistes jamais. 
Paix là , paix là, paix là, paix, paix, 
La femme, de ce m'ent^epii^tz ; 




6 Moralité des Enfans 

La paix de mon ctil je vous donne ; 
Paix là, paix là, paix là, paix, paix, 
Qa^il n^y ait homme qui mot sonne. 
Venu suis le cours de Nerbonne 
Pour prendre à Paris la pie. 

Mignotte, ma femmeet amie, , 
Dieu mercy, et (la) Vierge Marie , 
Nous avons cy deux beaulx enfans 
Qui croissent et ja sont moult grans, 
Que j'ay nourris m grant dxâènXe 
Par mon labeur et de ma rente 
Jusques à icyv loui soit j^eux. 
Mais j^afibibUs et deviens vieux , 
Pour quoy je ne poiu-ray fournir 
Doresnavant à les nourrir 
Ne querre ce qu'est nécessaire. 
Âdvisons ce qu'est bon de faire 
Pour y donner provision. 

Hignotte; 

Dire, se me senmle, deussion 
Nostre b^soiiig à Bon Adyii» ; 
11 est Tqng de nos bons amis^ 
Moult saige, prudent et cUscret ; 
Je croy qu^il nous conseilleroit 
Loy animent , selon vérité ^ . 
En nostre grant nécessité. * 
Allons luy demander conseil. 

Maintenant. 

C'est bien dit; alkfn9,Je ieyueil, 
Trestous ensemble de ce pas ; 
Si luy monstrerons no^fre cas 



Bfi Maintenant. 

• 

Le mieulx que poorropspar bon sens. 
Venez avec nous, noz enlans; 
Allons parler à ce bon bonune. 

Le Fol. 

Certes, je m'esmenreille comme 
En peu de temps je suis si saige, 
Car je suis esleu pur usaige 
De la terre de Languedoc. 
Quant j^oyoje cbanter le coq, . 
Je £dsoye resYeilier Karotle. 

En dtantaot. 

Estes-vous à lliostep]» Perrotte ? 

Faictes-Yous les pojreaulx. bouillir ? 

Tentreprens tou[t] seid d^assailUr 

Qui youldra ces petiz patez^ 

Car je suis des enians gastez 

De ce pays ; par saint Germain, 

Je fineroys dedans demain 

De compaignons, je croy, gràiit somme. 

MAINtENANT. 

Bon Âdyis, sainct Pierre de Romme, 
Vous doint joye, santé, honneur. ' 

Bon ÀDTiftr 

Bon jour vous doint tiostre Séigbeur < 
Et TOUS met en boniie sepmûne. 

Maintenant. 
Vers TOUS venons sans nul deioaine. 

Bon Adti4S; 
Bon jour nous doint nostre Sagnenr. 

Maintenant. 
Pourquoy venons n^estes asseur. 



8 Moralité des Enfans 

Bon Abvis. 
Non. 

Maintenant. 
Je le diraj, soyez seur , 
Mais que nous vous fadons trop peine. 

MiGNOTTE. 

Bon jour vous doint nostre Seigneur 
Et TOUS met^ bonne sepmaine. 

Maintenant. 
Sçayoir ne puis chose certaine^ 
Se, par la yostre courtoysie, 
Ne me dictes que signifie 
Règle, balance et compas. 

Bon Advis. 

Je le Yueil, mais n^oubliez pas, 
Je compassé ce que je faictz 
Par mesure, nombre et poix. 
Premièrement je présuppose 
La fin, ains que taire aiiltre chose, 
A la ligne, au poix et reigle. 
Sachez la cause sans desreigle : 
Est première rintention. 
Apres vient la perfection. 
Noz maistres qui moult trayaillèrent 
Pour nous enseigner nous bailli^pent 
Par leur esisriptung très beau cas. 
En latin c^est : Quicquidagas 
In primo respice finem. 
Qui est à dire en françoys, 
Que, quelque chose que tu fays, 
Regardes comme tu la fays. 
Tu la doitz faire sagement. 



OB MAtNTENAIfT. 9 

Note dont premièrement 
Quel en pourra estre la fin. 
Ce que je t'ay dit en latin , 
Se tu Yoys que la fin soit bonne, 
Fais-la, car congié je t'en donne ; 
Si la fin en ya mal a point, 
Laisse la et ne la fais point ; 
L'Escriptore si (te) le commande. 

Mauttemant. 

C'est trestout ce que je demande. 
Vous estes ung grant conseilleur. 
On ne pourroit trouver meilleur. 
Sans barat ne sans tromperie. 
Conseillez-moi, je tous en prie, 
De nos enfans, que YOjeg cj, 
Qui nous donnent moiut de soucy , . 
Comment ilz se pourront cheyir, 
Après nous, le temps advenir. 
Je ne suis pas fort hérité ; 
Conseillez-moy en vérité 
Comment les apprendray à vivre. 

Bon âdvis. 

Maintenant , il le fault instruyre 

En art de quelque façon : 

Car ainsi Tenseigne Cathon : [tam 

Inatrue quipossint inopem deffendere vi- 

Cum tîùî sint nati nec opes tune artibua 

Cathon dit : Se tu as enfans \illo8. 

Qui soyent povres et non puissans , 

Telement que ne puissent vivre 

De ce que ta rente leur livre, 

Âprens-leur mestier ou clergie 

Dont ils puissent gaigner leur vie, 



10 Moralité des Enfans 

On ne les peult mieux hériter 
De meilleur œuvre pour s'ayder. 
Car il n^est trésor ne finance 
Qui vaille tant que faict science. 
Car on peult perdre par fortune 
Llieritage et Ta pecune ; 
Mais on ne pert point. sapîence 
Qu^on a apnns en son enfance-; 
Au besoing, jamais ne les laisse ; 
Exemple en avoiis eti Boece : 
Quant Fortune ses biens (}vlj) osta , 
Pbilosopbie le conforta. 
Je f en dis mon opinion. 
Baille-les k Instruction 
Qui loyaulment les instruyra. 

MiONOTTE. 

Par sainct Nicolas, non fera, 
Je les en garderaj, beau sire. 
Voulez-vous mes enfans destrujl*e, 
Que j'ay nourris si tendrement ? 

11 en yra bien aultrement, 
Sachez, car je n^en feray rien. 

Bon Advis. 

Dame , vous ne dictes pas bien ; 
Je nVntens pas qu^on les destruyse. 
Mais je vous dv qu^on les instruyse 
En science et bonnes meurs, 
Dont ilz pourront estre meilleurs. 
Et par les instruire vivront 
Et au besoing vous ayderont 
En la fin quant vous serez vieulx. 

MlGNOTTE. 

Or avant doncques, je le veulx. 



BB MAIMTBlfANT. ià 

Soyent menez i Instructioii , 

Pour cette seule intention ; 

Maiz j'ay peur que ib soyent ))attiiz» 

MAIlITENAlfT. 

Je n*y donne pas deux festus 
S^on les chastie pour leur prouffit. 
Puis aue Bon Aavis si Ta dit^ 
Il fault que tout droit y allons 
£t que Instruction prions 
De leur aprendre ung me&ûer^ 
De quoy ilz se puissent aider. 
Puis qu^il est ainsi ordonné. 

Le Fol, en chantant, 

11 est de 2>onne heurt? né 
Qui tient s'araye m ung pré^ 
Dessus la belle herbç )olye. 
Marotte fist trop gr$nt follyç 
Du sens qu*el[lejpript à 1 esçoUe ; 
El en est la moy tie ploer folle 
Du clergie qu^el a «9^ la teste ; 
Jamais elle ne sera graiid. bes^ ; 
Par sainct Mor, ce n'est qu i^ie yesse» 
Par trop souTfnt 9^et £aict ouyr ni^sse^ 
Par sainçt JeWn, eU? fi^^ gouverne. 
Puis me maine en la taTeme ■ 
Et , par le breton bretonnant y 
Âpres boire, non aul|i:ement.; 
C est la eoustume dé la ville. 

r 

MiGNOTTË. 

Chaseiin de vous tQs| âs'«^ille 

Ainsi comme il f^ppa^tient : 

Car y me» enians > u v«|ii^ oonTient 



11 Moralité dbs Enfans 

Estre menez chez Instruction , 
A celle fin que nous soyon « 
Trestous joyeulx de yostre faict. 
Venez et allons de. bon hayt 
 Instruction , que je yoy. 

Pau«e. 

Monseigneur, entendez k moy , 
Se Yous voulez gaigner argent. 

Instruction. 

Ouy certes , diligentement ; 
Je ne demande que monnoye. 

MiGNOTTE. 

Mon mary'vers vous mPe] envoyé 
Avec mes enfans que yoicy. 
Luy et moy nous donnons soucy 
Gomment ilz aprendront science 
Et mestier par expérience , 
Dont nous sommes tous conseillez , 
Et, par ma foy, si tous voulez 
Leur monstrer mestier ou gramoire. 
Nous vous donrons si bon salaire 
Que debvrez estre bien contetis. 
Nous n'avons pas rentes si grans 
Dont après nous ilz puissent vivre ; 
Aprene»-leur trestout ce livre 
Que vous tenez dans vostre main. 

Instruction. 

Je crois qu'il n'est pas corps humain 
Qui le pust sçavoir ne apprendre, 
^ar\ certes , trop fort est à comprendre , 
Car il contient tous les mestiers. 
Je leur aprendray voolentiers 



BE Maintenant. i3 

Partie de ce que je sçay, 
S'ilz yeullent sçaToir 1 a, b, c. 
Ou le psaultier ou le Doonct, 
Les enseignements Gathonnet , 
Les acteurs Boece et Thobie, 
Logique et ^oeterie , 
Le droit ciyil ou canonicque. 
Ou aultre mestier mécanicque , 
Gomme masson ou charpentier , 
Gouvreur, ou boursier, ou gasTtier, 
Orfèvre, tondeur, tavernier, 
Ou boulengier , ou saretfer , 
Qui au commun a bon mestier, 
Et d^aultre part comme musique , 
Géométrie, rbeloriqae. 
Se mestier est^ théologie. 
Médecine , astrologie , 
Qui en youldra il choisira ; 
Prennent celluy qui leur plaira ; 
Je leur apprenoray loyaument. 

MiGNOTTE. 

S*ilz peuvent sçayoir clerement 
Toutes sciences et mestiers , 
Je yous payasse youlentiers 
De yostre peine bon salaire. 

Instruction. 

Las , comment se pourroit-il faire 
Gomme tant estudier peussent 
Que tous les mestiers sceussent 
Tous les droictz et toutes sciences? 
Nous voyons par expériences 
Gil qu^en plusieurs mestiers a'affiche 
A grant peine n'est-^il ridie. 



«4 Moralité des Ënpans 

Qui a pluribus intentas 
Major est a singulu sensus,- 
Ce proyerbe si est comniçn : 
Se chascun en sçaroit bien ung , 
Il luy debyroit assez suffire. 
Quel mestier youlez yous eslire ? 
Dictes le moy pour abréger. 

MiGNOTTE. 

Nous ne youlons que plus legîer 
Mestier , qui ne coustera guière , 
S'ilz poyyent yiyre sans nen faire , 
Je Taymeroys encores mieulx« 

Instruction. 

Assez en trouye l'en d'itieulx 
Qui yeuUent yiyré sans rièta faire 
Et la science contrefaire» 
Qui est escript en Genesis \ 
Qui dit qu'A la sueur dn.yis 
Chascun si gagnera son pain. 
Telz gens debyroieni mourir de fain ; 
L*escripture ainsi le met ; 
Qui non lahorat non manducet. 
Mourir de £aûn doibt endurer 
Qui pour yîyre ne yeult ouvrer ; 
L*escripture si le devise. 

MjGNOTTE. 

Paictes en ung prélat d^^Use, 
L*aultre juge ou adyocat, 
Dont puissons ayoir grand estât ^ 
Grant honneur el grans richesses. , 

Instruction.' 
Tek seigneuries et lianidtessés 



BK Mâihtènant. i5 

On n'a pas si legierement. 
Il conyient et premièrement 
En mainte guyse traYaill^^ 
Guères doimir ne sommeiller, 
Coucher tard et lever mâtin, 
Et savoir bien parler latin , 
Avoir industrie et science , 
Et oui n*a bonne conscience 
Apres ensujt le danmement. 

MlONOTTE. 

Nous voulissdQff tant setiUement 
Que ilz apprissent bien k lire 
Et dedans tètis livres eseripre 
Et à parler grée et latin, 
Et tout dedans lundjr matin , 
Et vous en aurez bon salaire. 

Instruction. 

M^amye, il ne se penh faire 
Qu'ilz fussent en si peu de temps; 
Agrantpeîiié'dedBks dikiana ' 
En compreHâroaBruBg bioi^àpoint* 

* r ' 

Quoy qu'il soit', noui tte totdOâs point 
Qu'ils soyent bàfusV^ëà^ilt sont ta^es; 

iNStiiirCifid'N. 

J'en ay bien veu battre ttdïneïtrdrés; 
L'on aoibt jeûnes geûs cbâstiér, ' 
Mais, dictes-moy ae quel inestier 
Si fut leur pire en soti temps. 
Dont a nourris^ ses beftidi «nfans 
Et jusques cy ga^pati sa "vie. 



i6 Moralité des Enfans 

MiGNOTTE. *• 

Puis que voulez que je le die', 
Il s^est yescu de boulanger. 

Instruction. 

(Test ung bon mestier pour gaigner 
Et décent k vie humaine ; 
La science n*est pas yillaine. 
Vos enfisms y poyez bien mettre. 
Ils apprenmttnt bien ceste lettre 
Ou aujtre mestier pour bien yiyre ; 
Bon faict ses parens ensu3ryre ; 
Besoing n'est point d^auitre escoUe, 
Puis que yous en estes si folle ; 
Certes, m^amye, yous les gastez 
De leur bailler ainsi pastez; 
C'est une maulyaise y iande , 
Nonobstant qu'elle soit friande. 
Yous ne youiez qu'ilz soient battus. 
Aussi ne sont-ilz pas yestus 
En manière d'estudians ; 
Ilz semblent mieulx à deuxirians; 
Leur habit n'est pas convenant. 

MiGNOTTE. 

C'est la façon de maintenant ; 
L'on yest ainsi les escoUiers. 

Instruction. 
De quoy servent tant de pilliers 
A leurs robes à si grans manches , 
Tant jours ouvriers que dimenches , 
Ces grans bonnetz et ces chapeaulx? 

MiGNOTTE. 

Ils en sont jolys et plus bèaubc , 



DE Maimtefiaiit. «7 

Et si en sont jrfos chauldement. 

Instruction. 

Vous Fentendez bien mescliamment ; 
Ce n^est point iliabit qn^il leur fault. 
Ung jeune enfant est trop plus chault 
Que n*est une yieiik personne. 
Et pour cela sagesse est bimne 
Quil ne les fault pas trop CQUTiir, 
Car on les ferolt aevenir 
FriUeux et melencolieux, 
Aulcuns dient qu'il yauldroit mieolx 
Qu*ilz allassent nues les testes^ 
Mais sottes gens conune yous estes 
Les gastent par telle mignptise. 

MiGNOTTE. 

Et (rae Toulez-Yous ! c*est la gnyse 
Des Dons enfans'de Maâitenaàt. 

Instruction. 

Le nom est assez consentant, 
Et le point ayecques la note. 
Mais puisque Maintenant et Mignotte 
Habillent ainsi leurs enfans, 
Hz sont yestuz coinme gallans 
Quand ilz les mettent à FescoUe. 
M'amye, yous ested trop folle 
Et les perdez jna'u]yaiaemenli 
Car on yoit adyenir souyent' 
Qu*en£ains tenus chers en jeunesse 
Ne yiennent pas à grant prouesse, 
Etceulx qui prennent yaiiie gloire 
A la fin sçauront le contraire ; 
Car ilz auront la froide joye. 

T. III. 2 



/ 



iS Moralité des Enfàns 

C'eat raison que Dieu y pourvoye , 
Pour ee qum ont toute leur cure 
En auhre que au Creatour. 

MiONOTTE. 

Gouyerne2>-les à yostre. tour ; 
Je u*en sçauroys plus arguer. 

Instruction. 

Mais, cnfans, il vous fault muer 
Geste mignotise de vivre , 
Se voulez ma doctrine suyvre ; 
Mais premier descouvrez vos testes 
Affin que soyez plu^ honnestes 
Selon les éscolliers nouveaulx , 
Et laissez tous ces grands chapeaux , 
Et prenez aultres vestemens. 

Adonc la femme s'en retourne et t'en ▼«,& Mn-mÉfy. 

Maintenant. 

Mignotte , dictes-moy conanent 
Sont doctrinez noz deux enfans, 
•Mignotte. 

Hz seront très bien , je m'en vanU , 
Au moins se dit Instruction 
Qui en a prins commission 
De les fisdre deux grans seigneun , 
Instruction. 

Ha , dea , vous n*estes pas taigneux , 
Vous avez assez belles testes. 
Se voz babits fussent bonnestes 
Et eussiez bonne voulenté , 
Je vous aprinse k planté 
De science et de doctrine ; 
Et n'y a pièce en vostre ligne 



. D^ Maii^tenant. 19 

Qui de TOUS ne fust konooraj. 

Si ayez beaucoup demouray^ 

Mais peult estre n^en povez mais; 

Il TOUS yault mieulx tart que iamais* 

N^attendez pas que soyez yietnx ; 

Seroit foUye , se m^aist dieux, 

Au propos de Gathon le saige 

Ce qui s^ensuyt en brief langaige : 

Multorum cwn factasenes mt dicta recensée 

Fac tibiêuccurrantjuvenisquefeceria ipae. 

Quant tu seras en ta vieillesse 

Et racompteras ta prouesse 

Et les beaulx faicts de plusieurs gens , 

Fais dès maintenant que les tiens 

Te puissent alors secourir. 

Et de ce te puisses servir 

Que aprins auras en ton. temps. 

Pour ce je vous dis, mes enfans, 

Fauldra que soyez chastiez ; 

Se bons escotiers vouliez 

Estre, venez à Discipline 

Humblement, la teste encline. 

Se voulez avoir loz et pris. 

Fin ET, premier enfant de Mennienant. 

Sire , nous n^avons point appris 
D^estre en tel subjection. 
Nous n^avons point intention 
D*estre longtemps à vos escolles. 
De quoy servent telles paroles? 
Nous ne voulons point estre clercs. 

Malduigt, second enfant de Maintenant' 

Tons nous parlez à motz couverts ; 
Ce nVst pas ce que demandons. 



30 Moralité des Enfans 

A Dieu , Sire , vous commandons ; 
Nous en sçayons trop k-moytié. 

iNSTRUCtION. 

Mes enfans , j*ay de vqus pitié : 
Une foys tous repentirez » 
Llieure et le jour mauldirez 
Qu*à moy ne voulistes entendre , 
Scienoe ne mestiçr apprendre, 
Je le TOUS dy , et m^en descharge, 

FiNST. 

11 nous fâult Yollcr au plus large. 
Vous nous tenez trop fort en serre. 
Viens tost , allons[-nous] en grant erre 
11 est assez temps et sayson ; 
Car nous avons sens et rayson 
De nous gouverner aultrement. 
Je ne vueil plus de chastiment ; 
G*est à ses petits jouvenceaulx. 

Malbuigt. 

J*aymeroys mieulx garder yeaulx. 
Par le sacrement de la messe , 
Je lie feray plus cy de presse , 
Ne serviray père ne mère. 
Qu'est-il de faire ? 

FiNET. 

Par sainct père, 
Je sçay bien , se tu me yeulx croire 
Une chose moult bien notoire , 
Gomme nous nous en chevirons : 
Devant mon pire nous yrons 
Et compterons tout nostre cas. 



DE Maintenant. at 

. MÂLDUIGT. 

Or allons, et iieliaiUoihs pas; 
J*en ay graiit désir et couraige. 

Le Fol. 

Mieulx yault estre aa:j^ dbamps ,qa^en caige. 

Instnictioii les eust battus. 

Bien eussent est^ malostrus 

D^estre subjectz à ce bcttt homme. 

Certes, je m'esmerreiâe comme 

Marotte a si bonne teste ; - 

Il n Y a si petite beste 

Qu'elle ne saiche par nature , 

Et sentiroit une mÀire 

D'icy jusques aux Angnitim « 

Et je suis de ses galopins; 

J'ay aprins jusques à. tout oublie , 

Excepté Fart de liescherie 

Et de prendre-mon advantaige. 

FiNST. 

Père, Dieu vous gard. 

Maintenant. 

Qwi es saige ! 
Que yiens^ttt querre, mon enfant? 
Mais, or me dy, où as^tii tant 
Âpprins de biens comme tu monstres ? , 
Deusses-tu pas , quant tu m'encontres, 
Mettre la main au chapperon? 

tlNET. 

Par mon serment, mon père, non; 
G*est aux dames et aux! ségneurs , 
Et nous sommes enfans mineurs - 



2a Moralité DES Enfàns 

Qui guères ne sçayons de bien. 

Maintenant. 
Ha , dea , yrayment je le croy bien ; 
Gj n^ a point de discrétion. 
Esse tout quant que Instruction 
Vous a apnns le temps passé ? 

Malduigt* 

J^en suis desja trestout lassé ; 
Il ne nous faict que. rabrouer; 
Nous ne voulons plus demeurer 
N^ayecques liiy , n^ayecques tous ; 
Pardonnez-nous-Y quant est à nous ; 
Nous ne vous servirons jamais. 

Maintenant. 

Me servirez-Tous de telz metz , 
Quant je vous aj , soir et matin , 
Toujours mis la pain en la main , 
Vestuz , nourris si chèrement? 

Finet. 

Nous sommes deshonnestement , 
Mon père , en cestuy estât , 
Et pour tant , sans plus de desbat , 
Querez-nous au moins vestement. 
Et laissons ses enseignemens; 
Nous sommes la moytié trop sàijges» 

Maintenant. 

Vous ne voulez que faulx usaiges ; 
Je Faperçoy bien maintenant. 
N^avez-vous pas habillement 
Pour vostre estât et le mien ? 
Je ne voj si homme de bien 



DE Maintenaut. 23 

Qui ii*eii deust estre bien content. 

Malduigt. 

Il n^est ne bel ne compétent ; 
Habillez-nous, car c*est rayson, 
Com enfans de bonne mayson. 
Ung cbascuu yroit munnurant » 
Se les enfants de Maintenant 
Et de Mignotte descendus 
N'estoyent jolys et bien yestus , 
A Testât qu'il nous fault mener. 
Rien n*en fiault nous en sermonner , 
Car certes nous [n^en avons cure. 

FiNET. 

De tel babit ce n*est qu^ordure ; 

Car aux enfans de Maintenant 
^ Il convient faire le galant 
'Qui veult parvenir a grant bien. 

Malduict. 

Par Nostre Daine , je sçay bien 

Se vous ne pensez aultrement 

De nous quérir babillement 

De propre façon et nouveUe , . 

Yueille dyable ou Kyrielle, 

J'en aurai, certes , dont il vienne ; 

Car c'est la coustume ancienne, 

Jjamaift ne me vient à plaisir. 

Maintenant. 

Au monde on ne peult dioisir 
En&ns plus pervers et iniques. 

Finet. 

Sainct sang bien, quelz mirelificques ! 



a4 Moralité des Enpans 

Mais que [nous] valent tJartide mines ? 
Voulez-Tous que mangeons racines 
Et que vivons iainsi qulieirmites. 

Maintehant. 
Vous jouez à double et quihot. 
Yray dien^ qu^avez-vous en pensées ? 

Malbuigt. 

Il nous fault robes coulourées , 
Pourpoinctz faictz pannj le corps, 
Ghauses tenans par bons àccors. 
Et puis chappeaulx de aignelin. 

Maintenant. 

Voire, mais quelle sera la fin ? 
Rentes n^avons pas pour ce faire. 
Certes, se vous vouloys complaire, 
Je deviendroys le plus povre homme 
Qui soit d^icy jusques k Romme. 
Je vous pry que vous [vous] taysez. 

PiNBT 

Mon pire, or tost vous appaisca. 
Querez-nous ce que demandons. 
Ou je croy que nous [nous] mettrons 
A Taventure , pert ou jgaigne, 
D^aller à Gana ou en Espagne , 
Dont vous lie serez ja haytté. 

MAXbUIGT. 

Pire, plus nVnsoit caquette, 

Je vous pry , pour le plus lumneste. 

Maintenant. 

Or ça , donc, à vostre requeste 
Et afBn que pis ne faciès ,. ' 



Dfi Maintenant. a5 

Je ne fiairay, ce- sacàes j 
Jusqaes à ce que serez, en point. 
Tenez cy cbascun ung pourpoint 
Et mettez jus ce$te despouiUe. 

.. Fm&T.. . 

nj le coi^inieuk fiiict ^'nnfmiowSk. 

Que ois-tu ? sui$-;}e lu^at çn iKÛnt T 

Et Y par mon ame , je suis joint 

Par le corps com une puceUe , 

Et trestout le corps me sautelle 

D'estre ainsi court habillé. . 

Mai«duict. 

Je suis tout gay et esTeillé.; . 
Venez dancer ayec moy , frère. 

FiNETc 

Il n'est pas temps ; or çâ^ 'mon pire. 
Ayons-nous robes et chapperons ? 

Maintenant. 
Ony^ dea. 

Malduict. 

Doncquès nous dancerons 
Souvent à la nouvelle guyse, 
C'est tout proprement la devise 
Que portent ces gentilz galoys. 

F IN et, 

Playder [il] .nous fault pour la croix , 
Car les enms de Maintenant : . 
Ne se pourre^yient pasaep; d'argent. ■■ 
Entens-tubieai^ jis yttèiljuf^? 
Geste glose ne'nou&ffeull'nuir^ 
Pour bien aller àTayâi^ge. 



a6 Moralité des Enfans 

Malduigt. 
Je Fentens si bien qae c^est raige ; 
En parlés ainsi com le saige. 
Faictes à chascun son partage, 
Père, nous en yoalôns aller. 

Mauvtenant, en leur baillarU de 
Vargent, 

Tenez-cy. Certes , je yoos jure 
Que me mettrez en povrète, 
Et demeure fort endetté 
Pour soustenir touf yostre iaict. 

FlWKT. 

Nous ne tous mènerons plus de plaict. 
A Dieu soyez. 

Maihtenant. 

Adieu. 

Malduict. 

Adieu. 

FiNET. 

De quel mestier ne de quel jeu , 
Dy-moy, nous pourrons-nous chevir? 
On ne prendrait point pour servir 
Telz escuiers comme nous sonmies. 

Malduigt. 

Nous sommes ja presque tous hommes, 
Dyable nous feroit bien servir. 
J^aymeroys trop nûeulx à mourir, 
Par mon serment, que prendre peine ; 
J*ay de Targent pour la sepmaine, 
Yoyre plus que nVn despendrons 
De cest an. Mais, se nous trouvons 



BE Haintehaiit. «7 

Quelque seigneur de grand renom, 
Ou ung conte, ou uns baron. 
Où eussion quelque auvantaiget 
Je croy que ferions que saige 
De nous tenir en son service. 

Le Fol. 

Us font comment fait Fescreyice , 
Qui chemine à reculons. 
Je trouvay lundi deux hérons 
Qui yindrent pour me assaiUîr ; 
Marotte me ymt secourir; 
Bien si porta et yaillamment. 
Mais les enians de Maintenant, 
Faictis et choisis à la main , 
Sont en ce pays, j'en suis certain. 
L'eslite y est et le chois. 
S*ilz Youlent servir, ouy dea troys , 
Marotte les met à Toffice. 

FiNBT, 

Je suis fdetis et bien propice 
Pmr estre mis en lieu de bien. 
Or entens à moy , vien ça, vien, 
Je voy U une grant merveille. 

Malduict. 

Allons pris, je le te conseille ; 
Me semJble d une sage femme. 

FlKBT. 

J^ay trop grant peur quVl me diffame. 
Se je m aproche >le trop pris. 

Malduict, «n frappant son frère» 

Je suis content d'aller auprès. 



«8 MOBALITÉ DES EnFANS 

FiNET. 

Dieu te met en roalle sepmaine, 
Eu mal an et en malle estraine , 
Comme rudement lu me boutes. 

Malduict. 
Mais toy, tu me bouttes de couttes 
Si très fort que c'est grant merveille. 

FlNET. 

Certes, vecy que je conseille ; 
Demandons icy qui cl est. 

Malduict. 
C'est très bien dit. Puisqu'il vous plaist. 
Dame, dictes-nous vostre nom. 

DlSGipi^INE. 

Discipline m'appelle-an. 
Je suis au siège de justice. 

FiNET. 

Voulentiers vous ferons service 
Se il est chose qui vous playse. 
Mais que vous nous tenez bien ayse. 
Et aussi de nous commander. 

Discipline. 
Je ne vous vueil huy demander. 
Mes amys, mal ne villennie. 
Mais enfin que brief je vous dye. 
Qui me veult servii* bonnement 
Doibt tenir mon enseignement 
Et m'avoir aussi cher que î'œil. 

Maldùict. 
Dame, cela tropbien je vueil: 



DE Maintsuant. 39 

Mais dictes nous premièrement 
De quoy tous sert cet instrument 
Que TOUS tenez en Tostre main. 

Discipline. 

Jl me sert; car tout homs humain 
Qui yeult venir à mon escoUe, 
Quant de mes ditz ne se recolle , 
Je les metz à coirection 
Par bonne castigafîon , 
Dont pub après peult mieux yaloir. 
Et pourtant vous devez sçavoir 
Que Discipline, à entendit , 
Et seulement pour vous apprendre 
Réception de congnoissance, 
Et, aiSxï gue ayez espérance. 
En avez aiffinition , 
Disciplina est receptio 
CasUgationis in disciplinant. 
Pour ce , telle réception , 
Retenez et n^oubliez m je ; 
Car ({ui bien ayme bien cfaastie ^ 
Comme souvent vous Foyez direi 

FlIfET. . 

Par sainct Jehan , je m'en puis xire ; 
GVst très maulvais esbatement« 
Quant on parle de batement , 
Par ma foy , ce n'est pas ma charge ; 
Nous vouslairrons cy bien au large 
Se ne nous montrés aiiltre chose. 

Malduigt. 

Noos feisons cy trop longue pose, 
Ce n'est point nien ce qui nous ïault; 



^9 . Moralité des Enfans 

De ces yerges il ne nous chaolt ; 
Bien voulons aultre chose querre. 
Gomment? se fault-il seoir à terre « 
Qui yeult yostre sçayoir apprendre ? 

Discipline. 
Oay dea , et le srand et le mendre , 
Car c'est signe ahumilité. 
Or escoutez ranctorité 
Que nous ayons en TEyangille; 
A chascun croire est faciJle : 
Qui se humiliât exaltabilur^ 
Celui qui se humiliera 
En âpres exaulsé sera ; 
C'est Donne retribution. 
Et puis aultre réception 
Fait Boice , de disciplina 
Qui yous monstre trestout cela : 
Qui non novit se suhjici 
Non nocet se magistri (sic) ; 
C'est à dire souverainement : 
Celluy qui n'a premièrement 
Esté subject , ne se doit mestre 
Jamais reputer ne congnpistre. 
Vous debyez cest enseignement 
Bien retenir entièrement; 
Vous en serez trop plus sciens. 

FiNET. 

Nous yous mercions de yoz biens; 
Quant à moy, je suis clerc assez. 
Certes , nous sommes ja lassez 
De yous et de yostre doctrine. 
Or ça , madame pèlerine, 
Il nous convient yuider La place. 



PIS MaINTEH ANT. 5t 

Malduigt. 

Elle feict auteUe grimasse 
Comme faisoit Instruction. 
Allons , que plus cy ne soyons ; 
A Dieu soyez et nous aussi. 

Discipline. 

£t vous en allez-vous ainsi 

Sans apprendre à mon escoUe? 

Vous ayez la pensée folle 

Et estes tris mal conseillez. 

Se ne voulez estre reiglez. 

Et corrigez tant qu^estes jeunes , 

Il vous viendrja tant de fortunes 

Que ne les pourrez soustenir, 

Parce que ne voulez souffrir 

Qu'on vous tienne en bonne doctrine. 

Se n'avez voulenté encline 

Maintenant de vous adviser. 

Jamais ne serez à priser; 

C'est commun k toute geht. 

FlWET. 

Certes, il ne nous fault qu'argent , 
Et, si par voz enseignemens , 
Yoz raysons et voz areumentz 
Vous nous povyez enrichir. 
Nous serions prest à vous servir 
Tràs voulentiers par chascun jour. 

Discipline. 

Tous apprendrez bien sans séjour. 
Point ne povez avoir puissance 
Bonnement, mais avoir prudence, 
i comme dit Aristpte, 



39 Moralité des Enfans 

Qui en paroUes noqs dénote , 
En Ethique en son premier liyre. 
Lequel vous debvez oîen ensuivre 
Et apprendre et r^enir^ 

FiNET. 

Icy ne nous fault plus tenir. 
Car je n*entens po^t ce latin. 
Vous estes lerée trop matin 
Pour prescher la loi de Moyse. 

Dl$CIPLIȣ. 

Je ne dy que par courto jsie 
Tout cecy, sans vous pàrforcer; 
Pas ne tous debyéz courroucer 
Se de TOUS adyiser m^acquitte. 

Malduict. 

Truc, avant ; ce n'est que redicte 
De toute ceste prescherie. 

FiNET. 

Allons, viens-t'en^ je la regkiiei 
Il nous fault aller trouver mieulx. 

Malduict. 
Très bien, de par Dieu , je le venlx; 
Huy ne povons trouver pis. 

Le fol. 
Le jour que les gg. et les pies 
Gombatoyent en Lombardie, 
Marotte, par graiit goârtnatid»s, 
Mengea bien quinze gastelétzà 
Se vous voulez estre varletz, 
El(le) vous apprendra grant honneur; 
Elle n'a cure de labeur; 



PB Maiiitenant. 33 

Elle vit , sans jlb& , de sa rente 
Ou de son ponrdias , crue ne mente. 
Elle est^muiaBiie prHideftmme, 
Oncques n'eiist honte ne diSbne, 
Se n est du cufé de U ville ; 
Ung temps je la yis beU^K fille 
Appartenant à gens de bien. 
Elle est cousine de labien ; 
N'est-elle pas de bon li^naige? 
Finet, prens la en mariage ; 
Certes, tu pourras âdre pis. 

J'àbièn. 
Où vont ces combaignons gentik? 
Ilz sont bien snr le nault verdus. 
Vous estes bien* énfans pef dds 
D'aller ainsi à Tadventure. 
Qui estes-vous? 

FiNBT. 

Et je vous jure 
Que sonunes enfiains de Maintenant. 

Jabien. 
Que je parle à vous pliis avant : 
Youlez-Yous point sçavoir de bien? 

Malduict. 
Comment vous appelle-on? 

Jabien. 

JabieU) 
Le fils de Malle Àdventure , 
Qui long-temps me mist en nature 
D'estre maistre de son escoUe. 
Je Yons jure , par sainet NicoUe , 
Qfie toat par tout f^y éseoUiers , 
Dont m'en vient beaueoup de deniers. 

T. III. 3 



34 Moralité des Enfans 

En ce ro jaulme de toutes pars 
Y a tant de maulyab paiUars ; 
J*en foumiroye bien, pour certain , 
Tant seuUement dedans demain , 
Une douzaine de ma bande , 
Lesquelz je yueil oue Ton me pende 
Se ne les laictz maistres passez 
A jouer à cartes et detz, 
En tous les ars de tromperie , 
De finesse et mocquerie. 
Gelluy n^ a que je lé saiche 
Bien jouer quant se tient en place 
A la romfle et à la chance , 
Aux cartes et au jeu public , 
Au masgaret , aussi au glic , 
En toutes manières de jeux. 
Et pourtant cy, entre vous deux. 
Mais que vous soyez diligens, 
Maistres tous fera[yj suinsans , 
Se vous voulez estudier 
Aussi d^en faire ung millier ; 
Par tous les lieux où vous serez 
A tous yivans vous donnerez ; 
Ung coup vous mettra au dessus ; 
Gardez ce point que je concluz , 
Et ne croyez père ne mère. 

FiNBT. 

Nous vous tiendrons pour nostre père 
S'il vous plaist de nous bien apprendre , 
A vous sommes tous prestz d'entendre 
Et de bien suyvir voz escolles. 

Jabien. 
N'en faictes ja tant de paroUes ; 



PB MaIOIT£NANX. 35 

Je TOUS monstreray yoalentiers, 

Malduigt. 

Nous serons trestousescoliers 

S*il plaist à Dieu et nostre mabtre. 

Jabien. 

Jamais vous ne poyez mieulx estrç 

Que vous mettre dessoubz ma main , 

Certes , avant qu'il soit demain , 

Je TOUS feray tous escolliers 

En finesse et tous mestiers, 

Se vous me voulez très bien ouyr. 

Malduigt. 

Vous me faictes tout resjouyr. 
Mais or me dictes , je vous prie , 
Que ferons-nous de ce clargie ? 
En aurons-nous or et argent ? 

Jabiem. 

Ouy bien certes , largement , 
Et respondrez à tous quarrez , 
Et vous prometz que vous n'aurez , 
PoiiT voz leçons ne vos records , 
Ung seul coup dessus vostre corps. 
Mon escolle n est pas pour batre, 
El est seuUement pour esbatre 
Et pour jouer les compaignons. 

FlNET. 

C'est très bien ce que demandons , 
Je m'en vois donc seoir à terre 
Mais je vous vouldroys bien enquerre 
Se vous demandez grand argent. 



36 Moralité des Eufans 

Jabien. 

Je ne yoas demande nient , 
Fors qae me yueillez bien entendre 
Et mes enseiffnemens comprendre. 
Et,pourpnLer«muuenLment, 
Yueil anx enfans de Maintenant 
Monstrer une aultre leçon. 
Pour commencement de chanson , 
En toute placé et tout Heu , 
Vous regnu*ez le corps de Dieu. 
Et tenez coinctes vos personnes , 
Et entretenez les mignonnes. 
Soyez aux gens présomptueux 
Et vous monstrez bien gracieux 
Aux dames pour les acquérir ; 
Quant ilz ne youldront obeyr, 
Et vous y voyez vostre bon , 
Prenez-les, veulent-ilz ou non; 
Gecy est un cas.d^observance. 
Scelles se mettent en defiense , 
Pour cela point ne les laissez , 
Car après nien en che virez. 
Chascune nuyct faictes grant bruit; 
A ce devez prendre (grant) déduit : 
Gommé servante en bon point 
Vous sçavezi bien ne tardez point 
Que elle ne soit enlevée ; . 
G^est chose bien recommandée , 
Et en fiait exprés mention 
Le livre de Perdition , 
Qui est si notable docteur ; 
Groire debvez vostre acteur. 
Faictes toujours contentz et noyses 



DE H AINTERAHr.' 37 

Régnier Diea.âebveft, -et saînctz, 
Pour une espingle et pour moins ; 
Et qui TOUS Yomdra corriger 
Ne vous tenez point dé frapper ; 
Et qui Touldra k vous cômbatre 
Pour ung soufflet rendé^-en quatre. 
Car, se voulez venir k bien , 
Point ne fault estre Jafaien ; 
Ainsi nous le dit ung chapitre 
D'un livre dont tel est le tittre : 
Hic liber pérditionis ^ 
Que doibt sçavoir homo omrds. 
Et pour ce , mes bèaulK escoliers , 
Soyez fermes et bien entiers 
De me porter grant reverenee. 
Avoir ne debvéz pacience 
D'aimer le 5exe feinenin. 
Fuyez comme triade venin 
Toutes gens de rellij^n: 
Esse vostre klentioii 
De tenir mon enseignement? 

MALbUIGT. 

Maistre , j'ay ja Fentendement 
Ouvert par vostre discipline. 

FiNEt. 

Par le sanc bieu\ il nW racine 
De finesses que je ne saiehe. 

Maldvict. 

Par la mort bieu, tu n*én as taeiké 
Au regard de ce que jç aç^y* 

FlWBT. 

Par le sanc bien V je té <liray; 



38 Moralité des Enfans 

Pratiquer faolt nostre science. 

Malduict. 
C^est bien dict , le sang bien > je pense 
Que tu ne scez rien envers moy. 

FiNET. 

Ventre bieu , j'argue à toy. 
Yoix-tu de ces beaubc detz peluz ? 

Malduict. 

Parlons moins et en faisons plus. 
Gecte là ; qu.*as-tu ? 

FlNET. 

Deux et ars. 

Malduict. 
Certes tu mens; c'est embesars , 
Et , voys-tu , voicy deux et quatre. 

Jabten. 

Vous TOUS sçayez très bien esbàtre , 
Vous estes clercs jusques eunen: 
Passez serez à Texamen 
Ayant que tous partez d'icy. 

FiNET. 

De tous clercs du monde dy fy ; 
Je respoDs & leurs questions 

Jajbien. 

Or ça, iaulses pétitions 
Dessus le genre femenin. 

Malduïct. 

Par le corps bieu, c'est le latin ; 
Mettre intro et non foras. 



' DE Maintenant. 39 

Hodie, semper, hery, cras , 
OUm, tune, rame, sempery aero, 

FiNET. 

Même, modo, diluculo. 
Or me respons : da numeri 
Vt ter, quater, da negemdi 
Vtnon. 

Font de femenin les pratiques ; 
Car trestous les menus articles 
Ne peust sans .le masculin : 
Car Iny ayec le femenin 
Conjointes ayeccjues le commun 
Qui ne se doîbt entendre qu*ung. 
Nonne dicit sacra pagina : 
Erunt duo in came una. 
Ainsi veult estre decUné. 

Jabien. 

G*est tris haultement latine ; 
Vous estes assez suffisans 
Et eussiez vous esté dix ans 
Aux grans estudes i Paris.. 

F INET. 

Quant à moy, je suis bien apris ; 
Vous me porez bien passer maistre. 

Malduict. 

Etœoy, car je le puis bien estre. . . 

J*ay tîes grant engin et memoyre ; 

11 n'y a livre ne bystoire 

Que n*aye yeu de malle doctrine; 

Jamais ne yueil de discipline ; 

Mais, se aulcun me disoit injure, 

Je regnye bieu à Fadyenture 



4o. MoRAiiT.i DES Enfaks 

Que pour ung mot j*en dîl^]r^«eIL^ 
Et ]uy bailleroy, je m'emront, -. .. 
Incontineiit sur le TÎ^aige. 

Jabïeiï.v , 
G*est dit d^ung eacQUerUensaige, 

Et bien parlé nôtablementv . 
Bien résolu en argument; 
Maistre tous serez a ceste heore* 

FiNET. 

11 ne fiittlt pas que je demepre , 
Maistre, car j*en sçay bien autant. 

Or ça donc, tirez-yous aT«n!L . 
Puisqu^aTez tant estndié% . 
Vous porterez quotidie l . 
Ghascun au costé ces deux dagues : 
Car ce sont bien notables bagues . 
Pour congnoistre les bons enfans 
Qui portent armes et bombans, 
Escoiliers de malle doctrine 
Ghascun de vous est assez digne 
Que maistres soyez ^qppellez. 
Gardez que prc^tousjjoursioyez 
De praticquer Tostre» Mieiioe 
Et en monstrez Fe^iperience ; 
Gardez que jamais n^amendez. 
Ou nom de cartes ou de detz , 
Soyez maistres ; enfants labien , 
En mal prouffit allez ; emten. 
Et tousjours me portez honneur. 

MAjt,pipjCT. . 
Voire comme à nostre tuleuTf 



Car il ne &tilt doubler en rien 
Que ne soje enlans Jabien, 
Corn les enfans de Maintenant. 

Esoontez, enfans^ il eonnent 
Que demonrez avec ma fille. 
C'est la plus belle de la yille 
Et de oe monde, je vous jure. 

FlNET. 

Je ne la congnop. 

Jabien. 

. C'e^tl^ojE^pve; 
Mais je ne m'en esbabiÀ pas* . 

Fiwtst. 

Var mon serment, e'Vst ^nbsire cas ; 
On ne peult mieulx jaù mtmde djre. 
Or que nous la voyions, beau sire, 
Menez nous y incontinent. 
Vivre npu5 &vit joyeusement 
Tandis que ce bon temps nous dure.. 

Je verroys youlentiers Luxure: 
Car c'est tout ce q«e je deanande. 

iABIEÎf. 

r 

Se voulez estre de sa bende, 
Vousne jpoyiez au nionde imeult ; 
Car il n est rien dessoubz les cieulx 
Que je Gongnoisse [iltts propice 
Aux jeunes gens que le ^erviee 
De Luxure et beati regarda 



42 Moralité des Enfans 
Maldvigt. 

Je TOUS jure qu^il est bien tard, 
Tant ay doubte que ne la voye ; 
Jabien, mette:&-nous en la yoye 
Et au Ueu là où elle demeure. 

Jabien. 

Très Toulentiers, et tout enllieure 
La feray dcyers vous venir. 

F INET. 

Avant donc, gardez d*y faillir. 

Jabien. 

Or ça, Luxure, vien avant, 
Car les enfans de Maintenant 
Veulent avoir ta compaignie. 

Luxure. 

Veez me cy, coincte et jolye. 
Gracieuse et godinette. 

FiNET. 

Je vous prometz que bien me baitte 
Vostre maintien, ma chère dame ; 
Je ne vy meshuy, sur mon ame. 
Rien qui me fust plus aggreable. 

Jabien. 

Vrayement, elle est daine notable. 
Si vous convient en elle deduyre. 
Jamais nul ne vous pourra nuyre 
Tant que serez avecques elle. 

Luxure. 

Ma condition est telle 

Que ne demande que soulas, • 



DB Maintenant. 4i 

Et me fault mener bras k bras 
Tout ainsi comme mariée. 

Malduigt. 

Prenez que soyez Tespousée ; 

Or dançons d^ung accord tous quatre. 

Jabien. 

C^est bien dit, il nous fault esbatre 
Et se donner tousjours (du) bon temps. 
Avant, qui sont les mieulx chantans ? 
Qui commencera de tous troys ? 

Luxure. 

Ayant, ayant ; le plus courtoys 
Doibt commencer sa cbansonnette. 

FiNET. 

Je diray donc, puisqu^il yoas baitte 

Adonc ili chantent tons ensemble çn dançanl. 

Au joly bouquet crotst la yîolette. 

FXNET. 

N^est-ee pas doulcement cbanté ? 

Malbuigt. 
Certes, tu es trop fort baslé; 
Tu nV says non plus ffnv^ dodiit, . 
Estrille, utncille, bourain 
Ou la mignonne tricotie. 

Adonc ilz cbantent tons ensemble avecqnes lé Fol. 

Ls Fol, enchantant» 

Se Robine si fust au boys. 
Je Teik eusse tost emmen:4e. 
Vray est quVn la yille aux dames 
Il n y demeure que deux femmes 
Qui fournissent toute la yille« 



44 Moralité des Enfàns 

Marotte est plas subtille 

Et de plus grande entreprise ; . 

EUe faict bien une chemise 

A mettre deidx culz tous ensemble, 

11 n*y a point qui la ressemble . 

En ceste ville, ne au pays. 

Se yonlez , sans ankan deyis, 

Elle sera maistresse. 

Sainçte sang bien, comment tu y esse ; 

Longtemps a la yesse couyée. 

Le jour que Marotte fut née , 

EUe eut ung grant adyantaige : 

El estoit dès lors aussi saige 

Que sont les escoHeirs Jabien ; 

Je luy ay aprins tout le bien 

Dont a la teste affolée. 

Luxure. 

Vecy une belle assemblée^ 
Douice, plaisante et ampureuse. 
Moy, qui suis la fille d^ûyseuse, 
Debyez ayoir et citer tenir. 
Quant me poyez entretenir 
Du tout à Yostre -todeniii ; 
Mais il fiault argent à.pknté 
Pour mieulx soustenir mon •estât. 
Par ma foy, tout iroit de plat 
Qui n^auroit argent et cliquaille ; 
Trestout ne yamdroit une maille , 
Car je suis de telle nature. 

FiNET. 

Ne yous cbaille, dame Luxure ; 
Nous aurons or et argent assez. 



s 



DE MAlNTBNAIfT. 45 

Jabiek. 

Hz sont pieça muitlied passez 
Par moy en tous jeux et finesses 
Et sont en fleors de. leurs jeunesses; 
De TOUS se doirent tenir près. 

Luxure. 

À , il nous fsiult jouer aux dez , 

Hi à quelque autre hasart; 
Car c^est ma science et mon art 
Dont fault que soye so\istenue ; 
Les jeux que j*aime soubz la nue, 
Ce sont les jeux d'oysiveté. 

FlMET. 

Il n'est nul en ceste dté 
Que je craigne , tant soit subtil , 
De bien jouer k mon péril, 
Et m'en laisse hardiment &ire. 

MAllDUtGT. 

Devisez lequel voiis fault plaire , 
Le glic ou le franc de carreau. 

' Ja-mbh. 
Le glic est :ang je» moult tris beau 
Et a gallans trop pins bonneste. 

Luxure, 

Quant à moy, je suis toute pi'este. 
Ça , les cartes, moh beau seigneur ; 
La pire donne au ipeilleur, 
Quans grans blâns pour une foys ; 
Pour les roynes diascane troys , 
Et troys grans blans pour les varletz; 
Quatre grans bletos y joue , mais 



4.6 Moralité des Enfans 

Mettez-y, qui y Youldra prendre. 

FiNBT. 

Doncqaes , dame, gV vueil entendre. 
Mettez y qui y youldra prendre. 

Luxure. 

Or sus doncqaes , sans plus attendre , 
Tout maintenant je vueil bailler. 
Levez ; qui estez le dernier ? 
Qui dit? 

FiNET. 

Moy, rien pour le premier, 

Malduigt. 

Ne moy aussi , par sainct Eloy. 

Luxure. 

J'ay homme donc[ques] , par ma foy. 
Et romile tout d^une venue. 

FiNET. 

Sang bien , la couleur si me mue ; 
Quant est à moy, je le vous quitte. 

Malduigt. 

Tant qu^auray vaillant une picqae , 
Sachez, certes , je le tiendray. 
Et Tenuiray ou romfleray 
Quoy qu'il en doibve advenir. 

Le Fol. 

Il s'en pourroit bien repentir, 
Mais peult estre sera trop tard. 
Ainsi que le chat fist du lai*d, 
Quant il y fust trouvé pendu. 
On luy coupa auprès dii cul 



DE Maintenant. 47 

La queue, yueil que le sachez. 

Luxure. 
Cest bien dit , encores mettez 
Deux grans blans , de Taidtre le fais. 

Malduigt. 
Voyez les là , si me tais. 
Combien est-ce que en avez? 

Luxure. 
Plus de cinquante. 

Malduigt. 
Or monstrez. 

Luxure. 
Voyez en là dix et puis troys. 

Malduigt. 
Ha , maulgré bien , à ceste foys 
J'en avoyes quarante et bùyt. 

Le Fol. 
Et yecy ung très beau deduyt 
Et les scet très bien jobiner 
Ilz n'auront garde de yoUer 
Ayant que de ses mains il parte. 

FiNET. 

Or sus ayant , yoyla ma carte , 
Je yous pry, laissez-la passer. 

Malduigt. 
Or ça, m'y lairrez-yous passer? 
Par ma foy , sire , je les feys. 

FlNET. 

Ouy yrayement . 



48 Moralité des Envans 

Luxuius. 
J'ai le glk des roys. 

Malduigt. 
Tout est à elle sans debatre. 

Luxure. 

Or m*en baillez chascune quatre 
Pour le beau glic, sans les honneurs , 
Et se TOUS voulez , mes seigneurs , 
Tout d'une venue bailler, 
Tout de reng les iray coucher 
Âffin que ayez moins de peine. 

Malduigt. 

C'est raison; mais de la sepmaiae 
N'y sera faict gain^ ne pertes. 
Je vous dy, au moins à ces cartes, 
Velà neuf grans blans que jedoy. 

FiNET. 

Veez en là autant pour moy, 
Et jouons au franc de carreau , 
Car c'est ung jeu qui moult est beau , 
Et nul tromper si n^y sçaura , 
Et Jabien des coups jugera. 
Vous getterez k Vadventure. 

Luxure. 
Pour combien? 

FlWBT. 

Pour une ceinture; 
 qui l'aura, de troys éscus. 

Luxure. 
Argent contant, n'en parlez plus. 



i>E Maintenant. " 4^ 

Mettez au jeu, c^est le'plus beau. 

Malduigt. 
OrsuSfgette; 

FiNBT. 

Mais toy? 

Malduigt. 

Attendez 
Je croy que je Tauray, Seigneur. 
Veli, sus, gettez sans débat. 
Je regny bieu , c'est bel estât ; 
Je croy que je Fauray gaigné. 

F INET. 

Va, qu^en malbeur soyes-tu coi^é 
Et entré en malle sepmaine. 

Luxure. 
Je metz deux escus â Tèstraine; . 
Qr sus, chascun couche d'autant. 

Malduigt. 
J*ay encor vingt escus yaillànt ; 
Avant, compalngs ; argent me fault. 

FinÉt. 
Plus que de paille ne m'en chault 
D'or ne d'argent ; or jouons , dame. 

Luxure. 
Yela partout, et, sur mon ame , 
Il est tout franc, la gaigné est mienne. 
II ne peult que bien jne me vienne ;. 
De meshuy je ne crains personne. 

Malduigt. 

Et, pour Dieu, homme mot ne sonne , 
T. m. 4 



5o MollAIilTÉ DES ElIFANS 

Par le ventre tieu, je Voms jure, 
' Qui ne se met k radyanture 
Jamais nul jour ne sera riche. 

Jabien. 

Il est vray ; jamais homme chiche 
Et qui se tient tousjours couart 
Ne pourrcHt avoir ung hazart ; 
Tousjours est meschant et piteux. 

LUXDHB. 

Et cuydez-vous que malheureux 
Osâst ung tel jeu entreprendre ? 
Il se sounreroit plustosl; pendre ; 
S^appartient à gentilz galans. 
Or, sus , or, vous faictes vaillans , 
Yela vingt escus d^une cousche. 

FiNBT. 

Je n*en fais compte d*une mousche ; 
Yé les là, certes, tous contans. 

Malduigt. 

Et n'y seraj-je pas à temps, 
Maulgré en ayt sainct Ypolite. 

FiNET. 

Yela gettay. 

Malduigt. 
Je vous dépite. 

■'. Luxure. 
Maistre, si vous Vskret perdu. 

Maiduigt. 
Je soye par le col peûda 
Se j'ay plus vaitiâut une maille. 



BB Maintenant. 5i 

Fin ET 

Or entens et [si] âe te chaille ; 
J*ay affaire eacore mon coup. 

Malddigt. 

Haro , i'ay esté icy trop , 
Le dyable s'en peult resjouyr. 

Finet. 

On me puisse vif enfouir 
Se n'ay perdu ce que j'avoye ; 
Je n*ay })lus argent ne monnoye ; 
Je suis bien de malle heure ne ; 
Manldict, malbeuretlx fortuné , 
D'ayoir perdu tout mon argent. 

Jabibn: 
Ung compaings se bel et si ^nt, 
Gomme tu es , ne sedoibt plaindre. 
N'as-tu pas assez de <{uoy rendre 
Trestout l'argent au compagnon? 

Luxure. 

Robbe prendrayet chapperon, 
Comj^amgs, pour le pnx qu'il yault. 
Jamais ilz ne yous confondront. 
Vous ne faictes que commencer. 

Malbuigt. 
Jamais ne me yneil advancer 
De plus jouer jour de ma vie. 
Je voy bien que j'ay faict folye , 
Dont doibs avoir pugnition. 
Se j'eusse creu Instruction , 
Je ne fusse pas en ee point. 
Trop mallement le cueur me point ; 



5d MoRALiTi PES Enfans 
Je m^en repens et mauldis llieure. 

Jabibn. 

Enfans , laisserez-TOus Luxure 
Et ceste belk compaignie? 

Malduict. 

J'ay deshonnorc ma lignée 
Pour elle. Que dira mon pire? 
Très glorieuse Vierge mère, 
Âdressez-moj à Discipline. 

Jabien. 

Et yeulx-tu laisser ma doctrine?. 
Que fiais-tu? Es-tu hors du sens? 

Malduigt. 

Je te reny, et mVn repens 

De tous les maulx du temps passé ; 

Car j^ay faulsement trespasse 

De Dieu le sainct commandement. 

Se Discipline m^en reprent, 

Je sera j bien tenu à elle. 

FiNET. 

Jouons au jeu de la merelle; 
Je suis las du franc du carreau. 

Jabibn. 

G^est bien dit; le jeu du mereau 
Est bien commun ; si est la chance. 

Luxure. 

GVst Tung des beaulx jeulx de France , 
 quoy il me plaist mieulx jouer. 

FiNBT, 

Ayant donc. 



t>E Maintenant* 53 

Luxure. 

Sus, mon escuyert 
Mettez en jeu ce diapperon. 

FiNET, 

Picque f picque de Fesperon. 
Or sus , ]Ouea^ sans plus de plait. 

Luxure. 

Nous ne faisons rien qui ne met , 
Car c*est du jeu le premier point. 

FiNET. 

Je vueil jouer jusqu^au pourpoint 
I)c cj% qui va pour deux escus. 

Luxure. 
Gechapperon. 

Fine T. 

Voyre sans plus, 
Ne souffist-il pas , belle dame? 

Luxure. 
Vêla pour le dé ; par mon âme, 
J^ay nuyct* 

Fiwbt. 

Par sàinct Jehan , et moy neuf. 

Luxure. 

De ce ne donne pas ung œuf; 
Jouez; vous ayez cinq et quatre. 

Finet, 

Tout justement, sans plus debatre. 
Qui Talent autant comme neuf. 

Luxure. 
Et de sept. 



54 Moralité des Enfans 

FiNET. 

Vccy pour empreuf 
Le chapperon aealx escus franc; 
Tousjours en jouant on apprent. 

LuxureJ 
Croq , qu'esse que coucher roulez ? 

F INET. 

La robe. 

Luxure. 

Ayant, or couchez; 
Je metz troy escus à rencontre. 

FiNBT. 

J'ay huyct. 

Luxure. 

Et , par ta foy, rencontre* 
Qu'en dictes-TOus , et j'en ay troys? 

FlNET. 

Le prendray-je? 

Luxure. 

Non , j'ay le poix ; 
Je retiens la robe pour mpy. 

Finet. 

Dame, qu'en despit de l'arroy, 
Il m'est meschamment advenu ! 
Mon chapperon et ung escu 
Metz k l^ncontre , pert ou gaigne. 

Luxure. 
C'est une très maulvàise fraigne 
De mettre troys escus en voye. 
Or sus, ayant, Dieu nous pouryoye ; ' 



DE Maintenaut. 55 

Ma chance va de dix k quatre. 

FiNET. 

Je te pry, metz pour nous esbatre. 

Luxure. 
Dix et puis quatre ; loat est mien. 
Compaignon.9 y a-il plus rien ? 
Foumissez-moy deyant )a main. 

FiNST. 

Haro , le grant IHeu souTerain . 
En ayt aujourdtiuj maie feste. 
Tout maintenant il ne me reste 
Qn*ung escu ayecques ma dague. 
Mais il conyient que je desbague 
Trestout pour ayoir plus tost &ict. 

Luxure. 

Ayant , joue. 

FiNET. 

Je suis reffaicty 
S^il ne me yient à ceste heure eur. 

Luxure. . . 
Dea, Gompaignon , n'ayez ja peur. 

PauM. 

J A B I E N, e/t admenant Finêt avec Luxure 
éef^ani Eonte. 

Dieu gard. Honte , qui yous doint joie , 
Santé et planté de monnoye. ' 
Sçayez-yous que je yous yueil dire? 

Honte. 

Non; qui aril^ beiatasiit?' 
Sçayez-yous chose de nouyeau? 



5G Moralité des Ënfàns 

» ■ 

Jabieic. 
Ouy. 

Honte. 

Et quoy, dea? 

Jaqien. 

Ungjouye^oeaut 
Qui demeure avec Luxure , 
De droict est yostr^, par droicture. 
Car je Faj si bien introduict 
Qu'il ii*a garde dVstre duict 
Que jamais se puisse retraire ; 
Du pis a &ict qu'il a peu faire. 
Il est desja mis en tel point 
Qu'il a perdu juscpies au pourpoint 
Or, argent, chapperoa et cotte. 

Honte. 

Meshuj n'ouy si bonne note. 
Par moj sera tantost sifflé. 

FlNETf. 

Maintenant suis tout escoufflé , 
Je m'en puis bien apercevoir. . 

HoMte. 

Sainct.Hor, compaings, vous dictes y ou:. 
Pourtant je metz la Qiain k yous , 
Venez-yous en ayecques nous , ^ 
Luxure, tost prenez ae là. 

FiNET. 

Haro, bonnes gens , qu'esse là? 
Je ne yis oncq plus layde beste. 
Plus yile ne plus dèshonneste ; 
Las , Luxure ,conf<nrtez^moy. 



DE Maintenant. Sj 

Luxure. 

Tousjours seraj aTecq[ues] toy; 
Ainsi ne te laisseray pas. 

Jabien. 

11 TOUS oouTient venir le pas 
An ffbei de Perdition. 
Jamais n^anrez remission, 
Car ce seroit contre nature. 

Honte. 

Ainsi dit la saîncte escriptmre : 

Ea mensura qua menai fuerita» 

RemitHtur vobis. 

Ttt as bien cause d^estre triste , 

Car Marc si dit, Tevangeliste : . . , 

Selon que diascun faict aura 

Par droict rémunéré sera. 

Ainsi que raison si le veult, 

Ghascune vieille son mal deult. 

On peult assez crier et braire , 

Justice est tonte contraire 

Aux maulvais, com il est escript 

Ou psaultier, où David le dit : 

No/i reettrgaaf impii injudicio 

Neque peccaiores in coneîiio j'uaiorum^ 

C'est à vous, maistre Aliborum, 

Qu'il parle, entendez-vous biçn ? 

Vous estes des enfans Jabien 

Qui me pourvoit de fines gens. 

FiNET. 

Las ! Luxure, je me rens. 

Vous ne tenez plus de moy compte. 



58 Moralité des Enfans 

Vous estes ja livré à Honte , 
Qui ne peiut de vous départir. 

FlNfiT. 

D^elle ne me sçauroYs partir ^ 
Car je suis à elle subjecte . 

HOUTB. 

Ça , il convient que je te mette, 
Gompaings, k garder ma maison. 
Lyé seras , car c*est raison, 
Jusques à tant que me plaira. 
Luxure avecq toy sera, 
Qui me rendra de toj bon ^^mpte. 

. FlWET. 

Hélas! laissez-moy aller, Honte.; 
Je suis difiamé à jamais. 

Honte. 

Tu n^as pas du tout rebdu ciompte. 

FlNET. 

Hélas ! laissezrmoy aller, Honte. 

Honte. 

Tu ne me dis cbose qui monte; 
C^estpar toy, car je n*en puis mais. 

FiNET. 

Hélas! laissez-moy' aller, Honte; 
Je suis diffamé h jamaiB. ' > ' 

Honte. 

N*est-il pas vray,.comme tttsçays, 
Qu^il faulte^tereeroBion joffice l 



DE Maintenant. « 5g 

Comment as-tu esté si oice 

D^ayoir ainsi p^rdu le temps ? 

Et à aultres je ne m^aten» ^ 

Qu^à gensoyseux etbasardeux y 

À bonracim, friàns et mocqaeursy 

A larrons, sorciers et sorcières, 

Et à gens de toutes maiûèces. 

Qui mainent ùulx^ gou^mement ; 

Les ungspugBÎB apperteinentt 

Les aultres en seps et en gçhayne, 

Aulcunes fo js les autres trayne 

PuUicquement aval la yillév. 

Et si ay bien ung aultse stUle 

Pour ce» gran» yieilles maec^ieselles : . 

Je les tourne par mes ruelles 

Tout au plus nault du pîllory, 

Et là dansent le guillerr ; 

Aultres £sdctz niétiré en iVsdM^lf y 

Aux aultres froisse la jcerrelle 

Oiimakie pencbre au gibet. 

Toufijours Honte la main j met , * 

QQel<|ue diose ({u*il en advienne. 

FlNBT. 

Puis qu'à ùnlt qôi'k cieeî ^ vienne^ 
Je mauldieti l'heitre''Bt le jour 
Que me trouvay OMUjiies etitoak 
Luxure ; Jabièn, ^st par tÎEiy* 

. JA»BlEOi^ 

Tu menlï. 

FiNET- 

Mais tbf « 



6o Moralité des Enfàns 

Luxure. 

Quant est de moyt 
Je dictz que ton £ûct te condanipne ; 

Je te prie, point ne me tanne, 

Car tu es à mpy mariaj. 

FlRET. 

Honte, oue jje sojre desliay 
Et osté ae dieyant le monde. 

Honte. 

Tu as trop long temps foUiaj. . 

FiNBT. 

Honte, que je soye desliay , 

Luxure* 

A mal faire t*es alliay ; 

Il faut qae raison te confonde. 

FiNET. 

Honte, que je soye desliay 
Et osté de devant le monde. 

m 

Honte. 

Je prie k Dieu que Fon me tonde. 
Se par may liommè se desUe. 
Premier fault que je tous dbastie 
Par ïaxùx et honteux batement. 
Sa, deux courgées apertement ; 
Faire je vueil exécution , 
Et, pour plus grant desrision. 
Que me aesponilleE le pourpoint, 
Ayancez-yous, ne tardez point. 
Et qu^il soit mis tout en chemise ; 
Bâtez delà par bonne guise 



B£ Maintenant, 6i 

Et moy deçà juscpies an sabg. 

Luxure* 

Son san^ s^en va , comme eau courant , 
Si très bien qui luy doit suffire. 

FiNET. 

Las ! ne me vueillez desconfire , 
Car je suis maintenant à Honte. 

Luxure. 

Il me semble qu*il luy empire. 

FiNET. 

Las ! ne me yueiUez desconfire. 

Luxure. 

Ne luy faisons point de martyre. 
Toute misère le surmonte. 

Finet. 

Las ! ne me yueillez desconfire , 
Car je suis maintenant à Honte. 

Honte. 

Qui bien en sait trouver le compte, 
Honte est en double manière. 
Car communément la première 
Je appelle Honte naturelle. 
Car volontiers une.pncelle 
L^a quant on la fiaict marier. 
Et puis quant on la faict coucber 
Âyec son mary, est honteuse ; 
Tant soit-elle bien gracieuse, 
Encor faict-elle maintes clamours. 
De ceste-cy ayons recours 
Au philosopl&e, au quart d'Ethiques, 



6a Moralité des Envans 

Et croy que, si bien y pratiques, 
Je te oonray enseignement, 
Qu^elle se nonune proprement, 
Je croy, Verecunaia. 
Mais une aultre Honte y a, 
Qu^on appelle effrénée. 
La première tris bien m^agrée 
Et a Dieu aussi est plaisante; 
Mais ceste luy est desplaisante, 
Et te rend en subjection. 

FiNET. 

Trop me donnez d^affliction ; 
Honte , tu as sur moy enyye. 

Honte, en frappant. 
Empoigne^moi ce horion. 

FiNET. 

Trop me donnes d'affliction. 

Honte, en frappant. 

Tu auras persécution 

Tousjours durant ma compaignie. 

FiNET. 

Trop me donnes d'affliction ; 
Honte , tu as sur moy envye. 

Hontb. 

Je te feray perdre la vie , 
Ayant que jamais je te laisse. 

Luxure. 

Or le menons , sans nul délaisse , 
Trestout premier k Désespoir^ 
Lequel-le jugera pour, you* 



I>£ MAlKfTENANT. 63 

AU gibet de Pérdidon 

Adùne Jabien, Lmir« et Honte «dmènMit Floet A 
Deseepoùr. . 

ÏÏONTE. 

Raige , douleur, affliction 
Vous enyoist le roy c^esle* 

En enfer puisse^'-TOOs tous estre 
À jamais sans rémission. 
Dictes-moy tost, sans fiction, 
Qui TOUS admaine en cest estre. 

Honte. 

Nous sçayons que vous este maistre 
Mener gens à Perdition. 
Ce jeune fîlz y voulsist estre 
£t Youlentiers luy menission. 
Recordez-luy bien sa leçon , 
Et ne vous chaille pour mentir, 
Âfiin que mener le puisson 
Enrager sans soy repentir. 

Pesespoib. 
Je le feray mourir martyr, 
Mais que je saicbe tout son cas. 
Je sois ceiluy par qui Judas 
Se pendit en 1 arbre du seux. 
A Perdition maine ceux 
Qui yeullent à moy consentir. 
Premier fault sçayoir et sentir 
De quelz yices est entadiez; 
Racomptez-cy tous ses péchez. 

HONIIE. 

Je les auray tailtost preschez 
Et ramenez k brief meinoyre. 



64 Moralité pes Eufâns 

Escoutez et ne m^empesche? , 
Car tout ces maulx yaeil cy retraire. 
Pour Gommencement de llijstoire, 
Il est eiifiant de Maintenant, 
Et Mignotte vin luy fit bojre y 
Manger pastez , et fut friant, 
Nourry souef, et, quant fut grant, 
(II) ne Youlut aller à Tescoile* 
Sa mère en estoit tant folle. 
Et puis Mignotte luy fut moUe ; 
Maintenant n^osa contredire , 
Luy bailla argent ; il s^en voile , 
Et Tient à Jabien , le bon sire , 
Qui luy aprint tout de grant ire 
Régnier Dieu et le despiter, 
Malle doctrine et maulvais ars , 
Fuyr le bien de toutes pars , 
Et user son temps en Luxure, 
Qui Ta despouillé de ses draps 
Tant que povreté lui court sure ; 
Adonc je suis trestoute seure 
Qu^il estoit cheu entre mes mains. 
Nous Pavons prins à la ferure , 
Nous troys, et baillé de coups mains. 
Je vous ay dit ne plus ne moins 
Sa douleur et sa maladie. 
Ilfault qu*il passe par tes mains ; 
Il est ennuyé de sa vie. 

Desespoir. 

Honte , vou» estes bien m^amye. 
Il est bien temps qu'il luy meschée. 
Mais ou estiez- vous cachée 
Quant il faisoit sa grant folye? 



i>« Maintenant. 65 

Honte. 

Alors je ne me monstroye mye. 
Le dyable m^avoit attachée , 
Et maintenant en se hasdiée 
 son tourment suis restablie. 

Desespoir. 

Tu voys bien que Ton te publie 
En général trestous tes fais. 
Plus ne te fault estre confis ;- 
N^en fais jà plus de mention ; 
Que te yaulora confession , - 
Puisque tes faitz sont révéliez? 
Et s'us estoient ores celez , 
L*on te donroit srant pénitence. 
Et puis, qui rendroit la cfaevance 
Et l'argent par toy despendu 
Et le temps que tu as perdu ? 
Qui feroit satisfaction ? 
Ce seroit tribulation 
De retourner jamais à Dieu ; 
Tu Tas regnie en maint lieu ; 
Jamais ne te pardonnerait 
Et tousjours Honte te tiendroit; 
Car jnnais ne te cessera , 
Près ou loing ne te laissera, 
Jusques à ce que tu soys mort. 
Si te conseille que soyes d^acord 
De mourir chez Perdition, 
Affin qu^il ne soit mention 
Jamais de toy en cestuy monde. 
Je te maulditz , Dieu te confonde 
Ou puis d^enfer sans repentance. 
Jamais ne feras pénitence 

T. m. 5 



66 MORALITi DES EnFANS 

Ne requerras miséricorde. 
Pends-toy avant i ceste corde, 
Sans espoir de remission. 

FlNET. 

Jamais n^auray contrition 
Ne espérance de saulvement. 
Si me submetz entièrement 
A tout ce que Touldrez juger. 
Je Yueil ma yie abbreger; 
Je ne requier que abbregement. 

Desj^spoir* 

Or ça donc, par mou jugement, 
Je t'envoye à Perdition 
Pour toute rétribution. 
Le chemin y est grant et large. 
Honte , je tous laisse la charge , 
Et TOUS , Jabien , et tous , Luxure , 
Puisque d'espérance n'a cure , 
Je TOUS le baille tout condemné ; 
Gardez qull soit bien tost mené 
Au gibet de Perdition. 

Jabien. 

J'entreprens la commission, 
Car j'ay faict le commencement. 
Il a aprins aTancement 
Et ce qu'il sçait à mon escolle. 

Luxure. 

Cuydez-Tous que je soye si folle 
Que je n'entende bien mon compte ? 
A damnement meine, et Honte , 
Toute telle manière de gent; 
Incontinent que leur ai*gent 



BE MAINTSITAlfT. 67 

Est despendu , je les fais pendre. 

Honte. 

Prenez de là, sans plus attendre; 
Que de luy ne soy plus memoyre. 

Jabien. 

Sans faire jà bien longue histoire , 
Luxure , trainez au gibet. 

Luxure. 
Puisque Désespoir le permet , 
G*y mettray les inains voulentiers ; 
Je serviray très bien d^ung tiers. 
Passez tost en malle sepmaine. 

Jabien. 

Perdition, en malle estraine , 
Reveillez-Yous , que maulgré bieulx ! 

Perdition. 

QuW vous puisse crever les yeulx 
Et escarteler la cervelle. 
Avez-vous viande nouvelle? 
Où dyable a- vous tant esté? 

Jabien. 

Noos avons passé cest esté 
Avec enfans de Maintenant. 
Nous vous admenons ce gallant 
Que vecy (cy) lyé etbiltô. 
Par moy est ainsi habillé , 
Et Luxure Tayda à prendre. 

Honte. 

Onc(^es) ne voulut mestier aprendre , 
Glergie , sâence ne ars , 



6S Moralité des Enfams 

Fors jeux de sors et de hazars , 
Où a despendu tout le sien , 
Et Faultruj, avec JaLien. 
Son père ndst à poTreté. 

Luxure. 

11 s'est environ moy frotté. 
Quant le feu se fut alumé, 
J'ay le gallant si bien plumé 
Qu'il n'a plus garde de voiler. 

Perdition. 

Venez ça tous troys m'acoUer, 
Jabien , Honte , et vous Luxure. 
Par les vertus bien, je vous jure 
Que vous en serez payez 
En la fin , ne vous esmayez , 
Car vous avez bien besongné. 

Jabien. 

Puis q'une foys j'ay empongné 
Un g compaignon à mon escolle , 
Il est tiès bien , s'il ne s'envolle. 
Sachez que vous en rendrez compte , 
Car dame Luxure et Honte 
Sont à ce faire bien propices. 

Perdition. 

Vous avez bien faict voz offices. 
Si en aurez très bon salaire , 
Si ne s'en veult jamais retraîre. 
Mais a-il point intention 
De faire satisfaction 
Et venir à Miséricorde? 

HONTEh ^ 

11 ne demande que la corde. 



DE Maintenant. 69 

Il a passé pat Desespoir 
Qui le condamna dès arsoir. 
Faictes en vostre voulenté. 

PEaBITION. 

Yien ça , gaf son : tu as banté 
Luxure et folle compaignie 
Dont tu es trestout eshonté , 
Toy et tousceulx de ta lignie 
Tu doit>z bien mauldire la yie 
Et le jour qu[e] onques fuz né , 
Quant tu escbeuz en ma baillie. 
Par Desespoir es condamné ^ 
Pour ce que tu as contemné 
Espérance, miséricorde. 
Par Honte es cy admené, 
Qui devant tous tes faitz recorde. 

FiNET. 

Je n'aj mai faict qui ne me morde 
Tout le firain de ma conscience. 
Si ne puis avoir jpatience. 
Car tout vit je suis enraigé' 

Perdition. 

Chascun sera de. toy. vengé,' 
Car, avant le jbur de demain , 
Je t^estrangleray de ma main 
A ceste grant cnaine de fer. 
Et te mettray au puys d'enfen 
Je garde Tentrée du gouffre, ^ 
Où tu .seras bouilly en souffre , 
En vif argent , en psalpaistre ; 
Avecqu^ dyables sera ton estrc, ^ 
Acompaigne des pridcipaulx , 



70 Moralité des Enfans 

Avec coulenvres et crapanix. 
Entre céans en la -mallieure. 

FiNET. 

Las! ie n*en puis mais se je pleure; 
Mounr me £aiult en Desespoir. 
On peult par mbj apperceyoir 
Que, par mon laulx ^ouyememcnt. 
Des enfans suis de Maintenant. 
Enraigé sois et hors du sais , 
Car j*ay trestout perdu le sens , 
Pourtant que n^ay voulu entendre 
Le bien que me youlut apprendre 
Discipline par son conseil. 
J*aperçoy maintenant k Tœil 
Ma faulte ^ las ! mads c'est trop tard. 

Perdition. 

Tu seras hachié comme lard 
Par menus .morceaux à larder. 
Rien n^est qui t'en puisse garder, 
Puis que tu es entre mes mains; 
Or tien, tu n'en auras pas moins. 

Adone le pend an gibet, pmi» dit Perdition à Fiset 

Au dyable soyez sacrifié. 

Le Fol. 

Il s'estoit trop en eulx fié , 
Quant il[z] luy promettoyent du bien. 
Estes-Yous tek , enfans Jabien , 
Désespoir, Luxure et Honte? 
Jamais de tous ne tiendray compte. 
Au dyable soyenttelz offiaers. 
Quant ilz ont gai^né ses deniers, 
11 Font mené au gibet pendre. 



DB Maintenant. 71 

Vous n^avez garde de me prendre. 
J'entens bien vostre pipomelie. 
Et Luxure , qui est si Belle 
Et qui faict tant du damoyseau , 
Fi gi fi ga au pastoureau, 
Par son semblant elle ne seroit 
Dieux la, qiu ne la eongnmstroit. 
Mais regardés quelle espidère : 
El a escoux sa gibecière 
Et puis luy a tourné le dos^ 
Et luy a œX Nescio vos 
Et à Ja fin Ta renoncé* 

Malbdigt. 

Jésus, qui fut crucifié 
Et soumit mort et passion 
En croix pour nostre rédemption 
Et saulyement d'umain li^aige 
Que tu as faict à ton jmaige, 
Ne te TueiDes de moj venger, 
Mais oste-moy de ce danger 
Où je suis cheu par ma foliye 
Pour hanter folle compaigme. 
Il vous plaise moy conforter. 

Bon Adtis. 

Ne te vneilles desconfortei'^ 
Ayez patience, doulx amys. 

Malduigt. 

Mais qui estes-yous? 

Bon Abvis. 

Bon Âdvis, 
Le commencement de tout bien. 



72 Moralité des Enfans 

Malduict. 

Vous me semblez homme de bien 
A vous Teoir, comme il m^est âdyis. 

Bon Adyis. . 

Dit ay mon nom ; dy-mo y lé tien , 
Et nous serons trèsnons amys. 

Malbuict. 

Maldoict ay nom, maulyais enfant. 
Des^nfants suis de Maintenant. 
Nourry ay esté en tendresse , 
Et tout le temps de ma jeunesse 
Ay suyvy folle çompaignie. 
Amender youlsisse ma yie 
Se je sceusse quel part tourner. 

Bon Adyis. 

Amys, il te fault retourner 

Et soubmettce à Discipline ; ' 

S^il te fdct^ouffiir,pKyyeTe&chise 

Afïin que tu soyes xM>rrigé ; 

Car jamais homme n'est juffé 

Qui de soy mesmes se chastie. 

Se as grant folie bastie. 

Ne te Yueilies désespérer ; 

Tu es jeune pour recouyrer 

Certes , se Yeulx , ton saulyement. 

Tu n'yras point à damnemeni 

Puisque tu as contrition , 

Et ne prens point ycelIe.Yoye, 

Qui fourvoyé 
Et meine à perdition ; 
Toume-toy a la monition 

Dont la Yoye 



DE Maintenant. 73 

Bien dure et ne foairbye. 

Faictz que soye 
Cause de ta ^yation. 

Malduigt. 

Grans mercys de ^induction , 
Bon Âdyis, que tous m'ayez faict. 
Je m'en yoys yers Instruction 
Qui m'adnâsera , s'il luy plaist. 
Instruction, il me desplaist 
Que Paultre' foys yous refusay, 
Et yostre doctrine prins n'ay. 
Donnez-la moy, je yous en prie ; 
Je me repens de ma foUie 
Qu'ay faicte de hanter Jabien ; 
Ënseignez-moy par quel moyen 
Je paryiendray à saulyement. 

Instruction. 

Tu es conseillé loyaufanent 
D'estrc revenu ceste yoye; 
Car au ciel on faict plus de joye 
De ung pécheur qui se retourne 
Et à pénitence s'atounie, 
Qui se retourne tout de neuf, 
Que de quatre-yingtzrdix-neuf. 
Tu scez et yois , sans nul reprouche , 
Que Dieu Ta dit de sa bouche, 
Et nous en baille maint exemple 
En la Bible , grant et bien ample. 
Et, puisque IHeu est très content 
D'ung pécheur quant il.se repent, 
Repens-toy et faictz pénitence. - 

Mai^dui.gt. 

Dieu mercy , jj^én ay nepeutance 



74 MoRÀLiTi DBS Enfans 

Et en £era y confessioi;i , 

Et , se puis , satisfaction 

Telle que youldrez ordonner. 

Mais, pour Dieu, Tueillez moy donner 

Enseignement pour moy bien vivre. 

Instruction. 

Se veolz bonne vye ensuivre^ 
Âpprens au premier ta créance 
Ayecrques] toy, et espérance. 
Ëstudie ung petit livret 
Que fist autrefois Gatbonnet, 
Qui est tout plain de bonnes meurs^ 
Et n^estpas long et si est seurs. 
Si au premier estudié Teusses 
Et bien retenu , pas tu n^eusses 
Fréquenté folle compaignie ^ 
Car Cathonfnec] ne le veult mye, 
Qui commande , qui bien veu ra , 
Et dit : Cum bonis ambula. 
Hante les bons, tu seras bon. 
Maint aultre le dit que Gathon. 
Aussi avons-nous de sainct Pierre^ 
Qui fut ferme com une pierre; 
Pour estre en maUe compaignie , 
Regnia Dieu, dont en sa vie 
Des yeulx luy tomba mainte larme , 
Et puis fut en la croix moult ferme. 
Moult d^aultres en.pourroit-on dire., 
Mais le jour n^ pourrmt suffire. 
Si te baille briefve leçon , 
Sans long prescher ne garant tensoa, 
Pour la substance retenir 
Et affin de tes maulx pugnir, 



DE Maintenant. yS 

Je te lenToye k Discipline, 
Qui t^aprendra mainte doctrine , 
Et tesmaulx faitz corrigera, 
Et sur toy plusieurs coups ruera ; 
Mais ce ne sera que rousée 
Qui bientost te sera passée. 
Quant du bien (ne) te souviendra 
Qui pour ce âpres te viendra, 
Le mal auras tost oubljé. 

Malbuigt. 

A vous je suis fort obligé 

De la peine que vous prenez 

Et du Dien que vous m'*aprenez ; 

]e ne le sçauroye desservir. 

Si m^en soubmetz à vous servir, 

Et à vostre commandement. 

Jamais ne ferajaultrement. 

Si vous mercj, teste encline. 

Je m*en voys dbroict i Discipline 

Qui m^enseignera aulcun art. 

Je n*en puis mai3 se c'est trop tard. 

Adone l'eo va k DiscipUiM , et dit : 

Dieu vous gard, madame. 
Du cueur vous réclame. 
Vous pry et supplye 
Que soyez la femme. 
Qui, sans nul diffame 
Adressez ma vie. 
A toute foUye 
Ay mon estudie 
Mis et ma pensée. 
Ne m'oubliez myè, 
Humblement vous prie, 



y6 Moralité des Enfans 
Maistressie amée. . . 

Discipline. 
Dy moy ta pensée , 
Enfant, s'il t'aggrée : 
Veuk-ta Discipline ? 

Malduict. 

Dame redoubtée, 
D'amour moalt louée, 
Grâce si jn*encline. 

Discipline. 

Veulx tu ma doctrine 
Tenir entérine , 
Sçavoir et gai^der ? 
Ton mal te termine , 
Et jamais ne fine , 
Sans point retarder. 

Malduict. 
Las ! dame, je n'ay que tarder. 
S'il TOUS plaisoit moy regarder 
De Toslre grâce très betagne , 
De;Yoa$ Jeoie vuèil bienl>ender. 
Et désormais bien garder , 
Que honte ppint ne me domine. 

Mais pardonnez-moy 

Se reffusé j'ay 

A vous me soubmettre ; » 

D'orgueil le convoy 

Soubzmis fut en moy. ' 

Si m'en vueil desmettre. • 

Dl^iGIPLINE. 

Pense donc de* toy retraire 



DE Maintenant. 77 

De toy mal faire 
Se tu yeulx ma grâce avoir ; 
Aultrement ne me pealx plaire 

N'aussy complaire ; 
Tu le peulx assez oien sçavoir. 
On ne te peult pas decepvoir, 

Tout pour voir. 
Se veulx mon enseignement 
Bien retenir et sçavoir, 

Recepvoir, 
Peulx avour avancement. 

Malduigt. 

S*eusse eu premièrement 

Sentement 
De vous croire ma maistresse, 
Point n^eusse si faulcement 

Ne follement 
Démenée ma jeunesse 
Mais Oyseuse qui me blesse, 

Et Paresse 
M^a ordonné à ce faire ; 
Luxure m'a mené presse, 

Qui ne cesse. 
De chascun à luy retraire. 

Discipline. 

Dieu, qui as sur tous puissance. 

Sans nuissance , 
Vacilles à cestuy pardonner. 
Se veulx avoir congnoissance, 

Repentance 
Te pourra grâce donner: 
C'est celle qui peult saulver 

Et mener 



78 Moralité des Emfass 

A la voje de saulyement , 
Et bien te pealt ordonner 

Et saulyer. 
Se la requiers homblement. 

Malduict. 

A Yoos, excellente dame , 

Corps et ame 
Dis maintenant habandonne 
Trestont, mon cueor, corps etamet 

Sans nul blasme. 
Plus qu'à nul aultre personne. 
Je n^en s'ay nulle si bonne. 

Qui s adonne 
Mieulx i conduire mon £ÛGt; 
Puisque raison se consomme 

Et Tordonne 
J^en suis gi*andemcnt reffaict. 

Discipline. 

Dy moy sans long exploict [plait?], 

Meschant malotru , 

Où t'en allas~tu , 

Quant tu me laissas ? 

Ton bien trespassas , 

Folle créature. 

Malduict. 

Je trouvay Luxure 
Qui m'a amusay ; 
Si m'en suis rusay, 
Car ce n'est qu'ordure. 
Yostre amour procure 
A tout mon povoir. 
Certes , je yous jure , 



- DE Maintenaut. 79 

Toasjours , sans injare , 
Faire mon debyoir. 

Discipline. 

Il te fault sçayoir 

Ton gouvernement. 

Tout premieremçnt 

Discipline avoir. 
Ta te mettras à deux genoulx 
Et en auras deux ou trois coups 
De mes yerges dessus la teste. 

Adone il le bit. 

Tu as yescu com une Leste 
Et senry folle compaignie ; 
En mal as mis ton estudie. 
Entens que Fescripture dit : 
Beatus vir qui non abiit 
In concilio impiorum. 
Cela nous dit le sainct psaultier^ 
Qui n'est escript d'iiuy ne d'hyer; 
Cecy te yault autant a dire : 
Benoist soit cil qui yeult desdire 
Des maulyais le conseil et yoye. 

Malbuict. 

Honneur, salut, santé et joye 
Vous doint Dieu, dame Discipline. 
Bien yoy yostre amour s'endine 
En moy , dont je vous remercie. 
Yostre escolle, quoy qu'on dye, 
Jamais je ne yeulx plus changer. 
De yous ne me dmbz estranger ; 
Secouru m'ayez au besoîng. 
Je suis de mon propos bien loing , 



8o Moralité: des Ehfans 

Qui cujdoys estre si très saige. 

Discipline. 

Saige estes pour faulx usaige. 
Le philosopne, au contraire, 
Bien au long , qui n W pas à faire. 

Et dit qd nemo juvenes eligat in 

judiciis 

En son escript le bon Hierosme 
Geste conclusion luj mesme 
Aussi preuve , comme je Fay veu. 
De ce doibt-il bien estre creu : 
Quia non constat esse prudentes 
Et pourtant bien te.decepvoyes. 
C'est à dire que jeunes gens , 
Pour ce qu'ils sont jeunes de sens , 
Ne sont esleuz pour estre juges. 
Jamais aultrement ne conjuges ; 
Ce seroit fol oppinion. 

Malduigt. 

Argent fut grant occasion 
De moy donner si grant couraige. 
Mon père me fist grant dommaige 
De me mettre argent es mains ; 
Car pour luy j'ay juré les sainctz 
Et regnyé Dieu follement. 

Discipline. 

Argent fut trouvé seullement - 
Pour chose qui est nécessaire 
A lliomme , et non pas à fdre * 
Plaisance ne deduict. mondain; 
De cecy doibz estre certain ; 
Ou dnquiesme d'Ethiques vise, 



AB Maint ENANT. 8t 

0& Âristote le devise. 
On en doibt justement user^ 
Sans follement en' abuser ; 
Pour ceste cause fut trouTé. 
Bien en doibt estre reprouyé 
Cil qui le despend en ordure ^ 
Au jeu de detz et de luxure. 
Mal as recordé ta leçon 
Dedans le livre de Cathon , 
En ce lieu là, sans dire ho. 
Qui dit : Luxuriam fugùo» 
Il dict qu'on doibt fuyr luxure 
Pour ce qu'on faict à Dieu injure , 
Et est pecné moult desplaisant. 
Pense donc[ques] doresnavant 
De estudier à bien vivre. 
Se veulx ma doctrine ensuyvre, 
Tu ne peulx jamais penUer. 

Malduigt. 

Bien m'avez voulu conseiller. 
Quant à vous , Madame , m'accorde 
Et vueil tirer à vostre corde , 
En faisant vostre voulénté. 

Discipline. 

Toutes gens que tu as hanté 
Te £ault laisser, et telz manières 
Qui sont tris honteuses et fiires. 
Aultre chose que bien se notte , 
Laisser te fault chappeau et cotte. 
Affin qu'entendes bien le cas, 
Le temps qui vient , il ne fault pas 
Que y retournes de rechief , 

T. III. è 



82 HollALlTÉ DES EnFANS 

Car ce seroit trop grant meschief , 

P]as la moytié que ce nW dWe 

Maulyaise et malle fortiine 

A corriger fiDablement 

Que ce n^est au commencement; 

Car tu sçays qu'une maladie 

Est trop plus ajsement guérie 

La moytié quant elle commence 

Que n'est en sa perseyerance ; 

Aussi la rayson y est bonne. 

Car trop longue domine (sic) donne 

Empeschement à médecine , 

Par quoy le mal trop plus s'encline 

Et qu'il est quasi incurable. 

Oyide, poète notable, 

Traicte bien cest enseignonent; 

On ce doibt au conmiencement 

Arrester et se tenir quoy , 

Et yecy la raison pourquoy. 

Le philosophe , en aultre terme , 

Comme il semble , le conferme , 

Et luy mesme le contredit; 

Au premier De Celo il dit : 

A virtute certa prineipium aecundum, 

Parvus enim donec in principio magnu9 in 

Il dit que , quant on pert la yoye , [fine. 

Plus de mille foys se foryoye 

Que perdre au commencement. 

Pour tant mieulx yault amendement 

De pechié puis peu commencié 

Que d'atendre trop longuement. 

Car, tant plus dure , c'est pitié. 

Adonc il le T«st en eiooUtt. 

Simplement et honnestement 



DB Maintsuant. 83 

Prens ceste robe aae te bâille ; 
Ta n^en payeras denier ne maille 
£t seras bien bonnesteolent. 

Malbuigt. 

Je vous mercje humblement, 
Dame, c*cst ung plaisant habit. 

Discipline. 

Or te gouyeme sagement» 

Malduigt. 

Je TOUS mercye humblement; 
Je suis yestu mignonnement 
De Tostre grâce, sans llifl^it; 
Je TOUS mercye humblement , 
Dame , c'est ung plaisant bd>it. 
En Toz ritz ne metz contredit 
Et TOUS prometz que , se je puis , 
Jamais je ne m^ rencherray. 
Yostre serviteur tousjours suis 
En tous les lieux où je seray. 
Mais dictes moy comment pourray 
Fuyr le faùlx las de Luxure; 
Nul bon remide je n*y sçay ; 
De jour en jour mon mal procure. 

Discipline. 

Je te dy bien, quant est à moy^ 
Ne meilleur conseil je ne sçay, 
An moins ainsi comme je croy 
Que lire ce que dit Oyide : 
Otia si toUas, etc. 
On doibt fîiyr oysiyeti 



S4 MORALITi DES EnFANS 

Qui yeult fonjr la ûaccté 
De Luxure et sa compaignie , 
Et, se tu yeulx cpie je le dye , 
Comment oysiveté lairras , 
En bien Tiyant tu la fuyras 
Par firequente occupation 
Ou pour bonne opération ; 
C'est le remède qui y est. 
Garde que tousjours tu soys prest 
D'estre moult fort hnmUiant 
Autant au petit comme au ^ant, 
Et ne change point ton babit ; 
Il est de trop plus grantproufit 
Et k toutes gens plus bonneste 
Que la robbe , sans plus d'enqueste , 
Que tu portes. C^est yérité ; 
Ce n*est que toute vanité. . 

Malduigt. 

Retourner par humilité 

Fault à mon père et à ma mère : 

Pardonnez-moy en charité; 

J'ay en mon cueur douleur amère. 

Maintenant. 

Tu viens de très bonne manière ; 
Raison le veult et équité : 
Je te reçoys à bonne chèce* , 
Dieu paraoint ton iniquité. 

MiGNOTTE. 

Au nom de saincte Trinité^ 
Pardonnez-nous f seigneurs et dames. 



DÉ Maintihart. 85 

Pour donner i aultruy diffame , 
On n^en sera jà mieulx prisé. 

Malduict*. 

Se le jeu n*est moralisé , 
Il y a cause excusant, 
Dont ne doibt estre desprisé, 
Car ce n*est que jeu d^en£mt« 

Maintenant. 

L^auteur est encore apprenant 
Qui a cest œuvre composée ;- 
Et est enfant de Maintenant 
Dont mieulx doîbt estre excusée. 

Honte. 

Une chose est bien formée 
Où Ton ne treuve que redire ; 
Cfaascun a tris soureiit'^y dire : 
Commencement n^est pas fusée. 

Maintenant. 

A Dieu toute ceste assemblée, 

Qui la yueille à bon [port] conduire. 

Luxure. 

Il sera dVnians bonne année ; 
Adieu toute ceste assemblée. 

Discipline. 

Seigneurs , c^estoit nostre pensée 
D^enÊins seulement introduyre. 



86 UoB. Dss Eitr. DB Haiht. 

Maldcïct. 
A Dira tonte cest assemblée , 
Qui la Tueille â bon port conduire. 



MORALITÉ NOUVELLE 

CONTENANT 

Gomment Envie , au temps de Maintenant , 
Fait que les frères que Bon Amour assemble 
Sont ennemys et ont discord ensemble , - 
Dont les parens souffrent maint desplaisir, 
An lien d^avoir de leurs enfans plaisir. 
Mais à la fin Remort de Conscience, 
Vueillant user de son art et science, 
Les fait ranger en paix et nnion , 
Et tout leur temps vivre en communion. 

A neuf personnaiges, c'est assavoir 

LEPREGO' LE TIERS FILZ 

LE PÈRE AMOUR FRATERNEL 

LA HÈRE ENVIE 

LE PREMIER FILZ ET REMORT DE GON- 

LE SECOND FILZ SClENGE 

Lb PregO commence. 

ourgeoîs, marchans, dames et damoy- 
Je TOUS salue en généralité , [sellés, 
Vous suppliant que prestéz vos oreilles 
Âflin d^ouyr nostre Moralité, 
Que fisdcte avons, non par mondanité , 
Mais pour le vray déclarer seulement 
Au nom de Dieu, pour quoy la vérité 
Vous congnoistrez icy présentement. 




SS Moralité 

Le Père. 

Loué soit Dieu, mon pire et redemptear, 
A toiujoars mais, puisque vray directeur 
Il s^est montré enrcrs moy en ce monde. 
De plusieurs biens je suis maistre et recteur ; 
La grâce Dieu, je ne suis point debteur ;.. 
Je le puis dire sans, estre jacts^iuide. 

La Mère. 

Louons le maistre de la machine ronde. 
Par qui avons receu joje profonde 
De noz enfans, tant aymez eu tout lieu. 
Mon cher mary ^ le point o& je me fonde 
Est que nul d'euK je ne yoys yacabunde ; 
Ce sont enfiains enclins à servir Diea« 

Le Père. 

Loué en soit le hault roy supemel. 
Et ce qullz ont bon Amour Fraternel 
En toute place ayoc eulx me plaist bien , 
Et en ma yye n'auray faulte de rien. 
Tant que yerray iiz s^aymeront ainsi. 

La Mère. 

J*ay bon espoir que vivrons sans soucy 
Sur noz viculx ans , et que leur bon support 
Nous conduira finalement au port 
De tonte joye, car leur commencanent 
Est bien entier. , 

Le JPÈRE. 

Femme '^ certainement, 
Je me repute tn^ plus quli^reux d'avoir . 
Eu telz enfans, mats il coiivientsçavoir 
Où c'est qu'ilz sont pour les faire venir. 



La MtRE< 

En yerité, je ne me pois tenir 
Qu*à tontes heures ne soient aiq^ris de moy ; 
Et j*apperçoy« quHIs chassent tout esnu>y 
En toutes.pars ou on les peult trou^. 

Le Père. 

U est certain ; toutesfois esproUver 

Je Touldrois bien si leur amour est stable. 

Car en jeunefse le monde est yariable^ 

Dont je crains for^ quW la fin ne se change[nt]. 

Là MitRB. 

U n^est possible; considère <[a*ilz mangent 
Journellement aisemble^ 

Le Père. 

Yrayement, 
Sans long propos, appeler les conyient. 

La MÉre. 

Je yoidz Tun d^eulx, lequel contre nous yient , 
Je suis joyeuse : les voicy tous ensemble , 
Et avec eulx ont tousjours, ce me semble, 
Leur Fraternel Amour. 

Le Père. 

Meftfchers eoHuis, 
A tous de vous maintenant je,defiens . 
Que ne soyez à jamais deapouryeus 
De yostre amour, dont.yous estes pounreuf. 
Car c*est la chose laquelle plus meplaist. 

JeHAH LE FREM1ERFILZ. 

Mon tris cher pire, sachez, saifs plus de plaist, 
Qa*k tonsJQfàrs mais il sera de ma part 
Ainsi quu est. 



90 Moralité 

Pierre LE second filz. 

Sans chercher autre port, 
De mon costé inyiolablement 
Le garderay. 

Ana^hoile le tiers filz. 
Je nY yeulx nullement 
Contrarier, et pour ce que j^entens 
Vous pourriez estre contre moj mal contens 
Pour ce que j*ay grant argent despendu. 
Affin qu au double le tout vous soit rendu, 
Je veiux de vous estre le serviteur. 

Le Père. 

Mon cher enfant, Jésus ton directeur 
Et de chascun, te face , par sa srace, 
Venir k luy : car, j'aj en toute place 
Ma confidence que celuy tu seras 
Qui plus de bien au monde me feras. 
Et j^y en toy si avant mon cueur mis 
Qu impossible est qu^'il soit par moy demis. 
Je t^ay aymé sur (tous) mes autres enfans , 
Et m as tbusjours obéy sans contraincte ; 
Si tu sçavois, sans que je parle en fainte. 
Le grand amour lequel mon cueur te porte, 
Ton bon vouloir, que tousjours me conforte, 
S*augmentcroit envers moy seurement. 

AnATHOILE le tiers l^ILZ. 

Redoubté père , je suis entièrement 

Tenu à vous par la loy de nature 

Et par tout droit, dont ne fault qu^ayez cure 

Que vous soyez à jamais délaissé 

Par moy, et si, d*adventure, au passé, 

Je vous avoys quelquement, par jeunesse. 



NOUTELLS. 91 

Rien ofiêncé, j*eii demande en hamblesse 
Pardon et grâce , yous merciant, cher père, 
Paismill yous plaist de cest honneur me faire 
Que de me dire lé bon youloir qu'ayez 
A moy sur tous. De ma part yous sçayez 
Que Je yous dy , espérant qu'en bref tempz 
Yous' cogDoistrez, ainsi que je prétends, 
Que yous n'aurez celuy a Fadyenir 
Pour yous traicter et yous entretenir 
Meilleur que moy ; aussi je y suis tenu. 

Le Père. 

Tu sçais comment je f ay entretenu 
A grans despens , en estrange proyince , 
Pour poursuyyir tes estudes , et prins ce 
Qu^ay despendu pour toy jusques icy, 
Et que tes frères , lesquelz sont presens cy , 
Sont demourez tousjours en la maison 
Ayecques moy ; ie dy c^est bien raison 
Qtt*enyers eulx deux en face recompense. 

Anathoile le tiers filz. 

Redoubté père, ainsi comme je pense , 
Je feray tant, ayec Tayde de Dieu, 
Que tous contens les rendray en tout lieu; 
Tant que jpourray pour eulx en quelque chose 
Moy employer, je le feray . 

Le Père. 

Ma rose , 
Mon cher enfant, de f ouyr suis tant ayse 
Que je ne sçay si suis sain ou malayse; 
ie sois rayy aesprit entièrement. 

AnATHOLLE LE TIERS FILZ. 

Le mien parler ne sçaiffoit bonnement 



93 Moralité 

Vous exprimer ma bomie yobinté. 

Le Père. 

Or, mes enfans, je tous -vaeil cy compter 
Ce (pie je pense qu^il seroit bon de fidre : 
Qa*est que tous , Jehan, tous fei^ùrcez deffaire 
Gestuy laisseaa de boys «pie je vous donne. 

Jbhah premier filz. 
Puis qu^il TOUS plaîst, il fault (pie je m^adonne 
Pour esprouTer si rompre le pourroys. 
Ha, mon bon pire, trop plus tost je mourroys 
Que le desrompre ; je ne suis assez fort. 

Lfe Père. 

Pierre , prendz-le et y faitz ton effort , 
Pour esprouTer si ta for(^ est bien grande. 

Pierre le second filz. 

Puis (pie mon père ores me le commande , 
Je le leray , sans longuement tarder. 
Mon père , helas , il conTient regarder 
Qu^impossible est (pie quelquement le face. 

Ie Père. 

Si conTient-il que (iuel(pi*un le defface. 
Prendz-le ^ Anathoille ; montres-y ta Tertu. 
LièTe le tost. Comment! où pense-tu? 
Veulx-tu pas faire le mien commandement? 

Anathoile le tiers filz. 

Plustost mourir qae de faire autrement 
Qu*il ne tous plaist; mais je seii^ ma puissance 
Tant inhabile , (pie je sçay que nuisance 
Ne pourrois faire à ce aisseau de bois. 
Puisqu*il TOUS plaist , neanmointz je m*y Tois 
Tost employer pour Teoir (pie c^en sera. 
En bonne foy , mon père , ce sera 



NOUVRI^LB. 93 

Autre que moy ; je n'y hk recevoir. 

Le Père. 
Or, mes enfanS) ainsi que je puis yeoir. 
Vous ne pourriez le rompre en cet^ sorte» 
Prenons doncq piice après pièce ; aporte 
Qu'on le deslye sans tarder davantage ; 
Chascun de vous y face son ouvrage; 
Despeschez-vous. 

Jehan le premier filz. 

Par monsieur sainct N^thièr, 
J'aymeroyes mieulx rompre de la moytier 
En ceste sorte deux faisseaulx qu'autrement. 
Pierre le second filz. 

Par mon serment^ et moy semblablement. 
C'est une chose qiie n'est point difficille. 

Anathoile le tier^ filz. 

En mon vivant n'euz chose si &ciie 
A acomplir qu'à rompre ces bûchettes. 

Le Père. 

Bien , mes enfans , je cuydè que vous faictes 
Facilement ce que vous ay enjeiinfct 
Depuis qu'on a le gros Êdssean desjomct. 
Est-il pas vray ? 

Jehan le premier filz. 

Vous voyez patiemment 
Goimnent l'avons éespesdié vistement. 
Mais , 1 la fob , il estoit impossible. 

Le Père. 
Mes diers en&ns , il ne sera possible 
A quelque humain, de vous porter dommage , . 
Pourveu qu'ayez tous trob jnesme courage , 



94 MORÀLITi 

San» TOUS desjoindre^ comme réxperience 

Vous ay monstre. Et tençz pour science 

Que Yostre force n'estoit pas suffisante 

Pour k ce bois estre en riens nuysante 

Estant conjoinct. Mais , estant séparé , 

Alors ayez par pièces esgaré 

Tout le faisseau. Dont prenez souYenance 

Que ne prendrez en vous outrecnydance [proffit. 

Pour yostre [yous?] disjoindre , pour yostre grant 

Pierre le second filz. 

Nostre bon pire , pour ceste beure il suffit. 
J*ay bon espoir de mener telle yie 
Ayec mes frères , qu*il n ^ aura enyie 
Entre nous trois , ains Amour Fraternel 
Ayecques nous demourra éternel. 

Amour Fraternel. 

Mon désir est de faire demourance 
Ayecques yous ; quoy faisant , Tabondance 
De biens yiendra à yous , sans y faillir. 
Où je demeure, sans nulle decadance 
Tous biens abundent, et nV a defTaillance ; 
M*entretenant on ne peut deffaillir. 

Anathoile tiers filz. 

Amour, bêlas , autre cas ne désire 
Entre mes frères et moy , sinon yous seul. 
Dont je yous prie ne me point esconduire , 
Mais me suyyir jusques au dernier linceul. 

Jehan premier filz. 

Mon espérance est que si nous t'ayons 
Ayecques nous , Amour tant désirable , 
Nous ne sçaurions nullement , ny poyons 
Perdre le loz de gloire pardurable. 



Nouvelle. 95 

Pierre second filz. 

Loyal Amour Fraternel , si ta grâce 
S*est adonnée k nous jusques icy , 
Encor te prie venir en toute place 
Âvecques nous, par ta sainte jnercy. 

Amour Fraternel, 

Mon naturel ne requiert autre cas 

Que tout honneur , toutUen , joye et lyesse ; 

De mon costé, sans plus grands altercas , 

Je suis contend suyvir vostre noblesse. 

Mais ffardez bien qu^Enyie ne vous blesse , 

Car eue prent trop cauteleusement 

Ceulx qu'elle yeult fouUer par quelque oppresse. 

Gardez tumber en son tresbuchement. 

Jehan premier filz^ 

Il n'est possible qu^Ënvie me sceust abattre , 
Tant elle soit pleine diversité. 

Amour Fraternel. 

J^ay grant paour qu^il n^en faille rabattre 
Si elle veult quelquefois irriter. 

Pauce , et vont les premier et second fils sur la verdure, 
où Hz se couchent . 

Ij E itE RE. 

J*ay en mon cueur tant de joye conceu 
Qu impossible est d'en avoir davantage. 
Par cy devant J'ay veu et apperceu 
Le grant amour des filz de mon ménage. 
Tous biens me viennent en voyant tel ouvrage 
Et semble au vray que jeune je deviens. 
Jamais ne fut que n en eusse présage. . 
Certes, je suis joyeulx quuit m'en souviens. 



96 moealité 

La Mère. . . 

Le seul plaisir que prt noiis ea Iwgesse 

De noz enfuis yault trop mieulx que richesse, 

Or D y argent, nVutre faien de ce. monde. 

Ehyie. 

Vrayement, je Teuk que Ton me tonde 

Si je ne fiads ae nK>j parler. 

Où est-ce que pourrày aller 

Pour j donner quelque escarmouche? 

Hola, hola , chasseur de mouche. 

Je sçay ce que voulois sçavoir. 

Or, messieurs, si Ton veult avoir 

Notice dé moy et ma yie , 

Par mon nom je me nomme Enyie, 

Née en enfer, cela s^entent. 

Et, si quelque personne tend 

SWder de moy, il est à croire 

Qu il nVra point en purgatoire, 

Mais delà d*où je suis sortie. 

Ma puissance estoit amortie 

Le temps passé; biais maintenant 

Chascun est sa partie tenant 

Et suis en bruict et renommée; 

Et cela que suis surnommée 

Mauldite, ce n^est sans raison; 

Car bien maiddite est la maison 

En laquelle Ton m^entretîent. 

Mais qui est-ce qui ne me tient 

Maintenant poa/dame etmabtrase? 

Si oenyientoue soys de la presse; 

Je feray bouulir le polage; 

G^est trop parlé de tripotage ; 

Il £inlt penser d^juitre matière. 



N^OUVELLE. 97 

Il me convienr trouver manière 
B'atraper à moj qaeloue beste,' 
Et, si Ton ne voit belle feste, 
Je yeulx bien tost que Ton me pende. 
Peu s^en fault que je ne débande 
Mon arc contre ces deux dormans ; 
Peult estre ce sont wros gourmans 
Qu'ont plain le sac jusqu'à la bouche. 
Sus donc , il fault que je descrouche 
Après, de par le dyable, après. 
Je vous ordonne par exprès 
Que soyez tous deux envieulx. 

Elle se tire; puis les deux frères s'esyeillent, et dit 

Jehan le premier filz. 
Je ne sçay qu'ont trouvé mes yeulx ; 
Je ne cesse de me dormir. 

Pierre second filz. 

Jeban, mon cher frère, mon amv ; 
Sçay-tu de quoy je m'esmerveille? 

Jehan premier filz. 

' ■ < 

Ouy; de ce qu'ainsi je sommeille. 
N'est-ce pas cela, respondz moy? 

Pierre le second filz. 

Frère , tu me metz en esmoy 
De me respondre en ceste sorte. 

Jehan premier filz. 

Si sçavois le mal que je porte 
Tu ne me tourmenterois tant. 

Pierre second filz. 
Et comment, es-tu mal content 
De quelque chose, dys, mon frère? 

T. m. 7 



98 Moralité 

Jehan le premier filz. 

Quant je pense k nostre affaire, 
Nous sommes bien folz, sur mon ame. 

Pierre le second filz. 

Mon frère, je n^entends ta gamme ; 
Il te fault parler clerement. 

Jehan premier filz. 

Quant je pense au gouyemement 

D*entre nous deux et nostre frère. 

Par Dieu, ce jD*tst grant vitupère. 

Quant en avons tant endurer. 

Et quoy, je voys tout empirer ; 

Tout y va à rdbours de bien. 

Je cuyde que tu mVntens bien. 

Nostre père nous fait grant tort; 

11 a fait la buée et tord. 

Je m^esbahis de son affaire ; 

Je ne vojs point qu^il cujde faire. 

Sinon nous rendre pauvres gens, 

Et, si ne sommes diligens 

A nostre oas , j'âj grande craincte 

Que nostre part ne soit estaincte 

Quant à son bien , car, tout comprins , 

Si ce que nostre frère a prins 

Et despendu estoit ensemble ^ 

Nous aurions deux fois, ce me semble. 

Plus de bien que nous n^avons pas. 

Et puis il marche par compas^ 

Il le fera son successeur ; 

Il sera son héritier seul, 

A ce qu'en puis conjecturer. 

Mais il nous fault adventurer 

A j mettre empeschement. 



Nouvelle. 99 

Pierre second filz. 

C'est la chose certainement 
Que j'avoys désir de te dire, 
Et mon Dieu me puisse mauldire 
Si ne suis marry de mon pire , 
Qui nous procure Timpropère 
Que de nous faire ses Lastardz. 
Je ne prise point deux patardz 
Mon frère Ânathoille et sa yie. 
Je luy veulx porter une envie 
Qui ne luy prouffitera rien, 
Et, sang bien, il n'est terrien 
Qu^endnrast chose tant frivole. 
Par Dieu, j'ay esté à TescoUe , 
Oii j'ay aprins jouer des tours, 
Et en brefr jours, sans longs atours, 
Monstreray l'erreur de mon père. 
Il dit qu'il ayme nostre frère 
Plus que nous, sans comparaison, 
Qu'avons maintenu la maison 
Où il despendoit nostre bien. 
11 congnoistra tantost combien 
J'ay désir vendre mes espices. 

Jehan le premier filz. 

C'est ce que vouloys que tu fisses ; 
Il le iault faire sans demeure. 

Pierre second filz. 

Si Dieu plaist que bientost ne meure. 
Tu voirras le tout mis à un. 

Jehan premier filz. 

Vois-lu pas bien, mon frère ? Affin 
Que nostre père puisse entendre 



«00 Moralité 

Ce doDt nous le voulons reprendre, 
Il fault plainement luy monstrer 
Que Famour qu'il a dCemonstré 
A nostre frère nous desplaist. 

Pierre second filz. 

Desclairez'ie donc, s'il vous plaist , 
Yous-mesmes, affin de mieulx dire. 

Jehan premier filz. 

Gela que nostre fait s'empire 
Me fait enrager de despit. 

Pierre second filz. 

Or, mon frère, allons sans respit 
Par devers nostre domicilie ; 
Allons-y tenir le concilie 
Pour faure une conclusion. 

Remort de conscience. 

Enfans , la grant abusion 
Que vous suyvez vous damnera. 
Pensez quel gref dueil ce sera 
A vostre père débonnaire. 
Quand il verra qu'à vostre frère 
Portez une mauldicte envye. 
Il vous fault changer vostre vie 
Et prendre avec vous Bon Amour. 
Enfans ^ entendez ma clamour : 
Délaissez suyvir telle chose , 
Ou par mon arrest je propose 
Que serez cause qu'a jamais 
Vostre père sera marry ; mais 
Pensez un peu à vostre cas , 
Et vous verrez , sans altercas , 
Qu'avez grand tort d'ainsi parler. 



Nouvelle. 101 

Jehan premier filz. 

Pierre , je De veulx plus aller 
Vers nostre père déclarer 
Ce que avions délibéré , 
Car ce nous estoit grand folye ; 
Mon enyie est toute abolie. 
Je cognois par expérience 
Que par Remort de conscience 
Nous nous devons tost désister. 
Pierre second filz. 

Je ne tous youldrois assister 

Si j Yjpulez aller aussi. 

Car, ayant vu de près cecy. 

Nous avons le tort, sur mon ame , 

Et nous seroit, certes, grant blasme. 

Si nostre frère autre estoit 

Qu*il n'est , et si beaucoup coustoit 

Du temps qu'il estoit à Festude , 

Il n'usera d'ingratitude 

Cy après , comme on peult entendre. 

Puis , si mon père veult estendre 

Et mettre son amour entier 

En luy, il ne nous est mestier 

Nous en douloir ; ce qu'il veult faire 

Nous devroit en tous moyens plaire. 

Jehan premier filz. 
Ne parlons plus de ces matières ; 
Noz voluntez nettes et entières 
Nous £aidlt rendre, et, pour conclure, 
11 nous fault prendre voye seure 
Vers nostre père maintenant. 

Pierre second filz. 
Je vous suis ici de tenant. 



103 Moralité 

Allons, sans plus nous abuser; 
Si d'adventure il veult user 
Entre nous d'admonesteinent, 
Obéissons luy droictement. 

Jehâm premier filz. 
Il fault qu'au chemin nous boutons ; 
Car je crains fort que nos moutons 
Ne tardent trop partir pour paistre. 
Honoré père , nostre maistre , 
Dieu vous préserve en tout honneur. 

Pierre second filz. 
Père , Dieu vous garde en bon «heur. 
Retournez sommes pour sçavoir 
Si vous voulez faire pourveoir 
A ce que les moutons on mène 
Paistre en quelque prochaine plaine. 

Le Père. 
Mes enfans , il [en] est saison ; 
Partez vous tost de la maison, 
Et les menez en quelque lien 
Paistre , sous la grâce de Dieu. 

Jehan premier filz. 

Ainsi soit fait que Tavez dit. 
Je mY voys, sans nul contredit, 
Les garder avec[ques] mon frère , 
Pourauoi adieu vous dy, mon père 
Jusqu au retour. 

Pierre second filz. 
Et moy aussi. 

Li E Jr E RE. 

Nostre seigneur, par sa mercy. 
Vous vueille garder dé dommaige. 



Nouvelle. io3 

Je sens tant joyeulx mon courage 
Que mon cueur tressaillit de joye. 
Or je prie à Dieu qu'il convoyé 
Tes frères, mon £Qz bien aym[é]. 
En moy je ne sens rien d'amer, 
Quand je vois qu'estes adonnez 
A vous aymer, et vous donnez 
Totallement à vous servir 
L'un l'autre. 

ÂrïATHOILE LE TIERS FILZ. 

Si j'ai desservy 
D'estre aymé par eulx en tout lieu , * 

J'en donne grâce au puissant Dieu, 
Et , si vous plaist que me transporte 
Vers eulx aux champs , je le feray. 

Le Père. 
Mon filz, en tout ta me conforte; 
Tant que vivray ie t'aymeray. 
Si tu les veulx aller veoir, 
Ce ne sera que pour mouvoir 
Leurs cueurs à t'aymer davantage. 

Anathoile le tiers filz. 
Sçachez , père , qu'en tout passage 
De leur complaire ay appétit. ; 

Le Père. », 

Or, mon fik , attens un petit ; ^ 

Il n'est pas encor temps d'aller. 
Je veulx à toy un peu parler. 
Car ce m'est joye quand je te voys. 
Je n'ay corps , visage ny voix 
Qu'à ceste neure ne s'esjouyssent , 
Pour ce que de te veoir joùyssent 



I 

M 



?» 



io4 Moralité 

Présentement en grand plaisir. 

Anathoile le tiers filz. 

Père , si c'est vostre désir 
Que de me compter ou enjoindre 
Quelque chose , je n'ay pas moindre 
La Yolunté que du passe. 

Le Père. 

Mon filz , je suis un peu lassé. 
Mettons-nous tous deux àrecoy, 
Et puis je te diray pourquoy 
Je t ay mt que je aesirois 
Parler avec toy. 

Anathoile le tiers filz. 

Je serois 
Très aise qui fussions desja. 
Celuy qui les maulditz rengea , 
Nous donne tousijours, par sa grâce. 
Bonne amytié en toute place. 

Hz se retirent , puit le premier et second filz se couchent 
sur la verdure ; et j^ause. 

Envie. 

Gomment! Où est-ce que je pense? 
Nul ne me donne recompense , 
Et si suis preste au besoigner. 
De toutes pars fault cheminer 
Pour frapper quelquW de ma flesche. 
Je rendray la personne sèche 
Qui recevra mon. premier coup. 
Sus , Envye , à coup , à coup ! 
Il est temps que faces ta monstre , 
Et convient que tu te demonstre 
Telle que tu es rénommée. 
Sans faire plus grande chommée« 



Nouvelle. io5 

Cherche qaelqu'un pour assaillir. 
Ça , ça , il ne me fault faillir 
Pour donner la part à ces deux. 

Elle tire à Jehan le premier filx et ne treuTe point de 
. flesches en son carquois pour tirer à l'autre , disant : 

dyable , gramment je me deulz : 
Je n'ay point de flesches icy 
Pour donner encor à cestuy cy 
Cela qu'il luy fault receroir. 

Elle se retire , et 

Jehan premier filz dit: 

Ainsi que puis appercevoir, 

Mon {îrere , nous sommes bien bestes ; 

On nous devroit couper les testes ; 

Nous nous monstrons par trop caignardz ; 

Ne faisons non plus des canardz ; 

Ne marchons plus dedans la boue. 

J'ay désir donner sur la joue 

A nostre frère tant mauldit. 

Nous sommés bien en fait, en dit, 

Mocquez par nostre pervers père ; 

Ce nous sera grant vitupère 

Si nous ne luy portons dommage. 

Pierre second filz. 

Helas ! mon frère, quel courage, 
T'a ainsi esmeu chauldement ? 

Jehan premier filz. 
Allons, despecbons vistement. 
Allons luy payer sa desserte. 
Mort bien. Ton y recevra perte 
Puis qu'ay esqhaufie le cerveau ; 
Et, mon friret ^ ^ hien veau , 
Si tu ne voys la grant laydure . 



io6 Moralité 

Qa'on nous fait. 

PlERRB SECOND FILZ. 

Sur la verdure 
Il nous fault un peu recoucher. 

Hz se couchent , puis 

Entte dit en tirant contre Pierre 
Or, sus, sus, voyla depesché 
Ce dont j'avoys plus grant désir. 
Pi erre , en se levant, 

! mon frère, quel desplaisir 
Quant j'ay pense et repensé. 
11 nous fiault aller commencer 
La feste par nostre maison. 
Départons ; il en est maison. 
Je prometz à Dieu de veneer 
L'injure dont je suis renge ; 
C'est trop enduré, somme toute. 
Jehan premier filz. 

Or, mon frfa-e Pierre^ escoute ; 
J'ai regardé un bon moyen. 
Par lequel nous chevirons bien 
Quant a mettre à mort nostre frère 
' A rinsceu de nostre père. 

Tout beau, ne bougeons, je te prie. 

Pierre second filz. 
Voys-tu bien , j'ay tant grande envie 
Que nostre frère soit deffait. 
Pour le desbonneur qu'il nous fiaict^ 
Que ne puis modérer mon yrè. 
Mais non pourtant, si tu veulx dire 
Le moyen que tu dis savoir, 
Je veulx bien patience àvojrr 
De l'ouyr. 



Nouvelle. 107 

Jehan premier filz. 

Je ne veulx tarder 
De le dire. J^ai regardé 
Tous moyens que j^ay sceu songer. 
Mais je ne youldrois point changer 
Celuy que te veulx racompter. 
C^est que nous irons en lliostel 
De nostre père, puis après 
Nous luy dirons par motz exprès 
Nostre vouloir et que, s'il veult 
Tousjours poursuy vir le sien veu 
Quant à aymer plus nostre frère 
Que nous, l'injure et impropère 
Nous repoulserions en brief temps. 
Sang bien , nous sommes ses entans 
Aussi bien que luy, vertu bieu; 
Il fault qu'on en parle en tout lieu. 
Pour le fait tost expédier, 
11 nous conviendra hardier 
Et mettre nostre ûrère à mort , 
A quelque coing , sans nul remort, 
Et que ce soit secrettement , 
A l'msceu entièrement 
De nostre père et de ma mère. 

Pierre i^e second filz. 

Ce leur sera douleur amère 

Si une foys le pevent sçavoir. 

Mais , quelque dueil qu'ilz puissent avoir. 

Il le fault mettre à fin et chefz. 

C'est k faire au couper le chef 

De nostre frère tant pervers. 

Puis , s'il venoit quelqu'un devers 

Nostre père, luy declairer 



io8 Moralité 

Il nous fauldroit luy séparer 
La teste d'avecques le corps , 
Et après vivre en bons accordz , 
Mettans en Testât nostre père 
Qu^il mérite, aimant nostre frère. 
D^abondant autant fauldra faire 
Si nostre mère nous vient braire ; 
Nous en avons trop enduré ; 
De ma part je ne puis durer 
Que n*en fais expédition. 
Et puis , au pis aller, si on 
Nous en mesprisoit quelquement. 
Il nous fauldroit prendre hardiement 
Vengeance sur nos ennemys. 

Jehan premier filz. 

Ceulx ne seront pas mes amys 
Qui me viendront rompre la teste , 
Et , pour te repondi'e à la reste , 
Je veulx qu^il soit sans contredit 
Fait tout ainsi que tu Tas dit. 

Paase , et 

Le Père dit: 

Mon filz bien aymé , ton désir 
Soit fait, si veulx prendre plaisir 
D'aller veoir tes frères aux champs. 

ÂNATHOILE LE TIERS FILZ. 

Helas , mon père , voz doulx cbantz 
Me font frémir le cueur de joye. 
Tantost je m'en voys mettre en voye 
Pour les trouver à la bonne heure. 

Le Père. 
Or, mon cher fi]z , va sans demem'c , 



Nouvelle. 109 

Jésus te garde par sa grâce. 

Il départ et ya contre ses frères lentement. Puis dit 

Jehan premier filz. 

Je voys quelqu^un suivir la trace 
Du chemin , par vers nous venir. 
Il le nous fauidra convenir 
Pour sçavoir quel homme il peult estre. 

Pierre second filz. 

, nostre Dieu , nostre hon maistre , 
Loué sois-tu très grandement. 
C'est nostre frère, vrayement. 
Il le nous fault faire mourir. 
Nul ne le pourra secourir 
Qu'à ce jour ses jours il ne fine. 

Jehan premier filz. 

Il nous fault tenir honne myne , 
Et le laissons fort aprocher. 

Pierre second filz. 

On le nous pourroit reproucher, 
Si l'on trouvoit son corps sur terre, 
Pourquby fault garder que l'on ne erre ; 
Mettons-le en quelque caverne. 

Jehan premier filz. 

Mon frère, ceste grant cyterne 
Est le lieu 011 le convient mettre. 
Nous luy donrons tantost sa lettre ; 
Il sera tost maistre passé. 

Pierre second filz. 

Mais de le faire trespasser 
Il fauidra regarder comment. 

Jehan premier filz. 

Je pense à sontrespassement; 



110 Moralité 

Mais il me semble on le deust prendre 

Et au font du creux le descendre, 

Où quelque temps il languira, 

Et puis tost après il mourra. 

Si tous les djables ne Tempxurtent. 

Pierre second filz. 

Je voys que vers nous se transporte ; 
Ne disons plus mot, je te prie , 
Mais rendons la chose acomplie. 

Anathoile le tiers filz. 

Mes frères, et puis? 

Jehan premier filz. 

Et fontaines. 

Hz le lyent de cordes. 

Anathoile le tiers filz. 

Qu'est-ce cy? 

Pierre second filz. 

Tes fiebvres quartaines, 
Tu Tentendras tantost, beau père. 

Anathoile tiers filz. 

Qu'est-ce que vous me voulez faire? 
Dictes-le moy, je vous supplie. 

Jehan premier filz. 

Nous te ferons perdre la vie 
Avant que partir de noz mains. 

Anathoile à genoulx, 

doulx créateur des humains , 
Helas, prends tost de moy mercy. 

Pierre le relièçe rudement i 

De cecy nous n'avons soucy, 
Meschant -pendu; cette cyteme 



Nouvelle. m 

Te servira d'une taverne 

Pour^ si tu veulx, faire grand chère 

AnATHOILE TI^RS FILZ. 

Helas ! helas ! cruelle chère ! 
Vous ay-je point fait desplaisir? 

Jehan premier filz. 

Si maintenant avions lojsir, 
Nous te le dirions ; aussy bien 
De la cause (tu) n'ynore rien ; 
Tu la peulx bien conjecturer. 

Anathoile tiers filz. 

Helas , me (ault-il endurer 

La mort par vostre faulce envie? 

Pierre second filz. 

Despeche , c*est fait de ta vie. 
Entre en ceste cy terne cy. 

Anathoile tiers filz. 

Helas, dont procède cecy? 

Je meurs par vostre faulse envie. 

Jehan premier filz. 

Despesche , c'est fait de ta vie ; 
Je croy tu n'es peint nostre frère. 

Anathoile tiers filz. 

Helas ! et que dira mon père ? 
Qui me commandera à luy? 

Pferre second filz. 

Du moins tu ne seras celuy. 

Hz le jectent en la cyterae , et 

Jehan le premier filz dit: 
En voyla l'expédition. 
Mais , Dour faire conclusion , 



lia Moralité 

Il noas fault tromper uostre père. 
Pierre second filz. 

Sçais-tu bien qu^il nous fauldra faire ? 
Il nous fault tiier ung mouton , 
Et puis dans le sang nous mettron 
Quelque habitz , dont nous ferons monstre 
A nostre père , qui à Teticontre 
Ne pensera point au'une beste 
N*ayt porté a son nlz moleste 
Et deyoré, pour faire court. 

Jehan premier filz. 

Tu es un yray galant de court ; 
Soit fai^t ainsi que tu le dis. . 

Hz tuent un mouton et mettent un habit dans le ftang, et 

Le Père, remort d'eulx, dit en parlant à sa 

femme : 

Loué soit Dieu de paradis , 

De mes enfans qui sont bien nez. 

Jamais les mieuix morigénez 

Ne se trouvèrent sur la terre. 

L'un contre l'autre ne prent guerre , 

Mais ont un Amour fraternel 

Qu'il me fera comme étemel. - 

La Mère. 

Mon amy , ce sont les enfans 
Peult estre les plus triompbans 
Qui soient point en ce quartier. 

Le Père. 

Ma grâce leur est impartie , 
Et les 'Aymé profondement : 
Car jamais ung bon cneur ne ment. 
Mais j'ayme le moindre d'entre eulx 



NotJVBLLt. it3 

Beaucot^ |diii me tes «ultras deux, 
Tant pour ce qu^ell nostre vieillesse 
Le Saiiy^tur, par sa grand largesse. 
Le nous a donné, comme aussi 
Qu^il obehist, sans qua ne si, 
Tousjours à mon commandement. 

Là Mère. 

De mon eost^, semblabbment, 
Il me plaist fort sur tous ses frires. 

Le Père. 

combien sont beureuxles pères 
Qui ont enfans de bonne sorte. 
De ma part mon fait me conforté , 
Car, la mercy Dieu et nature, 
J'ay irh bonne progéniture, 
Et telle, que la oesiroys. 

Vunw et 

Jehàii premier Pitz salue son père 

en disant : 

Cher père, le bault roy des roys 
Vous doint yostre noble désir. 

Le Père. 

Dictes moy, car c^st mon plaji^ii:, 
Yostre frère ne yient-il pas ? 

Pierre secokR' filz:. 

Je sommes yenns pas à pas. 
Sans nostre frère avoir ven. ' ' 

Le Père. 

Helas, or suis-je desponryeti 
De tout plaisir et tout soûlas. 
Helas , helas , helas , helas , 
Entièrement me desoonforle. 

T. III. 8 



ii4 Moralité 

Je Yoidz ses Itabitz. qae tuporle., . 
Tous plaiss de sai»g et tout uoircy . 

Jehan premier filz. 

Certes, quant à ces habits cy, . 
Nous les ayons au boys trouvez , 
Et, par propos non controuvez , 
Vous dis que nous ne ^çavions mye 
Nostre frère eust; fait départie 
D'avec vous.. 

Le Père. 

quelle nouvelle ! 
Mort , dure mort , o mort cruelle, 
Viens moy jecter à la renverse. 
la fortune trop diverse ! 
Or fault-il maintenant plourer. 
Quelque beste aura dévoré 
Mon cher enfant. quel effort ! 
Où est-ce que prendi'ay confort ? 
Il me fault mourir sans relais. 
Helas , helas , helas , helas ! 

beste lubricque. 

Si fort tu me picque 

Qu'il fault que m applicqae 

A éhanter helas. 

Ton faict inique 

Me; donne ■■ colicque 

Fort dure. et oblicque, / 

Dont je pers soûlas. 

La Mère. 

Helas, mon amy, patience; 
J*ay mon entière confience 
Qu'on le tiouvera à bonne heure. 
Il fault que allions sans demeure . 



Nouvelle. ii5 

Pour le chercher dilîgemtneiit. 
N Y pensez ppint tant yistement. 

LjE "ERE* ' 

Helas , pauyre fière, 

Et toy, chère mère, 

Pour ce dur affaire 

Vous convient mourir. 

Que pouriez-vous faire 

Fors crier et braire , 

En lieu solitaire 

Dans les boys courir ? 
Mon Dieu me yueille secourir, 
A luy veulx tousjours recourir ; 
Mon enfant je luy recommande. 

La Mère. 

• 

Amy , s'il youjs plaist que je mande 
Noz en&ns par noys et par terre 
Pour de leur frère soy enquerre, - 
Je le feray très Toluntiers. 

Le Père. 

Où sont les chemins ny sentiers 
Où je le pourroys une foys 
Veoir de mes deux yeulx ? Toutesfoys 
Que noz enfans Taillent chercher. 

La Mère. 

Enfans ,' il tous fault enchercher 
Où vostre frère pourroit estre ; 
Ponrquoy tous J&ult au chemin mettre 
Pour le chercher sans demoureri 

Jehan premier filz. 

Une beste Ta devorexw 



L*aller ckercher séroit.folUe. ' , 

Uelas, mes eii£sias; je.Txius prie 
Me Youloir faire ce'plaiair. 

Pierre secoiïi^'filz. 

Frère, vous falctes desplaisir 
A ma mère et à moy aussi. 
Pourquoy prenons ce cbemin cy 
Pour aller chercher nostre frère. 
Vrayement , voicy un bel affaire ; 
Nous ayons ce qu'il fault avoir. 
Nostre père aille sçavoir 
Si son mignbn a point de pain. 

Jehan prishier filz. 

11 devroit avoir grande fain ; 
Il a long temps qu'ail n*a mangé. 

Revo&t j>e conscience. 
Et, enfans, jave^vou» eh^ip^^é 
Vostre vouloir tantmeschamment ? 
Regardez un petit comment 
Vous rendez marry vostre père^' 
Parce qu'avez mis vostre frère 
A.mbrt <»iieUe de voz mains. 
enfans pires- des humains. 
Qu'avez tel meivtre perpétré. 
Gomment ppurrez-yous iiupçtrer ■ 
Remission a un tel péché. 
Vostre frère avez dçpesché ' .. 
Sont quatre jours ; tué l'avez. 
Dont je ne sçay si Lien lavez 
Vous serez d'un tel meschanf-acte. 
Amour Fratemd vousdetracle.;: 



i: 



Vous V^rtt laiftfté toaalrfemekit. 
Pourquoi peuéez nnaUement 
Qu'en sereE spreAremfittt pagiûs. 
Vous estiez de tous maulx houniz 
Quant né pensiés, à Tadventure, 
Meuiftrir yostre progéniture. 
cas sur tous a&hominable 
Acompagné d'un mescKant diable ' 
Pour oondacCenr ) o duré cbose ! 
En. parler plus avant je n'ose« 
De mpn costé j'en ay piûéé 

immodérée inimitié t' . 
Qui par meschanté euyieas faict 
Le plus estrange ^et gie&.' fdrCait 
Qu'on ,pouroit dire ny {penser ! 

Pienre «^ nous avons offensé 
Nostre }>èr6 trop mandement; 
Je le congnoi^ cectapraeihent; 
Nous aTovs tué noftre)lrère . 
Pourquoy le y^ifuiiiea-i^oas faire? 
Ce fut à nous fait meschanunent. 
Et pour QB je YenLi: br^fVement . 
M'aber pendre par desplaisance. 
le faict de ^ande importance 1 . 
C'est un peclié irrémissible. 

Pierre xe abcond filz. . 
enyye ti^p inyj^ncij}le V 
Jamais je ne l'eusse çuydé. 
cueur par trop qutrecuydé , 
D'avoir ainsi meurtri ton frcre. 
Hélais , Frèrr, le grand affaire ! 
Je ne me iiab^jÂuis soh&zténîr. 



ii8 Moralité 

JePAN PREMIER FILZé 

Il te Cault avec moy venir 

Et nous yrons noyer ou pendre. 

Pierre le second filz. 

Allons, helas , sans plus attendre, 

Que jamais on ne nous revoye. 

Or marchons ; que Dieu nous convoyé. 

ReMORT de GO^SGIENGI^. 

Enfans , qu^est-ce que voulez faire? 
Allez-vous rendre a vostre père, 
Luy demandant remission 
De ceste.faulse occision 
Qu^avez fait de vostre bon frère. 

Jehan premier filz. 

Comment aller devers mon père ? 
Jamais! j*ayme trop mieulx mourir* 
A qui pourrions-nous recourir ? 
Ou sera-ce , n^en quelle place 
Que de ce fait recevrons grâce? 
Nous avons par trop offense 
Nostre père.' 

Remort DE conscience.. 

Il te fault penser 
Que , si ainsi te desconforte 
Et que tu meure en telle sorte , 
A jamais tu seras damné. ' 

Jehan premier filz. 

Aussi bien suis-je condamné ; 
A cela mon faict m^y condamne. 

Remort de conscience. 
En fusant ainsi tu te damne. 



Croyez qnloirccMDBeiletimBs dscts^ 
Si youlezayoir paradis. 
Allez en devjuit vostre pire, 
Et lu j ciictes que yostre frère 
Vous ayez meurtri , en efiect, 
Et que TOUS repentez du fait , 
Luy- criant mercy humblement. 

Pierre LE SECOND filz. 

Mon frère , allons-y vistemetit , 
N^atendehs îcy dayantaige 

Jehan PREMIER filz. 

Tu perdz temps,- car j'ay un couraige 
Qu^une le permettra jamais. 
Pour quoyjene yeulx désormais 
Me trouyer deyant 3a personne. . 
Remort de gons€1engb. 

Misérable, tut'abandonne 
A tous les grans dyables d^enfer. 
Doncques pense batre le.fer 
Pendant qu'il est chault* 

Xeban premier :filz. 

Ha, Remort 
De conscience , la griefVe mort 
De mon frère ne le permet. 

Remort de conscience 

parlant à Pierre, 

Je ne sçay où ton frère met 
Son espnt; prendz-le par la main; 
Vostre père s^a humain , 
Prenant de youa miséricorde. 

Pierre second filz. 

Remort, hàa^l je. m^ accorde^ 



#!• HORALITi 

Mon ù^re^ pfenês ooDCOUiragc. 
Allons tout oroitJiir £f passage 
Crier mercj ii noofipe pire. 

Helas ! las f que (ta) me fais-ta faire ? . 
Je ne s^y certes où je suis. 

' Ptiifte. 

Le Pèrb. 
Ma îemau^^ tousjours je poursuis 
Ma complaincte d<^ noKtice filz* 

Ses frères ^ e% 4{^i«lears cpnfitz , ^ 
Viennent des chànip^ tous deax ensemble. 

' Lb Pèbb. 
Helas !• femme V !cêlk^e il tfe ^èHible , 
Jamais doik' neie reveirons.- 

La MÈtiB^ 
Vers noz cn&ns nous etiquerrons 
S^ilz en ont point eu ile noctvelle. 
Je sens tristesse nomparèille ; 
De ce qa!ik neilf amènent pooit.'. 
Attendons le^ cj sur ce point. 

Pftttte , et fe dwMPtjiwi^Hr à 'gesoubi I« p^Moieeet second 
fils devant leur père. ' 

Jehan i^liBiriEii filz.' ' 

Helas , mon père, je ne sçay 
Si perferay le coup dVssay ^ 
Qu ay proposé en ceste jplaèe 
Déclarer devant vostre lace. 
Car le cueur, iieïas, tant m>straint ' 
Que de me taire suis conltâint, 
Et ne ponrroltiiors de ma bouche 
Sortir je imalque' Unli lite toèche. 



l 



s 



Mon ûk , la «Hm'Yielle t$^ ^ileilse. 
As-tu trouyé la be^te hfimse 
Qu'a deYorérnMmâbw tQo.fiofere? 

Impossible est '^' hdaà ! kubn père , 
Que TOUS dise la ymié :, 
; Car moacneoreslt tant airité . 

Que ne sçay si suis yif .ou mort. 

L]$;PSRE. : . 

Helas , belaa , et quel remort . 
Te garde de ,1e deelairert 

JSHAir PREIflER 7ILZ.' 

Nous detissions bien estre esgarei , • 
Sans à tous jioqs Tenir monstrer ; 
Le vouloir qu'avons demonstré 
 nostre frj^e faulcement 
Bannist perpetuelléinent 
Nous àeniL oe devant vostre face. 

Enfans , rtspondéfc <a k placé : 
Est-ce TOI» par qui il cfli «nart? 

PtERRE LE SECOND FILZ. 

Est-ce vous par qui il est mort ? . . 
Ouy, mon p&e , et iioa pas autie. 

Le Père. 

» • • . ^ • . . i 

Jectons pleurs d'un çosté et d'autre. 
Nostre nlz est 'in(^ seorement. 
Comptes 16^ prestttttèBtent 
Gomme ¥9iia*Vavez d^esçhé* - > « 



laa MoR'ALiTÉ 

jEHAN.P&EMrEll FILZ. 

La grandité de mon péché 
Ne me le'pennettra jamais 
Déclarer à personne ; mais 
Mon firèce le vous poiuira dire. 

: Le Père. 

Helas, Pierre, sans contredire, 
Je te prie, dis le moy doncques. 

PfERRE SECOND FILZ. 

Je n^y obmetray riens quelcon^es. 
Or, aîmn que je tous commence 
Reciter le fait de la danse. 
Mon frère et moy , presamptaeulx , 
Yoyans les despens sumptueux 
Que faisiez après nostre frère, 
Fusmes enyieulx de tel affaire, 
Tellement qu^à diverses foys 
Voulions Toccire. Toutesfois, 
Tousjours nous Payons différé , 
Et, puis qu^il le fault proférer. 
Par nostre envie tant meschante , 
Nous avions paroUe fréquente 
De luy jouer un maurais'tour. 
Ce que feismes, .sans grant ataur, 
Sont quatre jours entiers passez. 
Car nous ayons ses os cassez 
En îe jectant eh lieu infect . . 

Qu^est en la cyterne, en effect, 
Que d^cy n^est pas trop loingtaine. 

Le Père. 
Mes yeulx, feictes une fontaine 
De force de jecter des larmes. 



! NOU.VXLIB, 4^3 

mes eHÊuits , tqz durs allanues 
l Me rendent [de] mort.la présence* 

Ieham premier filz. 

Mon pb'e, yela nostre ofienoe. 
Faicte»-en Ja punition 
Sans nous donner remission; 
N^attendez plus, je vous supplie. 

s Le Père. 

mauldicte envye , 

Tu feras.ina vye 

En mélancolie . 

Tout mon temps durer. 

Las , mort, je te prie. 

Fais chose accomplye : 

L^ame soit ravye 

Sans plus endurer. 
Pauvre yiellard , ton soûlas est perdu. 
Las , mes enfants , je suis tout esperdu. 
Menez-moy tost où vous l'avez jette. 

La Mère. 

Il ne vous fauh tant lamenter ; 
Dieu vedlt que tout ainsi se fiatce. 

Ls^ Père. 

Je veulx mourir en mesme place 
Où mon bon filz a prins sa mort. 
Las , mes en&nts., las, tpiel remort ! 
Menez m^y tost sans plus attendre. 

Jehan premier filz. 
Mon père, il vous fault entendre 
Qu'il est mqrt sont plujs de trob jours. 

Le Pèrb. 
Mes enHainsvvoukz^voas tottsjoors 



M^enteetenir par toE paroUes ? ^ 

Ne m^uez meshuf «le&iyble; 
Ains id0ttsjmn conmandjeiiieiit. 

PlBREK SBfiOlf 0: :FILZ«: 

Allons y donc appùtement. 
Et je yoos ménerajr âu lieu 
Où il est. 

ItB PtRE. 
Or sus^ de, par Dieu. 
Pierre ssçoniv f ilk. 
Mon père, par la mesme place - 
Que nous sommes nous rayons mis. 
Le Père. 

Je prie k Dieu que par sa grâce 
Ce grand péché vous soit remis. 
Or ça, ines enfants, mes amys, 
L'aveZ'Vous cy dedans meùrtry ? 

JEHAN PREMIER FILZ» 

Point ne prouffite Je-mentir ; 

GW là jèdans, sans nulle faulte, , ; 

Le P^re , 4 gemux à joùtckfi. mmn^. 

Souverain Dieu, paj? ta.|ii^jeit haulte, 
Mercy te rendz icy présentement 
De ce que suis sur le lieu proprement 
Où mon enfant tant cher» par grande enyye 
A prins sa.mort« Le reste de ma yye 
inespéré user à pleurer son trespas. . 
Quand tu youldras quie je passé le pas, 
Je m^ snbmetz, afin de vivre au)L cieulx 
Avec mon filz, que ses frères envienlx 
Ont mis à mort en -fert piteîix'arroy. 
Las, monenfii]it,pcîe sans dtiarpoy 



Nosire SauTeor qn'aTeclojil me pnenne, 
Sans que. jamais oa monde je m'esprenne. 

An ATftOILE TIERS FILZ. 

Redonbté pire, je suis encore en vie 
En la cytéme, et croyez que Tenvie 
De mes frères ne me ntiist nullement. 

Lfi :PèR£. 

Mon filz, helas, je.te prie, doulœment 
Viens au pertuis , que dehors jeté tiré. 
Helas, helas, je ne sçay queitedire,": 
Tant j^ay de joye en U comvaleaèeiieè* 

Le» prenûer et.MQOnditti'H'iMittfiità genoulx. 

Jehan premier ^iiOr^ parlant à son frère. 

Las> mon S0i9»elu^, que ikoftreoiilieciiydançé 
Encontre tous par YOuasQittostpittiie:^ 

ÀNATàOÏLË le TIERS >IL'Z. 

Frères, amys, laissez tost vôs^tre envié ; 
Je ne demande que' cela seulement, 
Et à la resté levez-tous vistement , ' 

Que de mes bras tous deux je Vous embrasse. 

. ' • • ■ ' - ^ 

Jehan premier filz. 
Degrant yergoigne je meurs en eeste place. 

PlBRRB.&EClOiin EfLZ. 

Monsieur et frire, à jmiretc^ mïiiil9{4oy] , 
De mon forfaict je yons requiers mercy. 

Anâthoile tiers filz. 
Leyez-yous, frire ; debon cueur tous pardonne. 

Le Père. 

Or sur ce point il fault que je m^adonne 
A m'esjouyr , car jeune je deviens. 



ia6 Moralité Nouvelle. 

Vous, mesenfans, gardez-rotis qu'aax lyenâ 
D'EDvie mauldicte ne tombez cj apràs; 
Car je vous dy, par mon dicton exprès. 
Qu'ayant Ënyie avec vous, vous serez ■ - 
Tous pauvres gens en tout vous penserez. 

Je suis fort joyeulx 

Veoir devant mes yeùlx 

Les iauCx envienlx 

Vaincus en la place. 

En&ns precieulx , 

Soyez curieux 

D'avoir en tous lieux 

Du Sauveur la grâce. 

Le prego ftnat. 

Seigneurs et dames, vous avez veu Pexemple 
Gomment Envyeses gens a convoyé. 
Il n'est celu^ qui bien le tout contemple 
Lequel contienne ses yeulx de larmoyer. 
Si nostre stile a esté desvoyé , 
Et cra'ayons dit nostre cas rudement, . 
Paraonnez-nous , et de tout le loyer 
Vous donnera le roy du jQrmament. 

Fin de la moralité des Frères de Maintenant. Nou- 
vellement imprimée k Paris par Nicholas 
Ghrestien , demourant en la rue 
Neufve Nostre Dame , à 
l'enseigne de l' Escu 
de France. 




MORALITÉ NOUVELLE 
D'UN G EMPEREUR 

Qui tua son nepyeu qui tToit prins ope fille k force* • 
Et comment, ledict empereur estant au lict 
dé la mort, la salncte hostie luy fut ' 
apportée mirabuleuse- - 
ment. 

Et est d dix personnaiges^ c'est assavoir 



L'EMPEREUR 

LE GHAPPELAIN 

LE DUC 

LE CaNTE 

LE NEPYEU de TEm- 
pereur 

L'BSGUTER 



BERTAUT et QUIL- 
LOT, serviteurs du nep- 
Teu 
LA FILLÏTiolée 
LA MÈREdelafiUe 
AVecLA SAINTE HOS- 
TIE <iui se pTéaanU A 
rEmperenr 




L*ACTEUH. 

Leigneurs , dames et damoîsdles ^ : 
r Plaise vous ouïr les nouvelles 
lue raeoiupter nous tous voulons 
^'ung empereur saige et preudhoms 

Qui tout' temps vemt justice faire , 

Et nous bailla bel exemplaire 

D^ang nepveu qui seul noir avoit, > 

Lequel de sibon cueur amoit 

Que Fempire lui resigna. 

Et du tout il le. couronna. 



laB Moralité 

Après eft <m%€iit conroiBie ^ 
Il fat mocut fiortenamoui'e 
D'une graeieuse poeelle , 
Jeune mk .plaisant «t b^e ^' - 
£t tant amour son cueur força 
QuelaMune^e efforf!» r - • ■ 
MaÙIgré eUe; par gi-ant ardeur. 
Lofs vint la plamte à Tcmpereur^ 
Et telle justice en fist 
Qcte de sa propre main Foccîst, 
Pour cbascun droit et raison rendre, 
Sans aux aticuns en rien attendre. 
Et après TOUS verra comment 
Il receut le sainct sacrement 
Par miracle que Dieu inonstra , 
-Gcmmie appercevoir on pourra 
. En peu dneure, s'il plaist â Dieu. 

L^ËiiPEfR&UR commence^ > 

En grant douleur. suis en ce lieu. 

Ghappelain f entendez à moy ' 

Je SUIS aneien, et cognoj 
De Dieu la suppellative gr^ce. 
Pour ce , tandis que j^ay espace, 
De Temptre viiéil dii$posc»r, 
Et au sermé Diettfioser 
' TrestôUt ^mcrn à^ «t U«c ison temps ; 
Car de 1& tinoirt^tit n'est dosant,, 
Ne sçavonrcond^eb llfêtire^stbriéf^e. 
Maladie sen^ qifi mei^ë^ré . ' ^ : ' « 
Mon corps, et tietlt^Wi gtmrWilf^: < 
Si Youloroye bien nv^if cmisi^ï ^ 
Que j'ay de mon empire^ i'fem, - 
Car u me semble HiBoessiÉm) ' 



d'UNO ExPBRBUR. «29 

Que d'autre qu^moy-sotl^poorveu; 

Or n'ai-je aultre que mon nc^yeu 

Que Tempire peust jgouvenier. 

Si Youlsisse detenniner, 

Se bon conseil Tbsast à dire , 

Que je résinasse Fempire 

A mon nepyeu t, et qu'il en fist 

Son utilité et proufist. 

Yueillez vostre opinion dire. 

Le Chappelàiii. 

Or me pardonnez, très' cho: sire. 
Pom* Dieu, ne tous vueille desplaire ; 
Déterminer de telle affaire 
Ne suis pas ei^pert ne propice. 
Le gouvernement et pollice 
Doit aux nobles appartenir. 
fovac vouloir tel conseil tçnir ' 
Fault parler à ung plus discret. 

L'Empereur. ., , . 

Chappelain, trestout inon secret 
Vous savez, n'autre que vous seul. 
Pour ce dictez^moy , te le vueil, 
Yostre opinion de celait. 

Le Ghappelain. 

Certes , sire , puis qu'il vous plaist, 
Je le vous diray : il me semble 
Qui sera tris lion qu'on assemble 
Les ducs , les barons et les contes, 
Et au'on leur Wpose les coçiptes 
Du laict, qui leur semblera bon, 
Et , selon leur (^inion , 
On pourra pourveir à la terre. 

T. m. 9 



i3o Moralité 

L'EMPEREUR. 

C'est bien dit ; envoyez-les quérré ; 
Faictes les moy si tost venir. 

Le Chappelain. 

Yoalentiers , à vostre plaisir. 
Escoyer dlionneur, venez m. 

-L'ESCUTER. 

Que TOUS plaist? 

Le Ghappelaik. 

On le vous dira : 
Allez tantost dire aux seigneurs , • 
Ducs , contes , petits, et greigneurs , 
Qu'ilz viennent prendre leurs sentiers 
Devers la court. 

L'ESCUYER. 

Très voulentiers. 
J'en feray brief la diligence ; . 
Tantost les verrez en présence. 
Duc de Guerdelain, plain d'honneur» 
Yueillez venir vers l'Empereur, 
Car expressément le vous mande 
Pour une nécessité grande; 
Vous aussi, comte de Namur ; 
Il a ung faict pesant et dur 
Dont k vous se veult conseiller. 

. Le Duc. 
Nous le ferons sans varier. 
C'est raison , puisqu'il conuaande. 
Où est-il? 

L'Esguyer; 

En pensée grande 



d'ung Empebeur. i3i 

En sa chambre, .car moult désire 
Yostre conseil. 

Le Conte. 

A vous, beau sire . 
J'ay désir de yeoir FEmpereur. . 

Le Duc. 

Sire, Jésus, nostre seigneur, 
En yalleur, haulteur et prouesse 
Yueille garder yostre noblesse ; 
Que TOUS plaist , prince, pouryeus? 

L'Empereur. 
Vous soyez les très bien yenus. 
Duc, soyez-yous en celle part. 

Le Conte. 

Noble Empereur, Jésus yous gard. 
Mandé m'ayez , c'est yerité ; 
Vers yostre royal majesté 
Je suis yenu. 

L'Empereur. 

J'ay ung pesant faict qui aussi 
Est digne de moult grant conseil. 
Messeigneurs, à yous me conseil 
D'une chose que moult désire. 
Grief accident moult fort m'entire ; 
Mon corps plus n'est à demy yis. 
Se seroit bon , se m'est adyis , 
Tant qu'à moy nature domine , 
Que l'empire nrief je resigne 
A personne qui soit habille. 
Mon nepyeu est en eage agille 
Pour gouyemer telle noblesse. 
Ma yinlité et yieillesse 



i3a Moralité 

Est amortie ; le corps tremble. 

Et pour ce, seigneurs, que vous semble 

De ceste résignation? 

Le Duc. 

Cher sire , mon opinion 
Assez à la yostre consonne , 
Yeu (pie n^ayez aultre personne 
Ydone k la succession 
Que Yostre nepveu , qui renom 
A d*estre bien moriginé. 
Se vous estes déterminé , 
La chose me semble licite. 

L'Empereur. 

Et TOUS? 

Le Conte. 

La chose (si) est bien eslite , 
Pourveu que vous n'avez aultre hoir. 
Je dis avec vostrè vouloir: 
La chose n'en peult qu'amender. 

L'Empereur. 

Chappelaîn , iaictes luy mander 
Quil viengne tost par devers nous* 

Le Chappelaîn. 
Escnyer ! 

L'ESCUTER. 

Que voulez-vous? 

Le Chappelaîn. 

Allez, comme bon serviteur. 
Vers le nepveu de l'empereur; 
Qu'a s'en yiengnedaigemment 
Pour son bien et avancement. 



d'ung Empereur. i33 
A coup son onde Ta mandé. 

L'ESCUTSR. 

Puisque le m^ayes commandé. 
Mon message luy yray dire. 

Le NspyBu. 

L^ardeur qui me tire 
Me Tient tu*e k tire , 
Par quoy je m'entire 
En angoesse dure. 
Sy ne sçay que dire 
D une que désire ; 
Car son escondire , 
Si fault que Tendcire , 
Me seroit poincture 
Et aspre morsure 
Plus aure que rage , 
Car, pour sa trarcture 
Et plaisant figure 9 
Tn^ fort me figure 
Et corps et courage. 
Amours, quel Eommaîge 
Pour son pucellaige 
Et quel vasselaige . 
Vous pourrai-je faire ? 
Mon naultain lignage 
Et noble bemage 
Ne faict avantage 
Qui me puisse plaire. 

L'ESCUTER. 

Sire , ne vous vueiUe desplaire , 
L^empereur à conseil vous atant , 
Qui a vous pourveoir fort contant. 



'i34 Moralité 

Venez deyers laj, s'il tous plaist. 

Le Nepvbu. 

Allons , car trop fort me deisplaist 
D^estreen si dure penence. 
Onde de très.noble;puis5ance, 
 Yostre hault commandement 
Je suis venu hastivement. 

L'Empereur. 

Or entendes k mpi, nepyeu : 

J*ay une assemblée eslevée 

Pour ce que nature a grevée 

Mon eage en mon corps déclinent ; 

Car je ne puis dôrennayant 

Bonnement entendre à police. 

Or aj-je en tout en mon temps justice 

Excercée gramment àï droict, 

En rendant à cbascun son droict ; 

Or ne peult nature soufinr 

Que je le puisse plus régir, 

Par vieillesse, qui trop domine. 

Si sera bon quW détermine 

De vous remettre eh nostre empire^ 

Affin qu'après moi il n'empire 

Par faulte de (bon) gouvernement. , 

Le Nepveu. 

Mon cher onde etmon seigneur, 

A vostrc vueil me couronner, 

Ce nonobstant qu'en moy n'a sens,* 

Sdence ne instruction, 

Mais , soubz vostre correction , 

Je suis pcest à vou^ obéir. 



d'ung Empereur. i35 

L'Empereur. 

Jeune cueur ne doibt point liayr 
D'entreprendre belle entreprinse , 
Car, puis qu'elles sont entrepiinses 
Par engin yif et très parfaict , 
On apprent bien en excersant. 
M onstrer dèbyez et mettre en œuvre 
Le bien que Ton tous a donné , 
Car qui en ce monde bien ceuvre 
Paradis lui est ordonné. 
Duc de Guerlant , vostre adyis 
Veuilles dire sur cette chose ; 
Estre ne poyons toujours yifz , 
Il fault penser à la parclose. 

Le Duc. 
Gbier sire , en mon entendement , 
Vous ayez bien parlé tout oultre ; . 
Mais , pour ouyrèr plus seurement , 
Jeune a bien besoing qu^on lui monstre. 
Par la chaleur d'ardant jeunesse 
On est aucunesfoys surpris, 
Et, quant on rentre en yiellesse^ 
Il se repent qu'il n'a apris. 
Au gouyememeRt el police > 
Appartient d'aymer loyaulté , 
Et fouyr les tours de malice 
Par qui maint homme est enchanté. 
Estre en parolle véritable 
Appartient à puissant seigneur, 
Car, s'en le trouye en bourde ou fâdble , 
Il acquiert unsç grand deshonnet^; 
A srans langaigeurs et flatteurs ' 
Il doit tousJQors fenaer la porte. 



i36 MonAtiLTi . 

De paroUes sont rappoiteors 
Souvent , qui pou de prooffit porte. 
S*aucnn yient fidre sa complainte , 
N*en aTOÎr trop compassion , 
Tant [que] la cause soitataînté 
Par certaine information. 
Ung prince se doibt emploier, 
Quant pour son bien on iuy conseille. 
Sans pour argentan riens ployer; 
A beau parler dorre roreillç. • 
Noblement ares gouyemé , 
Mais desoremais estes yieulx ; 
Si fault qui soit déterminé 
En procédant de mieulx en mieulx.. 

L^ËMPEREUR. 

Je TOUS ay bien entendu. 
Q'en dictes-Yous, au résidu? 
Pensez de vous délibérer. 

Le Conte. 

Certes, atout considérer, 
La matière est fort difficile : 
Car il y faiult prompt et habiUe 
Qui avecques haute science , 
Soit militant , lÎMt » science , 
Entreprenent et courageux , 
Aux ennemb avantureux , . . 
En force , valeur elprouease. 

Or ne peut vieillesse 

Prendre hardiesse , 

Carnatuve laisse 

Auplusfortyîetoijne, : . . 

Et veult que jeimes^e 

Soit sur tons maîHitsse ^ 



D'uifG Empb&sur, 13; 

Car sa grant soplesse 
La met ion -niMiioire* 
D'autre {lait, considère 

Et parler. 
Que jeune coeur n*a science 
Pour le peuple gouverner 

Et mener 
En amoureuse scillence 
Dont le saigeprodiance 

Etdessance 
Faict en tous ces dis et fais , 
Disant que jeuœ cueur en ce 

En saence. 
Nonobstant esse prudence , 
Mais très bien luy remonstres. 
II est assez fort et hardi^, 
Et pour ee^ i^er ûrt «je dy 
Que par luy isera pourveiu 

L'Empereur. 

Or entendes k moy, nepyeo: 

Nature , saige et srant maistresse , 

Vous a mis en fleur dé jeunesse , 

Et A moi advient le contraire , 

Car je dedine en ma vieillesse. , 

Si est taufs de laisser prouesse, 

Et lai&ser au jeune painire. 

Pour ce je pnb conseil traire 

De vous si endroit, pour mièalx ledie , 

En siège royal couronner. 

Car empereur je vous vn^ faire. 

Si prie à Jésus débonnaire 

Que bien le puisse gouverner. 

Ceste espée vous finih pottefi 



i38 Moralité 

Si ne TOUS yueillez- déporter < 
QvCk chascun tous faciez justice ; 
De ce vous yueil bien exiiorter. 
Le poyre et riche supporter 
Ne déyez , selon Tostre office , 
Mais à chascun estre propice , 
Selon ce que le cas requiert. 
De les pugnir ne soyez nice., 
Selon leur mefiaict et leur yice^ * 
Comme k juste prince il affiert*. 
Saichez , mon nepyeu , de certain , 
Se ne le faictes , de ma main 
Vous pugniray, n'en doubtez mye. 
J'ay faict justice soir et main , 
Et au gentil et au.yillain , . . 
Tant connue j'ay peu en ma yie ; 
Pour ce je yous requiers et prie 
Qu*en ce me yueiUez ensuyyir. 
Ne jugez pas par felonnie , 
Par yengeance ne par enyie , 
Et bien yous en pourra yenir. 

LÉ NEpyÊU. 

Je pence si bien maintenir 
Chascun^ de degré en degré, 
Que Dieu et yous m'en sçaiura gré. 
Humblement je yous remercie 
Quand m'ayez pounreu; en ma yie 
Ja par moy n'en, aur^z reproche , 
Ne chose qui yostre honneur touche , 
Ne blasme en nulle, qualité.' ■ 
Par moy sera ûiict. équité, . 
Se je puis, entrestous estas,. 
Et pugniray selon le cas , 



b'ung Empereur. 189 
Très cher onde, si plaist â Dieu. 

L'Empereur. 

Ainsi vous pourra en tout lieu 
Bien venir, et ii yoz subjectz. 
Vostre peuple point ne rongés : 
Onques ne le ns en ma vie ; 
Et, combien qu^àyez k baillie 
Du noble enipire excercer, 
Pour aucun Hl cbascun] son droit donner, 
S'en retiens -je la segneurie 
Tant que j'auray au corps la vie; 
Mais, en tant qu'au gouyememeât. 
En tes mains les metz pleinonent. 
Si TOUS prie, bien le démenez. 
Vostre terre gouvernez , 

Et tenez 
Yoz juffes paisiblement, 
La justice maintenez. 

Et donnez 
 cbascun yray jugement; 
Faulx juges ne soustenez 

Ne souffrez 
Sans les pugnir aigrement ; 
Les esglises visitez ; 

Si poun^ez 
Gaigner vostre sauvement. 
Aux povres.ancelles, 
Veufves et pucelles , 
Et trestotes celles 
Qui feront clamours 
Ne soyez rebellés; 
Ayez pitié d'elles ; 
Leurs' Jbonnes quefellés 



i4o Moralité 

Sousteniez toiisjours. 
Les pouTres pas n'oubliez ; 

Emjdojez 
Vostre temps en charité. 
Dons n^estre employer ' 
SupplojeZ) 
Et soyez 
Vostre temps en chasteté. 

Devez venté 

Et virginité 

A sa purité. 

Gardez en tous cas 

Droit [et] équité. 

Pure loyauité , 

Yver et esté 

Tenez en ppnrchas. 

Le Nepveu. 
Tris cher oncle, ne doubtés pas 
J^ay bien entendu et noté 
Tout ce oue m'avez recité. 
J'acomplurai de point en point 
Tout ce que m'avez cy enjoint 
 mon povoir, je vouspromet^^. 
Je ne trespasserai jamais 
Voz bons enseignemens notables , 
Car je les con^nois proufitables ; 
Et faire , au plaisir de Dieu , 
Si bien justice en tout lieu , 
Se je puis , qu'en sera mémoire. 

Le Duc. 
Dieu vous en doint aucun victoire; 
Vous estes nostre droict seigneur; 
Si VQus promis tous sans faveur 



D'uNG Empereur. i4« 

Vous Cadre service et hommage. 

Le Comte. 

Et moy de caear et de couraige 
Me tiendraj vostre serriteur. 
Et, comme souyerain seigneur, 
Vous serez de moy lioiiiioréb! 
Le Nepteu. 

Or çà doncques , Dieu soit lonë , 
Puis que suis dessus ma besougne , 
J*acompliray, qui que en grongne , 
Mon plaisir, Touknr et pensée. 
J^ay une fille fort aymée 
Et de qui jouyr je ne puis. 
Mais, puisque me sens où je suis, 
Mon plaisir en acompliray. 
le suis empereur; bien sçay de vray 
Qu^on ne m^osera contredire. 
Si,Bertault. 

Bertault. 

Que vous pîaist[-îl], sire? 

Le Nepteu. 

Où est Guillot? Venez avant. 

Berthàclt. 

11 estoit icy maintoiant. 
Où es-tu, dy, filz de putain? 

GuiLLÔT. 

Mon frire, baille sa ta main. 

Or si, qui a-il de nouveau? - - 

Nostre iaict seroit bon et beau , 

Se puissons gaigner nostre escot. 

Bertault. 

Avance-toy, et ne dis^mot; 



i4a MoRAiiiTÉ . 

Je croy que nostre faict est bon. . 
Chier empereur de grant renom , 
Vecy Ouillot, qui est tout prest , 
Et moy aussi , pour faire faict , 
Si TOUS plaist le moy commander. 

Lb Nepveu. 

Gallans , je tous ay faict mander 

Pource que tous congnois habilles : 

Car par vos moyens et setilles 

Mon désir sera retrouvé. 

Vray est que suis énamouré 

D^une gent(iU)e fille pucelle. 

Et en tel point pour 1 amour d^elle 

Suis qu^onc(ques) ne souffris telle peine: 

Pour ce je vueil , ribpn ribaine. 

Que la faciez icy venir 

Tost. 

GUILLOT. 

Je puisse Dieu devenir 
Se ne la veez avant une heure. 

Bertault. 

Dictes-moy où elle demeure. 
Par le sang que Dieu dégoûta , 
Se je puis , ja ne m^eschapera. 
Yostre plaisir acomplirez. 

Le Nepvbit. 

E31e demeure icy emprès. 
Pieça luy ay m*amour donnée. 
Faictes que cy soit amenée 
Droit ou tort ; vous aurez bon vin. 

GuiLLOT. 

 tous il y aura hutain, 



d'ung Empereur. i43 
Se je puis , ayant ^'il smt nayt . 

Bertaclt. 

Au5si esse tout mon deduyt 

De frapper Tun et bouter Taultre. 

GUILLOT. 

Se ne fust mon chapeau de fautrc, 
J*estoye arsoir en mauvais point. 

Bertault. 
Et comment? 

GUILLOT. 

Te souvient-il point 
D'un oui tira sa grant espée? 
Gharbieu 1 la testé m'eust coupée , 
Se je ne m'en feusse aperçu. 

/ Bertault. 

Trout ! Taj aucunnesfois receu 
Des horions très bien assis, 
Pour ung [bien] plus de xxvj , 
Mais il ne m'en challoit en nen« 

GyiLLOT. 
Vien ça, il fault trouver moyen 
De faire par aucun fin tour 
Se qu'on nous a dit. Si entour 
Demeure la belle mignotte. 

Bertault. 

Je n'aj pas paour que on la me oste. 
Se je mes une fois la grape. 

GuiLLOT. 

Voire mis, se on nous atirappe , 
Par le ventre bieu , nous perdrons 



l44 MO&ALLTi 

Le moUe de noz chaj^roBS. . . . 
Vêla nostre procès jugé. 

Bertaclt. 

Trout, ayant, troat, c'est biea songé! 
Es-ta pour si peu esbahy? 
Grains-tu la mort? 

GUILLOT. 

Sambieu , ouy . 
Je n'ay que [ma] vie en ce monde. 

Bbrtault. 

Je Tueil que Ton me tonde , 
Se deyant peuh estré trouy ée , 
Si tout à coup n'est esleyée 
Par quelque tour d'abileté. 

Là Fille. 

Royne de bonté, 
Dame de beauté , . 
Fontaine beniffne, 
Enmacbastete 
Et yirginité 
Yueillez estre encKne. 
yertu diyine 
Qui tout enlumine 
Et sur tout domine, 
Vueillez-moy garder, 
Par ta grâce d^e, . 
Que. mon temps se àne 
En pureté fine, 
Sansmoyyioller. 

Bertault. 

■ I 

Guillot, je l\j ouye parler^ 



b'uhg Empereur. i45 
Despechoiu-iioiu ayant i eUe. 

GUILLOT. 

Dea, gardons qa*il n^en soit nonrelle ; 
Chascnn de nous seroit destruit ; 
Car cVUe crie ou maine bruit, 
Tant que le monde il y acoure , 
Il fauldra partir de bonne heure 
Et montrer les talions aux gens. 

Bertàult. 

Nous n*ayons garde que sergens 
N^autre mettent sur nous la main ; 
Nous luy jou[e]rons d'ung tour fin. 

GUILLOT. 

Voire, mais comment? 

Bertàuxt. 

Se m*aist dieux , 
Il luy fauldra band«> les yenlx 
D*une cornette gentement. 

GuiLLOT. 

Or y ya donc preuîerement, 
Et je serai de costé toy. 

Bertàult* 
Aoopficop! 

La Fille. 

Ha! laissezrmoy, 
Messeigneurs ; yous ayez granttort. 

GuiLLOT. 
Or yous taisez , .fille. . 

La Fille. 

A la mort! 
T. ni. 10 



i46 Moralité 

Vray Dieu , yueilJés-moy secourir. 

Bertault. 

Dy, Guillot, pensons de courir 
Devant que quelc'un nous esmouche. 

GUILLOT. 

Je luy estouperay la bouche ^ 
Affin qu*-elle ne çrye plus. 

Bertault. 

Nous la mettrons en tel reclus , 
Car il y a bien secret lieu. 

Le Nepyeu. 
Gomment va ? 

GuiLLOT. 

Par le sanc bien , 
Nous ayons fait nostre debyoir. 

Le Nepybu. 

Ou est-elle? 

Bertault. 

AlezlaToir; 
Elle est en ceste chambre là. 

Le Neptbu. 

C^est tris bien faict. Prenés cela 
Pour aler boire du meilleur. 

GuiLLOT. 

Sainct Mor, ^ant mercy, monseigneur. 
Nous alons £aare bonne diiire. 

Le Nepveu. 
Vous m^ayez esté rude et fiire; 
Toutefois je yous tiens icy. 



d'ung Empereur. 147 

Là Fille. 

A, monseigneur, pour Dieu, mercj! 
Ne me monstres si grant rudesse ; 
En l'honneur de la gentillesse , 
Je vous prie, laissez-moj aller. 

Le Nbpveu. 

Par bien , tous ayés beau parler, 
Car je feray ce qui m^agree. 

Là Fille. 

Je suis fille desbonnorée. 
Nostre Dame , secourez-moj. 

Là Mère de là Fille. 

Vierge Marie , je ne voy 

Ma fille dedans ne dehors. 

Mon pauvre cueur me tremble au corps 

Aussitost qne j^en pers la yeue , 

Et grant pièce a qiie ne Pay vue. 

Dieu , qu elle soit bien adressée ! 

Le Nepveu. 
'Or ay-je acomply ma pencée, 
Tout mon faict qu'onque desiroye; 
Autre chose je ne queroye. 
J^en suis au dessus. Dieu mercy. 

Là Fille, 
A , très doulce mère , vecy 
Triste , doulant et esplourée. 
Las ! Fempereur m'a deshonnourée 
Maulgré moy; je le dy à vous. 

Là Mère. 
Ha, ma fille, que dictes-yous? 



i4B Moralité 

Douleur me doit bien par droicture 
De ceste piteuse adventure, 
Car tu es Danie des pucelles. 
Vecy les plus dures nouvelles 
Que jamais femme peult ouyr 
De sa fille ; bien esbahir 
M*en doy, car douleur plus ^amire 
En sent nécessités (à) sa mère. 
effbrceur faulx et mauldict , 
Que luy as-tu faict? 

Le Nepveu. 

C'est mal dit 
De dire que Fay efforcée. 
Se plus le dis , vieille damnée , 
Tu pourras bien «voir la torche. 

La Fille. 

Je dis que vous m^avez afibrce 
Viollée , homme deshonneste. 

Le Nepvbu. 

Taisez-vous ! que vous estes beste! 
Ne vous chault: qui est fait est. fait. 

La Mère. 
cuenr villain, triste et défiait, 
Comment as-tu eu la pensée 
D'avoir une fleur, violée 
Où chasteté se reposoit? 
Quel dure rage forcenée , . 
Quel plaisance desordonnée ! 
Helas! qui le repareroit? 
Si justice faisoit son droit , 
Ton faulx corps plus haute on pendroit 
Que le gibet n'en pourroit«stre« 



d'ung Empereur. i49 

Las ! qui tel horreur penseroit ! 
Jamais on ne le cuyderoit, 
Noble cueur à tel fait commettre ! 

La Fille. 

Helas ! or suis-je indigne d^estre 
Ayec les pucelles comptée. 
Ma mire, qui m^ayez portée. 
Vous debyez estre bien marrie, 
Quant de mou honneur suis banie. 
Qu*aj-je affaire jamais de yiyre? 
À , mort , yiens a moy , me liyre 
Âssault mortel , perce mon cueur ; 
Puisque j ^ perdu mon honneur 
Et le nien qu on. ne me peult rendre ; 
J'ayme mieulx mourir sans attendre 
Que yiyre et estre reprouchée. 

La Mère. 
Taisez-yous, mon enfant, m'amye. 
Vous ayez perdu yostre rose, 
Mais on ne peult faire aultre chose. 
Il a la domination ; 
Du tout jà n^en aurons raison. 
De youloir cecy poursuyyir 
Jamais n^en pourrion cneyir. 
Pour ce le yault trop mieulx celer. 

La Fille. 
Me doit-il pourtant -violler 
S*il est le seigneur du pays? 
Pour tout Tayoir qu^il a conquis. 
Ne qu^il en peult jamais attencbe. 
Il n est pas en luy de me rendre 
Mon honneur qu il m^a huy toHu. 
Demourra donc mon corps perdu 



iSo Moralité 

Par force, sans amende avoir? 

La Mère. 
Se corps deusse perdre, et avoir, 
Ma fille , si serez-vous vengée 
De la grant honte et viUannie 
Qu'avez eu du faulx efforceur. 
Allons devers l'ancien empereur. 
Qui nous fera droict et raison. 
Cher empereur de grant renom , 
Je vous prie , faictes-moy justice 
D'ung meurtrier et piteulx malice 
Que vostre nepveu efforceur 
A faict, Dar cruelle ardeur, 
Sur ma nlle malleurée. 
Il Q'] a par force defflourée. 
Je vous prie, vueillez pugnir. 
Et nous vueillez justice ouvrir; 
Je vous en requiers à genoulx. 

La Fille. 
Ha ! monseigneur, je viens à vous 

Par grant courroux , 
Priant que justice (me) faciez. 

L'Empereur. 

Mes damoiseUes , approuchez , 
Et dictes vostre pensée. 

La Fille. 

La plus désolée 
Suis de la contrée, 
Et toute espk»^e ; 
Vous orrez pourquoy : 
J'ay esté emblée, 
En chambre enfermée , 



d'ung Empereur. i5i 

Et puis TÎollée 
Gomme manlgré moy. 

De force me plains 
En souspirs et plains , 
Dont mon cueur est plains. 
Faictes-moy justice , 
Empereur hautains. 
J*ay les bras tous tains. 
Ne soyez lointains 
Au pauvre n^au riche. 

J^ay perdu honneur, 
Bonté et yalleur. 
Helas! empereur, 
Que j^aye raison 
DW faulx efforceur. 
Qui, en sa ehalleur, 
M'a de tout son cueur 
Monstre trahyson. 

J^estoye pucelle , 
Las ! or suis-je garce. 
Celuy qu^on appeUe 
diet de ceste marche 
M'a huy deceue. 
L'empereur, nouyel 
M'a par force eue. ' 
Mal de son reyel ! 

Se je n'ay yengeance 
Du mal qu*il m a faict 
Par yostre ordonnance , 
Dieu prie de faict 
Qu'il m'ottroye son ire, 
Tant que tout défiait 



i52 Moralité 

Soit la Yostre empire. 

S^il est y parent 
NY remariiez pas; 
Jugez justement, . 
Regardez au cas. 
Car j^aj (ait pourchas 
Pour justice avoir, 
Mon procès du cas, 
Et amande ayoir. 

Faictes, puiscpH a me8[MÎ[n]sy 

Qu^u soit prins 
Et pugny pour ceste force 
G*onque je n^ayoye apris 

Mais surpris. 
Il me semble que on m*escorche. 

L^Empereur. 
Tout ouy, ie yueil qu^oa s'efforce 
Pour manaer mon nepyeu icy. 

La Mère. 

Sire , je yous requier mercy , ■ 

Et yous suplie qu'on nous esgarde. 

L'Empereur. 
Dames , je yous oy et. regarde. 
Qu'esse que yostre cueur désire? 

La Mère. 
Je yous re€[uier justice, sire. 
Pour la jeune fiU^ diffamée 
A force et à tort. 

La Fille. 

SeuUeetesffarée, 
Tris descontortée , 
Des dames priyée , 



b'ung Empereur. i53 

Tant suis yillanéé. 
Doimez^moj confort. 

L'EMPEREUR. 

Qae querez-Yous? 

La Fille. 

Mort, 
Ou TOUS avez tort. 
Regardez , empereur. 

Folle erreur, 

Fellonneur, 

Sans clameur, 

Mon lionneur 
Faict par trahison 

Mon seigneur. 

L'Empereur. 
Quelle clameur ! 

La Mère. 

Justice crion ; 
Point ne yarion 
Ne ne mentiron 
De ce que dirons 
En aucun propos. 
Force et ses supos 
Soit par vous pugnie, 
Sans quérir repos 
Ne mettre en depos 
Heure ne demye. 

La Fille. 

Raison , je tous prie , 
Car yoicj partie 
Qui offre à prouyer 
Sur ma yie 



i54 Moralité 

Qu^il n'est mie 
Fort de TOUS preuve trouTer, 

L'Empereur. 

Puisque de mon nepveu réprouver 
Huy de tel force avoir commise , 
La chose m'en sera submise , 
J'en seraj juge , quoj qu'il tarde. 

La Mère. - 

Je vous supplie qu'on y regarde , 
ÂfBn qn'aujç aultres ne soit pis. 

L'Empereur. 
Jugement sera accomply 
Sur luy, comme le cas requiert. 
Mandez-le moy. 

Le Duc. 

Il y affiert. 
Présentement l'iray quérir. 
Sa , sire Y plaise vous venir; . 
L'^npereur vous attant icy. 

Le Nepveu. 
A , mon amy, pour Dieu, mercy ! 
Plaise vous ma paix pourssuyvir. 
Bien sçay qu'il me fera mounr. 
Car j'ay, de mauvaise pensée , 
Huy une fille violée. 
Xas ! or voy bien que je suis mort. 

Le Duc. 

Ne vous chaille , prenez confort ; 
Se je puis la paix je fairay. 
Ha , cner sire , je sçay de vray 
Que du faict il est très doullent , 
Et n'ose venir nullement 



D^uNG Empereur. i55 

Pour Yostre ire, comme je eroy. 

L'Empereur. 

Faictes du moins qvTû vienne à moy, 
Poursçayoir s'il s'excusera. 

La Mère. 

Or on verra que ce sera. 
Monseigneur, adieu vous dy. 

La Fille. 

CeOe qui estoit h midy 
PuceUe ores ne Test plus ; 
De la force c'est mise jus 
Vostre ordonnance ; or y pensez. 

L'Empereur.. 

Je feray tant, ne vous doubtez , 
Que cause aurez d'estre contente, 
Et pour venir à mon attente, 
Puis que nul ne me peult veoir. 
Quérir m'en vois sur mon dressouer 
Les tranchans de mon escuyer. 
Les voilà soubz mon oreillier 
Boutez, que nul rien n'en sçaura ; 
Car, se je puis , mon corps fera 
Justice pour à Dieu complaire , 
Et pour donner vrày exemplaire 
A plusieurs , se j'en viens à chef. 

Le Duc. 

A, sire, je viens de rechef : 
Humblement vous requiert mercy. 
Pardonnes luy, sire , et aussi 
Tantost venra à vostre mand. 

L'Empereur. 

De sault allant à sault venant 



i56 Moralité 

N^aura poiRt mes fdicte qu^il viengne. 
Qu'esse a dire? Fault^^il qu'il craigne 
Ne s*oze monstrer devant moy? 
S*il ne 'vient , par la foy que doy 
A Dieu, je Fenvoyray quérir. 

Le Conte. 

Ha , sire , il vous convient venir ; 
Ne vous vueillez de rien doubter, 
Car Tempereur vousveult escouter 
Parler, et, comme je suppose, 
C'est pour veriffier la chose. 
Il vous sera misericors. 

Le Nepveu. 
Justice fera de mon corps. 
Seigneurs, soyez en mon ayde. 
Certes , autrement ne le cuyde , 
Se coup icy , je vous empne. 
Onde , Dieu vous doint bonne vie ; 
Vous m'avez mandé ; que vous plaist? 

L'Empereur. 
Tu scis assez bien pour quoy c'est : , 
Une fille palle et destainte 
Par courroux c'est de force plainte 
De toy , et a dit en la place 
Que de ton corps justice face. 
Ainsi qu'à tel cas appartient. 

Le Nepveu. 
Cher oncle, puisqu'il le convient, 
Je vous diray la vérité. 
Vray est qu'avec elle ay esté ; 
Mais, certes, que i'aye commis 
L'effbrcement qm m'est submis , 



b'uiig Empereur. 167 
Oncques ne commis le meffîdt. 

L\ËMPEREUR. 

EOe a cause, et mis en faict 
Qu^on prouvera Tefibrce assez , 
Et aussi TOUS le confessez. 
Si fault oue justice soit faite , 
Car la mère ne la fillette 
Ne yeullent (ne) richesse ne avoir, 
Fors seuUement justice avoir» 
J'en suis chargé par elle deux. 

Xe Duc. 

A , sire , vous povez bien mieulx. 
Considérez que la jeunesse 
N'est pas pareille à la vieiUesse , 
Et supposez aue ceste fois 
Il ayt £adt faulte ; toutes foys 
N'est-il si sage ou bien apris 
Qu'aucune foyz ne soit surpris 
En cas pareil , et puis qu'ainsi 
Humblement vous requiert mercy, 
Vostre grâce vers luy s'estende 
En pardon. 

L'Empereur. 

Àffîn qu'on l'entende , 
Qui bien vouroit pugnir le faict , 
On le pendroit à un gibet 
Ou on luy trançheroit la teste. 

Le Nepveu. 
Pour Dieu, mercy, mon oncle ! 

L'Empereur. 

Tès-toy! 



l58 MORALITi 

Je ne puis ou^r ta personne. 

Donné t*ayoye la couronne 

De Fempire , et fis serment 

De régir bien et justement. 

Garder devoys églises belles , 

Veuves , orphelins et pucelles , 

Et, qui yeult ton fait regarder, 

Celles que tu deusses earder, 

Tu Tas toy mesme yiolée , 

Et par force tant rayallée 

Quelle yient à moy k refuge. 

Et tu es digne d^estre juge : 

Gerte , nenny, jour de ta yie ! 

Quel desbonneur m^as-tu bastie 

Pourayoir commis tel horreur! 

J'ay esté trente ans empereur, 

Qu onc(ques), tel deshonneur ne me yint. 

Mais en ay pugny plus de yingt 

Gruellement par tel péché. 

N*oncques je ne fus reprouché 

D'ayoir espargné en justice 

Nul homme , tant fust grant ne riche , 

Et maintenant , se je f espargné , 

La noble empire d Almaigne 

Est deshonnoré à tousjours. 

Le Duc. 

Ha , sire , bonté et amours 
Peuvent bien faire la concorde. 
Vostre doulce miséricorde 
Plus grant proofit lui portera. 

Le Gonte. 
Au nom de Dieu, qui tout créa, 
Plaise yotts, par doulce ordonnance. 



b'ung Empereur. iSg 

Luy octroyer sa. pardonnance. 
Sire , ne soyez escondrt. 

L'Empereur. 

Gliascun de yous a assez dit, 
Mais Qe] nV yoy homme discret. 
Parler yaeii à luy en secret; 
Yoas aoltres, y uy dés hors de lliuys. 
Je sçauray son youloir, et puis 
Sur sa response auray adyis. 

Le Chappelàin. 

Il est en très grant blasme mis ; 
Je ne sçay s'il a droit ou tort , 
Se par droit en doit prendre mort , 
Nui ne le scet, si ce n^est Dieu. 

L'Empereur. 

Or sa, yien près de moy, pour mieulx 
Entendre ce que youldras dire. 

Le NEpyEu. 

Par mon ame , mon très cher sire , 
J'ay copulation charnelle 
Par grant delict eu ayec elle , 
Etn'ay fiaict aultre mesprison. 

L'Empereur. 

Or sa , de toy , qui ayoys nom 
D'empereur au propre lieu de n^oy , 
Ne m as-tu pas tait grant esmoy, 
Quant on peult nommer efibrceur 
Le lieutenant de l'empereur? 
Quel reproche , quel desplaisir! 
N'es-tu pas digne de mourir? 
Respons, et me dy yerité. 



i6o Moralité 

Le Nepteu. 

Hélas , sire , se j*ay esté 
Surprins de trop rolle challeur, 
Ne me monstres si grant rigueur , 
Car je tous congnoys tout seul vice. 

L'Empereur. 

Par ma fby , je feraj justice; 

De ce Cousteau seras occis. 

J'ay fait justice jusques icy , 

Au plaisir de mon Dieu : saint George ! 

Il en a tout parmy la gorge; 

Jamais fenune n'efiforcera. 

Venez sa^ seigneurs , venez sa , 

Portez au feu ce corps defaict. 

Le Duc. 

Ha, cher sire , qu'ayez-yous faict? 
Nostre Damé ! amy , amy ! 

L'Empereur. 
J'ay fadct jusdce ^ mon amy, 
Et yous ne [Fjeussiez osé fSaare. 

Le Conte. 

U a detrenché tout parmy. 

L'Empereur. 

J'ay faict justice , mon amy. 

Le Chappelaîn. 

En moy [je] n'ay sens ne demy, 
Quant me trouye en tel affaire. 

L'Empereur. 

J'ay fiûct justice, mon âmy, 

Et yous ne l'eussiez osé faire. 

Bien sçay que luy yueiUez complaire 



d'urg Empereur. 161 

Et qae vous Y&jmez et craignez ; 
Se je vous [en] eusse chargez , 
On eust mis la chose à demain ; 
Et pour tant ay-je de ma main 
Faict justice , aoubtant mon blasme. 

Le Duc. 

DîeuYueille avoir mercy de Tame. 
C'est justice moult exemplaire 
A chascnn pour justice faire. 
Or est pour meschante challeur 
Occis le souverain seigneur ; 
Se nous est belle demonstrance. 

Le Conte. 

Forfaiture faicte à onltrance 
Jamais ne demeure impugnie 
Par justice vraye unie 
Dieu veultpugnir Teuvre cruelle. 

Bertault. 

Où est-ta, masson sans truelle? 
Dieu met en mal an ton aumusse ! 
Mais que faict-tu la? 

GUILLOT. 

Je me musse 
Que je ne soye regardez. 
J'en joué au soir tout aux dez, 
Mais, avant.nostre départie , 
Je happé une grand partie 
De Targent qm estoit au jeu, 
Et puis , tout aussi tost que j^eu 
Faict mon ùîcX , je fus resjouy. 

Bektault. 
Et que fis-tu? 

T. III. It 



i6a Moralité 

GUILLOT. 

Je rn^en fuy. 
Fusse pas faict en fin marchant ? 
Tu ne sçais : on nous ya sarchant. 
Tous deux pour bouter en prison. 

Bertault. 
Etpourquoy? 

GuiLLOT. 

Pour la mesprison 
De la fille qu'avons emblée. 
J*ay yeu , en passant, l'assemblée 
D'officiers et de bons sergens ; 
Mais je me boutay par les gens, 
Tellement qu'ilz ne m'ont point vea. 

Bertault. 

Il fault que chascun soit pouryeu 
De bonnes pierres en sa manche, 
Et tenir dagues par le manche ; 
Ib n'auront garde de nous prendre. 

GuiLLOT. 

Char bien, se seroit pour nous pendre 
S'une foys estions attrappez. 

Bertault. 

Nous en ayons bien eschappez 
De plus terrible ; ne te chaïUe. 
Je ne donneray pas une maille 
Mais que les puisse yeoir à l'œil. 
Allons hardiment. 

GuiLLOT. 

Je le yueil. 
Mais s'ilz sont dix ou douze? . 



b'ung Empereur. i63 

Bertault. 
La fièvre t Vspouse ! 
Tune Taulxpas deux porions.. 
Mâia que crains-tu? 

GUILLOT. 

Les horions 
Et le danger qu'apris s'en suyt. . 
Celuj est saise qui s*enfuyt 
Pour mieulx le aanger éviter.. 

Bertault. 

Me vouldroy-tu doncques planter 
Quant se vçnroit à ung besoing ? 

GuiLLOT. 

Et nenny dya ; mëà ayez soing 
Que nul ne te fera viÛennie , 
Si je puis, en ma compaignie ; 
On me congnoit par trop rebelle. 

La Mère. 

J'ay ouy très grande nouvelle. 
Fille , vous estes bien vengée 
De la grant boute et villanie , 
Qu'avez eu de l'empereur à tort, 
Car son oncle l'a mis à mort 
En sa chambre hastivement. 

La Fille. 
Ma mère, dictes-moy comment 
Il est mort ; esse par sentence? 

La Mère. 

Il a jugé en conscience; 
Pour éviter toute faveur, 
Luy qui est baultain empereur 
Huyla gorge lui a couppée. 



i64 Moralité 

Là Fille. 

Pour yeu qa^il m^avoit diffamée 
Par force , il ne luy a faict tort. 
Or Dieu luy pardonne ; il est mort. 
Je luj paraonne de ma part. 
Si requiers Jésus qui gart 
Toutes bonnes filles en cueur 
D^estre séparée dlionneur 
Par force , ainsi que j'ay esté. 

La Mère. 

Je prie la hanlte Trinité 
Qu elle y ueille ayoir de luy mercy 
Ëtle mettre en repos; ainsi 
Soit de tous loyaulx trespassez. 

L*Empereur. 

Je suis de mort fort opressez. 
Car le sang au corps m^est esmeu 
A la cause de mon nepyeu. 
Sur qui j^ay justice acomplie. 
Mon chappelain , je yons suplie 
Que tost me puisse confesser, 
Et si me yueillez apporter 
Mon sauyeur, car j'entens la mort* 

Le Chappelain. 

Ha, cher sire, prenez confort ; 
Vous n^ayez garde , se Dieu plaist. 
Et nonobstant cp'k Dieu en est, 
C^est bien fait de se confesser 
Pour sa conscience adresser 
Et recepyoir son créateur. 

L'Empereur. 

Hélas , je yous prie, sans fayeur, 



D^oNG Empereur. i65 

Confession, par charité. 

Le Ghappelain. 

Or dictes bénédicité ; 

Mais TOUS n^avez garde pourtant. 

L'Empereur. 

Absolution maintenant 
Requier humblemait, mon amy ; 
Et puis le corpus domini 
Deyotement recepyeray : 
Âpportez-le moy. 

Le GHÀPPBiiAiif. 

Non feraj. 
Certes , sire ; je n'oséroye , 
Et aussi trop je mefferoye 
En la foy. 

L'Empereur. 

Pour quoy mefferiés-*yous? 

Le Chappelain. 

Hélas! voussçavez, sire doulx, . 
Le grant péché qu'avez commis. 

L'EMPEREUR. 

En faict de conscience, amy, 
Certes, je me suis confessé 
De tout ce que j'ay offensé. 
Je n'ai rien laiily, que je saicHe. 
Le Chappelain. 
Ha , cher sire , sauf yostre grâce, 
Vous sçavezbien, tanstiiil destry , 
Yostre nepyeu avez meurtiy^ 
Qui est ung tris orrible yiof . ^ 

L'Empereur» 
J'ay faict et acoomply justice. 



'i66 Moralité 

Je ne m^en puis à mains passer. 
Que je m*endeussc confesser, 
Certes , ce n^est pas mon entente ; 
Rien n*ay mcspns. Donc sans attente 
Vous requiers d^ayoir mon sauveur. 

Le Ghappelain. 

Certes, non feray, mon seigneur. 
Au moins en Pestât où vous estes , 
Se aultre amendement ne £aictes 
Et se TOUS n'estes confessez. 

L'ElfPERfeUR, 

Vous en pourrez parler assez ; 
Mais se confesse-on de bien faire? 
Se j^ay faict, pour à Dieu complaire, 
Justice, ay-je pourtant péché? 
Ja ne me sera reproché 
Que face péché ae vertu; 
Il me seroit fort mescheu 
Se me monstroye repentans 
D'avoir faict justice en mon temps. 
Jamais ne m^en confesseray. 

Le Chappelain. 
Certes donc je vou3 laisseray 
Pourtant que soyez en ce point;: 

L'Empereur» 

Comment! Me 4on[ne]rez-vous point 
Le sacrement? 

Le ChappelaiK. 

Je nWroye. 

L'Empereur. 
Souffres au moins que je le vôye 
De loing , avant que mort me prende. 



b'un'g Empereur. 167 

Luy priraj que de mal deffende 
M^ame, si yray qu'il est entiers. 

Le Ghàppelain. 

Certes , je l'oy moult youlentiers ; 
11 est en grant dévotion. 

L'Empereur. 

Jésus (Christ), qui soui&îs passion , 

Ayez nuy compassion 

De ma poyre humanité ; . 

En ma désolation , 

Ouy ma supplication 

Par tris grant bénignité. 

Je croy estre au sacrement , 

En sanc et chair proprement, 

Le corps de nostre sauyement. 

Cil qui le croit fermement 

Et le reçoit dignement, 

Il prend divine saveur 

Et infinie doulceur. 

Car du ciel vient la liqueur 

Descendre divinement 

Quant le prestre dit de cueur 

Des parolles la teneur 

A Fautel secrètement. 

Je tecry mercy, 

Mon Dieu, mon amy; 

Car deTennemy 

Ay esté lié ; 

J'ay moult defailly. 

Las ! (et) commis parmy 

Des vii. ors péchés , 

Orgueil , ire , envie , 

Paresse, gloutoninie. 



.j 



l68 MOR;ALlTÉ.. 

Usure et luxi^e; : 
Hélas, je n'ay mye 
Mené sainçte TÎe . 
Qui est bonne et sure ; 
Point n'ay faict les œuyres, 
De miséricorde 
Dont les eueurs avienneirt 
Qui à toy s'accordent. 
Et , se j a j en foy 
Erré nullement. 
Pardonne le moy 
Ains ton jugement. 
Autre benepcè 
Que faire justice 
J'ay faict jusques sy 
Et, s'il y a vice, 
Fais que de moy ysse.' - 
Je te cry mercy. 
Monstre-moy^doulx Dieux, 
Se t'ay mis justice 
Cy et en tous lieirx. 
Ma joye appetice 
Quant ton corps propice 
En bon point suffice , 
Jeté peusseay(Mr* 

Le CwAPPBLArN. 
Glorieux Dieu du hault manoir, 
Chascun te doit cy grâces rendre 
Quant il t'a pieu vers luy descendre 
Par divine opération. 

Le hvc . i 

Vray Dieu , qui domination : , . . , ' 

A partout, en siècle et en tenre ^. 



h'vnG Empeaeur. 169 

Humblement te remeràon 
Et Tenons mercy tereqoerre, 
GeUuy est trop mauvais qui erre 
Contre la divine puissance» • 
Chascun doibt bien ta grâce adquerre 
Et avoir de toj congnoissance. 

Le Conte. 

A toy, vray createnr du monde. 
Rendons grâce , et en tou9 lieiix. 
Ta grant miséricorde habpnde, 
(Et) dessus jeunes et dessus vieulx. 
Beau miracle et euvre divine ! 
Octroyé nous, beau sire Dieux , 
Le règne qui jamais ne fine. 

L'Empereur. 
vray sauveur, (à) moy^ coiame indigne 
T*ay receu par ta doulce grâce ; 
Yssu: as voulu de ta place 
Pour jusques en ma bouche venir; 
Et ainsi [Ainsi ne?] povez maintenir 
Que justice tenir et fere 
N*est pas chose qui à Dieu plaise; 
Qu'il soit vray il est cy monstre. 

Le Chappelain. 

Dieu de majesté , 
Haulte trinité . 
En vertu unie , 
De ce qu'as monstre 
Par ta deité 
Je te remercie. 
Hvnkble^ent te prie;, 
Requiers et suppye 
Que tu me parwHme 



170 Moralité d'ung Empereur. 

Si j'ay par folyc 

Refiusé la yye 

A ceste persoime. 
Sire , priés Dieu qu'il vous donne 
Confort et qu'il vous soit propice 
Aussy yrayement comme justice 
A esté tousjours par tous laicte. 

L'Empereur. 

Je requiers Dieu quem'ame mette 
En son paradis, s il luy plaist. 
De recepvoir là mort suis prest 
Quant plaira à mon créateur. 

Le Duc. 

Ainsi conclus que tout seigneur, 
Qui a grant rèsne et srant pollice , 
Doit, sans avoir à nul faveur, 
Exercer et faire justice. 
Car équité est artifice 
Que béatitude consnoist , 
Et chascun en son bénéfice 
Jugera celuy qui tout voit. 

LÉ Conte. 

Comme voyés par expérience, 
Ung chascun selon son degré , 
Si vous prye que nostre sentence 
YueiUés tous recepvoir en gré. 

Finis. 

Beati qui faciuntjusticiam in omni tempore. 

Imprimé nouveUementà Lyon, en lamayson 
de feu Barnabe Chaussard, près Nostre- 
Dame de Conforta M.D.xHii. . 



MORALITÉ 



OU 



HISTOIRE ROMMAINE 

D'une femme qui avoit tooIu trahir la ché de Romme 

Et comment la fille la nourrist six sepmaines 

de son lait en prison 

A cinq personnaiges, cest assai^oir 



ORAGIUS 
VALERIUS 
LE SERGENT 



LA MÈRE 
ET LA FILLE 




R A G I U S commente. 

^eigneurs Roinmains , dé geste vertueuse, 
Qui régentez là monarche du monde, 
jPar &ens , adyis , peine laborieuse \ 
ÂTons acquis renommée doùbteuse^ 
Sans que en nous soit aulcune tache immonde, 
Je TOUS prie que cy on me responde 
SHl est aulcun qui ayt conyalessence , 
Qui transgresser "viieille nostre deffence. 
Vous sçavez lien qu^ou a fait traslatci^ 
De Salomon le saige les loix belles \ 
Que tout cbascun a voulu accorder 
Le contenu d^iceUes et garder. 
Et promettant de piignir Jes rebelles. 



17a Moralité 

]Sj9us ne £aisoii3 pas besongnes nouyelles , 
Gardons nos loix et les cinlretenons, 
Car à lousjours en ayons bon renom. 

Valérius. 

Oracios consul le vénérable , 
Les bonnes [lois.] se doîbyent maintenir, 
Car les Ronunains, par estre vortuable 
Et par leurs dictz très bien entretenir^ 
Ont faict plusieurs à Tempire obeyr, 
Et ont acquis le nom de loyaulté 
Que par armes ont youlu soubtenir, 
En approuvant la pure yecité. 

ORAGIU&» 
Par les Rommains nous sommes establis 
Grans justiciers en icelle cité. 
Le cas nous a grandement embellis. 
Gomme sçayez, à dire (la) yerité ; 
Et pourtant dont il est nécessité 
Sçayoir s'aulcun a commis quelque ma) , 
Pour luy livrer, selon juste équité, 
Sa déserte , selon le cas égal. 

Valerius. 

Vous en parlez comme juste et loyal ; 
Gar nous debvons estre la main tenant 
A corriger tous vices en normal; 
Gar aultrement ne sommes pas sçachans. 

Oragics. 
G^est vray ; ]jourtant, s'on est sachant 
Personne qm ay t oSencé , 
QuW nous le dye cy maintenant t 
S^il est quelque yicel>rassé. 
Je ne me suis pas appencé 



ou Histoire Roumaine. 178 

Qu^il y ayt quelque nouveau vice ; 
IMais , is*il y a rien despenaé , 
Sachons le, pour faire justice. 

Le Sergent. 

Sire, c^est dr6ict qu\>n accomplisse 
Vostre vouloir toute saison , 
Et , affin aue k effect sortisse 
Le cours ae justice et raison , 
Il y a en ceste prison 
Une femme , que Pon renomme 
D^avoir faict quelque trahison 
Encontre la cité de Rommo. 

Obàgius. 

Certes , vous estes bon corps dliomme. 
Que on la face legierement 
Venir, à la fin que on luy somme 
Sa fin et cruel jugement. 

Le Sergent. 

Sire , vostre commandement 
Sera faict sans dilation. 
Sus , sus , sortez legierement 
Pour recepvoir pugnition. 

La Mère. 

grièfve désolation ! 

suis-je mise en basse lame ! 

dure lamentation ! 

Mourir me fauldra à grant blasme. 
Que feras-tn, povre et infâme femme? 
Tu souffriras huy grant laidure dure; 
Plus ne seras nommée d^ame dame. 
Mort tient sur moy trop sa morsure sure. 
Ton corps yra à corrompure pure ; 



<74 Moralité 

A ce joor dlniy toate Ijesse lesse. 
Nul D'est vivant qui me procure cure ; 
Car aujourdliuj trop ma noblesse blessé. 

Le Sergent. 
Sire, voicy la pécheresse 
Que vous m'ayez baillé en garde ; 
Devant vostre noble baultesse 
Je la metz sans aultre avant-garde. . 

Oragius. 
Ha, femme, quand je te regarde, 
J'ay pitié de toy, vrayement. 
Considérant la mort piaillarde 
Qu'endurer te convient briefinent. 
Sus , que on voyse legierement , 
Noncer que on soit cy en présence 
Pour cy ouyr publicquement 
Prononcer sur elle sentence. 

Le Sergent. 
On en fera la diligence ; 
Plus ne se fault rameutevoir ; 
Puisque tel est la conséquence , 
Laissez m'en faire le debvoir. 
Oyez : on vous faict assavoir 
Que on s'en va juger une femme , 
Laquelle a voulu concevoir 
En eUe trahison infâme 
Contre l'empire , dont en blasme 
On la va ce jour corriger 
A son deshonneur et diffame. 
La vienne veoir qui veult juger. 

La Fille. 
créateur et père droicturier 



ou Histoire Ro.mmaine. 176 

Que deviendra ceste pauyre esgarée ? 
Las (pi*ay-je ouy en ce lieu [publier] ? 
Mon cueur se doibt humilier , 
Larmes gecter des yeulx par randonnée. 
Cessez yos chantz, oyseaiux yolans es cieulx , 
Et yueillez huy avec moy lamenter. 
Ne pourray-je mon esmoy différer 
Et m^en aUer ouyr juger ma mère ? 
Je m^ en yois. Cognue ne suis d^ame, 
Nul ne sçaura dont celle m^apartient. 
Mais ({ue dis-tu , très malheureuse femme? 
Yeulx-tu ouyr juger k mort infâme 
Ta mère? Helas , foUye bien te tient ; 
G^est dommaige que terre te soustient 
Quant tu accord a estre huy en la présence 
Du juge qui va donner la sentence. 

Le Sergent. 

Sire, j*ay fait la diligence 
De ce que la charge avoye. 

QRAGIUjf. 

Vous estes homme d^intelligence ; 
Yostre habileté me resjoye. 

La Fille. 
Helas , helas , mon vray Dieu qui m^esmoye , 
Voyant ma mère en [un] si piteulx ploy ; ^ 
Gonfortez-moy, de tous (les) biens la montjoye , 
Car je ne sçay que je dis, sur ma foy . 

Oragius. 

Or sa , m^amye , entends à moy : 
Tu as par tes faictz inhumains , 
Au moins si n*eust tenu à toy , 
Chercher la perte des Rommains. 



176 Moralité 

Tes faictz sont perven et Tillaîns ; 
De toy me prent à esbahir. 
Cealx où [tu] es à'tout le moins, 
Ta as contendu de trahir. 

La Mère. 

Helas, yiieiilez--moy secourir, 
Noble seigneur. 

Oracius. 

Certes, m^amye, 
Tu as beau pardon requérir, 
Car, pour vray, tu ne Tauras myc. 
Par ta convoitise et envie 
Tu as perpetray trabyson. 
Je te juse à perdre la vie, 
Pour faire justice et raison. 

La Mère. 

mon vray Dieu , que tant prison , 
Me £siult[-ir] en tel vitupère 
Finer mes jours ceste saison , 
Et endurer tel peine amere? 

La Fillb. 

Ayez pitié de ma doulente mire , 
Juste juge; pardonnez cemeffaict. 
Ayez pitié de ma dolente mère. 
Sans la ju^er ce jour de mort amère, 
Mettez pitié i. rencontre du faict. 
Las ! elle meurt en peine et en misère. 
Jugez aussi, sans que nul y diffère, 
Que je meure; car certes bien me plaist ; 
Puisqu^ainsi e^t que sa vie vous de^plaist, 
Jamais ne quiers que mort, car dueu m*avère. 



ou UlSTOIRE ROMMAINB. 177 

Helas, yrayment, mon solas est deffaict. 
Se sentence, de mort on y profère. 
Juste juge, pardonnez ce meffaict. 

Vàlerius. 

Geste fille pitié me faict, 
Mais il fault justice accomplir. 

Là Mère. 

souverain Dieu, qui tout deffaict. 
Veuillez moy (à) ce jour secouiir. 

Oracius. 
Or sus , à coup ! pour maintenir 
Ghascun en droict, il [fault] que bref 
(Que) à ceste femme, ^ans faillir, 
On Yoyse tost trencher le chef. 

Là Fille. 

noble seigneur, quel meschef ! 

Trencher le chef, vierge dame ! 

Si la besongne -vient à chef. 

Que feray-je, moy, pouyre femme? 

Seigneurs , tous n'auriez point de blasme 

A ce que vouldray reciter ; 

Je TOUS prie de corps et d^ame 

Qui TOUS plaise de m'escouter. 

Yalerius. 

Or sus, vueillez le faict compter; 
Si oiTons que vous youldrez dire. 

Là Fille 

Puisque voulez descapiter 
Ma mire, je requier, chier sire^ 
AfiBn la besongne assoufîre , 
C^est que la sentence sera mùéo, 
T. m. it 



iyS Moralité 

Et qae j^aye part au martyre 
En cruoy ma mère est condampnée ; 
Qu'elle ayt une jambe couppée, 
Et moy une , je le yeulx. bien , 
Puis sa langue luy soit ostée^ 
Et la mienne par tel moyen. 
Pour la délivrer du lyen 
De la mort , trenchez-moy les bras. 
Car, cVlle meurt, je congnoy bien 
Que jamais je n'auray soudas. 

Oragius. 

Ma fille, par ma foy , tu as 

En to^ yraye amour matemeUe ; 

J'ay Inen yeu des filles ung tas , 

Mais oncques n'en yis une telle; 

Et , pour ta requeste tant belle , 

Ta mère, pouyre malheureuse. 

Ne mourra , je le te reveUe , 

Par moy au moins, de mort honteuse. 

Yalerius. 

Vous alléguez chose doubteuse ; 
Juge ne se doibt rappeller. 

Oragius. 

Yalerius , chose piteuse ,. 
Si peult en pitié modérer ; 
N'ayez-yous pas ouy compter 
Que Trajan jugea son enfant 
A mort, puis le youI(u)t repeter . 
C'estoit empereur triomphant ; 
Ha , ce fut ung cas suffisant 
Et qui estoit de noble arroy ; 
Il en acquist regnon, bruyant 



ou Histoire Rohmaine. 179 

Et si tint justice en son ploy. 
Zeleacus , pour tenir la loy 
Que luy-mesme ordonné ayoyt, 
Jugea son fils, pour ung desroy, 
Que les yeulx en luy creyeroit? 
Toutesfoys luy, qui roy estoit, 
Revocqua le dit en comun , 
Disant que luy-mesme auroit 
Ung œil creyé et son fîlz ung ; 
Cela fut faict deyant chascun , 
Et cela fist-il pour le mieux 
Pour eyiter jpius grant envie; 
Je croy qu^il en eust gloire es cieux. 

Valerius. 
Dieu monstra là resJlement 
Comment justice est nécessaire ; 
Si plaist à Dieu moult grandement 
Celui qui yeolt justice faire. 
Si ne sçay que youlez retraire 
Icy pour saulyer ceste femme ; 
Pensez donc bien sur cest affaire 
£Bn que [nous] n^ ayons blasme. 

Oragius. 

Le cas ne sera pas infâme , 
Doubter ne se fault de cecy ; 
Si ne perdrez bruyt ne famé 
Sur Taffaire, ne moy aussi. 
Nous disons par sentence infâme 
Que icelle sera en prison 
A tousjours maiis, pour ce cas (i)€y 
Abolir, et sa trahison. 
S^rdonnons quW fennera la porte 
Et que ame nul n'y entrera 



flSo Moralité 

Jasques à ce qaW nous rapOJCte 

Pour certain qae morte sera ; 

Je consède bien sur cela 

Que Fallez yeoir et que parlez, 

Par la treille qui est yla , 

Trestout le mieulx que vous pourrez. 

La Fille. 

Grant mercy , sire ; tous m'avez 
Remply le cueur de toute joye. 

Oragius. 

Or sus , à coup , or Temmenez , 
Comme il est dit. 

Le Sergent. 

Je n'attendoye 
Àultre chose. Sus , sus , en Toye. 
Venez-TOUs-en en la prison ; 
Plus [tous] n'empêcherez la toye ; 
Yoicy Toz dernière maison. 

La Mère. 

Obeyr doy, c'est bien raison, 
£ncor[e] me faict-on grant grâce. 
Que mauldite soit trahison! 
Celuy est fol qui la pourchasse* 

La Fille. 

Je vous lerray en ceste plasse : 
Ung peu Yoy jusques à l'hostel , 
Ma mère. 

La Mère. 

Las! enbriefreéspasse, . 
Retourne^ (ma fille)^ {tour mon daeil mortel 
Appaife[r]. Dieu immortel , 



ou Histoire Rommainè. i8i 

Que Toicy piteulx accidans , 
Quant pour mon meffaict conyient 
Mourir me fauldra cy dedans 

Le Sergent. 

M^amje , aussi comme j^entens , 
Jamais ne partirez d'ic y ; 
Folye est SI à yuyder pretens ; 
Crier TOUS fault a Dieu mercy . 

La Mère 

Mon cher amy , il est ainsi. 
Mon Dieu, donnez moy patience 
Contre mon ésmoy et souicy , 
Et pardonnez-moy mon onence. 

La Fille. 

H est grant temps, comme je pense, 
Que en prison soye retournant , 
Où ma mère [est],, par sentence , 
(Est) sans estre beuyant ne mengeant. 
Je yiens dliabiller mon en£ant ; 
Il est couché, dont je m'enyoys, 
Affin d'estre reconfortant 
Ma mère en son cruel esmoy. 

La Mère. 

Mon Dieu et souyerain roy, 
Fort suis atainte de fisimyne. 
Mourir me £a[ult, ainsi le croy, 
Car la grant fain mon cueur amayne. 
yierge , des sainctz cieulx royne , 
Conforte&-moy en ce danser, 
Car de hrief rauldra que je fine « 
Puis que n^auray riens quemenger. 



i89 Moralité 

La Fille. 

Mère, Diea tous Tueille alléger 
Par sa très bénigne puissance. 
Gomme en va? 

La Mère. 

Certes , au Tray juger, 
Fille , je me meurs , sans doubtance. 

La Fille. 

De Jésus ayez souvenance 
Et prenez tout enpatiance. 
Ne tournez en désespérance 
Le mal , pas ne seroit science. 

La Mère. 

mon enfant , j^ay si grant indigence 
Que n^est homme vivant qui le sceust dire. 

La Fille. 

Je congnoys bien et sçay Tintelligence 
Que &myne fort vostre corps empine. 
Mais toutes foys mercyez nostré sire 
Qui a souffert que de ce cas villain 
fVous] n^avez pas enduré le martyre , 
Tel que le cas le requeroit àplain. 

La Mère. 
Helas, ma fille, je meurs de fain ! 

La Fillb. 
Helas , ce poyse moy, ma mère. 

La Mère. 

Qne voicy nouvre et piteulx tram .: 
HelaSy ma nlle, je meurs de fain ! 



ou Histoire Roumaine. i63 

Là Fille. 

Je n'ay yin > diair, pasté ne pain 
Pour Yoos ayder en vo misère* 

Là Mère. 

Helas, ma fille , je meurs defain. 

Là Fille. 
Hélas, cepoise moy, ma mère. 

Là Mère. 

mon enfiani, je souffre peine amère : 
Las ! Tueille moy donner allégement. 
Prent pitié de me voyr tant austère ; 
Pour toy nounir tant ay eu de tourment. 

Là Fille. 

Helas , à peu que le cueur ne me fend 
En escoutant yostre douleur cruelle ; 
Dont, si TOUS plaist, sans user de rigueur, 
Rendre vous yeux huy amour maternelle ; 
Venez ycy allaicterma mamelle 
Et en prenez Tostre réfection. . 
En ma jeunesse nie fessiez chose teUe 
Dont j^en ayoye ma substantation. 

Le Sergent. 

J'ay en moy admiration . 
Gomme ceste femme yitfant 
Sans ayoir quelque portion 
De yiyre, dont soit substantant. 

Là Mère. 

O , me yoylà bien , mon enfant ; 
Je suis bien refectionnée , 
Grâce au yray père tout puissant, 



^S4 Moralité 

Quant de cecj t^^t adyi^ée. 

t.' La Fi'tLK. 
G'y yiendrày cfaascime. journée, 
Ma mire , pour you» conforter. 

La Mère. 

Ma fille , la yierge honorée 
Te yueille tousjours convoyer- 

Oragics. 

Je m^esbahis , an yray narrer, 
Que personne ne nous rapporté 
Si la femme (pie ay fiaict serrer 
En prison est en yie ou Hiorte. 
Oyez un peu que je diray : 
ÂUez en (la) prison où la femme 
Est, et nous dictes sans delay 
Si de son corps est party Tame. 

Le Sergent. 

Nenny, sire ; par mon baptesme , 
Elle n^est encore en decours. 

La Fille. 
Mère, Dieu vous vueille (entre)tenir 
En santé, ma mère et amye. 

La Mère. 

En gloire puissez parvenir. 
Ma mie , dont je tiens ma vie. 

La Fille. 

Sa, estes vous appareillée 
De venir allaicter ma mamelle? 

La Mère. 
Ouy dea , nia fille poise Çsic), 



ou Histoire RoirvAiivE. lëS 
Gela ma forcé Venotiydle. 

Oracius. 

Jamais je iïe tîs chose telle ; > 
Par mon serment, ceste femme a 
En SOT traye amour maternelle. 
Pour bien , regardez que c^est là. 

Valbrius. 
A elle parler conviendra 
Pour congnoistre ungpeu sa mère ; 
Je croji quant e}le nous verra. 
Qu'elle fera bien maste chère. 

Oracius. 

Ha , femme , pour ta manière , 
Ta mère icv ou te redonne , 
Mais qu'elfe n'offence jamais. 

La Mère. 

Jésus Christ , amateur de paix , 
Soit loué de ce cas icj, 
Quant aujourdliui de mes meffaictz 
J'aj obtenu grâce et mercy. 

Oracius. 

Certainement il est ainsi : ' 
Ta fille ce bien nous procure ; 
Ostc-toy hors.de tout solcy . 

La Fille. 

souverain Dieu de nature, 
Que voicy joyeuse adventure ! 
Je vous remercie humblement 
Que k ma mère son injure 
Luy pardonnez si donlcement. 



f66 Moralité ou Hist. Romm. 

ViLLERIUS. 

C'est par le bon goaTernement 
Et le men; qu'en vous yen ayons • 
Or la ramenez prestement , 
Car ses mefiaictz luy pardonnons. 

La Fille. 

Allons , ma m^ , et Dieu louons 
De ce cas, puisipie ainsi ya. 

La Mèrb. 
Las ! je voy qu'en nulle saison 
Oncques inore ne trouya 
TçUe fiUe. 

LaFillb. 

Laissons cela ; 
Je suis à yous bien plus tenue , 
Car je congnoys tant qu'à cela 
Que par yous suis au monde yenue. 

Finis. 

Cy fine l'Histoire rommaine. Imprimé nonyelle- 

ment à Lyon, en la maison de feu Barnabe 

Chaussart, près Nostre- 

Dame-dêConfort. 

M.D.xlyiii. 




FARCE NOUVELLE 

FORT JOYEUSE ET MORALE 

A quatre personnaiges, c'est eissavoîr 

BIEN MONDAIN 
HONNEUR SPIRITUEL 
POUVOIR TEMPOREL 
ET LA FEMME 

Bien Mondain commence. 

ien mondain me £âiis nommer 
Et mon renom tant estimer 
Que chascun désire à m^ayoir; 
Aux ungz je donne de Favoir, 
Et aux aultres force sçayoir, 
Puis mulles, chcvaulx , destriers , 
Hamoys , lances ^ espées ^ bougliers , 
Maisons, chasteaulx et grosses yilles , 
Et choses qui ne sont pas yilles. 
J^aj tout en ma subjection 
Sans en faire exception , 
Et pour ce ne craignez jamais, 
Quant yous me aurez eu désormais 
Entre yos mains , 
Qu'autre[s] humains 
Vous puissent nujre ; 
Mais fault preyoir 




i88 Farce 

, Moyen avoir 
Pour me ayder [conduire ?], 
Ou tantost me departiroys , 
Et guères long-temps ne seroys 
Avec vous , pour brief vous le dire. 
Prenez y donc garde, en effect. 

Honneur Spirituel. 

De Bien Mondain je suis plain et refect. 
Des bénéfices j^en ay tant que, en effeçt, 
Plus ne m'en fault ; mais avant que je fine 
Je présuppose et en mon cueur macnine./. 

Pouvoir Temporel. 

Quoi? 

Honneur Si>iRiTUEL. 

Une office tris digne. 

PoUTOm TiSMPORËL. 

Quelle? 
[Honneur Spirituel.] 

Divine. 
[Pouvoir Temporel.] 

Est-ce chose que Ton voye ? 

Honneur Spirituel. 

Non, non. J*ay Bien Mondain par voye , 
Qui chascun jour en voyage je envoyé 
Pour obtenir... 

Pouvoir Temporel. 

Quoy? 
Honneur Spirituel. 

Ce ique je présuppose. 
Pouvoir Temporel. 
Ce que tu présuppose! 



DE Bien Mondain. 189 

Par supposer ung homme pert science y 
Par supposer toute magnincence 
Peult advenir, et semble k la personne 
Qu^en supposant on doit charger, en somme , 
D*or ung mulet qui soit de grande essence. 

Honneur Spirituel.. 

En supposant je prens toute plaisance ; 
En supposant je mais ma confidence 
Et mon espoir, donc ne dors ung seul somme 

Par supposa. 

Pouvoir Temporel. 

Tous supposeurs enfin ont desplaisance ^ 
Sans estre en eux ung seul plaisir, en somme ; 
Pour quoy je dis que malheureux est lliomme 
Qui tant suppose et y pert sa cheyance 

Par supposer. 
Idein, 
Jamais ceulx <|ui ont dç Tavoir 
Ne doibyent nens présupposer. 
Mais se doyyent tenir contens. 

Honneurt Spirituel. 

Sans avoir gume ne contens , 
Vous et moy marcherons d^ung train , 
Puisque gouffemoh Bien MondainV ' 
Où fleur^rc^n^^pafiUng «jccort. .. ' 

FouvoiR Temporel. 

Garder nous convient de discort,. 

Honneur Spiritcbl. 

lUen, rien, de moy n^a eu maulvais record^ 
^^^^ Bien sçay qail n'en descorderà, 






190 Farce 

Et celuy qui ^son) discord aura , 
Tous deux je les rendra y d'acord. 

PouYOïR Temporel. 

Ce que nous pourrons deviser 
Faisons~lay sans plus deviser; 

Nous aurons sayson 

Et biens à foyson 

Plus que n*en avon, 

Et tost, sans songer. 
Sur le Temporel j^ay pouvoir ; 
Le Spirituel faict dêo voir 
De te obéir. 

Honneur Spirituel. 

Et sans y faillir, 
Venger fiaiult par la région ; 
Pas ne voulions religion, 
Mais tout Honneur et Bien Mondain. 

Pouvoir Temporel. 

Ne faisons point cas de demain; 
n convient nous aller jouer. 

Honneur Spirituel. 

Jouer allons, 
Mais en nostre estât regardons. 

Pouvoir Temporel. 
Pourquoy? 

Honneur Spirituel. 

^ . Je: ticais., par fas et par nefas , 
Des Bénéfices vais grant tas, 
Pirebendes , pensions , chapelles ;. 



DE Bien Mondain. 191 

Quant on me condampne, j'appelle. 
Je fournis en tout et partout. 
raj Bien Mondaiii^^ui \a partout : 
Si Taj padyais droit , il inapointe ; 
Âultrement il ya par la pointe 
De son espée et son bouclier ; 
Par ainsi me faict appoincter. 

Pouvoir Temporel. 
Je suis le yostre tout entier, 
Mon haûlt Honneur Spirituel , 
Vostre serviteur sans doubter, 
Moj qui suis Pouvoir Temporel. 
Jamais ung frère [tous] n'aurés 
Ne feist ce que je vouldroye faire. 
Je suis celuy que , se je veulx parfaire 

Une sepnëre y 

Je le puis faite, 
GarnuUy contredire n'oze. 

De Tung^ suppose , 

L'autre propose. 
Et de mon pouvoir naturel 
Entre les amtres je dispose. 

Bien Mondain. 

Ce que (je) dis est tenu pour faict, 

Car, en effect ,, 

Jefsîictz deffaict 
Ce que ung aultre ne çeut parfaire , 

Et Fimparfaict 

Je: faictz parfaict 

Sans nul contraire. 
Pourmioy n'épargnez ne doubtez ^ 
Bien Mondain, que cj vous voyez , 
Lequel patrtont yous^veult cofiqilaire.« 



igi Parce 

HoNT^ÈUR Spirituel. 

Pour à vostre honneur ne desplaire 
Grâces et mercj tous rendons. 
Nostre cas très bien concordons 
A yostre amour bien ilie. 

La femme nommée Vertu entre ayant ung cor- 
hùlonà oublieur sur ses espauUes, en crjant : 

Oublie, oublie, oublie. 

Honneur Spirituel. 

Qui a ceste folle deslyée ? 

Qui la mect de présent aux cbamps ? 

PouTOiR Temporel. 

Elle est folle ou incencée. 

Honneur^ Spirituel. 
Elle chante merveilleux chant. 

Pouvoir Temporel. 
Qui a ceste folle deslyée? 
La Femme. 
Oublie , oublie , oublie. 

Honneur Spiriipubl* > 

Âprochez^vous! 
Qu^esse que vous allez- <^erehant? 

Pouvoir Temporel. 

Desployez nous iey contant 

Les dez dessus le cerlnUdB» r 

La Femme. 
Sans nuUftlJMdlei» ooropaîgnea , 



DE BiEK JIqKbain. 1|^3 

Voulentiers je ywis ro\ivrîray* . 

Icy Honneur met lee mains dedans le. corbilon et tire , 
en disnilt ■' ^ 

Honneur SptKiTUEL. 
Comment! qû^esse cy? 

POUTOIR TeK^Ô^BL. 

Jenesçay. 

La Femite, 

C'est dé plaisante mercerye ; 
Voulez vpus' pas que je vous die 
Que c'est? 

Honneur Spirituel. 
Et ouy, s'il vous plaist. 

Là Femme. 

Ce sont eenk qui j)ar leurs, beaux faicts 
Ont acquis tiltre de parEsdctz , . 
Co«une Hector^ filz de PriaçiuSf 
Avec le vaillant Troylus, 
Nombrez au conte des neàf preux. 

Pouvoir Temporel. 

Et U derHiie yeà voys- deux • 
Quisont-ilz?,. 

XiA Femme. 

(Celuy-cy) le grait Alexandre 
Qu^ &ist des Sarrasins espandre 

Par diire mort, 
Et puis voicy Sanson le fort ; 
Hercules 9 qui mourut par sort, 
Et le puissaotroy Cbar^emaine. . 
T. m. )3 



«94 Fargb 

HONHBUK SpIRITUBL. 

Et ce n'est pas ce qui nous maine. 
Laissons là tousses anciens : 
Ce n*est point de présent le temps 
Que de yertu on yneille user;' 
11 ne nous y fault amuser* 

La femme. 
Que Youlez-ypus que je tous &ce? 
Voie y ce bon homme de Horace , 
Gaton , Vergille avec Omère. 
Yoicy Logique avec Grammaire 
De tous les sayans personnage^. 

PouyoïR Temporel. 

Nous'radoterons en noz ases, 

Si nous suyyons ses yieilles gens. 

Honneur Spirituel. 

Venez çk ; n Vyous point céans 

Ge que on [nous?] yous demanderoni? 

La Femme. 

Et quoy? 

HoNtYEUR Spirituel. 

Lafason^ 
D*acquenr du bien sans main mettre. 

La Femme. 

(Sans main mettfe 1) 
En cela je ne suis point maistre. 

Honneur Spirituel. 
Ayez- yous donc pas le moyen 



DE BlSN MOK0AIN. 196 

De m^' £wreuns moulin bien gent 
Pour eiigi euei neiirej et matiiies? 

La Femme. 

Ailleurs chercherez yoz mesc[uines ; 
Car icy n*en trouverez pas. 

PouYOïii Temporel. 

En Yoicy encore(s) ung srant tas; 
N'y a-il riens qui me soit bon? 

La Femme. 

Voicy le bonhomme Platon, 
Hannibal et Métamorphose. 

PouYOtR Temporel. 

Ce n*est pas cela; mais je n'ose 
Demander ce que je youlsisse. 

La Femme. 

Je n'ay chose pour tous propice , 
Si voua ne voulez des vertus. 

Pouvoir Temporel. 

Pour ces femmes qui ont gros culx , 
Il me fault la riche couleur; 
Si j'en ay , je suis à honneur, 
Je feray très bien mon proufit. 

La Femme. 

Il n'y en a point à cest estuit ; - 
Vous ne cherchez que choses nices. 

Pouvoir Temporel. 
Je vouldroys bien avoir offices , 



Mais UQg clia$<iuii jour: on les vent 

 ceulx qui portent de l'argent , 

Et bien peu je yoys que on en donne. 

La Femme. 

Ce n^est pas ceste vertu bonne ; 
Gairde n'avez de la trouver 
En mon corbillon. 

Pouvoir Temporel. 

Je ne sçay : quelque or ne billon^ 
Tu n'as rien de ce que on demande. 

La Femme. 

Voulez-vom avoir Alexandre? 
Il a faict des vertus tout plain. 

Pouvoir Temporel^ 

Laissez-luj jusquès à demain ; 
Ce n'est pas ce -que nous cberchon. 

Honneur Spirituel. ^ 

As-tu point , sans aiikun blason ^ . - . 
Tromperies avec. bs^ratz, , 

Inventions , mescbans b'aratz, 
Flateries et meséhafntes langues , 
Déceptions , -mille baretigues 
Qui nous scèùssentknettre en train 
D'avoir, sans rien faire , dupaiii? 
Je le vouldroys bien acheter, 
Quelque chose qu'il deiist côuster. ^ 

La Femme. 

Et, je vous ay dit, sans doubter. 

Cela ne trouverez chezmoy. 

Vous y trouvera. bonne foy^ ._ ^ 



Bon rdion V bonne gottv^*naiice.^ 

• PotVOIfe TElÉtOftEt*^ 

C'est un penliier qai n*a point d*ance ; 
Ce n'est pas pour le Temps qui court, 
c' Garde ta mercerie :mêsl4é» y .. 

Crier je puis assez licîfemeirt • > 

Que V voiremeint ,' - j 

Bien je suis oubliée; 
Car vous voyez icy apartement 

Quoy soit comment 

De tous suis decbasée; 
Je suis aussi si très palle et passée 

Rompue, cassée 
Et si je ne me oze plaindre 
Que je ne puis avour pour ma passée 
Mor^eati 9e piàiil ^ 
Si mon bien ne vois vendre. 
Voyçz Honneur Spirituel 
Et pttîs le Pouvoir Temporel, . 
Qm tienneiit tout entre leurs mains. 
L'ont-il eu par droict iiaturel ? 
Non, non, maïs par fâletz inhumains. 
Hz ont donné des escus mains 
Pour avoir leurs grans dignitez. 
Au derrière Vertus remains (1), 
Et ne s'en rompent les cosiez. 
Par quoy conclurons briefment 
Sy des biens voulez largement 
Faire vous fault du Temps qui court 
En contrefaisant le billourt. 
Et que Vertu soit mise au vent, 

(1) Texte : Rommains. 



19S Fabck SB BïEn HOndain. 

CarTons TOyez au temps iHïMnt 
Que ong châscan fàict comme Gacni 
Qni Êùsoit de vices vertus. 

Cj fine la Carce de Bien Mondain. Imprimée 

nonTeUanent k Lyon, en la maison 

de fea Bamahé Chauuard , 

jnïs NtMtre-Dame-de- 

Confort. 




FARCE NOUVELLE 

TRàS BONMBy MDRALLB BT PORT JOYECftB 

A troys personnaigeê, c'est aasauoir 

TOUT 
RIEN 
ET CHASGUN 

Tout commence. 

I est bien heureux qui a Tout, 
€ar il a le vent à son gré . [lout, 
En comptant par un âiasçun 

II est bien heureux qui à Téùt ; 
Prisé il «st en Tout , par Tout ; 

C'est un serviteur [bien] de het ; 
Il est bien heureux qut a Tout , 
Car il a le vent à soh het. 
Tout je suis , nulluv ne me het ; 
Giascun se veùlt de moy fournir; 
Car je puis le pauvre garnir, 
*Ly esse tenir, 

Tous biens maintenir 
. En prospérité; 

Argent retenir, 

Les gens contenir 

Enfelieité, 

Sans estre odieux. 




200 Farce 

Les gens fréquente en grande ({aamité# 
Quiâ Tout se trouve jojeulx. 
' Point ne sius melencoheux 
Maint entretenir par mon bieti . ' 

Rien, en chantant. 

Il est btem ajraeqm i^Vguîcref, * t 
Encore plus aise qui n*a lîen. 
Quitt^ft ricainesesoulcié; . 
Il n*a point peur de perdre Rien. 

nais qu'il soit jO]f eulx 

En temps et en beu[x]. 

Il est trop heureux. 

Tout. 

Quoy parlez- vous? Quoy, vertu bien, 
Jasez-voùs en ce past 

Rien. 

Ha! je ne vous avisois pas. . 
Nadies, nadies, dominusTotus. 
Avez-vous mestier d'un potua? 
Yoicy la l^oùteille pour boire^ , . 

Tout. 

Qu'esse cy? Vousîpérdee mfemoyrè 
Qu'ic^ de m6y*voiis*parieZi 
Par bien , si de rien v^oiis gabet , 
Je vous mestray en grant esmoy. . 

RlEJJf. 

Dyable! quoy, vous parlez demoy? 
Vous m'avez nommé aessus^us. 

TOIhTv i 

Or me dictes , qui estes-Vous^ 
Qui respondez.siiôeèaaràit? 



.RiKtt. 

Je sais mpy< mesmé^ «etireiDeiit. - 
Voire dea, me eo^ôisse^rYoïis,? 

Tout. 

Or bien , 'comment vous nommez-vous ? 
Dictes vostre nom Sans celer, 
Affin que vous puisse appeller, '[ ' ■ 
Sans cnercher de çà ni de Ui. . ' 

RïBNi 

Or,* regardez qu'il y a U. 

Tout. 
Parmonamé^ilnYarie». 

RlEN« 

Dea ,' vous me cognoiàsez bien : 
Par mon ame, je suis joyeulx. 

four. , _ . 

Le diable te créye.les yeulx, . , 
Rien mauldit,^ Bien Éiubc adversaire ! - ' 
Mkîs , dis-mpy -, -^ue vièns-tu cy faii« .. - 
En ce JUeus yeu qae/tà sces ' ' . - 
Que Je' suis Tout , qui pai' uxes tstc)? 

Vous estes T^ut^et je siii^ Rieki - 
Qui cy me suis vécu ded^yjre. : ■ 
Partant, si je ne puis y pus nuyre, 
Toutesfois vfiukrrje proffiter^ - ; - . 

Mab qu'esse qui puisse inciter 
Le cueur des^gens.àtèTdulmr? 



■ » < 



ao2 Farce 

Rien. 

Si ay yrayement ; j*ay du pOToir; 
Car par cy, par U, fais ma Goarce, 
Et tel regarde daas sa boorce 
Qui Rien ne treuTe bien souvent. 

. Tout. 

Tu n[e] es forgé que de vent, 
Tout ton fait n^a aulcune loy» 

Rien. 

Si viendront tous les gens à moy 
Et par moy seront depoiirveuz; 
Plusieurs an monde sont venus 
Qui vouldroient que fusse à iaire. 

Tout. 

Toy! Jésus, (et) que sçaurois-tu faire? 
Mon ame, tù es trop infâme* 

Rien. 

Souvent je fais battre les femmes . . 
Jusques à^*arracher les yeux, 
I^rendre Fun Faultre (par) les cheveuk, 
Crier, burler, ne sçay conuiien. 
Toutesfois on dit : QnVsse? — Rien. 
Voila £ce] qu^ay en ma puissance. 

Tout. 

C'est moy qui ay la jouyssahce 
De tous biens etbeaulx presftns. 

Rien. 

Et moy j[e] ay la oognoissance 
Sur le guemier des pauvres gens. 

Tout. 

Point ne cherche les indigeas, 



Mais les maisons des gros 'seigneurs, 
Et chercher bons enseignemens. 
 tromper j^ay bonne espace. . 

Rien. 

Vertu bieu , tu tiens trop de place. 
Autant derrière que devant , 
Et si ne viens pas trop souvent 
De paour de perdre ton alaine. . 

Tout. 

Souvent je fais la bource plaine, : . 
Resjouyssans les langoureux. 

Rien. 

Voire , mais tu rens trop paoureux 
Et qui t^a comme ne^igait; 
Car tu portes or et argent . 
Par leslieux où passeras, 
Et moy, pauvre, tu îne craindras.. 
Car su ne vient qu^un seul recours 
Tantost se dira estre mort, 
Tremblans comme plume en balance; 
Totttesfoy s qu^esse ? Rien , xpi passe , 
Duquel on eût si peu de compte. 

Tout. 

J^entretiens prince^ duc, conte , 
Leur baillant chemin et adresse* 

Rien. 

Etpuis après, se tu lès laisse , 
A moy, seigneur, gentement. 
Plus que du pas vistement; 
Sont bien ayse trouver mA porte. 

Tout. 

Les despourveoz je réconforte^ 



âo4 ::Fà:iiCè -' 

Après (ftr'ilz ont bien fraTaillé. 
•' Rien. 

Combien de fois sttis-je baiHé' 
Aux pauvres pour* Honneur de Dieu; 
Et puis si Ton^a perdu âti jeu , ' 
Je suis le dernier Teconfbrt. 

TOCT. 

Bran, bran ! ton parler est trop fort. 
Tout faict-on par Tout au commun. 
Adieu, je A%n vois veoir Cbascun , 
Lequel m'a mâindé pour service. 
Je ne luy fauldray- que je puisse , 
Mais TentMftiendray en son éstre: 

♦ Rien*. ; 

Chascun , Jésus! et cVst mon maistre ; 
Plus souvent m'a q^ll ne t'a pas. 
Comment'. déà, te mocques-tu pas? 
Luy seras-tù en chascun endroit? " 
Je ne 5Çay pas-s'il me vouldroit 
Mescoghoistce pour le présent ; 
Mais sds luy sùis-je bien souvent , 
Quasi plas que tous les jours. 

Tu me comptes- teiTib)es tours 
Qui me font grand(e^ent esbaïiir. 
Si m'a-il envoyé quérir . • , . 

Et me souhaite; 

. RiEN' - 
: .r LasJ jejte croys. . . 

TOUJTé 

Par mon ameVje idi'y^eilj^oyil^ - 



t • «• 



1 * 






Affin que son yoploirsoit&iet, 
Car sans moy yroit mal son fsâct ; 
Maintes foys je ray.apperceu. 

Rien. 

Tu sera3 bien plus toist receu 

Que moy, 'car ta rohbe Test] meilleur; 

On ne prendra nul coliCet. . - 

Tout. 
On fera ton sentant gibet. . 
Qui te puisse romprele col. 

Rien. ' 
Par Tobies^ je ne sois pas fol; 
J^entens yostre bénédiction. 

. - Tout. 
Je m*en yoys sans dilation 
Veoir Chascun ; je n'y fauldray pas. 

' Rien. 

Et je te suiyray pas à pas, 
Pour veoir s^il me recognoistra. 

G HA S G UN commence. 

Quand esse que le temps naistra 
Que Tout me viendra entre mains? 
J'espère que mon fûct naistera 
Tel que j away de boi^- moyens . 
Tout me fault, mais, comme j'entens. 
Je le chercheray là et icy ; 
Qui a Tout 4e Kien n'a soàcy. . 

ToKis... 

Et , par mon amé ,.mé voîcy, 
Lequel avez tant desin.. 



' Ghâsguh. 

Vous soyez le bien arriyé , 
Tout num amj et le tout rostre, 
Gar très grant joje m^est venus ; 
Long temps a que (je) tous desiroys. 

Tout. 

Vous avez Tout à vostre choix ; 
Puisque ainsi vous estes heureulx, 
Doresnavant soyez joyeulx ; 
De luy ne sçaunez avoir iaulte. 

Ghascun. 
De grant joye Je cueur me saulte ; 
Bien heureux suis-je par ce bout. 
Mais oue me fault-il quand j'av Tout, 
Lequel m^estoit fort nécessaire ? 

Rien. 

Monsieur, si vous ayez affaire 
De Rien , le voicy en présence, 
Qui fait bien tenir contenance , 
Quant il voit'qu[e] on le reclame. 

Ghasgun. 
Qui estes-vous? 

Rien. 

Rien, surmon ame. 

Ghasgun. 
Et de quoy (me) servirez-vous bien? 

Rien. 

Monsieur, je serviray de Rien. 
Advisez-vous ; me voulez-vous? 



Gha^jcun. 
Mais, dictes(-moy), k quoy valèï-yous? 

RllÇN. 

A Rien. 

Ghasgun. 

A Rien ! quel bon yarlet ! 
Vous estes un peu solellet. 
Allez ailleurs chercher un maistre. 

Rien. 

Advisez; me voulez-vous mettre 
En quelque lieu de la maison? 

Chasgun. 

Allez ailleurs quérir raison ; 
Puisque j'ày Tout entre mes mains , 
De Rien n^ay cure ; Tout est miéuz ; 
Rien de vous me sçaurôîs passer. 

Tout. ■ * 

Ha Y maistre Rielî , allez chercher 
Ailleurs party ; on le vous dit; 
Car vous perdez yostre crédit Y 
Où Tout est. Yuidez de ce pas« 

Rien. 
Et donc ne me voulez-vous pas? 

Chasgun. 

Nenny, nenny, vuidez la place; 
Où Tout est vous perdez espacie 
Y fréquenter; à coup yuydez. . ; 

RlEN« 

Par bien, vous :me appellerez 
Que du faict n'y penserez point. 



Tout. 

Ho, qu'A a bien faiUys^n points 
Mon ame, il s^est bien .al>senté. 
Que luy aTez-*yous présenté? 

CHAscen. 

Mon ame, Rien. 

RlEIf. 
Et, par ma fôy, je sçaTois biea 
Que de moy il tous souvieudroit. 
Pourquoy me bûchez ofendroit? 
Que TOUS fiaûlt-il? 

Chasgun. 

Quoy, un badin. 
Nous serions icy jusques à demain. 
Sortez tost, ayancez le pas. 

Rl£N. 

Je vous en feray repentir. 
Par bien, je feray tout taire. 

Cha&cum.. ; 

Vieulx loudier , que sçaurofS'^ia £aire ? 
Tout ton fait ne ^t quVn malheur. 

RiEïr. 

Quelque joui» vous £sray frayeur. 
Ainsi sera; notez-le bien. 

Tout. 

Bien fol est qui^paonr de Km , 
Car trop peu est ma]|oieu)x. 

GHAsetrm 

Helas, suis-je pas biei» heureux 
D*ayoirTout deysoit^iiApiiîspdnfie? 



NOITTSIilJS. 209 

Plus grosse n^est resjouyssance; 
Soucy n^ay de diose du monde. 

Tout. 

Bienheureux est-il en ce monde 
Qui a Tout; nul bien neluj fault. 

Ghascun. 
Celuy suis-je. 

. Rien. 

Bou , bou , boir. 

Ghàsgun. 

Â, Nostre Dame, qu'esse là? 
Jésus, c^est quelque deffortune. 

Tout. 

Onerques] ne fut telle fortune 
Troublé. Jésus, quepeult-ce estre? 

[Rien.] 

Or tenez , suis-je pas bon maistre. 
De les avoir espoventez 
Pour faire bon? Or vous veniez 
De dire que ne me craignez pas. 
Avez-vous veu? 

Chascun. 

Je ne sçay pas 
Que ce villain vieulx assoty 
Si souvent cherche [par] icy, 
Tousjours portant quelque rasée. 

Tout. 

Allez en maUe destinée, 
Villain , prince des estourdis. 

Rien. 

Ha, villain I or bref je vous dis, 

T. III. 14 



aio Farce 

Puis que ayez autre que moy , 
Qu'en la fin vous Tiendrez à moy 
Aussi droit que compas 4^ lune ; 
Car un jour la malle fortune 
Tombera suf Tout etGbascun; 
Puis s'en Viendront tout à descun 
 moy ; ainsi est ordonné. 

C H ASC UN. 

Va t'en ; tu as tpop sermonné ; 
Va t'en tost, tu feras que sage. 
Est-il au monde tel passage 
Qu'avoir Tout en gouvernement? 

Tout. 

Cbascun est en avancement 
Quand il a Tout entre les mains. 

Chasgun. 

Mais que dira-on par lieux mains? 
Ghascun a Tout conune je sume ; 
Mais qu'il n'ait la malle fortune, 
Tout il tient « il est remonté. 

Tout. 

Yostre honneur en sera remonté 
Autant que l'on en sçauroit dire ; 
Mais que la roue ne vous vire , 
Jamais n'eustes si grant honneur. 

Rie Hjecte le sort de fortune . 

Nostre Dame, voicy malheur. 
Jésus! adieu, Tout, nostre maistre^ 

Tout. 

Dea , monsieur , je vous demande : 
Dictes-moy que ce peult estre. 



Nouvelle. a.ii 

Chascun. 
Mort dWe ! 

Ma foy , c'est la- malle fortune ; 
Voici grosse subtilité. 

Tout.. 

Je me sens tout débilité 

De mon sens , je le.cognois.bien. 

Ghasgun. 

Helas , aller me fault à Rien. 
Voicy grosse desconyenance , 
MaUe Ktrtune à grand meschance 
Dessus moy tient son maintien. 

Tout. 
Tout et GbascuD s'en vont à Rien , 
La fin le dit sans faulte aucune. 
Car sommes subjelz à Fortune 
Qui nous rend despourveuz de ^ns. 

Ghasgun. 

Ha Y par mon ame , je me sens 
Mal ordonné. Or sus , allons. 

Tout. 

Je vois premier (et) nous avançons ; 
Allons à Rien pour Mieulx trouver. 

Ghasgun. 

Monseigneur, nous vous venons louer , 
Faire bommage et révérence. 

Rien. 

Vertu bien , la grand contenance ! 
Esse pas vous , messieurs les braves? 
Je vous tiendray comme esclaves, 



aia Farce Nouvelle. 

Et TOUS me youlez dejecter« 
Dea , TOUS me venez vbiter. 
Yrayement , je vousl-avoys bieni dit. 

Tout. 

Nous y venons , sans contredit , 
Vous saluer à voix commune. 

Ghàscun. 

Puis que Sort et malle Fortune 
Le veulent, nous vous servirons. 

Rien. 

Par le sang bieu , nous le voulons. 
Je vous retiens de ma cuysine , 
Mais que teniés bonne mine. 
Or ça , messieurs, voyez-vous bien 
Que Tout et Chascun vont à Rien 
En la fin ; ainsi est ordonné , 
Que tel cuide au monde estre né 
Pour abonder où est Tout et Bien , 
Et en la fin tout yient à Rien. 
Voylà que c'est de nostre vie. 
Prenez en gré, je vous supplie. 

FIN. 




BERGERIE NOUVELLE 

FORT JOYEUSE ET MORALE 

DE 

MIEULX QUE DEVANT 

A quatre personnaiges, c'est asswoir 

MIEUI<XÛUE DEVANT 
PLATRAIS 
PEUPLE PENSIF 
ET LABERGIÈRE 

Plat Pays commence. 

essus ces beaulx champs 
; Sont faillis les chans 
Des bergiiers:de nom. 

PeuVlE PENSIF. 

Guerre par les champs 
Nous a fait meschans ; . 
Mort est leur reQQm, 

Plat Pays. 
Bon Temps , que prison , 
Est-il eQjp^rison? ^, ^ 
Rien je n y entens. , 

Peuple. 
Fault-il en tous sens 
Laisser terre et sens 




2i4 Bergerie 

Pour ces gendarmèanlx? 

Plat Pays. 

* Par leurs fins ayeaulx 
Ilz tuent moutons , y«aulx , 
Et à noK dc^spens.. 

Peuple, 

Cessons ces trayaulx ; 
Par mons et par vaulx 
Demourons suspens. 

Plat Pays. 
Peuple Pensif. 

Peuple. 
Quoy ? 

Plat Pays. 
Où est Bon Temps? 

PEUPLE, 

Je ne sç*y, 

• Plat Pays. 

. . Ne moy. 
Il nY a plus ayril ^e may. ^ 
Long temps y a que je Fattens. 

Peuple. 

Gomment sont aulcuns diligens 
De folle noise maintenir? 

Plat Pays. 
C^estaux dépens dés pôrrès gens, 
Se Dieu n^ yeuh ia main tenir. 

Peuple. 

Où sont bergiers? ^ ' 



DE MiEVLX ÛU£/a>EYANT. ai5 

•Plat Pay^. 
En desplaisir. 

Peuple. 

Qui les y met? 

PtAT Pays. 

MaulYaises nouVeUes» 

PBUi»LB PîBNSIP. 

Bany de quoy? 

PhAf PAtâ. 
De tout plaisiir. 

Peuple* 
Ou sont bergiers? 

Plat Pays. 
En desplaisir* 

I^euple. 

Comment? 

Plat Pays. 

Noiseles Yi^t saisir* 

Peuple. 
Ce sont maies nouYelles. 

Plat Pays» 
OùsontWgiers? 

Peuple. 
En desplaisir. 

PLAt Pays. 

Quile^ymet? 

Peuple* 

Noise nouYelIe* 



ai6 Bxm6EAI£« 

Plat Pat». 

C'est ung jamais. 

Peupls. 
C'est uQg Ubelle*. 

Plai Pay?. 
Qui Tachette? 

Peuple. 

Noz brebîètes. 

Plat Pays, 
Je perdy, par guerre rebelle, 
Mon pourpoint à grosse pompette. 

Peuple. 

Quant je os la trompette 
Sonner la retraicte, 
Je suis en souoj. 

Plat Pats. 

Se je vois en feste , 
Salade en teste, ^ 
J'aj le Jeueur transy. 

PBUPLEi. 

AUons sur les champs. 

Plat Pays. 

Si hardy r 

Peuple. 

Pourquoy? . 

Plat Pays. 

De peur des gensdatmes» 

Peuple. 

Sont-ilzreTenus? 



DE MiKIXLX QUE BEYANT* «I7 

PiAT Pats, 

Dèsmardy, 

Peu^IiE, 
Ou dyable Tont-ilz? 

PiAT Pats. 

Le ttûen querre* 

PeUPIiE. . 

G*est ung maulyais vent. 

Pi,AT Pats. 

, . D^Angleterre. 

Peuple Peniif. 
Dodbter le faillit.' 

Plat Pats. 

Je crains leurs grippes « 

Peuple Pensif. 

Ils ont cassé mon pot de terre 
Qui seryoit à cuire mes* tripes. 

Plat Pays. 

Guerre bien -nous pi<$que ; 
Hz ont beu deux pipes 
De Yin dWé tire. 

Peuple. 

Foy que doy sainct Pbilippe , 
Dep^urinedefrippe,, '^ 
Tant craius ce martyre. 

.Plat Pays, 

C'est ung jamais. 



• Peuple. 

C'est une lyre. 
Plat P>alys, 
Où est le temps? 

Peuple.. 

Il es\ eu arme. 
Plat Pats. 
Rien n'y cognois.* 

Peuple. 

Rien n'y sçay lirft^ 

Plat Pays. ' 

Qui règne sur les champ? 

. P£UPLE. 

- Gendarmes. 
Plat ]Pats. 
De leurs maintiens? 

Peuple. 

Rigoreux termes. 

Plat Pays. 
Où vont-azt , 

Peuple. 

Le diable le sache. 
Hz ont £adt sur. moy tel Vacarme 
Qu'ilz ont mange et veau et vache* 

Plat Pays. 

Ce temps cy me fiaiche; 
Dy , hay ! prenons iadîe 
A faire ung edit. . 



DE MiErxx <2i7B "devant. aiQ 

Peuple Pensif, 

Se mon chien le lâche ^ 
Et bien il né chasse , 
Je soye mauldit. 

Plat' Pays. 
Vont-il en guerre? 

Peuplé. 
On le .4it. 

PjiA^ Pays. 

Que yont-ilz faire? , 

Peuple. 

,, Leur esbatre. 

PLjA^ Jt^^LYS. 

A noz despens ? 

Peuple.' 
Sans contredit. 

Plat Pay$. c 

Et puis quoy? 

• Peuple.- 

'Le bonhonmieau batre. 

PiîAt Pa^ys. 
Et en chemin? 

.Peuple.. 

, . ; Poukslabatre. 

P.LAT Pjilrs. 

Vda leur train* 

. Pbxjp^e.. 

■ 'Cesi leur destinée. 



aao Bergerie 

Emporté ont mon fléau à batro 
Et le lard de ma cheminée. 

Plat Pays. 

Guerre fortunée^ 
De malheure née 
Par toy je me duefl. 

Peuple. 

Lliorrible assemblée 
Print hier d'emblée 
De mes moutons deux. 

Plat Pays. 

Hz m^ont mengé...» 

Peuple. 

Plat Pays. 

Deux cens d'eux. 
Peuplé. 
Sont-ilz deslogez? " 

Plat Pays. 

Ouy, des yeaulx ! 

Peuple. 
QuWportent-ilz ? 

Plat Païs. 

Mes soûliez neu£c. 

. Peuplb» 

Boy vent-ilz bien? 

Plat Pays. 

Comme pourceaulx. 



de mieulx que devant. 221 

Peuple. 
A quel mesure? 

Plat Pays. 
A plains seaulx. 

P-ËUPLË. 

Vêla leur train. 

Plat PAts. 

Vêla leur dance. 

Peuple. 
Emporté ont mes yielz houseaulx 
Et mon beau cliauderon sans ance. 

Plat Pays. 

Bergerète fraàchè, 
Qui vit sans soufirance, 
Vien toy cy esbatre. 

Peuple. 

Se quelcW te lance , . 
Donne un coup de lance 
Pour la guerre abattre. 

Plat Pays. 

T'ont-ilz batu? 

Peuple. 
Gomme beau piastre. 

Plat Pays. 
I pert-ilfort? . 

Peuple. 
Ouy, sur ma teste. 

Plat PAts. 
Qu'i as-tu mis? 



122' « &ERGERIB 

Peuple. 

« 

IJag emplastre. 

Plat Pays., 
Nous sommes martyrs*^ 

PEUI»L.f^ 

Et je Fcbtete. - 

Plat Pats, 
Je pers mon temps. 

Peuple. 

Riens je n^acqjaeste. 

Plat Pays. 

Je suis sans pain. 

Peuple. 

. Et moy sans placqaes. 

Plat Pays. 

Hz m^ont derobbé ma jaquette 

Et mon chappeau jausne de Pasques. 

Peuple. 
J^auroy, par sainct Jacques , 
Capeline et Jacques 
Pour leur faire assault. 

Plat Pays. 

Faisons bucquemaques , 
A hacques.et à.macques, 
Sur eulx de plain sault. 

Peuple. 
Hz deslogent. 

Plat Pays. 
Une m'en chault. 



de mieulx que devant. 223^ 

Peuple. 
En yiendra-il d^autres? 

Plat Pays. 

' Assez. 

Peuple. 
Tout en passe. 

Plat Pays. 

Soufilè, Michault. 

Peuple, 
C'est le pis que la queue. 

Plat Pays. 

Ç'ensez. 

Peuple. 
Sont-ilz d'ordonnance. 

Plat Pays. 

Quassez. 

Peuple. 
Parlons àbaston. ' 

Plat Pays.. 

Hz m'ont trestous les raihs quassez , 
Par Nostre Dame , d'un baston. 

Peuple. 

Point n'entens le son. 
II fault que façon 
Ung coup à la chaulde. 

Plat Pays. 

Mon gentil garson , 
Note la' leçon : 



a»4 Bergeris 

Trop hasté s^eschaulde. 

Peuple. 
Du remède? 

.Plat Pays. 

Une botte fauwe. 

Peuple. . 
Pasdence. 

Plat Pays. 

Par trop ml dure. 

Peuple. 

Je n'y sçay tour. 

Plat Pays. 
Je n'y sçay Êiuye. 

Peuple. 
Quedisent-ilz? 

Plat Pays. 

Yillain endure. 

Peuple. 
Bon temps viendra. 

Plat Pays. 

Par adyènture. 

Peuple. 
Je suis tout mast. 

Plat Pays. 

Te fault Palayne? 

Peuple. 

Hz m'ont desrobé ma ceinture 
Qui estoit, sur ma foy, de layne. 



DE Ml£0LX QUE DEVANT. ^^5 

Plat Pays. 

Par la Magdelaine , 
Et moutons et byne 
Hz ont, bref et court. 

PBUPLEt 

Guerre trop soubdaine , 
Prent blé et ayeine 
Et nous tient dé court. 

Plat Pays. 
<^'est le train. 

Peuple Pensif. 
G*est la loy qui court. 

Plat Pays. 
Hz ont tué mon coq. 

Peuple. 

(Hz) ont mes oyes* , 

Plat Pays. 
Les plument-ilz? 

Peuple. 

En nostre court. 

Plat Paxs. 
De quoy font-ilz feu ? 

Peuple^ 

Pe nos bayes. 

Plat ;Pays. 
Quelz gens sont-ce? 

Peuple, 

Ce sont laqnayes. 

T. ni. . 4S 



aa6 Bergerie 

Plat Pays. 
Mot tout coys. 

Peuple. 

Gardons(-noa5) de reprise. 
Il n^est pas mes vielles brayes , 
Que tu saches , qu^ilz n'ajent prises. 
Autant m'est la paix que la treye. 

BergièrE, en charUani, 

Saillez hors , hors de no fève , 
Saillez hors , hors de do pois. 

Plat Pays. 
Bergiire , tu resye. 

Bergière. 

Saillez hors , hors de no fève , 
Saillez hors , hors de no pois. 
Bon jour. 

Plat Pays. 

Bon yespre. 

Peuple. 

Hault le bob. 

Bergière. 
Quel est le cry? 

Plat Pays. 

Tout ung, tout ung. 

Peuple. 
l*enrage qu'ayec tous ne Toys. 

Bergière. 
Bon jour. 



DE MiEUUX ûU.E DEVANT, aay 

Plat Pays. 

Bon vespre. 

Peuple. 

Hault le boys. 

Beagière. 

Vous me tenez en voz aboys ; 
De moy n^ayez mercy aucun. 
Bonjour. 

Plat Pays. ' 

Bon Yespre. 

cPeuple. 

[Hault le boys.] 
Quel est le cry î 

Plat Pays. 

Tout ùng, tout ung. 

Peuple. 

J^ay icy autant comme a Jung. 
En TOUS je prens mon aliance 
Et Yostre nom. 

Berûière. 

Bonne espérance ; 
Bergière plaine de science , 
Je me loue , soit blanc , soit bis , 

En gardant brebis 

Sur ces vers herbisy 

Au soleil Iwant, 

Etlàmehubisi; 

Rien ne m^est nuysant. 

Par déduit plaisant , 



228 Bergerie 

Au chant du iisâsant , 
Fois ma panetière 
Où paix a démène. 

Plat Pats. 

Bergière souveraine, 
Honneu]^. 

Beroière. 

Et à TOUS aussi. 
Que faictes[-T0tt8 ty]1 
Songez-yous mallMwr? 

Peuple. 

Daine sans sdussi , 
J*ay le caeur transi,. 
Espérant bon heur. 

Bergière. 

Est-ce par ardeur, 
Ou par grans chaleurs , 
Qu^estes ainsi nus ? 

Plat Pays. 

D^abit de pasteur, . 
Par moii créateur, 
Il n'en eitrplns huki 

Bergière* J 

Et sans jouster, à cuk bus,' ., - 
Essayons-nous dessus êeste herbey 
Il n'est [ne] doussaina nt bair]^ 
Ne son de manyoordibd >! . a i.. 
Qui sceust faire tel gavdÎMi ^ 
Que nous ferons à ceste: fois. ' 



DE MiEULX QUB DEVANT. 229 

MiEULX QUE .DElTAIft, en chantant. 

Je tienA de Phebcis^, de Phefton, 
De Phebé, des dieux , des déesses , 
£t d*0rpheu5 vent de doulx ton. 
Je Yois chez princes et princesses , 
Lesquelz j'entretiens en Ijesses. 
En court suis le premier devant. 
Garny suis de tonte: sasesses 
Et fus né vers sonieil leyaiit. 

Peuple; 
Qui estes-YOus? 

MlE'tJLX* 

Mîenlx que devant. 

Bergière. 
Qu'aportez-Yous ? 

Bonnes nouvelles. 
Plat Pats. 

Suyvir vous Yeulx doresnavant. 
Quiestes-vous? 

MiEULX. 

Miéttix que devant ; 
Roger Bou^Tembs k vois suyvant , 
Faisant chapeaulx de/Lç9rs nouvelles. 

BERéliBfi. 

Quiestes-vous? . 

MiEULX. 

Mieulx que devant. 



23o Bergerie 

Peuple. 

Voz motz ne [nous] sont pas rebellés , 
Et sont fournis de doulees taillés. 

Plat Pays. 
Par TOUS rabesseront les tailles. 

Beegiârb. 
Mieulx que devant ^ c'est un beau nom. 

MlEULX. 

Je veus estre rostre guydon; 
Oster TOUS puis de inauetoste. 

Peuple. 

Si vous plaist, vous serez nostre hoste , 
Pour nous préserver des gensdarmes. 

Mieulx. 

Il £iult que vous soyiez tous fermes ^ 
Et ne soiez point esbahjs. 
Quel est vostre nom? 

Plat Pays. 

Plat Pays. 

Mieulx. 
Et vous, comment? 

Peuple. 
Peuple Pensif. 

Mieulx. 

Affin qu'il n'y ait point d'estrif , 
Je manpieré vostre logis y 
Et, n'en serez point esbabys, 
Aux gendarmjes direz comptant 
Que vous avez Mieulx que devant. 



de hieclx que dbtant. 93 
Plat Pays. 
Grates. 

Peuple. 
Toat est à TO commant. 
Hais je tous prie, Mieuli qne deraot, 
Ainsi comme bon eschanson , 
Qne chantons , au département , 
Icy ung motet de chûuon. 

Cy fine la Farce joyeuse de Hieulx 

que devant , k quatre 

persoimaiges. 






y 1 -^^ "^ *' 



> 

X.. / 



FARCE NOUVELLE 

i 

MORALIdÊiB ■ '■ ' . 

DES 

gens'no.uveaulx 

Qui mangent le OlOïd» et lu logtnt de mal en pire 

il quatre personrudgea, c'est oêsaf^oîr 

LE PREMIER NOUVEAU 
LE SECOND NOUVEAU 
LE TIERS NOUVEAU 
ET LE MONDE 

Le PREMIER Nouveau commence» 

ui de nous se yeult enquérir 
Pas ae fâùlt que trop se démente; 
Nostre repom peulton quérir, 
Com yemt k i-héure présente. 

0^ anciens ne vient b sente , 

Copibien qu'ilz fussent fort loyaulx. 

Chascun à part soy se régente ; 

Somme , nous sommes gens nouveaulx. 

Le s]^coni> Nouveau. 
A gens nouyeaulx nourel coustume ; 
Chascun yeult veoir noureUeté. 
Bien sçayons que tel Toyson plume 
Qu^an menger n^est pas invite. 




Farce des Gens icouv. !i33 

Et , pour voas dire'Ttrité ^" , ! 
Nous avons mons aàgaon» et beaiilx , • 
Pour procéder!^ équité ^ . * 
Somme , nou9 sommés gens nouyeaulx. 

, Le tiers Nouveau. 

Du temps passé n^aVcms que faire 
Ne du faictdes ge^ aifi<|iei»s« 
L'on Fa paint ou ^pprjrs par Jbistoire , 
Mais , de vray, nous n en sçavons. riens. 
S'ilz ont bien faict y il ont leurs biens ; 
S*ilz ont malfâict, aussi les maulx. 
Nous allons par aultres moyens ; 
Somme , nous sommes gens nouveaulx . 

Le premier. 

Gouverner, tenir tenues baulx , 
Régenter i nostrç appe^tit , 
Par quelques moyens bons ou faulx ; 
Nous avons du temps ung petit. 

Le second. 

Les vieulx ont régné, îl souffît; 
Cbascun doit rergjner à scm.tour. 
Chascun pense de son profit , 
Car après la nuyt vient le jou^. 

. Le tiers. 

Or ne flûsons^ph» de sdkMVv - ' 
Mais avisons qu'il «atde luire. . 

LE>iI!fKEM3BR; 

Compaignons ,'âést iieeessaire 
D'aller ung pèdtfif Tesbat. : .: / 
A nouveaulx gens nouvel estât. 
Puisque les gens nouveaulx nous sommes, 



a34 Farce : 

Acqaerir de bruit si ^ans sommes 
Que par tout il en soit nouvelles. 

Le second. 

Faisons oyseaulx yoler sans elles , 
Faisons gens d^armes sans cheyaulx, 
Ainsi serons-nous gens nouveaulx. 

Le tiers. 
Faisons adyocatz aumosniers, 
Et qu^ilz ne prennent nulz deniers , 
Et , sur la peine d'estre faulx , 
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx. 

Le premier. 
Faisons que tous couars gens d^armes 
Se tiennent les premiers aux armes 
Quant on ya crier aux assaulx ; 
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx. 

Le second. 

Faisons au'il n*y ait nulz sergeans 
Par la yule ne par les champs, 
S'ilz ne sont justes et lojaulx ; 
Ainsi serons^nous gens nouyeaulx. 

Le tiers. 

Faisons que tous ces chicaneurs, 
Ces prometteurs, ces procureurs, 
Ne seignentplus memoriaulx , 
Ainsi serons-nous gens nouyeaiilx. 

Le premier. 

Faisons que curez et yicaires 
Se tiennent en leurs presbjrtaires 
Sansayoir garces ne cheyaulx ; 
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx. 



'b£s Gens nouyeaulx. a35 

Le second. 

Qr faisons tant que ces sras moines , 
Ces gros prieurs et ces chanoines , 
Ne mangeussent plus gras morceaulx ; 
Ainsi serons^nous gensnouveaulx. 

Le tiers. 

Faisons que tous les médecins 
Parviennent tousjours en leurs fins 
Et qu^ilz guérissent de tous mauls^ ; 
Ainsi serons-nous gens nouyeaulx. 

Le premier Nouveau. 

Cheminons par mons et par vaulx 
En pourchassant nostre aventure. 
C*esl droict, c*est le cours de nature; 
Nostre cours dure maintenâmt; 
Les anciens ont faict devant 
Leurs jours , il faut les nostres faire. 
Gens nouveaulx ne se doivent taire ; 
Car nous avons des anciens 
Par succession tous leurs biens 
Quelque part quHlz soient vertiz. 

Le second. 

Pourquoj ne sont-ilz bien partis? 
Hz en avoient tant , mère dieux ! 

Le tiers. 

Hz sont cachez en trop de lieux, 
Voyre qu^on ne sçait ou ilz sont. 

Le premier. 

Massons qui vielles maisons font 
En trouvent souvent à pleins potz; 
Mais , quant à nous , nesdo vos. 



a36 Farce 

Le second. 

C'est ang poîiit trop nud assorte , 
Les gens yieulx ont tout eni^rté ; 
Hz ont fondé tant de ehattoincs. 
Tant d^abayes.v tant de noynes , 
Que les gens noayeaulx. en ont moins. 

Le tiers. 

Que servent un tas de nonnains., . 
Que mon pire jadis fonda? 
Et cinq cens liyres leur donna, 
Dont je suis poyre maintenant. 

Le premier. 

J^en peulx bien dire peu ou tant. 
Que peult estre tout devenu 
Que nous n^ayons le résidu? 
Il nous devroit app^rlenip. 

L« second. 
C^est faulte de sa paît tenir. 

Le tiers. 
Or sus , ilz sont mors de par Dieu, 
Et si ne sçavons,en quj^l liçu . 
Estoyent leurs trésors souverains. 

Le premier. 

Youlentiers , à ses jours, derrains, 
Ung riche cile sa licheisse. 

Le second, 

Unde locus , mais pourquoy esse ? 
Pourquoy n'en ont-ils souvenir? 

Le premier. 
Ilz cuident tousjours reyenir ; 



DES Gens nouteaulx. 337 

Mais espérance les déçoit , * 
Et par ainsi on apparçoit . 
Que plaiseors ont esté deçeuz. 

Le second. 

Or prenons ung chemin , sus -y sus ; 
Chascun eu son propos se fonde. 

LS TlKRS.i 

Il nous fault gouyemer le Honde^ 
YeU notre faict tout Conclus ; 
Aux anciens n\ippartîent plus ; 
G^estnous qui devons gouverner; 

Le pi^eiiieii. 

Rien ne nous vaplt le s^otmier ; 
Allons veoic que le Mona^iaiet*. . 

Le MoifDE. 

Et que fiera«c6 de mcfn fricl? 
Pourqttoj m'a hîs9é Zephirpisî 
Je suis tout destruict et defiaict. 
Tous mes biens sont i Neptunus. 
Jamais asseiiré je ne fbs', - 
Pource que j'avojeesperancie; 
Mais mamtenant je n*en puis plus , 
Le Monde vit en grant balance. 

Le premiei^. 

Uo, j*ay ouy le Monde, quW s'avance; 

Il £aut tirer par devets lu y. 

■'>•,.■ 

L|;^^KÇOND« 

Gardons-nousde tayifaîre enwrjf ; 
Traicter le convient doolcement. 



236 Farce 

Le prekier. 

Et puis. Monde, comment, comment, 
Gomment se porte la santé ? 

Le Monde. 

Honneur et des biens k planté 

Vous doint Dieu, m^s bons gentilzhonmies. 

Le premier. 

Vous ne sçayez pas qui nous sommes? 

Le Monde. 
Ma foy, je ne tous cognoys riçn. 

Le premier. 

Par ma foj, je vous en croy bien. 
Monde, nous sommes Gens nouyeaulx. 

Le Monde. 

Dieu vous guarissè de tons maulz ; 
Gens nouyeaulx , que venez-yous faire? 

Le second. 

G*est pour penser de ton affiire 
Et de ton estât discerner. 

Le tiers. 

Nous yenons pour te gouyerner 
Pour ung temps à nostre appétit. 

Le Monde. 

Vous y congnoissez bien petit. 
Dieu ! tant de gens m*ont gouyemé 
Depuis llieure cpe je fus né ! 
En moy ne yis point d'asseurance ; 



DES Gehs nouveaulx. aÎQ 

yaj esté tODJouis en balance. 
Ëncores sois-je pour ceste heure. 
Le peuple tranalle et labeure ^ 
Et est de tous costez pillé ; 
Quant labeur est bien tranouillé, 
Il rient ung tas de tmandailles 
Oui prennent moutons et poulailles. 
Marcnandise ne les marchans 
N'osent plus aller sur les champs , 
Et chascun dessus moy se fonde , 
En disant : Mauldit soit le Monde! 
J'en ay pour rétribution 
Du peuple malédiction ; 
C'est le salut que j'[en] emporte. 

Le. PREMIER. 

Vous çouyerneron de tel sorte? 
Qui faict cela? 

Le Monde. 

Gens envieux , 
Qui sont de guerre curieux 
Et "vivent tousjours en murmure ^ 
Et jamais de paix n'eurent cure. 
Geulx-là ont mon gouvernement 
Sans savoir pourquoy ne comment j 
Ne à quelle nn ilz prétendent ; 
Je ne sçay que c'est qu'ilz attendent , 
Et ne sçay qu'ilz deviendront. 
Je cuide qu ilz me meilgeront, 
Se Dieu de brief n'y remédie. 

Le second. 

Taisés^vous, Mondes non feront : 
Gens nouveaulx vous en garderont ^ 



a4o Fàrcb 

Qodqae chose ^pe Tom tous die» 

Le M.oiiDE:' 

II vous court une^pillerie 
Voyre sant cause ne x'^son. 
Laoeur n*a riens ien sa rn^ao^ 
Qu'ilz n*emportent4 yel^ les. tenues. 
Et si ne sont mie sen^d^ianiies 
Qui so jent mis k 1 ordonnance 
Serrans au royaulme de FrançQ» 
Ce ne sont q^ung tas de faiUars, 
Meschans, coquins, laitons, iiillars. 
Je prie A Dieu qui les confonde. 

Le tiers. 

Paix nous tous garderons , le Monde % 
Et TOUS deffendrons contre tous. 

Le Monde. 

Je seroye bien tenus à vous 
Et le yerroye youlentiers 

Le premuçr. 

Monde , il mms Ênlt^des deniers , 
Et puis après arâenmB t 
Que c^esX que de tous nous leroiis ; 
11 n'y a point de* bfonllerie* . 

Lé MOiNBE.' 

Vous Tenez donc par.piU<^rie^f ji 
Je ne Tentens fMis.aultiWleiilU < 

Lv ss4:aNà>. 

Nous Tenons, neTous-chsinlteonmieiit; 
Tantost tous le congnoîstrés hien.> 



DES GeiYS l^OtVEAULX. 24i 

Le Monde. 
Ne me doit-û demourer rien? 

Le premier. 

Vivre fault par quelque moyen. 
Voycy pour moj. 

Le tiers. 

Cecy est mien.' 
Monde, il fault avoir sa yie. 

Le Monde. 

Je prie k Dieu quHl tous mauldie» 
Esse cy le commencement 
De vostre beau gouvernement? 
Gens nottveaulx sont-ilz de tel sorte? 

Le premier. 

Monde, plains-tu ce que j'emporte? 
Quaquettes'tu? Que veulx-tu dire? 

Le Monde. 

Nenny, je ne m*en fais que rire. 
J^ay assez plus que tant perdu. 

Le SECOND. , 

Nous ne Favons pas despeadu ; . 
Ceulx qui le diront seront folz; 

Le Monde. 

Sont esté tels gens comme vous. 
Ainsi je suis de tous assaulx , 
Pillé aes vieulx et des nouveaolz ; 
Je ne sçay quel part je me boute. 

Le tiers. 

Ce D*est pas tout. 

T. m. M 



ti% Faeçe 

Le Monde. . 

J*eii hjs bien dottbte. 

Le premier. 
Aussi t*y doibz-ta bien attendre. 

Le Monde. 

Au moins , quant n*j aura cnie prendre , 

Vous ne sçaurez que demander. 

La[s] , je pensoye qu^amender 

il me c(eust de Yostre venue. 

U n'est rien pire soubz la nue 

Que Gens nouyeaulx de maintenant. 

Le second. 

Nous vous gouTemerous content. 
Monde , cbenûnez quant et nous. 

Le Monde. 

Voyre, mais où me menrez-yous? 
Je le youldro je bien sçayoir. 
Or ça donc[ques], il £ault sçayoir 
Quelz gouyemeurs [cy'] on nous baille. 

Le second. 

De yous [nous] aurons srain et paille « 
Par ma ioy ^ je n en double pas^ 

« 

Le premier. 

ë 

Cheminez encore deu^ pas , 
Et puis nous yous abrégerons. 

Le Monde. 

Où esse que nous logerons? 
J*en suis grandement en soucy. 



DES Gens nouveaulx. ^43 

Le second. 

Ne TOUS ckaille ; c*est pris i^kj. 
Sans cheminer jà plus ayal, 
Logez-yous icy. 

Le Monde. 

le suis mal , 
Et & mal m^ayez amené. 
poyre Monde infortuné ! 
Fortune , tu m^es bien contraire j 
Contraire dès que je fuz né. 
Ne fîiz qu*en peine et eu misère. 
Misérable , que doy-je faire ? . . 

Faire ne puis pas bonne chère : 
Cher me sont trop les Gens nouy eaux. 
Nouyellement sourdenC assaulx. 
Viyre ne peult le poyre Monde* 
Monde souloye estre jadis; 
Jadis portoye face faconde ; 
Faconde estoye.etf plaîsans'dis, 
Dis je disoye , et jelarmis 
Larmes et pleurs de desplaisance. 
Plaisir me fault; douleur s^ayance. 

Le premier. 

Vous estes logé à plaisance , 
Monde , cVst le point prindpal. 

Le Monde. 

Gens nouyeaulx , soubz yos6:e asseurance, 
Vous m*ayez amené à mal. 

Lé second. 
Venez çà ; n^estes-yons pas mieulx 
Que yous n^estiez anciennement?* 



244 Farce 

Le Monde. 

Je regrette le temps des yieulx , 
Se TOUS me tenez longuement. 

Le tiers. 

Vous desplaisent les Gens nouyeaulx ? 
De quoy menez-rTOOs si graut bruit? 

Le Monde. 

Au premier, vous me sembliez beaulx 
Mais en vous n'y a point de fruit. 

Le premier. 

Vous plaignez-vous pour si petit? 
Sommes-nous gens si enragez? 

Le Monde. 

Gens nouveaulx , petit à petit , 
J^ay grant peur que ne me mangez. 

Le second. 

11 fault que vous vous réclamez» 
A vous le dire franc et court. 

Le Monde. 

Vous estes si très affamez 
Que ne povez entrer en court. 

Le tiers. 

Vous parlez en parpUes maigres; . 
ÏDictes vostre desconvenue. 

Le Monde. 

Vous mordez dêimirsures aîgi^es , 
Gens Bouveaulx ^ à la bienvenne. 



DES Gens nocyeaulx.* i^ 

Le premier. 

Les Gens nouyeaulx auront leur tour, 
Puis que une foys sont esyeillez. 

Le Monde. 

En me monstrant signe d^amour, 
De nuyt et jour vous me pillez. 

Le second. 

Il faut mie tous appareillez 

A nous nailler ung peu dWgent , 

Monde. 

Le Monde. 

Si souvent! sisouyent! 

Le tiers. 

Voire si souvent, plus encor. 
Ça , de Targent. 

Le PREXIEft. 

Ça , ça , de For, 
Monde , nous vous garderons bien. 

Le Monde, 

Or ça , quant je n^auray plus rien , 
Sur moy ne trouverez que prendre. 

Le SEGO^p. • 

Nous sommes encore k prendre; 
Monde, endurez cette saison. 

Le TIERS. 

Je cuide que ceste maison 

Lui ennuyé. Changeons de place , 

Aflin que soyons en sa grâce. 



346 Farce 

Monde , youleE-yous- desloger ? 
Nous vous ferons ailleurs loger 
Homiesfement, mais qull vous plaise. : 

Le Monde. 

Je ne suis pas fort k mon aise ; 
Je suis en mal; c^esf grand soucy. 

Le premier. 
Sus , sus , TOUS partirez d^icj. 
Venez-TOQS cn^ 

Le Monde. 
Dieu mer conduye. 

Le tiers. 

Pour guérir yostre cueur transy^ 
Sus , sus y TOUS partirez d'icy . 

Le Monde. 
Gens nouyeaulx v feictes-vous ainsi ? 

Le premier. 

Il est conclus, n*en doubtez mye. 
Vecy plaisante hôtellerie. 
Monde , logez-YOus y, beau sirc^ 

Le Monde. 

Ha f Dieu , je yois de mal en pire ! 
Que me faictes-yous , Geas nouyeaulx t 
Vous m*estes ùasix et desloyaulx.; 
Vous me logez de mal en pire. 

Le premier. 

Autant yous tault plourer que rire. 
Monde, prenez^btti recon^ftrt. 



i>ES Gens nouteaùlx. 247 

Le MoNDlB. 

Qa& ae descend tântost la mort , 
Mordant par diverse poincture ! 
Privé me sens de tout confort ; 
Fort est grant le mal que j^endure. 
Dure dureté et passion dure. 
Dures pleurs me convient getter, 
Sans nul espoir, fors regreter, 
•Regretz pitisulx , et lamenter 
Lamentz mortelz qu'on ne peult dire; 
D'ire me £siult tout ^unnenter, 
Tourmenté en [trisjgrant martire, 
Tiré suis en losis mauldit. 
Gens nouveaulx en font leur edit. 
Ha! Monde, où est le bon temps 
Que tu plaisoys à toutes gens? 
Et ores tu es desplaisant. * 
Peuple , d'avoir Dieu ne te attens 
Quant Gens nouveaulx sont sur les rens, 
Toujours viendra pis que devant. 

Le SEGONb. 

Vous estes en logis pbisànt. 

De quov vous aUei-vous plaignant? 

Vous plaignez-Vous des Gens nouveaulx? 

Le tiers. 

Se plus vous allez complaignant 
Encore aurez pis que devant; 
Ce ne sont que premiers assaulx. 

Le Monde. 

Or voy-je bien qu'il m'est mestîer 
De le porter patiemment. 
Cbascun tire de son carder 



%iS Farcb des Gens nout. 

• • • 

Pour m*aYoir, ne lu^* chault comment. 

Vous povez bien voir clerement 

Que Gens nouYèauIx , sans plus rien dtt^^ 

Ont bien tost et soubdainement 

Mjs le Monde de mal en pire. 

Finis. 



Farce nooyelle moralysée des Gens wm- 

Teauk nui menant le Monde 

et le loi^t de mal 

en pire. 








FARCE NOUVE^LLE 

A cinq persormaiges, c'est assaçoir, 

MARCHANDISE ET if ËSTIER 

POU D'A'GQfUEST 

LE TEMPS QUI COURT 

ET GROSSE DESPENSE 



BIarghanD'IS£ commence. 

6 quel estât me puis^je outiller 

Pour.parveoir a eç- que je pretens? 

De jour en journe fais que trayailler; 

far qùoy je dis , 'pàr1>iétt , sans me railler, 
Qu'à grant peme p^ifeavèn* mes despens. 
J'ay bien méjugé éeuU oii troi^f bons airpem 
De mes meubles, sans gaigner une maille. 
Ettoy, Mestier? 

Mestier. 

Je (re)pays de babiller ; 
De jour et nuict on me Tient réveiller. 
Au grant dyaUe en soit la quoquÎDaille. 

Marchandise. 
Se anicun Lombart me yient livrer bataille y 
Prendre noz biens par exécution « 
Je le payray , par beu rquoy qu'il en aille ; 




^5o . Farce 

Soit d*ang re^it ou d*ane cession. 

Mestier. 
raj grant borreur voir la/confusiou. 

Marchandise. 
Tout est bien cher ; c^est piteulx contrepoint^ 

Mestier. 

Le Temps qui court nous tient en jussion. 
Mais jay srant petfr que par succession ' 
Il ne me udUe menger mon vieil porpoint. 

Marchandise. 
Le grant dieu Mars se lasse[r]a-il point 
De nous battre tant d^estoc et de taille? 

Mestier. 

Les gros larrons, les pendera Peu point? 
Nous tiendront-il'toosjours en leur {enoaiUe-? 

Marchandise. 
Tel a brague , qui n*a denier ne maille. 

Mestier. 
Tel mendye, qui a esté bien gourt. 

Marchandise. < 

Tel est y auteur qui couche sur la paille ; 
Voilà le train^.par biéu , du Temps qui court. 

Mestier* 

Marchandise, pour vous [lej faire court, 
Passer le fault, sans plus cner ne braire. 

Marchandise. ' 

Passer le Temps ? Ma foy , il e^t trop lôurt ; 
Les plu» huppez y onll»en Ibrt a &ire. 



BE Marchandise. iSn 

Mestier. 

Kahu kaha , il nous le conTient faire, 
Qui me croira. 

Marchandise. 

De ce i moy ne tienne» 

Mestier. 

En attendant que le bon Temps viendra , 
Le maulyais fault passer, qui me croira. 

Marchandise. 

Vj prendrai peine si bien qu^il y perra 

A quelque pns, par bien, qu'il en advienne* 

Mestier. 

Passer le fault ; par bieu , qui me croira, 
Gentil mignon.' 

Marchandise. 

De ce k moy ne tienne». 

ley Mestier et Marchandite prennent l'estamîne pour passer 
le Temps. 

Pou D^ACQUEST. 

Matin , matin , les aultres ne reviennent 
Passer le Temps ; il nV a que ce dangier. 
Hé, cessez^vous, que bon gré saint Estienne,, 
Je ne croy pas que aulcun mal ne vous vienne.. 
Les gens icy , estes- vous enragez? 

Mestier. 
Nous ne sommes pas encore avoyez. 

. Marchandise. 
Je ne voy rien passer par Festairone. 



Pou DlActt^EST. 

11 me semble qiie soyez eniiùyeeif ". .■ ' 

Avez-vous tous vos escus desployez? 

Je vous viens TJeoir; dqimez-nioy mes estraines. 

Mestiçr. 
Hé , bona nox. 

Pou d'Agquest. 
Dieu card lez capitaines. 
Comment se portent le^ joyeulx assistens? 

MAEGHÀnBISE. 

YoyU comment Fortune nous demaine. 

Mestier. 
Hé, bona nox. 

Pou d'Agqubst. 

[Dieu çardles capitaines.] 
Gomment se portent les joyeulx assistens ? 
Que, tous les dyables, vous faictes layde mine. 
Que faictes-vous? 

Marchandise. 

Et nous passons le Temps. 

Pou n'AcQUEST. 

Ouy dea, ouy dea ; vous le passerez tant. 
Par sainct Jaques, vous n^en estes p^s prestsw 

Mestïer. 

Tu me semblés ung joyeulx applicquant; 
Gomme est Um nom? 

Pou b'Agqubst. 

J^ay à nom Pon d^Acquest. 



DE Marchandise. 253 

Marchandise. 
Pou d^Àcquest ? 

Mestier. 

Pou d*Âcquest? 
Pau d'Agqusst. 

Voire je le suis ; 
Longtemps y a que je ydus sojs. 
Quoy, ne me congnoissiez-yous point? 

Marchandise. 
Corbieu , nous sommes bien empoint ; 
Pou d^Acquest, cela me desgoute. 

Pou d'Acquest. 
Vous en estes bien de sainct prins. 
Il ne passe ne grain ne goutte. 

Mestier. 
Je me suis rompu le costé. 

Marchandise. 
Je commence à me lasser. 

Pou d'Acquest. 

Pour le TOUS dire , sommé toute, 
Le Temps est trop fort à passer. - 

Mestier. 

Tel cuide par trop embrasser 
Qui laisse eschaper son fardeau; 

Marchandise. 
Tel cnide souvent menasser 
Qui est fiippé de son Cousteau: 

Noos en ^onnie» tràs-bicn et beaar' 



%Si Farcb 

Possible ii*est passer le Ten^i^ 

Pou d'Acquest. 

J^ay encore ung grant vieil drapeaa ; 
Vous le passerez bien dedans .- 

UxaCHANDISE. 

Voicy ung droict engin nouveau. 
Ayde-nous. 

Pou d*Agquest. 
A , fen suis content. 

Mestier. 

Or ça, ca, qu'en despit du Temps 
Il n'y passe goutte ne grain. 

Pou d'Agquest. 

C'est Testamine de cba^rin ; 
Vous n'aurez pas fait de dix ans. 

Marchandise. 

Soit en chagrin ou aultrement , 
Nous n'en sçaurions venir à bout. 

Pou d'Agquest. 

Vous n'ayez pmilt d'entendement 
Par ma foy , vous estes trop lourt. 
Si vous voulez v[e]oir le bout. 
De passer le Temps en chagrin, 
Je vous [en] diray le ragoût. 

Mestier. 
Compte nous en ung petit brin.* 

Pou.d'Agquest.* 
Si vo|it vablez^ sçavoir le train , 



Escoqteir tons £Miif «igii %lmêm. 
Quant il njeat en TOtÊ m uéson 
Un sergent pdav ez^eofer, 
£t il TOUS ùk tout emporter 
Qu'il nyi/tÊOenre que Ia place , 
V^w drm-Tous pas chagrigner ? 

Marchandise. 
Par ce moyen le Temps se passe. 

Pou d'Acquest. 
Si vous voulez avoir crédit , 
Dictes ainsi que m^orrez dire , 
Et vous Taurez sans contredire. 
Mais il est requis à Taffaire 
Faire ainsi que me voirrez faire , 
Et vous Faurez sans contredit. 

Mestier. 

Faict sera. 

Pou d'Agquest. 

Monsieur mon amj. 
Faire vous veulx , sans long quaquet ,. 
Le plus très grant villain banquet , 
Ou le diable d'enfer Wemporte 
De la .plus grant villaine sorte. 
Pour le vous dire brief et court; 
Yoyla comine flateurs de court 
Disent aujourdliuy. 

Marchandise.' 

C'est oultraige • 
De contlrefaire son langaige. 

Pou d'Acquest.. 
Sang bieu/moEbieut je tway itout ! 



256 Farce 

Je regny bieu , j*en TÎendray  bout , 
Nul n*j peult mettre contredit. 

Mestier. 

Tel cuydoit bien avoir crédit 
En aulcùn lieu , a tout gasté. 

Pou d'Acquest. 

Pour ce qui s*est par trop hasté 
De monter, il est cheu à val. 

Marchandise. 
Pour peu de chose il vient beaucoup ^e mal. 

Mbstibr. 
De moins que néant on lÎHGt maintes reproches. 

Marchandise. 

Par icellu y qui les péchez rabat , 

Une démarche nous mect en gros débat. 

Pou d'Agquest. 
Voyre sans plus pour avoir une crosse. 

Mestier. 
Fort à ferrer a tousjours fer qui loche. 

Marchandise» 
Cheval hargneux une estable a par soy. 

Pou d'Acquest^ 

Passe partout soùventes foys s^acroche 
Et deschire ce qui est autour soy. 

Le Temps. 

Est-il saison que me tienne à requoy, 
Puisque sur tous ay le bruyct, somme toute? 
Le peuple tien et tiendray en aboy. 
Est-il saison queiae tienne ijFequoy? 



DE Marchandise. 267 

Si je règoe jusques au mois de may, 
D^effosion il cherra mainte goutte. 
Est-il saison que me tienne à requoy, 
Puisque sur tous aj le bruyct, somme toute? 
Les ungs m'ayment, les autres me déboute ; 
Si n Y entens , parbieu , ni qui ne quoy ; 
Resyeiller Mars feray, quoy qui me couste , 
Si je rigne jusques au mois de may. 

Marchandise. 

Gens de mestier, m'est advis que je yoy 
Le Temps qui court. 

Mestier. 

C'est mon , 'sans nulle doubte. 

Pou d'Acquest. 

Qu'il est pervers ! je croy qu'il ayt les gouttes. 
Ma]le santé l'est venu visiter. 

Marchandise. 
Il va. 

Mestier. 
Il vient. 

Marchandise. 
11 oreille. 

Mestier. 

Il escoute. 

Pou d'Acquest. 

Je luy donroys une horrible sacoutte , 
Se contre luy je puis résister. 

Marchandise. 
Par devers luy nous convient assister, 
Sans attendreplus tart dessus la brune. 

T. m. a 



258 Farce 

Pou d'àcquest. 

Parlez tout doulx , car il tient de la liuie , 
Et a la teste massive de grillons; 
Il nous mettera à la roue de fortune ; 
C*est pour nous faire avoir les oreillons. 

Mestier. 
Dieu gart le Temps. 

Le Temps. 

Dieu vous gard , mes mignons. 
Qui vous meult de venir en cest estre? 
Vous me semblez tous gentilz compaignons. 

Marchandise. 
Dieu gart le Temps. 

Le Tekps. 

Dieu vous gart, mes mignons. 

Marchandise. 

Par devers vous comparer nous voulons 
Gomme voz cer££. 

Le Temps. 

Itelz vous devez estre. 

Pou d'Acquest. 
Dieu gart le Temps. 

Le Temps. 

Dieu vous gart, mes mignons. 
Hée , Pou d'Acquest ! 

Pou d'Agquest. 

Dieu vous gart, nostre maistre. 



DE Marchandise. aSg 

Le Temps. 
Gomment te va? 

Pou d'Acquest. 

Mieulx ne me pourroit estre. 

"Le Temps.] 
Estes-vous fort de pecone comblé? 

Mestier. 
À yostre £ait ne nous povons congnoîstre. 

Pou D*ACQUEST. 

£t taisez-yous , le grant diable y puist estre I 
Il est laneau, tous le ferez troubler. 

Le Temps. 
Que disent-il? 

Pou d'Acquest. 
Se nous aurons du blé. 

Le Temps. 
Ouy, on vous en apporte. 

Marchandise. 

Que le Teiùps est d'une saulyaige sorte 1 
Par sainct Jaques , je ne le puis congnoistre. 

Pou d'Acquest. 
Et taisez-yous , le diable yous emporte. 

Mestier. 
Que le Temps est d'une maulyaise sorte ! 

Marohandise. 
Malice bruyict. 

Pou d'Acquest. 
La bonne année est morte. 



x6o Farce 

Mbstier. 

Pour le présent chascun vealt estre maistre. 

Pou d'àgquest. 
Qae le Temps est d'aae terrible sorte , 
Par saint Jaques , je ne le puis <x>ngnoistre. 

Le Temps. 

Tenez , mignons , Yoyla qui est pour mettre 
Sur Yostre dos ; voyez que je tous baSle. 

Marchandise* 

Nous vculez-vous de telz bourdes remettre? 
Et qu^esse cy? 

Le Temps. 

Que cVst? ce sont retailles. 
Quoy, vous tremblez? 

Mestier. 

Pas ne sommes asseurez. 

Pou D^ACQUEST. 

Cecy , sang bien , ce nVst chose qui raille ; 
Se ne sont pas bànifares à consturiers. 

Marchandise. 
Où prins aubert? 

Mestier. 

Où pKÎDS tant de deniers ? 
Le peuple Ta il dayanfaige? 

Marchandise. 
Que ferons-nous de tant d'ayanturiers ? 

Pou d'àgqubst. 
Hé , on A Êuct ung tas de francs arcbiers 



DE Marchandise. 261 

Pour achever de piller les viUages. 

Le Temps. 

Plusieurs par moy recèleront leurs gaiges, 
Si je ne suis [al<N:s} mort ou pery. 

MfiSTiEa^ 

J^ay si gcant dueil qu'a peu que je n^&aaàa/^^ 
Ha ! Temps qui court, tant tu nous iaitz d^nnuy . 

Ls Temps. 

Ha, au'esse-cy? Me Teult-on ai^oordliuy 
Supeoiter? G^ mettray [bien] police ; 
Puisque à ce coup me œetK à-regiber, 
Croyez de vray que j'enyoyray briber 
Ceulxqui m'ont tinslong temps soubz leur p[e]lisse . 

Grosse, Dispense. 

C'est moy, c'est moy qui suis bonne nourrisse ; 
Je faitz raire banquetz delicieulx. 
A. plusieurs je suis àfisez' propice; 
Croyez d'ung cas que je ne suis pas nice , 
Car je gouverne toutes gens somptueux. 

Pou d'àcqubst. 

Ne vous desplaise , je suîsfantasieulx. 
Qui estes-vous? 

Grosse Despense. 
Qui je suis? Or y pense. 

Pou d'âcquest. 
Ma foy, j'en suis tout melencolieux. 
Mais qui estes-vous ? 

Grosse Desperse. 

Je suis Grosse Despense. 



26a Farce 

Pou b'Acqubst. 
Grosse Despense'^ 

Marchandise. 
Grosse Despence? 
Grosse Despense* 

Pour vous en dire la briefve conséquence , 
De par le Temps suis transmise en ce lieu. 

Pou d'Acquest. 
Hola f bola , que personne ne tence. 
Mais aydez-moy a regarder/ sa pance; 
Je croy que c'est la mère Maulgrébieu. 

Mestier. 

Grosse Despense , vertu bien ! 
El ya plus yiste que le pas. 

Marchandise. 

Partir nous convient de ce lieu ; 
Grosse Despense , vertu bien ! 

Mestier. 
Allons-nous en. 

Marchandise. 
Adieu. 

Mestier. 

Adieu. 

Grosse Despense. 

Je vous suyvray pas à pas. 

Pou d^Aquest. 

Grosse Despense, vertu bien! 



DE Marchandise* ïi63 

No$tre esta^ n'y fourniroit pas. 

Marchandise. 
Gorbieu, nous ne tous cherchons pas; 
Pourvoyez-vous d'auitrepasture. 

Pou d'Acquest. 

Vous avez faict un bon repas ; 

Mon Dieu , que vOstre pance est dure ! 

Grosse Despense. 

Je ne dy pas ce que mon cueur procure ; 
Je vous prometz que vous verrez beau jeu. 

Pou d'Acquest. 

Nous direz-voùs nostre bonne adventure? 

Vous amusez tousjours à la pasture ; 

Ung temps viendra que nous sçaurons le neu. 

Le Temps. 

Qu'est-ce que j'o tempester en ce lieu 
Si longuement? 

• Pou d'Acquest. 

Je ne sçay , par ma' conscience « 
Se ce n'estoit cette Grosse Despense 
Qui se complaint. 

Le Temps. 

Ella cause pourquoy? 
La laissez-votfs tomber en décadence ? 

Mestier. 
Remédier n'y sçauroys , sur ma foy. 

Marchandise. 

Temps qui court, ce n'est pas la loy 
De nous bailler tout d'une instance 



a64' . Farce 

Pou d*Acqiiet et Grosse Despense. 
Cela me faict craindre et doubler. 

Mestier. 

Le fardeau est lourd à porter, 
Sans defiault. 

Le Temps« 

Tant de quaquet ! 
Entretenez Grosse Despense; 
Voz dictz ïïj font pas un nicquet. 

Grosse Despense. 

Tenez , yoyla vostre paccniet ; 
Prenez estât de Marchandise. 
Aller vous fault au brunicquet , 
Puisque sur tous ay la mam mise. 

Marchandise. 
Nous brasse Fea tel saupîcquet? 

Pou d'Acquest. 
Aller vous fault au brunicquet. 

Grosse Despense. 

Il ne huit point tant de qnacquet. 
Vous ne sçauriez trouver renuse. 

Pou D^ACQUEST. 

Aller vous fault au brunicquet ; 
Tenez estât de Marchandise. 

Grosse Despense. 

Or ça , il fault tout d*une mise , 
Gens de mestier, soit gré ougrace , 
Prendre vous fault ceste besasse , 
Combien que ne sojés mestien. 



DB Marchandise. a^5 

Mestiïsr. 
Que dyaWe £aiilt-ii que j'en face? 

Pou d'Acquest. 
Quoy ! reffusez-yous la besasse? 

Grosse Despbnsb. 

Puisque je ay poToir et audace , 
Je y j>esongneray par bons moyens. 

Pou d'Acquest. 

Mestier, prenez ceste besasse , 
Vous serez Fung des mendiens. 

Marchandise. 
Je ne m*en tiens pas trop content. 

Mestier. 
Pugnis sommes à la rigueur. 

Pou d'Acquest. 
On TOUS fera beaucoup dé biens ; 
Vous estes beau £rke mineur.; 

Marchandise. 

Or ça , de par Nostre Seigneur, 
Or sonmies-nous de tous^ biens séparez. 

MESTliâR. 

A nostre faict n'y a plus de vigueur. 

Po^u d'Acquest. 
Le Temps qui court vous a bien reparez. 

Marchandisb. 

U convient donc que «oyons séparez 
Sans tenir cy si longuement quaquet. 



z66 Fakcb de Hakchahdisb. 
Au Temps qm court point. ne lault diffcrer; 
Grosse Despepse m'envoye au brunicquet. 

Me s t I E r. 
Pour conclure , nous avons P<m d'Acqaest , 
Qui d^ pieçâ nous a baillé chagrin . 
Pas ne convient que face groi excès ; 
fk j:_j^ jg ^^ prendre le train. 




LA VIE ET L'HISTOIRE 



DU 



MAUL VÀI S RICHE 

A traize personnaiges, c*est assavoir 



LEMAULVAISRICHE 
LA FEMME du mauWais 

Riche 
LE LADRE 
LE PRESCHEUR 
TROTEMENU 
TRIPETeoisinier 



DIEU LE PÈRE 

RAPHAËL 

ABRAHAM 

LUCIFER 

SATHAN 

RAHOUART 

AGRAPPART(I) 




Icy commence le Sermon 

Le Prescheur. 

^omo quidem eratdivea qui indue- 
^mtur purpura et histo et epule^ 
\afur quûtidie eplendide, Scribi' 
^tur Luce» xxii. ca. 
Mes chères sens , ceste parolle 
Que nul ne dowt tenir pour folle , 
Que j'ay cy deyant proposée , 
Dessus revangile est trouvée, 

(1 ) Cette MoraHté e été imprimée plusienrs fois. Outre 
l'édition de Lyon, que nous reproduisons, on en connolt 
deux autres du seizième siècle ; il en a été fait une réim- 
pression à Aix, par Pontier, en IBS3, et une autre à Paris, 
par M. SUvestre, en 1853. 



a68 La Vie 

Ainsi que saint Luc le tesmoigne , 
Qai fut présent k la besongne , 
Quant Jesuchrist nous enseigna 
Geste parole, et prescha, 
Et leur dit maint enseignement 
Pour aprendre leur saulVement, 
Et pour le peuple endoctriner 
Pour mieulx k la foj encliner , 
Et pour la grâce Dieu ac<|u«rre , 
Qui pour nous vint mounr en terre 
Et prendre nostre humanité 
En la Vierge de grant bonté , 
Qui est de grâce tresorière 
Et des saintz cieulx dame et lumière. 
Or luy pryons de cueur entier , 
Que grâce nous yueille enyoyer ; 
Et, pour celle grâce impetrer, 
Nous dirons tous , sans arrester, 
Le salut que Tange apporta 
Quant luy dit Ai^e Maria, 
Homo quidem erat dii^es , etc. 
Mes très ehères gens , long temf& a 
Qu^il fut ung hom à gr^itt pujBsance, 
Qui de trésor eut gràtit jGnanfie 
Et se delectoit moult forment 
A estre yesia noblement. 
Comme de pouipre. et' de' soye ; 
C^estoit son soûlas et sa joye; 
Et à vivre tràs largement 
Avoit mis tout son pensement. 
Mais de povres sens n^avoit cure , 
Ains leurfaisoit liontc et laidure, 
Dont U fut griefv^ement pugnis 
Et en enfer à tousjours mis. 



DU MAULTAis Riche. 269 

Quant il vit que damné estoit, 
Adonc Ibnnent se repentôit 
De ce que plus n^avoit donné 
Aux pouvres gens, et aulmosné. 
Celuy riche homs que je conte 
N*e$toit ne roy, ne duc, ne conte. 
A sa porte souvent yenoit 
IJng poyre ladre, qui estoit 
Moult aggrayé de maladie, 
Et avoit sa melencolie , 
Et à manger moult desiroit 
Du relief qui luy démooroit 
Et des myettes qui cheo jent 
Jus de la table et degoutoyent. 
Mais pour néant s^en dementoit , 
Car nul ne luy en presentoit ; 
Si sonnoit-il moult baultement 
Ses cliquettes abondamment, 
Dont au mauvais riche despleut, 
Et envoya plus tost qu'il {^eut 
Son variet par grant felonnie. 
Et luy dit : Va , si me desHe 
Mes chiens , sans plus arrester / 
Pour ce iiie&eau le devourei^ , 
Qui si souvent vieftt à ma porte. 
Ya tost , et point tie le déporte. 

Et le variet lors respondit. 
Quant son maistre parier ouit : 
Sire , vottlentievs le feray , 
Et voz chiens luy hareray*. 
Alors le variet, sans attendre, 
Alla aux chiens courant les prendre , 
Et les hara appeitemeut 
Sur le ladre moult asprement; 



270 La Vib 

Mais, par la yerta sodyerainef 
Oncques ne peult tant mettre peine 
Qu^au ladre voulsissent mal £aare , 
Car pas à Diea ne youloit plaire, 
Mais allèrent sans retarder 
Au ladre ses playes lescher, 
Dont au riche forment despleust, 
Et du courroax que il en eust 
Âcoucba malade au lit. 
Et le ladre , sans nul respit , 
Mourut k sa porte devant , 
Et puis le riche incontinant 
Trespassa assez tost après, 
Qui tut moult félon et divers 
Et plain de maulvaise nature. 
Oncques de bien faire n^eust cure , 
Dont il fust en enfer dampné, 
Et des dyables emporté , 
Et le IsLOre , qui eut sa vie 
Usée en si grant maladie , 
Si fîit porte en paradis 
En grant soûlas et en delis. 
Et tout cela verrezr-vous faire , 
Mais qu^il vous plaise de vous taire 
Sans taire noise ne content, 
AfiGmi que cest esbatement 
Se puist parfaire et accomplir 
Ainsi que nous avons désir.' 
Priez pour moy , je vous en prie ; 
Dieu vous gart tous de villennié. 
Commence qui doibt commancer; 

Trotemenu. 

Hahay, or me fault-il lever. 



DU MÀULVAIS RiGHB. 971 

Haro ! que je suis endormis , 

Paresseux et efietardis , 

Que pieça ne suis appresté. 

Je croy le soleil est levé , 

Qui ha abattu la rosée. 

J^ay dormy grande matinée ; 

Or me fault-il pourpenser 

Comment me pourray excuser 

Envers mon seigneur et mon maistre, 

Que Je voy en celle fenestre. 

Mon seigneur, le bon jour ayez. 

Je suis prest et appareillé 

D^aller partout ou vous plaira , 

Soit de là la mer ou deçà ; 

Or me dictes vostre plaisir. 

Le MAULVAIS Riche. 

Trotemenu , j^ai grant désir 
De vivre planteureusement 
Et d^estre vestu noblement 
De drap de pourpre ou de soye ; 
Car j'ay assez or et monnoye 
Pour mon estât entretenir 
Ainsi qu^il me vient à plaisir. 
Or va tost, sans plus retarder, 
Sçavoir que nous pourrons manger , 
Car il est de disner saison. 

Trotemenu. 

G Y voys sans plus d'aretoyson ; 
A raire vo cominand m'enâine. 
Tout droit m^en vois en la cuisine 
Sçavoir si le disner est prest. 
Hau ! Tripet , dis moy : est tout prest? 
Monsieur veult aller disner. 



27^ I«A ViE 

Or me dis , sans plus séjourner. 
Se je iray dresser la tafile. 

Tripet le Queux. 

Ouy, va tost, sans faire fable; 
Tu es trop mallement songaeux . 
Se fusses aussi angoisseux 
De labourer et de ^aigner 
Que tu es prest d'aller manger , 
Ce fust merveilles de ton faict. 

Trotemenu. 

Laisse-moy en paix , s''il te plaist , 
Et me parie d'aultre acointance , 
Car de la pance vient la dance. 
Pour ce m*en voys , sans arrester , 
Mettre la table pour disner, 
Mais qu^elle soit très bien garnie 
De viande et devis sur lye. 
G^est ung mestier qui bien me ptaist. 
Mon seigneur, sachez qu'il est prest. 
11 ne fault que voz mains laver 
Et vous seou* sans séjourner, 
Car la viande vous attent. . 
Tripet le m'a dit en présent, 
Yostre queux , qui est moult isnel , 
Qui vous a farcy ung poreel 
Et d'aultres yiiindes as^^. 

Le VAULVAIS.RlÇ&E. 

Et le bon jour té soit donnes. ' 
Comme ta es de franche érine 
Et as le cueur à la cùysine ! 
Tu ne feras jà malle nn. 
Dame , venez à ce bassin , 



«% ■ 



DU HAQLVAI3 KiGUE. 27^ 

Yoz mains layer^ sans retarder , 
Affin que nous aillons disner. 
Délivrez-vous appertement, 
Car la viande nous attent , 
Ainsi que Trotemenu dit. 

Là Femme du Riche. 

Monseigneur, sans nul contredit , 
Allons laver quant vous plaira. 
De ce ne vous desdiray ja , 
Ne ne m'en Verrez remiser. 

Le MAULVÀis Riche. 

C'est bien dit. Or allons disner. 
Trotemenu, ferme la porte , 
Et la viande nous aporte , 
Et va tost sans plus séjourner. 

TfiOTEMEMU. 

Je m'y en voys sans plus songer. 
Tripet, baille çà la viande, 
Puisque mon maistre la demande , 
Et te délivre , je t'en prie. 

Tripe T. 

Trotemenu , k chère lye , 
Viens avant, to^. . . que til y metz \ 
Porte à monseigneur ce metz , 
Si m'osteras de ceste paine. 

TnOTBMENU. 

Sa dont. Dieu t'envoye bonne estraine. 
Monseigneur , vecy la viande. 
J'ay tost fiadt ce .que on me commande , 
Puisque la chose si me haitte. 
Mais j'ay ouy ime cliquette 
Sonner à la porte devant. 

T. m. 18 



«74 L^ Vie 

Je croj c'est ce meseau paant - 
Qui vient tous les jours au disner. . 
Il ne se veult pas oublier. 
Que Toulez-yous que on en face? 

Le haulyais Riche. 

Je t*en prie , ya , si le chasse. 
Il revient céans trop souvent. 
Hare luy les chiens vistement , 
Ce tu Toz plus riens demander. 

Le Ladre. 

Et que Dieu soit en ce disner. 
Ënvovez-moy aulcune chose , 
Car plus avant aller je n^ose ; 
Trestous les jours mon mal empire. 
Helas, comme mon cueur désire ^ 
D^estre saoulé des miettes 
Du relief et des chosettes 
Qui jus de la taUe dégouttent. 
Se sont choses qui bien peu coustent^ 
Mais je les désire forment. 
Si vous prie amoureusement 
Que m*en vueillez rassasier; 
Que Dieu vous vueille héberger 
Lassus en son sainct paradis . 

Le maulvais Riche. 

Trotemenu, mon bel amy, 
N^as-tu pas ouj ce truant 
Que je t avoye dit cy devant 
Que de ma porte tu chassasses , 
Et que les chiens tu luy harasses ? 
Vas le moy chasser vistement. 



i 



DU MAULVAIS RiGHE. 376 

Trotemenu. 

Sire, par le Dieu qui ne ment , 
J^en iray faire mon debyoir, 
Et si vous diray tout de voir, 
Trestous voz chiens luy hareray, ' 
Sçavoir se chasser lé pourray. 
Çà , çà , Touret, et toy , Rosette, 
A celluy à ceste cliquette , 
Hare , hare , va là , va là. 
Par Dieu , truant, or y perra. 
Trop me faictes avoir note 
Que tous les jours à ceste porte 
Venez voz cliquettes sonner, 
Qui fait mon seigneur estonner. 
Et luy tournent à desplaisir. 

Le Ladre. 

Helas, mon amy, j*ay désir 
Trop fort de manger du relief, 
Dont mon cueur est à tel meschief , 
Qu^il m^est advis certainement 
Que je mourray cy en présent , 
Se je n'en suis rassasié. 
Helas, ce sera grantpecbé 
A ton maistre et à toy aussy. 

Trotemenu. 

Sus tost, paillard, vnide d'icy. 
Ou tu seras tout deyouré 
De mes chiens et si atoumé 
Que jamais ne me feras paine. 
Ilare, Touret, en' maUé estraine 
Sur cest ort vil.mesel puant ; 
Comme il fait or le meschani , 



376 La Vie 

Faictes le tost,d*icy par^. 

Le Labre. 
Vray Dieu, il me fauldra mourir. 
En la garde Dieu me commaat 
Qui des chiens me face garant^ 
Si qu^ilz ne me puissent mal faire. 
Helas, qu^il me vient à, contraire 
Que je ne me puis remuer ! 
Très doulx Dieu, yueillez conforter 
Ceste chetive créature 
Qui Tit en paine et en dure 
En ceste vie temporelle ; 
Dieu me doint Tespirituelle, 
Quant ceste cy si me fauldra 
Que j'ay désir ce long temps a , 
Car je voy bien certainement 
Que ne yiyray pas longuement; 
Je le sens bien a mon poulmpn. 

Le MAULYAis Riche. 

Trotemenu , i'ay grant tenson 
Et me yient a grant desplaisir 
De ce truant que j*oz gémir. 
Que fait-il ores le piteux ? 
De Dieu aymer n^est pas honteux ? 
Que ne as-tu les chiens harez 
Et que par eux*fust deyourez , 
Ainsi que comHMmdét>yoye? 
Délivre t en , se Dieu tÇ; YQJ9 % 
Se tu me veulx faire^pja^ir. 
Va -y tost ; tu as bon Ipy^ir, i 
Puisque nous sommes toui; as$is; 

TnOTEHENtU. 

Par le grant Dieu de paradis , 



BU MAULVÂrs Riche. ij^ 

Mon seigneur, g^ hay hnj esté, 
Et tons yoz chiens Iny bay haré ; 
Mais oncques mal il ne luy firent 
Ne pour le mordre ne se penent (i). 
Ainçoys Faloyent eonvetant 
Et ses deux jambes «delediant , 
Et lui faisoyent tant grant fesie, 
Je ne sçay, moy, que ce peult estre ; 
Je croy que Dieu y taii^ 'yertu. 

Le maultais Riche. 

Par Dieu, tu es bien maloisti'u , 

Que cuides que Dieu Vembesongne, 

D^une si'très orde cbarongne 

Et de si yille creatut>e ; 

Se seroit pour lay grant laidure. 

Je croy que tu esrasso^; 

Fais que lliuys si soit bien fermé, 

Que ce meseau hy puisse entrer* 

Va tost, Dieu te puisse crdyaoter^ 

Car riens donner ne luy feray • 

TltaTBKKNIJ. 

Mon seigneur, je le chassera v 
Se je puis par quelque tnaniere. 
Or sa, truant, passez arrière , 
Très ort vilain- meseau ponrry . 
Que de Dieu soyez yous pugny , 
Tant me faictes ayoir de peine. 

. Lb Labre. 
Amy , Dieu te doint boniïe estraine. 
Pour quoy me dis tant de laidure, 
Se je suis poyre créature, 

(i) Variante : Ne pour le mordre ne se mirent. 



2y$ La .Vie 

De maladie entrepiins? 
Dieu,, qui est sur toas prefix, 
M^a battu, dont je suis malade 
Par tout le corps et le visaige. 
Aller ne puis n avant n'arriere> 
Car gY ay perdu la lumière , 
Et si sçay bien certainement 
Que pas ne yiyray longuement. 
Je sens bien la mort qui m'aproche, 
Qui tout homme prent et acroche. 
Laisse-moy ester, ie t'en prie. 
Que Dieu te gard de yiUenie y 
Je ne puis plus à toj parler. 

Trotemenu. 

Pour veoir, tu me feras blasmer 

Se ne t'en vas de ceste porte ; 

Tu ne sçais pas la grant riote 

Que mon maistre pour toj demaine. 

Car tu ne cessas de sepmaine 

De tes cliquettes cliqueter, 

Qui font mon seigneur estonner. 

Je m'en reyoys, adieu te dis. 

Le Ladre. 

Ha , très doulx Dieu de paradis , 
Que ce mal me va angoissant ! 
Vray Dieu, par ton digne commant, 
Oste moy tost de cesté vie , 
Car de vivre trop il m'ennuye, 
Et m'enyoye avec tes àmys 
Qui sont à toy en paradis y 
A celle digne compaignie 
Où ne règne orgueil n envye. 
Si te requiers de bon guerdon y 



DU MAULYAXS RiCHE. 379 

Doulx Diea*, qae me faces pacdon 
De mes péchez , et allegance. 
Et me garde de la puyssance 
Des las de lennemy a enfer, 
Qu'ilz ne me puy^ent attraper ; 
Je le te requiers Donnement., 
Et que à mon trespassement 
N *ay en t de mon ame puissance . 

Dieu le Père. 

Abrakam, j'ay grant congnoissance 
Et compassion et pitié 
Du poyre Lazare , qui est 
A long temps en grief maladie ; 
Pour ce luy veulx donner la yie 
Que j'ay promise à mes amys , 
Pour ce sera posé et mis 
Par mes anges prochainement 
En ton saing, je luy ay comment; 
Mes anges y yueil enyoyer. 

Abraham. 

Vray Dieu, Lien m'y doibs ottroyer, 
Puisque c'est yostre youlenté. 
Louée en soit la Trinité 
Et yostre hault nom glorieux , 
Qui est tant digne et précieux 
Que nul ne le sçauroit nombrér; 
On ne yons peult assez louer ; 
Soit faicte yostre youlenté. 

Dieu le Père. 

Raphaël, il me yient à gré 
Du poyre ladre yisiter ; 
Pour ce te conyient deyaller 
Là bas i luy incontinent. 



i8o La Vie 

Rendre Ittj Toeil son payement 
Du mal qu'il a tant enduré • 
Et si pasdamment porté ; 
Il aura joye sans finen 

Raphaël. 

Vray Dieu, bien mV doibs endiner 
A faire to conunanaemept ; 
Pour ce m'en voys joyeusement 
Le povre ladre coniorter, 
Et Youldroye son ame porter 
Au sain nostrepere Abraham: 
Car il a souffert grant alian 
Tant comme il a esté au monde ; 
Pour ce doit eslre pur, et monde 
Son ame et bien purifiée. 

Le Lai>re. 

Vray Dieu, cnie ceste malacËe 
Forment me destraint et oppresse. 
Longtemps ay souffert grant destresse « 
Dont je loue mon créateur, 
Qui de tous maulx. rend le labeur 
A ceulx qui ont la congnoissance 
De son nom et de sa puissance. 
Vray Dieu, je ne puis plusparler. 
En tes mains yueil recommander 
L'ame de moy ; je n'en puis plus. 

Sathan. 

Haro, que je suis esperdu ! 
Se meseau nous escnappera ; 
Je Yoy Raphaël par delà 
Qui a ja son ame aaysie. 
Rahouart, yien ça , je te ^ôe , 



BU MÂULyAis Riche. 2^4 

Allons à lay sam arrester 
Sçayoir se luy pourrons oster. 
Si le merrons a la chauldièFe 
Où il n'a clarté ne lumière ^ 
£t nous ayançons , je Ven pry . 

Ra;houart. 
Sathan , trop ayons fait pour ty, 
Maulgré bieu.de ce Bapnael 1 
Comme il est spngneux et ysnel 
De yenir sa yroye irequerre ! 
J'ay tel dueil que le.cueur me «erre 
Qu il nous est ainsi escKappé ; 
Que Dieu en ayt ores maufgré. . 
Non pourtant, nousfault approuyejr, 
Sçayoir se luy pourrons oster ; . 
Or y a delà et moy deçà. 

Sathan. 

Sa , Raphaël , or y perra , 
Le ladre n'emporterez mye ; 
Il sera en no compagnie , 
En enfer ennuyt hostellez. 

.Raphaël. 

Certes, ja partyous n'y aurez , . 
Car yous y perdrez yostre paine ; 
Allez-yous en , en pute estraine , 
De par Dieu je yous le command. 

. Rarouart. 

Bien ayons perdu se truânt , 
Sathan, par trop longue demeure. 
Maulgré bien que ne sçavons l'heure ! ^ 
Or nous en allons, je t'en prie , 
Là bas en ceste manaudie : 



aSa La Vie 

Où demeure le maulyais riche , 
Qui est tant pervers et tant chiche. 
De cestuy là me puis vanter 
Que il ne nous peult eschapper : 
Or y allons appertement. 

Sathan: 

Maulgré bien, je m^en voys huant ; 
Je suis plus songneux que tu n^es. 
Or nous tenons de luy men près , 
Si qu'il ne nous puist eschapper. 

Lucifer. 

Âgrappart, ya, sans arrester, 
Querre Sathan et Rahouart, 
Qu'ilz Tiennent tantost celle part , 
Car sçayoir yueil de leur commine. 
Ne cuydes pas que le devine , 
Va tost ; que tu es endormis ! 

Agrappart. 

Mau]gré bien et tous ses amys , 
Que je soys entré en mal an , 
Je m'en voys pour quérir Sathan. 
Tous les dyabtes y ayent part. 
Je croy que vêla Rahouart; 
Je m'en voys à luy sans tarder 
Pour luy dire et dénoncer 
Qu'il vienne k Lucifer parler, 
Et que Sathan vueille avancer. 
Rahouart, dis-moy dont viens-tu ; 
Mais as-rtu point Sathan veu? 
Se tu l'as veu, cy le me dy, 
Et venez tous deux sans detry 
Parler à Lucifer, mon maistre. 



DU HAULTAIS RiGHE. 283 

Je ne sçay pas que ce péult estre, 
Car il est men, fort courroucé. 
Advis m'est au'il.est enragé. 
Venez à lu j ailigemtaent. 

Rahouart. 

Sathan, j'ay veu en présent 
Âgrappart, qui se part d'icy. 
AUons m*en sans faire estry, 
Lucifer nous envoyé querre : 
Hastons-nous, allons y grant erre. 
Je cuyde que il soit troublé 
Du meseau qui est escbappé. 
Ennuyt auras malle journée. 

Sathan. 

Que maulgré Lieu de cest allée ! 
Je croy que nous serons blasmez. 
Très bien battus et frottez , 
Et ne le povons amender. 
Je TOUS salue, prince d'enfer : 
A nous dire rostre plaisir. 

Lucifer. 
Sathan, j'ay très grant deSplaisir, 
A pou que ne suis forcené. 
Du Ladre qui. nous est esté. 
S'a esté pai* yostre ignorance , 
Et aussi par la négligence 
De Rahouart, que là je yoy ; 
Mais, par la foy qu'à tous je doy , 
Batus en serez et fastes* ■ 

Sathan. 
Or ça, que Dieu en ait maugrés, 
Nous n'eusmes repos de sepmaine 



ft84 La Yib 

Pour ce Ladre^ qui tant de peine 
Nous a donné nuyt et le jour ; 
Or ayons perdano labour, 
Et encores sommes battos^ 

Rahouart» 
Haro , que je suis esperdus 
Et ay le cueur triste et many 
De ce que nous ayons £ailly; 
Mais endurer le nous conyient. 
Scez-tu de quoy il me souvient? 
Je le te diray maintenant. 

SathAn. 
Or le me dis(t) incontinent , 
Et puis nous allons Teposer , 
Car je suis ttayaillé daller. 
Dis-moy que c'est, je t'en requier. 

Rahouart. 

Tu scez bien que nous fusmés hyer 
Pour espier etescouter 
Le ricke, qui à son disner 
Se faisoitl^eryir baultement, 
Quant il nous yint ong mandement 
Que Lucifer noua envoya 
Par Âgrappart que je yoyjlà,. 
Que nous yenisamns aans tarder 
Par deyers ]uy sansarresteVi 
Gela nous demst iiostre«faîL. 

Raphaël. 

Très doulx Dieu, j'ai eu bien tost fait, 
Si comme m'ayiez commandé. 
Au poyre Ladre où j'ay esté , 
Qui est trespassé de ce monde. 



BU MAULVÂis Riche. 285 

Voicy son ame pure et monde ^ 
Qu^ayeccpies moj ay apportée ; 
Dictes-moy où sera posée , 
Car elle souffre grant afaan. 

Dieu. 

Au sain de son père Abraham 
Yeulx mi^elle soit posée et mise : 
Car rendre luy vùeil le service 
De ]a peine qu*il a soufertte. 
Or n*aura il jamais souffertte, 
Mais ioye et consolation. 
Se je luy donne en gardon. 
Pour ce que cy pasdentement 
A porté, et si longuement, 
Sa douleur et sa maladie ; 
Pource yueil que luy soit merie 
A cent doubles, c^est bien raison. 
Or la mets sans arrestaison 
Où je t'ay incontinent dit , 
Où toute joye et délit 
Aura, car |e le yueil ainsi ; 
Aussy il a nien desseryy , 
Car souffert a grant maladie. 

Raphaël. 
Tris doux Dieu^ je ^vmu,Ttmercie , 
Car on ne yous pente trop^toHier; 
Or bien sçayez giurdonner' 
A chascun selon sattoeKter : 
Or sera cest ame offerte ' 
En la joye oui tousjoui» dure. 
Sainct Abranam-, preneif la cure 
De ceste ame que yous présente ^ 
Qui ausé sa juyente 



a86 La Vie 

En ardeur et en maladie ; 
Pource Iny a Dieu remer(c)ie 
En joje, soûlas et doulcour, 
Sans avoir paine ne tresour. ' 
Or la prenez, ne yous dis plus. 

Abraham. 

Beau filz , tu soyez bien yenus ! 
Que benoiste soit la journée 
Que tu yins en cestc contrée ! 
Or t'est ta paine en joye doublée , 
Qui ne peult estre racontée 
De terrienne créature 
Ne de boucbe ne d'eiscripture, 
Ainsi comme tu peux yeoir. 

Le MAULVAis Riche. 

Haro , dame, saichez pour yeoir 
Que je me sens en maulyais point. 
Je croy a'un yer au cueur me point , 
Qui tout le corps me faict frémir. 
Je yous prie , sans plus de loisir , 
Que meiaictes tantost coucher. 
Car je me sens trop eng(r)oisser. 
Vostre main ung pou me prestez ; 
Tatez, que je suis eschaufiez ; 
De douleur yoys tout tressùant. 
Je croy ce m'a faict ce truant 
Meseau pourry, qui à maporte 
Nous a mené si grant note; 
Huy ne cessa de mVstonner, 
De prescher et de sermonner 
Qu'on lui donnast de no relief. 
De dueil m'a eschauffé le chief , 
Aussi le corps et le yisaige. 



DU MÂULYÂis Riche. 287 

Haro , a pou que je n^enraige ; 
Je me sens trop fort agrayé. 
Je vous prie que soie porté 
Dessus mon lit ; le cueur me fault. 

La Femme du Riche. 

Mon seignfi^ir , vous avez trop chault ; 
£t si TOUS estes eschauâe, 
Aussi yré et courroucé. 
Or TOUS rasseurez un g poy. 

Le maultais Riche. 

Dame, par la foT que tous doy. 
Je né me puis plus soubstenir ; 
A terre je me fairray choir : 
Portez-moy tost , sans plus attendre. 

La Femme. 

Monsieur , j'ay le cueur trop tendre. 
Et me Tient à grant desplaisir 
Du mal que je tous Toy souSrir. 
Ttotemenu', Tiens sans tarder; 
Monsieur fault tous aller coucher. 
Je ne sçay quel mal luy est pris , 
Dont tout le corps a entrepns. 
Je croy, certes, qu'il se mourra; 
Jà'de ce mal n'escnappera. . 
Il le nous fault aller coucher. 
DelÎTre-toy , je t'en requier, 
Ainçoys qu'il soit plus agraTé ; 
Moult est palle et descoulouré. 
Cela luy a faict ce truant 
Qui à celle porte dcTant 
Ne cessa huy de cliqueter, 
SçaToir s'on luy Touldroit donner 



98S La Vie 

Des mjetes de nostre tablé. 
Se n*tst pas chose trop coastabk ; 
Mais monsieur trop le heoit 
Pource aue tousjours reyenoit 
Geans à llieure de disner ; 
Ses diquetes faisoit sonner. 
Dont mon seigneur est courroucé. 
Or &ult qu'il soit tantost couché. 
Allons le coucher yistement. 

Trotehenu. 

Ma dame, k \o commandement. 
Allons y donc sans plus atendre. 
Je voys la couverture estândre; 
AUez , si le faictes venir. 

La Femme. 

Lasse, il ne sepeult soubstenir. • 
Vien t'en m'ayder à le mener , 
A pou qu'il ne peult mais aller. 
Voy comment il est noircy. 
Or sa, monseigneur, je vous pry , 
Plaise de vous resconforter, 
Il vous £ault ung peu reposer 
Et vous coucher sur vostre Ht. 

Le Riche. 

Par Dieu, dame, j'ay grant despit; 
Trestout le cucur me fnt et art. 
Se m'a fait le truant paillait : 
Faictes qu'il soit dehors bontés. 

La Femme. 

Mon seigneur , or ne vous IrouMiés, 
N'y pensez plus , je vous en prie , 



DU MAfrLVAis Riche. -289 

Car je cayde qu'il n'y est mye : 
Allé s'en est, ai mon cuyder. 
Non pourtant ; g'y voys envoyer. 
Trotemenu , va tost courant 
Sçayoir se le meseau puant 
S'en est allé de ceste porte : 
Trop nous fait ennuy et riotte , 
Que ainsi vietit de jour en jour. 

Trotemenu. 
G'y voys sans faire nul séjour, 
Sçavoir s'il est plus là dehors. 
Haro, je cuide qu'il soit mors. 
A ma dame le voys noncer. 
Ma dame, sachez, sans cuider. 
Que le meseau est trespassé ; 
Là hors il gist tout enversé ; 
Monseigneur plus n'estourdiira. 
Je cuide , quant il le saura , 
Son mal luy sera allégé; 
Or luy soit l'affaire conté , 
Ma dame, ce c'est vo plaisir ; 
Assavoir mon , se resjouir 
Se vouldra quant il Torra dire. 

La Femme. 
Tu as bien dit , je luy vois dire. 
Monseigneur, de çà^ vous tourner 
Et soyez tout reconfortez : 
Trotemenu vient de la porte , 
Qui des nouvelles vous apporte 
Du povre ladre, qui est mors ; 
Le corpsgist iUecques dehors , 
Plus ne votts fera desp^aisir. 
Or pensez de vous resjouir 

T. m. 19 



ago La Vie 

Car plus ne vous estonnera. 
Ne nens ne TOUS demandera; 
De ce pencez e$tre certains. 

Le h aulyàis Riche. 

Dame, de mal suis trop attains , 
Je croy que mourir me £auldra. 
Tirez-vous près de moy deçà ; 
Je cuyde et croy de certain 
Pas ne vivray jusqu'à demain : 
La douleur me tient en la teste. 

Lucifer. 

Sathan, va tost et si t'apreste. 
Que tu es paresseux et )entz ! 
Nous aurons aujourd^ui céans 
Le maulvais riche ^ sans doubter ; 
Il ne peult plus avant aller. 
Or va doncques icelle part, 
Et maine avec toy Ranouart, 
Et gardez qu'on ne le vous oste; 
Apportez le en ceste hotte 
Et faictes qu'il soit bien liés 
Par bras , par jambes et par piedz. 
Je vous pne que vous hastez. 

Sathan. 

Or sa , Dieulx en ayt maulgres ! 
Rahouart , pensons de aller 
Et de nostre affaire haster. 
Prens ton croq et nous en allons :. 
J'ay désir que nous le trouvons 
Avant qu'autre Ja main y mette ; 
De ce me vouldroye entremettre 
Et le liray estroictement 



DU MAULVAIS RiGHE. agi 

Et luY feray assez tourment , 
Car il a très bien desservy. 
ÀTançons-nous, je te supply, 
Affin qu^il ne puisse escnapper. 

Rahouart. 

J^ay très grant fain de le trouver. 
Maulgré bieu, je m'en voys devant ; 
De ce croq Viray accrochant, 
Puis sera mis en ceste botte ; 
Et affin qu'on ne le nous oste 
Nous le lierons estroictement. 
Je luy feray assez tourment. 
Or escoutons icy dehors 
Sçavoir ce Tame est plus au corps, 
Affin que la puissons happer. 

Sathan. 

Tu dis vray, il fault escouter 
En quel point ils sont là dedens. 
J'ay apporté deux bons liens 
Pour la lier en ceste hotte ; 
J'aypaour qu'on ne la nous oste.' 
Or allons sçavoir, je t'en prie , 
Se l'aùie est du corps départie , 
Affin que j'en soyons saisis. 
Maulgré bieu, il est encor vifz ! 
Je croy qu'il nous eschappera. 
Bien mal advenu nous sera ; 
Battre nous fera etrouller. 
Il le nous vault mieulx emporter. 
En ame et en corps, tout en vye. 

Rahouart. 

Tu as bien dit, je m'en agrie ; 



99^ La Vie 

Mais j'aj double qoe no poîssanee 
N^ayt pas du corps la congBoissance; 
Aussj du corps n^ayons que faire. 
Tu as souTest ouy retraire 
A nostre maistre Lucifer, 
Qui est assez plus noir que fer, 
Que Famé du riche estoit nostre. 
Or gardons qu^on ne la nous oste; 
Attendons le département , 
Pas ne peult vivre longuement. 
Va au chevet, g'yray aux piedz. 
Que nous ne soyons enginez, 
Et pense de bien espier, 

Sathan. 

De cela ne me fault prier. 
Maulgré bieu, qu'il vit longuement! 
Je luy rendray son payement 
De ce qu'il nous fait tant de poyne. 
Nous ne cessâmes de sepmaine ; 
Mais sachez qu'il Tachatera 
Quant en enfer bouté sera ; 
Là luy feray assez souffrir. 

Le maulvais Riche. 
C'est £dct, dame, il me ûiult mourir; 
De ce mal jà n'eschapperay 
Et plus avec vous ne seray. 
Uns pou de moy vous approchez 
Et d'icy ne vous eslongnez. 
De ce siècle m'y feult partir. 
Or vient trop tard le repentir 
De ce que ay peu aulmosné 
Du mien et aux povres donné , 
Et par cspecial au Ladre 



DU IIAULYAIS RrCHE. 393 

Qui à ma porte fut mallade 
Tant que du siècle tre$passa ; 
Oncques ung morceau ne gousta ; 
Mais commanday qu'il fust batu , 
Et laidangé et mal venu. 
Je croy le diable me tenoit, 
Qui de ce faire m'enliortoit, 
Qui me tenoit en avarice. 
Trop je creu, dont je Aus nîce. 
Or me fault tout laisser et perdre , 
Puis que la mort me vient enhardre. 
Je ne puis plus à vous parler, 
Mon cueur ne le peult endurer. 
Jem'envoys, plus ne parleray, 

La Femme. 

Lasse , dolente que feray , 
Puis que j'ay mon seigneur perdu? 
Trop mal il mVn est advenu ; 
Car il m^aymoit de bonne amour, 
Et portoit nonnenr nuyt et jour. 
Combien qu^il fust moult oôrguiUeax; 
Et pou vers povres gêné piteux ^ 
Envers moy ne Testoit-il mye. 
Or ay perdu sa compaignie. 
C'est fait, Tame du corps se part. 

Satban. 

Âdvance-toy tost, Rabouart: 
Voy-tu pas qu'il est trespassé ? 
Bien tost nous seroît esehappé. 
Prens-en garde, je t'en requier. 

Rahouart. . , 

Satban, point ne t'eh fault doubter, 



394 La Vie 

Ne vois-tu pas que je la tiens? 
Apporte ça ces aeux liens , 
Puis sera en la hotte mis. 
11 a eu trop faictz et delitz 
Au monde où il a vescu; 
Oncoues plus ayers homs ne feu , 
Ne plus convoiteux, voirement. 
Or remportons joyeusement 
En enfer, où il sera mis. 
Là sera batu et laudis 
Et aura paine sans cesser. 

Sathan. 

A Lucifer Talions porter, 
Qui en aura joye moult grant; 
Or nous en allons en chantant , 
Car il a long temps désiré ; 
Or en fera sa youtenté. 
Je yous salue, Lucifer, 
Prince , maistre de tout enfer, 
Nous yous aportons cy le riche. 
Qui au grant péché d ayarice 
Si a régné toute sayie ; 
Or est en yostre seigneurie, 
Faictes-en tout yo&tre plaisir. 

Lucifer. 

Sathan, tu scez que mon désir 
N^est qu^à mal &ire et penserf 
De ce ne me puis-ie lasser; 
Oncques de yerite n^euz 4cure^ 
Ainço^s hay toute créature 
En qui venté se demaine. 
Or va tost, sans faire demaine , 
Mettre ceste ame en la châuldière 



BU màulyais Riche. 29$ 

Où il n^a clerté ne lamiire. 
Pencez de bien la tourmenter; 
De ce ne tous vueillez lasser, 
Je vous le command orendroit. 

Agràppart. 

Si fort souffleraj que rougir 
Luy feray os et n^rh et cnars. 
Mal fut de son avoir eschars 
D^ung peu du relief de sa table 
Quant il en refusa au Ladre. 
Au monde grant morceaux mengeoye, 
En esbattemens et en joye ; 
Durement est le descbangé 
Quant de Dieu est si estrangé. 
Ayant , ayant, tous cy endroit. 

Le MAULYAIS Riche. 

Helas, î*ay faict màulyais exploit 
Quant j*ay ainsi mon temps usé 
Sans faire nulle charité ; 
Oncques de bien faire n^euz cure 
Aux poyres gens, mais toute injure 
Et toute désolation. 
Or suis yenu en la maison 
Où me fault tant souffirir de maulx - 
Par la puissance aux infernaulx. 
Père Aoraham, je yous requiers 
Que yous me yueillez cnyoyer 
Le poyre Ladre que tenez , 
Qui ayec yous est hostellez , 
En ce sainct paradis- lassus. 
Pour Dieu, qui descende çâ jus , 
Son petit doy vueille toucher 
En eaue, pour moy adoulcer 



296 La Vie 

Ma langue, qui en la flaïube. art 
Du feu d*enfer dont j'ay mapact. • 
Or enprens pitié, je t'en pry ! 

ÀBRAtiAV. 

Beau filz, tu Tas bien desservi ; 
Or te souvienne des grans biens , 
Des grans estats et des maintiens 
Des richesses que tu as euz , 
Quant jadis au siècle tu fus ; 
Ton corps en délit abondoit. 
Lors de Dieu ne te souvenoit 
Ne de ses povres soubstenir, 
NWcques de tes biens départir, 
Ne leur voulus riens donner. 
Or t*en fault la paine endurer 
DVnfer, qui jamais ne fautdra , 
Mais de plus en jdus te crdbstrà , 
Et le Ladre, qui a sa vie 
Souffert si griefve maladie , 
L*a portée paciemment, 
Et enduré si doulcemènt 
Le mal que Dieu lui envejoit, 
Saichez qu'il a fait bon exploit: 
Or est en cônsolalion , 
En joye et délectation , 
Car il a moult bien desserv y. 
Et pas ne Ta mis en oubly - 
Gelluy qui sçait rémunérer 
Et Ten a en îoyç doubler 
A ceulx qui le veulent servir; 
C*est celuy qui sçait bien, merir, . 
C'est celluy qui nul bien n'oublie. 
C'est cil qui a Ja seigneurie 



BU MAULYÀis Riche. 297 

Dessus tous cecdx qni sont au monde, 
Tant comme il dufe à la ronde. 
Tousjonrs aura joye et toulas, 
Et tu demouiras là en bas 
En enfer avec les dyables , 
Qui sont si très epoventables , 
Que c*est merveille de le yeoir. 
Assez peulx plaindre et gémir, 
Car prière n j a mestier. 

Le maulyais Ricbe. 

Père Abraham, je te reqnier. 

Puis que mercv ne puis avon*. 

Ne pour plaindre ne ponr douloir, 

Que le Ladre TOUS transmettes 

Chez mon père , par vos bontez , 

Où cinq ît&ts ay encor Ttfz , 

Que leur die , par bon advis t 

Qu^ilz vueillent amender leur vie, 

Âffin que ilz ne vienent mye 

Aux tourmens ou je suis entré. 

Où il n'a mercy ne pitié. 

Mais pleurs et grans gemiswmens , 

Et tant de si divers toanntns 

Qu'il n'est clerc qiui le sceust escripre. 

Ne cueur penser, ne boucbe dire. 

Père Abranam , quant le, sçauront , 

Bien leurs vices adviseront; 

Or t'en souvienne , je t'en pry . 

Abraham: 
Ta reqneste ne te octry': 
Hz ont Moyse et les prophètes , 
Qui sont saiges et môdlt honnestes ; 
Croyent les , ilz iferont que saige, 



298 La Vie 

N'y auront poyne ne dommaige. 
De cela ne leur £auk doubler. 
Car par eux pourront conquester 
Le royaume de paradis , 
Où il n'a que joye et delictz , 
Qui toujours dure sans cesser. 

Le maulyàis Riche. 
Père Abraham , àbrief parler, 
S'aulcun des mors à eux allast 
Qui les choses leur affermast 
Qui sont doubteuses et obscures 
Aux terriennes créatures , 
Certes, trop mieulx il les croiroîent 
Et aussy moins redoubteroyent 
Que ilz ne font pas sainctz prophètes. 
Combien qu'ilz sont saiges, hoîmestes 
Et que leurs ditz sont yerital>les 
Et leurs enseignemens estableâ. 
Pource te supplie et requier 
Le Ladre y yueillez envoyer, 
Affin quHlz amendent leurs vies 
Et que leurs âmes pas peries 
Ne soyent, ainsi comme je suis. 

Abraham. 

En tes parolles n^a qu^ennuy. 
Ne tu ne sçay que tu veulx dire. 
11 leur devroit assez souffire 
Des prophètes ouyr parler, 
Car je t en puis bien affermer 
Que leurs parolles et leurs ditz 
Sont assez de plus grans profits 
Que des mors qui sont trespassez , 
Et faict trop nueiJx encore assez. 



DU HAULYAIS RiGHE. 999 

Comme les mors croyre -ponrroient , 
Quant les prophètes qu'ilz voyent 
Ne vueiUent croire ne entendre ? 
Nul homs ne me fera entendre 
Ne ne me pourroye accorder, 
Q'un mort les peust mieulx sermonner 
Que Moyse , [se] ilz youloient , 
Et à faire bien entendoyent. 
Croyent les , et ilz feront bien 
En failz , en ditz et en maintien. 
Car par ealx pourront conquester 
La joye 5pii ne peult finer. 
Laquelle joye yous ottroyt 
Cil qui tout sçait et par tout yoyt , 
Qui yit et règne [et] régnera 
In aeculçrum aecida, 

ÂMEN. 

Cy fine THystoire du Manlyais Riche. 

Imprimée nouyellement à Lyon, en 

la maison de feu Barnabe Qiaus- 

sard, près Nostre Dame 

de Confort. 



FARCE NOUVELLE 

CINQ SENS DE L'HOMME 

MOEALlSiiB BT FOB.T JOTBUSB 
POUR RIRE BT BBCBBATITB 

Et est à sept peraonnaiges^ cest asêapoîr 

L'HOMME LESPIEDZ 

LA BOUCHE L'OUTE 

LES VAINS ETLECCL 
LESTEULX 

L^HOMKE commence, 

e doibs bien Diea rm-acier 
Et reyeïer très granaeineiït , 
^Quant, ^iir mon liocps solader, 
^Jéfimsserryf *£iieii sçait oomBient. 
Tay mes einq sens, qui nuQemenl» 
De moy bien servir ne sont las. 
Si Yueil continuellement 
Avecq eulx tous prendre soûlas. 
Mes cinq sens ! 

Les cinq Gens tous ensemble. 
Monsieur? 
L'Homme. 

Hault et bas 
Faictes subit que tout soit prest : 




Farce des cinq Sens. 3oi 

Car je vueil faire sans arrest 
Avecq vous mig bancquet jojeax. 

La Bouche. 

De Mans metz délicieux 
La table m^en yoys préparer. 

Les Mains. 
Et, en despit des enyieulx, 
Pain , sel et vin youldro j porter 
Sus la taUe. 

Les Ybulx. 

Sans arrester, 
D^un franc Touloir non yicieulx 
Sur la table youldra y poser 
Trenchotters et hanapz sumptueulx. 

Les PIEB2. 

Et moy je seray curieulx 

De mettre ce lt>on fort passet 

Gy dessoubz ^ pour mieulx tous les deux 

Pieds de mon maistre mettre à soubet. 

L'OUYE. 

Plus royde que yolle ung mousquet, 
Monstrant que point ne suis rebelle , 
'^J^aporteray une scabelle 
Pour assoir mon maistre et seigneur. 

L'Homme. 

Ghascun de vous de très bon cueur 

Me sert en paix et union. . 

Si yueil estre en collation 

Ayecq yous ; pas n'en youldray mains. 

Approcbez-yons , les Piedz (et^ les Mains ; 

Si ferons chère très notable. 



3oa Farce 

Les Piedz, boutez-TOus soubz la table 
Sur ce marcliepied k ceste heure. 
L^CNSil , vous serez tout au dessure , 
Car vous estes bien mon am j ; 
Et les Mains seront deyant mj, 
Et mon Ouje de costé. 

La Bouche. 
Et moj? 

L^HOMME. 

Sied-toy à (ta) volunté. 

La Bouche. 
Velà la place où je me plante. 

L'Homme. 

Scis-tu qu'il y a , Bouche? Chante. 

La Bouche. 
Attendons doncq que j'aye mangé. 

Les Mains. 
Chantons ensemble par congé 
Quelques beaux gratieulx mottez. 

La Bouche. 
Je suis d'accord. 

L'OUYE. 

Et moy . 

Lns Yeulx. 

De hait. 
Commençons k faire ranchire.. 

Ilx chantent tons. 

L'homme a tant lyesse chère 
Qu'il employé ses cinq sens 
A £sdre joyeuse chère : 



DES CINQ Sens. 3o3 

Car il est de peu contens. 
Il ne yise pas aux despens 
Ne à amasser grant richesse. 
Fy d'avarice qui ard gens ; 
Il n'est trésor que de lyessc 

L'HOHUE. 

Vive soulaSf vive largesse ! 
Je boy d'autant k vous trestous. 

Les Yeulx. 

Pleiger vous voys. 

Là Bouche. 

Et nous sans cesse. 

Ih boyyent tous. 

Les Mains. 
Vive soûlas ! 

L'Ouye. 

Vive largesse ! 

Lfs PlEDS'^oa^2 la table. 

Et moy, que buray-je? une vesse? 
Qui suis bouté icy dessoubz. 

LIHOHUE. 

Vive soûlas^ vive largesse ! 

Je boys d'autant à vous^ trestous. 

L Ê G U L commence. 

Je criefve , tant sens grant couitoux ; 
Qu'on en puist avoir maie feste ! 
Je suis icy comme une beste 
Tout seul , et il îont là grant chère. 
S'on me devoit bouter e» bière 
Ou nY)yer par dedans* laid chault. 



3o4 Farce 

Si iray-je Caire tel assault 

En eolx quW me recogooistra. 

En parle (pii parler youldra; 

Je suis d^eulx tons le plus puissant. 

La Bouche. 

L^Homme , vives en accroissant 
Yoz biens et aussi vostre honneur. 
L^OËil sera vostre conducteur 
Et les Mains vostre chamberière. 

L'Homme. 
Ettoy? 

La Bouche. 

Tousjours de très bon cueur 
Seray la vostre despensière. 

1/HOMME. 

EtlesPiedz? 

La Bouche. 

Sa charge planière 
Est de porter et raporter 
Vostre corps, par bonne i 
Puis rOuye , qu'on doibt aymer 
Vous servura, ne faolt doid)ter, 
D'ouyr, d'escoùter et d'entandre. 
Et les biens et les uiaulx compreodre 
De tout le monde en gênerai. 

L'Homme. 

Si me vueil i mont et k val 
Par vostre bon CMiseil dedoin) : 
Car c'est le moyen principal 
Pour me fisûre en soulas conduire. 
Pour mon fiaict donc en bien réduire 



Bonne manière. 



DES CINQ Sens. 3o5 

le TOUS prometz de 4»ieur non sombre 
Que nul de tous je ne yueil nuire , 
Se grant fortune ne m'encombre. 

Le Cul. 

9 

Et ne seray-je point dujiombre 
Des cinq cens ? me boutte-on arriire ? 

L'Homme. 
Et qui es(t)-tu ? 

La Bouche. 

C'est le derrière. 
Gomment le congnoissés-TOus point? 
Il n'a ne chausse ne pourpoint, 
Et de plus ort n'en y oit-on nul. 

L'Homme. 

Qui es-tu? Le dos ? 

Le Cul. 

Je suis le Cul. 
Ne TOUS desplaise , c'est mon nom , 
Qui a partout tris grant renom , 
Combien que soye mal Testu. 

Les Mains. 
Et pourquoy te descoeuyre-tu? 
C'est dommaige qu'on ne t'assomme. 

Le Cul. 
C*estoit pour faire honneur à l'Homme ; 
À coup bauldement l'ai-je ouyert. 

L'Homme. 
Laissez ce bassinet couvert. 
Si nous dictes qui tous acadie 
Si gentement en ceste place. 

T. III. 90 



3o6 Farce 

Tons ne Usaei ne sens ne disme. 

Le Gcl. 

Je viens pour estre le sîkiesme 
Des sens de nature , nostre maîstre ; 
Je y doibz aussi bien ou miealx estre 
Que les Pieds qui sont là dessoubz. 

La Bouche. 

Va , si ({uaquète arrière de nous , 
Vilain coquin et détestable l 
Ung cul se monstre-il k table? 
QvL^ou te puist batre de beaulx coups 
D^une yieille plaque de fours , 
Si asprement qu^on te désbiffe. 

Le Cul. 

Et qu[e] as-tu dit? Hé , grant bijBTe, 
Gloutte, quelle orde caquettoire !• 
Tu es la plus grande mentoire 
Que jamais huoit après liepyres. 

La Bouche. 
Et je suis tes sanglantes fiebyres , 
Brenatier inÊime et punais ! 

LEià Teulx. 
Ma foy, s*il quaquette buy mais, 
Nous le banirons par'assens'. 

Le Cul. 

Je puis bien ayec les cinq cens , 
S^on ne t'estrangle , cachineulx ! 
Je y seray, ya t en se tu yeulx ; 
Je yiens pour grâces desseryir. 

Les Maiics. 

Mais de quoy pourras-tu seryir? 



DES CINQ Sens. 307 

Tu ne sçais aller ne parler. 

Là Bouche. 

Il ne sert riens que de grouller ; 
Aussi est-il souvent' escoux. 

Le Ccl. 

Et de quoy dyable servez-vous^ 
Gargatelle? N'y voit-on goutte. 
Vous serves d'estre la plus gloutte 
Que jamais homme ne trouva. 
Tant vous en dys. 

Les Mains. 

Va chier, va, 
Foyreux , morveux , niche et pulent. 

Le Cul. 

Je iray bien quant j'auray talent, 
Voire tout parmy les balbares. 

Les Yeulx. 

Tu es , entre tous les orfebvres , 
Le plus ort ^es ors coquibus. 

Le Cul. 

Et qu'as-tu dict, hé, borgnibus? 

Tu es bany du beau regard. 

Venette [Vois ?] en Poyctou se Brebant ard. 

Tu ne peulx point ung poil souÔrir. 

Je me laisse battre et ferir 

Joyeusement en compaignie ; 

Si j^avoye du poil par pongnie, 

Si ne me greveroit-il point. 

Les Yeulx. 
Je n*en souffre que bien à point, 



3o8 Farce 

Âffin que tout puis apparoir. 
J^aj le plus du temps ung miroer 
Pour moy mirer de place en place. 

Le Cul. 

JVn ay cy ung k brune glace; 
Se TOUS le voulés vous 1 aurés , 
Pour yeoir si vous serés parés 
Gomme (il) affiert à vostre personne. 

Les Yeulx. 

Que du feu monsieur sainct Andioine 
Soit la brune glace allumée. 

Le Cul. 

Se je vous monstre ma fumée , 
Bien y pourra avoir discorde. 

Les Yeulx.. 

Je croy aue la fumée est orde ^ 
Qui vuyae hors de la cervelle. 

Le Cul. 

Faictes ma requeste nouveUe j 
L*Homme ; accorde moy d'estre Tung 
Dei cinq cens. 

L'HOMHE. 

S^il plaist à chascuns 
U me plaist bien , quant est à my> 
Mais k quel jeu , mon bel amy. 
Te. sçais-tu le plu3 occuper? 

Le Cul. 

Je me mesle un^ peu de tromper ; 
Si corne aussi bien le dessoubï 
Que tous ceulx qui sont ayec vous , 



DES CINQ Sens. 309 

Voir tant que Talaine me dore. 

Lès Mains. 

Fy de ton £aict, ce iiest qu'ordure 
Au regard de moy et la Bouche ; 
Elle chante bien ; et je touche 
Sus Finstrument joyeusement. 
Je y sçay mon raiiet plainement ' 
Au jeux. 

Le Cul. 

C'est bien pour estriver. 
Au fort , se yous youlés jouer 
Des orgues , montrés yosti'e engin ; 
Je yous soufleray aussy bien 
Que personne qui soit céans. 
Si yiens pour estre Tung des sens , 
S'il yous plaist à m'y recepyoir. 

La Bouche. 
Nous ne t'y youlons point ayoir. 

Le Cul* 
Et je y seray, yueiUez ou non. 

Les Yeulx. 
Tu es trop ort matin et soir. 

Les Mains. 
Nous ne te youlons point ayoir. 

Le Cul. 
Laissés-moy à ce bout assoir. 

j La Bouche. 
Ha, fy, tu nous griefye, ortPluton 

L'HOHME. 

Nous ne te youlons point ayoir. 



3io Farce 

Lk Col. ' 

Et je y seray, rueiUés on non ; 
Par ŒToict ciyil ou droict cation 
Vous ne me sçaariés débouter. 
Par la char bien , je irâj monter 
Par dessus et tenir estatz 
Droictement en pontificatz ^ 
Comme Fung des sens de native. . 

L'HOMMlg. 

Or en faictz à ton adventure ; 
Je ne m*en mesle plus avant. 

Le Cul^ 

Je deusse estre tout devant - 
Les sens ; mais , pour tenir manière , 
Contens suis dVstre tout derrière ^ 
Comme le sixiesme du compte. 

La Bouche. 

Par mon serment, voicy grant bonté; 
Jamais si bardy cul ne vis. 

Les Yeulx. 
U m^en desplaist. 

Les Mains. 

Sacbez que envis 
Luy voy cy faire ses fréd^ne^. 
Descendes ; que fiebvres quartaines 
Vous puissent bapper au museau. 

Le Cul. 

Laissés-moy ainçoys i deux allaines 
Vuyder le yii^ de mon plateau. 



DES CINQ Sens. 3ii 

• Les Mains. 

Par ftt^u , non feray, gros museau ; 
Sus , tost en bas. 

Le Gul. 
Quelle coquarde! 
Hail., sans debatz. 

Les Mains. 
Sua t tost en bas. 

Le CùL. 
Point ne suis las. 

Les Mains. 

Âins que plus tarde , 
Sus , tost en bas. 

Le Cul. 

Quelle coquarde ! 

L^s Mains. 
Et le feu sainct Autboine t^arde. 
Veulx-tu faire nouyel usaige ? 
Tu auras [sur] ton gros visage - 
De mes poings à tort à travers. 

Ls Gul. 

Quelle loudière, quelz revers ! 
Gonmient elle fiert et tambure ! 
Que ne sont ses deux, poings de beurre , 
Droict au meiUcu d'ung four bien cbault ! 

L'Homme. 
Le cul grouille fort. 

Les Mains. 

Ne m^en cbault. 



3tft Farce 

N*a-îl point dessenry le batrCf 
Quant il s^est cy venu esbatre 
Pour esire au nombre des sens mis? 

Lb Cul. 

Je TOUS tiens tous mes ennemjs^ 
Celuy qui m*a les coups offert > 
Et les aultres oui Font souffert : 
le TOUS deffie dès ceste heure, 
Et, pour moy tenir au déssurey 
Ton chasteau je Toys préparer. 
Et si très bien darre et serrer 
Que personne n^ entrera. 

Ïà, qfà est-ce qui ostera 
es biens qui sont cy demeo^sat? 

La Bouche. 

Ce sera inoy, en espérant 
D*en manger demain au disner. 

L'Homme. 
Pour ma personne recréer, 
Puis que prins aTons noz repas , 
Que ferons-nous? 

La Bouche. 

« 

Tout pas à pas 
Irons ensemble promener. 

Les Yeulx. 

Il nous Tault mieulx au flux jouer. 
Au quinoula , ou ii la prime , 
Ou à rimperial. 

L*HOMME. 

J^estime 



DES CINQ Sens. 3i3 

Je jeu des tables ou des eschetz 
Plus honneste. 

Les Mains. 

Oyez mes pletz : 
Je dis qui veult bastiyenieiit 
Perdre ou gaigner or ou argent ^ 
1}u*il n^est aue de prendre en la main 
Le gentil de. 

L'Homme. 

Par sainct Germain , 
Je sens terrible passion ! 
Le cueur me fault. A, sainct Divonj 
Coucber me fault sans [plus] attendre. 

La Bouche. 
Et où vous tient ce mal? 

L'Homme. 

Au ventre. 
Sur ma foy, je n'en puis durer. ' 

Les Yeulx. 

U TOUS conyient à chambre aller ; , 
Je n'y sçay point meilleur remède. 

L'Ouye. 

Pour lesboyaulx yentositer, 
Il yous conyient à chambre aller. 

Les Piedz. 

L'Homme , je yous y yueil porter. 

L'Homme. 

Hà ! je suis mort si Dieu ne m'ayde ! 

Les Mains. 
Il yous conyient à chambre aller. 



5i4 Farce 

La Bouche^ 
Je nY sçay point meilleur remède. 

Les Pie0z. 
Je Yous porteray jusques en merde , 
Ainçoys cpe n*ayez garison. 

La Bouche. 

Sus tost. Cul, sans division, 
Ouvre-nous Hays de ce retraict. 

Les Mains. 
Despescke-toy. 

Le Cul. 

Gare le trait! 
Retirez-vous de ma fortresse.. 

La Bouche. 

Plus royde qu^on ne boit ung traict , 
Depesche-toy. 

Le Cul. 

Gare le trait! 

Les Yeulx^ 
Brodier ! 

L'OUYE* 

Puant! 

Les PiED^^z. 
Ripp0ul]|! ' 

Les Maims. 

. : GcNibraict! 
Le Cul. 

A vous jf3 pe <s(m|pte ^e :vesse. 



DES xiiNQ Sens. ^SirS 

La BotFCHE. 

Dcpesche-toy. 

Le Cvh. 

Gare le tiraict l 
Retirez-y ous de ma fortrease. 

L'Homme. 

Helas ! je seufi&e tel destresse 
Que je ne sçais que fais où dys. 
Mon amy, ouTre les tatddys ; 
Je te dis que c*estsans gaber. 
Il me convient à chambre aller^ 
Car le coraiile nte tQijtppie, 

.'L:e Cul. 

A chambre, dea! or dictes pie; 
Vous n'irez pas^se n'est paar force. 

Lfis Mains. 
Sus, tost à luy; qu'il àyt là torche. 

Le Cul. 
Ha (dea) , qui me griefve , je lé griefve 

La BoucaÈ. 
Se de ouvrir tost tu ne te abrège , 
Tonhuys ort, cavestemeschant. 
Souffrir te ferons de mai tant , 
Que ame ne sçauroit penser» 

Les Yeulx. 

Sus, àl'assault. » - 

L^ES Maitvs. 

Sans riens donbter^ 
Chascun de nous y vaille deoixv 



3i6 Farce 

4 

L'OUYE. 

Rendz-nous la place , malheureux ! 

Les Piedz. 
Frappons sus , à tort ou à droict. 

Les Mains. 
Tuons-le ! 

Le Cul. 

Dea , il fait trop froid 
Maintenant saler, et si cujde . 
Que TOUS aurez, ains que je vuyde, 
Voz lourdz museaux cnargez dé laigne. 

La Bouche. 

Araigne, araigne, araigne, araigne! 
Infâme , yujde hors , se t'ose. 

Les Mains. 
Pour toy faire plus grande ëngaigne , 
Araigne, araigne ^ araigne ^ araigne. 

Les Yeulx. 

Villain brodier, laid et estraingne , 
Velà pour toy ! 

Le Cul. 

C^est pou de chose. 

. Les Piedz. 

Araigne , araigne , araigne , araigne I 

L'OUYE. 

Infâme, vuide hors, se t^ose. 

Le Gul. 

Se vous renés près , je suppose 
Que le jea tournera [en] merde. 



DES CINQ Sens* 317 

Recoips celle couUée yerde 
Que f ay donné par amitié. 

Là Bouche. 
Croys de certaine vérité 
Que tu seras, à tes chers coust[z] , 
Prestement aussi bien escoux 
Qu^oncque homme nul secouist gerbe. 

Le Cul. 
Et fault-il que je me rebarbe , 
Par le sang, à toute une playe? 

Les Yeulx. 

Ay my, je pisse en ma braye , 
De paour que autre chose escloix. 

Les Mains. 
Malheureux, t'espovente-tu? 

Les Yeulx. 

(Nenny.) Ay my, j'ay pisse en ma braye. 

L'OUYE. 

Va f en bouter en une haye 
De bonne alleure. 

Les Yeulx. 

Je y voys , je y voys. 
Ay my, j'ay pissé en L braÇe , ^ ' 
De paour que aultre chose escloix. 

Le Cul. 

Or va, que [le] mal sainct Eloy 
Te puist manger le blanc des yeulx. 

La Bouche. 
ATassault! 



3i8 Faacb 

L'Homme. 

Ha! beau sire IHeu, 
Mes cmq sens^ias, je n'en puis plus! 

Les Mains. 
Les Piedz » monstre cy tes vertus; 
Vien t'ea donner contre ces portes 
Deux ou trois pilleures bien lortes , 
Pour tost amollir son couraige. 

Les Piedz. 
Tu nous livreras tost passage ; 
Ta force n'y vault ung festu. 

Le Gul. 

Et, ors, meschans piedz, que fais-tu? 
Viens- tu cy bailler tes pàlures? 

L'Odye» ' 

Ayant. 

La Bouché. 

Sans craindre ses bastures. ' 
Les Mains. 
Rendz-toy, ord villaiki espicier. 

Les Pieds. 
Nous ne craignons bajstons n'armures. 

Le Cvi4> 
Afiulle ce pot à pisser. 

Les Pieds. 

Que mauldit soit Tort tapissier ; 
Je croy que je suis bien en point. 



DES CINQ SeHS. 3^9 

Il m*a et sayon et poiirpoint 

Gasté de son epissepç. 

Or querés qui plus en guerrie , 

Car j'en ay mon saoul, par mon ame. 

L'OUYB. 

Et ppurquoy? 

Les Piebs. 

Il m*a faict infâme ; 
Je mVn voys torcher et layer. 

La Bouche. 

Bien poyons le siège lever ; 
Avoir ne le povons pair force. 

Les Mâins. 

G^est dommaige qu'on [ne] Fescorche. 

Le Gul. 

Adviengne qu'advenir pourra, 

Jamais rhomme àG^mbray n'ira, 

Quoy que saichés faire ne dire, 

Et deussiez tous <^ever de ire, 

Se ne suis à ma volenté. 

Du tout en suis bien reparé 

Des Mains qui tant m'ont faict d'injure. 

L'Homme. 

Gui, mon vray amy, je wu* jure. 
Se À moy il vous plaist la pai* ^ire , 
-Que de la vostrè forfaicture 
Vous vouldray dû tout satisfaire ; 
Doresnavant voua Vuéil complaire. 
Monstrés-vous vers moy pitoyable. 



3ao Far€e 

Le Cul. 

Moyennant amende notable 
le me contente , c^est raison. 

La Bouche. 
Vous aurés réparation 
Des Mains à yostre yolunté 
Qui TOUS ont par derrision 
Faict yillennie et fort frappé. 

Le Cul. 
Bouche Y me dis-tu yerite ? 

La Bouche. 

Ouy, le Cul, certainement, 
Sans penser à de3loyaulté« 

Le Cul. 
Bouche y me dis-tu yerité ? 

La Bouche. 
Ouy, le Cul, certainement. 

Le Cul. 

Si feray tout incontinent 

A lliomme partout ouyerture. 

L'Homme. 

Du surplus yoys à Fadyenture ; 
A Cambray m en yoys par icy. 

La Bouche. 

Çk , les Mains, yous criez mercy 
A genoulx et k joinctes mains 
Au Cul, que yous ayez ainsi 



DES CINQ Sens. 32i 

Batu et dit motz si yillains , 
Et en faictes pleurs, cris et plains 
En demandant miséricorde. 
Ne faictes point ? 

Les Mains. 

Par tous les sainctz, 
Ouy. 

Le Cul. 

Et je le vous accorde , 
Mais par tel si que , sans discorde, 
A tousjours mais tu me feras 
Service, par vraie concorde. 
Gomme la Bouctie te dira. 

Les Mains. 

Je feray ce qui lui plaira 
A comi^ander, certainement. 

La Bouche. 

Il vous fault tout premièrement. 

Sans vous riens qu'il soit monstrer nice , 

Faire au Cul autant de service 

Qu'il luy fault et est nécessaire. 

Et premier, pour son plaisir faire , 

Quant il se mect k descouvert, 

Il faut qu'il soit tost recouvert 

Des Mains, qu^il n'ait rume ou toux. 

Le Cul. 
Il est vray. 

La Bouche. 

Après , devant tous 
Vous promettez , levant la main , 

T. III. 21 



3aa Farce 

Que , quant le Cul yra au baing 
Ou aux estuves s'estuver. 
De luy doulcettement laver 
D^une ponge son gros visaige. 

Les Mains. 
Ce faict mon. 

La Bouche. 

Pour le tiers passaige , 
C^est , se le Cul ya au retraict 
Quant il aura trop beu d^ungtraict, 
Que les Mains si le nestiront , 
Au tour de Tanneau qui est rond, 
De doulx foing, non dVstrain de gerbe. 

Le Cul. 

Je Tueil qu^elle me face la barbe 
Toutes les foys qu'il me plaira. 
Qu'en dis-tu? 

Les Mains. 
Riens. 

Le Cul. 

Tu le feras , 
Et dcusse-tu saiUir es nues. 

La Bouche. 

Item, les Mains seront tenues, 
Quant le Cul se demandera , 
De le gratter ou il youldra , 
Soit en la joue ou au yertcnlle. 

Le Cul. 

Et de mon bassinet de toille 
Chausser et deschausser souvent. 



D£^ CINQ Sens. 323 

Les Mains. 

Sera-ce à faire longuement 
Ce seryaige-cy ? 

Là Bouche. 

Il durera , 
Alitant que THoinme viyera. 

Le Cul. 
En estes -vous content ? 

Les Mains. 

Ouy voir. 

Le Cul. 

Or commence à faire devoir 

De m*y gratter et de m^ tondre. 

Les Mains. 
Ça , qu'on puist le broudier confondre. 

Le Cul. 

Et qu'esse cy? En grousse-tu? 
Se tu ne m'eusse mye batu 
Quant je ne te faissoye riens. 

L'Homme. 

Qui n'eust sceu trouver les moyens , 

Le Cul me tenoit en dangier? 

Et pourtant peult-on bien juger 

Qu'il n'est royz, ducs, comtes, n'empereurs, 

Marquis ne cnevaliers dlionneurs. 

Femme ne homme, tant soit-il nul , 

Qu'il ne soyeut subjectz au Cul , 



334 Fabcb des cinq Sehs. 
Camme nom avons cy moosiré. 
Et k tant fin. Prentz-en gré , 
Ctr l'aTons faict d'entente lye 
Pour lesjooir la compaignie. 

Finis. 

Imprimé DOUTellement à Lyon , à la m 

son de feu Barnabe Cnatusard, 

pris Nostre-dame-de-Con- 

fort , l'an mil dnq cens 

qnarante et cinq, 

le IX jour de 

septem- 





DEBAT 

DU 

CORPS ET DE L'AME*" 

Cj commence le débat du Corps et de VAme. 

ne ^ant vision est en ce livre escripte ; 
Jadis fut révélée à Dam Philebert lliermite, 
Qui fut si très preudhom et de si grand mérite 
Qu^oncquesparluy ne futfaulceparoUe dicte 

Il estoit grant au siècle, de grant estraction; 
Mais , pour fuyr le monde et sa déception , 
A luy tut révélée la dicte vision ; 
Tantost devint hermite en grant devodon. 

Par nuyt, quant le corps dort et Famé souvent veille , 
Advint à ce preudhom une très grand merveille : 
Car il vit un corps mort murmurant à son oreille , 
Et Famé , d*aultre part, qui du corps se merveille. 

L^Ame se plaint du Corps et deses grans oultraiges. 
Le Corps respond à TAme : uTu as îsoX ces dommaiges , 
ce Or allègues raisons et puis après usaiges. » 
Tout ce retient lliermite, comme prudhoms etsaiges. 

(1) Cette pièce a été imprimée plusienrs fois. 



326 Débat. 

'Comment l'Ame parle au Corps, 

Hé, doulant Corps, ditTÂme, quWta^'à derenu? 
Devant hyer ta estois pour saige homme tenu ; 
Devant toy s^encKnoient le grant et le menu. 
Or es soundaînement à grant honte venu. 

Le monde te.portoit révérence et honneur; 
Les grans.et les peti:t« te damoyent seigneur, 
^ Il n'y iivoit si hault <|ui n'eust de toy grant peur. 
Or as-tu tout perdu, ta gloire et ta valeur. 

Où sont tes grans maisons et tes grans édifices 
Tous plains ]_....'] ,. et tes tours painctes de couleurs 
Oii sont tes escuyers mis en divers offices, [riches? 
Ton sens et ta memoyref Bien es musard et niées. 

Bien est le [temps] changé et la chance muée ; 
En lieu de ^nt palais et dédiante parée, 
Dedens sept pie£ de terre est ta dbair enserrée , 
Et je, par tes meffaicts, en enfer suis dampnèer 

Helas ! Dieu m'avoit faicte si noUè créature. 
De moult noble matière , de moult noble -figure, 
Et après , par baptesme, m^avoît fsdçt nette et pure. 
Mais je suis en pcché par toy et en ordure. 

Par toy , donlente chair, suis de Dieu reprouvée. 
Je puis bien dire : Hélas ! pour quoy fus oncques née? 
Mieulx me vaulsist assez que fus^ annichillée. 
Et du ventre ma mère au sepuli^e portée. 

Tant que tu as vescu en ceste iQOrtelle vie , 

De toy bien ne me vint ne de.ta compaignie. 

A péché m'as attraict et à faire îblie , 

Dont nous serons en peine qui ne nous fauldra mie. 

Nostre peine surmonte le mal et le martyre ; . 
Mais , quant dire ? Tousjours la peine est tant pire 



DU Corps et de l'Ame. 327 

Qae caetv cpii aoithumaia ne 5€et penser ne dire. 
Sans confort ne remide tonte henre je souque. 

Où sont tes lictz de plumes , tes nobles couyertures , 
Et tes draps d'escarlate de diverses couleurs , 
Les espices confites de diverses faveurs , 
Et les taces d'argent pour servir les beuveurs ? 

Où sont tes e^reviers et tes nobles oyseaux , 
Tes chiens et tes lévriers courans en ces bois haultz ; 
Où est ta sauvagine ? Ou sont tes gras morceaulx ? ' 
Ta chair si n'est pas digne de manger aux pourceaux* 

Le faict de ta maison envers toy moult l'approche. 
Quant tu es la bouté, tu es comme la roche. 
Tu n'as. membre sur toy qui n'ait aulcun reproche. 
Os, chair et cuir pourrist ; n'y a dent qui ne loche. 

Tu as par grant péché moult de biens amassé ; 
Par force de barat ton serment as faulcé ; 
Par peine et labeur tu as ton corps lassé ; 
Mais en une sculle heure tout s'en est jà passé 

Tu n'eus onques parent ne amy en ta vie 
Qui n'ayt honte de toy et de ta compaignie ; 
Ta femme , tes enfans , tes servans, ta maignie, 
Ne donneroîent pour toy une pomme poume. 

Hz se passent de toy moult bien legierement , 
Car ilz ont maintenant en leur commandement 
Ton or et ton argent , et ton grand tenement, 
Et n'as du demourant fors que ton damuement. 

De toute ta richesse , de toute ta chevance , 
Qu'as au monde laissée en moult grant abondance, 
Ne donneroient pour toy, ne pour ta délivrance , 
Doojt ung povre homme peult prendre ung jour sa 
^ [suostance. 



328 Débat 

Or peolx , dolente chair, sendr et e^^ayer 
Pourquoy on doit le monde fdir et reproay». 
Car nul ne peult en luy que faulceté trouver. 
Et ce ne ce peult (on) mieiux qae parla mort prouyer. 

Tu n^as besoing dWvrier qui riche robe taille, 
Tu es en la livrée de povre garsonnaille; 
Tu ne feras jamais à novre homme la taille , 
Jamais n^auras cheval pour entrer en bataille. 

Tu n*as [pas] maintenant la peine et le tomrment 
Que je souffre pour tov et sans allégement ; 
Mais tu Fauras après le jour du jugement, 
Quant tu viendras en vie , se TÉscripture ne ment. 

Regarde bien ta vie , et puis ta mort remire ; 
Tu as esté tyrant qui toujours prent et tyre. 
Or te tyre le ver qui te romp et dessire, 
A mon parler metz fin , car plus ne sçay que dire. 

L'Acteur. 

Quant le Corps voit que TAme si forment le demaine, 
Les dens estraint moult fort et la teste demaine , 
Lors gemist fort et ploure et met toute sa peine 
Comment respirer puisse et reprendre s'aleine. • "^ 

Le Corps. 

Quant eut levé sa teste et sa vigueur reprise, 
Il dist à TËsperit : J'ay mal mis mon service, 
Prins as plait contre moy; mais, quand bien[je]ravîse , 
11 ne finera pas du tout à ta devise. . 

Il n'est pas de merveille se la chair se meffaict , 
Legierement s'encline, legieremént deffaict: 
En ce qui est en elle n'y a riens de parfaict , 
Ce que raison ordonne et ce que raison faict. 



DU Corps et de l'Ame. 339 

D'une part i'ennemy, d'aultre la chair rae ; 
Pour ce la pouvre chair ne peult avoir tenue , 
Que ne soit par delict de legier abbatue , 
Ou par consentement desconfite et perdue. 

Mais, ainsi que tu dis. Dieu t'a faicte et créée 
De sens et de raison noblement adomée. 
Tu es du tout ma dame , à toy suis-je donnée ; 
Ta chamberière suis et par toy gouyemée. 

Puis doncques que Dieu t'a donné sur moy puissance. 
Et t'a donné raison et clère congnoissance , 
Tu deusses bien estre de telle pouryeance , 
Que péché n'eusse faict par ma grant ignorance. 

Pour ce tout saiges homs doibt savoir et entendre, 
L'Ame doibt-oii blasmer qui ne se veult defibndre , 
Que Ton ne doibt la chair ne blasmer ne reprendre; 
Le Corps laisse remplir et les gras morceaux prendre. 

L'esperit du tout doibt la chair bien gouverner; 
Ne rain , ne £roit , ne soif, ne luy faict endurer ; 
Les délices du monde la font desmesurer , 
Aultrement sans péché ne peult la chair durer. 

L'Ame donques si a la chair en sa coi&mande, 
A la chair convient faire ce que l'Ame commande ; 
Si tiens à grant folie contre moy la demande , 
Se nous faisons folie , ne sçay qu'elle demande. 

Tu as de bien et mal parfaicte congnoissance; 
Se j'ay faict mal ou bien , c'est tout par ta licence , 
Car bien scis que sans toy je n'ay nulle puissance : 
Doncques tu doib? porter du tout la pénitence. 

De toy vient le péché, de toy vient la folie. 
Je ne puis plus parler, ne te desplaise mie, 



33o Dbbat 

Car je sens aatoiir moy si tris malk maigaie 
Qui me moirt et ne rômp. Or f en ya , ie t*en piîe. 

L'Ame. 

Lors dist TAme à la Chair : Encor n'est-pas à point 
De laisser la quereUe et le plaît en tel point : 
Car ta parolle amère, où de donloenr n a {Miint^ 
La couJpe. met sur moy et durem^t me point. 

Chair poyre et doulûite, pleine d'iniquitév 
Ta maulyai&tié m'a £aict perdre ma dignité. 
En tes par(des [n'a] aultune yeiité; 
Mais tout le remainant estplain de yanité. 

Vérité est que FAme doit le Corps adresser; 
Mais la chair ne se yeult par FAme ooniger; 
Se FAme le reprent, ne laict que rechainer ; 
Riens le Corps ne yeult fiûre que boyre et jBonger. 

Quant le Corps doit jeûner ,^lors a mal en la teste; 
S'il ne hoit au matin , c'est une grant tempeste ; 
Ung peu de pénitence luy feict si grant moleste, 
Qu'on ne peiut de luy traire joye, ne ris , ne feste. 

]e deusse hien ayoir par droit la seigneurie, 
Mais tu me Fas ostée par ta forcennerie. 
Tez délices chamelz, ta doutante folie,. 
Au parfond puis d'enfer nous font abergerie. 

Bien sçay que j'a)r £ûlly que ne t'ay refrénée ; 
Mais par ta flatterie j'ay esté barattée. 
Par les delictz mondains après toy m^as menée ; 
Contre toy en doibt estre la sentence donnée. 

Tu es tousjours allé le dtiemin et la yoye 
Des delictz corporek , que je te defiènaoye, 



DU Corps et de l*Ahe. 33i 

De Tennemy d'enfer, auitousiours nous guerroje. 
Pour ce perdu avons ae paradii la joye. - 

Le nom de baratteur doibt bien le monde avoir, 
Car adont, quant il veult les pécheurs decepvoir, 
Plus leur donne de bien, richesses et avoir; 
Puis leur fait par la mort leur povreté sçavoir. 

Le monde devant hyèr fa monstre beau visaige ; 
Richesses te donnoit, beaulté et grant lignage, 
Et si te prometloit de vivre grant aage; 
Il Ta du tout failly; perdu en a Fusaige. 

La face t'a esté souveutesfoys mirée ; 
Tes mains; tes jpiedz, tes bras, souvent mis en buée. 
Bien puis- dire que suis de trop maie eure née , 
Quant partes grans délices maintenant suis dampnée. 

L'Acteur^ 

Quant le Corps voit que FAme si foiment le reprent, 
A crier et à braire et à plourer se prçnf , 
Joye n'est plus en Iny; Tristesse le comprent; 
Puis après par parolle simplement se reprent. 

Le Corps, respond à l'Ame et dît : 

[Helas] quand me souloye haulte^Ient maintenir, 
Mes grans possessions et mes terres tenir y 
Lors oncques de la mort ne me peult souvenir. 
Ne jamais ne cnidassê à tel honte venir. 

Je voy la mort venir qui si forment m^attrappe. 
Commandement de roy riens n'y vault, ne de pape ; 
N'y vault or ne argent, manteau fouiTé, nechappe; 
Lamort faict tous et toutes arrester en sa trappe. 

Ame , tu es dampnée ; après je le seray . 
Tu souffres maintenant, apes je souffriray. 



33i Débat 

Mais assis doibs soufirir plus qae je ne feray, 
Et par moult àê raisons que je te monstreray. 

Quant la sainte Eseripturenous dit et nous raccompte 
Que, tant que Dieu plus faict et plus hault lliomme 

[monte , 
Tant plus estroictement lui requerra le compte , 
Et, sil faut à compter, tant plus sera grant honte. 

Dieu t^a donné raison , sens et entendement , 
Force pour faire tout le sien commandement, 
Voulenté pour fuir le maulvais mouvement; 
Tu en rendras le compte au jour du jugement. 

De tes nobles puissances as follement usé ; 
Ton temps as despendu et si as trop musé ; 
Pour ce es devant Dieu durement accusé , 
Et Dieu t^a par raison paradis refusé. 

Mais de ce qu*en peut mais ceste pouvre pouldrière. 
Que la vermine assault par devant et derrière ? 
Dieu ne m^avoit donné puissance ne manière , 
Où je puisse sans toy aller devant n^arrière. 

La Chair ne peut sans FAme ne venir, ne aller. 
Monter en paradis , nV^ enfer devaller ; 
Sans luy ne peult ouyr, ne sentir, ne parler. 
Ne les nudz revestir, ne le povre hosteller. 

Mais, se TAme vouloit ouvrer en bonne ^i^e, 
Aymer nostre Seigneur et faire son service , 
Eue menroit du tout la Chair à sa devise. 
Et tu ne Tas pas faict; pour ce je suis mal mise. 

De la sainte Escripture très bien il me souvient. 
Qui dit que au dernier révéler me convient. 
Helas ! dure sera la journée qui me vient , 
Quant peine corporelle perpétuelle devient. 



DU Corps et de l'Ame. 333 

^ L'Aue. 

Adonc c'est TAme misé en grant affliction : 
Hé, pourquoy suis-je faicte de tel condiction, 
Que je yiyray tous ditz sans termination , 
Puisque suis obligée à telle damnation. 

Je tiens la beste mue à moult fort bienheurée ; 
Car, quant le Corps default, TA me est tost finée , 
Pour ce me yaulsist mieux que fusse porccllée , 
Ou du yentre ma mère au sepulchre portée. 

Le Corps. 
Respons moy, dit la Chair, a ce que je demande : 
Ceulx qui sont en enfer en si grant pénitence , 
Comme tu yas disant , ont-ils point d'espérance 
De leur allégement ne de leur deliyrance? 

Les nobles , les gentilz , qui sont de hault parage , 
Les riches , qui ont or et argent à oultrage , 
Sans [sur?] les autres dampuez ont-il pas aayantage. 
Par or ne par argent, par sang ne par lignage? 

L'Ame. \ 

La demande, dist l'Ame, est trop peu raisonnable; 
Tous ceulx qui sont damâez ostpaine pardurable. 
Et selon la sentence de Dieu ferme et estable , 
Que force ne pouvoir ne peult faire muable. 

Se tous les religieux , prescheurs et cordeliers 
Chantoyent tous diz messes et lisoyent psaultiers , 
Et le monde donnast pour Dieu tous ses deniers , 
Ne tiréroyent une Ame de cent mille milliers. 

Le diable est toujours en sa forsennerie ; 

De tourmenter les Ames luy prent toùsjours enyie, 

Donne luy, prie luy^ ton corps luy samfie , 

Jà pour ce n en auras ung gnn de courtoisie. 



334 Débat 

Et des peines des riches(ses) te diray la manière : 
Sans graœ, sani espoir, leur peine est tout entière , 
Et de tant com ilz furent de tant plus en arrière. 
De tant souffrent-il plus pouvrete et nûsère. 

L'Acteur. 

Lors, auant FÂme mettoit à parler toute (sa) cim. 
Deux cuables sont yenuz, en leor laide figure, ' 
Tant horrible yisaige, tant grant contreËuctore 
Qu'en n'en sçauroit troorer en livre n'en painctnre. 

Grippes de fer aguës entre leurt mains tenoyent ; 
Feu gregoys tout,puant par leurs gueules gettoyent; 
Serpens envenimez de leurs corps enyssoient 
A bassins embrasez leurs yeulx, semblans estoyent. 

Dont chacun de ses deux getta sa trappe torte. 
La poyre Ame chargèrent, comme une beste nMNrte. 
Quant la tris douloureuse entra d'enfer la porte^ 
[Qtuvment se contrainct,] forment se desconforte. 

L Ame* 

Entre les mains des dyables à haulte voix s'escrie : 
Secourez*moy, Jésus , tris doulx filz de Marie ; 
Ne considérez pas maintenant ma jfbllie ; 
Ayes mercy de moy par ta grant eourtoisie. 

Les Diables. 
Quant ces deux ennemis ont ce mot entendu , 
Crient : Dame musarde , trop ayez attendu ; 
Tout le temps de ta yie , tu l'as mal despendu , 
Donnée est ta sentence et le loyer rendu. 

Doresnayant n'y yaull riens plus crier et braire, 
Car plus ne trouverez Jesuchnst débonnaire. 
Maintenant te convient en ung tel lieu retraire 
Où jamais ne verras soleil ne lumière. 



BU Corps et dï: l'Ame. 335 

L'Acteur. 

A ces dures parolles, le preudliomme s'esveille ; 
S'il fîit espoyenté ne fut pas de ilieryeille. 
A tel vie mener du tout [u] s'appareille, 
Dont de tousses péchiez Dieu absoudre le yueille. 

Tantost se ioingt à Dieu et tous honneurs desprise , 
Et de tous biens mondains perdit la convoytise. 
Aux mains de [Jhesujchrist et à. sa commandisse 
Son corps et ame mect pour faire son service. 

Tout le monde, dit-il, est plain de tricherie : 
Car il tient en despit la bonne et saincte vie. 
Vertu est, dist-il, vice, et sagesse folie. 
Doncques est fol prouvé qui au monde se fie. 

L'acteur. 

Cil qui veult estre au monde pour saiges homs tenu, 
Fau qu'il ayt deniers , argent et or moulu. 
Mais de ce luy souviengne que, quand sera venu 
Au dernier de son compte , le gamg sera menu. 

Les vertus>dn tout traient à la divinité , 
Comme Foy, Espérance et dame Qharité. 
On les tient aujourd'huy pour une vaaité. 
Barat et tricherie sont en authorité. 

On ne croit aujourd'huy es amys Dieu sans gaigc ; 
On ne prise une pomme la divine parage. 
Jà ne seras tenu pour vaillant et pour saige, 
1 Se tu ne scès honneurs ou se n'as grant lignaige. 

Tu seras réputé vaillant et honoraUe 
Se tu aymes flatteurs et tu tiens bonne table, 
' Salomon ne dit onques proverbe si véritable 
' Qui s'accordast aux tiens , soit mensong[e] ou fable. 



!i 



336 Débat du Corps et de L'Ame. 

Langue ne pourroit dire, ne penser cueurs humains, 
Le nombre de tes frères, de tes cousins germains; 
Mais , quant ne verront plus d'argent entre tes mains. 
Ne te seront amys, ne cousins, ne prochains. 

délices mondains qui navrez la pensée , 
Peu vous devroit priser raison enluminée. 
Car estoupes au feu sont de plus grant durée 
Que la saveur de vous, qui tant est désirée. 

Qui pourroit par deniers achepter en sa vie 
Sans vieillesse jeunesse et sans tache lignie, 
Santé de corps tousjours sans nulle maladie , 
Des délices acquerre devroit avoir envie. 

De telle marchandise ne s'entremet la mort; 
Jà par or que tu ayes n'auras à elle accord; 
Riens ne te vault jeunesse, remède ne confort; 
A la fin te convient arriver à son port. 

En ce port trouveras doulente establerie. 
Toutes les branches sont de matière pourrie; 
Jà n'y trouveras homme qui soit joyeulx ne rie. 
Cil qui vient a tel port toute sa joie oublié. 

Faulceté maintenant est souvent coulourée, 
Innocence est souvent à grant tort condampnée ; 
Mais adoncques chascun recepvera sa livrée. 
Quant selon son mérite sera sentence donnée. . 

Pour ce pry à celluy qui si justement livre. 
Qui les biens et les maux a escriptz en son livre. 
Qu'il me doint en ce monde si maintenir et vivre 
Que m'ame à la mort soit de tous maulx délivre. 

Amen. 




MORALITÉ NOUVELLE 

TRÈSBONNE ET TRÈS EXCELLENTE 

DE CHARITÉ 

Où e«t démontré les manlx qui Tiennent. aaioardliay 
an monde par faulte de Charité. 

Et est ladicte moralité à xij, persannaiges 

dont les noms a' ensuivent cy-aprèa 

et premièrement 



LE MONDE 

CHARITÉ 

JEUNESSE 

VIEILLESSE 

TRICHERIE 

LE ROUVRE 



LE RELIGIEUX 

LA MORT 

LE RICHE AYARIGIEUX 

ET SON YARLET 

LE BON RICHE VERTUEUX 

ET LE FOL 



In nomine Patrie et Filii et Spiritus Sancti 
Charitae patienê estj benigna est. 

Ad Corinthios, xiîj\ cap. 

t à celle fin que puissons dire 
Chose qui soit bonne et utile, 
La grâce Dieu demanderons ; 
Mais ayoir ne la pourrions 

Sans celle qui en est tresonire. 

Nous luy feron donc prière 

Qu^elle deprie son filz et son pire, 

Et pour ce luy presenteron 

La noble salutation 

T. m. Il 




338 Moralité 

Que Gabriel lay présenta 
En disant : Ave Maria. 

Ckaritas patiens eât^ henigna est. 
Qui' paricroit toutes les langues 
Des nommes et aussi des anges , 
Et charité ne aoroit en sor^ 
Rien ne sçauroit, en yerite. 
Et qui sçauroit les prophéties 
Et congnoistrcMt tous les mystères 
Qui oncques mais furent baillez 
Et ditz des anciens pères , 
Et charité ne auroit en soy. 
Riens ne sçauroit , en venté. 
Et qui auroit distribué 
Ses facultez emmy les Toyes 
Et toutes depparties aux pouvres ^ 
Et qui auroit baillé son corps 
Pour ardre dedans et dehors 
Par martyre t ainsi que propose. 
Et charité n^auroit en soy. 
Riens ne feroit, en yerité. 

En Dieu est toute charité. 
Comme cela bien demonstré ; 
Il est yenu sonffîir pour nous , 
Et s^a esté par charité. 
De charité donc annez-oyous. 
Il est bien temps de devise 
Les personnaiges et nommer. 
Je yous les yeulx nommer à tous. 

Je yoys au Monde commancer. 
Velecy bien riche habandonné» 
C'est ung tris beau mirouer ponr nous; 
Mais encore n*a-il suffisance 
Et bien peu £ûct recongnoissaaoë 



DE Charité. 339 

De cduy qui nous a faictz tou5. 

Monstrado : 

Et de çà si est Tricherie 
Que le Monde a faict et nourrye 
Par son avarice et envie. 
Et voicy ung Avaricieux 
Et son varlet auprès de Inv, 
Qui de le servir est joyeulx, 
Et voicy le bon Vertueux. 
Et de cest aultre costé 
Vous veulx monstrer [la] Pouvreté; 
Et voicy la pouvre Viciflesse , 
Qui est plaine de grant foiblesse. 
Jeunesse , qui la doibt nourrir, 
Povez veoir dancer et saillir, 
Qui d^icelle ne tient pas compte. 
Sinon en despit et en honte. 

Et voicy ung Religieux 
Qui de bien faire est moult joyeux , 
Qui au Monde viendra prescner 
Affin qu^il vueille délaisser 
Tous les peschez qu'il a commis 
Envers le roy de Paradis. 

Voycy la noble Charité, 
De quoy est la Moralité 
Que présent voulons demonstrer. 

Il y a en une ruelle 
La Mfort, moult hydeuse et cruelle. 
Qui viendra les gens ajourner 
Pour aller devant Dieu compter. 

Or vous ay-je tout advise 
Les personnages et nommé. 
Si vous supplye humblement 
Que TOUS nous donnez patience, 



34o MoiiALiTi 

Et vous verrez présentement 

Beaa jeu, puisque le Fol commence. 

Le Fol commence en chantant. 

Rigolle-toy, rigolle , rigoUe-toy, Robin. 
Que vous en semble, mon cousin? 
Voas semble-il bon, ce notaté? 
Vrayement, tous ayez bistoqué ; 
Je les prens sus ma conscience. 
Hé dea , il n*j a point d'offense 
Quant on se treuve de loysir. 
Or paix , or me laissez cho jsir 
Celle qui yient de faire ung pet. 
Levez la main; vous Pavez raiçt; 
NVn rougissez ià ; a-vous bonté? 
Si estyés fille d ung compte , 
Si aurions tost faict le £aict ; 
Par le corps bien, en efiFaict, 
Vous qui estes tant gracieuse , 
Je gaige que vous estes foureuse : 
Or, par sainct Jacques , je vouldroye 
Que ton nez fut dedans sa roye. 
Quant une femme mariée 
 esté baysée ou hocbée 
D'un^ autre que de son mary , 
El doibt, pour cbascune journée 
Qu'el se faict donner la ressée , 
Ung denier à saint Gultin. 
Je parles aussi bien latin 
Comme ung prebstre qui dit la messe. 
Or parlez à moy. Trousse-fesse : 
Se dedans ung lict , nu à nu , 
Fusson couchez , fesse sur fesse ^ 
Ung de nous deux seroit foutu* 



DE Charité. 34i 

Le Fol chante. 

Il estoitbien malostru, 

Sus goguelu, 
De cuyder qu'elle fust pucelle; 
El cW faict tant bistoquer, 

Tant janculer 
Dessus llierbette nouyelle , 
Tourlourette, tourlourette, 

LjFon £91. 

Charité commence. 

Monde , yueilles à moy entendre : 
Venue suis de Dieu pour f aprendre 
A gouverner bien sagement 
Les biens dont tu as largement 
Par la grâce de Dieu le père . 
Car tu sçays bien , c'est chose clerc , 
Que Dieu nous dist en TËscripture, 
En rEyangille nette et pure : 
mUge proxîmum tmm, 
Dist Dieu, sicut te ipsum, 
Doncques est-il nécessité 
Que les biens dont tu as planté 
Soyent departb bien saigement 
Ayecques bon souTemement. 
Pour ce faictz Fen bien ton debvoir, 
Qui n'y ayt riens à réprouver 
Quant tu t'en viendras devant Dieu ; 
Car il n'y aura pas de jeu , 
Ou soit a gaing , ou soit à perte ; 
Payé seras de ta déserte. 
Si me ditz ce que tu vouldras. 

Le Monde commence. 
Dame , vrayment j'ay de bons draps , 



34a Moralité 

Et des moutons et de la layne» 

Et des bledz forment et de avoyne. 

Mais encor ne suis pas content 

Que je n^ay plus d or et d*argent. 

Je feisse une très srant chière ^ 

Se ie veisse ma gibissyère 

Qu elle en fust une foys emplye. 

Mais d'une chose je tous pne , 

Que me dissiez présentement 

Qui TOUS estes et de quel gent , 

Car point ne you5 congnoys, sans doubte. 

Charité. 

Ha, Monde, Monde, je me doubte 
Qui ne te soit bien reproché 
Que tu ne tiens compte de moy. 
Moult à toy je me suis offerte, 
Et t'aroys bien la porte ouverte 
De paradis, la hanlte gloire; 
Mais tu as bien aultre memoyre; 
De moy tu ne tiens guères compte. 

Le Monde. 

A peu que ne me faictes honte ; 
Dame , dictes moy yostre nom , 
Et se j*ay excusation , 
Je vous prie que je y soys ouy. 

Charité. 

Monde, saiches bien , mon amy^ 
Que Ton m'appelle Charité , 
Celle qui pour Tamour de toy 
Fist à Dieu humanité prendre 
Et en la croix mourir et pendre 
Pour toy rachepter des tourmens 



i>E Charité. 343 

D^enfer, où alloyent toutes gens 
Et là tu estoys obligé 
Par le faulx et maulyais péché 
Que fist Adam, le premier homme 
Quant il mordit deaans la pomme . 
Encontre le commandement 
De Dieu le père omnipotent. 
Si te supply, mon doulx amy. 
Que , se tu as vers Dieu failly, 
Retourne vers luy humblement 
Et garde son commandement. 
Se tu l'aymes de cueur parfaict, 
Il te pardonnera ton meffaict ; 
Se tu Faymes , tu m'aymeras 
Et voulentiers k moy seras ; 
Car saiche bien, en vérité, 
Qu'il ayme bien fort Charité , 
Et je suis Charité , s'amye. 
Si te requiers et te supplye 
Que des biens dont je l'ay parlé 
Que en faces ma voulente. 
De bien faire n ays point de honte ; 
Je te feray rendre bon compte 
Quant tu viendras au jugement. 

Le Monde. 

Je vous mcrcye entièrement ; 
Vous me faictes belle promesse. 
Je vueil que soyés la maistresse ' 
De moy et de trestous mes biens. 
Je voys appeller [tous] mes gens , 
Si en feray département. 

PauM. 

Onez , ouez , toute ma gent ^ . 



344 Moralité 

Riches , poayres , jeunes et vieulx. 

Venez tous, tous ne poyez mieufaL. 

Venez trestous k Glianté , 

A qui je suis habandonnét 

Moy et mes biens, entièrement. 

Par elle le département 

De tous mes biens si sera £adct. 

Vieillesse commence. 
Ou es-tu allé , Jehannet? 
Hélas ! où [donc] es-tu, Jeunesse? 
Laisses-tu ta mère Vieillesse 
Sy emprès toy mourir de fain ? 
le n^ay mengé ennuyt de pain 
Ne de chair, ne de nul potaige. 
Le Monde à présent a couraige 
Que ses biens soient par Charité 
Mis où il a nécessité , 
Et je n'ay maille ne denier. 
Je ne puis jamais riens gaigner. 
Et pour tant je te prie , mon filz , 
Pense comme je t ay nourryz 
Quant tu estoys petit enfiant, 
Et que je te cnenssoys tant 
Que je ne m'en pov[o]ye soûler 
Bonnement de toy regarder. 
J'estoye en peine nuyt et jour. 
Et mettoys mcm cueur en douleur. 
Pour toy nourrir en paix et ayse ; 
Pour ce je te prie qu^u te plaise 
Que de ce tu ayes souvenance. 

Jeunesse commence. 
Vous ayez bien nlalle attenance; 
Que youlez-you« que je yous fàotl 



DB Charité. .^4^ 

Le grant diable d^enfér le sache. 
Vous estes tant arriottée , 
Et si parfaicte radottée^ 
Que se n^est que peine de vous. 
Je prie à Dieu que malle toux 
Vous puisse ennuyt estrangler. 

Vieillesse. 

Hélas î je t'avoys tant cliier, 
Et t^aympys de si bon cueur, 
Que une paroUe de rigueur 
Je ne t^eusse , à Toir, jectée. 
Mais aujourd%uy ne te scauroye 
Si humblement parolle dire , 
Que tu ne soys a me mauldire 
Gomme se fusse escumengie. 
Je doibs bien estre au cueur marrie 
D'avoir nourry tel nourriture. 
Je ne sçayois pas radventure. 
Ne que me debroit advenir. 

Jeunesse. 

Ennuyt te puisse veoir mourir ! 
Que vous faict Fen, diable le saiche ! 
Paister vous faulsist de fouasse 
Et de rost et de vin daret ; 
Car vous nous faictes ung beau faict ; 
Nous en sommes bien advancez. 
Pleust or k Dieu que vous fussiez 
A fouyr avec les mulotz. 

Vieillesse. 

Hé, Dieu de paradis, quelz motz 
D'un en&nt de dire k sa mire. 
Je m'esbdbys que Dieu le père 



i 

! 



346 MOBALITÉ 

Ne prent de toy quelque vengeaDee ; 
Car tu as toute ma cheyance 
Et tout, tant que je peulx finer, 
Pour tant que ne puis mes allar, 
Ne moy ffouverner ne cheminer. 
Me Youloroys^tu laisser mourir 
De faim , de soif et d^ froydure ? 
Tu es bien de faulse nature. 
Je ne demande seulement, 
Sinon itel gouvernement 
Que tu donnes à tes serrans. 

Jeunesse. 

Il a passé plus de troys ans 
Que de TOUS n euz demer ne maille; 
Et si me coustez en fouaille 
Plus de quarante soulz Tannée, 
Et si mangez belle escuUée , 
Je le TOUS dis ayal la main, 
Et si despensez plus de pain 
Que tous les gens de nostre hostel. 

Vieillesse. 
Helas^ mon filz, es-tu y tel? 
Me reproches-tu ma despence? 
Et je prens sus ma conscience 
Que tu m'as cousté plus de francs 
Que je n'ay à toy petis blancs. 
Ne me vueilles pas reprocher 
Ne mon boire ne mon menger , 
Car il n'y a rien de par toy ; 
Dieu sçait bien que tu m'as cousté. 
Et, quant je seroye d'Aliemaigne 
Venue ou du royauhae d'Espaigne, 
Si seroys-tu tenu à moy 



DE Charité. 347 

En la vertu de Cfaarité. 
L'evangille en faict mention : 
Bilige proximum tuum. 
Tu n^aymes ne Dieu ne moy; 
Tu n'aymes fors ta Toulente , 
Qui est à ne me faire bien. 

Jeunesse. 
Par ma foy, tous ne gaignez rien 
A me vemr aguillonner. 

Vieillesse. 

Et que ne faictz-tu ton debvoir 
Ainsi comme tu le doibs faire? 
Tu scez bien qu^il est nécessaire , 
Qull me conyient ma TÎe avoir. 
Yrayment, pas ne sers ung dénie) 
Tu t'en vasDoyre et galler 
S'en de quoy tu deusses gouverner 
Toy et toute ta famille. 
Tu t'en vas jouer à la ville 
Avecques d'autres larronneaulx , 
Qui t'apprennent beaucoup de maulx, 
Et aymes mieulx à les suyr 
Que tu ne faictz à les fuyr. 
Et pour ce , mon filz , je me doubte 
Que ne tresbuchez lourdement 
Par vostre faulx gouvernement ; 
Gardez-vous en doresnavent. 

Jeunesse. 

Il semble que je suis enfant , 
Et que je ne sçay que je fais. 
Ne vous souciez de mes fais 
Non plus que je faictz de vous, 
Car je n'en feray rien pour vous 



348 Moralité 

Plus qae je feroye pour mon chat, 
Oseray-je aller a 1 esbat 
Pour ceste yieille redotée? 
Qu*eii très mal an soit-elle entrée , 
Car elle vit trop longuement ! 

Vieillesse. 

Ha, tu mourras meschantement, 
Garson ! M*as-tu encore mauldicte? 
Par ma foj, tu n^en es pas quitte ; 
Tu es ung Caiulx traistre sarson. 
Ung beau lopin de mon baston 
Tu auras , se je peulx attaindre. 

Jeunesse. 

Je vous batrez jusques au jaindre , 
Vieille , si tous en dementeiE. 
Et, par Dieu , si yous me bâtez , 
Je yous jouray d^ung aultre jeu; 
Se ne craignisse aultre que Dieu, 
Je yous ostasse le quaquet. 

Vieillesse. 

Hé , fiaulx garson , que t^ay-je fait ? 
Pour quel cause me maulditz-tu? 
Je ne t ai heurté ne batu, 
Ne dit aulcune -villennie.. 
Je te blasme de ta follie , 
Mais c*est pour ton prouffit garder. 
Et tu m'en deusses mieulx aymer. 
n pert bien que tu ne scez rien ; 
Tu fiaiictz mal à qui te faict bien, 
Qui est chose dyabdlique. 
Pourtant , je te prie , or f aplique 
A bien £^uI^e doresnayant. 



DE Charité. 349 

Ne Yueilles point estre ffourmant, 
Joueur de dez ne hasardeur ; 
Ne regnye point nostre saulveur ; 
Fa j-moy raison comme ta doibz , 
Et tu auras des biens assez. 
Si tu n^en as , si en demande, 
Ainsi que raison le commande , 
Et bien te viendra et lyesse. 

Jeunesse. 

Par ma foy, ma mère Vieillesse , 
Ma femme ne laisseroys mye , 
Et non feray-je ma mesgnye , 
Mourir de fain pour tous repaistre. 
Je ne suis pas au tout le maistre ; 
Vous savez bien comme il en va. 

Vieillesse. 

Tu dis vray ; je scay bien cela. 
Ta femme est de toy la maistresse ; 
Mais je vous ay baillé la gresse 
De quoy vous estes gros et gras ; 
Vous estes vestus de mes draps , 
Et je meurs de froit et de fain. 

Jeunesse. 

Tenez ceste croste de pain , 
Et mengez , se voulez menger. 
C'est quant que faicles que hongner ; 
Vous estes toute radoptee. 

Vieillesse. 

Tu scez bien, s'elle n'estoit trempée 
Que je ne la mengeroys mye ; 
A grant peine mangez la mye , 
Et tu me baiUes ceste croste. 



I 



35o Moralité 

Jeunesse. 

El amollist quant on la toste, 
Mengez-la et puis la tostez. 

Vieillesse. 

Quant tu toumoys en mes costez ^ 

Pas ne cuydoje celle adventure. 

Hélas , tant mainte créature 

Est advenue comme je suy ! 

Hélas , je meurs à grant ennuy, 

Je ne me sçauroys soustenir 

A me gouverner, ne chevir, 

Ne gaigner ung morceau de pain , 

Et deussé-je mourir de fain. 

J^ay bien perdu trestout mon temps. 

J^ayoye tant amassé de biens 

A mes enfans et à mes hers 

Qui me laissent menger aux vers ; 

Vermine , puces et poux 

M Wt assailly de tous costez. 

Helas, où es-tu. Charité? 

Jeunesse , en deffaulte de toy. 

Me laisse mourir en destresse. 

Charité. 

Monde, allons conforter Vieillesse; 
El m'appelle piteusement. 

Le Monde. 

Vous dictes vray, certainement; 
Allon y, Charité m*amye, 
Car, certes , el est esbahye 
Quant el ne se peult gouvemer. 

PauM. 



DE CUAHITÉ. S5l 

Charité. 

Vieillesse , Diea tous doint bon soir. 
Et TOUS doiut bonne patience l 

Vieillesse. 

Dame , le Dieu de sapience 

Vous gard et vostre compaignye ! 

Or me dictes, je vous supplye , 

Qui vous estes et de quel gent, 

Car je n'y voy pas clerement. 

Mais, pour Dieu , qu'il ne vous desplaise. 

Charité. 

Vous n^estes pas trop à vostre aise , 

Vieillesse , ma très doulce amye ; 

Mais, pour Dieu , ne vous ennuyez mye. 

Je suis vertu de Charité, 

Qui vous ay icy amené 

Le Monde pour vous conforter. 

Le Monde.' 

Je suis venu vous apporter 
Du pain blanc et du beurre frays ; 
Car bien sçay que n'y voyez mais. 
Grant besoin avez de confort. 

Vieillesse. 

J'avoye bien désiré la mort; 
Dieu me le veuille pardonner 
Et vous vueille remercier. 
Car vous m'avez bien confortée. 
Jeunesse, mon filz, que j'avoye 
Si ayse et si souef nourry, 
A mon grant besoîng m'a failly 
Car il me laisse cy jeûner 



35d Moralité 

Et monlt grant besoing endurer. 
En cest cornet cy m'a boutée , 
Où n!a que vent, aussi fumée. 
G*est sa fenmié qui le conforte , 
Qui voudrait que je feusse morte. 
De moy ilz sont tant ennuyez , 
Et dient que je n'ay que procez , 
Et que je suis toute puante , 
Très oroe et très mal adyenante. 
De me diffamer point ne cessent; 
Hz ne me chaussent ne me Testent. 
Voicy trestoute ma vesture ; 
Mais ilz ont de belles fourrures , 
Qu'ils ont acbepté de mes biens , 
Et je suis celle qui n!a riens. 
Sinon poyreté et douleur. 

Charité. 

Or merciez le Créateur, 

Vieillesse , ma très doulce amye. 

Vous avez la verge baillye 

A voz enfans dont ilz vous bâtent. 

Pourtant, s'ilz vous touchent ou frappent, 

C'est du mesme vostre baston. 

Vosire filz , qui est £aulx garson , 

Vous l'avez ainsi chastié. 

Pourtant il est bien employé 

Qu'il vous face assez de rudesse. 

Car, en sa petite jeunesse , 

Le laissiez laiiie en sa guise. 

Il n'ayme ne Dieu ne l'église ; 

Il n'ayme fors esbatement , 

Aller aux tavemez souvent 

Avecques gens de mal affaire. 



DE Charité. 353, 

Qui à Dieu ne yeuUent complaire , 
Et ce qu^il sçait lui ont apris ; 
G^est : Cum sancto sanctus erU* 
S^il eust ensuyyy gens de bien , 
De tout ce mai il n en fust rien ; 
Et à ce Payez soustenu ^ 
Et ne Payez contretenu 
Ne chastié de son malfaict. 
Plustost il eust eu de bon laict^ 
Quant il n^eust point ouy les messes, 
Que une yerge sur les fesses. 
Moult en est d^ainsi adyenus 
Qui sont pouyres enfans perdus 
Par deffaulte de chastiment. 

Vieillesse. 

Vous dictes yray, certainement , 
Je Papperçoy bien maintenant: 
Il n^ayme pas bien son enfant 
Qui ne le cbastie de bonne heure. 

Le Monde. 
Yrayement, on luy deust courre seure, 
Au traistre garson Jeunesse, 
Qui sa poyre mère Vieillesse 
Laisse mourir à tel yitay . 

Il prent Jeunesse. 

Vous serez en la mer gettay, 
Faulx garson, traistre, larronnastre , 
Et qui yous batist comme piastre , 
L^on yous fist bien yostre debyoir. 

Jeunesse. 
Voire dea ! or allez cbier. 
Pour quel cause me batez-yous? 
Mebalrezp-yous, yilain ordoux? 

T. III. 13 



354 Moralité 

Pour qad cause me Teax-ta batre ? 

Le Monde, . 
Pour ce au*Q a troys jours pu quatre 
Que ta mère , qui t^a porté, : 
Qui tout est plaine de bouté , 
Ne meugea ung morceau de pain. 
Et est presque morte de faiu. 
Et si as ses bledz et ses biens 
Et tous ses heritaiges tiens ; 
Ses rentes , ses possessions , 
Tu as eu en toutes saisons ; 
Tu es m)s et gras , riche et plain 
De ses biens, et el meurt de fain. 
Or regarde quel consciance. 
S*el n ayoit en el sapiance , 
Ce seroit assez pour mourir. . 
Et si te deust bien soubyenir 
De la peine qu^el a soufferte 
Pour te garder de toute perte. 
Or regardez , Charité dame , 
Se c^est pour Iny grande diffame 
Et qui lui convient reprocher. 

Charité. 

Je te prometz , mon amy cher, 
Se tu as failly vers ta mère , 
Si crie mercy à Dieu le pare 
Et à elle seinblablement , 
Et te gouverne sagement. 
Croy le conseil de gens de bien , 
Et tu ne fourvôiras en rien ; 
Tu es jeune , tu es bouillant ; 
Soys de bien faire désirant. 
Tu mourras , il est tout certain , 



D£ GHAaiTÉ. 355 

Et nesçaysennujt.ou demain. 
Tu ne sçais llieure de ta mort. 
Certainement n^ a si fort. 
Se de la mort estoit frappé , 
Qui ne fust h terre gecte. 
Or y pense , je te supplyé. 

Jeunesse. 

Ne TOUS en souciez , m^amye y 
Car je sçay bien que j^ay affaire ; 
De cela tous avez beau taire , 
Ne TOUS en debatez jà tant. 

Le Monde. 

Hé dieux , que tu es bon enfant ! 
Que Tendras-tu abonne fin? 
Il ne Tist que de larrecin 
Qu'il emble k sa pouTre mère. 

Charité. 

Jeunesse , je prie Dieu le père 
Qu'il te domt grâce de bien faire. 

Jeunesse. 

11 TOUS Taidsist aussi bien taire , 
Car pour tous je n'en feray rien ; 
Je garderay ce qui est mien 
Et en feray à mon plaisir. 

Le Monde. 

Je Toy bien que c'est ton désir 
Que vieillesse meure de fain. 

Jeunesse. 

Vous mentez comme ung faulx Tillain 
Parmy lefons de Tostre goj^e; 
Fais Teu à Dieu et à sainct George 



35& MOBALITé 

Se tu ne t*en repentiras. 
Et bref rheure tu mauldiras, 
Ou j'en mourray dedans la paine. 

Le Monde. 

Je feray ta fiebvre quartaine , 
Faulx traistre, garson orgueilleux. 
Ha ! tant tu feras de grans deulx 
Souffrir k la pouyre Vieillesse ! 
£1 peult bien gésir en sa cresche , 
Et attendre son reconfort. 
Tu luy avanceras sa mort 
Par ton orgueil , ingratitude , 
Et si te prometz que je curde 
Que tu Tiendras a malle fin. 

Jeunesse frappe. 

Voylà pour toy, vilain crabin , 
Et encor n'estes-vous pas quitte ; 
Je payeray vostre débite , 
Parbieu , ains que vous m^cscbappez. 

Tricherie commence. 

Eh , par diable , cVst assez ; 
Jeunesse , tueras -tu le Monde? 

Jeunesse. 
Par cel(uy) en qui tout bien habonde , 
Je luy donray peine à souffrir ; 
Il m*a dit plus de vilennie 
Que Ton n en diroit à ung cbien , 
Et si n^ay pas maille du sien ; 
Mais j'en auray, je vous prometz. 
Que parie k vous en secretz. 
Tricherie, ma dame et maistresse, 
Se très ort villain grosse fesse 



DÉ Charité. 35; 

M*a si très fort injurié 
Que je Touldroye qu'il fust noyé ; 
Car il m'a dit , c'est chose clère , 
Que je fais TieiUesse , ma mère, 
Mourir de fain, aussi de ûoit. 
Or esse ce que chascun soyt ? 
Je luy fais trestout son plaisir. 
Et , tant qu'elle se yeult gésir. 
Je la laisse dedans son lict , 
Et si plus est qui ne luy chiet 
De tous les biens de la maison , 
Pas ung morceau de venayson 
Je n'auroye d'où el n'est sa part. 

Tricherie. 

Yoylà bien ung meschant quoquart 
Qui vous dit tant de desplaisir; 
On l'en fera bien repentir, 
Jeunesse , si vous me croyez , 
Et de ce ne vous esmayez , 
Car, puisque tous fiez en moy 
Et que c'est yostre yolunté 
Que je soys de yostre famiUe , 
Oncques ne trouyastes de fille 
Comme je suis pour yous seryir. 

Jeunesse. 

Par ma foy, j'ayoye grant désir 
Que yous feussiez de ma partie; 
Et, par bien , yous estes m'amye 
Et serez tant que je yiyray. 

Tricherie. 

Or yrayment je yous bayseray. 
Jeunesse , et yous m'acoÛerez. 



358 Moralité 

Jeunesse. 

Jamais de moy ne partirez , 
Certes , tant que je soyes en Yie. 

Jeunette accole Tricherie. 

Hé , Tricherie ^ Tricherie , 
Riens ne crains plus en plaiderie y 
Puiscnie nous sommes assortez ; 
Nous beurons dessus les costez 
Au Monde avant qu^il soit ung an. 

Le Monde. 

Du mal monseigneur saint Jehan 
Puisse estre se garson saisy ! 
Et, se le sergent fust icy. 
Bouter le feisse (de)daDs la gaulle, 
11 m'a escorché oeste espajole ; 
Je pense qu'elle soit desnouée. 

Tricherie. 

Jeunesse, le Monde gorgée ; 

Je luy Toys donner ung maintien. 

Jeunesse. 

Helas , c'est tout ce qui me tien 
Et aussi que mon cœiir désiré. 
Se hors du pays m*en débvop flaire, 
Si en auray*je Tengement. 

Tricherie. 

Tu as baillé adjoornement. 
Monde , à Tencontre de Jeunesse ; 
Tu dis que sa mère Vieillesse 
Il faict mourir de fain et £roit. 



DE Charité. 35^ 

Lb Monde» 

Et vî'esse ce que chascun soit? 
Le faict se montre , regardez. 

Tricherie. 

Par mafoy, vous Tamenderez 
Et TOUS constera de Fargent. 

Le Monde. 

CVst la coustame de présent 
Qui est batu Famendera. 
Hélas , tant le diable fera 
Grant feste au jour du jugement ^ 
Et eu jde que bien largement 
11 en aura d'jteolx garsons.^ 

Tricherie. 

Je croy que assez en trouverons 
DHteulx paillars truandeaulx , 
Mais ilz feroyent beaucoup de maulx , 
Vrayment qui ne s^en guetteroit, 
Et qui ne se subtilleroit 
 ce guetter de leur malice. 
Pourtant, Monde, est-*il propice 
Que je demeure avecques toy. 
Je te prometz en vérité , 
Jcte«nTiraykyaument. 

Le Monde. 

Hau, Tricherie, certainement, 

Je n*ay cure de voz promesses. 

\ ung sourt ne fault point deux messes. 

Je vous dirai en briei langaige 

Charité , qui est bonne et saige , 

Me conseillera qu'est affaire. 



36o Moralité 

Tricherie. 

Or par le sang que Dieu fist faire, 

El te mettra k povreté. 

Or, yrayment, j*ay pitié de toy. 

Charité est de telle nature 

Que des biens du monde n*a cure ; 

El te fera tout départir 

Et en la fin de iain mourir. 

Tout ainsi comme £adct Vieillesse. 

Qui n'a rien n'a point de lyesse , 

Et aussi n'est ^ nen prisé 

Plus q'ung pot de terre brisé. 

Qui est riche est honnouré ; 

L'en dit qu'il a bien labouré. 

Et qu'il est très homme de bien. 

L'en se moque de qui n'a rien. 

Et l'en dit : c'est ung fol mescbant; 

Et pource je t'en dis autant 

Pour l'amour de toy, sur ma vie.. 

Le Monde. 

Trayment, dame, je vous mercye, 
^ Car vous me dites yerité. 

Mais j'ayme trestant Charité 
Que oncques chose n'ayme tant. 

Trigheili'e. 
Par mon ame ,'tu es meschant; 
Car si tu queroys à menger. 
Elle ne te donroit pas uns denier 
Ne tous tes voisins aussi bien. 

Le Monde. 

Yrayement, tous ne mentez de rien. 
De cela ay bien congnoissanqe ; 



BE Charité. 36i 

Mais Charité a tel puissance 
Qu'el[le] peult ouvrir paradis 
Et y mettre tous ses amys. 
Par quoy je la doibs bien aymer, 
Et je ne la pourroye garder 
S^ayecques moy demourîez. 

Tricherie. 

Par mafoy, vous ne pourriez; 

Car de son hostel je n ay cure. 

Mais tu as la teste trop aure. 

Je t^enseigne la voye bien ample. 

Resarde-moi ses avocats , 

Qui sont fourrez comme prelatz. 

Marchands de draps et tavemiers. 

Et gens de quelconques mestiers , 

Marchands de vaches et de bœufz ; 

Hz jureront Dieu pour deux œufz , 

Le pouvre peuple en decepvant. 

Il n est point marchand qui ne ment y 

Et , pour te dire la vérité , 

Hz n*ont denier que de par moy. 

Voicy Jeunesse qui t^assault. 

Qui est fort, orgueilleux etbault. 

Tu n'as garde dVoir honneur 

Se je ne suis de ton conseil. 

11 te donnera grant ennuy. 

Le Monde. 
Vrayment , je suis tout esbahy, 
CkMT (tres)tout cecy que m'as compté 
Est' î>resque toute vérité . 
J'ay aé;r«sé tout elerement 
Que me conseillez loyaument; 
Vous serez de ma portion ». 



363 MaRALlTÉ 

Et puis en la fin compteron. 
Or vous en allez , Charité, 
Car TOUS ne serez plus à moy. 
Allez->yous en , ma doulce amye , 
Car o moy sera Tricherie 
Tout le demourant de mon temps. 
Par elle amasseray des biens. 
Plus oue de par vous la moytié. 

CHARlTi. 

Ha , Monde , j'ay de toy pitié. 
Les bons biens espirituelz 
Tu laisses pour les temporels; 
Mais saiches bien certainement. 
Se tu ne les as loy aument 
Et de bonne acquisition. 
Etemelle dampnation 
Te feront donner en la fin. 
Monde, ne soys jà trop enclin 
D^ayoir des biens oultre mesure ; 
Car ce sera grande adventure 
Si tu n'en sçays bien compte rendre ; 
Et tu doibs sçavoir et entendre 
Qui t'en cony^idra rendre compte. 
Ou soit k droit, ou soit à honte. 
Dont se seroit pour toy follie 
De les avoir par tricherie ; 
Car ce seroit grant larredn. 
D'avoir les biens à son voysin ^ 
Par tricherie ne par cautefle. 
Mais honnorable vie et belle . 
Maine , et selon ton estât , 
Et se Jeunesse te desbat , 
Ou face quelque extorcion , 



]>Ê Chabité. 363 

Àdjoume lay derant Rai$on , 
Ou deyant nostre seur Justice^ 
Qui pagnicioii bien propice 
En fera , si tu la yeulx croire. 

Jeunesse. 

Vrayment, je veulx aller en guerre» 
Car du Monde prendray vengeance. 
Je lui donray ung coup de lance 
Qui sera éi estroict assis 
Que mieulx il s^aymast mort que yi& ; 
Je TOUS en faictz bonne promesse. 

Ghabité. 
Entendez , mou beau filz Jeunesse , 
Ne soyez pas si à ioysir 
Que TOUS faciez tout le plaisir 
De ce queyostre cuenr désire. 
Mais croyez la sainte Escripturé, 
Et y mettez bien yostre cure 
A raire ce quVl yous commande. 
Car saiohez que Dieu ne commande 
A nul que toute yolunté 
En la yertu de Charité » 
En gardant ses commandemens 
Comme bons et yrays cbrestiens. 
Et , se yous le faictes ainsi ^ 
Je yous prometz et {vous] afiy 
Que vous viendrez à bonne nn. 
Ne vivez point de larrecîn , 
Mais vivez de loyalle vie , 
Et ne croyez pas Tricbeiie , 
Car elle est moult fort decevaUe 
Et serviteure du diable. 
Et fille de grant Avarice, 



564 Moralité 

Qui fit dampner le mauly ais riche ; 

Et si fist Cayn et Judas ; 

Et pour tant ne la croyez pas. 

Soyez saige et vertueulx , 

Et en la fin serez jo^eulx. 

Tousjours soyez à Dieu fiable. 

Tricherie. 

Or TOUS taysez , de par le dyable , 

Et allez prescher aux hubans 

Et es bestes qui sont aux champs. 

Vous n^estes quWe enchanteresse ; 

Maulgré vous seraj la maistresse 

De Jeunesse , aussi du Monde. 

Car yrayement il n^ a homme au monde 

Qui les sceust si bien apoinctiér 

Gomme moy, car c'est mon mestier. 

Il n'est discord que je n'apoincte , 

Et de toute part suis acoincte ; 

Aussi je vous appointeray ; 

S'il est mestier je plaideray 

Et demerray bien le procès , 

Et si seray des deux costez. ^ 

Nous troys irons à la taverne ; 

C'est le lieu où je me goureme, 

C'y suis plus aise qu'au mbustier 

Pour ces plaidereaulx appoincter. 

Ne TOUS souciez plus de rien , 

Vous deux vous appoincteray bien . 

Faisons grand chère tous ensemble. 

Mais , yrayment , tout le cueur me tremble 

De celle dame Charité ; 

El a dit de moy villennye^ 

Et pour tant, vous deux , je vous'prye , 



DB Charité. 565 

Boutez la hors i^içj entour, 
Et qa*el se garde du retour. 
Yoyse s^en , par diable , bien loing ^ 
Ou qu^on luy tortera le groing 
Si bien que la merde j viendra. 

Jeitnesse. 

Pendu soit-il qui s'en faindra , 
Car je suis content qu'el s'en voyse. 
£1 nous a esmeu plus de noyse 
Avecques ma mère Vieillesse ; 
Voyse ce, car d'elle n'ay cure. 

Le Monde. 

Vrayement , je crains bien l'adventure. 
De la mettre hors de céans , 
Car el m'enseignoit tant de biens 
Que oncques ne vis si belle chose ; 
El est plus âouke que une rose. 
Bonnement ne la doy chastier. 
Mais puis que je suis du mestier 
Et de la court de Tricherie , 
Je m'accorde qu'ele soit charie . 
Jeunesse , allez la chasser. 

Pansa. 

Jeunesse. 

Or pensez de.yous recourser, 
Et turez pignoUes.ayant. 
Allez yous en bien tost courant 
En la terre des Sarrazins. ; 
Vous y beyrez de très bons yins. 
Allez y, que plus ne yous yoye ; 
Car Tricherie yous y enyoye , 
Et si faict le Monde i sans doùhte. 



3G6 Moralité 

Charité. 

Ha , Jeunesse , tu n'y voys go[u]tte : 
Le Monde et toy estes soulliez 
De Tricherie et ayeugliez. 
Mais saichez bien, ung temps Tiendra 
Que Tricherie vous trichera ; 
Tricherie fait son mestier 
Son maistre triche(rie) le premier. 
Quant el yeult tirer en son parc , 
£1 met deux fléchez en son arc. 
Sa langue est de telle manière , 
Gomme est d^ung coutel k tripière , 
Car il trenche des deux costez. 
Pour tant ceulx sont bien abusez 
Qui s*abusent de Tricherie. 
Ha , Monde , je ne cuydoye mye 
Que tu me voulsisses laisser. 

Jeunesse. 

Allez vous en ailleurs prescher, 
Car icy perdez yostre paine ; 
Se n^est pas ce qui nous amaine 
Que d'ouyr vostre preschement. 
Allez TOUS en bien yistement 
Ayec les hermites des boys. 

Charité. 

Adieu , Monde , adieu , je m*en yoys ; 
Adieu tous , amont et ayal; 
Adieu France, en espeeial ; 
Adieu la pouyre Normendie ; 
Je suis donccpies de toy duissie : 
Tricherie en est la maistresse. 
Hélas ! Monde , où est la promesse 
Que tu as faicte à Dieu le pire 



DÉ Charité. 367 

Dedens FEsglise nostre mère 

Que tu receupz lliuille et le cresme 

Dessus les samcts fons de baptesme? 

Où sont les dix commandemens 

Que Dieu t^a donnez à garder ? 

Ceulx ne sont pas bons chrestiens 

Quant ilz n^en font bien leur deb^oir. 

Ha Y Tricherie Êiulse et mauvaise, 

Tu as esmeu une grant nojse 

Au Monde , qui luj sera cnière. 

Ha , Monde , tu yas par empire 

Quant tu ne pensez à ta fin. 

Tu n^entens pas bien ton latin , 

Qui tant est doulx , bon et propice , 

Au desrain de la saincte espistre : 

Opéra enim illorum 

Et en cecy a deux beaux motz, 

Où il a : sequantur illoêj 

Et tu fen vas à Tricherie, 

Qui de trestout mal est remplye. 

Tout premier el est mocqueresse , 

Et ayecques ce menteresse ; 

En el n*a point de feaulté , 

Certes , non a il de beaulté; 

El parjure Dieu et Marie 

Pour approuver sa menterie. 

Son regard si est decepyant , 

Car el mort les gens en riant. 

Par elle c'est meue mainte meslée. 

Que mauldit[e] soit la dampnée ! 

Et si a faict mourir maint homme ; 

Pour dire yraj, trestout en somme , 

El a faict faire par iceulx 

Cinq cens mille péchez morteulx , 



368 MoRALiTi 

Ponrce la doîbt Fan l»en fajr 

Qui tant de maulx fait advenir. 

Le Monde en est si fort espiins , 

Qui n*y a mais pire ne filz 

Qu^ilz n^essoyent à tricher Tong Paatre. 

Helas ! Tridiene les espeaultre 

Et esGorche de toutes pars , 

Et le djable, par ses taux ars, . , 

Les tient en sa subjection ; 

Devant nos jenlx nous le voyons. 

Il n'y a frère ne cousin 

Qui ne se boute en plaiderie 

Par le conseil de Tricherie , 

Et mettre leur cueur et couraige 

A s'entreponrchasser dommaige 

Et s^entrehayent jusques à la mort. 

Ha , Trichene , tu fais grant tort 

Au filz de Dieu le. créateur, 

Qui tant avoit eu de douleur 

Pour le monde tirer d'enfer, 

Et de rechief luy veulx bouter . 

Tu fais k Dieu grant desraison. 

Je veulx aller à la maison 

De ce riche avaricieulx. 

Si ne sera pas fort joyeulx , 

Gomme je croy, de ma venue ; 

Mais pourtant je suis tenue. 

De le conseilHer k bien faire. 

Pauu. — Elle s'en va. 

Sire, le doulx Dieu débonnaire 
Vous vueille garder corps et ame. 

Le Riche avarigieulx commence. 
Hé, Dieu gard celle belle dame, 



HB GharitI. 369 

Que demaBdez-Totis , belle amye? 

Chabité. 

S'il vous plaist que Je soy logée 
vous, sire, pour ramour aip Dieu. 

L'ÂYARIGIEULX. 

Par mon serment, il n'y a Heu 
Céans où Ton vous sceust loger. 

Charité. 

Je ne vueil boire ne manger, 
Ne aussi rien ayoir du vostre ; 
Monseigneur saint Pierre Tapostre 
M'envoyeo vous* pour demeurer . 

L'AVARICIEULX. 

Or pensez de vous en aller. 
Car je n'ay que faire de vous. 
Or, voire dea, qui estes- vous 
Qui voulez demourer o moy ? 

Charité. 

Je suis vertu de Charité , 
Qui viens, pour vostre saulvement. 
Vous donner bon enseignement, , 

Fors qu'il ne vous vueiUe desplaire. 

L'AVARICIEULX. 

M 'amye , je n'ay de vous que faire; 
Allez vous en sans plus attendre. 
Rien ne me sçauriez apprendre; 
Je sçay plus que vous ne sçavez. 

Charité. 
Sire , pour Dieu , or m'entendez ; 
Je vous diray deux motz de Dieu 
T. III. 34 



370 Moralité 

Qui moult TOUS pourront tenir Jtba 

Pour la vostre salyation. 

En iWangille nous Ibons 

Et nous dist ainsi : Beaiî oui audùuU ver^ 

bum Dêi et cuatodiuiU lUud, 
Geste evansîlie icj 
Dicte de Dieu pour celle cause. 
Et qui bien garaast celle clause. 
Pas ne fust le monde entadié. 
Comme il est, de mortel péché. 
Pourtant, mon amy, je vous prie. 
Que TOUS soyez de bonne vie 
Et TOUS gardez de damnement; 
Mais aymez Dieu parfaictemei^, 
Et pour Tamour de lu y donnez 
De telz biens comme vous ayez 
 ceulx qui ont nécessité , 
En la Tertu de Charité. 
Ne vivez pas comme les bestes ; 
Gardez et honnorez les festes ; 
Ne jurez pas Dieu ne les sainctz , 
Car moult tous en vauldriez mains. 
Ne soyez pas fomicateur, 
Et crai^ez Dieu le créateur; 
Fuyez la faulce plaiderie , 
Et TOUS gardez de Tricherie , 
Car el est £aulce et dangereuse. 

L'Atarigieulx. 

Par ma foy, elle est sracieuse , 
N'en dictes point de aesplaisir. 
Vous seriez trop à loysir 
Devant moy de la diffamer, 
Car je vous £aictz bien assavoir 



DE GHARltÉ. 371 

QuejelWparfaictement; / 

Et SI prens dessus mon serment 
Que vaillant deux oeufe je n'ay mye 
Que tout ne soit de Tricherie. 
Pour tant je la doibz bien aymer. 

Charité. 

Âmy , je te faictz assavoir 
Que ce que tu as de par luy 
N[e] est point loyaulment gaîgné , 
Et en auras grant compte à rendre. 

L'AVARl€fEUIiX. 

J^ay plus de cent francs à despendre 
De par elle (par) chasçune année ^ 
Et , par mon serment , je n'avoye 
Pas ung blanc se n'eust esté elle , 
Et si vous promets que c'est celle 
Par qui j'ay le plus de ma gaigne ; 
En especial au dymenche , 
Et à toutes les haultes festes 
]*aeliettes et y vens des bestes , 
Et y lais de très bons marchez 
En la taverne , quant g'y suis , 
Et là est dame Trichene , 
Dessoubz ma robbe bien mussie ; 
Mais toutes gens ne la voyent pas . 
Et pourtant je vous dv le cas ; 
Ne la vueillez point difiamer. 

Charité. 

Âmy, je te faictz assavoir 
Que tu pèches mortellement 
Quant tu vas mettre empeschemenl 



379 Moralité 

An dymencbe et liaultes festeSt 
Et sont tons ceulx pins folx que testes 
Qni les empesdient ni^dlement; 
G*est de Dien le commandement 
Qne Fen doit les festes garder. . . 

L*ÂYÀRICI£1}LX. 

Dame , je te £ais assavoir 
Que c'estlejourdelasepmaine 
Où j^ay Tonlentiers plus de peine 
Que au djmenche en marcliandisé; 
Car il 7 a grant gourmandise y 
Et là je fais bien à ma gujse. 

CâARltÉ. 

Que dis(*tu) ? Vas-tu point à Teglise ? 

L'ÀYARICIEULX. 

Ouy, dea ! j'y ay bien aStàre 
A chose qui m'est nécessaire : 
C'est pour prier à mes.marchans; 
J V parle plus Ajse qu'aux champs , 
C est la cause qui plus m'y tiudne. 

Charité. 

Helas, tu y pers bien ta peine* 
Or me dy^ où est ta créance? 

L'AVARICIEULX. 

En ung grant pot plain de châvaQce v. 
Que j'ay enfouy dedans terre. 
Mais j'ay si grant peiir de la guerre y 
Que je ne le sçay où mussier, 
Et aussi d'ung larron furtier • ' 
Qui est de ces pays environ r 



i^E Charité. 373 

Non , pourtant je saj bien son nom , 

Mais je ne le nommeray mye , 

Car il est des gens Tricherie ; 

Noos sommes tons deux d^ung tinel ; 

Il a faict maint cas criminel 

Par quoy je le crains plus, sans donbte. 

Charité. 

Hc , riche M, ta ù'y voys go[u]tte. 
Soys vers Jésiis da'caeur enchn; 
Rens à chascilh.ce qui est sien. 

L'ÂVAIIICIBIILX. 

Par ma foy^ j« nVn feray rien. 
Je seroys plus sot q'ung honmie yyre. 
Youlez-yous que je me délivre 
De mon trésor et de mes biens ? 

Charité. 
Or me dy, comme sont -il tien[s] , 
Et comme tu les as acquis ? 

L'Ayarigieulx. 

 marchander i mes yoysins 

Quant quelque ohoie ayoyent à vendre , 

Tel marché comme vouloys prendre. , 

Je rayoye'trestoùt k mon tauU , 

Car ilz ayoyent bésoing d'argent ; 

Et ce qui yalloit des francs cent , 

Je Tayoye pour une dizaine ; 

A ce ne perdoye pas ma peine. 

Charité. 

Vrayement, tu lie fusses pas digne 
DVstre parmy les gens de bien. 
Helas, bien yoys que tu n^as rien 



374 Moralité 

Qae tout ne soit de larredn : 
Car tu as ton pouyre Toysin 
Deceu et franlaé par ta vie 
Et par ta faulce Tricherie* 
Or me respoas en rente : 
Ëusses-tu DÎen voulu qu'à toy 
Eust fiaict comme tu as à lui? 

L'AVARIGIEULX. 

Et, par Nostre Dame , nenny ;. 
J*en seroye bien courQrousjse. 

Charitâ. 

Donc esse pour toy grant peehé- 
De Paroir ainsi abusé. 
Mais, certes, tu t'es abusé 
Mille fois plus cpiè tu n*as luy ; 
Car ceulx qui ont rien de rautruy 
Par manière de larrecin , 
Hz seront dampnez en la fin 
S^ilz n'en font satisfaction» 
Or retiens bien ceste leçui,. 
Mon amy, je le te requiers. 

Et TOUS ne faictes que bongpier. 
N'ont-il pas le sens de nature? 
Il n'a rien qui ne s'adventure. 
Chascun doibt gaigner quant il peult ; 
L'on ne gaigne pas quant Ton yeult. 
Il ne mW cnauit d'où l'argent vienne ; 
Mais , une fovs que je le tienne ^ 
Il n^a garde de m'eschapper. 
Je sQjs tant ayse A le compter 
Que je n'ay point d'aultre plaisance. 



DE Charité. 3y^ 

Il n^est plaisir que de chevance . 
Je Toys se pouvre malheureux : 
Mais il est toujours tant honteux ! 
11 meurt de froidure et de fain. 
Demy le temps n^a pas de pain; 
Il n'a rien , par sa soterie. 

Charité. 

Helas , c^est par ta tricherie , 
A mon advis, certainement. 
Il a ung poyre vestement , 
J^ ne sçay qui lui a baillé; 
Mais , yrayement , il est bien taillé 
Pour mourir de froit cest yrer. 

Pau«a. 

Pouvre meschant, or me dy yoir : 
Qui fa donné ces grans robiUes ? 

Le PouyRE Mesghant commence. 

Pas ne les ay pour des quoquilles ; 
Hz m'ont cousté de bon argent. 
Dame , saichez certainement « 
Hz m*ont cousté deux escus d'or 
De ce marchant, et plus encor. 
Car o luy seryy deux journées, 
Et si luy ay fait des corvées 
A mon advis plus de quarante , 
De qnoy ie n'eus onc , ie m'en vante , 
Pas la value d'ung petit blanc; 
Si en a-il eu plus d ung franc,' 
Yrayement , s'il me faisoit raison. 

Charité. 
Helas ! et pour quelle achoisou 
Veulx-ta sa peine retenir? 



3y6. Moralité 

Le TOuldriesHu faire mourir 
De fain , et sa ponyre Camille? 
Il*as-ta pas. oay FËTaDgille : 
Dilige proximum tman. 
Ta es bien ung parfaict larron , 
Qui sa peine Teulx retenir, 
Et devant toy le voyr mourir 
De £ûn, et sa poyre mesgnje. 

Et, dame , par saincte Marie, 
Il a mentf mauWaisement. 
Si m*a senry^ anlconement , 
Je Tay bien payé de sa peiâe. 
Je luy ay preste de rayoyne^ 
Du bon seigle et du fonrment, 
Et si ay-je de bon argent , 
Et doncques n*est-^il pas tenu , 
Pour tant (|ae luy ay bien acrea , . 
De me donner deux ou tntyîs jours? 

Charité* 

Nenny ; tu Fentens au rebouh. 
C^est droicle puante usure. 
Tu es ûiulx et maûlyais parjure; 
Car sainte Eglise té dèffent 
Que tu ne [uréstes nullement 
Pour en avoir quelque loyer. 
Sinon , Dieu te s^a droicturier. 
Et tu as eu de ce povré bommé 
Bien près d'autant comme là somme 
Se montoit quaiit4\i lui prestas. 

L'A^AiklCISULX. 
Par bien , ta t*en r^éotiras , 



Dfi Charité. 377 

Villain : en as-tu faiet complaincte ? 
Se de Charité es accointe, 
Par ma foy, pas ne le seray. 
Et se jamais il vient taillé , 
Par mon senoent , tu la payeras . 

CHAkiTÉ. 

Ha, faulx lîehe, tu- le feras 
Mourir, par ta grant avarice. 
Tu yras le maulvais riche 
En enfer, se tu te maintiens. 
Tu n^as plus de foy (pie les chiens ; 
Tu ne crains ne Dieu ne sa mère , 
Et je te dis , c'est chose clère , 
Que , se tu pi^ns de luy vengeance 
Par ta force , par ta chevance , 
Plus que raison ne peult porter, 
A tous les diables en enfer, 
T'abandonnes entièrement. 

L*ÂVARIGIEULX. 

Je vous jure , par mon serment, 
Que je luy feray de&plaisir. 

Charité. 

Jà , se Dieu plaist , n'auras loysir , 
De luy faire oultre raison. 
Plus ne véulx éstre en ta maison , 
Car tu es de maulvaise vie. 
Tu ne veulx sinon Tridierie 
Et trestoute déception. 

l^JilCHERIB. 

Vuidez tost , il eu est saison. 
Que venez-yous feîi^ céans? 



37^ Moralité 

GHAlttTÉ. 

Je y ayoYS apporté des biens 
I>Q benoist Dieu et de sa grâce ; 
Mais je n'y ay peu trouyer place 
On je les puisse ayoir logez ; 
Car il y a tant de péchez 
Par tons les lieulx de la maison , 
Qu'à grant peine trouyeroit-on 
Lieu ou place où je puisse mettre 
Une seulle petite lettre 
De la digne sainte Eyangitle. 
Tricherie , tn es tant subtiUe 
De Fencin du dyàble d'enfer. 
Qu'à peine te peult eschapper, 
Qui oncques est en tes lyens. 

Tricherie.. 

J'en ay d'adyocatz et sergens, 
Et de gens de trestous mestiers , 
Plus de cinq cens mille milliers. 
Je faictz ses sei*gens recorder 
Faulcement , pour plus en ayoir 
Qui n'en chiet de leur juste pris. 
Les adyocatz font encore pis , 
Car ilz prennent de tous costez } 
C'est ce de quoy sont tant rentez. 
Il ne leur chault qui perde ou gaigne , 
Mais que force d'argent leur yiengne. 
J*ay encor plus de ces marchans 
Qui se parjurent pour deux blancs 
A leur marchandise gaigner; 
Si feroient il pour ung dealer, 
Et si ay sur eulx tel poyer 
Que je les feroys parjurer 



Djs Charité. 379 

Plus de cent fois en une place 
Pour vendre ang bœuf ou une vache. 
Aussi fais-je à ces tavemiers 
Qui ont les vins en leurs seliers , 
Où ilz mettent belle fontaine ; 
moy ne perdent pas leur peine , 
Car le vin dure longuement 
£t en assemblent plus d'argent. 
J'ay partout grande seigneurie. 
Ce n est*pas la charbonnerie 
Qui trestout ne tienne de moy ; 
Encor, si je puis , en auroy . 
Si en ay-je de tous mestiers, 
Se ne sont les loyauU mouniers ; 
En eux je n'ay pas.grant regret. 
Car ils emplent bien leur godet. 
Bien doibs mener une grant joye : 
Je suis de trestous bonnoree ; 
Aussi seray-je la maistresse. 
Charité , je vous fais promesse , 
Se de briefz ne vous en allez , 
En mesprison vous trouverez. 
ÂUez-vous Qn appertement. 

Charité. 

Je ne te crains rien nullement , 
Ne toy, ne toutes lesmenasse». 
Mais j^ai grant. paour que tû ne faces 
Le Monde, par ta grauf trahyson> 
S'en aller à perdition. 
Hé , je prie Dieu le droicturier 
Qui luy plaise le radressier , 
Car il est bien fort desvo^é ; - 
Tu Tas faulsement cQQseiUé , 



88o Modalité 

Et il est biea fol de te croyre ; 

Il endura ou mort ou guerre; 

Car je scay bien certainement 

Que Dieu en prendra yengement , 

Et detoy, Avaricicux, 

Une fois seras douloureux 

Que tu n*as mis raison en toy. 

Et que tu n*as £ûct loyaulté 

Partout où ta la debyois faire. 

Tu desires tout le contraire 

De tout ce (}ui est proaffitable. 

Tu renonces IMett ^ur le dyabk , . 

Car tu ne yeulx pomt Charité , 

Et non faiMu de loyaulté; 

Tu ne yeulx mon tricherie 

Et te yîyre de pillerie ^ 

De lai[re]ei|is et de forfsdctx. 

Qui sont oontrûres a la paix 

De Dieu et de sa saincle gloire. 

Le PoyEE. 

Charité, je yous diencoire 
Qu'il m'a faict tant de mderies 
En Tassiete de ses tailles 
Que toutes les m*a fàict payer. 
Et si n'en eusse osé ^usser. 
Pour cause me je Im deliyois , 
Pour aymr de !ay j^adence. 

Cha^bité. 

Hé Dieux , hé ÏHéux ,* quel pacience ! 
Quel amour c'est à son prochain 
A ung homme qui meurt de faim 
Aller gomviaiiaer sur ses lûens! 



DB Charité. 38i 

L'ÀVARIGIEXJtX. 

Allez TOUS en hors de céans , 
Malle grâce pubsez (tous) avoir! 
Plus ne vous vueil ouyr parler; 
Allez vous en appertement. . 

Charité.. 

Tu t'en yras à dampnement , 

Se tu ne changes ton vouloir. 

Mesbuj ne t'en veulx plus parler; ' ' 

Dieu te doint gracé de bien faire. 

Allon en ung aultre repaire , 

Povreté , mon très doulx amy ; 

Cest avaricieux icy 

Se gouverne trop mallement. 

Nous deulx yron présentement 

Chieulx lebeii riâie vertâeali. * 

le sçay bien au'il sera joyeulx - 

Grandement ae nostre venue. . . . - 

.Le PovRE. :: 

C'est le meilleur dessoùbz la nue 
Pour réconforter pouvre gent'. 
11 me fiadct gaigner de l'airgent ' 
Et me donne eneor de ses biens , 
Et si vous ditz que povres gen^s 
Y arrivent de tous costez, ■ 
Et s'en vont tous reconfortez 
Des biens qui sont à la maison. 
Et tousjours est en oraison. 
Oncques ne vy plus })elle chose. 

Charité. 
Le sainct esprit en luy repose 
Qui se tient en son ssiinct service» • 



l 



38i Moralité * 

Son ctteur n^est point en avarice 

Comme sont ceulx de ses tyrans 

Qui de piller sont desirans , 

Et rapinent de toutes pars. 

Au feu d*enfer ib seront ars , 

S*ilz ne s^advisent de bonne heure. 

Le Poyrb. 

Dame, yoicy où il demeure , 
S*il TOUS plaisoit à luy parler. 

Charité. 

luy je me yueil reposer, 
Et demeurer doresnavant ; 
Pnisan^ilest à Dieu son servant;, 
Jamus nepardraj cTo hij. 



voas dnntiai jour, mMimij^ 
Honnettr, «aEnectè etbonne vie* 

Le Riche vertueux commence. 
Ha, Charité, ma doulce amye. 
Vous soyez la très bien venue , 
Je vous cuydoye avoir perdue 
Par celle faulse Trichene. 

Charité. 
Je suis du Monde très marrie ; 
Car A elle c'est habandonné. 

Le Riche. 
Helas ! il est bien affolé 
De soy fier en Tricheiîe ; 
Il ne luy fault que plaiderie 
Et que toute déception. 
Celluv qui souffrit passion 
Vueille son couraige changer. 



BB Charité. 383 

Charité. 
Or entendez , mon amy chler, 
Voicy se couvre malfieureux : 
Le faulx nche ayaricieulx 
L*a pillé par sa tricherie , 
Tant qu^u ne peult avoir sa vie , 
Et si travaille nûyt et jour, " 
Tant que c'est pitié et doulour. 
Ne luy ne toute sa famille 
N'ont pas vaillant une quoquille. 
Le faïux riche , par sa cautelle , 
Luy a vendu ceste quotelle, 
Bien la value de deux escus. 

Le bon Riche. 

H elas ! se ne sont que pertus , 
Et ne vault point , à mon advis , 
Deux blancs de monnoye de Paris. 
Vrayement , il a faict grant péché , 
Car il a son voysin trompé 
Et Ta deceu bien lourdement. 

Charité. 

Mon amy, certes, il convient 
Que par vous soit reconforté. 
Vous voyez sa nécessité ; 
Il est honteux à demander, 
Et si ne veult point truander 
Ne demander, s'il n'a besoing. 
Il n'est [ne] de près ne de loing 
Que ne voye comment il luy est. 

Le bon RicttE. 

Charité, je voy bien que c'est. 
Mon bon frire, despouille toy, 



384 MoiALlTi 

Et , ponr Famonr de Charité, 
Te donne ceste robe linge. 
Ta es pelu conune ang cingè, 
Tant es descheut en jpoTrete. . 
Tien ceste robbe , afflube.toy, 
Pour Tamour de Dieu , nostre ptré^ 

Lb Pouvas:. 

Je TOUS remer^e, mon dpulx frère ^ - 
Vous me donnez ung beau prci99^; 
Celuy qui fist le firmament, 
Mon frère , tous le yueille rendra ; 
Et , vrayement, Tay honte de Rendre 
Ainsi largement de vos biens. 

Lb bon Riche. 

Mon amy, ik ne sont pas miens | 
Ilz sont a Dieu le créateur; 
Je n*en suis cpie le serviteur, 
Pour loyaulmenten disposer. 
Dieu m^en doint faire mon debyoir. 
Si bien que j'en rende bon compte ^ 
Que (je) ne puisse pas ayoir honte 
Quant je yiendray devant mon maistre. 
Mon amy, il vous fault repaistre 
Et menger du pain de céans. 

Le Pouvrb. 
Ha , sire , j'ay tant de voz. bijens ^ 
Qu'il n^est homme qui le sceuat dire. 
Je prie au doulx Dieu, nostre. sire; « 
Qui vous yueille remercier. 

Lb BOjN'RicH^. 

Ne vueillés pas multiplier ; . 

Ne £ûre louengc en la ville . 



DE Charité. 385 

Que Vay donné cesté robiUe. 
Louense ne yeubL ne honneur^ 
Sinon de Dieu , le créateur, 
Par qui j^ay les biens de sa grâce. 

Le Pouvre. 

Sire , Dieu vueille que je face 
Tout ce qui yous est prouffitable. 

Le Boif Riche. 

Mon frère , seyez-vous à table ; 
Faictes la bénédiction ; 
Si prendrez la reffeçtion , . 
Ainsi qu^il yous est nécessaire. 

Lj; Pouvre. 

Puisque il yous plaist, je le yoys faire. 
Benedicite^ 

Le bon Riche. 

Bomùius^ 

Le Pouvre. 

Nos etea que sumua sumpturi 
Benedicat dextera Christî. 

Le bon Riche. 

Amen. 

Beuvez, mansez tout à loysir, 
Et, se yous plaisoit revenir 
Demain ^ai^er yostre journée , 
En vente, je vous payeroye 
Demain au soir bien loyaulment. 

Le Pouvre. 

Et je le veux, par inon serment , 
Car j^ay bien besoing de gaigner. 

T. III. is 



586 Moralité 

Et encor, s'il estoit mestier, . 
Je commenceroye dès présent. 

Le bon Riche. 

Je le Tueil bien certainement. 

rxj icy des gerbes à battre , 

De vin^ et trois à vingt et quatre. 

Battez-les ceste relevée , 

Et je suis d'acord que je paye 

Ce qui Tenchiet bien loyaulment. 

Le Pouvre. ' 

Battues vous seront loyaulment. 
Mais premier veulx mercy rendre 
De ces biens que je viens de prendre. 
Je mercye Dieu , le créateur, 
Et vous de céans , monseigneur. 
Dieu , qui nous fist par sa bonté , 
Nous doint faire sa voulenté , 
Et nous vueille , es mors et es vi£c , 
En la fin donner paradis. 

Tricherie. 

Mon maistre, j'ay pour vous veillé. 
Depuis que n'ay à vous parlé , 
Et , certes, si feray encore. 
J ej mus diray une mémoire 
QWous sera bonne et utile. 
Vous estes de toute la ville 
Le plus grant maistre et le plus ricbe ; 
Il ne faut point que Ten vous trische. 
Ne payés plus de ces tailles , 
Car se ne sont que mengealles. 
Faictes payer ses pouvres gens , 
Car saicbez bien que tous voz biens 



DE Charité. 387 

Ilz seroient présent tous perdus. 

Se ces pouvres gens sont Dien nudz « 

Vous ne yendrés que mieulx yoz draps , 

Et h. ces taincturiers de. draps 

Vous faictes bien servir et craindre , 

Et <ni*ilz soient battus jusques au jaindre , 

Ou de baston où de procès , 

Tant que les facez si lassez 

Qui ne vous osent regarder. 

Si justice si veult mesler. 

Nous y feron bien vostre paix , 

Et si vous pajeron bien yoz journées 

Tous ceulx qui s*y opposeront. 

(j'ÂyARICIEULX. 

le ne les crains pas d'ung estront 
Depuis que yous estes o moy ; 
Mais j*ay œrant despit, par ma foy, 
De se mesdiaiit là malheureux. 

Tricherie. 

Présent yous en feray joyeulx ; 
Ne yous en souciez ja plus. 
Je sçay bien encore ung pertus 
Par ou je le feray passer. 
Ennuyt nous donra à soupper 
En la tayeme de bon yin, 
Et si yendra dès le matin 
Vous seryir, sll en est besoing. 
Je le feray rire et chanter, 
Maulgré qui en youldra parler. 
Et saichez qu^il yous seryira 
Tout ainsi coomie il yous plaira ; 
De cela je yous fais promesse. 



388 HomALiTÉ 

L'ÂTA&ICIEULX. 

Ha , Tricherie , je suû tant ayse 
Quant me dictes telles nouyelles. 
Tontes mes causes et qœrellés 
Vous m^apoinctez si noblement 
Que je ne sçauroys nullement. 
Certes, oue je ne tous aymasse. 
Je assemole tousjours et amasse 
De Targent autant com(me^ de paiUe. 
n n^est le denier ne la maiUe, 
Se une fojs le puis happer, 
Que jamais me peult escnapper ; 
De cela je suis tout certain. • 

Teichbris^. 

Je Yoys à cebafilear.À^estraîii 
Jouer ung tour de mon mestier. 
Je luy aprendray à plaider, • 
Et le feray homme de ebnrt. 
Il n Y aura bossu ne sourt 
Que je ne mette en plaiderie. 

Lb Fouvre. 

Or ça, je n'ay metz q'une ayrie 
De tout ce que j'avois à batre' ;- 
Je n'en voys plus icy que quatre. 
J'ay Éaict très Jbonne rdevée. - 

TRICHEft^B^ 

Comme tu cours la queue levée! 
Repose-toy, pouvre meschant. 
Cmdes-tu ainsi en courant 
Gaigner Targentàcç marchant? 
Pas ne porteras les ahans 



DE Charité. 389 

Que tu auras k le servir. 
Bepose-toy tout à loysir, 
Et ne te vueilles pas grever. 
Il semble que tu dôibz avoir 
Bien quinze solz de ta journée. 

Le Pouvre. 

Hé, par mon serment, je vouldroye 
La faire bien et loyaulment. 

Tricherie. 

Dea , je ne dis pas aultrement. 
Mais tu n'as pas si erant salaire. 
Fors qui ne te vueiUe déplaire , 
Que tu en doibs ton corps grevex. 

Le Pouvre. 
Par mon serment, vous dictes voir. 
Je suis tous les jours de Tannée 
À besongner, battre et houer, 
Et n'ay q'ung pouvre onzain au soir. 
Et, vrayement, je suis si lassé 
Que j'en ay le corps tout cassé , 
Et ne me peux plus sousteniF. 

Trixtrerie. 

Maidieux , il t^ea;dint'8eqv0iiir^ 
Et besoigner trestont en paix , 
Et faire bonnes reposées. ' 
Espargne ton corps et te/ garde , 
Et, metz qu[e] onne te regarde, 
Ne te chaille du demourant. 
Et tu es ung pôvre meschant 
D'y faire si grant loyaulté , 
Car il ne donneroit en toy 
Ung estronc, se tu estois mort. 



390 Moralité 

Le Pouvre. 

Par sainct Jehan , je suis d^acort 
De me reposer une pose. 

Tricherie. 

Je te diray une aultre chose. 
Se ta fusses gentil marchant 
Et que tu en seusses le tour. 
Tu gaignasses plus en uns jour 
Que tu ne Cads tout aval Pan. 

Le Pouvre. 
Je TOUS en croy , par sainct Jehan , 
Nais je n^ay de cpioy marchander ; 
Il ne m*en fault point dementer ; 
Je n*ay denier, je tous affie. 

Tricherie. 

Et congnoys-tu point Tricherie? 
T'en TOuldroys-tu point acointer ? 

Le Poutre. 
Se ne seroit pas bon mestier, 
Qui Touldroit avoir paradis. 

Tricherie. 
Ha , que tu es ung poTre adTis ! 
Et ces marchans qui Tont par terre , 
Qui Teullent tant de biens acquerre , 
Ont-il point 6 eulx Tricherie ? 

Le Poutre. 

Par mon serment , ma doulce amye , 
Je croy bien qu'el n^en est pas lomg. 

Tricherie. 
Or dont, quant tu en as besoing, 



DE Charité. 391 

Pourquoy ne crois-tu mon conseil ? 
Au monde n^eust point ton pareil , 
De richesse ne de tous biens. 

Le Pouvre. 
Seroient-ilz bien acquis et miens , 
Et feussent-ilz de Tricherie ? 

Tricherie. 

Ha , mon amy , Dieu te benye , 
Tant tu es plain de grant folleur. 
Se rhommene vit par Tricherie, 
11 ne viendra jà à honneur. 

Le Pouvre. 

Par la mère nostre Seigneur, 
Je m^en Yueil dopcques acointer; 
Mais de cest an ne fus si fier ; 
Je m'en yray avecques vous. 

Charité. 

Povre meschant , où alez-vous ? 
Vous en allez à Tricherie? 

Le Pouvre. 

Ouy , vrayement , ma doulce amye , 
Je leray ou luy une pose , 
Car el m'a. promis une chose 
De quoy je suis bien resjouy. 

Charité. 

Retourne k moy, mon doulx amy, 
Je te conseilleray trop mieulx. 

Le -Pouvre. 

Non feray , dame , se m'i dieux ; 
Premier yerrayqa'el me fm. 



39^ moealité 

Charité. 

Gro js certain qa^el te mocquera t 
Mocqué CD afs) de plus espers. 
Tu cuides gaigner, mab tu pers. 
Retourne k moy, tu feras Inen. 

Le Pocvre. 

Par ma foy, je D'en feray rien , 
Car je YeuJx aprendre à plaider. 
Doresnavant m'en Tueil ayder 
De ces mengenrs et qu6tz de Tille* 
Hz m*ont bien graté o Festrille , 
Mais je les pense restrillen 
Tricherie m'a aprins 4 plaidàr. 
De quoy je suis bien asseuray* 

Charité. 

Or, mon amy, je te diray : 
Par defiaulte de patience , 
Tu yas perdre ta conscience ; 
Tu f en yas au dyable seryir. 
Je yoy bien qae c'est ton désir. 
Tu t'en yas perdre ame et corps y 
Et tu yiyras comme les porcs ; 
Tous les jours seras yrre et plain ^ 
Et jamais n'auras le corps sain ; . 
Le tien et l'autniy despendras. 
Et après tu en jusneras ; 
Tes enfans en mourront de fain y 
Et ta femme aura peu de pain ; 
Es tayemes et es procès ^ . 
Despendras le tien à excès 
Par le conseil de Tridierie. 
Et , ûrès doulce y iei^ Marie, 



9[B Chaaïté. 3g3 

Tout le monde va au rebours. 
Tant il en aura de doulours , 
jy^ ay le cueiir tout esbahy. 
^ais c'est raison qu'il soit pugny 
Ainsi qu'il aura.desservy. 
/ Plus [je] ne cômbatray o luy. 
Mon amy Ricbe vertueux , 
Allon à cest religieux 
Luy demonstrer la playderie 
Qui est au inonde et Tiicherie ; 
Faison-l uy supplication 
Qu'il face prédication 
Pour le pouvre peuple adyertir. 

Le bon Riche. 

S'il le povoit bien couyertir. 
Il feroit à Dieu beau service, 
Et acompliroit son office. 
Il est saige , il est grant clergie, 
Il est docteur en tbeologie. 
Allons à luy ignellement. . 

Charité, en parlant au Prescheur. 

Celuy qui fit le firmament , 
Mon maistre, vous benye et gart. 

Le Religieux commence^ 

Et bien yiengez-voos oeste part , 
Cbarité, toa tris douloe ainye. 

Le BON Riche. 

Nostre maistre, il est forbennye 
Du monde tout entièrement. 

Le Religieux. 
Voyre dieux; yray Dieu, et conmwnt? 



394 Moralité 

Vous me iaictes tout esbahy. 

Ghâeité. 

Certainement il est ainsi. 

Ayarice et Tricherie 

En ont saigné la seigneurie. 

Playdene, Cautelle et Debatz 

Sont , présent , tous les troys estatz. 

Il n'y a ne porre ne riche 

Qui ne soit si plain d^avarice ; 

l'en ay grant pitié d'en parler. 

Si pensez de vous aprester 

De faire prédication 

En demonstrant la passion 

Du filz de Dieu le créateur. 

Le Religieux. 

(0) Charité de noble valeur ! 
le ne vous doy pas escondire , 
Pour l'amOttr de Dieu nostre sire. 
Je Yoys donc au monde prescher. 
Ne jamais ne youldray cesser 
Tant qu'il soit hors de ses péchez» 

Le bon Riche. 
Hz sont en luy si fort fichez , 
Qu'à peine s'en départiront. 

Le Keïj lOii&VTL ^ parlant cùi peuple. 
Beaii qui aiudiuni verbum Dei et cueto- 
diunt illud. 
Benoistz soyent tous ceuix qui orront 
Et qui de bon cueur entendront 
Les parolles que je veulx dire . 
En Fhonneur de Dieu notre sire. 
Dévot peuple, vueillez ooyr 



DE Charité. SqS 

Les parolles, et retenir, 

Que je vous ày cy devant dictes 

Qui sont en PEvangille escriptes. 

Faire je vous veulx mention 

De la benoiste passion 

De nostre saulveur Jesu Christ 

£t des grans peines qu^il soufinst 

Pour la povre huïnaine li^ie. 

Mais la aoulce Vierge Marie 

Premièrement nous salueron 

D^icelle salutation , 

De (moi Tange là salua 

En disant : Af>e Maria 

Beati qui audiunt verbum Dei, etc. 
Le filz de Dieu , par sa bonté , 
Eut en luv si grant charité, 
Qu'il soumist mort et passion 
Pour humaine rédemption. 
Or faictes paix , mes bons amys; 
 m'escouter sovez tentis. 
Je vueil parler aune partie 
Des peines du filz de Marie, 
Qu'il soufirist pour nous rachapter 
Des horribles peines d'enfer. 
Le benoist fUz de Dieu , sans doubte , 
Avoit o luy une graht routte 
De disciples qui lé suivoyent 
Et moult de bien y aprenoient. 
11 faisoit moult de beaulx miracles ; 
Mais les faulx juifs demoniaçles 
Eurent si grande envye sus luy, 
Qui n'y eut onc guères celuy 
Qui ne fusttrestout hors du sens* 
Il leur enseignoit tant de biens . 



596 Moralité 

Et les reprenoit de leurs vices, 

De leurs cantelies et malices; 

Hz en estoient tous assotez. 

Helas , tant il en est assez 

De telz gens comme estoyent les jiii£i , 

Et je croj qu^z font encor pis. 

Dieu nous vueiile tous .aropncLeT. 

Les fauLx juifz s'allèrent penser 

Gomme ilz se pourroyent contenir 

De Jesu Christ faire mourir. - 

Et lors fut le traistre Judas 

Qui commit ung très maulvais cas ; 

Aux faulx juifz son maistre vendit 

Et bien tost apris se pendit. 

Et si feront certainement 

Tous ceulx oui leurs voysins trayront; 

Avec Judas aamnez seront, 

Dont Dieu nous Yueille tous garder. 

Quant Judas son maisire eust livré. 

Les faulx juifz fort Font lyé ^ 

Et battu SI piteusement, 

Qu'ilz ne le povoyent bonnement 

Regarder, tant estoit deffaict. 

Son povre corps estoit couvert 

De sang et de playes mortelle^. 

Helas, c'estoyent dures nouvelles 

Pour la mère qui le porta ; 

Benoist soit qui la conforta. 

Les faulx juiu oncques ne cess^ent; 

Une couronne luy posèrent 

Dessus sa précieuse teste. 

Helas , c^estoit piteuse feste. 

Si asprement si luy fichèrent 

Que les espines lui per cère&t 



DE Charité. 397 

La teste josques k la cervelle. 

Helas , c estoit dure nouvelle, 

Car il n'avoitpas desservy 

Que on le tourmentast ainsi. 

Certes, Monde, ce fust par toy. 

Helas , peuple , remembre-toy 

De la peine et de la douleur 

Que souffrit nostre créateur. 

Ëncor fut-il bien aultrement; 

Je le vous diray en présent. 

Quant les juifz l'eurent tant battu , 

Dessus la croix Vont estendu; 

En la croix les deux piedz cousirent ; 

Adoncfpies en hault le sourdirent. 

Or estoit-il en bault pendu. 

En la croix ainsi estendu. 

luy n'ont pas grant amytié, 

Vrayment, ceulx qui n'en ont pitié. 

Sa aoulce mère regàrdoit 

La grant douleur qu'il enduroit , 

Qui avoit le cueur si estraint 

Quasi qu'il ne valoit estaint. 

Piteusement la regarda 

Son doulx filz , qui la conforta. 

Âdoncques pria Dieu son père. 

Devant sa glorieuseu mère , 

Que le pecnié fust pardonné 

A ceulx qui l'ont crucefié , 

Et que nullement ne sçaVoyent 

Ces meschans gens qu[e] ilfc faisoyent. 

Ua , Monde , Monde , entens cecy ; 

Tu ne pardonneras ainsi 

Une haine ; quant tu l'auras , 

Dedans ton cueur la garderas 



308 Moralité ■ 

L'espace de six ou sept ans ; 
Et Dieu , qui souffirit taot d^ahans 
Qui n'ayoït oncques desservy, 
Il pardonna sa mort; ainsi 
Ne Yueille nullj demander 
Pardon , si ne yeult pardonner, 
Après Dieu , qui \k nault estoit 
Dessus la croix où il pendoit. 
A rkeure de nonne si fut 
Que son précieux corps mourut; 
Et Famé du corps s'en partit , 
Et les portes d'enfer rompit, 
Et les prophètes de jadjs 
A mys liors , et touï ses amys. 
Ainsi fiit humaine lîgnie 
Délivrée par le filz Marie; 
Par sa benoiste passion 
Nous mist hors de dampnacio.n. 
Helas , bien le debyons a jmer. 
Qui pour nous voulut endurer • 
Si grande douleur et martyre , 
Qu il n'est homme qui le sCeust dire. 
Encore firent les félons juifz 
Par un homme nommé Lougis 
Son costé percer o la lance , 
Dont il sortit grant habondance 
De sang, pour noz peschez laver. 
Helas, conune oses-tu jurer, 
Homme , cest sang cy espandu 
Qui tant de l»ens nous a valu 
Et en la fin nous peult valoir. 
Se bien faison nostre debvoir? 
Or regardez , mes bons amys, 
Gomme le roy de paradis 



DE Charité. 399 

Nous aymoit bien parfaitement, 
Qui tant de peine et de tourment 
Pour nous ilyoulut endurer. 
Yrayement , bien le debrons aymer 
Et garder ses commandemens 
A 1 donneur de la Trinité. 
Ayez tous en tous Ghaiité ; 
Aymez Dieu tout premièrement, 
Et vous entr'aymez loyaulment; 
Gardez-vous de pèche d'envie , 
D'avarice et de tricherie ; 
De tous les sept péchez mortelz , 
Pour Tamour de Dieu , vous gardez. 
Icy endroit je me recorde 
Des œuvres de miséricorde. 
Je vous reconm[iandpouvres gens, 
Que TOUS leur donniez de vos biens , 
A tous ceulx qui le pourront faire, 
Ainsi comme u est nécessaire. 
Gardez-les , chacun endroit soy, 
Gardez-les bien et loyaument , 
Trestous. ainsi qu'il appartient. 
Au sacrement de mariage 
Je vous prie que chascun soit saige. 
Le saint sacrement de Fautel , 
Qui tant est précieux et bel , 
Et tous les autres sacrcmens , 
Gardez-les, comme vrays chrestiens. 
Qr retenez , mes bons amys , 
Les paroles que je vous dis 
Au commencement du sermon : 

Beati qui audiunt verbum Deij etc. 
Benoist soit-il qui bien fera , 
Et qui son voysin aymera. 



4oo Moralité 

Si prions le donlx roy Jesos , . 
Quant de nos jouis n j aura plus j 
Que ayecques luy nous en aQon 
In eecula êeeulorum. 
Mes bons amys , Dieu depriez 
Pour les âmes des trespassez , 
Et , s^il TOUS plaist , aussi pour nous , 
Et nous prirous Dieu pour vous ; 
En la fin , pour avoir pardon , 
De noz pecnez remission. 
Dévotement chascun dira 
Pater nasier et At^ Maria. 

Le Podvre. 
Helas, Monde, que ferons-nous? 

Le Monde. 
Pouvre meschant, et qu'avex-vous? 

' Le Pouvre. 
N'a-vouspas ouy le preschcur? 

Le Mombb. 
Par m*ame, ce n^est q^ung hongnenr. 

L'Avarigieulx. 

Par mon serment, vous dictes vraj. 
Pourtant je ne Tay point ouy ; 
Car, certes , je me suis endormy 
Trestout au long du preschement. 

Jeunesse. 

Et moy aussi , par mon serment, 
Je n'y ay onçques esveillé. 

Le Pouvre. 

Je suis trestout esmerveillé , 



•* 



Vrayement, de ce qu'à nous a dit. 
Car, certes , il est en eçcript 
Au livre de la passion ; 
LWangi]le en faict mention ; 
Je le sçay bien certainement. 

TricHERIET. 

Et cominent vous et-il, comment? 
Povre meschant , boyron nous plus ? 

Le Pouvre, 

Qneferay-ge, mon douk Jesu&? 
Helas , d.onBez-moy patience ^ : 
Car je voy. que ma conscience 
Est plus orde que la charongne 
Qui est jectée en une fosse, 

Trigj^ii^iis. 
Par mon serment, tu meurs de soif: * 
Allons-nous enveoîrniostFe hostesse: 
Tu luv souldras nna peu la fesse : 
AdonclecueurluyreviendRi. 

Jeunesse. 

Pendu soit-il qui fën fauldra ; 
Allons y donc trestous ensemble* 

Le Pouvré. 

Par ma foy, tout le cueur me tremble 

De ceste prédication , 

Et, vrayement, j^ay intention 

De laisser ceste ôrdeuse vie ; 

Plus ne veulx vostre compaignie; 

Allez-vous en, car je vous quitte. 

JEUNESSE. 

Le regnart deviendra bermite;. 

T. III. S6 



4o9 Moralité 

Et par bien, o nous yrova yiendres. 

Le Poutre. 

Par ma foj, tous yoos combatez , 
Car je n^ entreray jamais. 

Tricherie. 

Ne TOUS chault, laissez lay en paix ; 
Nous Faoroiis par aultre manière. 
Je sçaj sur laj une matière, 
Par ma foy, qui lui coustera , 
Et, par bieu, que Ton en boira 
De potz de vin plus de quarante , 
Et , par mon serment , je me yente 
Que ce sera à ses despens. 

Jeunesse. 

Par mon serment, je me repens 
Que je ne fus homme de guerre, 
Car ie luy eusse faict acroire 
Qu'il eust pissé contre le yent; 
Et si eusse eu de son argent 
Ayant qu'il me fust escbappé. 

Tricherie. 

Parbieu , il sera attrappe ; 

Ne yous chaille , laissez-moy faire. 

Jeunesse. 

Par ma foy, que dire , que taire? 
A la guerre youlsisse auer, 
Et se j'eusse me quoy monter, 
G'iroye ayant qu il fiist trois jours. 

Tricherie. 

Vrayement, yous estes de bon jour 
Pour manier bien une lance , 



11 



DB Charité. 4o3 

Et si eussez de la chevance 
Autant que tous en youldriez, 
Car, certes , vous pUIeriez 
Et mangeriez bienla pouUe. 

Jeunesse. 

Je soys pendu par soubz la goulle 
Si je n^ayoye un bon cheyal. 

Tricherie. 

Vra jement , il ne seroit pas mal 
Empoigner le premier trouyé , 
Et puis yous en yenez à moy ; ' 
Et, s*il y a quelque poursuytte , 
Je octroyé que [soye] arse et cuytte 
Si je ne fais bien yoistre paix. 

Jeunesse. 
• . < 

Je ne me dormirayjamais, 

Yrayement , tant que je soys monté. 

Je m^en iray par cest coste , 

Droict icy tout à Tadyenture. 

Pansa. 

Le PouyRE. 

Helas , moy, pouyre créature , 
Que feray-je, poyre meschant ! 
La mort yiendra, ie ne sçay quant ,7 
Et me prendra soundainëment, 
Et me suis tant ordeusement " 
Gouyemé en ce monde icy, 
Ha , Monde , je ditz de toy f^. 
C^est par toy que je suis souillé. 
Ha , Monde , tu m as ayeiglé , 
Trop longuement je t'ay obay> 



4o4 MORALITi 

Le MoicBE. 
Gomment m^as-ta si fort obaj, 
Pouyretc , et que t*ày-jc faict ? 

Lb Pouvez, 
Ta m^as mis en ung manyais plaict 
Encontre Dieu mon createuc : 
Car je t'ay aymé d'une amoiir 
Du cneur si parfsdcienKnt 
Que ne povois certainement. 
Dormir ne de nuyt ne de jour^ 
Qae mauldit soit Hieore et le jour 
Que eu jamais à toy congnoissance ; 
Tu m'as porté très malle chance. 
J'estoye ainsi comme les porcs,' 
Qui guettent quant le glan cherraJ 

Le Moifi>E. 
Et pren le temps comme il Tiendra , 
Et ne te marrys jà si fort; 
Il m'est adyis que tu as tort. 
Pourtant que [tu] m'as tant aymé , 
Aussi en as-tu assemblé 
Or et argent et grant honnenif. 
Geulx qui mettent en moy leurs cueurs, 
Ilz ont Youleniiers plus de biphé 
Que n'ont les povres nxen3ie]ds 
Qui ne tiennent compte de. jaoy* \. ' / 
Aussi je te dis , par ma toj^ * \. 
Que n en suis point for^ aÔollé , 
Et si n'ont que malheureté : 
Je n'ayme point fort leur .ve^ué. . 

Le PouvkE* , 
Helas , et se la mofttnùVBi tue^ 



DE GHARirÉ. 4o5 

Tant comme nous sommes chargez 
De ces mauldictz mQrte[lls péchez , 
Que nous yauldra For etTargent ? 

Le Monde. 

Je n^en sçaj rien, par mon serment. 

Vaille ce que pourra yalloir. 

Il ne fault point cela penser ; 

La mort ne Tiendra metz em pose. 

Lb Poutre. 

J^ay bien à penser atiltre chose. 
Je prie la Benoiste Marie 
Qu elle Tueille son filz deprier 
Qu^il luy plaise me pardonner 
Tous mes péchez entièrement, 
Se que puisse aToir saulTement ; 
Car prendre Veulx ûng aultre usaige. 

Jeunesse monte à cheval. 

 ceste fojs auray bon gaifiet 

Puis que je suis ainsi monte* 

Tel ne se guette pôii^t de moy 

Qui me donra l)ien A fioupp^. 

Au Monde donneray tant peine. 

Puis que ouTrier suis de cheTaucher 

Trestous les jours de la sepmaine, 

Qui ne saura ou se musser. 

Je le pense bien attraper 

ÂTant qu*il soit le matin jour. 

Mon chcTal luy feriay iroter, 

Et fusse un^ prince ou ung seigneur : 

Je regnye Dieu le créateur 

Se mon cheTal n^a peint de fain , 

Et n'en fust-il poûil de mèîlleiur, 



4o6 HORALÎTÉ 

Car il aura son saoul de ^aîn. 
Je battray tant ce faulx villain 
Qui a dit Vieillesse ma mcre ; 
Je le feray mourir de fain. 
Qui requerra la mort amere. 
J'ay en pensay ennuyt de boire 
De son yin tant pleine ma pance , 
Et , si me fait maulvaise chère , 
Uns coup aura de ceste lance. 
Je luy donray dessus la pance 
Ung si grant coup de cel>aston y. 
Que le mettray, comme je pense» 
A terre du premier borion. 
Est-y là , le villàin garson y 
De me venir tant çoppier ? 
Bien luy monstreray sa leçon ; 
Ne se £aigne d'estucuer. 
Il fault s'a^vancer 
De fort cbevaucber 
Plus fort que le pas» 
Je m'en voys piller 
Le Monde , qui fier 
Si n en sera pas. 
Je îe mettray bas * 
Le traistre garson 
Ne s^en doiwte pas ; 
Couché en blancs drapa 
Il ne sera pas 
En céste taçon. 
Plus fort cheyaiidion t 
Et nous ayançon 
De trouver logis ; 
Dedans la maison 
 ce Êiulx garson 



DE Charité. 407 

M'ennuye que ne suy. 

Le Fol. 

Mais où s^en. va cest estourdy ? 

Il pense le Monde destruyre. 

Si chiet à teire , je pleuvy 

Qu^il nous fera trestous bien rire. 

Mais a-il point de gibecière? 

Nenny, ne bourse, ne boursette. 

Pleusist à Dieu qui fust en bière , 

Et puis luy hette ou luy deshette. 

Hau , entendez , Marionnette : 

Voulez-vous point en guerre venir? 

Je vous feisse vostre cnosette 

En y allant tout alloisir. 

Vertu bien , qu'esse là venir? 

Garde n'avez d'en eschapper; 

L'en vous gardera de courir, 

Et fiissez-vous vestu de fer. 

Se estiez encore plus fort , 

Si passerez vous i ceste foys 

Par dessoubz sa main, (je; m'en fais fort; 

Plus ne mengerez nulz pouletz. 

La Mort commence» 

Chascun deust bien grant pour avoir 
Quant présentement suis par voye* 
Tous les mal allons je devoye ; 
Les pltis faault monter je metz bas , 
En la fin leur £aictz dire : helas. 
J'ay obay à mon créateur 
Pour estre venue jusques icy . 
Je ne luy puis riens à nul fenr 
Que n'obeysse tousjours à luy. 
Mais après luy n'a créature 



4a8 MoiLixiTi 

Icy bas que ne mette 4 fin. 

Se meschant là se 4esmescve ; 

Bien est hors de son bon chemin ; 

Ne se faigne bien de se armer ; 

Il n'est anneurè contre moy, 

Si non deument se goayeroer 

En amjtié et loyaulté. 

On en peut allongier sa yie ; 

Mais encor conyient-il niôurir. 

Bien est fol qui ajme foUie, 

Car il contiendra tous mourir. . 

Oncques riens ne gousta de vie 

Qui ne faille goûter de mort, 

Soit au matin ou à comply.e. . 

Depuis que metz sus eulx mon sort, 

Trestous s^en vont en pourriture. 

CongMHssez un peu ma nature : 

Tu Yoys ennuyt mourir ton père. 

Et demain se mourra ta mère, 

Et, certes, tu n^ penses pas. 

Si te fauldra(-i]) passer le pas. 

Je les prens quant font bonne chère; 

Mais ma venue leur est bien chère , 

Et puis deVienent tant marris; 

Si leur fault de la boudie ung ris , 

J e m'oblige qoG Ton me ton£. 

Ainsi passe la Jeye du inonde. 

Ceulx quî^s mm tnsors amaueiit , 

Se leurs ameè bienilé ajnbàsaent, 

Hz pensassent k mx vemie!; . < 

Mais laissent rame tonte^niie, * 

Des biens mondain Testent lèvrscorpff. 

Qui seront à poomrrdéliort - 

Comme très puante cfaarongiie* 



ht Charité. 4<>9 

De tant parier, ce nW (foe honglie. 

uorps comiptible , 

Corps tris noysible ; 

Sac très puant. 

Humainecrejftiire, 

Pourrie en ordure. 
Àdrîsez TOUS se tous Toulez , 
Car tous par ma Aiain passerez. 
Tel est icy qui toe regarde , 
Qui de mo j ^as fort fte se garde , 
Qui de brief aura dis mon dart. 
Se garde de moy qui Touldra. 

Le Fol. 

Et par mon ame , je yoy là 
Celle noire Mort enfumée. 
Jamais en paix ne se tiendra. 
Le dyable l^a bien admenée ; 
Il semble que je Tay mandée ; 
Je croy que Jeunesse el tura : 
Jeunesse est en mallp année; 
C'est le dyable comme elle Ta. 

La Mort. 

Je m'en yoys Jeunesse assaillir, 
Qui yeult ainsi piller k Monde ; 
Il est temps que je le confmde ; 
D'autant qn^i ^st plu» hault monté , 
Plus tostà mort je le mettray; 
Il ne se guette pas de moy; 
Il ne fust pas si faault monté. . 
Avefc la pointe de mon dart 
Le perceray de part en port y 
Et par icy je m en iitay, 



4lb MORALITi 

Tout droict à lay et le turaj, 

Et planeurs aultres, je ni^en vaut. 

Sans attendre ne tant ne quant. 

PaaM« 

Ung peu à moy or entendez , 
Jeunesse , et bien escoutez : 
Devant Dieu , . le roy soureraîn , 
Vous adjoume , soyez certain. 
Âyec la pointe de mon dart 
Vous perseray de part en part. 
Car TOUS faictes ouiti^e mesure. 

Jeunesse. 

Helas, ung peu de moy endure. 

Je te donray ce que vouldras; 

Se tu veulx , mes biens tu auras , . 

Et me donne terme de vivre ,. 

Au moins que (je) puisse avoir moa livre. 

Haa, Mort, je ne pensoye mye 

Que de moy fusses approchie. 

Je te donray mon grant cheval 

Et la bride , et le petral , 

Et la selle , et les estriers , 

Et m^alongne ung peu mes jours , 

Que bon compte rendre je puisse. 

La Mort. 

De mourir, enfant, si tVvise^ 
Car trestous tes biens je ne prise 
Pas la value dWe coquille. 
N*as-tu pas eu terme ae vivre 
L^espace de plus de vingt ans? 
Et SI n^aymas onc povres^gens. 
Plus tu n^aura3 terme de vivre. 
Avance-toy, et te délivre 



DB Charité. 4ii 

De venir tost rendre ton compte. 

Jeunesse. 
Helas, (i)cy mourray à grant honte* 
Je Tay tousjours bien desservy. 
Présent aussi seray pugny, ' 
Car j'ay faict.ma mère Viellesse 
Mourir de fiain et de povresse. 
Le Monde me conseiUoit bien ; 
Mais en luy je ne donnez lien. 
Venu je suis à malle fin. 
Car à mal faire (i')estois enclin ; 
Et à mon ayde j^appelasse 
Charité , mais en toute place 
Je la hayoye comme reûin. 
Je n'oseroye à nulle fin 
La requenr [ci], car pour elle 
Ne donnay onc uns seul denier. 
Hau , Tricherie , viens à mon ayde ; 
Je suis à mon trespassement. 

Tricherie. 
Je ne sçauroye, par mon serment y 
Contre la Mort quel pièce pous^. 
El vous gardera bien de tousser. 
Puis que vous estes attrapé , 
Devant le dyabie porteray 
Tous voz beaulx faiétz, n'en doutez mye. 
Par moy sçaura bien vostre vie ; 
Pas ung mot je n'en laisseray; 
Vostre vie bien luy compteray, 
Je vous le prometz et ame. 

.Jeunesse. 
Helas, Tricherie, Tricherie, ' 



ii% MOftALITi ' 

Me lairras-ta ainsi mflBirir? 
Haa, Tricherie, Tridierie, 
A ceste heure tù m V Êûlly, 
Quant de la mort ivàs assailly. 
Je ne sçanroys plus mot parler. 

Le Fol. 

Qu^esse là? Veut-il trçspasser? 
Il iaict une maul^aise chière. 
Il ne luj fauldra que souper ; 
Meshuy tous ne le yerrez rire. 
Pensoit-il le Monde destruyre 
Et battre ainsi la poyre geut ? 
Je Toys fouillei: sa eibbecière. 
Je auray tout ce qu il a d^argent, 

La MoaT. 
Je Toy jouer de mon mestier 
EnTers cest^yaricieux. 
Il ne ffaigaera rien de plaider; 
Pas ny acompteray deux œnh. 
Il a tant esté orgueilleux 
Quepoyres gens neprisoit grain. 
Je lui ietoj soufirir grant deulz 
Deyant que soit yemi demain. 
Il passera par sotbt ma main ; 
Bien le garderay d^arrester. 
Plus il ne luy fauldra de pain ; 
Si grant lain ne sçanra avoir. 
Pensez tost de yoûs ayataçer, 
Maistre Huron , plus que le pas ; 
De yenir deyant Dieu compter 
Vous adjoume, n*en doublez pas. 

L*ÀyARicii;OLx. 
Helas, Mort, Jielafli.nan/eras. 



1 



i 



DB GHARITi. 4t3 

Je te prie, par mon sennetit, 

Que tout (piant oue j^aurày d'argent 

Voluntîers te le aônnerày. 

Là MaRT. 

Je te diray :' atance-toy, 
Car présentement tu mourras.; 
Encore ce coup te donnerày, 
Car le Monde phis ne traliyras. 

L*Ataricieulx. 

A ce coup je suis au trespas ; 
Plus ne sçauroys tenir du cueur. 

Le Fol* 

Vertu bien , as -tu mal an cueur ? 

Rien ne te peult doniier confort ; 

Cest une beste qui tout mort. 

Chair bien , ,comme pally est.jà ! 

Il est venu qui aulnera; 

Le meschant tantost se mourra; 

Il porte meschant vidîmus. 

C'est bien chié , chia , chia ; 

Il est Tenu qui aulnera. 

Tousjours reviens à ma lesçon : 

Il vault mieulx que nous nous musson. 

Je m'en vueil fiiyr vistement ; 

Je yoys chevaudier ung baston 

En defiaulte d'une jument. 

L'Ayarigieulx. . 

Helas, je ne sçauroye comment 
Ozer parler à Charité , 
Car îe ne l'aymoye nullement 
Tandis que j estoye enfant. 
Helas, où es-tu, Charité? 



4i4 Moralité 

Giarîté, Tiens moy conforter; 
Car il me convient trespasser; 
Je ne me puis metz soustenir. 

Charité. 

Ho, Riche , t'en va*-tu mourir ? 
Metz en ton cneur contricion 
Et demande confesâon. 
Confesse trestoi» tes péchez, 
Qui sont dedans ton cueur fichez ; 
Crye mercy au Dieu souverain. 

L'AVARICIEULX. 

Je me confesseray demain , 
Quant j'auray fait mon testament. 
Mais je suis en adjoumf ment 
Pour aller compter devant Dieu. 
De cela je n'ay pas grant jeu, 
Car je ne sçauroye que compter. . 
Plaise vous à m'y conforter, 
Ou je suis ung homme perdu. 

Charité. 

Se tu debvoys estre pendu 
Devant le dyable en enfer^ 
Je ne sçauroye pour toy monstrer 
Une seulle petite aulmosne 
Que ne te sceu mettre en la cosne 
Que tu voulsisse riens donner 
Pour la grâce de Dieu avoir. 
Dieu t'a donné beaucoup de biens , 
Mais pour lui tu n'en donnes rien ; 
 messe , à prédication , 
N'estoys en nonne intention ; 
Tu ne pensoys qu'à rapiiier 



DE Charité. 4«^ 

Et les poyres gens decepyoir ; 
Tu ne pensoys fors à ta pance , 
A Tricnerie et decepyaoce. 
En mon livre n^a nen de toy. 
Pour tant, amy, confesse-toy, 
Et crye mercy à Dieu le père 
Et k sa glorieuse mère , 
A tous les sainctz du paradis « 
Tandis que tu as ton advis; 
Il te fera miséricorde. 

L'AVARICIEULX. 

Vrayement, dame, je vous accorde 
Que , se je vis encore demain , 
Je manderay le chappelain ' 

Et feray trestous mes dovers. 
Mais prenez garde k mes avers. 
Et où est-tUf hau. Renouait? 

RenoUART SERyiTEVK commence. 

Que vous fault-il? Dyable y ayt part; 

Vous ne cessez point de crier. 

Or pensez de Dieu mercier, 

Car (il) ne vous fault plus demourer. 

L'AVARIGIEULX. 

Baille-moy tost ma gibescière ; 
Tu Tas emblée, mescbant garson. 

Le S]brviteur. 

Se vous fîissez dedens la bière , 
Je chantasse mainte chanson. 
Mon maistre , pour Famour de Dieu , 
Donnez-moy vostre grant morel, 
Car plus ne seray en cest lieu. 
J'ay &ict faire vostre tombel , 



4i6 Maa ALITÉ 

Pour TOUS mettre en sépulture 
Honnorablement , s'il vous plaist; 
Donnez-moy [donc], sans-forfiiiture. 
Tout le meuble cpii vostne est^ 
Et je le metraj si à point - 
Que sera grande mélodie. 

L'Ataricieulx. 

Pense de moy, j» te supplye, 
Qui ne demeure maittenc 
Que tu ne faces touser ; 
Helas , je- nV sçauroys aller. 
J'ay bien mille rucbes de sel, 
Qui soit vendu au renouvel, 
Qui te yauldra beaucoup d^argent. 
Ne preste pas à pôuvre gent , 
S^ilz ne font obbgatioQS 
Ou aultres bonnes escripfures. 
De trestoua ees tillains nurons, 
Obligez en bonnes ceduUes , 
J^ayoye de disme et de blé ; 
Que tout me soit mis «a goemiër ; 
Ne soit Tendu ne tran^irté: 
Jusques à ce qu'il soit bien diier. 
J'ay bien du yoy de trente sommes 
Qui soit yendu du renouyel. 
Et , quant tu le mettras es poques , 
Mesle le yiel o le nouyèL - 
J^ay tant de yacheis en louage; 
Pense de toutes les retraite , 
Et à ceux qui les ont en gavd 
Ne leur paye lien ; laisse-moy faîni-: 
Car je guariray, si Dieu plaist. 
Et puis eulx et laoy eonieroii. . 



Je te supplye , 9$m plus d/arrest^ 
Fais tout coyntae nous devî^om 

Lb Servïteôr, 

Vous avez bonne ôppinioïi. 
Mais ton argent, cfy où il' est. 

L'AYÀRiGiEULX fine^ 

Par ma foy, je né sni^ pas prest; 
Je ne puis metzâ ritn.peDSer. 
Plaise TOUS [de] n^e conforter, 
Charité , je vous en ^upplye , 
Car certes mon [corps] afibyblie ; 
Je ne puis metz guères parler, 

Chariïé; ' 

Bien roy que tu doïbs tréspasàer. 
Àmy, pense à Dieu de laisus ; 
Es Liens mondains ne pense pl^s , 
Mais pense de ta consQencé ^ . 
Et ayez en toy bonne paciençe ^ 
Et te souTienne de Jésus. 

Paoïa. 

Helas , il ne parlera plus; - 
Il mourra sans confession. 
Dieu luy face remission 
Ainsi comment il luy plaira. 

Le Monde. 

Je ne sçay que Dieume£ara; 

Mais je suis treaitout «sbaky ; 

Tout entour me voy assaiÛy 

De la mort si emeUement, 

Je crpy qu'el vêult de sa, puissance 

Sus moy prendre aulcune yengeance. 

J'en SUIS trestout eam^inreillé; 

T. III. 9T 



4i8 Moralité 

La guerre mVyoît tant pillé 
Qae je ne sçayoye plus confott , 
Et, présent, je suis de la Mort 
Âssailly de trestoaz coostez. 

Charité. 

Celuy qui-sns tous a postez , 
Monde, te Tueille conforter. 

Le Monde. 

Dame , bien poissez-yous ayoîr. 
Desconforté suis durement : 
Car la MoH si cruellement 
Est si près tout entour de moy. 
Que, par mon ame, je ne sçay 
Que je doibs plus faire ne dire. 

Charité. 

Monde , tu appaiseras Vjte 
De Dieu le père créateur, 
Fors que tu luj donnes f amour 
Et qoik luy yueiUes retourner. 
Car il congnoist bien ton youloir. 
Tu ne Pas ne craint ne aymé. 
Ne son commandement gardé. 
Et, pourtant que tu as failly, 
C^est raison que tu soys pugny ; 
Si seras-tu certainement. 

Le Monde. 
Helas, yray Dieu, je merepent 
De fayoir ainsi ofièncé , 
Et si sçay bien que j^ay faulcé 
Ton commandement plusieuit feyr ; 
C'est par moy cpe je n'ay la paix. 
De mes péchés je siejwcorde; 



DE Charité. 4i9 

Donne moy ta miséricorde , 

S'il te plaist , mon donlx créateur. 

La Mort. 

Je ne feray plus de séjour 
De cest bon nomme yertueux ; 
Je feray son cueur douloureux. 
Car plus je ne le lairray vivre. 

Pausa. 

Mon amy, apporte ton livre ; 
Si vien compter devant le roy, 
Celuy qui fa faict et formé , 
Car plus n'auras terme de vivre. 

Il chiet , et [elle] dit : 

Or en est le monde deUvre ; 

Je Tay percé de part en part 

Avec la pointe de mon dart. 

Il n'a garde de relever ; 

Avant qu'il soit demain au soir. 

Il aura Tame hors du corps ; 

Et d'aultres , qui sont moult plus fors, 

Qui point ne se guettent de moy, 

Aussi mourir je les feray 

Avant qu'il soit le matin jour. 

Le Vertueux. 

He , Nostre Dame , quel douleur 
M'ett-il prins au cueur tout présent. 
Je sui$ mort tout certainement ; 
Je ne me peulx mes soutenir , 
A ceste foys m'y fault mourir. 
Helas, or me fault-il aller 
Devant mon maistre pour compter. 
Helas , mon Dieu , mon vray amy, 
De bon cueur je vous crye mércy . 



^%fi Moralité 

Où es-tu, dame Charité? 
Je te prye, réconforte moy, 
Car mon grant besoing ^st venu. 

Chaaité. 
Àmy, je t^ay bien entendu ; 
Tu es assailiy de la mort. 
Âmy, sois vertueulx et fort 
Encontre Tennemy d^enfer. 
Et pense de te confesser 
Et reçoys les sainctz sacrements , 
Que recepvent les chrestiens 
Quant ilz sont au point de la mort. 

Le bon Vertueux. 

Ha , Charité , je suis d^acort. 
Tout premier *fBe Vueil confesser, 
Et après le vueil recepVoÂr, 
Tout ainsi comme il appàrûent; 
Et que ce soit hastiîrement , 
Devant que le mal plus n^e prengne. 
Aussi TOUS prie qu'Q vous souyiengne. 
Quant g^iray devant Dieu compter. 
Qu'il vous plaise me conforter, 
Que le vray Dieu ne me refuse 
Quant g^iray co|npter devant luy. 

Charité^ 
Saiches bien àe vray, mon àmy. 
Que tous les Inens que tu as faictz 
Devant Dieu seront présentez. 
Jà n Y aurés empeschement ; 
Croyez exï Dieu bien feftnement. 
Je voys, pour vous, ledeprier 
Qui luy plaise à reeepvoir 



1 
i 



dK Charité. 4^i 

Vostre ame quant e\ psotira 
De vostre corps, qnant il môiinra. 
Yray Dieu , qui l<e moiMle'foriiias 
Et qui d'enfer le radbqptas 
Par ta benoiste passion , 
Yueiltes ouyr mon oraison : 
Cest homme , qui est adjourné 
Pour aller compter devant toy. 
Il a esté ferme en tous temps 
De garder tes commandemens ; 
Pas ung il n'en a trespassé ; 
One en sa vie n'en fut lassé 
Des œuvres de inisericorde. 
A trestout ton plai$ir s'acorde 
Et n'a point voulu aultrement 
Offencer ton commandement , 
Et n'a point esté en sa vie 
Un jour hors de ta compaignie. 
Si te deprie , douk roy de gloire , 
Que luy faces- miséricorde 
Quant l'ame du corps j^artira , 
Qui puisse aller in dona 
Âvecque les anges lass'is. 
Quérir vousr vueil ung confesseur, 
Qui vostre benoist créateur 
Vous apportera en présent. 
Et le benoist saint sacrement 
Du bon caeur le recepvez, 
Et humblement vous confessez 
De vos péchez entièrement. 

Le bon Vertueux. 

Si feray-je certainement ; 
Jà ung péché ne latsseray; 



42a Moralité 

Trestous je les confesseri^, 
Ainsi comme [je] les ay raitz, 
Et n'y retourneray jamais ; 
Chanté, je le tous affie. 

Charité, ^n parlant au Religieux, 

Sire , le doulx filz de Marie 

Tousjours vofus tienne en son service. 

Une chose qui est propice 

Vous suis Tenu admonnester. 

C'est que vous venez confesser 

Le nome homme vertueulx : 

Car Jésus Christ, le roy des cieulx , 

L'a feict adjoumer par la Mort, 

Qui au cueur l'a frappé si fort 

Qu'il est malade durement. 

Et si vous supply humblement 

Que son saulveur luy apportez 

Et en onxion le mettez 

Ainsi comme ung vray chrestien. 

Le Religieux. 

Ha , Charité , vous faictes bien ; 
Je ne vous doibs pas escondire, 
Car qui confession désire 
Et de bon vray cueur se repent 
Il est en voye de saulvement 
Et qu'il ayt bonne intention 
De faire satisfaction. 

Pausa. 

Pourtant je voys à luy parler. 
Dieu vous doint bonjour, moYi amy y 
Voulez-vous estre confessé ? 



BE ChARIT]^. i%3 

Le bon Vertueux. 

Oay, monseigneur; en la loy 
De Jesuchrist je yueil mourir. 

Le Religieux. 

Or dictes trestout à loysir 
Segretement tous vos peschez , 
Et gardez que vous n^en laissez 
Nuiz du monde en Tostre pensée , 
Car vostre ame seroit dampnée 
Et de rechief pécheriez . 

Le bon Vertueux. 

Je les ay trestous confessez ; 
Mais i Dieu je requier pardon , 
Et je vous prie que me donnez 
Présent yostre absolution. 

Le Religieux. 

Vous Taurez ,, e*est.très biat raison. 
Dictes yostre confiteor. 

Le BON Vertueux. 

Confiieor Dec ommpotentî, etc. 

Le Religieux. 

Amen. Miaereatur tui omnipotens Deus 
ei dîmiitat tihi omnia peccaia tua etper^ 
ducat te ad vitamœternam. Amen, 

Oremus. Indulgentîam , abeolutionem et 
remissionem peccatorum tuorum tribuat 
tihi pater omnipotens , pius et misericors 
Dominus, In nomine Patrie et Filii etSpi" 
ritua Sancti. Amen* 



4i4 MoEALiTi Dfi Chahité. 

• î L* Fol. 

Or allon trestons, sH tous plaiâ i 
Remercier le iy>j des ciéiiaL^ ' 
En lui priant qu'il nous doînt paix ^ 
Chantant Te'Deum iaudamus. 



Cj fine ]a bonne Charité. Imprimé nou- 
yeUementen la maison de feu Bar-* 
nabé Chàussard, pràs Nos* 
trè Dame de Con- 
fort: 










LE CHEVALIER 

QUI DONNA SA FEMME AU DYABLE 
A éUx personnaigeaye'èêt ciésavoir 



DIEU LE PÈRE 

NOSTRE DAME 

GABRIEL 

RAPHAËL 

LE CHEVALIER 



SA FEMME 
AMAURY escuyer 
A NT H € 1^0 R eseayw 
LEPfPEDR 
ET LE DYABLE (1) 




Le Geevalier commtfRo^* 
ame^ tdos povei bien «(Utvoir 
Que Fortune mVbieiis donné 
Et qu'el ili> traor dMMàié 
Pour mainfoiiir^seigaettrie 
En estât de dbeyaiém!. : V ' 
11 VLj a, en totit ee psip-, 
Plus riche homme cpLfi ]é suis. 
Je yis sans sôucy ; • -• 
De yilains dis fy; 
De gens suis garuv ; 
Tant que j'en vouldray 
De l)iens . suis garny . 



(I) Le lff«Mw 4n CkeBtM» qui imm m fmmm a» 
êUihU a étd imprimé deux foit «n leitidm* lièi^e , sans 
parler de l'édition qoe nous reproduisons. U en a été fut 
une réimpreuion par !•• umà dt Caroo. 



4a6 Le Cheyàlier qui dokn a 

Je ^liis mettre aitt^iiy * 
Ceux qpe je youldraj. 

Là Dàxe. 

Mon dottlx amj, je tous dîray, 
Se des biens avez largement, 
Merdez Dieu deyotement, 
Car sachez yeritablement 
Que sa grâce les tous envoyé. 

Qui bien s*i emi^loye ^ 

Des cieulx la montjoye 

U peut acquérir. 

Le Chevalier. 

' Et puis béste me maintenir (i) 
Pour mon estât faire valoir. 

Nul ne m'ose desdire ; 

Gbascun ta,e dit : « Sire , 

Dieu vous doint bon jour^ » 

J'ay ce que vueil dire ; 

Je puis rire «t bruyre , 

Pour le fiairë court. 
De mes biens seray plantureux 
En* donnant k ceulx de ma court. 
De me servir seront jojeulx ; 
Doubter me feray, brief et court. . 

Là Dàme. 

Dissimuler, faire le sourt, 
Yault mieulx que pompé trop régner : 
Car on voit, par fe temps qui court, 
Presumptueux bien bas mener. 
Moyennement se fault gouverner 
Sans vouloir à hault monter tendre; 

(i) Variante : Je pois , belle , me malnténif . 



SA Femme ÂÛ Byable. 427' 

Fortune Tient souvent miner' 
Geulx qui yuellent trop entreprendre. 

Le.Ckeyaliër. 

Il n^est nul qui me sceut reprendre 
De mes fisdz ; si feray mon- ytieil/ 

LÀ Dame. 

Qui veult foUement tout despendre 
Doit mourir en paine et en dueil. 

Le Chevalier. 

Dame y je vous defièns sur Poil 
Que (ne) m^en parlez plus. 

La Dame. 

Mon amy, 
Puis c[ull vous plaist, dont je le yueil v 
Car bien voy qiren estes marry . 

Le Chevalier. 

Venez avant tostv Âmaury, 
Et vous , Anthenor ; je vous donné 
De mon avoir et abandonné 
Une très grosse quantité , . 
Car je congnois , en vérité , 
Que me servez bonnestement ^ 
Sans me frauder aucunement. 
Et pour tant ceste cy aurés 
DW tout plain , et le partirés 
Ensemble comme il vous plaira. 

Amaury. 

Gbascun de nous vous servira , 
Monseigneur, à tous voz affaires. 
Pas ne debvon^estrè contraires 
A vostre vouloir, sans doubtanèe , 



4^8 LeGhetalibrquidohna 

Yea cest argent cf^ qu'en presmee 
Nous ayez oonné, Graut mercj* 

Arthenor. 

MonseigneuTt n'aja uul MNiey. 
Nous TOUS senrisoiB en tel cas.; 
Ung tel mabtre ne deronè pas 
Desdire k faire son talent. 
Certes^ fauroys le cuéur dolent 
Se rien aviez qiii ne fust bon. 
Je TOUS mercie dé ce don', 
Qu*à présent nous ares donné. 

Le Chevalier. 

A tous vueîl estre haLandonné, 
Sans reffiiser riais à nully» 
Affin que je soje renommé , 
A tous vueil estre liabandonné. 
Ghascun si sera gucf donné 
Qui me servira sans ennuy^ 
Sans refibser riens à nully. 

La Dame. 
Helas f au cueur navré je suis 
Quant mon doulx espoux et mary 
Dissipe ses biens sans raisoii. 
Quant se trouvera dessaisi 
De ses biens en toute saison , 
vierge de très grant renom ! 
Par ta sainte conception 
Me vueille préserver de blasme. 
En toy est n^on affection , 
En toy est jma protection ; 
Mère de Dieu , sans nul diffame , 
0,haultedamel 



i 



SA: Femjkb au Dyàble. 4^9 

Guarde sa pouTre ame, 
Que mal ne rent^mé 
Dont puisse périr; 
Ta doulceur redame 
Que mon cueur enflame 
Tant quWfin la flamme 
Ne puisse sentir. 

AlIAURY* 

Ânthenor, il noQS £ault partir 
Nostre avoir, quant nims aurons temps. 
Selon ce que voya et entens v 
Nostre maistre nous fera riohes ; 
Ne ressemble pas ees^na ckiebes 
Qui n^osent pas leur saoul tnehger. 

Anthênor. - '. 

Nous sommes hors de tout danger 

Quant avons argent à puissance. 

La chair bieu , bien prendray [Pusance] 

De le flater soir et matin ; 

Tant feray que aulcun gl'ant butin 

Me donra; (à) présent je m'en doubte. 

AmA€RT. ' 

Velà vostre part ; somme toute , 
Faictes-en ce que vous voûldrez. 

Antv£NOR. . 
Pai* devers nobis vchis viendrez; 
Je prendray cecy et tant moins. 

Amaurt. 

Quant nous deux aurons les sâcz plains , 
Il fauidra de luy congé prendre. 
Mais avant il nous fault x^ntràdre 



43o Le CHEYALIEft QVl ]>OIf NA 

A le servir de belles bourdes 
Pour tousjours attraper du caire. 

ÂNTHENOR. 

Je sçay tout ce qu'il y fault faire : 
Bayer, dater et oien mentir 
Font souvent [les] flateurs venir 
En grant bruyt et court de seigneurs. 
Le Chevalier. 

]*ay regnom sus tous les greigneurs 
Pour mes largesses et honneurs 
Que fais à tous ceulx de ma terre. 
Certes, tous mes prédécesseurs 
Ne furent oncques possesseurs 
De tant de biens sans avoir guerre. 
Si tost que aulcun me vient querre , 
Ung don je luy octroyé bonne erre , 
Et pour tant ae tous suis prisé. 
Grans possessions puis acquerre ; 
Mon plaisir par tout je vueil querre 
Pour estre mieulx auctorisé. 

Quant j'ay [ad] visé 

Et tout devisé , 

Un tel advis ay 

Que mieulx m'en sera. 

IJomme desprisé , 

De tous refusé, 

S'il est accusé, 

Nul ne Taydera. 

Mais moy^ j'ay grant port. 
Avoir et rapport, 
, Par quoy me tiens fort 
Encontre tous cas : 
Car^ se j'avoye tort, 



SA F^mm£,au.Dtabl^e.' .43i 

Par mon dureffort 
Je.yaineray lamort 
Noyses et debatz. 

J'ay ce que désire ; 
Puis chanter et bruyre. 
Ghascunmedit : «Sire (i), 
Dieu vous doint bonjour. » 
Nul n^ose desdire 
Ce que je vueil(le) dire ; 
Saillir puis pt bruyre 
Quant Tient à mon tour. 

Mais que vault finance? 

Qui n a sa plaisance y 

Ou qui ne s^avance 

D^estre plantureux , 

Par juste éloquence , 

Chascun , sans doubtance , 

Dit, par sa sentence, 

Qu^il est maleureux. 
Comment ya, fi*anc cuer gracieux? 
M^amye, quelle chiire faictes-vous? 
Vous voyez que je suis sur tous ' 

Honnore par ma grant largesse. 
Je suis l^apuy de gentillesse ; 
Chascun m*obeyt sans fayeur. 

La Dame. 
Pensés à la fin , monseigneur, 
Et sachez que joye dissolue 
Deyant Dieu n^est point d« yalue (a). 
Prodiffue(s) estes ; trop bien le yoy. 
Dont j ay grant doubte , par ma foy, 



\ 



1) Ancienne édition : Maiitre. 
1) Texte : Ttlear. 



4^9 Le€HBTALI£E:QUJ OONHA 

Qu*eD la fin n'ea'.soytz.voainj.-. . 
Et que pensez -TOUS, monr amy, 
D^ainsi le yostre dissq>èr? 
Vos jours voulez anticiper . 
Pour mourir misérablement. 
Se des biens avez largement , 
Donnez anlmosnes pour Dieu , 
£t certes , en temps et en lieu , -^ 
Vous yauldra, soycz-^n certain. 
Flateurs tous soutenez A plain , 
Et leurs impartissez voz biens 
Tellement que n^avez plus riens. 
Vous avez fait Joustes , toumoys , 
Et tout ne vous vault ung tonmoys. 
Que sont devenus vos cbevaulx , 
Sur quoy Caisiez les gtans sànlx ? 
Vostre avoir fort se diminue. 
Que vault tel pompe entretenue 
Qui vient à tel confusion ? 
Ou nom de la conception 
De la très glorieuse dame, 
Que r Eglise aujourdliy reclame , 
VueiUez siu* ce point cy [v]iser 
Et de ce mal vous adviser, 
Qui ainsi vous maine k déclin. 

Le ChbvaIiIER. 

Me tenez-vous tant pour badiîi 
Que je n^ay point de sens eh moy ? 
Je n^en ferây riens , par ma foy, 
Pour cbose que m'aïuiez preschant ; 
Et , se plus me venez prèscliaut , 
Puis qu^il me plaist, saicbez sans faille 
Qu'entre nous deux aura bataille. 



SA Feuve au Dyable. 433 
Tabez-vouS) ne m^en partez plus, 

La Dame. 

Puisque à cella estes conclus , 
Plus ne pense à tous en parler; 
Mais je me double, au pis aller. 
Que pis ne nous soit à tous deux. 

Le Chevalier. 
Or TOUS en taisez , je le veulx , 
Que n^ayez sus Tostre Tisaige. 
Je suis assez prudent et saige 
Pour me gouTemer par honneur. 

La Dame. 

Pieu Tueille ainsi, mon seigneur; 
Âultrement marrie j*en seroye. 

Le Ghetalier. 

Saichez que mon TouUoir sWploye 
A tout plaisir mondain âToir, 
Et n'espargneray or ne monnoye 
Pour acomplir tout mon désir. 
Ung seigneur, tant qull a loysir, 
Si se 4oit donner de Don temps. 

La Dame. 

Aulcunes foys , par grans desp^ns 
Excessifz et trop oultrageux , 
Plusieurs en Tiennent souffreteux , 
Qui puis si se Tont repentant 
De ce qu'ilz ont despendu tant 
Que plus n*ont de quoy bien faire. 

Le Ghetalier. 

Ne cesserez-TOus huy debrayre? 
Je m^en Toys et TOUS laisseray; 

T. III. ts 



434 Lb GHBTALtER QUI DONNA 

Mon courroux en peu passeray 
Arec mes gens. QuVst cecy, dea , 
A tant parler? Hau, Amaurji - 

Amaury. 
Monseigneur. 

Le Chevalier. 

J'ay le cueur many 
£t troublé moult ameremmt. 

Amaury. 
De quoy, sire ? 

Le Chevalier. 

Certainement 
Ma femme [est une] caquetoire ; 
Si me veult par son consistoire 
Me faire devenir herniite. 
Elle m'a dit que je Tay destruite 
De donner en ce point le mien. 

Amaury. 

Ha , monseigneur, ne croyez rien 
De chose que femme vous die . 
Avoir en pourrez maladie 
Se le mettiés en vostre cueur. 
Vous estes ung homme d'honneur, 
Prudent , large et abandonné ; 
Se riens du vostre avez donné , 
N'est nul qui vous en sceut reprendre. 

Anthenor. 

Par le sang , vous povez despendre 
Tout vostre vaillant , vueille ou non . 
Mais femmes si on[t] tel renom 
Que pour riens ne se véullent taire. - 



SA Femme :A.iJ Dyable., 435 

Pensez de bonne chère faire 
Tant qu^estes en bonne santé. 
Quant mort serez , en verké 
Ghascun vous mettra en oublj. 

Le Chevalier. 

Par la mort bieu , il est ainsy . 
Il n'est tel que d*estre joyeux. 
Quant je seray usé et vieux , 
Je me tiendray lors à Thostel. 

A^maury. 

Par le sacrement de l'autel , 
Vous avez très bien proposé. 

Le Chevalier. 

Chascun de vous soit disposé 
De venir ; on se peuit esbatre 
Jusques à troys heures [ou] quatre , 
Pour passer ma melencplie. 

ÀNmENOR. 

Quant vous plaira , ne doubtez mye , 
Âmaury eto^oy nous irons. 

ÂMAURT. 

Vostre voulenté nous ferons ; 
Sire , bien y sommes tenus , . 
Quant par vous tous deux soustenus 
Nous avons esté jusques cy. 

Le Chevalier. 
Cecy vouSi dpnne. 

Tous DEUX. 

Gwnt mercy. 



436 LBGHETÂLIERQUIBOlIlfA 

Pensons tons d*aller k Tesbat. 

(Amavrj.) 

S^anlcon galant yers nous s^abat, 
Pouryeu qu^îl soit de lieu de bien , 
Nous trouYçrons ({uelque moyen 
De jouçr k quelque bon jeu. 

Anthenor: 

Vous dictes bien, par la mort bien ; 
Eneores aj-je cinquante escus. 

Le DTÂBiiE. 
Se je puis yenir au dessus 
De ce Gheralier, par mon art, 
Je le tireray de ma part, 
En despit oe sa feuice femme , 
Qui ainsi chascnn jour rechme 
Celle Marie ^ qui tant nous £ak 

e)e despit] et noz gens reiraict 
ar sa tr^ orde baywie. 
Par mon baaràt et tricherie 
Les auray tous deux , se je putfé 
On sçait bien que «auteUn SUIS' 
Assez pour trouyer la nïanière 
De le taire en quelque manière 
Gheoir en yoye de désespérance. 
Or, a.yant, il ùttùt que m'ayance ' 
D'aller faire mon entreprise. 

La Dame. 
Aller je m'en yueil à Teglise 
Pour ma priire bumblement ùire 
Deyers la Vierge débonnaire 
Qui porta le doux créateur, 
Affîn qu'elle garde d'erreur 



8Â Femme au Dtable. 4^7 

Mon maiy [et] que par sa grâce 
Veuille que son saint plaisir &ce. 
G y endroit m^agenouuéray 
Et ma requeste luy feray. 

doulx confort , dame d^auctorité , 
Noble séjour où la diyinité 
Se reposa pour les humains guérir ; 
Trésor joyeux de grande dignité , 
Lys odorant par ta Tirginite, 
Jésus portas , qui tout peult remerir. 

Très humblement à toy viens recourir 
Et à genoulx icy te reqnerir 
Que ta grâce sus mon mary oppaire. 
Par toy gardé soit , dame , de mourir 
Vilainement y si que né puist périr 
Sapoyre ame par aulcun vitupère. 

Doulce Vierge , tresoi; très plantureux , 
Advocate des pouvreslangoureux 
Qui sont entez par leur fragilité , 
Vers toy je viens , caeur très amoureux , 
Fay que sente ton con&rt savoureux, 
Car tu congnoys ma grand nécessité. 

Las ! mon marv « par prodigalité, 
A consummi^ et mrt débilité 
Son domaine et sa possession. 
Par toy, Vierge , soit stabilité 
En bonnes meurs, et de mal ac^uité 
Pour le saint nom de ta conception. 

Tu as tant fait vers Dieu pour les humains, 
Que de péril tu as engarde maintz 
Et délivrez d*enfer. Doulce Marie, 
Si te suplie, oy mes pleurs et mes plains ; 
Garde mon ame qu*elle ne soit pêne. 

doulx ruisseau, fontaine très série. 



438 Le Chetàliee QUiDONi^A 

Oy-moy, dame, si te vient à plaisir; 
Pour mon maiy humblement te supplie , 
Car je yoy bien que son sens fort yarîe; 
Le l)on cbemin ha pas yodu saisir. ■ 
' Oy mon yray désir, 

Confort gracieux , 

Par toy puist choisir 

Le règne des cieulx. 

Ouvre tes doux yeulx, 
■ Estens luy ta grâce. 

Et que en tous lieux 

Ton sainct plaisir face.- 

' Le PiPEUR. 

J ^ay trop esté en une place ; 
11 convient aller gaingner. 
Despendu ay jà maint denier 
Depuis que n^aquestay unUanc. 
Si trouver me puis sus le banc 
Et quelque gavion de ludie , 
Croyez que je ne fauldray mie 
A abatre pain largement. 
De piper ne crains nullement 
Homme qui soit au monde vif. 
Mais pas ne faùlt estre hastif 
Du premier quant on trouve proyè. 
J^ay ycy cent solz en monnoye. 
Et encore deux o.u troys escus; 
Mais que soye avec les plus drus , 
J'en attraperay, quoy qu'il cousté. 

Akaury. 

Sire , je vois venir sans doubte 

Ung gâllant vers nous , se me seinblé. 



,^A Femme. AU Dtable. 439 
Le Chevalier. 

• ■ 

Laissez venir; mais qa'il sWemble 
Avec(ques) nous , enquérir fauldr» 
Qu'il est. 

Anthènor. 

Il vient devers çà , 
Mon seigneur; desjà fort approche. 

Le Chevalier. 

Or avant donc[ques] sans reproche ; 
Enquérir fault de son estât. 

Le Pipeur. 
J'aperçoy là ung grant débat. 
11 me convient vers euLx tirer. 
S'ilz se veulent aventurer 
Aux dez ou cartes , somme toutç ^ 
Mais que fussions dessus.le coûte , 
Mon faict seroit bie^. 

Amaurt. 

Hau, gallant. 
Ne vueillez estre refusant, 
Si vousplaist, de dire où allez. 

Le Pipeur. 
(Passer temps) 

Pour esbatre , se vous voulez , 
Avecques vous passer le temps , 
Car vostre faict ÎDienj'entens 
Que vous estes de lieu d^hpnneur. 

Amthbnor. 
Venez parler i mon seigneur. 
PeuJt estre que., quant vous orra, 
Que voulentuers il s'esbatra 
Aux dez ; . ainsi je le suppose. . 



44» Le Ghktalisrquibohii^ 

Amaurt. 

Certes , îl ne quiert aultre chose, 
Ne TOUS aussi, à dire yray. 

Lb Pipeur. 
Vouleiitiers parler je Fonray. : 

PttBte. 

Sire, Diea tous doint bonne 'm. 

Le Obetalibr. 
Et TOUS, gallant. Dieu tous bénie. 
Que querez-TOUs en ce lieu cy f 

Le PiPEUR. 

Que sçay-je ? Pour j^a^er souc^ 
M'en Yoys quelque lieu pour m esbatre 
Joyeusement, sans point ddbatre, 
Heure et demye ou deux , sans plus. 

Le Chevalier. 

A quel jeu? 

Le Pipeur. 

Abonsdezpellus 
Ou à quelque jeu que youldrez. 

Le Chevalier. 
Par la charbieu ^ à nous l'aurez. 
Sus , Amaury et Anthenor. 
]'ay cy apporte mon trésor; 
Jouons ung peu pour, temps passer. 

AllAURT. 

Monseigneur, vous povez penser 
Que de ce ne vousoesdirons ; 
Mais aussi [ce] que gaignerons 
Nostre sera. . 



SA Fbmme au Dyable. 44i 

Le CllEYALlBR. 

N'en faictcs doubte. 
S'aviez gaigné ma terre toute ^ 
Si youl£>07s-je ^e tous Teussiez. 

Le PiPEUR. 
Yoicy des dez. Sus, choisissez. 
Quel jeu jouerons-nous ? . 

ÀNTHENOR. 

A la chance. 

Amaury. 

Ayant, sus, [icy] qu'on s'avance. 
Prenez place cy, mon seigneur ; 
Nous TOUS debyons porter honneur. 
Gettez le dé* 

Le Chevalier. 
iMoy]J'en ay dix. 

Amaury. 
^t moy sept. 

Anthenôr^. 

Je n^en ay que six. 

Le Pipeur. 
J'en ay douze; le dé est mien, 
Veez-la pour bon. 

Le Gheyalier. 

Sus,je le tiens; 
En yoylà pour cincjpiante escus. 

Lis Pipeur. 
A fout ; ontques maiz je ne fiis 
En lieu où eust si belle couche. 



44> LbGhBTALIER QUIBOI^IfA 

Je ray gaygné; homnw nV touche ; 
Je prendraj €e<^ sur la bune. 

Le Ghetalier. 

Que nul bomme [si] ne se tnifiè; 
Il est sien. 

Le Pipeur. 

Sus, quW mette en jep. 

. Am AUR.Y. 

Yelipour.moy. 

Le Gheyalier. 

Je rcny bien, 
Velà pour oelluy qui i^aura. 

Le Pipeur. 

Hazart! bay, il m'eschappera. 
Gentil denionstre tout hazart. 
JVn ay dix :. rencontré [liazart] 
Je le pers. 

Le Gheyalier. 

Je Yueil donc jouer ; 
Je puisse, bien desaYouer . 
Se je ne gaigne à ceste foys. 
Rien ne Yient. J'en ay six et troys ; 
En despit de Dieu se pùist çstre. 

Amacry. 

Je Yoys monstrer ung tour de maistre ; 
Hazart ! j*ay gagné ceste main. 

Le Gheyalierv 
Or suis-je bien filz dé putain. 
Je regnye bien ; j'ay tout perdue 
Maintenant j'enrage de du^:. . 



SA Femme au Dyable. 443 

Le PiPEuia. 
Sans (ce) courroucer. 

Anthenor. 

Sus, je le Tuéil. 
Couchez ; yelà pour Anthenor. 

Lé Chevalier. 

Je jouray ceht escus encor , 
Et puis trestolit sera failly. 

Amaury. 

Je jouray premier, je le dy. 
Yelà dix ; c'est iris Donne chance. 

Le Cheyalier. 

Mes cent escus sont en balance. 
Maulgré Dieu qu'oncques m'y bptitay. 
Je le pers ; il m a ja cousté 
En ce lieu bien deux cens escus. 

Le Pipeur. 

Sire , ne tous (en) courroucez plus ; 
Vostre courroux n'y vault pas maille. 
Hé , garde bien que je ne faille. ' 
Hazart , j'ay douze ; tout est mien. 

Anthenor. 
Par la chair bien , je n'y fais rien ; 
Bon gré en ayt-on de la feste. 

Le^ Chevalier. 
Qui aura argent si m'en preste , 
Jusques i tant que soys a lliostel. 

Amaury. 
Quant à moy, j'ay ung serment tel 



444 Le Chbvaliee qui donna 

Qae jamais riens ne presteray 
A jeu de dez. Je tous diray : 
Quérir vous en fault aultre part. 

Anthenor. 

Mort bien ^ je sero je bien coquart 
S'argent à mon sei^eur prestoye. 
Je regnie bieu , se j'en ayoye 
Mille foys plus que n*ay yaillant. 
Si n*anroyt-il pas maintenant 
Ung denier pour jouer à moy. 

Le Chevalier. 

Or ayant donc ; à ce que yoy. 
Sans croix ne pille me lairrez. 

Le Pipeur. 

Querez-en ailleurs où vouldrez , 
Car de cestuy yous n*aurez point. 

Le Ghetai^ibr, 
Départir me Eaiult en ce point 
Sans ayoir de nul reconfort* 

'Le Pipeur. 
La char bieu, je m'en voys, au fort. 
Puisque j*ay ïua bourse mumye. 

Anthenor. 

Boyye mon seigneur sa fbllye ; 
S*ii a tout perdu , c^est par luy . 
Il ne me yerra aujourd^nay. 
Ne de cest an , se bon me semble. . 

Amaurt. 

Puis que foumiz. somn^ ensemble , 
Et qu il est dessaisi d^escuz ,- 



$A Femme au Dyable. 44^ 

Alons m^en ; il n*y en a nulz 
Endroit laj ; ce n^est q^ung coqaart ; 
Il se repent; il est trop tart. 
Mais il ne m^en chault , par ma foy . 

Anthenor. 

Ne s'attende jamais à moj, 
Puis que le sien est despendu. 
Quant à moy, j'ay bien entendu 
A mon faict , je suis bien gamy • 

Le Pipbua. 

i)e bonne heure j*arriTay cy ; 
Il y a cy plus pour le gueux. 
Le cheralier est bien piteux 
Qui a perdu le sien ainsi. 
Mais au fort, puis que sub saisi 
De ma part , je m'en yois galler. 

Le Dyable. 

Au devant me conyient aller 
De ce cheyalier que je voys. 
A sa chière bien j aperçoys 
Qu'il est très fort navré au cueur. 
Si monstre signe de seigneur. 
Si je puis , annnyt tant feray 
Que luy et sa femme j'aùrày. 
Ou peu je priseray mon faict. 

Ls Chbvaxi'biu 
Ha , fortune , que ta m*as £det ! 
Suis-je par toy ^nsi deffaict ! 

Ho, qmafor£ûctl 
Quel desplaisûr, voicy de rage ! 
Las que sera-ce de mon &dct? 
J'ay tout perdu, il en est faictj 



444 Le Chevalier QUI DONNA 

Par mon for£aict. 
Haraa, peu s'en fault que n!enrage. .. 
Quel honreur, quel cruel dpmmage , 
Quel dueil , quel criminel orage , 

Quel dur oultrage 




Par fol couraige^ 
A peu que ne me pens de £sdt. 
dueil passif et oultrageuxi 
ennemy ûer et courageux ! 

quels lours jeux 
J'ay perpétré par ma follie ! 
Abisme de mal envieux , 
Me sourdra de ire en tous lieux. 

Mes dolens yeulx 
Seront plains de mélancolie. 
C'est dommaige qu'on ne me lye 
Au gibet pour finir ma vie. 

Quel yillennie 
Je fais à tous chevalereux. 
J'ay perdu toute seigneurie; 
Ghascun de moy faict moquerie 

Et me hane, 
Et tout par mes faiz yicieux. 
Ha , Mort, viens tost à moy bonne erre, 
Prens ton dard et sus moy le serre 

Sans terme querre. 
Mort, Mort, acours, je te requiers. 
Que ne me engloutist la terre 
Pour les maulx qu'ay voulu enquerr 

Mort, Mort, deserre 
Ta fureur; plus viyre ne querxc. 



SA Febme au Dyablë. 44; 

Je n'ay plus rien de quoy payer; , 
On ne se veult en moy fier : 

Car désirer 
Ây voulu, sans riens enquerre. 
On me souloit auctoriser 
Pour mon estât , et hault priser ; 

Mais dissiper 
Me yeult chascun et mener guerre. 

La Dame. 

I4e cueurme deult fort et me serre 
Pour mon seigneur, que venir voy 
Tout seul. Il a,, en bonne foy. 
Quelque chose qui n^est pas Donne. 
Pieçà ne le vis sans personne 
Venir, comme il fait maintenant. 
Monseigneur le très bien venant, 
Gonunent vous va? quel[le] chière ? 
Quant j'aperçoy vostre manière , 
Vous me semblez tout esbahy. 
Estes-vous troublé ? 

Le Chevalier. 

Helas, ouy. 
Et cause y a , ma doulce amye. 

La. Dame. 

Helas, pour Dieu, ne vueillez mye 
Vous troubler si amèrement , 
Que pis vous en soit iiullement ; 
Prendre fault tout en patience. 

Le Chevalier. 

J'ay- substance 
Perdue , sans doubtance. 
Pour ce , tpïant j'y pence , 



449 LbGheyalibr qui bohha 

Navré suis au caeor. 
Plus n^ay de finance , 
N^argent à puissance 
Pour avoir plaisance , 
Et m^est desnonneur. 

La Damb. 

HelaS) mon seigneur, 
Nostre oreateur. 
Si soyez tout seur. 
Assez a pour nous; 
Se par vo foleur 
Avez par malheur 
Vetdu yo labeur, 
Las! appaise^-vous. 

Le Chevalier. 

J^estoye bien venu 
Et entretenu, 
Enjoyesoustenu; 
Maintenant n^ay rien. 
Je me voy tout nu. 
De mal prévenu; 
Grant n a ne menu 
Quimedie : « Tien. » 

La Dame. 
Apaisez^vbus, sire. 

Le Chevalier. 
Mon mal trop empire. 

La Dame. 

Que vous vault vostre yreî 

Le Chevalier. 
Bien mourir vouldroyc. 



&À FSMME AU DtÀ'BLE. 449 

La Dave. 

Jésus TOUS soit miie. . .-^ 

Le Chevalier. 
Las ! plus ne puis vivre.. 

La Dame. 

Trop donner peult nuyre. 

Le Chevalier. 
Tris mal j pensoye. 

La DauG. :. 
Faict avez oultrage. 

Le Chevai^ier. . 

Cest mon grant dommage. 

La Dame. 

Fol ne croit langaige^ 
Tant qu'il ayt receu (i). 

Le Chevalier. 

Pas n'aj esté saige ; 
Du mien , par usage , 
 j £iict vasselage , 
Dont me sens deceu. 

La Dame. 

Se Dieu plaist, vous serez pourveu ; 
Ayez en la Vierge fiance. 

Le Chevalier, 

Par ma foy^ je pers 'patience , 
Quant [je] me voy tout desnué. 
Encore ceulx que tenu ay 
En bruyt , pose en estât, 

(t) Vtriante : Ttnt qoll loit d«ceii, 

T. m. 99 



45o Le Chevalier QUI DONNA 

ai me dient eschec et mat 

Pour ce que ii*ay riens plus vjôllaiit. 

La Dame. 

Quant Fortune Ta assaillant 
Âulcun estant en disnité , 
Chascun luy tourne le costé , 
Mesmes ceulx qui deussent a jder 
A souffreteux et regarder 
Dont les biens leur sont peu venir. 

Le Chevalier. 

Je ne me veulx plus cy tenir. 

Ung peu m^en voys esbatre aux champs 

Pour faire là mes piteux cbantz 

Et mes regretz puons d*amettume. 

J'ay le cueur plus gros q'ung enclume 

De desplaisir que je reçoy. 

La Dahe. 

Je requier au souverain roy 

Et à la glorieuse dame 

Qu'ilz vous gardent de tout diffame. 

Passez vostre mal doulcement , 

Mon sei^eur; se Dieu plaist, briefvement 

Serez mis en convalescence. 

Le Dtable. 

Maintenant est temps que m^avance 
De couduyre mon entreprise. 
Le Chevalier chascun desprisé 
Pour ce que tout est despendu. 
Mais que [mes] motz ayt entendu , 
Il sera mien , point je n^en donbte ^ 
Et si auray ]a faidse gloutte 
Sa femme , qui sert à Marie. 



SA Femme au Dyable. 45i 

Le Chevalier. 

Or doy-je bien hayr ma vie^ 
Quant ainsi chascun me harie 

Par mocquerie. 
De mes servans suis dechassé ; 
Fortune trop me contrarie ; 
Noblesse est bien à moy perie : 

Mon sens varie. 
Las ! qu'ay-je faict le temps passé ? 
J'avoye graut avoir amassé ; 
J'estoye en honneur enlyessé, 

Et n'ay cessé 
De dissiper tout par foUie. 
Mon estât est îbien abaissé. 
De mes servans suis délaissé, 

Qui amassé 
Ont tous mes biens par tricherie. 
J'ay donné mes biens follement 
Et despendu prodiguement 

Et largement 
Sans avoir a la fin regard , 
Dont je mourray honteusement. 
Il me desplaist très grandement. 

A grant tourment 
Fineray devant qu'il soit tard. 
Chascun si m'appelle musart , 
Et dit l'en : « Veez là un coquart , 

Chassez à part ; 
C'est dommage qu'il vit, vrayement. » 
A , Mort , mort sur moy de ton dart ; 
Aultre chose n'ay esgard , 

Quant se départ 
Ainsy de moy esbatemeiit. 



45a Le CnfiYALIER QUI DONNA 

Le Dtable. 
Qu^as-tu, Chevalier? Hardiment 
Dedaire-moj tout seurement 
Le faict qui tant te touche au cueur. 

Le Chevalier. 

Qui es-tu ? Viens soubdainement ;' 
Esbahy me fais grandement 
Quant tu me portes tel honneur. 

Le Dtable. 

Ne te chaille , et soys seur 
Que te puis oster la douleur 
Qui te tient si amèrement. 

Le Chevalier. 

A peine pourroit ton labeur, 
Ou tu es trop puissant seigneur, 
Me faire appaiser bonnement. 

Le Dyable. 

J*ay en moy le gouyemement 

Du monde ; sache vrayement 

Que puis ung povre homme enrichir. 

Le Chevalier. 

S^ainsi estoit certainement, 
Tantost seroys hors de tourment; 
D^aultre chose je n'ay désir. . 

Le Dtable. 

Dy moy, puis que tu as* loysîr, 
Se tu veulx faire mon plaisir ; 
Puis après riche te feray. 

Le Chevalier. 

Mais que je sache , sans faillir^ '[' 



SA Femiie au Dyable. 4^S 

Qui tu es , seur te peulx tenir 
Qu'à ton vouloir obeiray. 

Le Dyable. 

Mon nom jamais ne [te] diraj ; 
Mais k ton faict remeoiray 
Se tu yeulx faire à mon dict. 

Le Chevalier. 

La mort bien , je te serviraj 
Et ton vouloir acompHraj 
Se tu fais ce que tu m'as dit. 

Le Dyable. 
Ho, n'en parle plus, il safiist. 
Bien sçay que caascun si te feult , 
Pour ce que n'as plus de quibus. 

Le Chevalier. 
Il est vray. 

Le Dyable. 

Venons au surplus. 
Par moy tu seras remis sus ; 
Mais aussi mon vouloir feras. 

Le Chevalier. 

De ce ne feray nul reffus ; 
Je te le promets et conclus. 
Et me dis ce que tu vouldras. 

Le Dyable. 

De ton sang lettre me feras 
Et de ta main tu l'escripras , 
Puis après tu sera^ -poùrveu. - 

Le Chevalier. 
Ainsi que ditter la vouldras 



454 Le Cheyalier qui donna 

Je te Tescripraj ; cVst le cas. 

Puis que à nonnear seraj pourveu. 

Le Dtable. 

Saches que ton faict ay cogneu :• 
Ta propre femme fa deceu ; 
Pour tant la doys abandonner. 

Le Ghetalier. . 

Certes, nul mal ge n'y ay veu; 
De ton dit je suis tout esmeu. 

Le Dyable. 

Viens ça, me la yeulx-tu donner? 

Le Chevalier. 

Se tu me vouloye guerdonner 
Et en grant estât m'ordonner, 
Peult-estre je m'adviseroyc. 

Le Dtable. 

Se tu me la veulx cy livrer 
Dedens ung temps , tost délivrer 
Te feray assez de monnoye. 

Le Chevalier. 
Par la mort bieu, je te Tottroye; 
Mais qu'en estât posé je soye. 
Dedans sept ans je Famenray. 

Le Dtable. 
Fais m^en lettre, que je la voye, 
Et tantost te mettray en voye 
Que ton vouloir accompliray. 

Le Chevalier. 

Tris voulentiers je Fescripray 
Et de ma miain la signeray, 



SA Femme au Dtabxe. 455 
Ainsi quB tu la dittetas. 

Le Dyable. 

Or escripz: je te nommeray / 

Et les pointz te deviseray 

Ainsi comme tu la feras. 

Or premièrement tu mettras 

Que la Trinité regnyeras 

Et la foy de toute TËglise. 

Le Chevalier. 

Âdea , ainsi ne m^aura[s] pas. 
Je m^adyiseray sur ce cas ; 
La cause requiert quVn y vise. 

Le Dyable. 

Se yeulx estre mis en franchise , 
Il te convient ce point passer. . 

Le Chevalier. 

C'est ung cas de srant entreprise, 
Et pour tant y m y faùlt penser. 

Le Dtable. 

Veulx-tu ton estât abaisser 
Et vivre en tel mendicité ? 
Accorde mon dit sans faulser. 
Mis seras en grant. dignité. . 

Le Chevalier. 

De regnier la Trinité , 
C*est ung dur point et détestable ; 
Mais d'estre mis en liberté , 
Cela m*est au cueur aggfeable. 

Le Dyable. 
Or le faitz tost , de par le dyable, 



456 Le Chevalier QUI donna 
Se tu Ycux , ou [bien] je m'en voix. 
Le Chevalier. 

Or avant, pour estre v^illable 
Et en honneur, je le feray. 

Le Dyable. 

Après aussi je te diray. : 
La Vierge Marie ngnicras. 

Le Chevalier. 

Par ma foy, tant que je vivray. 
Je n^en feray rien , c^est le cas. 

Le Dtable. 

Pourquoy, meschant, ne peux-tu pas 
Aussi l)ien regnier la mère 
Comme le fils : 

Le Chevalier. 

Passe ce pas , 
La chose si mW trop amère. 

Le Cyable. 

Tu ne ^ulx en ^ulle manière 
Avoir nens se tu ne le fais. ^ 

Le Chevalier. 

Laissons en p«x cèste lAatière ; 
Pour mort je ne le feroys jamais. 

Le Dyab1l«. 

lï ' 

Or avant donc; tu me pi^oimetz 

Que ta femme si amèneras. 
Escriptz ta lettre et la parfaictz, 
Et puis après la signeras. 



SA Femme au Dyable. 4^7 

Le Cheyalier. 

Tantost achevée tu l'auras . 
Veulx-tu plus rien? Vêla cy faicte. 

Le Dtable. 
Il fault donc que je m'entremette 
De te fournir de grant aroîr. 
Premièrement, ta dois sçavoir 
Que , pour parveipr a les pointz , 
Tu axons tes «lesirs oonjbintz 
A faire ce que m'as:promis. 
£t , afin que tu soys remis 
En honneur, près d'îcy iras 
En ung lieu que tu trouyei'as , 
Lequel au dôy te monstreray, 
Et là dedans sache de-y^y, 
Ung très grant trésor, c'est la somme , 
Y est pour te ùàre ndie homme 
Et plus que (tu) ne fus oncques jour. 
Voy-tu , regarde cy autour : . 
Voici le lieu^ue je te dis. 
Or ne soys pas si estourdis, 
Que ne vienne cy à ton terme. 

Le Chevalier. 

Puisque la lettre te conferme , 

N'ayez doubte que ne. vienne cy. 

Tantost seray hors de soucy, 

Puisqu'auray argent et pecune. 

Sang bien, en voicy, s^ns faulte aulcune. 

Je suis bien; priser me feray. 

Cest avoir cy Temporteray 

Pour acheter habitz nouveau^!; 

Et avoir mulles et chèvauk 



458 Le Chevalier QUI i>ONNA 

Et estât comme il appartient. 
11 ne me chault ja oontil vient, 
Puisque j'en ay. 

Le Dtable. 
J*aT tant brassé 
Que le cheyalier enlassé 
Se est du tout à ma cordelle. 
J'anraj aussi sa damojselle; 
Ve la cy obligée dedans; 
Quant ce viendra llieure et U temps, 
Pas ne fauldray à venir cy. 

Le Chevalier. 

M^amye, ne soyez en soucy, 
J^ay eu de Targent largement. 

La Dahe. 

Loué soit Dieu certainement ; 
Mon amy, j^en ay tris grant joye. 
Sachez que Dieu les siens pourvoye ; 
Jamais ne les laisse périr. 

Le Chevalier. 

Je ne en pense point enquérir. 
Se Dieu ou dyable le m'envoye ; 
Puisque j'ay argent et monnoye , 
Ne me cnault dont il soit venu. 

La Dame. 

De quoy vous est-il souvenu 
De dire ces motz? Taisez-vous. 
Au cueur deussiez avoir couriroux 
D'ainsi proférer telles paroUes. 

Le Chevalier. 
Pour Dieu , délaissez ces ûîvolles ; 



SA Femme au Dyable. 4% 

Je n^ay pour en nulle manière 
D^avoir jamais nécessité. 

La Dame. 

Vous avez mon cueur incité. 
A quoy pensez-vous , mon doulx sire , 
Quana vous ouy proférer ou dire 
Parolles si très détestables ? 

Le Chevalier. 

Taisez-vous , de par tous les dyables , 
Qu^il n^ayt hutin entre nous deux. 
S^il fault que j'entre en mon courroux , 
Le dyable vous chantera messe. 

La Dame. 

Hé, Nostre-Dame, quel destresse 
Est en mon caeur de ce faict cy ! 
Mais au fort, puisqu'il est ainsi, 
Il me fault tout laisser aller. 

Le Chevalier. 

Plus ne veulx que tire et galler. 
Puisque (je) sou pourveu de finance. 
C'est DÎen raison que je m'avance 
D'aller à l'esbat soir et main ; 
Car i'ay or et argent à plain, 
En despit des faux envieux. 

Amaury. 

Anthenor, je suis bien joyeux : 
Mon seigneur si est remplumé. 
Il a en quelque lieu plumé, 
Ou faict finance de ciiquaille. 

Anthenor. 
A^ons vers luy, vaille que vaille, 



* 

46o Le Chevalier QUI DONNA 

Pour sçaTOÎr sH nous reprendra. 
Pieuk-estre «{ne encores nous donra 
Qoelipe diose pour le servir. 

Ahaurt. 

Jamais ne îaiuk compte tenir 
De gens, <{oant tout est despenda ; 
Long-tcn^ a que Tay entenda, 
Ung mot qu^on dît à 1 adyenture : 
L^amoBT SI raolt quant argent dure; 
Mais, quant finance est Cadllye,' 
A peine troirre on nnl amje. 
AUons-noos en yeoir qa^il dira. 

Ahthsnor. 

Encores font ioyeax sera 

De nous prendre k belle fayeor. 

Voyex-lc (jà). - 

. Ahaort. 

Diea gard Monsdgneor. 
Comme se porte la santé? 

Le Chevalier. 
Très bien. I*aj argent à planté. 
Amaury, je sois ranis sas. 

Anthenor. 
On tiendra de vous compte plus 
QuW ne Êdsoit^ n*en ayez doubte. 
Vous sçayez que chascun dd>ootte 
Les gen; quant ilz n^ont de quibus. 

Amaurt. 

Maintenant estes au dessus 

De Toz besMignes , bien le voy. 

Si TOUS ayez mestier de moy. 



SA Femme au Dyable. 46i 

. ' «. . . • 

Ne m^espargnez en lic^ns qui soit. 

Anthemor. 

Quant est de moy , s'il tous plaisoit 
Quelque chose me commapder, 
Sachez, Monseigneur, sans tarder, 
Que de hon cueur Tacompliroye 
Et vostre serviteur seroye , 
Et me tiens tel tant qu'auray yie. 

Le Chevalier. 

Je vous retiens de ma mesgnye, 
Et , se riens vous avez mespris 
Contre moy, sans estre mespris, 
Vous le pardonne entièrement. 

Amaurt. 

Je vous mercye très humblement, 
Monseigneur, quant est.de ma part. 

Anthenor. 

Pour ce joyeulx advenement 

Je vous mercye très humblement^ 

Le Chevalier. 

NVspargnez argent nullement; 
J'en ay assez où nul n'a part» 

Amadrt. 

Je vous mercye très humblement , 
Monseigneur, quant est de ma.part. 

Le Dtable. 

Il me convient avoir regard 
Au terme que ce chevaher 
C'est voulu à moy obliger . 
Et me livrer icy sa femme. 
Je Fauray en corps et en àme, 



46a Le Chevalier QUI DONNA 

L*eussent juré Dieu et les saints, 
Car il m*a esciipt de ses mains 
La lettre sellée de son signe. 
Tantost ùuldra que mVnckemine 
Pour Palier attendre au lieu dit. 
Il est mien , sans nul contredit , 
Jamais il n'en peult eschapper. 
Marie ne me pourra tromper 
Que ne Taje, maulgré son yisage. 

La Dame. 

Je suis moult troublée en couraige 
Que ne puis nullement sçayoir 
Où mon seigneur prent cest ayoir 
Qu'il a maintenant abandon. 
A grant et à petit ûiict don. 
Ne sçay dont vient ceste finance, 
Mais , certes , quant au cas je pense , 
Je suis bien marrie en mon cueur. 
A toy, mère du créateur, 

Pour ma douleiur 
Refraindre, viens à mon secours. 
Garde moy de tout déshonneur 

Et mon seigneur 
Gonferme en erace tous les jours. 
Humblement a toy me recours ; 

Fais que les tours 
Dont je doubte qu'il se mefface , 
Au nom de ta Conception , 

Sans fiction , 
Soit tousjours en bien par ta gracê. 
Garde le de tentation, 

De lesioh 
Que son ame ne soit damnée. 



SA Femme au Dyable. 463 

A toy, doulce vierge honnourée , 

Sur tous louée, 
Je viens eu ma nécessité. 
Tu congnoys du tout ma pensée , 

Dame prisée ; 
Deffens moy en adversité. 

Le Chevalier. 
Je me sens au cueur molesté 
Quant pense au cas que j'ay commis. 
Au dyable je me suis submis 
Et obligé , moy et ma femme. 
haro ! suis-je bien infâme 
De l'avoir en ce point lyée 
Et envers le dyable obligée? 
De luy rendre quel dur mefiaict ! 
Ha, traistre meschant , qu'as-tu faict? 
Cest pour néant ; il fault qu^il se face. 
Je luy doy mener en la place 
Où luy £s obligation. 
Or vient la confirmation 
De mon jour, quHl fault que je livre 
Ma fenmie, se je veulx plus vivre. 
Et ponr tant je luy meneray. 
Mais premièrement luy diray 
Qu'elle et moy passer temps yrons. 
Puis après, quant au lieu serons , 
Du demourant je m'en rapporte 
A celluy qui ma lettre porte. 
Si la veult prendre, si la prenne. 
Affin que mon faict s'entretienne 
Desclairer luy fault mon vouloir. 

La Dame. 

Ne sçay que vous povez avoir, 



464 LbChETÀLI&R QUI DONKA 

Monseigneur, tous este&pensif., 
Dites-moj, pour Dieu, le motif 
Qui TOUS tient ainsi en pensée. 

.Lb Chktai;ièr. 

La vérité tost dedairéé 
Vous sera, quant le demande! . . 
Venir tous fault» plus n'attende, 
ÀTec[aues] moj ung peu esbatre, 
D\cj a trois jours ou a auatre , 
En ce boys qui est près alcj. 
Point ne seray hors de soucy, 
Tant que tous [y] soye^ menée. 

La Dame. 

ÂTezr-TOus Toulenté fermée 

À ce propous, mon bon seigneur? 

Mais que ce soit sans desbonneur 

Ne sans Tillennie de mon corps , 

Je suis de tons voz bons accordz 

Contente ; mais je suis en doobte 

Pourquoy Tostre Touloir se boute 

De me mener en ce boys là , 

Car il ne tous adTint pieçà 

D'en parler. (Je) ne sçay dont ce Tient. 

Le Chevalier. 

N'en parlés plus ; il le conTient ; 
ÂTancez-TOus ; il le fault faire. 

La Dame. 

Puis que le cas est nécessaire. 
Allons y donc quant ToliS vonldrez ; 
Voz gens aTec nous mènerez ; 
Compaignie est bonne en tel cas. 



SA Femme au Dyable. 465 

L$ Chevalier. 

Non feraY« car jette veulx pas 
Qu^il j'âit nul que yous et moj. 

La Dame. 

^la me fait au cueur esmay 
Quant y Youlez aller seullet, 
Sans avoir paige ne varlet 
Que vous et moy; que vcult ce dire ? 

Le Chevalier. 
N^en parlez plus. 

La Dame. 

Nenny, beau sire; 
Puis qu'il vous plaist, je le veulx bien , 
Ponrveu qu'on ne me face rien 
Avec vous. 

Le Ghevalibr. 
Estes-vous en doubte? 

La Dame. 

Nenny. Mais je crains, somme toute « 
Âulcun que pourrons rencontrer. 

Le Chevalier. 

Ne vous en vueillez point doubter ; 
Homme ne vous fera nul mal. 
Devaller vous fault pai* ce val 
Âffîn que nul [si] ne vous voye. 

La Dame. 
Or allons f que Dieu nous convoyé 
Et la doulce Vierge Marie, 
À laquelle requiers et prie , 
Au nom de sa conception, 

T. UI. 30 



46$ Le Chetalier qui donna 

Que de cruelle afflicdon. • 

Nous vueille garder et deffendre. 

Le Dtable. 

Il me conyient aller attendre 

Le chevalier qui doibt venir 

Et sa femme , pour parvenir 

Au point oà j*ay pieçà tendu. 

Puisque du tout il s'est rendu 

A moy, et puis sa femme aussi, 

Par ceste lettre que j'ay cy, 

Qu'ilz ne soyent tous miens par sentence 

Rien n'y vault le contredire. 

La Dame. 

Je vous requiers qu'en ceste église 
Yoyse ong petit pour Dieu prier, 
La Vierge où je me veulx fier, 
Et puis après viendray à vous. 
Mon cueur sera hors de courroux 
Et de pensée , mais que humblement 
J'aye présenté dévotement 
Ma pétition à Marie. 
Mon doulx seigneur, je vous en prie 
Que vous m'ottroyez ma requeste. 

Le Chevalier. 

Vous me faistes mal en la teste 
De tant quaqueter ; allez doucques 
Et gardez, pour choses quelconques. 
Que vous veniez incontinent 
Qu'aurez fiait. 

' La Dame. 

Croyez seurement 
Si feray-je ; n'ayez soucy, 




"SA Femme au Dyable. 46; 

Je reyiendray en ce liea'cy 
Tout maintenant sans airrester. 
Devant toy me viens présenter^ 
Vierge , que chascun doibt prier 

Et honnorer ; 
Vueille entendre ma prière ; 
Plourer, gémir et lamenter 
Je dois bien , et me dementer, 

Sans déporter ; 
Assez y a cause et matière : 
Mon mary, vierge tresorière , 
M'ameine en ce boys là derrière , 

Mais la manière 
Ne me veult jamais declairer. 
Si te prie , estens ta lumière ; 
En toy est ma fiance entière. 

Soys ma bannière, 
Viens moy, s'il te plaist, conforter. 
Par ta saincte Conception, 
Soye garantie , vierge digne. 
En toy est ma protection. 

Sans fiction , 
Humblement vers toy je m^endine ; 
Helas, dame, je suis indigne , 
Que ta doulce grâce bemgne 

Sur moy consigne 
Pour avoir supportation. 
Mais tu es la vraye médecine 
Qui des cueurs oste la racine 

Très maligne 
Qui fait estre en perdition. 
Garde mon mary, doulce dame , 
De pensée villaine et de blasme 

De corps et d*ame y 



468 Le GHBVALIER QUI DONNA 

Tant qa^à te setyit il s^accorde. 

Oste le de la Yoye infâme. 

Et moj, qui sois sa poTre femme 

Qui te réclame , 
Fais nous vivre en paix et concorde. 
Le faulx Sathan pomt ne le morde. 
Se sa vie a esté orde , 

Si le recorde 
Bien pour éviter ]a flamme 
DVnfer. Oste le de la chorde 
De péché remply de discorde ; 

Son faict recorde , 
Devant Dieu, qu'il n'ayt diffame. 

NOSTRE DaMK. 

Mon filz , graoe je te (p)reclame. 
Pour une qui est bien m^amje, 
Laquelle n a desservj mye 
Qu'elle soit du tout reffusée ; 
Car elle a tousjours sa pensée 
A te servir et moy aussi. 
Or est-elle en grant soucy 
Pour ce que le faulx Sathanas 
Tient son mary fort en ses las ^ 
Et tant que luy a fait promettre 
Et de son sang faire une lettre 
Que sa femme luy livreroit. 
Si te prie , filz , pir bon droit, 
Que la fenune soit garantie , 
Et pour le chevalier te prie 
Que du dyable délivré soit. 
Car Sathan [très] fort le déçoit 
Par ses abus dyal>olieques 
Et par ses fallaces oblicques. 



SA Femme au Dyable. 469 

Dont son ame est en gJrant danger. 
Mon fîlz , ne te vueiUeâ venger 
De loy, je t^en prie humblement. 

Dieu. 

Mire, tous sçavez plainemeut 
Qu^à Toz justes pétitions 
Ne fais point contradictions. 
Yostre yooloir s*accorde au mien , 
Et pour tant, mère, je yeux bien 
Que la femme soit délivrée , 
Car à tort elle est obligée. 
Mais au resard de son marj, 
Mère , saicnez qull est ainsi 
Qull m^a regnyé, et Teglise, 
Par quoy il pert toute franchise, 
Et de son sang lettre en a faict^ 
Dont il a grandement mefifaict. 
Or est ainsi que ne doy pas , 
Veu le mervedleux (mefjfaict et cas , 
Luy pardonner legierement. 

NosTRE Dame. 

juge, voy planierement 
Que ce auM a fait et commis , 
Comme nors [de sens] et desmis 
De raison il a perpétré ; 
Par quoy luy aoit estre impetré 
Remission en ce cas cy. 
Et de rechef, mon filz, aussi 
Tu scès , quant il te regnia , 
Que raison en lui fourvoya 
Et nVut pas k la fin regard. 
Item et mesme, d^auhre part, 
Oncques ne voulut regnyer 



470 Le Ghetalier qui donhà 

Mon nom.. Ponr tant je te requier 
Qa^il soit de ce péril dehors 
Et (pie luY soys.mjsericors , 
Entenda rorde abosion 
Et la grant persuasion 
Que le dyabie son adversaire 
Luy a faict par cas soubdain faire 
Mon filz, n^n prens pas par sentence 
De son meffaict telle yengence , 
Gomme le cas bien le désire. 

Dieu. 

A yous ne yeolx point contredire , 
Doulce mère , c^est bien raison , 
Jaçoit ce que sa desraison 
A peine se peult pardonner. 
Gonfort yous luy yrez donner 
Et délivrer là damoyseUe 
Qui yous sert en yostre chàppellé 
En faisant sa pétition. . 
A luy yrez en fiction 
De sa femme ^ et puis yous menra 
Au lien où mener tous youldra , 
Guydant que ce soit sa partie ; 
Elle demourra endormie 
Jusques à tant que yous viendrez. 
Au faulx Sathan.vous osterez 
La lettre qu'il tient en sa main , 
Et le chevalier tout à plain 
Délivrerez , aussi la dame ; 
Gar yostre pitié me reclame 
A luy faire grâce et patdon. 
Anges , tous allez à bàndon- 
La convoyer benignefficnt. 



SA Femme au Dtâble. iji 

NosTRE Dame. 

Je te mercye humblement, 
Mon doulx fils coiirtoys et begnin. 
Anges , mettons-nous à chemin 
Pour aUer vers ce chevalier. 

Gabriel. 

Pour llionneur du roy droicturicr, 
Royne de très haulte excellence , 
Le ferons par grant diligence. 
Chantons , Raphaël , en allant. 

Raphaël. 

En louant le roy tout puissant 
D'ung mot [très] bel et gracieux , 
Et la royne aussi des haulx cieubc , 
Gabriel, je vous ayderay. 

Le Chevalier. 

Je croy que meshuy ey seray 
En attendant ceste bourgoise. 
Sang bien, s'il fault que g^y voise, 
Bien sçay qull y aura hutin. 
Je la voy ; elle est en chemin. 
Sa , dame , sa , venez avant. • 

NosTRE Dame. 
Sus , mon amy , allez devant. 
Long-temps m^avez cy attendue; 
Mais j^ay pour vous grâce rendue 
A Dieu , qu^il vous vueille -conduyre. 

Le Dtable. 

Tantost je me pourray dedayre 
Du chevalier et de sa femme ; 
En enfer porteray son ame , 



m^m 



4j% Lb Cheyalibr qui donna 

En despit qaXeOe) a Marie senry» 
Mais , haro ! je suis trahy : 
Le cheralier n^amaine mye 
Sa femme avec lay; c'est Marie. 
Bien sçay qu'elle me lera meschef ; 
Mais, an fort, je yiendraj à chef 
Du chevalieri car il, est mien 
Par ceste lettre que Je tien. 
Haro, ne sçaj que nure do je. 

Le Ghbtalier^ 

Tout le cneur durement m'effinoye 
Quant aproche de ce lieu cy. 

NosTRE Dame. 

Sire, ne soyez en soucy, 
Allez hardiment , n'ayez peur : 
Car la mire du Créateur 
Vous aydera , soyes certain. 

Le Chetalieb. 

Je ne m'ose monstrer à plain ; 
Je Toy bien que je suis perdu. 

Le Dtable. 

Je t'ay longuement attendu. 

Faulx traistre , tu m'as bien trahy ; . 

Que m'as-4a amené icy t 

Le GHEirALiER* 
Ma femme. 

Le Dtabi^e» 
Tu mens &ulsement< ' 

Le CHBTAtlER. 

Regarde , réà cy Yrajremént^ . 



SA Femme au Dtable. ij3 

Le Dyable. 

Haro ! Toicy grant mocquerie ; 

Tu amaines celle Marie 

Qui tant nous faict grief et enmiy. 

NosTBB Dame. 

Ha, faulx Sathan, venue ^e suis 
Pour celle que Kvree t'aToit. 
Tu scez bien que tu n'as nul droit 
Sur elle , qui est ma serrante. 
Ya-t'en en la prison puante 
À tousjours, saAs jamais partir. 

Le Dtable. 

D'icy ne me vueil départir 
Tant que le chevalier j'auray : 
Car par raison je monstreray 
Qu'il est mien ; en voycy la lettre 
De ses mains ; jamais ne peak estre 
Il çn a escript [le] libelle. 

Le CttEVALlEB. 

digne puceUe ! 
Enaydet'apelle; 
J'ay (tatit) esté rebelle » 
Ne soye débouté. 
Fille matemelie , 
Soys pour ma querelle 
Contre la eautélle , 
Royne de bonté. 

vierge baultaine ! 
Oste-moy de peine ; 
Mon cas te remaiue ; 
J'ay 1res mal vescu; 



474 Le Chevalier QUI DONHÂ 

Saincte souyeraine, 
Soyez-moi prochaine; 
doulce fontaine. 
Soyez mon escu. 

NosTRE Daue; 
Faulx Sathan , tu seras vaincu , 
Car par malice tu Tas faict. 
Baille-moy la lettre; de faict 
Le cheyalier nul mal n'aura; 
De tes mains délivré sera. 
Et sa femme pareillement; 
Mon filz Ta dit par jugement, 
Qui congnoit assez tes abus. 

Gabriel. 

Sathan, ne fais plus de refus, 
Baille tost la lettre à Marie ; 
Ta cautelle sera perie ; 
Tu as perdu le chevalier. 
Lequel tu as fait obliger 
De son sang par abusion. 

Le Dyable. 
Je n'entens pas bien ung faict tel 
De m'oster ce qu il m'appartient. 

Nostre.Dame. 
Or n'en parle plus, c'est pour néant. 
Laisse ta lettre sans espace , 
Car mon filz si luy a Éit grâce ; 
Pour tant la leltre avoir nous fault. 

Le DVABLEi 

Haro ! de dueil le cueur me fault. 
J'ay perdu ma possession , 
Et tout par ton abusion. 



SA Femiie au Dtablb. 4y5 

Marie , tu destruis enfer. 
Haro ! Cfue dira Lucifer 
Quant il saura ceste nouvelle? 
Bien sçaj que pas ne Tauraj belle ; 
Batu seray et tourmenté. 
Je m^en yoys d^ung aultre costé 
Faire tant qu'auray aultre proye ;' 
Je ne puis arrester en voye; 
Maintenant il s'en fault fouyr. 

NosTRE Dame. 
VueiDe-toy, amy, resjouyr, 
£t t'en ya vers ta bonne femme , 
Laquelle à genoux me reclame 
En ma chapelle dévotement. 
Vis doresnavant saintement, 
Et de très bonne intention 
Aymé ma Conception, 
Et en fais srânt solennité. 
Il a pieu à la Trinité ' 
De t avoir préservé de mal. 
Encore le faulx infernal 
Si te tenoit fort en ^es las. 
Mon amy, jamais ne soys las 
De Dieu servir dévotement. 

Le Chevalier. 

Mercier vous doy humblement , 
Glorieuse Vierge Marie , 
Car vous me monstrez dignement* 
Signe de très grant conrtoysie. 
Par voiis mon ame est appaisée. 
Qui estoit subjecte k misère. 
Qui bien vous sert il ne fault mye > 
Car en la fin luy estes mère. 



47^ LKClETALIEm QUI DONNA 

O royne de kaahe excellence, 

O duw de grant dignité, 

O waiit de très grant paissance , 

O ido^ CB capliTité, 

Par TOUS je me sens acquitté 

Dn dyakk , 1 qoi lyé j'estoye ; 

Signe me monstre aequité 

Quant par tous sots en bonne yoye. 

Comme poonra j*je grâce rendre , 

Comme tous pooiraj-je servir. 

Quant ça jos yoos Tenez descendre 

Pour hors dn péché m*assenrir ? 

Qoi Tostre amour peolt dessendr? 

Bien est eureux , certainement. 

Qui TOUS Teuh servir justement. 

Tu m*as ddivré de tourment. 

MVn voys qucnr ma bonne fenmie ; 

Par die je sms bars de blasme. 

Par die suis misai délivre; 

Se Dieu plaist , tant oue pourray vivre^ 

Lut porteray signe abonneur 

Et Taymeray de très bon cueur. 

Car i elle je suis tenu. 

Esveilles-vous , je suis venu , 

M^amye, pour vous crier mercy. 

La Dams. 

Hdas ! Monseigneur, qn^est cecy ? 
Qn'aveE-vons? 

Le Chevalier. 

Pëj tris tùtl Hiespris. 
Contre vous j^avoye entreprins 
De TOUS donn^ au Sadiainas , 
Et m^estoye ainsi pour ce cas 



SA Femme au Dyable. 477 

Obligé; en voicy la lettre. 

Mais TOUS avez fait entremettre 

Par Yostre humble pétition , 

Au nom de la Conception, 

La digne Vierge glorieuse , 

Qui de son oreille piteuse 

À yostre prière entendue , 

Et des saincts cieulx descendue , 

Et Tenue au lieu avec mby. 

Voire cuydant en bonne îoj 

Que ce fust vous , ma doulce amye ; 

£t poiurtant vous requiers et prie 

Que me pardonnez ce meffaict; 

Carie ay contre vous mefïait, 

Carmen voy que vous estes bonne. 

La Dame. 

Mon chier Seigneur, qui s^abandonne 
À Dieu servir ne peult périr. 
Levez-vous. De parfait désir 
Vous le pardonne doulcement ; 
Et pourtant , mon loyal mary , 
Vivons désormais chastement, 
Sans désirer aulcunement 
Habitz curieux ne mondains. 
Vous povez veoir les cas soubdains 
Qui peuvent venir de jour en jour 
A ceulx qui ont mis leur amoui* 
Et leur cueur en mondanité ; 
Car ce nVst fors que vanité. 
Ainsi nous devons sans cesser 
Pour la saincte foy exaulcer 
De la Conception très digne. 
Pour tant tous de cueur vous supplye 



478 Lb Chevalier. 

Que chascuD selon son povoir 
De la seiriif face devoir, 
A£Sd que , au pas de ta mort , 
La Vierge doui lace confort. 

Amen. 



Cj fine le mystère du Chevalier qui donna 

sa femme au Dvafale. Imprimé à Lyon, 

à la maison de feu Barnabe Chaus- 

sard, pr^ Nostre-dame-de- 

Confoit, H.D. xliiij. 

Le XVI> jour de 

juillet. 



f DU TOME TBOISlkMl. 



L' 








TABLE DES MATIÈRES 

DU TOME TROISIÈME. 



5i. Moralité nouvelle des Enfans de Maintenant , qui sont des 
escoliers de Jabien , qui leur monstre à jouer aux cartes et 
aux dez et entretenir Luxures , dont Tung vient à Honte, 
et de Honte à Desespoir, et de Desespoir au gibet de Per- 
dition, et Taultre se convertist & bien faire. Et est à treize 
personnages, c'est assavoir : le Fol, Maintenant, Mignotte, 
Bon Advis, Instruction, Finet, premier enfant; Malduit, 
second enfant ; Discipline , Jabien, Luxure, Honte, Des- 
espoir, Perdition. Page 5 
5a. Moralité nouvelle, contenant 

Comment Envie, au temps de Maintenant, 

Fait que les Frères que Bon Amour assemble 

Sont ennemis et ont discord ensemble , 

Dont les parens souffrent maint desplaisir. 

Au lieu d'avoir de leurs enfans plaisir. 

Mais à la fin Remort de conscience , 

Veuillant user de son art et science , 

Les fait renger en paix et union , 

Et tout leur temps vivre eu communion. 
A neuf personnaiges , c'est assavoir : le Preco , le Père , 
la Mère, le premier Filz, le second Filz, le tiers Filz, 
Amour Fraternel , Envie, et Remort de conscience. 87 
55. Moralité nouvelle d*ung Empereur, qui tua son neveu qui 
avoit prins une fille à force ; et comment, ledict Empereur 
estant au licl de la mort, la sainte Hostie lui. fut apportée 
miraculeusement. Et est à dix personnaiges, c'est assavoir : 
l'Empereur, le Ghappelain, le Duc, le Conte, le Nepveu 
de l'Empereur, l'Escuyer, Bertaut et Guillot , serviteurs 
du Nepveu; la Fille violée, la Mère de la Fille, avec la 
sainte Hostie qui se présenta à TEmpereur. la? 

54. Moralité ou histoire rommaiue d'une Femme qui avoit 



48o Table des Matières. 

Toolit tnhir la elté de Romme , et comment sa Fille 1« 
nourrit tii sepratines de son lait en prison, à cinq per- 
toimiiges, e^est assavoir : Oraeios, Valerias, le Sergent, 
la Mère, et la Fille. , 171 

55. Farce nouvelle , fort joyeuse et morale , à quatre per- 
sonnaigea , c'est assavoir : Bien Mondain , Honneur Spiri- 
tuel , Pouvoir Temporel , et la Femme. rs-j 

56. Farce nouvelle, très bonne, morale et fort jojeuse, àtroys 
personnaigea, c'est assavoir : Tout, Rien, et Caascnn. 1 99 

57. Bergerie nouvelle, fort joyeuse et morale, deMienlx que 
devant, à quatre persounaiges, e*est assavoir : Mieulx que 
devant, Plat Pays , Peuple Pensil, et la Bergiëre. ai3 

5ft. Farce nouvelle morali«âe des Gens Nouveanlx , qui man- 
gent le Monde et Je logent de mal en pire, à quatre per- 
sonnaiges , c'est assavoir : le Premier nouveau , le Second 
Nouveau, le Tiers Noaveau, et le Monde. aSa 

59. Farce nouvelle, à cinq personnaiges , c'est assavoir : 
Marchandise et Mestier, Pou d'Acqoest, le Temps qui court, 
et Grosse Bespense. 349 

60. La ¥ie et hystoire du Maulvais Ridie, k treize person* 
naiget, ô'est assavoir : le Maulvais Riche, la Femme do 
Maulvais Riche , le Ladre, le Prescheur, Troiemenn, Tri- 
pet , cuisiiiier; Dieu le Ptoe, Raphaël, Abraham, Lucifer, 
Satban, Rahouart,*Agrappart* 267 

6i. Farce nouvelle des Cinq Sens de lHomme, moralisée et 
fort joyeuse pour rire et recréative , et est à sept person- 
naiaes, c'est asaavoir : l'HonuDe, la Boui^e, les Mains, 
les Yeulz , les Plede , l'Ouye, et le Col. 5oo 

€9. Débat du Corps et de l'Ame. 3a5 

63. Moralité nouvelle, très bonne et très excelielite, de 
Charité, otL est demonstré les maoU qui' viennent aujonr- 
d'huy au monde par faulte de Charité , h douse personnai- 
ges : le Monde , Charité , Jeunesse , Vieillesse , Tricherie , 
le Ponvre, le Religieux, la Mort, le Riche Avaricieox et 
son Varlet, le Bon Riche Vertueux , et le Fol. S37 

64* Le Chevalier qui donna sa Femme au Dyable, è dix per^ 
aonnaiges, c'est atoavoir : Dieu le Père, Nostre Dame, 
Gobrieî, Rophael, le Chevalier, sa Femme, Amaury, es- 
cnyer; Anthenor, escuyer; le Pipeur> et le DyaUe. 435 



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