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Full text of "Annales catholiques de Genève"

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ANMLES  CATHOLIQUES 

DE  GENÈVE. 


A^IVALES 


CATHOLIOIËS 


DE  GENÈVE 


Pabliccs  soujs  la  direction  de  M.  i'ablié 
G.  A1ER1IILI.OD. 


Et  fiet  unum  ovile ,  et  unus  paslor. 

(  Paholes  de  N.  s.  J.-C.  ) 

Post  tenebras  lux. 

(  Devise  de  Genève.) 


§}M  11958 


TROMSIÈME    SÉJRME. 


BERTHIER-GUERS,Cité,  224.  J  (  Marc  MEHLING,  Corraterie,  12. 

DE  CHATEAUVIEUX, Molard.  1       ^^  (  MATTHIEU,  Fustcrie,  85. 

1854. 


AUX  ABONNÉS. 


Les  Annales  Catholiques  de  Genève  commencent  leur  seconde 
année  d'existence  ;  Dieu  a  béni  nos  travaux  au-delà  de  nos  espé- 
rances. 

Une  première  année  est  toujours  un  péril  pour  une  Revue; 
nous  avons  la  joie  d'avoir  traversé  ce  péril ,  en  suscitant  de  bon- 
nes et  généreuses  sympathies. 

La  presse  catholique  de  France,  d'Allemagne  ,  de  Belgique  et 
d'Italie  nous  a  accueilli  comme  un  nouveau  combattant  qu'elle 
était  heureuse  de  voir  dans  la  lice  ;  elle  nous  a  ouvert  ses  rangs, 
et  nous  avons  pris  place,  malgré  l'inGrmité  de  nos  efforts,  parmi 
ces  vaillants  champions  de  la  cause  de  Dieu  et  de  son  Église. 

Personne ,  mieux  que  nous  ,  ne  sent  les  imperfections  de  notre 
œuvre.  Condamné  ,  d'ailleurs  ,  à  combattre  des  adversaires  qui 
redoutent  d'élever  la  controverse  religieuse  à  une  hauteur  de  vue 
digne  de  la  vérité,  nous  devons  les  suivre  dans  les  défilés  étroits 
où  nous  appellent  leurs  déclamations;  nous  devons  rétablir  nos 
croyances  perpétuellement  défigurées  par  d'aveugles  préjugés. 
Dans  cette  guerre  quotidienne,  au  milieu  des  haines  qui  nous  en- 
vironnent et  des  hostilités  qui  se  multiplient,  il  est  difficile  de 
garder  toujours  cette  mesure  du  langage  qui  tempère  la  vivacité 
de  la  discussion.  Nous  sommes  si  souvent  attaqués  par  la  mal- 
veillance systématique,  froissés  dans  nos  plus  saintes  convictions! 
et  dans  l'ardeur  de  la  défense,  il  n'est  pas  étonnant  que  nos  cœurs 
émus  laissent  échapper  l'accent  de  la  plainte.  Nous  ne  pouvons 
pas,  sous  le  prétexte  de  la  charité,  amollir  en  nous  l'amour  de 
la  vérité  ! 

Notre  Revue  a,  dit-on,  favorisé  le  réveil  protestant;  nous  se- 
rions heureux  de  mériter  cet  honneur  qui  ne  nous  est  pas  dû; 
nous  n'avons  fait  que  répondre  à  une  agression.  C'est,  au  reste, 
placer  la  question  religieuse  sur  le  premier  plan.  La  lutte  vaut 
mieux  que  l'indifférence. 

Nos  lecteurs  ont  pu  voir  se  refléter  dans  nos  articles  cette  phy- 
sionomie d'une  ville  qui  croyait  avoir  gardé,  à  l'aide  de  ses  rem- 


0  A  NOS  ABONMÉS. 

paris  et  de  ses  lois  ,  son  caoliei  calviniste  ,  cl  (|ui  loin  d'un  rou|» 
sp  Voit  iransformt'f  par  la  forci'  des  cvcnciiicnts.  Ce  d<''saccoiil 
eiilrc  le  passe  el  TaNeiiir,  ces  teiilaljves  iiiiililes  de  faire  reNJNrc 
une  épo<pie  disparue,  celle  ap|i3reuee  d'un»*  doctrine  religieuse 
«|u'un  jette  sur  une  population  [)ré<)rcu|KM'  d'affaires,  loui  iraliil 
une  situation  pleine  d'angoisses.  (îenéve  n'a  plus  les  vieilles 
croyances  de  (Calvin,  ni  son  antiipic  organisation;  il  ne  lui  n-ste 
que  des  souvenirs.  Klle  n'a  plus  d'alliiniaiions;  son  église  natio- 
nale tombait  en  poussière,  lorsque  le  calliolicisnie ,  par  sa  pré- 
sence, est  venu  la  secouer  de  son  sommeil.  Elle  a  retrouvé,  con- 
tre nous,  la  seule  force  de  la  protestation,  el  ainsi  elle  a  ravivé 
le  fanatisme  éteint.  Ses  ronlérences,  ses  brochures  el  s«'S  llétris- 
sanles  conrpiétes  sont  d'irr<'cusables  lémuins  qu'elb*  ne  {»ossé(le 
(ju'une  vie  d'opposiiion. 

-Nous  av(tns  l'espoir  (pie  du  sein  de  ces  ruines  un  jour  fécondes 
se  lèveront  des  hommes  de  cœur  qui  abjureront  toute  solidarité 
avec  ces  fractions  religi<;uses  privées  de  lien  doctrinal ,  mais 
réunies  dans  une  comniune  haine.  Nous  pouvons  tliscerner  des 
sxniplômes  de  vo.  retour,  et  nous  crovons  que  nos  travaux  et  les 
efforts  maladroits  de  nos  agresseurs  tendent  à  pré|>arer  ce  conso- 
lant succès. 

Nous  comptons  sur  les  prières  et  sur  le  pi'rsévi'rant  concours 
d(!  nos  amis. 

IMus  que  jamais,  les  Jnnales  Catholiques  de  Genève  s>onX  xir- 
«'cssaires. 

I.e  protestantism»'  cherche  à  s'emparer  de  l'opinion  publiipic 
en  Kurope;  il  crie  sans  cess»'  à  l'intolérance  et  il  enq»risonnc  les 
«•atholi<pies  en  Suéde;  il  subit  malgré  lui  la  liberté  de  l'Église  en 
Aiiglelerre  et  en  Hollande,  comme  il  \oudraii  anéantir  à  (îenèvc 
la  liberté"  de  |»ricr  l>i«Mi  dans  mie  église  constrnile  avec  nos  de- 
niers, et  la  liberté  de  défendre  notre  foi.  Ces  manoiivres,  ces 
ilameuis  n'ont  d'autre  iiut  (juc  de  |)roitger  ses  colporiiiir-^  en 
Italie  el  de  voiler  son  prosélytisme  ré'volutionnaire. 

Notre  situation  à  Genève  nous  impose  donc  le  devoir  de  <  oini 
nuer  notre  u'uvre.  Il  nous  serait  doux  de  hâter  un  rapproche- 
ment (les  intelligences  et  des  cœurs  dans  l'hglise  de  .lésiis-Chrisi. 
Nos  labeurs  n'ont  jtas  éi('' sans  succès;  d'ailleurs,  n(Uis  les  con- 
fions à  la  garde  de  la  Providence,  nous  savons  qu'ils  oe  sont  ja- 
mais stériles  à  ses  yeux. 


^MN.'inhrc.  I-Vlc  Je  la  PrcscitlaUnn 
lie  la  S"  Vierge. 


LM.Lt(j.  MKHMII.I.Ol). 


FRÉDÉRIC  OZANAM. 


In  omnibus  cxhibeamus  nos  met  ipsos  siciit 
Dci  ministros ,  in  nmlUi  palicntià,  in  tribulatio- 
nibus,  in  necessitatibus,  in  augustiis,  in  scicntià 
in  longanamitate ,  in  suavité,  in  charitalc  non 
fietà. 

(Épist,  S"Pauli  adCorinth.) 


Frédéric  Ozanam,  professeur  de  littérature  étrangère  à  la  Fa- 
culté des  lettres  de  Paris,  vient  de  mourir,  à  peine  âgé  de  qua- 
rante ans.  C'est  là  un  nom  trop  cher  aux  lettres  catholiques,  pour 
qu'il  ne  soit  pas  consacré  dans  ce  recueil  quelques  pages  à  ho- 
norer sa  mémoire.  Aussi  bien  Ozanam  ne  fut-il  pas ,  durant  sa 
trop  courte  carrière,  un  rare  exemple  de  vertu  courageuse,  un 
travailleur  infatigable ,  un  noble  cœur  ouvert  à  toutes  les  gran- 
des inspirations?  Combien  de  motifs  pour  nous  entretenir  ici  de 
ce  type  du  vrai  chrétien,  tel  qu'il  se  doit  montrer  dans  le  monde, 
à  ce  moment  surtout  où  les  incertitudes  de  l'avenir  laissent  une 
si  forte  prise  aux  défaillances  et  semblent  autoriser  l'abaissement 
de  tant  de  caractères!  L'époque  était-elle  meilleure,  alors  que 
notre  regrettable  ami,  franchissant  les  années  de  la  jeunesse,  at- 
teignait si  rapidement  une  virilité  précoce,  discernait  les  périls 
encourus  par  la  société  et  formait ,  dans  le  silence  de  son  cœur, 
le  généreux  projet  d'employer  sa  vie  à  combattre  et  ces  doctri- 
nes mauvaises  qui  se  veulent  substituer  aux  clartés  de  l'Évangile, 
et  cette  fausse  science  occupant  les  avenues  de  l'esprit  humain, 
partout  depuis  tant  d'années  conjurée  contre  la  vérité? 

Nota.  —  On  nous  saura  gré  de  publier  cette  notice  sur  Ozanam.  L'illustre 
professeur  s'intéressait  chaleureusement  aux  luttes  et  aux  progrès  du  catho- 
licisme à  Genève.  La  reconnaissance  et  Tamitié  lui  doivent  un  souvenir  dans 
nos  Annales;  et  nul  n'avait  plus  de  droit  à  tracer  son  éloge  que  le  président 
de  notre  Société  de  Saint-Vincent-de-Paul,  qui  a  vécu  dans  son  intimité  et  qui 
a  partagé,  à  Paris,  la  joie  de  son  dévouement  aux  pauvres.  Celte  biographie 
est  digne  d'Ozanam  ;  la  Société  de  Saint-Vincent-de-Paul  a  la  destinée  de  sui- 
vre l'Eglise,  à  notre  époque,  par  la  double  influence  des  écrits  et  des  bonnes 
œuvres.  G.  MEILMILLOD. 


8  FRÉnÉHin  nzA?iAV. 

Une  grande  passion,  l'amour  ilc  l'Éf^lisc,  dominp  celle  exis- 
tence si  hien  remplie.  Accoiilum»',  |)ar  iràdilion  de  famille,  à 
voir  en  elle  la  mère  de  toute  sagesse  ,  duninl  vingl-deux  anni'cs 
il  l;i  seii  pai'  la  science,  il  la  sert  |)ar  les  duvres,  il  la  sert  |inr 
le  salutaire  exem|)le  d'une  \ie  irréprochable.  Depuis  le  premier 
acte  de  son  existence  publique,  la  défense  de  la  doctrine  catholi- 
que contre  le  socialisme  sainl-simonicn ,  jus<]u'à  ces  derniers 
jours  où  il  employait  ce  que  la  maladie  lui  avait  laissé  de  forces, 
à  multiplier  les  (Conférences  de  Saint-\  incent-de-Paul  dans  la 
Toscane,  Ozauam  ne  faillit  jamais  ù  Tunité  de  son  caractère.  Il 
ne  connut  pointées  faiblesses,  ces  éclipses  passagères  (pii  furent 
le  partage  de  tant  d'honunes  de  lettres,  même  entre  ct'U\  qui  eu- 
rent toujours  le  ferme  propos  de  se  dire  chrétiens.  Il  puisa , 
dans  une  prali(pie  exacte  et  constante  des  devoirs  de  la  religion, 
l'admirable  prorogative  d'être  toujours  lidèlc  à  lui-même.  Quand, 
ù  une  Ncrtu  aussi  rare  ,  outre  le  don  d'un  savoir  hors  ligne  ,  s'unit 
cette  llamme  qui  pénètre  lescœui'S  et  emporte  les  convictions,  un 
boinnie  est  puissant  pour  le  bien.  Il  de\icnt  un  de  ces  instrumenis 
providentiels  qui  décident  des  mouvements  des  idées  et  des  pro- 
grès des  doctrines. 

Tel  futO/anum;  et  c'est  à  ce  |>oint  de  vue  que  nous  le  vou- 
lons considérer  <piel(|ues  instants.  D'autres,  plus  autorisés,  étu- 
dieront le  suivant,  analyseront  ses  ouvrages,  apprécieront  la 
sagacité  du  critique.  Une  pareille  liiche  ,  trop  au-dessus  de  nos 
forces,  d'ailleuis,  ne  saurait  être  entreprise  durant  ipielipies  heu- 
res disputées  à  l'exercice  d'une  profession  |H»ur  laquelle  le  loisir 
des  étmles  littéraires  n'existe  pas.  Avant  tout,  c'est  le  souvenir 
de  l'homme  ,  agissant ,  vivant  au  milieu  de  ses  amis  et  de  ses  vie- 
ves,  que  nous  voulons  évocpier  ici. 


Fré'déric  O/anan»  est  issii  d'une  famille  de  Presse  d'ofigine 
juive,  «jui  a  donné  à  la  science  d'illustres  represenlanis.  Il 
« ompte  |)armi  ses  ancêtres  Jacques  O/anam ,  ce  laborieux  géo- 
mètre du  dix-septième  siècle,  Hont  on  aime  :l  citer  ce  mol 
qui  dénote  la  fermeté  des  principes  chn'*tiens  traditionnels  dans 
cette  respectable  famille  :  a  II  ap|)artient,  disaii-il,  aux  docteurs 


FRÉDÉHIC    OZA>.\.n.  0 

<lc  Sorl»oiin(;  do  (liscutor,  :ui  Pape  tic  dc-cidcr,  aiiv  i^ôomôlres 
d'aller  au  paradis  par  la  perpendiculaire.  »  Ce  savant ,  auteur 
des  Récréations  mathématiques  et  d'autres  nondjreux  ouvrages 
encore  consultés,  avait  quitté  de  bonne  heure  sa  vallée  de  Dombo 
pour  habiter  Paris  où  il  niourut. 

Le  père  de  notre  ami  est  le  médecin  auquel  la  science  est  re- 
devable d'une  savante  histoire  des  épidémies.  Après  diverses  vi- 
cissitudes, il  s'établit  à  Milan  oii  il  exerça  la  médecine  pendant 
plusieurs  années.  Ce  fut  là  que,  le  23  avril  1813,  vint  au  monde 
Frédéric,  le  second  de  ses  fils,  sur  cette  terre  d'Italie  dont  il 
devait  plus  tard  célébrer  les  grands  hommes  et  la  destinée  his- 
torique. En  1817,  après  que  la  Lombardie  fut  redevenue  une 
terre  autrichienne,  le  docteur  Ozanam  se  fixa  à  Lyon,  où  il  four- 
nil une  honorable  carrière  brusquement  interrompue,  en  1836, 
par  le  plus  déplorable  des  accidents. 

Frédéric  Ozanam  appartient  bien  à  la  cité  lyonnaise.  C'est  là 
qu'il  fut  élevé;  c'est  là  qu'il  naquit  à  la  vie  de  l'intelligence  et 
de  l'étude  :  d'abord  sous  la  direction  de  son  père,  fort  bon  hu- 
maniste dans  un  de  ces  intérieurs  de  famille  graves  tels  qu'on  en 
rencontre  si  souvent  dans  une  ville  où  la  vie  chrétienne  a  de  si 
profondes  racines ,  puis  au  collège  où  ses  mérites  précoces  atti- 
rèrent l'attention  d'un  remarquable  professeur.  Ce  maître  fut 
l'abbé  Noirot,  qui  enseigna  pendant  plus  de  vingt  ans  la  philo- 
sophie à  Lyon.  Peu  connu  en  dehors  du  cercle  de  ses  élèves, 
M.  Noirot  mériterait  de  l'être  davantage.  Extrêmement  réservé 
dans  ses  rapports  avec  le  monde,  l'habile  professeur  ne  visa  jamais 
à  obtenir  une  renommée  scientifique.  Quoique  vivement  sollicité, 
il  n'a  publié  aucun  ouvrage.  C'est  à  grand'peine  qu'un  de  ses 
élèves  a  obtenu  la  permission  de  mettre  au  jour  la  rédaction  de 
quelques-unes  de  ses  leçons,  et  encore  depuis  qu'il  a  quitté 
l'enseignement.  Plutôt  que  de  produire  des  livres,  M.  Noirot  es- 
timait plus  utile  de  produire  des  hommes.  11  s'appliqua  conti- 
nuellement à  discei-ner,  parmi  les  jeunes  gens  qui  passaient  sous 
ses  yeux,  ceux  qui  pouvaient  donner  quehjue  chose;  puis,  avec 
cette  patience  et  ce  désintéressement  (jue  seuls  peuvent  engen- 
drer la  conscience  d'un  grand  devoir,  il  cultivait  ces  germes  fai- 
bles encore.  C'est  ainsi  que  souvent  il  a  amené  à  l'âge  viril  des 


10  FRÉnÉRlC    U/A.>A>I. 

ioleltigcnccs  qui  honorent  la  société  non  moins  qu'elles  justiliont 
sa  sagacité  et  sa  f;<''ncreusc  initiative.  Il  n'y  aurait  à  louer 
M.  l'abb»'  Noirol  (\\H'  du  mérite  (rav(»ir  découNcrt  cl  poussé 
chacun  dans  sa  voie  des  hommes  tels  (|u'()/.anam,  Ulanc  de  Sainl- 
Boniici ,  le  poète  Laprade,  le  j^eintre  Janmot  et  tant  d'autres, 
que,  certes,  la  part  de  l'éloge  devrait  être  grande. 

Le  cours  de  philosophie  de  M.  Noirol  était  une  préparation 
scienlilique  à  liiiiiialion  délinilivc  de  l'esprit  à  la  docliine  callio- 
licpie.  Le  do^'mc ,  dans  loutc  sa  sévérité,  était  le  terme  invin- 
cible de  ses  argumentations,  ci  encore  cpie  rarement  il  lui  ar- 
rivât, surtout  dans  ses  leçons  publi(pies,  de  le  faire  intervenir  eu 
des  expositions  de  principes  où  il  mettait  en  jeu  le  libre  arbitre 
autant  (pie  les  facultés  de  l'intelligence  ;  il  n'est  pas  moins  évi- 
dent <pic  la  conclusion  impliquait  une  adhésion  raisonné-e  et  ré- 
flt'chie  à  CCS  grandes  vcrilés  mdaphysiipics  et  morales,  patri- 
moine de  l'humanité,  dont  l'Église  catholique  a  laugustc  privi- 
lège de  demeurer  (h'posilaire  à  travers  les  vicissitudes  des  temps 
cl  les  contradictions  des  sysièmes.  Quel(|ues-uns  se  sont  «levés 
contre  cette  réserve  de  l'abbé  Noirol,  qui  se  contentait  de  faire 
pressentir  renseignement  chrétien  plut»*)t  (pj'il  ne  l'exposait.  Il  ne 
ne  nous  appartient  ni  d'en  scruter  les  molils  possibles,  ni  de  re- 
chercher si  ces  ménagements  ne  lurent  |K»int  commaiKi<s  par  la 
situation.  En  présence  de  succès  évidents,  quVsl-il  besoin  de 
justilication?  Ce  qui  demeure  incoiUestai)le,  c'est  «jue  l'abbé 
Noirol  avait  le  don  de  deviner  les  intelligences  et  celui  de  les  cap- 
tiver. Un  don  semblable  prévaut  sur  toutes  les  mélhodes. 

Ceux  qui  connureiii  O/.anam  à  celle  |)eriode  de  sa  vie,  s'accor- 
dent à  dire  (|ue  pour  lui  la  jeunesse,  à  vrai  dire,  n'exista  |)as. 
Des  I  e  moment,  il  se  (lislingna  par  une  giaNilc  prématurée  «i  par 
ct;Ue  o|)iniàtreté  dans  le  travail  qui,  chez  lui,  étail  une  tradition 
«le  l-iinille.  S'il  ne  connut  «le  la  jeunesse,  ni  les  «carts,  ni  ce  je  ne 
sais  «pioi  de  vague  «;l  «l'intiihércnt  dans  les  idées  qui  la  «?arac- 
térise  si  souvent,  il  en  cons«'rva  Umjours  une  tenue  modeste, 
parfois  poussée  jus<ju'à  la  timidité,  aussi  bien  que  cei  élan  affec- 
tueux qui  répandait  sur  sa  |)ersoiine  nu  allrail  tout  jiarliculier. 

Il  laiit  compter  0/,aiiani  parmi  les  iiinoinbrables  Ni(iim«'S  lit- 
téraires qui  hantèrent  contre  leur  gré  les  antres  «le  la  chicane. 


FRÉDBKIC    OZANAn.  1  1 

Au  sortir  du  collège,  trop  jeune  encore  pour  aller  à  Paris,  ses 
parents  l'envoyèrent ,  pendant  deux  années ,  dans  une  étude  de 
notaire.  Pour  cliarmcr  ses  ennuis ,  il  composait  et  conduisait  à 
terme  un  poème  épique  envers  latin,  sur  h  Prise  de  Jésuralem  par 
Titus.  Ce  fut  seulement  en  1831  qu'il  se  rendit  à  Paris  pour  sui- 
vre les  cours  de  l'école  de  droit.  Il  eut  alors  la  bonne  fortune  de 
passer  deux  années  dans  la  maison  du  célèbre  physicien  Ampère 
et  de  jouir  de  la  familiarité  de  ce  savant.  Ce  toit  hospitalier  était 
un  lieu  de  réunion  pour  un  grand  nombre  d'hommes  distingués. 
Il  se  lia  avec  plusieurs,  en  particulier  avec  le  philosophe  Ballan- 
che.  C'est  de  ce  moment  que  se  forma,  entre  Ozanam  et  M.  Am- 
père le  fils,  une  étroite  liaison,  dont  ce  dernier  donnait  naguère 
un  témoignage  bien  touchant. 

Sur  ce  nouveau  théâtre,  Ozanam  mena  de  front,  avec  une  ar- 
deur sans  pareille ,  la  vie  de  l'étude  et  la  vie  des  œuvres  chré- 
tiennes. Rien  n'égalait  sa  passion  pour  s'instruire.  Aussi,  de  no- 
tre temps  trouverait-on  bien  peu  d'hommes  ayant,  en  aussi  peu 
d'années,  conduit  à  terme  des  travaux  aussi  considérables.  Oza- 
nam avait  l'esprit  ouvert  à  tout.  Il  était  docteur  en  droit  et  doc- 
teur ès-letlres.  L'histoire ,  en  particulier  celle  des  origines  des 
civilisations  et  des  littératures,  n'avait  pas  de  champs  inexplorés 
pour  lui.  Il  apprenait  les  langues  vivantes  avec  une  facilité  peu 
commune;  sans  négliger,  pour  cela,  l'étude  de  l'antiquité. 
Il  s'était  mis  à  lire  l'hébreu  tout  en  copiant  des  actes  de  notaire. 
Rien  ne  demeurait  superficiel  en  lui.  Il  n'aurait  pas  si  bien 
compris  le  moyen  âge  et  ses  grands  théologiens  philosophes  ;  il 
n'aurait  pas  pénétré  avec  autant  de  bonheur  les  difficultés  des 
Pères  de  l'Église  des  troisième  et  qu*atrième  siècles,  s'il  n'eût 
été  versé  dans  les  lettres  grecques  et  latines.  Poursuivant  avec 
persévérance  la  question  si  complexe  de  la  formation  des  langues 
modernes,  il  avait  été  attiré,  remontant  de  siècle  en  siècle,  d'in- 
vasion en  invasion,  jusque  sur  les  plages  de  l'Inde,  dont  il  n'avait 
voulu  ignorer  ni  les  idiomes  primitifs,  ni  la  cosmogonie. 

Un  travail  pareil  et  aussi  continu  ne  semblait  compatible  qu'a- 
vec une  vie  solitaire.  Il  n'en  fut  rien  pourtant  :  Ozanam  n'aurait 
pas  compris  cet  égoisme.  Il  fut  le  condisciple  le  plus  aimable; 
on  cite  de  lui  des  traits  charmants.  Pendant  le  choléra  de  1832, 


12  rRKDF.Rir    ()/A>AM. 

il  sr  montra  admirable  do  dévouement  pour  ses  amis  atteints  par 
le  llt'-au.  Un  d'entre  eux,  l'abbé  Ducbesne,  raconte  qu'étant  fort 
malade,  le  studieux  étudiant,  (pii  ne  cessîut  de  lire,  lui  apporta 
<pul(|ues  volumes  pour  le  distraire.  C'étaient  les  trois  |testcs  les 
plus  eélebreos  par  la  littérature  :  Thucydide  et  la  peste  sous  Péri- 
dés,  plus  celle  de  Lucrèce ,  plus  celle  de  Mil;ni ,  dans  les  Fiancés 
de  Man/.oni. 

Aussi  ne  tarda-t-il  pas,  par  l'attrait  puissant  tpi'il  exer- 
çait, à  conquérir  la  première  place  au  milieu  du  groupe 
cboisi  qui  avait  mérité  ses  prédilections.  Grâce  à  cette  itilluonce, 
il  |irit  une  part  prépondérante  à  la  tondation  de  deux  institu- 
tions qui  ont  eu  sur  les  destinées  intelleetnelles  et  reli{;ieuses  de 
la  France  une  action  éminente.  Nous  voulons  parler  des  Confé- 
rences de  Notre-Dame  et  de  la  So(  iélé  de  Saint-Vinceul-de-I'auI. 
C'était  J'U  1831.  Cette  date  n'a  pas  besoin  de  eommeniaire  ; 
et  (jui  V(»udraii  caractériser  l'é'iat  de  la  jeunesse  catbolique  à  cette 
épo(|ue,  en  France,  le  pourrait  faire  en  ces  mots  :  dispersion  to- 
tale des  forces,  inq)uissance  pour  le  bien,  résultant  «le  cette  dis- 
solution. Sans  doute,  sous  la  Hestauration ,  de  nobles  âmes 
avaient  déjà  songé  à  rallier  en  un  centre  d'action  la  jeunesse 
des  familles  clirétieunes.  Mais  soit  par  la  faiblesse  des  éb'ments, 
soit  par  la  trop  i^rande  soiiflarité  des  pr<»moteurs  de  l'teuvre  avec 
le  pouvoir  politique,  il  avait  sulli  d'une  révolution  pour  mettre 
â  néant  ces  tentatives.  Chacun  de  sou  côté,  en  se  séparant,  avait 
emporté  un  souvenir  et  une  espérance.  Il  fallait  une  circonstance 
et  une  impulsion  nouvelle  pour  rallier  des  éléments  dispersés, 
pour  rendre  conliance  et  courage  à  des  esprits  abattus,  pour  re- 
nouer enlin  la  salutaire  inidiliou  des  «ruvres  de  charité  et  du 
travail  scieutirupie  en  commun. 

Un  groupe  obscur  déjeunes  étudiants  eut  cet  honneur.  On  n'a 
point  oublié  les  tentatives  du  socialisme  saint-simouien.  l>es 
atleptos  de  la  secte  avaient  jeté  un  <léli  aux  delenseurs  du  dogme 
catholi(jue.  ()/:inaui  et  ses  amis  répondirent  à  la  pr<»vocation,  et 
dans  des  luttes  de  parole  dont  le  souvenir  n'est  point  effacé,  ils 
le\rient  avec  ('nergie  ce  drapeau  <  ;iilioli<pu'  dont  croyaient  avoir 
lrionq»lu''  le  sarcasme  ei  l:i  perseculiou  libérale.  Les  idées  échan- 
gées dans  cette  <  (uiiroxerse  furent  retracées  par  O/anam  «lans 


FRÉDÉRIC    OZANAM,  13 

un  petit  écrit  sur  la  doctrine  de  Saint-Simon.  Ce  fut,  croyons- 
nous,  le  premier  essor  de  son  talent.  H  avait  18  ans. 

A  cette  époque,  les  chaires  des  facultés  de  Paris  retentissaient  des 
sophismes  de  l'enseignement  le  plus  anti-chrétien.  Au  scandale  de 
doelrines  impies  ,  les  professeurs  ajoutaient  ordinairement  l'acte 
moins  justiliable  encore  de  présenter  sous  un  jour  mensonger  le 
catholicisme,  qu'il  a  toujours  été  plus  aisé  d'attaquer  par  la  ca- 
lomnie que  par  la  logique.  Ce  n'était,  à  chaque  leçon,  que  cita- 
tions tronquées ,  qu'inexactitudes  historiques  perfidement  cal- 
culées à  l'avance.  Ozanam,  en  présence  de  cette  guerre  déloyale, 
sentit  s'éveiller  en  lui  toute  la  fierté  d'une  âme  blessée  dans  le 
sanctuaire  de  ses  affections  et  de  ses  respects.  Tout  faible  qu'il 
pouvait  paraître  avec  ses  vingt  ans ,  il  écrivit  lettres  sur  lettres 
aux  maîtres  qui  se  permettaient  ces  calomnies  quotidiennes. 
L'une  de  ces  lettres  (elle  s'adressait  à  Jouffroy)  força  le  coupa- 
ble de  rentrer  en  lui-môme.  Jouflroy,  qui  avait  reçu  les  bien- 
faits d'une  éducation  chrétienne,  se  sentit  ému  d'une  involontaire 
sympathie  pour  la  protestation  courageuse  de  son  adversaire  in- 
connu. Il  fît  une  rétractation  publique  de  son  erreur,  non  sans 
rendre  justice  au  savoir  et  à  la  parfaite  convenance  des  observa- 
tions qui  lui  étaient  opposées,  et  dès  ce  jour  les  professeurs  de  la 
Sorbonne  (cela  fut  remarqué)  devinrent  à  la  fois  et  plus  mesurés 
dans  leur  langage ,  et  plus  comptables  d'impartialité  dans  leurs 
jugements.  Ozanam  les  fit  reculer  par  les  armes  de  la  science 
dont  ils  se  croyaient  les  exclusifs  dépositaires.  C'est  ainsi  qu'ils 
apprirent  à  connaître  celui  qui  devait  plus  tard  s'asseoir  au  mi- 
lieu d'eux. 

Cependant  le  troupeau  saint-simonien  succomba  sous  le  poids 
de  la  banqueroute  et  du  ridicule.  Les  jeunes  amis  qui  avaient  si 
vaillamment  combattu  sous  la  direction  d'Ozanam,  se  troublèrent 
à  la  pensée  de  voir  se  dissoudre  leur  petite  Conférence ,  et  in- 
continent ils  résolurent  de  sanctifier  par  des  actes  de  charité 
une  réunion  qui  n'avait  eu  pour  but  que  la  défense  des  saines 
doctrines.  Mais  laissons  Ozanam  lui-même  raconter  les  humbles 
commencements  d'une  grande  œuvre  (1)  : 

(1)  Discours  prononcé  en  ISaô,  devant  la  Conférence  de  Florence. 


14  KKÉDÉHIC    OZAHAM. 

Nous  (ilioits  alors  envahis  par  un  déluge  de  doctrines  philosophiques  et 
hétérodoxes  qui  s'agitaient  autour  de  nous,  et  nous  éprouvions  le  désir  et  le 
besoin  de  fortilier  notre  fui  au  milieu  des  assauts  (|uc  lui  lixmient  les  systè- 
mes divers  de  la  fausse  scienee.  Quelques-uns  «le  no»  jeunes  eonqtagnons 
d'études  étaient  matérialistes;  quelques-uns  sainl-sinioniens  ;  d'autres  fourié- 
ristcs  ;  d'autres  encore  déistes.  Lorsque  nous,  eatholicpies,  nous  nous  efTor- 
cions  de  rappeler  à  ces  frères  égarés  les  merveilles  du  christianisme ,  ils 
nous  diraient  tous  :  c  Vous  avez  raistm,  si  vous  parlez  du  passé  :  le  christia- 
nisme a  fait  autrefois  des  prodiges  ;  mais  aujourd'hui  le  christianisme  est  mort. 
Et  en  cfTct,  vous  qui  vous  vantez  d'être  catholiques,  que  faites-vous?  Où  sont 
les  œuvres  qui  démontrent  votre  foi  et  qui  peuvent  nous  la  faire  res|>ecter 
et  admellre?  Ils  avaient  raison  :  ce  reproche  n'était  (|ue  trop  mérité.  Ce  fut 
alors  que  nous  nous  diiurs  :  Kh  bien  !  à  l'œuvre  !  et  que  nos  actes  soient  d'ac- 
cord avec  notre  foi.  Jlais  (|uc  faire?  Que  faire  pour  être  vraiment  catholi- 
ques, sinon  ce  qui  |)lait  le  plus  à  Dieu?  Secourons  donc  notre  prochain, 
comme  le  faisait  Jésus-Christ ,  et  mettons  notre  foi  sous  la  protection  de  la 
charité. 

Nous  nous  réunîmes  tous  les  huit  dans  cette  pensée ,  et  d'abord  même , 
comme  jaloux  de  notre  trésor,  nous  ne  violions  pas  ouvrir  à  d'autres  les  por- 
tes de  notre  reunion.  Mais  Dieu  en  avait  décidé  autrement.  I/association  peu 
noud)rcuso  d'amis  intimes  (jue  nous  avions  rêvée  df>  enait,  dans  ses  tlesseins, 
le  noyau  d'une  immense  famille  de  fK-rcs,  qui  devait  se  répandre  sur  une 
grande  partie  de  l'Europe.  Vous  voyez  «pic  nous  ne  pouvons  pas  nous  don- 
ner véritablement  le  titre  de  fondateurs  :  c'est  Dieu  qui  a  voulu  et  qui  a  fondé 
notre  Société  ! 

Je  me  rappelle  que,  dans  le  principe,  un  de  mes  bons  amis,  abusé  un  nu»- 
ment  par  les  théories  saint-simoniennes,  me  disait  avec  un  sentiment  de  com- 
passion :  «  Mais  qu'espérez-vous  donc  faire  ?  Vous  êtes  huit  paux  res  jeunes 
gens,  et  vous  avez  la  |»rétention  de  secourir  les  mist-res  qui  pullulent  dans 
une  ville  comme  Paiis?  El  quand  vous  seriez  encore  tant  et  tiuit,  ^«lus  ne  fe- 
riez toujours  pas  grand'chose  !  Nous,  au  contraire,  nous  élaborons  des  i«lées 
cl  un  syst«"'me  qui  réformeront  le  monde  et  en  arracheront  la  mist-re  p«uir 
toujours  !  Nous  ferons  en  un  instant  pour  l'humanité  ce  que  vous  ne  sauriez 
accoiiqiliren  plusieurs  siècles.  »  Vous  savez,  Messieurs,  à  quoi  ont  abouti  les 
théories  «pii  causaient  celle  illusion  à  mon  pauvre  ami  !  El  nous,  qu'il  prenait 
en  pitié,  au  lieu  de  huit,  à  Paris  seulement,  n«nis  sommes  deux  nulle  et  lutus 
\isitonscin<i  mille  familles,  c'est-à«lire  environ  vingt  mille  imlividiis,  c'est-à- 
dire  le  quart  des  pauvres  que  renferment  les  murs  de  cette  immense  cité.  I^s 
Conférences ,  en  France  seulement,  s«mt  au  nombre  d«'.  six  cents ,  et  nous  en 
avons  en  .Vngleterre ,  en  Espagne ,  en  Ikigiipic ,  en  Hollande,  en  Suisse,  en 
AlhMuagne,  en  Amérique  cl  jusipi'à  Jérusalem.  C'est  ainsi  «pi'en  eommeni:aut 
huud)lem«-ut .  ou  peut  arrivera  faire  de  gramlcs  ch«>ses.  Jésus-tiluisl ,  «le  ra- 
baissement de  la  crèche,  s'est  élevé  à  la  gloire  du  Thabor.  C'est  ainsi  que  Dieu 
a  fait  de  notre  univre  la  «ienni-  et  l'a  voulu  répandre  par  toute  la  terre  en  la 
comblant  de  ses  bénédictions. 

Tels  furent  les  délmls  oWurs  de  la  Sociélr  de  iviiiil-V  incent- 


l'KÉDÉRIC  OZANAM.  15 

dc-Paul.  Les  huit  (Hudiants  conservèrent  à  leur  assemblée  le  nom 
(le  Conférence,  dernier  souvenir  de  rintérèt  scientilique  qui  avait 
été,  dans  l'origine,  l'objet  de  la  réunion,  et  c'est  en  mémoire  de 
ses  fondateurs  que  chaque  assemblée  particulière  de  la  Société, 
aujourd'hui  encore,  porte  le  nom  de  Conlérence.  Ozanam  se  dé- 
voua tout  entier  à  la  propagation  de  la  Société  de  Saint-Vincent- 
de-Paul,  et  plus  qu'aucun  autre,  par  l'ascendant  de  son  aimable 
naturel,  par  l'effusion  de  sa  charité,  il  a  contribué  à  maintenir  au 
sein  des  Conférences  ces  caractères  de  simplicité,  de  cordialité, 
de  dévouement  à  l'Église,  de  déférence  envers  l'autorité  ecclé- 
siastique qui  ont  valu  sans  doute  à  la  Société  la  prospérité  dont 
elle  jouit.  Après  avoir  fondé  la  Société  à  Paris ,  Ozanam  l'éta- 
blit à  Lyon.  Il  fut  toujours  membre  actif  et  assidu  de  l'une  des 
Conférences  de  Paris,  membre  du  conseil  général  et  vice-prési- 
dent de  la  Société.  Aujourd'hui ,  après  vingt  années  écoulées , 
maintenant  que  les  enfants  de  saint  Vincent  de  Paul  se  donnent 
la  main  dans  tout  l'univers  catholique  ;  après  surtout  que  la  So- 
ciété a  grandi  à  l'ombre  de  tous  les  palais  épiscopaux  et  mérité 
les  brefs  de  louange  de  deux  Souverains  Pontifes,  il  faut  bien  re- 
connaître que  Dieu  récompensa,  par  une  salutaire  pensée,  le  zèle 
de  ces  jeune  gens  qui,  à  une  époque  critique,  se  consacrèrent  à 
la  défense  du  spiritualisme  chrétien.  C'est  le  cas  de  dire ,  cette 
fois,  comme  en  tant  d'autres  occasions,  qu'une  humble  pensée 
de  dévouement  et  de  foi  a  pesé  pour  beaucoup  dans  la  balance  des 
événements ,  car  la  Société  de  Saint-Vincent-de-Paul ,  on  ne  le 
saurait  nier,  se  manifeste  par  une  grande  part  d'action  dans  la  re- 
naissance du  catholicisme  au  dix-neuvième  siècle.  Cette  prépondé- 
rance ne  se  montre  pas  seulement  par  la  fécondité  des  œuvres 
de  miséricorde,  elle  apparaît  aussi,  non  moins  inattendue  qu'in- 
téressante, sur  un  tout  autre  domaine  :  celui  des  luttes  scientifi- 
ques et  du  conflit  des  doctrines. 

Hâtons-nous  de  le  dire ,  la  Société  de  Saint- Vincent-de-PauI 
resta  partout  étrangère  aux  opinions  politiques.  Cette  neutralité, 
toujours  et  aujourd'hui  plus  que  jamais  exactement  observée ,  a 
fait  sa  force  et  contribué,  plus  que  tout  autre  caractère,  à  rendre 
efficaces  les  sincères  efforts  de  ses  membres.  Trop  longtemps,  en 
France ,  les  intérêts  religieux  du  pays  furent  subordonnés  à  la 


16  (HÉoÉRic  oi\y  vn 

fortune  d'un  drap<;au  pulitique.  Il  i:iail  temps  que  cette  solida- 
rité cessât;  elle  n'avait,  à  notre  sens,  pas  plus  servi  les  intérêts 
de  la  reli^iiMi  «ju'ellt'  n'avait  assun-  le  succès  d'une  cause  nionar- 
cliique.  La  Soeiété  de  Saint-Vincent-de-Paul,  créée  spontanément 
dans  une  jtensée  de  /èle  compatissant  pour  les  pauvres,  établit  ce 
terrain  neulic.  La  rapide  multiplie  alion  d»;  ses  Conlerenees  at- 
teste la  sincérité  de  la  tentative  qui  répondait  à  un  besoin  vérita- 
blement senti. 

Aussi  vint-on  de  tous  les  horizons  et  de  tous  les  rangs  «le  la  so- 
ciété se  grouper  sous  la  modeste  règle  des  Conférences.  Là  dus 
hommes  qui  ne  se  devaient  jamais  voir  se  rencontrèrent  et  s'uni- 
rent pour  le  bien.  Après  avoir  parlé  des  malheureux  et  soigné  leurs 
intérêts,  ils  se  demandèrent  si  l'on  ne  pourrait  passe  retrouver 
ailleurs  et  faire  concourir  à  d'autres  desseins  ces  forces  vives  et 
cet  élan  de  la  jeunesse.  Les  projets  passèrent  bien  vite  à  l'état 
de  réalité,  et  O/.aiiain  eut  une  grande  part  dans  l'organisation  de 
ce  mouvement.  Mais  il  faut  lenvoyer  à  une  épo<pie  ultérieure  le 
récit  de  ces  œuvres  nouvelles.  A.  ce  moment  il  détermina ,  par 
ses  instances,  la  fondation  des  Conférences  dogmaticjues  sur  les 
vérités  de  la  religion  ilans  l'église  métropolitaine  de  Paris.  Or, 
(  'est  là  un  événement  considérable. 

Dans  l'histoire  moderne  de  l'Église,  il  n'y  a  pas  d'événement 
plus  consid«ral»le  «pie  la  chute  de  M.  de  Lamennais  et  la  «lisper- 
sion  de  la  brillante  pléiade  d'écrivains  et  d'orateurs  (]ue  son  la- 
lent  avait  rangé  autour  de  lui.  Le  journal  VÀvenir  fut  condamné. 
Le  Saint-Siège  montra  une  fois  de  plus  (pi'enire  une  renommée, 
<piel«pi(!  Iirillaiilc  qu»:!!»-  soit,  et  h;  de|»<il  sarr»;  «les  vérités  ôv. 
la  foi  «•«►nfié  à  sa  garde,  p<jiu  lui  il  n'v  a  pas  de  transaction  pos- 
sible. Le  maitn;  s'«'n  lut  m«ttre  au  }»er\ico  des  enn«'mis  de  l'hglise. 
«!i  de  la  soci«'ié  une  plunu^  désormais  dévolue  à  maudire  tout  c(^ 
«|u'«'lb'  avait  loué.  Les  disciples  s'allligcrent  devant  cette  obstina- 
tion et  «et  orgueil  dont  ils  n'avaient  pas  mesuré  les  hauteurs, 
puis  cha«un  reprit  sa  voie.  L'abbé  Gerbet  «  hcrcha  une  solitude 
oii  il  put  écrire  «'U  paix  «es  beaux  ouvrages  où  il  «levait  déployer 
les  grAces  intinies  d'un  style  fénélonien.  M.  de  Montalembcrt  se 
voua  aux  recherches  bénédictines  qui  illustrèrent  sa  studieuse 
jeuness«'.  BienltU  il  allait  s«trtir  de  sa  retraite,  arnw  de  deux  «eu- 


FRÉDÉRIC    OZAINAM.  17 

vres  qui  expriment  admirablement  les  deux  faces  de  son  admi- 
rable talent.  D'une  main  portant  Vllistoire  de  sainte  Elisabeth 
de  Hongrie,  où  les  d(Hicatcsses  lamilirres  de  l'agiof^raphe  s'unis- 
sent si  bien  à  la  sévérité  de  l'historien  ;  de  l'autre  cette  véhé- 
mente philippique contre  le  Vandalisme  dans  Vart,  coup  de  fouet 
vengeur  bien  nécessaire  assurément  pour  introduire  devant  le  pu- 
blic une  cause  qui  ne  devait  être  gagnée  qu'à  force  d'instances. 
Le  P.  Lacordaire  le  premier  devait  rentrer  dans  la  vie  publi- 
que.   Déjà  le  discours  qu'il  prononça  devant  la  Chambre   des 
Pairs,  pour  le  procès  de  l'École  libre,    tout  d'abord  avait  fait 
pressentir  ce  qu'il  fallait  attendre  d'un  talent  oratoire  qui  s'an- 
nonçait aussi  original  que  spontané.  Le  futur  dominicain  prêcha 
une  série  de  discours  fort  «distingués  dans  la  chapelle  du  Col- 
lège Stanislas.  Dès  lors ,  les  jugements  furent  fixés.  On  se  sou- 
vient des  joies  intellectuelles   des  trop   rares  privilégiés  qui , 
vu  l'étroite  enceinte ,  assistèrent  à   la  révélation  de   ce  beau 
génie.  Ozanam  et  quelques-uns  de  ses  amis  jugèrent  à  l'instant 
de  quel  intérêt  il  serait  de  produire  au  grand  jour,  sous   les 
voûtes  de  Notre-Dame,  cette  parole  visiblement  inspirée,  pour 
aller  au  cœur  et  à  la  situation  de  ses  contemporains.  Ils  portèrent 
leur  demande  à  Mgr  de  Quelen ,  alors  archevêque  de  Paris.  La 
proposition  fut  accueillie,  et  pendant  le  Carême  de  l'année  1836, 
le    Père   Lacordaire    constituait    cet    immense    auditoire    qui 
n'est  pas  le  moins  étonnant  des  signes  multipliés  de  la  renais- 
sance religieuse.  Quel  orateur  chrétien  a  jamais  eu  à  parler  des 
vérités  de  la  foi  devantun  auditoire  exclusivement  composé  de  plu- 
sieurs milliers  d'hommes?  Certes  le  phénomène  était  nouveau. 
La  présence  d'une  réunion  aussi  imposante  de  jeunesse  lettrée  et 
d'hommes  d'élite,  assurait  à  la  diffusion  de  la  vérité  évangélique 
une  portée  rare.  Bossuet  et  Massillon,  dans  la  chapelle  de  Ver- 
sailles ou  dans  leurs  cathédrales,  ne  virent  rien  de  semblable. 
L'auditoire  mondain  qui  s'empressait  auprès  de  Bourdaloue  n'é- 
veille aucune  idée  de  comparaison.  La  Société  de  Saint- Vincent- 
de-Paul  eut  le  bonheur  de  donner  le  premier  élan  à  cet  enthou- 
siasme; elle  eut  le  mérite  non  moins  appréciable  de  la  persévé- 
rance. Aussi  que  de  sympathies  acquises  par  l'illustre  orateur 
dans  cette  foule  ;  que  de  conquêtes  pour  l'Église  ;  combien  d'â- 

2 


18  KKbDLRlC  OZANAM. 

mes  amcliùes  i\  rinrrtiluliit'  par  le  ciiarmc  de  cette  parole  qui , 
il  le  (lisait  lui-nn*nie  :  o  supplie  plus  (ju'elle  ne  commande,  qui 
»  épargne  plus  qu'elle  ne  frappe,  (|ui  entrouvre  l'horizon  plus 
•  qu'elle  ne  le  déchire,  qui  traite  enlin  avec  l'intelligence  et  lui 
»  ménage  la  lumière  conmie  on  ménage  la  vie  à  un  être  malade  et 
»  lendremenl  aimé.» 

C'est  ainsi  qu'Ozanam ,  tout  en  vaquant  à  ses  fortes  études , 
inlluait  sur  le  mouvement  des  idées  et  la  direction  des  esprits. 
Après  avoir  épuisé  le  programme  universitaire,  il  revint  à  Lyon 
où  il  occupa,  pendant  (luehjue  temps,  une  chaire  de  droit  com- 
mercial. Pour  cela,  ses  travaux  n'étaient  pas  interrompus.  Déjà, 
dans  sa  thèse  de  docteur,  il  avait  préparé  les  malériaux  de  son 
livre  sur  Dante  et  la  Philosophie  catholique  au  treizième  siè- 
cle, et  il  se  disposait  à  affronter  le  concours  de  l'aggn'gaiion  à  la 
Faculté  des  lettres  de  Paris.  Le  succès  fut  complet.  Il  obtint  la 
première  place  à  toutes  les  épreuves  ;  rien  ne  résista  à  son  éru- 
dition immense.  11  étonna  ses  juges  par  l'éclat  et  l'animation 
de  ses  improvisations.  M.  Cousin,  un  bon  juge  dans  rap|)ré- 
ciation  du  beau,  s'écriait  en  l'applaudissant  :  *  Ah!  M.Ozanani, 
on  n'est  pas  plus  élotpient  que  cela  !  » 

Ce  brillant  concours  rappela  Ozanam  à  Paris  et  lui  donna  ac- 
cès à  la  Faculté  des  lettres,  où  il  parut  comme  suppléant  de 
Fauriel.  11  est  inutile  de  dire  qu'Ozanam,  pendant  ce  court  séjour 
ù  Lyon,  employa  ()our  le  bien  l'iiitlneiice  (pie  lui  accpiit  imm»'- 
diaiement  l'estime  générale  doni  il  ('i;iii  mtouré.  C'est  à  celte 
époque  qu'il  entra  dans  les  Conseils  <le  l'OKiivre  de  la  l'ropa- 
gation  de  la  loi ,  dont  il  fut  longtemps  le  secrétaire.  On 
lui  doit  plusieurs  des  comptes-rendus  des  Jnnale».  Ozanam 
était  respecté  autant  qu'aimé,  à  un  Age  où  les  jeunes  gens  ont  à 
peine  le  droit  d'étn-  nommés.  H  s'efforça  de  ri'-pandre,  dans  les 
ConlV-renres  de  Sainl-Vint  enl-di'-Paul  de  Lyon,  un  peu  de  cette 
circulation  de  sentiments  actifs  et  généreux,  de  ce  prosélytisme 
enthousiaste  dont  il  ne  voulait  pas  laisser  à  Paris  l'absolue  préro- 
gative. 

Un  jour  ;  c'était  vers  la  lin  de  l'année  1838)  les  Conféren- 
ces de  Lyon  furent  convocpiées  en  séance  extraordinaire  pour  sa- 
luer b'  P.  Lacordaire  qui  se  rendait  en  Italie.  L'illusire  orateur 


FUÉDÉKIC    OZANAM.  19 

allait  entrer  comme  novice  dans  un  couvent  de  l'ordre  de  Saint- 
Dominique.  Il  avait  voulu,  sur  son  passage,  serrer  la  main  à 
quelques  amis;  Ozanam  était  du  nombre.  Celui-ci,  à  son  tour, 
avait  tenu  à  ce  que  les  membres  de  Saint-Vincent-de-Paul  enten- 
dissent les  derniers  adieux  de  celte  voix  si  clière  à  la  jeunesse  ca- 
ibolique.  L'assemblée  était  aussi  nom')reuse  que  l'avait  pu  per- 
mettre un  salon  exigu.  Le  P.  Lacordaire  improvisa  une  de  ces 
allocutions  exquises  de  délicatesse,  de  simplicité  et  d'abandon 
que  lui  inspirent  si  souvent  les  réunions  d'hommes.  Il  parla  de  la 
Société  de  Saint-Vincent-de-Paul  en  termes  chaleureux,  indiquant 
expressément  que  c'était  là  qu'il  aimait  à  compter  ses  plus  chères 
sympathies.  Sollicitant  le  concours  d'affectueuses  prières,  il  ex- 
pliqua en  peu  de  mots  le  but  de  son  œuvre  alors  si  peu  comprise  et 
souvent  si  mal  interprétée.  11  insista  sur  la  nécessité  de  la  réap- 
parition des  ordres  religieux  sur  le  sol  de  la  France  désolé  par 
les  révolutions ,  et  termina  par  quelques  considérations  sur  la 
mission  particulière  des  Frères  prêcheurs  dont  il  allait  embras- 
ser la  règle.  Cette  assemblée  de  jeunes  hommes;  la  vue  de  ce 
prêtre  allant  ensevelir  dans  la  solitude  du  cloître  l'éclat  d'une 
vie  déjà  si  remplie  de  gloire  et  de  succès  ;  ces  deux  disciples  qui 
l'accompagnaient,  attirés  vers  lui,  disait-on,  du  fond  des  socié- 
tés secrètes;  ces  existences  qui  acceptaient  librement,  à  la  face 
du  siècle,  la  loi  du  travail,  la  pauvreté  volontaire,  la  souffrance 
volontaire,  c'était  là  un  spectacle  inattendu,  bien  propre  à  tou- 
cher l'âme  et  à  déterminer  dans  l'esprit  de  ces  mouvements  qui 
décident  de  toute  une  vie.  Il  y  avait  dans  l'assemblée  des  nou- 
veaux venus  qui  n'en  ont  jamais  perdu  le  souvenir.  Voilà,  entre 
bien  d'autres,  un  épisode  intime  de  ces  réunions  où  la  part  d'ac- 
tion d'Ozanam  était  si  prépondérante. 

11  faut  suivre  maintenant  Ozanam  à  Paris,  où  l'appellent 
les  devoirs  de  sa  charge  universitaire.  II  va  monter  dans  une 
chaire  de  la  Sorbonne  et  distribuer  en  leçons  savantes  les  tré- 
sors de  ses  patientes  études.  C'est  dans  cette  carrière ,  pour  la- 
quelle il  était  merveilleusement  doué ,  qu'il  épuise  rapidement 
une  vie  trop  tôt  vouée  à  la  souffrance  et  aussi  trop  activement  dé- 
pensée dans  l'entraînement  sans  égal  d'un  dévouement  qui  ne  sut 
jamais  mettre  une  borne  à  ses  entreprises. 


20  IHÉDÉRIC    (>ZA^A1I. 

Le  succès  inconlosU'  du  concours  pour  r;igfîr«*{îaiion  «lovait 
rassurer  O/anam.  H  n'en  fni  rien.  Toujours  «lélianlde  lui-mèmo, 
il  n'aborda  (ju'eii  Ireuiblanl  la  (  liaire  de    Fauriel  qu  il  «-lail  a|»- 
pelé  à  suppléer,  il  n'y  avait  pouriani  nulle  conipuraison  ù  él9- 
blir  entre   le  titulaire  et  son  suppléant.   Fauriel  lisait,  saos  se 
préoccuper  d'être  ayreable,  des  cahiers  lentement  élabores  dans 
le  cabinet.  Ozanam  consacrait  de  longues  heures  à  chacune  de 
ses  leçons.  11  arrivait  pourvu  de  notes,  de  textes  pleins  d'intérêt. 
Son  [)lan  était  trav»'-;  mais  bientôt  le  souille  de  l'improvisation 
remportant,   il  s'écliaullait  au  contact  d'un  autliloire  toujours 
sympathique,  et  abondait  en  mouvements  pleins  de  chaleur  (|ue 
ne  laissait  guère  soupçonner  la  timidité  du  début.  Dès  la  pre- 
mière épreuve  la  place  d'Ozanam  lut  marquée  entre  les  meilleurs 
orateurs  de  la  Sorbonne.   Aussi ,   deux  ans  plus  lard ,  ({uand 
Fauriel  mourut,    personne,   excepté  lui,  ne  doutait  «ju'il  ne 
fût  appelé  à  occuper  définitivement  sa  place.  L'événement,  en 
effet,  réalisa  toutes  les  espérances.  (Ai  n'est  pas  qu'au  sein  de  la 
docle  Compagnie  qui  le  choisissait,  il  nesemontrAt  quelques  mur- 
mures; car  si  le  cours  d'O/.anam,  en  fixant  l'attention  publi<]ue, 
donnait  du  lustre  à  la  Faculté  des  lettres,  il  l'allait  convenir  que 
la  franchise  de  ses  convictions  catholi(pies  ne  laissait  pas  que  <lc 
déplaire  un  peu  à  des  collègues  tels  (pie  M.  Cousin ,  par  exem- 
ple, qui  se  glorifiaient  de  s'inspirer  à  tout  autre  source;  toute- 
fois la  justice  prévalut. 

Les  triomphes  oratoires  de  MM.  Gui/ot ,  Cousin  et  \  illc- 
main  avaient  eu  un  retentissement  extraordinaire.  Ils  avaient 
fait  école  ,  et ,  que  bien  ,  que  mal ,  plusieurs  s'efforçaient  de 
marcher  sur  leurs  traces.  11  faut  reconnaître ,  cependant ,  que 
cet  enseignemenl  célèbre  empruntait  aux  circonstances  la  plus 
grande  i)arlie  de  sou  intérêt.  Les  trois  professeurs  s'étaient  fait 
les  chauq>ioiis  de  l'opposition  en  politique.  Ils  aNaient  iransfornie 
leur  chaire  en  une  tribune  oîi  trop  souvent,  pour  M.  (x)usin  sur- 
tout ,  le  développement  didacti(]ue  du  maître  s'cllaçait  devan; 
la  dangereuse  exposition  ilc  divagations  doctrinales  et  des  actes 
de  flatterie  non  moins  re|)réhensibles  à  l'adresse  des  partis  ré- 
volutionnaires. 

Ozanam,  on  le  peut  croire,  n'eut  pas  lambiiitm  de  cuniinuer 


FRÉDÉRIC    OZANAM.  2t 

ces  succès  ;  mais  il  s'autorisa  de  cet  exemple  pour  faire  servir  au 
triomphe  et  à  la  propagation  de  ses  convictions  un  mode  d'ensei- 
gnement désormais  passé  à  l'état  de  coutume  dans  l'Université. 
Et,  par  un  retour  fréquent  des  choses  de  ce  monde,  que  de  fois 
ne  lui  est-il  pas  arrivé  d'attaquer  de  front  ou  de  démolir  indi- 
rectement les  thèses  favorites  de  ses  devanciers! 

Nous  voudrions  pouvoir  caractériser  plus  expressément  cet  en- 
seignement si  honorable,  dont  la  trace  est  encore  si  vive,  dont  les 
résultats  furent  si  féconds  pour  l'avancement  moral  et  la-^esti- 
née  doctrinale  de  ceux  qui  le  recevaient.  Qu'ils  sont  rares,  les 
maîtres  tels  qu'Ozanam,  dont  il  se  peut  dire  qu'en  initiant  la  jeu- 
nesse aux  difficultés  de  la  science,  il  l'initiait  au  culte  de  l'hon- 
neur, et  qu'il  lui  faisait  la  plus  solide  apologie  de  la  religion  ! 

Ozanam  préparait  laborieusement  son  œuvre.  Comme  tant 
d'autres  il  aurait  pu,  se  confiant  aux  ressources  de  son  abondante 
mémoire ,  puiser,  sans  trop  de  peine ,  dans  le  trésor  de  son 
érudition.  Mais  non  ;  chaque  leçon  pour  lui  était  l'objet  de  mé- 
ditations consciencieuses  et  de  recherches  nouvelles.  L'infati- 
gable ouvrier  n'était  jamais  satisfait;  il  ne  produisait  rien ,  soit 
une  leçon ,  soit  un  article  de  journal ,  que  ce  ne  fût  pour  lui  le 
fragment  d'un  livre  dont  il  se  promettait  bien  de  revoir  l'épreuve, 
de  polir  le  style  et  d'augmenter  la  valeur.  Il  ne  connut  pas  l'art 
de  certains  professeurs  qui  consiste  à  vivre  des  facettes  d'une 
idée  longuement  délayée,  ou  bien  à  poursuivre  sur  la  pointe 
d'une  aiguille  des  mots  heureux  ou  des  saillies  spirituelles.  S'il 
mérita  quelque  reproche,  ce  fut  celui  d'être  trop  abondant  et 
d'arriver  parfois  à  la  diffusion  à  force  de  vouloir  être  complet. 
Il  était  étonnant  par  la  multiplicité  des  aperçus,  non  moins  esti- 
mable par  la  profondeur  de  ses  propres  recherches  que  par  son 
habileté  à  mettre  à  profit  celles  d'aulrui. 

A  des  qualités  aussi  solides,  à  une  conscience  d'érudit  qui  ne 
fut  jamais  trouvée  en  défaut ,  Ozanam  unissait  une  imagination 
exquise  et  une  sensibilité  que  bien  peu  ont  égalée.  Heureux  as- 
semblage de  mérites  opposés,  rare  association  de  la  sévérité  d'un 
jugement  calme  aux  élégances  du  plus  bel  esprit  littéraire!  Ce 
don  de  sentir,  hélas!  ne  fut  que  trop  souvent  mis  à  l'épreuve 
dans  nos  temps  où  les  existences  sont  si  fort  agitées ,  si  brus- 


22  FRÉDÉRIC    OZAMAX. 

qucimiil  cl  à  tliacjue  inslanl  rappelres  au  sentiment  df  leur- 
néant.  Ozanum  ne  pouvait  échapper  ù  ees  mille  occasions  de  sol- 
liciiutie  qui  sans  cesse  atteignent  tout  cfrur  liien  né  dans  ses  plus 
nobles  allVctions.  Si  l'on  se  rappelle,  en  ouire,  que  de  honnc  heure 
hisoiiHiani  e  |)liysi(pu'  lut  le  |»artaj^<'  d'O/anam,  cpie  ces  travaux 
incessants ,  <juc  ces  levons  d'un  intérêt  si  profond  n'arrivaient  à 
leur  terme  qu'au  prix,  d'une  lutte  eonlinuellc  avec  la  maladie, 
on  ne  sera  plus  surpris  d'enieiulie  diie  (ju^Ozanam  était  triste,  il 
lui  fallait  un  effort  pour  se  produire  cl  pour  écarter  ce  voile  de 
mélancolie  toujours  répandu  sur  ses  traits.  Ne  l'oublions  pas; 
soit  qu'elles  ressentent  doublement  le  poids  de  leurs  infirmi- 
U-s;  soit  contcmplalion  plus  assidue  des  misères  huiuaiues; 
soit  en  vertu  de  cette  soif  de  l'idéal,  de  ces  aspirations  vers 
l'inlini,  conlinucl  aliment  de  leurs  pensées:  c'est  le  propre  <le  ces 
grandes  et  nobles  âmes  que  délie  tristes.  A  le  voir  arriver  dans 
la  chaire  de  laSorbonne,  pâle,  inquiet,  tremblant,  personne  n'eût 
imaginé  qu'Ozanam  fût  capable  de  suflire  à  l'effort  d'une  leçon 
d'une  heure  et  demie.  Cependant  b;  calme  se  faisait  pendant  la 
rapide  récapitulation  de  la  leçon  preci'dente ,  puis  le  professeur 
abordait  une  question  :  soit  un  tableau  historique,  soit  l'exposé 
de  (pielque  système  de  |>liiloso|»bie ,  l'analyse  des  traités  nu-ta- 
pliysicjues  de  saint  Anselme,  par  exemplt;,  et  il  fallait  voir  de 
quelle  hauteur  magistrale;  on  ne  savait  (pi'admirer  le  plus  de  sa 
sagacité  merveilleuse  ou  do  la  profondeur  de  ses  aperçus.  Après 
avoir  fourni  une  course  plus  ou  moins  longue  dans  ces  dilBeultés 
du  sujet,  il  arrivait  toujours  un  moment  où  sa  sensibilité  se  irou- 
vail  en  présence  d'une  grande  pensée  ou  d'une  belle  action. 
Soudain  il  éclatait  en  mouvements  inq^évus;  cette  ;\mc  conte- 
nue se  répandait  en  flots  d  elo«pieiice,  et  c'était  un  spectacle  ad- 
mirable (pie  de  voir  cette  organisation  si  frêle  rencontrer  alors 
les  plus  énergi(pjes  accents  comme  les  plus  suaves  délicatesses  de 
la  poésie.  On  n'imagine  pas  une  telle  abondance  de  pensées 
heureuses,  toujours  exprimées  avec  celte  préoccupation  d'éveil- 
ler chez  ses  auditeurs  le  culte  de  la  vérité,  le  sentiment  du  beau, 
et  par  dessus  tout  celui  du  devoir. 

Un   jour,    c'était    pendant    l'hiver    de   \8ii ,    le  professeur 
étudiait    l'histoire    littéraire    de    l'Italie    au    treizième    siècle, 


KKÉDÉRIC  OZANAM.  23 

au  siècle  du  Dame,  cette  figure  poétique  qui  l'ut  l'objet  con- 
stant de  ses  prédilections.  Après  avoir  analysé  la  Divine  co- 
médie, Ozanam  groupa  autour  du  poèi(3  les  imposantes  figu- 
res qui  donnent  un  si  grand  caractère  à  ce  siècle  de  combats 
et  de  progrès.  Il  avait  successivement  étudié  saint  Pierre 
Damien  et  ses  luttes  contre  les  vices  de  sou  temps;  les  mis- 
sions providentielles  de  saint  Dominique  et  de  saint  François 
d'Assise ,  visiblement  appelés  à  renouveler  la  vie  chrétienne 
par  l'esprit  de  pauvreté  et  de  sacrifice;  la  légion  des  poètes 
franciscains  l'avait  longtemps  arrêté;  puis,  faisant  un  retour 
vers  les  sommités  de  la  science,  il  avait  réservé  pour  le  couron- 
nement de  son  œuvre  ces  deux  grands  hommes,  l'honneur  de 
l'esprit  humain^  saint  Thomas  d'Aquin  et  saint  Bonaventure. 
Deux  leçons  furent  consacrées  à  donner  un  aperçu  de  ces  ency- 
clopédies de  ce  temps-là  ,  que  l'on  nomme  les  Sommes  de  saint 
Thomas. 

Enfin  il  arriva  au  docteur  séraphique.  Après  avoir  exposé  la 
philosophie  de  saint  Thomas  procédant  de  la  logique  d'Aristote, 
il  montra,  dans  Vltinerarium  mentis  ad  Deum,  le  théologien  des 
Frères  mineurs  s'appuyant  d'une  main  sur  l'Évangile  de  saint 
Jean,  de  l'autre  sur  le  Timée  de  Platon  et  en  tirant  une  métaphy- 
sique admirable.  Puis,  comme  pour  procurer  à  son  auditoire  une 
sorte  de  récréation ,  il  leur  parla  de  ces  gracieux  opuscules  en 
prose  et  en  vers,  dans  lesquels  saint  Bonaventure  a  prouvé  que, 
pour  s'être  enfoncé  dans  la  poussière  des  luttes  scholastiques, 
son  génie  enchanteur  n'en  était  pas  moins  capable  des  plus  sua- 
ves conceptions.  C'est  alors  qu'il  analysa  la  Légende  de  saint 
François ,  et  surtout  ces  admirables  Méditations  sur  la  vie  du 
Sauveur  auxquelles  il  donnait ,  pour  ainsi  dire ,  une  nouvelle 
naissance  au  milieu  de  la  génération  actuelle.  Enfin,  dit  Ozanam, 
il  fallait  que  le  docteur,  l'historien,  le  ministre  général  de  l'ordre 
de  Saint-François  en  vint  aussi  à  cette  faiblesse  de  tous  les  cœurs 
passionnés  et  qu'il  composât  des  vers.  Après  avoir  cité  divers 
fragments,  la  leçon  fut  terminée  par  une  paraphrase  ravissante 
du  beau  chant  de  Philomena.  Pour  le  poète,  l'oiseau  chanteur 
c'est  l'âme  humaine  considérant  le  Rédempteur  en  croix  et  s'u- 
nissant  par  un  chant  sublime  aux  scènes  terribles  et  déchirantes 


21  FHÉDKRIC    n/AMAlI. 

qui  si^nalèicul  U-s  dciuicies  lieuies  de  la  vie  du  lils  de  Diru. 
O/anain  ,  entraiiiû  par  lu  situation,  a^'raudissaol  l'œuvre  du  mai- 
tie,  substitua  au  texte  les  accents  «'mus  de  son  propre  cu'ur  en 
ravivant  les  i ouleurs,  comme  on  lerait  d'un  vien\  tal)l(>an  par  des 
retouches  habiles.  Sans  Tavoii*  chiMclit',  il  trouva  un  prodigieux 
effet  d'élo<]uence.  Lj;  professeui- a\aii  (lisj)Mru;  il  n'y  avait  plus 
(pi'un  poêle  inspir»'. 

La  mémoire  dv.  celle  leçon  demeure  impérissable,  pour  tous 
ceux  qui  renlcndirenl,  comme  un  type  de  cet  ensei^memenl  où 
les  recherches  de  l'érudition  la  plus  approfondie  se  mêlaient 
avec  une  rare  aisance  aux  entraînements  de  la  plus  émouvante 
parole. 

0/.anam  arrivait  à  la  renommée.  Il  réalisait  les  promesses  de 
ses  dix-huit  ans,    et   le  moment  approchait  oii    ITelat  de  son 
professoral  allait  lui  donner  une  nouvelle  part  d'inlluence  dans 
cette  germination  d'œuvres  eaiholicpies  qui  se  produisit  i\  Paris 
vers  1843.  La  controverse  sur  la  liberté  d'enseignement,  tombée 
pendant  quehiue  temps,  après  la  condamnation  de  \\4vcnir,  re- 
commen(,uiit  aNec  une  ardeur  nouv»lle.  M.  de  INlontalembert  en- 
trait dans  la  vie  politique  par  sa  décisive  brochure  sur  les  De- 
voirs des  catholiques.  Il  inaugurait  à  la  Iribune  de  la  Chambre  des 
Pairs  sa  mémorable  carrière  d'orateur  politique.  Le  Correspon- 
dant, recueil  périodicpie  plusieurs  fois  interrompu,  recommen- 
çait une  nouvelle  course.  M.  Foisset,  qui  s'appli(|ua  toujours  avec 
une  si  grande  pers»'véranee  à  servir  de  trait-d'union  entre  les 
individiialilts  calholiipies  de  tli\erses  mianees,  ralliait  les  fonda- 
teurs de  celle  Uevue.  C'étaient  MM.  de  Champagny ,  «le  Carné , 
Wilson,  de  (^/alès ,  di?  Fontette,  (Jabourd  ,  Veuillot,  aux«piels 
vioreut  s'adjoindre  MM.  Lenormant,  de  Falloux,  de  Hazelaire.de 
Valroger,de  Blanche,  Audley,etc.,  s;ms  oublier  M.deMontalem- 
berl  lui-môme.  O/anam  faisait  naturellement  partie  de  ce  groupe 
d'écrivains  avec  les»pu'ls  il  avait  déjà  travaille  à  la  Heruc européen- 
nes.' g%\.(\m\sW  Cor  respomhml  (\\\"\\  w  publi«'|»arrragnieri!s  de  gran- 
des parties  de  ses  ouvrages.  Il  aimait  volontiers  les  produire  ainsi 
à  titre  «l'essais,  toujours  avec  le  propos  de  refondre  son  œuvre 
avant  «juc  de  lui  donner  sa   forme  délinitive.   Il  n'est  pas  d'ar- 
tiste ((ui  ait  poursuivi  davanlagi;  l'idéal  de  la  perfection. 


FRÉDÉRIC  OZANAII.  25 

Celle  même  année  fut  fondé  le  Cercle  callioliciuc  établi  sous 
le  palronage  et  la  direction  de  Mgr  ÂflVe,  archevêque  de  Paris, 
de  M.  Dosgencltes ,  curé  de  Nolrc-Dame-des-Vicloires ,  de 
M.  Rendu,  membre  du  Conseil  royal  de  l'Université,  de  M.  Cau- 
chy,  le  célèbre  géomètre ,  de  M.  de  Vaiimesnil ,  de  M.  de 
Beaul'orl,  de  M.  Amédée  Tliayer.  Celte  institulilon,  rapidement 
florissante,  a  rendu  les  plus  grands  services  à  de  nombreux,  étu- 
diants qui  s'y  trouvaient  classés  en  autant  de  Conférences  qu'il  y 
avait  de  branches  d'études.  Ozanam  présidait  la  Conférence  de 
littérature.  Les  assemblées  générales  rassemblaient,  outre  les 
habitués,  une  société  d'élite  fort  nombreuse.  Souvent  il  leur 
prêta  son  concours;  là,  comme  à  la  Sorbonne,  l'enthousiasme  pas- 
sionné et  l'art  de  bien  dire  venaient  toujours  en  aide  à  l'érudi- 
tion. 

Le  Cercle  catholique  devint  un  centre  d'activité  intellectuelle 
très-actif.  C'est  là  que  M.  l'abbé  Bautain  renouvela  ses  succès  de 
Strasbourg  dans  ces  éloquentes  Conférences,  modèles  d'exposi- 
tion didactique ,  où  il  manifesta  si  énergiquement  le  danger  de 
séparer  artificiellement  la  philosophie  abstraite  des  lumières  sur- 
naturelles de  la  révélation.  Le  P.  Lacordaire  s'y  fit  entendre  plu- 
sieurs fois ,  et  l'on  sait  s'il  excelle  dans  ces  réunions  où  il  parle 
de  plein  pied.  M.  de  Monialembert  y  vint  aussi,  et  à  leur  tour  le 
P.  de  Ravignan  ,  MM.  Cœur  et  Dupanloup.  Des  courants  d'idées 
très-vifs  animaient  cette  jeunesse;  c'étaient  l'union  de  la  foi 
et  de  la  science ,  l'alliance  de  la  religion  et  de  la  liberté ,  le 
désistement  de  tout  lien  de  solidarité  onéreuse  entre  l'Église 
et  les  gouvernements  temporels;  c'était  surtout  la  réhabilita- 
tion du  moyen  âge  chrétien  par  l'étude  loyale  de  l'histoire; 
l'histoire  si  horriblement  défigurée  par  une  végétation  de  tra- 
vaux malsains,  de  diatribes  sans  probité,  de  réticences  calcu- 
lées. Questions  d'art,  questions  de  science,  rien  n'échappait 
à  cette  ardeur  qui  dépensait  autant  de  véhémence  à  discuter 
l'âge  d'un  monument,  la  légitimité  d'un  bréviaire  ou  le  mode 
de  la  notation  musicale  au  treizième  siècle ,  qu'ailleurs  on  en 
pouvait  mettre  à  traiter  de  la  politique  du  jour.  Ozanam  eut  une 
remarquable  influence  dans  les  questions  d'art.  Personne  mieux 
que  lui  n'a  fait  comprendre  le  rôle  de  l'art,  cette  noble  faculté 


20  niÉUÉniC  OZAMAM. 

d'exprimer  des  croyances  par  des  signes  matériels,  sa  mission 
parmi  les  hommes,  entin  les  sublimes  conceptions  inspirées  par 
le  j^('nie  catholique. 

Toulefois  le  Cercle  n'était  (priai  intéressant  épisode  au  milieu 
de  ce  réveil  de  l'esprit  catholi(|ue  si  .manifestant  par  l'élude  et 
par  les  œuvres.  Le  P.  Lacordaire,  revenu  d'Italie  dans  la  pléni- 
tude de  son  talent,  avait  repris  p<»ss«'ssion  de  la  chaire  de  Notre- 
Dame.  Un  souille  nouveau  circulait  dans  l'K^'lise  de  France  :\ 
tous  les  degrés  de  la  hiérarchie.  Tout  concourut  pour  donner 
au  mouvement  les  caractères  d'une  époque  mémorable.  Les  tra- 
vaux historiques  et  apolof,'éti(iues  surj,'irent  de  tout  côté  ;  unei>o- 
lémi(iue  savante  autant  (pie  vij^oureuse  trac.ait  les  voies.  Pour 
n'en  citer  que  quelques-uns,  quels  livres  ont  obtenu  des  succès 
plus  in('(ml('sl('s  et  |)lus  durables  que  les  /nstitutions  liturgiques 
de  l'abbé  de  Solesme ,  l'Histoire  universelle  de  V Eglise,  par 
M.  Rohrbacher,  les  Études  philosophiques  de  M.  îSicolas,  enfin 
la  belle  Elude  sur  Dante,  par  notre  0/anam?  Mais  aucun  évé- 
nement ne  réjouit  plus  les  catlioli(|U('s  (jue  de  voir  M.  Ch.  Le- 
normant  entrer  dans  leur  canip.  Ce  |>rofesseur,  qui  suppléait 
alors  M.  Guizot  dans  sa  chaire  d'histoire,  donna  ù  ses  nombreux 
élèves  le  spectacle  d'une  conscience  droite  modifiant  ^'radiielle- 
ment  ses  convictions,  ne  dissiimulani  ni  ses  irrésolutions,  ni  ses 
temps  d'arrêt.  Le  travail  dura  trois  ans,  et  chaque  année  le 
même  auditoire  revenait  moins  captivé  par  de  solides  le(,ons  que 
par  cette  lutte  d'un  homme  aux  |)iises  avec  une  conviction  (pii 
grandit  en  lui  et  linil  irresisliltiemeiit  par  le  dominer. 

Ozanam,  lié  depuis  longtemps  avec  M,  Lenormant.  (ju'il  avait 
renconlii'  darrs  le  salon  de  M°"  Kecamier,  prenait,  on  le  conçoit, 
le  plus  vif  inleièt  à  l'avènement  de  S(m  collègue  aux  idées  chré- 
tiennes. Cet  exemple  d'une  parfaite  loyauté  lui  servait  souvent 
pour  mo(l('Ter  ses  amis  catholiqut^s  dans  la  vivacité  de  leur  zèle 
contre  l'Université. 

Pour  donner  une  notoriété  plus  complète  au  mouvement  ca- 
tholique, il  ne  lui  manquait  que  d'être  l'objet  d'hostilités  pu- 
lilifpies;  elles  ne  se  lireiil  pas  lon^tiMiips  attendre.  Déjà  le  cours 
dtlixpicnce  sacrée  de  M.  l'abbe  Diipanloup  avait  ele  troublé  par 
dci  libéraux  qui  avaient  Uouvé  mauvais  qu'on  eût  mal  parlé  de 


KIIÉDÉRIC  OZ.VNVM.  27 

Voltaire.  Survinrent  les  violences  de  MM.  Miclielet  et  Quinet, 
dont  les  approl)ateurs  résolurent  de  réduire  au  silence  le  converti 
de  la  Sorbonne.  Encore  que  M.  Lenonnanl  ne  s'appliquât  en  au- 
cune façon  à  réfuter  les  tribuns  révolutionnaires  du  Colb'ge  de 
France,  son  cours  fut  itérativement  l'objet  de  manifestations  tu- 
multueuses. Ozanam ,  qui  avait ,  on  ne  sait  pourquoi ,  trouvé 
grâce  devant  les  fauteurs  du  désordre  ,  vint  un  jour  au  cours  de 
son  collègue.  Il  ne  put  contenir  son  indignation.  Apostrophant 
les  perluibateurs,  il  les  adjura,  au  nom  de  la  liberté,  de  respec- 
ter les  manifestations  des  opinions.  Le  tapage  cessa  ,  M.  Lenor- 
mant  acheva  sa  leçon;  mais  le  lendemain  son  cours  était  sus- 
pendu sur  l'ordre  d'un  gouvernement  qui,  par  faiblesse  originelle, 
trop  souvent  reculait  au  lieu  de  prendre  en  main  la  défense  des 
véritables  principes  sociaux. 

Le  moment  est  venu  de  parler  des  livres  d'Ozanam.  Son  pre- 
mier ouvrage  fut  un  parallèle  entre  deux  chanceliers  d'Angleterre, 
Bacon  de  Vérulam  et  saint  Thomas  de  Cantorbéry;  le  grand 
homme  suivant  le  monde ,  et  le  grand  homme  suivant  l'Église. 
Cet  essai  laisse  deviner  toutes  ses  qualités.  On  y  sent  la  chaleur 
communicative  d'un  style  coloré  qui  met  en  œuvre  les  plus  con- 
sciencieuses recherches. 

A  la  même  époque,  en  1836,  Ozanam  paya  un  noble  tribut  de 
louanges  et  de  regrets  à  la  mémoire  de  son  protecteur,  M.  Am- 
père. Cette  notice,  insérée  dans  le  premier  volume  de  VUniver- 
sité  Catholique,  mériterait  d'en  être  exhumée. 

En  1840  parut  la  première  édition  de  son  travail  sur  Dante  et 
la  Philosophie  catholique  au  treizième  siècle.  Ce  livre  ,  que  l'au- 
teur ne  cessa  de  revoir  et  d'augmenter,  eut  une  seconde  édition 
en  1845.  Quatre  traductions  italiennes,  une  anglaise  et  une  alle- 
mande l'ont  répandu  dans  l'Europe  entière.  Malgré  d'autres  tra- 
vaux plus  considérables  ,  peut-être  est-ce  dans  son  Essai  sur  le 
Dante  que  le  génie  propre  d'Ozanam  se  révèle  avec  le  plus  d'in- 
tensité. 

Visitant,  au  Vatican,  les  chambres  de  Raphaël,  il  se  demande 
par  quelle  faveur  singulière,  dans  la  dispute  du  Saint-Sacrement, 
ce  chef-d'œuvre  du  maître,  le  Sauzio  place  Dante  Alighieri  au  mi- 
lieu des  docteurs  et  des  vénérables  témoins  de  la  Foi.  11  voit  par 


^^  FRÉDÉRIC  OZANAX. 

toute  l'Italie  les  honneurs  les  plus  rares  rendus  à  ce  poêle  qui 
n'a  vaincu  la  mort  qu'apr»>s  une  vie  entière  passée  dans  l'aban- 
don et  k's  liislcsses  de  l'exil.  Il  no  |teut  pas  rroire  (ju'une  telle 
auréole  de  j,doire  ail  été  placée  sur  la  trte  d'un  poète  chanteur 
dont  il  ne  faudrait  admirer  (jue  des  épisodes  surna^^eant  au 
milieu  d'une  œuvie  obscure  et  remplie  de  défauts.  Pénétrant 
plus  avant,  O/.anam  voit  dans  l'auteur  de  la  Divine  Comédie  un 
philosophe  et  un  théologien,  et  il  s'applique  à  reproduire  les  vé- 
ritables caractères  de  son  ouvr»-.  Il  voit  le  poète,  conduit  par  la 
raison  et  par  la  foi,  d»'vancer  le  temps,  pénétrer  dans  le  monde 
invisible,  s'y  établir  comme  dans  sa  patrie,  lui  (jui  n'a  plus  de 
patrie  ici-bas;  ses  discours  sont  des  enseignements  qui  subju- 
guent les  convictions  et  inclinent  les  consciences  en  s'em|>a- 
rant  de  ce  (ju'il  y  a  «le  plus  fort  en  elles,  riniclligence  et  l'amour. 
L'union  de  deux  choses  si  rares  :  une  philos(»phie  poeiiijue  et 
populaire,  une  poésie  philosophi(|ue  et  vraiment  sociale  dans 
une  (luvre  litt<'raire  qui  captive  les  multitudes,  tonslilue  |>our 
le  commentateur  un  événement  mémoiable  «pii  indi(]uc  un  des 
plus  hauts  degrés  de  puissance  où  l'esprit  humain  soit  jamais 
parvenu.  Il  conclut  que  si  toute  puissance  a  sa  raison  d'être 
dans  les  circonstances  contemporaines,  l'apparition  d'un  livre  tel 
<jue  la  Divine  Comédie  donne  lieu  d'apprécier  la  <  ullure  intel- 
lectuelle de  l'époque  qui  Tinspiia.  Dante;  ne  saurait  être  séparé 
de  ses  maîtres  et  de  la  civilisation  de  son  temps. 

Ces  quj'hpn's  lignes  sullisent  pour  faire  apprécier  l'étendue  du 
sujet  embrassé  par  Ozanam,  à  quelle  hauteur  de  vue  il  s'élève  et 
sur  (piels  horizons  d'id('>es  il  ouvre  le  débat. 

Ici  se  placent  les  Etudes  germaniques,  <euvre  considérable  qui 
mérita  deux  lois  le  grand  prix  (jobert  tiecerné  |)ar  l'Institut  de 
France.  Ces  Eluda  se  composent  de  deux  volumes;  l'un  s'ap- 
plique aux  Germains  avant  le  christianisme  ;  le  second  va  suivre 
la  civilisation  chrétienne  dm/,  les  Francs.  Toute  la  société  fran- 
çaise, dit  ()/.anam,  repose  sur  trois  fondements  :  le  christianisme^ 
la  civilisiUion  romaine  ei  rétablissement  des  barbares.  Ce  sont 
les  trois  sujets  d'eindes  ;iux«piels  il  ne  faut  pas  se  lasser  de  re- 
venir dés  cpion  vent  s  ex|>liquer  le  droit  public  du  pays,  ses 
md'urs,  sa  littérature.  C'est  à  l'aide  de  celte  triple  lumière  qu'il 
éclaire  les  obscurités  du  sujet  (piil  s'est  donné. 


FRÉDÉRIC    OZANAlff.  29 

Une  première  partie  est  consacn-c  aux  origines  germaniques  ; 
à  ses  propres  rcclicrches  il  unit  les  travaux  modernes  de  l'Al- 
lemagne, non  sans  prendre  le  soin  d'écarter  les  tendances 
malfaisantes  que  trop  souvent  ils  révèlent.  Par  exemple,  il  ne 
marche  point  sur  les  traces  de  l'orientaliste  Lassen;  il  se  garde 
d'opposer  avec  lui  le  paganisme  libéral  des  Germains  au  Dieu 
t'goiste  des  Hébreux;  il  n'accepte  point  non  plus  les  regrets  de 
Gervinus  qui  ne  peut  se  consoler  de  voir  la  mansuétude  catholique 
altérer  le  caractère  belliqueux  de  ses  ancêtres.  Dans  la  seconde  , 
Ozanam  met  la  Germanie  en  présence  de  la  civilisation  romaine. 
Ici  on  reconnaît  l'ancien  professeur  de  droit  à  la  profondeur,  à 
la  suite  de  ses  aperçus  sur  l'organisation  politique  et  administra- 
tive de  la  puissance  romaine.  Mais,  dans  les  desseins  de  la  Pro- 
vidence, la  tâche  de  la  civilisation  de  Rome  est  achevée.  L'Église 
s'est  constituée  partout  à  l'abri  de  ses  colonies  et  de  ses  muni- 
cipes.  Les  invasions  peuvent  venir,  elle  est  en  mesure  de  les  re- 
cevoir. Il  y  a  des  évêques  à  toutes  les  portes  de  l'empire  et  des 
prêtres  sur  Je  chemin  de  tous  les  barbares.  C'est  dans  cette  troi- 
sième partie  qu'Ozanam  déploie  tout  le  charme  de  son  talent 
dans  le  récit  des  courses  apostoliques  des  missionnaires  catholi- 
ques qui  se  répandent  sur  les  pays  envahis  par  les  invasions. 
C'est  ainsi  qu'il  est  amené  à  raconter  les  voyages  de  saint  Colom- 
ban  et  de  saint  Boniface,  la  fondation  des  monastères  de  l'Alle- 
magne et  de  la  Suisse,  enfin  les  institutions  de  Charlemagne.  Les 
savants  font  le  plus  grand  cas  des  trois  derniers  chapitres  de  ce 
volume  qui  traitent  des  écoles  dans  ces  siècles  laborieux.  Ils 
abondent  en  détails  curieux  et  du  plus  haut  intérêt. 

Le  livre  sur  Dante  et  les  Études  germaniques  n'étaient  pour 
Ozanam  que  deux  pierres  d'attente  d'un  grand  ouvrage  qui  de- 
vait embrasser  l'histoire  des  lettres  depuis  le  quatrième  au  trei- 
zième siècles.  Il  avait  à  cœur  de  montrer  que  l'Église  n'avait 
jamais  laissé  s'éteindre  le  flambeau  des  lettres  humaines,, 
et  que  pendant  ces  longs  siècles  si  fort  méprisés  des  beaux  es- 
prits modernes,  dans  des  écoles  publiques,  dans  des  cloî- 
tres ignorés,  toujours,  quelque  part,  des  existences  vouées 
au  sacerdoce  catholique  ont  rattaché  la  civilisation  antique 
au  monde  moderne ,  en  maintenant  le  feu  sacré  de  la  science  et 


'.iO  FRÉO£BIC    OZA.NAM. 

en  le  vivifiant  par  un  principe  noiivouu.  Pour  réaliser  &on  beau 

(lessein  ,  il  :»\ail  lait  un  drponilloinont  dos  idées  Icj^uées  par  le 
monde  roinaiti  an  nioyrn  àgc;  c'est  à  saint  Augnstin,  < 'i-st  à  s;iinl 
Jérôme  «jn'il  s'était  adressé  de  préférence.  Pour  rtMracer  le  plan 
de  cet  ouvraj^e,  nialheureusemont  inachevé,  nous  pourrions  évo- 
(juer  à  ce  sujet  le  souvenir  d(!  (judijucs  conversations  que  nous 
eûmes  avec  lui  en  1849;  mais,  plus  heureux  encore,  il  nous  est 
permis  de  le  laisser  parler  lui-même.  Voici  ce  qu'il  écrivait  à 
M.  Foissel,  le  26  janvier  lcS48,  en  le  remerciant  d'avoir  consenti 
à  rendre  compte  des  Études  ijcrmaniques  dans  le  Correspondant, 

Ceci  ne  veut  pas  dire  (jue  je  n'aie  pas  été  très-reconnaissant  de  ce  que 

vous  m'avez  écrit  au  mois  d'octobre.  Coinment  ne  vous  remercierais-je  pas 
d'avoir  Lien  voulu  accueillir,  nia  demande  iiidiscr«'te,  et  vous  charger  d'être  le 
parrain  de  mes  Germains,  de  mes  barbares?  J'en  suis  d'autant  plus  recon- 
naissant, que  je  sais  bien  de  quelles  occupations  vous  êtes  surchargé;  je 
ne  voudrais  faiie  tort  ni  à  vos  justiciables,  ni  au  public  (jui  attend 
de  vous  quelque  œuvre  de  longue  baleine  ;  et  cependant  rien  ne  me  se- 
rait plus  utile  que  votre  jupement  sérieux  et  motivé  sur  un  livre  qui  doit  peut- 
être  décider  de  l'emploi  de  mes  prochaines  années.  Mes  deux  essais  sur  Dante 
et  sur  les  Germains  sont  pour  moi  comme  les  deux  jalons  extrêmes  d'un 
travail  dont  j'ai  déjà  fait  une  partie  de  mes  le(;ons  publiques,  et  que  je  vou- 
drais reprendre  pour  le  compléter.  Ce  serait  rhi>t()ire  littéraire  des  temps 
barbares,  l'histoire  des  lettres,  et  par  conséquent  de  la  civilisation,  depuis  la 
décadence  latine  et  les  premiers  commencements  du  génie  chrétien ,  jusqu'à 
la  lin  du  treizième  siècle.  J'en  ferais  l'objet  de  mon  enseignement  pendant 
dix  ans,  s'il  le  fallait  et  si  Dieu  me  prêtait  vie;  mes  leçons  seraient  sténogra- 
phiées et  formeraient  la  première  rédaction  du  volume  que  je  publierais,  en 
les  remaniant  à  la  lin  de  chaque  année.  Celte  façon  de  tra\ailler  donnerait  à 
mes  écrits  un  peu  de  cette  chaleur  que  je  trouve  (juelquefois  tlans  la  chaire 
et  qui  m'abandonne  trop  souvent  dans  le  cabinet.  Elle  aurait  aussi  l'avautagc 
de  ménager  mes  forces  en  ne  les  divisant  point  et  en  ramenant  au  même  but 
le  peu  que  je  sais  et  le  peu  que  je  puis.  Le  sujet  serait  admirable,  car  il  s'agit 
de  faire  connaître  celte  longue  et  laborieuse  éducation  que  l'Kglise  donna  aux 
peuples  modernes.  Je  commencerais  par  un  \olume  d'introduction  où  j'cs' 
saierais  de  montrer  l'élal  intellectuel  du  monde  à  l'aNènemcnl  du  chri.slia- 
nisme,  ce  (|ue  l'Kglise  pouvait  recueillir  de  rhéril.i;:c  de.ranliijuité,  eonmient 
clic  le  recueillit,  par  conséquent  les  origines  de  larl  chrétien  et  de  la  science 
chrétienne,  dès  le  temps  des  catacombes  et  des  premiers  Pères.  Tout  le 
voyage  que  jai  fait  en  Italie  lan  passé  a  été  tourné  vers  ce  but.  Viendrait 
ensuite  le  tableau  du  monde  barbare  à  peu  près  comme  je  l'ai  tracé  dans  le 
volume  (jui  attend  \otre  jugen\ent  ;  puis  leur  entrée  dans  la  société  ealholi- 
que  et  les  prodigieux  tra\aiix  de  ces  honunes  comme  Hoece,  comme  Isidore 
de  SiSville,  comme  Bcdc,  saint  Buniface,  qui  ne  permirent  pas  à  la  nuit  de  se 


FRÉDÉRIC    OZANAÎI.  31 

faire,  qui  portèrent  la  lumière  d'un  bout  à  l'autre  de  l'empire  envahi,  la  firent 
pénétrer  chez  des  peuples  restés  inaccessibles,  et  se  passèrent  de  main  en 
main  le  flambeau  jusqu'à  Charicmagc.  J'aurais  à  étudier  l'œuvre  réparatrice 
de  ce  grand  homme,  et  à  nionlrcr  que  les  lettres  qui  n'avaient  pas  péri  avant 
lui  ne  s'éteignirent  pas  après  ;  je  ferais  voir  tout  ce  qui  se  fit  de  grand  en  An- 
gleterre au  temps  d'Alfred,  en  Allemagne  sous  les  Otton,  et  j'arriverais  ainsi 
à  Grégoire  VII  et  aux  Croisades.  Alors  j'aurais  les  trois  plus  glorieux  siècles 
du  moyen  âge,  les  théologiens  comme  saint  Anselme,  saint  Bernard,  Pierre 
Lombard,  Albert  le  Grand,  saint  Thomas,  saint  Bonaventure;  les  législateurs 
de  l'Église  et  de  l'État,  Grégoire  VII,  Alexandre  III,  Innocent  III  et  Innocent 
IV;  Frédéric  II,  saint  Louis,  Alphonse  X;  toute  la  querelle  du  sacerdoce  et 
de  l'empire,  les  communes,  les  républiques  italiennes,  les  chroniqueurs  et 
les  historiens ,  les  universités  et  la  renaissance  du  droit  ;  j'aurais  toute  cette 
poésie  chevaleresque  ,  patrimoine  commun  de  l'Europe  latine ,  et  au-dessous 
toutes  ces  traditions  épiques  particulières  à  chaque  peuple  et  qui  sont  le  com- 
mencement des  littératures  nationales  ;  j'assisterais  à  la  formation  des  langues 
modernes ,  et  mon  travail  s'achèverait  par  la  Divine  comédie ,  le  plus  grand 
monument  de  cette  période ,  qui  en  est  comme  l'abrégé ,  et  qui  en  fait  la 
gloire.  Voilà  ce  que  se  propose  un  homme  qui  a  failli  mourir,  il  y  a  dix-huit 
mois,  qui  n'est  pas  encore  bien  remis,  assujetti  à  toutes  sortes  de  ménage- 
ments ;  que  vous  connaissez  d'ailleurs  plein  d'irrésolution  et  de  faiblesses. 
Mais  je  compte  d'abord  sur  la  bonté  de  Dieu,  s'il  veut  achever  de  me  rendre 
la  santé  et  me  conserver  l'amour  qu'il  m'a  donné  pour  ces  belles  études;  je 
compte  ensuite  sur  mon  cours  où  je  trouverai  désormais,  au  lieu  d'une  dis- 
traction, un  soutien,  une  règle,  une  raison  de  ne  pas  abandonner  mon  plan. 
J'y  trouverai  aussi  la  mesure  dans  laquelle  des  questions  si  multipliées  doi- 
vent être  traitées,  non  pour  le  petit  nombre  des  savants,  mais  pour  le  public 
lettré.  Car  je  n'ai  jamais  eu  la  prétention  d'aller  jusqu'au  fond  de  ces  sujets 
dont  chacun  suffirait  à  l'emploi  de  plusieurs  vies.  D'ailleurs  voici  huit  ans  que 
je  me  prépare  sans  interruption,  soit  par  mon  enseignement  où  j'ai  fait  suc- 
cessivement l'histoire  littéraire  d'Italie,  d'Allemagne,  d'Angleterre  au  moyen 
âge,  soit  par  les  fragments  où  j'ai  essayé  de  fixer  et  de  réunir  quelques-unes 
de  mes  recherches  et  de  les  soumettre  aux  bons  conseils  de  mes  amis.  Main- 
tenant que  je  me  suis  laissé  aller  à  une  confession  si  longue  et  si  indiscrète, 
faites  qu'elle  me  profite,  et  outre  l'avis  que  vous  voudrez  bien  donner  publi- 
quement sur  mon  pauvre  livre,  soyez  assez  bon  pour  me  dire  ce  que  vous 
pensez  du  dessein  d'y  donner  suite.  Je  vous  demandais  tout  à  l'heure  d'être 
impartial,  j'ai  rayé  le  mot,  sachant  bien  que  je  demandais  une  chose  impos- 
sible à  l'amitié  :  mais  soyez  sincère,  je  suis  encore  assez  jeune  pour  être  cor- 
rigible  

La  maladie  a  empêché  la  réalisation  complète  de  ce  beau 
projet.  Cependant  il  reste  deux  volumes.  M.  Ampère,  ami  d'O- 
zanam ,  qui  s'est  chargé  de  recueillir  ses  manuscrits,  donne 
l'assurance  que  le  premier  paraîtra  prochainement.    C'est  le 


32  FRÉDéniC    O/ANAM. 

frontispice  do  rouvrngo  qui  doit  ^ire  mis  en  UHe  des  Études  ger- 
maniques. D^iiiiies  ri"i},'m«'iUs  iipparlcniint  à  la  ptrinde  inifinn- 
diaiic,  qui  va  de  (-harlemamie  au  DauU',  IoiuhmocU  un  sccuud 
volumr.  M.  Ampère  a  insère,  <lans  les  articles  si  distingués  qu'il 
a  publiés  sur  O/.anam  dans  le  Journal  des  Débats  9  et  12  octo- 
bre 1853),  une  partie  de  l'introduction  du  premier  volume. 
Celte  page  peint  riiomme  telleuu'ul  au  vrai,  que  nous  ne  pouvons 
nous  empMier  do  la  reproduire  ici. 

Apiès  avoir  Iitni  Dieu  de  l'avoir  fait  cliKijen  et  avoir  rappeh- 
les  doutes  qui  avaient  assailli  sa  jeunesse,  il  ajoute  : 

Depuis  lurs  vingt  ans  se  sont  écoules.  A  mesure  que  j'ai  plus  vécu .  la  fui 
m'est  devenue  plus  chère.  J'ai  mieux  épruuvc  ce  qu'elle  pouvait  dans  les 
grandes  douleurs  et  dans  les  périls  publics.  J'ai  plaint  davantage  ceux  qui  ne 

la  connaissaient  pas 

.  .  •  .  Le  bonheur  de  mon  temps  m'a  permis  d'entretenir  de  grands 
chrétiens,  des  hommes  illustres  par  lallianee  de  la  foi ,  et  d'autres  qui,  sans 
avoir  la  foi,  la  servaient  à  leur  insu  par  la  droiture  et  la  solidité  de  leur 
science.  La  vie  s'avance  cependant  ;  il  faut  saisir  le  peu  qui  rchtc  des  rayons 
de  la  jeunesse.  Il  est  temps  d'écrire  cl  de  tenir  à  Dieu  la  promesse  de  mes 
dix-huit  ans 

.  .  .  .  Je  ne  ferme  point  les  yeux  sur  les  orages  du  temps  présent;  je 
sais  que  j'y  peux  périr  et  avec  moi  celle  œuvre  à  la(|uclle  je  ne  promets  pas 
de  durée.  J'écris  cependant,  parce  que  Dieu  ne  m'ayant  point  donné  la  force 
de  conduire  une  charrue,  il  faut  néanmoins  que  j'obéisse  à  la  loi  du  travail 
et  que  je  fasse  ma  journée.  J'écris  comme  travaillaient  ces  ouvriers  des  pre- 
miers siècles  qui  tournaient  des  vases  d'argile  ou  de  verre  pour  les  besoins 
journaliers  de  l'Kglisc,  et  qui,  d'un  dessin  grossier,  y  liguraienl  le  Ikm  I'.«s- 
tcur  ou  la  Vierge  avec  des  sainls.  Ces  pauvres  gens  ne  songeaient  pas  à  l'a- 
venir. Cependant  (jnelques  débris  de  leurs  \ases,  trouvés  dans  l«'s  cimetières, 
sont  venus,  (juinze  cents  ans  après,  rendre  témoignage  et  prouver  l'antiquité 
d'un  dogme  contesté. 

Nous  sommes  tous  des  serviteurs  inutile?  ;  mais  nous  servons  un  maître 
.souverainement  économe  et  qui  ne  laisse  rien  perdre,  pas  plus  une  goutte  de 
nos  sueurs  qu'une  goutte  de  ses  rosées.  Je  ne  sais  (jnel  .sort  allend  ce  livre, 
ni  s'il  s'achèvera,  ni  si  jallendrai  l.i  lin  de  relie  p:ige  (]ni  fuit  sous  ma  plume  ; 
mais  j'en  sais  assez  pour  y  mettre  le  reste,  quel  qu'il  soil,  démon  ardeur  et 
de  mes  jours. 

Puis,  .s'inspiranl  «lu  Dante  et  arr«*tant  sa  peiisi'-e  vers  iN-poiise 
hien-ainiée,  si  digne  i\r  le  ((inqueiidre,  que  Dini  lui  a\ait  «lon- 
nee  : 


frédékk;   o/A!>A>r.  33 

Je  veux  faire  aussi  l  c  pèlerinage  de  trois  momies,  et  nrcntoiicor  d'abord  dans 
cette  période  des  invasions,  sombre  et  sanglante  comme  l'enfer.  J'en  sortirai 
pour  visiliT  les  ((înips  «lui  vont  de  Chariciiiagiic  aux  Croisades,  comme  un 
purgatoire  où  péiictrenl  dt'jà  les  rayons  de  Icspérance.  Je  trouverai  mon  pa- 
radis dans  les  splendeurs  religieuses  du  treizième  siècle.  Mais,  tandis  que 
Virgile  abandonne  son  disciple  avant  la  fin  delà  course,  car  il  ne  lui  est  pas 
permis  de  franchir  la  porte  du  ciel ,  Dante  ,  au  contraire  ,  maccompagnera 
jusqu'aux  dernières  hauteurs  du  moyen  âge  où  il  a  marqué  sa  place.  Trois 
femmes  bénies  :  la  Vierge  Marie,  ma  mère  et  ma  sœur  (1)  ;  mais  celle  qui  est 
pour  moi  Béatrix  m'a  été  laissée  sur  la  terre  pour  me  soutenir  d'un  sourire  et 
et  d'un  regard,  pour  m'arracher  à  mes  découragements  et  me  montrer,  sous 
sa  plus  touchante  image,  cette  puissance  de  l'amour  chrétien  dont  je  vais  ra- 
conter les  œuvres.... 

C'est  au  milieu  de  ces  défaillances  el  de  ces  angoisses  qu'O/a- 
nam  travaillait.  Ce  que  c'est  que  de  nos  existences  telles  que  les 
fait  la  société  moderne!  Le  labeur  présent  n'était  qu'au  prix  de 
continuelles  souffrances;  et  l'avenir?  de  quel  voile  de  tristes  in- 
certitudes n'était-il  pas  enveloppé  î  Ozanam  avait  l'âme  la  plus 
tendre;  il  n'aimait  pas  médiocrement;  avec  quelle  force  il  res- 
sentait les  sentiments  d'époux  ,  de  père ,  de  frère ,  d'ami ,  tels 
que  le  christianisme,  qui  les  a  élevés  si  haut,  les  imprime  au 
cœur  de  ceux  qui  s'inspirent  de  sa  divine  doctrine  !  Nous  venons 
de  voir  avec  quelle  fierté  respectueuse  l'époux  chrétien  parle 
de  la  compagne  qui  partage  ses  joies  et  ses  douleurs,  qui  apaise 
ses  souffrances  et  s'associe  à  ses  travaux.  Ozanam  n'est  pas 
moins  exquis  de  délicatesses  alors  qu'il  s'adresse  à  ses  amis;  tous 
les  sentiments  généreux  débordent  en  lui.  Il  écrivait  à  M.  Fois- 
set,  quelque  temps  après  son  mariage  : 

Cette  première  ivresse  du  cœur  qui  suit  le  mariage  ne  saurait  faire  oublier 
les  droits  de  l'amitié.  Il  semble  même  que  la  sensibilité,  plus  émue,  soit  plus 
impressionnable  encore  ,  et  qu'on  ait  trop  de  bonheur  pour  ne  pas  sentir  le 
besoin  de  le  voir  partagé  autour  de  soi.  Aussi,  est-on  empressé,  impatient  de 
recevoir  à  cette  occasion  les  félicitations  de  ceux  qui  déjà  depuis  longtemps 
étaient  chers  ;  la  joie  qu'on  éprouve  redouble  au  milieu  du  concert  de  tant  de 
sincères  sympathies Il  y  a  dans  vos  paroles,  avec  l'expression  d'une  bien- 
veillance chaleureuse,  les  traces  aussi  d'une  raison  haute  et  sûre,  d'une  phi- 
losophie de  la  vie,  qui  manque  malheureusement  à  plusieurs  même  des  nô- 


(1)  Une  sœur  plus  âgée  que  lui ,  morte  à  19  ans,  qui  avait  soigné  son  en- 
fance et  commencé  son  éducation. 


31  FRKOÉRIC    OZANAM. 

irt'S.  Dt'jj,  jmr  une  liciircusc  rx|H-rirnrt'.  jr  roiinais  que  vous  dites  vrai  :  la 
roiito  commune  esl  In  rnoiii«»  danpcrciisr ,  l'esprit  ne  perd  rien  à  ^tre  fix^  ; 
et  c'est  un  (,'ran(l  point  «l'avoir  donné  :i  l'existence  passagère  d'ici-bas  le  tei^ 
rain  solide  de  la  funullc.  La  compagne  que  Dieu  m'a  choisie  uv  peut  iHre 
pour  moi  ({u'une  nouvelle  inspiration  et  non  pas  un  obstacle. 

Nous  ne  pouvons  ncMis  arrêter  davantage  h  ces  récits  des  temps 
lienretix.  Encore  qu'il  en  coûte,  il  faut  marcher  vers  le  terme 
fatal  que  déjà  font  pressentir  les  tristesses  de  notre  ami. 

Dès  raiitomiic  de  iHiH,  t  rtlr  santé,  l'oltjot  de  (-oiilinuclles  sol- 
licitudes ,  reçut  une  grave  atteinte.  Il  fallut  renoncer  à  paraître 
dans  la  chaire  (]o  la  Sorlxmnr  cl  chercher  en  Italie  du  repos  avec 
un  ciel  meilleur.  Mais  à  un  houirac  cuninic  O/.anani ,  le  vériia- 
hle  repos  était  inipos.sihlc.  Parti  pour  l'Italie  avec  une  mission 
scientifique  de  M.  de  Salvandy,  il  prit  son  mandat  tout  à  fait  au 
si'rieux,  et  rapj)oita  de  son  voyage  les  mat»''rianx  de  deux  volu- 
mes. Le  premier  est  un  recueil  de  ilocuments  iniiliis  jiuur  senir 
à  l'histoire  littéraire  de  r Italie  depuis  le  huitième  siècle  jusqu'au 
treizième;  la  plupart  de  ces  ciiivres  étaient  tout  à  fait  incon- 
nues. Une  intéressante  dissertation  sur  les  écoles  et  Tiustruclion 
publique  en  Italie,  au  temps  des  barbares,  sert  d'introduction. 

Le  second  volume  est  V Histoire  des  poètes  franciscains  en  Ita- 
lie au  treizième  siècle.  C'étaient,  dit  rautcur,  (juel(|ues  ileurs 
de  poésie  recueilliis  parmi  les  épis  dune  moisson  |)lus  grave, 
comme  le  liseron  mêlé  an  hie  mur.  De  l'aveu  de  tous.  Les  poètes 
franciscains  sont  un  livre  charmant.  Si  cet  ouvrage  n'est  pas  celui 
oii  l'auteur  a  déployé  le  plus  de  lorct;,  à  coup  sûr  c'est  celui  oii 
il  a  mis  le  plus  de  grâce.  On  est  surpris,  «lit  M.  Ampère,  qu'il 
soit  possible  de  parler  avec  autant  de  charme  de  ces  pauvres 
moines;  c«'la  aurait  bien  étonn»'-  Voltaire.  Ce  livre  entier  est  à 
lire,  il  faut  renoncer  à  en  doimer  une  idée;  on  ne  peut  ici  «|ue  _ 
répéter  avec  M.  Foisset  (1)  :  la  grAce  ne  s'analyse  pas,  elle  se 
montre. 

Va  vcra  incessu  patuit  Dca. 
Os  pages  brillantes  portent  l'empreinte  d'un  sotdlle  animé 

(I)  Cnrrrtpnudanl .  vol.  !>!. 


fhédékk;  o/anam.  35 

qui  ne  liiiblii  pas.  Il  y  a  des  morceaux  incomparables  sur  l'union 
des  beaux-arts  el  de  la  poésie.  L'Ombrie ,  la  pairie  de  saint 
François,  devient  celle  de  l'art  chrétien.  Les  tombeaux  des  ser- 
viteuis  de  Dieu  sont  autant  de  semences  qui  perceront  le  sol  et 
en  feront  sortir  des  monuments.  La  foi  qui  transporte  les  mon- 
tagnes élève  ces  cathédrales ,  ces  montagnes  de  pierre  toutes 
ciselées,  toutes  peintes,  toutes  animées  de  figures,  toutes  reten- 
tissantes du  chant  des  hymnes. 

J'ai  passé  «dit  notre  voyageur»  un  jour  trop  court  pour  moi  dans  la  vieille 
cité  d'Assise.  J'y  ai  trouvé  la  mémoire  du  saint  aussi  présente  que  s'il  venait  de 
mourir  hier  et  de  laisser  à  sa  patrie  la  bénédiction  qu'on  lit  encore  sur  la 
muraille  de  la  ville.  On  m'a  montré  le  lieu  de  sa  naissance  et  la  chapelle  où 
son  cœur  disputé  se  rendit  à  Dieu.  On  m'a  fait  voir  le  buisson  d'épines  qui  se 
couvrit  de  roses  quand  François  s'y  précipita  dans  l'ardeur  de  sa  pénitence. 
J'y  ai  reconnu  l'image  de  cette  langue  italienne  qui  n'eut  besoin  que  d'être 
touchée  par  l'ascétisme  catholique  pour  germer  et  fleuiir.  Enfin  ,  je  me  suis 
agenouillé  au  saint  tombeau,  sous  cette  voiite  d'azur  ctoiléc  d'or  qui  le  cou- 
ronne et  qui  fut  le  premier  ciel  où  la  peinture  rcnaissanle  essaya  son  vol.... 

Les  hommes  du  moyen  âge  ne  pensaient  pas  aroir  achevé  un  monument 

pour  avoir  élevé  pierres  sur  pierres  :  il  fallnit  que  ces  pierres  pariassent, 
qu'elles  parlassent  le  langage  de  la  peinture  ,  qui  est  entendu  des  ignorants 
et  des  petits  ;  que  le  ciel  s"y  rendit  visible  et  que  les  anges  et  les  saints  y  de- 
meurassent présents  par  leurs  images ,  afin  de  consoler  et  de  prêcher  les 
peuples.  Sur  ces  parvis  se  déroulèrent  les  mystères  des  deux  Testaments  et 
la  vie  de  saint  François  y  fit  suite  au  livre  des  révélations  divines.  Mais 
comme  s'il  eût  été  impossible  d'approcher  impunément  du  tombeau  miracu- 
leux, les  peintres  appelés  à  l'orner  de  leurs  ficsques  se  sentirent  agités  d'un 
esprit  nouveau  :  ils  commencèrent  à  concevoir  un  idéal  plus  pur,  plus  animé 
que  les  vieux  types  bysantins,  etc. 

C'est  en  ce  langage,  orné  des  plus  beaux  dons  d'une  imagina- 
lion  charmante,  que  le  livre  se  poursuit  jusqu'au  bout;  pour 
cela,  la  force  n'en  est  point  exclue  ;  aussi  les  Études  sur  les  poètes 
franciscains  sont-elles  une  œuvre  littéraire  des  plus  distinguées. 

Une  traduction  des  Petites  fleurs  de  saint  François  termine  le 
volume.  On  reconnaît  dans  ces  pages  une  touche  plus  douce  et 
plus  légère.  Elles  ont  été  écrites  par  la  seule  personne  à  qui  l'au- 
teur les  pouvait  prendre  sans  plagiat ,  et  ne  sont  pas  le  moin- 
dre ornement  de  ce  délicieux  ouvrage. 

C'est  ici  le  lieu  de  se  demander  de  quelle  école  littéraire 
procède  Ozanam.   Avant  tout,  il  appartient  à  un  courant  d'idées 


36  FkéDÉniC    02A?IAM. 

eiifièrenifnt  inotlti iic- ,  iuuoduii  [)ar  la  nouvelle  ^éni'l'ation  ra- 
llioli(]ue.  IMus  cxpK'sst'iiiL'nl  au  point  de  vu»»  île  la  forme ,  Oza- 
nam  dérive  de  Cliateauhriand,  ei  plus  encore  peu(-/'trc  de  Bal- 
lanclie.  On  seul  qu'il  a  lu  Lanjartin»',  toutefois  san^  np()rpndre 
de  lui  lait  de  faire  entendre  des  sons  liarnionieux,  desintéressés 
de  toute  émotion  sérieuse.  Si,  dans  ses  premiers  essais,  le  soiiflRe 
de  l'école  romantiipie  parfois  send)le  l'atteindre,  ce  n'est  qu'en 
passant.  C-lie/.  O/anani,  toujours  la  pensée  prévaut  sur  l'expres- 
sion. Il  se  garde  de  ces  cli(|uetis  de  mots  inutiles  tpii  déparent 
tant  de  livres.  Sans  cesse  l'idée  est  présente.  Le  langage  si  ex- 
pressif, si  colort',  (jui  lui  est  fanùlier,  n'est  qiiun  moyen  de  la 
mieux  rendre;  jamais  il  ne  dégénère  en  un  hors  dœuvre  plus 
ou  moins  poéti(jue.  Toutefois,  il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce 
style  si  riche  d'éh'gances  fût  primc-sautier  et  jaillit  comme  de 
source.  Au  contraire ,  0/anam  composait  avec  un  effort  visible. 
De  sa  part,  le  travail  littéraire  exigeait  un  véritable  lahcur,  au- 
tant pour  atteindre  la  juste  expression  que  par  la  nécessité  des 
investigations  de  l'érudit.  Fait  «ligne  de  remaïque  :  cette  re- 
cherche du  terme  propre ,  fatale  à  tant  d'écrivains ,  pour  Oza- 
nani  n'est  (|u'une  occasion  d'atteindre  la  réelle  beauté. 

Dans  le  discours  parb'*,  cette  incubation  laborieuse  «'-tait  plus 
visible  encore.  Eh  bien,  dans  cette  lutte  pour  parvenir  à  la  forme 
détinilive,  pour  le  témoin  il  y  avait  une  sorte  «l'aurait,  car  tou- 
jours on  sentait  l<>  bouillonnement  intérieur  <|iii  l'animait.  Dans 
ses  le<;ons,  v«)Ionti«TS  on  l'eût  comparé  à  un  volcan  au  feu  «luquel 
se  ni«''lcnl  (les  ccndr«'S  «'t  «!«•  la  itoiissiere;  sou«lain  arrive  un 
nouvel  t  tfiiii  ,  désormais  la  Hauime  jaillit  pure  et  éclatante.  De 
même  sa  phrasi^  ne  sortait  lini|»i<l«'  «t  vibrante  de  remolioii  du 
cœur,  qu'au  prix  d'une  véritable  c«)nt«>nti«>n.  G>pen«lant  l«>s  fruits 
de  tant  d'«'llorls  n'avaient  pas  été  perdus,  et  pendant  ses  «ler- 
nières  années ,  Oxanam  avait  acquis  plus  «le  facilit«'.  Dans  ses 
Poélcg  franciscains  ,  «lans  le  Péhrinaije  au  pays  du  CiJ,  sou  iler- 
uier  ouNrage,  le  style  apparait  singulitrcment  ()lus  alerte,  plus 
dégagé,  plus  varié  dans  ses  tours.  Si  vous  le  voulez  rapprocher 
un  instant  d'«'«rivains  auprès  desquels  il  parut  souvent  :  il  se 
peut  «lire  «pi'il  n'a  jamais  égalé  le  V.  I^conlaire  par  le  nombr«', 
par  l'anqdeur  tlassitptc  de  ses  périodes,  non  plus  que  par  la 


FRÉDÉRIC    OZAHAIH.  37 

sponiancilé  la  plus  vive,  la  plus  élincelanle  qui  se  puisse  conce- 
voir. M.  de  Moiilalembert  se  dislingue  par  plus  d'îfîsance  et  de 
naturel  dans  un  style  brillant  et  vif  au  dernier  point.  Ozanam  a 
le  don  pariiculier  des  mots  heureux,  des  expressions  pénétrantes. 
Il  trouve  facilement  des  traits  fins  et  spirituels,  plus  souvent  en- 
core la  suavité. 

O/.anam  était  allé  chercher  en  Italie  le  repos  d'abord,  puis  les 
bibliothèques  et  les  monuments,  plus  instructifs  que  les  livres. 
Il  trouva  le  pays  en  proie  à  la  plus  vive  agitation.  C'était  la  pre- 
mière année  du  pontifical  de  Pie  IX.  Il  partagea  les  espérances 
qui  s'exaltaient  de  toutes  parts.  Comme  tant  d'aulres  il  vit,  dans 
un  avenir  prochain,  l'Italie  régénérée  se  gouvernant  elle-même, 
réalisant  les  promesses  téméraires  de  l'auteur  du  Primato. 
Comme  tant  d'aulres  aussi  et  des  meilleurs,  il  vit  la  religion  se 
réconcilier  avec  la  liberté.  «  Je  crois,  disait-il  (1),  Pie  IX  venu 
»  pour  mettre  la  main  à  de  grandes  choses  :  à  la  réconciliation  de 
»  l'autorité  et  de  la  liberté,  dont  la  lutte  fait  depuis  trois  cents 
»  ans  le  malaise  du  genre  humain.  C'est  la  même  lutte  qui  se 
»  perpétue  d'un  autre  côté  entre  la  science  et  la  foi.  »  Lui  qui 
ne  connut  jamais  d'autre  liberté  que  celle  de  bien  faire  et  de 
s'imposer  des  devoirs,  il  ne  pouvait  pas  croire  que  ce  mouvement 
ne  fut  l'indice  d'un  véritable  réveil.  Aujourd'hui  que  tout  est 
fini;  après  que  le  peuple  italien  a  fait  défaut  à  tant  d'espérances  ; 
maintenant  que  la  réalité  est  apparue  dans  sa  triste  laideur, 
beaucoup  se  veulent  montrer  sévères  pour  ceux  qui  se  laissèrent 
abuser  par  la  conspiration  des  ovations.  Les  récriminations  sont 
faciles,  après  la  défaite.  Encore  qu'à  l'ordinaire  elles  soient  le 
refuge  de  ces  esprits  médiocres  dont  le  courage  n'apparaît  qu'a- 
près le  péril,  aussi  impuissants  pour  agir  que  pour  prévenir  ; 
nous  accorderons  volontiers  qu'Ozanam  fut  victime  d'illusions 
généreuses.  Il  avait  peu  le  sens  politique,  et  il  n'hésitait  pas  à 
en  convenir.  Les  natures  comme  la  sienne  sont  trop  vives  ,  trop 
passibles  d'impressions  soudaines  pour  devenir  aptes  aux  affaires 
de  gouvernement. 


(1)  Dans  un  arlicle  du  Correspondant  de  janvier  184o  :  Les  dangers  de  Rome 
et  ses  espérances. 


3^  IRÉDÉRIC    OZA?(AV. 

Les  ospc  l'an  ces  cornues  par  0/anaiii  au  sujci  du  mouvement 
ilulieii  dé(id«T»'nl  de  son  attitude  à  Paris  en  presenet*  de  la  ré- 
voluiiou  de  février  1848.  Ia'  professeur  di*  Sorltonn»'  fut  da  nom- 
bre de  ceux  qui  crurenl  à  l'avènemenl  defniitif  de  la  forme 
républicaine.  Aussi  fut-il  Tardent  promoteur  «lu  journal  VÉre 
.\nuvelle,  destiné  à  manifester  <|ue  la  doctrine  cailioliipie  n'était 
rien  moins  (ju'inconcilial)le  avec  la  démocratie. 

Il  a  publie,  dans  cette  feuille,  plusieurs  articles  fort  remar- 
(|ual>les,  ^\u\  tous,  nous  ne  craignons  pas  de  le  dire,  portent 
l'empreinte  de  sa  belle  ûme.  Nous  ne  pouvons  oublier  son  tra- 
vail contre  le  divorce^  qui  mériterait  assurément  d'être  distinj^ué 
et  recueilli ,  avec  quelques  autres,  au  milieu  de  celte  collection. 

Cette  année  (|ui  suivit  la  révolution  de  Février  fut  sinjîulière- 
ment  labttrieuse  pour  Ozunain.  11  en  ressentit  profoiid«'inent  les 
alternatives  émouvantes.  Cependant  il  faisait  régulièrement  son 
cours  et  surveillait  l'impression  du  dernier  volume  de  ses  Ger- 
mains. En  automne  1849,  il  passa  queUjues  semaines  :i  Fernex. 
Il  n'avait  pas  trop  à  se  [)laindie  de  sa  santé.  Il  avait  conliance  en 
l'avenir,  et  il  s'ouvrait  avec  abandon  dans  des  contersations  inti- 
mes touchant  ses  projets  de  travail.  Il  aimait  à  exposer  devant 
des  amis  le  plan  de  son  grand  ou\rage.  Jamais  il  n'eut  plus  de 
chaleur  de  cœur  et  de  cette  aménité  sympathique  qui  rendait  son 
commerce  si  attravant.  La  Conf(Ten(  e  de  Saint-Vincent-de-l*aul 
de  Genève,  «juil  visita,  conserve  précieusement  le  souvenir  d'une 
allocution  toute  penétn'e  des  ardeurs  de  sa  charité  et  de  son  zèle 
pour  les  pauvres.  Toutefois,  cette  puissance  dans  l'expression 
du  seniinunl,  unie  à  une»  constiluiioii  si  failde  ,  ne  laissait  pas 
<iue  d  inspirer  de  tristes  appréhensions. 

Cet  état  intermédiaire  entre  la  santé  et  la  inala<lic  dura  deux 
ans  encore.  Il  eût  fallu  surs«M»ir  à  tout  tra\ail  ;  ()/anam  \aquait 
à  tous  ses  devoirs.  Il  avait  S(»if  de  science.  Il  devait  succombera 
la  peine  ;  et  vraiment  il  faut  admirer  ce  dont  il  était  capable  , 
malgré  tant  de  traverses,  de  si  fréquentes  interruptions,  ayant  à 
combattre  ce  sentiment  de  son  propre  néant  (|ui  ne  manque  jamais 
d'alleindrc  les  malades,  uu'ini;  les  plus  courageux.  Onand  on 
pense  qu'il  écrivait  alors  les  Poêles  franciscains ,  «pi'il  donnait  ses 
Études  sur  le  paganismr  nu  moment  dr  l'invasion  des  barbares, 


KKÉDÉKIC    UZAIN\n.  30 

el  son  travail  sur  le  Progrès  dans  les  siècles  de  décadence.  En  vé- 
rité ,  il  semblerail  qu«î  ses  facultés  redoublassent  d'iulensité  au 
mumcnt  où  la  force  physique  l'abandonnait. 

Les  Éludes  sur  le  paganisme  doivent  trouver  leur  place  dans 
les  volumes  inédits  qui  seront  publiés.  Elles  sont  comme  une  in- 
troduction à  V Histoire  des  lettres  pendant  les  temps  barbares. 

Entre  l'antiquité  et  le  moyen  l'igc,  dit-il,  les  historiens  ont  mis  un  abime. 
Il  faut  le  fermer  en  faisant  voir  les  communications  par  lesquelles  la  Provi- 
dence unit  tous  les  temps.  Au  moment  où  l'antiquité  va  finir,  il  faut  connaî- 
tre ce  qui  doit  périr  dans  le  désordre  des  invasions,  ce  qui  doit  être  sauve. 
Il  faut  savoir  quelles  croyances,  quelles  lois,  quelles  habitudes  littéraires  se 
conserveront  dans  l'Église  ou  malgré  l'Eglise,  pour  faire  l'éducation  du 
moyen  âge  ou  pour  en  faire  le  scandale. 

Alors  descendant  le  cours  des  siècles,  l'historien  suit  la  trace 
de  l'antique  religion  longtemps  maîtresse,  du  sol  par  ses  monu- 
ments, de  la  société  par  ses  souvenirs,  du  gouvernement  par  les 
lois,  d'un  grand  nombre  d'âmes  par  la  force  de  l'habitude  et 
l'excès  même  de  ses  erreurs.  Les  apologistes  nous  montrent  d'or- 
dinaire la  société  païenne  s'évanouissant  devant  le  souffle  divin 
du  christianisme  :  certes  la  victoire  est  décisive  et  la  preuve 
imposante  ;  mais  il  n'est  pas  moins  instructif  de  considérer  le 
revers  de  la  médaille  et  de  s'attacher  aux  vestiges  de  la  civilisa- 
tion païenne,  si  lents  à  disparaître,  si  tenaces,  malgré  les  persé- 
vérants efforts  de  l'Église.  Il  faut  en  suivre  les  traditions  dans  les 
lettres,  dans  la  philosophie,  dans  le  droit,  dans  une  foule  de  su- 
perstitions populaires,  dans  la  magie  et  ces  sciences  occultes  qui 
ne  parurent  s'évanouir  qu'à  la  grande  lumière  du  dix-septième 
siècle.  Mais  le  paganisme  ne  s'évanouit  pas  avec  elles.  Ne  règne- 
t-il  pas  dans  l'esprit,  tant  que  le  matérialisme  et  le  panthéisme 
s'y  défendent  ;  dans  les  cœurs,  tant  qu'y  domine  l'attrait  volup- 
tueux de  la  nature? 

Voilà  quelques  traits  d'analyse  sur  ce  travail  qui  peuvent  en 
laisser  soupçonner  l'importance. 

En  1851,  Ozanam  fit  un  voyage  à  Londres  en  compagnie  de 
M""*  Ozanam  et  de  son  ami  M.  Ampère.  Ce  dernier  partait  pour 


40  tn^DÉHIC    OZA7IA1. 

I«'S  hl:ils-l)nis.  il  nous  r;i(oni«*  (1)  que  son  rsprit  s'oiivrail  à  des 
admirations  nouvi-lles  (]ir(J/.aiKun  ne  |);ulaj<cait  plusanianiqu'au- 
Irefois,  quand  ils  s'cntondaienl  si  bi«'n  sur  les  Nicbclun^^'t'ijct  sur 
le  Dante.  «  Il  trouvait,  continue  M.  Ampère,  (|ue  j'admirais  trop 
»  l'Anf^Ittcrre,  que  j'oubliais  trop  les  Irlandais,  Lui,  meilleur  que 
»  moi,  me  laissait  rclourncr  au  Palais  de  Cristal,  pour  avoir  le 
»  temps  de  visiter  les  caves  babilées  par  les  pauvres  catholiques 
»  d'Irlande  ;  il  en  revenait  tout  ému,  et  je  crois  un  peu  plus  pau- 
»  vre  (ju'en  y  descendant.  » 

Au  retour  de  celte  excursion,  0/.anam  s'arrêta  ù  Dieppe  pour 
prendre  les  bains  de  mer.  De  ce  séjour  il  écrivit  à  celui  (jui  es- 
saie en  ce  moment  de  raconter  sa  vie.  Celte  lettre  renfeinje  une 
appréciation  bien  remar(iiiable  du  pays  «pi'il  \enail  «le  cjuiiier. 
Ses  nombreux  amis ,  avides  de  tout  ce  qui  est  sorti  de  sa  plume, 
seront  heureux  de  la  trouver  ici. 

Dieppe,  S8  août  18KI. 

Vous  mo.  ilispenscrcï,  cher  ami,  de  vous  dt'crirc  le  Palais  de  Cristal. 

Les  Journaux  vous  ont  entretenu  de  cette  merveilleuse  exposition  (|u'on  ne 
peut  assez  louer,  si  l\»n  y  considère  la  victoire  de  IIkhouic  sur  lu  nature  el 
rnceoniplissetnent  le  pins  magnifique  de  la  lui  qui  nous  condamne  uu  tra\ail. 
Car  c'est  du  travail  et  de  la  sueur  humaine  (|u'«)nt  jailli  ces  piliers  de  fonte, 
ces  voûtes  de  verre  el  tous  les  trt'sors  quelles  renferment.  L'.Xnglelerre  y 
olTrc  une  brillante  hospitalité  à  toutes  les  industries  de  la  terre  ;  sans  s'oublier 
néanmoins  ,  et  sans  négliger  de  s'y  faire  la  meilleure  part.  Elle  étonne ,  elle 
subjugue  les  meilleurs  esprits  |)ar  le  .spectacle  de  sa  puissance  matérielle, 
par  la  hardiesse  de  ses  machines,  par  le  bon  marcJié  de  ses  tissus.  .Mais  il  y 
u  deux  choses  c|u°elle  .se  ganle  d'exposer,  el  que  ses  visiteurs  d'un  jnnr  n'ont 
pas  vues,  quand  ils  vunl  publiant  que  le  peuple  anglais  est  le  premier  du 
monde  :  ces  «leiix  choses  muiI  lu  misère  des  paii\  res  el  la  violence  des  pas- 
sions protestantes. 

L'Angleterre  met  sa  gloire  dans  son  agriculture,  qui  lui  donne  les  plus 
gras  troupeaux  et  par  con.>^-qucnl  la  meilleure  viantle  du  monde;  et  dans  son 
industrie,  qui  lui  permet  de  fournir  les  meilleurs  tissus  .m  plus  bas  prix.  Com- 
ment donc  se  f.iit-il  que  Londres,  liirmingham,  .Manchester,  Li^erpool,  Lred 
nient  une  |)opulati()ii  considérable  qui  non-seulement  ne  mange  pas  de  \iande, 
mais  (pii  mani|ue  de  pain  et  qui  vil  de  pommes  de  terre?  Comment  la  capi- 
tale luémc  csl-ellc  stilloDnée  d'indigento  demi-nus ,  qui  poursuivent  létran- 


li  Alt.  dis  Uebnlulii  |-iuitobic  IKuu 


KHÉDÉHIC    OZAilA».  41 

ger,  qui  se  jellent  jusque  sous  les  roues  tics  voitures,  portant  sur  leur  visage 
l'eiuproinle  il  un  désespoir  inexorable?  Lu  taxe  des  pauvres  et  les  work- 
liouses  n'y  peiivciil  rien  :  les  An^^lais  ne  sauraient  cmpéclier  la  mendicité  de 
pénétrer  dans  Londres,  ils  la  tolèrent,  et  je  les  loue  de  la  tolérer.  Mais  alors 
pourquoi  insulter  d'un  air  si  hautain  la  mendicité  des  pays  catholiques?  Ja- 
mais, dans  les  rues  d^Home,  je  n'ai  rencontré  rien  de  compaiable  à  ces  fem- 
mes en  haillons  qui  tendent  la  main  le  long  du  Strand .  à  ces  petites  filles 
qu'on  voit  la  robe  déchirée  jusqu'aux  hanches  ,  les  pieds  nus  dans  la  boue 
noire  et  froide.  Ne  dites  pas  que  c'est  l'étalage  d'une  détresse  qui  veut  forcer 
la  pitié  du  passant.  Pénétrez  ,  je  ne  dis  pas  dans  les  quartiers  pauvres  de 
White-Chapel  ou  de  Southwark,  mais  derrière  ces  rues  fastueuses  de  Regent- 
Street,  d'Oxford  Street.  Vous  trouverez  d'étroites  ruelles,  obscures,  fétides, 
sur  lesquelles  s'ouvrent  des  cours  plus  étroites  encore,  bordées  de  hautes 
maisons.  Là  s'entassent  les  indigents;  on  les  loge  à  la  semaine;  une  cham- 
bre moyenne  coûte  ordinairement  de  trois  à  q\iatre  schcllings  par  semaine, 
c'est-à-dire  de  200  à  2IjO  fr.  par  an.  Beaucoup  de  familles  sont  trop  malheu- 
reuses pour  supporter  seules  le  poids  de  ce  loyer,  elles  se  réunissent  afin 
d'en  supporter  le  fardeau.  Elles  ne  connaissent  plus  même  celte  dernière  sa- 
tisfaction qu'ont  chez  nous  les  plus  misérables  ménages,  la  satisfaction  d'être 
chez  soi.  J'ai  vu  une  chambre  et  un  étroit  cabinet  que  venaient  d'habiter 
quatorze  personnes.  Depuis  quelque  temps  les  règlements  de  police  ne  per- 
mettent plus  de  loger  dans  les  caves  ;  mais  la  misère,  plus  forte  que  tous  les 
pouvoirs,  oblige  beaucoup  d'ouvriers  à  chercher  ce  dernier  refuge.  J'ai  vu, 
dans  une  cave,  une  ^eule  chambre  occupée  par  deux  ménages  se  composant 
de  neuf  personnes.  Il  n'y  avait  là  que  trois  lits  ;  et  telle  est  la  détresse  de  ces 
pauvres  gens,  que  bien  peu  songent  à  donner  des  lits  différents  aux  enfants 
des  différents  sexes. 

Je  sais  aussi  que  la  charité  catholique  les  visite ,  que  l'aumône  et  la 
parole  qui  rend  l'aumône  douce  et  honorable  descendent  dans  ces  tris- 
tes réduits.  Je  sais  qu'il  y  a  un  mois  l'allégresse  régnait  dans  un  de  ces  quar- 
tiers habités  par  les  malheureux  Irlandais.  A  la  suite  d'une  mission  qui  avait 
converti  bien  des  cœurs,  le  cardinal  Wiscman  était  venu  prêcher  et  bénir  une 
assemblée  de  quatre  mille  catholiques  :  trop  nombreux  pour  s'enfermer  dans 
les  murs  d'une  chapelle,  ils  s'étaient  réunis  en  plein  air,  le  soir,  aux  flam- 
beaux ,  autour  des  bannières  du  Sauveur  et  de  la  Sainte  Vierge.  Ils  étaient 
ravis  d'entendre  les  discours  de  leur  évêque  et  les  chants  de  leurs  enfants  à 
qui  l'on  avait  appris  des  hymnes  convenables  pour  la  solennité.  Mais  je  sais 
aussi  quelle  fut  la  colère  du  protestantisme  contre  ces  joies  des  pauvres,  et 
avec  quelle  violence  ses  journaux  injurièrent  l'évêque  des  mendiants. 

C'est  la  seconde  douleur  de  celui  qui  visite  Londres  avec  une  autre  curio- 
sité qne  celle  de  la  foule,  avec  quelque  souci  des  intérêts  de  Dieu  et  de 
rhumanilé.  On  ne  peut  nier  les  qualités  du  peuple  anglais.  Il  aie  respect  de 
la  loi  et  l'amour  de  son  pays,  il  est  infatigable  au  travail;  il  semble  même 
religieux,  si  l'on  en  juge  par  le  grand  nombre  des  clochers  qui  dominent  Lon- 
dres, et  mieux  encore  par  ce  repos  du  dimanche  si  exactement  observé  d'un 
bout  à  l'autre  du  pays  le  plus  laborieux  de  l'univers.  Mais  je  crains  que  de 


42  FHÉDKRIC    OZA.1AM. 

beaurotip  d'ciitrc  rii\  Dit>u  ne  puisse  dire  ce  (|u'il  disait  des  Juifs  :  cCe  pou* 
pie  in'lionnre  des  lèvres.  »  Je  reconnais  la  bonne  foi  d'un  (;rand  nondirc  d'i- 
(;ni>nints,  ninis  je  crains  bien  de  trouver  chez  ceux  qui  conduisent  la  mulli- 
lude,  l'orgueil  pliarisaupie,  les  haines  de  secte  ;  rien  de  l'huniilité  ,  de  l'oubli 
de  .soi-nii^nie,  de  l'amour  enfin,  qui  constiluejit  le  fond  niérue  de  la  religion. 
Je  ne  veux  pas  en  donner  les  preuve-!  qu'a  fait  t'elaler  I*  bill  des  titres  eccU— 
siastii|ues.  Je  ne  veux  pas  parler  des  questions  conten)|»oraines.  Je  recueille 
seulement  limpression  (|ne  ma  laissée  le  sanctuaire  national  de  Westminster 
tel  (jue  le  protestantisme  l'a  transformé. 

M.  de  Maistrees|)érait  que  le  dix-neuviènio  siècle  verrait  célébrer  la  messe 
à  Saint-Paul  de  Londres  :  je  l'espère  aussi  ;  mais  le  catlioiicisme  lui-même  au- 
rait bien  de  la  peine  ù  réclinufler  ce  glacial  édifice.  I^  véritable  basilique  de 
Londres,  le  Sainl-Denys  de  la  nionarehie  anf;luise,  est  à  \Ve».tn)inster.  Là 
sélève  ur>e  nef  rivale  «le  nos  belles  nefs  d'.Amiens  cl  de  SainlOuen,  portée 
sur  des  piliers  hardis  et  légers.  La  tnnée  (|ui  la  coupe  est  dune  pro|»ortion 
admirable  ,  terminée  par  des  rosaces  flamboyantes.  Les  architectes  chrétiens 
qui  construisirent  cette  église  la  firent  longue  et  large,  pour  contenir  les  flots 
du  peuple  fidèle;  lieutc  cl  aérienne,  con»me  pour  porter  l'hommage  de  la 
terre  plus  près  de  Dieu.  Seulement,  derrière  le  cœur  et  le  grand  autel,  une 
cloison  renferniiiil  im  étroit  espace  où  reposait  la  châsse  renfermant  les  re- 
liques de  saint  Kdon:inl.  l'n  tombeau  de  pierre  orné  de  mosaïques  a\  ait  reçu 
Ws  dépouilles  du  .^ailll  roi,  du  roi  |topulaire  (pii  représentait  les  souvenirs  hé- 
roïques lie  la  nationalité  anglo-saxonne.  Les  princes  normands  n'avaient  ja- 
mais songé  à  troubler  la  |i:n\  <lc  ce  sanctuaire,  toute  leur  ambition  était  d'y 
dormir  autour  de  saint  Edouard.  Kl  en  elTet,  tout  autour  de  la  cliAssc  étaient 
ks  sépultures  d'Honri  IlLd'Kdouanl  III,  de  niehanl  IL  Et  derrière,  Henri  VII 
avait  b.ili  une  chapelle  nier\eilleuse  qui  est  la  perle  <le  IWnglelerre.  Or,  le 
prolestantisme  ayant  chassé  Dieu  de  celte  église,  el  ne  pouvant  plus  la  rem- 
plir de  peuple  ^ivanl,  a  imaginé  «le  reiicond)rer  de  ses  morts.  >'e  aous  figu- 
rez pas  comme  ;i  Saiiit-|>icrre  de  Home,  comme  à  Sainte-Ooix  de  Florence, 
un  certain  nombre  de  sépultures  illustres  décorant  les  murailles  et  mêlant 
à  la  sainteté  du  lieu  la  grandeur  des  .souvenirs.  Il  y  a  bien,  comme  on  dit.  le 
coin  des  hommes  d'État  et  le  rni'n  des  poètes.  Mais  le  doyen  et  le  chapitre  d<' 
Westminster,  en  vertu  d'un  pouvoir  arbitraire,  ont  concédé  ou  vendu  il  eniv 
qui  n'étaient  ijue  riches,  le  droit  de  figurer  parmi  les  grands.  De  la  cclli- 
prodigieuse  quantité  «le  maiisoli'es  sans  inti'rèl  historique,  sans  mérite  ni' 
niimentul.  (lar  si  v«ius  exreptez  ipielipies  statues  de  Klaxman  el  «le  Chantnv 
tout  le  reste  est  misérable.  (Jepemlant  ils  ne  se  sont  pas  contenté  «le  garnir 
les  murs,  ils  ont  fermé  des  arcades  entières  pour  y  entasser  des  m«u)umenls 
de  leur  vanilé  el  de  leur  mauvais  goût.  Les  morts  de  la  Héforme  Iri'ment  sur 
des  monlagnes  de  marbre  ,  entouré.s  de  génies  el  de  personnages  allégori- 
ques, avec  tout  le  paganisme  de  la  renaissance,  moins  l'élégance  et  la  beauté. 
Mais  les  morts  «lu  moyen  Age  ne  de\  nient  pas  dormir  traïujuilles  :  La  chAsse 
de  saint  Etloiiard  ne  pouvait  «'-rhapper  aux  i('«>iiorlasles.  Ils  l'ont  mutilée,  el, 
le  saint  porlaiil  malheur  aux  rois  «pii  reposaient  à  son  ombre,  les  sépultures 
des  |>lant«genrls  sont  là.  profanée»,  délabrées,  si  bien  que  le  voyageur  fran- 


FREDERIC  OZAI^AM. 


43 


çais  qui  les  visite  ne  peut  voir  sans  pilic  ces  vieux  et  Illustres  ennemis  de 
sou  pays  réduits  ù  cet  état  d'abandon  cl  d'igiioniinie.  Et  le  Parlement ,  qui 
trouve  des  millions  pour  se  bâtir  un  palais  superbe,  n'a  pas  de  subsides  pour 
restaurer  les  tombeaux  de  ses  anciens  rois.  Le  fnnalisme  protestant  ne  le 
permettrait  pas.  Il  veille  sur  ces  ruines  qu'il  a  faites.  On  dirait  que  c'est  hier 
qu'il  a  passé  là  le  marteau  à  la  main.  Ali!  ne  louez  plus  cette  nation  de  son 
respect  pour  le  passé  ;  aucune  n'a  poussé  plus  loin  la  haine  et  le  mépris  du 
passé  chrétien  ;  elle  ne  s'est  attachée  avec  tant  d'opiniâtreté  à  la  tradition  dans 
les  affaires  politiques,  dans  celles  qui  changent,  qu'en  abandonnant  la  tradi- 
tion dans  les  choses  éternelles.  IVous  avions  cru  pendant  vingt  ans  à  leur 
tolérance  et  à  leurs  lumières.  Mais  le  vieux  préjugé  protestant  n'était  que 
muselé,  les  honmies  d'État  se  réservaient  de  le  lâcher  quand  il  en  serait  temps, 
et  vous  voyez  ses  fureurs. 

Il  faut  avouer  cependant  que  les  emportements  du  protestantisme  s'expli- 
quent, s'ils  ne  se  justifient  pas,  par  le;  progrès  de  la  vérité  catholique.  Cha- 
que jour  compte  des  conversions  nouvelles,  et  l'exemple  de  ces  deux  gran- 
des âmes,  ISevvman  et  Manning,  continue  d'ébranler  les  cœurs  les  plus  reli- 
gieux du  clergé  anglican.  Rien  n'est  plus  touchant  que  de  voir  cette  Eglise  de 
Londres,  menacée  présentement,  mais  pleine  d'espérance,  cette  belle  cathé- 
drale de  Saint-George,  glorieux  témoignage  du  progrès  des  catholiques  trop 
nombreux  pour  se  contenir  dans  les  chapelles  obscures  où  la  persécution  les 
avait  relégués  ;  aux  offices  divins,  le  recueillement,  la  ferveur  des  fidèles,  le 
grand  nombre  des  conmiunions,  enfin  le  cardinal  Wiseman,  cet  évêque  élo- 
quent qui  fait  entendre  aux  Anglais  le  langage  depuis  longtemps  oublié  de 
saint  .\nselme  et  de  saint  Thomas  de  Canlorbéry,  et  autour  de  lui  un  groupe 
de  prêtres  et  de  laïques  zélés,  qui  me  rappelaient  votre  Église  de  Genève, 
moins  considérable,  mais  non  moins  florissante 

Pendant  l'hiver  de  1852,  Ozanam  eut  encore  la  force  de  faire 
son  cours  ;  mais  au  printemps  survint  une  crise  des  plus  violen- 
tes; il  dut  quitter  Paris  où  il  ne  devait  plus  revenir.  Les  or- 
dres des  médecins  le  conduisirent  d'abord  aux  Eaux-Bonnes, 
puis  à  Biarilz,  au  bord  de  l'Océan.  Là  il  parut  reprendre 
quelques  forces,  et  il  voulut  à  l'instant  partir  pour  l'Espa- 
gne ,  où  l'attiraient  une  littérature  qu'il  aimait  passionnément 
et  des  monuments  autour  desquels  sa  mémoire  érudite  groupait 
à  l'avance  les  fastes  poétiques  de  l'histoire  du  pays.  Il  avait  rêvé 
le  pèlerinage  célèbre  de  Saiut-Jacques-de-Compostelle  ;  c'était 
par  cette  station  où  il  devait  satisfaire  à  la  fois  sa  piélé  et  son 
ardeur  de  science  neuvelle ,  qu'il  voulait  inaugurer  son  séjour 
dans  la  patrie  du  Cid  et  de  sainte  Thérèse.  Mais  la  prudence  dut 
le  faire  renoncer  à  son  projet  ;  un  hiver  prémature  étant  survenu, 


44  khéoérh:  uza?(ai. 

force  fui  de  s'arrêter  à  liurgos.  Il  g*éiail  promis  âet  ramasser  le* 
co<]uiII<'s  dii  [)Morin  sur  la  pl:i^'«>  i\o  Composlcllc,  ù  IVndroii  oii, 
st'Iuii  l:i  li'f,'»'n(lt',  le  corps  du  sailli  ajK*ilr('  fui  y-U'  par  la  m»r.  Il 
ri\ iiii.  iiuus  dil-il  dans  son  journal,  les  mains  vidt'S  de  coquilles, 
pltincs  st'ult-nu-nl  de  ces  fruillos  h'fîcres  oii  le  V(»yagrnr  a 
crayonné  s«'s  premiers  souvenirs.  Un  a  publié  ces  noies  sous  lo 
tilrc  d'un  Pèlerinage  au  pays  du  Cid  (1),  et  c'est  avec  émotion 
que  ses  amis  trouvent  dans  ces  pages  une  verve,  un  éclat  qui  con- 
trastent fort  avec  la  pensée  «pi'ils  lisent  son  dernier  écrit. 

0/anaui  arrivait  adinirahlenient  |)répare  pour  ce  voyage  d'Es- 
pagne. Il  ne  passe  que  quatre  jours  à  Burgos;  et  Ton  demeure 
étonné  de  la  profusion  de  souvenirs  qu'éveille  en  lui  la  vue  des 
monuments  de  l'héroupie  ciu'.  C'est  le  Cid  dont  il  reconnaît  la 
demeure ,  et  dont  il  ne  voit  pas  sans  mélancolie  les  ossements, 
troublés  dans  leur  dernier  asile  par  l'invasion  française  ;  expo- 
sés, après  diverses  vicissitudes ,  dans  la  chapelle  de  ril()tel  de 
Ville,  où  un  gardien  les  li\re  pour  une  pièce  de  monnaie  à  la 
curiosité  des  passants.  Ce  sont  les  sept  enfants  de  Lara  dont 
il  aperçoit  les  têtes  coupées  suspendues  au  frontispice  de  la  cathé- 
drale. C'est  la  forteresse  monastiqu»'  de  Las  liuelgaSy  où  le  roi 
Siiint  Ferdinand  fut  arm*'-  chevalier.  C'est  la  chartreuse  de  Mira- 
flores,  é\e\éc  par  la  grande  reine  Isabelle,  la  protectrice  de  Chris- 
tophe Cx)lonil),  comme  un  magnifique  mausolée  sur  le  tonduau 
de  son  père.  Mais  c'est  pour  la  calhedrale,  Noire-Dame  de  Bur- 
gos, celle  merveille  de  l'art  ogival,  la  digne  sonir  des  églises  de 
Chartres.  d'Amiens,  de  Lausanne  et  de  Sirashourg.  qu'il  réserve 
1rs  accents  de  l'admiration  la  plus  expansive.  Il  faut  lire  cette 
description  animée ,  oii  se  mêlent  si  agréablement  au  tracé  des 
lignes  archilei  nn-ales ,  ici  un  souvenir  de  Tf-cole,  I;^  \\n  épisode 
lilléraire  ,  ailleurs  tme  digression  historique  ,  plus  loin  des  vues 
pleines  d'intérêt  sur  le  svnd)olisme  di\in  (pii  a  remm''  ces  pierres 
et  leur  a  fbmné  la  pensi'-e.  Enlin  le  moment  est  v<>du  de  prendre 
f.ongi'  fie  ces  beaux  lieux  aiiMpiels  |e  vovagcur  va  laisser  sus- 
pendiu"  une  part  de  st's  affections  et  de  ses  regrets.  Il  embrasse 
d'un    regard  l'ensemble  de  la  nef  mystérieuse  ;  il  s'agenouille 

(I)  Dans  le  Corrrtjynnditni,  livmison  d'iK lobrc  l^W. 


FRÉDÉRIC    OZANAM.  45 

«ne  dernière  fois  dans  le  radieux  sanctuaire  et  résume  ses  pen- 
sées en  une  admirable  prière  que  voici  : 

O  Notre-Dame  de  Burgos,  qui  êtes  aussi  Notre-Dame  de  Pisc  et  de  Jlilan, 
Notre-Dame  de  Cologne  et  de  Paris,  d"Amiens  et  de  Chartres,  reine  de  tou- 
tes les  grandes  titës  catholiques,  oui  vraiment,  «  vous  êtes  belle  et  gracieuse» 
pulchra  es  et  décora,  piiis(juc  votre  seule  pensée  a  fait  descendre  la  grâce  et 
la  beaulc  dans  ces  œuvres  des  hommes.  Des  barbares  étaient  sortis  de  leurs 
forêts,  et  ces  brûleurs  de  villes  ne  semblaient  faits  que  pour  détruire.  Vous 
les  avez  rendus  si  doux,  (lu'ils  ont  c()url)é  la  fêle  sous  les  pierres,  qu'ils  se 
sont  attelés  à  des  chariots  pesamment  chargés,  qu'ils  ont  obéi  à  des  maîtres, 
pour  vous  bâtir  des  églises.  Vous  les  avez  rendus  si  patients  ,  qu'ils  n'ont 
point  compté  les  siècles  pour  vous  ciseler  des  portails  superbes,  des  galeries 
et  des  flèches.  Vous  les  avez  rendus  si  hardis,  que  la  hauteur  de  leurs  basili- 
ques a  laissé  bien  loin  les  plus  ambitieux  édifices  des  Romains,  et  en  même 
temps  si  chastes,  que  ces  grandes  créations  architecturales  avec  leur  peuple 
de  statues  ne  respirent  que  la  pureté  et  rimniatériel  amour.  Vous  avez  vaincu 
jusqu'à  la  fierté  de  ces  Castillans  qui  abhorraient  le  travail  comme  une  image 
de  la  servitude;  vous  avez  désarmé  un  grand  nombre  de  mains  qui  ne  trou- 
vaient de  gloire  que  dans  le  sang  versé;  au  lieu  d'une  épée,  vous  leur  avez 
donné  une  truelle  et  un  ciseau  ,  et  vous  les  avez  retenus  pendant  trois  cents 
ans  dans  vos  ateliers  pacifiques.  0  Notre-Dame,  que  Dieu  a  bien  récompensé 
l'humilité  de  sa  servante!  et  en  retour  de  celte  pauvre  maison  de  Nazareth, 
où  vous  aviez  logé  son  Fils,  que  de  riches  demeures  il  vous  a  données  ! 

Un  des  fondateurs  de  la  Société  de  Saint-Vincent-de-Paul  ne 
saurait  quitter  Burgos  sans  donner  une  accolade  fraternelle  aux 
membres  d'une  jeune  Conférence  récemment  établie  dans  la  ca- 
pitale de  la  Casiille.  Le  Bulletin  de  la  Société  a  rendu  compte 
de  cette  entrevue ,  oij  le  vice-président  du  Conseil  général  fut 
reçu  avec  un  empressement  et  une  ouverture  de  cœur  qui  don- 
nent lieu  d'admirer  la  puissance  du  lien  catholique. 

Le  voyageur  ne  veut  pas  connaître  à  Burgos  seulement  les  mo- 
numents ;  il  cherche  aussi  les  hommes  ;  il  trouve  quelques  sa- 
vants, il  voit  surtout  de  ces  prêtres  instruits  et  bons  qui  ont  fait 
la  juste  réputation  du  clergé  espagnol.  Dans  le  cours  de  l'entre- 
tien, il  accorde  de  vifs  regrets  à  Balmès  ,  ce  philosophe  profond 
et  judicieux,  ce  publiciste  d'un  patriotisme  si  éclairé,  enlevé 
si  jeune  à  l'Epagne  et  à  l'Église  entière.  Il  distingue  un  col- 
lège où  l'enseignement  des  langues  orientales  s'unit  à  celui 
des  langues  anciennes.  11  visite  de  ])onnes  écoles  primaires  et 
se  mêle  avec  plaisir,  durant  quelques  instants,  à  ce  peuple  de 


i^G  FKbUtlHlC    O/AMAM. 

mulcliers  ei  tic  paysans  qui  :icli«'le  au  iiiarcliù  dis  ballades  el 
des  loinanci's ,  cl  (lui  ne  lui  donne  pas  lieu  de  e(»nteni|)ler  les 
haillons  hideux  qu'il  reiuonirMÏt  :i  Londres  autour  du  Palais  de 
Cristal. 

Noire  malade  leviui  à  grands  pas  vers  la  France.  Avant  de  j;a- 
gner  Tllalie,  il  cul  la  consolation  de  visiter,  près  de  Dax,  le  lieu 
de  naissance  de  saint  Vincent  de  Paul.  Il  vit  sortir  de  terre  les 
fondations  de  la  cha|)elle  «'levt'»'  par  les  soins  dr  Mgr  révôcjue 
d'Aire  ,  el  soutenue  par  les  souscriptions  des  Conférences.  Eiilio 
O/.anam  partit  pour  la  Toscane ,  oii  il  partagea  son  hiver  entre 
Pise  et  Florence.  Il  y  eut  des  jours  liieii  mnu\ais  à  supporter;  la 
maladie  s'aggravait  et  la  tempùraluire  froide  et  humide  répon- 
dait peu  à  l'idéal  de  ce  ciel  méridional  que  Ton  avaii  rôvé. 
«Les  poètes,  cependant,  écrit-il  dans  un  moment  degaité,  avaient 
»  pris  soin  de  m'en  avertir.  Devais-jc  ni'c'tonner  des  neiges  de 
»  I\i>me  et  des  eaux  du  Tibre  grossissant  sous  les  orages,  quand 
>  Horace  déjà  s'en  prtiKiii  à  .Jupiter  de  l'opiDidlrelé  des  frimas, 
»  etcrovait  revoir  sous  Auguste  le  di'iuge  de  Deuralion?  El  lors- 
»que  Daule,  au  troisième  cercle  de  son /:'«/fr^  décrit  la  pluie  étcr- 
»  nelle,  maudite,  froide  cl  triste, 

Klcni.i.  maladctta,  frcdda  c  grave 

»  certainement  il  en  trouve  l'image  sur  les  bords  de  l'Arno,  à  Pisc, 
•  où  moi,  indignecomnienlateur,  pour  réclainissemcni  de  ce  seul 
■  vers, j'ai  vu  plt;u>oir  (inquanicjours.»  Pendant  son  passageà  Flo- 
rence, il  re(,ul  le  diplôme  de  membre  de  l'Académie  de  la  Crusca. 
Le  même  jour,  celte  flatteuse  distinction,  trrs-raremenl  accordée 
aux  étrangers,  était  envoyée  au  comte  IJalbo,  l'auteur  des  Espé- 
rances de  l'Italie,  avec  qui  Ozanam  sympathisait  profondément. 
Cependant,  chaque  fois  que  cela  était  possible,  il  accourait  dans 
les  archives  el  hantait  les  bibliotliè(]ues.  Il  rassembla  les  maté- 
riaux d'une  histoire  dt;  la  fondation  de  la  couiuiuiie  de  Milan. 
Mais  c'était  au  service  des  |)auvrcs  qu'il  aimait  surtout  à  mettre 
à  |irolit  les  heures  de  répit  que  son  mal  lui  a(  tordait  |)arfois.  Il 
se  plaisait  a  visiter  les  Conférences  de  Sainl-Vincent-de-Paul  des 
villes  de  Toscane,  à  les  animer  de  son  zèle,  à  leur  inculquer  les 
naines  tradition*  de  l'Œuvre. 


irkdlrk;  <^zA^Aw.  47 

Ce  l'ut  à  l'Antignano ,  village  proche  de  Livournc  ,  qu'il  reçut 
les  dernières  secousses.  Un  moment  il  avait  paru  renaître  au- 
près de  cet  air  viviliant  de  la  mer  qui  si  souvent  lui  avait  été 
propice;  mais  bientôt  il  fallut  renoncer  à  toute  illusion.  Aussi 
bien ,  dès  longtemps  ne  s'en  faisait-il  point  lui-même.  Le  23 
avril,  il  écrivit  son  testament,  ilonl  nous  aimons  à  reproduire  ces 
quelques  passages;  ils  résument  tout  l'homme. 

Jixlrail  du  Irslamcnt  olographe  de  M.  Ozanam,  décédé  à  Marseille,  le  jour 
de  la  fêle  de  la  Nativité  de  la  très-sainte  Vierge,  le  8  septembre  1853. 

Au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  —  Ainsi  soit-il. 

Aujourd'hui,  25  avril  18'j5,  au  moment  où  j'accomplis  ma  quarantième  an- 
née, dans  les  inquiétudes  d'une  maladie  grave,  soutirant  de  corps,  mais  sain 
d'esprit,  j'ai  écrit  en  peu  de  mots  mes  dernières  volontés,  me  proposant  de 
les  exprimer  plus  complètement  quand  j'aurai  plus  de  force.... 

Je  remets  mon  âme  à  Jésus-Christ  mon  Sauveur  ;  etîrayé  de  mes  péchés, 
mais  confiant  dans  l'infinie  miséricorde,  je  meurs  au  sein  de  l'Église  catho- 
lique, apostolique  et  romaine.  J'ai  connu  les  doutes  du  siècle  présent,  mais 
toute  ma  vie  m'a  convaincu  qu'il  n'y  a  de  repos  pour  l'esprit  et  le  cœur  que 
dans  la  foi  de  l'Eglise  et  sous  son  autorité.  Si  j'attache  quelque  prix  à  mes 
longues  études,  c'est  qu'elles  me  donnent  droit  de  supplier  tous  ceux  que 
j'aime  de  rester  fidèles  à, une  religion  où  j'ai  trouvé  la  lumière  et  la  paix. 

Ma  prière  suprême  à  ma  famille  ,  à  ma  femme,  à  mon  enfant,  à  mes  frères 
et  beaux-frères,  à  tous  ceux  qui  naîtront  d'eux ,  c'est  de  persévérer  dans  la 
foi,  malgré  les  humiliations,  les  scandales,  les  désertions  dont  ils  seront  té- 
moins. 

A  ma  tendre  Amélie,  qui  a  fait  la  joie  et  le  charme  de  ma  vie,  et  dont  les 
soins  si  doux  ont  consolé  depuis  un  an  tous  mes  maux ,  j'adresse  des  adieux 
courts  comme  toutes  les  choses  de  la  terre.  Je  la  remercie,  je  la  bénis  et  je 
l'attends.  Au  ciel  seulement  je  pourrai  lui  rendre  autant  d'amour  que  je  lui 
en  dois.  Je  donne  à  mon  enfant  la  bénédiction  des  patriarches,  au  nom  du 
Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Il  m'est  triste  de  ne  pouvoir  travailler  plus 
longtemps  à  l'œuvre  si  chère  de  son  éducation,  mais  je  la  confie  sans  regret 
à  sa  vertueuse  ettrèsaimée  mère.... 

Parmi  les  legs  pieux  se  trouve  celui-ci  : 

Je  lègue  deux  cents  francs  aux  pauvres  de  la  Conférence  de  Saint-Vincent- 
de-Paul  de  la  paroisse  Saint-Germain-les-Prés,  cent  francs  au  Conseil  général 
de  la  Société.  Mes  confrères  savent  que  je  voudrais  faire  plus. 

Je  remercie  encore  une  fois  ici  tous  ceux  qui  mont  rendu  service.  Je  de- 
mande pardon  de  mes  vivacités  et  de  mes  mauvais  exemples.  Je  sollicite  les 
prières  de  tous  les  miens ,  de  la  société  de  Saint- Vincent-de-Paul ,  de  mes 
amis  de  Lvon. 


^trs  FREDCMr    OZÀNAV. 

Ne  VOUA  laisses  pas  ralentir  |tar  ceux  qui  vous  diront  :  lletl  au  eiel.  Priez 
toujours  pour  i-clui  qui  vous  ainit*  bcau(-ou|i,  niais  qui  a  beaucoup  prcbé.  Aidé 
lie  vos  sii|)|ilii-ati(iiis  ,  cIuts  bons  amis ,  jf  *)uiUcrai  la  li'm*  a\e(v  lu.iins  de 
craiiiti*.  J  espère  fermenienl  «lur  nous  ne  nous  st'parcrons  point,  et  que 
je  ri'Sli'  a\ec  vous  juMiu'à  ce  que  vous  \riiicr. à  moi. 

Que  sur  vous  tous  soil  la  bénédiction  du  Père,  du  Fils  et  du  Sainl-Ksprit. 
Ainsi  soil-il. 

Fisc,  le  23  avril  1853.  Signé  :  A.  F.  Ozasam. 

Aprt'S  avoir  arrnmpli  <  <■  (Itvuir.  !••  in:ilado  ne  son^'ra  plus 
(ju'à  se  pitpanT  à  la  mori.  On  pnil  dirj*  «jirO/.aiiam  a  maiiUrsié 
dans  tout»'  sa  grandeur  le  caractèrr  du  chrétien  aux  prises  avec 
l'adversité  et  les  soulFrances.  Il  avait  de  (es  délicatesses  de  con- 
science bien  rares,  à  l'ej^ard  d«'s  personnes  (|ui  avaient  pu  éprou- 
ver les  vivacités  du  malade.  Il  se  repentait  m^iiie  de  ces  frapi- 
lilés  que,  vu  l'infirmité  de  notre  nature,  il  esl  bien  dilTicile 
d'éviter.  Toujours  en  prt'sence  de  Dieu,  il  n'avail  de  pensée  que 
pour  le  ciel  ei  pour  sa  famille  ipii  l'erilourail.  Même  sur  ce  lit 
de  douleur,  rpi'il  ne  quittait  plii>,  il  s'elForçail  de  travailler  en- 
core. Il  faisait  des  vers.  Lui  aussi,  à  toutes  les  »po(pu>s  de  sa 
vie,  il  s'était  laissé  aller  à  ce  (ju'il  appelaij,  nous  l'avons  vu,  la 
faiblesse  des  cœurs  passionnés,  il  prenait  plaisir  à  exprimer  en 
ce  lang-age  les  joies  de  la  famille  et  ces  élans  chaleureux  de 
l'âme  (pi'il  savait  si  bien  rendre.  On  conserve  de  lui  un  recut'il 
«les  passages  des  Saintes  Kcriiures  (juil  avait  juges  les  plus  ap- 
propriés aux  besoins  (iiui  malade. 

«Jamais,  noiisécrivait  son  frère  ledocleur  Charles Ozanam,  ac- 
■•  couru  de  Paris  pour  l'assister  à  ces  moments  suprêmes,  ou  ne 
»vil  cM'ur  |)lus  ardent,  plus  tendre  envers  Notre  Seigneur.  Un 
»  soir  cpiil  ei;iii  iriste  ei  que  je  cherchais  à  dissiper  ce  nuage, 
o  il  me  repondit  :  Ah  !  mon  cher  frère,  sans  doute,  je  suis  triste, 
«mais  c'est  une  tristesse  bien  douce  en  même  lem|ts  qu'ambre. 
•  Lorsque  je  songe  d  mespé-chés,  et  qu'ils  sont  la  cause  des 
B  souffrances  de  Notre  Seigneur  dans  sa  |.assion,  je  ne  saurais  rc- 

»  tenir  mes  larmes,  el  il  se  mil  à  pleurer  abondamment 

■  Mon  p;uivrc  frère  désirait  ardemment  revoir  Paris  el  ses  amis. 
«Dès  qu'il  fut  possible,  le  retour  fui  résolu.  Nous  quitt.lmes 
»  l'Autignano  le  dernier  jour  d'août.  En  sortant  de  la  maison 
•.pour  monter  en  voiture,  Frédéric  6ta  son  chapeau,  cl  Icvani 


FRÉDÉHIC    OZAKAM.  49 

»  les  mains  au  ciol ,  il  s'écria  :  Mon  Dieu ,  je  vous  remercie  de 
»  toutes  les  croix,  de  toutes  les  souflVanccs  que  vous  m'avez  en- 
»  voyécs  dans  celte  maison ,  acceptez-les  pour  le  salut  de  mon 

»  âme 

La  traversée  l'ut  bonne;   mon  frère  avait  un  lit 

»  sur  le  pont.  Il  prenait  plaisir  à  considérer  les  beautés  de  la 
»  mer,  aussi  calme  qu'un  lac,  et  la  côte  de  Corse,  près  de  la- 
»  quelle  nous  passions.  En  vue  des  rives  de  la  Provence,  le  malade 
»  fut  saisit  d'une  grande  joie;  mais  arrivé  à  Marseille  ,  il  tomba 
»  tout  à  coup  dans  une  extrême  faiblesse.  Il  fallut  renoncer  à  al- 
»  1er  plus  loin.  Il  reçut  les  derniers  sacrements  de  l'Église  avec 
»  une  entière  connaissance ,  répondant  lui-même  aux  prières  du 
»  prêtre  ;  puis  il  s'assoupit ,  et  ce  sommeil  dura  jusqu'à  la  fin.  » 

Frédéric  Ozanam  est  mort  le  8  eptembre,  jour  de  la  Nativité 
de  la  Sainte  Vierge.  Sa  dépouille  mortelle  reçut  d'abord  les  fra- 
ternels bonneurs  des  membres  de  la  Société  de  Sainl-Vincenl- 
de-Paul  de  Marseille.  A  Lyon,  il  fallut  s'arrêter  pour  satisfaire 
la  piété  de  nos  confrères  encore  et  des  nombreux  amis  du  défunt. 
A  Paris ,  les  funérailles  ont  été  célébrées  dans  l'église  de  Sainl- 
Sulpice ,  au  milieu  d'un  immense  cortège  de  parents,  de  mem- 
bres de  Sainl-Vincent-de-Paul ,  de  prêtres,  de  professeurs  de 
Facultés,  de  savants  de  tous  les  ordres.  Après  la  cérémonie,  le 
cercueil  a  été  déposé  provisoirement  dans  les  caveaux  de  l'église, 
les  membres  de  la  Société  de  Saint-Vincent-de-Paul  de  Lyon 
ayant  exprimé  le  désir  de  voir  revenir  au  milieu  d'eux  ces  pré- 
cieux restes ,  et  l'autorisation  nécessaire  n'étant  pas  encore  ac- 
cordée. M.  Victor  Le  Clerc  ,  le  doyen  de  la  Faculté  des  lettres, 
se  fit  le  noble  interprète  des  sentiments  de  l'assemblée  en  pro- 
nonçant un  discours  dont  nous  ne  saurions  dire  autre  cbose ,  si 
ce  n'est  qu'il  fut  digne  de  celui  qui  l'inspira  et  l'écho  sympathi- 
que des  regrets  qui  remplissaient  tous  les  cœurs. 

Pour  nous  ,  jetant  un  dernier  regard  sur  cette  carrière  si  glo- 
rieusement remplie  par  le  dévouement  et  le  travail,  et  nous 
adressant  plus  particulièrement  aux  membres  de  la  Société  de 
Saint-Vinccnt-de-Paul  qu'il  édifia  pendant  vingt  années  par  ce 
zèle  charitable  qui  pour  lui  était  une  seconde  nature,  nous  les 
adjurons  de  ne  point  faillir  à  un  si  grand  exemple.  Ne  laissons 

4 


50  rnÉDÉRlC  OZAîlA». 

pas  piTJr  une  mémoire  si  chère.  Dans  toaics  les  conditions,  no 
s'est-il  pas  montré  un  modèle?  Apprenons  avec  lui  comment  on 
foule  aux  pieds  l'éf^'oisme,  le  respect  lium:»in,  la  cupidité  sordide; 
comment  un  liumme  aux  prises,  autuiiicjue  les  moins  favorisé'S 
d'entre  nous,  avec  les  dillicultés  de  la  vie,  a  su  concilier  dans  une 
admirable  mesure  les  devoirs  du  [ȏre,  de  l'ami,  du  <  iloy<'n,  avec 
les  strictesexigeucos  de  sa  conscience  relij,'ieuse.  Admirons  surtout 
qu'étant  un  maître  de  la  science,  un  homme  hors  ligne  en  toutes  cho- 
ses, il  ait  conservé  dans  sesliaisonsavec  le  monde  celte  simplieilé, 
celte  modestie,  cette  in^'énue  franchise,  cette  candeur  de  l'âme 
qui  rendaient  son  commerce  si  attrayant.  Il  en  est  qui  déplurent 
la  perte  du  savant ,  les  travaux  inachevés,  un  avenir  si  riche  de 
promesses,  une  existence  tianehée  au  moment  où  elle  arrivait  à 
la  i^loiro,  aux  honneurs,  à  toutes  les  visées  de  la  plus  h'-j^itime 
ambition.  Certes  il  y  a  là  des  motifs  pour  d'inexprimables  re- 
},'rets ,  et  ce  serait  peut-être  le  lieu  de  s(^nder  le  mystère  de  ces 
existences  contemporaines  sitôt  ravies  à  l'Hylise  militante  dont 
elles  faisaient  la  force  :  Mdhler,  Balmès,  Donoso-Cortès  et  tant 
d'autres.  Bénissons  plutôt  la  main  qui  frappe,  en  nous  efforvani 
de  pénétrer  ses  conseils.  Sachons  voii'  en  celui  (pii  fut  nritre  guide 
coniliien  (rd'uvres  plus  nu-ritoires  ipie  ne  lecherche  pas  la  célé- 
brité mondaine.  «  La  société  au  ujilieu  de  laquelle  nous  vivons,  »  dit 
M.  Lenormant  dans  les  paroles  si  expressives  qu'il  prononça  au- 
près du  lit  funèbre  d'0/.anam,  «  [larle  sans  cesse  de  citoyens  uti- 
»  les;  je  n'en  connais  pas  de  plus  utiles  qu'un  homme  (|ui ,  par 
»  sa  parole  et  ses  écrits,  a  maintenu  l'élévation  de  l'esprit  et  la 
>  pureté  des  sentiments,  le  dévouement ,  la  ;,'<'n(''rosit(' ,  le  dc-sin- 
»  téressement  dans  plus  d'Ames  (ju'aiK  un  do  ceux  (jtii ,  à  notre 
•  époque,  ont  rec  ii  une  part  dans  la  direction  de  la  jeunesse.  » 
Assurément  il  ne  faut  pas  luccoiniailre  ce  qu'il  y  a  de  valem- 
dans  ces  hommes  considérables  de  la  linance  et  de  l'industrie, 
dont  on  voudrait  faire  les  pivots  de  l'ordre  social.  Mais  d'a- 
voir été  un  savant  de  |>remier  ordre  ;  d'avoir  influé  sur  la  di- 
rection des  doetrines;  d'avoir  pesé  rrune  autorité  prépondé- 
rante dans  la  lutte  contre  le  niai;  d'avoir  honoré  les  lelties  par  le 
culte  sans  uielan^'e  du  Mai  ei  du  beau;  d'avoir  apaisé  des  pas- 
sions dans  les  cœurs  en  les  tournant  vers  la  source  imnmable  de 


FRÉDÉRIC  OZAN\».  51 

toute  sagesse;  d'avoir  enfin  manifesté  le  caractère  d'une  existence 
fidèlement  partagée  entre  les  œuvres  de  miséricorde  et  les  con- 
quêtes dans  le  domaine  de  la  connaissance  :  sont  les  qualités  d'une 
âme  grande  et  qu'il  faut  estimer  à  un  bien  plus  haut  prix.  Ceux- 
là  sont  des  hommes  complets;  ils  passent  véritablement  à  tra- 
vers le  monde  en  faisant  le  bien  :  ils  sont  le  ciment  nécessaire 
qui  préserve  la  société  ;  à  leur  puissance  personnelle  s'ajoute  la 
prérogative  d'engendrer  de^  âmes  à  la  vie  intellectuelle  :  or 
cette  fécondité  dans  l'ordre  des  idées  est  le  signe  de  la  supé- 
riorilé  la  plus  éminente.  Voilà  les  solides  mérites  devant  Dieu  et 
devant  les  hommes.  Et  s'il  est  à  regretter  qu'Ozanam  soit 
mort  avant  que  les  académies  se  soient  emparées  de  son  nom, 
avant  que  le  siècle  ait  mis  le  sceau  à  sa  renommée,  ne  faut-il  pas 
voir  des  motifs  de  consolation  dans  cette  gloire  plus  haute  et 
aussi  plus  sûre  qui  devient  la  récompense  d'une  vie  honorée  par 
l'exercice  de  toutes  les  vertus?  Gardons  la  parole  de  son  testa- 
ment; comme  lui,  soyons  fidèles  à  l'Église,  car  être  fidèle  à  l'É- 
glise, c'est  être  fidèle  à  l'honneur  ainsi  qu'à  la  vraie  science  et  à 
l'idéal  de  tout  bien  parfait. 

Edouard  DUFRESNE. 


Ql'ELQl  ES  DÉFAl'TS 

DES  (,HRKTIE\S  D'AWdl'nD'IllI , 


Par  l'auliMir  du  .}îanagc  au  point  de  vue  ckrétirrt .  M"  '•  .i.md'iw 
Agi^nor  de  (ïasparin  (i). 


Esi-ce  une  étude  de  mœurs  ?  csi-ce  uu  examen  de  conscience  ? 
Voilà  (  c  que  nous  nous  sommes  domandt'  en  parcoiiranl  \o  nou- 
vel ouvra^'c  de  M""  do  Gasparin.  Qih'I  <ju'fn  soil  le  caraclèi'e, 
ou  légèrement  satyrique,  ou  sinqtlcmonl  religieux,  toujours  esl- 
il  que  nous  lui  devons  un  portrait  fort  piquant  de  la  société  pro- 
testante. 

Avec  une  perspicacité  et  une  justesse  de  coup  d'œil  remar<|ua- 
hles,  l'anteurmet  à  nu  et  dissccpic  toutes  les  faiblesses,  toutes  les 
misères,  tontes  les  tristesses,  toutes  les  impuissances  du  proies- 
tantisme.  Ce  sont  des  aveux  qui  peuvent  être  prec  ieux  à  recueil- 
lir. Mais  nous  doutons  que  ces  confidences  publiques  aient  reçu 
l'assentiment  du  malade.  Si  on  l'avait  consulté ,  il  est  probable 
qu'il  se  serait  oppost-  au  /èle  (pielqiic  peu  indiscret  de  son  «loc- 
teiir. 

M"*  de  Gasparin  a  beau  protester  contre  «  toute  interprétation 
»  maligne  <pie  le  monde  V(uidrait  donner  à  ses  observations;  • 
elle  a  beau  nous  assurer  «  qu'elle  a  presque  toujours  été  son 
■  propre  modèle;  »  et  qu'en  peignant  ses  frères,  elle  a  >oulu  se 
peindre  elle-même  ;  —  toutes  ces  raisons  ne  consoleront  que  iné_ 

(i)  l'n  \ol.  in  t'i.  Pari»  l'I  (•(■ilinc,  IHoô. 


QIJELQES  DÉFAUTS,   ETC.  53 

diocromenl  ses  frères  ;  cl  on  lui  pardonnera  diflicilement  d'avoir 
ainsi  trahi  des  secrets  de  famille  iju'il  <'ût  été  peut-être  plus  cha- 
ritable de  ne  pas  livrer  aux  profanes  regards  des  étrangers. 

«  Nous  éprouvons  tous  plus  ou  moins  le  besoin  de  nous  faire 
»  le  directeur  d'autiui ,  »  avoue  M™"  de  Gasparin.  «  Et  puis ,  » 
ajoute-t-elle  plus  loin,  «  il  y  a  une  certaine  malice  innée  qui  trouve 
»  sa  satisfaction  à  soumettre  le  prochain  au  régime  des  amènes 
«pilules.  »  Est-ce  là  ce  qui  a  déterminé  l'auteur  des  Défauts? 
Cette  question  est  trop  délicate  pour  que  nous  nous  hasardions 
à  l'aborder.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  les  pilules  n'ont 
pas  été  du  goût  de  tout  le  monde,  et  que  c  le  prochain,  »  dit-on, 
n'a  pas  reconnu,  comme  il  le  devait,  le  zèle  officieux.de  THippo- 
crate  qui  s'intéresse  si  vivement  à  sa  santé. 

D'ailleurs,  soyons  justes,  ce  zèle  est  bien  un  peu  vif,  un  peu 
grondeur,  tant  soit  peu  amer.  Et  l'homme  est  ainsi  fait,  qu'il 
n'aime  pas  à  accepter  sans  regimber  une  direction  qui  s'impose 
avec  un  ton  de  supériorité  un  peu  trop  marqué.  II  est  vrai  que 
M"*  de  Gasparin  ne  s'adresse ,  comme  elle  a  soin  de  nous  en 
prévenir,  ".  qu'à  des  chrétiens,  et  à  des  chrétiens  décidés  et  sincè- 
ï  res.  Détournées  de  leur  destination,  nous  dit-elle,  ces  observa- 
»  lions  porteraient  à  faux;  bien  plus,  elles  pourraient  devenir 
»  funestes!  »  Ceci  est  inquiétant.  Mais  admettons,  pour  éloigner 
tout  pronostic  fâcheux,  que  ces  observations  ne  seront  pas  «  dé- 
»  tournées  de  leur  destination.  »  S'ensuit-il  que  ces  chrétiens 
décidés  et  sincères  reconnaîtront  à  M"^  de  Gasparin  le  droit  de 
les  juger?  Ne  contesteront-ils  pas  sa  mission?  Admettront-ils  la 
justesse  de  ses  observations?  Ne  sont-ils  pas  eux-mêmes  les 
meilleurs  juges  de  leurs  actes  ou  de  leurs  opinions? 

Pour  nous,  qui  sommes  désintéressés  dans  le  débat,  nous 
avouerons  que  ces  objections,  qui  doivent  se  présenter  tout  na- 
turellement à  l'esprit  du  lecteur  protestant,  nous  semblent  assez 
fondées  pour  ôter  toute  influence  aux  avis  de  M™*  de  Gasparin. 
Voilà ,  en  effet,  la  grande  erreur  où  tombent  tous  les  protestants  qui 
se  mêlent  de  diriger  ou  d'éclairer  leur  frères.  Ils  oublient  con- 
stamment que  l'essence  du  protestantisme  est  l'inspiration  indi- 
viduelle ,  et  que  du  moment  qu'il  y  a ,  d'un  côté ,  déploiement 
d'autorité,  de  l'autre  soumission,  et  par  conséquent  aveu  d'in- 
fériorité, l'esprit  de  la  Réforme  est  entièrement  faussé. 


54  QlELQl'ES  DÉFAUTS 

Etrange  inrons«'(|iienir  <lo  IVsprit  himiuin  !  Comment  !  vous 
aurez  d'abord  surexcité  l'orgueil  en  brisani  tous  les  liens  de  To- 
béissance;  vous  aurez  favorisé  lous  les  insiincls  de  la  révolte  en 
vous  aitaquani  à  ce  qu'il  y  a  de  [)liis  au},Misie  oi  de  plus  sacré  sur 
la  terre,  à  l'autorité  déléguée  par  le  Fils  de  Dieu,  et  j)uis  vous 
prélendez  que  voire  voix  soil  écoutée,  lorsque  vous  vous  présen- 
tez comme  le  seul  interprète  infaillible  de  l'Esprit  Saint?...  — 
C'est  au  nom  de  la  Bihie,  dites-vous.  —  C'est  au  nom  de  votre 
Bible,  a  vous;  mais  votre  Bible  est-elle  celle  de  votre  frère?  Au 
nom  de  sa  Bible,  ce  frère  repoussera,  de  toute  l'énergie  de  son 
orgueil  froissé,  le  joug  (jue  votre  main  impuissante  voulait  im[>o- 
ser  à  son  ind«''peiidance. 

Maintenant,  en  mettant  à  part  l'opportunité  de  celte  publica- 
tion, et  en  ne  consultant  (jue  nos  impressions  personnelles,  nous 
dirons  (jue  la  lecture  de  cet  ouvrage  nous  a  profondément  attris- 
tés. Il  est  douloureux  de  voir  le  découragement ,  l'ennui ,  Pin- 
quiétude  d'esprit  qui  oppresse  ces  pauvres  ûmes  essayant  en 
vain  de  vanter  le  bonbeur  de  leur  indépendance,  et  ne  pouvant 
se  faire  illusion  sur  le  mécontentement  (jui  les  accable.  Écoutez, 
ces  aveux  : 

«  C'est  peut-^'lrc  à  ce  mécontentement  de  nous-mêmes,  dou- 
»  blé  d'impuissance,  qu'il  faut  rattacber  la  couleur  essentiellement 

*  morose  de  notre  piété  moderne. 

»  I^  plainte  babite  nos  lèvres,  la  tristesse  oppresse  notre  cœur  ; 
»  lesgémissemenls  soidUcnt  dans  nos  voiles.  IMulôt  que  de  ne  nous 
»  lamenter  [>oint,  nous  pleurons  au  besoin  sur  nos  joies.  Nous 
»  man'bons  à  pas  tragi(]ues,  battus  de  l'aile,  alanguis,  ennuyés, 
o  dégoûtés  souvent  des  autres,  mille  fois  plus  de  nous-mêmes; 
»  nous  promenons  d'un  bori/.on  à  l'autre  un  regard  découragé  ; 

■  l'avenir  nous  épouvante,  le  présent  nous  bumilie,  le  passé  nous 
»  accable;  rameaux  flétris,  nous  pendons  le  long  de  l'arbre,  et 
o  le  monde,  à  nous  voir  si  destitués  de  sève,  se  sent  plus  que  ja- 

■  mais  repoussé  loin  <le  Cbrist.  .Nous  avons  beau  |)arler  de  notre 

*  boidieur,  nous  en  parlons  d'un  loii  lamentable  ,  et  le  monde  ne 

*  nous  croit  pas.  » 

Ce  tableau  est  peu  réjouissant,  cl  il  a  fallu  quelque  courage  à 
M""  de  Gaspiirin  pour  faire  de  pareilles  confidcrnces.  Souvent, 


DES  CURÉTIEMS  d'aUJOURd'uUI.  55 

dans  le  cours  de  son  ouvrage,  l'auteur  revient  sur  cette  tristesse 
invincible  qui  est,  en  eflet,  un  des  traits  caractéristiques  du  pro- 
tesianiisme  : 

«  A  force  d'alamhiquer  noire  air,  dit-elle,  nous  nous  sommes 
»  fait  une  atmosphère  appauvrie  où  nous  étouffons.  Nous  avons 
»  perdu  la  naiveu-  de  l'esprit,  ce  charme  des  grandes  intelligen- 
»ces  ,  ce  don  de  s'amuser  d'un  rien  qu'avaient  nos  pères  et  qui 
»  mettait  tant  de  soleil  dans  leur  vie...  11  y  a  dans  l'air  un  décou- 
»ragenient,  une  puissance  de  dégoût  que  nous  subissons  et  qui 
^  achève  de  nous  ùter  la  santé  morale!  » 

«Notre  route,  ajoute-t-elle  encore,  ressemble  trop  souvent  à 
»  un  tunnel  bien  noir  où  pendent  quelques  lourdes  lanternes  fu- 
»  meuses....» 

0  peuples  de  l'Italie ,  insoucieux  de  votre  avenir,  écoutez  ces 
aveux!  Voilà  la  vie  que  l'on  vous  apportera,  si  vous  vous  lais- 
sez séduire  par  une  propagande  éhontée  I  Voilà  les  trésors  que 
l'on  vous  offre  en  ('change  de  votre  soleil,  de  vos  fêtes,  de  vos 
joies  naïves,  de  votre  bonheur  ! 

Écoutez  encore  : 

«  On  s'est  sevré  de  la  vie ,  on  s'est  en  quelque  sorte  bâti  un 
»  couvent  bien  muré,  bien  grillé,  on  s'y  est  claquemuré,  et  puis, 
»  cela  fait,  on  s'étonne  d'être  étiolé  comme  une  plante  qui  croît 
»  en  cave. 

»  Au  lieu  de  nous  enfouir  dans  nos  langueurs ,  dans  nos  mal- 
»  saines  délicatesses  de  conscience,  faisons  volte-face  vers  l'ac- 
»  tion.  Reprenons  possession  de  tout  ce  que  Dieu  nous  donne. 
»  Revenons  à  l'obéissance  enfantine.... 

»  Nous  n'aurons  plus  de  figures  allongées,  plus  deux  yeux  ter- 
»  nis  qui  errent  sans  joie  sur  le  monde,  plus  de  ces  âmes  épou- 
»  vantées  qui  se  font  crime  de  tout,  même  de  contempler  la  cam- 
I  pagne  ou  de  respirer  une  fleur!...  » 

N'est-il  pas  vrai  que  l'on  se  sent  comme  pris  par  le  frisson  en 
lisant  ces  lamentables  descriptions?  Sont-ce  là  les  fruits  du  chris- 
tianisme? De  bonne  foi ,  croit-on  que  ces  langueurs  malsaines  et 
maladives  soient  le  produit  du  pur  Évangile? 

M"'  de  Gasparin  ne  signale  pas  avec  moins  de  courage  et  de 
vérité  cet  état  fébrile  d'inquiétude ,  cette  agitation  de  l'esprit , 


56  OIEI.Q LES  DÉFAITS 

celte  inconslàncc  porpriuelle  tropinions,  qui  m)iii  hi  pit>u\r  si 
évidente  de  rinconsistance  des  doctrines. 

«  i\ous  Potions,  portés  çà  et  là  par  tout  vent  de  doctrine  (feph. 

■  IV,  4)....  Nous  manquons  absolument  de  discernement  et  de 
»  critique.  Je  ne  sais  pas  d'erreur  assez  folle  (|ui  ne  trouve  ou- 

■  verte  à  deux  ballants  la  porte  de  notre  ime  que  ne  garde  plus 
»  l'amour  de  la  M-rité. 

»|Uneeliûse  le  prouve  qui  fait  notre  honte,  c'est  le  facile  accès 
>  quant  dans  notre  esprit  toutes  les  fausses  doctrines ,  dans  nos 
»  E|,'lises  toutes  les  sectes.  » 

El  plus  loin  :  «  ....Si  quelqu'un  vient  nous  prreher  un  autre 

■  Jésus  que  celui  qu'annonçait  Paul,  un  autre  Esprit  que  l'Esprit 
1  qui  inspirait  Pierre,  une  autre  bonne  nouvelle  que  la  nouvelle 
»  proelaméc  par  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament ,  nous  le  svp- 
•  portons  (2  Cor.  \1,  4).  Ce  «juc  nous  ne  supportons  pas,  e'est  la 
»  vérité  bibliijue.  » 

Il  faut  avouer  <jue  M""  i\o  Gasparin  ne  elierehe  pas  à  dissimu- 
1«T  le  mal.  Elle  met  coniaf^eusement  le  doi^t  sur  la  plaie.  Mais 
s'agit-il  de  remonter  au  principe  de  la  maladie,  voilà  où  nous 
croyons  que  sa  science  l'abandonne.  Quelles  sont,  en  eflet ,  les 
causes  qui  ont  amené  un  si  déplorable  étal?  Selon  M""  de  Gas- 
parin (si  nous  avons  bien  saisi  sa  penst'c),  ces  causes  peuvent  se 
résumer  en  une  seule  :  Vesprit  de  soumission  ou  d'obéissance,  qui 
est,  à  ce  qu'il  paraît,  le  di'faut  caractéristique  des  protestants 
de  nos  jours. 

Nous  avouons  que  nous  ne  nous  en  étions  pas  encore  doutés. 

Ainsi  donc ,  c'est  par  la  soumission  que  périssent  les  proles- 
tants; c'est  l'obéissance  qui  perd  le  ])rolestaniisme.  o  L'obéis- 
sance! »  s'écrie  M""  de  Gasparin  dans  un  sainl  iiansporl  d'indé- 
pendance blessée;  «  l'obt'issance  pour  obéir,  «presl-ce  que  cela 
B  veut  dire?  (^elle  obéissancr-h'i  est  une  nou\elle  venue  :  on  no 
»  la  rencontre  point  dans  la  Hible,  on  ne  la  ren(  ontn'  dans  l'iiis- 
•  toirc  ni  des  patriarches,  ni  «les  prophètes,  ni  des  Apùtres  :  On 
»  la  rencontre  dans  l'histoire  des  moines!  » 

€  Nous  périssons  par  ne  pas  obéir,  dit-on?  On  se  trompe! 
»  nous  périssons  par  obéir  trop,  par  ob«''ir  en  aveugles;  nous 
»  périssons  par  man(|iif  île  i  tsist;incc,  par  man(|ue  de  caractère, 


DES  CHRÉTIENS  d'aUJOURd'hI'I.  57 

»  par  ne  pas  savoir  dire  non,  par  efTaceincnt,  par  ploiement  de- 
»  vanl  loule  autorité  légitime  ou  illégitime,...  par  être  tout  le 
»  monde,  excepté  nous  !  »  On  n'accusera  pas,  du  moins,  M"*  de 
Gasparin  de  servilité  dans  son  style.  Ce  style  est  bien  lui-même, 
et  on  ne  peut  certes  lui  reprocher  ni  l'effacement,  ni  le  ploiement 
devant  l'autorilé  de  la  langue. 

Ainsi  c'est  convenu.  C'est  cette  pauvre  obéissance  qui  est  le 
bouc  émissaire  chargé  de  tous  les  péchés  du  protestantisme.  En 
effet,  selon  M"**  de  Gasparin,  c'est  la  soumission  à  l'opinion  des 
frères ,  la  soumission  à  des  usages  dont  on  n'a  pas  osé  secouer 
le  joug,  qui  donne  naissance  au  formalisme;  c'est  la  soumission 
aux  conseils  des  pasteurs,  aux  interprétations  reçues,  qui  tue  la 
la  liberté  de  l'interprétation  individuelle,  et  réduit  le  chrétien  à 
n'être  plus  qu'un  faible  et  tremblant  esclave  «  asservi  aux  con- 
î  sciences  de  tyrans,  trembleurs  comme  lui  devant  d'autres  maî- 
»  très!  »  En  un  mot,  les  prolestants  sont  «papistes  dans  l'âme  1  » 
Voilà ,  nous  n'en  doutons  pas ,  le  reproche  qui  sera  le  plus  sen- 
sible aux  malheureux  frères  de  M""^  de  Gasparin. 

C'est  très-bien  ;  mais  en  attaquant  ainsi  ce  funeste  esprit  de 
soumission  à  l'opinion  des  frères,  M™®  de  Gasparin  ne  craint-elle 
pas  de  prévenir  ses  lecteurs  contre  elle-même,  en  les  mettant 
en  garde  contre  les  excellents  conseils  qu'elle  leur  donne?  N'a- 
t-elle  pas  vu  qu'elle  fournissait  ainsi  des  armes  qu'on  tournerait 
contre  elle-même? 

On  nous  dira  que  cela  ne  nous  regarde  pas  ;  et  on  aura  par- 
faitement raison. 

Mais  enfin,  quel  est  le  remède  à  tous  les  maux  déplorables 
dont  l'ouvrage  de  M"®  de  Gasparin  déroule  le  saisissant  tableau? 
«  Le  meilleur  remède,  s'écrie-t-elle  ,  l'infaillible  remède,  on  l'a 
«nommé.  Eh  bien,  oui,  c'est  la  Bible,  c'est  toujours  la  Bible!» 

Ici,  nous  l'avouerons,  nous  n'avons  pu  nous  défendre  d'une 
légère  surprise.  Eh  quoi  !  ces  chrétiens  dont  M™*  de  Gasparin 
analyse  si  spirituellement  les  défauts ,  ces  chrétiens  décidés  et 
sincères  ne  lisent  pas  la  Bible?  N'est-ce  pas  un  peu  trop  de  pré- 
somption de  la  part  de  l'auteur?  Il  est  vrai  qu'elle  ajoute  encore 
qu'elle  veut  «  la  Bible  lettre  et  non  pas  la  Bible  esprit  ;  »  ce  sont 
ses  propres  termes.  Mais  ses  frères  ne  pourraient-ils  pas  lui  ré- 


58  yi'ELytKS    DÉFAUTS 

poD(irc  qu'ils  veulent  tout  au  rebuurs ,  la  liihle  osprit,  et  non 
la  BiliU  lettre,  en  se  fondant,  avec  assez  <ra|)|»arenco  «le  raison, 
stii-  lin  texte  de  cette  rot^roe  Bible  qui  aflirnie  précisément  que  la 
lettre  tue? 

Helas!  où  irouvfi-  le  moyen  de  s'entendre  lorsqu'il  n'y  a  pas 
une  autorité  à  laquelle  on  en  puisse  appeler  !  On  cherchera  la 
paix  de  bonne  foi,  nous  le  youIods  bien  ;  mais  quelle  est  l'opiuion 
qui  voudra  céder,  lorsque  chacun,  consciencieusement,  croira 
être  dans  son  droit?  Cependant  on  sent  bien,  au  fond,  que  cet 
individualisme  est  mortel  à  la  charité,  à  l'union  après  laquelle 
chacun  soupire  :  de  là  ce  malaise,  cette  iti(|iiietude,  ce  m<*con- 
tenleiiient  (|ui  oppresse  les  âmes  et  qui  décolore  la  vie  ! 

Voilà  ce  qui  tue  le  protestantisme,  et  non  pas  cet  instinct  d'o- 
béissance contre  hquel  vous  vous  «'levé/,  si  mal  à  propos,  (-ar  cet 
instinct,  tout  fourvovi'*  qu'il  est  dans  son  a[>|)lication,  est  encore 
un  irrécusable  indice  de  la  nécessité  dune  autorite,  sentiment 
gravé  en  caractères  ineffaçables  dans  la  conscience  humaine. 

Plus  vous  vous  isoleie/,  plus  vous  vous  retrancherez  dans  l'in- 
dé|»endance  de  vos  opinions  personnelles,  plus  aussi  la  vie  <om- 
mune  se  retirera  de  ce  corps  divisé,  pour  faire  place  au  refroidis- 
sement et  à  la  rijçidilé  de  la  mort.  Si  vous  voulez  revenir  à  la 
vie,  à  la  pai\,  an  bonheur,  prêchez  l'union,  prêchez  la  fusion  et 
l'aniour,  prêchez  l'obéissance  et  la  soumission  à  une  autorité  li- 
brement acceptée,  mais  respectée  et  bénie,  parce  qu'elle  émane 
<le  Dieu  et  non  du  caprice  <les  hommes. 

Nous  n'avons  pas  eu  riiileniion  de  faire  une  analyse  de  l'ou- 
vrage de  M""  de  Gasparin.  Nous  nous  sommes  bornés,  on  le  voit, 
à  exposer  rapidement  quelques-unes  de  nos  impressions,  sans 
entrer  dans  un  examen  raisonné. 

Nous  l'avons  dit  :  on  ne  peut  contestera  M""  de  Gasparin  nn 
véritable  talent  d'observation;  elle  ne  manque  ni  de  finesse,  ni 
de  justesse  dans  ses  appréciations.  Nous  rendons  é^alenu'nt  hom- 
mage à  la  chaleur  de  ses  convictions,  et  nous  croyons  que  le 
courage  dont  elle  a  lait  |)renve  pour  combattre  les  travers  de  ses 
amis,  ne  peut  prendrt;  sa  source  que  dans  nn  sincère  désir  du 
bien.  Mais  nous  (  hcrcherions  en  vain  dans  son  ouvrage  ce  qui 


DES  CHRETIEN   d'aUJOURd'iIUI.  59 

lail  le  cliannc  des  moralistes  vraiment  catholiques,  l'onction  et 
l'indulgence.  On  rencontre  trop  souvent  dans  ce  livre  celte  hu- 
meur morose  et  chagrine  ,  ce  ton  grondeur  qui ,  comme  le  dit  si 
bien  l'auteur  lui-même,  «  donnent  au  prochain  l'envie  de  nous 
»  contredire  avant  même  de  nous  avoir  entendus.  » 

Et  maintenant,  M"**  de  Gasparin  nous  permettra-t-elle  de  sou- 
mettre à  sa  conscience  une  simple  observation?  Il  est  reconnu, 
nous  le  croyons ,  qu'un  auteur  protestant  ne  peut  se  dispenser, 
quelque  soit  le  sujet  qu'il  traite,  de  lancer  quelques  épigrammes 
d'un  goût  plus  ou  moins  douteux  ,  sur  l'Église  romaine  ,  les  er- 
reurs de  Rome,  les  idolâtries  papistes,  etc.  Nous  défions  qu'on 
nous  montre  un  écrit  protestant  dans  lequel  cet  accompagne- 
ment obligé  n'occupe  pas  une  place  importante  qui  pourrait 
être  plus  utilement  employée.  Nous  ne  prétendons  certes  pas 
obliger  les  protestants  ù  ne  pas  s'occuper  du  catholicisme.  De 
quoi  s'occuperaient-ils,  hélas  1  Mais  il  nous  semble  que  dans  un 
examen  de  conscience  comme  celui  que  M"^  de  Gasparin  a  entre- 
pris au  profit  de  ses  frères,  elle  aurait  pu  inscrire  au  nombre  des 
travers  ou  des  défauts  des  chrétiens  d'aujourd'hui,  la  tendance 
que  nous  lui  signalons.  M™®  de  Gasparin  a  incontestablement  de 
l'esprit,  de  l'originalité  (nous  prenons  ce  mot  dans  son  acception 
la  plus  bienveillante)  ;  son  style  incisif  et  tout  individuel  n'aurait 
pas  besoin  de  l'assaisonnement  vulgaire  des  diatribes  anti-catho- 
liques pour  captiver  ses  lecteurs.  Qui  sait?  Le  rejet  de  ces 
moyens  usés  donnerait  peut-être  à  son  talent  une  nouvelle  ori- 
ginalité. 

Nous  osons  même  lui  prédire  qu'en  faisant  le  sacrifice  de  cette 
mesquine  animositë,  son  cœur  éprouverait  une  satisfaction  inu- 
sitée; et  s'il  est  vrai,  comme  elle  l'assure,  qu'un  constant  esprit 
de  prière  préside  à  ses  travaux ,  ce  ne  serait  pas  sans  quelque 
douceur  qu'elle  se  rendrait  le  témoignage  d'avoir  respecté,  ne 
fût-ce  que  par  son  silence ,  celle  antique  foi  de  l'Église  catholi- 
que qui  produit  les  martyrs  et  les  saints,  et  qui  fait  le  bonheur 
de  tant  d'âmes  chrétiennes  auxquelles,  nous  l'espérons.  M"®  de 
Gasparin  serait  heureuse  d'être  unie  par  la  foi  et  par  la  charité. 

C'est  le  succès  que  nous  souhaitons  à  ses  travaux. 


MiTiATio'i  nw)  c:i:\i:vt:. 


CHHOMQIE  lŒLlGIELSE. 


Pendant  le  temps  de  l'A  vent,  M.  le  curé  de  Genève  a  chargé  M.  l'abbé  Mcr- 
millod  de  prêcher  une  série  de  Conférences  sur  les  vérités  fondamentales  de 
la  religion.  Il  était  juste  que  notre  jeune  orateur  mit  au  service  de  l'Église 
de  (icnève,  aujourd'hui  attaquée  avec  une  si  grande  violence,  la  précoce  re- 
nommée (ju'il  vient  de  conquérir  à  >'olrc-l)ame-(lcs-Victoiresde  Paris  et  dans 
les  cathédrales  de  Unuen,  d'Orléans  et  de  Bcsamon.  Dans  la  première  Con- 
férence, M.  Merniillod  a  prêché  Jésus-Christ  homme-Dieu  et  Dieu-honmie. 
Jésus-Christ,  la  plus  grande  figure  de  l'histoire,  Jésus-Christ,  le  fondateur 
de  l'Eglise  catholique,  Jésus-Christ,  le  modèle  de  la  haine  la  plus  passionnée 
et  de  l'adoration  la  plus  absolue  qui  jamais  ait  partagé  l'humanité  ;  sa  divi- 
nité, a-t-il  dit,  est  un  fait  attendu,  un  fait  prouvé,  un  fait  accepté. 

La  seconde  Conférence  a  traité  de  la  *|ucstion  de  savoir  qui  de  l'Eglise  ca- 
tholique ou  des  sectes  hérétiiincs  a  le  mieux  gardé  la  fidélité  de  la  foi  cl  de 
l'amour  h  Jésus-Christ  en  proclamant  sa  Divinité.  Ce  dernier  discours,  com- 
plètement neuf  par  le  plan,  la  disposition  des  preuves  et  les  jours  qu'il  ouvrait 
sur  les  doctrines  religieuses  à  Genève  ,  a  ému  au  plus  haut  point  l'auditoire 
qui  s'empresse  dans  notre  étroite  église.  Chacun  sentait  qu'il  avait  devant  lui 
un  cœur  vraiment  touché  et  une  intelligence  de  la  plus  réelle  distinction. 
llîUons-nous  de  <lire  qu'à  toutes  les  qualités  (pii  ornent  le  véritable  orateur, 
M.  .Merniillod  unit  la  charité  la  plus  sincère,  non  moins  que  c<^lte  juste  me- 
sure «pii  permet  de  condiattre  un  adversaire  sans  jamais  se  rendre  coupable 
envers  lui  d'aucun  déni  «le  justice.  Les  nomlircux  protestants  (|ui  \ienncnt 
entendre  les  Conférences  de  Saint-<iermain  |)eu\ent  attester  «|uc  si  M.  Mcr- 
millod  n'est  pas  venu  faire  la  glorifieatiun  du  peuple  de  Genève  et  remuer  des 
passions  mauvaises,  il  a  garde  aussi  de  se  .servir  du  mensonge  et  de  la  falsi- 
fication, ces  armes  des  causes  perdues  cl  des  orateurs  qui  prétendent  bien 
plus  il  exciter  la  libre  populaire  qu'à  prèclur  le  Dieu  d'anu)ur  et  de  bonté 
qui  est  venu  uppnrtir  la  paix  aux  hommes. 

Pour  nous,  catholiques,  rendons  gr;Wcs  à  Dieu,  car  après  nous  avoir  donné 
pendant  cin(|uanle  ans  îles  prêtres  fidèles,  dévoués  à  î'Kglise,  exemplaire» 
par  Irnr  vie  et  courageux  dans  les  tribulations  qui  ne  leur  manquent  jamais, 


CHRONIQUE  RELIGIEUSE.  61 

il  nous  envoie  ce  quîl  ne  nous  devait  pas ,  ce  qui  n'était  point  nécessaire 
assurément  pour  faire  éclater  sa  puissance ,  une  parole  éloquente  qui  attire 
à  lui  les  cœurs  par  sa  bonté  encore  plus  qu'il  ne  les  conquiert  par  la  science 
et  toutes  les  prérogatives  du  talent.  Que  notre  collaborateur  pardonne  si  nous 
parlons  de  lui  en  ces  termes  et  à  cette  place  ;  mais,  en  vérité,  il  nous  eût  sem- 
blé faillir  à  la  reconnaissance  que  lui  a  vouée  la  paroisse  de  Genève,  si  nous 
n'avions  pris  sur  nous  dcxprinier  ici  quelque  peu  des  sentiments  qui  l'ani- 
ment. D'ailleurs,  mieux  qu'un  autre  ne  sait-il  pas  que  si  Dieu  lui  a  mis  dans 
l'intelligence  de  la  force  et  dans  le  cœur  un  peu  d'amour  pour  lui,  d'autant 
plus  grande  aussi  est  sa  tâche  et  la  part  de  sacrifice  qui  peut  être  exigée  de 
sa  personne.  E....  D.... 

—  Evidemment  le  protestantisme  a  peur  ;  ses  plus  fiers  esprits,  ses  journalis- 
tes etses  hommes  politiques  ont  des  hallucinations  qui  trahissent  leurs  craintes. 
Depuis  quelques  semaines,  les  feuilles  protestantes  donnent  à  leurs  dévoués 
lecteurs  des  frissons  incroyables  en  leur  dénonçant  la  présence  de  Jésuites 
à  Genève.  A  voir  leurs  terreurs,  on  croirait  que  la  Compagnie  de  Jésus  s'est 
emparée  des  portes  de  la  ville  ;  et  pourtant  il  ne  s'agit  que  d'une  modeste  con- 
frérie de  Bonne  mort  ;  des  catholiques  se  réunissent  dans  leur  église,  ouverte 
au  public,  une  fois  le  mois,  pour  se  préparer  à  bien  mourir,  et  ils  s'engagent 
à  prier  pour  leurs  frères  décédés.  Voilà  ce  qui  épouvante  le  protestantisme 
genevois;  voilà  ce  qui  suffit  pour  effrayer  des  intelligences  livrées  au  libre 
examen  et  mettre  en  péril  la  cilé  de  Calvin.  Nous  les  remercions  de  nous  ré- 
véler ainsi  leur  esprit  et  leur  faiblesse. 

—  Le  lord-évêque  de  Vinchester,  homme  du  parti  rationaliste  de  l'église  an- 
glicane, est  venu  consacrer  la  chapelle  anglaise;  les  ministres  nationaux  et 
méthodistes  étaient  convoqués  pour  cette  cérémonie;  mais  ces  derniers  n'ont 
pas  voulu  paraître  dans  une  cérémonie  où  se  trouvait  Téglise  nationale  de 
Genève,  parce  qu'elle  est  arienne.  Ce  fait  seul  révèle  les  misères  du  protes- 
tantisme, et  quand  nous  avons  soutenu  que  les  Bibles  protestantes  étaient  fal- 
sifiées ,  nous  ne  nous  attendions  pas  que  M.  Gaussen ,  cet  adversaire  de 
M.  Combalot,  viendrait  nous  prêter  l'appui  de  ses  écrits;  nous  serons  spec- 
tateur de  la  lutte,  enregistrant  les  aveux  ;  voici  des  fragments  de  la  lettre  de 
M.  Gaussen,  ministre  méthodiste  : 

L'ÉGLISE  NATIONALE  DE  GeNÈVE  JLCÉé  PAR  LES  MÉTHODISTES.  —  «  LcS, minis- 
tres de  l'Oratoire  de  Genève,  qui  depuis  plus  de  20  ans  ont  vécu  dans  la  plus 
intime  communion  d'esprit  avec  les  chapelains  anglais  de  leur  cité,  et  qui 
même .  avant  d'avoir  établi  la  cène  dans  leur  propre  chapelle,  avaient  cou- 
tume de  l'aller  recevoir  au  service  anglican  ,  se  sont  tous  abstenus  d'assister 
le  50  août  à  la  consécration  de  la  nouvelle  chapelle.  Ils  avaient  béni  Dieu  de 
voir  s'élever  dans  leurs  murs  cet  édifice,  consacré  à  la  pure  doctrine  (1);  mais 
la  manière  dont  la  solennité  s'est  faite  leur  ayant  paru  contraire  à  leurs  prin- 
cipes de  foi  et  d'un  funeste  exemple  pour  les  troupeaux  de  Genève ,  ils  ont 

{\)  Nous  sommes  supris  de  voir  des  presbytériens  déclarer  que  l'église 
épiscopale  a  les  pures  doctrines. 


62  CUROMQt'E  FOLITIQIE. 

craint  de  |)araitrc  l'approuver  par  leur  présence  et  sont  avec  regret  demeu- 
rés h  l'écart. 

•  On  a  dit  (|u'ils  s'étaient  plaints  (|nc  l'éf^iisc  évangéliquc  n'eût  pas  été  con- 
viée ;  on  a  dit  aussi  qu'ils  avaient  objecté  contre  l'invitation  de  telle  ou  telle 
personne  ;  ces  assertions  ne  sont  point  exactes,  et  ces  raisons  n'ont  jamais 
été  les  leurs. 

»  Deux  ou  trois  mois  avant  l'ouverture  de  la  chapelle,  j'eus  l'avantage  de 
rencontrer  le  président  de  son  roniité,  i|ni  voulut  bien  me  demander  !>i,  dans 
le  cas  où  tous  les  ministres  de  (lenève  sans  distinction  seraient  imités  à  la 
cérémonie  ,  nous  nous  ferions  "icmpule  d'y  prendre  part.  —  «  Nullement , 

•  répoiidis-je ,  cliacuii  n'est  là  que  pour  soi;    nous  ne  jugeons  personne  ;  cl 

•  quant  à  moi,  quelles  que  soient  vos  invitations,  je  m'y  rendrai  avec  plaisir.» 
—  Cependant,  un  mois  plus  tard  ,  j'appris  que  la  question  avait  cntiéreiuent 
changé  de  face,  et  que  le  comité,  soumis  ù  des  influences  locales,  se  propo- 
sait d'inviter,  non  plus  seulement  des  individus,  mais  oQicielIcmcut  et 
comme  corps  ecclésiastique  ,  la  compagnie  des  pasteurs  de  (ienève,  c'esl-à- 
dirc  un  corps  qui ,  depuis  un  demi  siècle ,  mais  surtout  depuis  ôO  ans,  n'a 
cessé  de  professer  publi({ueinent  l'arianismc  dans  ses  r^téchismes ,  dans  ses 
versions  de  la  liible,  dans  sa  chaire  tlicologique  et  dans  ses  sentences  judi- 
ciaires, sans  que  rien  jamais  ait  été  rétracté.  —  Il  nous  parut  alors  é\idenl 
qu'il  y  avait  là  pour  nous  deux  devoirs  à  remplir  :  avertir  des  frères  qui  pou- 
vaient n'avoir  pas  compris  toute  la  portée  de  la  profession  qu'ils  allaient  faire  ; 
et  si,  malgré  ces  avertissements,  ils  persistaient  dans  leur  dessein,  nous  tenir 
entièrement  à  l'écart  de  leurs  démonstrations. 

Ces  deux  choses,  nous  les  axons  faites.  —  Il  y  avait,  avons-nous  dit,  trois 
manières  d'a^'ir  pour  le  comité  anghiis,  trois  également  polies:  mais  la  pre- 
mière était  indifférente  ;  la  seconde  fidèle,  tandis  que  la  troisième  n'était  ni 
l'un  ni  l'autre.  —  Si  l'on  suivait  l'une  des  deux  premières,  nous  y  assisterions 
de  grand  cœur;  si  l'on  suivait  la  dernière,  nous  nous  abstiendrions.  —  Selon 
la  première,  on  envoyait  des  billets  individuels  à  t<Hi s  les  ecclésiastiques  pro- 
testants de  (îenève,  San*  faire  de  prufession.  ni  bonne,  ni  mauvaise;  selon  la 
seeonile ,  on  écrivait  au  clergé  national  (jne  l'on  serait  heureux  de  voir  à  la 
consécration  tous  ceux  de  messieurs  les  pasteurs  qui  se  sentiraient  en  com- 
munion avec  les  saintes  doctrines  de  l'église  anglicane  ;  selon  la  dernière 
enfin  „on  invitait  ofliridlement ,  mais  sans  oucunc  expression  de  foi ,  i  la 
consécration  de  f  l'église  de  la  Trinité,  »  un  corps  dont  toutes  les  professions 
publiques  sont  anti-trinitaires,  et  l'on  avait  avec  lui,  le  même  jour,  une  as- 
semblée présidée  par  un  évéque  anglais,  pour  s'y  donner  réciproquement  la 
main  d'association.  Tlie  (M'nc\ese  (écrit  de  Genève  le  correspoiulaiit  anglais 
»  de  Brll'n  Menrngrr\  tlie  'îenevesc ,  wilh  tlic  exception  nf  a  fcw  ill  advised 
»  and  extrême  mcn,  held  ont  tlie  haml  nf  folios  slii|(  to  us.  > 

Si  nous  avions  consenti  i\  donner,  jiar  notre  présence,  la  moindre  appro 
bation  à  l'alliance  pr^claraéc  le  30  août  dans  le  service  de  la  chapelle  angl.iise, 
et  dans  rasscnd>léc  qui  la  suivit,  nous  aurions  renié  tout  notre  ministère 
passé  et  contredit  tout  le  cours  de  notre  vie;  car  c'est  pour  relever  dans 
nntre  patrie  le  drapeau  de  ta  foi  à  la  divinité  de  Jésii^Christ  que  nousa\ons 


CUnOMQUE  RELIGIEUSE.  63 

fondé  notre  Société  évangélique,  érigé  noire  Ecole  de  théologie,  construit 
notre  Oratoire  et  travaillé  25  ans;  c'est  pour  avoir  publié  que  rariauisme 
renverse  l'Evangile  par  sa  base  et  pour  avoir  établi  cette  Ecole  de  théologie 
destinée  à  faire  prêcher  la  divinité  niécoiinue  de  Jésus-Ciirisl,  que  je  fus  cassé 
comme  pasteur  avec  nion  ami  Merle  d'Aubigné  de  toutes  les  chaires  du  can- 
ton. —  Nous  ne  nous  sommes  levés  que  pour  la  doctrine  ;  jamais  pour  des 
questions  d'Eglise...  Nous  avons  même  écrit  au  Consistoire  en  d855  que  s'il 
revenait  à  la  religion  de  nos  pères,  notamment  à  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
nous  nous  trouverions  heureux  de  ranger  notre  ministère  sous  son  gouver- 
nement. —  Quand  donc  aujourd'hui  nous  improuvons  l'alliance  proclamée  le 
30  août  par  la  chapelle  anglaise,  ce  n'est  encore  que  pour  la  doctrine  ;  et  si 
la  Compagnie  des  pasteurs  rétractait  demain  ses  professions  unitaires,  et  pro- 
clamait demain  l'éternelle  vérité  du  Rédempteur,  dès  demain  nous  serions 
reconnaisfants  et  fiers,  comme  Genevois  et  comme  prolestants ,  de  tous  les 
témoignages  d'honneur  que  nos  frères  d'Angleterre  voudraient  bien  lui  don- 
ner. 

Mais  pour  mesurer  toute  l'étendue  du  mal  que  peut  faire  dans  Genève  cette 
manifestation  anglaise  d'inditTérence  pour  la  sainte  doctrine  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ,  il  faut  connaître  les  circonstances  de  l'église  et  la  condition  des 
esprits  au  milieu  de  nous. 

Quand  Haldane  vint  à  Genève,  il  y  55[ans,  tout  le  pays  était  arien,  à  l'ex- 
ception de  quelques  hommes  que  l'on  pouvait  compter  sur  les  doigts.  —  Plus 
tard,  une  suite  de  témoignages  éclatants,  de  nombreuses  conversions,  et 
surtout  la  fondation  de  la  Société  évangélique ,  ont  grandement  changé  la 
disposition  des  esprits  ;  l'arianisme  n'a  plus  osé  se  produire  ouvertement  par 
des  prédications  ;  et  maintenant  l'hérésie  du  jour  consiste  bien  plus  à  profes- 
ser lindillerence  des  doctrines  qu'à  nier  leur  vérité.  —  Elle  ne  dira  plus 
tant  :  «  Jésus-Christ  n'est  pas  Dieu  ;  »  mais  elle  dira,  chez  les  unitaires  :  «  Peu 
»  importe  après  tout  qu'il  le  soit  ou  ne  le  soit  pas  ;  »  —  et  chez  les  orthodo- 
»  xes  relâchés  :  «Je  crois  qu'il  est  Dieu  et  je  le  prêche  ;  mais  la  différence  des 
»  dogmes  est  do  faible  importance,  pourvu  qu'on  ait  la  vie  et  qu'on  maintienne 
en  commun  le  principe  protestant  de  la  liberté  d'examen  et  l'inspiration 
»  plus  ou  moins  complète  ou  plus  ou  moins  incomplète  des  Ecritares  ;  en 
»  sorte  que  l'église  de  Genève  peut  être  florissante,  tout  en  renfermant  dans 
»  son  sein  des  ministres  qui  prêchent  la  divinité  du  Sauveur  et  d'autres  qui 
»  la  nient.» 

Mais  si  cette  manifestation  du  50  août  nous  inquiète  pour  Genève ,  elle  ne 
nous  afflige  pas  moins  pour  l'église  anglaise  à  Genève,  comme  un  signe  de 
déchéance;  car  [c'est  un  abandon  du  rôle  honorable  qu'elle  avait  rempli 
30  ans  au  milieu  de  nous.  -—  Jamais  elle  n'avait  cessé  jusqu'ici  d'être  un  té- 
moin dans  Genève,  tous  ses  chapelains  y  ont  été  des  modèles  de  fidélité. 

On  n'a  pas  oublié  la  fidélité  de  votre  Société  biblique ,  sollicitant  celle  de 
Genève  de  renoncer  à  sa  version  arienne,  et  rompant  enfin,  pour  ses  refus, 
fout  rapport  avec  elle.  —  On  se  rappelle  aussi  cette  manifestation  du  clergé 
d'Angleterre  en  1831,  lorsque  800  ministres  épiscopaux  s'accordèrent  pour 
adresser  à  la  Société  évangélique  une  lettre  de  sympathie  et  d'encouragement 


64  CHBOniQUE    RELIGIEUSE. 

«près  qu'elle  se  fut  Icvt'o  à  Grnt'vc  pour  lu  divinité  du  nédcmplenr.  —  Crr- 
tainrinoiit,  pour  ijiii  rt>n'»idt'rc  rc  iiublc  rùle  tic  I  Kfçliso  d'AgIctcrrc  au  milieu 
de  nous  pendant  un  (]uarl  de  siècle,  il  doit  être  douloureux  de  l'y  \'t>ir  renon- 
cer. 

La  faible  importance  des  doctrines  les  plus  fondamentales  du  christianisme, 
c'est  là,  je  l'ai  dit,  l'hérésie  du  temps;  c'est  là  ce  que  veulent  trop  d'ecclé- 
siastiques soit  en  France,  soit  en  Suisse;  c'est  U,  je  le  dis  avec  douleur,  ce 
que  veulent  dans  le  cler);é  national  de  (îenèvc,  non-seulement  les  ministres 
ariens,  mais  même  plusieurs  de  ceux  qui  ne  le  sont  pas  :  associer  en  une 
même  église  nationale,  en  un  même  cler<;é  national,  en  une  même  école  na- 
tionale de  théiil(ij;ie,  et  faire  monter  de  dimanche  en  dimanche,  dans  les  mê- 
mes chaire:^  |iour  prêcher  aux  mêmes  âmes,  des  ministres  i>our  qui  Jésus- 
Christ  est  Dieu  et  d'autres  pour  (]ui  il  ne  l'est  pas...  > 

L'EGLISE  LIBRE  ilGÊE  PAR  LES  MINISTRES  DC  l'ÉGLISE  NATIONALE.    —    MM.McrlC 

d'Aubigné,  Gaussen  et  Malan,  ministres  méthodistes,  refusi-rent  donc  de  pac- 
tiser avec  l'église  nationale  lors  «le  la  prise  de  possession  de  la  chapelle  an- 
glaise. Le  Semeur  genei'nis  leur  répond  par  l'article  suivant  ;  il  est  facile  d'y 
reconnaître  cette  mansuétude  de  doctrine,  cette  élévation  de  pensées,  ces 
aménités  évan{;éliques  qui  lui  sont  ordinaires.  Ce  qui  nous  étonne,  c'est  qu'il 
ne  les  réserve  pas  exclusivement  pour  les  catholiques  ;  aujourd'hui  il  les  adresse 
aux  méthodistes,  et  sans  pitié  il  leur  reproche  de  n'avoir  fait  de  l'opposition 
religieuse  que  pour  les  (Ruinées  anjjlaises  qu'ils  ont  pieusement  récoltées.  Il 
connaît  le  mêlhudisme  mieux  (jue  nous,  et  nous  loi  laissons  la  responsabilité 
de  ses  attaques.  Toutefois  s«m  servilisme  devant  les  lords  et  ses  Oatteries 
à  Sa  Seigneurie  de  Winchester  nous  font  soupçonner  (juc  les  guinées  an- 
glaises ne  lui  seraient  ni  inutiles,  ni  désagréables. 
Voici  l'article  du  Semeur  : 

€  .Nous  avons  fait  connaitrc  à  nos  lecteurs  ce  qui  s'est  pasjié  à  Genève,  lor» 
de  la  consécration  de  la  chapelle  anglaise,  en  évitant  avec  le  plus  grand  soin 
de  leur  révéler  certaines  intrigues  de  (pielques  personnes,  dont  la  charité, 
la  véracité  et  la  droiture  ne  répondent  pas  toujours  h  leurs  prétentions  d'ortho- 
doxie... tN'osant  pas  provoquer  une  lutte  ii  Genève  et  publier  en  français  leur 
prétendue  justification,  ils  ont  épanché,  dans  les  journaux  anglais,  les  flots 
d'une  bile  tellement  amère  que  nous  devons  supposer  i|u'ils  ont  eu  un  moment 
de  vertige.  Nous  ne  voulons  pas  répoiulre  encore  à  toutes  les  calomnies  et  k 
toutes  les  injures  qu'ils  ont  multiplié  contre  notre  église  cl  ses  conducteurs 
spirituels,  nous  voulons,  avant  tout,  essayer  de  leur  faire  comprendre  qu'ils 
se  sont  fourvoyés  dan»  une  mauvaise  voie ,  qu'ils  se  sont  chargés  d'un  riMe 
vraiiucnl  odieux. 

N'ous  devons  observer,  en  premier  lieu,  que  Sa  Seigneurie  de  Winchester 
devait  opter  entre  «les  sectaires  qui  sont  impalienis  de  toute  espèce  de  frein, 
qui  repoussent  le  principe  des  églises  de  multitude,  de  l'union  de  l'Kglise  et 
de  l'Klat,  et  les  représeutanis  dune  Kglise  olliciclle,  nationale,  qui  n'i»  point 
de  confession  de  foi.  c'est  vrai,  mais  «jui  ne  condamne  |Miint  les  Kglises  qiii 
croient  convenable  d'en  avoir  une.  Sous  ce  premier  point  de  vue  il  nous  sem- 


CHKONiyUE  RELIGIEUSE.  65 

blc  assez  nalmol  que  l'i-vèquc  de  Winchester  ait  préféré  conserver  des  rela- 
tions avec  notre  Église,  au  lieu  de  prodiguer  toutes  ses  faveurs  aux  amis  in- 
times des  dissidents  anglais,  des  ennemis  les  plus  acharnés  de  l'Église  épisco- 
palc. 

Nous  observons,  en  second  lieu ,  que  Sa  Seigneurie  connaît  assez  bien  le 
clergé  de  Genève  et  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  notre  ville,  pour  savoir  ce 
que  valent  les  accusations  portées  contre  notre  Église  nationale  par  certaines 
gens ,  qui  ont  plus  d'impudence  que  de  charité ,  et  même  que  de  loyauté.  Il 
n'a  tenu  aucun  compte  des  prétentions  assez  originales  de  ces  gens,  qui  ont 
contracté  la  douce  habitude  de  recueillir  les  applaudissements  et  les  guinécs 
britanniques,  en  se  faisant  passer  pour  de  pauvres  martyrs  persécutés  par  les 
ariens  et  les  sociniens  de  Genève.  C'est  ce  qui  a  le  plus  irrité  ces  Messieurs, 
c'est  ce  qui  les  oblige  de  prouver  aux  Anglais  que  Tévéque  de  Winchester  a 
eu  tort,  grand  tort,  de  fraterniser  avec  notre  Église. 

Tout  est  là.  Nous  ne  prétendons  pas  cependant  que  nos  dissidents  soient 
très-avides  de  guinées...  Il  y  a  si  longtemps  qu'ils  en  récoltent  pieusement 
ET  soigneusement,  qu'ils  en  ont  plus  qu'il  ne  leur  en  faut...  Mais  ils  ont  besoin 
de  l'appui  des  Anglais  pour  soutenir  leurs  œuvres ,  leurs  institutions  ,  et  ils 
ont  peur  que  les  subsides  diminuent,  quand  on  apprendra  en  Angleterre  que 
nos  pasteurs  no  sont  pas  plus  ariens  que  sociniens.  On  comprend  qu'il  serait 
fort  désagréable  pour  MM.  Malan,  Merle,  Gaussen  et  autres  personnages,  si 
l'on  découvrait  de  l'autre  côté  de  la  Manche  que  ce  n'est  point  leur  orthodo- 
xie qui  a  été  condamnée ,  mais  leur  insubordination,  leur  intolérance,  leur 
exclusisme... 

L'évéque  de  Winchester  nous  a  prouvé  qu'il  connaît  parfaitement  l'histoire 
des  relations  de  notre  Église  avec  la  sienne,  relations  qui  datent  des  premiers 
temps  de  la  Réforme ,  et  qui  ont  toujours  été  également  bienveillantes  de 
part  et  d'autre,  jusqu'au  moment  où  quelques  chapelains  anglicans  se  sont 
alliés  avec  nos  dissidents  pour  insulter  et  calomnier  notre  Église  nationale, 
pour  rompre  les  liens  qui  existaient  entre  elle  et  l'Église  épiscopale  anglaise. 
Il  a  jugé  convenable  de  mettre  fin  à  ces  petites  intrigues,  de  faire  compren- 
dre à  nos  dissidents  que  leur  anglicanisme,  un  peu  intéressé,  ne  saurait  ba- 
lancer encore  les  preuves  d'affection  fraternelle  que  notre  Église  nationale  a 
donné  dans  tous  les  temps  à  l'Église  anglicane. 

Nous  ne  prétendons  nullement  que  l'évéque  de  Winchester,  ou  le  comité, 
aient  voulu  froisser  MM.  Malan,  Merle,  Gaussen  et  autres...  Nous  ne  croyons 
pas  que  Sa  Seigneurie  ait  songé  à  leur  donner  une  leçon  paternelle,  mais  la 
leçon  est  venue  toute  seule,  par  la  force  même  des  choses... 

Malheureusement  nos  dissidents  n'étaient  pas  plus  capables  de  s'élever  à  la 
hauteur  de  l'évéque  de  Winchester,  que  de  répondre  à  cet  appel  de  la  tolé- 
rance la  plus  chrétienne  et  la  plus  aimable.  Ils  n'ont  songé  qu'à  sauvegarder 
leur  orthodoxie,  en  évitant  de  prier  avec  nos  pasteurs. 

Cette  manière  d'agir  n'a  pas  eu  beaucoup  d'approbateurs  à  Genève.  On  a 
trouvé  que  ces  Messieurs  n'avaient  pas  eu  plus  d'esprit  que  de  charité,  plus 
de  savoir-vivre  que  de  tolérance.  Ils  se  sont  fait  du  tort  auprès  de  tous  ceux 
qui  ne  partagent  pas  leurs  vues  étroites,  qui  n'applaudissent  pas  à  tout  ce 


0(5  (IIRONIQI'E  rOLITIQI  E. 

i|U  il>  li'iil  ri  ;i  tout  (-('  i|irils  (liM-iil,  qui  cuiniiu-iicfiil  >i  e()iii|)rciitJrc  i|iie  Iriir 
liaiuc  pour  rRglise  nationale  va  un  peu  trop  loin  pour  être  éxangliquc...  » 


CHRONIQUE  POLITIQUE. 


.Nous  n'avons  pas  l'Iiabitude  de  nous  immiscer  dans  les  questions  politi- 
ques ;  nous  croyons  qu'à  Genève  la  religion  ne  doit  pas  s'abaisser  dans  une 
arène  où  s'agitent  des  questions  de  personnes  et  non  pas  des  questions  de 
|)rincipcs.  Mais  aujourd'hui  nous  ne  pouvons  taire  qiie  les  c'Ieelions  derniè- 
res ont  rfvolu,  inal^ri'  les  catlioliqucs,  une  apparence  de  lutte  religieuse.  Les 
insultes  tie  (juclques  feuilles  contre  leur  foi,  les  menaces  d  attenter  à  la  liberté 
des  cultes  et  à  la  liberté  de  rensci};nemenl ,  avaient  éveillé  la  susceptibilité 
des  catlioliques,  qui  ne  veulent  aucun  privilège  ,  mais  (|ui  veulent  le  respect 
de  leurs  droits.  M.  Fazy  a  été  renversé  par  l'alliance  des  conservateurs  el  des 
socialistes.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'avenir,  nous  catholiques,  nous  ne  craignons 
pas;  nous  sommes  forts  de  nos  droits  cl  de  la  constitution;  tous  nous  nous 
lèverions  pour  les  défentlre,  s'ils  étaient  attaqués  ;  mais  nous  espérons  qu'ils 
seront  respectés.  Ix  (j>nscil  d'Ktal  vient  de  le  pnmultre  dans  sa  proclama- 
tion. I/union  protestante,  (]ui  a  afliché  des  airs  de  triomphe,  en  sera  |>uur  ses 
frais  de  panules  ;  seulement  elle  a  constaté  à  la  face  de  l'Kurope,  «jue  son  pro- 
testantisme a  peur,  puiscjuil  est  venu  ilemamler  un  appui  au  socialisme  en  se 
réfugiant  sous  son  drapeau.  Le  livre  de  .M.  .\ugusle  .Nicolas  rc^-nit  4  Genève 
une  conlirmalion  de  sa  thèse.  On  dit  que  des  ministres  protestants,  joyeux 
du  résultat,  ont  suivi  le  cortège  proclamant  les  élus;  ils  ont  ainsi  compromis 
leur  situation  ;  el  dans  celle  agitation,  ils  n'ont  obtenu  encore  d'autres  béné- 
fices que  la  po|)ularité  des  sifllets  et  des  chansons.  Nous  leur  laissons  volon- 
tiers ce  kuccès  ! 


BULLETIN  LITTËRAIRE. 


Histoire  de  l'arcuitecture  sacrée  du  quatrième  au  dixième  siè- 
cles DANS  LES  AîCCIENS  ÉVÊCHÉS   DE  Ge.NÈVE  ,    LAUSANNE  ET  SlON  , 

par  J.  Blavigoac,  architecte.  1  vol.  in-8,  accompagné  d'un  allas 
in-folio. 

Cet  ouvrage  est  d'un  haut  intérêt.  Nous  avons  l'espoir  qu'un  travail  spé- 
cial le  fera  conaître  par  une  analyse  exacte  et  une  discussion  approfondie  aux 
lecteurs  des  Annales;  mais  nous  avons  à  cœur  de  le  signaler  dès  aujourd'hui 
à  l'attention  du  public.  C'est  là,  en  effet,  un  travail  consciencieux  et  dont 
nous,  catholiques  de  Genève,  nous  devons  faire  grand  cas.  Il  est  digne  de  re- 
marque que  ce  soit  un  protestant  qui ,  recherchant  avec  constance  les  mo- 
numents de  cette  période  difficile,  ait  mis  en  lumière  ces  glorieux  vestiges  de 
Tart  et  de  la  science  à  une  époque  où  l'Egiise  catholique  faisait  l'éducation 
des  rudes  populations  de  nos  contrées,  et  les  amenait  à  la  culture  intellec- 
tuelle, à  la  civilisation  et  à  la  vie  politique.  Nous  serons  donc  fort  empres- 
sés à  suivre  M.  Blavignac  dans  cette  étude  des  titres  de  gloire  de  nos  ancêtres. 
On  voit  dans  son  livre  ce  qu'ont  fait  pour  le  progrès  des  idées  et  l'avance- 
ment moral  des  peuples,  les  missionnaires  catholiques,  pendant  la  sombre 
période  des  invasions;  ce  que  firent  plus  tard  les  institutions  monastiques, 
alors  que  seules  elles  tenaient  allumé  le  flambeau  des  lettres  humaines  au 
milieu  d'une  société  livrée  à  des  guerres  perpétuelles  ;  ce  que  firent  enfin 
les  évéqucs  des  trois  sièges  de  Genève ,  de  Lausanne  et  de  Sion ,  avant  que 
les  fatales  divisions  religieuses  du  seizième  siècle  eussent  plongé  notre  pays 
dans  cette  atmosphère  de  contentions  et  de  désordres  dont,  après  trois  cents 
ans ,  nous  sommes  encore  le  prétexte  et  les  témoins.  Ce  sera  donc  avec  le 
plus  grand  respect  que  ,  guidés  par  un  investigateur  habile  et  expérimenté  , 
nous  approcherons  de  ces  monuments  vénérables  qui  attestent  et  la  perpé- 
tuité de  notre  foi  et  la  fidélité  de  l'Eglise  catholique  aux  enseignements  de 
son  3Iaitre  divin. 

Le  livre  de  M.  Blavignac  offre  dès  l'abord  un  défaut  qui  était  malheureuse- 
ment inévitable ,  il  est  fort  cher  ;  il  dépasse  même  la  mesure  accordée  d'or- 
dinaire aux  œuvres  d'archéologie.  Ces  deux  volumes  ne  coûtent  pas  moins 
deôOfr.  .ajoutons  toutefois  que  l'exécution  typographique  est  irréprochable, 
et  que  plus  de  huit  cents  dessins  inédits  ,  pris  sur  les  lieux  par  M.  Blavignac 
lui-même  ,  donnent  à  l'œuvre  un  mérite  de  nouveauté  rare  qu'il  faut  savoir 
apprécier. 

L'ouvrage  se  vent  à  Lausanne  chez  l'éditeur  Bridel  ;  à  Genève  chez  le  li- 
braire Heiner;  on  peut  aussi  le  demander  au  bureau  des  Annales. 

Les  ÉPREUVES  du  maruge,  par  M.  Tabbé  F. -Edouard  Chassay, 
membre  de  l'Académie  de  la  Religion  de  Rome.  —  Paris ,  M™** 
Poussielgue;  Lyon,  Pélagaud. 

Lqs  Annales  ont  déjà  recommandé  h  Bibliothèque  d'une  femtnc  chrétienne. 


<)8  BILLETI.N     LITTtRAlKl. 

en  parUiiil  il»-  1  Ilitlonr  df  la  Rrdrmption,  par  M.  (.Iiassit).  (irttc  cullrclioii, 
qui  a  reçu  les  rncoiira;j;oiuenls  (1rs  prinrinaux  organes  de  la  presse  rathnii- 
que  en  France,  en  Hel^'iqnc  cl  en  lUlie.  vu-nt  «le  saiijfmentcr  «l'un  nou>eau 
volume,  l/iuiteur  a  pari»',  dans  les  Dnutirs  drs  frmmrx,  des  qualités  Rénëriles 

Jiu'une  fonnuc  «loit  apporter  dans  lu  taniille.  Dans  les  Dt/ficuUrf  dr  la  virde 
amiUf ,  il  s'occupe  des  personnes  envers  lesquelles  ces  qualités  doivent 
s'exercer,  les  enfants,  les  itarents  et  les  heaux-parcnts.  Il  lui  restait  à  en- 
tretenir ses  lecteurs  du  chef  de  la  famille,  c'est-à-dire  de  celui  dont  les  qua- 
lités et  les  défauts  pcu>  eut  a\oir  une  si  (;rande  indueiicc  sur  leur  l>»)nheurcl 
celui  de  leurs  enfants.  I/importance  du  sujet  a  décidé  M.  (iliassay  à  ne  pas 
traiter  en  passant  celte  };rave  question  et  à  lui  consacrer  un  nouveau  volume 
qui  parait  sous  le  litre  des  t'prruvrx  du  mariage. 

Plus  d'une  fois  l'auteur  a  été  amené  à  réfuter  les  liypotlièses  protestantes 
sur  la  vocation  et  les  devoirs  de  la  femme  cliréliemie.  Il  est  ddlicile  de  trai- 
ter un  sujet  de  morale  sans  être  obligé  de  combattre  quelque  erreur  propa- 
gée par  la  prétendue  Réforme. 

LfC.\i.kndrihr  moral  dk  la   jF.r>F5si:.  —  l  nf  pensée  pour  chaque 
jour  de  l'année  ;  par  J.  Traiclet.  1  vol.  in-18. 

Ce  livre  a  deux  parties  :  dans  la  première  ,  M.  Traiclet  présente  une  mé- 
thode particulière  pour  faire  pénétrer  dans  l'esprit  et  le  cœur  du  jeune  àae  les 
Srincipes,  les  préceptes  et  les  maximes  de  la  religion.  Ce  moyen  spéci.il  d'é- 
ucation  intellectuelle  et  morale  consiste  principalement  à  mettre ,  chaque 
jour,  sous  les  yeux  de  l'enfant  une  pensée  religieuse  ou  une  sage  maxime,  et 
par  divers  procédés  ingénieux  ,  à  fixer  son  attention  d'une  manière  utile  et 
mtéressantc  sur  cette  pensée,  afin  que,  comme  une  semence  jetée  en  terre, 
elle  germe ,  croisse  et  produise  des  fruits  de  vertu.  C'est  donc  par 
la  réllexioji  habituelle  de  1  esprit,  et  l'applicition  journalière  de  la  volonté  à 
une  vérité  morale,  que  le  maître  forme  son  élève,  et  que  surtout  il  lui  apprend 
à  penser.  C'est  ainsi  qu'il  dé\el'tp|ie  dans  son  cœur  de  bons  et  généreux 
sentiments,  et  qu'il  dépose  dans  sa  jeune  ùmc  le  germe  des  vertus  chrétien- 
nes et  sociales. 

Ensuite  de  l'exposé  de  sa  méthode,  et  de  quelques  idées  pédagogiques  fort 
judicieuses,  fruit  île  l'expérience,  M.  Traiclet.  pour  confirmer  son  principe, 
passe  à  la  sec<indc  partie  île  son  livre,  (jtii  est  la  plus  essentielle  ;  il  donne  le 
Calendrier  moral,  dans  lequel  il  allecle  à  clia(|ue  jour  de  l'année  une  pensée 
morale  ou  religieuse  ,  comme  sujet  d'exercice.  Ces  pensées,  justes,  excellen- 
tes et  toujours  instructives,  sont  puisées  dans  les  Saintes  Ecritures  et  dans 
l'imitation  de  Jésus-Christ,  ou  extraites  en  substance  de  nos  meilleurs  au- 
teurs ;  elles  sont  bien  coordonnées  et  forment,  dans  leur  ensemble,  comme 
un  petit  code  de  morale  chrétienne,  qui  endirasse  nos  devoirs  envers  Dieu, 
envers  le  prochain  et  envers  nous-mêmes  V.u  approuvant  et  en  recomman- 
dant celte  publiiali.>n,  vous  contribuerez  ii  faire  connaître  et  à  répandre  un 
livre  bon  et  utile,  propre  à  introduire  dant  ientrignemrnt  primatre  une  vé- 
ritable amélioratton. 

Tel  est  le  résumé  d'un  rapport  fait  à  l'évé^iue  de  Nancy  sur  cet  utile  ou- 
vrage. 

—  Il  va  paraître  prochainement  une  seconde  édition  des  Contemplations 
poétiques  dOrlavc  Uucrosdr  Si\t  ;  le  manque  d'espace  nous  force  à  retarder 
la  publication  de  (|iiciques-uncs  de  i  es  belles  cl  eliréticnnes  poésies;  les  suf- 
frages de  ri  nurri  cl  du  Vorrrspundant  smil  un  imlice  du  succès  réservé  b 
cette  ofuvre  de  foi  et  de  talent. 

(i.  .Mkrmillod. 


DE  L'AUTORITÉ 


ET 


DE    LA  RÉVOLUTION. 


Uo  omTage  fort  petit,  mais  tout  gros  de  science,  de  raison  et 
d'intérêt ,  a  paru  dans  le  courant  de  cette  année ,  sous  le  titre 
de  :  Du  principe  d'autorité  depuis  1789.  Nous  en  parlons  un 
peu  tard;  mais  le  sujet  qu'il  traite  devant  être  jusqu'à  la  fin  du 
monde  à  l'ordre  du  jour,  on  est  toujours  à  temps  d'y  revenir. 

Cet  écrit,  important  par  lui-même,  l'est  aussi  beaucoup  par 
l'auteur  auquel  il  est  attribué.  On  le  dit  de  l'Empereur  des  Fran- 
çais; nous  sommes  portés  à  le  croire.  En  1851  parut  un  autre 
petit  ouvrage  sur  la  révision  de  la  constitution  française,  ou 
plutôt  sur  la  nécessité  de  détruire  la  république  en  France,  et 
cet  ouvrage  était  du  prince  Louis-Napoléon,  alors  président  de 
la  république.  S'il  est  permis  de  juger  les  écrivains  comme  dans 
les  tournois  on  reconnaît  les  chevaliers  par  les  couleurs  qu'ils 
portent ,  nous  sommes  portés  à  croire  que  les  deux  ouvrages 
sont  du  même  auteur.  Il  appartenait  à  l'homme  de  la  Providence 
de  se  présenter  dans  la  lutte  des  idées  et  des  partis  comme  le 
défenseur  de  l'autorité.  Dans  une  société  qui  sent  le  besoin  de 
se  reconstituer  et  de  s'affermir,  c'est  surtout  l'autorité  qu'il  faut 
connaître,  qu'il  faut  chercher  avant  tout. 

L'autorité  n'est  pas  facile  à  définir.  A  force  d'avoir  été  ballotté 

5 


/M  DE  L  AUTORITE 

au  milieu  des  révolutions  «lui  se  succèdent,  le  mot  lui-mt^cost 
devenu  vieux,  il  a  dû  perdre  la  signification  qu'il  avait  sous  un 
autre  ordre  de  choses;  nous  ne  sommes  |)as  étonnes  cjuil  n'ait 
pas  été  compris  «le  tous,  ni  d»-  la  ménn?  manière.  I/efforl  le  plus 
constant  de  notre  épo(|ue,  c'est  de  détruire  l'autorité,  de  la  di- 
viser.  de  Tamoindiir  ,  de  la  gaspiller,  de  la  rendre  douteuse, 
\iagère,  invisible.  Que  de  fois  déjà  les  ma^'istrats  ont  été  obli- 
gés de  se  dire  ù  eux-mêmes  :  où  donc  est  rautorilé?  Au  nom  de 
(pii  n-ndons-nous  la  justice? 

I/ou\raj<e  dont  nous  parlons  fait  l'histoire  de  cet  alfaiblisse- 
menl;  mais  ce  (pii  n(»iis  étonne  j;randemenl,  c'est  «pi'il  ne  le  fasse 
remonter  (pi'à  1789.  Si  n«tus  ne  n<»us  trom|>ons,  il  fallait  cher- 
cher |)lus  loin  les  causes  de  l'ahandon  du  principe  d'autorité. 

En  effet,  l'autoriti"  «]ui  commence  par  être  morale  avant  d'ê- 
tre civile,  ou  si  l'on  veut,  (jui  commence  par  commander  à  la 
conscience  avant  de  diri},'er  les  actions,  a  reçu  la  première 
atteinte  au  jour  où  une  partie  de  l'Kurope,  rompant  les  liens  de 
l'unit*'  religieuse,  se  s«para  de  l'Église  el  proclama  la  légiti- 
mité du  libre  examen.  Ce  jiassag»'  de  Dieu  à  l'homme,  de  lau- 
lorité  de  l'Église  universelle  à  l'autorité  de  l'individu,  est  le  |>lus 
grand  événement  (]ui  put  arriver  au  monde  chrétien.  A  peine 
tombé  de  la  bouche  d'un  apostat,  le  libre  examen  fait  invasioQ 
dans  tout  ce  (|ui  tient  à  rintelligciuc  humaine. 

Kl  pourquoi  |)as  .'  Quand,  dans  les  choses  de  Dieu,  il  est 
permis  à  chaque  individu  de  ne  dépendre  (|ue  de  soi,  à  plus  forte 
raison  est-il  permis  de  ne  d(-|)en(ire  (|ue  de  soi  pour  les  misi-ra- 
bles  choses  de  I  humanit*-.  Nous  sommes  bien  étonnés  (|ue  les 
politiques  et  les  philosophes  moralistes  n'aient  pas  été  frap|>és 
de  cette  cause  première  du  dépérissement  de  l'autorité.  Elle  est 
une,  toujours  identiipie  à  ellc-n«ème  quand  elle  vient  de  Dieu, 
mais  du  joui-  oii  il  a  ete  permis  a  Lulhei  de  dire  (pi'au  li<-u  d'être 
placée  sous  la  sauvegarde  de  l'Eglise  et  de  sou  chef,  l'Ecriture 
a  été  livrée  à  la  raison  particulière,  par  là  même  à  la  raison 
de  chaque  individu,  on,  comme  le  veut  Ma/./.ini,  à  la  raison  du 
peiqth; ,  l'autorité  perd  son  caractère  divin,  elhî  cesse  d'ôtre 
autorité.  En  la  chassant  de  l'Eglise,  la  raison,  qui  est  consé- 
quente, la  chasse  tle  partout.    Dès  lors,   à   laulorile   qui  est  la 


ET  DE  LA  REVOLUTION.  7{ 

cause  (le  Tordre  succède  tout  naturellement  l'indépendance  qui 
est  le  principe  générateur  de  l'anarchie.  Dans  l'autorité  il  y  a 
quoique  chose  dunivcrsel  qui  lie  les  individualités;  dans  l'indé- 
pendance, au  contraire,  il  y  a  quelque  chose  de  dissolvant  qui 
sépare  et  produit  l'individualisme.  L'autorité,  quand  elle  conserve 
son  caractère  divin,  plane  sur  les  individus  et  produit  la  so- 
ciéiéet  la  civilisation;   l'indépendance,  qui  commence  et  finit 
dans  l'individu,  ne  peut  enfanter  que  la  sauvagerie  et  tous  les 
maux  qu'elle  tialne  à  sa  suite.  L'autorité  étant  la  raison  d'être 
de  l'ordre  social,  peut  sallier  avec  la  liberté  la  plus  étendue- 
l'indépendance  ou  l'individualisme,  cause  nécessaire  de  division! 
ne  peut  se  maintenir  dans  une  société  qu'avec  la  force  et  l'es- 
clavage. Comme  il  est  facile  de  le  voir,  les  deux  principes  portés 
chacun   à  son   extrême  ont  des  conséquences  bien- différentes. 
L'autorité  reconnue,  admise  partout,  produit  l'ordre  parfait    le 
bonheur,  la  civilisation,  le  beau  idéal  de  la  société;  l'indépen- 
dance, quand  elle  est  admise  par  tous  les  esprits,  conduit  à  l'a- 
narchie universelle,  au  Prudhonisme,  au  brutalisme  complet 
L  autorité  honore  l'homme,   l'élève,  le  rend  plus  digne  en  ne 
lui  demandant  l'obéissance  qu'au  nom  de  Dieu  à  qui  tout  l'uni- 
vers obéit;  l'indépendance  qui  semble  au  premier  abord  flatter 
son  orgueil,  le  dégrade  et  l'avilit.  Pour  l'homme  qui  refuse  de 
reconnaiire  l'autorité  fille  du  ciel,  il  n'y  a  pas  de  milieu,  il  est 
tyran  s'il  est  maître,  il  est  esclave  s'il  obéit.   L'un  ne  vaut  pas 
mieux  que  l'autre. 


IL 


Une  fois  admis  dans  le  monde,  le  principe  du  libre  examen  a 
par  la  puissance  logique  des  faits,  pénétré  dans  toutes  les  doc- 
trines et  toutes  les  institutions.  Un  torrent  débordé  s'étend  tout 
naturellement  dans  la  plaine,  et  ses  eaux  pénètrent  partout.  Sui- 
vons-le, s'il  est  possible,  dans  ses  envahissements. 

La  dogmatique,  en  passant  du  régime  de  l'autorité  sous  celui 
du  libre  examen,  se  transforme  tout-à-coup  en  un  champ  de 


/  2  DE    L    AITORITE 

(iévaslatiou.  Cliuquo  indiviiiu.ile  quel(|iie  posilioa  ou  de  quelque 
capacit»'  (|u'il  soit,  priiur  ou  urtis:m,  lisserand  <»u  général,  armé 
d<'  la  sape  du  libre  examen,  se  inei  à  renverser  celles  des  co- 
lonnes de  rédilice  religieux,  qui  sont  le  plus  à  sa  portée  ou  à  la 
porite  de  son  intelligence  et  de  ses  forces.  Abattre  toujours, 
abattre  partout,  \oilà  ce  que  Ton  voit.  Rien  n'est  plus  curieux  et 
plus  triste  à  la  fois  (jue  le  spectacle  de  ce  travail  dt;  mort  auquel 
on  a  donne  le  nom  de  Réformation  et  «pii  dure  depuis  trois  siè- 
cles sans  a\oir  cliangt  de  caractère.  Rangés  en  grou|>es  autour 
de  l'édilice  religieux,  commandes  par  des  chels  (jui  ditlerenl  de 
vues,  de  but  et  d'intérêt,  les  réformateurs  sont  nuit  et  jour 
occupés  à  abattre  sans  jamais  essayer  de  reconstruire.  Ici  on 
détruit  trois  ou  (juatre  sacrements,  là  on  les  re|>ousse  tous  ég;»- 
lement.  D'un  côté,  on  veut  l'Eglise  avec  sa  hierarcbie,  de  l'au- 
tre on  proclame  l'égalité  entre  tous  ses  membres.  Les  uns  veulent 
l'Écriture  telle  que  l'a  transmise  la  tradition,  les  antres  veulent 
choisir  les  parties  ipii  nieriient  d  être  conser\ées  et  encore  les 
épurer  en  les  soumettant  à  l'examen  de  leur  intelligence  privée. 
Un  grand  nombre  rejettent  les  vertus  de  conseil  et  tous  s'accor- 
dent à  lepousser  l'autorité  représentée  par  celui  à  qui  Jésus- 
Christ  a  dit  :  Paisse/,  mes  brebis,  paissez  mes  agneaux;  Pierre, 
j'ai  prié  pour  que  votre  foi  ne  vienne  jamais  à  défaillir,  je  vous 
donnerai  la  clef  du  royaume  des  cieux.  De  Luther,  de  Calvin, 
d  Henri  NUI  cpii  n'ont  d'abord  voulu  que  mutiler  l'u-uvre  de 
Dieu,  jusqu'à  Strauss  qui  a  tenté  d'en  détruire  jusqu'à  lu  dernière 
trace,  il  n'y  a  de  différence  réelle  que  dans  la  hardiesse  et  les 
movcns  employés  pour  renverser  l'édifice  du  christianisme;  les 
|)remiers  (  ommençaient  par  le  toit ,  les  seconds  s'atta(piaient 
aux  fondements. 

Il  nous  semble  (pie  l'on  n'a  |»oint  encore  assez,  dévoile  cette 
la<  e  de  mort  sous  laipielle  doit  apparaître  la  Réformation  qui 
depuis  trois  siècles  continue  à  fouiller  le  sol  religieux.  Klle  est 
tellement  hideuse  que  le  protestantisme  la  cache  aut^int  qu'il  le 
peut.  11  alVecte  de  av  présenter  au  monde  comme  une  religion. 
Il  s'efforce  de  ne  montrer  aux  regards  des  investigateurs  que  la 
portion  de  vérité  qu'il  a  conservée  ou  qu'il  se  propose  de  con- 
ser>er  encore,  espérant  que  cette  portion  est  a.sse/.  belle  pour 


ET  DE  LA  REVOLUTION.  73 

satisfaire  les  plus  exigeants.  Vain  espoir!  l'histoire,  Ja  raison, 
l'expérience,  le  bon  sens  sont  là  pour  dire  que  pour  un  vrai 
protestant,  uno  doctrine,  quelque  chétive  qu'elle  soit,  ne  peut 
être  que  provisoiremeiil  admise.  Après  des  réformateurs  timides 
et  réservés,  viendront  des  réformateurs  hardis,  vigoureux  qui 
mettront  la  main  à  la  cognée  et  couperont  tout  ce  qui  reste. 
Mainte  fois  les  prolestants,  effrayés  eux-mêmes  de  la  rapidité  de 
leurs  progrès  vers  l'anéantissement  de  toute  foi,  ont  essayé  de 
s'arrêter  sur  la  pente  en  dressant  des  symboles,  en  cherchant  à 
fixer,  dans  des  constitutions  écrites^  quelques  articles  capables 
d'indiquer  au  moins  quelques  points  de  repaire  dans  le  désert 
de  leur  esprit;  inutiles  efforts!  La  Réformation  s'attaquant  à 
elle-même,  arrachait  ces  jalons  où  son  nom  du  moins  restait 
encore  écrit.  Avec  l'individualisme  porté  dans  les  choses  de  la 
conscience,  les  professions  de  foi  ne  sont  plus  possibles.  Le  pro- 
testantisme, s'il  est  sincère,  ne  doit  pas  s'arrêter  au  milieu  du 
chemin,  la  négation  de  toute  vérité  révélée  l'attend  au  bout  de 
sa  carrière.  Au  lieu  de  commencer  son  symbole  par  ces  mots  : 
je  crois  en  Dieu  et  à  son  Eglise,  il  doit  se  contenter  de  dire  : 
je  crois  en  moi  et  à  ma  raison.  C'est  le  Prudhonisme  religieux. 
Avant  que  l'autorité  fut  écartée  des  choses  de  ce  monde,  toute 
législation  prenait  son  point  de  départ  dans  la  loi  première,  la 
loi  fondamentale  de  toute  loi.  Alors  les  ordonnances  humaines 
participant  à  la  justice  divine,  commandaient  le  respect  et  méri- 
taient l'amour.  Du  moment,  au  contraire,  où  l'homme  a  cru 
pouvoir  dire  :  ma  loi  vient  de  moi,  le  principe  de  la  législation 
a  été  changé,  l'utilité  a  remplacé  la  justice,  et  comme  l'utilité 
varie  autant  que  les  individus,  la  législation  est  une  guerre  per- 
pétuelle et  la  loi  qui  en  sort  est  une  victoire  de  parti,  une  pierre 
d'attente  pour  de  nouveaux  combats.  Si  l'on  voulait  méditer  at- 
tentivement les  centaines  de  mille  lois  qui  sont  tombées  comme 
une  grêle  sur  la  société  depuis  soixante  ans,  il  en  est  peu  au- 
dessous  desquelles  on  ne  parvint  pas  à  découvrir  la  passion  de 
l'individu.  La  fonction  du  législateur  est  descendue  jusqu'à  n'être 
qu'un  métier  ordinaire,  et  le  législateur  qui  était  si  grand  quand 
il  était  inspiré  par  l'éternelle  volonté  du  grand  législateur  de 
l'univers,  s'est  transformé  en  un  misérable  économiste  cherchant 


7i  Itr   LAITOKITE 

la  mosiirt'  du  hit-u  dans  Ui  scnsiinlitr.  cl  Trlendue  du  progrès 
d:iiis  l:i  diiriH'  d'une  vio  passagère.  Que  resterail-il  de  4oule 
celle  l(';;isl:ition  si  l'on  on  retranclKiit  1rs  lois  de  rrdrro,  de  ven- 
geance, de  (  U|)iditt' ,  de  liainc  et  d";nnl»ilit»n?...  Si  l'on  veut 
arrêter  la  révolution,  il  faut  commencer  par  sortir  de  cette 
voie. 

Juscpi'à  l'introduction  du  piincipe  prol"stanl ,  la  philosophie, 
celle  science  de  raison  avail  pris  son  point  de  départ  dans  les 
sûres  vérités  de  la  rév«'lation  première  et  de  la  tradition;  mais 
dès  lors,  ne  vouhint  d'antre  autorilé  (]ue  celle  de  l;i  raison  indi- 
viduelle, elle  se  lance  sans  }<uide  ,  sans  appui,  sans  boussole  , 
sans  critérium  à  travers  le  mobile  océan  des  fantasques  concep- 
tions de  l'esprit  humain  et  des  revers  de  rima^Mnatif)n.  L'aban- 
don de  l'autorité  devant  nécessairement  produire  l'isolement  des 
inlellij;ences,  il  n'y  a  plus  de  mailles,  plus  .d'éioles  et  partant 
plus  de  foi.  La  philosophie  devient  un  amas  de  systèmes  incohé- 
rents dans  le(|uel  chacun  |)eut  choisir  celui  (pii  est  le  moins  an- 
lipathi<|ue  à  s»'s  ^oùts,  c'est  le  chaos  des  idées,  la  divagation  <le 
la  pensée  sans  frein,  c'est  le  prudhonisme  intellectuel,  l^s  mê- 
mes causes  devant  [)roduire  partout  les  mêmes  effets,  la  liberté 
de  la  raison  a  jeté  le  doute  universel  sur  le  protestantisme  comme 
sur  la  philosophie.  Dans  l'un  el  lautre  cas,  la  raison  desespérée 
cherche  ù  se  reconstituer.  Les  protestants  se  rassemblent  à  Berlin 
pour  se  construire  un  svmbole,  et  la  philosophie,  cet  enfer  où 
les  opinions  s'entredevureni,  s(î  «onslilue  en  «'clectisme  ilans  lu 
folle  espérance  de  trouver  encore  assez  de  vérités  pour  former 
un  symbole  à  son  usage;  mais  du  sein  du  catholicisme  où  elle 
a  été  reléguée,  l'autorité  leur  crie  :  entre  vous  et  moi,  il  y  a  le 
chaos. 

Le  libre  examen  a  aussi  fait  invasion  dans  la  morale.  Avant 
le  protestantisme  elle  avait  sa  règle  dans  les  dix  lignes  «pii , 
descendues  du  Sinai  ,  retracent  si  admirablement,  et  on  peut 
le  dire,  si  miraculeusement  tous  les  devoirs  de  l'homme  «n- 
vers  Dieu  ,  envers  son  semblable  et  env«'rs  lui-même.  Kman- 
cipé'c  par  le  protestantisme ,  la  raison  abandonne  la  parole 
de  Dieu  el  va  chercher  la  règle  des  actions  dans  nous 
ne    savons  ipnlies   lois   occultes   auxcpielles  on  donne   le  nom 


I:T  I)K  la   REVOLUTION.  75 

indéiinissablo  de  lois  naturelles.  Le?  libre  examen  admis  à  pa- 
tauger dans  les  obscures  et  vagues  notions  qui  sont  si  chères  à 
la  pliilosopliie,  en  fora  sortir  avec  une  incroyable  facilite''  toutes 
les  ininioralitcs  qui  pourront  convenir  aux  passions  du  cœur.  On 
en  fera  sortir,  selon  les  occasions  différentes,  la  poligamie ,  la 
promiscuit('',  l'inceste,  le  vol,  le  meurtre,  le  parjure  et  tout  ce 
qui  pourra  convenir  aux  convoitises  du  cœur  humain  dont  la 
loi  la  plus  fortement  accusée;  est  de  convoiter,  de  convoiter  tou- 
jours. On  s'étonne  de  voir  l'assassinat  admis,  prêché,  ordonné, 
dans  des  associations  assez  nombreuses  pour  faire  trembler  l'Eu- 
rope ;  on  s'étonne  de  voir  cette  doctrine  mise  en  pratique  dans 
tous  les  pays;  il  serait  mieux,  ce  nous  semble,  de  s'étonner  de 
ce  que  les  gouvernements  ont  partout  favorisé  un  enseignement 
au-dessous  duquel  se  trouve  une  absolution  pour  tous  les 
crimes. 

On  se  tromperait  grandement  si  l'on  pouvait  croire  que  la 
littérature  a  pu  échapper  aux  désordres  qui  ont  du  accompagner 
le  libre  examen.  Jusqu'à  la  révolte  du  seizième  siècle  et  même 
pendant  le  dix-septième,  la  république  des  lettres  était  soumise 
à  une  législation  qui,  remontant  aux  siècles  les  plus  reculés  de 
l'antiquité,  avait  été  encore  fortifiée  en  traversant  les  âges  du 
christianisme.  Les  idées  d'ordre,  d'harmonie  et  de  subordina- 
tion que  porte  avec  lui  le  catholicisme  qui  était  la  loi  fonda- 
mentale de  l'Europe  au  moyen  âge,  s'étaient  ajoutées  aux  idées 
de  la  Grèce  et  de  Rome  pour  régler  les  lettres.  Aristote,  Lon- 
gin,  Quintilien,  Cicéron,  Horace,  Boileau,  Rollin  et  mille  autres 
législateurs,  après  avoir  interrogé  la  nature,  le  bon  sens  et  l'ex- 
périence, avaient  dicté  des  préceptes  auxquels  tous  les  écrivains 
se  faisaient  gloire  d'être  soumis.  Dans  les  lettreS;,  aussi  bien  que 
dans  la  société,  la  légalité  était  observée.  L'ordre  alors  décou- 
lant de  la  pensée  particulière  dans  la  pensée  publique,  y  faisait 
régner  l'harmonie  qui  est  un  des  caractères  du  beau. 

Quand  à  la  suite  du  libre  examen,  la  souveraineté  individuelle 
eut  passé  dans  la  religion,  dans  la  morale  et  dans  la  politique, 
les  écrivains  durent  bien  vite  abandonner  les  anciens  maîtres  de 
l'art,  et  ne  prendre  pour  règle  que  le  caprice  de  leurs  volontés 
et  de  leurs  goûts.  En  prenant  la  plume,  chacun  dut  se  dire  :  Je 


76  UE   LAITORITE 

serai  à  luoi-iiiiuif  ma  règle  du  beau,  du  jusle  et  du  Mai.  Dès 
lors,  l'anarchie  a  pesé  sur  les  travaux  de  l'esprit  et  le  moDS- 
irucux  dans  tous  les  fîenrcs  a  pris  la  place  de  l'Iiarmonicuse  ré- 
gulariic;  un  ne  s'est  plus  iiKiuit-ii-  ni  du  beau,  ni  du  vrai,  ni  de 
l'honnîïte,  od  a  surtout  clierohé  ce  «pii  pou\ait  étonner,  scanda- 
liser et  faire  peur.  11  en  est  résuit»;  une  certaine  lillcralure  nau- 
séabonde aussi  étrangère  au  bon  sens  qu'elle  l'est  au  bon  goûl 
à  la<|uelle  on  a  donné  le  nom  de  romantisme.  Expression  de 
toutes  les  corruptions  de  la  mauvaise  nature  «'t  de  toutes  les  io- 
llrmités  de  l'esprit,  le  rumantisme,  soit  le  prudlionisme  littéraire, 
est  tievenu,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  le  langage  laNori  de 
la  démagogie. 

Tour  passer  dans  la  poliliipie,  le  libie  examen  avait  de  gi-ands 
obslaclesà  vaincre;  la  tradition,  lesdroilsacijuis,  les  habitudes  pri- 
ses, les  intérêts  personnels,  la  saine  raison,  tout  semblait  s'o|)|>oser 
à  ses  succès  politiques.  Admettre  le  libre  examen  des  institutions 
qui  avaient  jusque-là  règle  la  soci«'ié,  c'était  la  remettre  en 
doute.  Si  les  princes  (1)  avaient  pu,  de  leur  |)rime  abord,  com- 
prendre combien  de  calamités  coûterait^au  monde  l'abandon  du 
principe  d'autorité,  il  est  infiniment  probable  que  la  révolution 
ne  serait  ni  si  avancée  qu'elle  l'rst,  ni  si  dillicile  à  retenir.  Nous 
disons  la  révolution,  car  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  révolution 
qui  s'opère  consiste  à  substituer  l'autorité  individuelle,  pariicu- 
lière,  à  l'autorité  absolue  universelle.  La  révolution  n'est  deve- 


(i)  .Nous  croyons  devoir  avertir  le  lecteur  que,  par  F'rince,  nous  n'cnlen- 
(lons  pas  celui  qui  est  issu  de  sang  royal ,  mais  toute  personne  placée  à  la 
itMe  d'une  nation.  Qu'elle  soil  homme  ou  fenune.  Empereur,  Roi.  Toiiseil, 
Président,  pou  importe,  elle  e.st  Prinrrps,  Phmus.  Pra-sri,  Pratul.  Pnrpo- 
filut,  etc. 

Nous  devons  avertir  encore  que.  par  le  mot  IVupie.  dont  nous  nous  ser- 
vons assez  souvent,  nous  entendons  In  pirtie  la  plus  nondireuse  d'une  na- 
tion. I>es  divisions  aneicnncment  admises  n'étant  plus  possibles,  nous  en  ad- 
mettons une  beaucoup  plus  simple  el  surtout  plus  vraie.  Il  y  a  dans  tout  pays 
deux  sortes  «le  personnes,  celles  qui  vivent  du  tia\ail  de  l'intellif'ence  el 
celles  qui  vivent  du  travail  des  bras.  Les  ^)remiérrs  gouvernent,  elles  for- 
ment laristocrotie  ;  les  serondes  obéissent,  elles  forment  le  peuple.  Comme 
toujours  et  comme  partout,  on  |>eul  passer  d'une  classe  dans  l'autre  à  cer- 
taines eondititms. 


ET  DE  L\  KEVOLUTIO'.  77 

nue  possible  que  quand,  à  force  de  ruse,  de  perfidie  et  de  per- 
•versiié,  les  conspirateurs  sont  parvenus  à  atteler  les  princes  à 
son  char. 

Une  chose  digne  de  romiirque,  c'est  que  la  liberté  d'examen 
s'introduisit  dans  la  politique  en  France  à  l'époque  même  où  le 
peuple  français  avait  perdu  toutes  ses  libertés. 

En  effet,  il  y  a  une  liberté  qui  va  jusqu'au  peuple,  une  liberté 
qui  lui  apparlienl,  c'est  la  liberté  civile  ou  entière  ou  réduite  à 
de  justes  proportions.  Un  gouvernement  qui  viole  cette  liberté 
fait  une  usurpation,  il  devient  coupable,  il  est  atteint  d'un  mal 
dont  il  périra.  La  statolâtrie  est  un  crime  qui  méiite  la  mort.  Le 
prince  a  sans  doute  des  droits  et  doit  en  conséquence  avoir  de 
l'autorité;  mais  il  n'est  pas  le  seul.  L'autorité  est  dans  tous  les 
membres  du  corps  social.  Si  l'un  d'eux  vient  à  être  paralysé,  il 
y  a  pour  le  tout  souffrance  et  diminution  de  force,  et  quand  tous 
les  membres  sont  atteints,  la  mort  s'ensuit. 

La  société  française  n'avait  pas  conservé  les  libertés  civiles 
dont  elle  avait  anciennement  joui  ;  mais  elle  en  gardait  le  souve- 
nir, et  quand  la  violence  était  trop  forte  le  peuple  faisait  entendre 
ses  doléances  qui  arrivaient  jusqu'au  pouvoir.  Mais  trop  souvent 
le  pouvoir  faisait  comme  la  mort,  quand  il  entendait  les  plaintes 
du  peuple,  il  se  bouchait  les  oreilles  et  le  laissait  crier.  Alors 
il  y  eut  du  malaise  dans  toute  la  nation  et  le  libre  examen  en 
profila  pour  se  glisser  dans  l'arène,  citer  le  pouvoir  à  sa  barre  et 
le  condamner.  Or,  du  pouvoir  à  l'autorité  il  n'y  a  qu'un  pas,  et 
ce  pas  fut  fait,  l'autorité  disparut.  Dans  l'absence  de  l'autorité, 
le  pouvoir  fut  mis  au  pillage,  chacun  en  voulut  sa  part,  et  cette 
part  chacun  prétendit  se  la  faire  à  la  mesure  de  ses  appétits. 
Pourquoi  pas!  En  l'absence  de  l'autorité  légitime,  la  force  est  la 
seule  mesure  du  droit. 

On  nous  parle  souvent  des  conquêtes  de  89  ;  elles  se  résument, 
ce  nous  semble,  dans  la  destruction  de  l'autorité,  dans  le  triom- 
phe de  l'individualisme  et  l'indépendance  du  sujet.  Il  est  cu- 
rieux, à  celte  époque  d'anarchie,  d'examiner  comment  se  tra- 
duit dans  le  langage,  la  révolution  qui  s'avance  sur  le  char  de 
la  raison  émancipée.  C'est  la  liberté  de  la  pensée;  l'émancipa- 
tion de  l'esprit  humain,  l'égalité  des  hommes,  la  souveraineté 


78  i»E  l'aitokitk 

du  peuple,  les  droits  de  l'homme,  la  pondération,  l'équilibre  des 
pouvoirs,  la  liherlé  <Jc  la  parole  ei  de  la  ((tnsrienre  cl  eent  autres 
inepties  de  re  genre.  Au-dessous  de  toute  logomarhie,  il  y  avait 
une  chose,  rindcptiidance  alisolue  de  l'individu,  r'està-dire  l'a- 
narthic  et  le  pruillidnisnic  social.  Voilà  la  Ncriialile  roufpnMe 
de  89. 

Pourtant  le  principe  d'aulorite  n'a  pas  «piilte  le  monde,  il  se 
montre  encore  dans  l'ordre  moi-al  comme  dans  l'iirdre  physique. 
La  société  qui  est  l'ouvraj^ede  Dieu  doit  durer,  or  pour  qu'elle 
dure,  pour  (pie  la  vie  c  ircule  dans  son  sein,  il  fatit  que  le  prin- 
cipe d'autorité  se  trouve  à  portf't»  d'y  revenir.  Eh  liien  !  nialj;ré 
les  efforts  (pie  l'ont  les  ennemis  de  l'ordre  pour  étouffer  l'auto- 
ritt\  elle  vit  dans  les  doctrines,  dans  les  ensei'jnemenls ,  dans 
la  constitution  de  l'Ej^lise  catholi(iue.  En  apprenant  aux  hommes 
qu'un  Dieu  a  créé  le  monde,  (ju'ime  Providence  veille  sur  lui, 
que  ce  même  Dieu  (jui  a  réveh'  les  lois  m(»rales,  a  établi  un  en- 
seignement visible  poiir  les  préserver  de  l'erreur  ;  le  catholicisme 
étalilit  l'aniorité  dans  la  raison,  et  en  la  prenant  ailleurs  il  la 
place  sur  la  raison.  .Viissi  il  est  la  seule  école  d'autorité  a(  tuel- 
lemenl  ouverte  dans  le  monde.  Infatigable  défenseur  de  la  so- 
ciété, il  n'a  pas  failli  A  sa  mission  ;  mais  il  est  seul  actuellement 
à  lutter  contre  la  révolution.  Cependant  il  ne  se  décotirage  pas. 
Professeur  de  la  hberte  universelle,  il  ne  |»eut  la  déposer  dans 
les  iriielligences  sans  y  déposer  en  même  temps  les  germes  de 
rautorit('.  les  raisons  An  devoir  et  les  principes  générateurs  de 
l'ordre.  Il  ne  faut  désespérer  de  rien  ;  si  jamais  les  innombrables 
ennemis  de  l'autorité,  protestants,  sehismaiicpies,  rati(malistes, 
indépendants,  and)itieux  de  toutes  les  catégories,  tous  ligués 
contre  Dieu  el  contre  son  Christ,  parviennent  à  plonger  le  monde 
dans  le  chaos  de  ranar(hie,  (piebpie  missionnaire  inconnu 
viendra  souffler  sur  l'étincelle  catholique,  raviver  dans  les  esprits 
celte  lumi(''re  (pii  éclaire  tout  homme  venant  dans  ce  monde  el 
recommencer  la  civilisati(»n  (jui  ne  fui  et  ne  sera  jamais  possible 
qu'avec  Dieu  et  l'autorité. 


ET  DE   LA  llEVOLirno?*. 


III. 


79 


Après  cette  digression  qui  nous  était  nécessaire  pour  faire 
connaître  où  en  est  l'autoiilé  cl  quelles  sont  les  causes  qui  l'ont 
si  fort  affaiblie,  revenons  à  l'ouvrage  que  nous  nous  sommes 
proposé  d'examiner. 

L'auieur  du  principe  d'autorité  depuis  1789  a  entrepris  d'exa- 
miner quelle  est  la  dynastie  appelée  par  la  Providence  à  arrêter 
le  cours  de  la  révolution  et  à  rendre  à  la  France  le  principe 
d'autorité  sans  lequel  une  nation  n'a  pas  sa  raison  d'être.  Ce 
but  est  la  partie  ostensible  des  motifs;  elle  est  parfaitement 
traitée  dans  la  première  partie.  Nous  avons  cru  en  décou- 
vrir un  autre  plus  intime  qui  se  trouve  dans  la  seconde  partie 
et  le  voici  :  La  France  a  pu  redouter  que  le  pouvoir  nouveau 
sous  lequel  la  Providence  semble  avoir  pris  soin  de  la  placer , 
ne  fut  qu'une  continuation  de  ceux  qui  ont  passé  et  qui ,  par 
aveuglement  ou  par  une  ambition  mal  entendue,  se  sont  faits  les 
instruments  de  la  démagogie.  Deux  raisons  auraient  pu  donner 
à  celte  crainte  quelque  apparence  de  légitimité.  La  première, 
c'est  le  langage  dont  S.  M.  l'empereur  s'est  servi  dans  quelques 
circonstances  où  il  n'a  pas  craint  d'invo(iuer  les  principes  de  89  et 
ensuite  de  paraître  faire  alliance  avec  la  démocratie  qui  est  sor- 
tie de  ces  mêmes  principes  et  a  commencé  à  se  montrer  à  celte 
époque. 

Pour  rassurer  les  partisans  de  la  monarchie  qu'il  voulait  ré- 
tablir, il  fallait  bien  expliquer  comment  il  était  possible  de  con- 
cilier la  révolution  de  89  et  la  démocratie  avec  l'Empire.  En  effet, 
vouloir  établir  une  monarchie  forte ,  durable ,  capable  de  faire 
reculer  la  révolution  toujours  menaçante  en  s'appuyant  sur  la 
démocratie  et  les  principes  de  89,  paraissait  un  problème  diffi- 
cile à  résoudre.  L'auteur  a  essayé  de  le  faire  dans  la  première 
partie. 

La  seconde  raison  de  crainte  était  une  prédiction  sortie  de  la 


80  I»E  L*AtTORlTE 

plume  du  jn'and  philosophe  des  temps  modernes.  L'universel  de 
Maistre,  qui  av;iil  pnilit  le  sort  de  la  icvoliiiidii  Iranraise  el  la 
fin  de  la  première  répui)li(|U(',  avait  aussi  annoncé  qu'après  avoir 
rétaldi  la  monarclii»*,  lionnpnrte  (hsjiarailrait  lui  et  sa  race.  Or, 
il  est  bien  |)ermis  de  u'êlre  pas  parlaitcnH'Ul  rassuré  devant  les 
paroles  d'un  homme  de  celte  taille;  il  fallait  donc  les  réfuter, 
et  l'auteur  l'a  lait  avec  beaucoup  d'éloquence  dans  la  seconde 
partie. 

Nous  avons  lieu  de  croire  que  ces  deux  parties  ne  sont  pas  de 
la  même  main.  La  première,  froidement  philosophique,  poursuit 
avec  nue  lo;,'ique  imperlubable  la  démonstration  du  problème 
politique  (|uil  a  pose,  à  savoir  que  l'Empire  seul  est  appelé  à 
vaincre  la  révolution  et  l'anarchie  toujours  sur  le  point  de  se 
remontrer.  La  seconde  s'attache  principalement  à  démontrer 
que  l'Empereur  est  souverain  léj^itime,  el  qu'en  invoquant  les 
princi[)cs  de  89,  il  est  loin  de;  vouloir  la  r«''Volution  et  moins  en- 
core la  démagojîie.  Dans  la  |)remière  partie,  c'est  la  science  po- 
liti(]ue,  la  profondeur,  l'élévation  et  la  force  d'«'Xpression.  Dans 
la  seconde,  c'est  l'éloquence,  c'est  res[)rit  qui  domine.  La  pre- 
mière est  la  leçon  d'un  maître,  la  seconde  est  le  plaidoyer  d'un 
habile  avocat;  toutes  deux  concluent  -^  l'Empire.  C'est  fort  bien; 
mais  l'autorité  (]ui  est  en  cause  suivra-l-elle  l'enqiire?  Ce  prin- 
cipe (|ue  la  révolution  a  <l<(i  iiit,  «pie  la  Hestauralion  n'a  pu  faire 
revivre,  que  la  royauté  de  juillet  aurait  achevé  de  ruiner  si  déjà 
la  chose  n'avait  rw  faite,  ce  principe  est-il  tellement  attaché  à 
rEuq)ire  (|u'ils  doivent  n<''cessairement  se  trouver  unis?  Esl-il 
bieu  sur  que  l'Empire  veuille  et  puisse  prendre  tous  les  moyens 
de  lui  ren<lre  la  vie?  Voilà  ce  qu'il  importe  de  savoir  et  <pie  nous 
nous  permettrons  d'examiner.  S'il  y  a  encore  du  danj^er,  il  se- 
rait trop  cruel  (le  laisser  le  pouvoir  s'endoiruii"  dans  une  fausse 
sécurité  et  de  le  voir  ensuite  r(''veille  par  la  foudre  qui  le  ren- 
verse. 

Arrêter  la  n'volution  ipii  depuis  deux  siècles  n'a  pas  cessé  de 
marcher  et  dont  le  mouvement  s'est  accéléré  d'une  manière  ef- 
frayante depuis  la  lin  du  siècle  passé,  est  une  entreprise  bien 
hardie;  elle  sullirait  à  elle  seule  pour  ih'celer  un  ^rand  génie 
dans   celui  qui  oserait  l'entreprendre.  Kelever  un  empire  (|ui 


I 


IT    DE   LA   l'.EVOMTION.  81 

tombe,  rendre  des  conditions  de  vitalité  à  un  peuple  en  déca- 
dence, restaurer  une  société  démoralisée ,  faire  luire  la  vérité 
dans  des  inti'llij;ences  obscurcies  par  les  ténèbres  de  l'erreur, 
redresser  des  opinions  faussées,  ce  serait  plus  que  vouloir  fixer 
sur  un  plan  fortement  incliné,  une  masse  arrondie  dont  la  pe- 
senteur  dépasserait  celle  de  la  terre  ;  pour  cela,  il  faudrait  plus 
qu'un  géant,  ce  ne  pourrait  être  que  l'œuvre  d'un  Dieu.  Jus- 
qu'ici, il  faut  l'avouer,  ce  Dieu  s'est  montré  favoraJ^le  à  l'Em- 
pire; car  c'est  par  l'empire  qu'il  a  sauvé  la  France  et  l'Europe 
au  moment  où  ils  étaient  sur  le  point  de  faire  le  dernier  pas 
vers  les  abîmes  de  l'anarchie.  A  ce  moment  suprême,  fort  de 
volonté,  généreux  par  caractère,  ayant  foi  à  son  nom  et  à  sa 
destinée,  un  homme  enfin  tels  qu'ils  sont  quand  Dieu  les  envoie 
pour  les  grandes  choses  ou  les  grands  besoins;  cet  homme,  aidé 
sans  doute  par  un  bras  plus  puissant  que  le  sien,  a  suspendu  le 
cours  de  la  révolution.  L'a-t-il  arrêté?  Nous  ne  le  pensons  pas, 
et  nous  dirons  pourquoi  :  Dieu  sans  doute  s'est  montré  pour 
lui.  Dieu  a  fait  beaucoup,  il  est  prêt  à  faire  plus  encore;  mais 
il  veut  dans  les  choses  de  ce  monde,  comme  dans  les  choses  de 
la  grâce ,  le  libre  concours  des  volontés.  Ces  volontés  seront- 
elles  longtemps,  seront-elles  toujours  disposées  à  travailler  avec 
Dieu  et  selon  Dieu?... 

L'auteur  c?w  Principe  d'autorité  depuis  1789,  saisissant  d'un 
rapide  coup-d'œil  l'histoire  du  demi  siècle  qui  vient  de  s'écou- 
ler, montre  avec  une  lucidité  sans  égale  les  fautes  qui  ont  été 
faites  par  les  dépositaires  du  pouvoir.  Tout  ce  qui  a  passé  sur 
l'horizon  pendant  celte  époque  d'agitation ,  a  donné  son  coup 
pour  saper  l'autorité  ;  aussi  on  la  voit  tombant  de  chute  en  chute 
dans  des  mains  qui  la  livrent  aux  ennemis  qui  l'attendent  pour 
la  détruire  à  jamais.  Sous  la  royauté  légitime,  ce  sont  des  con- 
cessions scandaleuses  que  l'on  fait  à  la  révolution ,  et  sous  la 
royauté  d'expédient  ce  sont  de  criminelles  connivences. 

En  tout  cela  l'auteur  obtient  une  facile  victoire.  En  politique 
comme  en  philosophie,  le  terrain  est  facile  à  déblayer  quand  il 
ne  faut  qu'enlever  les  débris  informes  qui  le  couvrent.  Tout  ce 
qui  n'est  pas  vrai  d'une  manière  absolue  tombe  devant  la  raison 
qui  reste  toujours  maîtresse  de  détruire  son  ouvrage.  Le  diffi- 


82  i>E  l'aitorite 

cilo,  l'est  «le  loconsiniirc.  (l'est  là  (|iic  nous  attcMulons  IKuipiro. 

Il  dit  d'abord  ce  (|u  il  ne  fera  |>as. 

Il  c&i&lc,  ilu  reste,  dit-il,  un  critérium  excellent  pour  juger  si  un  pouvoir 
se  trouve  dans  des  conditions  naturelles  et  vraies  .  c'est  de  voir  s'il  possi'îdc 
les  allrihuts  essentiels  de  rautorito.  Or  l'aulorilé  est  inxiolubic  et  sacrée  :  est- 
ce  IKinpire  (|ui  a  laissé  violer  son  sanctuaire  par  la  réxolle?  L'aiitorité  est 
invincible  :  est-ce  l'Empire  qui  a  cté  vaincu  par  l'esprit  révolutionnaire? 
L  autorité  est  fcrnie  :  est-ce  rEn»|>ire  (|ui  u  failli  <le\anlle  desordre?  Lau- 
torité  doil  parder  le  troupeau  :  est-ce  l'Kmpirc  qui  l'a  livré  sans  défense  aux 
appétits  démagogiques?  L'autorité  doil  faire  révérer  la  religion  :  est-ce  l'Em- 
pire qui  l'a  compromise  par  une  protection  maladroite,  ou  laissé  insulter  par 
le  sac  de  ses  temples  ?  L  aulorilc  est  la  gardienne  des  lois  :  csl-cc  l'Empire 
qui  a  pernùs  aux  barricades  de  se  dresser  contre  elles  et  de  nielire  à  leur 
place  l'anarchie?  Ainsi,  les  causes  et  les  cfTels,  les  conditions  d'existence  et 
les  opinions,  tout  concourt  à  démontrer  que  depuis  longtemps  la  France  n'a- 
vait rien  fondé  d'aussi  nécessaire ,  d'aussi  national  et  d'aussi  logique  que  la 
nuiuarchic  iiujuriaic. 

On  peut,  d'a|)rès  cela,  conclure  (|ue,  fort  de  son  aniécédent. 
profilant  de  re\|)('rien(e  du  passé,  l'Empire  ne  tombera  pasdau> 
les  ernmr'nls  (pii  ont  perdu  la  royauté  el  (pi'il  erhappera  à 
toutes  les  embûches  qui  lui  seront  dressées  par  d'habiles  rons- 
pirateiirs;  mais  tout  cela  n'est  poini  encore  assez  pour  n'iabiir 
le  princijM'  d'autnrilé.  Ce  serait  l'aMiNre  de  plus  d'un  siècle.  Eu 
le  dé(tlaçant  d'abord  el  ensuite  eu  deiruisanl  le  |)rincipe  d'auto- 
rité, le  ])rotestanlisuie  ralioiiajisnie  miti^'e,  aidé  du  rationalisme 
pur.  est  parvenu  à  donner  pour  base  do  l'ordre,  la  force  et  les 
intérêts  matériels  qui  vont  n-chauffer  au  fond  des  cœurs  la  cu- 
pidiii-,  l'ambition,  le  sensualisme,  source  trop  fertile  d'ant;igo- 
nisme,  <le  rivalité  el  de  guerre  perpétuelle.  Or,  pour  rempla- 
<  er  sous  le  monde  moral  ces  faibles  étais  par  une  base  capa- 
ble de  défier  le  temps,  il  faudrait  bien  de  la  persévérance  dans 
les  volontés,  dans  les  moyens,  dans  les  inslilutious.  Klilqui  ptiii 
persévérer  dans  une  épiupie  oii  tout  est  au  provisoire? 

Nous  l'avons  digà  dit,  l'autorité  est  ipielque  chose  »Ie  moral 
qui  doil  avoir  s;i  racine  dans  les  cœurs,  el  qui  ne  peut  y  germer 
que  lentement  sous  l'influence  de  renseignement,  de  l'éducation, 
«les  habiuidfs  et  des  mteurs.  C'est  une  foi  sociale  <]ui  vient  ù 
la  suite  des  dogmes  et  «pii  s'en  va  quand  vient  l'inrrédulitc.  Or, 


i:t  ni:  la  i;i;voi,ltion.  83 

(jui  ne  voit  i\nc  riiicrédulilé  politicjue  veoiie  ù  la  suite  de  l'incré- 
dulité religieuse  a  hieniùt  envahi  tous  les  esprits!  Qui  ne  voit 
que  la  foi  politique  ne  pourra  revenir  qu'avec  la  foi  religieuse! 
Maisquede  lenq)s  il  faudrait  poui-  replacer  dans  les  intelligences 
les  raisons  de  l'ordre  que  l'on  voudrait  ensuite  voir  se  refléter 
dans  la  société.  Une  génération  démoralisée  ne  se  convertit  pas 
comme  pourra  le  faire  un  individu ,  il  faut  qu'elle  passe.  Celle 
qui  vient  après,  qui  a  vécu  dans  son  contact,  plus  ou  moins 
atteinte  de  la  contagion,  ne  vaudra  guère  mieux,  il  faut  en- 
core (ju'elle  passe.  Les  mœurs  vont  avec  les  siècles  et  non 
avec  les  jours.  La  tâche  que  l'Empire  assumerait  sur  lui 
serait  donc  immense.  Il  faudiait  supposer  dans  ceux,  qui  en 
tiendraient  les  rênes  une  longue  durée,  une  grande  persévé- 
rance de  volonté  et  d'action,  une  certaine  continuité  d'intelli- 
gence, et,  avec  tout  cela,  le  concours  de  la  Providence,  qui,  du 
reste ,  ne  manque  jamais  à  ceux  qui  consentent  à  marcher  avec 
elle.  Est-ce  bien  là  ce  que  nous  voyons? 

L'Empire  veut  sauver  les  principes  de  89.  Il  y  a  quelque  chose 
de  bien  équivoque  dans  celte  déclaration.  Contient-elle  une  pro- 
messe ou  une  menace?  Nous  ne  le  savons.  Toutes  les  fois  que 
nous  entendons  parler  des  principes  de  89,  et  Dieu  sait  combien 
de  fois  cela  nous  arrive,  nous  nous  demandons  à  nous-même,  et 
nous  demandons  aux  autres  quels  sont  donc  ces  principes?  Nous 
aimons  la  clarté  et  la  netteté  dans  renonciation  des  choses.  On 
ne  nous  répond  que  par  des  tergiversations,  des  phrases  embar- 
rassées et  de  fausses  allégations.  Voici  ce  que  le  livre  de  l'auto- 
rité contient  de  plus  précis  sur  ce  sujet  :  «  Quant  au  temps  pré- 
»  sent,  dit-il,  on  ne  niera  pas  que  nous  ne  possédions  la  liberté 
»  civile  dans  tout  son  développement.  Nous  avons  avec  l'abolition 
»  des  privilèges,  avec  l'égalité  de  tous  devant  la  loi  et  la  répar- 
»  tilion  proportionnelle  de  l'impôt,  la  liberté  individuelle,  la 
»  liberté  de  la  conscience,  la  liberté  de  l'industrie,  la  liberté  de 
»  la  propriété.  Voilà  la  solide  et  précieuse  conquête  de  la  civilisa- 
Blion  moderne,  etc. 

Nous  commençons  par  convenir  que  nul  pays  en  Europe  ne 
jouit  d'autant  de  liberté  que  la  France;  mais  nous  sommes  loin 
de  croire  qu'elle  possède  la  liberté  civile  dans  tout  son  dévelop- 


I 


84  i>E  l'autorité 

pftnent.  Dans  un  pavsoîi  le  p^ro  de  faniillt'  iit-  |»»mii,  jpns  soi, 
disposer  de  sa  foriiiiie  (|ur  selon  le  hoii  |»laisir  du  code  ,  où  ses 
enfants  lui  sont  ravis  parla  conscription,  oii  tout  un  attirail  de 
lois  universitaires  se  présente  pour  drlenniner  le  degré  d'in- 
struction qu'ils  devront  a(-(]Utrir  pour  |)lairc  à  l'Etat;  dans  un 
pavs  où  toute  œuvre  de  charité  doit  passer  S(»us  les  fourches  cau- 
dines  du  gouvernement,  sous  peine  de  nullité,  oîi  la  commune 
ne  peut  gérer  ses  avoirs,  créer  ses  «'lahlissemenis  publics,  se 
fonder  des  iiislilulions,  sans  avoir  au  préalable  soutnis  toutes  ses 
volontés  à  des  volontés  étrangères  qui  sont  incapables  de  les 
apprécier,  ni  même  de  les  bien  comprendre;  dans  un  pays  enfin 
oii  le  peuple  paie  des  impôts  cpi'il  n'a  i)as  consenti,  il  ne  faut 
pas  parler  de  liberté  civile,  à  moins  qu'on  ne  veuille  donner  ce. 
nom  de  liberté  à  un  système  inventé  tout  exprès  pour  étouffer  la 
liberté. 

On  s'efforce  aussi  de  faire  homiciir  à  89  de  l'abolition  des  pri- 
vilèges et  de  l'égalité  devant  la  loi.  II  va  trente  ans  qu'on  ne  cesse 
de  nous  répj'ter  cette  fable.  Pourtant,  malgré  la  fâcheuse  dispo- 
sition que  nous  trouvons  partout  à  se  contenter  de  mot^  vides  de 
sens,  nous  doutons  que  les  publicistes  qui  s'en  servent  aient  la 
moindre  croyance  à  celle  assertion. 

Il  est  vrai  (pi'eu  France,  comme  partotit,  on  est  égal  devant  la 
loi  ;  mais  |>our  être  vrai,  il  laui  bien  vile  ajouter  que  c'est  de- 
vant la  loi  qui  établit  les  inégalités  et  les  privilèges.  Jamais  so- 
ciété ne  fut  plus  loin  de  l'égalité  (]uc  ne  Icsi  la  nôtre.  Depuis 
que  l'État  s'est  substitué  à  l'individu,  à  la  famille,  a  la  com- 
mune, est-ce  que  tout  n'est  pas  devenu  privilège?  Fonder  imr 
aumAne,  établir  un  hôpital,  exploiter  une  industrie,  enseigner 
des  enfanls,  rendre  la  justice,  défendre  une  cause,  dresser  un 
acte,  porter  une  assignalion  .  donner  des  soins  aux  malades, 
vendre  des  drogues,  t(  nir  nn  cabaici.  etc.,  etc.,  ne  sont-ce  pas 
des  privilèges  que  donne  la  loi,  comme  elle  en  donna  et  en 
donnera  toujours.^  Nous  ne  trouvons  pas  que  tout  soit  à  bU^mer 
dans  ces  prévoyances  ;  mais  ce  qui  nous  parait  élraDgc,  c'est 
que  l'on  veuille  faire  de  cette  égalité  devant  la  loi  une  conquête 
de  89.  Est-ce  (pi'aiiparavant  la  loi  ne  créait  pas  des  inégalités, 
comme  elle  le  fait  aujcmrd'huiP  Pour  être  moins  nombreuses 


ET  DE  LA  REVOLUTION.  85 

peut-être  qu'elles  ne  sont  à  [nésent,  étaient-elles  moins  légi- 
times? La  loi  d'alors  était-elle  moins  apte  à  faire  un  baron,  un 
marquis,  un  duc  et  pair  qu'elle  ne  l'est  aujourd'hui  à  faire  un 
médecin,  un  avocat,  un  préfet,  un  juge,  un  ministre  ou  tout  au- 
tre chose? 

Avant  89,  dit-on,  les  privilèges  venaient  de  la  naissance  plus 
que  de  la  loi  :  c'est  une  erreur;  ils  ne  suivaient  la  naissance  que 
parce  que  la  naissance  était  elle-même  dans  la  loi.  Est-ce  que 
de  nos  jours  la  naissance  ne  donne  pas  des  prérogatives  légales  ? 
N'est-ce  pas  la  naissance  qui  vous  donne  une  patrie,  le  nom  de 
votre  père  et  les  biens  de  votre  famille?  Quels  privilèges  pour- 
raient jamais,  dans  une  belle  âme,  égaler  ceux-là?  N'est-ce  pas 
encore  à  la  naissance  que  se  trouve  attachée  la  succession  du 
pouvoir  dans  les  monarchies  modernes?  La  légitimité  qui  est  un 
article  fondamental  du  droit  public  européen  est,  sans  contredit 
la  plus  admirable  institution  des  pays  civilisés  ou  ceux  qui  veu- 
lent le  devenir.  Pourquoi  cette  légitimité  ne  rayonnerait-elle 
pas  du  centre  à  tous  les  points  de  la  circonférence,  et  n'assure- 
rait-elle pas  la  perpétuité  de  la  famille  comme  on  veut  qu'elle 
assure  la  perpétuité  de  la  nation?  Pendant  que  cette  loi  de  vie 
ne  sera  qu'une  exception,  qu'un  privilège  de  la  dynastie,  nous 
redoutons  bien  qu'elle  ne  puisse  jamais  devenir  une  institution 
nationale,  un  article  fondamental  du  droit  politique  d'un  peuple. 
Mais  laissons  l'examen  de  ce  grand  problème  à  de  plus  experts 
que  nous. 

On  ajoute  encore  que  s'il  y  a  des  privilèges  établis  par  les 
lois,  ils  ne  blessent  pas  l'égalité,  puisque  tout  le  monde  peut  y 
parvenir.  Cette  assertion  n'est  guère  plus  vraie  que  l'autre.  Il 
n'est  pas  vrai  que  tout  le  monde  puisse  y  parvenir.  Les  privilèges 
naissent  les  uns  des  autres  comme  les  branches  de  l'arbre  nais- 
sent dn  tronc.  Or,  ce  tronc  auquel  se  rattachent  les  privilèges 
est  toujours  le  même,  la  naissance  qui  donne  la  fortune  et  la 
fortune  qui  donne  la  position  ou  le  moyen  de  l'acquérir.  Tel  a 
pu  devenir  avocat,  médecin,  préfet  ou  ministre  parce  qu'il  a  pu, 
par  l'étude,  acquérir  les  connaissances  indispensables  à  ces 
charges.  Pour  l'étude  il  fallait  le  loisir,  et  pour  le  loisir  il  fallait 

6 


8(i  DE   LAL'TdRITK 

I»  forluoe  et  jus(|u'ù  un  certain  point  la  naissance  ou  la  position 
de  famille. 

L'égalili-  tlevant  la  loi,  l'aholiiion  dos  piivilcj^es  ne  sont  donc 
|K)int  (les  concjuctes  de  la  révolution.  Quand  nous  entendons  des 
pubiic'istes  distin|^'ués  d'ailleurs,  nous  assourdir  à  force  de  noiLS 
répéter  ce  contre  sens  ,  nous  sommes  tentés  de  croire  qu'ils 
obéissent  à  un  de  ces  mots  d'ordre  que  l'on  transmet  sans  se 
croire  obligé  d'en  examiner  la  portée. 

Quiconque  voudra  examiner  avec  franchise,  loyauté  cl  df^in- 
tére«senieiil  les  jirincipes  qui  ont  été  post'-s  en  89,  principes  dont 
nous  subissons  les  funestes  conséquences ,  sera  forci-  d'avouer 
que  rien  n'est  sorti  de  ce  mouvement,  si  ce  n'est  le  discrédit  de 
la  proprii'ié  la  libelle  illimitée  des  impôts,  ranéantissement  de 
toute  leprcsentaiion  et  le  déplacement  du  despotisme  ipii  était 
venu  au  monde  avec  le  i)roteslanlisme  et  cjui,  à  celte  époque,  a 
passé  d'un  trône  sur  des  hancs.  Un  lioronic  de  génie,  M.  de  Bo- 
nald,  a  parfaitement  détini  la  lévoluiion  de  89  <|uand  il  a  dit  que 
c'était  la  guerre  des  infériorités  jalouses  contre  les  supt'-riorilés 
nécessaires. 

Pendant  que  les  Étals  généraux  étaient  respectés  et  qu'on  leur 
permettait  d'obéir  au  but  de  leur  insliuiiion  première,  la  France 
avait  une  véritable  représentation,  tous  les  intérêts  trouvaient 
des  défenseurs  et  même  des  d«''fenseurs  obligés;  car  chaque  dé- 
puté ayant  un  mandat,  un  pouvoir  réel,  il  était  dans  toute  la  vé- 
rité de  l'expiessioii  le  d<'posiiaire  des  volontés  du  peuple.  Au  20 
juin  1798,  les  députés  se  reunissent  au  Jeu-de-Paume,  abjurent 
leurs  mandats,  usurpent  les  droits  du  peuple,  ceux  Ju  monar- 
que, et  inaugurent  le  règne  d'une  féodalité  haiarde  et  du  despo- 
tisme de  l'aristocratie  bourgeoise  sur  le  peiq)le  (pii,  dès  lors,  n'a 
plus  compte  pour  rien  dans  les  alTaires  pid>li(|ues ,  à  moins 
que  l'on  ne  veuille  regarder  tomme  un  privilège  l'ohlig-ation 
donnée  à  quelques-uns  de  voter  pour  se  créer  des  despotes  sans 
responsabilité.  Aujourd'hui,  un  prince  (pii  a  rmlelligence  de 
la  société  a  compris  (ju  il  devait  soriir  l«'  peuple  de  l'étal 
d'ilotisme  auquel  soixante  ans  de  serv;ige  l'avait  réduit;  il  l'a 
consult*'- et  a  \oulu  lui  demander  un  mandat,  esjK'rons  (|u'il  lui 
reconnaîtra  d'autres  droits. 


ET   l>K   LA    KÉVOLUTION.  87 

Jusqu'n  rEiiipin;,  inio  <;oml»inaison  savante,  mais  d'une  poi- 
lidie  sans  éj^alo,  disposait  du  peuple  pour  en  faire  un  instrument; 
c'était  une  machine  à  fabriquer  des  maîtres.  Ces  maîtres  devaient 
sortir  de  l'arislocralie  ,  car  ils  n'étaient  choisis  ni  par  la  com- 
mune, ni  dans  la  commune.  Ces  maîtres  avaient  un  pouvoir  illi- 
mité, car  il  ne  peut  venir  dans  la  pensée  de  personne  de  regar- 
der une  royauté  constitutionnelle  comme  un  obstacle  au  despo- 
tisme des  députés.  Le  roi  qui  est  sans  responsabilité  n'agit  que 
par  ses  ministres;  ses  ministres  doivent  sortir  de  la  chambre  des 
députés  ;  ces  députés  qui  deviennent  ministres  doivent  apparte- 
nir à  la  majorité.  Donc  la  majorité,  ou  ce  qui  revient  au  même, 
les  députés  ont  un  pouvoir  sans  limites.  Que  l'on  dise  à  des  po- 
litiques ignorants  qu'il  peut  y  avoir  dans  une  chambre  haute  un 
pouvoir  modérateur  capable  de  contrebalancer  l'omnipotence 
des  députés,  cette  fadaise  tomberait  bien  vite  devant  les  fournées 
de  pairs,  de  sénateurs,  etc..  Les  députés  du  peuple  peuvent  à 
leur  gré  ruiner,  piller,  voler,  tyraniser  selon  leur  bon  plaisir  ou 
l'inspiration  de  leurs  intérêts.  Ils  ont  fait  voir  tout  ce  dont  ils 
étaient  capables.  C'est  bien  sous  eux  et  par  eux  que  le  peuple 
français  est  devenu  taillable  à  miséricorde.  Aussi  quand  il  a  été 
permis  au  peuple  de  donner  son  avis,  il  a  autant  qu'il  l'a  pu  ap- 
plaudi à  la  chute  de  cette  inepte  comédie  qui  avait  pour  titre  : 
gouvernement  représentatif. 

C'est  surtout  pour  les  impôts  que  le  mandat  spécial  était  né- 
cessaire. En  1484  les  États  généraux  rassemblés  à  Tours  exi- 
gèrent l'abolition  des  impôts  qui  avaient  été  mis  arbitrairement, 
c'est-à-dire  sans  eux.  Ils  ne  s'en  tiennent  pas  à  cela,  ils  prévoient 
l'avenir  et  statuent  que  désormais  le  consentement  des  États 
sera  indispensable  pour  l'établissement  de  toute  taxe  nouvelle. 
Enfin  ils  déclarent  qu'ils  ne  veulent  autoriser  que  pour  deux 
ans  la  perception  des  impôts  extraordinaires  établis  sous  Char- 
les VIII  et  encore  à  titre  de  don  ou  de  concession. 

Quand  un  peuple  jouit  du  droit  de  garder  ce  qu'il  a  et  de  ne 
le  céder  qu'à  bon  escient ,  il  ne  se  laisse  pas  dépouiller  comme 
cela  arrive  de  nos  jours.  Sous  les  gouvernements  du  moyen  âge, 
il  n'était  pas  rare  de  voir  diminuer  les  charges  du  peuple.  De- 
puis que  le  despotisme  bourgeois  a  commencé  à  peser  sur  la 


88  Dt  l'autorité 

France,  pas  une  seule  année  ne  s'est  «M-oulee  sans  apporter  de 
nouvelles  charges  au  peuple.  Celte  au};mentatton  n-gulicre  des 
impôts  sous  les  ^'ouvenienients  constitutionnels  est  un  phéno- 
luène  digne  de  remarque  et  qui  suilirait  à  lui  seul  pour  le  faire 
apprécier  à  sa  juste  valeur.  En  rcniont;int  au  hu«l^'»i  de  1789 
(|ui  s'elèvc  à  la  modeste  somme  de  476  millions,  un  le  voit  mon- 
ter d'année  en  année  jusqu'à  la  somme  de  deux  milliardsl...  Ce 
n'est  pas  le  cas  de  dire  :  si  le  peuple  le;  savait!...  flelas!  il  le 
sait  tiop.  Mais  on  pourrait  dire  ;  ali  !  si  le  peuple  était  ap{)eié 
à  le  voler  ! 

On  dirait,  à  voir  la  froidenr  avec  laquelle  les  hommes  d'Elat 
traitent  les  linanc«'S,  (|u'ils  ignorent  l'importance  politique  d'un 
budget.  Ils  sont  tellement  habitués  ù  compter  le  peuple  pour 
rien,  que  la  pensée  de  ses  soffraoces  ne  pénètre  pas  jusqu'à  leur 
esprit.  Le  budget  est  le  miroir  et  jusqu'à  un  certain  point  la 
mesure  des  libertt's  d'un  |»eujth'.  La  liberté  est  en  raison  inverse 
du  budget;  elle  diminue  comme  le  budget  augmente. 

La  centralisation  parfaite  comme  elle  existe  actuellement  dans 
un  grand  nombre  (TLials  est  |)our  le  peuple  la  perle  de  toute 
liberté,  même  de  la  liberté  de  |)enser,  car  la  pensée  revient 
chaque  jour  toute  faite  du  centre.  La  centralisation  est  un  régime 
d'impôts;  le  peuple  qui  avait  |ierdu  le  droit  de  s'administrer 
doit  payer,  et  surtout  payer  bien  cher,  ses  gardiens,  ses  admi- 
nistrateurs ,  ses  tuteurs ,  ses  •'•ducaleurs,  ses  inspecteurs  el  ses 
maîtres  en  tout  genre. 

On  demande  pourquoi  il  y  a  dans  le  |)eiq)le  si  |)eu  d'affcclion 
pour  des  goinernenieiits  «pii  lui  donnent  tant  de  lustre,  tant  de 
gloire  par  les  belles  entreprises  que  la  ceniralis:ition  ren«l  pos- 
sible? C'est  (pje  pour  le  peuple  le  luxe  de  la  civilisation  n'est 
qu'en  secon<le  ligne.  Il  croil,  comm<;  on  le  lui  a  dit  quelque- 
fois, que  la  première  condition  pour  aller  à  rimmortalilc,  c'est 
de  ne  pas  mourir  de  faim.  11  di'teste  les  gros  budgets  <pii  ne  sont 
adorés  (pie  par  ceux  qui  en  veulent  tirer  nue  grosse  part. 

Atleiidie  des  oligarchies  modernes  la  iliiiiinution  des  budgets, 
c'est  ne  pas  connaître  les  hommes  qui  la  «om|)osent.  augmenter 
sans  mesure  le  nombn*  des  |)reiianls,  ac»  roilic  iiuhriniment  la 
part  affén'iitc  à  chacun  d'eux ,  j;'cst  la  sciib-  chose  dont  leur 


ET  DE  L\  RÉVOLUTION.  89 

vienne  la  pensée.  Pour  diminuer  le  budget,  il  faudrait  rendre  la 
liberté,  et  pour  arriver  à  la  liberté,  passer  sur  les  ruines  de  la 
centralisalion.  Il  y  a  trop  de  bras  occupés  à  tirer  cette  lourde  et 
pesante  cliaruo.  Quand  le  sillon  est  achevé,  il  ne  produit  pas  de 
quoi  nourrir  railclagc.  Il  l'audrait  laisser  cultiver  à  économie  le 
champ  du  pays;  c'est  ce  que  ne  pourra  jamais  faire  l'aristocratie 
bourgeoise  ;  un  prince  le  pourrait  et  il  se  ferait  adorer  du 
peuple! 

Nous  avons  beau  chercher  ce  qui  peut  être  sorti  de  bon  de  89, 
il  nous  est  impossible  de  rien  y  découvrir  de  semblable.  Nous 
ne  sommes  pas  seuls  dans  cette  conviction.  Un  publiciste  dont 
on  ne  suspectera  pas  la  sincérité,  M.  de  Cassagnac,  a  démontré 
que  tout  ce  qui  est  sorti  de  juste,  d'utile  et  de  bon  de  ce  grand 
mouvement  qu'on  appelle  la  révolution  française  avait  son  ori- 
gine et  souvent  même  un  commencement  d'application  sous  la 
monarchie  légitime...  Nous  ajoutons  nous,  et  nous  sommes  prêts 
à  le  démontrer,  l'histoire  à  la  main,  que  si  la  révolution  de  89 
et  sa  longue  queue  n'était  pas  venue ,  le  progrès  dans  les  réfor- 
mes, les  améliorations  et  toutes  les  institutions  utiles,  aurait  été 
plus  constant,  plus  uniforme,  plus  complet,  et  qu'il  aurait  très- 
probablement  donné  lieu  à  un  état  de  civilisation  perfectionnée, 
de  prospérité  tranquille  auquel  nous  ne  pourrons  plus  jamais 
atteindre.  Du  reste,  l'auteur  de  l'ouvrage  sur  le  Principe  d'auto- 
rité n'est  pas  loin  de  penser  comme  nous,  car  voici  ce  qu'il  dit  : 
«  La  grande  révolution  de  1789  a  commencé  par  d'admirables 
»  réformes,  et  a  abouti  à  de  grands  excès,  les  réformes,  œuvre 
»  du  progrès  des  mœurs  et  de  la  raison,  sont  le  patrimoine  ina- 
»  liénable  de  la  France  ;  mais  les  excès ,  ouvrage  des  passions 
»  anarchiques,  sont  restés  odieux  à  la  génération  actuelle  comme 
»  ils  l'avaient  été  aux  contemporains ,  qui  infligèrent  le  nom  de 
»  terreur  à  ces  folies  sanguinaires.  » 


IV. 


La  France,  d'après  l'auteur  du  Principe  d'autorité,  ne  veut 
ni  de  la  légitimité,  ni  de  la  royauté  de  juillet  ;  car  elle  ne  veut 


90  DE  l'autorité 

ni  retour  au  passé,  ni  connivence  avec  la  révolution.  Gj  qu'elle 
veut,  c'est  la  conservation  dos  réformes  de  89  et  une  main  assez 
forte  pour  les  empc^cher  de  lourner  à  la  rt'vulution  ;  car  «  elle 
»  tient  esseniiellemenl  aux  inléi-^ts  l<'f,'itimes  nos  de  la  révolu- 
■  tion  de  1789;  mais  elle  condainiit;  autant  (ju'elle  redoute  les 
»  idées  révolutionnaires  (|ui  prétendent  aller  au-delà. 

■  Telle  est  évideiiiineiit  le  sentiment  j^énéral  du  pays  :  ni  re- 
»  tour  au  jeu  lunesle  des  révolutions.  C'est  pourquoi  ce  qu'il 
»  recherche  surtout  dans  son  gouvernement,  c'est  une  force  qui 
»  se  dévoue  au  régime  nouveau,  et  qui,  en  raî'me  temps,  le  pré- 
»  serve  de  révolutions  nouvelles.  » 

Si  maintenant  l'on  en  <  roit  à  l'auteur  dont  nous  venons  de 
citer  les  paioles,  la  force  qu'il  croit  indispensable  ne  peut  se 
trouver  (pie  dans  rEn)piie.  La  France  irécliappera  aux  liorreurs 
de  la  révolution  (]u'à  la  condition  de  passer  par  les  mains  de 
l'Empire. 

Nous  commençons  par  convenir  que  pour  échapper  h  un  tel 
mal,  la  condition  priniièrc  est  la  force.  Nous  convenons  encore 
que  rKmpire  d'aujourd'hui,  con)me  le  fut  relui  dt-  luumaire,  c'est 
la  force  çUe-méme;  car  c'est  pour  elle  «ju'il  a  momentanément 
triomphé;  nous  ajouterons  «|u'il  en  a  use  avec  une  modération, 
une  sagesse  (jui  l'ont  sans  cesse  soutenu  et  l'ont  empêche  de  dé- 
générer en  tyrannie  et  de  tomber  dans  le  sang.  Mais  on  se  trom- 
perait si  l'on  pouvait  croire  que  la  force  qui  est  une  condition, 
étiiit  aussi  un  moyen  suflisanl  pour  arrêter  la  révolution  et  re- 
placer les  choses  dans  U'ur  «'lat  normal.  La  force  est  dans  la  so- 
ciété ce  que  le  tonnerre  est  dans  les  airs;  c'est  le  régne  d'un 
monwnl.  Klle  siir;,'it,  die  tombe,  elle  change  de  direction  avec 
une  rapiditi'  (]ui  étonne.  Henversanl  aujouril'hui  ce  qu'elle  éle- 
vait hier,  elle  brisera  demain  les  autels  ((u'elle  commençait  à  orner 
pour  ses  favoris.  Il  y  aurait  plus  <pie  de  l'imprudence  à  compter 
sur  elle.  Klle  se  «ompose  d'elénjenls  si  divers,  elle  exige  le 
concours  de  tant  de  >olonlés,  elle  est  un  pioldème  (|ui  a  tant 
d'inconnu  qu'il  serait  téméraire  d'en  attendre  des  résultats 
certains  et  loiijoiirs  iiit'nii(]nes. 

La  révolution,  au  contraire,  est  un  mal  chronique,  une  vieille 
lèpre  (pii  ronge  la  so<  iété  et  la  conduit  lentement  à  la  mort.  1^ 


ET  DE  L,V  RÉVOLUTION.  91 

force  peut  arrêter  un  spasme,  prévenir  une  défaillance;  mais 
quand  a  cessé  son  action,  la  langueur  recommence  et  la  mala- 
die reprend  son  cours. 

Est-ce  à  dire  qu'il  faut  désespérer  de  nous,  que  notre  mal  est 
incurable  et  que  nous  sommes  fatalement  conduits  à  la  mort  par 
la  révolution  qui,  dans  le  langage  démagogique,  a  reçu  le  nom 
de  république  démocratique  et  sociale P .. .  Hélas!  nous  sommes 
portés  à  le  croire  !  Le  mal  est  si  profond,  il  a  pu  atteindre  un 
si  grand  nombre  de  générations  qu'il  nous  est  impossible  d'être 
rassurés  par  la  présence  de  la  force.  11  est  vrai  que,  trop  con- 
fiante dans  le  nombre,  le  dévouement  et  l'audace  de  ses  adeptes, 
la  révolution  a  cru  pouvoir,  à  plusieurs  reprises,  s'emparer  du 
monde  et  qu'elle  a  été  repoussée  ;  mais  elle  n'a  pas  été  tuée;  le 
danger  passé,  elle  s'est  remise  à  l'œuvre.  On  ne  peut  pas  dire 
que  la  France  soit  comme  le  sont  actuellement  la  Suisse  et  le 
Piémont,  une  machine  de  guerre  au  service  de  la  révolution; 
mais  tout  caché  qu'il  est,  le  travail  continue  et  se  rit  de  la  force 
qui  ne  manquera  pas  d'aller  en  s'affaiblissant  chaque  jour,  tan- 
dis que  chaque  nuit  grandira  la  révolution. 

Si  quelque  force  était  capable  de  comprimer  et  ensuite  d'ar- 
rêter la  révolution,  ce  devrait  être  une  force  latente,  continue 
comme  celle  d'une  montagne  qui  pèse  incessamment  sur  le  sol. 
Sous  une  pression  de  cette  nature,  la  révolution  se  débattrait, 
rugirait  quelquefois  comme  le  géant  sous  le  mont  Etna;  mais 
le  monstre  ne  sortirait  pas  de  son  antre.  Or  cette  force-là  serait 
dans  l'amour  du  peuple  pour  son  gouvernement,  dans  la  foi  à 
l'autorité,  dans  le  respect  du  pouvoir.  In  hoc  signo  vinces! 

Mais  comment  établir  ces  vertus  politiques  dans  un  si  grand 
nombre  de  cœur  qui  leur  sont  actuellement  fermés?...  Ce  n'est 
point  une  chose  impossible.  La  Providence  ne  manque  jamais  à 
ceux,  qui  invoquent  son  concours  et  qui  consentent  à  marcher 
avec  elle;  le  prince  fort,  courageux  et  prudent  qui  suivrait  ses 
inspirations,  obtiendrait,  par  une  sagesse  continue,  ce  que  jamais 
la  force  ne  pourrait  lui  promettre. 

Un  large  système  de  réforme  embrasserait  toutes  les  facultés 
de  l'homme,  et  par  une  éducation  continue,  relèverait  aux  vertus 
sociales  qui  sont  indispensables  pour  produire  l'harmonie  et  la  ci- 


92  DE  l'autorité 

vilisaiion.  On  a  dit  :ivec  vcrilé  que  pour  faire  d'un  jeune  homme 
un  chrélien,  il  éuiil  ncccssain'  que  h-  chiisiianisnH'  s'offrit  à  lui 
par  les  exemples  de  la  famille,  par  les  leçons  des  maîtres,  par 
les  ens('if:n«'nn'nts  publics,  parles  leriures  [tartirulières,  par  la 
vue  (les  monuments,  par  les  parlantes  images  «les  cérémonies 
religieuses  et  par  toutes  les  conversations  auxquelles  il  sérail 
appelé  à  prendre  part.  Si  en  entnnl  dans  son  es|>ril,  la  vérité 
chancelé,  il  est  diflîcile  qu'elle  s'y  étaMisse.  S'il  voit  autotir  de 
lui  des  dissentiments,  dos  contradictions,  iles  inconsé(]U('nces,  il 
commence  ù  douter,  et  au  lieu  de  devenir  chrétien ,  il  devient 
scepticjue  ou  indifférent.  A  plus  forlo  raison  en  est-il  ainsi  d'un 
peuple.  Si  l'on  veut  qu'il  soit  dans  son  ensemble  pénétré  de 
respect  pour  l'autorité;  si  l'on  veut  que  chaque  citoyen  aime 
son  pays,  qu'il  en  soutienne  les  lois  et  les  institutions,  qu'il  soit 
prêt  t^  voler  à  la  frontière  pour  repousser  l'ennemi,  (ju'il  se  re- 
fuse aux  conqdois  des  conspirateurs,  il  faut  que  ce  sentiment 
de  respect  et  d'amour  soit  poussé  jusqu'au  plus  profond  de  ses 
entrailles  par  tout  ce  qu'il  voit,  ce  qu'il  entend,  ce  qu'il  fré- 
quente. Cette  «'ducation  de  bon  citoyen  est  manquée,  si  à  chaque 
pas  il  e»t  enci)uragé  à  rompre  l'harmonie  du  concert  social,  à 
se  rc'volter  contre  l'autorité. 

Il  V  a  une  vérijô  fondamentale  dont  les  conducteurs  des  peu- 
ples devraient  se  [>énétrer  de  manière  à  faire  comprenilre  par 
tons  leurs  actes  qu'ils  en  sentent  l'importance.  Cette  vérité,  la 
voici  :  Les  hommes  ne  savent  que  ce  qu'ils  aj^prennent.  ils  ne  sont 
que  ce  qut»  l'éducation  les  a  faits.  Or,  les  nations  se  composent 
«l'hommes,  donc  les  nations  ne  seront  non  plus  que  ce  qu'on  les 
fera. 

Interrogez  tous  les  hommes  les  ims  après  les  autres,  du  plus 
savant  jus(]u'au  plus  ignoiant,  du  [dus  civilist' jiis«pi'au  plus  sau- 
vage. Demandez-leur,  que  savcz-vous?  Ils  seront  forcés  de  vous 
répondre  :  je  sais  «"e  (]u«?  l'on  m'a  ap[tris.  Ciéalure  de  tradition, 
je  reproduis  mes  maitres.  Formé  [>ar  la  fiarole,  par  Tt-criture , 
par  les  images,  ou  par  l'exemple  oti  l'action,  je  rends  à  la  société 
ce  que  la  sorii'té  m'a  donné.  Je  n'ai  pas  moi-même  formé  le 
monle  dans  lequel  on  m'a  jeté.  .le  parle,  je  pense,  j'agis  comme 
ont  parlé,  conmie  ont  pensé,  comme  oni  agi  ceux  au  milieu  des- 


ET  DE  LA   RÉVOLUTION.  93 

quels  j'ai  grandi.  Dans  loul  le  bagage  de  ma  science,  de  mes 
principes  moraux,  il  n'y  a  pas  un  article  qui  soit  de  moi,  tout 
m'est  venu  par  tradition.  Est-ce  ma  faute  si  cette  tradition  est 
perverse?  si  elle  a  été  assez  mauvaise  pour  empêcher  la  vérité 
d'arriver  jusqu'à  moi  ou  de  n'y  arriver  qu'entourée  de  toutes  les 
erreurs  les  plus  séduisantes  pour  un  cœur  aussi  faible  que  le 
mien  ?  Vous  m'avez  ouvert  toutes  les  écoles,  j'en  sors  avec  toutes 
les  doctrines.  Disciple  de  Lucrèce,  de  Spinosa  ,  des  panthéistes 
allemands,  je  dis  :  plus  de  Dieu!  plus  de  Providence!...  Disci- 
ple de  Lamélrie,  je  dis  :  plus  d'âme!  plus  d'immortalité!  plus 
de  ciel!  plus  d'enfer!...  Disciple  du  Grand-Orient,  je  dis  :  plus 
de  révélation!  plus  de  Christ!...  Disciple  de  Luther,  partisan  du 
libre  examen,  je  dis  :  plus  d'Église  !  plus  d'infaillibilité  !  plus  de 
représentant  de  Dieu  sur  la  terre!...  Disciple  de  Réranger,  de 
Barthélemi,  de  Ponsard  et  de  mille  autres,  je  répète  avec  eux  : 
plus  de  rois!  plus  de  rois!  plus  de  roisl...  Disciple  de  Prudhon, 
j'avance  avec  lui  vers  le  dernier  terme  des  négations  politiques, 
et  je  dis  :  plus  d'autorité!  plus  de  hiérarchie  !  plus  de  gouver- 
nement!... Disciples  des  clubs  et  des  sociétés  secrètes,  je  dis  : 
plus  de  propriété!  plus  d'héritage!  plus  de  famille!...  Dégoûté 
des  incertitudes  de  la  philosophie,  de  la  politique  et  de  la  mo- 
rale, je  me  suis  réfugié  chez  les  économistes  et  j'en  suis  sorti  en 
disant  :  plus  de  frein,  plus  d'entraves  aux  concupiscences  de  la 
chair!  Je  m'en  tiens  à  jouir! 

Ne  serait-ce  point  là  l'histoire  de  notre  état  social?  Et  l'on 
semble  s'étonner  qu'avec  un  tel  enseignement ,  la  révolution 
continue.  Ce  dont  il  faut  s'étonner,  c'est  qu'elle  n'ait  point  encore 
abouti. 


V. 


Voici  donc  l'Empire  avec  la  promesse  et  l'assurance  de  tuer 
la  révolution.  Nous  ne  voulons  point.  Dieu  nous  garde,  amoin- 
drir l'idée  que  l'on  peut  avoir  de  sa  puissance.  Nous  ne  voulons 
pas  même  révoquer  en  doute  sa  légitimité. 


"4  |»E   I.  ALTOhITK 

Quand  an  milieu  des  a^iiaiions,  du  trouhlo,  des  inquiétudes 
géntTales  el  de  la  guerre  civile,  un  lioninic  vient  ù  se  révéler; 
qu'il  se  précipitr  au  devant  du  cliar  de  l'Etat  pnH  à  chavirer  ei 
à  se  briser  sur  les  pavés,  que  d'une  main  lianlie  cet  homme  sai- 
sit les  rênes  abandonnées  par  de  lâches  ou  timides  conducteurs  ; 
alors  même  que  de  l'autre  main  il  tiendrait  le  fouet  menaçant, 
nous  sommes  tout  disposés  à  le  reconnaître  comme  l'envoyé  du 
ciel;  et  certes,  cette  légitimité  de  droit  manifestement  divin  en 
vaut  hien  une  autre.  Mais  la  (juestion  n'est  ()as  là. 

L'Empire  que  nous  voyons  à  l'œuvre  depuis  quelques  temps, 
prend-il  les  moyens  d'arrêter  la  révolution,  ou  bien,  après  lui 
avoir  résisté  pendant  quelques  jours,  va-t-il  lâcher  prise  et  lui 
permettre  de  s'organiser  de  nouveau? 

Entendonj-nous  bien  d'abord  sur  ce  que  signifie  ce  mot,  ré- 
volution. Il  ne  s'aj^it  point  ici  d'un  changement  de  prince,  de 
ministre,  de  constitution,  tl«'  forme  gouvernementale  ni  même  de 
dynastie.  Cx's  changements  qui  n'afl'ectent  que  la  partie  pour 
ainsi  dire  accessoire  de  la  société  sont  amant  d'é-volutions  qui 
peuvent  accélérer  ou  retarder  la  n''voliition;  mais  ne  sont  pas 
elle,  La  n'volution  a  quelque  chose  de  plus  radical,  elle  s'attache 
aux  bases  mêmes  de  la  soci«''tt'. 

En  elfei ,  depuis  le  commencement  du  monde,  la  société  a 
existé  par  l'autorité.  Nous  alhrmons  (|n'il  ne  pourrait  en  être  au- 
trement. Or,  tout  autour  de  nous,  il  y  a  une  école  qui  prétend 
organiser  une  société  sans  autorité,  sans  hiérarchie,  sans  sou- 
veraineté, sans  propriété,  sans  famille.  Les  défenseurs  de  cette 
idée  partout  n'-pandus,  sapent  tant  qu'ils  peuvent  l'ordre  de  choses 
actuel,  et  tout  ce  (ju'ils  font  perdre  au  jirincipe  d'autorité  est 
gagui'  pour  eux.  La  révolution  aura  triomphé-  le  jour  oii  l'anar- 
chie sera  complète.  Ils  ont  assez  de  confiance  «lans  leurs  prin- 
cipes pour  l'avouer. 

Pour  rétablir  sur  la  terre  l'autorili'  (|ui  est  fille  du  ciel  ,  la 
inan  lie  esi  iraice.  H  n'v  a  (pi'à  faire  le  'onlraire  de  ce  (]ue  font 
ses  ennemis  pour  la  détruire.  Quand  Dieu  régnera  dans  les  en- 
seignenieiiis  et  dans  les  mœurs,  l'autorité  assise  sur  le  trt^ne 
régnera  sur  les  cd'urs. 

Les  apôtres  de  la  république  sociale  ont  compris  que  la  rcli- 


ET   UE   LA   KÉVOLlJTlOiH.  95 

gion  catholi(}ue  était  le  seul  obstacle  à  leurs  projets.  C'est  con- 
tre elle  qu'ils  dirigent  tous  leurs  eflorts,  qu'ils  associent  tous  les 
intérêts,  qu'ils  soulèvent  toutes  les  puissances,  qu'ils  ameutent 
toutes  les  passions.  Pour  rappeler  l'autorité,  il  faudra  donc  ac- 
corder une  protection  active  à  la  doctrine  universelle.  Au 
moins,  faudra-t-il  lui  laisser  une  entière  liberté  de  se  produire 
et  de  se  manifester  aux  hommes. 

L'Empire  a  sans  doute  déjà  fait  beaucoup  pour  la  liberté  re- 
ligieuse de  la  nation.  Il  n'y  a  pas  de  pays  en  Europe  où  la  con- 
science catholique  soit  plus  à  l'aise.  Les  intentions  de  l'Empire 
peuvent  être  généreuses,  il  peut  élargir  encore  les  limites  de  la 
liberté  ;  mais  pourra-t-il  échapper  longtemps  aux  obsessions 
des  sectaires  de  foute  nature  qui  s'efforceront  de  lui  inspirer  des 
craintes  hypocrites  sur  les  empiétements  de  l'Église ,  sur  ses 
exigences  et  même  sui-  ses  tendances  à  une  trop  grande  liberté? 
Les  zélateurs  de  l'omnipotence  spirituelle  de  l'État  ne  trouve- 
ront-ils pas  dans  les  lois  organiques  un  arsenal  d'où  l'on  pourra 
chaque  jour  tirer  de  nouvelles  armes  pour  tuer,  la  liberté  re- 
ligieuse? 

Le  peuple  français,  cette  immense  majorité  qui  couvre  et  cul- 
tive le  sol,  est  chrétien.  Décidé  de  vivre  et  mourir  en  chrétien, 
il  voudrait  une  loi  digne  de  répondre  à  ce  besoin  du  cœur  fran- 
çais. Il  aspire  à  la  loi  du  repos,  il  veut  le  respect  du  dimanche 
comme  condition  essentielle  de  toute  moralité  civile  et  reli- 
gieuse. Si  l'Empire  le  voulait,  le  précepte  divin  deviendrait  la 
loi  la  plus  nationale  qu'il  soit  possible  de  donner  à  la  France , 
et  pourtant  cette  loi  qui  existe  n'est  point  encore  observée.  On 
impose  quelquefois  au  peuple  des  fêtes  que  l'on  appelle  natio- 
nales, tristes  manifestations  des  triomphes  de  partis,  pendant 
lesquelles  des  millions  de  vaincus  vont  se  cacher  pour  pleurer. 

On  ne  s'arrête  pas  devant  cette  souffrance,  et  quand  il  s'agit 
de  donner  au  peuple  une  loi  de  moralité  religieuse,  une  loi  qui 
donnera  de  grandes  consolations  et  ne  fera  pas  couler  une  larme, 
on  recule, devant  quelques  industriels  qui  ne  trouveront  jamais 
dans  l'année  assez  de  jours  pour  pressurer  l'humanité.  On  recule 
devant  quelques  chefs  de  conspiration  qui  ont  besoin  d'abrutir  le 
peuple  pour  en  jouir  à  leur  aise.  Ceux-là  redoutent  le  dimanche 


9G  nt  l'aitorité 

peoclant  le(]ucl  le  peuple  peut  alimenter  son  âme,  apprendre 
à  connaître  Dieu,  ;1  se  connaître  soi-même,  à  a|)prccier  ses  droits 
et  sa  dignité.  L'i^'norance  du  peuple  leur  convient  ;  elle  est,  en 
effet,  plus  favoraldr  au  proj,Tès   «le  la  révolution. 

I.a  religion  <ailioli(iue,  la  religion  des  Français  |)ourra-l-elle 
toujours  veiller  à  ses  iniérùts;  maintenir  sa  discipline,  recevoir 
lihit'mt'nl  de  son  <  lu-f  les  grâcrs  et  les  instructions  (|ui  sont  n»*- 
cessaires  à  son  unile?  Au  lieu  de  la  permission,  aura-t-elle  la  li- 
berté des  conciles?  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Tasservisseroent 
de  l'Eglise  signilie  toujours  la  liberté  de  la  révolution.  Entendez 
plutôt  les  révolutionnaires  du  duché  de  IJade,  de  la  Suisse  et  du 
l'iemonl! 

L'Empire  i>ourra-t-il  résister  aux  obsessions  de  l'université, 
cette  espèce  de  religion  de  Triât  qui  nouriil  depuis  si  longtemps 
l'espérance  de  se  substituer  un  jour  à  la  religi(»n  révélée?  En 
supposant  (]u'elle  ne  demande  pas  l'abolition  de  la  demi-liberté 
qui  a  pas.s('*  dans  renseignement,  l'université  ne  parviendra-t-elle 
pas  à  la  rendre  illu'^oire  par  1rs  j)n'rogatives  et  les  privilèges 
dont  (Ile  sf  iVra  coinhlcr .'  Oulri*  ro|>po>ition  (pi'elle  doit  natu- 
rellement apporter  à  l'enseignement  religieux,  ne  peut-elle  pas 
«levenir  un  instrument  de  rè-volution?  conduire  à  la  révolution 
par  la  srieme  et  la  philosophie/ 

Un  enseignement  cpii  n'est  pas  d'accord  avec  lui-m<^me  con- 
duit au  doute;  le  doute  conduit  à  l'incn-dulité;  l'incrédulité 
conduit  à  la  négation  de  l'auloi  lie  cl  partant  «le  la  révolution. 
Scra-t-il  |>osî>ible  à  l'Empirt'  dei;d)lir,  dans  toute  son  ('tendue, 
un  enseignement  vraiment  chrétien?  Le  régent  du  village  parle- 
ra-t-il  à  ses  jeunes  «'lèves  comme  le  pasteur  «le  la  paroisse  leur 
a  parlé  le  dimanche  au  pn'>ne?  O  même  régent  n'ira-t-il  point 
sur  la  place  pidili<pie  ou  dans  les  cabarets,  débiter  la  grossière 
philosophie  du  sensualisme  ou  du  néant?  Kn  sortant  de  recelé 
tJ'niic  ]>:u'  un  jesuit»',  le  'jenn«'  honmie  ne  se  irouv«  la-t-il  |K)int 
subilenieni  place  sous  la  chain'  d'un  <,abanis,  «l'un  Hroussais, 
d'un  Mirheb'i  ou  de  mille  autres  qui  commenceront  et  finiront 
leurs  dis««Mirs  par  un  geste  «h*  niépiis  «lirigé  conlre  ceux  qui 
auront  «mi  I:i  faiblesse  de  fréquenter  les  é«oles  clrricaUsP  L'en- 
seignem«-nt  olfHicl  sera-t-il  pi>ur  longtemps  d'accord  avec  l'en- 


ET  DE  LA  RÉVOLUTfON.  97 

seigneiîient  libre?  Il  ne  laut  pas  l'oublier,  luniversilt!  toujours 
vivanlc  dans  sa  pbilosopliie,  frappe  à  la  porle  de  l'Empire;  si 
la  porte  s'ouvre,  c'est  la  révolution  qui  entre.  (1) 

Un  homme  d'État  a  dit  que  renseignement  était  devenu  laïc. 
A-t-il  donné  ce  changement  comme  une  conquête  ou  comme  un 
lléau't'  Nous  ne  savons.  Veut-il  parler  de  renseignement  en  lui- 
même  ou  de  ceux  qui  le  donnent?  Un  enseignement  laie?  Serait- 
ce  un  enseignement  qui  n'aurait  pour  base  que  la  raison  du 
maître  indépendamment  de  toute  science  révélée?  Nous  serions 
tentés  de  croire  que  telle  est  la  pensée  que  l'on  s'efforce  de  ca- 
cher sous  cet  enseignement  laïc  ;  car  il  est  prôné  par  tous  les 
adeptes  des  sociétés  secrètes  qui  s'opposent  à  l'enseignement 
clérical.  On  le  croirait  un  mot  d'ordre  du  Grand-Orient  qui 
espère  trouver  dans  l'enseignement  laïc  la  parole  perdue.  Oh  ! 


(1)  Une  circonstance  peu  importante  en  elle-même  nous  a  semblé  indi- 
quer un  ecrtainretour  vers  les  doctrines  universitaires.  Sous  la  Restauration 
et  sous  la  Royauté  de  juillet  on  suivait  dans  les  petits  séminaires  les  traités  élé- 
mentaires d'histoire  du  père  Loriquet,  parmi  lesquels  se  trouve  VAbrêgé  de 
l'histoire  de  France.  Nous  ne  savons  précisément  à  quelle  époque  on  vit  sortir 
de  la  vieille  officine  où  se  fabriquaient  les  calomnies  contre  les  jésuites,  une  ac- 
cusation dirigée  contre  lePère  Loriquet.  On  supposait  que  dans  son  cours  d'his- 
toire, il  désignait  Bonaparte  comme  marquis  et  lieutenant-général  du  roi.  Cette 
accusation  fit  très-grand  bruit  dans  toute  la  France  et  même  au  dehors.  l>â)us 
qui  avons  mis  ce  traité  entre  les  mains  de  nos  élèves,  nous  avons  alors  consulté 
et  revu  un  certain  nombre  d'exemplaires  appartenant  à  différentes  éditions,  et 
pas  un  mot  semblable  ne  s'y  est  rencontré.  Ce  livre,  devenu  classique,  a  été 
tiré  à  des  millions  d'exemplaires,  et  pas  un  ne  contient  les  paroles  qu'on  leur 
impute.  Voici  même  un  témoignage  officiel  qui  suffirait,  à  lui  seul,  pour  dé- 
montrer la  fausseté  du  fait.  M.  Beuchot  bibliothécaire  de  la  chambre  des  dé- 
putés, dans  la  Bibliographie  de  la  France  ou  Journal  général  de  l'imprime- 
rie el  de  la  librairie,  année  1845,  page  271,  n"  2578,  dit  :  «A  cette  occasion, 
je  rappellerai  qu'on  a  dit  que,  dans  une  histoire  de  France,  publiée  en  1814, 
le  P.  Loriquet,  mort  récemment,  nomme  Napoléon  marquis  et  lieutenant 
général  du  roi.  Je  n'ai  jamais  vu  cette  édition.  Rien  n'est  incroyable  de  la 
part  de  l'esprit  de  parti.» 

Nous  avons  été  péniblement  surpris  de  retrouver  cette  vieille  accusation 
reproduite  dans  l'ouvrage  du  Principe  d'autorité,  etc.,  et  en  nous  rappelant 
que  les  ouvrages  du  P.  Loriquet  venaient  d'être  prohibés  dans  les  collèges  de 
l'Empire,  nous  avons  pensé  qu'une  erreur  pouvait  être  la  source  de  beau- 
coup d'autres. 


08  DE  L'AtTORiré 

dans  ce  sens,  l'enseignement  laie  ser.iil  un  lir-aii.  Que  Dieu  noos 
en  prt'srrxe  l 

Si,  au  contraire,  on  veut  dire  que  renseignement  se  donne 
aiijoiird'luii  \K\r  «les  birs,  le  fait  n'a  rien  (l'iiKniiftanl.  Supposez 
«pic  Ton  eiU  dans  la  carrirrc  de  rinstruciion  pul)lj(pi(>  des  hom- 
mes de  foi,  tles  professeurs  religieux,  des  laies  aussi  profondé- 
ment chrétiens  (]u'ils  scmi  instruits,  nous  n'hésitons  pas  à  leur 
donner  la  préférence,  tant  nous  avons  la  persuasion  que  le  jnur 
oii  le  siècle  s  unira  a  IKglise  pour  rendre  les  hommes  meilleurs 
par  la  science  et  la  venu,  la  n-Nolution  sera  vaincue,  et  la  civi- 
lisation triomphera. 

Il  y  a  |)ar  dessous  la  société  un  travail  (jui  en  mine  les  fonde- 
ments, c'est  celui  des  sociétés  secrètes  (pii  ne  se  reposent  pas  tant 
que  leur  but  n'est  pas  atteint.  Ce  mal  est  d'autant  plus  dangereux 
qu'on  ne  le  voit  pas.  Caché  dans  les  viscères  les  plus  intimes  du 
corps  social,  ce  n'est  qu'après  la  mort  (juil  est  possible  de  le 
voir  et  de  mesurer  la  profondeur  des  plaies  qu'il  a  creusées. 

Il  y  a  deux  espèces  de  sociétés  S(;crèies,  les  sociétés  aristocra- 
ticpies  et  les  démocralicpies.  Les  premières,  que  l'on  désigne  plus 
ordinairement  sous  le  nom  de  francs-maçons,  n'ont  guère  en 
vue  qtie  la  révélation  «pi'ils  veulent  remplacer  par  la  raison  pure, 
la  raison  seule,  indépendante  et  se  siilTisant  pour  toute  chose. 
Les  secondes  n'en  veulent  qu'à  l'ordre  social  (pTelles  ont  envie 
de  changer  radicalement.  Dans  les  premières,  c'est  une  guerre 
«le  riiomme  à  FHeu;  dans  les  secon«les,  «'««st  une  guerre  à  mort 
de  1  homme  desheril«'  de  fortune  «'t  d«'  pouvoir,  contr«'  l'homme 
qui  s'en  trouve  nanti  par  une  législation  qu'ils  regardent  comme 
contraire  à  la  nature.  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  c'est  une  lutte 
fl'orgeuil  «>ii  chacun  attacjuc  «t  veut  détruire  «e  qu'il  voit  au- 
dessus  de  soi. 

Les  sociétés  démocratiques  ne  poursuivent  pas  la  religion 
comme  «-royance  ;  «'Iles  serai«'nt  plut^^t  portées  à  radnwtin'  ;  mais 
elles  s'aitaipu'nt  comme  obstacle  à  leurs  projets.  Les  francs- 
maçons  veulent  une  révolution  radicalement  religieuse,  el  les 
demixTales  une  révolution  radicalement  sociale.  Dans  la  réalité, 
ils  vont  au  m«^me  but,  la  «h'struclion  de  l'autoritJî.  Les  premiers 
ratla«iucnl  de  loin,  les  seconds  tirent  «lessus  à  bout  |)orlanl. 


KT  DE   L.V   RÉVOLUTIO.N.  99 

L'Empiro  ponrra-l-il  rrsisler  longtemps  à  rclte  puissance  oc- 
culte qui  alta<ino  toujours  et  avance  toujours  sans  ôtre  vue? 
C'est  bien  dilHcile.  11  prend  des  mesures  contre  les  sociétés  dé- 
magogiques, c'est  une  urgente  n('>c(!ssil('';  mais  il  laisse  une 
grande  liberté  d'action  aux  sociétés  ma(^onni([ues.  Il  nous  semble 
qu'il  serait  aussi  prudent  d'arrêter  ceux  qui  sèment,  que  d'arrê- 
ter ceux  qui  veulent  moissonner. 

Avant  que  les  émeutes  eussent  nettement  dessiné  les  partis,  et 
que  la  limite  qui  les  sépare  fut  connue  de  tout  le  monde,  il  y 
avait  entre  les  démocrates  et  les  maçons  rationalistes,  des  rap- 
ports de  fraternité  capables  de  faire  croire  qu'ils  marchaient 
ensemble  et  travaillaient  au  même  but.  La  démocratie  en  prolita 
pour  se  glisser  dans  les  loges  du  Grand-Orient,  espérant  se  ser- 
vir avec  avantage  de  ces  indépendants  religieux  pour  les  faire 
travailler  à  l'indépendance  sociale.  Elle  était  parvenue  à  avoir 
dans  les  réunions  une  prépondérance  qui  aurait  suffi  pour  prou- 
ver que  ses  espérances  n'étaient  pas  vaines.  Après  la  catastrophe 
de  février,  on  reconnut  le  danger,  et  les  loges  de  la  rue  Gre- 
nelle furent  fermées.  Nous  avons  lieu  de  croire  que  l'on  fit  dans 
l'organisation  des  changements  propres  à  paralyser  la  démocra- 
tie, car  le  Grand-Orient  reçut  bientôt  la  permissioa  de  conti- 
nuer ses  travaux. 

Nous  redoutons  grandement  que  l'Empire  ne  se  trompe.  Il  se 
rassure,  parce  qu'il  compte  de  nombreux  amis  dans  les  sociétés 
maçonniques,  et  aussi  parce  que  ces  sociétés  sont  en  général 
composées  des  hommes  les  plus  intéressés  par  leur  fortune  et 
leur  position,  à  combattre  la  démagogie.  Sont-ils  aussi  intéres- 
sés à  combattre  la  démoralisation?  Nous  en  doutons.  Dans  cette 
innombrable  armée  de  la  maçonnerie,  recrutée  dans  toute  l'Eu- 
rope, pour  marcher  contre  Dieu,  contre  son  Christ  et  contre  son 
Église,  il  y  a  des  princes,  des  frères  de  rois,  des  hommes  d'État, 
des  diplomates,  des  ministres,  des  grands  de  toute  sorte;  mais  il 
y  en  a  d'autres  aussi.  A  partir  du  simple  frère,  dont  on  rebat  les 
oreilles  par  les  mots  assez  sonores  de  bienfaisance,  lumière,  pro- 
grès, union,  humanité,  raison,  liberté  et  mille  autres  fadaises 
de  cette  nature,  jusqu'à  l'initié  qui  pénètre  dans  les  profondeurs 
des  mystères  maçonniques  en  foulant  aux  pieds  le  crucifix,  la 


100  KE  l'aITOMTÉ 

distaoce  est  graudc,  li*s  grades  suni  nombreux,  il  y  a  place  |)Our 
tous.  Le  bas  «le  reclielle  est  large  ;  avec  un  peu  de  bonne  volunlc, 
tous  peuvent  y  mettre  le  pied,  mais  le  sommet  en  est  très-étruit, 
î\  n  admet  (ju'un  très-petit  nombre  d'cliis.  Ainsi  celte  tourbe  de 
hauts  et  puissants  •  oii>piraieurs  muraux  se  comjM)se  d'une  cer- 
taine quantité  de  gras  oisons  que  l'on  plume,  de  puissants  vani- 
teux (]ue  l'on  aveugle  par  de  la  fumée  d'encens  et  de  quelques 
intelligences  supérieures  qui  semblent  obéir  à  un  j>acte  signe 
dans  l'enfer. 

En  résumé,  des  deux  sociétés  secrètes  qui  |>ai-tagent  le  monde, 
Tune  travaille  |tariout  avec  l'assentiment  du  pouvoir;  l'autre, 
en  sacrilianl  de  temps  à  autre  quel(|ues  sentii.<'lles  perdues,  se 
mo(|ue  du  pouvoir  et  grandit  [>our  le  détruire  au  protil  de  la 
révoliilioii. 

Ln  autre  mal  tjui  semble  plus  directement  encore  o|)posé  au 
rétablissement  du  principe  d'auioiilt-,  c't^st  la  centralisation. 
Centraliser,  c'est  faire  le  monctpole  de  l'autorité  en  faveur  de 
quelques  personnes  ou  de  quelques  classes;  c'est  une  des  plus 
criantes  usurpations. 

En  descendant  sur,  la  terr<>,  l'autorité  n'y  vient  que  comme 
une  delëguiion  du  ciel.  Absolue  seulement  dans  le  Mailrc  de 
l'univers,  elle  est  limitée  dans  tous  ceux  »pii  la  reçoivent,  et 
clin  n'est  limitée  que  par  l'autorité  ou  le  droit  des  autres.  On 
sei-ait  dans  une  «'irange  erreur  si  l'on  pouvait  se  persuader  que 
l'aulorilé  n'est  de  «Iroit  divin  que  cpiand  elle  est  dans  le  prince. 
Il  \  a  plusieurs  espèces  de  princes  dans  la  societ<-  qui  ont  une 
autorité  tout  aussi  £acn'*e  que  celle  du  chef  de  la  nation.  Le 
chef  de  la  société  leligieuse,  le  père  de  famille,  l'époux,  le  pré- 
sident de  la  communauté,  le  mailre  d'un  tliamp,  ont,  chacun 
dans  sa  sphère ,  une  autorité  de  droit  divin  que  le  prince  lui- 
même  doit  respecter  s'il  veut  qiu'  tout  le  monde  respecte  la 
sienne.  Or,  que  fait  la  centralisation.'  En  détruisant  la  spontanéité 
perstinnelle,  elle  \eut  absorber,  dans  l'autorité  du  prince,  l'au- 
torit»'  de  la  famille,  celle  de  la  communauté  et  celle  de  la  pro- 
priété; «'Ile  va  (|ue|(piefois  jusipi'a  vouloir  s'arroger  b'  do- 
maine di'schoses  spirituelles.  C'est  le  comnmnisn)e  par  le  prince. 
Celle  usurpation  jette  parloulle  desordre  el  la  perturbation.  L'E- 


ET   DE   LA  REVOLUTION.  101 

gliso,  que  l'on  dénature  quand  on  veut  en  faire  une  institution 
civile,  lu  lamille  qui  soutire  quand  on  veut  lui  imposer  une  édu- 
cation qui  est  en  opposition  avec  ses  principes,  la  commune 
qui  nuirnuire  quand  on  met  des  entraves  à  la  liberté  de  son  ac- 
tion suises  propres  int<''rèls,  ne  sauraient  ni  reconnaître,  ni  aimer 
une  autorité  qui  veut  pour  soi  le  respect  et  l'esclavage  pour  les 
autres. 

L'autorité  qu'ont  l'un  sur  l'autre  les  deux  chefs  de  la  famille 
est  de  droit  divin,  tout  aussi  bien  que  l'autorité  qu'ils  ont  sur 
leurs  enfants.  Nulle  autorité  dans  le  monde  n'est  supérieure  à 
cette  autorité,  se  limitant  dans  sa  sphère.  L'Écriture  a  formulé 
cette  loi  avec  la  clarté  et  la  concision  qui  caractérise  la  Parole 
de  Dieu.  L'homme,  dit-elle,  ne  séparera  pas  ce  que  Dieu  a  uni. 
Au-dessus  de  l'époux  et  de  l'épouse,  vivant  dans  la  famille,  il 
n'y  a  que  Dieu,  et  entre  les  deux,  il  ne  peut  y  avoir  personne. 
Mais,  pour  que  tout  cela  soit  vrai,  il  faut  que  le  mariage  soit  re- 
ligieux. Dès  l'instant  qu'il  devient  un  pacte  civil,  il  change  de 
nature,  il  devient  une  institution  humaine,  le  droit  divin  de  cha- 
que époux  disparaît,  la  dignité  des  conlractanls  s'en  va ,  il  ne 
reste  qu'un  bail  de  location  ou  un  contrat  de  vente. 

Ainsi,  de  centraliser  la  famille  et  la  communauté  pour  ren- 
forcer la  centralisation  de  l'État ^  est  un  grand  contre-sens,  c'est 
vouloir  détruire  l'autorité  pour  l'autorité.  C'est  enfin  un  encou- 
ragement donné  à  la  révolution. 

L'Empire  semble  identifié  avec  la  centralisation;  le  premier 
empire  avait  jeté  les  bases,  le  second  a  mis  le  faîte  de  l'édifice. 
Nous  doutons  que  ce  soit  un  moyen  de  se  faire  aimer. 

Il  y  a  une  chose  que  l'on  ne  veut  pas  comprendre  et  que  nous 
voulons  répéter  à  satiété,  c'est  que  la  liberté  est  plus  favorable 
à  l'autorité  que  l'étendue  du  pouvoir.  Quand  la  liberté  quitte 
un  pays,  c'est  la  révolution  qui  s'en  empare.  Pourquoi  n'en  se- 
rait-il pas  ainsi  ?  L'idée  d'abattre  le  pouvoir  doit  naturellement 
venir  à  ceux  qui  n'en  ont  point,  tout  comme  le  besoin  de  le  sou- 
tenir doit  venir  à  ceux  qui  en  ont.  Respectez  donc  l'autorité 
d'autrui  si  vous  voulez  qu'on  respecte  la  vôtre  ! 

La  propriété  est  de  droit  divin.  En  dehors  de  la  loi  de  Dieu, 
la  propriété  est  un  mystère,  ou  tout  au  moins  un  problème  sur 

7 


102  l»K    L  AlTOniTI: 

lc't|url  uii  se  ili5|>ui«  la  toujours  s;ins  juniais  (ouclurc  par  l'c-vi- 
deiice.  PourlaiU  l'auloiile  sur  lu  loilunu  est  celle  à  la()uelle  les 
liuiumes  |>araissent  tenir  le  plus.  Ils  ont  beau  en  jouir,  ils  oe 
s'en  dégoûtent  pas.  Ils  oui  beau  eu  av(ur,  ils  n'en  ont  jamais 
assez.  Aussi  le  youverueuunt  «piils  tleleslenl  le  |»lus,  c'est  relui 
(|ui  leur  eu  laisse  le  uioiiis. 

Sans  doute,  les  iui|)ôts  sont  nécessaires,  mais  a  deux  condi- 
tions; c'est  (|u'ils  soient  juslt^s,  c'est-à-dire  <<insenlis  et  qu'ils 
M>ient  modères.  Ils  ne  fuui  pas  qu'ils  aillent  jus(|u'à  la  souiFrancc, 
car  lu  .soulFraDcc  engendre  le  désespoir,  et  le  désespoir  amène 
la  révolte;,  alors  même  que  le  soullrant  ne  prendrait  |)as  une  part 
aclise  à  l'émeute  (|ui  lenverse  les  trônes,  il  ne  pourrait  s'em- 
pôclier  d'applaudir  en  les  voyant  crouler. 

Si  les  hommes  d  Étal  voulaient  regarder  alteutivemeni,  ils  dé- 
couvriraient l'intime  liaison  (ju'il  y  u  pour  un  peujile  entre  lu 
ruine  et  la  révolution.  Celle-ci  marcbe  après  celle-là. 

L'inqml  le  plus  maladroit  est  celui  (|ui  frappe  le  peuple  en 
frappant  le  sol.  Il  s'altacjue  aux  sources  de  la  vie.  I.e  peuple  tient 
certainement  à  t<jutes  les  liliertes  qui  sont  de  natin'C  a  venir  jus- 
i]u'à  lui;  mais  il  lient,  avant  tnut,  a  la  liberté  du  sol.  Avec  Tim- 
pôl,  celle  hypothèque  privilégiée  (pii  pèse  sur  lui,  le  sol  est 
esclave.  Si  vous  ne  pouvez  les  briser  entièrement,  adoucissez  du 
moins  les  chaînes  qui  pèsent  sur  lui,  et  le  peuple  vous  aimera. 

Le  capital  mobile  doit  être  aussi  respecté;  mais  cette  pro- 
pricié  floitanle  après  la<iuelle  il  faut  sans  cesse  courir  comme 
après  un  vaisseau  desenq)are,  est  bien  loin  d'avoir  liinpoi  lance 
du  sol. 

L'Écriture  qui  raconte  l'homme  comme  il  est,  parce  (pi'elle 
le  coimait  parfaitement,  dii  une  vérité  (|ui  siMnble  d'abord  n'être 
que  morale,  mais  ijui  bien  examinée,  se  trouve  être  profondé- 
ment |K)litique.  «  Où  est  votre  trésor,  là  est  votre  cœur,  >  dit  le 
Sauveui  des  hommes.  Ne  serait-ce  point  là  l'histoire  dti  capita- 
liste.' l'oiir  lui,  la  l<  giiimile  est  une  couleiii  chatoyante  (pii  n'a 
rien  de  lixe;  c'est  un  arc-en-(  iel  dont  l«'  centre  change  avec 
l'œil  (|ui  le  conleuq)le.  Il  est  bi»ii  dilli(  ile  t\\u'  le  <  (iiir  du  capi- 
taliste ne  soit  pas  cosmopolite  comme  les  capitaux.  Au  contraire, 
la  propriété  solide  fixe  le  cœur  dans  une  patrie,  l'attaclie  ù  une 


ET   UE   l.A    r. EVOLUTION.  103 

loi  et  idnntilio,  autant  quo  la  clioso  est  possible,  son  autorité 
avec  l'autoiiie  du  souverain.  C'est  dans  riicrilage  du  sol  (jue  se 
trouve  l'expression  de  la  légitimité  de  la  famille.  Dégrevez  donc 
le  sol,  affi-mcliisse/.  les  héritai^os  si  vous  voulez  lortilicM-  le  prin- 
cipe d'aulorile  cl  la  légitiuiilé  du  souverain.  Faites  le  contraire 
de  ce  que  veulent  l'aire  les  révolutionnaires.  Leur  tâche  à  eux 
est  de  df'lruire  la  légitimité  dans  la  famille  aussi  bien  que  dans 
l'État.  Pour  y  parvenir,  ils  veulent  remplacer  la  sainteté  et  l'in- 
dissolubililo  du  mariage  religieux  par  le  concubinage  légal,  bri- 
ser l'aulorilé  paternelle,  prêcher  la  république  universelle,  ren- 
dre cosmopolites  les  affections  politiques,  mobiliser  le  sol  par 
le  crédit  foncier,  semer  par  tous  les  moyens,  dans  les  cœurs, 
les  germes  d'un  indifférenlisme  politique  incompatible  avec  toute 
légitimité.  Les  deux  tendances  sont  si  clairement  dessinées  qu'il 
est  diflicile  de  comprendre  comment  les  législaienrs  se  laissent 
encore  tromper. 

Sera-l-il  possible  à  l'Empire  de  sortir  de  la  voie  des  impôts 
progressifs  dans  laquelle  il  a  été  jeté  par  les  gouvernements  qui 
l'ont  précédé?  Nous  le  désirons  de  tout  notre  cœur.  Il  a  tout 
ce  qui  peut  lui  être  nécessaire  pour  se  faire  redouter  au  dedans 
comme  au  dehors;  qu'il  joigne  à  tout  cela  un  système  de  liberté 
administrative  et  d'économie  financière,  et  l'amour  viendra  s'a- 
jouter au  respect  de  l'autorité.  Alors  la  révolution  qui  guête 
aux  portes  de  la  France,  qui  épie  un  moment  de  désordre  pour 
s'y  glisser,  reculera  au  lieu  d'attendre. 

La  presse  est  l'inslrument  de  révolution  le  plus  puissant  et  le 
plus  actif  qui  ait  été  mis  en  action  par  la  démagogie.  Incapable 
de  faire  le  bien,  d'enfanter  la  vertu,  de  faire  triompher  la  vérité, 
elle  est  d'une  puissance  que  rien  n'égale  pour  faire  entrer  le 
vice  dans  les  cœurs.  Aucune  institution  conservatrice  ne  peut 
tenir  devant  ce  bélier  sans  cesse  occupé  à  saper  l'autorité. 

Pour  résister,  il  faudrait  non-seulement  régler  la  presse  quo- 
tidienne et  la  brider  de  manière  à  réprimer  ses  excès,  mais  il 
faudrait  encore  imposer  à  la  presse  ordinaire  une  main  assez 
forte  pour  l'empêcher  de  tomber  dans  la  boue. 

Nous  entendons  crier  de  toute  part  que  la  liberté  de  la  presse 
est  une  conquête  du  peuple  français  et  que  jamais  ce  peuple  n'y 


104  DE  i.'ai'Toritk 

renoncera,  i'.c  u'i'si  iciU's  |)as  noustiucl'un  uccusei-a  de  repousei- 
la  liberté  loin  du  («iiplr.  Peui-étro  sommes-nous  seul  à  la  vou- 
loir pour  lui.  On  nous  ac.cusi'ra  pluiôi  de  \oul<iir  trop  de  lihorté, 
<jue  (Je  ne  |tas  en  vouloir  asse/..  .Nous  demandons  la  lilierlé  du 
bien  en  tout  el  pour  tous,  la  liberté  de  l'Éj^lise,  la  liberté  de  la 
famille,  la  liberté  du  la  commune,  la  liberté  de  la  province  en 
lonl  ce  (jui  n'intéresse  pas  ces  pers<tnnalités.  Mais,  tout  en  ac- 
ceptant la  liberté  de  la  presse,  nous  sommes  loin  de  la  deman- 
der, et  si  nous  consentons  à  le  faire,  ce  ne  serait  pas  au  nom  du 
peuple.  Attribuer  au  peuple  une  certaine  prédilection  pour  la 
liberté  de  la  j»resse,  c'est  alliiiner  un  ^ros  nieiisony»*.  En  ceci, 
comme  en  beaucoup  d'autres  cboses,  on  voudrait  trouver  dans  le 
cœur  du  peuple  ce  que  l'on  trouve  dans  son  propre  cœur.  Si 
l'on  veut  être  sincère,  on  est  forcé  d'avouer  (|ue  de  fait,  la  li- 
berté de  la  presse  est  un  privilège  de  l'aristocratie,  un  privilège 
qui  fournit  aux  classes  lettrées  le  moyen  d'exploiter  le  peuple  ; 
mais  (pii  n'arriv(>  jamais  jus(pi'à  lui.  Le  peuple  qui  cultive  le  sol 
el  (jui  forme  la  loialite  des  liabilatits  des  canqta^'nes  el  les  neuf 
dixièmes  des  iiiiitiianls  des  villes,  le  peuple  occupé  six  jours  de 
la  semaine  à  gaj,'ncr  sa  vie  à  la  sueur  de  son  Iront,  a  bien  d'autres 
choses  à  faire  (jue  d'user  de  la  libert»'  de  la  presse.  Il  ne  public 
pas  de  journaux,  il  ne  fait  pas  de  livres,  (^uand  il  le  peut, 
il  lit  quelques  ouvrages  utiles,  quelques  livres  qui  ne  lui  man- 
queront jamais,  pas  même  sous  les  f,'(»nvernements  les  plus  ab- 
solus. Les  véritables  partisans  de  la  liberté  de  la  presse  sont 
surtout  les  ambitieux  qui  s'en  servent  pour  séduire  le  peuple,  le 
tromper  el  s'en  faire  une  «'cbelle  pour  monter  au  pouvoir.  Pour 
le  pi-uple,  il  sail  ce  (pie  lui  vaut  la  liberté  de  la  presse.  Il  |iaie 
les  frais  de  vingt  révolntimis  qui  ont  (*te  faites  par  cette  fàcln^use 
institution.  Il  trouve  que  c'est  assez.  Il  n  a  dans  toute  la  France 
cinq  millions  d'Iiouimes  qui  j(»uissenl  dt;  ce  fameux  pri\ilef;e.  il 
y  en  a  trente  millions  qui  le  |iaient. 

Sans  doute,  on  allègue  que  le  peuple  le  veut  ainsi  ;  mais  on 
fait  dire  au  |tenple  tant  de  choses  qu'il  ne  pense  pas!...  Dans  la 
crainte  d'avoir  un  démenti,  on  se  garib'  bien  de  l'interroger... 
Mais  soyons  justes.  Le  p(;uple  a  éie  une  fois  interrogé  avec  bonne 
foi.  Louis-^iapoléon  lui  a  demandé  son  avis,  il  est  allé  l'interro- 


ET  DE  LA  REVOLUTION.  105 

ger  au  coin  du  feu,  il  a  fait  faire  silence,  et  le  peuple  a  parlé. 
Son  languj^je  a  ét«';  clair,  net,  précis,  il  a  dit  :  «  Ce  que  je  veux, 
ce  n'est  ni  la  liberté  de  la  presse  que  d'autres  réclament  pour 
eux  et  non  pour  moi,  ni  la  liberté  de  la  tribune  qui  n'a  jamais 
retranché  un  centime  aux  impôts  dont  je  suis  écrasé;  ce  que  je 
veux,  c'est  la  liberté  que  tous  peuvent  atteindre;  celle  qui  com- 
mence aupi'ès  du  foyer  du  laboureur  et  qui  s'avance  en  semant 
ses  bienfaits  jusqu'au  centre  de  la  nation.  Ce  que  je  veux,  c'est 
la  liberté  de  faire  le  bien  par  moi-même,  sans  être  forcé  de  le 
faire  par  l'Etat,  ni  comme  l'Etat,  ni  avec  l'Etat.  Ce  que  je  veux, 
c'est  la  liberté  de  mon  domicile,  de  ma  personne,  de  ma  famille 
et  de  ma  communauté  ;  ce  que  je  veux,  c'est  pour  moi  la  liberté 
d'user  à  mon  gré  de  ma  fortune,  et  pour  l'État  la  nécessité  d'en 
être  économe  ;  si  maintenant  vous  voulez  savoir  à  qui  je  deman- 
derai de  me  garantir  ces  libertés  qui  pour  moi  sont  précieuses 
comme  la  vie,  je  ne  le  demanderai  ni  à  vos  journaux  qui  me 
trompent,  ni  à  vos  tribunes  qui  n'ont  jamais  couvé  que  le  des- 
potisme et  fait  éclore  que  la  tyrannie,  ni  à  vos  constitutions 
éphémères  qui  naissent  et  meurent  aussi  vite  que  la  mauvaise 
herbe  de  nos  champs.  Pour  protéger,  pour  garantir  ma  liberté, 
je  veux  la  force  de  l'Empereur  !»  Qu'on  nous  dise  si  ce  n'est  pas 
là  la  signification  des  huit  millions  de  voix  obtenues  par  Louis- 
Napoléon  ! 

L'Empire  obéira-t-il  à  l'attente  du  peuple?  Il  a  déjà  suspendu 
sur  la  tête  de  la  presse  périodique  une  épée  qui  peut  tomber 
à  chaque  heure;  c'est  quelque  chose;  mais  ce  n'est  pas  assez. 
Cette  demi  mesure  ne  peut  atteindre  que  la  moitié  du  mal.  Au 
lieu  de  quelques  milliers  de  bouches  pour  se  produire  chaque 
jour,  la  révolution  se  contentera  de  marcher  plus  lentement  avec 
des  livres;  mais  enfin  elle  marchera. 

Ce  n'est  pas  tout  :  l'Empire  exerce  quelque  sévérité  contre 
la  presse  qui  ose  s'attaquer  directement  à  lui.  Il  défend  ses  actes, 
ses  lois,  sa  constitution,  son  administration  et  tout  le  personnel 
dont  il  est  entouré.  C'est  bien,  l'Empire  défend  sa  tête;  mais 
défend-il  ses  pieds?  Dans  le  corps  social,  ainsi  que  dans  le  corps 
humain,  la  mort  a  plusieurs  portes  pour  s'introduire.  Les  mo- 
numents que  l'on  attaque  par  la  base  croulent  aussi  infaillible- 


lOG  Ht   L  AlTOIlITE 

menl  que  teu\  ijuc  l'on  ulla<{ue  par  le  faile.  Or,  lu  foi  religieuse 
et  les  boDiies  inceui-s  sont  les  bases  et  comme  les  pieds  «le  l'Em- 
pire. Sont-ils  défendus  contre  les  atta(|ues  de  l'ennemi?  Sont-ils 
couverts  d'im  l)ou(lier  sullisant .'  Nous  ne  le  pensons  f)as.  Que 
rEujpire  abaiidunne  à  lÉj^lise  le  soin  de  pro[)a^er  la  foi  par 
reiiseijj'nement,  c'est  juste;  mais  au  moins  pourrait-il  faire  bais- 
ser les  «tendards  «pie  l'on  dresse  contre  elle.  Le  respeei  dû  au 
culte  de  Irenl»'  millions  de  Français,  le  soin  de  sa  propre  con- 
servation lui  en  donne  le  droit  et  njème  lui  en  font  un  devoir. 

La  ruine  des  nueurs  annonce  et  précède  la  ruine  des  empires. 
Donc  c'est  un  de>oir  pour  les  },'ouvernemenis  de  faire  des  lois 
capables  de  sauvt'j^ardi  r  les  iimurs.  l'ent-iré  sans  doute  de  la 
vérité  de  ces  principes,  l'Empire  avait  interdit  le  roman  feuillc- 
lOD ,  celte  fétide  émanation  de  pensées  vénéneuses.  Bientôt 
après  on  a  rouvert  la  source,  et  le  poison  recommence  :\  couler. 
Que  dire  de  celte  littérature  dramati(pie  «pii  pousse  la  cor- 
ruption dans  les  âmes  parlons  les  sens  à  la  foisPL'Empire  pour- 
ra-l-il  mettre  un  frein  à  cette  fui-enr  (l'obscéuilé  qu'une  dépra- 
vation toujours  croissante  appelle  dans  les  iheàîres?...  Il  y  a 
quchpies  jours,  une  jeune  lille  qui  n'était  pas  encore  parvenue 
au  dej;re  d'elTronterie  <pie  rend  nécessaire  la  litiéi-ature  drama- 
litjue  de  notre  tenq)S,  refusa  de  se  montrer  dans  un  costume  que 
la  décence  ne  pouvait  adm«'itre;  elle  fut  cité-e  devant  les  tribu- 
naux, et  sa  pudeur  fut  condamnée  à  de  ^TOsses  amendes...  Un 
peuple  <'st  bien  malade  quand  il  est,  par  sa  législation,  |)ar  sa 
magislraiure  ou  par  ses  nm-urs,  forcé  de  se  ran;;er  du  côté  des 
corrupteuis  et  de  condamner  la  vertu  ! . . . 

L'étendue  du  mal  est  à  faire  désespérer  de  la  gui-rison  ;  ce- 
pendant, il  nous  semble  (pie  l'Ilmpire  pourrait  faire  beaucoup 
pour  rassainir  la  littérature.  Il  a  de  l'argent,  des  places^  des 
liommes,  des  distinctions,  des  encouragements,  des  bMmes,  des 
méjiris  plus  puissants  quelquefois  que  les  punitions  et  les  amen- 
des; s'il  st'  ser\ail  a\ec  prudemc  et  sagesse  de  tous  ces  moyens 
pour  encourager  une  littérature  grave,  bonnête,  décente  et  res- 
pectueus«'  pour  le  Nrai,  il  est  probable  qu'il  aurait  du  suceès.On 
dit  qu'après  tous  les  dévergondages  île  la  grande  rexolulion.  Na- 
poléon I"  avait  réussi  à  faire  aimer  Racine  et  les  auteurs  du  fli\- 


ET  DE  LA   nEVOI.UTION.  107 

septième  siècle.  La  chose  ne  serait  pas  plus  dillicile  de  nos  jours. 
Rien  de  semblable  ne  se  fait  encore  et  les  beaux  arts,  les  lettres 
et  la  presse  continuent  à  prêter  leurs  secours  à  la  révolution. 

Arrêlons-nous.  La  question  que  nous  avons  traili-e  est  d'un 
immense  inicrêl.  La  révolution  esi-eile  vaincue?  L'aniorité  s'est- 
elle  assise  sui-  b;  trône  de  France  à  côté  du  prince  qui  a  su 
pressentir  les  vœux  de  trente  millions  d'hommes?  On  nous 
répond  :  Oui.  La  France,  Cnlin^  lassée  de  marcher  à  travers  une 
révolution  si  prolongée,  a  ouvert  ses  bras  à  la  force,  et  la  force 
unie  à  la  sagesse,  dans  l'Empereur,  va  faire  revivre  le  principe 
d'autorité.  Voilà  ce  qu'on  dit. 

Persuadé  qu'une  fausse  conflance  serait  dangereuse  et  que  ce 
serait  pour  la  France  et  pour  l'Europe,  un  grand  malheur  de 
s'endormir  dans  une  trompeuse  sécurité,  nous  avons  voulu  peser 
les  motifs  qui  sont  propres  à  nous  rassurer  en  leur  opposant 
ceux  qui  nous  inspirent  des  doutes.  Tranquille  et  vieil  observa- 
teur des  mouvements  sociaux,  nous  avons  mis  dans  la  balance 
nos  espérances  d'un  côté,  et  nos  craintes  de  l'autre.  Pour  l'auto- 
rité, nous  avons  un  homme,  et  quand  on  peut  donner  à  quelqu'un 
ce  titre  absolu,  c'est  quelque  chose.  Nous  avons  donc  un  prince 
instruit,  généreux,  fort  et  capable  de  volonté.  Nous  avons  une 
armée  vaillante  et  dévouée,  et  enfin  un  peuple  prêt  à  soutenir  les 
mesures  que  prendra  l'Empereur  pour  repousser  les  tentatives 
de  la  démagogie.  De  l'autre  côté,  nous  voyons  les  innombrables 
sociétés  du  protestantisme  travaillant  avec  ardeur  à  remplacer 
l'autorité  par  le  libre  examen,  la  religion  de  Dieu  par  la  reli- 
gion de  l'homme,  et  l'enseignement  de  l'Église  par  un  enseigne- 
ment sans  mission  et  partant  sans  autorité.  Nous  avons  une  phi- 
losophie errant  à  l'aventure  à  travers  des  systèmes  usés  par  le 
temps,  des  opinions  qui  ont  été  reçues  mille  fois  comme  vraies 
et  vingt  mille  fois  comme  fausses,  une  philosophie  qui,  plaçant 
l'autorité  morale  ou  de  la  raison  du  vrai  dans  la  raison  indivi- 
duelle ou  collective,  proscrit  à  jamais  l'autorité.  Nous  avons  des 
sociétés  secrètes  se  recrutant  dans  toutes  les  classes,  s'organisant 
dans  l'ombre  et  préparant  la  révolution.  Nous  avons  enfin  un 
enseignement,  des  théâtres,  une  presse,  une  littérature  que  ré- 
prouvent les  bonnes  mœurs  et  les  saines  doctrines ,  mais  que 


108  DE   LAl'TOHITE 

rarislocraiie  sociale  uiinu  cl  lavurisc.  Si  nous  joigoons  à  cila  re 
cercle  de  révoluliuQnaires  <|ui  enluceni  la  France,  qui  la  liar- 
collent  sur  tous  les  |>oint,s,  (jui,  par  rAiigleU-rre,  la  li«'lgique,  le 
Ilaui-IUiiu,  la  Suisse,  le  l'ieamut  el  uiènie  rKspugne  jelleni  la 
révolutioQ  sur  le  sol  de  THnipire  oii  elle  arrive  pai-  |>ariies  bri- 
sées, CD  comprendra  que  nous  ayons  i>eu  d'espérance  |>our  l'a- 
venir. 

Cepondanl,  au-dessus  de  ce  que  peuvent  faire  les  hommes 
pour  rétablir  le  principe  d'autorité,  el  niûnie  pour  le  déiruire, 
il  y  a  une  ProNidenre  qui  s'est  montrée  jusqu'à  ce  jour  favorable 
ù  l'Empire.  Oh  !  puisse  celle  I*ro\idencc  >eiller  sur  les  destinées 
de  la  France,  et,  par  elle,  sauver  l'Europe  des  maliieursqui  la 
menacent  ! 

t  LOUIS,  évégue  d'Jnnecy. 


PRÉJUGÉS  DES  PROTESTANTS 


CONTRE 


LE    CATHOLICISME 


Fragments  de  Conférences  inédites  de  Newmaei. 


Un  des  phénomènes  les  plus  singuliers  qui  se  rencontrent  dans 
Tordre  intellectuel,  est  l'aveuglement  absolu  où  sont  les  protes- 
tants anglais  sur  tout  ce  qui  concerne  le  catholicisme  et  les  ca- 
tholiques. Ce  phénomène  paraît  inexplicable,  quand  on  songe 
à  la  puissance  positive  de  cette  religion  qui  domine  sur  plus  de 
deux  cents  millions  d'âmes ,  chiffre  que  n'atteignent  pas  toutes 
les  autres  communions  chrétiennes  réunies;  quand  on  examine 
la  richesse ,  la  variété  de  ses  institutions  et  de  ses  développe- 
ments, et  qu'on  se  souvient  des  œuvres  sublimes  qu'elle  a  inspi- 
rées, des  grands  génies  qui  l'ont  professée,  de  la  longue  durée 
de  siècles  qu'elle  a  traversés  sans  altération.  Tous  ces  faits,  l'in- 
crédule même  ne  les  nie  point,  quoiqu'il  ne  puisse  en  trouver  la 
raison  ;  mais  la  nation  anglaise  s'obstine  dans  une  cécité  vo- 
lontaire, continue  à  mépriser,  à  détester  le  catholicisme  et  à  tenir 
ses  enfants  pour  gens  ignorants ,  superstitieux ,  lâches  et  stupi- 
des.  L'Anglais  plaint  ces  pauvres  reclus  qui,  derrière  leurs  hau- 
tes murailles,  oublient  le  monde  et  restent  étrangers  à  ce  qui  s'y 
passe;  tandis  que  lui-même,  par  une  bigoterie  étroite  et  pré- 
somptueuse, se  dérobe  la  connaissance  des  faits  les  plus  magnifi- 


110  PRÉJKJÉS   DES  rBOTESTA>TS 

ques  qu'ulliv  l'Iusioire  de  l'univers.  Il  n^nplacc  la  iralitc  <le 
l'existence  de  lÉglisc  par  le  mol  papisme ,  au  moyen  tliujuel 
il  f;iit  absinM'tion  «'omplèle  des  «piin/c  siècles  (|ui  ont  précédé 
Liillicr  et  les  relè;,'ue  parmi  les  époipies  d'idolAtrie  et  de  cor- 
rii()iiHti.  Tandis  (|irj|  n'est  pas  nue  ejine  des  Andes  ou  des  Alpes 
que  sa  science  humaine  n'explore,  pas  une  mine  que  sa  cupidité 
n'exploite.  j)as  une  espèce  rar«>  d'eiiire  les  trois  rèj^nes  de  la  na- 
ture (|ui  n'eniicliisse  les  catalogues  «le  ses  musées  :  les  usages  cl 
les  principes  religieux  de  deux  cents  millions  de  chrétiens  res- 
tent aussi  inconnus  à  la  majorité  des  Anglais  que  s'il  s'agissait, 
je  ne  dis  |)as  des  habitants  des  terres  polain-s,  mais  de  ceux  des 
planèles.  Kn  vérité,  je  crois  que  si  l'I^l^'lise  callioli(pie  résidait 
dans  l'un  de  ces  globes  qui  roulent  à  travers  les  espaces,  on  ap- 
porterait plus  de  soin  à  découvrir  sa  nature,  plus  d'exactitude  à 
la  delinir. 

Nous  passons  à  la  fois  pour  dupes  «'t  irom[)eurs  aux  yeux  de 
nos  compatriotes  qui  ne  veulent  pas  prendre  la  peine  d'examiner 
les  «Icux  faces  de  la  (]uestion  dont  il  s'agit,  cela  par  insouciance, 
ou  par  <Taintc  «le  se  trouver  «iaiis  le  faux.  L'ima^'c  (pi'ils  se  font 
de  nous  est  celle  du  lion  peint  par  riionime.  «'ternelle  histoire 
des  apprei  iations  injustes  ;  mais  qu'il  est  «trange  de  voir  sjibsis- 
ter  encore  dans  un  siècle  qui  se  pique  de  propager  les  lumières, 
les  recherches,  les  r«habiliiaiionshislori(]ues,  enlin  de  professer 
une  philosophi(pie  im|)artialilé.  Cesl  que  les  Anglais,  qui  font  à 
l'Eglise  un  crime  de  son  respect  pour  la  tradition  apostolique, 
Mint  eu\-ni)°tnes  sous  le  joug  d'une  irailitioii  immémoriale,  mais 
sans  auilieniii  iie.  .le  ne  m-ux  fair(>  ici  ni  de  la  rhelliorique,  ni  de 
la  controverse  ;  j'ex[)os<>rai  seulement  certains  faits  évidents,  in- 
coiitestaliU's  ;  je  les  considérerai  philosojthiipiement ,  el  j'en  <lé- 
duirai  des  conséquences  que  non-seulement  mes  frères  de  l'Ora- 
toire auxquels  je  m'ailresse,  mais  tous  h's  hommes  «''quitables  et 
sensés,  rej'onnaitront  pour  être  rigoureusenïent  exactes. 

Je  le  répète,  il  laut  chercher  dans  une  tradition  loil  ancienne 
sans  doute,  mais  sans  autluMiiiciie,  l'origine  des  erreurs  que  les 
Anglais  nourrissent  à  notr«*  égard.  Ils  ne  songent  jamais  à  mettre 
en  praticpie  sur  «e  sujet  le  libre  examen  dont  ils  parlent  si  haut. 
Tout   ce  qu'ils  s:iv(>nt  <lu  catholicisme,   leur  a  été  enseigné  dè« 


CONTnE  LE  CATHOLICISME.  111 

leur  berceau,  dans  leur  chambre  d'éinde,  dans  les  salles  de  leurs 
collèges,  par  les  chansons  de  leurs  nourrices,  par  la  tribune,  la 
cliaire,  les  journaux  ,  les  romans ,  par  la  sociétc'.  —  C'est  un 
immense  enseignement  ninluel  :  «  On  l'a  dit,  on  le  .s«î7  ;  mais 
où  l'a-t-on  appris  ?  —  Tout  le  monde  le  répèle,  et  personne  ne 
dit  le  contraire;  il  faut  bien  que  ce  soit  vrai  :  »  El  l'Anglais 
raconte  le  bruit  que  fit  le  bill  pour  rémancipalion  des  catholi- 
ques, dont  son  père,  son  vieux  pasteur,  lord  Eldon  et  Georges III 
parlaient  avec  le  même  eilVoi;  il  rappelle  la  démission  que  M. 
Pitt  fut  forcé  de  donner  à  ce  propos,  et  l'aflaire  du  lord  Geor- 
ges Gordon ,  le  bon  protestant  qui  dirigea  une  émeute  où  tou- 
tes les  chapelles  catholiques  furent  brûlées. 

Voilà  certes  d'excellentes  raisons  :  mais  cherchez  à  remonter 
à  Torigine  d'une  tradition  aussi  vénérée,  aussi  impliciiemenl 
admise  que  l'Évangile,  un  épais  brouillard  renveloi)pe,  et  voilà 
pourtant  ce  qui  fait  la  base  de  l'opinion  anti-catholique. 

Certes,  je  suis  bien  éloigné,  mes  frères,  de  réprouver  l'emploi 
de  la  tradition  humaine;  c'est  la  porte  de  toute  connaissance; 
sans  elle  chaque  gén(''ration  demeure  dans  l'isolement,  dans  l'in- 
dividualisme; la  vie  ne  suffirait  pas  à  chacun  de  nous,  s'il  nous 
fallait  recommencer  à  chercher,  à  découvrir  toute  la  science 
transmise  par  nos  devanciers  au  moyen  de  la  tradition;  c'est 
sans  doute  un  motif  rationel  de  créance,  jusqu'à  preuve  du  con- 
traire; c'est  encore  un  utile  précédent,  un  guide  à  suivre,  à  dé- 
faut d'autre  conseil,  dans  certaines  positions  de  la  vie.  La  tradi- 
tion nous  sert,  mais  elle  ne  suffit  pas;  elle  commence  l'édifice 
de  notre  science,  de  notre  croyance,  elle  ne  peut  l'achever,  et 
il  ne  faut  pas  se  reposer  si  absolument  sur  son  enseignement, 
qu'on  puisse  repousser  tout  ce  qui  pourrait  nous  en  dépersuader. 
Encore  moins  faudrait-il  la  tenir  pour  si  sacrée  que  nous  en 
arrivassions  à  concevoir  de  la  haine,  de  l'irritation  contre  ceux 
qui  ne  partagent  pas  notre  façon  de  voir. 

Supposez  qu'une  tradition  généralement  répandue  en  Angle- 
terre, dénuée  pourtant  de  toute  preuve  positive,  racontât  que  le 
roi  Charles  II  mourut  empoisonné;  elle  serait  admissible  tant 
qu'il  n'existerait  aucun  témoignage  contradictoire;  mais  si  l'on 
venait  à  découvrir  un  récit  des  derniers  moments  du  roi,  écrit. 


1  12  ir.hJlOES  DES   PROTESTANTS 

si^QC  par  ses  médecins,  et  conienani  le  détail  de  sa  maladie  et  de 
ses  causes  tontes  naturelles,  rejrtterait-on  le  i»moi}<nage  de  ce 
document  |>our  rester  attaché  à  la  tradition?  Cène  serait  pas  lu 
de  la  lidi'lite  à  la  vérité,  mais  d<-  rcnd^ement  dans  l'erreur. 

Ici  je  ne  parle  i\iu'.  d'une  tradiiiun  htAcv  ;  car  lorsqu'il  v  a  con- 
cordance de  plusieurs  traditions  indépendantes  les  unes  des  au- 
tres, cette  accumulation  de  temoi^naf^es  éiranj^ers  les  uns  aux 
autres  et  conlurmes  <ntre  eux,  acipiiert  un  haut  degré  de  valeur. 
Par  exemple,  s'il  se  produisait  dans  quelque  canton  isolé  de 
l'Irlande,  une  tradition  portant  que  telle  famille  doit  la  posses- 
sion de  ses  terres  à  la  |);irl  prise  par  un  anet'ire  ;i  l'enipoisonne- 
meni  de  (lliarles  II,  une  pareille  comcideuee  serait  un  indice 
qui  frapperait  notre  esprit  comme  le  fait  les  dépositions  sem- 
hlahles  de  deux  témoins  éiranj,'ers  l'un  à  l'autre.  Il  peut  donc 
ressortir  d'une  masse  de  traditions  conformes  entre  <'lles,  des 
preuves  assez  évidentes  pour  qu'un  honiiue  veuille  sacrifier  sa 
vie  pluli'it  que  sa'croyance  au  fait  (pi'elles  attestent. 

Mais  je  le  répète,  la  tradition  vaj^uc ,  isolée  sur  hupielle  est 
billie  l'upiniun  anj^laise  à  noire  égard  ,  ne  produit  que  de  la 
prévention  indij^ne  du  nom  de  conviction.  Si  vous  demandiez  au 
premier  protestant  venu  (xmnpioi  il  |)ense  <pie  l'Église  catholi- 
(pie  est  un  ahîme  d'initjiiiies,  il  ne  répondra  pas  (pi'avant  vécu 
paimi  les  nations  callioli(pies,  il  les  connaît  parlaiienient,  «piil 
a  sérieusement  étudié  l'histoire  et  la  théologie,  qu'il  a  des  preu- 
ves in(()ntestal»les  de  ce  «pi'il  avance.  Mais  d'un  air  significatif, 
il  dira  «pi'il  est  certain  de  son  fait,  et  que  vous  ne  réussirez,  ja- 
mais à  changer  son  opinion  :  ou  bien,  il  s'emportera,  vous  im- 
posera silence  ,  traitera  vos  prêtres  de  misérables  iujposleui  *n 
dont  les  serments  sur  l'echafaud  même,  sont  autant  de  parjures 
«'t  H'péiera  cette  phrase,  cet  ullima  ratio  des  ignorants,  «  c'est 
»  un  fait  reconnu,  les  calholitpies  torturent  les  hei-étiques,  mu- 
»  reni  tontes  Nivantt's  déjeunes  religieuses,  iichétent  des  pep-" 
•  missions  «le  pcclier,  et  irantent  d'incessants  complots  contre 
»  les  rois  et  contre  IcsgouveintMnenis.  » 

L'hcrilure  sainte  nous  fournil  un  exemple  analogue,  de  ce  fa- 
natisme traditionel.  Au  tenq>s  de  la  prédication  du  Sauveur,  le 
parti  national  en  Judée  était  domine  par  une  école  qui  prcien- 


r;()^TRE  i.E  catholicisme.  113 

(lail  inaiiiicnir  des  commandemonls  d'Iioniincs  décoii's  du  litro 
de  tradition  des  anciens.  Elle  était  peut-être  lid«.'lement  trans- 
mise et  remontait  à  une  haute  antiquité;  mais  dès  qu'elle  n'a- 
boutissait qu'à  des  autours  humains,  elle  ndlFrait  plus  rien  de 
sacre,  elle  ne  pouvait  rien,  puistpie  les  auteurs  ctaienl  sujets  à 
l'erreur,  sujets  à  se  tromper  et  à  tromper  les  autres. 

Aussi,  Notre  Sei^Mieur  dit-il  :  «  Ce  peuple  m'honore  des  lè- 
vres, mais  son  cœur  est  loin  de  moi;  ils  enseignent  les  doctri- 
nes et  les  commandements  des  hommes.  »  (St-Matthieu  XV.) 

Sans  doute,  lorsque  la  tradition  se  présente  appuyée  par  des 
miracles,  par  des  proph('!ties  qui  corroborent  son  témoignage , 
elle  devient  imposante  et  irrécusable;  mais  telle  n'était  pas  celle 
des  Pharisiens  qui  n'invoquaient  d'autre  garantie  que  leur  propre 
parole;  cependant  nous  savons  avec  quel  zèle  aveugle  les  jurés 
la  défendaient ,  croyant  servir  l'Éternel  en  mettant  à  mort  les 
ennemis  de  cette  doctrine.  Un  sentiment  populaire  peut  être 
énergique  et  violent  sans  être  pour  cela  plus  raisonnable. 

Nous  pouvons  donc,  sans  témérité,  attril)uer  à  une  tradition 
la  répulsion  éprouvée  contre  les  catholiques  par  la  majorité  des 
protestants.  En  dehors  de  la  multitude,  il  y  a  sans  doute  des 
honmies  qui  nous  combattent  avec  les  armes  de  l'érudition  et  du 
raisonnement;  mais  ce  sont  les  masses  qui  font  loi  et  ce  sont 
des  masses  que  je  veux,  parler.  La  plupart  des  protestants  ne 
s'avouent  pas  peut-être  qu'il  sont  sous  l'empire  d'une  tradition, 
et  se  croiraient  blessés  dans  leur  dignité,  si  on  les  croyait  ca- 
pables de  se  laisser  influencer  par  l'autorité  de  certains  noms 
célèbres  pour  leurs  opinions  anti-catholiques;  mais  il  ne  s'agit 
pas  ici  de  savoir  si  les  protestants  reconnaissent  cet  ascendant, 
si  même  ils  ont  conscience  de  leur  foi  implicite  dans  une  tradi- 
tion, mais  bien  de  savoir  si  cette  foi  existe,  et  si  elle  met  obsta- 
cle aux  lumières  qu'un  examen  approfondi  pourrait  leur  appor- 
ter sur  ce  sujet. 

Lorsque  le  roi  Hnri  VIII  inaugura  une  nouvelle  religion,  lors- 
que après  lui  sa  fille  Elisabeth  y  donna  upe  forme  et  que  leurs 
successeurs  parachevèrent  cette  œuvre ,  ils  furent  trop  habiles 
pour  la  laisser  sans  garanties  d'avenir  ;  quelque  chose  leur  di- 
sait qu'abandonné  à  sa  propre  force,  le  protestantisme  ne  pour- 


1  I  4  rnÉJi(;KS  dus  protestats 

rail  se  porpeiucr,  parce  qu'il  manquait  «l«  force  viialc,  de  telle 
force  aussi  oécessaire  contre  les  i-nneinis  du  dehors  que  ronire 
les  intubles  iolérieurs.  Ko  eiTel,  soil  que  vous  considérez  le  Lu- 
thiianisme  ou  le  calvinisme,  vous  ne  les  retrouvez  plus  tels 
qii  ils  «Uiietil  à  leur  poiiil  «If  di'|)art;  l'action  du  raisonncuunt 
a  usé  le  |)remier  en  Allemaj'ne,  comme  le  second  à  Genève;  les 
callioli(|ut's  le  pn-disaient,  les  réformateurs  eu\-m«^mes  le  pres- 
sentaieiil  iiistiiictivcment.  Aussi,  quand  les  fauteurs  du  proles- 
tantisine  eurent  fait ,  pour  leurs  propres  intéréu  el  selon  leurs 
vues,  loul  Tusage  qu'ils  voulaient  de  ce  terrible  insiruntent  du 
libre  examen,  ils  commencèrent  à  le  trouver  de  trop;  ilsfennè- 
rcnl  l'cciuse  «pi'ils  avaient  ou\erle  et  inqxtsèrent  aux  populations 
qu'ils  prétendaient  av(tir  émancipées,  une  tradition  arlificielle  de 
leur  façon.  Bien  plus,  ils  rentremêlérent  dans  le  tissu  de  la 
constitution  polili(|ue  et  nationale  ;  en  un  mot,  ils  l'vtablirent  (1), 
ils  la  promid^uerent  comme  ime  loi  civile. 

Oq  dira  peut-être  que  le  catholicisme  a  plus  d'une  fois  été 
promulfïué  ,  établi,  c'est-à-dire  de<lare  reHj-ion  de  l'Klal.  En 
ellet,  une  nation  déclare  que  le  catholicisme  est  sa  relij^ion,  et 
cela  par  un  mouvement  spontané,  unanime,  par  In  force  même 
des  choses,  mais  ce  n'est  |»as  i'Kp^lise  rotholi(|ue  qui  s'impose  à 
ce  peuple.  Le  catholicisme  n'a  pas  besoin  pour  exister  d'être  un 
établissement  ;  uon-^ou\vmvni  il  n'est  pas  établi  en  Irlande,  mais 
encore  il  y  est  persécuté  depuis  trois  cents  ans,  et  il  y  subsiste 
toujours  pins  fervent  et  plus  eiierj-ique.  Or,  je  dt'lie  (pi'on  me 
puisse  nionlrer  un  peiq)le  ipii,  dans  des  conditions  send>lal)les, 
demeure  (idele  au  luthéranisme  ou  calvinisme  (11.  IN'Ut-t^trc  on 
objectera  (pu*  la  persécution  est  un  lien  puissant  qui  rattache  les 
opprimes  les  uns  aux  autres  et  alfei mit  leur  foi  ;  mais  le  prin- 
cipe du  libre  examen  est  un  dissolvant  qui  agit  au  temps  de  paix 


(I)  I.'Kplisc  .-incLiisr  rst  ilcsigiu-r  p.nr  le  mol  ii'cxlnbUthtnrnl.  l.en  rnnrniis 
de  YrlabUttemrnt  »onl  les  prpshytt'ricns,  Ir^  ralvini.stc$  comnu*  \e*  rallioli- 
qu«»;  sriilcincnt  on  ne  le»  rcdoiilc  pas  autant.  (.\.du  trad.) 

i\)  On  pourrnil  rilcr  li-s  Bitrhrts  «m  \'aiiilni!«  du  Pii'inont  ;  mais  les  ri- 
gueurs exercccs  contre  eux  n  oui  L-u  ni  l'inlcncitc,  ni  la  persistance  des  per- 
sécutions contre  les calltoliqucs  irlandais;  celle-ci  dure  encore. 


conthk  le  catholicisme.  t  (5 

et  de   Iriomplie,  coiiiiik;  aux  jours  do  ^'uone  cl  do  malheur. 
L'histoire,  nies  IVères,  l'atleslo  surahondamnieul. 

Cet  élablissemenl  du  protestantisme  ne  fut  point,  à  son  début, 
un  développement  spontané  de  la  foi  nationale,  ce  ne  fut  point 
une  (l'uvre  populaire.  Il  lut  alors  ee  (|u'il  est  encoi-e  de  nos  jours, 
le  résultat  d'un  aete  arbitraire  énianci  du  despotisme;  ee  fut 
l'œuvre  de  politiques  habiles,  (!cclésiasli(jues  ou  séculiers  qui, 
par  la  force  et  par  la  ruse,  s'efforcèrent  de  rendre  national  ce 
qui  ne  l'était  nullement,  ce  qui  sans  eux  ne  le  serait  jamais 
devenu. 

L'établissement  (c'est-à-dire  le  maintien  par  la  loi)  du  [)rotes- 
tantisme  est  le  sine  qua  non  de  son  existence.  Il  subsiste  donc, 
non  en  vertu  de  sa  sagesse,  de  sa  beauté,  de  ses  droits  à  l'amour, 
au  respect  des  masses,  mais  en  vertu  d'une  loi  humaine  mainte- 
nue par  quelques  générations  d'hommes  d'État,  en  vertu  d'une 
tradition  reçue  par  compulsion. 

V établissement  protestant  devait,  au  reste,  rencontrer  moins 
d'obstacles  au  sein  des  populations  d'Angleterre  que  nulle  part 
ailleurs.  La  nature  toute  positive  de  l'Anglais  se  refusa  aux  in- 
vestigations ardues,  aux  études  abstraites  qui  sont  indispensa- 
bles pour  se  former  une  idée  des  diverses  doctrines  controver- 
sées ,  pour  les  comparer  entre  elles  et  en  suivre  les  développe- 
ments au  point  de  vue  théologique.  L'étude  du  passé,  par  la- 
quelle on  remonte  au  temps  des  apôtres  et  à  leur  enseignement 
primitif,  est  encore  un  de  ces  moyens  d'arriver  à  la  connaissance 
de  la  vérité  que  l'Anglais,  en  général,  néglige.  Il  prend,  on  le 
sait,  peu  d'intérêt  aux  opinions,  aux  croyances,  aux  usages  des 
étrangers.  Isolé  par  son  Océan,  il  se  concentre  en  lui-même  et 
ne  s'occupe  du  continent  que  par  rapport  à  soi-même.  Eminem- 
ment pratique,  le  passé,  le  présent  lui  demeurent  indifférents, 
parce  qu'ils  lui  semblent  inutiles.  Vivant  dans  sa  maison  à  lui , 
séparée  d'autres  demeures,  il  regarde  droit  devant  lui,  sans 
lever  beaucoup  les  yeux  vers  les  sphères  dn  spiritualisme,  ni  les 
tourner  vers  des  temps  éloignés,  et  ne  se  préoccupe  du  minis- 
tère des  affaires  étrangères  qu'autant  que  le  commerce  peut  re- 
cevoir quelque  atteinte  de  la  politique. 

Le  caractère  national  s'adaptait  donc  merveilleusement  aux 


1  (6  I'HÉJUGÉS  ULS  l'HOTtMA>TS 

cxi^oancns  du  proleslantisme  dont  le  propre  est  de  n'avoir  pas 
df  d(»(  iriiic  fixe  el  dùUTinini'C,  ei  (|iii  a  brisé  avec  tout  le  passé 
chrétien. 

Je  ne  prétends  eerles  pas  qu'il  ne  se  soit  pas  renecinlré  dft 
protcslanls  erudils,  de  conlrovcrsisles  profonds  «pii  aient  l'tudié 
les  temps  apostoliques,  et  qui  y  aient  fait  appel.  Les  réforma- 
teurs se  piipiaient,  au  contraire,  de  retourner  au  eliristianisme 
priniilil",  et  il  leur  fallait  bien  étaler  (pielcjue  science  ecclésias- 
licliie,  faire  parade  d'arguments,  spj'-cieux  ;  mais  leur  but  une 
fois  atteint,  ils  se  débarassèreut  bienlôl  d'un  attirail  qui  les 
gênait.  Eli!  vous  le  Vdvcz .  mes  frères,  |)armi  les  protestants 
de  nos  jours  sont  les  laiitudinairiens  (jui  font  profession  de  se 
passer  de  doctrine,  el  les  «'vanj^éliques  qui  ne  veulent  pas  de 
l'histoire. 

Les  deux  moyens  donnés  ù  l'intelligence  pour  arriver  à  la 
connaissance  de  la  vérité  étaient  donc  ceux  devant  lesquels  re« 
culail  le  |)rotestantisme  qu'ils  eussent  percé  à  fond,  tandis  que 
l'espiil  inipalitnl  «'i  matériel  de  l'Anglais  se  refusait  à  les  em- 
ployer. Mais  les  novateurs  avaient,  en  outre,  unearme  toute  puis- 
sante que  leur  fournissait  un  autre  trait  caractéristique  de  la 
natun'  anglaise  :  c'est  son  amour,  sa  fidélité  pour  son  souve- 
rain (1),  vertu  qui  s'allie  parfailt-ment  avec  cet  amour  du  positif, 
cet  instinct  de  la  |)ersontialite,  si  uïéme  elle  n'y  prend  pas  sa 
source.  L'Anglais  a  besoin  de  l'attrait  extérieur  et  visible,  il  faut 
à  son  alleciion,  tomnie  à  la  foi  de  saint  Tliomas,  linéique  chose 
de  tangible.  La  sainteté  cachée  sous  des  haillons,  sciait  repous- 
sée :  revêtue  de  velour,  on  l'adorerait.  La  populace  anglaise 
huerait  saint  François  d'Assise  nu  tète  et  pieds  nus,  elle  rece- 
vrait avec  vénération  saint  François  Xavier,  s'il  se  montrait  ha- 
bille en  mandarin.  Accessible  à  l'amour  du  bien  el  du  beau, 
l'esprit  et  le  cœur  de  notre  iiatKm  ne  peuvent  pas  le  percevoir 
i\'\iiu'  façon  abstraite;  il  faut,  pour  exciter  son  intérêt,  que  les 
talents,  le  mé'rite,  la  naissance,  le  rang,  la  s<ience  soient  person- 
nitiés  sous  une  forme  brillante,  et  c'est  la  conscience  de  celle 


(I)   l-r  mot  nii^lnis  InyaKy  nVst  pniiil  traduit  par  notrr  mot  tic  loyautr;  il 
le  serait  plutôt  pnr  le  vieux  mol  fraii(;ais,  fèaltc,  ffnutf. 


CONTRE   LE  CATHOLICISME.  1  17 

tendance  ù  l'admiration  du  visible  qui  fait  de  la  présence  d'un 
cardinal  et  d'une  hiérarchie  catholique  en  Angleterre,  un  épou- 
vantait pour  nos  liomnios  d'I^^lat. 

Les  lioninies  ipii  présidèrent  à  la  rélornie  anglicane  étaient 
trop  habiles  pour  négliger  cet  instrument  de  succès;  ils  com- 
prenaient fort  bien  que  ni  la  sécheresse  du  culte  de  Calvin  avec 
ses  monstrueuses  spéculations  ;  ni  le  mysticisme  sensuel  de  Luther 
avec  sa  parodie  de  sacerdoce,  ne  rencontreraient  de  sympathies 
parmi  les  masses  ;  il  fallait  incarner  le  protestantisme  dans  la 
personne  visible  du  souverain.  Eflectivement,  l'anglicanisme, 
c'est  la  religion  du  trône  représentée,  transmise,  maintenue  par 
une  succession  de  souverains  et  par  une  aristocratie  héréditaire. 
Les  réformateurs  anglais  ne  lirent  résider  la  force  de  la  religion 
naturelle,  ni  dans  des  arguments  et  des  expositions  de  doctrines 
que  le  peuple  n'aurait  pas  exécutés,  ni  dans  l'élude  du  passé  qui 
ne  l'intéressait  pas,  ni  dans  la  sanction  apostholique;  ils  greffè- 
rent le  protestantisme  sur  le  dévouement  au  souverain,  à  ce 
prince  visible  que  tout  Anglais  apprit  à  défendre  contre  le  Pape 
étranger,  qu'il  ne  voyait  pas.  Douter  de  la  religion  royale,  c'é- 
tait un  crime  de  lèse  majesté,  et  désormais  les  rois  devinrent  les 
saints  et  les  docteurs  de  l'anglicanisme.  On  eut  le  franc  et 
joyeux  roi  Henri,  la  glorieuse  Elisabeth,  le  royal  martyr ^  \e  jo- 
vial monarque,  l'immortel  et  le  pieux  Guillaumej  le  bon  roi 
Georges,  personnages  assurément  très-différents  les  uns  des  au- 
tres ,  mais  infaillibles  puisqu'ils  étaient  souverains,  et  comme 
tels,  objets  de  la  vénération  de  tout  fidèle  Anglais. 

{La  fin  au  numéro  prochain.) 


PRIÈRES  ET  SOUVENIRS. 


Poésies  religioiiscs,  par  Octave  pucros  (de  Sixl).  Un   vol.   in-12. 
P.iris  185i.  r.h«'/  I.'Noffro,  libraire. 


Lelcm|)spr(>scnt,(Jit-oii,  Psl  peu  propice  à  lapo^sin.  Lei^diiTuiil- 
Irs,  crovons-nous,  on  tous  les  loni()S,  furent  û  pou  pros  los  mi^mes. 
Qu«'l  sii'cU;  se  |iourrail-il  «il.'r  où  ceux  <]nv  If  dcmoi)  de  la  poésie  a 
poursuivi  n'aient  ou  a  surmonter  rindilTorenre,  ledédain,  les  mépris 
même,  ontin  des  trihulaliuiis  sans  nombre?  Mal;;ré  li;  Ion  positif 
qui  rogne  aujourd'hui  ;  eu  depii  tie  i  c  caracléro  utilitaire  que  ré- 
vèlent presque  forooiuenl  les  eduoations,  les  sources  de  l'admira- 
tion ne  sont  point  taries.  Il  ro;;ne  plutùt  un  excès  d'indulgence, 
qui  prend  sa  source  dans  rabaissement  des  éludes  littéraires.  S'il 
faut  aoruser  le  siècle,  à  coup  sûr  ce  n'est  poiut  tïr  rigueur  à  l'en- 
droit des  tentatives.  Qu'il  arrive  seulement  une  jeune  renommée 
qui  lorce  l'attention  el  surtout  le  respect,  bienlùt  les  témoignages 
les  plus  empressés  se  biUoront  d'annoncer  sa  veiuie  el  d'entourer 
son  bercoaji.  (lombien  ne  pourrait -on  pa<  citer  ici  de  ces  nourris- 
sons des  muses  dont  des  applaudissements  trop  précoces  ont  forcé 
le  talent,  tari  dans  son  gernu"  lo  dévelop|)<'uicnl  poéli(|iie  pour  ur 
faire  que  des  hommes  iiu(mijilcis  et  inconijuis,  des  hommes  en 
quélc  d'untf  carrière  durant  t(»uii'  leur  vie,  bienheureux  encore  si 
l'aigreur  et  lo  dépit  d'un  insuccès  ru*  les  a  pas  jelés  dans  les  rangs 
de  l'opposition  anli-religieuse  «-t  anti-so(  ialo.  «  cl  asile  déshonorant 
des  mécontents  de  toute  nature. 

Nous  rrovons  donc  fort  peu  aux  poètes  étoufTcs  par  lo  dédain  de* 
génériition-».  'loulos  les  carrières  pourraient  ici  taire  mcuiire  «le 
leurs  victimes.  Nous  serions  plutôt  itortés  .i  dire  qui;  la  société,  cl 
plus  ex[)ressénicnl  la  sociclé  dos  honnête-  gens,  a  forl  .1  se  plaindre 
des  |>oetes.   Pour  tpielipic>-uns  Siuis   tache,  qui  dans  le  cours  des 


PKIKRIvS     ET    SOUVKMKS.  1  f9 

âges  s'unissent  ;iu  chœur  dos  intclliponces  |)rivilé},'iées  qui  ont 
cherché  Dieu,  chanté  sa  gloire  et  gh)ri(ié  ses  œuvres,  contihien  (jui 
ne  furent  jamais  (jiie  les  chantres  de  la  vohipl»',  h«s  insligalcMirs  du 
vice,  les  adulateurs  de  toutes  les  faihiesses?  Nulle  société  plus  que 
la  nrtlre  eut  foi  aux  poêles  ;  elle  les  a  cru  dignes  du  pouvoir  suprême? 
F. es  honneurs  les  plus  magnifiques  ont  été  leur  partage.  Ce  n'est 
point  le  lieu  de  ledircî  ici  des  histoires  que  chacun  sait,  mais  com- 
ment ne  pas  déplorer  ces  fortunes  imméritées,  car  elles  ne  sont  à 
la  louange  d(î  persojine.  Si  la  réprobation  la  plus  sévère  doit  fraji- 
per  des  hommes  qui  ont  fait  un  abus  si  coupable  des  prérogatives  du 
lalenl,  il  est  impossible  de  ne  pas  Tétendre  sur  ces  foules  engouées, 
lesquelles,  après  tout,  n'ont  adoré  dans  ces  hommes  que  les  com- 
plices de  leurs  |)assions.  Ouel(jues-uns  trouveront  que  c'est  là  faire 
un  bilan  bin  dur  de  ia  renommée  des  Bérangcr,  des  Lamartine, 
des  Victor  Hugo,  des  Alexandre  Dumas,  des  Musset.  Pesant  au 
poids  de  la  conscioure  le  mal  imrn(*nse  qu'ils  ont  fails,  Iiî  tribut  à 
peu  prés  continuel  qu'il  ont  apporté  au  désordre  dans  les  idées,  à 
la  dépravation  dansles  sentiments,  au  courant  irréligieux  du  siècle, 
nous  croyons  n'être  que  justes.  Ce  qui  ne  nous  empêcherait  pas, 
le  cas  échéant,  de  manifester  par  quels  endroits  ils  furent  dignes 
de  remarque,  quelles  qualités  éminentes  et  variées  servirent  leur 
talent,  de  quel  cachet  de  distinction  grande  ils  marquèrent  les 
quelques  œuvres  sorties  de  leur  piume,  que  les  [)remiers  nous  vou- 
drions pouvoir  sauver  du  naufrage  de  leur  renommée. 

Ces  chefs  de  file  ont  fait  beaucoup  de  mal  ;  grâce  à  Dieu,  cepen- 
dant, ils  n'ont  pas  entraîné  tout  le  monde.  S'il  ne  s'est  point  élevé 
de  figure  imposante  à  rencontre  du  flot  malfaisant  qu'ils  ont 
provoqué,  il  faut  reconnaître  que  dans  une  splière  plus  humble,  de 
nobles  âmes,  de  jeunes  cœurs  dévoués  à  Dieu  et  à  l'Église  ont 
protesté  contre  le  scandale.  Préférant  une  destinée  moins  brillante 
etaussi  plus  méritoire,  bornant  leur  désirs,  ils  ont  suivi  l'étroit  sen- 
tier du  devoir.  Pour  la  plupart  d'entre  eux,  la  poésie  n'est  que  le 
délassi'menl  d'une  vie  occupée  de  sérieux  intérêts.  Quelques-uns 
leur  reprocheront  de  manquer  de  chaleur,  d'éclat,  de  ne  pas  dé- 
ployer une  énergie  sulTisante.  Sans  doute,  vous  ne  retrouverez  pas 
chez  eux  l'ivresse  de  la  passion  échevelée,  les  souvenirs  brûlants 
de  l'orgie,  ni  la  flamme  capricieuse  d'un  esprit  qui  se  rit  de  tout. 
Ceux  là  se  r(;S[!ecli!nt  eux-mêmes  et  ils  respectent  les  autres.  Leur 
muse  est  chaste.  Ils  ne  craigncïil  pas  de  parler  du  re[)entir.  Leur 
pensée  reconnaît  un  frein  et  leur  conscience  un  joug  dont  elle  ne 


l'H^  PRIÈRES    ET    SOIVE.XIRS. 

tVcmil  |ias.  (Jellc  suhrioU;  rvidumiiioiil  impose  de  la  gène,  mais 
pour  culu  l'cnlbou&iasmc  uVsl  pas  banni.  La  grâce,  ce  parfuni  des 
des  setilimonts  doux  v.l  afTeiiueux,  ne  leur  fail  pas  défaut.  Ils  rcn- 
coulrenl  aussi  la  lorre  alors  ijue  .s'eianranl  dans  les  relions  du  pur 
amour,  ils  célèbrent  dans  leurs  vers  les  augustes  mystères  de  la 
foi,  les  souvenirs  bibli(|ues  uu  les  magnilieences  du  culte  cbrt^lieii. 
Les  Pvnnei  éiamjclitjuei  de  Laprade ,  les  poésies  de  rur(|uety  , 
celles  de  Violeau  cl  de  Désiré  Carrière,  les  œuvres  si  exquises 
do  Hri/eux  ,  Tauleur  de  .Varie  et  dei  BnlviiA ,  pour  n'en  citer 
(|ue  (|uel(|ues  uns,  ont  des  longtemps  piouté  que  la  vraie  poésie 
n'esl  point  incompatible  avec  les  vertus  sévères.  Et  ici  nous  insis- 
tons sur  ce  caractère  de  fidélité  grave  que  revôl  un  e.sprit  calboli- 
que  convaincu,  sérieusement  allaché  à  la  règle  et  aux  précoptes 
qu'il  accepte,  car  les  renommées  mondaines  dont  nous  parlions  tout 
à  riieure  ,  elles  aussi  ont  voulu  cbanter  le  Cbrisl  et  glorifier  ses 
bienfaits.  Parfois  chez  elles  se  trouveront  <juel(|iies  pages  estima- 
bles ,  parlant  d'une  émotion  sincère  ;  mais  combien  d'autres  où  le 
('brisl,  rtvangile  et  ses  mystères  sont  invoqués  uniquement  pour 
donner  lieu  à  de  détestables  blaspbèmes  ou  pour  infecter  l'auguste 
doctrine  des  impures  émanations  du  panlbéismc  ou  de  l'albéismc 
prati(|ue. 

M.  Octave  Ducros,  dont  iioun  annonçons  un  second  recueil,  as- 
pire à  prendre  rang  parmi  les  poètes  de  la  voie  étroite  dont  il  faut 
encouragiT  les  louables  edorls.  Il  faut  des  poètes,  l'our  nous  tous, 
il  est  une  période  de  la  vie  où  ce  langage  du  cœur  passionné  qu'on 
nomme  la  poésie  attire  les  plus  nobles  fiicultés  île  noire  esprit.  Sa- 
chons ne  pas  comprimer  ni  dédaigner  cette  Oeur  des  jeunes  années  ; 
cfTorçons-nous  plutôt  de  nous  emparer  de  celle  attraction  ,  de  la 
faire  servir  au  bien.  La  véritable  pédagogie  ne  consiste  pas  ii  com- 
primer les  aspirations,  mais  à  les  diriger,  mais  <li  les  contenir.  Crai- 
gnez que  la  jeunesse  ne  se  tourne  vers  la  licence,  si  vous  lui  enle- 
vez toute  ré<réation  ,  si  vous  la  sevrez  systématiqueuïent  de  tout 
élan  vers  le  beau.  l'our  cela,  osons  iavoriser  les  vocations  poétiques 
telles  que  celles  de  M.  Ducros  ;  plaçons  sans  crainte  ses  vers  entre 
les  mawis  de  tout  le  monde  ,  entre  celles  des  jeunes  gens  surtout, 
car  jamais  il  ne  fait  entendre  que  les  accents  les  plus  élevés  comme 
les  plus  libres  do  tout  soufUe  impur. 

Le  goùl  trouvera  aussi  en  M.  Ducros  un  ino<léIe  à  suivre.  S'il  faut 
le  louer  de  la  chasteté  (h>  ses  pensée»,  apprccions  d»*  même  la  pu- 
reté de  son  style,   sor»  élégance  continui* ,  l'absence  du   mauvais 


PRIÈKES    RT    SOUVENIRS.  121 

goùl,  les  images  justes  et  bien  en  place.  Sans  doute  M.  Ducros 
quelquefois  ose  beaucoup;  il  arrive  qu'il  n'atteint  pas  toujours  l'i- 
déal qu'il  rùve  ou  celui  qu'il  entr'ouvre  devant  son  lecteur  attiré. 
Ne  nous  plaignons  pas  trop  ;  pour  les  poètes  comme  pour  les  pein- 
tres, il  faut  d'abord  estimer  l'intenlion,  apprécier  les  efforts.  Il  faut 
se  souvenir  aussi  (jue  M.  Ducros  aborde  le  plus  souvent  des  sujets 
religieux,  les  plus  grands  sujets  :  la  Croix,  le  Miaerere,  l'Eglise,  la 
Résurrection.  Pour  réaliser  le  degré  de  force  et  de  couleur  requis 
pour  de  pareils  sujets,  il  faudrait  une  organisation  poétique  trans- 
cendante, car  à  la  vue  métaphysique  la  plus  perçante,  il  faudrait 
unir  une  imagination  incomparable.  Atteindre,  nous  ne  disons  pas 
la  perfection,  mais  une  beauté  relative,  eu  s'exerçant  sur  de  tels 
motifs,  est  déjà  bien  digne  d'éloges.  C'est  dire  que  M.  Ducros,  vrai- 
semblablement, ne  forcera  guère  l'admiration  des  indifférents; 
mais  nous  osons  lui  prédire  que  les  âmes  pieuses  aimeront  à  le  lire, 
car  elles  retrouveront  dans  ses  pages  élégantes  la  moelle  de  la  pen- 
sée de  l'Église,  c'est-à-dire  leurs  méditations  de  chaque  jour  et  la 
paraphrase  populaire  de  nos  grands  mystères  catholiques,  comme 
le  commentaire  animé  des  plus  belles  paroles  des  Saints  Livres. 

Nous  terminons  en  citant  deux  pièces;  c'est  le  procédé  le  meil- 
leur et  le  plus  franc  pour  faire  goûter  une  œuvre  digne  des  plus 
sympathiques  applaudissements.  £.... 


A  LA  JEUNESSE. 

Qu'ils  sont  beaux,  mes  amis,  les  jours  de  ma  jeunesse  ! 
Combien  douce  et  charmante  est  cette  enchanteresse! 
Quel  breuvage  enivrant  nous  présente  sa  main  ! 
Ah  1  ne  les  perdons  pas,  mes  amis,  ces  jours  splendides. 
On  dit  autour  de  nous  qu'ils  s'écoulent  rapides  : 
S'ils  passent,  que  pour  nous  ce  ne  soit  pas  en  vain  ! 

Pendant  que  notre  ciel  rayonne. 
Que  nos  yeux  en  sondent  l'azur; 
Cherchons-y  celui  qui  nous  donne 
Les  soleils  d'or  et  le  ciel  pur. 
On  nous  dit  souvent  que  les  hommes 
Sont  ingrats  :  à  l'âge  où  nous  sommes, 


I  '2-  rnihits  tr  soi  vkmh>. 

Me»  amis,  «>àl-il  des  ingniU? 
L'oubli  pour  nous  serait  un  crimo  ; 
Dans  nos  cœurs  le  hionriit  iniiiriuic 
Des  Iraits  qui  ne  sVfTacj'nl  pas! 

La  vie  à  lar^^es  (luts  dans  nos  veines  circule. 
Inextinguible  et  rluT,  un  feu  secret  nous  brûle; 
Rien  ne  peut  nVsisler  à  sa  puissante  ai  (leur. 
Il  ecliaufle  à  la  fois  riotre  saiij^  «-l  nos  Aines; 
Si  le  temps  doit  Téteindre,  au  milieu  de  ses  flammes 
Ayons  du  moins  brûlé  noire  encens  au  Sei{,'neur! 

Est-ce  une  âme[à  moitié  flétrie, 
Un  cœur  qui  va  se  refroidir, 
Sont-ce  les  restes  de  la  vie 
Qu'au  Dieu  vivant  il  faulofl'rir? 
Non,  non  :  ce  serait  une  honte! 
Nous  ne  savons  pas  comme  on  compte: 
Nous  ne  calculons  pas  eocor  ! 
Les  mains  de  Dieu  sont  généreuses  ; 
Les  nôtres  répandront  joyeuses  , 
A  ses  pieds  tout  notre  trésor  ! 

Dans  les  saints  jours,  Toyez  ces  fleurs  toujours  présenles, 
Pencher  pieusement  leurs  gerbes  odorantes 
Sur  Taufcl  qui  reçoit  et  le  pain  et  le  vin. 
Les  fruits  lon-jlt'uiiJS  mûris  servent  au  sacrilîce; 
La  Heur  dans  sa  jeunesse  ouvre  son  frais  calice, 
Et  laisse  les  parfums  s'exhaler  de  son  sein. 

Notre  vie  en  sa  fleur  s'élève  ; 
Au  Dieu  du  jour  et  de  la  nuit 
Offrons-la,  quand  monte  la  sève, 
Atiii  (|<i'il  mûrisse  le  fruit. 
Chacjue  fleur  est  une  promesse, 
l'n  «'spoir  que  le  ciel  caresse 
Kl  (ju'ii  ne  faudrait  pas  trahir! 
L'arbre  en  vain  de  fleurs  se  couronne  : 
Dieu  l'arrache,  quand  vient  l'automne. 
S'il  n'y  trouve  rien  à  cueillir! 


PKlÉr.ES    ET    S()UVE?(HiS.  123 

Oli  !  (lu'il  est  1)011  d'aimer  I  Oh  !  qu'il  est  bon  de  vivre 
Au  milieu  des  transports  dont  l'amour  nous  enivre  ! 
Qui,  pour  les  contenir,  élargira  mon  cœur? 
Quest-cc  en  réalité  que  la  belle  jeunesse? 
Est-ce  elle  qui  vraiment  est  notre  enchanteresse? 
C'est  la  saison  d'aimer;  l'amour  est  l'enchanteur  ! 

Livrons-nous,  livrons-nous  sans  crainte 
A  son  empire  :  il  est  si  doux  ! 
Obéissons-lui  sans  contrainte  : 
Qu'en  maître  il  dispose  de  nous. 
Que  de  son  aile  la  plus  forte 
Il  nous  soulève,  il  nous  transporte 
Aux  lieux  qu'on  ne  sait  plus  nommer. 
Qu'il  nous  verse  à  longs  traits  l'extase  ; 
Mais  je  voudrais  plus  grand  le  vase  : 
Car  c'est  Dieu  qu'il  nous  faut  aimer! 

Souvent  auteur  de  nous,  amis,  j'ai  vu  sourire. 
Nos  généreux  élans,  que  sont-ils?  du  délire. 
C'est  aux  illusions  que  nous  ouvrons  les  bras... 
Chères  illusions,  compagnes  fortunées 
Que  le  Seigneur  envoie  à  nos  jeunes  années. 
Au  ciel,  d'où  vous  venez  accompagnez  nos  pas  ! 

Amis,  ces  prétendus  mensonges 
Sont  d'ineffables  vérités  ; 
Et  ce  qu'on  appelle  nos  songes 
Sont  les  saintes  réalités. 
Amis,  le  beau  seul  est  aimable  ! 
Amis,  l'amour  est  véritable. 
Et  le  bonheur  n'est  pas  un  mot. 
Mais  ne  faisons  point  de  méprise  : 
Si  tout  désir  se  réalise, 
C'est  quand  on  s'adresse  au  Ïres-Haul  ! 

Nous  aimons,  quand  le  soir  vient  finir  la  journée, 
A  nous  en  rappeler  la  fraîche  matinée  : 
Ce  rayonnant  azur  alors  était  serein  ; 
Ce  beau  soir  eut  pour  sœur  une  charmante  aurore. 


124  PHIÈRES    ET    SOL'VE.MRS. 

£t  eu  dernier  rnvoii  dont  le  ciel  pur  se  dore 
Vsl  frère  du  rayon  qui  dora  le  malin. 

Amis,  au  bout  de  la'carrière, 
A  l'heure  où  vient  le  souvenir. 
Nous  re(,'ardi!rons  en  arriére  : 
Il  faut  le  faire  sans  rougir! 
O  ma  jeunesse,  reste  pure  ; 
Reviens  aimable  et  san>  souillure 
Réjouir  plus  tard  mes  vieux  ans  , 
Elqu'emporlanl  comme  espérance 
Ton  doux  souvenir,  je  m'élance 
Te  rejoindre  au  delà  des  temps  ! 


L'ÉtiLISK. 

Kplise  du  Seigneur,  ma  vieille  cl  sainte  mère. 
Bien  des  ans  ont  passé  sur  la  léle  si  cbere  : 
Mais  vieillir,  c'est  encor,  pour  Ion  front  respecté, 
S'élever  couronné  de  jeunesse  cl  de  grike  ; 
C'est  du  long  cours  du  temps  garder  pour  seule  trace 
La  noblesse  et  la  majesté  ! 

Quand  dansTheureux  séjour,  à  la  face  des  ange». 
Deux  cœurs  humains  pour  Dieu  mêlèrent  leurs  louanges. 
Tu  naquis,  au  milieu  de  leur  ravissemi-nl. 
De  ce  premier  transport  d'amour  et  d'itinorence, 
Et  l'hymne  glorieux  de  leur  reconnaissance 
P'ut  ton  premier  vagissement  ! 

Tu  naquis,  et  les  cieui  à  la  voix  tressaillirent, 
El  les  anges  émus  en  silence  entendirent 
S'élever  d'ici-bas,  «m  accent  fraternel  : 
l^ar,  pour  parltîr  comme  eux  dans  la  langue  divine^ 
Il  n'était  pas  besoin  de  plus  noble  origine  : 
La  terre  alors  était  un  ciel  ! 


PUIEKES    ET    SOUVEINIRS. 

Ail!  (le^)uis...  mais  loujours  la  céleste  harmonie, 
Doux  et  sacré  langage  a[)pris  dans  la  pairie, 
Que  n'ont  point  oublié  t<5s  lèvres  ni  Ion  cœur, 
O  lille  de  l'Edeii,  sur  ta  bouche  repose, 
Comme  au  jour  où  jadis,  pieuse,  elle  est  éclose, 
Pour  rendre  gloire  au  Créateur. 

Bien  des  fois^  seulement,  depuis  ce  jour  antique, 
Quand  le  chant  résonnait  sur  (a  bouche  angélique, 
—  Était-ce  une  espérance  ou  bien  un  souvenir?  — 
0  6lle  de  TÉden,  ta  voix  mélodieuse 
Vibra  plus  tendrement,  chaste  et  mystérieuse, 
£l  s'exhala  dans  un  soupir  I 

Et  tu  semblais  alors  si  touchante  et  si  belle, 
Ton  œil  brillait  si  bien  d'une  joie  immortelle, 
Ton  sein  d'un  si  doux  poids  paraissait  oppressé. 
Qu'on  eùl  dit  une  vierge  heureuse  et  rougissante. 
Murmurant  en  son  cœur  d'une  voix  caressante 
Le  nom  chéri  d'un  fiancé  ! 

Oui,  c'est  un  fiancé  que  ce  soupir  implore  ; 
C'est  loi,  ton  bien-aimé,  ton  époux,  plus  encore. 
Ton  Dieu,  qu'au  ciel  jaloux  veut  ravir  ton  amour  : 
Lui  si  beau,  si  puissant,  si  grand,  noble  exilée. 
Qu'aussitôt  tu  pourras,  prés  de  lui  consolée. 
Oublier  ton  premier  séjour  ! 

Lui,  ce  n'est  pas  en  vain  qu'on  l'attend  et  qu'on  l'aime 
Pour  te  rendre  ta  part  de  volupté  suprême. 
Il  quitte  les  splendeurs  de  son  trône  étoile. 
Il  t'est  venu  jurer  une  amour  éternelle  ; 
Tu  dois  croire,  oh!  bien  croire  à  ce  serment  fidèle  : 
Vois  de  quel  sang  il  l'a  scellé  I 

Sang  divin,  sang  sacré,  dont  la  vertu  féconde 
A  tes  fils  pour  berceau  donnant  tout  notre  monde, 
Assemble  sur  ton  sein  d'innombrables  enfants, 
Que  du  ciel  reconquis  franchissant  la  barrière. 
Tu  porteras  enfin  au  séjour  de  lumière, 
Pressés  dans  tes  bras  triomphants  ! 


125 


J  *^<»  IT.IKRES     ET    SOl'V&.MI.s. 

Pour  CCS  heureux  vnfauU,  ce»  fils  de  m  Icodrcssc, 
Cel  iininotlt'l  «-poux  ronfie. à  la  saj;osse 
Des  tri'sors  uu  la  rnain  [tiiise,  sans  tes  laiir, 
Tous  les  duiis  (lu  Seigneur,  lous,  jusqu'à  la  puissance 
(Jui  rend  aux  cœurs  suuillés  leur  preniiiTC  innocence. 
L'innocence  pour  un  soupir  I 

Pour  parler  au  Irés-Haul,  tes  I(<j0ns  njatcrnelles 
Fonl  redire  ici  bas  à  des  bouches  niurlelles 
La  langue  (pie  parlait  cet  «'poux  glorieux, 
Ces  paroles  d'amour  cpje  lui  seul  put  l'a[)preudre. 
Où  Ion  Dieu  reconnaît,  ravi  de  les  entendre, 
Le  Verbe  qui  lui  parle  aux  cieux  ! 

Au  ban(|uet  iiiciïablc  où  la  voix  les  confie. 
Tu  donnes  à  les  lils  un  pain  qui  rassasie 
Leur  faim,  faim  de  bonheur  et  d'imuiorlalilé! 
El  ta  divine  main  leur  présente  un  breuvage 
Qui,  du  ciel  sur  la  terre  inépuisable  gage, 
Les  enivre  de  charité  ! 

Oh!  oui,  nous  nous  aimons!  (|uand  tios  lèvres  tremblantes 
A  l'approche  d'un  Dieu  craintives,  pillissanlcs, 
De  bonheur  et  d'i-fTroi  se  sentent  défaillir; 
Quand  notre  voix  se  meurt,  vos  nobles  voix  s'élëveul, 
G  mes  frères  du  ciul,  et  pour  la  nôtre  achèvent 
Le  mol  qu'elle  n'osait  Unir  ! 

Oh!  oui,  nous  nous  aimons!  quand  nous  avons  pour  hôte 
Celui  dont  li'  saiip  pur  elTace  loute  faille, 
Quand  de  lui  tous  nos  v(rux  doivent  être  enlendus, 
Frères  qui  gémissez,  frères  (pie  la  prière 
Peut  introduire  au  ciel,  pour  vous  est  la  première 
Oui  jaillit  de  nos  c(rurs  émus! 

Kl  toi,  de  quel  bonheur  ton  joyeux  regard  brille 
Quand,  écoutant  au  loin  cette  immense  famille. 
Tu  rc.nl(M)(is  s'appeler,  se  répondre  en  tout  lieu  ! 
Quand  tu  la  vois,  malgré  la  distance  lointaine. 
Former  avec  amour  la  glorieuse  chaîne 
Qui  finit  au  trône  de  Dieu  ! 


PRIÈRES    ET    SOUVENIRS.  1-7 

1(1  souris  :  et  [louitaiit,  à  li avers  ce  sourire, 
Dans  tes  yeux,  en  secret  une  larme  vient  luire  ; 
Des  enfants  que  ta  voix  rappelle  encore  en  vain, 
Des  mères  peuvent-ils  délaisser  la  plus  tendre? 
Des  bras  si  caressants  peiiv(;nt-ils  donc  se  tendre 
Sans  qu'on  s'élance  sur  ton  sein? 

Ab!  si  de  ses  bienfaits  nous  gardons  la  mémoire. 
Nous  sur  notre  lium[)le  terre,  et  vous  dans  votre  gloire, 
O  mes  frères,  prions  pour  elle  à  notre  tour: 
Heureux  si,  pour  payer  tant  de  longues  tendresses, 
Nous  pouvions  rendre  un  fils  à  ses  douces  caresses. 
Un  fils  encore  à  son  amour  ! 


.MÉLA\CES  ET  VOlVELliS. 


I»en«*vc.  —  \ Oii  i  un  };rarul  mois  que  fonclionne  le  nouveau 
goiivjTiiiîiiH'nl  (Je  (iencvc,  el  le  incilleiir  élope  qui  se  puisse  faire 
de  lui  esl  qu'on  ne  le  sent  guère  el  que,  jusqu';i  presenl,  il  se  laisse 
oublier.  Plai>e  ;i  Dieu  qu'il  eu  soit  loujouis  ainsi.  Kti  effet,  l'idéal 
d'une  bonne  administration  ne  duit-il  pas  ètrfe  de  marrlier  sans  ef- 
fort, sans  violenci!,  sans  |)rétendre  vouloir  s'imposer  bruyamment 
aux  ronsfiences.  Ct*l  idéal,  en  particulier,  ne  doit-il  pas  être  celui 
d'un  gouvernement  (lt'mo<Tali(|ue  (|ui  se  pose  comme  voulant  être 
le  gouvernement  de  tous  el  inaugurant  une  ère  de  réconciliation 
entre  les  divers  partis. 

Les  r.'itlioli(|ues  de  (ienève  ne  demandent  pas  mieux  que  d'avoir 
confiance  en  ces  promesses.  Au>si  attendent-ils >anse>pérer  ni  crain- 
dre. Ils  sont  forts  de  leur  conduite  passée.  Si  les  nouveaux  conseillers 
d'Klal  (oui  preu\e  de  quelijue  sagacité,  ils  auront  vile  compris  que 
les  I  atli(ili(|ues  (|ui  ont  porté  leurs  votes  sur  M.  Fa/y,  n'ont  été  mù 
que  |>ar  la  pensée  de  sauvegarder  la  liberté  religieuse  el  l'inlégrilé 
de  leurs  droits  menacées  par  une  faction  implacable  (|ui  sème  le 
trouble  el  la  division  sous  le  prétexte  de  couMtlider  l'elablissenuMil 
protestant.  Les  calholi({ues  ne  peuvent  se  dissimuler  que  les  élec- 
tions aient  été  faites  sous  l'impressiuii  d'un  mouvement  (Patiimosilé 
contre  eux.  Lt;  gouvernenuMit  nouveau,  pour  première  dillicullé, 
devra  liquider  ce  scandaleux  mensonge  qui  a  dominé  toute  la  situa- 
tion él(?ciorale  ;  ce  mensonge  est  (jiie  les  <'atboli(|ues  aient  été  fa- 
vorisés par  l'administration  Fazv  aux  depen>  de  (|uelle  fraction  du 
protestantisme  que  ce  soit.  Omme  si  nos  motifs  de  plainte  les  plus 
légitimes  n'étaient  pas  demeurés  jusqu'au  bout  sans  satisfaction. 
L'administhilion  Ka/v  nous  a-l-elle  donné  des  écoles  publiques  di- 
gnes de  res|)ect?   n'a-l-cllc   pas   maintenu  l'exil  de  notre  évùque 


MKLAMGES    ET    NOUVELLES.  129 

aussi  bien  que  ce  modèle  des  gouverneineuls  conservateurs  qui  ré- 
side à  Berne? 

On  a  donc  im[)tilé  aux  catlioliqiKîs  nno  foule  d'absurdités,  dans 
le  but  de  renverser  la  défunte  adniinislralion  ;  on  a  réussi.  Pour 
cela,  notre  situation  n^a  pas  changé,  et  nous  ne  nous  considérons 
point  comme  des  vaincus.  La  dernière  agitation  n'est  qu'une  des 
mille  phases  de  la  situation  nouvelle  qui  est  faite  à  la  nationalité 
genevoise  par  l'accroissement  de  l'élément  catholique.  La  lutte  ac- 
tuelle était  inévitable,  elle  devra  durer  longtemps  encore  :  les  vo- 
lontés humaines  ne  peuvent  empêcher  l'antagonisme  d'éléments 
aussi  opposés.  Cette  lutte  ne  peut  que  se  caractériser  chaque  jour 
davantage,  car  il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de  savoir  si  une  co- 
lonie d'émigrants  étrangers  qui  s'imposa  à  la  ville  de  Genève  il  y  a 
trois  siècles,  à  la  faveur  d'une  révolution,  comprimera  à  tout  jamais 
l'antique  élément  national  réintégré  dans  ses  droits  par  la  force  des 
choses  et  les  péripéties  de  la  politique.  En  parlant  sans  cesse  de  son 
histoire,  le  protestantisme  oblige  les  catholiques  à  réapprendre  la 
leur.  Nous  avons  eu  douze  siècles  d'histoire  avant  que  le  calvinisme 
ait  commencé  la  sienne  ;  et,  à  fiolre  sens,  il  est  permis  de  les  oppo- 
ser sansdésavantage  aux  temps  de  la  domination  protestante.  C'est 
le  catholicisme  qui  a  créé  Genève,  qui  l'a  initié  à  la  vie  intellec- 
tuelle, à  la  vie  artistique,  à  l'activité  commerciale  ;  et  quant  aux 
libertés  politiques,  il  y  a  longtemps  que  des  auteurs  protestants  ont 
mis  en  parallèle  les  franchises  de  l'èvèque  Adhéniar  Fabry  avec  le 
code  draconien  imposé  aux  Genevois  par  le  réformateur  picard. 

Tel  est  le  cercle  nouveau  dans  lequel  entre  la  question  qui  se  dé- 
bat entre  les  deux  populations,  et  l'on  conçoit  qu'en  présence  d'é- 
léments aussi  divergeants,  nous  soyons  fort  empressés  de  souhaiter 
à  nos  magistrats  l'esprit  de  sagesse  et  de  modération,  comme  celui 
d'intelligence. 

—  Sous  le  titre  d'Essai  sur  la  question  politico-religieuse  dans  le 
canton  de  Genève,  on  a  répandu  un  petit  écrit  où  se  lisent  les 
passages  suivants  : 

«  On  sait  que,  sous  le  rapport  confessionnel,  l'État  de  Genève 
est  depuis  l'annexion  de  plusieurs  communes  savoisiennes,  dans 
une  position  fausse  et  très-compliquée;  position  qui  lui  a  été  faite 
par  les  clauses  du  traité  de  Turin,  en  faveur  de  l'établissement  pa- 
piste. Et,  chose  bizarre  !  cette  faveur  est  très-peu  flatteuse  pour 
les  citoyens  membres  de  l'Église  ainsi  privilégiée.  Nous  disons  :  en 


130  nÉLAncES  rr  mouvelles. 

tant  que  citoyfuf  ;  car  ils  110  pourraient  oii\-ni<^nios  v  rirn  chnnpor. 
Par  un  n-Millat  di'risoiri'  lrur>  iM-rsunno  n'v  mmiI  |K)ur  rien  ;  Ir 
Irailt'  en  question  n«  prolile  ri^ellt'int'nl  cjn'jni  ch'rgô  romain  qui 
snura  bien  le  maintenir  envers  el  contre  tons.  Dans  les  communes 
qui  V  sont  assujetties,  les  élections  nuinicipales  ne  sont  pas  libres, 
les  écoles  non  plus,  etc.,  et  ces  taches  hont  indélébiles.  Mais  le  mal 
ne  pouvait  pas  se  borner  là.  Celte  position  privilégier  faite  au 
cleipé  papiste  (sous  le  nom  de  simple  parant ie  due  à  la  religion  ca- 
tholique ,  lui  a  facilité  le  mowîn  d'inoculer  systématiquement  à 
son  nonibreux  troupeau  le  plus  injuste,  comme  le  plus  funeste  es- 
prit de  haine  el  d'antagonisme  contre  l'anj-icnne  bourgeoisie  pro- 
testante  —  Ku  vérité,  on  a  de  la  peine  à  s'expliquer  comment 

ceux  d'entre  les  catholiques,  qui  se  disent  Ubérnus...  qui  s'odense- 
raient  d'être  aj)pelés  papi>tes,  parce  qu'ils  apprécient  aussi  bien 
que  nous  l'absurde  impiélé  »le  l'adage  :  //ors  l'/:gtisf  point  dr  m- 
lut ;...  qui  connaissent,  <pii  stigmatisent  dans  l'occasion,  toutes  Ie5 
roueries  du  jésuitisme,  persévèrent  néanmoins  i\  rester  etix  et  leurs 
enfants,  olTciellemenl  ininiatriculés,  et  comme  écrojiés,  sur  les  re- 
gistres d'une  société  à  laquelle,  en  conscience,  ils  n'appartiennent 
plus,  tandis  (|uc  la  réforme  évangélique  est  \à  qui  les  convie  vaine- 
ment sous  ses  honorables  el  larges  drapeaux.  N'y  a-l-il  en  «mix 
qu'une  iuirlie  fatale  ?  Ne  craigneiil-ils  donc  point  de  se  rejtrocher 
un  jour,  mais  trop  laid,  de  n'avoir  pas  eu  le  courage  de  leur  opi- 
nion, peut-éire  même  de  n'avoir  pas  été  insensibles  aux  avantages 
politi(iues  que  les  circonstances  assurent  pour  le  monu'nt  aux  gros 
bonnets  de  la  population  papiste?...  lùdin  s'ils  ne  soni  retenus 
(pie  par  les  charmes  d'un  culte  pon>peu\  et  des  doctrines  poétiques 
qui  ont  bercé  leur  enfance,  nous  sommes  bien  loin  de  leur  et>  faire 
un  crime,  mais  alors  ils  |)ourraieiil  se  constiltier  en  église  du  rite 
grec  oriental  qui,  tout  en  leur  présentant  les  niéuies  a\  af<tages  es- 
tbétnpies,  tout  en  leur  conservant  un  <  albolicisine  pour  le  nuiins 
aussi  apostolique  et  orlhoiloxe,  appuyé  (|u'il  est  sur  les  sept  conci- 
les primitifs,  les  sou^lraiiail  au  joug  taré  «le  In  cour  de  Home  et 
dei  p'suile.o,  et,  en  leur  rendant  la  libi»-  roiistillalion  des  Sainte-- 
É<rilures,  les  mellinit  en  étal  de  fralemisi  r  sans  feinte  avec  leurs 
frères  du  rite  é\anyéli(|ue. 

»  L'ftltal  i\i'.  (lenéve,  à  m«»ins  de  se  rendre  posilivemenl  com|dire 
de  l'action  déléicre  que  le  clergé  lomain.  dans  son  indépendance 
privilégiée,  exene  p.iiini  nous,  Pf^lat  de  (i«u»ève,  disons-nous,  diu't 
créer  des  contre-garanties  sérieuses,  non-srufnvrnf  jwur  les  proie*- 


yi':i. v\(JC:-i   ET  NoiVLr.rs.  loi 

fnnli  êfaugvliqxtn,  mais  pour  tous  lesnon-papistcii  en  général,  croyants 
ou  non-rrot/unts.  Il  y  a  une  gr.indo  convenance,  pour  ne  pas  dire 
urgence  d'y  procéder  pendant  (jne  cède  classe  forme  encore  majo- 
rilé.  Ce  que  TÉlat  pourrait  faire  de  |)ltis  ralionel  serait  de  les  réu- 
nir en  un  faisceau  de  proleclion  mutuelle  et  d'en  composer,  à  cet 
effet,  iine  Église  Fkdkrék,  vérifahliunoiit  nationalk,  laquelle, 
sous  rinvocalion  du  DiK.u  toit-piissa>'t,  proclamerait  comme  son 
principe  fondamental,  non  un  système  (juelconque  de  théologie, 
mais  une  protestation  permanente  contre  toute  atteinte  au  droit  d'exa- 
men et  à  la  liberté  de  conscience.  Cette  institution  aurait  doue  pour 
but  spécial  de  garantira  toutes  les  grandes  nuances  de  l'interpré- 
tation biblique,  depuis  les  luthériens  el  les  calvinistes  les  plus  fon- 
cés jusqu'aux  philosophes  simples  amis  de  l'Évangile,  ainsi  qu'aux 
Israélites,  aux  catholiques  indépendants  et  ta  tous  autres,  la  faculté 
de  conférer  ensemide,  publiquement  et  en  toute  sécurité,  sur  les 
questions  religieuses  et  de  vaquer  à  leurs  cultes  respectifs. 

»  On  a  toujours  regardé  comme  un  immense  inconvénient  social 
tout  ce  qui  scinde  une  population  en  factions  et  en  castes,  tout  ce 
qui  crée  un  État  dans  l'Étal.  Or  convenez  que  chez  nous  l'établis- 
sement papiste  est  non-seulement  cela,  mais  pis  que  cela,  étant 
pajson  essence  même,  extra-nalional,ou  plutôt  anti  national.  Nous 
ferons  sacement  de  nous  abstenir  de  toute  vaine  récrimination  : 
mais  si  nos  législations  cantonales  et  fédérales  ne  peuvent  rien 
pour  la  suppression  même  de.  ce  mal,  il  ne  nous  est  pas  encore  in- 
terdit d'y  chercher  des  palliatifs.  Le  meilleur,  avons-nous  dit,  con- 
sisterait à  le  «pu/ra/fST  par  un  établissement  qui  en  fût  sous  tous 
les  raj^\)orls  dangereux  U\  contre  paviie  bienfaisante.  Ainsi,  l'établis- 
sement papiste  est  éminemment  restreint,  exclusif  et  intolérant 
dans  l'exercice  de  la  pensée  religieuse...  Qu'une  Église-Fédérée- 
Nationale  admette  et  protège  toutes  les  croyances,  toutes  les  études 
sérieuses,  toutes  les  bonnes  intentions.  Qu'elle  présente  ainsi  l'idéal 
réalisé  d'un  protestantisme  sincère  et  complet.  » 

L'auteur  de  cet  écrit  nous  est  inconnu.  En  temps  ordinaire,  nous 
ne  lui  aurions  accordé  aucune  attention.  On  l'aurait  laissé  passer 
comme  une  production  de  l'un  de  ces  nombreux  individualistes 
originaux  qui  ptilullent  au  sein  du  protiîstantisme  ;  mais  par  le 
temps  qui  court,  les  idées  que  protège  la  notoriété  de  notre  inconnu 
inspirent  beaucoup  d'esprits,  el  il  faut  en  voir  le  témoignage  dans 
des  indices  multipliés.  L'auteur  do  VEssai  est  du  nombre  de  ces 


132  lltLA.>l.ts    L1     .>OlV£LLK». 

déistes  |ihiluso|)li«'s  dunl  Huussoau  a  fait  (çcrnier  dans  Genève  une 
féroiidu  lignée.  Il  (>st  bon  pruleslant,  on  le  reronnail  à  sa  passion 
contre  le  lalbolieisme  ;  mais  pour  tliréticn,  il  ne  Test  pas;  il  a  lutr- 
reur  des  dogmes,  il  ne  <  ruil  essenlirl  d'adliérer  qu'à  un  Dieu  luut- 
puiitant  rémunir aleur  final.  Il  e&l  impatienté  des  innombrables  re- 
ligions (|ui  peuplent  la  terre  de  par  le  Tiil  du  protestantisme;  mais 
il  a  la  saj^t'sse  de  reeuitnaltn;  tpi'il  ni>  |iful  rien  ( ontre  cette  ntnlli- 
plicitë  qui  oiïusqiiu  la  largeur  do  sa  pensée.  Aussi  le  but  de  son  ef- 
fort de  législateur  esl-il  de  se  préserver  lui  et  ses  pareils  des  mes- 
quineries des  n-ligions  dugn)ati(|U(-s.  Il  aicorde  même  qu'il  faut  su 
résigner  ix  acce|)ter  des  <  atl)uli(|ues  ,  mais  qu'il  les  faut  profondé- 
ment moditier,  aiin  de  les  rendre  a|)tes  rt  entrer  dans  le  grand  pan- 
démoniuni  du  libre  examen,  dans  son  église  fédérée  (jui  doit  réali- 
ser le  proleilantisnie  sincère  et  nmtplet. 

Or,  e'est  par  ee  point  que  l'auteur  de  VKsfoi  luucbc  à  une  eorde 
fré(juemment  agitée  tbez  nous  depuis  queNpies  mois.  Beaucoup  de 
protestants  sans   foi  religieuse;  cerveaux   fêlés  par  de  mauvaises 
lectures;  esprits  dévoués  par  leur  promiscuité  avec  tous  les  genres 
de  libéralisme;    bommes  qui   n'ont  laissé  debout,  dans  leur  cons- 
cience, aucune  vérité  positive,  aucune  noiion  de  respect  pour  quelle 
autorité  que  ce  soit  ;  ces  protestants  pbilosopbes  voudraient  cons- 
truire un  grand  abri  légal,  une  seconde  baraque  nationale,  comme  di- 
raient b's  mtilioilistes,  poui  protégi-r  leur  indilb-rence  d'abord,  el 
pour  neulrali>er  les  progrès  des  calboli(|U('squi  sont  leur  caucbemar. 
Dans  ce  but,  ils  se  tournent  vers  les  mau\ais  catboliques,  ceux  qui 
ne   sont   point  papislt-s  ni  ultianMinl.iins  ,    cei.x  qui  sont  libéraux  , 
ceux  qui  ne  mi/iI  (pi'immaliic  ules  sur  les  registres  de  baptême,  ceux 
enGn  qui  ont  borreur  des  prêtres  et  qui  s'en  passent.   Il  }  a  is.  (îe- 
néve  de  mauxais  calbitliqiirs ,  il  y  en  eut  de  tout  temps,  et  ce  qiii 
surprend,   c'est  (|u"il  n'y  «m»  ait  pas  davantage,  vu  l'almospberc  de 
dissolulioD  qu'ils  respirent.   Mais  de  ces  catboliques,  très-peu  ont 
consenti  et  con>>enlenl  à  .sortir  de  l'indifTérence  et  du  matérialisme 
pratiipn;  (pii  les  relient  pour  lomballre  ouvertement  l'ICglise  ;  au- 
cun  (nous  voulons  parler  d'bommes  qu'on  puisse  nommer  et  qui 
n'aient  pas  mmkIu  leur  conscience]    n'a  passé  ù  un  |)r()te>tantisme 
dogmali(pH>   (|ui'lc()ii(|ue  ;    il    ni;  s'en  trouvera  pas  (la>ant.tgu  {toin' 
une  église    de   tbéopbilantbropcs  où  se   célébreraient  des  fêtes  à 
l'Ktrc  suprénu-  dans  le  genre  de  celles  que  présidait  Robespierre. 
Les  calboliqut's  <{ui  ne  veulent    pas  de  l'f-^glisc  ne  donnent  guère 
dans  ces  fadaise.4  pbilosopbiipies.  I/enseignoment  calbolique  a  ceci 


HÉLANGES    ET    NOUVELLES.  1 '{3 

de  caraclt''risliquc  qu'il  laisse  dans  l'esprit  de  ceux  qui  le  veulent 
délaisser  des  notions  fort  nettes.  Ceux-là  vont  à  l'égoût  du  sensua- 
lisme et  A  l'opposition  révolutionnaire.  Ils  sont  rarement  aptes  à 
faire  di*  riivpocrvsic  el  du  jiislc-milicu  débonnaire  enire  toutes  les 
croyances,  à  la  suite  des  embrouillés  du  libre  examen.  Ils  ne  sont 
pas  assez  comédiens  pour  cela,  et  ils  conservent  sur  leur  terrain 
d'boslilité  une  lro()  juste  notion  de  la  doctrine  qu'ils  abandonnent. 
Aussi  les  ihéopbilanlbropes  de  Genève  en  seront-ils  pour  leurs  frais 
d'avances. 

Mais  comment  ne  pas  stigmatiser  ces  manœuvres  d'hommes  sans 
conviction  et  impui.'sanls  à  en  avoir  !  Ils  ne  disent  pas  aux  catho- 
liques :  venez  à  nos  croyances  ;  ni  ils  ne  l'osent,  ni  ils  le  peuvent. 
Ils  disent  :  restez  catholiques  pour  la  (orme  ;  mais  laissez  le  Pape, 
les  prêtres,  les  jésuites,  la  confession  et  le  jeune;  débarrassez-vous 
du  joug  clérical  qui  vous  opprime;  c'est-à-dire,  catholiques,  soyez 
des  hommes  sans  honneur,  des  perdus  devant  Dieu  ;  vous  serez  des 
adeptes  excellents  pour  \g  proteslanlisme  sincère  et  complet,  il  n'en 
faut- pas  davantage. 

Cette  tactique  de  démoralisation  n'est  pas  nouvelle.  Dans  tous 
les  temps  et  sous  tous  les  régimes,  elle  fut  en  honneur  auprès  des 
protestants  de  Genève.  Le  conservatisme  appelait  les  mauvais  ca- 
tholiques, éclairés  et  tolérants;  le  radicalisme,  plus  franc,  les  dé- 
core du  nom  de  libéraux  soustraits  à  la  domination  cléricale.  Les 
uns  et  les  autres  ont  choisi  dans  ce  milieu  leurs  hommes  de  con- 
fiance, ceux  auxquels  ils  estiment  pouvoir  donner  sans  péril  une 
part  d'action  administrative  ou  gouvernementale.  Ce  jeu-là  est 
percé  à  jour";  il  n'abuse  personne.  Sur  ce  point,  les  divers  |)artis 
protestants  s'entendent  à  merveille.  Le  Journal  de  Genève,  le  pur 
conservateur,  n'a-t-il  pas  ouvert  ses  colonnes  à  la  systématisation 
légale  des  doctrines  de  ce  protestantisme  indifférent?  Que  veut,  en 
effet,  M.  l'avocat  Hornung,  dont  cette  feuille  a  publié  une  longue 
correspondance  ;  que  veut-il,  malgré  ses  circonlocutions  trop  dé- 
pourvues de  sincérité  et  ses  protestations  de  libéralisme,  si  ce  n'est 
l'anéantissement  de  la  dignité  religieuse  chez  les  catholiques  et  l'a- 
bandon formel  des  points  les  plus  essentiels  de  leur  doctrine  ,  par 
conséquent  de  la  liberté  de  leur  conscience.  Ce  légiste  se  débattra 
tant  qu'il  voudra,  il  ne  pourra  pas  faire  que  l'Église  catholique  ne 
soit  l'Église  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux.  S'il  daigne  permet- 
tre aux  catholiques  d'exister,  il  faut  qu'ils  soient  sous  le  gouverne- 
ment de  la  hiérarchie  sacerdotale  ;  il  faut  qu'ils  soient  en  coramu- 


131  MtLA>UES   ET  ?inilVELLES. 

nicalioli  a\t'c  le  l'uiilifi'  sujut'iiu'  ;  il  faut  qu'ils  aient  le  smlinient 
de  riiidi'pendaiice  rrelle  do  leur  elerjjé.  lion  ^rv,  malgré,  il  n'a\  ilira 
jamais  les  ralbuliques  ipii  n'auront  |tas  forfait  à  l'honneur  i  jouer 
le  rùle  qu'il  leur  propose.  Assuréniful  il  siérait  |)lus  «liniic  de  leur 
pari  alors  de  passer  a  la  Héfurnie  ;  niais)  M.  Hurnung  liii-uièuie  uo 
parait  pas  l'espérer.  Lui  aussi  en  sera  pour  ses  projets  puérils  d'un 
culte  national  où  l'filat,  érij;é  en  siiprr-nie  dir«'cteur  des  conscien- 
ces, aurait  avant  tout  la  cliar^'e  d'up|iiinier  le>  (  allioli(|ues ,  de  les 
dénaturer  le  plus  possible,  atin  de  les  rapprocher  du  typr  protestant 
sincère  et  complet.  D'ailleurs,  à  travers  les  phrases  louches  et  scn- 
tcntieuses  de  M.  Ilurnnn^,  on  ne  seul  battre  son  cieur  \H)in  aucun 
christianisme  ;  son  organisme  reli<^ieu\  ne  répugne  à  aucun  com- 
promis sceptique  ou  rationaliste  ;  il  hait  les  catholiques,  cela  lui 
sufljt.  Son  rêve  serait  d'établir  en  Suisse  un  conseil  laïque  des  a(Tai- 
res  religieuses,  dans  le  genre  de  celui  (|ui  promulgue  à  Saint-Pé- 
tersbourg les  ukases  de  l'empereur  Nicolas. 

Sur  le  terrain  pratique,  l'on  rencontre  aussi  les  tendances  indif- 
féretites  qui  caraclérisenl  le  proteslaiilisme  de  M.  Horruing  et  de 
l'auteur  de  \'£$i(ii.  C'est  le  propre  d'une  iutinite  de  prolestants, 
dans  les  conversations  qu'ils  peuvent  avoir  avec  des  catholi(|ues, 
d'affecter  un  dédain  supérieur  pour  ce  (ju'ils  appellent  les  formes 
du  culte.  Ils  diront  aux  calholiijues  ;  croyez  i  tout  ce  que  vous 
voudrez,  cela  nous  est  égal  ;  mais  nous  ne  voulons  pas  de  vos  prêtres, 
ce  sont  (les  obscurantins  (|ui  relardeni  le  progrés  et  vous  tiennent 
sous  un  joug  humiliant.  Les  agents  de  prosélytisme  qui  s'attaquent 
aujourd'hui  en  si  grand  nombre  î\  nos  pauvres  catholique.^,  aiïcc- 
tent  le  ménie  thème.  Mes  bon*;  amis,  disent-ils,  il  lu;  s'agil  pas  de 
changer  de  religion,  mais  de  laisser  l;i  \os  curés  et  leurs  pratiques 
superstilieu.ses.  Venez  avec  nous,  vous  ne  nianciuerez  de  rien  ;  ce 
ne  sont  pas  les  prêtres  qui  feraient  pour  vous  ce  que  nous  faisons. 
M.  OItramare,  dans  le  discours  (]u'il  a  prononcé  dati>  un  lem|)le 
devant  cette  poignée  de  malheureux  qu'il  a  décoré  du  nom  de  pro- 
.séljtes  de  la  réforme,  n'a  pas  tenu  d'autres  lang.ige  ,  cl  il  n'est  pas 
de  jour  (jue  ses  confrères  en  courtage  évangélicjue  ne  le  fassent  «:n- 
tendre  dans  la  mansarde  de  nos  pauvres. 

.\  Genévf,  il  r>'y  a  parmi  les  protestants  que  quelques  méthodis- 
tes dont  le  prosélytisme  religieux  soit  sincért^  et  fondé  sur  une  con- 
viction sérieuse  ;  les  autres,  en  amenante  eu\  les  catholiques,  n'ont 
pas  d'autre  dessein  que  celui  de  constituer  des  électeurs  pi  otestants, 
des  ayant  droits  à  riinpital  calviniste,  comme  n'ont  pas  rougi  de  le 


MÉLAN<;CS   ET   iV«)lJ\  EI.Î.ES.  135 

(lire,  dans  Tcxposé  de  leurs  motifs,  divers  personnages.  En  vérité, 
le  Icrine  est  admirable  et  l'honneur  sans  pareil. 


AfTnIrcK  ecclésiastiques  de  Fribourg^en  Brlwg:aa. — 

Les  traditions  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  ne  sont  pas  perdues 
dans  l'Église  catholique.  Après  les  nobles  exemples  de  Cologne  et 
de  Posen,  après  l'emprisonnement  de  notre  magnanime  évêque  de 
Lausanne  et  l'exil  de  Mgr  Fransoni,  voici  venir  l'archevêque  de 
Fribourg  en  Brisgau  qui  ajoute  une  nouvelle  et  bien  héroïque  page 
à  ces  souvenirs  des  résistances  sacerdotales  contre  les  empiétements 
du  pouvoir  laïque  toujours  si  glorieuses  pour  l'Église.  Mgr  Vicari , 
iigé  de  83  ans,  après  avoir  épuisé  (ous  les  ménagements,  après  avoir 
témoigné  de  la  longanimité  la  plus  extrême,  se  fait  emprisonner 
plutôt. que  de  reconnaître  que  le  pouvoir  civil  ait  le  droit  de  pour- 
voir aux  charges  ecclésiastiques.  Il  lance  un  Mandement  qui  mar- 
que le  dissentiment  et  déclare  qu'il  est  à  bout  de  concessions  et  de 
patience.  Uu  gouvernement  persécuteur  menace  d'emprisonnement 
et  d'exorbitantes  amendes  tous  les  prêtres  qui  feront  lecture  du 
Mandement.  Le  Mandement  est  lu  dans  toutes  les  chaires.  Il  ne 
se  trouve  que  deux  prêtres  qui  reculent  devant  leur  devoir.  Voilà 
de  ces  exemples  sublimes  qui  attestent  la  divinité  de  l'Église  et  la 
perpétuelle  assistance  qu'elle  reçoit  de  l'Esprit  Saint.  Nous  som- 
mes Gers,  nous  catholiques,  de  ces  persécutions  dont  les  exécuteurs 
sont  des  gouvernements  stupides  qui  se  rient  des  droits,  des  con- 
sciences et  du  sanctuaire  de  l'homme  où  réside  la  foi  et  la  fidélité  à 
J.-C.  Ce  ne  sont  pas  les  établissements  prolestants  qui  nous  donnent 
de  pareils  spectacles.  Depuis  les  calvinistes  et  les  luthériens  de  la 
Prusse  qui  se  laissent  fusionner  à  la  parole  d'un  roi  ;  depuis  ces  ser- 
viles  dignitaires  de  l'anglicanisme  qui  renoncent  à  la  doctrine  de 
leur  église  sur  le  baptême,  parce  qu'il  plaît  ainsi  à  la  reine  et  à  son 
conseil  ;  jusqu'à  ces  ministres  de  Genève  envahis  par  le  rationa- 
lisme et  l'incrédulité,  qui  mendient  du  pouvoir  civil  la  faculté  de 
supprimer  un  article  de  leur  confession  de  foi  sur  le  péché  originel, 
afin  de  pouvoir  exclure  de  leur  compagnie  un  confrère  récalcitraut  (1) 

(1)  Affaire  du  ministre  Bost, 


13G  MÉLAUGKS  ET  ?IOr\tLLES. 

qui  lient  à  cet  article.  £lccs  lioniinc&Muples  si  liuniblfs,  fiid«''pour- 
vus  lie  (li<^iiitr  (Icv.int  un  |M)U\oir  litiiiiain,  vutidraiont  l'aire  (-iiiisidc- 
rés  coinmr  des  rninislrcs  df  rr^aii^ili*,  rijx  (jiii  oui  mis  rKvaii;;il«' 
en  pièces  et  qui  ont  appris  au  peuple  à  y  trouver  lu  |>our  et  le  contre, 
le  vrai  et  le  faux.  (Ju'e.st-ce  donc  que  relie  dcxlriue  qui  pi clond 
»^lrc  une  religion  ;  lacinelle  lonrnc  au  premier  s(»iifll<'  d'un  mo- 
narque :  qui  s'abinie  irn^sislihlemenl  dans  rincréduliK^  ou  le  plus 
va^iu*  latitudinaiisnu',  (jui  aurait  enfin  disparu  dans  le  néant  d'un 
libéralisnu'  lîfrrcrit',  >i  la  j)résenr(:  pcrmantuli-  d»'  riljîlise  lalliuliquc 
ne  la  contraignait  à  former  un  faisceau  de  ses  négations,  de  s«!s  ré- 
pulsions et  de  ses  doutes ,  afin  «le  conserver  une  sorte  de  fi;:ure  cl 
de  raison  d'i^tre. 

Il  n'est  point  dans  noire  dessein  de  raconter  ici  toutes  les  phases 
de  ce  mémorable  conflit  de  l'archevêque  de  Fribourg  avec  un  gou- 
vernement proleslanl  lequel,  apré>s'élre  évanoui  Idchemenl  devant 
la  démagogie,  relevé  par  des  mains  étrangères,  n'eslime  pasqu'il  ail 
d'ennemis  plus  redoutables  à  comballre  qu'un  vénérable  prélat  en- 
touré de  ses  prêtres  (idéles.  Les  détails  de  cette  alTaire  .sont  dans  tou- 
lesles  bouches.  Faisons  remarquer  cependatttcetleadmirable  unité 
de  l'épiscopat  calholi(|ue  qui  se   range  par    acclamations  autour 
d'un  de  SCS  membres  souffrant  la   persécution  pour  l'honneur  de 
l'Église  cl  l'intégrité  des  droits  du  sacerdoce  de  Jévus-("Jirisl.    Au 
milieu  de  ce.s  nombreuses  adresses  qui  viennent  lorlilitîr  dans  sa 
prison  le  noble  archeféque  ,  distinguons  la  lettre  de  notre  évoque 
exilé.  Qui  plus  cpie  Mgr  Marilley  avait  le  droil  de  féliciter  Mgr  Vi- 
cari  de  sa  vigoureuse  initiative  et  de  l'encourager  dans  le  combat? 
Jaloux  du  régenl  de  Bade,  le  gouvernement  de  Nassau  harcèle  de 
de  son  cAlé  l'évêcpie  de  I. imbourg,   ('e  prélat  a  élé  cité  à  la  barre 
d'un  tribunal  criminel,  sous  prévention  de  concussion  ,  |K)ur  avoir 
disposé  d'un  bénélice  en  faveur  d'un  prèlre  de  son  <liocèse. 

—  Un  pasteur  proli-stant  prussien,  hî  dorleur  I.utt«'nmullor , 
vient  d'abjurer  le  lulhcr.inisine  pour  r»'ntrer  dans  l'Église  calholi- 
({ue.  Il  a  publié  un  exposé  des  motifs  de  sa  démarche  accablant 
pour  cfux  (|\i'il  aliandontu'. 

llouvrile-llireuikdc.  —  Mgr  .MoNquera,  archevêque  de  Bo- 
gota, exilé  de  son  pays  par  un  gouvernement  hostile  aux  libertés 
de  l'Églis'  ,  vient  de  moinir  à  .Marseille  au  moment  où  il  se  rendait 
à  Uome.  Des  funérailles  magnilique.-,  lui  ont  élé  failcs  par  l'évéque 
de  Marseille  assisté  de  loul  son  clergé. 

l/f:Kli^<*  rMtliolIqiic  en  AllcniMsnc  prti<lnnt  lr« 
IrolN  flrmlrrai  niol«.  —  I.    /.'(n<rmlilcc  (trs  lUSiKuitivm  catho- 


MÉLAUGES  ET  NOUVELLES.  137 

/ù/Mc  (i  f'ienne.  —  Conformément  iï  la  décision  prise  l'annén  der- 
nière ;\  Munster,  la  septième  assemblée  générale  des  Associations 
catholiques  d'Allemagne  eut  lieu  en  septembre  dernier  dans  la  ca- 
pitale de  ri'in|)ii(' (l'Autriche.  L'on  (•oni()iend  aisément  l'impor- 
tance d'un  pareil  lieu  de  réunion.  La  position  traditionnelle  de 
l'Autriche,  tant  d'ineiïaçables  souvenirs,  les  services  récents  ren- 
dus par  son  jeune  (empereur  à  la  cause  de  la  liberté  de  l'figlise,  le 
contraste  même;  des  soulïrances  et  de  l'oppression  que  l'Kglise  en- 
durai^ à  cet  heure-là  même  dans  les  autres  contrées  de  l'Allema- 
gne, enfin  surtout  la  noble  et  généreuse  hospitalité  qu'olTVail  aux 
associéi  le  magnanime  ûls  de  IU)(lol[)h(î  de  Habsbourg  et  de  Marie- 
Thérèse,  tout  cela  devait  infailliblement  dilater  les  dmes  et  les  ou- 
vrir aux  manifestations  de  la  joie  la  plus  cordiale.  «Cet  assemblée,» 
nous  écrivait  l'un  de  ses  plus  illustres  membres,  «  a  été  la  plus  bril- 
»  lante  de  toutes  celles  qui  ont  eu  lieu  jusqu'à  ce  jour.  Elle  compte 
»  parmi  ses  assistants  deux  cardinaux  (1),  deux  archevêques,  dix 
»  évéques  et  plus  de  cent  prélats.  Par  une  heureuse  coïncidence, 
T>  le  premier  jour  de  l'assemblée  eut  lieu  la  déposition  solennelle 
»des  insignes  de  la  couronne  de  Hongrie,  ce  qui  fut  cause  que  la 
»  prélature  hongroise  fut  si  largement  représentée.  » 

Tel  fut,  en  effet,  l'un  des  caractères  saillants  de  cette  réunion  : 
la  nation  hongroise  y  figura  pour  la  première  fois,  et,  en  entrant 
dans  ce  grand  mouvement  des  Associations  catholique,  elle  devait 
naturellement  lui  donner  un  nouveau  prestige  et  une  nouvelle 
force.  Une  fois  de  plus,  on  allait  constater  que  ce  qui  seul  peut 
rallier  les  peuples  de  l'Allemagne  dans  une  puissante  et  féconde 
unité,  c'est  la  communauté  de  la  foi  religieuse.  Un  évoque  hon- 
grois, Mgr  Fogassy,  monta  même  à  la  tribune,  et,  par  un  discours 
chaleureux,  il  consacra  publiquement  le  fait  de  cette  adjonction 
de  sa  nation  aux  efforts  communs  des  autres  catholiques  d'Alle- 
magne. 

Touchant  événement  I  N'est-il  pas  vrai,  en  effet ,  que  c'est  de 
l'Allemagne  que  la  foi  chrétienne  et  la  civilisation  sont  venues  en 
Hongrie?  Les  rôles  restaient  donc  les  mêmes.  Le  lien  de  fraternité, 
que  la  religion  catholique  avait  établi  depuis  le  roi  Etienne  entre 
deux  races  originairement  si  différentes,  ne  faisait  que  se  fortifier. 
L'apostasie  d'une  partie  de  la  nation  hongroise,  au  temps  de  la  ré- 
forme, et  le  fatal  système  de  l'empereur  Joseph  II  étaient  parve- 

(!)  Son  Emin.  le  cardinal  Vialc-Prela  et  le  cardinal  primat  dp  Hongrie. 


138  nKLAXGLS   ET  MOIVELLE!*. 

nus  i\  relâcher  ce  lien,  œuvre  des  (>iecle&;  mais  vuici  que  TÈgKw 
u'dfvcnni;  lil»r»*  di'vail  n'j;;i;,'npr  au>si  le  terrain  perdu  rt  rétablir 
rancieiine  union  des  esprits  et  des  Kturs,  non  point  sur  la  base 
rra(;ile  cl  changeante  des  inlériMs  polit i(|uefi,  mais  sur  le  fondement 
larye  et  solide  de  la  jjloire  de  Dieu  dafis  sa  «iairite  (!4(lisn. 

Ln<'  assemblée  se  juge  par  s»?s  œuvres.  I/assemblée  de  Vienne  a 
continué  l'œuvre  de  ses  devancières  de  Mayenre,  de  breslau,  de 
Ualisbonn  >,  de  l.inizet  de  Munster.  Jamais  l'Allemat^ne  catholique 
n\)utjliera  leur  ellicace  (uopeiatiou  a  la  régénération  qui  s'opère  en 
elle.  Chaque  année  nouvelle  marque  un  prugrëti  nouveau,  et  à 
foreiî  de  persévérance  l'on  approche  insensiblement  du  but.  Sans 
doute,  les  i:atliolu|ui;>i  d'Allemagne  auront  encore  bien  des  lombals 
■à  livrer  avant  d'atteindre  le  terme  marqué  pour  la  recon»lruclion 
de  leur  ordre  relifjieux,  poliliqtie  et  social;  sans  doute  une  pareille 
entreprise  dépend  d'une  foule  de  conditions  ;  mais  ce  (]ui  est  in- 
contestable, c'est  (|un  la  naissance  des  associations  catholiques,  et 
surtout  l'établissement  de  ces  assemblées  générales  annuelles,  ont 
été  jusqu'aujourd'hui  et  ne  cesseront  pas  d'être,  A  la  fois,  des 
sympt<"»mes  et  des  causes  ellicaces  du  mouvement  salutaire  qui  en- 
traine les  sociétés  germaniques  vers  une  vie  nouvelle. 

A  iinstar  des  assemblées  précédentes,  les  travaux  de  celle  de 
Vienne  furent  partagés  entre  diverses  commissions.  Notre  inten- 
tion dans  cet  aperçu  général  n'est  que  de  rappeler  les  principales 
résolutions  (pii  fnn'ut  adoptées.  Telles  furent  :  l'adresse  aux  Évô- 
qucM  (le  la  province  ecclésiasti{|ue  du  Haut-Hliin  dont  on  comprend 
le  motif;  l'adresse  à  l'Association  catholi(|ue.  des  l'ays-Bas  au  sujet 
du  rétablissement  delà  hiérarchie  en  Hollande;  l'invitation  à  tous 
les  catholiques  d'unir  leurs  [trières  pour  obtenir  h'  retour  dans  le 
giron  de  l'Kglise  des  (Irecs  schismatKjues  La  question  de  l'émigra- 
tion, dont  nous  parlions  il  y  a  plus  de  deux  ans  comme  devant  être 
de  celles  (pii  ressort  iront  de  la  spliere  d'ai  liiui  «les  associations  ca- 
tholique et  qui  atleuflront  d'elles  leur  solution,  fut  accueillie  avec 
une  vive  sollicitude  par  l'assemblée  de  Vienne.  Klle  nomma  une 
commission  permaïu'nle  chargée  de  préparer  le;»  élénu'iits  do  la 
discussion  sur  ce  grave  sujet  pour  la  prochaine  réunion  :  les  noms 
des  membres  de  cotte  commission,  parmi  les<|ueU  rmus  remarquons 
ceux  de  .MM.  Hiess,  de  Stuttgart,  et  Zander,  de  Munich,  nous  font 
attendre  d'utiles  résultats  de  leurs  travaux.  Mais  ce  qui  nous  ré- 
jouit encore  plus  que  cela,  et  re  (]ui,  sans  contredit,  est  d'une  bien 


•lÉl.AlNr.ES    ET    NOUVELLE».  I  39 

plus  grande  iroporlance,  c'est  le  vote  de  rassoniblée  relnlivement 
i\  rétablissemonl  û'uno  .académie  catholique  eu  Allemagne. 

L'Allemagne  s'agilera  en  vain  et  se  consumera  en  stériles  efforts 
tant  que  sa  situation  intellectuelle  ne  sera  pas  amélior«''e.  L'Église 
catholique  elle-même  manquera  de  l'un  de  ses  plus  actifs  et  plus 
ptiissantsau.viliaircs,  tant  qu'elle  n'aura  |)as  sous  sa  main,  en  queU 
que  sorte,  un  corps  savant,  fortement  organisé  dans  une  vigou- 
reuse unité,  pour  battre  en  brèche  les  derniers  remparts  du  pro- 
testantisme soldé  par  les  pouvoirs  et  appuyés  de  la  protection  exté- 
rieure des  États.  Et,  en  vérité,  les  circonstances  deviennent  de  plus 
en  plus  propices  pour  la  réalisation  de  celle  grande  œuvre  dont 
i'épiscopat  allemand,  réuni  à  Wiirzbourg,  en  18i8,  salua  le  projet 
avec  tant  de  joie  et  d'espérance.  L'Association  catholique  sera, 
sans  aucun  doute,  le  promoteur  le  plus  naturel  de  l'entreprise.  Par 
son  action  commune  et  par  celle  de  tous  ses  membres  en  particu- 
lier, dans  les  diverses  contrées  de  l'Allemagne,  bientôt  l'on  aura 
réuni  toutes  les  forces  nécessaires  pour  remporter  ce  triomphe. 

Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  nous  réjouir  vivement  à  la 
pensée  que  nous  ne  tarderons  pas  à  voir  réunis  en  faisceau  tant 
d'éléments  épars  en  ce  moment  dans  cette  grave  et  féconde  Alle- 
magne, la  patrie  par  excellence  de  la  science  sérieuse  et  du  patient 
labeur.  Assurément  la  religion  catholique  aura  à  s'en  féliciter.  Après 
avoir  donné  naissance  à  la  grande  hérésie  du  seizième  siècle,  l'Al- 
lemagne aura  également  donné  le  jour  à  la  puissance  qui  lui  portera 
le  coup  mortel.  Celle  puissance  sera  l'université  catholique  qui  li- 
vrera ses  combats  au  principe  protestant,  à  la  fois  par  l'inQuence 
de  l'enseignement  qu'elle  donnera  à  la  jeunesse  et  par  les  œuvres 
scientifiques  qui  en  sortiront  et  qu'elle  seule  sera  dans  le  cas  d'ac- 
complir. 

Nous  formons  des  vœux  les  plus  ardents  pour  le  succès  de  l'en- 
treprise et  adressons  à  nos  frères  d'Allemage  les  encouragements 
les  plus  chaleureux  ;  car,  bien  que  nous  soyons  à  un  niveau  fort 
supérieur  à  celui  de  l'Eglise  d'Allemagne,  pour  ce  qui  concerne 
l'éducation  cléricale  dans  nos  séminaires  et  Tinstruclion  élémen- 
taire dans  les  sciences  ecclésiastiques,  combien  n'avons-nous  pas 
besoin  de  modèles  et  de  guides  dans  l'enseignement  théologique 
supérieur,  malheureusement  si  négligé  parmi  nous'  Or,  que  man- 
que-t-il  à  l'Allemagne  pour  nous  donner,  sous  ce  rapport,  le  plus 
salutaire  exemple?  Elle  qui,  déjà,  nous  envoie  tant  d'œuvres  ma- 
gistrales, soit  d'apologétique,  soit  d'histoire,  soit  de  critiques  pa- 


1  11»  MÉLANGES    tT    ^•HVELLE». 

trislique  et  scripluairu,  elle  ferait  incommensiirablcmenl  davan- 
ta;;u  si  luiites  ces  forces  préciense-,  qui  suiit  inainti'iiant  disscini- 
nées  el  i>oU'e»  sur  >on  ininuMisc  Icrriloire,  se  (rou\jioul  réunies  et 
urganis«'es  dans  un  puissant  concert. 

u  En  attendiiiil  Texeeulior)  de  ce  ^rand  dess(>in  que  l'assembéo 
de  Vienne,  coniuiu  sa  devainiere  de  .Muiisler,  embrasse  avec  svm- 
palhio  el  ardeur,  rAssuiialiun  calholicfue  adopte  les  slaluls  d'une 
Académie  calltolique,  œuvre  élaborée  par  une  coDimissioii  insti- 
tuée, l'année  dernière,  dans  la  capitale  de  la  \N'eslpliaiie.  De  plu<, 
elle  (b'cide  la  fondation  d'un  journal  $tienldi(|uc  destiné  à  servir 
du  lien  aux  savants  cadiolique.s  d'Allemagne  pour  la  défense  d'une 
même  cause.  Ce  sont  des  pas  importants,  comme  une  sorte  d'en- 
ga<;ement  pour  l'accomplissement  de  l'œuvre  principale.  Faxit 
Deus  ! 

Ajouterons-nous  quelque  chose  sur  les  oraleuriiqui  se  dislingue- 
renl  dans  celle  assemblée?  Nous  ne  ferions  (jue  rappeler  à  no>  lec- 
teurs des  noms  déjà  connus  el  aimes,  tels  que  ceux  des  docleurs 
Buss,  de  Fribour;;;  Heinricb,  de  Muvence;  Lieber,  de  Bamberg  ; 
Riess,  de  .Slull^jard  ;  Kolpin^',  de  (]ulo},'ne,  el  Miclileis,  de  Pader- 
born.  Ce|)endanl,  ce  qui  lut  >erilabiemenl  un  événement  dans  cet 
assemblée,  ce  fut  le  discours  du  prince-arcbevéque  de  Vienne,  M^r 
de  Uauscher,  ci-devanl  évèqiie  de  Set  kau,  qui  ouvrit  l'assemblée, 
et  celui  de  Son  i'.minence  le  cardinal  \  iale-lNela,  le  nonce  cberi 
des  Allemands,  |)rès  la  cour  de  Vienne.  Jamais  W-istocialion  catho- 
liquc  n'oubliera  lu  ma^niliquc  |iro;;ramme  (pii  lui  fut  tracé  parées 
princes  de  It^lise,  ni  les  encouia^eanles  paroles  qui,  lombee>  de 
CCS  augustes  lèvres,  venaient  la  forlilier  et  l'animer  dans  son  en- 
treprise. 

[^mi  de  la  Ucligion). 


PRÉJUGÉS  DES  PROTESTANTS 


COKTRE 


LE    CATHOLICISME 

Fragments  de  Conférences  inédites  de  Newmaji. 
(  Voir  la  livraison  de  décembre  18S3.) 


Pour  ôter  au  catholicisme  toute  chance  de  salut  ou  de  retour, 
il  ne  s'agissait  que  d'opérer  en  sens  contraire  :  élever  dès  lors 
la  Couronne  au-dessus  de  l'autel  et  de  l'Évangile  ,  renverser  la 
croix  pour  y  substituer  les  supports  des  armes  royales ,  le  lion 
et  la  licorne;  proscrire  les  prêtres  comme  autant  de  traîtres, 
faire  rendre  des  arrêts  sommaires  par  la  législature  assemblée; 
faire  du  roi  et  de  sa  cour  des  protestants ,  et  du  protestantisme 
un  passeport  pour  les  honneurs  et  les  emplois;  imposer  un  ser- 
ment de  fidélité  à  V établissement,  à  tous  les  fonctionnaires  civils, 
ecclésiastiques  et  militaires;  entourer  cette  religion  naissante  de 
tout  le  lustre  que  pouvait  répandre  le  rang,  la  fortune  et  le  ta- 
lent. —  Ce  peuple  ,  indifférent  à  la  vérité  historique  ,  insouciant 
de  la  vérité  dogmatique;  dédaigneux  des  idées  des  nations  étran- 
gères, devait  s'enrôler  avec  joie  et  s'enrôla  avec  fanatisme  sous 
des  drapeaux  qui  étaient  ceux  de  son  roi  :  la  vérité  étant  dé- 
sormais synonyme  de  l'ordre  et  de  l'autorité  ;  quoi  de  plus  sim- 
ple qu'une  pareille  doctrine?  Le  triomphe  momentané  des  pu- 

9 


142  l>RÉJl'tiÉ5  UES  PBOTESTAKTS 

riiains,  les  railleries  el  les  réfuiaiions  des  sceptiques,  les  re- 
cherches des  savants  vcrs«'S  dans  l'étude  des  Pères  de  Tl-^îlise , 
rien  ne  pouvait  prévaloir  sur  retle  tradition  de  main  humaine, 
de  main  royale. 

C'était  dans  le  beau  temps  de  la  rrine  vierge  ,  de  la  fdle 
d'Henri  \  III ,  (jui,  pour  conserver  quelque  le^itinnté  de  nais- 
sance el  de  règne,  avait  besoin  d'abolir  celte  religion  devant  la- 
quelle elle  demeurait  eniachf'c  de  bâtardise.  Elisabeth  fit  (hmc 
appel  à  tout  ce  (ju'il  y  avait  de  lidelile  royaliste,  à  toute  la  no- 
blesse, à  toute  la  puissance  du  pays,  et  toutes  ces  gr.indeurs  vin- 
rent, comme  l\aleigh  ,  jeter  leurs  manteaux  devant  ses  pieds. 
Elle  s'adressa  à  la  jurisprudence,  science  (]ui  ne  revient  |)lus  de 
ce  qu'elle  a  décr»!»'-.  Une  fois  qu'elle  se  déclarait  protestante, 
une  fois  qu'elle  faisait  reconnaître  le  protestantisme  comme  prin- 
cipe fondamental  de  la  constitution,  la  dérision  était  irrévocable, 
car  les  précédents  font  loi  dans  la  jurisprudence  anglaise,  dont 
Tesprit  servait  merveilleusement  l'installation,  la  consolidation 
de  la  tradition  protestante.  En  outre,  plus  d'une  question  dehal- 
lue  depuis  longtemps  entre  leseoursdeRomeet  d'Angleterre,  pu- 
rentalors  recevoir  ime  solution  favorable  aux  prétentions  locales; 
déjà  le  roi  Henri  Mil  avait  termine  ses  différents  à  sa  manière  en  fai- 
sant couper  la  tète  à  l'éNéque  rislier  qui  avait  refusé  île  reconnaî- 
li'e  sa  suprenialié  s[>iriluej|e.  Juge  et  partie,  la  législature  deilara 
justes  les  réclamations  de  la  Couronne  et  tint  pour  usurpations 
les  droits  du  Saiut-Siége,  et  |)as  une  voix  ne  put  ou  n'osa  s'oppo- 
poser  aux  oracles  rendus  par  le  Parlement  en  qui  résidait  la 
tuprime  sagesse ^  l'intelligence  collective  dune  puissante  nation. 
Reine  de  l'opinion  et  de  la  mode,  Elisabeth  imposa  à  la  littéra- 
ture, à  la  science,  à  la  philosophie,  aux  arts,  l'esprit  du  protes- 
tantisme ;  dés  lors  il  a  été-  univerbellemenl  reçu  en  public,  comme 
en  particulier,  (|uc  le  catholicisme  est  chose  absurde;  on  n'a 
plus  osé  aNouer  qu'on  tenait  à  celte  religion  sans  présenter  sa 
propre  apologie.  Nul  n'a  pu  écrire,  parler,  se  mêler  aux  intérêts 
du  monde  el  de  la  nation  ,  sans  admettre  préalablement  (|ue  les 
principes  du  protestantisme  sont  irréfragables,  et  que  la  religion 
d'Alfred,  d'Edouard  le  Confesseur,  de  Slepher»  Eanglon ,  <lu 
moine  Koger  Bacon  est  une  vieillerie,  une  chimère  effacée.   En 


CONTRE  LE  CATHOLICISME.  1-13 

Angleterre  plus  qiifi  parfont  ailhiurs  les  classes  inférieures  singent 
les  hautes  classes.  L'oitservanei!  religieuse  de  la  cour  fut  rapidement 
adoptée  par  la  nation  entière,  qui  tint  pour  abject  et  ignoble 
tout  ce  qui  ne  suivait  pas  re\cm[>le  des  grands.  Encore  à  pré- 
sent, on  croit  aller  très-loin,  lorscpi'en  parlant  du  catholicisme, 
on  veut  bien  lui  trouver  quelque  poc'sie  et  le  déclarer  supportable 
dans  une  tragédie,  mais  odieux  dans  la  vie  réelle.  On  croit  être 
singulièrement  charitable,  en  avouant  que  les  catholiques  valent 
peut-être  mieux  que  leur  religion,  en  supposant  qu'ils  soient  de 
grandes  dupes  s'ils  y  croient;  des  poltrons  s'ils  en  doutent,  sans 
oser  l'abandonner.  Le  catholicisme  ne  pouvait  plus  désormais  être 
que  la  croyance  des  classes  les  plus  basses  de  la  société,  et  pour 
être  protégé,  secouru  par  les  grands  et  les  riches,  il  fallut  adop- 
ter le  jargon  protestant.  Nous  savons  qu'il  a  été  une  époque , 
qu'il  est  même  encore  certains  cercles  où  il  est  de  bon  ton  de 
paraître  ou  d'être  incrédules,  oii  les  railleries  contre  toute 
croyance  religieuse,  les  propos  licencieux  tiennent  lieu  d'esprit 
et  de  science,  et  où  les  adeptes,  novices  d'abord  en  impiété, 
finissent  par  nier,  rejeter  tout  ce  qu'ils  s'accoutument  à  enten- 
dre bafouer.  Il  en  fut  de  même  à  l'égard  des  catholiques  qui  de- 
meurèrent convaincus  d'ignorance ,  de  superstition  et  de  fana- 
tisme, uniquement  parce  qu'on  les  en  accusait. 

Un  autre  moteur  de  la  tradition  prolestante  en  Angleterre  fut 
le  mouvement  littéraire  qui  s'opéra  dans  le  monde  à  cette  même 
époque.  Avant  Elisabeth,  l'Angleterre  n'avait  pas  de  littérature; 
c'est  vers  la  fin  de  son  règne  que  commence  cette  série  d'auteurs 
célèbres  qui  se  prolonge  jusqu'à  nos  jours.  La  Renaissance,  cette 
rénovation  due  aux  Grecs  chassés  de  Bysance  par  les  Turcs,  était 
venue  charmer  les  intelligences  de  l'Europe  ;  c'était  comme  les 
tièdes  haleines  du  printemps  avec  sa  gaîié  et  ses  vives  couleurs, 
succédant  aux  formes  pures,  sublimes,  mais  fantastiques  du  gi- 
vre et  de  la  neige  d'hiver.  L'austérité,  la  grandeur  naive  et  rude 
de  cette  noble  et  chrétienne  école  du  moyen  âge  se  fondaient 
pour  ainsi  dire ,  disparaissaient  étonnées  devant  l'éclat  de  ce 
génie  grec  qui  se  révélait  au  monde  intellectuel.  Aux  veux  de 
l'érudit,  du  poète,  de  l'artiste  s'épanouissait  tout  un  monde  d'i- 
dées gracieuses  et  luxuriantes,  et  les  langues  vulgaires  gagné- 


\i^  VKÉJVois  DES   PROTtSTATS 

rcnt  vn  niflinomeiii  el  en  élcj^ance  au  contact  de  celle  de  Périclès 
et  de  Dtinosiliène.  Ct'tl<'  rtnaissance  avait  commencé  dans  la  ca- 
tliuli<|Ut;  Italie;  elle  s'était  propagi-c  dans  la  France  ('atlioli(|iie ; 
elle  lit  son  apparition  en  An^detrrre  simultanément  avec  le 
protestantisme  qui  s'('m[)ara  de  cette  voix  sortie  des  tombes  du 
monde  anli(pi<î,  pour  fairr  iclt-ntir  son  nouvel  ('nseignenienl.  Ca'. 
fut  dans  ccltr  langue  anglaise  cpunt; ,  ytiiunt*  d'un  souille  nou- 
veau, dotée  dès  lors  de  simplicité  et  d'énergie  que  les  réforma- 
teurs eurent  la  bonne  forlunc  d'énoncer  leurs  nouvelles  doctri- 
nes, en  provofjuant  radmiralion  d'un  peuple  avide  et  curieux. 
Ils  entreprirent  la  lra«lueti(tn  do  la  Bible  en  langue  vulgaire, 
et  celte  œuvre  demeure  un  modèle  de  diction  ,  d'harmonie,  de 
vigueur,  un  type  de  bon  langage  anglais.  La  même  époque  vit 
surgir  Shakespeare,  SidncN,  Bacon  de  Verulam  ,  Spencer,  Ha- 
leigh,  Hooker,  tous  plus  ou  moins  courtisans  d'Elisabei h ,  par- 
tant, soutiens  de  sa  religiou.  Ode  brillante  reunion  lunna  la 
souche  d'une  succession  d'œuvres  littéraires  d'une  grande  va- 
leur, dont  le  protestantisme  «'tait  à  la  fois  l'essence  et  le  point 
de  départ.  Que  fallait-il  de  plus  à  la  loi  nouvelle  pour  captiver 
toutes  les  iiilelligences  ('blouies  et  charujées  que  rebutaient  les 
raisoiuK  inenls  iiietil(igi(|ues  et  l'étude  des  annales  du  passé;' 

D'ailleurs,  les  poètes  de  cour  n'étaient  pas  les  seuls  qui  gros- 
sissaient la  masse  des  traditions  prolestantes.  Miltuml  Bunvan  1  , 
sortis,  le  premier  de  la  elasse  uhiyenne,  le  second  du  bas  peu- 
ple, exercèrent  plus  d'influence  (jue  Shakesiieare  même,  dont  le 
génie  ne  daignait  pas  s'abaisser  à  prêcher  la  doctrine  particulière 
d'une  secte.  Miltun  et  Bunvan  ont  vidgarisé,  pour  ainsi  dire,  les 
Saintes  Écritures,  tant  leur  langage  et  leurs  expressions  devin- 
rent familiers  à  la  multitude.  Plus  tard,  Clarendou  et  les  hom- 
mes d'Ktai ,  l>ocke  et  les  philosophes,  Addison  et  les  publicistes, 
Iliimc,  Bobeitson  et  les  historiens,  Cooper  et  les  poètes  secon- 
daires coniinnèrent  à  proclamer  (pn>  le  protestantisme  était  sy- 
nonyme du  bon  sens  ,  tandis  que  le  catholicisme  était  le  type  du 


(|t  Ilimyan  est  l'aiitrtir  de  ce  Voyage  du  pèlrrin   qiir   iniss  Cntiningliani 
<li5tribiiait  loiil  n'-crmmcnt  rn  Totcnnr.  V.  du  Tr. 


COMRE   LE  CATIIOMCISUR.  M/) 

fanatisme,  de  la  su|)ersliiioii  ou  de  quelque  étrange  aberration 
de  l'ospiit.   Le  joug  de  la  tradition  devint  si  irrésistible,  que  les 
convictions,  les  instincts,  les  pencbanis  durent  se  courber  ou 
s'eflacer  devant  cette  puissance.   Pope  était  catboliquc  ,  et  per- 
sonne ne  le  devinerait  à  la  lecture  de  son  poème.  Samuel  Jobnson, 
né  protestant,  se  sentait  attiré  vers  le  catholicisme  ,  dont  il  dé- 
fendait parfois  avec  véhémence  quelque  point  de  doctrine  ou  de 
discipline,  et  cependant  à  sa  mort  il  fit  profession  de  ce  protes- 
tantisme qui  n'avait  pas  ses  sympathies  et  ne  sullisait  pas  aux 
besoins  de  son  âme.  De  nos  jours  n'avons-nous  pas  \\i  Walter 
Scott,  honteux  de  ses  tendances  catholiques,  s'en  excuser  et  les 
expliquer  par  ses  goûts  d'antiquaire?  Wordsworth  expier  quel- 
ques sonnets  catholiques  par  des  compléments  où  il  ftiit  profes- 
sion de  panthéisme?  Burke  rejeter  sur  une  nécessité  politique 
ses  efforts  généreux  en  faveur  des  catholiques  d'Irlande?  L'incré- 
dulité, le  libéralisme  ne  seraient  que  des  péchés  véniels  dont  on 
préférerait  se  chargei-  plutôt  que  de  paraître  entaché  de  bien- 
veillance pour  la  religion  de  ses  ancêtres  et  des  nations  voisines. 
Le  protestantisme  a  son  idiome,  sa  phraséologie,  sa  chronique, 
ses  proverbes,  que  rien  ne  peut  corriger  ni  faire  oublier.  Ainsi  le 
règne  d'Elisabeth  est  un  âge  d'or;  celui  de  Marie  sanglant  ;  l'église 
d'Angleterre  est  pure  et  apostolique ,  les  réformateurs  ywrf/ciewa? 
et  justes  ;  le  livre  du  Rituel ,  ou  prière  ordinaire  (1),  est  incom- 
parable et  sublime;  les  trent-neuf  articles  sont  sages;  mais  le 
Pape,    les   païens,    le  prétendant   et  Satan,   sont  tous  réunis 
dans  une  même  aversion.  Si  Londres  est  brûlé,  on  élève  un  obé- 
lisque afin  de  perpétuer  cette  calomnie  qui  attribue  l'incendie 
au  papisme.  Les  termes  de  moine,  de  jésuite,  de  jésuitique,  de- 
vinrent des  injures  ;  le  nom  de  papesse  Jeanne  (2  ^  est  donné  à  un 
jeu  de  cartes;  parmi  ceux  de  Sorcier,  deMalibran,  d'EIssler,  de 
Taglioni ,  de  Lucifier,  sous  lesquels  on  désigne  les  chevaux  de 
course,  vous  trouvez  le  mot  pour  nous  si  respectable  de  Crucifix, 


(i)  Il  est  presque  textuellement  emprunté  aux  prières  de  l'Église. 

(y.  du  Trad.) 
(2)  Notre  nain  jaune. 


146  PRÉnUCÉS   I>K>  PROTKSTANTS 

et  dans  les  ignobles  inasciiradcs  des  rues,  à  côlé  du  SulUin  vous 
verro/.  le  l'ape  portant  la  croix  et  la  iriple  tiaro. 

Ainsi  livn'  liadiiioimoIU-nienl  an\  ri^^'iiciirs  d<'  la  loi.  anx  mé- 
pris dr  la  solide,  :iii\  dédains  do  la  science  et  do  la  lilleraiurc, 
aux  avanios  de  la  populace,  je  le  répète,  conimont  lo  catholi- 
cisme pent-il  par>euir  à  se  faire  connaiire,  comprendre,  appn*- 
cier;  comnjonl  |)ounait-il  briser  cette  barrière  (|ui  s'inier|)ose 
mire  nous  et  chacun  des  protestants  auxquels  nous  voudrions 
adresser  des  paroles  de  paix  ;  ceux-ci  ne  croicnl-ils  pas  connai- 
ire notre  Yeli^ion  mieux  que  nous-njèmos? 

Le  <"lerj,'«'  ari^'lican  a  pour  mission  bien  ujoiiis  d'enseif^ner  ses 
doctrines  particulières  et  de  les  conserver  dans  leur  orthodoxie, 
que  de  maiuleiiii-  la  lia(Iili<»n  anii-caiholicpu' ,  i\e  la  préserver 
de  tout  amoindrissemeni,  aliti  «pie  celte  arm<>  toute  puissante  soit 
prèle  à  défendre  rÉlablissemeni  en  cas  de  danger,  ('.ar  le  temps 
opère  bien  des  changements,  il  aplanit  des  montagnes  et  com- 
ble des  abîmes;  laissée  à  elle-même,  la  tradition  protestante 
s'allaiblirail  ;  les  luis,  les  usages,  la  société,  la  lilieraluro  subi- 
raient des  altérations  qui  eu  iniroduii'aieni  à  leur  tour  dans  les 
esprits.  I.e  clerg»'  anglican  est  un  sévère  gardien  dont  la  vigilance 
renouvelle  sans  cesse  les  accusaii<ms,  les  fauss(!s  appréciations, 
les  scandales,  les  sarcasmes  et  les  mensonges  aux(|uels  l'Eglise 
est  en  butte.  Unitairiens,  sabelliens,  utilitairiens,  méthodistes, 
calvinistes  ,  swcdenborgiens  ,  irwingisles  ,  libr«'s  penseurs  ,  tous 
peuvent  èlre  loli-resau  sein  niènu'  derLtablissemenl,  jiourvu  <jue 
toutes  ces  sectes  demeurent  d'accord  sur  ce  seid  point  :  «  ipie 
»  S.  M.  la  reine  est  la  mère,  la  prole<irice  de  toutes  les  églises, 
»  et  (pie  révè(pu!  de  l\ome  ne  peut  ex<'r(<r  aucune  juridiction 
»  dans  ce  royaume.  »  Il  est  un  mot  de  ralliement  universel  qui 
ne  nianipie  jamais  son  effet  :  guerre  d  la  papauté!  un  appel  qui 
réveille  tous  les  zèles  et  tous  les  courages  :  V/ùjUse  nationale  est 
en  prril !  Si  le  danger  vient  de  l'Iiciesie,  du  schisnie  ou  de  l'in- 
crédulité, il  passe  inaper(;u  ;  mais  (piil  s'èlèNo  le  plus  léger 
souille  de  catliolicisnie,  on  s'è'meut ,  on  se  trouble,  on  signale 
rimminence  d'une  tem|)èie  <|ue  toutes  les  églises  sont  intéressées 
à  conjurer;  cl  comme  parmi  les  populations  reculées  et  ignoran- 
tes ,  on  sonne  les  cloches  à  l'approche  de  l'orage,  de  ions  les 


CONTRE  LE  CATHOLICISME.  t  47 

évêchés,  de  tous  los  cliapiiics ,  do  loiis  les  presbylèrcs  s'élance 
un  concours  de  clameurs  alarmantes  et  accusatrices  :  c'est  l'a- 
gression papiste,  insolente  et  insidieuse  ,  atroce  et  ingrate,  pestt_ 
lenlielle  cl  horrible,  audacieuse  et  basse,  impie,  absurde  et  révolu 
tante,  méprisable  et  hardie —  Que  sais-je  encore,  mes  Frères,  et 
que  vous  dirai-je ,  (jne  vous  n'ayez  pu  entendre  et  lire  comme 
moi  dans  ces  derniers  temps?  Aux  époques  les  plus  paisibles  , 
quand  il  semblait  que  le  clergé  anglican  ,  tranquille  dans  son 
triomphe,  n'aurait  pas  eu  besoin  d'insulter  les  vaincus,  n'est-ce 
pas  l'Église  catholique  et  ses  enfants  qui  ont  défrayé  ses  prédica- 
tions les  plus  admiri'es.  La  sortie  d'Egypte,  le  Veau  d'or,  la 
chute  du  Dragon,  les  cruautés  et  les  pompes  de  Jézabel,  le  culte 
de  Baal ,  l'image  de  Nabuchodonosor,  la  captivité  de  Baby  one  , 
les  Pharisiens,  lesZélotes,  la  menthe,  l'anis  et  le  cumin,  les  sé- 
pulcres blanchis  étaient  d'inépuisables  textes  à  allusions  sur  les 
erreurs  monstrueuses  ou  les  superstitieux  enfantillages  de  l'Église 
romaine.  Wolsey  était  le  type  de  l'orgueil;  le  duc  d'Albe  celui 
de  la  barbarie;  Becket  de  la  rébellion;  Kildebrand  de  raml)i- 
tion.  Si  on  parlait  de  débauches.  César  Borgia  servait  d'exemple, 
comme  Louis  XI  pour  la  superstition  et  les  Croisades  pour  le  fa- 
natisme. Saints  etcriminels,  tous  étaient  assimilés  par  une  même 
animadversion. 

Est-il  étonnant  que  celte  réprobation  traditionnelle  des  catho- 
liques soit  si  profondément  enracinée  dans  l'esprit  anglais,  qu'on 
ne  veuille  pas  seulement  entendre  nos  dénégations  et  nos  recti- 
fications. Quand  nous  essayons  de  détromper  un  de  nos  compa- 
triotes, il  se  rit  de  notre  crédulité  ou  s'indigne  de  notre  effron- 
terie ;  alors  que  nous  refusons  notre  créance  à  ses  allégations , 
il  s'écrie  qu'on  ne  pouvait  attendre  autre  chose  d'un  catholique. 
Démontrer  que  les  crimes  ne  sont  pas  tarifés  et  absous  d'avance, 
que  les  prêtres  vivent  dans  la  chasteté,  que  les  religieuses  ne 
s'assassinent  pas  et  que  nous  n'avons  pas  des  idoles,  serait  peine 
perdue;  il  en  appellerait  au  premier  passant  pour  s'appuyer  sur 
un  témoignage  qui  se  trouverait  conforme  au  sien,  à  tous  les  li- 
vres qu'il  a  lus,  et  répondrait  à  vos  représentations  par  de  nou- 
velles énormités,  comme  la  déification  de  la  Sainte  Vierge  et  du 
Pape  par  les  catholiques,  l'obéissance  implicite  et  sans  exception 


t'18  PKÊJL'Oés,    LTC. 

aux  (irdns  de  réxèque  de  l\uiiie ,  l'aoulo^ie  des  fêtes  pupisles 
avec  telW's  de  la  Home  paicnin' ,  il  vous  racciiitcrail  que  la  pa- 
pesse Jeanne  fui  le  pape  Jean  \  111,  qu'elle  était  Anglaise,  s'ap- 
pelait Gilhcrie  et  donnait  des  leçons  ù  Koine  ;  il  vous  dirait  (|ue 
<juin/.e  cents  femmes  «le  mauvaise  vie  suivaient  à  Constance  les 
iNics  (Tuii  de  ces  Conciles  que  nous  pD'iendons  infaillibles;  il 
vous  dirait  «ju'il  y  a  au  moins  viuj^i  mille  jésuites  en  Angleterre, 
et,  ce  qui  est  bien  pire,  (]u'il  v  en  a  un  grand  nombre  dans  les 
universités  protestantes...  Mais  je  m'arrèt»',  mes  frrns,  je  las- 
serais votre  patience  avant  d'épuiser  le  catalogue  des  alléga- 
tions mensongères  que  tout  bon  Anglais  se  fait  un  devoir  d'ad- 
mettre à  notre  «'gard,  sans  examen,  de  conliance,  par  soumission 
à  la  tradition  de  main  royale,  établie  définis  Elisabelb.  Telle 
(jue  nos  compatriotes  l'ont  reçue,  ils  la  transmettent  à  leurs  en- 
fants ,  (|ue  nous  voyons  lever  leurs  petites  muios,  leurs  faibles 
voix  contre  «eux  (pi'on  leur  désigne  comme  pervers  et  dange- 
reux. Dieu  seul ,  mes  freies,  pourra  briser  cet  «'difice  de  men- 
songes et  en  disperser  les  matériaux,  sous  lesquels  la  vérité  est 
comme  «'mj)risonDée.  Prions  pour  (|ue  le  jour  de  celte  délivrance 
se  fasse  bienlôt  ! 

(  Tnuiuil  par  .M""  de  Romont.j 


UN  DERISIER  MOT 


SUR  LA 


RELIC10\  DE  LEIBXITZ. 


Tel  est  le  sujet  d'un  écrit  de  M.  le  prince  Albert  de  Broglie, 
inséré  dans  un  des  derniers  numéros  du  Correspondant.  Il  a  paru 
opportun  de  placer  ici  un  fragment  de  ce  travail  qui  se  recom- 
mande à  l'atlenlion  du  lecteur,  par  l'imporiance  du  sujet  autant 
que  par  la  notoriété  de  son  auteur.  M.  Albert  de  Broglie,  en  ef- 
fet, lient  une  place  considérable  dans  un  monde  où  les  idées  ca- 
tholiques ont  trop  souvent  rencontré  des  courants  adverses,  pour 
qu'il  n'y  ait  pas  lieu  de  faire  grand  état  de  la  franchise  de  ses 
convictions  comme  des  qualités  distinguées  de  son  écrit.  Plus 
que  tout  autre,  d'ailleurs,  M.  de  Broglie  avait  le  droit  de  donner 
une  conclusion  touchant  une  question  plus  d'une  fois  agitée 
dans  de  savantes  controverses.  C'est  à  lui  que  la  science  est 
redevable  d'une  traduction  du  Systema  theologicum,  œuvre  iné- 
dite de  Leibnitz ,  retrouvée  il  y  a  cinquante  ans  dans  la  biblio- 
thèque de  Hanovre,  oii  elle  demeurait  enfouie  depuis  la  mort  de 
l'illustre  philosophe  (14  novembre  1716).  Le  manuscrit  fut  soi- 
gneusement caché  jusqu'à  la  fin  du  siècle.  En  1810,  l'abbé  Emery, 
supérieur  général  de  la  Congrégation  de  Saint-Sulpice,  publiant 
une  seconde  édition  des  Pensées  de  Leibnitz  sur  la  religion,  dé- 
sira connaître  ce  traité.  La  France  alors  commandait  en  Europe; 
M.  Emery  lit  part  de  ses  désirs  au  cardinal  Fesch,  qni  obtint  de 


150  ry  DERnieR  bot 

Jérôme  Bonaparie,  roi  de  Weslplialie,  que  le  mystérieux  volume 
serait  envoyé  à  Paris.  Une  copie  en  fui  faiic,  mais  hûlive  et  dé- 
fecluruse.  Elle  servit  toiiteHiisà  la  première  traduction  du  Sys- 
tema  publiée  en  1810  par  MM.  de  Saint-Sulpice.  Cependant 
l'ai'toj^'raplir  s'en  allait  à  Home  avec  les  papiers  du  cardinal 
F«s(li.  Vinj^i  ans  après  (IS.Jλ),  le  prélat  mourait,  et  sa  Inblio- 
tlièqne  «'tait  transportée  à  Saiiit-Loiiis-des-Franrais;  c'est  là  que 
M.  l'abhé  Lacroix,  clerc  national  pour  la  France  à  Rome,  retrouva 
le  manuscrit  ori^'inal  du  Systema.  Il  le  cotlationna  avec  l'édition 
des  Sulpiciens,  et  sentit  à  l'instant  la  nécessité  de  restituer  le 
texte  VI  liiahlc.  Celte  se<onde  édition  jiarut  en  1844,  et  c'est  ce 
texle  ré'tahli  par  M.  Lacroix  que  M.  Albert  de  Broglic  a  réim- 
primé avec  sa  propre  tradnciinn  en  184Ô. 

A  |)ai  tir  de  ce  moment,  le  Systema  devient  l'objet  de  reilier- 
ches  nombreuses  et  de  juj^ements  contradictoires.  Les  critiques 
protestants  veulent  à  toute  force  le  réduire  à  n'être  qu'une 
œuvre  sans  portée,  indij,'ne  de  son  auteur,  sans  connexion 
avec  ses  immoi-iels  ouvr:i.u<'s,  sans  lien  doctrinal  avec  les  <»pi- 
nions  metapliysiques  de  lonie  >:i\ie.  Pour  eux,  le  célèbre  ma- 
nuscr'it  de  Hanovre,  si  soi^'iieusement  dt-robe  aux  investif^a- 
tions  caiboliques  durant  près  d'un  siècle,  el  mis  en  lumière  par 
droit  de  conquête  française  ,  ne  serait  qu'un  vestif?e  des  tentati- 
ves d(î  conciliation  entre  les  deux  relijîions  qui  occupèrent  les 
cours  d'Allenia;;ne  durant  le  dix-septième  siè<*le.  Dans  cette  by- 
polliese,  a  lacpiclle  se  réduisent,  en  dernier»'  analyse,  les  opi- 
nions émises  par  MM.  Gidiraner,  de  Kommel  et  Grolefend  ,  le 
Si/steinn  iheolixjirum  ,  ce  livre  dar)s  lequel  «pielipies  catboliques 
se  sont  tr()p  empressés  de  voir  un  teslameni  reli;{ieux,  la  der- 
nièie  expression  de  la  foi  de  Leibnit?.,  enfin  une  preuve  formelle 
de  conversion,  ne  serait  qu'un  expédient  diplomatique,  qu'un 
pié'^îe  mi^iTable  tendu  j)ar  l'auteur  de  la  Thmdicèe  aux  évé«]ues 
catlioliqnes  enj;a;;es  dans  ralV;iire  de  la  ri'union. 

Les  crili(|»Jes  catholiques,  jiliis  nspii  imux  pour  la  mémoire 
de  Leibnii/  ,  ont  attribue  une  tout  autre  \alenr  à  l'o-iiNre  pos- 
thume objet  de  tant  dt*  controverses.  Les  premiers,  s'autorisant 
du  fait  de  la  non  publication  du  traité,  l'élevaienl  à  la  si}înitica- 
lioD  d'une  véritable  profession  de  foi.    Leibnitz,  combattu  du- 


SUK  l,A  UEriGIO?»    DE    LEIBMTZ.  151 

nmt  loutc  sa  vie,  aurait  adhéré,  dans  ses  derniers  jours,  au 
symbole  cailioliquc.  Le  soin  caraclôrisiiqiie  avec  lequel  le  Sys- 
tema  avait  ('-lé  cacli<'!  serait  venu  cii  aide  à  loulos  les  conjccMires 
favorables  à  une  conversion  in  extremis.  Telle  était  ro[)iiiion 
du  vénérable  snlpicien  Eniery,  de  M.  de  Lamennais,  de  M.  La- 
croix, de  M.  Albert  de  Broi'lie  en  1845,  au  moment  où  il  tra- 
duisait le  Systema.  M.  Foisset ,  qui  s'est  aussi  occupé  de  Leib- 
nitz,  et  qui  en  a  publié  des  Lettres  inédiles  (1),  partage  le  même 
sentiment. 

Depuis  la  restitution  du  Systema  par  MM.  Lacroix  et  Albert 
de  Broglie ,  ont  paru  les  travaux  allemands  sur  Leibniiz,  dont 
les  plus  importants  sont  ceux  de  MM.  Guhraner  et  de  Rommel , 
dont  déjà  nous  avons  indiqué  les  tendances  hostiles  au  Systema. 
M.  Gurhancr  a  publié  une  savante  biographie  de  Leibnitz  et  deux, 
volumes  inédits  d'écrits  allemands  du  philosophe.  M.  de  Rom- 
mel, historiographe  de  la  maison  de  Hesse ,  a  mis  au  jour 
la  volu.ii  neuse  coirespondance  de  Leibniiz  avec  un  prince 
de  cette  famille,  le  landgrave  de  Hesse-Rheinfels.  Ce  landgrave 
de  Hesse,  lils  de  Maurice  le  savant,  était  du  nombi-e  de  ces  dix- 
sept  princes  protestants  allemands  qui  se  convertirent  à  la  reli- 
gion catholique  vers  le  milieu  du  dix-sepiième  siècle;  il  fut 
longtemps  le  correspondant  de  Leibnitz,  et  c'est  dans  Tintimité 
de  ces  lettres  que  le  philosophe  s'ouvre  avec  le  plus  de  fran- 
chise louchant  ses  opinions  religieuses  et  l'attitude  de  conscience 
qu'il  a  cru  devoir  affecter  durant  toute  sa  vie. 

M.  le  comte  Faucher  de  Careil  s'est  chargé  de  faire  connaître 
à  la  France  ces  travaux  dans  de  savantes  analyses  critiques  (2). 
Il  est  curieux  de  voir  comment,  opposant  l'un  à  l'autre  ces  deux 
adversaires  du  Systema,  redressant  une  erreur  grave  de  M.  Guh- 
raner, il  parvient  à  rétablir  le  véritable  caractère  de  la  con- 
science religieuse  du  grand  homme.  Au  moyen  de  la  correspon- 


(1)  Les  Lettres  de  Leibnitz  à  Nicaise,  publiées  pour  la  première  fois  dans 
'es  deux  Bourgognes.  Ce  sont  ces  lettres  que  M.  Cousin  a  réimprimées  in 
extenso  dans  ses  Fragments  philosophiques,  sans  indiquer  où  il  les  avait  pri- 
ses. 

(2)  Voirie  Correspondant,  aux  vol.  50,  52  et  33. 


(•>2  I  >    liEtllIKIl   fl(lT 

dance  avec  lo  landgrave  do  Hesso-HlM-infels ,  M.  de  Careil  fixe  à 
1683  ou  l(j84  la  dal<'  du  Systema  iheologicum.  Or,  c'est  là  une 
nn»«liti<aii(ui  ini[)nri;inie  *|ui  doit  nccfssainnnMil  influer  Iteau- 
coup  sur  roj)inion  (|ue  l'un  doit  si;  former  de  ce  livre.  M.  Al- 
bert de  Brogiie ,  qui  se  ranjje  à  celle  opinion,  comme  on  va  le 
voir,  ne  parait  pas  rendre  une  justice  suflisanlc  aux  dissertations 
doM.  deCarcil.  Car  c'est  liieu  M.  de  Careil  (pii  présente  sous  son 
vérilable  jour  celte  connexion  sideteruiinante  entre  le  Systema  vt 
cette  correspondance  avec  leLandgrave,  où  Leibnit/  manifesteavcc 
le  filns  d'ouveiture  combien  il  incline  vers  la  doctrine  c;itholi(|ue, 
et  ijuelle  place  considérable  les  solutions  dogmati<iues  de  rtf;lise 
tienneni  dans  sa  raison  |d)iloso|)liique. 

Donc,' s'il  faut,  en  présence  de  cette  correspondance,  renon- 
cer à  voir  dans  b>  Systema  une  œuvre  diplomatiipic  destint'C  à 
faire  toud>er  dans  un  piège  les  évèques  négociateui-s ,  il  faut 
aussi  ,  eu  égard  à  Ti'poque  où  il  fut  écrit,  se  désister  de  la  pen- 
sée d'y  trouver  les  sentiments  d'un  Leibnit?.  entièrement  catboli- 
que.  Et  à  vrai  dire,  nous  ne  voyons  pas  ijue  ce  dernier  point  suit 
d'une  si  capitale  importance.  Sans  vouloir  méconnaître  quelle 
consolation  grande  on  éprouverait  en  voyant  Leibnitz  se  dwider 
ù  entrer  rlélinitivement  dans  le  corps  de  l'Kglise,  à  la  porte  de 
hupielle  il  resta  toute  sa  vie  et  qu'il  ne  cessa  d  honorer  d'un  res- 
pect sincère  ,  nous  osons  faire  remanjuer  que  son  adhésion  ra- 
tionnelle aux  points  fondamentaux  tie  la  (b>ctrine  cailioli(]ue 
conserve;  une  grandi;  valeur.  L'Iiomiuage  si  complet  qu  il  rend 
aux  allirmations  dogmati(]ues  de  notre  doctrine  dans  leurs  rap- 
ports nécessaires  avec  les  solutions  nn-iaphysiques  que  sa  haute 
raison  lui  avait  suggén-es,  doit  peser  dans  l'appréciation  de  tout 
homme  sérieux,  et  d'autant  plus  fort,  à  notre  si-ns,  qu'il  n'a 
jamais  atteint  ce  derni(»r  terme  de  la  conviction  religieuse, 
ce  degré  su|>rême  de  l'intelligible,  que  donne  la  foi.  Quoi! 
Leibnit/.  accorde  l'adhésion  ralioimelle  ;i  tous  les  dogmes 
catholiipies;  il  décerne  m^me  les  plus  grandes  louanges  au 
gouvernement  de  Tl-lglisc,  à  ses  formes  hiérarchiques,  et 
l'on  voudrait  que  cet  assentiment  d'une  raison  si  haute,  si  «'-clai- 
rée,  si  transcendante,  ne  lût  pas  pour  les  <  ailioli(pies  un  b'gi- 
limc  motif  ik  joie  et  de  confiance?  Ce  grand  exemple  ne  nous 


sur.  LA   RELIGION    I)E   LKIHMTZ.  153 

autoriserait  pas  ,  alors  que  nous  disons  qu'en  dehors  des  idées 
calholiqui's  il  n'y  a  pas  d'aimosplnMC  salutaire  |)0ur  la  raison? 
Leihnit/,  comme  tous  les  grands  c^prils  du  dix-septième  siècle, 
a  cherché  à  produire  par  ses  travaux  celle  paix  lumineuse  et  fé- 
conde qui  doit  unir  les  sciences  et  les  esprits  en  Dieu.  II  n'y  a 
pas  jusqu'à  ses  admirables  inventions  géoméirifjues  qui  ne 
soient  inspirées  par  ce  dessein  sublime.  Or,  pour  atteindre  les 
clartés  si  éminentes  de  ses  œuvres,  il  ne  trouve  pas  de  procédé 
meilleur  que  d'unir  sa  voix  à  ce  chœur  des  intellii,'ences  catholi- 
ques dont  saint  Augustin  et  saint  Thomas  d'Aquin  sont  les  gui- 
des, comme  ils  le  seront  éternellement  de  tous  ceux  qui  cherche- 
ront la  science  de  l'àme  humaine  et  celle  des  perfections  de  Dieu, 
c'est-à-dire  le  point  central  de  toute  philosophie.  D'ailleurs,  il 
faut  bien  le  faire  remarquer,  ce  n'est  pas  seulement  dans  ce  vo- 
lume posthume  du  Syslema  qu'il  faut  reconnaître  les  inclinations 
catholiques  de  Leibnilz  ;  ce  n'est  pas  non  plus  dans  ces  lettres  si 
fortes  qu'il  écrit  au  landgrave  de  Hesse,  c'est  dans  une  foule 
d'opuscules  épars,  c'est  dans  tous  ses  ouvrages.  Le  Systema 
n'offre  guère  autre  chose  que  le  mérite  de  présenter,  coordon- 
nées en  un  ensemble,  des  convictions  qui  se  retrouvent  partout 
dans  ses  écrits. 

Ces  hommages  rendus  au  symbole  catholique  par  d'illustres 
intelligences  qui  ont  grandi  et  brillé  hors  de  l'Église ,  ne  sont 
pas  le  fait  du  seul  Leibnilz.  Rien  de  plus  connu  que  les  tendan- 
ces catholiques  souvent  exprimées  dans  leurs  écrits  en  termes 
très-positifs  :  de  Grotius  en  Hollande,  de  Haller  en  Suisse,  de 
Johnson  et  de  Burke  en  Angleterre.  Il  y  aurait  bien  d'autres  té- 
moignages à  invoquer  ici  ;  mais  nous  ne  citerons  que  celui  de 
Deluc,  ce  savant  Genevois,  bien  plus  admirable  par  la  persistance 
avec  laquelle  il  défendit  le  spiritualisme  chrétien  en  des  jours 
mauvais,  que  par  des  travaux  de  physique  dont  la  science  aime 
à  se  souvenir.  C'est  dans  ses  lettres  au  docteur  Teller  que  l'on 
trouve  les  marques  de  son  respect  non  équivoque  pour  le  catho- 
licisme. Deluc,  dans  un  mouvement  de  généreuse  indignation, 
écrivit  sa  brochure  sur  Bacon  tel  qu'il  est,  pour  protester  contre 
'  une  indigne  sophistication  voltairienne  des  œuvres  du  philoso- 
phe anglais.   A  ce  moment  il  échangea  quelques  lettres  avec 


151  un    DERMEH     «UT 

M.  Kinory,  supérieur  île  Sainl-Siil|>i»'e,  qui  iravailiuit  le  mémo 
sujet.  Dans  l'une  de  ces  lettres,  l>*>lu(-  écrivait  que  toutes  les  fois 
qu'il  aN:iit  le  bonheur  (icrainem  r  un  increiliilc  au  (hrislianisnie. 
il  lui  (onseillail  de  se  taire  (-atliulique ,  parce  que,  disait-il  :  le 
catholicisme  est  |>lus  propre  (ju'aucune  autre  communion  a  con- 
server la  foi  chrétienne.  El  parmi  nos  contem|>orains  protestants, 
combien  n'y  en  a-l-il  pas  ipii,  pcair  trouver  un  air  respirabi»', 
s't'ihappenl  dans  noire  milieu  et  si'  mcilcnl  a  penser  en  catholi- 
ques! 

M.  de  Broglie  ,  dans  le  système  qu'il  adopte  pour  expliquer  la 
situation  de  conscience  de  Leibnit/  ,  et  sa  persistance  dans  son 
refuj  d'entrer  dans  la  religion  catholique  depuis  1684,  épocpie 
où  vraisemblablement  il  «crivit  le  Stjs(cma ,  fait  jouer  un  rôle 
prépondérant  à  la  revociilion  de  l'Kdit  de  Nantes  et  à  la  con- 
duite du  j,'ouvenienienl  de  Louis  \l\  à  l'ejçard  des  protestants 
fran<.'ais  qui  en  fut  la  cons«'(pience.  Il  n'entre  point  dans  no- 
tre pensée  de  nous  élever  ici  contre  le  j«i;,'ement  prononce  par 
M.  de  Rro^die  louchant  un  acte;  d'autoctatie  royale  aussi  dur 
dans  ses  procédés  d'exi'culion  qu'inutile  dans  ses  résultats. 
Nous  y  adhérons  de  tout  notre  cu'ur.  Mais  qo'il  soit  permis  de 
voir  dans  ce  ra[)prorhement  une  hypothèse  inspiiée  trop  ^isible- 
ment  par  wiw  pensée  de  po|emi(|ue  contre  des  écrivains  (pii  n'en 
ont  pas  moins  bien  nieriii-  de  l'K^lise,  encore  cjue  |)arfois  on 
ail  pu  leur  re()iocher  tmp  de  vivacité  (I). 

On   a   regret  de  trouver  le    ^'rand  nom  de   Leibnit/.   mêle  à 


(t)  Toutefois  les  rc-ilarleiirs  dr  I  /  ninrx  ne  s.inraienl  être  roniptalilrs  de 
la  publication  de  lllistoirr  du  Itrfiigr,  par  M.  \\  eiss,  (]ni  a  élo  la  cause  ma- 
jeure de  la  p'>l('-ini(|iie ,  et  M  Aiil)ineaii  l'tnil  parfaiteiiieiit  dans  suit  dmil  en 
soumettant  à  une  criti(|ue  srvère  un  livre  nù  l'auleiira  |)nr  trop  abusé  du  droit 
d'être  inexact  tout  en  paraissant  mettre  en  œuvre  «les  dontmenis  prt'ei^. 
Encore  une  fois,  :l  ne  s'agit  point  ici  de  donner  une  approbation  a  la  révocatiua 
de  rtdil  de  Nantes;  mais  convenons  que  si  (|ucl(|u'un  abuse  de  ce  sujet,  ce 
sont  les  éerivains  protestants.  Ils  semblent  ne  \ivrc  que  île  ce  ll«6me,  e'est- 
ii-dirc,  apri^s  tout,  d'une  question  extérieure  qui  ne  résout  rien  quant  à  l« 
valeur  inlrinsi'qur  de  la  doctrine  .  pas  plus  que  les  désordres  de  quelque* 
membres  du  clergé  avant  le  seizième  siècle  ne  légilimcnt  les  atteintes  por 
lit$  k  la  liberté  humaine  par  LulJier  cl  la  prédestination  calviniste.  A  entendre 


SLIK   LA   RELIGION   DELEIBFtlTZ.  155 

une  controverse  toute  moderne,  et  invoqué  pour  servir  de  rem- 
part à  qui  n'en  avait  nul  besoin  pour  l'aire  prévaloir  son  senti- 
ment. 

Leibnitz,  en  effet,  vivait  dans  un  temps  oii  les  questions  de  li- 
berté des  cultes  et  de  liberté  des  consciences  n'étaient  nulle- 
ment posées  ainsi  qu'on  les  entend  aujourd'hui.  Les  doctrines  des 
réformateurs  avaient  si  fort  installé  le  despotisme  en  Europe,  en 
anéantissant  les  droits  des  consciences  des  sujets  vis-à-vis  du 
pouvoir,  en  faisant  des  manifestations  de  ces  consciences  une 
chose  à  la  dévotion  des  caprices  et  des  volontés  des  souverains, 
que  ces  errements  avaient  constitué  un  droit  public  auquel  per- 
sonne alors  ne  songeait  à  résister.  Que  Leibnitz  ait  eu  des 
motifs  plus  ou  moins  spécieux  pour  demeurer  exiéiieurcment 
protestant  ;  que  pi usieurs  de  ces  motifs  ne  fussent  que  des  prétextes 
subtils;  que  l'esprit  personnel,  toujours  si  dominant  en  pareille 
matière ,  alors  que  la  soumission  de  la  foi  n'intervient  pas ,  ait 
joué  un  grand  rôle,  c'est  évident;  mais  qu'on  lui  veuille  prê- 
ter les  échappatoires  de  quelques  individualités  de  nos  jours , 
qu'on  le  fasse  raisonner  comme  un  rédacteur  du  Lien  ou  de  V Es- 
pérance ,  c'est  là  ce  que  nous  ne  pouvons  admettre.  Gardons- 
nous  de  méconnaître  que  pour  beaucoup  d'hommes  de  notre  temps, 
prendre  feu  pour  la  liberté  des  consciences,  c'est  manière  de  pren- 
dre position  contre  l'ÉglisecaihoIique,  en  qui  l'on  personnifie  l'in- 
tolérance, parce  qu'elle  est  fidèle  à  ses  dogmes  et  ne  livre  point  l'É- 
vangile de  Jésus-Christ  aux  quatre  vents  du  libre  examen  ;  c'est 
affaire  de  gens  qui  trop  souvent  ne  croient  à  rien ,  ne  veulent 
croire  à  rien  ou  ne  savent  pas  ce  qu'ils  veulent  croire.  Dieu 
merci,  le  phénomène  de  la  conversion  des  âmes  d'élite  à  la  doc- 
trine catholique  n'est  point  rare  aujourd'hui  ;  après  les  exemples 
mémorables  et  toujours  contagieux  de  l'Angleterre ,  voici  venir 
l'Allemagne  qui  s'ébranle.  Dans  le  mois  dernier  seul  ont  paru  les 
motifs  de  l'abjuration  de  deux  hommes  importants  dans  la  science 


ces  Messieurs,  il  semblerait  que  les  catholiques  n'aienl  jamais  connu  les  che- 
mins (le  l'exil,  pas  plus  que  celui  de  réchafaud.  Quand  saurons-nous  consi- 
dérer les  questions  en  soi  et  pour  soi,  plutôt  que  de  nous  répandre  en 
logomachies  irritantes  sur  les  méfaits  de  nos  devanciers  ? 


lÔC  I  >•    DhRMfch    MOT 

(le  pasieur  Lutkenmuller,  de  liorlin ,  et  \o  professeur  Gfrœrer, 
du  grand-duclu*  de  Bjide,  ancien  ami  et  collaborateur  de  Strauss); 
nous  ne  VOYOUS  pas  que,  pour  aïK  un,  ers  (picslidus  do  liberté  de 
conscience  jouent  un  rôle  «juclconqut;  dans  les  utlernioiements 
cil  ils  ont  pu  s'attarder.  Quand  un  liomnie  sérieux  se  croit,  par 
conscience,  en^aj^é  à  embrasser  une  doctrine  religieuse,  il  ne 
s'inipiifio  i^Mière  de  savoir  s'il  aura  plus  ou  moins  d'aises.  Il  sait 
Imp  bien  ^\li^•u  ce  monde  la  v«'ril(;  ne  s'a((|uierl  et  ne  se  garde 
qu'au  prix  des  sacritices  et  des  combats. 

Leibnil/  a  pu  trouver  I.ouisXIV  excessif  dans  ses  procédés  con- 
tre les  proieslanis.  11  a  pu  blâmer  sa  politique  ;  mais  nous  ne  lui 
faisons  pas  l'injure  de  croire  qu'il  ait  fait  remonter  jusqu'à  la  doc- 
trine elle-même  les  torts  d'un  prince  enivré  de  son  pouvoir  et 
liabitne  à  voir  tomber  devant  lui  toute  résistance.  C«'t  esprit 
dominaleiir  du  j^rand  loi  ne  s'exerea-l-il  pas  aussi  au  grand  dé- 
triment de  ses  sujets  catholi(]ues  qu'il  conduisait  directement  au 
scbisme,  sans  la  pr(''p(»nder;ince  et  l'Iiabilelt'  de  Itossuei?  Le  pré- 
jugé- et  riiabitude  de  sentiments  (]ue  l'on  ne  veut  soumettre  à  au- 
cune révision,  peuvent  seuls  rendre  compte  de  la  persistance  de 
certains  critiques  à  voir  dans  les  outrances  d'une  |)oliti(]ue 
royale  l'expression  d'une  |ioliti<]ne  catholique.  L'hAle  de  la 
cour  de  Hanovre  vivait  d  ;iilleuis  à  une  epo(pie  trop  rapprochée 
des  débuts  d(.>  la  Réforme,  pour  «pie  (  eiie  violente  entreprise  d'un 
mon;ir(pie  sur  les  droits  des  consciences,  ail  dû  lui  p:iraiire  fort 
inouïe. 

Si  nous  avons  émis  ces  rédexions,  c'est  uni(|uement  parce  qu'il 
nous  parait  plus  convenable  de  mettre  la  personne  d'un  homme 
tel  que  Leibnitz  hors  de  cause  dans  ces  débals  d'un  ordre  infini- 
ment secondaire,  alors  (pi'il  s'agit  des  décisions  d'un  pareil 
génie  en  pré'sence  d<'  la  vérité.  Qu'on  vi'iiille  bien  ne  |>oinl 
voir  dans  ces  reserves  aucune  insinuation  contre  ce  (pie  l'on 
nomme  de  nos  jours  la  liberté  des  consciences  religieuses. 
Nous  avons  voulu  manifester  (pie  rien  n'est  nuisible  comme  de 
vouloir  juger  d'une  é(>oque  à  travers  les  préjuges  d'une  autre; 
pas  autre  chose.  Si  la  Providence  a|)|)elle  l'Eglis»*  calholi- 
que  à  entrer  dans  une  ère  nouvelle  eu  égard  à  ses  rafiporis 
avec  l'État,  l'Église,  soyons-en  sûrs,  ne  faillira  pas  à  ses  nou- 


SIR    lA   AELIOION    DE   I.EIB.MTZ.  157 

velles  destinées.  Il  y  a  trop  de  siècles  qu'elle  est  l'Église  de 
tous  les  temps  et  de  tous  les  régimes,  pour  avoir  souci  de  pareils 
changemeuls;  mais  il  serait  peu  digne  de  ses  enfants  de  se  pré- 
cipiter au-devant  des  aventures  d'un  mode  de  vivre  nouveau. 
Les  catholiques  ont  pour  eux  l'Iiisloire  entière;  les  individua- 
listes [)iotestanls  ne  connaissent  d'autres  annales  que  celles  de 
leurs  doutes  et  de  leurs  vues  personnelles.  Il  est  avéré  que  ces 
maximes  modernes  de  liberté  de  conscience  ont  pris  naissance 
dans  les  pays  réformés,  et  cela  par  la  force  des  choses,  pas  le 
moins  du  monde  en  vertu  de  chartes  libérales  octroyées  par  gra- 
tuite condescendance.  C'est  la  multiplicité  des  sectes,  ce  sont 
les  ravages  de  l'individualisme  religieux  et  de  l'incrédulité  qui 
ont  provoqué  l'avènement  de  ces  doctrines  lalitudinaires;  il  n'ap- 
paraît pas  qu'alors  on  ait  beaucoup  pensé  aux  catholiques  ;  si  ce 
n'est  pour  les  mépriser  et  proclamer  que  le  moyen  le  plus  effi- 
cace pour  les  faire  disparaître  était  de  les  mettre  aux  prises  avecle 
libéralisme.  Nous  ne  voyons  dans  l'histoire  moderne  qu'un  seul  fait 
de  liberté  de  conscience  accordée  bénévolement  par  un  gouverne- 
ment à  une  minorité  religieuse,  c'est  la  restitution  de  l'état  civil 
aux  protestants  par  Louis  XVL  Cela  dans  un  pays  catholique,  plus 
de  vingt  ans  avant  que  la  Messe  ait  été  célébrée  publiquement  à 
Genève  en  vertu  de  la  domination  française;  plus  de  cinquante 
ans  avant  l'émancipation  des  catholiques  en  Angleterre.  11  importe 
de  rappeler  ces  faits  à  Genève,  dans  une  ville  où  les  catholi- 
ques, chassés  ou  forcés  d'apostasier  par  contrainte  (1)  au  mo- 
ment de  l'établissement  du  calvinisme,  que  nous  sachions,  à 
aucune  époque,  même  passagèrement,  ne  jouirent  du  bénéfice 
d'aucun  édit  de  Nantes  quelconque.  Aussi  bien  cette  liberté, 
alors  même  qu'elle  est  écrite  dans  les  lois,  nous  préserve-t-elle 
des  violences?  Les  colères  de  l'agression  papale  en  Angleterre, 
les  récentes  agitations  de  la  Hollande,  les  indignités  de  la  guerre 
du  Sonderbund,  sont  là  pour  donner  la  mesure  des  véritables 
sentimentsdes  masses  prolestantes  en  fait  de  liberté  de  conscience, 
comme  les  persécutions  delà  Suisse,  les  incarcérations  du  grand- 


(1)  Voir  le  journal  du  syndic  Balard,   récemment  publié  par  la  Société 
d"archéoloi'ie  de  Genève. 


10 


Iô8  i  \  i»Er.Mi:r.  mot 

duché  de  Badf,  Irs  «xils  pronoiiréi  <onii«'  de  véneriibU'S  év^qyes 
parlesgouveinfUK'nts  soi-disaot  f roj^rossifs de Tanncn fi  du  nou- 
veau monde,  sont  l;'i  pour  icinoifincr  du  dc^Té  de  conli;in<-(' que 
les  cailioli(|uesdoiveni accorder  au  lilieralisine  des  Ktals  dicliris- 
tianisés.  Tout  bien  pesé ,  noire  cndiousiasme  modéré  pour  les 
preneurs  de  liberté  relij'ieuse  se  conçoit  ;  trop  souveni  nom 
sommes  viclimes,  pour-  consentir  à  «Mre  toujours  dupes. 

Ces  «jueslions  dilliciles  sont  donc  loin  d'être  ref»l«''es.  Pour- 
ront-elles jamais  l'être  aulreuiont  qne  |i;ir  rtquilihre  toujours 
instable  des  int«'rèis  poiititjiies?  C'"st  le  secret  de  la  Providence. 
Ce  qui  ne  nous  empêche  pas  de  formuler  les  v«i»ux  les  plus  sin- 
cères pour  qu'une  solution  é(]uilablesoil  trouvée;  car  nous  avons 
la  ferme  persuasion  que  l'Église  n'a  rien  à  y  perdre;  quelques 
dêlicits  apparents  d'iniluence  politique  seraient  plus  que  com|>en- 
ses  par  Tac»  ictissenient  de  sa  domination  sur  les  intelligences. 
Or,  dans  les  conseils  de  Dieu,  c'est  avant  tout  dans  ce  sanc- 
tuaire de  I  ;Miie  liimiaine  (ju'elle  règne  et  qu'elle  établit  sa  doc- 
trine. 

Mais  il  est  grand  temps  de  laisser  le  champ  libre  à  M.  Albert 
de  Broglie. 

Eilouard  I)ifres?if. 

«  Nous  voyons  bien  ce  qu'on  va  nous  dire.  Si  le  Systema 
theologicum  est  l'cruvre  sincère  et  la  confession  personnelle  de 
Lcibnil/.,  |)ourquoi  s'en  est-il  tenu  là?  l'oui(pioi  ceit»'  pièce  ca- 
pitale a-t-elle  langui,  inconnue,  cachée  à  tous  les  regards,  parmi 
les  manusi  rils  infurnx's  d«'  st»n  auteur?  Pour(piui  ne  pas  la 
mettre  au  jour?  Pourquoi  surtout  ne  |)as  mettre  sa  conduite  en 
.accord  avec  ses  croyances?  Pourquoi  écrire  en  catholique  et 
vivre,  et  surtout  mourir  en  proH'slani?  Nous  le  reconnaissons, 
cette  diiliculté  est  réelle  et  elle  est  tout  entière  à  notre  charge. 
Nous  sommes  tenus  d'e\pli(]uei  par  (pi<l  inoiil  Leiluiii/,  catholi- 
que d'opinion  ,  est  resté  protestant  extérieur  jusipi'au  dernier 
jour.  Nous  acceptons  le  problème  sans  l'éluder. 

Mais  ce  n'est  pas  l'éluder  assurément,  (juc  de  le  poser  dans 
ses  véritables  termes  et  de  le  réduire  à  sa  juste  valeur.  Le  pro- 
bI^me  qu'on  nous  donne  à  résoudre  et  que  nous  acceptons,  c'est 


si'n  I. \  iiKr.i(.i().>  ni-  i.i.ihmt/.  1 />î) 

de  savoir  pourquoi  un  liotninc,  —  un  ^r;nul  homme  ussurémeni, 
—  mais  un  homme  a|)rès  loiil,  — avec  beau(ou|)  plus  de  géuie, 
ujais  |)as  beaucoup  plus  de  vertu  (jue  ses  semblables,  —  n'a  |)as 
agi,  dans  une  eirconslanco  crilique  et  solennelle,  dans  une  dé- 
termination qui  pouvait  changer  tout  le  cours  de  sa  vie,  en  con- 
formité avec  les  inspirations  de  sa  conscience;  — pourquoi  il  a 
parlé  tout  haut,  auiromont  qu  il  ne  pensait  tout  bas;  —  pour- 
quoi il  a  hésité  à  rompre  avec  des  souvenirs  et  des  préjugés  d'en- 
fance, avec  des  liens  d'amitié  et  de  patrie;  à  s'exposer  à  l'ini- 
mitié de  ses  coreligionnaires,  à  l'animosité  des  partis,  aux 
critiques  railleuses  de  l'opinion,  à  la  défaveur  de  son  souverain  ; 
pourquoi  il  a  tardé  à  sacrifier  une  situation  honorée,  indépen- 
dante de  toute  règle,  affranchie  de  toute  autorité  supérieure, 
pour  embrasser  le  noviciat  humble  et  pénible  de  la  pénitence 
et  de  la  soumission.  Le  problème  que  nous  avons  à  résoudre  est 
de  savoir  pourquoi  un  homme  a  tenu  une  conduite  différente  de 
ses  convictions.  En  vérité,  appeler  cela  un  problème,  c'est  se 
faire  de  la  nature  humaine  et  même  de  la  nature  des  grands 
hommes  une  plus  haute  idée  qu'elle  ne  mérite. 

Leibnitz  pouvait  penser  que  de  tous  les  systèmes  religieux, 
la  foi  catholique  était  le  mieux  établi  sur  ses  preuves  histori- 
ques, le  plus  conforme  à  la  liaison  logique  des  idées,  le  plus 
approprié  aux  besoins  de  Thumanité.  Il  pouvait  penser,  avec  sa 
raison  supérieure  et  perçante,  qu'il  fallait  à  l'homme  une  foi 
pour  compléter  son  intelligence  et  une  autorité  pour  régler  sa 
foi.  Mais,  en  pensant  tout  cela  ,  il  pouvait  demeurer  un  philoso- 
phe fort  épris  de  ses  propres  idées,  trouvant  commode  de  pro- 
mener son  esprit  tout  à  l'aise  dans  toutes  les  régions  de  la  pen- 
sée, sans  rencontrer  nulle  part  une  barrière  pour  l'arrêter, 
encore  moins  une  sentinelle  pour  lui  défendre  le  passage.  Il  pou- 
vait apprécier  la  nécessité  générale  de  l'autorité,  et  goûter  pour 
lui-même  les  douceurs  d'une  liberté  sans  limite. 

Leibnilz  pouvait  penser  que ,  pour  l'Allemagne  sa  patrie ,  le 
retour  à  l'antique  foi  nationale  était  la  véritable  voie  de  grandeur 
et  de  salut.  Il  pouvait  désirer  ardemment  (comme  il  l'exprime 
souvent  dans  ses  livres  de  Droit  publfc)  le  rétablissement  de  l'an- 
cien ordre  social  de  l'Europe,  avec  l'unité  politique  représentée 


160  t  >    l»ERMER    ^OT 

par  rKmpcrPui  n  I  uiiiic  icli^'ieust.'  |»ar  U;  l';i|)0.  Mais,  en  pen- 
sant tout  cela,  il  pouvait  dom<'urer  le  secrétaire  et  le  confident 
d'un  petit  souverain  protestant  d'Allemagne,  qui  avait  pris  sa 
part  des  biens  ecclésiastiques,  dont  IrU-ctorat  avait  grandi  dans 
1rs  troubles  de  la  Hefunne.  et  qui  aspirait  à  conquérir,  en  \erlu 
de  la  succession  protestante,  le  irOne  d'Angleterre,  rendu  vacant 
par  la  révoluiion  de  1688. 

Lcihnil/.,  eulin,  pouvait  élrc  atliir  p;ir  un  inuuvcnieiit  sincère 
vers  la  religion  catholique,  et  en  même  temps  se  complaire  dans 
rette^situation  intermédiaire  (|ui  a  ses  charmes  particuliers  ,  et  à 
laquelle  les  formes  éiasticpies  de  la  rfîligion  protestante  se  prêtent 
facilement;  oii  l'on  prend  du  calholicisme  tout  (C  qui  est  com- 
mode ,  en  en  rejetant  tout  ce  qui  gène;  — oîi  l'on  est  hoooré, 
flatté,  courlisi'  même  par  hs  deu\  partis,  et  où  Ton  s'attribue  un 
rôle  d'arbitre,  dont  lorgueil  lait  assez  son  tonqtte;  —  dans  cet 
éiai  d'esprit ,  en  un  mot ,  que  le  texte  saint  nous  peint  par  ce 
mot  du  roi  Agrippa  :  «  Peu  s'en  faut  (lue  vous  ne  me  persuadiez;» 
lequel  n'est  pas  très-dillV'rent  de  cette  autre  parole  :  ■  Je  vous 
écdulcrai  une  autre  lois.  »  Avec  des  dispositions  de  celte  sorte, 
on  peut  écrire  le  Systema  tlieologicum,  vivre  encore  assez  long- 
temps, et  étr»'  sin  plis  par  la  moit,  avant  de  sétre  décidé  à  ren- 
trer toul-à-iait  tlaiis  I  tglise. 

Leibnitz,  en  un  mol,  et  aucun  protestant  sincère  ne  nous  le 
contestera,  pouvait  être  converti  d'esprit,  et  non  de  c<i'ur.  Mais 
cette  dislinclion,  si  imporlanle.  capitale  pour  le  sort  de  chaque 
ûme ,  ne  fait  rien  à  la  valeur  inK.'llectuelle  ni  à  la  portée  d'un 
écrit.  Si  l'Église  a  eu  le  chagrin  de  ne  pas  compter  Leibnitz  lui- 
même  parmi  ses  enfants,  elle  n'en  a  pas  moins  le  droit  de  comp- 
ter son  jugement  parmi  les  t«'uu)ignages  «loni  elle  s'honore.  A 
chacun  sa  part.  A  nous  catholiques,  l'autorité  morale,  ihéologi- 
que  et  philosophique  de  l'éîcrit  de  Leibnil/.  A  la  cousf  ience,  à  la 
mémoire  de  ce  grand  homme,  la  responsabilité  de  ses  faiblesses 
et  de  ses  inconséquences.  Les  lecteurs  du  Systema  theologicuni 
conservent  le  droit  de  s'édilif-r  de  ses  rares  beautés;  les  biogra- 
phes et  les  historiens  de  ï^eibnitz  auront  à  rendre  compte  des  dis- 
parates malheureuses  de  sa  conduite.  Si  nous  avions  ce  rôle  à 
remplir,  nous   n'hésiterions  pas  à   dire  (pie  le  Systetna  theologi- 


SUR  LA  RELIGiniN  DE  LEIBMTZ.  161 

cum  renferme  la  vérilable  opinion  qu'enlrelenail  Leibnitz  lors- 
qu'il pensait  aux  questions  religieuses,  mais  qu'il  eut  le  malheur 
de  n'y  pas  penser  toujours  ,  et  de  n'y  pas  penser  assez  sérieuse- 
ment. 

Nous  ne  sommes  pas  encore  au  bout  de  la  discussion.  11  nous 
reste  à  confesser  que,  d'après  les  correspondances  de  Leibnitz 
dernièrement  publiées,  sa  tendance  à  se  rapprocher  du  catholi- 
cisme, bien  loin  de  devenir  plus  forte  dans  les  dernières  années 
de  sa  vie,  parait,  au  contraire,  s'être  ralentie.  Les  dernières  let- 
tres de  Leibnitz  et  du  landgrave  ne  sont  pas  exemptes  d'un  ton 
d'aigreur,  et  on  y  remarque  un  échange  d'insinuations  désobli- 
geantes. Le  landgrave  s'impatiente  de  voir  Leibnitz  tourner  pen- 
dant des  années  dans  un  cercle  étroit  de  tergiversations  et  de 
faux-fuyants,  et  lui  adresse,  à  ce  sujet,  des  railleries  assez  pi- 
quantes. Leibnitz  réplique  en  rejetant  sur  les  catholiques  la  faute 
de  la  rupture  des  négociations.  Il  reprend,  en  son  propre  nom, 
des  arguments  dont  il  paraissait,  au  début,  avoir  fait  bon  mar- 
ché. Il  cherche ,  pour  ainsi  parler,  des  querelles  au  Concile  de 
Trente,  et  même  d'assez  mauvaises  querelles,  car  il  lui  repro- 
che d'avoir  opposé  des  prohibitions  trop  absolues  au  divorc|e  et 
à  la  polygamie.  La  fin  de  la  vie  de  Leibnitz  paraît,  nous  en  con- 
venons, avoir  été  beaucoup  moins  catholique  que  le  commence- 
ment. C'est  le  seul  point  sur  lequel  les  publications  nouvelles 
aient  jeté  d'importantes  lumières,  et  nous  nous  empressons  de 
le  reconnaître  avec  autant  de  regret  que  de  franchise. 

II  ne  serait  pas  absolument  impossible,  nous  le  croyons,  de  dé- 
terminer les  véritables  motifs  de  ce  refroidissement  de  Leibnitz 
pour  les  opinions  de  sa  jennesse  et  de  son  âge  mûr  ;  mais  ce  se- 
rait par  des  considérations  un  peu  générales,  en  jetant  les  yeux 
sur  le  caractère  des  événements  et  le  mouvement  des  esprits 
pendant  le  siècle  où  vécut  Leibnitz,  que  l'on  arriverait,  suivant 
nous,  à  les  apprécier  justement.  On  pourrait  montrer  qu'ici  en- 
core Leibnitz,  malgré  la  supériorité  de  son  génie,  n'a  fait  que 
se  comporter  à  peu  près  comme  la  masse  de  ses  contemporains, 
et  qu'il  s'est  tour  à  tour  éloigné  ou  rapproché  de  la  religion  ca- 
tholique, suivant  que  le  courant  général  des  idées  autour  de  lui 
y  portait  ou  en  écartait  la  faveur  publique;  qu'il  n'a  fait  que  sui- 


Vit'  le  11ii\  (III  II'  rcHiix  «II'  r(i|iiiiiuii ,  i]iii ,  iiiêm)'  dans  ce  temps 
(le  liluTie  restreinie  ,  et  im^me  sur  de  si  li;iuies  matières,  exer- 
çait dej:i  une  croissaiile  et  pres<iiie  iri<'sisiilileinl]ui>ncf .  Leibiiitz, 
vivemenl  adiré  vers  le  «"itlioljcisine  dans  sa  jeunesse,  et  presque 
eonvcrti  au  milieu  de  sa  vi«' ,  s'en  éloignant  avec  défiance  sur 
ses  derniers  jours ,  repri-seni»' assez  bien  le  dix-septième  sièele 
tout  entier,  ce  siérie  ipii  a  eommen<"e  par  une  renaissance  si  bril- 
lante de  sn  foi,  ipii  a  mi  «-rlore  (  i  mùiir  tant  de  chefs-ii'œuvre  et 
tnnt  de  bi'lles  aeiioiissous  ceii<'  inspiration  cbaleureuse,  et  qui 
n  pourtant  fini  par  s'assondirir  et  se  desséclicr,  <'t  par  préparer 
b'S  voies  au  débordement  de  la  liienee  et  de  Tintrédulite  <|ui 
l'ont  suivi.  Leibniiz  assista  à  ces  trois  pliases  de  rroiss;ince  et 
d'é(  lai ,  et  de  de(  lin  du  mouvement  relif,'ieu\  au  di\-se[)tième 
siècle,  et  s(»n  esprit  observateur  en  ressentit,  à  eliacpie  fois,  une 
profonde  impression. 

Rien  n'est  éclaianl,  en  effi't ,  rien  ne  dut  paraîire  inattendu  , 
dans  Tbistoire  du  monde  moral ,  comnie  la  renaissance  de  la  Un 
catboliqiie  au  dix-septième  siècle.  Il  y  aurait  tout  un  tableau  à 
en  tracer,  et  ce  serait  une  manifestation  nouvelle  de  ro  qu'on 
pourrait  appeler  le  don  de  la  résurrection  dans  l'Kj'Iise,  de  cette 
faculté  merveilleuse  qu'elle  |iossède  de  parallre  descendre  au 
lombeati  pour  en  sortir,  et  subir  la  inorl  pour  en  liiomplier.  (le 
mruvement  est  surtout  admirable  A  suivre,  lorsqu'on  sonj^e  de 
quel  point  il  était  parti.  Pendant  tout  le  cours  du  sei/.iènu  siè- 
cle, ri^;j,'lise  avait  eu  moins  à  souffrir  de  ses  églises  dévastées,  de 
ses  trésors  dispersés,  des  membres  entiers  séparés  violemment 
de  son  corps  ,  que  d'une  sorte  de  discrédit  moral  où  elle  était 
tombée  devant  les  safjes  du  monde. 

L'Éplise  catholique  ,  dans  l'âpfe  des  Ramus ,  des  Estienne  ,  des 
Bernard  de  l'alissv  et  d-s  Paré,  semblait  une  doctrine  vieillie, 
partage  d'esprits  faibb's.  repoussée  et  dépassée  par  lessor  rapide 
«les  progrès  de  l'esprit  nouveau.  La  mode  des  beaux  esprits  s'é- 
tait prononcée  contre  elle.  Une  {çiieire  d'opinion,  de  dédain  et 
de  ridicule,  lui  t'-tail  (b'-elarée,  plus  dangereuse  que  les  insurrec- 
tions des  p.'i\. sans  et  les  usurpalions  des  princes.  I*eiidaiil  qu'on 
la  combattait  sur  les  cbamps  de  bauiille.  on  en  médisait  dans  les 
écoles  ,  on  en  riait  dans  les  l>oiid«tirs.  Les  dames  «le  «lisiinciion 


SI  T.    LV    KELH;i<)>    DE   LEIB.MT/.  1  G3 

uiinaiii  à  raisonner  de  religion ,  |)ar  manière  de  passe-temps , 
entre  deux  divertissements  de  nnir,  et  à  recevoir  les  hommages 
des  gens  de  lettres,  ou  passaient  dans  les  rangs  des  sectes  réfor- 
mées ,  ou  l'aisaienl  bon  marché  de  la  foi  de  leurs  pères,  si  un 
reste  de  convenance  ou  une  nécessité  de  position  les  y  retenait. 
Marguerite  de  Navarre  avait  fait  de  sa  petite  cour  béarnaise  un 
asile  d'érudits  protestants.  Sous  l'influence  de  cet  esprit  du  jour 
qui  entraùie  d'ordinaire  toute  imagination  artiste^  l'éloquence  et 
la  poésie  avaient  paru  (juiller  l'Église,  qui  avait  été  si  longtemps 
leur  maison  paternelle,  pour  émigrer  sous  des  tentes  nouvelles. 
La  véhémence  oratoire  de  Luther,  la  concision  nerveuse  du  style 
de  Calvin,  n'avaient  trouvé  ni  en  France,  ni  en  Allemagne,  d'ad- 
versaires dignes  de  leur  tenir  tête.  Les  défenseurs  de  l'Église  ca- 
tholique ,  plus  zélés  qu'illustres,  plus  savants  qu'éloquents, 
n'exerçaient  que  peu  d'ascendant  sur  la  foule.  Pour  un  observa- 
teur superficiel,  l'Église  catholique,  pendant  le  seizième  siècle, 
aurait  pu  ressembler  souvent  à  un  vaisseau  désemparé,  dont  au- 
cun vent  ne  venait  plus  agiter  les  voiles. 

C'est  de  cet  état  d'abaissement,  et  en  quelque  sorte  d'abandon, 
où  Dieu  semblait  avoir  laissé  tomber  son  Église ,  que  tout  d'un 
coup,  dès  les  premières  années  du  dix-septième  siècle,  on  voit 
une  vie  nouvelle  la  parcourir  et  s'y  réveiller.  De  grands  saints  , 
qui  sont  en  même  temps  de  grands  hommes  et  parfois  de  grands 
écrivains ,  y  reparaissent.  De  toutes  parts  le  génie  et  l'ardeur  y 
rentrent.  Le  soleil  des  premiers  jours  va  luire  de  nouveau.  L'é- 
loquence dorée  d'un  Chrysostôme  va  se  poser  sur  les  lèvres  de 
saint  François  de  Sales;  Milan  reverra  dans  l'héritier  de  Borro- 
mée  les  vertus  et  la  science  de  saint  Ambroise.  A  la  voix  des  Bé- 
rulle,  des  Olier,  des  saint  Vincent  de  Paul,  les  rangs  désertés  des 
milices  de  la  charité  se  remplissent  de  nouveau;  les  solitudes  se 
repeuplent;  la  Trappe  est  baignée  par  les  pleurs  de  nouveaux 
Pacùmes  et  de  nouveaux  Macaires.  Il  ne  manque  à  Port-Royal  que 
plus  d'humilité  et  de  soumission,  pour  faire  admirer  au  monde 
chrétien  l'érudition  ressuscitée  de  Jérôme,  à  côté  de  la  sainteté 
des  Paule  et  des  pleurs  pénitents  des  Agiaé.  Partout  les  études 
chrétiennes  se  raniment,  et,  sur  le  fond  inébranlable  de  la  vieille 
foi,  elles  se  renouvellent  et  se  rajeunissent.  Tandis  que  la  langue 


164  t>l    ItKRMKIi    MdT 

sucrée  conserx*-  aux  Nériiés  dog[nati(|ues  leur  caractère  iinintia- 
l)|p  et  iHiivcrsol,  «i;ms  cIkkiik'  jtavs  l'iisai^'o  des  langues  viilfjaircs, 
lieurfiisemcnl  cmployers  pour  lu  controvorse,  et  acquiTant,  sous 
la  main  d'écrivains  caiholiqiics,  une  l'iMmoié  et  une  vigueur 
inouïes ,  popularise  et  répand  les  (résurs  enfouis  de  la  science 
religieuse,  et  arme,  comnie  à  la  léger»',  les  ddénseurs  jusque-l:^ 
un  peu  pcsainineiit  l'iptipes  de  la  loi.  l  ne  [thilosoplii*-  nouvelle, 
dont  le  principe  assurénient  est  discuinhie ,  dont  les  abus  peu- 
\ent  èirc  «l;mger<'U\  ,  niais  d<iiit  les  internions  étaient  drctites  et 
dont  I  cHéi  lut  iniincnsf,  donne  à  toute  la  veiite  pour  hase  le  con- 
seoteincnt  de  la  raison  humaine.  Avec  son  aide  on  peut  élever 
un  nouvel  édifice  de  démonstration  religieuse,  dont  chaque  pierre 
est  [losée  par  la  raison  seule,  <|ui  est  elle-même  conduite  de  son 
plein  gr«'  et  de  sou  propre  aveu  ;i  rccoiinaiire  son  insnllisiince  et 
à  demander  à  la  Révélation  son  complément.  V:\r  une  diversion 
hardie,  le  protestantisme  se  Iroiiva  suivi  sur  son  propre  teriain, 
sur  celui  de  la  discussion  et  de  l'examen.  A  ces  troupes  ralliées 
et  chaque  jour  croissantes,  il  ne  manque  qu'un  capitaine  pour  les 
commander,  sîi  voix  ne  se  fait  pas  longtemps  attendre.  Il  a  la 
prudence  et  la  fougue  ;  son  œil  est  étincelant  et  sa  main  pesante. 
Bossuet  entraine  l't-rudilion  d'un  docteur  et  la  di:il)-cii(pu>  d'un 
philosophe  dans  les  «lans  d'une  éloquence  antique.  Tous  ses 
écrits  de  coniroNcise  resseinhient  auxc  liarges  d'une indomplahle 
cavalerie;  le  poids  de  la  masse  est  doidde  par  rim[)etuosiie  de  la 
course.  Les  Variations,  les  Averlissemenis  aux  protestants,  les 
Rc'ponses  aux  ministres  (llaude  et  .lurieii  regagnent  chaque  jour 
quelques  pieds  du  terrain  perrlii  |»ar  la  loi.  L'arniee  caiho!i(iue  . 
del);iiidee  par  un  instant  de  laihlesse  ,  mais  ref<»rmé(>  en  batail- 
lons serrés,  déb<»uche  de  toutes  paris  par  les  postes  mal  gardés 
et  accable  son  viiinipienr  «  oiiliaiii  ei  sans  défense. 

Leibnilz,  dont  le  regard  curieux  siiiv;iit  du  fond  df  lAlleni:!- 
gne  tous  ces  mouvements,  qui,  deshaiileiirs  où  il  savail.se  placer, 
dominait  tons  les  incidents  de  ces  combats  de  le  pensée,  ne  res- 
tait point  indillerenl  à  un  tel  spe»'lacle.  Ses  écrits,  ses  correspon- 
dances teiiioigneiii,  à  cliaipie  insiant,  de  la  sympathie  qu'il  res- 
sentait pour  ralhlète  illustre  du  catholicisme.  On  peut  croire. 
saiM  peine,  (pi'il  lui  (Mail  pénible  de  se  sentir  représenté  et  son- 


SDK   LA   UELlGlOi^    DK   LEIBIVITZ.  165 

lonu  dans  ce  dé!)al  par  des  gens  de  la  valeur  de  Claude  ou  de 
Jurieu.  D'ailleurs,  autour  de  lui,  l'enliaincnuMit  ciail  général. 
M.  de  Ronunel  rccoiuiaii  riunuense  développement  du  prosély- 
tisme ('allioli(iut'  vu  Allemagne,  dans  cette  première  phase  du 
dix-seplième  siècle.  Il  ne  compte  |)as  moins  de  quinze;  princes 
allemands  convertis  presque  à  la  fois.  Il  est  vrai  qu'il  a  pour 
chacun  quelque  raison  tirée  des  intrigues  des  Jésuites  ou  de  quel- 
ques faiblesses  domestiques.  Leihnilz,  dont  aucun  intriguant  ne 
se  serait  joué  aisément,  avait  le  mérite  de  reconnaili-e  la  valeur 
de  ses  adversaires,  et  subissait,  de  jour  en  jour,  d'une  manière 
plus  visible,  l'ascendant  de  la  vériié.  C'est  à  ce  moment  de  sa 
vie,  selon  toute  apparence ,  qu'il  faut  rapporter  la  composition 
du  Systema. 

Quand  et  comment  se  ralentit  chez  lui  et  autour  de  lui  ce 
mouvement  qui  se  propageait  avec  une  si  étonnante  rapidité? 
Quel  fut  le  temps  d'arrêt  de  cette  heureuse  réaction?  Les  faits 
de  l'histoire  et  les  correspondances  de  Leibnitz  à  la  main,  nous 
nous  le  dirons  sans  détour.  La  réaction  religieuse  du  dix-sep- 
tième siècle  s'arrête  le  jour  oîi,  aux  conditions  de  liberté  res- 
treinte, mais  réelle,  qu'avaient  établie,  en  France,  la  pacification 
de  redit  de  Nantes  et  en  Allemagne  la  paix  de  Westphalie,  suc- 
céda chez  les  catholiques  une  tendance  malheureuse  à  recourir 
de  nouveau  à  l'appui  du  pouvoir  temporel,  à  appeler  en  aide  ù 
leurs  arguments  les  moyens  matériels  de  contrainte,  et  surtout 
à  identifier  leur  cause  avec  celle  du  pouvoir  absolu  d'un  homme 
et  d'un  roi. 

La  première  moitié  du  dix-septième  siècle,  en  effet,  a  été  dans 
une  certaine  mesure  un  temps  de  liberté  de  discussion.  La  tolé- 
rance accordée  par  Henri  IV  aux  protestants  en  France  avait  ré- 
duit le  combat  des  deux  cultes  aux  armes  spirituelles.  Ils  s'é- 
taient mesurés  l'un  et  l'autre,  non  plus  par  la  force  des  bataillons 
sur  les  champs  de  bataille,  mais  d'après  leur  valeur  intrinsèque, 
par  leurs  preuves  et  par  leurs  œuvres.  Cette  épreuve  avait  été 
merveilleusement  favorable  à  la  religion  catholique.  On  dit  d'or- 
dinaire que  c'est  dans  les  temps  de  lutte  que  la  grandeur  de  la 
foi  catholique  apj)araît.  Nous  ne  voulons  rien  ôter  assurément 
aux  mérites  et  aux  vertus  des  niarlvrs  :  mais  nous  oserons  dire 


1^*>  I  >  ni'.n.MEh  MOT 

cjiif  lu  résislance  courageuse  aux  lourmenis  matériels  esl  une 
viilu  .(.miiiiiiM'  à  la  vcriic  «t  à  l'erreur,  au  fanallsmo  el  à  la  foi, 
ei  (jue  prescjiie  louieii  les  sectes  religieuses  ou  politiques  en  ont 
donné  de  j,'rands  exemples.  Lesliereii(|ues  de  tous  les  Ages  avaient 
eu  leurs  martyrs  et  leurs  supplices,  comme  les  chrétiens  de  la 
primiiive  Éj-lise.  Mais  ce  qui  est  propre  à  rÉ;j;lise  callioli(]ue  et 
ce  (pi'on  ne  saurait  imiter,  c'est  celle  puissante  organisation  <|ui 
mainiienl  la  ferveur  cl  pi  cviciii  le  relàcliement ,  même  au  sein 
de  la  paix,  (pii  coiiiieiii  la  division  et  riiidisciplirie  ;  qui  sait,  en 
un  mot,  non-seulement  détruire,  mais  produire  ;  non-seulement 
niei-,  mais  agir;  non-seulement  résister,  mais  gouverner.  Cette 
supériorité  de  l'Église  catholique  n'éclate  jamais  mieux  que  dans 
les  temps  do  liherlé  religieuse.  Pendant  que  toutes  les  autres 
sectes,  abandonut'es  à  elles-nn-mes.  du  moment  oii  elles  ne  s<miI 
plus  liées  entre  elles  par  la  cominiinaiilé  des  périls,  ni  soutenues 
par  l'ardeur  de  la  luiie,  se  divisent,  se  disputent,  lanj-uisseni, 
tombent  dans  la  liedeurou  dans  une  exallalion  mysli(|ue,  l'Église 
<atholi(|ue  seule  conserve,  dans  les  temps  de  liberté,  son  unité, 
sa  hiérarchie,  son  autorité  modérée,  son  obéissance  raisonnable, 
sa  ferveur  prudente  et  .«on  zèle  suivant  la  sagesse.  C'est  ce  spec- 
tacle (|ui  avait  puissamment  conlribue  à  la  reaclion  du  dix-sep- 
tième siècle.  Les  divisions  du  protestantisme  vainqueur  en  An- 
gleterre, en  Hollandi>  et  en  Allemagne,  comparées  avec  l'unité 
paisible  de  rKglise,  dans  les  mêmes  conditions,  étaient  l'un  des 
plus  puissants  arguments  de  Dossuet ,  et  un  de  ceux  assurément 
qui  agissent  le  plus  sur  un  esprit  ami  de  l'ordre  el  de  la  règle , 
comme  celui  de  U'ibnit?..  On  le  voit  ;l  l'insistance  avec  laipiellc 
le  landgrave  le  presse  de  sortir  de  la  cunfusion  babylonique  de  la 
I\<-forme. 

Le  retour  au  système  de  rinloléran<e ,  dont  la  révocation  de 
l'Édit  d(;  .Nantes  lut  le  signal ,  ôia  à  cet  argument  une  partie  de 
sa  force.  Devant  l'intérêt  inspiré  par  les  calvinistes  bannis  de 
France,  tous  les  protestants  lirent  de  nouveau  cause  conunune , 
el  le  proiestaniisme,  alarme  pour  son  exisK-nce,  sembla  retrou- 
ver son  uriiie.  Ces  mêmes  miiiisiics  «pii,  hillant  contre  Hossuet  à 
armes  égales,  entre  Charenton  et  Faris ,  n'arrivaient  pas  h  la 
moiii»'  de  sa  laille  ,   placés  tout  «l'un  coup  sur  le  piédestal  de  la 


SI  T.    I.A    RLLIG10^    Uli  t.tlKMTZ.  107 

porséculinn,  suivis  d'un  collège  de;  fuj^ilifs  qui  joij,maient  des  ver- 
tus au  nialliour,  se  irouvèrenl  tout  d'un  coup,  dans  l'estime  de 
l'Europe  indilVcienie,  presque  au  niveau  de  Louis  XIV.  L'effet  de 
la  revocalion  de  l'Édit  de  Nantes,  pour  ramener  l'intérèl  des 
hommes  généreux  en  Euro|ie  sur  U'  proieslaniisme  pâlissant,  fut 
aussi  grand  qu'immédiat.  Sur  Leibnilz  surtout,  il  fut  presque  dé- 
cisif. A  partir  de  1685,  il  n'est  presque  pas  une  de  ses  lettres 
qui  n'en  poile  la  irace.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  sentiments 
naturels  à  une  âme  élevée  qui  se  rattache  involontairement  à  des 
coreligionnaires  malheureux  et  qui  craindrait  d'être  soupçonnée 
d'une  apostasie  intéressée ,  c'est  une  inquiétude  personnelle  et 
qu'il  ne  dissimule  pas.  Le  retour  de  Tintolérancc  religieuse, 
dans  le  premier  pays  et  dans  la  nation  prépondérante  d'Europe, 
réveille  chez  lui  les  instincts  jaloux  d'indépendance  du  philoso- 
phe. Le  spectacle  des  protestants  dispersés,  des  jansénistes  jus- 
tement condamnés  par  la  cour  de  Rome,  mais  mesquinement 
poursuivis  par  la  police,  plus  tard  de  Fénelon  même  languissant 
en  exil,  malgré  riiéroisme  de  son  obéissance,  le  ramènent  visi- 
blement du  côté  de  la  Réforme,  oîi  il  trouve,  non  [)as  plus  de  li- 
berté véritable  (il  en  convient  lui-même  en  plus  d'un  endroit), 
mais,  à  la  faveur  de  la  mulliplicilé  des  sectes,  plus  de  facilité 
d'échapper  à  la  main  d'un  maître. 

Encore  si  ce  maître  eût  été  ce  chef  spirituel  de  la  foi ,  dont 
Leibnitz  avait  toujours  parlé  avec  tant  de  déférence  et  de  respect! 
Mais,  il  faut  en  convenir,  le  maître  des  consciences ,  on  aurait 
dit,  après  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  que  ce  n'était  pas 
un  pontife,  mais  un  roi,  qu'il  ne  s'appelait  pas  Innocent  XI,  mais 
Louis  XIV.  Louis  XIV,  dans  le  siècle  auquel  il  a  donné  son  nom, 
fixait  les  regards  de  toute  l'Europe,  et  il  avait  fait  de  l'établis- 
sement de  l'intolérance  en  quelque  sorte  son  affaire  personnelle. 
Il  affichait  assez  naïvement  la  prétention  de  régenter  le  catholi- 
cisme en  le  défendant.  Il  avait  fait  et  entretenait  à  dessein  une 
sorte  de  confusion  entre  sa  gloire  et  celle  de  Dieu  ;  H  prenait 
les  armes  pour  les  assurer  et  les  venger  toutes  deux.  Les  protes- 
tants et  les  jansénistes  lui  semblaient  plutôt  encore  des  rebelles 
que  des  hérétiques,  moins  coupables  de  désobéir  à  la  loi  de  Dieu 
que  de  ne  pas  professer  la  foi  du  roi.  L'ardeur  d'amour-propre 


108  l.>    UKH.-IIKK  MOT 

|)ersomjel  qu'il  portail  4i;ins  toute  controverse  religieuse  et  qu'il 

arconipîi^iiait  do  sa  haiiiciir  et  «le  son  fasto  atiouiumés ,  avait 
fait  (II'  lui,  ••n\rrs  I  Liir(>|)c  ,  le  n-prescnlaul  olljcici  du  calholi- 
cisnie,  et  malheureusement  le  elergr  de  France ,  par  un  éblouis- 
sonnnt  d'cniliousiasme  et  une  reconnaissance  imprudente,  avait 
autorise  (l'iie  assimilation.  Peu  de  choses,  suivant  nous,  ont  fait 
plus  de  mal  à  la  loi  dans  le  monde  (|ue  les  liNmnes  d'adulation 
et  les  maximes  (il  faut  dire  le  moi)  de  pure  servitude  que  lit  en- 
tendre le  clei^(e  français  au  pied  du  trùne  de  Louis  \\\  .  Peu  de 
choses  furent  pins  déplorables  tpie  celte  eloquenci;  sainte  pres- 
crivant du  ha III  (If  la  chaire,  la  Bible  à  la  main,  robeiss;ince  pas- 
sive de  tout  un  peuple.  Mous  savons,  nous  apprécions  les  excu- 
ses. Une  race  perdue  dans  la  nuit  des  temps,  formant  comme 
une  chaîne  dont  ))res(pie  ions  les  anneaux  étaient  de  grands 
souverains,  et  au  milieu  des(]uels  brillait,  comme  un  diamant 
d'une  eau  pure,  riiemisme  de  saint  Louis;  —  un  prince  prcs(|ue 
ne  sur  le  irone  et  dont  l'enfance  avait  paru  miraculeusement  pro- 
tégée pai-  la  main  divine;  —  l'éclat  inattendu  des  armes  et  des 
lettres;  —  le  loncours  d<''Voué,  l'admiialion  passionnée  de  tout 
ce  que  la  France  comptait  d'hommes  de  bien,  de  cœur  et  de  ta- 
lent, tout  cet  ensemble  e\pli(]uait  la  sincérité  de  l'enihousiasme  : 
et  sans  tous  ces  motifs  reunis,  Rossuei  ,  tout  Bossuet  qu'il  est, 
ne  coin[)araîirail  pas  sans  tache  devant  la  postérité.  Mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  (|ue  la  j;lorilicalion  excessive  de  Louis  \l\  par 
le  clergé  français  porta  à  la  réaction  religieuse  du  dix-septième 
siècle  un  coup  fatal  et  déliniiif.  Il  vint  un  jour,  en  effet,  où  le 
nom  (le  Louis  \IV  devint  à  chaire  à  pres(pie  tous  les  coMirs  hon- 
n("'les  en  Kurope  ;  où  ce  nom  représenta  une  pénitence  dépourvue 
d'humilité  et  suspecte  d'hvpocrisie ,  le  faste  excessif  d'une  cour 
eniK'Ieniie  aux  dépens  d'im  peuple  eniier.  l'enivrement  d'une 
volonté  orf;ueilleuse  se  plaisant  dans  l  incapacité  et  la  bassesse 
(de  ses  ministres;  el  ce  jour-là,  ce  fui  une  révolution  protestante, 
au-delà  de  la  Manche  ,  qui  donna  le  signal  de  la  résistance  des 
nations  anx  prétentions  d'une  monarchie  universelle,  el  de  la 
prolestalion  des  vieilles  libertés  de  IKurope  chrétienne  conire 
des  théories  by/antines  de  despotisme  illumini*. 

Ce  serait  ni<'-connaltre  le  caractère  de  res|)rii  de  Leibnil7  (|ue 


si'R  LA  l^El.l^.IO^  di:  i.EinMT/.  169 

de  conlesler  rinfliience  que  ces  mouvements  généraux  de  la  poli- 
tique (Miropc'enne  durent  exercer  sur  ses  convictions  religieuses. 
L'inimitié  de  Ldiiis  \l\',  (|ui  respire  dans  toute  sa  correspon- 
dance,  commune  à  tout  bon  Allemand  à  la  lin  du  dix-septième 
siècle,  défit  eu  lui  ce  cpi'avail  ('-lé  sur  le  point  (h;  faire  l'admira- 
lion  de  liossuet.  La  force  matériel  le  des  dragonnades  effaça 
l'empreinte  laissée  par  la  force  morale  des  arguments.  C'est  à 
ces  oscillations,  à  ce  flux,  pour  ainsi  dire,  et  à  ce  reflux  de  son 
esprit,  que  nous  avons  voulu  faire  assister  un  instant  nos  lec- 
teurs. Ils  nous  pardonneront  nos  longueurs ,  s'ils  prennent 
comme  nous  un  intérêt  sincère  à  l'analyse  morale  d'un  caractère 
éminent;  si ,  comme  nous  aussi ,  ils  pensent  qu'en  religion  plus 
qu'en  tout  autre  matière ,  les  mêmes  questions  se  reprodui- 
sant toujours  et  le  cœur  humain  opposant  aux  mêmes  appels  de 
la  grâce  les  mêmes  résistances,  l'étude  du  passé  est  une  source 
précieuse  de  lumières.  Il  n'y  a  plus  de  Leibniiz  dans  notre  siè- 
cle :  Dieu  ne  les  promet  ni  ne  les  donne  à  tous  les  âges.  Mais 
nous  avons  encore  autour  de  nous  plus  d'un  esprit  éclairé  et 
d'un  cœur  généreux,  que  la  grandeur  touchante  du  catholicisme 
attire ,  que  des  préjugés  retiennent  et  qui  mêlent  souvent  des 
considérations  élevées  de  philosohie  et  de  politique  humaine  aux 
délibérations  de  leur  conscience.  Nous  avons  aussi  à  prendre  no- 
tre humble  part  dans  une  réaction  religieuse,  aussi  surprenante, 
bien  que  moins  brillante  que  celle  du  dix-septième  siècle,  et  qui 
pourrait,  si  les  mêmes  fautes  étaient  commises,  être  par  mal- 
heur aussi  passagère.  Il  ne  saurait  être  inutile  de  reconnaître , 
pour  les  éviter,  sur  quels  écueils  on  peut  échouer.  » 


\A 


LIBERTÉ  RELIGIEUSE  A  GENÈVE. 


Les  Ànnnhs  Catholiques  sp  sont  n-nlVrinct^s  jiis(]irù  ro  jour 
dans  la  splirro  dos  <|ii«'Ntions  doctrinalos.  Notis  xnons  lui  de- 
mand(>r  la  permission  d'cnircr  sur  If  Ifirain  historique  et  prati- 
que des  iniérêis  relii^'icux  <l('s  r;iilioli(|n('s  du  raninn  lie  Genève, 
l'arlotit  l'Éj'Iise  a  hisoin  de  défendre  iion-sculenient  sa  foi, 
sa  morale ,  son  culte ,  mais  aussi  son  autorité  et  son  indépen- 
dance. Elle  se  trouve  sans  cesse  en  présence  de  l'incrédulité,  de 
l'hérésie  et  des  svsièmes  humains  qui  voudraient  la  transformer 
ou  la  dominer.  L:i  luiie  ;i  eoujuience  l«)rs(]ue  «  les  ()rè(res  juifs . 
»  les  ma^'istrals  du  temple  et  les  sadduceens  firenl  mettre  les 
»  Ap«)lres  en  prison,  parce  qu'ils  ensei^aieiii  le  peuple  au  nom 
»  de  Jesus-(  Jinst.  »  (Act.  1\  .)  (^u'esl-i  e  donc  de  nos  jours  (jue 
les  persécutions  contre  l'évécjue  de  Lausanne  cl  de  Genève,  con- 
tre les  archevêques  de  Turin,  de  Ca<{liari ,  de  Ik>goia ,  de 
Luxemhniir};  et  <le  Frihnurjî  en  Brispaw?  Tttiijours  au  fond  la 
même  «pieslion,  celle  de  liiulependance  de  rÉf^lise.  I/hglise  lient 
autant  à  la  distinction  des  deux  pouvoirs  qu'elle  tient  aux  dog- 
mes de  la  Trinité  et  de  rincarnation.  Son  indt'pendance  de  l.i 
puissance  civile  esi  un  article  de  foi  aussi  nécessaire  au  salot  que 
celui  de  la  nécessité  de  la  griice.  Le  respect  pour  les  droits  de 
l'autorité  temporelle,  l'obéissance  aux  gouvernements  établis, 
sont  des  devoirs  sacrés  que  l'Eglise  enseigne  ;  mais  ,  en  même 
temps  qu'elle  jiréche  de  rendre  à  César  ce  (|ui  est  à  Cé-sar,  elle 
enseigne  aussi  qu'd   faut   rendre  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu.   Et 


LA  r.inF.RTÛ    RtMCinCSK  A  (jr.mHf.  171 

(|iKUi(l  1:»  Syn:ij,'Oj;uo  (l»'fonclait  à  saint  Pierre  de  prêcher  Jésiis- 
(^lirist,  saint  Pierre  répondait  :  «  Jn^'cz  s'il  est  juste  devant  Dieu 
»  de  vous  obéir  plulAl  qu'à  Dieu.  »  Ce  qui  s'est  passé  en  1847  à 
Fribourg  en  Suisse,  ce  qui  se  passe  aujourd'hui  à  Frihourg,  dans 
le  grand-dnrhé  de  Bade,  c'est  la  même  usurpation  d'une  part, 
c'est  la  même  résislautc  de  l'autre.  L'Église,  en  défendant  son 
indépendance,  détend  non-seulement  un  droit  inhérent  à  son 
origine,  un  attribut  essentiel  à  sa  nature,  mais  aussi  le  droit  ab- 
solu qu'a  la  vérité  d'être  libre,  qu'a  Dieu  de  parler  aux  hommes 
pour  les  instruire,  les  sauver,  en  être  obéi  et  aimé.  Toute  so- 
ciété religieuse  qui  st;  soumet,  quant  à  son  enseignement,  à  ses 
croyances  ou  à  son  sacerdoce,  à  un  pouvoir  humain,  abdique  ou 
tous  ou  quelques-uns  des  signes  d'autorité,  de  mission  et  de  vé- 
rité divines  qui  devraient  la  constituer. 

Nous  ne  nous  étonnons  nullement  de  la  perpétuité  de  la  lutte  ; 
elle  continue  parallèlement  à  celle  de  l'erreur  et  de  la  vérité,  de 
l'incrédulité  et  du  doute,  du  vice  et  de  la  vertu  ;  mais  nous  esti- 
mons que  partout  il  importe,  à  Genève  comme  à  Fribourg,  à  Tu- 
rin comme  à  Amsterdam,  d'exposer  nettement,  franchement  et 
historiquement  les  principes,  les  droits  et  les  positions,  de  ma- 
nière à  éloigner  le  soupçon  d'envahissement  de  l'Église,  et  à  dé- 
masquer la  tactique  sournoise  et  hypocrite  des  véritables  usur- 
pateurs de  la  liberté  religieuse. 

La  situation  de  Genève  est  claire  quant  à  la  liberté  religieuse. 
Qu'on  soutienne,  avec  Montesquieu,  ou  dans  la  Suède  protes- 
tante, ou  dans  la  Toscane  catholique,  qu'on  peut  et  qu'on  doit 
s'opposer  à  l'introduction  d'une  religion  nouvelle  dans  un  pays 
qui  n'en  a  qu'une,  nous  n'examinons  ni  le  principe,  ni  l'applica- 
tion ,  ni  même  le  commodo  et  Yincommodo  de  ce  système  ;  nous 
restons  pratiquement  à  Genève,  où  la  constitution  du  pays  pro- 
clame le  droit  de  la  liberté  religieuse,  et  où  nous  croyons  pou- 
voir proclamer  les  axiomes  politiques  et  pratiques  suivants  : 

Dans  un  pays  mixte,  la  liberté  des  cultes  est  une  nécessité 
pour  tous. 

Pour  que  la  liberté  religieuse  soit  réelle,  il  ne  faut  pas  qu'une 
société  religieuse  puisse  gêner  la  liberté  d'une  autre  société  re- 
ligieuse. 


172  Ll    I  lUKRTÉ  REIIIHEISe 

Il  ne  faut  |>:is  i|uc  la  puissance  lenipurelle  |)uisse  porter  at- 
teinte à  rin(l('|)eii(l;«iice  de  lu  puissance  spiiiliielle. 

Dans  les  objets  |)un'nu'nt  relif^ieux,,  l'indépendance  de  rt^lise 
doit  être  absolue;  »hms  les  objets  purement  civils,  Tindépen- 
dan(  e  de  TÉlal  duil  être  complète;  dans  les  objets  mixtes ,  les 
deux  puissan(  es  duivenl  s'entendre  à  l'aniiable,  sans  usnr|»ati«in 
de  l'une  sur  l'autre. 

A  Genève,  lescallioliques  invoquent  la  liberté  relifçieu&e  : 
Premièrement ,  parce  qu'ils  croient  (]ue    leur  n'Ii^ion  est  la 
vérité f  qu'elle  est  divine,  établie  dirciK-mcnl  par  Jesus-Uirist 
qui  est  la  vérité  :  Ego  sum  Veritas.  Or,  la  vérité  a  un  droit  éter- 
nel el  illimité  à  la  liberté  partout  et  toujours. 

Secondement ,  parce  (jue  ,  lorsque  les  communes  catholiques 
françaises  et  savoyardes  ont  été  reunies  à  la  Nille  de  Genève 
pour  constituer  un  canton  suisse,  cet  accroiss«meDl  de  territoire, 
qui  a  été  un  iloiij  a  <'U  lieu  à  des  conditions  i\u\  garantissent  la 
liberté,  les  droits,  les  usaj,'es  de  l'Église  catholique. 

Troisièmement,  parce  »pie  les  traités  qui  ont  garanti  ces  droits 
ont  été  conclu  précisément  dans  le  but  d'empè<her  l'oppression, 
par  l(!  pri»testanlisme  dominant  et  dominateur,  des  catholiques 
el  de  rt},'lise  calholicpie  «l.uis  le  canlon  tic  Genève. 

Quatrièmement,  parce  que  ces  traités  l'ont  partie  de  la  consti- 
tution nationale  genevoise,  (art.  129  et  134.) 

Cin«piièmement ,  parce  que  celle  constitution  proclame  la  li- 
berté religieuse  comme  un  des  éléments  essentiels  de  la  nationa- 
lité genevoise. 

Sixièinenienl ,  i>arce  qiu;  la  ronstilution  Fédérale  renferme  le 
même  principe  de  la  librrlc  religieuse  pour  toute  la  Suisse. 

Septièmement,  enfin,   parce  <pie    les  adversaires  du  catholi- 
cisme, invojpiant  la  liberté  de  conscience  pour  eux,  il  serait  sou- 
verainement illogique  cpiils  la  relusasMiii  :iii\  catliolicpii  s. 
Telle  est  la  situation  à  Genève. 

Or,  les  protestants  se.  partagent  en  deux  canq»s  sur  la  «pies- 
lion  qui  nous  occupe. 

Les  uns  sont  conséquents  el  ils  veulent  cjue  les  catholiques 
jouissent  «le  leur  liberté  el  de  leurs  «Iroils. 

Les  autres,  par  p<nr,  par  système  ou  par  haine,  proclament 


tjiie  la  nationalité  g<;nevoise  est  protestante,  que  les  catholiques 
ne  doivent  être  que  tolérés,  que  l'Église  catholique  est  dans  l'É- 
tat, que  le  pouvoir  civil  doit  dominer  l'Kglise,  et  enfin  que  les 
traités  qui  ont  garanti  la  liberté  et  les  droits  des  catholiques, 
doivent  être  ou  brisés  par  la  seule  volonté  de  l'un  des  contrac- 
tauis  ou  du  moins  rapporl('s  siiuulian(  ment  par  ceux  qui  les  ont 
signés. 

C'est  dans  cet  étal  de  choses  que  les  journaux  conservateurs 
et  démocrates  de  Genève  ont  exprimé  plus  ou  moins  explicite- 
ment la  pensée  qui  les  domine  :  détruisons  les  traités,  qui  sont 
le.  palladium  des  catholiques;  et  même  tachons  que  ce  soit  les 
catholiques  eux-mêmes  (jui  soient  habilement  amenés  à  se  don- 
ner ce  mauvais  coup  :  faisons-les  pétitionner. 

Les  catholiques  ne  se  sont  pas  laissé  prendre  au  piège,  et  un 
écrit  court,  serré,  concluant,  est  venu  les  éclairer  sur  la  néces- 
sité de  tenir  fortement  aux  traités.  On  attribue  cette  brochure 
remarquable  à  un  savant  jurisconsulte  qui  nous  paraît  avoir  saisi 
parfaitement  la  question.  C'est  pour  nous  un  bonheur  de  citer  les 
pages  suivantes  : 

«  Nous  avons  été  réunis  en  1815  à  la  cité  de  Genève  protestante, 
riche,  industrieuse,  et,  par  radjonclionde  nos  communes  françaises 
et  savoyardes  toutes  catholiques,  Genève  est  devenue  un  canton 
Suisse.  Si  nous  n'avons  pasapporté  à  notre  nouvelle  patrie  le  genre 
de  prépondérance,  de  puissance  et  de  richesse  qui  caractérise  les  ci- 
tés, nous  sommes  venus  lui  donner  une  ceinture  territoriale,  une 
population  agricole,  travailleuse,  qui  assure  sa  force,  son  indépen- 
danceet  son  union  avec  la  Confédération  helvétique.  Ce  que  Genève 
nous  a  donné  lorsque  nous  avons  été  séparés  des  deux  grandes  nations 
dont  nous  étions  les  enfants  depuis  des  siècles  glorieux ,  nous  l'ap- 
précions, mais  nous  nous  rappelons^  nous,  qu'en  brisant  nos  liens 
avec  la  Frauce  et  la  Savoie,  nous  avons  constitué  Genève  ce  qu'elle 
est  désormais,  comme  nation  et  comme  canton, 

»  De  là  le  sentiment  profond  qui  est  indestructible  chez  les  catho- 
liques: nous  sommes  parfaitement  égaux  aux  anciens  genevois  ;  ils 
nous  doivent  au  moins  autant  que  nous  leur  devons  ;  et  le  bonheur, 
la  prospérité ,  la  conservation  du  canton  de  Genève  sont  à  ce  prix  : 
l'égalité  réelle,  acceptée,  sincère,  entre  la  cité  et  la  campagne,  entre  la 
protestants  et  les  catholiques. 

11 


174  \K    f  llirRTK   REI.ir.IElsf 

u  Tuule  cousUtiilioi),  luiil  i;ouverii<>mi'nl,  luute  lui  qui  rcspeclu- 
ront  ce  principe  acquerront  l'appui  des  (-alholi(|ues.  Plus  on  aura 
(>gar(l  à  ce  sentimeiil  indi'slnicliblo,  plus  on  rafTerniira  l'union  né- 
cessaire lie  la  ville  ol  de  la  campagne,  (le  ne  sera  pas  scnlfiiifnl  de 
la  justice,  ce  sera  de  la  prudence  et  de  Phabileté. 

Mais  si  celle  é;^.iIiU'  el  celle  union  entre  des  populations  cita- 
dines et  agricoles,  toutes  d'une  nit"'nie  origine  et  d'une  nu^me  anti- 
quité, toutes  aulrefuis  sœurs  par  l'unité  et  par  la  fralernilé  de  leur 
foi  :  si  celle  égalité  esl  écrite  -à  la  télé  de  la  dernière  <onslilulion 
qui  les  gouverne,  il  faut  (|u'ellesoil  forniuUM*  aussi  dans  la  protection 
non-seuli'menldes  droits  el  des  avantages  commun»,  mais  des  droits 
différents  ou  la  confusion,  l'échange  el  rharnionie  ne  [leuNcnt  avoir 
lieu. 

On  le  voit,  la  question  religieuse  $c  pose  d'elle-même  devant 
nous  ;  on  peut  la  mépriser,  mais  on  no  l'évite  pas;  (»n  peut  la  com- 
battre, on  ne  la  détruit  pas.  L#q  sagesse  des  législateurs  el  des  gou- 
vernements consiste  à  la  résoudre  avec  le  plus  de  justice  et  do  pru- 
dence possible  ;  les  pcrséculcurs,  les  casse-cous  el  les  petits  esprits 
s'y  brisenl  el  s'y  perdent. 

denéve,  sous  l'empire  des  doctrines  réformées  et  des  institutions 
ecclésiastiques  cl  politiques  de  Calvin  ,  sous  les  lois  de  proscrip- 
tion qui  atteignaient  cruellement  les  calboliques  et  les  sectes 
proleslanlcs  qui  osaient  loucher  A  l'arche  calviniennc  ;  Genève, 
l'asile  de  tous  les  bannis  pour  cause  de  protestantisme,  s'était  donné 
et  s'était  acipiis  en  lùtropc  le  nom  de  Home  protestante.  Mais  le 
jour  où  elle  a  renoncé  à  toute  profession  de  foi  positive,  le  jour  où 
elle  a  laissé  pénétrer  dans  son  sein  el  contre  elle  le  principe  du  libre 
examen  absolu,  le  principe  de  la  liberté  de  conscience  sans  bornes, 
la  liberté  des  cultes ,  la  liberté  d'enseignement  ;  le  jour  où  le  code 
civil  à  renversé  l'c'/rtt/jssc/Hc/i/ de  Calvin  ;  lu  jour  où,  de  parla 
loi  el  l'égalité  devant  la  loi,  une  première  .Messe  a  été  dile  au  Ma- 
nège ;  le  jour  où  (îeneve  signa  les  traités  dt;  Paris,  de  Vienne  ,  de 
Turin  pour  se  donner  une  nature  el  une  vie  nouvelles;  le  jour  où 
elle  accorda  sa  voix  pour  constituer  le  moderne  unilarisme  suissc.au 
pri\  d'une  partie  de  sa  souveraiiu'té  locale  ,  le  jour  où  elle  vil  ses 
forlilicalioiis  s'écrouler,  cl  où  elle  ouvrit  aux  cpialro  vents  de  son  in- 
comparable position  les  embarcadères  de  ses  chemins  de  fer;  ce  jour, 
ou  plutôt  ces  jours,  portant  dans  leur  sein  une  implacable  fatalité, 
(icnévc  marche,  (ïerteve  ne  peut  plus  reculer,  el  pour  tous  les  ha- 
bitants du  canton,  ce  n'e^t  plus  la  cité  de  Calvin,  la  (ité  de  la  pros- 
cription, c'est  la  cité  de  la  liberlé!... 


A    (.!'.> K>  T..  175 

»  Quand  on  vient  dire  aux  calboliques  (ju'en  invoquant  sans 
cesse  les  traités  ils  demandent  des  j)riviléges,  qu'ils  veulent  se  pla 
cer,  au  point  de  vue  religieux,  dans  une  position  plus  avantageuse 
que  les  pro'.estanls,  et  qu'ils  affaiblissent  l'égalité  que  leur  a  accor- 
dée la  consliliilion ,  on  méconnaît  les  fails,  on  égare  les  esprits  et 
on  retardi!  la  bonne  harmonie  entre  tous  les  concitoyens  de  la 
même  patrie. 

Les  protestants  ont  la  majorité  numérique  dans  la  population  du 
canton  :  celle  majorité  est  dans  une  proportion  encore  plus  grande 
entre  les  ciVoi/cns  jouissant  des  droits  politiques;  la  grande  majorité 
du  Grand  Conseil  est  protestante,  le  Conseil  d'État  également.  La 
ville,  qui  a  la  principale  influence  dans  le  canton,  qui  a  les  riches- 
ses, l'industrie,  le  commerce,  le  mouvement,  les  administrations, 
les  tribunaux,  les  établissements  d'instruction  publique,  les  ban- 
ques, l'arsenal  et  toutes  les  forces  accessoires  qui  pèsent  si  forte- 
ment sur  la  campagne,  la  ville  de  Genève  compte  une  grande  ma- 
jorité de  protestants,  surtout  de  citoyens  protestanls  ;  les  pasteurs  et 
ministres  sont  nombreux,  ils  exercent  une  grande  influence,  môme 
politique,  par  leurs  alliances  avec  les  principales  familles  de  Ge- 
nève ;  les  riches  genevois  donnent  abondamment  pour  soutenir  les 
œuvres  de  prosélytisme  de  leurs  ministres;  ceux-ci  reçoivent  en- 
core davantage  de  l'Angleterre  et  de  l'Ecosse.  Le  prosélytisme  des 
convertisseurs,  des  livres  et  de  l'argent,  est  organisé  sur  une  grande 
échelle;  les  sectes  religieuses,  profondément  divisées  entre  elles,  se 
réunissent  comme  un  seul  homme  lorsqu'il  s'agit  de  combattre  le 
catholicisme,  et  le  journal  du  parti  le  plus  riche,  le  plus  habile  et  le 
plus  nombreux  ,  n'a  pas  craint  de  manifester  la  pensée-mère  des 

protestants  de  Genève,  en  disant  :  «  L'État  doit  être  protestant 

»  L'État  doit  soumettre  et  dominer  l'Église  catholique...  »  Et  le 
manifeste  de  la  nouvelle  Union  protestante  proclame  que  «  le  pre- 
»  mier  élément  de  sa  nationalité,  c'est  le  protestantisme,  »  et  que 
«  ses  efforts  tendent  à  faire  pénétrer  la  foi  réformée  au  sein  même 
»  du  catholicisme.  »  C'est  le  môme  cri,  c'est  la  même  espérance  qui 
faisaient  dire  à  un  Genevois  de  1815  en  recevant  les  vingt-deux 
communes  catholiques  :  «  Dans  vingt  ans,  nous  les  aurons  déca- 
tholisées.  » 

Qu'on  pèse  bien  ces  faits  exacts,  ces  prépondérances,  ces  in- 
fluences capitales,  inévitables,  et  qu'on  prenne  ensuite  les  traités. 
Qu'on  considère  les  avantages  immenses,  territoriaux,  commer- 
ciaux, politiques,  financiers,  militaires,  internationaux,  qui  ont  été 


I7(>  I  A    I.IBERTK  RELIGIUI  SE 

|H>ur  (itMiève  la  i-onsi'»jucnce  de  la  dunation  bént^volo  et  généreuse 
des  vini,'l-dcn\  coriinnincs  call)uliq(i«->^  ;  (|ii'on  n|)[»récio  la  sollicitude 
de  la  France  et  de  la  Sardai^nc  pour  prolé{;er  les  enfants  qu'elles 
cédaient  d  Uenève  proleslaMlo,  cl  on  proclamera  facilenienl  ces  vé- 
rités : 

1.  Les  traités  ont  fait  considérablement  pour  (ienève. 

2.  Les  traités  n'ont  imposé  à  tiene\e  que  des  conditions  mini- 
mes. 

3.  Les  traités  ne  sont  que  protecletirs  au  point  de  vue  religieux. 
V.  Sans  les  Irailès,  en  ISlo,  aujourd'hui,  ou  demain  peut-être, 

Tégalilé  serait  détruite,  la  balance  ne  serait  plus  exacte,  la  campa- 
gne serait  à  la  merci  de  la  ville,  la  religion  catholique  serait  domi- 
née par  rdémenl  protestant. 

Il  est  donc  de  l'intérêt  suprême  des  catholiques  de  tenir  avec  une 
invarial)le  fermeté  aux  traités,  soit  A  leur  point  de  vue  constitu- 
tionnel et  puIili(|U{',  soit  à  leur  point  de  vue  relii^ieux  catholique. 

il  faudrait  fermer  les  yeuv  à  la  lumière  du  soleil  pour  ne  pas 
comprendre  (jue  rien  ne  peut  remplacer  ces  traités.  Les  constitu- 
tions chan;;ent,  les  gouvernemenls  changent ,  les  influences  chan- 
gent ;  la  liht'rté  et  l'égalité  écrites  dans  les  constitutions  ne  seraient 
réelles  que  si  la  cam|)a;:ne  pouvait  balancer  la  ville  en  richesse 
et  dans  tous  les  genres  de  puissance  et  d'action  que  les  cités  possè- 
dent exclusivement  et  surtout  la  cité  de  (^ilvin.  Les  traités  forment 
donc  un  contre-poids  légitime,  suflisant,  sage,  modéré,  nécessaire. 
Ils  sont  le  palladium  de  la  liberté  des  campagnes  et  des  catholi- 
ques, 1) 

Nous  citons  niissi  le  passage  suivant,  qui  démontre  jusqu'à  la 
«lernière  évidence  rimpossibilité  de  toucher  aux  traités  : 

«  1,  Le  traité  de  Turin  du  6  mars  1816  n'est  pas  seul  ;  il  n'c«t 
qu'une  conséquence  du  traité  »le  Vienne,  une  suite  de  donations 
faites  par  les  puissances  infininn'iit  plus  nv.iiilaL'i'ii«»es  ■^  la  cité  de 
Calvin  qu'aux  catholiques. 

2.  Le  traité  de  Turin  n'a  pas  été  <  ont  lu  entre  la  >jrdaigne  et 
(ieneve  seulement,  mais  aussi  avfc  la  Confédération  Suisse,  (jcnùvc 
n'y  peut  absolument  pas  loucher  toute  seule. 

'.).  Si  vous  louche/  aux  articles  du  traité  de  Turin  qui  garanlis- 
Mut  les  droits  de  l'ÏCgli'.c  catholique,  gare  qu'on  ne  touche  aussi  aux 
articles  commerciaux  et  territoriaux.  Croyei-vous  d'ailleurs  que  le 


A   (iENÈVK,  177 

Piémont,  quelque  soient  sa  politique  et  son  gouvernement  inté- 
rieurs, va  de  j;aité  de  cœur  briser  ce  traité?... 

4.  Quand  hs  Genevois  diraient  :  Nous  ne  voulons  plus  du  traité 
de  Turin,  ils  rj'auraient  absolument  rien  fait;  le  traité  important, 
le  traité  fondamental,  la  base  de  tout  l'édiGce,  c'est  le  traité  de 
Vieniuîd'i  'iO  mars  1815.  Le  traité  de  Turin  n'est  qu'un  petit  gar- 
çon à  côté.  Or,  le  traité  de  Vienne  a  été  conclu,  non  entre  ces  puis- 
sances et  la  Suisse,  mais  entre  elles  seules,  c'est-à-dire  entre  l'Au- 
triclie,  l'Espagne,  la  France,  !a  Grande-Bretagne,  le  Portugal,  la 
Prusse,  la  Russie  et  la  Sardaigue. 

Seulement  la  Diète  de  la  Confédération  suisse,  réunie  à  Zuricb, 
ayant  reçu  des  ambassadeurs  d'Autriche,  d'Angleterre,  de  France, 
de  Prusse  et  de  Russie,  la  déclaration  relative  aux  affaires  de  la 
Suisse,  «  a  accédé  à  la  déclaration  des  puissances,  a  promis  que  les 
»  stipulations  de  la  transaction  insérée  dans  cet  acte  seront  fldéle- 
»  ment  et  religieusement  observées,  et  a  exprimé  la  gratitude  éter- 
»  nelle  de  la  Suisse  envers  les  hautes  puissances.  » 

5.  Donc,  pour  toucher  aux  gariinties  qui  regardent  la  religion 
catholique  dans  le  canton  de  Genève,  il  faudrait,  alors  môme  que 
les  Genevois  protestants  de  la  ville  les  fouleraient  aux  «pieds,  lors 
même  que  le  traité  de  Turin  serait  déchiré ,  il  faudrait  encore 
réunir  le  Congrès  des  huit  grandes  puissances  contractantes  à 
Vienne. 

6.  Et  puis,  il  y  a  aussi  les  traités  de  Paris  du  30  mai  181i  et  du 
20  novembre  1815,  qui  cèdent  les  communes  françaises.  Croit-on 
que  l'Empereur  Napoléon  III  ne  dirait  pas  aux  Genevois,  comme 
son  oncle  écrivait  en  1810  au  grand-duc  de  Bade  : 

«  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale  ne  saurait  voir  d'un  œil  indif- 
»  fércnt  et  tranquille  que  l'on  traite  en  sujets  disgraciés,  et,  pour 
»  ainsi  dire,  en  ilotes,  des  sujets  qu'elle-même  a  donnés  au  grand- 
»  duché  de  Bade  ;  qu'elle  ne  lui  a  pas  donnés  pour  en  faire  des  es- 
»  claves,  et  auxquels  elle  doit  protection,  par  cela  même  qu'elle  les 
»  lui  a  donnés.  » 

7.  Puis,  indépendamment  du  traité  de  Turin,  du  traité  de 
Vienne,  du  traité  de  Paris,  il  y  a  aussi  le  Bref  du  Pape  Pie  VII  qui, 
sur  la  demande  de  Genève,  a  incorporé  le  canton  de  Genève  au  dio- 
cèse de  Lausanne.  Or,  cette  incorporation  n'a  eu  lieu  qu'avec  l'as- 
surance de  Genève  que  les  garanties  des  traités  seraient  respectées. 
Catholiques  de  Genève  ,  lisez  plutôt  la  fameuse  délibération  du 
Conseil  d'État  de  Genève,  du  1"  octobre  1819:  la  voici,  elle  est 


l?''^  I.A   LIBERTÉ  RKLIGIElSi: 

curieuse  :  <■  Le  Rref  ('niant'  du  Sninl-Siojje  rappelle  expressément 
»  le  protwole  de  \  ienne  et  le  traité  de  Turin,  (jui  s'y  référé,  comme 
»  le  fondement  des  droits  de  notre  gouvernement  et  la  régie  de  ses 
u  devoirs  pour  le  maintien  et  la  prolecliun  de  In  religion  dans  les 
I»  paroisses  cédées  par  les  deux  traités  susmentionnés,  et  exprime 
»  la  confidnce  du  Saint-Pére  aux  dispositions  de  noire  gouverac- 
»  ment,  pour  l'exécution  des  clauses  des  dils  protocoles  et  traités. 

»  Oui  le  rapport  ci-dessus,  considérant  que  la  constitution  charge 
»  le  Conseil  d'État  de  faire  toutes  les  démarches  nécessaires  pour 
»  que  le  clergé  catholi(]ue  relève  d'un  évéque  suisse  ;  iecttire  faite 
»  de  la  dépêche  où  Son  Èniinence  le  cardinal  (Jonsaivi ,  secrétaire 
B  d'Ëtat,  nous  annonce  te  succès  de  ces  démarches,  laquelle  ex- 
»  prime  en  termes  hienveillanls,  soit  les  motifs  «lu  relard  que  cette 
»  affaire  a  éprouvé  ,  soit  la  confiance  de  Sa  Sainteté  dans  la  ferme 
B  et  sincère  résolution  de  notre  gouvernement  de  proléger  et  main- 
B  t»Miir  la  religion  catholique,  comme  le  protocole  de  Vienne  el  nos 
»  inlérèts  bien  erilendus  nous  en  fout  un  de\oir.  » 

8.  Enfin,  avant  d'anéantir  le  trailé  de  Turin,  le  traité  de  Vienne, 
le  traité  de  Paris,  il  faudrait  anéantir  la  conslilulioD  du  canton  de 
Genève  qiiî  garantit  aux  calholitiues  ces  traités.  » 

Nous  croyons  utile  de  donner  aussi  le  texte  des  articles  I  el 
III  <lu  proiooolc  du  Conférés  de  Vienne  du  29  mars  1815.  Nos 
lecieurs  pourront,  en  méditant  sur  ce  «locimienl  fundamenial , 
comprendre  toute  la  porU'<;  des  elforls  du  proieslaniisme  à  Ge- 
nève contre  les  traités,  el  toute  la  fermeté  avec  hi(|uelle  les  ca- 
tholiques doivent  y  tenir  : 

<i  Les  puissann's  alliées  a>ant  téuioigiie  le  \if  désir  «ju'il  fût  ac- 
cordé quelques  facilités  au  canton  de  (m  iieve,  soit  pour  un  désen- 
clavemenl  d'une  partie  de  ses  possessions,  soit  pour  ses  communi- 
calions  avec  la  Suisse  ; 

Sa  Majesté  le  roi  de  Sardaignc  étant  empressée,  d'autre  part,  de 
témoigner  à  ses  hauls  el  puissants  alliés  toute  la  satisfaction  qu'elle 
éprouve  à  faire  (|uelqiie  chose  qui  puisse  leur  être  agréable,  les 
plénipotentiaires  soussignés  sont  couNcnus  de  ce  <|ui  suit  : 

Arl.  1.  Sa  Majcsiè  le  roi  de  Sardaigne  met  A  la  disposition  de> 
hautes  puis-ances  alliées  la  partie  de  la  Savoie  <|ui  se  trouve,  etc. 

.\rt.  3.  D'autre  part.  Sa  .Majesté  ne  pouvant  se  résoudre  à  con- 
sentir qu'une  partie  de  son  terriloiro  soit  réunie  à  un  Liai  où  la  re- 
ligion dominante  est   différente,  «ans  procurer  aux  habitante  du 


À  f;E>Èvr..  170 

pays  qu'elle  cède  la  cerlilnde  qu'ils  jouiront  du  lilne  exercice  de 
leur  religion,  qu'ils  conlinucront  à  avoir  les  moyens  de  fournir  aux 
frais  (le  U'ur  culte,  el  à  jouir  eux-niômes  de  la  plénitude  des  droits 
de  citoyens, 

Il  est  convenu  (|ue  : 

1.  La  religion  catholique  sera  maintenue  et  protégée  de  la 
même  manière  qu'elle  l'est  maintenant  dans  toutes  les  communes 
cédées  par  Sa  Majesté  le  roi  de  Sardaigne,  et  qui  seront  réunies  au 
canton  de  Genève. 

'2.  Les  paroisses  actuelles  qui  ne  se  trouveront  ni  démembrées, 
ni  séparées  par  la  délimitation  des  nouvelles  frontières,  conserve- 
ront leurs  circonscriptions  actuelles,  et  seront  desservies  par  le 
même  nombre  d'ecclésiastiques  ;  et  quant  aux  portions  démembrées 
qui  seraient  trop  faibles  pour  constituer  une  paroisse,  on  s'adressera 
à  l'évéque  diocésain  pour  obtenir  qu'elles  soient  annexées  à  quel- 
qu'autre  paroisse  du  canton  de  Genève. 

3.  Dans  les  mûmes  communes  cédées  par  Sa  Majesté,  si  les  ha- 
bitants protestants  n'égalent  pas  en  nombre  les  habitants  catholi- 
ques, les  maîtres  d'école  seront  toujours  catholiques.  Il  ne  sera  éta- 
bli aucun  temple  protestant,  à  l'exception  de  la  ville  deCarouge, 
qui  pourra  en  avoir  un. 

4.  Les  officiers  municipaux  seront  toujours,  au  moins  pour  les 
deux  tiers,  catholiques,  et,  spécialement  sur  les  trois  individus  qui 
occuperont  les  places  de  maire  et  des  deux  adjoints,  il  y  aura  tou- 
jours deux  catholiques.  En  cas  que  le  nombre  des  protestants  vint, 
dans  quelques  communes,  à  égaler  celui  des  catholiques,  l'égalité 
et  l'alternative  sera  établie  tant  pour  la  formation  du  conseil  mu- 
nicipal, que  pour  celle  de  la  mairie.  En  ce  cas,  cependant,  il  y  aura 
toujours  un  maître  d'école  catholique,  quand  même  on  en  établi- 
rait un  protestant.  On  n'entend  pas,  par  cet  article,  empêcher  que 
des  individus  protestants  habitant  une  commune  catholique  ue 
puissent  pas,  s'ils  le  jugent  à  propos,  y  avoir  une  chapelle  particu- 
lière pour  l'exercice  de  leur  culte ,  et  y  avoir  également ,  à  leurs 
frais,  un  maître  d'école  protestant  pour  l'instruction  particulière 
de  leurs  enfants.  Il  ne  sera  point  touché,  soit  pour  les  fonds  et  reve- 
nus, soit  pour  l'administration,  aux  donations  et  fondations  pieuses 
existantes,  et  on  n'empêchera  pas  les  particuliers  d'en  faire  de  nou- 
velles. 

5.  Le  gouvernement  fournira  aux  mêmes  frais  que  fournit  le 
gouvernement  actuel  pour  l'entretien  des  ecclésiastiques  et  du  culte. 


180  IV   LinERTK   KELICIEISE. 

G.  l,"('ij;lise  calholiqui'  juiuellimeiil  exiitlaiilo  ;i  lienève,  t  fera 
niaiiilrmic  telle  qu'elle  exi>(e,  ii  la  «liargi:  de  l'î-^lat,  ainsi  que  les 
lois  évenluelles  de  la  constiluliun  l'avaient  déjù  décrété;  lo  curû 
sera  doit';  et  \o^('  convetiahlcnierit. 

7.  Les  eonuniin*"^  (-allioli(|iK*!i  el  la  paroisse  de  (lenëve  ronlinue- 
ront  à  faire  partie  du  diocèse  qui  ré^'ira  les  provinces  du  Cliablais 
el  du  Faueigny,  sauf  qu'il  en  soit  réplé  autrement  par  l'autorité  du 
Saint-Siêf;e. 

8.  Dans  tous  les  cas,  Tévéque  ne  sera  janiai;»  troublé  dans  les  vi- 
sites pastorales. 

9.  Les  haliitanls  du  territoire  cédé  sont  pleinement  assimilés, 
pour  les  droits  civils  et  polili({ues,  aux  Genevois  de  la  ville  ;  iisjes 
exerceront  concurremment  avec  eux,  sauf  la  réserve  des  droits  de 
propriété,  de  cité  ou  de  commune. 

10.  Les  enfants  cadiuliques  seront  admis  dans  les  maisons  d'é- 
ducaliun  publi(|uc  ;  l'tMisjignoment  de  la  religion  n'y  aura  pas  lieu 
eu  commun,  mais  séparément,  et  on  emploiera  à  cet  effet,  pour  les 
catboliques,  des  ecclésiaslicjues  de  leur  communion. 

11.  Les  biens  communaux  ou  propriétés  appartenant  aux  nou- 
velles communes  leur  seront  conservés,  et  elles  continueront  â  les 
administrer  comme  par  le  passé,  et  à  en  employer  les  revenus  à 
leur  |)roiit. 

12.  Ces  mêmes  communes  ne  seront  point  sujettes  à  des  charges 
plus  considérables  (]ue  l«>s  anciennes  cou)muiies. 

13.  Sa  .Majesté  le  roi  de  Sardaiyne  se  réserve  de  portera  la  con- 
naissance de  la  Diète  belvéti(|ue,  el  d'appuyer  par  le  canal  do  se^ 
agents  diplomatiques  auprès  d'elle  toute  réclamation  à  laquelle 
l'inexéculiou  des  articles  ci-des,sus  pourrait  donner  lieu,  u 

Le  trait»'  (le  Turin  du  l(i  niars  181(i  n  étant,  au  jïoint  de  vue 
religieux ,  (ju'un  «ompl/imiit  aux  articles  du  protocole  de 
Vienne,  nous  nous  bornons  à  ciler  le  préambule  el  les  arlicles 
10,  12  et  13: 

«  \u  nom  de  la  Très-Sainte  et  iiidivi'^ible  Trinité! 

Sa  Majesté  le  roi  de  Sardaigne  ,  en  considération  du  vif  intérêt 
que  les  piiivsnnres  signataires  du  traité  de  Paris  du  .10  mai  181V 
avaient  tén)oi;,'né  pourqiio  le  canton  de  (lenèveoblintfjueKpies  faci- 
lités, soil  dans  le  bul  de  désenclaver  une  partie  de  ses  possessions, 
soit  quant  à  ses  ronimunirations  avec  la  Suisse,  ayant  consenti,  par 
le  protocole  du  congrès  de  'Vienne  du  29  mars  1815,  à  mettre  A  la 


1   GEMiVi;.  181 

disposilion  de  ces  mêmes  puissances  une  partie  de  la  Savoie  y  dési- 
gnée, pour  étro  réunie  à  Genève;  et  alin  de  donner  à  co  canton 
une  m;ni|ue  pailinilièro  de  sa  bienveillance,  ayant  éfialcment  con- 
senti aux  stipulations  contenues  dans  les  articles  o  et  G  dudit  pro- 
tocole, etc. 

Art.  10.  Les  droits  ac(|uisau\  sujcîlsde  S.  M.,  eu  vertu  des  lois 
en  vigueur  jusqu'au  monuMil  de  la  remise  du  territoire,  seront  res- 
pectés par  la  nouvelle  législation. 

Art.  12.  ...Attendu  que  ledit  protocole  a  arrêté,  art.  3,  §  1,  «  que 
»  la  religion  calholicjue  sera  maintenue  et  protégée  de  la  môme 
»  manière  qu'elle  Test  maintenant  dans  toutes  les  communes  cédées 
»  par  S.  M.  le  roi  de  Sardaigne,  et  qui  seront  réunies  au  canton 
»  de  Genève,  »  il  est  convenu  que  les  lois  en  vigueur  au  29  mars 
1813,  relativement  à  la  religion  catholique  dans  tout  le  territoire 
cédé,  seront  maintenues,  sauf  qu'il  en  soit  réglé  autrement  par  l'au- 
torité du  Saiiit-Siége. 

En  exécution  du  §  G  dudit  article  3,  lequel  a  arrêté  que  le  curé 
de  l'église  catholique  de  Genève  sera  logé  et  doté  convenablement, 
cet  objet  est  réglé  conformément  à  la  stipulation  convenue  dans 
l'acte  privé,  en  date  de  ce  jour. 

Art.  13.  Le  gouvernement  de  Genève,  voulant  montrer  les  sen- 
timents dont  il  est  animé  envers  les  habitants  des  communes  cé- 
dées, et  son  désir  de  pourvoir  convenablement  aux  établissements 
de  charité  et  d'instruction  publique,  consent  à  ce  que  les  prix  non 
payés  des  biens  des  communes  vendus  sous  Tadministration  fran- 
çaise, et  les  créances  obtenues  à  ce  litre  par  lesdites  communes  , 
soient  perçus  par  elles  et  employés  à  leur  profll,  que  les  établisse- 
ments de  charité  et  d'instruction  publique  existants  conservent 
leurs  fonds  et  les  avantages  dont  ils  étaient  eu  possession  ;  enfln,  il 
pourvoira  à  ce  que  lesdits  établissements  ne  puissent  à  aucun  égard 
se  trouver  en  souffrance  par  le  fait  de  la  présente  cession  de  terri- 
toire. » 

Tant  que  la  campagne  ne  sera  pas  la  ville;  tant  que  Genève 
n'aura  pas  abandonné  sincèrement  sa  prétention  exclusive  de 
t  nationalité  protestante  ;  y>  tant  que  les  constitutions  pourront 
être  changées  à  tout  moment,  sous  l'influence  des  partis  plus  ou 
moins  hostiles  à  la  religion  catholique;  tant  que  les  catholiques 
seront  menacés  de  voir  arriver  au  pouvoir  les  hommes  qui  prê- 
chent hautement  romnipotence  de  l'État  sur  l'Église  catholique, 


1^'i     1  LA    LIBEHIb   KkLISietlSB  A  CCnÈVE. 

et  la  nécessité  de  l'Élai  réformé  loiii  puiss:int  à  Genève  sur  l'É- 
glisi*  cailioliijiit';  tant  «pie  ces  faits,  rrs  (l(»f  trines  et  ces  évenlua- 
lités  restent  en  permanence,  «les  traités  de  Paris,  de  Vienne 
>  et  tie  Turin  sont,  comme  le  dit  très-hien  la  Itn»  liiire  dn  savant 
n  jurisconsulle,  la  garantie  (le  la  liberté  et  de  l'egalii»'  religieuses 
»  des  catliolicpies  dans  le  canton  de  Genève.  » 

Nous  verrons  une  autre  fois  quels  sont ,  par  une  sincère  el 
sage  liberté  rcliKiense  dans  un  pays  mi\l«î  comme  le  canton 
du  Genève,  les  éli-menls  d'une  entente  lacili',  honorabU*,  solide, 
avantageuse  pour  tous  entre  tous  les  honnêtes  gens.  Esl-ce  une 
utopie,  un  rêve  ou  un  plan  réalisable .'  Nous  verrons. 


ÉTIDKS  UELIGIEISES  SIR  L'ALLEMAGIVE. 


Eie  gio'iètne  Synoite  pt-otetitatti  de  Oewtin. 


L'Allemagne  religieuse  vient  de  donner  un  de  ces  grands  specta- 
cles dont,  seule  de  toutes  les  nations  européennes,  elle  peut  être  le 
théâtre.  Les  champions  des  deux  religions  qui  se  partagent  cette 
intéressante  contrée  se  sont  réunis  en  assemblée  générale  :  les  ca- 
tholiques à  Vienne,  les  protestants  à  Berlin.  C'est  avec  le  plus  vif 
intérêt  que  nous  devons  suivre  les  péripéties  de  la  lutte  giganlesque 
entreprise  et  soutenue  par  nos  frères  d'Oulre-Rhin.  Nous  nous  con- 
tenterons aujourd'hui  de  mettre  les  lecteurs  au  courant  des  circon- 
stances qui  ont  précédé  et  accompagné  le  sixième  synode  prolestant 
de  Berlin. 

Grâce  aux  doctrines  panthéisliques  prêchées  du  haut  des  chaires 
universitaires,  le  clergé  protestant  en  était  venu  au  point  de  reje- 
ter avec  dédain  les  dogmes  positifs  du  christianisme.  Les  ministres 
eux-mêmes  professaient  des  opinions  qui  n'étaient  que  l'expression 
du  naturalisme  le  plus  grossier.  On  peut  conclure  de  là  quelle  de- 
vait être  la  foi  du  peuple.  Les  gouvernements  se  sont  épuisés  en 
stériles  elTorls  pour  s'opposer  au  débordement  :  l'indépendance  s'é- 
tait déjà  transplantée  du  terrain  religieux  dans  les  régions  de  la  po- 
litique ;  les  apôtres  les  plus  fougueux  de  la  démagogie  se  trouvaient 
dans  le  clergé  protestant.  Les  sociétés  secrètes,  et  particulièrement 
les  loges  maçoniques,  n'avaient  pas  de  membres  plus  dévoués  et 
plus  ardents  que  les  ministres  du  culte  évangélique. 

Voici  le  tableau  qu'un  publicisle  célèbre  trace  de  la  conduite  du 
clergé  prolcslaul  en  Allemagne  : 

«  La  cause  primitive  de  la  désolante  situation  de  la  religion  pro- 
testante en  Allemagne  se  trouve  dans  le  manque  de  foi.  Ce  résul- 
tat doit  être  attribué  à  la  franc  maçonnerie,  qui  ne  cesse  d'affirmer 


184  KiL  ocs  r,Ei.i(.ici  sr-i 

que  les  dotâmes  de  rÈ^^lisc  chrélienne  ne  sont  |)oint  des  révéialions 
divincfi.  Dans  les  svmhules  de  ses  io^es,  elle  proche  une  doclrino 
abominai)!)',  niorislriieiiv  niélango  di- pliilosofiliie,  de  judaïsme  cl 
de  christianisme  ,  qui  se  résout,  en  dernière  analyse,  au  déisme  le 
plus  révoltant.  Le  clergé  ploletlant  at  en  grande  partie  initié.  Le 
ciille  prolfslaiit  est  exercé  par  des  prêtres  qui  ne  croient  pas  même 
à  la  divinité  de  leur  mission  ,  puis(|ue  dans  les  loges  ils  professent 
le  déisme.  Faut-il  dès  JOrs  s*élonner  que  de  tels  prêtres  montrent 
si  peu  de  Zfle  |>our  remplir  une  funclion  (pii  n'est  pour  eux  qu'un 
mo>en  d'existence?  Faut-il  s'élonner  que  depuis  utu-  génération  on 
ne  lusfoie  fiius  paraître  au  lit  des  malades  et  de«  moribonds,  qu'ils 
n'aient  plus  atuun  jouci  de  leurs  ouailles?  Faut-il  s'étuniii^r  qu'ils 
»uient  si  indifTérenls  pour  la  plus  belle  et  la  plus  inq)or(anle  partie 
de  leur  ministère?  Ksl-ce  que  i<*s  lidèles  qui  sont  confiè.«  â  leurs 
soins  seraient  di:>  profanes  |)Our  eux?..  Lorsque  les  prêtres  s'imagi- 
nent être  trop  élevés  pour  partager  ce  qu'on  veut  a|>peler  la  crédu- 
lité du  public,  lorsque  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  ils  ap- 
prennent a  nier  et  d  bafouer  la  foi,  il  faut  s'attendre  à  voir  un 
peuple  dégénérer  et  rétrograder  jusqu'à  la  barbarie. 

Cette  dernière  phrase  d'Lckerl  nous  amène  à  parler  de  la  mora- 
lité du  peuple  protestant.  Hien  de  plus  aflligeanl  que  les  plaintes 
formulées  au  dernier  synode  parle  rapporteur  M.deKapff.  Les 
extraits  que  nous  allons  publier  so:il  empruntés  au  f'olkflilatt pir 
Sladt  und  Land,  journal  prolestant  de  Halle  :  «  Le  père  emmène 
avec  lui  au  cabaret  son  fils  à  peine  dgé  de  onze  ans  cl  lui  apprend 
à  fouler  aux  pieds  s;»  mère  désolée.  L'ouvrier  (|ui  n'a  consulté  que 
l'intérêt  dans  le  choix  d'uru!  épouse,  déclare  A  sa  fenune,  après  trois 
semaines  de  cohabitation  que  l'église  où  ils  se  sont  unis  n'est  qu'un 
lieu  de  débauche  ,  la  Bible  wnc  fable,  et  le  mariage  un  non-sens; 
il  arrache  son  épouse  de  son  lit  de  douleur  ;  il  la  force  de  se  livrer 
à  des  travaux  excessifs,  pour  la  détruire  et  en  être  ainsi  débarrassé. 
Le  rédacteur  de  journaux  fait  chanter  à  ses  fdh'S  des  arkMles  d'o- 
péra, quand  leur  mère  veut  prier  à  table.  Lue  société  composée  de 
familles  de  fonctionnaires  choisit  le  dimanche  pour  sortir  de  la 
ville,  musirpie  en  tête,  et  consiicrer  le  saint  jour  j\  des  danses  luxu- 
rieuses; aux  spectateurs  étonnés,  elle  crie  :  nous  sommes  sépara- 
listes!  Si  le  pasteur  exprime  .sa  surprise  et  sa  douleur,  on  lui  de- 
mande s'il  ignore  que  le  dimaiu  lie  doit  être  destiné  à  la  «lanse.  .Vu 
roomcnlou  Ton  veut  commencer  la  prière  pour  le  roi,  ont  fait  en- 
tendre un  immense  éclat  do  rire,  et  les  démocrales  sorlcnl  prècipi- 


Sun   LALLEMACr^E.  185 

tamment  do  IV^glisc.  Laissons  les  détails  qui  pourraient  blesser  les 
oreilles  cbaslcs.  Dans  une  des  villes  les  plus  considérables  de  l'Al- 
lemagne, une  pélilion  en  faveur  d'un  albéc  est  couverte  des  signa- 
turcs  de  otiOO  bonuiies  et  de  5300  fcmrne«.  A  Berlin  on  compte  à 
peine  24,000  à  30,000  prali(|uants  qui  fréquentent  les  temples, 
c'est-à-dire  le  seizième  de  la  population.  » 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  ces  tristes  détails;  il  n'en 
ressort  que  trop  clairement  que  le  protestantisme,  ruiné  dans  sa  foi, 
trabi  par  son  propre  clergé,  méprisé  par  ses  adeptes,  se  trouvait 
sur  le  bord  d'un  abîme.  Est-il  étonnant  que  lesyeux  se  soient  enfin 
désillés,  et  qu'on  se  soit  décidé  à  revenir  à  la  croyance  à  des  dog- 
mes positifs,  pour  sauver  la  religion  et  l'État  d'une  ruine  complète? 
Les  années  1848  et  1849  ont  du  reste  montré  ce  que  peut  un  peu- 
ple lorsqu'il  a  secoué  le  frein  salutaire  de  la  foi. 

Mais  là  n'est  pas  seulement  la  cause  de  l'agitation  religieuse  des 
protestants  allemands  ;  l'envie,  ou  plutôt  la  crainte  d'un  grand  en- 
nemi commun,  a  fait  sentir  la  nécessité  de  recueillir  toutes  les  for- 
ces des  piélistes. 

Emancipé  en  Prusse  et  en  Autricbe,  le  catholicisme  s'est  mon- 
tré à  l'Allemagne  dans  l'unité  de  sa  doctrine,  dans  l'ardeur  de  sa 
charité  et  dans  la  majesté  de  son  culte.  La  liberté  religieuse,  in- 
scrite dans  les  constitutions  rédigées  par  des  sceptiques,  servit  ad- 
mirablement la  cause  du  catholicisme.  Délivrés  des  liens  qui  en- 
travaient leur  libre  essor,  nos  frères  d'Oulre-Rhin  surent  exploiter 
leur  nouvelle  position  avec  autant  d'babileté  que  d'énergie.  L'as- 
sociation de  Pie  IX  étendit  sur  toute  l'Allemagne  son  réseau  salu- 
taire ;  chaque  localité  de  quelque  importance  eut  son  association 
particulière  correspondant  avec  le  comilécentral.  Dansces  réunions 
religieuses,  les  hommes  les  plus  éminents  par  leur  science,  par  leur 
dévouement  et  par  leur  position  sociale,  entretinrent  et  récbauCFè- 
rent  la  foi  dans  l'esprit  des  populations  catholiques.  Des  moyens 
efficaces  furent  arrêtés  non-seulement  pour  se  défendre  victorieu- 
sement,  mais  encore  pour  prendre  l'offensive  avec  succès.  Enfin 
des  réunions  générales  se  tiennent  annuellement;  les  députations 
des  différentes  assemblées  particulières  viennent  y  rendre  compte 
de  l'exécution  des  mesures  adoptées,  des  progrès  réalisés  et  des  be- 
soins à  satisfaire.  Après  avoir  retrempé  leur  ardeur  dans  une  édifi- 
cation réciproque,  ces  délégués  reportent  dans  leurs  provinces  le 
feu  sacré  qui  s'est  allum.é  dans  leurs  cœurs. 

Témoin  de  la  verdeur  et  de  la  force  du  catholicisme,  à  la  vue  de 


I8G  KTl  DES   RLLK.II.ISES 

ce  colos<(o  qu'on  avait  pris  plaisir  d  représeiiler  comme  surcombant 
à  la  décrépitude  de  sa  vieillesse,  le  protestantisme  s'est  cru  menacé 
dans  son  «.'xislence.  Impassible'  jus<]ui'-l;i  aux  dissiMisions  qui  détbi- 
raient  son  sein  ,  indifTcreMl  en  f;ne  de  riurrrdulilé  et  de  l'immo- 
ralité de  ses  adeptes,  il  retrouve  dans  son  cœur  Tamertume  doses 
vieilles  haines.  Le  danger  lui  donne  de  l'activité  et  de  l'énergie.  A 
des  associations  il  op|>ose  des  associa(ions  ;  aux  missionnaires  ca- 
tholiques, ses  frrt/icaii/s  voyageuriy  à  la  propagande,  nu  prosély- 
tisme ardent. 

.Malheureusement  pour  lui,  le  manque  d'unité  dans  la  doctrine, 
le  désotdre  dans  les  idées,  la  diversité  dans  les  .symboles  paraly- 
saient tous  ses  elTorls  et  le  condamnaient  :\  l'impui-^i^ance.  Les  pro- 
testants étaient  humiliés  d'entendre  les  calhuli(|iies  leur  répéter 
sans  cesse  :  «  Pourquoi  sommes-nous  le  but  uni(|ue  de  vos  atta- 
ques? Y  a-t-il  entre  vous  et  vos  coreligionnaires  moins  do  diffé- 
rence qu'entre  vous  et  nous?  »  Ou  bien  :  «  Divisés  en  cinq  cents  et 
quel(]ues  sectes ,  vous  n'avez  de  counnun  cpie  la  h;iine  que  vous 
nou>  portez  ;  mais  la  haine  n'étant  pas  un  principe,  dites-nous  donc 
a  quels  signes  vous  vous  reconnaissez  comme  protestants.  Quels 
sont  donc  les  dogmes  communs  à  toutes  les  différentes  sectes  du 
protestantisme?  \  ous  non»,  allacjuc/.  et  \ous  ne  savez  vous-mêmes 
ce  que  vous  êtes.  » 

Les  piolcsiants  ont  compris  cnlin  (jue  leurs  di>  ers  groupes  isolés 
ne  pouvairnl  pas  laire  de  résistance  sérieuse  et  étaient  destinés  à 
une  défaite  certaine  ;  ils  ont  senti  <|ue  leurs  discordes  intestines  les 
empêchaient  de  mettre  dans  la  lutte  l'unité  d'action  qui  est  indis- 
pensable pour  le  suc(  es.  L'nilé  I  unité  !  tel  a  été  leur  cri  de  détresse. 

Un  appel  est  adressé  aux  différentes  sectes  de  l'Allemagne  et  de 
la  Suisse  :  Luthériens  anciens  et  modernes,  calvinistes,  méthodis- 
tes, unionistes,  etc.,  sont  convoques  U  \a  sirième  Mn.^tuti  du  tynodc 
protestant  à  Berlin.  Le  but  de  cette  réunion  était  d'allier  ces  ëlé- 
njenls  si  hétérogènes,  <le  discipliner  cette  masse  indisciplinée  cl  de 
ne  faire  présjnter  qu'un  seul  liout  à  ces  langs  d'hommes  aussi 
acharnés  les  uns  contre  les  autres  que  contre  l'ennemi  commun  ;  il 
s'agissait  de  rédiger  un  symbole  (jui  fut  adopté  par  les  sectes  les 
plus  diverses  du  proleslantisnu;. 

Le  problème  à  résoudre  était  dillirile.  Kn  effet,  pour  (ju'il  y  ciU 
unité  réelle,  il  aurait  fallu  que  ibaïun,  en  acceptant  un  formulaire 
iiDi(|ue,  renonçât  aux  opinions  particulières  qui  le  séparaient  du 
type  adopté.    Le  mut  unité  dan-^  la  durlrine  ru)n  .Heulement  impli- 


SlJi;    I.'AM,l'.MAf;iNE,  187 

que  Tadmission  complète  des  mômes  vérités,  mais  encore  exclut  les 
croyances  dianu''lralenicnt  opposées.  Mais  le  comité  cenlral,  con- 
vaincu qu'il  échouerait  dans  celle  Iculalive,  a  jugé  prudent  de  pren- 
dre un  aulre  expédient.  Il  a  donné  au  mol  unité  une  signilication 
nouvelle.  D'après  lui  il  peut  y  avoir  unilé  entre  les  deux  contrai- 
res, voici  son  principe  :  Pourvu  qu'il  y  ait  entre  des  hommes  d'opi- 
nions opposées  quelque  point  de  contact,  l'unité  existe  entre  eux.  Avec 
celle  délinilion  singulière,  l'unité  existe  parlent.  Il  y  a  unité  enlre 
le  feu  et  l'eati,  puisque  tous  les  deux  ils  coulienneut  une  certaine 
dose  d'oxygène  ;  il  y  a  une  même  unité  entre  le  protestantisme  et 
le  catholicisme,  puisqu'il  est  plusieurs  dogmes  qu'ils  professent 
également.  Celte  élrange  manière  d'enlendre  l'unité  a  élé  stigma- 
tisée au  synode  par  M.  Tesswar,  avocat  de  Cologne,  lorsqu'il  a  dit  : 
«  En  faisant  consister  l'unilé  dans  l'adhésion  à  la  confession  d'Aug- 
sbourg,  et  en  tolérant  d'iui  aulre  côté  les  bigarrures  des  églises  par- 
ticulières, que  faisons-nous,  si  ce  n'esfde.  proclamer  que  nous  som- 
mes unis,  excepté  dans  ce  où  nous  sommes  divisés?  » 

Mais  il  fallait ,  bon  gré  mal  gré ,  fair  croire  à  l'unité  du  protes- 
tantisme :  l'absurdité  n'a  pu  faire  reculer  les  organisateurs  du  sy- 
node. 

D'un  aulre  côté,  nous  sommes  forcés  de  rendre  hommage  à  l'ha- 
bileté de  M.  Belhman  et  consorts,  lisent  compris  qu'ils  succombe- 
raient a  la  tâche  et  qu'ils  exigeraient  des  dissidents  des  sacrifices 
impossibles,  en  voulant  établir  une  unilé  réelle  et  non  illusoire. 

En  effet,  enlre  partis  opposés,  la  fusion  n'est  possible  qu'à  la  con- 
dition qu'on  fasse  le  sacrifice  au  moins  d'une  partie  de  ses  opinions. 
Celui  qui  avait  regardé  comme  essentielle  l'admission  de  telle  véri- 
té doit  sacrifier  cette  conviclion,  s'il  veut  n'être  qu'wn  avec  celui 
qui  la  rejette.  La  conséquence  de  ce  procédé  est  évidente.  L'un  en 
acceptant  un  nouveau  dogme,  l'autreenrejetantune  vérité  à  laquel- 
le il  avait  cru  jusqu'alors,  prouvent  que  le  dernier  avait  cru  trop  et 
le  premier  trop  peu. 

Que  dire  des  rationalistes  qui  ne  voient  dans  les  dogmes  positifs 
du  christianisme  qu'un  long  tissu  d'erreurs  et  de  superstitions  ?  En 
souscrivant  purement  et  simplement  à  un  symbole  qui  résume  les 
croyances  d'un  christianisme  tronqué ,  ils  auraient  dû  condamner 
leur  passé,  et  donner  un  démenti  à  la  raison  qu'ils  avaient  exaltée 
comme  l'unique  guide  à  suivre. 

En  un  mot ,  tous  ceux  qui  auraient  adhéré  sans  restriction  à  la 
confession  d'Augsbourg  se  seraient  eux-mêmes  convaincus  d'erreur. 


Kniin,  .si  un  logicien  eùl  (Jrmandù  au  fusionislo  comrocnl  il  ex- 
plique sa  transaction  avec  le  parti  unitaire,  nous  ne  voyons  qu'une 
rrponse  sali<if;us.inl»!  i\  donner  «"^  celle  question  :  il  aurait  été  con- 
traint d'avanii'r  (|iie  les  «lofâmes  non>ean\  (ju'il  prolest»c  aujour- 
d'hui ou  que  les  véritésqu'il  rejette  sont  de  |>cn  d'importance,  sont 
indifftrenli.  El  la  r»''pli(|ue  auiailélé  si  facile  !  IndilTiTenl  le  Iiap~ 
léme.^  indilTérenle  la  (jrarr :->  indilTérente  la  ialifftulion'!  indilTércnle 
la  prétence  réfUe  ?  Mais  si  tout  cela  est  indifférent,  soyez  donc  con- 
séquents avec  vous-niénïes,  et  déclare/  <|ue  tout  le  christianisme 
est  indilTérent. 

Les  cor>phées  du  protestantisme  avaient  prévu  ces  objections; 
forcés  d'opter  entre  l'erreur  on  l'indifférence,  ils  ont  choisi  la  der- 
nière allcrnalive. 

L'art.  10  de  la  première  confession  d'Au^ishourp  admet  la  foi  en 
la  présence  réelle  dans  la  Sainte  Kucharislie.  Or,  l'immense  majo- 
rité des  prolestants  rejelle'ce  dogme.  C'était  donc  s'exposer  û  un 
échec  certain  que  de  proposer  de  souscrire  a  un  symhole  dont  un 
des  points  principaux  étai  nt  rejeté  par  la  masse  des  délégués  à 
Kerlin.  Le  comile  central  a  fait  disparaître  cette  pierre  d'achoppc- 
nienl,  en  déclarant  qu'on  resterait  libre  d'aiinieltre  ou  de  rejeter 
l'art.  10  de  la  (;onf.:ssion  d'Augsbourg  ,  que  la  foi  en  la  présence 
réelle  ou  la  négation  du  ce  dogme  n'empêcherait  pas  Tunilé  entre 
les  signaUiircs  ! 

La  présence  réelle,  ce  dogme  qui  est  ici-bas  toute  noire  espt'rance 
et  notre  consolation,  l'anoblissement  de  l'humanité,  le  fondement 
et  le  centrt!  du  culle,  la  présence  réelle,  on  en  f;iit  si  bon  marché! 
On  peut  la  nier,  et  malgré  celte  négation,  on  ne  détruit  pas  l'unité 
avec  d'autres  protestants  qui  croieni  à  la  Sainte  Eucharistie!  Nous 
n'insistons  pas  sur  ce  (|u'il  y  a  de  poignant  dans  la  proposition  du 
comile  central;  loul  c(rur  (  hrélien  n'en  sera  déjà  que  trop  navré. 
Disons  seulement  que  le  synode  de  Berlin  a,  par  cette  déclaration, 
proclamé  l'indinérence  la  plus  complète  de  tous  les  dogmes  chré- 
tiens. (>ar  si  l'on  se  croit  en  ilroil  de  déclarer  qu'il  n'y  a  aucune 
conséquence  à  admettre  ou  à  rejeter  la  Sainte  Eucharistie,  on  doit 
afficlier  le  même  dédain  pour  toutes  les  autres  vérités  religieuses. 

Apres  ce>>  observations  préliminaires,  nous  devons  rendre  un 
compte  fidèle  de  la  lenue  du  Synode.  Nous  cxtravons  notre  compte- 
rendu  de  préférence  des  jonrn;iu\  proleslanls. 

L'assendilee,  composé»;  de  1800  membres  présents,  réunissait 
tontes  les  sommités  pruleslanles,  tant  du  barreau  et  des  universités 


SIR  l'alle.magne.  189 

que  du  clergé  évangélique.  La  population  de  Berlin  a  témoigné  la 
plus  froide  indifTérenc»'  pour  cetto  imposante  manifestation. 

Le  président,  M.  Bethmann-Hollweg,  a  commencé  par  rendre 
compte  à  l'assemblée  de  la  manière  dont  avaient  été  mises  à  exé- 
cution les  lésolutions  de  la  dernière  session  :  «  Un  recueil  de  can- 
liquos  a  été  composé;  le  catéchisme  luthérien  de  Heidelbcrg  a  été 
universellement  admis,  sauf  dans  le  grand-duché  de  Nassau;  la 
question  des  mariages  mixtes  a  été  résolue  à  la  satisfaction  du  pro- 
testantisme ;  la  protection  accordée  par  le  comité  permanent  à  la 
famille  des  Madiai  a  été  efllcace.  h  Puis  il  a  prononcé  un  discours 
où  il  a  engagé  le  Synode  à  déployer  toute  l'activité  et  toute  l'éner- 
gie que  commande  le  danger.  La  faiblesse  de  sa  voix  et  les  défauts 
acoustiques  de  la  salle  n'ont  guère  permis  à  l'assemblée  de  com- 
prendre les  paroles  de  l'orateur.  Passant  à  la  question  à  l'ordre  du 
jour,  il  a  proposé  à  l'assemblée  de  décider  que  la  confession  d'Augs- 
bourg  est  le  symbole  fondamental  de  toutes  les  églises  évangéliques  de 
l'Jllemagne.  Voici  les  termes  textuels  de  celte  proposition  : 

'<  Les  membres  du  Synode  évangélique  allemand  déclarent  pro- 
fesser de  cœur  et  de  bouche  la  confession  protestante  présentée  à 
la  diète  d'Augsbourg,  en  1330,  à  l'empereur  Charles  Y  par  les  prin- 
ces et  les  étals  évangéliques.  Ils  reconnaissent  solennellement  cette 
confession  comme  le  document  le  plus  ancien,  le  plus  simple,  le 
plus  commun  de  la  doctrine  de  l'Église  évangélique  de  l'Allema- 
gne. 

»  Ils  déclarent  en  outre  ne  pas  renoncer  par  là  aux  formulaires  de 
foi  de  leurs  églises  particulières  ;  et  les  partisans  de  l'i'yioy  ne  s'enga- 
gent pas  à  renoncer  à  leur  conse>'Sls.  L^admission  de  la  confession 
d'Augsbolrg  laisse  intactes  les  diverses  opimons  des  luthériens, 

DES  LMTAIRES  ET  DES  RÉFORMÉS  SLR  l'aRT.  10  (présCMCe  réelle),  ET 
NE  doit  en  rien  MODIFIER  LA  POSITION  DES  ÉGLISES  RÉFORMÉES  QUI 
n'ont  JA3IAIS  ADMIS  CE  FORMULAIRE  COMME  UN  SYMBOLE.   » 

Avant  de  commencer  le  développement  de  celle  proposition,  on  a 
procédé  à  la  formation  du  bureau.  M.  Sarlorius,  intendant-géné- 
ral, est  nommé  premier  rapporteur.  MM.  Nilzsch,  Krummacher  et 
Stahl  sont  nommés  orateurs  adjoints. 

M.  Sartorius  s'est  longuement  étendu  sur  des  considérations  his- 
toriques et  sur  le  contenu  de  la  confession  d'Augsbourg. 

Le  docteur  Nilzsch  a  insisté  pour  que  le  symbole  ne  fût  pas  ac- 
cueilli comme  une  vaine  formalité  par  les  unionistes.  Ceux-ci  doi- 

12 


1D(I  KTIUES  KELICIEISES 

veut  V  adiu'rer  de  cœur  cotiiini'  à  la  confession  la  plus  simple  et  la 
plus  (wpulaire  do  l'églis»'  cvanj;élique. 

Le  pas(our  Krummaclier,  laissant  do  côlc  loulo  discussion  sublilc 
ou  irril.inlc,  n  Tiit  :t|i|i*-l  au  SLMilini<>rit.  I)an>i  un  dixiours  palliéli- 
(|ue,  il  a  allit'é  rattcnliun  du  sviiudo  sur  l'iuipossibilile  de  résister 
i\  un  ennemi  vigoureux,  infatigable  et  fort  par  l'union,  si  les  diilc- 
renls  partis  de  réglise  évaiigt'li(|ue  ne  se  duiincnt  la  main  et  ne  con- 
cenlreiil  tous  leurs  ellorts.  L'orateur  a  été  interrompu  par  deux 
assistants  qui  ont  entamé  Tliymne  luthérien  :  EinefrstrUuirj.  Toute 
rassemblée  a  bientôt  cunlinué  le  *  liant,  et  le  président,  inrapable 
de  mettre  iiti  au  désordre,  a  dû  subir  la  première  slru|)he  jusqu'au 
bout. 

Kufii)  .M.  Slalil  a  considéré  la  (oiilession  d'Aiig^hourg  comme 
l'ail  bi.slori(iuc ,  conune  symbole  de  doctrine  ,  et  comme  lien  entre 
toutes  les  églises  évangéliques. 

Vint  le  tour  de  l'opposition.  M.  Toswar,  avocat  à  Cologne,  s'op- 
pose A  l'admission  de  la  proposition.  «  Au  lieu,  dit-il,  d'être  le  té- 
moignage de  notre  union  ,  la  proposition  ,  telle  qu'elle  est  rédigée , 
prouve  tout  le  contraire.  I-adeuxiéme  (lartie  nièce  que  la  première 
afllrme,  et  l'ensemble  n'a  d'autre  signiûcation  (|ue  celle-ci  :  Mous 
sommes  d'accord  dans  ce  où  nouf  ne  fonimm  pas  en  désaccord.  Ce  n'est 
pas  ainsi  qtie  nous  serons  à  même  de  nous  présenter  en  face  du  ca- 
tholicisme. »  Comme  pour  racheter  cette  franchise,  l'orateur  se  li- 
vre à  une  violente  diatribe!  contre  l'flglise  romaine.  C'est  rimi(|uo 
orateur  qui  se  soit  permis  cette  odieuse  attaque;  la  plus  grande  ré- 
serve a  caractérisé  le  sixième  synode  protestant. 

M.  IIep(»e,  professeur  à  ^^^rbourg.  exprime  les  opinions  les  plus 
avancées.  .Après  s'être  étendu  sur  le  principe  et  l'esprit  du  protes- 
tantisme, il  rappelle  (|ue  Luther  et  Mélanchlon  ont  secoué  le  joug 
de  tous  les  dognu's  de  l'fCglise  catholique  et  ont  fait  bonne  justice 
(1ère  monstre  (pi'on  appelle  .Sacirilucr,  etc.  Des  cris  :  <i  l'ordre .'  ont 
mis  fm  -à  ce  discours. 

F.e  docteur  Henri,  prcilie  aleiir  a  lîfriiii,  pro[K)>e  de  ne  pas  ex- 
clure les  réformés  non  allemands  qui  adnu'tlent  les  trois  points  sui- 
vants :  l'Écriture  Sainte,  la  justification  par  la  foi  et  la  présence 
réelle.  Le  président  ayant  rappelé  ii  l'orateur  (pi'il  s'écartait  do  la 
question  à  l'ordre  du  jour,  .M.  Hi<hler,  pasteur  à  Hracauiilieim, 
s'est  écrie  :  a  Mieux  vaudrait  dire  de  nous  taire  et  de  répondre 
oui  et  amen.  » 

M.  Millier,  professeur  à  Halle ,  appuie  la  proposition  ,  mais  en 


SIR  i/alleuàgïme.  191 

faisant  ses  réserves.  «  Les  variantes  des  diverses  confessions 
d'An<;sboiii'^',  dit-il,  importent  peu  ;  la  manifestation  que  nous  vou- 
lons faire  aujourd'hui  ne  sgtI  qu'à  raviver  un  souveni}' historique. 
Puis,  chez  les  protestants,  drs  symboles  ne  sont  pciA,  comme  pour  les 
cathuliques,  dcA  cuUck  dr  croi/aiiccs ;  il  ne  font  (jue  constater  Topinion 
des  anciens  réformateurs  sur  la  parole  de  Dieu.  » 

Knlin  M.  iMerle  dWubigné,  professeur  à  Genève,  est  venu  fran- 
chement combattre  le  vote  de  la  proposition.  L'orateur  professe  la 
plus  grande  vénération  pour  la  confession  d'Augsbourg,  non-seu- 
lement parce  qu'elle  proclame  le  fondement  du  protestantisme, 
mais  encore  parce  qu'elle  a  eu  pour  auteurs  des  hommes  dévoués  et 
courageux.  Ce  qu'il  redoute,  c'est  que  les  luthériens  ne  lui  donnent 
\inti  portée  exagérée  ;  ce  (ju'il  prévoit ,  c'est  l'introduction  de  nou- 
veautés dans  la  liturgie  et  dans  la  hiérarchie.  Les  cris  :  la  conclu- 
sion! à  l'ordre!  se  croisent  de  toutes  parts  et  empêchent  l'orateur 
de  poursuivre. 

La  liste  des  orateurs  inscrits  était  bien  loin  d'être  épuisée;  mais 
la  fatigue  et  le  dégoût  étaient  au  comble.  «  Le  président  proposa 
de  continuer  les  débals  le  lendemain,  ce  qui  fut  accepté.  Mais  lors- 
que l'on  comprit  qu'il  s'agissait  pendant  toute  une  journée  des  dis- 
cours aussi  soporifiques,  on  recourut  à  un  second  vote,  et  la  clôture 
fut  prononcée.  » 

La  proposition  mise  aux  voix  fut  adoptée  à  l'unanimité  des 
membres,  moins  huit. 

Rédigée  comme  elle  l'était,  la  proposition  ne  devait  trouver  au- 
cune opposition.  Aucun  membre  ne  pouvait  refuser  son  approba- 
tion à  celte  rédaction  :  Xadmeli  la  confes&ion  d'Jugsbourg,  tout  en 
faisant  mes  réserves  pour  mes  opinions  qui  lui  sont  opposées. 

Nous  avons  déjà  fait  voir  comment  celle  unilé  du  protestantisme 
n'est  qu'un  leurre  pour  en  imposer  aux  gens  crédules.  Les  mem- 
bres du  synode  en  sont  tellement  convaincus,  que  dans  une  des 
séances  subséquentes,  ils  ont  dû  aviser  pour  mettre  un  terme  à  l'es, 
prit  de  secte  et  de  si^paraii'ion  (  sektirerci  und  separatismus).  Les 
unionistes,  qui  avaient  déjà  fait  entre  eux  une  espèce  de  confédé- 
ration, ne  s'y  rallieront  jamais.  Puis  l'histoire  nous  prouve  l'inuti- 
lité de  toutelentative  de  fusion.  Guillaume  III,  roi  de  Prusse,  avait 
déjà  conçu  le  projet  de  réunir  sous  une  seule  bannière  les  diverses 
branches  du  protestantisme.  Le  synode  tenu  en  1817  à  Munster,  -^î^^ 
voulant  faire  disparaître  toutes  les  dénominations  particulières ,  ^t.^^;^ 
donna  à  toutes  les  sectes  indistinctement  le  nom  û'évangélistes.  tj^^J/ 


192  ÉTI'DI!   ilEI.IGIErS(:S 

L'nnili^  si  ardemment  désiri'C  y  fut  |>roclaméu  à  pou  près  dawlM 
m«^nirs  termes  et  avor  les  niôiiu^s  n'-si-rves  qu'A  la  drrnii're  fftssfon 
ilo  HtTlin.  Kri  IS'»»),  une  nouvrlle  réntiion  fut  jugée  indispensable 
|>oiir  mettre  un  terme  auv  dissensions  intestines  des  évan<;4^>liques. 
On  voit  quel  a  été  le  rt^sultat  de  ces  elForls,  puis(|u'en  18^j;J  on  est 
forcé  d'en  venir  A  un  nouveau  mode  d'unité.  Il  ne  peut  en  être  au- 
trement ,  dés  qu'on  ne  reconnaît  pas  d'autorité  conimunc  (jui  dé- 
cide en  dernier  ressort  sur  les  vérités  do^'maliques.  Aussi  longtemps 
que  le  protestantisme  n'abjurera  pas  le  princifte  de  l'examen  privé, 
il  doit  y  avoir  autant  d'opinions  (pn;  de  lecteurs  (Je  la  Hilde. 

Néamoins,  mal^'ré  son  inconséquence,  la  pro|H)sition  adoptée  par 
le  sjnode  de  Dcrlin  ne  laisse  pas  d'avoir  une  signification  inquié- 
tante. La  proclamation  de  cette  unité ,  (ont  illusoire  tprdleest, 
peut  avoir  momentanément  sur  la  situation  des  catholiques  alle- 
mands des  résultats  fAcbeux.  Non-seulement  elle  prouve  que  les 
protestants  ont  conscience  du  dan^'cr  qui  les  menace,  mais  elle  va 
ranimer  les  vieilles  haines  et  faire  mettre  plus  d'ensend)le  dans 
l'exécution  des  mesures  arrêtées  contre  le  catholicisme.  Les  pou- 
vernemenls  de  rAllema<;ne,  déjà  si  mal  disposés  A  l'éj^ar»!  de  nos 
coreligionnaires  catlioli(jues  d'Outre-llhin ,  trouveront  peut-être 
dans  le  vote  de  Kerlin  l'autorisation  et  la  disculpation  de  leurs  per- 
sécutions. Les  alTaires  de  Friliourg  et  de  Linihourg  ne  sont-elles 
pas  le  premier  fruit  de  cette  animosité  réveillée  contre  les  catholi- 
ques? 

Mais  ne  craignojis  pas  l'avenir.  Dieu,  dont  la  sollicitude  pour  l'É- 
glise d'Allemagne  est  si  évidente,  n'abandonnera  pas  nos  frères 
dans  ce  moment  de  crise. 

Il  y  a  plus  ;  il  ne  faut  pas  être  doué  d'tine  forte  dose  de  perspica- 
cité ])our  prévoir  (jue  les  moyens  employés  contre  les  catholiques 
seront  paraivsés  ,  et  que  les  armes  destinées  à  notre  jierte  seront 
dirigées  contre  les  piolestants  eux-mêmes.  Kn  effet,  cette  versatilité 
de  nos  adversaires  doit  les  discréditer  aux  yeux  des  moins  clair- 
voyants. Après  avoir  parcouru  le  cercle  de  toutes  les  erreurs,  les 
voilà  forcés  de  revenir  à  leur  point  «le  départ  !  .\prés  avoir  auda- 
clcuscmcnt  nié  toutes  les  vérités  chrétieimes,  ils  reculent  devant 
l'abfme  que  Ifurs  mains  ont  creusé  1  Las  dti  doute  et  <le  la  négation, 
ne  saioissant  pluscpu*  les  oml)res  du  vide,  il  faut  (|u'ils  rétrogradent 
de  trois  siècles  pour  retrouver  quelque  chose  de  positif!  Oui,  c'est 
se  flétrir,  c'est  étaler  aux  veux  des  populations  ses  plaies  honteu- 
ses q\ic  de  proclamer  si  hautement  l'absence  d'union  entre  les  dif- 


Sl!U   I.AI.LEMAOE.  193 

férentes  branches  du  la  rainiile  protestante.  Et  puis,  il  n^est  pas  si 
facile  (l'arrôlcr  le  cours  des  idées  ;  on  ne  peut  A  sa  guise  modifier 
l'opinion  ptiblique.  Ce  n'est  pas  parce  qu'il  a  plu  à  quelques  doc- 
teurs elûquel(|ues  laïques  de  souscrire  à  la  confession  d'Augsbourg, 
que  l(*s  proleslartts  s'y  soumellronl  do  gaîlé  de  cœur.  Ces  dogmes 
et  ces  instilutions,  qu'ils  sont  habitués  depuis  si  longtemps  à  voir 
bafouer,  ne  pourront  soudainement  devenir  l'objet  de  leur  véné- 
ration. Le  résultat  infaillible  de  celle  contradiction  sera  le  discré- 
dit de  l'autorité  religieuse. 

Ajoutons  que  les  protestants  sincères  sont  en  droit  de  dire  à  ceux 
qui  s'imposent  comme  docteurs  :  «  Pourquoi  tant  de  soucis?  Qui 
vous  a  autorisés  à  modiûer  notre  foi?  Nous  ne  vous  reconnaissons 
nullement  le  droit  de  vous  mettre  au-dessus  de  la  Bible.  Luther  et 
Mélanchton  ont  pu  exprimer  leurs  croyances  dans  la  confession 
d'Augsbourg  ;  mais  leur  formulaire  ne  peut  être  pour  nous  un  code 
de  foi.  Habitués  à  ne  consulter  que  notre  propre  raison  ,  nous  ne 
pouvons  accepter  vos  décisions  sans  abdiquer  les  principes  du  pro- 
testantisme. La  Bible  1  la  Bible  1  est  notre  unique  règle  de  foi.  Ou 
les  articles  de  la  Confession  d'Augsbourg  se  trouvent  dans  l'Écri- 
ture Sainte,  ou  ils  ne  s'y  trouvent  pas.  Dans  la  première  hypothèse, 
votre  réunion  de  Berlin  était  superflue  ;  dans  la  seconde,  nous  ne 
pouvons  y  souscrire  qu'en  nous  suicidant.  Du  reste,  c'est  à  nous  de 
juger  ce  qui  est  contenu  ou  non  dans  la  Bible.  » 

Et  ce  raisonnement,  si  simple  et  si  naturel,  nous  déOons  les  pro- 
testants de  le  réfuter. 

Enfin  ,  ce  qui  nous  inspire  la  plus  ferme  confiance ,  ce  qui  nous 
permet  de  croire  au  triomphe  complet  du  catholicisme  allemand  , 
c'est  la  science  dont  nos  frères  d'Outre-Rhiu  sont  aujourd'hui  les 
coryphées  ;  c'est  Pardeur ,  le  zèle ,  le  dévouement  qu'ils  déploient 
dans  la  lutte;  c'est  l'unité  et  l'ensemble  qu'ils  mettent  dans  la  tac- 
tique ;  c'est  la  constance  et  la  persévérance  qui  distinguent  leurs 
efforts.  Confiants  avant  tout  dans  le  secours  divin,  et  puis  dans  leur 
force  numérique  et  morale,  ils  s'avancent  courageusement  dans 
l'arène  de  la  publicité  où  ils  manient  avec  la  même  habileté  la 
plume  et  la  parole. 

La  septième  session  de  Y  Association  de  Pie  IX,  qui  a  été  tenue 
dernièrement  à  Vienne,  prouve  ce  qu'on  peut  attendre  de  ces  vi- 
goureux athlètes. 


iiisToiUE  m  (:\.\To\  m:  v\id(i 


PAIi    VKRbl.lI.. 


Les  souscriptions  pour  la  seconde  édition  de  Vl/isluire  du  canton 
de  f  aud,  par  M.  le  docteur  ^'e^deil ,  ont  ntleinl  un  chilTn!  élevé. 
Cet  ouvrage  mérito  à  plus  d'un  titre  la  faveur  dont  il  jouit  parmi  lea 
compatriotes  de  l'auteur.  Les  \  audois  lui  doiM'ul  la  (oiiiiaissanco 
de  certains  faits  oubliés  à  dosein  :  les  usurpations  polilitiues  et  re- 
ligieuses ne  se  maintienni'nt  qu'en  effaçant  le  souvenir  de  leurs 
propres  violences  et  celui  des  bienfaits  du  svsléme  ({u'elles  ren- 
verseul.  I/i^'uorance  conservée  ofliciellcment  sur  riiistoire  de  la 
Iléformalion  aurait  déjà  pu  être  dissipée  par  l'ouvrage  de  M.  de 
Ualler  ;  mais  les  protestants  étaient  eu  garde  contre  un  livre  écrit 
par  un  callioliiiuc ,  par  un  nouveau  ('alli()li({ue  mOnie.  Due  à  la 
plume  d'un  de  leurs  coreligionnaires,  VJJiitoirc  du  canton  de  l  aud 
n'a  pas  éveillé  leurs  deliances,  et  ils  ont  pu  y  apprendre,  ce  dont 
quelques-uns  d'j'ulrc  eu\  semblent  parfui>  douter,  qu'ils  n'ont  pas 
été  Suisses  et  calvinistes  de  unisfancc.  In  protestant  écrivait  l'autre 
jour  de  (jeuève  :  «  Nous  sommes  ici  dominés  par  un  las  de  men- 
»  dianls  callioli(|ues.  >-  Il  _v  a  trois  siècles,  tout  ce  que  la  vieille  ville 
épiscopale  et  libre  comptait  de  noble,  de  liebe,  de  vénérable,  d'an- 
tique ,  se  voit  aussi  dominé  par  des  mendiants ,  par  des  réfugiés 
dont  lu  elief  était  un  diacre  >candaleux  «basse  «le  Novon,  de  Senlis, 
qui  avait  nom  (',bau\in  ou  (Calvin,  et  «pii  «li'vint  le  Svlla  de  cette 
Home  protestante.  Car  ces  mendiants,  aidés  par  l'or  d'Llisabelli , 
appuyés  par  les  révoltés  de  France  et  d'Allemagne  ,  soutenus  par 
les  nioUMiuet'^  «1rs  Suisses,   de   mendiants  d(>vinrent  ricbes  à  force 

(1)  Non»  rs|UTiMis  ipir  I  (iistuirc  lic  <n'iir\r  ;iiira  un  j>>ur  .snii  crriMiiii  un 

ptrtial.  (G.  M.  > 


IIISTOIRR   IH'   «'AiM'O.^   1)IL  VAI'I)  105 

de  piller  églises,  couvents ,  de  vagabonds  se  firent  citoyens  cl  ma- 
gistrats, on  chassant  les  ai\cicnn(;s  aulorilrs;  do  minorité  se  firent 
majorité,  gr.'U-cs  à  l'échafaud  et  anx  proscriptions.  Les  mendiants 
catholiques  n'ont  rien,  eux,  rien  qu'une  croix  ;  mais  cette  croix, 
elle  a  dominé  les  panthéons,  les  hasiliquos,  les  Capitoles,  les  coly- 
séos  du  nio'iflc  païen  ;  ponr(inoi  n'apparailrait-clle  pas  à  Genève, 
d'où  la  chassèrent  les  novateurs,  qui  condamnaient  partout  leurs 
temples  A  se  roconnaitre  à  l'absence  du  signe  du  salut? 

M.  A'erdeil  n'a  rien  dissimulé  des  atrocités,  des  injustices,  des 
spoliations,  des  perfidies  qui  accompagnèrent  les  Bernois  dans  la 
conquête  du  pays  de  Vaud.  Il  a  dit  les  violences  qui  |)résidèrent  à 
rétablissement  du  protestantisme,  et  l'oppression  qui  suivit  cette 
époque  de  la  réformalion  ,  appelée  cependant  par  les  Vaudois  : 
glorieuse  et  bienfaisante.  Glorieuse  !  et  pour  qui  donc?  les  crimes  des 
Bernois,  leur  facile  triomphe  sur  un  pays  sans  défense,  furent-ils 
de  la  gloire?  la  soumission  presque  sans  lutte,  sauf  quelques  excep- 
tions, d(!s  populations  vaudoises  qui  protestaient  pourtant  de  leur 
attachement  à  la  vieille  foi,  par  des  réserves,  au  cas  que  Vancienne 
créance  s'en  rainst  au  pays,  cette  soumission  qui  les  livra  comme 
des  troupeaux  ,  pour  être  marqués  du  sceau  bernois  et  calviniste, 
fut-elle  de  la  gloire?  y  en  avait-il  à  perdre  les  droits,  les  franchi- 
ses, la  nationalité,  à  descendre  comme  Lausanne,  du  rang  de  cité 
impériale,  à  celui  de  chef-lieu  d'un  baillage  bernois? 

M.  Verdeil  a  recherché  avec  un  soin  et  une  persistance  louables 
"de  vieilles  chroniques  du  temps  qui  lui  ont  fourni  des  détails  pré- 
cieux par  leur  originalité,  leur  authenticité.  La  vérité  s'est  fait  jour 
comme  ces  plantes  vivaces  qu'une  semence  inaperçue  fait  germer 
au  milieu  des  ruines  et  qui  percent  au  travers  des  fissures  des  pier- 
res massives.  La  main  de  la  Providence  soustrait  le  palais  de  Ni- 
Dive  aux  dévastations  des  siècles,  et  les  découvre  quand  l'heure 
est  venue  de  réfuter  les  détracteurs  de  la  Bible  ;  c'est  la  même 
main  qui  enfouit  dans  un  coin  de  la  Maison  de  V'ille,  au  fond  d'un 
bahut  de  quelque  grenier  communal,  des  documents  qui,  re- 
trouvés plus  tôt,  eussent  été  détruits  par  la  haine  de  parti,  qui 
l'emportait  alors  sur  l'amour  de  l'histoire.  Les  archives  de  la  vé- 
rité sont  impérissables. 

Mais,  entre  l'historien  érudit,  entre  le  chercheur,  le  compulseur 
patient  de  vieux  manuscrits,  entre  l'ennemi  de  Berne,  il  y  a  un 
M.  Verdeil,  le  prolestant  d'habitude,  le  libéral  avancé.  Celte  dua- 
lité produit  des  oppositions  flagrantes,  des  inconséquences  étranges 


196  IIISTUlRi:  ou  CAMTO.M   UE  VAID. 

entre  le  savant  consciencieux  (|iii  rap(M)r(e  les  faits  et  le  philusiopbe 
moderne  ((ui  les  commente  «'t  les  apprécie  Si  l'on  igrtorail  que  les 
esprits  les  plus  éclairés  se  laissent  défurnier  au  suuflle  de  la  préven- 
tion, conmionl  expliquerait-on,  par  exemple,  la  contradiction  évi- 
dente qui  ressort  des  deux  passages  suivants. 

A  la  tin  du  l***^  vuluun;,  M.  Nitidcil  disait  :  «  Le  bourgeois  de 
»  Herne  leva  ses  vasseaux  ,  l'évéijue  Sébastien  de  Moulfaiiton  fut 
1)  chassé  de  ses  £]tats,  la  bourgeoisie  de  Lausanne  futasser\ie,  les 
i>  ricliesses  de  Tï-Iglisc  accumulées  depuis  des  siècles  dans  la  calbé- 
h  draledeJcan  de  (lossonaz  et  dans  le  monastère  de  la  reine  Berlhe, 
j)  formèrent  ce  trésor  que  le  bourgeois  de  Berne  augmenta  aux  dé- 
V  pens  du  pays  conquis.  Mais  â  son  tour  une  république  puissante. 
»  foulant  le  faible  sous  ses  pieds,  \oulut  s'emparer  de  ce  trésor. 
»  Elle  entra  dans  le  pays  de  \  aud,  appelée  aus^i,  disait-elle,  par  la 
»  liberté  opprimée  :  elle  renversa  la  puissance  du  bourgeois  de 
u  Berne,  qui,  dans  son  orgueil,  croyait  que  trois  siècles  d'usurpa- 
u  tion  constituaient  le  droit  divin.  » 

Dans  le  second  volume,  page  183,  nous  lisons  cotte  étrange 
phrase  :  <>  Henri  IV  abjura,  et  celte  mesure  déplorable  retarda  de 
»  deux  siècles  l'avènemenl  de  la  lilierté  en  France,  u 

Quoi!  ce  protestantisme,  qui  de  ce  côté  du  Jura  amène  avec  soi 
les  violences,  les  rapines,  les  injustices  et  roppres.sion,  ce  protes- 
tantisme aurait,  en  montant  au  trùne,  donne  le  bonheur  à  la  France! 
Quoi  !  ce  fut  une  mesure  déplorable,  celle  qui,  approuvée  par  les 
sages  létes  du  parti  prolestant  ^nous  ne  parlons  |)as  ici  d'.Vgrippa 
d'.Vubigné),  pacilia  le  royaume  en  sati^^ais,■^nl  aux  justes  exigerj- 
ces  du  parti  catholique,  du  parti  national,  après  tout;  car  les  hu- 
guenots ,  partout  et  toujours  agresseurs  ,  blessaient  les  sympathies 
populaires.  (Juui  !  ce  fut  une  nu>>ure  (lé|)lorable,  celle  ipii  \int 
soustraire  le  royaume  ùl  des  scènes  pareilles  ù  celles  dont  la  Navarre 
avait  été  le  thédtre ,  sous  les  auspices  et  par  les  ordres  de  Jeanne 
d'Albrel,  la  reine  protestante!  -Ui  !  s'il  y  eut  ipnlque  chose  a  dé- 
plorer, ce  fut  le  retard  d'une  mesure  qui  rendait  a  l'I'^glise  un  des- 
cendant de  saint  Louis  que  deux  fois  l'insouciance  et  une  faus&o 
politique  avait  éloigné  de  la  foi  do  ses  pères. 

Si  ces  deux  lignes  renferment  une  appréciation  (juelque  peii  lé- 
gère do  l'abjuration  de  Henri  1\  ,  elles  contiennent  un  aveu  dont 
nous  prenons  acte.  Quand  lus  écrivains  catholiques  reprochent  d  la 
réforme  d'avoir  préparé  la  révolution,  les  prolcstanls  re[)ous.>»<'nl 
cette  solidarité  avec  indignation.  Mais  voici  qu'en  deux  mots  M.^  er- 


iiisnuiii-;  1)1    CANTON  dk  t.vld.  11)7 

ilcil  lullache  les  colloques  des  calvinistes  aux  clubs  des  jacobins. 

«  L'abjuralioii  dUenri  IV  ret-iida  de  deux  siècles  ravéneraent  de  la 

libellé.  ..  (Jue  sijriiilie  cet  aveu  d'enfanl  leiiible?  «  Laissez  domi- 

»  ner  le  proleslantismo  ,  laissez-lui  faire  son  a>uvre,  afin  que  deux 

»  siècles  plus  lui  le  Irône  s'écroule  ,  la  noblesse  soit  détruite  ,  la  vie 

»  et  les  propriélés  de  tous  soient  allatiuées  ;  laissez  dominer  le  pro- 

»>  lestanlisme,  pour  que  deux  siècles  plus  tôt  le  sang  coule  à  lor- 

»  renls,  les  éfrjises  et  les  sépultures  soient  profanées,  et  qu'on  fasse 

»  l'aumône  à  l'Être  Suprême  de  je  ne  sais  quelle  reconnaissance  of- 

>)  ûcielle,  tandis  que  partout  le  bonnet  phrygien  remplace  la  croix  ; 

»  laissez  dominer  le  protestantisme,  afin  qie  renouvellant  l'hérésie 

»  albigeoise,  sous  prélexte  de  l'indignilé  J'un  prince  ou  d'un  prê- 

»  trc ,  la  royauté  et  le  clergé  soient  abolisl;  laissez-le  dominer,  afin 

»  qu'anéantissant  toute  hiérarchie,  il  fasst  disparaître  l'obéissance 

»  aux  supérieurs  et  le  respect  pour  l'autor^'lé,  même  celle  du  père 

»  de  famille;  laissez-le  dominer,  afln  quel  deux  siècles  plus  tôt  les 

»  calculs  de  l'intérêt  remplacent  les  aspirations  de  la  foi ,  pour  que 

»  la  prudence  de  l'égoïsme  remplace  les  ebns  de  la  charité ,  et  que 

»  toutes  les  espérances  de  l'homme  se  résMment  par  une  fm  de  mois 

.)  satisfaisante  ;  laissez  venir  plutôt  la  liberté,  que  le  protestantisme 

»  devait  faire  éclore  ;  laissez  venir  93  et  iV  Terreur  !  » 

Qu'il  nous  soit  permis  d'emprunter  aux  lettres  de  Fénélon,  pu- 
bliées par  l\J,ni  de  la  lieligion,  quelques  ci'-.tions  qu'il  sera  curieux 
de  rapproche-  de  ce  p^.age  de  il.  verdeil.  Le  pieux  archevêque 
redout-  1  avenir,  l'historien  déplore  le  passé  :  pronostics  et  regrets 
se  rencontrent,  en  partant  certes  de  deux  points  bien  opposés. 

«  La  France  est  pleine  de  protestants  mal  convertis,  écrit  en  1710 
»  Fénélon  au  cardinal  Alaraanni ,  qui  se  joindraient  aux  jansénis- 
>'  les...  Si  la  maison  de  France  était  abattue,  il  n'y  aurait  plus  que 
»  la  maison  d'Autriche  qui  pût  soutenir  la  catholicité...  Nos  peu- 
»  pies  sont  dans  le  plus  grand  péril  de  séduction,  car  on  paie  les 
»  pauvres  familles  qui  vont  au  prêche  des  protestants,  et  on  lient 
»  aux  riches  les  discours  les  plus  pernicieux...  On  éteint  la  véné- 
»  ration  et  la  conGance  dans  le  cœur  du  peuple  ;  la  critique  devient 
»  plus  hardie  de  jour  en  jour.  Un  terrain  qu'on  sape  ne  paraît 
»  ébranlé  que  lorsqu'il  tombe  tout  à  coup...  Je  ne  me  mêle  point 
»  de  politique,  mais  je  suis  effrayé  de  tout  ce  que  le  parti  protes- 
»  tant  peut  faire  en  peu  d'années  dans  l'Empire  et  dans  toute  l'Eu- 
"^**P^-'^  (Mn^^deRoMONT.) 


SIÉLA\(;ES  et  NOIVELLES. 


ll«»llMntle.  —  l*arini  le$  évéïicniciits  qui  onl  pu  avant  la  lin  de 
l'aniiL-c  18o3 ,  consoler  le  «œur  du  Souverain-l'onlife  ,  il  en  csl  un 
dont  la  dernière  allocution  poiiliiicale  n\i  pas  àù  faire  nienlion  , 
mais  qui  lieiidra  une  ;,'rand<>  place  dans  les  annales  religieuses  ,  et 
qui  sera  Tune  d(;s  j;loires  de  Pie  I\  :  nous  \oulonsdire  la  restau- 
ration areoniplie  et  reconnue  ofticiellcmcnl  de  la  hi^'rarchie  ecclé- 
siasli(|ue  en  Hollande. 

Les  journaux  onl  récemment  annoncé  cpie  le  minisire  de  l'inté- 
rieur à  la  Haie  venait  de  signer  un  arrêté  portant  que,  «  en  vertu 
de  ce  rélablissemenl  de  la  liir'rarchie ,  les  archevêques  et  évéqiies 
catholiques  sont  seuls  autorisés  A  délivrer  aux  étudiants  en  théolo- 
gie les  cerliticats  ayant  pour  objet  de  les  exempter  de  la  milice  et 
de  la  ;;ar(ltî  civicpie.  I/arrélé,  ajou(e-l-on,  donne  les  noms  patro- 
nymiques des  prélats,  suivis  de  leur  litre.       ^yémi  de  In  Religion.) 

France.  —  Orléans.  —  On  lisait  naguère  dans  le  journal  de 
Bcangency  :  «  Kncorc  une  conquête  à  enregistrer  dans  les  fastes  du 
»  catholicisme.  Dans  la  chapelle  des  Dames  Ursulmes  de  Bcau- 
»  gency,  a  eu  lieu  l'abjuralion  cl  le  liaptéme  d'une  dame  proles- 
»  tante,  couronnée  le  lendemain  par  sa  première  communion.  .Ma- 
»  dame  de  ***,  appartenant  à  une  des  familles  les  jilus  lionorahlo 
»  de  fionèNe,  av;iil  soupronné,  pcnd.inl  un  séjour  «le  vingt  ans  à 
»  Paris,  que  la  religion  réformée  ne  contenait  pas  la  vérité  tout  en- 
»  tiére.  La  Providence  lui  fit  rencontrer  un  homme  de  Dieu  aussi 
»  fervent  qu'éclairé,  qui  devait  la  lui  communicpier  dafis  toute  sa 
n  plénitude.  Après  des  études  approfondies  p«'ndant  plus  d'une  au- 
»  née,  elle  entrait,  il  y  a  un  niois,  ;^  la  «ommunauté  des  Irsulincs, 
»  et  demandail  à  la  sainte  solitude  le  calme  nécessaire  aux  grandes 
»  choses  que   sa   conscience   ne    lui   permettait   pas  de   diiïérer. 


Miîr.A?((;i;s  et  ^(orvEi.LES.  199 

»  M.  raumôniei'  et  M.  le  suptiiietir,  dans  des  allocutions  vivement 
»  senties  et  exprimées,  firent  partager  leur  juste  émotion  à  leur  au- 
»  ditoire,  et  surtout  à  la  pieuse  catéchumène,  qui  ne  cessa  de  ré- 
»  pamlri'  des  larmes.  » 

Beljsi(|iic.  —  On  lit  dans  la  licvue  catholique  de  Louvain  : 

«  L'Université  catholique  ,  inaugurée  à  Malines  le  k  novembre 
183i,  installée  à  Louvain  le  l'*^  décembre  183o,  est  entrée  dans  la 
20*'  année  de  sa  carrière.  Vj^nnuaire  qu'elle  publie  depuis  18  ans, 
renferme  les  preuves  authentiques  et  incontestables  de  sa  prospé- 
rité, de  son  influence,  de  ses  services,  des  succès  que  ses  élèves  ob- 
tiennent devant  les  jurys  d'examen.  Depuis  sa  fondation  jusqu'au 
commencement  de  décembre  1853,  elle  a  vu  ses  cours  fréquentés 
par  10,496  élèves,  et  ce  chiffre  devra  être  majoré  de  1893,  si  l'on 
veut  y  ajouter  les  élèves  du  collège  de  la  Haute-Colline  depuis  1838 
jusqu'à  1850.  De  pareils  chiff'resont  une  haute  signiticalion  pour  tous 
ceux  qui  connaissent  l'histoire  contemporaine  et  qui  ont  étudié  de 
près  dans  notre  pays  tout  ce  qui  se  rattache  à  la  grande  et  impor- 
tante question  de  l'enseignement. 

Après  avoirr  cilé  le  chiffre  total  des  inscriptions,  il  est  intéressant 
de  le  décomposer,  alin  de  faire  mieux  apprécier  quelle  a  élé  la  mar- 
che des  études  dans  chacune  des  facultés  entre  lesquelles  elles  se 
partagent.  Nous  trouverons  alors  :  1005  théologiens,  2, 71i  juristes, 
1,670  étudiants  en  médecine  ,  1,476  étudiants  en  sciences,  3,627 
étudiants  en  philosophie.  Depuis  1836  jusqu'à  la  lin  de  la  2*^  session 
du  jury  de  1852-53  ,  3,419  élèves  de  l'université  catholique  ont 
subi  leurs  examens,  et  139  ont  obtenu  lajilus  grande  distinction. 
Dans  ce  relevé  ne  sont  pas  comprises  les  prom.otions  aux  grades 
scientihques  qui  ont  élé  faites  à  l'université  et  qui  se  rapportent 
surtout  aux  études  de  théologie,  de  droit  canon  et  de  médecine. 
Les  inscriptions  prises  pendant  les  deux  premiers  mois  de  l'année 
académique  1853-54,  montent  à  562;  elles  se  sont  élevées  à  la  fin 
de  l'année  précédente  à  576.  » 


Genève.  —  M.  Bungener,  ministre  protestant  français,  venu 
à  Genève  il  y  a  quelques  années ,  obtint  ici  droit  de  bourgeoisie  et 
de  plus  une  place  de  professeur.  Il  croit  devoir  payer  sa  reconnais- 
sance en  mettant  au  service  du  protestantisme  son  talent  de  con- 


200  MÉLV^(;ES  et  ?IOltTELLba. 

leur,  (>t  (Ml  insultant,  avec  des  formes  brillantes,  les  convicliuns  des 
callioli(|ues  gcuevuis  el  h'ur  vénération  pour  leur  clergé.  C'est  une 
cliOMî  ftrangc  que  crtte  nianiéro  d«'  colli};iT  des  défenseurs  de  tou- 
tes parts,  de  irs  appeler  au  secuurs  du  laivinisine,  et  dr  froisser 
une  partie  d<*  la  pu|)ulalion.  L«*  protestantisme  gene\ois  est  donc 
bien  en  pénurie  ,  puis(|u'il  a  besoin  de  demander  à  la  France  des 
conteurs,  à  l'Ilalio  et  à  la  Savoie  de  pauvres  adeptes,  à  l'Angleterre 
des  guinées  ;  et  avec  des  littérateurs  français,  des  a|K)slals  italiens 
el  de  l'argent  britanni(|ue,  il  espère  sauver  la  nationalité  protes- 
tante. (Juelle  nationalité  ! 

Nous  avons  entendu  un  spirituel  inédet  in  prutestant  de  (ienéve 
appeler  M.  Hungener  un  (iri<((/r»o>r,- le  mol  est  vif  ;  nous  croyons 
(|u'il  mérite  mieux;  c'est  un  fécond  conteur,  qui  ne  veut  y»?, 
eonime  le  marquis  de  Mascarille,  mettre  Ihisloire  romaine  en  ma- 
drigaux, mais  (]u(  met  l'hisloire  el  la  religion  en  romans.  Il  a  dr;)- 
matisé  les  volumes  de  fra  Paolo,  et  nous  a  donné  un  roman  sur  le 
Concile  de  Trente  ;  il  a  fail  des  romans  sur  les  prédicateurs  du  siè- 
cle de  Louis  \I\'et  de  I^ouisW,  et  il  vient  de  rajeunir  les  thèmes 
de  Dumas  el  de  N'ietor  Hugo,  elde  les  faire  servir  au  prosélytisme 
prolestant.  Son  dernier  ouvrage* ,  Julim  oh  la  fin  d'un  iifcle ,  a  ob- 
tenu de  \' ./.*M'inl)lt'c  ydtionalr  un  arli<li'  que  nous  regrettons  do  ne 
pas  reproduire  en  entier.  «  L'histoire,  dit-elle,  court  grand  péril  à 
»  être  ainsi  maniée.  Hahaissée  de  la  sorte  jus<]u',^  l'anecdote,  l'Iiis- 
»  toire  se  trouve  aisément  avilie  jus(|u*au  pamphlet.  »  Le  libre  exa- 
men protestant  prend  ses  ébats  dans  les  études  historicpies  comme 
dans  la  théologie;  il  se  réserve  des  droits  d'invention  comme  M.  Hun- 
gener, de  citations  fausses  comme  M.  Weiss  ;  c'est  là  l'histoire  ella 
littérature  pour  les  salons;  il  a  aussi  .ses  calomnies  |>our  le  lecteur 
des  rues ,  alors  il  produit  les  Jésuilei^  de  Brilci/.  De  ce  pamphlet  au  ro- 
man de  .M.  Bungener,  il  n'y  a  que  la  dilTérefice  du  talent  de  ro- 
mancier el  d'écrivain;  c'est  toujours  un  «-alomnieux  récit  destiné 
à  servir  de  ptllure  aux  haines  lettrées  ou  ignorantes  contre  le  catho- 
licisme. Sans  doute  il  y  a  une  distance  énorme  d'un  écrivain  ha- 
bile et  spirituel,  d'un  style  plein  de,  verve,  d'unt'  .série  de  .scènes 
émouvantes,  aux  lourdes  narrations,  au  frantjais  de  frontière  qui 
nous  ont  révélé  l'cr-noricr  ;mais  l'attaque  ne  perd  passa  déloyauté, 
(pielle  »pie  soit  la  valeur  littéraire  du  récit.  L'Jtscmblce  Nationale 
termine  l'article  par  ces  remarcpies  pleines  de  sens  : 

«  Mais  ces  ronvirtions,  <|ue  nous  ne  partageons  pas.  <i  non*  \on- 


MKLANOES  ET  NOUVELLES.  201 

lions  les  comhaltrc,  ce  ne  sérail  point  à  l'aide  do  la  fiction  qui  est  ar- 
bitraire et,  |);ir  consi'qiienl,  ne  prouve  pas.  M.  Hiinj^ener  imagine 
deux  pri^tres  ,  doiil  riin  ne  respire  (|u  î  scepticisme  et  l'autre  que 
luxure.  Oui  nous  empocherait  d'imaginer  deux  ministres  proles- 
tants plus  misérables,  ou  plus  scélérats  (jue  ces  deux  prêtres?  Notre 
réponse  vaudrait  l'attaque  de  M.  liungener,  c'est-à-dire  qu'elle  ne 
vaudrait  rien  du  tout. 

»  Nous  préférons,  en  terminant,  dire  à  M.  Bungener  :  Vous  re- 
prene/  inulilenient  un  thème  usé,  le  thème  de  Voltaire,  le  thème 
de  Courier,  des  faux  libéraux,  des  poètes  déchus,  des  polygraphes 
immondes.  Regardez  autour  de  vous  :  on  compte  en  France  envi- 
ron cent  mille  prêtres.  L'opinion  est  ombrageuse  à  leur  endroit; 
elle  les  surveille  scrupuleusement  ;  tous  les  yeux  sont  ouverts  sur 
leurs  moindres  actions.  Où  sont  les  crimes  ?  Où  sont  les  scandales? 
Où  sont  les  fautes?  Ces  cent  mille  prêtres  ne  portent-ils  pas  avec 
allégresse  ce  double  joug  et  ce  célibat  qui  vous  indigne  ?  Oui,  ils  le 
portent  avec  allégresse,  parce  que  c'est  le  joug  dontJésus-Christ  a 
dit  :  «  Voyez,  que  mon  joug  est  léger.»  Il  y  a  plus  :  ce  joug  qui  à 
vos  yeux  les  déshonore,  pour  nous,  fait  leur  dignité,  et  là  où  vous 
trouvez  la  cause  de  leur  prétendue  faiblesse,  nous  plaçons,  nous, 
l'inébranlable  fondement  de  leur  puissance. 

»  Comment ,  je  vous  prie  ,  un  prêtre  nous  imposerait-il ,  à  nous , 
catholiques,  s'il  nous  parlait  au  nom  d'une  autorité  qui  le  domine? 
Vous  nous  parlez  en  votre  propre  et  privé  nom?  Soit.  —  Vous  pou- 
vez être  un  homme  de  sens  et  nous  sommes  touchés  de  vos  conseils. 
Mais  de  là  à  nous  imposer,  il  y  a  loin.  Car,  en  définitive,  notre  rai- 
son est  égale  à  la  vôtre.  Dès  lors,  chacun  ne  relevant  que  de  soi- 
même,  la  fraternelle  unité  du  dogme  est  rompue,  l'Eglise  renversée 
et  toute  religion  réduite  à  un  déisme  inconsistant. 

»  Il  y  a  dautre  part,  chez  le  prêtre,  une  force  qui  nous  subjugue, 
autant  et  plus  peut-être  que  l'autorité  de  sa  parole;  c'est  la  force 
de  son  exemple.  Supposez  que  le  prêtre  ne  garde  pas  le  célibat  ; 
il  sera  donc  marié  et  jouira,  sinon  des  délices  de  la  vie,  au  moins 
d'une  honorable  aisance  et  des  pénétrantes  douceurs  que  procurent 
unefemme,  des  enfants,  un  ménage.  Mai  alors  de  quel  droit  m'or- 
donnera-t  il  la  résignation,  à  moi  qui  n'auraitni  pain,  ni  asile,  ni  sup- 
port? Nesera-t-ilpaslropfixéàlaterre  pour  me  parler  efficacement 
du  ciel,  et  quand  je  l'appellerai  mon  père,  pourra-t-il,  du  fond  de 
ses  entrailles,  m'appeler  son  fils  ?  Non  ,  il  nous  faut,  à  nous,  catho- 
liques, desVincent  de  Paul  qui  soient  chastes,  pauvres,  détachés,  qui 


«202  ItLA.^UES  ET  NOUVELLES. 

protiqnPiU  les  auslérilés  qiril>  nous  prùclu'i.l ,  el  qui ,  non  coDlcnls 
d'endurer  leurs  propres  niau\,  dimiuueiil  Nuloulier-  nu>  souffrances 
en  les  parla-eanl,  ou  prenncnlnoscbaines,  pour  nous  en  dccbargcr. 
»  Or,  entre  do  U-ls  prèlres  el  l'abbe  Julien  ,  que  M.  Bungener 
veuille  bien  y  reUocbir,  il  y  a  un  abime.  L'abbe  Julien  n'esl,  lout 
au  plus,  qu'une  copie  du  Vicaire  Savoyard.» 

Après  ces  admirables  paroles  de  VM»embtée  vnlionalt,  il  nous 
reste  à  formuler  un  re-rrt.  Si  M.  Rnn^enor,  au  lieu  de  n'ainbil.on- 
ncr  que  l'auditoire  restreint  de  .lueLpies  protestants.  enq)loyait  ses 
loisirs  à  une  œuvre  d'où  la  haine  et  les  préjugés  reli^ie.ix  sotent 
absents,  il  parviendrait  à  ronquérir  une  renommée  littéraire;  mais 
son  désir  de  servir  le  petit  oaUini^me  genevois  le  condamne  aux 
médiocres  succès  d'une  célébrité  de  coterie 

—  .///i/iVc  de  Chnrans.   L'agitation  proleslanlc  porte  ses  fruits. 
\pre>  l'organisation  de  plusieurs  sociétés  de  prosélytisme  ,  de  clubs 
religieux  |)our  les  boinnus  el  les  femmes  au  Casino,  de  conférences 
san.r  nombre  ;  après  le  colportage  des  pampblels  calomnieux  el  les 
distributions  d'argent  j.our  acheter  les  pauvres  el  le>  ;\mes  vénales, 
1  ri.ioM  protestante  vient  do   tenter  une  aventure  de  propagande 
dans  nos  campagnes.  In  minislie,  enlouié  d'une  poignée  d'apostats 
étrangers,  est  allé,  dans  un  hameau  exclusivement  calholique,  éta- 
blir un  prêche,  malgré  les  représentations  de  la  population.  Ce  n'est 
pas  comme  à  Hernex,  à   Onex  ou  a  V.Tnier.  une  réunion  particu- 
lière pour  les  proteslanls  (jui  habilenl  ces  villages,  cl  cpie  les  ca- 
Iholi.piesn'onl  jamais  troublée;  c'est  une  lenlalive  du  prosélytisme 
le  plus  indiscret  elle  moins  molivé.   Le  mini>lre,  .s'abritant  sans 
.ourage  derrière  une  légalité  spécicu>e,  de.vail  bien  prévoir  qu  une 
H-\W  provocation  jetée  i^  une  population  religieuse  et  paisible,  sou- 
lèverait des  représailles  de  la  part  .Ihommos  de  foi  el  de  cœur.  >os 
.amna-nards  ne  veulent  point  «luon  les  croie  capables  de  devenir 
.l.-^ transfuges  ou  d'être  achetés  parla  caisse  des  Int^rcU  protestante. 
Us  ont  protesté  contre  cet  envahissement;  la   presse  gencv^oisc  le. 
accuse  dévoie   de  fait,  do  violation  de   domicile;  nous  blAmo.» 
loulc    illégalité  el  toute   violence;   mais  nous  croyons  que  le  pi.» 
.-oupable  est  celui  qui  vient  jeter  un   f.Tmenl  de  discorde    dan^ 
„n  pays  «lui  ne  l'a  point  appelé  et  s'imposer  ^  un  village  catholique 
au  mépris  des  traités.   -  tjuel.|ues  paysans  sont  en  pn>on  ;  h- 
habitants  des  campagnes  raniment  leur  foi  el  leur  zèle  a  la  vue  d.s 
.nœuvres  de  l'héiésie  ,  cl  on  nous  assure  que  deux  apostats  d  un 


mai 


MÉLANCKS    El     >OUVELLES.  203 

village  voisin  sont  revenus  à  résipiscence  depuis  cette  équipée.  Cer- 
tes, ce  n'est  pas  en  voyant  un  niinislrc  arriver  en  voiture,  appuyé 
•par  des  compagnies  do  soldais  et  une  et-couade  de  gendarmes , 
fort  peu  glorieux  d'ailleurs  de  cette  corvée  évangélique,  que  nos 
bonnes  [)Oj)ulilions  reconnailront  un  apôtre;  elles  savent  que 
c'est  rbabitude  de  Terreur  de  recourir  au  [)Ouvoir  civil  ;  que  Viret 
et  Farelont  eu  à  leur  service  les  baïonnettes  de  Berne  pour  implan- 
ter le  culte  du  libre  examen,,  et  elles  sont  décidées  à  ne  pas  faiblir 
devant  l'audace  actuelle  du  protestantisme,  qui  non  content  dépos- 
séder presque  tous  les  temples  de  la  ville,  veut  en  couvrir  notre 
pays.  Nous  espérons  encore  que  le  gouvernement  actuel  saura  res- 
ter impartial  et  juste,  et  que  nous  ne  reviendrons  pas  au  temps  où 
la  Vénérable  Compagnie  et  l'Union  protestante  gouvernaient  le 
Conseil  d'État  et  le  tenaient  en  laisse.  Qu'il  sacbe  bien,  malgré  l'al- 
légresse du  Journal  de  Genève  et  de  la  Démocratie  calviniste,  que  la 
distribution  des  cartouches  à  balles  a  produit  fort  mauvais  effet. 
Les  miliciens  en  étaient  tristes  et  honteux,  et  ils  ne  se  sont  point 
gênés  pour  témoigner  de  leur  mécontentemeut ,  soit  à  la  caserne, 
soit  pendant  celle  ridicule  expédition.  Celte  campagne  ne  sera  pas 
féconde  en  heureux  résultats  pour  le  protestantisme.  Le  sera-t-elle 
pour  le  gouvernement? 

—  Nous  avons  reçu  du  savant  Évêque  de  Bruges,  de  l'auteur 
de  l'admirable  livre  sur  la  lecture  de  l'Écriture  Sainte,  une  lettre 
que  nous  sommes  heureux  de  publier. 

Bruges,  12  décembre  18o3. 
Monsieur  l'Abbé , 

Les  .annales  Catholiques  de  Genève  me  sont  connues  très-avanta- 
geusement par  les  extraits  que  j'en  ai  rencontrés  dans  les  journaux 
religieux  et  par  les  livraisons  que  vous  m'avez  envoyées. 

Je  suis  intimement  convaincu  de  la  nécessité  de  défendre  aujour- 
d'hui la  foi  et  les  droits  de  l'Église  non-seulement  de  vive  voix, 
mais  aussi  par  la  plume.  La  révolution  française  a  malheureuse- 
ment interrompu  la  chaîne  des  écrivains  chrétiens  et  des  apologis- 
tes de  la  foi,  qui  se  rattache  au  berceau  de  l'Église.  Les  temps  plus 
calmes  où  nous  vivons  doivent  voir  surgir  de  nouveau  au  sein  de 
l'Église  une  nombreuse  série  de  défenseurs  armés  de  toutes  pièces 
et  faisant  de  toutes  parts  face  à  l'ennemi  pour  rendre  comnte  de 
l'espérance  qui  est  en  nous,  et  pour  humilier  les  esprils  orgueilleux 
qui  s'élèvent  contre  la  science  de  Dieu. 


204  lÉLANGES  ET  NOUYELLCS. 

I/ïl^lisc  a  en  ce  moment  trois  ennemis  principaux  à  combattre  : 

le  pn>ti'>tantisnie,  comme  ;^  ^lenévc;  la  polilirjiie  paiVnne  qui  fnil 
de  IKlal  une  divinilé,  «oniim'  dans  le  pa\s  dr  Hadcn  ;  el  rincrèdii- 
lilé  sous  la  forme  de  TindifTérence  des  eulles,  parlout. 

Dans  les  ./«/ui/cs  ('(itholii/urs  de  Génère ,  \ous  prenez  à  partie  le 
premier  de  ces  adversaires,  et  vous  le  mener  rudement,  (l'est  là  une 
œuvre  qui  mérite  la  sympalliie  de  tous  les  raihuliques;  rar  quoi- 
que le  proleslanlisme  tombe  en  lambeaux,  le  principe  destructeur 
qui  aniu)(î  ce  corps  monstrueux  peut  encore,  avant  de  sV'leindre, 
exercer  des  ravaj^es  et  amonceler  des  ruines.  .\u  moment  de  se  pré- 
cipiter dans  l'incrédulité  et  de  s'en^doutir  dans  la  négation  absolue, 
les  siîctes  protestantes  s'a^'itent  et  se  débattent,  c<»mme  »m  mori- 
bond dans  les  convulsions  de  l'agonie.  Il  laut  que  les  défenseurs  de 
la  loi  arrêtent ,  pulvérisent  ces  efforts  désespérés ,  et  couvrent  de 
leur  égide  le  peuple  de  Dieu  que  les  faux  docteurs  menacent.  C'est 
surtout  à  tienéve  que  cette  lutte  est  nécessaire,  pane  que  l'agita- 
tion fébrile  des  sociétés  protestantes,  en  qui  se  résume  anjourd'bui 
toute  la  vie  du  protestantisme,  se  fait  surtout  sentir  dans  celte  an- 
cienne Kome  protestante  ,  devenue  depuis  longtemps  la  Rabylone 
des  sectes.  L'opportunité  de  temps  et  de  lieu  ajoute  donc  un  nou- 
veau mérite  à  vos  travaux. 

Y.n  Belgique  la  lutte  est  placée  sur  un  autre  terrain.  Ici  nous 
rombaltous  pour  conserver  à  l'Kglise  sa  liberté  d'action  dans  les 
choses  spirituelles,  et  son  action  morale  sur  le  peuple.  Les  adver- 
saires des  (•alboli(|ues  sont  plongés  parmi  notis  dans  une  ignorance 
si  profonde  de  la  foi,  (pi'il  leur  serait  impossible  de  soulever  une 
discussion  dogmatique  sans  se  rendre  souvnrainement  ridicules. 
Les  (  oiitrovei  ses  que  vous  soutene/  avec  un  savoir  et  un  talent  re- 
marquables n'ont  donc  poifil  en  Helgiijue  l'intérêt  d'actualité  qu'el- 
les ont  sans  aucun  doute  en  Suisse  cl  en  France.  Cependant  je  re- 
eonimanderai  votre  recueil  aux  ecclésiastiques  de  mon  dicnése  qui 
font  vuM!  élude  spéciale  de  la  controverse. 

Recevez  l'expression  des  veux  que  je  forme  pour  lo  .succès  de 
votre  entreprise,  cl  l'assurance  de  mon  affectueux  dévouement. 

Signé  :  7  J.  B.,  ùvéque  de  Bruges. 


LES  MORMONS. 


On  a  remarque  soiivenl,  et  avec  beaucoup  de  raison,  que  les 
annales  de  toutes  les  hérésies,  quelques  différences  qu'elles  pré- 
sentent d'ailleurs  aux  yeuK  du  lecteur  vulgaire ,  ont  cependant 
entre  elles  une  uniformité  d'apparences  et  de  caractères  qui 
frappe  nécessairement  l'observateur  plus  profond  et  plus  atten- 
tif; mais  s'il  est  vrai  qu'il  y  a  beaucoup  de  ressemblances,  il  est 
vrai  aussi  qu'il  y  a  des  différences  notables  entre  les  histoires  de 
chacun  de  ces  mouvements  religieux ,  qui  ont  successivement 
ébréché  l'unité  de  l'Église,  éloigné  les  hommes  de  ses  doctrines, 
et  soustrait  les  peuples  à  son  obéissance.  Lliérésie  consiste 
moins  dans  la  négation,  que  dans  la  mutilation  ou  l'exagération 
de  l'une  ou  de  l'autre  des  vérités  révélées.  La  plupart  de  ceux 
qui,  de  temps  à  autre,  ont  donné  leur  nom  à  des  corporations 
religieuses,  condamnées  par  l'Eglise,  n'ont  pas  agi  avec  le  des- 
sein prémédité  de  rejeter  un  article  de  foi  universellement  ad- 
mis; mais  un  zèle  ardent  et  jaloux,  pour  la  défense  de  tel  ou  tel 
dogme  particulier,  les  a  poussés  à  négliger  ou  à  contester  d'au- 
tres vérités,  tout  aussi  nécessaires  que  la  première  dans  l'admi- 
rable économie  de  la  foi.  L'esprit  humain  est  malheureusement 
trop  enclin  à  se  flatter  d'une  apparence  de  soumission  à  l'auto- 
rité, alors  qu'il  ne  fait  que  suivre  les  fantaisies  et  les  caprices 
de  sa  volonté  propre.  Fallit  vitium,  specie  virtutts  et  timbra. 

Nous  croyons  qu'une  analyse  exacte  de  chacune  des  hérésies 
qui  se  sont  produites  dans  le  sein  de  lEglise,  prouverait  à  l'évi- 
dence ce  que  nous  venons  d'avancer.  Par  exemple,  l'Arianisme 
était-il  autre  chose  que  l'exagération  de  la  doctrine  de  l'Église 

13 


2()G  LES    MORMU.^S. 

sur  l:i  vérilahle  liiimaniié  (ie  nuire  Seigneur,  au  détriment  de  ce 
quVIlo  nous  cnseij^'nc  sur  sa  divinité?  Kl  le  Ncsioriiinismc  n'é- 
lait-il  pas  une  exagcralion  du  dof;me  de  la  divinité  réelle  du  Sau- 
veur, enseigné  par  des  hommes  qui  oubliaient  que  Jésus  est 
aussi  «  véritablement  homme  de  la  substance  de  sa  mère.  •  Ce  que 
nous  disons  avec  raison  de  («s  \i('illes  hérésies,  nous  pouvons  le 
dire  aussi,  mutatis  n\utandis,  ilo  celles  des  temps  modernes.  Le 
Luthéranisme  et  le  Calvinisme ,  le  \N Csleyanisme  el  le  Mormo- 
nisme,  toutes  les  hérésies,  en  un  mot,  prouvent  la  vérit»'*  de  no- 
tre observation  ,  ainsi  que  le  montrerait  sans  peine  un  examen 
détaillé  de  la  question.  Elles  sont  toutes  des  corruptions  de  vé- 
rilcs,  distinctes  sans  «loute  et  sé'parables  peut-être  par  la  pensée, 
mais  cependant  intimement  liées  les  unes  aux  auties.  Toutes 
ces  hérésies,  comme  chacune  d'elles  en  particulier,  saisissent 
une  vérité,  en  exagèrent  rimporiancc,  amoindrissent  d'autres  vé- 
rités qui  les  gênent,  ruinent  des  parties  également  importantes 
de  la  religion,  et  détruisent  l'ensemble  du  système  grandiose  de 
la  foi  catholique.  Dans  les  pages  suivantes,  nous  ti^cherons  de 
montrer  jusqu'à  quel  point  cette  obserx'ation  s'applique  an  Mor- 
monisme. 

Avant  le  XVl'  siècle ,  le  monde  chrétien  croyait  universelle- 
ment que  l'Église  catholique  n'est  pas  une  pure  abstraction,  un 
fantAme  sans  réalité,  une  simple  aggrégation  d'individus  croyant 
en  une  doctrine  commune;  il  était  persuade  que  c'est  un  corps 
vivant,  rcMupli  des  grûces  d'en  haut,  doué  de  pouvoirs  spirituels, 
et  par  la  vertu  de  cette  vie  et  de  cette  énergie  célestes,  unissant 
les  hommes  dans  une  même  fraternité,  d'une  manière  surnatu- 
relle el  sacramentelle,  comme  étant  tous  rachetés  par  le  pré- 
cieux sang  du  Sauveur,  et  consacrés  pour  être  les  temples  vi- 
vants de  son  Esprit-Saint,  (,'éiait  là,  disons-nous,  la  croyance 
universelle  el  spontanée  de  la  chrétienté  avant  les  jours  qu'on 
appelle  la  glorieuse  réforme.  Et  ce  n'était  pas  là  une  croyance 
purement  spéculative  :  c'était  la  réalisation  pratique  de  cet  ar- 
ticle du  svmbole  de  la  foi  chrétienne  :  je  crois  m  une  Eglise  cn- 
tholxquf,  la  communion  des  Saints.  Mais  le  temps  marcha,  et  le 
monstre  à  cent  têtes  du  protestantisme  apparut  dans  la  chré- 
lieuté  occidentale.  Il  s'avança,  en  prenant  des  allures  timides  et 


r.E5  M(>nMO>«.  *i07 

mystérieuses,  parlant  avec  hésilalion  cl  rlouic,  et  semant  à  l'om- 
bre des  théories  rationalistes;  ses  discours  étaient  ambigus  et 
pleins  de  défiance ,  et  cependant  il  était  rempli  d'orgueil  et  de 
présomption.  Il  siii,'f;éiail  des  doutes  et  ne  les  résolvait  point;  il 
aliaipiaii  l'autorité  séculaire  do  réalités  objectives,  et  prêchait 
un  système  beaucoup  plus  subjeciurisie  que  celui  qui  avait  pré- 
valu jusqu'alors.  Puis,  pour  montrer  la  réalité  de  son  zèle  pour 
l'honneur  de  Dieu,  il  se  lit  un  jeu  de  son  Église,  et,  pour  mani- 
fester son  caractère  purement  spirituel ,  il  mit  en  question ,  et 
finit  même  par  nier  l'existence  de  tout  ce  qui  est  spirituel  et  sur- 
naturel. 

Il  mit  de  l'orgueil  à  abaisser  toutes  choses  au  niveau  du  na- 
turel, du  visible,  du  sensible.  Elevant  la  chair  au-dessus  de  Tes- 
pril ,  et  la  certitude  des  sens  au-dessus  de  celle  de  la  foi ,  il  se 
servit  du  sarcasme  pour  ridiculiser  cette  antique  croyance  :  que 
l'Église  de  Dieu  est"  en  quelque  sorte  un  magasin  de  grâces  et  de 
dons  spirituels,  établi  par  le  Seigneur  à  l'usage  des  fidèles.  Dans 
les  contrées  septentrionales  de  l'Europe,  ce  système  de  doute, 
si  flatteur  pour  l'orgueil  du  cœur  humain,  parvint  à  dominer,  et 
dans  ces  pays  surtout,  qui  par  leur  situation  ou  d'autres  circon- 
stances étaient  moins  intimement  liés  au  Saint-Siège,  il  devint, 
sinon  la  forme  unique ,  du  moins  la  forme  principale  de  la  foi 
populaire.  On  y  eût  dit,  depuis  lors,  que  les  hommes  avaient  ou- 
blié l'existence  de  choses  distinctes  du  sensible  et  supérieures  à 
la  perception  des  sens;  et  c'est  ainsi  que  le  protestantisme  a 
frayé  la  route  à  ces  nombreuses  hérésies  qui  ont  pris  racine  sur 
son  sol  froid  et  stérile.  L'ivraie  empoisonnée  fut  portée  bientôt 
au-delà  des  mers,  et  se  développa  en  Amérique  avec  une  fatale 
rapidité.  Là,  rien  n'arrêtait  l'essor  de  l'hérésie,  à  laquelle  le 
vieux  monde  opposait  ses  vieilles  lois,  son  système  de  gouverne- 
ment enraciné  dans  ses  mœurs  et  ses  traditions  populaires,  bar- 
rières fortes  et  puissantes  qui  entravaient  l'entier  développement 
de  l'erreur,  et  contrôlaient  ses  tendances  naturelles. 

S'il  en  est  ainsi  du  protestantisme ,  comment  s'étonner  de  ce 
que  le  Mormonisme,  ou  la  religion  des  «  Saints  des  derniers 
jours,  »  soit  né  et  se  soit  développé  avec  une  telle  rapidité  en 
Angleterre  et  en  Amérique,  pendant  ces  vingt-cinq  dernières  an- 


208  I  K>    «lOfllKiNs. 

nées.'...    I*oUî»  nous,   nous  ne  pouvons  que  nous  étonner  de  ce 
<jue  l'hérésie  proleslanio  ail  pu  exister  pcndani  trois  siècles , 
avant  l'apparition  du  Mornionisme  dans  le  monde.   Le  Mormo- 
nisux;  est  un  téni<)ij;iiaj,'e  e\j»licite  contre  l«;  |)roiostantisni«- ,  (|ui 
ceptinlant  lui  a  donne  naissance,  et  une  preuve  de  son  impuis- 
sance absolue  à  satisfaire  aux  besoins  moraux  et  spirituels  du 
cu'ur  humain.  Sans  doute,  le  Mormonisme  descend  en  ligne  di- 
recte du  protestantisme  ;  mais  aux  \»ux  du  vulgaire,  il  n'a  avec 
lui  que  bien  peu  de  traits  de  ressemblance.  Son  caractère  prin- 
cipal est  une  protestation  violente  contre  l'idée  de  la  cessation 
de  tout  rapport  surnaturel  entre  Dieu  et  riuimanité.  Le  protes- 
tantisme, en  effet,  enseigne  que  Dieu  a  voulu  que  cet  ordre  de 
choses  surnaturel  cessât  à  la  mort  du  dernier  membre  surNivant 
du  collège  apostoli(jue,  pour  ne  jamais  cire  continué  ou  recom- 
mence. Joseph  Smith,  l'auteur  habde,  quoiiiue  illettré,  de  lu 
nouvelle  révélation  mormonique ,  ne  tarda  pas  à  découvrir  ce 
côté  faible  de  la  doctrine  protestante; ,  et  osa  concevoir,  il  y  a 
vingt-huit  ans  à  p<'ine,  l'idée  de  fimder  une  nouvelle  secte  reli- 
gieuse, avant  |>oni'  fondement  la  crovanctî  aux  gr;'i<  es  et  aux  dons 
surnaturels.  Il  avait  dû  voir,  il  est  vrai,  (jue  la  s;iinie  Bible  ne 
parle'  |ias  d'une  restauration  future  de  ces  communications  spi- 
rituelles, après  dix-huit  siècles  d'interruption,  mais,   de  leur 
ronlinuation  non-inter rompue.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  vit  et  senlil 
que  si  la  Bible  dit  vrai  et  que  Dieu  n'ait  pas  cessi';  de  veiller  sur 
l'humanité,  les  grâces  spirituelles  et  surnaturelles,  preuves  de  la 
révélation,  doivent  rcellenient  exister  (pieUpie  part,  aus^i  bien 
au  dix-neuvième  siècle  qu'aux  premiers  jours  de  l'Église.  «  Si  la 
révélation,  se  dit-il ,  vient  de  Dieu,  il  faut  que  Dieu   la  prouve 
aujourd  hui,  comme  anciennement.  Le  |)rotesiantisme  a  méconnu 
celle  grande  vérité.  Je  me  mettrai  résolument  à  l'œuvre,  je  oie 
créerai  une  forlunc  et  un  nom,  en  ravivant  celle  doctrine  oubliée 
«le  nos  jours.  Je  veux  fonder  ime  nouvelle  secte  et  je  la  nomme- 
rai Eglise,  o  (l'est  ainsi  (|ue  dut  pailcr  le  |ȏre  du  Mormonisme. 

«  Des  hommes  que  le  monde  a  honoré  du  nom  de  philosophes, 
»  dit  lautcur  d'une  histoire  des  Mormons  (1),  onl  travaillé  à 


(I)  The  Mormons,  or.  LaiUr  Day  SaiiUt ;  a  conlcmporurj-  Hiktoiy.  Loiuloii. 
Omce  of  the  National  illustralcd  Ubnry  (p.  999-990^. 


LES  MOnM()>S.  209 

»  remplir  le  vide  (juMIs  senlaienl  exister  dans  le  christianisme 
^  moderne.  La  réforme  de  Luther  était  directement  opposée  à 
»  cet  esprit  de  mysticisme,  caché  dans  le  sein  de  toutes  les  com- 
j>  munions  roli{j;ieuses ,  esprit  que  le  grand  réformateur  ne  put 
»  éioulfer  et  qui  exerça  même  une  large  part  d'influence  sur  ses 
»  propres  opérations  intellectuelles.  La  doctrine  de  Chillingworth, 
»  que  la  Bible,  et  la  Bible  seule,  est  la  religion  des  prolestants, 
»  tendait  à  substituer  à  l'idolâtrie  du  prêtre  l'idolâtrie  du  livre. 

»  Le  temps  des  communications  miraculeuses  du  ciel  avec  les 
«hommes  était  passé  à  jamais.  L'illustre  sage  de  l'Amérique, 
»  Monsieur  Emerson  ,  sentait  la  pesanteur  du  joug  protestant  en 
»  cette  matière;  son  enseignement,  dit-il  dans  une  de  ses  leçons, 
»  équivaut  à  admettre  que  Dieu  est  mort  par  rapport  à  l'huma- 
»  niiédes  temps  actuels.  Or,  c'est  là  une  conclusion  que  rejettera 
»  loul  homme  bien  pensant;  le  bon  sens  en  démontre  la  fausseté. 
»  Rien  d'étonnant  donc  qu'il  se  trouve  quelque  part  dans  le  monde 
n  chrétien  un  Joseph  Smith  qui,  profondément  affligé  d'une  con- 
»  clusion  si  désolante,  cherche  à  mettre  le  culte  en  harmonie 
»  avec  les  tendances  naturelles  de  l'humanité  et  les  besoins  ac- 
»  tuels,  tant  de  l'individu  que  de  la  société  tout  entière.  » 

Donc,  de  même  que  le  protestantisme  est  le  fruit  naturel  de  la 
rébellion  du  cœur  humain,  de  la  même  manière  le  Mormonisme 
est  la  réaction  que  le  protestantisme  appelait  fatalement,  dès  qu'il 
serait  parvenu  à  prévaloir  sans  contestation  sérieuse,  et  à  se  dé- 
velopper sans  rencontrer  d'obstacles.  Nous  ne  sommes  guère 
étonnés,  quand  on  nous  apprend  que  le  Mormonisme,  ou  (comme 
il  s'appelle  lui-même)  l'église  des  Saints  des  derniers  jours,  qui, 
en  1831,  ne  comptait  que  cinq  fidèles,  en  a  aujourd'hui  plus  de 
300,000,  et  que  dans  la  Grande-Bretagne,  surtout  dans  le  pays 
de  Galles  et  les  districts  manufacturiers ,  elle  compte  ses  mem- 
bres par  dizaines  de  mille. 

Maintenant,  racontons  brièvement  à  nos  lecteurs  la  naissance 
et  les  progrès  de  celte  nouvelle  hérésie ,  si  étrange ,  qu'on  peut 
affirmer  que  jamais  on  n'en  a  vu  de  semblable  dans  la  chrétienté 
depuis  l'apparition  de  Mahomet.  D'après  ce  qu'on  raconte  géné- 
ralement, Joseph  Smith,  le  fondateur  et  le  prophète  du  mormo- 


uisiiif,  ctuil  un  liuiniiie  J'iiiic  (oiulilion  obiji-ure  ,  sans  iiisirui- 
tiun  cl  d'un  caraciiTt'  poii  uu|>uini  proiioiicf.  Il  habitait,  a\(>c  ses 
parents,  un  petit  village  des  Étals-Unis,  .leiine  enc  «)re  ,  ses  sen- 
.  linu'nt.s  ri'ii^iriix  avaient  éi«'-  fortenii-nt  rxalies  par  d«'s  prédica- 
tions wcsliyennes,  sans  ipie  crpendani  *  vUv  exaliaiion  |int  pré- 
venir l'indécision  où  le  jetèrent  une  foule  de  doctrines  diverses 
qu'il  entendait  prêcher  de  tous  côtés.  Enfin,  il  se  dit  (|ue  tous 
CCS  cultes  devaient  être  également  faux  ,  et  il  conçut  le  projet 
de  créer,  d  son  tour,  une  relif^ion  nouvelle  (  ISÎ.!").  Trois  ans  au- 
paravant, assura-t-il,  niir  voix  miraculeuse  lui  avait  appris  que 
toutes  les  reli^'ions  s'daient  égarées  sur  la  voi(^  de  la  vé'rilé  ,  et 
que  la  vraie  doctrine  lui  serait  révélée  plus  lard.    Si  nous  en 
croyons  son  histoire,  il  eut  une  seconde  révélation  dans  la  soirée 
du  21  septembre  18*23.  L'être  céleste  qui  lui  apparut  se  déclara 
être  un  ange  de  Dieu,  envoyé'  pour  lui  ap|)rendre  «pu*  si'S  péchés 
étaient  partlonnes ,  que  raccoinplissement  des  promesses  faites 
par  le  Seigneur  aux  Juifs  était  |»roilie ,  «pie  le  temps  était  venu 
où  rÉvangib.'   allait    être  pré(  lie  dans  sa  plenilude  à  toutes  les 
nations*,  el  «pie  lui,  Joseph  Suiilh,  eiait  rinsiriimcnt  «lonl  la  main 
de  Dieu  se  servirait  pour  l'accomplissement  de  ses  mis«''ricor- 
dieux  desseins.  Il  lui  fut  encore  révt'lé  ii  celle  occasion  que  les 
Indi(>ns  d'Americpi»'  ciaienl  un  reste  des  tribus  perdues  d'Israël, 
«■l(pie,  1400  ans  auparavant,  les  annales  de  leur  race  avaient 
été  enlevées  en  punition  «le  leurs  crimes.  Ces  annales ,  écrites 
sur  des  labicties  «l'airain  «m  «l'or,  n'éiaient  pas  «létruit«'s,   mais 
«•nt«'ire«'s  siii-  l«'  v«'rsanl  «)ccidcnlal  diiiie  «olline,  prés  du  petit 
village  «le  Manchester,  entre  Palmyra  ,  comié  du  Maine,  el  Ca- 
nan<ligua,  comté  de  l'Ontario,  état  de  New-York.  (!omme  saint 
l*aiil,  dans  une  autre  «rirconsiance,  il  paraît  «pie  le  prophèt»' des 
Mormons  «  ne  fut  pas  desobéissant  à  la  >ision  céleste,»   el  le 
lendemain  matin,  22  septembre  1823,  il  se  mil  à  chercher  les 
«'xcavalions  «b-  la  colline,  l'.nlin,  après  beaucoup  «le  re«herches, 
son  pied  frappa  conire  un  obstaib' ,    il  bron«lia  ,  el  il  s«'  trouNa 
«levant  l'ouviTlure  d'une  espèce  de  |>etile  caverne,  dont  les  pa- 
rois étaient  couvertes  de  larges  dalles  d'une  pierre  l«'ndre,  soi- 
gneusement jointes  et  formant  une  espèc»-  de  boile  ou  de  coffre. 
Smilh  rouvrit,  et  il  conuinplait  a\ec  étounement  le  trésor  sacre. 


I.ES   MOK.WOX5.  21  1 

lorsque  soudiiin  l'ange  du  Sei{,'neur,  qui  l'avait  visité  la  veille, 
se  trouva  devant  lui.  De  nouveau  son  âme  fut  illuniin<';e  et  rem- 
pli(!  de  riispiil-Saint;  les  cieux  s'ouvrirent  à  ses  regards,  la 
gloire  (le  Dieu  l'entoura  et  se  reposa  sur  lui.  L'ange  lui  dit  que 
sur  les  lahlellcs  qu'il  avait  trouvées  dans  le  eoiïre  de  pierre,  se 
trouvait  écrit  le  complément  de  l'évangile  du  Seigneur.  Durant 
les  quatre  années  suivantes,  Smith  reçut,  dit-on,  de  fréquentes 
instructions  orales  du  céleste  messager,  et  le  22  septembre  1827 
l'ange  lui  remit  les  tablettes  historiques.  Aussitôt  aidé  par  la 
grâce  de  Dieu  et  le  secours  des  Urïm  et  des  Thummin,  il  en  com- 
mença la  traduction.  Comme  il  était  fort  peu  instruit,  et  surtout 
mauvais  calligraphe,  force  lui  fut  d'employer  un  écrivain  pour 
lui  faire  écrire  sous  dictée  ce  travail  important.  Trois  indi- 
vidus engagés  dans  cette  affaire ,  Olivier  Cowdery,  David  Whit- 
mer  et  Martin  Harris,  attestent  qu'ils  ont  vu  les  tablettes,  et  que 
le  sens  des  mots  étrangers  qui  y  étaient  gravés ,  leur  a  été  révélé 
directement  par  Dieu;  et  huit  autres  témoins  déclarent  avoir  vu 
et  touché  les  tablettes  elles-mêmes  et  les  caractères  qui  y  sont 
gravés  (1). 

Remarquons  cependant  que  la  plupart  de  ces  huit  derniers 
témoins  sont  des  gens  intéressés  au  succès  du  prophète.  Quatre 
d'entre  eux  sont  des  alliés  de  D.  Withmer,  l'im  des  trois  premiers 
témoins;  trois  autres  sont  le  père  et  les  frères  de  Smith;  du 
dernier  on  ne  connaît  rien  de  précis.  C'est  donc  sur  le  témoi- 
gnage de  ces  personnes  intéressées  que  repose  tout  l'échafaudage 
de  la  religion  nouvelle;  la  suite  de  ce  travail  montrera  jusqu'à 
quel  point  il  mérite  créance.  Le  Millenial  Star,  vol.  III,  page 
148  (2),  nous  apprend  que  pendant  que  Smith  et  Cowdery,  son 


(1)  Il  résulte  d'un  autre  passage  de  Thisloire  de  Martin  Harris,  racontée 
par  lui-même,  qu"j7  n'a  jamais  vu  ces  tablettes  des  yeux  de  la  chair,  mais 
seulement  des  yeux  de  la  foi,  sa  vue  corporelle  étant  alors  couverte  d'un 
voile.  H  est  avéré  de  la  méiiie  manière  que  Harris  «  écrivit  la  traduction  du 
livre  de  Mormon  sous  la  dictée  de  Smith,  qui  ne  voulait  pas  lui  en  laisser 
voir  Toriginal  (ce  que  c'était  que  cet  original,  nos  lecteurs  le  sauront  bien- 
tôt), et  se  tenait  derrière  un  rideau,  entièrement  caché  aux  regards  de  sa 
dupe.  » 

(2)  Cité  dans  The  Mormons  or  Lalter-Day- Saints,  etc. 


212  LES   HORS0?«S. 

associé,  iravaill:iiont  i\  hi  tiaductiun  «le  It'ur  livrr  mysiéneux . 
un  mcss:i;;pr  (élostr  desrondit  du  firmanif^nl  dans  un  niia;;»'  lumi- 
neux, «'i  les  ordonna  prêlres  «  de  j'ordic  d'AaioD  par  l'imposi- 
tion de  ses  mains  ;  mais  comme  les  prêtres  de  cet  ordre  n'ont 
pas  le  pouvoir  de  commiini<]iier  à  leur  tour  les  grâces  d'en  haut 
par  l'imposition  des  nnius,  l'an^^c  leur  promit  qu'ils  recevraient 
plus  tard  la  |)'énilude  de  la  puissance  sacerdotale.  »  «  Le  mes- 
sager céleste  qui  nous  visita  alors  et  nous  conféra  le  sacerdoce  , 
ajoute  le  nairateur,  déclara  se  nommer  Jean  ,  le  même  que  l'E- 
vanjîile  appelle  Jean-Ba()tiste.  Il  était  placé,  dit-il,  sous  les  or- 
dres de  Pierre,  de  Jacques  et  de  Jean ,  l'évangéliste,  qui  seuls 
avaient  le  pouvoir  de  conférer  la  prêtrise  de  Ponlre  de  Melclii- 

sédech ,  dignité  qui  nous  serait  confén'e  en  temps  opportun 

Ce  fut  le  15  mai  182!)  <pie  nous  fûmes  baptisés  et  ordonnés  par 
la  main  de  l'envoyé  céleste.  » 

La  valeiu"  de  ce  témoignage,  comme  l'itbseive  M.  Frère  '\  , 
est  considérablement  diuiimiee  par  ce  fait  (pie  les  onze  témoins 
étaient  profondément  compromis  dans  l'imposture,  dont  ils  at- 
tendaient leur  profil  et  leur  nom.  Ajoutons  (pie  six  d'entre  eux 
se  sont  séjiarés  plus  tard  du  Mormonisme,  pour  devenir  ses  ad- 
versaires les  plus  acharnés.  De  ceux  qui  sont  restés  lidèles,  trois 
sont  déjà  morts  et  les  deux  autres,  Iliram  et  Samuel  Smiili,  sont 
les  |)ropres  frères  de  l'imposteur. 

Le  livre  de  Mormon  se  vaille  lui-mc^mc  de  contenir  une  ncu- 
velle  révélation,  faite  à  J.  Smiili  par  un  ange  de  Dieu,  et  réclame 
le  titre  et  les  privilèges  de  livre  insjiiré,  en  même  temps  que 
l'autorité  (pi'oii  accorde  aux  Saintes  |^(Tilures.  De  plus  il  as- 
sure ,  non-seulement  (pie  Sniilh  est  un  prophète  de  Dieu,  mais 
encore  (pie,  toutes  les  autres  religions  étant  fausses,  il  n'y  a  de 
salut  (pic  dans  le  Moniionisiiie.  (Vest  là,  ce  nous  semble,  une 
assertion  bien  hardie  de  la  jiaii  diin  homme  (p»i,  lors(|u'on  lui 
demandait  de  conliniii  i  sa  mission  divine  par  des  miracles,  ré- 
pondait toujours  que  les  initiés  seuls  avaient  le  droit  de  voir  des 


[\A  shfn(  hislniii  nf  ihr  Mniiiioitilts  or  l.titlnlhty- Saints  >\illian  ac 
rount  of  thc  rral  nhgin  of  thc  hnok  o(  Mormon.  \\\  llic  Rcv.  John  Frcrr. 
M.  A..  (.Ii«j>lainln  thr  I<ont  Hishop  of  I/Omlon.  M«Mrrs.  IK'iO. 


LES    niORMOi"MS.  213 

miracles  tins  à  sa  puissance.  Smiili  singeait,  en  quelque  sorte, 
Mahomet.  Mais  le  lin  mot  de  tout  cela,  c'est  que  le  livre  de  Mor- 
mon (comme  le  prouve  à  l'évidence  le  témoignante  écrit  de  la 
veuve  de  son  auteur)  [1] ,  n'a  jamais  été  extrait  de  la  colline, 
ni  communiqué  à  Smitli  par  un  ange,  ni  écrit  sur  des  tablettes 
de  cuivre  ou  (Tor.  L'original  n'c'lait  autre  chose  (|ue  le  manus- 
crit d'un  roman,  écrit  par  un  révérend  gentleman,  nommé  Salo- 
mon  Spaukiing,  et  contenant  la  narration  des  aventures  imagi- 
naires des  tribus  perdues  d'Israël.  Après  la  mort  de  M.  Spaulding, 
le  manuscrit  lesta,  pendant  quelque  temps,  entre  les  mains  de 
M.  Paterson ,  éditeur  d'un  journal  à  Piltsburg,  qui  avait  à  son 
service  un  nommé  Sidney  Rigdon ,  complice  et  instrument  de 
Joseph  Smith.  Celui-ci  l'engagea  à  prendre  connaissance  du  ro- 
man et  à  le  copier,  car  il  était  trop  perspicace  pour  ne  pas  voir 
qu'il  avait  trouvé  un  instrument  tout-à-fait  propre  à  servir  son 
dessein  de  se  poser  comme  fondateur  d'une  nouvelle  religion 
dans  le  monde  occidental.  L'idée  était  heureuse,  l'événement 
ne  le  prouva  que  trop.  L'ascendant  que  Smilh  sut  prendre  ,  dès 
le  principe,  sur  l'esprit  du  vulgaire,  se  manifesta  par  ce  fait, 
qu'un  fermier,  nommé  Martin  Harris,  lui  donna  d'abord  ôO  dol- 
lars pour  imprimer  «  sa  Bible  d'or,  »  hypotéqua  ensuite  sa  ferme, 
pour  réaliser  des  fonds  destinés  à  la  même  fin,  et  enfin  (crainte 
d'irriter  la  divinité),  consentit  à  se  tenir  durant  plusieurs  se- 
maines, dans  une  chambre  isolée,  seul  avec  Smith,  pour  écrire 
tout  ce  que  le  prophète ,  caché  derrière  un  rideau ,  trouverait 
bon  de  lui  dicter.  La  prétendue  traduction ,  dit  la  Revue  an- 
glaise,  dont  Martin  fut  la  dupe,  n'était  autre  que  le  roman  de 
Spaulding,  altéré  et  embelli  par  Smith,  d'après  les  idées  du  pro- 
phète et  colles  de  son  associé  Cowdery  (English  review  I\/°  28  , 
art.  spiritual  gifts  and  spiritual  Delusions). 

Maintenant  il  est  temps  que  nous  passions  à  un  autre  ordre 
de  choses.  Jusqu'ici,  nous  n'avons  considéré  que  l'histoire  exté- 
rieure du  Mormonisme  et  de  son  livre,  espèce  d'évangile  sur  le- 
quel repose  toute  l'imposture  de  l'hérésie.  Constatons  à  présent, 

{{)  Ce  document  se  trouve  tout  au  long  dans  les  deux  histoires  du  Mor- 
monisme déjà  citées. 


21  1  les  noitau.is. 

uu  moyen  des  sources  nuilit'nii(jiies,  (|iu'l(jnes-unes  des  doctri- 
nes-mères conlenues  dans  le  li\ru  lui-inènic.  (As  extraits  founii- 
ronl  à  nos  lecteurs  le  ntoyen  de  se  faire  une  idte  exacte  des 
prétentions  des  Saints  des  derniers  jours,  et  de  leur  [K)siiion 
vis-à-vis  (les  proiestanls  et  de  toutes  les  autres  corporations  hé- 
rétiipies  ou  s(-liisnia(ii|ues. 

Les  Mormons  rattachent  la  découverte  de  leur  livre  à  certai- 
nes i)r(»[)h('lies  conlenues  dans  les  Saintes  ^Icrilures,  et  qui  se 
rapportent  aux  «  Derniers  jours.  »  De  la  le  nom  de  Sainis  des 
derniers  jours,  qu'ils  se  sont  donné.  En  traitant  de  rauthenticilé 
divine  du  livre  de  Mormon,  M.  Orson  ï*rail,  l'écrivain  le  plus 
distingué  que  le  Murmonisnie  ait  produit,  déclare  «  «pie  le  livre 
a  été  (  unlirmé  au  vu  et  au  su  de  plus  de  dix  mille  personnes, 
par  l;i  voix  du  Seigneur,  par  le  ministère  des  anges,  par  des  vi- 
sions célestes,  et  par  le  miracle  de  la  communication  des  grâces 
et  des  pouvoirs  de  l'Epril-Saint.  Il  s'efforce  ensuite  de  prouver 
que  l'Éerilure-Sainte  elle-même  parle  clairement  d'une  révéla- 
tion i  des  derniers  jours;  »  à  cet  effet  il  applique  au  \l.\*  siè- 
cle une  séiie  de  textes  du  Vieux  T<'slamenl,  écrils  plusieurs  siè- 
cles avant  l'incarnation  de  Notre  Seigneur,  et  qui  se  rapportent 
soit  à  la  fondation  de  l'Église  catholique,  au  |<;rand  jour  de  la 
PeniecAte,  et  de  cette  manière  ont  trouvé  leur  accomplissement 
depuis  plus  de  dix-liuii  siècles,  soit  à  des  passages  de  l'Apocidypse 
relatifs  à  la  lin  du  monde  et  au  grand  jour  du  jugement  dernier. 
Par  exemple,  d'apiès  M.  Orson  Pralt,  l'Église  des  Saints  des  der- 
niers jours  est  cetic  pierre ,  pri-diie  par  le  proplièie  D;iniel.  comme 
ayant  été  arrachée  de  la  montagne  sans  la  main  d'aucun  homme. 
Cl  destinée  h  renverser  limage  sur  ses  pieds  d'airain  cl  d'argile, 
pour  devenir  ensuite  grande  montagne ,  qui  remplira  le  monde 
entier  (Daniel  II,  4o  et  II,  35), 

Le  même  proplièle,  à  un  autre  endroit,  dit  :  ■  Le  royaume  et 
la  domination,  et  l'étendue  du  royaume  de  tout  ce  qui  est  au 
ciel,  seront  donin's  au  peiqde  saint  du  Très-Haut,  dont  le 
royntimeest  un  royaume  éternel,  e;  tous  les  rois  le  serN  iront  et  lui 
obéiront»  (Daniel  VII,  27).  Voici  maintenant  le  commentaire 
Mormoniie  de  Pratl  sur  ces  passages. 

«  Les  nations  de  l'Europe  moderne,  y  compris  l'Angleterre  et 


I-ES  MORMO^iS.  215 

»  les  peuples  païens  du  rAtnénquc,  composent  les  jambes  et  les 

»  pieds  do  l'ima-o,  landis  (|uc  les  autres  parties  de  celte  image  se 

»  rappoi-tcnl,  pour  la  plupart,  aux  pays  asiatiques.  La  position 

»'  {,'<''o;;raplii(pic  de  V■my^^c  est  de  l'Est  à  l'Ouost,  la  tête  se  trouve 

»  ou  Asie,  et  rexlremii('"  dos  pieds  on  Europe  et  en  Amérique. 

»  Quand  le  royaume  de  Dieu  s'élève,  il  doit  s'élever  quelque  part 

»  à  l'extrémité  occidentale  de  cette  grande  image,  car  les  pieds 

^  Cl  les  extrémités  du  pied  sont  ce  que  la  pierre,  c'est-à-dire  le 

»  royaume  de  Dieu,  brise  d'abord,  pour  ne  briser  le  reste  que 

»  plus  lard.  Cela  nous  apprend  qu'il  s'avance  de  l'ouest  à  l'est; 

»  les  royaumes  de  ce  monde  ont  progressé  de  l'est  vers  l'ouest  : 

»  le  royaume  de  Dieu  prend  une  direction  contraire.  La  pierre, 

»  selon  Daniel ,  doit  être  «  arracbée  de  la  moniagne  sans  le  se- 

»  cours  d'aucune  main  :  »  arracbée  de  la  moniagne,  cela  signifie 

»  sa  séparation  et  son  repos  dans  un  endroit  donné,  avant  qu'au- 

»  cune  partie  de  l'image  soit  brisée.  Le  lieu  de  repos  actuel  de 

»  l'Eglise  des  derniers  jours  se  trouve  dans  les  vallées  qui  en- 

»  tourent  les  montagnes  rocbeusos,  et  c'est  là  la  position  la  plus 

»  propre  et  la  plus  conforme  aux  paroles  de  Daniel.   La  pierre 

»  doit  être  arrachée  sans  le  secours  d'aucune  main,  cela  signifie 

»  que  c'est  un  royaume  qui  ne  doit  pas  être  formé  par  la  volonté 

»  des  liommes  ,  mais  par  la  volonté  de  Dieu.  La  sagesse  bumaine 

»  n'a  pas  contribué  à  son  établissement,  mais  le  Dieu  du  ciel  l'é- 

»  lève,  le  soutiendra,  et  jamais  il  ne  sera  détruit  (1).  » 

Un  autre  passage,  apporté  à  l'appui  de  l'imposteur  Mormonite, 
est  un  texte  (ïhaïe  (XXIX,  4)  :  Tu  seras  abaissé,  dit  le  prophète, 
tu  parleras  de  dessous  la  terre,  et  tes  paroles  en  sortiront  pour 
se  faire  entendre.  Ces  paroles  sont  indignement  appliquées 
par  l'écrivain  Mormon  à  la  prétendue  découverte  des  tablettes 
d'or,  dans  la  cbambre  souterraine.  Jamais  prophétie,  dit  Orson 
Prait,  ne  reçut  un  plus  entier  accomplissement.  Dans  la  décou- 
verte du  livre  de  Mormon,  Joseph  Smith  sortit  cette  histoire  sa- 
crée hors  de  lu  terre,  et  cette  hisioire  est  la  voix  des  anciens 
prophètes  de  l'Amérique,  parlant  de  dessous  la  terre.  Plus  loin 
Isaïe  dit,  que  le  livre  lui-même  sera  délivré  à  celui  qui  n'est  pas 

{i)  Voir  Ihe  Mormons,  etc.,  cité  plus  haut,  p.  274. 


21 G  Ltn  !iioRio:«.s. 

instruit,  ou,  comme  lo  porie  la  version  catliolique,  le  lùre  sera 
donné  à  quelqu'un  qui  ne  connaît  pas  une  lettre.  Ct'lie  propliciif 
fui  remplie,  au  dire  d'Orson  Prail ,  lorsque  ran},'e  du  Srij^neui 
mit  If  livre  aux  mains  de  M.  Smilh  ;  «pioique  illeltru  dans  louic 
aiilre  lanj;ne  (pie  sa  langue  maternelle,  il  lui  fut  lependanl  en- 
joint de  lire  et  de  traduire  le  livn* 

«  Quoi  de  plus  étonnant  et  de  plus  merveilleux  que  ce  fait!  I^ 
»  Si'i^MX'iir  fait  en  soiie  «prun  Jeune  homme  i^'norant  lise  et  tra- 
n  duisc  un  livn- ,  cjue  toute  la  sagesse  des  plus  savants  et  des 
»  mieux  instruits  était  incapable  de  déchiffrer.  »  Un  peu  plus 
loin ,  le  prophète  Ézéehiel  est  appelé  à  prouver  la  vérité  du 
Mormonisn)e  :  Et  toi ,  fils  de  V homme ,  prends  un  bdton  et  écris 
dessus  :  Pour  Juda  et  pour  les  enfants  d'Isratl,  qui  lui  sont 
unis;  et  prends  un  autre  bâton  et  écris  dessus  :  Pour  Joseph,  le 
hùlon  d' Ephraim,  et  pour  toute  la  maison  d'/srael,  et  jtour  ceux 
qui  lui  sont  unis  ;  joins  ces  deux  bâtons,  de  manière  à  n  en  for- 
mer qu'un  seul ,  et  ils  deviendront  un  dans  ta  main  (Éz('chiel 
XXWII,  IG.  17). 

D'apns  le  comnienlaire  mornjonitpie,  ces  deux  butons  repré- 
sentent l'union  de  {\c{\\  livics  dans  la  main  du  Seigneur.  De  ces 
deux  bâtons  ou  rouleaux  ,  tui  livres  (car  ces  choses  sont  ici  sy- 
nonymes, voir  Jcnmie,  \\\VI,  1,  2\  l'im,  destiné  à  Juda,  est 
la  bible  (]ui  est  l'histoire  de  Juda  ;  l'autre,  destine''  ù  loseph,  le 
bîUon  d'Éphiaim,  est  le  livre  de  Mormon,  qui  n'est  autre  chose 
que  l'histoire  de  la  tribu  de  Joseph  écrite  en  Amérique.  Nous 
apprenons  ainsi  «pie  l'union  de  ces  deux  livres  ne  dcNait  pas  se 
faire  accidi-iiicilenieni,  mais  |)ar  un  dessein  prcnjediii' dr  Dieu  ; 
et  c'est  ainsi  que  M.  Orson  Pratt  observe  que  •  les  deux  écrits  se 
»  «onfondant  en  un  seul  dans  la  main  dh/crhicl,  sont  une  figure 
■  magnifuiue  «les  deux  «'crits  i|ui  se  confondraient  dans  la  main 
»  du  Seigneur,  >»  c'est-à-dire  la  Uible  et  le  livre  de  Mormon. 

Ce  dernier  livre  se  trouve  donc,  d'après  les  Saints  des  derniers 
jours,  dans  le  même  rap|)ort  vis-à-vis  dis  Snintes-Écrilures,  que 
le  .Nouvr;iu  IV.siainent  \is-â-^is  de  rAiicieu.  Il  est  le  complé- 
ment et  le  |)crfectionnement  <lr  la  llibl»-.  Par  conséquent  la  Bible 
•'l  le  livre  df  Mormon  forment  l'ensemblr  tir  la  docirine  Morino- 
nite.  Cependant,  comme  nous  verrons  plus  loin ,  ils  ne  sont  [kis 


LES  MORMOINS.  217 

assez  dépourvus  d'esprit  pour  regarder  ces  deux  livres ,  pris 
euseniblo,  comme  la  rèi,Me  complète  et  unique  de  leur  foi.  Quel- 
que loin  (juc  les  Mormons  se  soient  écartés  de  la  vraie  religion 
enseignée  par  Jésus-Christ  et  ses  Apôtres,  cependant  ils  ne  sont 
pas  encore  assez  aveuglés  pour  adlx-rer  à  cette  opinion  protes- 
lanle,  que  la  letire  morte  do  la  Sainte-Écriture  est  une  règle 
sullisante  de  foi  théorique  et  praticjue.  Loin  de  là  :  véritables 
protestants  dans  leurs  cris  contre  l'Église  catholique,  son  sacer- 
doce et  ses  sacrements  (1),  ils  ont  trop  de  sens  commun,  qu'on 


(1)  Orson  Pralt,  dans  son  traité  sur  l'authenticité  «livine  du  livre  de  Mor- 
mon, déclare  hardiment  que  «tous  les  prêtres  catholiques,  grecs,  proles- 
»  tants,  depuis  le  jjape  jusqu'au  dernier  vicaire  de  campagne,  n'ont  pas  reçu 
»  de  mission  céleste,  pas  plus  que  le  démon  et  ses  anges.  »  Luther,  l'impie 
Jewell,  le  Rév.  Ilobart  Seyinour  sont  moins  explicites  que  M.  Pratt.  «Telle 
«devait  être  la  religion  des  derniers  jours  prophétisés  par  les  apôtres;  et 
»  telle  est  la  religion  des  églises  papale,  grecque  et  protestante  au  XIX*  siè- 
»  cle.  Cette  prédiction  a  été  faite,  il  y  a  dix-huit  siècles,  et  nous  trouvons  son 
•  accomplissement  dans  le  christianisme  moderne.  Au  lieu  d'avoir  dans  leur 
»  Église  des  apôtres,  des  prophètes,  des  hommes  inspirés  de  Dieu,  commu- 
»  niquant  avec  lui  dans  des  visions  et  des  songes^  recevant  des  révélations 
»  par  le  ministère  des  anges,  auxquels  ils  commandent,  doués  d'un  discerne- 
»  ment  céleste  dans  le  choix  des  prêtres  et  d'une  sagesse  surhumaine  dans 
»  le  gouvernement  de  l'Église  :  ils  n'ont  qu'un  pape,  pécheur,  corrompu,  que 
»  Dieu  n'inspire  point,  et  des  archevêques,  des  évêques,  des  prêtres,  qui  ne 
»  valent  guère  mieux.  Leur  piété  revêt  une  multitude  de  formes,  toutes  plus 
»  corrompues  les  unes  que  les  autres,  ils  nient  la  possibilité  actuelle  des  ré- 
»  vélalions  divines,  et  la  communication  de  toute  espèce  de  pouvoirs  surna- 
»  turels,  choses  qui  de  tout  temps  ont  caractérisé  l'Église  de  Dieu.  Ces  hom- 
»  mes  pervers,  impuissants,  hypocrites,  ces  faux  docteurs,  «  font  commerce 
»  de  la  religion»  et  la  prêchent  en  retour  de  larges  salaires  qui  montent  sou- 
»  vent  à  plus  de  dix  mille  livres  sterling  par  an.  Eux  et  leurs  dupes  se  dé- 
»  tournent  de  la  foi  des  Apôtres  et  des  Saints  ;  cette  foi  qui  jadis  brava  la  vio- 
»  lence  du  feu,  ferma  la  gueule  des  lions,  divisa  les  eaux,  vainquit  toutes  les 
■»  forces  de  la  nature,  ils  la  rejettent  comme  inutile.  Cette  foi,  qui  inspire  aux 
»  hommes  le  don  de  révélation....,  ils  enseignent  qu'elle  n'est  pas  de  notre 
»  époque.  La  haute  doctrine  qu'enseignèrent  les  Apôtres,  et  qui  met  l'huma- 
»  nité  en  possession  de  ces  grâces,  de  ces  dons  et  de  cette  puissance,  est  trop 
»  sublime,  disent-ils,  pour  être  comprise  de  nos  jours  et  mise  en  pratique. 
j>  Les  doctrines,  les  lois,  les  fables,  les  traditions,  les  croyances  de  gens  que 
»  Dieu  ne  connaît  point,  sont  substituées  aujourd'hui  à  l'inspiration  directe 
»  du  Seigneur....    Des  conjectures,  des  hypothèses,  desimpies  opinions, 


218  LES   «0R3IO>«.. 

nous  |)ormelie  l'expression,  inélé  à  li-iirs  a)>surHités ,  pour  no 
pas  voir  que  lout  documonl  écrit  a  nécessairement  besoin  d'une* 
parole  vivante  pour  re\|tli«nier  or  le  commenler.  Ils  ne  croient 
pas  (|ue  Dieu,  qui  a  parh*  jadis  par  la  bouche  de  ses  proplièies 
et  de  son  Fils,  ne  peut  plus  parler  aux  hommes.  La  conlinuité 
de  la  révélation  est  la  véritable  base  de  leur  crovance.  Ils  croient 
avec  M.  Kmerson  que  «  Dieu  n'est  pas  mort,  »  depuis  qu'il  a  in- 
spire son  apôire  saint  Je:m,  écrivant  son  l-lvan^jib-  et  l'Apocalvpse, 
ou  que,  si  jamais  il  a  été  »  mort ,  »  il  ne  l'est  pas  à  présent. 
Pour  nous  servir  des  paroles  de  l'auleur  de  l'hisloire  des  Mor- 
mons ,  disons  :  «  L'hj^lisc  est  [wur  eux  les  Mormoniles  le  té- 
moin vivant,  l'interprète  suprême  de  la  lettre  morte  des  vieux 
documents  religieux.  De  cette  manière  il  y  a  une  sociéti'  perpé- 
tuelle entre  Dieu  et  riinmme  ;  de  là  inspiration  divine,  de  là  en- 
core cerlitude  de  l'exisience  de  Dieu,  Ainsi  tout  croyant  est 
comme  anciennement,  «  le  temple  de  l' Espn'l-Saint  •  (I). 

En  d'autres  termes.  I»'S  Saints  des  derniers  jours,  en  s'ap- 
puyant  sur  leur  jugement  privé  dont  les  protestants  ne  peuvent 
raisonnablement  contester  la  compétence,  ont  prouvé  qu'ils  sont 
eux-mêmes  assez  bons  protestants,  assez  bons  «  chrétiens  selon  la 
Bille,  •  pour  découvrir  dans  le  volume  sacré  l'absurdili?  de  la 
doctrine  nière  du  protestantisme.  Ils  y  ont  trouvé  la  nécessite 
d'un  Interprète  vivant  des  Saintes  Ecritures.  Ils  y  ont  trouvé  cette 
vérité  (ju'iin  svslème  religieux  surnaturel,  établi  par  des  moyens 
surnaturels,  doit  être  maintenu  et  confirme  «le  temps  en  temps  de 
la  même  nianière.  En  d'autres  U'rmes.  ils  croient  à  l'existence 
actuelle  de  puissances  surnaturelles  résidant  quelque  part  dans 
rhum:milé;  ils  croient  aux  inspiralitms,  aux  révélations,  aux  mi- 
racles. C'est  ainsi  que  U;  Mormonisme  ,  comme  toutes  les  autres 
hérésies,  est  venu  à  son  tour  rendre  un  hommage  involontaire 
au!t  doctrines  de  l'Eglise  du  Dieu  vivant. 

V()i(  i  maintenant  comment  raisonnent  les  Morinonites  :  toute 


>  quelquefois  pcul-Otrc  une  croyance  approchant  de  la  vérité,  voilà  tout  ce  à 

*  (|uni  \\s   p.irvicniiei)t  ;  jaiiiais  ils  iroblioiinriit  la  moindre  certitude,  parée 

•  qu'ils  nient  la  ri'vclatioii,  seul  nuiyrii  d'y  atteindre.  ■ 

(I)   The  Mormon»,  ctc  ,  p.  2î»2. 


LES  MORMONS.  219 

leur  argumentation  se  réduit  ù  ces  mots  ;  «  Pendant  quatorze 
cents  ans,  PÉj^liso,  fondée  primitivement  par  les  apôtres,  a  vécu 
à  l'état  de  sommeil,  a  été  plongée  dans  une  espèce  d<;  h'-lliargie.» 

«Nous  croyons,  écrit  M.  Orson  Pralt,  dans  son  livre  des  visions 
n  remarquables,  n°  6,  (|u'il  y  a  eu  une  apostasie  g(''nérale  dans  l'E- 
»  glise  primitive,  de  sorte  que  le  monde  connw  a  existé  pendant  des 
»  siècles  sans  posséder  l'Eglise  du  Christ,  et  sans  sacerdoce  au- 
»  torisé  par  Dieu  à  administrer  les  sacrements.  Nous  croyons  que 
»  chacime  des  églises  qui  se  sont  formées  à  la  suite  de  cette  aposta- 
»  sie,a  corrompu  l'Evangile,  l'une  de  telle  manière,  l'autre  de  telle 
1- autre  :  par  exemple,  presque  toutes  les  Eglises  ont  aboli  le  sa- 
»cremcnt  de  l'immersion  pour  la  rémission  des  péchés.  Le  petit 
»  nombre  de  ceux  qui  sont  restés  fidèles  à  cette  pratique  néces- 
»  saire ,  ont  aboli  le  sacrement  de  l'imposition  des  mains  sur  les 
»  catéchumènes  pour  leur  communiquer  les  dons  de  l'Esprit- 
»  Saint.  Encore  ceux  qui  ont  conservé  ce  dernier  sacrement  ont- 
»  ils  corrompu  le  premier,  ou  bien  ils  ont  rejeté  les  dons,  les 
»  grâces  et  les  bénédictions  qui  viennent  de  l'Esprit  de  Dieu  ,  ou 
»  bien  encore,  ils  ont  dit  aux  apôtres  et  aux  prophètes  du  Sei- 
»  gneur  :  En  ces  jours-ci  l'Eglise  n'a  pas  besoin  de  i^ous.  Ceux 
»  enfin  qui  ont  continué  à  croire  aux  œuvres  de  l'Esprit-Saint,  et 
^  qui  ont  défendu  cette  croyance,  ont  corrompu  les  sacrements 
»  ou  les  ont  rejetés.  Ainsi  toutes  les  églises  prêchent  des  doctri- 
»nes  fausses,  corrompent  l'Evangile,  et,  au  lieu  d'avoir  reçu  de 
»  Dieu  la  mission  d'administrer  ses  sacrements ,  elles  sont  cour- 
»  bées  impuissantes  sous  le  poids  de  sa  malédiction  ,  pour  avoir 
»  corrompu  ses  doctrines  et  leurs  voies.  » 

Il  est  amusant  de  voir  comment,  dans  le  passage  suivant  que 
nous  extrayons  de  ses  œuvres,  M.  Orson  Pratt  prend  le  protes- 
tantisme à  partie,  se  moque  de  ses  prétentions,  et  arrête  la  main 
de  tout  défenseur  de  cette  hérésie  qui  s'aviserait  de  jeter  la  pre- 
mière pierre  aux  «  Saints  des  derniers  jours.  »  «  Comme  l'Église 
»  d'Angleterre  et  les  autres  protestants,  dit-il,  ne  se  vantent 
»  guère  d'avoir  reçu  quelque' mission  par  voie  de  révélation,  mais 
>  enjoignent  à  leurs  fidèles  de  rejeter  toute  croyance  semblable, 
»  il  est  permis  de  leur  demander  :  D'où  vous  vient  donc  votre 
»  autorité?  Ils  répondront  qu'ils  la  tiennent  de  Wyclef,  de  Cran- 


220  i.M  «(»mn>?i>. 

»  miT,  (!••  IjiiImt,  de  (.alvin  oi  U<*  divers  réformaieurs  qui  s»?  sont 

•  scpurt'S  de  l'Église  rom:iino.  Mais  d'où  Ni<iii  l'uiilorité  de  ces 
»  n"f()im;ii«Mirs  oiix-inrims';'  Urpons»*  :  Des  <;iilioli(|iu's  romains. 
B  Mais  li's  (\itli<>li(|ucs  romains  les  ont  cxcomfnunii's,  ot  certes  l'au- 
»  lorilé  qu'ils  avaient  le  pouvoir  de  leur  donner,  ils  avaient  le  pon- 

•  voirde  la  leur  reprendre.  Donc,  si  l'Église  romaine  avait  quelque 
»  autorité,  les  protestants  étant  bannis  de  son  sein,  n'en  peuvent 

•  avoir  aucune  de  son  clid.    Mais  si  1rs  catli(ili(|U('s  jouissent  de 

■  l'autorité,  leur  Église  doit  éir»-  la  véritable,  et  parlant  les  pro- 
»  testants  sont  des  apostats;  d'un  aiiliT  côté,  >,i  l'Kglise  (  atlmli- 
»  que  n'est  pas  la  vraie  Église,  iin|>ossil>le  qu'elle  en  donne  aux 
I  autres.   Maintenant  voici  ce  que  nous  lisons  dans  une  des  ho- 

•  mélies  de  l'église  anglicane.  Les  laïques  et  le  clergé,  les  savants 
p  et  les  ignorants,  les  hommes,  les  femmes  et  les  enfants  de  tout  t)gc 

■  et  de  tout  sexe  ont  été  tout  à  coup  plonges  dans  ta  plus  affreuse 

■  idolâtrie ,  et  cela  dans  toute  V étendue  du  monde  chrétien.  Cette 

■  idoliltric  iihominahle  a  duré  (chose  affreuse  à  penser)  pendant 
m  plus  de  huit  cents  ans.  Wesley,  dans  son  94""  sermon,  dit  la 
»  même  chose  en  substance  :   La  cause  réelle  pour  laquelle  on  ne 

•  rencontra  plus  les  dons  extraordinaires  du  Sainl-Hsprit  dans 

•  l'Kglise   chrétienne ,   c'est    que  les  chrétiens    étaient  redetenus 

•  paii-ns  et  n'avaient  conservé  du  christianisme  que  la  forme 
»  morte.  Si  donc  le  monde  chrétien  tout  entier,  sans  exception,  a 

•  été  plongé  dans  l'idolfiirir  la  pins  abominable  pendant  plus  de 
»  huit  siècles,  comme  l'enseigne  l'église  anglicane,  et  si,  parce 

•  que  les  chrétiens  sont  privés  des  dons  d'en  haut ,  ils  ne  sont 
»  plus  même  des  chrétiens,  mais  des  païens,  d'après  l'assertion 

■  deWesb'V,  nous  demanderons  où  était  l'auinrilé  pendant  ces 

■  XOO  ans,  et  oii  elle  est  maintenant?  Évidcnimeiii,  I>ieu  ne  vou- 

•  (Irait  pas  rei  onnaitrc  les  idolâtres  les  |)lus  abominables,  comme 
»  dépositaires  de  l'autorité  ;  s'il  en  est  ainsi,  l'auioriK'  des  .'iditra- 

■  tcurs  de  Juggernaut  vaut  autant  que  celle  du  <  hristianismc 
«idolâtre —  Maintenant,  si  le  monde  chrétien  tout  entier  a  été 

■  sans  ponvoi^  et  sans  autorité  pendant  plus  de   huit   siècles, 

•  quand  l'autorité  a-l-clln  «te  rétablie'  (  ominent  l'a-t-elle  clé? 


I.F.S    MOKMO.'N"<.  221 

>»  En  faveur  de  quoi  homme  ou  de  quel  peuple?  Évidemment  ce 
»  n'a  pas  clé  on  favour  de  rÉf;liso  cailioliquo,  qui  ne  prélcnd  pas 
»  ôlre  rodevtMiue  déposilaire  de  l'aulorilé  (I).  L'église  anglicane 
»  ol  les  autres  églises  protestantes  ne  peuvent  avoir  cette  pré- 
»  tention.  Pour  elles,  la  deinière  rc'vélalion  est  le  Nouveau  Tes- 
»  tament.  i^ar  conséquent,  d'après  les  |)iopres  aveux  du  protes- 
»  tanlisme.  Dieu  n'a  plus  dans  le  monde  chrétien  de  sacerdoce 
»  avoué,  autorisé  par  lui.  C'est  pourquoi  il  est  nécessaire,  indis- 
»  pensable  mèuic  qu'il  vienne  une  nouvelle  révélation  pour  éta- 
»  blir  celle  aiilorili'  et  ce  sacerdoce  sur  la  terre,  et  mettre  l'hu- 
»  manilé  en  communication  directe  avec  Dieu,  comme  aux  jours 
»  d'autrefois.  Mais  celle  rc'véhuion  a  été  faite,  etc.,  etc.  (2).  » 

Nos  lecteurs  caiholiques  nous  pardonneront  la  longueur  de 
celle  citation,  car  ils  y  verront  toute  la  doctrine  prolestante  ren- 
versée, anéantie  par  une  argumentation  protestante,  et  cela 
avec  tant  de  force  et  de  vigueur  fpi'il  n'y  a  pas  de  réplique  pos- 
sible. Inutile  que  nous  ajoutions  quelque  chose  à  ce  passage; 
cependant  nous  observerons  que  nul  protestant,  s'il  raisonne 
avec  sincérité,  ne  peut  ébranler  cette  argumentation,  ne  peut 
même  y  faire  la  moindre  objection  sérieuse.  Comment  donc 
peuvent-ils  s'étonner  des  progrès  du  Mormonisme?  Le  pro- 
testanlisme  a  posé  les  prémisses,  le  Mormonisme  en  tire  la 
conséquence.  Quant  aux  catholiques,  ils  savent,  sans  pouvoir 
jamais  en  douter,  que  c'est  un  blasphème  que  de  croire  un  in- 
stant que  le  Saint-Esprit,  qui  a  fondé  l'Église  chrétienne,  l'ait 
jamais  abandonnée  depuis ,  l'ait  jamais  privée  de  ces  pouvoirs 
surnaturels  et  de  cette  autorité  spirituelle,  dont  il  l'a  gratifiée 
dans  le  principe.  De  là  nous  concluons  que  l'Église  catholique 
est  la  seule  forme  de  croyance  religieuse  qui  présente  un  en- 
semble de  vérités  assez  solide  pour  résister  victorieusement  aux 
attaques  du  Mormonisme.  En  effet,  il  est  important  de  noter  que 
M.  Orson  Prait  considère  les  paroles  de  l'Église  anglicane  et  de 

(1)  L'Église  callioliqiie,  n'ayant  jamais  perdu  ce  dépôt,  il  est  impossible 
qu'il  lui  ait  été  restitué! 

(2)  The  Hformons,  etc.,  p.  288-280. 

14 


222  IE.S   10RH«MS. 

M.  \<sliv,  riit'cs  plus  li;mi,  t  onimc  des  <*s|>èce8  de  vériu-s  d'é- 
vun^ile,  el  leurs  assi'iiions ,  commodes  conclusions  définilivos. 
Pour  nous,  nous  oserons  dire  que  le  faii  en  question,  c'esl-à-dire 
le  f;iit  rcci,  ici  qu'il  doit  cire  cimsidéré,  esl  souv«nl  dianieirale- 
iiK-iii  «ip|KJsé  au  même  fait,  ici  <|ue  nous  le  présentent  les  arli<ies 
cl  les  liomclies  ilu  protestanlisme.  «  Tout  ce  (jui  brille  n'est  pas 
or,  »  et  loul  ce  que  l'cj^lise  anglicanc-étalilie  allirnic  n'est  pas 
jxirole  d'Ëvaugilc. 

HeME  de  Dl'BLI?(. 

Trad.  par  les  Annales  de  l.iéçr. 


L'EICHARISTIE  Al  POIIVT  DE  VIE  PROTESTAAT, 
JLDAïaiE  ET  UATIOINALISTE. 


Tous  ceux  qui  ont  écrit  de  notre  temps  la  vie  du  Rédempteur, 
et  qui  ne  partagent  pas  nos  croyances ,  ont  senti  l'importance  de 
la  question  de  la  présence  réelle,  et  la  nécessité  de  se  faire  une 
opinion  sur  ce  point  capital,  si  l'on  veut  avoir  une  notion  exacte 
de  renseignement  du  Sauveur  et  de  rinfluoncc  des  doctrines 
qu'il  est  venu  révc'-ler  à  la  terre.  Les  historiens  de  Jésus,  dont 
les  ouvrages  ont  eu  le  plus  de  succès  au  xix*  siècle,  sont  Hess  (1), 
Néander  (2),  le  docteur  Strauss  (3),  et  M.  Salvador  (4).  Par  un 
hasard  assez  remarquable  ,  ces  écrivains  a[)parliennent  à  des 
écoles  qui  ont  envisagé  la  question  de  l'Eucharistie  sous  des 
aspects  complètement  différents.  Hess  ,  compatriote  de  Zwinglî , 
reproduit  les  théories  des  sacramentaircs,  auxquelles  se  ratta- 
chent les  calvinistes,  et  qui  regardent  l'Eucharistie  comme  une 
simple  figure.  Néander,  un  des  plus  célèljres  docteurs  du  luthé- 
ranisme contemporain,  devrait,  s'il  était  fidèle  aux  idées  des 
fondateurs  de  sa  secte,  défendre  la  présence  réelle,  tout  en  niant 
le  dogme  catholique  de  la  transsubstantiation.  Mais,  la  doctrine 
deZwingli  et  de  Calvin  lui  semblant  plus  facile  à  concilier  avec 
les  prétentions  du  rationalisme  moderne,  il  a  complètement  adopté, 
dans  sa  Fie  de  Jésus,  les  idées  de  Hess.  Mais  nous  trouvons  dans 
le  célèbre  commentateur  luthérien  Olshausen  un  représentant 
fidèle  des  plus  anciennes  opinions  de  sa  communion.  Ses  grands 
travaux  %ur  l'histoire  évanvélique  (5) ,  lui  donnent  le  droit  de 

(1)  Iless,  Vie  de  Jésus.  fS)  Néander,  Vie  de  Jésus.  (5)  Strauss,  ViedeJè- 
ms.  (i)  Safvatîor,  Jésus-Christ  el  sa  doctrine.  (;j)  Olsiiauscn,  Cowjnentaires 
sur  le  Nouveau  Tcstatncut. 


'2'2A  L*EH:iURISTIK,    KTC. 

paraliic  ii  i  t  omme  le  type  de  la  matière  d'inlerpréler  TÉvangile 
nu  |>oinide  vue  de  Luther.  Quant  à  M.  Salvador,  (|ui  sVst  imposa 
la  mission  de  restaurer  et  de  iransfonrior  le  mosaismc,  d'en  faire 
la  rcli^'iori  de  l'avenir,  ses  théories  sur  l'Eucliarislie  n'ont  ni  pro- 
fondeur, ni  originalité.  Il  ne  voit  dans  ce  sacrement  (lu'un  mémo- 
rial de  la  mort  de  Jésus.  H  ne  dilTère  donc  guère  des  historiens 
protestants  (|ui  ont  accepté  rinterprétation  donnée  par  Zwin;,'li. 

Le  (lo(  tcurSlrauss  apparaildansccttc  galeiic  comme  un  repré- 
sentant di'cidc  des  opinions  rationalistes.  Il  aflirme  que,  pour  les 
rédacteurs  des  Évangiles,  le  pain  de  la  Cène  était  le  corps  du 
Christ.  Mais,  comme  il  a  le  goût  des  solutions  singulières,  toutes 
les  fois  (ju'il  en  peut  trouver,  il  avance  que  les  A|>otres  auraient 
repoussé  la  doctrine  catholique,  (juMIs  n'auraient  pas  compris 
celle  de  Luther,  cl  qu'ils  n'auraient  |>oint  été  satisfaits  du  sys- 
tème des  sacrameiitaires.  Selon  lui,  l'ancien  homme  de  VOrient 
était  incapable  de  ces  distinctions  al)straites.  J'avoue  qu'une  ré- 
flexion de  ce  genre  me  paraît  iiuli(pier  une  ignorance  extraordi- 
naire (le  l'histoire  intellectuelle  du  monde  asiati(|ue.  Pour  ne  ci- 
ter qu'un  exemple,  est-ce  que  la  philosophie  hindoue  ne  révèle 
pas  le  génie  de  la  spéculation  poussé  jusqu'à  ses  dernières  limi- 
tes (!)?  Les  écrits  des  Pères  orientaux  prouvent  qu'ils  se  fai- 
saient de  la  présence  réelle  les  idées  les  plus  nettes  et  les  plus 
|>ositives,  et  que  l'ancien  homme  de  VOrient  n'était  pas  dénué  de 
toute  pénétration  théologi(pie.  La  théorie  «lu  docteur  Strauss  sui- 
l'Eucharistie  est  trop  exccnlricjue  pour  avoir  exercé-  une  grande 
influence  sur  le  [)arti  rationaliste,  cpii  est,  du  reste,  assez  divisé 
sur  cette  question  capitale.  Les  uns  adoptent  l'interprétation  figu- 
rative, les  autres  pensent  que  le  Christ  enseigna  vt'rilahlement  le 
<logine  de  la  présence  réelle,  mais  (pi'il  l'emprunta  aux  religions 
antérieures,  principalement  au  Mazdé-isme.  Li  première  théorie, 
qui  est  la  plus  populaire  ,    puis(]ue  nous  la  voyons  adoptée  tout 


(I)  Voypï  Colfbrookc ,  Kttait  iur  la  philn$nphif  des  Hindous,  trad. 
Pantliicr.  —  Comme  le  «loctnir  Slratiss  par;iil  peu  faiinliarisr  a\rc  la  lillc'ra- 
turc  anglaise,  nous  le  renverrons  à  HiUit.  Ilislnirr  dr  lu  phtlntophie  an- 
cirnne.  —  Frt'dcric  de  SrliU-gcl,  De  la  sagesse  et  dr  la  langue  des  Hindous. 
—  Windisclimann,  De  la  philosophie  dans  U  progrès  de  l'histoire. 


i/eucharistic,   etc.  225 

à  la  fois  parle  calviniste  Hess,  le  liuhérien  Néander,  le  rationa- 
liste Salvador,  nuMiie  d'abord  de  lixer  noire  attention. 

Il  faut ,  en  commençant  celle  discussion ,  rendre  celle  justice 
aux  trois  historiens  de  Jésus  que  je  viens  de  nommer,  qu'ils  ont 
dégagé  la  question  de  toutes  les  discussions  inutiles  dont  l'a- 
vaient surchargée  tous  leurs  devanciers.  On  ne  trouve  chez  eux 
aucune  déclamation  sur  «les  étranges  inventions  du  papisme, 
sur  les  absurdités  de  la  présence  réelle,  sur  les  corruptions  sa- 
cerdotales, »  pas  un  mot  de  ces  thèses  Ibudroyanlcs  qui  semblaient 
faire  le  bonheur  de  leurs  prédécesseurs  (1).  Nous  le  remer- 
cions, dans  l'intérêt  de  nos  lecteurs,  de  ne  nous  avoir  pas  obligé 
de  répondre  à  toutes  ces  vieilleries.  lisse  bornent,  en  effet,  à 
opposer  aux  dogmes  de  la  présence  réelle  un  petit  nombre  de 
diflîcultés ,  mais  ce  sont  les  plus  capitales  et  celles  qui  méritent 
vraiment  d'attirer  l'attention  des  conlroversistes  catholiques. 

La  première  de  ces  objections,  formulée  par  Hess  et  par  Néan- 
der, consiste  à  faire  remarquer  que  les  Apôtres  n'ont  manifesté 
aucun  élonnement  lorsque  Jésus  institua  l'Eucharistie.  Or,  dit- 
on,  s'ils  avaient  cru  que  leur  Maître  leur  proposait  une  croyance 
aussi  étrange  que  le  dogme  de  la  présence  réelle,  ils  n'auraient 
pu  dissimuler  leur  surprise.  Rien  ne  les  avait  préparés  à  recevoir 
sans  hésitation  une  doctrine  qui  devait  blesser  toutes  leurs  con- 
victions et  qui  soulève  dans  l'intelligence  des  répugnances  incon- 
testables. 

Cette  objection ,  qui  paraîtra  peut-être  spécieuse  au  premier 
coup-d'œil ,  repose  sur  des  suppositions  dont  nous  espérons  dé- 
montrer la  fausseté. 

Il  est  d'abord  de  la  plus  haute  importance  de  constater,  ainsi 
que  l'a  fait  le  professeur  Haneberg  (2),  que  les  Juifs  attendaient, 
au  temps  du  Messie,  une  nourriture  miraculeuse  ,  dont  la  manne 
était  la  figure  (3).  C'est  pourquoi  on  lit  dans  le  Midrasch  Coke- 
leth,  fol.  90,  2  :  «  De  même  que  le  premier  Sauveur  fit  descen- 
dre la  manne  du  ciel,  ainsi  que  l'attestent  ces  paroles  :  «  Voyez, 

(1)  On  sait  qu'à  Genève  les  théologiens  protestants  vivent  de  ces  redites 
et  des  diatribes  vieillies  :  c'est  là  ce  qu'a  fait  M.  Oltramare.  (2)  Voyez  dans 
les  Archives  théologiques  de  4845.  Xll"  cahier,  un  extrait  de  son  ouvrage. 
(5)  Exode,  XVI,  46. 


220)  i.'EUcuAniSTiE ,  rrr, 

jf  fais  pleuvoir  «In  pnin  tin  ciclt^l);  »  de  mrmn  Ir  domior  Snii- 
vrur  apporKM"!  I:>  tii:innf  ici-lins,  r:ir  il  «'«il  l'rrit  :  •  Il  y  aura  i\n 
lilé  à  pleines  mains  snr  la  lerre.  •  Kt  il  est  «lit  plus  loin  :  «  Que 
dans  les  lenips  du  Messie,  Dieu  préparer:»  pour  les  Israélites  nne 
I;il)le  et  la  «ouvrira  «ralimenfs  ;  rpn*  qnieoncpie  en  mangeri , 
n'aura  plus  l»es«>in  d'une  atiire  nourriture  ^2).  »  D'après  la  \r.\- 
«lilion  accejitee  de  tous,  consignée  dans  le  livre  de  la  Sage9»e , 
la  manne  se  iransfurniait  selim  les  désirs  de  relui  qui  en  man- 
},'eait. 

•  Et  alors  Seigneur  ,  vous  donniez  à  votre  peuple  la  nourriture 
des  anj^es,  et  vous  lui  présentiez  le  pain  du  eiel .  (pii  renferme 
en  soi  toutes  les  dé-lices  et  tout  ce  ipii  peut  llatter  le  f,'oùt. 

»  Et  ce  i>ain  montrait  combien  est  grande  votre  douceur  en- 
vers vos  enfants;  et  s'act  ommodant  an  désir  de  chacun  dVnx , 
il  se  changeait  en  totii  ce  ipii  leiii-  plaisait  (3).  » 

Ees  rabbins  aiment  à  décrire  ce  r\i>  transformé,  comme  l'ap- 
pelle Abarbanel  (ij.  Non-seulement  il  est  rpiestion  de  cette 
transformation  dans  le  Schemoth  rabbà  (5) ,  dans  le  TalmuH 
Jomn  (fî"),  mais  le  plus  ancien  commentaire,  la  Prsikta,  en  parle 
avec  plus  de  détails,  et  compare  cette  nourriture  au  lait  de  la 
mère  «|ni  tient  lieu  à  l'enfant  de  tous  les  aliments  et  prend  pour 
lui  tous  les  goûts.  Nous  lisons  encore  dans  le  Zohar  (7)  :  «Tous 
les  lidMes  sortirtMit  pour  en  ramasser,  et  exaltèrent  en  consé- 
quence le  nom  du  Irès-Sainf.  De  cette  manne  s'exhalait  l'odeur 
de  tous  les  parfums  du  Paradis,  d'oii  elle  descendait;  quand  on 
en  servait  à  «pielqn'un,  il  y  trouvait  tons  les  goûts  (]u"il  désirait.» 
Knlin,  dans  le  Siphre  (8).  les  sages  «lisent  <pie  la  manne  se  chan- 
geait pour  les  Israélites  en  tout  ce  (jn'ils  voulaient ,  seulement 
«pi'ils  ne  voyaient  pas  cela  uniqneiuent  avec  les  yeux.  Ix*5  doc- 
teurs du  judaïsme  avair'ut  don«'[)arraitement  compris  l'importance 
j»ro|tlielique  de  la  maime.  Faui-il  s'en  ét(»nner?  Ne  trouvons-nous 

(h  Psaiinir  lAXII ,  selon  riiObroii.  (2)  Srlinnmolh  rnbhu,  sccl.  ÎÎO.  fol. 
Hi,  3.  Dixil  I)ru5  ».  I).  ad  Isrnclil.-is  :  vos  n-iraslis  riiilii  iiiensani,  cr«i  liltc- 
nibo  vn»,  ut  non  nmplhin  illam  in^truorr  «IclM'iili*  ,  et  ip»e  instniam  \obi> 
mi*nMim4cni|KirilMi4  Mr*»!»'.  (7,)  Sngcdso,  XVI.  iO-il.  (4)  Sur  IKx«hIc  XVI. 
H.  m.  Sorti. .11  XXV.  i6>  Clinp.  VU?.  f..l.  7».  f7>  I.  M.  «H.  î.  <«•  Sur  1rs 
NotnInT?*,  XI,  I». 


f 


l'eucharistie,  etc.  227 

pas  dit'/  eux  plusieurs  fois  el  clairement  exprim<'(!  l'idée  que  le 
lalxTiiaclc,  aussi  bien  (juo  les  vases  sacrés  et  le  lemple  tout  en- 
tier, ne  sont  (pic  la  li^'ure  syuiboliipie  des  choses  saintes,  et  que 
tout  ce  qui  nous  a  été  donné  de  signes  visibles  sur  la  terre ,  est 
connue  l'ombre  par  rap|)ort  au  corps,  et  ne  forme  qu'un  rellet  de 
l'essence  des  types  qui  furent  un  jour  pn-scnlés  du  haut  du  ciel. 
Nous  ne  devons  donc  pas  être  surpris  de  les  voir  s'attacher  à  dé- 
couvrir la  profonde  signification  do  la  manne.  Le  rabbin  Éliézer, 
«•onteinporaiu  de  saint  Polycarpe,  disciple  des  AptUros,  parle  de 
la  manne  que  l'on  doit  attendre  dans  les  jours  du  Messie,  et  il 
donne  pour  raison  de  cette  espérance  une  promesse  du  prophète 
Jérémie  (1)  :  «Lorsque  Jérémie  dit  aux  enfants  d'Israël  :  Pour- 
quoi ne  vous  occupez-vous  pas  de  la  loi?  Ils  lui  répondirent  : 
comment  pourrions-nous  alors  gagner  notre  vie?  Le  prophète, 
leur  montrant  un  vase  plein  de  manne  ,  leur  dit  :  voilà  la  parole 
de  Dieu  !  Vos  pères  qui  s'occupaient  de  la  loi  ont  vu  d'où  ils  ti- 
raient leur  nourriture  :  et  vous  ,  si  vous  les  imitez,  le  Dieu  hau- 
tement béni  vous  nouriira  avec  cette  manne.  »  Les  rabbins  atta- 
chent à  cet  aliment  une  si  grande  importance  ,  qu'il  est  dit  dans 
l'antique  commentaire  Baal  hathurim  :  «  La  loi  n'est  donnée 
qu'à  ceux  qui  mangent  la  manne.  »  Et  à  cette  question  :  «.  Pour 
qui  cette  manne  est-elle  préparée?  »  On  répond  (2)  :  «  Pour  les 
justes  dans  le  siècle  futur.  Celui-là  seul  qui  croit  est  digne  d'en 
manger.»  Dans  le  Zohar  (3)  elle  est  appelée  un  saint  et  précieux 
aliment  céleste ,  pour  la  nourriture  de  l'esprit  et  de  l'àme,  un 
pain  de  l'espace  éloigné  et  incomparable  du  ciel,  un  repas  des 
sages,  destiné  par  la  sagesse  d'en  haut  à  ceux  qui  se  vouent  à  la 
loi.  Éliézer  (4)  s'exprime  avec  plus  de  force  encore  sur  les  avan- 
tages de  la  manne  du  Messie  comparée  à  celle  de  Moïse.  «  Les 
justes  sont  destinés  à  manger  de  cette  manne  dans  le  siècle  futur; 
et  si  vous  demandez  :  sera-ce  de  la  même  manière?  la  réponse  est 
celle-ci  :  Non,  d'une  manière  beaucoup  plus  élevée,  et  telle 
qu'elle  n'a  jamais  eu  lieu.  »  Celte  haute  signification  symbolique 
de  la  manne  dans  la  tradition  hébraïque  étant  admise  ,  on  s'ex- 


(1)  Mcchilla,  fol.  20,  1.  -  Taiicliuma,  fol.  29,  4.  (2)  Jalkiit  Scbinioni,  p.  I, 
fol.  75,  ^,  (5)  Exorle,  fol.  2G,  col.  102.  (4)  Foi.  28,  3. 


2*28  l'ei'cuaristir,  etc. 

pli(|ue  faciicriieul  |M)ur(|uui  les  rabbins  uuaibeni  rux-mt^mes  tant 
d'itJ)|H)r(:ui(e  aux  |)ass:ij;es  déjà  niv  du  psaume  LWMI,  1G(1). 
a  11  y  auia  du  lilr  a  |i|(-iiit>s  mains  sui-  la  Irrrc.  »  Le  l'argum 
chaldécn  traduit  ainsi  :  «  Il  y  :iui:i  dans  le  |Kiys  une  niïrande  de 
j,'rain  sur  les  IkiiiIcuis  des  ujoutii^-ncs  d»-  I  K^ lise.  »  l);ius  le  Be- 
i('s<  liitli-l\ahl)a  i  2  )  il  est  dit  seulement  comme  explieatiun  f;éné- 
ralc  :  «  Dieu  leur  fait  descendre  du  ciel  un  aliment  qui  n'a  pas 
soD  pareil.  •  Haschi ,  ennemi  de  toutes  les  interprétations  chré- 
tiennes, déclare  lui-même  a  ^\\\^'  les  ral»h;ns  ex|tli<]uent  tout  ceci 
d'une  es|)ècc  de  },'àieau  (|ui  doit  exister  dans  les  jnurs  du  Messie  ; 
parce  qu'ils  sont  persuad('\s  que  tout  le  psaume  doit  lui  ^trc  ap- 
[)li«|né  (3).  »  kimclii  se  lapprnclie  encore  plus  de  nos  idées  (4), 
quand  il  dit  :  «  Quehjues  personnes  expliipient  tes  mots  :  «  Ils 
vivront  de  grain,  en  disant:  un  jour,  lors(jue  le  Rédempteur 
viendra ,  il  y  aura  l'n  changexent  dans  la  nature  du  grain.  » 
D'autres  parlent  aussi  d'un  mysière  de  la  manne,  d'une  manne 
spirituelltî  et  d'un  aliment  iileal.  Le  K.  Mose  Ben  Nai  limau  «'(Tit 
même:  o  I.a  manne  est  engendrée  de  la  Lumière  di>ine,  qui, 
d'après  la  volonté  de  son  Cii'ateur,  a  pris  un  corps.  »  Jésus  ne 
dit-il  pas  aussi  :  <  Je  suis  le  pain  vivant  (pii  est  descendu  du 
ciel  (.5).  »  Les  opinions  des  rabbins  jettent  donc  le  plus  grand 
jour  sur  toute  la  doctrine  du  Vi*^  chapitre  de  saint  Jean ,  et  les 
protestants  n'auraient  pas  tant  de  Un>,  déliguré  ce  passage  célè- 
bre, s'ils  l'iivaienl  rapproche  des  traditions  de  la  synagogue. 

En  ctTet ,  <lans  le  discours  qui  est  rapporté  dans  ce  chapitre, 
Jésus  annonce  aux  Juifs  et  à  ses  disciples  cpiil  réalisera  toutes  les 
es()éranccs  de  leurs  ancêtres,  (|u'il  li>ur  donnera  une  manm;  nou- 
velle, son  corps  avec  son  sang,  et  qu'il  deviendra  ainsi  la  nour- 
riture de  nos  âmes.  C'est  en  vain  qu'on  a  fait  de  prodigieux  ef- 
forts pour  expli(]ucr  tout  ce  passage  de  la  f(ti  qu'on  doit  avoir  en 


(I)  Selon  IVbrcu.  (2)  In  Gcnrv,  \\XI\,  I.  (ô1  Cf.  in  ps.  il.  Docloirs 
nostri  srnMiin  i-xplir:iriint  di"  ropc  Mrs^io,  vcnim  nd  rrspoiulondnm  liirrr- 
licis  |i(iiins  illc  rxplicadir  ilc  ip>(>  vl>a\i(lc).  —  La  sérii*  niticrc  ili's  passafçcs 
(le  la  l)it)l<'  rrlaliN  an  Messie  et  que  les  Habbiii»  expli(|nriit  d'une  manière 
conforme  h  la  tradition  ,  se  trouve  dans  l<*  Icxiqiir  Tulmutln  biblique  de 
Nork.  —  VoycE  aussi  de  Voisin,  Obsrrv.  in  Haim.,  Mart.,  p.  150-154  il  157  b. 
(l)  Sur  Om^c,  XIV,  H.  (5)  Jean,  VI,  51 


L'EUrUARISTIE,    ETC.  229 

Jésus-Chi  ist.  Il  esl  bien  vrai  que  c'est  là  le  sujet  de  la  première 
partie  du  discours,  ot  personne,  parmi  nous,  no  le  conteste; 
mais  il  est  évidemment  question  d:ms  la  seconde  (1)  de  la  pro- 
messe de  rKueliarislie.  Il  sullil,  |)our  s'en  convaincre  ,  de  relire 
ce  chapitre  avec  un  peu  d'altenlion  : 

«  Je   Sl'IS  LE  PA1>'   DE  VIE. 

»  Vos  pères  ont  mange  la  manne  dans  le  désert,  et  sont  morts. 

»  C'est  ici  le  pain  qui  esl  descendu  du  ciel,  afin  que  si  quel- 
qu'un en  mange,  il  ne  meure  point. 

»  Je  suis  le  pain  vivant  (pii  est  descendu  du  ciel. 

»  Si  quelqu'un  mange  de  ce  pain,  il  vivra  éternellement,  et  le 
pain  que  je  donnerai  pour  la  vie  du  monde,  c'est  ma  cliair. 

»  Les  Juifs  disputaient  donc  entre  eux,  et  disaient  :  Comment 
celui-ci  peut-il  nous  donner  sa  chair  à  manger? 

»  Or,  Jésus  répondit  :  En  vérité,  en  vérité,  je  vous  dis  :  Si 
vous  ne  mangez  la  chair  du  Fils  de  l'homme  et  ne  buvez  son  sang, 
vous  n'aurez  point  la  vie  en  vous. 

»  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang,  demeure 
en  moi  et  moi  en  lui. 

»  Comme  le  Père  qui  est  vivant  m'a  envoyé ,  et  moi  je  vis  à 
cause  du  Père  ;  ainsi  celui  qui  me  mange,  vivra  par  moi. 

»  C'est  ici  le  pain  qui  est  descendu  du  ciel  ;  vos  pères  ont 
mangé  la  manne,  et  sont  morts;  mais  celui  qui  mangera  de  ce 
pain,  vivra  éternellement. 

»  Il  dit  ces  paroles  dans  la  synagogue ,  enseignant  à  Caper- 
Naiim. 

»  Plusieurs  de  ses  disciples  l'ayant  entendu,  dirent  :  Cette  pa- 
role est  dure,  et  qui  la  peut  écouter? 

»  Mais  Jésus ,  sachant  en  lui-même  que  ses  disciples  murmu- 
raient, leur  dit  :  Cela  vous  scandalise-t-il? 

»  Que  sera-ce,  si  vous  voyez  monter  le  Fils  de  l'homme  où  il 
était  d'abord  (2)? 

(1)  Je  pense  avec  Tillustre  cardinal  Wiseman  que  cette  seconde  partie 
commence  au  verset  28  (Voir  pour  les  preuves  Wiseman ,  La  présence  cor- 
porelle du  corps  et  du  sang  de  N.  S.  Jésus-Christ  dans  la  divine  Eucharis- 
tie, trad.  Furon,  ù^ns\ts  Démonstrations  évangéliques  de  M.  3Iigne,  t.  XV, 
£01.  1178-1181.   (2)  S.  Jean,  VI,  18  63.  —  Je  supprime  ici  à  dessein  le  ver- 


2.'{0  l'bIîCIURISTIE,   KTr:. 

»  Dès  ce  monicnl-là ,  |ilusioui's  «le  srs  «lisriplc^  s'éloif^nèreru 
»i  no  marditrent  pins  avec  lui. 

»  Jisus  «lit  ilonc  au\  lion/c  :  Kl  vous  aussi,  voulez-vous  vous 
on  aller? 

»  Simon-PitTrc  lui  n|>(»n<lit  :  S<M},'npnr,  :i  (|iii  irons-nous? 
vous  avr/  les  paroles  de  la  vie  elcrnclle. 

»  Et  nous  avons  cru  et  nous  avons  ronmi  ipic  nous  ^les  le 
(lliiisl,  le  Fils  du  Dieu  vivant.  » 

Jésus  leur  dit  :  «  Ne  \oiis  ai-ji-  p;iN  i  Iumms  .mi  iiondti'O  de 
douze,  et  l'un  de  vous  est  un  deuion  (I  i?  » 

L.i  le(  tnic  Mille  (]<•  ce  fra^'uienl,  les  murmures  des  liahilants 
de  (lapf'i-Namn  ('2),  la  e<»n(liiil<'  de  plusieurs  des  discipl»'s,  prou- 
vent déjà  (pi'il  s'ayi!  d'une  autn-  do«  trine  «pie  de  la  loi  en  Jé- 
sus. L'examen  des  circonstances  dans  lescpielles  fut  prononcé  ce 
discours,  une  interprétation  «léiaillée  du  texte  montreront  jus- 
qu'à l'évidence  (pie  le  Sauveur  annonce  rinsiiuiiion  de  l'Kuclia- 
ristie. 

Jé'sus  se  sert  ordiuaireuuMit  de  l'oi'casion  d'un  niiiacle  poui- 
inriilfpier  à  ses  auditeurs  une  docli  ine  (pii  a  de  lanaiof^ie  avec 
le  prodi^fe  (pii  vient  de  se  passer  sous  leurs  yeux  (3).  Or,  puis- 
que telle  était  sa  coutume,  on  ne  peut  «list'onvenir  que,  s'il  a  ja- 
mais désir<''  rencontrer  une  occasion  heureuse  de  proposera  ses 
auditeurs  le  do^îme  de  la  présence  réelle  dans  l'Eucliarislie ,  il 
n'a  pli,  «lans  tout  le  cours  de  sou  uiinisiére,  en  trouver  une  plus 
lavorahle  à  son  dessein.  ()ar,  cnuini''  m  «  etle  «irconstance ,  en 
IténissanI  le])ain,  il  lui  donna  une  nouvelle  eflicacile  et  le  mul- 
tiplia au  point  de  le  rendre  sidlisant  |)our  nourrir  |)lusieurs  mil- 
liers d'hommes,  nous  ne  i»ouvons  rien  concevoir  de  plus  analof^tc 
ù  ce  sacrement,  dans  lequel  son  <orps  s»'  multiplie  suflisamment 
pourêln-  l'aliiiifiit  de  tous  les  liounnes,  d.ins  toutes  les  parties 


un  fii,  qiioii|ti'il  fasse  partie  ilii  «lisroiirs  ili'  Jrsus,  parrr  (piil  «loit  être  plus 
loin  lol>jrl  ilimr  ili^riission  parlinilii  rc.  (J  J«nn.  Vl.(i7  7l.  (3)  On  f.nplinr- 
nauiu.  (ô)  On  trouvera  les  preuves  tir  cette  asscrlinu  «Inns  S.  E.  le  ctniinal 
Wi»ciaau,  Vnnfrrrncr»  sur  Irt  dorlrinr»  ri  Ir»  initiripnlr»  prnliqurs  de  fÈ- 
OUif  ralHnlUpir,  tmd.  Furon  «Ions  le  loinc  XV  «les  Itemnnsiralitms  èvangrU' 
qurt  .le  M.  Mij;iie.  runfi^reiicc  \IV.«le.  la  lranssuli!.lantiati«iii,  part.  I",  roi. 
1077  7H 


L'El'CII.VniSTIE,    ETC.  *  231 

(le  rniiivcr.s.  n'aillcius,  les  Juifs  (nix-m(^mcs  ramèneront  pur 
loiirs  (|iu'sii()iis  h  |):ii  loi-  de  la  présciwc  réi.'llc  : 

(t  Ils  lui  dirent  :  Quel  si^nc  l'ailcs-vous,  afin  (juc  nous  le 
voyions  et  que  nous  croyions  en  vous?  Quelle  œuvre  failes-vous? 

»  Nos  pères  ont  mangé  la  manno  au  désert  ainsi  qu'il  est 
écrit  :  Il  leur  a  donné  à  manpfcr  le  pain  du  ciel  (1).  » 

Il  est  évident  ((ue  les  auditeurs  de  Jésus  comptaient  sur  un 
miracle  analogue  à  celui  que  Moïse  avait  opéré  en  faisant  tomber 
la  maime  du  ciel.  Le  récit  de  saint  Jean  est  donc  comi)lètemenl 
en  rapport  avec  les  tn'.diîions  de  la  synagogue;  puisque  l'on  voit 
ici  les  Juifs  demander  eux-mêmes  à  Jésus  cette  nourriture  nou- 
velle qu'ils  attendaient  du  Messie.  Il  serait  donc  étrange  que  le 
Sauveur  répondît  à  une  demande  de  ce  genre  par  des  considéra- 
lions  vagues  sur  la  foi  (ju'ils  devaient  avoir  dans  sa  céleste  ori- 
gine. Mais  il  est  an  contraire  très-naturel  qu'après  avoir  rappelé 
cette  céleste  origine  et  la  toute  f)uissancc  qu'elle  lui  confiait,  il 
leur  promette  un  aliment  miraculeux  très  supérieur  à  celui  que 
leur  avait  donné  leur  législateur  (2).  Après  leur  avoir  parlé  en 
termes  généraux  d'une  union  avec  lui  qui  doit  s'opérer  par  la  foi, 
dans  la  seconde  partie  il  prophétise  aux  Juifs  et  à  ses  disciples 
une  union  plus  intime  dans  le  sacrement  de  l'Eucliaristie.  Arrivé 
à  cet  endroit  de  son  discours,  il  se  sert  d'une  phraséologie  toute 
nouvelle,  très-propre  à  faire  sentir  à  ses  auditeurs  la  nature  du 
sujet  dont  il  veut  les  entretenir.  Il  avait  d'abord  évité  avec  le  plus 
grand  soin  ,  et  même  en  sacrifiant,  jusqu'à  un  certain  point,  les 
propriétés  du  langage,  toute  expression  comme  celle  de  manger 
le  pain  de  vie;  encore  plus  celle  de  manger  sa  propre  personne. 
Il  avait  même  entièrement  al)andonné  la  métaphore  dont  il  s'était 
servi  d'abord,  dès  qu'il  s'était  aperçu  que  cette  manière  de  par- 
ler donnait  lieu  à  quelque  méprise  ;  et  voilà  qu'à  ce  moment  il  y 
revient  avec  beaucoup  plus  d'énergie  que  jamais,  mais  de  façon 
à  ne  pas  permettre  à  ses  auditeurs  de  prendre  ses  expressions 


(1)  Jean,  VI,  ÔO,  31.  (2)  On  trouve,  (railleurs,  dans  d'autres  discours  de 
Jésus,  des  exemples  de  transitions  analogues  ,  ainsi  que  la  démontré  avec 
sa  science  ordinaire  S.  E,  le  cardinal  Wiseman ,  Confêrenc^^.çXc,  Confcr. 
XIV,  col.  H)79.  —  Et  La  présence  réelle,  etc.,  col.  1181. 


'1T2  L'tiJCHAnisTit:,  tr»:. 

dans  lo  même  sens  qu'auparuvuiit  :  ■  Je  suis  le  pain  \ivant  qui  est 
distendu  du  ciel.  —  Si  <|U('l(|u'un  niante  di-  ce;  |)ain  ,  il  vivra 
t-lLTUL-lhnient,  cl  le  pain  <pic  ji-  donnerai  pour  la  vie  du  niunde, 
c'est  ma  clciir.  »  IMus  loin  il  ajoute  :  «  En  vérité,  en  vérité,  je 
vous  dis  :  Si  vous  ne  man^'e/.  la  chair  du  l'ils  de  l'homuie,  et  ne 
buvez  son  san^,  vous  n'aurez  point  la  vie  en  vous.  —  Celui  qui 
man^e  ma  chair  cl  boit  luou  .s;ii);;a  la  vie  éternelle,  elje  le  res- 
susciterai an  dernier  jour.  (.:ir  n);i  (  liair  est  vraiment  une  nour- 
riture ,  et  mon  san^'  est  Nrainienl  un  l)reuv;ij,'e.  Celui  <|ui  mange 
ma  chair  et  l»oii  mon  sanj; ,  demeure  en  moi  et  moi  en  lui,  — 
Comme  le  Père  (|ui  est  vivant  ma  envoyé,  cl  moi  je  vis  à  cause 
du  Père;  ainsi  celui  (|ui  me  mange  vivra  par  moi.  —  C'est  ici  le 
pain  qui  est  descendu  du  ciel  ;  vos  pères  ont  mangé  la  manne  et 
sont  morts  :  mais  celui  ipii  mangera  de  ce  pain  vivra  élernelle- 
meni.  »  Or,  n'est-ce  pas  là  une  série  d'expressions  véritablement 
incompreliiiisibles.  si  le  S;iuvenr  a  voulu  les  enj|>lr(yer  dans  un 
sens  uuiaphot  itjue.'  Comment  pourraii-il  ajouter  (ju'il  donnera 
lui-mémc  à  ses  disciples  ce  pain  viviliani,  s'il  s'agit  uniquement 
du  don  que  le  Père  céleste  a  lait  au  monde  en  lui  envoyant  son 
Fils  bien-aimé. 

Mais  c'est  ici  qu'apparaissent  les  iuq)Ossibilités  de  l'interpréta- 
tion métapboriipie.  Kn  eiïet,  cette  locution  manger  la  chair 
d'uue  personne,  avait  dans  la  langue  sainte  une  signification 
très-determinee,  quand  on  rempluviil  dans  un  sens  syndxtiique. 
Elle  signiliaii  toujours  :  taire  par  pensée  ou  par  action,  mais  sur- 
tout [>ar  caloumie,  une  graNe  injure  à  quebpi'un  (1).  Il  en  est 
entore  de  même  dans  l'idiome  des  Arabes  qui  habitent  aujour- 
d'hui la  Terre-Sainte  (2),  circonstance  très-digne  d'attention, 
puisqu'il  est  reconnu  par  tous  les  honmies  com|>cienls  que  les 
écrits,  les  habitudes  et  même  les  sentiments  de  ce  p<>uple  sont  le 


(1)  Voyez  Psaume  XXVF,  2.  —  Job  XIX,  22.  -  Mirlu'p  III.  T..  —  Erclr- 
siastr  IV,  ."i.  (2)  O'rsl  rc  (|up  prouvent  les  textes  du  Koraii.  sur.n  \MX,  12, 
ëdil.  Mnrncei.  —  Kl  Nawaliig ,  «dit.  Srlmllens,  n.  Hti.  —  Ama$<i.  dansChul- 
Icn»,  CommenI,  in  Job,  p.  i^O.  —  tl  l'xecrpla  de  l'ilamasa  dnn.»  V Antho- 
logie dr  Schultriis,  p.  7.  —  Micliaclis  ,  Chrestoiualir  arabe .  153.  — Schan- 
fari,  cité  dans  Srhultcns,  in  Job,  4W.   —  Mridan.  Provrrbri,  p.  7. 


l'euciiakistie,  etc.  *233 

moyen  W  plus  sur  d'expliquer  la  Sainte  Écriture.  Je  ferai  la 
même  remarque  sur  le  Syro-Clialdéen,  langue  que  parlait  notre 
Seigneur  (I).  Il  est  donc  évident  (pie  si  les  expressions  dont  il 
s'agit  ont  été  quelquefois  prises  dans  nn  sens  niélapliori(pie,  — 
ce  que  nous  n'avons  aucun  intérêt  à  nier,  bien  au  contraire,  — 
elles  l'ont  toujours  éié  dans  une  signification  qui  n'a  pas  le  moin- 
dre rapport  avec  la  foi.  D'ailleurs,  quand  même  on  parviendrait 
à  les  expliquer  de  cette  façon,  on  ne  se  débarrasserait  pas  facile- 
ment de  ces  mots  remarquables  —  buire  son  sang.  Comment  le 
Sauveur  aurait-il  pu  employer  une  pareille  figure,  s'il  n'avait 
voulu  se  servir  que  d'une  simple  métaphore ,  lui  qui  savait  que 
l'action  de  boire  du  sang  était  interdite  aux  Juifs  sous  les  peines 
les  plus  sévères  (2)?  Quant  à  manger  de  la  chair  humaine  ou  à 
boire  du  sang  humain ,  il  n'en  est  jamais  parlé  dans  les  livres 
saints  que  comme  de  la  plus  affreuse  malédiction  dont  Dieu 
puisse  frapper  ses  ennemis  (3). 

Aussi  les  Juifs  ne  se  trompèrent-ils  pas  sur  le  sens  des  paro- 
les du  Seigneur.  C'est  un  avantage  peu  commun  que  de  savoir  en 
pareil  cas  l'impression  qu'un  discours  produisit  sur  ceux  qui 
l'entendirent.  Qui  pourrait  se  vanter  maintenant  d'avoir  mieux 
saisi  le  sens  du  discours  de  Jésus  que  ses  propres  auditeurs? 
«  Comment,  dirent  les  Juifs,  celui-ci  peut-il  nous  donner  sa  chair 
à  manger?  »  Or,  que  devait  faire  le  Sauveur  s'ils  entendaient  mal 
sa  doctrine?  Les  avertir  qu'ils  avaient  tort  de  la  prendre  dans  le 
sens  littéral  et  faire  disparaître  ainsi  un  préjugé  qui  les  écartait 
de  la  voie  du  ciel.  Tous  ceux  qui  connaissent  sa  charité  et  son 
zèle  pour  le  salut  des  âmes,  ne  peuvent  douter  de  son  empresse- 
ment à  montrer  à  ses  auditeurs  qu'ds  se  trompaient  grossière- 
ment sur  la  signification  de  ses  paroles.  Nous  n'en  sommes  pas 
d'ailleurs  réduits  sur  ce  point  à  de  simples  conjectures.  En  li- 
sant attentivement  l'Evangile,  on  voit  que  le  Sauveur,  quand  il 
s'élève  une  objection  contre  ses  enseignements,  soit  parce  qu'on 


(1)  Gésénius,  Thésaurus  philologicus  crUicus  linguœ  hebrceœ  et  chaldœœ, 
t.  Ijfasc.  I,  p.  91.  —  Jahn,  Elementa  Aramaicae  seu  chaldaeo-syriacae  Un- 
guae,  p.  175.  (2)  Genèse  IX,  4.  —  Lévilique  XVII,  dO.  —  Judith  XI,  10,  II. 
(5)  Sagesse  XI,  7.  —  Jérémie  XIX,  8,  9.  —  .\pocalypse  XVI,  G. 


'23 i  l'kl'duaiiistie,  i.tc. 

u  [trisii  l:i  li'itrc  ce  (|u'ii  disiiil  uu  liguiv,  M>il  |v>ui-luai<-  uiitir  rui- 
soo,  a  lotiJMiirs  soin  d'avcrlir  ses  aiuii(('(ii->  ci  île  Imii-  fuirecom- 
prcudn'  sa  vnitaltlf  prnst-c  ^\).  Il  «si  aussi  fori  (ligne  de  rc- 
iiiari|uc  ((lie  loiilcs  les  fois  qu'il  s'cvpriinail  dans  le  sctns  lilloral, 
et  (|(io  Tun  atia(|uait  la  doclriiie  (|u'il  (iiopu^ail,  il  répc^luil  les 
|>arules  mêmes (]ui  a>aieni  éli*  un  objet  de  scandale  {2).  Or,  dans 
le  cas  doni  il  s'agil,  au  lieu  de  l'aire  enlundrc  que  ses  e\|)res- 
sioos  soni  li^urees ,  il  conlirmc  sou  asseilion  en  euq»lo\anl  l'af- 
tiininiion  la  plus  M^nili(  alivc  :  «  Kn  veiile,  en  v«riie  ,  je  vous  le 
dis  :  Si  vous  ne  man^c/  la  eliair  du  lils  de  lliuniuie  el  ne  buvex 
son  suog ,  NOUS  n'aurez  point  la  \ie  en  \ous>.  •  Dira-l-on  qu'il  ne 
s'agissait  |>as  d'un  do^'nie  iinporlanl,  el  (|ue  le  (Christ  |»uu>ail 
s:jns  ineonvénienl  laisser  ses  auditeurs  dans  leur  erreur.'  Celle 
ress<»uree  fait  encore  défaut  à  nos  ad\ersaires.  Il  est  en  clfel 
question  d'un  précepte  tellement  (;rave,  d'après  les  paroi*  s  ntê- 
nies  du  divin  .Maiire  ,  <|iie  la  \if  éternelle  en  dépend.  Or,  est-il 
|>ossihlc  d'admettre  (|ue  le  Rédempteur,  pour  promulguer  une 
loi  aussi  im[)ortante,  se  soit  servi  d'expressions  ligurécs ,  lon- 
trairement  à  toutes  les  liahitudcs  du  lan^a^'e  reçu?  Lorstpi'il  en- 
sei;;ne  la  ni'cessilé  du  bapii'>me ,  il  s'expli»pie  absolument  de  la 
même  façon  que  lorsqu'il  lait  à  tous  les  eliretiens  une  olill;;atiou 
de  recevoir  son  corps  el  son  s;mg. 

Sans  parler  de  beaucoup  d'antres  raisons  ipii  aciirvt  raient  de 
montrer  que  linterprelaiion  liitciale  est  la  seule  admissible,  je 
me  tontentcrai  de  faire  remarquer  la  conduite  du  Sauveur  à  Té- 
(;ard  des  disci|)les  ifui  se  sc;indalisenl  de  In  doctrine  (|u'il  vient 
de  leur  annoncer.  «  (iette  |)arole  est  duie,  diseui-ils,  el  qui  la 
peut  «'Couler?  •  Ces  hommes  eussent-ils  parle  ainsi,  s'ils  avaient 
cru  «piil  ne  s'agit  que  de  la  foi  vn  lui .'  .Ne  lavaient-ils  pas  re- 
connu comme  l'envovc  de  Dieu  .'  Or,  quelle  est,  dan>  une  circon- 
stance si  grave  ,  la  («induite  ib;  .b-sus?  Dit-il  un  seul  nml  pour 
retenir  ses  disciples,  pour  les  «  inpèeber  «le  se  perdre  eu  aban- 
donnant le  Fils  de  Dieu.  Il  ne  leur  donne  pas  la  moindre  expli- 
cation .  et  il  les  laissf?  dans  une  erreur  «pii  eut  OU'  vérilaltlemenl 
iusiiii  ibie,  si,  coaimc  on  le  suppose,  il  a\ail  \oulu  parler  dans  un 

(I)  Jc.in  III         MaUhioii  XIX.  ('2)Jrnn  Mil.        Mallliiru  |\      -  J.  an  Mil- 


l'euciiakistie,  ltc.  235 

sens  inéta|)lioii([U('.  Mais  comparons  à  la  contliiiie  des  disciples 
incrédiilos  (îeilc  des  douze  A|)(Ures.  Jésus  leur  demande  s'ils  ne 
son!  pas  aussi  décidés  à  le  ([uiiier.  IMcire  dit  au  nom  de  ses  col- 
lègues :  o Seigneur,  à  qui  irons-nous?  Vous  avez  les  paroles  do 
la  vie  éternelle.  »  N'est-c/i  pas  comme  s'ils  avaient  répondu  : 
«Vous  seul  connaissez  les  mystères  du  ciel  ;  il  ne  nous  appartient 
pas  (r(>()poser  à  vos  paroles  les  lumières  de  noire  faible  intelli- 
gence. C'est  à  vous  de  parler,  à  nous  d'obéir  avec  une  foi  bum- 
blc  et  docile.  Le  Clirist ,  le  Fils  du  Dieu  vivant  ne  peut  jamais 
induire  ses  disciples  en  erreur.  »  Faut-il  donc  être  surpiis  (jue 
Simon-Pierre  et  les  autres  apôtres  aient  écouté  leur  maître  dans 
un  silence  respectueux,  lorsqu'il  prononça  les  paroles  solennelles 
par  lesquelles  il  institua  le  sacrement  de  l'Eucbarislie?  Ils  sa- 
vaient que  le  Messie  donnerait  à  ses  disciples  une  nourriture 
miraculeuse,  Jésus  leur  avait  dit  à  Caper-Naûm  que  cette  nour- 
riture serait  sa  cbair  et  son  sang,  comment  pouvaient-ils  donc 
s'étonner  de  le  voir  exécuter  sa  promesse,  au  moment  où  il  allait 
remonter  vers  son  Père? 

Mais,  disent  Hess  et  Néander,  tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'ob- 
scur dans  le  Nouveau-Testament  sur  la  question  de  l'Eucharistie 
est  suffisamment  expliqué  par  ce  que  Jésus  dit  à  ses  disciples  en 
terminant  le  célèbre  discours  de  Caper-Naiim  :  «  C'est  l'esprit 
qui  vivilie ,  la  chair  ne  sert  à  rien  ;  les  paroles  que  je  vous  dis 
sont  esprit  et  vie  (1).  »  Cette  objection  est  très-populaire,  la 
plupart  des  protestants  s'imaginent  qu'il  n'y  a  rien  de  solide  à  ré- 
pondre A  cette  difficulté.  Que  des  personnes  étrangères  aux  ques- 
tions d'exégèse  aient  une  semblable  manière  de  voir,  je  n'en  suis 
nullement  surpris  ;  mais  je  suis  étonné  que  des  théologiens 
comme  Hess  et  Néander,  aient  recours  à  une  interprétation  aban- 
donnée par  tous  les  commentateurs  éclairés,  même  de  leur  com- 
munion. Aussi  nous  nous  bornerons  à  réfuter  par  une  observation 
unique,  mais  décisive,  cette  manière  d'entendre  le  passage  de 
saint  Jean. 


(1)  Jean  VI,  fi3.  Voici  le  texte  de  ee  versel  important  :  To  -■nûit.o.  inri-'i 


2.'t0  l'eL'CUAKI&TIE  ,    feTC. 

Les  mois  chair  cl  esprit ^  op|X)st'S  l'un  à  l'aiilre  dans  k»  Nouveau 
Tesiamt'Ul ,  onl  iiiir  si-^'oilic  aiioii  iiiNaiialilt- ,  lit's-(li(T<'r«*nie  de 
cellf  tjuc  l'ou  X'ul  leur  donniT.  Il  sullit  pour  s'en  cuiivaincre  de 
lire  le  chapiire  VIII  de  VÉpitre  aujc  Romains^  depuis  le  verset 
1"  jusqu'au  14'  (1).  Ce  passade  prouve  seul  (ju'il  faut  entendre 
par  le  luol  chair  les  dispositions  pcrverM's  cl  les  mauvais  senti- 
ments d»'  la  nature  liumainc,  cl  par  esprit  les  sentiments  de 
riiomme  régénère  par  la  grâce. 

Ceci  posé  ,  il  n'est  pas  difTnilc  d'cx|)li(picr  le  vrai  sens  du 
passage  de  saint  Jean,  dont  ou  lait  tant  de  bruit.  Il  veut  dire 
simplement  :  Les  paroles  de  Jésus-Christ  sont  esprit  et  rie, 
elles  sont  telles  que  la  ciiair,  ou  l'homme  réduit  à  ses  propres 
forces,  ne  |)cut  les  recevoir,  et  qu'il  laut  pour  les  agréer,  le 
puissant  secours  di;  la  grâce.  Ainsi ,  ce  tevic  loin  d'être  conii-aire 
à  rinlerprétation  que  nous  avons  donnée  de  loul  l'cnseniMe  de 
ce  discours,  la  rorlilie  cvidenimeul.  N'csl-il  pas  nalurcl  en  effet, 
qu'après  avoir  propose  à  ses  auditeurs  une  vérité  cpie  la  chair  el 
le  sang  ne  sont  pas  en  état  de  comprendre ,  le  Sauveur  dise  à 
ceux  qui  l'écoulent,  qu'ils  onl  besoin,  pour  profiter  de  ses  paro- 
les, de  s'éle\er  au-dessus  de  la  terre,  «'t  d'implorer  du  Ciel  un 
secours  partii  ulier?  Il  me  sendile  inutile  d'insister  davantage  sur 
ce  point,  malgré  rim|)orlance  <|ue  quelques  écrivains  protestants 
semblent  encore  y  all.icher.  Kn  effet,  |>arn)i  v\\\  les  exégèles  les 
plus  instruits,  reconnaissent  mainlenanl  (jne  l'interprélation  du 
verseï  64'  du  chapiire  VI'  de  saint  Jean  ,  proposée  par  Hess 
et  par  Neander,  ne  peut  être  défendue,  pour  peu  que  l'on  tienne 
quelque  compte  de  la  langue  du  Nouveau  Teslamenl,  el  que  l'on 
ne  sacrilie  pas  lesinlerèis  de  la  science  aux  inlerèts  passagers  des 
partis  (2). 


(1)  Ce  passage  est  tellement  connu  que  je  ne  crois  pas  n«^ccsaire  de  le  re- 
produire ici.  (2)  Kinœl  (In  Jean.,  VI.  t.  Il),  apr^s  avoir  indique  linlerprc- 
lation  qu'on  donne  vulgairement  dans  la  communion  &  ce  passage  célèbre, 
ajoute  :  «Scd  liirc  vcrbornm  interprctaliou  su  loquendi  scriploi-um  Novi  Tes- 
tamenti  comprobari  nrquil....  Pr.Tplarcl  igilur  mihi  eonim  ratio  quibus 
rvijiAX  ut  pcrfrctior,  sublimior  senlieiidi  cl  staturndi  ratio  qu;«m  «loclrina 
Christi  eflficil  ;  itî^  humilis,  vilis  >enlieiidi  ralio,  qualis  cral  Judœorum,  qui 
prcconceplas  de  Mestia  et  bonis  in  ejus  regno  expectandis  opiniones  fove- 


l'eiciiaristie,  et»;.  IM 

Ccpandaiii  Hess  et  Néandor  s'accordent  à  iroiivcr  dans  les 
circonstances  de  rinstitutioii  de  l'Eucharistie  un  motif  (jui  a  dû 
oblijîer  les  apôtres  d'entendre  dans  un  sens  symbolique  les  pa- 
roles de  leur  Maître.  Comme  ils  voyaiont  .b'siis  présent  devant 
leurs  yeux,  ils  ne  pouvaient  s'imayincr  <]u  il  eût  la  pensée  de 
leur  donner  dans  le  nouveau  Sacrement  son  corps  avec  son  sang. 
L'impossibilité  de  la  présence  corporelle  d'un  même  corps  en 
plusieurs  lieux  est  ti'op  évidente  pour  (ju'elle  n'ait  pas  frappé  les 
Apôtres. 

Je  ne  raisonnerai  pas  longuement  sur  ces  prétendues  impossi- 
bilités. Personne  n'ignore  que  la  question  de  l'essence  de  la  ma- 
tière partage  toujours  les  savants.  Les  uns  alHrment  avec  Des- 
cartes (1)  que  l'étendue  est  essentielle  à  la  matière ,  les  autres 
disent  avec  Leibnilz  que  cette  proposition  n'a  aucune  base  vrai- 
ment philosophique  (2).  Kant  a  mis  les  deux  opinions  aux  prises 


bant  :  ut  adeo  sensus  sit  :  valedicere  dcbetis  opinionibus  vcstris  praejudica- 
tis,  nani  siiblimior  tantum  senliendi  et  statuendi  ac  operandi  ratio,  TTVEma  sa- 
lutatem  oITerl;  humilis,  vilis  statuendi  ac  sperandi  ratio  judaïca  illa  ratio, 
<5%il,  nihil  confert  ad  veram  felicilaler».  »  —  Bloomfield,  qui  copie  Kuinœl, 
dit  aussi  :  «que  celte  traduction  (la  traduction  protestante  populaire)  ne 
peut  être  prouvée  d'après  Viisus  loquendi  de  ITcrituro.  —  Horne  est  du 
même  avis  :  «Le  Saint-Esprit,  dit-il ,  est  mis  pour  ses  effets  (2 Cor.  III,  6). 
Ici,  par  le  mot  lettre,  nous  devons  entendre  la  loi  écrite  avec  des  lettres  sur 
la  pierre.  Par  l'esprit,  il  faut  entendre  la  doctrine  salutaire  de  TÉvangile, 
dont  TEsprit-Saint  est  le  premier  auteur.  C'est  dans  le  même  sens  que  Jésus- 
Christ  a  dit  (Jean  VI,  65)  :  «  Les  paroles  que  je  dis  sont  esprit  et  vie,  c'est- 
à-dire  elles  sont  inspirées  par  l'Esprit  de  Dieu  ,  et  conduiront  à  la  vie  éter- 
nelle celui  qui  les  recevra  avec  une  foi  véritable  (Introduction,  vol.  II,  p. 
ioj,  7'édit.).  —  Dans  son  Index  du  langage  symbolique  de  l'Écriture,  au 
mot  chair,  il  dit  encore  :  Apparence  extérieure,  condition,  circonstances, 
caractère,  etc.  (Jean  VI,  65)  :  La  chair  ne  sert  de  rien  (Ibid.,  vol.  IV).  — 
Voyez  aussi  Schleusner,  au  mot  Sx;^.  —  Kopp,  Excursus  in  Epist.  ad  Galat. 
—  Sartorius  ,  Dissertatio  theologica  de  notione  vocis  crâi;  in  N.  T.—  Storr, 
Commentatio  de  vocum  carnis  et  spiritus  genuino  sensu.  —  Schmid,  De 
poteslate  vocabulis  aâix.c;  et  îrvcJaaTc;  in  N.  T.  subjecta.  —  RoUer,  De  vo- 
cum (jio;  et  -'<iju.y.  in  Pauii  espist.  ad  Galatas  sensu. 

(1)  Il  est  remarquable  que,  malgré  la  diflérence  de  leurs  principes  sur  l'es- 
sence de  la  matière,  Descartes  et  Leibnitz  ont  travaillé  à  démontrer  la  possi- 
bilité de  la  présence  réelle  au  point  de  vue  de  leur  philosophie.  (2)  Voyez 
de  Pres.ey,  Instruction  pastoral^  sur  le  mystère  de  l'Eucharistie;  et  Leibnitz, 
Systema  Iheologicum, 

14 


238  l/RITHAHlSTIt  ,    KT<., 

d»ti&  SCS  <  clcbit ■^  :iiihnoiuiti8  (1).  TuQt  que  l«'s  pliilosuplies  n'au- 
i-onl  |>ii  s'eDlendn*  sur  cv.ilc  question  fondauiontule,  nous  aurons 
If  droit  do  fair»'  hiiii  |teu  de  cas  d«'b  dillindlts  (jii'ils  |»ourronl 
ojipostT  au  do^nie  de  la  présence  d'un  corps  en  plusieurs  lieux. 
Aussi  les  protestants  éclairés  ne  songent  plus  guère  ù  nous  faire 
des  objections  ([ue  Ton  retournerait  facilement  contre  les  autres 
mystères  du  (Jirisliaiiisme.  I.e  savant  théologien  an^dicau  Faberl, 
dans  ses  DifficulUs  du  runKDiiame ,  s'exprime  sur  ce  point  avec 
une  franchise  qui  lui  lait  le  plii>  ^laiid  honneur  : 

o  En  discutant  sur  ^•^•  sujii,  dit-il,  ou  en  no  le  toiu  liant  «pie 
pai-  incident,  (pieUpies  écrivains,  j'éprouve  de  la  douleur  à  le 
dire.  s(;  sont  montres  trop  prodigues  de  ces  termes  inconvenants  : 
ahsurdiU',  impossibililé!  Le  moindre  reproche  qu'on  puisse;  faire 
a  unpaieil  lanj,'a;,'e .  c'est  qu'il  mancpie  de  bons  procédés.  L'n 
autre  défaut  beaucoup  plus  sérieu\tpi'(»n  peut  y  reprendre,  c'est 
<•('  Ion  de  |)rés(»niplioM  et  d'orj^iieil  cpi'il  laisse  percer,  et  ipii  ne 
sied  nniicnietit  à  une  <  rcalurc'  dont  les  facultés  s<mt  si  bornées. 
Cerlainenienl  Dieu  ne  veut  rien  faire  d'absurde,  et  ne  peut  rien 
faire  qui  soit  impossible.  Mais  il  ne  s'en  suit  pas  rigoureusemeni 
que  nous  voyions  toujours  les  choses  d'une  manière  parfaitement 
exacte  ,  vi  cpie  nous  ne  puissions  jamais  nous  m<'prendre.  Nous 
pouvons  lacib-mi-nt  nous  imaginer  voir  des  coniradii  lions  là  oii, 
de  fait,  il  n'y  en  a  pas  le  moins  du  monde.  Donc,  avant  de  taxer 
une  doctrine  de  coniradiciion  ,  il  faut  éire  sûr  davoir  une  in- 
telligence |)aifaile  de  la  matière  qui  y  est  proposée  :  car,  autre- 
ment, la  contradiction  pourrait  bien  ne  pas  être  dans  la  matière 
elle-même,  mais  dans  notre  manière  de  la  concevoir.  Pour  moi, 
comme  la  conscience  que  j'ai  des  bornes  di'  mon  intelligence  ne 
me  permet  |>oint  de  vouh^ir  en  faire  la  nu'siire  de  tout  ce  (pii 
est  convenable  et  [X)ssible  ,  il  nie  semble  qu'il  est  à  la  fois  plus 
sage  et  plus  convenable  de  m-  point  adarpier  la  doctrine  de  la 


(I)  On  a  fnil  jusqu'ici  t)p.niicoup  dXTorls  pour  résoiitirr  rrllc  anlinumir. 
Aucun  n'n  6lê  cniironni^  dr  <iiicc(*$  :  sur  toiilos  Ic9  questions  fondamentale», 
la  philo5op|iir  raliinalistc  balbutie  conniu*  nn  jour  de  sn  nais^nllrc.  (Voyez. 
M\r  rr  puiiit  les  aveux  rrniarquables  de  MM.  Jouiïroy  ri  Prmidlion  dan»  mon 
i'alrrhismr  historique  dit  incroyant*,  livre  III.  tbn|).  Wll-   XXIII. 


I.'ElTHAniSTM-,    ETC.  230 

Iranssiihslanliation  ,  sur  ce  reproclio  d'absurdité,  flr  ronlradic- 
tion  01  (rimpossil)ilil('!  qu'on  allèpiuo  contic  fille.  Suivre  ce  plau 
d'alUKiue,  c'est  vrairucnt  al)an(l<)iiner  le  terrain  d'une  ar^'umen- 
talion  rationnelle  et  persuasive.  La  doctrine  de  la  iranssubstan- 
liaiion,  comme  celle  de  la  Triiiitc- ,  n'est  pus  une  malièie  qui  se 
discute  pai"  des  raisonnements  abstraits;  c'est  une  question  de 
pure  évidence (l).  Nous  rcf^artlons  la  révélation  divine  comme  une 
règle  essentielle  et  infaillible  de  la  vérité.  Le  plus  siniple  pour 
nous  n'est  pas  de  nous  perdre  dans  des  raisonnements  abstraits 
sur  rabsurdilé  et  les  prétendues  contradictions  de  la  transsub- 
stantiation ;  mais  c'est  de  rechercher,  à  l'aide  des  meilleurs 
moyens  qui  soient  en  notre  pouvoir,  si  la  Sainte  Écriture  ensei- 
gne véritablement  cette  doctrine.  Ceci  sullisamment  prouve*  et 
déterminé,  nous  serons  certains  que  la  doctrine  n'est  ni  absul'de, 
ni  contradictoire.  .le  soutiendrai  toujours  que  la  doctrine  de  la 
transsubstantiation,  conmie  celle  de  la  Tiinité,  est  une  question 
de  pure  évidence  (2). 

Leibnitz,  le  pliis  grand  nom  de  la  philosophie  protestante,  est 
encore  plus  explicite  :  Il  repousse  absolument  toute  idée  de  con- 
tradiction dans  le  dogme  catholique,  et  fait  ol)server  que ,  bien 
loin  qu'on  puisse  démontrer,  comme  on  s'en  est  vanté  avec  tant 
d'éclat,  «  qu'un  corps  ne  saurait  être  en  plusieurs  lieu\  à  la  fois, 
on  peut  au  contraire  prouver  solidement  que,  quoique  l'ordre 
naturel  des  choses  exige  que  la  matière  soit  définitivement  cir- 
conscrite, cela  cependant  n'est  pas  d'une  absolue  nécessité  ;3).» 

Si  les  Apôtres  avaient  été  philosophes  ,  ils  n'auraient  eu  donc 
rien  à  objecter  à  la  doctrine  que  leur  divin  Maître  proposait  à 
leur  croyance.  Mais  ils  étaient  complètement  étrangers  à  ces  dis- 
cussions abstraites.  Pour  nous  former  une  idée  de  l'état  de  leur 
intelligence,  nous  devrons  examiner  avec  un  peu  d'attention  les 


{l)C.-à-(l.  une  question  de  foi.  (2)  Le  célèbre  théologien  entend  par  là  la  certi- 
tude morale.  Il  veut  dire  qu'il  n'est  pas  question  de  savoir  si  la  présence 
réelle  est  conforme  à  la  philosophie ,  mais  si  elle  a  été  évidemment  révélée. 
(5)  Leibnitz,  Syslenia  theologicum,  p.  2!2i.  —  Quant  aux  kantistes,  Zimmer 
leur  a  prouvé  qu'au  point  de  vue  des  principes  de  leur  maître,  ils  ne  peu- 
vent nier  la  possibilité  de  la  présence  réelle.  (Voyez  Zimmer.  Théologie  spé- 
ciale, t.  m,  %  162.) 


"ilO  L'Ei'f.HAtiSTiE,  rrc. 

Iiuiiiiiii's  |>i*'(i\  >i  sensés  de  la  clussu  à  l:i(|uclli'  ils  :ip|>:irt(>naiont. 
Or,  oïl  cluM'clierail  vn  vain  dans  ceUe  classe  d<'s  notions  exac- 
tes sur  ce  (|ni  osl  ini|)ussil)le  el  coDlradictoire.  L'idée  que  les 
jjens  du  |H!U|>lt!  ont  iU\  possilile  sr  mesure  toujours  sur  la  puis- 
sance de  celui  (|ui  a^it.  A  leurs  yeux  rien  n'est  impossible  au 
Tout-Puissant,  à  celui  qui  fjouverne  la  nature  avec  une  autorité 
absolue.  Or,  les  actions  du  Sauveur  avaient  dû  l«  ur  donner  de 
son  p(iuv(»ir  l'idée  la  plus  coni[)lèle. 

Navail-il  pas  en  Kur  présence  rendu  d'un  seul  nmt  la  santé 
aux  intirmes,  Touie  aux  sourds,  la  vue  aux  aveugles?  N'avaient- 
ils  pas  été  témoins  de  la  résurrection  des  morts.'  La  nature  n'a- 
vail-clle  pas  à  ses  ordres  suspendu  constamment  toutes  ses  lois? 
Jésus,  sous  les  veux  de  ses  Apôtres,  s'était  promené  sur  la  sur- 
face des  eaux  (1).  Aux  noces  de  Cana  ,  il  avait  transformé  l'eau 
en  vin  (T);  dans  deux'autres  cii  onstanccs  il  avait  fait,  d'une  ma- 
nière plus  frap|)anle  encore  ,  violence  à  toutes  les  lois  de  la  na- 
ture, en  nourrissant  cinq  mille  hommes  avec  cinq  pains  et  deux 
poissons,  et  quatre  mille  hommes  avec  cinq  pains  (3).  Ce  spec- 
tacle étendit  si  loin  l'idée  que  les  Apôtres  se  faisaient  de  la  toute 
puissance  de  leur  Maître ,  qu'ils  ne  durent  t(>nir  aucun  compte 
de  l'idée  d'impossibilité  ou  de  contradiction  lorsqu'il  fut  question 
dans  la  suite  d'inleipréter  ses  enseignements.  Quand  môme  nos 
adversaires  par\irndraienl  ù  expliquer  h'  j»rodif;e  de  la  multipli- 
cation des  pains  et  à  le  concilier  avec  leurs  théories  sur  les  lois 
de  la  nature,  la  substance,  l'étendue,  etc. ,  toujours  est-il  que  de 
semblabUs  ujiraclcs  devaient  sin;îulièrement  disposer  des  hom- 
mes tels  que  les  Apôtres  à  croire  que  leur  Maître  pouvait  réali- 
ser toutes  les  merveilles  qu'il  unnon(;nit.  On  se  tromperait  donc 
(iranfiemeni  en  croyant  (]ue  pour  explicpier  ces  paroles  :  «  Ceci 
est  mon  corps,  »  ils  auraient  eu  recours  à  l'impossibilité  du  sens 
littéral  et  qu'ils  se  seraient  dit  :  «  Il  a  changé  l'eau  en  vin  ;  il  a 
privé  son  corps  de  |)esanleur;  il  a  multipli»*  (pielques  pains  de 
façon  à  nourrir  une  multitude;  mais  ceci  est  tellement  différent 
des  miracles  qu'il  a  opén'-s,  qu'il  nous  faut  pour  la  première  fois 


(I)  Voypi   MaUhifu  XIV.         Mnrr  M     l'Ji  Jean  It.    'ôl  Marr  Vllf  .    f-0. 
.  Jfin  VI,  3  14. 


L'eUCnARlSTlË,  ETC.  241 

(Jouter  de  son  pouvoir  et  |)r(Mulre  ses  |)iiroIes  au  figuré.  »  Qu'au- 
raienl-ils  fait  d'ailleurs  de  ces  niagniliijues  raisonnements,  lors- 
qu'ils virent  le  corps  du  Rédempteur  traverser  les  portes  fer- 
mées (1)?  Mais  si  les  laits  dont  je  viens  de  parler  devaient  donner 
aux  (liscipl(!s  la  plus  liauic  idée  du  pouvoir  de  leur  Maître,  ses 
enseiguemenls,  loin  d'aU'aiblir  leurs  dispositions,  étaient  au  con- 
traire do  nature  à  les  fortifier.  A  chaque  instant  Jésus  vantait  la 
foi  de  ren\  qui  croyaient  sans  hésitai  ion  en  son  pouvoir,  il  re- 
commandait cette  loi  comme  la  première  condition  pour  parve- 
nir à  la  vie  éternelle  (2).  Si  quelquefois  il  réprimandait  sévère- 
ment ses  disciples,  c'était  pour  avoir  manqué  de  conliance  (3)  en 
sa  parole.  Nous  l'avons  vu,  quand  il  annonça  l'insiiiution  de  l'Eu- 
charistie, laisser  partir  sans  regret  les  disciples  qui  avaient  douté 
et  féliciter  ses  Apôtres  d'avoir  accepté  sans  balancer  une  doc- 
trine qui  avait  scandalisé  tous  les  autres  [4].  Il  les  avait  donc 
préparés  de  longue  main  à  recevoir  tous  ses  enseignements  avec 
une  foi  complète  et  à  ne  pas  opposer  les  conceptions  de  leur 
intelligence  aux  affirmations  de  celui  qui  leur  révélait  les  mys- 
tères de  la  vie  éternelle. 

Hess  met  en  avant  une  dernière  difficulté  qui  ne  mérite  pas  une 
longue  discussion.  Les  Apôtres,  selon  lui,  étaient  habitués  à 
entendre  leur  maître  se  servir  de  paraboles,  et  ils  durent  croire 
sans  peine  qu'il  continuait  de  parler  ainsi ,  l'orsqu'il  institua 
l'Eucharistie.  Mais  cette  objection  ne  peut  être  plausible  que 
pour  un  homme  qui  n'a  pas  fîiit  une  élude  sérieuse  de  l'Évangile. 
Si  le  Sauveur,  se  conformant  au  génie  de  l'Orient,  se  sert  souvent 
de  similitudes,  il  a  soin  de  montrer  à  ses  Apôtres  le  sens  pro- 
fond de  ces  comparaisons.  Ainsi,  après  avoir  raconté  la  parabole 
du  Semeur,  il  leur  dit  :  «  La  semence  est  la  parole  de  Dieu  (5).» 
Toutes  les  fois  qu'on  se  trompe  sur  la  signification  d'une  parole 
obscure,  il  en  explique  le  véritable  sens  à  ses  disciples  avec  une 


(1)  Jean  XX,  19,  26.  (2)  Voyez  l'histoire  des  aveugles  (Matthieu  IX).  — 
Celui  du  centurion  (Matthieu  VIII).  —  Celle  d'un  lépreux  (Ibid.)  —  La  ré- 
ponse de  Marthe  (Jean  XIX,  21,  22.)  (5)  Voy.  Matthieu  VIII,  26  ;  XIX,  24. 
(4)  Jean  VI.  (5)  Luc  VIII,  tl  et  Matthieu  XIII,  5-25.  —  Le  texte  de  ce  der- 
nier confirme  tout  ce  que  je  dis  ici  :  «  Les  disciples  s'approchant  lui  dirent  : 


242  L'EltlIUWMIK,    ETC. 

bonté  pa't'riicllc  (1).  Or,  «huis  iiiic  (|ueslion  aiis^i  iiii|>oi  tante,  eu 
cv  iiioiiu'iit  soU'uiifl,  lors(|u'il  laissait  à  srs  Ap«')tiTS  s«*s  derntèn's 
iitstJiKiions,|)eul-oncn)ire  qu'il  ail  np;,'li}?«Mr(Mii[)loyiT  les  expres- 
sions les  plus  (  l;iii('s,  <|u'il  se  soit  sei\i  des  paialxiles  h  l'aide  dcs- 
tjuelles  il  l'ssajait  de  laire  comprendre  an  penpie  les  vérités  les 
plus  |>rofondes  de  son  ensei^nenn-nt ,  «pi'il  se  soit  eonlié  eompI6- 
leinenl  à  l'intelli^enee  <ie  ses  disciples  dont  il  connaiss^iit  si  bien 
les  |)rejii^és  et  les  travers?  Une  telle  supposition  ne  niérite  pas  de 
nous  arrêter  plus  lon^len)|>s. 

Plusieurs  rationalistes  uvoucnl  traneliement  tpie  le  Christ  a 
révélé  à  SCS  Apôtres  le  do^me  de  la  pr<'senee  réelle;  ils  se  mon- 
trent en  cela  pins  sincères  (pie  Iteancoiip  d'ecrixains  protestants. 
Mais  ils  n'en  croient  |>as  moins  (pu-  (  e  dopne  <'sl  une  conception 
purement  linmaine,  et  «pi'il  lani  clienlier  son  orij;ine  dans  les 
antiques  relif;ions  de  lUrient.  M.  Jean  Ueynaud  (2)  ,  et  M. 
Quiuel  (3),  attribuent  aux  Ma^es  la  première  idée  de  rEucharis- 
lie.  Benjamin  Constant  n'est  pas  éloij,'né  de  penser  que  celle 
croyance  est  née  dans  la  presipiiie  de  l'Inde  (4).  Nous  ne  réfute- 
rons j>as  i(  i  des  niopiesqne  nous  avons  appréciées  ailleurs  assex 
lon^'uemenl  (6).  Nous  nous  bornons  à  <-onsiater  les  étranges  di- 
visions de  nos  adversaires  et  à  montrer  avec  «pielle  imprudence 
ils  se  cond>attent  mutueiU>ment  ;  c'est  ce  (pii  arrive  toujours 
quand  on  veut  soumettre  Tliistoire  aux  intérêts  des  coteries  et  des 
socles (6).  l/alilie  K.  Cuassxy,  docteur  eu  théologie. 

Pourquoi  Inir  |);ii-li'Z-\ous  ni  piiraboles?  —  1:1  il  U'iir  ri'-|u)ii(lil  :  P.irrf 
qu'il  vous  est  (Joiiul'  de  rdimitilrc  1rs  niyslrros  île  la  parole  »le  Dieu;  mais, 
pour  eux  eelle  eonnaissiuiee  ne  leur  est  pas  aeeordi'e...  Heureux  xos  yeux, 
parce  qu'ils  voient,  et  vos  oreilles  parée  i|u'elleH  eiitetiiient  ! 

(I)  Voycr  rcnlreticn  de  Jésus  avec  .Nieod^nie  (Jcnn  III).  —  L'avertisse- 
ment aux  disciples  sur  le  levain  des  Pharisien.H  et  des  Sadducéeiis  (.MaUbicu 
XVI,  0  et  Luc  \II,  1  )  ;  l'explieation  de  la  nourriture  du  Clirist  (Jean  XV,  Tii)  ; 
ei  plusieurs  autres  points.  (Jean  M,  H.  —  M;illliieu  XIX.  2i.  —  JcanVIII, 
21,  ô2,  W.)  (2)  Voy.  J.  Itiynard  ,  art.  Zoroattrf.  HI8,  dans  V Fnryrlnprdir 
youvrtlf.  (ô)  Voy.  K.  Quiuel,  ticnir  dis  rrUyiont,  ôll.  (i)  N'>y.  Henjaniin 
Construit,  ttr  la  nUyion  rinnUlinr  dan»  tu  snurcf,  sr»  formes  cl  ses  dire- 
lopprmrnti.  II,  \)7^.  ('•>)  Voy.  le  Christ  rt  l'f'.vangile.  2'édil..  cliap.  IV:  le 
liaptéiue  et  rKucliaristic. 

(fli  Cet  arlirlc  est  extrait  d'un  rcuiarqualdc  ouvrage  «juc  vient  de  publier 
notre  ami  M.  Vnhhv  Chassay  ;  llislnirt  tir  la  piu$tou  dr  .V.  .s".  Jè$%u ,  uan 
reur  du  mnndr. 


ÉTLDE  DE  LA  DOCTRmE  CATHOLIQIE  DAIVS  LE 
CO\CILE  DE  TREiXTE, 

proposée  cominc  moyen  de  réunion  de  toutes  les  communions  clirétieiines, 

PAR  LE  R.  P.  NAMPON. 


Sous  ce  titre  a  paru  un  excellent  ouvrage,  qui  se  vend  en 
France  et  en  Suisse  depuis  plus  d'une  année.  Nulle  part  mieux 
qu'ici  on  n'était  à  portée  d'apprécier  le  mérite  de  ce  livre  et 
de  comprendre  quels  avantages  il  y  avait  à  le  faire  connaître. 
Les  Jnnnles  cependant  s'étaient  bornées  à  l'annoncer.  Nous 
avions  prédit  le  succès;  deux  contrefaçons  attestent  que  nos 
prévisions  étaient  légitimes  ;  car  cette  Etude,  prêchée  en  confé- 
rences dans  l'église  de  Saint-Germain,  avait  obtenu  des  protes- 
tants qui  l'entendirent,  comme  de  l'auditoire  catholique,  le  plus 
favorable  accueil. 

Nous  n'avions  entendu  de  ce  travail  que  des  fragments  déta- 
chés ;  il  a  beaucoup  gagné  à  l'impression.  Les  solides  démons- 
trations, la  justiiication  lumineuse  de  leur  foi,  que  déjà  les  catho- 
liques avaient  recueillies  des  livres  du  R.  P.  Nampon ,  ils  les 
retrouveront  aujourd'hui  dans  son  livre,  avec  une  remarquable 
pureté  de  diction,  une  connexion  et  un  ensemble  qui  en  doublent 
la  force. 

Ce  qui  ne  témoigne  pas  médiocrement  en  faveur  de  cet  ou- 
vrage, c'est  que  plusieurs  fois  déjà  il  a  mérité  les  attaques  de  nos 
adversaires.  Comme  au  P.  Perrone,  comme  au  cardinal  Gousset, 
on  fait  au  P.  Nampon  l'honneur  de  le  prendre  pour  point  de 


241  KTI'IIE 

inirf,  lorsqu'on  sVssaio  :i  (îrnrvr  à  diTochcr  quelque  trait  mala- 
droit ((inlir  la  <l<>«irin«'  cailioliciuo.  Mais  un  «•<  rivain  est  fort , 
quanti  il  oonilial  smus  la  cuirasse  i\c  la  verit»'*.  Aussi  ceux-là 
iiu'me  qui  no  veulent  pas  se  rendnî  à  cet  evpose  «le  foi,  n'ont  pas 
lenle  et  ne  tenlerunl  pas  «le  lui  diunier  une  sérieuse  réponse.  Us 
lui  prépareront  encore  sournoisement  quelques  é^rati^nures,  ils 
lui  lanceront  des  épij,'ranimes  vieillies,  et  puis  cela  fait  ils  se  re- 
mettront sur  l'oreiller  «le  rin«ré«lulité  et  feindront  de  s'endor- 
mir i  umme  après  une  vi«loire  j^a^iiée.  hluder  les  questions  déci- 
sives, louv(>\er  autour  <1«'S  prineijtes  au  li«'u  «le  les  aborder 
francliement ,  tell»*  a  toujours  été  la  friande  lialtilete  des  conlro- 
versisles  pr«)testanls  en  lace  des  apologistes  de  notre  foi. 

Lonju'une  place  est  imprenable,  pour  tromper  l'opinion  ,  on 
multiplie  tout  autour  des  escarmouches  sans  portée;  on  éblouit 
ainsi  les  esprits  inalt«'ntifs,  «pii,  sans  raisonner,  donnent  jr^'in  de 
cause  sur  les  plus  vaines  a(>pareu«('s.  Mais  l«'S  li«>mmes  réfléchis 
ne  soDl  pas  dupes;  ils  peuvent  se  tain;  «>u  faire  «horus  par  une 
impardonnable  cuimiNence;  mais  ils  le  sav«'ut  très-bien,  «ians  le 
fait,  liuil  Lit  jeu  u'esL  qu'une  tactique  sans  sincérité.  O'ile  ma- 
nière de  combutlre  ,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  religion  ,  est  loin 
de  mériter  une  qualificaLion  honorable. 

Qu'v  faire?  Il  v  aura  l«»uj«»urs  des  hommes  atteints  pai  «  eil»- 
«  fusur»'  de  notr»'  S;iuv«.ur  :  lisant  drs  y(  us  pour  ne  point  voir, 
et  une  intelligence  pour  ne  rien  comprendre.  A  ces  aveugles  de 
parti  pris,  c'est  p<.'iuepet<lu«! «le  pres«'nler  la  lumi«Te.  Mais  ceux- 
là  mis  à  part,  nous  cidvons  utile  «Je  n-commander  le  livre  du 
1*.  NauqMin  aux  âmes  si  nondueuses  encore  qui  veulent  suvoii 
la  vérité  sur  la  plupart  des  points  lU'  «loclrin»;  débattus  entre  le» 
calhoIi«pies  et  l«'s  protestants.  Les  uns  y  tnuiveront  b's  plus  jus- 
U's  motifs  «l«;  s»;  gloi  ilier  <l«!  leur  foi,  et  les  autres  d«'  salutaires 
éclaircisiitrmeuts  à  leurs  «toutes. 

Le  mobile*  (|ui  a  conduit  la  pUinie  de  I  auteur,  liii-m<''me  l'in- 
di«pie  ,  c«;  fut  une  «'spcraiice.  \  ojri  coinineiit  il  s'exprime  «Ians 
l'inlroduclioii  : 

<  La  réconciliation  de  toutes  les  communions  chrétiennes  n'est 

•  pas  impossible.  Car  hieu  la  veut;  Jesus-Christ  l'a  demandée  la 

•  vedle  «le  sa  mort  ;  les  périls  de  la  société  la  commandent;  les 


I>i:   I.A    DOCTRIM-:   CATIIOI.IOI'K.  "lA-i 

»  expcrieiu'cs  liiiles  la  iacilileiii,  les  moyens  d'instiuction  plus 
»  répaiulus  la  lavorisent... 

»  Or  W.  moyen  le  pins  obvie  et  lo  pins  sûr  d'opérer  celte  ré- 
»  conciliation,  c'est,  ce  me  sem])le,  de  présenter  aux  protestants 
»  notre  dodrine  telle  que  l'Église  elle-m«'me  l'a  délinie  au  con- 
»  cile  tle  Trente. 

»  Poui-  prononcer  contre  elle  avec  justice,  il  faut  la  connaître, 
»  et  la  connaître  non  sur  des  rapports  mensongers,  mais  sur  des 
»  documents  authentiques.  Or  ces  pièces  nécessaires  à  la  révision 
»  d'un  inique  procès,  je  les  fournis  toutes  dans  cet  écrit.  Qu'on 
»  passe  par  dessus  mes  introductions  et  mes  préambules,  j'y  con- 
»  sens  volontiers;  mais  avant  de  prononcer  contre  le  concile  lui- 
»  même,  au  moins  qu'on  l'écoute  !  » 

Hâter  un  heureux  rapprochement  entre  les  peuples  chrétiens, 
appeler  au  baiser  de  paix  tous  les  hommes  qui  acceptent  la  di- 
vine mission  de  Jesus-Christ ,  telle  est,  on  le  voit,  l'idée  fonda- 
mentale de  l'ouvrage  dont  nous  parlons. 

De  tout  cœur  nous  nous  associons  à  cette  aspiration  sainte  et 
généreuse;  nous  voudrions,  conmie  l'auteur,  renverser  le  mur 
de  séparation  qu'éleva  l'esprit  d'orgueil;  nous  souhaitons,  nous 
aussi ,  de  clore  cette  arène  où  s'épuisent  sans  profit  des  forces 
qui,  durant  de  longs  siècles,  avaient  ennobli  le  drapeau  d'une 
même  foi. 

Ah!  comment  ne  pas  gémir  sous  le  coup  de  ces  oppositions 
sans  cesse  renaissantes,  de  ces  déchirements  profonds  et  doulou- 
reux entre  des  hommes  qui  vivent  côte  à  côte,  et  que  tout,  sauf 
la  pensée  religieuse,  tend  à  réunir!  Quelle  âme  droite,  fatiguée 
de  ces  luttes  quotidiennes ,  ne  se  prend  à  maudire  les  auteurs 
d'une  trcp  déplorable  scission?  Et  quoi  de  plus  naturel  que  de 
nous  retourner,  avec  les  larmes  du  regret,  vers  cette  unité  per- 
due,  vers  cette  paix  des  jours  anciens,  pour  en  appeler  le  re- 
tour! S'il  est  un  labeur  digne  d'éloge  et  de  sympathie,  n'est-ce 
pas  celui  qui  vise  à  aplanir  les  sentiers ,  à  combler  les  abîmes 
sous  les  pieds  de  ceux  que  le  cœur  ramène  déjà  dans  la  même 
route  tracée  par  le  Fils  de  Dieu  ? 

Et  néanmoins  cet  acte  de  réconciliation  si  désiré,  faut-il  le 


!21(>  KTI'DK  V 

dire?  Iiiimninemfiil  nous  ne  rrspérons  pas  jwnr  noire  pays.  A 
noire  avis  ,  l 'esl  un  rêve  heureux  ,  mais  rien  au-delà.  Quelques 
Ames  (Iroiles  cl  simples ,  placées  en  dehors  de  rainiosphère 
d'un  prosélylisme  hAlard,  seront  allirées  par  les  eharmcs  secrets 
de  Dieu;  (pii>li|ues  inielligen( es  d'élile  se  jeiieronl  dans  les 
l)ras  (pie  rKj^iisc  leur  ouvre.  Une  volonié  plus  Toile  «pie  les  mes- 
quines passions ,  et  un  amour  de  la  vérité  supérieur  ù  tous  les 
sa<Tilices,  les  y  auront  (onduiles.  Mais  le  relour  en  masse, 
comme  le  fui  la  dél'e<;iion.  nous  ne  le  prévoyons  pas,  nous  ne 
l'attenilons  pas.  Sans  doule  que  la  Providence  a  des  voies  mysté- 
rieuses et  des  ressources  extraordinaires;  elle  a  s«'s  marches 
soudaines  <>t  inatlendties  (]ui  irom|)eiit  lous  les  ralctils;  mais 
aussi  la  inalici',  rciilêii'inciil  sysieiii;iii(jiie  des  hommes  nonl-ils 
pas  d'insondables  abîmes,  qu'à  moins  (rancaiilir  hue  liberlé, 
toute  la  miséricorde  divine  ne  saurait  combler? 

Or  nous  le  croyons,  l'un  de  ces  abîmes  se  creuse  dans  le  pro- 
testanlisme  lel  «pie  nous  le  révéhni  ces  derniers  temps,  en  par- 
ticulier à  Genève.  Plutôt  Turc  tjur  catholique,  voilà  un  mot  pro- 
noncé ici  plus  d'une  f«)is  par  «mmix  «pii  :i^'il«'iil  la  population.  Ce 
mot,  tout  ex«<'nlri(pie  «pi'il  soil,  d<Ni«'m  de  plus  m  plus  l'ex- 
|)ression  vraie  d<*s  sentiments  des  aj^ilateurs. 

Toutes  les  races  ne  se  ressemlilent  poini;  il  imi  est  «liez  «jui 
le  lu'soin  de  reli;;ion  se  fait  profondément  sentir.  Celles-là  c«»n- 
serveni .  même  «lans  d<'s  croyances  «'iila»  liées  d'erreur,  un  fond 
d«'  respet  I  p«iur  les  choses  saintes.  Une  sorle  d'aplilude  pour  les 
rapports  siirnaliiiels  «le  l'ànu'  ave«-  ni«'U  fa\oris«>  l«Mir  reiiirée 
au  henail  du  bon  Pasteur.  Tel  est  .  à  notre  sens,  le  p«uple  an- 
glais; tel  esl,  en  général,  le  peuph-  allemand,  malgré  les  ravages 
du  panthéisme  et  du  communisme.  Chez  eux  on  sait  enrore 
prier,  on  y  trouve  encore  «les  habitudes  de  pii'-lé  et  (h'S  formes 
de«-ulleipii  «latent  du  «atholiiisuu'.  Des  i«'sl«s  «l'un  chrislianisine 
|)Ositifs'y  sont  maintenus,  malgré  leur  opposition  aux  doctrines 
subversivi's  «pii  «mt  prévalu.  Aussi  ne  déses|)erons-n(Mis  pas  de 
voir  ces  grand«s  nations  s«'  lever  par  un  élan  de  foi  et  n-venir 
avec  bonheur  à  l'Église  catholitpie,  comme  on  revient  à  une  mère 
trop  longtemps  délaissée.  N'est-ce  pas  celte  Église  qui  a  laborieti- 


SUK    l.X   DOCrr.lNE  CATHOLIOl'K.  247 

si'incni  liK-oriiic  leur  berceau  el  embelli  leur  jeunesse?  Et  lors- 
qu'elles auront  parcouru  le  coi'cle  fatal  des  erreurs,  épuisé  la 
coupe  des  diiceptions,  n'est-ce  pas  à  celte  Éylisc  qu'elles  de- 
manderont la  guérison  de  leurs  maux?  \  qui  iraient-elles  enfin? 
L'Éi,'lise  seule  a  les  paroles  de  la  vie  éternelle. 

Quant  au  pi-otesianlisme  de  Genève,  nous  nous  en  formons 
une  autre  opinion.  C'est  une  religion  dont  on  a  ôté  le  cour.  Au 
lieu  d'un  enseignement  qui  dilate  et  porte  en  haut ,  on  n'y  ren- 
contre à  l'origine  qu'un  dogmatisme  roide  et  nu  (pii  resserre,  qui 
concentre  en  soi-même,  qui  glace.  Et  aujourd'hui  que  tout  sym- 
bole est  évanoui ,  que  lui  rcslc-l-il?  Une  seule  chose  :  la  haine 
du  catholicisme,  haine  aveugle  (|ui  n'écoute  point  de  raisons,  ou 
que  les  raisons  exaspèrent,  haine  incompréhensible,  qui  ne  sau- 
rait se  justifier  par  aucun  motif  élevé.  La  religion  est  annulée 
ici  dans  son  objet  premier  et  principal,  qui  est  d'unir  à  Dieu! 
Dieu,  elle  le  piétériic  presque  entièrement,  elle  le  laisse  étran- 
ger aux  âmes.  La  Réforme  se  pose  avant  tout  comme  une  orga- 
nisation habile,  qui  a  fait,  dit-on,  le  caractère  national,  la  célé- 
brité,  la  prospérité  industrielle  et  financière  de  Genève,  Voilà 
le  grand  mérite  de  l'œuvre  de  Calvin.  Ce  mérite,  s'il  était  réel 
el  indiscutable,  pourrait  suflire  à  une  religion  d'homme;  mais 
est-ce  assez  aux  yeux  de  Dieu  et  pour  les  besoins  spirituels  d'un 
peuple  chrétien.' 

Ce  protestantisme,  on  le  voit,  loin  d'être  une  religion  qui  at- 
tire à  Dieu,  c'est  un  parti  qui  cantone  ses  adeptes  dans  des  pré- 
jugés séculaires  et  qui  attise  une  aversion  croissante  contre  l'élé- 
ment catholique.  Il  se  croit  obligé  de  lui  résister  en  désespéré. 
Eh  bien,  un  tel  parti,  pouvons-nous  compter  qu'il  nous  donnera 
une  main  fraternelle,  ou  seulement  qu'il  consentira  à  discuter  les 
bases  d'une  réconciliation  (1)?  Nullement.  Aujourd'hui,  tout  en 
conservant  son  nom  ,  la  Réforme  arrive  au  rationalisme  pur,  à  la 


(1)  Nous  n'adoptons  pas  toutes  les  idées  de  notre  collaborateur;  au  milieu 
de  l'agitation  liaincuse,  nous  croyons  entrevoir  des  symptômes  de  retour,  et 
jamais  nous  n'avons  désespéré  de  la  conversion  de  notre  pays. 

G.  Mermillod. 


218  KTl  1)1 

négnliitn  do  loiilc  loi  M-iitablc;  mais  flic  n  «ii  liemcun-pas  iiiuius 
l'irréconciliablr  ailversaiie  tlu  calliolicisme;  rllt*  |)ri'ffivra  se 
voiiir  au  rôle  de  Voltaire,  pluiâi  que  de  faire  un  pas  vers  la  re- 
Iit;iuii  (pii  avait  dunm-  à  Genève  douze  siècles  «le  paix  cl  de  ^loi^e. 
Non,  telle  retrudescene*:  de  dis|)osiiions  hostiles  ne  permet 
guère  d'espérer  un  procliaiu  retour  à  la  doctrine  exigcnie  du 
salul.  La  vérité  parvint-t-clle  à  se  faire  jour,  sa  connaissaoco,  on 
ne  l'ignore  pas,  n'est  (jue  la  moindre  paiiie  dans  l'ituvra^c  d'une 
conversion. 

Mais  si  «pielque  jour  se  formulait  une  intention  sérieuse 
d'étudier  le  ealliolicisme,  le  travail  du  V.  Nampun  seiail  un  fluide 
sûr  et  à  la  portée  de  tous  les  esprits.  Il  a  le  j;rand  mérite  d'of- 
frir an  lecteur  la  plus  lidèle  expression  de  la  doctrine  catholique 
dans  le  texte  du  concile  <le  Trente.  Puis  ce  texte,  déjà  si  ferme 
dans  sa  concision ,  si  persuasif  par  la  haute  raison ,  par  le  ion 
d'assurance  «(ui  y  règne  et  qui  en  est  le  cachet,  comme  il  est  ce- 
lui (le  la  vérité;  ce  texte  est  éclairci ,  justifié,  développé  par 
d'admirables  expost'-s. 

La  (onfrontaiion  dt!s doctrines  adverses  y  met  en  relief  l'édilice 
antique  et  imbranlable  de  lu  vérité;  elle  fait  en  même  temps 
loucher  du  doigt,  sur  chaque  article  controversé,  le  sable  mou- 
vant des  doctrines  purement  rationnelles,  et  l'inconsistance  des 
Structures  de  main  d'Iiomme,  Ou  sait  le  nierite  de  \  Exposition 
de  Bossuet  ;  on  sait  les  conquêtes  qu'elle  a  faites  dans  les  rangs  de 
nos  adversair<'s;  eh  bien,  c'est  une  exposition  nouv(  lie  (jue  pré- 
sente l'auteur.  Le  fond  n'y  est  pas  change,  on  le  conçoit;  mais  la 
forme  est  modernisée;  les  preuves  sont  ajoutées  aux  propositions, 
et  un  vêlement  de  traits  hisloriipies ,  d'heureuses  citations,  de 
n'Ilexions  solides  relève  enc(»re  l'expression  de  la  foi  catholique 
déjà  si  belle  dans  sa  nue  sinq)lit  ile. 

Un  autre  mérite  encore  distingue  cet  ouvrage  de  ceux  de  ce 
genre  :  c'est  le  fréquent  usage  et  la  sîigace  a|>plication  des  pas- 
sa g«'s  de  la  Sainte-Lcrituii'.  En  voici  un  excinpU'  pour  terminer. 
Il  s'agit  de  justifier  l'intolérance  dogmali(]ue  de  l'Église,  qui  est, 
dit  l'auteur,  une  nouvelle  preuve  de  la  divinit»'  de  sa  foi.  Il  em- 
prunte avec  honh<'nr  un  trait  historique  du  livre  des  Hois. 


SI'R    F.V    llOr,TRI>'E   «lATIIOLlQUr.  2'19 

«Deux  mères  sont  amerK'Os  (levant  Salomon.  Elles  se  dispu- 
!•  lent  avec  une  éj^ale  chaleur  un  nourrisson  que  eliacune  d'elles 
»  prétend  lui  appartenir.  Elles  vivaient  sous  le  même  toit ,  elles 
»  nourrissaient  chacune  un  enfant  du  même  âge.  L'une  d'elles, 
»  ayant  éloullé  le  sien  pendant  la  nuit,  a  place  l'enfant  mort  dans 
»  les  bras  de  sa  voisine,  et  s'atiribue  le  survivant.  La  vraie  mère 
»  le  réclame  avec  chaleur.  A  qui  l'adjuger,  puisque  ni  le  crime, 
»  ni  le  droit  ne  peuvent  être  découverts ,  puisque  l'enfant  lui- 
»  même  ne  sait  point  encore,  par  sou  sourire,  distinguer  sa  mère? 
»  —  Qu'on  le  partage  donc  en  deux,  prononce  Salomon,  et  puis- 
»  que  les  droits  sont  égaux.,  que  chaque  mère  en  emporte  la 
»  moitié!  — Non!  non!  s'écrie  aussitôt  l'une  d'elles,  non,  point 
»  de  partage  !  mon  fds  m'appartient  tout  entier,  qu'il  vive  !  — 
»  Tel  fut  le  cri  maternel  !  Personne  ne  s'y  méprit,  nul  n'osa  ja- 
»  mais  reprocher  à  cette  pauvre  mère  ni  égoïsme,  ni  intolérance, 
»  ni  dédaigneuse  lierté.  Au  contraire,  la  marâtre,  celle  qui  avait 
»  étoulfé  son  enfant  et  dérobé  l'autre,  accepte  la  sentence  et  ré- 
»  pond  :  Partageons!  Et  par  ce  seul  mot  elle  s'est  déclarée  cou- 
»  pable.  Tout  le  monde  a  bien  vu  que  cet  enfant,  qu'elle  sacri- 
»  fiait  ainsi,  n'était  pas  son  enfant;  qu'elle  n'avait  pas  porté  dans 
»  ses  lianes,  nourri  de  son  lait  ce  fils  qu'elle  consentait  à  voir  im- 
»  moler  sous  ses  yeux. 

»  L'application  est  facile.  Que  toute  secte  qui  s'est  fait  un  sym- 
»  bole  consente  à  le  refaire,  à  le  modifier,  à  sacrifier  au  besoin 
»  de  l'union  et  de  la  paix  quelques  articles  de  sa  croyance,  à  ne 
»  pas  condamner  ses  contradicteurs,  cela  doit  être  ;  ainsi  firent 
»  tous  les  dissidents,  chaqi"e  fois  qu'ils  y  trouvèrent  leur  intérêt. 
»  Mais  la  société  religieuse  que  Jésus-Christ  a  établie  dépositaire 
»  de  ses  enseignements,  de  ses  sacrements,  de  ses  pouvoirs,  à  la- 
»  quelle  il  a  dit  :  «  Enseignez  toutes  les  nations,  leur  ordonnant 
»  d'observer  tout  ce  que  je  vous  ai  prescrit...  Qui  vous  écoute, 
»  m'écoute...  Qui  ne  croira  pas  sera  condamné...  Qui  refusera 
»  d'écouter  l'Eglise ,  qu'il  soit  à  vos  yeux  comme  un  païen  et  un 
»  publicain  !...  Ah  î  vous  avez  un  signe  certain  pour  la  reconnaî- 
»  tre  entre  toutes  les  autres.  Voyez  si  elle  refuse  obstinément  de 
»  livrer  une  parcelle  du  dépôt  sacré;  si  le  partage  est  pour  elle  ; 


25(»  KTIDE  blR   L\    DOCTRINE   C  ATlIOLiy  l  E  . 

•  si  fllf  va  réjH'iaol,  après  Jésus-Christ,  d«'  siècle  en  siècle,  sans 
»  disÂiimilaiioD  ni  respect  liumnin  :  ■  Qui  ne  cruira  pas  sera  co»- 
»  damné!  »  Vove/.  si  elle  dit  liaulcment  et  partout  romnie  Pierre, 

■  au  premier  jour  de  la  prédication  tle  rKvanglN'  ;  •  Il  n'y  a  de 
»  salut  ([u'cn  Jésus-Clirist  seul.  »  A  ce  sif,'ne  ,  il  vous  sera  facile 

■  de  la  distinguer  avec  certitude.  Examinez  dooc  ei  com|>arez  le 

■  langage,  l'atliludo  de  l'Église  et  des  sectes  rivales,  et  juge/ avec 

•  la  sagesse  ci  !<•  {lis(  •  rncmtiil  du  grand  roi.  • 

L. 


DU  l'ROTESTAi\TISME  A  GENÈVE. 


Situation   actuelle. 

Les  hommes  pacifiques  du  prolesianlisme  qui  se  plaisent  à 
dire  que  la  paix  et  le  progrès  des  nations  sont  l'œuvre  de  la  pré- 
tendue réforme,  n'ont  jamais  songé  à  l'histoire  de  Genève.  Cette 
brillante  cité  a  vraiment  organisé  chez  elle  l'agitation  perma- 
nente et  le  mouvement  perpétuel.  Sauf  les  jours  de  calme  et  de 
liberté  dont  elle  a  joui  sous  quelques  évêques,  sauf  les  jours  de 
terreur  oii  le  double  despotisme  civil  et  doctrinal  de  Calvin  lui 
imposait  le  silence,  notre  ville  est  une  ville  turbulente.  Quelle  est 
la  cause  de  ces  troubles?  Certes,  ce  n'est  ni  la  magnificence 
de  sa  situation,  ni  le  caractère  paisible  de  ses  habitants.  La 
cause  réelle,  au  moins  depuis  trois  siècles,  n'est-elle  pas 
évidemment  cette  doctrine  du  libre  examen ,  cette  souverai- 
neté universelle  de  la  raison  humaine,  cette  indépendance 
religieuse  qui,  après  avoir  fait  invasion  dans  les  consciences,  des- 
cend ,  par  une  progression  inévitable,  dans  l'ordre  social.  Un 
homme  (l)  à  qui  personne  ne  contestera  la  réputation  d'homme 
d'esprit,  a  écrit,  il  y  a  quelques  années,  des  lettres  sur  Genève 
(roù  il  serait  facile  d'extraire  des  traits  épars  et  d'en  faire  un 
fidèle  tableau  de  notre  république  ;  ce  serait  le  daguerréotype 
d'unî  ville  faite  par  le  protestantisme  et  à  son  image.  Cet 
écrivain  disait  un  jour  :  Notre  peuple  genevois  est  ingouverna- 
ble! Quand  les  âmes  ont  fui  la  soumission  à  l'autorité  religieuse, 
comment  ose-t-on  espérer  qu'elles  restent  dociles  au  pouvoir  so- 
cial! 

(1)  M.  Baiimgartner. 


252  in     l*n(>TESTA>TIStiK   A   r.EXÈVF. 

Gliorrrs  ci>ili>s,  coininotions  |)olilii|ues,  <lcl)Uts  lli(ulo^'i(|uc.s , 
émcuii'S  roli^'iouses,  noire  histoire  est  pleine  «le  ces  troubles,  cl 
à  toutes  les  époques,  nous  voyons  les  faits  que  rarontu  M.  Che- 
iievière  à  I'orij;îne  «lu  métlioLlisme  :  «  La  désunion  s'est  (glissée 
entre  d'aneien  amis,  des  eiilanls  se  sont  deiailiés  de  leurs  jièrcs, 
des  femmes  de  leurs  é|)oii\.  »  (luupie  année  noire  verre  d'eau 
a  eu  ses  Itinprles  (l).  Sans  rcmouler  hieii  haut,  nous  trouvons 
des  (|uerclles  (|ue  nos  luttes  d  aujourd  liui  ne  doivent  pas  faire 
oublier,  cl  «|ui  sont  le  développemenl  du  protestantisme. 

Colnel,  ce  journaliste  plein  d'esprit  et  de  malice  de  la  Restau- 
ration ,  a  tracé  le  <ro(]uis  de  ces  animosités  à  l'occasion  d'une 
l)ro(  liure  <le  M.  Chenevière;  c'est  une  pa^e  que  nous  de\ons  re- 
produire; celle  revue  rélrospective  est  le  |)réumbule  de  notre  si- 
tuation : 

Les  Inmbles  reliRirux  dont  M.  Lhcneviriv  [race  le  luMcaii  ilnlrnl  do  IKJIî. 
A  crUe  épo(|ue,  une  feiiuiic  dr  beaucoup  dcspril,  d'une  iniugiiialion  ardente, 
qui  d'ailleurs,  c'est  une  justice  (pie  Unn  ceux  (|ni  l'uni  enlenduc  se  plaisent 
à  lui  rendre,  prêche  aussi  W\ci\  tpie  le  pasteur  le  plus  disert,  Mme  la  baronne 
de  Krudner,  car  il  faut  l)ien  la  nommer,  vint  à  Genève;  et,  si  nous  devons 
en  croire  M.  (ilienevièrc,  la  discorde  y  vint  avec  elle.  Celle  daine,  k  peine 
arrivée  dans  la  maison  qu'elle  occupait ,  réunit  un  assez  grand  nombre  de 
disciples.  Le  Consitlnire  en  fui  épou\anté  ,  et ,  à  l'exemple  du  Sénat  romain 
qui,  dans  les  cireon>lanccs  périlleir?>es,  ordonnait  aux  consuls  de  veiller  au 
salul  de  la  répidilicpie.  il  nomma  des  commissaires  €  cliarpés  de  s'assurer  si 
le  protestantisme  ne  courait  aucun  danper.  »  Mai*  déjà  Mme  île  Krudner 
était  partie,  emmenant  avec  elle  un  jeune  ministre,  M.  Hmpeyla,  (|ui  avait  ré- 
solu de  la  suivre  partout  cl  «le  parlargcr  ses  joies  et  ses  tribulations. 

Le  Consistoire  leur  souhaita  bon  voyage  et  crut  n'avoir  plus  rien  à  crain- 
dre. Il  se  trompait  :  Mme  de  Krudner  venait  de  préparer  les  voies  à  des  en- 
nemis plus  redoutables.  Rlle  avait  semé  :  d'autres  allaient  recueillir.  Bientôt, 
en  eiïel,  pour  nie  servir  des  expressions  de  M.  le  pasteur  Clienexière,  une 
nuée  de  méthodistes,  ou,  si  l'on  veut,  de  protestants  qui  protestaient  contre 
le  prolestantisme  de  Geiicve,  fondit  sur  cette  \ille. 

On  voyait  à  leur  tête  l'Kcossais  lloldane ,  calviniste  ripiije,  se  refusant  à 
toute  conces.Hion ,  ayant  en  horreur  ces  mezzn  termine  dont  il  reprochait  ii 
se.s  adversaires  de  .s'aceonimmler  beaucoup  trop  facilement.  Apre»  lui  mar- 
chait sir  Henri  Drummont.  i  moins  profond  dans  son  art,  dit  M-  Cheneviérc, 
mais  |tlus  impétueux.  »  ("e  dernier,  l'Ajax  des  dissidents,  ne  gardant  aucune 
mesure,  annonça  publiquement  que  rK(»lisc  élail  déehue,  et  qu'il  fallait  s'en 

(T  C'esl  le  niol  malin  d'un  tninisire  de  l'raiire  qui.  en  parlant  d'une  de  nos 
révolutions,  disait  :  C'est  une  ten»péte  dans  un  \crre  d'eau. 


Di;    PKOTKSrVMISME  A    UEilÈVR.  2r).'{ 

5ppaicr  au  plus  vile.   II  traita  ses  ministres  d'impies,  de  blasphémateurs 

Que  sais-je,  moi?  Il  les  condamna  tous  au  feu  de  Tcnfer, 

Ajax  Drummont  fut  cité  devant  MM.  Jes  syndics,  qui  l'invitèrent  à  modé- 
rer son  bouillant  couraf^c.  Mais  il  était  trop  tard  ;  ses  prédications  avaient 
produit  leurs  fruits.  On  nous  donne  Ji  entendre  qu'il  dut  ses  triomphes  plus 
encore  à  son  ar;;cnl  quà  son  élotjuenee.  On  rajtpeilc  le  banquier  de  la  secte. 
«  Il  distribuait  ù  la  lois,  nous  dil-on,  des  leçons  et  des  deniers,  o  M.  Cliene- 
vièrc  a-til  senti  tout  ce  qu  une  pareille  insinuation  a\ait  de  désobligeant  pour 
ses  compatriotes  dissidents?  Après  tout,  ils  sont  plus  intéressés  que  moi  à  la 
repousser.  Je  leur  laisse  donc  le  soin  de  prouver  à  M.  le  pasteur  Chene- 
vièrc  que,  s'ils  ne  font  plus  partie  de  son  troupeau  ,  c'est  à  la  grâce  seule 
qu'il  doit  s'en  prendre,  que  l'argent  n'est  pour  rien  dans  cette  affaire;  enfin, 
qu'ils  ont  été  beaucoup  plus  touchés  des  leçons  de  M.  Drummont  que  de  ses 
deniers. 

Que  faisait  alors  la  vénérable  compagnie  des  pasteurs?  Sa  loi  du  silence 
date  de  celle  époque  ;  elle  voyait  avec  douleur  qye  les  chaires  publiques,  où 
le  venin  du  méthodisme  commençait  à  se  glisser,  allaient  devenir  autant  d'a- 
rènes. Déjà  d'indiscrets  prédicateurs  y  professaient  des  doctrines,  fort  an- 
ciennes d'ailleurs,  mais  fort  nouvelles  dans  Genève.  L'un  d'eux  n'a'^it-il  pas 
osé  prêcher  en  faveur  de  la  consubslanlialilc  du  Verbe?  La  vénérable  com- 
pagnie sentit  la  nécessité  de  faire  cesser  ce  scandale;  en  conséquence,  toutes 
les  parties  entendues,  et  sans  prononcer  sur  le  fond  du  procès,  elle  défendit 
à  tous  ses  prédicateurs  «  d  émettre  leur  opinion  sur  la  manière  dont  la  na- 
ture divine  est  unie  à  la  personne  de  Jésus-Christ.»  Question  délicate  sur 
laquelle ,  jusqu'à  plus  ample  informé ,  on  est  convenu  à  Genève  de  ne  dire 
ni  oui,  ni  non. 

Ce  règlement  n'eut  pas  les  résultats  qu'on  en  attendait.  On  le  trouva  ob- 
scur, conçu  en  termes  équivoques.  Les  uns  y  lirent  un  acte  de  faiblesse,  les 
autres  un  acte  de  tyrannie.  31.  le  pasteur  Chenevière  assure  que  des  malin- 
tentionnés le  firent  réimprimer  sans  le  considérant,  qui  en  expliquait  l'esprit 
et  le  but.  Moi,  j'ai  entendu  dire  que  d'autres  en  firent  cette  parodie  :  «De 
par  la  vénérable  compagnie  des  pasteurs,  défenses  sont  faites  de  parler,  en 
cette  ville,  de  Jésus-Christ,  soit  en  bien,  soit  en  mal.  d  II  y  a  des  mauvais 
plaisants  à  Genève  comme  chez  nous. 

Les  ministres  de  cette  ville  se  trouvaient  alors  dans  une  position  assez  pé- 
nible. Il  pleuvait  des  pamphlets,  des  brochures  et  des  chansons  contre  eux. 
«On  leur  prodiguait ,  dit  M.  le  pasteur  Chenevière,  les  reproches  et  les  ou- 
trages; on  décriait  leur  foi,  leurs  enseignements...;  et  les  honorés  seigneurs 
du  Conseil  d'État  ne  voulaient  pas  qu'ils  se  défendissent  !  M.  le  pasteur  Che- 
nevière s'qp  plaint  amèrement  ;  en  effet ,  il  est  dur  d'être  livrés  pieds  et 
poings  liés  aux  attaques  de  ses  adversaires,  de  recevoir  tous  les  coups  qu'ils 
vous  portent,  et  de  ne  pouvoir,  quoique  les  doigts  vous  démangent,  leur  en 
rendre  un  seul.  M.  le  pasteur  Chenevière  brûlait,  ainsi  que  plus  d'un  de  ses 
confrères,  d'entrer  en  lice;  mixls  \es  honorés  seigneurs,  qui  apparemment  ne 
partageaient  pas  sa  belliqueuse  ardeur,  lui  prescrivirent  le  silence  le  plus 
rigoureux,  et,  de  ce  qu'il  se  taisait,  on  ne  manqua  pas  do  conclure  qu'il  n'a- 
vait rien  de  bon  à  dire,  ni  lui,  ni  ses  confrères. 

16 


254  LK  PROTESTAiNTisiiE  A  r.e:ièvi:. 

Telle  lut,  à  ce  (ju  il  |>aniit,  I  upiiiion  de  M.M.  les  paslcun  de  l^usaniie,  qui, 
doutant  df  Vurthodoxie  de  leurs  voisins,  rompirent  dès  ce  moment  toute 
i-unitnuuicaliun  a\ec  eux.  L'église  de  (ieiiùve  n'ciil  pus ,  dans  eelte  eircuii 
stanre,  bcaueoiip  plus  à  se  louer  des  journalistes  anglais,  (|ui,  se  rappelant 
fort  à  pnipos  les  compliments  «|u'elle  a  rcens ,  il  )  a  soixante  ans,  de  d'A- 
lemberl  cl  de  nos  encyclopédistes ,  raccusèrent  de  professer  le»  doctrines 
d'une  fausse  philosophie ,  luuie  mondaine.  *  Genève  n'est  plus  chrétienne. 
Ce  cri,  dit  M.  Ctieuoière,  s'est  fait  entendre  en  Angleterre,  en  Hollande,  en 
Allemagne,  cl  a  retenti  jusqu'aux  oreilles  étonnées  du  Nouveau-Monde.  > 
Ainsi,  comme  il  a  niison  de  r«)l»server,  ce  sont  des  réfornu's  qui  «  <lé(liirent 
la  réforme  ;  »  ce  sont  des  protestants  qui  veillent  :d)aUre  le  lioulcvanl  du 
protestantisme.  >  Mais  cette  guerre  intestine  nous  étonne  moins  que  M.  le 
pusleur  Chenexièru  :  nous  savions  depuis  longtemps  que  tout  cela  arriverait 
tôt  ou  lard;  Uus6uet  nous  l'avait  dit,  ainsi  qu'à  M.  le  pasteur  Cliencvière, 
qui  aurait  dû  l'en  croire. 

Aux  ennemis  du  dehors  ajoutons  ceux  que  Genève  renferme  dans  son  sein, 
et  qui  ne  sont  pas  les  moins  dangereux.  J'n|)erçois  parmi  eux  des  avocats , 
des  professeurs,  des  ministres  du  Saint  Kvangile,  et  même  des  pasteurs.  On 
nous  diLM|uc  ce  sont  pour  la  pliq)art  de  t  jeunes  hommes  fougueux  et  pour 
ainsi  dire  échapju's.  »  Kh  bien,  ils  n'en  sont  que  plus  à  craindre. 

Ce  ([ui  m'elfraic  encore  davantage  pour  M.  le  pasteur  (Ihenevièrc,  qui 
|)Ourlaut  n'en  fait  que  rire ,  et  pour  sa  compagnie,  c'est  c  un  régiment  de 
femmes  rntrc  drtix  ()gcs,  qui  n'ont  fait,  dit-il,  que  changer  de  passion  et  qui, 
armées  d'une  petite  HIMc,  vonî,  comme  de  profondes  tliéologieimcs,  visiter 
des  artisans,  des  pauvres,  des  canq)agnards,  pour  les  convaincre  de  Vhrrèsir 
de  leurs  pasteurs.  »  .\  la  place  de  .M.  (Cliencvière,  j'aurais  jiarlé  sur  un  autre 
ton  d'un  corps  >i  rcdoiilalile.  (-es  feniines  rnlrr  dni.r  <\yrs  lui  ap|)rendront.  je 
l'espère,  qu  on  ne  les  insulte  pas  inq>unémenl;  et  d'ailleurs,  a-t-il  encore  le 
droit  de  censurer  leur  conduite?  Elles  ont  quitté  sa  paroisse,  elles  ne  sont 
plus  ses  ouaille.s. 

Que  penser  encore  de  ce  bataillon  virginal  composé  «le  *  demoiselles  de 
qualor/.c  à  (juinze  ans,  ipii  font  aujourd'hui  la  leçon  à  leurs  pasteurs,  leur 
disant,  unis  Imisscr  1rs  ynur,  «ju'il»  ne  sont  plus  elnéliens,  catéchisent  cl  en- 
seignent les  docteurs...?»  Il  nie  semble  qu'en  voyant  ces  jeunes  demoisel- 
les, dont  la  raison  parait  Irès-éclairée  .  dans  les  rangs  de  leurs  adversaires, 
tous  les  professeurs  de  théologie  devraient  trembler  dans  leurs  chaires.  En 
faut-il  davantage  pour  ébranler  jusque  dans  ses  fondements  la  métropole  de 
Calvin?  El  .M.  Chenevièrc  en  plaisante!  Courage,  M.  le  pasteur,  courage;  on 
ne  saiir.iit  perdre  ])lus  gaiment  la  portion  la  plus  jolie  et  la  plus  intéressante 
de  son  troupeau.  # 

Je  laisse  à  d'autres  le  soin  d'apprécier  les  arfinmenls  Ihéologiqties  que  l'au- 
teur de  ce  précis  cni|iloie  pour  réfuter  le  iiiétliodisnie  ;  leur  examen  n'est 
pas  de  ma  compétence.  .M.  (Jienevièrc  conclut  en  disant  que  les  méthodistes 
sont  de  mauvais  rourhrurs.  Il  le  sait  donc?  Je  crois  qu'il  le  saura  encore 
mieux  dans  quelques  années  :  car  ces  mauvais  coucheurs,  comme  il  les  ap- 
pelle, ne  se  contenteront   pas  de  tirer  h  eux  toute  la  couverture.    On  peut. 


LE  PHOTESTA^TIS.HE   A   GE.>(EVE.  ZOO 

sans  ('lie  pniplictt;.  iiiuiuiiccr  (]u'ils  fiiiiruiit  par  jelcr  leurs  cumaïaUcs  de  lit 
ilaiis  l:i  ruelle  (1). 

Il  y  a  laniôl  irenle  ans  que  cei  article  fui  écrit,  et  depuis  lors 
le  méthodisme  a  envahi  les  consciences  élevées.  Prol(''jjf('  parles 
guinées  amjlaises,  selon  l'expression  du  Semeur,  il  a  construit 
des  chapelles  indépendantes,  fondé  une  école  libre  de  théologie; 
il  a  créé  pour  les  âmes  sérieuses  et  à  l'usage  du  grand  monde 
un  culle  qui  méprise  profondément  l'église  naiionale.  Le  médio- 
disnie  n'a  pas  échappé  aux  scissions  intestines;  les  irwingiens  , 
les  darbistes  lui  ont  enlevé  des  partisans,  et  naguère  M.  Sché- 
rer  l'a  abandonné,  emportant  avec  lui  une  influence  scientifique 
que  lud  ne  peut  méconnailre.  Ce  professeur  a  fait  école;  nous 
la  nommerions  volontiers  Técole  rationaliste  mystique;  elle  a  un 
organe,  qui  est  un  des  plus  redoutables  adversaires  du  protes- 
tantisme genevois  (2).  Pendant  que  l'église  libre  grandissait,  l'é- 
glise nationale  était  assoupie;  elle  avait  l'influence  de  l'Académie  , 
elleavait  ses  temples;  elle  dormait  cependant  patronée  par  l'État, 
s'inquiétant  peu  du  catholicisme  et  du  méthodisme.  Quelques 
hommes  jetèrent  siu'  elle  un  reflet  de  savoir,  quoique  plus  d'une 
revue  protestante  accusât  l'église  de  Genève  d'avoir  laissé  périr, 
avec  ses  derniers  débris  de  christianisme,  tout,  souvenir  de  forte 
théologie  (3).  A  vrai  dire,  de  nos  jours,  nul  livre  de  grande  va- 
leur ihéologique  n'est  éclos  dans  l'école  de  Genève,  et  il  a  fallu 
que  le  catholicisme,  par  sa  présence  et  son  mouvement  d'as- 
cension, vint  la  sortir  de  sa  torpeur  littéraire  et  religieuse.  Par  je 
ne  sais  quel  fatal  aveuglement ,  les  protestants  s'imaginent  que 
Genève  doit  rester  à  jamais  inféodée  à  la  Réforme  ;  les  ministres 
nourrissent  ce  préjugé  populaire  qui  sert  de  thème  invarial)le  à 
leur  éloquence.  Ils  parlent  de  cette  cité  gardée  par  PÉternel , 
parce  qu'elle  a  su  résister  aux  tentatives  aventureuses  d'un  duc 
de  Savoie,  toutefois  ils  ont  soin  d6  mettre  en  oubli  le  règne  de  cet 

(J)  Gazelle  de  France,  28  juin  1823.  (2)  Revue  de  Strasbourg. 

(ô)  Nous  nous  rappelons  avoir  lu  un  article  spirituel  sur  le  petit  bagage  de 
chrislianisnîc  qu'emportaient  de  Genève  les  étudiants  de  théologie.  Comme 
il  s'agit  d"nn  écrit  spirituel,  personne  ne  confondra  le  Semeur  de  M.  OItramare 
cl  de  M.  Vaucher-^foucllon.  avec  le  Semeur  de  Paris.  Il  n'y  a  que  le  litre  qui 
soit  ressuscité. 


2-"»0  I  r   PROTESTX^TISUE   A   CtlMÈVE. 

fUaiiyi'i   [Mtard  ,  de  (Calvin,  «|ui ,  à  l'aide  de  fanattques  armés. 
s'empara  «l<*  Genève,  pour  lui  imposer  une  dictature  égale  A  l'aulo- 
craiic russe.  L'Escalade  peut  Mendéfruyer  de  mé«liorres  esprits, 
<|ui  y  trouvent  des  succès  de  faconde  oratoire;  mais  Genève  ne 
pouvait  être  une  <  ite  à  jamais  calviniste.  IMus  haut  que  l'escalade 
du  duc  de  Savoie,  il  y  a  l'escalade  de  la  Providence.  Une  ville, 
au\  «'[KHjues  de  cahue ,  gardera  (pitlcpie  temps,   sous  la  pro- 
tection lie  ses  rem|>arts  et  de  lois  sévères,  son  cachet  religieux 
ou  politique;  mais  au  jour  des  agitations  sociales,  des  voyages 
pi'rpétuels,  des  émigrations  multiples,  elle  sera  forcrnient  tran- 
sformée et  se  verra  a[)pelée  à  de  nouvelles  destiné-es.  Quelle  est 
la  ville  en  Europe  qui  n'ait  suhi,  depuis  i  in<|uantc  ans,  des  pha- 
ses inconnues  jusqu'alors?    L'Europe  se  mêle,  les  nations  se 
visitent,    les  peiqiles   se    (  onfoudeiil ,    et   peut-être  Ilieure   va 
sonner  ou  cette   fusion  générale  qu'amènent  nos  rapides  com- 
munications fera  prévaloir  partout  l'indépendance  spirituelle  et 
la  liberté  de  l'Église.  Quel  que  soit  l'avenir  que  nous  réservent 
les  facilités  d'émigrations,  l'Eglise  est  prête;  les  progrès  mo- 
dernes serviront  à  pctrter  au  loin  son  «lévouement  sacerdotal  et 
à  resserrer  les  liens  de  sa  féconde  hiérarchie.  Genève  ne  |)ouvaii 
échapper  au  mouvement  général  de  noire  épocpie.  Elle  ne  sau- 
rait à   perpétuité  olïrir   le  spectacle  des   puritains  de  Cromvvel 
ou  lin   tableau  des  prédestinés  du  seizième  siècle.   Quand  tout 
change  autour  d'elle,  (juand  ses  familles  vont  au  loins'inq)régner 
d'id«'es  nouvelles  et  reviennent  avec  des  préjugés  disparus,  quand 
ses  lils  recherchent  à  l'étranger  succès  et  fortune,  et  i\\U'  les  vi- 
des inévitables  de  sa  population  se  comblent  nécessairement  par 
les  habitants  des  pavs  voisins,  il  faut  bien  accepter  des  change- 
ments. Les  conlréesquirenlonrenlsonl  catholiques;  le  protestan- 
tisme ne  pouvait  être  (|ti  un  iiuident  de  son  histoire.  Il  agitera  en- 
core despréventions  séculaires  ^'l  lies  passions  humaines;  nuis  il 
ne  peut  ressaisir  son  influence  telle  tombe.  On  l'a  dit  justement  (1): 
•  Les  temps  ne  roulent  point  en  cercle ,  ils  suivent  une  ligne 
droite,  et  la  vieillesse  n'apprend  pas  de  l'exil  le  retour  à  la  vie. 
Il  y  a  dans  les  grandes  destructions  des  choses  qui  ne  se  rel^- 

'    I'    l.r  P    l.acordairc. 


il 


LE   Pn<)TnSTA>TIS11fc.   A   «C.^ÈVE.  2Ô7 

▼eni  pas  ;  et  c'est  la  tentation  des  esprits  attardés  de  revonii- 
aux  ruines  et  d'y  atta(;her  dos  afl'ections  impuissantes  et  désespé- 
rées. Tandis  que  Zorobabel ,  avec  la  foi  d'un  jeune  homme  ,  re- 
bâtissait l(î  temple,  les  aneiens  qui  avaient  vu  le  premier  pleu- 
raient sur  le  second.  C'est  la  loi  de  l'Age  et  du  cœur  humain.  » 
Nous  comprenons  ces  regrets  sur  un  étal  de  choses  disparu  :  re- 
grets inconsoles  dans  quelques  âmes  qui,  l'œil  fixé  sur  le  passé, 
s'imaginent  que  le  meilleur  état  social  et  religieux  est  celui 
où  Calvin  gouvernait  les  consciences  et  les  conseils  de  la  ré- 
publique au  nom  du  libre  examen.  Le  Journal  de  Genève  a,  dans 
sa  rédaction,  quelques-uns  de  ces  inénarrables  esprits;  et  ces 
béats  du  calvinisme  espèrent  encore  que  les  chemins  de  fer  ra- 
mèneront à  Genève  les  antiques  pouvoirs  de  la  Vénérable  Com- 
pagnie, toutaumoinsqu'ilsvontélendreauloin  les  conquêtes  de  la 
petite  église  nationale  genevoise.  Ce  sont  ces  béats  qui  donnent 
aujourd'hui  l'impulsion  aux  idées  de  nos  protestants  ;  de  là  ces 
efforts  inouïs,  ces  essais  infructueux,  ces  dévouements  pour  ten- 
ter la  résurrection  de  siècles  évanouis;  pauvres  gens  qui  pren- 
nent des  souvenirs  pour  des  institutions  durables  et  des  regrets 
pour  l'imniorlalité  !  Le  protestantisme  du  passé  n'est  plus  ;  il  n'a 
plus  de  vie  doctrinale,  car  elle  s'est  retirée  dans  le  méthodisme  ; 
il  n'a  plus  de  vie  organique,  car  la  constitution  de  1847  lui  a 
enlevé  les  formes  de  Calvin  et  l'a  modernisé  en  lui  infiltrant  le 
double  élément  laïque  et  démocratique.  Un  dogme  surnage,  c'est 
la  foi  à  Genève  comme  Rome  protestante  et  métropole  calviniste  ; 
un  reste  de  vie  s'agite  encore  dans  ses  veines,  c'est  l'horreur 
de  la  sainte  Église  de  Dieu,  la  peur  de  ses  succès  et  de  ses 
triomphes  ! 

En  présence  d'une  semblable  situation,  qu'a  fait  le  nationa- 
lisme protestant?  Il  a  rallié  ses  forces,  et,  convoquant  les  ban- 
quiers et  les  ministres,  il  leur  a  dit  :  «La  vieille  Genève  s'en 
»  va  ;  les  catholiques  nous  débordent,  bientôt  ils  seront  les  plus 
»  nombreux;  ils  prennent  une  place  à  notre  soleil;  la  fabrique 
»  afllue  d'ouvriers  catholiques  ;  le  petit  commerce ,  et  même  le 
»  haut  commerce,  sont  bientôt  entre  leurs  mains  ;  de  plus,  ils  ont 
»  l'audace  d'écrire  et  de  parler,  comme  si  l'argent,  l'esprit  et  la 
»  parole,  à  Genève,  n'étaient  pas  la  propriété  des  protestants  !  » 


'i.">8  I.E  l'KDTlSTA^TISHK    VT.EMKVE. 

L;i  crainU'  loima  liJL'iiiôi,  sons  \r  liirc  de  Société  tics  Intéréli pro- 
testants, une  coalition  de  la  parole,  de  la  plume  el  (ic  Iq  caisse. 
Armés  de  ces  Irois  puissances  ,  les  partisans  de  l'ancien  réj^ime 
essaient  de  lutter  contre  le  catholicisme  (jui  a  pour  j,'ardiens  de 
ses  succès  la  Providence  et  la  force  des  <"lioses.  Leurs  elforts  met- 
tront à  nu  leur  luist  le,  ils  montreront  à  tous  ipie  leur  attaque, 
Itonne  pour  «létruire,  est  incapalil(>  pour  fonder,  et  (pi'elle  :d)Ou- 
lira  à  ime  anarchie  des  ;!imes.  Une  doctrine  <ro(i  sont  ahsi'ntes 
les  idées  d'autorité  et  d'or^^anisation,  ne  petit  rcToncilier  les  in- 
telligences ni  unir  les  cu>urs.  D'ailleurs,  ni  le  juhih*  de  1835 
avec  ses  l);unpiets  et  ses  discours,  ni  Vinion  protestante ,  ni  les 
Intérêts  protestants ,  n'ont  nussi  à  retenir  nue  socii-ié  en  disso- 
lution, ni  à  former  un  faisceau  durable  d'éléments  eu  désaccord, 
(les  forces  de  l'I-^i^lise  nationale  n'ont  pas  pi'oduit  lui  synd>ole,  une 
adirmation  chrétienne;  elles  n'ont  pu  répcmdre  ni  aux  colères 
mysticpies  de  M.  Malan,  «pii  lui  jetait  le  reproche  d'aria- 
nisme,  ni  à  la  science  de  M.  Schérer,  ni  aux  récriminations  de 
M.  dt!  (îaspaiin.  Kii  piéscnce  d'une  attaipie  habile  qui  la  met- 
lait  au  ileti  de  prouver  l'inspiration  des  livres  saints  en  dehors 
de  rautoriti'  caiholi(pie ,  l'ej^lise  nationale  a  essayé  une  timide 
arf,'unierii:i(ion  qui  tiahit  sa  faiblesse  et  r/'vèle  ses  aflinilés  avec 
le  rationalisme.  Malgré  sa  pénurie,  (^Ic  a  poussé  à  une  guerre 
contre  les  caiholiipies;  les  prétextes  ne  lui  ont  pas  manqué,  et 
après  avoir  tendu  la  main  à  des  Anglais  étrangers  «pii  ont  i>Ati 
une  chapelle,  elle  excite  bvs  passions  contre  des  concitoyens 
qui  (ousiruisent  une  église  à  lems  frais.  Les  honunes  sérieux 
d<'ploreni  en  silence  celle  agitation  fébrih»;  ils  n'osent  la  blAiner 
au  grand  jour,  m:iis  ils  ne  consentent  |)as  ;'i  s'en  rendre  comjdices; 
ils  se  retirent  de  la  scène,  attristes  de  voir  ries  intelligences  de 
v.dein-  conduites  par  des  esprits  étroits,  et  ils  déplon-nt  ce  réveil 
protestant,  (pii  est  le  fait  de  la  haine  et  de  la  vulgarité! 

Lescatlioliques  nes'elli aient  pasdc  ci  iir  Imie  :u  luelle,  la  politi 
que  j  pli  1rs  diviser,  l:i  religion  saura  les  unir;  ils  ont  conscience 
de  li'iii  vileur,  ils  se  comptent  et  ils  savenl  que  désormais  ils 
peiiNeni  espérer  une  grande  part  dans  la  vie  rcligiejise,  sociale 
ei  litieraire  de  notre  pays  !.  Nous  ne  faisons  (pie  renaître  ,  et  «léjà 
nos  u'uvres  de  charité  sont  lloris&anles  ;   nVis  institutions  de  dé- 


LE  PROTIiSTANTlS.ME  A  GENÈVE.  259 

voucMiuMil  prospôront,  et  plus  d'im  joiinf;  cu'ur  deniande  à  rélni- 
bililor  le  catholicisme  dans  l'iiistoiro,  dans  la  science  et  dans 
les  arts!  Des  préju{^'és  s'ell'acent ,  d'autres  s'ail'aihlisscnt  ;  les 
mensonges  que  trois  siècles  ont  entassés  sur  nos  dogmes  et  notre 
passé  commencent  à  s'éclaircir,  et  le  jour  n'est  pas  loin  où 
le  catholicisme  n'aura  qu'à  se  présenter  devant  bien  des  âmes 
pour  être  accepté  avec  la  vérité  qu'il  conserve  et  les  grâces  qu'il 
répand  au  nom  de  Jésus-Christ.  Les  dons  de  Dieu  ont  leur  raison 
d'être  ;  et  la  Providence  a  des  vues ,  quand  elle  suscite  cette 
pléiade  de  jeunes  gens  qui  sont  à  l'entrée  de  la  vie  publique, 
prêts  à  se  vouer  à  la  défense  de  l'Église  et  à  la  glorifier  par  leur 
vie,  leur  dévouement  et  leur  parole. 

Nos  adversaires  n'ont  contre  nous  que  deux  ressources  :  des 
brochures  sans  portée  et  l'achat  des  âmes.  Ce  n'est  pas  avec  un 
roman  de  M.  Bungener  que  poursuivent  les  sifflets  du  Journal 
des  Débats  et  les  mépris  de  V Assemblée  Nationale ,  que  le  jour- 
nal de  M.  Coquerel  n'accepte  pas  même  comme  auxiliaire, 
non  plus  que  celui  de  M.  de  Pressensé  ;  ce  n'est  pas  avec 
les  récits  et  la  prose  de  M.  Gaberel ,  ni  avec  les  pamphlets  et 
le  style  de  M.  Ollramare,  qu'une  doctrine  quelconque  pourra 
reconquérir  son  prestige  sur  les  âmes.  On  nous  attaque  par  une 
controverse  (le  carrefour  ;  il  nous  est  arrivé  l'écho  de  certaines 
ignominies  de  paroles  que  les  clubs  du  Casino  et  du  Fort-de- 
l'Ecluse  ont  entendu  ;  il  y  a  pour  nous,  dans  ce  seul  fait,  un  si- 
gne évident  de  notre  force  et  de  leur  faiblesse.  Ce  n'est  pas  en 
raconlant  sournoisement  des  scandales  du  clergé ,  les  abus  du 
moyen  âge,  qu'il  est  possible  de  retenir  les  esprits;  tôt  ou  tard 
ils  échappent  à  cette  fascination  historique.  Les  abus,  c'est  là 
un  mot  que  les  radicaux  retourneront  contre  leurs  ministres  ;  il 
serait  facile  d'établir  un  parallèle  entre  ce  moyen  âge  où,  grâce 
à  l'Église,  la  civilisation  a  triomphé  de  la  barbarie,  et  l'époque 
où  Calvin  a  fait  prévaloir  son  règne  et  ses  idées.  L'agitation  ac- 
tuelle est  le  fait  de  quelques  individus  innomés  jusqu'à  cette  heu- 
re, qui  ont  voulu  sortir  de  l'obscurité  en  se  posant  comme  les  ad- 
versaires de  l'Église.  Ces  jouteurs  paraissent  tour  à  tourdevantun 
auditoire  que  les  secours  et  les  aumônes  ont  disposé  à  accepter 
provisoirement  toutes  leurs  rêveries  contre  le  catholicisme  ;  le  suc- 


l}fi<»  Lt   PnOTtSTA?iTlSVE   A  Ct>È>E. 

cfs  csl  liojj  biiii  |>n'|);iri'  pour  Irur  niauqucr;  ils  nbliinnent  les 
rir«'s  iiv  IciirN  iHM)|)|iytrs  aux  dépens  «le  la  foiifessittn  et  du 
clergé;  ils  ont  (|ti<l(]ues  iraiis  d'esprit  conire  les  choses  les  plus 
saintes;  fripniis  d«'i«»l)('es  aux  conti's  do  I.alonlaine  <»u  à  lii'ran- 
ger,  cl  ils  appellent  cette  cullerlion  d'anecdotes,  pas  tdiijonrs 
présentées  dans  une  mise  convi-nable,  murs  d'instruction  à  l'u- 
tage  des  catholiques.  Nous  ne  sonim(>s  pins  surpris  s'ils  n*osent 
publier  les  noms  de  leurs  prosélytes,  i^auf  eelui  d'un  ebanojne 
italien  dont  la  bi«>f;rapliie  sera  hientc^t  mise  an  jour  à  la  gloire 
des  con(|uéies  de  l'église  nationale.  Que  les  injures  volent  contre 
nous,  nous  ne  les  redoutons  guère,  car  elles  ont  aussi  leur  vuleur 
dans  l'opinion  publicpie. 

Le  catholicisme  juge-,  bafoué  au  dix-huitième  siècle,  est  sorti 
plus  vigoureux  de  celle  épreuve;  il  est  debout,  pendant  que  ce 
siècle  insniteiir  ne  nous  paraît  plus  (ju'iin  proiHj^e  «rign«)ralice 
et  daveugleuient  ;  et  pour  ceux  cpii  connaissent  la  question  loul 
entière,  il  devient  visible  que  l'apologie  du  christianisme  est  plus 
forte  que  sa  (Tilifjne;  que  les  plus  lumineux  espiits  du  dix- 
neuvième  siècle,  dans  toute  rEuro|)e  ,  ont  été  lumineux  pour 
avoir  puisé,  ne  serait-ce  qu'un  instant,  à  la  sève  catholique,  et 
sont  déchus  quand  ils  ont  cessé  d'y  puiser;  qu'au  sein  de  l'Eu- 
rope prolestante,  bî  réveil  de  la  vie  religieuse  est  manifeste  dans 
les  iiilelli;,'ences  élevées  et  sincères,  et  qu'éveillées  à  la  vie  chré- 
tienne ,  elles  marchent  au  «  alholicisme.  Le  P.  Gralry.  dans  un 
beau  livHî  qu'il  vient  de  publier,  a  dit  à  merveille  ipi'elant  don- 
nées la  raison  éclairée  et  la  liberté  vraie ,  le  triomphe  du  catho- 
licisme est  certain. 

A  l'insulte  i|ui  nous  attacpie ,  à  la  calomnie  «pii  travestit  nos 
croyances,  nos  ;nlversaires  ont  :ijoulé  une  dernièn*  ressource, 
qui  a  re^ii  une  lletrissure  [)ubli(pie  par  la  desi,i;naiion  d'ACiiAT 
DBS  CONSCIENCES.  Les  co'urs  élevés  ne  veulent  pas  croire  qu'il 
s'accomplit  à  (ienève  une  traite  des  Ames  ;  et  pourtant,  si  toutes 
les  formes  du  marcln''  ne  sont  pas  gardées  dans  toutes  les  per- 
versitms,  il  est  évident  ipielainnôme  est  devenue  leressort  géné- 
ral pour  s'emparer  des  pauvr«'s  catholiques.  I-a  charité  n'est  plus 
un  secourt  désintérc&sé  ,  c'est  une  prime  offerte  à  l'apostasie; 


I.K  l'UOTESTANTISMIi  A   (iKNLVE.  261 

une  i('com|M'iise  doiiiiée  aux  âmes  vénales  ou  aux  malheureux 
dont  la  soulIVance  osl  exploitée.  Le  Dante  a  chanté  combien  le 
|)ain  d'aiilrui  est  amer,  et  combien  il  est  dur  de  toujours  monter 
et  de  toujours  descendre  l'escalier  d'une  maison  étrangère  (1). 
Coinnif  le  pain  esl  amer,  ipiand  il  est  le  prix  d'une  déser- 
tion religieuse  ou  le  salaire  du  déshonneur!  Les  grandes  et  no- 
bles idées  de  l'aumône  et  de  la  |)auvreté  disparaissent  ;  les  cœurs 
s'abaissent,  les  caractères  s'énervent,  les  convictions  tombent, 
la  vt'rité  et  la  religion  ne  sont  plus  qu'un  moyen  d'exploiter  le 
riche  et  d'avilir  le  pauvre.  A  notre  époque,  où  les  notions  du 
surnaturel  existent  à  peine,  oîi  les  préoccupations  terrestres,  les 
affaires  et  les  plaisirs  tuent  les  aspirations  de  l'âme  vers  les  idées 
sereines  de  la  foi,  nous  nous  sentons  profondémenthumiliésdece 
que  notre  pays  offre  à  l'Europe  ce  hideux  spectacle  d'un  agiotage 
religieux.  Quand  le  pauvre,  au  sein  de  sa  misère,  en  face  desri- 
chesscsqu'il  convoite  et  des  propriétaires  qu'il  jalouse,  est  entraîné 
à  éteindre  en  lui  la  pensée  religieuse  pour  se  procurer  son  pain  de 
chaque  jour;  quand  le  riche  hii-méme  vit  presque  toujours  dans 
l'idée  fixe  de  perte  et  de  bénéfice,  comment  oser  encore,  au  nom 
d'une  religion,  développer  ces  tendances  matérielles?  Le  pauvre 
sentira  un  jour  les  remords  lui  venir;  il  aura  la  haine  de  celui 
qui  lui  a  enlevé  les  consolations  de  sa  foi ,  il  sera  toujours  du 
coté  du  succès,  et  il  deviendra  un  instrument  de  ruine  partout  où 
se  trouve  un  profit.  Que  de  fois  nous  avons  rencontré  des  pauvres, 
à  qui  nous  avions  parlé  de  porter  avec  une  sainte  résignation  les 
fatigues  et  les  gloires  de  la  pauvreté,  qui  nous  ont  répondu  qu'ils 
avaient  l'espoir  d'être  bientôt  à  l'aise,  car  un  visiteur  protestant 
leur  avait  dit  :  «  Venez  à  nous,  vous  aurez  plus  de  bien-être  dans 
notre  religion.»  Le  profit  est  donc  le  dernier  dogme  de  ce  protes- 
tantisme. C'est  la  religion  du  confortable ,  comme  si  l'Evangile 
n'était  pas  une  doctrine  de  mortification,  et  comme  si  la  foi  avait 
pour  but  non  pas  d'élever  l'âme  ,  mais  de  nourrir  le  corps.  De 


(d)  Tu  proverai  si  corne  sa  di  sale 
Il  pane  altrui,  e  com"e  duro  calle 
Lo  scender  e  il  salir  per  le  altri  scale. 

Par.  XVll. 


202  LE  rnoTKSTANTISlE  A  CENK^E.^ 

p:uoils  f;iiis  soulrvcnt  rindi^^iKilioii  des  cailioliiiiips  ;  unis  il  y  :i 
encore  dans  notre  \k\\s  un  tlernier  relnj-c  contre  ces  i^'nominies, 
c'est  la  «'onscience  |)ul>li(|ne.  Les  proie<«iations  contre  ce  iralic 
sont  violentes  ivirfuis;  mais  c'est  le  cri  d'hommes  de  cœur  qui 
proclament  qu'au-delà  de  l'argent  il  y  a  la  conscience,  et  qui  ne 
consenlent  pas  à  voir  notre  canton  |»euple  d'un  ramassis  de  ven- 
deurs et  d'acheteurs (1).  Si  celte  double  action  d'une  controverse 
infime  et  d'un  prosélytisme  \énal  se  |»er()«'tiic  à  Genève,  nous  ne 
craignons  pas  pour  les  catholiques  (pii  sauront  dominer  la  situa- 
tion ;  mais  nous  y  voyons  des  signes  d'abaissement  pour  la  raison 
et  la  conscience  publi(]ues.  Ces  deux  gardiens  des  convictions 
et  des  mœurs  d'un  petqjle  sont  en  péril,  et  les  grandes  idées  de 
vérité  cl  de  vertu  sont  près  de  l'aire  naufrage. 

Telle  est  la  situation;  le  protestantisme  national  se  débat  con- 
tre la  force  des  choses.  Que  sorlira-t-il  de  rciw  fièvre?  Sans 
trop  présumer,  l'esprit  le  moins  habile  peut  discerner  des  symp- 
tômes de  retour  à  TKglise  et  d«'S  signes  d'une  conciliation  intelli- 
gente. Plus  d'un  cœur  se  sent  déjà  mal  à  l'aise  dans  ces  attaques 
qui  ne  i)rillent  (|iie  par  la  haine  et  la  vult^arilé;  plus  d'une  :1me 
manque  d'air  cl  aspire  à  des  régions  plus  hautes.  L(>s  boulines 
qui  aiment  les  st^ii-nces,  «jui  se  livrent  aux  recherches  studieu- 
ses et  (pii  ont  le  goût  diîs  lettres  et  du  beau  ,  ne  pourront  se 
soustraire  au  monvemenl  qui  lait  graviter  les  intelligences 
d'é'lite  vers  l'Kglise  catholi<pie;  il  y  a  dans  toutes  les  scien- 
ces un  courant  qui  mène  à  Rome ,  et  Genève  subira  lAl  ou 
larii  celte  sain(î  inlluence  qui  eniraine  aujourd'hui  les  savants 
d'Angleterre.  De  un'ine  «pie  la  réforme  protestante  a  «léiruit 
ranti(|ue  constitution  de  la  «hréiiente,  «Ile  a  brise  la  synthèse 
scienlifi<|ue  qui  était  la  gloire  de  l'Kurope  chrétienne.  La  raison 


(1;  On  .1  I  i>iili'>lr  ji  s  i.lll^  Il  .H  il  li  <i<  <  <>ii><  leiii'f,  il  pourtant  il  nous  serait 
facile  (Ip  piiltlirr  une  mrrruriair  drs  t\mrf  ,  «h*  rarontcr  le^  secours  donnt's 
à  «le^  catlir)li(nicH  |ier\erlis.  lan<lis  (|tie  «les  protcsianis  sonl  ilélaissés  ;  il  nous 
serait  facile  île  re<lire  fjue  M.  («...  n  promis  ii  un  jeune  t'tranger  la  bourgeoi- 
sie et  un  tlroilù  l'hopilal,  s'i\  se  faisait  protestant.  Nous  avons  entre  les  mains 
une  lettre  «l'un  Saxoyan!  h  un  de  ses  amis  ;  il  l'engage  h  devenir  transfuge. 
cl  il  lui  parle  des  ressources  «jue  son  apostasie  lui  a  values  de  la  part  (!«• 
M.  O...  Cn  travail  sera  public^  sur  cet  apostolat  nouveau.  _ 

l 


Li:  PllOTESTANTlSME  A  fiENÈVE.  2(33 

iiidividiicllc,  (Icvrmic  soiivcrinnc  ,  a  divisé  les  esprits  ,  ;mioindri 
les  efforts,  dissipé  les  traditions  des  siècles;  les  intelligences  se 
fractionnent,  s'individualisent;  tristes  dans  leur  isolement, 
elles  souiVrcnt  et  des  vérités  qu'elles  retiennent  et  des  erreurs 
(ju'ell(>s  ont  adoptées. 

I.es  lioniuies  protestants  (jui  s'occupent  des  (piestions  sociales 
vitMuli'oiii  à  nous;  ce  prosélytisme  nouveau  n'est  à  leurs  yeux  que 
le  vestil)ul(;  du  socialisme;  les  consciences  qui  voyagent  à  prix 
d'argent  ne  s'arrêtent  pas  à  l'église  nationale,  c'est  une  étape; 
elles  s'arrêtent  et  jouissent,  jusqu'à  ce  qu'un  appât  plus  fort  les 
attire  ailleurs.  Si  un  peuple  laisse  se  former  dans  son  sein  une 
race  d'hommes  qui  se  vendent  au  dernier  enchérisseur,  ce  peuple 
n'a  plus  qu'à  creuser  sa  tombe,  il  se  suicide  !  De  plus,  en  face 
d'une  société  démantelée,  les  hommes  d'ordre  se  prennent  à  dési- 
rer un  rempart  plus  fort  que  le  glaive,  plus  respecté  que  les  con- 
stitutions, et  tôt  ou  tard  ils  aperçoivent  le  catholicisme,  celte 
grande  école  de  respect,  tandis  qu'ils  voient  le  protestantisme  con- 
niver  partout  avec  la  n'-volution.  L'In-résie  se  glisse  dans  les  Etals 
catholiques  sous  la  protection  des  émeutes;  elle  conquiert  à  Lon- 
dres et  à  Genève  les  réfugiés  qui  se  soucient  peu  des  croyances  sé- 
rieuses et  qui  prennent  le  libre  examen  comme  un  instrument  pro- 
pre à  démolir  la  religion  et  l'ordre  social.  Ces  amis  qui  lui  viennent 
de  toute  région  et  de  toute  doctrine  ;  ces  consciences  qui  s'affu- 
blent de  textes  bibliques  pour  protéger  leur  far-niente  et  préparer 
leurs  conspirations  ;  ces  partisans  de  toute  révolution,  devenus  les 
auxiliaires  intéressés  de  la  réforme,  tout  celaouvre  les  yeux  mê- 
mes les  moins  clairvoyants,  et  montre  partout  un  champ  de  ruines 
qui  est  l'opf'ralion  du  protestantisme. —  Les  âmes  avides  de  bon- 
nes œuvres,  passionnées  de  dévouement  viendront  à  nous;  elles 
sentent  que  le  foyer  de  la  chaleur  chrétienne  a  disparu,  elles 
se  prennent  à  regretter  nos  cloîtres,  elles  ont  des  regards  d'envie 
pour  nos  petites  sœurs  des  pauvres  ou  nos  sœurs  de  charité. 
Plus  d'une  âme  soupire  à  Genève  et  se  sent  à  l'étroit  dans  ce 
mécanisme  sec  qu'on  appelle-  l'église  nationale.  Il  y  a  des 
âmes  qui  n'ont  besoin  que  d'une  parole  d'un  saint  Vincent-de- 
Paul;  de  la  certitude  de  la  foi  et  des  grâces  eucharistiques,  et 
elles  iraient  à  la  recherche  de  toutes  les  douleurs  pour  les  con- 


1Î01  I.t   PKOTKSTAMTISXE  A  CE?IKVr. 

»okT,  ht'un'uses  d»'  servir  Jésus-Clirisl.  Gîlle  vie  de  liaiiwî  el 
il'iiivi'Clivr  leur  deplail  ;  elles  se  retirent,  se  iiourrisseiil  des  <le- 
bris  de  eliristiaiiisme  qu'elles  ont  gardé.  Malgré  li  ur  libre  exa- 
men,  elles  ont  eneore  une  puissance  pour  les  œuNres  de  misé- 
ricorde qui  attestent  les  m«r\eilles  dont  elles  seraient  capables 
avec  lu  foi  et  la  cliarilû  catliuliipies. 

Kniin  ,  Tagitation  actuelle  ramènera  vers  nous  les  consciences 
qui  ont  soif  de  la  vi<.'  intérieure  ;  le  protestantisme  les  a  livrées 
à  luules  les  laiilaisies  d'un  mysticisme  individuel.  A  Genève, 
à  la  vue  de  (  e  m  iterialisroc  croissant,  bien  des  âmes  protestantes 
sont  prises  d'im  inexprimable  dégoût  ol  se  réfugient  dans  leur 
cœur  |)Our  y  cbercber  (piel(]ue  <  liose  qui  soil  puissance  el  vérité  ; 
elles  gémissent  et  réclament  la  foi ,  elles  racceptenl  des  sectes 
qui  aflic  lient  des  prétentions  de  spiritualisme;  mais  elles  y  ren- 
contrent bientôt  des  défaillances  el  des  desillusions. 

Naguère  la  comtesse  ilalin-llalm,  en  racontant  sa  conversion 
au  cuiliolicisme,  son  retour  de  risolemcnt  à  la  communauté  chré- 
tienne, de  la  division  à  l'unité,  de  l'inquiétude  à  la  paix,  parle  de 
noire  époijue  a  peuplée  de  ces  âmes  immenses  mais  vides,  qui, 
oiseaux  de  tempête,  pcrrbés  solitaires  à  la  pointe  d'une  roche 
nue,  fonl  entendre  une  phiiiit<'  m(lancoli(|ue  el  monotone,  imi- 
tée du  bruit  de  la  vague  ccinire  les  rtcifs  ,  el  a[)pr(tpriée  à  la 
scène  inlinie  de  l'Océan.  »  (-es  âmes  inclinent  vers  l'Kglise  de 
Jésus-Chrisl,  el  dans  les  laborieux  et  consolants  travaux  de  noire 
sacerdoce,  nous  avons  entendu  les  |)laintes  nombreuses  de  celles 
qui  attendent  l'Iieurc  de  Dieu  ! 

\oilà  notre  espoir;  on  peut  le  taxer  de  présomption;  mais 
nous  le  ganJons,  et  nos  rap|)orts  «piotidiens  avec  des  protestants 
n'ont  pu  ralfaiblir.  Nos  efforts  tendront  à  ranu'uer  la  eontro- 
V(rrse  dans  une  sphère  |ilus  cieNce  (pie  le  tralic  des  Ames  ;  nous 
acceptons  le  libre  cours  donné  aux  luttes  doctrinales  el  reli- 
gieuses; la  lutte  d'esprits  vivants  dans  le  champ  des  croyances 
vaut  mieux  que  leur  fatal  repos  dans  le  sépulcre  de  l'incrédu- 
lité, l/unile  religieuse  esl  sans  doute  un  grand  bien,  la  meilleure 
garaniic  di-  l'uniit-  nationale;  mais  quand  un  peuple  ne  Ta  pas, 
couunfiii  peul-il  la  reeoiKpK-rir .*  par  la  IïIm  iie  et  la  bivaute  des 
discussions.  Li  seulement  la  vraie  ndigion  peut  Iriompher  de  se» 


I.r   PROTESTANTISME  A   GEINÈVH.  265 

rivales  dans  les  esprits  qui  la  combattent  faute  de  la  connaître, 
en  déployant  ses  véritables  titres  à  la  croyance ,  les  privilèges 
(|u'elle  a  reçus  du  ciel.  Leur  splendeur  frappera  les  reJ5'ards.  A 
Genève,  la  guerre  nous  est  utile  parce  ([u'elle  dévoile  nos  ad- 
versaires et  leurs  doctrines,  et  qu'elle  fera  briller  le  divin  éclat 
de  notre  Église. 

Elle  vaut  mieux  qu'une  paix  stérile  I  Elle  fera  des  conquêtes 
pour  la  vérité  (1). 

Pour  nous  catholiques,  il  nous  est  glorieux  d'être  dévoués  à 
celte  cause  do  Dieu!  Songons  à  notre  puissance;  et  en  face  des 
protestants  qui  regrettent  le  passé,  des  utopistes  qui  appellent 
la  religion  de  l'avenir,  ayons  confiance,  car  nous  sommes  tout 
ensemble  les  hommes  du  passé  et  les  hommes  de  l'avenir! 

L'abbé  G.  Mermillod. 


{{)  Bellura  missiim  est  bomim,  ut  remperetur  pax  mala. 

St  Jérôme. 


MIIWCES  ET  .\01VEI1E8. 


Amérl<|UC.  —  l.  Almnnnrh  rnlhnliqur  den  /itiits-r»!*  [>o>ir  1H54 
a  parti  au  (-(iiiiiiu-iu'i'iiiL'iit  (\v  luniit'c,  et  il  iixtiitrc  que,  dans  une  |icrii)<lc  de 
vingt  années,  le  iiMnbre  des  «lioeèses.  des  t'j^iises  el  des  |iri'|ies,  :i  quadru- 
plé. —  On  coinjilait  dans  ce  pays,  en  4804,  H  diocèses,  ^lo  |>rétres.  *H» 
églises,  9  séniinaires,  (I  eidlé^es  eeclésiaslicjucs  et  "H)  rouvenls  donnant  lu)- 
slrurtion  aux  jeunes  personnes. 

Kn  ISii,  il  y  a\ail  il  dioeèses.  fil7  prêtres.  611  églises,  19  séminaires, 
li  ei)llé{;es  ecclésiasli(|ues  et  {H  pensionnats  tenus  par  des  religieuses. 

Knlin,  en  iN-^ii.  on  eiunplc  il  dincèses,  i'.'ûi  prêtres,  17l2égli>cs,  34  sé- 
minaires, 20  eolléges  eeelésiastiques,  et  112  couvents  pour  l'éducation  des 
jeunes  lilies.  (les  cliilTres  ont  leur  elcxpience  et  proelanu-nt  d'une  manière 
incontestable  les  pro;.'rès  de  la  reliî;i((n  aux  Klats  Tnis. 

L'épiscopiit  d.Aniérique  s'honore  de  posséder  ilans  son  sein  onze  préial>> 
framais.  parmi  leM|iiil>  se  trouve  laneien  \icaire  île  Teniex,  maintenant  évé- 
quc  de  Saint-Paul,  l'ne  partie  de  leurs  prêtres  sont  aussi  français,  et  chaque 
évéquc  ,  eliar){é  d'or>;aiiiser  un  nouveau  diocèse ,  se  luUe  de  se  rendre  en 
France,  pour  recruter  des  ouvriers  apostolitpies.  des  religieuses  et  des  aumô- 
nes. La  catholique  Irlande  fournit  encore  une  forte  proportion  d'ecclésiasti- 
ques au\  Klals -iriis.  Knlin  .  h"  sacerdoce  se  reenite  parmi  les  .Américains 
catholiques  et  parmi  les  ministres  prolest;uits  qui  se  couxcrtivsent ,  cl  ces 
derniers,  qui  tievienncnl  chaque  jour  plus  nendtrcux ,  sont  ceux  qui  exer- 
cent peut-être  le  plus  d'inlluencc  pour  ramener  à  la  véiilé  nos  frères  sépa- 
rés. 

€«cii«*vc.   —  Affaire  de  Chtrrnnt.  —  l.e  petit  culte  de  M.  Bourrit  a 

I>orté  son  premier  fruit.    I):ins  la  nuit  du  li  au  12,  on  a  H'     '  lit  coupe 
a  croix  île  ce  vilLi^je  rallio|i(|ue.    Nous   ne  xoiijons   pas  longue- 
ment,   l/autenr  de  ce  fait  n'est  pas  cmmi  ;   nous  préfér...-  ^ qu'il  na 

pas  été  conseillé.  Mais  on  sait  hisloriqueniiMit,  dans  notre  pays,  comme  partout 
où  s'est  établi  la  Kéforme  ,  i|uels  sont  ceux  qui  brisent  les  croix ,  el  quels 
sont  ceux  qui  élèvent  et  vénèrent  ce  si^ne  rédempteur  sans  lequel  on  ne 
conçoit  plus  le  chrislianisme. 

Celui  quia  voulu  empêcher  la  croix  de  protéger Chevrans  s'e-t  trop  hilé; 
l'heure  n'a  pas  sonné  de  protcslanliser  ce  pays-la.  1^  croix  sera  relevée  a>cc 
honneur;  elle  aura  un  titre  de  plus  au  respeet  des  habitants  du  hameau. 
.Mieux  que  eelu.  La  chose  était  à  peine  apprise  dans  la  \ille,  qu'une  souscri|i- 
tion  s'est  ouxerte  aussitôt;  en  deux  jours  on  a  recueilli  plus  cjue  le  siiflisant 
pour  placer  .'i  l'entrée  de  Chcvrans  une  croix  (|ue  l'on  ne  pourra  pascou|H:r. 
lit  le  jour  où  elle  sera  exaltée,  ce  sera  pour  les  paroisses  de  la  rive  dniite  nn 
jour  solennel,  un  jour  qui  protestera  liatiteiiienl  eonlie  les  teiitnti\es  de  pro- 
sélytisme. —  Déjà  le  dimanche  2(1  une  solennelle  procession  a  en  lien  ;  nnc 
chaleureuse  allocution  de  M.  l'abbé  lkil>el,  prononcée  àChorans,  a  ému  tous 
1rs  assistants. 


REVUE  BIBLIOGRAPHIQUE. 


De  la  connaissance  de  Dieu,  par  A.  Gralry,  prêtre  de  TOratoire  de  l'Imma- 
culée Conceplion.  2  vol.  ia-8.  Paris  1855,  chez  Douniol  et  Lecoffrc. 

M.  Foissct ,  dans  un  remarquable  travail,  vient  de  faire  connaître  ce  li- 
vre; nous  espérons  le  reproduire  en  partie.  Mais  nous  ne  saurions  attendre 
plus  longtemps  pour  signaler  à  l'admiration  de  nos  lecteurs  lœuvre  du  P.Gratrj', 
C'est  une  œuvre  de  première  force  dont  la  France  et  lEglisc  doivent  se  glo- 
rifier. Aux  mérites  d'une  science  profonde ,  d'une  discussion  lumineuse , 
d'une  pénétration  rare,  l'auteur  unit  toutes  les  qualités  d'un  grand  écrivain. 
L'impression  que  sa  lecture  a  produite  sur  les  esprits  éminents  a  été  immé- 
diate et  décisive  :  tous  s'accordent  à  reconnaître  dans  le  P.  Gratry  un  maître 
qui  rappelle  les  grands  hommes  du  dix-septième  siècle,  par  la  magnificence 
du  langage  autant  que  par  la  pureté  de  la  doctrine  et  la  transcendance  de 
l'esprit.  Ces  quelques  mots  suffisent  pour  caractériser  la  ligne  doctrinale  du 
P.  Gratry,  c'est  dire  qu'il  est  un  enfant  soumis  de  l'Eglise  catholique,  cette 
mère  nourricière  de  toutes  les  belles  intelligences,  et  qu'il  s'unit  étroitement 
à  cette  chaîne  de  grands  hommes  qui  depuis  saint  Augustin  et  saint  Thomas 
d'Aquin,  jusqu'à  Bossuet  et  Leibnilz,  ont  consacré  les  lumières  de  leurs  rai- 
sons parfaites  dans  leur  droiture  à  démontrer  qu'en  dehors  des  solutions  ca- 
tholiques, il  n'y  a  point  de  science  solide  pour  l'intelligence,  pas  plus  que  de 
paix  véritable  pour  le  cœur.  Ajoutons  que  le  P.  Gratry,  qui  avait  frappé  d'un 
coup  si  décisif  la  dialectique  hégélienne  dans  son  Éiude  sur  la  sophistique 
contemporaine,  développe  ici  plus  amplement  son  attaque,  avec  une  vigueur 
nouvelle,  et  venge  en  termes  incomparables  la  raison  humaine,  si  indigne- 
ment pervertie  et  outragée  par  l'impure  école  de  philosophie  que  l'Allemagne 
a  engendrée. 

Des  esprits  et  de  leurs  manifestations  fluidiques,  par  31.  Eudes  de  Minillc, 
2""=  édition.  1  vol.  in-8. 

Cet  ouvrage  remarquable  et  courageux  vient  d'avoir  en  peu  de  temps  les 
honneurs  d'une  seconde  édition.  L'auteur  a  dévoilé  une  des  plaies  de  notre 
époque  qui ,  déjiourvue  de  foi ,  est  avide  du  merveilleux  et  va  le  chercher 
dans  des  communications  mystérieuses  avec  le  monde  transnaturel.  Les  ta- 


26K  r.t>ir.   niBLiocr.APHiyic. 

ble$  pirlanlf!»,  les  cs|>rils  frappeurs  ne  sonl  «lu'un  des  modes  de  celle  fièvre 
qui  ngilc  bien  des  âmes  et  qui  les  p»usse  i  jouer  nvec  un  inconnu.  Ia:  P.  Ven- 
tura et  le  p.  de  Itavi^nan  ont  approuvé  cet  ouvrnpi-  où  sont  racontés  des 
faits  d'une  nature  cirante,  et  où  ils  sonl  étudiés  avec  une  linnineuse  discus- 
sion et  où  npparail  rexplicalion  de  celle  épidémie  spirituelle  ipii  nous  en- 
valiit.  Le  succès  a  parlé  rn  faveur  d'un  volume  que  nous  voudrions  voir 
entre  les  mains  des  catholiques,  ils  y  liraient  une  éclatante  réparation  des 
reproches  de  crédulité  supcrslilieusc  qui  ont  été  adressés  à  l'Eglise. 

Harmonie  du  catholicisme  avec  la  nature  humaine,  par  M"*  de  Chalië,  née 

Jussieu. 

Un  essai  sur  la  liberté ,  l'égalité  et  la  fraternité  avait  déjà  appelé  l'atten- 
tion des  esprits  graves  sur  la  jeune  femme  qui,  avec  une  élévation  dépen- 
sée et  de  -style,  axait  creusé  les  pr«)blèntes  les  plus  ardus  de  l'ordre  social. 
Aujourd'hui  .Mme  de  Clialié  monte  dans  uiw  région  plus  haute  et  plus  se- 
reine ,  où  sa  vue  s'étend,  son  cœur  se  dilate ,  en  décrivant  les  harmonies  du 
calhiilicisme  avec  notre  nature.  Ce  livre  aura  un  succès  que  nous  souhaitons 
à  l'auteur,  et  ipril  est  digne  d'obtenir,  celui  de  ramener  des  intelligences  ù  la 
vérité,  des  :\mes  dans  les  joies  et  dans  la  vie  de  l'Kgiisc  eatliolique.  Nous 
croyons  devoir  dire  à  l'auteur  que  son  livre  est  meilleur  dans  la  partie  qui 
traite  des  aflinités  du  cœur  avec  le  catholicisme. 

Jésus,  sauveur  du  monde;  histoire  de  la  Passion  de  Sotre  Seigneur,  par 
l'abbé  Chassay,  docteur  en  théologie,  elc. 
Les  lecteurs  des  Annales  connaissenl  depuis  longtemps  M.  l'abbé  Chassay, 
par  les  ouvrages  que  nous  avons  recommandés,  par  les  citations  que  nous 
en  avons  faites,  et  ils  auront  lu  dans  le  numéro  de  ce  jour  un  fragment  sur 
rFucharislic  extrait  du  beau  livre  que  nous  annonçons  aujourd'hui.  M.  Chas- 
say a  le  talent  de  mener  de  front  des  travaux  qui  paraissent  incompatibles:  il 
publie  des  ouvrages  qui  ont  un  grand  succès  sur  les  devoirs,  sur  la  mission 
des  femmes  dans  la  famille  et  dans  la  srtriélé,  et  il  travaille  à  une  apologie 
complète  du  christianisme.  Il  a  déjà  mis  au  jour  la  réfutation  des  systèmes 
rationalistes  et  protestants  qui  nous  viennent  d'Allemagne,  et  il  continue  une 
série  de  volumes  sur  lliistoirc  de  la  passion,  de  la  résurrection,  de  la  prédi- 
cation de  Notre  Seigneur,  sur  l'histoire  de  la  prédication  des  Apôtres,  sur 
l'introduction  scientilique  et  apologéli(|ue  à  l'histoire  de  Notre  Seigneur  Jé- 
sus-Christ. Le  premier  volume  vient  de  paraître;  il  a  le  double  mérite  d'être 
écrit  avec  une  onction  qui  charme  le  ccriir  et  une  solidité  (|ui  met  à  néant 
les  idées  de  l'exégèse  allemande.  Cet  étalage  «le  science  qu'allichenl  le  pro- 
testantisme et  l'incrédulité  s'évanouit  devant  les  pages  pleines  de  foi,  de  vi- 
gueur et  d'érudition  de  cet  ouvrage;  ce  livre  sera  utile  aux  prêtres  et  aux 
laïques  qui  ont  .soif  de  s'instruire  et  de  s'édifier.  Au  reste,  M.  Chassay  a 
des  succès  qui  doivent  le  consoler  des  fatigues  que  son  zèle  et  son  talent 
imposent  ù  une  santé  mise  au  service  de  l'Kglise. 

G.  MKRMII.I.OD. 


DES  OKDBES  RELIGIEUX. 


Les  ordres  religieux  sont  un  fruit  de  la  fécondité  catholique;  ils  sont  un 
signe  évident  de  sa  vie  surnaturelle.  L'Église  de  Dieu  a  vu  fleurir  dans  son 
sein  ces  créations  multiples  qui  manifestent  Tunilé  du  dévouement  chrétien; 
en  dehors  d'elle,  il  n'y  a  eu  aucune  germination  d'ordres  religieux.  Ces  fa- 
milles spirituelles,  des  déserts  de  la  Thébaïde  ont  fait  invasion  dans  le  monde. 
A  toutes  les  époques  de  l'histoire,  il  y  a  un  nom  de  moine  à  la  tête  d'un  mou- 
vement religieux,  scientifique  ou  littéraire;  c'est  aux  religieux  que  revient 
la  plus  grande  part  de  gloire  dans  la  culture  ou  le  progrès  des  sciences.  Le 
service  de  Jésus-Christ  et  des  âmes  devait  réunir  des  dévouements  qui  eus- 
sent été  stériles  dans  leur  solitude  et  qui  eussent  péri  dans  leur  isolement. 
Ces  forces  groupées  en  un  seul  faisceau  sous  la  discipline  de  l'obéissance, 
sont  une  des  formes  vivantes  de  la  foi.  Le  protestantisme  qui,  par  son  libre 
examen,  a  inauguré  le  règne  de  l'individualisme,  ne  pouvait  ni  créer,  ni  com- 
prendre nos  associations  religieuses.  Impuissant  à  les  imiter,  il  n'a  fait  que 
les  couvrir  de  calomnies.  Ses  mensonges  historiques  ont  eu  leur  cours;  ils 
ont  encore  quelques  succès  à  Genève  parmi  les  admirateurs  lettrés  de  M.  Bun- 
gener,  ou  les  néophytes  intéressés  de  M.  Oltraraare.  Notre  siècle,  malgré  des 
temps  tumultueux,  a  vu  ressusciter  les  cloîtres.  Leurs  travaux  sont  remis  en 
honneur;  de  toutes  parts  on  les  réclame  comme  les  plus  habiles  auxiliaires  de 
l'ordre  social.  En  face  de  l'égoisme  contemporain,  de  la  richesse  devenue  reine, 
de  lajouissance  placée  comme  but  suprême  de  l'existence,  il  était  bon  que  l'É- 
glise présentât  ses  milices  toujours  jeunes  et  toujours  fécondes  de  la  pauvreté 
et  de  l'obéissance.  Rien  ne  démontre  mieux  l'esprit  de  vie  qui  anime  l'Eglise 
comme  la  durée  des  ordres  monastiques;  ils  peuvent  avoir  leurs  heures  de 
décadence,  subir  la  loi  inévitable  des  choses  humaines  ;  ils  peuvent  être  em- 
portés dans  un  orage  politique;...  tôt  ou  tard  ils  fleurissent  de  nouveau  sur 
le  tronc  vigoureux  du  catholicisme.  Quant  au  protestantisme,  il  montre 
son  état  de  mort  par  sa  stérilité  à  cet  égard;  il  a  l'instinct  de  ses  œuvres, 
il  s'essaie  à  des  agrégations  de  diaconesses ,  pitoyable  contrefaçon  des 
Sœurs  de  charité  ;  il  n'a  pas  des  ordres  religieux  voués  à  la  contemplation,  à 
l'étude,  au  silence  de  la  cellule  ou  à  la  prédication  de  la  parole  sainte.  Les 

17 


270  l*KS   OnDRLi   KElir.lElX. 

àmcs  délite  qu'il  reiifcriiip  sentent  ce  vide;  elles  ambitionnent  notre  force  et 
notre  union  ;  elles  ont  de  vagues  tendances  ou  des  regrets  sur  les  ruines  faites 
par  le  marteau  démolisseur  ;  elles  sont,  au  milieu  de  celle  dissolution  doc- 
trinale, une  expression  des  «ffinilés  secrètes  qui  existent  entre  lime  cl  la  vie 
religieuse. 

LÉglisc  catholique  a  toujours  eu  des  hommes  prêts  pour  tous  les  temps  cl 
pour  Unis  les  besoins  sociaux.  C'est  sa  gloire  d'avoir  produit  ù  noire  époque, 
dans  un  àgc  infécond,  au  sein  de  l'nnioindrisSiMncnt  des  caractères  cl  des 
défaillances  des  cœurs,  celte  magnifique  floraison  de  communautés  religieu- 
ses qui  s'épanouit  au  soleil  de  la  foi.  Des  ordres  nouveaux  apparaissent, 
d'aulres  se  lèvent  avec  une  ferveur  de  jeunesse  et  un  passé  illustre  ;  nulle 
aspiration  ne  reste  isolée,  nui  besoin  ne  reste  sans  secours. 

Parmi  ces  créations  catholiques,  l'ordre  de  Saint-Dominique  occupe  une 
large  place.  Il  a  reparu  en  France,  sous  le  .souffle  de  Dieu  el  sous  l'action  du 
P.  Lacordaire.  (^cl  orateur  a  conquis  une  rcnoniniée  populaire.  .Naguère  un 
membre  proteslnnt  de  l'université  d'Oxford,  que  la  science  a  ramené  à  la 
sninle  Kglisc,  racontait  dans  son  journal  de  voyage  l'impression  que  lui  avait 
produite  une  visite  au  P.  I.acordairc  :  t  Figurer.- »'ous ,  dit-il ,  un  vrai  moine, 
une  sorte  de  saint  Hcrnard  ressuscité ,  pour  ainsi  dire ,  en  chair  et  <<n  os , 
dans  toute  son  énergie  virile;  sous  son  blanc  vêtement  de  Dominicain,  il 
semblait  le  beau  idéal  des  guerriers  chréliens ,  armé  de  pied  en  cape  pour 
guérir  Ihérésic,  et  savançant  sans  erainlc  a\\  milieu  des  périls  de  la  vie,  du 
choc  des  systèmes  qui  s'écroulent.  Sa  figure  frairhe  el  rosée,  son  reil  vif  et 
sondire  ,  son  expressicm  onimée  en  faisaient  un  des  personnages  les  plus 
Ir.ippanls  que  j  aie  jamais  conliMuplés.  »  —  F.e  P.  Lacordaire  a  vu  de  nom- 
breuses intelligences  lui  demander  de  tra\ ailler  avec  lui  h  la  conquête  des 
âmes.  A  son  apparition  dans  la  vie  publique ,  il  publia  un  mémoire  pour  le 
rétablissement  de  l'ordre  des  Frères-Précheurs.  Cet  écrit,  qui  porte  l'em- 
preinte du  grand  orateur,  met  h  néant  les  injures  amoncelées  sur  les  Domi- 
nicains ,  déroule  leurs  glorieuses  phases  el  fait  appel  à  la  justice  des  siècles 
el  il  rimparlialité  de  sa  [lalrie.  (>t  accent  de  foi  el  de  liberté  eut  du  retentis- 
sement :  el  h  celle  heure  la  France  voit  plusieurs  mais.ins  de  cet  ordre  se 
fonder  au  grno<l  jour,  et  les  fils  de  saint  Dominique  annoncent  la  parole  sainte 
dans  les  chaires  les  plus  illustres.  Il  y  a  peu  de  temps,  nous  allions  reposer 
notre  ûme  dans  un  de  ces  asiles  bénis  où  s'abritent  la  prière  et  la  science; 
nous  y  avons  trouvé  l'hospitalité  du  cœnr.  le  charme  de  la  piété,  la  sérénité 
des  intelligences  qui  possèdent  In  cerlitude  de  la  foi  et  qui  explorent  avec  cou- 
rage  le  champ  des  investigations  Ihéologiques.  Celui  qui  a  vu  de  près  les 
conflits  lie  la  nfornie,  les  divisions  innombrables  du  prolestanlisme.  les  luî- 
tes dissolvantes  des  secles,  est  heureux  dans  celle  atmosphère  ;  il  sent  que 
là  esl  la  vérité,  parce  qu'il  y  a  l'unité  et  la  paix.  Bientôt  nous  fûmes  admis  à 
l'intimité  de  leurs  labeurs  ;  nous  lûmes  h  la  hâte  un  travail  que  préparait  le 
H.  P.  Danzas,  prieur  de  Flavigny,  sur  l'esprit  de  l'ordre  de  SaintDoml- 
uiqiie.  C'est  un  complément  nécessaire  au  mémoire  du  P.  Lacordaire;  nous 
ubtininrs  de  la  bienveillance  de  l'auteur  un  fragment  inédit  que  nous  offrons 
aux  Irclrurs  des  AnnaUs :  ce  sont  les  prémices  d'un  beau  livre  qui  nous  ré- 


hi:?;  oiu)i;es  helk.ikix.  271 

vèkra  la  vie  inlimc  cTun  ordre  donl  le  P.  Lacordaire  a  lacoiilt'.  rintluence  cl 
la  destinée  dans  rK};lise,  dans  la  science  et  dans  les  arts.  Le  P.  Lacordaire 
fait  admirer  les  remparts  et  la  magnificence  extérieure;  le  P.  Dnnzas 
conduit  dans  le  sanctuaire  et  dévoile  les  merveilles  qui  échappent  aux 
yeux  distraits,  mais  qui  attirent  les  regards  de  Dieu,  des  anges  et  des 
âmes  de  foi.  D'ailleurs  ce  clia|)itre  détaché  sera  une  preuve  éclatante  de  no- 
tre force  catholique  qui  ronduil  dans  la  vie  religieuse  les  âmes  à  la  hauteur 
de  la  perfection  évangéliqne  ,  tandis  que  le  protestanlismc  révèle  sa  faiblesse 
par  son  incapacité  d'enfanter  un  ordre  monastique,  une  chose  si  intimement 
en  harmonie  avec  l'esprit  delà  croix. 

I/Âbbc  G.  MermiiiLod. 


\ 


ESSENCE  DE  LA  VIE  RELIGIEUSE. 


La  vie  religieuse  est  une  dans  sa  diversité.  Son  unité  de  prin- 
cipe et  de  fin  est  dans  l'esprit  de  tous  et  n'a  pas  besoin  d'autre 
preuve.  Il  n'est  personne  qui  ne  reconnaisse ,  dans  les  ordres  les 
plus  dissemblables,  les  rameaux  d'un  même  tronc;  il  n'est  per- 
sonne qui  ne  réunisse,  sous  une  dénomination  commune,  et  le 
solitaire  qui  se  voue  à  un  silence  perpétuel ,  qui  passe,  pénible- 
ment courbé  sur  un  sillon ,  tous  les  moments  qu'il  dérobe  à  la 
prière,  et  le  religieux  qui  parcourt  les  cités  annonçant  aux  hom- 
mes la  parole  de  Dieu  ,  et  celui  qui,  dans  la  paix  du  cloître, 
s'exerce,  au  profit  de  tous,  aux  plus  hautes  spéculations. 

Outre  le  caractère  particulier  de  chacune  de  ses  branches,  la 
vie  religieuse  doit  donc  présenter  un  caractère  commun,  insépa- 
rable de  toute  existence  monastique  ;  l'universalité  ,  la  nécessité 
de  ce  caractère  nous  font  reconnaître  en  lui  la  base  et  l'élément 
essentiel  de  la  vie  religieuse;  elles  nous  manifestent  un  principe 
supérieur  aux  formes  variables  qui  sont  nées  dans  la  suite  des 
siècles  d'inspirations  diverses,  de  circonstances  de  temps,  de 
lieux  plus  diverses  encore,  et  des  besoins  sans  cesse  renaissants 


'272  DKS  OKURIS   HELICIEl'X. 

(iii  inonde  chrétien  auxtjuels  les  corporations  religieuses  n'ont 
j:im:iis  fait  défaut. 

I/esprit  ou  la  vie  murale  des  corps  rclij^icux  prospère  ou  di- 
minue dans  la  proportion  oîi  cet  (''lément  essentiel  (]ue  nous  al- 
lons chercher  à  définir  est  compris  et  prati(]uc.  Aussi ,  ayant  à 
parler  dos  Frères  Prêcheurs ,  de  leur  esprit  et  de  leur  vie ,  est- 
il  necessairi"  de  nous  poser  ces  dt'uv  (jueslions  :  Comment  l'onl- 
ils  compris  au  treizième  siècle?  comment  l'ont-ils  pratiqué? 

Pour  rt'soudre  la  première  de  ces  deux  «piesiions ,  il  est  juste 
(jue  nous  recourions  avant  tout  à  l'autorilc  doctrinale  la  plus 
haute  de  son  ordre  et  de  son  siècle,  à  celle  de  saint  Thomas 
d'Aquin.  Selon  ce  ^Tand  docteur,  le  but  de  la  vie  religieuse  est 
la  iterfcction  do  l'amour  divin  ;  son  moyen  est  l'holocauste  ou 
riniinoialion  de  soi.  Celte  lormule  est  à  la  fois  la  plus  élevée  et 
la  plus  austère  qui  se  puisse  donner  ;  nous  allons  essayer  d'en  pé- 
nétrer le  sens;  et  si  nous  craignons  ,  à  <  et  énonc»' ,  les  entraîne- 
ments trop  généreux  dont  notre  faiblesse  serait  parfois  tentée 
d'accuser  les  saints ,  nous  trouverons  dans  la  raison  si  calme  et 
si  lumineuse  de  l'Ange  de  l'École  la  meilleure  des  garanties. 

Qu'est-ce  que  la  |)erfection?  comment  s'acquiert-elle?  En  quoi 
consiste  l'état  de  perfr-ction?  Telles  sont  les  (piestions  que  saint 
Thomas  se  pose  à  lui-même  dans  un  traité  spécial  ipfil  intitule  : 
De  la  perfection  de  la  vte  spirituelle. 

Tout  d'abord  il  établit  «pie  la  perfection  (ju'il  ^eut  nous  pro- 
f>oser  n'est  pas  une  perfection  partielle,  born<''e  à  telle  ou  telle  de 
nos  facultés ,  à  tel  on  tel  de  nos  actes.  Il  n'entend  point ,  par 
exemple  ,  traiter  de  la  perfection  de  la  science,  de  l'éloquence  , 
ou  «l'aucune  (J«'s  choses  variables  nu\»pielles  b's  ordn's  monasti- 
ques ont  pu  se  prêter  avec  plus  ou  moins  de  succès  ;  perfection 
restreinte,  qui  ne  r«'n«l  point  l'Iiomme  bon  totalement,  et  qui 
peut  être  le  propre  d'un  reprouve.  La  perf«'(  lion  dont  il  va  nous 
parler,  c'est  la  perfection  dernière  «le  l'homme,  la  perfection  ab- 
solue, intime  et  essentielle  de  s<m  ètn»,  celb-  qui  seule  l'élève  aux 
yeux  de  Dieu,  celle  à  laquelle  Dieu  a  subordonné  tous  ses  des- 
seins, celle  <|ui  consomm**  ses  sainls  dans  b'ur  élern«'lle  union 
avec  lui,  la  charité,  en  un  moi.  cette  fin  de  tout  précepte  et  cette 


\ 


DiiS  oauRKS  r.iii.icitix.  273 

pléoilude  de  toute  loi,  ou,  comme  l'appelle  encore  saint  Paul,  ce 
lien,  ce  résumé  de  toute  perfection. 

El  en  ellot,  un  rire  n'est  piirfait  que  lorsqu'il  atteint  sa  fin; 
or  c'est  la  charité  qui  nous  unit  à  Dieu ,  notre  iin  dernière  ;  car 
celui  qui  est  dans  la  charité  demeure  en  Dieu  et  Dieu  en  lui. 

La  charité,  en  conséquence,  est  le  don  parfait;  elle  est  plus 
grande  que  la  foi,  plus  jurande  que  l'espérance  ;  celles-ci  sont  des 
moyens  ,  des  servantes  de  la  charité  ;  elles  passeront ,  la  charité 
subsiste  éternellement;  la  foi  est  une  lueur  échappée  des  clartés 
célestes,  et  qui,  traversant  les  ténèbres  de  notre  exil,  vient  di- 
riger nos  pas  vers  Dieu  ;  l'espérance  nous  assure  la  possession  de 
Dieu ,  mais  pour  un  avenir  éloigné ,  tandis  que  déjà  la  charité 
l'embrasse,  dit  saint  Thomas,  et  se  répand  en  lui. 

Mais  de  faibles  hommes  peuvent-ils ,  malgré  la  fragilité  du 
vase  où  ils  ont  reçu  ce  trésor  divin ,  prétendre  à  son  usage  par- 
fait? 

L'idée  de  perfection  implique  quelque  chose  de  consommé,  de 
total  et  d'absolu.  Le  parfait,  dit  saint  Thomas,  avec  l'ancienne 
philosophie,  est  ce  à  quoi  rien  ne  manque.  Aussi ,  lorsque  Dieu 
nous  inculqua  le  premier  et  le  plus  grand  des  commandements, 
celui  qui  résume  à  lui  seul  la  loi  et  les  prophètes ,  il  voulut ,  afin 
que  nous  l'accomplissions  parfaitement,  que  toutes  les  facultés 
de  notre  être,  et  chacune  d'elles  totalement,  fussent  employées 
à  l'aimer  :  «  Tu  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur, 
de  toutes  tes  forces,  de  tout  ton  esprit.  »  Aimer  Dieu  parfaùe- 
tement,  c'est  donc  l'aimer  totalement. 

Cependant,  dans  un  sens,  Dieu,  source  et  plénitude  infinie  de 
toutes  les  perfections  qu'il  a  daigné  communiquer  à  ses  créatu- 
res, Dieu  seul  aime  totalement;  il  aime  avec  une  perfection  dont 
mille  créatures,  dont  les  séraphins  les  plus  embrasés  ne  sauraient 
approcher;  Dieu  seul  s'aime  autant  qu'il  est  aimable;  une  bonté 
infinie  ne  peut  être  totalement  aimée  que  par  un  amour  infini. 

Mais  plus  nous  nous  rapprochons  de  Dieu ,  plus  notre  amour 
croît  et  s'assimile  les  perfections  de  l'amour  incréé.  Les  saints  et 
les  anges  du  ciel  aiment  Dieu  totalement,  en  ce  sens  que  tout  en 
eux,  tous  leurs  cœurs,  toute  leur  âme,  toutes  leurs  forces  et  tout 
leur  esprit,  sont  sans  cesse  ravis  et  suspendus  à  la  vue  de  l'éter- 


271  i>ti  or.UKfr>  r.kLiGiti'i. 

iielle  beauté.  «Lu  vision  diNine,  dit  saint  Thomas  (Compend. 
>Theol.  Opusc.  3),  produit  l'immobilité  de  l'inteili^'ence  et  de 
»  la  volonté;  celle  de  l'intelligence,  parce  que,  dès  qu'on  est  ar- 

■  rivé  à  la  cause  première  dans  la(|uelle  toutes  choses  sont  conlem- 
1  plées,  l'intelligence  suspend  toute  recherche  ;  celle  de  la  volonté, 

■  parce  (ju'etant  jmi  f)Ossession  de  la  lin  dernière  qui  renferme  la 
»  plénitude  de  toute  bonté,  il  ne  lui  reste  plus  rien  (ju'eile  puisse 
•  désirer;  car  ce  qui  causait  la  mobilité  de  la  volonté  d'un  objet 
»  vers  un  autre,  c'était  qu'elle  désirait  un  bien  qu'elle  n'avait  pas 

■  encore.  ■  Tel  est  l'amour  du  ciel  qui,  pleinement  assouvi ,  ne 
peut  assei:  s'assouvir  encore  à  la  source  inépuisable  et  toujours 
nouvelle  de  la  divine  bonté,  amour  sans  ralentissement  et  sans 
repos,  comme  il  sera  sans  lin. 

Mais  cette  extase  de  l'élernilé  n'est  point  compatible  avec  no- 
tre existence  d'ici-bas.  Prétendre  aspirer  et  expirer  sans  cesse 
l'amour  divin  comme  l'athmosphère  qui  nous  entoure,  ou  ,  pour 
se  servir  des  expressions  de  saint  Thomas  (22,  XXIV,  8),  préten- 
dre (jue  notre  pensée  soit  sans  cesse  appliquée  aux  choses  de 
Dieu ,  que  notre  volonté  se  meuve  sans  cesse  vers  lui ,  c'est  mé- 
connaître les  limites  qui  nous  sont  tracées  dans  notre  vie  d'é- 
preuve, c'est  vouloir  antici[)er  sur  les  récom[>enses,  sur  les  joies 
sans  mélange  et  sans  elTorts  réservées  à  ceux-là  seulement  qui 
auront  d'abord  exercé  la  charité  dans  des  conditions  laborieuses. 
Citoyens  du  temps  comme  nous  le  sommes  de  l'élernilé,  force 
nous  est  de  condescendre  aux  exigences  d'une  chair  ujortelle  et 
aux  relations  multiples  qu'elle  nous  crée.  L'exercice  de  la  charité 
ne  peut  donc  être  pour  nous  (priiitcrmiltent  ;  et  les  saints  eux- 
mêmes,  après  s'être  enivrés  des  délices  de  l'amour  divin,  sont 
rappelés  à  la  réalité  de  leur  <()ndilion  présenie.  et  contraints  d'a- 
baisser leurs  regards  vers  la  terre  (pi'ils  avait  oubliée. 

Ce  que  nous  pouvons,  ncaiiinoins,  c'est  avant  tout  de  conserver 
sans  tache  le  vêlement  nuplial  de  nos  âmes;  c'est  d'écarter  soi- 
gneusement tout  ce  qui  répugne  à  l'essence  de  la  charité.  Dieu 
ne  nous  a  confié  cette  perle  inestimable  que  pour  la  faire  valoir; 
pour  ne  jamais  agir,  la  charité  périrait;  elle  ne  sac  croît  qu'en 
»'exer(  ant  ;  nous  devons,  [)ar  une  coopération  fidèle  et  généreuse, 
par  des  acte»  fervents  et  multipliés,  augmenter  tous  les  jours  le 


I 


DKS  ORDRES    HKI.IGIKI.'X.  275 

Irésor  qui  nous  esl  commis.  C'est  la  mesure  de  nolie  coopération 
qui  nous  constitue  parfaits  ou  imparfaits.  Cette  parole  de  l'É- 
criture :  «  la  vie  des  justes  est  comme  une  lumière  resplendis- 
»  santé  qui  croît  jusqu'au  jour  parfait,  »  n'est  pas  également  ap- 
pliquahle  à  tous  ceux  qui  possèdent  la  chaiité.  Tous,  pour  aimer 
Dieu  souverainement,  ne  l'aiment  point  uniquement;  tous,  pour 
être  morts  au  péchés^  ne  sont  pas  morts  à  la  créature  ;  contraints 
par  la  nécessité  d'accorder  au  monde  extérieur  une  partie  de 
notre  temps  et  de  nos  œuvres,  nous  lui  laissons  bien  souvent 
usurper,  dans  le  sanctuaire  intime  de  nos  affections ,  une  place 
qui  n'appartient  qu'à  Dieu.  Celui-là,  dit  saint  Thomas,  qui  n'ac- 
corde pas  à  Dieu  un  amour  souverain,  manque  totalement  au  pré- 
cepte de  la  charité.  Celui  qui  aime  Dieu  sur  toutes  choses  et 
place  en  Dieu  sa  fin  dernière,  accomplit  le  précepte  de  la  cha- 
rité, maisd'un  manière  plus  ou  moins  parfaite,  suivant  qu'il  est 
plus  ou  moins  attaché  aux  biens  créés.  Les  biens  créés,  en  effet, 
sollicitent  notre  cœur,  et  s'ils  n'en  sont  pas  l'idole ,  du  moins 
réussissent-ils  la  plupart  du  temps  à  le  partager.  C'est  ce  que 
nous  explique  davantage  le  saint  Docteur,  lorsqu'après  nous 
avoir  engagés  à  prendre  pour  point  de  mire  et  comme  un  objet 
d'émulation  la  charité  des  anges  et  des  saints  dans  le  ciel ,  il 
ajoute  :  «  Il  est  manifeste  que  notre  cœur  se  porte  avec  d'autant 
»  plus  de  force  et  d'intensité  vers  un  objet,  qu'il  se  détache  d'un 
»  plus  grand  nombre  d'autres.  Donc  noire  âme  se  sentira  portée 
»  d'autant  plus  parfaitement  à  aimer  Dieu,  qu'elle  sera  moins  af- 
»  fectionnée  aux  choses  de  ce  monde.  Aussi  saint  Augustin  dit-il 
»  que  le  poison  qui  tue  la  charité  est  l'espoir  que  nous  fondons 
»  sur  l'acquisition  ou  la  conservation  des  avantages  temporels, 
»  que  la  charité  progresse  en  raison  inverse  de  la  cupidité ,  que 
»  l'extinction  totale  de  celle-ci  est  le  triomphe  de  la  charité  par- 
»  faite.  » 

Si  donc  la  charité,  au  degré  où  elle  est  strictement  nécessaire, 
nous  a  déjà  fait  mourir  au  péché,  sa  perfectionnons  aura  fait 
mourir  à  la.créaiure  ,  afin  que  Dieu  nous  soit  tout  en  toutes  cho- 
ses. Les  conseils  évangéliques  ont  pour  but  de  procurer  cette 
mort  bienheureuse.  «  Tous  les  conseils,  continue  saint  Thomas, 
»  qui  nous  invitent  à  la  perfection  ont  pour  but  de  détacher  notre 


'i7()  l*tS  UKbM^  RELIGIEl'X. 

•  ânic  iK'S  choses  lt>ni|)ui elles  ,  aliii  (]iie  |>lus  lil)i(*men(  «.'lie  tende 
>>(•■>  Dieu ,  1(!  cuiiUMiiplaiit ,  l'aimant  cl  ai  cuMi|jlis.s;ini  «-n  tout  sa 
■  velouté.  » 

G;s  dcrnièros  paroles  du  saint  Docteur  nous  font  f)resscntir 
quel  doit  t^lre  ralinienl  do  la  cliaiité;  «'est  le  sacrilioe  ,  l'holo- 
causle  ou  If  sacnliee  pariait,  s'il  s'agit  de  la  cliarilé  |)ai-iaile. 

L  aimmi ,  s'il  est  pur,  s'il  est  di^'ue  d'un  nom  si  souvent  pro- 
fané ,  s'exerce  par  le  don  de  soi.  L'amour  est  extatique ,  disait 
saint  Denys  l'aréopagit»!,  il  nous  cnleNe  à  nous-m«}mes,  il  nous 
aliène  pour  nous  rendre  la  possession  de  l'être  que  nous  aimons. 

Ainsi  Dieu  nous  a-t-il  aimés.  L'être  qui  seul  esl  ubsolumcot 
libéral,  comme  s'exprime  saint  Thomas,  ne  nous  a  point  aimés 
pour  son  utilité,  mais  à  cause  de  sa  honte;  il  ne  nous  a  [winl  ai- 
mes, dii  saint  Laurent  .luslinien,  de  cet  amour  intéressé  qui  veut 
jouir  de  ceux  (pi'il  aime.  Dieu  aime  pour  devenir  la  possession  de 
l'objet  de  son  anxtur. 

Mais  Dii'U  lit  plus  pour  nous.  Bien  qu'assez  riche  pour  être  li- 
béral sans  s'appauvrir  jamais,  et  qu'au  contraire  son  inaliénable 
féliciti'  lui  oppo.s;il  eu  apparence  un  obstacle  invincible  au  sacri- 
fice, ('e  l'ut  cepentlant  le  sacrifice  qui!  <'lioisit  comme  le  symbole 
le  plus  expressif  de  son  amour  pour  nous,  ce  fut  éj^alement  fwur 
nous  af>prendre  comiiieiii  noiisdesions  aimer.  Voilà  comment  on 
ainu'!  écrivait  un  saint  au-dessous  d'une  imaj^e  de  J«-sus  crucilie! 

Le  8a(  rilice  est  en  effet  la  condition  nécessaire  de  l'amour  hu- 
main. S'il  est  vrai  que  l'amour  s'exerce  par  le  don  de  soi ,  com- 
incnl  la  créature,  essentiellement  limitt'-e,  ne  possédant  rien  de 
son  |)rttpie  fond,  pourra-l-elle  ,  sans  se  de|>ouiller,  se  montrer  li- 
bérale/ Comment  se  donnera-t-elle  autrement  qu'en  s'alienant? 
D'autre  part ,  l'amour  qui  a  Dieu  pour  objet  doit  être  plus  pur  et 
plus  desiutéressé  que  tout  aulu'  amour,  et  cependant  nous  trou- 
vons à  servir  Dieu  notre  intérêt  suprême.  Conviés  par  s;i  parole 
expresse  à  être  ses  amis  :  ■  Je  ne  vous  appellerai  plus  mes  ser- 
nviteurs,  mais  mes  amis,»  ne  semlilerait-il  [)asquiî  l'espoir  d'tinc 
recompense  qui  dépasse  inlinimeiil  nos  services  nousempêche, 
en  devenant  le  iiiobile  de  nos  actes ,  de  nous  élever  du  rang  do 
mer«enaires  à  celui  d'amis.  L'amitié  est  fondée  ,  ainsi  que  nous 
i'explicpie  saint    Thomas,   sur    la   i»-ciprocité   de  deux  amours 


Dbs  OKUKb.S  RELIGIEUX.  277 

sembliibles.  Comuicni  rintime  créaiure  qui  n'a  rien,  qui  attend 
tout  do  Dieu,  pourra-t-elle  aspirer  à  la  ressemblance  de  l'amour 
incréé,  se  montrer  grande  ,  généreuse  ,  libérale  et  désintéressée 
à  l'égard  du  Tout-Puissant  ;  on  un  mol,  l'aimer  comme  il  l'aime? 
C'est  dans  le  sacritico  qiio  se  rencontreront  ces  deux  amours 
pour  s'idonlifior  on  quelque  sorte  l'un  avec  l'autre  et  se  confon- 
dre sous  une  même  appellation  ,  celle  de  la  charité.  Par  le  sacri- 
fice, Dieu  avait  abaissé  son  amour  à  la  condition  du  nôtre.  Par  le 
sacrifice  substitué  à  la  vue  de  son  utilité  ,  la  créature  s'élève  dans 
la  propoi'lion  oîi  Dieu  s'était  abaissé.  Elle  s'oublie,  elle  oublie 
sa  propre  indigence;  l'amour  lui  sullil,  elle  ne  songe  plus  qu'à 
se  donner,  qu'à  s'aliéner  pour  devenir  la  possession  de  celui 
qu'elle  aime.  Ainsi  les  provocations  amoureuses  de  Dieu  pour 
l'œuvre  de  ses  mains  ne  restent  point  vaines  et  solitaires,  un  pacte 
d'amitié,  une  substitution  d'intérêt  est  conclue  entre  l'infini  et 
le  néant  :  «Pense  à  moi  et  je  penserai  à  toi,  »  disait  Notre  Sei- 
gneur à  sainte  Catherine  de  Sienne. 

Sans  cette  condition  du  sacrifice,  il  n'y  aurait  point  eu  de 
saints,  mais  une  seule  voie  pour  tous  les  hommes,  celle  de  l'in- 
térôt;  les  bons  et  les  méchants  s'y  seraient  confondus,  ou,  pour 
mieux  dire,  il  n'y  aurait  eu  ni  bons,  ni  méchants,  ni  mérites  que 
Dieu  eût  pu  couronner  par  l'éternelle  possession  de  lui-même. 
Il  a  donc  daigné ,  avec  une  sagesse  égale  à  son  amour,  nous  mé- 
nager les  occasions  du  sacrifice.  Il  a  fait  de  notre  vie  une  épreuve 
et  une  tentation.  Voilant  sous  le  demi-jour  de  la  foi  son  éter- 
nelle beauté  et  en  ajournant  la  possession  de  telle  sorte  que 
croire  et  espérer  les  récompenses  éternelles,  fût  pour  notre  in- 
telligence et  notre  cœur  plutôt  une  immolation  qu'un  calcul 
d'intérêt,  il  a  couvert  d'attraits  la  créature  périssable.  S'il  a 
ainsi  répandu  sa  bonlé  sur  toutes  ses  œuvres,  c'est,  entre  plu- 
sieurs raisons,  pour  nous  inviter  à  lui  sacrifier  leurs  charmes  fu- 
gitifs et  pour  nous  rendre  dignes  de  posséder  leur  invisible  au- 
teur. Placés  ainsi  entre  deux  termes  qu'il  a  pris  soin  en  quelque 
sorte  d'équilibrer,  de  manière  que  l'hésitation  et  l'épreuve  nous 
fussent  possibles,  d'une  part  les  biens  visibles,  mais  bornés,  de 
l'autre  les  biens  infinis,  mais  encore  invisibles  et  éloignés  ;  c'est 
de  celui  de  ces  deux  termes  que  nous  aurons  choisi  pour  nous 


27H  DBS  OUDKES  RELICIEUX. 

en  faire  un  Dieu,  pour  y  ronslilucr  Doirc  fin  dernièi-e,  que  dé- 
pend noire  destinée  ;  ce  sont  ces  deux  amours  (|ui  font  les  saints 
el  les  reprouvés,  et  qui,  au  dire  de  saint  Augustin,  ont  bâti  deux 
rites;  l'amour  de  soi  jusqu'au  mépris  de  Dieu,  la  cité  de  la 
terre;  l'amour  de  Dieu  jusqu'au  mépris  de  soi,  la  cité  d<'  Dieu. 

Penser  <?tre  chrétien  sans  renoncements,  [)r<'teiidre  aimer  el 
servit-  Dieu  sans  qu'il  en  <  oùte,  serait  une  illusion  aussi  contraire 
à  la  notion  du  dévouement  et  du  véritable  amour,  qu'à  toutes 
les  pages  de  l'Évangile.  Qiiicon(iue  veut  vivre  par  la  charité , 
qu'il  aspire  ù  sa  perfection  ,  ou  (juil  se  rctianche  dans  la  |)raii- 
quc  d'une  vertu  plus  facile ,  doit  par  cela  même  se  vouer  aux 
renoncements  dans  une  certaine  mesure,  mesure  totale  et  abso- 
lue s'il  veut  être  |):irfait ,  et  s'il  est  imparfait,  si  son  cœur  cède 
encore  aux  attraits  des  biens  périssables,  du  moins  doit-il  sa- 
voir les  sacrifier,  s'abstenir  ou  se  détacher  d'une  jouissance  non 
encore  assouvie  là  où  commence   l'ofl'ense  de  Dieu  (1). 


(1)  De  là  CCS  cxprcjsions  si  familières  aux  livres  saints,  de  croix,  d'hostie, 
d'abnégation,  de  niurt.  De  lii  ces  considcraliuns  sur  le  sacrifice  intérieur  de 
nos  cœurs  ntixquelU-s  s'élèvent  si  souvent  les  Docteurs  el  les  Pères  de  l'K- 
glise  :  €  Nous  sommes  les  temples  de  Dieu,  dis.iil  saint  Augustin,  quand  nous 

>  levons  nos  l'unes  en  haut;  le  cœur  est  son  autel,  son  fils  unique,  le  priHre 

*  par  lequel  nous  le  fléchissons  ;  nous  lui  immolons  ses  victimes  sanglantes 

>  quand  nous  combattons  jusqu'au  sang  pour  sa  vérité;  nous  brûlons  devant 
»  lui  le  plus  suave  encens,  lorsque  en  sa  présence  une  pieuse  et  sainte  flamme 
»  nous  consume  ;  nous  lui  faisons  en  nous  el  de  ses  dons  une  offrande  re- 
»  conniiissanle  en  cerlnines  fêles  solennelles,  à  certains  jours  marqués,  con- 

>  sacrant  la  mémoire  de  ses  bienfaits,  de  peur  que  le  cours  du  temps  n'amène 
»  peu  à  peu  une  ingrate  uubliance,  nous  lui  sacrifions  sur  l'autel  du  cœur,  au 

*  foyer  d'une  ardente  charité,  une  victime  de  louange  et  d'humilité.»  Et 
plus  loin  :  I  Le  vrai  sacrifice ,  c'est  toute  œuvre  que  nous  accomplissons 

*  pour  nous  unir  h  Dieu  d'une  union  sahitc,  toute  ar>uvre  qui  se  rapporte  & 
»  ce  bien  suprême,  principe  uni(|ue  de  notre  véritable  félicité....  I/homme 
»  consacré  par  le  nom  de  Dieu,  dévoué  à  Dieu  ,  est  un  sacrifice  en  tant  que 
»  pour  vi\re.i  Dieu  il  meurt  au  monde.  Notre  corps  lui  nu'me,  quand  nous 
»  le  mortilions  par  la  tenq)éronee,  quanil  nous  ne  préUms  pas  nos  membres 

*  au  péché  comme  des  armes  d'ini<]uité ,  mais  à  Dieu  connue  des  armes  de 

*  justice,  est  un  sacrifice...  Et  si  notre  corps  esclave  ou  instrument  do  l'àme 

*  est  un  sacrifice  en  tant  qu'un  bon  el  légitime  usage  le  rapporte  il  Dieu, 
»  combien  plulôl  l'àme  elle-même,  lors(|u'ellc  s'ollre  k  ce  même  Dieu  embra- 
*s4e  du  feu  de  son  amour,  et  que,   dépouillant  la  concupiscence  du  siècle 


I>tS  Or.Ur.tS  HLLIOIELX.  279 

Les  pai'fails,  ainsi  que  le  lépèle  eu  plusieurs  enUroils  l'Ange 
de  l'École ,  sont  ceux  qui  méprisent  les  biens  d'ici-bas  pour  ne 
s'ailaclier  qu'aux  biens  spirituels  ;  les  imparfaits  sont  ceux  sur 
lesquels  ces  biens  exercent  encore  un  certain  ascendant,  mais 
qui,  toutefois,  les  subordonnent  à  l'ordre  établi  de  Dieu;  les  ré- 
prouvés sont  ceux  ((ui  y  placent  leur  fin  dernière. 

Le  saciilice  est  donc  inséparable  de  toute  vie  chrétienne,  non 
moins  que  la  charité  dont  il  est  l'aliment.  Les  préceptes  nous 
l'intiment,  les  conseils  nous  y  convient.  Condition  nécessaire  du 
salut,  il  l'est  plus  encore  de  toute  vie  parfaite.  Commun  aux  ti- 
mides et  aux  forts,  ce  n'est  que  par  l'étendue  qu'il  diffère  ;  pour 
tous ,  ce  sont  encore  les  mêmes  objets  qu'il  comprend ,  c'est-à- 
dire  le  monde  avec  ses  trois  convoitises. 

Et  en  effet,  après  avoir  montré  dans  un  article  de  sa  Somme, 
que  celui  qui  met  toutes  ses  affections  dans  les  biens  créés ,  de 
manière  à  en  faire  sa  fin  dernière,  sa  règle  et  la  raison  suprême 
de  sa  conduite,  s'exclut  totalement  des  biens  éternels,  et  qu'à 
l'opposé,  celui  qui  s'est  interdit  toute  jouissance  dans  les  choses 
d'ici-bas ,  s'est  donné  par  cela  même  totalement  à  Dieu ,  saint 
Thomas  réduit  à  trois  chefs  les  biens  créés  et  les  compare  à  trois 
convoitises  dans  lesquelles  saint  Jean  fait  consister  tout  ce  qui 
est  dans  le  monde  :  «  Les  biens  créés  sont  de  trois  sortes ,  dit 
»  l'Ange  de  l'École,  les  richesses  ou  les  biens  extérieurs  qui  con- 
»  slituent  la  convoitise  des  yeux,  les  plaisirs  sensuels  objet  de 
»  la  convoitise  de  la  chair,  les  honneurs  qui  appartiennent  à  l'or- 
»  gueil  de  la  vie.  Rompre  totalement  avec  ces  trois  sortes  de 
»  biens,  s'en  séparer,  du  moins,  autant  que  notre  condition  pré- 
»  sente  le  permet,  c'est  à  quoi  nous  conduisent  les  conseils 
»  évangéliques.  Et  voilà  pourquoi  la  vie  religieuse,  qui  est  un  état 
»  de  perfection,  est  fondée  sur  l'abdication  des  richesses  par  la 


t  pour  se  réformer  sur  limmortel  modèle,  elle  fait  hommage  de  la  beauté  in- 
»  finie  de  ses  propres  dons,  d'après  les  paroles  de  lApôtre  :  Ne  vous  confor- 
»  mez  pas  au  siècle ,  mais  transformez-vous  par  le  renouvellement  de  l'es- 
»prit,  recherchant  la  volonté  de  Dieu,  ce  qui  est  bon,  ce  qui  lui  est  agréable, 
»  ce  qui  est  parfait.  » 


2M0  Vti  UHUREâ  RELIGIEUX. 

•  pauvreté,  des  délices  dii  la  cliuir  par  la  «^hastelé,  et  de  Tor- 
»  gueil  de  la  vie  par  la  serxitude  de  lobeivsance.  » 

(icpcndaiil,  dans  l'uuvra^c  ipir  nous  analysons  spécialement, 
saint  Thomas  n'a  pas  encore  noniniê  la  vie  rt-li(;ieu$o.  Il  recher- 
che ,  rtvan^ile  à  la  main,  le  ly()c  ideul  «l'un  elai  «le  [>erfe(iion. 
Plus  lard  il  lui  donnera  son  nom  et  nous  re\pli(|U(>ra.  Entrant 
dans  l'économie  des  renoncenienis  exigés  |)ar  la  vie  chrétienne, 
il  montre  à  la  fois  ceux  qui  sont  obligatoires  et  ceux  qui,  s'cle- 
vaiii  au-d«'ssus  de  la  sphère  de  la  nécj'ssiié,  sont  par  cela  même 
plus  nieriloires;  car  il  y  a  [dus  de  perleclion,  «lit-il,  à  renon«:er 
pour  lauiour  de  Jésus-Christ  aux  biens  dont  on  |)Ourrait  user  li- 
breuu'ui. 

El  d'abord  ,  «ju'un  homme   tienne  aux  biens  extérieurs  plus 
qu'a  Dieu  ,  et  qu'il  prétende  (jue  Dieu  devienne  par  surcroît  son 
éternelle  possession,  c'est  vouloir  anéantir  la  parole  de  Dieu, 
car  elle  nous  dit  :   «  Il  est  plus  fa«'ile  à  un  «hameau  de  passer 
par  le  trou  d'une  aiguille,  «ju'à  un  riche  d'enirer  dans  le  royaume 
des  cieux.  »   Et,  remarque  le  saint  Docteur,  cet  arrêt  doit  se 
|)it'ntlr«'  à  la  lettre,  car  qu'un  chanu-au  passe  par  le  trou  d'une 
aiguille,  cela  n«>  ré|)U^ne  «{u'à  la  nature;  mais  qu'un  riche  qui 
conserve  un  amour  désordonn«'  pour  les  biens  de  ce  monde,  pos- 
sède le  royaume  céleste,  c'est  une  impossibilité  qui  répugne  à  la 
justice  m«îme  de  Dieu  ,  dont  les  lois  sont  tout  auirem«'nt  inviola- 
l)l«s  que  celles  de  la  nature.  En  se«  ond  lieu,  ceux  qui  travail- 
lent sincèrement  à  leur  salut  doivenl  rencontrer  dans  les  riches- 
ses des  obstacles  et  «l«'s  «lilTieuln-s.  C'«'st  dans  «e  sens  que  le  Sau- 
veur disait  :  «  Combien  il  est  dillitile  au  riche  d'entrer  dans  le 
royaume  des  cicux  !  »    Car  ainsi  «pie  Jésus-Christ  le  dit  en  un 
autre  endroit  :  «  Les  sollicitudes  du  siècle  et  l'illusion  des  ri- 
chess«'S  éloulFent  la  semenc  c  de  la  parole  «livineet  la  rend«'nl  sans 
fruit.  »  El  pour  «"eux  «pii  veuh-nl  «'•ti»'  parlails,  Jésus-ChrisI  leur 
indique  comme  moyen  le  plus  puissant  et  le  plus  abrép«'',  un  re- 
noncenunt  total  :  «  Si  tu  veux  êir«'  iiarlail ,  disait-il  à  r«'  j«'une 
homnu'  sur  h-quel  il  avait  attaché  un  re^'nrd  de  son  amour,  et 
que  ses  grandes  richesses  cmpé«hèrent  d'obéir  à  la  grAce  de  sa 
vocation  ,  vas  cl  vends  tout  ce  que  tu  poss«'d<'s  ,  et  d«)nne-lc  aux 
pauvres,  et  tu  auras  un  trésor  dans  le  ciel;  viens  et  suis-moi.  » 


DKS  ORDRhS  RELIGIEUX.  281 

Du  renoncement  de  la  pauvreté,  saint  Thomas  s'élève  à  celui 
de  1.1  rhaslc'té.  Tout  chrétien ,  en  vertu  des  promesses  de  son 
l>aplêmc,  doit  faire  de  son  corps  une  hostie  vivante,  sainle  et 
aj^réable  à  Dieu  ;  tout  chrétien  doit  observer  la  chasteté ,  celle 
du  moins  (jui  convient  à  son  état,  sacrilice  déjà  plus  méritoire  que 
celui  de  la  pauvreté;  car,  dit  saint  Thomas  avec  saint  Augustin, 
notre  adhésion  à  Dieu  est  d'autant  plus  étroite  que  nous  mépri- 
sons davantage  notre  propre  bien  ;  or,  le  renoncement  aux  biens 
extérieurs  nous  touche  de  moins  près  que  les  renoncements  atta- 
chés à  la  chasteté.   Plus  puissante  encore  sera  la  continence  ab- 
solue pour  nous  unir  étroitement  à  Dieu.  Les  sacrifices  qu'elle 
implique  sont  de  deux  sortes  et  présentent  comme  deux  degrés. 
Le  premier  et  le  renoncement  à  ses  proches  et  aux  affections  si 
puissantes  dont  le  lien  conjugal  est  la  source.  Dieu  nous  excite 
à  la  haine  de  notre  père  et  de  notre  mère,  de  notre  épouse  et  de 
nos  enfants,  de  nos  frères  et  de  nos  sœurs.    Comment  de  telles 
paroles  ont-elles  pu  tomber  de  la  bouche  miséricordieuse  d'où 
est  sortie  la  loi  d'amour,  celle  qui  nous  commande  d'aimer  jus- 
qu'à nos  propres  ennemis?  Nous  aimons  dans  nos  proches,  dit 
saint  Grégoire,  ce  qu'ils  sont,  nous  haïssons  les  obstacles  qu'ils 
nous  opposent  dans  les  voies  du  salut.  Celui  qui  s'est  épris  des 
choses  éternelles ,  doit ,  dans  cette  entreprise  divine  à  laquelle  il 
s'est  consacré,  s'élever  au-dessus  de  l'amour  de  ses  proches  et  de 
lui-même,  afin  de  connaître  Dieu,  d'autant  plus  que  lorqu'il  s'a- 
git de  son  service,  il  ne  connaît  plus  personne. 

11  est  manifeste  que  les  affections  de  la  chair  et  du  sang  divisent 
et  affaiblissent  les  forces  de  l'âme,  et  obscurcissent  son  regard. 
Quant  au  lien  conjugal ,  non-seulement  il  est  la  source  de  toutes 
ces  affections ,  mais  il  est  la  plus  forte  de  ces  affections  mêmes , 
puisque  toutes  les  autres  doivent  lui  être  sacrifiées.  ><  L'homme 
quittera  son  père  et  sa  mère  pour  s'attacher  à  son  épouse  ;  »  il  en 
résulte  qu'envahissant  notre  cœur,  il  n'en  reste  plus  qu'une  part 
restreinte  à  Dieu.  «  Celui  qui  est  sans  épouse ,  dit  saint  Paul , 
s'occupe  des  choses  du  Seigneur,  s'efforce  de  plaire  à  Dieu  ;  ce- 
lui qui  a  une  épouse  s'occupe  des  choses  de  ce  monde,  s'efforce 
de  plaire  à  son  épouse  et  reste  divisé.  » 

Au  contraire  ,  la  continence  absolue  non-seulement  nous  isole 


282  DM  ORDRES  nELicietx. 

des  hros  les  plus  clicrs  sur  l«'S(|uols  oussenl  pu  s<»  r<»posf»r  nos 
afft'ciions ,  mais  «'ncorc  impliijue  le  sacrilice  d  une  poriiun  de 
nous-nx'Uies,  criui  do  noire  propre  elinir,  obstncle  plus  (^rjDd 
à  la  perfeelion  de  l'amour  divin  que  tous  les  objets  extérieurs. 
D«'  toutes  les  passions,  la  plus  aveujjle  ri  la  plus  violente,  celle 
qui  liumilir  davantage  la  raison  et  ohsrurcil  en  nous  l'image  de 
Dieu,  cVsl  la  passion  des  sens.  La  continence  rétablit  celte 
image,  elle  nous  fait  vivre  comme  en  dehors  de  la  chair;  elle 
nous  rapproche  de  ces  |)urs  esprits  aux(iuels  le  Seigneur  u  pro- 
mis de  nous  égaler  un  jour,  ei  que  saint  Denys  appelle  de  irès- 
purs  miroirs  de  la  divinité,  parce  qu'en  eux  tout  est  intelligence 
et  amour.  «  Cependant  peu  comprennent  ce  conseil,  dit  le  Sau- 
n  Neur,  st'ulemeiil  (eux  (jui  ont  reçu  le  «Ion  d'en  haut;  •  preuve 
du  mérite  qui  y  ^st  attaché  cl  de  sa  sublimite.  Pr«'tendre  vivre 
dans  la  chair  comme  un  ange  du  fiel,  c'est  une  (euvre  rare  et  dif- 
ficile, un  don  |)lus  spécial  de  lEspril  Saint,  ainsi  que  dcja  l'ex- 
primait le  sage  :  «  J'ai  vu  que  je  ne  pouvais  êlre  continent  que 
»  par  un  don  de  Dieu  ,  el  c'était  une  haute  sagesse  de  savoir  de 
>  qui  ce  don  provenait.  »  «  Que  celui  qui  peut  comprendre  com- 
pr«;ime,  »  dit  encore  le  Sauveur,  après  nous  avoir  insinué  sous 
des  lermes  voilés  et  proportionnés  à  notre  faiblesse  le  conseil  de 
la  chasteté;  paroles  d'encouragement,  dit  saint  Jérôn>e;  J«'sus- 
Christ  appelle  ses  soldats  aux  luttes  de  la  chasteté,  comme  s'il 
disait  :  Que  celui  qui  peut  les  entreprendre  entre  dans  la  lice, 
qu'il  \ainque  el  qu'il  triomphe  (1). 


{{)  Saint  Thnma»  remarque  ensuite  que  la  voie  de  la  ronlinence  étant  dif- 
ficile et  tous  ne  la  comprenant  point,  il  est  ncrcssairc  que  ceux  qui  l'embras- 
sent évitent  avec  un  grand  soin  tout  ce  qui  pourrait  leur  tire  de  quelque  ob- 
stacle dons  celle  voie.  Le  saint  Docteur  énunWrr  trois  obstacles;  ceux  qui 
proviennent  du  corps,  ceux  qui  proviennent  de  l'esprit,  ceux  qui  proviennent 
des  objets  exli'-ricurs,  des  cboses  el  des  personnes,  pnncipnlemcnl  de  la  frc- 
quentalion  drs  femmes.  Toujours  arnii-  des  paroles  de  IKcrilure  cl  des  té- 
nioipnanes  des  Pr:res ,  il  nous  enseigne  ?i  ntmb.iUre  ces  trois  obstacles  ,  le 
prenuer  par  les  jeûnes,  les  privations,  les  veilles  et  autres  maoéralions  ;  le 
second  par  la  contemplation,  l'élude  des  écritures  dixines.  l'habilude  de  sain- 
tes pensées  el  In  fuite  du  désœuvrement,  le  troisième  par  l'éloigncment  du 
monde  el  par  la  solitude.  Ainsi,  avant  d'avoir  abordé  ouvertement  la  qiie«tion 


DES  ORDRES  RELIGIEUX.  283 

Mais  l'Ange  de  l'École  va  nous  exposer  une  voie  plus  excel- 
Icnle  encore.  Au-dessus  du  sacrifice  des  biens  extérieurs,  au- 
dessus  du  sacrifice  des  alleclions  naturelles  et  des  délectations 
des  sens ,  s'élève  comme  couronnement  le  sacrifice  de  soi ,  sans 
le(|uol  l'édifice  de  notre  perfection  resterait  ébauché.  Car  l'a- 
Mioiir,  avons-nous  dit  après  saint  Denys,  est  extatique  ,  c'est-à- 
dire  cpiil  ne  nous  permet  point  d'être  à  nous-mêmes,  mais  il 
nous  donne  à  la  personne  aimée.  Et  c'est  bien  là  ce  qu'éprou- 
vait saint  Paul ,  lorsqu'il  s'écriait  :  «Je  vis,  mais  ce  n'est  plus 
»  moi  (jui  vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi.  »  El  c'est  là  cette 
mort  spirituelle  qu'il  nous  montre  réalisée  dans  les  premiers 
fidèles  :  «Vous  êtes  morts,  et  votre  vie  est  cachée  en  Dieu  avec 
«Jésus-Christ;  »  ou  qu'il  leur  recommandait  par  ces  paroles  : 
«  Jésus-Christ  est  mort  pour  tous ,  afin  que  ceux  qui  vivent  ne 
»  vivent  plus  pour  eux-môuïes,  mais  pour  celui  qui  pour  eux  est 
»  mort  et  ressuscité.  »  Principe  ,  du  reste  ,  posé  par  le  Sauveur 
lui-même,  lorsque,  annonçant  que  pour  devenir  son  disciple,  il 
faut  haïr  son  père  et  sa  mère,  son  épouse  et  ses  fils,  ses  frères  et 
ses  sœurs,  il  ajoute  :  «et  de  plus  haïr  son  âme;  »  et  lorsqu'il 
dit  :  «  Si  quelqu'un  veut  venir  à  ma  suite ,  qu'il  se  renonce , 
»  qu'il  prenne  sa  croix  et  qu'il  me  suive.  » 

'  Ayant  établi  tour  à  tour  que  celte  salutaire  abnégation  ,  celle 
haine  charitable  est  en  partie  nécessaire  au  salut,  et  pai*  consé- 
quent une  obligation  commune  à  tous,  puisque  tous  doivent  sou- 
mettre leur  intelligence  et  leur  volonté  au  joug  de  la  foi  et  de  la 
loi  divine,  et  qu'en  partie  elle  appartient  aux  conseils  de  l'Évan- 
gile et  à  la  pratique  de  la  perfection,  saint  Thomas  l'examine 
sous  ce  dernier  point  de  vue. 

«  C'est,  dit-il,  pratiquer  la  perfection  que  de  sacrifier  par  la 
»  grandeur  de  noire  amour  et  en  vue  de  n'appartenir  qu'à  Dieu  , 
»  ce  dont  nous  pourrions  licitement  user.  »  Puis  il  pose  cet  autre 
principe  :  «  Plus  une  chose  est  naturellement  aimée,  plus  il  y  a 
»  de  perfection  à  la  mépriser  pour  Dieu.  »    Montrant  en  cou- 


de la  vie  religieuse,  saint  Thomas  nous  a  donné  déjà  par  avance  l'intelligence 
de  sa  discipline  et  ses  pratiques  ascétiques  quil  joint  à  l'observance  des  trois 
vœux. 


2H4  I»KS  OKhRES  RELir.lEl'X. 

si'qiience  ((ue  TactP  le  plus  hôroûjiio  de  la  rharilé  esl  de  souf- 
frir l:i  mon  |>oiir  J<^siis-(".lirist ,  In  saini  doct«Mir  rccliorrlu»  (\w\ 
est,  ajurs  le  sairilici'  dr  notre  vie,  le  plus  ^rand  bien  qu'il  nous 
soil  |K)ssil)le  d'immoler,  ei,  d'après  lui ,  ee  luon ,  c'est  celui  de 
la  lilierlé.  «  Kn  ellef,  ajoute-t-il,  rien  n'est  plus  cher  à  l'homme 

■  que  la  libre  disposition  de  sa  volonli'.  Far  elle,  il  est  maître  et 
1  sei{j;neur  des  biens  extérieurs;  par  elle,  il  en  use  ei  en  jouit; 

■  par  elle,  il  est  maître  de  ses  propres  actes.  De  sorte  que  de 
»  même  que  l'homme ,  en  abandonnant  les  richesses  cl  Ifs  per- 
•  sonnes  (|ui  lui  sont  unies  par  les  liens  du  sanj^ ,  les  r-^nonee . 
»  ainsi  abandoimant  le  libre  usage  de  sa  volonté  qui  le  rendait 
»  maître  de  lui-même,  il  en  résulte  «pi'il  s'est  lui-ménje  renoncé.» 

Tel  esl  le  dernier  des  renonrements ,  le  plus  eleve  <lans  l'or- 
dre du  sacrifice  spirituel  ,  l'immolation  la  plus  précieuse  qu'il 
nous  soit  possible  d'oIVrir  au  Seigneur,  après  celle  du  mariyrc  ; 
renonrement  qui,  à  la  différence  des  autres,  les  contient  tous, 
puis()ue  la  volonté'  commande  à  tous  nos  actes,  renoncement 
enfin  (|ui  nous  exalte  <l:ins  la  mesure  où  il  nous  abaisse;  car  il 
nous  unit  aux  anéantissements  qui  ont  mérité  au  Fils  de  Dieu 
son  exaltation,  et  dont  le  (ombh;  a  éle  son  obéissance  jusqu'à  la 
mort  et  jusqu'à  la  mort  de  la  croix. 

Celte  triple  formule  de  la  pauvreté,  delà  chasteté  et  de  l'obéis- 
sance, est  par  son  universalité  la  dernière  expression,  le  résumé 
des  conseils  évangeliques,  c'est-à-dire  de  ee  que  rKvangile  nous 
offre  de  plus  parfait.  Saint  Thomas  fait  voir  comment  tous  les 
actes  de  perfection  qu'il  nous  esl  donné  d'accomplir  rentrent 
dans  CCS  trois  vertus  et  leur  empruntent  leurs  motifs,  ('/est  en 
effet  accomplir  un  acte  rie  pauvreté-  s|)irituelle  que  de  se  dépouil- 
ler en  faveur  des  indigents  d'une  aumrtne  qu'on  était  libre  de 
garder.  C'est  pratiquer  la  chasteté  en  esprit  de  perfection,  que 
de  s'abstenir  pour  un  temps  des  délectations  permises  ,  dans  le 
but  de  vaquer  aux  choses  de  Dieu.  C'est  «'ncore  immoler  sa  vo- 
lonté- dans  le  même  esprit,  que  d«'  faire  du  bien  à  ses  ennemis, 
lorstpi'on  n'y  est  point  obligé  ,  ou  d'oublier  une  injure,  lorsqu'il 
était  permis  d'en  exiger  une  juste  réparation.  C'est,  dans  ces 
trois  hy|K)thèses  ,  sacrifier  ù  la  perfection  de  la  charité  les  biens 
extérieurs,  les  biens  du  corps,  les  biens  de  l'àme. 


»ES  OllUKES   UELIGIEUX.  28.") 

Mais  si  CCS  rciioiicomciits  partiels  nous  ciilèvonl  à  nous-mê- 
mes et  nous  unissonl  si  puissamment  à  Dieu,  que  sera-ce,  s'ils 
sont  réunis  en  faisceau  et  pratiquf's  jusqu'à  leurs  dernières  con- 
séquences? Que  sera-ce  de  l'homme  (|ui  a  lout  donné,  jusqu'à 
Tespérancc  d'acciuérii?  Que  sera-ce  de  riiommo  vivant  dans  la 
chair  comme  un  an^'O  du  ciel?  Que  sera-ce  d'une  vie  dont  l'o- 
béissance est  poussée  jusqu'à  la  mort  inclusivement  (1),  et  n'est 
exclusive  que  du  péclic'? 

Cependant  saint  Thomas  ne  nous  a  point  encore  conduit,  ainsi 
qu'il  se  l'était  promis,  jusqu'à  la  notion  de  l'état  de  perfection, 
ni  jusqu'à  celle  de  l'holocauste.  Pour  s'être  rendu  pauvre,  chaste, 
obéissant,  pour  avoir  compris  dans  cette  triple  immolation  tous 
les  biens  créés,  on  n'a  point  épuisé  jusqu'à  la  dernière  goutte  le 
calice  du  sacrifice.  Autre  chose  est  de  ne  s'immoler  que  par 
choix  ,  avec  la  facilité  de  rentrer  en  la  possession  de  soi-même, 
autre  chose  est  d'avoir  changé  les  conseils  en  préceptes  et  de 
s'être  fait  du  sacrifice  le  plus  étendu  une  ol>ligalion  sans  retour. 
Le  vœu  consommera  notre  sacrifice  et  notre  mort  au  monde; 
c'est  par  le  vœu  que  nous  serons  des  holocaustes  au  Seigneur, 
non  pas  seulement  au  point  de  vue  de  l'universalité  des  biens  que 
nous  aurons  renonces ,  mais  au  point  de  vue  de  la  perpétuité 
d'une  iirémissible  immolation.  C'est  le  vœu  qui,  anéantissant  à 
tout  jamais  notre  liberté  et  nous  fixant  dans  la  servitude  de  Jé- 
sus-Christ, nous  constitue  dans  l'étal  de  perfection,  c'est-à-dire 
dans  une  situation  stable,  permanente,  irrévocable,  ainsi  que  le 
terme  d'état  l'indique,  dans  un  état  de  perfection,  parce  que  par- 
fait est  ce  à  quoi  rien  ne  manque ,  et  qu'on  ne  peut  faire  plus , 
lorsque  Dieu  ne  nous  convie  point  à  la  grâce  du  martyre ,  que 
de  mourir  à  tous  les  biens  créés  et  d'y  être  mort  perpétuellement, 
que  de  se  sacrifier  en  tout  et  toujours  (1). 


(1)  Usque  ad  mortcm  inclusive  (Constitutions  des  FF.  Prêcheurs). 

(2)  Au  reste ,  saint  Thomas  a  bien  soin  de  remarquer  la  différence  qui 
existe  entre  l'état  de  perfection  et  la  perfection  personnelle.  Les  vœux  de 
pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéissance,  ne  constituent  pas  la  perfection,  mais 
les  moyens  les  plus  sûrs  d'y  parvenir.  oDe  même,  dilil,  qu'il  se  rencontre 
»  des  âmes  qui  sans  s'être  lices  par  des  vœux  sont  cependant  parfaites,  ainsi 

18 


286  I'»  ^  m.Mi.i  -    1,1  I. M. Il  I  \  . 

(Jiii  lia  poiiil  ictouiiu  ù  tel  expose  i|iu'  l'An^f  ilt-  l'Ecole  a 
fail  surlir  des  Saiiites  Lcrilures  el  des  inler|)réiatiuns  des  doc- 
leurs  caiholiques,  la  vive  image  de  la  vie  religieuse?  IVeuve  ma- 
nifesle  <]ue  lelle-ci  esl  un  éiai  de  pcrfeeiion,  qu'elle  découle 
nauirelltiueiil  de  l'ENangile;  <|u'elle  esl  sou  expression  pralitpic 
la  plus  liaiilc  ,  el  <|ue  si  le  nioiide  la  considère  comme  un  fait 
étrange,  inex|)licablc,  c'est  parc»'  (pie  le  monde  n'est  pas  chré- 
tien. 

Les  faits,  d'ailleurs,  cunlirment  celte  demonslralioii.  La  vie 
religieuse,  au  point  de  vue  de  son  développement  dans  le  temps, 
n'est  pas  moins  lilie  de  l'Eglise  tpi'au  point  de  vue  ihéoriipie. 
L'Evangile,  il  est  vrai,  n'avait  point  alUiidu  «pie  ses  cloilrrs  fus- 
sent fondés  non-seulement  pour  enfanter  iim-  iiuiliiiude  de  sain- 
tes âmes;  mais  jjour  les  léiinir  dans  la  coiiiiminaiiié  des  mêmes 
pratiques  et  des  mêmes  renoncemenls ,  el  oITiir  au  Seigneur  un 
peuple  parfait.  Dès  les  premiers  jours  de  l'Église ,  nous  voyons 
que  la  mullitude  des  croyants  n'a>aii  qu'un  cœur  et  qu'une 
ûm<',  «juc  nul  d'entre  eux  ne  possédait  rien  en  propre,  tous  per- 
se>érant  ensenilile  dans  la  prière,  rompant  le  pain  avec  un  saint 
transport  et  dans  la  simplicité  de  leurs  cœurs,  occupés  sans  cesse 
de  la  louange  <le  Dieu  el  pleins  de  giâie  devant  les  hommes.  Si 
cet  elal  de  choses  eût  persévéré,  l'Eglise  louienlière  eût  été  ceth' 
religion  pure  et  immaculée  fondée  sur  des  œuvres  saintes  dont 
parle  l'apôtre  saint  Jacipies.  La  vie  religieuse  eût  été  |)raii(]Uee 
par  le  fait,  et  par  contre  les  âmes  ferventes  et  >ouées  ù  la  prati- 
que de  ce  <|u'il  y  a  de  plus  parfait  dans  la  prati<|ue  de  l'Évangile, 
n'eussent  point  présenté  ce  caractère  de  singularité  que  le  monde 
leur  reproche;  et  cpi'il  doit  s'imputer  à  lui  seul.  Le  monde,  en 
elTet,  envahissait-il  l'Eglise,  par  lui  la  charité  se  refroidissait. 
Le  simple  accomplissement  des  préceptes  de  l'Évangile  rencon- 
trant dans  un  sièchî  pervers  ei  dans  la  connivence  de  notre  pro- 
pre cour  tant  de  r<sistance ,  cpie  serait-ce  de  la  vie  parfaite? 
Dieu  pourvut,  par  ses  inspirations,  ù  ce  (pie  la  pratique  en  com- 


»  s'en  Imiivcrail-il  qui ,  l»icn  qu'onf?aj{écs  dans  l'iflat  i\e  porferlion ,  ne  sont 
»  point  parfaites  pour  cela.  »  Le  i-eli((irux  ,  en  effet,  n'avancer»  vers  la  per- 
fcdi'iii  (pi  Niilant  qu'il  rorrr^pondra  aux  grAres  de  M>n  ëtjl. 


DES  OnDKES  RELIGIEUX.  2H7 

mun  dos  conseils  ovanf,'cli(|iics  ne  péril  point.  Des  i\mes  d<''siien- 
ses  de  inellro  à  couvert  leur  pro|)rc  fuiblessc  ,  fuyant  les  attraits 
du  inonde,  se  retirèrent  dans  la  solitude.  Comme  on  avait  vu  dans 
l'ancienne  loi  les  prophètes  et  les  fils  des  prophètes  habiter  les 
déserts,  de  même  <pie  la  vie;  de  saint  Jean-Bapliste  s'y  était  con- 
sum«''e,  ainsi  aux  âges  chréliens  vit-on  les  Paul,  les  Antoine,  les 
Pacôme  chercher  loin  du  commerce  des  hommes  la  liberté  de 
n'appartenir  qu'à  Di(>u.  Ils  devinrent  bientôt  les  initiateurs  et  les 
patriarches  d'une  mnililude  qui,  plus  nombreuse  que  les  étoiles 
du  ciel,  lit  tressaillir  d'une  sainte  alh'gresse  les  sables  inhabités 
jusqu'alors  de  la  haute  Egypte.  La  vie  érémitique  des  premiers 
Pères  avait  appelé  la  vie  ccnobitique  ou  de  communauté.  Les 
mêmes  raisons  qui  séparaient  du  vieux  monde  ces  âmes  qui  par 
milliers  se  rencontraient  au  fond  des  déserts,  les  unissaient  en- 
tre elles,  ainsi  que  la  multitude  des  premiers  croyants ,  en  un 
même  cœur  et  un  même  esprit.  La  solitude  s'érigeait  en  cité, 
il  lui  fallait  des  lois.  Ces  lois  ne  porenl  être  que  l'expression  de 
ce  qui  était  au  cœur  de  tons,  du  désir  d'une  vie  parfaite  et  qui 
épuisât  tous  les  renoncements.  De  là  ces  bases  de  toute  législa- 
tion monastique,  telles  que  saint  Thomas  les  a  tracées,  et  lors- 
qu'après  quinze  siècles  de  durée,  nous  voyons  cette  même  légis- 
lation subsister  intacte  et  pleine  de  vie  ,  malgré  les  attaques  du 
dehors  et  les  périls  plus  redoutables  de  la  corruption  du  dedans, 
il  est  permis  de  conclure  à  son  excellence  et  à  son  efficacité,  de 
reconnaître  en  elle  une  origine  surhumaine  ,  de  la  déclarer  im- 
périssable comme  l'Évangile  dont  elle  est  l'expression. 

La  pratique  en  commun  des  conseils  évangéliques  étant  deve- 
nue dans  l'Eglise  un  fait  particulier,  il  lui  fallut  un  nom  qui  la 
distinguât.  Celui  de  moines  ou  de  solitaires  fut  d'abord  attribué 
aux  âmes  qui  s'y  consacraient;  mais  lorsque,  poussée  par  la  cha- 
rité ,  une  partie  de  cette  armée  du  Seigneur  se  rapprocha  du 
monde  et  lui  tendit  la  main,  le  nom  de  moine  sembla  présenter 
une  acception  trop  restreinte  et  cessa  d'être  générique.  Celui  de 
religieux  lui  fut  substitué. 

C'est  encore  l'Ange  de  l'École  qui  nous  en  expliquera  le  sens 
et  la  raison.  «  L'idée  de  religion,  dit-il  avec  saint  Augustin,  cor- 
»  respond  à  celle  du  culte  que  nous  rendons  à  Dieu.  Cicéron  lui- 


288  I»KS  ORKRtS   REI-IGIEIX. 

»  même  drfinissait  dans  sa  Hlici()ri(|ue  la  religion  une  vertu  qui 

■  honore  une  natnrr  su|)«''rionrc ,  (ju'on  appelle  divine,  par  l<- 
»  moyen  du  culte  et  d«'s  cérémonies.  Or  Ir  culii-  dû  au  ^ra^  Dieu 

•  consiste  princi|>alemenl  dans  le  sacritice.  On  oiïre  à  Dieu  un 
D  sacrilice  prélevé  sur  h'S  biens  <'xl<'i  i«'uis,  «piaiid  on  les  distri- 
»  bue  comme  il  est  manjuc  en  l't  pitre  aux  Ikbreux  :  N'oubliez 
»  pas  la  bienfaisance  et  la  communication  de  vos  biens,  car  c'est 
»  par  de  pareilles  hosties  que  l'on  plait  au  Seigneur.  On  offre  à 
u  Dieu  un  sacrifice  dt;  son  |)ro|)re  corps,  ipiand  ceux  qui  sont  à 
n  Jésus-Christ  crucifient  leur  chair  avec  ses  vices  et  ses  convoiti- 

■  ses,  comme  l'apôire  le  recommande.  Et  encore  comme  le  texte 
»  de  ce  même  apôtre  :  Offre/,  vos  corps  ( omnu'  une  hostie  vi- 
»  vante  ,  sainte  ,  agréable  à  Dieu.  Il  y  a  enlin  un  iroisièuie  sacri- 

*  Gce,  celui  qui  nous  concilie  davantage  la  faveur  de  Dieu,  c'est 
»  le  sacrifice  de  notre  esprit,  selon  celte  parole  du  psaume  :  Le 
»  sacrifice  (|ue  Dieu  aime  est  celui  d'un  cœur  contrit  et  humilié. 

»  Mais  il  faut  remarquer,  ainsi  que  le  fait  saint  Grégoire  sur 

♦  Ézéchiel,  «pie  la  différence  entre  le  sacrifice  simple  et  l'holo- 
»  causte  est  celle-ci  ;  Tout  holocauste  est  un  sacrifice,  mais  tout 

>  sacrilii  e  n'est  point  un  holocauste;  dans  le  sacrilice,  une  part 

•  seulement  de  la  victime  était  consumée  ;  mais  dans  l'holocauste 
»  elle  était  consmuée  tout  entière.  Or  «piaïul  (pirhprun,  dit  saint 
»  Grégoire ,  offre  à  Dieu  une  part  de  ses  biens  et  s'en  réserve 
»  une  autre ,  c'est  un  sacrifice  ;  mais  (piand  il  consacre  par  un 
1  vœu  au  Tout-Puissant  tout  ce  qu'il  a  ,  tout  ce  par  «pioi  il  vit. 
»  tout  ce  (pi'il  peut  goûter  ici-bas,  c'est  un  holocauste.  Et  tell. 
»  est  res|»ècc  de  sai  rilice  (pii  itsulie  des  trois  v«eux  dont  il  a  éi- 

>  fait  mention,  d'où  il  est  manifeste  que  ceux  (pii  en  ont  contraci< 
«rengagement  sttni  excellcninvut  appelés  religieux,  à  cause  de 
»  l'excellence  de  leur  holocauste,  o 


HISTOIRE  DE  L'ARCHITECTLRE  SACRÉE 

Du  qualrième  au  dixième  siècles,  daus  les  anciens  évê- 
elles  de  Genève,  Lausanne  et  Sion, 

Pjr  J.-D.  BLAVIGNAC,  architecte  (i).  Lausanne  1853.  (Bridel, éditeur.) 


Pcr  visibilia,  invisibilia  dcmonstramus. 
S"  Gregorii  Episf. 


(  PREMIER    ARTICLE). 


Voici  un  excellent  livre,  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore ,  une 
excellente  action.  Assurément  c'est  là  un  signe  des  plus  heureux 
de  l'esprit  nouveau  qui  se  manifeste  depuis  vingt-cinq  ans  dans 
les  études  historiques,  au  grand  profit  de  la  science  et  surtout 
de  la  vérité.  Reportons-nous  aux  années  du  collège,  à  ce  que  de 
candides  professeurs  consentaient  alors  à  nous  dire  du  moyen 
âge  et  de  l'éducation  laborieuse  des  peuples  modernes  par  l'É- 
glise catholique,  on  admirera  une  révolution  si  rapide,  si  féconde 
en  résultats  précieux.  Sans  doute  il  reste  à  désirer.  Justice  com- 
plète n'est  point  faite  de  tant  de  haines  imméritées ,  de  tant  de 
récits  controuvés ,  de  tant  de  doctrines  malfaisantes  :  les  thèses 
équivoques  du  dix-huitième  siècle  ont  toujours  leurs  soutenants. 
Mais  à  côté  de  ce  courant  dont  le  flot  s'amoindrit  chaque  jour, 
quelle  réaction  salutaire  !  et  combien  d'écrivains  assidus  au  tra- 
vail pour  remettre  en  honneur  ces  temps  difficiles  oiî  l'Église 

(I)  Un  vol.  in-S"  accompagné  d'un  atlas  renfermant  plus  de  800  dessins. 


200  HiSTOinE  DE   l'auciiitecture  SAcnéE. 

produisit  U's  i;<'u«r:iiioiis  sactidotalcs  qui  amenèrent  les  conqué- 
rants l)arl»ares  à  la  vie  de  la  ciNilisalinn  .    aux    lumières  de  la 
science  et  des  leiires,  et,  ce  qui  vaut  |»lus  encor»',  à  accepter  le 
jouK' austère  des  vt-rtus  clinticnnes!  Toutes  les  nations  de  l'Eu- 
rope ont  apporté  leur  tribut  à  cette  a-uvre  de  reconciliation;  la 
ni\trc  non  plus  n'a  pas  failli  à  l'appel.  Sous  la  direction  si  éclairée 
de  M.  dcGin},'ins,  la  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romande  a 
publi»' une  collection  île  mémoircsdu  plus  haut  intér»^t.  Avec  plus 
do  réserve  la  Société  d'ari  lienloj,'ie  de  Genève  est  entrée  dans  lu 
même  voie.  D'autres  travaux  ont  succédé,  entre  lesquels  nous  ne 
voulons  distiuf^uer  aujiturd'hui  (jue  V/Iisinire  du  canton  de  I  aud, 
parM.  Verdeiljce  livre  écrit  sous  rins|»iration  d'un  patriotisme  si 
vrai ,  si  franchement  dénué  de  méchantes  passions.  Encore  que 
chez  l'auteur  le  préjuj;»''  apparaisse  souvent,  nulle  part  il  ne  revêt, 
dans  son  expression  inolfensive,  le  (  araclère  de  la  haine.  Pour  être 
indiret  teselinatteiKlues,(esrehal)ilitali(»nsn'ont(pie|)lusde  prix; 
linipailialité  de  l'écriNain  einessort  d'autant  plus;  et  vraiment  il 
estpro\idenliel  de  voir  niisi^rand  nombre  de  documents  mis  en  lu- 
mière, tant  d'illustres  mémoires  vengées  de  l'oubli  ou  de  I  injustice 
de  l'opinion  :  cela  par  des  hommes  auxquels  assurément  on  ne 
saurait   attribuer  le  dessein  prémédité  d'avoir  voulu  réparer,  ù 
l'endroit  de  l'f^glise  caiholirpie,  les  torts  des  générations  précé- 
dentes. 

M.  Blavignac,  lauiciir  de  l'ouvrage  que  nous  essayons  de  faire 
connaître,  est  un  an  liitecte  genevois  «dunu  du  public  par  une 
collecti(tn  d'estimables  travaux  archeologiipies.  Dans  cette  der- 
nière étude,  il  donne  une  preuve  nouvelle  et  imposante  de 
sagacité,  de  science  érudile,  non  moins  (pie  de  rare  obstina- 
tion au  travail.  Les  monuments,  on  l'a  dit,  souvent  sont  plus 
instructifs  (jue  les  livres.  Ils  portent  les  signes  caraclcristi- 
(pies  de  la  civilisation  «pii  les  ins|>ira.  S'il  s'agit  des  édifices  reli- 
gieux, alors  intervient  plus e\|iressement la  notion  de  l'art:  «cette 

■  faculté  sociahî  d'«'\primer  des  croyani  es  par  des  signes  maté- 

■  riels»(l);  l'art,  cettecréation  secondaire,  cette  action  dugénie 
de  l'homme  s'exerçant  sur  la  matière  pour  lui  faire  porter  l'eni- 

(I)  Dénnilion  de  M.  K.  Cadicr  dans  ^on  E»thoUi|ur  de  Sn^onarole. 


iii-^TOii'.F,   r)E   i/aiu.iiitlcti'ke  SAnm'iE,  291 

preinle  do  sa  pensée,  alors  qu'il  inspire  sur  la  masse  informe  le 
souille  (le  son  ànie  iniclligonto.  Les  inonuinenls  du  moyen  âge,  ces 
témoins  adniiiahU's  des  éminentes  prérogatives  du  génie  chré- 
tien s'iipjiliquanl  à  idéidiser  la  matière,  ont  f'-ié  rohjcl  de  recher- 
ches mnilipliées  en  France,  en  Angleterre  et  en  Allemagne.  La 
Suisse  ,  incontestablement  ,  était  demeurée  en  arrière  dans  ce 
mouvement  réparateur;  à  Genève  en  particulier,  le  moyen  âge 
artistique  était  lettre  morte  jusqu'à  M.  Blavignac.  Celte  absten- 
tion doit  être  attribuée  à  plusieurs  causes. 

La  vallée  du  Léman  est  moins  riche  que  bien  d'autres  contrées 
en  édifices  bâtis  durant  la  période  qui  s'étend  de  la  fin  des 
Croisades  au  quinzième  siècle.  Or  c'est  là  l'époque  la  plus  mé- 
morable pour  l'architecture  au  moyen  âge.  Ce  fut  alors  que  le 
système  de  construction  basé  sur  l'emploi  de  l'arc  aigu  (1)  ou 
ogive  prit  cet  essor  qui  donna  un  développement  si  magnifi- 
que au  plan  idéal  du  temple  catholique  conçu  par  les  écoles  sa- 
cerdotales des  âges  précédents.  Celte  expansion  de  l'art  chré- 
tien conclut  à  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  aux  cathédrales 
d'Amiens,  de  Chartres  et  de  Cologne,  et  l'on  sait  de  quelle  vé- 
gétation prodigieuse  d'édifices  elle  couvrit  l'Angleterre,  la  Belgi- 
que et  surtout  la  France  au-delà  de  la  Loire.  La  Suisse  romande, 
qui  fut  le  théâtre  d'un  mouvement  architectural  très-brillant 
pendant  la  durée  du  second  royaume  de  Bourgogne,  moins  favo- 
risée dans  les  siècles  suivants  par  les  circonstances  politiques  et 
économiques,  ne  vit  pas  se  produire  avec  autant  de  profusion  que 
dans  les  pays  du  Nord  le  règne  de  l'arc  aigu.  Nous  avons  bien 
Notre-Dame  de  Lausanne ,  conception  artistique  des  plus  belles , 
singulièrement  variée  dans  ses  effets ,  à  la  fois  riche  et  sévère 
dans  ses  ornements,  et  qui  réunit  dans  un  ensemble  harmonieux 
autant  qu'original,  un  souvenir  des  églises  romano-byzantines 
des  bords  du  Rhin,  au  système  svelte  et  élancé  de  la  Bourgogne 


(I)  M.  Blavignac  démontre  à  merveille  que  le  terme  ogive  est  une  expres- 
sion fort  impropre,  que  Togive  est  un  contrefort,  un  plein,  et  non  pas  un 
arc  vide.  Sa  remarque  est  fort  juste  ;  mais  comment  prévaloir  contre  un  usage 
aussi  solidement  établi  et  autorisé  de  l'exemple  de  tant  dhommes  compé- 
tents? 


2î)*i  HI>T(HKE    Ut    l'aRCHITKCTI'RE    SACRLE. 

fl  de  rilf  lie  France.  Nous  avons  bien  iiolrr  Saini-Pierrc  de  Ge- 
nève, si  j;rave,  bi  [tuissanl  d'ellel,  si  raro  comine  lypr  d'uiiL*  |>ê- 
riodo  de  transition.  Mais  les  autres  édilices  groupes  autour  des 
deux  cathédrales  ue  répondent  pas  à  ce  que  l'on  étail  en  droit 
d'attendre  en  présence  tl'aussi  beaux  modèles.  Les  injures  du 
temps,  el  plus  encore  celles  des  hommes,  ont  altén''  ces  églises 
paroissiales  el  convenluelles.  Aussi ,  dépourvues  de  caractères 
imposants,  privées  d'oi'iiemcnts,  mutilées  par  les  disf)Ositions  qui 
les  adaptent  au  culte  nouveau  ,  dédaignées  depuis  trois  siècles 
comme  témoins  importuns  de  tenq)s  dont  on  voudrait  anéantir 
le  souvenir,  élaienl-elles  peu  pro|)res  à  suggérer  l'enthousiasme 
que  nous  avons  vu  surgir  aillems,  alors  (pie  le  mou\emont  inau- 
gure par  M.  (le  (latiniiinl,  l'ugin,  M.  ih;  Montalemberl  el  Sulpi((; 
Boisserée  a  r(  iniif  la  moindre  ville  en  l-rance  el  en  Allemagne. 

Une  seconde  cause  de  l'oubli  où  lurent  si  longtemps  condamnés 
chez,  nous  les  monuments  du  moyeu  âge,  c'est  riulluenco  des  idées 
protestantes.  I/art  a  corrompu  ses  voies  au  seizième  siècle. 
I/Kglise,  (jui  no  permit  i)as  un  seul  instant  à  la  nuit  de  se  faire 
entre  ranli(piilé  et  les  temps  modernes,  avait  recueilli  rhérilagc 
inlellectnci  (h;  rancien  mond(î  ;  et  Ton  sait  avec  quelle  puissance, 
transportant  dans  l'école  les  |)rocédés  dialectiipies  de  Platon  el 
d'Aristote,  des  génies  tels  (pie  saint  Augustin,  saint  Anselme, 
Albert  le  Grand,  sainl  l'honias  (rA<prm,  saint  Honaventure,  (ier- 
son ,  ont  fécondé  le  champ  du  père  de  famille  dans  l'ordre  des 
idées  et  de  la  science.  L'art,  cet  élément  si  prépondérant  de 
loute  civilisation,  avait  été,  au  service  du  paganisme,  un  instru- 
uu'nt  habile  d'erreur  el  de  corruption  ;  l'on  sait  aussi  par  (|uelle 
discipline  admirable ,  à  ravènemenl  du  christianisme,  le  sen- 
sualisuK!  disordonné  des  artistes  de  la  Rome  des  euqiereurs, 
avait  lait  place  aux  clans  du  sunboliMue  le  plus  chaste  comme 
le  plus  brillant  dans  son  expicssion.  .lainais  anéanti .  tnii- 
jours  vi(  torieusemenl  deleudu  dans  le  c(eur  de  l'homme, 
le  sensualisme  païen  fui  remis  en  honneur  par  la  Uenais- 
sance.  Le  culte  de  la  forme,  dans  son  expression  la  plus 
charnelle  ,  prévalut  derechef  sur  la  recherche  de  la  perfection 
idéale  et  de  la  beauté  surnaturelle.  Le  mouvement  une  fois  donné, 
le  courant  funeste  s'établit  pai  tout,  el  en  (li'|Ht  d'efforts  itidivi- 


i 


HisroïKii   Di:   L*AuciiiTi:cTLr.t:  sackèe.  293 

duels ,  en  depil  des  Iciupérainenls  habiles ,  nous  le  voyons  ar- 
river jusqu'à  nous  sans  éprouver  de  contradiction  efTicace.  A  un 
seul  moment,  en  France,  sous  Louis  XIII  ;  alors  que  se  maniles- 
lail  celle  renaissance  calh()li(|U(!  (|ui  préparait  l(;s  gloires  dura- 
bles du  rèj^ne  suivaiii;  entre  sainl  François  de  Sales  et  saint 
Vincent  de  Paul,  non  loin  de  la  Kicnlieureuse  carmélite  Maiie  de 
l'incarnaiion  el  de  sainte  Chantai;  à  Tinsiant  où  Rancé  réforme 
les  cloîtres  bénédictins,  apparaît  Lcsueur,  un  artiste  qui  prie  et 
qui,  renouvellant  les  exemples  de  Fra  Angelico,  s'en  va  mourir 
jeune  dans  les  solitudes  d'une  Chartreuse.  Lesueur,  par  la  seule 
force  de  l'amour  de  Dieu  qui  anime  son  génie,  renoue  la  tradition 
hiératique  brisée  par  la  Renaissance,  et  il  lui  est  donné,  dans 
des  œuvres  incomparables,  d'atteindre,  sans  faillir  à  la  beauté 
de  la  forme,  des  expressions  de  piété  et  de  pureté  angélique  tel- 
les que  Raphaël  n'en  a  janiais  produit. 

Cet  abaissement  de  l'art  se  propage  sur  le  sol  italien,  d'où  il  pé- 
nètre en  France.  Le  protestantisme,  qui  se  rattache  à  la  Renaissance 
par  des  liens  si  manifestes,  ne  saurait  être  seul  accusé  de  la  déca- 
dence de  l'art  chrétien  ;  cette  réforme  eut  lieu  dans  les  pays  catho- 
liques; pour  lui  il  alla  plus  loin,  il  supprima  l'art  comme  entaché 
d'idolâtrie.  Quoi  de  surprenant  que  les  peuples  protestants  soient 
peu  sensibles  aux  beautés  artistiques?  Comme  ici  les  traditions  sont 
«catholiques,  comme  les  œuvres  des  grands  maîtres  qui  forcent 
l'admiration  universelle  sont  toutes  consacrées  à  célébrer  les 
mystères  de  la  religion  et  les  dogmes  fidèlement  gardés  par  l'É- 
glise, il  est  naturel  de  voir  la  sympathie  faire  défaut  et  le  senti- 
ment demeurer  absents.  Calvin,  si  sec,  si  dur  dans  son  génie 
compassé ,  avait  interdit  les  joies  de  l'art  chrétien  à  sa  tribu  de 
prédestinés;  ce  fut  seulement  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siè- 
cle que  le  goût  des  beaux-arts  reprit  quelque  faveur  à  Genève, 
mais  cela  à  une  époque  mauvaise.  Les  dogmes  qui  avaient  marqué 
une  nationalité  factice  d'une  physionomie  sicaractérisque  étaient 
battus  en  brèche.  L'indifférence  et  la  philosophie  cosmopolite 
avaient  gagné  Genève,  ramenant  avec  elles  legoîit  des  beaux-arts 
tels  qu'on  les  comprenait  alors,  c'est-à-dire  comme  une  fantaisie  et 
une  pure  récréation  des  sens.  Il  y  eut  désormais  à  Genève  comme 
partout  de  riches  amateurs  qui  peuplèrent  leurs  cabinets  de  ta- 
bleaux flamands,  de  nudités  italiennes  ou  de  peintures  du  temps 


204  ii:sTotr.i.   i»h    t'\K<:MiTK«:Ti  i;e   saiuli. 

qui  vuluicnl  encore  moins.  A  te  inomenl  Tau  éuiii  en  plrine  dé- 
caJencc ,  les  écoles  ctaieni  domiiKM-s  \y,\r  un  n;iiuralismo  &ans 
j,'i:in(I«Mir,  (ItTiiii-r  Icnnc  on  dcviiirnl  ;d)ituiir  l'an  liiti'cluro,  la 
poininrc  «l  la  siiil]»iiii('  abandonnées  drpuis  la  n-naissance  aux 
caprices  lie  riniliviilnaiisnie.  (".es  iiadiiions  prévalent  encore  de 
nosjours  à  (jent've;  louielois  Uousscau,  Charles  Bonnet,  Horace 
de  Saussure  cl  Bourril  iniroduisirent  une  manière  nouv»  Ile  de 
comprendre  et  d'inlerpn'icr  la  nainic,  (jiii  n'a  pas  été  sans  agir 
sur  l'école  de  paysage  (pii  brille  aujourd'hui. 

Une  socit''t('^  (pii  n'alirilmi"  à  l'ait  (|n'ini  but  do  jouissance,  ne 
saurait  avoir   riniclli-ence  de  la  mission  salutaire   que  lui  im- 
pose le  catholicisme.  L'Église  introduit  l'art  dans  les  catacom- 
bes pour  on  consoler  les  tristesses.  Nous  la  voyons  dès  le  second* 
siècle  y  produire  des  l<''moignages  ineffaçables  de  la  perpétuité  de 
ses  dogmes  et  de  ranli(|niié  de  sa   discipline;  elle  ridenlilio  à 
ses  manifestations  extérieures,  et  avec  le  cours  des  âges  il  de- 
vient une  de  ses  forces  sociales;  elle  lui  destine  une  sorte  de 
sacerdoce  et  des  fondions  sublimes.  C/ciait  l'an  (pii  devait  em- 
bellir sa  doctrine  de  grâce  et  de  majesté;  c'était  l'art  qui  devait 
instruire  le  |)eu|t|e  et  lui  conimimiiper,  malgn-  son  ignorance  et 
sa  pauvreté,  les  richesses  de  la  science  avec  les  fidicités  de  l'a- 
mour divin.   Voilà  ce  «jue  l'Église  catholique  a  fait  avec  celle 
parfaite  connaissance   du   cd'ur  de   riiomme  (pie  lui  donne  la 
possession   de   la    vérité  iniégrale;    voilà    ce   (pie   le   protestan- 
tisme n'a  pas  compris.  Mais,  a|)res  tout,  il  est  impossible  de  mu- 
tiler la  nature  linmaine;    on   peut   bien   I "altérer,    la   pervertir, 
la  (  onipriiner  :  le  sentiment  du  beau  et  de  Tideal  n'en  persiste 
pas  moins.  Si  votis  méconnaisse/,  les  admirables  desseins  de  l'É- 
glise, le  développement  de  ces  facultés  ne  sert  qu'à  établir  la  do- 
mination du  sensualisme  et  le  culte  de  la  frivolité.  Quelle  auire 
signili(.ation  |trétendrait-on  donner  à  ^  o  t\uuno  inepte  pédagogie 
appelle  les  arts  d'agrément ';' 

(>)nsidéré  à  la  clarté  du  spiritualisme  chrétien  ,  l'art  est  un 
moyen  de  réhabilitation  ,  de  puissance  et  de  lumière  |>ar  lequel 
riiomme  s'ellorce  de  |)énétrer  dans  le  moinb'  invisible.  Dans 
l'a'uvrc  n'-parairice  de  Jésus-Christ,  qui  rattache  à  Dieu  l'hu- 
manité dé(  hue,  l'art  est  le  premier  degré  (pii  monte  de  la  nature 
a  l'idéal ,  de  la  matière  à  l'esprit.  Le  catholicisme  honore  la  na- 


IIISTOIKI-     Dli     L'Ar.CHITECTLT.K    SVCRlii:.  295 

lure  connut'  l'œuvre  de  Dieu;  mais  il  ne  veut  |)as  que  l'homine 
s'y  attache  cl  y  établisse  sa  demeure.  Il  s'en  sert  comme  d'un 
picdi'slal,  couinic  d'un  point  d'appui  pour  lourner  le  roi  de  la 
création  vers  liiilini,  vers  Dieu  (pii  est  la  somxe  de  toute  perfec- 
tion et  notre  souverain  bien. 

Pour  marquer  en  quelcjucs  mots  la  place  occupée  par  l'art 
chrétien  dans  l'ordre  hiérarchi<juc  de  nos  connaissances,  qu'il 
soit  permis  de  citer  saint  Bonavcnture.  <  Quoique,  dit  le  doc- 
teur séraphiquc  (1)  ,  toute  illumination  de  rinielligence  par  la 
connaissance  soit  intérieure,  nous  pouvons  raisonnablement  dis- 
tinguer une  lumière  extérieure  :  lumière  de  l'art;  une  lumière  in- 
férieure: lumière  de  la  connaissance  philosophique;  une  lumière 
supérieure  :  lumière  de  la  grâce  et  lumière  de  la  Sainte  Écriture. 
Cette  synthèse  magnifique  n'excluait  aucune  science,  aucun  pro- 
grès, aucun  degré  dans  le  domaine  de  la  connaissance.  Elle  a  été 
brisée  cependant,  sous  le  prétexte  d'affranchir  l'esprit  humain  de 
la  domination  sacerdotale.  Notre  science  sécularisée  a  dédaigné 
cette  sagesse  de  l'Église  disciplinant  les  connaissances  de  l'homme, 
les  plaçant  en  ordre  hiérarchique  pour  les  faire  tendre  au  bien 
parfait  qu'elle  leur  montrait  pour  but  suprême.  Ce  n'est  point  ici 
le  lieu  de  rechercher  si  l'on  a  gagné  ou  perdu  à  celte  émanci- 
pation ;  mais  nous  ne  saurions  dissimuler  le  mouvement  de  sym- 
pathie qui  nous  émeut  en  présence  de  cette  théorie  scientifique. 
Poursuivant:  saint  Bonaveniure  compare  l'initiation  scientifique 
de  l'homme  aux  sept  jours  de  l'œuvre  génésiaque,  il  voit  six  illu- 
minations successives  éclairer  l'entendement.  Mais,  ajoute  le 
maître,  ces  illuminations  sont  en  celte  vie,  et  elles  ont  leur  soir, 
car  toute  science  humaine  ,  incomplète  par  nature  ,  est  périssa- 
ble et  s'évanouit  devant  la  science  de  Dieu.  Mais  à  ces  six  jours 
de  labeur  mystérieux  succède  le  septième  jour,  le  jour  du  re- 
pos ;  or,  ce  jour  n'a  pas  de  soir,  car  les  illuminations  partielles 
des  sens  et  de  l'esprit  aboutissent  à  l'illumination  éternelle  de  la 
gloire,  qui  est  la  claire-vue  des  perfections  de  Dieu. 

Dans  la  synthèse  de  saint  Bonaveniure,  l'illumination  de  l'art 


(1)  De  reduclione  artis  ad  theologiam.  Nous  empruntons  ce  passage  au  re- 
marquable essai  de  iM.  labbé  Sagette  sur  l'art  chrétien. 


ilXi  inSTOIIiK     l»L     L  AKCIIITECTl'KE    SlACRtI;. 

curres|>on(i  ù  la  iroisiùiiir'  illuniinalioii  ^énésiaque  duns  la  syn- 
thèse do  la  crénlion  :  la  si'irjralion  du  la  terre  d'avec  l'eau ,  la 
^oniiinalioii  des  |tlanli's  cl  des  arbres. 

Avaiii  «lue  dr  romnu'iutr  le  pieux  [ù'Ierinage  auquel  M.  Bla- 
vignac  nous  convie  à  travers  les  édilices  sacn-s  de  noire  pays, 
il  dcvail   «^iT'e    accordé  ircvcxpicr  <|ucl<)ucs  souvenirs  de    celle 
|)hilosopliie  niysti(]uc  du  moyen  àgc,  cl  d'inditpur  le  rôle  assi- 
gné à  l'un  par  une  civilisation  religieuse  (pii  contiait  la  nialière 
à  des  mains  consacn-es  el  la  faisait  servir  à  l'enseignement  des 
choses  invisibles.  Aussi  bien  M.  Blavignac  nous  y  invile  lui-même 
p;«r  la  graviie  de  son  œuvre  el  le  respect  avec  le<|uel  il  s  aj)pro- 
che  de  ces  monuments  inspiri'S  à  nos  ancêtres  par  leur  foi.  Il  ne 
méprise  point  une  religion   unie  par  d'/lroils  liens  aux  |»liases 
liistori(jues  les  plus  glorieuses  pour  notre  patrie.  Cet  exemple 
d'impariialitt-,  de  respect  pour  la  vérité  el  les  convenances,  tou- 
che d'autant  plus  que  chez  nous  il  esl  plus  rare  ;  il  honore  le 
caractère  de  l'auleur  et  il  contribuera  ,   nous  en  avons  la  con- 
fiance ,  à  étendre  le  succès  d<'  son  œuvre.    Mais  M.  iJlavignac  ne 
se  contenle  pas  de  purs  respects  extérieurs  ;  il  n'a  pas  tardé  à 
reconnaître  que  |intir  comprendre  les  nionumeiils  callioliques  el 
p('nelrer  le  symbolisme  qui  les  anime  ,  il   laut  étudier  les  dog- 
mes et  les  enseignements  de  la  doctrine  qui  les  inspira;  cVstce 
qu'il  fait  avec  la  simpliiiie  la  plus  louable  el  la  droiture  la  plus 
complète.  Aussi  M.  IJIaxignac  parle  avec  (onnaissance  de  cause. 
Chez  lui,  poinl  «le  paroles  ininielligenies,  point  de  ces  ignoran- 
ces si  grossières  «pi'on  les  dirait  calculées,  lesquelles  déparent 
les  écrils  d'iiisioriens  <pii  se  veulent  dire  graves,  ceux  de  Sis- 
mondi,  par  exemple.  Il  n'imagine  pas,  parce  qu'il  s'agit  «les  ca- 
tholicpies  el  des  vieux  ienq)les  qui  ont  reçu  pendant  des  siècles 
la  prière  de  nosan«ètres  et  recueilli  leurs  ossements,  qu'il  doive 
élre  moins  comptable  d'exactitude  ,  moins  désintéressé  de  pré- 
ventions injustes,  (pie  ces  voyageurs  qui  d«crivcnl,  aux  applau- 
dissements de  l'Kurope  savante,  les  mu'urs  el  les  coutumes  reli- 
gieuses des  Assyriens  et  des  Ilindotis.    Le  sentiment  qui  dirige 
l'auteur    se  caractérise  dans  ce  verset  du  Psalmiste   par  lequel 
il  termine  sa  préface  :  Domine  dilcxi  decorem  domus  tu(r. 

Le  livre  n'est  que  le  commentaire  animé-  de  ces  belles  paro- 


HISTOIRE    DE    L'ARriIlTECTIJRE    SACRÉE.  297 

les  ,  et  ce  n'est  pas  une  des  moindres  surprises  du  Icclcur  que  do 
oonslatcr  une  si  inlinic  connaissance  du  sujet  chez  un  prolestant. 
Il  faut  s'attendre  à  loui  autre  chose  qu'à  une  aride  nomenclature  ; 
M.  niavif^nac  est  anunc,  par  ses  études  consciencieuses,  à  prcs- 
soniir  toute  la  grandeur  de  la  liturgie  cailiolique,  dont  les  cdi- 
flces  sacrés  qu'il  décrit  avec  tant  de  zèle  ne  sont  que  l'expression 
symbolisée.  11  couipi-cnd  aussi  que  rarchiteclure  est  le  premier 
des  ans,  que  les  autres,  tels  que  la  peinture  cl  la  sculpture,  n'en 
sont  que  les  accessoires  et  les  dérivés  :  deux  considérations  qui 
nous  forcent  d'étendre  encore  un  peu  ces  prolégomènes,  car  elles 
sont  majeures  pour  établir  la  notion  exacte  du  rôle  social  de 
l'architecture  dans  la  civilisation  chrétienne  au  moyen  âge. 

L'architecture  est  le  premier  des  arts;  vérité  dillicile  à  faire 
comprendre  aujourd'hui  que  la  construction  des  édifices  n'est, 
pour  l'ordinaire,  qu'une  atfaire  de  spéculation,  exclusive  de  toute 
notion  du  beau,  où  les  combinaisons  d'un  certain  goût  frivole  et 
mesquin  seules  s'unissent  à  l'idée  du  confortable  et  de  l'avanta- 
geuse disposition  des  parties.  Parmi  nos  bâtisseurs,  si  experts 
dans  les  procédés  de  ventilation  et  la  manière  de  disposer  un  ca- 
lorifère ;  si  habiles  pour  gagner  de  la  place  et  calculer  les  agen- 
cements d'un  cabinet  de  toilette,  combien  qui  aient  le  sentiment 
d'une  conception  architecturale  comme  œuvre  d'art,  combien 
qui  comprennent  que  pour  bâtir  un  édifice  il  faut  en  avoir  l'idée 
présente  et  vivante  dans  l'esprit,  avant  que  de  la  réaliser,  sous 
peine  de  pécher  par  les  proportions,  d'élever  une  œuvre  incohé- 
rente, sans  unité,  sans  harmonie  ,  sans  style,  de  ne  Jamais  réus- 
sir, enfin  ,  à  provoquer  chez  le  spectateur  cette  satisfaction  que 
procure  la  vued'un  monument,  quelque  petitqu'il  soit,  où  les  con- 
venances sont  observées  et  le  goût  satisfait.  Qu'on  pardonne  ces 
expressions  chagrines;  mais  ne  trouvent-elles  pas  leur  ex:cuse  au 
moment  où  la  spéculation  bâtit  à  Genève  une  ville  nouvelle  qui 
pourra  ressembler  à  New- York  ,  à  Saint-Étienne  ou  à  San-Fran- 
cisco;  maisqui  paraîtra  singulièrement  déchue  de  beauté  en  pré- 
sence des  hôtels  qui  couronnent  si  avantageusement  les  collines 
de  la  ville  haute.  Ceci  fait  comprendre  l'indifférence  profonde  du 
monde  moderne  pour  l'architecture  et  l'absence  de  sensation  du 
peuple  en  présence  des  monuments.  Il  n'en  était  pas  ainsi  au 


298  IIISTUIKE    UL    L\R(:illTE(m'RE    SACRÉE. 

nu)\«Mi  iiic.  Le  peuple  alors  éuiil  n)ieu\  iraiié.  C'est  pour  1rs 
priiis,  |>oiir  les  painrcs,  pour  les  i^^noranls  (jue  l'arl  clir«îlien 
prt^le  au  lio^^nie  son  exposiiiou  ,  à  la  fui  son  lan^a^e,  à  la  |)rière 
}>es  foniuiles  saisi^sanles.  Knire  Us  mains  de  iK^lise,  l'arl  elait 
devenu  l'auxiliaire  d«'  la  parole,  un  organe  de  prédication,  un 
acte  public  de  religion.  Et  voyez  quelle  union  intime  entre  la  li- 
turgie, celte  voix  |)eruianenle  de  l'Kglise  ,  et  les  uionumenls  sa- 
crés qui  ne  sont,  en  dt'liniiive,  (jue  la  réalisation  sensible  de 
ses  intentions  et  de  son  langage. 

Gir  l'Église  cailioli(pic  est  vraiment  le  icmple  du  Dieu  vivant. 
Jésus-Cliiisi  y  esl  adore  en  espi  il  et  en  vérilé.  Conime  l'aigle, 
rliaque  année  elle  renouvelle  sa  jeunesse.  Le  lidèle  ,  conduit  par 
le  cycle  lilurgi(|uc,  itariicipe  sans  cesse  à  une  action  dont  la  per- 
sonne de  M.  S.  Jésus-C!irisi  est  le  cenlie  et  le  nioliile.  L'année  li- 
turgique, c'est  la  manifeslaiion  périodique  de  Jesus-Christ  et  des 
niyslères  de  sa  \ie  «lans  l'Lglise  et  dans  l'âme  lidèle.  C'est  ainsi 
que  «lurant  les  quatre  semaines  de  l'Avent ,  avec  les  patriarches 
et  les  proplièles,  le  (  hréiicn  attend  la  venue  du  Messie  promis, 
prédit  el  ligure.  Arrise  la  pleniiiule  des  tenqts,  le  (lirist  nait,  il 
habile  parmi  nous,  et  le  lidèle  s'unit  an\  bergers  et  aux  rois  [wur 
l'adorer  dans  les  abaissenients  ile  la  crèche.  Puis  il  le  voit  jeû- 
nant au  désert ,  prêchant  sur  la  montagne  ,  enseignant  la  multi- 
tude, expirant  sur  le  Gdvaire,  ressuseilant  le  troisième  jour, 
montrant  ses  plaies  aux  disciples ,  remontant  à  la  droite  de  son 
Père;  il  a(comi>agne  les  saintes  ft>mmes  dans  les  stations  de  la  voie 
<louloureusi' ;  il  va  aM-(le\anl  de  lui  avec  Madt-leine  au  malin  de 
larésurreciioii  ;  il  passe  avec  les  Apôtres  dix  jours  tians  le  Cénacle, 
lenq)s  de  retraite  (|ui  se  termine  par  l'elVusion  de  l'Kspril  Saint 
et  par  l'élablissemcnl  delinilil  d(;cttl<'  société  des  enfants  de  Dieu 
qui  doit  durer  et  rormcr  des  élus  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles. 

Tel  esl  le  culte  d'amour,  de  vénération  el  de  lideliié  (pic  l'E- 
glise catholique  a  voue  à  la  pers(»nne  de  Jésns-dbi  ist.  .lésus- 
Christ  est  là  présent;  il  n'y  a  plus  de  ligure,  plus  (ratienle  ;  il 
y  a  la  réalité.  El  dans  cet  ttrdre  de  cérémonies  si  niervrilleuse- 
meni  proportionné  pour  satisfaire  tous  les  besoins  spirituels, 
toutes  les  aspirations  de  l'homme ,  adQiirons  la  mansuétude  de 


IllSTOIIir.    DE    l'akCHITECTUUE    SACIlKi;.  21)0 

l'Église  (|ui  parle  si  bien  le  langage  des  pauvres  el  des  faibles, 
mais  ne  soyons  |>as  moins  toucbé  do  la  liberté  laissée  aux  intel- 
ligenees  cultivées  dans  ce  symbole  qui  ne  gène  aucun  élan  de  l'es- 
prit, bien  qu'il  assigne  des  linnles  à  l'étonduc  de  sa  domination.  Jé- 
sus-Cliiislse  laisse  toucher  el  comprendie  par  l'âme  humble  qui 
ne  lui  ollVccpie  les  mérites  cacliésd'u!!  cœur  obéissant,  de  même 
<|u"il  ouvre  un  horizon  infini  de  clarté  au  savant  (pii,  franchissant 
dans  les  voies  ch;  la  justice  tous  les  degrés  duanonde  sensible  au 
monde  intelligible  ,  airive  à  voir  Dieu ,  qui  est  la  fin  dernière 
de  la  raison  comme  la  récompense  de  toute  vertu. 

Ces  vues  rapides  sur  le  cycle  liturgique  feront  comprendre  la 
puissance  du  culte  catholique  comme  action  sociale;  elles  feront 
comprendre  aussi  quelle  impulsion  le  génie  catholique  devait  don- 
ner à  l'élément  artistique  s'appliquant  à  bâtir  le  temple  destiné 
à  contenir  l'assemblée  des  chrétiens.  La  maison  de  prière  par 
excellence  est  sortie  de  terre  à  la  voix  de  l'Office  divin  ;  c'est  lui 
qui  a  déterminé  ce  pUm  synd)olique,  ces  longues  perspectives, 
ces  innombrables  détails  de  l'œuvre  dont  chacun  a  un  sens  pro- 
fond et  exprime  une  intention  traditionnelle. 

Par  l'avènement  du  christianisme,  l'art  devait  se  transformer. 
L'Évangile  ne  vint  pas  anéantir  les  règles  naturelles  de  l'esprit 
humain,  mais  rendra  leur  terme  providentiel  possible.  «11  ne 
»  vint  pas,  ainsi  que  le  disait  naguère  un  admirable  philoso- 
»  phe  (1),  détruire  l'ancienne  loi,  mais  l'accomplir;  de  même  il 
»  ne  vient  pas  détruire  le  fruit  humain  de  la  pensée  philosophi- 
»  que,  mais  le  mûrir.  Il  opère  dans  l'esprit  humain  et  son  im- 
»  périssable  philosophie  précisément  la  même  révolution  qu'il 
»  opère  dans  l'éternelle  et  universelle  religion  du  cœur  humain.» 
L'art,  qui  avait  jeté  une  si  brillante  lumière  dans  la  civilisation 
antique,  partagea  ces  nouvelles  destinées.  Le  paganisme  avait 
fait  régner  dans  l'art  la  forme  sur  l'idée,  la  matière  sur  l'esprit. 
M.  Thiers,  à  coup  sur,  entre  les  esprits,  l'un  des  moins  accessible 


(1)  Pliilosopfiie  de  la  connaissance  de  Dieu,  par  le  R.  P.  Gmiry,  de  l'O- 
ratoire. 


'M){\  IIISTOIRF.     DF     LAr.riIlTKrTrRE    SICRÉE. 

au  onsiicismc  it'lii;ieu\ ,  en  esl  frappé,  il  dit  (^1)  de  Tari  ancien 
qu'il  esl  doué  d'un  corps,  cl  l'an  modorno  ti'unc  âme. 

L'art  j^rec,  si  pur,  si  correci,  si  parfait  dans  son  liori/on  limité, 
n'cnlévo  pas  l'Iioinme  aux  ré;,'ions  du  naturalisme.  Hien  ne  fait 
penser  au  ciel  dans  la  condinplation  des  lijçnes  extpiises  du  Par- 
tlienon.  La  sculpture  de  Phidias,  ce  Kapliuel  de  l'an  grec,  at- 
teint sans  doute  un  jjrand  (aractère  de  béante  plastique;  mais 
M.  Fortoul  a  raisou  en  disant  ipie  p(»nr  les  artistes  de  telle  épo- 
que (2)  «  riiomiue  ne  lut  qu'un  animal  plus  i)eau  que  les  autres, 
»  et  la  Ic^le  «pi'une  des  parties  de  cet  animal  ;  elle  fui  traitée  non 
■  pas  comme  le  miroir  des  passions,  mais  comme  un  membre  ac- 
»  cessoin;  s(>ud)lable  aux  autres  «'l  destiné  seulement  à  complé- 
»  ter  avec  eux  l'Iiarmonie  d(;  l'ensemble.»  Il  était  réservé  à  l'an 
chréiim  il'aci  order  au  visage  liumaiti  toute  sa  valeur,  d'en  faire 
l'objet  suprême  île  s«'s  éludes  et  d  en  troubler  la  trancpiille  sur- 
face pour  y  peindre  les  désirs,  les  jîeosées,  les  résolutions,  en 
un  mol  toutes  les  alVeclions  de  rame, 

L'é'lement  chrétien  Iransportc  immédiatement  1  arl  dans  les 
régions  de  l'idéal.  Pour  les  catholi(|ues,  une  église,  c'est  l'image 
du  ciel,  c'est  la  figure  mysii(|ue  du  corps  de  Jésus-Christ ,  c'est 
le  svmbole  de  la  .ItMiisalmi  lelesle  dont  les  nuirs  se  construisent 
tous  les  jours  au  milieu  de  imus,  mais  dnnl  la  dédicace  n'aura  lieu 
qu'à  la  fin  des  temps.  Kmu  de  [)areilles  pensées,  on  ne  sera  pas 
surpris  de  l'impulsion  déterminante  que  le  clirisiianisme  im- 
priuje  aux  arts.  Dès  les  catacombes,  je  vois  «e  peuple  souterrain, 
mêlé  d'esclaves,  d'affranchis,  d'étrangers,  ce  peuple  que  Pline  et 
Tacite  méprisent,  je  le  vois  s'emparer  de  rarchitecture ,  de  la 
sculpture  et  de  la  peinture,  introduire  partout  le  symbolisme,  ce 
langage  ligure,  cet  elforl  de  IhoniMie  i  apiif  sous  son  enveloppe 
terrestre,  pour  faire  reluire  la  pensée  sous  l'image  et  l'idéal  sous 
le  réel  ;  ce  sont  d'abord  des  ouvriers  ignorants  ,  travaillant  à  la 
hâte,  et  sous  la  menace  de  la  mort;  mais  bientôt  le  ciseau  chré- 
tien devient  plus  libre  ,  plus  fécond  ,  et  au  moment  où  les  pros- 


(\)  Dr  la  proprii-tr,  clr. 

(5;  De  l'art  en  Allrmanm-,  pir  H.  Forlonl ,  loni.  II.    Nimvcllc  Ihéuric  de 
lurt  f.rt'c 


iiisToir.i:   Dr.   i/auciiitecii  rvn  sacwéc.  301 

crits  paraissent  à  la  lumière,  ils  apporieni  avec  eux  loulo  une  ci- 
vilisation 01  tout  un  an  nouveau.  «  Pendant,  dit  Ozanam(l),  que 
»  les  nuirailles  de  la  ville  éternelle  s'ébranlent  sous  les  béliers, 
»  et  que  les  Goihs  et  les  Vandales  entrent  par  la  brèche  ;  pendant 
»  que  k's  Barbares  enlèvent  juscju'aux  toitures  de  plomb  et  jus- 
»  qu'aux  portes  d'airain;  au  moment  oîi  il  semble  que  tout  soit 
»  peiilu  ,  l(;s  sépultures  sacrées  des  catacombes  soulèvent  pour 
»  ainsi  dire  le  sol  et  produisent  ces  admirables  basilifiues  de  Saint- 
»  Paul  hors  les  murs,  de  Sainte-Marie-Majeure  et  tant  d'autres 
»  qui,  du  quatrième  au  Ireizièmesiècles,  recueillirent,  réunirent 
»  et  sauvèrent  tous  les  arts.  Au  lieu  de  la  poésie  des  écoles,  il  y 
»  eut  la  poésie  des  monuments.  Pendant  que  la  société  ancienne 
«périssait,  la  basilique  fut  le  centre  d'agrégation,  le  refuge 
»)  d'une  société  nouvelle;  et  il  fallait  que  le  seul  lieu  où  une  pen- 
»  sée  morale  rassemblait  encore  les  hommes,  les  accoutumât  à 
»  l'ordre  et  à  la  règle,  qu'ils  en  sortissent  obéissants  et  discipli- 
i>  nés.  La  lumière  des  sciences  et  des  arts  menaçait  de  s'éteindre  ; 
»  il  fallait  que  la  basilique  conservât  dans  ses  pierres  mêmes  un 
»  enseignement  populaire  capable  d'éclairer  les  esprits  et  d'é- 
i  mouvoir  les  imaginations  ;  il  fallait  que  les  hommes  en  sortissent 
»  instruits  et  charmés,  pour  qu'ils  y  revinssent  avec  amour,  comme 
»  en  un  lieu  où  ils  trouvaient  le  vrai  et  le  beau.  Pour  réaliser 
"  l'idc'al  de  ce  temps,  une  église  devait  contenir  toute  une  ihéo- 
»  logie  et  tout  un  poème  sacré.  » 

C'est  à  ce  n)oment,  c'est  au  quatrième  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne que  M.  Blavignac  ouvre  l'histoire  des  monuments  sacrés 
des  trois  diocèses  de  Lausanne,  de  Genève  et  de  Sion.  C'est  au 
moment  où  expire  la  société  antique  dans  la  Suisse  romande  qu'il 
commence  son  pèlerinage  patient  à  travers  des  ruines,  des  pier- 
res effacées,  des  vestiges  ignorés  dont  il  a  restitué  l'origine  véné- 
rable. Rome  a  ouvert  nos  forêts  agrestes  à  la  civilisation  par  ses 
colonies  et  ses  municipes  ;  elle  a  fait  plus  encore  ,  elle  a  envoyé 
des  apôtres  par  toutes  les  routes  de  l'empire ,  et  le  souvenir  de 
nos  premiers  évêques  se  mêle  naturellement  à  ces  premiers  es- 
sais de  l'art  chrétien.  Il  était  donc  juste  de  rendre  hommage  aux. 

(1)  Poètes  franciscain».  Cliap.  l". 

19 


30'2  lIISTOinF     Df    t'ARCUITECTtRE    SACREE. 

oiiMicis  ilt'a  caiacojubis,  tar  ce  sont  eux  qui  ont  parlé  les  pre- 
miers celte  laoyuc  ina^'iiiliciue  df  l'arl  iM-yciifre,  el  le  sMnItolisnie 
que  leur  inspira  leur  foi  nous  arrive  en  mt^nie  lemps  que  la  se- 
mence de  la  divine  doctrine  pour  laquelle  ils  répandirent  leur 
sanK- 

Edouard  Dufresise. 


(La  /in  au  numéro  yrochatn.\ 


LETTRE  A  Il\  PROIESTAM 


LE  CULTE  DE  LA  SAIXTE  VIERGE. 


Placé  ,  par  l'indépendance  de  voire  caractère  et  l'équité  de  vos 
sentimenls,  au-dessus  des  préjugés  du  vulgaire,  vous  permettez  à 
vos  adversaires  d'exposer  librement  les  croyances  qui  peuvent  être 
en  opposition  avec  les  vôtres.  Vous  faites  plus,  vous  les  respectez , 
vous  les  honorez.  Et  souvent  je  vous  ai  vu  ,  frappé  par  la  justesse 
d'une  ex[)licalion  franche  et  convaincue,  rendre  hommage  à  la  pu- 
reté des  doctrines  catholiques,  et,  ledirai-je?  envier  parfois  le  bon- 
heur et  l'immuable  sérénité  dont  nous  jouissons  sous  l'autorité  ma- 
ternelle de  l'Église. 

C'est  cette  noble  impartialité  de  vos  sentiments,  si  rare,  hélas! 
de  nos  jours,  qui  m'encourage  à  vous  adresser  aujourd'hui  quelques 
réflexions  sur  une  des  doctrines  catholiques  le  plus  étrangement 
défigurées  par  les  adversaires  de  notre  foi.  Je  veux  parler  du  culte 
que  l'Église  rend  à  la  Vierge  ]\Iarie. 

Le  croirait-on?  nous  sommes  encore  entourés  de  personnes  qui, 
de  la  meilleure  foi  du  monde,  grâce  aux  préventions  dont  elles  ont 
été  nourries  dès  l'enfance,  sont  persuadées  que  nous  adorons  la 
Vierge  Marie.  Nous  avons  beau  leur  exposer  la  vérité  de  notre  doc- 
trine, les  engager  à  vérifier  par  elles-mêmes  si  dans  l'enseignement 
catholique  il  y  a  un  seul  mot  qui  puisse  autoriser  une  telle  accusation  ; 
tout  est  inutile.  Leurs  convictions  sont  arrêtées;  rien  ne  les  fera 
changer.  Nous  nous  résignerions  facilement  à  la  calomnie  ;  nous  ne 
prétendons  pas  être  plus  privilégiés  que  les  i)remiers  chrétiens  ; 


30  1  I.KTTRf.    \   r?t    PROXP^TA-ST. 

iiiaiN  il-  «jui  c-il  iloiiloiiiLMix  à  pL'tJSfr,  c'est  (|uo  par  une  espère  de 
«  oiiipoiisation  ,  leiix  (|ui  nous  accusciil  ti'adurvr  la  N'iergc,  l'ij  arri- 
vent à  éprouver  pour  elle  un  véritable  éloignemcnt.  Ils  ne  s'a- 
vouent  pas,  sans  doute,  la  cause  de  celle  aversion  ;  mais  cette  avcr- 
sioti  existe.  Nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de  le  con- 
stater. Or,  il  est  impossil)le  (]ue  des  hommes  qui  s'honorent  du 
nom  de  chrétiens  puissent,  sans  encourir  le  re()roclie  du  la  plus 
criminelle  incor»séqucnce ,  persister  à  étoufler  dans  leur  cœur  les 
sentiments  les  plus  naturels  et  les  |tlus  léfriiimes  envers  Celle  qui  a 
élé  choisie  pour  être  la  mère  du  Sauveur. 

Vous  ne  partagez  pas  cette  aberration  ,  je  le  sais  cl  le  reconnais 
avec  bonheur.  Mais,  avouez-le ,  notre  alTectioii  pour  Marie  vous 
étonne,  vous  scandalise  même.  Ou,  si  votre  indulgence  vous  porto 
à  excuser  une  tendresse  qui  vous  parait  irréfléchie,  ce  n'est  qu'une 
concession  (jue  vous  faites  ;1  noire  faiblesse  ;  vous  vous  reprocheriez 
sûrement  de  partager  nos  crovances  et  nos  afTeclions. 

C'est  contre  une  telle  disposition  d'es[)rit  que  je  voudrais  pou- 
voir vous  prémunir,  en  vous  exposant  les  molifs  et  les  raisons  sur 
lesquels  se  fonde  noire  culle  de  dé\olion  à  la  ^  ierge  Marie.  J'en 
ai  l'assurance,  si  vous  pouviez  vous  défaire  de  l'influence  de  vos 
traditions,  si  vous  pouviez  un  instant  secout;r  les  préjugés  de  l'édu- 
cation, si,  en  un  mol,  vous  pouviez  être  parfaitement  libre  de  toute 
préoccupation  anii-calholique ,  et,  dans  cet  état  d'impartialité  ab- 
solue, méditer  dans  rf-icrilure  les  grandeurs  de  la  Mère  du  Sau- 
veur, il  n'est  pas  douteux  (|ue  voire  Ame  émue  ne  découvrit  dans 
le  texte  sacré  des  profondeurs  qui  jusque-lù  avaient  échappé  à  vos 
regards,  et  qui  vous  ré>éleraient  soudain  des  trésors  inatlendusde 
lumière  et  de  vérité. 

La  Bible  est  sans  r«'sso  dans  vos  mains;  mais  ne  peut-il  }■  avoir 
des  paroles  auxquiîlles  vous  n'avez  pas  attaché  toute  l'importance 
(pi'elles  méritaient?  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  y  a-l-il  un  chré- 
tien (pii  puisse  se  flaller  d'avoir  pénétré  et  coujpris  la  |)orlée  «le 
ces  simples  mots  :  (•  .Mai  ie,  de  laquelle  eut  ttc  Jèsm,  qui  est  appelé  le 
Christ?  »  Je  ne  sais,  mais  il  mu  semble  que  cette  seule  énonciation, 
dans  sa  concision  sublime,  donne  mie  telle  idée  de  la  gloire  et  de  la 
grandeur  de  Marie  ,  que  l'esprit  en  demeure  confondu.  Oui,  ces 
simples  paroles,  qui  contiennent  tout  le  mystère  de  notre  salut,  sonl 
insondables  tians  leur  profondeur  !  C'est  de  Mnrie  «ju'est  né  le  Christ! 
C'est  dans  son  sein  (ju'il  a  pris  celte  chair  qui  devait  unir  notre  bu- 
inanilé  ;\  la  divinité  !   I.c  corps  adorable  de  Jésus  a  élé  réellement 


i.r.nwr.  \  i  >  ri\0Ti;ST\>T.  305 

formé  du  sang  et  de  la  chair  de  Marie!  Et  elle  a  pu  dire,  en  parlant 
de  son  divin  lils ,  ce  qu'Adam  a  dit  de  la  compagne  que  Dieu  lui 
présenlail  ;  «  Voici  los  os  de  mes  os  cl  la  chair  de  ma  chair!  »  De- 
vant de  Iclios  considéralioris,  on  comprend  pres(nierclTroi  religieux 
du  jansénisle  Saint-Cyran,  et  on  serait  tenté  de  s'écrier  avec  lui  : 
«  Que  les  grandeurs  de  la  Vieige  sont  lerriblcrs!  »  Loin  de  nous, 
cependant ,  ce  malheureux  esprit  qui  ne  trouve  que  des  motifs  de 
terreur  là  où  l'enfant  de  l'Église  catholique  ne  saurait  voir  qu'un 
sujet  de  confiance  et  d'amour  !  Mais,  dans  son  erreur  môme,  le 
sentiment  de  Port-llojal  prouve  du  moins  à  quel  point  les  sublimes 
prérogatives  de  la  Mère  du  Sauveur  ont  pu  frapper  des  esprits  qui, 
par  leur  nature,  n'étaient  certes  pas  portés  au  facile  enthousiasme 
que  l'on  reproche  tant  aux  catholiques. 

Mais  avant  de  poursuivre  dans  l'Évangile  la  recherche  des  titres 
qui  recommandent  si  expressément  Marie  cà  l'amour  des  chrétiens, 
ouvrons  l'Ancien  Testament,  et  arrêtons-nous  quelques  instants  à 
l'entrée  de  la  Genèse.  Nous  pourrons  y  entrevoir  l'immense  part  de 
gloire  réservée  à  la  bienheureuse  Vierge  dans  les  conseils  de  la  Sa- 
gesse éternelle.  C'est  au  moment  de  la  chute  du  premier  homme,  c'est 
lorsque  toute  espérance  de  bonheur  est  perdue  à  jamais  pour  l'hu- 
manité, que  Dieu,  n'écoutant  que  sa  miséricorde  inflnie,  a  déjà  dé- 
signé le  Sauveur  qui  rachètera  la  race  condamnée  et  lui  rouvrira  le? 
portes  du  ciel.  Le  serpent  avait  triomphé  de  la  femme,  mais  il  sera 
vaincu  par  la  Femme.  Dès  lors  ,   la  mission  de  Marie  est  arrêtée. 
«  J'établirai,  dit  l'Éternel  au  serpent,  l'inimitié  entre  toi  et  la  fem- 
me, entre  sa  race  et  la  tienne.  »  Quelle  est  cette  femme?  Est-ce  la 
malheureuse  Eve  qui  vient  précisément  de  succomber  par  la  sé- 
duction de  l'Esprit  du  mal?  Quelle  est  cette  race  ennemie  du  serpent? 
Est-ce  la  race  perverse  des  hommes  dont  les  crimes  vont  bientôt 
appeler  sur  le  monde  un  déluge  vengeur?  Évidemment  non.  La 
femme   qui  doit  écraser  la   tête   du  serpent,  et  dont  rmi/m^'e  ne 
pourra  laisser  s'établir  aucun  rapport  entre  elle  et  le  démon,  c'est  la 
Vierge  bienheureuse  qui  sera  annoncée  par  les  prophètes,  c'est  celle 
que  le  ciel  saluera  plus  tard  comme  la  bénie  entre  les  femmes!  —  La 
race  de  la  femme ,  séparée  de  la  race  du  serpent  par  une  inimitié 
éternelle,  c'est  Jésus,  et  en  Jésus  toute  la  grande  famille  des  chré- 
tiens. 

Ainsi  se  dessinent,  dès  l'origine  des  temps,  les  deux  grandes  di- 
visions qui  se  partageront  le  monde  :  les  enfants  de  Dieu  et  les  en- 
fants des  hommes  ;  la  cité  de  Dieu  et  la  cité  du  démon. 


3(H»  l,tTTf\K    V    l  >    PR(»TF.STà:1T. 

Maiiili-nanl,  csl-il  possilile  de  ne  pas  voir  dans  Marie  la  iiuiMcllc 
tivc  dcslinée  à  réhabiliter  la  femme  déchue?  Kl  |)ouvuMS-noiis,  si 
nous  fçéniissons  au  souvenir  du  pcclu'  cnlrr  dans  le  monde  par  la 
faute  de  la  première  k\c,  ne  j)as  bénir  i'Kve  de  la  nouvelle  alliance, 
par  laquelle  la  grdcc  cl  le  salut  nous  ont  été  donnés? 

Tt'Ile  a  été  la  doctrine  constante  de  rf^f,'lise.  Parcoiirei  les  écrits 
des  l'ércs  ;  sans  cesse  vous  les  verrez  revenir  sur  cette  pensée,  a  H 
fallait,  dit  le  saint  marlvr  Irénée,  que  le  genre  humain  ,  condamné 
i\  mort  [)ar  um^  vierpc,  fut  aussi  délivré  par  «inc  vierpe  ..  1.  Vous 
\o\e/  dans  ces  paroles  le  sentiment  des  temps  apostoli  |ues  :  car, 
vous  le  savez,  saint  Irénéo,  Tillustre  évéquc  qui  a  porté  la  foi  dans 
les  Gaules,  était  le  disciple  de  saint  Poiwarpe,  (|ui  lui-même  était 
le  disci|)le  de  l'évangiéliste  saint  J»'an.  'i'erlnllien  dit  A  son  tour,  en 
parlant  de  la  part  (|ue  la  femme  a  eue  à  notre  perte  :  «  Il  était  né- 
cessaire que  ce  qui  avait  été  perdu  par  ce  sexe  fût  ramené  au  salut 
par  le  njémc  sexe  >'  [i].  l-À'oulez  encore  le  grand  saint  Augustin  : 
«  Par  une  femme  la  mort,  nous  dil-il,  et  par  une  femme  la  vie  ;  par 
Eve  la  ruine,  par  Marie  le  salut.  Per  feminam  mors,  per  feminam 
rita  ;  per  Erain  intcritus,  per  Marinm  mlus  »  (3).  Tous  les  autres  Pè- 
res ont  parlé  dans  le  même  sens. 

«  Il  était  donc  certainement  convenable,  remarque  Bossuet,  que 
»  Dieu  ()rédestin;U  une  nouvelle  î^ve  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam  ; 
»  afin  de  donner  à  la  leire,  au  lieu  de  la  race  ancienne  qui  avait 
»  été  condamnée  ,  uwc  nouvelle  postérité  i|ui  fût  sancliliée  par  la 
»  grâce.  » 

I-l  à  l'appui  de  celte  doctrine  si  snintc  et  si  ancienne  de  T^iglise, 
écoulez  ce  parallèle  entre  f-^ve  el  .Marie.  Je  laisse  la  parole  à  Bos- 
suet :  «  L'ouvrage  de  notre  corruption  commence  par  fcve,  Pou- 
»  vraj^e  de  la  réparation  par  Marie;  la  parole  «le  mort  est  portée  h 
»  iîlve,  la  |)arole  do  vie  ;\  la  sainte  \'ierge;  Kve  élait  vierge  encore, 
"  et  Marie  est  vierge  ;  Eve  encore  vierge  avait  son  époux,  et  Marie 
n  la  vierge  des  vierges  avait  son  époux  ;  la  malédiclion  est  donnée 
»  à  flve,  la  bénédi<  lion  à  Marie  :  •  Vous  éte>  bénie  entre  toutes  les 
»  femmes  »;  un  ange  de  ténèbres  s'adresse  â  îilve,  un  ange  de  lumière 
..  parle  à  Marie;  l'an^ic  de  ténèbres  veut  élever  \'.\c  A  tme  fausse 
»i  grandeur  en  lui  faisant  affecter  la  divinité  :  <'\ous  serez,  lui  dit- 


(i)  Cuiiira  llirrcs.  lil».  V.  I<). 

(5)  Oc  ramfi  Chrisli,  n.  17. 

(3)   Dr  l^jmb.  atl  Calrclnim.  S«rm.  ^ 


LETTUI-;   A  ni  PROTESTAIT.  307 

»  il,  comme  des  dieux  ;  »  Tange  de  lumière  établit  Marie  dans  la 
»  véritable  grandeur,  par  une  sainte  société  avec  Dieu  :  «  le  Sei- 
»  gncur  est  avec  vous,  »  lui  dit  Gabriel  ;  l'ange  de  ténèbres  par- 
).  lanl  à  Kvc  lui  inspire  un  (lt'ssi>in  de  rébellion  :  f<  Pourquoi  est-ce 
»  que  Dieu  vous  a  commandé  de  ne  point  manger  de  ce  fruit  si 
»  beau?  »  L'ange  de  lumière  parlant  à  Marie  lui  persuade  l'obéis- 
»  sance  :  «  Ne  craignez  point,  Marie,  lui  dit-il  ;  et,  Kien  n'est  im- 
»  possible  au  Seigneur.  »  Eve  crut  au  serpent  et  Marie  à  l'ange.  De 
»  cette  sorte,  dit  Tertullien,  une  foi  pieuse  efface  la  faute  d'une  té- 
»  méraire  crédulité,  et  «  Marie  répare  en  croyant  à  Dieu  ce  qu'Eve 
»  avait  ruiné  en  croyant  au  diable.  »  Enfin,  pour  achever  le  mys- 
»  1ère ,  Eve,  séduite  par  le  démon,  est  contrainte  de  fuir  devant  la 
»  face  de  Dieu, -et  Marie,  instruite  par  l'ange,  est  rendue  digne  de 
»  porter  Dieu.  Eve  nous  ayant  présenté  le  fruit  de  mort,  Marie 
»  nous  présente  le  fruit  de  vie  ;  afin ,  dit  saint  Irénée  ,  écoutez  les 
»  paroles  de  ce  grand  martyr,  «  afin  que  la  Vierge  Marie  fût  l'avo- 
»  cale  de  la  vierge  Eve,  «  ut  virgitiis  Evœ  virgo  Maria  feret  adiocala, 

V  Après  un  rapport  si  exact,  continue  Bossuet ,  on  ne  peut  dou- 
»  ter  que  Marie  ne  soit  l'Eve  bienheureuse  de  la  nouvelle  alliance  ; 
»  qu'elle  n'ait  la  même  part  à  notre  salut  qu'Eve  a  eue  à  notre 
»  ruine,  c'est-à-dire  la  seconde  après  Jésus-Christ  ;  et  qu'Eve  étant 
»  la  mère  de  tous  les  mortels ,  Marie  ne  soit  la  mère  de  tous  les 
»  vivants.  »  (1) 

Voyons  maintenant  dans  l'Évangile  l'accomplissement  des  hau- 
tes dcsiinées  réservées  à  Marie. 

L'habitude  de  lire  et  d'entendre  répéter  des  paroles  merveilleu- 
ses qui  n'ont  été  adressées  à  aucune  autre  créature  ne  saurait  affai- 
blir le  sentiment  d'attention  et  de  respect  avec  lequel  nous  devons 
les  méditer. 

Ne  craignons  donc  pas  de  revenir  sur  ces  paroles  :  «  Le  Seigneur 
est  avec  vous...  Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes.»  Ce  sont 
les  paroles  de  Dieu  même,  ne  l'oublions  pas.  C'est  l'envoyé  de  Dieu 
qui  s'acquitte  d'un  message  divin  ;  —  il  n'est  que  l'écho  fidèle  de  la 
voix  du  Seigneur.  C'est  donc  Dieu  lui-même  qui  se  plait  à  procla- 
mer la  primauté  de  cette  créature  choisie  entre  toutes  les  créa- 
tures. Et  remarquez  la  confirmation  de  cet  oracle  sacré  dans  la 
bouche  d'Elisabeth.  «Remplie  du  Saint-Esprit,  elle  s'écrie  à 
haute  voix  :  Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes!  »  Sera-ce 


(1)  4™*  Sermon  pour  la  fête  de  l'Annonciation. 


3UiS  IIITK»;    A    11    IT.OTtSrVNT. 

sans  (lu  prufuiidc»  ruisoii.s  que  rtvaiigilu  a  pris  buiii  de  iiou;»  appren- 
dre ci'Uo  remarquable  circonstance?  VA  ne  dirail-on  pas  que  le 
Saint-Ksprit ,  en  dunnanl  une  nouvelle  consécraliun  aux  paioles 
prononcées  par  ran;;e  d«i  Scîi^neur,  a  voulu  les  graver  plus  profon- 
dénienl  encore  dans  le  cœur  des  clirétiens? 

Je  voudrais  pouvoir  vous  faire  |)arlager  i'iinpre»ion  (|ue  pro- 
duisent sur  moi  ces  autres  paroles  de  sainte  Élisalietli  :  <•  Kl  d'où 
mo  vient  ceci,  (|ue  la  .Mcre  île  mon  Sci;;neur  vienne  jiisi|u'ù  n>oi  !  « 
En  eiïet,  la  joie,  la  confusiiMi  devant  un  lel  honneur,  le  respect,  l'af- 
fection, une  sainte  humilité,  tout  est  contenu  dans  celle  exclama- 
tion (jtii  révèle  si  haiiltMncnl  la  [gloire  inelTaltlt;  de  Marie! 

Oiiant  au  suhlini(;  canli(|iie  de  la  \  ier<;e,  i<  Mon  âme  glorilîc  le 
Seigneur,  »  je  sais  ([ue  vous  Tadmircz  sincèrcmcnl,  et  que  vous 
ùles  frappé  de  ses  beautés.  Mais  qu'éprouvez-vous  en  lisant  ces  pa- 
roles inspirées  :  »  J'uutrs  lc!>  (ji'm'ratiiitis  m'appellcrotit  biettlicureuse! u 
De  bonne  foi,  peul-on  dire  que  c'est  à  la  Uéforme  qu'appartient 
l'honneur  d'accomplir  celle  i)rophélic?  A'ons  ne  le  prétendez  pas  1 
l'oiir  nous,  au  contraire,  nous  proclamons  avec  bonheur,  avec  or- 
gueil, qu'à  l'Église  catholique  seule  est  réservée  celte  auguste  mis- 
sion. C'est  dans  son  sein  (|ue  se  sont  succédées  sans  rel;\che,  et  quo 
se  succéderont  jiixju'à  la  iin  des  siècles  /<".s  yènénttiomi  <|ui  appelle- 
ront Marie  la  Hienheureusc  et  la  Hénie  entre  toutes  les  femmes. 

N'est-ce  [»as  là,  au  fond,  tout  le  culte  de  Marie?  l*euton,  en  cé- 
lébrant son  bonheur  el  sa  gloire,  ne  pas  être  animé  pour  elle  des 
sentiments  de  la  vénération  la  plus  profonde  et  de  l'amour  le  plus 
pur?  Et  dés  (ju'on  la  vénère  et  (ju'on  l'aime,  à  cause  des  liens  pri- 
viléj;iés  qui  l'unissent  si  étroitement  à  l'auteur  de  notre  salut,  peul- 
on  ne  pas  mettre  en  elle  une  conliance  sans  bornes,  ne  pas  implo- 
rer le  secours  de  ses  puissantes  |)riéres  auprès  de  celui  qui  a  voulu 
être  son  fils  P  Où  voyez-vous  une  autre  créature,  parmi  lous  les  saints 
cl  les  esprits  célestes,  (|ui  ait  les  mêmes  droits  à  l'amour  de  toutes 
les  générations?  Non,  ce  sentiment  lilial  si  unanime  dans  sa  durée 
comnn;  dans  son  extension,  n'est  pas  le  fui  il  d'une  pieuse  illusion. 
Il  y  a  dans  cet  accord  cl  celle  perpéluilè  un  de  ce>  caractères  sai>is- 
sanls  qui  n'appartiennent  qu'à  la  vérité.  Le  chrétien,  frère  de  Jé- 
sus-Christ,  ol  uni  par  des  liens  mystérieux  ,  mais  cITectirs,  à  la 
mère  de  rHuminc-Dieu.  Marie,  nous  le  répétons  avec  toute  Vti- 
glise,  .Marie  e.sl  réellement  et  véritablement  notre  mère  ! 

«  Voilà  ta  mûre  !  u  Ce  sont,  en  effet,  les  dernières  paroles  de  Jé- 
•us  mourant  sur  la  croix  ;  c'est  le  testament  suprême  par  lequel,  on 


I.ETTni-    A     l.\     PI'>OTESTA>(T.  309 

nous  atloptanl  coniiiic  ses  IVères,  il  a  voulu  proclamer  la  sublime 
mali'iiiilé  (Je  Marie;  sur  tous  les  cluéliens.  Kt  il  confirme  celle  al- 
liance sacrée  en  nous  présentant  à  Marie  dans  la  personne  du  disci- 
ple fidèle  qui  a  suivi  son  maître  jusqu'à  la  croix  :  «  Femme,  voilà 
ton  fils!  »  Car,  vous  le  sentez  sùrenienl  comme  nous,  il  est  impos- 
sible d'attacber  un  sens  restreint  et  purement  de  circonslance  à  des 
paroles  divines  prononcées  dans  un  tel  nionienl.  Ce  serait  nier  la 
perpétuité  el  la  vie  de  la  Parole  éternelle.  Non,  nous  ne  nous  abu- 
sons pas!  Nous  savons  bien  que  cV-st  à  nous  qu'elles  sont  adressées... 
à  nous,  du  moins,  si,  comme  le  disciple  bien-aimé,  nous  nous  pres- 
sons avec  Marie  au  pied  de  la  croix  de  Jésus.  Car  c'est  là,  surtout, 
que  nous  éprouverons  les  effets  de  cet  amour  maternel  dont  nul 
cœur  catholique  ne  peul  méconnailre  la  puissance. 

Dites-le  moi ,  ne  comprenez-vous  pas  maintenant  que  nous  ai- 
mions d'une  aCfeclion  toute  spéciale  la  bienheureuse  mère  du  Sau- 
veur? Et  ne  sentez-vous  pas  que  noire  amour  pour  Jésus-Christ, 
loin  d'en  recevoir  la  moindre  atteinte,  n'en  est  que  plus  tendre  et 
plus  profond?  Car  tout  se  rapporte  à  Jésus-Christ  dans  le  culte  que 
l'on  rend  à  ses  saints.  C'est  lui  que  l'on  aime  en  les  aimant,  en  les 
vénérant.  L'Église,  depuis  sa  naissance,  n'a  jamais  varié  dans  celte 
doctrine.  En  honorant  les  martyrs,  elle  honorait  les  serviteurs  fidè- 
les qui  avaient  donné  leur  vie  pour  Jésus-Christ  ;  en  vouant  un 
culte  d'afTeclion  filiale  à  Marie,  elle  vénérait  la  femme,  bénie  entre 
toutes  les  femmes,  qui  avait  porté  Jésus-Christ  dans  son  sein,  l'heu- 
reuse mère  qui  l'avait  nourri  de  son  lait,  celle,  en  un  mot,  qui  te- 
nait à  Jésus-Christ  par  des  liens  dont  aucune  relation  sur  la  terre 
ne  saurait  représenter  l'excellence. 

Hélas  !  vous  partageriez  encore  avec  nous  celle  vénération  sécu- 
laire pour  la  Vierge  bénie,  sans  les  déplorables  divisions  qui  ont 
déchiré  le  sein  de  l'Église!  Oui,  si  la  Réforme  n'avait  pas  rejeté 
l'une  des  plus  consolantes  doctrines  de  la  foi,  vous  penseriez  encore 
avec  bonheur  aux  «  amis  que  vous  avez  dans  le  ciel,  »  à  ces  amis 
dont  l'ardente  charité  s'intéresse  à  votre  sort  éternel,  à  ces  amis 
qui  offrent  sans  cesse  vos  prières  à  Dieu,  et  qui,  avec  les  saints  an- 
ges, se  réjouissent  à  chaque  nouveau  progrès  que  vous  faites  dans 
la  voie  du  salut  !  Aussi,  j'admire  souvent,  pardonnez-moi  ma  fran- 
chise, la  facilité  avec  laquelle  vous,  qui  tenez  tant  à  votre  indépen- 
dance, vous  pouvez  vous  soumettre  sans  examen  à  toutes  les  déci- 
sions des  réformateurs.  Quoi!  parce  qu'il  aura  plu  à  Lulheret à 
Calvin  de  décréter  que  désormais  nulle  relation  n'existerait  plus 


.TIO  lETTIiK    A    TM    PROTr5TA\T. 

ciidf  ïe^  haltilaiilh  du  ciel  cl  les  habitants  du  la  Icrrc,  il  s'ensuivra 
({u'iin  >ilence  de  murt  doit  s'i^lablir  entre  des  Ames  vivantes  ut  ini- 
niorlciles  créées  |)mir  j»'ainH'r  élernellemenl  ?  Il  faudra  ({u'unu  froi- 
deur glaciale  succcile  aux  saints  transports  de  la  charité?  (juu  l'in- 
difTérence  cl  Tuiibli  reniplacenl  lunles  les  aiïucliuns  les  plus  pures 
et  les  plus  légiliine.s?  Quoi!  lu  Sauveur  vous  aura  dit  :  •  Aiinez- 
>ous  les  uns  les  autres...  m  o  C'est  à  votre  amour  mutuel  ({ue  l'on 
reconnaitra  que  vous  «Mes  mes  disciples;  »  et  ces  prtVcples  divins, 
i|ui,  a\ec  l'amour  de  Dieu,  renfernu'ut  tout  le  chri»linnisme,  seront 
(lé.sormais  restreints  à  la  durée  épluMuére  des  rapports  terrestres? 
Il  \ous  sera  défendu  d'aimer  vos  frères,  jiarcu  que  plus  heureux 
que  \ous,  ils  vous  auront  précédés  dans  la  patrie  éternelle'?...  Non, 
vous  ne  [touvez  le  penser  I  C'est  lu  courage  ({ui  vous  manque  peul- 
étre  pour  briser  les  entraves  dont  on  a  voulu  enchaîner  la  liberté 
de  vos  Ames  ,  mais  certes,  vous  en  gémissez  douloureusement  !  J'en 
appelle  à  vos  aspiratiiuis  vêts  les  êtres  chéris  (|ui  ont  été  enlevés  à 
votre  amour.  \  otre  cœur  ne  vous  trompe  pas  :  ils  vivent,  ils  vous 
entendent  ;  et  s'ils  sont  dans  le  sein  du  Dieu,  ce  n'est  sûrement  pas 
par  l'insensiltililé  (ju'ils  répondent  à  vos  larmes  cl  à  vos  regrets! 
Eh  bien  1  comprenez  donc  aussi  (|ue  la  mère  de  Jésus,  la  mère  des 
chrétiens,  ne  peut  pas  non  plus  être  insensible  à  l'immense  concert 
de  tendresse  et  d'amour  qui  s'élève  vers  elle  depuis  plus  de  dix- 
huit  sii-cli's  !  Oo\ez,  je  >ous  en  conjure,  croyez  à  r.itliimalion  des 
innombrables  enfants  de  l'I-lglise  ,  dans  tous  les  temps  el  dans  tous 
le."  lieux,  lorsqu'ils  vous  diront  la  douceur  infinie  de  ces  communi- 
cations crhvslrs,  lorsipTils  vous  diront  les  consolations  el  les  grdccs 
sans  noml're  accordées  à  la  prière  et  A  la  foi  ! 

Ici,  c'est  une  heureuse  mère  dont  l'enfant  \  ieni  d'être  rendu  nu- 
ra(  uliMisement  à  la  vie  et  à  la  santé;  là,  c'est  un  jiMine  homme  qui, 
au  nioment  de  céder  à  ses  passions,  a  été  retenu  sur  le  bord  de  l'a- 
biine,  el  qui  se  sent  renaître  à  l'honneur,  A  la  religion;  plus  loin, 
c'e.st  un  pécheur  repentant,  lii.-r  encore  l'ennenii  de  Dieu,  el  loul 
étonné  aujourd'hui  d'avoir  >enti  >on  co'ur  de  jtierru  se  fondre  sous 
rinduence  irrésislible  d'une  force  inconnue.  Interrogez  ces  chré- 
tiens; ils  savent  bien,  dans  leur  IiomIhmm.  (|ue  tontes  ces  grAcesonl 
été  accoril«'e>  par  l'enlrenuM'  de  Marie.'.  Maiie,  à  la  deujande  de  la- 
quelle lu  Sauveur  axait  opéré  son  premier  miracle  aux  no<M>s  do 
Cana  ,  alors  ménn;  (|ue  <>  .son  heure  n'était  pas  encore  venue,  » 
(Jean  II,  '»;,  Marie  se  charge  en«ore  aujourd'hui  de  présenter  A  .son 
Fils  lus  humbles  prières  do  ses  enfants.  Kl  les  catholiques  peuvent 
dire  si  leur  confiance  n  jamai<;  été  trompée! 


F.KTTRE  A   V^   PROTESTA?«T.  31  ( 

Aussi,  lii  rccomiaissaiicc,  une  reooiiuaissarice  tpie  chaque  siècle 
voit  s'accToihe,  se  nianifesle-t-elle  incessaninieul,  dès  l'origine  du 
chrislianisinc,  sous  toutes  les  formes  et  par  tous  les  moyens  qu'une 
ingénieuse  piété  peut  inspirer  à  l'amour  filial  le  |)lus  tendre  et  le 
plus  dévoué.  ï.es  arts,  l'éloquence,  la  poésie,  toutes  les  facultés  de 
l'os|)ril  humain  somhicnt  se  réunir  dans  l'élan  d'une  mémo  pensée, 
pour  donner  au  ciel  un  témoignage  de  la  gratitude  qui  anime  tous 
les  cœurs. 

Sous  l'invocation  de  Marie,  le  sol  se  couvrira  de  sanctuaires  et 
de  temples  magniliques  qui  transmettront  jusqu'à  la  fin  des  dges  la 
foi  des  chrétiens  et  leur  conGance  dans  la  mère  du  Sauveur  ;  les 
cités  catholiques  se  feront  gloire  d'appartenir  à  Marie,  et  graveront 
sur  leurs  murs  l'acte  de  leur  consécration  à  celte  douce  souveraine; 
le  pinceau  ,  le  ciseau,  le  burin,  retraceront  à  l'envi  son  image  ,  et 
sous  l'influence  de  ce  divin  modèle,  les  Fra  Angclico,  les  Pérugin, 
les  Raphaël,  animés  de  la  même  foi  qui  avait  produit  les  artistes 
des  catacombes ,  légueront  à  l'admiration  du  monde  leurs  inimita- 
bles chefs  d'œuvre  ;  la  mélodie  sacrée  trouvera  pour  elle  ses  accents 
les  plus  suaves  et  les  plus  purs,  et  inspirant  les  Palestrina  et  les  Per- 
golèse,  associera  la  terre  aux  concerts  des  angi^s  ;  enfin  ,  son  nom 
bien-aimé,  objet  de  la  vénération  universelle,  se  multipliera  telle- 
ment parmi  les  filles  des  hommes,  que  nulle  d'entre  elles  bientôt  ne 
voudra  être  déshéritée  de  ce  glorieux  talisman  :  tandis  que  l'É- 
glise, heureuse  de  l'unanimité  de  ses  enfants  et  veillant  dans  sa 
sagesse  à  maintenir  leur  ferveur  sous  les  règles  de  la  discipline, 
s'unira  à  ces  témoignages  de  piété  filiale,  et  rappellera  dans  sa  li- 
turgie, dans  ses  prières,  dans  ses  fêtes,  les  gloires  et  les  douleurs  de 
la  mère  du  cruciOé. 

Vous  le  voyez ,  il  n'y  a  dans  le  culte  de  l'Église  pour  la  Vierge 
Marie  rien  que  de  parfaitement  raisonnable,  rien  que  de  juste,  rien 
que  de  rigoureusement  orthodoxe,  quand  on  a  conservé,  d'accord 
avec  tous  les  siècles,  la  croyance  aux  communicalions  entre  le  ciel 
et  la  terre;  en  un  mot,  quand  on  a  foi  (ainsi  que  le  proclame  le 
Symbole  des  Apôtres),  à  «  la  communion  des  Saints.  » 
'  Maintenant  vous  trouverez,  c'est  possible,  que  nous  sommes  trop 
expansifs  dans  notre  affection  pour  Marie.  Que  voulez-vous?  Tout 
le  monde  n'a  pas  la  même  manière  d'aimer.  Je  suis  même  prêt  à 
convenir,  si  vous  y  tenez,  que  la  piété  catholique  a,  dans  son  es- 
pression  ,  quelque  chose  de  l'abandon  et  de  la  foi  candide  de  l'en- 
fance. Je  ne  saurais  m'en  alarmer,  je  l'avoue;  surtout  lorsque  je 


.{  I  2  I.KTTIlK    \    Vr*    ni()TESTA:iT. 

vois  dans  l'Évangile  des  paroles  comme  celles-ci  :  «  Si  vous  ne  de- 
venez comme  de  pelib  enfants,  vous  n'entrerez  pas  dans  le  royaume 

dos  cioux »   «  Je  vous  rends  grdce  ,  mon  pero ,  de  ce  que  vous 

ave/ lacbê  CCS  cliost'.s   aux   sages  et   aux  havanls  ,  cl  que  >ous  les 

avez  révélées  aux  humbles  et  aux  pelils >  Du  reste,  il  vous  est 

loi^iltle  d'aimer  la  N'ierge  Marie  sévércmciil,  gravement,  et  sans 
manifeNlcr  au-Jdiors  le  senlinicnl  profond  qui  remplira  votre  cœur. 
L'essentiel,  ^et  (jiie  je  serais  heureux  si  ce  peu  de  lignes,  si  indignes 
du  sujet  (|u'ellcs  traiteul,  pouvaient  dissiper  quelques  préventions, 
réveiller  (pichpies  douces  pensées  !  )  l'essentiel  est  q»ie  vous  aimiez  1 
l*ensez  donc  souvent,  j'ose  vous  en  prier,  ;i  la  mère  de  Jésus-Christ  ; 
méditez  sur  les  gr;kes  inellubles  qu'elle  a  reçues  de  Dieu,  aimez- 
la  ;  cl  puis Dieu  fera  le  reste  ! 

A. 


MÉLAXCES  ET  NOUVELLES. 


CiE!%ÈVE.  —  !\ouTeIlcs  coiiférenccs  ««ar  la  Toi  ré- 
rorinéc.  —  L'Église  nationale  convoque  ses  ouailles  à  une  se- 
conde série  de  conférences.  Le  succès  de  haine  et  de  scandale  ob- 
tenu l'an  dernier  était  propre  à  entretenir  le  zèle.  Aussi  ne  som- 
mes-nous point  surpris  do  voir  le  Consistoire  et  la  Compagnie  des 
pasteurs  préparer  leurs  fidèles  à  une  nouvelle  exhibition  de  dia- 
tribes contre  l'Église  catholique. 

L'an  dernier  nous  avons  suivi  exactement  ces  discours,  et  nous 
en  avons  donné  à  nos  lecteurs  une  fidèle  analyse.  Au  milieu  de  la 
décrépitude  du  système  protestant,  c'était  chose  curieuse  que  de 
voir  les  ministres  de  Genève  oser  affirmer  quelque  chose,  émettre 
une  déclaration  de  principes  :  eux  qui  depuis  si  longtemps  se  re- 
tranchaient dans  un  mutisme  commode  et  dans  les  nuages  du  la- 
liludinarismc  le  plus  conséquent.  Avant  que  d'arriver  au  temple, 
nous  savions  d'avance  que  penser  de  cette  prétendue  déclaration 
de  principes  ;  il  était  évident  que  sous  prétexte  de  s'affirmer,  le  pro- 
testantisme national  ne  cherchait  qu'une  occasion  nouvelle  de  faire 
une  manifestation  anti-catholique.  On  a  vu  celte  haine  distillée  en 
six  longs  factums  écrits  par  six  minisires  différents  qui  avaient  as- 
sumé la  tâche  de  résumer  une  fois  de  plus  les  diatribes  que  la  Ré- 
forme oppose  depuis  trois  cents  ans  au  catholicisme.  On  a  vu  ce 
tissu  de  négations  où  aucune  doctrine  ne  prenait  corps,  si  ce  n'est 
une  ombre  de  la  doctrine  de  la  jusliGcalion  parla  foi  seule,  ce  dé- 
bris de  l'immoral  système  de  la  prédestination  auquel  le  protes- 
tantisme ne  peut  échapper,  encore  qu'il  le  veuille.  On  a  vu  un  de 
ces  ministres ,  plus  franc  que  les  autres,  proclamer  que  la  division 


M  \  MÉLA>GLS   hl    XHVKI.1.E*. 

des  esprits  est  un  bien  ;  que  c'est  là  la  f;luire  et  le  dernier  terme  du 
proj^rès  ri'foiini'  ;  qu'il  n'y  a  pas  de  vérité  intégrale  rn  «e  niundc  ; 
(|ue  Jésus-Christ  n'a  puinl  annuncé  (ri^vaiigiie  iuiiiuialiic ,  el 
que  les  protestants  qui  se  veulent  soustraire  à  cette  loi  inévita- 
ble du  projjrés,  ne  sont  (pic  des  ratholiqucs  inconsé(|uonls.  On  a 
vu,  au  milieu  de  ces  divagations  ranaU(|ucs,  uti  seul  fait  clairement 
apparaître  ,  c'est  la  connivence  perpétuelle  du  protestantisme  avec 
les  ferments  révolutionnaires  (|iii  déshonorent  la  société  el  la  fra|H 
pent  de  déchéance.  On  a  vu  celte  main  fraternelle  tendue  à  travers 
les  ;4{;cs  à  tous  les  misérahlo  qui  ont  renié  l'ï^j^lisc  et  ses  dof^mes, 
à  toutes  les  sectes  ignobles  ipii  ont  étalé  devant  le  monde  des  doc- 
trines malfaisantes,  sectes  que  la  société  a  été  obligée,  sous  peine 
de  péril,  de  combattre  par  la  force,  comme  le  soci:disme  contem- 
porain. On  a  vu  ces  élans  de  sympathie  pour  le  libéralisnu;  le  plus 
irréiléchi  ;  sympathie  pour  la  révolution  sous  toutes  ses  forniess 
parce  que  la  révolution,  partout  cl  loujour>«,  alUupuî  l'ï-lglise  catho- 
lique ;  sympathie  pour  les  enfants  |)ordus  de  tous  les  |)ays,  pour  les 
réfugiés  de  toutes  nations,  parce  (juc  c'est  dans  ces  rangs  déchris- 
tianisés (jue  la  propagande  prolesUinle  reciule  le  plus  facilement 
des  âmes  vénales,  les  seules  anjouni'hui  (jui  aillent  à  elle. 

Voilà  ce  (|ue  nous  avons  dû  raconter  l'an  dernier  à  nos  lecteurs; 
et,  en  dernière  analyse,  il  a  fallu  dénoncer  le  mobile  purement  po- 
litique (|ui  fait  agir  les  mini>lres.  Ces  serviteurs  de  ri;\  angile  ré- 
formé sont  avant  tout  les  soutenants  d'une  cause  temporelle.  Les 
événements  et  la  force  des  choses  entraînent  Genève  vers  de  nou- 
velles dcslinées.  IJicntôt  le  protestantisme  ne  sera  plus  dans  notre 
ville  qu'une  opinion  retranchée  dans  le  domaine  de  la  conscience; 
il  ne  peut  plus  prétendre  ù  in)primer  un  caractère  à  la  nationalité, 
a  violenter  les  intelligences,  à  infliger  à  une  |)opulation  désormais 
libre  dans  ses  allures  le  symbole  h\|»nrrile  de  son  prétendu  libéra- 
lisme. Il  ne  p'ut  plus  rien  de  tout  cela.  Or  cela,  le  prole.slanlismo 
organisé  par  Calvin  sur  les  débris  de  l'ancienne  population  déci- 
mée par  l'exil  et  la  ()ersécution,  il  l'a  fait  durant  lrui>  siècles,  et  il 
ne  fallait  pas  s'attendre  à  ce  <|u  il  renonçât  sans  combat  à  une  posi- 
tion acquise  et  gardée  au  prix  de  tant  d'eflorts  de  toute  nature. 

Les  confeiences  de  IH.'iii  étaient  un  programme  polilicpu*  destiné 
a  réveiller  le  fanaliMue  des  vieux  |)roleslants.  Celles  de  1H,")V  ont 
pour  dessein  de  prolonger  l'agitation  fomentée  et  de  lui  r onimuni- 
rpier,  s'il  est  possible,  un  caractère  plus  positif  encore  de  haine  acri- 
monieuse «il  de  prosélytisme  turbulent.    l>'ailleur>,  ne  faut-il  pas 


I1ÉIANGE5   ET  NOUVELLES.  315 

réchauffer  le  zèle  pour  alinienler  la  caisse  de  la  Société  des  Intérêts 
;)ro//'.^/M/i/}!?  Maintenant  que  l'on  a  constitué  avec  une  j)oif(née  de  mi- 
sérables étrangers  un  culte  à  tllievrans,  {,'ràce  à  Tappui  des  baïonnet- 
tes j^ouvernementales,  les  espérances  s'exaltent.  Déjà  l'on  a  institué 
une  école  dans  le  village  tout  catlioli(|ue  de  N'illette,  et  des  émis- 
saires ourdissent  des  intrigues  dans  tous  les  endroits  du  voisinage, 
et  ils  sont  nombreux  !  où  la  misère  des  temps  facilite  l'accès  d'une 
aumône  accompagnée  de  suggestions  prosélytiques.  La  population 
protestante  parait  toujours  disposée,  elle  veut  bien  subir  encore 
l'impulsion  donnée  :  il  faut  derechef  frapper  un  grand  coup. 

Sur  les  six  ministres  conférenciers  de  l'an  dernier,  le  Consistoire 
en  a  conservé  quatre;  M.  Tournier  a  été  mis  à  l'écart,  probable- 
ment par  défaut  d'àpreté  et  de  véhémence.  M.  Munier  remplace 
M.  Jaquet ,  et  ce  choix  est  significatif.  M.  Alunier  est  un  ancien 
pasteur  retiré;  il  a  toujours  joué  un  rôle  prépondérant  dans  les  af- 
faires politiques  du  parti  conservateur  ;  il  est  le  boute-feu  des  con- 
sciences aristocratiques.  Quoique  très-passionné  dans  son  carac- 
tère, il  sait  cacher  son  ardeur  sous  des  dehors  habiles.  Aussi  ne 
s'est-il  pas  compromis  des  premiers  dans  l'agitation  actuelle.  En 
homme  prudent,  il  s'est  tenu  à  l'écart;  il  a  d'abord  lancé  et  dirigé 
ses  lieutenants.  Puis,  l'été  dernier,  il  a  organisé  la  Société  des  //i- 
téréls  protestants.  Maintenant  que  le  mouvement  anti-catholique  a 
acquis  toutes  les  proportions  qu'il  peut  avoir,  M.  Munier  paraît  au 
grand  jour,  et  il  se  met  en  tète  de  la  phalange  des  ministres  mili- 
tants. 11  faut  que  la  haine  du  catholicisme,  ou  plutôt  que  la  passion 
de  commander  et  de  diriger  un  mouvement  soit  bien  puissante  chez 
M.  Munier,  pour  qu'il  se  soit  décidé  à  sortir  de  sa  retraite.  Car 
M.  Munier  est  du  nombre  des  ministres  qui ,  pendant  longtemps, 
ont  affecté  les  doctrines  les  plus  vagues,  les  moins  attachées  à  un 
symbole  définitif.  Il  était  du  parti  qui  avait  imposé  le  silence  tou- 
chant la  divinité  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ.  Jamais  son 
dogmatisme  n'a  offensé  personne,  si  ce  n'est  ceux  qui  étaient  assez 
intolérants  pour  oser  s'attacher  à  quelque  chose  de  positif.  A  l'en- 
droit des  catholiques,  souvent  il  eut  de  bonnes  paroles,  même  une 
sorte  de  bienveillance;  il  est  vrai ,  bien  suspecte  aujourd'hui.  Eh 
bien  !  cet  homme  qui  avait  gardé  jusqu'à  présent  les  dehors  d'une 
prudente  et  politique  réserve,  le  voilà  qui  devient  chef  de  parti. 
MM.  Oltramare  et  Bungener  le  contraignent  de  se  mettre  à  leur 
tète  :  c'est  tout  dire. 

11  n'est  point  dans  notre  intention  de  donner  cette  année  une 


MC)  MÉLANGES  ET  KOUVKLLES. 

nnaivsc  d»^tailléi'  dos  conférences  ;  ce  serait  nous  exposer  à  tics  rc- 
diles  fali^anU's.  Si  Messieurs  les  niinislres  ne  se  lassent  pas  de  ré- 
péter les  mêmes  mensonges  et  d'enfler  leurs  discours  des  mêmes 
caluninics,  nous  avouons  franchenient  n'avoir  [tas  la  patience  do 
fournir  la  nu*'nu'  cours»*.  Avec  des  ^cns  (|ui  ne  savent  pas  se  respec- 
ter et  (|ui  n'ont  nul  souci  do  la  vt'rilé,  la  réfutation  est  inutile;  il 
suflil  de  caiactéristT  en  peu  de  mois  l'attilude  <pi"ils  veulent  pren- 
dre. D'ailleurs  ces  .Mes>ieurs  puMierotil  leui>  discours;  il>  auront 
garde  du  laisser  la  lumière  sous  le  boi.sseau.  il  sera  temps  alors  de 
revenir  sur  (pu'Kpics  détails,  s'il  parait  nécess.iire. 

M.  Hunj,'ener,  cette  fois  encore,  a  ouvert  la  lice.  Ce  romancier, 
dont  la  critique  protestante  et  catholique  vient  de  sifller  le  dernier 
écrit,  est  pour  le  Consistoire  Tlionnue  des  justilicalions  hi>tori(pics. 
C'est  justice  ;  un  pareil  personnage  est  liien  di^ne  déU'vor  le  fron- 
tispice de  ce  temple  du  mensonge  qu'on  nomme  l'église  réformée. 
Toujours  préoccupés  de  poli(i(|ue,  les  ministres  no  cessent  d'évo- 
(pier  les  souvenirs  de  la  vieille  (ienéve  dont,  osenl-ils  dire  :  la 
génération  actuelle  doit  maintenir  intactes  la  foi  cl  les  mœurs. 
Ce  cri  de  ralliement  est  maladroit  dans  son  insistance.  La  vieille 
(ienéve,  c'est  la  (îenéve  callioli(pie  ;  elle  exisia  douze  siècles  avant 
(ju'un  apostat  étranger,  un  transfuge  de  la  véritable  Kglisc  vint,  à 
la  faveur  de  troubles  politit|ues,  imposer  à  une  collection  de  réfu- 
giés le  joug  draconien  d'une  nationalité  fabriquée  de  toute  pièce, 
qui  n'eut  jamais  dans  le  sol  de  noire  pairie  de  racini^s  vivantes. 
C'est  le  catiiolicisme  qui  fonda  la  nationalité  de  (îenéve,  c'est  lui 
qui  a  couvert  le  pays  de  monuments  magnifiques,  témoignages 
sensibles  de  la  foi  de  nos  véritables  nneétres.  I,e  proleslan- 
tisme  fut  toujours  ici  un  produit  e\oli(|ue.  l'our  être  demeuré  (rois 
siècles  dans  une  enceinle  de  murailles,  il  n'a  pas  davantage  acquis 
It!  droit  de  pres«"riplion  qiu'  le  Turc  planté  sur  le  Pospliore.  I.es 
ministres  pourront  bien  égaler  les  ulenias  de  Constantinople  en  fa- 
natisme frénétique;  malgré  leur  babiit'té  humaine,  malgré  les 
inoven  temporels  dont  ils  disposent ,  ils  ne  retirderonl  pas  d'un 
siMil  instant  It;  résultat  d(*  la  dissolution  dot  Irinale  du  proleslan - 
lismc  :  l'hisloire  le  leur  dira  tout  à  l'heure. 

Après  celte  épiire  détiicatoire  au\  soutenants  du  proleslantismo, 
M.  iWingener  a  allirmé  (|ue  Jesus-(>hrist  n'a  poinl  fonde  d'église 
visible  avec  une  organisation  hiérarchique,  l.o  passage  :  Tu  es 
Pit-rre,  el  sur  celte  pierre  je  b.Uirai  mon  ^Iglise,  à  son  «lire,  est 
isolé  et  sans  valeur.  .\vec  de  pareilles  gambades,  on  peut  faire  d'un 


MÉl.V\(ii;S    r.T    > ou VI. LES.  317 

sujet  ce  (|ue  l'on  veut  et  passer  loul  à  son  aise  au  radicalisme  reli- 
gieux, ce  refuge  ullime  des  consciences  reformées.  L'Église  est  in- 
visible. Il  est  fort  heureux  pour  MM.  Bungener  cl  Cougnard  que 
Calvin  et  ses  successeurs  iraient  [)as  adopté  sou  sentiment,  vraisem- 
blablement alors  les  enfants  terribles  de  son  église  n'auraient  point 
aujourd'hui  la  faculté  de  prêcher  avec  autant  d'aise  et  devant  une 
foule  béate,  (pie  la  division  des  esprits  est  un  bien. 

Puis  M.  Bungener  a  fait  paraître  la  papauté  devant  le  tribunal 
de  son  histoire.  Le  sophiste  a  vécu  une  fois  de  plus  des  arguments 
condensés  depuis  le  seizième  siècle  par  les  ministres  réformés.  Saint 
Pierre  n'a  pas  été  à  Kome,  saint  Paul  ne  l'y  a  point  vu,  etc.  Puis 
diatribes  sur  les  Papes,  ces  usurpateurs  des  droits  des  nations  qui 
n'ont  rien  fait  de  bien;  enfin,  la  série  d'aménités  habituelles  énon- 
cées sans  preuves  aucunes.  Qu'on  juge,  par  une  seule  citation,  de 
la  valeur  morale  des  assertions  et  du  caractère  de  M.  Bungener.  Il 
a  essayé  d'enlever  aux  Papes  le  mérite  d'avoir  sauvegardé  l'indis- 
solubilité du  mariage  en  disant  qu'ils  auraient  favorisé  le  divorce 
quand  leurs  intéiéls  le  commandaient.  Comme  preuve,  il  a  affirmé 
sur  sa  seule  parole,  bien  entendu  :  que  le  Pape  avait  promis  d'a- 
vance à  Henri  VIII  de  prononcer  son  divorce.  Voilà  par  quels  con- 
tes en  l'air  les  ministres  essaient  de  purifier  les  immondes  origines 
du  protestantisme.  Ce  trait  seul  donne  la  mesure  de  M.  Bungener. 

Il  faut  que  ce  ministre  ail  dépassé  toutes  les  bornes  ;  car  il  est 
bruit  d'une  réprimande  que  les  membres  du  Consistoire  auraient 
administré  à  leur  romancier.  L'aversion  de  ces  Messieurs  pour  les 
catholiques  est  bien  forte  ;  cependant,  parmi  eux,  il  en  est  :  les  uns 
d'assez  avisés,  les  autres  d'assez  honnêtes  pour  sentir  tout  ce  qu'un 
pareil  langage  a  de  compromettant.  Aux  yeux  du  public,  ces  con- 
férences passent  pour  avoir  été  commandées  par  eux  et  avoir  ob- 
tenu leur  sanction  ;  or,  pour  qui  veut  avoir  la  réputation  d'homme 
grave,  il  est  malaisé  d'endosser  les  pamphlets  de  M.  Bungener. 
N'oublions  pas  que  le  Consistoire  est  en  entier  composé  de  conser- 
vateurs qui  doivent,  s'ils  n'ont  pas  perdu  le  sens,  être  fort  désa- 
gréablement impressionné  du  radicalisme  religieux  que  les  confé- 
renciers de  la  Madeleine  prêchent  avec  une  verve  si  peu  réfléchie. 
Nous  voudrions  bien  savoir,  par  exemple,  ce  qu'ils  pensent  de  cette 
doctrine  de  l'Église  invisible.  Assurément  ils  ne  croient  point  ap- 
partenir à  cette  Église-là.  Ils  doivent  se  considérer  avec  effroi,  eux 
pour  qui  la  religion  est  avant  tout  une  politique,  en  entendant 
énoncer  une  doctrine  que  l'Église  nationale,  jusqu'à  présent,  avait 

20 


;il8  UKI  VX.ES  F.T     >()rVF.I.I.ES. 

rt'l.''»iit'e  |tjimi  \v>  plus  aliMiiili-*  rliinu'H'>  du  inclhodisino.  Lc.s 
nio^ensdt!  prosi-lvlisim'  lic  tottc  «''glisr  invisible  sont  singuliiremerit 
terrcstrt'.s,  tutit  au  moins  lus  argnmrnis  mis  en  u>age  poui  grossir 
II*  (roupcnu  mvsli(|uc  le  soiil-ils  furl  pou  :  .MM.  (jobcrel  el  Vaucbcr- 
Mouclion  en  sa\ent  (iiiel(jue  clutse.  Nous  rTaxons  poitil,  d'ailleurs, 
a  faire  ressortir  ionguemenl  loul  ce  qu'il  v  a  d«'  ridicule  pour  le 
Consistoire  dans  ce  puéril  exercice  d'une  ombre  d'autorité  :  cela  au 
moment  où,  par  son  ordre,  on  enseigne  pnl)li(|uement  que  Jésus- 
Christ  n'a  institué  ni  égli>e,  ni  société  desliiu-es  à  se  per(»éluer  à 
travers  les  bommos.  Il  n'y  a  au  monde  que  des  protestants  gene- 
vois pour  dévorer  ce  (issu  d'absurdités  el  d'inconsé(|uences. 

M.t^uu^riard  .s'est  montré  rcneiguniéne  désordonné  de  l'an  der- 
nier. Cependant  on  l'a  trouvé  moins  brillant.  Oue  voulez-vous?  le 
S|)ectac!e  n'a  plus  le  mérite  de  la  nou\eauté. 

M.  Ollramaro  s'est  évertué  pendant  une  beure  A  démontrer 
que  Jésus-Cbrist  n'avait  |)oint  établi  de  sacrements,  qu'il  n'y  a  au- 
cun lien  permanent  entre  le  monde  naturel  et  le  monde  surnaturel, 
(pie  ce  sont  les  pré(r»'s  calbolicpie-.  ipii  ont  forgé  ces  inventions  pour 
extortiuer  de  l'argent  au  peuple,  etc.,  etc.  Ces  cboses-là  peuvent 
s'entendre,  mais  on  ne  nous  forcera  pas  à  les  répéter,  la  matière  a 
été  traitée  l'an  d«'rnier.  Quant  à  M.  Ollramare,  c'est  un  malheu- 
reux fanati(|ue  (juil  faut  laisser  se  débattre  dans  l'égortt  de  -a 
polémi(jue  et  compromettre  sa  dignité  dans  les  entreprises  du  plus 
ignominieux  prosél_\ lisme. 

—  .M.  le  ministre  tîabercl  a  su  prolitor  des  loisirs  que  lui  laissent 
les  faciles  succès  du  Casino(l),  pour  faire  part  à  ses  amis  de  France 
des  joies  do  son  c  iMir  et  des  belles  œuvres  du  proles|anti'>me  gene- 
vois. I.e  Lien,  ce  journalqui  rend  si  souple  le  réseau  de  l'orthodoxie, 
est  donc  enrichi,  au  11  mars,  d'une  correspondance  de  M.  tîaberel. 
Tout  naturellement,  le  minisire  historien  du  C.asino  est  trés-salisfait 
de  l'élat  florissant  îles  alTaires  dans  la  cité  de  Calvin.  Le  ban  et 
l'arriérc-ban  des  célébrilés  protestantes  de  noire  ville  ont  étécon- 
\o<|ués  à   Ij^  défense  de  l'édifice  cal.inisle  qui  menaçait  d'être  cm- 


(I;  Le  (;asii\.(  est  inu*  salle  nnbliipic  ilc  conceris.  I.cs  ntini.slrcâ  s'en  scr- 
vciil  pour  (Ikiiikt  des  cnurs  l^iutiilit-rs  où  ils  <léver<n-iit  rimlre  le  r.iltioli- 
ri>mc  Ifs  ralomiiics  ri  l.i  li;iinc  (|iii  ounl  |iii  lroii\or  pLirc  sous  le  couvert  des 
tfinplcs.  M.  (iidxTtl  s'\  est  ingénié,  cri  hiver,  il  juslilier  le  rij^orisme  calvi- 
nisie  qui  a  lu-sé  sur  (ïeuève  duraul  Irnis  siècles;  il  a  p.ii' là  luèine  trouve'  oc- 
casiiin  d  rxriler  raul:>j;i>iiisuir  prole<lnul  ronlre  les  nouveaux  venu»  du  enlho» 
licisme. 


MiaA>UES    Kl     .>OU\  EI.LLS.  3  I  î) 

porlé  d'assaut  par  le  calhollcismc.  Tout  le  monde  s'csl  exéculé 
avec  plus  t)ii  uiuins  de  bonne  <;i;\ce ,  el  une  charge  générale  a  été 
résolue  contre  l'inimorlel  ennemi.  Comme  toujours  on  s'est  montré 
fort  coulant  sur  ses  convictions  |)ersunn(:ll(;s  ;  on  les  a  immolées  bra- 
vement au  salut  de  la  cause  commune.  Chacun  a  été  mis  à  contri- 
buli(ui  pour  sa  spécialité,  et,  comme  on  sait,  M.  Gaberel  n'a  pas 
joué  le  moindre  rùle  dans  cette  croisade  où  se  distinguent  des  sol- 
dats de  toutes  armes.  Bien  qu'il  ne  dise  |  as  tout,  et  qu'il  connaisse 
l'à-propos  de  la  disciélion  ,  toutefois,  a\ec  une  salisfaclion  mar- 
quée ,  il  initie  son  public  à  bon  nombre  de  [)etits  mvslcres,  de  mé- 
diocres exploits  el  d'exubérantes  espérances.  On  senl  surtout  qu'il 
est  à  l'aise  sous  le  nouveau  gouvernement  ;  cette  liberté  outrée  du 
système  l'azy  el  ce  coinmoiicemenl  d'égalité  entre  catholiques  cl 
protestants  suffoquaient  évidemment  le  protestantisme  (car  tout  air 
gouvernemental  ne  lui  est  pas  respirabic]  ;  mais  aujourd'hui  !!  ah  î 
que  nous  nageons  dans  de  belles  eaux!  c'est  l'heure  du  réveil,  ou 
jamais  ;  c'est  le  soleil  des  triomphes  qui  se  lève;  il  faut  donc  rem- 
plir les  échos  de  toutes  les  trompettes  de  l'agression  ! 

Le  catholicisme  de  Genève  est  façonné  à  la  lutte.  Depuis  50  ans 
qu'il  est  ressuscité  ,  il  souffre,  il  résiste  et  il  avance  ;  s'il  n'a  jamais 
joui  des  doux  loisirs  de  la  paix  ,  il  n'a  non  plus  jamais  manqué  des 
gages  plus  doux  encore  de  la  victoire.  Tout  ce  bruit  el  tout  ce  mou- 
vement ne  nous  effraient  donc  qu'à  demi.  En  dehors  du  petit  trou- 
peau aux  gages  de  l'agitation,  se  condense  et  se  grossit  chez  nos 
frères  sé()arés  un  tiers-parti  qui  conçoit  tout  autre  chose  que  de 
l'estime  pour  les  auteurs  de  ces  excitations;  il  tournera  ses  sympa- 
thies ailleurs  qu'aux  assemblées  provocatrices  de  l'union  protes- 
tante. Outre  la  surcharge  d'ignominie  qu'assument  les  chefs  de 
celle  union,  et  à  laquelle  il  leur  sera  moins  facile  de  faire  face 
qu'aux  dépenses  exigées  pour  l'acquisition  d'àmes  vénales,  il  se 
forme  ,  nous  le  savons ,  une  opinion  générale  du  pays,  qui  fera  re- 
jaillir en  avantages  pour  le  catholicisme  toute  la  défaveur  dont  celte 
tacti(iue  sera  couverte  sous  peu  de  temps. 

Quant  à  la  lettre  de  M.  Gaberel,  elle  [)orte  un  caractère  trop  bé- 
nin el  étale  une  trop  pleine  béatitude  ,  pour  que  nous  osions  nous 
permettre  d'y  glisser  la  tristesse  par  un  revers  de  médailk.  Nous 
u'avons  que  quelques  simples  remarques  à  faire  sur  l'un  de  ses  su- 
jets de  triomphe,  pour  lequel  il  s'élaie  d'un  journal  mensuel  qu'il  est 
au-dessus  de  nos  forces  de  liie,  de  réfuter  et  même  de  nommer. 

Il  s'agit  d'une  traduction  de  l'Évangile  qui  est,  selon  les  amis  de 


320  MM  \N<.Fs  rr  Noi  >r.ii.KS. 

M.  (îaherel,  unelraduclioiicélcîbre,  el  qui,  cependant,  selon  M.(ia- 
bcrel  lui-mi^me,  a  élé  exhumée  toul  dernièrement  pour  enrichir  la 
controverse  protestante  d'un  |)ré(iiMi\  docninent.  I*a>.>ii'  pour  celte 
petite  coniradiclion.  tletle  édition  est  revéttu»  de  l'approbation  des 
docteurs  en  théologie  de  Paris,  et  cependant  elle  contient  quarante- 
deux  passages  falsiiiés  (sic] ,  dans  lu  sens  de  la  tradition  calboli- 
<iue. 

Quelle  bonne  aubaine  pour  les  héros  du  libre  examen  !  Vojons 
toutefois  si  cette  trouvaille  de  M.  Liolard  fera  avancer  d'un  bien 
grand  pas  la  controverse  en  leur  faveur. 

Nous  ne  pensons  nullemcnl  être  obligés  de  justifier  le  fait  de 
celle  traduction,  non  |ilus  que  son  approbation.  I.a  plume  du  P.  Vé- 
ron  n'a  jamais  passé  pour  rorj;aru'  de  ^^];ilise  (  alli(ili(|ue.  ni  le  ju- 
gement des  docteurs  en  théolojjie  de  Paris,  fort  respectable  d'ail- 
leurs, pour  sa  sanction.  L'fCgIise  p«'ul  donc  décliiu'r  l'une  et  l'au- 
Irc;  elle  n'esl  pas  engagée  à  les  soutenir  en  toute  chose.  A  défaut 
des  autres,  celte  simple  réponse  sufliiait.  Mais  allons  plus  loin.  Il 
y  a  dans  nos  adversaires  une  étrange  illusion  :  c'est  de  vouloir,  con- 
tre l'évideiice,  placer  l'Église  catlu>li(|ue  dans  la  situation  où  ils  se 
trouverU  eux-ménirs  vis-à-vis  de  la  Sainte-ti  i  iliire.  Or,  les  rap- 
ports sont  ici  tres-dilTéri'uls.  Le  protestant  n'a  pas  le  droit  d'ajou- 
ter un  mol  de  doctrine  ,  ni  d'explication  à  ce  qui  est  exprimé  dans 
le  livre  di\in.  ('ar  pour  lui  tout  s'y  trouve  el  clairement;  en  de- 
hors il  n'y  a  que  tromperie.  Ainsi,  dés  qu'il  se  pernu'l  seulement 
de  vouloir  m'en  détei miner  le  sens,  je  l'arrête;  je  lui  demande  au 
nom  de  qui  il  prend  celle  liberté.  Qui  m'assure  (pie  son  mot  d'ex- 
plication ou  de  commentaire  n'esl  pas  erroné?  Pourquoi  sa  manière 
d'entendre  serait-elle  la  mienne?  Rien  ne  lui  donne  autorité  sur 
moi. 

L'Église,  au  contraire,  n'esl  pas  esclave  de  la  lettre  merle  de 
l'Écriture;  elle  setde  possède  l'esprit  qui  la  vivilie.  C'est  elle  qui,  à 
l'origine,  a  authentiqué  le  livre  di\in  el  a  mis  son  inspiration  à  l'a- 
bri du  dout(;  par  la  reconnaissance  qu'elle  en  a  faite.  Car  l'Église, 
on  ne  peut  le  nier,  est  antérieure  ;\  l'Écrihire  ,  soit  par  le  fait  do 
son  établissement,  soit  dans  l'espril  de.  son  Fondateur.  L'approba- 
tion de  l'Église  ,  comme  l'inspiration  divine  elle-même,  n'ont  pas 
comninnitpié  aux  expressions  scriplurair«'S  la  v«'rlu  d'engendrer 
l'inlaillibililé.  La  valeur  de  ces  expressions,  dépendante  de  l'inter- 
prétation légitime ,  csl  encore  liée  à  cel  ensemble  do  vèrilés  cl  de 
fjils  qui,  selon  le  mot  de  saint  Jean,  n'a  pas  été  tracé  sur  le  papier 


!HÉI.A.>GKS     KT     >()lJ\KLLtS.  321 

el  avec  l'encre  ,  m-iis  qui  a  été  mis  en  dépôt  sous  la  garde  de  l'É- 
glise el  s'est  transmis  de  bouche  en  bouche  à  ses  enfants.  Ainsi  la 
parole  écrite  a  besoin  de  se  combiner  avec  l'enseignement  oral  ou 
do  Iradilion,  pour  retracer  la  doctrine  complète  de  Jésus-Christ, 
dont  ri];;Iise  seule  fournit  la  dernière  expression  par  ses  définitions. 
Et  maintenant,  qui  pourra  ravir  à  l'Église  le  droit,  tout  en  conser- 
vant le  texte  primitif,  d'y  ajouter  les  ex|)licalions  et  les  développe- 
ments de  tradition  divine,  (jui  en  sont  le  complément?  Qui  lui  con- 
testera la  faculté  de  rendre  plus  lucides  pour  les  fidèles  qu^elle  est 
chargée  d'instiuire,  les  passages  vagues  et  obscurs?  C'est  ce  qu'elle 
a  toujours  fait  |)ar  son  exégèse  et  par  ses  commentaires,  quelque- 
fois joints  au  texte  même ,  quelquefois  séparés.  Le  crime  qu'y  dé- 
couvrent M.  Gaberel  et  ses  amis,  il  faut  qu'ils  le  fassent  peser  aussi 
sur  tous  les  Pères  de  l'Église  catholique  el  sur  tous  les  exégètes 
protestants. — Le  texte  original  demeurant  toujours,  il  est  facile  au 
savant  d'y  recourir,  et  quant  aux  fidèles,  il  suffit  que  l'Église  ne 
leur  donne  pas  à  lire  des  traductions  falsifiées  dans  le  vrai  sens  du 
mot.  Or,  ils  savent  qu'elle  a  des  garanties  pour  ne  le  jamais  faire. 

Mais  il  y  a  chez  les  catholiques  plusieurs  traductions  différentes, 
toutes  également  approuvées!  s'écrient  nos  adversaires.  Et  qu'en 
voulez-vous  conclure?  Ceci  sans  doute  :  les  docteurs  catholiques 
ont  jugé  que  des  mots  dilTérents  et  des  phrases  différentes  pou- 
vaient rendre  la  même  pensée,  que  des  traductions  diverses  pou- 
vaient être  utiles  aux  fidèles,  ou  que  l'une  pouvait  l'être  plus  que 
l'autre.  Eh  bien,  qui  le  nie?  El  quand  ni  l'une  ni  l'autre  ne  fausse 
la  doctrine  de  Jésus-Christ,  quel  motif  de  blâme  y  voyez-vous?  Est- 
ce  que  vous  voudriez  que  l'on  fit  lire  au  dix-huitième  siècle  les  tra- 
ductions françaises  du  quinzième?  Jamais,  du  reste,  l'Église  n'a 
approuvé  une  traduction  avec  la  pensée  qu'elle  fût  exempte  de 
tout  défaut,  et  qu'on  n'en  put  faire  une  meilleure.  Mais,  ce  qui 
saute  aux  yeux  devant  ce  grand  nombre  de  traductions  approu- 
vées, c'est  la  mauvaise  foi  de  ceux  qui  répètent  imperluibablement 
celte  banale  fausseté  :  l'Église  soustrait  la  connaissance  de  la  Sainte 
Écriture  aux  fidèles.  Nous  ne  doutons  point  que  M.  Gaberel  ne  le 
redise  encore  mille  fois  à  ses  crédules  ouailles  !  Arrangez  cela  avec 
la  conscience,  comme  vous  pourrez  ! 

J'arrive  maintenant  à  la  traduction  du  P.  Véron,  dont  je  ne  con- 
nais que  les  passages  cités  dans  le  Lien.  Voici  ces  passages  dont  la 
prétendue  falsification  se  trouve  dans  les  mots  en  italiques. 

Actes  XIII,  2.  Comme  ils  offraient  au  Seigneurie  sacrifice  de  la 


.'122  11KI.\>CrS     ET     l^Ol'VtLLES. 

fMfjî.ic  t'I  ji'ùnaieiil...  —  D.wis  la  Vulgale  :  }fini$frantibus  autrui  il- 
Iti  Domino,  rtjrjuninUilnis. 

1  Cor.  XI,  28.  Or,  (|iic  riiommc  s'i-proiivo  soi-niOnip ,  et  ainsi 
manfîc  «le  ce  pain  rif  cl  lioive  de  ce  calice.  —  Viilgalc  :  F^l  fie  de 
pniir  illo  l'dtit  r(  ilr  cadre  liilinf. 

1  Cor.  III,  !.*>.  11  éili;t|i|it'i'ii  |iar  le  ft'ii  (\»  piirgaloire.  —  Vulgale: 
/pie  auti'iit  stilrua  ri  il,  s/c  tiinirn  y"">"»  /""''  iijurm. 

Nous  (lisons  tout  d'abord  (jiie  nous  ne  louons  pas  celle  traduction. 
Voici  cependant  pour  sa  jiislidcalion.  L\iuleur  a  rendu  explicite  lo 
dogme  renfermé  d'une  jnanière  \aguc  et  indécise  dans  le  texte  do 
lu  Vulgale  ;  il  a  delerniiné,  d'après  l'enseignement  Iradilionnel,  le 
sens  que  les  expressions  ."cripturaires  pouvaient  laisser  incompris. 
Toute  la  société  clirétienne,  A  dater  des  .\prttres,  a  «lonné  A  ces  pa- 
roles la  même  signilicalion  que  le  P.  Véron  y  attache.  Ksl-cedonc 
ime  falsilication  de  l'avoir  expritnée?  On  ne  fausse  pas  un  auteur 
quand  on  ne  change  ricn;l  sa  pensée.  Or,  encore  une  fois,  la  vraie 
pensée  des  auteurs  sacrés,  l'Église  seule  la  sait,  et  c'esl  celle  qu'a 
exprimée  la  Iradiiclion  qu'on  alla(|ue. 

Ouellcs  sont  les  fondions  sacrées  dont  les  disciples  s'ac(|iiillaient 
devant  le  Seigneur,  si  ce  n'csl  l'offrande  du  sacrifice  de  l'autel?  — 
Si  le  pain  eii(li;iri«.li(]iic  n'est  pas  un  pain  rirant,  n'est  pas  Jésti-s- 
Chri>l  même,  pourcjuoi  saitil  Paul  vienl-il  de  dire  que  celui  qui  le 
mange  indignement  se  rend  coupable  dii  corps  de  Jésus-Christ, 
faute  de  le  disierncr  d'avec  le  pain  orditta':re? —  Le  feu  à  travers 
lequel  on  est  sau\é,  (jucl  est-il,  sinon  le  feu  du  purgatoire? 

Je  le  répèle,  ainsi  l'ont  compris  et  dit  les  Apôtres  dans  leur  en- 
seignement oral,  (|iii  e>l  rindispensalile  complément  de  l'enseigne- 
ment écrit  ;  ainsi  l'ont  ((tnipris  et  dit  les  docleurs  et  les  interprètes 
chrétiens;  ainsi  rentcnd  l'Église  calholi(|U(î  Ce  n'csl  donc  pas  \n\ 
crinic  de  l'exprimer,  pas  plus  (jiie  d'a[)proii\cr  ceux  (jiii  l'expri- 
numl,  méuje  dans  une  Iraduclioj». 

Nous  avons  fait  assez  d'honneur  à  celte  fameuse  objection.  Ce 
qui  résulte  de  nos  explicnlicns,  c'est  (jiie  :  1"  Les  [)rotestants  n'ont 
pas  le  droit  de  traduire  la  HiMe,  mi  (jue  se  reconnaissant  faillibles, 
il  pcuMiil  prendre  le  texte  primitif;^  contre-sens  cl  le  rendre  mal. 
Jamais  ils  ne  pourront  être  sûrs  de  la  fidélité  de  leurs  traductions: 
ils  doivent  donc  lire  la  IJible  dans  les  langues  où  elle  fut  écrite. 
L'Lglise  calholi<|in?  seule  peut  traduire  la  Bible;  seule  elle  en  peut 
garantir  le  vrai  sr*ns  dans  une  langue  autre  qtie  celles  des  auteurs 
sacrés. 


MÉI.\^GES  i:t  mjlvellcs.  323 

2°  Comme  il  peut  y  avoir  des  liadiielions  fautives,  el  môme 
qu'aucune  liaduclion  ne  saurait  rendre  parfaitement  le  texte  ori- 
ginal,  il  faut  en  toute  rigueur  une  autorité  pour  les  surveiller  et 
un  enseignement  oral  pour  les  expliquer.  Les  protestants  manquent 
et  de  eelte  autorité  et  de  cet  enseignement  ;  mais  lÉglise  catholi- 
que les  possède  tous  deux. 

3°  C'est  une  calomnie  d'avancer  que  la  Parole  de  Dieu  est  sous- 
traite aux  Gdéles  par  TÉglise  catholique.  Elle  seule  la  présente  tout 
entière  et  à  l'abri  de  Terreur.  Les  ministres  n'offrent  au  contraire 
la  Parole  de  Dieu  que  tronquée,  puisqu'ils  en  retranchent  la  partie 
traditionnelle.  Que  le  lecteur  juge  sur  qui  retombe  le  poids  de  l'ob- 
jection. 

Il  ya  plus  :  les  Bibles  protestantes  sont  falsifiées  non  pas  seule- 
ment par  des  traductions  défectueuses,  mais  par  le  retranchement 
total  de  plusieurs  livres  sacrés.  Les  .annales  l'ont  démontré.  M.  Ga- 
berel  appelle  ces  livres  retranchés  des  apocryphes.  Le  terme  est 
bien  vite  prononcé.  L'épitre  de  saint  Jaques,  les  livres  des  Jlacha- 
bées,  l'histoire  de  Tobie  et  d'autres  écrits  inspirés  que  rejettent  les 
protestants,  avant  eux  personne  ne  leur  donnait  la  qualification 
d'apocryphes.  Voilà  un  facile  moyen  de  sortir  d'embarras.  Il  fau- 
drait cependant  tenir  un  peu  plus  de  compte  de  ses  expressions. 

Encore  un  mot  à  M.  Gaberel,  Il  cite,  dans  sa  lettre,  des  paroles 
d'indignation  que  M.  Mermillod  a  laissé  échapper  dans  la  chaire 
contre  le  trafic  connu  désormais  à  Genève  sous  le  nom  de  la  traite 
(les  âmes.  Un  Italien  a  exprimé  la  chose  plus  énergiquemenl  encore 
en  qualifiant  publiquement  ses  compatriotes,  qui  n'en  avait  pas 
les  mains  pures,  du  titre  de  carne  venduta.  Les  quelques  mots  de 
M.  Mermillod  on  fait  impression  ,  parce  qu'ils  manifestaient  un 
sentiment  vrai  et  fondé  sur  des  faits  connus  de  tous. 

M.  Gaberel  ose  encore  nier  ce  commerce  des  consciences,  sans 
s'apercevoir  qu'il  l'avoue  l'instant  d'après  dans  une  note.  Mais  il  a 
contre  lui  toute  la  voix  publique.  Quant  aux  noms  propres  des  ca- 
tholiques pervertis,  que  les  ministres  se  gardent  de  citer,  viendra 
bien  le  jour  de  leur  manifestation.  Malgré  la  répugnance  qu'on 
éprouve  à  remuer  ces  viles  transactions,  tout  ne  restera  pas  dans 
l'ombre. 


;{2Î  HÉLAMUES   KT   .-NUUVkLI.es. 

FrMnrr.  .ihjértr.  Toul  Ir  monde  coiinail  le  beau  discours  qu'a 
prùthé  sur  Maliomel  .Mj;r  rOvéque  d'Al{,'tT.  Ce  distours,  prononcé 
dans  l'église  cathédrale  du  cet  ancien  foyer  de  la  barbarie,  est  déjà 
un  r.iil  iininensf  ;  ni;iis  ses  proporlioiis  ^ran(li>seiit  encore,  (|uand 
on  sait  que  les  .Vrabes  n'en  ont  niilU-nient  ete  oiTuMpiés  el  (|ue  plu- 
sieurs nolables  maures  dWIgcr,  ({ui  iMaienl  prè.scnis  à  celle  prédi- 
cation, sont  ailes  eux-mêmes,  après  la  cérémonie,  complimenlcr  et 
féli<  ilcr  M^'r  l'évèquc. 

Cu  travail  vrai  et  déjà  sensible  fait  présager  le  moment  où  il 
sera  |)Ossible  de  se  livrer  à  la  mission  proprement  dite.  Il  faul  donc 
se  tenir  prêt  pour  l'heure  où  le  père  de  l'amille  appellera  ses  niois- 
sonneurs  a  l'œuvre. 

Or,  le  mojen  le  plus  sur,  le  plus  sage,  le  plus  en  harmonie  avec 
les  vues  de  D'uni  dans  les  lem[is  actuels,  c'est  évidemment  de  fon- 
der des  établisscmenls,  de  procéder  par  des  institutions,  plutôt  que 
par  la  prédication  volante  et  de  détail. 

La  jeune  é|^liso  d'Afriiiue,  quoi(]ue  aux  prises  avec  desdiOicul- 
lés  inimaginables,  en  face  de  besoins  dont  on  n'ose  sonder  la  pro- 
fondeur, a  cependant  admirablement  marché  dans  cette  voie. 
Conime  toutes  les  œuvres  do  Dieu  ,  elle  s'est  vue  pre.<(|ue  submer- 
gée à  son  berciMu  ,  mais  un  \ent  du  ciel  el  un  pilote  habile  l'ont 
arrachée  à  l'abime  et  lancée  sur  les  flots  où  elle  vogue  d'un  pas 
ferme  aujourd'hui.  (^)ue  d'instidilions  glorieuses  ne  comple-t-elle 
pas  déj.\  dans  son  sein?  Les  ()r|ihelinals,  les  n>aisons  du  IJon-Pas- 
leur,  les  écoles,  les  congrégations  religieuses,  la'i'ra|q)e  de  Staotiéli, 
le  noviciat  de  Bab-Azoun  ,  les  séminaires  grand  et  petit,  ifui  riva- 
lisent, au  moin><  par  le  bon  esprit,  avec  ceux  de  la  métropole.  L'or- 
phelinat (le  Mu>-lapba  ne  redoute  aucune  comparai.son  avec  les  œu- 
vres semblables  en  Europe  ,  et  on  peut  douter  qu'il  y  ait  en  Franco 
une  Trappe  (pii  puisse  faire  pAlir  SlaoutMi.  Oiiel  clergé  vigoureux, 
pMine,  r«">olu,  sur  tous  les  |)oinls  de  IWlgérie  !  .aujourd'hui  courant 
la  mer,  demain  montant  ù  cht;val,  se  dévouant  avec  orgueil  dans 
les  épidémies  et  répandant  partout  l'esprit  du  vie  et  de  charité  !  On 
l'a  vu  celte  année,  A  la  reliaite  ecclésiastique,  étonnant  les  religieux 
eux-méme>  par  son  recueillemi-rit ,  sa  piété,  son  exactitude,  son 
union  au  chefi]ui  gouvermî  cette  /église.  (Quelle armée  de  religieux 
et  de  religieuses  autour  de  ce  pontife  !  Les  Jésuites,  les  Lazaristes, 
les  Trappistes,  les  Frères  dt;  la  Doctrine-dhréticime,  les  Dames  du 
Sarré-Ciuur,  les  Fdies  du  Hon-l'a>leur,  et  tout  cela  disséminé  d'é- 
tape en  étape  justpi'aux  portes  du  désert. 


VKLANUES   ET   NOL'VKLLES.  325 

L'aclioli  de  laiU  tic  prôtros  ,  tic  Frères  ,  de  Sœurs  de  cliarilé  ,  tie 
tant  de  dévouements  applicjués  à  la  foi  n'est  pas  rcst(}e  slOrilc.  Elle 
a  produit  des  fruits  bien  consolants  au  sein  des  populations  euro- 
péennes. Ces  poptil.ilions  suis  foi,  venues  tIe  tous  les  coins  d(î  TEu- 
ro()e ,  ont  été,  oti  [)eul  le  dire,  en  partie  recontjuiscs  au  christia- 
nisme. De  nombreuses  conversions  se  sont  faites  dans  toutes  les 
classes  de  la  société,  ce  (|iii  a  donné  lieu  à  l'organisation  du  zèle  et 
de  la  charité  parmi  les  lauiues. 

Aujourd'hui,  Alger  possède  une  Société  de  Saint-Vincent-de- 
Paul  aussi  édifiante  qu'intelligente  et  active;  une  société  de  cha- 
rité, qui  verse  des  sommes  considérables  au  sein  des  pauvres,  dans 
laquelle  les  dames,  non  contentes  de  donner  l'aumône,  vont  encore 
t'Ilefl-mémes,  au  nom  de  Jésus-Christ,  visiter,  encourager  et  con- 
soler ceux  qui  soufl'rent. 

Nous  ne  dirons  rien  des  villes  secondaires  ;  mais  partout  il  y  a 
effort  pour  imiter  les  plus  grands  centres  dans  l'accomplissement 
des  œuvres  de  religion  et  de  charité  chrétiennes. 

Les  protestants  ont  subi  celte  salutaire  influence.  Bon  nonibre 
d'entre  eux  sont  entrés  avec  amour  dans  le  sein  de  l'Église  catho- 
lique. Un  écrivain  protestant,  qui  exhalait  naguère  ses  plaintes 
dans  un  journal  de  France  ,  portail  à  un  sixième  de  la  population 
protestante  le  nombre  des  convertis  sur  la  terre  d'Afrique. 

Ce  que  nous  avons  dit  du  travail  qui  se  fait  chez  les  musulmans, 
pour  être  !a  chose  principale,  n'est  cependant  pas  tout. 

L'Évangile  fait  son  œuvre  en  Algérie.  A  nous  d'en  hâter  la  mar- 
che par  le  concours  de  nos  prières,  de  nos  bonnes  œuvres  et  de  tous 
les  moyens  d'action  que  la  divine  Providence  a  placés  dans  nos 
mains. 


BULLETIN  BIBLIOr.RAPHIOLE. 


(Les  ,4Mna/«  aiiraieni  dû  potil  rtn-  s Hccupcr  »Je  ce  livre  rs  ymfetso ; 
mais,  coninie  dit  le  proverbe  :  à  corsaire  corsaire  et  demi.  Or,  imus  ne 
nous  niiMoiis  pas  de  posséder  chez  nous  ce  corsiiire  d'iniporlniicc  (|ui  doit 
najçflliT  riiisloirc  de  M-  («alterel.  C'est  le  proleslaiilistnc  Ini-ntéuic  <|ui  de- 
vra rouruir  ce  venjjeur  de  la  v(*rilé  cl  de  l:i  justice.  La  race  des  (Jrenus  et 
des  (ialilTe  n'est  pas  cleiiilc.  Kn  allciidunt,  nous  plaçons  ici  un  ju(;eincnl  fort 
compilent  lii  c  de  la  Ucrue  de  I.ouiuin.  ) 

Histoire  de  l'flqlise  de  Grnhe ,  depuis  le  coininrncemrut  de  la  Hi formation 
jusqu'en  ISI.i,  par  Jean  (iabcrci,  ancien  |»aslcur.  Tunic  l''.  Gcni'tc  18!)3. 
In  vol.  in  H". 

tll  n'existe  point  encore  dliisloire  complète  de  lY^^lisc  genevoise...  Nous 
livrons  ce  Iraxail  à  l'impression,  encoura};é  par  la  bienveillance  avec  laquelle 
le  public  genevois  a  sui\ideiix  cours  ilonnés  sur  ce  sujet.  Du  reste,  le  mo- 
ment nous  semble  aussi  favorable  qu'intéressant.  Genève  entre  dans  une 
phase  de  travail  national  et  reli);ien\  dont  les  conséquences  nous  sont  in- 
connues.  Itonic  con\oile  plus  ipie  jamais  l'empire  spirituel  de  sa  rivale,  cl 
quelques  genevois  protesl:nits  vont  juscju'à  oublier  qu'ils  doivent  aux  princi- 
pes chrétiens  leur  liberté  de  conscience  cl  de  pensée.  » 

C'est  en  ces  termes  (pie  l'auteur  nous  fail  ronn;iitre  le  ntolif  iuipérieux  pour 
lequel  il  vient  de  pid)!ier  celte  liisl'iire.  Celui  qui  a  sui%i  de  près  le»  révolu- 
lions  intérieures  de  la  Suisse  dans  ses  dernières  années,  et  surtout  celles  qui 
ont  porté  le  pouvoir  à  (ienèvc  entre  lanl  de  mains  dilTérentes,  se  demande 
avec  étonnement  cpielle  petil  être  cette  phase  de  travail  nationil  et  religieux 
où  va  entrer  la  Home  prule>lanle.  bien  décime  de  son  ancienne  renonunée 
et  depuis  l(iti;;lenq)s  en  proie  à  de  si  profonds  et  de  si  cruels  «léehircntents. 

Maisenlin,  comme  celle  phrase  npocalyplique  doit  aM>ir  une  signilicalion , 
force  esl  bien  d'en  chercher  la  ciel  «lans  tout  l'ouvrage;  mais,  hélas!  il  nous 
faut  le  dire  axant  tout,  le  livre  enlier  n'est  qu'une  énigme.  Est-ce  une  his- 
toire, est  ce  un  roman,  est-ce  un  pamphlet?  Anton  sérieux,  au  slylc  bibli- 
que qui  y  régnent  le  plus  souvent,  il  faut  bien  penser  que  l'auteur  a  voulu 
fiirc  une  histoire;  d'un  aiilre  coté,  les  c  iu(|  cenls  pages  de  ce  livre  contien- 
nent tint  il'anecdoles  ,  de  narrations  épisodiques,  de  cancans,  dirons  nous, 
que  XMis  croiriez  a\oir  sous  les  \eu\  un  pasliclie  des  Mille  et  une  Muils; 
enfin,  d'un  l>oul  »  l'autre,  c'est  un  tel  salmigondi*  de  diatribes  contre  le  ca- 


r.ri.i.LTi^  r.ini.ioc.n.U'îiioiR.  327 

tliiiîiii^.iic,  (II*  Ci)iilos  ritlicnk's  sur  les  inoiiips,  It's  prêtres,  ks  miracles,  ijc 
l)ani\lili's  liaintMisPS  ;"i  l'adresse  de  ri',L;lise  niinaine,  que  l'on  se  demande  s'il 
est  [lossilde  d'i'eiire  un  plus  Ion;;  et  plus  insipide  [laniphlct.  (]ar  il  ania  plu- 
sieurs volumes. 

A  travers  les  olisruriU's  et  les  rélicences  de  l'auteur,  nous  croyons  cepen- 
dant avoir  démêlé  le  mol  falidi(|ue  et  pressenti  \:\  pliase.  Le  grand  rêve  do 
.M.  (îaherel,  c'est  la  résurrection  de  la  Rome  protestante,  c'est  Genève  deve- 
nant de  nouveau  le  sii'ge  pontilieal  de  la  lléfornie  :  celte  idée  nous  send)le 
ressorlir  de  nombreux  [lassa^es,  l)ien  que  nulle  [)art  elle  ne  soitfornndée  en 
termes  exprès.  Voici  par  exemple  un  fra_;^ment  qui  nous  parait  assez  clair  et 
qui  renferme  en  outre  la  profession  de  foi  de  la  Rome  nouvelle. 

Après  avoir  voilé,  autant  qu'il  était  en  sen  pouvoir,  cette  intolérance  pro- 
vcrbii^^r,  celte  cruauté  incontestable  dont  la  réforme  issue  de  Genève  a 
donné  pendant  des  siècles  et  donne  encore  des  exemples  si  multipliés  ,  après 
avoir  allirmé,  —  cela  devait  être  —  que  cette  intolérance  était  une  ivraie  ro- 
maine jetée  dans  le  champ  protestant,  l'auteur  poursuit  en  ces  termes  : 
«■Mais  l'intolérance  ne  fut  jamais  qu'une  plante  [larasile  sur  le  sol  de  la  li- 
berté de  pensée  :  éclairés  par  les  actes  du  synode  de  Dordrecht,  les  pas- 
teurs et  les  magistrats  de  Genève  firent  des  pas  rapides  vers  l'enlière  liberté 
de  conscience.  En  IGS'i,  à  l'occasion  de  deux  grands  procès  touchant  la  doc- 
trine et  la  morale,  on  abolit  les  supplices  et  les  peines  corporelles  pour 
cause  d'hérésie,  puis  le  progrès  continua.  Non  content  de  cette  victoire  lé- 
gale, le  clergé  genevois  voulut  que  la  tolérance  passât  dans  les  mœurs,  il  s'ef- 
força de  détruire  les  querelles,  les  vengeances,  les  haines  théologiqnes  ;  il 
voulut  que  des  personnes  d'opinions  dilTérentes  en  religion  pussent  vivre 
dans  une  fraternité  chrétienne  ;  il  atteignit  presque  à  l'unité  de  res|irit  par  le 
lien  de  la  paix,  dans  une  société  aussi  ardemment  attachée  aux  idées  reli- 
gieuses qu'on  peut  l'èlre  de  nos  jours  aux  systèmes  polilicjues.  Il  proclama 
un  double  principe,  qui  ,  nous  l'espérons,  deviendra  la  seule  confession  de 
foi  de  l'Église  de  Jésus-Christ.  L'Évangile  reçu  comme  autorité  divine,  et 
sur  celte  base,  la  liberté  pour  chacun  de  former  sci  foi  selon  hs  lumières  de 
sa  raison,  les  directions  de  sa  conscience  et  le  secours  de  Dieu. 

.Ainsi  donc,  voilà  le  grand  nuinifcstc  de  la  nouvelle  église  encyclopédique, 
voilà  la  vaste  formule  qu'elle  jette  aux  quatre  vents  du  monde.  Après  a\oir 
été  ballottée  pendant  trois  siècles  entre  tous  les  partis  qui  ont  successivement 
occupé  le  pouvoir  dans  son  canton,  après  avoir  passé  par  les  confessions  de 
Farel  et  de  Calvin  et  par  les  innombrables  décrets  de  ses  magistrats  théolo- 
giens, voilà  nù  le  progrès  l'a  conduite,  cette  pauvre  église  de  Genève  !  A  cette 
confession  quintessenciée  qu'elle  croit  sublime  à  force  de  largeur  et  qui ,  au 
fond,  n'est  autre  chose  que  l'anarchie  proclamée  an  nom  de  Dieu.  Si  les  Fro- 
ment et  les  Viret  pouvaient  revenir  au  monde,,  comme  ils  hurleraient  d'ef- 
froi en  écoutant  votre  dogme!  Il  est  vrai  que,  mesurés  au  compas  du  XIX* 
siècle,  ils  ne  furent  que  des  rétrogrades  et  que,  comme  le  dit  .M.  Gaberel, 
«les  réformateurs  ne  purent  se  débarrasser  d'une  manière  absolue  de  l'es- 
prit du  temps.  Après  avoir  proclamé  la  liberté  de  conscience,  le  droit  pour 
chaque  personne  intelligente  {et  ce  mot-là  établit  à  lui  seul  un  abîme  entre 


328  lll'LLbri>    DIBI.IUUKVl'UlUie. 

eux  et  vous;  d'rxainiticr  l'Éxaiigilc,  ils  s'arr^t*!>rf iit  sur  cette  route  :  ils  yre 
tendirent  concentrer  la  parole  de  Uicu  dans  de  lirt^xes  formules;  ils  décla- 
rèrent licrélii|ues  ceux  qui  nadnicltraicnt  pas  exactement  cri  expos»^,  cHlr 
confession  de  la  foi  clin  tienne  :  puis  l'espril  du  siècle  les  entraîna  plus  loin 
encore,  ils  appliquèrent  la  lui  romaine  punissant  l'Iicrtfsie.  * 

M.  Gaberel,  on  le  voit  par  ces  lignes,  traite  fort  cavalièrement  les  premiers 
apùtres  de  sa  foi;  il  s'expose  à  de  terribles  représailles  de  la  part  de  ses  ar- 
rière-neveux qui  le  jugeront  peut-être  encore  plus  durement  au  nom  de  la 
raison  et  de  la  libellé.  Mais  il  se  fait  illusion  s'il  esjtère,  à  l'aide  de  la  for- 
mule qu'il  développe,  et  qui  n'est  plus  clirélicniie  que  de  nom,  satisfaire  à 
toutes  Ici  velléités  d'indépendance  et  d'inlerprélalion  persunuelle  qui  pour- 
ront surgir  dans  les  mille  sectes  (|uil  convie  à  se  tourner  vers  Genève.  Le 
phare  qu  il  croit  y  avoir  allumé  n'est  |ioiiit  assez  brillant  pour  diriger  la 
course  aventureuse  de  tous  les  réformateurs  dispersés  dans  le  monde.  Com- 
ment d'ailleurs  l'Angleterre,  la  Prusse,  la  Suède  et  la  Hollande  pourraient- 
elles  renoncer  à  leur  organisation  ecclésiastique,  devenue  institution  civile, 
ou  même  la  modifier?  Leurs  synodes  et  leurs  consistoires,  ces  pouvoiis  pu- 
iili(|ues  (l  adaiinistralifs  si  dociles  entre  les  mains  des  gouvernants,  lendront- 
ils  unanimemeiil  leurs  mains  a  celle  que  Genève  leur  présente,  quand  le 
plus  miidesle  de  leurs  pasteurs  a  autant  de  droits  à  rédiger  son  symbole  que 
la  Home  proleslanlc  tout  entière  ? 

.Mais  c'e.sl  assez  parler  de  l'esprit  du  livre  de  M.  Gaberel,  disons  un  seul 
mol  des  faits  historiques  qu'il  contient.  Malgré  ces  efTorts  pour  lui  donner 
de  l'importance,  il  est  vrai  de  dire  avec  un  auteur  moderne  :  après  Calvin, 
l'histoire  politique  de  (îenèvc  se  borne  à  des  (|uerellcs  intestines  dénuées  de 
grandeur  et  parlant  d'iiitérél  ;  selon  nous,  on  peut  en  dire  autant  avant  et 
sous  (Calvin.  M:iis  si  nous  nous  croyons  fondé  à  porter  ce  jugement  de  l'his- 
toire politique  de  Genève,  nous  n'oublions  pas  cependant  que  .M.  Gaberel  a 
écrit  une  histoire  de  l'église  de  celte  cité,  (^e  sont  l.i  en  cfTct  pour  Genève 
deux  termes  inséparables.  Celle  ville  qui  n'adopta  la  réforme  que  pour  se 
procurer  son  alTrnncliisscmenl  politique,  où  l'intervention  des  magistrats  ci- 
vils<inns  les  afTaires  de  dogme  et  de  conscience  est  légale  et  quotidienne,  où 
les  luttes  intérieures  sont  exclusivement  religieuses,  du  moins  jusqu'à  la  fin 
du  XVIII'  siècle,  celle  ville  ne  peut  avoir  i)u'unc  seule  histoire,  .\ussi  (|uc 
voyons-nous  dans  le  premier  volume?  Ftablissement  de  la  réforme,  c'est-à- 
dire  révolution  de  Genève  contre  son  évéquc  cl  contre  la  maison  de  Savoie, 
tumultes  sanglants,  (|ucrclles  de  clocher  entre  Berne,  Genève  et  l'ribourg 
Genève,  Fribuurg  et  Ucrne ,  discussions  armées  sur  le  rite  bernois,  sur  le 
pain  cl  la  coupe  ;  interminables  décisions  du  cooseil  cl  des  syndics  sur  les 
matières  les  plus  controversées  du  dogme. 

(^uant  à  la  manière  dont  l'auteur  expose  les  faits,  nous  dirons  hautement 
qu'il  maïKpie  avant  tout  de  la  première  qualité  de  l'hislorien  :  de  la  dignité 
.Sou  livre  n'est  inspire  ipie  |)ar  la  liaiiie  la  plus  passionnée,  Is  plus  acerbe  <lr 
I  Eglise  romaine.  Oubliant  qu'il  parle  tie  ses  pères,  il  entasse,  avec  une  inaii 
vaisc  foi  indigue  d'un  historien  grave,  tous  les  torts,  tous  les  ridicules,  ton- 
les  crimes  sur  le  com|He  des  catholiques,  el  n'a  pour  eux  que  des  couleurs 


B^^L^:Tl^  nini.iOGKAriiiQUE.  329 

sombres  ot  ahsiinlomcnt  finisses.  Quand  il  parle  des  parlisans  de  la  réforme, 
sa  plume  trace  un  pané;;yri(iiic  pcri)L'lucl  ;  les  excès,  les  horreurs,  que  d'au- 
tres historiens  leur  ont  reprochés,  sont  pour  lui  des  hauts  faits  et  des  vertus. 
Il  n'a  (pie  des  élo;;es  pour  le  vandalisme  des  iconoclastes  et  n'éprouve  que  de 
l'adiniralion  pour  les  ridicules  et  odieux  décrets  des  conseils  genevois  réglc- 
nienlanl  à  leur  j^ré  les  controverses  reli;,Meuses  ou  faisant  jeter  dans  les  fers 
un  prêtre  eallioliquc  assez  eouraj;eux  pour  y  défendre  sa  foi.  Mais  les  jdus 
brillanles  teintes  de  sa  palette,  il  les  réserve  pour  nous  retracer  l'éminentc 
pureté,  l"al)né},'ation,  la  science  des  Farel,  des  Froment,  des  B.  Ocliin,  des  P. 
Martyr.  S'il  fallait  en  croire  les  portraits  que  nous  en  fait  M.  (Jaberel,  les 
hommes  les  plus  émincnts  de  l'histoire  ne  seraient  pas  dignes  de  déchaus- 
ser ces  gens-là.  Il  est  vrai  qu'en  revanche  des  citoyens  genevois  et  protes- 
tants avaient  osé  les  stigmatiser  tout  simplement  du  nom  d'émeutiers.  Aussi 
iM.  Gaberel  ne  se  fait-il  pas  faute  de  parler  avec  peu  de  chanté  chrétienne  de 
ceux  de  ses  confrères  qui  ont  eu  celte  téméraire  juslieo. 

En  un  mot,  ce  livre,  qui  a  été  fort  loué  dans  la  Bibliothèque  universelle  de 
Genève,  et  dont  nous  avons  parlé  plus  longuement  peut-être  qu'il  ne  méri- 
tait, ce  livre  est  une  preuve  de  |)liis  que  le  seul  lien  qui  unisse  les  commu- 
nions issues  de  la  réfo'-me,  le  seul  dogme  qu'elles  reconnaissent  toutes,  c'est 
haine  à  THglise  catholique  ! 

De  l'affaiblissement  de  la  raison  et  de  sa  décadence  en  Europe,  par  M.  B. 
Saint-Bonnet.  Paris,  Hervé,  éditeur.  d8ui.  Un\ol.in-8. 

Ce  remarquable  ouvrage  a  déjà  suscité  d'ardentes  controverses.  Wnivers 
l'a  loué  suivant  ses  mérites.  Les  Débals  l'ont  dénigré  en  usant  avec  lui  de  ce 
procédé  déloyal  qui  consiste  à  dénaturer  la  pensée  d'un  adversaire  en  l'exa- 
gérant et  en  lui  faisant  dire  tout  autre  chose  que  ce  qu'il  a  écrit. 

M.  de  Saint-Bonnet,  placé  à  une  autre  extrémité  de  la  France,  et  sans  s'être 
concerté  avec  lui,  traite  la  même  question  que  le  P.  Gratry  dans  Tinlroduc- 
tion  de  son  beau  traité  de  la  Connaissance  de  Dieu.  Comme  le  savant  ora- 
torien,  il  voit  de  notre  temps  la  raison  humaine  en  péril;  il  voit  cette  infir- 
mité intcliectuclie  provenir  de  l'irréligion  pratique  et  systématique  qui 
domine  renseignement  depuis  le  XVIIl*  siècle,  irréligion  qui  livre  l'homme 
tout  entier  aux  suggestions  des  sens  et  lui  enlève  les  facultés  de  l'esprit.  Il 
voit,  en  outre,  de  celte  décadence  de  la  raison,  résulter  dans  les  esprits  l'af- 
faiblissement des  notions  métaphysiques  justifiées  et  commandées  par  la  doc- 
trine catholique,  d'où,  comme  conséquence  logique,  le  panthéisme  s'élablis- 
sant  dans  les  sommets  de  la  pensée  et  le  socialisme  sur  les  confins  de  la 
pratique. 

Il  y  a  deux  parties  fort  distinctes  dans  le  travail  de  M.  de  Saint-Bonnet.  La 
première  traite  de  la  raison  dont  il  donne  une  définition  métaphysique  et  une 
analyse  psychologique.  L'auteur  part  de  la  doctrine  platonicienne  des  idées 
innées,  et  il  développe  son  système  avec  une  abondance  littéraire  et  une  ri- 
chesse de  style  fort  remarquables.  Quelques-uns  diront  avec  trop  d'abon- 
dance littéraire  et  un  trop  grand  luxe  de  style,  car  en  matières  si  ardues,  en 
des  sujets  si  subtiles,  où  la  précision  est  de  si  haute  importance,  une  parole 
dépourvue   de  rhétorique  est  peut-être  plus  nécessaire  que  l'éloquence.  Un 


330  DiLLem  oidliugrapiiiulc. 

rspril  juslr  goùlc  «iavaiilagc  la  sobriété  tJo  la  phrase  cl  des  idées  élevées  ex 
)>rinii'-f»  t'i)  un  !>l.\lo  (-uii(-i<>  <iù  i'érial  des  images  ne  viriil  |»a»  troubler  l'exar 
tilnile.  lit'Ut'  rriuar<|nr  iri(U|ili(|ue  pas  le  uiiiiiis  du  nioiult'  (|nc  M.  de  Sainl- 
Iloiini'l  suit  tombé  ni  aucune  errc-iir.  On  ^nlt  trop  le  si-nliinrnl  s\  pur  et  ^i 
di'sinlércM^é  i|iii  l'aninii',  pour  (|u'il  suit  possible  un  seul  instant  de  se  mé- 
prendre sur  ses  droites  int<'nlions  ;  mais  il  faut  reconnailrc  (|u'en  certaines 
occasions,  la  clialeur  et  l'imagination  de  l'écrivain  dépassent  les  intentions 
du  pliilusuplic. 

Nous  savons  toute  la  liberté  que  l'Kglisc  laisse  i  ses  enfants  toucbanl  celle 
question  de  l'origine  de  la  raison  et  de  sa  cnnslitution  métaphysique  ;  nous 
avons  ^ardo  d  ignorer  iptel  éclat  la  théorie  plaloniiiriuie  de  la  raison  revcl 
sous  la  pliinii'  de  saint  Augustin,  de  Fénilon  rt  de  Dossuel.  Mais  nous  sa- 
xons aussi  les  iiu-otnénienls  du  système  de  MalUbranche  ;  et,  .'i  un  moment 
où  les  sublilirs  délinilions  du  panthéisme  circonviennent  tant  d'intelligences, 
n'y  aurait  il  pas  (|uel(|uc  avantage  ù  choisir  la  définition  thomiste  de  la  rai- 
son en  disant  avec  un  écrivain  qui  a  toujours  rendu  de  si  loyaux  services 
aux  lettres  catholiques  : 

1  II  y  a  en  moi  unb  force  naturelle  de  percevoir  cl  de  discerner  la  vérité. 
>  Celle  force  naturelle,  je  l'appelle  raison. 

»  Or,  non-seulemenl  cette  force  est  en  moi,  mais  cette  force  est  moi.  Elle 
»  esl  un  élénu  ni  constitutif  de  mon  être. 

•  Ce  n'est  pas  moi,  certes,  qui  me  la  suis  donnée;  elle  me  vient  del'au- 
»  leur  premier  <lc  mon  être,  elle  me  vient  de  Dieu.  Mais,  nous  ne  saurions 
»  trop  le  remaripier,  «Ile  n'est  pas  en  moi  comme  la  lumière  du  stileil  est 
»  dans  mon  œil,  un  simple  ra^on  reçu  du  dehors  et  réfléchi  par  un  miroir. 
»  En  d'antres  lermcs,  la  lumière  de  raison  n'est  point  une  timjtir  hnanation 
»  de  la  lumière  infinie,  ("esl  une  lumière  distincte  de  la  lumière  inrrèèe,  une 
»  lumière  personnelle,  j'ai  pres(|ue  dit  substantielle,  car  l'àme  est  une  sul> 
»  stance  et  une  substance  intelligente;  c'est  une  lumière  active,  participant 
•  lie  I  activité  de  Dieu  qui  a  créé  noire  àme  à  sa  ressemblance  :  .\ii  lieu  tpie 
»  le  miroir  est  passif,  il  réfléchit  l'image,  il  ne  la  voit   pas. 

»  Celte  activité  de  mon  ;Uiie  fait  partie  de  ma  nature  ;   elle  esl  innée.  » 

Otle  ilclinilion  (I)  ne  semble  l  elle  pas  plus  convenable  pour  résister  h 
l'adversaire  du  temps  présent ,  aux  impures  conclusions  de  riiégélianismc 
aussi  bien  «praiix  insititiations  du  ralioiialisme  de  M.  Cousin.  Pour  nous, 
nous  n'en  avons  pas  rencontré  de  plus  expressément  conforme  au  bon  sens 
catholique. 

I.a  seconde  pnilie  du  lra\nil  de  M.  <le  Saint  nonnrt  renferme  une  admira- 
ble rrilirpiede  l'enseignement  di-ehristiaiiisi'  «|Uf  les  dorlriiii's  philosophiipiet 
du  Wlir  siècle  ont  imposé  à  la  France  et  à  l'Europe.  L'auteur  reprend  celle 


M)  Elle  esl  empruntée  au  beau  travail  que  Vient  de  suggérer  k  M.  Foisset 
la  Philosophie  de  In  connaissance  de  Vint  du  P.  (Iraliy.  Voir  la  livraison  du 
Corrcsponda ni  i\ii  ï-'i  mars  JS.*)!. 


1 


RI  i.i.r;Ti>  lur.i.Kx.r.M'irioi  i; 


33  f 


faniciisp  question  ilt-s  classiqitrs  (]iii  a  si  fort  n;;itc  le  monde  religieux  et  lit- 
téraii'e  res  ;iimées  derniiTes.  Disons  tout  (I'hIkucI  (|iril  ne  vient  point  recom- 
meneer  une  (niercllc  à  peine  assoupie.  M.  de  Saint-Bonnet  adopte  l'opinion 
modérée  (|ui  a  prévaiii  auprès  de  tous  les  hommes  sensés  soucieux  de  voir 
l'esprit  chrétien  vivifier  l'éducation  des  génératicms  nouvelles,  toutefois  sans 
introduire  dans  les  méthodes  et  les  procédés  pédu^opiqiies  des  bouleverse- 
ments capables  plutôt  de  compromettre  l'ensei},'m'ment  littéraire  que  de  réa- 
liser le  but  désiré.  Il  accorde  aux  auteurs  païens  une  juste  part  d'influence  ; 
mais  il  ne  veut  pas,  connue  il  est  arrivé  depuis  trois  siècles,  qu'ils  soient  à 
peu  près  les  uniipies  iiistrurncnls  du  développement  de  l'intelligence  et  de  la 
pensée  pour  les  enfants.  Il  faut  lire  dans  le  livre  lui-même  les  pages  aussi 
attrayantes  qu'instructives  suggérées  par  cette  considération  à  M.  de  Saint- 
Boiuiet.  Le  sujet  est  lajeuni  par  le  talent  d'expression;  mais  bien  plus  en- 
core par  la  vérité  du  sentiment. 

M.  de  Sainl-Bimnet  déplore  ensuite  la  bifurcation  des  études  et  ce  pro- 
gramme de  sciences  physi(iucs  venant  faire  suite  à  la  culture  intellectuelle 
donnée  à  l'enfant  par  les  auteurs  pa'iens.  Et  cela  à  l'âge  de  ii  à  18  ans,  au 
moment  où  l'intelligence  n'est  point  encore  formée.  Il  démontre  à  merveille 
le  danger  qu'il  y  a  à  animer  tout  à  coup  la  nature  de  toutes  ses  forces  de- 
vant le  jeune  homme,  sans  répandre  sur  tant  de  prestiges  celte  solidité  de 
l'enseignement  théologique  et  de  la  philosophie  traditionnelle  qui  ramène  au 
sein  de  la  création  la  splendeur  divine  de  la  cause  première.  Il  manifeste 
combien  il  importe  que  les  sciences  physiques  soient  subordonnées  aux  scien- 
ces morales  au  point  de  vue  de  leur  utilité  comme  au  point  de  vue  de  leur 
importance  ,  et  combien  il  y  a  de  péril  pour  la  civilisation,  alors  qu'il  en  est 
autrement.  Car  les  sciences  naturelles  et  physiques  n'ont  pas  la  mission  ni 
la  capacité  de  former  l'homme,  elles  ne  peuvent  développer  en  lui  ces  facul- 
tés par  lesquelles  il  entre  en  relation  avec  Dieu,  avec  lui-même,  avec  la  société 
pour  ses  fins  absolues.  L'étude  exclusive  des  sciences  physiques  pourra 
bien  forn)er  des  arpenteurs,  des  fabricants  de  produits  chimiques  et  des 
ingénieurs  de  chemins  de  fer,  elle  ne  fera  jamais  des  hommes  d'état ,  des 
hommes  d'un  grand  caractère  ,  des  hommes  d'un  jugement  sain  et  éclairé. 
Une  dernière  raison  ,  c'est  que  tous  les  hommes  de  génie  qui  ont  illustré 
les  sciences,  ont  pris  impulsion  dans  une  éducation  littéraire.  Depuis  qu'il 
en  est  autrement,  la  décadence  est  évidente  dans  les  savants  de  science 
pure.  Ce  n'est  pas  pour  un  autre  motif  qu'il  ne  sort  aujourd'hui  des  éco- 
les spéciales  que  des  industriels,  habiles  peut-être  pour  faire  des  affaires, 
mais  dont  les  rangs  n'ont  fourni  que  trop  de  partisans  aux  systèmes  absur- 
des du  fouriérisme,  du  saint-simonisme  et  de  tous  les  socialismes  contem- 
porains. 

La  conclusion  est  qu'il  faut  renouveller  par  la  base  toute  l'éducation,  d'une 
part  en  faisant  dominer  l'esprit  chrétien  sur  l'esprit  païen,  d'autre  part  en 
assignant  aux  sciences  physiques  une  part  légitime,  mais  en  ne  permettant 
jamais  qu'elles  envahissent  dans  l'esprit  la  place  qui  ne  doit  être  occupée  que 
par  les  solutions  philosophiques  que  le  christianisme  impose  à  la  raison.  Car 
hors  de  ces  solutions,  il  n'y  a  pas  d'atmosphère  salutaire  pour  les  individus, 
pas  plus  que  pour  la  société. 


332  nuLi.ri>  HMw  i<M;»i\piiiorK. 

Sacliont  un  gré  iniiiii  tt  M.  df  Saiii(li4itiiirt  d'avoir  insista  une  fuis  d« 
plus  sur  ces  vérités  en  nieUanl  au  service  d'une  cause  aussi  im|>ortantr  l'ati- 
torilé  de  son  nom  rrspeclc.  Assurciiicnt  le  mal  est  bii-n  grand;  mais  on 
|)cu(  cs|>orer  (|u'ii  sera  conjuré  en  voyant  que  l'origine  n'en  e»t  pas  ignorée 
et  qu'elle  prcuccupe  tant  d  e>prils.  Quelque  part  dans  son  li\  rr  il  parie  de 
ers  esprits  nou\i-au\  qui,  faisant  scission  avec  le  siccle.  ont  riidirassé  avec 
entliousiasntc  la  cause  de  rK^^lisc  ,  (|iii  ont  fait  de  son  enseignement  la  In- 
niicrc  do  leur  entcnden)ent  et  ipii  ont  la  ferme  volonté  de  ne  marelier  à  la 
conquête  des  sciences  qu'à  la  ciarlé  do  la  dueirine  di\ine  qui  doit  être  pour 
riiumino  la  vérité  tout  entière,  parlonl  et  toujours.  Il  considère  combien  ces 
esprits  qui  uni  pris  la  synthèse  calliuliquc  |>our  soutien  de  leur  intelligence, 
sont  étrangers  au  milieu  de  la  génération  actuelle,  non-seulement  auprès  des 
adversaires,  mais  encore  auprès  de  leurs  proches,  de  leurs  amis,  de  ceux 
mêmes  (|ui  \oulonl  bien  être  avec  eii\  quant  ù  la  foi.  m:iis  qui  n'esliment  pas 
qu'il  suit  nécessaire  de  porter  le  llainbeau  de  la  foi  hors  du  domaine  de  la 
conscience,  dans  toutes  les  avenues  do  l'esprit  humain.  Faisons  elTort  avec 
lui  pour  que  le  nombre  do  ces  étrangers  grandisse  et  (|U°il  domine  ,  car  à 
l'exemple  de  .M.  do  Suint-Bonnot.  ils  ne  veulent  pas  autre  chose  (|ue  le  règne 
de  Dieu  dans  l'exercice  do  la  raiscm,  comme  dans  toutes  les  manifestations 
de  l'activité  de  l'esprit  humain.  Les  ferments  révolutionnaires  déposés  au 
scindes  peuples  modernes  par  le  WIIT  siècle  ne  seront  vaincus  qu'au  prix 
do  cette  transformation. 


EXPLICATION. 


Sous  ce  titre  :  Explication,  M.  Nicolas  a  écrit  un  chapitre  qui  sert  d'intro- 
duction à  la  seconde  édition  de  son  livre  sur  le  Protestantisme.  Ce  chapitre 
entièrement  nouveau  était  dû  à  nos  lecteurs  ;  ils  connaissent  presque  tous  un 
ouvrage  qui  a  été  l'objet  de  critiques  dautant  plus  passionnées  que  l'auteur 
avait  manifesté  plus  au  vif  le  désordre  produit  par  le  principe  de  l'individua- 
lisme protestant  dans  la  raison  humaine  d'une  part,  et  de  l'autre  dans  l'ordre 
surnaturel  établi  par  Dieu  même  pour  ramener  à  lui  l'humanité  déchue.  Les 
défenses  du  protestantisme  ,  si  vivement  attaqué ,  ont  été  à  fin  contraire  de 
leur  but,  cl  bien  des  personnes  qui  trouvèrent  il  y  a  deux  ans  la  thèse  de  M.  Ni- 
colas excessive  dans  ses  conclusions,  accordent  aujourd'hui  qu'il  n'arienditde 
trop.  Les  circonstances  ont  rendu  pour  nous  le  fait  évident  à  Genève,  dans  cette 
officine  remuante  des  passions  réformées.  Enhardi  par  des  débats  politiques 
intérieurs,  stimulé  par  le  cri  de  réprobation  qui  s'est  élevé  contre  lui  dans 
l'Europe  entière,  depuis  18i8,  nous  avons  vu  le  protestantisme  sous  toutes 
ses  formes,  ou  plutôt  tous  les  protestantismes  de  Genève  se  lever  et  se  po- 
ser: quidans  sestempies  officiels,  quidans  ses  chapelles  privées,  qui  dans  ses 
réduits  obscurs  ,  qui  dans  le  cabinet  d'un  homme  de  plume ,  pour  s'affirmer 
chacun  à  son  tour,  se  poser  en  sauveur  du  monde  et  se  déclarer  défenseur 
privilégié  de  la  parole  de  J.-C.  Nous  avons  vu  à  deux  reprises  des  ministres  de 
l'Eglise  nationale,  sur  l'ordre  de  leur  Consistoire  et  dirigés  par  un  homme  in- 
fluent, le  professeur  Munier,  venir  dérouer  une  colossale  diffamation  de  la 
doctrine  catholique,  sous  le  titre  d'exposition  de  la  foi  réformée.  Nous  avons 
vu  les  fatras  exégétiques  de  M.  Gaussen  ;  nous  avons  vu  les  sceptiques  pro- 
positions de  M.  Schérer,  cet  immense  orgueil  individualiste,  assurément  l'in- 
strument de  destruction  le  plus  serpigineux  que  le  proteslantisme  ait  pro- 
duit de  nos  jours;  nous  avons  vu  lilluminisme  théopneuslique  de  M.  de 
Gasparin  lancer  aussi  son  système  d'excommunications  personnelles.  Nous 
avons  vu  plus  encore  :  ces  protestantismes  divers  s'analhématisant,  se  ruinant 
les  uns  les  autres,  ne  retrouvant  un  peu  de  solidarité  que  pour  se  coaliser  con- 
tre les  consciences  des  pauvres  qu'ils  oppriment  et  séduisent  à  prix  d'argent. 
Pour  dernier  trait,  enfin,  on  a  vu  le  protestantisme  tendre  la  main  aux  ex- 
communiés de  la  société  civile  et  aux  excommuniés  de  la  société  catholique, 

21 


33  i  i:\ri.i<:ATi(M. 

p^rcc  qu  il  i*»l  »l.tiii  »a  lulun-  tic  fratiTiiiscr  a\fc  lou»  les  eiinriiiis  de  l'E- 
plisc,  sous  «ju«'l<|U<*  forrnr  (juils  npparnissrnl.  On  a  \\i  loiJt  cria  ;  cl,  en  der- 
nière analyse,  il  éclate  visil)lcn)rnl  qn'un  société  désolée  de  la  sorte  e«l  inca- 
pable désormais  de  maintenir  les  droits  de  la  raison  ;  aussi  les  courants 
niairaisanls  du  panlliéismc  s  infiltrent  partout  chez  les  prolestants,  et  l'on  va 
voir  se  discipliner  ces  éléments  épars  pour  former  lliérésie  finale  qui  suc- 
cédera fi  tant  (le  divagalicms.  Les  fuits  apportent  à  la  tlièse  de  M.  Nicolas  la 
confirmation  la  plus  solennelle. 

Aussi  son  liN  re  sur  le  protestantisme  est-il  plus  (|ue  jamais  un  livre  d'actua- 
lité. Cette  seconde  édition  est  coiiT'idéruhlrment  nn^iiu-nlér.  Nous  nous  pro- 
posons de  revenir  plus  tard  sur  ces  additions  qui  sont  autant  de  perfection- 
ments  heureux. 


Un  écrivain  proleslant,  cher  a«i\  leiiics  clirèiionnes,  el  dont 
la  dduco  t't  f;rav('  nuMUoirc  est  liicii  faiic  jioiir  léiinir,  dans  un 
cominnn  scntiint'nt  do  rcj^rct  ol  do  respect,  les  prolesianis  et  les 
catholiques,  Alexandre  Vinel,  a  écrit  ces  belles  paroles  : 

«  Quiconcjiie  est  d'avis  do  laisser  la  Vi'rilé  faire  toute  seule 
»  ses  affaires  n'es!  jvis  son  ami.  On  parle  trop  de  Tinulilité  des 
»  professions  do  foi,  du  raisonnomeni,  des  appels  à  la  conseience. 
»  Je  croirais  bien  plul(^t  qu'aiiciiiio  parole  de  vérité  ne  demeure 
»  absolument  sans  effet,  el  <|u';iii('iiti  |<ernie  ne  péril,  l/irrilation 

■  elle-nirinc,  la  li;iiiie,  esl  un  riiiii  atncr,  niais  un  fruit,  liun  des 

■  faits  iin[i()rlanls,  pour  éirt'  iiivisililes,  n'en  sont  pas  moins  réels  ; 
»  el  mille  fois  on  a  eu  lien  d  admirer  comment  les  vérités  les  plus 
»  contestées  oui,  an  IkuiI  il'un  cerlain  temps,  pris  pied  el  gagné 
n  du  terrain  dans  resprit,  dans  les  mœurs  du  moins,  des  plus  ré- 

■  calcitranls.  Il  Inir  serait  dur  de  regimber  irop  longtemps 
»  contre  un  tel  aiguillon.  Le  déconragemenl  «orail  donc  dérai- 
»  sonnablo  et  iiijtislo;  mais,  ei'il-il  plus  d'excuses  «pi'il  n'en  a, 

■  le  devoir  de  (pii  possède  la  vérité,  c'esi  dr  la  dire  avec  ou  sans 
•  espérance;  c'est  di'  ne  pas  laisser  aux  seuls  événements  llion- 
»  neur  do  la  démontrer  el  de  riin|»(tser;  c'est  de  ne  pas  adnni- 
»  ire,  en  ce  qui  la  concerne,  qu'inlrodiiite  <lans  le  monde  par  la 
»  nécessité  comme  par  une  sage-femme  briilale,  elle  naisse  morte 

■  au  lien  de  nallre  vivante.  »  A'.moi  5i/r  In  ttinntfrflation  des  ron- 
victions  rvligiruses,  p.  i/i.) 

Ces  paroles,  qu'un  sduffle  passager  n'a  pas  inspirées,  mais 
doiii  le  dév(  jopiiemcMl  lellcclii  et  consciencieux  compose  l'on- 


EXPLICATION.  335 

vrage  le  plus  imporianl  et  U'  plus  individiiL'l  (lui  soit  sorti  de  la 
plume  de  leur  auteur,  seront  l'épigraphe  de  telle  seconde  édi- 
lion ,  et  c'est  sous  leur  auspice  que  nous  adressons  de  nouveau 
ce  livre  à  tous  les  prolcstanis  que  sa  première  publication  a  frois- 
sés et  irritf'S,  et  à  certains  catholiques  qui,  mesurant  trop  Tin- 
lluonce  propre  do  la  vérité  sur  les  âmes  qui  la  méconnaissent  à 
celle  qu'ils  lui  accordent  sur  la  leur,  sont  d'avis  de  la  laisser 
faire  toute  seule  ses  affaires. 

S*  une  âme  aussi  incomplètement  en  possession  de  la  vérité,  et 
d'ailleurs  dune  si  grande  mansuétude  que  Vinet,  a  senti  et  ex- 
primé si  énergiquement  le  devoir  de  la  dire ,  au  prix  de  l'oppo- 
sition la  plus  violente  qu'elle  pût  rencontrer,  et  en  dépit  de  tout 
désespoir  de  la  faire  admettre,  comment  nous,  qui  possédons  la 
vérité  totale,  substantielle,  vivante,  la  Vérité  même,  nous  qu'elle 
possède,  la  retiendrons-nous  captive  dans  Vinjustice?  (1]  Vai- 
nement l'eussions-nous  tenté  :  comme  le  géant  hébreu,  elle  eiît 
emporté  sur  la  montagne  les  portes  mêmes  de  sa  prison. 

A  ceux  qui  demanderaient  encore  la  raison  de  cette  manifesta- 
tion de  nos  convictions ,  nous  dirons  donc  pour  première  ré- 
ponse :  J'ai  cru,  c'est  pourquoi  j'ai  parlé  (^). 

Il  y  a  deux  manières  de  faire  connaître  et  valoir  la  vérité  : 
en  elle-même,  c'est  ce  que  nous  avons  essayé  dans  nos  Études 
philosophiques  sur  le  christianisme  ;  dans  sa  contre-partie,  c'est 
ce  que  nous  nous  sommes  proposé  dans  ce  second  ouvrage.  Celte 
seconde  manière  est  ardue  et  pénible,  nul  ne  le  sent  plus  que 
nous;  mais  elle  est  très-efficace,  en  ce  qu'elle  est  la  conlre- 
épreuve  de  la  première  ,  en  ce  qu'elle  donne  à  la  démonstration 
de  la  vérité  ce  caractère,  et,  pour  ainsi  dire,  ce  cachet  de  certi- 
tude absolue  qui  ne  ressort  parfaitement  que  de  son  opposition 
avec  l'erreur.  Aussi  a-t-il  été  dit  qu'il  convenait  qu'il  y  eût  des 
hérésies  :  par  la  même  raison ,  il  nous  a  paru  qu'il  convenait  de 
les  exposer. 

Nous  avons  la  conviction,  d'ailleurs,  que  la  question  n'est  pas 
seulement  entre  le  catholicisme  et  le  protestantisme.  Nousn'au- 


(1)  Aux  Romains,  ch.  I,  v.  \S. 

(2)  Ps.  an,  V.  iO. 


336  KXPi,in\Tiox. 

lions  pas  t* ulirpi is  ctl  ouvrage  ,  si  elle  n'avuii  ou  (jiic  ctilc  |»oi- 
lée  :  assez  d'autres,  bien  supérieurs  au  nôtre,  existent  déjà  et  suf- 
fisent à  qui  veut  réellement  s'éclairer.  Mais  nous  avons  l'inlime 
eonvicliun  qu'en  défendant  le  caiholieisme ,  nous  défendons  le 
ehiislianisnu',  et  rpie,  dans  le  jirutestaniisnie,  nous  frappons  le 
plus  dangereux  de  tous  les  déismcs. 

Lue  preuve  singulière  de  eette  vérité,  entre  mille,  est  venue 
s'dllrir  d'elle-même  à  nous.  Un  des  organes  les  plus  sérieux  du 
protestantisme  franvais,  la  Revue  de  tfuoloyie  de  Strasbourg,  a 
accueilli  notre  ouvrage  avec  colère.  Dans  un  long  article  qu'elle 
lui  a  coi»sacié,  on  s'est  proposé  d'exercer  sur  lui  la  >indicle  du 
protestantisme.  Nous  ne  pouvons  pas  dire  «pic  nous  y  avons  été 
indifTércnt.  Nous  avons  été  au  contraire  vivcmenl  affecte  d'avoir 
pu  blesser  jusqu'à  celte  irritation  des  convictions  sans  doute 
chrétiennes.  Mais  (jnel  n'a  pas  été  notre  «'tonnement,  plus  triste 
encore  ([ue  cette  première  impression,  lors^iue,  au  revers  de  cet 
article  et  dans  plusieurs  de  ceux  qui  le  suivent,  nous  avons 
trouve  la  négation  ouverte  et  froide  de  la  di\iiiitt'  du  S;iuvrurdu 
monde  (1). 


(I)  Dans  un  premier  article  intitulé  :  Etquisse  d'un  rotirs  de  religion  chré- 
tienne pour  la  récrplion  de»  catèchumènrt  ou  confirmation  ,  on  indique  la 
manière  d'expliquer  le  sjniboledes  apolrrs,  et  venu  à  ee  passage  :  Jecrois 
enJêsutChrisI,  xon  Fils  unique,  nolrr  Srignrur,  on  «lit  :  «  I/e<;prilesl  frappi' 
»  d'abord  par  la  cfinlradiclioii  apparente  ()ui  existe  entre  la  (inaliflrnlinn  de 
»  Fils  unii/ur  de  Dieu  .  réscrvt'e  h  Jésns-tllirist .  et  re  que  nous  venons  de 
»  dire  sur  liioninic  crc'ti  à  liniajçe  divine,  eonirue  l'ils  de  Dieu.  Pour  résou- 
>  dre  cette  contradiction,  nous  sommes  amené  naturellement  ù  parler  du  pé- 
»  ché.  —  L'homme,  qui  est  virtuellement  fils  de  Dieu,  a  perdu  celle  qualité 
»  par  la  désobéissance.  Dieu  restant  son  père,  i\  n'est  pas  resté  fils  de  Dieu  ; 
9  l'image  de  Dieu  est  altérée  en  lui.  F.xreption  unique.  Jésus  Clirist.  Sa  \ie 
»  sans  péché.  Absence  du  pérlié  originel.  » 

.Ainsi  Jésusdhrist  n'est  qu'une  exception  dans  l'humanité.  Kn  lui  il  ne  faut 
pas  adorer  la  naOïrr  rfirr'/ir,  Dieu  même  nous  diuniant  par  son  anéantisse- 
ment el  son  sacrifice  la  niesure  de  sa  justice,  de  sa  niiscrironie,  de  sa  sain- 
Iclé,  de  S.1  puissance  et  de  sa  sagesse ,  Chrittum  crucifixum  Dei  virtulem . 
et  Ùei  tapientiam  (1  Cor.  I,  !i4),  en  même  temps  que  la  mesure  de  noire  mi- 
sère el  de  notre  grantleur,  el  l'exemple  cl  le  prix  de  notre  rédemption  : 
toutes  ces  subliiues  notions  disparaissent ,  toute  cette  divine  économie  du 
christianisme  s'évanouit,  et  il  ne  reste  pkis  que  la  nature  ttumaine,  plus  ou 
moins  p.-u faite. 


EXPLICATION.  337 

La  question  n'esl  pas  entre  le  catholicisme  et  le  prolcstan- 
lisme  ;  elle  est  entre  le  Christianisme  et  l'Impiété  :  elle  est  entre 
le  OUI  et  le  NON  sur  Jésus-Christ. 

La  quesiion  a  une  portée  plus  vaste  encore  :  Nier  la  divinité 
de  J(''sus-Christ,  en  elVcl,  c'est  nier  toute  religion  positive  ;  c'est 
nier  l'ordre  suinalurel  révélé;  et  nier  cet  ordre  surnaturel,  c'est, 
comme  on  l'a  très-bien  dit,  déchaîner  le  désordre  dans  les  so- 
ciétés des  hommes,  c'est  attenter  à  la  civilisation. 

LîPqueslion  entre  le  catholicisme  et  le  protestantisme  est  donc, 
d'une  manière  générale  et  sauf  des  exceptions  respectables, 
mais  individuelles,  entre  le  christianisme  et  l'impiété,  entre  la 
société  et  le  socialisme ,  entre  la  civilisation  et  la  barbarie ,  et 
nous  avons  cru  au  catholicisme,  au  christianisme,  à  la  société  et 
à  la  civilisation.  J'ai  cru,  c'est  pourquoi  f  ai  parlé. 

Nous  ajouterons  :  J'ai  espéré,  et  c'est  aussi  pourquoi  j'ai  parlé. 

Quand  la  vérité  n'a  pour  elle  que  la  conscience  individuelle , 
il  y  a  mille  moyens  de  se  faire  illusion  à  son  égard ,  mille  biais 
pour  lui  échapper  :  c'est  un  oracle  divin  ,  sans  doute  ,  mais  dont 
les  réponses  sont  trop  souvent  dénaturées  par  l'esprit  qui  les 
transmet  à  la  passion  qui  les  demande. 

Quand  la  vérité  est  annoncée  par  les  événements,  comme  elle 


On  ne  nons  laisse  pas  même  le  soin  de  tirer  celte  conclusion  impie;  car 
on  ajoute,  parlant  toujours  de  Jésus-Christ  :  «Nature  ftwmame parfaite...  De 
»  cette  manière,  toujours  d'après  notre  méthode  analytique,  nous  partons  de 
»  la  nature  humaine  pour  arriver  à  ce  qu'on  appelle  improprement  nature 
»  divine.  »  Et  pour  qu'on  ne  se  méprenne  pas  sur  l'intention  et  la  portée  de 
cette  négation  ,  on  souligne,  comme  nous  l'avons  fait,  les  mots  qui  la  résu- 
ment. 

Dans  un  autre  article  sur  les  miracles  et  les  prophéties  de  Jésus-Christ, 
intitulé  :  les  prédictions  de  Jésus-Christ ,  on  travaille  à  leur  enlever  le  sens 
propre  et  historique,  et  à  les  réduire  à  un  caractère  purement  symbolique. 
«  C'est  ainsi,  conclut-on,  que  les  prédictions  de  Jésus  nous  apprennent  à  ju- 
»  ger  de  la  nature  de  sa  conscience  prophétique.  Jésus  ne  prévoit  pas  les  faits 
»  en  vertu  de  je  ne  sais  quelle  toute-puissance  abstraite ,  de  quelle  omni- 
*  science  mécanique  et  d'ailleurs  incompatible  avec  la  sincérité  de  son  huma- 
nité; il  les  prévoit  en  vertu  de  la  profondeur  de  cette  pensée  religieuse  qui, 
«par  cela  même  qu'elle  est  religieuse,  va  jusqu'au  fond  des  choses,  et  les 
*juge  d'après  les  seules  lois  éternelles  et  absolues,  celles  de  l'ordre  moral 
»  de  l'univers.  Sa  sainteté  est  la  source  de  sa  science.  » 


338  K\PLirvTi(»>«. 

l'a  fU-  «l'iiiit'  in;ini»'ip  si  piovidfiitit'IU'  :i  noire  «''noqiip ,  on  v  esl 
il'aburd  i)liis  ;iUt'nlir  :  riiii|)rossion  t'ianl  (ommuiie  tl  {{éncrale 
pèse  sur  chacun  avec  la  force  de  tous  ;  et  la  soriélc  tout  entière 
est  éuiuc,  non-seulrmenl  de  la  voix  du  ciel,  mais  plus  encore  di* 
l'écho  de  celle  grande  voix.  Elle  se  rend  à  elle-nu^me  des  oracles, 
et  ces  oracles  sont  d'autant  [tins  relij^ieux  ,  (|ue  les  honc  lirs  (|ui 
les  prononcent  leur  donncin,  par  Imr  récente  hostilité,  nn  carac- 
tère (If  |)ro(li^'e. 

Mais  la  icnipèie  passée,  l'cclio  rentre  dans  le  silence,  les  voix 
extraordinaires  se  taisent;  l'impression  des  événements  s'efface  ; 
chacun  délaisse  peu  à  |>en  la  vérité  <pii  en  était  sortie,  et  cherche 
à  reprendre  sur  elle,  avec  usure,  le  i  redit  (ju'il  lui  a^ail  accordé, 
aux  dépens  de  ses  intérêts  alarmés  et  de  ses  passions  confondues. 
Celte  vérité,  naguère  confessée  par  tous,  se  trouve  bieniAt  aban- 
donnée,  désavouée,  sur  le  point  de  (piittei-  la  terre  (]ui  n'en 
veut  plus,  et  (|ui,  par  celte  criminelle  inlidelile,  se  prépare  un 
retour  liinesie. 

C'est  le  moment,  pour  l'ami  de  la  véril»'-,  |)onr  lanii  de  la  so- 
ciété, lie  rattacher  l'une  à  l'autre,  de  pré\cnir  celle  lalale  sépa- 
ration ,  de  prendre  acte  des  événements ,  et  d'en  inscrire ,  d'en 
ûxer  les  leçons  dans  la  raison  et  dans  la  conscience. 

Tel  est  le  hnl  (jue  nous  nous  sommes  proposé.  Nous  ne  nous 
en  cachons  pas  :  nous  avons  voulu  expjoiler,  non  la  |)assion  du 
moment,  comme  on  nous  l'a  bien  injustement  reproché,  mais  la 
vérité  du  moment.  Nous  avons  voulu  l'écrire  à  la  lueur  des  faits, 
en  présence  des  événements,  en  nous  appuyant  sur  les  impres- 
sions de  la  veille  et  sur  les  pressenlimenls  du  lendemain.  Nous 
avons  voulu  que  celte  vérité,  qui  nous  a  coûté  si  cher,  n'em- 
pruntât pas  de  nouveau  la  voix  des  révolutions  pour  se  faire  en- 
tendre ,  et  (\uin(n)iluite  dans  le  monde  par  la  néreffité  comme 
par  une  sage-femme  brutale,  elle  ne  naquit  pas  morte  ,  mais  7'i- 
vante. 

Ce  n'est  pas  noire  faute  si  la  société  esl  telienienl  inattentive 
et  infidèle  qu'à  peine,  dans  une  première  émotion,  a-t-elle de- 
mandé, comme  le  proconsul  romain  :  Qu  est-ce  que  la  l'énlèP 
elle  retourne  à  ses  injustices,  sans  allcndrc  la  réponse;  et  si, 
pour  lui  faire  enlcndic  celte  réjwnse,  il  faut  proliter  de  cette  prc- 


F.Xn.K.  VTIO.N.  339 

niière  émotion...  Nous  no  dtjdaignons  pas  de  jeter  la  semence 
dans  le  sillon  que  la  cliarruo  divine  a  tracé. 

Grâce  à  celle  providentielle  opportunité,  nous  espérons  (jue 
cette  senienccî  portera  son  fruit.  Nous  ne  nous  laissons  pas  décou- 
rager par  l'irritalion  et  la  haine  même  qu'elle  soulève,  car  cela 
est  déjà  un  fruit  amer,  mais  un  fruit.  On  ne  s'irrite  le  plus 
souvent  que  parce  que  l'aiguillon  de  la  vérité  pénètre  dans  la 
conscience,  que  parce  qu'on  est  IrouMé ,  secoué  dans  les  illu- 
sionV  d'erreurs  au  sein  desquelles  on  vit  et  qui  font  comme  par- 
lie  de  l'existence,  que  parce  qu'on  est  partagé  entre  ces  illusions 
qui  pâlissent  et  le  jour  de  la  vérité  qui  apparaît,  que  parce  qu'on 
est  forcé  de  prendre  un  généreux  parti ,  sous  peine  de  rester 
moins  content  de  soi-même. 

Il  n'est  pas  de  la  nature  d'un  tel  ouvrage,  comme  d'une  simple 
expression  de  la  vérité,  de  produire  un  elfct  individuel  et  direct, 
mais  plutôt,  s'il  répondait  à  son  dessein,  un  effet  collectif  et  in- 
direct, d'agir  d'abord  sur  l'esprit  public,  d'influer  sur  les  idées 
généreuses,  sur  l'opinion,  et,  par  l'opinion,  sur  les  consciences 
individuelles.  Celles-ci  doivent  d'abord  repousser  son  effet  di- 
rect; elles  doivent  l'immoler  à  leurs  préventions  personnelles; 
mais,  avec  cela,  elles  n'en  gardent  pas  moins  une  certaine  im- 
pression qui,  se  multipliant  à  divers  degrés  avec  pareilles  impres- 
sions faites  autour  d'elles,  les  amène  à  subir  l'effet  général  qui 
en  est  le  résultat.  La  vérité ,  quelques  détours  qu'on  l'oblige  à 
faire,  finit  toujours  par  prendre  son  niveau  avec  la  conscience. 

Un  autre  fruit  important  que  nous  nous  sommes  proposé,  et  qui 
nous  paraît  encore  moins  contestable,  c'est  de  raviver  le  sens  ca- 
tholique parmi  les  catholiques  ;  c'est  de  raffermir,  d'augmenter 
leur  confiance  dans  les  destinées  de  leur  foi ,  en  les  rattachant 
au  raisonnement  et  à  l'expérience  ;  c'est  de  leur  donner  des  con- 
victions plus  sûres  d'elles-mêmes,  ayant  une  prise  plus  large  et 
plus  ferme  dans  les  combats  de  la  conscience  et  de  la  pensée , 
et  par  conséquent  plus  douce  et  plus  charitable,  comme  tout  ce 
qui  est  plus  fort  et  plus  éclairé. 

Enfin,  entre  les  deux  camps,  il  y  a  une  multitude  flottante  qui 
compose  ce  que  l'on  appelle  le  tribunal  de  l'opinion.  C'est  là 
principalement  que  nous  avons  dirigé  notre  intention,  et  sur  ce 


340  e\plh:ation, 

|Miinl  que  nous  avons  nu'.siiic  la  porlce  de  noire  ouvrage.  Ce  Iri- 
bunal  se  (J<'|)la(e  à  clia(|ue  inslani .  cl  n'iid  loujours  à  se  perler 
d'un  rùté  ou  de  Tauire.  Il  suflit  (ju'il  ne  nous  soit  pas  hostile;  il 
suflîl  (lu'il  soil  impartial  cl  libre.  Nous  préférons  uH^nu' ,  pour 
riionnour  de  la  vériié,  qu'elle  f^aj^no  sa  cause  devant  un  tel  iri- 
l)unal  ,  avant  dr  mouler  y  repieiidr»'  sa  place,  et  y  recevoir  les 
hommages  de  ses  juges  et  de  ses  accusateurs,  devenus  ses  disci- 
ples et  ses  apùlres. 

Ce  livre,  du  reste,  (omine  nous  en  sommes  couNenu,  reçoit 
toute  sa  valeur  des  circonslances.  Il  en  est  à  la  fois  le  commen- 
taire et  le  texte  :  le  rommenlaire  pour  le  passé,  le  texte  jtour  le 
présent  et  l'avenir.  Les  circonslances,  les  événenients,  «piehpie 
éloipienls  (pi'ils  soient ,  nom  pas  atteint,  ce  semble,  toute  leur 
signilicalion  ,  et  peuvent  rentrer  dans  le  doute  ,  dans  la  nej^alioii 
même  de  leurs  enseij;nenienls  les  pins  terribles,  tant  cpiils  n'onl 
pas  été  iraduils  dans  un  \erbe  humain,  lani  que  la  leçon  (ju'ils 
renferment  n'en  a  pas  été  extraite  et  mise  en  <  ire  ulation.  Mais 
ont-ils  trouvé  un  interprète ,  c'est  fini  :  ils  sont  ac(juis  à  la  con- 
science pid)liqne  :  la  vérité  a  été  dite;  plus  ou  ujoins  bien,  n'im- 
porle  par  qui,  il  sullit  quelle  ait  éié  dite,  dite  tout  haut  :  toutes 
les  consciences  en  sccrei  la  ratifient,  y  ap[tortent  leurs  impres- 
sions et  leurs  réHexions  individuelles,  dont  elles  ne  doutent  plus, 
dès  lors  (pie  cette  vérité  n'eu  dépend  plus,  et  qu'elle  se  trouve 
hautement  exprimée.  El  ce  résultat  est  surtout  souverain  lorsqu'il 
est  lellemenl  pris  dans  les  entrailles  de  la  situation,  si  l'on  peut 
ainsi  dire,  que  non-seulement  les  faits  de  la  veille,  mais  les  faits 
du  jour,  les  faits  (U\  lendemain,  viennent  lui  a|)porter  témoi- 
gnage, et  ceux  qui  en  <  (mtestenl  le  plus  la  vérité  par  leurs  paro- 
les se  char^'ent  S(tuvent  delà  prouver  par  leurs  actions. 

Ainsi  en  esl-il  de  la  véi  ite  du  rapport  entre  le  protestantisme 
et  le  socialisme. 

Ce  mot  protestantisme  ne  doit  pas  être  pris,  sons  notre  plume, 
dans  un  sens  étroit.  Nous  n'entendons  pas  le  resserrer  au  protes- 
tantisme à  l'étal  de  culte  ;  notre  thèse,  nous  tenons  à  le  dire  très- 
expressément ,  y  perdrait  de  sa  vérité  et  de  sa  justice.  Nous 
voubius  dire  par  là  l'esprit  de  rupture,  de  n'volle,  de  conjura- 
tion, dans  toutes  ses  manileslations  extérieures,  dont  le  proies- 


liM'I.ICVTIO.'N.  311 

taniisme  à  sa  naissance  a  élc  la  prcnùère  ol  la  plus  haute  expres- 
sion ,  mais  qui ,  dépouillani  la  forme  religieuse ,  ou  plutôt  la 
brisant,  a  revêtu  cl  brisé  successivement  la  forme  philosoplii- 
ipie,  la  loimc  politique,  et  est  arrivé  à  revêtir  la  forme  sociale, 
laissant  derrière  lui  ses  précédentes  manifestations,  dont  il  s'au- 
lorise^ustement,  sans  en  recevoir  pour  cela  un  secours  direct , 
quelquefois  même  étant  condamné  par  elles. 

Ce  n'est  donc  pas  un  rapport  direct  et  immédiat  que  nous  ac- 
cusons entre  le  proieslaniisme  et  le  socialisme  ;  c'est  un  ra[)port 
médiat  et  indirect ,  un  rapport  allongé  ,  si  l'on  peut  ainsi  dire , 
mais  qui  n'en  est  pas  moins  réel,  comme  le  rapport  d'une  source, 
quelque  haute  et  reculée  qu'elle  soil,  avec  l'aflluent  d'un  fleuve. 

On  nous  a  reproché  d'avoir  abusé  de  la  logique  dans  la  dé- 
monstration de  ce  rapport  entre  les  erreurs  religieuses  et  les 
désordres  sociaux,  aux  diverses  époques  de  l'histoire;  entre  les 
idées  qu'on  s'est  faites  de  l'inlini  et  le  cours  des  choses  humai- 
nes; on  a  accusé  d'exagération  l'importance  et  la  rigueur  que 
nous  avons  attachées  à  ces  relations;  on  les  a  même  niées  for- 
mellement en  ce  qui  touche  le  socialisme.  A  notre  théorie , 
voici  celle  qu'on  a  substituée  pour  l'explication  de  cette  maladie 
sociale  :  «  Le  socialisme  est  de  tous  les  temps;  il  vil  au  fond  de 
»  toutes  les  sociétés ,  sous  toutes  les  formes  de  gouvernement  et 
»  de  religion;  c'est  l'éternelle  question  des  riches  el  des  pauvres, 
»  queslion  grosse  de  tempêtes ,  qui  dort  dans  les  temps  de  calme 
»  et  de  prospérité,  pour  se  réveiller  avec  plus  ou  moins  de  fureur 
»  dès  que  les  révolutions  politiques  ou  religieuses  ébranlent  le 
»  monde.  11  y  a  aussi  des  courants  d'idées  qui  s'emparent  des  na- 
»  lions,  en  vérité  sans  qu'on  puisse  dire  pourquoi,  el  qui  les 
»  poussent  tantôt  vers  le  port,  lantôl  vers  l'abîme.  Toutes  les 
»  raisons  qu'on  donne  pour  expliquer  ces  mouvements,  quelque 
»  ingénieuses  qu'elles  soient,  ne  satisfont  pas  l'esprit.  »  (M.  de 
Sacy,  Journal  des  Débals,  16  novembre  1852.) 

On  dirait  que  ces  lignes  sont  détachées  de  l'Essai  sur  les  mœurs 
et  l'esprit  des  nations;  elles  en  touf  au  moins  ce  caractère  super- 
ficiel el  évasif,  qui  évite  l'élévation  el  la  profondeur,  comme 
pour  éluder  la  raison  des  choses.  Le  caractère  et  le  talent  de 
M.  de  Sacy  ne  sont  pas  faits  pour  continuer  l'héritage  de  la  plume 


.'{12  i.\ri.ir.\Tioi. 

de  \  uluiiie ,  si  ce  ii'esl  (juaiil  à  celle  furino  naturelle  et  facile 
que  le  piihlic  goùie  avec  raison  dans  les  articles  signés  de  lui  ; 
il  D*est  pas  fait  pour  réduire  la  pliilosopliie  dol  h'sloire  aux  cour- 
tes pro|Hirtions  d'un  journal,  et  la  mettre  ainsi  en  AuuvelUt  du 
jour,  sans  rapport  avec  les  faits  de  la  veille  et  ceux  du  lende- 
main. INtur  peu  «pi'il  s<'  fût  élevé  à  la  hauteur  de  sa  proppe  pen- 
sée, il  aurait  vu,  comme  M.  de  Tocqueville,  a  qu'il  n'y  a  presque 
»  point  d'a(  tion  liuniaiiie,  (juclcpie  parlicidiere  (pi'on  la  suppose, 
u  (pii  ne  prenne  naissance  dans  une  idée  irès-genérale  (juc  les 
»  hommes  ont  conçue  de  Dieu ,  de  ses  rapports  avec  le  genre 
»  humain,  de  la  nature  de  leur  Ame  et  de  leurs  rapports  envers 
«leurs  send)lal)les;  que  Ton  ne  saurait  faire  (|ue  ces  idées  oc 

■  soient  pas  la  source  <ommune  dont  tout  le  reste  découle  (1),  » 
et  avec  \  incl  (pie  a  tonli'  la  vie  humaine  se  réfléchit  dans  la  re- 
»  lij^'ion,  imilf  la  relij;inn  dans  la  vii-  hiinuiine  ;  «pie  riiisloirede 
»  riiinnanilc  est  iliislDire  de  ses  ciovances,  l'Iiisloire  des  croyan- 
»  ces  df  riiniiiiin'  csi  riiisiuirc  de  I  lionnne  lui-même  (2).  » 

^  incl  s'élève  surtout  avec  une  elnipicnie  répulsion  contre  ces 
dispositions  maléiialistes  (pii  veulent  soustraire,  à  force  de  l'a- 
baisser, l'ordre  naturel  à  l'ordre  surnaturel ,  le  fini  à  l'inlmi,  et 
ne  |tas  tenir  c«»nq»te  de  la  loi  de  leur  rapport,  avec  toutes  ses 
consecpjences.  «  Loin  d'ici  et  p<»ur  jamais,  s'ecrie-t-il,  les  misé- 
»  rahles  commentaires  du  maicrialisme!  Laissons  ses  derniers 
>  disciples  faire  de  l'intini  une  invention  de  la  |>olilique,  ne 
»  vovant  pas  que  c(;ttc  invention  elle-même  suppose  un  hesoin 
»  de  l'humanité,  et  <pie  ce  hesoin  est  un  hesoin  l(tf;i(pie.  Qti'esl- 
»  ce  donc  (pie  le  fini,  si  l'infini  n'est  pas?  Qu'est-ce  que  le  rela- 

■  lif  sans  l'absolu?  Oii  est  la  raison,  où  est  la  ccrlitude  de  quoi 
n  (pie  (  (•  soit,  oii  est  h^  l»on  sens,  hors  de  cette  première  donnée? 

(Jui  donc  comprendra  la  matière  sans  l'esprit,  et  (pii  s'(;xpli- 
»  (piera  le  Uni  maieiiel  (pie  |>ar  l'infini  spirituel?  Que  île  lelh»» 
»  idées  aient  |)ii  être  traitées  de  paradoxales,  c'est  une  des  plu» 
»  grandes  manpies  de  notre  chute,  car  elles  sonl  le  premier /k»*- 
»  lulat  de  toute  pensée ,  et ,  si  je  puis  ainsi  dire ,  la  raison  pre- 


(I)  Itr  In  riémnrrniir  m  Amrriiiur,  ¥  pari.,  ch.  \' 
(3)  httai  sur  la  manif.  tle*  ronvir.  reUg.,  p.  (>8. 


EXPI.irVTION.  313 

.  riiièic  dv  noire  raison.  Nous  sommes  plus  ccilain  de  l'esprit 
»  que  de  la  matière,  el  de  Tintini  que  du  fini.  Et  l'instinct  atfai- 
»  bli  pcul-élre  chez  chacun  des  membres  de  l'humanité,  et  chez, 
»  quelques-uns  en  apparence  détruit,  V instinct  du  divin,  comme 
»  explication  de  l'humain,  se  retrouve  dans  la  masse  de  l'huma" 
»  nité.  Si  l'homme  s'est  fourvoyé  dans  la  recherche  de  celte  ex- 
»  plication,  si  sa  route  a  dérivf'  bientôt  vers  les  erreurs  du  pan- 
■^  théisme  et  du  polyiliéisme ,  un  fait  n'en  reste  pas  moins  con- 
n  stani  :  c'est  que  sa  vie  vie  séparée  du  principe  de  tonte  vie  ,  le 
»  fini  détaché  de  l'infini,  eût  paru  à  sa  raison  une  souveraine  dé- 
»  raison  ;  toute  solution  lui  a  semblé  bonne  au  prix  d'une  vie  li- 
»  vréc  au  hasard  (1).  » 

Tel  est  le  point  de  vue  où  nous  nous  sommes  placé,  et  du  haut 
duquel  nous  avons  essayé  de  saisir  l'action  des  doctrines  reli- 
gieuses sur  les  événements  humains.  Cette  action  doit  être  incon- 
testable pour  tous  ceux  qui  admettent  la  vérité  divine.  S'ils  s'é- 
tonnent de  la  rigueur  de  nos  raisonnements ,  c'est  qu'ils  n'ont 
pas  assez  réfléchi  à  deux  choses  nécessaires  dans  l'ordre  absolu 
de  la  religion  :  l'une,  c'est  que  la  vérité  ne  peut  pas  être  la  vé- 
rité sans  que  ce  qui  en  dévie  soit  erreur  ;  l'autre,  c'est  que  l'er- 
reur ne  peut  pas  être  erreur  sans  que  ce  qui  en  découle  soit  dés- 
ordre. 

Sans  doute ,  il  y  a  d'heureuses  inconséquences  qui  viennent 
suspendre  ou  pallier  le  mal  ;  nous  savons  là-dessus  tout  ce  qu'on 
peut  dire,  et  nous  irons  à  le  reconnaître  aussi  loin  qu'on  voudra; 
mais  à  la  fin  on  voudra  bien  reconnaître  avec  nous ,  à  moins  de 
nier  la  puissance  des  principes,  c'est-à-dire  leur  réalité,  que  ces 
inconséquences  ne  peuvent  aller  jusqu'à  neutraliser  complète- 
ment l'action  logique  de  la  vérité  et  de  l'erreur,  du  bien  et  du 
mal  dans  le  monde.  Ce  qui  a  été  conçu  doit  être  tôt  ou  tard  en- 
fanté :  ce  n'est  que  l'affaire  du  temps  ;  et  les  sociétés  n'étant  en 
définitive  que  ce  que  sont  les  hommes  qui  les  composent ,  l'on 
doit  pouvoir  dire  d'elles  ce  qu'on  a  dit  de  ceux-ci,  ce  qui  se  vé- 
rifie en  chacun  de  nous  :  Deinde  concupiscentia  cum  conceperitj 

(i)  Bssai  sur  la  manif.  des  convie,  relig.,  p.  69,  70,  71. 


.TÎ1  K\ri  l(-ATIO>. 

parit  percatum;  percaîum  vrru  cum  consummatwn  [uent,  genr- 
rat  mortem  {  Jacq.  1,  15  ). 

Hicn  110  se  ponl  tic  hi  voriU'  ot  de  rcrrcur  (hiiis  le  monde  , 
qu'on  en  soit  bien  eonviùncu  :  aucun  principe  de  vérilé,  comme 
dit  Vinel,  ne  demeure  ab.tniumrnt  sans  elfel,  aurun  j^erme  ne  pé- 
rit. Si  on  horne  son  observjiiion  ù  des  détails  plus  ou  moins  lo- 
oaii\  ,  tem[)oraires  et  superlieiels,  nn  pourra  nous  opposer  des 
faits  (pii  seiulijcnt  démentir  noire  llieorie;  mais  si  l'on  eonsidère 
les  grandes  li^'nes,  les  f;rands  mouvements  de  riinmanité;  si  on 
perce  les  apparences  el  si  on  pénètre  au  cœur  des  choses ,  on 
trouvera,  à  travers  toutes  ces  opposlions  partielles  el  superlieiel- 
les ,  la  loi  de  la  l()^i(pie  morale  |>nrraitement  accusée  dans  les 
faits.  Le  rapport  du  rationalisme  el  du  sceptieisme  de  nos  jours 
avec  la  philosophie  du  dix-huitième  siècle,  el  de  celle-fi  avec 
l'cnKiiH  ipaiion  relij^ieiise  du  seizième  siècle;  el  linlluence  cor- 
respondante de  ces  trois  rcvoliilions  de  l'esprit  limnain  sur  l'elal 
des  sociéU'S  ,  sont  chose  trop  nKiMilcsic  ,  iiop  pidfondémcnt  em- 
preinte dans  les  évcnem<nls  cl  dans  les  mœurs,  pour  qu'on 
puisse  sonj-ei-  à  la  révcxjucr  en  doute.  Les  lois  physiipies  du 
mouvement  et  de  la  |>esanieiir  n'offrent  rien  qui  soit  plus  scosi- 
blemenl  démontre. 

La  France  siirtonl,  nalinn  iof^i(pie  |i:ii'  excellence,  est  le  ihéà- 
ire  le  plus  propre  à  celte  observation,  et  rKuri>|»e,  rhumanité  ci- 
vilisée, se  modelant  t«\t  ou  tard  sur  la  France,  on  a  raison  do  tout 
le  problème  en  le  |>osant  sur  ce  terrain.  Aussi  tout  l'art  de  nos 
conlradicleurs  consiste  à  l'cviler,  et  à  porter  la  question  en  An- 
gleterre ou  en  Améi  iipie.  Nous  aurions  tort  de  dissimuler  l'ob- 
jection (pie  l'on  lire  de  létal  de  ces  deux  pays,  d'aulanl  qu'il  est 
aisé  d'en  ait»  iiuer  au  moins  la  |)ortée  en  attendant  la  réponse  des 
cvénemcnis,  et  nous  croyons  l'avoir  fait  diine  manière  saiisfai- 
sante.  Mais  que  penser  de  ceux  qui  bmt  abstraction  de  la  France 
oii  ils  écrivent,  des  événenuMils  qui  les  frap|>«'ni,  des  revoluii»»ns 
qui  les  renversent,  des  catastrophes  qui  les  menacent,  el  qui , 
dans  c(?  milieu  é<lalant  cl  terrible  de  lumières  et  de  leçons ,  re- 
fusent de  voir  et  de  confesser  la  vérilé  qui  les  accable,  el  se  font 
Anglais  ou  Américains  pour  lui  .'chapper,  on  plutôt  pour  gagner 


■       EXPLICATION.  345 

quolqiios  jours  sur  elle,  nu  |>rix  encore  de  loin  ce  (|ui  nous  reste 
(Je  supériorilc  morale  sur  ces  cleu\  |)eu|)les  niarcliands! 

Ces  subterfuges  et  ces  expédients  de  l'erreur  aux  abois  ne 
sauraient  arièter  le  mouveni<!nt  de  toutes  les  âm(;s  sérieuses  et 
préoccupées  vers  le  centre  de  la  vériié,  de  l'unité,  vers  le  catho- 
licisme, qui  aujourd'hui,  plus  que  jamais,  est  tout  le  christia- 
nisme, toute  la  société,  toute  la  civilisation.  Nous  avons  con- 
fiance, nous  avons  espc'rance  dans  ce  mouvement,  et  c'est  cette 
espérïince  non  moins  que  la  foi  qui  nous  a  dicté  cet  ouvrage  : 
J'ai  espéré,  c  est  pourquoi  j'ai  parlé. 

Enfin,  il  nous  larde  d'ajouter  :  J'ai  aimé,  et  c'est  encore  pour. 
quoi  f  ai  parlé. 

Nul  n'a  un  caractère  ])lus  antipathique  que  le  nôtre  à  la  con- 
tention et  à  la  polémi(jue.  Nous  souffrons  plus  (jue  personne  des 
blessures  que  la  vérité  fait  en  pénétrant  dans  les  ûmcs  qui  lui 
sont  fermées  par  la  prévention,  d'autant  que  celle-ci  est  souvent 
excusable ,  quelquefois  même  honorable.  Aussi  la  foi  et  l'espé- 
rance, qui  nous  ont  d'abord  déterminée  manifester  la  vérité, 
auraient-elles  été  bien  (chancelantes,  si  elles  ne  fussent  venues 
s'appuyer  sur  la  charité,  et  si  ce  sentiment,  qui  seul  pouvait  re- 
tenir notre  plume,  ne  fût  venu  se  joindre  à  ceux  qui  la  faisaient 
mouvoir. 

Notre  livre  a  été  accueilli  par  de  bien  violentes ,  de  bien  in- 
justes interprétations  ;  mais  il  ne  leur  a  pas  été  donné  de  nous 
irriter  ni  de  nous  abattre  ;  de  nous  faiic  départir  le  moins  du 
monde,  non-seulement  au  dehors,  mais  dans  le  fond  de  l'âme, 
de  notre  première  devise  :  Diligite  homines ,  interficile  errer  es. 
Grâce  à  Dieu  ,  nous  avons  une  ample  provision  de  charité  et  de 
courage;  et  on  ne  fera  jamais  que  nous  détestions  les  hommes  et 
que  nous  ne  détestions  pas  l'erreur  :  d'autant  que  ces  deux  dis- 
positions s'engendrent  et  se  fortifient  réciproquement,  que  nous 
affectionnons  les  hommes  en  raison  du  mal  que  leur  fait  l'erreur, 
et  que  nous  délestons  l'erreur  en  raison  du  mal  qu'elle  fait  aux 
hommes.  On  nous  a  rendu  une  justice  qui  nous  a  plus  touché 
que  toutes  les  injustices  ne  nous  ont  aigri  :  «  Je  dois  dire ,  a-t- 
»  on  dit,  qu'en  attaquant  les  principes,  M.  Nicolas  ménage  les 
»  personnes  avec  beaucoup  de  charité.  Peut-être  même  pourrait- 


340  hVPLICATION. 

•  on  lui  io[)rocher  de  lomhiT  <|U('l(]ticf()is  d'un  oxc«'s  dans  l'au- 
»  li'P,  l;iril  son  siylc,  dur  el  MUrv  «juaiid  il  s';igil  d«'s  cliosrs,  s'at- 
»  iciidi  il  d«v;iiii  les  poi-sonnos  IK  •  Si  on  y  eù\  regard»'  dp  plus 
prt's,  on  aurait  vu  que  la  cliarih'  nr  rts|iirail  pas  moins  dans  no- 
ire durele  à  l'égard  des  choses  <|ue  dans  noire  lenilresse  à  I  «'gard 
des  personnes;  qu'elle  y  élail  njènie  plus  en  exercice,  parcelle 
durelé  nièuie  conlre  le  mal  (|ue  les  choses  fonl  aux  personnes,  en 
vue  de  les  en  <l»'livrer. 

On  a  cependant  conieslé  celle  dislinciion  <|Uf  nous  avons  tou- 
jours maintenue  entre  les  choses  el  les  personnes,  entre  le  pro- 
leslanlisme  el  les  |)roleslanls  :  on  a  eu  lieu  d'v  Noir  une  taeli(|ue. 
«  Lv  prolfsiantisme,  »  nous  a-t-on  objecte  dans  une  rejjonse  qui 
se  distingue  d'ailleurs  par  un  caractère  de  moih'raiion  dont  nous 
avons  été  touché  de  la  part  d'un  adversaire  (|ui  nous  croyait  un 
ennemi  (2);  «  le  proteslantisme  n'est  [)as  un  être  malériel  et  cor- 
»  porel  <pii  agisse  par  lui-mènii-  :  pour  qu'il  soit  dangereux  «-l 
«nuisible,  il  faut  qu'il  ;iii  des  seeiateiirs  (pii  lassent  (piehpie 
»  chose  ,  et  ces  seetaleurs  sont  les  f)rolestanls.  I.e  simple  bon 
»  sens  el  la  raison  la  moins  développée  comprennent  «pie  l'on 
»  ne  peut  pas  distinguer  une  doctrine  de  ceux  (pii  la  suivent  et 
»  (]ui  la  mettent  en  praiicpie,  pour  détruire  lune,  et  p«)ur  <on- 
»  server,  aimer  et  ehei  ir  les  autres.  > 

Il  se  |)eul  que  la  raison  la  moins  développée  comprenne  ainsi 
les  choses  ;  mais  tine  raison  plus  développée  comprendra  très- 
bien  notre  dislinciion  el  le  sentiment  qui  nous  l'a  dictée.  Il  n'y 
a  |)as  (pie  ce  qui  esi  ujalc-riel  et  corporel  yu»  atjisne  pnr  lui-mémr; 
ou  plutôt  rien  de  corporel  et  de  matiriel  n'agit  par  lui-même. 
Tout  |)rin(  ipe  d'action  est  necessairenient  spirituel.  Les  doctri- 
nes, l'esprit  d'où  elles  émanent,  sont  «e  qu'd  y  a  de  seul  réel 
comme  principe  d'action  en  bien  ou  en  mal  dans  la  société.  Sans 
doute  elles  ont  besoin  d'être  incarnées  dans  des  sectateurs  pour 
excr<('r  celte  action,  mais  celix-ci  la  reçoivent  a\ant  de  la  eom- 


(l;  M.  «Ir  Sary,  Journal  dis  fhhnls,  Ifi  iio\«'mbrc  IK'ii. 

(2)  Ije  prntextnnlisme  et  la  sorirlé,  réponse  au  livre  pub  iêpar  M.  NiColm 
contre  le  prolrslanlismr,  par  M.  F.crcrf,  piofrssoiir  hniiornirc  à  la  FariiHr  de 
Urojl  et  II))  inltrc  du  connistoirr  do  l'Kgli»c  rcfoiiiu^e  «le  (^;icn. 


EXPLICVTION.  347 

ii»uni(jiier,  ei  c'esl  loujoiirs  Tcspril  de  ces  doclrincs  qui  ygil  cii 
eux  el  par  eux.  Aussi  n'agil-il  (;ue  dans  la  proportion  où  ils  le 
reçoivent  ;  et  cette  in«''galité  de  proportion  fait  ressortir  la  distinc- 
tion dont  nous  parlons.  L'Évangile,  le  christianisme,  le  (;atholi- 
<isme  est  une  chose  irès-dllFerente,  en  bien,  des  chréiiens  ca- 
tholi(|ues,  même  des  meilleurs.  Le  protestantisme,  l'esprit  de 
rébellion,  de  confusion  et  d'anarchie,  est  une  chose  bien  diffé- 
rente, en  mal,  des  chrétiens  protestants,  niênie  des  plus  mau- 
vais. V^s  catholiques  valent  moins  et  les  protestants  valent  mieux, 
que  leurs  doctrines;  parce  que  l'homme  n'est  ni  absolument  bon, 
ni  absolument  mauvais,  et  que  le  bien  et  le  mal  absolus,  l'esprit 
de  l'un  et  l'esprit  de  l'autre,  sont  par  conséquent  très-différents 
de  leurs  sectateurs. 

En  mettant  d'ailleurs  tout  raisonnement  de  côté,  le  cœur  suf- 
lit  pour  faire  celte  distinction,  sans  laquelle  les  hommes  seraient 
toujours  en  guerre.  Aux  protestants  qui  hésiteraient  encore  à 
l'admettre,  nous  demandons  de  nous  faire  l'honneur  d'attacher 
autant  de  foi  à  la  cordiale  sincérité  qui  nous  l'inspire,  que  nous 
en  attachons  nous-méme  à  celte  déclaration  de  Vinet ,  heureux 
terrain  d'intelligence  et  de  charité  sur  lequel  nous  serons  toujours 
lidèle  au  rendez-vous  :  «  On  voit  que  nous  n'avons  point  paiié  des 
»  Iwmmes,  mais  des  choses.  Nous  n'avons  point  jugé  les  catholi- 
»  quesj  mais  le  catholicisme ,  ni  les  protestants,  mais  le  protestan- 
ytisme.  Et  en  effet,  c'est  une  question  de  choses,  que  l'on  déna- 
»  lure  trop  souvent  en  la  déiournini  .^ur  les  hommes.  Traitée  dans 
»  son  vrai  point  de  vue  ,  elle  n'est  point  propre  à  exciter  le  scan- 
»  dale  ni  à  réveiller  les  haines.  «  (Mémoire  en  faveur  de  la  liberté 
des  cultes,  p.  174.) 

Nous  hésitons  à  répondre  à  une  accusation  qui  a  été  plus  loin  : 
l'accusation  d'appeler  la  persécution  sur  la  tête  des  protestants. 
Quelque  grave  qu'elle  soit  par  sa  nature ,  elle  passe  tellement 
au-dessous  de  notre  caractère,  que  nous  la  relèverons  moins 
pour  nous  en  défendre  que  pour  la  ramener  à  son  véritable  but. 

Celte  accusation  n'est  pas  sérieuse  :  leurs  auteurs  mêmes  n'y 
croient  pas.  En  la  mettant  en  avant ,  ils  ne  se  sont  pas  tant  pro- 
posé de  nous  l'adresser  que  de  se  soustraire  à  l'accusation  d'er- 
reur que  nous  avons  nous-même  adressée  à  leur  doctrine,  que  de 


.JIX  lATLICHTION. 

faire  prcmlrt'  le  clianj,'c,  rn  (létuurnani  sur  k's  humntes  une  «jiios- 
tion  (le  choses  dont  ils  «'*Uiienl  embarrasses.  Voilà  lu  xérilé. 

Nous  on  avons  une  preuve  sin;;uli»'ie. 

Dans  un  premier  arlitle  du  Journal  des  Débats,  mi  M.  de  Sacy 
a  cif  jusK'  à  force  dV'ire  Lienveilhiiil ,  il  disait  (h;  nous  :  «Kl 
»  pourlaiil  M.  Nicolas  lui-même  veui-il  nous  faire  itionriur  au 
»  moyen  à^'e  cl  à  la  iheocraiie.'  I)euianilc-l-il  des  IukIicis  pour 
nies  liereTupus?  Non!  non!  lui  aussi  il  a  d'heureuses  inconse- 
nquenees;  il  ne  suit  |)as  sa  lof^ique  jus(|u\iu  bout.  Su  raison, 
»  son  co'ur,  sa  piété  repoussent  les  persécutions  en  matière  de 
»  foi.  Il  aime  la  tolérance;  il  n'en  appelle  nu^nie  contre  le  libre 
»  examen  (juà  la  libre  discussion.  Ici  je  suis  heureux  de  me  ren- 
p  conlrer  avec  M.  Nicolas...»  Ce  témoignage ,  aussi  honorable 
pour  son  auteur  (pie  |)0ur  nous,  est  du  10  n(»vend)re  18ô2. 

Un  an  a|)rès,  le  18  décembre  IS.").!,  M.  de  Sacy,  réclamant 
dans  le  môme  journal  en  faveur  d'un  seiiuon  de  M.  le  pasleur 
protestant  Grandpierre  sur  le  proteslanlisme  justifié  du  reproche 
de  favoriser  les  tendances  anti  sociales ,  cl  oii  nous  sommes 
nommé ,  a  dil  :  <«  Présenter  le  protestantisme  comme  le  foyer 
»  secret  du  socialisme,  c'était  une  uianièi-e  adroite  de  eac  her  la 
»  «jur'stion  reli;<ieuse  sous  la  (juestiou  polili<pu',  et  «le  rt-chuner 
»  le  renouNellenienl  di-s  |)ers»'cuiinns  au  nom  du  salui  de  TKtat. 
»  M.  (iraïKlpiene  a  déchire  d  une  ni;iiii  ferme  ce  \uile,  assez  lé- 
»  f»er  d'ailleurs,  n 

Ainsi  le  IG  novembre  18o2  nuire  raison,  notre  cour,  notre 
piété  repoussent  les  persécutions  en  matière  de  foi;  nous  aimons  la 
tolérance  ;  ntms  n\n  appelons  même  contre  le  libre  examen  quà 
la  lihre  discussion;  et  le  18  décembr»;  18.').J  nous  réclamons  le 
renouvellement  des  persécutions  au  nom  du  salut  de  l' Etat ,  et , 
«lans  ce  but ,  nous  cachons  adroitement  la  question  religieuse 
sous  la  (jueslinn  poliliffue  ,  et  cela  dans  le  nn'ine  ouvra^^e  .  |t.uu 
avant  ces  deu\  juj^euu'nts. 

Ksl-(  c  que,  dans  l'intervalle  qui  les  sépare,  nous  avons  écrit 
ipiel(pies  lijînes  «pii  aient  trahi  en  nous  un  esprit  de  persécution 
(pion  était  si  loin  d'abî  rd  de.  nous  supposer? — l'as  un  mol 
n'est  sorti  de  notre  plume. 

Kst-e.c  que  notre  ouvrii^e  lui-mômc aurait  révolé  cet  esprit  par 


EXPLICATION.  349 

les  fruits  (ju'il  aiiraii  porlés?  —  Notre  ouvrage  s'est  écoulé  en 
effet  dans  cet  intervalle;  il  a  été  lu  à  trois  mille  exemplaires; 
mais  pas  le  plus  léger  froissement  n'en  est  résulté  contre  les 
protestants;  leur  liberté  a  continué  à  coulera  plein  bord  en 
France;  elle  a  même  contrasté  plus  que  jamais  avec  les  persé- 
cutions qu'ils  exercent  contre  les  catholiques  à  l'étranger. 

Qu'est-ce  à  dire  donc?  Le  voici  :  nous  n'avons  qu'à  retourner 
l'accusk^iondeM.  deSacy,  ella  vérité  se  trouvera  au  revers.  Pré- 
senter notre  thèse,  purement  philosophique  et  doctrinale,  comme 
un  moyen  de  réclamer  le  renouvellemenl  des  pers(!'cutions  con- 
tre les  protestants,  c'est  une  manière  adroite  de  cacher  la  ques- 
tion des  choses  sous  la  question  de  personnes  et  de  la  soustraire 
à  la  libre  discussion.  Le  voile  est  assez  léger  :  il  n'est  pas  be- 
soin d'une  main  ferme  pour  le  déchirer,  et  il  a  fallu  une  main 
bien  souple  pour  en  tisser  la  trame. 

Se  figure-t-on  aujourd'hui,  en  pleine  pacification  religieuse, 
le  retour  des  anciennes  persécutions,  du  moins  dans  les  pays  ca- 
tholiques :  les  bûchers  ,  les  dragonades;  et  nous  croit-on  ,  je  ne 
dis  pas  assez  intolérant,  mais  assez  naïf  pour  les  rêver?  Que 
l'on  remarque  bien  d'ailleurs  que  ce  n'est  pas  seulement  aux 
protestants  religieux  que  s'adresse  notre  ouvrage,  mais  encore, 
mais  surtout  aux  protestants  philosophiques,  politiques,  sociaux, 
aux  rationalistes,  aux  individualistes,  aux  socialistes,  aux  mau- 
vais catholiques,  c'est-à-dire  à  l'universalité  de  nos  contempo- 
rains ,  à  la  société  tout  entière  que  nous  prenons  à  partie ,  et 
pour  laquelle,  par  conséquent,  nous  dressons  le  bûcher.  Mais 
que  l'on  se  rassure  1  Comme  nous  y  faisons  monter  tout  le  monde, 
il  ne  restera  plus  personne  pour  y  mettre  le  feu. 

Nous  nous  garderions  bien,  pour  notre  compte,  de  le  faire  : 
ce  serait  aller  diamétralement  contre  le  but  que  nous  nous  pro- 
posons. Vous  ne  voulez  pas  en  croire  noire  charité,  soit  :  elle 
n'en  existera  pas  moins  pour  cela;  mais  croyez-en  du  moins  no- 
tre intérêt,  consultez  le  vôtre. 

Le  vôtre ,  j'entends  votre  malheureux  intérêt  de  parti ,  c'est 
qu'on  vous  persécute.  Vous  ne  pouvez  renaître  que  de  vos  cen- 
dres. Le  protestantisme  s'en  va  :  il  se  décompose  définitivement  : 
il  devient  du  socialisme  d'un  côté,  et  il  redevient  du  catholicisme 

22 


'.\î}0  K\ri.i<\vi(>>. 

(le  raulif.  nifiilôt,  bieniûl  il  n'y  aura  plus  de  position  tonûMr 
pour  un  seul  proieslanl  entre  deux.  Une  seule  chose  pourrait 
reformer  le  protestantisme,  ce  serait  de  le  persécuter;  une  seule 
chose  peut  préei|)iier  sa  ruine,  c'est  la  discussion  ,  la  lumière  ,  I 
la  \erilé.  C'est  pourtpioi  nous  en  appelons  uni(juement  à  la  dis-  1 
cussinn  .  à  la  lumière,  à  la  vérité;  nous  serions  les  premiers  à 
courir  éteindre  le  fou,  arrêter  le  glaive  de  la  persécution,  comme 
un  atlent;it  à  la  vérité  autant  qu'à  la  charité,  qui  seules  doivent 
avoir  la  gloire  et  la  consolation  de  ce  triomphe,  pour  qu'il  soit 
durable. 

Nos  adversaires,  ennemis  d'eux-mêmes  en  cela,  le  sentent  ;  et 
c'est  pourquoi  ils  veulent  ctoufTer  la  discussion  et  cacher  la  lu-    ^ 
mière  sous  le  boisseau  ,   sous  l'intérêt  et  le  danger  ehinnrique 
de  la  persécution  ;  ci  par-là  ils  se  rendent  eux-mêmes  coupables      i 
d'une  véritable  intolérance  contre  la  liberté  de  penser  el  de  dis-     I 
cuter,  el  de  la  pire  de  toutes,  de  celle  qui  se  cache  sous  le  nom 
de  tolérance.  El  n'est-ce  pas  aussi  la  plus  déraisonnable?  Quoi! 
on  a  pu  discuter  une  religion,  une  sociele  qui  reposait  sur  l'aii- 
lorité,  et  on  ne  [)eut  pas  discuter  une  doctrine  ipii  repose  sur  la 
discussion!  c'est  nous,  cathoIi(|ues,  cpii  sommes  les  derniers  te- 
nants de  la  liberté  de  penser  el  de  la  logi(|ue  contre  vous,  pro- 
testants et  rationalistes,  qui  les  désavouez,  (|ui  les  décriez!  Qik  I 
aveu  de  votre  inqtuissance  !  (|uel  signe  de  \otre  fin  !  Vous  n'avez 
pas  l'autorité,  et  vous  ne  voulez  |)lus  de  la  discussion! 

Pour  nous  ,  «pii  avons  l'une  et  l'autre  ,  nous  les  exercerons  au 
servit  <■  de  la  m  rite  (|iii  les  assure  et  de  la  diarité  qui  les  unit, 
nous  en  userons  c(mirc  \ous  en  apparence,  pour  vous  en  n'-alité; 
contre  vos  erreurs,  pour  vous  en  deli\rer.  >ous  nous  redirons 
ces  belles  paroles  que  vous  adressait  il  y  a  deux  cents  ans  im  de 
nos  plus  illustres  docteurs,  qui  fut  à  la  fois  un  grand  théologien, 
im  profond  pensotw  et  un  des  premiers  créateurs  de  notre  lan- 
gue, le  cardinal  «le  Heridle  :  «  Je  n'emploierai  point  vers  vous  de 
»  belles  paroles,  car  je  n'en  al  point,  et  n'ai  point  estimi' à  pro- 
»  pos  d'en  r(,'<liei<  lier  el  apprendre  pour  vous  parler,  jugeant  , 
»  selon  le  dire  d'un  aneieii ,  (ju'il  n'v  nvoil  rien  si  éloquent  qiir 
»  la  v»'rile!  Je  n'y  mesle  point  d'aigreur,  de  lie!,  ni  d'amerlume. 
B  Car  eomnie  aux  sacrifices  anciens  ipii  s'olfroicnt  |K)ur  la  paix     « 


EXPLICATION.  351 

»  et  concorde  conjiij;al<!,  on  ôtoil  le  fiel  des  hosties;  ainsi  tmv  la- 
»  heurs  (jui  sont  voik-s  cl  consacrés  à  la  paix  cl  concorde  de  l'É- 
»  poiise  de  Dieu ,  c'est-à-dire  de  l'Église ,  on  doit  ôtcr  le  fiel 
»  cl  l'amertume  des  contentions  qui  tendent,  non  à  réunir  les 
»  âmes,  mais  à  parlir  les  courages.  Que  si  en  ces  discours  il  y  a 
»  qu('l(|uclois  de  la  pointe  et  vigueur,  ce  sont  paroles  qui  s'adres- 
»  sent  au  mal,  et  non  au  malade;  ce  sont  coups  qui  portent  con- 
»  trc  Iflf-résie,  et  non  conirc  l'hérétique;  et  sont  traits  de  lan- 
»  gue  et  de  plume  qui  ressemblent  aux  traits  décochés  par  cet 
l'industrieux  archer,  lequel,  sans  offenser  Achis  son  bien-aimé, 
»  sçailbien  offenser  le  serpent  qui  rentorlille  (1).  » 

Ces  sentiments  ont  toujours  été  les  nôtres.  On  a  dû,  on  devra 
les  trouver  dans  notre  ouvrage ,  car  ils  sont  dans  notre  cœur. 
Avant  même  sa  publication  ,  ils  avaient  hâte  de  s'exprimer,  et 
ils  le  firent  dans  un  écrit  demeuré  inédit  et  que  nous  nous  re- 
procherions de  taire  dans  celte  iVancho  et  complète  explication. 

Averti  que  le  simple  tilre  de  l'ouvrage,  du  rapport  du  pro- 
testantisme avec  le  socialisme,  blessait  d'honorables  et  justes  sus- 
ceptibilités ,  avant  que  l'ouvrage  même  fût  venu  révéler  son 
esprit  et  sa  portée,  nous  eûmes  à  cœur  de  nous  expliquer  immé- 
diatement ,  sous  forme  de  lettre ,  à  un  protestant  de  nos  amis, 
qui,  par  l'élévation  de  son  esprit  et  l'indépendance  de  son  ca- 
ractère, autant  que  par  sa  position,  était  on  ne  peut  plus  propre 
à  cette  loyale  entremise,  M.  Charles  Read. 

Une  circonstance  étrangère  à  sa  volonté  et  à  la  nôtre  retarda 
la  publication  de  celle  lettre,  et  l'ouvrage  lui-même  ayant  paru 
dans  l'intervalle,  la  rendit  selon  nous  superflue. 

Aujourd'hui  cependant  que  notre  confiance  dans  l'équité  de 
la  critique  a  été  trompée ,  qu'après  avoir  d'abord  rendu  justice 
à  la  tolérance  et  à  la  charilé  de  nos  intentions,  on  ne  craint  pas 
de  se  contredire  jusqu'à  nous  accuser  d'exploiter  la  passion  et 
de  provoquer  la  persécution,  il  nous  paraît  bon  de  faire  voir 
comment,  toujours  d'accord  avec  nous-même,  nous  avons,  avant 
comme  après  la  publication  de  notre  ouvrage,  expliqué  l'esprit 


(I)  De  la  Mission  des  pasteurs ,  OEuvres  du  cardinal  de  Bériille,  in-folio, 
\).  45. 


.*{.') '2  K\PI.ICATI(»>. 

i|ui  nous  i'u  iaspiré,  et  (|u'oa  n'aurait  pas  dû  cesser  de  recon- 

naitre  dans  les  p;igcs  où  il  rcspirr. 

Paris,  ISaoùliKSS. 

À  Monsieur  Charles  Urad .  chef  des  affaires  non  calholiq^tes ,  au  rninislére 

des  cultes  (I). 

Mon  l)ien  cher  ami , 

Je  suis  aÉFecté  de  ce  que  nous  nie  mandez,  que  le  litre  seul  de 
mon  livre  fait  sur  quehpies-uns  de  vos  honorables  coreligionnai- 
res une  impression  fâcheuse,  comme  si,  sou*  ce  titre,  ils  croyaient 
voir  une  de  ces  atiacjues  abusives  qui  s'adressent  plus  au\  prv- 
jugés  et  aux  passions  ipià  la  raison  et  qu'à  Tecpiiie.  \  ous  qui  me 
connaissez  ei  cpii  connaissez  en  grande  partie  mon  œuvre,  vous 
avez  pu  redresser  celte  impression  ,  et  je  vous  remercie  cordia- 
lement de  l'avoir  fait  :  je  n'attendais  pas  moins  de  voire  loyale 
amitié.  Sous  peu  de  jours,  je  l'espère,  le  livre  lui-même  va  venir 
dégager  comjdètement  votre  parole. 

J'ai  voulu  ,  comme  vous  le  savez,  que  cet  ouvrage  présentât 
une  discussiim  exclusivement  docirinale  et  philosoplii(iue  sur  le 
proleslanlisme  et  le  catholicisme  comparés  par  rapport  i  l'état 
actuel  de  la  sociélé.  I.es  principes  et  les  faiis  les  plus  gén«''raux 
sont  les  seuls  éléments  de  celte  discussion,  d'oii  j'ai  pris  soin 
d'écarter  toute  ombre  de  personnalité ,  toute  atteinte  d'inloié- 
rancc,  et  où  j'ai  eu  le  désir  de  rendre  aux  proleslanis  la  justice 
qui  leur  est  due,  en  me  réservant  les  droits  de  la  vérité  envers  le 
prolestanlisnic. 

Je  dirai  môme  en  toute  simplicité,  que,  si  les  protestants  ont 
quel(|u»'  chose  à  redouter  dans  <<•  livre,  c'est  |)eut-êlre  l'absence 
complète  de  ce  (ju'ils  redoulenl.  Si  je  m'étais  laissé  aller  à  des 
personnalités,  si  j'avais  fait  appel  à  l'intolérance,  c'eùl  ét^  un 


(1)  Le  fon^pntpmrnt  qiir  M.  Brada  bien  ^oiilii  donner  h  la  puhliralion  de 
celle  IfUri"  iriiiiplii|uc  pas,  parliii  iiii^iiie,  son  adliésion  à  «e  qui  y  e>.l  «•xpriiiK*  : 
c'est,  de  sa  part  ,  un  pur  prncrdr  i]ui  lui  laisse,  connue  à  loul  le  monde,  l.i 
libcrlé  «le  la  critique,  hlierlé  que  nous  lui  reconnaissons  d'autant  plus  >oloii- 
liers,  que  personne  n'en  est  plus  dipic  el  mieux  fait  pour  en  bien  user  qi. 
M.  Charles  llead. 


r.\iM.M;Mio.>,  353 

malheur  j)oui-  moi,  mais  c'eût  élé  aussi  une  laiile  ;  et  si  mon  ca- 
raclère  n'y  eùi  pas  résiste,  l'intérêt  de  ma  cause  m'en  aurait 
averti. 

J'ai  eu  assez  de  loi  dans  la  force  propre  de  la  vérilc  pour 
cioire  qu'elle  pourrait  se  sullire  à  elle-même,  et  qu'elle  serait 
d'autant  plus  persuasive  et  victorieuse  au  dedans,  qu'elle  serait 
plus  charitable  et  plus  pacifique  au  dehors. 

Les  prolestants  doivent  dès  lors  se  trouver  à  leur  aise  en  pré- 
sence dv  celte  discussion.  Ou  les  raisonnements  et  les  faits  géné- 
raux qui  la  conqiosent  n'auraient  pas  de  portée,  et  alors  il  leur 
serait  facile  de  me  r<'^futer;  ou  bien,  au  contraire,  je  porte  le 
jour  de  la  vérité  sur  la  plus  grave  de  toutes  les  questions,  et  je 
leur  fais  l'honneur  de  croire  qu'ils  aiment  assez  cette  vérité  pour 
se  rendre  à  sa  lumière. 

Le  protestantisme  est,  à  tort  ou  à  raison,  assez  généralement 
impliqué  aujourd'hui  dans  la  cause  du  socialisme.  Dans  cette  si- 
tuation ,  une  explication  franche,  complète  et  approfondie,  doit 
être  désirée  par  tous  les  cœurs  honnêtes  et  sincères,  avec  la  gé- 
néreuse indépendance  qu'inspire  le  seul  amour  de  la  vérité  exalté 
par  la  grandeur  même  du  sacrifice  qu'elle  exige. 

Nous  jouissons  en  France  d'une  tolérance  religieuse  unique  au 
monde  ;  le  protestantisme ,  qui  sait  en  revendiquer  et  en  exer- 
cer les  droits,  doit  aussi  savoir  en  subir  les  conditions  et  en 
payer  le  prix.  Or,  la  discussion  est  le  prix  de  la  tolérance  ;  et 
le  droit  de  dire  entraîne  la  nécessité  d'entendre. 

La  discussion  est  même  le  gage  de  la  tolérance ,  puisqu'elle 
en  est  l'exercice  ,  et  que  la  proposer  ,  c'est ,  à  plus  forte  raison  , 
l'admettre.  Sous  ce  rapport,  je  viens  en  quelque  sorte  en  aide 
aux  protestants.  Si ,  comme  ils  semblent  l'appréhender,  il  y  a 
une  réaction  contre  le  protestantisme ,  ils  doivent  se  féliciter 
qu'elle  soit  élevée  au  ton  d'une  discussion  qui  exclut  toute  autre 
force  que  celle  de  la  vérité,  et  qui  la  relient  dans  ses  limites. 

C'est  d'ailleurs,  ce  me  semble,  une  justice  de  le  reconnaître  : 
depuis  soixante  ans  le  catholicisme  n'a  pas  eu  un  moment  d'au- 
dience favorable  au  tribunal  de  l'opinion  prévenue  ;  il  a  été  plus 
ou  moins  à  l'état  d'ostracisme  moral,  et  c'est  en  vain  (;u'il  a  dit 
à  son  ennemi,  comme  l'Athénien  :  Frappe j  mais  écoute,  A  la  fa- 


3/>î  LM'I.ll.  UIO.^. 

M'ur  «U'i  ^;i;iU(Js  a\ri  lisseinciils  ijue  la  Providpocf  a  fait  éclater 
hur  nos'tt'tts,  il  s'ist  Hiii  iiii  iiiomciii  (Itr/airci  dans  les  préjuges 
à  son  c^arii  :  i|ii()i  de  |>lus  iiaiiircl ,  i\\n>\  «le  plus  juste  qu'il  en 
()roiile  |»our  s'e\|)li(iuer  une  fois  avec  la  société  et  faire  cesser 
le  malentendu  qui  les  divise  ,  cl  qui  selon  moi  est  la  grande 
cause  de  nos  malheurs. 

J'ai  pensé  cpi'il  fallait  [>roliter  de  «ettc  occasion  soh'nnelle  , 
dût  le  sentiment  de  ce  (le\oir  nï'ahuser  sur  l'insullisance  de  mes 
moyens  et  sur  les  dilVicultes  de  la  tentative.  J'ai  |)Oui'suiYi  celle- 
ci,  à  travers  ces  dillicultés,  niin-senlenniit  dans  l'inl/'rêtMu  but, 
et  par  dévouement  à  mes  con\ictions,  mais  par  justice,  par  hon- 
neur, je  peux  dire  môme  par  amour  pour  mes  ndversaires.  Ou- 
tre la  sympathie  des  catholi(]ues,  j'ai  mis  ma  confiance  dans  celle 
de  tous  les  amis  de  l'ordre  et  de  la  socii-té  ,  dans  les  honnêtes 
gens  de  toutes  les  convictions.  Je  l'ai  mise  en  particulier  dans  la 
lovaulc  des  protestants ,  qui ,  à  la  manière  dont  j'attaque  le  pro- 
testantisme, et  à  la  force  même,  s'il  m'est  permis  de  le  dire , 
des  coiqjs  «jue  je  lui  porte  au  fond,  reconnaîtront,  je  l'espère, 
que  le  zèle  de  mes  intentions  ,  s'il  est  vif,  est  du  moins  désinté- 
ressé et  charitable,  et  qu'il  peut  prendre  pour  devise  ces  belles 
paroles  de  saint  Au^nistin  au\  Donatistes  :  Si  guis  advertat,  si 
quis  attrndat,  hoc  non  est  liliyarc ,   sed  amore.   «  Pour  ipii  sait 

■  discerner,  pour  qui  sait  observer,  ce<i  n'est  pas  combattre, 

■  c'est  aimer.  » 

Air.i'sTE  Nicolas. 


LES  MINISTRES  ET  LÀ  BIBLE. 


La  Bil)le!  Toute  la  Bible  !  Rien  que  la  Bible  !  Voilà  ce  que  le 
menu  peuple  prolestant,  cemmc  les  grands  docteurs,  ne  cesse  de 
corner  au\  oreilles  des  catholiques.  La  Bible,  c'est  toute  la  Pa- 
role de  Dieu,  c'est  toute  la  religion!  Lisez  la  Bible,  et  vous  êtes 
sûrs  d'y  trouver  la  foi  et  la  vraie  foi  ;  vous  êtes  sûrs  d'obtenir  le 
salut  et  un  salut  h  bon  marché  !  Voulez-vous  vous  débarrasser  de 
toutes  les  superstitions  romaines,  lisez  la  Bible!  Aspirez-vous 
à  une  religion  commode ,  facile  et  dégagée  de  pratiques  gênan- 
tes, ayez  une  Bible!  Voulez-vous  compter  pour  un  converti  et  un 
élu  de  Dieu,  achetez  une  Bible  !  —  Mais  vous  ne  savez  pas  lire? 
qu'importe!  c'est  le  seul  moyen  de  salut.  Mais  vous  vous  défiez 
de  votre  sens  propre;  vous  ne  comprenez  pas;  vous  ne  trouvez 
pas  un  ensemble  clair  et  bien  défini  de  vérités  et  de  devoirs , 
qu'importe  encore!  lisez  néanmoins  et  façonnez  votre  religion. 
Ou  plutôt  toute  la  religion,  c'est  la  lecture.  —  Quand  on  aflîche 
un  culte  si  profond  et  si  exclusif  pour  le  livre  divin,  il  est  deux 
excès,  deux  péchés  dont  on  devrait  être  à  l'abri  ;  ces  péchés,  les 
voici  :  C'est  de  rejeter  ce  que  la  Bible  affirme  clairement  et  d'ad- 
mettre ce  dont  elle  ne  dit  mot.  Eh  bien  !  ces  deux  péchés,  les 
protestants  les  commettent  journellement  dans  l'enseignement 
comme  dans  la  pratique.  Nous  voulons  l'indiquer  par  quelques 
exemples.  Ce  que  nous  essayons  ici,  ce  n'est  pas  une  discussion, 
ce  n'est  pas  un  traité,  c'est  une  simple  confrontation.  Nous  met- 
ions  en  regard,  en  suggérant  quelques  conclusions,  d'abord  ce 


35G  LtS   «ni«TRBS   KT   l.\   BIBLE. 

que  dil  la  Bible  el  (|ue  u'aiiiiielleni  pas  les  |)roteslanls  ;  puis  «c 
que  ne  dil  pas  la  Bible  et  (pi'aiinM'Hont  ei  pr:ui«pi»m  les  prolcs- 
taals.  Beaucoup  d'enire  eux  n'oul  aut  une  idée  de  ce  <jue  pré- 
sente relie  |)eiile  comparaison  ,  parce  qu'ils  ne  lisent  pas  la  Bi- 
ble; beaucoup  aussi  parce  qu'ils  la  lisent  sans  réflexion,  ei  beau- 
coup parce  (pi'oii  ne  la  leur  donne  à  lire  qu'avec  de  faux  com- 
nienl:iiies.  Qu'ils  jellenl  un  coiip-dteil  sur  cet  aperçu  et  qu'ils 
se  disent  à  cu\-in«^mes  ce  (pi'il  laul  penser  du  premier  principe 
(pi'on  leur  inc  nhpie  et  (pi'ils  aduplent  si  aisément  :  toute  la  Bi- 
ble, rien  que  la  Bilde!  !  Qu'ils  voient  comment  les  nunistres  y 
sont  lidèles ,  et  qu'ils  concluent  sur  le  resle  de  ce  qu'ils  ensei- 
gnent. 

Pour  ôter   la  tentation  de  retourner,  en  désespoir  de  cause, 
celte  confrontation  contre  T^l^lise  caiholi(|ue,  nous  n'avons  be- 
soin que  de  deux  mois  :  elle  est  placée,  par  sa  doctrine,  dans 
des  conditions   tout  autres  vis-à-vis  de  la  Suinlr-Ecriture.    Elle 
l'admet  connue  la  Parole  de  Dieu,  mais  eu  compa^'nie  de  la  Tra- 
dition divine;  par  conséquent,  si  une  vérité  ou  une  pratique  ca- 
tholique n'est  pas  exprimée  formellement  dans  rÉcriture-Sainte, 
il  lui  resle  la  traditi(m  pour  la  justifier.  Puis  le  sens  de  l'Ét  rilure 
et  «le  la   Tradition,  rKf,'lise  n'admet  pas  qu'il  puisse  être  saisi, 
dans  tous  les  cas,  sans  une  autorité  cpii  h'  définisse;  par  consé- 
quent, si  un  mot  de  l'I-lc  riiure  ne  reçoit  [tas  dans  rcnsei;;nennnl 
ou  dans  la  pratique  callioliques  ra|>pli(  alion  qu'il  scmlde  olTiir 
à  la  raison  toute  nue,  il  nous  resle  l'autorité  inlerprélalive  de  l'É- 
glise pour  explicpier  cette  apparente  la«  une  et  mettre  en  repos 
notre  foi.    Nous  n'examinons  pas  si  nous  sommes  en  droit,  en 
revendifjuant  la  tradition  et  l'autorité;  c'est  assez  que  l'on  com- 
prenne que  notre  position  est,  dans  les  principes,  toute  différente 
de  celle   des  protestants   vis-à-vis  de  la  Sainte-Écriture.    Eux, 
ils  sont  forcement  esclaves  de  cei  axiome  :    TouH'  la  Bible!  Rien 
(|ue  la  Bible  !...    Il  n'en  est  pas  de  m^me  de  nous.  Arrivons  au 
fait. 


LES  MiMSTiii:s  i;t  i.a  r.ini.E. 


357 


DR  L  An  URITK  DK  L  EGLISE  ET  DE  L  ECRITURE. 


Croyance  rt  pvnliqur  prolrs- 
tanhs. 

I.cs  ministres  disent  :  <  Il 
n'y  a  point  d'antre  anlorité  en 
reljijion  (|nc  l:i  Hihie.  C'est  à 
elle  seule  (|uil  faut  eioire.  Tout 
cnseipnernenl  qui  vient  pnr 
l'Iioniinc  ,  si  ce  n'est  pas  la  I3i- 
blis  est  usurpation  et  menson- 
ge. » 


Les  ministres  disent  :  «  L'E- 
glise a  corrompu  la  doctrine  de 
Jésus-Christ,  et  rcnfcr  a  préva- 
lu contre  elle  dès  les  premiers 
siècles.» 

Les  ministres  disent  :  «  En 
religion,  on  n'obéit  à  person- 
ne qu'à  la  Bible.  > 


Les  ministres  disent  :  «  Les 
évècjues  sont  de  trop  ;  leur  mi- 
nistère est  usurpé.  » 

Les  ministres  disent  :  «L'E- 
criture est  facile  à  saisir,  et  en 
la  lisant,  on  est  à  l'abri  de 
toute  erreur.  » 


Texte  de  In  Sainic-Érritutr. 

Jésus-Christ  n'a  jamais  dit  cela;  au  con- 
traire, il  a  dit  à  douze  hommes  :  «Ainsi  que 
mou  Père  ma  envoyé,  je  vous  envoie  (  St 
Jean  IV,  58). — Toute  |)uissance  m'a  été  don- 
née dans  le  ciel  et  sur  la  terre;  allez  donc 
et  instruisez  tous  les  peu|)les,  les  baptisant 
au  nom  du  Père ,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Es- 
prit ;  et  leur  apprenant  à  observer  toutes  les 
choses  que  je  vous  ai  commandées  (StMatt. 
XXVIII,  1«).  —  Qui  vous  écoute,  m'écoute  ; 
qui  vous  méprise,  me  méprise  (Luc  X,  16). 
—  Tout  ce  que  vous  lierez  sur  la  terre  sera 
lié  dans  le  ciel ,  et  tout  ce  que  vous  délie- 
rez sur  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel  (Matt. 
XVIII,  18). 

Jésus-Christ  dit:  «Tu  es  Pierre,  et  sur 
cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise,  et  les  por- 
tes de  l'enfer  ne  prévaudront  pas  contre 
elle.»  (Matlb.  XVI,  18). 

Et  saint  Paul  :  «Obéissezà  vos  conducteurs 
et  soyez  soumis  à  leur  autorité  ;  car  ce  sont 
eux  qui  veillent  pour  le  bien  de  vos  âmes, 
comme  devant  en  rendre  compte  (  Hébr. 
XIII,  17). 

Saint  Paul  dit  aux  évêques  qu'il  a  institués 
lui-même  :  «  Le  Saint-Esprit  vous  a  établis 
évêques  pour  gouverner  l'Eglise  de  Dieu» 
(Acl.  XX,  28). 

Saint  Pierre  dit  en  parlant  des  épitres  de 
saint  Paul  :  a  Comme  il  fait  aussi  en  toutes 
ses  lettres,  où  il  parle  de  ces  mêmes  choses, 
dans  lesquelles  il  y  a  quelques  endroits  diffi- 
ciles à  entendre,  que  des  hommes  ignorants 
et  légers  détournent,  aussi  bien  que  les  au- 
tres écritures ,  à  de  mauvais  sens ,  pour 
leur  propre  ruine  »  (2  Pierre  III,  16). 


DE  LA  TRADITIOX. 


Le  Sauveur,  on  le  sait,  n'a  rien  écrit;  il  n'a  point  recommandé  à 
ses  apôtres  d'écrire  ;  il  n'a  laissé  aucune  parole  pour  indiquer 
aux  chrétiens  qu'ils  devraient  lire  ce  qu'écriraient  les  apôtres. 
Aussi  priait-on,  jeûnait-on,  recevait-on  le  baptême,  la  sainte 
communion,  pratiquait-t-on  la  religion  entière  et  obtenait-on  le 
salut  dans  la  primitive  Église,  sans  lire  l'Évangile,  qui  n'existait 
pas.  Celte  petite  remarque  infirme  passablement  le  grand  dogme 


3."»S  LES  «i:ii5TRr>  kt  iv  uintE. 

|)rotcsi:int  (|iril  faut  néco&suircment  lire  TÉcriturc  |)our  ronnai- 
ire  la  rclij^ion  et  ^Ire  sauvé.  —  Q)u'a  donc  fait  Jésiis-Clirisi  pour 
établir  ri  maintenir  sa  religion  .'  Il  a  onlonne  aux  a|>ôtres  de  la 
prèelier  ;  tout  est  là.  Les  a|KUres  ont  jugé  utile  de  uiellre  en  écrit 
les  priniipaux  enseignements  et  les  traits  les  plus  saillants  de  la 
vie  de  leur  Maiire;  c'est  ce  qui  forme  l'Éxangile.  Le  reste,  ils  ont 
(  uuiinué  à  Itiiseignei-  de  vive  voix,  sans  l'écrire  ;  c'est  la  Tradi- 
tion. Ainsi  la  tradition  est  la  parole  de  Dieu  ,  aussi  bien  que 
rE\angile.  Venons  maiiilenant  aux  textes,  et  voyons  si  le  dire 
des  ministres  s'accorde  avec  le  dire  de  l'Écriture. 


Les  ministres  rliscnl  :  t  Nous 
ne  voulons  puinl  «le  tradition.» 

Les  ministres  disrnt:  iToul 
ce  (](ie  Jésus  a  fait  et  dit  se 
trouve  dans  l"Kvan;;ilc  ;  il  n'y 
a  rien  à  elierriier  en  deliors.» 

Les  ministres  di-nit  :  t  II  n'y 
a  pas  d'antre  dorlrinedes  apô- 
tres que  ee  qu'ils  oiU  écrit.  Ils 
n'ont  point  laissé  d'autre  ensei- 
gnement i|uc  leurs  lettres.  > 


Saint  Paul  dit  :  <  (iardcz  les  traditions 
que  vous  axez  recueillies  soi!  de  mes  dis- 
cimrs,  soit  de  mes  lettres.  »  iTliess.  II.  14. ) 

Saint  Jean  dit  :  t  Jésus  a  fait  une  inlinilé 
d'autres  choses;  et  si  on  les  rapportait  en 
détail ,  je  ne  cri>is  pas  que  le  monde  même 
put  contenir  les  livres  qu'on  en  écrirait.  > 
(Si  Jean  \XI,ïi.) 

Saint  Paul  dit  à  l'évoque  Timoihée  :  €  Ce 
que  vous  avez  appris  de  moi  dexant  plu- 
sieurs lémniiis ,  donnez-le  en  dépôt  à  des 
liouHues   lidèles,  qui  soient  eux-mêmes  ca- 

1)ables  d'en  instruire  d'autres.  *  (  i  Tira. 
I,  2.)  Ht  saint  Jean  :  ■  Quoi(|ue  j'eusse  plu- 
sieurs  elmscs  à  vous  écrire,  je  n'ai  point 
xoulu  le  faire  sur  «lu  papier  et  avec  de  l'en- 
cre ,  «'spéraiit  vous  aller  voir  et  vous  en 
enlrelemr  île  \i\e  \oix,  afin  que  votrtjoic 
Soit  pleine  1 1   parf.iite.  • 


DU  PÉCHK  ORIGINKI. 


Les  ministres  disent  :  t  Nous 
naissons  tous  innocents,  le 
péché  il'.Vdam  ne  passe  pas  aux 
enfants  des  chrétiens.  » 


Saint  Paul  dit  :  •  Par  im  seul  homme  le 
péché  est  entré  «lans  le  mon<ie,  et  la  mort 
par  le  péché:  et  ainsi  la  mort  est  passée 
lians  tous  les  honmies,  tous  ayant  péché 
par  un  seul.  »  (Uom.  V,  li.) 


LKSALtT  l'.^H  I.A  FOI   KT   l'AR  LES  OKIVBKS. 


Les  ministres  disent  :  «  La 
justilication  et  le  salut  de 
l'homme  s'oblieiment  par  la 
foi  seule,  c'est  une  pure  f;rà- 
ce  ;  si  l'honune  miiI  y  con- 
courir en  (|uelque  manière,  il 
fait  un  péché.  Les  œuvres  sont 
inutiles.  • 


Saint  Jaques  dit  :  «  Mes  frères,  «juc  ser^'i- 
ra-l  il  à  queliiu  un  d'axuirla  foi,  s  il  n'a  pas 
lescpuxres?  (a  foi  pourratelle  le  sauver?.. 
.Vussi  la  fui  qui  n  a  point  les  œuvres  est 
morte  en  eile-mèine...  Noire  l'ère  Abra- 
ham ne  fut-il  pas  juslitié  par  les  u'uvres, 
Inrsqu  il  otTrit  son  lils  Isaac  sur  l'autel  ?... 
Vous  \or  l'z  donc  qiie  c'est  par  les  œuvres 
que  l'homme  est  justifié  .  et  non  pas  seule- 
ment |.ar  la  foi  (  Si  Jarq.  IL  I  i  et  suiv.  \  — 
i:t  saint  Jcan,dansr.\pocalypse.cha|i.\XIL 


LIS   .MI.>ISTKi;S    l/i    LA    lîlULR. 


350 


.Les  ministres  disent  :  «La 
ffliî  seule  suffit  pour  être  sau- 
ve. » 

Les  ministres  disent  :  «Ce- 
lui qui  a  la  foi  est  assuré  du 
salut;  il  n'a  rien  autre  à  faire 
qu'à  la  conserver,  ou  même  il 
ne  peut  plus  la  perdre.  »  — 
«  Quoiqu'il  fasse  ,  toniba-t-il 
même  dans  les  plus  ptrands  pé- 
chés, sa  foi  le  met  à  l'abri  de 
tout  châtiment.  > 


Les  ministres  disent  :  «  IV'os 
bonnes  œuvres  n'ont  aucun 
mérite  devant  Dieu  et  ne  ser- 
vent à  rien.  » 


«  Elles  ne  méritent  point  de 
récompense.  » 

Les  ministres  disent  :  «  Les 
bonnes  œuvres  n'auront  pas 
de  récompense.  » 


Les  ministres  disent  :  «  Le 
ciel  est  donne  à  la  foi  seule.  » 


11  :  «  Que  celui  qui  est  juste  se  justifie  en- 
core ;  que  celui  qui  est  saint  se  sanctifie  en- 
core. —  Ll  saint  Paul  :  Faites  donc  mourir 
les  membres  de  l'homme  terrestre  qui  est 
en  vous,  etc.  (Coloss.  III,  li.)  —  N'abandon- 
nez point  au  péché  les  membres  de  votre 
corps  .  pour  lui  servir  darmes  d'iniquité  ; 
mais  donnez-vous  à  Dieu  ,  coninic  devenus 
vivants  de  morts  (pie  vous  étiez,  et  consa- 
crez-lui les  membres  <le  votie  corps,  pour 
lui  servir  d'armes  de  justice.  »  (  Rom  VI , 
13.) 

Jésus-Christ  dit  :  «  Si  vous  voulez  entrer 
dans  la  vie,  p;ardez  les  commandements.» 
{Mallh.XIX,f7.) 

Saint  Pierre  et  saint  Paul  sont  d'un  autre 
avis  :  «  Efforcez-vous  donc  de  plus  en  plus, 
mes  frères,  d'affermir  votre  vocation  et  vo- 
tre élection  par  les  bonnes  œuvres.»  (2 
Pierre  I,  10. j  —  i  Je  traite  durement  mon 
corps  et  je  le  réduis  en  servitude;  de  peur 
qu'ayant  prêché  aux  autres,  je  ne  sois  ré- 
prouvé moi-même.  »  (  \  Cor.  IX  ,  27.  )  — 
«  Que  celui  donc  qui  croit  être  ferme,  pren- 
ne bien  garde  de  ne  pas  tomber.»  {  1  Cor. 
X,  12.) —  a  Opérez  votre  salut  avec  crainte 
et  tremblement.»  —  (Phil.  II,  12.) —  «Ceux 
qui  vivent  selon  la  clfair  ne  peuvent  plaire 
à  Dieu.  Si  vous  vivez  selon  la  chair,  vous 
mourrez  ;  mais  si  vous  faites  mourir  par 
l'esprit  les  œuvres  de  la  chair,  vous  vivrez.» 
(Rom.  'V'III.) 

Et  saint  Paul  :  «  Demeurez  fermes  et  iné- 
branlables, et  travaillez  sans  cesse  de  plus 
en  plus  à  l'œuvre  de  Dieu,  sachant  que  votre 
travail  ne  sera  pas  sans  récompense  en  No- 
tre Seigneur.»  (1  Cor.  XV,  îiS.)  — «Car  Dieu 
n'est  pas  injuste,  pour  oublier  vos  bonnes 
œuvres  et  l'amour  que  vous  avez  témoigné 
pour  son  nom.  »  (Hébr.  VI,  10.) 

«Ne  perdez  donc  pas  la  confiance  que 
vous  avez,  et  qui  doit  être  récompensée 
d'un  grand  prix.  »  (Hébr.  X,  ôo.) 

Jésus-Christ  dit  :  a  Et  quiconque  aura 
donné  seulement  à  boire  un  verre  d'eau 
froide  à  l'un  de  ces  plus  petits,  comme 
étant  de  mes  disciples ,  je  vous  le  dis  en 
vérité ,  il  ne  perdra  pas  sa  récompense.  » 
(Matth.  X,  42.) 

Et  Jésus-Christ  ne  le  donne  qu'aux  œu- 
vres delà  foi.  «Alors  le  roi  dira  à  ceux  qui 
seront  à  sa  droite  :  Venez,  les  bénis  de  mon 
Père ,  possédez  le  royaume  qui  vous  a  été 
préparc  dès  l'origine  du  monde.  Car  j'ai  eu 
faim  et  vous  m'avez  donné  à  manger  ;  j'ai 
eu  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  ;  j'ai  eu 
besoin  delogementet  vous  m'avez  locé.»etc. 
(Matth.  XXV,  54.) 


3(iO  l.tS   JIIXsTliES  KT   LV   UII1I.E. 

Lm  minittres  ilisciit  :  t  F«i-  El  Jcsui-Chrisl  :  «  Le  Fils  Je  rhomine  duil 

If  »  des  bonnes  (riivrrs  on  n'en  vrnir  dans  la  jçloirr  de  son  Père,  «vec  ses 

faites  pas,  c'csl  la  même  cho-  nn;;e«  ;  et  alors  il  rendra  à  ihaciin  »clun  se» 

se.  »  QMixres.  >  (Mail.  \VI.  -27.) 

VKS  sacreme:vts. 

Jiis(|ir;iu  sti/irmo  sièclo ,  on  avait  toujours  cru  et  enseigne 
dans  l'Éj^lise  et  ui^me  parmi  les  sectes  séparées,  (|u'il  y  a  sept  sa- 
crcinenls  institués  par  Notre  Seif^neur  Jésiis-Chrisl.  Luther  et 
Calvin  ont  trouvé  bon  d'en  rciranclier  cinc]  et  d'amoindrir  la 
vertu  des  deux  autres.  Où  ces  messieurs  avaient-ils  ac(|uis  le 
droit  de  découper  ainsi  la  doctrine  du  Sauveur  el  d'ôlcr  au  peu- 
ple chrétien  les  trois  quarts  de  son  héritage?  Je  ne  le  sais;  mais 
assurément  ce  n'est  pas  dans  l'Évangile,  (]ui  dit  :  «Celui  donc 
qui  \iolera  l'un  des  moindres  commandements  et  qui  apprendra 
aux  hommes  à  les  violer,  sera  regard»'  dans  le  royaume  des  cieux 
comme  le  dernier  ;  mais  celui  (jui  fera  et  enseignera,  sera  grand 
dans  le  loyaumc  des  cieux.  »  (Matih.  V,  19.)  Voyons  donc  si  la 
parole  des  ministres  ressemble  à  celle  de  Jésus-Christ,  comme  ils 
s'en  vanlent,  et  choisissons  entre  eux  cl  Lui. 

LE    BAPTÊVE. 

Les  ministres  disent  :  «  Le  Jdsus-Christ  :   •  En  vérilt',  en   véril<*  je 

baptême  n'a  point  de  vertu  ré-       vous  le  ilis  :  Si  un  homme  ne  renaît  de  l'eau 
gênératiiee    en  lui-même.    Ce       et  du  S.iiiil  Kspril ,  il  ne  peut  entrer  dans  le 
n'est    qu'une    cérémonie    qui       royaunie  de  Dieu.  »  (Jean  III,  S.) 
témoigne  qu'on  entre  dans  la 
sociélé  des  chrétiens.  » 

Cilvin  cl  ses  suivants  disent  Kl  Jésus  Christ  dil  cpie  sans  le   baplêmft 

que  le  baptême    n'est   pas  né-       on  ne  peu!  enln-r  dans  le  royaume  de  Dieu, 
cessaire  au  salut,  l'I  que  celui       (Voyez  la  ritalioii  précéilentc.) 
qui  l'affirme  mi-rile  d'rlre  sif- 
flé.  (Instil.  I.  IV,  r.  \:\.  Ifi.i 

LA  PRKSKNCK  KKKLLK  l)K  JKSl  S-CUBIS T  l»A>S  I.'l.H  II\IU>Iir. 

Aux  jours  de  la  Réforme,  nn  peintre  lit  le  tableau  de  l'institu- 
tion (le  la  Cène.  On  voyait  au  inilii  u  le  divin  Sauveur  distribuant 
le  p;iin  sacre  aux  Apôiits  et  prMf(i;ini  ces  paroles  :  Ceci  est  mon 
corps;  —  à  droite,  un  peu  plus  b;is,  l.ullur  donnait  la  cène  aux 
siens,  en  disant:  Ceci  conlinil  mon  corps;  —  à  gauche,  ("alvin 
faisait  la  môme  chose,  en  murniurani  :  Ceci  est  la  figure  de  mon 
corps.  Au  fond,  l'artiste  avait  écrit  en  grosses  lettres  :   auquel  des 


LFS   MI!>(ISTnKS   ET  I.  V   r.lIU.F..  3G  1 

trots  faut-il  croire?  Ce  labli'au  lit  bien  des  conversions.  Que  nos 
frères  sépari'S  veuillent  l>i(;n  y  jeter  un  coup-d'ceil  ;  qu'ils  voient 
le  cas  que  leurs  chefs  ont  fait  de  la  parole  fornieile  du  Sauveur, 
cl  qu'ils  se  demandent  qui  est  avec  Jésus-Christ  et  son  Écri- 
ture, d'eux  ou  des  catholiques. 


Les  ministres  disent  :  «  Le 
Sanveiir  n"a  point  voulu  don- 
ner sa  cliair  h  manj^er  ;  c'est 
K  nne  erreur  forgée  par  lE- 
;;lise  romaine,  et  pour  la  coni- 
l)altrc,  nous  nous  appuyons 
sur  la  parole  de  Jésus-Christ, 
vu  qu'elle  seule  est  la  vérité.» 


Or  écoutez  Jésns-Christ  (Jean  XI,  48  et 
suiv.)  :  «  C'est  moi  qui  suis  le  pain  de  vie. 
Vos  pères  ont  man<;é  la  manne  dans  le  dé- 
sert et  ils  sont  morts.  Mais  voici  le  pain 
qui  est  descendu  du  ciel,  afin  que  celui  qui 
en  mange  ne  meure  point...  Je  suis  le  pain 
vivant,  qui  suis  descendu  du  ciel...  Si  quel- 
qu'un mange  de  ce  pain,  ri  vivra  éternelle- 
ment ;  et  le  pain  que  je  donnerai ,  c'est  ma 
cliair  immolée  pour  la  vie  du  monde...  Les 
juifs  disputaient  donc  entre  eux,  disant: 
Comment  celui-ci  peut-il  nous  donner  sa 
chair  à  manger?..  Et  Jésus  leur  dit  :  En 
vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis  :  Si  vous  ne 
mangez  la  chair  du  Fils  de  l'homme,  et  ne 
buvez  son  sang ,  vous  n'aurez  point  la  vie 
en  vous.  » 

Et  Jésus-Christ  dit  à  Pierre  :  «  Tout  ce 
que  tu  lieras  sur  la  terre  sera  lié  dans  le 
ciel,  et  tout  ce  que  lu  délieras  sur  la  terre 
sera  délié  dans  le  ciel.  »  (Matlh.  XVI,  19.) 
—  Plus  tard  le  Sauveur  dit  encoi'c  aux  dou- 
ze apôtres  :  «Je  vous  le  dis  en  vérité,  tout 
ce  que  vous  lierez  sur  la  terre  sera  lié  aus- 
si dans  le  ciel ,  et  tout  ce  que  vous  délie- 
rez sur  la  terre  sera  aussi  délié  dans  le 
ciel.  »  (Matlh.  XVIII,  18) 

DE  LA  CONFESSION  ET  DU  POUVOIR  DE  REMETTRE  LES  PÉCHÉS. 


Les  ministres  disent  :  c  C'est 
une  usurpation  et  une  tyran- 
nie de  prétendre  lier  ou  dé- 
lier les  consciences.  Nulle 
créature  n'a  reçu  ce  pouvoir.» 


Les  ministres  disent  :  «Dieu 
seul  remet  les  péchés.  Il  na 
pas  communiqué  aux  hommes 
le  pouvoir  de  les  remettre. 

Les  ministres  disent  :  «  Il 
n'y  a  pas  trace  de  confessfbn 
du  temps  des  apôtres.  » 


Les  ministres  disent  que  Jé- 
sus-Christ n'a  pas  confié  aux 
hommes  le  ministère  de  la  ré- 
conciliation. 


Et  Jésus-Christ  dit  à  douze  hommes  : 
«  Recevez  l'Esprit  Saint  ;  les  péchés  seront 
remis  à  qui  vous  les  remettrez,  ils  seront 
retenus  à  qui  vous  les  retiendrez.  »  (Jean 
XX,  22.) 

Et  saint  Luc  rapporte  dans  les  Actes 
(XIX,  18)  qu'à  la  suite  d'un  miracle  de  saint 
Paul,  plusieurs  d'entre  les  Juifs  elles  Gen- 
tils, qui  avaient  cru,  «  venaient  confesser 
et  déclarer  ce  qu'ils  avaient  fait  de  mal.  » 

Et  saint  Paul  (2  Cor.  V,  18,  19,  20)  dit 
que  Dieu ,  «  après  nous  avoir  réconciliés 
avec  lui  par  le  Christ,  nous  a  donné  un  mi- 
nistère de  réconciliation.  Car  Dieu  était  dans 
le  Christ  réconciliant  avec  lui  le  monde,  et 
ne  tenant  plus  compte  des  péchés  des  hom- 
mes: et  il  a  placé  en  nous  la  parole  de  ré- 
conciliation. Nous  sommes  donc  les  ambas- 
sadeurs de  Jésus-Christ,  ccst  comme  si 
Dieu  exhortait  par  notre  bouche  ;  nous 
prions  au  nom  du  Christ,  rentrez  en  grâce 
avec  Dieu.  » 


3G'2  I.F.5   «I>I^TRF.S   LT  I.A   BIHI.E. 

DE  I.  ^.\^Rf.M^:-o?^CTlo^^. 

Calvin   et    ses    successeurs  El  pourtant  saint  Jacques  s'exprime  en  cet 

n'ont  que  (l'insullanles  p.iro-  termes  (V,  lii:  «  Ouelqu'un  de  Vous  est-il 
les  pour  l'omlion  des  luou-  malade  ?  qu'il  apprJU- les  nrèlreu  de  JKglise. 
rantï.  Jamais  ils  ne  portent  Que  eeux-ci  prient  pour  lui,  (|u  au  nom  du 
cette  onction  aux  malades.  Seigneur  ils  I  oignent  d'Iiuilr,  et  la  prière  de 

la  fui  sauvera  le  malade  :  et  le  Seigneur  al- 
légera ses  soulTninccs ,  et  s'il  a  des  pérhés 
sur  la  conscience,  ils  lui  seront  remis. — 
Kt  saint  .M:iir  i-.qipoile  (|ue  les  apùtres  «ci- 
gnaienl  d  liiiiic  Ix  aiiroup  de  malades  et  les 
guéris.saieiit.  >  (Mare  VI,  1:2.) 

Nous  11»'  poiiviins  nous  rifusrr  à  cilcr  iri  riioinina;,'*' ({u'a  rondu 
à  ce  sa»  r«'meni ,  ((uiiin»'  cl  ailltiiis  à  tous  les  (luj^mcs  <■(  à  loulcs 
les  institutions  catholiques,  l'esiuil  le  plus  cIcihIu  el  le  plus  pro- 
fond de  la  r<'lormaiion  ,  Leilmil/..  Voici  ses  expressions  dans  le 
Systema  theoloyicum  :  «  L'onction  des  iniinnes  a  pour  elle  les  |>a- 

>  rôles  de  la  Sainte  Ecrilure  el  l'interpiM'iation  de  l'Église,  guide 
»  siir  pour  les  enilioli(]ues.  Je  ne  vois  point  quel  reproche  on 
»  pourrait  faire  à  celle  eoulume.    Autrefois  elle  était  accompa- 

>  gn<!'e  (le  guerisons  niiracideiises;  ce  don  nicrvcilleux,  ainsi  <pic 
•  les  autres  grâces  extraordinaires,  est  devenu  moins  fn-quenl 
»  depuis  i\Mo  l'hi^dise  est  solidement  élaldie,  mais  ne  croyons  pas 
»  qu'autrefois  tous  les  malades  lussent  guéris  par  rExlrèmc-Onc- 
»  lion.  Ce  (pii  reste  atijourd'hui .  ce  (pii  restera  toujours  ,  rc  qui 

>  ne  trompe  jamais,  c'est  la  vertu  de  guérir  les  âmes  convenahlc- 

■  ment  ilisposi'-es,  qui,  d'après  saint  .lacques,  remet  leurs  p«''cliés 
»  vl  augnienie  leur  loi  et  leur  courage.  Jamais  on  n'a  plus  hesoin 
i  de  ce  secours  qu'a  l'heure  où  la  vie  est  en  |niil,  on,  au  mi- 
»  lieu  des  lerreurs  de  la  mort,  il  faut  repousser  les  traits  enllam- 

■  mes  de  Satan,  alors  plus  violents  ipie  jamais.»  Iri  Père  de  l'K- 
glise  ne  se  sérail  pas  mieux  exprime. 

Il  serait  facile  de  pourstiivre  celte  confronlation ,  oii  ressort 
a\er  évidence  une  flagrante  opposition  enlre  l'enseignement  des 
ministres  et  la  parole  sainte.  Ils  disent  :  toute  la  IJihlr,  et  à  cha- 
<pie  pas  ils  troncpieni  la  Kilile,  anirniani  le  contraire  de  ce  qu'elle 
exprime  en  termes  formels.  C'est  une  iiifiaclion  p.dpahie  de 
leur  premier  principe,  el  un»'  tromperie  peruianenle  à  l'eg.'ird  de 
leurs  crédules  ouailles.    Kt  cependant  nous  n.non*;   pris   aucun 


I.i;S   MlNlSTUliS   El    LA   niIlI.E.  303 

lexic  en  dehors  du  Nouveau  Teslameni;  nous  n'avons  rien  cité 
de  l'Ancien  ;  nous  avons  laissé  de  côlé  même  un  grand  nombre 
de  points  sur  iesciuols  les  ministres  ne  tiennenl  aucun  compte  de 
rÉvangilc  ,  malgré  leur  apparent  respect  pour  ce  livie  divin. 
C'est  ainsi  qu'ils  rejettent  le  jeune  qui  consiste  dans  la  privation 
d'aliments,  et  ridiculisent  l'Église  (■aili(»ii(pio  parce  qu'elle  le 
pvatique ,  quoique  plus  de  dix  passages  du  ÎNouveau  Teslameni 
en  montrent  l'usage  chez  les  chrétiens  et  le  recommandent. 
Faites  foi  maintenant  à  leur  parole,  après  les  avoir  vus  démentir 
eux-mêmes  si  ouvertement  leur  grand  mol  d'ordre  :  La  Bible 
toul  entière!!  Ainsi  encore  habiluenl-ils  les  bouches  protestantes 
à  répéter  cette  ignoble  impiété  :  La  Fierge  Marie  est  une  femme 
comme  une  autre,  quoique  l'Évangile,  outre  mille  autres  éloges, 
dise  deux  fois  «  qu'elle  est  bénie  entre  toutes  les  femmes  ;  »  ainsi 
s'obsiinenl-ils  à  lui  refuser  toute  marque,  toute  expression  de 
sympathie  et  d'honneur,  en  dépit  de  sa  parole  prophétique  con- 
signée dans  saint  Luc  :  '<  Toutes  les  générations  m'appelleront 
bienheureuse.  »  Ce  dernier  trait  suffirait  à  lui  seul  pour  déter- 
miner de  quel  côlé  se  trouvent  les  vrais  disciples  de  l'Evangile. 
Toutes  les  générations  catholiques  ont  respecté  et  aimé  Marie, 
la  mère  de  Jésus,  et  Vont  appelée  bienheureuse.  Toutes  les  géné- 
rations protestantes  ont  pris  à  lâche  de  dénigrer  Marie  et  d'a- 
moindrir sa  dignité  et  son  bonheur.  Personne  ne  le  niera,  et  tout 
homme  sensé  en  doit  tirer  une  conséquence  inévitable,  c'est  que 
les  générations  catholiques,  et  elles  seules,  sont  avec  Jésus-Christ 
et  sa  véritable  doctrine. 

Le  lecteur  est  fatigué,  nous  n'en  doutons  pas,  de  suivre  la  sé- 
rie de  ces  contradictions;  il  n'est  pas  médiocrement  surpris  que 
les  ministres  protestants  faisant  profession  de  recevoir  et  de  vé- 
nérer toute  la  Sainte  Écriture,  osent  cependant  en  rejeter  lant 
de  mémorables  passages  ;  il  ne  comprend  pas  qu'ils  parlent  sé- 
rieusement et  sans  rougir  de  leur  respect  pour  la  parole  de  No- 
ire Seigneur.  Nous  ne  le  comprenons  pas  non  plus. 

Ici  se  présente  une  seconde  liste  d'antilogies  dans  le  langage 
des  chefs  de  la  Réforme.  Ce  serait  l'énumération  des  points  sur 
lesquels  la  Bd)lc  csl  muette,  et  qu'admettent  cependant  et  prati- 
quent les  protestants  contre  leur  second  axiome  :   Rien  que  la 


.{04  LES   MIMSTRES   LT   LA    IllIlLK. 

Bihh.  Mais  ici  les  déuiils  nous  conduiraicni  trop  loin,  nous  nous 
borncriius  à  (]ii(li|ii(>s  indiciiiions. 

Kl  d'abord  li's  ministres  (|iii  crient  si  fort  :  rien  que  la  Bible, 
de  quel  droit  vienneol-ils  s'interposer  entre  elle  ei  les  fidèles, 
avec  toutes  leurs  prédications,  tous  leuis  oatéeliismeseï  tous  leur  s 
commentaires?  Frandiemeiit ,  une  bonne  fois,  si  la  Bible  suQit, 
pouiipiui  y  a-l-il  des  ministres  chez  les  protestants? 

Les  ministres  avancent  ()iie  rKvanj,'ile  de  saint  Matthieu  et  ce- 
lui (le  saint  Marc,  sont  \erilableinent  sortis  de  la  plume  de  saint 
Malliiicu  et  de  saint  Marc;  mais,  en  \erité  ,  nulle  part  on  ne  lit 
celte  assertion  dans  la  Hible.  Ils  prétendent  que  les  lettres  des 
Apôtres,  rA|»ocalypse,  les  Actes,  et  tous  les  autres  livres  du 
Nouveau  Testament  sont  inspires;  mais,  en  vérit»-,  il  leur  est 
impossible  de  le  démontrer  par  la  Sainie-Écriture.  Nulle  phrase 
connue  de  Jésus-Christ  ne  peut  justifier,  de  leur  part,  celte  opi- 
nion. Les  minislies  disent  cpiil  faut  consacrer  le  dimanche  au 
culte  divin,  et  il  le  font.  L  Kt  riture  dit  au  cimtraire  «piil  faut 
sanclitiei*  le  sabbat  ou  le  samedi. 

Les  ministres  ensei^'nent  que  les  enfants  baptisi'-s  et  morts  avant 
l'âge  de  raison,  sans  avoir  pu  faire  un  acte  de  foi,  sont  sauvés; 
et  cependant  I  K(  riture  ne  dit  pas  cela,  elle  dit  le  contraire. 
«  G^-Ini  qui  croira  et  sera  baptise  sera  sauvé  ;  celui  qui  ne  croira 
pas  sera  (ondamiié.  »  Les  minislr«s  enseij^nenl  que  la  sainte  eu- 
charistie n'est  pas  nécessaire  au  salut  des  enfants  ,  et  ils  ne  la 
donnent  que  vers  Tige  de  seize  ans.  Rien,  dans  l'hcriinre,  ne  les 
autorise  à  faire  celte  interprétation;  le  Sauveur  y  dit  au  con- 
traire :  «  Si  vous  ne  mangez  la  chair  (\n  Fils  di'  l'homme,  vous 
n'auiez  pas  la  vie  en  vous.  »  Il  ne  niei  pas  d'exception. 

Nous  lisons  dans  saint  Jean  (Mil,  lô)  que  notre  divin  Sauveur, 
avant  de  distribuer  la  sainte  cène  aux  douze  apùlres  ,  voulut 
leur  laver  les  pieds,  et  (pi'aprés  aNoir  aclu'^^•  cet  acte  sublime 
d'humilité,  il  leur  dit  :  a  Savez-vous  ce  (pie  je  viens  de  faire? 
»  Vous  m'appelez  Maiire  et  Seigneur,  cl  nous  avez  r.iison,  car  je 
»  le  suis.  Si  donc  je  vous  ai  lavé  les  pieds,  moi  qui  suis  Seigneur 

•  et  Maître,  vous  devez  aussi  vous  laver  les  pieds  les  uns  les  au- 
»  1res,  car  je  vous  ai  donné  l'exemple,  alin  (pie  ce  (pu*  je  vous  ai 

•  fait,  vous  le   fassiez,  vous  aussi,  n  — Je   le  demande  mainte- 


LES  MliMSTKES  ET  LA  niBLE.  365 

iKiiii  :  quel  cas  les  ministres  fonl-ilsde  cet  exemple  et  de  cet  or- 
dre lormcl  (le  Ji-sus-CInist?  Quand  les  a-l-on  vus  laver  les  pieds 
des  lidèlosi'  Et  s'ils  ne  le  loiit  j)as,  <nii  les  autorise  à  prétériter 
entièrement  cette  leçon  de  rÉvangile? 

Les  prolestants  se  permeltoui  de  nian[,'er  du  sang  et  des  ani- 
maux suiVoqués,  et  cependant  les  Apôtres,  réunis  tous  ensemble 
à  Jtrivsalem  ,  ont  décrété  que  ceux  qui  se  convertissent  à  Dieu 
doivent  s'en  abstenir  (Âcl.  XV,  20)  ;  et  nous  ne  lisons  pas  dans 
rÉcriiure  que  cette  défense  ait  été  levée.  —  Les  ministres  de 
Genève  donnent  le  baptême  du  baut  de  la  chaire;  ils  jettent  sur 
reniant,  qui  est  en  bas,  quelques  gouttes  d'eau  qui  l'atteignent 
ou  ne  Tatteignent  pas.  Eh  bien,  sur  quel  passage  des  Écritures 
s'appuient-ils  pour  choisir  celle  façon  d'administrer  le  plus  in- 
dispensable des  sacrements?  Nulle  part  on  ne  lit  que  les  Apôtres 
l'aient  pratiqué  si  légèrement;  au  contraire,  lorsque  saint  Phi- 
lippe baptisa  l'eunucpie  de  la  reine  de  Candace,  il  le  fit  descen- 
dre dans  l'eau  d'un  ruisseau;  et  la  primitive  Eglise,  on  le  sait, 
conférait  le  baptême  par  immersion.  —  Les  ministres  ordonnent 
de  solenniser  les  jours  de  Noël,  de  l'Ascension,  etc.,  en  vertu  de 
quel  passage  de  l'Évangile?  Et  pourquoi  ne  solennisent-ils  pas, 
par  exemple,  la  Transfiguration  de  Notre  Seigneur  sur  le  Thabor, 
ou  son  entrée  glorieuse  à  Jérusalem? 

Jésus-Christ  aflirme  solennellement  (MarcXXI,  17)  f  que  ceux 
qui  auront  cru  en  lui  chasseront  les  démons  et  parleront  de  nou- 
velles langues,  qu'ils  prendront  les  serpents  sans  danger,  que 
s'ils  boivent  quelque  breuvage  mortel  il  ne  leur  fera  point  de 
mal,  qu'ils  imposeront  les  mains  sur  les  malades,  et  que  les  ma- 
lades seront  guéris.»  —  En  vérité,  nous  serions  heureux  d'appren- 
dre que  les  chrétiens  réformés  vérifient  en  eux-mêmes  celte  pro- 
messe de  Jésus-Christ.  Mais  si  les  vrais  croyants  de  Luther  et  de 
Calvin  ne  peuvent,  depuis  trois  siècles,  citer  un  seul  fait  de  cette 
nature,  il  est  bien  permis  de  soupçonner  qu'ils  ne  sont  pas  les 
croyants  de  Notre  divin  Sauveur. 

Nous  voyons  dans  les  Actes  des  Apôtres  que  les  premiers  chré- 
tiens se  dépouillaient  de  leurs  biens  et  les  mettaient  en  com- 
mun. Or,  de  toutes  les  dames  méthodistes  qui  prônent  la  lecture 
de  la  Bible,  et  qui  peut-être  se  figurent  bonnement  en  suivre  les 

23 


366  LES  BlflUTRES  ST  I.A   BIBLP. 

l('Vf>ns  cl  les  <\<'m|)U*s.  nous  n'on  voyons  aucune  parinpcr,  à  la 
inaiii«  re  de  rÉvangile,  ses  hicns  et  sa  forlunr  aver  les  cliréiiens 
ses  frères.  —  Jésus-Chrisl  a  dit  forniellemeni  et  plus  d'une  fois, 
romnie  dans  saint  Luc  (MX,  33)  :  oQuicon<]ue  d'entre  vous  ne 
renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  a ,  il  ne  peut  élre  mon  discijde.  > 
M.  Munier,  M.  Ollraniare,  et  les  ûmcs  fidèles  qui  les  suivent, 
n'ont-ils  donc  jamais  lu  ces  passades?  El  s'ils  les  lisent,  iK)or- 
(|Uoi  n'en  voyons-nous  aucun  renoncer  ù  ses  châteaux,  à  ses  l)os- 
quets,  à  sa  famille,  à  ses  dix  mille  ou  \ingt  nnlle  francs  de  rente, 
pour  être  disciple  de  Odui  qu'ils  nomment  leur  unique  Maître? 
Faut-il  donc  se  donner  tant  de  [)eine.  faui-il  s'époumoner  et 
nous  assourdir  en  répétant  :  la  Bible!  la  Hihie!  touic  la  Bible! 
pour  n'aboutir  qu'à  faire  fi  de  ce  que  dit  la  Bible  !! 

Nous  nous  arrêtons  ici.  Un  utile  cnseif^nement  peut  surgir, 
pour  nos  frères  séparés,  desquebjues  remarques  tracées  dans  ces 
pages.  Ils  s'apercevront,  nous  n'en  doutons  pas,  (]ue  jusqu'ici  ils 
ont  passé  bien  légèrement  sur  une  foule  de  textes  très-impor- 
tants. Ils  conf  liironl  «jne  cfus  t\u\  les  conduisent  ,  ou  bien  ne 
connaissent  pas  la  Sainle-Kcrinuc,  ou  bien  prennent  à  tâche  d'en 
voiler,  d'en  défigurer  le  sens  dans  leurs  discours.  Ils  recpnnaltront 
que  les  catholicjues,  sans  en  appeler  outre  mesure  à  la  parole 
écrite,  s'y  conforment  ce|)endant  beamouf)  mieux  (ju'eux. 

Enfio,  ils  scntinmt  profondément  le  besoin  d'une  autorité  qui 
détermino  la  portée  et  la  signification  du  texte  sacre,  aussi  bien 
({uo  la  b'gitimité  de  la  tradition  sur  un  grand  nombre  de  points 
de  dogme  et  de  dise  ipline.  Celte  auloriH'  et  celle  lia(liti(»n  <'ga- 
lemeul  indispensables,  ils  ne  les  cherclieroni  »  i  m-  1rs  ir(»uviionl 
pus  en  dehors  do  l'Église  catholique. 


HISTOIRE  DE  L'ARCHITECTURE  SACRÉE 

Du  Miialrième  au  dlvième  siècle,  dans  les  anciens  évé- 
chés  de  Genève,  Lausanne  et  Sion, 

Pnr  J.-D.  RLAVIGNAC,  architecte  (1).  I^usanne  1855.  (Bri.lel,  éditeur.) 

Per  visibilia,  iiivisibilia  demonstramus. 
S"  Gregorii  Episf. 


(nucxiKME  article). 

Ce^i.^.„^traiie   de  l'histoire   des   monuments  du  IV  au 
A    s.ecle;   c'est-à-dire  de  la  période  la  plus  obscure,  la  plus 
d.ftic.ie,  la  moins  explorée  de  l'archéologie  chrétienne.  Cette 
remarque  serait  vraie  dans  tous  les  pays,  à  plus  forte  raison 
doit-elle  être  maintenue  pour  le  nôtre.  Aussi  est-ce  sur  un^  ma- 
tière complètement  neuve  que  s'exerce  M.  Blavignac.  Les  trois 
d.oceses  de  la  Suisse  romande  ont  attendu  longtemps  un  histo- 
rien de  leurs  églises;  mais,  plus  favorisés  que  bien  d'autres    ils 
aiuonl  des  l'abord  trouvé  un  historien  unique,  embrassant  im- 
médiatement le  sujet  entier  à  la  clarté  de  vues  d'ensemble-  di- 
nge  par  un  système  d'explorations  qu'entourent  les  garanties 
d  un  savoir  seneux  non  moins  que  celles  d'une  expérience  labo- 
rieusement conquise.   Or  ceci  est  un  grand  avantage.    Tandis 
qu  ailleurs  il  faut  chercher  les  matériaux  dans  une  foule  de  mé- 
moires ou  de  travaux  épars,  sans  connexion  de  pensée  les  uns 

(1)  Un  vol.  in-8  accompagné  d'un  alias  renfermant  800  dessins. 


atiS  HISTOIRE    DE    LARCHITErTL'RE    SACREE. 

avec  les  autres,  souvenl  médiocres  de  scienrc  el  pru  autorisés 
i.ar  les  études  antérieures  des  auteurs;  ici  nous  sommes  en  pré- 
sence d'une  œuvre  .p.i  porte  ren.preinte  d'une  pensée  uniforme, 
eu  présence  d'un  homme  du  métier,  el  n<.n  pas  d'un  simple 
amateur  peu  expert  pour  juj^cr  .les  pr...éd..s  .le  construction  .-t 
d^  h  disposition  des  mai.riaux  ;  .-n  prés<-n.v  d'.m  homme  .ndn 
qui  ..)nnaii  Ihistoire,  eompéienl .  par  (onséquent ,  pour  opérer 
entre  les  événemenls  el  les  édifices  des  rapprochements  toujours 

instructifs. 

L'ne  (luesiion  importante  dans  rhist..ire  de  1  architecture  esl 

celle  des  régions  monumentales.  Elle  frappe  tout  d'abord  M.  Bla- 

vi^nac    el  ses  recherches  vi.-nnent  à  l'api'"'  *'«  eux  qui  en  oui 

n^essenti  la  valeur.    Or  l'on  conçoit  fa.ilement  .pie  celle  cpies- 

tion  n'ait  pu  être  abordée  avec  connaissance  de  cause  que  f..rl 

rcc.Mum.nt.  L.s  .  unh'S  ar.héoloj,'i.pu-s  prirent  naissance  il  y  a 

irent.'  ou  .p.araul.-  années  en  An^l.'t.Mre  ;  d.'  là  le  /.èle  pour  les 

vieux  monununts  se  repandit  en  N..rmandie.    M.  de  Caumont , 

qui  a  fait  autorité  si  vite,  appli.pia  à  la  France  les  classilicat.ons 

failes  en  Angleterre;  touL.fois  il  les  luo.iif.a  avec  ^ij.'ac,te,  el 

dans  son  .>uvrage ,  précieux  par  W  m..uvement  (^4^^.<:«t.on 

qu'il  a  inaugure,  nou-s voyons  poiiidn;  des  divis \,.ny.\\v^. 

Mais  ces  travaux  de  M.  de  Caumonl  .1  de  son  école  s.-  sont  sur- 
tout appli.p"s  aux  monuments  de  la  riche   période  gothique  qui 
s'etcn.l  du  \ir  au  XV  sic.  le.  Les  huit  siècles  anléheurs ,  con- 
nus sous  le  u.»m  de  période  r..mane  ou  romano-bysantme ,  n  ont 
pas  élé  l'objel  d'un  intérêt   aussi  vif;    «les  monographies  assez, 
nombreuses  cependant  ont  porte  le  jour  sur  les  .glises  de  celle 
époque;    mais  il   faut  reconnaître,    .piani  à    l'ensemble ,  que 
le.  classiliculions  propos.es  sont  loin  «le  r.-n.lr-  compte  d.^s  faits 
..ccomidis.  Il  faut  a.-.M.r.ler  aussi  .p.une  noinem  laiure  générale 
Cl  uml.>. me  .les  muuuments  sacres  do  celte  longue  p^Tiodc  esl 
bien  dilUcile,  sinon  inabordabl...  M.  Ulavi.Miac,  en  s  appliquant 
uax  edili.es  .1.,  la  Suiss..  r..man.i..,  a  bien  vite  reconnu  l  impos- 
sibililé  .le  les  Ua.  rentrer  dans  les  .ad.es  de  class.ficauon  d..,à 
couvenus.  Par  suite  des  ciir.mstances  politiques,  noire  pays  se 
tn.uN-,  .uianl  à  la  culture  inlell.ctnell..  el  artistique,  en  avant 
d..  tous  l.s  autres  jus.pi'au  M'  siècle;  des  églises  comme  celles 


UlâTOlUK    Dli     LAKClllTLCTUUE    SACllÉE.  369 

de  Grandson ,  Nolre-Daine  de  Neufthalel ,  l'abbaye  royale  de 
Payeine,  sonl  des  exemples  fort  rares  avant  le  X'  siècle;  ils 
sont  une  prérogative  qui  dislingue  nos  diocèses  des  pays  voisins. 
En  prcsencc  de  celle  v«'gélation  parlicidière,  force  élail  de  déli- 
miter une  régional  do  produire  les  caractères  d'une  classification 
spéciale;  c'est  ce  (pi'a  fait  M.  Blavignac.  Quand  nous  disons 
clà&àilîeaiion ,  l'expression  sert  mal  noire  pensée.  M.  Blavignac 
a  garde  de  classer  des  monuments  comme  des  objets  d'histoire 
naturelle.  H  cherche  à  déterminer  les  caractères  dos  écoles  ar- 
lisii(pies  qui  se  sont  vouées  ù  la  construction  des  édifices.  Or 
c'est  là  le  seul  procédé  convenable  en  pareille  matière.  Quelle 
étrange  idée  que  de  traiter  des  monuments  comme  des  objets 
inapimés;  comme  s'ils  ne  relevaient  pas  de  la  pensée  de  l'homme. 
Pourquoi  les  écoles  d'architecture  ne  seraient-elles  pas  appré- 
ciées dans  leur  génie  intime,  de  même  que  les  écoles  de  peiniu- 
res  ?  Aussi  la  lecture  du  livre  de  l'architecte  genevois  a-t-elle 
pour  premier  effet  de  faire  suspecter  ces  nomenclatures  où  les 
édifices  sont  considérés  comme  des  couches  d'animaux  fossiles 
superposés  à  l'exemple  des  terrains  géologiques.  Pour  lui,  il  ne 
cherche  pas  dans  la  présence  d'un  arc  quelconque  des  caractè- 
res pour  grouper  des  monuments,  ainsi  qu'on  le  fait  avec  les  for- 
mes des  pattes  pour  des  oiseaux  ou  celles  des  corolles  des  fleurs 
en  botanique.  Disons  tout  d'abord  que  les  idées  nouvelles 
émises  par  notre  historien  sont  un  fait  considérable  en  archéolo- 
gie. Si  le  système  qu'il  propose  pour  les  trois  diocèses  est  fondé 
en  droit,  il  ne  saurait  manquer  d'avoir  un  retentissement  sur 
l'histoire  monumentale  des  régions  voisines  de  la  nôtre,  et  même 
de  la  France  entière.  Aussi  son  ouvrage  doit-il  mériter  l'attention 
la  plus  sérieuse  de  la  part  des  hommes  compétents. 

M.  Blavignac  distingue  quatre  écoles  architecturales  du  IV® 
au  .V  siècle. 

I.  Ecole  gallo-latine,  du  IV'  à  la  fin  du  VP  siècle. 

II.  Ecole  sacerdotale  primaire,  du  VP  au  IX°  siècle. 
m.  Ecole  carolingienne,  IX'  siècle. 

IV.  Ecole  sacerdotale  secondaire,  X'  siècle. 

M.  de  Caumont  désigne  ces  quatre  périodes  sous  le  nom  de 
période  romane  primordiale,  s'étendant  du  V®  siècle  jusqu'à  la 


.'iîO  UISTOMih    Ut    L  AlU-lintCI  l  ht    sacréc. 

Cil  du  \*.  On  voit  la  ilifférencc.  Sans  insisicrsur  Icgécoles  inter- 
médiaires, on  voii  qu'en  Fnince  et  surtout  en  Mormandie,  où 
écrit  le  savant  archéoiojiîue ,  la  |>ério«le  d«'  transition  du  [deiii- 
cinlre  :\  l'ogive,  que  M.  iJlavignac  place  dans  nos  diocèses  au 
\*  siècle,  ne  commence  «ju'à  la  fin  du  M'  siècle. 

Ecule  gallo  latine.  —  l^a  foi  chrétienne  fut  annoncée  dans  les 
Gaules,  dont  la  Suisse  romande  faisait  partie,  dès  le  temps  des 
Apolres.   Notre  pays  parait  avoir  été  évangelise  au  second  siè<le 
de  l'ère  chrétienne,  j)ar  des  disciples  de  saint  Polhin  et  de  saint 
Irénée  ,  «jui  gouvernèrent  tour  à    tour  l'héroïque  chrétienté  de 
Lyon.  Le  christianisme,  qui  déjù  comptait  des  initiés  dans  le  pa- 
lais de  Néron,  ne  tarda  pas  à  se  répandre  dans  l'armée,  et  l'on 
sait  que  les  légions  loinaines  porleient  la  foi  du  irucilie  dans  les 
colonies  les  plus  éloignées  de  l'empire.  Si  bien  qu'au  lY*  siècle, 
au  luonuMil  de  la  conversion  de  Constanlin.  il  y  avait  des  évéques 
dans  toutes  les  villes  de  quelque  importance.    Ces  chrétientés, 
peu  de  temps  après  leur  naissance,  subirent  le  baptême  de  la 
persécution.  Il  n'est  pas  d'histoire  plus  populaire  que  celle  des 
marlvrs  de  Lyon,  et  nos  pays  conservent  un  souNcnir  précieux  de 
(Cite   légion   de   HGOO  hommes   connue  sous   le  nom  de  U-gion 
Thébéenne,  qui  fui  massacrée  en  entier  dans  une  plaine  du  Bas- 
Valais,  le  22  se|)l('nibre  de  l'an  302  ,  ei  donna  à  la  Suisse  ses 
premiers  patrons.  O  fut  des  ces  tenq)S  recules,  au  milieu  dune 
civilisation  toute  latine,  que  se  constituèrent  les  trois  diocèses 
de  la  Suisse  romande  :  Genève  vers  360;  Avcnches,  plus  tard 
transft'ré   r\   Lausanne,   p.ir  saint  Marins,  en   idô;   enlin  saini 
Theudule,  le  premier  <'\è(pu'  connu  du  \  allais,  parut  en  381  et 
390  aux  conciles  d'Aquilée  et  de  Milan.  Tout  est  plei»  du  si»u- 
veoir  «le   Home  dans  ces  couimencj-meuls;  le  génie  latin,  qui 
avait  fondé  ces  coloni»'s,  ces  municipes  ,  ces  métropoles,  enfin 
toute  cette  civilisation  conquérante  établie  sur  les  confins  de  la 
barbarie,   avait    inspiré  ces   sénats  d'évècpies  «pii  eonsliiuèrent 
dans  ces  pays  loinUiins  runiK-  de  croyance  et  de  dis(  ipline  qm 
caracleriM-  l'I-^glis»*  calholiqiio. 

Cependant  les  invasions  (406  et  407)  commenceot  ;  les  barba- 
res ravagent  le  pa>s;  les  villes  sont  dcliuiics;    Aven(h<s,    une 


HiSTOinE  i>E  l'auchuectdre  sacrée.  371 

cité  opulente ,  devient  cet  amas  de  ruines  dont  Ton  contemple 
encore  les  restes.  Les  Burgnndes  s'établissent  dans  la  vallée  du 
Léman  :  Genève  devient  la  capitale  d'un  grand  État,  qui  est  le 
premier  royaume  de  Bourgogne.  De  la  civilisation  romaine, 
il  ne  restait  que  le  clergé  catholique  debout  sur  les  ruines 
aïKQncelées  par  le  vainqueur.  L'Église  va  au  devant  de  ses 
nouveaux  maîtres  et  les  convertit  au  christianisme.  Les  diffi- 
cultés ne  disparaissent  pas,  pour  cela,  car  les  Burgundes  sont 
inl'ectés  d'arianisme  par  Gundisch,  un  de  leurs  rois.  L'arianisme, 
ce  compromis  rationaliste  de  ce  temps-là,  persécute  l'Église,  la 
met  en  péril  et  domine  jusqu'à  la  mort  du  roi  Gondebaud,  dont 
le  fds  saint  Sigismond  revient  à  l'orthodoxie;  puis,  après  de  nom- 
breuses guerres,  la  Transjurane  est  conquise  par  les  Francs  mé- 
rovingiens qui  dépossèdent  Sigismond. 

Ce  sont  les  monuments  sacrés  construits  pendant  cette  période 
que  M.  Blavignac  étudie  sous  le  nom  d'Ecole  gallo-latine. 

De  ces  constructions  primitives,  il  ne  reste  rien  ;  à  peine  quel- 
ques vestiges,  des  débris  de  fondations,  des  inscriptions  mutilées, 
des  pierres  éparses,  quelques  souvenirs  traditionnels  enfin,  mal- 
heureusement aussi  confus  que  le  reste.  Ces  premières  églises, 
on  le  conçoit,  furent  humbles  comme  les  chrétientés  qu'elles  de- 
vaient abriter;  souvent  on  construisit  en  bois  et  môme  avec 
habileté,  car  l'on  reconnaît  la  trace  de  ces  charpentes  se  mêlant 
plus  tard  aux  procédés  de  l'art  greco-romain.  Des  monuments 
aussi  précaires  devaient  subir  mille  hasards  :  ceux  des  incendies, 
ceux  de  la  guerre,  ceux  des  migrations  forcées  des  habitants. 

Trois  églises,  toutes  les  trois  placées  sous  le  vocable  de  saint 
Pierre  ès-liens,  ont  précédé  la  cathédrale  actuelle  de  Genève,  dont 
les  parties  les  plus  anciennes  remontent  au  X^  siècle.  Ce  n'est 
que  par  voie  de  conjecture,  au  moyen  de  vieilles  fondations  re- 
trouvées sous  le  pavé  de  la  dernière  cathédrale  ,  que  l'on  induit 
quelque  chose  sur  ces  vieux  témoins  du  catholisme  à  Genève. 
Quelques  marbres  provenant  de  la  première  église ,  employés 
vers  l'an  500  à  construire  un  mur  d'enceinte ,  sont  décrits  par 
M.  Blavignac.  L'un  d'eux  porte  le  chrisme  monogramme  com- 
posé des  deux  premières  lettres  du  mot  Christos.  , 

Au  commencement  du  W  siècle,  le  roi  bourguignon  Gonde- 


bîiuil  lit  conslruiif,  sur  r('m|)lacc'iiu'nt  dr  la  prcnii»To  catliédralL', 
un  é«lilic«'  i<  rmim;  par  saini  Sigisniund  son  tils,  <*t  (lonl  la  (U'iW- 
Licc  fut  C(':lobrt'e  pnr  saini  Avit,  métropolitain  de  Vienne  Tan 
516.  M.  niaYi},'nac  croit  avoir  reirouvc,  vu  1850,  dans  If  sol  de 
rofs'lisc  artuelU',  un  fr.i;,Mni>nl  de  lot  rdificc.  C'rsi  un  pan  de 
uiur  dont  les  juintoyonicnts  ro^rcsentciii  un  treillis,  souvenir  de 
la  (ItNoralinn  en  cliarpcnicrie  ;  des  poteries  île  ninsiruction  sont 
encastrées  dans  le  bloca^'e  de  (elle  uairaille. 

L'église  Si  Victor,  églised'un  couvent  souvent  cité  dans  l'histoire 
de  Genève  et  dont  le  nom  d'un  de  ses  prieurs ,  Bonivard  ,  moine 
aposial  tristomenl  mc^Ié  aux  événements  <|ui  prér«''dèrent  la  f\é- 
lurme,  a  perpétué  le  souvenir,  dat»î  de  la  dernière  moitié  du  V* 
sièclCk  C'était  une  église  circulaire,  comme  Saint-Vital  de  Ra- 
veime,  comme  la  latlifdrale  d\\i\-l;i-<!liape|le.  Kilo  fut  démolie 
en  1533;  les  fondations  furent  reconnues  au  \\  UT  siècle. 

L'edilice  vraisemblablement  construit  en  bois  par  le  roi  Gon- 
debaud,  iraurait  duré  «ju'un  siècle  ,  car  une  trailition  veut  que  , 
vers  la  6n  du  M'  siècle,  une  troisième  cathédrale  de  Genève  soit 
bàlie  par  (ioniran  ,  roi  d'Oileans  et  de  Houryogne.  Les  fouilb's 
opérées  par  M.  lJlavi<,'n;H'  ne  lui  ont  pas  permis  de  restituer  avec 
ceiiiinde  le  plan  roinplet  de  j'edilice;  mais  il  a  démontré  que  ce 
dernier  était  accumj)agné  d'une  constniciion  eiictdaire  de  vinj;t- 
cinq  piods  de  diamètre  et  qui  a  pu  servir  de  baptistère.  Des 
fi-a^mcn(s  de  Miulpi  res  polychromes  provenant  de  cette  église, 
ont  été  re;r<''i\»s  *  es  fiagmenis  sont  extrêmement  im|>ortants, 
car  ils  iow  ',  \  p'  ni)  re  apparition  dans  nos  pavs  de  Part  nouveau 
et  de  h  siatuaire  rhrétienne  appliqué-e  -^  la  décoration  monii- 
m<>nlaie.   I  '.n  ;   in    s.i  livre  ici  à  me  dissirt;iiion  inti'ressante. 

l>a  preraiff'  ';-:••  e  abbatiale  de  Saint-Manri<  •',  flans  ré-véche 
de  Sion,  romoate  au  IV* '8îècl«.  Théodore,  évéjjue  du  Valais, 
nisidani  .dors;  <>(  todtirum  (Marliçîny'*,  l'avait  fondée  longtemps 
avant  sn  mort  '<!H\  Au  Vl*  siècle,  le  roi  bourguignon  saint  Si- 
fpsmond ,  qui  ivaii  !d>juré  l'arianisme  h  Saint-Maurice,  recon- 
struisit l'abbtye  ared  ano  extrême  magnillcence.  dette  ép^lîse  de 
saint  Si;. i  '  "     consoen'e  m  ;"»17.    O  ne  sont   lil  d'ailleurs 

que  les  ;  ■  irjssilufles.  l/abba\e  «  elèbre,  le  but  de  l.inl 

«le  pèNrina^,   a  cl»?  reconstruit»    p!usieur!J  foi»;   îl  nr  reste 


MISTOIIIE    DE    L'AKCIUTIiCTUUE    SA(MlÉL'.  373 

debout  aucune  j)ar(i('  (juc  l'on  puisse  raisonnablcmenl  faire  re- 
monter à  cette  époque  priiniiive. 

Ainsi  des  souveniis  do  raicliileclure  des  derniers  siècles  de 
l'empire  romain  apparaissent  dans  les  monuments  religieux  de 
cette  première  péi'iode;  loulelbis  le  souille  de  fespril  nouveau  se 
fait  sentir  soit  dans  les  dispositions  syml)oli(iues  du  plan  de  l'é- 
diûce,  soit  dans  les  ornements. 

Ecole  sacerdotale  primaire  du  VI"  au  IX'  siècle.  —  Il  n'est 
pas  de  pays  plus  redevable  que  la  Suisse  aux  institutions  monas- 
tiques. On  ne  peut  remuer  un  seul  instant  la  poussière  qui  re- 
couvre les  annales  de  ces  siècles  laborieux  du  moyen  âge  ,  sans 
trouver  la  trace  de  ces  foyers  de  lumière.  Au  moment  où  il  sem- 
blait que  toute  civilisation  fût  en  péril,  ils  entretinrent,  à  l'om- 
bre des  cloîtres,  le  feu  sacré  des  lettres  divines  et  humaines.  Us 
plantèrent  nos  vignobles  ;  ils  conservèrent  les  traditions  de  l'a- 
griculture. Ce  serait  toute  une  histoire  à  faire  que  celle  de  ces  ins- 
titutions; mais  il  faudrait  pour  cette  œuvre  la  plume  d'un  écrivain 
catholique,  car  les  historiens  de  la  Suisse  romande  qui  ont  traité  ce 
sujet  jusqu'ici,  n'ont  manifesté  ni  une  suffisante  impartialité,  ni 
surtout  une  connaissance  assez  exacte  de  la  doctrine  catholique, 
pour  ne  pas  commettre  volontairement  ou  involontaii-ement  les 
plus  incroyables  bévues  (1).  Déjà  nous  avons  assisté  à  la  fonda- 
tion de  l'abbaye  de  Saint-Maurice,  et  voici  que  le  cours  du  récit 
de  M.  Blavignac  nous  amène  au  pied  des  vénérables  murailles 
de  l'église  de  Romainmotier.  Or,  qu'était-ce  que  Romainmotier, 
ce  monastère  perdu  dans  une  gorge  sauvage  du  Jura?  Romain- 
motier, comme  Saint-Gall ,  comme  Reichnau  ,  est  une  fondation 
du  moine  irlandais  saint  Colomban.  Le  peuple  irlandais,  dont  on 
connaît  mieux  les  malheurs  et  la  servitude  moderne  que  les  glO' 


(I)  Nous  avons  l'espoir  de  voir  prochainement  combler  cette  regrettable 
lacune  pour  le  diocèse  de  Lausanne.  Il  existe  une  liistoire  des  é\  èques  et  des 
institutions  monastiques  de  ce  diocèse,  écrite  par  le  R.  P.  Schmidt,  rcdemp- 
toriste.  Ce  vénérable  religieux  fut  contraint  de  s'enfuir  de  Fribourg  en  1847, 
après  le  sac  de  son  couvent  par  Tarmée  fédérale.  Il  se  réfugia  à  Genève,  où 
il  a  achevé  son  travail.  Après  sa  mort,  survenue  en  1852,  ses  manuscrits  ont 
été  remisa  Mgr  31arilley,  qui  a  pris  l'engagement  de  les  publier. 


371  IIISTOIME     DE    l'aRCUITECTUBE    àACKÉE. 

rieux  scrviics  des  temps  passés ,  fui  par  excellence  le  peuple 
iiMNsionnaire  des  (-potpies  liaritarcs.  Il  couviii  de  ses  travaux  les 
Gaules  nuTOYio^iennes.  Saint  Colonihan  parut  à  la  cour  ilu  rui 
(i(»nlr:in;  puis,  sui\i  de  dise  ij)lt's  fidrics,  il  s't'iifonra  dans  les  fo- 
rêts de  rik'lvétie.  LU  petit  nund)re  de  pn^lres  dispersés  duus 
les  anciennes  villes  romaines  suilisaient  à  peine  alors  à  garder 
les  ruines  des  éf;lises,  el  ne  |>ouvaient  pas  achever  la  conversion 
des  conquérants.  Toutes  les  hordes  n'uN aient  pas  à  leur  tête 
des  Clovis  pour  les  entraîner  vers  le  haptérne.  Ce  fut  vei"s  ces 
peuples  redoutés  «pie  se  tourna  le  prosj-lytisme  des  Irlandais.  Le 
succès  ne  se  lit  pas  loni^hinps  attendre,  les  missionnaires  du 
Nord  fondèrent  de  nomltreux  «'lahlissemenls  ;  en  outre,  ils  rani- 
inèit ut  le  /ele  des  cloîtres  déjà  existants.  Il  \  eut  <|uelquo  chose 
de  «ela  pour  Homaiiimoiier,  car  avant  l'apparition  des  mission- 
naires irlandais,  il  y  avait  déjà  un  sanctuaire  et  une  maison  de 
prière  dans  cette  vallée  (I). 

Les  moines  irlandais,  comme  tous  les  moines  catholiques,  ne 
|»rê(  haient  pas  si-ulenx'nt  par  la  |)arole  et  lexemplr  d'une  vie 
pénitente,  ils  [)réeliait'nl  aussi  par  l'art,  ce  grand  mobile  de  l'É- 
{çlisc  catholique  pour  manifester  la  présence  sensible  «le  N.  S.  J^ 
sus-Christ  dans  le  monde  à  travers  le  temps.  Aussi  voyons-nous 
les  disciples  de  saint  Colond)an  laisser  une  trace  durable  de  leur 
passaj^e  dans  les  «i-uvres  architecturales  élevées  sous  leur  direc- 
tion. On  reconnaît  leurs  protédés  de  constriiction  depuis  le*  ri- 
ves de  la  Sa<'»ne  et  du  Hhin  jusque  sur  les  bords  de  l'Adriatique 


(i;  M.  <lc  (tiiigins,  dans  lu  |iicfuc<*  <|(ril  pbcr  un  devant  du  Cliatiulairr  de 
Rnmainmotïpr,  ptibl'n?  sons  les  auspices  de  la  Sorit'lt'  d'Histoire  de  la  Suisse 
romande,  assure  qu'il  ri'snlte  de  l'exnmcn  de  plusieurs  doeumcnls  :  I*  qu'un 
rmiil»Ke  renoiwniu  existait  dans  la  vallée  i  la  lin  du  VI'  siècle;  9*  que  dans 
la  priMuièie  aiiiice  du  siirlc  suivant,  cet  ernntaj;e  fui  roiixerti  en  niimastèrc 
et  diilcpurtînnlrnn,  roi  de  HourKonc;  ô*  que  vers  lan  (iiti,  lediw  llauiMelène, 
);ou\rrMeur  tic  la  Transjiiraue,  fit  hilinin  moiia.stt're  plus  ronsidérable.  (,'e  fut 
vraisemlal)l)|einent  celle  dernière  fondation  qui  sidùl  linfluenre  des  moines  ir- 
landais. Le  nom  de  llumainmolierfutdonnc  àcc  monahtèrepar  le  Pape  Kltenne 
II,  qui  y  lit  séjour  en  se  rendant  en  France  auprès  de  IVpMilclJref,  potir  sollin- 
Icr  sa  protection  contre  les  Lombards  qui  dûsulaienl  l'Italie.  /Omuinum  mo- 
nnstrrium  roravil,  dit  le  Cliartulairc  après  avoir  énumdré  les  faveurs  spiri- 
luelle*  r(  temporelles  dont  le  con\cnl  fut  combl»'  parle  PonUfe. 


iiiSToiiii;  ui;  LAnciiirLcriiiE  sackéiî.  375 

et  les  Noisants  des  Apennins.  Los  formes  ludimenlaires  do  i'arclii- 
todure  do  Ronuiinniolier  se  distinguent  à  Sainl-Philibcrl  do 
Tonrnus  ,  à  Saint-Marlin  de  Colofjno ,  à  Sainte-Marie  du  Capi- 
tule, dans  la  niènio  ville,  enfin,  au  baptistère  do  Kavonne,  dans  un 
travail  de  restauration  évidennncnl  postérieur  à  réieelion  de  l'é- 
difice. Ce  trait  monumental  qui  communique  une  physionomie 
caractéristique  aux  églises  que  nous  groupons  ici  sous  la  direc- 
tion de  M.  Blavignac,  consiste  en  un  système  d'arcatures  séparées 
de  deux  en  deux  par  des  bandes  murales.  Ces  bandes  murales 
sont  parfois  remplacées  par  des  colonnes  ou  des  pilastres  ornés. 
Appliqué  aux  murs  extérieurs,  ce  système  n'est  plus  un  simple 
ornement,  il  devient  le  premier  indice  du  contrefort,  cet  élément 
destiné  à  jouer  un  rôle  prodigieux  dans  les  développements  ulté- 
rieurs de  l'architecture  catholique. 

Considérée  dans  son  aspect  général  et  dans  ses  détails ,  cette 
architecture  monastique  des  premier  temps  offre  sans  doute  des 
formes  incultes,  des  traits  grossiers.  L'appareil  de  construction 
accuse  l'ignoiance  des  procédés  habiles,  plus  souvent  encore 
l'indigence  des  matériaux  et  l'exiguité  des  ressources;  mais  à 
travers  ces  hésitations,  quel  sentiment  puissant  de  l'idéal!  on 
sent  qu'un  souille  nouveau  est  venu  animer  celte  architecture 
gallo-romane,  trop  comptable  encore  de  l'ornemenlation  anti- 
que. Le  symbolisme  s'était  bien  accentué  dans  les  figures ,  dans 
les  peintures  polychromes  qui  tapissaient  les  murailles  dans  ces 
signes  mystérieux  dont,  dès  les  catacombes,  on  avait  multiplié  la, 
présence.  Déjà  quelques  timides  modifications  apportées  au  plan 
de  la  basilique  primitive  trahissent  des  efforts;  après  tout,  les 
édifices  sacrés  demeurent  restreints  dans  leur  étendue.  Il  fallait 
que  des  moines,  animés  d'un  sentiment  liturgique  profond,  arri- 
vassent pour  donner  cette  impulsion,  qui  ne  s'arrêtera  qu'après 
avoir  édifié  l'abbaye  aux  Hommes  de  Caen,  la  cathédrale  d'A- 
miens,  celle  de  Cologne  et  tant  d'autres  monuments  qui 
aspirent  à  réaliser,  dans  leur  immense  étendue ,  l'idée  de 
l'infini ,  ce  tourment  do  tous  les  cœurs  d'artistes  vraiment 
chrétiens.  Quand  on  considère  ces  églises  étroites  et  basses, 
ces  nefs  recouvertes  de  voûtes  en  berceau ,  imparfaites  encore , 
mais  où  les  fenêtres  rayères  s'accouplent  ;  ce  plan  où  les  res- 


37(i  inSTUlht   DE    L  AIlCIilTiitrrUKE  SACRÉE. 

sauts  il  les  ahsidt's  se  inultiplii>ni ,  on  st'nl  louic  la  >^nilé  de 
re\|ilic:uion  <|iii  attrilnie  à  ravèncnii'iit  de  Tare  aij'u  (ogive)  le 
déveluppcinent  de  l'anliiUi  liiictatliolifiiicau  \\V  siècle.  Ce  dé- 
vcImpim'iiicui  lie  piuviftil  pas  de  la  dcroincili'  d'un  aie,  inaisl)i«'ti 
d'uni'  inipnlsioii  atiisilipic  ,  par  coiisètpirnl  idfal(>.  Des  moines 
(pii  sanciili^'ht  leurs  veilles  par  le  rliaiil  de  ToHiee  divin,  ei  lem"S 
jours  par  l'étude,  le  lonroivi-nl,  et  ce  sonleux  «pii,  duranl  cinq 
siècles,  diri^'eni  ses  propres  el  lui  [>r<'parenl  son  iiumcrtelle  des- 
tinée. 

L'élude  de  M.  Blavif,Miac  sur  Uomainniolier  est  des  plusinstrnc- 
livcs.  Mais  nous  devons  renvoNer  au  texte  de  l'aiileur  pour  plus 
tie  détails,  (i'esl  une  verilalde  révélation  (pu-  la  description  île 
celle  (urieusc  ubbnyc  cachée  dans  un  vallon  pen  Iriipienti'.  Un 
intérèi  puissant  s'attache  à  ce  spécimen  si  rare  d'une  église  du 
Xll'  siècle.  Pour  l'auleur,  c'est  une  i'orlune  archéologique. 

M.  Blavignac  groupe  autour  de  l'ahbaliale  de  Komninniolier 
les  restes  de  l'église  conventuelle  «le  Saint-Sulpice,  sur  les  bords 
du  Léman,  entre;  Lausanne;  el  Morges.  Cette  église  est  construite 
d'après  les  nii-mes  pi'incipes  que  Komainiuotier.  L ne  circonstance 
rend  ces  restes  doublemenl  précieux  :  il  se  trouve  que  l'abside 
quia  «Mé  reconstruit  à  Homaiinnt»tier  existe  à  Saint-Sidpice  dans 
sa  pureté  primitive. 

Le  clocher  de  l'église  d'Orny,  Ti-glisede  llrelonnière,  dans  le 
dio<'èsc  de  Lausanne,  sont  rapporlé«es  par  M.  Blavignar  h  rjcixc 
.epoqtie  recidee.  Il  en  rapproche  aussi  une  crvple  existant  sous 
l'église  actuelle  de  Sainl-(îeivais  ,  à  (Jenève.  dette  rr)  pte  porte 
en  effet  les  caractères  d'une  consiinciinn  |»ien  antérieure  aa  ^-aste 
et  UH'dioi  re  «'dilice  qui  couvre  W  sol  aujourdhni,  leepiel  ne  date 
que  du  \\  '  siècle. 

I^e  (;h.ipitre  se  termine  pai-  lui  rapfirochement  opéré  entre  l\o- 
mainmotier,  Saint-\  incenl  de  MAcon  et  Saint-Philibert  de  Tour- 
nus.  Celte  dernière  églis«>  offrait  a  M.  RIavignac  un  trop  remar- 
quable exemple  d'ar<  aliires  à  bandes  muiales  pour  (|u'il  ne  frtt 
pas  lente  de  laire  en  sa  faM  nr  une  exception,  en  franchissant  les 
limiU's  de  sa  région.  Pour  nous,  nous  ne  satuions  (pie  regretter 
de  Aoir  l'auteur  se  montrer  aussi  sobre  de  ces  excursions ,  car 
cIIm  sont  |)our  lui  l'occasion  d'établir  des  termes  do  comparai- 
son fort  instructifs. 


HISTOIRE  DE  l'aucuitecture  sacrée.  377 

Ecole  caroUiK/ienne,  /.V"  cl  commenrement  du  A"  siècle.  —  Les 
hisloricns  du  moyen  àjjfe  (|iii  ont  eu  cours  jusqu'à  présent  consen- 
tent à  représenter  le  règne  de  (^arlemagne  comn)c  un  point  lu- 
mineux dans  une  nuit  obscure.  La  prévention  et  surtout  l'igno- 
r.ince,  seules  peuvent  autoriser  ce  procédé  facile  pour  fran(;liir 
sans  travail  des  temps  ingrats.   Nous  n'accordons  pas  (|uc  cette 
nuit  ail  existé.  Une  époque,  qui  produit  des  institutions  monasti- 
ques telles  que  le  Mont-Cassin  en  Italie,  Luxeuil,  Bohhio  etSainl- 
Gall,  CCS  trois  trois  grandes  ahbayes  qui  marquent  le  chemin  de 
l'apostolat  de  saint  Colomban,  les  écoles  saxonnes  de  Canlorbéry 
et  tant  d'autres  lieux  d'c'ludes  qui  se  rangent  autour  des  cloîtres 
et  des  cathédrales;  des  hommes  tels  qu'Isidore  de  Séville,  saint 
Grégoire  de  Tours ,  Bede  et  Alcuin ,  pourra  passer  pour  une  pé- 
riode difficile,  mais  à  coup  sûr  elle  ne  méritera  jamais  les  mépris 
qu'on  a  prétendu  lui  infliger.  «L'histoire  littéraire /dit  un  sa- 
»  vaut  histoiien  de  ces  temps  reculés  (l),  ne  compte  qu'un  petit 
«nombre  de  siècles  inspirés;  elle  connaît  beaucoup  de  siècles 
»  laborieux.  L'inspiration  est  une  grâce  :  elle  est  d'un  lieu  et 
»  d'un  temps,  elle  vient,  elle  se  retire.  Le  travail,  au  contraire, 
»  est  une  loi;  il  est  par  conséquent  de  tous  les  temps;  et  Celui 
«qui  en  a  fait  la  condition  de  l'humanité,  ne  souffre  pas  qu'il 
«s'interrompe  jamais.    Cependant,  on  s'arrête  avec  admiration 
«devant  l'âge  d'or  des  littératures,  aux  courts  moments  où  le 
»  rayon  d'en  haut  vient  éclairer  l'époque  de  Périclès,  d'Auguste, 
»  de  Léon  X  :  on  n'a  que  de  l'indifférence  pour  les  périodes  mé- 
»  ritoires  qui  d'un  âge  à  l'autre  ont  conservé  la  tradition  litté- 
»  raire.  Nous  ne  savons  pas  tout  ce  qu'il  a  fallu  de  courage  à  des 
»  hommes  assurés  qu'ils  n'auraient  jamais  les  applaudissements 
»  du  monde ,  pour  se  vouer  à  cette  tâche  obscure  d'étudier,  de 
»  commenter,  de  conserver  la  pensée  d'autrui,  la  parole  d'autrui, 
»  la  renommée  d'autrui.  Il  y  a  pourtant  quelque  attrait  à  s'enfon- 
»  cer  dans  ces  siècles  injustement  délaissés,  à  voir  de  près  le 
»  travail  dans  toute  son  aridité  ,  le  travail  sans  gloire  ,  mais  sans 
»  lequel  plus  tard  l'inspiration  serait  inutilement  descendue  sur 
»  des  âmes  incultes.  C'est  le  spectacle  des  temps  qu'on  appelle 

(1)  Ozanam.  Études  fjermaniqucs.  T.  II,  ch.  9. 


37^<  HISTOIRE  DE  l'auciiitecti'hk  ttAKée. 

>  l);ii  l>:ii-«-.s,  <ioiit  il  ne  faut  |>ns  nior  la  liuihaiic,  mais  qu'on  nii- 
«  rail  cru  moins  ij^'imranls,  si  ou  les  a>ail  iimiiis  ij^noivs.  » 

Ce  <iiii  ne  Nriii  |i:is  ilin-  i|iir  nous  contosions  i'iW'Iat  du  n*gnft 
de  riiailt'ina;,'!!»-' ;  mais  sfulcmcnl  (jiic  cfiic  lumiôrr  n'aiiraii  pas 
sa  raison  il'i'lie,  si  les  siècles  précédents  ira\aicnl  conseiv<r  l'é- 
lincclle.  M.  Blavi{(nac  pense  de  nuîme,  et  nous  l'avons  vu,  ses  re- 
cherches sur  l'école  archiiecturnle  suscitée  par  la  venue  des 
moines  d'Irlande,  jetiont  un  fjrand  jour  sur  la  j^'f-nération  monu- 
niiiilale  (j'ii  fireceda  la  venue  du  célèbre  empereur.  Sons  son 
règne  survieiinenl  de  nouvelles  influences;  l'art  romain  est  remis 
en  honneur;  une  innuence  hysaniine  est  lrfs->ensilde  surtout 
sjar  les  bords  du  Hhin,  qui  furent  à  ce  moment  un  point  |iri\ilé- 
gic;  mais  rinlluence  que  l'on  peut  appeler  locale ,  <|ue  nous  ai- 
merions mieux  appeler  litur}^ique  ,  de  l'architecture  monasliqiif 
du  \  II*"  siècle,  se  prononce  aussi  :  c'est  elle,  en  detiniiivc ,  (]ui 
prévaut  au  milieu  d«'s  courants  opposés;  <'est  elle  surKMit  <]ui 
maintient  le  plan  sacerdotal  el  ses  développ«Mncnls  syniboliques. 
L'architecture  «•arolin^'icnne  <  ompiera  bien  des  élémmis  partiels, 
les  coupoles,  le  chapiteau  cubiipir,  |>ar  exemple  .  (jiii  viennent 
d'Orient;  des  souvenirs  plus  précis  encore  de  l'an  romain  ;  mais, 
pour  cela,  il  n'y  aura  pas  d'imitation  servile;  vous  ne  \ernv, 
pas  la  croix  ^r<'('<)ue  de  Sainte-Sophie  se  reproduire  intarie  sur 
les  bords  du  Hhin  ou  dans  nos  vallées  romandes.  C'est  ifttîjouis 
le  plan  ccclésiasli(pie  (pii  demeure,  et  ces  éléments  étrangers, 
.ippropriés  ,  transformés,  utilisés  avec  art  par  une  conception 
nouvelle,  se  fondent  dans  un  ensemble  (Tune  incoolestable  ori- 
ginalité. 

Trois  écoles  d'architecture  doivent  être  distinguées  au  temps 
de  Charleinagne.  M.  lilavigiiac  les  (pialilie  sous  les  litres  d'écoles 
Normande,  Hhenane  et  Khodanique.  L'école  rhodanique  s'étend 
jusqu'à  la  Méditerranée;  les  monuments  (pii  en  relèvent  presen- 
lenl  le  <ha|>iteau  <  orinthien  renouvelé  texiiiellemenl  des  Ro- 
mains. C«'U\  derciole  rhénane  sont  décorés  du  chapiieau  ciiboidc 
venu  d'Orient.  Quant  aux  monuments  de  nos  trois  évéchés  ,  ils 
présenit'iil  uiM'  fusion  des  caractères  distinciifs  des  é<'oles  (-aro- 
lines  du  Midi  et  du  Nord;  toutefois  avec  une  prédominance  vi- 
sible des  principes  de  l'école  sacerdotale  des  siècles  précédents. 

Beaucoup  de  gens ,  en  traversant  la  petite  ville  vaudoisc  de 


HISTOlUr.   DE   L'vnCIIITECTUnE  SACRÉE.  370 

Grandson  ,  sui'  los  hords  ilii  lac  (!<'  NeiicliAloI ,  se  souviennent 
de  la  défaite  de  l'arinf'e  bourguignonne,  si  décisive  pour  la 
destinée  de  Charles-le-Téméraire  ;  mais  personne  ne  songe  à 
visiter  l'église  paroissiale  :  elle  est  aussi  ignorée  que  remarqua- 
l>le.  Flspérons  que  la  description  de  M.  Blavignac  lui  vaudra 
queNpic  attention,  elle  en  est  digne  à  tous  égards.  Car  pour  cette 
période  carlovingienne,  elle  est  un  type  aussi  important  que 
RomainniMticr  pour  l'école  sacerdotale  primaire. 

Une  tradition  locale  veut  que  l'église  de  Grandson  soit  un  an- 
cien temple  païen.  Au  premier  coup-d'œil,  on  la  prendrait  plu- 
tôt pour  une  basilique  piimiiive;  mais  un  examen  plus  appro- 
fondi y  fait  reconnaître  l'art  catholique  des  écoles  carlovingiennes. 
Bâtie  en  croix  latine  régulièrement  orientée,  cinq  travées  sépa- 
rent la  nef  des  bas  côtés.  Les  arcades  de  ces  travées  sont  à  plein- 
cintre.  Elles  reposent  sur  des  colonnes  dont  les  fûts ,  en  marbre 
ou  en  granit,  sont  antiques  pour  la  plupart  et  proviennent  des 
ruines  d'Avenches.  Une  série  d'arcades  appliquées  décore  les 
bas-côtés.  La  voûte  de  la  nef  centrale  est  en  berceau;  celle  des 
bas-côtés  en  quart  de  cercle;  sur  la  croisée  est  une  coupole  rec- 
tangulaire portant  le  clocher.  Détail  singulier,  les  voûtes  du 
transept  sont  en  berceau  et  leur  axe  parallèle  à  celui  de  la 
nef.  On  voit  un  retour  aux  principes  de  l'antiquité  dans  ces 
colonnes  ravies  aux  monuments  romains  et  dans  le  système 
des  arcatures  :  la  coupole  trahit  une  imitation  des  dômes  des 
bords  du  Rhin.  L'ornementation  est  des  plus  curieuses;  les  cha- 
pitaux  ,  tous  variés  ,  sont  couverts  de  figures  symboliques  et  de 
feuilles  végétales.  Il  faut  étudier  ces  essais  de  la  sculpture  chré- 
tienne de  nos  pays  dans  les  beaux  dessins  de  M.  Blavignac;  as- 
surément ils  épargneront  bien  des  recherches ,  même  à  celui 
qui  contemplera  l'original,  car  les  intentions  de  ce  symbolisme 
ne  sont  pas  toujours  aisées  à  découvrir. 

De  Grandson,  M.  Blavignac  nous  transporte  en  Vallais,  à  Cla- 
ges,  village  situé  sur  la  route  du  Simplon,  à  deux  lieues  de  Sion. 
On  trouve  là  une  petite  église  sous  le  vocable  de  saint  Pierre  ; 
elle  fut  érigée  sur  le  lieu  où  saint  Florentin,  second  évéque 
d'Octodurum  (Marligny),  souffrit  le  martyre  vers  l'an  407.  Saint 
Pierre  de  Clages  est  un  spécimen  fort  curieux  des  formes  affec- 


3'S()  IIISTJllhR    r»E   l'aRCIIITECTURI;  SAChtt. 

U-cs  |);ir  l'an  larlovin^ioii  dans  la  Suisse  iniTidionaU'.  Ici  plus 
(le  sou\('nirs  des  liords  du  Uliin,  cneore  moins  do  léminiseeoces 
romaines.  Le  niouumenl  poric  au  plus  liuut  |x>int  lemproinie 
dos  l'colcs  saci;rdoiales  |)iimaii'i'.s.  Par  les  formes,  par  1»'S  diuicn- 
sioiis ,  par  l'analogie  des  dt.'tails ,  Saiiii-l'ierre  de  (Ja}{es  nous  a 
rappelé  la  célèhre  abhuye  de  Sainl-Guillicin-du-I)ésorl  «n  Lan- 
^u»'doc.  Le  cluchcr,  de  forme  ocU)j;one  ,  se  divise  en  deux  éia- 
ges. 

M.  Blavignac  rapporte  encore  à  l'epoifuc  eurolingienne  le  rlo- 
oher  de  l'église  Suinln-Magdelcinc  ù  Genève.  Ce  cloclier  csl  un 
reste  d'une  ancienne  église  qui  précéda  l'édifice  a<luel  ,  lequel 
ne  remonte  (|u'au  W^  siècle  :  il  piésente  l'octogone  caraeiéris- 
lique  de  l'époque  Caroline.  C'est  d'ailleurs  une  œuvre  rudimen- 
taire. 

Le  clocher  de  la  (  alhediale  de  Sion  oUVe  trop  de  rapports  a\ec 
Saint-Pierre  de  Clages,  pour  qu'un  rapprocliemonl  entre  ces 
deux  monuments  ne  soil  pas  facilement  opéré  ;  il  est  carré , 
mais  roilngone  se  dessine  dans  la  pyramide  tormiiiah'.  La  tour, 
roctangidaire,  est  (,r('nolée  connue  celle  de  Sainl-Mailiu  d'Ainay 
à  Lyon,  monument  qui  lut  ( oiisdtiit  très-prohablement  ù  l'épo- 
que <pie  nous  éludions. 

pour  c(>uq>leler  ses  études  sur  larl  carolingien  dans  nos 
cantons,  M.  lilavignac  visite  le  trésor  de  l'abhayo  do  Saint-Mau- 
rice (1),  oui!  trouve  de  nonilueux  objets  (|ui  remontent  à  celte  épo- 


(!)  1,0  In-sor  (lo  S;iiMl-Maiiriio  existe  enenrc ,  on  du  moins  n  a  ^nl>i 
i|iio  ppu  d'nttoinlcs.  One  nVst-il  possible  «l'en  dire  anlanl  i\c.  toutes  les 
relises  du  Vnllais?  Pourquoi  faut  il  ipie  nos  yeux  sniriil  cnnslnmmrnl 
nI11if;és  h  (jeni'vc  par  In  vue.  de  rchipiaire;*,  du  rruix  et  anircs  objets 
ayant  appartenu  à  des  églises  cl  pntvcnnni  de  ec  pays?  Les  marchanda 
juifs  ne  font  pas  une  tournée  dans  ce  canton,  qu'ils  ne  reviennent  chargé* 
des  dépouilles  opimes  que  l'insouriance  du  clerg»'  leur  livrf  n  vil  prix.  Si 
i|ue|qnes-uncH  de.  ees  ventes  ont  pu  trouver  «ne  «xeusc  «Uns  les  malhoors 
«les  temps  et  la  néecs.silc  île  payer  les  misons  exi^lcs  par  la  (Confédéra- 
tion après  lalTaire  du  Sonderlmnd ,  assurément  il  n'en  est  pas  toujours  île 
même.  I/ignoranee  du  clergé-  à  l'endroit  des  rielicsses  arti*>liques  qu'il  pos 
sédi!  est  la  principale  cause  de  ces  facilités  que  Irouxent  lis  juif^-  (,)u«nd  on 
pense  «|uc  l'Evaugéliairc  de  Charleniagne,  dont  il  est  qucstnjn  dans  cet  ou- 
vrage, n  étt'  vendu  pour  quelque  chose  comme  îiOO  francs,  et  que  le  dcten- 


irisTOir.E  DE  l'aucuitectuke  sackée.  381 

(|iiL'.  Ce  sont  «les  iTli(|uaii'cs,  des  vases  de  diverses  Cormes  dont 
l»liisiciir.s  irès-pn-eieuN  el  manileslement  donnés  par  Cliarlema- 
gne  ;  enlinildéciit  le  ceirhre  Évangt'liaire,  présenl  du  même  eni- 
percui'  à  la  célèbre  alibaye.  A  Lausanne  et  à  Genève,  ces  trésors 
ont  disparu  ;  aussi  M.  Blavignac  est-il  réduit  à  citer  textuelle- 
ment les  inventaires  dressés  par  les  déprédateurs  au  moment  où  ils 
mirent  une  main  spoliatrice  sur  ces  ricliesses  accumulées  depuis 
des  siècles.  Le  trésor  de  Lausanne  était  d'une  grande  magnili- 
ceoce  en  1536;  dix-huit  chariots  transportèrent  ces  présents 
des  fidèles  à  Berne;  on  les  évalua  à  125,000  louis  d'or,  sans 
les  ornements  sacerdotaux  et  les  pierreries.  Ces  dépouilles  furent 
le  fondement  du  célèbre  trésor  de  Berne,  qui  servit  à  Napoléon 
pour  la  guerre  d'Egypte.  M.  Blavignac  décrit  les  collections  avec 
sa  sagacité  artistique  habituelle.  Nous  admirons  davantage  en- 
core le  respect  avec  lequel  il  parle  de  ces  ti-nioins  de  la  piété 
catholique,  car  en  pareille  matière,  il  touche  à  des  points  de 
dogme  que  le  protestantisme  s'obstine  à  défigurer  avec  malveil- 
lance. 

Ecole  sacerdotale  secondaire ,  X'^  siècle.  —  Nous  arrivons  au 
X*'  siècle.  L'empire  de  Charlemagne  est  depuis  longtemps  divisé. 
Le  royaume  de  Bourgogne  .trîtnsjurane  s'est  reconstitué  à  la 
suite  des  défaillances  de  ses  successeurs.  En  888  ,  Rodolphe  1" 
prit  possession  de  ce  royaume  qui  comprenait  une  partie  de 


leur  actuel  en  veut  12  à  15  mille  francs.  11  serai!  temps  de  voir  cesser  ces 
scandales.  Pour  cela,  Mgr  l'évêque  de  Sion,  à  l'exemple  de  plusieurs  de  ses 
vénérables  collègues  de  l'épiscopat  français ,  n'a  qu'à  interdire  ces  ventes 
par  une  circulaire.  Des  prêtres  nont  pas  le  droit,  sans  autorisation,  de  dé- 
pouiller les  sanctuaires  d'objets  précieux,  parce  qu'ils  en  méconnaissent  la 
valeur.  Si,  comme  il  arrive  souvent,  les  conseils  de  fabrique  sont  complices 
de  ces  ventes  ,  à  plus  forte  raison  l'autorité  épiscopale  doit-elle  intervenir. 
Ces  observations  peuvent  s'appliquer,  quoique  dans  une  mesure  plus  res- 
treinte, à  la  Savoie.  Comment  a-t-il  pu  se  faire  qu'une  paroisse  des  environs 
d'Annecy  se  soit  dépouillée  d'un  fort  beau  tableau  du  moyen  âge  ayant  ap- 
partenu, avant  la  réforme,  à  une  église  de  Genève?  Un  grand  seigneur  a 
acheté  ce  tableau;  puis  il  s'en  est  lassé,  et  il  est  venu  le  brocanter  à  Genève 
chez  un  marchand  de  curiosités,  qui  la  reçu  en  échange  d'autres  objets. 

24 


,'i82  MISTOIUK   I>e   L  AHCIIITKCTUHB  SACRKK. 

l'Helvélir  :  li-  \;ill:iis,  le  |\iys  il»;  Vaiid,  le  (icni'Nois  ,  le  (llia- 
liLiis,  t'L,  sur  II'  Vfisaiu  occidcnUil  du  .liir;i.  l;i  Hrcssc  et  la 
Fraiiclu;-Cx)mlé.  Sniis  son  siKct-sseur,  K(id()I|>lic  il,  Tt-poux  de  la 
reine  lierihc  et  le  plus  «élèliie  des  rois  Uud()l|iliiens,  la  liourgo- 
j^ne  transjuranc  s'accrut  un  insianl  du  royaume  d'Italie  par  droit 
de  complète.  Mais  ee  prince,  considérant  (onimc  impussiMe  de 
mainleiiir  sous  le  même  sce|)lre  des  hlals  aussi  consid«'raldcs , 
céda  l'Italie  à  Huj,'Ufs  d'Ailes.  Il  reçut  en  échange  la  Provence, 
cl  rèjj[na  sans  contestation  des  rives  de  l'Aar  et  du  Uliin  jusqu'à  la 
MéditerraïU'C.  Le  second  royaume  de  iJoiirgngne  dura  jusqu'en 
I0'2(i.  Il  est  incontestable  que  CiUte  é|»oque  lut  très-hrillantc  et 
que  lu  Suisse  romande  exerçait  alors  en  Europe  une  prépondé- 
rance (|u'elle  n'a  pas  retrouvée  depuis. 

Il  était  nécessaire  de  rappeler  ici  le  .si»iiveiiir  il  une  e|)(>que 
trop  ouldiee.  Ces  délimitations  géograpliiipies  n'ont  point  été 
sans  influer  sur  les  brillantes  destinées  de  l'arcliitecture  de  nos 
trois  diocèses  |>eudant  ce  \*  siècle  que  l'on  a  trop  servilement 
riial)itudc  d'envoyer  aux  gémonies  de  l'histoire.  M.  HIavignac 
s'élève  à  juste  titre  contre  cette  accusation  absolue  de  barbarie 
infligi'c  à  un  siècle  qui  brilla  de  la  science  de  Gerbcrl  cl  compta 
le  moine  Hieher  au  nombre  de  ses  historiens. 

Sous  les  rois  Hudol|)hiens ,  comme  sous  les  successeurs  de 
Charicmagne  ,  les  |)rincipes  fondamentaux  de  l'architecture  sont 
toujours  ceux  de  Ici  oie  sacerdotale  piimaire.  L'ordre  de  Saint- 
Benoit  est  là  qui  en  conserve  la  tra<liiion  et  l'esprit  liturgique. 
Mais  les  influences  des  écoles  carolines  en  modilienl  les  caractè- 
res d'une  manière  sensible.  Au  nord  et  sur  les  conlins  germani- 
(pies  du  rovaiinie,  l'innuenic  de  Pecole  rhénane  est  «'vidente. 
L'église  Noire-Dame  de  Nfîufchàlel ,  l'ondée  par  la  reine  llerthe  , 
dans  la  |>ieiniéie  moiii"' du  X"  siècle,  se  relie  à  «ette  école  par 
ses  disj)osiiions  générales  et  ses  chapiteaux  ciiboides.  Dans  les 
vallées  du  Rhône  se  lormule  un  style  qui  se  relie  aux  traditions 
antiques,  et  (pie  M.  Blavignac  a  nommé  style  rhodanitpie.  1^  ca- 
thédrale de  Genève  el  l'cglisc  de  Nolre-Dame-de-Valère,  à  Sion, 
appartiennenl  à  cette  école.  A  |)cu  près  sur  la  ligne  de  démarca- 
tion de  ces  deux  styles,  se  trouve  l'abbaye;  royale  de  Paverne, 
(•levée  à  la  lin  de  la  dynastie  Hudolphienne;  aussi  accuse-t-ello  des 


IIISTUIRB  DE  l'aUCIIITECTUHE  SACREE.  383 

formes  rappchmi  le  slylc  iliodaniqiie  du  royaume  (rAilos 
cl  Tari  iialicii  de  ce  lem|)S-là.  Imi  outre  :  ces  diverses  églises 
olîrt'iit  (Tasse/,  nombreuses  sculptures  oii  M.  Blavignac  recon- 
naît un  i)rinoi|)e  (roi-ncmcntalioii  asiatique  introduit  en  occident 
soit  à  la  suite  des  iriiipiions  d"S  Ncnnumds,  soit  par  le  contact 
des  missionnaires  architectes  qui  depuis  le  commencement  du 
IX**  siècle  cvangélisaicnt  la  Suède  et  U;  Dancinarck.  Notre  histo- 
rien voit  ces  réminiscences  orientales  fort  sensibles  à  Paycrne , 
où  elles  semblent  s'être  revivifiées  par  suite  des  invasions  des 
Madgyarsqui,  en  927  et  9o4,  arrivèrent  jusque  sur  les  rives  du 
L'-man. 

Celte  détermination  précise  de  l'âge  de  monuments  aussi  im- 
portants que  les  églises  que  nous  venons  de  citer,  est  un  des  points 
les  plus  neufs  du  système  de  M.  Blavignac;  carjusqu'à  présent,  en 
France  et  ailleurs,  les  archéologues  n'osent  pas  faire  remonter  des 
monuments  semblables  au-delà  du  XF  siècle.  M.  Blavignac  assure 
que  l'on  a  trop  abusé  des  terreurs  de  l'an  raille,  et  que  ce  pro- 
cédé commode  de  classification  a  été  exagéré.  Il  s'applique  sur- 
tout à  mettre  en  évidence  l'état  de  civilisation  comparativement 
fort  avancé  dont  jouissait  la  Suisse  romande  sous  la  dynastie 
bourguignonc  au  X^  siècle.  Ce  système  mérite  la  plus  grande  at- 
tention ,  car  il  n'est  pas  seulement  le  résultat  d'inductions,  il 
s'appuie  sur  des  rapports  historiques  précis,  sur  des  dates  par- 
faitement exactes.  Il  doit  s'en  suivre,  à  notre  sens,  la  révision  des 
classifications  des  monuments  des  pays  voisins  :  celle  de  la 
France  avant  toutes  les  autres. 

Eglise  de  Notre-Dame ,  à  Neufchûtel ,  évêché  de  Lausanne.  — 
Cette  église,  dont  la  disposition  est  celle  d'un  rectangle,  est  divi- 
sée en  trois  nefs  que  terminent  des  apsides  circulaires.  La  croix 
latine  s'accentue  dans  le  plan  intérieur  par  la  différence  de  hau- 
teur des  voûtes;  sur  la  croisée  du  transept  s'élève  un  dôme  ou 
coupole  lumineuse  :  c'est  la  place  de  la  tête  du  Christ.  Sur  le 
lieu,  correspondant  au  côté  percé  du  Sauveur,  les  arêtes  saillan- 
tes des  voûtes  se  croisent  de  manière  à  embrasser  à  la  fois  deux 
travées  ;  ces  dispositions  symboliques  sont  peu  communes. 

L'église  de  Neufchâtel  appartient  à  plusieurs  époques.  Il  ne 


384  HI^TOIHR  I>F    L'ABCHITH«m  KK  SAritÉE. 

irsto  do  la  (  <)n>lnr<  lion  |iriiiii(ivr  (juo  |«>s  parlics  oiientalrs,  ri 
elles  pnniissenl  n|>|)aninir  à  la  pirmièro  inoitir  du  X*"  sièrie.  Un 
bas-relief,  détruit  aujourd'hui,  li^nirant  une  reine  présentant  un 
modMo  d'«'j;liso.  l'i  la  Sainlo-Viorgr,  était  sculpt»'-  au-dessus  de  l'an- 
cienne |)orie  nu'ri(lii>nal('.  Une  insci  i|ition  annc\('-e  indi<|uait  «|u<' 
Berthe,  fuyant  ses  ennemis,  en  était  la  fondatrice.  EnelTei,  deux 
fois,  en  927  et  954,  la  reine  Hertlie  dut  reculer  devant  les  hor- 
des des  barbares  d'Orient  et  se  réfugier  dans  la  tour  «le  Neufch^- 
tel. 

L'influence  rhénane  se  marque  :  par  la  porte  principale,  sem- 
i>labl(;  à  celle  de  la  caihédiale  de  Hàle  ;  par  le  «ouronnement  du 
clocher,  enlin  par  les  «  liapiteaux  euboides  qui  se  trouvent  à  l'in- 
térieur et  à  l'cxiérieur  du  monument.  L'arc  aigu  (ogite),  que  la 
plupart  des  arcliéolof^ues  ne  font  arriver  syst»'maii(pienienl  qu'au 
Xll^  siècle,  se  pose  ici  avec  assurance,  sans  exclure  le  plein-cintre. 
11  V  a  progrès  en  toutes  choses  sur  les  siècles  précédents  :  pro- 
grès dans  l'appareil  de  construction,  progrès  dans  les  sculptures; 
des  faisceaux  de  colonnes  réunii's.  selançanl  iusqu':^  la  voûte, 
qui  est  en  arèie  et  plus  en  berceau,  remplacent  le  pilier  ou  la 
colonne  monocylindrique  des  siècles  précédents.  La  porte  prin- 
cipale.  très-inq)oi  lante  à  étudier,  pr»'senle  les  statues  <le  saint 
l'ierre  et  dt;  saint  l'aul.  Les  chapiteaux  sont  iaBt»'tt  tidMHdes,  tan- 
tôt rhodaniques  ;  ils  sont  couverts  de  sculptures. 

Après  une  digression  intéressante  sur  la  véritable  signilicalion 
du  mol  ogive,  l'auteur  se  transporte  des  l>ords  du  lac  de  Neuf- 
(  hàlel  dans  l'evéché  de  Genève  .  à  Mouxi,  village  ignoré  situé 
entre  le  nioul  Salè\<'  el  la  petite  ville  »le  La  Roche.  Il  trouve  là 
une  ancienne  tliapelle  ,  forfbien  conservée,  encore  (prdle  soil 
conveilie  en  maison  de  paysan.  Puis  il  passe  à  la  descriplion  de 
Vabhaye  royale  de  Paycrnr,  évèche  de  Lausanne.  G?  grand  mo- 
nument, fondation  «le  la  reine  iWrthe,  «pii  l'eleva  |>our  «les  reli- 
gieux de  Cluny,  a  été  mis  en  «euNre  vers  902.  Cinq  absi«les 
semi-«irculain's  le  terminent  à  rorienl;  la  grande  nef  ««si  plus 
étroite  «le  cinq  pie«ls  à  son  origine  occidentale  «pie  \ers  sa  jonc- 
ii«)n  avi'c  le  «  lurur.  Il  faut  \oir  «lans  cette  disposition  l'intention 
«le  rappeler  c«' vaisseau  «jue  symbolise  ll^glise.  Des  i>iliers  car- 


IllSTOlItE  DE  l'aIICIIITECTURE  SACRÉE.  385 

irs,  l'cnforcds  pour  la  |>luf)art  de  deux  demi  colonnes,  genre 
de  groupement  dont  on  a  vu  l'appariiion  à  Romainmolier,  sé- 
|)areul  la  nef  des  !)as-e(Ué.s.  Le  plein-cinlre  ne  règne  pas 
parioiii.  L'arc  aigu  signale-  à  Clages  et  à  JNeurciiàlel  se  montre 
dans  plnsicuis  arcatures  ;  de  beaux  chapiteaux  sculptes  existent 
dans  le  lianscpl  et  h;  cli<eur;  de  simples  failloiis  à  mouluies 
couronnent  les  piliers  de  la  ne!'.  M.  Blavignac  décrit  avee  beau- 
couj)  de  soin  ces  scul|)turcs  qui  révèlent  les  intentions  du  symbolis- 
n)c  le  plus  profond.  En  lésumé,  dit  l'auteur,  de  la  même  manière 
que  réglise  carolingienne  de  Grandson  présente  la  réunion  des 
j>rincipes  décoratifs  ilu  Nord  et  du  Sud,  Tabbaye  royale  de 
Payerne  en  offre  la  combinaison^  et  celte  combinaison  ,  jointe  à 
rintrodiu'tion  d'éléments  (jui  forment  du  tout  un  composé  véri- 
tablemcntoriginal,  est  digne  de  toute  l'attention  des  arcliéologues. 
Cette  église  prouve  en  particulier  que  la  série  d'emprunts  à  l'art 
romain,  caractérisant  d'une  manière  si  frappante  les  monuments 
rliodaniques  du  XI^  siècle  (Sainl-Trophime  d'Arles  et  Saint-Gilles, 
par  exemple),  n'était  pas  dans  les  idées  de  nos  architectes  à  la 
fin  du  \*^,  car  c'est  à  grand  peine  si  dans  l'église  de  Payerne , 
élevée  dans  levoisinage  d'Avenches,  dont  le  sol  à  cette  époque  était 
couvert  d'imposantes  ruines,  on  retrouve  quelques  réminiscen- 
ces de  l'art  antique.  En  France  et  en  Angleterre,  on  ne  manque- 
rait pas  d'assigner  la  fin  du  XF  siècle,  sinon  le  XIF,  comme  épo- 
que de  la  construction  d'un  monument  aussi  beau  et  aussi  com- 
plet. 

On  attribue  au  roi  bourguignon  Rodolphe  II  la  construction 
de  la  forteresse  des  Allinges  en  Chablais.  A  ces  châteaux ,  au- 
jourd'hui dévastés,  se  rattache  le  souvenir  si  cher  aux  catholi- 
ques de  l'apostolat  de  saint  François  de  Sales  dans  ces  belles 
contn'-es'.  C'est  en  ellel  dans  le  château  des  Allinges  que  s'éta- 
blit le  saint  évêque  pendant  les  trois  années  que  durèrent  ses 
prédications  et  ses  voyages  auprès  des  peuples  qu'il  devait  raçie- 
ner  au  sein  de  l'unité  catholique ,  après  aviMr  subi  pendant  70 
ans  l'oppression  bernoise.  Les  murailles,  les  tours  crénelées  sont 
en  ruines  ;  mais  la  chapelle  oii  François  offrit  si  souvent  le  saint 
sacrifice  est  demeurée  intacte.  Une  société  de  missionnaires 
savoyards,  qui  ont  placé  leurs  travaux  sous  le  patronage  du  saint 


3HG  IIIMOlIlh   DK   L'AIlCIIITtCTl  HK  SAChIe. 

u  rolcvo  l'auifl  longlcnips  renversé.  On  a  groupé  autour  du 
sanctuaire  de  modestes  coustruetions  ;  lieux  d'étude  ei  de  paix 
siiij4uli("Tfm(Mil  propres  an  rccucillcmt'nt  et  à  la  prière.  Des  prin- 
lurcs  (lu  temps,  passahlcuient  conscrM'es,  oriuMil  roiic  (Impolie 
(|ui  ne  eompte  pas  moins  de  neuf  siècles  d'existence. 

LeVallais,  déjà  peuplé  de  monuments  sous  f.liarlema^ne,  ne 
demeura  point  <'tranj,'er  au  mouvement  arlisii(jue  inauguré  par 
les  rois  boiu},'uignons.  C'est  sur  les  collines  qui  dominent  la  val- 
lée de  Sion  qu'il  nous  faut  chercher  des  témoijïnages  brillants 
de  l'art  catholique  au  X'  siècle,  en  particulier  sur  celui  de  ces 
monlicides  cpii  porte  le  nom  île  Valeria ,  de  la  mère  du  pn'fel 
romain  Campanus,  l'une  des  martyrs  de  la  légion  thébéennc , 
dont  le  mausolée  t'iait  au  pied  menu*  de  la  colline. 

M.  Blavignac  donne  un»;  vue  géui-rale  du  mont  Valéria  ,  qui 
est  un  dessin  du  meilleur  goût  et  de  la  plus  scrupuleuse  exacti- 
uide.  l)(n\  églises  s'élèvent  sur  ce  point  culminant  ;  la  plus  con- 
bidéiahle,  qui  surmonte  toutes  les  autres  constructions,  est  con- 
sacrée à  Noire-Dame,  seule  elle  doit  en  ce  moment  attirer  no- 
tre attention.    Sa    forme  est  celle   d'un   rectangle    termin*'  par 
une  abside  ciiculairc  à  la  base  et  polygonale  par  le  haut.    Cette 
abside  est  garnie  de  créneaux,  de  même  (pie  les  autres  [)arties  de 
l'édilice,  dont  la  construction  appartient  à  différentes  époques. 
Les  fragments  les  plus  anciens  peuvent  dater  du  MIT  siècle;  le 
chd'ur  et  les  chapelles  adjacentes  portent   les  manjues  du  X*. 
L'arc  aigu  se  pn'scnte  à  Valèic  avec  les  caractères  propres  à  ces 
lenqts  primitifs  :  grande  largeur  el  peu  d'élévation.  Les  piliers 
(|ui  su|)poi  lent  les  an  hes  du  sanelnaire  sont  stirmoniés  de  pilas- 
tres à  chapiteaux  richement  décorés.  Les  ligures  sjmboliipies  les 
[dus  variées  s'y  mêlent  à  une  décoration  végétale  irès-originale. 
Rodolphe  111,  dernier  roi  de  la  Bourgogne  iransjurane,  uumté 
sur  le  tiône  en  î)î)4,  releva  l'église  et  le  monastère  de  Saint- 
MMurice,  (pie  les  Sarrasins  avaient  détruits  en  940.  On  sait  (jue 
saint  vSigismond  ,  Inn  des  rois  d('  la  première  dynastie  bourgui 
gnone,  avait  consiitm''  liehement  celte  abbaye.    Rodolphe  1",  le 
fondateur  de  la  seconde  djnasiie  iransjurane,  avait  (  eint  la  cou- 
ronne à  Saint-Maurice,  et  les  caveaux  de  l'église,  en  911,  sou- 
Nriitiit  pour  recevoir  sa  de|Minille  m(trlelle.  Rodolphe  III  ne  pou- 


niSToiRU  DE  l'arcuitecture  sacrée.  387 

vaii  donc,  sans  taillirà  la  mémoire  de  sesancèlres,  manquer  de 
relever  ce  monastère.  De  ces  conslruclions  du  dernier  des  rois 
Rudolpliicns,  (|ui  datent  des  premières  années  du  X"  siècle,  il  ne 
reste  yuère  aujourd'hui  (|ue  le  clocher;  le  couvent,  oii  depuis  le 
Xlle  siècle  les  chanoines  de  Saint-Augustin  remplacèrent  les  an- 
ciens cénobites  (ils  suivaient  la  régie  de  saint  Basile),  fut  rebâti 
à  diverses  reprises;  l'église  joignant  la  montagne,  plus  d'une 
lois  écrasée  par  l'éboulement  des  rochers,  fut  démolie  et  recon- 
struite sur  l'emplacement  actuel  au  commencement  du  XVII''  siè- 
cle ;  brûlée  derechef  en  1G93  avec  les  autres  bâtiments  de  l'ab- 
l)aye,  elle  fut  remplacée  par  l'insignifiante  construction  que  l'on 
voit  aujourd'hui.  Triste  monument,  insigne  exemple  de  la  déca- 
dence du  goût  et  de  l'oubli  des  notions  artistiques;  dernier  ter- 
me d'une  longue  existence ,  dont  la  vue  impressionne  pénible- 
ment le  voyageur  préoccupé  de  tant  d'événements  mémorables, 
de  tant  de  personnages  illustres  dont  le  souvenir  se  rattache  aux 
annales  d'un  des  plus  anciens  monastères  de  la  chrétienté. 

Le  clocher  est  donc  la  seule  partie  de  l'édifice  qui  doive  être 
décrite  ici.  Il  n'olTre  d'ailleurs  rien  de  très-remarquable;  cepen- 
dant il  devait  être  cité  comme  exemple  complet  d'un  clocher  de 
la  fin  du  X*  siècle. 

Eglise  de  Saint-Pierre  ès-lienSj  quatrième  cathédrale  de  Ge- 
nève. —  Le  lecteur  se  souvient  des  débris  des  premières  cathé- 
drales décrites  par  M.  Blavignac  comme  vestiges  de  l'école  gallo- 
latine.  Il  s'agit  maintenant  de  l'édifice  qui  subsiste  encore 
aujourd'hui,  et  dont  l'auteur  rapporte  plusieurs  parties  impor- 
tantes à  ce  X*  siècle  qui  a  laissé  dans  nos  contrées  un  si  brillant 
témoignage  de  l'état  de  la  civilisation  pendant  la  dynastie  Rudol- 
phienne. 

D'après  des  renseignements  que  l'on  regrette  de  ne  pouvoir 
étayer  de  preuves  plus  authentiques,  l'église  Saint-Pierre  de  Ge- 
nève fut  reconstruite  dès  l'an  930  ou  950  à  1034,  époque  où  elle 
aurait  été  terminée.  Des  causes  inconnues  amenèrent  la  ruine 
de  plusieurs  des  parties  de  cet  édifice,  dont  il  est  aisé  de  suivre 
les  reconstructions  successives  pendant  les  siècles  suivants;  mais 
l'ordonnance  du  plan,  une  grande  partie  de  la  nef  et  des  bas- 


388  MC^ToinE  i»K  i.AhriiiTEcm  m;  sachll. 

côtés  appnriicniiciil  à  l'écolo  qufi  nous  étndions.  Or  il  faut  sr 
rapjKîIcr  <|U(î  pas  nn  archéolo^^uc  de  l'écoh»  dominante  nv  vou- 
drait faire  nnumlrr  <('s  |»n'inirn',s  assises  au-delà  du  XI'  fiièilc. 
(^uelt|ues-iiiis  mriiit'  «lasseraient  celte  éj^lise  parmi  les  monu- 
ments de  tiaiisitidii  du  roman  ;i  l'ogive.  Hien  rependant  ne  serDit 
plus   inexat  I    «pie   celle   denouiinaiion  ;  notre   Saint-Pierre   n'a 
pas  la   même   physionomie   que   lu   calliédrale   de  ]N(;yt)ii ,   «jue 
iM.M.  \  iici  »'i  Ilamée  ont  |)résenté  comme  le  type  des  édilices  où 
le   pleinrcinlre    s'unit    à    Tarc-aif^   (ogive).    L'architecte    de 
Noyon,  en  eirei,  a  eu  l'intention  formelle  d<*  marier  les  «leux  arcs 
dans  une  eoneeplion  uiiitpn;;  à  (jenèNc,   rien  de  cela.  L'édifice 
commence  ogival  dès  le  X'  siècle  dans  les  arches  qui  réunissent 
les  pili»'is  d(!  la  luT,  puis  le  plein-(  intre  se  montre  dans  les  fen<^- 
ires  des  has-c«'»lés.    Survient  une    interruption  des   travaux;  à 
la  reprise  «l'œuvre  an  W  siècle,  ce  n'est  pas  l'ogive  qui  repa- 
raît, c'est  l'arc  plein-cintre,  dans  le  triforium  cl  dans  les  chapel- 
l«'s  apsidales  ;  r«);;iv(;  eniin  renaît  dans  les  croisées  supéri<Mires. 
Un  assiste  i«'i  à  une  succession  «l«>  reprises  d*«i'u\res  ei  non  |»oint 
à  l'ext-cuiion  d'un  pian  unique.  Ces  vicissitudes  viennent  à  Taf)- 
pui  «le  l'opiniou  île  M.  Ulavignac  «pii  ilemonln*,  par  l'élnd»'  des 
nïonnmculs  de  noli'o  pavs,  «pie  la  s\noiiiuïie  romane  ou  à  plnn- 
cin/re  tout  au  moins  est  sans  application  chez  nous,  si  tant  est 
fpi'elle  «loive  élre  conservée  ailleurs.  L'arc  aigu  est  enqdové  dans 
nos  vallées  aux  IX'  et  X'  siè«lrs  ;  aux  XT  cl  Xll'  siècles  on  le  né- 
gligi-  pour  l«!  plein-cinire  ,   puis  il  redcNienl  dominant  dans  h*s 
édilices  jtosti'rieurs. 

M.  niaNJi^'nae  res!iln«>  rancinine  ia«,a(l«'  diinnlie  «-n  17."jOpour 
faire  place  au  portail  aclu»-!.  Il  s.'arr«"'leavcc  uneconq»laisan«  e  liien 
nalur«'ll««  devant  la  grande  nef,  «loni  l'effet  est  si  majestueux.  C'est 
là  qu'il  trouve  ces  archivoltes  l»rillanles  et  «es  piliers  «le  f«)rme 
«rucifère,  <:aiilonnés  «le  «lou/e  c«)lonnes  d«mt  r«»rnemcnlalion 
in'-s-rirhe  esl  du  plus  haut  intérêt.  Le»  l»as-«  ûtés  c«)rrespondani 
aux  arches  de  la  nef,  les  voi"iles  «pii  les  couvrent  et  les  fenêtres 
«|ui  l«!s  eclair<>nl  sont  aussi  «lu  X'  siècle  ,  ces  dernières  sont  à 
pleiu-«inir«'.  Les  ihapiieaux  d«'  ««'s  parlies  am  i«*nn«îs  sont  fort 
nondu-eux  ,  e!  ;i  eux  seuls  ils  sulliiaiiiil  p(»ur  domur  d«'  la  ««'lé- 


iiisroinr  DE  l'ahciiitec.tuiie  sacrée.  381) 

brilr  à  ocltc  loniarquiible  ('glisc.  On  en  compte  plus  de  80  pour 
l'onlonn:mcc  de  la  nef  seulement.  Ces  chapiteaux,  dont  M.  Bla- 
vignac  l'ail  une  élude  complète  qu'il  faut  suivre  dans  ses  planches, 
se  ji^roupent  en  trois  f  atéij;ori(>s.  La  première  conli<'nl  les  chapi- 
teaux à  simples  niutils  (rornemeni,  empruntés  soit  à  la  llore , 
soit  à  la  nature  animée;  la  seconde  ,  des  scènes  bibliques,  et  la 
troisièuu'  des  sujets  symboliques  se  reliant  à  des  mythes  géné- 
raux. Cette  sculpture  est  très-originale  et  puissante  d'effet.  Ne 
pas  oublier  cependant  qu'elle  est  combinée  pour  l'effet  général; 
elle  ne  cherche  pas  à  captiver  l'œil  au  dépend  de  l'ensemble.  Les 
architectes  de  nos  jours,  si  inhabiles  pour  la  plupart  dans  l'art 
d'employer  rorncment  et  la  sculpture  dans  leurs  édiGces,  peu- 
vent trouver  dans  l'étude  de  cette  nef  une  remarquable  leçon 
d'harmonie.  M.  Blavignac  ne  sait  pas  parler  avec  indifférence 
de  ce  beau  monument,  oii  l'on  peut  étudier  les  phases  de  l'es- 
prit humain  par  les  travaux  des  générations  qui  ont  apporté 
leur  pierre  à  l'édifice  sacré  pendant  près  de  quatorze  siè- 
cles. Les  parties  qu'il  vient  d'étudier  montrent  combien  grandes 
furent  les  manifestations  de  l'art  sacerdotal  qui ,  au  moment  de 
terminer  sa  course,  semble  avoi<*  recueilli  toutes  ses  forces  pour 
l'érection  de  cette  belle  église. 

Ici  se  termine  ce  volume;  avec  le  XV  siècle  une  ère  nouvelle 
commence  pour  l'art  dans  notre  pays,  et  ces  phases  diffèrent 
essentiellement  de  la  marclie  de  l'art  antérieur. 

Nous  avons  tenu  à  suivre  M.  Blavignac  pas  à  pas.  Il  nous  a 
semblé  qu'il  n'y  avait  point  de  meilleur  procédé  pour  faire  ap- 
précier la  valeur  de  son  livre,  que  de  présenter  un  tableau  com- 
plet des  monuments  (ju'il  a  étudié  avec  une  exemplaire  patience. 
La  seule  considération  de  cette  série  d'édifices  vénérables,  suf- 
firait pour  captiver  l'attention.  Il  y  a  dans  cette  pensée  si  simple 
en  apparence,  si  difficile  cependant  à  mettre  à  exécution,  un 
modèle  qui  devra  toujours  apparaître  devant  les  historiens  futurs 
de  l'architecture  sacrée.  Car  c'est  bien  la  première  fois,  croyons- 
nous,  qu'un  plan  semblable  a  été  réalisé.  Quand  il  n'y  aurait 
à  louer,  dans  l'œuvre  de  l'architecte  genevois,  que  la  description 
chronologique  des  édifices  (jui  ont  manifesté  pendant  six  siècles 


A'Mi  lilsTOint   D£   L  AIICIIITECTIKE  SACRKE. 

sur  noiio  sol  le  génie  ariisli(jno  de  l'^Iglise  caiholique ,  il  fau- 
drait faire  grand  é(at  de  son  livre;  mais  des  résultats  scicntiû- 
(|ues  im()os:mls,  desdcroiiverlcs  iiKillendiics  ont  été  la  conclusion 
légitime  île  ses  éludes,  tu  l'gard  à  liuiporlam  e  de  la  question, 
hieii  que  déj^i  dans  le  cours  de  notre  analyse  nous  ayons  fait  pres- 
sentir la  nouveauté  de  «es  vues,  qu'il  nous  soil  permis  d'insister 
quelj]Mes  instants  encore.  Le  sujet  en  vaut  la  peine  ,  et  il  n'esl 
pas  l'amilier  pour  tout  le  monde. 

Ces  points  tie  \ue  nouveaux  sont  relatifs  :  à  Tâgc  des  monu- 
ments; aux  destinées  de  Tare  aigu  ogive  dans  rarcliitecture  du 
moyen  ;*ige;  eiilin  à  rajjpaiitioii  du  (Oiitrefort.  dont  il  faut  sépa- 
rer riiisloirc  de  celle  de  l'arc  aigu,  .i  ipii  on  Ta  trop  élroitemenl 
subftnloniié. 

Kn  France,  depuis  M.  de  Caumont ,  on  ne  veut  pas  admettre 
4|u'aucun  édifice  important  ait  été  construit  avant  l'an  mille. 
Faisant  des  terreurs  inspirées  aux  populations  du  moyen  âge  par 
cette  année  fatidi(ju(.' ,  h;  point  (entrai  d'une  théorie  et  d'un 
système  de  classili(  ation .  les  archéologues  comlamnenl  les 
siècles  précédents  à  n'être  qu'une  <po(pie  de  ténèbres  «jui 
n'aurait  construit  que  d'inloiines  monuments  à  peine  dignes 
d'être  cités.  Or,  cette  théorie,  assez  en  harmonie  peut-être 
avec  les  faits  en  Angleterre  cl  en  Normandie,  a  été  appli- 
quée, par  une  voie  toute  arbitraire,  aux  autres  pays.  L'au- 
torit(''  si  légitime  d'ailleurs  de  M.  de  Caumont  lui  a  donne 
force  de  loi;  elle  a  dominé  jusipi'à  ce  jour  les  congrès  archéolo- 
gi(]ues,  les  pid>lications  périotliques ,  eiiliti  les  manuels  d'archi- 
tecture livrés  à  la  circulation  depuis  dix  ans.  Celte  opinion  ne 
domine  pas  seulement  les  arcluîologues  amateurs,  ecdesiasii- 
ques  ou  laiques,  les  peintres  et  les  scul|>teurs;  mais,  au  grand 
etonnemenl  de  bien  îles  g«;ns,  elle  s'est  imposée  sans  restrictions 
à  des  architectes  compétents  (1),  à  des  hommi'S  qui  passent  leur 


(I)  Voici  eu  i|iicls  termes  s'expriiiic  M.  VioUcl-Li'chic,  »i>  anliileclc,  un  lies- 
^innttfiir  habile,  dans  un  travail  i|iii  traite  «le  la  construetion  des  édifiées  re 
ligieiix  en  France  depuis  le  commencement  du  rlirislianisnic  jusqu'au  XVI' 
siècle  (.i«H.  nrrhvol.  T.  I  )  : 

•  Depuis  le  JV  sIitIc  jusi|ir:iu  \'.  dil  il.  nous  voyons  lai  I  de  rarchilecliire 


IIISTOir.t;  I»K  l/Ar.CniTIXTLl5E  SACUÉE.  391 

vie  dans  les  moniimcnls,  bien  placés,  par  conséquent,  pourvc- 
rifiei-  les  assenions,  pour  ('ludicr  les  reprises  d'œuvres,  pour  ap- 
précier, en  lin  mol,  mille  ciiconsiances  <|ui  doivent  frapper  les 
hommes  du  métier.  Il  y  a  cependant  des  arguments  de  simple 
bon  sens  qui  contredisent  celte  théorie ,  et  ceux  qui  osent  en- 
core les  énoncer,  sont  bien  étonnés  de  l'appui  inattendu  qu'ils 
trouvent  dans  le  livre  de  M.  Biavignac.  L'auteur  donne  des 
dates  à  ses  monuments  ;  souvent  il  les  appuie  sur  des  char- 
tes authentiques  et  sur  des  pièces  diplomatlcjucs  incontesta- 
bles. C'est  ce  qu'il  fait  pour  l'abbaye  royale  de  Paycrne , 
pour  les  reprises  d'œuvre  de  Saint-Maurice  ,  pour  Notre-Dame 
de  Neuchàtel.  D'autres  fois  par  l'appréciation  de  certaines  cir- 
constances, il  arrive  à  assigner  à  la  construction  des  dates  infini- 
ment probables;  il  réunit  enûn  un  tel  faisceau  de  preuves,  que 
sans  faillir  à  la  raison  et  aux  règles  les  plus  vulgaires  de  la  cri- 
tique'historique  ,  il  lui  devient  impossible  de  ne  pas  secouer  le 
joug  de  la  théorie  de  l'an  mille.  Voilà  ce  que  M.  Biavignac  a  fait 
avec  la  plus  grande  simplicité  ;  sans  attaquer  ni  réfuter  personne, 
il  dit  :  Voilà  les  résultats  où  m'a  conduit  mon  travail  ;  je  ne  ré- 
fute pas,  cai-  ou  je  me  suis  abusé  à  chaque  page,  ou  la  tâche  cri- 
tique eût  été  trop  forte. 

La  même  réserve  ne  nous  est  pas  imposée,  et  après  avoir  ap- 
précié les  conclusions  de  l'historien  de  nos  trois  diocèses ,  con- 
clusions qui  apparaissent  entourées  de  toutes  les  garanties  d'un 
travail  consciencieux,  de  toute  l'autorité  d'un  homme  de  l'art, 
autant  que  de  celle  d'un  érudit  expert  dans  les  recherches  his- 
toriques, il  doit  nous  êti'e  accordé  de  vérifier  la  théorie  de  l'an 
mille  en  étudiant  ses  bases  et  l'exposé  de  ses  motifs. 


se  traîner  péniblement  à  la  suite  d'un  slyle  imposé  par  les  Romains.  Vaine- 
ment Charlemagne  avait-il  tenté  de  rajeunir  le  vieil  empire,  tout  était  après 
lui  retombé  dans  celte  voie  usée  qui  semblait  être  la  dernière  trace  du  paga- 
nisme. Les  très-rares  monuments  élevés  durant  cette  période ,  et  qui  nous 
restent  en  France,  ne  paraissent  pas,  comme  en  Italie,  être  l'expression  d'une 
idée  bien  fixe,  d'un  principe  bien  établi.  C'est  un  amas  assez  informe  de 
traditions  païennes  mal  digérées  ;  c'est  un  art  qui  ne  participe  plus  de  la  gran- 
deur et  de  la  pureté  d'exécution  de  la  bcilir  époque  romaine,  simple  reflet, 
souvenir  faible,  qui  séleiiit  pou  à  peu  cl  finit  avec  la  fin  du  X*^  siècle.  » 


:i'j2 


UiSTOIHE   DE   L  ARCIlITECTl  RE  SACREE. 


(^u'il  SI'  soil  répandu  des  (Toyances  |)opulairos  dans  le  cours 
du  V  siècle  Inuehaiit  Tau  milli- .  ipir  Ix-aucoiip  de  (;ens,  sur  la 
foi  i\v  rerlaines  prophéties,  aienl  nu  (pi'à  «elle  dale  la  fui  du 
monde  allail  \enir,  e'esl  iueonlestahie  ;  irop  de  inonuuienis  eorils 
porlenl  renipreiiite  de  eeiie  iradilion  pour  <]u'il  soil  possible  de 
nier.  L'épocjue  fatale  une  fois  franchie,  on  trouve  quelques  rares 
léninifj:najîes  de  la  saiisfactinn  (\\\c  lit  éprouver  l'ahsciice  du  caïa- 
elysnie  predii  ;  Voilà  lout.  .M;iiiiienaiil  à  quel  dej^'ré  celle  |)réoc- 
cupation  parvint-elle?  eui-elle  la  nit'iiie  iiiiensitcr  dans  tous  les 
pays?  cul-elle  sérieusement  une  |)Crlée  aussi  pen«rale  «pron  le 
veut  conclure?  On  n'en  sait  rien.  Cesl  pourianl  sur  le  fail  de 
ceiUi  [iréoccupaiion  (jue  l'on  voudiail  élahlir  une  des  plus  lué- 
inorahles  dates  dans  la  marche  de  l'esprit  hunuiin.  Cette  généra- 
tion timide,  courbt'e  sous  la  peur  et  la  superstition.  Tan  mille 
une  lois  passe  sans  deli'imeiit  ,  auiait  pris  un  vol  maj^nilique  et 
réalisé  les  «euvies  les  plus  brillantes.  Ceci  est  trop  joli  et  Irop 
bien  arrange  pour  èlie  expressément  vrai.  Loin  d'èln-  séduit 
par  celle  thèse,  nous  y  voyons  pluit')l  ime  trace  de  cet  esprit  de 
dénigrement  et  de  dédain  dont  depuis  trois  siècles  on  poursuit  le 
moyen  âge.  Les  mieux  inieiiiionnés  accorderont  que  Ti-poque  fut 
po('ii(jue;  |)ar  contre,  «pie  » c  fut  celle  d'un  peu|>le  enfant.  conq>- 
lablc  d'ignorance  et  de  supersiilion.  On  ne  prend  pas  garde  que 
c'est  à  ce  peuple  grossier  et  sans  leitres  que  vonl  |tailer  saint 
llernartl  et  All>erl-le-(irand.  Knlin  ,  un  inolif  capital  pour  taxer 
d'exagération  les  archéologues  au  sujet  «lu  r«Jle  «piil  iont  jou«'r  à 
l'an  mille,  c'eslqu'ils  enonl  trop  besoin  pour  élayer  leur  système. 

Si  les  faits  parlaie^il  de  soi  en  laveur  d«'  la  ih«''oric,  il  faudrait 
s«*  résigner  à  l'at-j'epler,  «'ncor«'  «pi'il  en  c«tûte;  mais  en  est-il 
ainsi?  (Ju'il  soit  av<'r«'  d'un«*  manière  générale,  ri  en«ore  s«'ule- 
iiietii  pour  qiielqu(>s  localités,  ipi'iin  ««rtain  n<>ndu'«!  de  gran«les 
«'glises  du  shie  roman  aient  «'l«'  bâlits  p«'mlan!  les  XI'  et  XIT 
siècles,  nous  ne  l«'  voidons  pas  «-onlesler.  Il  u«'  laui,  dans  aucun 
sens,  manquera  l'histoire.  Mais  «pi'il  (aille  induire  de  là  d'une 
manière  absolue  que  du  IV  au  X"  siècle,  sauf  la  passager»'  in- 
Ihn-nce  «le  Charlemagn«' ,  on  n'a  vu  i-n  France,  «n  Alh-mague  et 
en  Angh'terre,  «pic  de  petites  eglis«'s  bâties  en  slyh"  gall«»-lalin 
ou    roniaii    luiiiiilil,   cfsl    l;i  .    ;i    imlre   sens,    soutenir  une  tliese 


HISTOIRE  DE    l'aRCHITECTUKE  SACREE.  393 

forcée  qui  violoiue  les  faiis.   En  cHel  :  encore  que  beaucoup  de 
documenls  soient  perdus,  il  en  reste  assez,  et  l'on  possède  les 
dates  précises  de  beaucoup  de  monuments  que  ,  d'après  la  clas- 
silicaiion  de  M.  de  Caumont,  il  faut  placer  systcmaliquement  aux 
W  et  Xir  siècles ,   tandis  que  les  chartes  veulent  qu'ils  aient 
été  construits,  ou  tout  au  moins  commencés  aux  IX"^  et  X*.  Or, 
et  c'est  ici  qu'apparaissent  les  exigences  du  système,  qu'arrive- 
t-il    en    pareille    occasion?   Eh   bien!    on    torture  ces    dates, 
on  les  conteste,  on  les  infirme  ;  puis,  en  définitive,  quand  l'évi- 
dence contraint  de  les  subir,  on  n'hésite  pas  à  déclarer  qu'il  y  a 
eu  deux  constructions,  et  que  l'incendie,  une  irruption  des  Nor- 
mands ou  des  Sarrasins ,  ou  tel  autre  hasard ,  a  anéanti  le  pre- 
mier édifice.  Ceci  est  de  règle  absolue,  et  il  n'est  pas  une  mono- 
graphie d'église  romane  secondaire  où  de  pareilles  aventures  ne 
soient  introduites  de  vive  force,  le  plus  souvent  sans  preuves  à 
l'appui,  pour  expli([uer  les  reconstructions.  Certes  il  y  a  eu  des 
incendies ,  il  y  a  eu  des  guerres  et  trop  d'incursions  dévastatri- 
ces; mais  ce  que  les  incendies,  ce  que  les  Normands  ou  les  Sar- 
rasins peuvent  faire,  c'est  de  ruiner  une  partie  de  l'édifice,  c'est 
de  nécessiter  des  reprises  d'œuvres  ;  c'est  surtout  d'imposer  aux 
constructions  des  temps  d'arrêt  considérables;  mais  ni  flammes, 
ni  barbare  quelconque,  n'anéantissent  un  édifice  de  telle  sorte 
qu'il  n'en  reste  pas  de  traces,  que  les  fondations  soient  arrachées 
de  terre ,  et  que  les  pierres  soient  au  loin  dispersées  pour  ne 
plus  intervenir  dans  les  édifices  subséquents  (1). 

Telles  sont  quelques  objections ,  entre  bien-  d'autres ,   que 


(1)  Un  seul  exemple.  La  collégiale  de  Notre-Dame  de  Beaiine  a  été  com- 
mencée au  X"  siècle  ;  la  date  est  précise  et  consignée  dans  les  registres  du 
chapitre.  Il  y  eut  interruption  au  W  siècle,  puis  reprise  d'œuvre.  Les  re- 
gistres donnent  les  dates  de  toutes  les  reprises  d'œuvres  et  des  travaux  les 
moins  importants.  Il  n'est  question  ni  d"incendie,  ni  de  cataclysme  quelcon- 
que. Voilà  pourtant  une  église  que  Ion  brûle  systématiquement,  pour  ne 
faire  dater  sa  construction  que  delà  fin  du  XI*  siècle.  La  cathédrale  d'Autun 
pourrait  être  l'objet  d'observations  analogues.  Or  c'est  là  l'histoire  d'une 
foule  d'églises.  En  particulier  de  celles  d'Auvergne ,  que  l'on  rajeuni  de 
deux  ou  trois  siècles,  pour  complaire  à  la  théorie  à  laquelle,  quoiqu'on 
fasse,  elles  donnent  le  plus  éclatant  démenti. 


,'V.)1  IIISTOIUE   DE   L'ARCIIITECTUnE  SAChéS. 

î>ugytre  le  s>>t«'mo  :irrlnul()^i(|U('  d  •  Vmi  inillc  Procrdani  ;i  |  iu- 
vei-se  de  loul  li'  morido,  M.  nhnignac  ne  s'rsl  cinpi  i.soiiiir  ni  dans 
une  classiiuulion  ni  dans  un  système  ,  avant  «juc  de  Taire  sosre- 
clierclies.  il  a  suivi  les  |)ro},'rès  de  l'art  depuis  sa  naissaneo; 
j^uidé  par  riùsioirc  ,  il  a  juxiapposé  les  dates  »'t  les  édifi(  l's ,  il 
a  coiifroulé  les  évcnemenls,  et  f^râc»*  à  une  «riiitiue  his(()ri(|ue 
éclairée,  il  est  airiNé  à  établir  une  cliaine  (-lironulogi(|ue;  puis  il 
a  étmlié  les  monunicnls ,  il  s'est  identilié  avec  les  piocé(l<''S  de 
construttion,  il  a  reclierclie  les  reprises  d'uiivres.  Ni  les  ineen- 
dies,  ni  les  Normands,  ni  les  Sarrasins  ne  lui  ont  fait  déraiil. 
Pour  cela,  il  n'a  pas  eru  devoir  tout  eédcr  ;  il  reeoiinait  leurs 
traces  et  il  les  suit;  nous  l'avons  vu  soulevant  le  sol  de  la  <|ua- 
irième  cathédrale  de  Genève,  dessiner  le  |>lan  des  c.iiliédrales 
primitives.  V(»ilà  ce  que  fiil  notre  auteur;  puis,  tout  pesé ,  il 
n'a  pas  (  lu  <|u'il  lui  fût  raisonnablement  |»ossiblc  de  s'incliner 
devant  1rs  vieilles  i  lassilicaiions. 

C'est  ainsi  ipi'il  a  riv  aiiu-né  à  [)lacer  au  \'  siècle  des  monu- 
ments qu'en  France  on  ne  veut  connaître  qu'an  XW.  Or  c'est  là 
un  fait  de  la  plus  haute  importance,  et  si  nous  avons  essayé  d'en 
faire  piessenlir  la  valeur,  ce  n'est  point  pour  la  vaine  satisfaction 
de  comballre  un  système  ;  mais  parce  qu'il  nous  a  paru  que  la 
<  ritique  historique  ei  littéraire  était  fort  intéressi'-e  dans  le  d«bat. 
Pour  noire  pavs,  en  particulier,  l'impoi  tance  des  rapproche- 
ments qui  surfissent  de  celte  chronologie  monumentale  est  con- 
sidérable. 

Nous  n'insisterons  pas  lon^MUinenl  sur  les  autres  aperçus  nou- 
veaux du  travail  de  M,  Blavignac,  notre  analyse  les  ayant  déjà 
uns  suflTisammenl  en  évidence.  Quelques  lignes  seulement. 

Des  fl(tts  d'encre  ont  été  ih'qnMisés  pour  rechercher  l'origine  de 
l'ai'C  gigu  (ogive).  M.  Hlavignac  ne  reconunence  point  celle  re- 
cherche. Il  se  contente  de  di-terniinei  les  moments  de  son  em- 
ploi dans  les  édifices  qu'il  a  sous  les  veux.  Il  reconnaît  l'arc 
aigu  dès  le  \\\V  siècle,  et  a|)rès  av(»ir  étmlié  les  allernalives  si 
varices  cl  si  peu  explicables  de  son  apparition,  il  conclut  qu'il  ne 
lui  est  pas  possible  de  soumettre  les  monuments  île  sa  région  aux 
classifications  «pii  se  fondeni  sur  la  présence  de  l'are  aigu  ou  du 


IIISTOIHK   LE  L'viunilTECTlinE  SACREE.  305 

plt'in-cinlro  pour  caractériser  les  «'dilicos  ,  cl  snrtoui  poiii-  iléler- 
inincr  leur  âge. 

S'il  ne  s'ayissail  que  d'ogives  rudimoniaires,  comme  à  Clages, 
on  pouirail  encore  conlcslcr;  mais  coinmenl  faire  lenir  (Jel)out 
ce  sysième  devant  la  nel'de  la  cathédrale!  de  Genève,  oii  l'arc  aigu 
se  pose  avec  tant  de  franchise?  Or,  d'après  les  idées  qui  ont 
cours  en  France  ,  il  n'y  a  pas  moyen  de  faire  de  Saint-Pierre  de 
Genève  un  édifice  roman.  H  n'est  pas  davantage  un  édifice  de 
transition.  Qu'est-il ,  en  définitive?  Les  archéologues  qui  ont 
passé  de  si  longues  heures  à  écrire  des  commentaires  sur  la  ca 
thédrale  de  Noyon,  devraient  bien  nous  le  dire. 

Un  troisième  point  de  vue  découle  de  celte  étude  sur  l'arc 
aigu.  M.  Blavignac,  qui  a  si  bien  discerné  que  dans  le  lan- 
gage tecbnicpie,  ogive  veut  dire  contrefort,  un  plein,  et  non 
pas  un  arc  vide  :  ne  peut  abonder  dans  la  ihéorie  qui  fonde  le 
système  du  contrefort  sur  l'apparition  de  l'arc  aigu  dans  les  mo- 
numents. Le  sysième  du  contrefort  dérive  des  systèmes  d'arcatu- 
res  à  bandes  murales ,  et  il  a  été  inventé  bien  des  siècles  avant 
que  l'arc  aigu  ait  été  appelé  à  jouer  un  rôle  prépondérant. 

Il  résulte  de  ceci  qu'il  faut  attribuer  le  système  des 
contreforts,  qui  est  l'élément  générateur  important  de  l'archi- 
tecture catholique,  au  génie  inspiré  des  artistes.  Il  répugne  de 
fonder  sur  la  découverte  fortuite  d'un  arc  celte  marche  expan- 
sive  du  plan  liturgique  des  églises  catholiques.  On  se  sent  in- 
disposé par  celle  prétention  de  vouloir  faire  reposer  sur  une  cir- 
constance aussi  matérielle  qu'un  jeu  du  compas  la  marche  pro- 
gressive du  système  d'architecture  le  plus  idéalisé  qui  ait  jamais 
existé.  Encore  une  fois,  il  faut  saluer  ici  le  trait  du  génie. 

Celle  élude  a  été  bien  longue  ;  mais  nous  osons  croire  qu'elle 
trouvera  son  excuse  dans  la  nouveauté  de  la  matière  qu'il  s'agis- 
sait de  faire  connaître.  Peu  d'ouvrages  offrent  à  cet  égard  autant 
d'aiirailsque  celui  de  M.  Blavignac.  Aussi  bien  s'agissait-il  de 
temps  glorieux  pour  notre  histoire ,  quoique  singulièrement 
oubliés;  et  ne  dissimulerons-nous  pas  la  satisfaction  véritable 
que  nous  avons  éprouvée  à  nous  identilier  pendant  quelques  in- 
stants avec  une  époque  où  le  génie  de  l'homme  s'exprimait  en  un 
langage  aussi  magnifique ,   et  rendait  hommage  à  Dieu  par  des 


li'.H'i  IIISTOIIih      Ut     LAHClIlTtCTlKt     SVCRtE. 

œuvres  ({iii  *'\|)i  imciii  taiil  «le  (.Ikkm.'s.  CV'si  dire  que  nous  iaisous 
les  V(L>u\  l)'N  plus  unlcnts  pour  voir  M.  Hlavi^iiac  eonliouer  buii 
iravail  cl  nieuer  à  innuj  une  enlii-prise  un  ,  après  avoir  mis  laiii 
de  vraie  seience  au  service  de  l'espril  le  plus  salace,  il  révèle  les 
qualités  du  travailleur  le  plus  iulati^able  counne  le  plus  persé- 
vérant. 

Edouard  Dufresne. 


Cioni-vc,  ft't»'  lie  sainlp  Catherine  de  Sienne,  iSî^i. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES. 


Genève.  —  M.  l'abbé  de  Baudry  est  mort  le  2  avril  de  cette 
année,  après  avoir  reçu,  avec  la  foi  et  la  piété  qui  ont  embelli  sa 
vie,  les  sacrements  de  TÉglise.  Il  avait  été  professeur  de  théologie 
dans  la  Compagnie  des  Sulpiciens;  il  était  vicaire-général  et  cha- 
noine honoraires  d'Annecy.  Le  sentiment  qui  a  rempli  toute  son 
âme  depuis  de  longues  années  a  été  de  faire  connaître  et  de  faire 
aimer  saint  François  de  Sales.  M.  de  Baudry  nous  a  laissé  une  Be- 
lation  des  travaux  de  l'apôtre  du  Chablaù,  et  un  Tableau  de  l'esprit  et 
du  cœur  de  saint  François  de  Sales;  il  travaillait  encore,  dans  ces 
derniers  temps,  à  une  vie  complète  du  saint  évoque  de  Genève. 
M.  Tabbé  de  Baudry  était  pénétré  de  l'espérance  et  du  désir  de  ra- 
mener les  protestants  à  la  vérité  par  une  discussion  pleine  d'urba- 
nité. Ses  nombreux  ouvrages,  ses  opuscules,  sa  correspondance,  ses 
articles  dans  les^/jua/esenfonl  foi  ;  c'était  sans  contredit,  entre  les 
défenseursde  la  religion,  undesplus  érudilsetdcsplus  instruits  tou- 
chant la  controverse  protestante.  Il  avait  un  talent  particulier  pour 
poursuivre,  jusque  dans  leurs  derniers  retranchements,  les  subtilités 
où  les  ministres  cherchent  à  se  réfugier.  Il  les  invita,  en  de  fré- 
quentes occasions,  à  aller  avec  lui ,  soit  publiquement,  soit  par  let- 
tres, jusqu'au  fond  des  questions.  Depuis  ces  dernières  années,  il 
avait  été  singulièrement  disillusionné  sur  la  bonne  foi  de  ses  ad- 
versaires; aussi  les  combattait-il  avec  une  plus  grande  énergie,  et, 
tout  eh  conservant  les  formes  indulgentes  d'un  style  qui  lui  était 
propre,  arrivait-il  constamment  à  faire  ressortir  le  défaut  total  de 
loyauté  ou  l'ignorance  grossière  des  adversaires  de  l'Église. 

M.  l'abbé  de  Baudry  avait  salué  avec  bonheur  l'apparition  des 

25 


308  «éLAilGES     ET    .1(»l'VELLES. 

Jnnalfi  ;  il  les  a  soutenues  de  luus  t>es  moyens.  L'Iiommagc  que 
nous  rendons  ici  à  sa  niênioirc  vénérée  n'esl  que  le  tribut  du  res- 
pect cl  de  la  reconnaissance. 

"*  Les  six  conférences  des  ministres  prolcstauts,  directement 
dirif;ées  contre  la  foi  calliuiique,  oui  été  aussi  excentriques  qu'elles 
pouvaient  i't'^tre  :  elles  ne  sont  (|iit'  la  reproiluction  de  vieilles  ob- 
jections, de  faits  historiques  délij^urés,  d'allégations  hasardées.  Kl 
à  Genève,  tout  cela  à  cours,  tout  cela  est  pain  béni  pour  raudiloirc 
de  la  Madi'leiiie.  (M'nève,  comparée  A  la  Franco,  à  l'Allemagne,  à 
l'Angleterre  protestantes,  est  en  arriére  de  \ingl-cinq  ans  sur  le 
fond  cl  sur  la  forme  do  la  controverse  religieuse,  .\ltcndons  la  pu- 
blication des  conférences  pour  prouver  la  vérité  de  notre  assertion. 
Ce  qu'il  y  a  en  de  neuf,  c'est  la  conférence  sur  la  confession,  dans 
le  genre  de  Roussel  et  de  .Michelet,  c'est-à-dire  un  dévergondage 
révoltant  de  paroles  t't  d'idées  qui  dénoterait  une  intention  profon- 
dément déplorable  dans  l'orateur,  s'il  n'était  pas  plus  charitable  de 
croire  à  la  rtcAfssc  de  son  imagination,  à  la  nécessité  d'abaisser  la 
controverse  à  un  certain  niveau ,  et  A  rinq)Ossibilité  pour  lui  de 
comprendre  des  institutions  divines,  dos  grAces  surnaturelles  et  des 
vertus  dont  il  n'a  pas'niéme  l'idée.  Les  rontroversistes  genevois  en 
sont  lA.  Je  veux  qu'ils  soient  aveuglés  par  leurs  préjugés,  et  je  dis 
du  fond  de  mon  Amo,  comme  Notr(^  Seigneur  :  Pardonne/.-leur,  car 
ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  ;  mais  de  pareils  moyens  employés  |>our 
attaquer  les  doctrines,  les  œuvres,  le  ministère  du  sacerdoce  catho- 
lique, depuis  rinimlilt?  et  vertueux  curé  de  campagne  juscpi'à  sainl 
Alphonse  de  Liguori,  sainl  \  incent  de  Paul,  ;»aint  Thomas  d'Aipiin, 
sainl  Augustin,  ce  îrest  pas  seulement  un  (uilrage,  c'est  une  faute 
et  une  défaite. 

■"  (Jucl  contraste  avec  les  sermons  (lu  Uévérend  Père  Hue,  de 
'ordre' de  Sainl-Dominiipie,  qui  a  prêché  le  Carême  A  Cienével 
Quelle  profonde  et  magnifique  exposition  des  dogmes  catholiques! 
La  pénitence,  la  prière,  la  confession,  l'Eucharistie,  l'fCglise,  Jésus- 
Christ,  etc.,  etc.  Quelle  puissanciî  d'application  de  l'ï-lcrilureSaintc! 
Combien  la  conlro\  erse  passionnée  pàlil  desanl  cette  >igourcusii 
dogmatique  «pii  forliiie  et  augmente  la  foi ,  donne  une  base  à  la 
morale  et  a\\  culte,  et  ra|>pro(ho  les  hommes  au  lion  «le  les  diviser  ! 
C'était  un  véritable  bonheur  de  \oir  cet  honinur  de  Dieu,  d'une 
vie  si  austère  cl  d'un  lalcnl  si  màlc ,  former  autour  de  la  chaire  de 
vérité  un  auditoire  si  compacte  cl  si  attentif.    Les  protestants  qui 


MÉLAiNGtS  ET  .NOUVELLES.  390 

ont  suivi  les  prédicalions  du  Père  Hue  et  celles  de  leurs  niinislres , 
ont  élé  frappés  du  conlrastc. 

"*  Décidément  M.  Gaberel  aspire  à  élargir  le  champ  de  sa  haute 
renommée  ;  il  s'établit  le  troubadour  des  faits  et  gestes  du  Consis- 
toire genevois  pour  l'étranger.  Le  Lien  est  son  porte-voix  ;  mais 
déjà  ses  colonnes  ne  peuvent  plus  sufUre,  le  journal-trompette  sera 
forcé  de  répéter  la  plainte  du  poète  : 

Grand cesse  de  vaincre,  ou  je  cesse  d'écrire! 

Nous  n'aurions  rien  à  voir  à  tout  cela,  si  de  bonnes  gens,  par 
mégarde  sans  doute,  ne  substituaient  parfois  la  lecture  et  les  ora- 
cles de  la  gazette  à  la  lecture  et  aux  oracles  de  la  Bible.  Par  inté- 
rêt pour  ces  âmes  candides,  nous  nous  croyons  obligés  de  les  infor- 
mer que  la  vérité,  les  convenances  et  n)éme  la  lilléralure  de  la 
correspondance  du  Lien  ne  sont  pas  à  confondre  avec  les  mêmes 
choses  dans  les  livres  sacrés.  Aussi,  M.  Gaberel  ne  nous  paraît  pas 
donner  des  leçons  de  bon  goût,  lorsque  ,  écrivant  à  son  cher  frère 
du  Lien,  et  retraçant  les  traits  saillants  des  $iœ  conférences  sur  la  foi 
réformée,  il  nomme  tout  court  leurs  auteurs  :  Bungener,  OItramare, 
Viollier,  sans  y  adjoindre  le  terme  de  politesse  :  Monsieur.  Cette 
façon  de  s'exprimer  n'est  justifiable  qu'à  condition  que  M.  Gabe- 
rel traite  ses  héros  en  célébrités  de  carrefour,  ce  qui  ne  leur  souri- 
rait pas,  ou  en  hommes  éminemment  supérieurs,  ce  qui  ne  serait 
pas  agréé  par  le  public. 

L'objet  de  la  lettre  qui  nous  occupe,  ce  sont  donc  les  conférences 
protestantes  du  mois  dernier.  En  passant,  l'auteur  ose  écrire  que 
M.  Ernest  Naville  serait ,  de  son  côté,  entré  en  lice  pour  seconder 
le  mouvement  de  prosélytisme  dirigé  par  le  Consistoire.  Accoler  à 
ceux  de  ses  confrères  le  nom  de  M.  Naville,  c'était  sans  doute  une 
bonne  fortune  pour  le  chroniqueur  du  Casino  ;  mais  il  s'est  évidem- 
ment trompé;  ;  M.  Naville,  croyons-nous^,  sera  peu  sensible  à  cette 
distinction  que  lui  inflige  M.  Gaberel;  il  a  trop  souvent  et  trop 
nettement  séparé  son  attitude  de  celle  des  controversistes  furibonds 
et  ignorants  qui  servent  la  société  des  Intérêts  protestants,  pour  que 
ceux-ci  puissent  se  croire  le  droit  de  le  glisser  dans  leurs  rangs. 

Pour  relever  le  talent  et  le  mérite  de  l'orateur,  M.  Gaberel 
est  contraint  de  nous  apprendre  la  profonde  décadence  des  croyan- 
ces religieuses  dans  la  cité  de  Calvin.  Il  affirme  que  le  nombreux  au- 
ditoire de  M.  Naville  se  composait   de  personnes  adoptant  tout  au  plus 


10()  MÉLAlHf.Es    tT    NOllVLLtS. 

U»  prunifif»  de  (a  nlujioit  uuturtUe  du  i ////'■'  siecU.  Nous  n'iiv«»ris 
pas  «le  peiue  à  sousciiri!  ;•  la  vérilt"  do  celliî  assertion  ,  el  le  lihro 
examen  peut  revendiqiu'r  sa  bonne  pari  dans  cet  étal  déplorable 
des  conjcienoes. 

Après  celle  petite  maladresse,  M.  fiabercl  fail  son  article  sur  les 
six  bommes  qui  ont  lu  six  diatribes  di^corées  du  lilre  de  six  confé- 
rences fur  la  foi  réformée.  Vue  f(»is  do  plus,  ils  ont  fail  savoir  aux 
auditeurs  (|ue  toute  la  reli<;ion  prolestiuile  consisii*  a  dénigrer  le 
catholicisme.  Kn  eiïet,  rien  de  clair,  rien  de  formulé  Mir  co  qu'a- 
doptent les  ori^anes  de  la  réforme  n'est  sorti  de  ee  laboratoire.  Il 
e^st  vrai  que  les  eulotnnics  el  les  insultes  au  eliri^tiauisme  de  di\- 
buil  siècles,  de  deux  cents  millions  d'Iiumines  el  des  plus  beaux  gé- 
nies (]ui  aient  ennobli  rbumanilé,  sont  tombées  conmie  une  ijr^le 
des  lèvr«'sde  ces  nunislres  réformés.  .M.  (îaberel  s'en  {;loiilie,  nous 
pouvons  le  croire.  .Mais  un  dogme,  une  crovance  prott^tanle  res- 
sortant de  leurs  discours,  bien  babile  qui  saura  l'y  découvrir  ;  à 
peine  ont-ils  lancé  en  courant  (]uel(|ues  phrases  vapues  el  sans  con- 
sistance, pour  persuader  à  leurs  ouailles  (pie  les  quelques  laml>eauv 
de  doctrine  auxquels  ils  cherchent  à  s'ac«;r(Kher,  sont  loute  la  reli- 
};ion  de  Jésus-Christ.  .M.  (Iaberel  appelle  cet  amas  de  so|>l'.ismes  el 
do  bile  la  belle  prrdicalion  ;;enevoise.  Pour  qui  se  respect»'  encor»-, 
celle  ex|)ression  est  la  dernière  <|ui  devrait  venir  sous  la  plume. 
Possible  qu'un  certain  nombre  de  cœurs  façonnés  au  répimc  hai- 
neux de  ilaivin,  possible  <|ue  les  rtmes  déxoles  dont  le  s.noir  s'en- 
cadre méthodiquement  dans  quehjues  textes,  trouvent  admirables 
ces  redites  de  trois  siècles  ;  mais  assurément  les  étrangers  \ior- 
lent  un  ju^jenienl  tout  autre  sur  ces  assemfdécs  dont  la  piélé  est 
bannie  el  d'où  l'on  sort  a\ei-  un  surcroît  d'orgueil,  de  mépris  et 
d'aversion  pour  des  frères  catholiques.  I.e  sentiment  imanime  de 
ceux  (pii  viennent  à  (lenève  ,  catholiques  ou  protestants ,  et  qui 
vont  entendre  les  discours  du  leuiplt*,  ou  lier  ((in\ers.itu>u  dans  les 
réunions  particulières,  c'est  <|ue  nulle  part  ils  n'ont  lenconlré  pa- 
reille élroitesse  de  \ues  el  pareiili*  rat^e  d'agression  rcmlre  des  con- 
citoyens. \  oici  un  fait  a  l'appui  de  ce  que  nous  disons  :  lue  dame 
russe  arrive  à  (jeneve  ;  elle  est  bientOl  circonvenue,  comme  cela  su 
prati'jue  si  habilement  ici*,  par  une  foule  de  dames  protestantes  ; 
quoiqu'elle  soit  grec(|U('  de  religion,  on  ne  manque  pas  de  l'inviter 
à  venir  recueillir  sa  part  d'édilicalion  des  lèvres  du  ministre.  Kilo 
se  laisse  conduire  A  l'une  des  conférences.  Peindre  le  lounTicnt 
qu'elle  é|)rouva  pendant  une  heure,  peindre  l'impression  de  degoOt 


MbLAMGES  ET  NOUVELLES.  40  t 

«l  d'effroi  qui  lui  est  resli'C  de  celle  parole  dite  évangéliquc,  c'était 
au-dessus  de  ses  propres  forces.  <<  Je  tremblais  qu'A  chaque  instant 
les  callioli(iues  vinssent  fondre  sur  rassembli-e  et  mellrc  h;  feu  aux 
quatre  coins  du  temple;  leur  patience  no  me  surprend  pas  moins 
que  la  haine  de  leurs  adversaires.  »  Cette  dame  a  fait  ensuite  de- 
mander une  place  dans  l'église  catholi(iue  ;  «illc  y  a  suivi  avec  assi- 
duité les  sermons  du  Carême,  et  y  a  trouvé  le  charme  et  la  paix 
qui  accompagnent  partout  la  Parole  de  Dieu. 

Dans  sa  lollrc  au  Lien  ,  M.  Gaborel  cite  quelques  fragments  de 
chaque  conférence.  Ces  passages  sont  si  pauvres  et  si  ridicid;;s,  que 
la  meilleure  réfutation  serait  de  les  retracer  ;  mais  nous  n'avons  pas 
autant  de  place  que  le  Lien  adonnera  cette  triomphante  éloquence. 
Voici,  pour  spécimen,  l'extrait  du  discours  de  M.  Cougnard  : 

....«  L'Évangile  veut  que  le  fidèle  adore  Dieu  seul,  llomc  fait 
rendre  un  culte  à  la  Vierge,  aux  saints,  et  même  à  la  Croix.  —  La 
Bible  entière  interdit  les  images.  Rome  en  remplit  ses  églises  et 
encourage  ouvertement  l'idolàlrie.  L'Évangile  dit  et  répète  :  Son- 
dez les  écritures.  Rome  classe  la  lecture  de  la  Bible  parmi  les  fléaux 
(lu  temps.  L'Évangile  dit  :  C'est  par  grâce  que  vous  êtes  sauvé  par 
le  moyen  de  la  foi.  Rome  dit  :  Si  quelqu'un  atïirme  que  la  foi  seule 
suflit  pour  obtenir  la  grâce,  qu'il  soit  anathéme!  —  L'Évangile 
défend  d'user  de  redites  dans  les  prières  et  dit  que  ce  sont  les 
païens  qui  prient  ainsi.  Rome  conserve  ses  litanies  et  vend  des  cha- 
pelets. —  L'Évangile  dit  :  Ce  ne  sont  pas  les  aliments  qui  nous 
rendent  agréables  à  Dieu,  et  ce  n'est  pas  ce  qui  entre  par  la  bouche 
qui  souille  l'homme.  Rome  maintient  les  jours  maigres,  les  jeûnes 
et  le  Carême.  L'Évangile  veut  qu'on  célèbre  le  culte  en  langue 
vidgaire.  Rome  ordonne  de  le  célébrer  dans  une  langue  morte.  L'E- 
vangile veut  que  Tévêque  soit  mari  d'une  seule  femme.  Rome  ne 
veut  pas  qu'il  se  marie  et  prescrit  le  célibat  à  tous  ses  prêtres.  Dans 
l'Évangile,  saint  Pierre  dit  à  Simon  :  «  Périsse  ton  argent  avec  loi, 
qui  as  cru  que  le  don  de  Dieu  peut  s'acquérir  avec  de  l'argent  !  » 
—  Rome  a  vendu,  vend  et  vendra  le  pardon  et  les  grâces  de  Dieu. 
Enfin  l'Évangile  est  le  plus  redoutable  adversaire  de  Rome,  et  con- 
damne d'une  manière  directe  et  écrasante  un  grand  nombre  doses 
doctrines  et  de  ses  pratiques.  On  ne  peut  ouvrir  les  saints  livres 
sans  en  être  frappé.  A  cela  que  répond  Rome?  Elle  anathématise 
les  sociétés  bibliques,  met  la  Bible  à  l'index,  et  envoie  ses  lecteurs 
en  prison.  » 

Pauvre  M.  Cougnard  !  Pauvre  M.  Gaberel  ! 


402  HÉLIMCES  ET  .tOUVELLES. 

"■  I, 'affaire  do  (Ihcvrans  a  t'ti>juj;éc  le  31  mars.  Six  acciiS«>sonl 
«■•!«'■  ron(l;iniii(''s  i\  tZO  jours  <)'<'mprisonii('m('nt,  rinq  ;'«  -25  jours,  un  .'i 
ti  j«ur<,  et  un  A  'iV  heures  âi'  prison  ,  Ions  solidairemcnl  aux  frais. 
I^cs  condamnés  se  sont  adresst^s  au  (îrand  C.onseil  qui,  par  sa  com- 
mission de  (înW-e ,  a  encore  réduit  la  peine  des  douze  premiers  à  7 
jours  M'uleuient  de  delcnliud!!  (]el(e  indulgence  du  tribunal  et  du 
<îrand  (îonseil  était  prévue.  Tout  le  monde  était  d'accord  ;  on  avait 
écarté  l'accusation  de  violation  de  domicile;  le  prociireur-pénéral 
avait  proposé  la  [ténalilé  la  plus  douce  ;  le  président  de  la  cour  était 
résolu  à  rester  impartial;  le  gouvernement  ne  tenait  nidiement  A 
apgraver  la  situation  <,'énérale.  MM.  les  avocats  Dufresne  et  Bro- 
cher ont  parlé  avec  toute  convenance  et  modération.  F.e  désapjMiin- 
tement  n'a  été  que  pour  les  ardents,  qui  s'atlendai«'nt  à  2,  3  cl 
même  5  ans  de  travaux  forcés.  La  colère  cl  la  déconfiture  ont  été 
visibles  sur  la  place  de  l'hôtel  de  ville.  Le  dimanche  suivant ,  une 
ma^nilique  croix  en  pierre  a  été  inaugurée  i  Chevrans,  au  milieu 
d'un  concours  de  plusieurs  mdliers  de  catholiques  venus  proces- 
sionnelleuienl  de  toutes  les  paroisses  environnantes.  M.  l'abbé  Ba- 
bel, curé  du  tlrand-Sacconnex  ,  a  de  nouveau  fait  entendre,  avec 
sa  chaleureuse  cloijuence,  les  grands  enseignenients  delà  foi  catho- 
lique sur  la  Croix,  et  M.  le  vicaire-général,  curé  de  (lenève,  a  béni 
ce  nouvean  monument,  témoignage  des  sentiments  des  catholiques 
de  nos  contrées. 

(>c  qui  ressort  «le  loiile  celle  affaire,  ("c^l  que  M.  Hourril  et  IT- 
nion  protestante  ont  élr  de  trés-véi  itables  provocateurs  et  de  trop 
ardents  zélateurs  de  la  politico-religieuse  propagande  du  protestan- 
tisme autour  de  nous;  propagande,  du  reste,  bien  plus  menaçante 
pour  la  Savoie  (jue  pour  notn*  canton  ;  et  que  la  justice  (jui  con- 
danuic  et  celle  (jni  fait  gr;\ce  (uit  rétluil  à  leurs  vrai»'s  proportion> 
les  grandi  crimes,  les  iauvageries,  les  ramlolitmei  do  nos  paysans  c.i- 
lholi(pies. 

La  honte  nest  certainement  pas  p<tur  eux. 

Le  sommeil  et  l'engourdissement  ne  sorit  |)as  non  plus  leur  de- 
\oir. 

'"  Nous  avons  vu  rc()roduire  A  Saint-Pierre  la  parade  de  ra|M)s- 
tasie  de  l'année  dernieie.  Ln  menu*  nond)re  de  pauvres  hères,  «le 
la  mine  la  plus  piteuse,  convertis  à  la  manière  usitée,  venus  d'on 
n«;  sait  où,  inconniis  des  calholicpies  de  «ieiu've.  sans  nom.  sans  va- 
leur, ont  eu  le  courage  ,  à  la  lace  de  la  lonlo  gonooise  ,  «le  ren«ui- 


MÉLAiMGES   ET   NOUVELLES.  403 

cor  à  la  religion  de  leurs  pères ,  à  la  sainte  Église  catholique ,  pour 
embrasser....  mais  quelle  religion  !  mais  quelle  foi  !  pour  entrer, 
mais  (lans(|uelle  église?  Us  no  le  savent  pasoux-mèmes,  les  infor- 
tunés !...  On  s'embarrasse  bien  de  leur  donner  des  croyances  posi- 
tives, quand  on  n'en  a  pas  soi-même.  On  leur  arrache  la  foi  et  on 
les  laisse  dans  le  doute  môme  sur  les  principes  fondamentaux  de  la 
religion. 

Les  ministres  se  chargent  1;\  d'un  triste  bagage;  l'honneur  est 
médiocre,  le  profit  incertain,  les  conséquences  douteuses.  Ce  qui 
est  très-palpable,  c'est  que  les  catholiques  de  Genève  ont  pitié  de 
ces  pauvres  hères  qui  ne  sortent  pas  de  leurs  rangs,  et  que  les  pro- 
testants raisonnables  ont  honte  de  pareilles  conquêtes.  Parmi  ces 
apostats,  on  assure  qu'il  y  a  des  réfugiés  français,  des  réfugiés  ita- 
liens, deux  ou  trois  paysans  et  quelques  filles  de  la  Savoie  plus  ou 
moins  bien  famées  dans  leurs  villages. 

A  Genève,  la  parade  n'a  eu  d'effet  qu'un  moment  ;  tout  le  monde 
sait  que  c'est  une  affaire  pour  les  convertisseurs  et  les  convertis.  A 
l'étranger,  la  trompette  protestante  va  sonner,  parce  que ,  après 
tout,  il  faut  avoir  l'air  de  progresser.  Mais,  en  définitive,  confé- 
rences fiévreuses  et  apostasies  immorales,  lout  cela  est  ruineux  pour 
le  protestantisme  et  glorieux  pour  le  catholicisme. 

***  Il  vient  de  paraître  chez  M.  Burdet,  à  Annecy,  un  petit  livre 
intitulé  :  Du  commerce  des  consciences  et  de  l'agitation  protestante  en 
Europe.  Nous  ne  donnons  pour  aujourd'hui  que  la  table  des  chapi- 
tres, pour  faire  voir  dès  l'abord  l'importance  de  cet  ouvrage  : 

I.  Ce  qui  se  passe  au  milieu  de  nous  et  dans  presque  toute  l'Eu- 
rope. 

II.  Jusqu'où  s'étend  la  bonne  foi  des  hérétiques. 

III.  De  la  bonne  foi  dans  les  synodes  protestants. 

IV.  Y  a-t-il  de  la  bonne  foi  dans  les  missionnaires  protestants? 
\.  Le  libre  examen  des  protestants  se  fait-il  avec  bonne  foi? 
VI.  Les  protestants  qui  cherchent  à  convertir  à  leur  religion 

sont-ils  de  bonne  foi? 


KM  iKiAXGES   ET   :noi/vkllks. 

lit  i.\('i:.  —  Algérie.  La  jeune  ÏCgIiso  d'Afrique,  quoique 
aux  prises  avec  des  diriicull('>s  inimagiiinblcs,  en  farc  de  besoin*: 
dorjl  on  n'ose  sonder  la  profondi'ur,  a  cependant  admirablement 
niarclu'.  Comme  toutes  les  u-uvres  de  Dieu  ,  elle  s'est  vue  |)n'sipi(' 
submergée  à  son  berceau  ;  mais  un  vent  du  ciel  et  un  pilote  habile 
l'ont  arracliée  à  l'abîme  et  lancée  sur  les  flots  où  elle  vogue  d'un 
pas  ft'rme  aujourd'hui.  Oue  d'institutions  glorieuses  ne  comple-l- 
elle  pas  déjà  dans  son  sein?  Les  Orphelinats,  les  maisons  du  Uon- 
l'asleur,  les  écoles,  les  congrégations  religieuses,  la  Trap|Mî  de 
Stauuëli,  le  noviciat  de  Kab-A/oun  ,  les  séminaires  grand  et  |M<:(it, 
qui  rivalisent^  au  moins  par  le  bon  esprit,  avec  ceux  de  la  métro- 
pole. L'orphelinat  de  Mus(a|)ha  ne  redoute  aucune  com|)araisou 
avec  les  œuvres  semblables  eu  Iùirop<',  et  on  |M'ut  douter  qu'il  y 
ait  en  France  une  Trappe  ipii  puisse  faire  pAlir  Slaouéli,  Quel  clergé 
vigoureux,  jeune,  résolu,  sur  tous  les  points  de  l'Algéritî!  Aujour- 
d'hui courant  la  mer,  demain  montant  à  cheval,  se  dévouant  avec 
orgueil  dans  les  épidémies  et  ré[)atidanl  partout  l'esprit  de  vie  et  de 
charité!  On  l'a  vu  cette  année,  à  la  retraite  ecclésiastique,  éton- 
nant les  religieux  eux-mêmes  par  son  recueillement,  sa  piété,  son 
exactitude,  son  uiiion  au  chef  i|ui  gouverne  cette  f^glise.  Quelle 
armée  de  religieux  et  de  leligieuses  autour  de  ce  pontife!  Les  Jé- 
suites, les  Lazaristes,  les  Trappistes,  les  Frères  de  la  Doctriue- 
Clu-élierujc,  les  D.imes  du  Sacré-Cœur,  les  Filles  du  Bon-Pa^leur, 
et  tout  cela  disséminé  d'élape  en  étape  jusqu'aux  portes  du  désert. 

L'action  de  tant  de  prêtres,  de  Frères,  de  Sœurs  de  Charité,  de 
tant  (le  dé\onernenls  aiiplicpiés  à  la  foi,  n'est  pas  resiée  stérile.  Klle 
a  produit  des  fruits  bien  con^oianls  au  sein  des  populations  euro- 
péennes. Ces  populations  sans  foi,  venues  de  tous  les  coins  de  l'Eu- 
rope, ont  été,  on  peut  le  dire,  en  partie  reconquises  au  christia- 
nisme. De  nombreuses  conversions  se  sonf  faites  dans  toutes  les 
classes  de  la  société,  ce  qui  a  donné  lieu  A  l'organisation  du  zèle  et  m 
de  la  charité  parmi  les  laïrpies. 

Aujourd'hui,  Alger  |M)s>éde  une  société  de  Saint-Vinccnt-de- 
Paul  aussi  édiliante  qu'intelligente  et  active:  une  soriété  de  cha- 
rité, qui  verse  des  sommes  considérables  au  sein  «les  pauvres,  dans 
laquelle  les  Dame;,  non  contentes  <le  donner  l'aumône,  vont  en- 
core elle-mémes,  an  nom  de  Jé>us-Chrisl,  \  isiler,  encourager  »i 
consoler  ceux  qui  soufrrenl. 

Nous  ne  dirons  rien  des  villes  secondaires;  mais  partout  il  y  a 


.IlliLAiNOtS    El     lAiOl  VLLLfcS. 


i05 


oITorl  pour  iinilor  les  plus  ^rrands  centres  dans  l'accomplissement 
des  œuvres  de  relij^ion  et  de  cliarilé  chrétieimc. 

Les  protestants  ont  subi  celte  salutaire  inlluence.  lîon  nombre 
d'entre  eux  sont  entrés  avec  amour  dans  le  sein  de  Tfiglisc  catholi- 
que. Un  écrivain  protestant,  qui  exhalait  naguère  ses  plaintes  dans 
un  journal  de  France,  portait  a  un  sixième  de  la  population  protes- 
tante le  nombre  des  convertis  sur  la  terre  d'Afrique. 

Angleterre.  —  H  }'  a  quelques  jours ,  on  annonçai!  des  îles 
d'Hyères  la  conversion  et  l'abjuration  du  Rév.  William  Scott,  an- 
cien minisire  anglican  et  membre  de  l'université  d'Oxford,  baptisé 
sous  condition  à  Hyères,  le  llî  mars.  Aujourd'hui  nous  apprenons 
(|uedeux  Anglais  convertis  ont  reçu  dernièrement  le  sacrement  de 
conlirmalion  dans  la  chapelle  particulière  de  Mgr  de  Montpellier, 
évéque  de  Liège.  L'un  d'eux,  M.  Hamillon,  M.  A.  du  Balliol-col- 
lége,  à  Oxford,  ap[)arlient  à  l'une  des  plus  célèbres  familles  de  l'E- 
cosse. Il  est  rentré  récemment  dans  le  sein  de  l'Église,  après  avoir 
été  pendant  quelque  temps  vicaire  [ctirafe)  de  Christ-Church, 
Keul-Road,  à  Londres. 

iilBeitia^iie.  —  Le  gouvernement  prussien  a  inauguré  l'an- 
née 18oV  par  un  acte  qui  lui  méritera  la  reconnaissance  de  tous  les 
hommes  religieux.  L'obligation  de  respecter  la  loi  qui  prescrit  le  re- 
pos du  dimanche  est  rétablie  dans  toute  l'étendue  du  royaume.  On 
attribue  au  roi  cette  mesure  que  les  populations  ont  accueillie  avec 
joie  comme  un  acte  de  foi  chrétienne.  11  faut  espérer  que  l'inertie 
des  hommes  chargés  de  veiller  à  l'exécution  des  lois  n'en  neutrali- 
sera pas,  comme  par  le  passé,  la  salutaire  influence  et  n'empêchera 
pas  les  heureux  résultats  que  naturellement  elle  doit  produire. 

—  L'Autriche  vient  de  donner  aux  autres  Étals  un  exemple  que 
la  Prusse  surtout  devrait  imiter  ;  il  est  expressément  défendu  aux 
journaux  autrichiens  d'annoncer  aucune  publication  maçonnique, 
quelle  qu'elle  soit. 

—  On  lit  dans  un  journal  protestant  de  Berlin,  le  Tempa,  que 
plus  de  deux  cents  ministres  protestants  sont  affiliés ,  en  Allemagne, 
aux  loges  des  francs-maçons. 

L'église  catholique  proscrit  les  sociétés  secrètes  ;  le  clergé  proles- 
lant  non-seulement  s'abslient  de  les  proscrire,  il  les  encourage,  il 
se  fait  leur  complice.   En  cela  il  <^st  fidèle  à  lui-même,  car  ce  sont 


10(>  MÉL\N(;KS  et    XH'VEILES. 

les  sociétés  sccrèlcs  du  moyen  Age  qui  ont  maintenu  et  propagé  les 
hérésies  de  cette  époque,  mères  du  protestantisme. 

—  Nous  apprenons  qu'Ovcrbeek  est  proposé  pour  directeur  de 
l'acadéniio  di's  beaux-arts  de  Berlin. 

Nous  n'ajouloiis  rien  pour  rendre  nos  lecteurs  attentifs  à  cette 
intéressante  nouvelle.  Ce  serait  assurément  rendre  un  bel  hom- 
mage A  i'arl  chrétien  que  de  mettre  i  la  tête  de  l'académie  des 
beaux-arts,  dans  la  capitale  du  protestantisme,  le  pieux  et  catholi- 
que artiste,  dont  le  génie  heureusement  inventif  et  Thabile  pinceau 
ont  su  imprimer  un  élan  si  remar(|uable  à  l'école  des  bords  du 
lUiiii,  cl  inspirer  toute  une  |)léiade  de  graveurs  et  de  peintres  qui 
ont  uuveit  cl  continuent  glorieusement  une  cru  nonvelle  dans  l'art 
chrétien. 

—  L'Allemagne  catholique  vient  de  faire  une  grande  perte  dans 
la  personne  du  docteur  Kinthcl,  l'un  de  ses  plus  intrépides  défen- 
seurs, et  .i  (|ui  elle  doit  la  belle  réfutation  du  dernier  écrit  tlii  pro- 
fesseur Slahl,  de  Berlin.  M.  Kintel  avait  été  quelque  temps  colla- 
borateur de  la  .Nouvelle  Gazette  de  Fruste;  mais  dès  qu'il  vit  cette 
feuille  prendre  une  tendance  anti-catholique,  il  se  hâta  de  la  quit- 
ter. Il  avait  toute  la  confiance  de  léminent  cardinal  de  Dicpcnbrock, 
de  si  regrettable  mémoire,  et  auquel  il  n'a  survécu  qu'une  année. 


BULLETIN  BrBLIOGRAPHIQUE. 


Harmonie  du  Catholicisme  avec  la  nature  humaine,  par  M""  L.  de  Chaillé, 
née  de  Jussieu. 

Nous  nous  sommes  souvent  demandé  avec  tristesse  pourquoi,  lorsque 
quelques  femmes  d'un  immense  talent,  reniant  ce  qui  fait  la  seule  vraie  gran- 
deur, le  seul  vrai  bonheur  de  leur  sexe ,  ont  voué  leurs  facultés  à  attaquer 
la  religion,  la  société,  la  famille,  il  ne  s'en  est  pas  rencontré  qui,  également 
douées,  et  mieux  inspirées,  aient  relevé  le  drapeau  abandonné  par  ces  tran- 
sfuges et  soient  venues  prouver  au  monde  que  la  foi  n'éteint  ni  la  poésie,  ni 
rintclligcnce,  ni  la  vigueur  dans  les  âmes  qu'elle  possède.  Certes  toutes  les 
femmes  auteurs  n'ont  pas  suivi  la  sombre  voie  ouverte  par  un  célèbre  chef 
d'école  ;  on  doit  à  plusieurs  d'entre  elles  des  romans  irréprochables  au  point 
de  vue  moral,  d'excellents  ouvrages  d'éducation;  mais  ces  gracieuses,  ces 
utiles  productions  ne  dépassent  pas  en  générai  une  certaine  portée,  elles  ne 
repoussent  pas  les  anciennes  attaques,  elles  n'en  préviennent  pas  de  nouvel- 
les; elles  entretiennent  les  bonnes  pensées,  elles  n'en  éveillent  pas  chez  les 
âmes  déchues  ou  indifférentes;  l'impression  que  ces  œuvres  produisent  n'est 
pas  puissante  pour  le  bien,  comme  l'a  été  pour  le  mal  l'impression  produite 
par  de  trop  célèbres  livres.  Ah  !  c'est  que  la  pierre  jetée  à  une  statue  par 
une  main  méchante  ou  seulement  étourdie ,  imprime  au  marbre  une  meur- 
trissure qu'un  grand  artiste  peut  seul  réparer.  C'est  qu'il  faut  pour  re- 
hausser, pour  venger  les  saines  doctrines,  des  armes  que  la  femme  possède 
rarement.  La  chrétienne  pieuse  et  fervente  met  d'ordinaire  au  service  de  ses 
humbles  devoirs  d'état  toutes  ses  forces,  toute  son  intelligence  ;  elle  pratique 
sa  foi  plus  encore  qu'elle  ne  l'écrit  ;  inspirée  par  ce  sentiment  profondément 
religieux  que  M""  Sand  appelle  de  Végoïsme  (1),  et  que  nous  autres  catholiques 
appelons  abnégation ,  la  femme  chrétienne  sacrifie  à  son  devoir  et  au  bon- 
heur des  autres  ses  aspirations  à  la  gloire  pieuse  de  combattre  le  bon  com- 

(I)  Pauline 


408 


il  l.Ll.l  1>    i'IM  MM.n  Vl-lllttl  t. 


Itat;  rlle  Irur  sacrifie  siirtunt  ses  guùls  d'éluJr,  sa  traiiquillilc  J'espnt,  tout 
ce  (|(ril  faut  cnlin  pour  travailli-r  à  un  ouvrage  de  haute  portée. 

Cepcnilaiit  il  s'est  rencontré  tout  récemment  une  jeune  femme  qui ,  du 
milieu  d'une  vie  éminemment  chrétienne,  a  élevé  une  de  ces  vuii  inspirées 
que  les  croyanls  liénisscnl  ri  que  les  incrédules  mêmes  écoutent  cliarmés. 
Hecueillie  au  srin  de  Vubscuritc.  connue  elle  le  dit  elle-même,  dans  Ir  tilmcr 
de  sa  rif,  elle  n'en  a  (|ue  mieux  entendu  les  soupirs  et  les  murmures  de 
l'ilme,  comme  par  une  belle  nuit  d'été  noire  oreille  perçoit  les  moindres 
hruissemenls  de  la  nature. 

L'humilité  de  la  foi  a  soudain  révélé  à  M""  de  Chaillé  la  science  religieuse 
avec  l'art  du  grand  écrivain ,  à  tel  point  qu'en  lisant  son  livre ,  on  oublierai' 
qu'il  n'est  pas  celui  d'un  honmie,  si  ces  formules  :  nous  croyons  ,  H  nous 
semble,  si  dilTérenles  des  formules  tranchantes  du  pédantisnic,  ne  trulijssaicnl 
la  frumu-  snnpie  cl  modeste.  Le  but  de  M""  de  Chaillé  n'a  pas  clé  autant 
d'exposer  el  de  développer  la  doctrine  calliolicpie,  dont  elle  suppose  ses  1er. 
leurs  sullisainment  instruits,  (]uc  de  faire  aimer  celle  dortriiie,  d'en  faire 
comprendre  les  rapports  avec  toutes  les  exigences  de  la  nature  humaine,  et 
de  la  venger  de  ces  reproches  si  divers  qu'on  lui  adresse ,  lorsqu'on  ac- 
cuse le  catholicisme  délrc  trop  inaccessible  dans  ses  dogmes  ou  dans  ses 
pratiques.  La  meilleure  analyse  de  cet  ouvrage  se  résume  par  ces  paroles 
de  Terlullion  <|ui  lui  servent  d'épigraphe  :  Témoignage  d'une  âme  naturelle- 
ment  rhrélirnne.  Oui,  celte  Ame  essentiellenient  chrétienne  s'élève,  sur  les 
ailes  de  la  foi,  jusqu'aux  plus  h:uiles  régions;  de  là  elle  dislingue  h  la  fois  et 
lenscndilc  el  les  détails  de  l'harmonie  cntholicpie ,  tous  ses  élémels  in- 
«iéparables  les  uns  des  autres,  cl  correspondant  aux  constitutifs  de  la  nature 
humaine  ;  comme  une  organisation  essentiellement  musicale  suit  la  phrase 
mélodique  au  milieu  des  parties  de  l'orchestre  savamment  combinées,  l'inn' 
chrétienne  de  Mme  de  Chaillé  suil  à  lra\  ers  l'Œ-uvrc  céleste  la  pensée  de  son 
auteur,  et  ce  quelle  a  saisi,  elle  l'exprime  a\ec  une  netteté,  une  chaleur  qui 
manquent  à  ces  systèmes  d'où  la  vie  «le  la  foi  est  absenle. 

Nous  ne  prétendon-^  pas  donner  une  analyse  complète  de  ce  lK*au  livre,  et 
otcr  aux  lerlcurs  des  Annales  le  bonheur  de  le  lire  en  entier  ;  nous  voudrions 
au  contraire  leur  en  donner  le  désir;  el  ce  serait  défigurer  l'ouvrage  que  de 
briser  celle  chaîne  de  raisonnemenls  el  de  déductions  que  Mme  de  Chaillii 
déroule  sans  fatigue  pour  elle  comme  pour  le  lectetir.  Nous  désirons  surtout, 
cnlranl  dans  les  vues  de  l'auleiir,  engager  nos  frères  égarés  h  étudier  ce  li- 
%re.  Parmi  eux,  dans  toutes  les  séries  protest.intes,  il  se  pro<luit  un  malaise 
toujours  rroissanl  ;  elles  ont  beau,  5  force  tlinronséquences  avec  leurs  pro- 
pres principes,  cherchera  (•ond>ler  les  lacunes  que  la  Héforme  a  opérées  en- 
tre l'àme  humaine  et  la  religion,  à  réparer  la  scission  produite  entre  la  lerre 
et  le  ciel,  le  vide  se  fait  sentir  à  loulrs  les  intelligences  d'élile,  i  chacune  se- 
lon sa  mesure  et  se»  exigences.  A  l'une  il  manque  l'autorité,  k  une  autre  un 
des  sacrements  ;  celle-ci  regrette  l'unité  de  dogme  ,  celle-li  la  variélé  des 
saintes  pratiques.  Dans  le  livre  de  Mme  de  Chaillé,  plusieurs  Ames  en  pn»ie 
à  «e  \3guc  mal.iisc  trou^eraieut  l'explication  et  le  renu'-dc  à  des  .soullranccs 
que  de  nouvelles  erreurs  ne  peuNent  |H)int  apaiser    L":\me,  comme  le  corps, 


KULLETIN  iiiiw,ior.i;.vi>iiiyi;L.  Kt!) 

a  licsoiii  qiic  ses  t'Iéincnls ,  soient  dans  un  t'-quili^rc  parlait,  à  l'abri  de 
In  stircxeitation  comme  de  h  failiiesse.  Madame  de  Cliaillé  démontre 
combien  le  ealliolieisme  sait  pondérer  les  forces,  les  misères  de  l'Ame,  et  sa- 
tisfaire à  toutes  leurs  exigences.  .Nous  n'en  donnerons  pour  exemple  que  les 
chapitres  qui  traitent  de  l'autorité  et  de  la  papauté  ,  où  la  nécessité  de  la  su- 
prématie de  rÉglisc  est  si  bien  établie  dans  l'intérêt  même  de  la  liberté  de  la 
conscience,  de  l'intelligence,  qui,  en  dehors  de  cette  autorité  divine,  sont  li- 
vrées aux  caprices  arbitraires  des  opinions  et  des  passions  humaines.  Ce  qu'il 
y  a  de  plus  triste,  c'est  que,  semblables  à  rÉglisc  de  Laodicée  qui  se  croyait 
riche  quand  elle  était  aveugle  et  pauvre  (1)^  ceux  qui  se  sont  soustraits  à  cette 
autorité  se  croient  libres  quand  ils  sont  asservis.  «  Car,  dit  Mme  de  Chaillé, 
»  les  vérités  séparées  de  leur  principe,  sans  ensemble,  sans  lien,  sans  cette 
»  harmonie  puissante  devant  laquelle  Terreur  s'évapore,  les  vérités  errantes 
»  et  désarmées  deviennent  l'instrument  des  passions  ,  on  les  oppose  les  unes 
»  aux  autres,  elles  se  transforment,  elles  se  dénaturent  ;  on  leur  conserve  en- 
»  core  le  nom  de  vérité  cependant,  et  Ihomme  qui  ne  peut  vivre  sans  ce  bien 

»  suprême,  à  défaut  de  la  réalité,  se  contente  de  son  semblant Le  droit 

»  d'indépendance  spirituelle  précède  tous  nos  droits  sociaux  :  c'est  lui  aussi 
«qui  les  protège.  Or  ce  droit,  dans  son  principe,  dans  sa  nature,  dans  sa 
»  réalité  absolue,  nous  ne  le  trouvons  sauvegardé  qu'à  Rome  ;  nous  ne  voyons 

•  pas  son  salut  autre  part  que  dans  Rome  et  la  papauté Par  Rome  toute 

»  individualité  est  abritée  dans  l'ordre  religieux...  Otez  Rome,  et  aussitôt  les 
»  flots  de  l'humanité  montent  et  submergent  partout  la  conscience,  et  le  règne 
«absolu  de  l'humanité  sur  l'humanité  commence....  A  Rome  seulement  l'u- 
»  nion  intellectuelle  de  la  force  avec  la  faiblesse,  de  la  science  avec  l'igno- 
B  rance,  de  l'indigence  d'esprit  avec  le  génie,  à  Rome  seulement  cette  union 
»  se  consomme  ,  car  cette  union  vient  d'une  source  unique,  la  soumission  de 
»  la  foi  qui  a  son  principe  dans  la  conscience,  patrimoine  de  chacun  qui  nous 
»  fait  tous  égaux...  Rome  c'est  le  droit  du  barbare,  le  droit  du  sauvage,  le 
«droit de  tous  les  peuples  aux  extrémités  les  plus  reculées  des  connaissances 
»  humaines,  le  droit  de  la  conscience  à  tous  ses  degrés  de  lumière^  de  n'être 
»  enseignée  que  de  Dieu...  Tout  entre  dans  l'enceinte  de  Rome...,  et  cha- 
»  que  fruit  y  reçoit  un  signe  distinctif  qui  le  sépare  de  toutes  les  oppressions 
«  de  la  terre,  qui  l'élève  au-dessus  de  toutes  les  puissances  de  l'humanité, 
«  et  qui  le  rallie  aux  cieux.  » 

Puisque  nous  sommes,  malgré  nous,  entré  dans  la  voie  des  citations,  si  en- 
traînante quand  il  s'agit  de  sentiments  qu'on  partage  et  d'un  langage  qui 
captive,  on  nous  permettra  de  transcrire  encore  quelques  passages  suscepti- 
bles d'être  détachés  de  l'ensemble  sans  être  défigurés.  Mme  de  Chaillé  a  des 
mots  heureux  ;  elle  appelle  le  hasard  un  nuage  dont  la  Providence  se  couvre 
pour  éprouver  la  justice  de  Vhomme;  et  voici  la  définition  qu'elle  donne 
de  la  vertu  d'humilité  :  «  C'est  le  détachement  du  sens  personnel,  c'est  une 
I  disposition  de  l'esprit  qui  lui  fait  déposer  tout  ce  qu'il  tient  de  lui-même, 
»  toute  l'écume  bouillonnante  de  ses  propres  conceptions,  pour  se  présenter 

(1)  Apocalypse. 


110  BlLLbTI>    IUBLIU(.ilArillOli:. 

»  dans  sa  simple   nature  à  la  vt'rité  éternellr  ,   roninic  nn  miroir  simple  rt 

>  uni,  où  l'Ile  puisse  rcflt'cliir  tous  ses  rayons.  I/humiiilu  n'est  pas  un  senti 
»  ment  craintif  et  limiile,  c'est  une  connaissance  certaine,    c'est  la  première 

>  de  toutes  les  sciences,  c'est  la  conscience  de  soi,  se  déclarant  avec  généro- 

■  site  aux  yeux  de  soi-même  et  aux  yeux   de   tous;  c'i-sl  l'hurreur  du  men- 

>  songe,  riiorreur  du  faux  éclat,  un  besoin  de  réalité  et  de  certitude  que  les 
»  ànies  fortes  et  les  grands  cœurs   doivent    ressentir  plus  (juc  les  autres  : 

>  amour  du  réel  et  du  vrai  par  lequel  riiomme  doué  des  facultés  les  plus 
»  hautes  préfère  s'allaclier  à  la  lumière   incréée,  tout  recevoir  d'elle  et  s'y 

>  perdre  lui-même  aux  yeux  du  monde,  plutôt  que  d'éblouir  et  d'entraîner 

■  le  monde  par  l'attrait  de  ses  syst*:mes.  > 

On  a  beaucoup  répété  que  la  dévotion  rend  les  esprits  étroits,  les  âmes  sè- 
ches et  froides,  le  langage  aride  et  disgracieux,  et  que  rien  de  poétique  ne 
pouvait  se  trouver  au  fond  des  intelligences  sincèrement  religieuses.  (Quel- 
ques passages  empreints  d'un  vrai  lyrisme  qui  forment  le  début  tlu  neuvième 
chapitre  intitulé  :  Itc  la  vie  rffecliie,  sufliraient  à  démentir  cette  allégation. 
La  mélancolie,  cet  élément  inséparable  de  toute  vraie  poésie,  s'y  rencontre 
comme  dans  les  plus  belles  pages  de  Mme  Sand  ;  tuais  entre  ces  deux  mélan- 
colies, quelle  dilTérencc  !  la  tristesse  de  Mn)e  de  Chaillé,  c'est  l'attente  de 
l'exilé,  l'espérance  avec  le  désir  du  retour;  chez  Mme  Saud,  c'est  ce  qu'elle 
nomme  elle-même  la  désespérance  de  l'Ame  ,  qui  a  renie  sa  patrie  et  qui  ne 
peut  s'en  faire  une  nulle  part.  IS'ous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  de  tran- 
scrire qucUpios-unes  de  ces  lignes  aussi  remarquables  par  la  profondeur  de 
la  pensée  (pie  par  son  expression  : 

«  Temps  qui  passe,  et  qui  m'emporte,  et  qui  m'entraîne  avec  tout  le  reste, 

•  j'imagine  quelque  chose  qui  n'est  pas  toi,  qui  est  plus  parfait  que  toi.  qui 

•  est  supérieur  à  toi  ;  tu  n'es  donc  pas  tout  à  fait  mon  maître,  mais  lu  es  éla- 

■  bli  pour  une  lin  dont  je  suis  l'objet.    Tu  m'emportes,  mais  aussi  je  veux 

■  avancer;  tu  me  fuis,  mais  je  pourrai  te  ressaisir.  Je  veux  contempler  tes 
»  eaux  profondes  et  interroger  leur  mjstèm,  car  il  renferme  tous  les  autres, 
«  celui  de  la  vie  et  de  la  mort.  Où  allez  vous  donc,  jours  qui  nous  quittez,  et 
»  pour(|Ui>i   nous  devenez-vous  d'autant  plus  ehers  que  vous  vous  éloignez 

•  davantage?  On  dit  qu'au  déclin  des  années  et  dans  les  ondtres  dernières 
»  qui  en\ironnent  notre  trépas,  souvent  le  souvenir  des  jours  lointains  se  ra- 

■  nime  et  la  figure  du  passé  se  présente  toute  .rajeunie,  comme  le  présage  de 

•  quelque  merveilleux  réveil.  C'est  dans  ce  réveil  que  nous  vous  retrouverons, 

>  jours  i|ui  emporterez  toute  notre  vie.  .Non,  vous  n'allez  pas  au  néant,  mais 
»  à  rétcrnilé.  Quand  vous  nous  avez  quittés,  \ous  n'êtes  |>as  cette  ninbre  in- 

•  sai&issable,  ce  rien  que  vous  semblez  être  ;  vous  êtes  au  contraire  la  grande 
»  chose  ,  la  base  soliile  ,  le  témoignage  éternel  ipii  nous  reste  ;  car  vous  êtes 

•  l'épreuve,  l'enseignement,    la  tentation,  l'expiation,  le  repentir,  la  lumière. 

•  cl  votre  vision  transfigurée,  sans  tache,    saïus  obscurité,    sans  nuage,  fait 

•  partie  de  la  vision  qui  nous  attend  dans  les  cieux.  Temps  qui  semblaisétre 
»  un  pouvoir  destructeur  et  rruel,  je  ne  veux  plus  voir  en  loi  que  le  grand 

•  ministre  d'étliliealion  et  d'immort.niité;  tu  passes  comme  un  torrent  r.ipide. 

>  et  tes  eaux  sont  \iviliantes,  et  loin  d'y  puiser  l'oubli  suprême,  nous  y  pui- 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE.  /J  H 

»  sons  le  souvenir  clcriicl...  Non,  rien  ne  se  perd  de  cette  vie  qui  semble  s'é- 
>  vanouir  comme  un  rèvc;  les  heures  qui  s'envolent  simmortalisent  en  pas- 
»  sant  sur  notre  front  ;  et  les  minutes  (jui  nous  échappent  se  retrouveront 
»  dans  notre  ciel,  si  elles  ont  emporté  dans  leur  fuite  les  généreux  battements 
»  du  cœur,  les  pures  aspirations  de  l'ûmc  vers  ce  qui  est  inunuable  et  éler- 
»  ncl.  » 

Le  livre  se  termine  par  ces  lignes  :  «  Rassure-toi  donc,  ô  ma  raison,  qui 
»  le  sens  toi-même  avec  tes  droits ,  tes  doutes  et  ton  ignorance  ;  l'Église  de 
»  Jésus-Christ  est  sur  la  terre  pour  t'enseigncr  ;  rassure-loi,  ô  mon  àme,  qui 
»  as  besoin  de  l'abaisser  et  de  le  soumettre!  l'autorité  légitime  de  l'Église  de 
»  Dieu  existe  ici-bas  ;  rassure-toi,  ô  n)on  cœur  tremblant  et  déchiré,  c'est  dans 
«  la  perte  de  tout  que  tout  se  retrouve,  comme  c'est  dans  l'abaissement  de 
»  l'orgueil  que  se  produit  le  relèvement  de  l'homme,  et  que  s'annoncent  les 
premières  lueurs  de  l'élcrnelle  clarté  !  » 

Ce  triple  témoignage  d'une  âme  nalurellement  chrétienne  n'en  est-il  pas 
aussi  la  gloire  et  la  consolation? 

De  Romont. 


FIN  DE  LA   TROISIEUE   SERIE. 


TALI.K  DKS  «VriÈltES 


<  o^Ti:\i  i:s  UA'xs  i.\  Tiioisii:tii:  sfrii: 


Pages. 
Aux  ahonm-s,    par   M.  Tnljl)»'  Mi  hmiilod.   .  .     .  'i 

Frt'di'iic  ()/aiiam,  par  M.  Edouard  1)(  ikksnk.   ...  7 

Quelques  J(*faut.s  dus  chrétiens  d'aujourd'hui 52 

Silualiun  de  Cienôve.  —  Chronnjue  reli<,Mi;use (iO 

—  Chronique     |)oliti(]ue Oti 

Hullelin  lilt.-raire G7,  128,   2G7,  330,  405 

Du  Taulorilc  el  de  hi  révolution,  par  Mgr     Renui,  évoque 

dWrinecv Gi) 

Fragments  des  conférences  inédites  du  U    I'.  Nkwmaî».   109,  lil 

Prières  cl  souvenirs,    par  Octave  DiCHos IIS 

Mélanges  ««l   nouvelles 128,  188,  2GG,  313,  3!)() 

Un  dernier  mot  sur  la  religion  de  Leibnilz IV!) 

La  liberté  religieuse  à  (lonèvc 170 

l^ludes  reli^ieuNCs  sur  IWIIemaguc 18.3 

Histoire  du  caiilon  de  Vaud,  par  M.  le  docteur  Verdeil  (M*"*" 

d«î  Uomom) li)V 

Les   Mormons 205 

De   rKucharistie,   etc.,  par  l'ahhe  E.  (jiassav 223 

^'!Iu(I(mI(!  la  doctrine  catholique  dans  le  concile  de  Trente.  2'*3 
Du  protestantisme  à  (icnéve,  par  M.  Tahhé  <î.  Mkrmii.i.od.  2^)1 
De  l'essence  de  la  vie  ri'ligieuse,  par  le  H.  P.  Da>7.a8,  de  l'Or- 

<lre  des  Fréres-Précheurs 2Gî) 

Histoire  de   rarchitecture   sacrée  du  quatrième  au  dixième 

siècle ,  dans    les  anciens  évèchés   de    (ItMieve,    Lausanne 

et  Sion,  de  J.-D.  HIavignac,  par  E.  Di  kri:s>k.  .  .  28U,  3<»7 
Lettre  à  un  protestant  sur  le  culte  de  la  Sainte-Vierge.     .     .     303 

!;\[>licalion,  par  .\.  Nicolas 3311 

Les  ministres  et  la  Hihie Siiîi 


GKK^.VE.    —  MARC  MEnUKG  ,  I.MPRIMKrH-MBRAIRR  ,  CORRATKRIK ,   12. 


ANMLES  CATHOLIQUES 

DE  GENÈVE. 


I 


ANNALES 


CATHOLIQIES 


DE  GENÈVE 


l*ul>liécs  sous  la  flircctiou  de  11.  Talibé 
G.  IIEIIUILLO». 


PA  fict  unum  ovilc ,  et  «nus  pastor. 

(Paroies  de  N.  s.  J.-C.) 
Posl  tcncbras  lux. 

(  Devise  de  Gekéve.) 


QïïJjlTmÈMK:    SÉMiME. 


MARC  MEHLING,  IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 
Curralerie,  12. 

1854. 


LE  LIBRE  EXAMEN 

Jugé  par  les  protestants. 


L'agitation  religieuse  règne  à  Genève.  A  côté  de  la  question  in- 
dustrielle et  de  la  question  des  bonnes  affaires;  à  côté  de  la 
question  politique  locale;  à  côté  de  la  question  des  chemins  de 
fer  ;  à  côté  de  ces  graves  préoccupations ,  qui  absorbent  le  plus 
grand  nombre  des  esprits  spéculateurs  et  politiques,  se  présente 
la  question  religieuse,  et  celle-ci  tend  à  devenir  prédominante  , 
quoi  qu'on  fasse.  Genève  suit  un  courant  irrésistible ,  et  il  est 
bien  naturel  que  ceux  qui  ont  un  intérêt  à  l'arrêter  s'y  oppose 
de  toutes  leurs  forces  et  par  tous  les  moyens  en  leur  pouvoir. 
Les  catholiques  et  le  catholicisme,  qui  étaient  proscrits  à  Genève 
depuis  300  ans,  y  sont  rentrés  avec  les  Français;  puis  ils  s'y 
sont  établis,  lorsque  les  traités  de  1815  ont  formé  autour  de  Ge- 
nève une  ceinture  de  paroisses  catholiques  devenues  genevoises. 
Ces  paroisses  sont  elles-mêmes  pressées  par  la  France  et  par  la 
Savoie  catholiques  ;  aussi  aujourd'hui  12  à  14,000  catholiques 
habitent  Genève  et  ses  faubourgs;  ils  se  bâtissent  une  seconde 
église  ;  ils  prennent  part  au  banquet  du  commerce  et  de  l'indus- 
trie ;  ils  jouissent  de  tous  les  droits  politiques,  et  ils  ont  un  or- 
gane religieux,  les  Annales  Catholiques,  pour  défendre  leur  foi 
et  leurs  droits... 

Je  comprends  parfaitement  que  les  prolestonts  s'en  attristent 
et  s'en  effraient.  Prétendre  qu'ils  disent  amen  à  un  pareil  mou- 
vement ascenlionnel,  c'est  méconnaître  le  cœur  humain,  la  puis- 


G  i.E  unv.r.  rwie?»  jick  pau  les  i'hotesta^its. 

sanrc  des  souvenirs .  la  Tore»'  di's  |ir«'jiin«''S  ;  r'rsl  (Irmnncicr  l<' 
sarrilire  d'iin  oij^ucil  national  ln'S-l«'gitim«*  an  point  de  vue  t\f  la 
Home  protestante  d'ann^-fois;  c'est  vouloir  riinmointion  la  plus 
<lini('ile,  celle  d  une  erreur  inxélérce,  innée,  cajoNe;  celle  d'une 
erreur  (jui  est  devenue  une  passion,  une  habitude,  une  gloire 
même;  erreur  <|ni  a  moule  les  <  aracières,  le  langage  et  les  son 
timenls  des  Genevois  :  Le  lidre  examen!! 

Que  nos  cliers  concitoyens  no  se  donnent  pas  la  peine  de  prê- 
ter aux  catholiques,  ni  des  conspirations  sourdes,  ni  des  ma- 
nœuvres odieus»'s,  ni  de  noires  |)erlidies  ;  qu'ils  ne  s'imaginent 
pas  que  la  haine  et  d'insolenies  espérances  guident  et  poussent 
les  catholiques  n'-néchis  et  véritablement  religieux.  Non,  il  n'en 
osl  pas  ainsi.  La  lutte  qui  se  formule  par  des  (•«  rits,  par  des  dis- 
cours cl  par  des  laits  divers,  est  surtout  dans  les  doctrines.  Cette 
lutte  esl  irès-sérieuse  el  parfaitement  inévitable.  C'est  parce  que 
nous  la  croyons  très-importante,  c'est  parce  que,  quels  que 
soient  tin  jour  les  triomphateurs,  nous  la  regardons  comme  de- 
vant prolondiint'ut  n)o<lili)>r  la  physionomie!  et  la  situation  de 
Genève,  que  nous  sup|)lions  les  hommes  qtii  examinent  sincère- 
ment de  (initier  le  terrain  des  peti's  débats,  des  petites  passions, 
des  préjugés  vulgaires,  des  accusations  banales,  des  |)etiles  bro- 
chures. Il  s'agit  de  considérer  attentivement  l'état  religieux  de 
Genève,  mais  surtout  le  principe  dissolvant  du  protestantisme , 
afin  de  se  rendre  bien  compte  de  la  valeur  de  ce  rpte  les  Gt'ne- 
>ois  |)i(>tesianls  nppellmt  leur  adversaire  :  i.e  r\TH<u.irisME. 

Deux  doctrines  s<tnt  en  présence;  la  doctrine  catholique  de 
l'autorité,  la  do(  trine  |iroteslante  t\o  libre  examen. 

La  doctrine  (l'autoi  ité-  .se  formule  ainsi  :  <  Jésus-Christ ,  en 
n  donnant  aux  h<»mmes  une  religion  sainte,  en  fondant  son  ICgIise, 
»  en  donnant  sa  loi,  en  établissant  ses  .sacrements,  sources  de 
»  sauctincîMion  et  «le  salut,  a  é'iabli  une  autorité  visible,  immor- 
>.  telle,  inlaillibie,  pour  conserver,  propager  et  enseigner  cette 
«  religion,  constituer  cette  if^glise,  interpréter  cette  loi  el  distri- 
■  buer  ces  sacn-ments.  Cette  l'église,  «'est  rÉglise  catholique, 
»  apostoli(|ue  et  romaine.  ■> 

l>a  «loctrine  du  libre  examen  pri\é  cousist(>  «  à  attribuer  à  U 
«raison  ind'M.linlJe  jr  droit  ei  le  devoir  d'interpréter  librement 


U-.  Lir.r.R  EXAULN  JUGli  PAU   LES  PnOTESTA?(TS.  7 

»  la  Bible,  (le  prononcer  sur  son  aullicnlicilé,  sa  canonicilé,  son 
»  inspiration,  cl  d'en  faire  jaillir  la  religion  <lc  Jésus-Qirist,  l'É- 
»  f;lisc  (le  Jésus-Christ,  la  loi  de  Jésus-Qirist,  les  sacremcnls  de 
»  J(''siis-Clirisl.  » 

On  le  voit  facilement,  tontes  les  autres  questions,  en  religion, 
sont  secondaires,  et  on  déplace  entièrement  et  insidieusement 
le  conllit,  lorsqu'on  va  se  jeter  dans  la  discussion  des  croyances, 
des  textes  controverses,  des  abus  ou  des  erreurs  des  hommes; 
le  point  litigieux  est  là.  Vous  vous  escrimez  sans  fin  et  sans  ré- 
sultat, si  vous  restez  sur  un  terrain  lloltant ,  divisé,  sans  fond. 
Le  protestant  répétera  sans  cesse  :  la  foi  sans  les  œuvres  sauve , 
cl  il  trouvera  des  textes  dans  saint  Paul  qui  appuieront  son  io- 
terprétation.  Le  catholique  répondra  avec  Jésus-Christ,  saint 
Paul  et  saint  Jacques ,  que ,  sans  les  œuvres ,  la  foi  est  morte ,  et 
que  riiommc  n'est  pas  justifié  par  la  foi  seule,  et  non  ex  fîde  tan- 
tum....  Et  puis  après?  Le  doute,  la  profanation  de  la  Parole 
sainte,  la  division,  la  guerre.  La  seule  grave  question  que  doi- 
vent EXAMINER  les  liouimes  qui  pensent  >  c'est  la  question  fonda- 
mentale. Y  a-t-il  une  autorité  divine  et  infaillible  en  matière  de 
religion,  ou  bien  le  libre  examen  privé  est-il  la  solution  et  l'au- 
torité définitives? 

Nous  nous  proposons  d'exposer  la  doctrine  catholique  de  l'au- 
lorité,  d'en  faire  ressortir  la  nécessité,  la  divine  origine,  la  per- 
pétuité, la  sainteté,  et  nous  sommes  profondément  convaincus 
que  tous  les  protestants  qui  nous  liront  s'écrieront,  dans  l'intime 
de  leur  âme  : 

Le  principe  catholique  de  l'autorité  étant  posé,  les  catholiques 
sont  parfaitement  raisonnables  et  parfaitement  heureux. 

Le  principe  catholique  de  l'autorité  est  infiniment  plus  sûr, 
plus  pratique  ,  plus  universel ,  que  le  principe  du  libre  examen 
privé. 

Le  principe  catholique  de  l'autorité  est  nécessaire,  il  est  vrai, 
il  est  divin. 

Pour  le  moment  je  dois,  comme  introduction  à  des  travaux 
subséquents,  amener  l'attention  des  amis  et  des  adversaires  des 
Jnnales  sur  la  valeur  du  libre  examen  privé.  Je  demande  à  Dieu 
de  me  donner  la  force  et  la  lucidité  du  raisonnement,  le  calme 


H  LE   LIBKK  fAAVE.I   JUGÉ   PAR   LES  Pm>TESTA>TS. 

el  la  (  liarité  dv  l'expression  dont  j'ai  hesoiti  pour  «'rlaircr  mes 
lecteurs  bienveillants  ou  prévrnu.s,  et  |)uur  les  amener  à  consta- 
ter avec  moi  rinanilc  alisolue  du  ce  déplurahle  principe  destruc 
leur  (!•'  toute  Un  ,  de  toute  certitude,  de  toute  parole  de  Dieu  et 
raùuie  de  toute  religion. 

Il  est  une  tncti(|uc  de  nos  infortunés  adversaires  (|ue  je  dois 
démasquer  dès  l'abord.  Ils  veulent  faire  croire  à  leurs  a»leptes 
égarés  que  nous  sommes  les  ennemis  «le  la  Parole  de  Dieu,  de 
la  Bible,  tandis  que  dans  renseignement  callioli(]ue  cl  dans  la 
prati(|ue  de  tout  son  culte,  rien  n'est  plus  vénéré,  après  Jésus- 
Christ  lui-même,  (|uc  sa  sainte  Parole,  que  la  sainte  Bible.  Les 
catholiques  ont  une  telle  Nénéraiion,  une  telle  obéissance  pour  la 
Parole  de  Dieu ,  pour  la  sainte  Bible ,  qu'ils  croient  que  Jésus- 
Christ,  afin  de  déterminer  sûrement  oii  elle  se  trouve,  aOn  de  la 
conserver  intacte,  de  la  propager  et  de  l'enseigner  purement,  a 
fond<'^  une  autorité  visible  et  infaillible,  sans  laquelle  sa  s;iinte 
Parole  serait  et  est  effectivement  déchirée  en  lambeaux,  défigu- 
rée, odieusement  et  contiadicloirement  inler|)nie(',  et  menu-  ni<'e 
par  ceux-mémes  (jui  s'en  disent  les  défenseurs.  Les  catholiques 
ont  nn  tel  respect  pour  la  sainte  Bible,  qu'ils  regardent  comme 
un  crinie  d'en  changer  un  iota,  de  défigurer  le  sens  d'un  seul 
de  ses  versets.  Ils  la  placent  sur  un  tr«*>ne  d'hoimeurdans  les  con- 
ciles; ils  la  baisent  chaipie  fois  (jifon  la  lit  dans  les  saints  olfices; 
ils  ont  parlont  des  chaires  sacrées  pour  l'enseigner  ;  ils  en  font 
a|)prendie  |>ar  cnur  les  pins  beaux  |»assages  à  leurs  enfants;  ils 
en  représentent  les  plus  siihlinies  et  les  plus  touchants  enseigne- 
ments par  la  s(  iilpinn;  ,  la  peinture  el  le  luu'in,  et  à  toute  àme 
(|ui  vent  la  lire  ave«'  foi,  sim|>licilé  et  amour,  ellj  l'olfre  commt; 
un  aliment  divin.  Ce  n'est  cpie  depuis  l'apparition  de  la  funeste 
dt>ctrine  du  libre  examen,  qui  diiruit  la  foi,  deilie  l'orgueil  de  la 
raison  privée  ,  ébranle  jus(]ue  dans  ses  fondements  rauloritc  de 
la  sainte  Bible,  en  mulli|ilie  les  mauvaises  éditions,  les  traduc- 
tions lalsifu'es  et  les  iiili-rpreiiiiioiis  cotUradirloires,  (|ue  l'r^ilise 
a  mis  (|uelques  faibles  restricli(ms  à  la  lecture  de  certaines  Ira- 
<lu(  lions,  dans  l'inlérèt  de  la  sainte  Bible  elle-même  et  des  âmes 
orgueilleuses  ou  légères. 

L'univers  est  couvert  de  Bibles  catholiques  «n  hiiin,  en  grec, 


LE   LllUlIi   liXA.UE^    JLOÉ   l'AK    LES   l'HOTtSTAiNTS.  0 

en  liéhrcu  ,  (jm'  loul  l<;  monde  pciil  lire  sans  exception  ;  Tiini- 
vers  est  coiivcri  de  Bibles  cailioli«]iies  traduites  dans  toutes  les 
langues  du  inonde,  dont  l'aiiprohalion  du  Souverain  Pontife  ou 
des  évèques  yaiantil  rauilicniicilé  et  l'exaclilude.  Tout  l'univers 
est  couvert  de  livres  de  pii'té  catlioli(|ucs  où  se  ironve  le  Nou- 
veau Testament  loul  entier,  iivics  (jui  sont  dans  les  mains  de 
tous  les  iidèles.  La  sagesse  de  l'Eglise  est  «'videnle  dans  les  res- 
trictions iiu'elle  a  portées  engént'ralcpntre  la  lecture  des  mauvai- 
ses Bibles,  par  respect  pour  la  véritable  ;  et  en  particulier  contre 
les  mauvais  esprits  qui  s'y  sont  souillés  par  une  lecture  impru- 
dente (1),  ou  qui  s'y  sont  perdus  en  la  soumettant  aux  plus  témé- 
raires ou  aux  plus  absurdes  interprétations  individuelles. 

«Nous  donner  l'Ecriture  sans  le  sens,  dit  Bossuet,  c'est  nous 
»  donner  un  corps  sans  âme,  une  lettre  qui  tue.  L'Écriture  ,  sans 
»  sa  légitime  interprétation  ,  l'Écriture  destituée  de  son  sens  vé- 
»  rilable,  c'est  un  couteau  pour  nous  égorger;  l'Arien  s'est  coupé 
»  la  gorge  par  cette  Écriture  mal  entendue,  le  Neslorien  se  l'est 
»  coupée,  le  Pélagien  se  l'est  coupée.  •■> 

A  l'autorité  fondée  par  Jésus-Christ  pour  conserver  et  ensei- 
gner sa  divine  Parole,  non  écrite  par  lui,  mais  en  partie  (2)  écrite 
par  quelques-uns  de  ses  disciples,  et  ex  partie  transmise  par 
eux  verbalement,  les  protestants  ont  substitué  l'autorité  du  libre 
examen  de  la  raison  privée.  Ils  ont  fait  à  chacun  un  droit  de  cet 
examen  et  même  un  devoir.  Alors  apparaissent  immédiatement, 
sur  la  nature  m»'me  de  ce  libre  examen  ,  une  foule  de  systèmes 
parmi  les  protestants  eux-mêmes. 

Le  premier  système  limite  le  libre  examen  par  l'autorité  des 
confessions  de  foi ,  des  décisions  des  synodes  ou  des  souverains 
chefs  spirituels  des  religions  nationales.  Telle  est  la  formule  chez 


(1)  Dans  une  ville  protestante  que  je  ne  veux  pas  nommer,  j'ai  vu  une 
Bible  livrée  à  la  curiosité  de  jeunes  filles  de  la  maison  et  des  domestiques, 
où  la  tranche  noircie  du  livre  attestait  qu'on  avait  trop  lu  les  livres  ou  les  pas- 
sages des  livres  saints  qu'il  ne  fallait  pas  lire,  et  qu'on  avait  délaissé  les  plus 
nécessaires  enseignements. 

(2)  Il  >  a  beaucoup  d'autres  choses  que  fit  Jésus,  et  si  elles  étaient  rap- 
portées en  détail ,  je  ne  crois  pas  que  le  monde  pût  contenir  les  livres  où 
elles  seraient  écrites.  (Ev.  de  st.  Jean,  ch.  XXl,  v.  2.5.) 


10  LU   LiOl;L   i:\A.'Ub>   JLUL   l'Ail    LES  l'ItOTLSTANTS. 

les  an^lirans,  les  liiilicricns ,  les  (iisci|il('s  île  la  conrossion  licl- 
v«'ii<jiii',  lin  syrKxlr  «le  Doidieclil  ;  les  calvinislcs  purs  n'exami- 
niE.M  ijue  dans  les  limites  posées  |)ar  ecs  ai'Torités.  L'inconsc- 
(jiience  ci  la  oonlradiriion  saiileiji  nnx  veux  dans  re  premier 
syslèmo. 

Le  second  système  rcjellc  les  conTessions  de  foi  en  principe, 
mais,  dans  la  praliipie,  ses  adliérents  se  soumcMeni  à  Tenseif^'ne- 
iiicnl  de  leurs  ministres.  L'incoiise<|Ucnee  et  la  conlradiction  sont 
encitre  plus  grandes,  parce  «pie  \  (tutoriié  d'un  indi>idu  est  en- 
core plus  minime  <pie  celle  d'un  corps,  parce  que  les  lumières 
d'un  individu  sont  «'ucore  moins  sûres,  et  enlin  par<e  que  les  va- 
rialiuns  sont  alors  l>4'aucoup  plus  faciles  et  plus  nombreuses. 

U'  troisième  système  soumet  la  sainte  liihle,  son  autlienticitt*, 
sa  «anoniiilé,  son  inspiration, son  iriter|)ivtatiun  à  l'aitorité  ali- 
soliie  de  la  raison  iiidiNidiielle.  C'i'st  le  rationalisme,  le  plus 
C()nsé(|ueni  des  systèmes  protestants,  mais  le  plus  destructeur  de 
toute  foi,  de  toute  révélation  :  il  a  dcKliiié  feuille  par  feuille  la 
sainte  Bible,  profam*  la  Parole  de  Dieu,  ruiné  toute  reli^'ion  po- 
sitive el  ravagé  toutes  les  contrées  et  toutes  les  intelligences  <pii 
en  ont  été  les  adeptes. 

I.eijiiatrième  s\sième  a  eieune  n'aclion  contre  le  rationalisme. 

11  prend  LEXAMi^N  |irive  pour  un  instrunrent ,  mais  il  soumet  la 
raison  à  l'autokité  de  la  IJihb»  ;  système  eu  apparence  plus  re- 
ligieirx  ,  mais  plus  rétréci ,  plus  Irompeirr,  (pii  conduit  à  l'indi- 
vidiralisme  mvstiijue.  Avec  rapparcnce  de  la  première  autorité 
donnée  à  la  liiblc  ,  il  ne  soumet  |)as  moins  son  auilienticilé,  sa 
canonicité,  son  inspiration  el  son  interprétation  ù  l'examen  privé 
de  cj'Iui  «pii  n'v  voil ,  n'y  Kl ,  n'y  coinjncnd  (jue  ce  que  sa  raison 
y  voit,  y  lit  et  y  comprerrd. 

I-e  (  iriqrrième  système  est  ceirri  des  illuminés,  des  quakers, 
des  piétistes,  des  méiliodistcs  oir  momiers.  (^es  protestants  c(»m- 
premrent  les  énorin<'S  coritia«li<tioiis ,  les  incitiiseiprenccs  et  les 
consecpiences  d«'s  quatn;  systènu's  ci-dessus  «lir  libre  examen 
j>rivé,  isolé  d'une  action  sitrnaturelle;  et  ne  voulant  pas  de  l'au- 
loritf-  irrfaiHible  de  l'I^lglise  callioliipio,  ils  ont  inventé  une  autre 
«'Spèce  de  libre  «xamen  |)ri\e.  Ils  se  tlonnent  irire  sorte  dirrfail- 
libilité  irrdividnelle  pai-  la  supposition  fliine  ins|tiraiion  indivi- 


r.n  i.inr.1:  F,XAME^'  ji'cé  r.vr.  les  trotcstants.  I  1 

iliit'lli-  (If  rKspiil-Sainl!!  Il  ost  de  Hiil  que  la  pinivir  intclligonco 
Immaiiio,  à  force  de  se  nourrir  d'illusion,  de  fanatisme  et  d'or- 
j;ueil  ,  peut  ariivcr  jiis(Hif-là.  M:iis,  d'une  part,  cliaque  individu 
étant  juge  de  la  videur  de  son  saint  espiit  privé,  de  la  manière 
dont  ce  saint  esprit  lui  donne  l'authenticité,  la  canonicilé  ,  l'in- 
spiration et  rinterpi'(''lafion  de  la  Bible;  et  d'autre  part,  des  sec- 
tes très-diverses,  et  des  individus  de  la  même  secte,  prétendant 
à  cette  bienheureuse  inspiration,  tout  en  ne  recevant  ni  la  même 
Bible,  ni  la  même  traduction  ,  ni  la  même  interprétation  ,  même 
sur  des  points  fondamentaux  ,  il  en  n'-sulte  que  ce  système  n'est 
qu'ime  déception  de  plus,  et  une  d(''ception  plus  dangereuse 
que  toutes  les  autres  ;  elle  est  à  la  porte  du  fanatisme  et  de  la 
folie. 

EnGn  le  sixième  système  est  celui  de  M.  Schérer,  ministre  et 
professeur  protestant  qui  a  déserté  l'église  méthodiste  de  Genève, 
dans  laquelle  lui ,  avec  son  libre  examen  et  son  inspiration  du 
Saint-Esprit,  «  il  a  vu  que  Christ  n'était  pas  dans  cette  église;  » 
«que  le  protestantisme  était  dans  l'ineapacité  absolue  de  prou- 
»  ver  l'inspiration  dos  livres  saints;  »  «  que  ces  livres  n'étaient 
ï  que  des  autorités  humaines  pour  mettre  les  âmes  en  rapport 
»  avec  Christ;»  «  que  l'inspiration  privée  pourrait  arrivera  le 
»  trouver  et  à  s'y  unir  à  l'aide  de  divers  milieux  qui  n'ont  nulle- 
»  ment  besoin  d'être  divins...  »  Dernière  phase  du  libre  examen 
privé  qui  a  découvert,  dans  l'élude  et  l'enseignement  de  la  Bible 
et  du  système  méthodiste,  le  moyen  de  reléguer  la  Bible  elle- 
même  sur  le  second  plan  et  à  lui  ôier  son  autorité  sacrée... 

Ainsi  en  est-il  de  toutes  ces  nuances  du  libre  examen  ,  qui 
n'est,  en  définitive  ,  que  l'autorité  de  la  raison  faillible  et  privée 
de  l'homme  se  substituant,  à  force  d'orgueil  ou  d'illusion,  à  l'au- 
torité non-seulement  de  l'Église  catholique,  mais  de  la  sainte 
Parole  de  Dieu  elle-même. 

Le  libre  examen  est  la  déification  de  la  raison.  C'est  une  ido- 
lâtrie spiritualiste  pire  que  l'idolâtrie  matérialiste  des  panthéis- 
tes sensualistes. 

Mais  avant  d'entrer  dans  l'étude  approfondie  de  cette  thèse , 
il  nous  paraît  utile  d'exposer  ici  les  diverses  appréciations  du  li- 


12  tr.  i.inuL  txAME?»  jigé  tau  Lts  vrotestant». 

lire  rxamni  |»ri\f  (ju'ni  uni  données  les  proteslanls  oux-nit^mcs. 
Nous  les  prenons  dans  les  auteurs  el  dans  les  livres  les  plus  gra- 
ves de  toutes  les  sectes. 

(Ialvim.  «  \ray  est,  que  nous  ne  nions  pas  que  ce  ne  soil  le 
propre  olllce  de  l'Église,  de  discerner  l'Escriture  Saincle,  d'avec 
les  li\res  suppose/...»  (1).  Puis,  «  Il  est  donc  requis  (pie  la  per- 
suasion soil  prise  |)lus  haut  <pie  des  taisons  humaines...  assa- 
voir du  témoignage  secret  du  Saint-Espril  »  (2). 

Les  A^ABAPTlsTEs.  «  Tous  les  écrits  «lu  INouveau  Testament  ont 
été  interpoli-s  ou  falsifiés  »  (3).  Puis,  o  appuy«''S  sur  ['inspiration 
ou  ttinnitjnayt  ilu  Sainl-Lsprit,  ils  ont  eii-  justpi'à  ne  faire  au- 
cun cas  des  Ecritures  »  (4). 

Calvin,  en  parlant  des  anabaptistes  :  «Quant  à  ce  (pi'on  en 
void  aucuns  <iui  sont  séduits  sous  Vumbre  de  l'Évangile,  el  lire/ 
en  diverses  erreurs,  sachons  que  jamais  cela  n'advient  «jue  par  une 
juste  vengeance  de  Dieu.  Saint  Augustin  dit  bien  vray,  qu'arro- 
gancc  est  mère  de  toutes  les  hérésies...  »  Si  pM  présomption  nous 
Venons  à  lutus  séparer  d'une  conq)agnie  rhrelienne,  nous  sommes 

faits  DIABLES  (Ô). 

(>ALViN  :  a  11  n'y  a  que  des  insensés  manifestes  qui  puissent  es- 
pérer «pie  sans  le  secours  du  ministère  de  la  parole,  ils  seront 
parfaits  en  Jésus-Christ.  Tels  sonl  les  orgueilleux  qui  penseni 
que  la  lecture  particulière  de  la  Sainte  Écriture  leur  sufTii  lelh;- 
mcnt  qu'ils  n'aient  pas  besoin  «lu  ministère  commun  de  l'Église. 
C'est  précisénu'iil  !«•  c(jnlraire  de  la  docirin»!  de  saint  Paul  ,  «pii 
leur  témoigne  clairement  que  scion  l'ordre  établi  par  Jésus-Christ, 
c'est  s«'ulenu'nl  par  la  prédication  extérieure,  en  nous  laissant 
gouverner  el  pj'rlectionner  par  hs  hommes,  <|ue  nous  pourrons 
entrer  dans  la  structure  de  l'Église  et  éU'e  parfaits  en  Jésus- 


(I)  Calvin.  Opiisc.  La  rruir  manière  de  reformer  l'Église,  cdil.  Genève, 
ICH.Col.  1-2 10. 
(-2)  r.ahin.  liistK.  Liv.  I,  cli.  VII,  ii.  i,  i..  'iS.  IMil.  G«-iic\c,  i:il»C. 
(3)  Iiist.  Mrrcicr.  De  Vrspril  des  iiniibnidistes,  p.  TÀM. 
(i)  M..llicr.  SymhnUtjue.  Th.  I.    ■  .7.».  T.  II.  p.  I'.)l.  Lach.it,  !8Ô6. 
(5)  Calvin.  Ojjusc.  col.  G«0  cl  15;>3.  Kdil.  de  Genève,  lUil. 


LE  LIItUL  EWniiN  JUGÉ  PAR   LES  FKOTESTAriTS.  13 

Christ.  C'est  là  une  ivgic  iinivorsellc  dont  los  plus  hauts  génies 
ne  sont  pas  plus  cxcnipts  que  les  i>clils  esprits  »  (1) 

Calvin,  en  parlant  des  libertins  :  «  Esprits  eseervelez  qui  per- 
vertissent tous  les  principes  de  religion,  pour  voltiger  après  leurs 
fantaisies,  sous  ond)re  de  révélation  du  Saint-Esprit  (2).  Je  vou- 
droyc  Itien  savoir  d'eux  qui  est  cest  Esprit  par  l'inspiration  du- 
quel ils  sont  si  haut  ravis  qu'ils  osent  contourner  toute  doctrine 
de  l'Escriture  (3)...  L'Espiit  Saint  n'a  d'autorité  envers  nous, 
s'il  n'est  discerné  par  une  marque  tiès-certaine  (4)...  » 

Les  libertins  répondaient  :  «  Nous  discernons  très-certaine- 
ment l'Esprit  Saint  au  seul  éclat  de  sa  lumière,  tandis  que  Cal- 
vin soumet  l'Esprit  de  Dieu  à  l'examen  des  hommes,  c'est-à-dire 
au  jugement  de  l'Église  (5).  » 

M.  MouLiMÉ  ,  ministre  genevois  :  «  Il  serait  dangereux  et  in- 
juste d'omettre  les  apocryphes  dans  l'édition  des  Livres  Saints. 
Ce  coup  d'autorité  fournirait  des  armes  aux  incrédules  et  aux 
juifs.  Il  serait  attentatoire  au  droit  des  fidèles  présents  et  à  venir. 
Il  agrandirait  le  mur  de  sc'paration  entre  l'Eglise  catholique  et 
les  autres  sociétés  chrétiennes.  Et  ce  serait  prendre  sur  soi  une 
terrible  reponsabilité  devant  Dieu  en  se  âécluraxit  juge  infaillible 
des  controverses»  (6). 

M.  Gaussen,  ministre  méthodiste  à  Genève,  à  M.  l'abbé  Com- 
balol  :  «  Le  Concile  de  Trente  est  hérétique,  parce  qu'il  n'a 
pas,  comme  nous,  rejeté  l'inspiration  des  livres  apocryphes  »  (7). 

M.  MoisoD.  «  Que  faut-il  pour  découvrir  le  sens  divin  de  la 
Bible?  Il  faut  l'y  chercher  pour  soi,  en  s'en  rapportant  à  son  ju- 
gement particulier  ;  c'est  la  voie  naturelle»  (8). 

M.  Panchaud.  «  Le  droit  de  prononcer  sur  la  fidélité  des  tra- 


(J)  Calvin.  Conmient.  in  Ephes  IV,  V,  II,  ii.  Comment,  in  1  Tim.  ill,  42 

(2)  Calvin.  Inst.  Liv.  I,  ch.  IX. 
(5)  Calvin.  N.  I,  p.  59. 

(4)  Calvin.  Liv.  I,  ch.  IX. 

(3)  Calvin.  Liv.  IV,  ch.  X. 

(G)  Moulinié.  Notice,  etc.  In-8.  Genève,  1828. 

(7)  Correspondance  entre  M.  Combalot  et  un  minisire  protestant  de  Ge- 
nève. Annales  catholiques. 

(5)  Monod.  Lucil.,  p.  122. 


11  IL  LIURE   EXVMLK   JtliÉ   i'AK   LtS   PROTtsTANTS. 

(Jmtions  ou  sur  le  sons  dos  Écriliires,  a   rie  donne  ù  clia(|U<' 
liiKIe»    1  . 

M.  Boi'CUER.  «  Selon  nous,  le  Saini-Esprit  parle  directement 
a  clia(|ue  lidèle  ■  (2). 

iM.  MoNOD.  «  K('mar(|ut/  t|Uf  l'assurant  »•  dniii  je  parle,  cVsi 
rassurante  du  salul,  non  une  assurante  d'inraillibililé.  Je  ne 
dis  pas  (|ue  l'âme  fidèle  sera  lellemcnl  éclairée  sur  loules  les 
ipu'sliuns  de  dortrine,  (juclle  ne  pouira  londter  dans  aucune 
erreur,  sur  aucun  puinl;  je  dis  seulenienl  qu'elle  sera  lellemenl 
éclairée  sur  le  l'ondemeni  <lc  la  foi,  qu'elle  ne  pourra  s'y  mépren- 
dre .  (3). 

M.  Mo>oD.  «  Après  loul,  cela  n'est  pas  indispensable,  car  <»• 
(pii  importe  pour  moi,  «'est  d'avoir  la  vérité,  non  de  prouver 
(jue  je  l'ai  »  (4). 

Le  1"  sY>oi)E  NATIONAL  DES  RÉFORMES  FRA^^.A^s,  tenu  à  Paris  en 
loo9  :  1  Les  herélitpies,  les  contentieux...  les  rebelles  contre  le 
Consistoire...  seront  du  tout  excommuniés  et  retranchés,  non- 
seulement  des  sacrements,  mais  aussi  de  toute  assemblée  »  (ô). 
Le  sYiNODE  CALViMSTE  DE  DoRDRECHT,  dc  1 6 1 9  :  "  Lcs  arméniens 
sont  excommuniés.  >» 

Les  quakers  ou  Tremblelrs  «  uieni  la  nécessit<'  de  lire  l'É- 
criture  Sainte  »  (fi). 

M.  GiRoo.  «  Sous  aucun  pn-lexle ,  par  aucune  raison  ,  on  ne 
peut,  SOUS  l'KLNK  DE  DAMNA  l'ION,  négliger  le  commandement 
du  Seigneur  de  lire  la  Bible  »  (7). 

M.  GiROD  :  u  Jésus-Cliiist  conmiande  à  toit  le  monde  de  lire 
toute  IKcrilure  en  langue  vulgaire  »  (8). 

M.  GiROD  :  *  Nous  convenons  que  |)Our  lire  la  Bible  avec  fruit, 
il  faut  une  méthode;  nous  croyons  «piil  laul  commencer  par  le 


(J)  Paiicliauil.  !2'  li\.,  |>.  ~A. 

(2)  BoucluT,  |i.  177 

(5)  Moiind,  p.  -H'À). 

(i)  Moiio.l.|..2«M>2(Ki. 

(.•))  Ail.  \\\. 

(0)  Mgr  MaiiKi.  I.  |>.  1 1<.>. 

(7)  .M.  (iiiud,  |).  ùi\. 

(8)  M.  Giroil,  |i.  55. 


LE   l.iniSL  EXAMEN   JUGÉ   PAR   I.CS  PKOTESTANTS.  15 

Nouveau  Teslamcnt.  Il  faui  certaines  dispositions  pour  proliter 
«le  la  Parole  de  Dieu  ;  celui  «jui  ne  les  a  pas  ,  (ju'il  les  demande  à 
Dieu,  qui  ne  les  refusera  pas  »  (1). 

M.  OsTER  :  «  Personne  ne  doit  lire  l'épitre  aux  Hébreux  avant 
d'avoir  éludié  l'Ancien  Testament  tout  entier  »  (2). 

Le  synode  grec  de  constantinople,  de  1836  :  «  Condamnation 
de  toutes  les  versions  de  la  Bible  des  hérétiques  modernes,  des 
luihéro-calvinistes  ou  autres  maîtres  d'erreurs,  faux  apôtres, 
destructeurs  de  la  vraie  foi  et  perturbateurs  du  peuple  fidèle... 
Ces  Bibles  n'ont  pas  de  caractère  canonique ,  elles  sont  écrites 
dans  un  style  pitoyable,  elles  fourmillent  d'expressions  inexactes 
et  impropres;  elles  sont  remplies  d'erreurs  »  (3). 

Le  comte  de  Zinzendorf,  fondateur,  en  1722,  de  la  secte  des 
Hernhusters,  ou  Frères  Moraves  :  «  L'interprétation  de  la  Sainte 
Écriture  n'est  pas  le  point  capital  de  ma  doctrine...  Il  faut,  pour 
cela,  un  don  que  la  nature  m'a  refusé  »  (4). 

Barclay,  l'un  des  chefs  de  la  secte  des  Trembleurs  :  «  Les 
Écritures  ne  doivent  pas  être  estimées  cemme  la  principale  ori- 
gine de  toute  vérité  et  de  toute  connaissance,  ni  la  première  et 
la  plus  complète  règle  de  la  foi  et  des  mœurs  ;  elles  ne  sont 
qu'une  déclaration  de  la  source,  et  non  la  source  même.  L'esprit 
Saint  est  le  premier  et  le  principal  guide;  il  est  originairement 
et  principalement  la  règle  de  la  foi  »  (5). 

M,  O'CoLLAGHAM  ,  ministre  anglican  :  «  La  Bible  ,  sans  expli- 
cation et  sans  commentaires,  n'est  pas  faite  pour  être  lue  par  des 
hommes  grossiers  et  ignorants  ;  la  masse  du  genre  humain  doit 
se  contenter  de  recueillir  son  instruction  d'autrui  »  (6). 

Le  22"  SYNODE  NATIONAL  DES  ÉGLISES  RÉFORMÉES,  tenu  à  Vitri,  en 
1617  :   «D'autant  qu'on  a   trouvé  des  fautes  notables  dans  les 


(1)  M.  Girod,  p.  U  et  55. 

(2)  Oster.  Le  droit  de  tout  homme,  p.  34. 

(5)  .1.  Wengcr.  Bcitrage    zur  Kenntniss  des   gegenwœrtigen  Geisler  und 
Zustandcs  des  Greichisclieii  Kirchc  in  Gricchcnland  und  ïurkcv    Berlin 
1859,  p.  179  et  144.  '  ' 

(4)  Haenighaus.  II,  p.  90. 

(5)  Barclay,  p.  207. 

(G)  O'Coliaghan,.  dans  le  Consei-vateur,  T.  III,  p.  301. 


H)  LE  LIBRE  EXAMEN   JUCÉ  PAR  LES  PROTESTANTS. 

«xeniphiiros  imprimes  «les  Hiblos  cntitTcs,  ci  Hans  coux  du  Ndii- 
veau  Tt'siameni  ci  dos  Psaumes  à  part,  il  est  enjoint  aux  eonsis- 
toircs  «les  églises  où  il  y  aura  quelque  imprimerie,  de  prendre 
bien  ^^artle  que  les  imprimeurs  aient  «le  l>«»iis  «  :ira«i«  res.  »  «  Les 
ex«;mplaircs  «.le  M.  T.,  imprimeur  à  Muntauban ,  doivent  ^ire 
supprimés,  à  cause  des  fautes  en  très-grand  nombre  de  la  «lite 
impression,  qui  en  alt«''rent  le  sens  »  (1), 

JACiji'ES,  premier  roi  prot«'slanl  «l'Angleterre,  dans  la  conle- 
rcncc  d'Hamploncourl  ,  «  défend  qu'on  se  serve  de  la  Bible  de 
Genève,  la  pire  de  toutes,  «i  «|iii  eonlieni  des  notes  fort  partia- 
les, fauss«'S,  séditieuses  et  ressentant  par  trop  les  desseins  d'un»' 
àme  danger«'usc  »  (2). 

BocuART,  protesUint  :  «  La  version  d'Olivétan,  revue  jxir  Cal- 
vin, est  Vaversion  «les  savants  >  '3. 

MM.  L.  Bonnet  ei  Cu.  Baup,  protestants  :  a  La  version  de 
Martin  parle  un  langage  suranné,  incorrect,  obscur...  Nous 
avons  une  aversion  prononcée  pour  toute  traduction,  qui  à  clia- 
«pie  instant  nous  livre  la  |)ensée  apostolique  comm«'ntée  ,  para- 
phrasé»', «'l  non  simpbmcnl  exprimée...  ÎSous  retoucherons  «l'une 
main  discrète  et  réfléchie  la  traduction  d'Osterwald,  dans  tous 
les  passages  où  elle  s'écarte  évid«'mment  «le  l'original .  et  dans 
ceux  où  elle  le  rend  affaibli,  «lé<  olor«'  »  (4). 

Martin  Burer  Sixtiis  Amama,  Marinx  aflirme  que  «le  toutes  les 
iradu«  lions  «lonl  les  églises  réformées  faisaient  usag«',  il  ei'v  en 
avait  aucune  «pii  s'érarlàl  davantage  «lu  texte  «triginal  qn«'  la 
v«'rsion  alleniamie  de  Luiher  (.»). 

M.  Boi'ciiER  :  «  La  fausse  interprétation  de  la  liible  est  un  mal 
sans  remède!!..  Le  triage  «lu  vrai  appartient  à  Dieu  seul!!  »    f» 

Sv>ol>F.  PROTESTAIT  I»E   BERI  IN,   18i(»  :    "  L«'S  livrCS  SUMbnliques 


il)  Lo  2i'  î-yninlc,  olr.    La  ll;t\r.   I71((. 

{2)  Chardon  <lc  l.i);!iy,  p.  5.'>.  Journal  drs  xarnnis,  fi\^\^\.  t\o  1707,  p.  2.S^ 

(7t)  Scncbicr.  Ilisltiirc  de  Genève,  T.  1,  p.  Hm.  (iciièvr,  ITW. 

(1)  I^  .Novpau  T(*staiiiciit  «le  N.  S.  JésuvClirisI,  avec  {\e$  notes  esplirnli- 
vrs  ri  lies  inlrodiiclions  h  rliac|tic  livre,  tl'apn's   M.   O.  do  (irrlarli .  par  I 
Itoiinrl  et  Cli.  Ilomi».  T.  I.  pirf.,  p.  H.  F'aris.  |Sl(i. 

ui)  Voyoz  Mayrr.  Hisl.  vers.  I.iilli.,  p.  !>!î. 

(G)  M.  lioiiclicr.  L'hominp  drvnnl  la  Ilibic.  p.  SCI  et  ifi'i. 


LE   LllUlt   b\A>ILi>    Il  t.K   l'.VK    LKS   PROTESTAMS.  \7 

coiiscncroiil,  pour  les  ililleieiiles  éylisiîs  iiaiiuiiaU.'s ,  la  valeur 
qu'elles  jugeronl  à  propos  de  leur  donner,  el  (pi'ellos  pourront 
leur  conserver,  alors  même  qu'une  profession  de;  loi  commune  se- 
rait adopUM»  par  la  conicrence  »  (1). 

Miss  Harriet  Martineau  :  «  Il  est  maniresiemenl  absurde  de 
(lire  d'une  pari  à  un  lionim(!  qu'il  doit  déduire  sa  foi  de  la  Bible, 
et  d'autre  part  de  lui  signilicr  d'avance  ce  (|u'il  doit  cioire,  sous 
peine  d'être  damné  »  (2). 

Le  docteur  Hengstenberg  :  «  L'église  évangélique  allemande 
ne  reconnaît  plus  l'aulorilé  des  livres  symboliques,  et  l'incrédu- 
lité est  publiquement  enseignée  par  au  moins  autant  de  tliéolo- 
giens  el  de  supérieurs  ecclésiastiques  que  la  foi...  Est-ce  dans 
un  tel  état  que  rÉvangélisme  peut  lutter  comme  Église  contre 
l'Lglise  romaine,  lorsque  les  divisions  qui  le  déchirent  sont  plus 
graves  que  celles  qui  le  séparent  du  catholicisme  (3)? 

M.  Malcolm,  ministre  américain:  «Il  serait  impossible  de 
traduire  les  Saintes  Écritures  par  écrit  dans  la  langue  du  peu- 
ple chinois,  quoiqu'on  puisse  peut-être  les  faire  comprendre  par 
une  explication  orale.  »  M.  Malcolm  en  dit  autant  d'une  version 
malaise. 

Luther  s'écriait  contre  Emser  relevant  les  innombrables  fautes 
de  la  traduction  de  la  Bible  :  «Papiste,  tu  es  un  une;  si  c'est 
une  faute,  qu'elle  y  reste,  c'est  ma  volonté  »  (4). 

Heilmann  :  «  La  Bible  est  plus  difficile  à  comprendre  que  les 
ouvrages  d'Homère,  de  Thucidide,  de  Polybe  et  des  autres  au- 
teurs grecs  »  (ô). 

ScHELLiNG  :  «  Il  nous  faudra  donc  chercher  le  palladium  de 
l'orthodoxie  dans  la  connaissance  des  langues.  Ainsi  l'autorité 
vivante  est  remplacée  par  celle  des  livres  morts,  écrits  en  langues 
qu'on  ne  parle  plus;  autorité  humaine  et  arbitraire  qui  enfante 


(1)  Conesp.  18i6.  T.  XIV,  p.  547  à  3-49. 

(2)  La  foi  de  l'Église  universelle  d'après  les  Saintes  Ecritures,  par  miss  Har- 
riet Marlineau  ;  Irad.  de  l'angl.,  p.  60,  64,  66.  Paris,  1854. 

(5)  Evangelische  kirchen  Zeitung.  N.  27ot2S.  1844. 

(4)  Audin.  T.  III,  p.  412. 

(;)j  In  comp.  Theol.  dngm.  1761,  p.  58 


18  LK   LIBRE  i:\\ME>   JIT.K   PAR   LES  Pr<»TESTA.1TS. 

un   t'sclava^'C  bien  plus   pesant  (\uc  l'autorilo  catholique»  (1). 

La  Bible  2  ne  |)eut  t^n*  rf^^ard»*»-  comme  le  fomli'monl  d'un 
système  reiifîieux.  Tous  les  partisans  de  la  BiMf  ont  lire  de  ce 
livre  des  dot  iriiics  souNcnt  »  utiiradirioircs ,  et  s  en  sont  servis 
j>uur  se  perse(  uicr  les  uns  les  aulrts  ci  |>()ur  se  condamner  nm- 
luellemcnt  comme  hérétiques. 

Nous  pouirions  ajouter  à  ces  appréciations  du  libre  examen 
par  les  protestants,  cent  autres  textes  non  moins  formels  et  non 
moins  curieux.  Ia'.  liLr(;  examen,  aux  yeux  de  tous,  est  un  instru- 
ment usé,  un  instrument  qui  glisse  dans  la  main,  qui  blesse  et 
qui  coupe  celui  <pii  s'en  sert,  que  chacun  retourne  contre  son 
adversaire,  pour  en  ùtre  frappé  à  son  tour.  C'est  l'arme  de  la 
discorde,  de  la  division,  du  doute,  du  scepticisme.  C'est  le  scal- 
pel qui  va  stigmatiser  la  sainte  Parole  de  Dieu  ,  déchirer  la  robe 
sans  coulure  de  Jésus-Chrtst  cl  mettre  en  lambeaux  la  Bible  sa- 
«rée  sous  le  fouet  exé'geiicjue  de  la  pauvre  et  orgueilleuse  raison 
humaine,  et  de  Texallalion  des  sectaires  fanatisés. 

Mais  après  ces  voix  relenlissanteseï  reproduites,  avec  intention. 
I)èle-méle ,  des  protestants  (h-courages,  examinons  la  valeur  in- 
trinsèque du  libre  examen  au  ilambeati  de  la  saine  raison  et  (te 
la  parole  divine. 

(La  suile  prochainement.) 


(1)  Prof.  D'  von  Stlielliug,  Voilcsuiigcn  ubor  das  akadeniis«h«r.  miuIimiu, 

200. 

(i)  Jcnar  ;illg.  I.itcratiirzcitimp.   IS^l.  N"  iH. 


LETTRE 

DE  M.  AIGISTIIV  COCHIIV  A  M.  AIGISTE  INICOLAS 

Siif  réliit  (In  paupérisme  en  Anp;Ieterre(l) 


Monsieur  et  excellent  ami, 


Vous  voulez  bien  me  demander  de  relire,  après  mon  retour  d'An- 
gleterre, le  passage  de  votre  livre  sur  le  protestantisme^,  qui  est  re- 
latif à  la  peinture  de  la  misère  dans  ce  grand  pays  où  il  y  a  tant  à 
admirer.  Vous  me  priez  de  vous  dire  simplement  si  votre  récit  et 
votre  jugement  me  semblent  exagérés. 

Je  vous  obéis,  après  m'être  toutefois  mis  en  garde  contre  mes 
impressions,  en  les  soumettant  à  la  raison  si  pénétrante,  si  supé- 
rieure de  M.  Benoist  d'Azy,  avec  lequel  j'avais  le  bonheur  de  voya- 
ger; et  avoir  fait ,  dans  les  livres  les  plus  renommés  et  les  docu- 
ments officiels,  des  recherches  qui  ont  duré  plus  longtemps  que 
mon  voyage  lui-même. 

Laissez-moi  commencer  par  un  aveu  :  votre  livre  semblera  tou- 
jours exagéré. 

On  trouve,  en  effet,  exagéré,  non-seulement  ce  qui  sort  trop  vi- 
siblement des  bornes  de  la  vérité ,  mais  ce  qui  excède  le  degré ,  la 
dose  de  vérité  que  peut  communément  porter  l'homme,  si  aisé- 
ment satisfait  de  demi-vérités  comme  de  demi-vertus. 


(1)  Cette  lettre  se  trouve  dans  l'appendice  de  la  dernière  édition  du  livre 
de  M.  Nicolas  sur  le  protestantisme. 


20  I  F.TTHK    HK    M.   A.    COCim 

<!iéaluri!s  d'uii  juiir,  i\c  sarhnnt  rien  cl  ne  voulanl  lien  savoir 
>ui'  le  grand  prulilcnte  de  l'hérédité,  .sur  la  Iransniissiun  |Kiur(ant 
trop  corlaioe  des  disposilions  physiques  et  des  qualités  morales,  ù 
plus  forte  rat.-^un  répugnons-nous  i\  recunnailre  le  lien  de  lilialion 
t|iii  unit  les  dotlrines ,  cette  sorte  de  consétuienre  dans  l'erreur^ 
<  ette  loi  de  la  logi(|uc  qui  force  les  idées,  romme  la  loi  de  la  pesan- 
teur forée  les  rorps  à  suivre  fatalement  une  pente  irrésistible.  En 
majeure  partie,  les  hommes  ne  savent  ni  remonter  ni  redescendre 
le  cours  des  idées  ;  ils  se  contentent  de  les  voir  passer  comme  l'eau, 
et  se  moquent  volontiers  de  ceux  qui  leur  disent  qu'en  naissant 
cette  eau  fut  une  goutte,  et  qu'à  son  terme  elle  sera  un  lorn-nt. 

D'un  autre  côté,  si  l'on  ne  veut  pas  avouer  l'orij^ine  du  mal,  on 
ne  reconnaît  pas  davantage  l'origine  du  hien.  C'est  une  des  plus 
redoutables  diflicullés  des  apologistes  modernes  de  la  religion  d'a- 
voir à  prouvera  l'homme  (|ue  le  christianisme,  qui^  après  dix-huit 
cents  ans,  est  devenu  conmie  sa  M-cvmlc  nature ,  n'est  pas  sa  nature 
elle-même,  et  que  tout  ce  que  nous  avons  de  grand,  de  beau  et  de 
bon  ,  nous  le  devons  A  celte  source  divine  plus  qu'à  nous-mêmes, 
('omme  la  teir(!  ntontre  les  fruits  et  lache  les  racines  des  plantes 
qu'elle  a  reçues  dans  son  sein,  cl  semble  tout  tirer  ainsi  de  .son  pro- 
pre fonds,  nous  aimons  à  croire  et  à  laisser  croire  (jue  ce  que  nous 
avons  d<'  bon  est  venu  sans  semence,  et  par  notre  création.  C'est  ce 
que  Hossuct  exprime  quelque  part,  dans  une  si  sublime  invective  : 
«  L'f^glise  est  la  njére  des  sociétés  modernes,  et  vous  en  profite/  ! 
»  Mais  croyez-vous  (|ue  Dieu  l'ait  fait  mère  sans  la  faire  aussi  nour- 
'  rice?  Malheureux,  vous  acceptez  les  entrailles  et  vous  rcpousëcz 
»  les  mamelles !...  » 

\'ous  lriom|>hcricz  didicilemenl  de  ces  dispositions  ,  Monsieur, 
si  les  auteurs  des  erreurs  modernes  les  plus  funestes  ne  venaient 
eux-mêmes  à  votre  secours.  Car,  en  attaquant  avec  acharnement 
rfcgiise,  ils  se  font  hautement  gloire  de  descendre  do  l.ulher;  sa- 
chant bien  ipi'on  ne  croit  guère  (pi'aux  doctrines  tpii  orU  su  résister 
à  l'épreuve  du  temps,  ces  plébéiens  aiment  à  se  trouver  des  anctV 
1res,  et  la  généalogie  qu'ils  donnent  à  leur  doctrine  est  précisément 
celle  (|ue  votre  sévère  critique  leur  inflige. 

.Mais  la  diflicuUé  recommente,  et  le  péril  augutenle,  quand,  des 
doctrines,  vous  passez  aux  faits,  et  du  protestantisme  aux  sociétés 
protestantes. 

\  ous  paraissez  alors  doublement  exagéré  :  car  vous  avez  contre 


A   n.    A.   NICOLAS.  21 

vous  les  incnrablos  légôrcl<''s  de  ceux  qui  vous  lisent,  et  les  bien- 
lioiireusfs  iucousétiuences  de  ceux  dont  vous  parlez. 

Il  y  a,  eu  elTel,  d'exoellerUs,  d'admirables  prolestants.  .\u  nio- 
Hient  où  j'écris,  j'évoque  au  fond  de  mou  cœur  des  noms  que  j'y 
trouve  entourés  du  plus  profond  respect.  Comme  certains  catboli- 
(piessont,  pouileur  malbour,  devenus,  sans  s'en  douter,  de  vrai* 
protestants,  certains  proieslants  sont ,  pour  leur  bonheur,  devenus, 
sans  s'en  douter,  de  vrais  catholiques.  La  dernière  illusion  et  le 
ilernier  écueil  de  la  bonne  foi  des  protestants  qui  veulent  se  con- 
vertir est  même  de  s'arrêter  et  de  se  croire  déjà  catholiques.  Vous 
avez  lu  comme  moi  un  livre  très-curieux  d'un  prolestant,  dédié  : 
Jo  our  mothcr  ihc  cathoUc  churvh  in  England. 

Dès  lors ,  comme  on  croit  outrager  le  catholicisme  en  parlant  de 
mauvais  catholiques,  on  croit  aussi  venger  le  protestantisme  en 
citant  de  bons  prolestants.  Partout  où  vous  généralisez,  ou  particu- 
brise,  partout  où  vous  portez  un  jugement  collectif,  on  vous  ré- 
pond par  des  exemples  individuels. 

Ce  sont  ces  exemples  mêmes  du  zèle  des  bons  protestants  ,  dont 
je  veux  m'emparer  pour  défendre  votre  thèse,  en  adoptant  ainsi  un 
point  de  départ  différent  du  vôtre  pour  arriver  aux  mêmes  conclu- 
sions. 

En  effet,  on  a  dit  que  rien  ne  démontre  mieux  la  nécessité  de  la 
religion  que  l'impuissance  des  efforts  faits  pour  s'en  passer.  De 
même,  rien  n'a  mieux  prouvé  à  mes  yeux  la  stérilité  du  protestan- 
tisme sous  le  rapport  de  la  charité  que  l'impuissance  des  énormes 
efforts  faits  en  Angleterre  pour  le  rendre  fécond,  et  ce  sont  ces  ef- 
forts dont  je  veux  esquisser  le  tableau,  rechercher  les  résultats, 
puis  constater  l'inutilité  désolante. 

I.  Je  ne  renouvellerai  donc  pas  la  peinture  effrayante  des  misè- 
res décrites  avec  tant  d'éloquence  par  les  écrivains  que  vous  citez. 
Ce  qu'ils  ont  vu,  je  l'ai  vu.  Ma  mémoire  est  encore  tout  assombrie 
par  ces  épouvantables  impressions.  Ce  qu'ils  ont  dit  n'est,  hélas  ! 
que  trop  véritable. 

On  peut  se  sentir,  devant  de  pareils  spectacles ,  soulagé ,  comme 
catholiques  et  comme  Français,  du  poids  de  ces  injustes  calomnies 
qui  présentent  toujours  les  nations  catholiques  et  la  France  comme 
le  théâtre  d'une  misère  qui  est  l'opulence  ,  et  d'une  infortune  qui 
est  le  bonheur,  comparées  à  la  misère  et  à  l'infortune  dont  l'Angle- 


22  LfcTTKE  DE  M.   A.   COCIII.l 

Icrrc  présente,  à  côlé  de  tant  de  ^'randeur,  rafniueantcunlr.isle  1  . 
Mais  un  se  sent  tellement  liiin)ilie  et  alliisté  comme  liumme,  qu'on 
a  hâte  de  reporter  ses  regards  vers  des  objets  plus  consolants,  el  je 
veux  vous  les  présenter  : 

Lisez  le  curieux  livre  de  M.  Sanipson  Luw  (1852).  Il  signale, 
pour  Londres  seulement  et  ses  environ  ,  V91  sociétés  ou  établisse- 
ments charitables,  dont  plus  de  la  moitié  ont  été  fondés  dans  ce 
siècle  ;  leurs  revenus  sont  d'environ  4d, 000,000  Ir.  ^2;. 

(1)  Il  serait  hicii  temps,  d'nilleiirs.  de  bannir  des  diseiissions  sérieuses 
CCS  calomnies  sur  la  misère  relative  des  nations  callioliques  et  protestantes. 
A  part  danlres  raisons,  la  statistique,  science  peu  partiale  assurcrnetit ,  a 
déjà  fait  justice  de  ces  comparaisons  arbitraires. 

Les  auteurs  les  plus  expérimentés  (  notamment  .M.M.  de  Lurieu  et  Kumand, 
des  colonies  agricoles),  se  servent  communément  de  la  table  ci-jointe,  dans 
laipielle  on  peut  justement  contester  les  cliilTres  qui  représentent  le  nombre 
absolu  des  pauvres  ,  mais  non  les  proportions  relatiNCs  établies  entre  les  di- 
verses nations  : 

Echelle  comparative  des  nations  européennes  classées 
par  rapport  au  nombre  des  indigents. 


Protestants. 


/Angleterre,  ^  in<ii^ent    sur     (i  babilanls. 

\  Pays-Bas,  J             -              7        - 

y. Suisse,  I               —               10          — 

Allctnagnc,  I                             'J<l         — 

1  France,  I                             ■_•<•         — 

ratho(„jurs.  ^^^„i,i^,„,         ,  ^         iri      - 

l'rotrstanls.       Dancniarck.         I  —  i.*>         — 

(  Italie,  t  —  i'i         — 

Catholiques,   j  p„ri„ga|,  j  _  ^25         - 

Protestants.      Suède,  t  —  i5  — 

Catholiques.      Espagne,  I  _  j<)  _ 

Protestants.       Prusse,  I  —  T^^)  — 

Tunpiic.  I  —  -iO  — 

Russie,  I  _  100  _ 

SI  Ion  remarque  que  les  <leux  dernières  contrées  sont  des  pays  de  ser- 
vage, —  qui!  na  disjjaru  (|ucii  |H<»7  .1  tSll  en  Prusse,  pays  daiilcurs  si  nou- 
veau, si  complètement  tranformé  depuis  riiKjuanlc  ans  {V.  le  livre  de  .M.  Di- 
tecrici),  et  composé  de  populations  catlioli«|ues  cl  protestantes,  —  que  la 
Suède  et  le  Danemarck  sont  peu  peuplés,  eu  égard  à  leur  territoire,  etc.,  — 
en  un  mot,  si  l'on  se  borne  it  comparer  les  contrées  comjMirables,  l'avantage 
j  l'honneur  des  contrées  catholiques  est  énorme. 

(2)   J  emprunte  au  I.Uernry  (iazettf  (  IW4)  une  autre  Nialisliquc  dont  le 


A.    K.    A.    MCULAS.  23 

Encore  cet  auteur  ne  comptc-t-il  pas,  soit  les  grands  élablisse- 
inenls  de  l'Iîlat,  comme  (Ireewicli ,  soit  les  écoles  paroissiales,  soit 
surtout  ces  remarquables  et  puissantes  corporations  de  la  cité,  dont 
les  plus  importantes,  bien  antérieures  i^  la  Réforme,  ont  des  reve- 
nus et  distribuent  des  aumônes  énormes.  Ainsi  la  corporation  des 
Fishmoiujers  (fondée  en  1*28V)  a  au  moins  300,000  fr.  de  rente,  et 
celle  des  Goldsmilh  (1327)  a  environ  un  million  de  renie.  La  plus 
grande  partie  est  distribuée  en  aumônes;  une  grosse  somme  est 
employée  en  dîners.  Qu'étaient  les  biens  des  monastères  où  l'on 
jeûne  auprès  des  biens  de  ces  corporations  où  Ton  dîne? 

Comprenant  dans  ses  évaluations,  non  plus  Londres  seulement, 
mais  l'Angleterre  tout  entière,  et  ses  17  millions  d'habitants, 
M.  Robert  Pashley,  dans   un   ouvrage  récent  fort  remarquable 


résultat  est  encore   supérieur.  —  Londres  possède  530  établissements  de 
charité  : 

9:2  hospices,  ayant  nu  revenu  annuel  de 2G6,92[>  1.  st 

12  sociétés    dhygiène  et  de  morale 5o,7t7 

17        —        pour  les  prisons 59,486 

13  —        pour  les  accidents  des  rues 18,526 

14  —        pour  les  accidents  spéciaux 27,387 

jKi        —        pour  les  ménages  mixtes  de  Juifs.  10,000 

19        —        pour  les  artisans 9,124 

12        —        pour  les  pensions 23,667 

la        —        pour  aider  le  clergé 3.5,501 

52        —        pour  diverses  professions 33,467 

50        —        pour  le  commerce 2.j,000 

186      asiles      pour  les  vieillards 87,630 

9        —        pour  les  aveugles  et  sourds-muets.  2o,0o0 

15  —        pour  les  orphelins 45,4^5 

la        —        pour  les  enfants  des  écoles 88,228 

21    sociétés   pour  l'augmentation  des  écoles...  72,247 

43        —        pour  les  missions  intérieures 519,703 

14        —        pour  les  missions  étrangères 439,638 

3        —        non  classées 5,232 

530  1,642,653 

La  vente  des  livres  religieux  produit 100,0(10 

Auxquels  il  faut  ajouter,  pour  revenus  divers.  160,000 

Les  établissements  de  charité  de  Londres  ont 

donc  un  revenu  annuel  d'environ 1,902,653 

Ou 47,363,873  fr. 


2i  l.tTTKK  l»K  «.     \.   f;«H'HI> 

(Pftuprrism  ami  l'twr  lituir,  IH.Vi',  eslimc  nin<l  Ip«?  rfs«:oiirt  < 

luirllfs  d«'  la  charili^  : 

Fuiidatioiis  anciennes  paroissiales.  :}0,0(>().(MH)  d 

Divers  iK'n.itauv  cl  t'lal)lissciiuMits.  oO.CMMï.OOO 

AiMiu'duîs  iii(li\  idiiclli'S   jiar  a|i|mt\i»ualioii  .       1()0.0()(),0(K) 

Ta\o  des  pauvres.  150,000.000 


ïolal.  330,000,000  fr. 

\  oil»  cerli'S  d'amples  sa(rili(  i'-.  mir  ;:r.iinl»'  arlivilr,  un  sujet  de 
sincère  admiration. 
Mais  ce  n'osl  pas  (oui. 

On  a  consacré  aux  pauvres,  en  Anglelfiii".  inii»->L'uU'MMni  l»r.»u- 
coup  d'arf^cnl,  mais  une  (juanliu*  exlraordinaire  de  lois,  sans  comp- 
ter les  rej;lenienls  et  la  jurisprudence. 

M.  Lundev,  dans  son  recutùl  spécial  1HV2  ,  a  soin  de  prévenu 
qu'il  a  réuni  ou  cité  seulement  les  statuts  importants  et  en  vijfueui , 
et  il  en  cite  cent  di\-scpt,  depuis  le  fameux  statut  d'IMisabelli.  Kn- 
core  M.  Lumiev  a-t-il  dû  publier,  en  18o2,  un  second  volume  de 
supplément. 

IMus  nombreux  encore  cpie  les  lois  sont  les  livres,  les  mémoiro, 
les  Ltius  buokf  ,  les  recherches  de  tout  ^enre  ,  soit  oUicielles,  soit 
dues  au  /ele  des  particuliers  qui  se  sont  consacrés  en  Aufjleterre  à 
létude  jle  la  >itualion  des  liasses  pauvres  et  des  moyens  de  l'amé- 
liorer. Nulle  part  la  statistique  n'a  tiresse  des  niii  rosropes  plus  puis- 
sants et  recueilli  plus  de  faits.  Outre  la  grande  enquête  en  huit  vo- 
lunies  (pii  jirécéda  le  f'oor  Inir  nnicndinn'.t  arl  de  IH.'V».  les  rapports 
«le  la  commission  d'en(|uéle  sur  les  charités  ,  en  \n^;lelerre,  occu- 
|)cnt  quarante  volumes.  Les  rapports  des  inspix'teurs  des  manufac- 
tures, du  /\>or  liiic  bnani,  du  fluanl  of  I/rallh,  etc.,  f^rossissenl  cl  se 
uuillipiient  chaque  année  {V. 

Les  particuliers  montrent,  à  la  pourstiite  des  mêmes  questions , 
une  patience,  une  curiosité,  une  originalité  tout  à  f.iil  liritanni<|ues. 
Dans  l'ouvrage  si  curieux,  quoique  iiwonqtlil,  de  M.  Ilcnry  MaybeW 
{/xmdun  poor  and  Lmdon  labour:,  on  lit  la  nujuographie  de  tous  le-i 
plus  petits  marchantls  forains  :  rin(Iu>trie  du  inarrhund  dm  quatre 
taisons,  celle  du  Kiinafseur  dr  houh  de  cùjam  ,  Sont  classées  ,  décri- 
tes, étiquclécs.  On  trouve  dans  le  même  livre  des  cartes  géojçraphi- 

(I)  M.  .Navillr  rilr  le  rlnllrr  .Ir  :>,i«»:i.lllK>  fr..  immm  1rs  .Ié|»cn*c5  ^eulcs  de 
rC%  riitpièles  cii  |Ki>*. 


\  M.  A.    NICOLAS.  25 

quns  -^  peine  (•ro}'al»los ,  destinées  A  indiquer,  par  des  tcinlcs  plus 
ou  moins  foncées,  des  lenseif^nenienls  tels  (juc  celui-ci  (je  nne  garde 
bien  de  traduire  en  français)  : 

<V(j;j  ihuu'itKj  llie  Dunihcr  of  proved  raseii  ofullenipliiKj  la  procure 
thc  migcarricKjc  ofwomctr,  in  eccry  10,000  illegilimate  birtli. 

Ou  bien  encore  : 

Map  s/ioinny  tin-  nuwhcr  of  persans  cotnmilled  for  biyamij,  etc. 

Je  cite  cet  ouvraj-o  justement  pour  montrer  jusqu'où  va  l'excès 
des  recherches,  mais  sans  le  mettre  assurément  à  côté  de  beaux  li- 
vres comme  celui  de  M.  Pashlc} ,  comme  le  rapport  de  M.  Coode, 
ou  les  ouvrages  plus  anciens  de  Chalmers,  d'Alison  et  de  tant  d'au- 
tres écrivains. 

C'en  est  assez ,  ce  me  semble  ,  pour  prouver  qu'en  Angleterre  ni 
la  sollicitude  ne  manque  au  gouvernement  et  aux  législateurs,  ni 
le  zèle  aux  particuliers,  ni  la  générosité  aux  riches  ,  à  l'égard  des 
pauvres. 

Mais  quel  a  été  le  résultat  de  ces  efforts  gigantesques? 

II.  «  En  un  siècle  (17^8-1848),  dit  M.  Robert  Pashiey,  la  popu- 
lation de  l'Angleterre  a  triplé  à  pou  près;  durant  le  même  temps, 
le  paupérisme  ofliciellemenl  constaté  est  devenu  htiit  fois  plus  nom- 
breux. « 

La  taxe,  qui  était  d'environ  16  millions  en  1680,  a  atteint  195 
millions  en  1817,  et  est  presque  constamment  restée  depuis  au  chif- 
fre de  150  millions.  Diminuée  depuis  1834,  grâce  à  la  baisse  du 
prix  du  pain  el  à  l'action  du  Poor  kixo  hoard ,  et  réduite,  en  1837, 
à  100  millions,  elle  recommence  à  augmenter,  et  a  atteint  130  mil- 
lions en  1848,  et  125  millions  en  1850,  quoique  le  blé  ait  baissé  dans 
la  pro[)orlion  de  25  shillings  à  i2,7  le  quarter.  Avant  1834,  elle  ab- 
sorbait à  peu  près  le  sixième  du  revenu  net  de  la  propriété  foncière, 
et  l'enquête  a  signalé  des  cas  où  la  taxe  avait  totalement  absorbé 
tous  les  biens  d'une  paroisse  entière  (1). 


(I)  Rapport  des  eommissaires  royaux  de  Venquêle  sur  l'administration  des 
lois  des  pauvres ,  1854.  j).  61.  «....  Dans  la  paroisse  de  Cholesbury,  comte 
de  Biicks,  paroisse  dont  la  population  est  restée  à  peu  près  stationnairc  de- 
puis 1801 ,  la  taxe  était,  à  une  époque  dont  les  vieillards  se  souviennent  en- 
eorc ,  seulement  de  10  I.  It  sh.  par  an ,  et  une  seule  personne  recevait  des 
secours.  Mais  la  taxe  s'est  élevée  à  99  1.  4  sh.  en  1816,  a  atteint  450  1.  5  sh. 
en  1851 ,  et  s'élevait  à  567  1.  en  1852,  (juand  il  devint  impossible  de  conti- 
nuer sa  perception,  les  propriétaires  ayant  renoncé  à  leurs  revenus,  les  fer- 


2(»  i-iiTiiK  m.  «,    V.  (.<)«;iii>. 

Eus  iiuii  Iroi'  iiiilliuiis  cit;  |m>i>oimics  rccoiNcnl  l»'S  si'r(Mir>  piihlirs  ; 
t't'Sl  plus  criin  >i\u-iiif  (le  la  popiilaliuii  «le  rAii^Iflrriv  «'l  du  pa>s 
de  (îallos,  l'Irlande  non  loinprise.  Sur  ce  nomlirc,  il  v  a  plusdi; 
300,000  adulles  validée,  «  lorsque  l'Aulriclit'  n'a  (piiirif  aimée  de 
228,000  soldais  (1).  » 


iniois  ;i  Irur  •■\ploi(;ilion,  le  pastriir  ;i  sa  dimo.  Le  paslnir,  M.  Jrsion,  rapporte 
iju'fii  octobre  ^H7^-2,  |ps  olliciers  de  la  paruissiC  arrèlèreiit  leurs  livres,  cl  les 
pauvres  s'asseiiibièrent  à  sa  porte  pendant  qu'il  était  au  lit,  deniandaiil  con- 
seil et  assistance.  En  partie  par  ses  petites  ressources,  en  partie  par  la  cha- 
rité des  voisins,  en  partie  par  des  taxes  levt'-es  sur  les  paroisses  voisines,  ils 
furent  secourus  quelque  temps.  Mais  le  liicnfaisaiit  pasteur  enga)rpD  b  diviser 
toute  la  terre  entre  les  |)auvres  validrs,  ajoutant  (piil  a\ait  lieu  d'espt'rer 
qu'après  deux  ans,  pendant  lesquels  les  paroisses  \oisines  leur  \ien(lraieiit 
en  aide ,  ces  pauvres  se  suiliraient  ainsi,  ù  iescvption,  bien  entendu,  des 
vieillards  et  des  impotents,  .\insi,  ù  Cholesbnry,  la  charge  des  pauvres  n'a 
pas  seulement  avalé  (strallotcel  up)  la  valeur  entière  du  pays,  il  faut  en  ou- 
tre l'assistance ,  pendant  deux  ans,  d'autres  paroisses,  pour  mettre  les  vali- 
des, auxquels  on  abandonnait  le  territoire  entier,  en  étal  de  se  suflire;  en- 
core les  vieillards  et  les  iriqjotcnls  restent-ils  à  la  charge  des  paroisses  voisines. 
Heureusement,  on  ne  nous  a  pas  .signalé  beaucoup  de  cas  semblables...  > 
(1)  D'après  les  rapports  «lu  Pnor  lair  bonrd,  le  chiffre  devrait  être  réduit 
à  un  million  environ.  Mais,  commclc  remarque  très-judicieusement  M.  Pash- 
ley,  ces  rapports  ne  tiennent  eonq>te  que  du  nondirc  des  pauvres  qui  figu- 
rent sur  les  états  officiels  ù  deux  épo(|ues  de  l'annce,  le  1"  janvier  et  le  1" 
juillet.  Ce  n'est  pas  plus  indiquer  le  nombre  des  pauvres  secourus  dans  l'an- 
nce que  les  eenttiines  tlindixidus  tpii  existent  .i  un  jour  donné  dans  la  pri- 
son de  (loldlialh  Field  uii  dans  l'hôpital  de  Saint  Thomas  ne  représentent  les 
milliers  d  iiidi\idus  qui  entrent  dans  ces  établissements,  ou  en  sortent  dans 
le  cours  d'une  année.  De  longs  calculs  et  les  informations  les  plus  multipliées 
conduisent  cet  auteur  à  cette  aflirmalion  (ch.  I,  j).  H)  : 

«...  J'ai  toutes  les  raisons  suffisantes  pour  induire,  on  tenant  compte  de 
toutes  les  déductions  ù  opérer,  que,  pendant  les  dix  dernières  années,  le 
paupérisme  a  compris  eiixiron  trois  fuis  plus  de  pauvres,  chatpie  année,  que 
«eux  (|iii  sont  constatés  comme  secourus  \ehar{jiitMe  à  tel  jour  donné.  \x 
inillioii  inili(pjé  représente  donc  trois  millions,  sur  lesquels  environ  ôl)0,t)t)0 
sont  secourus  in-dnor  (dans  les  vvorkiiouscs),  2.70(),IK)0  out-door,  i  l'exté- 
rieur. » 

Il  ajoute,  page  r>t)  : 

.  yuc  T)  millions  de  ses  habitants,  appartenant  à  une  classe  ignorante,  dc- 
grailéc  et  misérable,  reçoivent  des  secours  publics,  que  ce  nombre  indique 
l'existence  dune  classe  plus  nombreuse  enrore  à  lacpicllc  appartiennent  ces 
pauvres,  classe  peu  s'en  faut  aussi  ignorante  ,  aussi  dégradée .  aussi  misera- 
ble  qu'euxinénies:  c'est  re  qui  mérite  i'atlention  non-seulement  des  pliilan- 


A    .11.    A,    MCOI.AS.  27 

A  Londres  seulemcnl ,  In  taxe  est  répartie  entre  307,000  indi- 
gents (1),  à  peu  près  autant,  remarque  M.  Pasbiey,  qu'il  y  avait  de 
Romains  nourris  par  la  patrie  sous  Jules  César,  au  ténioignajïe  de 
Suétone  et  de  Dion  (>assius.  Les  secours  des  corporations,  des  pa- 
roisses et  des  particuliers  tombent  dans  les  mains  du  double  de  ce 
nombre  de  pauvres  (2),  cnsorle  (|ue  Londres  a  réellement  environ  1 
pau>re  sur  quatre  babilanls,  et  olliciellement  1  sur  8,  tandis  que 
Paris  n'a  que  1  pauvre  recevant  les  secours  publics  sur  16  habi- 
tants (3). 

Cette  misère,  si  étendue,  est-elle  profonde?  Hélas  !  le  degré  de  la 
misère  est  plus  efTrayant  encore  que  le  chiffre  de  la  misère.  C'est 
ici  qu'il  faut  se  souvenir  des  effrayanis  tableaux  que  nous  avons 
voulu  éviter  et  auxquels  nous  ajoutons  ce  seul  Irait  :  Tandis  que 
les  pauvres  ne  sont  que  le  sixième  de  la  po[»ulation,  la  mortalité 
parmi  eux,  chaque  année,  est  le  tiers  ou  le  quart  de  la  mortalité 
générale. 

iMais  voici  le  fait  saillant  et  caractéristique  : 

Les  campagnes  sont  plus  misérables  que  les  villes  ;  les  villes  ma- 
nufacturières elles-mêmes,  avec  leur  activité  semblable  à  un  tour- 
billon ,  recèlent  moins  d'infortunes  que  les  campagnes.  C'est  l'in- 
verse de  ce  qui  se  passe  partout  ailleurs. 

Malgré  les  magnifiques  progrès  de  l'agriculture,  malgré  le  dé- 
veloppement des  chemins  de  fer  (que  l'on  soumet  à  la  taxe  des  pau- 
vres quoiqu'ils  ne  produisent  pas  un  seul  pauvre)  ,  malgré  l'éléva- 
tion du  revenu  de  la  terre ,  qui  a  presque  doublé,  entre  1790  et 
1820,  les  comtés  agricoles  sont  accablés  d'un  excès  énorme  de  pau- 

lliropes  chrétiens,  mais  des  polili(|ues  pratiques,  et  il  est  grand  temps  qu  ils 
se  vouent  à  faire  faire  quelque  progrès  à  l'instruction  et  à  la  condition  de  la 
masse  d'i  peuple.  » 

(i)      In-door 69,000 

Ouldoor 258.C00 


507.000 
(2)   «  Ajoutant  les  secours  de  diverses  sources  à  ceux  qui  sont  régis  par  la 
loi  des  pauvres,  nous  constatons,  pour  le  paupérisme  de  la  capitale,  une  dé- 
pense de  1,200,0001.  st.  (50  millions),  distribués  entre  800,000  pauvres....  » 

(5)  Chiffre  officiel  du  recensement  de  18o5. 

Nombre  de  ménages.  29,li2 

Nombre  d'individus.  Go,264 

Population.  1,035,262 

Rapport.  1  .sur  16,1 


2S  I  KTTRI:  l'i;  M.    \.  «(»(im 

l>^nsini*.  (iuiiipaiL'S  avec  une  extrôme  sngacite  aux  districts  inanii- 
facluriers  l),  par  M.  Pashlev,  ils  oiïrent  toujours  une  infériorité 
foiiî*i(lt'rable  ,  au  point  (jue  ,  dans  les  dix  i  onitt's  (|ui  sont  l'objet  de 
l'itude  de  cet  auteur,  comtes  (jui  sont  la  résidence  choisie  de  l'a- 
rislocralie,  el  lu  pays  par  excellence  de  l'agriculture  (â),  il  y  a 
(chose  à  peine  irovalile  plus  de  pauvres  forcés  de  s'adress<'r  à  la 
|)<iroisse  qu'en  Irlande.  •<  liéias!  »  s'écric-t-il  avec  une  indignation 
(|ui  D'alténuu  pas  de  pareils  faits,  «  la  race  (idèle,  boonète  et  in- 
.'  dustrieuse  des  Anglo-Saxons  serait-elle  dégradée  au-dessous  du 
»  niveau  des  Celtes!  » 

Sous  le  rapport  de  Vélat  moral,  même  décadence,  même  renver- 
sement des  faits  observés  dans  les  pays  catholiques. 

Dans  les  campagnes  non-seulement  l'ignorance  3  est  |)lus  grande 
que  dans  lus  villes,  mais  Tintempérancc,  les  délits  contre  la  pro- 
priété, les  naissances  illégitimes,  y  sont  infiniment  plus  communes, 
et,  chose  incrovable  I  l'aliénation  mentale  y  est  beaucoup  plus  fré- 
quente. De  quelle  atmosphère  morale  sont  donc  entourés  ces  mal- 
heureux qui  deviennent  fous  sous  le  ciel  bleu  et  a'.i  milieu  de  l'air 
pur,  plus  souvent  encore  que;  dans  la  vie  agitée  et  malsaine  des 
villes  ! 

Je  pourrais,  Monsieur,  multiplier  les  chifTrcs  et  les  exemples.  Les 
affirmations  qui  précédent,  appuyées  sur  des  documents  authenti- 
ques, suffisent  anq)lem«'nt  pour  laisser  tout  esprit  généreux  sous  le 
poids  d'étranges  (oniradiclions  dont  il  faut  absolument  sortir. 

Tant  d'argent,  et  pourtant  toujours  tant  de  misère  ; 

Tant  d'associations  religieuses  et  morales ,  et  si  peu  de  morale  et 
de  religion  ; 

Tant  de  lois,  et  toujours  tant  de  désordres  et  de  crimes. 

r/est  lu  un  affreux  problème,  cl  si  j'étais  .Anglais,  je  ne  pourrais 


il)  l,:mta>lrr.  Sl.ntTi.nl,  WfslUi.liiij:  (Il  \orsksliirp. 

(i)  Urclfonl,  IJorks.  Hiicks,  I)..rMl,  Ksspx,  Norfolk.  Oxford,  SufTolk,  Snv 
»c»,  Wills. 

(ô)  .M.  Clay,  cUa|)claia  «Je  la  prison  il.-  l'rt>loii .  s'exprime  ainsi,  dan»  un 
rap|M»rl  :  «  Kn  IH50,  sur  UVA't  prisomiiors  niàlcs,  jVn  ai  trouvi'  074  qui  ne 
savaient  pas  lire  ,  (546  ij^noraionl  le  nom  du  Sauveur  et  ne  «.avaient  pas  un  mol 
de  prière,  tili  ne  pouvaient  pas  réciter  dans  leur  ordre  les  noms  des  mois 
de  laimtc  ;  mais  710  connaissaient  parfaitentenl  le»  aventure»  de»  voleurs 
Turpin  el  Jacques  .Slie|)pard,  el  les  adnnraienl  comme  les  amis  de»  pauvres, 
disant  que  s'il»  avaient  volé,  ils  na\ aient  fail  que  voirr  In  rirhff  rn  fnrrui 
flrs  pnuvrr».  • 


A   M.  \.    .M«.:(»I..\S.  29 

me  consoler  de  voir  mon  |uiys  se  personDifier  ainsi  sous  les  Irails 
liop  coniuis  du  vieux  Sisyphe;  encore  le  fardeau  de  Sisyphe 
ne  faisait  que  retoniher  sans  cesse,  mais  s'il  eùl  chaque  fois  dou- 
blé de  pesanteur,  il  Teût  iufaiilibleinenl  écrasé. 

III.  Les  tnorjt'iis  de  la  charité,  en  Angleterre,  étant  si  grands,  et 
les  résultats  si  insuffisants,  quelles  peuvent  être  les  causes  de  cette 
stérilité? 

Il  serait  téméraire  et  puéril  de  prétendre  résoudre  en  quelques 
pages  une  question  si  complexe.  La  logique  est  le  pas  de  la  pen- 
sée ;  or,  raisonner  trop  vile  ,  en  un  sujet  si  difficile  ,  c'est  comme 
marcher  trop  vite  sur  un  terrain  scabreux  et  s'exposer  à  faillir. 

Voici,  en  effet,  l'erreur  grave  de  raisonnement  qu'il  faut  éviter  : 

Supposer  que  tous  les  progrès  du  paupérisme  viennent  des  dé- 
fauts de  la  charité,  c'est  conclure  du  nombre  des  maladies  à  l'inha- 
bileté des  médecins.  Sans  doute  cette  inhabileté,  sans  doute  encore 
l'étal  arriéré  de  la  science  médicale,  et  l'inobservation  générale  des 
préceptes  les  plus  élémentaires  de  l'hygiène,  ont  une  influence  con- 
sidérable sur  le  nombre  et  le  résultat  des  maladies,  mais  elles  n'en 
sont  pas  nécessairement  la  cause,  et  sjrlout  la  cause  w»i(/uf.  Un 
Irès-bon  médecin  est  quelquefois  impuissant. 

De  même,  l'absence  de  l'esprit  de  charité  dans  une  nation,  et  les 
mauvais  moyens  employés  pour  soulager  ou  moraliser  les  classes 
pauvres,  ont  une  influence  considérable  sur  les  progrès  du  paupé- 
risme, mais  ce  mal  est  si  complexe,  qu'il  serait  injuste  d'accuser 
de  tous  ses  progrès  l'impuissance  des  moyens  charitables  employés 
pour  le  combattre. 

Il  serait  facile  de  rattacher  ces  observations  à  des  considérations 
générales  sur  le  rôle  de  la  charité  an  milieu  des  sociétés  chrétien- 
nes. Si  elle  doit  se  dévouer  à  toutes  les  misères,  quelle  qu'en  soit  la 
cause,  comme  le  soldat  doit  s'attaquer  à  tous  les  ennemis,  quel  que 
soit  leur  nombre  et  l'origine  de  la  guerre,  cependant  on  peut  dé- 
montrer qu'il  est  des  causes  de  paupérisme  qu'elle  n'est  pas  nalu- 
rellement  destinée  à  combattre.  Son  divin  auteur  ne  l'a  pas  desti- 
née à  suppléer  le  travail  ni  à  autoriser  le  vice. 

Or,  quand  une  partie  de  l'organisation  sociale  est  défectueuse, 
quand  des  perturbations  accidentelles,  mais  fréquentes,  surexci- 
tent, puis  anéantissent  brusquement  le  travail;  quand  une  fatale 
imprévoyance  entraine  dans  les  mêmes  carrières  plus  d'individus 
qu'elles  n'en  peuvent  occu[»er;  quand  une  mauvaise  répartition  de 


'M)  LETIRt    DK   M,    K.    CUCIII^ 

l;i  |H>|)ulatiuii  multiplie  les  causes  de  \icc  en  acniniubiit  le»  lium- 
nies  sur  les  m<^iiics  |x)inls,  en  délniisant  le  mélange  nainrel  el  salu- 
taire des  riches  et  des  |»aii\res;  (|iiarid  les  lois  t'axorisent  telle  ou 
telle  partie  de  la  natiun  ;  en  un  mot,  quand  aux  pauvres  déjà  si 
nombreux,  qui  sont  pauvres  par  la  nature  et  la  condition  humaine, 
s'ajoutent  les  pauvres  qtie  fait  la  société,  alors  la  charité,  comme 
un  vaillant  capitaine;  acrahlé  jiar  des  forces  trop  considérables,  se 
dévoue  mais  succondie,  et  peut  ôtre  vaincue,  sans  cesser  d'ôire  hé- 
roïque. 

(Juelqucs-unes  de  ces  conditions  sont  aujourd'hui  communes, 
quoiqu'à  des  degrés  divers,  à  la  plupart  des  sociétés  cbréliciuies  : 
la  France  comme  l'Angleterre,  comme  la  Belgique  ,  comme  TAlle- 
magne. 

Mais,  en  étudiant ,  en  calculant  le  degré  d'influence  de  chacune 
des  causes  du  paupérisme,  on  peut  aussi  calculer  le  degré  d'in- 
fluence de  chacun  des  niovens  employés  à  détruire  ces  causes,  et 
c'est  celle  élude  qui  conduit  à  distinguer  entre  les  diverses  nations 
et  à  constater,  à  expliquer  l'absence  du  véritable  esprit  de  charité, 
et  la  stérilité  presque  (ompléte  des  elForts  tenlés  pour  soulager  les 
pauvres  en  Angleterre. 

Il  devient  vile  évident ,  par  cette  élude,  que  la  cause  principale 
d«i  |)aupérisnie  en  Angleterre  est  de  Tordre  moral  |tlut("'t  (|ue  de 
l'ordre  |H)liti(|ue  ou  matériel ,  et  (|u'elle  n'est  pas  a«jtrc  chose  que 
rinsuriisatue  de  la  religion  chargée  d'entretenir  dans  la  nation  l'es- 
prit de  charité,  el  de  rendre  eflicace  cl  morale  l'action  de  la  cha- 
rité. 

Je  réduis  donc  le  problénie  à  celle  formule  en  quelque  sorte  ma- 
thématique :  fiant  dnnnr  Ir  même  degré  de  paupèriime,  et  les  même* 
remmrcr*  pour  Ir  romhattrr,  Ir  prolrflanti.^me  produit  uti  effet  inrnm- 
purahlrment  tnoitis  ijrand  que  Ir  ciilholicifme,  et  cette  différence  neit 
e.rpUcnble  que  par  l'infériorité  des  moyens  moraux  dont  dispose  le  pro- 
tcflantiame.  Avec  peu  ,  le  catholicisme  fait  beaucoup;  avec  beau- 
coup, le  protestantisme  lait  peu,  et  |M)ur  ainsi  dire  rien. 

La  [dupart  des  écrivains,  soit  anglais,  soit  français,  ne  sont  pas 
de  cet  a\  is,  et  choisissent  entre  |)lusieurs  causes  auxquelles  on  peut 
attribuer  les  maux  <|ue  nous  anaivsons. 

Les  révolutionnaires,  <\ui  prennent  l'audace  pour  la  profondeur, 
attaquent  avec  acharnement  l(»ule  la  coiisiiiniion  s(M-iale  do  l'An- 
gleterre, l'aristocratie,  la  traiismisKion  de  la  propriété,  etc.;  loutre 
qui  n'est  pas  réforme  radicale  leur  semble  palliatif  puéril.    Je  me 


V    M.    V.    MCOI.AS.  31 

dispense  de  disculor  ces  doctrines,  el  je  confesse  que,  sauf  cerlai- 
ncs  réserves,  j'admire  hautement  la  constitution  sociale  de  TAngle- 
Icrro,  en  la  jiifïoanl  moins  d'apn-s  ses  princi[)es  «pic  d'après  ses 
friiils,  (pii  ont  été  In  paix  et  la  grandeur  iiu'oni|)aral)l(!  d'un  peuple 
assez  bien  inspiré,  assez  bien  organisé,  assez  bien  gouverné,  pour 
avoir  évité  les  orages  aux(niels  tant  d'autres  ont  failli  succomber. 

Kn  général,  les  auteurs  français  (]ui  ont  écrit  sur  ces  matières  ac- 
cusent l'énorme  développement  de  l'industrie,  ses  variations  désas- 
treuses, les  agglomérations  qu'elle  provoque.  Cette  cause  est  sé- 
rieuse en  elTet ,  et  nous  souscrivons  à  ce  qu'ont  si  bien  dit,  à  cet 
égard,  M.  Faucher,  M.  Buret,  et  les  rapporteurs  des  enquêtes  mul- 
tipliées qui  ont  amené  les  réformes  de  la  loi  des  pauvres  (182i),  le 
Factonj  acf  (18ii),  et  inspiré  aussi,  il  faut  le  dire,  beaucoup  d'heu- 
reux changements  tout  à  fait  spontanés.  Nous  nous  rappelons  celte 
définition  d'un  lord  illustre;  une  manufacture  est  une  invention 
pour  fabriquer  deux  articles,  du  coton  et  des  pauvres,  a  contrirance 
for  manufacturing  Uro  articles,  cotton  et  pnupers.  Mais,  sans  insister 
sur  des  reproches  si  souvent  reproduits,  il  convient  de  remarquer 
ceci  :  comment  l'industrie  appauvrit-elle  l'ouvrier?  Est-ce  en  le 
plaçant  directement  dans  de  mauvaises '"onditions  matérielles?  très- 
rarement,  surtout  en  ce  moment.  «  Depuis  dix-sept  ans  que  je  suis 
»  inspecteur  des  manufactures,  dit  dans  son  dernier  rapport  (mai 
»  1853),  M.  Léonard  Horner,  je  n'ai  jamais  vu  pareille  prospérité 

»  dans  toutes  les  branches  de  l'industrie Je  crois  que  les  ouvriers 

»  n'ont  jamais  été  mieux  ;  travail  constant,  bons  salaires,  nourri- 
»  ture  et  vêtements  à  bon  marché...»  Non,  l'ouvrier  industriel 
souffre  surtout  parce  qu'il  est  placé  dans  de  mauvaises  conditions 
morales,  soit  parce  qu'il  est  entre  les  mains  d'un  maître  immoral , 
(|ui  ne  fait  rien  pour  l'exciter  à  l'épargne,  à  la  tempérance,  à  l'in- 
struction ,  à  la  religion  ,  soit  parce  qu'exposé  dans  les  villes  à  plus 
de  périls  pour  sa  vertu  ,  à  plus  d'excitations  pour  ses  désirs ,  il  de- 
vient lui-même  immoral.  L'action  de  l'industrie  est  donc  une  ac- 
tion de  démoralisation  plutôt  que  d'appauvrissement.  D'ailleurs, 
puisque  les  classes  agricoles  sont  plus  malheureuses  que  les  classes 
industrielles  ,  ce  n'est  rien  expliquer  que  d'attribuer  tout  le  mal  à 
l'industrie,  de  même  que  ce  n'est  rien  corriger  que  de  proposer  des 
moyens  matériels,  puisque  le  mal  est  principalement  un  mal  moral. 
Les  auteurs  anglais,  pour  la  plupart,  voient  la  cause  des  progros 
du  paupérisme  dans  les  lois  mêmes  destinées  à  le  réprimer,  dans  le 
système  de  charité  légale,  et  principalement  dans  les  lois  fameuses 


32  lETItlL  DE  M.   A.   «;u(:iii.> 

sur  le  doinii  ile,  lo  dioil  de  roiilraindrc  les  ftaysaii^  à  y  ritlouriicr, 

(*t  la  taxe  obligatoire. 

(J(icl(|iu'.s  détail!»  sur  Thistoirc  et  Tcfipril  de  cns  lois  sotit  iivc(fi»ai- 
res. 

La  législaliuii  sur  los  |),'uivk>^,  eu  AiigU;lerre,  |)ful  ède  itailagcc 
nj  quatre  périodes  : 

1"  Depuis  ré(alilis>cin('iil  du  clirisliaiiiisnic  jus(|u'au  (pialui/icinu 
siècle,  il  n'est  guère  (|uc'stiuii  de  |)auperisu)c  cl  de  \agubuiidage. 
(^ela  est  dû  à  un  mal  et  ù  un  bien,  au  servage  cl  ù  r£glise.  Le  sei- 
gneur, avec  plui  ou  moins  d'Iiuniaiiilé,  prend  soin  de  ses  surfs.  L'fv 
glisc  a  re^'U  la  coutume  et  s'impose  l'obligation  de  subvenir  aux  be- 
soius  dos  pauvres  au  moyen  des  aumônes  des  lidèles;  il  est  de  rè- 
gle, aux  termes  des  canons,  (|u'un  quart  au  moins  de  ces  aumônes 
(loil  toujours  revenir  aux  pauvres.  De  plus  les  mona.Kleres  meltent 
la  pauvreté  volontaire  au  service  de  la  pauvreté  accidentelle.  Des 
précautions  et  des  dispositions  niullipliéos ,  contenues  dans  les  li- 
vres ccclésiaslicjues,  tels  «juc  le  Je  O/Jlciu  ilcmiusyuarii,  assurent  la 
prudente  et  tendre  dispensalion  des  secours.  Celle  maternelle  in- 
leivenlion  UMnpére  ce  (|u'a\ ait  de  dur  le  servage  qui,  au  rapport  de 
Froissard,  »  elail  pire  et  plus  étendu  en  Angleterre  «pie  partout  ail- 
leurs. M 

2**  A  partir  du  qualorzièmo  siècle  jusqu'à  la  réforme,  cinq  cau- 
ses me  paraissent  avoir  déterminé  un  véritable  débordement  de 
paupéri>me  : 

La  disparition  progressive  de  la  féodalité,  tpii  lais.M*  h>  fardeau 
tout  entier  des  classes  pauvres  à  l'figlise,  dont  les  biens  sont  insut- 
fisants  ; 

La  gratide  famine  de  Ll'iS,  (pii  enleva,  dil-on,  un  tiers  de  la  |>o- 
pulalion  ; 

L'intervention  n)aladroite  et  injuste  du  législ.ileur  ('2.'>,  Kdouard 
Ml,  *liitule  of  lahuiircii,  13.'iU),  (pii,  «mi  voulant  abaisser  les  salaucs 
malgré  la  diminulion  de  la  population  ,  lit  déserter  les  campaguos 
«'t  se  former  des  bandes  de  vagabonds  ; 

Les  gu«'ries  <  <)iilii»u('ll«'>  ,  parlirulirremeiit  les  uui'rres  d'Yoïk  «•! 
cl  Lancaster  ; 

Lnfin  le  dévcluppemenl  des  villes,  el  In  M^bsliludon  ;;ia(luelle  de 
la  giatidtr  i\  la  petite  propriété.  Le  nombre  des  |)roprielaires  |  i/ro- 
man,  Franklin),  au  témoignage  de  Fortescne,  était  plas  grand  que 
nulle  part  ailleurs.  C'est  dans  le  quinziènu*  et  le  siù/ieme  siècle  «pic 
la  propiii'tt'  s'agglomère,  et  au.o>il<')l  on  voit  démolir  les  babilalions 


^    M.    A.    MCOI.AS.  33 

drs  peliU  fermiers  et  des  pauvres,  etélendrc  les  pAtures.  Un  ber'rer 
cl  un  chien  prennent  la  place  de  populations  refoulées  vers  les  vV 
les.  La  loi  ^,'»,  Henri  VII,  — 25,  Henri  VIII)  estoblirrôn  d'interve- 
nir pour  défendre  de  détruire  les  coliafres  d  où  dépendent  20  acres 
déterre,  et  de  posséder  pins  de  2000  montons.  «  Ces  inoffensifs 
animaux,  dit  Thomas  Morus  (llopin),  dévorent  les  hommes.» 

3«  La  KéfornfKJ  mcl  le  comble  à  tous  les  maux  du  paupérisme. 
Irois  ans  après  avoir  fait,  dans  une  loi  sur  les  pauvres,  Télo-e  le 
plus  palehn  des  ordres  mendiants,  Henri  VIII  supprime  tous  les 
monastères  (1539).  Leurs  biens,  que  Burnel  évalue  à  un  dixième 
du  royaume,  sont  confisqués,  et,  au  lieu  dêlre  donnés  aux  pauvres 
entièrement  et  rapidement  dissipés.  Vous  connaissez  assurément. 
Monsieur  et  ami,  les  aveux  loyaux  du  protestant  Selden  sur  les  dé- 
sastreux résultais  de  ce  crime,  et  les  regrets  éloquents  qu'il  a  inspi- 
res de  nos  jours  à  un  autre  protestant,  M.  d'Israëli. 

A  Henri  VIII  remonte  la  double  honte  d'avoir  tari  la  source  de 
1  aumône  e|  en  même  temps  déchaîné  le  fléau  des  lois 

Sans  doute  il  y  avait  eu,  dès  les  plus  anciens  temps,  des  mesures 
législatives  ;  nous  en  avons  cité  de  fort  maladroites  sur  la  fixation 
du  taux  des  salaires.  Le  domicile,  ce  lien  naturel  entre  l'homme  et 
e  heu  qui  la  vu  naître,  soit  vivre  longtemps,  avait  été  souvent  dé- 
fini en  faveur  de  l'habitant.  On  voit  toujours  attacher,  quoique  par 
des  motifs  divers,  une  grande  importance  au  domicile ,  à  tous  les 
moments  do  1  existence  des  nations,   au  moment  où  l'invasion  se 
transforme  en  occupation ,  où  l'homme  se  fixe  et  s'attache  au  sol 
au  moment  où  il  repousse  à  son  tour  des  invasions  nouvelles  et  dé- 
fend ses  droi^ts  contre  de  nouveaux  venus,  enfin,  au  moment  où  la 
multiplicité  de  ses  relations  civiles  ou  commerciales  rend  nécessaire 
I  établissement  d'un  point  juridique,  centre  officiel  de  ses  affaires 
,  et  de  sa  famdie.  M.  Coode  cite  des  textes  sur  le  domicile,  extraits 
des  lois  saxonnes,  danoises  et  anglo-normandes,  depuis  le  septième 
Cl  le  huitième  siècle  jusqu'au  douzième.   Le  pauvre,  comme  tous 
les  autres  habitants,  a  besoin  que  son  domicile  soit  fixé,  et  il  l'est 
d  abord  dans  son  intérêt,  en  même  temps  que  les  lois  et  surtout  les 
prescriptions  de  l'Église  (1)  tracent  les  règles  les  plus  charitables  de 
1  hospitalité. 

Sans  doute  encore  d'autres  lois  avaient  été  justement  consacrées 

mun^l'uTv  "'"  ""  '"'^"P'''  '""''""'  ""'  suscipiendis  homibus  sine 
munere,  tire  d  un  ninnuscnt  ecclésiastique  du  onzième  siècle. 


.{1  Lmr.i.  i>K  }\.  K.  tiiKiiiN 

a  lu  répressiuii  du  vdijaOonilage,  el  dans  ces  luis,  cunime  dans  celles 
(Taulrcs  pa>s,  à  la  iiiOiiu'  i'|)0<|ue,  Tospril  brutal  des  siècles  féodaux 
cl  le  caraclère  particuliérenienl  dur  de  la  rare  unglo-saxunne  so 
pruduisonl  par  des  peines  (|ui  paraissent  bien  cruelles  aux  mœurs 
plus  buinaines  de  nus  temps,  où  nous  ne  voyons  plus  d'ailleurs  le 
vaj^abondaf^e  se  Iran^fornier  en  >rai  brifjamlaije  armé  [lois  d'Henri 
//I,\i:i'6,  Edouard  I,l-2S6,  Edouard  III,  13W-1363,  liichard  II, 
1288,  Henri  II,  IVOi,  I/niri  /,  lil3,  Henri  U,  1V27-1VVV,  Henri 
m,  1V95,  citées  par  M.  Coude).  Mais,  à  compter  dllenri  \  111 , 
cette  brutalité  n'a  plus  de  tempérament.  On  ne  lit,  dans  les  textes^ 
(jue  les  mois  de  geôles,  pain  et  eau ,  fouet ,  chaînes,  fer  rouge  au 
front ,  oreille  coupée ,  gibet.  «  Celte  partie  de  notre  histoire,  écrit 
Richard  Burn,  en  17Gi,  a  loul  Tair  de  rhisloire  des  sauvages  d'A- 
mérique, toutes  les  rigueurs  y  sont  nommées,  excepté  le  tatouage.» 
El  qu'esl-ce  que  c'est  que  le  tatouage  auprès  de  la  cruaulé  vrai- 
ment païenne  d'Edouard  VI  (1,  Edouard  VI,  c.  3),  qui  dispose  que 
les  mendiants  seront  réduits  en  e^ctavafje  au  profil  de  celui  qui  les 
dénonce,  ou,  s'il  refuse  cet  opprobre,  au  profit  de  la  commune. 

Mais,  sans  insister  sur  celle  alrocilé,  dont  l'indignation  publique 
fit  promptemenl  justice,  il  faut  constater  que  trois  principes,  en 
matière  de  secours,  rcmonlenl  à  la  réforme  : 

A  Henri  VUl  (27,  H.  VllI,  c.  25,  1536),  la  taxe  obligatoire; 

A  son  fds  Edouard  M  [l.  Ed.  M,  c.  3,  loi7],  le  droit  de  rcn- 
vover  de  force  le  pau\re  à  son  domicile  de  secours,  droit  renforcé 
par  Elisabeth  (  ik,  c.  5,  1572),  puis  par  une  loi  de  Charles  II  (14, 
Ch.  II,  1GG2),  i  laquelle  on  rapporte  communément  loul  le  mal, 
el  qui  passa  alors  pres(jue  inaperçue  ; 

A  sa  tille  Elisabeth,  l'obligation,  pour  les  paroisses,  de  procurer 
du  travail  aux  pauvres,  ou  ce  qu'on  nomme  aujourd'hui  le  droit 
au  travail. 

Les  auteurs  prulestants  accusent  surtout  la  mesure  de  Charles  II  ; 
mais  il  est  inconlcstablc  (jue  ces  trois  mesures  sont  la  conséquence 
l'une  de  l'autre.  Si  clia(|uc  [taroisse  doit  nourrir  ses  pauvres,  non 
pas  dans  la  mesure  de  la  libre  charité  de  ses  habitants,  unis  à  l'E- 
glise (ce  qui  est  le  principe  de  plusieurs  bulles  de  Pa[>es) ,  mais  en 
vertu  d'utu',  taxe  obligatoire,  il  est  clair  que  d'une  part  le  pauvre  a 
le  droit  de  demander  (|u'on  le  nourrisse,  et  de  l'autre  on  a  le  droit 
de  le  renvoyer  où  il  doit  être  nourri.  Or  (el  c'est  là  celte  ligne  dé- 
licate qu'il  est  si  ditlicile  de  ne  pas  dépasser),  en  apparence,  rien  de 
plus  simple,  en  réalité  .  rien  de  plus  désastreux.   Le  secours,  quoi 


A.    M,   A.    iMCOI.AS. 


35 


de  plus  juste,  le  domicile,  quoi  de  plus  naturel?  Oui,  mais  le  se- 
cours/brrJ,  c'est  l'impôt  inégal  et  illimité  mis  à  la  place  de  la  cha- 
rité ;  le  domicile  forcé  dans  une  des  15,535  communes  d'Angleterre, 
c'est  une  mesure  qui  donne  à  \\\\  pauvre  homme  la  15*^  millième 
partie  de  son  pays  pour  prison,  et  change  les  15,53^1-  autres  en  au- 
tant de  forteresses  dont  la  porte  lui  est  fermée  (1). 

Il  faut  rendre  toutefois  cet  hommage  à  Elisabeth,  qu'elle  s'oc- 
cupa beaucoup  des  pauvres.  C'est  à  elle  qu'est  dû  ce  fameux  statut 
43®  (IGOl),  qui ,  résumant  dans  ce  qu'elles  ont  de  plus  efficace  les 
lois  précédentes,  maintient  la  taxe,  prescrit  l'allocation  de  secours 
aux  impotents  et  aux  vieillards,  rétablissement  de  maisons  de  re- 
fuge, l'allocation  de  secours,  moyennant  travail,  aux  valides,  con- 
fie le  secours  à  l'administration  locale.  On  a  épuisé  envers  ce  statut 
toutes  les  formules  de  l'éloge,  et  on  le  regarde,  soit  à  cause  de  sa 
durée,  soit  à  cause  de  ses  principes,  comme  la  charte  de  la  bienfai- 
sance publique  en  Angleterre.  11  n'y  eût  pas  en  effet  de  nouvelle  loi 
pendant  soixante  années  ;  mais  on  avoue  que  celle-ci  fut  mal  exé- 
cutée dès  le  début,  les  agents  se  montrant,  selon  le  mot  de  lord 
Coke,  presque  partout  te'pidi  aut  trepidi.  La'  législation  d'Elisabeth 
ne  se  compose  pas  d'ailleurs  que  de  cet  acte ,  il  avait  été  précédé  de 
neuf  autres.  Cette  législation  présente  ainsi  le  même  caractère  de 
tâtonnements  et  de  variations  que  les  lois  des  règnes  précédents, 
et  que  celles  qui  suivirent ,  sous  Jacques  P*",  Charles  II ,  William 
III,  Georges  P'",  Georges  III,  etc.  Toutes  ces  lois,  depuis  la  réforme, 
oscillent  entre  deux  extrêmes  :  ou  l'on  se  délie  des  riches,  et  on  les 
taxe  ;  ou  l'on  se  défie  des  pauvres ,  et  on  les  parque  ,  on  les  punit , 
on  les  chasse.  «  Toute  cette  législation,  disait,  en  1796,  M.  Pilt,  en 
»  greffant  sur  de  mauvais  principes  de  mauvais  remèdes,  n'a  rien 
»  produit  que  confusion  et  désordre.  » 

Il  faudrait  un  volume  pour  résumer  tous  ceux  qui  signalent  les 
résultats  désastreux  du  système  de  charité  légale  en  Angleterre, 
résultats  qu'il  est  bon  de  mettre  sans  cesse  sous  les  yeux  de  ceux 
qui  le  souhaitent  en  France.  Mais,  sans  entrer  dans  plus  de  détails, 
je  crois  être  fort  modéré  en  demandant  qu'on  me  concède  seule- 
ment ces  deux  points  : 

Le  caractère  général  des  lois  que  nous  venons  de  citer  n'est  ni  la 


(1)  Le  discours  de  la  reine,  à  l'ouverture  du  Parlement  (18ï>4),  annonce 
heureusement  une  modification  de  cette  loi  du  domicile  force'',  qui  n'a  guère 
produit  que  des  vexations  et  des  procès  sans  nombre. 


30  rrmvE  de  n.  a.  r.orni>. 

roiiliaiuc  dans  la  cliarilf  du  riche,  ni  mie  grande  tendnîssc  pour  lo 

pauvre,  elles  ne  respirent  ni  n'inspirent  la  chariU^ , 

I,  abondance  seule  de  (  es  lois  ne  prouve  pas  une  ^;raii(le  abon- 
dance de  vertus.  Ouand  la  lui  louche  de  si  prés  ù  l'ordre  mural. 
c'est  pour  impo$er  les  vertus  que  la  religion  ne  sait  plus  intpirtr. 
La  loi  extérieure  vient  ainsi  au  secours  de  la  loi  inlrrieure  défail- 
lante. 

On  arrive  donc  toujours  ainsi,  soit  en  étudiant  l'état  des  pauvres, 
soit  on  recherchant  les  causes  de  la  pauvreté,  en  analysant  le^ 
maux  de  l'industrie,  en  parcourant  les  lois,  à  constater  ce  fait  prin- 
cipal, Vinsuffisance  de  l'ordre  t» oral  en  Angleterre. 

4»  Or,  les  réformes  de  183» ,  qui  sont  la  dernière  période  de  la 
législation  charitahle,  \iennenl  comme  à  propos  pour  conlirmcr 
cette  appréciation.  En  eflet,  ces  réformes,  d'abord  peu  im|>orlan- 
les,  si  l'on  excepte  la  création  du  Pvor  Inu-  hoard,  et  celles  qui  ont 
suivi,  sont  dues  A  un  mouvement  charitable  vraiment  trés-puis- 
.sant,  très-remarquable.  Mais  quel  esprit  l'inspire? 

Avant  tout,  le  désir  de  faire  intervenir  de  plus  en  plus  la  loi  et 
le  pouvoir  central.  On  demande  à  la  loi  des  mesures  sur  toutes  les 
conditions  de  la  vie  de  l'ouvrier  :  habitation,  salaire,  durée  du  tra- 
vail, instruction  primaire,  lectures,  plaisirs,  mariages,  et  sur  tous 
les  moyens  de  distribuer  la  charité,  taxe,  unions,  dons  et  legs,  fon- 
dations, etc.  On  demande  au  pouNoir  rentrai  des  agents,  des  bu- 
reaux, des  règles  pour  mettre  en  mouvement  toutes  ces  lois.  Knhn, 
on  demande  au  trésor  des  contributions  nouvelles,  et  c'est  à  qui 
proposera  un  s>  tome  liiiancier  nouveau  :  système  de  lord  Malmes- 
bury,  système  de  .M.  d'israrli,  sysliine  de  M.  Coode.  système  do 
M.  Pasliley  (sans  parler  des  promesses  du  libre  échange),  cl  tous 
CCS  systèmes,  (|ui  ne  font  d'aillrurs  que  déplacer  et  non  diminuer  lo 
fardeau,  ont  toujours  pour  but  de  subslitu.r,  par  des  combinaisons 
diverses,  une  charge  générale  aux  charges  locales. 

Ainsi,  tout  le  monde  demande  que  l'Ktal  prenne  de  plus  en  plus 
la  t.kbo  do  réparer  par  la  loi  les  >ices  (pic  la  morale  seule  ne  cor- 
rige pas  suffisamment ,  et  l'Etal  se  met  à  celte  tdchc  avec  intelli- 
gence, avec  résolnlioii. 

Je  n'exagère  rien.  Je  ne  prétends  pas  que  les  lois  ne  servent  à 
rien,  que  les  aumônes  ne  font  aucun  bien,  que  les  réformes  du  droit 
civil  ou  des  lois  économiques,  que  les  changements  de  systèmes 
financiers  ne  sont  pas  utiles.  Il  serait  bien  ridicule  de  parler  ainsi 
en  présence  des  grands  résultats  prwiuils  par  les  mesures  de  sir 


A   M.    A.    M  COLAS.  37 

Uuberl  Peel.  Mais  ce  fait  ciuininu  Ions  les  autres  :  le  devoir  ne  parie 
pas  assez  liaul,  il  faut  de  plus  eu  plus  faire  intervenir  le  droit. 

ïiglise  anglicane,  chargée  de  l'aire  enseigner  le  devoir,  où  êtes- 
vous  donc?  11  n'est  (|ucslion,  dans  tout  ce  que  j'ai  cité,  (jue  de  lois, 
de  finances,  de  fonctionnaires,  de  bureaux,  d'inspecteurs  de  morale, 
d'ollicines  de  charité,  jamais  votre  nom  n'est  invoqué...  où  êtes- 
vous  donc? 

Je  sais  bien  que  dans  d'autres  pays,  après  des  malheurs  dont  elle 
a  été  victime,  jamais  complice,  l'Église  catholique  n'est  pas  seule 
chargée  du  soin  des  pauvres  ;  elle  ne  peut  pas  ,  pauvre  et  affaiblie 
elle-même,  se  relever  aussi  promptement  qu'elle  a  été  détruite,  et 
faire  le  bien  aussi  vile  qu'on  fait  le  mal  ;  dans  ces  pays,  on  s'adresse 
quelquefois  par  système,  quelquefois  par  nécessité,  à  la  loi.  Mais, 
au  moins,  après  tant  de  persécutions,  de  rigueurs,  de  dédains,  l'É- 
glise de  plus  en  plus  réclame,  et  de  plus  obtient,  cette  prérogative 
de  faire  le  bien,  qui  vous  échappe.  Église  anglicane!  Pour  vous, 
c'est  au  milieu  de  toutes  les  faveurs  que  vous  devenez  stérile.  Les 
hommes  vous  ont  fait  reine;  Dieu  pouvait  seul  vous  faire  mère,  et 
il  vous  Ta  refusé  ;  car  je  vois  vos  richesses,  mais  où  sont  vos  sacri- 
fices, vos  forces,  vos  vertus?  Où  sont  vos  apôtres  et  vos  martyrs  de 
la  charité?  Où  sont  vos  serviteurs  et  vos  servantes  des  pauvres?  Où 
sont  vos  pauvres  volontaires?  ou  plutôt,  vous  avez  des  apôtres, 
mais  quel  est  leur  succès?  Vous  avez  des  vertus,  mais  quel  est  leur 
effet? 

On  me  parlera  de  dévouements  individuels,  on  me  citera  des 
noms  inflniment  respectables.  Je  répondrai  par  cette  fable  de  la 
jeune  mère  indienne  qui,  ayant  vu  guérir  un  malade  en  lui  présen- 
tant un  breuvage,  approchait  nuit  et  jour  un  vase  vide  des  lèvres 
de  son  enfant  mourant.  Cette  mère  était  une  bonne  mère,  mais  son 
vase  était  vide  et  ne  contenait  pas  le  breuvage  vivifiant.  C'est  ainsi 
que  l'Église  anglicane  et  les  nombreuses  associations  qui  en  dé- 
pendent peuvent  être  et  sont  en  effet  inutilement  charitables.  Elles 
n'ont  pas  la  vraie  charité,  et  pourquoi?  parce  qu'elles  n'ont  pas  la 
vraie  religion. 

Un  ministre  anglican  a  fait  cet  aveu  aussi  profond  que  pratique  : 
«  Quand  je  vais  auprès  d'un  homme  pour  calmer  ses  remords ,  ex- 
citer ses  vertus  ou  apaiser  ses  douleurs,  je  lui  souhaite  la  paix ,  mais 
je  ne  la  lui  donne  pas.  Je  ne  puis  lui  dire  :  Vous  avez  fait  une  mau- 
vaise action  ,  allez  au  tribunal  où  elle  sera  jugée  et  pardonnée  ;  — 
vous  souffrez,  allez  à  l'autel  où  Dieu  lui-même  viendra  en  vous 


38  LETTht  Dh    M.    \.    COCim 

|>our  \utis  ronsolcr.  Je  |iiiis  <>lii>  ronitnr  iiti  :uiii  (|iii  soiilinile  la 
saiiU'  i  SUD  ami,  je  ne  suis  jamais  connu*'  un  int'-dft  in  (]ui  la  lui 
rond,  u 

Tiiut  «e  (j'ii  iirrrùde  Miflil  à  lair«'  t-ont|iicn(iie  li's  «aiix'S  de  If- 
tuiinante  cl  cuiileiiM'  itiiilililé,  dos  i-tiurb  eiiurines  de  lu  cliariU- 
protestante  |>our  diminuer  la  pauxielé  cl  souiaf^er  le  |)au\re. 

On  N\'X|)li(|ue  des  lors  eommeni  la  besogne  qui  devrait  t^lre  faite 
par  la  religion,  l'Kjjlise  et  U-  lilire  dévouement ,  est  laite  par  la  loi, 
le  «{ouvernumeulet  la  contrainte. 

Ces  forces  réunies  n'atteignent  pas  l«'ur  but,  «'t  combien  en  res- 
leraient-elles  pins  éloignées  encore,  si  l'Angleterre  netail  pas  ce 
qu'elle  est,  une  puissance  maritime  en  mt^me  temps  que  commer- 
ciale, si  toutes  les  mers  ne  faisaient  pas  pour  ainsi  dire  pariie  de  son 
territoire,  et  tous  les  pa} s  partie  de  son  maiclie  ;  si  elle  n'avait 
pas  l'Australie  cl  la  Californie,  qui  ont  reçu,  eu  lHo'2,  3(>8,7(>^  de 
ses  enfants  :  si  l'émigration  et  la  famine  n'avaient  pas  arraché  ù 
la  malheureuse  Irlatidf  huis  inillioiis  île  in  enpiuli  et»  di.r  «nu  ^lie- 
por.  of  colonial  liiud  and  emigralion  coinmiaioner»,  1853.) 

En  somme.  Thisloire  delà  législation  charitable  et  du  panp«''rismc 
rn  Anglelerie  prouve  à  l'excès  que,  dans  ce  grand  pavs,  on  nour- 
I  it  le  pauvre,  un  ne  le  moralise  pas  :  je  n'userais  pas  dire  (pi'au  lieu 
de  lui  faire  la  charité,  on  lui  fait  la  guerre,  si  ce  mot  n'était  pas 
prononcé  par  un  des  plus  lemarquablrs  écrivains  qui  aient  Irailé 
cotte  matière,  M.  Charles  Wcsltin  Jh()2,  /(emark.*  un  Ihrpour  latrtj^ 
dans  une  page  enq)reinte  (l'une  elo<pience  expressive  et  douluu- 
reus<>  : 

<i  Ainsi,  dit-il,  apre.s  unegueiie  décent  ipiaranle  ans,  nous  avons 
«enfin  gagné  une  complète  v  iciuire  .  et  fait  nos  ennemis  prison- 
»  niers  de  guerre  ;  mais,  comme  i\  l'issue  d'une  guerre  civile,  nous 
»  trouvons  (jiie  nous  avons  épuisé  nos  ressources,  dépeuplé  notre 
'  pays,  vicié  ses  mœurs,  énervé  son  énergie,  vl  tju'en  échange  nous 
>  avons  conquis  un  déserl  isolé,  fertile  seulement  en  plantes  dan- 
I)  gereuses ,  en  animaux  venimeux ,  en  éléments  contagieux,  un 
»  territoire  qui  nous  donne  uniquement  ile>  êtres  vi(  ieux,  degra- 
»  d6s,  insouciants,  dont  nous  ne  liions  ni  Imnneur  ni  avantage,  qui 
"  sont  une  entrave  ù  noire  for(  e,  un  lar«leau  pour  notre  industrie, 
"  une  souillure  pour  notre  moiale,  et  une  (onlagion  de  l'esince  la 
»  plus  mortelle  pour  notre  bien-être  national ,  et  nous  laistenl  cx- 
0  clusivement  préoccupés  des  moyens  de  nous  débarrasser  d'un  bu- 
»  tin  si  fatalement  acquis.  >' 


A   M.    A.  MCOI-AS.  31) 

....  Ouolle  admiration  profonde  excite,  dans  le  cœur  de  tous 
ceux  qui  visitent  l'Angleterre,  cette  merveilleuse  disposition  qui 
préside  à  toutes  les  relations,  qui  règne  à  tous  les  degrés,  le  senti- 
ment de  la  justice,  le  respect  de  soi-même,  le  respect  du  droit  que 
cluKun  possède,  et  de  la  place  que  chacun  occupe  ! 

Mais  ce  sentiment  plus  élevé,  qui  fait  Fhonneur  de  la  France, 
malgré  ses  abus,  ce  sentiment  divin  de  la  charité,  qui  porte  non- 
seulement  à  respecter  le  droit  du  faible  et  la  place  du  pauvre,  mais 
û  les  comparer,  à  les  juger  trop  petits,  à  vouloir  les  élever,  les  di- 
later, on  le  chercherait  vainement  dans  ces  mœurs  et  dans  cette 
législation  ,  nées  de  la  Réforme  ,  qui  ont  ôté  au  riche  toute  vraie 
charité,  au  pauvre  toute  dignité,  toute  reconnaissance.  Au  fond  du 
cœur  de  l'un  et  de  l'autre  on  trouve,  je  l'avoue,  et  bien  plus  qu'en 
France,  la  loi  et  le  respect  de  la  loi ,  mais  c'est  la  loi  des  hommes, 
ce  n'est  pas  la  loi  de  Dieu. 

Je  suis  ainsi  arrivé  par  une  autre  voie.  Monsieur  et  ami,  aux  mê- 
mes conclusions  où  vous  ont  conduit  ces  claires  intuitions,  qui  sont 
le  don  de  votre  esprit  et  aussi  la  récompense  de  votre  logique. 

Ah  !  combien  ardemment  j'unis  mes  vœux  aux  vôtres,  pour  que 
ce  peuple  si  sage,  si  actif,  si  hospitalier,  si  libre,  si  grand,  en  tout 
ce  qui  ne  concerne  pas  la  religion ,  ce  peuple ,  qui  semble  destiné  à 
peupler  le  monde ,  rentre  dans  les  liens  de  l'unité,  comme  le  sou- 
haitait d(*jà  Bossuet,  lorsqu'il  adressait  au  duc  de  Perth  ces  admi- 
rables paroles  (Lettre  du  14  mars  1689)  :  «  Cent  et  cent  fois,  j'ai 
»  désiré  avoir  l'occasion  de  travailler  à  la  réunion  de  cette  grande 
»  ile,  pour  laquelle  mes  vœux  ne  cesseront  jamais  de  monter  au 
»  ciel  ;  mon  désir  ne  se  ralentit  pas,  et  mes  espérancesne  sont  point 
B  anéanties.  J'ose  même  me  conQer  en  Notre  Seigneur,  que  l'excès 
»  de  l'égarement  deviendra  un  moyen  pour  en  sortir.  » 

Auguste  CocHiN. 


'ItOMCWDK    l'IiOTKSTAVTi;. 


Di*ir«»i*<lc  (*t    <ll«i%Iuu. 


M()nsoij,Tirur  Cliarvaz  ,  arcliovr(|ii('  do  (irm^s  ,  a  ;ulr«vsc  a  >«  > 
ditwvsains  dt's  aii'rlisi<emenls  sur  Ivs  tnenées  des  protestants.  Il 
l(!ursi};naliï  le  caraclèro  déloyal  des  émissaires  proiostaDts,  leurs 
disriiius  f;ill:nicii\,  Inir  :ip|i«'l  lf<iin|(('iir  ;"i  rrlrriliiiv,  leur  livrrs 
r«'iii|)lisde  faii^M-les,  leurs  nihleslalsitiees,  h.'Ui-  lanj?age  plein  de 
calDinnies,  leur  argent  rorriiptenr,  leur  appel  aux  passions,  leurs 
anviliaires  pris  parmi  les  mauvais  «alliolicpies —  Cva  avrrtisse- 
menl.s  onl  une  haute  pftrtfc.  pujsipi'iis  sorlrni  de  la  plume  d'un 
si  j,'raud  «'\t'(juf  «i  duii  si  illuslre  «'crivain;  mais  en  les  reprt) - 
duisant  c'ans  \cs  annales ,  nous  ne  tracerions  pas  de  porii-aii>> 
nouveaux  à  (ionève.  Nous  «  royons  plus  utile  d»»  donner  ici  une 
.\utc  du  |»liis  {^rand  intcrèl,  tin-e  de  c»'s  avertissements  ,  au  su- 
jet du  juj;(  inenl  porté  par  les  piiotbsta>ts  eux-mêmes  sur  les 
émissaires  de  la  |>ropaf;andc  protestante.  » 

«  Ce  n'est  pas  sruliMitiii  parmi  les  eatlioliqiirs  «pif  les  «'mis- 
saires  des  Soti«'t«'s  piotrsiaulrs  d'fxau^rlisaiion  scuicnt  la  dis- 
rorde  et  fomenicni  la  division.  Les  prolestants  eux-nirnus  m 
l>i«'n  fli's  «'udrMiis  s'rn  |)lai;.,'ucul  auK'rfMurnl.  Voiri  ce  (pirii  dit 
un  pasteur  français  :  ■  Les  théories  exclusives  (  les,  dissidculs 
évangeli(|ues)  soulèvent  des  diseussions  sans  lin,  irritent,  détrui' 


|'ROI'A(;a.m)e  pkotkstante.  4f 

Miii  la  |.;.ix  el  I  :.mour,  jciteni  \o.  (rouble  dans  les  troupeaux,  v 
arrèlcnt  le  rèf;ne  de  Dieu.  Kri  voici  des  exemples  : 

•>  On  a  prétendu  ,pie  l'union  avec:  l'Élat  est  un  adultère.  Ce 
moi  esl  ariive  jusqirà  nos  pi.ysans.  L'église  nationale  une  adul- 
tcrc!  oni-ils  dit.  Donc  elle  esl  la  i^rande  prostiluée  de  Babylone  ; 
donc  les  pasteurs  sont  des  ministres  de  la  bêle  ,  les  bergers  des 
loups,  la  malédiction  de  l'église.  C'est  évident;  nos  paysans  om 
de  la  logique  aussi,  et  les  voilà,  courant  nos  campagnes,  annon- 
çant partout  cette  trouvaille  et  laisant  des  ravages  bien  déplora- 
bles. L'un  me  disait  :  J'aimerais  mieux  aller  à  la  messe ,  que 
d'aller  vous  entendre.  Un  instituteur  s'écriait  :  Je  ne  veux  rien 
avoir  à  laire  avec  les  rois  de  la  terre  ;  je  ne  veux  pas  en  recevoir 
un  traitement  comme  vos  prétendus  pasteurs. 

»  A  l'ouïe  de  tout  cela,  une  personne,  toute  épouvantée,  me 
disait;  Mais,  M.,  où  en  sommes-nous?  Tout  est  donc  perdu? 

»  Dans  notre  déparlement  deux  annexes  ont  été  bouleversées; 
dans  l'une...  on  s'y  esl  battu  ;  dans  i  autre,  le  scandale  a  été  tel 
que  le  maire  catholique  a  dû  écrire  au  préfet  une  /e/fre  que  ce- 
lui-ci nous  a  communiquée ,  et  qui  était  bien  humiliante  pour 
l'Evangile.  Je  pourrais  citer  une  foule  de  faits  de  ce  genre  (1)...» 

»  Les  discordes ,  les  désunions  exercent  leurs  ravages  jusque 
parmi  les  prosélytes  que  font  les  dissidents.  «  On  a  du  temps  de 
reste,  continue  le  même  pasteur,  pour  disserter  sans  lin,  parcou- 
rir toutes  les  excentricités  ,  et  y  renouveler  les  disputes  de  dix- 
huit  siècles.  Mais  on  a  beau  faire,  s'il  y  a  des  misères  parmi  nous, 
il  y  en  a  aussi  parmi  les  autres.  La  paix  n'est  pas  môme  dans  cel 
petils  troupeaux.  Il  y  a  des  scandales  qui  font  cent  fois  plus  de 
mal  à  l'Évangile  que  ceux  des  incrédules  de  nos  églises;  car  chez 
les  dissidents ,  ils  viennent  de  gens  qui  passent  pour  convertis. 
Oui,  c'est  du  sein  de  ces  églises  que  sortent  ces  discussions  qui 
nous  font  tant  de  tort  ;  c'est  de  là  que  sortent  ces  nuées  de  pe- 
tits docteurs  pointilleux  qui  enfantent  toutes  sortes  de  sectes  ri- 
dicules ;  qui,  tous  les  deux  ou  trois  ans,  après  s'être  bien  traités 
de  chers  frères  et  de  chères  sœurs,  Unissent  par  ne  plus  pouvoir 

(l)  Lettres  écrites  de  la  Vallée  dans  VEspérance,  journal  nioleslanl  '>7fê- 
vriiT  ISiO. 


VJ  1  l\<H'V(.VM>E  l'hOTESTANTE. 

Si'  soulFiir,  cl  lonl  U'uv  |M'ii(i'  icvolulioti,  toujours  plus  radicale, 
juscju'à  (('  (jiic,  uvj'f  Darhy,  ils  niciii  loin  nivcli"  (1). 

»  On  sf  moquo  de  noire  mode  de  recrutenjent.  Voyons  donc 
comment  nos  frères  se  recruient.  Ne  vôulunl  que  des  ilmes  (jii'ils 
croient  converties,  ils  n'en  trouvent  pas  toujours  assez  dans  leurs 
laniillcs.  Alors,  au  nioNrn  îles  mots  sc|)aralion  ,  inonde,  église , 
inlldèle,  méchant,  etc.,  ils  viennent  troubler  les  consciences  des 
gens  simples  dans  nos  éj,'lises.  et  réussissent  à  les  j,'a','ner.  Quand 
ils  ont  ainsi  lurlivemenl  passé  la  main  sous  nos  filets  et  enlevé 
ces  cœurs  convertis,  «|ui  sont  pour  un  pasteur  aussi  cUers  que 
ses  propres  enfants  ,  ils  parviennent  à  se  maintenir  en  nombre  ; 
mais  vivre  de  celte  fa<^on,  en  faisant  d<'s  razzias  chez  nous  et  en- 
suite nous  conspuer,  est-ce  lovai? 

»  Un  jour  u[i  niiiiislrt-  dissident,  hxjé  chez  moi,  m'annonce 
<pi'il  a  constitue  une  ('f^lise  avec  des  nieu)l»res  d(?  mon  troupeau, 
et  m  invite  à  aller  prendre  la  Cène  avec  lui.  \}ï\  peu  étourdi  d'a- 
bord ,  j'accepte  pourtant,  par  esprit  «le  paix.  (!ommc  j'allais 
m'approcbcr  de  la  table,  un  diacre  vint  me  |>rier  de  n'en  rien 
faire,  parce  que  Ton  \enaii  de  remarquer  «pie  ,  comme  pasteur 
natioual,  jCiais  im  iuli(l<-le,  .le  fus  ainsi  excommunie. 

»  Celte  année ,  un  n-veil  remanpialde  a  «u  lieu  dans  mon 
église;  aussitôt  nous  avons  vu  arriver  tous  les  quinze  jours  des 
émissaires  de  plus  en  plus  savants;  ils  ont  commence  l'attaque 
par  la  question  du  salaire  et  de  Babylone  ;  puis  est  venue  la  dis- 
sidence ,  et  enlin  les  extravaf,'ances  du  plymoutisme.  N'ayant  pu 
H'Ussir  «liez  nous  (  omme  <lans  une  e},'lise  voisine,  ils  ont  dit  que 
nojis  étions  la  maledi(  lion  de  l'ef^dise,  «pie  nos  S(jci(''tes  «'laienl 
des  u'uvres  du  diable  ,  etc.  Tout  cela  a  sa  source  dans  la  dissi- 
dence. Ah  !  si  les  [)asteurs  nationaux  allaient  faire  de  semldaliles 
choses  dans  les  troupeaux  «lissidents,  nos  frères  prendraient-ils 
bien  |)atience?  Si  au  moins  ils  nous  laissaient  trampiilles»  (2)... 

■»  C'esi  la  dissidence  dans  toute  sa  i  riidiie,  exjiosée  dans  des 
lirochures  et  des  journaux  re|>andns  dans  n<»s  églises  et  renfor- 
ces par  fies  agents  sidtallernes  cpii  vont  de  maison  en  maison  nous 

il)  \.' htprranff.  iiiinirro  ilii  <i  n)a^^  IHWl.   (Si  ll)irt. 


PnOPACANDE  Pr.OTESTANTE.  4Ô 

appelaiil,  comme  je  l'ai  dit,  minisires  de  la  Bêle  el  des  loups, 
apostats,  men  enaiics ,  (.lierchanl  à  nous  avilir  auprès  de  nos 
troupeaux  et  à  les  soulever  contre  nous.  Ces  choses  font  un  de- 
voii'  aux  pasteurs  nationaux  de  se  justifier,  car  tout  cela  atteint 
leur  caraclère  moral.  Se  taire,  c'est  se  condamner...  Que  de 
prise  cl  de  succès  ne  fournit-elle  pas  aux  prêtres  en  divisant  à 
Tinlini  les  forces  des  chrétiens,  par  des  disputes  et  des  extrava- 
gances qui  sans  cesse  remettent  tout  en  question.  C'est  là  ce  qui 
donne  l'arme  la  plus  puissante  aux  agents  du  Pape;  c'est  de  là 
que,  par  une  réaction  toute  natuielle,  est  sorti  le  puséisme  »  (1). 

»  L'auteur,  parlant  ensuite  des  pasteurs  dissidents  du  canton 
de  Vaud ,  s'exprime  ainsi  en  leur  adressant  la  parole  :  «  Mais 
soyons  justes  ;  vous  avez  appelé  les  nationaux  infidèles,  impies, 
mondains,  païens  ;  ils  vous  ont  traités  de  mômiers  et  de  jésuites  ; 
vous  avez  voulu  leur  enlever  leurs  droits  et  leur  nom  de  chré- 
tiens ;  ils  ont  cherché  à  vous  enlever  vos  droits  de  citoyens  ; 
vous  les  avez  expulsés  de  la  société  religieuse  ;  ils  ont  essayé  de 
vous  chasser  de  la  société  civile.  C'est  la  loi  du  talion.  Ils  ont 
mal  fait,  sans  doute;  mais  avez-vous  toujours  fait  très-bien? 
Voulez-vous  que  ceux  que  vous  regardez  comme  dirigés  par  Sa- 
tan, aient  plus  de  patience  que  vous,  que  vous  dites  dirigés  par 
le  Saint-Esprit?  Je  ne  sache  pas  que  Jésus  ait  jamais  proféré  un 
mot  injurieux  contre  les  mondains  déclarés.  Ce  n'est  pas  dans 
l'Évangile,  c'est  dans  l'économie  juive  qu'on  est  allé  prendre  cet 
esprit  avec  lequel  on  a  souvent  cherché  à  exterminer  les  Philis- 
tins et  les  Amalécites  modernes.  Encore,  dans  l'église  juive,  Is- 
raël selon  l'esprit  ne  donnait  pas  à  Israël  selon  la  chair  les  noms 
r('prouvés  des  peuplades  cananéennes.  C'est  sous  l'alliance  de 
grâce  que  cela  s'est  vu.  Le  Dieu  du  Sinai  appelait  les  Israélites 
qui  l'avaient  abandonné  son  peuple  et  ses  enfants  ;  les  enfants  du 
Dieu  du  Calvaire  enlèvent  ce  nom  à  leurs  frères  qui  leur  semblent 
inconvertis  »  (2). 

Ce  tableau  des  désunions  suscitées  par  les  évangélistes  fait 
sentir  au  pasteur  écrivain  la  nécessité  d'un  principe  d'autorité, 


(I)  L'Espérance,  nuincro  du  .3  mars.  {•2j  Ibi(l..du(i  mars. 


41  nnU'AliA.MJK  rHOTt»TA>TK. 

(l'unu  cunrcssioii  de  foi  :  «  Alors,  dil-il ,  on  ne  verrait  plus  :iii- 
luDl  lie  laboiirriirs ,  de  serruriers,  de  |i('rrui|uiers,  de  oordou- 
iiiirs,  t|uiil«'i'  la  rlianiu'.  la  lor^e,  le  rasoir  et  le  tire-pied,  se 
donner  le  Ixmnrt  de  duch-nr  cl  inundrr  nos  i-^lises.  Lt-s  person- 
nes de  ces  divers  états  einployci-s  conuni-  eolporlfurs  et  evanj^é- 
listes  par  nos  Sociétés  seraient  inainlenues  dans  de  sages  limites 
et  dans  riiuniilité,  tandis  qu'actucllenient  <  liaeun  arrive  avec  la 
théorie  «le  sa  secte,  et  c'est  surtout  son  point  de  vue  spé'cial 
quil  a  en  vue,  parce  qu'il  a  remarcpie  cela  dans  ses  chefs,  tl  sa 
lliéorif,  il  la  développe  jusqu'à  ses  conséquences  les  plus  Kfos- 
sières.  L  un  pr*'(  lie  la  ^ani  lilicalion  pai  laili'  et  s'enivre,  niellant 
sans  façon  sur  le  conqtle  de  la  tentation  <  e  <pi  il  devrait  attri- 
buer à  son  inieni|)eran(('.  l/anire  |iroii\e  très-bien  que  sans  la 
tloctrine  de  riin|>utation  ,  il  n'y  a  ptjint  de  salut;  un  autre  ,  pre- 
desiinatien  renfort  é  ,  montre  <pie ,  les  élus  ne  pouvant  périr,  il 
n'est  pas  n<'cessaire  de  |»récher  ri!i\anj;ile,  et  «pw  le  ministère  et 
l'd  livre  (le  nos  Sociétés  sont  du  diable;  un  autre,  «pie  la  loi  ino- 
rali-  est  aboli«',  par««'  «pie  nous  sommes  sous  la  •^riuM  ;  un  autre, 
que  puis<pie  les  ap«')tres  bapiiNaieiit  par  imluer^ion,  il  tant  faire 
comme  eux,  et  il  va  se  r.ba|iiiser  lui-même  en  se  plon^«'ant  «lans 
le  i\liôn«' ;  un  autre  ne  voit  pas  pounpnti  il  n')  aurait  plus  de 
prophet«'S,  et  il  s'imajj;in<'  «n  èir»»  un  :  il  aniioii(;«-  dont  que  Jésus 
\A  |iaiai!i-e.  .\ussit«'il  une  multitude  «le  paysans  sont  saisis  de  ter- 
reur, s'enferment  dans  leurs  maisons,  laissent  leurs  bestiaux  sans 
nouriitur«'  liurb-r  dans  b's  etabh-s,  jiis«pi'à  «  «■  «pn-,  !«•  jour  «-tant 
|>asse  et  l«'  Sauveur  ir«'taiil  pas  Nenii,  ils  nlournenl  un  p«'U  bon- 
t«u\  a  leurs  tiavau\.  Vn  antre...  mais  arrétuDS-Dous  ;  ne  levons 
pas  plus  haut  lu  voib*  qui  convie  nos  misères...  Demandons-nous 
plut«')t  où  sont  les  [dus  coupabb's  «lans  «es  foli«s.  Ils  s«*  tr«»uvenl 
«lans  l«'  sein  «In  uiiiiistei°«'  evaii^'eli«pi«'  <  (t). 

I  II  aiiiie  «locteur  |uotestant  déplore  prof«)ndémenl  la  guerre 
«pu-  l«'s  «•hi«'ti<ns  reformés  se  font  l«'s  uns  au\  aiUr«'s.  Il  la  re- 
garde •  <-oinm<;  |ilus  fâcheuse  que  la  lutte,  «  lia«pie  j«mr  |ilus  ar- 
dent«î  «le  V incrédulilè  ghirrale  contre  la  foi  dans  toutes  It  églises 
ilr  la  lu  forme,  n   «  \x  rcveil  di-  nos  joins,  aj«)Ute-t-il  ensuite,  a 

(Il    \.  Hiprnitirr,  iiiitiii-ni  du  |ô  ninrs. 


l'IiOP.Vr.V.MtK  l'KOTKSTANTl-:.  45 

eu  des  imperfections  (|ui  ont  n'-agi  d'iino  manière  «léplorable  et 
sur  le  monde  et  sur  l'église  :  dans  le  monde,  elles  ont  non  pas 
créé,  mais  multiplie  et  aggrave  les  préjugés,  les  inimitiés,  les 
oppositions;  dans  Téglis*^ ,  elles  ont  semé  les  disputes,  les  dis- 
sensions, les  secte  »  (l). 

La  Société  de  VJlliance  évnngélique  de  Londres  est  une  des 
plus  dangereuses  alfilialions  de  propagande.  Or  voici  comment 
un  journal  protestant,  le  Chronicle  du  29  octobre  1853,  la  juge 
dans  ses  résultats  :  «  A  mesure  que  les  années  s'écoulent,  VJl- 
liance évangélique  se  présente  à  nous  sous  un  aspect  bien  diffé- 
rent de  celui  qu'elle  avait  à  son  origine.  Jamais  les  annales  du 
fanatisme  religieux  n'ont  (Hé  souillées  par  un  conclave  plus  im- 
pétueux et  plus  turbulent  de  fanatiques  zélateurs.  Ils  se  réunis- 
sent non  pour  compter  les  préjugés  qu'ils  ont  adoucis  et  les  mé- 
sintelligences qu'ils  ont  dissipées,  mais  pour  énumérer  les  pays 
dans  lesquels  ils  ont  porté  le  brandon  de  la  controverse  et  des 
dissensions  fraternelles.  Ils  se  réjouissent  des  progrès  de  la  dis- 
sension et  du  schisme,  et  semblent  travaillera  amener  partout 
quelque  commotion  pour  affaires  religieuses.  »  «  Les  agents  reli- 
gieux de  l'Angleterre,  dit  M.  Muller,  ont  fait  beaucoup  de  mal  en 
France  à  notre  communion  (protestante)  par  leurs  intrigues  théo- 
logiques ,  en  divisant  notre  clergé  en  deux  partis  aussi  ennemis 
l'un  de  l'autre  que  Genève  l'est  de  Rome,  et  en  suscitant  même 
des  embarras  au  gouvernement  dans  les  affaires  religieuses  »  (2). 
La  Société  de  la  propagation  de  l'Evangile  a  soulevé  par  ses 
manœuvres  de  telles  plaintes  partout  où  elle  a  envoyé  ses  émis- 
saires, que  lord  Palmerston  lui-même  a  dû  en  tenir  compte  et  lui 
faire  refuser  inexorablement  la  lettre  habituelle  de  la  reine,  pour 
recommander  des  quêtes  en  sa  faveur. 

Les  vallées  vaudoises  elles-mêmes  ne  sont  pas  exemptes  de 
ces  dissensions.  M.  Wilks ,  zélé  protecteur  des  mômiers  vau- 
dois ,  nous  parle  des  désordres  occasionnés  par  l'introduction 
de  ces  dissidents.  «  Il  est  malheureux,  dit-il,  que  ce  retour  à  la 


(1)  VEspirance,  \S  février. 

(2)  Des  baux-arts,  etc. 


40  l'IK)PAGA>UK  PHOTt>TA.>7>.. 

loi  t'I  :iux  |)rali(|U»'s  de  leurs  |»ères  ail  exeili'  la  haine  «le  roiiv 
qui  uuraieul  dû  uiarciier  eu  Ule  du  uiuuveuienl.  A  diverses  fuis, 
des  persunoes  pieuses  se  sont  vues  inquiétées  par  de  turl)ul(>nts 
persécuteurs.  Des  visites  oliicielles,  des  menaces,  des  prohibi- 
tions, ont  interrompu  leurs  réunions  paisibles.  Enlin  le  l*'  no- 
veniltiT  dernier,  les  choses  en  sont  \«'nues  à  un  |Miinl  (|ui  ne  me 
permet  plus  de  |,'ardiM  plus  lon}{tem|is  le  silence...  Je  sais, 
ajouie-l-il  ,  ipie  phisicuis  Ireres  v  ont  etc  (tlans  les  \allees)  sé- 
rieusement maltraites  et  ijuils  portent  en  leurs  corps  les  flétris- 
sures du  Seigneur  J<>sus  »  1  .  En  1847,  l'irritaiioD  était  encore 
très-forte  contre  ces  nouveaux  sectaires ,  et  les  \  auiluis  qui  les 
traitaient  charitablement  \Vhéréiique$,  d'apôlns  du  diable  ,  d'd- 
mes  damntrs,  d'hyiiocriles,  etc.,  etc.,  et  (jui  cherchaient  à  enqK'- 
cher  leurs  réunions. 


ti)  Frtingrliran  tuaydzinc,  {'2  iU'crnihrc  1820.  \  oyez  .•nis>i   1rs  .»/«<mirr.« 
des  vallrts  vdiiddUcs.  l'igiurol,  iHil. 


DU  COMMERCE  DES  CONSCIENCES. 


Nous  avons  annoncé  le  livre  intitulé  :  Du  commerce  des  con- 
sciences et  de  V agitation  protestante  en  Europe,  publié  chez 
M.  Burdet,  à  Annecy.  A  la  lecture  de  cet  ouvrage,  on  en  recon- 
naît l'auteur.  En  attendant  la  suite  (jui  va  paraître  prochaine- 
ment, nous  donnons  ici  le  premier  et  le  second  chapitres. 

Chap.  I.  —  «  N'avez-vous  point  rencontré  quelques-uns  de  ces 
marchands  de  conscience  qui  parcourent  les  campagnes,  se  pro- 
mènent dans  les  villes  ,  et  se  faufilent  jusque  dans  le  sein  des 
familles  pour  y  semer  le  mensonge  et  la  zizanie?  Cette  branche 
de  commerce,  toute  nouvelle  parmi  nous ,  prend  une  singulière 
extension.  Elle  mérite  d'être  connue.  Or,  voici  comment  se  pas- 
sent les  choses  :  il  y  a  dans  un  village,  à  Arbusigny,  par  exem- 
ple, à  Esery,  à  Veigy,  ou  tout  autre  endroit,  une  pauvre  famille 
qui  a  des  dettes  et  dont  on  est  sur  le  point  de  vendre  la  chau- 
mière qui  lui  reste  pour  l'abriter;  aussitôt  se  présente  un  de  ses 
brocanteurs  d'âmes  qui  sont  à  l'affût  du  malheur,  afin  d'en  pro- 
fiter pour  leur  commerce.  Avec  cet  air  de  bonhomie  que  savent 
si  bien  prendre  les  escrocs,  il  dit  au  chef  de  la  famille  :  «  Pau- 
vre homme!  vous  êtes  bien  mal  logé  dans  cette  cabane  si  mal 
fermée;  vous  devez  avoir  bien  froid  !  Comment  le  curé  de  l'en- 
droit ne  vous  donne-t-il  pas  de  quoi  réparer  votre  maison  et  vous 
bien  habiller?...  Tenez!  moi,  je  suis  ministre  protestant,  et 
quand  il  y  a  des  pauvres  dans  ma  paroisse,  je  les  assiste.  Venez 


^tn  lilj  COHMKHCE  UËÂ  CU.\SCIE.NCES. 

domain  dic/  moi,  je  vous  rrmollrai  une  roiivcrturo  pour  nicitro 
sur  voire  lil  cl  ({uelques  vr-ifinniis  pour  vos  eufauts.  >  Il  s't-n 
va  «t  laisse  ces  pauvres  gens  luut  clialiis  d'une  si  belle  cliarilc. 

La  couverture  arrive,  ei  le  miiiisire  prolesiaul  ne  larde  pas  à 
la  suivre.  Celle  lois  il  parle  de  reluire  la  maison  cl  assure  «pie  la 
somme  nécessnire  se  (rouv(>rail,  si  senlement  relie  pauvre  fa- 
mille était  prolesiante  au  lieu  d'être  cailiolique.  A  ces  mots,  la 
fenmie  se  révolte,  et  le  jirédic  alciir  s'en  va,  sans  laisser  dans  la 
(  liauMiicre  autre  chose  <pi'un  mauvais  livre. 

Dans  un  autre  endroit ,  un  ouvrier,  <|ui  n  a  «pie  je  travail  de 
ses  bras  p(tiir  nourrii'  sa  femme  et  s<'s  deux  enfants,  est  tombé 
malade.  La  misère  et  la  laiui  sont  de  bien  mauvaises  conseillères, 
elles  donnent  de  grandes  tentations.  Les  marchands  de  cooscien- 
ces  le  savent  ;  ils  acconrenl  et  promettent  du  jciin  à  rcs  malheu- 
reux, pourvu  (|u'ils  consi'nlent  à  livicr  leur  consrienre.  Hélas! 
ils  h;  font. 

Tout  à  ct'fté  un  créancier  a  fait  subhaster  la  maison  et  le  champ 
«l'un  pauvre  laboureur  qui  navaii  rien  au  monde  <pie  re  petit 
domaine  ;  les  predieanls,  <|ui  suhodnrctit  le  malheur  }K)ur  en  ti- 
rer parti,  \iennenl  lui  offrir  de  quoi  payer  sa  dette  s'il  veut 
abandonner  sa  religion.  Il  pleure  et  il  promet. 

lue  |)auvn;  mère  veUN(î  a  deux  enlanls  (piVIle  iraiiu*  «le  porte 
«•n  porle  pour  trouver  de  quoi  les  nourrir.  Les  brctcanteuts  en- 
voient vers  elle  des  zélatrices  qui  lui  demandent  ses  enfants, 
promettant  tle  les  elcvei-  dans  le  bien-être  et  d'en  faire  «le  bons 
prolestants,  (^ommc  si  elle  voulait  |)aeiiser  avec  le  diable  ,  la 
pau\io  mère  en  cède  uo  et  garde  l'auire  pour  Die». 

Les  acheteurs  de  cirnscienceR  s'adressent  de  préférence  et 
avec  assez  de  succès  aux  ivrognes,  qui  ont  toujours  besoin  d'ar- 
gent ;  aux  banquerouliers ,  qui  ne  demandent  pas  mieux  (jne  de 
trouvei-  une  iilanche  dans  leur  naufrage;  aux  Icinnies  perdues, 
(jui  n'ont  à  vendre  qu'une  àme  déjà  bien  gàl<e.  et  surtout  aux 
sim|)les  et  aux  ignorants.  On  eu  iroiixe  partout.  Dans  leshcMids, 
dans  les  «-abarets,  sur  les  bateaux  à  vapeur,  dans  les  voilures 
publiques,  le  b>ng  «iej»  grands  chemins,  on  rencontre  des  pn'*di- 
cauts,  des  calé(  hislJ's,  des  colporleurs,  qui  semblent  disposés  à 
convertir  tout  le  monde  au  culie  de  la  Ilible. 


DU    COMMKHCK   KKS   CONSCIENCES.  19 

Ils  so  }^'lisseiU  (luiis  (in  nKif^asin,  Jaiis  un  cai'é,  dans  une  lahri- 
(|ue,  dans  une  auberge,  ol  n'en  sorleni  pas  sans  y  avoir  vendu  ou 
donné  une  Bible ,  accon»paj;née ,  pour  l'ordinaiie,  d'une  petite 
brocliiin!  loule  gonlléc  d'infaniies  conlie  les  catholi(iues,  leurs 
prêtres  et  leuis  croyances.  Si  l'on  repousse  leur  présent,  ils  le 
l'ont  rentier  dans  la  maison  eu  le  donnant  au  premier  domestique 
ou  au  premier  enfant  qu'ils  rencontrent. 

Pendant  que  les  colporteurs  distribuent  les  mauvais  livres , 
que  les  catéchistes  cherchent  à  endoctriner  les  ignorants,  que 
les  commis-voyageurs  marchandent  les  âmes,  les  prédicanls  se 
l'ont  des  auditoires  dans  les  villes  et  annoncent  :  les  uns  la  parole 
de  Luther;  les  autres  la  parole  de  Calvin  ;  d'autres  la  parole  des 
mormons;  d'autres  celle  des  méthodistes  ;  d'autres,  enfin,  leur 
propre  parole  ou  celle  du  premier  venu.  Ils  ne  sont  pas  difficiles 
sur  la  qualité  :  ils  couvrent  tout  cela  du  manteau  de  la  Bil)le, 
qu'ils  élargissent  assez  pour  couvrir  même  les  plus  ridicules  in- 
ventions. 

Ce  n'est  pas  tout  :  ils  ont  des  écrivains  gagés  qui,  pour  la 
vingtième  fois,  retouchent  la  Bible  afin  de  la  rendre  aussi  pro- 
lestante que  possible  ;  d'autres  sont  occupés  à  composer  de  pe- 
tits et  de  gros  livreà  contre  la  doctrine  catholique,  des  pamphlets 
contre  les  prêtres,  contre  les  institutions  religieuses,  contre  les 
sacrements,  contre  le  culte  des  saints,  et  enfin  contre  toute  vé- 
rité prêchée  dans  l'Eglise. 

Ce  n'est  pas  tout  encore  ;  mais,  dans  l'espérance  d'être  plus 
favorablement  accueillis  des  joyeux  convives  qui  fréquentent  les 
cafés,  les  cabarets,  les  cercles,  et  tous  les  lieux  publics,  ils 
font  des  journaux  anti-catholiques  qu'ils  répandent  partout  avec 
une  étonnante  profusion.  Ils  transforment  la  société  en  véritable 
foire  ,  où  se  vendent ,  s'échangent ,  se  donnent  ou  s'imposent  le 
mensonge  et  l'erreur.  L'Angleterre,  la  Hollande,  la  Suisse,  Ge- 
nève, sont  pour  eux  des  camps  retranchés  d'où  partent  les  émis- 
saires, les  prédicanls,  les  catéchistes,  les  journaux,  les  libelles, 
et  en  même  temps  les  capitaux  immenses  qui  sont  nécessaires 
pour  alimenter  cette  propagande  d'iniquités. 

Pour  multiplier  leurs  forces  ,  les  ennemis  de  l'Église  sont  or- 
ganisés en  sociétés,  tantôt  pid)liques,  tantôt  secrètes.  Avec  des 

4 


ôO  ni'  ro.nMEi-.rt  mes  r(»>srit>TE>. 

iKiiiis  cl  des  moyens  diflcrenls,  elles  marclieni  louies  au  iiirmc 
but,  la  (leslriiction  de  ri<4,'lise.  C'est  une  vasle  conspiration  dont 
le  centre  est  en  Anglelcire  et  dont  les  t-amiticaiions  embrassent 
l'Euiope.  I.os  unions  protestantes  de  Genève,  celles  de  la  Suisse, 
les  trois  de  llollaiulc,  (•elles  de  la  Prusse,  <le  la  Suède  et  du  Da- 
nemark ,  sont ,  pour  l'action ,  subordonnées  à  celles  de  l'Angle- 
terre; mais,  à  (picbpie  distance  (pi'il  soit  du  feutre,  cluniue  con- 
spirateur, cluupie  allilie,  chaque  émissaire  se  soumet  an  rùle  qui 
lui  est  dicté. 

Cette  grande  entreprise  a  pour  appui  les  gouvernements  pro- 
testants Cl  cciw  des  ^gouvernements  cailioli(]ues  qui  sont  momen- 
tanément eutic  les  mains  des  ennemis  de  TÉglise.  Klle  a  pour 
appui  tous  les  francs-maçons,  essentiellement  ennemis  du  ca- 
tholicisme en  tant  que  reliirion  positive  et  révélée.  Enirn  .  elle  a 
pour  appui  la  So<iélé  biblique,  dont  le  revenu  (pii  s'élève,  dit- 
on,  à  (juatre-vingts  millions,  est  employé  en  gi*ande  partie  à 
acheter  des  apostasies.  Ainsi  dans  cette  innombrable  armée  de 
pervertisseurs ,  il  y  a  des  princes,  des  ministres,  des  diploma- 
tes, «les  capitalistes  et  des  magistrats  de  toutes  les  cat(''gories. 
Aussi  ave/.-Nous  entendu  les  cris  qu'ils  poussent  quand  on  vient 
à  toucher,  même  légèrement ,  à  (|uel(|ues-uns  «le  leurs  «'niissai- 
res.'..  Ou  avait  peine  à  comprendr«',  il  y  a  une  ann«e,  ce  «jne  si- 
gnifiait r«>iiu'ut«>  di|)louiatique  «pii  se  fit  en  faveur  des  Mndiaï. 
Aujourd'hui  le  mystère  se  laisse  pénétrer.  Q)u«'lqu«'s  commis- 
voyagetirs  de  la  So«  iél«''  étaient  compromis,  il  fallait  les  sauver, 
«;t  |)our  cela  Tlùiiope  s'est  mis»'  en  uiouvement. 

Jamais  l'agitation  r«îligieu3«'  n'avait  été  aussi  universelle.  Au 
set/.ième  siècle,  il  y  avait  eu  «les  guerr«'s  «ivib's,  d«'s  gu«'rres  na- 
tionales, qui  avaient  la  r«;ligion  pour  «ans»';  u>ais  il  n'est  pas 
sûr  «ju'il  y  ait  jamais  eu  tant  «ra««or«l  pour  ««imbattre  la  vraie 
religion.  C'est  bien  auj«)urd'hui  que  les  nations  sont  réunies  con- 
tre le  Seigiu'ur  «'i  contre  son  Christ.  Il  avait  «'-lé  dit  dans  l'Ecri- 
ture :  •  Les  portes  «le  l'enfer  ne  prev;iudrout  pas  «-onlr»-  ell«-.  » 
L'enfer,  «pii  l'a  entendu,  a  accept«'*  le  «léli,  s'est  mis  «u  «•am|)a- 
gne,  et  voilà  «ju'il  ose  es|)érer  la  victoir»'. 

Avant  de  «lemander  à  «es  missionnaires  ce  «juils  veulent, 
voyons  v«'rs  qu«'lles  nîgions  ils  se  dirigent,  à  «piels  hommes  ils 


uv  coiiMiiiu;!-;  des  consciencks.  /il 

s'adressent.  Il  y  a  dans  tons  les  pays,  et  snrtout  dans  les  pays 
proieslanis,  une  foule  d'honuncs  devenus,  par  système,  opposés 
à  toute  cioyanee  i-elii'ieuse,  qui  ne  se  contentent  [)as  dT'tre  sans 
foi,  mais  qui  en  toute  rencontre  se  font  gloire  de  leur  incn-du- 
lité,  déblatèrent  contre  les  croyances,  contre  les  doctrines  les 
mieux  avc^n'-es  ;  est-ce  à  eux  cpie  s'adresseront  les  livres,  les  dis- 
cours et  les  tendres  cajoleries  des  /('dateurs  protestants?  Pas  du 
tout...  Il  y  a  tout  autour  d'eux  des  indifférents  qui  se  croient 
créés  et  mis  au  monde  pour  gagner  des  écus,  faire  des  spécula- 
tions, manger,  dormir,  et  (fuitlcr  cette  vie  sans  seulement  s'être 
demandé  à  eux-mêmes  s'il  n'y  en  aurait  point  une  autre  ;  est-ce 
à  ceux-là  que  s'adressent  les  propagateurs  de  la  Bible?  Pas  da- 
vantage. Us  voient  une  jeunesse  vicieuse,  qui  connaît  tous  les 
chemins,  excepté  celui  qui  mène  à  l'église  ;  qui  lit  tout,  excepté 
ce  qui  est  écrit  en  faveur  de  la  vérité  et  de  la  vertu  ;  est-ce  à 
ceux-là  qu'ils  se  croient  obligés  de  donner  des  conseils?  Non; 
sans  doute  ils  les  croient  assez  mauvais  pour  n'en  avoir  pas  be- 
soin. Le  protestantisme  est  déchiré  par  les  dissensions  intestines. 
Les  hérésies  ,  les  sectes ,  les  dissidences  y  sont  plus  nombreuses 
que  les  villes,  et  |)resque  aussi  nombreuses  que  les  personnes  ; 
est-ce  aux  protestants  égarés  qu'ils  iront  montrer  la  bonne  voie? 
Non,  mille  fois  non. 

Mais  il  y  a  dans  les  campagnes  des  paysans  honnêtes,  des  fa- 
milles où  se  pratiquent  toutes  les  vertus  chrétiennes  ;  des  per- 
sonnes de  tous  les  âges,  qui  vont  avec  assiduité,  les  jours  de  di- 
manche, entendre  la  parole  de  Dieu  et  prier  avec  tous  les  habi- 
tants de  la  paroisse.  Il  y  a  des  chrétiens  fervents  qui  aiment  Dieu, 
qui  respectent  ses  lois,  qui  sont  remplis  de  charité  pour  le  pro- 
chain et  se  montrent  en  tout  dociles  enfants  de  l'Église. 

Ce  sent  précisément  ceux-là  que  l'on  veut  convenir.  Cesl  à 
eux  que  l'on  dit  de  ne  pas  aller  à  la  messe,  de  ne  pas  écouter  le 
prêtre,  de  ne  pas  croire  à  l'autorité  de  l'Église,  de  ne  pas  se  sou- 
mettre à  ses  prescriptions,  de  regarder  comme  des  mensonges 
les  explications  qu'elle  donne  sur  le  sens  des  Écritures.  Voilà,  en 
un  mot,  ceux  à  qui  l'on  dit  :  Soyez  tout  ce  que  vous  voudrez, 
mais  ne  soyez  pas  catholiques,  et  nous  vous  assisterons. 

Ces  convertisseurs  d'une  nouvelle  espèce  ne  sont  lancés  par  les 


•">2  i»r  roiniKRCE  i»es  <:»?(sniKNCES. 

sociclc's  sccrclos  (|uu  dans  les  pays  caiholi(|iits.  l/lialic  ,  la 
l'nincc,  la  Savoie  on  sont  ciibléos.  Ju;;c(>ns  de  ce  <|irils  foui  ail- 
leurs par  ce  (pie  nous  leur  voyuns  lairo  autour  do  nous.  A  ne  ju- 
^cr  (pie  |»ar  leur  aveu  do  l'Union  protestante  de  Genève,  il  y  a 
on  Savoie  seulement,  plus  de  vingt  commis-voyageurs  pour  le 
commerce  des  conscienees  :  ce  sont  des  ealecliistos,  des  prédi- 
canls,  des  eolpûrt«.'urs  de  mauvais  livres  cpie  Ton  reiieouire  par- 
tout. Des  ministres  soudoyés  par  les  zélateurs  de  Genève  el  de 
l'Angleterre,  provisoirement  éiahlis  dans  des  maisons  parlieuliè- 
res,  iravailItMit  à  éhiver  des  temples  dans  le  (Jialdais,  dans  le 
haut  Faucigny,  dans  la  ville  d'Annecy  et  à  Ai\-les-Hains. 

Les  journaux  sont  un  moyen  de  propagande  qui  n'a  pas  été 
oul)lié  par  les  propagateurs  de  rii('r(''sie  ;  la  m«'^me  socii'té  qui  a 
ct;d>li  à  (îenève  h;  Semeur,  a  <''i:d»li  à  Clliamliéry  le  Glaneur.  Ou- 
tre ces  deux  organes ,  qui  sont  spécialement  réservés  aux  inté- 
rêts proli.'stants,  les  prédicants  sont  encore  soutenus  par  tous  les 
journaux  de  la  d('magogie,  à  laquelle  ils  sont  alliés  par  les  prin- 
cipes et  par  la  haine  du  catholicisme. 

Ces  tentatives  de  démoralisation  seraient  sans  danger,  si  le 
ministère  sarde  ne  leur  donnait  son  a|»pui  ;  mais  (]uand  le  dt's- 
oïdic  descend  de  hiiui ,  il  v;i  vite  et  gagne  de  la  loree  en  arri- 
v;iiii  (l;ms  le  li;is.  Du  rcsie,  le  ministère  de  Turin  send)le,  en  ceci, 
obéir  au  mot  d'ordre  qui  a  été  donné  à  tous  les  gouvernements 
de  faire  hi  guerre  à  l'Kglise.  Ce  qui  se  passe  dans  le  grand-du- 
ché de  Ba(h' ,  en  Suisse,  en  Suède,  «.'n  Piémont,  correspond  à  ce 
(pii  s'est  paisé  en  Angleterre,  en  Portugal,  et  dans  tous  les  pays 
qui  ont  citusenii  à  s'enrôltM-  dans  la  giUTre  contre  iRglise. 

La  conspiration  est  conduit*'  avec  ime  apparente  mod«'ration , 
dont  on  ne  consent  ù  se  départir  que  quand  on  <'st  sur  de  la  force. 
(Test  ainsi  que  les  protestants  ont  proctdé  dans  tnus  les  t<nq»s. 
Quand  les  cadiuliques  de  Corsior  ont  voulu,  <  omnu;  ils  on  avaient 
le  droit,  s'opposer  à  rétahlissemeul  d'un  prêche  au  milieu  d'eux, 
toutes  les  haionnetles  de  la  république  de  G«nève  odi  éti'  recpii- 
ses  pour  aller  nuposer  silentîo  ù  (pu  hpies  honnêtes  pères  de  fa- 
mille qui  ne  voulaient  pas  que  leins  enfants  pussent  entendre 
les  leçons  d'un  héiélique. 

Les  prédicants  qui  demandent  reiablissoment  des  temples  dans 


Dl'   CoyUEKGIi  DliS  COi>ISCILiSC£S.  53 

les  communes  catholiques  se  gardent  l)ien  de  dire  leur  dernier 
mot;  s'ils  demandent  un  temple  dans  la  ville  d'Annecy,  c'est 
pour  les  ouvriers  protestants;  à  Aix,  à  Évian ,  à  Saint-Gervais, 
c'est  pour  les  baigneurs  protestants;  à  Chamonix,  c'est  pour  les 
naturalistes  protestants  qui  vont  visiter  les  glaciers.  Ils  ne  man- 
queront [)as  de  dire  aussi  (jue  le  Glaneur  de  Cliambéry  n'est 
établi  que  pour  des  protestants.  La  vérité  est  que  l'on  veut  dé- 
moraliser les  populalions  par  l'ébranlement  des  croyances  reli- 
gieuses et  l'extinction  de  la  foi. 

Le  fait  de  cette  conspiration  quasi  universelle  nous  étant 
<'onnu  ,  il  reste  à  en  examiner  la  cause  et  à  se  demander  ce  que 
veulent  ces  émissaires  de  l'hérésie.  Ont-ils  la  foi  à  l'œuvre  qu'ils 
ont  entreprise,  ou  ne  sont-ils  que  des  corrupteurs  mercenaires? 

Chap.  II.  —  Y  a-t-il  des  piotestants  de  bonne  foi? 

A  cette  question ,  faite  d'une  manière  générale ,  nous  n'hési- 
tons pas  à  répondre  :  Oui,  il  y  a  des  protestants  de  bonne  foi; 
il  y  en  a  beaucoup,  il  y  en  a  dans  toutes  les  sectes  protestantes. 

Pour  les  catholiques  instruits  qui  voient  la  lumière  divine  se 
projeter  sur  tous  les  articles  de  leur  ci^oyance  ;  pour  ceux  qui 
se  sont  occupés  de  controverse  et  qui  ont  pu  à  loisir  contempler 
les  subterfuges  derrière  lesquels  sont  obligés  de  se  cacher  les 
enseignements  du  protestantisme  ;  pour  ceux  encore  qui ,  après 
avoir  étudié  la  raison  humaine,  ont  deviné  jusqu'où  devait  con- 
duire le  libre  examen  des  protestants,  ils  ne  peuvent  se  persua- 
der que  la  bonne  foi  puisse  jamais  se  rencontrer  dans  un  héréti- 
que. Mais  ceux  qui  ont  acquis  une  certaine  connaissance  des 
sociétés  protestantes ,  ou  qui  ont  connu  d'une  manière  particu- 
lière des  personnes  appartenant  à  quelques-unes  de  ces  sectes; 
ceux-là  savent  qu'ils  s'en  rencontre  qui  vivent  sans  aucune  in- 
quiétude et  même  sans  aucun  doute  sur  la  religion  qu'ils  profes- 
sent. 

Nous  ne  parlons  pas  de  la  tourbe  des  incrédules,  des  maiéi-ia- 
listes,  des  adiécs,  qui  ont,  à  force  de  volonté,  réussi  à  fermer  la 
porte  de  leur  intelligence  à  toute  pensée  religieuse  ;  mais  de 
ceux  qui  veulent  et  prétendent  être  chrétiens. 

On  comprend  jusqu'à  un  certain  point  que  les  protestants 


.5'1  1)1    ComitKCK  DES  COXSCIE^CEs. 

jjuissiiii  luiiihfi  J;ins  rnrt'ur  sans  s'vn  duiilcr.  .\\aiii,  m  m:  sc- 
paraiii  de  IKgliso,  perdu  la  supivme  ivglr  dr  la  foi,  ils  sont 
loniltés  sous  ruuloritc  de  la  laison  privé<r  et  se  sonl  ainsi  soumis 
à  toutes  le  alurraiiiMis  (|tii  fieuNcnt  oliscurcir  l'rsprit  humain. 
Lue  fois  enseveli  dans  les  lenèliics,  il  est  plus  dillicile  (ju'on  ne 
pense  d'en  soriir. 

Il  ne  faut  pas  onldier  cpie  riiuniine  ne  sait,  en  ^t'-néral.  que  ce 
(]u  on  lui  a  ap|)ris.  H  parle  (onime  il  entend  parler,  il  pense 
comroe  on  Ta  fait  penser,  il  raisonne  comme  il  a  entendu  ni- 
soooer,  au  moins  jusipi'à  ce  qu'il  ait  appris  que  Ton  p^'ut  parler, 
penser  et  raisonner  autrement  que  lui.  La  première  éducation 
est  tonte  puissante  sur  l'enfant;  or,  cond>ien  stjni  (dili^'es  de 
passer  leur  vie  entière  sans  avoir  (Tauiie  edneaiioii  religieuse 
«pie  celle  qu'ils  ont  reene  dans  renlance! 

Il  y  a  donc  une  foule  tl'artisans,  d'Iionnêles  oiivi  iers,  de  négo- 
ciants, de  chefs  de  famille,  qui  n'ont  entendu  que  l'hérésie,  fn''- 
quentc  que  les  temples  de  l'hért'sie,  reçu  «pu-  les  inspiraticms  (!l 
les  soins  de  l'hérésie;  qui  n'ont  puisé  dans  la  famille,  dans  l'é- 
cole ,  dans  la  société  «pie  les  cnseigneinenis  de  riit'résie  :  «'om- 
nieni  ne  s«'raieni-ils  pas  hérciiijues  de  b«miie  foi,  et  n'ignorc- 
rai«'nt-iU  pas  «e  «pi'iU  n'oiii  jamais  appris? 

Il  y  a  dans  les  classes  plus  ele\ees  une  foul«>  «I  hommes  (|ni, 
uussit«U  après  la  première  éducation  ,  sont  emportés  par  le  tor- 
rent des  affaires  vers  h-  c«)lé  matériel  «h*  la  vie  et  que  rien  ne  ra- 
mène à  la  pensée  «h-  Dieu,  «h-  laiilre  vie  «-t  «le  leur  immortalité  : 
c«)inment  ne  serai«'nl-ils  pas,  de  l>onn«'  foi,  dans  l'erreur  «pi'ils 
«ml  MU  ee  avec  le  lait? 

La  l)onn«'  foi  peut  s«-  trouver  dans  lln-resie,  in«"m«'  à  c«"tie  de 
la  scitîuce.  Dis  hommes  instruits,  des  savants  du  premi«'r  onlre. 
qui  s«»nl  rentres  dans  le  simu  de  l'I'Lglisc,  ont  affirmé  qu'ils  avaient 
été  l«)ngteinps  dans  l'in-résie,  sans  se  douter  «piils  étaient  dans 
l'erreur. 

Il  v  a  d«)n(  des  prot«\siants  «h*  l»«)nn«'  foi  ,  «•!  il  y  en  a  ln'aii- 
«fiup;  mais  cen\-l;'i  ils  ap|>arliennent  à  l'ilme  de  l'église.  Esp<'- 
loiis  «pi«'  le  Dieu  «pii  a  fait  dire  par  ses  anges  :  "  Paix  aii\  h«»m- 
nies  «le  bonne  \ol(»nl«',  »   les  r«'inellra  sur  le  cli«'iiiin  «le  la  v«'rii«'. 


ou  les  jugera  avec  miséricorde  quand  il  les  appellera  devant  son 
liibunal. 

Les  prolcsJants  dt^  bonne  foi  sont  faciles  à  reronnaîlre.  Ceux 
d'«MUiv  eux  (|ui  ne  vivent  pas  dans  ce  sommeil  de  rindillërence 
(pii  produit  Tinsensibililéde  lame,  exercent  toutes  les  vertus  que 
le  christianisme  inspire.  Ils  sont  charitables,  ils  sont  pieux  ,  ils 
prient,  ils  estiment  la  vertu  dans  les  autres  et  l'encouragent  par- 
tout où  ils  la  rencontrent.  Sincèrement  attaclu's  à  celles  des  vé- 
rités chrétiennes  (jui  leur  ont  été  enseignées,  ils  sont  dans  la 
disposition  d'admettre  toutes  celles  qui  leur  seront  connues 
comme  venant  de  Dieu.  Comme  il  n'y  a  point  de  haine  dans  le 
cœur,  il  n'y  a  point  de  fanatisme  dans  leur  langage.  Oh!  non, 
ceux-là  n'insulteront  pas  aux  catholiques,  ne  marchanderont  pas 
les  âmes,  ne  paieront  pas  les  apostasies,  ne  vendront  pas  le 
ministère  de  la  parole  à  ceux  qui  méditent  la  démoralisation  gé- 
nérale. Quand  ils  rencontreront  des  catholiques  fervents,  ils  ap- 
plaudiront à  leur  attachement  à  la  foi  et  les  encourageront  à 
rester  lidèles  aux  pratiques  de  leur  religion.  Ennemis  du  men- 
soDge  et  de  la  séduction,  ils  voient  en  nous  des  frères  qui  vont  à 
Dieu  par  un  chemin  dillérent  ;  mais  ils  aiment  à  nous  rencontrer. 
Aimons-les,  prions  pour  eux,  soyons,  à  leur  égard,  remplis  de 
pn'venance,  d'estime  et  de  charité. 

Cette  première  question  nous  conduit  à  cette  autre  :  Y  a-i-il 
des  protestants  de  mauvaise  foi?  Nous  sommes  assuré  que  tous 
ceux  à  qui  on  fera  cette  interrogation  répondront  que  si  la  bonne 
foi  se  trouve  dans  quelques-uns,  la  mauvaise  foi  se  montre  dans 
un  plus  grand  nombre  encore.  Il  est  impossible  de  penser  à  ses 
prédicants  sans  mission,  à  ces  acheteurs  de  consciences,  à  cette 
foule  de  colporteurs  de  Bibles,  de  pamphlets  ,  de  mauvais  livres 
de  toutes  les  natures  et  de  tous  les  formats ,  sans  éprouver,  à 
leur  égard,  un  sentiment  de  mépris  ;  c'est  la  conscience  publi- 
que qui  a  imprimé  sur  leur  front  le  sceau  de  la  mauvaise  foi. 
Cherchons  seulement  à  énumérer  ceux  des  protestants  qu'il  est 
impossible  de  ne  pas  classer  parmi  les  hommes  de  mauvaise  foi. 

C'est  une  bien  grande  insulte  que  nous  leur  adressons;  mais 
est-il  possible  de  faire  autrement?  pourquoi  voudrait-on  les  mé- 
nager? On  Ta  trop  fait  jusqu'à  ce  jour.  On  a  cru  qu'il  fallait  être 


56  l'I    COMMEHCE  DLS  <:oissriK:<iCES. 

poli  av«'r  fux,  <ni"il  lallait  user  «le  moiicmlioii,  «le  mcn:i^'pm(*nt 
t'i  (Je  lioiiccur;  a-l-on  ;,'a^iH'  (pnlciiii'  (liost*  par  remploi  do  «•<• 
moyen?  Au  roiilraire.  A  forre  do  leur  adoucir  la  vérité,  on  a 
réussi  à  leur  faire  croire  «ju'on  ne  lu  connni<«sait  pus  et  tpi'on  ne 
les  connaissuit  pas  eux-mêmes.  On  a  peut-^lre  scandalisé  \e% 
hini|tles  callioliijiifs  .  <pii  etainit  sans  »  i-sse  accablés  d'injurt-s, 
lamiis  (pi'ils  ne  \o\aienl  laiic  ipie  d  humides  révérences  aux  en- 
nemis »le  leur  foi.  Lisez,  tout  ce  qui  s'é<Tit  en  Anjiletcrn'.  en  Hol- 
lande, à  Genève,  contre  rKj;lise.  contre  le  Pupe,  contre  les  ca* 
tlioliques  en  {général.  Les  dési}?ne-t-on  jamnis  autrement  que  par 
les  noms  d'ultramontains,  de  pa|)istes,  didolàires,  d'cnranls  de 
liaal,  des  pharisiens,  etc.  Entende/,  les  évoques  anj-licans  parler 
d'une  mesure  prise  par  le  Souverain  l'oiuire.  nn-snrf  i|ui  avait 
pnur  1)111  de  laiic  cnunaiire  aux  caihuliqin's  anglais  de  quelle 
juridiction  spirituelle  ils  dépendaient.  C'était  une  agression  pa- 
piste, insolente,  insidieuse,  atroce,  basse,  impie,  prstHnitielIr, 
horrible,  audacieuse ,  impie,  absurde,  révoltante  et  ifiéprisnble. 
Nous  ne  relevons  pas  la  centième  partie  «les  insultes  grossières 
adressées  aux  catholiques  jiar  les  prédicateurs  rt  les  écrivains 
pioti'slants;  mais  d  v  en  a  assez  pour  li-tiitinjer  les  dures  vérités 
«pie  nous  (le\ons  leur  laiie  cnlendi'cî.  \e  craij,'nons  ilouc  pas  de 
prendre  dans  la  main  du  Sauveur  le  fouet  dont  il  se  servait  pour 
chasser  les  profanateurs  du  tenq>le  et  d'en  frapper  ces  acheteurs 
de  consciences,  ces  vendeurs  tlv  m«i)s<in'^'es,  ces  profanatt'urs  «les 
«loclrines  sacrées,  laissons  une  fois  à  une  trop  juste  indi^'uation 
la  liberté  de  la  francluM'.  liomme  il  n'y  a  dans  notre  cour  au- 
cun senlimefii  de  haine  «outre  les  profesiaiits,  qu'il  s'y  lrouv«-  au 
C(MUraire  un  amour  Inin  fraternil  pnui  ceux  d'entre  «mix  en  rpii 
nous  retrouvons  de  la  loyauté  et  de  la  jusii«'e,  nous  reclamons  le 
droit  de  dire  aux  autres  la  vérité  tout  eniicie.  sans  l'entourer  de 
formes  (pii  la  déduisent.  Irascimini  et  nnlite  prrcare. 

Si  la  bonne  fui  devait  se  trouver  (piel(|ue  part,  ce  serait  dans 
les  chefK  de  la  société  roli^ieuse.  Examinons  : 

Kn  repoussant  l'autorité  ibi  Pape,  les  prolestants  eu  »mt,  «ii 
Ken«'ral,  admis  une  autre.  Pour  eux.  la  so(  ieie  ndi^ieusc 
a  le  même  chef  cpie  In  société  civile  Lein-  prince,  qu  il 
soil    lionune  on    (piil    sou    femnu- .  qnil   soit    mm   nu   qnil    soit 


I>|i   COMMEKCE  DES   CONSCIEISCCS.  57 

plusieurs,  est  Icnrpapo,  l(Mir  pontilb  siipiôino  ,  lo  dirocteur  do 
leur  coiisciiMicc ,  le  léguhilciii"  de  N'iii"  loi.  Iloi's  do  l'Église  ca- 
tlioliqiie,  hi  religion  est  piuioiit  une  all'uire  purement  humaine 
<pii ,  eonime  loutes  les  atiires,  est  conduite  par  les  hommes.  En 
Russie,  c'est  remperour  (pii  est  le  clielde  l'église  et  (jui  donne  la 
mission  aux  évoques  de  ses  étals.  En  Angleterre,  depuis  qu'Henri 
\  III  s'est  institué  chef  suprême  do  l'église,  c'est  le  roi ,  c'est  la 
reine  qui  lient  les  clefs  du  paradis,  car  c'est  elle  qui  règle  ce 
qu'il  faut  faire  et  ce  qu'il  faut  croire  pour  y  aller.  Comme  la 
souveraineté  religieuse  est  un  droit  inhérent  à  la  couronne,  les 
souverains  qui  se  succèdent  ne  sont  pas  tenus  d'imposer  à  leurs 
sujets  les  mêmes  articles  de  doctrine  qui  ont  été  donnés  par 
leurs  prédécesseurs.  Ainsi,  sous  Henri  VIII  on  condamne  au  feu 
ceux  qui  ne  veulent  pas  croire  au  dogme  de  la  transsubstantia- 
tion ,  et  sous  Edouard  ,  qui  se  trouve  Pape  de  l'église  anglicane 
à  douze  ans,  on  brûle  ceux  qui  veulent  y  croiie.  Les  premiers 
rois  de  l'église  anglicane  admettent  leJ)aptême  comme  moyen 
de  justification,  et  la  reine  actuelle  décide  que  cette  cérémonie 
n'est  pas  absolument  nécessaire.  Le  roi  de  Prusse  ,  ceux  de  Hol- 
lande ,  de  Hanovre ,  de  Suède ,  les  Conseils  des  cantons  suisses 
jouissent  aussi  de  l'omnipotence  religieuse  sur  les  sujets  et  les  ci- 
toyens. 

Nous  demandons  maintenant  si  tous  ces  papes  et  ces  papesses 
c|iii  se  sont  constitués  les  interprètes  de  Dieu ,  peuvent  avoir  la 
moindre  foi  à  leur  propre  infaillibilité.  Les  historiens  rappor- 
tent que,  vers  les  temps  de  la  décadence  du  paganisme,  deux 
augures  n'auraient  pu  se  regarder  sans  rire.  Serait-il  possible 
que  les  papes  d'Angleterre,  qui  dtVrètenl  une  religion  en  trente- 
neuf  articles,  et  les  papes  d'Allemagne,  qui  décrètent  la  religion 
d'Augsbourg,  et  ceux  de  la  Suisse,  qui  abolissent  toute  religion 
écrite,  puisqu'ils  ne  veulent  plus  de  confession  de  foi ,  pussent, 
s'ils  se  rencontraient,  se  regarder  sans  rire?  Non,  cela  n'est  pas 
possible.  Il  y  a  souvent  dans  les  hommes  des  aberrations  d'es- 
prit; mais  elles  ne  sauraient  avoir  cette  constance  dans  une  seule 
catégorie  d'individus;  non  encore  les  princes  protestants  ne  sont 
pas  fous,  au  point  de  se  croire  les  envoyés  de  Dieu,  pour  diriger 
les  consciences ,  interpréter  l'Évangile  et  faire  des  religions  à 


58  l»l'    COMMtKCE   DES   CONSCIENCES. 

rusa};c  de  leurs  sujets;  mais  rinlérêl  politique  en  fait  des  hom- 
mes (le  mauvaise  foi.  Alin  de  mieux  assurer  rinié^rilé  de  Iciii 
dt'spotisme,  ils  ont  \oiilu  joindre  le  droit  di\in  an  dioil  polilicjue, 
la  puissance  spiiitiielle  à  la  puissance  civile,  et  se  montrer  aux 
peuples  tenant  le  },'laivc  d'une  main  et  de  Taulrc  les  foudres  du 
ciel.  On  a  souvent  reproché  aux  princes  des  monarchies  catholi- 
ques de  remonter  an  droit  divin  pour  lé^'ilimer  leur  pouvoir;  il 
est  hien  étonnant  que  les  satires  des  pid>licistes  ne  se  soient  ja- 
mais dirij,'(''cs  contre  les  princes  protestants  cpii  s'adjugent  le 
droit  divin  et  (pii  prclendent  en  user  sans  aucun(;  contestation. 
Henri  \  111  concJamnait  à  être  brûlé  vif  (piiconipie  refusait 
de  le  reconnaître  comme  souverain  pontife  de  la  religion ,  et 
à  la  mort  seulement  (^euv  qui  s'avisaient  d'en  douter.  Les  rois 
de  Danemark  ,  de  Suède  n'(''taieni  pas  plus  doux  à  IT-gard  de 
ceux  (jni  refusaient  de  les  legarder  comme  des  denn-Dimx;  cl 
l'on  pourrait  se  persuader  (jue  ces  hommes  sont  de  bonne  foi  ! 
Non.  Ils  étaient  plus  méprisables  par  la  fourberie  et  la  mauvaise 
foi  dont  ils  faisaient  usage  pour  tromper  les  penj)les  (juils  n'é- 
taient redoutables  par  leur  férocité.  t 

Le  23  août  1536,  le  Conseil  des  soixante,  ù  Genève,  décrète 
l'abolition  de  la  messe,  slattie  que  chaque  citoyen  est  tenu  île 
servir  Dieu  selon  le  |)ni'  Kvangile,  cl  défend  de  faire  aucune  ido- 
lâtrie papisti(|ue.  Dans  tous  les  cantons  protestants,  les  C<*nseils 
ont  encore  les  mêmes  droits  et  jouissent  des  mêmes  prérogatives 
divines.  MM.  Decrey,  à  Genève;  Dtuey,  à  Lausanne,  peuvent 
ouvrir  ou  fermer  des  temples,  envoyer  et  interdire  des  pasteurs, 
réviser  la  Bible,  corriger  l'Évangile,  abréger  le  calé'chisme  cl 
dire  aux  prédicanis  <le  la  religi(»n  ollicielle  :  Mie/  ,  instruisez 
les  nations,  baptise/.-lesan  nonnie  Dtiiey  et  (onqiagnie. 

Soutenir  que  ces  hommes  sont  de  bonne  foi,  ce  serait  soutenir 
l'absunle.  Ce  qu'ils  veulent ,  c'est  de  ne  trouver  aucun  obstacle 
à  leur  puissance,  et,  au  moyen  d'une  théocratie  menteuse,  en - 
«  liainer  les  hommes,  an  non>  de  la  religion.  Il  est  triste  de  penser 
«)unne  fourberie  sert  de  bas«'  à  la  consiiinlion  de  tons  les  Etats 
prolesianls  de  l'Europe,  ei  plus  iijsie  encore  de  \oir  des  princes 
<atholi<pi('s  envier  cette  siipreniatie  ,  tpii  les  rendrait  me|»risa- 
hlcs  sans  les  rendre  plus  puissants. 


MÉLANGES  ET  NO[]VELLES. 


Etats-Unis.  —  Voici  ce  que  pense  le  Herald,  journal  protestant  de 
New- York,  sur  les  ariens  unitaires  ou  socinicns,  à  roccasion  d'un  docteur 
Gibbs ,  qui  n'a  pas  été  nommé  professeur  de  chimie  à  l'université  de  celte 
ville.  «  L'infidélité  »  ne  fait-elle  pas  autant  de  progrès  à  Genève  qu'aux 
Étals-Unis  ? 

«Si  le  docteur  Gibbs,  s'écrie  le  Herald,  avait  été  repoussé  parce  qu'il  ap- 
partient à  la  religion  méthodiste,  épiscopale  ,  baptiste  ou  même  catholique, 
un  pareil  acte,  sans  aucun  doute,  aurait  été  intolérant.  Mais  il  y  a  une  im- 
mense dilTérencc  entre-  ces  sectes  et  celle  des  unitaires,  si  grande  en  vérité, 
que  pour  nous  expliquer  la  sympathie  témoignée  pour  le  D''  Gibbs  dans  beau- 
coup d'endroits,  nous  sommes  forcés  d'admettre  que  le  caractère  des  unitai- 
res est  très-imparfaitement  compris  parmi  nous. 

»  En  bon  Anglais,  un  unitaire  est  un  être  qui  ne  croit  pas  à  la  Trinité,  qui 
ne  croit  pas  à  la  divinité  de  Jésus-Christ,  ni  à  l'inspiration  de  la  Bible;  c'est 
un  infidèle  de  l'espèce  connue  sous  le  nom  générique  de  déistes,  parce 
quils  croient  à  l'existence  d'un  Dieu,  et  qu'ils  se  distinguent  ainsi  des  athées 
qui  ne  croient  pas  en  Dieu.  Le  plus  éminent  unitaire  du  temps  passé  est  pro- 
bablement Voltaire,  qui  a  jeté  les  fondements  de  cette  doctrine  dans  ses  œu- 
vres philosophiques.  Tous  les  unitaires  n'ont  pas  tiré  de  leurs  principes  tou- 
tes les  conséquences  que  Voltaire  en  a  fait  sortir.  Beaucoup  d'entre  eux  ont 
manqué  de  génie  et  de  science  pour  rendre  comme  lui  leurs  blasphèmes  po- 
pulaires. Mais  aucun  de  nos  modernes  unitaires  ne  diffère  matérielle- 
ment dans  ses  doctrines  du  sage  de  Ferney.  Ils  croient  en  un  Dieu  ou  en  un 
pouvoir  créateur;  ils  considèrent  la  Bible  comme  un  excellent  livre,  inférieur 
à  Shaîkspeare,  mais  positivement  supérieur  à  Platon;  ils  classent  Moïse ^  le 
Christ  et  saint  Paul ,  parmi  les  hommes  les  plus  éminents  de  l'antiquité.  Les 
développements  de  cette  doctrine  dans  l'État  de  New- York  sont  récents, 
mais  pendant  ces  ving-cinq  dernières  années  elle  a  fleuri  à  Boston  et  dans  la 
Nouvelle-Angleterre.  La  plupart  de  nos  savants  et  de  nos  littérateurs  sont 
devenus  unitaires  ;  beaucoup  de  ministres  protestants  ont  adopté  cette  foi  ;  et 


(>() 


\1KI.ANGES     ET    >()lVtLLLS. 


Cil  général  tous  les  sceptiques,  reculant  devant  la  réprobation  atlarliée  ;iu 
nom  de  déiste  ou  d'infidèle,  onl  revêtu  leur  incrédulité  du  faux  manteau  de 
l'unilarisme.  La  secte  à  laquelle  appartient  le  D'  Gibbs  a  été  ou\ertemenl  le 
rece|)taclc  de  l'inlidélité  depuis  un  quart  de  siècle.  » 

Il  |)araU  que  «  l'infidélité  »  ronge  surtout  la  secte  des  presbytériens.  Voici 
rc  qu'avoue  un  ministre  de  celle  secte  : 

«  Qu'avuns-nous  vu  au  cummcnccmenl  de  ce  siècle?  L'église  des  puritains 
après  une  expérience  que  tout  devait  favoriser,  dévorée  jusqu'au  cœur  par 
le  socinianisme,  et  non  par  un  sociniaiiismc  inqtortc,  conmic  lu  peste,  par 
les  miasmes  délétères  venus  de  Genève  déj{énérée,  de  Ilailcr  ou  de  Berlin  , 
lie  Itelfast  ou  de  Munlauban  ,  mais  un  socinianisme  s'cnrariiiant ,  s'épanouis- 
sant  dans  lo  monde  moral,  par  les  lois  naturelles  de  ce  germe  latent,  pHmor- 
dium  vitipcl  primordiuin  inorlia,  de  tout  le  système  des  libres  penseurs. 

«  L'ange  des  ténèbres  a  égoutté  la  rosée  de  ses  ailes  niaudites  sur  la  Nou- 
velle-Angleterre ;  les  chaires  de  ses  villes  et  de  ses  paisibles  villages  sont  oe- 
eupées  par  des  blasphémateurs.  Méprisant  la  liturgie  pure  des  temps  anciens, 
ils  prêchent  sans  crainlc  que  Jé-sus-Cluist  n'est  pas  le  vrai  Dieu  :  «  Je  crains 
vraiment,  disait  Increasc  .Malher,  à  l'aurore  du  puritanisme,  je  crains  que  la 
.Nouvelle-Angleterre  ne  devienne  la  Hahylone  de  r.\mérique.  » 

»  F^es  uiiiversitalisles,  enseignant  t]u'il  n'y  a  pas  d'enfer,  se  vantent  d'être 
à  eux  seuls  en  possession  de  mille  chaires  sur  cette  terre  maudite,  parmi  les 
fils  des  puritains.  En  ISU).  ils  n'avaient  que  quatre-vingt-trois  ministres  j 
muinlenant  (IS'JO)  ils  en  onl  sept  cents,  et  ils  prétendent  venir  en  (|uatrième 
ligne  dans  l'échrllc  des  dénominations  de  l'I'nion.  I^a  Nouvcllc-.VnglcIcrre, 
en  prescpie  totalité,  est  socinicime.  et  ii  Boston,  à  une  seule  exception  près, 
toutes  les  vieilles  ctmgrégalions  sont  unitaires.  * 

In  ministre  pniteslant.  le  D'  David  Ilice.  conq)tnit  en  1K:24,  que  dans  le 
Kenlucky,siir.'>('>i.r)l7  habitants  proleslanls.  r>^".I!>7  personnes  adultes  n'ap- 
parlenaicnt  à  aucune  profession  n-ligieuse,  et  ipie  plus  de  '»<K).t)(K(  pcrsoimes 
nu  fréquentaient  aucune  église  le  dimanche. 

Depuis,  la  population  a  doublé,  mais  tout  nu  profit  «le  l'élément  anti-cliré- 
lien,  ou  au  profit  du  catholicisme.  En  I8'2i,  celui-ci  naissait  è  peine;  aujour- 
d'hui, il  y  a  deux  é\échés  dans  le  Kentncky,  Louisbourg  et  Covingtou.  30 
églises,  Cà)  |)rvlres  et  S(),(IO(>  calholiipies. 

.%iiKlctei'rc.  —  Nous  lisons  dans  une  Icllre  Irès-remanjuablc  de 
S.  K.  le  cardinal  Wiscman,  archevêque  de  Westminster,  à  M.  Jules  (london, 
les  lignes  sm'vantcs  qui  sont  n|>|ilieBl)les  }^  tous  les  pays  : 

«  I'cr«<inne  ne  saurait  nier  que  depuis  la  restauration  de  la  hiérarchie  le 
sentiment  protestant  n'ait  été  surexcité  et  qu  il  n'y  ait  eu  |>his  d  aigreur  et 
plus  de  violence  qu'antêrieuremcul.  MaLs  pouvait  il  en  être  aulreujcnl?  Quand 
donc  une  grande  action  ilc  l'Église  s'esl-ellc  acrom|ilic  sans  irriter  ses  en- 
nemis quelcpie  part  t\n\\s  puisse  être  ?  Est-ce  qu'à  répocpie  de  saint  Tliomas 
de  Cantorbéry  la  granile  cause  de  la  liberté  cl  de  limlépcndance  de  l'Église 


IIÉLANGES    ET    NOUVELLES.  Q\ 

a  otù  g;.;r.,n.  sans  beaucoup  do  souffrances  pour  les  innoceuJs  et  sans  l'cffu- 
sum  de  son  propre  san,,  alors  que  tous  ses  paron.s  c,  tous  .-eux  ,,uid  pen- 
da.ent  do  lu,  eurent  re,u  I  ordre  de  quitter  le  royaume  et  s^-n^a^ùren    n  r 

a.ns,  h.   en.   de  1  lu-rcsie  o.il  opposlion  des  catholiques  froids  et  indiffé- 

ruy"'7?""" '''':'"" '"^  „,,,,,  ,3i„t  Grégoire  VII  et  tant  d'autres 

n  le.  de  h  poursu.te  de  leurs  plans  pour  extirper  la  simonie,  pour  assu- 

le  cCbat  du  clergé  et  pour  s-affranchir  de  Tabus  des  investitures  laïques^ 

Ks  -ce  que  nous  pouvons  attendre  un  trailenu-nt  diflérent  de  celui  éprouvé 

par  tant  d'autres  aux  différentes  époques  de  lÉglisc  ?  . 

iaif;;i:::^r?'^^'^"^  ^"  '"^'"^^^^'  ^'^^^■^-'^  --  ^-^^^'eun 

.M^:nt'nX n-e'"r"""  ,'"  '°"'"""'"  ~l-bles  qui  ont  suivi  cette 
,.andc  mesu.c?   Je  vous  laisse,   mon  cher  Monsieur,  à  vous,  qui  savez  si 

■en  cela,  .^  ,„.,.  ,    ,„,,  ,„„^,,^^  ,^^  ^^^^  ^^^  plusUIustres'c  i   d 

pu.,  cette  époque.  Ce  n'est  pas  à  moi  à  établir  des  distinctions  :  toute  breb  s 

garce  qu.  est  retrouvée  est  égalen.ent  chère  au  pasteur.  Je  me  born n.  sur 
c    pomt  a  deux  observations.  La  première,  c'est  que  les  conversions  dans  les 

1  sses  n.oyennes,  les  plus  importantes  en  Angleterre,  ont  été,  d  puTs  lé 

La  seconde,  c  e.t  que  quelques-uns  des  convertis  les  plus  distingués  de 
ce  époque  m'ont  avoué  que  c'était  précisément  cette  hdte  de  n  trff  ib 

^  tcX  :;^  ;:  ^^''-^-^^'^-^  ^^  ^^  ^^  société,  eties  >;;:;^ 

"C  ce  conllit  qm  les  ont  amenés  a  1  Eglise  catholique.  « 


GenèTC.     ♦"  Nous  apprenons  par  un  journal  protestant  de  Genève 
.I"e  le  dmianche  qui  a  précédé  les  élections  communales  dans  tous  le  canton, 

1  "  "''''  ''"'°"'  ''  '^'''  ""''''  '•^PP^'^  1=»  ^'-è'^iou  de  la  Société 

des  uaen,s  protestants  (?),  il  a  fait  ressortir  le  devoir  imposé  à  tous  lespro 
testants  de  mamtenir  l'héritage  chrétien  que  leur  ont  légué  leurs  pères     et 
M.  le  pasteur  Rœrhich  a  invité  ses  paroissiens  à  coopérer' elon  le  r's  moy'en 
aux  œuvres  dont  on  venait  de  les  entretenir.  »  ^ 

on.  Société  des  intérêts  prolestants,   c'est-à-dire  V Union  protestante  a 
pour  but  avoue,  dans  son  manifeste,  .  de  faire  pénétrer  les  priZes  du  p;o 
testanusme   au  sein  même  du  catholicisme.  «Avis  aux  calholiq^e    de  no 
campagnes.  ^ 

•"  VUniœi  protestante  vient  de  renouveler  sur  un  autre  point  du  canton 
1  agression  de  Chcvrans.  Un  culte puMic  a  été  ouvert  au  village  de  I andë!^" 


4)2  MtLAXJES  ET    .>()D\  bl-LES. 

paroisse  de  Cuinprsières.  On  annonce  un  semblublc  ruUejtublir  proirstani  à 
Vcrsoix  ,  à  une  autre  fXln'miU'  »lu  lanldn  «le  Genève  Toutes  ces  provoca- 
tions, loin  de  contriltuer  ti  lu  conciliation  et  à  lu  paix  publif|ue ,  ne  feront 
(|u'a};itor  et  irriter  les  populations  de  nos  campagnes;  loin  d'afTaiblir  la  foi 
«les  cutlioli(|ues,  tout  cela  ne  fera  <|ue  l'augmenter.  Nous  croyons  que  jamais 
le  clergé  catholique  et  les  bonnes  populations  de  nos  campagnes  n'ont  eu  plus 
besoin  d'exercer  leur  vigilance. 

Dans  les  campagnes  catholiques,  les  rlcciimis  iiiuiii(i|(;ili-s,  j  1  ixceplion 
de  deux  ou  trois,  ont  été  bonnes;  à  Carouge  elles  ont  été  hostiles  à  la  reli- 
gion catholique,  pur  l'union  des  protestants  avec  les  call»<ilii|ucs  (jui  veulent 
la  fusion  des  deux  cinietièrcs.  A  (îenèvc  la  liste  de  l'union  des  démocrates  et 
des  conscrvulcnrs  a  passé.  Klle  ne  conlenail  pas  un  seul  nom  calholicjue.  Du 
reste,  la  «piestion  des  chemins  de  fer  absorbe  même  l;«  ({uesllun  religieuse 
pour  le  moment. 

**•  De  pauvres  victimes  de  l'argent  de  VVniim  prolrslaitle  sont  déjà  reve- 
nues à  récipiscence  ;  il  y  a  eu  plusieurs  abjurations  publiques  dans  des  com- 
munes voisines  de  noire  canton.  Nous  espérons  pouvoir  donner  des  rensei- 
gnements curieux.  Ce  qui  est  frappant  en  Savoie,  c'est  l'entente  parfaite  qui 
existe  entre  les  agents  de  la  propagande  protestante  et  les  agents  des  sociétés 
secrètes  démagogi(|iies.  Quelle  étude  de  mœurs!  quelles  tristes  réalités  pour 
l'observateui'  inq)artiul  !  Il  scnd)le  (juc  ces  zélateurs  des  sectes  et  des  révo- 
lutions senicnl  leurs  victimes  :  ils  savent  juste  quel  est  le  mauvais  sujet  du 
village  ou  la  lille-mére  qu'il  faut  gagner...  .Nous  avons  sous  les  yeux  des  dé- 
tails sur  des  faits  frappants  qui  se  sont  passés  h  Sallanches ,  à  Evirc  et 
autres  communes  voisines  du  canton.  Dans  le  canton  de  Genève,  les  catho- 
liques ne  se  laissent  pas  si  facilement  tromper;  ds  sont  habitués  au  feu  et  ils 
connaissent  la  tactique. 

•**  .Nous  sommes  stupéfaits  en  constatant  comment  les  hommes  sérieirx  il 
(ienève  ne  voient  pas  ou  ne  veulent  pas  voir  le  progrès  effrayant  de  la  dé- 
moralisation parmi  les  pauvres.  I>e  conmierce  des  Ames  flétrit  de  plus  en 
plus  les  caractères,  affaiblit  la  foi  chrétienne  et  crée  une  caste  de  malheureux 
qui  n'ont  plus  de  frein,  (|ui  ne  veulent  plus  travailler  et  qui  se  donnent  au 
plus  offrant  enchérisseur.  Déjù  beaucoup  ont  passé  «l'un  protestantisme  fa- 
cile à  l'incrédulité  et  à  un  socialisme  t«>ui  ii  l'Iicure  pratique.  Ajoutez  îi  cette 
cause  première  d'une  véritable  dégradaliiui  murale,  tout  le  dissolvant  des  se- 
dortions  des  grandes  villes,  des  d:ingers  que  courent  ces  jeunes  filles  de 
la  campagne  (|iii  viennent,  sans  expérience  et  sans  ressources,  chercher  <le 
l'ouvrage  à  (ienève...  Considérer,  ce  qu'il  y  a  de  désastres  profonds  dans  la 
vie  d'atelier  pour  notre  jeunesse ,  et  juger  si  au  lien  d'un  prosélytisme  dé- 
moralisant, il  ne  serait  pas  bien  autrement  important  que  rhaque  culte  s'oc- 
iup:il  séricoscniriil  tl  améliorer  l'élal  moral  de  ses  ressortissants.  I.a  plaie  esl 
bien  autrement  profoiKle  qu'on  ne  croit,  surtout  chez  les  protestants.  Nous 
connaissons  les  pauvres ,  nous  connaissons  les  ateliers,  nous  entendons  les 
incroyables  divagations  de  l'irréligion  dans  les  lieux  publies  :  c'est  pournoiu 


HÉLAfS(iES   ET  >i()LVLLLKS.  63 

imc  sliiptfaclioii  de  cl);ujiif  jour  en  voyant  le  mal  croissant,  et  l'absence  de 
niojcns  l'flicaces  de  l'arrêter,  pendant  qu'on  s'amuse  avec  une  espèce  d'a- 
veupiemcnt  incroyable  à  user  son  temps  pour  arracher  la  vraie  foi  à  de  pau- 
vres gens,  sans  leur  rien  donner  à  la  [)lacc.  Une  pauvre  fille  de  la  Savoie  me 
racontait,  il  y  a  quchiiies  jours,  tout  ce  qu'on  lui  avait  dit  contre  la  religion 
catholique,  surtout  contre  la  confession  cl  contre  les  prêtres.  Elle  avait  été 
vaincue,  entraînée  ;  je  lui  demandai  :  Mais  dites-moi,  que  vous  a-l-on  dit  qu'il 
fallait  croire?  cjuclle  est  votre  foi  désormais?  —  Ah!  me  répondit-elle,  on  ne 
nous  a  pas  parle  de  cela....  —  Mais  croyez-vous  maintenant  au  moins  à  la  di- 
vinité de  N.  S.  Jésus-Christ?  —  Ah  !  on  ne  nous  a  rien  dit  sur  cela.  —  Mais 
croyez-vous  encore?  —  Ah!  je  ne  sais  pas.  --  Croyez-vous  au  Symbole  des 
Apôtres?  -  Ah!  je  ne  sais  plus...  Cette  pauvre  fille  était  accablée  de  ce  qu'on 
lui  avait  arraché  de  croyance,  et  de  ce  qu'on  lui  avait  laissé  d'ignorance  et  de 
doute.  Elle  est  rentrée  sans  bruit  dans  le  sein  de  l'Église  catholique. 

*"  Le  Lien,  journal  protestant  de  M.  A.  Coquerel,  qui  représente  assez 
bien  à  Paris  l'église  nationale  de  Genève,  traite  rudement  les  méthodistes 
français  et  les  recordistes  anglais.  Il  appelle  de  ce  dernier  nom,  en  Angle- 
terre, la  fraction  la  plus  outrée  du  parti  exclusif  prolestant  qui  a  pour  or- 
gane le  Record. 

La  guerre  est  bien  vive.  Voici  les  paroles  de  M.  Coquerel  : 

«Le  Record  croit-il  les  réformés  de  France  prêts  à  se  résigner  à  voir  in- 
terdire la  sainte  Cène  à  tout  fidèle  et  la  chaire  à  tout  pasteur  qui  refuserait 
de  signer  la  théologie  du  Record  ou  de  V Espérance? 

»  Croit-on  qu'ils  se  soumettront  à  ce  tribunal  d'inquisition  des  mœurs  qu'on 
a  essayé  de  rétablir  dans  quelques  églises,  et  qu'ils  consentiront  à  se  voir 
eux-mêmes,  ou  leurs  femmes  et  leurs  filles,  cités  à  comparaître  devant  le  con- 
sistoire, et  là,  jugés,  admonestés,  censurés  en  public,  excommuniés  en  par- 
ticulier enfin?  Croit-on  qu'ils  permettront  à  ce  tribunal  illégal  de  scruter  leur 
vie  privée,  de  régenter  l'intérieur  de  leurs  familles,  et  de  publier  que  tel  ou 
telle  a  commis  un  scandale  toutes  les  fois  qu'on  aura  violé  quelque  article  de 
son  code  étroit  et  formaliste  ? 

»  Si  c'est  là  ce  qu'on  pense,  on  se  trompe;  il  n'y  eut  jamais  plus  complète 
méprise,  et  nous  apprendrons,  s'il  l'ignore,  au  correspondant  du  journal 
anglais,  qu'aujourd'hui,  en  France,  au  sein  de  nos  églises,  nombre  de  laïques 
zélés  et  pieux  accusent  tout  haut  leurs  pasteurs ,  et  particulièrement  ceux 
(jue  le  Record  attaque,  d'user  de  trop  de  ménagements,  et  de  ne  pas  expri- 
mer avec  assez  de  netteté  et  d'énergie  la  répulsion  profonde  qu'inspirent  l'ex- 
clusisme,  ses  allures  despotiques  et  ses  analhèmes  anti-chrétiens. 

»  Ah  !  c'est  qu'il  y  a  autre  chose  entre  le  Record  et  le  Lien  que  des  ques- 
tions de  personnes;  il  y  a  autre  chose  entre  l'Alliance  chrétienne  universelle 
et  ceux  qui  damnent  les  hérétiques,  entre  l'Évangile  et  les  confessions  de 
foi  même  diminuées  des  trente-quatre  articles,  entre  l'esprit  de  Jésus-Christ 
et  l'esprit  inquisiteur,  persécuteur,  pharisaique  de  l'intolérance. 

Il  est  incontestablement  faux  que  les  agitations   ecclésiastiques  ont  été 


I 


<)4  llÉLAMibS    ET    .><)LVLLEi>. 

riiraïUccs  par  ceux  sur  qui  leurs  auletirs  voudraient  rn  rejeter  t'odieux. 
Kilos  datent  de  plus  luin  ;  elles  ont  éd*  pn)duiti*s,  elles  sunl  entrclenuesi  |»ar 
cet  esprit  futal  de  discorde  et  dr.  condanuialion  ipii  n'a  qu'à  ne  montrer  Ici 
(pi'il  est  pour  «'"Ire  repoussé  de  tous....  »  •  Faudrait  il  que  je  u)'ab>licunc  de 
la  C«'ne ,  parce  que  je  ne  pui>  pas  déclarer  <|ne  j'admets,  avec  le  concile  de 
>ieée  ou  le  synode  de  Donlreclil ,  de.>  distinctions  comme  eelles-ci  :  fx  fils 
n'rst  pas  crà',  mais  rngntdrr,  cl  Ir  Sainl-Ksprit  n'cs(  ni  cric  ni  engendré, 
mais  procède  du  Pire  cl  du  Fils.  » 

.Ainsi  les  nùihudistes  et  recordisles  sont  «  iiMpiisileurs,  |icrsécuteurs ,  piia- 
risaïques ,  intolérants,  despotes,  hommes  de  discorde  et  de  condarun<ilk)n. 
huniuies  danathèmes  anli-clirélieiis.  > 

Va  les  laliludinaristcs  de  M.  Coquercl  n'adniellenl  plus  la  suinte  Trinité  et  la 
divinité  de  Jé&ustllirisl,  définies  au  concile  {(t^néral  de  .Nicéc. 

il  en  résulte  que  la  cundamnatiun  des  niélliodisles  est  «claire  et  précise:* 
mais  (pie  la  foi  de  leurs  adversaires  se  passe  facilement  de  la  clarlc  et  de  la 
précision  dans  la  doctrine. 

*•*  l'n  journal  protestant  detJenëve  pnUe,  entre  autres  jolies  clioses  de  la 
même  espèce,  à  .M.  l'abbé  Mermillod,  vicaire  de  (îeni^ve.  les  paroles  suivan- 
tes, que  ecluici  aurait  prononcées  h  (îénes  dans  l'église  de  Sainl-Am- 
broisc  :  «  Les  calliiilir|ncs  de  (iencve  continuent  la  construction  de  la  maisoti 
on  sera  ADOIlKi;  Marie,  la  Mère  de  Dieu.»  Jii^e/ du  reste,  lecteurs,  par  une 
pareille  citation.  Kt  \oila  conune  Ion  égare  sciemment  ici  les  prule&tanls  et 
comme  on  calonniie  le  clergé  calliolicpie. 

***  I^  persécution  continue  dans  le  grand-duché  de  Rade.  Mgr  l'arelievéque 
«leFribnurg  vient  d'être  soimiis.'i  nn  mandat  d'arrcl.  Il  est  gardé  à  vue  par  de» 
gendarmes,  et  il  ne  peut  comnmniqner  aver  personne  qu'en  leur  présence. 


FRAG^IENTS  HISTORIQUES. 


Iiitrofliietiuii    du    protcstautifmiic    dans    le    canton 

de  l'and. 


Les  fondateurs  de  la  Société  dite  des  intérêts  protestants, 
n'ont  pas  craint  de  nommer,  dans  leur  manifeste,  la  religion 
catholique  la  religion  de  la  contrainte^  en  opposition  à  la  leur 
qu'ils  appellent  la  religion  de  la  liberté.  Nous  demanderons 
à  ces  nouveaux  champions  de  la  réforme  s'ils  croient  sé- 
rieusement ce  qu'ils  disent,  et  s'ils  s'imaginent  que  leur  dra- 
peau soit  pur  de  toute  violence.  A  les  entendre ,  il  semble- 
rait que  le  protestantisme  n'a  eu  que  des  apôtres  aux  paroles 
mielleuses,  aux  formes  douces,  à  l'air  bénin.  On  croirait  que 
cette  sainte  réforme  n'a  été  de  toute  part  établie  qu'à  l'aide  de 
la  persuasion ,  et  que  ses  conquêtes  ne  sont  dues  absolument 
qu'à  la  mystérieuse  action  du  livre  sacré. 

Mais  alors  où  ont-ils  fait  leur  cours  d'histoire,  ces  béats  dis- 
ciples de  Calvin ,  qui  ne  savent  rien  des  rigueurs  de  leur  fonda- 
teur, des  provocations  sanglantes  de  Luther,  des  cruautés  d'Henri 
Vin?  Si  nous  voulions  leur  rappeler  les  fureurs  des  anabaptistes, 

5 


6(»  FlUI.Mh.M»   Ill>TOhloiE>. 

les  iiiassacics  de  Frnnkeiiliaiiscn,  les  rigueuis  de  Clirisiiern  II, 
les  proscriplions  d'Éilouard  VII,  le  code  d'Élisabcih  ei  le  sort  de 
la  nialliriireuso  Irlande,  ils  nous  jeiieraienl  sans  doute  à  la 
l'ace  le  lanalisnw  dfs  li^iieiii's  ,  l'edil  de  Nanles,  les  ilragonna- 
des  ,  la  Haiiil-UarUiéleiiiY  et  cenl  niiires  faits  que  rignorancc  ou 
la  mauvaise  foi  ralviuienne ,  après  les  avoir  jieinls  de  ses  plus 
liii'iilnes  eouleiirs  ,  se  plait  à  présenter  comme  élanl  le  fait  de 
la  i('lif;iun  eadiuli(|(ic,  taudis  qu'ils  ne  sont  dus  qu'à  une  politi- 
que plus  sou(;ieuse  de  son  salut  (|ue  de  celui  de  l'Église.  Que 
laiie  d(jn(  ?  Nous  ne  sortirons  pas  de  riiisloire  de  noire  pays; 
elle  nous  sullira  anqtlemeni  poui-  prou\»T  cpie  le  protestantisme 
ne  iùi  pas  dans  son  él;d)lissement  une  relif^ion  de  liberté,  eiqu'à 
Genève  surtout  il  ne  se  consolida  (pie  par  la  contraintt  de 
riiomme  qui  faisait  trembler  devant  lui  les  maj,'istrats  et  les  ci- 
toyens, et  qui  se  nommait  Calvin.  Aujourd'hui,  empruntons 
(|uel(|ues  données  à  rhistoire  du  canton  de  Vaud  ;  une  autre  fois 
nous  explorerons  Genève. 

Le  canton  de  \  and  était,  av;int  l.'j.Jti,  une  terre  francliemenl 
catholique.  La  plupart  des  villes  et  des  lian)eau\  de  ce  beau 
pays  vivaient  en  |)aix  sous  la  paisible  domination  «'es  princes  de 
la  maison  de  Savoie.  I*ierre-IMiilij)pe,  Amé-le-Granil ,  le  comte 
Vert,  Amé  \  III  s'étaient  tous  fait  aimer  de  leurs  sujets.  Enfants 
soumis  de  TL^lise,  les  habitants  de  celte  contrée  reconnaissaient 
pour  leiw  chef  spiriitiel  Tév^qtie  de  Lausanne,  dont  le  sceptre  de 
firiiH-e  s'éleudait  sur  les  villes  de  Lausantu^ ,  d'Avenches.  de 
Huile,  sur  le  cluUeau  deLiKciiset  les  <|uaire  paroisses  de  Lavaux  ; 
niais  dont  la  crosse  gouvernail  tout  le  territoire  renfermé  entre 
Auboniie  et  le  i  i\aj(e  de  l'Aai-.  Ainion  venait  de  mourir,  enq»or- 
tant  dans  la  tombe  la  vénération  de  ses  dioc«>sains,  et  son  neveu 
Sebastien  de  Moniraucon  occupait  le  sièj;e  de  Lausanne,  lorsque 
les  [)reniiers  svmplônies  de  n'Iorniaiion  se  manilestèrent  dans  ce 
pays  jusqu'alors  si  traïupiille.  (.Iiarles  III,  \\  sesCilté's,  gouver- 
nail le  pays  de  Vaud;  mais,  il  faut  le  dire,  comnu'  un  prince 
embarrassé  de  sa  fortune.  IMac»'-  entre  la  France  «pii  convoitait 
ses  États,  et  l'Auliii  lie  qui  lui  disputait  ses  places  «le  guerre,  il 
ne  pouvait  donner  qu'une  demi-attention  à  tout  ce  rpii  se  pas- 


l'IVAGMliM'S   IIISTOKIOUES.  C7 

sait  sur  les  conlins  clos  Étais  confédérés  de  la  Suisse  cl  sur  les 
rives  (lu  Léman. 

Ce  l'ut  le  moment  où  Genève  s'agita  pour  reconquérir  son  in- 
dépendance; où  elle  contracta  avec  Fril)0urg  et  Berne  cette  al- 
liance qui  lui  coula  sa  loi.  Ce  lut  le  moment  où  les  troupes  ber- 
noises promenèrenl  surnos  rives  leurs  étendards  et  demandèrent, 
en  l'cvanche  des  services  rendus,  les  biens  de  l'évêché  et  l'cla- 
blissement  de  la  réforme.  Ce  fut  l'époque  où,  pour  arriver  jus- 
qu'à Genève  ,  les  commissaires  de  Berne  exigèrent  des  villes  du 
pays  de  Vaud  qu'ils  traversaient  la  soumission  la  plus  complète 
non-seulement  à  leurs  armes,  mais  à  la  réforme  dont  ils  se  firent 
les  promoteurs  et  les  soutiens,  parce  qu'elle  leur  fournissait  les 
moyens  de  satisfaire  leur  cupidité.  L'établissement  du  protes- 
tantisme dans  le  canton  de  Vaud  porte  un  cachet  de  violence  tout 
particulier.  On  peut  dire  (jue  le  despotisme  bernois  s'y  est  joué 
de  la  foi  des  vaincus.  Les  lignes  suivantes  en  sont  la  preuve. 

Les  premières  paroisses  du  canton  de  Vaud  où  s'introduisit  le 
protestantisme  furent  celles  des  mandements  d'Aigle,  d'Olon,  de 
Bex  et  des  Ormonts,  qui  faisaient  alors  partie  des  l>ailliages  ber- 
nois. A  la  suite  des  débats  survenus  en  1464  entre  les  Ormon- 
tois  et  les  prêtres  du  Gessenay  au  sujet  de  la  délimitation  de  leur 
territoire  respectif,  Berne  avait  offert  à  ces  montagnards  sa  mé- 
diation. Au  bout  de  peu  de  temps,  la  médiation  se  changea  en 
un  protectorat,  et  le  protectorat  en  une  véritable  conquête.  En 
loOO  ,  les  habitants  de  la  Joux  de  dessus  et  de  dessous  (ob  und 
nied  dem  Werld)  regardaient  Messieurs  de  Berne  comme  leurs 
seigneurs  et  maîtres.  Ce  fut  ce  qui  leur  valut,  en  1526,  d'être 
le  premier  théâtre  des  efforts  de  Farel. 

A  cette  époque,  les  magistrats  bernois  tendaient  déjà  une  main 
amie  aux  sectateurs  de  Zwingli.  Cependant,  comme  ils  avaient 
été  les  témoins  presque  oculaires  des  fureurs  auxquelles  se  li- 
vraient les  anabaptistes  au  nom  de  la  réforme,  ils  craignaient  de 
voir  se  reproduire  parmi  eux  des  scènes  de  désordre  pareilles  à 
celles  de  la  révolte  des  paysans.  Il  y  avait  néanmoins  de  chauds 
partisans  des  doctrines  luthériennes  dans  la  ville  de  Berne.  Ber- 
chtold  Haller  en  était  un  ardent  promoteur,  et  il  était  puissam- 
ment secondé  dans  son  œuvre  par  le  président  Nicolas  de  Wat- 


08  KHAt.îlt.MS    IIISTOIilOl  LS. 

U'\ill»' ,  imbu  cuinmr  lui  des  principes  nouveaux.  Sur  ces  entrr- 
lailes,  on  vil  anivcr  «le  l>àle  à  Berne  un  crrlain  réfD{»ié  nomme 
Ursinns,  qui,  cliaNSc  «It*  trllc  ville  à  cause  de  ses  opinions  exal- 
lées, élail  à  la  reclienlio  «l'un  enclroii  liospiialicr.  iJerne  le  lui 
fournil.  Cet  Ursinus  n'étail  autre  que  Fai*el,  qui  avait  ju^*  pra- 
clent  (le  s'ahriler  suus  ce  pseuduuynu'. 

Farel  élail  Fianrais  ;  il  alliait  à  la  Ibii^ne  <les  f^ens  du  Midi  une 
ronstanie  leuloniipie.  Maniant  parlaitenieni  sa  langue  ,  il  de- 
manda aux  magistrats  bernois  un  poste  oii  il  put  lra\aillrr  en  fa- 
veur de  la  réfoinie.  Il  fui  rnvo\e  dans  le  district  tTAi^^le.  où  (a 
langue  fraiir.iise  était  populaire.  A  peine  y  fùt-il  arri>é,  qu'il 
s'aperçut  de  la  répulsion  universelle  (pi'excitaient  les  écrits  de 
Luther.  Il  prit  alors  un  biais  pour  arriver  à  ses  lins  et  s'annon(;:t 
eomiue  luaitrt;  d'école.  Froinenl  us;i  à  Genève  du  même  strata- 
gème. Ils  savaient  l'un  el  l'autre  comment,  en  enseignant  les  sim- 
|>les  Icllres  aux.  enfants,  on  peut  faire  arriver  jusqu'aux  parents 
loui  un  corps  de  ducirinc.  Le  titre  (rinsliluleur  permit  à  Farel  do 
faire  circuli-r  dans  le  |)ublie  de  petits  traites  contre  IKglise  it)- 
niaine  et  de  dogmatiser  secrètement.  Uientôl  ses  allures  furent 
plus  audaeieuses  ;  il  éleva  la  voix  en  public  el  niiaqua  iU'  front 
les  croyances  calltolicpies.  Les  habitants  d'Aigb*,  Mess«'S  de  l'ati- 
dacc  de  Farel,  allèrent  porter  plainte  aux  prépos«'s  de  la  com- 
mune et  au  gouverneur  du  districi,  qui  <ita  le  prédisant  el  V:ui- 
monesla  vei  tenieni.  Pendant  (piehpie  temps  Farel  se  ninntn  pins 
resj-rvé  ;  mais  bientôt  il  jeta  le  masipir  ;  el  potir  avt»ir  le  droit  liv. 
p^'^cher  du  li:iiii  de  l;i  chaire  d'Aigle,  il  demanda  aux  ntagisli'al.s 
bernois  une  p;iiciile  (h>  ministre.  Il  robliiil.  au  grand  m«'conten- 
trmenl  du  prii|i|f  d'Aigle,  qui  vit  <lans  irile  mesure  un  |dan  ar- 
rêté de  saper  l'anltipu'  foi.  O  fui  sur  ers  cnln  laites  qu'eut  lini 
le  fameux  < olhxpu:  bernois  de  l^rlH,  oii  il  s'agissait  <le  savoir  d 
t/uoi  l'on  (levait  s'en  tenir.  Farel  s'y  rendit;  le  ri'sullat  de  celle 
ilispule  lui  de  faire  passer  entre  les  mains  de  juges  laïques  une 
autorité  (pii  eut  iln  n^ster  éternellement  au-dessus  d<>  la  s[ilière 
des  pouvoii^  humains.  Dès  lors  les  Conseils  se  cruriMJl  en  droit  de 
doj{U)atiser,  d'appiouMC,  de  rejeter  ce  qui  etail  ou  n'ê-tait  pas  de 

lui. 

Les  t.nnseils  d<M  laièrrut  les  rhels  do   paroisse    aiïrancliis  du 


FRAGMENTS  UISTORIQL'ES.  GO 

scrmonl  pn'u;  aux  évèqucs ,  ol  s»;  n-servèrcnt  le  pouvoir  d'eu 
e\ii;<'r  un  nouvo:iu.  La  messe  lui  abolie  et  l;i  démolition  des  au- 
lels  (icMiétée,  Oi  édit,  '■^\)pii\^i  ledit  de  ré  formation,  (ie\{\h  •d\o\r 
son  effel  dans  louie  l'élenduc  des  terres  seigneuriales.  Farel  se 
hâta  d'en  porter  la  nouvelle  duns  les  dislriels  français,  où  sa 
publication  suscita  un  oii  universel  de  réprobation.  Le  peuple 
presque  entier,  dit  le  Chroniqueur,  le  rejet.ait  dans  les  quatre 
mandements  (1).  Il  fallut,  pour  le  rendre  exécutoire,  la  présence 
de  quatre  commissaires.  «  Mais  pour  que  les  changements  se 
lissent  avec  les  cg:irds  dus  aux  faibles  »  (ce  sont  les  termes  de 
1  edil),  ils  appelèrent  le  peuple  à  se  prononcer  sur  le  rejet  ou 
Tadoplioudu  nouvid  Évangile.  De  quelle  manière  furent  recueil- 
lis les  suffrages?  ajoute  le  Chroniqueur,  nous  l'ignorons.  Mais 
dans  les  paroisses  d'Aigle  ,  d'Olon  et  de  Bex  ,  la  réforme  eut  la 
pluralité  des  voix.  Les  Ormontois  ne  se  laissèrent  pas  ébranler. 

Si  le  Chroniqueur  n'a  pu  recueillir  aucun  détail  précis  sur  le 
mode  de  sullVage  adopté  en  cette  circonstance ,  il  sait  du  moins 
comment  la  chose  se  passait  ailleurs.  Disons-en  quelques  mots, 
pour  juger  de  l'impartialité  de  ces  comices,  où  la  foi  d'un  peuple 
4'iait  soumise  au  jeu  d'une  votation.  A  un  jour  marqué,  des  hom- 
mes d'armes  convoquaient  les  chefs  d'hoslels,  ou  pères  de  fa- 
mille, sous  la  présidence  des  mandataires  bernois.  La  harangue 
usitée  en  faveur  de  la  réforme  terminée,  le  président  de  l'assem- 
blée commandait  à  ceux  qui  votaient  pour  la  messe  de  se  met- 
tre tous  d'un  côté,  tandis  que  ceux  qui  adoptaient  le  prêche 
passaient  d'un  autre.  Les  présents  étaient  seuls  comptés;  par 
conséquent  les  malades,  les  vieillards,  les  infirmes,  les  servi- 
teurs, les  jeunes  gens,  les  femmes  el  les  enfants  n'avaient  pas  mot 
à  dire,  en  un  point  où  leur  foi  était  en  jeu.  La  pluralité  des  voix 
était-elle  en  faveur  du  maintien  du  culte  catholique,  on  licenciait 
l'assembléejusqu'à  nouvel  ordre,  en  laissant  les  réformés  libres  de 
demander,  quand  bon  leur  semblerait,  un  nouveau  Plis,  ou  nou- 
velle votation.  Nonobstant ,  le  prédicateur  luthérien  prenait  pos- 
session du  bénéfice  et  prêchait  dans  la  nef  de  l'église  en  faveur 
de  la  minorité  protestante,  quelque  minime  qu'elle  put  être.  Si, 

(\)  I,e  Chroniqueur,  p.  H7. 


70  HlAGMK.'MTS   IIISTORlyl  ti. 

au  loiilraiie,  une  niajoriié  qut'lcon»|ue,  d'une  voix  sculcnirni,  sr 
manircstail  en  faveur  du  pn'che,  il  fallait  <|U(*  tout  ottuv  eailiuli- 
(|ue  eessàl  inun<  iliaU-uirul.  Ou  luisait  les  statues,  renversait  les 
autels,  vendait  les  liieuldes  ,  calices,  «ilinires,  aulies  ,  eliasu - 
I)les,  etc.,  au  |ii(»lit  des  sei^ueui's  i  I;. 

Si  dans  une  >ille  ou  conuuuue  couipusee  de  |tlusieurs  parois- 
ses, l'cDsemble  des  voix  dounail  gain  de  cause  à  la  vieille  foi,  on 
en  appelait  à  un  vole  par  caU'gorle  de  paroisses,  pour  faire  triouj- 
pher  l«'s  niiniu'ilés. 

Enliu,  y  avail-il  des  deux  parts  égalité  de  vuix,  aussitôt  des 
émissaires  se  nietlaienl  en  campagne  pour  aller  acheter  des  con- 
sciences. Ils  promettaient  à  l'un  la  dépouille  du  l)éu<'fiee,  à  V,\\\- 
ire  une  corne  de  cliaiiip,  une  |)ieee  de  hetail  a  hon  niartlié.  Ou 
cite  une  pj'tite  localiii-  aux  alentours  de  Goumoens  oii  les  voles, 
se  trouNant  ef,'aleuient  parlaj;és,  on  alla  oiïrir  un  boisseau  de  hic 
au  porcher  de  la  commune  retenu  sur  ses  j,'uérets,  s'il  approu- 
vait les  commissaires.  Ce  fut  la  voix  de  ce  mist'rable,  li'ulé  peut- 
ôtre  par  la  faim  ,  mais  à  coup  siu*  par  la  cupidité,  qui  servit  à  la 
reforme  de  fatal  ap|>oinl  {'2).  Il  est  à  pr<'stimer  qu'à  Hex  ,  à  Olon 
et  à  Aigle,  les  «allioliques  appelés  ;'i  se  prononcer  sur  ledit  de 
i-éformation  ,  n'attachèrent  pas  une  giand»'  importance  :^  celle 
mesure  nouvi-lle,  »loiil  ils  ne  (  <un|ti'enaient  pas  toute  la  purl/'C. 
l^r  au  moment  oii  les  mous<]uetaires  Ixrnois  se  miient  en  de- 
voir tie  renverser  les  autels  el  de  briser  les  siaïues,  des  hommes 
de  cœur  min'nt  une  opposition  formelle  à  cette  nnivre  de  dévas- 
tation. Farci,  qui  y  présidait,  fut  insulte,  menace  et  même  vio- 
lemment iVapp»'.  L'emoi  était  général  dans  les  (juatre  mande- 
ments. On  vit  s'organiser  de  toute  part  <les  députât i(»ns  qui  se 
rendirent  à  Berne  pour  réclamer  le  maint ien  du  culte  catholique 
et  la  conservation  des  prêtres,  phués,  par  l'tdit,  entre  l'exil  ou 
la  prévarication.  Ces  démarches  n'eurent  pas  de  succès,  et  il  en 
résulta  un  racc.onteniemeiu  universel.  I^^s  pasteurs  des  paroisses 


(I)  Vcrdcil.  Hisloirr  du  ranlim  île  Ynud.  t.  Il,  |i.  (iô. 

Ci)  Ce  modo  «le  f.iirc  |»(Milt'trc  mi«'n\  .ippn-rii' que  jamais,  maintenant  «|ni- 
nou»  voyons  le  radicalistnr  frilxiiir^rois  sr  maintrnir  .m  |Mtuvoir  i*  l'aide  di- 
voûtions  contre  une  majorité  écrasante,  connu*  ft  avouée. 


FiUG.MEiSTS    IliSTOUI^UbS.  71 

se  rctiirront  en  Vallais,  où  pcMidanl  plusieurs  années  les  caiholi- 
<|ues  d'Aigle  el  de  Uev  allrrenl  clierther  et  recevoir  de  leurs 
mains  les  secours  religieux. 

L'opposition  desOrnionlois  fut  plus  sérieuse.  Ils  avaient  refusé 
à  Farel  i'entn'-e  de  leur  église  et  rejeté  à  l'unaniniilc'  l'édil  de 
rélornie.  Les  eoniniissaiies,  cpii  leur  avaient  donnt;  (jnelques  mois 
j>ou4-  iHîJléchir,  revinrent  à  la  charge,  à  l'époque  de  la  Pentecôte; 
mais  ils  ne  reçurent,  pour  toute  réponse,  que  ces  mots  énergi- 
ques :  «  Plutôt  choisir  de  nouveaux  seigneurs  que  de  renoncer 
ù  notre  foi.  »  Rodolphe  N.Tgueli,  le  plus  terrible  des  conmiissai- 
res,  fut  délégué  une  troisième  fois  auprès  de  ces  montagnards 
tenaces  comme  les  pierres  des  Ormonts.  Pour  les  épouvanter, 
il  se  fit  accompagner  d'une  nombreuse  escorte;  puis,  usant  de 
tous  les  moyens  de  rigueur  que  la  loi  bernoise  mettait  entre  ses 
mains,  il  frappa  d'une  amende  de  10  llorins  ceux  qui  s'étaient 
opposés  aux  prédications  tle  farel,  et  les  condamna  à  la  prison. 
Pour  défaut  de  connivence  avec  le  réformateur,  les  préposés  de 
la  commune  furent  jugés  incapables  et  faibles;  on  les  destitua, 
et  tous  les  prêtres,  vicaires,  chapelains,  furent  bannis  du  pays. 

Les  commissaires  installèrent  à  Ormont  un  ministre,  nommé 
Jacques  Camerel,  dont  la  vie  fut  plus  d'une  fois  abreuvée  d'amer- 
tume. «  Je  n'y  peux  plus  tenir,  écrivait-il  à  Farel;  je  perds  mon 
temps  et  ma  peine.  Je  n'attends  que  le  jour  où  il  plaira  au  Sei- 
gneur de  me  sortir  d'ici.  » 

Le  temple  était  désert.  Le  gouverneur  fit  tout  pour  décider 
les  Ormontois  à  s'y  rendre  pour  écouter  le  prédicant,  il  ne  put  y 
réussir.  11  fallut  un  message  exprès  des  Conseils  de  Berne, 
adressé  aux  habitants  de  la  Joux  de  dessus  et  de  dessous.  En 
voici  un  fragment  :  «  Nous  vous  mandons  et  commandons  que 
»  vous  fassiez  conformes  à  nous  et  à  nos  autres  sujets.  Il  serait 
»  donc  bien  étrange  que  vous  dussiez  demeurer  en  désobéissance 
»  et  vous  montrer  rebelles  à  Dieu  et  à  Nous  vos  supérieurs.  » 

Les  montagnards  ormontois  restèrent  inilexibles  ;  il  fallut,  pour 
les  vaincre,  dit  le  Chroniqueur ,  le  temps,  la  patience  et  la  sévé- 
rité. Orbes  fut  le  second  théâtre  des  exploits  de  Farel.  A  l'épo- 
que des  luttes  avec  le  duc  de  Bourgogne,  cette  ville  était  tombée 
au  pouvoir  de  Berne  ;  mais  comme  Fribourg  avait  pris  part  aux 


i  1  FHAcnedTS  liisroRioues. 

I  isijiK's  (le  la  piUTic  ,  la  soiivminru''  dr  ci*  pays  appnrirnnil  au\ 
<l»  n\  villes  ti(.'  Fril>ourj;  ri  tic  Berne.  Kcliallnis  v\  Orbes  si-rvainu 
aliernativcinont  de  résidence  an  huilli   bernois  cl  an  eliùielain 
fribourgeois.  Kn  1531,  Jost  de  Diesbaib  représenlail  ù  Orbes  les 
s(Mj,'nenrs  bernois.   Les  réformés  prolilèrent  de  sa  préseiiee  ponr 
lenhT  d'y  inlrctdiiire  leur  cnlie.  (Test  l'artd  (pi«'  nous  reironvons 
encore  dans  celle  «qnipee.   I!  était  arrivé  à  Orbes  le  2  avril  avec 
les  déléj^tiés  l)eiiiois,  (]iii  rinviièrent  à  prendre  pnbli«piemenl  la 
parole  dans  ref,'lise.  Celte  proposition  mil  le  penj)le  en  fureur;  et 
tons,  bomines,  femmes  cl  enfants  s'y  o|)posèrenl.  Ce  fut  une  vé- 
ritable sédition,  d'où  Farel  ne  sortit  sain  el  sauf  <jue  j^rAre  à  la 
protection  du  bailli  clie/.  lecpiel  il  se  n'fu^'ia.   Le  lendemain,  il 
voulut  essayer  de  péi-orer  sur  la  plac«'  :  nouvelle  perturbation; 
nouvelles  insultes  de  la  pan  des  femmes  qui  le  jetèrent  à  terre 
pour  le  fustij,'er.    Il  fallut  rinlerventi<»n  de  Pierre  de  Gleyresse 
pour  l'arracher  de  buis  mains.   Kspeianl  en  imposer  tlavanlaf^e, 
Farel  pria  les  députés  de  Berne  de  faire  publier  la  pairnir  (piil 
avait  reçue  des  seif^neiirs,  portatit  ordre  à  tous  leurs  sujets  de  le 
favt)riser  el  de  le  soutenir  dans  ses  prédications.  La  lecture  ache- 
vée ,  tous  les  auditeurs  s'écrièrent  (pi'ils  n'avaient  besoin  ni  d<; 
lui  ni  de  ses  proches.  Farel  ne  se  tint  pas  ponr  ballu  ;  b*  diman- 
che suivant ,  il  lit  une  nouvelle  tentative  tout  aussi  infructueuse 
<pie  la  première  ;  il  parvint  ce|)endaiit  jusqu':!  la  chaire  ,  mais  il 
n'eut  pour  auditeur  (jue  les  députés  de  Berne,  le  bailli.  Piern* 
Viret ,  le  maiire  «Téenb»  Pime  Hoinain  ,  b-  rlijirbiii)  S<'(  restain  , 
b'S   deux  llolard  et    (Jaudc  Dardoniiier.   .ban  Ibdard  avail  ete 
autrefois  chanoine  de  la  collégiale  de  S;nnt-Nicolas.  à  Fribour^. 
Il  s'é'iait  relire  du  sanctuaire  pour  se  marier.   Christophe,  Si»n 
frère,  était  un  (>nnemi  acharné  des  prêtres.  Maigre,  dit  le  Chro- 
niqueur, «ju'il  se  fut  rau};é  à   rfc\an{;ile,  il  lui  d<mnait  grande 
douleur  et  tristesse  ,  à  cause  de  ses  violences  el  de  la  pauvre  vie 
«ju'il  menait.  Sa  haine  se  tourna  surtout  contre  le  Pèr«î  Juliani, 
Irerr  mineur  de  Sairil-Fran«;ois  ,  (pii  avait  mis  en  doute  du  haut 
i\i'  la  chaire  la  moralité  des  transfuges  du  catholicisme,  llolard 
porta  plaiiitr  au  li.iilli  contre  le  pn'dieateur.  en  jinMendant  «pi'il 
l'avait  attacpié.    Les  commis-saires  saisirent  avec    empressement 
cel  incident  \>our  forcer  les  bourgeois  d'Orbes  à  suivre  le  prt^- 


FKAGMENTS    lllSTOKlyUES.  73 

che.  "  Comme  il  p:u';iil,  dirent-ils,  dans  une  ordonnance,  qu'a- 
près avoir  écoulé  le  moine  avec  attention,  on  a  IVrnK;  l'oreille  à 
nolie  prc'dicaleur,  nous  voidons  (jue  la  réliitalion  de  Farel  soil 
entendue,  et  pour  celle  cause  ,  nous  ordonnons  que  chaque  père 
de  l'ainill»'  ailic^  au  prêche,  sous  peine  de  noire  indignation.» 
En  même  temps  ils  imposèi'ent  la  ville  pour  200  écus  d'or;  c'é- 
tait l'expiation  du  premier  désappointement  de  Farel,  qui  voulut 
avoir  son  tour.  On  annonça  que  pendant  huit  jours  consécutifs 
il  ferait  entendre  sa  voix.  Le  peuple,  effrayé  par  les  menaces, 
se  rendit  aux  deux  premiers  sermons  ;  mais  le  troisième  jour 
l'auditoire  fut  désert;  il  n'y  avait  plus  que  huit  ou  neuf  brebis 
lidèles.  Holard ,  qui  goûtait  peu  les  moyens  de  la  persuasion, 
s'offrit  pour  tenter  un  coup  de  main;  il  se  chargea  d'aller  abat- 
tre dans  les  sepl  églises  d'Orbes  les  26  autels  qui  y  étaient  éle- 
vés...  Le  lendemain,  en  effet,  il  se  mit  à  l'œuvre  ;  mais  il  éprouva 
une  sérieuse  n'-sislance.  Pierre  Bovay,  surtout,  opposa  la  force  à 
la  force.  Holard  alla  chez  le  gouverneur  l'accuser  comme  meur- 
trier, et  offrit  de  se  constituer  comme  prisonnier,  si  on  mettait 
en  arrestation  tous  les  prêtres  avec  lesquels  il  demandait  à  être 
confronté.  Le  peuple,  instruit  de  sa  plainte,  craignit  qu'on  en 
vint  à  des  arrestations  ;  il  se  mit  en  armes  et  fit  bonne  garde  de- 
vant toutes  les  habitations  des  prêtres  de  la  ville,  jusqu'au  9  juil- 
let, où  le  banneret  Pierre  de  Fleur  reçut  l'ordre  de  faire  assem- 
bler les  bourgeois  d'Orbes  pour  sonder  leurs  dispositions  au  sujet 
de  la  réforme.  «  Voulez-vous,  leur  demanda-t-il,  persister  dans 
la  foi  de  vos  pères?  —  Que  tous  ceux  qui  sont  de  cet  avis  lèvent 
la  main.  »  Tous  firent  entendre  qu'ils  étaient  résolus  de  garder 
leur  foi  et  d'imiter  la  vie  de  leurs  pères. 

L'épreuve  tournait  à  l'humiliation  de  Messieurs  de  Berne;  il 
y  avait  de  quoi  les  décourager.  Alors  ils  attaquèrent  les  Claris- 
les ,  qui  furent  sommées  de  venir  écouter  tous  les  jours  le  ser- 
mon du  prédicant.  Ces  pauvres  sœurs  furent  tellement  affligées 
de  cet  ordre  inique,  que  dix-sept  d'entre  elles  sortirent  de  leur 
couvent,  le  28  juillet,  et  se  réfugièrent  à  Hoseray,  où  les  atten- 
<lait  la  princesse  de  Luxembourg,  qui  les  fit  conduire  en  Bourgo- 
gne. A  peine  la  nouvelle  de  leur  départ  se  fut-elle  répandue  dans 
la  ville,  que  les  réformés  allèrent  demander  au  bailli  la  permis- 


74  KhAG.ME.>T!>    lll;«TOHIQlliS. 

sion  de  survcillor  l'iihlx'sso  el  les  su'iirs  qui  cinicnt  rosiéos  <lnns 
l«'  monasièiv.  Co  lui  pour  eux  une  occasion  f;ivor:ibl«'  «le  jM-ne- 
Irer  dans  l'inleiieur  du  coiiveni,  d'en  louiller  tous  les  recoins. 
Ils  s'inlroduisircnl  dans  lu  cliapcllt-,  luiscicni  l'aulcl  <■(  dëcliirè- 
renl  les  iniaf^'cs  <|ui  la  décoraicnl.  Les  cailioliiiucs  fureni  indignés 
de  ces  procèdes,  el  lors<|ue,  la  veille  d<'  .Norl,  ils  apprirent  <|ue 
les  reformés  s'étaient  rasscnddés  au  couvent  |K)ur  y  célébrer  leur 
culu',  ils  lond)ènMit  sur  eux  à  l'iniprovisie  el  les  dispersèrent. 
Quchpu's  jours  après,  il  pril  fantaisie  aux  jeunes  gens  de  la  ville 
cl  des  hameaux  V(usins  de  se  promener  dans  les  rues,  bannière 
en  léle,  avec  des  branches  de  pin  ù  leurs  <-liapcaux.  Les  commis- 
saires bernois  prirent  relie  dènionsiration  pour  un  acte  de  bra- 
vade, et  lireiil  jeter  Ireiile  (reiiire  eux  dans  les  prisons;  ils  du- 
rent, en  outre,  payer  les  uns  100,  les  autres  ôO  ccus  d'amende. 

Tous  ces  essais  partiels  avançaient  peu  la  cause  de  la  nfcMine 
dans  le  canton  de  \  aud.  Les  populations  se  montraient  partout 
attachées  à  la  religion  catholique,  et  nulle  |)art  les  commissaires 
bernois  n'ctbtinrent  des  réponses  favorables. 

Ils  se  présentèrent  à  firandson,  dont  les  habitants  formulèrent 
la  déclaration  suivante  :  «  Nous  vous  supplions,  pour  l'honneur 
»  de  Dieu,  de  nous  laisser  dorénavant  vi\re  et  m<uirir  en  la  ma- 
nier»' de  nos  bous  [in'dècesseurs,  sans  aucun  empêchement ,  <"ir 
en  nulle  auli-e  loi  tpie  celle  que  nous  tenons,  irentendniis  trou- 
ver meilleur  salut.  Pareillement  laissez  nous  demeurer  en  nos 
anciennes  lois,  et  que  contrainte  ne  soit  faite  à  nul  de  nous  con- 
tre sa  propre  conscience.  >  C'était  la  ré(»onse  universelle ,  celle 
des  villes  de  M(judon,  l'ayerne,  Vverdon,  etc. 

«  Quant  aux  prêtres,  ilsét^iienl  iniraitables  ,  ■  dit  Farci  à  son 
<lis<  iple  Fabri  ;  «ces  tonsurés  si»nt  très-mal  dis|>oses  envers 
Jesus-(ilu  isl.  Ils  méprisent  toiii  à  lait  la  parole,  ou  pour  mieux 
dire  ils  la  liaisseni  mortellement.  A  peine  les  ctjrrigera-l-on  à 
coups  de  fouet.  Il  n'v  aura  pas  n)o>en  de  tenir  en  bride  aulre- 
inent  ces  ânes  qui  braient  conln;  Jésus-*  In  isi.  »  l.euiede  l'a- 
rel  à  Fabri,  22  avril.) 

On  en  «'tail  là,  lors<pie  Berne,  qui  était  de>«nue  l'alliée  de  Ge- 
m'ive ,  déclara  la  guerre  au  duc  <J«'  Siivoic  pour  avoir  v\c\v  des 
preU'ntions  sur  ses  anciens  droits  du  vidommal  dans  celle  cité. 


FKAtiIaE^TS    IIISTURI^UES.  75 

De  laii,  IUm'Iic  convoiciit  le  p;iys  ([ui  élail  à  ses  portes;  elle  y 
j(Ua  ses  troupes  et  en  lit,  eomme  on  lésait,  la  corniiièie  au  mois 
«le  juin  153C.  Les  villes,  les  hourj^s ,  les  hameaux  tro|)  faibles 
pour  se  détendre  liient  leui-  soumission  ;  mais  en  se  rendant,  les 
(Conseils  niellaient  |)ailoiit  des  réserves  en  faveur  de  leur  foi  et 
du  lilue  excrciee  de  leur  reiii;ion.  Partout  la  elausc  fut  agi'éée, 
mais  nulle  part  observée;  <ar  pour  consolider  son  omnipotence 
politique  et  rcli^Meuse ,  Berne  renforça  de  garnisons  les  places 
fortes,  et  envoya  dans  toutes  les  localités  un  peu  importantes  des 
prédicants.  II  s'agissait,  pour  elle  ,  d'asseoir  son  pouvoir  non- 
seulement  sur  les  ruines  de  la  domination  ducale,  mais  encore 
sur  celles  de  la  juridiction  épiscoi)ale.  Que  lirenl  donc  les  sei- 
gneurs de  Berne?  Au  moment  où  François  I"  franchissait  les 
Alpes  et  envahissait  les  États  du  malheureux  Charles  III,  ils  don- 
nèient  à  Na'gucii  Tordre  d'attacjuer  la  forteresse  de  Chillon  et 
d'aller  planter  son  drapeau  sur  les  louis  de  la  vieille  cathédrale. 
L'instant  était  bien  choisi  pour  ravir  à  Téveque  Sébastien  son 
pouvoir.  L'appui  du  dehors  lui  man([uait;  il  n'avait  que  quelques 
sujets  sans  armes  pour  le  défendre.  Il  jugea  à  propos  de  se  di- 
riger sur  l'Italie  ;  son  départ  enhardit  le  général  bernois  qui  di- 
rigea ses  troupes  sur  Lausanne,  après  avoir  soumis  Vevey,  Saint- 
Saphorin  et  Lutry. 

La  terreur  précédait  ses  pas,  tout  pliait  devant  ses  menaces; 
aussi  n'éprouvait-il  pas  de  sérieuses  résistances.  A  peine  fut-il 
maître  de  la  ville,  qu'il  marcha  droit  au  château  de  l'évêque 
dont  il  proclama  la  déchéance  et  ordonna  qu'on  brisa  les  écus- 
sons  de  l'autorité  épiscopale.  Les  Lausannois  étaient  dans  la  stu- 
peur; ils  envoyèrent  au  général  une  dépulaiion  pour  se  plaindre 
de  celte  usurpation;  mais  il  leur  fut  répondu  par  Na-gueli  lui- 
même,  qu'il  avait  l'ordre  de  se  mettre  en  lieu  et  place  de  l'évê- 
que pour  le  temporel,  et  que  pour  le  spirituel,  on  aviserait  plus 
tard.  Les  réformés  étaient  dans  la  place;  ils  ne  gardèrent  plus 
de  mesures;  on  les  vit  insulter  publiquement  la  foi  catholique  , 
briser  les  images  et  profaner  les  églises.  Le  Conseil  des  Deux- 
Cents  crut  les  apaiser  en  leur  concédant ,  pour  célébrer  leur 
culte,  l'église  des  Dominicains  de  la  Madeleine;  mais  ils  n'en 
devinient  que  plus  audacieux.   Malgré  les  ternies  positifs  de  la 


70  FnA(.ME>TS    lll>TOIl!0»  t-S. 

»  oncrssioii ,  ils  «•ominoncrienl  ;i  y  irnvrrsrr  les  auirls  cl  ;»  lacé- 
rer \vs  images,  cl  de  là  ils  se  lrans|>urlcrenl  dans  l'e^lise  de 
Saiiil-Fraii»;ois,  «lii  ils  se  livrcrcnl  aux  intimes  excès.  Des  d<*puiés 
partirent  de  I^ausanne  pour  Berne,  aiin  de  se  plaindre  et  do  ré- 
clamer le  maintien  du  sii^c  episcopal  ei  la  c«tnservalion  de  leurs 
anciens  rèylemcnis.  Ils  declanrenl  «pi'à  Ic^'ard  de  la  foi ,  la 
Lourf^eoisie  avait  pris  deux  fois  la  résolution  de  vivre  dans  Tan- 
oicnnr  rclij^'ion,  et  «pi'ainsi  on  les  laissât  libres  de  vi\r<' cl  mou- 
rir dans  la  loi  de  leurs  pères.  On  li's  rc<,ui  a\ec  |>olitesse,  cl  on 
clierclia  à  les  apaiser  en  leur  promeiiani  qu'on  s'arrangerait  avec 
eux  de  manière  à  ce  (pi'ils  fussent  conlenls(l). 

Qu'advint-il  de  toutes  ces  l»elles  paroles?  Les  événements  se 
pressaienU'u  Italie;  rAntriclw  cl  la  France  y  éiaienl  aux  prises, 
la  lij;ue  luthérienne  de  Sinalkade  lenail  en  è-cliec  les  princes  <a- 
tlioliipu's  allemands;  les  Turcs  éiaienl  sous  les  murs  de  Vienne, 
cl  Hi'iuy  \  III  eiiirainait  rAiij,'leierre  dans  le  schisme.  L'alten- 
tion  de  l'Europe  elail  li\(!C  sur  ces  ^'rands  événenjents  ;  Berne 
crut  pouvoir  terminer  la  lutte  du  catholicisme  ei  du  protestan- 
tisme pai-  un  f;rand  coup;  ce  lut  alors  qu'elle  lit  Tédii  fameux  de 
hi  dispute  ,  par  lequel  elle  sommait  lous  les  |>rétres  ,  moines  et 
gens  d'église,  à  comparaître  à  Lausanne  le  1"  wlobre  (1636), 
pour  y  rendre  raison  de  leur  foi  et  soutenir  par  ri-lcriture-Sainte 
ce  (pi'ils  eusei^'naieiil.  «  l/issue  d'niie  telle  dispute,  dit  avec 
■  justesse  l'historien  Verdcil (2),  n'était  pas  douteuse.  Les  refor- 
»  mes  seuls  posaient  l<vs  (jneslions.  ffirmiiiaient  la  teneur  des  ihè- 
o  ses,  et  les  Deux-CÀ'iils  de  llerne,  transformes  en  lÀ)ncih',  étaient 
»  seuls  juges  des  controverses  et  décidaient  en  dernier  ressort  des 
•  articles  de  foi.  C/CS  bourgeois,  «|ni  avaient  en  perspective  le 
»  partage  des  riches  dépouilles  de  l'Kglise  et  de  l'è-vècpie,  le  par- 
»  lage  (h's  immenses  doujaiiies  des  couvents  et  des  abbayes,  des 
»  prieurés,  pouvaient-ils  être  des  juges  impartiaux?  » 

Ce  que  l'on  pr<vo\ail  arriva,  l'en  de  personnes  se  ren<lirent 
à  ce  lonriioi  ilieolo^iipie,  contre  lequel  avait  proteste  Charles  V, 
en  (pialite  d'<'iiipereiir  romain  ,  prolecteiii'  somnain  de  l'Kglise. 


(Il  Mniiiicl  lie  l^aiisaiiiic. 
Ci)  Toni.  II.  p  ifi. 


IKAGMbiNTS    IIISTOUIOUES .  77 

«  Ix*  pi'tii  nombre  de  catlioli<|ues  (pron  vit  nrrivor,  dit  Verdeil , 
élaieni  déjà  ou  ébranlés  dans  leur  loi ,  ou  bien  do  ces  hommes 
sans  conviclion,  qui  chcrchaicnl  un  préloxK^  pour  abjurer  et 
pour  endjrasscr  b;  parli  b'  plus  fort  »  (1).  Tels  lurenl  sans  doute 
Droguy,  vicaire  de  Morges,  Miniard ,  maître  d'école  de  Vevey, 
Jean  Micbel,  doyen  de  la  même  ville,  et  Ferrant  de  Loys,  capi- 
taine de  la  Société  de  la  jeunesse^  qui  ne  prirent  la  parole  que 
pour  s'avouer  vaincus  cl  se  déclarer  réformés. 

Les  chanoines  de  la  caibédiale  n'y  parurent  pas;  ils  se  bornè- 
rent à  protester  contre  cette  lutte  religieuse,  qui  n'avait  aucun 
caractère  de  léi,'alité,  vu  qu'elle  était  présidée  par  des  magistrats 
bernois,  sans  la  sanction  de  l'évêque,  seul  maître  spirituel  à 
Lausanne.  On  ne  fit  nul  cas  de  leur  protestation.  Les  actes  de  la 
dispute  furent  envoyés  à  Berne,  et  le  19  octobre  les  baillis, 
avoyers ,  châtelains,  reçurent  l'ordre  de  se  transporter  d'une 
église  à  l'autre,  et  d'y  interdire  à  tout  prêtre  l'exercice  des  cé- 
rémonies catholiques  ,  sous  peine  de  disgrâce  et  de  sévères  pu- 
nitions, d'y  abattre  sans  retard  toutes  les  images  et  autels,  tou- 
tefois avec  bon  ordre  et  sans  tumulte.  Il  leur  fut  aussi  enjoint  de 
commander  aux  dits  personnages  (les  gens  d'église)  et  à  tous 
autres  sujets,  d'aller  entendre  la  parole  de  Dieu  dans  les  lieux 
les  plus  voisins  où  les  prédicants  étaient  établis,  de  les  écouter 
bénignement  et  de  les  recevoir;  le  tout  sans  exception,  contra- 
diction ,  opposition ,  ni  allégation ,  sous  peine  de  la  grave  indi- 
gnation des  hauts  seigneurs  (2). 

On  n'avait  pas  attendu  les  ordres  de  Berne  pour  commencer 
l'œuvre  de  destruction.  Les  réformés  étaient  sûrs  à  l'avance  de 
!a  victoire  et  de  l'impunité.  Dès  le  lendemain  de  la  dispute, 
alors  qu'il  était  commandé  à  chacun  de  vivre  en  bonne  paix,  les 
convertis  forcèrent  les  portes  de  la  cathédrale,  démolirent  les 
autels,  abattirent  le  crucifix  et  l'image  vénérée  de  la  Vierge. 

A  peine  les  baillis  eurent-ils  reçu  des  seigneurs  bernois  l'or- 
dre de  procédera  l'installation  du  culte  réformé,  qu'ils  se  livrè- 
rent à  leurs  opérations.  Celui  de  Lausanne,  dit  Ruchat,  fut  oc- 


(1)  Tom.  Il,  11.  5j. 

(2)  Édit  de  réformalion. 


7H  IHAi.Ut.MS    lllsT()l;lulh.>. 

nipo  pciidanl  loiil  le  mois  d'oclobro  cl  h;  mois  do  novembre  ;i  al- 
ler 6v  liiMi  vu  lirii,  avec  une  Itoiinc  escorle,  pour  délruiro  cl  brù 
Ici-  les  iinaf^cs ,  cl  pour  renverser  les  auiejs  dans  les  éf^dises  «le 
son  l>aillia{j;e.  Il  y  avail,  en  ellet ,  dans  eeiic  (nnirce,  de  qudi 
saiisfaire  la  cupidité  des  vaiiupicurs.  Laus;innc  claii  alors  un  lien 
de  pèlerinaf,'e  eeièhre  ;  des  saneinaires  nondirenx  s'clevaieni  sur 
les  ditTerenls  eoleanv.  La  ealhédralo  surloui  ,  qui  niarehaii  en 
maj;nilieencc  après  celle  de  Tolède ,  possédait  un  riche  Irésor. 
Les  princes,  les  empereurs  ,  les  évoques ,  les  l'apes  avaieni  con- 
lribu(''S,  |)ar  leurs  dons,  à  l'érlal  du  sanciuaire  de  la  \'ier^e.  el  y 
uvaicnt  apptiidn  de  maf^nifuiues  I:s  volo.  (i'eiaii  une  iroj)  belle 
proie  pour  ne  pas  exciler  la  convoilise  de  LL.  EE.  Des  commis- 
saires spéciaux  lurent  députés  à  Lausanne  pour  sem|»arer  de  ce 
butin.  A  la  première  soniuiation  qui  leui  liil  laite,  les  chanoines 
refusèreul  d'en  remettre  les  clefs.  On  s'assura  de  leurs  ]MTSon- 
nt's,  et  ils  furent  jetés  en  prison,  où  on  les  laissa  plongés  dans  la 
soullrance.  Après  pinsienis  jours,  on  vinl  leur  proposer  de  choi- 
sir entre  la  n  lornie  on  l'exil;  la  rélonne  avec  une  bonne  pen- 
sion, el  l'exil  avec  la  p;invrele.  \  inj,'t-sept  sur  trente  choisirent 
ce  dernier  et  noble  parti.  On  les  conduisit  sur  une  barque  <|ui  lii 
voile  po m-  tvian.  Penilanl  ce  temps-là,  le  trésor  était  onvei  t.  Il 
n'en  sortit  |>as  imc  obole  qui  ne  prit  la  roule  de  Berne.  L'or, 
l'arjîcnt,  les  statues,  les  vas<'s  précieux  ,  les  livres  de  prix,  les 
ornements  d'église,  tout  fut  emmené.  Pendant  plusieurs  semai- 
nes,  de  lourds  (  lini-^'ements  traversaient  les  villes  de  Moudon  et 
de  l'avcrne.  On  se  demandait  ce  que  lout  cela  |Hiuvaii  être.  C'é'- 
tait  le  biiliii  bernois.  Lorscpie  le  dernier  envoi  fut  f.iit,  le  commis- 
saire insi  ii\it  ces  mots  sur  le  pari  heniin  <|ui  servait  de  leltr»' 
«le  voilure  :  Golt  hnt  lob!  Dieu  soil  loué!  l*ouvail-il  envoyer  à 
l'adresse  des  Lausannois  une  plus  amère  raillerie  (T  / 


(1)  L  iiivrstiain:  ilo;.  olijels  préltMs  par  les  Hcrnois  existe  ciicuro.  Il  do- 
passe Idul  rc  qirun  |><'til  iina^inrr  on  (.til  tic  ririios&cs.  Il  y  rsl  fait  mention 
(|r  t'JI  rnlicos,  iltml  70  pur  or  ol  îiO  nrgont  dor»'  ;  il'iin  encensoir  pur  or  pesant 
4U  livres  r>  onces  ;  «l'une  croix  or  tin,  pcsnnt  \H  li\  res,  enricliic  d'un  niliis  «le 
grand  prix  ;  d'un  cliof  de  >'.  1).  pur  or,  jiesant  S^)()  onces,  reufornté  dans  un 
reliquaire  enriclii  de  pierreries;  d'une  sLiluc  de  la  Nitl'"^  por  <>r.  prs.ml  KO 


I  UA(i.lII•^TS    UISTOKiyUES.  79 

En  c'ilcl,  ils  s'claicnl  laissrs  dépouiller,  ces  bons  bourgeois, 
sans  mol  ilirc.  Il  est  vrai  que  pour  faire  laire  toulc  r«''clanialion, 
les  vaiiitiuciirs  loui-  conciUlrrcni  la  propriéK-  dos  i\('\\\  couvents 
do  la  Magdelcinc  el  de  Sainl-Fianvois,  les  cin(i  paroisses  exis- 
(anies  dans  hi  ville,  le  prieuié  de  Sainl-Sulpice  au  bord  du  lac, 
l'abbaye  de  Monicron  ,  celles  de  Catherine  et  de  Bellevau  ,  avec 
toutes  leurs  dépendances,  et  de  plus,  en  ville,  la  ntaison  dite  le 
l'icux  iTêché,  le  clialet  et  le  moulin  de  Gobet.  Us  permirent  à  tous 
ceux  qui  se  déclarèrent  réformés  de  retirer  les  fondations  qu'ils 
pouvaient  avoir  faites,  et  leur  ociroyèrenl  les  biens-meubles, 
comme  calices,  ornements,  etc.,  que  leurs  parents,  jusqu'à  troi- 
sième liynée,  avaient  concédés  aux  églises  ou  paroisses. 

C'était  un  appât  séducteur  ;  plusieurs  s'y  laissèrent  prendre, 
et  le  Conseil  en  masse  souscrivit  cet  acte,  qui  fut  nommé  Largi- 
tion;  acte  qui  n'est  pas  autre  chose  qu'un  contrat  fait  entre  des 
pillards  pour  s'assurer  la  tranquille  jouissance  du  fruit  de  leurs 
déprédations. 

Ce  que  les  commissaires  de  Berne  firent  en  grand  à  Lausanne , 
les  baillis  le  firent  dans  leurs  districts  respectifs.  Frisching  de 
Moudon  se  rendit  à  Morges,  Nyon,  Aubonne,  Coppet  et  Cossonay, 
où  il  fit  abattre  par.ses  hommes  d'armes  les  autels  et  les  images. 
Non  content  de  renverser  ce  qu'il  appelait  ces  signes  idolàtriques, 
il  rançonnait  les  familles  riches  et  leur  faisait  payer  les  frais  de 
démolition.  D'un  autre  côté,  les  conseillers  bernois  Cyro ,  Fis- 
cher, Scheilf,  Augsbourg,  se  rendirent  dans  le  pays  Rosnond,  el 
usèrent  partout  des  mêmes  procédés. 


livres,  et  d'une  autre  de  Jésus-Christ,  pesant  51  livres;  d'une  monstrance  pe- 
sanHG6  onces  d'or  de  Turquie,  avec  une  perle  de  grand  prix;  de  12  statues 
des  Apôtres  du  plus  pur  argent,  pesant  chacune  24  livres;  de  deux  anges 
d'argent  pesant  80  livres;  de  23  chandeliers  d'argent,  dont  deux  pesant  171 
livres  ;  une  foule  de  croix,  de  reliquaires,  de  riches  missels  à  lettres  d'or,  de 
barrelles,  de  ciboires,  de  théières  et  bassins  d'argent,  etc.,  etc.  Rappelons 
qu'ils  emportèrent  80^i  chasubles  avec  leurs  manipules,  dont  Wo  ornées  de 
croix  enrichies  de  pierreries,  GO  l'ioles  de  damas,  etc.,  etc.  Les  joyaux  de  la 
seule  chapelle  de  Dotre-Dame  étaient  d'une  valeur  immense.  1!  n'y  avait  pas 
moins  de  M  pièces  dilférenles  en  or  pur,  telles  que  couronnes,  colliers, 
cœurs,  bracelets  ornés  de  pierreries. 


S^^  EnACVtNTÂ     HISTOKIQIHS. 

Daii.s  plusieurs  localités,  il  y  eut  im«'  iuiif  K'sislunce;  ù  Suinl- 
S;i|>liorin,  les  liahiinnts  s'aniuTml  |K)ui'  déffiidir  Inir  t'élise; 
iiKiis  ils  furent  trop  taihies  pour  résister  à  rattn(|ue;  il  en  fut  de 
uiêuie  à  Cliardonue  et  à  (lorsiei'.  Quand  onap|>ri(,  à  Liilry,  (|ue 
le  iKiilli  de  Lausanne  était  à  Luccns,  et  <|u'il  \  :\\.û\  livré  aux 
llannncs  tous  les  oi'iienienls,  lo  Conseil  lut  e(tii\o(|u«'.  On  y  ré- 
s(»lul  de  sauve},'arder  les  o|>je|s  ap|iarh'Maiil  à  l'éj^lise  jusiprà  des 
temps  meilleurs.  Pour  eela,  on  choisit  une  grotte  écartée  où  on 
irans|>orla  la  |»ierre  des  fonds  liaplismaux,  le  erueilix,  le  Corpus 
Duiuint ,  la  custode.  Celle  grotte,  dit  \erdeil.  de\ini  |)Our  eux 
un  lieu  saint,  <|u'ils  ériairèrcnt  comme  un  sanctuaire,  (^'est  assez, 
dire  «|ue  ces  braves  gens,  en  entretenant  dans  ces  nouvelles  ca- 
tacombes une  lampe  ardente,  voulurent  continuer  à  rendre 
hommage  au  Dieu  de  IKurharistie.  \  la  sommaiiou  qui  leur 
lut  faite  de  remettre  leur  calice .  ils  répondirent  qu'il  était  la 
proprit'U'  du  maycir,  ou  chef  de  commune.  Ci-taient  ses  ancê- 
tres (jui  eu  avaient  fait  cadeau  à  Téglise.  Pour  lui,  il  le  re|>rit  , 
à  la  condition  que  si ,  par  bonne  fortune,  Vèglise  revenait  à  ton 
premier  être,  il  le  restituerait. 

Le  culliî  public  était  donc  démoli,  les  autels  renversés,  les 
prêtres  lideles  bannis.  Cela  n'empêchait  |)as  quelques  familles 
cutiioliques  de  conserver  dans  leurs  maisons  des  chapelles  parti- 
culières, ou  de  loin  en  loin  des  prêtres  disaient  la  messe  avant 
raur(»re.  Le  bruit  s'en  répandit  ;  les  magistrats  s*<n  ondiragè- 
retit.  Comme  si  celle  G<lelilé  à  la  vieille  foi  eût  été  un  crime,  on 
la  punit  d'une  amende.  «  Comme  jdusieurs  se  font  «lire  secrèle- 
»  ment  la  messe  chez  eux  et  y  reçoivent  les  sacrements  de  l'é- 
»  glise  romaine,  le  Conseil,  |K)ur  faire  rosser  ces  m<\nieries.  les 
•  défend  sous  peine  de  dix  lÎNres.  Donné  à  Lausanne,  ce  17  no- 
»  vemhrc  l.'>3fi  »  (1). 

Maigre  (  ela  ,  le  culte  aniiipie  restait  cher  au  ctein'  des  habi- 
lanls  des  villes  et  des  campagnes.  Ils  allaient  les  uns  dans  le 
Vallais,  les  autres  dans  les  paroisses  d'E»'hallens,  d'Orbes  et  de 
(irandson  ,  où  riiiifrvi-niion  dr  rribourg  avait  mainteiui  l'exer- 

(I)  Mniuicl  (1(*  Lausanne,  I.*m<S. 


KHAGMENTS    HISTORIQUES.  81 

«•icr  (lu  ciilU'  (•:Hli()li(|ii(',  pour  y  ((îlobrci-  los  solennilés.  C'f'liiit 
tin  abus  aui{uel  il  fallait  mettre  orclie.  Que  firent  (  es  prétendus 
apôtres  de  la  tolérance?  Ils  intcrdiicot  à  leurs  sujets  la  sortie  de 
leurs  paroisses  respectives  les  jours  de  fête,  et  menacèrent  les 
délinquants  d'une  amende  de  dix  florins.  Mais  il  fallait  désar- 
mas pour  veiller  à  l'exécution  de  cette  défense.  Les  baillis  reçu- 
rent l'ordre  d'épier  et  de  faire  épier  ceux  qui  allaient  idolâtrer 
hors  du  pays  (1).  Il  y  eut  même  une  récompense  promise  aux 
délateurs.  A  eux  seuls,  les  gens  d'Yvonoan  ,  convaincus  d'avoir 
entendu  la  messe  en  terre  étrangère,  durent  payer  200  florins 
d'amende.  Toutes  ces  mesures  étaient  impuissantes  pour  ratta- 
cber  le  peuple  de  Lavaux  au  protestantisme.  Car  en  1538,  les 
ministres,  rassemblés  en  synode,  se  plaignirent  auprès  des  Con- 
seils de  ce  que  les  baillis  ne  faisaient  pas  observer  l'édit  de  ré- 
forme. «  Plusieurs  d'entre  eux,  dirent-ils,  sont  en  mauvais  exem- 
»  pie  par  leui-  négligence  à  aller  au  prêche  ;  des  particuliers  con- 
«serveut  des  images  dans  leurs  maisons,  et  des  femmes  portent 
»  des  chapelets;  des  villages  entiers  ne  vont  pas  entendre  les  mi- 
»  nistres.  A  Aubonne,  les  nobles,  le  châtelain,  le  secrétaire  re- 
»  jettent  la  réformation;  les  barons  de  Grandson  et  de  Coppet, 
»  et  leurs  femmes,  s'opposent  à  la  réforme;  les  principaux  d'Y- 
»  verdon  ne  vont  pas  écouter  la  parole  de  Dieu,  et  pendant  le 
u  prêche  le  peuple  fait  des  insolences,  tousse  haut  exprès,  remue 
nies  bancs,  sort  de  l'église,  laissant  le  ministre  prêcher  tout 
»  seul.  »  Qu'imaginèrent  ces  messieuis  pour  parer  à  ces  inconvé- 
nients? Admirons  encore  les  procédés  de  la  religion  de  la  li- 
berté. Oo  voyait  encore  des  chapelets  dans  les  mains  des  campa- 
gnards ;  pour  les  faire  disparaître,  il  fut  défendu  de  porter  pater 
noster  sous  peine  :  V homme  de  30  sous  et  la  femme  </e  15. 

Le  prêche  était  désert  :  il  fut  enjoint  à  tous  d'aller  dimanches 
et  fêtes  ouïr  la  Parole  de  Dieu,  sous  peine  de  60  sous  (2),  et  aux 
baillis  de  mettre  en  prison  les  gentilshommes  qui  n'assisteraient 
pas  au  prêche  avec  fidélité,  de  les  y  laisser  jusqu'à  ce  queLL.  EE. 


(1)  Vcideil,  T.  Il,  p.  i)0. 
^2)  Le  Chroniqueur,  p.  ô.'JS. 


\vs  «'iiSMiii  «liàiirN,  ti  lie  1rs  hannir  «mi  «as  df  i«'H(livr  ,  |  ,.  (;«• 
lui  \c  son  du  l>ar«)n  «le  I>a  Sarra,  homme  de  cœur  «pii  aima  mieux , 
dil  l*i«'rr«'  Fleur,  perdre  son  bien  el  sa  s«'igneurie  «|U<'  d'adiipiei- 
la  rt'fonne.  Il  se  relira  à  Sainl-CJaude  ,  oii  il  mourut  en  1;>4I, 
dans  l:i  pauvreté. 

Il  re|>ugn:iil  aux  parents  de  conlier  leurs  «iilanls ,  pour  l'in- 
strurlion,  aux  ministres  ;  les  magistrats  les  y  frirrèreni,  en  i'rap- 
paiil  tous  ceux  «]ui  n'envoyaient  pas  h'urs  enfants  au  «atecliisrae, 
d'une  amende  pour  la  première  r«iis,  de  lu  pi  is(»n  jxiur  la  second»' 
et  la  troisième,  et  du  bannissement  pour  la  «]uatrième  (2). 

Des  pr«îlres  allaient  encore  et  venaient  dans  le  pays;  un  se- 
cond décret  «le  bannissement  fut  port*'*  «ontre  ceux  <]ui  pers«'v«''- 
raient  à  baptiser  ou  à  dire  la  messe  (3).  A  Lutry,  a  Saint-Sajdio- 
rin,  à  (iully,  malgré  toutes  les  défenses,  on  rouvrait  les  anciennes 
t  liapelles  pour  y  pi  icr  ;  par  ordre  de  Tautorilé,  les  portes  en  fu- 
leni  murées  s^4). 

Il  y  avait  donc  dans  le  peuple  du  Ih-.iu  pa\s  île  \  aud  un  atia- 
ehemcnt  ré«'l  à  la  loi  catholique.  La  loi  y  avait  jeté  de  prof«>n«les 
racinj's;  il  fallut  plus  «pie  les  édits  de  Fierne  pour  IV-n  arracher. 
Il  lallni  l<>  temps,  <pii  emporta  dans  la  tombe  cette  génération. 

Les  familles,  privé«'s  de  la  prt'sence  de  leurs  prêtres,  conser- 
Ncrcnt  longU'inps  cm  on-  les  pieuses  traililions  ;  elles  ne  suivaient 
«|u'(»lli(  iellcment,  pour  ainsi  «lire  |»ar  crainte,  \v  «ulle  de  la  ré- 
forme. Mais,  à  la  longue,  les  vieillards  qui  avaient  été  baptises 
calholi(pi(>s  des<endirent  dans  la  tomb«';  à  leur  place  s'éb'va  une 
gcnéiation  formée  à  IVm  oie  de  la  réforme,  à  «pii  Ton  ne  lit  «'on- 
nailre  la  religion  catholi(|ue  «pi'en  ac<  iimulant  «'ontr<>  elle  mille 
préjugés.  Ces  pn'jugé'S  subsistent  encore  «lans  un«'  foule  «Tàmes, 
«M  \oilà  ce  qui  <'lé\e  cnirr  «"es  fr«'n's  sépan's  <l  nous  \r  mui*  fatal 
•  le  séparation. 


(I)  Vi*rdeil,  loin.  Il,  \t.  VM. 

Ci)  Le  Chronifiueur,  p.  ^fiO. 

(3)  Ibid. 

(♦)  Vrrclnl.  loin.  Il,  j..  «iO. 


LK  PROTESTANTISME 


KT  LE  LIBRI-;    KXAJIE\. 


Dans  noire  dernitM-  ariicle  sur  h  libre  examen  jugé  par  les 
protestants ,  nous  avons  annoncé  que  nous  examinerions  avec 
loul  le  soin  et  toute  la  gravité  convenables  la  valeur  intrinsèque 
du  libre  examen  en  lui-même.  Depuis  lors,  nous  avons  lu  avec 
attention  le  livre  de  l'illustre  P.  Perrone,  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  recteur  général  du  collège  romain  :  Le  protestantisme  et 
la  règle  de  foi.  La  traduction  française ,  faite  avec  l'agrément  de 
l'auteur,  et  dédiée  à  Mgr  de  Salinis,  évéque  d'Amiens,  est  due 
à  M.  l'abbé  Peltier,  prêtre  du  diocèse  de  Reims. 

L'apparition  de  cet  ouvrage  est  un  événement  considérable 
pour  l'Italie,  au  moment  où  la  propagande  protestante,  auxiliaire 
complaisant  de  la  propagande  mazzinienne ,  emploie  contre  ce 
•pays  tous  ses  moyens  d'action.  Mais  il  importait  en  même  temps 
pour  la  religion  que  ,  par  une  traduction  française ,  La  règle  de 
foi  du  P.  Perrone  piit  pénétrer  dans  toutes  les  contrées  de  l'uni- 
vers, qu'elle  fût  étudiée  par  les  catholiques  cl  les  protestants 
sérieux  qui  veulent  aller  jusqu'au  fond  de  la  question  majeure 
de  notre  siècle.  La  solution  de  celte  question  sera  la  conquête 
définitive  ou  du  catholicisme,  c'est-à-dire  de  la  vraie  foi,  ou  celle 
du  rationalisme  naturaliste  et  du  socialisme  pratique  ,  qui  sera 
la  vraie  mort  des  âmes  et  des  sociétés. 

A  Genève,  les  catholiques  instruits  liront  le  livre  du  P.  Per- 


H1  LE   PI»OTtSTA?IT1Slt 

roiH';  il  sera  lu  aussi  par  les  quelques  pr«>i(sianls  qui  su»  «  iqxiu 
lies  (pieslions  religiruses  attt'nli\t-meiit ,  r"«'sl-;i-(iir«'  «*n  Johoi-s 
(lu  iiKUivenicnl  fébrile  des  faiseurs  de  pclilr  controverse,  cl  ilc 
celle  pr(ipaj;au(l('  de  bas  «-lajîe  chauffée  au  profil  de  l'iilt'-e  poli- 
lico-proU'Nlauie  ilu  leuips.  Ces  protcsiaiits  (|ui  ne  se  paii'ol  plus 
des  déclamniions  de  conférenciers  sans  bonne  foi  et  sans  science, 
prentlronl  connaissance  de  La  règle  de  foi,  d'abord  à  la  sourdine, 
puis  successivement  beaucoup  d'autres  les  suivront,  à  mesure 
(pie  le  respect  humain  et  Ventournije  stroui  moins  rxifjrauts. 

Nous  ne  dissimulons  pas ,  nous ,  la  pensée  (|ui  nous  guide  : 
nous  cherchons  à  ap|»orter  la  lumière  au  milieu  des  ténèbre» 
toujours  si  épaisses  (piaccumule  après  lui  le  libre  examen.  Nous 
voudrions  amener  tous  les  protcsianis  encore  reli(^ieux  à  peser  la 
valeur  réelle  de  ce  procédé-  trompeur  en  matière  de  foi  el  esseiv- 
liellcment  anli-évan^'éli(pu^  et  anti-rationel.  Nous  voudrions  voir 
a|>paraiire  uu  écri\aiii  qui  voulût  sincèremeni  discuiiT  avec  dous. 
Non-seulcmenl  nous  ne  reculerions  pas  à  suivre  uoe  controverse 
lé^'ulière  par  é-cril  dans  les  Annales,  mais  nous  la  prov(Kpj4ins  de 
toutes  nos  foices  pour  l'avancement  de  la  vérité-  el  (K)ur  la  plus^ 
grande  diffusion  de  la  luoiière  et  de  la  vie  cliréiieone.  Nous  dou» 
plaçons  hardimeul  sur  levi-ritable  terrain  où  les  d(>u\  aroves  doi- 
venl  combattre  lo\alem(-nl  el  sans  relàibe.  Il  ne  s'agil  pas  seu- 
lemenl  pour  les  catholiques  d'accumuler  b-s  conséquences  el  les 
inconséquences  du  protest  a  niisine,  de  dérouler  la  longue  chaîne 
des  variations  des  sectes  ;  il  ne  s'agit  pas,  de  la  part  des  protes- 
tants, de  découper  «les  le\l(-s  sacré-s  pour  attatpier  uiu-  à  une  «les 
croyances  ou  des  pratiques  du  (  ulie  catholitpie,  ou  <  hacune  des 
absurdités  ou  d(-s  sU|)erslitions  qu'on  |)réte  benéNolemenl  à  un 
(atholicisroc  déligure  et  bâtard  i  »  »'  dont  il  s  agit,  c'est  «l'-  v.:»\iiii- 
si  ou  veut  de  la  foi,  et  (qu'elle  est  la  hèole  de  la  foi. 

Les  Annales  n'écrivent  pas  pour  les  hommes  de  Genève,  ca- 
tholiciucs  ou  protestants ,  (pii  n'ont  aucune  religion,  et  que  la 
froidi-  indifferenee  .  les  vulgaire»  |>assions  du  sensualisme  ou  la 
soif  de  l'or  dominent.  Ce  serait  peine  perdue  \  ce  serait  w>x  cla- 
vianlix  in  ticsrrto.  Nous  n'é-crivoas  pas  non  [dus  dans  un  but  d'a- 
gressjun ,  ponr  le  plaisir  d'irriter  les  protestants  de  boone  foi. 
Nous  regarderions  comme  contraire  ai  la  conscience  de  faire  de 


I:T  Li:  LIBIVE  bXARlEK.  ^5 

la  coiiirovtTse  pour  de  i:i  <orilrov(!rsc  ;  nous  n'avons  pas  com- 
mencé l'allaipie,  nous  nous  ddondons  avec  les  aiincs  lionnôles 
<]uc  nous  voyons  employées  dans  tous  les  siècles  cliréliens  par  les 
<ipolo;j;islcs  de  la  relij^ion  catholique.  Notre  ambition  n'est  pas 
non  plus  de  nous  servir  de  la  polémique  dans  un  but  politique. 
Nous  croyons  même  ([ue  plus  nous  serons  modérés  dans  les  tei- 
nies  et  forts  dans  la  démonstration  scripturaire ,  loj^ique  et  his- 
torique ,  plus  nous  anivcrons  à  faire  pénétrer  celte  profonde 
conviction  qui  nous  pénètre  nous-mêmes ,  que  la  règle  de  foi 
pr4)t<?stante  est  essentiellement  fausse,  el  que  la  règle  de  foi  ca- 
tholique est  essentiellement  vraie. 

Ce  que  nous  aurions  essayé  de  présenter  avec  nos  modestes 
forces  et  dans  des  limites  resserrées,  le  P.  Perrone  le  traite  avec 
ime  grande  puissance  de  science,  d'exposition  et  de  preuves.  On 
peut  dire  que  la  question  est  creusée  jusque  dans  ses  derniers 
fondements. 

Comme  nous,  il  ne  s'adresse  pas  aux  hommes  qui  rejettent  la 
révélation,  qui  ne  veulent  plus  de  christianisme  et  de  religion 
positive  et  pratique.  «  Avec  des  gens  de  ce  caractère,  dit-il, 
»  toute  discussion  est  inutile  ;  peu  importe  à  leurs  yeux  quelle 
»  est  la  foi  qu'on  doit  professer  pour  atteindre  la  fin  si  désirable 
»  à  laquelle  Dieu  nous  a  destinés.  Privés  de  tout  principe  fixe  de 
»  vérité  et  de  morale  religieuse,  ou.  pour  mieux  dire,  opposant 
»  une  résistance  obstinée  au  cri  de  leur  conscience,  à  toutes  les 
»  lumières  de  la  grâce  et  même  de  la  droite  raison ,  esclaves 
«d'intérêts  matériels  et  de  plaisirs  brutaux,  idolâtres  d'eux- 
»  mêmes  enfin,  ils  représentent  trop  bien  ceux  dont  l'Esprit- 
»  Saint  nous  a  laissé  la  description  dans  l'épître  de  l'apôtre  saint 
»  Jude  :  «Hommes...  impies,  qui  changent  la  grâce  de  noire 
»  Dieu  en  une  licence  effrénée  et  qui  renoncent  à  Jésus-Christ, 
»  notre  unique  maître,  notre  Dieu  et  notre  Seigneur...  qui  souil- 
»  lent  la  chair  par  leur  corruption  ,  méprisent  toute  domination 
»  et  maudissent  ceux  qui  sont  élevés  en  dignité...  condamnent 
»  avec  exécration  tout  ce  qu'ils  ignorent,  se  corrompent  en  tout 
»  ce  qu'ils  connaissent  naturellement  comme  les  bêtes  irraison- 
»  nables.  Malheur  sur  eux  ,  parce  qu'ils  suivent  la  voie  de  Cain  , 
'>  et  qu'étant  trompés  comme  Balaam  et  emportés  par  le  désir 


N<>  Lt     l'r.OTEsTA.>TISllh 

•  du  ^:iiii,  ils  .s':ibai)ti«)iiiu>iit  ;iu  (Irrc^'lcinmi ,  <t  <]iriniitani  i.i 
»  rrbrllioii  cl»'  (loir,  ils  |HMiront  ('«iium»-  lui.  (les  lioinmp&-l;i  sont 
»  le  (If.slioDni'iir  <les  fosliiis  <lc  la  cliariir,  lorsqu  ils  v  man^^'i'ni 

•  sans  autiiMc  iclciitic;    ils   n'oni    soin   (|tii'  (|i>  se  nourrir  «'U\- 

■  inrmcs  ;  vo  sont  des  nu«;rs  sans  eau  (|Uc  If  vent  cinitoitt»  rii  cl 
»  II;  «•<•  soni  «Ifs  ailut's  qui  no  llcuiisscnl  <|u'i'n  auloinnc  ,  dvs 
o  ai  lui's  slérik's,  <luubU>nu>ni  morts  cl  dcra<ini'8  ;  ce  sont  d«'S  va- 

■  guos  do  la  mer  d'oii  Sdiicnt,  oommo  une  écunip  salo,  Icnrs  in- 
>rami«'s;  ce  sont  des  éloiles  errantes  auxquelles  une  iem|>^le 
»  noire  cl  ténébreuse  est  réservée  pour  l'éternité  (1).»  Je  dirai 
»  d'eux  avec  le  Dante,  mais  pénétré  de  douleur  el  dcplomnl  de 
»  e«iur  leur  aveuglement  : 

I)i  lur  non  (i  curar.  ma  garda  i-  |i:).ss.i. 

>  J'écris  pour  les  calholi<pies  (jui  ont  besoin  d'êlr»'  raH\rmis 
»  dans  leur  foi  et  prémunis  contre  les  pièges  de  Terreur;  pour 

■  ceux  aussi  d'entre  eux  qui,  sans  avoir  le  mémo  besoin  que  les 
«premiers,  désirent  mieux  apprécier  tout  le  prix  delà  vérité 
D  calli(ili(|ue  ,  et  jouir-  davaiKa^e  de  son  li'ionq>lie;  cnlin ,  pour 

•  les  protestants  eux-mêmes  qui,  qiioicpie  séparés  de  la  vinie 
»  É;;lisr  ,  professent  cepeiidanl  nue  iclifjion  ,  «pielle  «pi'elle  soit 

•  dailleuis,  de  denominalion  clireiiinne,  cl,  adhérant  au  cliris- 
»  lianisme  liistoriquc,  positif,  révélé,  sont  convaincus  de  sa  nc- 

■  ccssilé'  poui"  le  bien  de  la  société  humaine.   Pour  ces  derniers, 

•  l'ouvra^îe  que  nous  entreprenons  est  d'une  importance  vitale. 

>  ()l)li},'«'s  qu'ils  sont  |)ar  le  «  araclére  même  des  |>rincipes  (|u'ils 
»  professent  d'examiner  sérieusement  (juclle  est  la  vraie  tloclrine 

►  chrétienne,  «piellc  est  la  vraie  K};lise  éinblie  par  Jesus-C.hrist, 

•  ils  trouveront  dans  la  (pieslion  foridarnenlale  que  nous  débal- 

•  tons  ici  le  moyen  clair,  facile  et  expéditif  de  rentrer  sûrement 
»  dans  la  voie  de  la  vérité.  » 

On  voit  que  le  P.  Perione  appartient  à  l'école  «les  ^raiuls  mu- 
trovcrsistes  catholiques  (|ui,  comnre  Mo'hler,  Milner,  le  cartli- 
nal  Wiseman,  le  P.  Newman,  M.  Nitolas,  M.  Foissel,  tendent  la 
main,  avej;  la  ihaiite  dans  le  c(rur-,  à  leurs  adversain-s  |K)ur  les 
ir r a(  her-  à  l'erieur  r[  les  introduire  dans  l'immense  foyer  de  lu- 

ll     M  .Intl.  \     t 


i;  r  L  i:  L I  11  II  li  L  \\M  EW  .  87 

iiiièrc,  (r('s|»»i;mti'  et  de  boiiln'iir  (|ue  leur  ollVe  li;  caiholieisine. 
Voici  iiiie  lit'lle  |);i^e  du  I*.  l'eironc  sur  les  avantages  et   les 
ellets  de  la  loi  : 

«La  loi  siiinaiurelle  el  divine,  donl  ÎNolre-Seiyneur  Jésus- 
»  (îlirisi  est  raiileiii'  el  le  eoDsoinmaicur,  est  le  don  le  plus  su- 
»  bliinc  el  le  plus  précieux  (pie  Dieu  ail  fait  à  l'Iiommo.  Par  clic, 
•>  llwmmc  est  élevé  au-dessus  de  sa  nature;  il  pénètre  le  ciel, 
»  aiteiiii,  conimt;  s'il  les  avait  présentes  à  ses  sens ,  les  choses 
»  divines,  el  adhère  fermement  à  réternelle  el  immuable  vérité. 
»  Dans  elle  consiste  le  fondement  de  la  vie  chrétienne,  le  principe 
»  et  la  racine  de  la  jusiilieaiion  el  du  salut,  l'ancre  ou  le  soutien 
»  de  l'espé'rance,  et  elle  ne  i)eut  être  une  loi  vive  el  féconde  sans 
«avoir  pour  compagne  inséparable  la  charité,  qui  en  forme 
»  comme  l'âme  cl  la  vie.  C'est  par  celle  foi  cpie  le  chrétien  ,  se 
»  surpassant  lui-même  ,  voit  d'un  u'il  indillérent  les  choses  pas- 
»  sagères  el  périssables,  méprise  les  attraits  séducteurs  que  le 
»  monde  lui  présente  d'accord  avec  les  passions  pour  le  détourner 
»  de  ses  immortelles  destinées,  devient  courageux  et  fort  contre 
»  toutes  les  traverses  et  les  calamités  de  la  vie  ,  et ,  saluant  son 
»  éternelle  pairie  qu'il  contemple  quoique  de  loin,  est  rempli  de 
»joie  au  milieu  même  de  ses  travaux,  les  plus  pénibles.  Sur 
»)  cette  foi,  enlin,  repose  ce  royaume  immuable j  ce  trésor  de  grùce 
»  dont  parle  saint  Paul  écrivaniaux  Hébreux  (1),  en  même  temps 
»  (ju'elle  nous  donne  le  moyen  de  plaire  à  Dieu  (2)  en  le  servant 
»  avec  crainte  et  révérence ,  el  d'atteindre  notre  fin,  glii  est  fa 
»  sanctification  de  nos  âmes  (3). 

»  Mais  aussi,  c^est  celte  foi  qui  a  toujours  inspiré  aux  chré- 
»  tiens,  dans  le  cœur  desquels  elle  a  jelé  de  profondes  racines, 
»  des  sentiments  héroïques  de  bienfaisance  et  de  générosité  ;  qui 
»  en  fait  d'actifs  instruments  de  toute  espèce  d'œuvres  pieuses 
»  et  charitables  pour  le  bien  de  la  famille  humaine,  et  des  sour- 
»  ces  de  bénédiction  et  de  salut  pour  la  société  civile  elle-même. 
»  C'est  elle  qui  a  fait  les  sainis;  qui,  pour  le  bien  des  mortels, 
»  leur  a  fait  opérer  des  miracles  el  prédire  l'avenii',  en  leur 
»  communi(]uant,  en  qnehpie  façon,  la  toute-puissance  et  la  sa- 

'!>  Hcbr.  XI!.  :>S.  it>)  Ihid  .  Xf.  G.  [7v,  1  IVlr..  I.  !). 


»  j^fsM'  iiâèiui'  de  Dieu,  «'l  tu  1rs  (oiisiiiuiiiii  ;u  ltiu<'s  i\v  l;i  iialuru 

•  et  (les  siècles.  C*csl  elle  qui  l<>s  :i  tirés  si  souvent  de  leurs  asi- 
>  les  |H)ur  les  envoyer,  à  travers  les  «nées  iiiu's,  prêcher  b  pai\ 

•  et  la  concorde  aux  annéi's  en  bataille;  (|ui  leur  a  donné  le 
o  courafîe  d'airronler  la  IVrocilé  d'un  barbare  conrjurranl  |>our 

•  saiiM  r  b's  (  ités  menacées  de  leur  destruction  ;  <|ui  les  u  con- 
u  iluils  dans  des  leijesloiiilaines  el  inliospilalières  j)oiii'  s'y  faire, 
n  non-seulenienl  des  apolres  tie  l'I-ivanj^ik',  mais  encore  des  lié- 
•>  rauls  de  la  civilisation  auprès  de  peuples  sauvages  et  de  liordcs 
D  barbares.    Il  est  vrai  «pie  tous  ces  prodiges  de  foi  étaient  en 

même  hnips  des  prodiges  d«;  charité;  mais  celle  cliaiile  elle- 
u  même,  d'oii  ricevail-elle  sa  vie,  son  aliment,  sa  llamme  lon- 
D  jours  vive,  sinon  de  la  foi  inébranlable  tpii  duminaii  ces  àmn, 
»  magnanimes?  » 

(leth"  première  ('xjtosiiion  esl  d(''jà,  poiii*  les  lioinmos  sans  re- 
ligion et  sans  loi  dont  pailaii  loiii  à  Ilu'iire  le  I*.  l'erroné,  une 
condamnation,    une   souffrance  et  une   lli'irissure.    NVsl-CC  pas 

•  b'jà  un  mnllu  iir  pour  un  homme  <pii  s'isole  sciemment  do  la  plus 
njorveilleuse  et  de  la  phis  admirable  des  insfitniions  (|ui  aient 
janiais  dominé  et  civilisé  riiiimanite  ,  poin*  se  n-fngier  dans  b'S 
bas  fonds  d'un  matérialisme  d(''gradaiii  ou  d.ms  les  abaissements 
de  l'indifferenre  religieuse.'  Celte  belle  |»:ige.  à  biquelle  tons  les 
protestants  non  encore  rongés  j)ar  le  rationalisme  et  rincr«'dnliié 
doivent  adhérer  pleinement,  nous  amène  à  donner  une  di-nnilion 
de  la  foi'qii'ils  puissent  tous  admettre  avec  nous. 

«  Or,  (  ('  précieux  don  du  ciel ,  s'é-cric  U'  V.  l'erroné  ,  celle 
»  vertu  surhumaine,  (prest-ellc  à  propremenl  parler.'  I>«'s  lh«*o- 

•  logiens  en  distinguent  de  deux  sortes  :  la  foi  linbituelle,  (]ui  esl 

•  une  habitude  surnaturelle,  divinement  infuse  dans  rAmc»  et 
»  par  bupielle  on  se  trouve  disposé  à  admettre  el  à  croire  les  vé- 
»  rites  ié\»'b'es  de  Dieu;  et  la  foi  arluclle,  tpii  est  propremenl 
»  I  (Ile  ipi'oti  définit  :  in  ferme  assentiment  de  l'entendement  corn- 

•  mantic  par  la  vitlonlr,  que  dorinr,  par  un  arir  surnoturrl,  aux 
»  rrriirs  révélées  de  Dieu,  t  homme  prévenu  et  c.rritc  par  la  (jnïce. 

•  Celle  <léfinition  esl  admise  unanimement  par  tous  les  lliéolo- 
»  giens    ratliolnpirs  ;    el     b's    proles|;iiiK   mx-Miênies ,    ren\    du 


ET  LE  LIBRE  EXAMEN.  89 

»  moins  (|iii  lionnont  encore  tiux  principes  fondiimenianx  du 
»  clirislianisme,  ne;  pciivcnl  la  récuser.  » 

«  L'objet  de  la  foi  est  la  révélation  de  Dieu  qui  a  reçu  son  en- 
»licr  di'Veioppenient  de  Jésus-Cliiisl  Noire  Seigneur  et  de  ses 
»  premiers  envoyés.  Cet  objet  embrasse  louies  les  vérités  que 
»  Dieu  a  révélées;  on  ne  peut  faire  d'exception  ou  de  dislinciion 
»  pour  l'une  ou  pour  l'autre  ;  on  ne  peut  pas  accepter  et  croire 
»  l'une,  et  en  même  temps  révoquer  en  doule  ou  répudier  l'au- 
»  tre;  attendu  que  la  vérité  est  indivisible.  » 

Nous  devons  à  l'objet  de  la  loi  un  assentiment  raisonnable  et 
prudent,  un  asseniimcnt  ferme  et  inébranlable,  un  assentiment 
obligatoire  pour  tous  ceux  à  qui  a  été  suffisamment  promulguée 
la  vérité  de  Dieu  ,  sous  peine  d'une  éternelle  damnation.  Celui 
qui  ne  croira  pas  sera  condamné  (1),  celui  qui  ne  croira  pas  est 
déjà  jugé  (2). 

Nous  sommes  encore  d'accord  avec  les  protestants  religieux  sur 
cette  autre  proposition  :  Dieu  a  donné  un  moyen  certain  et  sûr 
pour  connaître  les  vérités  révélées.  Ce  moyen  est  la  règle  de 
FOI.  «Toutes  les  communions  cliréliennes ,  dit  le  P.  Perrone, 
»  sans  en  excepter  les  sectes  protestantes,  admettent  une  régie  de 
»  foi  prise  dansée  dernier  sens.  Quoique  divisées  entre  elles  par 
»  rapport  aux  clioses  à  croire,  quoique  en  dissentiment  par  rap- 
»  port  au  principe  sur  lequel  cette  règle  doit  reposer,  toutes  s'ae- 
»  cordent  pourtant  à  poser  un  principe  suprême,  quel  qu'il  soit 
»  d'ailleurs,  comme  règle  invariable  de  ce  que  chacun  doit  tenir 
»  pour  révélé  de  Dieu  et  pour  objet  de  foi  divine.  Toutes  en  re- 
»  connaissent  l'existence  comme  la  nécessité ,  et  c'est  d'après 
»  cette  règle  qu'elles  rédigent  leurs  livres  symboliques  et  leurs 
«professions  de  foi,  à  moins  qu'elles  ne  soient  du  nombre 
»  de  celles  qui  rejettent  tout  symbole,  et  jusqu'à  l'inspiration  des 
»  livres  saints,  et  qui  mettent  de  côté  tout  l'ordre  surnaturel, 
«comme  le  font  les  rationalistes  purs  et  les  naturalistes,  dont 
«  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper.  Tenons  donc  pour  démontré 
»  que  l'existence  ainsi  que  la  nécessité  d'une  régie  de  foi  qui  nous 
»  vienne  de  Dieu  est  un  dogme  admis  d'un  commun  accord  par 

^ll  I  Jean  m,  18.  [ii,  Marc  XVI. 


î)()  It    l'OTESTA.MISlK. 

•  les  r.illioli<|llrs  (l  1rs  protosUillls  ;  et  <|lir  ci'  llicorrnir  suil  la 
B  hasr  (>(  le  rotxIciiK-iit  iiu'oiiicsW'  (!<'  luiil  Cl'  i|ti<>  nous  aurons  ;i 

•  dire  dans  ici  uuvra{{('.   Un  curollairc  éxidcnt  «|ui  si;  di;duit  nr- 

•  crss;iir('iucnt  lir  «  •*  prinri|>»',  <  'rsl  ijne  iclle  rèf;l«'  de  foi  flani 
»  un<'  roisdfUTniini'c  «'i  reconnue  coninx*  vouant  de  Dieu,  comme 
B  voulue  el  |ue&crite  par  Dieu  lui-même,  il  en  résulte  pour  tous 
»  (  r(i\  (|ui  radmelleut  une  stricte  obligation  de  la  suivre  el  de  se 
»  laisser  eiilii  remiiil  iliri;^er  |)ar  elle  dans  le  détail  de  l<>ur 
»  crovance.  » 

Mais  alors  il  s'aj^ii  de  roilieixlier  i|uelles  sont  les  propriétés 
el  les  condilions  de  la  véritable  règle  de  foi.  Or,  où  les  pren- 
dre, si  c«'  n'est  dans  l'idée  et  rofliee  d'une  règle  vn  géné'ial . 
el  dans  la  nature  mêuïe  de  la  foi?  Donc  colle  règle  doit  avoir 
pour  propriété  essentielle  el  pour  condition  indispensable  : 
1"  d'tîlre  cerlaine  et  sfire  ;  '2'  d'élre  aple  à  lever  loul  doule  in 
cas  i\o  coiilroNcrse  j  3"  d'èlre  universelle,  c'est-à-dire  à  la  porlee 
de  loiis;   1"  drire  pcrpéiuelle  el  indefeclible. 

.Iiisipi'ii  i  iKiiis  stuiMuos  d'accord  avec  tous  les  protestants  doués 
«le  sens  commun.  Celui  ipii  ne  veut  ni  de  révélation,  ni  de  Jésus- 
Clirist ,  ni  do  foi  ,  ni  di*  lègle  de  foi ,  ni  îles  |)ropriélés  «le  celle 
régie,  n'esi  plus  protestant,  c'est  un  rationaliste,  c'est  moins  en- 
tore»  c'est  un  sc«'pti(pie  ,  el  je  dii;iis  même,  «  l'est  un  liomiue 
ilépoiirvu  de  lof^iipii-  lialurelle.  o 

l.e  «lissfMilimcnt  sur  la  règle  de  /"oi' commence  ici.  L'Kglise  ca- 
lliornpio  trouve  le  depi')!  de  la  ri*>élalioii  (li\iiie  dans  la  pure  pa- 
role de  Dieu,  <pii  nous  a  ele  transmise  par  rKcrilure-Sainli-  el 
par  la  Iradilion  orale;  et  pour  «pie  c«'  «lep«"»l  se  conservât  dans  son 
unilé  et  sou  idenlilé,  Jésns-dluisi  la  «•«)nfiéà  une  aiilorilé  loii- 
joiirs  >ivanle  cl  |i:irl:ii)le,  infaillible  el  indiMeclible,  «pii  esl  l'au- 
t«)rilc  de  rJ"!^lise  calliitli«pie,  «'est  à-ilire  t\u  corps  uiiivi'isel  «les 
i'\è(pies  unis  au  «lief  \isibU',  le  success«'ur  «b*  saint  l'icn»',  l'evi"'- 
tpie  d«!  Honu',  le  Souveiaiii-Ponlib  ,  « cnlrc  de  riiniic  cailioliipie. 
I/Kglise  esl  d«»nc,  dans  la  «loclrine  «allioliipie,  la  rcgb'  }>roihaine 
delà  foi;  «-i  celU»  règle  possè«lc  b's  proprieles  el  les  ««uulilions 
esscniielles  sans  les<|uelles  il  n'y  a  ni  li'gle,  ni  loi,  ni  pun*  pa- 
role (je  Dieli. 


I 


LT  LE   LlKl-.li    KVAMKiN.  î)  1 

I^  \i"f^\c  (l(î  lui  proicslaiilo  ;iii  coiilrairc,  |)r('s(iil('  plusieurs  loii- 
daiucs.  Dansiiolrc  prccodcnl  ailick-,  nous  on  indi(iuionso,  parce 
que  nous  y  placions  les  règles  inieiniédiaircs;  le  P.  Perronelesrc- 
duil  à  3  :  la  rc<^\v  llicosopliiiiuc,  la  règle  ralionnclh;  et  la  règle 
héléroclile.  La  vi"^\(i  thcosuphique,  ou  mystique,  ou  piélisie,  esl  le 
libre  examen  privé  de  la  raison  individuelle  ,  mais  avec  le  se- 
cours d'une  prétendue  illumination  de  Dieu  à  l'homme  ;  sa  ten- 
dance conduit  au  fanatisme  ou  à  l'hallucination  icligieuse.  La 
règle  rationnelle  est  l'examen  privé  de  la  l'uison  individuelle  sans 
celte  illumination  ;  sa  tendance  est  le  rationalisme,  le  naturalisme 
et  rindillércntisme.  La  règle  hétéroclite  est  un  mélange  de  la  rè- 
gle catholique  et  de  la  règle  proleslanie;  c'est  le  système  angli- 
can. Le  P.  Perrone  fait  admirablement  rcmar(juer  que  la  règle 
hétéroclite  se  détruit  par  elle-même,  et  que  dans  les  deux  règles 
ihéosophique  et  rationnelle,  ce  qu'il  y  a  de  vrai  appaitienlà  la 
règle  caiholiiiue  et  se  trouve  dans  cette  règle,  et  que  ce  (jue  Tune 
des  deux  règles  protestantes  contient  de  faux  et  d'incomplet,  est 
combattu  par  l'autre.  Le  problème  esl  insoluble  par  leur  res- 
semblance comme  [)ar  leur  différence,  tandis  (pie  la  règle  catholi- 
que lient  le  milieu,  é(;laire,  unit,  coordonne  les  deux  règles 
incomplètes  et  satisfait  ainsi  aux  grandes  exigences  de  la  rc- 
vélaiion  divine  et  de  la  nature  surnaturelle  de  la  foi,  des  pro- 
priétés de  la  règle  normale  de  la  foi  et  des  facultés  mêmes  de 
l'homme  intelligent,  libre. et  croyant. 

L'ouvrage  de  rillusli'C  recteur  généial  du  collège  romain  a 
pour  objet,  dans  le  j)remier  volume,  de  montrer  que  les  trois 
règles  protestantes  sont  fausses.  La  règle  théosophique  est  arbi- 
traire, trompeuse  et  propre  à  engendrer  des  conséquences  mau- 
vaises. La  règle  rationnelle  nest  pas  plus  vraie ,  puisqu'elle  n'a 
pas  les  conditions  essentielles  qui  pourraient  la  rendre  certaine 
et  sûre,  apte  à  lever  les  doutes,  universelle  et  à  la  portée  de  tous, 
perpétuelle  et  indéfectible. 

Voici  les  propositions  formulées  par  le  P.  Perrone  ;  proposi- 
tions développées,  prouvées  avec  l'invincible  autorité  delà  Bible, 
de  l'histoire,  de  la  théologie,  de  la  raison,  de  la  morale  et  de  la 
polémique. 

r  Considérée  au  P()Ii>t  de  vie  biblioie,  la  règle  rationnelle 


92  Lt     l'ItOTEsTA^TISMIi 

pidtt'staalc  est  dérectucusc,  par  rapport  aux  rondcmcnts  que  la 
liihlr  doit  pr«'Slipp()SOi-. 

"2"  kllu  n'a  |)oiiii  (l«>  roiuicmiiii  dans  rÉiriiure  clle-mému  vl 
y  iroii\c  an  conirairc  sa  condamnation. 

3°  Ell<*  Ironipic  et  niulilt*  la  parole  do  Dion. 

4"  Kllf  rsl  dt  licinons»'  dans  son  a[)pli(aiion  biblique  clle- 
mènio. 

rt"    (loNSJDÉRÉE  AU   POIMT    DE    VI E    HISTORIOIE  .    la    IVglc   ratiOD- 

nclle  piotestanlc  a  été  inconnue  à  touie  I  aiititjuile  chrétienne, 
et  même  contredite  par  elle. 

(i"  Kllc  a  été  suivie  et  pratiquée  jiar  tous  les  héréiiques,  el 
en  ili«-oric  elle  est  propre  à  jnslilier  lonles  1rs  lii-résies. 

7"  Klle  est  contredite  par  tous  les  ixlormateurs. 

8"  Elle  n'a  |)ainl  été  observée  dans  la  prati(|uc  par  les  protes- 
tants eux-mêmes. 

9"  1)<).>MDÉKÉE  AU  POINT  DE  VUE  TUÉoLOGiouE ,  la  rt};le  ratiou- 
lU'Ile  |)rotesiante  détruit  l'unité  de  la  foi ,  ainsi  que  l'unité  de 
communion  que  Jésus-Christ  a  établies  dans  son  [église. 

10'  Klle  dctiuit  la  notion  même  de  la  foi. 

11°  Klle  rncne  au  rationalisme. 

12"   COi'^SIOÉRÉE  AU  POI!1T  IlE  VUE  DE  LA  RAISOM  ET  DE  LA  MORALE, 

la  rè^'lc  iMiioiinelIc  protestante  est  contraire  au  sens  commun, 
répugne  à  riiumilite  prcsirite  par  Jesus-Christ,  est  inqtralicable 
I>our  les  croyants  el  impraticable  |>our  la  conversion  des  infi- 
dèles. 

13°  Enfin,  considérée  ai  point  de  me  pulémujie,  la  règle  ra- 
lionufljc  j)roi<-sianit' ,  bien  loin  de  |M>uvoir  lermincr  les  contro- 
verses, est  propre  à  les  ren<lre  interminables. 

La  règle  héccroclilc  <le  l'anglicanisme  ne  limt  pas  le  milieu 
entre  la  règle  <  atlioliipie  et  la  rr^lc  piuitsi.iiiir,  ci  rtiiln-  «iaiis 
celle  du  protestantisme  nilionnel. 

Dans  le  second  volume,  le  P.  l'erroné  établit  que  la  règle  ca- 
iliolicpie  a  loiis  les  caractères,  toutes  les  proprictt's ,  toutrs  les 
i  ons4*qiiriirrs  d»'  la  vrai»!  règle. 

Je  W»  demande  :  V  a-t-il,  pour  les  prolestanis  ,  un  ouvrage  je 
ne  dis  pas  plus  imporlani .  mais  je  dis  |»lus  ne»  essaiie  à  lir»'?  Il 


F.T  LF.  Linni:  examf.n.  O^Î 

s'agil  pour  eux  do  la  loi,  tir  In  rè},Mc  do  la  loi,  oi  pnr  conséquonl 
du  salut.  Dire  je  suis  prolesianl  ;  «lire  j'admets  le  salut  gratuit 
par  la  foi  seule;  dire  rien  que  la  IJihIe  et  toute  la  Bible;  dire  je 
tiens  pour  le  libre  examen  avec  ou  sans  inspiration,  tout  cela  est 
bel  et  bon,  mais  ne  signifie  obsobnneul  rien;  tout  cela  est  abso- 
lument ou  faux,  ou  inutile,  ou  insullisant,  si  la  règle  de  foi  pro- 
testante est  telle  (pie  le  démontre  pai-  d'écrasantes  dc-monstralions 
le  1*.  Perrone.  Et  la  supposition  de  bonne  foi  est  gratuite,  soit 
que  vous  ne  vouliez  pas  examiner  un  peut-être  d'une  effrayante 
valeur,  soit  que  vous  ne  puissiez  pas  l'examiner. 

Nous  offrons  le  combat  à  tous  les  prolestants  désireux  de  s'in- 
struire. Prenons  chacune  des  propositions  du  P.  Perrone  comme 
point  de  départ  ou  comme  point  de  mire.  Parce  que ,  en  dé- 
finitive, la  seule  question  fondamentale  à  traiter,  c'est  bien 
celle-ci  :  Quelle  est  la  véritable  règle  de  foi  ?  Dans  les  Jnna- 
les,  nous  donnons  franchement  nos  principes ,  et  nous  les  prou- 
veions;  qu'un  autre  journal  pose  comme  nous  ses  principes  an- 
tagonistes dans  le  même  ordre,  et  qu'il  donne  ses  preuves.  Les 
catholiques  trouveront  à  chaque  pas  la  plus  forte  et  la  plus  con- 
solante démonstration  de  la  vérité  de  leur  règle  de  foi ,  et  par 
conséquent  de  leur  foi  elle-même,  tandis  que  les  protestants  se- 
ront forcément  entraînés  dans  les  derniers  retranchements  où 
nous  les  pousserons  de  toutes  nos  forces,  non  sans  doute  pour 
le  coupable  plaisir  de  les  attrister  et  de  les  vaincre  ,  mais  avec 
l'espoir  qu'en  présence  de  l'abîme  du  doute,  de  l'indifférence  ou 
de  l'hallucination,  ils  se  décideront  à  étudier  la  règle  de  foi  ca- 
tholique, revêtue  des  caractères  les  plus  profondément  divins , 
raisonnables  et  éclatants.  Laissons  de  part  et  d'autre  la  polémi- 
que de  détail,  la  polémique  de  parti  ;  devenons  des  hommes  d'é- 
tude ,  de  réflexion,  de  charité  et  de  prière.  La  victoire,  en  dé- 
finitive, sera  à  celui  qui  cherchera  le  plus  sincèrement  et  le  plus 
chrétiennement  le  règne  de  la  vérité,  la  plus  grande  diffusion  de 
la  pure  parole  de  Dieu,  de  la  foi  et  de  la  charité  de  Jésus-Christ. 

Nous  donnerons  prochainement  la  réfutation  de  la  règle  ihéoso- 


♦)i  1  i;    |'n«»TKST\>iTIS1iE   hT    LK   I  IIIKK  1.  \VMK\  . 

|ilii(|iit;  <|iH'  silivnil  1rs  inrlhixIiMes  ,  riiisloiir  (1rs  niélliodisics 
iiiN-inr-iiios ,   n  «Ir  r«Mi\  lie  Genève  en  parlnnlier.   !S<»y»  eR|M- 
ions  ne  blesser  |)ersonne  el  éehnrer  loiil  le  monde,  e:iiliolii|ue< 
Il  proiesiMiils  :  SeiiIruH'ni  pttiieiice.  relli'xion  <•!  éluile. 


HISTOIRE  DE  GROMWELL, 

PAR  M.  GUIZOT  (1). 


Le  XVIII*  siècle  n'a  pas  connu  Cromwell.  Voltaire  ,  en  qui  se 
ri'sume  l'époque,  parle  de  lui  avec  celle  vérité  superficielle  qui 
l'ail  illusion  à  tant  d'esprit,  bien  qu'elle  n'apprenne  lien  à  per- 
sonne. «  L'Anj^lelerre,  dil-il,  devint  plus  formidable  que  jamais 
sous  la  domination  de  Cronnvell,  qui  l'assujetlil  en  portant  l'É- 
vangile d'une  main,  l'épée  de  l'autre,  le  masque  de  la  religion 
sur  la  figure,  et  qui  couvrit  des  qualités  d'un  grand  roi  tous  les 
vices  d'un  usurpateur  (2).  »  C'est  bientôt  dit;  ce  qui  est  plus 
vrai ,  c'est  que  Cromvvell  était  loin  d'avoir  tous  les  vices  d'un 
usurpateur  ni  toutes  les  qualités  d'un  grand  roi. 

Hume  a  mieux  vu ,  mais  le  sectaire  lui  gâte  et  lui  dérobe 
riiomme  d'État.  Il  a  peine  à  pardonner  à  Cromvvell  sa  médio- 
crité comme  scholar  ;  et,  comme  orateur,  «son  langage  plat , 
ennuyeux  ,  obscur  et  embarrassé.  »  Il  va  jusqu'à  dire  que  son 
administration  fut  conduite  sans  aucun  plan,  et  que  sa  politique 
extérieure  fut  pernicieuse  à  Vintérêt  national.  «  A  tout  prendre  , 
conclut-il,  son  caractère  ne  parait  pas  plus  extraordinaire  ni  plus 

(1)  Nous  croyons  être  agréables  à  nos  lecteurs  en  leur  faisant  lire  ce  re- 
marquable travail.  Lauteur,  M.  Foisset,  occupe  depuis  longtemps  la  place 
la  plus  distinguée  parmi  les  écrivains  français  qui  consacrent  leur  talent  à 
la  défense  de  IKglise,  pour  que  nous  ayons  à  le  faire  connaître.  Aussi  avons- 
nous  garde  dinsisler  sur  les  mérites  de  ce  morceau.  Ils  ressortent  de  soi. 
Qu'il  soit  permis  de  dire  seulement  que  c'est  M.  Guizot  lui-même  qui  a  sol- 
licité le  jugement  de  M.  Foisset.  Cet  article  a  été  publié  dans  le  Correspondant. 

(2)  Siècle  de  Louis  XIV  (Introduction). 


OVi  MISTOinE    I»E  CUOMWKIL. 

siri;;uli«  r  par  lo  nulaiif^e  do  tant  d'absurdité»  avrr  lanl  do  |M'n<'- 
irniion  ,  (|uc  pur  l'alliage  (1*11110  si  violontc  ambition  ot  d'un  si 
Tiiriotix  fanalismc  avec  lanl  d\'gard&  puur  la  jitslice  ri  riunnn- 
nilé.  • 

Siiard  ,  (pii  r(|)rosentail  parmi  nous  la  liiloraliiro  anglaise  au 
commonoemenl  du  sioolo  présent ,  n'est  ipi'uii  nllci  d'Munio  oi 
«lo  \'c)llaii'o.  Il  n<î  s'o\pliipio  point  lo  galimatias  oi  In  trivialitr 
du  langage  oïdinairo  lio  (.ronn>t'll.  Il  no  cioit  pas  nionio  an  fana- 
tisme du  Proieclein  do  la  ro|)ultliqno  (rAngIctorrc.  «  Cromwoll. 
suivant  lui ,  «'tait  trop  éclairé  pour  n\'lr«'  pas  frapp«''  de  oc  «jn'il 
y  avait  do  ridionle  et  d'al)snr<lo  dans  lo  langag«>  ol  «lans  les  idées 
(l«'s  litnnnics  ignorants  et  grossiers  aveo  lesquels  il  vivait,  mais 
dont  II,  AVAIT  l'air  «Io  partager  le  fanatisme  pour  le  faire  servir  à 
ses  desseins.  Il  se  montre  fanarupio  pour  dominer  d<'s  fanati<pi«>s, 
et  il  fallait  Itien  ado|ttor  l«'Uf  jaigoii  j)onr  gagiu'i- 1«  ur  o«)nlian«o.  » 
Tout  le  jugement  (1«'  Snaid  sur  Croiinvoll  esl  de  celte  profondeur. 
N'est-il  pas  évident  «pie  (jomwell  était  trop  éclairé  pour  n'avoir 
|)as  les  idées  de  M.  Suard .' 

Les  queirpies  lignes  d«'  Bossn«i ,  «inore  |)liis  éloquonios  que 
Vraies  (on  l'a  dit  el  j*en  conviens) ,  tranohont,  il  faui  l'avouer 
Aussi,  a\eo  «es  mes<piinos  appréciations,  et  «li'm«'nrenl,  sans  «'«m- 
(rodil,  dans  la  nioinniio  *]«■  tous  à  nn«- inoomparaldo  lianlonr  di^ 
peosée  comme  à  une  prodigieuse  distance  dv  langage.  Mais  enfin, 
ce  (pii  frappe  le  plus  l«'  grand  oraleiir  Ifuscjn'il  vent  peindre 
Cromwell,  e'esl  riivpoeii.Nit.' du  personnage. 

Nous  en  étions  là  quand  parurent  l«'s  deux  premiers  \olumos 
do  M.  Guizot  sur  la  révolution  d'Anglelorre. 

Cet  ouvragi*  ne  reliahiliiait  pas  ("rom>v«'|| ,  mais  il  li'  montrait 
h  l'fruvro  «'l  le  faisait  (  uiiquendre.  On  y  \oyait  rlair«'inonl  l'es- 
prit le  moins  théoricien,  lo  moins  syst<'>maiique  qui  fut  jamais,  le 
s«'otairo  a\ant  riiomiiu'  d<'  guorri'  «'l  le  poliii<pio.  mais  l'homme 
(iv  guerre  et  le  politicpie  aussi  dans  le  sectaire;  par-dessus  loui 
l'homme  d'action  par  oxrolleni:o,  prenant  chaque  jour  conseil  do 
la  situation  ,  prompl  à  en  faire  sortir  au  jour  le  jour  loui  ce 
qn'olh'  pouvait  donner,  mais  trop  o««-npé  dn  prosont  pour  eni- 
Inassor  par  la  ponsio  un  long  avi-nir;  «losospérant  dos  «hances 
dn  purilanisnie  à  la  tlissolntion  du  Parl«-m«Mil  de  I(î28,  et  prêt  à 


IIIsrolUK   l)K  CUO.MWËLL.  97 

passer  en  Ainùriquo  si  rimprudcnic  pioclamation  royale  qui 
prohiba  rémij^Mation ,  no  Tt'ùt  rctonu  on  Angleterro;  ropronant 
ce  (lossoin,  m(''nie  aprôs  la  coïidaninaiion  cl  roxj'culion  de  Slraf- 
ford,  mômo  aprrs  l'aclo  de  Cliarlos  I"  qui  déclarait  le  Lonj;  Par- 
lement indissoluble,  oi  résolu  à  quitter  son  pays  si  la  fameuse 
Remontrance  du  mois  de  novembre  1641  n'eût  été  emportée  à 
la  majoriié  de  quobiues  voix  (1)  ;  jusliiiant  partout  en  un  mot  la 
spirituelle  parole  du  cardinal  de  Retz  :  «On  ne  monte  jamais  si 
baut  que  lorsque  l'on  ne  sait  où  l'on  va.  » 

Celte  figure  extraordinaire  ,  qui  tient  tant  de  place  déjà  dans 
le  premier  acte  de  la  révolution  d'Angleterre,  remplit  à  elle  seule 
tout  le  second  acte,  et  par  conséquent  les  deux  volumes  nou- 
veaux de  M.  Guizot.  Ce  n'est  pas  le  tort  de  l'auteur,  mais  c'est 
le  malbeur  du  sujet.  En  efFet,  ce  sujet  attriste.  Quel  supplice 
pour  une  âme  bonnête  que  le  iriompbe  continu  de  la  force  et  de 
la  ruse  sur  le  droit,  sur  l'honneur,  sur  la  vertu!  Quel  spectacle 
que  celui  de  Cromwell  écrasant  du  pied  tour  à  tour  la  monarchie 
et  la  liberté,  passant  sur  le  corps,  non  pas  de  Charles  I"  seule- 
ment, mais  d'hommes  tels  que  Falkland  et  Capell,  pour  s'asseoir, 
extérieurement  tranquille  et  admiré,  au-dessus  des  lois  de  son 
pays,  salué  par  Christine  de  Suède  comme  le  plus  grand  homme 
du  siècle,  recherche,  j'ai  presque  dit  courtisé  à  l'envi  par  le  roi 
d'Espagne,  par  le  grand  Condé  et  par  Louis  XIV.  Il  est  vrai  qu'à 
ce  moment  de  son  règne,  Louis  XIV,  c'est  Mazarin;  mais  cela 
ne  fait  point  que  la  mémoire  de  Cromwell  sott  un  souvenir  glo- 
rieux,  du  moins  pour  la  France.  Puis,  quelle  sympathie  peut 
s'attacher  à  cette  étrange  physionomie?  Je  l'ai  là  devant  moi, 
reproduite  par  un  burin  habile,  d'après  la  belle  médaille  de 
Th.  Simon.  J'ai  beau  lire  au-dessus  de  la  tête  du  vainqueur  : 
The  Lord  of  hosts,  «  le  Seigneur  des  armées,  »  mot  d'ordre  que 
Cromwell  donna  pour  cri  de  guerre  à  ses  troupes  à  la  bataille  de 
Dunbar,  il  n'y  a  rien  du  héros  dans  ce  portrait  d'après  nature. 
Cette  bouche  est  ignoble  ;  cette  figure  dans  son  ensemble  est  re- 
poussante. N'était  une  certaine  expression  d'assurance  et  de  force, 
jointe  à  je  ne  sais  quoi  de  confus,  de  brouillon  et  de  brouillé 

(I)  Hallam,  lome  II.  p.  39i.  traduction  revue  et  piiljlicc  par  M.  Giiizot. 

7 


Î)H  inSTOIRP.   IIP   nRO«>%  kLL. 

dans  lus  irails  du  peisoiina^c,  un  diinii  d'iiii  drii  à  la  iliforie  de 
l.avaier. 

Tel  (|u"il  est  |toiii'Uiiit,  I  histoire  n»-  ptui  passer  Cnunwrll  sons 
silence.  M.  (lui/oi  le  reneonlrail  (Kirl(»ui ,  debout  ei  $eul  de  sa 
race  (comme  l'a  dit  Montesquieu  d'un  véritable  Rrand  homme, 
riiarlcnia^ne).  H  «'*'l  prescjue  à  lui  s<'ul  toute  la  repnlilique 
(i'Anglelfrre.  Foicr  «•tait  donc  Imcu  à  l'Iiistorien  de  ceitr  répu- 
blique de  peindre  Cromwell.  de  pénétrer  dans  tous  les  replis  de 
ci'tte  nature  à  part,  si  coin|)le\e  et  si  ramassée  en  soi ,  comme 
parle  Bossuel,  de  nous  la  faire  lire  au  dedans  intus  et  in  cule\ 
et  de  nous  la  rendre  vivante,  ainsi  (|u'(in  liomuu>  avec  qui  nous 
aurions  \ccu  et  <pii  agirait  sous  nos  yeux,  (".'est  ce  cpi'a  fuit 
M.  Gui/.ot. 

a  J'ai  montré  ,  dit-il ,  la  chute  d'une  ancienne  monarchie  et  la 
mort  violente  d'un  roi  digne  de  resp<'ct ,  (|uoi(pril  ait  mal  el  in- 
jnslenienl  goii\erne  ses  |)euples.  J'ai  niainlenant  à  racimter  les 
vains  ellurts  d'une  assemblée  rovululioiiiiaire  poui-  IcMider  une  ré- 
pultli(pie,  et  le  gouvernement  toujours  chancelant,  bien  (jue  fort 
et  glorieux,  d'un  des|)0te  révolutionnaire,  admirable  pour  son 
hardi  et  judicieux  génie,  quoi(pril  ail  attaque  et  détruit  dans  son 
pays,  d'abord  l'ordre  légal,  puis  la  liberté.  Les  hommes  (|ue  Dieu 
prend  |>our  iustrumcnls  de  ses  desseins  sont  pleins  de  contradic- 
tions et  de  mystères  :  il  nu'le  et  unit  en  eux,  dans  des  |>ropor- 
li»>ns  pritfondemeMt  »  a(  lues,  les  qtialilés  et  les  d«'fauts,  les  xcrtus 
elles  vices,  les  lumières  et  les  erreurs  ,  les  grandeurs  cl  les  fai- 
blesses; et  après  av<»ii-  renq)li  leur  lem|»s  de  l'éclat  de  leurs  ac- 
tions (îl  de  leur  licslintM.',  ils  uemeirem  ei  x-mèmes  oDs<:rRS  au 
seiM  DELEi'R  GLOIRE,  cncensés  et  maudits  tour  à  tour  par  le  monde, 
qui  ne  les  connaît  |>as.  »  On  |ieut  contester  ce  qu'il  y  a  de  trop 
gênerai  et  d'absolu  dans  cette  pensée;  mais  a|»pli(piée  à  Oom- 
>vell,  elle  est,  sans  contredit,  d'une  rig(Uir<'iise  justesse  ;  elle  est 
tout  à  la  fois  d'un  mâle  ospril  et  d'un  grand  écrivain. 

Cela  dit ,  M.  Gui/ot  tient  parole,  il  racont»'.  Niille  pieieniion 
àretl'et;  point  de  portraits,  point  de  parallèles,  point  de  tableaux; 
rien  «pie  le  récil  des  faits.  Mais  tuui  <  e  que  nous  raconte  l'hislo- 
rien,  on  le  voit.  On  voit  l'organisation  du  gouM-rnemeni  républi- 
cain, la  formation  du  Conseil  d'I-lial,  analogue  ;i  celle  des  Corn i- 


iiisroim.  1)1.  cno.uNM.i.i..  09 

h'-s  piTinanciils  de  la  (À)nv(3iilion.  On-  \uii  en  iiirinc  Icmps  la 
irpii^iiaiicc  oiivcrie  ou  lalciilr  du  pavs,  irpiij^iiaïKc  (praiigmon- 
teiil  t'iKorc  If  im'inirc  iniidiipied'im  iiohU'  prisoiiniei'  do  guerre, 
lord  Capell,  el  la  puhlicaiion  de  VEikôn  Basiliké,  mal  réfuté  par 
Millon  :  sublime  génie  de  poèl(;,  mais  pauvre  lèle  ftolilique, 
«  éclatant  el  douloureux  exempU;  des  illusions  où  l'imaginaiiGn 
rêveuse,  le  raisonnement  abstrait  et  le  beau  lanyage  peuvent  jeter 
une  intelligence  su|)érieure  et  un  noble  cœur  (I).  » 

On  peut  dire  surtout,  à  la  lettre,  cpic  le  lecteur  assiste  à  ces 
iiois  piocès  si  divers  de  lord  Capell ,  du  paniphlélaire  Lilburn 
et  de  l'héroïque  Monlroso,  qui  manpient  les  dix-huit  premiers 
mois  de  la  république  d'Angleterre.  M.  Guizot  excelle  à  repro- 
duire les  luttes  judiciaires  comme  à  nous  rendre  présentes  «  les 
morts  vertueuses  el  fortes.  » 

L'Angleterre  de  1649  eut  ses  Communistes,  ses  ISiveleurs.  Ils 
lurent  mis  à  néant  en  peu  de  jours  |)ar  la  présence  d'esprit  el  la 
rapidité  d'action  de  Cromwell.  A  peine  en  a-t-il  fini  avec  eux  que 
son  avant-garde  débarque  en  Irlande.  Cromwell  la  suit  de  près, 
emporte  d'assaut  Drogheda  ,  fait  passer  les  moines  et  les  prêtres 
au  fil  de  l'épée,  et  ordonne  un  égorgement  qui  dure  deux  jours. 
L'hiver  n'interrompt  pas  ses  succès.  Il  en  poursuit  le  cours  mal- 
gré le  Parlement ,  qui  le  rappelle  en  vain ,  et  ne  quitte  l'Irlande 
que  pour  marcher  en  Ecosse  comme  général  en  chef,  au  refus  de 
Fairfax.  Un  moment  on  le  croit  perdu  ;  mais  la  folle  présomption 
des  prédicants  écossais  leur  fait  livrer  la  bataille  de  Dunbar,  où 
ils  sont  écrasés.  Charles  II  porte  la  guerre  en  Angleterre. 
L'alarme  est  vive  à  Londres;  mais  le  roi  s'arrête  à  Worcester. 
Cromwell  l'y  atteint  après  vingt-un  jours  de  marche,  et  l'armée 
royale  est  détruite.  Les  lecteurs  n'ont  point  oublié  la  fuite  de 
Charles,  dont  M.  Guizot  a  bien  voulu  leur  offrir  avant  tous  autres 


(1)  M.  Guizot  a  gardé  une  impression  plus  favorable  (}uc  la  mienne  de  la 
polémique  de  Milton  contre  Saumaise.  Maiscomineiitlui  cchappc-t-il  la  phrase 
(juc  voici  :  «  Saumaise  s"en  indigna,  tomba  malade  et  mourut?  »  Charles  I"' 
p(  rit  en  janvier  1C<9.  Saumaise  publia  sa  Defensio  rcQia  la  même  année. 
jMilton  répliqua  ,  si  je  ne  me  (rompe  ,  en  KiW ,  et  Saumaise  ne  mourut  qu'en 
1653  (le  6  septembre). 


100  illSTOIRE  DE  rHO«\%liLL. 

I«'S  ém<»uvanu>s  |X'iipclips.  (>»  rocil  a  des  ailos;  on  croiraii  lire 
dans  \oliairo  los  avontiircs  de  Ch;irlps-Édonard. 

!.«'  triomplH*  «omplcl  «lo  la  npiihlitiiu'  (Mi  An^Uinrc  ,  après 
!a  jcMirncc  <!«'  WorrosUT,  est  \o  moment  qur  M.  Guizot  a  choisi 
pour  passer  en  revue  les  relations  de  la  révolution  régicide  avec 
le  conlinent.  C'est  assurément  \îi  une  des  parties  les  plus  neuves 
de  son  histoire.  Kllc  alioude  en  révélations  :  les  archixes  des 
affaires  étrangères  ont  «te  ouvertes  à  rameur,  et  l'on  peut  dire 
que  nous  avons  pour  la  prcniicic  fois  le  secret  des  négociations 
entre  la  France  et  rAn^leierr»;  républicaine. 

On  ne  peut  s'empêcher  d'être  surpris  quand  on  voit  l'indiffé- 
rence de  l'Europe  monarchicpie,  de  l'Europe  au  \\  II*  siècle,  en 
pn'sence  de  l'échafaud  de  Charles  I*'.  !/aud)assadeur  de  France 
ne  tenta  cpioi  «pie  ce  soit  pour  sauver  le  gendre  de  Ilriui  IV,  et 
ne  quitta  Londres  que  trois  mois  après  son  exécution.  L'ambas- 
sadeur d'Espagne  ne  songea  pas  même  à  interrompre  ses  rela- 
tions avec  le  Parlement  républicain.  Seul,  le  c/ar  Alexis,  père 
de  Pierre  le  Grand,  rompit  avec  la  rcvoluiion  et  chassa  les  né'go- 
«ianls  anglais  de  ses  Etals. 

Celle  allilude  hcsilanle  <'t  égoisie  de  l'Europe  ollicielle,  au 
grand  scandale  de  la  conscience  publique  en  France,  en  Espa- 
gne, en  Allemagne,  en  Hollande  même,  lut  une  faute  immense. 
C'est  la  première  et  p«(ii-êire  la  plus  grave  aiteinle  qui  ait  été 
porl«'e  à  la  loi  nionaïc  lii(pie  ,  celte  seconde  religion  dis  peuples 
au  XVir  siècle.  En  effet ,  accepter  ainsi  à  un  degré  quelconque 
le  jugement  d'un  roi  par  ses  sujets,  e'esi-à-diic  le  pire  des  assas- 
sinats |)oiir  un  roi,  l'assassinat  juridi<|u<' ,  relui  ipii  all<*nle  plus 
encore  à  l'institution  qu':\  la  personne  ro\air.  n'ciaii-ce  p(»inl, 
de  la  part  des  mouar<]ues  contemporains,  amoindrir  eux-mêmes, 
aulanl  «pi'il  éiait  en  eux,  l'.iurcole  presfpie  diNitie  (pii  les  cou- 
ronnait? 

Sans  doute  ils  ne  se  sentaient  pas  menacés;  ils  redoutaient 
peu  la  contagion  de  l'exemple.  Mais,  en  ce  point,  h-ur  vue  était 
courte  ,  et  ils  méconnaissaient ,  au  grand  «lonunage  de  l'axenir, 
l'intime  solularii»'  di'  tous  les  membres  de  cette  grande  famille 
qui  s'appelait  encore  la  chrétienle.  Ils  ne  ^oyaient  pas  que  l'Eu- 
iop<',  ;m  fond,  ne  faisait  (pi'un  depuis  (harlemagne  ;  (pi'un  siè- 


IIISTOIKE   DL  GKUiUWliLL.  101 

cl<;  avait  sullii  pour  (jirrllc  devint  féodale  depuis  la  Sicile  jus- 
(prà  l'Islande  ;  (juc  r»'lincclle  clectricpie  dus  Croisades  l'avait 
tout  oiiiicic  l'braiikH!  (omnic  un  seul  Iiomnio  ;  (ja'ciie  avait  suivi, 
iruii  nK'inr  chiii  partout,  rcMiiraiiienieiit  d(,'s  mœurs  clievalefes- 
qiu's,  et  subi,  d'un  uièine  contre-coup,  à  la  lin  du  XV*  siècle,  la 
réatiiun  monarchique  ,  eu  Flandres  sous  les  derniers  ducs  de 
Bourj^ogne  ,  en  France  sous  Louis  XI ,  en  Angleterre  sous  Henri 
VII,  en  Espagne  sous  Ximéncs.  Ils  ne  se  rendaient  pas  compte 
de  l'empire  que  prennent  les  idées  quand  elles  ont  un  point 
d'appui  et  de  propagation  pai^mi  les  peuples  dans  la  communauté 
d'origine  et  de  religion.  La  réforme  avait,  certes,  opéré  sous  ce 
dernier  rapport  un  déchirement  profond  ;  mais  enûn  la  réforme 
invoquait  sans  cesse  les  livres  sacrés  qui  sont  communs  à  tous 
les  chrétiens,  et  l'Angleterre  n'est  pas  tellement  éloignée  du 
continent,  qu'un  volcan  allumé  dans  ce  pays  ne  put,  à  la  longue, 
occasionner  ailleurs  pins  d'un  tremblement  de  terre.  Quand  la 
tête  de  Louis  XVI  tomba,  l'on  put  voir  que  la  royauté  européenne 
avait  été  décapitée  dans  la  personne  de  Charles  I". 

Je  sais  bien  que  le  nom  de  république ,  si  effrayant  aujour- 
d'hui,  n'effarouchait  point  alors;  que  l'insurrection  pour  cause 
de  religion,  comprimée-en  France,  venait  d'être  canonisée  tout 
près  de  nous  par  la  reconnaissance  diplomatique  des  Provinces- 
Unies  des  Pays-Bas  dans  toute  l'Europe;  cl  que  l'indifférence  en 
celte  matière  était  entrée  dans  le  Droit  des  Gens  par  le  traité 
de  Weslphalie.  Je  sais  bien  aussi  que  la  hache  du  bourreau  avait, 
sans  soulever  un  orage  européen,  immolé  la  tête  de  Marie  Sluari 
un  demi-sièele  avant  celle  de  Charles  I".  Mais  la  reine  d'Ecosse 
n'avait  pas  été  condamnée  à  mon  par  ses  sujets  pour  forfaiture 
envers  la  nation  dans  l'exercice  de  la  royauté  ;  et  il  y  avait  loin 
encore  d'Elisabeth  se  faisant  elle-même  justice  de  son  ennemie  , 
à  la  théorie  du  régicide  légal  et  populaire ,  telle  qu'elle  ressor- 
tait des  écrits  de  Millon  et  de  l'hommage  rendu  par  les  cabinets 
monarchiques  au  triomphe  insolent  de  celle  doctrine  personnifiée 
dans  Cronnvell. 

Je  trouve,  à  cet  égard,  dans  M.  Guizot  un  endroit  qui ,  à  la 
première  vue,  paraît  malheureux.  «  La  paix  de  religion,  dit-il, 
rendit  la  politique  à  sa  nature  propre  et  à  sa  liberté;  les  croyan- 


lOj  III^TOIKF.   UE   IKU.VW  tl.L. 

tes  ri  It's  liassions  icligieuses  ne  dcM-itliTciil  plus  drs  desseins 
ni  (Il  N  iilliances  dos  Llnts;  Tesprit  d'anibiliun  <>ii  de  résistance 
j  raiiiltilidii,  dr  prt'|>ond('i:in(r  on  dindfprndancc,  d'af^randis- 
scMKiil  i>u  d'cquilibn',  d(■^i^l  l<>  priii(-i|)al  mobile  de  la  ronduilc 
des  {^oiivernemenls  dans  les  relations  internalionnies...  l^x  révo- 
lution d'Angleterre  proliin  de  ce  nouveau  caractère,  essentieVt- 
ment  Inique,  de  la  polili(]ue  coniemporaiiic.  » 

Jij^'iiore  si  je  m'abuse,  mais,  si  je  comprends  bien,  il  résulte- 
rait de  ces  quelques  lignes,  d'une  pari,  qu'il  y  a  contraste  entre 
la  p<»lili(pie  du  \\V  siècle  et  (elle  {\\\  \\\V  ;  d'autre  part,  (pie  la 
seconde,  essentitMlemeni  laupie  et  dirigée  par  les  inlerêls  pure- 
ment temporels,  est  un  progrès  sur  la  première,  plus  ou  moins 
sacerdotale  et  dominée  par  les  passions  religieuses. 

Si  tel  était  le  sens  de  ce  passage,  il  ne  me  semblerait  pas  en- 
lièiement  digne,  je  l'avoue,  d'un  aussi  savant  historien  et  d'une 
intelligence  aussi  élevée. 

Pour  moi  ,  je  me  persuade  que  la  p<ili!iqne  des  inleièts  est 
aussi  ancienne  cpie  l'égoisme  humain,  et  j'ai  peine  à  coiisitlerer 
comm(;  un  progrès  dans  la  direction  des  afl'aires  humaines  l'ab- 
sence d'un  conlre[»oids  d'un  ordre  supérieur.  Il  ne  s'agit  pas  ici 
de  théocratie  (je  ne  disent»*  pas  avec  \r  Siècle,  et  M.  Gui/ot  con- 
naît mieux  que  moi  la  valeui-  des  mots);  il  s'agit  de  savoir  si  la 
saine  polili(|ue  doit  leiiii-  compte  ou  non  des  croyances  religieu- 
ses, fussent-elles  à  l'étal  de  passion  ;  si  elles  ne  constituent  pas, 
elles  aussi ,  nn  intérêt  sé-rieux  même  an  point  de  >ne  temporel; 
si  elles  sont  on  non  une  hase  judicieuse  d'alliance  entre  les  Étals; 
si  les  guerres  fondées  sur  cette  cause  sont  essentiellement  im|>o- 
litiques.  N'est-il  plus  du  tout  peinïis  d'ein<tii.'  un  (hmie  j  cii 
égard? 

Notre  siècle  a  «oonn  des  guerres  de  pn>pagande  révolution 
naire.  Dira-t-rm  <pi'elles  fussent  toutes  inq»oIiti(|nes?  N'est-il  |>as 
nalun-l  rpie  les  guerres  lomme  les  alliances  prennent  leur  |M»int 
d'appui  où  elles  le  trouvent?  M.  (iui/ot  jugeail-il  absurde  une 
ceii.iinr  allinité  ,  un  certain  rapprochement,  nn  (crlain  concert 
entre  les  tlaLs  régis  naguère  par  ce  (pion  nommait  des  tonsii- 
iiilions,  |iar  opposition  à  ceux  qui  gravitaient  dans  l'orlùtc  des 
gouvernements  absolus?  N'a-t-il  pas  lui-mêfne  pr<»(  lamé  :'i  la  tri- 


lliyroillb   Ub  CKOMWELL.  103 

biine  («l  c'est  là  sa  gloire)  que  la  politique  extérieure  de  la 
France  doit  èire  calliolicjue?  Les  liommes  d'l"]tal  si  sensf's  de  la 
positive  Anyli'terre  n'adnietlenl-ils  point  qu'il  est,  au  contraire, 
dans  son  rôle  de  se  porter  partout  à  la  défense  et  à  l'extension  des 
intt'iêts  protestants.'  La  politique  russe,  qui  certes  n'avait  point 
passé  pour  inhabile  jusqu'à  ce  jour,  n'obéit-elle  pas  depuis  long- 
temps à  des  considérations  du  même  ordre?  Je  sais  bien  qu'en 
tout  ceci,  c'est  la  puissance  de  leur  pays  que  cherchent  les  hom- 
mes d'État,  et  non  l'exaltation  de  la  vérité  religieuse.  Mais  s'il 
en  était  qui,  tout  à  la  fois  politiques  et  croyants,  poursuivissent 
l'un  et  l'autre  but  avec  l'ardeur  d'une  âme  convaincue,  en  se- 
raient-ils moins  dignes  de  l'estime  des  sages? 

On  le  voit,  je  vais  droit  au  vif  de  la  question;  je  n'entends  rien 
dissimuler,  rien  éluder,  car,  pour  ma  part,  je  ne  taxe  pas  du 
tout  de  folie  le  principe  qui  arma  les  Croisés,  bien  que  les  Croi- 
sades aient  été  des  expéditions  généralement  fort  mal  conduites. 
Je  trouve  aussi  judicieux,  aussi  légitime  de  se  battre  pour  sa 
croyance  que  pour  un  agrandissement  de  territoire  ou  pour  le 
point  d'honneur  maritime,  comme  il  advint  en  1652,  à  propos 
du  salut  du  pavillon,  entre  l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies. 

Puis ,  M.  Guizol  le  sait  mieux  que  personne,  la  politique  des 
intérêts  ne  date  pas  du  traité  de  Westphalie.  Il  est  vrai  que  ce 
traité  a  définitivement  sécularisé  la  diplomatie,  en  éliminant  la 
médiation  du  Saint-Siège  qui  s'était  maintenue  jusque-là,  plus 
ou  moins  ellicaccment,  dans  la  tradition  européenne;  mais  je  ne 
vois  pas  clairement  ce  qu'on  y  a  gagné.  La  présence  d'un  mé- 
diateur aussi  désintéressé ,  aussi  ami  de  la  paix  entre  les  prin- 
ces chrétiens  qu'il  fût  possible  de  le  souhaiter,  n'était  pas,  ce 
semble,  trop  fâcheuse.  Leibnilz  la  regrettait  à  la  fin  du  XVII* 
siècle. 

Quant  à  la  politique  d'ambition,  il  y  a  fort  à  dire.  Constatons 
d'abord  qu'elle  n'est  pas  si  moderne.  Celle  qu'enseignait  Machia- 
vel avait  essentiellement  ce  caractère.  Louis  XI  et  Ferdinand 
d'Aragon,  au  XV*  siècle,  n'en  ont  guère  connu  d'autre.  Fran- 
çois I",  quand  il  faisait  alliance  avec  les  Turcs  ;  Charles-Quint, 
lorsqu'il  laissait  saccager  Rome  par  des  luthériens;  Richelieu, 
qui  soudoyait  les  protestants  d'Allemagne  contre  la  maison  d'Au- 


loi  lilATOIHK   ni;   CROXWKLL. 

triche  ei  les  parilaiiis  tl'Anglelerrr  coDirr  Charles  l'',  ont 
i)ratit|ué  celte  |)uliti(|iH'  tixtliisiveineiit  laifjuc.  Il  se  peut  qu'il  n'y 
eu  ait  |>uiul  de  |>lu8  proliuible  (j'a>t)ue  ixtutlani  ijue  cela  nu 
uiesl  pas  bien  «leuioulre)  ;  mais  M.  Gui/.ol  ne  niera  puint  (|u'il 
n'y  ait  une  |K)liti(|(ie  plus  morale  sans  (Hre  niaise;  il  n'entend 
point  assurément  le  contester  et  il  en  citerait  sans  tlifliculic  do 
décisifs  et  gUti  ieiix  e\empi<s.  Je  (  rains  donc  de  plus  en  j)lus 
d'avoir  ntal  compris  en  lui  impuiiinl  d'ap|)rouver  ce  «ju'il  ne  fait 
(ju'cxpliquer  sans  «itiute. 

Quoi  qu'il  eu  suit,  tout  l'exposé  de  la  politicpie  exté-rieure  de 
Crom»ell,  par  son  nouvel  historien,  est  plein  de  lumière.  On  y 
sent  partout  une  main  tpii  a  manié  les  hommes  et  les  choses,  un 
lumime  <pii  a,  lui  aussi,  u<},'ocié  avec  l'Europe,  un  historien 
homme  dKtat  comme  Thucyliile,  coumie  César,  comme  Clarcn- 
dou. 

•  Ia:  Parlenieiil  républicain,  ilil-il  «'xccllimnient.  eut,  de  s;i 
situation  au  dehors,  un  heulinient  juste,  iiieu  que  confus  et  in- 
complet ;  il  com|)rit  qu'il  était  détesté  des  grandes  monarchies 
européennes,  mais  nullement  menace,  et  il  se  conduisit  envers 
elles  avec  metianci;  et  lierté*,  mais  sans  iii(|uielude  ni  enq)orte- 
ment.  Il  ne  se  montra  point  pressé  d>lrc  reconnu  par  elles,  ni 
empre-ssé  d'établir,  auprès  d'elles,  les  représentants  de  la  ré- 
publique, non  qu'il  ne  ressentit,  à  cet  égard,  aucune  inq)atience  : 
le  >if  désir  d  étie  recoimu  perrait  de  lenq)s  en  lrnq»s  par  des 
voies  indirectes.  Mais  le  l*arlement  n'en  <  onliaua  pas  moins  do 
se  montrer  sur  i  e  point  exigeant  et  patient  à  la  fois.  >  Certes,  on 
ne  saurait  mieux  dire. 

M.  Gui/.ol  fait  comprendre  à  merveille  le  parti  (pie  lira  plus 
lard  Oomvsell  de  la  jalousie  invétérée  des  deux  grandes  |»uissan- 
eesqui  se  disputaient  alors  ras<«'ndanl  en  Kurope,  la  France  et 
l'Kspagne;  ni  l'une  ni  l'autre  ne  >oulant  se  brouiller  avec  la  Hé- 
publi<|ue  naissante,  l'une  et  l'autre  s'appliquant  au  contraire  à 
r«nNi  suit  à  l'attirer  dans  leur  camp,  soit  à  In  retenir  du  moins 
«hins  le  camp  ennemi.  C'est  ainsi  <pie  IKspagne  d'aboni  el  la 
Franci*  un  an  après  furent  amenées  à  reconnaître  un  gouverne- 
ment i^su  du  régicid»'.  C'est  ainsi  encore  »pie  les  nego<iations 
ciiUf.  Mazariii  et  Ci-omwell  aboutirent  à  im  iraiie  d'.dlianee  oiTen- 


IIISIOIKE   1)K   CHOUWELL.  l05 

siv«*,  l'ii  voilii  iliit|iu'l  'rurciiue  culeva  Dunkcrquc  aux  Espagnofs 
pour  en  ii'inellre  les  ciels  à  l'Auglclcire.  C'est  ainsi  cnliii  (|iraii 
ni«'|>iis  lin  droit  des  geus ,  Croiinvell  léixmdit  aux  avances  de 
IMiilippe  1\  et  de  Don  Louis  d»;  Haro  en  attaquant  Saint-Domin- 
gue en  pleine  paix  cl  en  volant  la  Jamaïque. 

Rien  n'a  été  plus  roproelK'  par  les  Anglaisa  la  mémoire  du  Pro- 
tecteur que  d'avoir  soutenu  contre  l'Espagne  énervée  et  déclinante 
l'antique  rivale  de  l'Angleterre,  la  France,  un  pays  qui  grandis- 
sait à"  vue  d'œil.  Cromwell  en  cela  lit  jireuve  d'indépendance 
d'es|)ril  en  s'élevaul  haidimont  au-dessus  du  préjugé  naiional  ; 
mais,  quoi  qu'allègue  Charles  Fox  poui-  atténuer  le  tort  de  cette 
conduite,  l'Espagne  mutilée  de|)uis  longlenq)s  par  la  double 
émancipation  des  Provinces-Unies  et  du  Portugal ,  isolée  de 
l'Empire  par  le  traité  de  Weslphalie,  battue  à  Rocroy  et  à  Lens, 
oîi  périt  son  prestige  militaire  avec  son  infanterie  longtemps  la 
première  de  l'Europe;  l'Espagne  de  1657,  malgré  la  grandeur 
de  son  passé,  ne  jjouvaii  faire  illusion  à  Cromwell  ;  et,  bien  que 
Saint-Domingue  le  tentai  comme  une  proie  facile,  sa  préférence 
pour  nous  ne  s'explique,  ainsi  que  l'a  fort  bien  dil  M.  Guizol, 
que  par  sa  haine  contre  Charles  II  et  par  l'aveugle  désir  de  lui 
enlever  tout  appui  et  tout  espoir  du  côté  de  la  France.  L'intérêt 
dynasii(pie  (car  Cromwell  aspirait  de  tous  ses  vœux  à  fonder  une 
dynastie)  l'emporta  cette  fois  dans  son  esprit  sur  l'intérêt  de 
l'Angleterre. 

Cependant  Cromwell  était  profondément  Anglais.  «  Je  rendrai, 
disait-il ,  le  nom  d'anglais  aussi  grand  que  l'a  jamais  été  le  nom 
romain.  »  Ce  langage  n'était  pas  seulement  politique  dans  sa  bou- 
che, il  était  sincère.  On  put  le  voir  à  l'attitude  souveraine  que 
prit  par  ses  ordres  le  pavillon  anglais  quand  il  parut  pour  la 
seconde  fois,  en  1654,  dans  la  Méditerranée;  il  sembla  prendre 
possession  de  celle  mer,  fit  trembler  Alger,  abattit  l'orgueil  de 
Tunis,  reçut  les  hommages  de  Venise,  imposa  tour  à  tour  à  Malte, 
à  la  Toscane,  à  l'Espagne.  C'est  de  Cromwell  surtout  que  date 
la  suprématie  maritime  de  l'Angleterre. 

Elle  ne  lui  est  due  pourtant  qu'en  partie.  Drake,  sous  Elisa- 
beth, avait  commencé  la  grandeur  navale  de  son  pavs.  Deux  hom- 
mes qui  n'aimaient  point  Cromwell,  Henri  Vane  ei  Robert  Blake, 


\{){y  niMoihk  ut  cuomw  kiL. 

l'un  comme  clief  du  comité  lie  la  marine  et  l'autre  comme  lioniine 
de  mer,  l'onl  l'éfinitivemeni  fon<lée.  Rien  n'y  cunlrihua  plus  qtn- 
la  superiorilt'  relative  des  n;ivires  anglais  construits  smis  Char- 
les r',  navin's  d'une  fj;randeur  iia otinue  jiis(nie-l;i,  résultat  di- 
rect de  (elle  nièuje  taxe  des  vaisseaux  dont  l'illi-^alité  fit  empri- 
sonner H:nn|)den  et  perdit  l'inlVirtune  iu«»nar(|ue.  Toute  la  bra- 
voure des  lltillandais,  rois  de  |;i  mer  aloi-s ,  toute  l'Iialiileté'  de 
leurs  meilleurs  amiraux,  Tromp  et  Ruytet*,  ne  put  compenser 
cet  avantage  de  construction  des  bâtiments  anglais  de  Charles 
I"  :  sic  ros  non  robis. 

Nous  louchons  ici  le  plus  brillanl  épiso<lc  de  cette  histoire  et 
celui  peut-être  (|ui  fait  le  pins  d'honneur  à  la  plume  de  M.  Gui- 
7.01  ;  i'injusli*,  mais  heureuse  j;uerre  de  l' An^deterre  contre  les 
l*rovinc«»s-Unics.  Compare/  sur  ce  point  l'historien  français  au 
meilleur  snns  contredit  des  liistoriens  an{?lnis  qui  onl  raconté 
cette  guene;  vous  serez  frappé  de  la  supérionté  du  nouveau 
récil  sous  le  triple  rapport  de  la  lumière,  de  la  vigueur  el  de 
la  vie. 

La  lumière  esl  sobre,  mais  pleine.  On  voit  la  Hollande  froide 
au  lendemain  du  régicide  et  poussée  même  en  se«Tet  à  l'hosti- 
lité par  le  stalhoudir  ritiillaunie  II,  gendre  de  Charles  l*"  ;  juiis 
sid)itemeni  ,  à  la  mort  de  ce  prince,  raujent-e  à  une  autre  politi- 
que |)ar  le  retour  de  l'arisioc  ralie  uiunieipale  aux  affaires;  re- 
biiice  bi«'utot  par  les  exorbitantes  |)reieuiions  de  l'.Xngleterrc , 
qui  nr  veut  pas  seulement  ralliance  ,  mais  bien  h  fusion  des 
<k"ux  n'(»id)li<|u<'s  et  l'absorption  dans  son  sein  de  la  forte  natio- 
nalité n«M>rlandaise;  blessée  au  c<rur  par  le  fameux  /fcff  de  na- 
rigntion  qui  tuait  son  commerce  avec  la  (iraude-Iiretagne  (1)  ; 
reprenant  les  négociations  avec  nue  sorte  d'humilité  qui  fait  de 
plus  en  plus  ressortir  l'insupporlable  hanienr  des  Anglais;  com- 
prnniise  ncilgre  elle  jiar  l:i  liirle  <le  son  amiral,  qui  refuse  jl'a- 


^1)  \.'<ntr  dr  n(ivi(jnliiin  inlcrili>iai(  aux  iia\ ires  étrangers  «l'iiniturter  en 
AnRlrlorrr  auriini'  inarcliaDdisr  anlrr  que  les  proiliiits  du  s«i|  «m  iJe  l'iniliis- 
trie  «le  leur  pays.  OéLiit  le  cdiij»  le  |tlii>  rude  inrun  piil  porter  k  la  Hollande, 
ijiii  ne  produil  presqne  rien  ,  qni  n'.i  pas  de  niannraelnn'5.  el  d«tnt  le  eoni- 
nieree  de  lran>p<)rl  fiiisflil  Imile  In  pr<i>.|iérilé. 


iii.sToiiu.  1)1;  (:l•.n1l^M■;I.r..  107 

baisser  son  pavillon  clev;inl  riscailic  de  [JUikc  ;  k-  désavouant  on 
pure  poiio  cl  no  pouvant  à  aucun  prix  ôviicr  une  dôclaraiion  ilo 
?uoiTo  (7  juillet  1652). 

Il  nVst  pas  aisé  do  di-lcnniiicr,  ;"i  la  distance  où  nous  sommes 
do  00  qui  s'est  passé  ,  (picllc  |):iii  cul  Ciomwoll  à  celte  résolu- 
tion peu  prudcnle,  bien  (pi'altsoutc  par  le  sucées.  On  sait  do 
quels  i-eplis  il  enveloppait  sa  i)cnséc,  dans  (juelles  ténèbres  il 
ensevelissait  ordinairement  son  action.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que  le  lord  gi-néralissime  était  alors  oisif  à  Londies,  et  que 
l'homme  (pu  entraîna  souvent  le  Conseil  d'État  et  le  Pailement 
à  déclarer  la  guerre  fut  S.  Jolm,  dont  l'innuence  était  grande  sur 
l'esprit  de  Cromvvcll.  Plus  lard,  devenu  lord  Prolecteur,  celui- 
ci  soutint  baulemenl  le  projet  de  fusion  et  d'absorption.  Il  paraît 
sûr  aussi  que  ^  ane,  (jui  diiigeait  la  marine,  était  opposé  à  une 
rupture  ouverte  avec  la  Hollande,  et  que  ce  fut  le  parti  militaire 
surtout  (jui  se  prononça  pour  celte  enlrepiise. 

Contre  ralienle  g('néral(,'  de  lEin-ope,  elle  tourna  rapidement 
à  la  grandeur  de  rAngleterre.  Elle  mit  eh  lumière  un  homme 
admiiable,  Robert  Blake,  grand  homme  de  guern;  et  grand  ci- 
toyen ,  d'un  courage  a  la  fois  entreprenant  et  phlegmatique , 
hardi,  lésolu  ,  sensé,  généreux,  d'un  caractère  grave  jusqu'à 
l'ausléiité,  d'un  désintéressement  anlique  ,  puritain  et  républi- 
cain sincère  jusqu'au  bout  et  respecté  jusqu'à  la  fin  de  ses  ad- 
versaires politicpics,  servant  son  pays  avec  passion  sous  un  chef 
dont  il  réprouvait  sans  détour  le  despoiisme,  marin  à  cinquante 
ans,  mort  à  cinquante-huit,  et  n'ayant  eu  besoin  que  de  ce  court 
espace  de  huit  années  pour  transformer  la  guerre  maritime  et 
pour  fonder,  je  le  répèle ,  la  suprématie  navale  de  sa  nation. 
Avant  Blake,  on  faisait  consister  le  talent  d'un  amiral  à  tenir  les 
vaisseaux  hors  du  danger;  il  fut  le  premier  qui  apprit  aux  gens 
de  mer  à  le  braver,  à  mépriser  même  les  forts  qui  gardaient  les 
ports,  comme  il  fil  en  détruisant  à  Tunis  ceux  de  Porto-Farino 
et  de  la  Gouletle  et  en  brûlant  dans  le  port  même  tous  les  bâti- 
ments qui  s'y  trouvaient  (1). 


(1)  Les  châteaux  forts,  qui  servaient  alors  de  garde  à  lenlrée  des  poils, 
claiciil  ordiiiaircuicul  bàlis  sur  le  bord  de  Icau  ;  s'ils  élaicut  de  quelque  élé- 


lus  IIISTOIllE   l»E  ClKlMWia.L. 

Ce  lioros  u  rciiconiir  dans  M.  diii/oi  un  hisionrn  ili^iu-  tir 
lui.  (aïs  diifls  «le  géants  euire  lUakc-  et  lion»!»,  comine  enin- 
Ulako  el  Kiiyler,  sont  :iJniiral)l(  nuiit  racontes  dans  le  livre  (|ue 
nous  avons  sous  ïvs  yeux.  On  a  beaucoup  vanté  les  batailles  ^\r 
M.  Tliiers  :  il  est  un  mérite  au  moins  (\\\c  j'ose  leur  refuser,  celui 
de  la  brièveté.  M.  (jui/ot  n'a  pas  la  prclinlion  de  transporter 
dans  l'histoire  le  lechni(pie  et  le  drconslancié  îles  hullelins  de 
la  Grande  Armée;  mais  ses  campagnes  na\ales  sont  saisissantes 
U'inlerêi,  d(!  NJvariii',  île  vérité.  Qu'on  \enille  bien  reliie  le  rérii 
de  Trafalgar  dans  M.  Tliiers  et  les  victoires  iihernalives  de  la 
flotte  néerlandais^^  et  de  la  Hotte  anglaise  dans  M.  Guizot  :  je  ne 
crois  pas  que  celui-ei  eût  à  se  plaindre  du  parallèle  ù  aucun  ti- 
ire.  Il  est  vrai  qu'il  Naut  mieux  ne  pas  faire  de  comparaisons; 
car,  dit  sainte  Tlnièse,  les  comparaisons  sont  odieuses. 

Nous  avons  devant  nous  nue  autre  série  de  faits  plus  familiers 
à  M.  Giii/ni,  cl  oii  sa  snpéiiorilé  nous  étonne  moins  :  c'est  la  sé- 
rie (les  l*arlemenls  de  r.ronnvi.li. 

Il  est  assurément  bien  remarquable  que  le  dictateur  anglais 
n'ait  pas  cru  |>ouNoir  se  |»asser  de  l'arlemi'iit.  Et  |)ouriant  il  n'en 
put  supporter  aucun.  I^  éclate  l'inqxiissance  de  la  force,  lors 
même  ipi'i  Ile  est  servie  pai- le  génie.  Ce  fut  lu  le  cliàtimenl  de 
son  Usurpation. 

A  peine  a-t-il  aneanli  lesri»yalisies  a  \\  «>ic(  sicr,  qu'il  se  trouxe 
aux  prises  a\ec  cette  coterie  vii  torieuse  qui  était  tout  c«'  ipii  res- 
tait du  Limg  Parlement,  cl  qui  a  ^,'arde  dans  l'histoire  le  nnm  de 
Crouyion  {liuinp).  Il  y  a  la  des  liouimes  qui  ont  pris  au  srricux 
la  rc|)nl)liqne,  et  qui  ri'donienl  la  pnponderance  «roissante  de 
relemint  unliiaire,  désormais  fait  homme  dans  la  personne  de 
Oomwi  II.  Pour  diminuer  cette  prépondérance,  ils  réduisent 
lamnc,  sous  prétexte  d'économie.  La  lutte  est  engagée  ;  l'armec 
prend  sa  ie\ anche  en  pdiiioiinant  |K)ur  tous  les  projets  de  ré- 

vutioii,  leurs  lumlclH  passiiioiil  p.ir  dossns  les  vai^siMiix,  et  ItiiMitol  li-s  forlr- 
rcssc»  pIics  nu^ims  traient  dilrnilos  par  le  feu  supérieur  d  une  grosse  flotte; 
s'ils  «'taieiil  plus  bas ,  la  m«us»|iieleric  des  gens  de  mer  les  rommandail  el 
en  renilail  la  d«^fenHe  impossible.  Aujounlliui  ils  sont  h  quelipie  dislanre  du 
rivage  el  presque  au  niveau  des  Ilots,  ec  ipii  en  rend  l'attaque  aussi  jwu  pru- 
drille  qu'elle  clail  alors  sûre  el  fariliv 


iirsnuKE  i)i:  ciiuiiwi-i.r,.  (09 

lormos  civiles  oi  religieuses  (jiii  peinent  la  rendre  populaire!,  et 
en  insinuant  la  n»''ccssilé  de  eonvo(juer  un  antre  Parlement.  Ainsi 
pi(|né  pareil  il  élaii  le  plus  vulnérable,  le  Rump  essaie  de  se  per- 
pétuel- en  se  coni[>léiani  |)ar  des  ('leeiions  nouvelles.  Cromwell 
ne  lui  eu  laisse  pas  le  temps  et  le  chasse. 

Jamais  cette  scène  inouïe  n'avait  ('té  reproduite;  à  ce  point  de 
re'alilé  vivante  et  nue.  On  suit  de  l'œil  tous  les  mouvements  de 
Cromwell,  depuis  le  premier  moment  jusqu'au  dernier;  ses  im- 
patiences d'abord  comprimées,  bientôt  renaissantes,  puis  faisant 
explosion  tout  à  coup:  «Votre  heure  est  venue...  Le  Seigneur 
en  a  fini  avec  vous...  Il  a  choisi  pour  son  œuvre  des  instruments 
plus  dignes...  C'est  le  Seigneur  qui  m'a  pris  par  la  main  et  qui 
m'a  fait  Hiire  ce  que  je  fais.  »  On  entend  les  ordres  successifs  que 
donne  le  général  en  frappant  du  pied  aux  fusiliers  qui  ont  en- 
vahi la  salle  :  «Faites-le  descendre!...  Faites-le  sortir !...  Met- 
lez-lc  à  la  porte!  »  On  croit  ouir  de  ses  oreilles  les  injures  vul- 
gaires dont  Cromwell  apostrophe  les  membres  qui  défilent  devant 
lui.  On  le  voit  enfin,  on  le  voit  s'approcher  du  clerc  de  service, 
lui  prendre  des  mains  le  ])ill  qui  était  près  de  passer,  le  mettre 
sous  son  habit,  sortir  le  dernier  de  la  Chambre,  faire  fermer  les 
portes  et  rentrer  à  AVhile-Hall. 

C'était  justice  au  fond  :  le  Rump  avait  mérité  son  sort.  Mais 
était-ce  à  Crom^vell  à  faire  celte  justice? 

Cela  se  passait  le  20  avril  1653.  Le  4  juillet,  CromvNell  faisait 
louverture  du  Parlement-Barebone.  Les  révolutionnaires  mysti- 
ques, sur  lesquels  l'homme  de  guerre  s'était  appuyé  pour  soa 
dix-huit  brumaire,  dominaient  dans  cette  assemblée.  «.  Elle  n'é- 
tait dépourvue,  dit  M.  Gnizot,  ni  d'honnêteté,  ni  de  patriotisme; 
mais  choisie  directement  par  Cromwell ,  qui  en  nomma  tous  les 
membres  seul  et  en  son  propre  nom ,  elle  manqua  de  dignité 
quand  elle  accepta  le  mensonge  de  son  origine,  et  de  bon  sens 
quand  elle  entreprit  de  réformer  la  société  anglaise  elle-même  : 
le  Parlement-Barebone  avait  été  pour  Cromwell  un  expédient; 
il  disparut  dès  qu'il  essaya  d'être,  sans  lui,  un  pouvoir.  »  On  se 
rappelle  qu'il  finit  par  un  suicide  ;  la  majorité  disloquée  abdiqua 
(décembre  1653). 

Le  3  septembre  de  l'année  suivante,  un  troisième  Parlement 


1  I  O  IIISTOIKK   UE  ir.()1l\N  M  I  . 

prcnuil  séance.  <  rliii-ci  i-luil  issu  de  l'éleciion;  ropposiiiou  s  \ 
iiouva  iJoin  vivcimiii  rr|in'seiiu''c.  Citninvcll  rxim;i  ri>n^;i^<iiiriit 
«•rrit  lie  ne  poiiil  reinellri-  en  (|ueslion  le  Proieelonl.  l'enl  ein- 
(|uanie  membres  refusèrent  de  signer  («'l  engagemeni  el  se  rcli- 
icrenl.  Les  idées  preshyliriennes  n'en  prévalurent  pas  moins 
dans  les  d«'lihéralions  :  le  nouveau  Parlement  se  mit  à  refaire  la 
ronstitution  ;  I  humeur  },'a{;na  Ciomwell  et  l'assemldée  fut  dis- 
soute au  bout  de  ein<i  muis. 

Alors  le  Protecteur  essaya  de  se  passer  du  Parlemeni.  Il  eut 
vingt  mois  d'un  despotisme  sans  voile ,  tem|K'r<'  par  rinlégrite 
des  juges  et  par  la  tolérance  religieuse,  assez  inégale  d'ailleurs, 
du  chef  de  Tl-^tat.  On  ttoulTait  à  peiii  bruit  les  complots  républi- 
cains; on  rej)rimait  avec  liacas  les  tentatives  royalistes.  L'Ecosse 
et  l'Irlande,  ineorpon'es  à  l'Angleterre,  ciaienl  traitées  en  pays 
con(|uis  ;  la  première,  par  Monk  ,  avec  rudesse,  mais  non  s;)ns 
arrière-pensée  d'une  restauration,  et  partant  sous  des  ménage- 
ments secrets;  la  dernière  avec  une  sauvagerie  (|u'Henri,  second 
fds  du  protecteur,  ne  pouvait  atténuer  que  faiblement.  Oscrai-jc 
dire  à  M.  Giii/oi  «pi'il  ne  s'indigne  pas  assez  de  IVxjiroprialifiu 
violente  et  de  la  déportation  en  masse  de  la  plupart  des  proprié- 
taires irlandais?  Il  ne  paraît  point  s'être  souvenu  du  dicton  pro- 
verbial :  «  en  enfer  ou  dans  le  Connaught!  »  Mais  l'historien  sent 
vivement  les  avanies  à  la  luripie  des  jiroconstds  «pic  (Iromvvi-ll 
avait  imposé  à  l'AngU-terrc  sous  le  nom  de  majors  généraux.  Il 
flétrit  à  bon  droit  la  rançon  infligée  au  parti  des  Cavaliers  par 
l'inique  taxe  du  dixième  du  revenu.  Là  nous  le  retrouvons  tout 
entier. 

Cromvvell  lui-même  ne  croyait  pas  ù  rét«Tnité  possible  de  ces 
violences.  La  guerre  ave<-  l'Plspagne  vint  lui  im[»oser  des  charges 
auxquelles  il  ne  pouvait  sufllre  sans  taxes  nouvelles;  il  crut  de- 
voir faire  appel  à  un  quatrième  Parlement.  Toutes  les  opposi- 
tions coalisées  ne  purent  y  faire  entrer  qu'ime  centaine  de  mé- 
contents; tous  ces  nouveaux  élus  fun-nt  ex<Ius  comme  indignes 
par  le  Protecteur.  Le  nouveau  Parlement,  ainsi  épuré,  accorda 
tous  les  subsides  qui  lui  furent  demandés.  Mais  le  chef  de  l'État 
allendnil  fpiebpie  chose  de  plus  de  cette  assemblée.  Voltaire  dit 
rpie  (romvvell  eût  «-le  fou  s'il  eut  songé  à  se  faire  roi.  On  ne  peut 


iiiSToiRb  Di:  i:i.<ni\vri.(..  1  I  i 

(loulor  poui'lani  (|u'il  irnii  vu  rrwr  lulio,  coin  est  ôrlutant  d'é- 
vidence dans  riiistoire;  mais  il  voulait  (|u'on  |)arùt  lui  faire  vio- 
lence à  cet  é^'anl.  Tout  ce  ujaiié^c  est  («lairt;  <li"  la  plus  vive 
lumière  par  M.  Gni/.ol.  I-c  titre  d*-  roi  lui  oMcri  au  l'rolccleur  par 
un  vote  solennel  du  l'arlcuiciit.  I>a  tauiillc  dt-  (Iromwell  cl  les 
niajors  g«''néraux,  qui  voyaient  dans  celle  mesure  on  ne  sait  quels 
avant-coureurs  de  restauration  ,  U;  conjuraient  de  refuseï-,  mais 
sans  succès.  Sur  ces  entrefaites,  le  colonel  Pride  ,  le  même  qui , 
le  6  décembre  1648,  avait,  sur  l'ordre  de  son  g(''néral ,  chassé 
tout  le  paiti  presbytérien  de  la  Cliandjre  des  Communes,  se  mit 
en  tête  de  faire  échouer  la  mesure,  et  il  y  parvint.  Une  pétition 
contre  le  rétablissement  du  liire  de  roi  fut  signée  par  trente-trois 
olliciers  et  présentée  au  Pailemenl  :  Cronnvell  recula;  il  manda 
la  Chambre  et  déclina  l'offre  (jui  lui  était  faite.  Il  accepta  d'ail- 
leurs la  nouvelle  constitution  ,  qui  rétablissait  la  Chambre  des 
Lords.  Mais  bientôt  le  désaccord  devint  tel  enire  les  deux  Cham- 
bres, que  le  Prolecteur  fut  obligé  de  dissoudre  encore  ce  Par- 
lement (4  février  1658). 

Le  croira-t-on?  ces  avortements  répétés  n'avaient  point  re- 
buté CromwcU.  La  confiance  et  l'argent  manquaient.  L'acquisi- 
tion de  Dunkerque  plaisait  à  la  nation.  Le  Protecteur  songea  sé- 
rieusement à  profiter  de  la  popularité  de  celte  conquête  pour 
convoquer  un  cinquième  Parlement.  Comme  il  agitait  ce  projet 
avec  ses  conseillers  les  plus  intimes,  un  complot  royaliste  éclata  : 
le  docteur  Hewet,  ministre  de  TÉglise  épiscopale,  était  l'un  des 
complices.  Cet  homme  ,  justement  honoré  ,  célébrait  en  secret 
chez  lui  le  culte  anglican,  et  la  fille  de  prédilection  de  Cromwell, 
lady  Claypole ,  assistait  habituellement  à  ces  actes  religieux. 
Elle  fit  d'ardents  efforts  pour  obtenir  la  grâce  du  docteur.  Tout 
lut  inutile.  Malade  et  passionnée  ,  elle  vit  rapidement  empirer 
son  mal  et  y  succomba  entre  les  bras  de  son  père.  Celte  visita- 
lion  du  ciel  trouva  la  santé  du  Prolecteur  ébranlée.  Des  désor-, 
dres  dans  le  foie  et  dans  les  reins,  la  gravelle ,  la  goutte,  les 
soucis  du  pouvoir  avaient  altéré  sa  robuste  complexion.  La  fièvre 
se  déclara,  et  elle  fut  mortelle.  Il  expira  le  13  septembre  1658, 
dans  sa  soixantième  année. 

Nous  attendions  ce  moment  suprême  pour  juger  Croniwell. 


I  12  ii:sToiiiE  ut  a\nn^Eix. 

Cromwril  ti:iii-il  un  ^nind  lionimc? 

Qir«'si-cr  «jiriin  priiid  lionimc?  Pour  t^irr  ainsi  nommé ,  su f- 
fn-il  d'ôiro  ^r:in(l  |»:u-  riniollif^'cncc  et  pnr  la  voWmtP?  Ne  faiil-il 
pas  surKiMi  <^ii('  j,'raii(i  par  ràmc .'  Cromurll  pnt-il  la  vraie  gran- 
deur, relie  de  l'îhnc.'  Ne  fut-il  pas  au  pins  liant  point  un  grand 
fourbe?  Grand  homme,  ^'land  fonrlte.  drux  ni»>ls  cpii  liuilrnl  de 
se  voir  accouplés,  eût  dit  Miiabcau. 

Après  lout,  qu'y  eut-il  dans  Cromwell  ? 

Son  éli'vation?  C'est  là  ce  qui  frappait  par-dessus  tout  le 
WII*  et  le  Wlir  si/îcles.  La  société  de  l'ancien  ii'gime,  où  la 
hiérarchie  des  rangs  était  si  fortement  assise  et  si  enracinée  dans 
les  mdnirs,  ne  pouvait  trop  s'étonner  qu'un  parNeuu  ,  surmon- 
tant l'obstacle  de  tant  de  barrières  avant  lui  it-puices  infrancliis- 
sahles,  fût  arrivé  à  commander  des  armi'«s,  Iticn  plus,  à  s'empa- 
rer du  pouvoir  souverain  dans  un  pays  jusque-lù  soumis  à  une 
monarchie,  et  à  une  monarchie  héréditaire.  On  admirait  Crom- 
well en  proportion  do  cet  «'lonnemcnl.  Mais  nous  «pii  avons  tra- 
versé les  révoluiiims,  nous  qui  savons  quel  homme  médiocre 
était  Robespierre  et  quelle  place  il  a  tenue  pourtant  dans  le  gou- 
vernement d(^  la  France  avant  le  f)  thermidor,  nous  qtii  avons 
\u  l'année  18iS,  nous  admirons  moiiisla  foittme  ré'voluiionnaire. 

Son  surc6s?  II  est  remarquable  sans  doute  que  Cromwell  soit 
mort  dans  son  lit  ,  après  avoir  j^ardé  justprau  dernier  jonr  une 
autorité  plus  absolue  (pie  celle  d'aucun  monarcpie  de  l'Anglc- 
Icrre.  Mais  enfin,  Cromwell  a-t-il  vraiment  réussi?  Que  voulait-il 
au  fond?  N'être,  comme  on  le  dit.  qu'tm  révolutionnaire  heu- 
reux et  que  le  maître  du  moment?  Il  avait  une  hien  autre  ambi- 
tion que  celle-là  ;  il  voulait  rendre  les  Stuaris  impossibles,  et 
poui  cela  incarner  la  révolution  «lans  une  dynastie  nouvelle, 
dans  une  dvnastie  solidaire  du  ri'>gici«le.  celle  de  Cromwell  ;  il 
vrtulaii  transformer  cette  ré'volutiun  en  une  nionarchie  régulière; 
en  un  mot ,  il  votilait  être  roi,  avec  tm  Parlement,  non  pas  cer- 
tes avec  les  Parlements  de  (Charles  P',  mais  avec  ceux  d'Elisa- 
beth (ne  représentait-il  pas,  comme  elle  ,  les  passions  protestan- 
tes de  son  temps.');  voilà  ce  qu'il  votdaii.  L'a-t-il  fait? 

Il  s'est  obstiné,  avec  toute  l'opiniàtHMi'  do  son  caractère,  à 
renouer  la  chaîne  des  temps;  il  s'est  aliaclu'  autant  qu'il  l'a  pu 


msTOïKt;  iil:  ciuniw  ttr..  1  13 

à  la  liadiiioii  iiMliDiialc  cl  parlonionlairc.  Avec  (iiicllc  impuis- 
sance! ou  vient  de  le  Noir.  Toul  ce  que  Ton  peut  r('ver  d'cxpé- 
(iienls  sur  ce  terrain,  expulsion  violente,  nomination  directe, 
pression  élecloiale,  éliminations,  épuration  préalable,  il  a  toul 
mis  en  œuvre,  tour  à  tour  et  à  son  heure,  et  tout  a  échoué.  Il  a 
essaye  de  se  passer  de  ce  rouage;  il  ne  Ta  pu.  Lisez  le  témoi- 
j;nage  d(î  son  secrétaire  intime,  Thurloe?  Cromwell  est  mort  à 
lemps  ;  il  était,  sous  ce  rapport,  à  bout  de  voie. 

Ce  n'était  j)as  le  j)ouvoir  d'clre  obéi  qui  lui  manquait  ;  ce  pou- 
voir, il  l'a  en  jusqu'au  bout,  sans  contrôle  et  sans  limites,  mais 
précaire  au  fond,  mais  viager,  mais  troublé  de  terreuis  person- 
nelles toujours  croissantes  (1),  qui  ont,  plus  que  la  guerre,  usé 
sa  vigueur  native  et  hâté  sa  fin.  Le  cercle  de  ses  fidèles  allait  se 
rétrécissant  de  plus  en  plus  amour  de  lui.  Son  gouvernement  a 
toujours  été  un  gouvernement  de  minorité.  L'Angleterre  le  su- 
bissait; elle  ne  l'acceptait  pas.  Il  le  sentait  et  c'était  une  partie 
de  son  supplice. 

II  possédait  de  puissantes  qualités  de  gouvernement ,  qui  le 
nie?  Mais  qu'en  a-t-il  lait?  Il  a  contenu  les  partis;  c'est  quelque 
chose.  Je  me  persuade,  toutefois  qu'il  faut  davantage  pour  être 
un  grand  homme,  Monk  ,  si  inférieur  du  reste  à  CromAvell, 
trouva  l'armée  divisée,  l'Angleterre  en  fermentation,  les  partis 
aux  prises,  et  il  sut  les  maîtriser.  Pourquoi?  Parce  qu'il  avait, 
comme  Cromwell,  une  armée  a  lui.  Monk,  ainsi  que  l'a  fait  voir 
M.  Guizoï  dans  une  étude  historique  de  premier  ordre ,  Monk, 
pour  le  dire  en  passant,  est  un  éclatant  exemple  de  ce  qu'on 
peut  accomplir  de  grandes  choses  sans  être  un  grand  homme. 
Je  ne  veux  pas  comparer  d'ailleurs  le  ferme  bon  sens  du  lieu- 
tenant de  Cromwell  avec  ce  génie  «  capable  de  tout  entrepren- 
»  dre  et  de  tout  cacher,  également  actif  et  infatigable  dans  la 
i>  paix  et  dans  la  guerre,  qui  ne  laissait  rien  à  la  fortune  de  ce 
)  qu'il  pouvait  lui  ôter  par  conseil  et  par  prévoyance;  du  reste 


(1)  Le  pamphlet  intitulé  :  KiUing  no  murder  (  Tuer  neslpas  assassiner). 
qui  parut  quinze  mois  avant  la  mort  de  Cromwell,  avait  mis  le  comble  à  ses 
transes  secrètes.  Il  n'osait,  dit-on,  coucher  trois  nuits  de  suite  dans  la  même 
chambre. 


8 


l  11  HISTOIRE   DK  r.flOMWELL. 

•i  si  vi^ilaiii  ti  si  pn-i  à  (ont ,  f|u'il  n'a  jamais  inai)(|iu;  les  occn- 
»  sions  •lu'ollc  lui  a  pirscnloes.  ■  Mais,  je  \o  r»'|H;le ,  ce  gi-ni»' 
remuant  et  audacieux ,  pour  cilcr  Bossuet  encore,  qu'a-l>il  fon- 
de' l\it'n.  (Jii'a-l-il  laissi-  iiiimcdiaKiiiciil  apii's  lui/  Lanardii»'. 
I*r»u\c  à  jamais  mcmorahii'  que  rim  m-  peut  compenser  pour 
iMir  nation  la  porte  <ie  s(m  droit  public.  Qiiin/e  jours  après  la 
monde  Cromwell,  son  pondre,  lord  Faulconlnid^e,  désespérait 
de  sa  succession  (1).  \  inyt  mois  plus  taiil,  Charles  II  était  re- 
connu roi  par  un  Parlement  lihrement  élu  ,  aux  acclamations 
presque  unanimes  des  Trois-Royaumes.  Le  Protectorat  avait 
durt-  cinq  ans  (2). 

Qu'cst-il  besoin  après  cela  de  s'appesantir  sur  des  questions 
secondaires,  de  discuter  la  politiiiue  intérieure  el  extérieure  de 
Cromwell,  son  faible  pour  les  Parlements,  ses  alliances  et  ses 
conquêtes?  —  Les  Parlements  étaient  une  néiessite  de  sa  situa- 
tion; c'en  fut  une  autre  que  sa  reculade  au  sujet  du  titre  do  roi. 
•  Peu  d'hommes,  observe  à  bon  droit  M.  Hallam  ,  étaient  meil- 
leurs juf,'es  que  Cromwell  de  ce  qnc  l'audace  peut  emporter.  » 
L<irs(|u'il  se  contenait,  ce  n'était  point  pusillanimité,  cotait  sa- 
gesse. —  Ses  alliances  furent  é'goistes.  S'il  fait  la  paix  avec  la 
Hollande,  c'est  à  une  condition  sur  hupiclle  il  ne  lléchit  jamais  : 
c'est  ipio  le  petit-lils  de  Charles  I",  (inillaumc  d'Oranj^e,  alors 
enfant,  celui  qui  fut  plus  tard  Guillaume  III,  ne  sera  jamais  stn- 
tboutler.  S'il  recherche  la  Suède,  c'est  qu'il  fennail  les  yeux  sur 
le  péril  dont  cette  puissance,  de|)uis  finstave-Adolphr,  menavait 
l'écpiilibie  {\\\  Nord,  pour  no  voir  «puî  l'éclat  (pii  rejaillirait  sur 
loi  de  l'allianc  0  et  du  suffrage  public  de  Christine.  S'il  préfère 
la  France  à  rKspa;,Mio  .  c'est,  je  l'ai  dit,  parce  qu'il  veut  à  tout 
prix  isoler  et  décourager  Charles  II.  —  Ses  «onepiêtes  se  rédui- 
sent à  la  Jamaïque  el  à  Dunkerque.  La  première  fut  un  coup  du 
hasard.  Cromwell  n'y  avait  pas  songé.  Il  avait  organisé-  contre 
Saint-Domingue  une  expédition  délovale  et  mal  (ombinéo,  qui 
n'aboutit  point  et  (pii  par  raccroc  se  rabattit  sur  la  Jamaïque,  ile 


(1)  \V.s  le  28  scpirmbrc  lf»,W.  Thurloe,  tome  VII,  p.  413. 

(2)  Du  tu  décembre  KWô  au  ô  septembre  IGfiH.  Le  Protectorat  fui  iléfcn' 
ù  Cromwell  nu  nnin  de  r:irincr  et  non  pas  itu  nom  de  In  nation. 

« 


I 


iiiSToinE  in;  <;ru>inN  r-r.r.  f  1 /> 

iiK'onimo,  (loin  nul  no  sonpronnnii  aloi's  l'inipoi  lanco.  Dunker- 
<]ue  n'était  pas  une  conquête  scnséo,  une  de  ces  conquêtes  naïu- 
lelles  «pli  restent  à  la  puissance  qui  les  a  faites,  comme  il  est 
arriv»;  des  conquêtes  de  Louis  \IV,  le  Houssillon  ,  l'Artois,  la 
Flandre,  l'Alsace,  la  Franclie-Comié. 

Mais  il  est  temps  de  finir.  Je  me  laisse  entraîner  beaucoup 
trop  à  discourii-  sur  le  sujet,  au  lieu  de  parler  du  livie.  C'est  que 
le  livre  de  M.  Guizot  est  du  petit  nombre  de  ceux  qui  appren- 
nent beaucoup  et  qui  font  beaucoup  penser.  Puis  on  ne  saurait 
trop  protester  à  mon  gré  contre  la  grande  idolairic  de  notre  siè- 
cle, comme  l'idolâtrie  du  succès.  On  doit  des  hommages  aux 
liommes  supérieurs  :  on  doit  plus  encore  à  la  morale  et  à  la  jus- 
tice. 

El  que  ne  me  resterait-il  pas  à  dire  sur  Cromwcll  considéré 
comme  sectaire?  Il  n'est  pas  vrai  qu'il  ait  commencé,  comme 
on  l'a  écrit,  par  le  fanatisme  et  fini  par  l'hypocrisie.  Cromwell  a 
toujours  été  sincèrement  sectaire  (tout  autre  mot  serait  trop  fai- 
ble, à  mon  sens);  les  lettres  de  sa  jeunesse  attestent  cette  sincé- 
rité; elle  respire,  durant  toute  sa  vie,  dans  ses  épanchements 
de  famille  les  plus  intimes.  Les  affaires  devaient  nécessairement 
diminuer  sa  dévotion  ;  mais  elles  amoindrirent  peu  ce  fanatisme 
qui  était  dans  son  tempérament,  et  qui  faisait  A  quelque  sorte 
le  fond  de  son  être.  C'est  par  là  qu'il  était  puissant  sur  ses  co- 
sectaires.  La  politique  s'y  mêla;  il  y  eut  la  part  de  l'hyperbole 
et  de  la  fourberie,  mais  le  fanatisme  subsistait  au  fond.  C'est  ce 
qui  m'explique  la  gaîlé  de  si  mauvais  ton  avec  laquelle  il  bar- 
bouille d'encre  le  visage  d'Henri  Martyn ,  de  la  plume  dont  il 
vient  de  signer  l'arrêt  de  mort  de  Charles  V^.  C'est  ce  qui  me 
fait  comprendre  regorgement  de  la  Drogheda ,  de  la  part  d'un 
homme  qui  n'était  pas  sanguinaire.  Cromwell  commettait  ces 
crimes  sans  remords.  Qu'était-ce  à  ses  yeux  que  Charles  et  ces 
papistes  d'Irlande?  Des  enfants  de  Bélial,  des  Amalécites.  Est-ce 
que  les  Saints  devaient  autre  chose  que  l'extermination  à  ces 
réprouvés?  Aussi  voyez  Cromwell  à  son  lit  de  mort.  «  Dites-moi, 
demanda-t-il  à  son  chapelain  ,  peut-on  déchoir  de  l'état  de  grâ- 
ce? »  —  «Ce  n'est  pas  possible,  »  répond  le  chapelain.  —  «  En 
ce  cas,  je  suis  tranquille,  car  je  sais  que  j'ai  été  une  fois  on  état 


I  IG  IIISTOIRL   DL   (  UONW  t.Ll.. 

«Il-  griicr.  •  (i<-tk-  lr;in(|uillilc  du  Cromwell,  ceUc  lui  iJaiib  la  pn - 
ilostinalioii,  clans  rinaiiiissîbilité  de  la  grâce,  dans  l'inutilité  des 
u'iivn's  pour  !«•  salul,  ii'oni-t.'llrs  |)as  do  «iiioi  faire  ireniMer? 

Celle  uioil,  d'aiiUts  l'avaieiil  ra«onlec;  M.  (jui/.ot  l'a  peinte. 

Elle  achève  le  polirait  de  Cromwcll.  11  lui  revint  un  élan  vers 
Dieu  ;  il  trouva  des  paroles  pour  une  prière  vraiment  chrétienne. 
A  cela  près,  il  mourut  en  homme  vulgaire. 

Noms  le  savons  |)ar  cmiii  dcsoniMis.  Le  voilù  !  le  voilà!  Ces 
deux  volumes  nous  le  liMciii  (uut  entier,  nous  te  montrent  sous 
toutes  ses  faces.  Il  passe  et  repasse  d(;\ant  nous  sans  cesse;  là, 
menaçant  de  sou  jxtigiiard  I/arry  et  sa  bande  de  ISiveleurs;  ici, 
envoyant  au  Parlement  le  relevé  froid  et  détaillé  des  trois  mille 
victimes  de  Droglieda  ;  jiliis  loin,  à  cheval  et  plein  de  feu  sur  les 
cham|>s  de  bataille  de  Dunhar  elde>V(»rcester,  ou,  le  lendemain 
de  ces  victoires,  dictant  des  bulletins  d'une  mâle  énergie  et 
d'une  humilité  calcuh'e  ;  puis  causant  dans  un  apparent  abandon 
ave<-  les  chefs  du  Parleinenl,  et  passant  dix-neuf  mois  à  dissimu- 
ler, spectateur  inaclil ,  avant  de  lVa|»per  le  Humy.  Ces  i  onNcisa- 
tioos  de  Cromwell  avec  les  principaux  du  Parlement  ou  de  l'ar- 
mée, avec  ^^  hiti'lockc ,  avec  Ludlovv,  avec  lord  Iho^'ill  et  lord 
Merlford,  sont  une  des  parties  les  plus  curieuses  île  l'ouvrage  tle 
M.  Gui/.ol.  I/lHSlorien  s'efface.  Cromwell  en  |>ersonne  est  en 
scène,  successivement  en  présence  des  habiles  de  son  |)arti,  des 
républicains  austères  ou  des  cavaliers.  Kh  bien  !  un  autre  cAie 
plus  nnif  encore,  s'il  est  possible,  de  cette  histoire,  ce  sont  les 
Discours  du  Trône  du  Protecteur.  Hume  les  avait  décriés  à  ton. 
Ce  sont  des  (  licfs-d'o  iiNre  d'artilice  et  d'habileté  :  la  confusion, 
le  vague,  rentorlillemenl  et  l'ambiguïté  (pii  y  régnent,  sont  mer- 
veilleusement appropriés  à  la  scène  et  aux  auditeurs;  ce  sont 
évidemment  autant  df  moyens  de  pins  pour  le  succès. 

FOISSET. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES. 


Nnèdc.  -*—  On  lit  dans  un  journal  de  Stockliolni ,  VAftonhlnd,  du  9 
mars  : 

«On  se  rappelle  (|n'à  la  Diète  dernière  rélat  du  clergé  s'adressa  à  S.  M. 
le  roi,  le  priant  de  vouloir  bien  l'aire  rédiger  un  nouveau  Rituel  (ainsi  qu'un 
catéchisme  et  un  livre  de  psaumes  ou  cantiques),  et  qu'à  cet  effet  Sa  Majesté 
nomma  un  comité  composé  des  évéqucs  Butsch  cl  Annerstedt,  du  doyen  du 
chapitre  archiépiscopal,  Knœs,  du  directeur  Bjœrling,  du  professeur  Bring, 
et  du  prédicateur  de  la  cour  Wensiœ.  Ce  comité  remit,  le  6  février  dernier, 
à  S.  M.  le  roi  son  projet  de  Rituel.  Ce  travail  a  pour  base  le  Rituel  actuelle- 
ment en  vigueur 5  on  s'est  contenté  d'y  introduire  quelques  modifications 
qui  ont  pour  but,  selon  l'expression  du  comité,  de  donner  au  dogme  une 
expression  plus  claire  et  plus  décidée. 

»  Parmi  les  changements  de  quelque  importance,  on  remarque  que  l'invo- 
cation usitée,  au  commencement  de  l'oûice  de  la  grand'messe,  disparaît  et 
est  remplacé  par  quelques  textes  de  l'Écriture  plus  propres  à  servir  d'Introït 
à  la  confesion  des  péchés  ;  que  le  Kyrie  cl  le  Gloria  major  sont  réintroduits 
et  doivent  être  chantés  pour  le  peuple  ;  que  l'Évangile  doit  de  nouveau  être 
lu  à  l'autel,  de  sorte  que  le  Graduel  tombe  entre  l'Épitre  et  l'Évangile;  qu'à 
la  messe  où  il  y  a  communion  il  y  aura  ce  changement,  que  l'exhortation  pré- 
paratoire sera  faite  au  moment  de  la  confession,  et  sera  remplacée  par  une 
prière  d'actions  de  grâces;  les  rcsponsona  seront  toujours  chantés  par  le 
peuple,  soit  que  l'officiant  chante  ou  ne  fasse  que  lire  les  strophes  relatives, 
de  sorte  que  le  peuple  prenne  une  part  plus  active  dans  l'office  divin. 

»  Le  nouveau  projet  de  Rituel  introduit  en  outre  un  office  liturgique  à  faire 
à  l'autel  pour  les  supplications  publiques ,  où  seront  réintroduites  en  grand 
nombre  d'anciennes  formules  de  prières  pour  les  oflices  publics. 

»  Quant  aux  cérémonies  du  baptême,  on  y  introduira  de  nouveau  les  ab- 
jurations par  lesquelles  on  renonce  à  Satan,  à  ses  œuvres  et  à  ses  pompes. 
On  en  exclut  toutefois  l'exorcisme  et  le  signe  de  la  croix,  dont  le  comité  dé- 


118  MbLA>lik>    LT     NOLVLLtS. 

»irerait  cfpriiilanl  l.i  iciiilrudiictiun  ;  aiaù  pour  le  inonient  il  n'ose  pas  ni- 
tort*  la  proposer. 

•  pour  la  coiifossiuti,  la  furiuulc  li'absoluliuii  aindHionitrllr  sera  rciiiplu 
cèc  |);ir  lii  (li-iiiaiiile  ailrosséc  ;'i  ceux  (|ui  se  pré^etileiit  à  la  eunfessiun  :  .Si 
l'accusai iun  de  leurs  péchés  est  sincère,  dciuamle  à  laquelle  on  répondra 
oui,  et  là-dessus  l'absululion  sera  acconiéc  avec  la  formule  ab^ofu^. 

■  Les  chan;;enieiils  pour  la  cunsécratioii  des  églifes,  des  é>t^i)ucs  et  des 
prêtres  sont  moins  esseiiliels. 

»  Comme  a|ipendioe  suit  un  projet  de  cliun^ement  dans  (|uclqucs-uncs  des 
colleeles  et  prières.  » 

Le  nouveau  Kilucl  doit  être  soumis  aux  délibérations  de  la  Diète  suédoise, 
(jui  le  rejettera,  le  modifiera  ou  l'adoptera.  Or,  cette  Di/'tc  se  eom|H)sc  des 
députés  de  tous  les  ordres,  paysans,  bour^^cois,  chevaliers  et  nobles,  cl,  pour 
un  t|uart  seulement,  des  députés  du  clergé,  parmi  lesquels  sont  luéwc  com- 
pris ceux  «les  universités. 

Les  elian);ements  proposés  sont  un  retour,  encore  timide,  aux  formes  du 
culte  catholique,  et  ré\élcnl  l'existence  en  Suède  d'un  parti  analogue  au  pu- 
séi.snie  ani^lais.  Y  aura-l-il  dans  la  Dicte  une  majorité  qui  consente  à  favori- 
ser ces  tendances?  C'est  ce  que  nous  ignorons.  Mais,  en  tout  cas,  ce  sera  une 
chose  curieuse  que  de  voir  cette  assemblée  discuter  sur  les  Introït,  le  Kyrie, 
XeCluhn,  le-,  l'oUectrs,  stir  les  exorcismes  et  le  si;;ne  de  la  croix.  Voilà  pour- 
tant à  quelle  serNiludc  le  protestantisme  a  conduit  l'é^^lise  suédoise  ;  elle  no 
peut  plus  prier  que  selon  la  formule  proposée  par  le  roi  et  votée  par  le  Par- 
lement. 

l'I(ut«-l  uIn.   — .    Lorsque  nous  parlons  des  dévcloppcmentâ  du  catho- 
licisme uu\  Ltats-l  niï,    nous  craignons    parfois  de  trop  prendre  r.'  •>  >u'*irs 
pour  des  réalités.  Mais  aiin  de  nous  rassurer  sur  l'exactiludc   de  no-  j^<i- 
lions,  il  nous  suffit  de  lire  ce  que  le*  protestants  pensent  de  l'étal  p-         >:  (> 
la  vraie  religion  au  milieu  d'eux.  C'est  au  rommeiieemenl  de  mai  qu  '  i.  ' 

nombre  dusNociatioiis  de  propagande  Licnnenl,cliaqucunnée,  leurs  lo  nub  éi.. 
générales  à  .New-York.  Deux  délégués  de  tous  les  points  des  Ktuis-Cnis  et 
de  I  Angleterre  se  rendent  ;i  ces  iiKtiinus,  vl  l'on  y  lit  les  rapports  île  ItK-'ii 
\rc,  le  ré>timc  de  la  sitiialioii  tiiianeière,  et  une  relalion  ftiil  exagérée  des 
résultat»  obtenus.  Ixs  niistionnaiies  pnilestants  en  i-'raiice  ou  en  Chine,  en 
Italie  ou  ii  Jérusalem  ,  nu  inanquent  jamais  décrire  qu'ils  sont  sur  le  point 
de  convertir  des  nations  entières;  on  e:,!  s^ns  cesse  à  la  veille  de  réaliser 
des  succès  dont  le  lendemain  fuit  toujours  devant  nous ,  et  c'est  ainsi  que , 
depuis  qu'il  y  a  des  sociétés  bibliques,  la  creduliié  la  plus  ingénue  a  .soutenu 
le  zèle  des  débonnaires  souscripteurs.  Cutlu  année ,  nous  nous  sommes  im- 
posé la  rude  tache  de  lire  la  totalité  des  comples-reiidus  de  ces  réunions , 
alin  d'apprécier,  d'a|très  les  proteslaiits,  quels  cluient  les  pn>grès  de  leurs 
missions,  et  nous  a\ons  été  fort  agréablement  surpris  de  n'y  trouver  mcn- 
tiuunés  i|uc  les  progrès...  du  catholicisme.  Toutes  les  soriélés,  avec  nne 
iioaniinité  remarquable,  jcUent  le  cri  d'alarme  .sur  la  force  ciu'acquici l  l'é- 
lénienl  catholique  aux  Klals-lnis.  et  Ion  en  .ippelle  à  ta  législation,  uu  fana- 


M^LAMUES  ET  INUUVELLES.  1  10 

tisnic,  au  l)ras  séculier,  pour  arrclcr  des  cnvahissenicuts  dont  on  s'elliaic 
comme  d'une  calamité  publique.  Après  avoir  déclare  si  haut  que  la  liberté 
dos  cultes  amène  inévitablement  la  ruine  du  catholicisme,  il  est  réellement 
humiliant  de  voir  la  vraie  foi  tirer  ini  si  {;rand  parti  d'un  état  social  qui  doimc 
à  l'erreur  tant  d'avantages  matériels  sur  la  vérité.  Mais  il  faut  bien  reconnaî- 
tre «|ue  c'est  l'hérésie,  à  iaciuelle  est  fatale  la  liberté  illimitée  dos  cultes,  et 
l'cm  lait  ap|)el  aux  restrictions  envers  les  catholi(]ucs,  afin  d'anéter  les  dé- 
veloppements que  le  prosélytisme  protestant  ne  peut  conjurer.  IN'os  frères 
séjjarés  se  trouvent  situés  entre  le  goulTre  de  l'inlidélilé  qui  les  entraîne  et  le 
port  de  la  religion,  dont  ils  voient  briller  le  pliarc  au  n)ilieu  d'eux.  Mais 
leurs  pilotes,  navigateurs  mercenaires,  se  liàtent  de  tourner  le  dos  à  la  lu- 
mière pour  continuer  à  ballotter  l'équipage  sur  l'océan  du  doute.  Peu  à  peu 
les  courants  entraînent  vers  l'abîme;  les  nautonîers  s'obstinent  à  endormir 
leurs  compagnons  en  blasphémant  contre  le  port  de  salut,  jusqu'à  ce  que  le 
tourbillon  de  l'irréligion  engloutisse  la  secte,  et  alors  les  âmes  d'élite  que  la 
grâce  soutient  s'échappent  du  naufrage  pour  arriver  au  port  de  la  vérité. 

Voici  ce  que  dit  des  progrès  du  catholicisme  le  rajiport  lu  à  l'Union  chrê- 
liinne  amcricdinc  et  étrangère,  amalgame  de  dix  sectes  diverses  qui  ne  se 
réunissent  que  pour  combattre  \e  papisme  : 

«  En  1700,  il  n'y  avait  dans  tous  les  Etats-Unis  que  40  prêtres  catholiques. 
En  1808,  riîglise  américaine  s'était  organisée  et  comptait  1  diocèse,  2  évêqucs, 
()8  prêtres,  80  églises,  2  séminaires,  un  petit  séminaire  et  deux  pensionnats 
déjeunes  fdies.  En  1810,1elle  renferme  41  diocèses,  7  archevêques,  ô2  évê- 
qucs, 2  vicaires  apostoliqu.es,  1674  prêtres,  1722  églises,  20  collèges,  com-  T/fc^i*    ' 
prenant  2247  élèves,  et  M2  écoles  de  jeunes  filles.  Le  catholicisme  a,  déplus,        /     ^ 
pour  le  défendre  ou  le  propager  aux  États-Unis,  20  journaux  hebdomadaires,        *"    ' 
i  journal  mensuel ,  ^  revue  trimestrielle,  2  annuaires  publiés  en  anglais,  en 
français  et  en  allemand.    Le  chiffre  de  la  population  catholique  s'élève  dans 
l'Union   à  environ  5,000,000,    ou  un  huitième  de  la  nation  entière.  De 
1854  à  1844,  le  personnel  et  la  puissance  matérielle  de  l'Église  romaine  s'est 
accru,  en  Amérique,  d'au  moins  100  pour  100.  Pendant  les  dix  dernières  an- 
nées, les  progrès  de  cette  croj  ance  ont  été  dans  la  même  proportion  ;  le  nom- 
bres des  églises  et  des  prêtres  s'est  même  accru  de  170  pour  100.  » 

V  Union  chrétienne  ne  s'est  pas  bornée  à  étudier  les  progrès  de  la  religion 
en  Amérique  ;  elle  s'est  encore  occupée  de  l'Asie,  et  voici  un  extrait  du  dis-  ^*- 
cours  du  Rév.  Duff  sur  ce  sujet  :  '^''  JL 

«  H  y  a  trente  ans,  le  papisme  a  ressuscité  dans  1  Inde;  il  y  avait  sommeillé  / 

pendant  une  longue  période;  mais  maintenant,  partout  ou  vous  allez,  vous  i^y 
le  trouvez  à  l'œuvre  :  dans  tout  l'Orient,  vous  rencontrez  des  couvents  pour  »/* 
l'éducation  de  la  jeunesse,  et  les  protestants  sont  assez  fous  pour  y  envoyer  A  . 
leurs  enfants.  Vous  trouvez  partout  des  collèges  pour  former  des  prêtres  ea-  * 

tholiqucs.  A  Calcutta ,  le  papisme,  jadis  si  puissant,  était  tombé,  jusqu'à  ce 
que  de  fanatiques  prêtres  irlandais  et  une  armée  de  jésuites  soient  venus  y 
ranimer  leurs  erreurs,    f^c  pouvoir  de  Rome  est  plus  grand  que  jamais  dans 


\C 


\'2(^  >II  LANtiES  ET    .NOUVELLES. 

U-  Miil  ili-  1  liiilc.  L:i  i  i.lc  i-iili(tc  c>C  parscuu-i-  de  leurs  églises,  el  les  priCr-- 
sont  résolus  à  Iranslornier  le  pays  entier  en  un  jardin  |)a|iisle.  > 

Nous  sommes  toujours  curieux  de  voir  ce  que  lessociclês  hibliiiues  disent 
delà  IVanre  et  de  nos  voisins.  Voici,  dons  le  rnuport  de  H'nion  chrrtimnr, 
le  passade  t|ui  nous  coneerne,  et  l'on  verra  (|ur  le  lutliéraniMiie  intoléranl  de 
la  Suède,  qui  lrou\c  ^vhcc  tant  ipi'il  ne  persécute  ipie  les  eaihuliques,  ne 
pluit  plus  dèsqu  il  gcnc  les  prédications  d<'s  dissidents  américains  : 

•  Itossenius  et  .\hnfclt  continuent  5  poursuivre  leurs  travaux  en  Suède  an 
ntiiieu  d'une  violente  opposition .  excitée  par  le  clerjjé  de  l'église  nationale. 
Mais  l'horizon  de  la  Suède  n'est  pas  enlicreinent  noir,  el  même  en  ce  pays 
la  vérité  est  en  proférés. 

•  lue  large  porte  est  ouverte  en  Belgique  pour  la  propagation  de  la  vérité. 
I.e  comité  a  augmenté  ses  allocations  ù  ce  pays.  No»  deux  commissaires  ré- 
sident à  Cliarleroi  et  ù  Bruxelles,  cl  ]cur<  irivuit  ^.,n»  suivi»  .1.»  y',,,^  .n- 
courageants  résultats. 

»  I/état  des  choses  est  tristement  intércsN:mt  en  I  i:mic.  ii  (  >.t  iiuiiiicnaiii 
extrêmement  diflieile,  sinon  inqxtssible,  aux  missionnaires  évan^éliqucs  d'y 
prêcher  r^vançile  autrement  que  dans  les  temples  protestants  des  église» 
établies.  Il  est  grandement  à  craindre  que  des  temps  de  terribles  souffran- 
ces n'approclient  en  France  pour  nos  frères,  à  moins  que  Dieu  ne  \ienne  A 
notre  secours.  D'un  autre  cùlé,  jamais  la  vérité  n'a  été  accueillie  avec  plus 
de  joie  par  le  peuple  de  Trance,  cl  des  \illages  entiers  senddent  disposés  à 
y  aban<loinicr  les  erreurs  du  romanismc.  Le  comité  a  auguienlé  ses  opéra- 
tions dans  ce  pays.  En  outre  d'une  allocation  de  t.'>,IN)Ofr.  à  la  société  évan- 
gélii|ue  de  France,  pour  entretenir  dix  ou  quiu/e  missionnaires,  une  somme 
de  50UI)  fr.  est  donnccj  la  société  évaii;:<'liquc  de  (îcnèxe. 

>  Kn  Italie,  la  grande  ajiosta.sic  prit  n;iissanee,  et  c'e»t  là  q  ' 
son  siège.   I.a  rcformatiun  y  fut  snpprinu'-e  dans  le  sang,  el 
niers  temps,  rien  ne  poux  ait  être    f.iit  nuxcrtcment  pour  pi 
aux  populations  italiennes.    .N!ais  la  Sardaigm-  est  maintenait' 
lesVatidois  du  Piémont  n'ont  pas  nioias  de  >ingt  missionnaiics   >  .autii,  Je 
différents  côtés.  L'ne  somme  de  ^,000  fr.  a  été  appn>priée  par  le  trésorier 
pour  la  bonne  œuxre  en  Italie,   sur  laquelle  scmnu'  ô(),()00fr.  sont  destinés 
pour  la  construction  d'un  temple  à  Pignerol.  cl  ^2<)"M)  fr.  pour  l'entretien  d'ini 
professeur   "lu   collège  île  I,n  Tour.    l'iie  somme  de  fiCMM)  fr.  a  de  plus  été 
distribuée  pour  le  soutien  des  nussionnaircs  du  Piémont. 

•  La  rlhipclle  de  Home  a  été  fort  bien  fréquentée  cl  a  produit  un  grand 
bien  dorant  l'année  IK55.  » 

.Nous  remarquerons  que  depuis  plusieurs  années  les  soiiclc.i  bibliques  se 
l.imcnlent  sur  l'insuccès  <lc  b'iirs  tentatives  en  France,  laiulis  qu'elles  eélî;- 
brent  leurs  espérances  en  Belgique  et  en  Piémont.  Nous  laissons  à  nos  lec- 
teurs le  soin  de  tirer  lie  cette  ililTéreuce  <le  langage  telle  conclusion  qu'il  leur 
plaira.  —  No»  soldats  apprendront  sans  doute  ovec  un  sensible  plaisir  que 
\r*  Américains  se  préorenpenl  sérieusement  de  l'étal  de  lenr  Ame.  Voici 
rommeni  s'exprime  le  Ilév.  Kent,  délcgné  de  In  société  biblique  anglaise  : 


MKLANGtS  bT  .XHVELLES.  121 

•  Oiiiis  la  guerre  oiiropéoniif  (jiii  se  pr(''|iare,  cliainic  soldat  ol  chaque  ma- 
lelol  anglais  ont  été  pourvus  (1111)0  liilile  (applaiulisscmeiits).  ISieii  plus,  des 
hililes  vont  être  données  aux  soldats  et  aux  marins  français ,  ainsi  (pi'aux 
i'urcs,  et  nous  en  a>ons  fait  une  édition  russe  pour  être  distribuée  auxcri- 
soiniicrs  russes  qui  pourront  tomber  entre  les  mains  de  la  France  cl  de 
iAngIctcrre  pendant  la  guerre.  » 

Le  total  des  recettes  des  principales  sociétés  de  propagande  des  Etals- 
l'nis  a  été  en  ISÎjS  de  7,005,000  fr.,  ainsi  décomposes  : 

Société  américaine  des  Traités  (Tracts).  2.07^j,('00 

Société  l)ibli(iue  américaine.  l,97î),0()0 

Société  américaine  des  Missions-Étrangères.  9.*JO,000 

Si)ciélé  des  Missions  de  Tintérieur  de  lAniérique.  Ofw.OOO 

Union  clirctiennc  améiicaine  et  étrangère.  57^), 000 

Société  biblique  américaine  et  étrangère.  220,000 

Société  de  colonisation  de  New-York.  153,000 

Société  des  Amis  des  Marins.  150,000 

Société  protectrice  des  femmes.  120,000 

Société  pour  améliorer  le  sort  des  Juifs.  70,000 

Total.  7,00y,000f. 

Ses  recettes  avaient  été,  en  18;i2,  de  6,560,000  ii\ 

Quels  sont  les  résultats  positifs  obtenus  avec  cet  or?  Les  rapports  des  so- 
ciétés bibliques  n'en  signalent  aucun.  Jamais  un  chitTie  quelconque  de  con- 
versions, mais  toujours  une  arilhmé(i(jue  formià;iblc  du  nombre  de  volumes 
disliibués,  un  détail  des  feuilles  dimpression  mises  en  circulation  et  des 
iiilliards  de  caractères  mis  sous  presse.  Ainsi  grossies,  les  additions  ac- 
!;uièrent  d"  Téliquence,  et  les  zéros  ont  une  grande  valeur.  Mais  si  ces  so- 
ciétés sont  incapables  de  montrer  les  populations  qu'elles  ont  réellement 
jflvrriies  au  christianisme,  elles  n'en  offrent  pas  moins  des  dangers  en  s'ef- 

rçanl  de  détourner  le  peuple  de  la  pratique  de  la  religion.  Le  colportage 
;;ib!ique,  impuissant  à  créer  un  protestant,  ne  profite  qu"à  l'infidélité,  et 
l'homme  simple  auquel  on  jette  un  traité  qui  tourne  sa  religion  en  ridicule, 
est  plus  exposé  à  perdre  sa  foi  qu'à  en  clianger. 

Lf  protestantisme  a  une  façon ,  sui  generis  ,  d'interpréter  les  paroles  de 
l'Evangile  :  a  Allez  et  enseignez  les  nations.  »  Si  cette  manière  de  procéder 
eut  été  la  bonne  ,  le  Sauveur  du  monde  n'aurait  pas  choisi  douze  Apôtres,  il 
aurait  soldé  douze  imprimeurs. 

.%ng;lcterrc.  —  La  presse  française,  dans  ses  plus  illustres  feuilles 
périodiques,  présente  depuis  quelques  années  des  changements  d'opinion  di- 
gnes d'être  notés.  En  général  elle  a  acquis  plus  de  mesure,  plus  de  dignité, 
plus  de  respect  pour  les  croyances;  elle  a  renoncé  a  ce  système  fatal  de  rui- 
ner la  foi  dans  l'esprit  des  peuples,  parce  qu'elle  a  fini  par  s'apercevoir  qu'un 
peuple  sans  religion  n'est  qu'un  peuple  de  brigands. 

Ainsi  le  Conslilulionncl,  pendant  si  longtemps  ennemi  acharné  de  la  mo- 
narchie et  de  l'Église,  s'est  fait  dévot.  Le  Journal  rien  nèbats,  celte  négation 


1  22  «£LA^UK6  ET  iNOUVELLES. 

iiiranioe  J«"  loiiU"  foi,  rc  !>(-r|iti<|uc  «4nt'rilc  \icnl  enfin  de  dcroiivrtr  dans  le 
|irulc»lanli.smc  an);iais  le  inubile  de  suii  syslciiic  de  tulénincc  religieuse.  Son 
article  sur  ce  Mijet  est  reii)an|uablc  comme  scuscnient  écrit  ;  mais  il  l'eM  en- 
core plus  par  la  place  d'honneur  qu'il  occu|ic  ii  la  première  page  de  cejour- 
ual.  (,'esl  ce  ipii  nous  ennane  ù  le  présenter  à  nos  lecleurs. 

.Nous  ferons  seulement  rem.in|uer  cpie  la  |ier]H-(uilc  de  la  nation  jcive  est 
attribuée  à  tort  par  M.  dlsracli  à  la  protection  de  Dieu,  puixpie  le  Nouveau 
Testament  nous  apprenti  ipi'elle  est  relTct  d'une  malédiction. 

«Le  ministère  an|;lais,  dit  le  J.  des  Débals,  vient  d'épruuxer,  dans  la  Cham- 
bre des  Connnunes,  un  échec  assez  désagréable  qui  ne  peut  airecleren  au- 
cune façon  la  situation  politique,  mais  ijui  donne  une  i<Iée  de  la  situation  re- 
li^euse  de  r.AnjjIcterre.  Il  s'agissait  du  bill  qui  avait  pour  objet  l'admission 
des  juifs  dans  le  l'arlemcnt,  el  qui,  après  une  lonj^uc  et  vive  discussion,  a  été 
rejeté  par  la  (!liambre.  C'est  un  mouvement  sensible  de  réaction,  cardepuis 
une  dizaine  d  aimées  ce  bill  était  régulièrement  a<lu|)t)'-  par  la  (  li.imbie  des 
Comnmncs.  Il  était,  il  est  v  rai,  aussi  régulièrcn^Mit  rejeté  par  la  Chandire  des 
Lords  ;  mais  cette  fois  la  (Chambre  qui  représente  le  plus  immédiatement  l'é- 
lément populaire  n'a  pas  même  donné  aux  Lords  la  peine  ou  le  plaisir  d'offrir 
ce  sacrifice  >ur  l'autel  de  la  vieille  intolérance  protestante.  L'échec  est  désa- 
gréable, surtout  pour  lord  John  Uussell ,  ipii  avait  fait  depuis  longtemps  de 
ce  IhII  une  sorte  de  <|uesti(in  persoimelle  ,  mais  il  n'altère  en  rien  la  |)o- 
sition  des  juifs  en  Angleterre,  cai'  le  vote  de  la  (lliandire  des  Communes,  quel 
qu'il  fut.  ne  pouvait  avoir  aucune  suite  eflicace.  Ln  réalité,  il  vaut  mieux  que 
le  bill  ail  été  rejeté;  c'était  une  petite  comédie  jouée  tous  les  ans  aux  dépens 
des  bénéiiciaircs ,  el  nous  ne  voyons  pas  trop  l'avantage  qu'avaient  les  juifs 
à  se  présenter  chaque  session  aux  portes  du  Parlement  avec  la  certitude  d'ê- 
tre mis  plus  ou  nu>ins  poliment  «lehors.  Leur  émnnci|»ali(Ui  détînili\e  est  une 
question  qui  dépend  Immucoup  plus  de  l'état  de  l'opinion  publique  que  du  bon 
vouloir  (le  tel  ou  tel  gouvernement  ,  el  il  est  évident  cpi'en  ce  moment  l'opi- 
niiui  publiipie  de  I  Angleterre  n'est  rien  moins  que  favtirable  aux  progrt's  de 
la  tolérance  religieuse.  L'Anglelerre  prêtera  bien  son  eoncoiirs,  même  le  con- 
cours de  ses  armes,  à  la  complète  émancipation  des  dissidents,  chrétiens  ou 
juifs,  dans  le  royaume  du  (irand-Turc  ;  nous  la  verrons  réclamer  l'établisse- 
ment  de  l'égalité  politique  el  religieuse  de  toutes  les  classes  ji  (^nstantinople, 
ou  à  >»ékin.  ou  à  Home  ;  mais  chez,  elle,  c'est  différent.  Chez  elle,  il  y  a  tout 
;mi  plus  vingl-rinq  ans.  le  tiers  de  la  population  était  encore  ti  létal  de  parias 
exelu^  de  toute  participation  dans  les  drtiils  p(diti<pies,  et  il  fallu  la  crainte 
d'une  révolution  pour  ouvrir  aux  dissidents,  catholiques  el  autres,  la  |torlc  de 
la  législature.  Les  juifs  ne  s«mt  pas  assez  forts  pour  faire  une  révolution, 
c'est  pour(|uoi  ils  attendront  encx)rc. 

»  On  sait  depuis  longtemps  que  l'obstacle  «pii  s'oppose  à  l'admission  des 
juifs  dans  le  Parlement,  est  la  formule  du  serment,  où  se  trouvent  ces  mois  : 
<  Sur  la  vraie  foi  il'un  chrétien.  »  On  a  souvent  dit  que  la<:hambrede8Com- 
muues  aurait  le  pouvoir,  par  une  sinqde  iTsolutioii  ,  île  changer  elle-même 
la  fiuiiiule  du  serment  prêté  par  ses  nwmbres  ;  mais  celle  résolution  l'enlrai- 
iierait  inévitablement  dan>  un  conflit,   non  seiilemenl  avec  la  Chambre  des 


MELANGES    El     NOUVELLES. 


123 


I 


l,(trds,  mais  aussi  avec  les  cours  de  justice.  I.a  loi  iiifli;;c  une  pénalité  sé- 
vère à  tout  Mienibre  du  l»;ii  lenicnl  (|ui  sié-^crait  sans  avoir  prêté  serment  ; 
or,  M.  «le  Kothscliild  entrerait  aujourd'hui  dans  la  Chambre,  «pic  le  plus  sim- 
ple citoyen  aurait  le  dr«)it  de  le  traduire  devant  les  tribunaux,  et  les  juj^es 
ont  déjà  exprimé  leur  opinion  très-décidée  que  la  loi  serait  contre  lui.  Si  la 
Cliand)re  des  Cuumiuues  insistait,  on  verrait  renaître  le  conflit  déjà  engage 
plus  dune  fois  entre  elle  et  les  cours  de  justice,  et  «laiis  lequel  elle  serait  cer- 
tainement encore  battue.  Laf«)rmu!e  du  serment  ne  |»cul  «lonc  être  changée 
que  par  une  mesure  législative  émanant  des  trois  branches  de  la  législature, 
et  la  question  ne  pourra  jamais  être  résolue  autrement. 

«  La  séance  de  la  Chambre  des  Communes  a  été  extrêmement  curieuse,  et 
nous  en  parlons  ici  d'après  les  impressions  d'un  témoin  oculaire.  C'est  à 
peine  si  durant  tout  le  cours  de  la  discussion  il  a  été  question  des  juifs;  on 
n'a  parlé  que  des  catholiques,  et  en  réalité  le  vote  de  la  Chambre  a  été  dirigé 
beaucoup  moins  contre  les  juifs  que  contre  le  Pape.  M.  de  Rothschild  a  été 
inondé  d'eau  bénite ,  nous  demandons  pardon  de  cette  figure  aux  zélés  pro- 
testants ;  mais  le  Pape,  oh!  ce  pauvre  Pape,  il  n'en  serait  pas  resté  un  n.or- 
ceau  s'il  avait  été  visible  et  tangible.  C'était  une  véritable  évocation  du  moyen 
âge  et  du  seizième  siècle;  Grégoire  VII,  Innocent  III,  Henri  Vlll,  Elisabeth, 
Marie  Tudor,  les  bûchers  de  Smithfield,  la  Babylone  écarlate,  la  grande  pros- 
tituée des  Sept-Coliines,  tout  le  vieux  personnel  a  reparu  sous  ses  vieux  cos- 
tumes et  avec  ses  vieilles  déclamations.  Les  Anglais  ne  pensent  plus,  en  ce 
moment,  à  «ne  descente  des  Français;  mais  ils  ont  toujours  peur  d'une  des- 
cente de  capucins.  Et  à  quel  propos  est  venue  celte  nouvelle  démosntration 
de  ferveur  prote^stanlc?  Lord  John  Russell,  au  lieu  de  présenter  une  mesure 
-'•■•'■Miicnt  particulière  aux  juifs  proposait  en  même  temps  la  suppression 
.n  .  absurde  formule  de  serment  encore  imposée  aux  catholiques,  et  qui 
f"'ul  être  qu'une  insulte  faite  à  la  religion  même  du  serment.  Ainsi,  par 
jclc  d'émancipation  du  1829,  les  catholiques  romains,  en  entrant  dans  la 
iiambrc,  sont  tenus  de  jurer  de  ne  rien  faire  ni  rien  entreprendre  qui 
puiss''  porter  dommage  à  l'église  établie,  e'est-à-dire  à  l'église  protcslanle. 
Lord  John  Russell  a  rappelé  à  cette  occasion  que  sous  Charles  II  le  Parle- 
ment avait  voté  une  formule  de  serment  par  laquelle  on  jurait  de  ne  jamais, 
sous  aucun  prétexte,  prendre  les  armes  contre  le  souverain,  ce  qui  n'empê- 
che pas  que  ceux-là  même  qui  avaient  voté  cette  obligation  furent  les  pre- 
miers à  s'en  dégager  et  à  faire  la  seconde  révolution  d'Angleterre,  Le  ser- 
ment acluellemenl  exigé  renferme  encore  une  autre  formule  qui  du  moins 
n'a  que  l'inconvénient  d'être  ridicule;  c'est  celle  par  laquelle  tout  membre 
du  Parlement  jure  sérieusement  de  ne  pas  reconnaître  les  Stuarts  comme 
rois  d'.\ngleterre.  M.  de  La  Palisse  est  n  ort,  Bayard  aussi,  Charles-Edouard 
aussi.  Lord  John  Russel  trouvait  donc  qu'il  était  temps  de  laisser  en  paix  les 
cendres  innocentes  des  anciens  rois  d'Angleterre,  et  proposait  de  retrancher 
du  serment  celte  formule  puérile.  En  résumé,  il  présentait  une  formule  gé- 
nérale par  laquelle  la  conscience  individuelle  aurait  été  respectée  ;  mais  c'est 
précisément  parce  que  sa  proposition  était  trop  générale  qu'elle  a  été  rejelée. 
»  Les  .\nglais  n'ont  point  l'esprit  philosophique  ni  gcnéralisateur.  Pendant 


t'J'i  MbLANGKS    ET    .lOUVELLES. 

<|u  on  rr;iiui-  <'ii  IjiI  lalilr  rase,  en  Annlelrrrc  on  fail  Ifs  rhan^onu-nt'. 
niurcrau  par  morceau,  l'un  après  l'autre.  Ainsi,  un  jour  on  niinicllrn  dans  li- 
Parlernenl  les  iallioli(|ues ,  un  autre  jour  les  t|uaLers;  un  autre  jour,  ear  il 
viendra,  ce  >era  les  jiiif>.  Mais  admettre  tout  le  monde  à  la  fois,  pixiposor  une 
mesure  par  lai|iiellc  il  ne  sera  demandé  compte  h  personne  de  sa  religion, 
c'est  un  procède  à  la  française  qui  n'entre  pas  du  tout  dans  le  f;oùt  anglais. 
On  finira  peut-être  en  Anj^lctcrre  par  rendre  justiee  i»  chacun  ;  mais  ce  sera 
par  telle  ou  telle  raison  d'inlért'l  particulier,  jamais  en  vertu  d'un  principe  de 
droit  général.  C'est  ec  (|ue  M.  >!  Israeli  a  parfaitement  saisi,  et  il  n'est  pas 
douteux  i|ue  son  discours  n'ait  beaucoup  coiitriltué  à  faire  rejeter  le  bill. 

»  M.  disraëli  votant  contre  une  mesure  présentée  pour  l'énianeipation  de^ 
juifs,  c'était  un  assez  curieux  spectacle;  cl  l'attention  a  été  vivement  éveil- 
lée quand ,  à  une  heure  du  matin  ,  on  a  vu  ap|>araitre  celte  figure  caractéris- 
tique qui  porte  si  distinctement  l'empreinte  de  son  origine.  Rien  ne  prouve 
mieux,  du  reste,  la  puissance  d'un  ^raïKi  talent  et  d'une  volonté  opini.-ltre  que 
le  stieeès  obtenu  dans  celle  discussion  par  .M.  disraéli.  Voulant  à  la  fois  com- 
battre la  mesure  du  niiiiistére  et  plaider  la  cause  de  la  nice  juive,  il  était  né- 
cessairement isolé  parmi  tous  les  partis;  et  de  (]iiel(|ue  côté  qu'il  se  tournât, 
il  ne  pouvait  attendre  ni  un  ;ipplauilissemeiit  ni  la  moindre  niar(|ue  de  sym> 
|)atliie.  Il  ne  pouvait  se  tirer  de  celte  position  dilticilc  qu'à  force  de  hardiesse 
paradoxale,  et  c'est  ce  qu'il  a  fait.  Il  a  reproché  à  lord  John  liussell  de  n'a- 
voir pas  osé  demander  directement  l'émancipalion  des  juifs,  et  de  vouloir 
les  faire  entrer  siibreplircment  dans  la  t'hambre;  et  il  a  hardiment  déclaré 
que  c'était  parce  «/ue  et  non  pas  fyM/<if/ue  chrélieii(|ue  le  Parlement  devait  ad- 
nieltrc  les  juifs. 

<  J'ai  toujours  pris,  dit-il,  la  défense  des  juifs,  parce  que,  selon  moi,  la  race 
juive  est  la  famille  envers  laquelle  la  famille  Immaine  a  le  plus  d'obligations, 
(^hiand  jentenils  dire  que  l'admission  des  juifs  détruirait  le  caractère  chrétien 
de  cette  assemblée,  je  disque  c'est  parce  que  vous  êtes  une  assendilée  chré- 
tienne que  vous  leur  devez  une  place  au  milieu  de  vous.  Quand  je  considère 
tout  ce  «pie  nous  leur  devons  ;  (pie  c'est  par  leur  histoire,  leur  poésie,  letirs 
lois  que  nous  avons  été  instruits,  consolés,  organisés;  quand  je  songe  ix 
d'autres  considérations  d'un  caractère  plus  sacré  que  je  n'aborderai  pas  ici , 
je  déclare  que,  comme  chrétien,  je  ne  puis  repousser  les  réclamations  d'une 
race  ^  laquelle  les  chrétiens  doiVent  tant... 

»  (l'est  un  peuple  ancien  ,  un  peuple  fameux  ,  un  peuple  durable,  un  peu- 
ple qui  en  pénéral  riiiit  par  en  venir  à  ses  lins,  rertainement  j'espère  que  les 
Parlements  dureront  éternellement  ;  mais  je  ne  puis  pas  oublier  non  plus 
que  les  juifs  ont  vu  passer  les  rois  assyriens,  les  pharaons  d'Kgyple,  le»  cé- 
sars romains  et  les  califes  arabes  ,  et  je  ne  suis  pas  pressé  pour  eux  de  les 
faire  violenter  par  l'opinion  publique.  » 

»  Tous  ces  mot»  impopulaires  tombaient  comme  «les  gouttes  d'ean  glacée 
au  milieu  du  silence  et  des  sourires  «le.  la  Chandiie  des  (Communes .  et  il  ne 
fallait  rien  moins  que  le  talent  d'artiste  de  loraleur  pour  les  faire  necepter. 
Aussi  .M.  d'Israeli  nt-il  senti  le  besoin  de  faire  appel  h  «les  sentiments  pins 


MÉLANCES   ET  NOUVELLES.  125 

ir.Uioitnux  ,  cl  pour  se  tairo  panlniincr  son  upolo^^ic  <iu  jutbisiiic ,  il  a  pris  i» 
pnrlio  le  Pape  et  la  cuur  tic  Home.  Il  a  demande  (|iril  y  eut  une  formule  juive 
ilu  serment  eomme  il  y  en  a\ail  inie  protestante,  wwv  callioli(|ne,  et  comme  il 
\  en  aurait,  sans  aucini  doute,  une  lonlaine  d  autres.  A  deux  heures  du  ma- 
tin ,  la  (]|iamlire  a  \olé  ;  le  bill  a  été  rejeté  à  une  majorité  de  i  voix  ,  cl  l'op- 
position a  accueilli  le  vote  avec  une  explosion  de  cris  cl  d"a|)plaudisscments 
i|ui  ébranlaient  les  voûtes.  Voilà  où  en  est  la  liberté  de  conscience,  non  pas  à 
(lonstanlinople,  mais  à  Londres.  » 

l'Vaiice.  —  Parmi  les  conversions  qui  ont  eu  lieu  récemment,  on 
rite  celle  d'une  demoiselle  protestante,  agéc  de  quarante-huit  ans,  née  en 
Suisse,  dans  le  canton  de  Vaud.  .MlieTapolet  a  fait  son  abjuration  dans  l'é- 
glise de  Sainte-Geneviève  (Pantliéon),  le  23  mai  dernier.  C'est  après  douze 
années  de  sérieuse  réflxcxion  qu'elle  a  pris  celte  détermination.  Invitée  par 
M.  l'abbé  Golliet ,  prêtre  de  Savoie,  à  ne  plus  résister  à  la  grâce  qui  l'appe- 
lait depuis  si  longtemps,  elle  voulut  être  préparée  à  la  cérémonie  de  l'abju- 
ration par  cet  ecclésiastique  qu'elle  a  choisi  pour  parirain. 

Mlle  Tapolet  est  dans  une  position  heureuse  aux  yeux  du  monde  ;  elle  a 
su  mettre  sous  ses  pieds  tout  respect  humain  et  surmonter  tous  les  obstacle* 
((u'on  rencontre  ordinairement  au  milieu  des  honneurs,  des  plaisirs  et  des 
richesses.  Elle  a  demandé  elle-même  à  Mgr  l'archevêque  de  Paris  la  permis- 
sion de  faire  publiquement  son  abjuration  à  Sainte-Geneviève ,  et  c'est  par 
choix  qu'elle  a  voulu  faire  celle  belle  action  dans  le  mois  que  l'Église  consa- 
cre à  honorer  Marie. 


!λI.^1S^E.  —  §»olcnre.  —  L'élection  du  nouvel  évèquc  de  Bàle  no 
parait  pas  devoir  se  faire  sans  diflicultés.  11  existe  déjà  un  conflit  entre  le 
chapitre  de  Soleure  et  les  États  diocésains.  Un  concordat  et  la  bulle  de  mai 
1828  donnent  au  premier  le  droit  canonique  d'élire  l'évêque;  mais  celui-ci 
ne  doit  pas  être  une  personne  désagréai)le  aux  gouvernants  de  ces  États,  ce 
dont  le  chapitre  a  à  s'assurer  avant  l'élection  ,  en  présentant  une  liste  de  six 
candidats  où  les  gouvernements  en  question  peuvent  faire  des  éliminations, 
mais  en  laissant  subsister  assez  de  sujets  pour  que  le  chapitre  puisse  encore 
faire  un  choix.  L'élection  et  les  qualités  de  l'élu  sont  sévèrement  examinées 
dans  une  enquête  faite  par  un  délégué  du  Saint-Siège  qui  casse  l'élection  si 
elle  n'a  pas  été  régulière  ou  si  l'élu  ne  possède  pas  toutes  les  qualités  requi- 
ses par  les  Canons  ;  dans  ce  cas.  on  procède  à  une  seconde  élection,  et  si  elle 
n'est  pas  valide  encore,  le  Saint-Père  nomme  directement  l'évêque  de  Bàle. 
Dans  tous  les  cas,  celui-ci  doit  être  reconnu  et  confirmé  par  le  Pape.  Mais, 
dans  leur  conférence  du  25  mai.  les  députés  de;  Etats  diocésains  ont  demandé 


\'H'>  >IKL\.M;KS  et   ^OlVEILES. 

i|uc  II'  clia|iilrc  lie  iircsrnU'il  (|u°iiii  seul  candidat  rt  iir  l'éKit  «liif  <i\  rl^it 
agréable  ii  leurs  gouvernements.  Ix  cliapitro  a  n-fM>n«1u  &  ruoaniinilé  le 
même  jour  «lu'il  ne  pouvait  suivre  ec  procédé,  réprotn-é  formellement  par 
le  Siiinl  Si«'j;i'  et  contraire  au  scnnenl  que  ses  memlire*  avaient  prêté,  «le 
faire  ol»siT\i'r  la  huile  el  le  <lroil  déleclion.  Il  demande  qu'on  sui\e  le  mode 
de  procéder  qui  est  dans  la  rt'fjle  et  qui  avait  été  suivi  lors  de  la  dernière 
élection.  I.e  conflit  en  est  là,  il  a  été  soulevé  par  les  Klats  ilinrésains.  (|ui  sont 
ceux  de  Solcure,  l.ucerne.  Zu^,  Ar}^o\ie,  Hcrnc,  Thurgovic  et  Uûlc-Campa- 
gne.  Le  chapitre  a  transmis  les  actes  à  la  nonciature  qui  en  a  référé  au  Saint- 
SiéRC.  F.es  députés  des  États  ont  quitté  Soleurc. 


liciiève.  —  r.r  dimanche  à  Genève.  —  A  Genève  les  magasins  sont 
fermés  le  dimanche  ;  mais  nous  avons  ù  déplorer  trois  abus  qui  sont  en  même 
temps  de  véritables  inmioralilés  :  quchpics  entrepreneurs  se  permettent  de 
forcer  leurs  maçons  et  leurs  eharpcnlicrs  ù  travailler  même  pnbli<]ucment  le 
dimanche,  sous  peine  de  les  priver  de  travail  le  reste  de  la  semaine.  Quel- 
ques maires,  dans  les  campagnes,  tolèrent  de  scandaleuses  infractions  à  la 
loi  religieuse  et  à  la  loi  civile,  qui  prescrivent  simultanément  la  cessation  de 
la  culture,  si  ce  n-'est  dans  les  cas  de  nécessité.  F.nfin,  l'ininjense  majorité  des 
fabricants  d'horlogerie,  de  bijouterie  et  des  autres  branches  de  la  fabrique, 
obligent  .ibsolumciil  les  ouvriers,  sous  peine  d'expulsion,  de  travailler  tous 
les  dimanches  précisément  de  (i  heures  du  malin  à  midi.  Ni  le  sexe,  ni  l'i^e, 
ni  la  santé,  ni  les  plus  légitimes  exigences  de  la  \ie  corporelle,  de  In  vie  de 
famille  ,  de  la  vie  religieu.se,  rien  n'y  fait.  Ou  tr.ivailier,  ou  mourir  de  faim. 
Quelques  industriels  catholiques  ou  méthmiisles  font  seuls  exception.  Et  l'à- 
pre  soif  du  gain,  l'incrédulitu  systématique  cl  pratique  est  icitellcmenl  invé- 
térée, que  nous  ne  voyons  pas  omment  on  pourrait  arrivera  mo«Iifierees 
'cruelles  et  détestables  habitudes  de  la  fabrique  jjenevoise.  Il  serait  impossi- 
ble d'arriver  à  <les  transactions  unanimes  ;  loutefois  nous  osons  signaler  le 
mal  profond  (|ui  ronge,  étiole  el  \icie  la  population  genevoise  :  nous  émettons 
le  V(ru  «pie  des  tentatives  soient  faites  ;  nous  voudrions  pouvoir  donner  les 
noms  des  fabricants  catholiques  et  protestants  qui  respectent  le  dimanche, 
leur»  ouvriers  el  l'honneur  de  n«>tre  cité.  Poiinjuoi  protestants  et  catholi«|ues 
ne  s'enten«lraient-ils  pas  à  cet  égard?  Pouri|uni,  ou  les  maîtres  ensemble,  on 
le»  ouvriers  ensemble,  ou  les  un.s  el  les  autres  s'cntendant ,  ne  pourrait-on 
pas  arriver  à  détruire  un  mal  si  profond  el  un  scandale  si  érlalanl?  Nous  re- 
cevrions avec  bonheur  el  avec  «léfércnec  tous  les  renseignements  que  les 
chefs  «l'atelier»  et  les  ouvriers  voudraient  bien  nous  donner.  Non»  nous  bor- 
nons aujourd'hui  à  ouvrir  la  brirlie.  h  exprimer  un  vreii,  à  solliciter  une  or- 
ganisation et  il  réveiller  les  conscience';.  Le  respect  du  dimanche  est  la  nm- 


MKLANChS   ICT  NOIJVKLr.ES. 


127 


sciiuciu'c  (le  lii  libelle  relij;ieuse,  il  csl  !\v:iiil:i^nix  :i  rindiislric.  il  osl  néces- 
saire à  li»  vie  sanilairc,  morale  et  chrélicnnc  des  |U)iiulalions. 

—  f.rs  prnccssiona  du  Sninl-Sanrmrnl.  —  Les  processions  du  Saint- 
Sacienioiil  ont  eu  lieu ,  dans  toiilcs  les  paroisses  du  canton ,  avec  un 
redoublement  de  zèle  et  «le  piété.  Il  sciiible  que  les  populations  callioli' 
ipies  aient  voulu,  par  un  sentiment  spontané,  manifester  leur  allaclicment  à 
la  foi,  précisément  parce  que  les  manœuvres  de  l'Union  cl  de  la  propagande 
protestantes  sont  plus  excentriques  que  jamais.  Les  ignobles  exhibitions  d'a- 
l)ostats  à  Saint-Pierre ,  les  tentatives  de  Cbevians  et  de  Landccy  n'auront 
servi  qu'à  ranimer  raltaclicmenldes  catliolifpics  pour  la  religion  ;  les  élections 
municipales  en  étaient  déjà  une  preuve  ;  les  magnifiques  processions  de  la 
rète-Dieu  en  sont  une  confirmation  éclalante.  Le  Grand-Sacconncx,  Cbêne. 
Carougc  ont  été  magnifiques  :  jamais  les  rues  et  les  maisons  n'avaient  été 
aussi  gracieusement  décorées  de  ileurs  et  de  parures  ;  jamais  une  telle  af- 
lliience  d'hommes  n'avaient  accompagné  le  Sainl-Sacrcmcnt ,  jamais  une 
cérémonie  plus  imposante.  Ce  qui  a  contribué  encore  à  rallier  les  cathoU- 
(jucs,  h  Carouge  en  particulier,  c'est  que  certaines  vclléité.s  de  faire  suppri- 
mer ou  de  troubler  la  procession  du  Saint-Sacrement  s'étaient  fait  jour 

A  Genève,  où  la  loi  ne  permet  pas  la  procession  du  Sainl-Sacrcment,  a  eu 
lieu,  dans  l'église  de  Saint-Germain,  la  première  communion. 

La  FétcDicu  est  fête  d'obligation  pour  les  catholiques.  La  presque  totalité 
des  magasins  catholiques  étaient  fermés.  Les  Savoyards  étaient  restés  chez 
c:.\  pour  leurs  processions;  les  magasins  protestants  qui  ne  vivent  que  de 
l'argent  de  la  France  et  de  la  Savoie ,  étaient  déserts.  Beaucoup  de  protes- 
tants allaient,  endimanchés^  voir  les  processions  de  Carouge,  Chêne,  Veyrier, 
Lancy  ;  la  ville  n'était  sillonnée  que  par  les  catholiques  se  rendant  en  foule 
;i  leur  église  le  matin  et  le  soir,  accompagnant  leurs  enfants.  Cet  aspect  n'est 
pas  peu  instructif  au  point  de  vue  religieux  et  au  point  de  vue  industriel. 

—  Les  outrages  dan^  les  rues.  —  Le  Journal  de  Genève  a  cru  devoir  ac- 
cuser de  nouveau  de  calomnies  les  journaux  catholiques  étrangers  qui  ont  di- 

iîlgtié  ics  outrages  grossiers  et  permanents  dont  sont  assaillis  chaque  jour, 
dans  les  rues  de  Genève  ,  les  ecclésiastiques  du  canton  et  les  ecclésiastiques 
étrangers.  Non-seulement  ces  journaux  étrangers  n'ont  pas  catomn/é,  mais 
ils  n'ont  pas  dit  la  vingtième  partie  de  ce  que  nous  pourrions  dire.  Les  plain- 
tes des  prêtres  de  la  Savoie  et  de  la  France  ne  cessent  pas.  Quant  aux  ec- 
clésiastiques du  canton,  ils  sont  faits  au  feu,  et  ils  attendent  du  temps  une 
amélioration  dans  les  mœurs  locales  qui  rapproche ,  à  cet  égard ,  Genève  de 
Londres,  de  Constantinople  et  d'Alexandrie.  Les  dénégations  du  Journal  de 
Genève  tromperont  tous  ceux  qui  les  liront. 

—  ProUslalion  des  huit.  —  Mgr  l'archevêque  de  Gênes  a  dit ,  dans  son 
Mandement  du  8  avril  : 

«  Un  autre  moyen  auquel  ces  traficants  de  consciences  n'ont  pas  honte  de 
»  recourir  pour  vous  séduire,  c'est  l'argent.  Un  cri  unanime  d'indignation 
»  s'élève  sur  ce  point  dans  toute  l'Europe  catholique,  en  sorte  qu'il  est  aussi 
»  surprenant  qu'inutile  que  les  sectaires  protestants  aient  l'audace  de  le  nier. 


\'2H  MhLAM.KS     KT     XHVtLLKS. 

»  L  est  ce  que  |>n)clainriit  «ruiie  seule  \oix,  sans  |>jrler«Je  Itraueoup  ilaulir- 
p  |ia>  »,  !■  r  rance,  rilulie,  la  Suisse,  el  prinrip(tlmtml  (imève.  • 

MM.  Honlier,  Hret,  Hungeiirr,  (Inlterrl,  (■iiillcriiict,  Ja<|(iet,  Oltramare  <-( 
Second,  «  répondent  par  un  driiuMili  forniel,  cl  dcliciit  r;iri'lievc)|ue  de  prou- 
»  ver  son  alié^ulioii  ,  d  devant  Dieu  cl  devant  les  liomines ,  ils  déclarent 
>  faux  et  calomuicux  tout  ce  qui  a  été  ou  tvra  dit  sur  (îenéveà  rel  é^ard.  » 

[Journal  de  Gnùre  du  5  juin. 

Tout  cas  pendable  est  niable. 

l'n  démenti  ne  détruit  pas  des  fait*. 

La  protestation  des  Iniil  est  anéantie  par  celle  de  l'opinion  publique. 

Déclarer  d'.*VA>cE  faux  el  ealonuiieux  tout  ce  qui  «rrti  dit ,  c'est  un  peu 
fort. 

Quant  à  ce  qu'a  dit  M|;r  rarchevèquc  de  Gênes,  non-seulenirnl  ce  n'est  ni 
fatis ,  ni  calnmiiirux ,  mais  c'est  parfaitement  vrai .  princiitaUmenl  à  Gt 
néiT;  et  nous  deiniMidtms  à  ces  inuiislres  ponripioi  ils  n'osent  p.is  donner 
les  noms  de  leurs  apostats;  de  plus,  nous  leur  demandons  si  ces  apostats 
n'ont  reçu  aucune  aumône  ,  aucun  don  ,  si  on  ne  leur  a  fait  aucune  pro- 
messe de  placer  leurs  enfants,  di;  leur  fournir  des  secours,  de  leur  \enir  en 
aide.  Nous  connaissons  quel<|ues  pervertis,  et  plus  d'un  nous  a  aflirmc  que 
les  motifs  de  leur  désertion,  c'est  (|u'ils  avaient  ptusd'aumônes  à  espérer  dans 
le  protestantisme;  n'est-ce  donc  pas  là  exploiter  la  pau\reté  et  spéculer  sur 
les  nnsères  deccux  <|ui  soulïreul?  (les  faits  se  reproduisent  partout  ailleurs, 
à  (iéues,  à  Turin,  à  Londres,  en  Uel-iiiiue  ;  et  nn^joère  un  perverti  d'un  petit 
villape  de  Savoie.  d'.\rbusipny,  revenu  à  résipiscence,  a  réxélé  les  manèges 
des  convertisseurs  (pii  (btinicnt  d'une  ni:iin  un  Hvanpile  frelaté  el  de  l'autre 
une  pièce  de  monnaie.  Nous  savons  qu'à  Dijon,  un  mendire  de  la  cour  inq>é- 
riale  a  dans  les  mains  une  procédure  qui  manifeste  que  dans  la  (lôlcd'Or  les 
mêmes  manceuxrcs  ont  été  enq)loyées  ;  et  nous  esi)érons  (ju'une  procédure 
publique  mettra  au  jour  ces  ignominies  d'.nclion  sur  les  pauvres.  Nous  deman- 
dons de  plus  à  M.  Jai(|uet  s'il  n'est  pas  allé  chez  une  famille  italieinie.  au  Mo- 
lard,  mendier  sa  perversion  ,  el  ajouter  des  promesses  de  protection  aux  ca- 
loninies  contre  nuire  fui.  (iràce  à  l'énergie  de  la  fetnme,  celte  famille  a  résisté 
aux  séductions  île  la  parole  el  de  l'aigenl  .Viiisi  il  est  constaté  qu'eu  Ku- 
ropc  les  intelligences  élevées  re\ieniienl  à  l'Kglise  catboli(|ue,  amenées  par 
leur»  eonviclicms.  et  que  les  proleslanls  clierclienl  à  pervertir  le»  pauvres  en 
organisant  la  traite  des  àmeteX.  le  annmrrcr  des  ennsciences! 

—  Cimetière  de  Caruuge.  —  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  l'airaire  du 
cimetière  de  ('arouge  a  idttenu  ime  solution  satisfaisante,  l'ne  ligue  de  quel- 
ques démocnttes  irréligieux  et  des  conservateurs  protestants  cle  Ca  ronge  , 
conlre  l'immense  majorité  des  callniliques  de  cette  \ille,  voulaient  arraclier 
à  ecuXM'i  leur  cimetière  séparé  ,  dont  ds  jouissaient  paisiblement  de  tenq)s 
immémorial  el  sous  la  garantie  des  traités  et  de  la  constitution.  Sous  l'ni.spi- 
ration  «lu  journal  conservateur  protestant  de  (ienève,  il  s'agissait  darraclier 
a  nos  cimetières  leur  caractère  religieux,  cl  d'opérer  une  fusion  malérialisle 
des  morts,  comme  on  voudrait  en  faire  une  des  n  i\  ants  par  liiKlifférenlisme.  On 
craignait  le  succès  «le  rint<déranre  prolcsl.mte  cl  sm  iali>le  ;  mais  lopinion  pu 
lilique  n  a  pas  cessé  de  soulenir  le  droit.  .M.  l'ax'  Vuv  ,  l'auteur  delà  belle  consul- 
tation en  f.oeur  des  catlioli(|ues.  est  entre  au  Ctinseil  munici|tar.  une  petite 
brochure  populaire  est  vcini  réveiller  rasM)upissemcnl  des  emlormi»  ;  une 
instruction  pastorale  a  été  lue  en  chaire  :  les  élections  du  maire  «tdes  deux 
.idjoints,  en  évinçant  l'anjent  promoteur  de  l'agitation,  (|ui  n'a  eu  (juc  cinq 
\oix.  ont  change  la  situation;  et  M.  le  maire  de  Carougc,  soutenu  parla  lé- 
galité el  par  toute  la  population  de  C.arnuge,  a  pris  les  mesures  ciuivenables 
pour  que  les  ralholirjues  aient  leur  cimetière  séparé.  D'ailleurs  une  dérision 
du  Conseil  est  venue  confirmer  l'arrêté  du  maire.  <•.  .M. 


DEUXIÈME  LETTRE  A  UN   PROTESTANT. 


LE  PURCATOIliE. 


Ce  n'est  pas  l'espoir  de  vous  démontrer  une  vérité  et  de  vous 
en  convaincre  qui  m'engage  à  vous  adresser  quelques  observa- 
tions sur  les  points  où  «os  croyances  diffèrent  :  je  n'ambitionne 
pas  un  tel  résultat.  Quel  que  puisse  être  mon  désir  de  vous  voir 
partager  les  convictions  qui  font  le  bonheur  de  ma  vie,  je  ne  me 
dissimule  pas  l'impuissance  d'une  démonstration  raisonnée  lors- 
qu'il s'agit  de  faire  accepter  une  croyance.  On  ne  croit  bien  que 
les  vérités  qu'on  aime.  Or,  comment  prétendre  que  vous  aimiez 
dès  l'abord  des  doctrines  qu'on  vous  a  toujours  présentées 
comme  mensongères,  absurdes  et  impies?  C'est  exiger  l'impos- 
sible. 

Mon  unique  désir  serait  donc  de  parvenir  à  effacer  de  votre 
esprit  quelques-unes  des  préventions  à  travers  lesquelles  vous 
êtes  habitué  à  considérer  nos  croyances.  En  les  connaissant 
mieux,  vous  commenceriez  à  en  juger  autrement,  et  peut-être, 
une  fois  que  vous  auriez  compris  les  raisons  qui  nous  les  ren- 
dent si  chères,  ne  seriez-vous  pas  éloigné  de  les  accueillir  avec 
le  sentiment  de  respect  et  de  sympathie  dont  tout  cœur  droit  se 
sent  saisi  à  la  manifestation  d'une  vérité  qu'il  avait  jusque-là  mé- 
connue. 

9 


130  DEUXIÈME  LETTRE  A   U.N   l'HOTESTANT. 

Une  des  preuves  les  plus  frappâmes,  selon  moi,  «le  la  vérité 
tics  dof^nics  railiornjuos  ,  c'est  «pie  ces  tlof^mes  trouvent  leur  né- 
cessité, leur  raison  d'être,  «l:ms  l'amour  «h*  Vîinw  pour  son  Dieu. 
Cela  seul  sulliraii,  il  me  scuilde.  pour  constater  leur  source  «li- 
vine  et  ctaMir  leur  incontestable  légitimité. 

Ainsi,  TAmc  <|ui  aime  son  Dieu  au-dessus  de  toutes  choses 
n'admettra  jamais  «l'antre  inlerprcUnion  des  par«»lt's  de  Jésus- 
Christ  que  celle  qui  répond  le  plus  «lirectemenl  à  son  amour.  Il 
laudra  «piVlle  croie  à  la  I*rés«'nc<'  ré«'lk'  du  cor|>sei  du  sang  du 
Sauveur  se  donnant  ù  elle  loul  entier  dans  l'auguste  sacrement 
tie  l'Eucharistie. 

Ainsi ,  l'âme  qui  aime  son  Dieu  se  reprochera  ses  moindres 
transgressions ,  et  n'aura  d«'  repos  que  lors«prelle  aura  fait 
riuMuMc  aveu  de  ses  fautes.  Elle  ne  «Icmandera  pas  de  preuves 
pour  croire  ù  la  divine  institution  de  la  Confession. 

Ainsi,  l'àmo  «pii  aime  son  Dieu  ne  pouira  soutenir  la  pensée 
«lu  parailro  dt-vant  lui  avant  d'avoir  espi»'-,  autant  «pi'il  «'St  en 
elle,  par  ses  larmes  et  son  repentir,  les  infidélil«''S  de  sa  vie  ter- 
restre. Elle  croira  au  dogni«^  du  Purgatoire,  parce  que  ce  dogme 
ré|>ond  à  l«tulcs  li'S  exigemt's  de  son  amour. 

Tout  est  donc  la  consé«pience  de  ce  «-ommandement  :  «  Tu  ai- 
»  mcras  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  de  toute  ton 
»  âme,  de  tout  ton  esprit,  «le  tciutr-s  tes  forces.  » 

Mais  il  V  a  «'n«:ore  un  conimaiulcmcnt  divin  <|ue  le  Sauveur  «les 
hommes  met  sur  la  même  ligne  que  le  premier  :  «  Tu  aimeras 
»  t«»n  pro«hain  comme  toi-mihue.  » 

C'est  dans  ce  commandement,  sans  qu'il  soit  l)esoin  de  recou- 
rir à  d'autres  commentaires ,  «pie  l'âme  chn-liennc  trouvera 
l'explication  delà  Prière  pour  les  vwrts  et  de  la  Communion  des 
Saints. 

Médite/  à  ce  point  «le  vue  le  sens  de  nos  dogmes,  et  vous  ver- 
rez que  le  catholicisme  n'est  «pie  le  développement  de  ces  deux 
command«men!s  «pii  rcsumtnt  toute  la  Loi  «t  les  Prophètes. 

P<'rinclt«'/.-inoi  «le  \oiis  «.'xposer  auj/iurd'liui  «pn-lques  |)ens<'c,s 
au  suj«'t  de  la  Purification  «!«•  r.'iinc,  ou  du  Piiigatoiie.  .l'espire 
que  Vous  y  ir«)uv«'re7.  la  pn'uve  «le  ce  que  je  viens  «l'avancer. 

Le  dogme  du  Piirg;iloire  ,  «  royancc  «pii  s'est  toujours  hdélc- 


DEl'MKML   LKTTHL   A    l'y    IT.OTESTAA'T.  131 

nient  niainicnuc  dans  l'Église,  eomnic  nous  le  prouve  d'une  ma- 
nière irréfutable  le  constant  usage  de  la  Prière  pour  les  morts, 
est  du  nombre  de  ces  vérités  dont  l'Ame  diiélienne  a  déjà,  pour 
ainsi  dire,  le  pressentiment.  Ici ,  la  raison  n'a  pas  besoin  de  se 
sonmellre  en  silence,  pour  adorer,  sans  le  comprendre,  un  mys- 
tère insondable  proposé  à  la  foi.  Notre  sens  intime,  la  conscience, 
ce  rellei  de  la  lumière  éteinelle  qui  brille  encore  à  travers  les 
ténèbres  de  noire  ïiature  dt'cliue ,  tout  nous  porte  à  adopter  la 
vérité  sans  objection  et  sans  contrôle. 

Les  communions  détachées  de  l'Église  catholique  ont  bien  pu 
rc'pudier  ofliciellemcnt  cette  croyance;  mais,  permettez-moi  de 
le  dire,  il  m'est  difficile  de  croire  qu'au  fond  du  cœur,  dans  vo- 
tre for  intérieur,  vous  n'admettiez  pas,  peut-être  à  votre  insu,  la 
doctrine  de  la  Purification. 

En  effet,  la  raison  se  révolte  à  la  pensée  que  des  Ames  lièdes, 
mondaines  ,  à  peine  chrétiennes  ,  si  elles  ne  sont  pas  assez  cou- 
pables pour  être  à  jamais  réprouvées  de  Dieu,  puissent  être  ad- 
mises sans  délai  au  partage  de  la  gloire  réservée  aux  âmes  d'é- 
lite, aux  âmes  saintes  et  pures  qui  n'ont  connu,  qui  n'ont  aimé, 
qui  n'ont  servi  que  Jésus-Christ! 

Que  l'apôtre,  qui  a  tout  sacrifié  pour  prêcher  la  vérité  ;  que 
le  martyr,  qui  a  versé  son  sang  pour  la  foi  ;  que  l'enfant,  dans  sa 
pureté  baptismale,  ou  l'humble  vierge  consacrée  au  Seigneur; 
qu'un  grand  nombre  d'autres  âmes,  ou  innocentes  encore,  ou 
sanctifiées  par  la  charité,  ne  quittent  la  terre  que  pour  s'envo- 
ler vers  les  demeures  éternelles,  grAces  aux  mérites  du  Sauveur 
qui  leur  en  a  ouvert  l'entrée;  cela  se  conçoit,  parce  que  cela 
s'accorde  avec  toutes  les  idées  que  nous  avons  de  la  justice  et 
de  la  miséricorde  de  Dieu.  —  Mais  vous  aurez  beau  repousser 
les  croyances  catholiques,  une  voix  intérieure  vous  dira  toujours 
que  Dieu  ne  peut  pas  traiter  comme  des  apôtres  et  des  martyrs 
cette  multitude  de  chrétiens  qui  ne  sont  chrétiens  que  de  nom , 
qui  n'ont  aimé  que  le  monde,  n'ont  connu  que  les  joies  de  la  vie, 
ces  chrétiens  qu'une  foi  vague  et  inerte  a  à  peine  préservés  des 
plus  grands  écarts,  en  un  mot  cette  foule  cVhonnêtes  gens  qui  tien- 
nent le  milieu  entre  les  criminels  et  les  saints,  et  qui  forment  la 


132  DEUXIÈME  LtmiK  A  t«   PROTLSTA?IT.  1 

plus  ^ruiiJu  pariic  de  loulo  sociélu  humaioc,  et  m<^me  de  toiiic       ^ 
société  clir«''iiennc. 

Hélas!  en  iraranl  vv  portrait,  c'est  de  moi  (|iic  je  parle,  t  est 
peut-être  de  nous  tous!  —  Il  faut,  me  dire/.->ous,  s'en  leuietiie 
avee  eonliaaec  à  la  miséricorde  de  Dieu.  —  D'accord  :  je  le 
pj'iise  eouiuie  vous;  et  sans  cet  espoir,  que  deNiendrions-uous  à 
la  vue  (le  nos  misères!  Il  n'en  est  pas  moins  \rai  (jue  rien  de 
souillé  u'ciUrcra  dans  le  royaume  de  Dieu ,  et  <pi'une  âme  qui 
n'a  pas  été  renouvelée  par  l'amour  et  le  repentir,  n'est  pas  en- 
«ore  préparée  à  jouir  de  la  félicité  des  saints  ,  même  lors<ju'elle 
est  assurf'-e  de  son  i>ardou. 

Il  lui  reste  à  pleurer  ses  fautes;  il  lui  reste  à  se  rendre  moins 
iiidij^ne,  à  force  d'amour  et  de  reconnaissance,  de  la  miséricorde 
de  sou  l'ère  ci'lesle.  Car  cette  âme,  au  moment  où  elle  Nient  de 
quitter  sa  dépouille  terrestre,  ne  peut  plus  se  faire  d'illusions 
sur  sou  état  :  è'clairée  tout  à  coup  par  la  lumière  divine,  elle  voit 
toute  la  vérité  sur  les  atTcctions,  les  désirs,  les  prèlérences  qui 
ont  fait  l'occupation  de  sa  vie;  en  se  séparant  du  corps,  elle  n'a 
pas  dt'>pouill«''  son  individualité,  elle  n'a  pas  changé  s:i  nature. 
Peut-elle,  dans  cet  instant,  ne  pas  é|)rouver  les  plus  douloureux 
re{;rets ,  le  repentir  le  plus  amer,  à  la  \ue  de  Tiinploi  qu'elle  a 
fait  de  toutes  les  j,Tàces  qu'elle  avait  rc(;ues  de  Dieu?  Peut-elle 
son},'er,  dans  la  confusion  oii  elle  se  trouve,  à  s'approcher  de  cette 
splendeur  (jui  leblouii,  à  pénétrer  dans  le  séjour  île  la  sainteté 
cl  de  l'amour?  Ne  voudrait-elle  pas  plutôt,  s'il  lui  était  possible, 
expier  par  une  nouvelle  vie  de  larmes  et  de  repentir  les  infidélités 
et  les  ingratitudes  de  sa  première  existence  (1)'P 

Si  vous  le  |)ense/.  connue  moi,  nous  êtes  déjà  bien  près  d'ad- 
niettre  le  Purgatoire;  car  que  sont  les  perplexités  et  les  angoisses 
de  letteàme,  sinon  une  épreuve  douloureuse,  et  |)ar  Ih  même 
un  travail  de  puriliealion? 

Que  cell«'  épreuve  soit  instantanée ,  ou  plus  ou  moins  prolon-    i 
gée,  là  n'est  |)as  le  fond  de  hupiestion.  1/l^^^^lise.  de|tositairc  et 
interprèle  de  la  vérité,  nous  enseigne  siuq>lement  «pie  l'âme  clire- 

(I)  Il  et  l>ioii  i-iilnnlii  .]ii«-  iioii».  iic  pnrlon»  pa*  iii  ilrs  ftmr<  rjni  <l»iiltcnt 
la  IfTii"  <n  olnl  tir  !>»•(  lie  iiioilil. 


bliUXlÈMli  LliTTIll:   A    IN   l'IlOTESTANT.  133 

lionne  (iiii,  au  sorlir  <lc  ce  monde,  n'aura  pas  accompli  pendant 
la  vie  Tcxpialion  des  lauies  (jui  lui  ont  été  remises  par  la  miscri- 
eorde  divine,  iiaversora  un  lieu  ou  un  temps  de  peines  purifian- 
tes avant  de  pénélrer  dans  le  séjour  de  la  félicité  éternelle. 

«  Les  uns  en  ce  monde  seulement,  dit  saint  Augustin,  les  au- 
»  très  pendant  et  après  cette  vie,  toutefois  avant  les  suprêmes  ri- 
"gueurs  dujugenjent,  souffrent  des  peines  temporelles.  Mais  les 
"peines  éternelles  où  le  jugement  précipitera  les  damnés,  n'at- 
»  tendent  pas  tous  ceux  qui  souffrent  temporellement  après  la 
'>  mort.  Car,  redisons-le ,  ce  qui  n'est  pas  remis  en  ce  siècle  à 
»  plusieurs,  leur  sera  remis  dans  le  siècle  futur,  afin  qu'ils  échap- 
»  pont  aux  supplices  éternels  »  (ï). 

Voilà  la  croyance  des  premiers  chrétiens  et  la  nôtre.  Cette 
doctrine  vous  explique  les  paroles  de  Jésus-Clirist  :  «  Le  péché 
»  contre  le  Saint-Esprit  ne  sera  remis  ni  dans  ce  siècle,  ni  dans 
»  le  siècle  avenir»  (Matth.  XII,  32);  paroles  qui  n'auraient  aucim 
sens  si  l'on  rejetait  la  croyance  à  une  expiation  après  la  mort. 

Quant  à  la  Prière  pour  les  morts,  elle  est  la  conséquence  im- 
médiate et  naturelle  du  dogme  du  Purgatoire,  pour  peu  que  le 
lien  de  charité  qui  doit  unir  les  hommes  entre  eux  ne  soit  pas 
complètement  relâché.  «  Aimons-nous  les  uns  les  autres»,  — 
<t  portons  les  fardeaux  les  uns  des  autres»,  —  «  prions  les  uns 
pour  les  autres»;  n'est-ce  pas  là  le  cri  incessant  que  la  charité 
fait  retentir  au  cœur  des  chrétiens? 

Et  qu'est-ce,  pour  la  charité,  que  les  distances  des  temps  et 
des  lieux,  qu'est-ce  que  la  mort  elle-même?  La  foi  et  l'espé- 
rance passeront;  mais  la  charité  n'est-elle  pas  éternelle? 

Voyez  l'admirable  harmonie ,  l'accord  divin  qui  unit  toutes 
nos  croyances.  Pendant  que  nous  prions  pour  les  âmes  de  nos 
frères  qui  achèvent  l'œuvre  de  leur  purification,  nous  sommes  à 
notre  tour  l'objet  des  prières  et  de  la  tendre  sollicitude  des  frè- 
res qui  nous  ont  précédés  dans  les  demeures  éternelles  !  Cette 
magnifique  pensée  n'est-elle  pas  la  plus  sublime  réalisation  du 
vœu  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  :  «  Qu'ils  soient  un,  moti 
Père,  comme  vous  et  moi  sommes  un  ?  » 

(1)  CilcdcDieu..  liv.  21,  ch.  li. 


I3i  DEIXIÈJIE   LtTTKt   \   lA    IliOTLST  \.>T. 

Je  ne  sais,  mais  il  nu-  scinlile  (|uu  j'utirais  perdu  la  incilk-uiv 
iKirtie  de  mon  cu'ur,  si  la  foi  à  c«,'s  do^'iurs  consolateurs  devait 
jamais  s'anéantir  en  moi!  La  charité  traleruellc,  sevrée  de  loutr 
communication  avec  des  auiis  célestes  (|ui  prient  pour  moi ,  et 
avec  lus  àmcs  bien-aimces  pour  lesquelles,  ù  mon  tour,  j'adresse 
à  Dieu  mes  [trières  de  chaque  jour  ;  celte  charité,  horn«'o  aux 
seuh»s  relations  de  la  terre,  et  juiNée  de  sa  liberté  d'expansion, 
comme  l'oiseau  captif  dont  on  a  mutilé  les  ailes;  est-ce  lù  la  cha- 
rité dos  eofanis  de  Dieu  ! 

O  (pie  je  sais  gré  à  notre  Église  d'asoir  conservé  pieusement 
toutes  ses  divines  croyances!  Ou  plutôt ,  que  je  bénis  Dieu  d'a- 
voir fondé  une  Église  immuable,  assist«''e  de  son  Esprit  de  vérité, 
et  par  lû  préservée  de  la  commune  instabilité  des  «hoses  humai- 
nes ! 

Gir  quel  serait  le  sort  de  nos  saintes  doctrines,  si  elles  étaient 
livrées  à  rap[)ré<.ialiûn  de  chacun  de  nous,  l'un  retranchant  ce 
que  l'autre  veut  conserver,  celui-là  admcttani  une  interprétation, 
celui-ci  la  répudiant  ;  un  autre  enlin  proclamant  comme  inatta- 
<|uable  un<'  vérité  (ju'il  démentira  lui-même  le  lendemain  ! 

Écoute/  plutôt  Luther,  l'auteur  même  de  celte  réforme  «jui  a 
proscrit  la  doctrine  ilu  l'urgaioirc  : 

t  II  faut,  dit  il,  que  Von  croie  fermement  au  Purgatoire  ;  cl  je 
»  sais  qu'il  est  Ircs-vrai  que  les  pauvres  ànu'S  y  souflVent  des  dou- 
»  leurs  inexprimables  ,  et  que  l'on  doit  venir  à  hur  secours  par 
«des  prières,  des  jeûnes,  des  aumônes  et  par  tous  les  moyens 
»  qui  sont  en  notre  |)ou\oir  (1).  » 

Et  c'est  cependant  ce  même  Luther  (jui.  après  avoir  décrété  de 
ce  ton  d'autorité  la  nécessité  de  la  croyance  au  PurKaloire,  l'ef- 
face d'un  trait  de  plume  avec  la  même  assurance,  en  déclarant 
(dans  les  articles  de  Smalcalde),  que  ce  <logme  n'est  qu'une  pure 
invention  dial>oli<pie  :  mcra  dinboh  larval 

Je  ne  m'appesantis  pas  sur  cette  triste  divergence  de  convic- 
tions dans  un  même  indisidu.  (/est  le  propre  de  l'homnu'  livré  h 
lui-même,  et  n'olifissani  |iliis  iprà  son  capriiM'  et  à  ses  jcissions. 


(I)  k«lit.  lalinc  ilc  WiUcinbcrj;,  partie  VII,  fol.  7.  Iii->lr.  »ur  «|ucli|iic>  ai 
•  icics.  (Cite  dans  les  Confrronces  «lu  P.  Nain|)(iii.  Mil.  i /> 


DEUXIÈME   LKTTUL  A  LIS  l'IUJTESTAKT.  135 

Mais ,  avouons-le ,  mie  pareille  inconséquence  prouve  surabon- 
daniincitl  la  m'-cessilé  d'une  autorité  divinement  inslitn(''e  pour 
niaiiilenir  dans  leur  intéf,Milé  el  leur  puret*'-  primitives  les  dogmes 

l'CNi-iés. 

J'en  ai  pris  rengagcmenl;  je  n'entrerai  pas  avec  vous  sur  le 
terrain  de  la  «liscussion  religieuse.  Je  n'entreprendrai  donc  pas 
la  tâclie  ingrate  de  mettre  en  regard  les  contradictions  des  ad- 
versaires de  l'Église  avec  l'immuable  fidélité  des  doctrines  calho- 
liipies.  Les  preuves  abondent;  mais,  je  le  répète,  ce  ne  sont  pas 
toujours  les  preuves  qui  ont  la  puissance  de  nous  l'aire  adopter 
un  article  de  foi. 

Pour  moi,  je  ne  veux  m'adresser  qu'à  votre  cœur,  et  c'est  lui 
seul  que  je  ferai  juge  de  la  convenance  et  de  la  raison  du  dogme 
de  la  Purification,  tel  qu'il  est  compris  dans  l'Église  catholique. 

Ouvrons  l'Évangile,  et  arrêtons-nous  quelques  instants  sur 
une  de  ses  pages  les  plus  émouvantes.  L'admirable  parabole  de 
l'Enfant  prodigue  va  nous  fournir  des  rapprochements  qui  ré- 
pandront une  vive  lumière  sur  le  sujet  qui  nous  occupe. 

Image  fidèle  de  notre  âme ,  ce  fils  ingrat  a  dissipé  tous  ses 
biens;  aux  douceurs  de  la  maison  paternelle,  il  a  préféré  les 
grossières  voluptés  d'une  terre  étrangère;  il  a  vécu  dans  la  fange 
avec  les  plus  vils  animaux  dont  il  a  désiré  partager  la  nourri- 
ture... Enfin,  tombé  au  dernier  degré  de  l'avilissement  et  de  la 
misère,  il  songe  à  son  père...  Le  repentir  s'empare  de  son  âme, 
ses  larmes  se  font  jour  :  il  est  décidé,  il  ira  se  jeter  aux  pieds 
de  ce  père  offensé  ,  il  lui  fera  l'aveu  de  ses  fautes,  il  lui  deman- 
dera la  grâce  d'être  admis  comme  le  dernier  des  serviteurs  dans 
celte  demeure  paternelle  qu'il  n'aurait  dû  jamais  quitter.  — 
Voilà  l'âme  repentante  revenant  à  Dieu. 

Maintenant,  que  fait  ce  bon  père,  sous  les  traits  duquel  Dieu 
lui-même  a  voulu  peindre  sa  tendresse  et  sa  miséricorde?  Il  court 
au-devant  du  malheureux  enfant,  le  reçoit  dans  ses  bras,  ne  lui 
laisse  pas  achever  l'humble  aveu  de  ses  fautes,  mais  dans  la  joie 
d'avoir  retrouvé  le  fils  qu'il  avait  perdu  :  «  Hâtez-vous,  crie-t-il 
à  ses  serviteurs  :  apportez  la  plus  belle  robe  et  l'en  revêlez  ; 
ornez  sa  main  de  l'anneau,  et  donnez  des  chaussures  à  ses  pieds  !  » 

Permettez-moi  de  m'arréter  à  cette  partie  du  divin  récit.  — 


130  l>li(  \lt«IK    LETTRE    A    I  >i    PHOTLSTAM. 

D:ins  cet  enfani  prodij^'uc,  ainsi  reçu  par  son  pire,  nous  voyons 
Tàmo  au  sortir  de  ce  monde.  Elle  c^t  sur  le  seuil  de  la  maison 

paicrnille;  le  pardon  est  atcordc;  lis  désordres  ei  l'ingratitude 
de  la  vie  passée  ont  elé  eflacés  dans  les  tendres  cuibrassemenls 
d'un  père  miséricordieux.  Mail  tout  esl-il  terinin<^?  Le  HIs  re- 
pentant, en  proie  tout  à  la  fois  au  trouble  ei  à  la  joie,  à  la  con- 
fusion et  au  bonheur,  va-l-il  oublier  soudain  les  fiaillons  qui  le 
recouvrent  encore?  —  La  rol)e  brillante  est  apportée,  les  chaus- 
sures sont  préparées;  voilà  l'anneau  d'or  sur  lequel  est  pravé  le 
sceau  scif^neurial ,  symbole  de  puissance  et  d'auioriié...  Mais  à 
qui  donc  sont  destinés  c<'S  a|)|)réts?  Otte  somptueuse  parure  va- 
l-elle  couvrir  ce  pauvre  voyageur  encore  souillé  de  poussière, 
hûve,  dé'fait,  les  pieds  meurtris,  le  corps  brisé  par  la  fatigue  de 
la  route  et  les  émotions  de  la  journ«''e?  Est-ce  que  rien  ne  pn-pa- 
rera  la  transformation  qui  doit  s'opérer?  Va-l-elle  s'accomj)lir 
brusquement,  sans  transition,  sans  permettre  d'abord  à  des  soins 
(tllicieux  de  faire  disparaître  les  traces  attristantes  de  la  souf- 
france et  du  dtiiucnjcnt? 

Ici,  je  l'espère,  vous  ne  vous  refuserez  pas  à  admettre  des  détails 
(pii .  qu»ti<jue  pass«''S  sons  silence  dans  le  texte  sacré*,  n'en  sont 
pas  moins  une  suite  é'vidcnte  du  divin  récit.  Ces  détails  peuvent, 
il  est  vrai,  vous  paraître  vidgaires,  mais  vous  me  les  pardonne- 
rez en  faveur  de  leur  appli<'aiion. 

Les  serviteurs  s'empressent  donc  d'obéir  aux  (»rdres  ihi  père 
de  famille.  Pleins  d'tme  airectncusr  conqiassion  pour  le  jeune 
homme,  ils  s'approchent ,  le  sotJtiennent  et  guident  ses  p:is  en- 
core mal  nlfcrmis.  Où  le  condiiiscnt-ils.*  La  salb-  des  abîmions 
a  été  préparée;  une  eau  lim|)ide  va  couler  sur  les  membns  fa- 
ligué-s  du  vovageur,  sur  ses  mains,  sur  ses  pieds  ;  tout  son  «'orps 
va  être  [«irifié.  bientôt  la  trace  des  anciennes  souillures  aura 
disparu,  et  n'étaient  les  larmes  «pii  baignent  encore  son  visage, 
ses  nobles  traits  auraient  repris  leur  beauté  native  et  leur  pre- 
mier éclat. 

Qu'nn  ajiporlc  maintenant  les  véicnit-nts  de  féic  !  Quo  ces 
pieds  (haussent  les  riches  sandales,  et  «pie  l'anneau  brille  à 
celte  main  ipii  a  recouvré  sa  blancheur!  Les  portes  du  palais 
sont  ouvertes,  le  festin  est  préparé,  le  père  de  famille  attend  sou 
(ils! 


DLUVIÈUK   LETTIll-    A    Ui\    l'HOTESTANT.  137 

Vous  ave/,  roconnii  dans  ros<iuisso  de  celle  scène  rimage  de 
la  pnrilicaiioii  «|ue  l'Ame  esl  appelée  à  subir  avant  d'cnlrer  dans 
la  demeure  du  Père  céh'ste.  I/analogio  me  paraît  fiappanU;. 
Dire/.-vous  (jue  l'enlanl  prodigue  a  dû  rejeter  comme  inutiles  les 
soins  destinés  à  le  rendie  moins  indigne  des  généreuses  bonlés 
de  son  père  ?  Ne  se  scra-t-il  pas  |)lu(ôt  prêté  avec  joie,  avec  em- 
pressement, à  tout  ce  qui  pouvait  éloigner  de  ses  yeux  le  souve- 
nir de  son  ancienne  abjection? 

Ainsi  en  sera-l-il  de  l'âme  chrétienne.  Avant  de  revêtir  la 
robe  de  l'innocence  pour  paraître  devant  son  divin  Père ,  elle 
voudra  voir  disparaître  jusqu'à  la  dernière  trace  des  taches  qui 
lui  rappellent  son  existence  passée.  Loin  de  lui  couler,  le  travail 
de  la  purifie." lion  ne  lui  paraîtra  jamais  assez  prolongé  au  gré  de 
sa  reconnaissance  et  de  son  repentir. 

Quoique  bien  peu  développées,  ces  simples  considérations 
vous  donneront,  je  l'espère,  une  idée  de  notre  doctrine  sur  le 
Purgatoire ,  et  dissiperont  peut-être  quelques-unes  de  vos  pré- 
ventions. Je  voudrais  pouvoir  vous  dire  toutes  les  douceurs  que 
Tàme  chrétienne  puise  dans  la  méditation  d'un  pareil  sujet.  Sans 
doute,  il  ne  faut  pas  nous  dissimuler  que,  comme  toute  expiation, 
notre  purification  sera  douloureuse;  mais  quelles  ne  seront  pas 
fes  consolations  qui  accompagneront  ce  temps  d'épreuve  !  L'âme 
est  assurée  de  son  pardon  !  Chaque  instant  la  rapproche  du  terme 
de  ses  souffrances,  la  purifie,  la  prépare  aux  joies  éternelles  qu'il 
lui  est  déjà  donné  d'entrevoir  !  N'est-ce  pas  là  une  béatitude  an- 
ticipée? 

Et  puis ,  il  est  encore  une  source  de  joies  intimes  et  profon- 
des que  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  lient  en  réserve  pour  l'âme 
éprouvée.  Vous  le  savez;  —  «  Dieu,  nous  dit  l'Écriture,  a  com- 
»  mandé  à  ses  anges,  et  ils  te  garderont  dans  toutes  tes  voies. v 
(Ps.  90.)  Et  si  nos  célestes  gardiens  nous  ont  accompagné  si  fidè- 
lement pendant  notre  pèlerinage  sur  la  terre ,  nous  délaisse- 
ront-ils dans  le  cours  de  la  voie  douloureuse  qui  nous  reste  en- 
core à  parcourir  pour  arriver  au  ciel?  Vous  venez  devoir  le 
père  de  famille  de  la  parabole  confier  à  ses  serviteurs  le  soin  de 
revêtir  son  enfant  :  «  induite  illuni;»  qui  ne  reconnaîtra  dans 
ces  serviteurs  fidèles  les  saints  anges  chargés  de  nous  conduire 


I 


13M  UEUMK«t   LtTTKK   A    IM    l'MOTESTA>T. 

au  ciel?  Avec  «nielle  sollicididr ,  avec  (jui-l  amour,  n'nccompli- 
roiii-ils  pas  it-iir  pieuse  mission?  Et  qui  |)Ourra  dire  lu  doucenr 
4lescommunicutionsc]ui  doivent  s'étnhiir  entre  Tàme  et  «res  purs 
esprits? 

Si  la  crainte  de  profaner  d'augustes  véritt'S  par  un  langage  et 
des  images  trop  terrestres  ne  retenait  l'essor  de  mes  pens<'"es, 
j'aimerais  à  les  laisser  s'égarer  avec  confiance  dans  cet  avenir 
inysléiieux  dont  la  foi  nous  periiicl  cependant  d'entrevoir  les 
clartés.  J'aimerais  à  pressentir  les  consolations  célestes  que  les 
anges  du  Seigneur  répandront  sur  les  âmes  confiées  à  leui-s 
soins. 

«  O  mon  frère!  dira  peut-être  l'un  d'eux;  à  frère  hien-aimé, 

•  loi  que  je  n'ai  jamais  cpiitté  |)endant  ton  pèlerinage  sur  la  terre, 
»  te  voilà  enfin  parnii  nous!...  Joie  suprême!  tu  vas  partager 

•  notre  bonheur!  Déjà  nos  frères  dans  le  ciel  saluent  ta  venue 
»  et  tressaillent  d'allégresse!  Oh!  si  tu  savais  ce  qui  t'attend!... 
»  Encore  un  peu  de  temps...  Courage!  nous  avançons!  » 

—  «Anges  (lu  Seigneur,  vous  si  saints  cl  si  purs!  répondra 

•  le  pécheur,  ne  m'approchez  pas!  Je  suis  indigne  de  votre 
>  amour!  Qui  suis-je,  lielas  !  moi  qui  ai  répondu  [)ar  tant  d'in- 
»  gratitude  à  la  boulé  de  Dieu,  (pii  suis-je  pour  «pic  vous  m'Iio- 
»  noriez  de  vos  soins?  O  douleur!  comme  la  vue  de  mes  iniqiii- 

■  lés  me  trouble  et  m'accable.    J'ai  oiïensé  Dieu!  offense*  mon 

•  Père,  mon  Sauveur!  Sa  bt»nlé  incompréhensible  me  pardonne; 
*>  mais  moi,  puurrai-je  me  pardonner  jamais!...  » 

—  «  Pleure ,  mon  frère  ;  tes  larmes  sont  précieuses  devant 
»  Dieu  :  aucune  de  ces  larmes  ne  sera  |)erdue  devant  lui.  Ton 
»  humilité  et  ion  repentir  font  la  joie  du  ciel!  Vois  et»innie  cha- 

■  cun  de  les  sou|)irs  te  rapproche  de  notre  céleste  patrie  !  Tu 
«pleures  depuis  <iue  tu  aimes!  L'amour  te  donne  des  ailes!... 
»  Avance!  avance  toujours  !  O  si  tu  pouvais  voir  comme  ton  àmo 

•  s'éclaire  et  s'embellit  aux  yeux  de  Dieu!  » 

—  «  Mon  Dieu!  je  vous  aime!  «lira  l'àmc  chrétienne;  je  vous 

■  adore!    Toujours  souffrir  pour  vous,  cl  vous  aimer  toujours! 

•  (l'est  ma  (Jemaiido,  mon  Père,  nous  aimer  et  souffrir  !  » 

—  «  Vois,  mon  lièrc  bien-aimé ,  vois  ces  clartés  resplcndis- 
»  santés  (pii  nous  aiinonecnt  l'approrlie  du  (  iel...  Dieu  a  entendu 


DEUXIÈME  I.ETTHK  A  UN   PROTESTANT.  139 

»  les  prières  de  les  IVèrcs  sur  la  ici  re.  L'Eglise  ,  par  la  voix  de 
»  tous  ses  enlanls,  demande  jour  el  nuil  la  délivrance  ;  elle  prie 
«  au  nom  du  Sauveur  des  hommes,  dont  le  sang  divin  a  elFacé  les 
»  fautes  de  ta  vie;  à  ce  nom  de  JÉsi  s,  (jni  fait  tressaillir  les  eicux 
»  de  joie,  de  rcspcet  et  d'amour,  Dieu  n'a  écoute  que  sa  misé-- 
»  ricorde.  Le  temps  de  ton  é|)ieuve  est  encore  abrégé  !..  Lève 
»  les  yeux!  \  ois  les  rayons  avant-coureurs  de  la  gloire  céleste! 
»  Cette  brillante  poussière  lumineuse,  plus  nombreuse  mille  fois 
»  (pie  les  astres  du  firmament,  ce  sont  les  âmes  joyeuses  de  nos 
»  frères  qui  viennent  te  recevoir!  Jour  mille  et  mille  fois  béni! 
»ô  mon  frère!  Tu  vas  connaître  ta  patrie!..  » 

Ainsi  soutenue  par  les  encouragements ,  par  les  consolations 
qu'elle  puisera  dans  l'amour  des  esprits  célestes  dont  elle  va  de- 
venir la  compagne,  l'âme  s'élèvera  insensiblement  de  clartés  en 
clartés  vers  le  séjour  de  la  lumière  éternelle.  A  mesure  que  l'a- 
mour de  Dieu  l'enilammera  davantage  ,  ce  feu  purifiant  fera  dis- 
paraître ,  il  faut  l'espérer,  jusqu'au  souvenir  des  transgressions 
effacées  par  la  miséricorde  divine;  car  pourrions-nous,  hélas!  à 
la  vue  de  nos  fautes  et  de  nos  ingi'atitudes  passées ,  goûter  sans 
mélange  les  joies  du  Paradis? 

Et  puis,  une  fois  admise  dans  les  cieux,  oii  donc  l'âme  s'arrê- 
lera-t-elle  dans  son  essor?  Y  aura-t-il  des  limites  à  sa  marche  as- 
censionnelle? Ne  sommes-nous  pas  destinés  à  avancer  progressi- 
vement dans  la  connaissance  des  perfections  de  Dieu,  et  dès  lors 
à  l'aimer  de  plus  en  plus  pendant  l'éternité  ! 

Ces  vérités  qui  ne  nous  apparaissent  jusqu'ici  qu'à  travers  un 
voile,  et  que  nous  pressentons  sans  pouvoir  nous  les  expliquer, 
nous  seront  peut-être  manifestées  pendant  notre  pèlerinage  de  la 
terre  au  ciel.  C'est  peut-être  là  que  se  fera  notre  initiation  à  la 
nouvelle  vie  qui  nous  attend  ;  c'est  là  que  s'ouvriront  pour  nous 
ces  perspectives  infinies  où  nos  yeux  éblouis  pourront  entrevoir 
les  glorieuses  destinées  réservées  aux  enfants  de  Dieu  ! 

A. 


SIKUlMIli  hi:S  )IISS10AS  imkhlstwtks. 


Hudolphc  de  liodl,  missionnaire  dans  les  Indes-Orientales. 


Le  prolcslaniisme  ,  et  parliculirromoni  l'ôf^lise  anglicane,  a 
toujours  déploy»',  |)<)ur  la  |)ro|)aj;alioH  de  ses  priuripos  délétères, 
ce  zèle,  eel  ai  lianicuieni  (pii,  selon  les  paroles  <lu  Christ,  est  le 
caractère  Jistiuclif  des  enfunts  des  ténèbres.  Il  n'est  aucun  sa- 
crilicc  (pé'cuniaire)  qui  lui  eoûle,  dès  qu'il  s'a;;il  de  lutter,  soit 
en  Eui-o|»e  ,  suit  sur  les  places  loiniaiiies,  contre  le  devouemenl 
des  missionnaires  catholiques.  Non-seulement  la  Société  liiblique 
de  Londres  dépense  aniiucHlenienl  une  somme  de  l,*280,Ot)0  I.  s. 
(32  millions  de  francs)  pour  soutenir  la  cause  de  Terreur,  mais 
encore  le  gouvernement  anglais  accorde  de  riches  subsides  à  l'œu- 
vre des  missions  protestantes. 

Quel  est  le  n'-snltat  de  ces  dépenses  colossales.'  —  A  en  croire 
les  comptes-rendus  des  annales  de  la  Société  Bibliipie,  on  dirait 
que  la  bénédielion  céleste  descend  sur  les  travaux  des  mission- 
naires anglicans  ;  <  liaipie  anin-e,  d(>s  milliers  de  nouveaux  adep- 
tes embrasseraient  le  eliristianisnx'  protestant;  la  religion,  pré- 
cbée  par  ces  apôtres-colporteurs,  pénétrerait  dans  les  mœurs 
des  nations  «onverlies  ;  en  un  mol,  on  verrait  se  renouveler  ton- 
tes les  mer>eilles  opérées  par  un  Franeois-\a\icr.  Les  mission- 
naires prolestants,  dont  l'avenir  déi»end  «le  l'activité  qu'ils  dé- 
ploient, se  gardent  bien  de  relaUr  eu\-inênies  la  sté-rilitc  de 
leurs  rlVnrls.  Néanmoins,  il  se  rt  iiconire  p;uTois  nn  de  ces  boni- 


STÉRILITÉ  DES  MISSIONS  PROTESTANTES.  141 

iiK's  iiidépondants  et  sincères,  qui  ont  on  horroiir  rcxploitaiion 
(lo  ropiiiion  piil)lique  par  le  moyen  du  mensonge  et  de  l'inipos- 
iiMo  ,  et  (lui  prérèreiit  la  franchise  et  la  véritc  à  la  conservation 
de  leurs  lonciions  ou  aux.  applaudissements  de  la  mullilude 
aveuglée.  Rodi  lut  un  de  ces  caractères  si  rares  à  l'époque  où 
nous  vivons. 

Les  feuilles  politiques  et  historiques  de  Munich  ont  résume  une 
brochure  de  M.  lîoulerweck  (1),  sur  la  vie  et  les  travaux  de  Rodt. 
Nous  croyons  faire  une  chose  agréable  à  nos  lecteurs  en  tradui- 
sant l'intéressant  article  de  la  revue  bavaroise. 

«  M.  Rudolphe  de  Rodt  est  né  à  Berne.  La  dignité  de  son  ca- 
ractère, son  amour  de  la  vérité  et  la  droiture  de  son  cœur  lui 
avaient  attiré  l'aversion  de  ses  collègues  et  de  ses  supérieurs. 
Les  troubles  qui  éclaièient  dans  le  sein  du  protestantisme  le 
plongèrent  dans  les  plus  vives  angoisses.  Dès  les  premières  an- 
nées de  son  adolescence ,  il  eut  à  lutter  contre  un  père  sévère 
qui  tenait  aveuglément  à  l'église  réformée.  Les  instances  d'une 
tante  dévouée  et  pieuse  furent  seules  capables  de  vaincre  la  ré- 
sistance du  jeune  homme.  Après  avoir  quitté  l'académie  de  Berne, 
Rodt  se  rendit  à  Genève  (2)  où  l'on  avait  ouvert  une  école  de 
théologie  moderne,  indépendante  de  l'église  et  de  l'État.  Cette 
capitale  du  calvinisme  n'offrait  plus  de  trace  de  christianisme  : 
l'église  nationale  y  avait  dégénéré  jusqu'au  socinianisme.  On  n'o- 
sait plus  prononcer  dans  les  chaires  le  nom  de  Jésus-Christ;  les 
quelques  prédicateurs  qui  en  avaient  le  courage  étaient  chas- 
sés des  temples  et  forcés  de  former  une  église  particulière  (Bou- 
terweck,  p.  9).  Ce  fut  dans  ces  circonstances  que  la  Société  évan- 
gélique  créa  l'école  évangélique  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 
L'infortuné  Rodt  se  flattait  de  trouver  dans  cette  institution  le 
calme  religieux  que  réclamait  son  âme  agitée. 

»  Il  fut  trompé  dans  son  attente.  Dès  le  8  mai  1833,  il  écrivit 
à  un  ami  qu'il  avait  laissé  à  Berne  :  «  Pour  avoir  changé  de  do- 


(1)  Ch.-Giiil.  Bnutenveck,  directeur  du  gymnase  d'Elberfeld. 

(2)  Il  vint  à  icgiiso  de  l'Oratoire,  ou  église  libre,  que  Téglisc  nationale  ap- 
pela l'église  luélhodiste. 


|yf2  STÉRILITÉ  DES  MISSIONS  PROTESTANTES. 

micilo,  je  n'ai  pas  cliangô  de  caracièro.  J»»  suis  toujours  le  nn^mc 
Riidolplio  avec  ma  froiiloni-,  niûii  n«^},'in(*  <t  mon  apailiic,  Mdii 
amour  poin"  toi  n'a  pas  suIm  dalici'aiion  ;  romliicn  de  fois  nr  l'ai- 
je  pas  souhaité  ici  près  de  moi  !  —  La  lanterne  de  Diogène  avec 
la(]m'lle  je  n'ai  cessé  de  clierclier  <les  amis  sinerrcs  est  toujours 
allumée,  et,  prohahlemcnt ,  clic  le  sera  longtemps  encore.  Je 
suis  pourtant  assez  heureux  pourfré(picnier(pieIques  hommes  qui 
méritent  d'être  all'cctionnj'S  ;  mais  je  re},'rette  vivement  que  tous 
professent  sur  r<''f»lise  des  opinions  (|ni  diffèrent  raflicalement  des 
miennes.  »  Cette  lutte  d'un  cfenr  rempli  d'amour,  mais  vi«le  de 
foi,  devait  abouiii-  à  une  tiédeur,  à  une  indilfércnec  désespérante. 
C'est  ainsi  que  Uodl,  après  avoir  rapporté  un  entretien  Irès-vif 
qu'il  avait  eu  avec  un  théologien ,  écrivait  à  son  ami  :  «  Le  con- 
traste de  nos  caractères  me  faisait  sourire  intérieurement  ;  h  \,\ 
fin  de  la  discussion,  j'étais  aussi  froid  qu'au  commencement.» 
C^tte  franchise,  cotte  ouverture  de  cfcur  ne  doit  pas  passer  in- 
aperçue :  eIN;  trahit  une  indépendance  i\r  caraclèn*  qui  ne  per- 
met pas  «le  sacrifier  la  vérité  dont  on  a  la  conviction.  Cette  qua- 
lité, avouée  par  les  biographes  de  Rodt,  nniis  met  à  même 
d'apprécier  les  résultats  d'une  mission  ilonl  Kodt  lut  char^i'. 

»  A  la  prière  de  M.  Abeel ,  missionnaire  américain  ,  et  sur  les 
instances  de  M.  Giores  <|ui  était  revenu  de  Hen^ale  à  (îenève 
pour  re<'ruter  des  collaborateurs,  lUxIl  résolut  de  se  vouer  à  l'd'U- 
vre  des  missions.  Le  "23  juillet  18.3Ô  il  fut  envoyé  dans  l'Inde  par 
le  comité  de  <piel(|ues  villes  suisses  associées.  Il  se  rendit  à  Lon- 
«Ires,  s'eml>ar(pia  à  Liverpool,  et,  le  1 1  juin  l.S3(i,  il  mit  le  pied 
sur  la  terr»'  iiidieime.  Déjà  auparavant  il  avait  vw.  admis  au  ser- 
vice des  missions  anglicanes. 

»  En  entrant  dans  une  carrière  «pii  exige  un  dévom'meni  com- 
plet, le  jeune  missionnaire,  on  peut  le  conclure  de  ce  (pii  pré- 
cède, ne  s'était  misa  l'unisson  ni  avec  lui-même,  ni  avec  ses  su- 
périeurs. C'est  ce  qu'il  indi(|ue  dans  une  note  de  son  journal , 
«Ml  il  parle  de  l'un  de  ses  collègues  <\\\\  a\:tii  fait  la  traversée 
avec  lui.  «  ÎSos  caractères  ,  dit-il,  sont  bit  ii  dilleronts.  Il  est  ar- 
dent, très-impressionnable,  et  doit  dire  lout  i  c  «pii  lui  pèse  sur 
le  c<eur;  moi,  je'  suis  froid  comme  glace;  sans  être  absolument 
inaccessible  à  tout  sentiment,  je  me  mets  en  garde  contre  tous 


STÉRILITÉ  DES  MISSIONS  PROTESTANTES.  143 

ceux  pour  lesquels  je  nV'proiive  pas  de  la  sympailiie.  Il  est  in- 
quiet, prompt,  cl  souvent  trop  précipité  pour  parler  de  l'Évan- 
i;ile;  laudis  que  je  suis  timide,  lent  cl  parfois  trop  réfléchi.  Il 
croit  à  tout,  je  doute  de  bien  des  choses.  Mais  le  Seigneur  nous 
a  réunis  ;  et  nous  resterons  ensemble  aussi  longtemps  (pie  telle 
sera  sa  volonté.  » 

»  Ces  aveux  si  francs  et  si  sincères  pourraient  nous  dispenser 
(Uenlrer  dans  de  plus  longs  détails  sur  l'œuvre  que  ces  messieurs 
avaient  entreprise.  Comment,  en  efl"et,  auraient-ils  pu  édifier  so- 
lidement sur  une  base  si  défectueuse.  Nous  ne  croyons  pas  non 
plus  qu'il  soit  nécessaire  de  mettre  les  dispositions  de  ces  apô- 
tres protestants  en  parallèle  avec  celles  du  missionnaire  catho- 
lique. Celui-ci,  renonçant  à  tous  les  biens  temporels,  ne  brûle 
que  du  seul  désir  d'annoncer  la  vérité  une  et  éternelle  du  ca- 
tholicisme; partout  et  toujours  il  est  disposé  à  verser  son  sang 
pour  sa  foi.  Ni  le  souvenir  de  son  ancienne  patrie  et  de  sa  fa- 
mille, ni  la  recherche  des  aises  de  la  vie  n'est  capable  de  le  dis- 
traire un  instant  de  l'œuvre  qu'il  a  entreprise.  La  cupidité  ne 
lui  fait  pas  dégrader  son  auguste  mission  au  rôle  d'agent  d'af- 
faires; sa  pauvreté,  ses  sacrifices,  son  dévouement  lui  gagnent 
les  cœurs  et  préparent  la  voie  à  la  vérité  qu'il  annonce. 

1)  Les  grossières  erreurs  qui  infestent  les  plages  indiennes, 
l'invincible  résistance  du  paganisme ,  les  excès  du  matérialisme 
le  plus  impie,  en  un  mot,  la  stérilité  la  plus  complète  des  efforts 
tentés  par  les  missionnaires  protestants  durent  sauter  aux  yeux 
de  Rodt ,  dès  les  premiers  jours  de  son  arrivée  dans  l'Inde  ;  en 
effet,  loin  de  diminuer  le  mal,  les  travaux  des  missionnaires  sem- 
blaient n'avoir  eu  pour  résultat  que  la  recrudescence  de  la  cor- 
ruption et  de  la  démoralisation  des  indigènes.  Les  premières  vi- 
sites que  Rodt  fit  aux  écoles  indiennes  navi-èrent  son  cœur  de  la 
plus  vive  douleur.  Un  jour  il  s'avisa  de  demander  à  un  enfant  de 
dix  ans  quelle  était  son  opinion  sur  les  idoles;  il  obtint  cette  ré- 
ponse :  Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu  ;  du  moins  telle  est  la  croyance 
la  plus  généralement  répandue  (sic)  ;  mais  il  y  a  en  outre  plu- 
sieurs divinités  inférieures. 

»  De  telles  découvertes  étaient  aussi  poignantes  pour  le  jeune 
missionnaire  que  la  solitude  lui  était  accablante.  Dans  l'espoir  de 


i^l^l  STÉRILITÉ  UES  MISSIORi»  rROTi:STAKTES. 

Irouvor  «le  r;i|»|)iii  ci  dr  la  consolation,  il  se  rendit  aii|>iès  de  ses 
amis  do  DuiiUvan  ,  à  une  petile  dislanrc  de  Simamukx .  \  oici 
coinmenl  son  iiiograplic  <lt'ciil  le  résultat  de  ses  travaux  :  «  Sa 
prédication  ne  laissa  pas  que  d'opérer  du  fruit;  il  eut  seulement 
à  se  plaindre  du  peu  d'attention  et  de  la  manie  de  disputer  cpii 
distingue  les  Indit-iis.  Malj;ré  la  modestie  de  Hoill  dans  ses  ap- 
préciations, malgré  sa  profonde  humilité,  il  ne  put  se  faire  illu- 
sion sur  ce  (pi'il  entendait.  »  Dans  une  letli'c  «|u'il  écrit  lui-même 
de  Calcutta,  en  juin  I83(i,  il  avoue  franchement  I  insuccès  de 
ses  collègues.  «On  fait  beaucoup  ici  pour  TÉvungilc ,  dit-il; 
mais  il  s'en  faut  bien  que  l'on  fasse  assez.  Les  travaux  ties  mis- 
sionnaires ne  sont  pas  très-féconds,  du  moins  à  en  jugi-r  par  les 
apparences;  le  terrain  (ju'ils  cultivent  est  très-résistant.  Toute- 
fois on  rencontre  par-ci  par-là  un  Indien  qui  a  le  courage  de  re- 
noncer à  sa  caste,  c'est-à-dire  de  se  séparer  de  son  père,  de  sa 
mère,  de  sa  femme,  de  ses  sœurs,  de  tout  ce  qui  lui  est  cher,  et 
de  s'exposer  aux  plus  cruels  traitements  pour  se  fait»'  baptiser 
au  nom  de  Jésus-Christ.  Cependant  les  convertis  ne  restent  |>as 
tous,  jus(|u'à  la  fin  ,  tidèles  à  leur  foi....  Les  préjuges  des  païens 
diminuent  il'année  en  année.  Lu  grand  nombre  d'Indiens,  après 
avoir  abjuré  leurs  superstitions,  n'en  deviennent  pas  meilleurs, 
puisqu'ils  ne  sont  iiue  des  déistes  et  des  athées;  ne  confessant 
pas  .lesus-(.hi  ist,  ils  n'ont  la  pliqxirt  du  temps  à  soullVir  ni  humi- 
liations ni  |>ersécuiions.  La  civilisation  et  les  connaissances  eu- 
ropéennes v  gagnent  généralement  du  len  ain  ;  plusieurs  Indiens 
parlent  coulammeiil  la  langue  anglaise.  » 

»  Voilà  donc  à  (juoi  se  bornent  les  résultats  «le  tant  de  dépen- 
ses et  de  travaux  :  les  préjugés  des  païens  commencent  à  dispa- 
raîtn' !  Les  Indiens  parlent  l'anglais!  mais  ils  ne  confessent  pas 
Jesus-Christ  et  ncde\iennent  pasuicilleurs!  l^i  civilisation  et  les 
sciences  européennes  sont  en  v(»ie  de  progrès  !  Ces  expressions 
«le  Hodt  sullisent  |H)ur  caracl<i  iseï'  l'ensemble  des  missions  pro- 
lestantes dans  rinde.  —  Kl  ^\u\>n  ne  s  imagine  point  que  cette 
description  s'appli<pic  exclusivcnieiu  aux  grandes  >ilh's,  où  l.i 
corruption  est  ualurellenient  plus  piolomie;  une  seconde  lettre 
de  Kodl,  datée  de  Sunamuky,  nous  ap|H-end  (pie  les  r;imp:iu'iHs 
olfient  un  spectacle  non  moins  désolant. 


I 


STtKILITt;  DES  MISSIONS  rROTESTAISTES.  145 

«  Il  y  a  ihjà  plus  d'im  an  que  je  prêche  l'Évanj,'!!»;  au  milieu 
(les  paK'Hs;  jiiscpi'à  ce  mouxenl,  je  tiai  pu  constater  que  mes  tra- 
vaux aient  abouti  au  moindre  succès.  Je  ne  m'en  étonne  point  : 
sans  une  ^'làce  paiiiculii'io  et  la  rooprraiion  de  Dieu  (qu'il  faut 
coucliM'e  iieyalivemenl  de  lasU'rililc  des  iravaux  !),  1  amené  peut 
êlie  touchée  et  poussée  à  la  foi  en  Jésus-Christ.  Chaque  fois  que 
je  pai'le  du  Seiyiieur  à  nos  pauvres  Indiens ,  je  sens  iniiniement 
l'impuissance  tlont  est  frappée  ma  prédication.  Ma  qualité  d'eu- 
lopéen,  et  surtout  mes  relations  avec  les  maîtres  de  la  contrée 
(sic),  contraignent  les  Indiens  à  me  témoigner  extérieurement  du 
respect;  mais,  d'après  leurs  préventions  religieuses,  je  n'en  suis 
j)as  moins  pour  eux  un  homme  odieux ,  un  mangeur  de  viande 
porcine,  un  mletschtscha,  c'est-à-dire  un  impur.  » 

»  Il  était  naturel  que  Rodt  eherchât  à  quitter  des  lieux  où  il 
s'était  épuis*'  en  stériles  efforts,  et  où  il  était  resté  aussi  étranger 
que  le  premier  jour  de  son  arrivée.  Voici  ce  qu'il  écrit  le  17  juin 
1838  :  «  Lorsque  pour  la  dernière  fois  je  traversai  le  village,  je 
jetai  de  mon  siège  élevé  (éléphant)  un  regard  silencieux  sur  les 
deux  rangées  de  huttes  que  je  voyais  à  mes  pieds.  Je  n'éprouvais 
pas  le  moindre  sentiment  de  tristesse  ni  de  regret  ;  je  n'aban- 
donnais ni  un  ami.  ni  un  frère,  ni  un  homme  dévoué,  ni  une  seule 
rnne  qui  aimât  la  parole  de  Dieu.  Pendant  plus  d'une  année  j'a- 
vais arpenté  le  village  dans  tous  les  sens  ;  j'y  connaissais  toutes 
les  habitations,  tous  les  recoins;  tous  les  habitants,  depuis  le 
petit  jusqu'au  plus  grand  me  connaissaient;  et  pourtant  cet  en- 
droit était  pour  moi,  comme  s'il  ne  renfermait  que  des  étrangers 
ou  des  ennemis.  Ils  ont  souvent  entendu  prêcher  l'Évangile  et  le 
nom  de  Jésus-Christ  ;  mais  loin  de  s'en  pénétrer  le  cœur,  ils  n'en 
ont  fait  que  l'objet  de  leurs  railleries.  » 

»  Rodt  entra  alors  au  service  de  la  Société  de  missions  de  Lon- 
ilres.  Celle-ci  favorise  les  tendances  du  parti  démocratico-unio- 
niste  de  l'église  anglicane  et  est  en  opposition  directe  avec  les 
Episcopaux.  Au  dire  de  Bouterweck,  elle  laisse  toute  latitude 
aux  opinions  de  ses  agents ,  et  elle  compte  ses  représentants 
principaux  dans  les  rangs  des  Indépendants.  —  De  Sunamuky, 
Rodt  se  rendit  à  Calcutta  ,  où  l'administration  de  deux  villages 
voisins  lui  fut  confiée.    Ici  encore  la  bénédiction  divine  n'avait 

10 


M6  STÉRiMTÉ  nés  missions  protestantes. 

pas  fi-ronih'  Ir  /ri»'  tli's  missionnuiros  anj^licans.  Voici  «r  fjiio  nous 
lisons  dans  une  de  srs  kiircs  dat«'o  du  1 />  leMirr  lHi'2  :  «  Nos 
tliri'liens  du  Uàniàkàiscliok  et  de  Ganjjri  se  distinguent  [tar  une 
telle  |)erversilé  et  une  telle  ignorance,  tiuil  faut  la  plus  grande 
patience  pour  les  suppoiter.  ■  Après  avoir  insisté  sur  l'oppres- 
sion des  pauvres  cidtivateurs  par  les  riches  propriétaires,  il  con- 
tinue :  «  Le  plus  grand  obstacle  (pii  s'oppose  au  succès  de  nos 
travaux  sont  les  diffi-rentes  sectes  chrctienneu  «pii  se  sont  établies 
à  «ôté  de  nous  ,  et  principaleincnt  les  missionnaires  de  l'église 
épiscopale.  Ceux-ci  disent  linutement  que  nous  n'avons  [>as  le 
droit  de  conférer  le  iJaptêine,  de  disiiibuer  la  Cène  et  de  bénir 
les  mariages.  (Jiiand  linconduite  de  lim  de  nos  adeptes  a  été 
punie  par  l'exclusion,  le  coupable  se  rend  près  des  Episcopaux 
<]ui  l'accueillent  ordinairement.  » 

•  Ce  n'est  pas  sans  raison  ipic  Kodt  attribue  :1  la  multiplicité 
des  sectes  l'insuccès  des  missions  protestantes;  mais  telle  est  la 
destinée  des  églises  séparées,  qu'elles  doivent  fatalement  enfan- 
ter des  sectes  «pii  désolent  d'abord,  puis  dévorent  leurs  mères  in- 
fortunées. Paralysé  |)ar  ses  propres  eoreligioniiaiics,  faut-il  s'éion- 
ntr  <pic  Kodi  ait  pu  écrire  le  7  juin  1843  :  «  J'ai  agrégé  cette 
anm-e  cinq  ou  six  n)«'inl)res  nouveaux!  »  Dans  une  autre  circon- 
stance, il  fait  ressortir  le  tort  immense  «pie  les  divisions  intesti- 
nes du  protestantisme  causent  à  Tieuvre  des  missions  :  «  L'orga- 
nisation des  paroisses  n'est  qu'accessoire  ;  Vunité  sérail  la  chose 
principale.»  L'unit*'!  mais  comment  le  protestantisme  pourrait- 
il  la  rt'-aliser,  sans  abjurer  ses  principes  fondamentaux.' 

Dans  une  excursion  (pi'il  lit  au  N.-O.  du  Bengale,  en  com|>agnie 
de  deux  Indiens  convertis  au  cliristianisme,  llodi  put  se  convain- 
cre i\m\  la  même  malédiriiou  pesait  sur  les  autres  nùssions  pro- 
testantes de  l'Asie.  Il  enrichit  son  journal  des  relations  de  ces 
deux  compagnons.  L'un  d'eux  rend  compte  de  son  séjour  à 
Krisnogar,  où  un  missionnaire  allemand,  nommé  Durr,  était  fixé 
depuis  luu'  vingtaine  d'années. 

«  Je  me  rendis  à  la  maison  de  M.  Durr.  .le  rencontrai  pK>s  de 
riialiiialion  un  groupe  de  chrétiens  <pii  lisaient  la  Hible.  Je  m'ap- 
pro«  bai  deux  et  leur  dis  : 

»  D.  Frères,  «omprenez-vous  l'ifcvangib'  que  vous  lise/  .* 


STÉi;ll.lTh  DES  MISSU>i>.S   ^^U^TK^TA^TI•S.  147 

»  H.  Si  nous  nu  le  comprenions  pas,  eoninient  pourrions-nous 
on  instruire  les  autres? 

»  Je  continuai  à  les  interroger  cl  leur  demandai  ce  que  .lésus- 
Clirisl  avait  l'ail  pour  nous.  La  réponse  l'ut  :  «  Il  s'est  incarne 
pour  nous  laclieter.  » 

»  IJ.  Comment  pouvons-nous  participera  cette  rédemption? 

»  R.  En  observant  les  commandemetits,  en  renonçant  au  péché 
et  en  priant. 

»  D.  Avons-nous  la  force  suflisantc  pour  faire  tout  cela  de 
nous-mêmes?  (sans  la  grâce?) 

»  R.  Certainement;  car  nous. sommes  maîtres  de  disposer  de 
notre  cœur;  nous  pouvons  modérera  notre  guise  nos  inclinations 
ot  nos  penchants.  Ainsi,  par  exemple,  nous  étions  Indous;  mais 
nous  nous  sommes  rendus  dignes  de  devenir  chrétiens. 

»  D.  Quelle  est  la  véritable  religion? 

»  R.  C'est  ce  que  nous  ne  saurions  dire  avant  d'avoir  examiné. 

»  D.  Vous  vous  seriez  donc  faits  chrétiens  sans  examen  préa- 
lable? 

»  R.  Plusieurs  villages  ont  adopté  le  christianisme,  nous  avons 
fait  comme  eux. 

»  Je  voulus  poursuivre  mon  interrogatoire;  mais  ils  s'empor- 
tèrent et  me  dirent  :  «  Nous  ne  pouvons  interrompre  noire  lec- 
ture pour  répondre  à  vos  questions.  » 

»  Le  récit  que  Rodt  adresse  à  ses  amis  le  12  novembre  n'est 
pas  plus  consolant. 

«  Nous  arrivâmes  à  un  endroit  éloigné  d'un  mille  seulement  de 
la  résidence  de  M.  A...  (missionnaire).  Je  6s  arrêter  le  canot,  et 
me  disposai  à  aller  voir  mon  collègue.  En  route,  je  rencontrai 
une  petite  rivière;  un  homme  m'en  indiqua  le  gué.  Il  me  dit  qu'il 
était  chrétien,  et  me  montra  du  doigt  plusieurs  cultivateurs  qui 
professaient  la  même  religion.  Je  lui  demandai  pour  quel  motif 
ils  avaient  embrassé  le  christianisme  (protestant).  Il  me  répondit 
sans  détour  :  Pour  de  l'argent.  Je  lui  adressai  la  même  question 
une  deuxième  et  une  troisième  fois,  et  j'obtins  toujours  la  même 
réponse. 

»  A  mon  retour,  je  traversai  un  village  dont  toutes  les  familles 


I  4H  STtniLITK    IttS    Ml.SSm»    I  littTKMAMTtS. 

;i  r«'\<«'plion  (le  «Iriix  on  irois .  étaient  converties  à  noire  reli- 
^'ion.  .r:ipp<>l:ii  <|ii(>l<|ues  hommes  et  leur  dis  : 

«  D.  Ponrquoi  vous  êtes-vous  faits  chrûtiens? 

u  H.  Pane  «|ne  nous  croyons  (pic  le  chrisli:misni<   r>t  vrai. 

I»  I).  (Juavcz-voiis  j^agnt'  cl  cpic  j5aj,'iicre/.->ous  désormais  en 
professant  la  religion  chrétienne? 

•  D'ahord  ils  ne  répondirent  rien;  puis  l'nn  denire  eux  nie 
repli(pia  :  Nous  "Jiaf^'nerons  le  ciel.  —  .le  conlinu;ii  m"«n  ••\amcn  : 

>  D.  Qu'est-ce  (|uc  le  Christ? 

o  R.  Nous  en  avons  entendu  parler  par  Roschi  (Saint);  mais 
nous  ne  savons  ce  qu'était  le  Christ  ni  ce  qu'il  a  fait. 

.)  D.  Âve/.-vous  enicndu  parler  de  sa  mon? 

»  R.  Non;  nous  n'en  connaissons  rien. 

m  D.  \ve/-vous  ét(J!  baptisés? 

»  /».  Non;  peisonnc  n'a  été  baptise  dans  notre  village,  e\- 
<  epié  ceux  qui  savent  le  symbole  et  les  commandements. 

p  Je  continuai  ma  route  et  rencontrai  un  vieillard  (]ui  me  dit 
sp(mtanen)cnt  (pi'il  était  chrétien,  .le  lui  demandai  le  motif  de 
sa  conversion.  La  léponse  fut  :  <  Pour  faire  comme  les  autres.  » 

•  Une  autre  fois  Rodt  rencontra  un  musicien  ambulant;  le 
missionnaire  le  sonda  sur  ses  sentiments  religieux;  le  dialogue 
sui\aiil  s'établit  cuire  eux  : 

«  D.  Vous  porlc/  un  instrument;  faites-vous  de  la  musi(pie? 
(ihante/-\oufi  des  chansons? 

»  K.  Oui  :  avec  les  Indiens  je  chante  des  (  hansons  imlieinics, 
avec  les  chrétiens,  des  cantiques. 

»  D.  C'est  un  p('(lié  que  de  servir  deux  ui;iitr(>. 

»  R.  Je  ne  le  nie  |>as. 

D  I).  Kst-ce  bien  faire  (pie  de  pécher  sciemment.' 

»  R.  Notre  père  Adam  a  bien  pi  ihe  ;  pouri|uoi  ne  péchcrAis- 
je  pas?  » 

»  Apn's  avoir  donné  ces  extraits,  BontervNCck  ajoute  :  •  L*- 
journal  de  Uodi  (  iie  néanmoins  |>lusieurs  faits  isolés  tpii  témoi- 
gnent d'un  > if  désir  de  s'instruire;  plus  d'une  fois  les  predicanis 
ont  |iu  admirer  rattcntion  des  païens  cl  des  mahomelans  (pii 
s'attroupaient  dans  les  rues  pour  entendre  leurs  instructions. 
Plusieurs  dissertations  et  uK^me  deux  Bibles  ont  été  distribuées 


STÉUILITb   l)i:S   IIISSIOINS   l'KOTLSTAMIiS.  1  4î) 

à  (U's  brames  ;  il  arriva  ccpendaiu  assez  souveni  (juc  ces  cadeaux 
l'ureiil  repousses  ou  renvoyés.  » 

»  Après  des  écliccs  si  nombreux  cl  si  constants,  il  faut  avouer 
que  c'est  une  bien  ebélivc  consolation  que  deux  conversions  dou- 
teuses, la disiiibuliou  de  deux  Hibics,  et  l'atlenlion  des  auditeurs 
(jui  se  groupaient  autour  des  missionnaires  plutôt  par  curiosité 
que  par  sympalliie  ! 

«  Les  rapports  si  peu  liai  leurs  de  Kodi  durent  produire  une 
inq^rcssion  Câcheuse  à  Genève  et  à  Londres  :  l'insuccès  de  la  mis- 
sion y  était  attribué  à  Tbomme  et  non  à  la  chose  elle-même, 
o  Mes  amis  de  Genève,  écrit  Rodt  le  31  mars  1839,  sont  frappés 
de  mutisme.  Wcnger  me  mande  qu'ils  sont  mécontents  de  moi 
el  qu'ils  me  croient  dans  l'erreur.  —  Mon  erreur  consiste  à  leur 
avoir  représenté  notre  cause  dans  l'Inde  comme  elle  est  en  réa- 
lité, sans  l'embellir  par  des  descriptions  imaginaires.  Je  suis 
suspect  pour  avoir  dit  franchement  que  nosli^avaux  n'aboutissent 
qu'à  des  résultats  peu  sensibles,  que  les  Indiens  ne  se  convertis- 
sent que  pour  l'intérêt  matériel ,  eie.  Eh  bien ,  si  j'ai  écrit  en 
ces  termes,  c'est  que  je  ne  pouvais  pas  en  imposer;  ces  faits,  je 
les  répète  elles  coniirme.  PlûlàDieu  que  je  fusse  dans  l'erreur!» 
Rodl  ne  se  trompait  point;  il  ne  peignait  pas  les  choses  sous  des 
couleurs  trop  sombres.  Ce  qui  le  prouve  ,  c'est  que  la  mission , 
loin  d'avoir  un  succès  plus  consolant,  continua  à  végéter.  «Le 
royaume  de  Dieu  suit  une  marche  douce  et  lente,  »  disait  Rodl 
pour  se  consoler,  le  16  décembre  1841  et  le  18  avril  1842; 
mais  le  progrès  était  trop  peu  sensible  pour  sou  impatience. 
«  En  elïel,  dil-il,  peu,  très-peu  d'àmesse  convertissent  ;  el  parmi 
les  nouveaux  chrétiens  il  est  beaucoup  d'hypocrites,  qui  font  un 
Dieu  de  leur  ventre.  »  Quelque  temps  après ,  il  lui  paraît  que 
loin  de  progresser,  le  royaume  de  Dieu  rétrograde.  ^(  Deux  grands 
obstacles  arrêtent  son  essor  :  d'abord  les  sectes  el  les  dissensions 
qui  divisent  la  mission,  puis  l'avarice  el  la  cupidité  qui  trouvent 
un  aliment  dans  les  richesses  des  Anglais  et  qui  poussent  à  se 
ranger  du  parti  de  ceux  qui  promettenl  des  sommes  plus  fortes 
et  une  protection  plus  puissante.  Quelques-uns  de  nos  faux  frè- 
res s'avilissent  jusqu'à  séduire  par  l'amorce  de  l'argent  les  mem- 
bres qui  appartiennent  à  d'autres  communautés.  » 


|.*,0  STÉniLIlK   OES  MISSIONS   PROTESTANTES. 

»  Après  cela  il  m-  faiil  pas  s'iUoiincr  que  Hodl  écrive  la  leilrc 

stiivnnte,  le  16  scpttinhro  1812  :  «  L'I-lf^lisc  cir  Dieu  ne  so  IroiiYc 
pas  dans  une  siliiaiiun  florissante.  Ce  n'est  pas  (\i\v  le  uoiiibre  (1rs 
cliréiiens  soil  peu  considi  rahle;  je  ne  crois  pas  exagérer  en 
avançant  que  dans  la  seule  |)rovince  de  Bengale,  on  peut  en  por- 
ter le  nombre  à  10,000.  Malheureusement  la  plus  grande  partie 
ne  sont  cliréliens  qur  de  nom  ;  je  doute  fort  que  l'on  puiss4' 
compter  plus  de  ôOO  fidèles  qui  retracent  dans  leurs  niieurs  la 
foi  «pi'ils  pi'ofessent  !  »  Aussi  ne  voyons-nous  pas  poiir<pioi  la 
cause  du  protestantisme  aurait  fait  de  notables  progrés  pendant 
les  «piatre  ou  cinq  années  que  Rodl  consacra  dans  l'Inde  à  l'œu- 
vre des  missions?  Les  efforts  de  quarante  à  cimjuante  années 
n'avaien'-ils  pas  déjà,  avant  lui,  abouti  au  néant?  Ilodt  s'exprime 
à  ce  sujet  avec  une  fraïubise  étonnante,  le  17  décembre  1842. 

«  Vers  la  tin  du  siècle  dernier,  on  établit  à  Tschinsura  (à  une 
petite  distance  de  Calcutta)  une  station  de  mission,  où  fonction- 
nèrent deux,  trois  et  même  quatre  missionnaires.  Ceux-ci,  laii- 
més  du  zèle  le  plus  ardent,  ont  prêché  l'Évangile  une  multitude 
de  fois  dans  les  rues  et  sur  les  places  publifjues.  Et  quel  est  le 
résultat  d'un  travail  opiniâtre  de  plus  de  quarante  ans?  Absolu- 
ment aucun.  Pas  un  seul  Indien  ne  s'est  converti  à  Tschinsura 
dans  l'espace  de  temps  où  trois  ou  quatre  missitmnaires  ont 
trouvé  leur  t»mibeau  dans  cette  localité.  — Quant  à  moi,  je  ne 
puis  me  llaiter  d'avoir  ete  plus  heureux;  après  avoir  prêché  l'É- 
vangile plus  <le  mille  fois,  je  n'ai  pas  la  consolation  de  pouvoir 
me  dire  «pie  j'ai  abouti  au  moiiidre  résultat.  Kst-ce  luw  raison 
pour  perdre  courage?  Ou  ce  que  je  dis  est-ce  peut-être  dans  le 
but  d'en  imposer?  Loin  de  moi!  Je  liens  seulement  à  dire  la  vc- 
ril«'  et  à  représ4'nter  la  mission  du  IJengale  dans  son  véritable 
jour.  Le  tableau  est  nf)ir  et  triste;  mais  il  a  aussi  ses  traits  lu- 
mineux !  » 

»  Ht  quels  sont  ces  traits  lumineux?  Cinq  mille  indigènes,  hu- 
biiant  au  sud  de  Calcutta,  se  sont  «onvertis  depuis  une  di/.aine 
d'années,  et  il  est  à  présumer  tjuau  moins  la  disiime  parité  d'en- 
tre etix  sont  de  vrais  fidèles;  400  de  ce  ces  néophvtes  sont  con- 
fiés à  la  vi{,;ilante  solli<itude  de  Hodl;  mannioins  <ntelqur$-nns 
sculemeni  (  oiisoleni  leur  pasteur  par  leur  coriduiit;  vcritablcnuiit 


STKKILITK  DES  IlISSIOiNS   «'KO  1  tSTA^iTES.  151 

fhit'liennc  ;  une  vinglaine  de  nouveaux.  ad(;[)les  ont  été  inscrils 
dans  le  courant  de  la  dernière  année  !  Ainsi  dans  le  nombre  de 
5,000 ,  il  y  a  (piaire  ou  cinq  cenls  croyants  sincères ,  et  parmi 
ceux-ci  quelques-uns  seulement  ont  une  conduite  conforme  à 
leur  loi!  On  \oit  ([ue  le  j,Mand  nomhie  de  lidèies  allégué  par 
Rodt,  se  réduit,  en  dernière  analyse,  à  un  chiffre  bien  peu  con- 
solant, à  quelques-uns  seulement.  Encoie  ces  derniers  n'avaient 
pas  été  comptés  avec  beaucoup  de  soin;  c'est  ce  que  Rodt,  ar- 
rivé presque  au  terme  de  sa  carrière,  nous  avoue  dans  une  lettre 
qui  porte  la  date  du  7  janvier  1843  :  «  Nous  devons  semer  dans 
l'espérance  et  au  milieu  des  larmes.  M...  me  dit  dans  sa  dernière 
lettre  que  je  dois  être  bien  persuadé  que  nous  ne  devons  pas 
compter  sur  la  conversion  de  tous  les  Indiens  ;  il  tâche  de  me 
consoler  en  me  rappelant  la  semence  de  l'Évangile  ,  dont  la  qua- 
trième partie,  seulement,  germa  et  porta  des  fruits.  Je  réponds 
à  cela  que  je  n'ai  jamais  espéré  que  la  quatrième  partie  de  mes 
auditeurs  se  convertît  ;  je  n'ai  pas  même  songé  à  en  convaincre 
le  dixième  ;  cependant  j'avais  la  confiance  qu'au  moins  un  seul 
sur  dix  mille,  que  deux  ou  trois  auditeurs  de  tant  de  milliers  à 
qui  j'ai  annoncé  l'Évangile  ,  seraient  de  véritables  chrétiens  :  et 
pourtant,  je  me  suis  trompé!  » 

»  Il  ^É*  quelque  chose  de  plus  poignant  que  la  stérilité  des 
efforts  aéployés,  c'est  la  corruption  et  la  démoralisation  des  con- 
trées où  les  missionnaires  protestants  se  sont  livrés  à  leurs  tra- 
vaux ;  c'est  la  haine  contre  tout  christianisme  que  montrent  les 
nouveaux  convertis.  C'est  ce  dontse  plaintRodldans  une  leltredu 
7  juillet  1838  :  «La  science  et  l'incrédulité  font  de  grands  pro- 
grès dans  les  rangs  de  nos  jeunes  Indiens.  Tout  en  méprisant  la 
religion  de  leur  pays  ,  ils  sont  les  ennemis  les  plus  acharnés  du 
christianisme.  Je  suis  certain  que  dans  un  siècle ,  et  peut  être 
plus  tôt,  Calcutta  sera  aussi  incrédule  que  Paris  à  l'époque  de 
Voltaire,  si  le  Seigneur  n'y  met  la  main.  Je  suis  souvent  tenté  de 
comparer  mes  collègues  et  moi  à  un  Isaie  ou  à  un  Jérémie,  qui 
annoncèrent  la  parole  de  Dieu  pendant  plus  de  quarante  ans , 
sans  recueillir  le  moindre  fruit.  >  Dans  une  lettre  datée  du  11 
février  1840  ,  il  ajoutait  que,  si  l'idolâtrie  marchait  à  grands  pas 
vers  sa  ruine ,  si  300  jeunes  Indiens  des  familles  les  plus  dislin- 


ià'2  jrrKMILITÉ   UKS   «ISSIO.^IS  PRUTtSTANTKS. 

fjui'fs  s'inslruisnirnl  dans  louU's  les  srit-nrcs  oiiropécniM-s,  si  \\as 
III)  sur  «Iix  iH-  «royaii  a  la  reiip^ioii  «les  Hrnnirs,  —  il  u'rn  élail  pas 
iiKiins  dfNolani  «le  voir  le  pt'iil  noiiibi-o  d«*  ceux  qui  se  converlis- 
saii'iit  au  vrai  (  liristinnisnio.  La  plupart  se  ronlrntmt  d'applau- 
dir à  la  rclij^idii  (pii  Irm*  ost  aniutncco,  ri  ne  picnnciil  pas  iiirin»- 
la  prine  «h*  se  faire  bapiisor.  •  Un  irès-grand  nombre  se  passent 
complèlement  de  louie  relij^ion  et  s'a|)puieut  sur  une  philoso- 
phie creuse  ipii  les  endurcit  conire  tout  seuliment.  ■ 

B  Nous  (h^vons  ù  la  sincérité  consciencieuse  et  à  la  droiture  de 
Rodi  de  posséder  ces  aveux  pn'cieux.  Cet  homme,  incapable  «le 
iransi^'cr  un  instant  avec  la  vérité ,  n'i;,'norail  pas  »]ue  la  même 
fran<hise  ne  di^iinj^Mie  (pie  bien  rarement  les  nùsslMniialies  pro- 
testants. En  efl'ot,  à  la  lin  de  ses  mémoires,  il  dit  :  <  Tel  est  le 
tableau  de  ce  qui  se  passe  dans  l'Inde.  Peul-êlie  ai-je  em[>lo)é 
des  couleurs  trop  sombres,  mais  je  no  le  regrette  point  :  j'es- 
père avoir  lait  ainsi  appi'écicr  les  comptes-rendus  où  Ton  élève 
sans  mesur»;  te  (pi'il  y  a  de  bi<'n  et  de  beau,  et  où  l'on  omet  ce 
qu'il  y  a  d'aniigcant.  » 

»  pour  nous,  nous  le  ré|>étons,  lliistoire  des  missions  protes- 
tantes est  la  sentence  du  jugement  lie  Dieu.  » 


ESSAI 

Siii*  les  clcclions  ('piscoimles  en  général ,  cl  en  prliciilici* 
dans  les  diocèses  de  Lausaiiiic  et  de  Genève  (1). 


.  I.  Du  temps  des  Apôlrcs,  les  premiers  évêqiies  fiirenl  éla])lis 
par  eux,  el  le  peuple  n'avait  aucune  pari  à  leur  élection  (2)  ;  mais 
dès  que  les  églises  eurent  été  formées,  on  permit  au  peuple  de 
concourir  au  choix  de  son  premier  pasteur.  Déjà  à  la  fin  du  F"" 
siècle,  le  pape  saint  Clément,  en  parlant  de  l'élection  d'un  évê- 
que,  dit  qu'elle  s'est  faite  avec  V approbation  de  toute  l'église  (3), 
c'est-à-dire  du  clergé  et  du  peiqile. 

Au  III*  siècle ,  saint  Cyprien  nous  fait  connaître  quel  était 
alors  l'usage  de  la  chrétienté  dans  l'élection  des  évéques.  «  Il 
»  faut,  dil-il,  conserver  el  ohserver  avec  soin  la  tradition  divine 
»  et  l'usage  apostolique  en  vigueur  chez  nous  el  dans  la  plupart 
»)  des  provinces,  savoir  que,  lorsqu'il  s'agit  d'établir  un  évêque, 
»  les  prélats  les  plus  rapprochés  de  la  même  province  doivent  se 
»  rendre  auprès  du  peuple  auquel  on  veut  donner  un  évêque,  et 
»  que  V évêque  doit  être  élu  en  présence  du  peuple  (4).  »  Ce  pas- 
sage prouve  que  le  rôle  principal,  le  pouvoir  électif  proprement 


(1)  Ce  incinoirc  est  un  travail  inédit  du  R.  P.  Schniidt,  rédeniptorisle  , 
mort  à  Genève  il  y  a  trois  ans.  Ce  savant  religieux  a  consacré  les  loisirs  de 
toute  sa  vie  à  l'étude  de  riiistoirc  ecclésiastique  de  la  Suisse  romande.  Il  a 
laissé  plusieurs  manuscrits  importants  qui  seront  publiés. 

(2)  Act.  Ap.  XIV,  22  et  Tit.  I,  îi.  Clem.  Rom.  epist.  \  ad  Corinth.  c.  42. 
(5)  CU'ui.  R(.>m.!.  c.  c.  ii.  (i)  Cyprian.  epist.  68. 


151  tS^VI    Ml.    LKS   ÉLECTIONS.  triM-Ol'ALtS. 

(lil,  :i|)|»:irl('iiail  au\  cV('-(|Ui*s  vuisins,  i>l  (|ue  le  peuple  ne  luisait 
que  donner  t('nioign:if;c  en  faveur  du  mérite  de  Télu.  Aussi  un 
célèbre  historien  |)i-oiestant  dil-il  à  ce  sujel  :  «  Il  esl  cerUiin  (jni' 
■  dans  la  primitive  éylise,  le  clergé  d'un  diocèse  el  les  habitants 
»  de  la  ville  épis(  opale  exerçaient  une  influence  d<'*cisive  sur  le 
»  choix  de  leur  pasteur  suprême.  Ils  exprimaient  Icui-s  vœux,  ils 
«rendaient  t«'inni;,'iia;,M'  au  sujel  (1rs  diverses  personnes  sur  (jui 
»  le  (  lioix  |>ouvaii  lomher,  et  les  evécjues  qui  en  décidaient  ne 
>  manciuaient  presque  jamais  d'y  aNuir  égard  (I).  ■  G"pendant 
cette  partiei|>utiun  populaire  ne  rendait  en  aucumr  façon  l'aulo- 
rilé  épiscoj)ale  dépendante  des  lidèles ,  qui  tout  en  concourant 
à  l'élection  de  ré\êque,  n'avaient  aucun  droit  de  le  de|>oser.  La 
mission  de  révoque  était  regardée  comme  émanant  directement 
du  Christ,  et  son  ordination  comme  l'aMiNre  i\u  Saint-Esprit  (2). 
l'our  celte  raison  saint  (-ypiien,  en  présentant  le  nouNcI  évèciuc 
Célérinus  à  son  église ,  dit  aux  fidèles  (|u'il  leur  est  d<»nné ,  non 
par  les  suffrages  des  hommes,  mais  par  la  miséricorde  de  Dieu  (3). 

II.  Sous  Omsiantin  le  Grand  et  ses  successeurs  justprà  l'éla- 
Misseineni  des  peuples  germaniipies  dans  l'empire  romain ,  le 
|>euple  prenait  encore  part  à  l'élection  des  évoques;  tantôt  il 
|)ro|>osait  un  candidat  «jue  c«>nlirmaient  les  «'véques  de  la  pro- 
vince, tanuU  il  admettait  le  candidat  de  ces  derniers.  D'après  le 
concile  de  Mcée,  l'élection  ihvait,  autant  <pie  |K)ssible,  être  faite 
par  tiiuslcs  évéques  de  la  province,  ou  au  moins  par  trois  d'en- 
lr«'  eux.  Le  nn-lropolitain  devait  conliruier  l'élection  (4).  Celte 
dis|>ositit»n  servit  de  nt)rnie  en  Oiient  et  en  Oci'idenl.  Le  concile 
d'Anlioche  en  341 .  ei  le  (inatiiènie  ((uu  iledeC^irthageen  398^6), 
|M)rlèrent  des  décrets  analogues,  (/est  ainsi  (pie  Nectaire  ftii  éta- 
bli évê(|U(;  de  CA>nstantinople  vers  381,  du  consenlement  una- 
nime des  ('Véques  assembb'S  en  concile,  en  présence  de  Vempe- 
reur,  et  par  le  suffrage  du  clergé  et  de  toute  la  cité  (6).  D'un 
autre  C(*»t('' Théodorel  Màme  l'élection  de  l'arii  n  Liicins,   de  ce 


(I)  lliirlrr.  tulilr.iu  tJrs  iiistil.,  clo.  .iu  moyen  hf,c.  T.  II.  p.  ^>S.  (î)  I  Cor. 
IV,  l<l  \rt.A|>.  W,^.  (I^)  Cypr.  cpisl.  ."i.  (ijConril.  Mrnii.  an  ôlS.  ran. 
■Iclsdi.  llarJiiiii,  Coll.  Coiic.  I.  TmH.  i'.i)  ILinliiiii.  Coll.  Conc.  I.r.  (i00rll»7H. 
(6)  Mansi,  Cuil.  Conclu,  580. 


liSSAi  SLU   LliS   ÉLhCTIOMS   Éi'ISCOP.VLES.  1  «"iS 

qu'elle  n'avait  vlr  l'aile  ni  dans  un  synode  d'évêques  orlliodoxes, 
ni  par  le  suffroije  du  clergé,  ni  à  la  demande  (pétition)  du  peu- 
ple, comme  le  prescrivent  les  lois  de  V Église  (1). 

Durant  celte  période  ,  les  empereurs,  (jucn  regardait  comme 
les  protecteurs  de  l'Église  ,  prenaient  aussi  part  à  l'éieclion  des 
évêques,  soit  en  les  proposant,  soit  en  les  confirmant,  et  l'Église 
croyait  pouvoir  leur  permettre  une  certaine  iniluencc  par  recon- 
naissance pour  les  bienfaits  qu'elle  en  avait  reçus;  mais  lors- 
qu'enlraîncs  par  l'exercice  d'une  autorité  absolue  et  sans  limi- 
tes, ils  s'arrogèrent  des  droits  aussi  désastreux  qu'ils  étaient 
exorbitants,  l'Église  s'empressa  de  réclamer  contre  un  pareil 
despotisme  (2). 

Cependant  les  communautés  chrétiennes  perdirent  peu  à  peu 
leur  influence  ,  lorsqu'au  lieu  d'élire  des  candidats  dignes ,  tels 
qu'ils  l'avaient  généralement  été  dans  le  principe,  leur  choix 
tomba  souvent  sur  des  sujets  vains,  ambitieux  et  même  infectés 
d'hérésie.  On  peut  lire  à  ce  sujet  les  plaintes  de  saint  Jean  Chry- 
sostôme  sur  les  désordres  produits  par  les  passions  dans  les  élec- 
tions aux  fonctions  ecclésiastiques  (3).  Déjà  en  372  un  décret  du 
concile  de  Laodicée  interdit  au  peuple  de  prendre  part  aux  élec- 
tions, et  dans  la  suite  celles-ci  devinrent ,  au  moins  en  Orient, 
l'affaire  exclusive  du  clergé ,  des  évêques  de  la  province  et  du 
métropolitain ,  lorsque  des  empereurs  violents  et  despotes  ne 
nommaient  pas  les  évêques  de  leur  seule  autorité  et  au  mépris  de 
tous  les  canons  de  l'Église. 

En  Occident,  les  élections  conservèrent  plus  longtemps  leur 
indépendance ,  parce  que  l'autorité  de  l'évêque  de  Rome  y  était 
toujours  un  contre-poids  à  la  puissance  de  l'État.  On  voit  le  pape 
Sirice  (385-398)  admettre,  dans  l'élection  de  l'évêque,  le  con- 
cours du  clergé  et  du  peuple  (4)  ;  Céleslin  I"  (en  428)  demande 
le  consentement  du  clergé,  du  peuple  et  de  la  municipalité  (5)  ;  et 
le  pape  saint  Léon  le  Grand  (vers  445),  dans  une  de  ses  lettres, 
pose  en  termes  formels  le  principe  que  celui  qui  est  chargé  de 


(i)  Theod.  hist.  ceci.  l\,  20.  (2)  V.  les  preuves  dans  Alzog,  hist.  univ.  de 
lÉglise,  $  12;jctl28.  (3)  Clirysostômc  de  Sacerdolio.  L.  I,  c.  5,  (4)  Harduin. 
1.  c.  8jO.  (.■))  Sirinond.  Coiicil.  Gali.  I,  .^7. 


youvtrner  tous,  iloit  aussi  être  élu  de  ttnts  ;  il  exigu  expresstMiU'iM 
ptMir  rrliuriioii  tie  rcvn|ii('  fvs  suif) âges  des  citoyens,  le  lèmoi 
ijiiage  du  peuple  ,  le  consentement  des  hommes  hnnorahles  (Aono- 
ratorum),  cl  le  choix  du  clergé;  oi  un  prii  plus  loin  :  Vassentt- 
metit  des  clercs,  le  témoignage  des  hommes  honorables,  te  consen- 
tement de  la  municipalili  et  du  peuple  (1);  ce  (|ui  iio  r<'mi>^(lir 
pas  néanmoins  de  s'elevi-r  loiienicni  conlro  les  «iemandes  pr«'*- 
teniieuses  el  souvent  inconvenantes  des  peuples,  el  de  reprocher 
aux  [)rélals  d'avoir  cédi'  an  ininnlle  popnlaiir  dans  l'éleclion  des 
évoques  (2).  Aussi  irouvons-ntms ,  >eis  la  lin  du  V*^^  siècle,  dans 
les  Gaules,  plusieurs  cleelions  faites  par  le  mt'tropolitain  el  les 
évt^ques  de  la  proNince  ,  sans  éj;ard  pour  les  \Oi\\\  ci  les  d(>nian- 
des  du  peuple.  Après  la  mort  de  Paul,  évèqne  de  (!hâl(ins-sur- 
Saônc ,  vers  470,  sainl  Patient,  métropolitain  de  la  provimc.  y 
vint  avec  d'autres  évèques  ses  comprovinciaux.  Ils  trouvèrent 
la  ^ille  divisée  en  trois  |)artis,  dont  elia<  un  vantait  son  <'an 
didat.  Les  pr»-lals ,  sans  se  mettre  en  peine  des  cris  de  la  niid- 
liludc,  élurent  un  sainl  prêtre,  nommé  Jean,  et  rordonnèrent 
sans  retard  .'i  .  Qnelcpie.s  années  |>lns  tard,  le  siéf;e  métropoli- 
tain de  Bourses  étant  vaianl,  saint  Sidoine  s'y  rendit  pour  l'élec- 
lion el  y  trouva  un  };rand  nomhie  de  candidats,  parmi  les(|uels  il 
y  avait  même  trois  lai(|ues.  Dans  celle  étrange  confusion,  comme 
il  était  impossilile  de  |>arvenir  à  nn  reMilial,  tonie  raflain;  fut 
remise  a  sainl  Sidoine,  qui  nonuna  Simpliee,  lionime  <lu  monde, 
mais  irès-vcrtueux  (4). 

De  tout  ce  «pu»  nous  venons  de  rapporter,  on  peut  conclure 
qu«'  dans  lé^'lise  d'Octidenl.  et  en  particulier  dans  It'S  (iaules , 
le  peuple  en  général  el  dans  la  règle ,  fui  encore  consullc  dans 
les  élections,  qu'il  pouvait  manifester  son  désir,  exprimer  ses 
vœux,  donner  témoignage  en  fav(Mir  de  son  candidat,  mais  que  le 
nieiropolilain  el  les  evè(|nes  jugèrent  en  delinilive  d(!  la  dignité 
et  du  mérilc  des  candidats,  ci  qu'ils  n'enrent  égard  à  la  demande 


(I)  Lriiii.  i'|iisi.  1(1.  ('.(  NValIrr,  Manuel  «lu  droit  caiiitn.  5  ^^-  (^)  '*'■ 
rpiM.  t-î.  [7,)  A|.(.||.  Si(I<.n.  !..  IV.  opi-l.  2.'5.  (I>  V  Titlcnnint ,  Mi'm.  rrrh- 
T.  XVI    s.  .Xpimli.  .Sfrfoinr.  :irt.2<»ct  iM. 


KSSAr  Sl'R    LES  KLKCTIONS   Él'lSCOrALES.  157 

(lu  |K'ii|)l('  (jiio  lorsqu'cllo  ôiait  soincniic  par  les  bonnes  qualités 
(le  celui  qu'il  recommandait. 

III.  Depuis  l'invasion  des  peuples  germaniques  dans  les  Gau- 
les, ei  surtout  depuis  rétablissement  de  la  domination  des 
Francs,  il  se  lit  de  grands  changements  dans  l'élection  des  évê- 
ques.  Plusieurs  des  rois  mérovingiens  avaient  toutes  les  passions 
du  Bas-Empire  :  l'ambition  de  gouverner  les  consciences  et 
même  de  régler  la  foi ,  les  engagea  encore  à  faire  des  évoques  ,  à 
les  dt'poser,  à  convoquer  les  conciles ,  à  corriger  les  saints  ca- 
nons (1).  Dans  le  peuple,  la  tendance  des  esprits  vers  les  choses 
terrestres  n.c  lui  permettait  pas  de  comprendre  qu'un  homme,  à 
l'extérieur  humble  et  pauvre ,  puisse  être  le  digne  représentant 
du  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre  (2).  Pour  que  la  semence  spi- 
rituelle, germant  parmi  ces  peuples  grossiers,  pût  se  développer 
et  se  fortiûcr,  il  fallait  bien  que  le  clergé  cherchât  à  gagner  une 
position  ferme  et  solide,  et  à  entretenir  des  relations  continuel- 
les avec  les  grands  et  les  puissants,  et  que  les  évêques,  en  parti- 
culier, fussent  placés  au  niveau  des  princ(?s  de  la  terre.  Pour 
cela,  ces  prélats  durent  acquérir  des  fiefs,  bases  du  système  po- 
litique des  Francs  et  unique  moyen  de  se  rendre  respectable  aux 
yeux  des  grands.  Le  peuple,  d'ailleurs,  préférait  toujours  voir 
une  contrée  entre  les  mains  d'un  seigneur  ecclésiastique  qu'en- 
tre celles  d'un  laïque,  son  sort  étant  incomparablement  plus  doux 
sous  la  conduite  de  la  houlette  que  sous  l'autorité  du  glaive  (3). 
Les  évêques,  du  moins  ceux  qui  étaient  animés  du  véritable  es- 
prit de  leur  état,  se  servirent  de  la  féodalité  même  pour  accom- 
plir leur  importante  mission  spirituelle. 

Mais  cette  féodalité  les  rendant  vassaux  des  rois,  les  asservit 
d'une  manière  très-préjudiciable  à  l'Église,  et  ne  manqua  pas 
d'avoir  une  influence  bien  déplorable  sur  les  élections.  L'Église, 
de  son  côté,  protesta  contre  ces  empiétements  et  chercha  à  pré- 
venir les  abus.  Au  deuxième  concile  d'Orléans  (en  533)  les  Pères 
se  plaignent  de  ce  que  l'ancien  mode  d'élection  est  tombé  en 

(1)  Ozanam,  Études  germaniques,  II,  73.  529-335.  (2)  V.  MûUcr,  histoire 
Suisse,  T.  I,  p.  138.  (3l  V.  Liebermann,  discours  funèbre  sur  iMgr  Colmar, 
cvèque  de  Mayence. 


15S  L55AI    SlU    Lhs  hLtCTIUNS   ÉPISCUi'ALES. 

désuétude  cl  chiTchenl  à  le  remcUrc  en  vigueur  (I).  Lr  concili- 
de  Clerimmi  (mi  Auvergne,  lenu  en  635,  et  oii  nous  iroiivoiis, 
parmi  d'autres  «'Vi'niies,  ct'Iiii  de  \  iitduiiisse,  ordoiiiu'  (jiir  la  pro- 
inulion  des  cvrcjucs  se  fasse  par  rélcctioti  du  clergé  etde$  citoyens 
et  le  consentement  du  métropolitain.  La  même  disposiliun  fut 
prise  par  le  troisième  coiuile  d'Orlcaiis  rn  ô-lS  (2).  Dans  un  sy- 
node tenu  dans  la  mî^nie  ville,  en  àl!),  auipicl  assistaient  les  évo- 
ques de  Hesanron,  de  \  indonisse,  d'CJelodiir  en  \  allais  et  le  dr- 
légué  de  l'évoque  de  Genève,  on  défendit  d'aeheler  l'cpiseopai 
à  prix  d'argem  on  d'employer  des  lirigues  pour  y  parvenir.  L'é- 
vè<juc  d<»il  être  consaciè  par  le  métropolitain,  avec  le  consente- 
ment du  roi  (eum  voluntitle  régis),  suivant  V élection  du  clergé  et 
du  peuple  (3).  On  dirait  «pie  les  Pères  de  ce  dernier  eoncih-  ont 
voulu  concilier  les  dioils  de  1  Église  avec  les  préteniions  des  rois, 
en  maintenant  le  concours  du  clergé  cl  du  peuple  dans  l'élcc- 
tion,  et  en  exigeant  en  outre  le  consenlement  du  roi.  Cependant 
il  ne  sera  pas  inutile  d'observer  (juc  les  mots  :  cum  volunlatc 
régis,  nian<pient  dans  plusieurs  manuscrits  (4),  et  pourraient 
très-bien  avoir  été  glissés  plus  tard  dans  ce  canon  par  (pielquc 
copiste  ignorant  ou  par  un  éri  ivain  de  cour.  Aussi  en  oo7  le  troi- 
sième concile  de  Paris  ordonna  de  iie  consacrer  évêtjue  cpie  celui 
qui  aura  été  demandé  par  l'élection  libre  du  clergé  et  du  peuple, 
et  de  n'en  imposer  aucun  soit  par  l'ordre  du  prince,  soit  par 
d'autres  moyens,  contre  la  volonté  du  métropolitain  ou  des  évé- 
quesde  la  province  (6).  Ces  droits  du  clergé  et  du  peu|)le  furent 
encore  sanctionnés  de  nouveau  dans  un  autre  synode  tenu  à  Paris 
en  fîH  on  Ci\!i  (>  .  Mais  à  peine  cette  dernière  assemblée  avait- 
elle  ordonne  l'élection  des  évé(pies  par  le  clergi"  et  le  peuple, 
sans  l'intervention  «les  rois,  qu'une  constitution  de  Clolaire  II ,  por- 
tant ptd)licalion  des  actes  du  concile  .  en  tempérait  la  discipline 
par  cette  clause,  «  que  l'élu  serait  offrrr  du  prince,  on  même  «pic 
■  le  prince  pourrait  désigner  un  <irs  clercs  du  palais ,  en  ayant 


(I)  Sirnionil  ,  Concil.  Call.  T.  \.  (2)  Sirmond.  I.  c.  (n)  Conr.  Aiirrl.  V.  .i|. 
Man^i.  T.  IX.  (l)  Flirliant,  analvM'  *\c>  roiuilrs.  I,  .*iiô  ri  Sirmomt.  NoI.t  .ni 
h.  Cnnril.np.  Mniisi.  I.  r.  IW.   (S;  Ilanliiin.  III.  :>.">0.   (('.)  IJ.iil. .%.'»!. 


ESSAI  su K   LES   ÉLKCTI(»NS  Él'ISCOPALES.  159 

»  égard  au  niérilc  et  à  la  doclrine  (1).  »  On  sait  (jue  déjà  alors 
('xistaii  l'école  du  palais  avec  un  enseignement  <jui  préparait  ses 
disciples  ,  selon  k'ur  vocation ,  à  tous  les  devoirs  de  la  vie  reli- 
iiiense  ou  de  la  vie  publique  (2). 

Cependant  les  prétentions  du  roi  paraissent  avoir  prévalu  con- 
tre les  ordonnances  et  les  protestations  des  évêques,  renouvelées 
encore  au  concile  do  Cliâlons  en  650  environ  '3',  car  il  avait  la 
force  en  main,  et  elles  prévalurent  assez  longtemps,  de  manière 
qu'il  n'y  eut  plus  d'évéques  que  ceux  qui  furent  nommés  directe- 
ment par  les  rois,  ou  approuvés  par  eux  ou  leurs  délégués  à  la 
demande  du  clergé  et  du  peuple  (4).  Pour  en  donner  un  exem- 
ple, nous  choisissons  deux  faits,  dont  l'un  eut  lieu  dans  l'église 
de  Constance,  l'autre  se  rapporte  à  l'évêché  de  Lausanne. 

Le  siège  de  Constance  était  vacant  depuis  plusieurs  années , 
lorsqu'en  615  ou  616  Gunzo,  duc  d'Âllémanie,  voulant  faire 
élire  un  nouvel  évêque ,  convoqua  à  Constance  trois  évêques , 
ainsi  (jue  le  vénéré  Gall ,  fondateur  du  monastère  de  ce  nom. 
L'assemblée  eut  lieu  le  premier  dimanche  après  Pâques,  et  nous 
y  trouvons  les  trois  évêques^  les  comtes  d' Àllémanie,  un  nombreux 
clergé  et  le  peuple  en  foule.  Le  clergé  rendit  témoignage  en  fa- 
veur de  saint  Gall,  et  le  duc  lui  offrit  Vévêché;  mais  le  saint 
ayant  refusé  comme  étranger,  et  leur  ayant  recommandé  Jean, 
son  disciple  et  enfant  du  pays ,  celui-ci  fut  accepté  par  tous;  le 
A\xc  confirma  l'élection  au  nom  du  roi,  et  les  évêques  V ordonnè- 
rent (5). 

Après  le  milieu ,  ou  peut-être  à  la  fin  du  VHP  siècle,  un  évê- 
que de  Lausanne  venait  de  mourir.  Pour  le  remplacer,  il  n'est 
plus  question  de  convoquer  les  évêques  de  la  province  et  le  mé- 
tropolitain ,  ni  de  demander  l'assentiment  du  clergé  ou  le  té- 
moignage du  peuple.  Une  lettre  royale  annonce  à  l'archevêque 
de  Besançon  que  le  roi  a  résolu  de  donner  l'évêché  de  Lausanne 


(1)  Mansi,  X.  545.  (2)  Ozanam ,  I.  c.  H,  ifil  et  suiv.  (5)  Nous  y  trouvons 
les  cvéques  de  Genève  et  de  Lausanne.  Mansi,  T.  X.  col.  M94.  (4;  V.  les  preu- 
ves dans  Sirraond,  Concil.  Gall.  II.  654  et  seq.,  et  les  formules  de  .Marculphe. 
dans  Baluzc,  11.579.  (o)  Walafrid.  Strab.  in  vit.  S.  Galli ,  ap.  Goldast ,  ror. 
allem.  T.  I.  Part.  II. 


t(i()  e>SAI  SIH    LES  KLECTiOKS   Él'ISCOl'ALES. 

d  un  tlf  SOS  clercs,  lequel  avail  rendu  :iuir(r«iis,  :ui  roi  oticore 
jeune,  un  service  dont  il  voulait  ainsi  lui  lénioif^'iier  sa  reconnais- 
sance (I).  On  voit  que  celle  elcc  lion  élail  le  faii  ail>iirair<-  tiu 
souverain,  (iei  abus  avail  éle  iiilroduil  surtout  sous  (Ji;irl<-s  Mar- 
tel. i"-c  prince,  il  est  vrai,  a>ail  sauve  Téglise  des  Gaules  par  la 
victoire  qu'il  remporta  sur  les  Sarrasins;  mais  la  bataille  cohia 
cher  à  l'I^lise;  ses  Liens  furent  donnes  en  liris  atix  guerriers. 
Charles,  importuné  de  l'exigence  de  ses  Icudes,  leur  jciail  les 
crosses  des  évêchés,  et  ces  lidèles  (pii  n'avaient  jamais  (piiilé  le 
harnais ,  se  faisaient  ordonner  en  loutc  hâte  et  au  mépris  des 
intervalles  ordonnés  par  les  saints  canons.  Sous  de  pareils  pas- 
leurs,  (jue  sérail  devenue  l'Église? 

Il  p;iraît  cependant  que  la  forme  des  éleriions  s'observait  en- 
<'0re  (piclqucfois;  mais,  malgré  celle  :q)par«'nce  de  légalité,  les 
princes  en  élaienl  les  maîtres.  Nous  venons  de  voir  ce  que  Char- 
Icmayne  s'esl  permis  envers  l'église  de  Lausanne,  et  nous  ap- 
prenons d'ailleurs  (jue  son  ('-pouse,  la  reine  Uildegarde,  ne  restait 
pas  oisive,  (piand  elle  pouvait  faire  élever  ù  l'cpiscopai  des  hon»- 
mes  ipii  avaiiiil  su  gagner  sou  esiimc  (2). 

IV.  I.«  liberté  fut  rendue  aux  élections  dès  le  commencemeni 
du  I\'  siècle,  par  les  ordonnances  positives  de  C.harlemagne. 
Dans  un  capitulaire  de  l'an  SO.'} ,  rv  prinec;  s'ex|)riiMe  ainsi  : 
«  N'ignorant  point  les  saints  canons  et  voulant  cpie  I'ï-^îIisc 
«jouisse  plus  librement  de  sa  prérogative,  nous  ;i\nns  accord»' 
»  a  l'ordre  ercltsiasti«pie  «pu*  les  evéques  soient  élus  par  le  rlergc 
»  et  le  peuple,  d'après  les  saints  canons  ,  et  choisis par»/ji  les  tia 
n  tifs  (lu  diocèse,  sans  acception  de  personnes  ni  de  |>résents, 
»  pour  le  seul  mérite  de  leur  vie  et  de  leur  sagesse,  etc.  (3).  ► 
Otte  concession  fut  renouvelée  par  Louis-le-l)ébonnaire  en 
816  (4).  Cepemlanl  l'usage  de  la  sanction  impériale  s'élal>lil  par 
lui-même  et  par  le  fait,  et  il  piirali  <pir  l'Église  ne  s'en  allar- 
mait  point,  romme  nous  verrotis  plus  loin.  Eu  ellVi ,  les  pr(''lals, 
continuanlà  être  les  feudalaires  des  souverains,  il  importait  aux 

(»)  l».-nis''<><t<l-  M-^r  llirol.  Kil.ln.lli.  \  in.i'-l..  |..il.iliii.  T.  I.  IMII,  p.  2î»H'.>. 
(S)Moi>arli  S.  GnII.  «le poM. Caroli  M.  !..  I  r.  i.  (Â)  Bnluxc,  I.  i(»0.  (4)  Ilml. 
.1(1  II    ni) 


liSSAl   SIJH    LES  ELECTIONS  KPIS^OPALKS.  ICI 

princes  de  s'assurer  de  leur  lidélilé  el  de  veiller  à  ce  que  les 
licfs  ne  fusscnl  point  confiés  h  des  sujets  dont  la  soumission  ne 
serait  pas  assez  certaine. 

La  forme  dos  élections  était  donc  celle-ci  :  le  clergé  et  ]o  peu- 
ple, en  préscni'c  ilii  mélropolilain  et  de  (]iiel(|ues  évê(jues  de  la 
province,  faisaient  choix  d'un  ecclésiastique  de  leur  église  ou 
diocèse;  le  roi  ou  l'empereur  consentait  à  l'élection,  ou,  si  l'on 
vent,  la  sanctionnait;  le  métropolitain,  à  son  tour,  la  confirmait 
et  ordonnait  l'évéque  élu.  Voilà  ce  qui  était  de  droit;  mais,  dans 
la  pratique,  les  souverains  ne  se  contentaient  pas  toujours  de  ce 
(juc  l'Église  croyait  pouvoir  leur  accorder,  et  déjà  en  855  les 
évoques  assemblés  à  Valence  se  plaignirent  hautement  des  usur- 
pations des  princes  dans  la  nomination  des  évéques  (1).  Ces  pré- 
lats cherchèrent  à  y  porter  remède ,  en  laissant  néanmoins  aux 
rois  une  iniluence  que  celle  des  métropolitains  devait  contreba- 
lancer et  rendre  moins  préjudiciable...  Quand  un  évêché  était 
vacant,  l'église  veuve  demandait ,  par  l'organe  du  métropolitain  , 
la  permission  du  roi  pour  procéder  à  l'élection;  le  roi,  en  l'ac- 
cordant, nommait  un  des  évêques  de  la  province  visiteur  à  l'ef- 
fet de  présider  l'élection  ;  le  métropolitain  lui  donnait  ses  in- 
structions; le  visiteur  faisait  faire  l'élection  par  le  clergé  et  le 
peuple;  l'acte  de  l'élection  était  transmis  à  l'archevêque  ou  mé- 
tropolitain ,  qui  l'envoyait  au  roi  ;  si  celui-ci  voulait  confirmer 
Téleclion,  le  nouvel  évêque  devait  être  examiné  par  les  évéques 
de  la  province  et  le  métropolitain,  qui  l'ordonnait  lorsque  l'exa- 
men lui  avait  été  favorable;  dans  le  cas  contraire,  il  fallait  pro- 
céder à  une  nouvelle  élection.  Le  prince,  lorsqu'il  n'approuvait 
pas  une  élection  ,  permettait  quelquefois  qu'on  procédât  à  une 
autre  élection  ;  mais  assez  souvent  il  nommait  lui-même  le  nou- 
vel évêque ,  que  les  prélats  soumettaient  à  l'examen  usité ,  et  le 
métropolitain  avait,  dans  ces  circonstances  parfois  assez  délica- 
tes ,  à  se  conduire  avec  toute  la  vigueur  et  fermeté  ecclésiasti- 
que (2). 


(I)  Conc.  Valent,  can.  7.  ap.  Sirmond ,  III.  100.  (2)  Hinemari  Rliem.  epis- 
lo\iepassim.  Cfr.  Sinrioiul,  II.  Gô5. 058  et  seq.  Eichhorn,  Reichsu.  Rechtsgcsch. 
T.  I.  S  190. 

Il 


H»2  tSàU    >Lll    Lhs    tLtCTIO.>s    tl'IsCOl'ALtS. 

\  .  Il  f^(  ù  croire  (|ue  la  promotion  des  cvé(|uc8  cJc  l^u&aone 
s'esl  toujours  faitt;  d'après  les  lois  «'t  les  usages  en  vigueur  à  eos 
l'ilTérniics  cpoiiiics.  (!)-|i(-iidaiii  on  Iniuve,  au  temps  où  nous 
suMunes  arri\es,  (pitl(|iits  di  (ails  mu-  une  «•Icciioii  <|iii'  nmis  .li- 
ions ra|)porter. 

Hartmann,  évêque  de  Lausanne,  étant  mort  en  87  7  ou  87K,  au 
mois  de  mai,  le  pape  Jean  \  III,  <lans  imc  lettre  du  10  juin  878, 
adressée  à  riiéodoric  ,  artlievèipie  deHesanron,  dit  tpie  parmi 
les  (ils  de  lY'glisc  de  Lausanne,  il  s'est  élevé  des  contestations  au 
suj(;t  de  l'élection  d'un  nouvel  êv«*que  ,  et  pour  c<'  motif  il  oi- 
donna  à  l'arclievêipic  de  ne  consacrer  devenue  pour  l'ej^lisc  de 
Lausanne  ,  ni  par  ordre  du  roi ,  ni  sur  la  demande  du  peuple , 
avant  d'être  venu  en  conférer  avec  lui  (1).  L'archevêque  se  rendit 
à  Troyes  où  le  pape  ouvrit  un  concile  le  1 1  août  878.  Le  lô  oc- 
tobre de  l'année  suivante,  .Jérôme,  ivvque  de  Lausanne,  souscri- 
vit au  concile  d(^  Montale  (2),  ce  qui  prouve  qu'il  était  déjà  or- 
donné ou  consacii'  à  cette  époque,  sans  «'ela  il  aurait  si};n<'  : 
clectus  ou  vocalus  cpiscopus.  (lomment  s'était  faite  son  élection  .' 
Ce  n'est  pas  par  ordreduroi  Charles-le-Gros,  car  celui-ci  ne  vou- 
lut |>as  1<;  reconnaiin;.  Fut-il  nomiué-  et  inq>osé  par  le  pape?  On 
l'a  dit  et  répété,  mais  sans  le  prou\er.  \oici  ce  (|ue  l'on  trouve 
dans  des  documents  contenq>orains  :  .JérôuH',  se  voyant  rejeté  |>ar 
le  roi  Charles-le-Gros,  se  rendit  auprès  du  pape  Jean  \  III  et  le 
sollii'ita  de  s'inli'i'cssi'r  |>onr  lui  auprès  lïu  prin<"e.  A  cet  elfet,  le 
pape  é(ii\ii  à  Cliailes  ,  le  '20  juin  SS(J ,  d  le  pria  de  recevoir  en 
Kniee  le  dit  évôipie ,  en  lassmant  cpi'i/  lui  gardera  la  fidélité  , 
telle  <fxu  la  lui  doivent  les  évnjuis  du  itn/nume.  Il  ajoute  <pie  J«'*- 
rôme  a  été  élu  régulièrement ,  <jue  V archevêque  a  consenti  d  son 
ulection,  mais  (|ue,  pour  cause  de  maladie,  il  a  |>i'ié.  par  lettre, 
les  évêques  consécrateurs  de  l'ordonner  ,'i  .  Le  pape  écrivit  en- 
«■ore  sous  l:i  mènie  ilafe  à  Liutward  ,  ('•vè<|Ue  d»;  Verc«'il  rt  chan- 
eeli«-r  i\\\  roi ,  ei  le  pi'i:i  i\v  se  scr\ir  de  tout  son  crédit  auprrs  i\\x 
piinn-,  |K)ur  qiir  .IcKuni-  lui  //laifWrnu  dans  la  |»ossession  de  son 
«•vêché,  en  l'assurant  <pic  li-  roi  |ionna  compter  sursa  lidélilé(4). 


(I)   M.msi,  Coll    Coiic.    1.   Wll.  sy.    ^2i  lliitl.  :m0.    ^ô;  MnM^i  .  I.  r    t7K. 
(4)  Ibid.  iii. 


l-SS.VI  SUU    LLS  ÉLt:<;TI<).>S   KFISCOI'AI.KS.  t  G3 

Ici,  il  n'csl  plus  quoslion  ilo  la  permission  à  (lemnndcr  nu  roi, 
pour  laiio  rélcclioii,  ni  «h;  l'i-vècpie  visiteur  envoyé  par  le  prince 
cl  «liarj^é  des  iusiru(  lions  du  mélropoliiain,  ni  de  la  conlirmaiion 
i\o  réleeiion  par  le  roi,  suivie  do  Tordinaiiou  do  l'élu.  Jean  VIII 
di'clarc  loul  simplement  qu'il  a  été  régulièrement  élu ,  c'est-à- 
dire  eoid'oruiéuunl  aux  règles  ôlahlies  cl  selon  les  saints  canons; 
il  ajout(i  dans  ses  deux  dernières  lellies  que  révéelK'  lui  a  été 
divinement  accordé  (divinitùs  concessum) ,  que  l'élection  a  été 
confirmée  par  le  métropolitain,  et  la  consécration  faite  par  ses 
délégués.  Il  ne  lui  manquait  que  la  sanction  du  souverain  in- 
troduite par  l'usage  et  à  raison  des  fiefs  dont  jouissaient  les  égli- 
ses. Il  paraît  donc  qu'à  cette  époque  on  n'observait  plus ,  dans 
le  diocèse  de  Lausanne,  cette  longue  sc'ric  de  formalités  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut;  peut-être  aussi  n'y  avaient-elles  ja- 
mais été  pratiquées,  et  s'y  était-on  attaché  purement  cl  simple- 
ment à  la  concession  de  Charlemagne  qui  garantissait  la  liberté 
des  éleciions,  en  se  soumettant  néanmoins  à  l'usage  de  demander 
la  sanction  royale. 

Cette  sanction ,  Charles-le-Gros  ne  voulut  point  l'accorder  à 
Jérôme.  Pourquoi?  La  raison  était  toute  politique.  Depuis  la  mort 
de  Charlcs-!e-Chauve,  en  877,  les  Gaules,  et  la  Bourgogne  en 
particulier,  étaient  en  proie  à  des  désordres  qui  compromettaient 
même  son  existence  sociale.  Pour  défendre  l'Église  et  garantir  la 
sûreté  publique  ,  les  évoques  et  les  seigneurs  élurent  roi  Boson  , 
beau-frère  de  Charles-Ie-Chauve.  Celle  élection  se  fit  à  Mantale, 
le  16  octobre  879,  et  le  décret  en  est  signé  par  vingt-trois  pré- 
lats, parmi  lesquels  nous  trouvons  Théodoric,  archevêque  de  Be- 
sançon, et  Jérôme,  évêque  de  Lausanne  (1).  Or,  Charles-le-Gros, 
qui,  après  la  mort  de  son  père  Louis-le-Germanique  (28  août 
876),  eut  en  partage  l'AlIenianie  et  tout  ce  qui  est  compris  en 
deçà  du  Mein  jusqu'aux  Alpes  (et  par  conséquent  tout  le  pays  de 
Vaud) ,  s'offensa  de  cette  démarche  de  Jérôme  et  ne  voulut  pas, 
en  sanctionnant  son  élection,  reconnaître  ses  droit  à  l'évêché  de 
Lausanne.  Mais  il  paraît  que  les  mesures  prises  par  le  pape  Jean 
VIII ,  et  la  promessiî  de  fidélité  de  la  part  de  Jérôme,  eurent  un 

(I)  Mansi,  1.  c.  3Â0. 


Mil  ESSAI  SVti  LES  ÉLECTIONS  ÉPIST.OPALES. 

liiMirtïUx  succès,  <-ar  d'apK'.s  dus  documents  des  années  suivait 
les,  Jcrùmc  rontiiuia  dr  f^'oiivcrnrr  \v  diocôso,  oi  h  rlironiifiic  du 
«  artulairc;  de  LaUbanno  nippurie  son  iiislilulion  dtliniiive  à  l'an- 
noc  881,  la  troisième  après  la  mort  de  son  prédécesseur  (1). 

Charks-Je-Gros.  ayant  été  dé|>osé  en  887,  mourut  l'année  sui- 
vante, llodolplic  1",  un  des  descendants  du  ^^  elfe  ('onrad,  se  lit 
L-liro  roi  de  la  liour^oj^ne  transjnrane,  nouveau  loyauinc  fju'il  ve- 
nait de  fonder  et  dont  le  ditKèse  de  Laus;inne  faisait  partie.  Lf- 
vripie  .Icrôine  mourut  en  802 ,  et  on  lui  donu;i  un  successeur, 
examinons  quelle  forme  d'élection  on  suivit  en  cette  occasion; 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  (|u'à  celte  date  Uodolplic  I"  n'avait 
pas  encore  donné  son  diplôme  en  faveur  de  la  libre  élection  de 
l'évéque. 

L'auteur  de  la  clironicpie  du  (  arlulaire  de  Lausanne  nous  a 
conserve  l'acte  authentique  <le  la  promotion  du  nouvel  évéquc. 
D'après  ce  document,  Jérôme  eianl  mori,  le  roi  Rodolphe  vint  à 
Lausanne  avec  rarehevèquc  et  un  autre  e\è(iue,  désirant  trou- 
ver un  sujet  digne  de  ce  siège.  Cependant  Rainfroi ,  archidiacre 
de  Jérôme,  s'était  fait  élire  du  vivant  même  de  cet  évoque,  ce 
qui  n'était  pas  permis.  Le  roi  demanda  aux  assistants  qui  ils  tlé- 
siraient  avoir  pour  évè<p»e;  ils  acclamèrent  Boson  le  diacre, 
élevé  parmi  eux  et  (|ui  leur  était  bien  connu.  Ensuite  l'archevê- 
que demanda  pourquoi  ils  l'avaient  prié  d'ordonner  Rainfroi  ;  ils 
re|>ondirenl  qu'ils  I  av;)i«iit  fait  plutôt  par  (  rainiique  par  amour. 
MorsTarchidiacre,  pour  défendre  son  élection,  prétendait  qu'elle 
n'avait  eu  lieu  qu'après  la  mort  de  Jérôme;  mais  on  lui  donna 
un  démenti  formel,  |)ar  la  rais(m  (|u'ancune  (-leciion  ne  pouvait 
se  faire  sans  te  consentement  du  roi  et  sans  la  présence  de  l'ar- 
chevfque  ou  de  son  délégué.  Voyant  t|ue  ni  le  peuple,  ni  le  clergé 
ne  le  voulait  pour  évèjpu!,  Rainfroi,  déférant  au  «hsir  de  Rodol- 
phe 1",  s(!  désista  de  ses  préleulions.  Aussitôt  tous  d'iuie  V(»i\ 
acclamèrent  boson  et  l'élurent  évèijue.  I^^llaient  présents  :  Àrim- 
bert  (le  prévôt  dt;  la  cathédrale  j,  avec  tout  le  clergé  et  le  peujde, 
hs  iiiss/iur  du  rtn  i-ii  li.iiuI  non)l)l'e,  ele.  i'î). 


('i)Curlul.  Eccl.  Laus.  l'dil.  M-irtiunicr,  |>.  loi.  \T^S.  277.  iSS  280  n  y  T.i 
(S)  Carliil.  F.ccl.  Laiis   y.  WWWi. 


ESSAI  suii  LLS  iiLi:<;ii(>NS  ÉPiscorALES.  105 

Cet  acte  prouvi!  :  I"  qu'à  celle  épocjuc,  au  moins  le  coiisenle- 
iiieni  du  roi  élait  re(|uis  pour  réicelion  ;  2"  que  le  méliopoliiaiu 
ou  son  déléi^ué  devait  y  assister,  et  3"  <[u'elle  se  laisail  par  le 
clerjjc  cl  le  peuple.  On  y  retrouve  quelques-unes  des  formalités 
en  usa^c  sous  les  Carlovingiens ,  mais  beaucoup  sinqjlifiées,  de 
manière  (pie  la  part  du  prince  était  réduite  à  donner  son  eon- 
senlemenl  à  réieclion,  et  à  la  sanclionoer  en  inveslissanl  l'élu 
des  liefs  de  son  église. 

Quatre  années  plus  tard,  c'est-à-dire  en  89G,  Rodolphe  I"  fit, 
sur  la  demande  de  révèque  Boson ,  la  concession  dont  nous 
avons  parlé ,  savoir  :  il  consentit  à  ce  que  les  enfants  de  l'église 
de  Lausanne  pussent  élire  librement  Vévcque ,  suivant  les  saints 
canons.  Or,  nous  avons  vu  que ,  d'après  les  saints  canons ,  et 
avant  la  concession  de  Rodolphe,  l'évéque  devait  être  élu  parle 
clergé  et  le  peuple,  en  présence  du  métropolitain  ou  de  son  dé- 
légué et  d'autres  évêques  de  la  province  ;  que  c'était  au  métro- 
politain de  confirmer  l'élection  et  de  consacrer  l'élu,  soit  par 
lui-même,  soit  par  des  évéques  délégués;  enfin  que  l'Église  to- 
lérait l'usage  introduit  à  l'occasion  des  fiefs,  qui  consistait  à  per- 
mettre au  souveiain  de  donner  une  espèce  de  sanction  à  l'élec- 
tion faite  par  le  clergé  et  le  peuple  et  déjà  confirmée  par  le 
métropolitain.  Nous  venons  de  voir  aussi  que  dans  l'élection  de 
Jérôme  et  de  Boson  ces  formalités  canoniques  ont  été  observées. 
La  concession  de  Rodolphe  I"  ne  pouvait  donc  porter  sur  aucune 
de  ces  parties  de  la  forme  des  élections;  et,  en  eflet,  elle  n'en 
modifiait  ni  n'en  changeait  aucune. 

Nous  en  trouvons  la  preuve  dans  la  première  élection  qui  eut 
lieu  après  la  concession  de  Rodolphe  I*'^  Boson,  évêque  de  Lau- 
sanne, étant  mort  en  927,  on  procéda  à  une  nouvelle  élection, 
dont  l'acte  se  trouve  rapporté  dans  le  carlulaire  de  Lausanne  (1). 
11  est  trop  important  pour  ne  pas  devoir  être  cité  presqu'en  en- 
tier :  «  L'autoritc'^  divine  (y  est-il  dit)  et  les  règles  des  SS.  Pères 
»  défendent  d' établir  un  évêque  s'il  n'a  été  demandé  et  élu  par  le 
»  clergé  et  le  peuple.  C'est  pourquoi  l'église  de  Lausanne  ayant 
»  perdu  son  pasteur,  tous  ont  unanimement  élu  un  homme  noble 

(1)  Caitul.  cil.  p.  ;jGct57. 


IGG  ESSAI    SUn    LES  ÉLECTIU.>S  ÉPISCUrALES. 

m  vi  priidriii ,  assidu  :iu  service  ili\iii ,  noinmt'  Lihon  ,  nr  et  élevé 
»  dans  la  même  église.  Lnsuilc  ils  runl  priscnlé  au  roi  cl  JeiiKiiidi* 

•  pour  leur  év«>que.  Le  roi  ruyuni  exnniiné  avec  les  é>è«jut's,  les 
m  (oinlcs  Cl  les  vassaux,  /on»  sans  exi'cpiion  le  proclamèrent  di- 
.  gnc  (le  l'rpiscnpat.  L'clociion  ayanl  clc  failo  ,  le  roi ,  selon  iu- 
»  sayc  ruxjal  (more  ri'j^is)  accorda  rcvrciié  à  Lihon  ,  cl  voulut 
»  </«i'i7  fût  canoniquemcnt  ordonné.  Présenls  :  Adolp-.iudc,  v\^- 
■  (juc;  le  marijuis  Hii^mics,  llu},'iics,  comte  palatin  ,   les  conilcs 

•  Gui,  Anselme,  NNaj^ulle,  évc(]ue;  liéranger,  cvéque  de  Iie$an- 

•  çon ,  a  consenti,  ainsi  quElisagar,  cvéque  de  lielley.  Fail  à 
»  Cliavornay.  » 

Nous  retrouvons  ici  :  1"  réipciion  ou  la  demande  faite  par  le 
clergé  el  le  peuple;  2°  en  présence  du  métropolitain  cl  de  plu- 
sieurs évêques;  3°  l'éleclion  examinée  el  consenlie  par  le  roi,  le 
méiropolitain ,  les  évêjpies  el  les  grands;  4°  le  roi,  en  tant  <]iie 
souverain,  accordant  réviîcljé,  c'est-à-dire  les  liefs  dé|)endant  de 
la  couronne  ,  cl  conscntanl  à  l'ordination,  (pii  devait  se  faire  ca- 
noniquemcnt,  par  le  métropolitain,  ou,  en  cas  d'impossibilité  , 
par  ses  délégué-s.  On  voii  que  rien  n'est  changé  dans  cette  élec- 
tion. Qu'avait  donc  accordé  Ilodolplie  1".' 

Hodolphe  r'  avait,  dans  la  Bourgogne  transjuranc,  remplacé 
le  dernier  empereur  «•ailovingien  ,  el,  «omme  nous  ravnns  ass(V. 
répété,  les  évc(]ues  avaient  été  fatalement  entraînes  dans  les  liens 
do  In  féndalilé.  Ce  fui  surloui  au  temps  des  guerres  civiles  des 
Carlovingiens  '830-87(r  (pte  les  évéques,  sur  la  fidélité  destpiels 
les  princes  comptaient  plus  spécialemenl ,  reçurent  «le  plus  eu 
plus  des  l»iens  Irès-considéraldes  de  la  rouronne  en  liefs;  mais 
les  rois,  de  leur  côté,  prirenl  de  nouveau  des  hahiludes  dange- 
reuses pour  la  liberté  des  «'glisi's;  on  vil  encore  une  fois  dispa- 
raître l'élection  libre  ilcs  évèipies  si  nécessaire  à  la  prospérité  «!«• 
l'Église ,  quoique  Cliarlemague  et  LouiS-le-Débonnaire  l'eusseul 
garantie,  el  (pie  le  coni'ile  de  \  alence  (en  8ô6)  Vvùl  rigoureuse- 
nieni  exigée.  Les  princes  ne  se  faisaient  pas  de  s<rupule  de  ré- 
glementer et  de  contrôler  les  élections  de  la  manière  la  plus  ai- 
bitiairc,  d'eiivo\(i  nu  iiie  à  rordinalion  des  ccclcsiasliques  de 
leur  cour,  ci  l'un  mi  ,  pai  sniie  de  ces  usurpations,  placer  sur 


ESSAI   SUIS    I.ES   KLKCTIONS   EPISCOPALES.  107 

les  si('f,'os  épiscopauK  dos  liomnios  ôtningers  et  inconnus  au  dio- 
cèse (lu'ils  allaieni  adminisircr,  ou  môme  dos  hommes  souillés 
do  trimes,  des  jeunes  gens  perdus  de  vices  (1). 

L'ovèquo  Boson ,  pour  épargner  à  son  église  un  semblable 
malheur,  demanda  à  Hodolplic  l'"^  une  garantie  formelle  pour 
la  libre  élection  des  évoques  de  ce  siège  ;  il  ne  demanda  ni  plus 
ni  moins  que  ce  que  Charlomagne  avait  accoi'dé  par  son  capitu- 
laire  de  803,  être  que  plusieurs  églises  des  Gaules  (comme  cel- 
les de  Chidons,  d'Orléans,  de  Trêves  [2])  avaient  déjà  obtenu 
des  empereurs  et  des  rois ,  savoir  :  que  Vévêque  ne  fût  pas 
imposé  par  V omnipotence  du  souverain ,  mais  élu  conformément 
aux  saints  canons.  C'est  là  ,  en  définitive ,  ce  que  l'évéquc  de- 
mandait et  ce  que  le  roi  accorda  pour  le  bien  de  l'Eglise.  Donc  : 
V  Rodolphe  1"  ne  céda  à  l'Église  aucun  droit  qui  auparavant 
aurait  appartenu  au  souverain  ;  il  promit  seulement  de  ne  pas 
usurper,  à  l'exemple  de  quelques  princes  ,  sur  les  droits  de  l'É- 
glise. 

2"^  Il  n'accorda  au  peuple  ni  le  droit  d'élire  l'évêque,  vu  qu'il 
ne  l'avait  pas  lui-même,  ni  le  droit  de  faire  cette  élection  indé- 
pendamment du  clergé,  du  métropolitain,  des  évêques  de  la  pro- 
vince, mais  seulement  de  la  faire  suivant  les  saints  canons.  Donc  : 

3°  En  vertu  du  diplôme ,  ni  le  peuple  seul ,  ni  le  peuple  de 
concert  seulement  avec  le  clergé,  n'avaient  à  élire  l'évêque; 
ils  pouvaient  prendre  à  l'élection  la  part  qui  leur  était  assignée 
par  les  lois  et  les  usages  de  l'Église.  Enfin  : 

4°  En  garantissant  à  l'église  de  Lausanne  la  libre  élection  de 
l'évêque.  le  roi  s'engagea  à  ne  point  nommer  par  lui-même  et 
directement,  à  ne  point  imposer  au  métropolitain  celui  qu'il  de- 
vait ordonner  évêque,  ni  à  l'Église  celui  qui  devait  la  gouverner; 
en  un  mot,  il  garantit  à  l'Église  le  droit  qu'elle  avait  depuis  des 
siècles  ,  de  se  donner  elle-même  ses  chefs  ,  et  de  ne  pas  les  rece- 
voir d'une  main  aussi  bien  étrangère  que  dépourvue  d'autorité. 

On  voit,  d'après  ce  qui  précède,  où  l'on  en  vient  en  voulant 


(t)  V.  Alzog,  1.  c.  g  10-2.  (2)  V.  Mém.  et  Doc.  de  la  Société  d'hist.,  etc., 
de  Genève,  T.  II.  p.  iôi. 


Itih  l.>>VI    MK   LKS   ELECTIONS   KPlSCUrALEs. 

lendic  au  |H-ii|)li*  (c  ^\\^v  lUMiulpIic  1"  lui  a  accorde  :  on  nv  Um 
(|uu  le  renvoyer  aux  anciens  ranons  de  rKglise,  à  l'ancienne 

forint' (If  rricclion  dos  «^èquos;  or,  d'aim^'s  ces  amicnncs  lois, 
I'cUm  tioii  |>o|)ulaire  ,  loin  d'êln*  iiidé|iendaii(t>  cl  (l(  iiio(Talii|uc  , 
liait  limilcc  par  l'auiorilé  d<'S  cvù<|ues,  du  iné(ro|K>litain  et  m^me 
assci  souvnil  par  «  fllr  Au  [*h\h\ 

{La  suite  au  prochain  numéro.) 


DU  COMMERCE  DES  CONSCIENCES. 


CI».  IV.  L'horloger.  J'espèi'e,  Monsieur  le  Pasleur,  que  vous  ne 
leiez  pas  dillicullé  d'avouer  que  vos  désirs  les  plus  ardents  ne 
sont  pas  de  l'aire  des  chrétiens,  mais  seulement  des  anticatho- 
liques. En  acceptant  la  détestable  mission  que  vous  remplissez, 
vous  n'avez  pas  eu  non  plus  l'intention  de  rendre  les  hommes 
plus  vertueux,  ni  de  leur  rendre  le  salut  plus  assuré;  vous 
remplissez  une  tâche  qui  vous  est  imposée  ;  vous  faites  un  mé- 
tier, mais  un  métier  (jui  vous  avilit. 

Le  mômier.  Je  ne  fais  point  un  métier;  je  vous  prie  de  croire 
(jue  je  n'obéis  qu'à  mon  zèle  pour  la  parole  de  Dieu. 

L'horloger.  Ne  vous  trompez-vous  point?  Pour  moi.  Monsieur 
le  Pasteur,  je  crois  que  vous  n'êtes,  peut-être  sans  le  savoir, 
(ju'un  instrument  dont  se  servent  les  sectaires  pour  l'extinction 
de  la  foi.  Vous  êtes  envoyé  par  V Union  protestante  de  Genève  , 
dont  peut-être  vous  êtes  membre.  Cette  union  s'est  formée  sous 
l'inspiration  de  la  Société  biblique ,  autre  union  plus  étendue  ; 
celle-ci  s'est  formée  par  les  soins  des  libres  penseurs  et  des  francs- 
maçons  de  l'Angleterre ,  et  toute  cette  vaste  machine ,  dont  les 
rouages  s'engrennent  les  uns  dans  les  autres,  a  été  inventée  pour 
détruire  l'Église ,  ce  grand  conservatoire  de  la  parole  de  Dieu. 
Voilà  comment  sans  le  vouloir  vous  travaillez  à  détruire  la  pa- 
role de  Dieu  que  vous  croyez  répandre.  Les  appointements  que 
vous  recevez,  les  Bibles  et  les  mauvais  libelles  qu'on  vous  donne, 
les  sommes  que  Ton  vous  confuî  pour  acheter  des  apostasies,  les 


I/O  1»L    COJIJItllCK   UtS    CO.'NSCIMCfcS, 

voyafïcs  ijiif  I  un  vous  paie,  les  [>rinios  dVnrourn^onionl  acooi - 
«Iccs  à  cnix  (les  |)rctli(:mis  (|iii  roussissent  !<•  mieux  <);ins  le 
eomuierce  «les  Airn's ,  loul  cela  a  éU'  liilauet' dans  le  lunlm'l  des 
soeiélés  scerèles  pour  les«juelles  vous  travaillez. 

Le  mômier.  Je  n'a|)|)urtiens  uullenieni  aux  sociétés  sccrrtos; 
j'nimc  trop  ma  libcrlé  pour  me  vendre  ou  me  donner  à  «ne  so- 
ciété. Je  veux  rester"  libre  de  mes  |»ensées,  lihre  <lc  mes  opinions, 
libres  de  toutes  mes  actions  et  ni<"ine  libre  dans  le  système  re- 
li|^ienx  «pie  je  choisirai.  Lesalliliés  aux  sociétés  secrètes  sont  liés, 
enchaînés,  ils  sont  esclaves  et  esclaves  d«'  la  pire  espèjc,  car  ils 
n'ont  pas  même  le  droit  de  se  choisir  des  opinions ,  ils  les  re- 
çoivent des  mailres  qu'ils  se  sont  donnés.  Le  nègre  des  colonies, 
en  portant  ses  fers  et  en  plantant  les  cannes  à  sucre,  peut  au 
moins  pliiloso()hcr  ù  sa  manière;  le  rran<-ma«;on,  le  carbonaro, 
le  ni\eleur,  et  tant  d'autres  <pii  ont  lait  leurs  vo-ux  sous  le  poi- 
gnard ,  ne  |ieuveiit  |ilus  jouir  de  la  liberté  de  penser  et  d'être 
homuies,  il  ne  sont  «pic  les  machines  de  (piebpies  adroits  fripons 
ipii  les  lont  agir  dans  leur  intérêt. 

L'horloger.  Prenez  garde!  vofts  traitez  bien  mal  ces  hommes  si 
dangereux!  l*ensc/.-NOUS  (pi'ils  méritent  toutes  les  qualilications 
dont  \ous  NOUS  servez  à  leur  «'ganl? 

Le  mômier.  Non ,  je  ne  le  pense  pas.  I^es  sociétés  secrètes  ont 
besoin  dt;  beaucoup  de  monde;  voulant  parvenir  à  régner  dans 
la  société,  à  n'y  voir  d'autres  doctrines,  «l'aiitres  principes  que 
les  leurs,  il  tant  «pi'ils  agissent  par  l'opinion  sur  tous  les  intlivi- 
dus,  dans  toutes  les  classes  et  dans  tons  les  |»ays.  Dès  lors  ils 
ont  besoin  d'une  hiérarchie  parlaitement  organisée.  C'est  une 
immense  armée  <amp«'e  sur  toute  I  Ijirope.  Le  g«'néralissime, 
qui  est  seul  à  ccmnaiire  ses  plans  de  bataille  et  le  but  <]u'il  se 
propose,  donne  ses  ordres  an\  diM-rs  généraux  de  divi.sions . 
ceux-<i  aux  généraux  de  brigades,  »  enx-ci  aux  cobmels,  ceux- 
ci  aux  (helsde  baiailjons,  cenx-<i  aux  capitaines,  et  par  les  of- 
ficiers «les  grades  inférieurs  jus(]u'aux  simpb's  soldats,  qui  sont 
les  derniers  rouages  de  la  machine.  Je  ne  pense  donc  pas  que 
tous  les  alliliés  soient  «gaiement  pervers.  Ceux  «les  derniers  de 
grés  sont  «h;  pauvr«'s  instruments  qu'il  serait  injuste  de  r«ndi< 
reS|K)nsabl<*s  du  m.il  ipiils  lont  sans  m  a\<iir  l.i  consci«'nc«' ;  «e 


uu  comiulucl  i»ls  consciences.  171 

sont  les  iKuoniKMtes,  cl  hicn  ccriaincmcnl  ces  liinuniicUcs-là  ne 
sont  |)as  inlclliyeiuos;  ollcs  ne  le  seront  jamais.  Dans  les  socié- 
lés  secièics,  il  y  a  place  pour  loul  le  monde,  même  pour  les  hon- 
nùles  gens.  Je  lisais  Taulre  jour,  dans  les  Jnnales  catholiques  de 
Genève,  un  passaj^e  qui  cxplicjuc  assez  bien  rcnscmble  des  per- 
sonnes qui  enircni  dans  celle  oij^^anisalion  ;  le  voici  :  «  Les  so- 
ciélcs  secrètes  se  composent  en  premier  lieu  d'une  foule  innom- 
brable d'imbéciles  dont  on  fait  des  porte-voix;  ensuite  d'une 
certaine  quantité  de  gras  oisons  que  l'on  plume  ,  de  vaniteux 
puissants  que  l'on  aveugle  par  de  la  fumée  d'encens,  et  enlin  de 
quelques  intelligences  supérieures  qui  semblent  obéir  à  un  pacte 
qui  n'a  pu  être  signé  que  dans  l'enfer.  » 

L'horloger.  Vous  me  failes  peur.  Monsieur  le  Pasteur;  nous 
sommes  donc  entourés  de  ces  hommes  qui  sont  prêts  à  tout  faire, 
même  à  nous  égoiger,  si  les  chefs  le  leur  comniandeni? 

Le  mômicr.  Hélas!  mon  bon  ami,  ce  (juc  vous  dites  n'est  que 
trop  vrai.  Nous  sommes  dans  la  société  comme  si  nous  étions 
dans  une  forêl  épaisse,  toulTue ,  dont  chaque  buisson  cache  un 
brigand.  Au  moment  où  le  coup  de  silUet  se  fera  entendre,  nous 
serons  saisis  par  eux,  et  Dieu  sait  ce  qu'ils  feront  de  nous. 

L'horloger.  Mais  pensez-vous,  Monsieur  le  Pasteur,  que  les  af- 
fliliés  soient  bien  nombreux? 

Lemômier.  Ils  sont  très-nombreux.  A  l'époque  de  la  révolu- 
lion  française ,  les  francs-maçons  avaient  gagné  toute  la  partie 
bourgoisc  de  la  France,  de  la  Savoie,  de  la  Suisse  et  d'une  par- 
lie  considérable  de  l'Allemagne.  Aujourd'hui ,  oulre  les  francs- 
maçons,  il  y  a  les  sociétés  politiques  et  même  les  sociétés  écono- 
miques, et,  entre  toutes  ces  associations,  il  y  a  une  certaine 
consolidarité  qui  fait  que,  dans  les  grandes  occasions,  les  affiliés 
se  donnent  la  main.  Le  clergé  protestant  de  l'Allemagne  s'est 
laissé  envahir,  les  francs-maçons  comptent  parmi  eux  plus  de 
deux  cent  cinquante  ministres  du  saint  Évangile,  on  parle  même 
de  quelques  prêtres  catholiques. 

Vhorloger.  Je  dois  vous  avouer.  Monsieur  le  Pasteur,  que  j'ai 
jugé  dès  le  premier  moment  de  nos  entreliens  que  vous  étiez  un 
affilié. 

Lemômier.    Ah!  fi  !  lié!  Non  ,  jamais  je  ne  me  lierai,  je  suis 


faii  |)our  cUc  libre  cl  non  |>uurôlre  esclave.  On  me  la  |iru|M>si 
fl  j'ai  réj>ondu  au  proiiiuleur  :  Volrn  sociélé  esl  soi  rèto,  il  faut 
s'ungjgcr  |>ar  (riiurriblcs  sernieiiis  ù  ne  jamais  laisser  connaitre 
ce  (|ui  s'y  dil,  ce  (|iii  s'y  projet  le  Or,  ce  (jiii  csl  bon,  ce  <]iii  est 
jusle  ,  ce  qui  esi  uiile  aux  liomnies  n'a  pas  besoin  trêtre  carliè 
avec  tanl  de  soin,  .l'ai  contre  vous  un  argument  (|ui  est  simple  : 
vous  vous  eacliez ,  donc  vous  lailes  mal ,  ou  vous  ave/,  mal  faii  , 
ou  \ous  voulez  mal  faire.  Les  bri^'rands,  <jui  s'associenl  pour 
égorger  les  passants  sur  le  grand  chemin,  font  comme  vous,  ils 
se  lient  aussi  par  des  serments  et  s'oblij,'cnt  au  secret.  Je  ne  veux 
être  ni  uii  brigand  social,  ni  un  brif^and  ()uliti(]uc  .  donc  ]<'  ne 
|)uis  êlre  des  vûiies. 

Si  voire  but  est  honnête,  l'aites-le  connaître  nu  public.  Christ 
disait  à  ses  apôiros  :  «  Ce  (|ue  je  vous  ai  dil  en  f)arli('ulior,  prê- 
chez-le sur  les  toits;  »  je  vous  dis  aussi  moi  :  Mciiez-vous  au 
grand  jour!  Dites-nous  quels  sont  vos  principes  religieux,  quelle 
est  voire  morale ,  (juel  est  votre  but.  Diies-nous  si  vous  parlez 
de  la  iJible,  ou  du  koran,  si  vous  parlez  de  la  raison  éclairée  par 
la  révidation  ou  de  la  rais(m  encore  livrée  au  brutalisnie  des  pen- 
chants matériels  de  l'humanité;  dites-nous  si,  dans  votre  polili- 
qui;,  \ous  partiz  du  droit  divin  rapporte  aux  hommes  par 
riiomme-!>i<Mi,  ou  du  <lroii  de  la  force  brutale  qui  <'-iail  l'unique 
loi  des  |>airDS;  dites-nous  si  vous  voulez  conserver,  accroître  la 
civilisation  chrétienne,  ou  nous  coudiiire  à  la  barbarie  par  la- 
uarcliit!  du  socialisme.  Jus(|ue-là  un  homme  intelligent  ne  peut 
pas,  ne  «loii  pas  renoncer  à  sa  personnalité  et  se  livrer  en  awu- 
gle  à  des  gens  qu'il  ne  connati  pas. 

L'horloger.  Pourtant,  vous  m'avez  dit  qui-  !<•  phis  ^laud  nom- 
bre; des  franvs-maeous  sortait  en  geiural  de  la  classe  intelli- 
gente. 

A<;  tnninier.  Oui,  mon  bon  ami;  mais  ce  sont  en  général  ties 
intelligences  qui  ne  \oieul  pas  très-loin,  .le  vous  dirai  d'eux 
conmie  me  disait  une  vieille  taule  dans  sa  chanson  des  naïvetés. 


Les  àncs  que  l'on  cntpluic 
.Ne  VIII»  pas  loiis  au  nmulin 


DU  COMMERCE  DES  CONSCIENCES.  173 

Non-sculemcnt  un  homme  iniclli^'cnt  ne  peut  pns  s'nffilicr,  mais 
encore  moins  un  lionnêto  homme. 

Lliorlogcr.  Comment!  pns  un  bonnèie  homme  parmi  lesfrancs- 
iiiarons.'  N'est-ce  pas  clans  la  chisse  des  honnêtes  gens  cpi'ils  se 
n'cniient? 

Le  mômicr.  Je  vous  rcîpontJrai  encore  avec  ma  vieille  tante  : 

Totil  CM)(iiiiii  n'est  [)as  pcudii. 

S'il  nous  était  possible  de  voir  tout  ce  cpii  se  passe  dans  les 
antres  des  société  secrètes,  tous  les  Jénéhreux  mystères  qui  ac- 
compagnent les  initiations,  toutes  les  promesses  qui  s'y  font, 
tous  les  crimes  qui  s'y  préméditent,  nous  serions  peut-être  for- 
cés d'avouer  (jue  nulle  part  il  n'y  a  autant  de  co(juins  et  de  scé- 
lérats. 

L'horloger.  Vous  me  confondez  de  plus  en  plus.  Quoi  !  des 
coquins  dans  des  sociétés  où  l'on  trouve  des  princes,  des  rois, 
des  minisires  d'État,  des  aml)assadeurs,  des  grands  de  toutes  les 
catégories... 

Le  mômier.  Oui,  il  y  a  des  grands  dans  les  loges,  les  portes 
ne  sont  pas  assez  larges  pour  laisser  entrer  tous  ceux  qui  en  veu- 
lent. On  en  lait  les  chefs  ostensibles  du  troupeau;  mais  dans  la 
réalité  ils  ne  sont  là  que  pour  la  montre.  Ce  sont,  comme  je  vous 
le  disais  loul-à-riicure,  les  oisons  que  l'on  plume;  derrière  eux 
il  y  a  des  éperviers  qui  s'emparent  du  duvet  pour  se  faire  un 
bon  nid. 

L'horloger.  'V^oyez  comme  on  se  trompe!  J'avais  cru  qu'il  y 
avait  quelque  chose  d'honorable  dans  le  titre  de  franc-maçon. 

Le  mômier.  Ce  titre  est  si  peu  honorable,  que  tous  ceux  qui 
en  sont  revêtus  le  cachent  avec  le  plus  grand  soin.  Parlez  des 
sociétés  secrètes  devant  un  de  ceux  qui  en  font  partie,  il  prend 
assez  ordinairement  la  parole  pour  assurer  qu'il  ne  fait  partie 
d'aucune.  Il  y  a  dans  la  conscience  de  ces  hommes  quelque  chose 
qui  leur  dit  qu'ils  sont  les  ennemis  de  la  société;  il  se  rendent 
jusqu'à  un  certain  point  justice  à  eux-mêmes,  en  se  reconnaissant 
digues  de  la  réprobation  publique. 

L'horloger.  Vous  me  dites  que  les  adeptes  font  des  serments 
de  garder  le  secret  de  tout  ce  qui  se  passe  dans  les  sociétés  aux- 


171  M    <  OVItEKCe  l>ES  i:UNSCIEKCeS. 

quelles  ils  n|>parlionnenl,  rroycz.-voiis  qu'ils  soioni  ol»li<,'és  de  les 
irnir? 

l.e  vxômier.  Non;  si  lo  scniKMii  du  (  linu'  |)ouv:)il  produire  iitn- 
obligation  «le  conscienfe,  ce  serait  celle  de  le  di'voiler. 

L'hnrlntjn-.  .le  suis  lr<"'S-cf)nlfiil,  Monsieur  le  Pasteur,  de  vous 
avoir  entendu  parler  sur  les  sociétés  serrètes  avec  autant  ifélo- 
qucnce  «jue  l'aurait  pu  faire  le  meilleur  catlioli(|uo  romain.  Je 
vois  avec  plaisir  que,  sur  ce  sujet ,  nous  sommes  parfaiiemeui 
d'accord. 

/.c  mômier.  (;<tinmoni  pourrions-nous  ne  pas  l'^irc?  Nous  et 
niiti  nous  admellons  la  révélation  que  les  sociétés  maçonniques 
veulrui  diii  uiie.  nous  devons  donc  nous  unir  pour  les  conil»atlre. 
L'horloger.  Comment  alors  se  fait-il  <pie  les  liancs-nïac^ons 
<on)ptcni  dans  leurs  rangs  im  si  grand  nombre  de  ministres  pro- 
testants? 

Le  mômier.  Hélas!  c'est  que  parmi  nous  la  foi  s'en  va  .  et ,  au 
défaut  dt'  la  foi,  il  faut  bien  se  rattacher  à  «e  (pu-  la  raison  peut 
nous  donner.  Les  ministres  de  l'Kglise  prolestante  d'Allemagne 
sont  presque  tous  rationalistes.  Ils  sont  donc  fran<  s-maçons 
avant  même  que  la  se<l«'  les  ait  enrùlcs  dans  son  cercle  de  fer. 
L'horloger.  Je  suis  heureux  de  voir  que  vous  n'aies  pas  franc- 
maçon.  J'eusse  été'  fort  IVnthé  d'être  obligé  de  vous  mépriser. 
Mais  fommenl  se  fait-il  que  n'i'lant  pas  des  leurs,  vous  vous 
soyez  mis  à  leur  soUh-  pour  coopérer  de  toutes  vos  forces  au 
grand  travail  de  la  démoralis:ition  générale? 

Lr  vu'nnier.  Moi!  -i  h-ur  solde.'  En  dislribuanl  li  IlibU' ,  en 
r\hort;Mil  tout  le  moud*'  à  la  lire,  esl-<'e  que  je  ne  fais  pas  acte 
de  bon  (  liréiien  ?  Esl-cc  «pic  jr  ne  (  oinliais  pas  contre  les  enne- 
mis d(;  la  révé-lalion? 

L'horloger.  Non,  Monsieur  le  l'astiiir;  la  Hible  esta  eux, 
«  omme  •^  ujoi,  comme  :i  vous,  romme  ;iu  grand  sultan  qui  ne  la 
re|>ousse  pas,  (nninir  rljc  rst  à  tous  les  sectaires  «pli  se  parta- 
gent rKniopr.  \  uns  m  ave/  vuus-ménir  <i(i'  jilus  dr  (  «'Ul  reli- 
gions diiïrrentes  qui  prennent  la  Kible  pour  p«»int  d«-  départ. 
Pniiiunni  1rs  fr:in(s-ni:i< ons  ne  railnn-iiraieni-ils  pas  eoinnif 
l.uil  d':inlres? 

Kn  sonmeltani  hi  llddr  an  hbre  e\;iu)<-n  dr  la  raison,  à  l'inlfi'- 


I»l    COIlMbllCK  DbS  COiVSCIfclNCES.  175 

prétation  tlo  Tindividu,  vous  en  avez  fait  une  parlic  du  domaine 
de;  la  raison,  vous  l'avo/.  assimilée  aux  produits  de  la  raison, 
vous  en  ave/  fail  une  couvre  de  la  raison,  le  divin  (pii  s'y  Irouve 
disparaît  pour  ne  plus  laisser  voir  que  Tliumain. 

Le  mômicr.  Ici ,  je  vous  arrête.  En  appli(iuant  le  lihre  exa- 
men à  la  Hihle ,  nous  ne  peiiuettons  pas  à  la  laison  d'aller  trop 
loin.  Elle  doit  toujours  s'arrêtei-  devant  la  limite  du  divin.  Puis, 
(pjand  nous  interprétons  l'Ecriture,  nous  avons  la  conliance  de 
ne  pas  tomber  dans  l'erreur,  parce  que  nous  sommes  guidés  par 
l'inspiration  du  Saint-Esprit,  qui  ne  manque  jamais  à  ceux  qui 
lisent  rÉeriture  avec  un  esprit  droit. 

L'horloger.  Vous  me  permettrez.  Monsieur  le  Pasteur,  de  n'a- 
voir pas  une  foi  bien  vive  à  l'Esprit  qui  dirige  vos  interprétations. 
Ne  lui  avez-vous  point  coupé  les  ailes  dans  la  crainte  qu'il  ne  vous 
mène  trop  haut?  S'il  voulait  vous  diriger  vers  l'arche  qui  surnage 
au  milieu  du  déluge,  s'il  vous  montrait  l'Église  comme  Tunique 
refuge  contre  les  erreurs  de  l'humanité ,  je  doute  que  vous  fus- 
siez disposé  à  le  suivre.  Soyez  sincère.  Monsieur  le  Pasteur,  vous 
ne  sauriez  vous-même  avoir  loi  à  un  Esprit  qui  se  contredit  à  tous 
les  pas;  un  es{)rit  qui  se  montre  blanc  à  Luther,  noir  :i  Calvin, 
rouge  à  Sthork ,  et  à  mille  autres  d'un  gris  ténébreux  où  il  est 
impossible  de  rien  déujêler?  Ce  n'est  pas  à  vous  qu'a  été  promise 
l'inspiration.  Quand  le  Sauveur  disait  :  Je  vous  enverrai  l'Esprit 
siiinlqui  vous  apprendra  toute  chose,  il  parlait  à  ses  apôtres,  par 
eux  à  son  Eglise ,  à  ceux  (pi'il  promettait  d'assister  jusqu'à  la 
fin  des  temps.  Ce  n'est  donc  qu'à  l'Église  qu'appartient  l'infail- 
libilité. Rentrez  dans  l'Église  et  vous  comprendrez  la  parole  de 
Dieu.  Vous  combattrez  sous  les  drapeaux  de  ceux  qui  la  défen- 
fendenl ,  au  lieu  de  vous  trouver  dans  les  rangs  de  ses  ennemis 
les  plus  acharnés. 

Le  mômicr.  Tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  sur  Vordre  des 
francs-maçons  doit  vous  prouver  assez  que  je  ne  suis  pas  des 
leurs. 

L'horlofjer.  Je  crois  voloniieis  que  vous  n'êtes  pas  avec  eux  , 
mais  vous  êtes  avec^  ceux,  (ju'ils  poussent,  vous  obéissez  à  ceux 
qu'ils  font  agir. 

Voyez,  Monsieur  le  Pasteur,    le   monde  entier  est  un  vaste 


17(>  DU  COMMERCE  IiEâ  CONSCIENCES. 

«•Iiamp  <1''  bntaillc  où  deux  armées  sont  perpétuel lemenl  en  prc- 
srne<'.  l>'uHe  tic  ces  armées  peut  être  représ«'nlée  par  l'arclianfçe 
Mirliel  cl  la  léj^ion  des  anges,  l'autre  par  le  dragon  sorti  «le 
l'enfer  avee  les  démons  :  le  parti  du  eiel  et  celui  de  l'onfer. 
\  oule/.-vous  parler  sans  figure?  D'un  crtlc  vous  aurez  le  monde 
avec  tous  les  appétits  de  la  eliair,  ee  monde  <pii  mauilissait 
rilomuic-DitMi,  et  d»;  l'autre  l'Eglise  de  .lésus-(.lirist  ave»'  sa  vie 
d'espérance  et  de  spiritualité.  Le  monde,  cpii  veut  vivre  au  pré- 
sent, fait  tous  ses  elTorts  pour  abattre  riiglise  (|ni  prê(  lie  une  vie 
d'avenir.  Le  monde  attaipic  avec  des  armes  matérielles,  il  a  pour 
lui  les  hoiubes ,  les  canons,  les  fusils,  les  prisons,  leseadiots, 
les  éehafauds,  les  tortures  do  tous  les  genres;  l'Église,  «pii  , 
<  ommc  son  tlivin  fondateur,  ne  tire  pas  son  pouvoir  «le  («• 
inonde,  n'a  d'autres  armes  que  la  prière  et  les  bénédictions.  Le 
inonde  combat  jiar  le  sang,  et  l'Eglise  par  la  charité;  le  inonde 
(•é«lanl  à  tout  vent  de  doctrine  ,  obéissant  à  tous  b'S  penchants 
«lésordonnés  de  la  nature,  ne  possédant  pas  une  vérité  li\e,  est 
dans  un  état  de  combat,  de  division  et  de  perpétuelle  anarchie; 
mais  quand  il  s'agit  de  combattre  l'Église  qui  est  une,  qui  est 
infaillible  et  |terpétnelle ,  tous  les  éléments  «lont  se  com[)Ose  l«' 
inoiidf  se  rcunisseiil  et  inarclicnt  de  concert  pour  la  détruire. 
Savez-vous,  Monsieur  le  l'astinir,  d'oii  vient  cet  accord  «le  toutes 
les  iliseordaiices  «outre  I  Kglise  «le  .b'sus-Cbrist?  C'est  «pie  «•«'tl«' 
Église  est  la  seule  opposition  sérieuse  que  rencontre  le  mal. 
L'Église  catholi(]ue  toute  seule  est  opposée  à  toutes  Icsern'urs, 
à  tous  les  vices ,  à  toutes  les  injustices ,  à  tous  les  désordres  so- 
ciaux «pii  découlent  de  riinperb'ction  de  l'homme;  est-il 
étonnant  que  tons  se  réunissent  «ontre  elle?  Son  divin  lon«lateiu 
lui  avait  |>n'*dil  cette  destine<-  «le  |)«>rsé«  ulion,  et  la  plus  magniti- 
*\\\('.  de  ses  |)réi-ogativ«'s  est  sans  contredit  d'èire  en  butte  «'t  «>n 
opposition  à  tout  «c  «lu'il  y  a  «le  mauvais  sur  la  terre. 

Suppose/,  maintenant  que  nous  fassions  le  dénombrem«*nt  des 
«nnemis  de  l'Église,  ne  serions-nous  point  obligés  de  v«uis  classer 
au  milieu  «l'eiix.'  Vous  n'êt«'s  ni  un  anlhr«)po|tliagc  de  la  l*olin«'- 
sie,  ni  un  sauvage  des  forêts  du  Canada,  ni  un  idolâtre  de  l'Asie, 
ni  un  sehismatitpie  de  Kussie,  ni  un  disciple  de  Mahomet,  ni  un 
impie  «l«(  laré  ;  vous  m'assuiie/  toui-à  l'Iienr»' «pie  voii*^  n'appar- 


1)1     COMMI-IlCK   llLS   COiNSCIIi^CES.  177 

icnio/.  à  aiiciiiu;  des  so<i('lt'S  secrôlcs  loiuh'es  conlrc  l'Église  ; 
mais  irapparlmcz-vons  à  aucune  des  sectes  qui  par  riiérésic  so 
sont  séparées  de  l'Eglise?  Ètes-vous  resté  dans  celle  barque  de 
Pierre  Iioi's  de  laquelle  il  n'y  a  pas  de  salut?  Monsieur  \e  Pas- 
leur,  vous  éles  dans  r;iruiéc  du  mai;  vous  êles  im  des  suppôts 
(le  Tenfor.  Croyez-moi,  séparez-vous  de  ces  coquins  î  Vous  valez 
mieux  «pie  la  plupart  d'oulrc  eux. 

Vous  ne  voudriez  pas  marchera  la  suite  des  francs-maçons, 
ei  vous  ne  voyez  pas  que  vous  êtes  par  le  fait  un  de  leurs  agents 
les  plus  actifs? 

Le  mômicr.  C'est  de  votre  part  une  véritable  calomnie  ,  je 
regarde  les  francs-maçons  comme  un  fléau  social,  comme  encore 
plus  ennemis  des  hommes  qu'ils  ne  le  sont  de  Dieu;  j'aimerais 
mieux  mourir  que  de  tomber  entre  leurs  mains.  Ne  croyez  pas 
que  celte  manière  de  voir  ne  soit  que  de  moi!  Les  protestants 
connaissent  les  francs-maçons  mieux  que  vous  et  ils  les  détes- 
tent pour  le  moins  autant.  C'est  un  protestant,  Monsieur  Ecker, 
un  des  publicistcs  les  plus  distingués  de  l'Allemagne,  qui  vient 
de  publier  une  partie  des  droits  qu'ils  ont  acquis  au  mépris  des 
gens  de  bien. 

L'horloger.  Ne  vous  fâchez  pas.  Monsieur  le  Pasteur.  Je  vous 
ai  déjà  dit  comment  j'entendais  votre  afliliaiion  à  l'œuvre  des 
francs-maçons ,  permettez  que  je  vous  le  répèle  :  Vous  êtes  en- 
vové  par  la  société  établie  à  Genève /?our  les  intérêts  protestants. 
Celle-ci  est  allîliée  à  la  Société  biblique  d'Angleterre  et  travaille 
sous  la  même  inspiration.  I^a  Société  biblique  est  soutenue,  en- 
couragée par  le  gouvernement  anglais  qui  par  là  a  cru  combattre 
le  papisme.  Le  gouvernement  anglais  est  gouverné  lui-même  par  les 
premiers  chefs  de  la  franc-maçonnerie.  La  franc-maçonnerie  ayant 
pour  but  MmçrMe(wwîç'we,  observez  bien)  de  détruire  la  révélation  au 
[)rofit  de  la  raison  pure,  lance  contre  l'Église  toute  l'armée  du  mal. 
Persuadée  que  le  catholicisme  est  le  seul  défenseur  sérieux  de 
la  vérité  révélée ,  elle  dirige  contre  lui  tous  ses  moyens  d'atta- 
que ;  elle  soulève  contre  Rome  les  princes  et  les  peuples;  elle 
soudoie  la  calomnie  ;  elle  modifie  dans  ce  sens  les  programmes 
des  universités;  elle  met  sur  pied  toutes  les  sectes  proîestantes ; 

12 


MH  m  rowERCR  des  r:o.iS(:iK>CES. 

elle  i:ii(  s<aiiiiiii-  |):ii-  s;i  (li|iluiiiaii(>  les  émissaires  dont  ell(>  rou- 
vre los  j>a\s  (  ailioliqiu's  ;  rlle  fail  circuler  ses  mois  d'ordre  à 
travers  loules  les  sociétés  secrètes  dont  la  trame  est  daos  ses 
iiKiins. 

De  tous  les  moyens  qu'elle  met  en  «luvre,  celui  sur  lequel 
elle  compte  le  plus,  c'est  le  protestantisme  qu'elle  considère 
comme  une  transiticm  nécessaire  pour  arriver  à  son  but.  S«'lon 
les  francs-maçons,  tout  était  prêt  pour  passer  ù  rai)plicalion  du 
libre  examen.  Les  intelligences  n'attendaient  «pie  des  Bibles  |>our 
s'ényinciper.  La  France,  la  Savoie,  le  Piémont  avaient  été  prépa- 
rés par  le  j^allicanisme.  L'Aulricbe.  la  Toscane,  la  Bavière 
l'avaient  été  par  le  josépliisme;  et  vous,  lidèle  émiss;iire  des  so- 
ciétés maçonniques,  vous  êtes  venu  ,  Mtmsieur  le  Pasteur,  pro- 
poser à  moi  et  à  une  foide  d'autres  catbolicjues  honnêtes  d'apos- 
tasier  notre  foi  pour  devenir  nous  ne  savons  quoi  ;  car  vous  ne 
le  savez  pas  vous-même. 

Vous  avez  cru  rester  étranger  au  travail  des  sociétés  secrètes 
<pie  vous  avez  en  linrreur,  et  voilà  que  non-seulement  vous  êtes 
soldat  de  la  grande  armée  du  mal  qu'elles  conunandent  ;  mais, 
comme  émissaire  protestant .  nous  vous  trouvez  placé  à  l'avani- 
garde.  vous  porte/  les  premiers  eoups  à  la  révt'lation. 

Le  mômier.  Encore  une  fois  ,  je  suis  si  peu  l'ennemi  de  la  ré- 
vélation, que  je  lui  ai  voué  ma  vie;  je  prêche  la  Bible  qui  en  est  le 
dépôt.  Je  suis  soldat  fhrétien,  ap«^tre  de  la  révélation. 

//horloger.  Oui,  mais  de  quelle  révélation,  grand  Dieu!  Une 
révélation  «jui  en  |)assant  pas  l'alambir  de  >otre  cerveau  s'est  tel- 
lement étiolée  «ju'il  n'y  reste  pas  de  quoi  fournir  le  sujet  il'un 
acte  de  foi!  Kn  soimu'tlant  l'I^ciiture  à.  la  raison  privée,  vous 
avez  rompu  avec  la  n'>elation  et  réduit  le  <  hrisiianisme  tout  en- 
tier à  une  simple  question  de  pliilosopliie.  \ Os  doctrines  pour- 
ront être  raisonnables;  mais  il  y  a  loin  d'une  doctrine  siuqde- 
ment  raisonnable  à  une  do(  Irine  révélée.  Je  le  rep»''-  v<.ms  êtes 
l'un  des  soldais  de  la  grande  armée  du  mal. 

Le  mômier.  Au  nïoins  m'accordcrez-vous  assez  d'esiime  pour 
eroire  que  je  ne  veux  faire  (pie  du  bien,  et  nu*me  qu'en  conseil- 
lant ta  leelure  des  Livres  Saints,   je  ne  puis  faire  cpie  du  bien. 


Itl'  COniIERCE  DES  CONSCIENCES.  1  7l> 

L'horloger.  Je  m;  veux  pas  ju^'er  votre  volonlr-;  je  me  «  on- 
lenle  «l'apprécier  vos  actions  et  les  effets  qu'elles  doivent  pro- 
duire. Or,  je  dis  qu'en  ébranlant  la  foi  des  catholiques  dont  vous 
voulez  ou  croye/.  faiie  des  protestants,  vous  laites  le  mal  et  rien 
que  le  mal.  Fij^^urez-vous  une  àmc  parfaitement  chrétienne  qui 
connaît  Dieu  tel  que  son  catéchisme  le  lui  a  appris,  ([ui  le  prie 
chaque  joui' avec  ferveur,  (jui  assiste  avec  exactitude  à  la  messe 
de  paroisse  où  elle  entend  expliquer  l'Évangile  par  le  pasteur  de 
son  âme  ;  une  personne  dont  la  conscience  délicate  jusqu'au 
scrupule  va  se  jeter  aux  pieds  d'un  prêtre  du  Seigneur,  toutes  les 
fois  que  la  faiblesse ,  l'oubli  ou  la  puissance  de  l'occasion  l'ont 
entraînée  dans  quelque  faute  ;  une  personne  qui  se  fortifie  en 
s'unissant  à  Jésus-Christ  dans  la  sainte  Cène,  qui  voit  dans  son 
pasteur  le  représentant  de  son  évêque,  dans  le  Souverain-Pontife 
le  représentant  de  Jésus-Christ,  et  dans  tous,  cette  Église  con- 
tre laquelle  l'enfer  ne  pourra  jamais  prévaloir,  un  foyer  de  lu- 
mière et  un  garant  de  toute  vérité.  C'est  un  père  de  famille  qui 
trouve  dans  sa  foi ,  dans  sa  piété,  dans  les  grâces  que  font  cou- 
ler en  lui  les  pratiques  religieuses,  toute  la  force  qui  lui  est  né- 
cessaire pour  dompter  une  nature  portée  au  mal.  Content  de  son 
sort,  soumis  aux  lois  de  la  Providence,  il  ne  cherche  nullement 
sur  la  terre  ce  que  son  pasteur  lui  a  dit  cent  fois  de  n'attendre 
que  dans  le  ciel.  C'est  vers  ce  port  du  repos  éternel  qu'il  dirige 
tous  ses  désirs;  s'il  souffre,  il  offre  à  Dieu  ses  souffrances  en  com- 
pensation de  ses  péchés  ;  s'il  est  pauvre,  loin  d'envier  ou  de  mau- 
dire la  fortune  d'autrui ,  il  accepte  ses  privations  avec  un  cœur 
soumis,  il  les  envoie  en  avant  comme  un  capital  dont  il  recevra 
les  intérêts  de  celui  qui  a  dit  :  Heureux  lui-même  du  bon  témoi- 
gnage de  sa  conscience,  il  avance  dans  son  pèlerinage,  accom- 
pagné de  l'estime  de  tbule  sa  génération. 

Mais  il  y  a  un  serpent  qui  le  guêie  de  loin  et  qui ,  jaloux  de 
son  bonheur,  vient  lui  faire  entendre  les  paroles  de  la  séduction. 
Allongeant  sa  tête  à  travers  les  beaux  fruits  de  l'arbre  de  la 
science ,  il  représente  la  docilité ,  la  soumission  aux  lois  du 
maître  comme  un  servage  humiliant;  il  lui  montre  l'arbre  de  la 
liberté  et  lui  fait  croire  que  ses  fruits  donnent  la  vie;  cet  homme 


(»S0  in   coatiiiKL  i»Es  (;<^^sclE^cES. 

suniiiub<-,  <'i,  eu  iu«'iiic  (riups  c(iie  SU  venu,  soa  l>oi)li»ur  s'ôva- 
uoiiit,  sa  Conscience  souirrc ,  le  repos  fuit  son  ànie ,  la  \xi\\ 
<(«iiue  sa  deiui.'tir«  el  ses  enfaDt^i  s'cntredi-cliin^nt. 

Ce  s«'rp<»ni ,  c'est  vous  ,  Monsienr  le  Pasteur,  ce  sont  ces  miU 
liers  d'a}<enl8  cornijUtnis  qui .  comme  vous  el  par  vos  ordres, 
parcourent  nos  campaf,'nes,  qui  s'introduisent  au  sein  des  famil- 
les rliréiienncs  pnui-  y  déposer  !••  v«niu  de  l'erreur  cl  avec  lui 
toutes  les  inlirmiiés  de  rame. 

Que  dites-vous  à  ce  catholique  fervent  dont  je  viens  de  vous 
faire  le  portrait?  Kii  raliordaui  avec  ces  paroles  mielleuses  par 
les(iuelles  vous  vous  croyez  ohlif^é  de  remplacei-  les  rigides  pa- 
roles de  la  vérité,  vous  lui  dites  :  <  Mon  bon  ami,  c'est  bien 
dommage  que  vous  suiviez  une  fausse  voie  :  le  chemin  que  vous 
a  tracé  l'Église  calhoIi(|ue  n'est  pas  celui  <jui  mène  au  ciel.  Moi 
je  vous  apporte  celui  que  le  bon  Jc'-sus  nous  a  ouvert.  Voilà  l'É- 
vangile où  l'on  trouve  tout  ce  (pii  est  nécessaire.  Croyez  au  bon 
Jésus  et  ne  vous  inquiétez  pas  de  vos  (cuvres;  ce  ne  sont  pas  les 
fcuvres  qui  sauvent,  mais  la  foi  toute  seule.  La  messe  est  une 
idohUrie,  les  pénitences  sont  «les  (cuvrcs  de  superstition,  le  culte 
des  saints  est  une  institution  païenne,  c'est  le  culte  des  demi- 
«licux.  Le  culte  de  la  Vierge  est  une  abominable  idolâtrie.  A 
<pioi  bon  vous  «oufesser?  les  hommes  n'ont  pas  le  pouvoir  de 
remettre  les  péchés.  Quand  ils  le  font ,  ils  usurpcut  le  pouvoir 
<le  Dieu.  Croyez-moi,  avec  le  bon  Jésus  dont  vous  lirez  la  |>arolc 
dans  ce  livi-e,  vous  trouverez  (|ne  le  salut  est  plus  facile.  On  vous 
lait  croire  à  rinraillibilite  de  ri>glise,  cest  une  erreur,  il  n'y  a 
d'infaillible  (pie  Dieu  (pii  parle  dans  l'Évangile.  Puis  en  adoucis- 
sant encore  plus  votre  parole,  vous  l'accompagne/,  des  oflVes  de 
service  qui  se  traduisent  toujours  |)ar  (jes  livres  .  >]>•<.  bahille- 
mentset  des  giiinées. 

Le  grand  nninbre  de  ceux  à  (|ui  vous  vous  adressez  repoussent 
vos  offres  en  disant  :  Arrière I  lils  de  Satan,  la  parole  n'e&t  pas 
celle  de  Dieu,  ta  doctrine  est  de  toi,  et  si  elle  ne  vient  pasdo  toi, 
clic  vient  de  (picbjues  autres  hommes  tpii  valent  encore  moins 
que  toi.   Je  sais  par  (|uel   iribiinal  lioii  m'arriver  la  v«Tité  que 


IH    CO.iniEUCt  UliS   CONSCIENCES.  181 

Dieu  a  hioii  voulu  apporior  siu-  la  terre,  j'en  jouis  avec  sécurité, 
va-t-cn  ! 

Quelques-uns  vous  écoutoni  avec  piiié;  mais  ils  onl  trop  peu 
de  courage  et  de  lorcc  pour  vous  dire  ce  qu'ils  pensent  de  voire 
triste  métier. 

11  en  est  qui  tous  écoutent  itsscz  pour  caresser  quelques-unes 
de  vos  idées.  Vous  réussissez  à  faire  couler  dans  leurs  âmes  une 
froideur  qui  ne  tarde  pas  à  être  suivie  de  Tindifférence  religieuse 
et  de  tous  les  désordres  moraux  qui  marchent  à  sa  suite. 

Enfin,  ils  s'en  rcnconirc  qui,  dépassant  probablement  vos  con- 
seils, rompent  avec  le  clirisiianismc  ,  puis  avec  Dieu  et  toujours 
ayec  la  vertu.  Ils  ont  eu  le  malheur  d'admettre  tous  les  men- 
songes que  vous  leur  avez  dits  et  répétés  sur  les  dogmes  catho- 
liques, et  l'édifice  de  leur  foi  s'est  écroulé.  Comment  n'auraieni- 
ils  pas  été  séduits?  vous  êtes  instruits  et  ils  sont  simples  ;  vous 
êtes  dressés  à  la  ruse ,  à  la  parole ,  à  la  dispute ,  eux  ils  étaient 
sans  défiance,  et  le  trésor  de  leur  foi  était  sans  défense  dans  leur 
cœur  ;  vous  êtes  entrés  et  ce  trésor  a  disparu  ;  vous  êtes  riches, 
vous  avez  étalé  à  leurs  yeux  de  l'or  et  des  espérances  de  fortune, 
eux  ils  étaient  pauvres,  comment  auraient-ils  pu  résister  à  la  sé- 
duction? Ils  ont  commencé  par  douter,  et  quand  le  doute,  cette 
maladie  des  âmes ,  a  eu  réussi  à  s'introduire  dans  eux ,  elle  y  a 
porté  lamort,  la  mort  de  toute  croyance.  Quand  la  foudre  en- 
tre par  le  toit  dans  une  maison ,  elle  descend  d'étage  en  étage 
jusqu'aux  fondements,  et  elle  ébranle  tout  l'édifice.  C'est  ce  que 
vous  avez  fait  ;  la  religion  avait  élevé  avec.peine  et  labeur  dans 
ces  esprits  l'édifice  de  la  foi,  et  sur  l'édifice  de  la  foi  celui  de  la 
vertu;  vous  avez  tout  abattu. 

Lemômier.  Comment,  tout  abattu?  Nous  ne  voulons  détruire 
que  les  préjugés;  nous  ne  combattons  pas  la  foi,  mais  seulement 
la  superstition  ;  est-ce  que  jamais  nous  avons  dit  un  mot  contre 
la  vertu? 

Vhorloger.  Qu'importe  que  vous  ne  parliez  pas  contre  la  vertu  , 
si  vous  la  rendez  impossible  en  détruisant  les  motifs  qui  la  font 
vivre  d-ans  les  cœurs?  Il  est  impossible  que  dans  votre  travail  de 
destruction  vous  n'eussiez  pas  l'intention  d'aller  jusqu'à  la  vertu; 


182  l't  (.onutHCh  lits  (,ij.>.«)(;ih>(;KS. 

mai>  il  n  «st  pas  facile  de  s'urii^ter  à  inoilié  chemin.  Vos  victi- 
inrs  sont  plus  consétpionlcs  que  vous.  Une  fois  lancées  sur  la 
\oic  «les  iM'f;:Uions  ,  rllrs  ne  s'arrêlcnt  plus  jiis(|ii':i  ce  qu'il  n'y 
ail  plus  rien  à  nier.  Leur  soumission  ù  I  Eglise  «lail  la  [licrrc 
angulaire  de  l'éditicc  de  leur  foi  ;  vous  avez  arraché  celle  pierre, 
idui  Itimlie.  Pouvait- il  en  être  aulrenient?  \  ous  avez  dit  ù  ces 
huuinies  de  ne  pas  croire  aux  décisions  de  TÉglisc.  Or,  nier 
un  seul  article  de  foi,  c'est  nier  l'Kgiise  qui  a  d«''rid<'' en  vertu  du 
|X)uvoir  qui  lui  a  été  donné  par  son  divin  fondateur;  nier  l'Église, 
c'est  nier  Jésus-Christ  qui  l'a  établie;  nier  Jésus-Christ, 
c'est  nier  Dieu  (]ui  la  ciivoy  sur  la  terre;  nier  Dieu,  c'est 
nid  riioiume  (|ui  est  fait  à  son  image;  c'est  nier  la  raison, 
c'est  loniher  dans  l'alisurtle,  dans  le  scepticisme,  dans  l'anarchie 
morale  el  dans  ranarchie  sociale.  \  oilà,  Monsieur  le  Pasteur,  la 
dernière  cons«'quence  de  votre  action  sur  les  consciences.  Ceux 
à  qui  vous  vous  ôles  adressé-  el  que  vous  avez  pu  séduire  étaient 
des  hommes;  vous  en  avez  fait  des  espèces  de  monstres  impossi- 
l>les  à  reconnaître. 

Le  mômier.  Vous  parlez,  Monsieur,  comme  si  nous  cherchions 
a  faire  le  vide  dans  les  âmes,  comme  si  nous  voulions  priver  les 
t!sprils  do  toute  croyance  et  la  vertu  de  tout  fondement.  Vous 
vous  trompez.  Ce  que  nous  voulons,  c'est  leur  donner  notre  foi, 
une  foi  raisonnable ,  une  foi  passée  au  crible  de  la  raison  ;  c'est 
de  remi)laccr  la  religion  de  Home  par  la  religion  protestante. 

l.'hurloijFr.  Vous  m'avez,  déjà  deux  ou  trois  fois  répé-té  cette 
absurdité  ipii  dans  la  réalité  n'est  qu'une  défaite.  Quand  je  vous 
demande  quelle  religion  vous  donne/  à  <  <'s  malheureux  à  qui 
\ous  arrachez  la  foi  catholique,  nous  nu'  riqwndez  :  la  religion 
de  la  Bible.  Quand  je  vous  demande  ce  que  c'est  que  la  llible  . 
vous  me  dites  que  c'est  la  religion  protestante,  et  quand  j»*  «le 
mande  «:e  que  c'est  que  cette  religion  protestante,  j'enten«ls  s'c 
lever  une  foule  de  voix  plus  nombreuses,  plus  discordantes  que  ne 
Ir  sont,  an  mois  de  mai,  les  voix  des  grenouilles  dans  un  marais. 
<  I  df)nl  chacune  répon»!  :  C'est  la  mienn»*!  «'est  la  mienne!... 
Il  >  a  deux  siècles,  il  >  avait  quehjues  religions  protestantes,  dcv 
religions  (|ui  |>ouvaieni  s'enseigner  aux   honnnes.  parce  qu  elles 


DU  COIMltHCt    Dts   COMSClËKCES.  183 

avaicnl  conservé  quelques  vcrilcs ,  ou  même  consacré  quelques 
erreurs;  mais  au  siècle  où  nous  somiiies  parvenus  ,  le  dernier 
coup  «le  marteau  a  été  donné,  il  n'y  a  plus  rien  ù  détruire,  il  n'y 
a  plus  de  rclif^ion  proteslanle. 

Il  laui  que  je  vous  lasse  connaiire  où  vous  en  êtes  en  fait  de 
proj^rès  relif;ieu\.  Voici  la  dernière  formule  du  prolcslantisme, 
elle  vient  d'être  publii'e  par  un  des  vôtres  et  l'un  des  plus  fanati- 
({ues  ennemis  de  Rome.  Monsieur  Gaberel,  ministre  en  retraite, 
a  puhlii'  une  histoire  du  protestantisme  de  Genève  jusqu'à  nos 
jours.  «  Le  clergé  genevois ,  dit-il  ,  a  proclamé  un  double  prin- 
»cipc,  qui,  nous  l'espérons,  deviendra  la  seule  confession  de  foi 
»  de  l'Église  de  Jésus-Christ.  L'Évangile  reçu  comme  autorité 
»  divine;  et  sur  cette  base  j  la  liberté  pour  chacun  de  former  sa 
»  foi  selon  les  lumières  de  sa  raison,  les  directions  de  sa  conscience 
»  et  le  secours  de  Dieu.  » 

Si  donc  il  vous  prend  fantaisie  de  me  donner  une  religion  toute 
faite ,  je  serai  libre  de  vous  prendre  pour  un  ])atteur  de  fausse 
monnaie  et  vous  renvoyer  à  la  formule  protestante,  d'après  la- 
«pielle  il  n'y  a  pas  de  leligion  protestante;  mais  la  liberté  pour 
chacun  de  former  sa  foi.  Est-ce  clair?... 

Le  mômicr.  On  voit  bien  que  vous  ne  savez  pas  ce  que  vous  di- 
tes. Venez  à  Genève ,  vous  verrez  dans  tous  les  quartiers  de  la 
ville  des  temples  où  le  peuple  se  rassemble;  dans  chacun  de  ces 
temples  il  y  a  des  prêches.  Les  ministres  du  Saint-Évangile  y  an- 
noncent la  parole  de  Dieu,  la  religion  qu'ils  y  prêchent  est  là. 

Vhorloger.  C'est  là  que  je  vous  attendais  ,  Monsieur  le  Pas- 
leur,  je  vous  avais  bien  dit  que  votre  religion  protestante  n'était 
qu'une  coalition  formée  pour  détruire  la  religion  ;  j'avais  besoin 
pour  vous  d'une  preuve  qui  fût  à  votre  portée ,  et  c'est  vous  qui 
me  la  fournissez. 

Je  suis  allé  dans  vos  prêches,  j'ai  fréquenté  tous  vos  temples, 
j'ai  entendu  vos  ministres,  depuis  M.  Munier  jusqu'à  MM.  01- 
tramare  et  Bungener.  C'est  ce  dernier  qui  ouvre  la  marche.  Il 
entre  dans  son  sujet  de  prouver  que  le  Pape  n'est  pas  le  chef  de 
l'Église  comme  le  croient  les  catholiques.  11  est  vrai ,  selon  lui , 
que  le  Sauveur  des  Iiommes  a  dit  :  <  Tu  es  Pierre  ,  et  sur  cette 


184  fi'  cnnMtKct  iiES  coN!>cie>cit6. 

pierre  je  b:liirai  mon  Kglise.  Jr  le  donnerai  la  ck-rdu  royaiini* 
des  cieux.olc.»  Mais  Jésus-Clirisi  n'y  onicndait  rien.  cVsl  à 
M.  Biinjrener  h  nous  dire  <e  «pir  cela  si},'r)i(ic  et  no  sij,'nifie  pas. 

M.  (IdiigiKirt!  (Icmonirc  (juc  rKj^lisc  c:iili(>li(|ii(*  n'rst  pas  la  vé- 
ritable Église,  puisqu'elle  est  visible. 

^\.  Ollranian'  s'esl  escrim»'  pcndanl  une  heure  ù  prouver  (pie 
Jésus-Clirisl  n'a  point  établi  de  sacieuieuls,  et  «pM*  <  <s  invrii- 
lions  sont  dues  aux  prêtres  catholiques. 

Tous,  dans  dans  la  chaire  comme  au  Casino,  ont  déblatère  à 
qui  mieox  mieux  contre  les  saints ,  contre  la  Vierge ,  contre  le 
Pape,  contre  les  cardinaux,  contre  les  conciles  et  contre  (oirt  ce 
qui  semble  avoir  une  odeur  de  xiité.  Dîtes-moi,  Monsieur  le 
Vasteur,  si  c'est  en  cela  (jue  consiste  vt>Ire  reli^'iuii.  Qiw  <les  (ua- 
leurs  soldés  pour  cette  lâche  puissent  consentir  à  débiu-r  de  tel- 
les fadaises,  cela  se  conçoit,  on  entend  tous  les  jours  dés  plai- 
doyers qui  n'ont  ni  f)lus  de  vérité  ni  plus  de  raison  ;  mais  cpi'il  y 
ait  dans  un  auditoire  assez  nombreux  une  cri'dulilé  assez  inno- 
cente ,  ou  plutùi  assez  niaise  pour  les  écouler  sans  rire,  voîlà  ce 
qui  ne  peut  se  comprendre.  J'étais  allé  pour  savoir  <:e  que  c'est 
«pie  le  prolcstaiilisme,  jn^'e/.  de  ma  dé'Ceplion. 

Le  tnthnier.  Avant  d'exposeï-  l:i  doi^inalicpu'  l'i-roniiéc  et  de  dé- 
rouler aux  veux  du  public  le  tableau  synoptique  des  vérités  fon- 
dainentales,  sorties  de  l'I'Àrinire  ,  au  souille  inspirateur  du  libre 
examen  ,  il  etaii  essentiel  de  déblayer  le  leiraiu  des  iiilelli^fin es 
encombrées  sous  la  masse  des  préjugés  venus  de  Home. 

L'horloger.  Tout  cela  serait  bien,  si  la  religion  protestante  se 
rencontrait  qtielque  part  ;  mais  on  a  beau  eniendre  des  sermons, 
lire  vos  écrits  religieux  ,  suivr»-  vOs  journaux  ,  pas  un  n'ose  abor- 
der sérieusement  la  «piestion  religieuse.  Dans  ce  |>ouding  reli- 
gieux, véritable  pol-poiirri,  formé  par  plus  de  deux  «enis. sectes, 
diies-hibi  donc  s'il  en  est  uUi'  seule  que  vos  théologiens  aient  h- 
courage  de  prêcher?  Si,  comme  on  l'assure,  la  religion  réR»rihë<; 
est  une  religion  de  progrès,  la  dernière  venue  doit  être  la  med- 
leure.  Pourquoi  donc,  au  lieu  de  parler  des  erreurs  du  callioli- 
cisnie  dont  il  na  poini  à  se  mêler.  Monsieur  Uiin^ener  n'a-l-il 
pas  exposé-  les  beautés  haimoiiiques  i\\\  iiinniicnibnie?  Kn  faisani 


nu  coMMb'ur.K  DES  C(^^S(;lE^<;ES.  185 

conniuirc  les  sainis  d('s  doniicrs  jours,  il  jUirail  du  moins  révèle 
h  ses  audilotirs  quoique  dhosc  de  posilil",  au  lieu  «le  les  endor- 
mir par  la  coiiiiiiiiajion  do  ses  romans  sur  le  cailiolicisme. 

Je  ne  sais  pas,  Monsieur  le  Pasleur,  si  jamais  vous  ave/,  faii 
une  remanpie  (|ui ,  selon  moi ,  osl  d'une  grande  importance.  Un 
seul  coup  d'a'il  jeié  sur  la  presse  caiholique  suffirait  pour  mon- 
trer aux  moins  clairvoyants  qu'il  y  a  lù-dessous  une  religion  vraie, 
une  doctrine  positive,  un  enseignement  motivé,  une  grande  com- 
munication du  ciel  à  la  terre.  Sans  trop  s'inqiiiéter  de  ce  qui  se 
passe  autour  d'eux,  les  docteurs  de  l'Église  catholique,  tout 
brillants  des  lumières  de  Dieu,  s'avancent  au  milieu  des  géncra- 
lious ,  cl  leur  montrant  l'Évangile  d'une  mSiti  et  la  croix  de 
l'autre,  ils  disent  nettement,  clairement  ce  qu'il  faut  croire  et 
ce  qu'il  faut  faire  pour  être  sauvé.  Suivant  les  tracés  de  saint 
Thomas  d'Acquin,  le  génie  le  plus  vaste  et  le  plus  universel  qui 
ait  apparu  au  monde  ,  ils  n'ont  tous  qu'un  but,  celui  de  vulgari- 
sci-  la  science  de  Dieu,  afin  (jue  tout  homme  venant  de  ce  monde 
puisse  y  marcher  dans  la  lumière  de  la  vérité.  Les  livres  des 
docteurs  du  catholicisme  sont  des  expositions  de  la  doctrine, 
des  explications  de  la  Bible,  des  catéchismes,  des  théologies  et 
des  livres  ascétiques,  destinés  à  réchauffer  les  âmes,  à  rendre 
plus  ardent  le  feu  de  la  charité  et  entretenir  ce  dévouement  tout 
miraculeux,  qui  ne  peut  exister  qu'avec  le  secours  de  la  grâce 
divine  et  la  puissance  de  la  foi. 

Quand,  en  avançant  dans  la  carrière,  les  docteurs  de  l'Église 
rencontrent  sous  leurs  pas  les  imondices  qui  y  ont  été  déposées 
par  les  révoltes  de  l'orgueil  humain,  quand  ils  trouvent  la  ziza- 
nie semée  par  l'ennemi  dans  le  champ  du  père  de  famille,  ils  ar- 
rachent en  passant  la  mauvaise  herbe  et  continue  leur  chemin. 
Les  expositions  ,  les  explications ,  les  défenses  de  la  doctrine  ca- 
tholique sont  innombrables. 

Ayez  la  bonté,  Monsieur  le  Pasteur,  de  me  citer  un  seul  ou- 
vrage de  théologie  protestante ,  de  théologie  positive  ,  ayant  ap- 
paru dans  ces  dernières  années.  J'ai  soUs  les  yeux  plus  de  cent 
écrits  divers,  jetés  dans  le  monde  par  les  docteurs  du  protestan- 
tisme ;  savez-vous  de  quoi  ils  traitent?  Tous  s'évertuent  à  mentir 


t8C  i»t  coaaeivci!  uls  cunacilnces. 

coDtrc  l'Église  caiholiquc.  Dans  tout  ce  qu'enrante  le  proicsiun- 
lisnie  <'ii  vSuisse,  ;'i  Genève,  en  Aileinaj;ne,  en  Anj,'leieiTC  ,  en 
France,  il  n'y  a  pas  nne  seule  i-xposilion  de  foi ,  |(as  un  livre  de 
doctrine,  pas  une  tliéulugie;  mais  partout,  mais  toujours,  des  sa- 
tires contre  le  calliolicisme  et  ses  insiitiiiions.  (Juel  aveu  d'im- 
puissance! Il  faut  aNouer  (|u'en  ceci  les  docteurs  prutcslants  font 
preuve  d'une  grande  prudence.  Au  point  oii  ils  sont  |)arvenus,  un 
traité  de  théologie  sorti  de  leurs  mains  ne  pourrait  (}tre  (|u'une 
réfutation  plus  ou  moins  complète  de  toute  la  Bible.  Aussi  l'exé- 
gèse de  Strauss  csl-il  le  meilleur  ouvrage  (pie  l'on  puisse  attt'u- 
dre.  Kn  tout  détruisant  d'un  seul  coup,  il  n'a  rien  laissé  à  faire 
à  .ses  successeurs. 

Parcoure/,  la  série  des  productions  qui  se  sont  faites  dans  la 
Rome  protestante  ,  à  commencer  par  Messieurs  Malan  ,  Ampevia 
elGaussen,  jus(]u'aux  Miinier,  aux  OItramare,  aux  Archinard, 
aux  Bungener,  aux  Gaherel ,  aux  Cougnard  et  à  cent  auin's ,  y 
irouvc/.-vous  autre  chose  <pie  la  re|>roduction  des  négations  <lu 
seizième  siècle ,  des  ohjelions  dont  le  bon  sens  avait  mille  fois 
fait  justice,  et  des  saletés  extraites  des  fumiers  «le  la  réforma- 
lion  .' 

Vous  vous  étonne/.,  Monsieur  le  Pasteur,  (pic  je  vous  aie 
range  |>armi  les  agents  du  mal  ;  mais  dites-moi  :  Entre  ceux  qui 
encouragent  la  guerre  au  caiholic  isme  et  (pii  sont  jdacés  dans 
les  plus  hauts  rangs  de  la  société,  entre  ceux  «pii  du  haut  des 
tribunes  parleaientaires  et  du  bas  des  journaux  (pi'ils  salarient . 
couvrent  d'injures  le  Souvi-rain-Pontife  el  le>  sou\erains  catholi- 
ques, entre  ceux  «pii  paient  le  mensonge  et  qui  sont  places  dans 
les  associations  de  toule  espèce,  entre  ceux  qui  le  fabriquent,  le 
colorent ,  le  cachent  sous  les  Heurs  de  lyle ,  entre  ceux  qui  U' 
reproduisent,  ceux  qui  le  pré(  lient,  et  ceux  qui  le  col|H)rlenl , 
n'y  a-l-il  pas  une  effrayante  i  onsolidarite?  Ce  concert  dans  l'i- 
niquité ne  vous  montrc-t-il  pas  une  vaste  conspiration  i|iii  a  pour 
but  de  faire  descendre  l'impitte  ei  la  ilénioralisation  jus<pi  an 
dernier  village  des  empires? 

Dans  celte  digression,  j'ai  voulu  nous  nioiiirer  ime  lois  de  |»lu> 
que  le  protestantisme  n'esi  pas  luje  religion;   qti'en  offrant  uih 


I)U  COMMEKCK  DES  CONSCIENCES.  187 

religion  à  ceux  que  vous  réussissez  à  pcivcrlir,  vous  êtes 
des  trompeurs;  que  vous  pouvez  démolii-,  mais  non  édifier; 
enliu  ,  (juc  dans  riiorrihle  commerce  des  consciences  auquel 
vous  vous  liviez ,  vous  ne  pouvez  parvenir  qu'à  laisser  les  inlcl- 
ligenccs  sans  vérités,  les  vertus  sans  motifs,  les  passions  sans 
frein,  les  consciences  sans  guide,  et  l'Iiumanité  sans  loi.  Votre 
traite  des  âmes  n'aboutit  qu'à  la  mort. 


MiiWfiKs  i;t  .\oi  vki.lks. 


Hume.  —  La  Civiltà  Callohca  nous  appriMid  une  riclic  découvcrlo 
failr  <l;«iis  les  culni'omltos.  Ce  sont  les  tombeaux  ilc  rinij  papes  martyrs  du 
Iroisiènic  sircle.  Ou  y  lit  les  noms  «les  pontifes  Aulère,  Fabien.  Eutyebien. 
Lueius,  et  au  premier  rang  se  trouve  saint  Sixte  II.  Près  de  ces  illustres  con- 
fesseurs de  la  foi  reposait  aussi  une  \ier;;e  célèbre,  sainte  Cécile,  tlont  on  ne 
ronnaissail  pas  encore  la  M-rilable  place.  .M.  le  cliexalier  de  llossi,  le  savant 
auteur  de  celte  ilècouverte,  a  fait  preuve  dune  admirable  sagacité  en  mèn)C 
temps  que  d'une  profonde  érudition.  ï.c  compte-rendu  i|u'il  a  lu  devant  un 
auditoire  nundireux  et  di>lin(;ué  ,  cl  dont  on  promet  In  |)ublicatiun ,  s«'ra  du 
plus  haut  intérêt.  —  Plus  de  dix  siècles  s'étaient  écoidés  sur  les  décombres 
nmoncelés  tout  autour  île  ces  sanctuaires  souterrains;  il  en  restait  des  des- 
criptions dans  d'anciens  itinéraires  ;  mais  les  Humains  avaient  perdu  la  trace 
de  celte  vénérable  demeure  des  morts.  I,es  barbares  avaient  pa<»sé  par  là, 
cl  ils  n'avaient  pas  plus  respecté  la  ville  des  ancêtres,  i|ue  celle  «les  contem- 
porains. Ces  cryptes  de  saint  Callixte ,  lieu  de  pèlerinai'es  très-fréquenté  au 
temps  lies  persécutions  etiians  les  siècles  innné«liatement  |H>stérieurs,  seront 
donc  rouvertes  à  la  pieuse  etiriosité  des  chrétiens;  ils  y  verront  «le  frappants 
vestiges  de  ranti<|uité  de  leur  foi  et  «le  leur  culte  des  .saints.  I^rtoutsur  les 
parois  se  lisent  encore  les  invocations  des  anciens  visiteurs  aux  martyrs 
qu'ils  y  vénéraient.  C'est  une  preuve,  en  confirmation  de  tant  d'autres,  <|ui 
atteste  la  confiance  des  chrétiens  du  troisième  et  du  quatrième  siècle 
ilans  les  prières  des  martvrs.  Oh  !  <|u"on  c^t  lienreux  «le  remonter,  par  une 
in\ariable  foi.  jusqu'à  ces  généreux  athlètes  qui  ont  rciii  des  .\p«»trcs  et  tran- 
smis aux  générations  calholiques  la  vraie  doctrine  du  Sauveur!  Mais  qu'un 
est  ù  plaindre  ,  lursqu'cn  retrouvant  ces  restes  vénérés  «les  niartjrs  et  cette 
foi  «les  premiers  tcnqis,  il  faut  se  dire  au  fond  du  cœur  :  Je  ne  suis  pas  avec 


MÉLANf.ES  ET  NOLVELLES.  1  H9 

eux  ;Jl>  ne  crois  pas  ce  (|irils  croiiMiL,  on  n  brise  la  cliaiiie  i|ui  m'unissait  à  l'E- 
glise ancienne,  aux  iiilcics  d'autrefois,  aux  disciples  des  Apôtres!! 

Géncs.  —  Une  Icllrc  de  celte  ville  nous  annonce  que  la  propagande 
protestante  y  continue  son  travail  de  perversion.  Elle  signale  en  même  temps 
la  stérilité  de  ses  menées  et  l'impopularité  qu'elle  s'attire  de  la  part  de  tout 
ce  qui  est  honnête.  Vn  homme  bien  placé  pour  apprécier  les  résultats  de  ce 
faux  prosélytisme ,  le  regarde  comme  un  des  événements  les  plus  heureux 
pour  l'Église  d'Italie.  «  I,o  clergé  se  retrempe,  les  études  se  forlilient ,  les 
0  prédications  appropriées  aux  besoins  du  moment  se  multiplient,  le  peuple 
»  connaît  mieux  sa  religion,  lui  face  du  zèle  indiscret  et  Iracassicr  des  agents 
»  de  la  Société  biblique,  il  faut  hautement  rendre  justice  à  l'extrême  prudence 
»  cl  à  la  profonde  sagesse  du  clergé.  Le  peuple  est  tellement  excité  par  les 
»  provocations  protestantes ,  qu'il  ne  faudrait  qu'un  signe ,  qu'une  parole 
»  moins  calme,  pour  les  leur  faire  expier  bien  chèrement.  Les  protestants 
»  ne  sauront  jamais  à  quel  point  ils  doivent  remercier  la  sagesse  et  la  pa- 
»  tiencc  de  ceux  dont  ils  attaquent  avec  tant  d'acharnement  le  caractère.  — 
»  L'autre  jour,  deux  étrangers  soupçonnés  d'avoir  fait  entendre  quelques 
«mots  d'inprobation ,  pendant  un  sermon  en  génois,  ont  été  entourés  et 
»  suivis  par  le  peuple,  et  ce  n'est  que  par  la  protection  de  la  force  armée 
»  qu'ils  ont  pu  éviter  les  plus  grands  malheurs.  » 


Genève.  —  Le  Journal  de  Genève  veut  des  faits  pour  retirer  son 
accusation  de  calomnie  contre  la  presse  catholique  au  sujet  des  injures 
qu'ont  à  subir  dans  Genève  les  ecclésiastiques  catholiques  étrangers  et  na- 
tionaux. 

Nous  pourrions  lui  faire  un  petit  volume  ;  nous  nous  bornons  aux  faidi 
suivants  faciles  à  constater  : 

1°  Pendant  le  séjour  de  la  reine  Amélie  à  Genève,  son  aumônier,  accom- 
pagné du  duc  d'Aumale  et  d'un  vicaire  de  Genève,  a  été  odieusement  et  lon- 
guement outragé. 

2"  Deux  ecclésiastiques  de' la  Savoie  ont  été  insultés,  frappés  au  Perron,  et 
ils  n'ont  dû  leur  délivrance  qu'à  l'intervention  des  catholiques  de  cette  me. 

5"  L'un  de  MM.  les  vicaires-généraux  de  Chambéry  a  été  obligé  de  se  ré- 
fugier dans  un  magasin  des  rues  Basses  devant  d'indignes  insultes,  en  de- 


100  MtLA.IbE  LT     .>OL\LLLl;. 

nuiiilant  m  W*  erct<*siasli<|ur!i  ilr  la  Savoie  avaient  bc5oiii  lir  sniif-rniiduii 
pour  \cnir  j  (jcn«'\r. 

V  M.  Il"  MipcriiMjr  iltt  (ïraïul  Scmiiiairt-  (r.\iiiHT\,  accompagne  «l'on  ci- 
toyen du  canton,  a  étt^  gravement  injurii^  dans  les  rues  de  (îenève. 

S*  A  la  sortie  des  cnfant!>  du  colli^gc  et  des  autres  établissements  protes- 
tants d'éducation  publi«]ue,  chaque  ecclésiastique  catholique  qui  a  le  malheur 
de  s'y  trouver,  est  sur  dVtrc  insulté. 

0*  A  Coulancc,  d'indignes  cris,  d'indignes  travestissements  des  chants  sa- 
crés catholiques,  à  grand  renfort  de  porte- voix,  ont  pour$ui\i  plusieurs  jours 
de  suite  ,  et  plusieurs  fois ,  au  su  de  tout  le  cpiarticr,  les  vicaires  de  la  pa- 
roisse ;  cl  il  a  fallu  la  parole  courageuse  de  l'un  d'eux  et  rinter\ention  éner- 
gique d'un  des  premiers  fabricants  de  Genève  pour  faire  cesser  ces  loiéran- 
les  manières. 

7*  .Nous  sommes  autorisés  à  dire  que  M.  le  vicaire-général,  curé  de  Genève, 
et  ses  vicaires,  ne  vont  pas  un  seul  jour  visiter  leurs  malades  sans  être  in- 
suites  (1). 

Le  Journal  de  Génère  dit  :  t  Grâce  à  Dieu,  nous  n'avons  pas  de  leçons  d<- 
tolérance  à  recevoir.  » 

Tant  est  grand  le  chapitre  des  illusions!! 

—  Est-il  vrai  qu'au  concours  de  l'un  de  nos  {trincipaux  élablissemenls 
(l'éduintioii  pnlili(|ue,  le  professeur  ait  donné  pour  sujet  de  conqKtsition  :  Ir 
Jugement  dernier .' 

Qu'une  conqutsition  faite  par  un  étudiant  catholique  ait  ëlc  soumise,  non 
point  au  point  de  vue  littéraire,  mais  au  point  de  vue  thcologique  ,  h  l'exa-^ 
men  de   M.  Chenevière ,  qui  a  professé  publiquement  à  Genève  contre  la 
.Sainte  Trinité  et  b  divinité  de  Jésus-Christ? 

Que  M.  (Ihenevière,  dans  sa  censure,  a  fustigé  le  jeune  catholique,  parce 
qu'il  n'a  été  ni  socinien,  ni  arien,  ni  protestant,  mais  simplement  catholique? 

N'y  a-t-il  pas  là  «le  graves  atteintes  portées  au  bon  sens,  à  la  liberté  reli- 
gieuse et  aux  plus  vulgaires  convenances? 

La  frnnr  maçonnerie.  —  l.e  protestantisme  est-il  un  instrument  de  la 
franc  maçonnerie?  ou  bien  la  franc-n>aronnerie  est-elle  un  instrument  du 
protestantisme?  I/illustre  auteur  «l'un  petit  onxrage  que  tout  le  monde  lit  en 
ce  moment  en  Savoie  et  à  Genève,  soutient  la  jtremii-re  de  ces  deux  pro- 
positions. Lisez  le  chapitre  IV  du  deuxième  volume  iHt  rommerce  des  con- 
seienrei  et  de  C agitation  protestante  en  Europe,  ouvrage  dédié  aux  môroicrs 
de  Genève  et  spéciali-ment  à  ceux  «pii  viennent  en  Savoie;  avec  cette  épi- 
graphe :  «  Il  n'y  a  que  l'athéisme  qui  puisse  entrer  dans  un  cœur  d'où  le  ca- 
»  tholicismc  «ist  sorti.  »  Ce  chapitre  est  admirable  «le  verve,  de  style,  de  rai- 


(I)  Aujourd'hui  même,  *j  juillet,  M.  l'abbé  Berlhier,  secrétairf  de  Mgr 
l'archevêque  de  Chambéry,  accompagné  de  M.  l'abbé  Béehard.  prt'lrr  du 
ranlnn  «le  (Jenevc.  a  l'-té  insulté  «lans  les  rues  «le  (ienève. 


MÉLANr.ES    KT    NOUVELLES.  191 

son;    oui,    la   propagande   protcshnte    sert   admirablemonl    la   propagande 
rcvolnlionnaire. 

Mais  voici  lui  protestant  alloniaïul  (lui  vient  apporter  dans  un  ouvrage  sé- 
rieux ,  complet,  de  deux  volumes,  rem[ilis  de  documents  autlienli<jues,  de 
laits  meontestables,  la  preuve  irréfragable  ipic  le  protestantisme  a  été  dans 
la  main  de  la  franc  inaconucrie  un  auxiliaire  puissant  pour  combattre  le  seul 
adversaire  dangereux  pour  la  révolution,  le  catliolicismc.  Nous  invitons  les 
protestants  qui  ne  sont  pas  francs-maçons  à  lire  avec  la  plus  grande  atten- 
tion l'ouvrage  dont  la  traduction  vient  de  paraître  :  La  franc-maçonnerie 
dans  sa  vérilable  significalion  ou  son  organisation,  son  but  cl  son  hisloire, 
par  Ed.  Em.  Eckert,  avocat  à  Dresde  (1). 

Tout  catholique  qui  tient  à  sa  liberté  comme  homme,  à  la  liberté  comme 
citoyen,  à  la  foi  comme  disciple  de  lÉvangilc  et  de  l'Église,  comprendra, 
après  avoir  lu  ce  livre,  que  toute  alliliation,  même  dans  les  rangs  obscurs 
des  dupes  et  des  niais,  aliène  sa  liberté  par  des  serments,  des  mystères  et 
une  solidarité  coupable  ;  que  cette  alïiliation  porte  atteinte  à  l'ordre  social , 
puisque  l'ordre  des  francs-maçons  est  évidemment  un  état  dans  l'Etat,  un 
état  au-dessus  de  l'Etat,  un  état  contre  l'Etat;  enfin  qu'elle  est,  malgré  l'em- 
ploi de  formules  chrétiennes,  véritables  profanations  et  dangereuses  trompe- 
ries pour  la  plèbe  des  maçons,  une  conspiration  permanente,  d'abord  et  di- 
rectement contre  la  religion  catholique,  et  ensuite  contre  tout  christianisme 
positif  quelconque. 

L'ouvrage  du  docteur  Eckert  est  la  plus  éclatante  justification  des  décrets 
des  Souverains  Pontifes  contre  les  sociétés  secrètes,  et  l'explication  de  la  fu- 
reur avec  laquelle  ces  décrets  ont  été  flétris  par  l'incrédulité ,  la  révolution 
elle  protestantisme. 

Quelles  leçons  sanglantes  pour  ces  princes,  ces  aristocrates,  ces  riches,  ces 
propriétaires,  petits  et  grands,  qui  ont  donné  tête  baissée  dans  le  panneau  et 
dans  le  gouffre!  mais  surtout  quelle  leçon  pour  les  protestantismes  encore 
chrétiens,  encore  pratiques,  encore  religieux,  dont  on  se  sert  comme  d'une 
machine  complaisante  et  mépiisée,  comme  «d'une  baliste»  pour  battre  en 
brèche  le  catholicisme,  et  qu'on  brûlera  ensuite  comme  un  échafaudage  ver- 
moulu et  inutile! 

On  a  jeté  les  hauts  cris  contre  M.  Nicolas  lorsqu'il  a  montré,  par  les  plus 
hautes  démonstrations,  la  filiation  du  protestantisme  et  du  socialisme.  Au- 
.   jourd'hui,  c'est  un  docteur  protestant  qui  vient  établir,  par  des  faits  patents, 
celte  parenté  accablante. 

Nous  recommandons  donc  la  lecture  de  l'ouvrage  du  docteur  Eckerl  à  tous 
les  hommes  sérieux.  Quant  aux  deux  thèses  que  nous  avons  posées  en  com- 
mençant, nous  différons  quelque  peu  de  l'auteur  Du  commerce  des  conscien- 
ces et  du  docteur  Eckert,  et  nous  croyons  que  si  le  protestantisme  est  un  in- 
strument de  la  franc-maçonnerie,  la  franc-maçonnerie  est  aussi  un  instrument 
du  protestantisme. 

(I)  Cet  ouvrage  se  trouve  à  Genève  chez  Marc  Mehling,  libraire. 


19^  «ÉLA.IGES  tT  N01J>  KLLEil. 

Le  Mruagn  de  la  CHnrilé.  -  Nous  anncinruns  avec  bonlipur  un  journal 
lictKlomntlairo  qui  pnrail  ù  Paris  ilrpuis  trois  mois  ri  ipii  <li'-jît  ulilionl  un  \«- 
iilalilr  suri'i's  ;  c'rst  if  Mrssiigrr  fit  la  Charité,  [lublii- suus  la  «lirrrlinu  ili- 
M.  l'abl)!-  Mullois,  auinùiiior  de  l'Kiii|icrcur.  Point  de  |i(ililique,  point  ilc  dis 
cu!>sion!i ,  point  de  controverses,  mais  lu  parole  êvan^eliquc  de  la  clinrité , 
mais  les  œuvres  de  la  clinrité  eatliolique  ,  mais  le  but  profond  de  faire  |>cné- 
trcr  la  cliaritc  parmi  les  riches  et  parmi  le>  pauvres.  Nous  voixlrions  que  les 
catholiques  de  Genève  lussent  ec  bon  journal  ;  ce  serait  pour  eux  une  conso- 
lation et  un  encouragement.  Nous  voudrions  que  chaque  famille  protestante 
en  eut  un  exemplaire;  que  d'erreurs  seraient  redressées!  que  de  préjugés 
seraient  dissipés!  et  puis  il  y  aurait  pour  tous  la  puissante  leçon  des  contras- 
tes. Qu'on  compare  les  œuvres  de  la  charité  catholique  avec  les  incroyables 
cl  incessantes  manu-uvrcs  de  V l'niun protesta ntr  de  («cncvc,  cl  on  verra  bien- 
tôt où  sont  la  vérité  et  la  charité! 

M.  Mullois  est  l'auteur  de  plu^ieurs  ouvrages  pleins  d'intérêt.  .Nous  avon*. 
lu  avec  charme  son  Cours  d'cluqueiicr  sacrée  populaire ,  ou  essai  sur  la  ma- 
nière de  parler  au  peuple-  Ce  n'esl  pas  moins  qu'une  réforme  radicale  qu'il 
propose  par  le  retour  à  la  méthode  sinq)le  ,  évangélique,  catéchislique  des 
grands  convertisseurs  de  peuples ,  et  spécialenient  de  saint  Alphonse  de  Li- 
gori.  Tout  le  lumulc  lira  avec  charme  et  profil  les  autres  oun  rages  de 
.M.  l'abbé  Mulltiis  :  .}ïa)turl  de  charité,  dixième  édition  ;  Livre  des  classes  ou 
rrim-ji,  onzième  édition;  La  rharilé  iiu.r  enfants,  septième  édition. 

Nous  ne  croyons  pas  qu'à  aucune  éporpie  de  I  histoire  de  l'Kglisc  catholi- 
que il  y  ait  eu  une  telle  fécondité  de  bonnes  œuvres  «|ue  de  nos  jours;  c'est 
comme  une  expansion  de  la  charité  qui  se  manifeste  par  une  multitude  incal- 
culable d'associations,  d'œuvres  religieuses,  de  dévouements,  d'olTrandes,  de 
secours,  de  livres,  «pii  couvrent  la  France  et  se  répandent  ensuite  dans  tout 
le  reste  de  la  chrétienté.  Le  siècle  cpu  aiira  ilonné  naissance  aux  r.«»nférenccs 
de  Saint-Vincent-de-Paul ,  aux  Petites  Sœurs  des  Pauvres,  .i  l'.Vssocialion  de 
la  Propagation  de  la  Foi.  à  l'Association  de  Pie  |\  et  Saint-Honifarc.  sera  un 
grand  siècle  dans  l'Kglise. 


ESSAI 

Sur  les  éleclioiis  épiscopales  m  jJiéiiéral ,  e(  en  paKiculier 
dans  les  diocèses  de  Lausanne  et  de  Genève. 


[Deuxième  article.  V.  le  mimcro  précédent.) 

« 

VI.  Passons  à  l'évêché  de  Genève.  Pour  ce  diocèse,  comme 
pour  celui  de  Lausanne ,  il  est  à  présumer  que  la  forme  de  l'é- 
lection n'a  pas  été  différente  de  celle  des  autres  églises,  puisque 
nous  ne  possédons  aucun  document  qui  puisse  prouver  qu'il  en 
ait  été  autrement.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  plusieurs  empe- 
reurs et  rois  avaient  accordé  à  certaines  églises  la  libre  élection 
de  leur  évèque.  Une  lettre  du  pape  Jean  VIII  nous  apprend  que 
Charles-le-Gros ,  après  avoir  reçu  la  couronne  impériale,  ac- 
corda à  l'église  de  Genève,  à  perpétuité,  la  faculté  d'élire  libre- 
ment son  évèque  parmi  les  ecclésiastiques  du  diocèse...  Idem 
serenissimus  imperator  eidetn  Ecclesiœ  electionem  peremiter  de 
proprio  clero  donaverat  (1).  Cette  concession  doit  avoir  été  faite 
entre  l'année  881,  où  Charles  fut  couronné  empereur,  et  882, 
où  Jean  VIII  mourut.  Aussi  l'église  de  Genève  ne  tarda  pas  de 
s'en  servir.  Lorsque  peu  après  le  siège  épiscopal  vint  à  vaquer, 
le  clergé  et  le  peuple  élurent  canoniquement  Optandus  ;  mais 
le  métropolitain  de  Vienne,  partisan  de  Boson,  nouveau  roi  de 
Bourgogne  et  ennemi  de  l'empereur,  ne  voulut  point  le  consa- 

(I)  Joan.  P.  VIII.  epist.  281  ap.  Gall.  chr.  II.  59i. 

13 


101  I.SSAI    SUK    LKS  ÉLECTIUKS   LPISCOPALtS. 

fVvr.  l'ulir  relie  l'.iisoii  ,  i<'  jupe  :i\aiil  |iiis  ('uiiiiuis.saiice  de  l'c- 
|(M  lion  iiii;iiiimf'  f;iil<'  |i:ii  le  rler^t-  et  le  |>«'ii|)l«'  {jinmKjnitd  re»- 
tntiu  nmnittm  in  cotUin  Dptando  elcrlione  .,  sur  l:i  «Irnciiuic  de 
I  I  iii(>oroiir  —  t*i  los  prirrcs  du  cleijïé  (clcricis  rjusdcm  Ecclesia 
stiijtjerenlibus)  —  ordonna  liii-niêine  le  nouvel  cvè(|ue  cl  lui 
tloniia  l'insliluiion  (1).  Ccpciidanl  le  m('li-o|>oli(nin  ayant  faii 
saisir  Oplaiid  cl  consacré  un  aulrc  év«><jue  à  sa  place,  le  pape 
le  soninia  de  le  rétablir,  sons  peine  d'excommunication,  et  le 
eiia  de  comparaître  devant  son  synod»'  pour  s'expli<pier  sur  sa 
coruluite.  Le  nieiropolilain  s'excusa  tant  hien  (pu-  mal  ;  mais  le 
pa|>e  maintint  l'assignation  (pi'il  lui  avait  donnée,  ci  l'on  ne  con- 
naît pas  les  suites  de  celle  affaire   '2  . 

Sous  les  rois  l»ourgui},'nons  (888-1032),  la  forme  de  l'clcciion 
était  probablement  la  même  dans  tous  les  évéchés  de  la  Bour^o- 
f(ne  transjuiane  ;  ci  par  consi'quent  elle  se  faisait  à  Genève 
comme  à  Lausann**;  <'esl-à-dire  par  le  concours  du  clerpé  et  du 
peuple,  du  iiielr(»polilaii),  des  cNeipies  d»'  la  proxince  et  du  pou- 
voir KtNai.  On  ciic  ime  bMire  dnn  pape  Benoît  (Benoît  \  ,  ou  \'I, 
•  •Il  \  II)  ecrilc  an  peuple  de  (ienève  ,  à  l'occasion  de  l'élection 
d  Alda^andus,  [lar  la(]nelle  il  leur  dit  :  a  Les  autres  choisissent 
m  des  évtVpies  p<iur  en  faire  des  saints,  et  vous,  vous  avez  élu  un 
»  saint  pour  en  faire  un  evècpie  (3).  »  Si  cette  leiiro  est  bien 
auihentii|ue,  elle  prouve  que  durant  le  X'sièrle.  le  peuple  con- 
courail  encore  à  rt-leciion  «les  évèques  de  (icnève  ;  mais  bien 
eiiii'iidn.  dans  la  mesure  pre.criie  pai-  les  saints  canons. 

Ml.  l.M,v,,iie  |ai  1.1  mort  de  Hodolphe  III,  en  1032.  le 
royaume  de  la  Bour^o^ne  transjurane  lut  i<(luit  sous  la  domina- 
lion  (b's  empereurs  f,'ermani(pies,  le  droit  du  clergé  ci  du  peu- 
ple dans  r«leclitm  des  évè(pies  ne  résista  pas  longtemps  aux 
<  nNaliissemcnis  des  souverains,  duni  la  pre|)ondérance  fui  bien- 
ii'ii  porliH'  si  l(»in,  (pie  non-sculemeni  ils  exclurent  le  cierge  in- 
férieur et  le  penj)lc  de  toule  participation  au  choix,  mais  qu  ils 
s'anogèrenl  encore  la  nomination  exclusive  des  év^»|ues.  Celait 
une  cons^'ipienec  du  système  féodal,  l  ne  autre  conséquence  non 

(I)  E|.isl.  '2HI  ri  29-2.  CmII.  Christ.  .Wi  rt  Hm.  (2)  V.  Fpist.  288  et  2JW.  ap 
.MaoM,  coll.  Cour.  T.  XVII.  (S)  I/vricr,  «hronol.  Iiisl.  <Uv*  mmlrs  dr  r.rnr\ 


ESSAI  SL'K   LKS  ÉLECTIONS  KPISCOPALKS.  195 

moins  dangereuse ,  l'ut  que  les  (';vêques  non-seulement  s'enga- 
geaient  à  êtn'  personnellemcnl  fidèles  à  leur  seigneur  suzerain  , 
mais  encore  lui  prêtaient  le  serment  de  fidélité,  riiommage-lige, 
en  se  mettant  à  genoux  ,  les  mains  dans  les  siennes  ,  d'où  résul- 
tait Tinvestiture  des  biens  temporels  de  rÉglise.  La  transmission 
de  la  crosse  et  de  l'anneau,  symboles  de  la  dignité  et  de  la  puis- 
sance épiscopalc,  rendit  cette  investiture  plus  réelle  et  plus  pé- 
rilleuse encore ,  puisque  l'empereur  semblait  conférer  le  spiri- 
tuel de  l'évèché  aussi  bien  que  le  temporel.  Cette  manière  de 
donner  l'investiture ,  et  surlout  le  trafic  que  l'empereur  Henri 
IV  faisait  des  évêcbés,  rendait  l'élection  superflue  et  le  sacre 
une  raillerie  (1). 

L'Église  devait  nécessairement  chercher  à  se  soustraire  à  celte 
servitude;  et,  en  effet,  du  moment  où,  sous  Léon  IX,  elle  es- 
saya de  se  relever  de  ce  profond  abaissement,  ses  principaux  ef- 
forts tendirent  à  ces  fins.  Ainsi  le  concile  de  Reims,  tenu  en  1049, 
sous  Léon  IX  ,  conclut  en  déclarant  que  nul  n'obtiendra  la  di- 
gnité épiscopale,  sans  V élection  du  clergé  et  du  peuple  (2).  Un 
concile  tenu  à  Rome  en  1075,  sous  Grégoire  VII ,  décréta  que 
quiconque  accepterait  de  la  main  d'un  laïque  un  évêché  ou  une 
autre  fonction  ecclésiastique,  serait  déposé  ;  que  tout  prince  qui 
donnerait  l'investiture  de  pareilles  dignités  serait  excommu- 
nié (3)  ;  et  le  concile  de  Clermont,  célébré  en  1095  sous  Urbain 
II,  défendit  à  tout  prêtre  et  évêque  de  prêter  Thommage-lige  en-- 
tre  les  mains  du  roi  ou  d'un  la'ique  quelconque  (4).  Urbain  II 
exprime  sa  pensée  à  ce  sujet  dans  sa  réponse  aux  députés  de 
Henri  réclamant  le  droit  d'investiture  :  «  L'Église  rachetée  et 
»  libérée  par  le  sang  du  Christ  ne  doit  plus  être  rabaissée  au 
)'  rang  d'une  servante  ;  or,  elle  y  retomberait ,  si  les  évêques 
«n'étaient  élus  que  suivant  le  caprice  des  rois,  s'ils  devaient 
»  mettre  leurs  mains  consacrées  entre  des  mains  laïques  souil- 
»  lées  de  sang,  et  en  recevoir  le  symbole  de  leur  dignité  spiri- 
»  tuelle  »  (5).  Son  successeur,  Paschal  II,  dans  un  concile  tenu 
à  Latran  en  1101,  renouvela  avec  vigueur  la  défense  de  l'inves- 


(1)  V.  Hurler,  tableau,  ccl.  Il,  244  cl  siiiv.   (2)  Mansi,  XIX.  7<f.   '5;  M. 
XX.  403.  (4)  Ib.  817. 


I!M»  kî;s\i  >«  h  i  ks  ellctions  episcopaies. 

lilurc  (I;.  O  nt-  Im  iiuCn  M  lîi  <|ue  1  eiii|>(Tciir  Henri  \  coni- 
moiua  «nlîn  à  iicocpier  des  proposilions  l^^^-modér<M's  tlo  la  part 
<lii  p;i|>c  (.lalixh- II.  L'«vr«|iie  dr  Laiisaniic.  Gérard  «le  Fau«i},i)y, 
éiail  d«'légu('  de  l'empereur  pour  ce  premier  essai  de  parifica- 
linn  (2).  Ces  discussions  se  lerminèrenl  on  1122,  à  la  diète  de 
Worms.  Calixte  II  con>0(pia  1»^  concile  (T'îumonique  de  Latran 
1123)  qui  confirma  les  dispositions  du  concordai  de  Worms, 
d'après  lesquelles  il  fut  décrété  ce  qui  suit  :  a  L'empereur  abaii- 
«  donne  à  l'Eglise  cailiolique  toute  investiture  par  la  crosse  et 
u  l'anneau,  et  consent  à  ce  que,  dans  toutes  les  églises  de  l'em- 
»  pire ,  l'élection  et  la  consécration  se  fassent  librement ,  selon 
»  les  lois  ecclésiasli(]Ut's.  Par  contre  le  pape  consent  à  ce  que  l'é- 
'  lection  des  prélats  allemands  se  fasse  en  présence  de  l'empe- 
'>  reur,  mais  sans  contrainte  et  sans  simonie  ;  h  ce  que  les  élus 
.)  reçoivent  l'investiture  en  Allemagne  avant,  en  Italie  eten  liour- 
«  gogne  après  la  consécration  ,  non  par  la  crosse  et  l'anneau  , 
/>  mais  par  le  sceptre,  et  s'acqulicnt  iiinsi  de  leur  oldigaiion  en- 
»  vers  IVmpereur  (3).  »  En  1125,  Lothaire  11  consentit  à  ce  que 
l'élecifon  de  l'évéque  ne  se  fit  ]>lus  en  la  présence,  toujours  in- 
timidante, du  prince,  et  à  ce  que  l'cNéque  prélat  entre  les  mains 
du  souverain,  après  la  consécration  seiilemenl ,  non  plus  le  ser- 
ment de  riionmtagc-lige,  mais  le  serment  de  fidélil*' (4). 

1-e  résultai  de  la  longue  lutte  entre  les  papes  et  l«»s  enipereurs 
lut  donc  la  liberté  des  élections  canonicpies  :  le  droit  du  clergé 
rt  du  peuple,  et  ceux  du  vulropolitaitK  ftiieiii  maintenus;  l'em- 
perenr  donnait  Vinvratiturr  des  liefs  à  l'eNcqne  déjà  consacré  et 
en  recevait  A*  serment  de  fidélité. 

Pendant  toute  celte  époque  de  1032  :l  1123,  nous  trouvons 
à  Lausanne  cinrj  «'véques  ,  dont  un  seul,  si  nous  en  cro\ons  la 
(hroniqiie,  parvint  à  l'épiscopai  par  «'lection;  c'est  Conon  de 
Hasembourg  :  «  fuit  electus  Lnusnnnœ  •  (tt).  Quant  anx  antres, 
il  est  très-probable  qu'ils  furent  promus  par  la  faveur  des  cm- 


(I)  Hosson.  Scliohsl.  Comiiicnl.ir.  a|>.  Ilarzlicim,  Conril.  C.rnn.  III.  i7S. 
(i)  Mansi.  \\l.^27t  c(  srr|.  ^T^)  V.  Alzo^.  I.  c  .:  IW.  iH.  tiP».  '217  ri  4IH. 
(4)(:iiron.  CnrI.  j..  H. 


tSîJAl   SUK   LbS   ÉLKCTlOiMS  ÉlMSCOPALES.  197 

percurs.   A  Genève,  on  on  compte  quatre,  mais  on  ne  sait  pas 
non  plus  quel  a  été  le  mode  de  leur  promotion. 

Apn;s  le  concordat  de  Wornis,  en  1122,  et  l'élection  de  l'em- 
pereur Loiliairc ,  le  siège  de  Lausanne  était  occupé  par  Gui  de 
Marlanie,  S.  Amédi'e,  Landry  de  Durme  et  Roger,  sans  qu'au- 
cun document  nous  parle  d'élection,  jusqu'à  l'année  1212,  où 
nous  lisons,  dans  la  chronique  du  cartulaiie,  celle  de  Bertliold  de 
Neucbàtel  (1).  il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  diocèse  de  Ge- 
nève, où,  après  la  mort  de  Humberl  de  Grammont,  Arducius  de 
Faucigny,  prévôt  de  Lausanne,  avait  été  élu,  vers  1136,  avec  un 
grand  consentement  du  clergé  et  du  peuple  :  tanto  cleri  popu- 
lique  consensu  (2). 

VIII.  Peu  d'années  après,  le  deuxième  concile  de  Lairan 
(1139)  suppose,  sans  le  décréter,  que  les  laïques  ne  prennent 
plus  part  à  l'élection,  puisqu'il  ne  mantionne  aucun  ayant  droit 
d'y  concourir  que  les  chanoines  de  la  cathédrale,  auxquels  il 
ordonne,  sous  peine  d'excommunication,  de  consulter  dans  l'é- 
lection, religiosissimos  viros,  c'est-à-dire  les  abbés  et  les  reli- 
gieux (3).  Cependant,  pour  dire  vrai,  il  existait  jusqu'à  la  fin  du 
Xir  siècle,  non-seulement  dans  les  différents  pays,  mais  encore 
dans  les  différents  diosèses,  des  usages  divers  pour  les  élections 
des  évêques ,  usages  que  l'on  ne  put  rendre  uniformes  que  par 
degrés.  Ici  les  familles  nobles  prétendaient  avoir  le  droit  d'être 
consultées  ;  là  les  officiers  séculiers  des  évêchés  usaient  quel- 
quefois de  violence  pour  faire  élire  leur  favori  ;  ailleurs  les 
avoués  des  églises  cathédrales ,  ou  les  petits  princes  des  envi- 
rons ,  usaient  de  toutes  sortes  de  moyens  pour  faire  élire  leurs 
parents  ou  leurs  créatures  (4).  Innocent  III ,  partant  de  deux 
principes  :  a)  qu'il  était  contraire  à  la  nature  qu'un  chef  fût 
nommé  par  ses  subordonnés  immédiats,  et  h)  qu'un  laïque  dis- 
posât d'une  dignité  ecclésiastique,  s'efforça,  partout  où  des 
laïques  exerçaient  encore  le  droit  d'élection,  d«  le  tranférer  au 
clergé.  L'empereur  Othon  IV  confirma  aux  chapitres  des  cathé- 


(1)  Cliron.  Cail.  p.  Wi.  (2)  S.  Bernard,  cpisl.  27.  (5)  Couc.  lai.  1[.  caii.  28. 
cf.  Waller.  1.  c  %  230.  (i)  V.  Hurler,  I.  c.  II,  2(57  ctsuiv. 


(i)H  Ks.SVI    SIR    l.t>  ÉLt(:THI.>>   tnx  uiVLI.s. 

draliN  le  dioiui'i'leclion,  le  22  mars  ll'Oλ,  el  Frédéric  II  niiou- 
>ola  la  intMne  déclaraiion  par  sa  hiilK*  d'or  donnée  à  Egger  en 
121 3,  eu  faveur  d'Innocent  III,  el  en  1229,  en  faveur  d'Honorius 
III  I  ,  Innocent  III  fit  prnriamer,  par  le  quaitièmc  «oncile  de 
Latran,  ronune  loi  g<''nerale  de  l'cj^lise,  (pie  les  tliauoincs  «-taient 
seuls  autorisés  à  procéder  à  l'élection,  quoiqu'il  ne  désapprou- 
vât pas,  tant  par  convenance  cpie  par  saj^esse  ,  (pi'on  eut  égard 
aux  désirs  du  peuple  el  à  ragréincnl  du  prince,  comme  on  peut 
le  prouver  par  une  foule  de  ses  lellres. 

Celle  restriction  apportée  au  droit  d'«'lection  peut  aisément 
être  justifiée  1°  parce  (prelle  s'est  faite  non  par  les  papes  seuls, 
mais  avec   rasseiiliment  des  tv»''(pies  et  le  consentement  mt^me 
«le  l'aulorite  laïque  ;  et  |>arce  «pie  les  papes  n'ont  fait  autre  chose 
«|ue  consacrer  un  usage  «pii  r«»mmen«;ail  à  s'élahlir  |»euà  |>eu,  el 
melire  d«;  lunilormite  à  la  pla»  e  dune  foule  «lusages  et  de  pn-- 
leniions  parti«ulièrcs;    2"  l'expérience    avail    démontré  d'une 
manière  plus  que  sullisanlc  que  l'Église  était  mieux  g(»uvernee 
«pjand  le  choix  était   laissé  au  clerg«'  lui-nu'me,  et  «pi'uue  in- 
lluence  lai«|ue  pouss«'e  trop  loin  élevait  sou\entà  la  dignité  épis- 
copale  des  hommes  qui  ne  remplissaient  point  leur  devoir  cl  ne 
«■h«.'rehai«Mil  pas  à  l'honorjT  par  K'iir  «onthiile;   3"  le  p«Miple  lui- 
uu'mi'  ne  parait  |)as  aNoir  r«grelle  la  p«'rle  «le  son  iiillin-nee  «piel- 
<  on«iue  clans  l'élection,  puisque  nous  ne  trouvons  nulle  part  qu'il 
s'en  soit  plaint.  Au  contraire,  à  (i«'h«'ve  mènje,  il  parait  «n  avoir 
été  l)ien  «'onlent.  En  clfet,  l«irs<pi'a|>res  la  mort  d*-  levi'tjue  Nan- 
telnu' ,  >ers  1205,  le  «omte  Guillaume  de  Genevois  voulut  éle- 
ver sur  le  siège  cpiscopul  son  oncle  Gensin,  chanoine  de  Vienne, 
les  chanoines  de  G«nè\e,  chargés  de  l'élection,  <  henhèreni  au- 
pn-s  «les  bourgeois  «!«'  la  \ille  |»roi«clion  contre  les  preh  niions 
du  prince ,  el  les  bourgeois  menacèrent  d<'  courir  aux  armes , 
si  le  comte  ne  laissait  pas  une  eiiiitie  liberté  de  «  hoi\  (2). 

\prcs  tout,  le  peuph'  asaii-il  Weaucoui»  p«rdu?  son  inlliunce 
avait-elle,  été  si  grand»' ,  de«isi\e  mèmej' 


(1)  \V«l«n.  I.  (-.  ri,  lliirlt  I.  I. 


LSSAI   sur.   LLS   KLLCTIOiNS   El'ISCOl'ALLS.  199 

A  (Mih'iidro  le  Citadin  de  Genève,  l'éleotion  se  faisait  \n\v  le 
peuple  en  conseil  général ,  chacun  y  donnant  sa  voix  d'approba- 
tion ou  dcrejcrdnn...  Mais  !M.  Mallei  fait  à  (.'O  sujet  une  léllexioti 
bien  juste  :  «  Éliani,'o  syslèuie  ,  clil-il ,  qui  nn-connaît  le  carac- 
»  tère  essentiel  de  l'évèque,  celui  de  pasteur  spirituel,  de  chel' 
»  du  clergé  du  diocèse,  dans  le  choix  duquel  l'élément  ecclé- 
»  siastique  doit  par  consC(|ucnl  avoir  sa  légitime  part;  pour  n'en 
«faire  qu'une  sorte  de  inagisirat ,  issu  d'une  élection  politique 
»  pure  et  simple,  à  la  mani«  rc  de  celles  des  républiques  de  l'an- 
wtiquité...  11  fallait,  ajoute-t-il  plus  loin,  le  concours  du  clergé 
»  et  du  peuple^  et  le  clergé  était  mis  en  première  ligne  »  (1). 

Bonivard  dit  que  les  évêques  étaient  «  postulés  par  le  peuple 
et  élus  par  le  chapitre  et  le  clergé  de  la  ville  (2).  On  voit  que  Bo- 
nivard ne  laisse  au  peuple  que  le  droit  da  postuler,  de  deman- 
der, et  que.  selon  lui,  l'élection  d(;finitive  appartenait  au  cleigé. 

MM.  Mallel ,  après  avoir  rapporté  plusieurs  passages  de  saint 
Cyprien  concernant  l'élection ,  conclut  :  «  Aux  évêques  voisins 
»  et  au  clergé  appartenait  le  rôle  principal,  le  pouvoir  électif  pro- 
»  prement  dit.  Le  peuple  était  appelé  pour  faire  connaître  son 
»  vœu,  donner  témoignage  pour  ou  contre  les  divers  candidats, 
»  et  dans  le  cas  où  il  n'avait  pas  d'objection  contre  celui  qui 
K  réunissait  les  suffrages  du  clergé,  apporter  à  cet  élu  une  adhé- 
»  sion  nécessaire  pour  compléter  son  titre,  en  lui  donnant  l'atla- 
»  clie  de  la  généralité  du  troupeau  »  (3).  Les  mots  soulignés 
doivent  s'entendre  non  pas  d'une  adhésion  essentiellement  néces- 
saire, puisque  du  temps  même  des  Apôtres  on  établit  des  évê- 
ques sans  le  concours  du  peuple  ,  et  du  temps  de  saint  Cyprien 
on  croyait  que  l'épiscopat  était  donné  de  par  Dieu  et  son  Christ, 
et  non  de  par  le  peuple. 

Plus  loin ,  le  même  auteur  pose  la  question  :   <  Comment  se 

passait  cette  élection  (par  le  clergé  et  le  peuple)?  et  il  répond 

avec  beaucoup  de  justesse  :   «  C'est  ce  qui  n'est  expliqué  par 

'  aucun  des  documents  que  j'ai  pu  rencontrer.  Mais  il  paraît  évi- 

»  dent  qu'il  ne  s'agissait  que  de  choisir  entre  un  petit  nombre 


(1)  Mém.  et  Doc.  de  la  Soi-.  <l  liLsl.  de.  ilt:  tJcncvc.  II.  105.    (-2)  Ib.  p.  104  ut 
105.    (5)  Ibul.p.  m. 


201)  t6>VI    slK    Lt^   Kl.t(.TlO>>   tflx  (lIALtS. 

»  (le  caiididut!»  (|Ui.-  leuilposiliuii,  l'upiiiiun  publii]ue,  ou  un  pui^- 

•  suni  |»utroii3^i',  désignaienl  coiiiroe  étant  seuls  à  ini^iiie  d'aspi- 
.  rer  à  ccltt'  liaiiU'  dij^'iiilt".  Déjà  1»;  dtn\i(''iii<'  (  onril»*  d'Arles,  vu 
»  452,  avait  donné  rexi-inpie  d'une  pareille  limilaiion  dans  les 

•  choix  en  décidant  <  que  les  évéques  de  In  province  désigne- 

■  raient  trois  candidats  sur  lcs(]uels  de\rait  juMler  le  choix  du 

■  clerm*  et  dos  citoyens  »  {l).  Sans  (|u'une  pareille  rè^le  fût  ^é- 
»  neralement  oMif^'aloire,  on  n'en  comprend  pas  moins  (]uc  la 
»  force  des  choses  limitait  beaucoup  le  choix  de  l'évoque... 

•  Le  clergé  et  les  laiijues  votairtit-ils  ensemble?  Cela  n'est  pas 
«démontré.    .\'esl-il  pas  plus  pr»il»alde  ,    au  (oniraire,   que   le 

•  clergé,  juge  compétent  dans  le  choix  d'un  ecclésiastique,  et  plus 
»  intéressé  que  personne  à  la  nomination  de  celui  qui  allait  être 
m  son  chef,  volait  le  |>remier,  et  <|u'ensuile  on  demandait  au  peu- 
»  pie  s'il  agréait  le  candidat  dt'signé  à  ses  suffrages  par  le  prea- 
»  vis  du  clergé?  C'est  ce  que  semblent  indi«pter  les  termes  de 
u  <pie|(|iies  éleclions  :  acclamatio  et  vocatio  cleri,  petitio  plebis... 
i/eleciion  devait  êlrc  unanime;  aussi,  il'après  ions  l<s  doru- 
ments  relatifs  aux  «'lections,  le  clergé  et  le  peMpIr  voimi  concor- 
des omnes,  unanimi  voto,  omnium  cotisensu.   «  La  consecpienrr 

•  en  est  qu'il  ne  s'agissait  pas  ici  dune  de  (es  élections  ou  les 
»  voix,  légalement  «égales  entre  elles,  toutes  régulièrement  ex- 

■  primées  sur  des  bulletins  de  suffrages,  se  recueillent  sans  e\- 

•  (.epiion  aucune  et  se  comptent  numériquement...  S'il  ena\ait 
»  elé  ainsi,  rassend>lee  se  serait  soun(  r»l  parlag«'e  en  majorité  et 

•  en  minorité,  en  fractions  inégales.  »  Or,  c'est  ce  (pron  ne  voit 
jamais  dans  les  anciens  docunienls,  oii  toujours  l'eleciion  est 
dite  avoir  ete  iaitt;  par  un  ac<  or*l  unanime,  une  <  (uumuiu'  voix. 

■  Alors  les  volations  po|>ulaires  des  démocraties  antiques  éi;iient 

•  dès  longtemps  oubli(ies,  et  le  système  arillimeiiqne  des  éle« - 
»  lions  des  gouvernements  conslilulionnels  modcrtus  était  loin 
»  d'(':trc  invenlé.  Il  ne  s'agissait  pas  d'ailleurs  d'un  droit  electo- 

•  rai  politi(|UC  conféré  au  peuple  ;  on  voulait  seulement,  comme 

■  le  disaient  les  papes  Celesliu  et  I-eon,  faire  ensorte  <|u'un  trou- 
»  |Mau   ne   fut    pas  obligi"  de  subir  un    pasteur  (onlre   son  firc 

(I;  Caii.  9i. 


KSSAl   St'll  tliS   ÉLKCriOiVS  ÉPISCOI'AI.ES.  201 

'^Aiillus  invilis  delur  episcopus.  Célcst.  I.  Qui  prœfulurus  est 
omnibus  ah  oinnihus  clùjalur ,  S.  Léon);  on  voulait  (jiic  le  peu- 
»  |>le  consentit  librement  et  de  bon  cœur  à  recevoir  l'évèquc 
»  (|u'oii  lui  cit'siiiiail,  plutôt  cpi'ou  ue  l'appelait  pour  créer  par 
»  sa  volonté  et  ses  sullVaycs  un  dignitaire  eeclcsiasliipie.  L'élee- 
»  tion  se  bornait  donc  probablement  «  une  adhésion  donnée  par 
»  acclamation  au  candidat  proposé,  sans  opposition  du  côl(';  de 
)-  la  faible  minorité  qui  ne  partageait  pas  l'avis  général  »  (1). 

A  cette  démonstration  solide  de  M.  Mallet,  on  peut  ajouter  le 
sentiment  d'un  autre  écrivain  protestant,  d'après  lequel  l'in- 
fluence du  peuple  sur  une  ('lection  ii'était  guère  avantageuse,  et 
la  formule  communément  employée  indiquait  seulement  qu'il  ne 
s'était  élevé  aucune  opposition.  Aujourd'hui  encore ,  d'après  le 
pontilical  romain,  on  interroge  en  ce  sens  les  fidèles  (2). 

On  voit  (pic  le  peuple  n'a  pas  été  privé  d'un  droit  bien  es- 
sentiel, et  d'un  autre  coté  l'élection  ne  pouvait  que  gagner  par 
ce  changement,  puisque  le  chapitre  de  la  cathédiale ,  selon  la 
remarque  de  M.  Mallet,  léunissail  à  la  fois  la  garantie  du  choix 
et  l'influence  de  l'instruction,  de  la  noblesse  et  de  la  richesse  (3). 
Depuis  1 139  l'élection  était  ainsi  l'aff'aire  du  chapitre  de  la 
cathédrale ,  et  devait  se  faire  dans  l'espace  de  trois  mois  après 
la  mort  du  dernier  évéque  ;  ce  tenii)S  passé,  le  droit  d'élection 
appartenait  au  métropolitain,  lequel  aidé  du  conseil  de  son 
chapitre  et  d'autres  hommes  prudents,  et,  dans  les  trois  mois, 
iivait  à  pourvoir  l'église  vaquante  d'un  pasteur  digne  de  ces  fonc- 
tions. 11  devait  le  prendre  dans  le  sein  de  l'église  vacante,  à 
moins  qu'il  ne  s'y  trouvât  aucune  personne  jugée  digne,  et  lui 
conférer  l'ordination  canonique.  L'examen  du  sujet  élu  réguliè- 
rement par  le  chapitre,  et  la  confirmation  de  l'élection,  apparte- 
naient de  même  au  métroijolitain  (4).  Telle  était  la  règle  géné- 
rale ,  qui  avait  cependant  ses  exceptions ,  de  manière  que  pour 
bien  des  motifs  les  papes  étaient  obligés  d'intervenir  a)  pour 
cause  d'irrégularité  dans  l'élection,  b)  d'empêchements  dans  la 
personne  élue,  c)  d'appel  de  la  part  dés  électeurs  ou  de  plu- 


(I)  Mcm.  cl  Doc.  1.  c.  p.  121-128.    i2j  Hmier.  1.  c.  p.  2()4..   (5)  Méin.  etc. 
1.  c.  p.  ii.3.  (i)  V.  Walter,  I.  c.  .^  2ôl. 


202  l>^\l   SIH    LES   ÉLECTIONS  ÉPISrOPALES. 

hieurs  personnes  élues  ;l  la  fois,  </)  de  dispenses  ù  atcordei , 
e)  de  translation  d'un  si«''ge  à  un  autre,  f)  de  renonria lion  vo- 
lontaire et  de  destitution  ,  et  de  riiilli-  atiires  motifs  (|u'il  serait 
tiop  louf,'  d'enunuTer. 

Durant  cette  période,  il  est  à  presiinnr  «pie  dans  Téglise  de 
I^usannc  les  |)apcs  ont  dû  intervenir  pour  plusieurs  élections  ou 
nouMucr  directement  les  titulaires.  S.  Amêdce  '1144-1158), 
Landry  de  Durne  ;  lir>!)-l  174;  et  Ko-er  (1  17.'>  enxiron  -  I-2I2) 
élaieiii  ciraii^ers  au  diocèse;  un  contraire  Berclitojd  de  Nen- 
châtel  1-212— 1220)  ei  Guillaume  d'Ks.uMens  (1221  —  1229) 
appartenant  au  chapitre  de  Lausanne,  furent  élus  par  les  cha- 
noines. Aussi  Berchlold  IV,  duc  do  Zieringen  «  avait  promis 
avec  serment,  en  1167,  à  S.  Aniédée ,  ««vôque  de  Lausanne: 
<  guod  libérant  jiermitlerct  fieri  eleclionem  in  Lausannensi  Eccle- 
sià.  o  (lariid.  de  Lausanne.  Msc.  fol.  !J8.  Apiès  la  mort  de  «'c 
dernier,  le  chapitre  ne  pouvant  s'accdider  sui-  le  choix  et  le 
siège  episcopal  étant  reste  vacant  pendant  deux  ans  ,  le  pape 
Grégoire  l\  nomma  Honiface  écolitre  de  Cologne,  à  rév(kh(' 
de  Lausanne.  Après  sa  n'signation  vers  1238  ou  1239,  le  cha- 
pitre se  divisa  de  nouveau  et  lit  une  double  élection  ;  enlin  Jean 
deCiossouay  lut  reconnu  suer essivement  dans  les  dilVérentes  par- 
li«»s  du  diocèseet  le  gouverna  juscpie  \ers  1273,  SeS  successeurs, 
(iuillaume  de  C.hampvent  (1273 — 1302),  Gérard  de  Vuippens 
(1302— 13I0^  et  Oiton  de  Champveni  1310— 131 2^  avaient  e|e 
chanoines  de  Lausanne,  ce  qui  nous  autorise  à  croire  «]uils  ont 
Clé  élus  par  le  chapitre,  ainsi  que  les  évoques  suivants,  sauf 
|>eul-c'lre  dctix  ou  trois  exceptions,  jusqu'à  Guillaume  de  Men- 
ihonay  (1304^1400.  Cependant  Boniface  I\  ,  qui  siégeait  à 
Kome ,  avait  nommé  en  13iM  e\rqne  de  L:iii>anne  Jean  Monachi, 
trésorier  de  l'église  de  Hàle,  mais  il  ne  fm  pas  reçu.  En  1406, 
Guillaume  de  Menlhonay  fut  remplace  par  (Guillaume  de  (.hallant 
I^140(i-1  L31),  que  le  pape  d'Avignon  ,  Benoit  Mil ,  avait  noumie. 
Guillaume  assista  au  concile  de  Constance,  ou  Martin  V  fut  élu 
pape  le  1 1  novembre  H I  7  . 

Bevenons  aux  evèques  de  Gene\e.  sut  U^qurU  .  i\  est  vrai  . 
nous  n'axons  que  Ires-peu  d'«claircissements.  Un  a  >u  qu  Ar- 
ducius  (1  13'»— 1  IK/>,  aNail  ele  .lu  p.ir    le  rierge   et   le  peupl 


ESSAI  SLK   LKS   ÉLECTIOi\S  ÉPISCOPALES.  203 

Si  N:\molnu\  son  sucoossciir  (1185  —  1205),  a  élo  religieux  de 
la  charlreiise  d. Villon  ,  il  lallail  riniervenlion  du  pape.  Après 
sa  mon,  les  chanoines  voulaient  faire  une  élection,  couinie  nous 
l'avons  vu  plus  haut ,  cl  furent  soulcnus  par  les  bourgeois  contre 
les  prélcnlions  du  comte  de  Genevois.  Cependant ,  couime  nous 
voyons  cette  fois  parvenir  à  cet  évèchc  Bernard  Chobert,  chan- 
celier de  l'église  de  Paris  et  ami  d'Innocent  III,  il  est  très-pro- 
bable qu'il  fut  postulé  par  les  chanoines,  ou  nommé  immédia- 
tement par  le  pape.  Quanta  Pierre  de  Sessons  et  Aimé  de  Grand- 
son,  qui  étaient  évèques  de  Genève  de  1213  à  1260,  nous  n'avons 
rien  trouvé  sur  leur  promotion.  Il  en  est  de  même  d'Aymon  de 
Menthonay  et  de  Robert  de  Genevois  (1268 — 1288).  Mais  Henri, 
évéque  de  Genève  depuis  1260  fut,  comme  religieux  et  étranger 
au  diocèse  ,  nommé  par  le  pape ,  comme  le  prouve  un  document 
authentique  (1).  Il  pourrait  en  être  de  même  pour  Guillaume  de 
Conflans  (1288-94  environ),  qui  appartenait  au  chapitre  deLyon. 
La  forme  de  la  promotion  de  son  successeur  Martin  (1295 — 1303) 
n'est  pas  connue.  Le  chapitre  élut,  après  sa  mort,  Aymon  du 
Quart ,  prévôt  de  Lausanne  (2)  ;  il  est  à  croire  que  Pierre  de 
Faucigny  (1313 — 1342)  a  aussi  été  élu  par  le  chapitre;  l'élec- 
tion de  son  successeur,  Alamand  de  S.  Joire  (1342 — 1366),  et 
sa  confirmation  par  le  métropolitain  de  Vienne,  sont  prouvées  (3); 
le  mode  de  celles  de  Guillaumç  de  Marcossai  et  de  ses  succes- 
seurs jusqu'en  1388,  ne  nous  est  point  connu.  En  cette  année 
(1388)  l'évêque  Adhémar  Fabri  de  la  Roche,  mourut  à  la  cour 
du  pape  d\4vignon  (Clément  VIII,  Robert  de  Genevois),  et  pour 
celle  raison ,  Clément  nomma  lui-même ,  par  droit  de  réserve, 
à  l'évéché  de  Genève,  Guillaume  de  Lornay  (1388 — 1408); 
après  sa  mort,  le  chapitre  élut  Jean  de  Berlrandis.  Le  pape 
avjgnonais,  Benoît  XIII,  prétendant  aussi  au  droit  de  réserve,  on 
ne  sait  pour  quel  motif,  nomma  directement  celui  que  le  cha- 
pitre avait  nommé.  Jean  de  Bertrandis  fut  reçu  par  le  chapitre, 
comme  élu  par  lui  et  confirmé  par  le  pape,  ce  qui  était  faux  (4). 


(i)  Mém.  etc.  1.  t.  p.  Ii7  et  185.  (2)  Mém.  de.  I.  e.  p.  149.  (5)  Ib.  151-155. 
(i)  Ib.  l.S7-f!jO.  * 


Il  est  piobalile  <|uc  tous  les  iieii\,  le  |)U|>e  aus!>i  bien  qui;  le  rlia- 
|)ilri-,  vuiilureiU  avoir  iiuiinU'nu  un  droit  vrai  ou  prétendu. 

Nous  Noyons  cjirj  criU'  c|>o<|ut'  les  papes,  «eux  de  Uonie  aussi 
Itieit  «pie  ceux  d'Avignon,  se  réservaient  en  plusieurs  occasions 
la  nomination  directe  des  l'-Néques.  (x'tle  n'-iierve  est  souvent 
(|ualiliee  d'empit'lenienl  et  d'usurpation,  de  prétention  exorlii- 
lanle  tie  la  cour  de  Home,  e»c.  Kxaininons  sérieusement  cette 
«piesiion  ;  mais  pour  ne  pas  nous  Iruuiper  dans  cet  examen,  con- 
sidérons-la non  d'après  les  idées  de  notre  siècle ,  ni  d'après  un 
système  établi  à  priori,  niais  plaçons-nous  d'abord  sur  le  tet  rain 
ca(lioli<|ue,  examinons  le  point  controverse  d'ajires  les  ide»s  «le 
repo(|ue  et  selon  les  circonstances  du  temps. 

IX.  Quelles  étaient  ces  réserves  apostoliques?  a)  En  1268, 
Clément  IV  réserva  au  pape  la  nomination  directe  aux  prélalu- 
res  ei  bt-néfices  vacants  en  cour  de  Home,  c'est-à-dire  dont  le 
lilulairc  \enaii  à  mourir  peiidaiii  ipiii  se  irouNail  ;l  Home.  Honi- 
face  Mil,  Clément  V  ei  Jean  Wll  renouvelèrent  celle  résene;  et 
do  plus  on  retendit  aux  liiulaires  rpii,  venant  à  la  cour  de  Rome 
ou  retournant  cliez  eux  ,  mouraient  à  une  dislance  de  Home  de 
deux  journées;  b)  les  papes  d'Avignon  en  liront  d'autres;  on 
voit  Jean  XXI!  se  réserver  la  provision  aux  pnlainros  devenues 
vacantes  par  l'acceptaiion  d'une  dignil»-  ou  d'un  olFuc  conféré 
par  le  papo  et  inrompatilile  avec  le  premier.  Benoit  XII  se  ré- 
serva la  provision  aux  dignités  quelconques  d<mt  le  lilulairc  au- 
rait éié  déposé  ou  transféré  à  im  autre  poste,  ou  au  sujet  des- 
(juclles  le  |»apc  aurait  acce()ié  une  renonciation,  cassé  une 
élection,  ou  rejeté  une  postulation;  vt'u\  dont  les  |)05scsseurs  et 
titulaires  auraient  éti-  élevés  au  rang  de  patriarche,  arcbevê- 
que.  etc.,  ceux  enlin  qui  deviendraient  vacants  par  la  mort  dim 
cardinal  ou  «l'un  autre  mend)re  de  la  cour  pontificale,  en  quel- 
«pie  lieu  que  ce  décès  fût  arrivé  (1).  A  la  vue  de  ces  réserves, 
«m  s'écrie  «prelles  no  tendaient  f»  rien  moins  qu'à  dépouiller  le$ 
chapitres  de  leur  droit  d'élection  ,  le  rlrrge  et  les  fidrles  du  dio- 
cèse de  toute  influence  sur  le  choix  «le  l'élu,  de  rrrrr  partout  des 

(l)  Mém.  etc.  i   r.  p.  i:)l-i:i<;.  .I  Walln,  l   r.  ;'  •A".'.». 


KSSAi  sn;  i.LS  lar-crioNS  kimscofalks.  205 

hommes  à  la  divotion  des  popes,  et  de  subt^enir  à  la  pénurie  dr 
leurs  finances;  c)  au  concile  de  Consianco,  Martin  V,  an  lien  de 
rcnonccM'  à  tontes  les  réserves  ,  se  boina  à  déclarer  "  qne  les 
»  éleclions  épiscopales  anraienl  lien  selon  les  formes  canoniques, 
»  dans  tons  les  eas  qni  n'étaient  pas  réservc's  an  Saint-Siège  par 
»  la  linlle  de  Benoît  \II,  de  1.3'Jo.  Jdrcrjimen  ^•oyez  ri-dessus  J^; 
»  elles  seront  soumises  à  la  confirmation  du  pape,  qni  les  eonflr- 
»  mera  si  elles  sont  régulières,  à  moins  qne,  pour  une  cause  rai- 
n  sonnahle  et  évidente,  de  l'avis  de  ses  cardinaux,  Une  juge  con- 
»  venable  de  nommer  une  personne  plus  digne  et  plus  utile  l\ 
)  rÉglise;  si  Télection  n'est  pas  présentée  à  la  confirmation 
»  pontificale  dans  le  délai  d'un  mois  et  vingt  jours,  ou  si  elle  est 
»  iirégniière,  le  pape  pourvoira,  c'est-à-dire  nommera  lui-même. 
••A  l'avenir,  on  n'attendra  pas  plus  de  vingt  jours  pour  pourvoir 
»  aux  églises  vacantes,  nonobstant  l'absence  de  ceux  qui  ont 
»  droit  d'élection  »  (1).  A  l'occasion  de  cette  déclaration,  on  se 
»  plaint  de  ce  qne  l'extension  donnée  au  droit  de  réserve  se 
trouvait  ainsi  définitivement  consacrée;  le  contrôle  du  métropoli- 
tain réduit  à  un  simple  hommage  de  forme  après  la  confirma- 
tion ;  enfin  le  pape  pouvait  donner  les  évêchés  à  qui  bon  lui  sem- 
blait, même  an  mépris  dune  élection  régulière,  sous  le  simple 
prétexte  que  la  nomination  de  celui  qu'il  préférait  serait  plus 
utile  à  l'Église,  etc. 

Ces  réserves,  quelqu'odieuses  qu'elles  puissent  être,  le  sont 
cependant  moins  qu'on  ne  pense.  Car  : 

a)  Celles  de  Clément  IV.  de  l'année  1268,  n'étaient  pas  si 
absolues;  ce  droit  réservé  devait  être  exercé  par  le  pape,  dans 
le  mois,  dès  la  mort  du  titulaire  ,  et  n^avait  pas  lieu  pendant  la 
vacance  du  Saint-Siège,  comme  on  le  sait  très-bien  (2).  D'ail- 
leurs celte  réserve  était  fondée  sur  un  motif  assurément  bien 
louable,  savoir  pour  que  l'église  ne  fût  pas  en  souffrance  par  une 
longue  vacance  du  siège  épiscopal. 

h)  Sans  vouloir  justifier  tons  les  motifs  pour  lesquels  les  pa- 
pes d'Avignon  avaient  fait  tant  de  réserves,  on  peut  dire  que  l'o- 
pinion publique,  l'enseignement  presque  général  et  ranlorilc'  des 

(  I)  MiMii.  Pif.  I.  <■.  |i.  !(10.  iH)  Fil.  \).  \nicl  l.'iîl. 


J0(>  KSSAI  SIR   I.K>  KLECTIOMS  ÉflSCOI-Alb!». 

lioiuiiu!s  l«'s  |iliis  savants  en  ilicolugie  cl  eu  (li*oil  canonique  . 
«•laifiil  favoiahlrs  à  relie  ^'randr  aulurili*  «les  (>a|ws.  Qui  donr 
pourrait  li'in  en  faicc  un  niinc,  s'ils  nni  mis  en  |iiaii(]ue  ec  que 
lu  ihéorie  leui-  |.ermenaii?  G^s  réserves ,  comme  on  saii,  n'é- 
laienl  dteKleos  <|ue  jusqu'à  ce  (jue  Vnutorité  des  papes  avigno- 
nais  fût  universellement  reconnue.  Donc,  les  |)ontifes  étanl  inlé- 
rcsscs  ù  voir  leur  autorité  reconnue  dans  l'Éj^lise  universelle,  le 
meilleur  moyen  pour  faire  cesser  le  schisme,  paraissait  être  la 
nomination  directe  des  év«*(|ues  parles  pa|)es,  vu  (pie  les  pasteurs 
une  lois  reunis  au  chef,  leurs  troupeaux  (le\ aient  ne  pas  larder 
non  plus  à  s\v  rattacher  à  leur  tour. 

Si  souvent  les  chapitres  ont  été  (h-pniiilles  du  droit  d'élire,  à 
qui  la  faute ':^  Les  chanoines  se  trouvaient  irès-sou\ent  iulluencés 
par  les  intérêts  des  familles  nobles;  de  là  des  divisions  qui  ren- 
daient les  élections  iinpossihies,  ou  dangereuses,  souvent  irrégu- 
lières ;  de  là  les  longues  vacances  au  détriment  des  églises  et 
des  fidèles,  ou  hien  des  «'lectioiis  malheureuses,  dont  le  résultat 
était  la  promotion  d  un  sujet  plus  laïque  qu'ecclésiasli(pie,  qui, 
laissant  à  des  administrateurs  jtlus  ou  moins  capables  le  soin  du 
spirituel,  se  bornait  à  gouverner  eu  prince  et  à  faire  le  grand  sei- 
gneur. Dans  de  pareilles  circonstances  (et  elles  étaient  fréquen- 
tes aux  XIV  et  XV  siècles),  la  nomination  directe  par  les  pa- 
pes, loin  fl'élre  im  dommn^e  ou  une  injustice,  était  un  véritable 
bienfait. 

Le  droit  du  clergé  et  l'inlluence  des  fidèles  dans  le  chou:  de 
l'élu  qu<'  les  papes  auraient  empêche  par  leurs  réserves,  n'exis- 
taient plus  depuis  deux  siècles,  on  l'a  prouve  plus  haut.  Quant 
à  celui  des  chapitres,  il  n'était  (pie  suspendu  et  non  annulé. 

La  déclaration  de  Martin  V  au  concile  de  Constance  pourrait 
paraître  moins  conforme  aux  besoins  du  temps  et  contraire  à  «les 
droits  acquis  depuis  longteni|)s  ;  mais  il  tant  tenir  <  ompte  des 
circonstances  dans  lesquelles  elle  fut  faite.  (>  pontife  avait  d'a- 
bord nommé  une  (  ommissioii  pour  travailler  à  la  reforme  de  Tn- 
glise,  soit  dans  son  elirf,  soit  dans  ses  membres.  Kllc  se  com- 
posait de  six  lardinaux  et  des  d<|iutes  de  chaque  nation;  mais 
elle  ne  put  jamais  s'entendre,  tant  les  propositions  de  ses  mem- 
lires  éi.iirnt  disf  ordanies.  Aussi  les  diverses  nations  lrouvère»i- 


k.ns.vi  sou  r.KS  ÉLECTro^s  Lri.s((u>\i.Es.  207 

files  plus  utile  de  remédier  aux  ;diiis  l<s  plus  crinuls,  on  con- 
cluant des  concordats  particuliers  avec  le  pape.  La  déclaration 
de  Martin  V  est  du  21  mars  1418,  et  déjà  le  2  mai  eurent  lieu  les 
concordats  avec  l'Allemai^ne  et  avec  les  Français,  et  celui  avec 
les  Anglais  est  daté  du  12  juillet  suivant  (1).  Le  pape,  voyant 
(ju'une  réforme  radicale  et  C(»niplcte  ('lait  impossible  ,  se  pro- 
posait de  réduire  peu  à  peu  le  pouvoir  pontiiical  à  ses  justes  li- 
mites, en  commençant  par  réformer  les  abus  les  plus  pernicieux. 
Dans  le  même  dessein  d'une  réforme  successive,  il  annonça,  «lans 
dans  la  14"  session,  que  dans  cinq  ans  un  conseil  (icuménique 
serait  tenu  à  Pavie.  Il  tint  parole;  mais  des  circonstances  tout 
à  fait  indépendantes  de  sa  volonté  firent  remettre  encore  une  fois 
la  grande  aflaire  de  la  réforme  (2). 

Ce  <|ue  nous  venons  d'exposer  prouve  que  l'extension  donnée 
au  droit  de  réserve  ne  se  trouvait  donc  pas  définitivement  consa- 
cré, comme  on  a  bien  voulu  le  prétendre.  Quant  aux  autres  points 
de  cette  même  déclaration,  il  est  bon  de  remarquer  : 

1"  Que  Jes  ('-lections  épiscopales  devaient  avoir  lieu  selon  les 
formes  canoniques^  dans  tous  les  cas  non  réservés.  Ainsi,  de 
Tassenliment  du  concile  ,  les  réserves  devaient  continuer  indéfi- 
niment, il  est  vrai,  mais  on  n'avait  pas  renoncé  au  projet  d'y 
mettre  ordre,  et  dans  les  cas  non  léservés,  les  chapitres  pouvaient 
user  de  leur  droit. 

2"  Les  élections  épiscopables  devaient  à  l'avenir  éfre  confirmées 
par  le  pape.  Ici ,  n'oublions  pas  que  par  suite  des  nouveaux  con- 
cordats, de  la  situation  des  chapitres  et  des  églises  métropoli- 
taines, les  princes  séculiers  pouvaient  susciter  bien  desdiflicultés 
et  peser  sur  la  nomination  et  la  confirmation  des  évêques,  si  elle 
avait  été  laissée  au  métropolitain;  et  celui-ci,  comme  sujet  ou 
vassal  du  prince,  n'aurait  pas  été  assez  fort  ou  assez  indépen- 
dant pour  s'opposer  à  des  prétentions  préjudiciables  à  la  liberté 
des  élections  et  au  gouvernement  de  l'Église.  C'est  pour  cette 
raison  que  le  pape,  indépendant  sous  le  rapport  temporel,  et, 
d'ailleurs,  chef  de  l'Église  universelle,  se  réserva  la  coniirmaiion 


(i)  Von  der  Flardt.  iMagn.  Concil.  Con?(.  T.  I.  lOo.'J-IOfiS.  1089-1082,  et 

T.  IV.  i;;r)f.-ir)7!).  (-2)  v.  Àizog.  i.  c.  :^27i. 


UOîS  »>>vi  SI  h    LKS  ÉLECTMIXS   KPISCOI' M  tS. 

(les  alertions.  N'«Maii-«f;  pas  un  hifiifaii  |»om  los  ^•^lis(•s  p;irn- 
rilli«'rrs  vl  lin»'  s:«go  pl/rauliuM  ;' 

y  il  (Il  esi  de  même  pour  la  résciNc  <jui'  Mariiii  \  avail  fain-, 
savoir  <|uc  pour  une  cause  raisonnable  et  évidente,  ei  de  l'avis 
des  rurdiiKiiix  ,  il  |)OinTait  nommera  la  place  de  IVIii  d'un  clia- 
|)ilre,  une  personne  plus  tliyne  et  plus  utile  à  réglise.  Oir  souvent, 
dans  ces  lemps-là,  les  élcelions  faites  par  les  ejiapiircs,  maigre 
leur  régularit»'  ei  l'observance  de  toutes  les  formes,  n'étaient  pas 
au  profil  des  éjjilises,  sans  cela  on  n'aurait  pas  eu  à  déplorer  dans 
la  suite  tant  de  mauvais  résultats.  Si  donc  le  pape  ,  pour  um 
cause  raisonnable  et  évidente  à  ses  yeux  et  à  ceux  âo  son  conseil, 
jugeait  qu'un  autre  personnage  serait  plus  utile  à  l'église,  non- 
sculenu'nt  il  pouvait,  mais  il  devait  même,  du  moins  i]uel(]ue- 
fois,  préférer  le  bien  de  l'église  à  un  droit  dont  les  chapitres  n'a- 
vaient pas  fait  un  us:ige  assez  conforme  aux  besoins  du  diocèse, 
but  dans  Iccjuel  on  le  leur  avait  cnnf»ré.  Un  auteur  moderne  fait 
à  ce  sujet  une  obser\alioii  qui  s  applique  ties-bien  a  celte  ques- 
tion :   "  On  a  souvent,  dit-il ,  adressi*  aux  papes  le  reproche  de 

•  s'être  attribue  les  droits  des  conciles  |)rovinciaux  'on  |>«'ut  dire 
»  aussi  des  chapitres  et  des  métropolitains,  ;  sans  doute,  comme 
»  nos  princes  (et  nos  gouvernements)  se  sont  attribut'  les  droits 
9  des  diètes  et  des  communes.  Il  s'ensuit  seulement  (]ue  les  as- 
»  semblées,  diètes  ou  conciles  mi  élections  bonnes  et  utiles  par 

•  les  cha|»itres),  ne  pou>ant  plus  avoir  lien,  d'après  les  disposi- 
»  lions  des  temps  et  l'esprit  du  siè<le  .  d'autres  formes  les  rem- 
»  placèrent  »  (1).  Si  dans  la  suite  et  jusqu'à  l'époque  du  con- 
cile de  Trente  iXhi^),  on  a  quebpies  laits  particuliers  à  repro- 
cher aux  papes,  par  rapport  aux  nominations  des  évéques  de 
Genève  et  de  Lausanne,  il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  elles 
mauvais  procédè's  des  cours  souveraines  et  princières,  et  la  posi- 
tion que  s'étaient  faite  les  «hapitres. 

Avant  de  terminer  cet  Essai,  faisons  encore  quelques  réflexions 
qui  répandront  un  peu  «le  lumière  sur  les  aiii  ibutions  des  papes. 

I.   1,'Église,  d'après  saint  Cyprien  .  luiule  sur  saini  Vaiil .  Tr.- 

I     Wallrr.  I.  I .  .;  !">. 


KSSAI  SU»  IBS  ttliCTIOKS  ÉPISCOPAtES.  2(|y 

Klise  .SI  me...,  elle  a  dans  le  pape  le  centre  de  son  unité,  c'esl  à 
I".  que  se  ■■a,.a,l,e,u  .ou.e.s  les  ,-.,l|ses  pa.lHulièrcs,  comme  cesl 
j.uss>  son  ,lev„,r  .le  surveiller  ee  les  pas.eurs  et  les  brel,is,  de 
les  conserver  n„„-seulen.e„,  ,la„s  luni.o  de  la  f„i ,  mais  encore 
dans  „„,»„  cocUneure,  vMle,  ce  qui  li,i,  rÉglise  un,  e,  uni- 
versele,  la  soc.e.e  une  e.  ca.holiqne,  sous  le  gouvernemen,  d'un 
hel  su|„e„.c  e.  d'au.res  chefs  subalternes  (les  évéques)  qui  re- 
lèvent de  celu,-là.  C'est  ce  qui  es.  de  droù  kin  e,  tmmiwé 

II.  L'institution  des  métropolitains  et  des  provinces  ecclésias 
..nues,  la  for„e  de  l'élection  des  évoques,  la  arconsc  ip         es 
diocèses  ne  sont  que  de  droit  eccUsiaHi^ue .  e.  par  conséquen 
var,aUe  d'après  les  circonstances  des  temps  et  des  lieu"     ' 

III.  Le  pape,  une  fois  admis  comme  chef  de  l'Église  et  centre 

,     "'  '"'"  'f  P»"™"-  -ecessaire  pour  remplir  le  devoir  qui  lui 
esttmpose  de  maintenir  l'unité  intérieure  et  extérieure  ("^1" 
de  h  fo.  e,  celle  du  gouvernement).  Leibnit^  le  re  onnai    fo 
mollement  dans  sa  lettre  à  Fabrieius  (0pp.  T,  V   p    o-'s) 
«  Ouum  Deus  Deus  sit  ordinis,  e,  corpus  unL  Ècc  eL'    „i„ 
.   eg,m,„e  h.erarchiàque  universalicontinendum/„™j.v;wr 

n.a„istratus,  term,„,s  se  justts  coniinens,  directoriâ  notesiaie 
>on,m,ue„ece.sarid  ad  applendum  munus  pro  salu  e  EcclesiL 
»  agend,  facultale  inslructu..  „  Donc  :  tccles.œ 

IV.  Comme  à  une  époque  où  les  circonstances  le  demandaient 
le  Pûpe  pouvatt  donner  des  droits  aux  métropolitaitr  ou  leur 
en  a,sser  l'exercice  par  consentement  tacite 'il  po"  v;irauss 

oCdWe?;""'  '"^"^'''"''™'  '^^  -"-entrement' 
pour  les  ;:  Us  dirt'""'  '^^^'"""^'»t.  Il  en  estde  mém^ 
V        tes  diots  des  chapitres,   droits  variables,    comme  ceux- 

dtnrr:  ::::  :r  "^  '-"'-  ^■"  -^  --•  ^^^ 

uiMuti.  II  en  est  de  même  encore  pour  la  forme  dP  IpIo..-     ^, 
evéques.  que  les  papes  pouvaien.'iaisser  eCeer  p  'T    T 


J|0  tSSAI   SIK    I.KS   ÉLEimO^IS   éPISCOPALtS. 

U'iiips,  <  I  |iuiii  le  besoin  lif  l'inién^l  do  r«''f;lise,  et*  qu'ils  aNauMit 
accoidr  aux  uns  ri  aux  autres. 

Ainsi  touli'  la  conduilc  des  [)apcs  ,  pur  rappttrt  ù  la  nomiiiulion 
directe  îles  evi^cjucs,  ou  leur  condrniaiion,  etc.,  où  l'on  voudrait 
voir  (les  usurpations,  des  excès,  des  empiétements,  n'est  à  pro- 
prement parler,  «jue  l'exercice  d'un  droit  inhérent  à  la  papauié, 
exercice  qu'elle  pouvait  se  permettre ,  ou  auquel  elle  |>ouvait 
renoncer  d'après  l»?s  exigences  du  temps  et  dos  lieux.  Voilà  pour- 
»(uoi  nous  trouvons,  dans  l'Iiistoiro,  dos  t'ptxjues  où  ces  tiroits 
paraissent  moins  ,  et  d'autres  où  ils  sont  reconnus  publiquement 
et  oxorcos  à  la  faco  du  niondc  onlioi-. 

C'est  ainsi  (pie  de  nos  jours,  où  les  métropolitains  «l  les 
ov^^ques,  sujets  du  mt^mo  souverain,  sont  nommés  par  lui  à  l'épis- 
oopat ,  les  pa|)os  s'en  réser>enl  la  confirmation  et  l'institution. 
Dans  les  pays  où  il  n  y  n  plus  de  chapitres,  ei  où  le  souverain 
n'a  |)oiiU  le  droit  ro(M)nnu  de  nommer  les  évéipies ,  le  pape  les 
nomme  par  lui-mémo.  Là  au  contraire  où  il  y  a  des  chapitres , 
dans  dos  pays  soumis  à  dos  princes  non  oatholi(|ues,  l'élection 
est  déférée  au  chapitre  el  la  oonlirmation  réservée  au  pape  , 
comme  cela  se  pratique  en  Prusse,  etc.  Ailleurs,  comme  dans 
l'Amérique  du  Nord  ,  ce  sont  les  évéquos  ilv  la  province  avec  le 
métropolitain  ,  (pii  présentent  les  candidats  au  pape. 

Cette  intervention  suprême  n'est  pas  nouvelle.  Déjà  au  com- 
mencement du  \  '  siècle,  S.  Jean  Chrysosiôme  ,  menacé  sur  son 
siéj,'oépis(opal,  on  appela  an  père  commun  de  n^'^diso,  Innocent  I, 
ipii  prit  t  liaiidenient  son  parti  \)\  ers  lo  milieu  du  IV'  siècle,  les 
évoques  Lucius  d'Adriano|>le  ,  Paul  de  Constantinople  ,  Asclépas 
de(ia/.o,  Marcel  d'Ancyro,  les  patriarches  Athannse  d'Alexan- 
drie et  Kustathe  d'Antiocho,  ayant  ote  chasses  do  leurs  sièges  par 
les  Ariens,  ils  s'adressèrent  au  pape  Jules,  |)Our  obtenir  leur 
rétablissement,  et  les  évé<]u«'s  ariens  de  leur  cAté  s'adressèrent 
au  même  pa|>o  ,  pour  l'en  ompè«hor  (2). 

Dans  la  seconde  moitié  du  l\V  siècle,  trois  concile»  d'Antioche 
avant  condamné  et  dépose  Paul  de  Souiosaie,  ev«\]ue  d'Anti(M-ho. 

.1    Aiinsl    scrirv    Har.  n    :i.l  nii    lot      -j    S  M/n>f.  .,  1 1 1  ri  IT^I 


ESSAI  SVK  LES  ÉLECTIONS  ÉPISCOPALESS  21  I 

soutenu  par  la  puissance  séculière  et  par  la  faveur  de  Zénobie, 
reine  dePalmyre,  l'empereur  Aurclien  (paien) ,  auquel  Zénohic 
dut  succomber ,  décida  que  l'évêque  d'Aniioche  serait  celui 
que  les  éi'êques  d'Italie  et  principalement  celui  de  Rome  nomme- 
raient (1).  Enfin  S.  Cypricn  (an.  2ô3 — 257)  engagea  le  pape 
Etienne  1*"^  à  déposer  Marcien  ,  évéque  d'Arles ,  partisan  des  No- 
vatiens,  et  à  élire  un  autre  à  sa  place  (2);  et  le  pape  Innocent 
I",  dans  un  temps  où  les  souvenirs  étaient  encore  si  récents  et 
si  sacrés,  aflirmait  «  qu'il  n'y  avait  pas  d'église,  en  Italie  et  dans 
les  Gaules,  en  Espagne,  en  Afrique,  en  Sicile  et  dans  les  îles 
voisines ,  qui  n'eût  pour  fondateur  un  évêque  institué  par  saint 
Pierre  ou  par  ses  succeseurs  »  (3). 

Qu'on  vienne,  après  tous  ces  témoignages,  parler  des  empié- 
tements des  papes  sur  les  droits  du  clergé  et  du  peuple,  depuis 
Grégoire  VII,  qui  a  vécu  au  Xr  siècle  !!  O  ignorance!  je  ne  veux 
pas  dire  mauvaise  foi,  ou  parti  pris. 

«  Hœc  olim  meminisse  juvabit.  » 

(1)  V.  Alzog,  %  i75.   (2)  Cypr.  epist.  ad.  Steph.  pap.  (5)  Innoc.  epist.  ad. 
Dcunt.  Eugub. 


DKS  AllTS  E\  SlISSK  AVANT  LA  IIKRHIME 


On  s;iii  (  ombieii  soiii  rares  «laiis  noire  Suisse  réformép  les 
monuments  plastiques  plus  anciens  que  le  WT  sièric.  La  sup- 
pression (in  culte  cailiolique  et  de  ses  pompes  fut  aussi  celle  des 
images  soit  peintes,  soit  sculptées;  c'est  le  sens  de  l'inscription 
qu'on  lit  encore  dans  la  collégiale  de  Neucliâlel  :  L'idolâtrie  fut 
abolie  (le  céans  par  les  bourgeois.  Cependant,  en  d<'pit  d'un  zèle 
dont  les  traces  ne  se  voient  que  trop  aux  portails  et  sur  les  murs 
de  nos  églises,  cpielcpies  rares  et  «  urieux  spécimens  dos  arts  du 
dessin  cl  de  la  peinture  avant  la  renaissance,  reviennent  de  temps 
en  teuq)S  eu  lumirre.  Ces  monuments,  exclusivement  religieux, 
existaient  en  telle  |)r()fusinn  dans  les  temps  qui  suivirent  immé- 
(li;ii<  iiK m  le  moyen  Age,  (pie  le  rigorisme  le  plus  strict  n'a  pas 
pu  tout  anéantir,  maigre  sa  durée,  Ot«  aurait  tort,  en  effet,  de 
croire  «|ue  cette  destruction  des  peintures  et  des  stalues  «pii  rem- 
[)lissaieni  nos  couvents  et  nos  églises,  fiil  uniquement  l'affaire 
d'un  moment,  «l'une  flèvre  bientAi  calmée.  On  y  revint  à  plu- 
sieurs reprises  ,  et  ce  <pii  avait  é(  happé  à  lui  premier  destruc- 
teur lut  enlevé  par  un  second,  «pii  agissait  prescpie  toujours  avec 
un  (  araclère  ofliciel. 

\  oyez  ce  fpii  se  jtassa  à  (ienève,  (|ui,  «lès  !«•  XIV  siè«le,  avait 
un  grand  mouvement  commercial ,  «t  «lont  le  «ommerce  n'<'iait 
pas  étranger  aux  arts.    On  voit  par  d^anciens  rercnsemenis  «pu* 

(I)  Extrait  «le  la  lOvur  Suiiatf,  avril  \XiH.  Ce  roniarqnaljle  arlirlr  r«t  ilù  h 
In  pliinic  (11111  protrsl.-itil  ini|inrli.il,  liililiopliilc  In'-s  ilisiingiii'. 


DES  AKTS  EN  SUSSE  AVANT  LA  KÉIUKME.  21  ô 

les  ;irlistos  cl  les  ouvriers  exerrant  des  professions  de  luxe  y 
éiaicnl  nombreux.  Ses  orl'èvres,  ses  sculpteurs  en  bois,  ses  ima 
giers.  avaient  lenoni  à  eenl  lieues  à  la  ronde,  A  la  Réforme  tout 
ce  mouvement  arlistiipie  s'évanouit ,  et  les  artistes  se  dispersè- 
l'cnl  à  Lyon,  à  Bourg,  à  Cliambery,  à  Grenoble,  à  Turin,  etc. 
Entre  toutes  les  églises  de  Genève,  celle  de  Saint-Pierre  se  dis- 
tinguait par  la  magniGcence  et  la  profusion  de  ses  ornements. 
«  Elle  était,  dit  Bonivard  dans  ses  clironicpies,  bien  parée  d'ba- 
»  bits  d'église,  calices,  reliquaires,  cliandeliers,  paremenis  d'au- 
»  tels,  images,  tableaux  et  semblables  choses;  mais  l'Évangile 
»  a  tout  souillé  bas.  )-  Un  autre  chroniqueur,  Savion,  en  parlant 
des  sculptures  qui  décoraient  l'ancienne  façade  de  celte  cathé- 
drale,  et  qui  furent  alors  brisées,  ne  peut  s'empêcher  de  dire 
que  «  de  cela  eurent  grand  regret  les  gens  d'esprit  et  les  ama- 
»  leurs  d'antiquités,  y  Néanmoins,  tout  n'avait  pas  disparu.  La 
Réformation ,  nous  apprend  Senebier,  en  effaçant  les  peintures 
qui  ornaient  les  plafonds,  avait  respecté  une  belle  figure  de  la 
Vierge  peinte  à  fresque  dans  une  chapelle ,  et  quelques  autres 
télés  très-remarquables.  Mais  en  1643,  le  conseil  et  la  vénéra- 
ble compagnie  des  pasteurs  arrêtèrent  «  de  faire  effacer  les  ima- 
»  ges  qui  se  trouvaient  encore  à  Saint-Pierre ,  vu  que  les  capu- 
»  cins  y  venaient  faire  leurs  dévotions.  » 

Néanmoins  ce  zèle  religieux  mal  éclairé  n'a  pas  seul  amené 
l'anéantissement  des  objets  d'art  antérieurs  à  la  Réforme.  Deux 
autres  causes  y  ont  contribué  :  la  cupidité  et  le  mauvais  goût. 
Les  métaux  précieux  et  les  pierreries  entraient  pour  beaucoup 
dans  les  ornements  de  nos  églises.  Le  trésor  de  Saint-Pierre  était 
cité  pour  sa  richesse.  Celui  de  Notre-Dame  de  Lausanne  ne  le 
lui  cédait  pas ,  à  en  juger  par  les  inventaires  que  nous  avons  de 
toutes  ses  dépouilles,  où  l'art  et  la  matière  luttaient  à  qui  mieux 
mieux,  et  qui  furent  transférées  de  Lausanne  à  Berne  après  la 
conquête  du  pays  de  Vaud.  Les  douze  apôtres  d'argent,  par 
exemple,  qui  ornaient  cette  belle  église,  devaient  être  d'un 
poids  et  d'une  valeur  considérables ,  à  en  juger  par  les  piédes- 
taux taillés  dans  les  murs  qu'on  voit  encore  aujourd'hui.  Les 
finances  de  certains  cantons  suisses  ont  donc  été  singulièrement 
améliorées  par  ces  changements  de  destination  de  tant  d'objets 
précieux  consacrés  au  culte. 


Le  mauvais  guùl  aussi  a  lail  disparuitre  ,  ou  plutôt  il  a  lais>4> 
perdre  une  foule  de  productions  des  arts,  dont  le  ^rand  tort  éuiii 
eociui"  l)ii'n  plus  d'ihre  f<oilii<pit's  que  d't^lre  papistes.  Quoi  (ju'il 
soit  bien  prouvé  aujourd'liiii  (juc  les  (îdths  n'ont  rien  inventé  en 
lait  de  style  arcliitcciural  et  que  l'ogive,  entre  autres,  n'a  rien 
ù  démêler  avec  ce  peuple  du  Nord ,  on  a  flétri  durant  plusieurs 
siècles  de  l'épitlièle  de  golhicjuc  tout  ce  qui  n'f'iail  pas  au  ^oût 
du  jour,  lequel  n'était  trttp  souvnii  (jue  le  mauvaisgoùl.  Aut('nq)s 
de  la  renaissance ,  par  exemple  ,  alors  (ju'on  cherchait  à  remet- 
tre partout  en  honneur  les  (irecs  et  les  Rf)mains,  dans  les  arts 
comme  dans  les  letlics,  on  donnait  par  mejiris  le  nom  de  goihi 
que  ù  tout  ce  qui  s'éloignait  du  style  classicpie  de  ces  deux  peu- 
ples anciens.  Les  aristarques  réussissaient  ainsi  à  faire  prendre 
en  pitit'  tous  ces  monumenls  du  moyen  âge  qu'on  voulait  fair»- 
passeï-  pour  liaibares  en  les  ailiihuant  à  ces  pciqiles  de  l'inva- 
sion, dont  le  nom  était  devenu  synonyme  de  misère,  d'ignorance  et 
de  hrulalile.  On  mettait  au  rebut ,  on  abandonnait  aux  \ers  des 
milliers  de  meubles,  de  peintures,  de  sculptures  et  d'ornements, 
que  le  goût  actuel,  passé  rapidement  du  ton  du  mépris  à  celui 
de  l'admiration  et  de  l'enthousiasme,  paierait  aujourd'hui  de» 
prix  exorbitants. 

Kslimons-nous  donc  liciiicux  (jiiand  de  rares  débris  des  âges 
anciens  qui  ont  surnagé  dans  cette  triple  tempête  viennent 
échouer  sur  nos  rives  et  nous  rap|)eler  un  autre  culte,  une  autre 
organisation  sociale,  d'autres  mœurs  et  d'auties  goûts,  «pu  fu- 
i*ent  toute  la  vie  de  nos  pères. 

Ce  discours  nous  est  suggér»'  par  un  ancien  tableau  votif,  pro- 
\enant  originairement  d'une  église  de  (ienève  très-probable- 
ment de  Saint-I'ierre  ,  qui  vient  de  rentrer  dans  sa  ville  natale 
après  une  émigration  forcée  de  plus  de  trois  siècles  chez  nos  voi- 
sin de  Savoie.  Cette  peinture  reunit  à  un  degré  suffisant  les  doux 
mérites  de  la  valeur  intrinsèque  comme  art  et  de  l'intérêt  histo- 
rique. Les  connaisseurs  s'accordent  avec  les  antiquaires  pour  la 
faire  remonter  à  la  sironde  moitié  du  W  siè<  le.  De  plus,  elle 
est  très-bien  conservée  et  n'a  pas  subi  tie  restauration  dans  les 
parties  capitales. 

Ce  t.nbleau  est  peint  à  rrncausti(pic  ,  pro(  et  e  que  les  anciens 


UES  AKTS  EN  SUISSE  AVANT  LA  RÈKOKiME.  215 

connaissaient  d<''jà  et  que  !:«  peinture  à  l'Iniile  a  remplacé;  il 
couvre  un  épais  panneau  de  cliénc  de  plus  de  huit  pieds  de  hau- 
teur sur  environ  six  de  largeur.  Le  bois  est  enduit  d'une  légère 
couche  d'un  plâtre  très-fin,  sur  laquelle  la  peinture  a  ('té  appli- 
quée. On  peut  voir  en  divers  endroits  que  l'artiste  avait  tracé 
très-légèrement  son  esquisse  avec  une  pointe  avant  de  l'arrêter 
définitivement  avec  la  couleur.  On  remarque  le  même  procédé 
chez  plusieurs  peintres  italiens  du  XV*  siècle  et  même  dans  les 
premiers  tahieaux  de  Raphaël.  Le  style  de  notre  tableau  est  ce- 
lui des  artistes  qui  ont  précédé  immédiatement  la  renaissance  ; 
il  est  sec,  mais  singulièrement  expressif,  surtout  dans  les  figu- 
res. Tout  le  fond  est  revêtu  d'une  couche  d'or,  comme  dans  les 
peintures  byzantines  et  les  premières  peintures  italiennes.  Les 
divers  compartiments  qui  occupent  cette  grande  surface  sont 
séparés  par  des  ornements  sculptés  en  bois  avec  délicatesse,  et 
qui  appartiennent  au  style  gothique  de  la  seconde  époque.  Ce 
sont  des  arceaux  avec  des  festons ,  des  feuilles  déchiquetées , 
des  découpures  en  formes  de  compartiments  flamboyants  et  poin- 
tus. Tout  au  haut  on  lit  l'inscription  suivante,  taillée  profondé- 
ment dans  le  bois  en  forme  de  légende  et  tracée  en  caractères 
gothiques:  i*  hanc.  tabvllam.  fecit.  fiebi.  petrvs  rvp.  civfs. 
ET.  MERCATOR,  GEBENAs.  AD.  S. S.  Cette  inscription  est  placée  im- 
médiatement au-dessus  des  images  des  saints  personnages  aux- 
quels le  tableau  est  dédié. 

Un  document  récemment  publié  par  M.  le  docteur  Chapon- 
nière  dans  les  mémoires  de  la  Société  d'histoire  et  d'archéologie 
de  Genève  ,  est  venu  fort  à  propos  nous  édifier  sur  le  compte  du 
marchand  genevois  ,  dont  la  richesse  permit  à  sa  piété  de  con- 
sacrer une  somme  assez  forte  à  cette  peinture.  On  sait  qu'en  1476, 
au  plus  fort  des  guerres  de  Bourgogne  ,  Genève  n'échappa  à  l'oc- 
cupation et  peut-être  même  à  la  conquête  dont  les  Suisses 'la 
menaçaient  que  moyennant  une  imposition  ou  rançon  de  26,000 
écus  d'or,  grosse  somme  assurément  pour  cette  époque.  Afin  de 
trouver  ce  capital,  il  fallut  imposer  aux  bourgeois  ime  taxe  ex- 
traordinaire ,  et  pour  cela  estimer  la  fortune  immobilière  ei 
mobilière  de  tous  les  particuliers.   L'original  du   travail  de  la 


2  I  G  Ul.»    \lll>    h>    M  ;»K    V\\.>l     I*    litKJI.VI!. 

cumini^-tioii  lio  ia\:tiii)ii  uniiuiifo  à  cet  cllcl  existe  jux  ur(-|ii>i-s 
de  Genève,  et  M.  le  docteur  (Ji:i|>unuiére  vient  de  le  publier  (1). 
Il  nous  apiirrnd  <|ue  |Kiruii  les  nombreux  pelletiers  ou  incKissiers 
(pie  celle  >ill('  conipuiit  alors  li^urail  un  certain  Jean  Huf)  ou  de 
lUijit ,  Pellifiarius  ,  ipii  ilenicurail  aux  « onlins  des  (piartiers  de 
Saint-Gervuis  et  de  la  Corralerie.  Ce  dernier  était  particulière- 
ment aiïecté  aux  tanneurs  et  corroyeurs  («e  «pii ,  pour  !«•  dire 
en  passant,  renverse  r»lymoloj;ie  de  M.  (jalille  ,  (|ui  \eut  «jue 
l'ancienne  Cort  alerte  fût  ainsi  appelée  parce  ({u'on  y  faisait  cou- 
rir les  clie\aux.  On  y  courratait  bel  et  bien  leur  i  tiir,  mais  on 
ne  les  y  exerçait  pas). 

Le  Pierre  Rup  de  notre  tableau  parait  avoir  été  de  la  fa- 
mille de  Jean  Uup  de  l'inventaire  de  H7ô,  probablement  son 
lils,  qui  scion  rusap;e  du  i<'m[)s  avail  embrassé  la  profession  pa- 
ternelle. On  voil  au  |»i(;d  du  laltleau  1  imaj^e  du  donaieur,  peinte 
avec  tout  le  soin  que  l'on  donne  aux  portraits  pour  en  assurer  la 
ressemblance.  Il  «'st  vêtu  d'un  manteau  de  fourrur»- ,  et  porte  le 
costume  des  riclies  bourgeois  du  xv' siècle.  C'est  la  bonne  tigure, 
à  la  fois  fine,  intelligente  el  cupide,  d'un  liomme  d'environ  cin- 
quante ans. 

Les  images  de  sainl.s  ri  de  personnages  appartenant  à  l'allé- 
gorie cbielienne  sont  super|>osécs  et  rtpartics  sur  trois  rau^s. 
Leur  grandeur  diminue  à  partir  de  la  ligne  inférieure.  Dans  le 
bas,  <t  tout  à  coté  du  donataire'  qui  a  ordonne  le  tableau,  on 
\oil  saint  Pierre  ,  son  patron,  a\e«:  les  insignes  bien  connus  «pu 
lui  assigne  la  légende  dorée.  La  lAle  en  est  remarquablement 
belle.  Ment  ensuite  saint  .lean-Ha|itiste  ,  autre  ligure  très-expres- 
sive, où  l'on  peut  reconnaître  h-  type  «pii  a  scr\i  à  tous  les 
peintres  italiens,  el  particulièrement  à  Pierre  Perugin,  le  maître 
tb*  Rapbaël.  Le  troisième  p<!rsonnage  est  un  saint  revêtu  du  ricbe 
cosliune  episcopal  sous  lequel  on  représente  ordinairement  saint 
(iermain  ,  saint  ^icolas,  saint  Augustin  el  d  autres  évù<iues  c;»- 


(I)  \.c  rcbultiil  «le  l'évaluation  «les  lurns  gcnc\oi<(  fui  de  ôHîi.iirt  floriu> 
|)onr  le»  imrurublcs,  et  dr  ^W.^^»^)  florins  jioiir  1rs  biens  ni«-ul»li's.  A  la  vr- 
rilif,  «|urli|ucs  grosses  fortunes  du  lenips,  eouuiie  eelle  de>  Vorsouay,  trou- 
vèrent moyen  d'i'clia|»|(er  ;i  la  lave. 


DES  AKTS  EN  SUISSE  AVANT  LA  KÉFOKME.  217 

nonisés.  Ce  qui  nous  l'ccail  croir*^  qu'on  a  voulu  [KîinJie  ce  der- 
nier, ce  sont  (les  caractères  phéniciens  iiacés  sur  la  couverture 
ilu  livre  ricliemeol  orné  de  pierres  précieuses  (pi'il  licni  dans 
Tune  de  ses  mains,  tandis  (jue  dans  l'auln'  main  on  remarque 
une  brosse  de  ciieval  ou  étrille.  L'un  et  l'autre  signe  semblent 
pouvoir  se  rapporter  ù  l'illustre  prélat  d'Hippone  (aujourd'hui 
Bone  en  Afrique),  Il  ne  faut  pas  oublier  néanmoins  que  dans  les 
figures  de  la  légende  des  saints ,  Augustin  tient  ordinairement 
dans  sa  main  un  cœur  enflammé.  La  quatrième  figure  est  celle 
de  saint  Etienne,  reconnaissable  aux  pierres,  instruments  de  son 
martyre,  que  Ton  voit  dans  sa  main  droite  et  sur  sa  tête.  Cette 
tête  est  empreinte  d'un  sentiment  de  mélancolie  que  les  peintres 
d'une  époque  postérieure  ont  bien  rarement  su  rendre  avec  au- 
tant de  vérité  et  de  force  naïve.  Ces  quatre  figures  ont  environ 
quatre  pieds  de  hauteur.  Les  ajustements  sont  peints  avec  une 
conscience,  un  amour  des  détails  d'autant  plus  remarquables  que 
ces  soins  donnés  aux  parties  secondaires  ne  détournent  pas  un 
instant  l'attention  que  réclament  tout  d'abord  ces  belles  têtes. 
Le  terrain  que  foulent  les  pieds  des  saints  est  émaillé  de  fleurs, 
comme  dans  les  tableaux  italiens  de  cette  époque.  On  distingue 
dans  la  mitre  du  saint  évèque  des  soleils  rayonnants ,  que  l'on 
dit  avoir  été  les  premières  armoiries  de  Genève. 

Au-dessus  de  ces  quatre  figures  principales  sont  quatre 
autres  images  de  saints  et  de  saintes ,  mais  seulement  en  buste 
et  de  la  hauteur  d'un  pied  environ  :  ce  sont  la  Vierge,  tenant  une 
légende  déroulée  sur  laquelle  on  lit  Ecce  ancilla  domim  et  se- 
CUNDUM  VERBUMTUUM;  saiut  Autoinc,  reconnaissable  à  sa  clo- 
chette et  à  son  bâton  à  crosse  en  forme  de  T;  sainte  Catherine  , 
tenant  la  roue  instrument  de  son  supplice  ;  et  enfin  un  autre  saint 
en  habit  pontifical.  La  ressemblance  que  l'on  remarque  entre  cet 
évêque  canonisé  et  celui  qui  est  plus  bas ,  tant  dans  l'air  des 
têtes  que  dans  l'attitude,  pourrait  induire  à  penser  que  l'artiste 
a  voulu  faire  le  portrait  de  l'évêque  régnant  alors  et  occupant  le 
siège  de  Genève.  Cependant  cette  interprétation  se  concilierait 
difficilement  avec  la  chronologie. 

Enfin  ,  dans  la  partie  supérieure  du  tableau  ,  on  voit  planer 


218  lits  \in>  E>    >l  l>sr.    A>\>T    1.^    KÉKOHWE. 

au-dcsMis  de  tous  ces  personnages  huit  anyes  ailés  et  entoures  île. 
lirapcrics  fanlasiiciucs,  jouant  de  divers  instruments.  Cette  pein- 
ture fut  achetée  il  y  aquehpies  années  dans  un  villa};<!  près  d'An- 
necy ,  où  elle  ornait  une  cj^lise  de  campagne,  par  M.  le  marquis 
Léon  Costa  de  Beaurcj;ard,  le  |>lus  éclaire  des  amateurs  dart 
ancien  et  de  littérature  historique  que  possède  la  Savoie.  Peut- 
être  avait-elle  «-lé  transf«''r<''e  là  par  le  chapitre  des  Machabées  ou 
de  Saint-Pierre  do  (irnève  ,  avec  d'autres  oriienienis  d'éj^lise  el 
avec  les  reliques,  au  moment  où  surfit  la  Réforme.  M.  de  Costa, 
après  l'avoir  possédée  quelque  temps ,  vient  de  la  céder  par 
voie  d'échange  contre  d'autres  objets  d'art  à  M.  Khun  ,  anti- 
quaire à  Genève,  dans  le  riche  magasin  du({uel  on  peut  l'admirer 
aujourd'hui. 

E.-H.  Gallueir. 


LES  RELIGIONS  D'ANGLETERRE. 


I. 


LES  IRWINGIENS. 


Il  y  a  environ  vingt  ans  ,  certains  minisires  du  Kirk,  ou  église 
d'Ecosse ,  publièrent  qu'une  rénovation  de  l'Église  chrétienne 
allait  s'opérer,  et  que  les  dons  miraculeux  du  Saint-Esprit  al- 
laient désormais  être  répandus  sur  tous  les  fidèles ,  comme  aux 
temps  apostoliques  ;  à  cette  nouvelle  si  étrange ,  se  joignait  un 
formidable  avertissement  ,  l'annonce  de  la  prochaine  fin  du 
monde.  Une  circulaire  imprimée  avec  luxe,  adressée  par  ces 
ministres  à  toutes  les  autorités  spirituelles  et  temporelles  de  la 
chrétienté,  faisait  savoir  que  le  Divin  Esprit,  ayant  récemment 
élu  douze  apôtres,  leur  avait  donné  la  mission  d'inviter  toutes 
les  nations  à  la  pénitence  et  de  préparer  ainsi  les  voies  au  Sei- 
gneur ,  dont  le  sanctuaire  devait  être  bientôt  reconstruit.  Mal- 
heureusement, l'ingratitude  habituelle  du  monde  suscita  une 
sorte  de  persécution  à  ces  pauvres  ministres ,  qui  cependant  se 
disaient  porteurs  de  si  magnifiques  nouvelles.  L'église  d'E- 
cosse, qui  s'était  bien  groupée  autour  de  Knox  quand  il  s'é- 
tait agi  de  nouveautés  hostiles  au  Saint-Siège ,  ne  voulut 
plus  de  nouveautés  qui  pouvaient  la  compromettre.  Elle  bannit 
de  son  enceinte  les  hommes  de  la  nouvelle  lumière ,  et  les  força 


2*20  I.LS  »lKI,l<.IO.>>  DA.X.LKTtRRK. 

<r;illir  biUir  Inir  tcinpif  aillnirs.  Kdouartl  Irwinf;  élaii  rerlain»'- 
iin'ui  le  plus  nMii:ir(]ti:ilile  d'«'iUro  ces  nHeurs ,  qui  se  croyaieiii 
investis  de  fucullt's  merveilleuses.  L'ardeur  avec  la<]uelle  il  expo- 
sait le  doj,'ine  de  la  n'-;{énôralii»u  elin'tienue  ,  le  zèle  élo<|ueni 
de  ses  predicaliuns  sur  la  eoiiii|)li(Hi  du  siècle,  tirent  «h*  lui 
rame  ei  le  ciief  do  la  secte  ;i  laipielle  on  a  donné  son  nom. 
Ses  partisans  ne  se  e(»iilenlèreiit  pas  de  voir  en  lui  un  envoyé 
du  Sei{;neur,  mais  un  Nrai  pr«»plièie  et  un  noUNel  eNanyelislc; 
celle  opinion  so  maintint  jus({u'en  1834,  époque  de  la  mon  de 
cet  honmie  (pie  ses  disciples  ap[)elaient  un  an^'e,  tandis  que  les 
profanes  lui  dunnaienl  le  nuui  d'imposteur. 

I/lrwiiij^isme  s'est  ciabli  principalement  painii  les  esprits 
faibles  ,  impressionnables,  invinciblemeni  cnlrainés  vers  le  mys- 
ticisme, et  possédés  d'un  désir  passionne  de  trouver  le  seul  vrai 
tttrcail  (lu  salul.  I^\^i^^'  a  beauionp  insisté  sur  la  necessiié  de 
prier  pour  obtenir  une  nouvelle  etfusion  des  dons  miraculeux 
qui,  sans  i/u'on  jiuisse  s'en  expliquer  la  cattse ,  ont  été  refuses 
aux  communions  nfurmécs;  cl  ce  n'est  pas  aux  scids  lr>\ingiens, 
du  reste,  que  colle  pensée  esl  venue  ;  un  grand  nombre  d'ecclé- 
siastiques anglicans  et  presbytériens,  entre  autres  Ifaldano  Slo- 
wart,  dans  un  livre  <|ui  fit  sensation,  recommandent  d'iuq>lorer 
de  Dieu  le  retour  de  ces  grâces  spéciales  et  surnaturelles,  <pii 
promises  par  le  Cbrisi  à  son  Église  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles,  oni  l'té  cependant  retirées  aux  protestants.  Selon  les 
Irwingiens,  le  succès  de  ces  suppli»  allons  avait  ele  (onqdel;  les 
inem))res  de  l'église  renouvelée  avaient  été»  soudain  revélus 
des  dons  miraculeux  du  Saint-Ksprit .  et  in\eslis  d'une  sainteté 
inaltérable,  laracUre  de  la  primitive  Kglise.  La  foi  (|ue  j)Osscdenl 
ces  sectaires  à  leur  pouvoir  de  preiliro  l'avenir,  de  guérir  les 
malades,  de  parler  les  langues  étrangères,  esl  inébranlable, 
et  (|uand  le  scepticisme  les  presse  d'arguments  ,  ils  lui  opposent 
leur  propre  expérience. 

Comme  d'après  la  doclrine  des  Irwingiens,  ce.  sont  eux  qui  re- 
présentent par  avance  ce  (pie  seront  les  saints  du  Clbrist  dans  le 
règne  (le  mille  ans,  l'organisation  de  leur  société  est  modelée 
sur  ce  (juils  appellent  la  liiéracbic  de  l'église  |)rimitive  ,  «ju  ils 
se  croient  ap|>eles  à  ressuscil<*r.    Trois  s(»rtes   de  l'asleurs  ,  les 


LES  Ui-LKilO.NS  liANGLETERrili .  221 

;in^es,  les  anciens  ei  les  diacres,  sonl  charges  |>ai  le  Chrisl  de 
la  direction  de  celle  église  donl  il  est  lui-même  le  grand  prêlre, 
cl  clia(|uc  individu  de  ces  irois  ordres  esl  appelé  à  exercer  les 
lonclions  de  prophèic  el  d'apùlre ,  de  pasleur  ei  d'évangéliste. 
Chacune  des  églises  parliculières  esl  gouvernée  par  un  ange 
assisté  par  plusieurs  anciens ,  el  la  réunion  de  ces  chrétientés 
constituant  l'église  est  dirigc'C  par  Dieu  lui-même  en  la  personne 
de  douze  apôtres  ,  qui  nomment  les  prophètes,  les  évangélisles, 
les  pasteurs.  Â  l'appui  de  leurs  institutions ,  les  Irwingiens  ci- 
tent ,  avec  l'aplomb  habituel  aux  sectes  les  plus  extravagantes , 
(les  passages  des  Actes  des  Apôtres  ,  des  prophètes  hébreux  ,  el 
surtout  de  l'Apocalypse.  Les  Irwingiens,  atlribuani  la  rareté  des 
prophètes  dans  les  temps  modernes,  à  la  négligence  qu'on  met  à 
prier  et  à  pratiquer  l'imposition  des  mains,  s'adonnent  à  ces 
deux  observances  comme  ou  le  faisait  du  temps  des  Apôtres , 
el  avec  un  zèle  qui  leur  mérite  immédiatement  l'infusion  des 
dons  miraculeux.  Cependant,  les  croyants  qui  reçoivent  ces  grâ- 
ces sont  invités  à  n'en  user  qu'avec  prudence  ;  car  les  secrètes 
paroles  murmurées  par  le  Consolateur,  peuvent  être  contrefai- 
tes par  la  voix  railleuse  de  l'esprit  de  mensonge,  ou  bien  être 
mal  comprises  el  défigurées  par  les  profanes  ;  aussi  ne  cite-t-on 
guère  les  prédictions  et  les  miracles  qu'il  est  donné  aux  Irwin- 
giens  de  faire  pour  l'édification  et  l'instruction  de  leurs  frères. 
On  y  croit ,  et  c'est  suflisant  pour  gagner  des  prosélytes.  C'est 
surtout  en  Angleterre,  en  Amérique  el  en  Allemagne  que  la 
secte  a  fait  des  progrès.  Paris ,  incrédule  et  moqueur,  leur  a 
fourni  des  auditeurs,  mais  pas  de  convertis.  A  Dublin,  c'est  dans 
une  église  fort  simple,  appartenant  naguère  aux  Frères  chré- 
tiens, qu'ils  célèbrent  leurs  splendides  cérémonies  (1).  Le  main- 


(1)  Ces  cérémonies  ont  récemment  acquis  en  apparence  un  certain  rapport 
avec  celles  du  culte  catholique;  «  mais,  nous  disait  un  de  ces  nobles  enfants 
d'Oxford,  qui  de  TAlma  Mater  des  sciences  humaines  s'est  jeté  dans  les  bras 
de  l'Eglise ,  celle  sainte  mère  des  sciences  divines,  ce  culte  auquel  notre 
dogme  de  la  Présence  réelle  donne  une  signification  el  une  valeur,  n"a  plus  sa 
raison  d"ètre,  et  ces  cérémonies  ne  sont  plus  que  des  pratiques  absurdes , 
parce  qu'elles  sont  vides  et  sans  motif.  » 


222  ">    KIK.IO^S    K>    AX.I.HTERRE. 

lifn  pn»v«'  «'i  solennel  de  la  congicgaiion  nippcllo  d'abord  les 
assemblées  des  quakers;  mais  tout  à  coup  un  prophète  se  lève, 
se  livre  à  des  gesticulations  frônctijpies  et  hurle  quelques  paro- 
les confuses.  «  \  oici  ,  s'écrie-l-il,  voici  vrtiir  l'Epoux!  Noie  i,  il 
est  venu!  »  Alors  rins|)iré,  ou  le  fou,  (Ommence  à  prophétiser 
avec  »ine  cxtrcnie  volubilité,  mais  le  plus  ordinniromrnt  en  lan- 
gue étrangère;  c'est-a-dirc  il  vocilcre  un  bi/iirrc  assemblage  de 
sons  étranges  et  rau(]ues,  avec  autant  de  facilité  que  s'il  n'avait 
fait  que  cela  toute  sa  vie  ;  et  cela  suflit  pour  persuader  aux 
croyants  que  le  miracle  de  la  Pentecôte  se  renouvelle  journelle- 
nunt  parmi  eux.  Quelquefois,  cependant,  des  scènes  où  l'ab- 
surde se  mêle  à  l'atroce  se  passent  chez  les  ir^vingiens  et  rappel- 
lent les  convulsi(mnair»'S  du  siècle  passé,  les  fanatitpios  des 
(lévennes  ,  les  crucilixious  du  canton  de  Zurich,  tarii  il  est  vrai 
que  l'âme  humaine  a  besoin  du  surnaturel  et  du  mystérieux  ,  et 
qu'en  abjurant  les  merveilles  dont  l'Église  catholicjue  est  l'uni- 
que source  vi'ritable,  elle  se  condamne  à  adopter  des  fables  d»*- 
goûtantes ,  des  pratiques  ridicules,  ou  à  tomber  dans  le  maté- 
rialisme. 

A  Klein-Schvverin  ,  en  Poméranie  ,  un  jour  que  quarante  ir- 
wingi»'ns  •'•tai»'ni  tranquilloniont  assemblés,  pour  prier  et  chanter, 
l'un  d'eux  s'écria  rpi'il  tiaii  possédé  du  démon  et  supplia  ses 
frères  de  le  délivrer  de  ces  cruelles  «'treinles.  I>à  dessus,  les  uns 
s'efforcèrent  de  le  maintenir  à  terre  ,  d'autres  coururent  cher- 
cher des  bâtons,  et  frappèrent  If  fanatique  jusqu'à  ce  qu'épuisés 
de  fatigue  ,  ils  siiiierrompireni  pour  lui  demander  conunent  il 
se  trouvait.  «  Le  diable  est  n'fugié  dans  mon  gosier,  «  n-pondit 
le  malheureux,  pâle  et  tremblant.  «  Par  charité,  mes  frères, 
faites-le  sortir  en  pressant  mon  cou  entre  vos  mains.  »  On  s'em- 
pressa d'obtempérer  à  ses  instances,  et  avec  tant  de  zèle,  que 
non-seulement  l'esprit  malin,  mais  l'esprit  même  de  la  victime 
s'échappa.  Quand  on  s'aperçut  que  le  patient  ne  respirait  plus, 
on  l'emporta  ei  on  recommença  la  psalmodie,  comme  s'il  ne  se 
fût  rien  passé  d'extraordinaire. 

1^  doctrine  du  Millmiimi ,  développée  avec  la  hardiesse  du 
jug«'menl  privé  n  de  l'ignorance,  j)araii  «*lre  le  fond  de  l'Iruin- 
gisme.  Les  deux  résurrections  «lont  parle  l' Apocalypse  sont  les 


LES  UKI,If;l(^^s  en  an(;leterhk.  223 

sujets  favoris  des  élucubraliuns  protestantes  ;  les  méthodistes 
suisses  et  les  calvinistes  de  Hollande  sont  tourmentés  du  désir  de 
comprendre  ces  signes  mystérieux.  De  là  l'origine  de  tant  de 
sectes  nouvelles.  En  Angleterre ,  celte  passion  eut  aussi  son  rè- 
gne; sir  Isaac  Newton  lui-même,  non  content  de  ces  découver- 
tes dans  la  route  où  il  suivait  Copernic,  rêva  d'autres  découver- 
tes et  se  mil  à  explicpier  l'Apocalypse  à  sa  façon. 

M"**  DE  ROMONT. 


LE  PROTESTAMISMH  ET  M.  DE  REMISAT. 


M.  Charles  de  R«''musat  a  publié,  dans  la  Hevur  des  Deux 
Mondes,  un  ariiclc  iiiliinlc  :  De  la  reforme  et  du  prolestanlisnie. 
Cet  article  est  une  espèce  de  couiple-rendu  de  VHistoire  de 
In  réformntion  du  seizième  siècle,  par  M.  Mi'ile  d'Aulti^^ne ,  lui- 
nislre  niclliodistc  genevois. 

M.  Charles  de  Rémusat  est  un  de  ces  hommes  (jui ,  à  l'aide 
d'études  et  de  réllexions  sérieuses ,  cherchent  à  s'jipprocher  de 
plus  en  plus  <lc  la  vérité  ;  mais  (pii  ne  procèdent  dans  celle  as- 
cension intellectuelle  (ju'avec  lenteur  et  en  conservant  dans  leur 
progressiiju  <juel(jues-uncs  des  allures  de  leur  marche  prccé- 
<leDtc.  Ce  nVst  pas  un  de  ces  esprits  qui  saisissent  la  vérité  dans 
toute  sa  puissance  syntlietii|ue  ;  il  lui  reste  l<>s  lialiitudes  et  les 
formules  d'un  éclectisme  de  bonne  foi  <pii,  dans  le  parallèle 
indécis  des  svslèmes  ,  des  idées  el  des  f:iils,  demeure  encore  à 
certains  ej^ards  le  fond  de  sa  méthode.  Mais  il  nous  semhie  que 
M.  Charles  de  Rémusat  n'est  pas  homme  à  se  contenter  longtemps 
d'une  recherche  incomplète  de  la  vérité  religieuse.  On  voit 
qu'il  la  lui  faut  sans  doute  ccrlaine ,  entière;  mais  qu'il  l'em- 
luassera  pour  en  faire  sa  vi«'  lorsque  ,  à  l'aide  de  la  grâce  cé- 
leste ,  elle  lui  apparaîtra  avec  son  évidence  intrinsèque  et  avec 
la  démonstration  de;  l'autorité  divine  rpii  l'enseigne  de  la  part  de 
Dieu. 

Le  liire  de  l'article  de  M.  de  Rémusat  n'est  pas,  il  me  .semble, 
ahsoluuH'nl  e\;i(  t,  r'csl  plutôt  un»'  (  onipar.nsoij  du  catholicisme 
et  du  prolestaulismc  qu  il  a  tcnlcc  et  non  pas  une  < duiparaison  de 


m;  l'r.OTfcSTAlSTlS.Mli,    VAC.  225 

la  réfonnc  cl  du  protestantisme.    Nous  Uouyoiks  hion  à  chaque 
liajïo  de  son  article  la  preuve  d'une  exploralion  commencée; 
mais  nous  osons  lui  dire  qu'elle  a  singulièrement  besoin  de  plus 
amples  devcioppomenls.    M.  do  Kémusat  n'a  pas  encore  forte- 
ujent  pénétre  ni  dans  le  proicsianiisme,  ni  dans  le  catholicisme; 
il  prend  pour  des  doctrines  chez   les  protestants  ce  qui  n'est 
(pioiiiiiion ,    et  il  y  oppose  des  opinions  chez  les  catholiques 
ipi'il  croit  être  des  doctrines.  Il  ne  veut  pas  trop  du  salut  gra- 
tuit luthérien  ;  mais  il  ne  craint  pas  d'ajouter  qu'il  «  ne  lui  sem- 
)'  blc  pas  absolument  contraire  à  l'esprit  du  christianisme,  qu'il 
»  semble  ressortir  des  termes  des  épitrcs  de  saint  Paul,  que  sans 
»  certains  versets  de  l'épître  de  saint  Jaccjues  ,  il  oserait  ajouter 
>»  qu  aucun  texte  de  l'Écriture  ne  le  contredit  formellement.  » 
Si  M.  Charles  de  Rémusat  connaissait  bien  l'Écriture  et  rensei- 
gnement de  l'Église,  il  donnerait  des  conclusions  diamétralement 
opposées  ;  il  dirait  :   «  La  doctrine  du  salut  sans  les  œuvres  est 
»  contraire  à  l'esprit  du  christianisme  ;  aucun  des  textes  de  saint 
»  Paul  n'est  absolument  opposé  à  la  doctrine  catholique,  et  d'in- 
»  nombrables  textes  de  l'Écriture  conlradisent  formellement  le 
»  système  protestant.  »  Pour  en  arriver-lù,  nous  supplions  hum- 
blement M.  Charles  de  Rémusat  de  consulter  soigneusement  l'É- 
criture, de  lire  saint  Augustin,  la  Symbolique  de  Mœhler  et 
particulièrement   la   Symbolique  de  Buchmann ,    traduite   par 
M.  Cohen,  chapitres  1  et  2  de  la  quatrième  section.  M.  Charles 
(le  Rémusat  juge  assez  bien  le  salut  gratuit  protestant  en  présence 
des  trois  idées  fondamentales  de  la  raison  :  l'idée  du  mérite  et 
du  démérite,  l'idée  de  la  justice  de  Dieu  ,  l'idée  du  libre  arbi- 
tre; aussi  lui  sera-l-il  facile,  quand  il  le  voudra,  d'arriver  à  con- 
stater que  la  doctrine  catholique,  telle  qu'elle  est  exprimée  par 
les  Pères  de  l'Église,  par  le  concile  de  Trente,  et  par  Bossuet , 
dans  son  Exposition,  est  non-seulement  rationnelle,  mais  encore 
essentiellement  biblique. 

M.  de  Rémusat  croit  que  «  le  luthéranisme  fut  un  retour  àcer- 
»  tains  termes  de  l'Écriture  ;  c'est  un  démenti  donné  aux  sug- 
»  gestions  de  la  morale  naturelle  et  de  la  philosophie  dite  du  sens 
»  commun  ;  c'est  l'affirmation  et  l'extension  de  deux  dogmes 

15 


'2'm  ir  ri.oTtSTAMi>Ju 

-  runtbinoiil^iix  :  le  |»<m  lu-  uiif;iDel  el  la  rc(iciii|>lioti  pur  ledi^iii 
»  Mi'iliatciir.  Ilifii  loin  de  nier  ces  vrrih'S  (  apilales  du  (tirisii:!- 
'  iiismi; ,  il  scmlilr  «|iic  les  protcsuwiis  It-s  «'xii^irciil.  Avec  eux, 
»  il  y  a  pour  ainsi  tlirc  un  ac«  roissenienl  «le  dogipc  ,  el  certainc- 
•  ment  un  ac  croisseiiientde  foi;  car  chez  eux  la  foi  lierile  de  loni 
»  re  ipii  esl  enlevé  aux  nuvres  ,  el  eonlracle  en  «pieUpic  sorie 
»  une  vertu  miraculeuse  de  [ilus.  » 

il  y  a  dans  ces  lignes  des  aperçus  très-lins;  mais  M.  Charles 
de  Uémusai  parait  ne  connaître  les  protestanls  et  les  proiestan- 
lismes  cpie  par  (juclcpies  livres  «ui  du  sei/iènie  siècle,  ou  dv  «|uel- 
ijue  secle  Ires-reslreinh'  «pii  a  encore  conser\e  le  doj,'nie  du  sa- 
lul  par  la  loi,  tandis  <|ue  |>our  la  (ilupart  des  |>rotestants  qui  sont 
rationalistes,  la  formule  n'a  plus  «prune  valeur  d'opinion  |)ar 
opposition  au  <  atliolicisme.  A  (jeneve,  plusieurs  prolèsseurK  de 
l'église  ont  combattu  la  do<'lrine  luthérienne  sur  le  salut;  d'au- 
tres se  sont  rapprochés  de  la  doctrine  ratholi(|ue  sur  les  bonnes 
u'uvros.  Ceux-ci  nient  le  p(<he  oi  iginel  et  sont  pélagiens  ;  ceux- 
là  nient  la  divinité  de  .lesus-Clirist  et  sont  ariens,  et,  f»ar  «on- 
séquenl,  renversent  de  fond  on  (  ondde  le  système  de  la  rédemp- 
tion lulh<''ri<'nne  ou  calvinienne  ;  d'aiilies  ne  croient  plus  à 
l'inspiration  des  livres  saints;  d'autres  se  divisent  sur  la  nature 
même  de  la  foi  ïl  Or,  le  protestantisme  eu  est  là  en  Allemagne, 
en  France,  à  Genève.  M.  «le  Hémiisat  vil  sans  doute  ave<;  «piel- 
«pu's-uns  de  ces  protestants  encore  religieux,  «encore  nourris  de 
ipiebpies-unes  des  vérités  «  hrétiennes  «piils  ont  reçues  du  ca- 
tholicisme ;  mais  <e  n'est  pas  là  le  proiestantisuie,  ce  ne  sont  pas 
les  proi<  slautiMU<>s  Irjs  <pie  les  fait  et  tels  ipie  les  défait  clia(|ne 
jour  le  libre  evauH'U  individuel.  Kl  «est  pr<'(  isémenl  parce  qu'il 
y  a,  aux  yeux  des  proleslanls  comme  aux  yeux  des  catholiipies, 
«  esay( ration,*  ainsi  que  le  dit  M.  de  Hemusat,  dans  \v  système 
luthérien,  que  ce  syslènio  dépéril,  et  qu<",  loin  d'amener  un  ac- 
rroissetnenl  de  dogme  et  de  foi ,  il  \  a  plul«^l  décroissJince  jus- 
qu'au pur  rationalisme.  M.  de  Rémus:it  croil-il  qu'un  do^nie 
puisse  être  accru  en  lui-même.'  Non,  sans  doute.  Croil-il  «pi 'en 
Vexarjcranl  on  puisse  aiiguMiiler  la  loi.'  Ne  voii-il  pas  «pie  par 
M»n  esicnsioti,  le  dogme  «livin  dcNicni  unr  opinion  humaine  ei 


KT  M.   I>E   HÉMUSAT.  227 

mémo  une  eneiiri*  Lt;  péché  oii^inel  tel  (juo  l'<'iilciMl(;nl  les  lu- 
I lierions  cl  les  calvinistes  n'esl-il  pas  on'eclivemonl  anti-clirélien, 
anii-philosopl)i(jue?  Ne  fait-il  pas  Dieu  barbare,  ol  l'honime  ma- 
<liino  et.  victimo?  11  n'y  a  pas  là  accroissement  àc  dof^mc  ,  mais 
mine  du  dognio ,  luino  ilc  la  vérité  chrclicMinc.  M.  do  Rémusat 
confond  le  fatalisme  avec  la  foi.  A  chaque  instant  on  retrouve 
dans  son  article  celle  confusion  d'idées  jus(iue  dans  les  mots. 
M.  do  Hénuisat  est  beaucoup  plus  fort  en  aperçus  qu'en  défini- 
tions. Ce  qui  est  enlevé  aux  œuvres  ne  profile  pas  à  la  foi,  puis- 
que la  foi  sans  les  œuvres  est  une  foi  morte,  puisque  l'objet  de  la 
foi  n'est  plus  qu'une  «  exagération,  »  par  conséquent  une  faus- 
seté el  un  mal,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  plus  de  foi,  mais  croyance 
erronée,  opinion,  exaltation,  délire. 

M.  de  Réniusai  ne  pardonne  pas  à  ceux  qui  traitent  le  protes- 
tantisme de  «  pure  négation,  de  vide  combinaison  ,  d'analyse  et 
de  polémique;  »  il  lui  croit  trop  d'empire  sur  les  sociétés  pour 
admettre  ces  jugements,  et  il  s'aulorise  d'autant  plus  à  les  con- 
damner, qu'il  croit  avoir  trouvé  jusiemcni  dans  les  deux  dog- 
mes fondamentaux  de  la  réforme  «  des  exagérations  de  la  foi.  » 
Sans  doute  c'est  déjà  un  puissant  argument  que  de  donner  les 
portraits  de  Luther,  de  Calvin  et  de  Henri  VIII,  avec  l'énumé- 
raiion  des  conséquences  dissolvantes  du  libre  examen;  mais 
j'estime  qu'il  faut  aussi  une  discussion  approfondie,  comme 
vient  de  l'entreprendre  le  P.  Perrone,  parce  que  le  protestan- 
tisme est  en  effet  le  plus  grand  événement  des  temps  modernes, 
la  clef  de  la  plupart  des  destinées  et  des  révolutions  des  irois 
derniers  siècles;  mais  il  me  paraît  que  si  quelques  critiques,  ou 
(jnelques  adversaires  vulgaires  peuvent  mériter  d'être  rangés  par 
M.  de  Rémusat  parmi  «  les  gens  qui,  malheureusement,  ne 
»  voient  plus  que  désordre  là  où  règne  une  certaine  liberté,  qui  se 
»  rassurent  par  un  égoisme  pusillanime  ,  une-  frivolité  sceptique 
»  et  une  unité  silencieuse,  »  il  y  a  aussi  des  noms  et  des  ouvra- 
ges qui  ont  su  solidement  mettre  à  nu  la  valeur  historique  ,  phi- 
losophique et  politique  du  protestantisme.  Je  ne  rappellerai  à  M.  de 
Rémusat  que  Bellarmin,Rossuei,Fénélon,  Mœhler,  Balmès,  Gœr- 
rer,  Mgr  Rendu,  Mgr  Donney,  Nicolas,  M.  Foisset,  etc.  Il  est 


22H  l  t    l>nOTESTA.>TISME 

i-vitlt'iii  (|ur  M.  de  Hciiiiisiii  u'u  |>:is  encore  eniiéremeni  uppru- 
loiidi  If  priucipe  iiiêine  du  protcslaotismc  et  su  part  d'actioo  re- 
ligieuse et  polilicjue  dans  les  sociétés  modernes.  Ce  i|ui  ressort 
de  l'rinde  des  livres  du  |»roiesl;mlisnje  el  des  notions  protrsian- 
les,  c'est  que  rinfluence  iiu'on  lui  attribue  n'est  due  qu'à  la  part 
de  vérités  et  d'institutions  catholiques  ilont  le  |)rolestuntismc  n'a 
pu  se  dcpouillei-  entièrement.  Jus(jue  dans  ses  deux  apparentes 
allirmations  actuelles  qui  servent  de  point  d'appui  à  la  théorie  de 
M.  de  Ilémusat,  il  y  a  la  vérité  catholique  (]ui  demeure  et  vivitie 
a  leur  insu  les  protestants  encore  religieux,  et  il  y  a  les  nc-f^a- 
tions  (|ui  di\isent  et  dissolviMil  implacahlcineni  toute  <  rovance 
(-1  toute  institution  prupremenl  protestantes.  L'allirmation  catho- 
lique, c'est  le  salui  ^'latuii  par  la  foi,  dans  le  sens  que  lui  dcm- 
nent  saint  Paul  el  le  concile  de  Trente,  et  comme  l'expose  avec 
laiii  de  lucidité  le  grand  Bossuet.  La  négation  protestante,  c'est 
toute  valeur  méritoire  refusée,  malgré  mille  passages  de  l'É- 
<  rilnre,  aux  «euvres  vivifiées  par  la  grâce  divine.  Le  crime  des 
lheol(»giens  protestants,  en  ceci  comme  en  beaucoup  d'autres 
points,  c'est  de  prêter  à  rensei^iiemeiii  catholique  des  erreurs 
qui  le  rendent  en  elVet  absurde  et  anii-i  liiétien  ;  le  mallieui-  des 
masses  protestantes,  «'est  d'être  enlreieniies  dans  une  ignorance 
déplorable  des  vérités  cjtholi<pies. 

M.  <le  Uémusat  semble  avoir  trctnv»' ,  peut-être  dans  Bossuet 
ou  dans  I  inconjparable  Syinholigue  de  Ma'hler,  rencliaincmenl 
des  négations  et  des  exagi-rations  protestantes;  en  effet,  la  cause 
première  est  bien  dans  l'idée  que  Luilier  ci  (  alvin  se  sont  faite 
de  la  dégradation  opérée  dans  l'Iiomnie  p:ti-  le  pêche  originel; 
la  libation  est  rii;oureuse  ;  mais  dans  Molilci  nous  tron\oiis  la 
plus  haute  et  la  plus  claire  exposition  de  |;i  docii  ine  catholique, 
(|ui  vient  apporter  la  lumière  au  milieu  des  lenebres,  des  con- 
Ua(li<:li(ms  et  des  ruines,  lantlis  que  M.  de  H<'musal  laisse  l'es- 
prit de  son  le»  teurdans  le  vague  et  dans  b;  doute.  On  voit  que 
l'dcrivain.  cherche  encore,  et  qu'il  lui  faut  de  nouveaux  efforts 
de  son  esprit  pénétrant  pour  arriver  à  voir  complètement  la 
lie.'inte,  la  moialit<'  et  la  solidité  dn  principe  <  alholique. 

le  laisse  aujourd'hui  les  pages  de  M.  <leHêu)nsnt  où  il  entre  suc 


1  r   M.    U!-    l'.ÉMUS.VT.  220 

le  i<'n\)in  liisi()ri<|UL'  de  fiiiis  et  (l';ip|)i('ciations  qui  demanderaient 
de  trop  lonys  développeinenls  ;  j'ai  liàlc  d'ariiver  aux  dernières 
pages  de  M.  de  Rémusat.  Ce  sont  celles  qui  m'ont  le  plus  frappé 
et  où  Tceiivain  semhie  rcMmir  le  plus  d'idées  incomplètes. 

'(  La  foi  chréliennc,  dit  M.  de  Rémusat,  nous  en  dit  da- 
»  vaniage  qne  la  relij^ion  p|iilosoplii(|uement  comprise.  Elle  nous 
»  enseigne  une  révélation,  c'est-à-dire  que  la  vérité  elle-même 
»  s'est  montrée  à  la  connaissance.  Tous  les  cliréliens  sont  d'ac- 
»  cord  sur  ce  point  :  Dieu  s'est  révélé  à  l'homme.  La  vérité  re- 
»  ligieuse,  en  descendant  sur  la  terre,  a  donclaissé  après  elle  une 
»  vraie  connaissance  religieuse,  et  c'est  la  religion  chréiienne  ; 
»  mais  elle  aussi,  parfaite  dans  son  objet,  elle  ne  le  saurait  èlre 
■  dans  l'esprit  de  l'homme.  Manifestée  à  travers  la  chair,  expri- 
»  mée  en  langage  humain,  encadrée  dans  les  formes  de  notre  in- 
»  telligcn(;e  relative  et  limitée,  elle  ne  peut  être  en  nous  ce 
»  (piclle  est  dans  sa  source  divine.  Elle  se  diminue,  si  j'ose 
»  ainsi  parler,  à  notre  mesure.  Tout  l'espoir,  tout  l'orgueil  de 
»  notre  foi  ne  peut  que  nous  persuader,  non  pas  que  notre 
»  croyance  est  toute  la  vérité ,  mais  qu'il  y  a  vérité  dans  notre 
»  croyance.  La  grâce  même  ne  transforme  pas  le  fidèle  d'une 
»  manière  absolue.  Jusque  dans  le  saint  l'homme  reste,  c'est- à- 
»  dire  un  esprit  faible  et  un  cœur  fragile.  Ce  qu'on  dit  des  saints 
»  se  doit  dire  à  plus  forte  raison  de  tous  les  hommes.  Les  chré- 
»  liens,  même  en  possession  de  la  vérité,  ne  sont  pas  infaillibles. 
»  11  suit  que  le  christianisme  peut-être  vrai,  sans  que  les  chré- 
»  tiens  soient  exempts  d'erreur.  C'est  déjà  une  précieuse  grâce 
»  que  d'avoir  reçu  une  croyance  dans  laquelle  on  est  sûr  que 
«réside  la  vérité.  Cette  certitude,  celte  foi  tout  ensemble  géné- 
»  raie  et  limitée,  est  celle  de  plus  d'un  protestant.  Elle  serait 
»  celle  de  tout  le  monde,  si,  à  côté  des  dogmes  fondamentaux 
»  du  péché,  de  l'incarnation,  de  la  rédemption,  ne  se  plaçait 
»  une  foi  particulière  dans  un  témoignage  toujours  subsistant 
»  de  la  révélation  chrétienne.  La  religion  que  le  Christ  a  ensei- 
D  gnée  n'a  pas  été,  comme  d'autres  connaissances  de  la  vérité  , 
»  confiée  uniquement  à  la  tradition  plus  ou  moins  fidèle  de  l'hu- 
»  manilé.    Le  dépôt  en  a  été  divinement  placé,  —  suivant  les 


230  It    TROTEST^NTIMIK 

■  proCesUinLs,  (hiu*  le  luxie  des  licrilures,  —  suiv:int  1rs  caiholi- 
M|ues,  ihins  une  liiôiarcliie  inierpiète  inspirée  des  Écritures, 
o  Là  fsl  le  st'ul  [>oini  de  dissidence  profonde,  et  la  rausc  de 
D  l'inipuissancc  commune  des  <allioliques  et  des  prutesiunts  à  se 
n  convaincre  réciproipiemenl. 

■  Copendanl  rantorité  de  rÉcriturc  |)our  les  uns,  rautorité  de 
»  rÈijIise  |)onr  les  antres,    réduit  sensiblement,  mais  ne  sup- 

•  prime  pas  les  sources  d'erreur  ni  le  prin(  ipe  des  variations. 
»  Seulement  ces. variations,  attachées  à  la  nature  de  Tesprit  hu- 
»main,  doivent  t'ire  plus  lares  dans  la  constitution  catholique, 

>  (pioiqu'ou  ne  puisse  nussir  à  |>rouvcr  tpfil  n'y  en  ail  jamais  eu. 
»  Klles  sont  naturelles,  elles  sont  inévitables  dans  le  prolestan- 
»  lisrac.  Là,  le  fidèle  n'est  mis,  pour  ainsi  dire,  en  contact  avec 
n  la  vérité  <pie  par  l'intermédiaire  îles  Écritures.  Ces  Écritures 

>  ins|>irees  sont  conçues  dans  le  hin},'nj;e  de  l'Iiomme ,  lues  par 
»  des  yeux  d  hommes,  comprises  par  une  inielli};encc  humaine, 
»  et  la  parole  tomhe  dans  une  rime  dont  la  reli^'ioii  ne  nous  dis- 
»  simule  pas  les  inlirmiti-s.  La  foi  en  Jésus-Christ ,  suivant  les 
B  protestants,  doime  le  salut,  elle  ne  donne  pas  l'infaillibilité. 

•  C'en  est  assez,  j>our  les  pénétrer  d'amour  envers  la  suprême 
»  bonté  et  pour  calmer   les  tourm<>nis  de   leur  esprit,  mais  pas 

•  assez  pour  les  ««lever  à  une  conci'|>ii«)n  totale  et  à  une  expres- 
»  sion  définitive  de  la  vérité  chrétienne.  Lo  parole  de  Dieu  nous 
»  a  été  dontiie  pour  nous  jusiilirr,  non  pour  nous  illuminer  de  la 
«vision  céleste.  Il  s'agit  de  salut,  non  pas  <le  science,  ilellaitT 
»  le  péché  et  non  de  transformer  l'intelligence,  et  par  conséquent 
»  les  variations  de  doctrines  «pii  se  produisent  nécess:nren>ent, 
D  les  difl'erences  d'orjîanisation.  de  lanpaj^e  et  même  de  dogmes, 
»  <pii  ne  pnrtt'Ut  point  atteint»'  à  <e  dont  il  est  dit  :  inum  est  ne- 
»  cestarium ,  peuvent  ôtre  des  preuves  de  la  petitesse  ou  de  la 
»  moltiiilé  de  l'esprit  des  «hretiens ,  mais  nullement  Ac  la  faus- 

•  scte  du  christianisme.  » 

Cette  page  est  sans  contredit  très-remarquable  ;  mais  com- 
ment un  esprit  aussi  cultivé  que  M.  de  llemusal  ne  voit-il  pas 
que  i«»utes  •  ces  iidirmites  «le  la  nature  humain«>  o  «ju'il  monir»* 
si  bien,  doivent  non-sculemcnl  «*)lcr  toute  autorité  tiiéorique^t 


ET    M.    I)L    KÉMUS.VT.  231 

l>raii(iiie  à  riiistrumeni  humain  ot  isolé  du  prolostnntismo ,  mais 
cmorc  aliamicr  N?  |)iiri(i|i('  luèinc  de  la  révolalion,  ot  dès  loi's 
les  dogirtes  «du  péché,  de  l'incarnaiion  et  de  la  révélation  ?» 
M.  de  Rémusai  ne  sait  peul-èlre  pas  que  su'i"  la  nature  même  de 
rincarnaiion,  par  exemple,  il  y  a  une  l'oule  de  systèmes  chez  les 
prolesiauts  en  raison  de  ce  que  «  les  intelligences  relatives  et  li- 
mitées »  des  sectaires  ont  vu  ,  ou  méconnu  ,  ou  oublié ,  ou  ina- 
perçu dans  les  natures ,  la  personne  et  les  volontés  du  Fils  de 
Dieu.  La  distance  n'est  pas  re/a/ti'c  entre  ces  sectes  principales 
actuelles,  elle  est  infinie.  Si  Jésus  Christ  est  consubstantiel  à  son 
père,  comme  le  croient  les  Irinitaires  anglais  ;  si  Jésus-Christ  n'est 
pas  consid)stantiel  à  son  père,  comme  l'enseigne  l'église  de  Ge- 
nève ;  si  Jésus-Christ  n'est  qu'un  homme  doué  de  grâces  surhu- 
maines, comme  le  veulent  les  sociniens  ,  il  est  évident  que  l'In- 
carnation ,  la  rédemption  ,  le  péché ,  l'autorité  de  la  parole  de 
Jésus-Christ,  la  révélation  divine  elle-même  n'ont  plus  qu'une 
valeur  essentiellement  relative.  Et  aujourd'hui  il  y  a  à  Genève 
et  en  Allemagne  des  multitudes  de  protestants  «  qui,  pralique- 
»  ment,  ne  sont  pas  sûrs  d'avoir  une  croyance  où  réside  la  vé- 
»  rite.  »  Le  protestantisme  n'est  pas  le  seul  système  qui  possède 
et  admette  comme  témoignage  de  la  vérité  le  texte  des  Écritu- 
res ;  loin  de  là  ,  le  protestantisme  n'a  opéré  que  par  voie  de  re- 
tranchement et  de  négation.  L'Église  catholique  ,  avant  la  ré- 
forme,  jouissait  pleinement,  et  elle  jouit  toujours,  de  ces  trois 
sources  de  démonstration  de  la  vérité  :  l'Écriture  et  la  tradition, 
en  première  ligne,  et  la  raison  dans  sa  haute  et  juste  part.  Ces 
trois  moyens  de  démonstration  ont  été  employés  par  tous  les  Pè- 
res, tous  les  apologistes,  tous  les  théologiens.  Le  protestantisme 
a  repoussé  la  tradition  et  l'Église,  sans  lesquelles  pourtant  il  n'y  a 
plus  d'Écriture  authentique  et  d'interprétation  sûre,  et  il  a  outré 
l'autorité  de  la  raison  précisément  en  lui  étant  le  contre-poids 
nécessaire  à  sa  fragilité  et  en  augmentant  les  chances  inévitables 
de  sa  faillibilité.  Le  catholicisme  est  resté  sur  son  terrain  iné- 
branlable, respectant  tous  les  secours  de  Dieu  ;  ne  permettant  ni 
à  la  critique  exégélique  ses  attaques  contre  les  livres,  les  textes 
et  le  sens  vrai  de  l'Écrituie  ;  ni  au  luthéranisme  ses  excès  con- 


23'i  LK    l'ROTKSTA>T|y.E>I 

Ire  la  libcrl**  liiiniaiiie  ;  ni  aux  luétliodislPS  leur  dédain  de  la  tra- 
dition ;  ni  à  tous  les  scrlairosleur  mépris  de  raulorilé  «le  TÉglise 
»'nsi*if,'nante  clabli»*  par  Jcsus-Clirisi.   Dans  la  d(K  irinc  calhoji- 
<|Ut',  l'édilice  est  conii)!!'!,  on  senl  ri  on  voit  (ju'il  est  srriptu- 
rairc,  iradiiionnei,   rationnel,  ecclésiastique,  tan<lis  que  le  re- 
tranchement de   l'un   de   ces   moyens  de  démonstration  ei  de 
conservation  de  la  révélation  divine  éltranle  la  valeur  intrinsèque 
et  Tanlorité  de  cette  ré\clatioti  elle-méinc.    H  n>e  semide  que 
M.  de  Rémusal  n'a  pas  saisi  complètement  le  caractère  du  pro- 
teslantisnie,  qui  est  palpable,  quand  on  vit  au  milieu  de  [)rotes- 
lantismes  dissidents  comme  à  (jenève.  Il  est  U'ès-curicux  de  voir 
ici  à  tout  itistant,  et  cela  depuis  les  débats  de  Luther  avec  Zv^in- 
j;li  et  Calvin,  combien,  pour  se  combattre  entre  eux  et  pour 
atta(|uer  le  catholicisme,  les  sectaires  sont  obligés  de  se  ser- 
vir des  armes  et  des  arguments  catlioliijues,   tant  il  est  dillicile 
de  briser  entièrement  le  faisceau  que  Dieu  a  établi .  qu'il  a  uni 
pour  l'enseignement  et  la  conservation  de  cette  religion  unique, 
oii  réside  la  vérité,  la  morale  et  le  culte  chrétien.  M.  de  Remusal 
atlmel  «  que  les  variations  attachées  à  la  nature  de  l'esprit  hu- 
main doivent  être  plus  rares  dans  la  constitution  catholique...» 
tandis  (ju'elles  sont  naturelles  et   inévitables  dans  le  protestan- 
tisme. Et  alors  les  |trotestantismes  (pii  avaient  la  prétention  de 
faire  luire  la  lumière  après  les  ténèbres  du  catholicisme,  en  sont 
arrivés,  à  force  de  variations  naturelles  et  iné>itables,  à  renoncer 
à  donner  une  valeur  «  scientili(p«e ,  »   une  valeur  «  d'organisa- 
tion. •  une  valeur  «  dogmatique,»  d  leur  religion,  sans  s'aperte- 
voir  (et  c'est  aussi,  si  j'ose  le  dire,  ce  que  n'aperçoit  pas  entière- 
ment M.  de  Rémusat)  (pie  les  prétendues  allirmations  «portées 
jusqu'à  l'exagération,  »  n'ont  plus  eu  ni  de  |)oint  d'appui  ration- 
nel, ni  de  preuves  scripturaires. 

M.  de  Rémusat ,  en  parlant  du  caiholieisme,  dit  (pie  «  l'auto- 
»  rite  de  l'Kglise  réduit  sensiblement,  mais  ne  supprime  pas  les 
>  sources  d'erreurs,  ni  les  principes  des  variations;  »  «on  ne 
»  peut  réussir  à  prouver  (pi'il  n'y  en  ait  jamais  eu...  »  M:»is  la 
pensée  de  M.  de  Remusal  est  encore  incomplète;  il   aurait    du 


Kl     M.    I)L   Kli.MUSAT.  233 

(lire  les  erreurs  individuelles  et  les  variations  personnelles ^  puis- 
(jne  si  l'aulorilé  tic  l'Église  pouvait  comporter  en  ollc-mênie  des 
sources  d'erreur  et  de  variations,  elle  ne  serait  plus  une  autorité 
suflisanle  pour  enseigner  une  croyance  objectivement  vraie  et 
poui-  iniposeï-  une  foi  subjectivement  sûre.  Il  va  entre  le  pro- 
tesianlisuie  et  le  calliolicisine  une  dillcrence  immense;  c'est 
(jue  toutes  les  objections  contre  le  catholicisme  retombent 
d'aplomi)  sur  le  prolestantisnie  ,  et  que  le  protestantisme  ne 
subsiste  pratiquement  que  par  des  contradictions  manifestes 
avec  son  principe;  tandis  que  le  système  catholique  est  un 
enchaînement  profondément  conséquent.  La  raison  en  est  que 
le  catholicisme  est  une  religion,  une  institution  divine  dans  son 
essence,  son  organisation,  sa  perpétuité,  et  essentiellement  con- 
forme aux  lois  de  la  nature  humaine;  tandis  que  le  protestan- 
tisme n'est,  en  dehors  de  ce  qu'il  a  conservé  du  catholicisme, 
ni  une  religion,  ni  une  institution  divine. 

M.  de  Rémusat  dit  :  «.  Les  variations  du  protestantisme  peu- 
»  vent  être  des  preuves  de  la  petitesse  ou  de  la  mobilité  d'es- 
»  prit  des  chrétiens,  mais  nullement  de  la  fausseté  du  christia- 
»  nisme.  »  Cela  serait  vrai,  si  ces  variations  ne  portaient  que  sur 
les  accessoires  du  christianisme  ;  mais  quand  elles  portent  sur 
la  nature  même  du  christianisme,  par  exemple  sur  la  divinité  de 
Jésus-Christ,  sur  l'incarnation,  la  rédemption,  l'Écriture,  la 
tradition,  l'Eglise,  alors  la  question  est  bien  de  savoir  si  ce  n'est 
pas  l'erreur  ou  un  faux  christianisme  qui  entre  dans  le  domaine 
de  la  croyance  et  de  la  foi  de  l'homme ,  «  dans  les  formes  de 
»  notre  intelligence  relative  et  limitée.  »  M.  de  Rémusut  ajoute  : 
«Ce  qui  prouve  que  le  reproche  de  variation  est  loin  d'avoir 
»  tant  de  gravité,  c'est  que  le  protestantisme  est  resté  une  reli- 
»gion,  c'est  que  cette  instabilité  n'a  pas  affaibli  la  foi  chez  les 
«  protestants,  c'est  qu'elle  n'a  pas  interdit  la  durée  avec  l'unifor- 
»  mité  ,  c'est  qu'elle  n'a  pas  brisé  et  broyé  en  fragments  impal- 
»  pables  et  pulvérisé  le  ciment  et  la  pierre  de  l'Église  du  Christ.  » 
L'erreur  grave  de  M.  Charles  de  Rémusat  est  de  croire  que  le 
protestantisme  est  un,  qu'il  est  une  Église  ;  c'est  de  ne  pas  con- 
naître l'état  vrai  des  protestantismes  si  nombreux,  si  contraires 


'23i  II;   IMIOTESTANTISMi; 

à  Gcncvo  el  aulrc  |>aii.  Saii-il  iin'inu  ic  mot  de  M.  U;  comh' 
Agénor  Oc  Gnsparin  :  «  L'erreur  (|iii  vc^iw  dans  l'église  iiaiio- 
»  nale  de  (îenève  esl  si  énoniie,  (|ue  ne  pas  la  signaler  ce  serait 
■  s'en  rendre  eomplice...  Les  fondenienls  même  de  l'Évangile 
»  sont  joui  iielleineiii  renversés  en  sou  nom.  »  tt  si  M.  CliarU's 
de  Rémusai  pénéiiait  dans  le  sein  des  uuli*e8  secles  de  Genève, 
s'il  savait  les  innumbrahles  et  profondes  (lissiden«'es  de  l'Allema- 
gne ,  de  rAngleleno  cl  des  Ltals-Lnis,  il  venait  bien  que  «  la 
toi  est  aiïaiblie.  »  S'il  n'ignoiait  pas  (|u'il  n'y  a  plus  un  seul  cal- 
viniste d'autrefois  à  Genève,  il  veiraii  bien  que  «  la  durée  •  n'y 
est  pas,  (U  qu'il  y  a  bien  des  éléments  de  «  brises,  l>roy«'S,  im- 
palpaldes,  pulvérisés,  »  à  l'exception  lie  ce  que  les  protestants 
ont  conservé  du  cailiolicisme  on  de  <  i-  (pi  ils  lui  reprennent  de 
nouveau.  Comment  iraiileurs  en  seiait-il  anliement  avec  le  libre 
examen  individuel?  Aussi  un  protestant  de  beaucoup  d'esprit  me 
disait-il  il  y  a  peu  de  temps  :  a  11  n'y  a  des  |)roieslants  que  |)ai- 
»  inconséquence  avec  leur  principe,  et  le  protestantisme  ne  \it 
»  que  par  ce  qu'il  a  conservé  d(>  catholicisme  ;  »  réilcxion  pleine 
de  sens  et  évidente  pour  les  lioniiiies  (pii  ont  vécu  au  milieu  des 
protestants. 

M.  (,liarl<'s  de  Kémusai  vent  (pie  n  le  protestantisme  soit  resté 
»  une  religion.  » 

1'   Pourquoi? 

*  Parce  qu'il  produit  pleinement,  dit-il ,  sur  l'àme  bumainc, 
»  le  double  edet  de  satisfaire  la  raison  et  d'exciter  l'imagination, 
»  de  réaliser  ce  mélange  de  sécurité  et  d'exaltation  (pii  ne  paraît 
•  résulter  daiiciine  science  et  d'aucune  croyance  liumaine.  » 
Mais  ce  premier  attribut  |)ent  s'appliquer  à  la  poésie,  au  fana- 
tisme, à  1  illiiminisme  ;  mais  c'est  maigre  l'élément  prolestant 
(pi'il  y  a  des  protestants  dont  la  raison  soit  satisfaite  et  dont  l'i- 
magination soit  exaltée  ;  et,  except»'  cbe/  lespiétistes  allemands, 
les  mcMliodistes  de  (ienève,  les  «juakers  américains,  il  y  a  peu  de 
sécurité  et  d'exaltation.  |ir('cisemenl  en  raison  de  l'emploi  du 
libre  examen,  (pii  ne  peut  constituer  (piiine  science  el  une 
croyance  Immaines. 

Pourtpioi  encore? 

2°    «  Parce  (pic  le  piMiesianiisme  esl  pour  la  conscien( c  une 


ET  M.    OE   KÉnrSAT.  23Ô 

)'  règle  el  une  sanclion  sacrée  des  devoirs  qui  oppose  une  ar- 
»  mure  merveilleuse  aux  traits  des  passions,  el  qui  divinise  en 
»quol(|uc  sorte  la  morale.  »  Mais  ce  second  allrijml  s'applique; 
à  la  philosophie  sociniennc;  mais  Kant,  dans  sa  critique  de  la 
raison  pure,  a  dit  la  même  chose  ;  mais  les  livres  des  Mormons 
vont  jusque-là...  M.  Vinet  l'a  proclamé,  et  on  sait  assez  quel 
homme  considérable  il  a  été  parmi  les  protestants.  «  Le  pro- 

Tt:STANTIS.ME  n'eST  PAS  IINE  RELIGION,  MAIS  LE  LIEU  d'lNK  RELI- 
GION. »  Il  est  très-vrai  que  la  Sainte  Bible  est  encore  pour  beau- 
coup de  prolestants  une  «  règle,  »  comme  pour  tous  les  catho- 
liques; mais  a  celte  règle»  est  subordonnée  à  l'examen  privé 
de  celui  qui  se  l'interprète  ,  se  l'applique  et  se  fait  sa  sanction; 
c'est  là  précisément  l'élément  prolestant.  Si  M.  Charles  de  Ré- 
musat  vivait  au  milieu  des  masses  protestantes ,  tandis  qu'il  ne 
connaît  que  des  intelligences  d'élite,  il  verrait  que  le  protestan- 
tisme humanise  la  morale  divine,  au  lieu  de  diviniser  la  morale 
humaine.... 

Pourquoi  enfin? 

3"  «  Parce  (pie  le  protestantisme  s'empare  assez  puissam- 
»  ment-  de  l'esprit  de  la  société  pour  lui  commander  un  respect 
»  général  et  durable,  et  pour  la  dominer  comme  une  loi  invisible 
»  qui  confirme  et  protège  toutes  les  autres  lois.  »  Mais  ce  troi- 
sième attribut  n'a  eu  sa  réalité  que  là  où  un  des  protestantismes 
historiques  a  régné  exclusivement  et  en  maître,  comme  à  Genève, 
avant  que  la  liberté  des  cultes  y  eût  introduit  les  dissidents  et 
les  catholiques;  en  Angleterre,  lorsque  les  bills  de  proscription 
poursuivaient  les  presbytériens  et  les  papistes;  en  Suède,  il  en 
est  encore  ainsi,  el  le  protestantisme  y  protège  les  lois  de  la  plus 
cruelle  et  de  la  plus  inconséquente  intolérance.  M.  de  Rémusat 
confond  de  nouveau  ici  la  Bible  avec  le  protestantisme ,  ce  qui 
est  bien  dilVérent.  Encore  une  fois ,  c'est  ce  que  les  protestants 
ont  conservé  du  catholicisme  qui  continue  à  agir  avec  une  cer- 
taine puissance  dans  les  pays  ou  dans  les  églises  protestantes; 
mais  ce  n'est  proprement  ni  le  libre  examen  individuel,  ni  l'er- 
reur du  salut  gratuit  par  la  foi,  ni  celle  de  la  prédestination  ab- 
solue, éléments  primordiaux  du  protestantisme,  qui  <  protègent 
»  et  confirment  toutes  les  lois  dans  les  pays  protestants.  »  A  Ge- 


'23b  l-K  FBOTESTANTISëE 

nèvo,  plusieurs  miuistrcsoiit  écrit  <onlrc  lo  salul  ^'raïuit  ol  coiilie 
la  |)ri'iJL'sliii;ili()U  ;il»«>tjluc' ;  cl  dans  U's  liabilutlcs  de  la  vie,  1rs 
prolcslanis  rougissenl  des  principes  cl  des  conséquences  de  ces 
«  exagératitins.  » 

■  Les  attribuis  que  M.  Charles  de  Kcniusal  donne  pour  prouver 
que  le  protesianiisnic  est  une  religion,  ne  sont  nullement  ration- 
nels, adéquats,  exacts  et  vrais  ;  et  quand  on  les  admettraient,  ils 
ne  seraient  point  applicables  au  prolestaiitisme,  »<  qui  n'est  point 
»  une  religion,  mais  le  lieu  d'une  religion.  »  M.  Charles  de  l\e- 
musai  veut  même  que  le  protestantisme  soit  a  un  christianisme.  • 
Et  voilà  M.  le  comte  Agétior  de  Gaspariii  rpii  nie  (pie  le  protes- 
tantisme genevois,  et  une  inliuite  d'autres,  soient  chrétiens;  et 
voilà  le  protestantisme  de  M.  Cocpierel  qui  rejette  lu  Trinité,  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  les  bases  fondamentales  du 
christianisme  ;  et  voilà  le  protestantisme  de  M.  Scherer(]ui  prouve 
que  les  médiodis'es  n'ont  ni  la  vraie  parole  de  Dieu  ,  ni  le  véri- 
table Christ.  Si  M.  Charles  de  Rémusat  avait  <lit  cpie  malgré  les 
trois  grandes  erreurs  du  proteslanlisme,  et  par  une  très-heu- 
reuse iucoQse(pience,  les  |»roteslants  sont  encore  chrétiens,  nous 
aurions  compris  sa  pensée.  I.e  protestantisme  en  soi  est  dans 
l'impossibilité  de  consiiiuer  une  religion;  ses  trois  prétendues 
bases  sont  anti[)athi(pies  à  ce  qui  |)eui  former  une  religion.  Le 
libre  examen ,  le  salut  gratuit,  la  prédestination  absolue  sont 
des  négations  cl  non  des  allirmalions;  qu'on  les  considère  soit 
au  point  de  vue  spi'culalif ,  soit  au  point  «le  vue  pratique,  «  les 
cxagéraiions  »  qu'ils  reulermenl  sont  au  fond  des  négations. 
Lors<jue  en  théorie  et  en  fait ,  le  dogme ,  la  morale  et  le  culte 
sont  subordonnés  à  l'autorité  individuelle  de  l'honHiie,  il  n'y  a 
pas  la  religion,  il  n'y  a  pas  là  le  christianisme  «  un  ,  p  la  foi 
«  une,  •  l'Église  t  une,  »  tpii  constituent  la  religion  de  Jésus- 
Christ,  il  y  a  des  hommes  et  des  pays  plus  ou  moins  religieux, 
moraux,  |iraliquaut  un  culte  parmi  les  protestants;  niais  ce 
n'est  pas  en  venu  du  protestantisme,  c'est  maigre  le  protestan- 
tisme. La  religion  a  pour  éléments  les  rapports  àurnaiurels  qui 
existent  entre  Dieu  et  l'homme.  Os  rapports,  (rest  Dieu  qui  les 
a  établis,  c'est  Dieu  (pii  les  a  révélés  par  Jésus- Christ.  Ces  rap- 
ports déterminent  les  vérités  à  croire,  les  devoirs  5  accomplir, 


I-T  M.    I»E   HÉnUSAT.  237 

Ir  ciillc  à  rendre  à  Dieu.  (Ici  cnsciyneineni  de  Jésus-Clirisl  se 
irouve  dans  sa  Parole  écriio  ou  non  écrile.  La  conservaiion,  la 
prédicalion  et  rinlcrprélation  de  celle  parole,  de  celle  religion, 
(l(!  ces  rapports ,  ont  clé  çonlu'os  et  devaient  être  confiées 
à  une  autorité  cnsoignanle,  visii)l(',  indéfectible,  perpétuelle  et 
infaillible.  Or,  le  protestantisme  par  lui-même,  en  tant  que 
l^rofestantismc ,  rejolle  plusieurs  de  ces  éléments  constitutifs 
de.  toute  religion  ;  il  n'est  donc  pas  une  religion  ,  il  n'a  rien 
pour  relier,  pour  unir,  pour  enseigner,  pour  garantir;  et 
voilà  M.  Charles  de  Rémusal  qui,  tout  en  le  déclarant  «  une  re- 
»  ligion,  un  christianisme,  »  permet  à  l'instant  même  à  celte  re- 
ligion tous  les  genres  «  de  divisions,  »  «  d'exagération;  »  et  ne 
la  voyant  plus  que  «  humaine  dans  l'homme ,  lui  permet  aussi 
»  toutes  les  diversités  de  notre  nature....  »  Là  est  encore  l'erreur 
grave  de  M.  Charles  de  Rémusat;  c'est  une  appréciation  fausse 
de  l'idée  de  religion  objective  et  du  fait  de  religion  subjective; 
aussi  à  force  de  décompositions  successives ,  la  religion  arrive 
à  n'être  plus  pour  l'homme  qu'une  affaire  de  croyance  et  de 
sentiments  individuels.  Le  noble  écrivain  s'égare  tellement  ici 
qu'il  compare  les  «divisions»  purement  accessoires  qui  existent 
dans  le  catholicisme  avec  les  «  diversités  »  protestantes  qui 
portent  sur  le  fond  même  de  la  révélation ,  sur  l'autorité  des 
moyens  de  transmission ,  de  conservation  de  cette  révélation. 
M.  Charles  de  Rémusal  accorde  au  protestantisme  la  facilité 
de  satisfaire  «  la  raison,  l'imagination;  »  il  semble  deviner  une 
certaine  action  de  la  grâce  dans  les  unies,  et  cependant  il  mé- 
connaît le  fait  dominant  du  christianisme  ;  c'est  que  par  le  Saint- 
Esprit  dans  l'Église  et  dans  les  âmes  ,  la  religion  est  non- 
seulemeni  divine  dans  son  origine,  mais  elle  aussi  divine  dans 
la  vie  de  l'Église  et  dans  la  vie  des  âmes.  M.  de  Rémusat  n'a 
point  encore  pénétré  dans  cet  admirable  élément  du  catholi- 
cisme; à  peine  s'il  l'a  aperçu.  A  son  insu,  je  le  crois,  M.  de 
Rémusat  est  plus  que  protestant  dans  la  distinction  des  reli- 
gions «  divines  »  et  «  humaines,  »  dans  sa  complaisance  pour 
«  toutes  les  diversités,  »  et  aussi  dans  celle  autre  erreur  :  «  ces 
«variations  tant  accusées  sont  peut-être  des  liens  qui  rattachent 
»  un  plus  grand  nombre  d'appelés  au  centre  de  l'Évangile.   L'u- 


•23H  It   rROTESTA>TIS«E 

»  niruniiiie  rigoureuse  des  sNiiiholes  on  esl  pouHtiro  alién-c , 
»  mais  la  somme  de  piéié  en  est  accrue.  ►  Qjk.'IIc  i^noranc^  de 
la  pcnsi'O,  do  la  volontô,  de  l'amour  de  JosusChrisi  !  quelle 
ignorance  de  r»'iai  dos  esprils  dans  les  masses  prctlesiantes! 
(|uelle  ignoraocc  de  Genève  en  particulier!  Je  ne  parlo  pas 
des  callMiIitpics;  mais  ici  où  voii-on  encore  des  proicsianls  al- 
tacliés  à  rtvangik?  où  voil-on  la  pielé  ronaitro  parmi  eux?  n'esl- 
ce  pas  juslcmcnl  chez  ceux  qui  conservent  ou  reprennent  des 
symboles?  clie/  ceu\  qui  reviennent  à  admettre  le  <lo;(me  «le  la 
divinité  do  Jésus-Christ.'  (^est  dans  la  réailion  contre  «  la  reli- 
gion liiiniaine,»  ou  humanisée,  que  renaît  <|nel<|ue  ferveur. 
M.  Charles  de  Ucmusal  ne  peut-il  pas  se  faire  une  idée  de  J'in- 
fluence sur  la  |>i<''l«' ,  la  raison,  l'iniaginatidn ,  «pii  n'-snilo  de  la 
manière  dcnlendre  le  dogme  do  riiicarnalion,  do  la  rcdomjdion? 
En  Suisse  ,  quels  sont  les  cantons  |)rotesiants  où  régnent  encore 
une  certaine  foi,  une  pratique  pins  pieuse  du  culte  chrétien? 
c'est  précisément  dans  les  populations  du  canton  de  Neuchâtel 
et  du  canton  do  Rernc  qui  ont  conservé  le  plus  i\v  symhole  de  foi 
et  de  pratiques  uniformes.  Il  en  est  de  même  en  Allomagne;  et 
en  .\ngleterro,  la  piéic,  la  foi,  la  crovance,  le  sentiment  religieux 
se  manifestent  surtout  dans  la  sc«  le  «les  pnséisies,  à  mesure 
qu'ils  .sont  revenus  à  di's  symboles  plus  fermes  ,  |)lus  explicites  , 
et  à  un  «ullo  plus  viviliant.  Si  M.  do  Hénuisat  connaissait  les 
protcstantismes  et  h's  protestants  comme  nous  l«'s  connaissons  à 
Gen«;ve,  et  comme  nous  les  aNons  connus  dans  presque  toute 
l'Europe,  nous  osons  «lire  qu'il  écrirait  tout  autrement  ;  mais  sur- 
tout s'il  coiiuaissait  le  catholicisme,  il  n'écrirait  pas  comme  il  a 
écrit.  N'a-t-il  tlonr  jamais  «-onqKtré  l'at  lion  sur  la  morale  vl  Mir 
le  cour  de  la  doctrine  des  rouvres  qui  a  forme  saint  Vincent  «lo 
Paul,  et  de  la  «lorti  ino  d«'  la  piolo  «jui  a  forme  saint  rran«,ois  t\t' 
Sales,  avec  la  doctrine  des  u-uvros  inutiles,  sans  moi  iie  et  mémo 
«langereuse  du  protestantisme,  cl  encore  plus  avec  la  docirino 
de  la  prédestination  absolue?  A  clia«|ue  instant,  ses  comparai- 
sons manque  d'exa«;tilnde  ,  s«'s  jugements  de  précision,  ses  ta- 
bleaux do  «•«)ulours  v«'ritablos;  et,  sans  l«'  voidoir  sans  «lonlo.  il 
défigur«'  et  il  liiimanise  n  la  religion  «livin»',  »  "  la  religion  rhré- 
tienn«',  ►  h-  caiholicisme,  la  loi,  an  prolii  du  dernier  roinnehe- 


r.K   PROTESTANTISME.  23fJ 

meni  du  piuleslantisiiie  place  désormais  à  la  porle  de  l'iiuliffé- 
rence  el  de  rincrédiiiilé.  La  philosophie  du  W^IIP  siècle  a  dit  : 
Toulcs  les  religions  sont  lionnes;  M.  Charles  de  Rémusat  vou- 
drait pouvoir  dire,  en  laisanl  même  l'honnenr  au  raiholicisme  de 
le  placer  tians  la  foule  :  i  Toutes  les  diversités  chrétiennes  sont 
bonnes.  »  Aujourd'hui  cet  écrivain  satisfait  contre  les  catholiques 
les  piotesianls  de  honne  compai;nie  qui  lui  ont  servi  de  types; 
demain  il  donnera  des  armes  aux  prolesiauts  de  Genève,  où  re- 
louent «  d'énormes  erreurs  et  où  les  fondements  de  l'Évangile 
»  sont  renversés,  »  (1)  contre  les  protestants  qui  croient  encore 
à  Jésus-Christ;  tout  à  l'heure  il  n'y  aura  plus  de  «diversités» 
rationalistes  qui  ne  réclament  une  place  au  banquet  (jue  leur  sert 
M.  Charles  de  Rémusat. 

Il  y  a  surtout  dans  l'article  de  M.  de  Rémusat  trois  idées  faus- 
^es  ou  incomplètes. 

«  La  religion  chrétienne  est  divine  dans  son  origine  et  hu- 
»  maine  dans  Thomme.  » 

'<  La  religion  comporte  toutes  les  diversités  de  notre  nature.  » 

«  Le  protestantisme  est  une  religion.  » 

Nous  opposons  à  M.  de  Rémusat  les  affirmations  suivantes  : 

La  religion  chrétienne  est  divine  dans  son  origine ,  et  elle  est 
conservée  divine  dans  l'Église  catholique  et  dans  l'homme  par 
une  action  surnaturelle  qui  l'empêche  de  dégénérer  en  une  in- 
stitution humaine. 

La  religion  chrétienne  en  elle-même  ne  comporte  aucune  di- 
versité quant  aux  vérités  divines  et  aux  éléments  essentiels  de  la 
morale,  du  culte  et  du  sacerdoce  qui  le  constituent;  et  comme 
des  diversités  individuelles  portant  atteinte  à  ces  éléments 
peuvent  se  présenter  à  cause  de  la  faiblesse  de  la  nature  hu- 
maine, il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  une  autorité  qui  empêche  la 
diversité  de  prévaloir  sur  l'institution  et  l'action  de  Dieu  dans 
lÉglise  et  dans  l'homme. 

Le  protestantisme,  en  tant  que  protestantisme ,  n'est  pas  une 
religion .  précisément  parce  qu'en  vertu  du  libre  examen  indi- 
viduel ,  il  ne  relie  pas  les  hommes  à  Dieu  et  les  hommes  ensem- 

(1)  M.  lecomlc  Agénor  de  Gaspnrin. 


2^0  KT   «.    Uh    RKMl'SAT. 

Mr,  fl  (|iril  pormot  à  tous  los  esprits  (Je  d«''truin"  l;i  loi  cl  los  «lé- 
ineiils  coiisiiiiilifs  de  la  religion  rlinlirnn»'. 

Le  proieslantismc  ,  duns  ses  trois  princi|>cs ,  le  libre  exnmen 
individuel,  le  s:diit  ;,Maluil  et  la  pr<''destiiiali(»ii  absolue,  avec  tou- 
tes les  nejjjations  (jui  en  soiii  les  <(>nsi'(|iien(es,  loin  de  deveiop- 
|)er  la  piété,  TalTaiblit  et  l:i  dessèche  en  proportion  du  progrès 
des  diversités  et  des  ncgatious. 

Le  protestantisme,  par  son  litre  m^'Hie  et  ses  élénunis  pro- 
pres, restera  à  jamais  une  iU'},'ation  inf<'(!onde ,  attendu  (pie  le 
libre  examen  individuel  nie  l'Église  et  la  tradition;  que  le  salut 
f^ratuil  nie  les  (l'uvres  vivitii'es  par  la  grtlee,  et  que  la  prédestina- 
lion  absolue  nie  !«'  libre  arbitre  de  l'Iiomme. 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  vérité ,  de  morale  ,  de  culte  ,  d'autorité  , 
de  religion,  de  piété  dans  le  protestantisme,  lui  vit'iit  du  cailioli- 
cismc  et  se  conserve  plus  ou  moins,  malgré  le  protestantisme. 

A. 


LITTÉHATIIU:  PUOTtSTAMi:. 

JULIEN  OU  LA  FIN  D'UN  SIÈCLE,  PAR  M.  BUNGENER, 


«Je  ne  connais  rien  de  plus  méprisable  qu'un  fait,»  disait 
M.  Royer-CoUard.  Si  un  fait  avéré  ne  peut  servir  d'argument 
contre  un  principe,  à  moins  d'en  être  l'inévitable,  l'inséparable 
conséquence,  que  peut-on  inférer  d'une  collection  incohérente 
de  faits,  surgissant,  non  de  la  nature  même  des  choses,  mais  de 
l'invention  d'un  romancier? 

Dans  leurs  incessantes  attaques  contre  le  Catholicisme ,  nos 
adversaires  sont  condamnés  au  mensonge  et  à  la  négation  ;  l'af- 
firmation claire,  nette,  positive,  ne  leur  est  possible  que  dans 
les  dogmes  et  les  préceptes  qu'ils  ont  conservés  de  la  doctrine 
catholique,  et  seulement  en  vertu  de  l'affirnialion  antérieure  de 
l'Eglise.  Ils  savent  bien  nier,  par  exemple,  la  primauté  de  saint 
Pierre,  son  séjour  à  Rome,  l'institution  du  Siège  Apostolique  et 
le  martyre  du  premier  Vicaire  de  Jésus-Christ;  mais  demandez- 
leur  quelque  affirmation  précise  sur  leur  prétendue  Eglise  pri- 
mitive et  évangélique,  sur  l'authenticité  et  la  transmission  des 
Livres  saints,  sur  l'origine  de  ce  Symbole  des  Apôtres  qu'ils  ac- 
ceptent, quoiqu'il  soit  hors  de  l'Evangile,  ils  n'ont  que  des  ré- 
ponses vagues:  «On  sait,  »  disent-ils;  «il  est  reconnu  ;  »  et, 
pour  rejeter  la  tradition  de  l'Eglise,  chaîne  perpétuelle  et  glo- 
rieuse, ils  acceptent  celle  de  Luther  forgée  parmi  les  propos  de 
table  (Fische-RedeJ  du  pieux  réformateur. 

16 


2yi4  I  ITTKKATIRK    l'KOTtSTANTE. 

A  (léfaiii  tlimt  .rallirmalion,  ils  oni  rassi-rlion  ^raïuiie;  ré- 
(tuils  ù  fabriquer  j.;  ne  sais  quel  ignoble  luannetiuin  qu'ils  appel- 
lent V Eglise  romaine,  ils  le  livrenl  aux  risées  et  aux  insultes  de 
rij,'norance,  sans  ciaintlre  les  invcsiiyatii.ns  et  les  doutes  de 
leurs  coreligionnaires;  ear  le  préjugé  entoure  les  proiesianis 
«l'un  Index  plus  s«Wère  que  celui  de  la  Congrégation.  La  plupart 
«l'entre  eux  liraient  Voltaire  et  Strauss  avec  moins  de  scrupule 
«pie  Bossuet  et  Balmès. 

Depuis  quelque  temps,  la  littérature  protestante  s'est  enrichie 
d'une  masse  de  pamphlets,  de  nouvelles,  de  romans,  oii  l'on  se 
«lonne  carrière  contre  nous  d'aulani  plus  lil»rement  que  le  mé- 
rite littéraire  de  ces  œuvres  n'est  pas  de  nature  à  les  signaler  à 
l'attention  et  à  la  réfutation  des  écrivains  <  aiholiques. 

Et,    après   tout,   que   prouveraient-ils  aux   protestants  eux- 
ïuêmes ,  s'ils  se  donnaient  la  peine  d'être  justes,  de  réfléchir? 
De  ce  qu'il  plaît  à  M.  Bungener,  ministre  protestant,  de  supposer 
un  chevalier  Julien,  lils  de  Rousseau,  qui,  élevé  comme  un  gen- 
tilhomme, l)i<'n  place  au  milieu  de  celle  coterie  impie  et  légère, 
écume  de  la  société  franvaise,  devient  lui-même  incrédule,  mais 
«pii,  en  même  teuips,  tourmenté  d'un  vague  besoin  de  croire  à 
quelque  chose,  saiigloltc  avec  Rousseau,  s'exalte  avec  Mirabeau, 
sympathise  avec  Franklin,  entre  aux  francs-maçons  et  se  fait 
mystifier  par  Saint-Germain;    puis  prend  le  métier  de  prêtre, 
sans  ûtrc  même  bien  sûr  quil  y  ait  un  Dieu,  comme  on  entre  dan^ 
un  tombeau,  et  après  quelques  mois  de  séminaire  et  quelques  le- 
çons pour  la  forme,  est  ramené  au  désespoir  par  le  ressouvenir 
et  la  présence,  d'une  jeune  lille  prolestante  (juil  a  autrefois  ai- 
mée; qui,  enlin,  violant  une  sépulture,  y  trouve  la  Bible  d'un 
curé  catholique,  né  et  mort  protestant,  et  dans  cette  Bible,  qu'il 
ne  connaissait  qu'à  travers  les  superstitions  romaines,  trouve  la 
vie,  la  lumière  et  la  paix  ;  de  cet  amalgame  de  circonstances  in- 
vraisemblables, de  situations  fausses  el  forcées,  aucun  esprit 
juste  et  loyal  ne  conclura,  comme  le  voudrait  l'auteur  et  comme 
M""  Sand  le  déclare,  que   u  tout  prêtre  est  un  athée  ou  un  im- 
bécile. » 

Encore  n'est  ce  pas  la  calomnie  patente,  manifeste,  qui  ré- 
voIK'   I.'   plus   dans   ces  «ruvres  de  mauvaise   foi.   Au   dire  de 


LITTÉRATURE  PROTESTANTE.  245 

M.  Bungenei-  ei  de  ses  émules,  si  parfois  il  se  trouve  dans  les 
rangs  du  Catholicisme  quelque  mérite  ou  quelque  vertu,  c'est 
que  ces  hommes  d'élite  n'étaient  pas  catholiques  au  fond    de 
l'âme.  Ainsi  Pascal  errait  entre  le  doute  et  l'imbécilité  qui  lui 
faisait  faire  acte  de  soumission  à  l'Eglise;  Bossuet  ne  croyait 
guère  aux  Pères,  aux  Conciles  :  son  ouvrage  de  VExposition  de 
la  Foi  catholique  n'est  qu'un  audacieux  reniement  ou  une  grande 
imposture.   Mgr  Christophe  de  Beaun.ont  n'allait  pas  au  fond 
des  choses  de  peur  de  nôtre  plus  croyant,  et  faisait  de  bonnes  œu- 
vres pour  s  étourdir.  S'il  était  possible,  on  ferait  de  l'auteur  de 
I  Imitation  un  disciple  de  Wiclef  ou  de  Hus  ;  mais  il  y  a  un  cer 
ta.n  livre  IV  qui  gêne;  il  est  vrai  que  les  éditions  protestantes 
le  suppriment.  Du  reste,  les  suppositions  ne  coûtent  rien  •  on 
pénètre,  on  devine  le  secret  des  consciences  :  M"^  de  Luxem 
bourg  raisonne  comme  M-  de  Gasparin,  et  «de  quels  poids,» 
d.t-elle,  «lautorité  des  hommes  que  j'ai  pu  respecter,  serait- 
«  elle  pour  moi,  quand  je  les  vois  n'être  que  les  organes  de  ce 
«grand  corps  qui  ne  m'inspire  aucune  confiance...  Ou  la  reli 
«  gion  n'est  rien,  ou  il  faut  qu'elle  ait  une  autre  base.  » 
Et  voici  les  idées  que  M.  Bungener  attribue  au  roi  martyr  • 
«Louis  XVI  ne  s'était  pas  interdit  de  chercher  un  peu  ce  que 
«  valait  cette  Eglise  au  nom  de  laquelle  on  lui  donnait  le  titre 
«de  ro.  tres-chrétien:...  son  esprit  s'était  singulièrement  af- 
«  Iranch.  des  préjugés  que  la  mémoire  exploitait.»  (Qu'est-ce 
que  des  préjugés  que  la  mémoire  exploite?]  «Fils  aîné  de  l'E 
«  glise,  ,1  n'avait  eu  que  trop  de  facilités  pour  sonder  les  dérè- 
«  glements  de  sa  mère;  un  homme  qui  fait  des  Evêques,  qui  sait 
«  comment  se  font  les  Papes,  ne  saurait  avoir  beaucoup  de  foi 
«  dans  ces  dieux  de  la  foule,  et  le  personnel  des  docteurs  n'est 
«  plus  un  rempart  pour  la  doctrine.» 

Toujours  cette  même  mauvaise  foi  qui  s'obstine  à  confondre 
hnst,tut.on  d.vine  de  l'Eglise  avec  des  hommes  qui  ne  sont  les 
rf^eux  de  personne,  pas  même  de  la  foule  la  plus  ignorante 
ma.s  des  hommes  accessibles,  par  leur  nature  et  non  par  le  fait 
du  sacerdoce,  aux  fautes,  aux  passions,  aux  folies  humaines' 
roujours  cette  perversion  des  mots  qui  veut  identifier  l'infaillibi- 
lité du  corps  enseignant  sous  l'inspiration  divine,  avec  l'impec 


.>/,(;  iittkkathu:  ii-.otkstante. 

i^ab.liu.  .10  rin.livl.l..,  .,'•<•  -•"-"'•  ^-  •♦•  d'^'"'^''n"^  a  erl«ee  eu 
.,„,,,i,H..  Qno  nous  imporU-  Ir  ,)fr5«n»W  ,/r5  c/orfriir,?  Cx.  nesl 
,K.s  nous  Mui  .  ^.baissons  ainsi  h.  roli},'ion,  re  sonl  U-s  Alb.goo.s  H 
I..S  \andois.  qui,  la  mesu.anl  au  mniU'  luMu.in,  font  <l.|K^ndre 
,,  ,„„,.,..  (h-  la  .lortrinc  el  r.flicarilr  clos  sarmnrnts  dr  I;.  sa.u- 
i.,,.  cl.s  .uinislros.  Lo  ^r^onne/  ,/c,  ./ocr.ur,  ciui  transmellon.  la 
unnlô  de  la  loi,  n'a  ,.as  plus  d'innurnc.   sur  nom-  rrovanr., 
Le  n'en  a  sur  une  <'uu  salulair.  la  n.atirre  du  tuyau  qn.  I  anu-no 
,1..  la  mon,a«nc  :  r'esl  à  h.  sourn-  .,uil  laul  .r.arder;  et  quelles 
..„i  ...e  les  origines  du  proleslaniisnie?  Achevons  relie  .  .tal.on  : 
,  .u.lien  donnail  au  roi  une  pr.-nvr  d\slim.  quand  .1  le  ju- 
..  ,oail  digne  d.  .oUMMcndrc  que  le  sain,  d.s  p.upl.s  n.  ponva.l 
..  ,,,,  .lans  rrxploiuaion  el  la  drifu-alion  de  lous  les  .nsl.neis 
,,..h;..,.s  .!.•  ri...nunc  (sic);  il  en  .Hail  venu  à  eon.lun-  qu  un 
«  p..upl.  ne  sera  jamais  ni  l»on,  ni  grand,  ui  eclairr,  n.  l.l.ns  n. 
«  Lureux  par  le  lait  .lu  Ca.holieism.. ,  et  que  parm.   U's  ehefs 
.des  peuples,  eeux-là  s.ulnu.n.  p.uvcn.  lappelof  a  l.ur  a.de 
«  qui  n'onl  nul  souci  de  sa  cous.  i(  iu;r.  » 

On  avail  M.nvenl  aeeus.'  le  Cadiolicismc  .Ir  l.r.s.r  la  l.b.Tie 
l„nnain..,  drloullVr  les  alTeclions  humaines,  d'élein<lrr  la  ,  a.son 
humaine;  n.ais  il  Hail  .•és..nv  à  M.  Hnog-ner  A'.  >->..  la  <lc,f,cn. 
Uon  des  in:*(inrls  humains  de  l'homme. 

.1,  roi  nosa  pas  aller  plus  loin;  il  naignail  I  éch.o  que  sa 
.  loi  suhiraii.  sd  p.oNoquail  les  aveux  dr  Jul.en.  •> 

Nous  avons  fait  .  omm.=  le  roi  :  nous  no  somm.-s  pas  ail.  s  plus 
loin  dans  cette  1..  tur.-,  qui,  des  W  début,  nous  ava.l  .usp.re  J 
........m,.  d..goûl.  A  .,uoi  bon  prendre  le  ».o.s.eme  vo  ume^  N 

avions  assez  des  prétendues  opinions  intiu..  d-  .e  Ids  de  s    m 
,,,,,,,,,, .nui  S..S  assassins,  .ompta  plus  d  un  n..e.U  ,^^^^^ 
taut.-.>cndan.,.n....aut.vsleslilsdupast..rlV,d.at     h^V^ 

„,os,  01  pas  un  véritable  Catholi.iue.  N.n.s  pouvions  jug,  r  .      • 
•manière  don,  M.  RungnuM   clo>  ait  trail.M-  b-s  personnages  d. 
neation.  Juli.n,  .,ui  n'a  connu  la  HM-  ,u  a  travers  les  ,«     -^ 
nous  catkoluiucs,  apprend  à  la  .  onnaitre  par   .-s  '"'- P-  ^^    ; 
l,.s  annolalions  du  ministr.  hnguon..,,  .lont  d  br.se  le  s.      I     < 
pour  pouvoir  prcndn-  1.  précieux  volunu-  an  l-nd  .1  un  tomb  a 
omnlsi.  sais  sa.ril..ge  el  sans  tonvnr.  il  n.nnama.s  pu  s.. 


LITTÉllVTriil-    rr.OTESTAME.  2^7 

procurer  une  Bible  dans  les  séminaires  cl  les  hibliolliècjucs  ca- 
tliuliques.  Au  reste,  Tauieur  se  hâte  de  dite  que  ce  malheur 
était  tout  à  fait  naturel  et  n'avait  rien  d'un  sacrilège.  Il  y  a  à 
cette  occasion,  et  dans  la  scène  de  l'apparition  de  Saint-Ger- 
main, de  ces  pages  rebattues,  de  ces  l'aniasmagorics  ridicules, 
comme  il  en  traîne  dans  les  romans  les  plus  vulgaires,  depuis 
Ducray-Duminil  jusqu'à  A.  Dumas  :  encore  le  bon  Ducray  se 
donnait-il  la  peine  d'expliquer  ce  qui  send)lait  fantastique  et 
suroalurel.  Un  niinistre  du  saint  Evangile  qui  n'admet  pas  les 
miracles,  ne  devrait  pas  évoquer  des  prodiges  sans  y  trouver  une 
cause  toute  naturelle,  aussi  naturelle  qu'à  Vapparent  sacrilège  de 
Julien. 

Pourquoi?  Celui-ci  sera  sans  doute  régénéré  subitement  :  il 
deviendra  chrétien  parce  qu'il  accepte  une  base  qui  rend  chrétien 
celui  même  qui  ne  connaît  aucun  des  enseignements  du  Chris- 
tianisme. 

Une  des  preniièies  vérités  qu'il  apprendra  sans  doute  et  (|u'il 
mettra  en  pratique,  c'est  que  ses  vœux  étaient  illusoires,  sinon 
criminels.  Il  en  sera  donc  délié  et  pourra  se  livrer  sans  crainte  à 
l'exercice  de  toutes  les  vertus.  Par  opposition,  un  certain  curé 
Cambel,  ex-Jésuite,  car  un  roman  anti-catholique  sans  Jésuite 
serait  un  mélodrame  sans  traître,  un  certain  Cambol,  type  clas- 
sique, deviendra  fougueux  Jacobin  et  persécutera  Julien  et  la 
jeune  protestante  qui,  aimée  de  celui-ci,  a  repoussé  la  plus  bru- 
tale, la  plus  stupide  déclaration  qui  ait  jamais  été  hurlée  sur  les 
théâtres  de  boulevard.  de  Romont. 

(La  fin  au  prochain  numéro.) 


MtLA\(iES  ET  NOIVELLES. 


Genève.  —  Les  ministres  PEi>Tb  pah  ei  \-m(mes.  —  M.  Hust ,  mini>- 
tri'  niéllioilistc  (jui  a  eu  «ne  piirl  active  tiaiis  la  créalioii  de  léjîlise  lil>re,  vient 
lie  publier  ses  nicinoires ,  dans  lesquels  il  llagcllc  les  ministres  de  l'églisn 
nationale,  les  accuse  de  nullité  tliéologiquc  et  d'absence  complète  de  foi;  on 
revanche,  son  livre  reçoit  de  ceux-ci  des  aménités  cvangéliques  qui  nous 
donnent  une  idée  de  la  manière  dont  ces  docteurs  se  traitent  en  famille. 
Nos  lecteurs  comprendront  alors  le  ton  i|u'ils  emploient  dans  leurs  controver- 
ses contre  nous. 

L'école  du  théologie  de  Genèt'f  peinte  par  M.  le  ministre  BntI  (Mémoires, 
p.  ^).  —  J'entrai  en  théologie  vers  la  fin  de  IHOl). 

Cette  époque  se  ressentait  encore  fortement  du  caractère  de  la  grande 
révolution  française,  qui  \enait  à  peine  de  se  terminer  :  la  doctrine,  (|uaul 
à  l'église,  et  les  nururs  en  général,  élnient  arrivées  à  un  rel.-^chement  dont 
on  ne  peut  facilement  se  faire  aujourd'hui  une  idée  ;  la  manière  de  v  i\  re  des 
étudiant-^,  aussi  bien  des  étudiants  en  théologie  que  des  autres,  y  eorresp»)!!- 
dait  :  les  propos,  les  chansons,  les  dessins  sur  les  bancs  des  auditoires,  la 
conduite  de  (juelques-uns,  étaient  au-<lessous  du  lolérable. 

Quant  h  l'enseignement,  il  y  a  un  fait  qui  domine  tous  les  autres,  et  qui 
semblerait  incroyable,  mais  «jui  est  au(henti<|ue.  Pendant  les  quatre  ans  que 
nous  passions  à  étudier  la  théologie,  et  sauf  l'usage  (]u'on  était  obligé  <lc  faire 
de  l'Aiicien  Testament  pour  apprendre  un  peu  d'hébreu,  en  traduisant  en- 
viron cent  psaumes  pendant  ces  (|iiatre  années,  on  n'ouvrait  pat  la  Bthir 
dans  nos  auditoires  :  ce  livre  y  était  inutile  et  inconnu  ;  en  d'autres  termes, 
il  n'entrait  pas  dans  les  cours;  et,  sauf  son  usage  comme  thème  de  langue, 
on  pouvait  ne  pas  le  posséder!  Sans  doute  on  nous  en  parlait  quelquefois, 
soit  pour  nous  y  montrer  quelques  beautés  poétiques  ou  des  mouvements 
oratoires,  soit  pour  appuyer  les  dogmes  qu'on  appelait  de  religion  naturelle, 
même  celui  d'une  résurrection  et  d'un  jugement  h  venir  :  mais,  à  part  cela, 
rien.  Kt  quant  au  Nouveau  Teslamenl  en  particulier,  comme  plusieurs  «le 
nous  savaient  le  grec,  et  (|uc  les  autres  étaient  censés  le  savoir,  ce  li\re  ne 


MÉLANUBS  ET  NOUVELLES.  249 

paraissait  ni  comme  thème  .le  langue,  ni  aulion.cnl.  Aucun  cours  non  plus, 
m  bon  m  mauvais,  de  doj^mali.iue  chrétienne  :  cY-laitle  déisme  pur;  et  j'ose 
bien  d.re  que,  sauf  la  franchise  qu'on  n'y  mettait  pas,  c'était  un  déisme  im- 
pudent... 

Sous  le  rapport  seicntifî.iue  c'était  la  même  misère  ;  et  il  ne  pouvait  en 
être  autrement.  On  ne  cultivait  alors  en  théologie  un  peu  soigneusement  que 
lart  oratoire;  et  encore  négligeait-on  complètement,  en  ce  point,  le  fonds 
des  Idées,  puisque  à  côté  de  Saurin,  on  nous  donnait  une  masse  de  sermon- 
naires  catholiques  romains... 

Pour  nous  former  à  la  piété,  nous  n'avions  donc  de  secours  qu'en  dehors 
de  nos  éludes ,  et  particulièrement  dans  les  petites  assemblées  auxquelles 
tout  nous  ramène  sans  cesse,  et  qui  formaient  à  notre  malheureuse  position 
un  léger  correctif.  C'est  vers  ce  temps  (1810)  que  fut  fondée  la  Société  des 
Amis.  Elle  n  a  pas  duré  jusqu'à  l'éclat  du  réveil  en  1816;  mais  elle  prit  alors 
un  peu  plus  de  solidité  quaucune  des  précédentes,  et  nous  allons  la  retrou- 
ver dans  nn  moment.  Elle  se  composait  uniquement  d'hommes,  surtout  de 
jeunes  gens,  et  elle  comptait  une  vingtaine  de  membres. 

On  conçoit  le  triste  effet  que,  dans  cet  état  de  choses,  mes  études  théolo- 
giques devaient  produire  sur  moi,  déjà  si  mal  dirigé  et  si  plein  de  contradic- 
tions. D  un  côté,  je  tâchais,  lorsqu'il  lallait  composer  des  sermons,  de  faire 
un  peu  d'art  oratoire:  de  l'autre  ,  j'avais  dès  lors  au  fond  de  l'esprit,  en  fait 
de  rhétorique,  le  principe  dans  lequel  je  me  suis  enraciné  de  jour  en  jour, 
savoir  que,  lEvangile  étant  en  iui-méme  une  puissance  de  Dieu  et  une  action 
surhumaine,  il  faut  le  prêcher  sans  aucune  préoccupation  littéraire,  sans  au- 
cun calcul  de  réthoriqne.  J'ai  trouvé  plus  tard  ce  principe  tel  quel  dans  Pas- 
cal, qui  dit  ouvertement,  dès  le  début  de  son  admirable  écrit  sur  VArl  de  per- 
suader :  «Je  ne  parle  pas  ici  des  vérités  divines,  que  je  n'aurais  garde  de 
»  faire  tomber  sous  lart  de  persuader,  car  elles  sont  infiniment  au-dessus 
.  de  la  nature  :  Dieu  seul  peut  les  mettre  dans  l'âme,  et  par  la  manière 
»  qu  il  lui  plaît,  p  [Pensée,  Ed.  de  Fougère,  t.  I.  p.  1.55.) 

Ce  tiraillement  produisait  chez  moi,  en  résultat,  quelque  chose  de  fort  mé- 
diocre ;  et  j'ai  passé  longtemps  auprès  de  mes  collègues  et  dans  le  public, 
pour  plus  borné  que  je  ne  l'étais  réellement. 

Comme  exemple  de  plus  des  continuelles  contradictions  de  ma  pauvre  vie 
d'alors,  je  dirai  qu'à  côté  de  mes  lectures  de  Virgile  et  de  Voltaire,  et  au 
milieu  de  toutes  sortes  d'attachements  et  de  projets  ou  de  plaisirs  futiles,  je 
composais  (1811),  du  1"  au  4  octobre,  pour  notre  Société  des  Amis  un  mor- 
ceau très-développé  et  assez  sérieux  contre  la  danse.  J'ai  encore  cette  pièce 
dont  je  donne  un  passage  dans  le  5^  volume.  Elle  commence  académique- 
raent  par  a  messieurs,  »  mais  elle  arrive  vite  à  «  mes  frères.  »  C'est  évidem- 
ment une  pièce  médiocre,  mais  qui  peut  intéresser  comme  document.  J'y 
vois,  en  souriant,  ce  style  à  amplification  qui  n'est  certes  pas  dans  ma  nature, 
et  dont  je  sentais  dès  lors  la  monotonie,  mais  auquel  j'étais  arrivé  involon- 
tairement par  la  lecture  assidue  et  tuante  de  Massillon,  qu'on  m^avait  re- 
commandée ! 
Je  trouve  dans  ce  même  discours  une  note  qui  renvoie  à  «  l'article  4  de 


250  VtLAMtiES    El     MiUVELLES. 

nos  rij;lciiiiMils  :  »  —  «c  qui  conliriiic  ce  ijik' je  \i«*iis  de  dire,  que  la  tociétr 
avait  (It-jj  pris  quelque  consistance  ,  et  que  nous  fuisions  aussi  des  rèKle- 
nicnts  !  Du  rcsle,  cette  société  n'était  pas  strictement  ortliecfoxe  ;  je  me  rap- 
pelle quau  grand  scandale  de  quelques-uns  d  entre  luius  ,  qui  étions  déjà 
plus  éclaires,  un  brave  homme  nous  apporta  un  jour  avec  admiration  une 
pancarte  intitulée  :  c  des  devoirs  de  Vhttnnrtr  homme.  • 

Dans  mes  papiers  de  celte  épo<|ue,  je  a  ois  encore  une  conclusion  d'un  rap 
port  fait  à  la  Sociilr  du  dimanche  (la  même  que  celle  des  Amis),  cinq  semai- 
nes plus  tard,  le  li  ni>\endtre  \H[{,  |iar  feu  notre  frère  Kmpeyta.  Toutes  cf s 
choses  sont  maintenant  pour  nous  des  reliques  intéressantes.  Il  y  avait  dans 
son  morceau  moins  d'anqtlilication  que  dans  le  mien,  et  l'on  y  trou\ait  moins 
le  caractère  littéraire  ;  mais  on  y  sentait  da\anta^e  le  tempérament  religieux. 

Dans  ces  années  de  tliéulo^^ie,  un  31.  de  Végobrc,  réfugie  français,  ou 
français  de  naissance  et  membre  du  consistoire  de  Genève,  recevait  de  temps 
en  temps  chez  lui  les  étudiants  en  théologie  pour  leur  parler,  non  de  reli- 
gion ni  de  piété,  mais  de  littérature.  C'est  dans  une  de  ces  réunions  que  je 
cornus  une  de  ces  pensées  risibicmeni  gigantescpies  qui  se  présentent  à  l'es- 
prit de  gens  qui  se  senlciil  (|uelqucs  moyens,  et  qui  n'ont  pas  enc«)re  eu  ut- 
casiun  d'en  reconnailre  les  bornes  en  se  mettant  à  l'aHivre.  ou  qui  trouvent 
toujours  ipielque  laison  particulière  pour  excuser  leur  faiblesse  lorsqu'ils 
en  ont  donné  une  preuve.  M.  de  Végobre  nous  exhortait  à  profiter  de  nos 
vacances  pour  faire  quelque  travail  un  peu  sérieux  et  considérable.  .Nous 
n'avions  plus  à  disposer  que  de  trois  semaines.  —  «Je  veux  faire  une  tragé- 
die en  vers,  »  lui  <lisjo.  —  Il  sourit  et  se  récrie.  —  •  Pour(|uiii  pas,  lui  ré- 
pondisje  gniment.  Voltaire  n'a-l-il  pas  fait  Zaïre  t\ani  cet  espice  de  temps?» 
—  Il  faut  se  souvenir  que  je  suis  né  (ienevois. 

On%oil  par  ces  quelques  molsijue,  pour  ce  moment-là  du  moins,  nu-s 
rapports  religieux  avec  mes  amis  s'i-laieut  affaibli*.  Kl  en  effet  je  continuui-< 
à  vivre  <laus  les  contrastes  dont  la  description  souvent  répétée  pourrait  las- 
ser le  lecteur.  Outre  tout  ce  que  j'ai  déj.'i  indiqué  en  ce  genn*.  mes  souve- 
nirs de  celte  époque  me  rappellent  trois  choses  bien  différentes  qui  m'occu- 
paient à  la  fois  et  qui  achèvcfit  le  tableau  «le  ma  vie  bigarée. 

r  rt>iiq>(i>.ilion  de  la  musi(|ue  du  grand  morceau  :  i  Je  dirai*  letdoulrurt.* 
une  de  mes  meilleures  productions  nuisieales,  inédite; 

2°    Tnliiia  î  j'en  dis  ipielquc  chose  dans  le  SupjiUmenl  : 

Ty°  M-tdnme  de  Krudener.  C'est  en  1H|!>  que  celle  femme  célèbre  vint  a 
(lenève  pour  In  première  fois.  Klle  produisit,  sur  moi  en  particiduT.  une 
profonde  impression.  Sans  doute  elle  se  montait  un  peu  elle-même;  elle 
cherchait  J»  arriver  aux  miracles  par  réchauffement,  cl  en  se  ballant  les 
flancs  :  mais  je  passais  p.ir  dessus  ce  c/tlé  de  son  ministère.  Non  que  j'aie 
jamais  douté  de  In  parfaite  possibilité  des  mirncles,  en  nos  jours  romme  en 
ceux  des  apôtres  :  au  contraire,  je  suis  convaincu,  et  je  l'étais  déj.t  alors, 
«ju'il  s'en  est  fait  dans  tous  les  temps,  et  qu'il  s'en  fait  nussi  de  nos  jours 
mais  madame  de  Krudener  n'en  faisait  pas.  repemlant  elle  avait  im  fond  de 
foi  cl  de  charité  si  réel  cl  si  grand  .  qu'il  lui  était  facile  de  prfnluire  de  lef- 
fel  sur  loulc  .'kme  bien  disposée:  et,  gràco  a  Dieu,  je  l'étais  grandement,  .m 


l»^ÉLV^^.ES  i:t  nouvelles.  251 

milieu  lie  loiitos  mes  fnihlosscs  et  de  toulc  mes  infidélités  :  comme  je  le  suis 
encore  i\  présent. 

Le  :i()  décembre  de  celle  niémc  année  181/»,  1rs  Aiilricliiciis  cnlraicnt  ii 
(îenève;  el  la  pauvre  Genève  croyait  reprendre  vie.  Mais  elle  allait  mourir, 
peu  d'années  a|)rès,  de  la  longue  consomption  du  socinianismc. 

J'ai  passé  rapidement  sur  les  cpiatre  ans  de  mes  études  lliéologiqucs,  parce 
que  c'est,  comme  l'époque  précédente,  une  pauvre  époipie  d'un  souvenir 
pénible.  A  cété  de  pensées  Irùs-ralionalislcs,  dont  je  trouve  des  traces  abon- 
dantes sur  les  marges  de  mes  livres,  il  me  restait,  il  est  vrai,  un  fond  et  une 
persuasion  ortiiodo-xes  :  mais,  je  l'ai  déjà  confessé,  j'exprimais  ces  senti- 
ments avec  peu  d'onction  ;  et  mes  professeurs  me  trouvaient  désagréable. 

Du  reste,  je  me  rappelle,  ù  cette  occasion,  un  nouvel  exemple  de  la  déca- 
dence où  se  trouvait  alors  la  pauvre  église  de  Genève.  Un  de  nos  professeurs, 
parfait  honnête  homme,  humainement  parlant,  mais  franc  déiste  en  théolo- 
gie, me  dit  un  jour  au  sujet  d'un  de  mes  sermons  sur  le  péché  originel  : 
«Voyez,  M.  Bost,  tout  cela  est  très-bon;  mais  ce  n'est  pas  ainsi  qu'd  faut 
prêcher.  »  C'est  à  celte  époque  que  j'ai  entendu  faire  un  sermon  dont  l'ob- 
jet était  de  prouver,  par  l'histoire  des  noces  de  Cana,  que  nous  devons  nous 
donner  du  plaisir  dans  celte  vie,  cl  même  d'y  engager  les  autres!  Oui,  ce 
fin'cnl  là  les  deux  parties  et  l'objet  avoué  du  sermon! 

Mais  revenons  à  notre  Genève  de  1814..  Le  réveil,  au  devant  duquel  nous 
marchons  à  grands  pas,  ne  faisait  encore  point  d'éclat  :  seulement  nos  petites 
assemblées  commençaient  à  inquiéter  la  Compagnie,  notre  clergé,  plus  clair- 
voyant en  cela  que  nous-mêmes.  Je  me  souviens  d'un  jour  où  M.  le  pasteur 
C.  vint  chez  mon  père  pour  lui  demander  de  discontinuer  ces  réunions. 
Peut-être  fut-ce  cette  démarche  de  sa  part  qui  fit  dissoudre  la  Société  des 
Amis  dont  il  a  été  question  précédemment. 

Je  terminerai  l'histoire  de  celte  époque  en  mentionnant  le  penchant  qui 
nous  portail  vers  le  catholicisme  romain,  du  moins  mon  ami  Empeyta  et  moi. 
Le  socinianismc  est  un  système  si  bâtard,  si  terre  à  terre,  si  faux,  si  en- 
nemi de  tout  sentiment  élevé,  et  d'un  autre  côté  la  religion  de  Rome  of- 
fre un  système  si  complexe  et, si  élastique;  à  côté  de  son  ioolatrie  elle  ad- 
met si  bien  la  foi  à  un  Sauveur,  et  elle  proclame  tellement  la  doclrine  de  la 
croix,  que  faute  de  mieux,  et  en  présence  de  l'incrédulité  générale,  nous 
nous  sentions  portés  vers  elle.  Nous  allions  très-souvent  à  Saint-Germain, 
seule  église  romaine  qu'il  y  eût  à  Genève  ;  nous  aimions  le  parfum  de  l'en- 
cens, qui  me  rappelait,  à  moi,  Newied,  parce  que  les  frères  Moraves,  sans 
avoir  d'autel,  ni  même  de  chaire,  dans  leurs  salles  d'assemblées,  y  brûlent 
pourtant  de  l'encens  en  certains  jours  de  fêtes  :  bref,  toute  la  poésie  de  celte 
conmiunion,  d'ailleurs  couverte  du  sang  des  chrétiens  protestants,  nous 
éblouissait,  et  nous  passàn.es  plusieurs  années  combattus  entre  lattrail  que 
cette  église  exerçait  sur  nous  par  son  élément  chrétien,  el  la  juste  aversion 
qu'elle  nous  inspirait  par  son  élément  idolâtre.  Je  me  rappelle  même  que 
plus  tard,  après  la  formation  de  l'église  du  Bourg-de-Four,  M.  Empeyta,  qui 
avait  suivi  Mme  dcKrudener  pendant  quelque  temps ,  était  encore  tellement 
travaillé  par  un   penchant  vers  cette  église  romaine,   qu'il  nous  en  parlait 


2.")2  «tL.l.M.tS   ET   ^OlVtLl.tS. 

»aii^  er>M-,  ri  «|iir  lati(>uc,  je  lui  «lis  iin  jour  :  •  Kh  bien!  fais-lui  culliuli(|uc. 
et  i|tii*  ce  .soil  lini  I  >  Il  me  répuiidil  que  je  l'effrayais  eu  lui  duiuiant  crlle 
liberté  ;  el  je  crois  réellement  que  «lès  lors  nous  n'en  nvons  |ilu>  pari»?,  «-t  n'y 
avons  plus  son(;é.  Bien  s'en  faut,  njouterai-je. 

V«)i(i,  par  revanche,  le  ]iortrait  «le  «c  ministre  fait  jiar  un  de  ses  confrères. 
—  .»f.  BosI  peint  par  le  SeTiirur  Gcnrrois.  (août  18Ji4,  p.  202).—  M.  lïosl 
vient  de  faire  paraître  le  premier  volume  de  ses  mémoire».  Autrefois  on  ré- 
servait nu  public  ce  genre  de  confidences  pour  des  cas  rares,  pour  des  hom- 
mes (|ui  avaient  joué  un  rtjlc  important.  .Vnjonrd'hui.  ce  n'est  plus  ça.  l/au- 
teur  la  bien  senti  :  il  n'a  pas  intitulé  son  livre  seulement  :  Mèrnoirrtdr  M. 
A.  BosI  ;  chacun  aurait  demandé  :  «juc  dites-vous?  (|ui  e^t-ce?  qu'a  fait  ce 
monsieur?  Il  s'est  envchippé  d'un  titre  pon)peux.  comme  d'un  paletot  qui 
lui  sied,  et  «|ui  cache  un  peu  le  faible  de  parler  de  soi  :  .ytrmniift jHiuriinl 
tenir  à  l'histoire  du  réveil  religieux. 

.V.  Bost  est  un  homme  désintéressé,  sincère,  de  bonne  foi;  il  se  croit  un 
personnage  pour  avoir  favorisé  ce  qu'il  décore  du  nom  de  réveil  religieux  ; 
pour  a\oir  dit  raca  à  bon  nombre  de  pasteurs  des  églises  nationales,  el  pour 
avoir  eu  maille  à  partir  avec  les  polices  des  nondireuses  contrées  dans  les- 
quelles il  s'est  fait  craindre.  C'est  un  homme  d'esprit .  surtout  la  plume  à  la 
main  ;  son  style  est  clair,  vif,  pittoresque,  et  il  a  le  talent  de  se  faire  lire  quoi- 
qu'il se  répète  el  qu'il  parle  toujours  de  lui.  Sa  fougueuse  vivacité  l'einporle, 
et  (|Uoiqu'il  aime  la  vérité,  souvent  il  la  dénature  et  il  avance  le  contraire  de 
ce  qui  est. 

Il  prétend  que  la  compagnie  des  pasteurs  de  Gencvc  se  fîl  interdire  par  le 
Conseil  d'Klat  de  répondre  aux  attaques  ilont  elle  était  l'objet,  ce  qui  esl  ab- 
solument faux.  Klle  réclama,  nu  contraire,  insistant  sur  ce  i|u°il  y  avait  d'in- 
juste .i  autoriser  les  attaques  et  iioîi  les  réponses  a  ces  attaques.  Il  appelle 
meniKinge  les  exercices  de  prédication  qui"  les  professeurs  «le  thé«>logic  exi- 
gent de  leurs  élèves  ;  ce  qui  est  au  moins  bizarre.  Il  ose  dire  «pi'tin  enseignait 
de  son  temps  à  (jenève,  «lans  l'.Xudiloire,  un  rtèitmr  impudent.  i|ue  cette  ville 
élail  livrée  au  déisme,  qu'elle  allait  mouiirde  la  longue  consomption  du  so- 
cinianisme,  puis  sans  s'inquiéter  de  se  contredire,  lorsqu'en  1R22  on  le  montre 
en  Angleterre  comme  une  curiosité,  et  qu'il  y  est  bien  reçu,  il  reconnaît  et 
déclare  que  le  titre  de  ministre  de  (ienère  élail  une  puissante  recommanda- 
tion. 

M.  Bosl  ne  peut  ilissimuler  la  haine  ipic  lui  inspirent  l«".s  pasteurs  des  égli- 
ses nationales.  «J'allais  débuter,  dit-il,  dans  celle  longue  suite  de  guerres 
que  jai  faites,  en  divers  pays,  a  toutes  sortes  de  faux  docteurs,  el  en  parti- 
culier dnnsfîcnève,  au  parti,  commenl  dirai-jc?  rationaliste?  soeinicn?  incré- 
dule? AuciMi  nom  ne  lui  va  exactement ,  h  ce  parti  ignorant  el  flasque  ,  sans 
amour,  sans  vie  el  sans  vérité,  à  celle  atonie  absolue  de  la  foi,  véritable  oqua 
tofana  des  àn>es  ,  (|ui  poussait  la  pauvre  église  de  (îenève  lentement  i  s* 
perle.  »  Cette  diatribe  n'cmpécha  pas,  (juclqucs  années  plus  tard,  M.  Bosl 
de  se  réunir,  avec  de  vifs  tcmoign.igcs  «le  joie  et  irattarlicnicnl,  à  ces  pas- 
teurs sans  vie  el  sans  vérité,  de  se  mettre  sur  les  rangs  pour  «le\enir  leur  col- 
lègue :  et  il  ne  les  quitta  de  nouveau  ijuc  lorMju'il  eut   échoué  dans  le  désir 


IIÉI.AWCES   tr  AOUVIiLLES.  '253 

d'ublciiir  iini>  [ilaïc,  (|iril  n'amail  pas  desservie  lonj^lcinp^.  cai  il  laul  qu'il 
boujçe,  ijuil  courre  et  (jiiil  Ijataille.  C'est  un  lionirne  qui  n'est  pas  équilibré, 
il  va  par  sauls  et  par  houils  ;  il  étnct  (tarlois  les  idées  les  plus  élranpes  :  il 
croit  aux  songes  et  aux  miracles  de  nos  jours;  il  se  refuse  ))ar  principe  les 
études  do  science  et  do  lillérature;  il  appelle  liKiutrh  leclure  de  Massillou 
qu'on  lui  avait  reconnuandée  ;  il  déclame  contre  le  talent  oratoire  :  il  soutient 
qu'on  ne  professe  pas  l'Évanj^ile  quand  on  n'en  comprend  pas  tous  les  en- 
seignements connue  lui;  il  voit  le  christianisme  dans  les  idées,  dans  l'acte 
unique  de  la  grâce;  il  nie  l'ellicacilé  des  plus  grands  efforts  pour  mener  une 
vie  clirétiennc;  puis  il  hasarde  le  contraire  quelques  lignes  plus  loin.  Les 
heures  de  dévotion,  Slundcn  dn-  audachl,  ce  beau  livre  qui  a  raffermi  et 
consolé  tant  d'âmes  ébranlées  et  soulïrantes  ,  il  l'accuse  de  faire  un  vrai  ra- 
vage dans  les  esprits,  par  une  fausse  apparence  de  piété  (ce  qui  signifie  qu'il 
n'enseigne  pas  tous  les  dogmes  que  M.  Bost  voit  dans  l'Évangile),  il  le  dit  un 
livre  diabolique.  Se  peut-il  que  des  préoccupations  faussent  l'esprit  à  ce 
point? 

Enfin,  M.  Bost  est  essentiellement  guerroyant;  il  s'en  applaudit,  il  attri- 
bue à  sa  violence  le  mérite  de  ses  actes  et  de  ses  écrits,  il  se  dit  prédestiné 
à  la  guerre  ,  il  parle  de  ses  allures  cosaques,  il  se  compare  à  une  mine  qui 
va  sauter;  et  lorsque  son  père,  pour  lequel  il  professe  des  senlimcnls  tou- 
chants et  vrais,  lui  recommande  de  ne  pas  casser  les  vitres,  au  moment  où  il 
allait  comme  suffragant  à  la  cure  de  Moroticrs,  dans  l'cvcché  de  Bàle,  M.  Bost 
lui  répond  carrément  :  Je  lis  casserai  (ouïes;  et  il  a  tenu  parole.  Aussi 
quand  on  frappera  une  médaille  en  son  honneur,  l'exergue  est  toute  trou- 
vée :  c  il  cassa  toutes  les  vitres.  j>  D'ailleurs,  if  sait  aussi  bien  que  nous  à 
quoi  s'en  tenir,  cardans  le  prospectus  qui  a  précédé  son  premier  volume,  il 
se  dit  un  brouillon.  >'ous  sommes  trop  polis  pour  le  contredire. 

—  De  l'apostasie  et  de  l'achat  des  âmes.  —  C'est  là  un  fait  évidemment 
constaté  que  le  protestantisme  fait  des  recrues  dans  les  pauvres  qui  se  lais- 
sent aller  à  quitter  l'Église  catholique,  alléchés  par  l'appât  des  secours  ou 
des  protections.  Chaque  jour  nous  apporte  de  nouvelles  preuves;  et  nous 
en  trouvons  une  évidente  démonstration  dans  lobslination  que  mettent  les 
ministres  à  taire  les  noms  de  leurs  prosélytes.  Leurs  temples  offrent  plu- 
sieurs fois  les  spectacles  de  ce  qu'ils  appellent  réceptions  ;  et  catholiques  et 
protestants  s'accordent  à  dire  qu'il  n'y  a  là  que  des  inneminali,  sauf  quelques 
pauvres  hères  bien  connus  à  Genève  dont  le  mérite  est  de  vivre  aux  dépens 
de  ceux  qui  leur  donnent  une  apparence  de  religion.  Naguère  on  a  vu  un 
jeune  Savoyard,  V...,  de  18  ans,  nous  avouer,  devant  une  partie  de  sa  fa- 
mille, qu'il  passait  au  protestantisme  parce  qu'on  lui  faisait  apprendre  un 
état  et  qu'on  lui  donnait  20  fr.  par  mois,  et  qu'à  la  réception  il  aurait  des  ha- 
bits neufs;  à  Carouge  ,  un  autre  étranger,  M...,  était  venu  solliciter  de  M.  le 
curé  un  secours  pour  payer  sa  carte  de  séjour;  M.  le  curé  l'exhorta  à  tra- 
vailler, et  celui-ci  le  menaça  de  le  faire  repentir  de  ses  exhortations.  Depuis 
lors  il  est  passé  au  protestantisme;  il  a  des  ressources  et  du  superflu,  et  sa 
demeure  est  devenue  un  bureau  d'adresse  à  l'usage  des  étrangers  qui  veulent 


'251  MKLAMUES  ET  NOUVELLbS. 

se  faire  prutcsIanU  suus  iH-néncc  d'inventaire.  Nous  coiisl^itmis  dunr  iju  a 
(jfiH'Vc  1rs  ministre»  et  leurs  auxiliaires  vont  visiter  les  pau^  rrs  catlmliqucs. 
qu'iU  leur  oITrcnt  «les  sec«^urs,  rt  cjunnil  c|urli|ues-uiis  se  laissent  |>er%ertir, 
personne  n'ose  ni  prucinnier  leurs  noms  ni  dcclincr  leurs  qualités.  Au  reste, 
c'est  triste  de  voir  rc-tle  di');radulion  de  riionime  t|iii  se  vend;  et  s'il  n'y  avait 
la  perte  des  unies,  nmis  nous  réjouirions  de  xoir  le  protestantisme  réduit  à 
se  consoler  de  pareils  succès,  et  défendre  sa  nationalité  par  des  recrues 
étran);ères  de  cet  acabit.  C'est  l'iiisloire  de  Calvin  qui  protège  ses  oppressions 
contre  In  liberté  de  Genève  par  des  fanatiques  étrangers  qu'il  a  pu  anuer. 

A  Lyon,  les  mêmes  faits  se  reproduisent;  M.  l'abbé  Cattct,  vicaire-j^éné- 
rai,  le  savant  auteur  de  Ui  l'rrilv  ralholuiur  démon(rr«- ,  \ient  d  en  mettrr 
quelques-uns  en  saillie  dans  une  brocliine  s\ir  le  méthodisme;  en  voici  une 
cilalion  : 

«  ....Alors  (jue  nous  tracions  le  tableau  de  ces  honteuses  manœuvres  du 
iuélliodismc  pour  se  faire  des  prosélytes,  nous  a\ions  la  main  pleine  de  cer- 
tificat>  des  pau\  res  callioliquos  de  nos  contrées  (ju'on  avait  séduits  de  la 
sorte,  et  qui,  honteux,  repentants  d'avoir  pu  se  laisser  ainsi  acheter  par  les 
apôtres  du  imuvrl  fîrangilr,  nous  ont  donné  leur  déclaration  écrite  touchant 
un  si  pitoyable  moyen  de  séduction  employé  à  leur  éjjard.  Dejiuis  cette  épo- 
que, nous  avons  envoyé  à  M.  le  recteur  de  l'académie  de  Lyon  quatre  eer- 
UGcats  de  pères  de  famille  qui  déclaraient  également  avoir  reçu  de  l'argent 
pour  envoyer  leurs  enfants  à  l'école  des  mômicrs. 

Qu'elle  est  judicieuse  et  que  nous  aimons  à  la  reproduire,  la  réflexion  d'un 
de  ces  hommes  ainsi  achetés,  et  dont  nous  avons  fait  recevoir  r.ibjuralion 
par  un  ecclésiastique  sous  nos  ordres!  IJourrelé  de  remords  depuis  (ju'il 
avait  eu  la  faiblesse  de  toucher  le  prix  de  son  apostasie,  il  disait  à  sa  femme, 
qui  était  elle-même  londtce  dans  ce  piège  :  «  Franchement,  m.i  femme,  je  me 
défie  d'une  religion  qui  donne  de  l'argent  pour  se  faire  accepter.  » 

Or,  en  présence  de  tant  de  faits  notoires,  le  Vomilê  d'rrangflisatton  osc- 
ra-t-il  encore  soutenir  qu'on  ne  donne  pas  de  I  argent  dans  sa  petite  église 
pour  s'attacher  des  suppôts? 

.Mais,  lors  même  qu'il  n'y  a  pas  toujours  de  somme  comptée  aux  âmes  \é- 
nales  qui  se  livrent  pieds  et  niains  liés  au  milhodismc,  poil  on  dire  avec  le 
rapporteur  que  les  conversions  ne  sont  iiullenient  inlrrructt,  lorsqu  il  est 
patent  que  les  convertisseurs  mettent  plus  ou  moins  en  jeu  îles  intérêts  ma- 
tériels pour  décider  les  consciences  perplexes  y\\\\  se  font  marchander?  Est- 
ce  qu'à  Lyon  tout  le  monde  ne  sait  pas  à  quelles  conditions  un  imprimeur  cl 
un  libraire  se  sont  faits  mômiers,  de  «alholitiiies  qu'ils  étaient  auparavant" 
l/appùtdu  gain  les  a  entrainés  vers  ViQlisr  prétendue  èranQcUiiur.  A  l'un  il  ;• 
dit  :  Vous  impnmrrrz;  à  l'autre  :  Vous  rrniln:  1rs  proilurtion*  dr  nnirr 
rgliêr. 

.Nous  pourrions  citer  encore  l'exemple  d  nu  chef  ilc  Iccole  mrlhodisle  «l< 
notre  ville,  lequel  s'était  fait  acheter  pour  devenir  «l'abord  jindicaiit,  pui» 
directeur  de  celte  institution,  et  qui,  en  abjurant  entre  nos  mains  son  heic- 
sic.  nous  a  laissé  par  écrit  le  témoignage  qu'on  intrrrsnniî  le<  enfants  de  sa 


MÉLANGES   KT  NOUVELLES.  255 

rlussc,  dcMLla  plupart  claiont  iii-s  catli()li(|iies,  en  les  défrayant  de  toutes  les 
fournitm-CT^fcC^cole,  encre,  papier,  livres,  etc.,  et  cela,  pour  les  attirer, 
pour  les  endiSj^cr  dansjlc  niéliiodisnie  et  leur  inspirer  de  runlipathic  con- 
Irc  leur  curé  et  les  prêtres  en  {général. 

N'est-ce  pas.  (railleurs,  le  même  luolif  diiilérèt  qui,  eu  faisant  entrer  les 
malades  à  l'infirmerie  de  la  rue  des  l'autascpies,  les  fait  apostasier?  Et  quand 
l'auteur  du  rapport  célèbre  les  services  rendus  par  cet  établissement  créé 
aux  frais  du  parti,  n'annoncc-t-il  pas  que  la  condition  .«/«e^Md  «o«  imposée 
aux  catholiques  infirmes  pour  y  trouver  place  est  de  renoncer  à  la  religion 
de  leurs  pères?  C'est  ainsi  qu'au  dire  du  rapporteur,  une  jeune  femme,  fort 
opposée  à  VÉrangilc,  et  apportée  à  cet  hospice  dans  un  état  très-alarmant, 
est  morte  au  bout  de  trois  jours,  après  avoir  abjuré  le  catholicisme.  Or,  que 
pensez-vous,  honnête  lecteur,  de  ce  moyen  nus  en  vogue  parla  charité  mé- 
tlindiste,  non-seulement  à  l'inlirmerie  de  la  rue  des  Fantasques  ,  mais  dans 
les  maisons  privées,  d'obséder  de  pauvres  mourants  pour  qu'ils  abjurent 
leur  foi,  et  de  mettre  à  ce  prix  les  services  rendus  aux  malades? 

Oh!  si,  entrant  dans  les  détails  de  la  cupidité  ou  de  l'esprit  mercantile 
delà  secte,  nous  venions  signaler  les  trafics  de  Bibles,  les  souscriptions 
de  tout  genre,  les  riches  émoluments  ou  salaires  affectés  aux  ministres  ,  aux 
catéchistes,  aux  colporteurs,  à  tout  l'attirail  d'une  église  improvisée  et  qui 
vise  ù  l'éclat ,  vous  conviendriez  alors  que  c'est  bien  là  qu'apparaît  la  reli- 
ciON  d'argkkt. 

Maintenant  faut-il  être  surpris  qu'au  sein  d'une  société  abâtardie  par  l'in- 
dilférentisme  religieux,  et  où  le  culte  du  veau  d'or  est  préféré  à  celui  du 
vrai  Dieu,  se  rencontrent,  surtout  dans  les  rangs  de  la  misère,  des  suppôts 
convertisseurs  ou  convertis,  tropsou\ent  accessibles  à  l'appât  d'un  intérêt 
matériel  ?  «  Résiste-t-on  longtemps,  dit  le  docteur  Dauern,  à  un  argument  dont 
un  billet  de  banque  est  l'enveloppe? 

Ce  qui  doit  nous  surprendre  davantage,  c'est  que  des  prêcheurs,  se  disant 
évangélisles,  ne  rougissent  pas  de  moyens  aussi  contraires  à  l'Evangile  pour 
se  faire  des  prosélytes,  ou  plutôt  pour  faire  des  dupes.  Au  lieu  d'en  rougir, 
le  rapporteur  du  Comité  d'évangéUsalion  s'extasie  sur  les  merveilleux  suc- 
cès de  son  église.  » 

A  Loubans,  un  procès  qui  vient  de  se  terminer  constate  les  mêmes  résul- 
tais. Dans  toutes  ces  manifestations  d"aj)ostats,  il  est  évident  que  l'argent  est 
le  seul  moteur  de  ces  perversions. 


Cliarité  dii  clergé.  —  Ce  n'est  point  contre  les  Russes  que  l'ar- 
mée française  a  eu  le  premier  combat  à  soutenir:  l'ennemi  quelle  a  d'abord 
rencontré  est  le  choléra,  dont  on  a  ,  du  reste,  exagéré  la  gravité.  Nous  rc- 


256  aÉLANOES    hT    XÏIVLLES. 

coons  à  ce  sujet  de  pn^cicux  et  ronsolants  détails.  Les  premiers  germes  dr 
la  maladie,  dévclop|uVs  par  le  rliangcint-nt  de  cliiiiiiL  |iar  le»  in(cm|)ërieA  de 
l'air,  aiisi|ucllc.s  il  cluit  iiiip')ssil)l(>,  iiiaigrù  les  plus  grandes  pn-i-aulions,  de 
51*  siiustrairr  cunipli-tcriuMil,  el  par  les  pn\aliuii>  iucvilalilcs  de  la  vie  des 
ranips,  se  soûl  produits  à  (îaliipoli.  Là,  nos  soldats,  surpris  par  le  mal  et 
abaudouués  par  la  population  tur(|uc.  grecque  el  juive,  fra|)pfe  de  terreur, 
se  sont  trouvés  privés  de  beaucoup  de  secours .  I>ieu  «pic  cliucuu  dans  l'ar- 
mée ait  fait  preuve  de  zèle,  de  dévouement  et  de  courage. 

Mais  Dieu,  qui  chùtie  toujours  en  père,  voulait  dans  ses  desseins  adorables 
faire  éclater  la  foi  des  uns  et  la  eliarilé  des  autres.  Des  virtimes  qui  ont  suc- 
combé sur  ce  premier  théâtre,  non-seulemcnl  aucune  n"a  refus(^  les  grâces 
et  les  consolations  de  la  religion,  mais  tous  les  réclamaient  avec  empresse* 
ment,  les  sollicitaient  hautement  sans  aucun  respect  humain  ,  généraux  ou 
soldais,  et  faisaient  de  leur  vie  ini  sacrilice  d'autant  plu;»  agréable  à  Dieu, 
que  ilans  leur  auu)ur-pro|)re  militaire  et  dans  un  sentiment  généreux  «pic 
chacun  comprendra,  ils  étaient  humiliés  par  ce  genre  «le  mort.  Plusieurs, 
qui  allendaienl  de  l'eau  pour  étaneher  leur  soif  dévorante ,  se  résignaient 
doucement  à  la  voix  de  l'aumûnier  qui  leur  rappelait  la  'Stùf  endurée  par  le 
Fils  de  Dieu  mourant.  Les  scènes  douloureuses  et  édiiiantes  à  la  fois  de  celte 
première  épreuve  doiuiaieut  une  éclatante  sanction  A  la  mesure  impériale  q\ii 
a  rét;tbli  le  service  relij^ieux  dans  les  armées  de  terre  et  «le  mer. 

Le  cht>léra,  en  provotpiant  li's  dévouements  de  la  charité,  servira  sans 
doute  encore  à  résouilrc  une  ((ueslion  pendanic  sur  le  service  des  hôpitaux. 
On  a  pu  voir  «pie  la  régularité  de  radmiiiislratioii,  la  science  «les  médecins  et 
l'activité  des  infirmiers  ifc  sufTîsaienl  pas  pour  relever  le  moral  «les  soldats 
abattu  en  ces  circonstances.  Alors  un  appel  a  été  fait  aux  maisons  des  Filles 
de  la  Charité,  h  Constanlinople  et  h  Smyrne  ;  et  sur-le-champ  six  sont  parties 
avec  un  missionnaire  de  celle  «lernièic  ville  potir  le  Pyrée  ;  cinq  autres  ont 
été  envoyées  ii  (îaliipoli  et  div  au  camp  eeniral  «le  Varna,  sans  compter  cel- 
les qui  sont  enfermées  dans  les  «leux  hi'ipilaiix  «>rganisés  à  C«uistantinople. 
Spectacle  louchant  de  voir  ces  Frani^aises  apparailre  .  comme  des  anges  «le 
salut  el  de  consolation,  au  milieu  de  leurs  frères  les  soldats,  qui  tous  les  ac- 
cueillaient avec  une  joie  reconnaissante,  et  dont  quehpies-uiis  s'écriaient  ilans 
leur  naivelé  :  •  Nous  ne  m«)urr«)ns  plus  à  rii«'ipilal.  puisque  nous  y  retrou- 
vons nos  scpurs.  »  (Vnivrrs.) 

—  Nous  extrayons  le  passage  suivant  «l'une  lettre  i'cril«'  par  un  ofticier  de 
l'armée  expéditionnaire  anglaise,  en  date  de  Munastir,  près  «le  Pravadi. 

C'est  encore  là  on  de  ces  témoignages  arrachés  forcément  h  l'erreur  en 
l'honneur  de  la  sainteté  de  la  religion  catholique,  témoignage  d'autant  plus 
flatlrur  que  r«)n  ronnail  la  force  des  préjugés  des  anglicans  contre  le  catho- 
licisme. .\  leurs  ministres,  la  supériorité  de  l'élégance  et  du  savoir-vivre; 
aux  n«'»lres  la  supériorité  du  dévouement,  du  sacrilice  «le  l'individu  et  de 
roecomplissemenl  des  devoirs  les  plus  «lini«'iles  et  les  plus  périlleux. 

Crttc  Icllro  a  paru  dan»  le  Daily-MriP»  : 

«  T«>ut  près  de  ma  lante  se  trouve  .M.  !S. ...  prêtre  calh«)lique,  homme  de 


DIÉLANCES   ET   NOUVELLES.  257 

très-bonne  éducation,  de  grand  sens,  mais  siirloul  liommc  iiifaligabic  dans 
I  exercice  de  ses  devoirs.  Nous  avons  eu  deux  morts  aujourd'hui  à  i'iiopilal, 
tous  deux  appartenant  à  la  religion  protestante.  Le  ministre  s'est  donné  bien 
de  garde  de  leur  faire  visite.  Il  ne  m'est  pas  encore  arrivé  de  le  rencontrer 
auprès  des  malades.  Le  sergent  de  l'hôpital  qui  ne  quitte  jamais  son  poste, 
m'a  déclaré  ([u'il  n'avait  pas  nus  les  pieds  dans  les  salles  depuis  que  nous 
sommes  arrivés  à  Varna. 

Combif-n  les  clioses  se  passent  différemment  parmi  les  catholiques  !  Il  n'est 
pas  mort  un  seul  d'entre  eux  sans  qu'il  eût  reçu  la  visite  de  l'aumônier.  Son 
temps  est  constamment  employé  à  visiter  les  malades,  cl  il  est  toujours  à  la 
recherche  de  (juelque  nouveau  malade  à  consoler. 

Il  est  incontestable  que  nos  ministres  sont  trop  bien  élevés,  accoutumés 
à  un  genre  de  vie  trop  élégant  et  trop  confortable,  trop  accoutumés  aux  raf- 
finements de  la  délicatesse,  fruits  de  l'éducation  soignée  et  du  bien-élrc, 
pour  être  susceptibles  des  sentiments  de  sympathie  du  prêtre  catholique  en 
laveur  du  pauvre  soldat.  Ceci  est  regrettable,  car  l'influence  de  notre  église 
ne  peut  moins  faire  que  d'être  amoindrie  parmi  les  hommes  témoins  de  ce 
contraste. 

Durant  le  cours  de  mon  existence  et  dans  tous  pays,  j'ai  été  à  même  de 
faire  cette  observation,  et  aujourd'hui  la  vue  des  camps  m'en  offre  un  exem- 
ple des  plus  frappants.  » 

Il  esta  croire  que  ces  beaux  exemples  qui  frappent  si  vivement  l'esprit  des 
alliés,  seront  d'une  puissajilc  influence  pour  amener  tôt  ou  tard  le  retour 
si  ardemment  espéré  de  l'.Anglelerrc  à  la  lumière  de  la  vraie  foi. 


Géues,  17  août.  (Correspondance  particulière)....  Notre  vénérable  ar- 
chevêque était  à  Moùtiers,  souffrant  encore  beaucoup  des  opérations  qu'on 
lui  avait  faites,  lorsqu'il  apprit  le  28  juillet  la  nouvelle  positive  que  le  choléra 
venait  d'éclater  à  Gênes. 

Il  se  mit  aussitôt  en  route  sans  s'inquiéter  nullement  de  la  fatigue.  Le 
lendemain  de  son  arrivée,  il  visita  les  trois  principaux  hôpitaux  de  choléri- 
ques et  les  jours  suivants  il  continua  à  visiter  les  autres.  Le  14  de  ce  mois,  il 
fit  sa  dixième  visite  et  chaque  fois  il  administra  la  confirmation  à  tous  ceux 
qui  ne  l'avaient  pas  encore  reçue.  Sa  présence  au  milieu  des  malades,  les 
paroles  de  consolation  qu'il  leur  adressa  produisirent  le  meilleur  effet.  Hier 
encore,  il  a  visité  les  hôpitaux  de  trois  bourgs  hors  de  Gênes,  de  Saint-Pierre 
d'Arèna,  de  Sestri  et  de  Pcgli.  A  Saint-Pierre  d'Arèna,  il  a  remis  100  francs 
au  président  de  la  société  de  Saint-Vincent  de    Paul    qui  s'occupe  avec  un 


258  MtLAX.tS   ET    >Ol\  ELLES. 

lèlc  tliRiic  «reloges  h  visiU-r  l'I  ii  soigner  les  pauvres  rli(i|«^rii|itc$.  A  (Ji^no, 
iiulgic  la  faiblesse  ilc  ses  rossoiirres.  il  a  tloniié  mille  francs  à  la  suriéli- 
niuniripale  cliarj^re  île  secourir  le>  familles  îles  pauvres  cpii  son!  victimes  du 
lerrihlc  flt'au  qui  nous  afflige.  Le  clergé  et  les  onliTS  religieux  se  montrent 
ilignes  de  leur  archevêque. 

J'ai  la  cunsulatiun  de  vous  dire  que  ceux  qui  s'étaient  laisse  gagner  pac 
l'argent  de  la  propagande  protestante,  frappés  par  le  choléra,  sont  rentré> 
dans  le  sein  de  l'Kglise  catlioli(|ue.  Tout  le  monde  sait,  au  reste,  cpie  la  \éii- 
lable  charité  est  une  Heur  qui  ne  |icnt  cpanouir  dans  leurs  champs. 

l'ruMi^c  —  Munsirr.  —  Nous  avons  eu  <lernièremenl  un  procès  de 
presse  fort  iuléressant.  Il  était  dirigé  contre  Mgr  lA)ui>  Itendu,  rvè(|uc  d'An- 
necy, ou  pluVot  contre  un  écrit  de  sa  main,  le<|ucl  a  paru  \'m\  dernier  hW 
librairie  Hurler,  sous  le  titre  de  :  ISfces»i(é  d'unr  tntton  des  cnnfrtiiom  rhW^ 
tiennes,  lettre  de  Mgr  Rendu,  évéquc  d'Annecy,  à  Sa  .Majesté  le  roi  de  Vrw^  ; 
se,  traduction  de  F.  Singer,  avec  une  préface  du  baron  d'.\ndlau.  Cet  écni 
parait  iuoir  produit  une  vive  sensation  dans  les  cercles  protestants,  l'n  or- 
dre de  le  saisir  fut  expédié  île  IJcrlin  par  voie  télégraphique.  Dans  le  réqui- 
sitoire, dressé  à  ce  sujet,  le  ministère  pvd)iic  a  soutemi  que  ce  li^re  expose 
a  la  haine  cl  au  mépris  les  doctrines  et  institutions  de  I  église  évangéliquc,  et 
il  concluait  pour  ce  motif  à  l'anéantissement  du  dit  livre.  Le  tribunal  na  pas 
admis  l'accusulion  ainsi  formulée:  toutefois  il  a  trouvé  dans  l'écrit  en  (jues- 
tion  une  vingtaine  de  passages  choquants  Uonl  il  a  ordonné  la  suppression. 
Le  ministère  public,  méeonlenl  de  cet  arrêt,  cf»  a  appelé.  Mais  l'appel  a 
amené  une  issue  très-opposée  à  celle  qu'on  voulait  :  le  tribunal  d'appel  a  re- 
mis récrit  entier  en  liberté.  Il  est  parti  de  ce  point  de  vue  fort  juste  que  l'au- 
teur a  en  effet  s')umi>  la  réfornialion  et  son  principe  à  une  crili<|ue  très-vive, 
mais  qu'il  n  a  ce|)e[ulant  rien  dit  contre  la  confession  protestante  et  sa  doc- 
trine, qui  puisse  être  considéix'  comme  une  dérisiiui.  L'écrit  est  du  plus 
haut  intérêt  et  mérite  d'être  lu  par  les  catholiques  comme  par  les  protes- 
tants. Le  principe  du  protestantisme  y  est  très  nettement  a|)précie  et  en 
même  temps  l'auteur  fait  v<»ir  comment  ce  principe  à  su  prendre  pied  non- 
seulement  sur  le  terrain  religieux,  mais  encore  dans  le  domaine  philosophi- 
que et  social. 


DE  i;édiic\t!on  du  clergé  anglican, 


LETTRES    \     M.    L  ABBE   A.     D  ALZON 


Par  un  ministre  converti  (1). 


y 


Rome,  10  mars  4854. 

Je  suis  vraiment  inexcusable  d'avoir  tardé  si  longtemps  à  vous 
écrire  sur  le  sujet  que  vous  avez  bien  voulu  m'indiquer,  lors  de 
mon  passage  à  Nîmes. 

Plusieurs  raisons  m'en  ont  empêché  jusqu'ici. 

Je  m'étais  pourtant  mis  à  l'œuvre  ;  mais  ce  n'est  pas  chose 
facile  que  de  donner  à  un  catholique  une  idée  exacte  de  ce  qu'est 
aujourd'hui  l'éducation  du  clergé  anglican. 

D'abord ,  il  embrasse  un  grand  nombre  d'hommes  instruits 
dans  les  sciences  comme  dans  les  lettres.  Mais,  si  on  les  consi- 
dère comme  ministres  de  la  religion,  il  faut  observer  que  ceux 
qui  ont  quelque  savoir,  ou  qui  sont  versés  dans  les  matières  re- 
ligieuses, doivent  généralement  leur  instruction  à  eux-mêmes, 
et  qu'elle  est  le  résultat  d'études  faites  par  eux  après  leur  entrée 
(•ans  le  ministère. 


I 


(1)  Ce  converti  est  un  des  membres  les  plus  illustres  de  l'université  d'Ox- 
ford. Alors  qu'il  avait  des  tendances  catholiques,  un  de  ses  amis  lui  conseilla 
de  visiter  l'Irlande,  pour  le  dégoûter  du  catholicisme.  Son  voyage,  en  lui 
montrant  l'action  des  protestants  essayant  de  pervertir  les  catholiques  Ji  prix 
d'argent,  le  détermina  à  embrasser  la  vérité  dans  l'Église  catholique. 

17 


*J<»0  KF.  l'Éducation 

t;«'S  «•Imirs  .«iuiil  jiH'Nf|nc  (olljours  basCPS  sui  un  >\>lfiii«'  (le 
liborié  illiniil)»' ,T,'rst-à-(lii<'  sur  le  iiicpris  (l(>  Utiii  |>iinci|>(> 
f^énoral  c:i|):ibl('  do  jaluiiiicr  les  sentiers  de  la  théologie  ot  de 
dt'-terminor  les  divisions  principales  de  ees  «'iiides  ei  les  rela- 
lioiii  (jiii  les  uiii.ssenl  ciilrc  elles.  Des  iioiniiies  ({ui  pensenl  el  des 
hommes  qui  éuidieiil  sans  penser  sont  ainsi  lancés ,  à  la  merci 
des  (lois,  sur  un  océan  immense,  sans  carte  ni  boussole;  deux 
rivaj^es  seulement  leur  ont  eié  si|j;nalés  (omine  devant  ^trc  évi- 
tés :  le  papisme  cl  V'iiu  it'-dnliic. 

C'est  entre  ces  deux  limites  (jue  N's  ministres  anglicans  étn- 
dieiii  par  eu\-inèuies.  Mais,  (omnie  ils  sont  plus  capabN's  d'é- 
tudier (pic  de  pensi  r  par  eu\-n>émes,  le  travail  de  la  rellexion 
les  livre  parfois  à  toutes  les  théories  imaf^inahles.  Du  reste,  il  ne 
manque  pas  piinni  eux  d'incrédules  dans  le  véritable  sens  du 
mut. 

Ils  sont  d'aillein  s  lr»ip  linmirits  <  i  irnp  circonspects  pour  en- 
seigner CCS  doctrines  à  leurs  nuailles;  et  ils  tiennent  ass<'7.  aux 
avania^j's  nialéricls  de  leur  position  pom-  éviter  toute  démarcbe 
qui  la  compronicttrait. 

Laisse7.-moi  ce|)endant  essayer  <le  vous  donner  une  idée  de  la 
nature  et  de  la  somme  de  connaissjiiK  «s  (pie  Tt-véque  exige  des 
candidats  |>our  les  admettre  aux  Hmclions  du  ministère.  J'ajou- 
terai peu  de  choses  sur  le  système  suivi  ù  Oxford  en  ce  qui  re- 
garde ces  matières  ;  car  Oxford  ne  s'occupe  de  théobtgie  que 
comme  université. 

Le  cierge  anjj;lican  ,  en  f;eneral  ,  n'a  p;is  de  séminoireg ;  il  ne 
professe  ordinairement  (|uc  (c  qui  em:iiie  «le  cette  idée  protes- 
tante de  la  fin  média,  entre  trop  el  trop  peu;  c'est-à-dire  d'un 
((*>te  les  dissidents  (de  l'Église  établie,,  et  les  call»oli(|Ues 
<le  l'autre.  Une  idée  dont  les  résultats  méritent  d'être  étudiés 
dans  l'Angleterre  moderne,  la  tolérance  des  contradictions, 
maxime  généralement  adoptée ,  sert  admirablement  le  système 
polili(pie;  (t  son  adoption  (  (uiiine  btrme  de  religion  nationale 
contribue  singulièrement  à  rehausser  l'autorité  dont  i cite  reli- 
gion tire  son  oiigine  et  sur  bupielle  elle  est  fondée. 

T'est  pourquoi  tous  les  soins  des  ('vV-ques  anglicans  se  tournent 
vers  l;i  modération  des  opinions  dans  leurs   sid)ord(»nnes.    (Jn 


UV   CLEIir.É   ANGLICA>.  2(i  1 

poiil  (lire  (les  plus  éciaiif's  que  ce  (ju'ils  exigent  de  leurs  ean- 
didals  pour  l'ordinalion ,  c'est  du  bon  sens  dans  les  questions 
pratiques  de  la  religion  ;  et  des  autres,  que  tout  ce  qu'ils  cher- 
(  lient,  c'est  (praueun  laudidal  ne  présente  des  idées  arrêtées 
sur  la  théologie,  ou  ne  lasse  pressentir  de  telles  tendances  pour 
l'avenir. 

Ainsi ,  un  jeune  homme  qui  poursuivrait  un  principe  théolo- 
gique quelconcpie  jusque  dans  ses  conséquences  serait,  par  cela 
même,  jugé  incapable  du  ministère,  et  se  trouverait  découragé 
de  toute  manière.  L'exclusion  d'un  candidat  est  cependant  un 
cas  exceptionnel. 

H  y  a  quelques  dissidences  parmi  les  évêques  quant  au  choix 
des  livres  et  des  sujets  qui  doivent  faire  la  matière  de  l'examen. 
Toutefois  on  peut  se  former,  d'après  le  tableau  suivant,  une  idée 
assez  exacte  des  ouvrages  et  des  connaissances  qui  forment ,  en 
général,  la  base  de  ces  sortes  d'examens. 

I.  —  Histoire  de  l'Ancien  Testament.  —  Notions  sur  les  plus 
importantes  prophéties. — Texte  grec  du  Nouveau  Testament. — 
Quelques  dates  servant  de  point  de  départ ,  comme  la  Vocation 
d'Abraham,  les  Captivités,  etc.,  et  les  dates  plus  remarquables 
de  l'Évangile  et  des  Épîlres. 

La  connaissance  de  la  version  anglicane  autorisée  est  rigou- 
reusement demandée.  C'est  une  question  sine  qua  won  exigée  par 
les  universités  ordinaires  pour  conférer  les  grades. 

Dans  les  examens  qui  précèdent  les  ordinations,  on  est  géné- 
ralement sévère  sur  cette  matière  et  on  doit  s'y  étendre  considé- 
rablement. 

U.  —  Preuves  populaires  de  la  vérité  du  Christianisme.  Il 
existe,  sur  cette  question,  des  ouvrages  assez  remarquables  dus 
à  des  anglicans  du  dernier  siècle  et  de  la  première  partie  de 
celui-ci. 

L'existence  de  l'Eglise  et  ses  conséquences  ne  sont  naturelle- 
ment pas  comprises  dans  ce  chapitre,  et  l'on  s'en  abstient  soi- 
gneusement. 

IH.  —^  Une  connaissance  superficielle,  telle  qu'on  peut  l'ac- 
quérir dans  des  manuels  populaires,  d'une  courte  période  de 
l'histoire  ecclésiastique  ;  par  exemple  ,  jusqu'à  la  fin  du  second 


20*2  i>i:  l'kiiLi.atio> 

ou  (lu  ti'ui^icmu  siècle.  Ces  notions  ne  sont  puuruiia  pas  nulis|>eii- 
sables  pour  l'evameu,  et  rif^uoranec  lolale  ilc  cette  matière  no. 
xraii  pas  un  »»l)sia«  le  au  succès  du  candidat.  Los  ju^es  n'ad- 
metienl  pas  une  discussion  de  sa  part  sur  les  premières  h«r«'sies, 
sur  les  caractères  des  premiers  Pères  ou  les  événements  (|ui  s'y 
rapportent  ;  pas  plus  que  la  recherche  d'un  principe  commun 
entre  les  révoltes  de  tous  les  âges  contre  rautoritc  de  l'Église, 
ni  li'xanien  des  mira<  les  de  l'Église  ,  à  moins  (|ue  cet  examen 
n'eût  pour  hiii  »i  pour  effet  d'en  attaquer  l'authenticité.  Cepen- 
dant, les  livres  liisloriipies  d'Eusèlie,  deSo/omène,  de  Socrate  et 
de  riieodoret,  sont  lus  à  Oxford,  et  les  aspirants  «jui  sont  ordon- 
nés sur  les  cerlificau  de  la  Société  d'Oxford  sont  quelquefois 
ohligés  de  produire  des  pièces  attestant  qu'ils  les  ont  étudiés. 

IV.  —  Quel(]ues  considérations  courtes  et  populaires  sur  la 
Réforme  en  Angleterre,  lines  de  (pielque  manu<>l,  plus  ou  moins 
ahrégé  et  superficiel,  afin  que  le  (  andidat,  ainsi  mis  au  <  ourant, 
soit  prêt  à  repdndic  à  d'end)arrassantcs  (piestions  de  conirovci-se. 

On  lui  (lemandc  encore  d'avoir  lu  un  volume  d'un  ouxrage 
intitulé  :  Constitution  ecclésiastique  de  Stooker ,  apologie  de  l'h- 
glise  anglicane  contre  les  Puritains  «In  (piin/ième  siècle. 

\  .  —  Les  trente-neuf  articles  de  l'Église  anglicane  avec  des 
explications  populaires,  soutenues  par  des  «ilaiions  de  l'Étrilure. 

VI.  —  Une  explication  du  Symbole  des  Apôlres.  Le  livre  qui 
sert  de  texte  est  l'ouvrage  d'un  évcMjue  anglican  du  dix-septième 
siècle,  nomme  Pearson. 

C'est  un  li\rc  d'une  doctrine  theologiquc  assez  grave  et 
saine,  Jus(|u'aii  traité  sur  la  Sainte  Eglise  catholique,  les  Sacre- 
ments, eti:.  Il  ttmlienl  (piel(|ues  chapitres  dout<'Ux  au  sujel  de 
la  double  procession  et  du  schisme  grec. 

VIL  —  On  présente  d'ordinaire,  sui  une  feuille  de  papier, 
l'énoncé  de  qui-hpus  questions  va^^ues  sur  les  Sacrements;  el 
l'on  demande  au  candidat  de  deuionirer  qu'il  n'y  a  (|ue  deux  Sa- 
crements, que  la  doctrine  catholi({ue  de  la  transsubstantiation 
détruit  l'essence  du  Sacrement.  11  doit  élablii-  quelque  i  hose  de 
'Semblable  aux  \ues  de  Zwingli,  qui  sont  les  plus  m'iKiiI.  lucni 
adoptées  parmi  les  anglic  ans. 


1»IJ    OLtlUib    A.>0LICAM.  203 

Deux  ou  liois  (lucstions  concernant  la  controverse  protestante 
sur  la  gri\ce,  au  choix  de  chaque  évèque. 

VIII.  — Qiu'stions  f^énéralcs  sur  la  nature  des  fonctions  d'un 
ministre,  les  obligations  (|uVlles  imposent,  les  diflicultés  qu'on 
y  rencontre  et  la  manière  la  plus  prudente  de  s'acquitter  des 
devoirs  de  pasleur. 

IX.  —  Connaissance  de  la  langue  latine;  ce  (jui  est  cependant 
toujours  présupposé.  Composition  latine,  laquelle  n'a  pas  besoin 
d'être  très-forte,  surtout  si  les  questions  relatives  au  N°  VIII  ont 
été  passablement  traitées.  Ces  questions  doivent  être  résolues 
entièrement  par  le  candidat  et  sont  prises  comme  preuve  de 
son  aptitude  aux  devoirs  pratiques  de  son  état. 

X.  —  Une  petite  composition  anglaise  en  forme  de  sermon. 
Les  matières  importantes  dans  un  examen,  celles  qui  peuvent 

être  regardées  comme  réellement  indispensable,  sont  : 

La  connaissance  de  TÉcrilure-Sainte,  le  grec  du  Nouveau 
Testament  ;  —  les  trente-neuf  articles  ;  —  des  réponses  sufli- 
santes  sur  la  Réforme;  —  la  preuve  que  le  candidat  n'est  point 
papiste,  el  qu'il  n'est  pas  disposé  à  se  montrer  scrupuleux  sur 
la  définition  des  sacrements  du  Baptême  et  de  la  Sainte-Cène; 
qu'il  ne  croit  pas  à  la  transsubstantiation  et  qu'il  regarde 
la  doctrine  de  la  messe  comme  blasphématoire.  Il  ne  doit 
pas  croire  non  plus  à  la  consubstantiaiion  de  Luther,  ni  aller 
aussi  loin  que  Calvin  el  soutenir  la  prédestination  absolue 
comme^  corollaire  de  sa  doctrine  de  la"  présence  réelle.  Par 
dessus  tout,  il  lui  faut  une  composition  bien  faite  et  conforme 
aux  idées  rerues  sur  les  qualités  requises  dans  un  bon  et  digne 
pasteur.  Cette  dernière  épreuve  fera  recevoir  un  candidat,  fùt-il 
Irès-ignorant  dans  les  autres  parties ,  si  l'évêque  est  lui-même 
une  personne  pratique.  Il  est  indispensable  que  l'aspirant  tire 
les  réponses  à  ces  questions  de  son  propre  fond  de  piété  et  de 
boD  sens. 

C'est  à  ce  point  de  vue  que  nous  devons  étudier  les  principes 
sur  lesquels  est  fondée  l'Église  établie,  apprécier  ses  tendances  ; 
car  ce  sont  ces  vertus  pratiques  et  domestiques  qui  font  son  éloge 
et  qui  constituent  la  seule  force  propre  qu'elle  possède  ;  c'est 
là  ce  qui  lui  vaut  l'appui  moral,  que,  depuis  longtemps,  la  par- 


20 1  i>»-  l'ki»i  (VTini 

lie-  itiiclligenlr  cl  cchiiri'i.'  (J<>  hi  iKilion  ne  lui  :iur:iil  pas  nrconic 

sans  «Tla. 

Il  me  faut  icincllrc  à  une  aiilre  lois  une  conrh-  rs»niis\<;  iK- 
renseij;iirnn'til  d'Oxfortl;  car  j'ai  (l<'jà  dcpasse  les  bornes  d'une 
simple  lettre.  Kicn  de  plus  intéressani,  de  plus  curieux  aussi,  je 
puis  bien  le  dire,  rien  de  plus  (lisle  (pie  les  dillieultis  ipio  rvn- 
contre  tout  homme  assez,  coura^'cux  |K)ur  rherelier  la  verilù  en 
toute  simplicité,  pour  vouloir  approfondir  et  examiner  les  doc- 
trines qu'on  voudrait  lui  faire  accepter  sans  examen. 

Le  temps  ici  est  n>a^nin(|uo  ,  «|uui(]ue  parfois  un  peu  froid. 
Rome  est  un  liNrc  <pii  fournit  la  matière  en  telle  abondance 
qu'on  ne  croit  jamais  pénétrer  même  à  demi  la  moin*ire  de  ses 
merveilles. 

Agrée/.,  elc.  .1.-11.  IN»liE.>. 

II. 

Ilumr.  J  .nnl   jsrii. 

.\  Oxiord,  il  n'y  a  pas  moins  de  (  iii<|  (  liaires  «le  lliéologie  : 

1"   Celle  du  Professeur  roy;d  ; 

2°  Celle  (lu  ProleNseiir  de  ladv  Maimierite.  Ainsi  appelées 
<lu  nom  de  leurs  fondaieins;  ces  deux  chaires  ont  remplacé  les 
fondations  antérieures  à  la  Helurme. 

3"  Le  Professeur  d'Histoire  e<clésiasii(pie  ; 

4°  Le  l'rofesseur  de  Th«''olopie  pastorale  ; 

o"  Celui  d'Kxe^èse  sacrée. 

La  Couronne  nomme  aux  première,  iroisième  et  (|uatrième 
chaires,  (pii  sont  louies  les  trois  appelées  Royales,  parce  «pi'el- 
les  doivent  aux  rois  h'ur  |V)n(Iaiion  ;  les  diffen'Utes  facidlè-s  com- 
posant l'Lniversité  nomment,  par  l'Iection.  à  la  deuxième  et  à  la 
cin(juième.  Ces  nominations  s(mt  souvent  afTaire  de  partis  politi- 
ques et  ont  plus  d'une  fois  donné  lieu  à  de  célèbres  controver- 
ses ,  lorsque  les  individus  nommés  se  trouvaient  les  chefs  ou  les 
represenianls  des  dillerentes  religions  (car  cest  là  le  tiire  au- 
quel elles  aspirent)  que  l'Église  nationale  confond  dans  son  sein. 

Les  candidats  à  l'ordination  sont  or(iin;iir(  nient  lenus  île  pro- 


tlnirc  des  corlilicais  oonslai:inl  (jji'ils  ont  suivi  deux  ou  irois  des 
cours  d(!  CCS  piolVsseuis,  ou  au  uioins  un.  Un  cours  se  compose 
de  18  y  20  leçons;  cl,  chez  le  Professeur  royal,  ces  leçons  se 
lonl  sans  interruplion  l'une  après  l'autre  ;  celles  des  autres  pro- 
fesseurs ont  lieu  dans  l'espace  de  cin((  à  six  semaines. 

Les  sujets  des  leçons  du  Professeur  royal  consistent  ijfénérale- 
nienl  dans  des  instructions,  par  exemple  des  commentaires  dé- 
veloppés des  Epîtres  de  saint  Paul  sur  le  texte  grec.  Ces  leçons 
peuvent  être  quelquefois  consacr<''es  à  revoir  certains  écrivains 
ecclésiastiques  qui  ne  sont  pas  exclusivement  anglicans,  ou  plu- 
tôt à  dresser  un  catalogue  des  livres  que  l'étudiant  pourra  con- 
sulter comme  source  générale  de  connaissances  ihéologiques. 

Le  Professeur  de  lady  Marguerite  n'est  pas ,  je  crois ,  limité 
dans  le  choix  de  ses  sujets;  mais  on  dit  que  l'auditoire  de  ce 
cours  est  aujourd'hui  peu  nombreux  et  qu'il  se  compose  parfois 
d'une  ou  deux  personnes,  c'est-à-dire  d'un  descendant  de  la  fon- 
datrice, qui  le  suit  pour  l'honneur  de  sa  famille,  et  de  quelques 
curieux  qui  éprouvent  l'envie  de  pénétrer  une  fois  dans  le  sancr 
tuaire  d'un  temple  de  science  si  peu  connu. 

Le  professeur  de  la  troisième  chaire  fait  ordinairement  deux 
cours  simultanés,  un  pour  les  élèves  plus  avancés  dans  l'histoire 
ecclésiastique,  et  l'autre  pour  les  commençants.  Les  premiers 
étudient  Eusèbe  ;  les  derniers,  Socrate ,  Evagre,  Théodoret  et 
quelquefois  Bède.  Ils  font,  en  outre,  une  dissertation  écrite  par 
semaine,  laquelle  est  censée  résumer  ce  qui  a  été  vu  pendant  la 
semaine.  Ces  dissertations  sont  quelquefois  remplacées  par  une 
série  de  compositions  sur  les  hérésies  ou  les  conciles.  Il  faut  re- 
marquer qu'au  commencement  de  la  Réforme,  les  Anglicans  pré- 
tendaient  accepter  les  quatre  premiers  conciles  généraux.  Un 
décret  du  parlement  de  la  reine  Elisabeth  va  même  jusqu'à  po- 
ser ces  conciles  comme  règle  d'orthodoxie  et  menace  tous  les 
contradicteurs  de  la  hache  ou  de  la  corde. 

Le  professeur  actuel  le  premier  qui  ait  occupé  cette  chaire) 
m'a  fait  cadeau  d'un  petit  volume  de  thèses  soutenues  dans  ses 
cours,  sur  l'origine  du  pouvoir  pontifical,  dans  lesquelles  (chose 
étrange)  il  admet  des  prémisses  qui  ont  fortement  contribué  à 


2t>0  l'C  L  iin  v.KJioy 

nie  couUuirc  ù  l'une  des  solulion!»  <|iii  m  Oui  Ijii  rinirrr  au  M*iii 
de  l'Église  (-a(li()lii|Ui'. 

I^c  (|uairièiui;  Frolristur  lail  un  cours  sur  te  «ju'on  a|)peile 
(iruni(|ueni('nt,  je  pense)  la  Théologie  pastorale,  doni  le  but  prin- 
cipal parait  <^lre  d'enseigner  à  cuni|)Oser  des  sermons  et  de 
mainieuir  des  modrles  approu\«'s  de  ministres  de  paroisses.  I.e 
prof»'Sseur  actuel  de  celle  eliairtî  eu  est  aussi  le  premier  profes- 
seur ;  elle  fut  instituée  par  le  gouvernement ,  il  y  a  environ  dix 
ans,  eu  même  tenips  t|U»î  cell»'  d'Histoiie  e('el(siasii(pi('. 

La  ciu(juième  chaire  eonsiiuie  la  deruirre  fondation.  Feu  le 
docteur  Ireland,  doyen  protestant  de  \\estminster,  légua  IU,000 
I.  st.  par  an  pour  payer  un  professeui-  qui  a  la  tâche  d'inlerpré- 
ler  l'Écriture  d'après  les  principes  anglicans. 

Le  professeur  <rhelueu  i^le  W  Parcy)  peut  jusqu'à  un  certain 
point  élre  rangé  parmi  les  professeurs  de  théologie. 

Ce  dernier  professeur,  et  tous  les  [nécédeuls,  à  l'excepiion  du 
professeur  d  histoire  e(»lésiasti(pie,  ont  des  canoiiicats  dans  l'E- 
glise cathédrale  d'Oxford ,  et ,  en  outre  ,  un  revenu  de  plus  de 
1000  I.  st.  par  an,  à  ce  (ju'on  dit. 

Ces  cours  sont  ouverts  à  tous  ceux  qui,  en  dehors  des  étu- 
diants jouissant  de  places  au  collège  et  <pii  sont  en  |X'iit  nom- 
bre, ont  it-rmine  le  cours  triennal  d'humanités  et  de  inadièma- 
tiques,  et  qui  ne  coiiliniieut  pas  à  vivre  dans  les  murs  tVun 
collège,  mai^  demeurent  en  ville,  achevant  ausNi  vite  que  possi- 
ble leur  cours  de  théologie. 

L'archevèijue  Cranmer  avait  eu  rinieniion  de  londcr,  dans 
tous  les  diocèses  d'Angleterre,  d«s  séminaires  sous  le  nom  d'/:'- 
cole  de  prophètes;  mais  les  progrès  de  la  Reforme  ruinèrent 
conq)lètemeut  ce  projet,  to  certain  nombre  d'écoles  secondai- 
res,  dont  (pielqucs-imes  fort  riches  et  fort  iinportanies,  furent 
établies,  la  plii|>ai  t,  à  a-  cp»e  je  ci(»is,  sous  lerr^iie  il  KdouardN  I. 

Dans  les  temps  modernes,  trois  ou  quatre  écoles  de  théologie 
ont  été  fondées  dans  aul.int  de  \illes  nit'tropoliiaines.  Ces  écoles 
sont  régies  par  quelques  chanoines  et  contiennent  chacune  viog* 
fludianls  au  plus  ,  et  quelques-unes  trois  ou  quatre  seulemeDt , 
seloo  la  popularité  du  régent  ou  de  ses  principes;  mais  Je 
nombre,  frailleiiis,  en  est  si  petit,  n  leurs  ressources  sont  si  in- 


signilianlcs  qu'elles  forment  des  exceptions  parlieulières ,  quoi- 
ciirelles  puissent  rlr<'  trôs-uliles,  cliacunc  dans  sa  sph^^e. 

Supposons  maintenant  un  jeun(,'  homme  de  bons  principes , 
animé  du  di-sir  de  se  préparer  aux  éludes  tliéologi<iues  dans  les 
meilleures  condiiions  possibles. 

Il  doit  d'abord  avoir  été  reçu  bachelier  à  l'université  d'Ox- 
ford, de  Cambiidge,  ou  dans  la  petite  université  de  Duiham  pour 
les  comtés  du  Nord.  C'est  à  vingt-un  ans  que  l'étudiant  passe 
ordinairement  cet  examen;  il  ictourne  ensuite  dans  ses  foyers, 
où  il  reste  deux  ans  pour  compléter  ses  études,  ou  bien  il  passe 
un  an  en  voyage  sur  le  continent.  C'est  de  ce  voyage  qu'il  pense 
revenir  armé  contre  toutes  les  erreurs  du  papisme. 

Sa  pauvreté  peut  l'avoir  obligé  à  se  faire  précepteur  pendant 
tout  ce  temps.  Il  faut  qu'il  produise,  pour  les  trois  ans  qui  pré- 
cèdent son  ordination ,  un  certificat  de  bonne  vie  et  de  l)onnes 
mœurs  délivré,  soit  par  le  collège  dans  lequel  il  a  fait  ses  élu- 
des, soit  par  le  ministre  de  la  paroisse  dans  laquelle  il  vivait. 

Dans  quelques  occasions ,  fort  rares  cependant ,  des  scandales 
d'université  empêchent  d'obienir  ces  certificats. 

Nous  supposons  donc  que  notre  ami  ait  passé  une  année  en 
voyage  sur  le  continent ,  et  une  autre  dans  la  maison  de  quel- 
que respectable  pasteur  de  campagne.  Il  s'en  va  ensuite  passer 
six  semaines  à  Oxford  ;  et  s'il  a  beaucoup  de  zèle,  il  y  retourne 
une  seconde  fois ,  pour  assister,  pendant  six  autres  semaines , 
au  cours  de  théologie,  il  choisit,  comme  les  meilleurs,  les  cours 
d'histoire  ecclésiastique  et  de  théologie  pastorale.  11  trouve  ce 
dernier  cours  si  restreint  et  si  peu  développé ,  si  confus  ,  et  le 
cours  d'histoire  si  peu  intéressant,  qu'il  ne  sait  comment  passer 
sa  semaine  sans  perdre  de  temps  et  qu'il  aime  mieux  retourner 
de  nouveau  chez  son  respectable  pasteur. 

Il  étudie ,  en  ellét ,  quelque  peu  les  questions  relatives  aux 
temps  apostoliques  ,  à  la  supériorité  des  patriarches  et  des  évé- 
ques  ,  à  la  suprématie  de  saint  Pierre;  il  voit  aussi  la  légion  ful- 
minante, les  dormeurs  d'Éphèse  ;  dans  une  vague  lueur,  il  en- 
trevoit un  état  de  choses  assez  semblable  au  catholicisme  de  nos 
jours.  H  questionne  le  professeur,  mais  en  vain  ;  celui-ci  arrête 
la  discussion  ,  voulant  faire  son  discours  et  éviter  toute  question 


'HiH  ut  LiuvcKTios 

ioi|>oriiiiie.  Il  tonloiilc  son  modeste  phHc  i»ar  une  ou  deux  ciui- 
lions  «le  f|iiel<|ue  auicur  <Jes  premiers  temps,  ipii  n'u  pas  été  lu 
par  ce  (In  nier,  il  il  s'al>sii«Mit  eiiiicreinent  de  [)arler  dv  I  histoire 
ecrlésiasli<|ue  uioderne ,  au  motnent  où  il  faudrait  émouvoir  le 
co'ur  et  iM-liaulVer  le  /.èle  dr  iinirc  ami. 

Les  sèelics  le«;ons  dune  eliaire  iiiiivfrsilaire  paraissent  à  rrlui- 
<  i  ilii  temps  perdu  en  comparaison  des  jours  passés  ù  récole  du 
villa^'e,  elle/,  les  malades,  à  la  di^lril>lltion  des  couvertures  et  à 
ilaulres  bonnes  œuvres  spiriluelles  et  lem|)orelles ,  en  société 
de  son  ami  le  pasteur  et  de  Tépouse  de  celui-ci.  Kn  effet,  la  plus 
importante  partie  de  sa  préparation  est  celle  ipi  il  laii  dans 
(|iie|(|ue  l'ciraile  vertueuse  de  oetle  espé<'e. 

Il  n  y  a,  <lans  l'K^'lise  an^'licaue,  aucune  école,  aucun  cours 
de  tlié'olo^ie  dogmatique;  et,  lorsque  des  (jueslions  sur  ces  ma- 
tières se  |)résenteut  à  res|iril  de  noire  ami ,  il  s'intpiiète  de  ne 
pouvoir  les  résoudre,  ^on  voisin  enseigne  et  dit  à  ses  paroissiens 
que  le  baptême  n'est  pas  régénérateur  et  que  l'allirmcr,  c'est  dé- 
truire rimmorlalité  di'  l'àme.  Le  professeur  dit  aussi  :  «  Oui  , 
c'est  la  delruiie.  »  Mais,  s'il  vient  à  d(>mander  comment,  en  ce 
cas,  les  pecliés  peuvcni  êire  reniis  ,  il  ne  i-e«;oit  pas  de  réponse. 
Quant  à  la  piiiilence,  le  professent  lui  dii  t|in.,  depuis  la  Hc- 
forruf  ,  on  a  balaxe  toutes  les  corruptions  papales  <le  la  confes- 
sion auriculaire  et  de  la  pénitence  sacramentelle.  D'un  auiru 
cùlé ,  le  D'  Pusey  assure  <|ue  son  professeur,  d'accord  on  cela 
avec  quatre-vingt-dix-neuf  anglicans  sur  cent,  n'aliaipie  (|ue  le 
mot  d'auriculaire ,  et  «pie  l'Kglise  d'AngU'li'rre  cr«)it  aux  sacnî- 
UMMils;  «pu*  s«>ulement  elle  n«'  s'en  sert  pas  et  n'insiste  pas  sur 
leur  nécessité.  Notre  ami  se  relire  alors,  persuadé  «pi'il  peut  tout 
aussi  l)i«'ri  el  même  nii«Mi\  s'absou«ln'  lui-m«''me. 

.Sur  presipu'  lonii's  les  «piesiions  «le  «locirin«;  à  propos  des- 
«pielles  les  réformateurs  oui  soulevé'  des  «liscussions,  el  sur  beau- 
cou|>  dfi  celles  «pii  ne  surgir<nt  «pie  plus  lard,  il  est  parfait«'- 
ment  impossible  à  <«■  bon  jeune  liomm«:  de  savoir  (piebpie  ciiose. 
Au«-un  angli«an,  si  on  le  pousse,  ne  v«>ut  «liscuter;  noire  ami 
peut  essayer;  mais  ni  son  prolésseiir  ni  son  futur  évéque  no  coq- 
sent«'nl  absoluiin.'iil  à  se  pronon««'i-  «l«Tiiiiii\cui(Mi!.  si  «•<•  n'<"^l  sur 
w  ipii  rt'Liardf  !«•  papisme. 


IH'   Cl.lilU.K    A><;LI(,A.\. 


•iOl) 


C'rsl  ainsi  préparé  (\huu  jciiiic  lioinnio  se  prêsenlo  à  ses 
examinateurs  ;  il  est  censé  avoir  lerniiné  ses  éludes.  Si,  dans  ses 
reposes,  il  avance  ce  qu'on  appelU;  des  principes  outrés  ;  si,  par 
exemple,  voyant  enseigner  (pie  Jc-sus-Clirisl  est  réellement  pré- 
sent dans  l'Eucharistie,  il  pense,  lui  aussi,  annoncer  à  ses  pa- 
roissiens qu'il  faut  rendre  un  culte  d'adoration  à  la  sainte  hos- 
lie  et  au  vin;  ou  si,  en  quel(|ue  manière,  il  fait  voir  (jue  ses 
opinions  tliéologiques  sur  une  (piestion  de  controverse  prêtent 
aux  attaques,  aucun  évêquc  ne  voudra  le  recevoir.  Il  le  chas- 
sera ,  le  renverra  de  sa  place  ou  le  rejettera  de  quelque  autre 
manière. 

Comme  je  l'ai  déjà  fait  observer,  il  existe,  dans  deux  ou  trois 
diocèses  de  l'Angleterre ,  autant  de  petits  collèges,  participant 
de  la  nature  d'un  séminaiie.  Dans  aucun,  il  n'est  permis  de  dis- 
cuter les  dernières  conséquences  des  principes  (extrême  views) , 
si  ce  n'est  en  ce  qui  touche  le  proleslanlisme  ;  et  même  alors  ne 
le  fait-on  qu'avec  les  plus  grands  scrupules  et  une  extrême  dé- 
fiance. 

Il  me  semble  que  l'exemple  des  chefs  de  ces  établissements 
ou  de  leurs  prédécesseurs,  se  mouvant  si  à  l'aise  dans  un  si 
étrange  système,  est  de  nature  à  comprimer  chez  les  jeunes  gens 
l'esprit  de  recherche  et  à  leur  donner  insensiblement  la  persua- 
sion que  ce  qui  est  si  généralement  adopté  doit  être  nécessaire- 
ment bien  et  justifié  par  l'expérience;  car,  en  Angleterre  et  par- 
liculièrement  dans  les  collèges  et  les  universités ,  en  dépit  do 
l'orgueil  insulaire  à  l'égard  des  étrangers  ,  il  reste  encore  un 
très-grand  respect  pour  la  tradition,  l'autorité  ;  et,  bien  que  cette 
autorité  s'exerce  avec  les  étranges  anomalies  qui  caractérisent 
l'Angleterre  de  nos  jours,  le  sentiment  de  respect  dont  nous  par- 
lons n'en  est  pas  moins  réel. 

Une  conduite  régulière,  du  bon  sens  et  de  la  modération,  tel- 
les sont  les  qualités  qui  font  recevoir  un  candidat  dans  les  or- 
dres sacrés.  Les  évêques  désirent  qu'il  se  marie  de  bonne  heure 
et  qu'il  s'établisse  en  honnête  citoyen.  Je  crois  pouvoir  ajouter 
que  peu  de  classes  de  notre  société  anglaise  sont  plus  régulières 
dans  l'ensemble  ,  plus  vertueuses  et  plus  pures  que  les  familles 
de  nos  ministres.  Il  n'v  a  rien  de  sacerdotal  ni  de  surnaturel  en 


270  l»K   L  KUICAIU»  lil    CLfchGt   AM.LH  A>. 

eux  ;  iiKiis,  (|u:iii(iun  |>cusc  <juo  (|u<-l(|tif>s-uiisonlcu  une  roiiduile 
dissolue  pon<i:iiii  Inu  j<Minfssi- ,  (|ir:iiii-tiii  ii'n  été  soumis  à  une 
nïtmicre  d»*  vi\rt'  it'j,'uli»  rc,  »|iie  hcimcouj)  jouisscnl  d'iino  :isso/. 
j;iaiide  iiisiince  et  (jue  plusieurs  iiuiuie  sont  riches,  et  cela  dans 
une  socit'l»'"  relâclu'e  et  voluptueuse;  quand  on  pense  que  leur 
position  ne  leur  interdit  (|uc  ce  qui  serait  scandaleux,  il  faui 
nécessairement  reconnaître,  dans  leurs  bonnes  uKJ.Mirs,  une  cir- 
constance heureuse  dans  l'état  acliicl  de  lAnglelerre. 

Ils  sont  généralemeiii  l»ien  éle\és  et  possèdent  des  connais- 
sances littéraires  assez  étendues  ;  mais,  sauf  quelipies  rares  ex- 
cepiiuiis,  ils  n'ont  j)oint  culii\é  le  Naste  champ  de  la  science 
tln'ologi(|uc  et  n'ont  pas  même  le  désir  d'y  pénétnîr. 

Le  clergé  anglican  a  compté,  il  est  vrai,  quel(|ues  savants 
théologiens  dans  les  temps  passés,  mais  ils  n'ont  point  eu  de 
8U<Tesscurs.  Un  ou  deux  onl  apparu  de  nos  jours,  mais  ils  n'ont 
été  ou  ne  sont  que  des  oiseaux  de  passage;  l'anglicanisme  n'est 
pas  leur  ciel  nalal. 

Jf  ne  jtuis  vous  dire  i|iir  iics-pcii  dr  ciiosc  au  point  de  vue 
8iatisli(|ue ,  trayant  puiiu  de  livres  auxquels  je  puisse  recourir. 
Touielois,  on  compte  environ  '27  evèques  et  15, 000  ministres 
intérieurs  dans  l'Église  anglicane.  Leurs  revenus  varient  depuis 
ôO  et  80  I.  st.  par  an  jusipi':^  20,000  I.  st.  On  cite  des  revenus 
d'évéques  qui  montent  parfois  -i  30,000  I.  st.  ;  un  seul  a  AO.OOO 
L  st.  par  an;  sommes  qui  siiniraitiu  à  peu  prt^'s  à  payer  tout  l'é- 
piscopat  irauçais. 

Les  revenus  du  clergé  des  paroisses  dépassent  rarement  1200 
L  st.  ;  le  plus  grand  nftnibre  ne  s'é-lève  guère  au-dessus  «le  L50. 
Cependant  le  clerg*-  anglican,  se  recrutant  dans  le  sein  de  l'aris- 
tocratie et  parmi  les  familles  riches,  possède  de  grandes  proprié- 
lés  (>arlicidièn's;  mais  ce  n'est  pas  la  condition  du  clergé  en  gé- 
néral. 

Mais  je  dépasse  les  bornes  de  ujimi  snjti  ;  pcruH  ti«'/-moi  de 
6nir  cette  lettre  en  faisant  des  \<vu\  pour  vous  et  votre  œuvir. 
Veuillez-bien  vous  sou\enir  (jiieiquefois  de  moi  à  la  Sainte- 
Messe.  M'oubliez  pas  non  |»lus  mon  |>ays. 

.I.-H.    Pol-LEN. 


STERILITE  DES  MISSIO^S  PROTESTANTES. 


(Sniio.  —  VoiiIelN"deJuillol.) 


S'il  fallait  ajouter  foi  aux  comptes-rendus  des  missionnaires 
protestants  et  à  leurs  chiffres  pompeusement  alignés,  le  protes- 
tantisme ferait  des  progrès  incessants  sur  les  plages  lointaines  , 
ot  réparerait  chez  les  peuplades  sauvages  les  nombreux  échecs 
qu'il  subit  en  Europe.  Mais  autant  la  fiction  est  loin  de  la  réa- 
lité ,  autant  les  rapports  des  apôlres  de  l'erreur  sont  éloignés  de 
la  vérité.  —  Pour  convenir  il  faut  autre  chose  qu'un  brillant 
étalage  et  les  courses  de  colporteurs  pris  à  gages;  il  faut  même 
plus  que  des  millions  de  livres  sterling  :  les  ténèbres  ne  se  dis- 
sipent que  par  une  lumière  dégagée  elle-même  de  tout  nuage  ; 
pour  enflammer  les  cœurs,  il  faut  qu'un  feu  sacré  embrase  l'àme 
du  prédicateur  ;  pour  persuader  il  faut  avoir  une  conviction  iné- 
luanlable.  Or,  ces  conditions  essentielles  manquent  au  mission- 
naire protestant;  il  transporte  avec  lui  au-delà  des  mers  le  vide 
de  sa  doctrine,  les  dissensions  de  ses  coreligionnaires  et  la  glace 
de  son  âme.  Faisant  de  sa  mission  un  moyen  d'exploitation  ou 
de  spéculation  personnelle,  concentrant  toutes  ses  affections 
dans  sa  famille,  il  est  incapable  de  cette  générosité  de  dévoue- 
ment dont  le  spectacle  entraîne  les  esprits  et  les  cœurs. 

Les  moyens  les  plus  efficaces  ne  font  pas  défaut  à  la  propa- 
gande prolestante.  Appuyée  de  toute  l'influence  des  gouverne- 
ments, séduisant  par  des  promesses  d'avenir,  répandant  l'or  :V 
pleines  mains,  ses  missionnaires  peuvent  s'adresser  à  la  vanité  et 


272  îTtKILITÉ   DES   MISSI()>>   l'ROTFSTA^iTLS . 

h  la  ciipidilô  «los  hommes  de  couleur  ;  tenanl  plus  :i  la  (juanlilr 
(ju'à  la  (|ualih'  de  leurs  adeples,  ils  confrrenl  le  baplt^me  à  des 
uiillicrs  de  paieus  ,  avant  «jue  ceux-ci  possèdent  les  notions  les 
plus  clénientaires  du  christianisme.  Ces  nouveaux  chrétiens,  dé- 
sireux d'oiilcnir  la  (-nniiniKidoti  des  faveurs  dont  un  les  louihlc, 
laissent  ligurer  leurs  noms  sur  les  listes  des  convertis,  mais  s'in- 
quiètent peu  des  devoirs  «pu*  leur  nouvelle  relij^ion  leur  impose, 
et  souvent  même  rré»iuenient  les  temjiles  des  idoles  en  même 
temps  que  les  temples  proteslanis.  Paiterson .  missionnaire  an- 
{^lican  ,  clLoyard,  orientaliste  distinj;ué,  stigmatisent  en  termes 
énergiques  cette  singulière  manière  de  convertir  au  (  liristia- 
nisme.  Aussi  les  nouveaux  adeptes  sont  «levenus  tell«nieni 
odieux  ,  «jue  l'Indien  les  appelle  chrétiens  Je  riz,  pour  rappclei- 
qu'ils  II  adopieiil  la  icligioii  des  missionnaii-eN  qu':)!!!!  de  se  pro- 

<  urer  un  mo\en  facile  de  sulisistance. 

L'île  de  Cevian  a  clé  le  ilnàire  des  exploits  des  missionnaires 
hollandais. 

Aussi  longtcni|ts  (lu'elh*  s  était  iniuvee  s(mis  la  domination 
portugaise,  la  religion  catiioli(|ue  avait  joui  d'une  complète  li- 
berté. Les  Thamels  cl  les  Singhalois,  liahilanl  les  premiers  le 
>'ord,  les  seconds  le  Sud  de  la  grande  Ile.  avaient  embiassé  avec 
îirdeur  le  i  hrisiiaiiisme,  sans  «pie  le  gouvernemeni  <i\il  eût  usé 
de  la  moindre  contrainte. 

\  peine  les  Hollandais  pjoieslants  se  furent-ils  iiiqtlantes  dans 
l'ile  que,  par  des  inli  igues  adroitement  tramées,  ils  organisèrent 
une  persé'cuiion  terribhî  contre  les  <-athorupies.  Dans  un  traité 
qu'ils  exlor(iiU'renl  du  prince  Radscha  Singha  de  Candie,  ils  for- 

<  èrent  celui-ci  à  chassi-r  de  son  territoire  tout  prêtre  romain,  et 
à  le  traiter  comme  un  fauteur  de  toutes  les  révoltes  et  comme  un 
ennemi  île  tous  les  gouvernements.  Ceci  se  passa  en  1638.  Il  ne 
fallut  pas  loiigleinp  pour  «pie  le  prince  s'iipeiçut  qu'iui  l'avait  in- 
dignement induit  en  erreur.  Lorsipii!  \oulut  reparer  le  mal  qu'il 
av:iit  causé  ,  il  était  trop  tard.  De  KiiO  à  KiôB,  les  Hollandais 
parvinrent  insensiblement  à  su|»planter  les  Portugais.  Maîtres  «lu 
t«'rr3in  ,  ils  appli«pièrenl  leurs  principes  sur  la  liberté  é\angéli- 
qii«'.  L«'s  missionnaires  «  allioliqiies  furent  im|tit«nablement  dé- 
|>orli*s  dans  rhub*.  «t  nu  nie  riin  d'inlre  eu\  fut  «lécapilé.  pour 


STKRILITl':   lUvS    MISSIONS     IMIOTESTANTES.  273 

n'avoir  pas  voulu  découvrir  une  conspiration  (jui  lui  avait  été 
conûée  sous  le  sceau  de  la  confession.  Les  horreurs  des  Icono- 
clastes se  renouvelèrent  dans  l'ile  deCeyIan.  La  tolérance  que  les 
Hollandais  accordaient  aux  Brames  et  aux  Boiidliistcs  fut  refu- 
sée aux  callioli(iues.  Toutes  les  atiociti'-s  qui  avaient  signalé  les 
anciennes  persécutions  furent  réitérées. 

Après  s'être  débarrassé  de  leuis  adversaires,  les  Hollandais 
voulurent  commencer  l'œuvre  de  la  conversion  de  ces  peuples. 
Très-peu  exigeants  pour  l'admission  des  néophytes,  se  conten- 
tant d'une  connaissance  très-superficielle  de  la  religion,  ils  en- 
rôlèrent 180,000  Thamels.  Deux  prédicants  étaient  chargés  du 
soin  de  cette  multitude  de  convertis.  Les  Singhalois  ,  chez  les- 
quels le  sentiment  de  la  liberté  était  plus  profondément  enra- 
ciné, résistèrent  à  celte  violence;  la  séduction,  les  appâts  des 
promesses,  les  menaces  et  les  amendes  produisirent  plus  d'effet. 
Mais  ces  conversions  arrachées  par  la  violence  n'étaient  que  fac- 
tices; loin  de  progresser,  le  christianisme  rétrograda  dans  celte 
contrée;  ce  fut  au  point  qu'un  missionnaire  protestant  de  Galla 
se  demanda  s'il  ne  serait  pas  préférable  de  ne  pas  baptiser  les 
enfants  des  indigènes. 

Les  missionnaires  catholiques  ne  se  laissèrent  pas  intimider 
par  la  persécution  :  ils  ne  cessèrent  de  se  maintenir  à  Jaffna  et 
à  Manar.  Un  seul  d'entre  eux,  le  père  Vaz,  oratorien,  convertit 
près  de  30,000  païens.  Ces  succès  enhardirent  les  fidèles  ;  en 
dépit  des  amendes  et  de  la  dégradation  civile,  les  catholiques 
lovèrent  la  tête  avec  une  sainte  audace;  ils  élevèrent  des  églises 
à  Calura  et  à  Colombo,  et  célébrèrent  les  saints  offices  avec  tout 
l'éclat  et  la  solennité  que  leur  permettait  leur  pauvreté.  Le  gou- 
verneur Hollandais",  fidèle  au  système  de  persécution  que  la  mé- 
tropole lui  imposait,  exila  les  catholiques  les  plus  influents  à 
Tuticarin,  sur  la  côte  de  Coromandel.  L'indignation  des  catho- 
liques fut  si  vive  et  si  générale ,  qu'on  redouta  une  explosion  el 
que  l'on  crut  devoir  renoncer  aux  mesures  violentes.  De  1765  à 
1796  les  catholiques  purent  respirer. 

Tandis  que  le  catholicisme  faisait  des  progrès  rapides,  le 
protestantisme  déclinait  sensiblement.  Le  nombre  de  ses  adep- 
tes, qui  s'élevnit  en  1722  à  o24,'>92,  éiaii  réduit  vers  la  fin  dn 


274  STÉRILITÉ  HtS  VISSIONS  PKOTESTAilTrS . 

sit'cle  à  300.00(1.  Mais  cos  Indiens  n'avairnt  (lorhiciim  <|ur  l«- 
nom.  Stii"  1M2,0U(I  (  liniiens  dans  la  \illr  do  .lallri:i ,  foixanfe- 
(fuatre  soulenienl  avait  une  conduile  conforme  an\  principes  re- 
lif,'i«'U\  qu'ils  prolcssaienl.  A  Manaar,  qui  com[)laii  9000  hnp- 
lisés,  à  (ialla  el  à  Malura,  qui  en  eumplaieni  89,000,  quarante- 
un  adulles  seulement  avaient  été  admis  à  parlieipor  à  la  cène. 

La  paix  d'Amiens  (1802)  lit  passer  Tile  de  Ccylan  sons  la  do- 
mination l)ritanni(pie.  Les  \n|,'lais,  tout  en  favoiisani  les  réfor- 
més, laissèrent  n«'anmoins  la  liltrrh-  aux  «  allioliques.  Les  Sin^ha- 
lois  et  les  Thamels,  habitués  à  une  ionj^ue  servitude,  ne  surent 
pas  d'abord  secouer  leuis  chaînes,  ils  échan^rrenl  Ir  calvinisme 
contre  la  religion  de  la  nouvelle  métropole.  Mais  dès  (jn'ilss'a- 
perçurcnt  qu'ils  pouvaient  suivre  la  religion  qui  leur  semhleraif 
préférable,  quand  l'apostasie  ne  fut  plus  encouragée,  quand  les 
emplois  cessèrent  d'élre  le  monopole  de  ceux  qui  étaient  hapli- 
s«'S,  le  proteslanlism»!  dctlina  rapidemenl.  Le  nond)re  de  342,000 
ounillesqu'v  possédaient  les  Hollandais  en  1801  fut  réduit  l'an- 
née snixanle  à  132.000.  Bm  hanan  nous  apprend  qu'en  1806  on 
ne  pouvait  d(''jà  plus  découvrir  la  moindre  trace  des  missionnaires 
protestants.  Les  Indiens  embrassèrent  en  masse  la  religion  ca- 
iholi«|Ue,  et  le  reste  retonrna  au  culte  de  Bouddha. 

()elle  défection  gt'nerale  stimula  le  /.èlc  des  sociétés  protestan- 
tes. Lii  société  des  missions,  qui  avait  son  centre  à  Londres, 
«lépécha  dans  l'ile  de  r,('yl:iii  do  nombreux  missionnaires;  les 
mélliodisies  cl  les  anabaplisies  les  sniviicnl  de  près.  Les  moyens 
les  plus  «nergiques  furent  employés  jxdir  faire  rentrer  les  tran- 
sfuges dans  le  sein  du  protestantisme.  Tous  les  efforis  furent 
vains. 

A  la  vue  de  cette  impuissance,  en  présence  des  progrès  du 
catholicisme,  Tenncnl ,  employé  du  gouvernement  anglais,  de 
(|ui  nous  empruntons  ces  détails ,  émet  l'opinion  que  le  proies- 
tanlisme  ne  peul  avoir  «l'avenir  dans  ces  conlnMS  lointaines 
«piafirès  que  le  calli(dicisme  lui  ama  d«blayé  le  lorrain.  Klrange 
aveu  de  la  stérilité  de  la  religion  protestante  ! 

Mission  du  Cap  de  linnne-Kspèranre.  —  Avec  les  immenses 
ressources  dont  ils  jouissent ,  les  missionnaires  protestants  de- 
\raienl  mo<lilier  radicalement  la  situation  morale  et  sociale  de* 


STtr.ii.iTi-;  Di:s  missions  i'i;otkstv>tes.  275 

naiions  qu'ils  évangéliscni  ;  on  devrait  voir  les  nations  sauvages 
se  policer  et  se  façonner  insensiblement  aux  progrès  de  ta  civili- 
saliou  européeniio.  En  leur  inspirant,  par  exemple,  le  goût  du 
iravail,  en  dii  igcanl  leur  induslrie  naissante,  on  améliorerait  in- 
sensiblement leur  bien-être  matériel  et  spirituel,  et  l'on  assure- 
rait à  la  metiopole  d'immenses  débouches.  En  effet,  l'homme 
actif  et  laborieux  non-seulement  centuple  la  dose  de  ses  jouis- 
sances, mais  encore  il  se  procure  par  son  travail  même  une  inef- 
fable satisfaction  et  sauvegarde  sa  vertu  contre  bien  des  séduc- 
tions. Si  la  conversion  des  noirs  par  les  protestants  était  sincère, 
on  les  verrait  déposer  cette  paresse  qui,  on  le  sait,  est  la  mère 
(le  tous  les  vices.  Mais  les  missionnaires  protestants,  n'ayant  que 
de  rares  sermons  pour  toute  occupation ,  n'offrent  pas  eux-mê- 
mes à  leurs  ouailles  l'exemple  du  travail  et  de  l'activité.  Au  lieu 
de  s'évertuer  à  utiliser  les  forces  physiques  et  les  facultés  intel- 
lectuelles des  infortunés  dont  ils  entreprennent  la  conversion,  ils 
semblent  prendre  à  tâche  de  les  énerver  de  plus  en  plus.  Transi- 
geant avec  l'oisiveté  qui  distingue  les  hommes  de  couleur,  crai- 
gnant d'avoir  à  constater  des  défections  nombreuses,  s'ils  con- 
trariaient leurs  inclinations,  on  les  voit  employer  les  sommes 
énormes  dont  ils  disposent  à  flatter  la  paresse  des  malheureux, 
qui  se  trouvent  sous  leur  lioulette. 

Le  docteur  Kretzschmar  nous  donne  là -dessus  des  détails  cu- 
rieux dans  ses  Esquisses  sur  VJfrique  méridionale.  Personne 
mieux  que  lui  n'est  à  même  do  nous  fournir  ces  renseignements  : 
un  séjour  de  quinze  ans  au  cap  de  Bonne-Espérance  lui  a  fait 
connaître  la  vie  intime  des  missionnaires  et  les  résultats  de  leurs 
ii'avaux.  Ses  Esquisses,  publiées  récemment  à  Leipzig,  se  dis- 
tinguent par  la  vigueur,  la  véridicité  et  l'originalité;  elles  nous 
prouvent  que  le  protestantisme  ne  vit  plus  aujourd'hui  que  parce 
qu'il  a  conservé  une  partie  de  la  sève  vivifiante  qu'il  a  emprun- 
tée au  catholicisme.  —  Que  le  lecteur  ne  s'imagine  pas  que  le 
docteur  a  écrit  dans  un  sentiment  de  malveillance  contre  le  pro- 
testantisme; il  a  fallu  toute  l'évidence  de  la  vérité  pour  lui  arra- 
cher ces  pages  accablantes. 

Wupperthal  est  une  magnifique  propriété  que  la  société  pro- 

18 


27*»  STtr.ll.lTK    l»KS    MISSIONS    l'ROTKST^NTtS. 

i«'j.i.uiir  iliciKiiir  :i  :iclini(''C  :  rllc  >  a  depuis  l(»n^lemp!^  eniro- 
tcnii  dos  iiiissionnaircs  :i  grands  frais. 

IK's  \c  piPinirr  j(»iir  de  son  arriver  au  cai»,  Kici/schmar  se 
rcndil  auprès  du  jiasieur  piotesiaiil,  A|»rès  un  ectuii  entretien 
sur  la  simniion  des  ouailles,  le  doeleur  demanda  si  I  établisse- 
ment (pii  avait  (  nùie  tant  de  sacrifices  aux  protestants  d'Kurope, 
pouvait  euiiii  se  |)asser  de  subside.  I^  réponse  du  missionnaire 
lut  que,  sauf  quelques  légers  secours,  la  populatidu  pouvait  se 
siiflire  à  elle-même.  «  Nos  ouailles,  dit-il,  vivent  des  légumes  de 
leurs  jardins  et  du  produit  de  leur  indusiiie.  ffommes  et  fem- 
mes travailleni  rhe/  les  linur  fermiers  ou  tultivaleurs  ,  lorsque 
l'école  n'absorhe  pas  eom|>lèlement  leur  temps.  « 

Le  missionnaire  moiilra  au  dorieur  les  jardins  i.int  v.intes. 
Grande  fut  la  surprise  du  visiteur  en  voyant  que  le  terrain  qui 
devait  subvenir  aux  besoins  des  habitants  avait  une  superficie  de 
douze  pieds  carrés.  On  y  voyait  (pielques  plantes  de  simple 
agrément  ou  du  moins  d'une  utilité  bien  douteuse.  Le  docteur  v 
remarqua  (pielques  buissons  de  tailia,  plante  aromaiiipie  dont  la 
fumée  enivrante  <'st  aspirée  par  les  colons  au  mnyeii  de  longs 
tuyaux  d'os  creusés.  Première  déce[)tioii. 

«  Ht  quelle  est  l'industrie  «les  bruns  protestantisi-s  .*  Pour  ne 
pas  exagérer,  j'avouerai  que  la  société  rhénane  a  député  quel- 
<|ues  frères  chargés  de  donner  à  ses  heureux  protégés  les  pre- 
miers éléments  de  l'iiKliislrie.  Il  y  a  don»"  à  Wupperihal  un  me- 
nuisier, un  chapi'lier  el  un  «-ordonuier.  On  les  a()pelle  frères, 
parce  que  le  Saint-Elsprit  est  descendu  sur  eux.  Appartenant  à 
l.i  classe  des  ascètes,  ils  portent  une  c.iloiie  noire  et  se  condam- 
nent à  lie  jamais  sourire.  Le  menuisier  est  en  même  t<'mps  vi- 
caire du  pasteur;  le  coid<mnier  est  chargé  de  s'oc<  upei  ilu  m - 
goce  el  de  la  sacristie;  le  chapelier  cumule  les  titres  de  caté- 
chiste el  d'accoucheur.  Dans  les  ateliers  se  trouvent  quatre  mi- 
sérables bousilleurs;  (pialre  sur  des  centaines!»  Deuxième 
déception. 

1-e  traxail  des  colons  compense-i-il  rinsiinisance  de  ces  deux 
premieis  moyens.'  L«!  (lo(  leur,  désireux  rie  «  onuaiire  à  fond  ré- 
tablissement, l'examina  sous  toutes  ses  faces.  Il  \ii  loiii  un  irou- 
penii  d'Indiens  étendus  sur  des  pe:nix  d'ours  ,  ils  parnissaieni  al- 


1 


SlhllILITi;  Oi;S  MISSKO-.  l'KOTISTVMES  H  i 

leodre  que  la  manne  céleslo  vint  resiauicr  leurs  cnlraillos.  Il  esf 
vrai  que  Ir  Boor  n'a  besoin  d'un  personnel  nombreux  (jue  poui- 
ensemencer  ses  champs  et  rentrer  sa  récolte.  Mais  alors  même 
il  ne  peut  trouver  des  bras  pour  l'aider;  c'est  que,  auprès  d'une 
population  larce  par  l'oisivcti-,  le  lioor  est  eu  mauvais  renom  ;  à 
la  vue  de  ses  irou|)eaux  dc'cimés,  de  ses  vij,'ri('s  ravajjc-es  ,  de  ses 
oies  en  fuite ,  de  ses  chevaux  égarés  ou  blessés  ,  il  ose  concevoir 
des  soupçons  sur  la  liddité  des  ^am/s  qu'il  a  à  son  service!  Ef 
puis  le  pasteur  chargé  du  soin  des  âmes  s'o[)posc  à  ce  que  ses 
ouailles  s'occupent  parfois  de  ir.avaux  manuels,  sous  prétexte  que 
l'école  serait  négligée. 

JOn  a  profondément  inculque-  aux  hommes  de  couleur  qu'ils 
jouissent  de  la  lihcrlé  :  ils  se  gardent  bien  de  l'oublier.  IMus 
de  dix  mille  d'enlre  eux  circulent  en  vagabonds  autour  des 
villes  et  des  villages  jusqu'à  ce  que  la  faim  ou  le  besoin  d'ean- 
dc-vie  les  force  de  travailler  quelques  journées.  Dans  leurs 
courses  errantes,  ils  n'ont  d'autre  moyen  de  subsistance  connu 
que  les  nombreux  troupeaux  des  fermiers.  Si  la  justice  parvient 
à  constater  l'un  ou  l'autre  vol  commis  par  ces  colons  désœuvrés, 
la  philanthropie  européenne  a  pourvu  à  ce  que  le  coupable  em- 
portât de  son  emprisonnement  de  doux  souvenirs  qui  l'engage - 
rfint  à  la  récidive.  La  paresse  est  tellement  enracinée  dans  les 
mœurs  de  cette  population,  que  le  docteur  entendit  un  jour  dire 
à  son  propre  domestique  :  «  Le  gouverneur  anglais  veut ,  dit- 
on,  porter  une  loi  sur  le  vagabondage;  eh  bien,  dansée  cas, 
nous  nous  rendrions  tous  à  l'établissement  de  la  société  rhénane, 
nous  sommes  libres,  et  personne  n'a  le  droit  de  nous  contrain- 
dre de  travailler.  » 

«  Cet  établissement  est  on  ne  peut  plus  préjudiciable  à  la  mo- 
ralité de  tout  le  voisinage.  Une  grande  partie  des  domestiques 
abandonnent  bientôt  leurs  maîtres  pour  se  réfugier  dans  ce  re- 
paire de  la  fainéantise  ;  ceux  d'entre  eux  qui  étaient  autrefois  ac- 
tifs et  laborieux  deviennent  des  vagabonds  insolents  et  des  hy- 
pocrites fieffés.  —  Tandis  que  le  maître  travaille  les  six  jours  de 
la  semaine,  les  aides,  lorsqu'ils  veulent  bien  condescendre  à 
lui  prêter  leurs  bras  ,  sont  d'une  nonchalance  et  d'une  somno- 
lence désespérante  :  ce  n'est  pas  en  roulant  dévotenifut  les  veux 


27H  nTKHII  ITK   ItK's   IIISSIOMS  l'HOTESTAMTES. 

<|ii4*  I  Oïl  ciiliivc  les  cli:iiii|ts;  ve  n't'sl  |>as  rn  rhanlaiit  des  canti- 
que» ni  rn  brcdoiiilhtnl  des  prières  (|iie  les  ^'rains  rentreroni 
dans  les  {^ranges.  Parfois  même  il  est  arrivé  que  des  récoltes  nni 
Ole  abandonnées  ei  ont  pourri  dans  les  champs ,  parce  que  des 
ci>ntaines  de  fainéants,  (pii  s'engraissent  dans  l'étalilissement  de 
l.i  société  rlienan»',  se  sont  i<'fiis«'S  à  se  levi-r  de  lenr  couche  pour* 
>enir  vu  aide  au  pauvre  cidtivatenr.  La  colonie  est  remplie  de 
s'ihUs  (|ui  prient,  (hantent,  fument  et  croient  ainsi  avoir  le  droit 
de  porter  les  attributs  du  hon  chrétien,  le  |>antalon  cl  l'habit 
noirs;  après  avoir  consacré  de  bien  rares  journées  au  travail,  et 
cela  pour  un  salaire  exorbitant ,  ils  s'ima^'inenl  |>ouvoir  en  em- 
ployer le  reste  aux  douceurs  du  fur  nicnle.  •. 

»  La  très-grande  partie  des  hoinines  de  coideur  se  réfugient 
dans  les  stations  de  mission,  n<m  pour  s'instiuire  de  la  religion 
«t  y  vaquer  aux  e\»i(ic<'s  de  pieté,  mais  pour  y  vivre  dune  ma- 
nière plus  conunode  «'l  |>lus  confortable  ;  ils  se  font  chrétiens 
nnitpiemenl  dans  l'intention  de  jtoiivoir  donner  im  libre  cours  à 
leur  inclination  vers  lu  paresse.  Kt  qui  oserait  lesbhlnier?  Ils 
mènent  une  vie  exempte  de  soucis;  en  échange  de  leurs  courtes 
prières  et  d'un  visage  allonge  ,  ils  voient  tous  leurs  besoins  satis- 
faits par  la  philanthropie;  protestante.  Dans  llnde  orientale,  clia- 
<pie  Indien  baplist*  est  enirelt'nu  aux  frais  des  missiormaires,  poui 
la  raison  qu  il  perd  sa  caste ,  qu'il  est  exclu  de  la  société  de  ses 
frères  et  qu'il  est  traité  comme  le  chien  d'un  paria;  il  ne  serait 
«jue  juste  qu'il  fût  soutenu  par  le  missionnaire,  si  s:i  conversion 
liait  séiieuse.  Mais  qui  oserait  aHirnier  «|ue  le  néophyte  s'est  fail 
bapliseï'  pluitU  par  conviction  que  par  paresse,  ou  par  passion 
pour  l'eau-dc-vie?  Il  suflit  d'avoir  Nisiie  rétablissement  de  la 
mission  sans  pré-jugé ,  pour  appré(  ii  r  (piels  éii-anges  chr«'liens 
Ihabitenl. 

»  A  l'i-xception  de  (juciques  pratitpies  machinales ,  ils  n'ont 
aucune  iidigion.  La  faute  en  esl  moins  à  eux  qu'aux  missionnai- 
res proteslants  «pii  leur  donnent  souvent  des  notions  plus  que 
singulières  sur  le  (  hristianisme.  Voici  un  spécimen  de  leurs  in- 
structions; cet  extrait  esl  texluel.  «  L'amour  esl...  l'amour.  Il 
»  n'y  a  que  l'amour  au  monde.  Dieu  esl  ;imour,  r.Vgnean  esl 
■  amour,  le  sang  est  amour,  puiscpiil  lave  l<'s  péchés  du  monde. 


STHIIILIIK  niiS  Mlï)SI().\S    n,0'llî)TAMh.S.  279 

»  El  ,  nu's  fi  ('i es ,  rioyc/.  à  ruinour,  soyez  <lnns  cl  avec  rainour. 
»  Par  rainour  vous  viendrez  au  ciel  ;  |)ersoiinc  n'arrivera  au  ciel, 
»  s'il  n'a  pas  d'amour...  Aimez  donc  voire  voisin,  voire  épouse, 
»  votre  bu'uf,  voire  âne  ;  aimez  loutes  choses;  car,  je  vous  le  dis, 
»  l'amoui',  oui  l'amour  —  l'amour.  —  Amen  (t).  » 

Nous  croyons  inutile  d'insisler  davantage.  Qu'il  nous  suiHse 
(le  dire  que  les  païens  ne  sont  attires  à  la  résidence  de  la  mis- 
sion que  parla  certitude  d'y  être  héhcrgés,  nouiris  et  protégés. 
Toute  leur  religion  consiste  à  joindre  les  uiains  d'une  manière 
dévole,  à  roulei-  les  yeux  ,  à  prononcer  quelques  phrases  senli- 
meniales  sur  la  misère  de  l'àme  cl  sur  le  sang  (jui  lave  tous  les 
péchés.  Le  diable  doit  rire  sous  cape  en  voyant  l'ignorance  des 
blancs  qui  se  laissent  aveugler  par  des  jongleries  si  grossières. 

«  Après  un  séjour  de  quinze  ans  dans  la  colonie,  je  n'ai  pas  eu 
la  consolation  de  constater  la  moindre  amélioration  dans  la  si- 
tuation morale  et  sociale  des  habitants.  Que  dis-je,  améliora- 
tion? Aux  passions  de  la  paresse  et  du  vol  sont  venues  s'ajouter 
l'ignorance  et  l'hypocrisie.  Est-ce  qu'un  frac  noir  n'est  point 
préférable  à  quelques  génisses  jadis  gagnées  honnêtement  par 
un  domestique?  Avant  l'arrivée  des  missionnaires  au  Cap, 
l'homme  de  couleur  était  laborieux,  serviable  et  obéissant;  au- 
jourd'hui ,  quoiqu'il  puisse  à  peine  couvrir  sa  nudité  ,  et  qu'il 
doive  comprimer  son  estomac  affamé  en  se  serrant  la  taille  d'une 
courroie  et  en  assujettissant  un  gros  bouton  sur  sa  poitrine,  au- 
jourd'hui il  j)réfère  s'étendre  oisif  dans  l'éiablissement.  Ce  n'est 
pas  que  le  travail  fasse  défaut;  plus  d'une  fois  les  fermiers  voi- 
sins se  sont  rendus  à  la  station  des  missionnaires,  pour  y  louer 


(1)  «  Je  n'ai  pas  en  l'occasion,  à  Wupperlhai,  dit  le  docleur  Kretzschmar 
dans  un  autre  endroit,  d'assister  à  une  leçon  de  catéchisme  donnée  par  les 
missionnaires  à  leurs  ouailles;  mais  j'ai  été  à  même  de  recueillir  le  spécimen 
suivant  :  Un  missionnaire  s'adresse  à  l'un  de  ses  élèves  et  dit  :  »  Nalium,  qui 
a  apporté  le  péché  dans  le  monde?  c'est  Jésus,»  répondit  un  grand  gaillard 
de  six  pieds,  velu  d'un  pantalun  et  d'un  frac  noirs.  Le  missionnaire  se  mor-> 
dit  les  lèvres  et  dit  :  «  Tu  te  trompes,  Nahum.  Qui  fut  le  premier  homme? 
A'oe.  »  —  Prends  le  temps  de  réfléchir  et  dis-moi  qui  fut  Noë  ?  —  Les  douze 
Apôtres,  s'écria  ^'ahum  triomphant,  sans  douter  un  instant  qu'il  n'eût  résolu 
ce  problème  épineux.  » 


280  simiMii   UK>  Mi»i(»\s  n.iniM  vMi  >. 

un  doiiit  sii<iuc  ,  vt  >oi(i  la  irponsc  qu'ils  ont  ubliMiue  :  «Qui 
vous  a  dil  <|Uo  je  voulais  ser>ir?  Aujourrriiui  nous  no  souimi's 
plus  (les  esclaves,  nous  sommes  libres;  la  «asie  a  eliaii';»',  e'osl 
au  leur  (J<'s  blancs  de  (laNailler  pour  iiuiis.  »  !,<>  noir  saii  en  el- 
fel  (pril  n'a  pas  besoin  <|<'  se  j^rncr  n  (juil  peut  se  ref)MS<r  a\et 
pleine  seenrile  sur  la  ridit  iil<*  pliiiantlii opie  des  prolest;iiits  (rKii- 
ropc. 

»•  L'aveu^lemeiil  des  missionnaiies  ei  leur  résoluiion  bien  ar- 
rêtée de  ponisuivre  quand  même  \r  plan  insens»'*  qu'ils  ont  adopte 
pour  la  conNersion  des  païens  s'ex|)liqueraient,  si  les  a|>ôtres  du 
protestaniisiue  montraient  du  /èlcei  du  dévouement  dans  Texer- 
«  ice  de  leur  ministère.  Mais  le  lien  <|ui  les  atlaebo  à  leurs  ouail- 
les est,  jtour  me  seivir  du  lan^'a^'e  des  Hoois ,  aussi  fra};ili' 
qu'une  c«»rdc  de  sable.  Dans  la  dernière  ;,'n(ire  des  CafTres,  par 
exemple,  tous  les  njissionnair<s  ont  abandonne  leurs  résidences, 
situées  en  derà  des  frontières,  quoi<]ue  les  eliefs  cairrrs  leur  eus- 
sent donné  Tassuranee  ([u'ils  ne  seraient  au<unement  molesti's. 
Leur  peu  de  e<mfiance  dans  la  j^énérosllé  des  vainqueurs  les  fît 
fon^id»  iTi-  rominc  des  ennemis;  leurs  effets  furent  saisis  comme 
un  buiin  lej^iiimc  Tonlc  rKiir(»pe  releniii  dr  j>lainies  sur  les 
perles  essuyées  |»ar  lis  missiotmaires  ;  des  sermons  furent  pro- 
noncés, des  colle»  les  furent  faites  en  fa\('ur  des  vietimes.  Au 
lieu  de  cette  générosité  ,  mieux  aurait  valu  les  renvf)ver  à  leur 
enclume  ou  à  leur  aiguille.  »> 

Le  docteur  Kret/.sclimar  parait  craindre  lui-même  cpion  ne 
taxe  son  récit  d'exaj^éraiiim.  Il  en  appelle  au  lémoi^'nape  ima- 
nime  de  la  eobmie,  oii  ,  mieux  que  dans  des  conqiles-rendus 
mensongers  ,  l'on  doit  savoir  cpiels  ont  été  les  résultats  des  mis- 
sions protestantes.  Dans  les  rapporis  annuels  faits  par  des  mis- 
sionnaires intéressés,  on  exalte  les  progrès  accomplis  dans  la 
vie  morale  cl  sociale  des  noirs;  mais  telle  est  la  convirlion  de  la 
vérité ,  qu'on  n'a  jamais  tenté  d'organiser  une  collecie  dans  les 
colonies  ntèmes.  l.a  crédule  Europe  est  le  trésor  d'où  affluent  Icjs 
subsides.  Depuis  ipie  le  monde  existe,  on  n'a  jamais  menii  ave<: 
i;iiii  irinq)udence  <pie  dans  les  rapporis  des  juissionnaires  pro- 
trsianis.  A  défaut  de  faits  patents,  de  nature  à  stimuler  le  />lc 
des  ardents,  on  recourt  à  1'   reelanie  .  à  la  li<  ti<>n.    (''est   ainsi 


SIKIIILITÉ   DLS  MISSIONS   l'IlO  I  Lhl  AMCsl.  281 

qu'un  a  laii  lédiger  pur  un  lioUentot  un  uppel  touclianl  à  lous 
les  chrétiens.  Celte  lettre,  lue  du  haut  de  la  chaire  aux  paysans 
âv  la  Poméraiiic,  produit  sur  eux  Tinipression  la  plus  profonde; 
les  bons  Poniéranieiis  se  réunissent  poui"  répondre  à  leur  frère 
Holtenlut;  celui-ci  a  la  politesse  de  continuer  la  correspondance, 
et  le  succès  de  la  collecie  est  assuré.  A  la  fête  des  missions  don- 
née à  Berlin  l'année  dernière,  on  n'a  pas  manqué  de  recomman- 
der instamment  ce  maiiéi^c.  Mais  noire  bon  doclcui-  ne  trouve, 
pas  d'expressions  assez  fortes  pour  llélrir  cette  fourberie. 

«  Les  établissemenls  créés  pour  la  conversion  des  païens  sont 
assez  connus ,  de  même  que  les  sommes  énormes  qu'exige  leur 
entretien.  Celui  qui  contribue  à  celte  bonne  œuvre  désire  naïu- 
rellement  de  connaître  les  brillants  résultats  obtenus  par  ses 
cotisations;  des  rapports  ,  des  sermons,  des  revues,  des  feuilles 
volantes  contentent  sa  légitime  curiosité.  A  en  croire  les  récits 
émouvants  ,  les  missionnaires  protestants  pénétreraient  dans  les 
déserts  les  plus  sauvages  et  s'exposeraient  à  la  mort  au  milieu 
des  crocodilles  ,  des  lions  ,  des  serpents  et  des  anthropophages, 
plus  redoutables  que  les  animaux  mêmes.  Armés  de  la  seule  Bi- 
ble ,  ils  s'engageraient  dans  des  pays  inconnus;  les  noirs  ornés 
de  plumes,  brandissant  leur  casse-tête  ou  leur  javelot  mortel,  se 
précipiteraient  furieux  de  leurs  bois  de  palmiers  sur  le  témé- 
raire qui  vient  fouler  leur  sol...  Le  missionnaire,  dans  le  zèle  qui 
l'emporte,  renverse  leurs  idoles  d'argile,  ouvre  sa  Bible  avec  un 
calme  impeiturbable  et  commence  sa  lecture  .  n'importe  en 
quelle  langue.  Les  sauvages  écoutent  ébahis,  s'émerveillent, 
sont  touchés ,  tombent  à  genoux  et  baisent  les  bottes  de  cet 
homme  de  Dieu,  sans  l'arrivée  duquel  ils  étaient  perdus  à  ja- 
mais. Dans  son  premier  rapport,  le  missionnaire  informe  que 
plus  de  cent  païens  sont  entrés  dans  la  douce  communion  de  l'Es- 
prit et  sont  sortis  de  la  nuit  de  la  superstition  par  la  grâce  de 
Notre  Seigneur. 

»  L'Europe  est  annuellement  inondée  de  comptes-rendus  si 
pathétiques ,  que  c'est  à  faire  verser  des  larmes  aux  rochers  les 
plus  durs.  Des  Sauls  et  des  Madeleines  modernes  parcourent  les 
plages  lointaines,  en  cherchant  le  Seigneur;  ils  s'assoient  déses- 
pérés le  long  des  chemins  oîi  ne  passe  pas  un  voyageur  pendant 


'2^2  .SIKIIILIIL    DL.l   JUI»I(I.\>  IMlini.Sl  \.>TK>. 

iiiuic  (1114-  :iiiné(>.  (°o|K*n(lani  Diru  cuiidiiit  un  missionRaire  pfo- 
leslani ,  lr(juel  dtMuiiMr  ces  iiiisérnltlps  créaiiires  <|ui .  (]n4M<|ii«- 
aussi  à^fts  (ititî  Malliiisalcni .  ont  (|iiiii('  Uur  |»ôi«'  et  l«'ur  iiirrc 
pour  le  Sauveur  cl  sont  t'Utrecs  daus  le  sciu  d'Abraham.  (Vt^ 
laicnt  dos  sauvages,  victimos  de  louies  les  passions  et  tout  noirs 
decriinos;  jçrâce  au  zèl«î  inl'alif^ahle  du  missionnaire,  les  voilà 
devenus  des  héros  de  verlu  ;  le  sang  de  VJgncnu  les  n  lavés  et 
leurs  (Unes  sont  revétuts  d'un  ru'Ieitirnt  aussi  hianc  (juc  la  neige. 
Mais  ces  houMues  généreux,  (|ui  rtnonccni  à  tout  pour  iravailler 
à  l'uMivre  de  leur  iterleclioii,  oii  faul-il  donc  les  chercher ':'  Dans 
les  eiahlissonients  des  siuiions?  Mais  nous  a\ons  \u  ipiels  sont 
les  habitants  qui  les  peu|)lenl.  Dans  le  régiment  des  chasseurs 
hottenlols  au  service  du  gouvernement  anglais?  Mais  on  n'y 
trouve  (pie  des  rebelle>  et  des  assassins.  Partout  j'ai  vu  les  hi»m- 
mes  de  couleur  dans  la  siluatioii  la  plus  (hplorable.  Kn  «pialih- 
de  médecin,  je  nie  suis  souvcni  douve  au  chevei  du  lit  des  mo- 
riltonils  ;•!  approche  dt;  la  niorl  eianl  une  pierre  de  loin  lie  iidail- 
jible  pour  apprécier  l'etal  moi'al  de  l'Iioinnie,  j'ai  été  a  mèuie  dr 
lormei  mon  opinion.  Partout  je  n'ai  renconln*  «jue  rignorancr 
la  plus  profonde  et  un  mélange  de  phrases  absurdes  et  incohé- 
rentes sur  le  péché,  le  démon,  le  Ke(h>mpteur,  l' Agneau  de 
Dieu,  etc.  (^)uelqnes  \ei*sets  d<'  rKcriiur«'-Saint4*  bredouilles  nia- 
cbinalemeni ,  e(  pour  la  plupart  du  temps  inintelligiblt*$  à  celui 
qui  les  f»rononcail,  étaient  le  viatiipie  du  moribond,  en  facj»  de 
r^iemiie.  D 

On  le  voit  .  e'est  la  proclamation  du  principe  luthérien  sur  la 
justilicalion  <pii  tiansporle  d'iurlij^nalion  le  d(M-leiir  Krelyschmac. 
Otle  doctrine  désastreuse  fait  des  païens  lescarrii  alures  les  plus 
monstrueuses  du  rhristianisme  ;  partout  elle  est  le  eommenen- 
uuiil  (t  la  lin,  <'lli'  est  l'essence  de  la  religion  qui  est  pr«Vli«»e 
aux  pauvres  sauvages.  I.e  docteur  n'a  copié  (|uo  tni|»  fidèlement 
leurs  sermons;  l'on  ne  saurait  repondic  à  ses  iiHerpellaiions, 
lorsque  ,  après  avoir  exposé  ipiels  sont  les  résultats  di^s  missions 
protestant»'»,  il  demande  à  (pioi  MrAent  les  predi<'aiions  des  miu- 
sionnair«'s  dans  les  colonies i'  Les  éc(»le»,  où  l'on  est  Juen  loin  de 
négliger  l'insiriM-iion  religieuse,  ne  laissent  à  pou  prè«  rie»  a 
HMiror,  le  goMvei"neinont  an^lai^n  a  pourvu  à  tous  leurs  besoinsu 


STEUILITi;   DLS    MISSI(»?(S    l'HOTESTANTES.  2^3 

L<*s  itisiimicurs  reçoivent  on  moyoniie  un  ti-aitemcnt  de  200  li- 
vies  (^0,000  Ir.);  la  rre(itienl:Uion  de  ces  inslilulions  est  graluile. 
«  Pourquoi  donc  des  savetiers  et  des  ravaudeurs ,  tiui  se  disent 
inspirés,  vont-ils  se  charger  de  rinslruciion  religieuse,  eux  qui 
n'ont  ni  assez,  de  zèle  ni  assez  d'apliludc  pour  se  charger  de  cette 
augusie  l'onction.'  » 

Si  du  moins  ils  ne  s'occupaient  que  de  prédication,  ou  s'ils  se 
bornaient  simplement  à  travailler  au  bien-être  matériel  de  leurs 
ouailles!  S'ils  faisaient  comme  ce  missionnaire  anglican  à  Ka- 
minsberg  dans  le  Namaqualand  (c'était  autrefois  on  forgeron  sur 
lequel  le  Saint-Esprit  était  descendu),  qui  conduisait  un  joli 
troupeau  de  génisses  à  600  lieues  du  Cap,  pour  le  vendre  au 
prolit  de  ses  ouailles!  mais  non  ,  il  faut  qu'ils  s'occupent  de  po- 
litique. Laissons  parler  le  docteur  lui-même  : 

"  Il  est  notoire  que  les  missionnaires ,  aussi  bien  au  Cap  de 
Bonne-Espérance  que  partout  ailleurs,  se  mêlent  de  politique. 
C'est  à  eux  que  l'on  doit  la  propagation  de  nouvelles  politiques 
erronées.  Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  rappeler  les  intri- 
gues ourdies  à  Tahiti  et  dans  la  Chine.  Au  Cap ,  les  éiablisse- 
menis  uniquement  destinés  à  civiliser  et  à  moraliser  les  indigè- 
nes se  sont  convertis  en  véritables  arsenaux  et  en  repaires  d'as- 
sassins; les  feuilles  de  la  Bibles  ont  servi  à  charger  des  fusils 
meurtriers.  Cairevier,  la  plus  importante  résidence  des  mission- 
naii'es,  était  devenu  une  véritable  caverne  de  brigands.  Des 
charges  accablantes  ont  pesé  sur  les  missionnaires,  et  un  grand 
nombre  de  circonstances  les  ont  fait  considérer  comme  les  fau- 
teurs de  la  révolte  des  Hottentots.  On  a  fait  une  enquête,  et  la 
justice  les  a  acquittés;  mais  l'opinion  j)ubli(iue  a  été  loin  de  les 
absoudre.  «  C'est  à  leurs  œuvres  qu'il  faut  les  connaître,  »  s'est 
écriée  toute  la  colonie. 

»  Voici  dans  quels  termes  fut  rédigé  l'acte  d'accusation  con- 
tre le  révérend  Read  aîné,  supérieur  de  la  station  de  Catrevier. 
«  On  sait  que  le  révérend  Read,  peu  avant  l'explosion  de  la  ré- 
volte des  Hottentots,  prononça  un  discours  politique  de  nature  à 
exciter  la  population.  Il  fît  comprendre  à  ses  auditeurs  que  leur 
devoir  d'homme,  de  père  et  de  chrétien  était  de  résister  à  toute 
atteinte  portée  à  leurs  droits  de  la  part  d'un  gouvernement  ty- 


iH-l  MKKII.nK   ors   missions   I'KOTLMA.MTES. 

iaiini(iu«'  il  s'agissait  d'uiio  loi  sui-  le  va^'jhoiidagr  que  le  nou- 
vt  rniiiu'iil  n'rlaii  pas  «joi^m-  <lf  poilrr  à  ceUe  «'fKXjiie).  C'esl 
fçr:U-e  ù  ce  discours  incendiaire  (pio  les  Hotieniois  se  sont  ima- 
j,'in«*s  (|uc  la  rt'\<»|i«'  éiail  It'i^'ilim*'.  •  C-eri  sfiail  passe  à  Calre- 
vier.  Le  21  octobre  1850,  un  meeting  se  réunit  dans  l'église  de 
la  môme  ville,  sous  lu  présidence  du  révérond  Jos.  Read,  cadet. 
On  V  déclara  (|ue  le  temps  était  venu  où  les  hommes  de  couleur 
devaient  se  soustraire  à  la  domination  des  blancs.  (/'.  Front. 
Tnn.  20  mai  lUrA.) 

»  L'évéque  Gray  dit,  dans  son  Tour  irough  the  Colony  to  Port 
IVatnl ,  qu'il  était  à  sa  coniiaissanie  (|ue  l'upiriiou  publique  accu- 
sait les  missionnairi'S  d'av<u'r  poussé  les  Hoiieiiiots  à  la  révolte. 
Il  avoue  que ,  sans  croire  à  leur'participation  directe  à  cette  le- 
vée de  boucliers,  il  est  néanmoins  persuadé  que  bnir  système 
d'éducation  ne  pouvait  obtenir  d'autre  résultat.  >  Voici  un  ex- 
trait de  l'ouviage  South  Jfrica,  du  lieutenant-colonel  Napier  : 
•  Quant  à  nos  tentatives  de  converiii-  les  païens,  je  suis  intime- 
ment |)ersuad(!  <prelles  ont  complèleinen!  écboué  ;  les  CalTrcs 
oui,  on  le  sait,  lait  serNii-  les  Bibles  de  la  mission  à  bourrer  leurs 
fusils.  Plus  que  jamais  les  Hotteniols  se  livrent  ù  la  boisson  et 
à  la  débauche;  et,  disons-le  hautement  à  la  honte  des  coupables, 
une  certaine  partie  «les  gens  respectables  sont  loin  de  leur  don- 
ner l'exemple  de  la  moralité.  » 


I 


lutéuatlri:  piiotestaivte. 

JULIEN  OU  LA  l'IN  D'UN  SIÈCLE,  PAR  M.  BUNGENER. 

(Suite.  —  V.  le  N°  précédent.) 


Il  est  une  assertion  que  M.  Bungenor  et  ses  émules  n'ont  jamais 
risquée  :  ils  n'ont  jamais  osé  supposer  l'apostasie  d'un  catholi- 
que à  la  foi  profonde,  à  l'esprit  éclairé,  au  cœur  humble,  à 
l'âme  aimante.  Un  fait  pareil  les  eût  trop  merveilleusement  ser- 
vis pour  ne  l'avoir  pas  reproduit  dans  mille  récits.  Mais  nous  les 
mettons  au  défi  d'enregistrer  dans  leurs  listes  de  conquêtes  des 
noms  plus  estimables  que  ceux  des  Achilli,  Gavazzi ,  Madiai,  ou 
de  ceux  qu'un  intérêt  humain,  un  immense  orgueil  ont  effacés 
du  livre  d'or  catholique.  Aussi  n'ont-ils  pas  d'autres  ressources 
que  de  créer  un  incrédule  vertueux,  que  la  superstition  dont  il 
porte  les  insignes,  révolte  et  mène  au  protestantisme,  ou  bien  de 
présenter  à  leurs  lecteurs  un  scélérat  revêtu  d'une  soutane,  et 
de  crier  à  la  foule  :  «  Voilà  le  prêtre!  »  (1) 

Nous  n'en  sommes  pas  réduits  à  ces  ignobles  inventions  quand 
nous  voulons  démontrer  la  supériorité  du  catholicisme  sur  le 
protestantisme.  C'est  le  danger  du  système  que  nous  nous  al ta- 


(I)  Voir  les  mcmoircs  de  Selw\  ng,  de  Walpnle,  de  Swift  cl  les  romans  de 
Fielding;  auteurs  protestants. 


28(»  1 1 1 1 i;r.Ai i  m.  ri-.oïKM  \m t. 

ctntns  ;i  faire  rcssoriir;  nous  ne  supposons  pas  dt^s  (rimes  ei  lie^ 
vices  à  scs|>ai-tisaMs  :  dans  Géraldine  ou  V histoire  d  une  conscience , 
l'auteur,  par  exemple,  n'a  pas  elioisi  pour  la  personnilication  de 
son  pasteur  un  de  vc^s  hunliny  parsons  ('ministies  chasseurs)  du 
siècle  dernier,  ou  un  de  ces  doyj-ns,  hons  vi\anis,  de  la  cour  de 
Georges  III  el  Georges  IV,  crihiés  de  dettes,  ne  résidant  jamais 
dans  leur  presltyière,  loléranl  oiiverlenjeni  les  vices  el  l'impit-té, 
connivant  même  à  plus  d'un  scandale,  en  \uc  de  (]ueh|ue  bon 
bénéfice;  non,  miss  AgnoAv  a  peint  un  homme  sincèrement  et 
pratiquement  altacbé  à  sa  religion;  mais  une  (>pidémie  le  place 
entre  les  deux  (le\oirs  qu'il  a  imprudemment  «untulès.  Le(]uel 
\iolfra-l-il .'  Sera-l-il  mauvais  père  ou  mauvais  pasteur? 

Exposer  les  principes  et  l'organisation  de  la  religion  proles- 
tante, les  mettre  sans  cesse  aux  prises  avec  ime  logique  rigou- 
reuse, les  siiivr»'  dans  leurs  inévitables  conséquences  juscpraux 
plus  déplorables  erreurs;  à  ces  erreurs  «pie  les  mille  voix  dis- 
cordantes des  sectes  proclament  en  Angleterre  et  en  Amérique, 
opposer  ces  résultats  à  ceux  (pii  ili'-coulenl  de  la  do(  trine  el  des 
pratiques  catholiques  ilans  l'espril  el  les  vues  de  l'Église,  voilà 
nos  armes  défensives.  Nous  n  atiaipions  pas,  el  nous  n'avons  pas 
besoin  de  défigurer  le  protestantisme  ,  comme  nos  advjTsaires 
deligurenl  notre  sainte  religion;  «i  on  ne  sait  |tas  assez  combien 
elle  est  méconnue  parmi  les  meilleurs  esprits  protestants.  Un 
éminent  orateur  français  donna  il  y  a  quelques  années  une  suite 
de  (dnféren<es  dans  la  chapelle  caiholi(pie  d'une  ville  de  la 
Suisse  romande  ;  cette  parole  aussi  orthodoxe  (pi'ébxpiente,  at- 
tira une  foule  de  protestants,  et  ils  disaient  en  sortant  de  l'é- 
glis<*  :  «Si  la  religion  <\'ith(>li(|ue  était  telle  «]ue  M.  de  B...  l'ex- 
pose, nous  rembrasserions  dès  demain  ;  niais  ce  n'est  pas  là  le 
caibolicisme  de  tout  le  monde.  »  Conmie  si,  parce  qa'H  y  a  plu- 
sieurs proteslantisnu'S,  parce  que  tout  le  monde  peut  se  faire  le 
sien,  il  y  avait  plus  d'un  catholicisme!  Mais  ce  nom  même  impli- 
que l'impossiliiliie  d»^  vanités  de  <  royance  :  pour  qu'elle  soil 
ttniverftetle,  il  faut  qu'elle  soit  uni(pie.  l^a  grande  diflirulté  seni 
toujours  de  persuader  à  nos  pauvres  frères  égarés,  à  eeux  qui  ne 
voient  aucun  danger,  aucun  mal  à  suivie  •  hacun  leur  peiii  seii- 
licr,  ou  à  s'en  frayer  un  nouveau  .  ipie  nous  n'avons  tous  qu'une 


I.ITTÉHATUKR  l'UOTESTAiNTE.  287 

seule  <'i  même  route ,  une  voie  unique  où  se  pressent  les  plus 
faibles  esprits  comme  les  plus  grands  génies;  ils  eomprennent 
(linicilemenl  qu'une  diversité  de  facultés  ne  provo(|ue  pas  une 
diversité  de  sentiments,  (pie  le  Memorare ,  ii'pélé  par  la  plus 
ignorante  de  ces  créatures,  si  superstitieuses  à  leurs  yeux,  est 
ime  effusion  de  cette  grande  âme  de  saint  Bernard  ,  arbitre  et 
conseil  des  rois.  C'est  que  les  prolestants  ont  des  opinions  reli- 
gieuses, nous  avons  une  croyance. 

Ceux-là  même  qui  ne  refusent  pas  d'admettre  l'explication  et 
la  définition  de  notre  doctrine,  quand  nous  cherchons  à  dissiper 
leurs  préjugés,  acceptent  implicitement  tout  ce  que  leurs  mi- 
nistres leur  en  racontent,  et  s'ils  ne  croient  pas  aux  écrits  des 
Saints  Pères,  la  presse  genevoise  leur  inspire  une  confiance  abso- 
lue. Aussi  l'ouvrage  qui  nous  occupe  a-l-iTeu  des  succès  dignes 
des  précédents  écrits  de  M.  Bungener,  auteur  d'une  Histoire  du 
Concile  de  Trente  faite  en  collaboration  avec  Fra  Paolo  Sarpi,  et 
de  Sermons  sous  Louis  XIF  et  Louis  XF,  qui,  nous  le  croyons, 
divertiraient  fortMassillon,  Bossuet,  Bourdaloue,  Fléchier,  rabl)é 
Poule  et  Mascaron. 

M.  Bungener  a  profité  des  loisirs  que  lui  laisse,  nous  ne  dirons 
pas  comme  lui,  le  métier  de  prêtre ^  mais  la  profession  de  pasteur, 
pom*  compulser  et  compiler  les  mémoires,  les  annales,  les  corres- 
pondances de  l'époque.  Il  a  fait  preuve  de  zèle  plus  que  de  bon 
goût  dans  l'abondance  de  ses  anecdotes ,  et  il  suppose  que  ses 
lecteurs  ne  connaissent  absolument  rien  des  gens  et  des  choses 
de  ce  temps-là.  Il  ne  leur  fait  pas  même  grâce  des  épinards  de 
M.  de  Bièvre,  et  il  relie  tout  ce  fatras  suranné  de  façon  à  trahir 
une  ignorance  complète  du  ton,  du  langage,  des  usages  de  la  so- 
ciété française.  Raffinée  jusque  dans  ses  vices,  elle  était  grossière, 
par  caprice  seulement  :  c'était  l'exception  et  non  l'habitude; 
encore  rougissait-on  de  ce  qui  est  maintenant  entré  dans  les 
mœurs.  M.  Bungener  a  beau  éclater  en  anathèmes  contre  une 
coterie  que  nous  n'excuserons  certes  pas,  il  ne  nous  persuadera 
jamais  que  tout  était  corrompu  dans  cette  noblesse  ,  dans  ce 
clergé  qui ,  chez  nos  ennemis,  ont  fait  estimer  les  noms  de  prê- 
tre et  de  gentilhomme  français;  il  ne  nous  fera  jamais  croire 
qu'il  n'y  avait  ni  foi,  ni  conscience,  ni  honneur,  dans  une  gé- 


nérniion  (|ui,  en  los  reniant,  pouvait  sauver  sa  vie,  cl  qui  courut  à 
réchafaud  en  mnereiant  Dieu  de  la  san^'lante  expiation  «pi'il  lui 
envoyait  eoinnie  un  si{<iie  de  elénieni  e.  On  ne  fait  pas  plus  de 
l'histoire  en  racontant  des  historiettes,  qu'on  ne  fait  de  la  f>cin- 
ture  en  amassant  sur  une  toile  les  coideurs  d»'  la  palette,  sans  or- 
dre et  sans  dessin.  Il  ne  connaissait  rien  du  langage  et  des  ma- 
nières de  la  haute  société ,  celui  <pii  prête  à  Madame  île  Luxem- 
bourg et  à  sa  fdle  de  flamboyants,  de  bruyants  éclats  de  rire;  qui 
fait  dire  à  M.  «le  Briss;ic  :  «  /:n  voilà  encore  une,  de  folie,  que 
ces  courses!  >  Olui  «pii  invrnie  une  de^MJÙlaiilc  f;ible  sur  la  mort 
de  Madame  de  Deiïant ,  esprit  Fort,  il  est  vrai,  mais  non  impie 
de  mauvais  goût  ;  celui  «pii  met  à  tout  moment  dans  la  bouche 
de  ses  personnages  ces  expressions ,  favorites  peut-être  à  Ge- 
nève :  Dire  des  farces,  faire  des  farces,  farceur.  En  général,  ce 
livre  est  écrit  dans  ce  langage  que  M.  de  Maistre  appelle  du 
français  de  réfugié.  Quand  il  sort  de  la  vulgarit»',  c'est  pour  s'en- 
fltr  d'une  emphase  inÙK'c  des  romanciers  modtiiies,  et,  pour 
écrire  des  phrases  pareilles  à  celles-»  i  :  •  ine  sorte  de  grince- 
ment qui  se  promenait  dans  le  sihncc.  »  Il  n'est  pas  ju.Mpi'au  Jé- 
suite (^mbel  qui  ne  se  permette  le  Malédiction  !  !  !  d  Aniony  ou 
d'Hernani.  La  liste  des  incorrections  et  des  inexactitudes  serait 
longue  ;  qu'on  nous  permette  seulement  de  citer  une  rejouis- 
sante proposition.  Kn  [)arlaiit  des  ouxiages  de  S<'arron.  M.  Bun- 
gener  dit  :  <«  Le  souvenir  de  ce  grotesque  fartcur  |>ouvait-il 
être  décemment  «'•voqué  «levant  le  roi  Louis  XVI,  dont  ce 
même  farceur  se  trownii  presque  être  un  drs  ancêtres   p.   lf)0, 

V.  1). 

L'ensemble  de  ce  roman ,  s  il  a  un  ensemble,  manque  abso- 
lument de  portée.  Kn  s'étendant  sur  l'incapacité  où  est  un  prêtre 
incrédule  de  ramener  une  âme  à  la  foi,  à  la  croyance,  à  la  mo- 
ralité ,  il  prouve  justement  (pie  ce  prèire  sacrilège  ne  comprend 
rien  à  sa  mission  ,  «piil  i\v  connaît  point  la  religion  par  lui  pro- 
fanée. Kn  aceiimulanl  Ions  les  vices,  tous  les  crimes  sur  ses 
|>ersonnages  «alholiques,  en  les  monlr.in!  hypo<  rites,  ou  en  les 
faisant  renégats,  en  racontant  les  vertus,  le  courage,  le  roya- 
lisme même  de  ses  a«  leurs  protestants,  il  n'arrive  pas  à  prouxer 


MTTKKATl'RE  PROTESTANTE.  28l) 

aiiiio  chose,  sinon  que  les  tiacJilions  de  piété  ,  de  devoir,  de  dé- 
vouement, implantées  par  le  catholicisme  parmi  les  familles 
patriarcales  de  la  province,  s'y  (''talent  (;onservées  en  dépit  des 
principes  dissolvants  de  la  Réforme,  tandis  que  certaines  natu- 
les  vicieuses  portent  leur  dépravation  sous  la  soutane,  comme 
sous  la  robe  du  magistral  ou  Tuniforme  du  soldat.  Les  catholi- 
ques de  France,  de  Navarre,  de  Bretagne  et  d'Allemagne,  at- 
tendent encore  leur  Waller-Scoti,  et,  certes,  dans  les  livres 
du  romaïu'ier  écossais ,  on  pourrait  déjà  trouver  plus  d'un  fait 
historique  en  leur  faveur,  à  opposer  aux  faits  inventés  par 
JVI.  Bungener,  si  l'on  voulait  s'en  servir  comme  d'arguments.  — 
Quand  l'auteur  entre  dans  l'ordre  des  raisonnements,  il  n'en 
produit  aucun  qui  ait  quelque  valeur;  plusieurs  même  sont  des 
aveux  à  la  chaige  du  proteslaniisme.  Qu'on  nous  permette  d'en 
donner  un  exemple  ;  ce  sera  notre  dernière  citation  :  «  Les  in- 
»  crédules,  sortis  de  l'Église  romaine,  haïssent  le  christianisme, 
»  et,  les  nôtres,  tout  en  ratlaquanl,  le  respectent,  l'aiment, 
»  tiennent  à  pouvoir  se  dire  qu'ils  n'ont  pas  rompu  avec  lui.  » 
Nous  pourrions  demander  à  M.  Bungener  comment  on  peut 
attaquer  ce  qu'on  aime  et  ce  qu'on  respecte;  nous  préférons  le 
remercier  d'une  ri'flexion  qui  est  toute  à  la  gloire  du  catholi- 
«isme.  Si  l'incrédule,  sorti  d'une  communion  réformée,  n'a 
contre  la  religion  ni  haine,  ni  terreur,  c'est  d'abord  que  cette 
religion  n'a  jamais  été  un  frein  ,  ni  un  joug;  c'est  qu'il  ne  s'est 
])as  insurgé  contre  elle  :  il  n'a  fait  que  suivre  une  pente  irrésis- 
lible  et  descendre  seulement  de  quelques  degrés  l'échelle  de 
négations  posée  par  les  premiers  réformés;  il  tient  à  Socin  , 
comme  celui-ci  à  Calvin,  comme  Calvin  à  Luther.  Qui  peut  dire 
où  le  protestantisme  finit,  où  l'incrédulité  commence?  Mais 
celui  qui  fut  catholique  ne  peut  pas  l'être  plus  ou  moins  ;  il  faut 
l'être  absolument ,  ou  n'être  plus  rien;  alors  il  doit  briser  vio- 
lemment avec  tout  un  monde ,  abjurer  à  la  fois  un  magnifique 
ensemble  de  croyances  :  il  ne  quitte  pas,  comme  le  protestant 
incrédule,  une  masure  plus  d'à-moitié  ruinée,  il  s'exile,  en  le 
maudissant,  d'un  antique  édifice  que  les  siècles,  en  passant, 
n'ont  jamais  altéré;  il  déleste  et  blasphème  la  religion  qu'il  nie  ; 


29it  i.nrihVKiu:    rHoTE^STAMiE. 

mais  sa  hnine  iiu^mo  lui  «  ri<-  (|Uo  ce  qu'il  hait,  existe.  Il  n(>  voui 
plus  rroire  ,  mais  il  craint,  et  c'est  encore  »m»  resle  de  f(»i  ;  les 
Hémons  aussi  tremblent  devant  Dieu  qu'its  aldiorrent.  L'Éj^lise 
est  li«'re  de  celle  haine,  de  cet  acliarn«'ment  des  impies;  elle  ne 
voudrait  pas  de  cet  amour  et  de  ce  renpect  doni  M.  |{iinx;ener 
leur  sait  l»nn  \iri'.  Il  y  a  di\-liui(  siècles,  tonl  un  (tciiplc  incr*'- 
dule  [>renait  Marrahas  sous  sa  protection  et  criait  :  «  Murt  à  Je- 
ms  de  IVazareth  !  » 

M.  I*B  RoMOKT. 


DE  LA  CONTROVERSE  RELIGIEUSE 


\  GENEVE. 


NOS  CRAINTES  ET  NOS    ESPERANCES. 

Nous  ne  sommes  pas  de  ceux  qui  rattachent  au  ciel  les  fers 
qui  flétriraient  et  meurtriraient  la  race  humaine.  Fils  catholi- 
ques de  la  Rome  protestante ,  nous  désirons  ,  au  contraire  ,  pour 
notre  patrie ,  la  plus  grande  somme  de  liberté  compatible  avec 
le  calme  et  l'ordre;  pour  nos  croyances  religieuses,  le  droit  de 
se  produire  aussi  librement  que  les  autres  cultes  si  nombreux 
et  si  divers  à  Genève,  mais  réunis  tous  par  leur  commune  haine 
contre  le  catholicisme. 

C'est  une  chose  digne  de  remarque  que  toutes  les  fois  que 
le  clergé  ou  la  religion  catholiques  sont  haïs,  ils  le  sont  plus, 
hommes  et  doctrines,  que  ne  le  serait  une  institution  humaine. 
Aussi  voyons-nous  sans  surprise  des  hommes  dont  nous  admirons 
d'ailleurs  le  caractère,  se  laisser  aller  chaque  jour  à  des  diatri- 
bes injurieuses  contre  nous  ,  au  lieu  d'en  rester  à  une  discussion 
calme  et  modérée.  Nous  le  demandons  une  fois  encore  à  nos  ad- 
versaires des  cultes  dissidents,  leur  est-il  donc  impossible  de 
s'abstenir  de  l'outrage  et  d'abandonner  ce  terrain  des  personna- 
lités et  de  l'imposture  sur  lequel  on  regrette  de  les  voir  revenir 
si  souvent? 

Pour  nous,  déjà  nous  l'avons  dit  dans  les  Annales  catholiques^ 
c'est  avec  bonne  foi  qoe  nous  poserons  sans  cesse  les  questions 
religieuses,  qu'elles  appartiennent  à  la  théologie  ou  à  l'histoire  ; 

19 


202  riL   IK   i:il>TRU>  hRSI:   IttLK.I  Kl  St 

mais  c'est  uy(>(  lionne  foi  aussi  que  nous  désirerions  voir  les  écri- 
vains protestants  en  peser  le  mérite  et  en  apprécier  la  valeur. 
En  choisissant  au-dessus  des  passions  vul^'aircs  notre  vraie  place, 
nous  ne  taisons  d'ailleurs  (jue  icniplir  un  de\oir.  Quand  on  dé- 
fend une  doctrine  aussi  sublime  que  la  doctrine  catholique,  on 
ne  saurait  le  faire  avec  trop  de  mesure  et  de  calme,  l^  dignité 
des  armes  doit  être  en  harmonie  avec  celle  du  sujet. 

Au  reste,  excepté  les  intelligences  éteintes  ou  prévenues  ,  qui 
ne  comprend  aujourd'hui  que  celte  arme  de  la  calomnie  dont  on 
a  tant  abusé  contre  nous  ne  saurait  prévaloir  longtemps  encore, 
ï.  luimanité  a  ses  journées  de  haltes  et  de  réllexions  pendant  les- 
quelles, s'ioterrogeant  dans  le  silence  des  passions,  elle  huit  par 
rejeter  avec  m»'pris  les  préjugés  ou  les  préventions  auxquels  on 
l'avait  vue  obéir  le  plus  aveuglément.  Cette  raideur  de  termes  et 
de  colères  ne  prouve-t-elle  pas  en  outre  que  ce  n'est  pas  comme 
corps  de  doctrine,  mais  comme  héritage  de  famille  ou  d'inléréis, 
que  les  hommes  qui  trop  souvent  nous  sont  opposés  mettent  en 
cause  la  religion  réforuj«*e.'  Ils  seraient  de  bonne  foi,  s'ils  appar- 
tenaient à  la  vérité  catholique  ;  mais  l'impuissance  de  Terreur 
les  oblige  à  (  hercher  dans  les  excès  des  moyens  de  défense.  C'est 
leur  croyance  (pi  il  faut  accuser  de  leur  fureur  plutôt  que  leur 
caractère. 

Le  caiholi»  isme,  lui,  esl  plus  modère  part  e  qu'il  est  vrai.  Un 
grand  evèque  écrivait  dans  le  voisinage  même  de  Genève  ces  re- 
nianjuables  parob's  :  •  Si  Ton  compare  le  catholicisme  ù  lui- 
même  et  dans  différents  siècles,  et  dans  différents  lieux  ,  on  est 
étonné  de  la  variété  des  formes  sous  lesquelles  s'est  présentée 
aux  yeux  une  foi  (|ui  na  pas  un  insiant  cesse  d'être  la  même.» 
Celte  unité  perpéiuellc  est  remarquable  dans  la  foi  catholique; 
et  cependant,  devenu»-  pclitr  pour  Us  petit»,  l'hglise  s'est  assou- 
plie en  quelque  sorte  elle-même,  mais  sans  dcNier  ni  fléchir,  pour 
élever  jusqu'à  clic,  dans  la  longue  succession  des  siècles,  le&gé- 
neratious  <jui  lui  venaient  avec  leur  fardeau  de  misères  et  d'in- 
fortunes. Nous  ne  répéterons  pas  ici  ce  «pie  nous  avons  déjà  plu- 
sieurs fois  répété  dans  les  JnnaUs  catholiques  au  sujet  des  va- 
riaiiom  du  prolestaniisme  dont  Bossuel  a  fait  le  plus  éloquent 
tabU-au.  I.rs  cnhinisifs  d  les  lutluTiens  savent  .nsse/  bien  cuv- 


A  r.ENKVE. 


293 


mêmes  leur  point  de  départ  pour  convenir  d'un  fait  que  nul  ne 
nie  plus  aujourd'hui  au  sein  de  la  Réforme  elle-même.  Nous 
insistons  sur  cette  dernière  pensée  dont  la  démonstration  se  re- 
trouve en  chaque  page  des  Annales  catholiques  où  les  citaiions 
abondent.  L<'  protestantisme  moderne  n'est  plus  celui  de  Luther 
et  do  Calvin.  Le  grand  corps  de  doctrine  s'est  divisé  en  parcelles 
moléculaires  dont  chacun  des  croyants  ou  non  croyants  saisit 
quelques  aiômes,  usant  et  abusant,  en  vertu  du  droit  de  libre 
examen,  de  la  faculté  laissée  aux  sectateurs  de  la  Réforme  de  se 
constituer  au  gré  de  leur  caprice  une  religion  plus  ou  moins  for- 
melle et  marquée  au  sceau  d'un  rationalisme  tout  individuel. 

Mais  nous  l'avons  dit,  pourquoi  hérisser  de  toutes  les  épines 
de  la  haine  des  controverses  oîi  tout  serait  digne  et  beau  ,  si  on 
ne  transformait  en  parti  politique  ce  qui ,  d'après  le  principe 
lui-même  du  protestantisme,  devrait  être  logique  et  raison  dans 
toutes  les  circonstances?  A  quoi  attribuer  cette  déviation  radi- 
cale? 

Toutes  les  fois  que  nous  avons  discuté  sérieusement  une  ques- 
tion religieuse  dans  les  Jnnales,  ne  nous  a-t-on  pas  répondu  par 
des  calomnies  contre  le  clergé  et  contre  nos  croyances;  par  des 
protestations  contre  l'invasion  que  le  catholicisme  a  faite  à  Ge- 
nève, en  vertu  des  traités;  par  cette  étrange  distinction  que  nous 
retrouvons  dans  toutes  les  colonnes  de  nos  journaux  hebdoma- 
daires? 

Les  vieux  bourgeois  de  Genève  nous  posent  sans  cesse  leur  an- 
tique bourgeoisie  comme  un  reproche.  Ce  n'est  point  raisonner, 
car  au  moment  où  Calvin  établit  dans  notre  ville  son  système 
d'intimidation,  poursuivant  à  outrance  ce  qu'on  appelait  alors  les 
libertins  et  établissant  dans  une  cité  déclarée  libre  l'inquisition 
théocraiique  du  Consistoire,  il  y  avait  déjà  une  vieille  bourgeoisie 
genevoise,  nous  aimons  à  le  croire.  Et  que  serait  d'ailleurs,  après 
tout,  cette  question  d'ancienneté  si  on  remonte  à  celle  de  la 
Suisse  catholique? 

Les  héros  du  Grùtli  étaient-ils  de  notre  religion  sainte,  eux  les 
grands  émancipaleurs  ,  eux  les  hommes  qui  ont  créé  non  pas  la 
bourgeoisie  d'une  ville,  mais  l'indépendance  et  les  libertés  na- 
tionales? 


2"Ji  l>r    I  \  (  OMTKOYKRSK    REMi.lhlSr. 

Éinioni-iU  i-aili<ili(|u«s  ou  protestants,  les  niontugnards  géants 
(|iii  porteront  de  si  rudes  coups,  et  dans  quatre  batailles  succes- 
sives, :iu\  «'nvidiisscurs  ('traiiyors.  piosciuc  à  la  voillr  des  temps 
où  la  Hj-l'orni»'  sf  piiKliiisaiil ,  allait  livitT  Gcik-nc  aux  doctrines 
de  l'étranger,  à  l'émigralion  religieuse  étranger*'.' 

L'histoire  politicpie,  comme  l'Iiisloirc  religieuse,  s'accordeni 
à  prouver  que  la  noiile  et  courageuse  bourgeoisie  suisse  n'élaii 
pas  protestante  dans  les  grands  siècles  oii  s'opéraient  des  prodi- 
ges d'héroïsme  et  où  de  misérahles  révolutions,  causées  par  les 
ambitions  de  r«'goïsme  personnel,  n'avaient  |»ns  encore  les  moyens 
(le  se  renouxeler  à  cliaque  iiistaiil. 

Les  troubles  poliiiipies,  favorables  quchiucfois  et  plus  souvent 
encore  tiésavaniageux  à  la  liberlf-  et  à  la  prospérité  de  notre  pa- 
irie helvélicpie ,  ni"  seraient-ils  pas  au  fond  la  conseipience  de 
l'incertitude  des  doctrines  etdccettefCMm«  de  l'orgueil  d«»ot  parle 
saint  Jude  dans  son  admirable  éplire,  fluctus  feri  maris  spuman- 
tes  superbinmP  (.'tst  un  fait  qu'il  serait  facile  d'«'tablir  peul-êire; 
«ar  par  une  loi  souveraine  et  sans  exception,  fondée  sur  la  naiiire 
(les  êires,  dans  le  mondi!  inieliccuiel  ei  social  comme  dans  le 
monde  plivsjqiie,  clia«pic  chose  procède  dune  autre  qui  lie  les 
pensées  aux  pensées,  les  actes  aux  actes,  de  telle  sorte  (|ue  ce 
qui  précède  soit  la  raison  logi(pie  el  le  germe  effectif  de  ce  qui 
suit.  L:i  société,  comme  Tindividu  pris  isolément,  peut  recon- 
naître une  erreur.  Klle  peut  en  revenir.  Mais  lexperience  du 
passé  lui  sert  de  leçon.  Elle  élargit  son  horizon  moral,  sans  re- 
passer jamais  à  travers  ses  états  antérieurs,  phases  successives 
de  sa  croissance. 

Au  moment  oii  éclata  à  Genève  le  schisme  de  Calvin,  agrandi 
plus  lard  de  tous  les  schi.smes  qu'on  ienouve|;i  ei  de  tous  ceux 
qui  suivirent,  la  question  politique,  (|ni  dominait  clie/.  nous  la 
situation,  n'avait  pour  raison  d'être  ipie  des  ambitions  person- 
nelles au  dehors,  et  au  dedans  d'autres  prétentions  non  moins 
personnellement  ambitieuses.  Dans  tout  le  reste  de  l'Kuropc.  il 
y  avait  parité  <lr  position.  Mais  «liez  nous,  la  politique  prédo- 
mina, parce  cpi»;  beaucoup  d'intérêts  froissés  réclamaient.  L'an- 
cienne hourgeoisir  genevoise  sacritia  Dieu  ei  je  ndte  antique  à  des 
inierèts  nialcriels  ei  eonsi-rpiemmeni  secondaires.  L'anaivse  des 


A    r.R.>ÈVI:.  "29 5 

hislurit'iis  de  celle  fjiuijdc  se  rt-soul  luiile  (Jaiis  eelle  alliiinalioii 
simple  et  malheureuse. 

On  le  voil,  eu  rappelant  ici  ee  (|ue  savent  admirabN  ineni  les 
hommes  d'inlelligence  qui,  dans  le  protosianlisme  même,  oni 
essayé  de  raisonner  leur  «onviclion,  nous  n'avons  pas  de  ees  ter- 
mes injurieux  plus  familiers  ({ue  jamais  aux  controversistes  de 
la  Réforme.  Paicourani,  riiistoire  à  la  main,  une  phase  de  le- 
gi'ellal»le  a|)oslasie,  nous  en  indi<pions  la  eausc  en  attendant  qu'il 
nous  soit  permis  d'entier,  dans  un  prochain  article,  en  des  dé- 
tails circonstanciée  et  fondés  sur  les  textes  les  plus  authentiques. 
Pourquoi  nos  adversaires  ue  procèdent-ils  pas  avec  la  même  re- 
tenue? Si  le  fait  aflirmé  par  nous  est  dénué  de  vérité,  eh  bien  , 
il  leur  est  permis  de  le  nier  en  donnant  à  leur  négation  l'appui 
de  preuves  irrécusables.  S'il  ne  l'est  pas,  ne  serait-il  pas  plus 
digne  de  leur  part  de  laisser  de  côté  la  polémique  outrageante 
dont  ils  usent  trop  fréquemment,  pour  condenser  en  un  tableau 
véridique  les  faits  que  nous  serions  supposés  alors  avoir  altérés? 
Aune  démonstration  sincère,  nous  opposerions  une  démonstra- 
tion qui  ne  le  serait  pas  moins.  La  vérité  aurait-elle  à  souffrir  de 
cette  lutte  loyale?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Nous  le  déclarons 
même  avec  la  conviction  la  plus  profonde, 'nous  qui  ne  recher- 
chons que  le  triomphe  de  cette  même  vérité,  protestants  et  ca- 
tholiques profiteraient  alors  également  d'irae  discussion  courtoise 
et  généreuse. 

Mais  pourquoi  est-ce  toujours  à  nous  à  revenir,  dans  les  Jn- 
nales  catholiques^  sur  un  argument  dont  nous  avons  déjà  tant  de 
fois  entretenu  nos  lecteurs? 

Pourquoi  tant  de  brochures  protestantes  vont-elles  au  sein  des 
familles  catholiques  provoquer  l'apostasie? 

Pourquoi  tous  les  jours ,  dans  les  journaux  de  Genève  et  du 
reste  de  la  Suisse ,  tous  ces  faits  le  plus  souvent  controuvés  sur 
les  prétendues  conquêtes  du  protestantisme. 

Pourquoi  ces  brochures  captieuses  répandues  à  grands  frais 
au  sein  des  pauvres  familles  de  notre  pays  que  l'erreur  n'a  point 
encore  déprimées  ? 

Pourquoi  la  traite  des  consciences? 


'jyfi  l'I     L\    i:(i>TKO\  hHSL  RELIGIEUSE 

Pour<|Uoi  tant  d'exiiressions  injurieuses  duns  des  libelles  qu'un 
miiliiplic? 

Puiir«]uoi  enfin  le  protestantisme  n'ngit-U  point  tout  simple- 
ment et  au  grand  jour  comme  le  railiolicisinc,  prouvant  par  ses 
honncs  u'Iimos,  ses  vrrlus  et  les  iniraclfs  de  «liariU'  (ju'il  mul- 
tiplie, la  mission  (jii'il  a  rerue  du  divin  Hcdeinpleur .' 

Pourquoi  ces  divisions  de  doctrines  parmi  nos  adversaires? 
Pc^urquoila  désunion  manifeste  |>armi  tous  ces  grands  docteurs, 
souvent  incertains  sur  les  |)(>inls  les  plus  rondamciitaux  de  leur 
crovance,  vient-elle  se  résumer  exenïplairoment  dans  une  haine 
commune  qui,  excluant  les  sectes  contraires  si  nombreuses  parmi 
nous,  n'a  qu'un  but  et  (ju'un  point  ilc  mire  constant,  le  (atholi- 
tisme? 

Pourquoi  cela.' 

Nous  allions  le  demander  encore.  Mais  à  quoi  bon?  Celte  haine 
at'harnée  de  tous  n'est-elle  pas  l'aveu  tatite  de  la  supériorité  île 
noir»!  foi? 

Nous  le  disions  en  commençant  cet  article,  une  institution  |)U- 
remcnl  humaine  ne  soulèverait  pas  tant  d'analhènies  chez.  d«*s 
hommes  qui  ont  apparlciui  à  <  nie  insiiuiiion  par  leurs  ancêlres. 
Et  pourquoi  encore,  caiholiipirs  de  fîenève;  oui,  pourquoi 
celte  longue  excommunicaiion  de  dioiispuliiiques  à  la(]uelle  vous 
ave/,  été  presque  continuellement  assujrni.s.'  (Compte/,  vous  et 
comptez  les  magistrats  de  votre  croyante  appelés  à  vous  repré- 
senter dans  toutes  les  élections  antérieures  à  «pielques  années. 

Mais  repoussez  toute  idée  de  mépris  et  de  haine,  vous  enfants 
(Tun  Dieu  qui  a  repondu  par  le  j>ardon  au  mépris  et  à  Toiilrage 
pendant  sa  vie  et  à  l'heure  sublime  du  sacrifice  qui  nous  a  ra- 
chetés. 

Par  une  contradiction  digne  de  remarque  el  lesu-e  cependant 
presque  inaperçue  jus(|u 'à  ce  jour,  les  mêmes  hommes  qui  pro- 
clament la  souveraineté  de  la  raison  de  l'homme  en  matière  re- 
ligieuse et  dogmatique  ,  la  liberté  absolue  d'examen ,  l'inlerpre- 
taiion  faiullative  des  textes  sacrés  de  la  Bible  par  l'autorito 
individuelle  de  tous  les  sectaires,  refusent  aux  catholiques  seuls 
le  droit  d'interpréter,  de  jugt-r  par  leur  rai>on  librement  sou- 
mise à  l'iofaillibilite  de  l'i-^lise,  ces  mêmes  textes  sacrés?  Ils  or- 


À  (;t.\ÈVK.  297 

^unisenl ,  ou  plutôt  ils  réorganisent  contre  eux  la  monstrueuse 
Union  dont  nous  avons  parlé  déjà  pièces  en  main  !  Le  principe 
de  l'autorité,  base  inébranlable  de  notre  unité  religieuse,  aurait- 
il  sullit ,  lui  seul ,  par  celte  terreur  instinctive  qu'éprouve  le  fai- 
ble toujours  en  garde  contre  le  fort,  à  leur  inspirer  cette  haine 
bouillonnante  dont  tant  d'actes  énumércs  plus  haut  sont  la  tra- 
duction formelle?  N'est-ce  point  la  désunion  des  membres  d'un 
culte  sans  unité  possible  qui  a  produit  cette  conspiration  politi- 
que des  intérêts  protestants  contre  les  intérêts  des  catholiques 
qu'elle  menace,  non  pas  seulement  dans  ce  qui  est  du  domaine 
de  la  foi,  mais  jusque  dans  les  éléments  matériels  de  l'existence? 

S'il  en  est  ainsi  (et  c'est  notre  conviction  profonde),  les  catho- 
liques seraient  coupables  de  ne  point  s'unir  à  leur  tour  pour 
opposer  à  celle  agitation  fébrile  le  faisceau  de  leurs  vertus,  le 
zèle  intelligent  du  bien  et  la  foi  sincère  de  l'action  toujours  paci- 
fique et  charitable.  Ils  balancent  presque  par  leur  nombre  celui 
de  leurs  adversaires  coalisés;  ils  sont  plus  forts  par  l'unité  apos- 
tolique et  n'ont  point  seulement  à  défendre  des  intérêts,  —  ce 
mot  serait  inconvenant  si  on  l'appliquait  aux  droits  imprescrip- 
tibles de  la  conscience,  —  leur  devoir  est  donc  d'agir  non  point 
comme  l'agitation  prolestante ,  par.  l'emploi  de  moyens  mysté- 
rieux et  désavoués  par  la  morale,  mais  au  grand  jour,  mais 
simultanément  par  de  pieux  exemples ,  par  la  charité ,  par  le 
dévouement.  Leur  devoir  encore,  si  peu  nombreuses  que  puis- 
sent être  les  conquêtes  de  l'erreur,  qu'il  faudrait  plutôt  peser 
que  compter,  oui,  leur  devoir  est  encore,  sous  le  rapport  natio- 
nal ,  de  ne  plus  laisser,  comme  autrefois,  à  l'invasion  d'une  co- 
terie la  possibilité  d'altérer,  de  tlélrir  la  foi  au  sein  de  nos  fa- 
milles pauvres,  et  celle  de  notre  jeunesse  par  l'éducation. 

S'il  nous  a  été  douloureux  d'entrer  en  de  pareils  développe- 
ments, dans  ces  pages  inspirées  par  un  esprit  sincère  de  conci- 
liation et  par  le  désir  ardent  de  voir  enfin  des  adversaires,  dont 
beaucoup  ont  acquis  notre  estime,  ne  plus  livrer  leur  polémique 
religieuse  aux  lieux  communs  de  l'injure,  c'est,  hélas  !  parce  que 
chaque  jour  la  fraction  la  moins  intelligente  du  protestantisme 
redouble  d'efforts  pour  entretenir  parmi  les  citoyens  d'une  même 
patrie  le  foyer  de  la  haine  et  des  divisions. 


298  1'»    I  *    <().^TROVERSi;   KEIHiltlSK 

l  n  juur  viriidra,  nous  en  uvuus  l'assuruix  e ,  il  Nieiidra  [><»ur 
Genève,  |>oiir  la  Suisse  cl  pour  \v  monde  enlier  (de  nobles  inlel- 
ligenres  le  préparenl  en  Angleterre  ,  en  Prusse  el  dans  lous  les 
cercles  jîermani(iues)  ;  un  jour  viendra  où  loul  te](jue  rfs()ril  de 
l'oryucilm  révolte  a  crcé  de  |)rolisiations  contre  le  (  atholiiisine, 
se  résoudra  dans  I  unit»'  divine  appeltM!  par  le  divin  Maître 
qui  ne  voulait  (piim  seul  tioiipeau  el  (ju'un  seul  pasteur  (1), 
el  rÉylisc,  rassemblant  tous  ses  enfanis  sous  ses  ailes, 
coiume  la  poule  rassemble  ses  pelils,  n'aliscra  pnnr  eu\  tous 
ces  fruits  de  bien  et  de  prospérité  même  matérielle,  que  des 
luttes  incessantes,  depuis  les  premiers  siècles,  ne  lui  ont  point 
permis  de  [)roduire. 

m  Nulle  pari  encore,  l'action  du  cliristianismc  n'a  été  cnlièrc 
»  el  libre  de  toute  entrave.    Les   trois   |>remiers  siècles  se  sont 

•  écoulés  dans  l'épreuve  du  san;,'.  Les  suivants  ont  été  employés 

•  à  lutter,  lanlAl  contre  la  barbarie,  tantôt  contre  les  efforts  de 
■  l'individualisme  essayant  de  se  substituer  il  l'univei-salité.  Le 
»  moven  à^e  a  été  consume  par  le  jçrand  travail  de  la  s<'paration 
»  el  de  la  délimitation  des  pouvoirs.  Au  moment  où  rt(;lise  était 
»  sur  le  poini  de  verser  ses  bienfaits  sur  les  intelligences  et  sur 
»  la  société,  la  rupture  du  \\V  siècle  est  venue,  comme  un  coup 
»  de  luudre,  arrêter  l'o-nvrc  de  Dii-n. 

■  N'allons  pas  croire  cepemiant  que  ces  dix-biiit  siècles  de 
»  lutte  nuiNirent  à  ravaiicenieni  du  rè^n«'  <le  Dieu!  I,e  Sauveur 
»  des  bomines  «lisait  aux  disciples  d  Lmmaiis  :  Hommes  sans 
»  intelligence  el  d'un  cœur  tardif  i\  croire  tout  ce  qn'onl  ensei- 
»  gné  b's  propbètes,  ne  t'alloit-il  pas  que  le  (brist  souffrit  pour 

•  entrer  ainsi  dans  sa  gloire  (2).'  Il  a  fallu  de  même  »pie  r^> 
.  glise  passât  ()ar  toutes  les  épreuves  pour  atteindre  sa  perfec- 
»  lion.  (>'esl  au  milieu  des  combaUs  sanglants  soutenus  contre  le 
>  paganisme  (jnelle  a  posé  les  diff/'renis  arlicb's  de  cette  consti- 
»  lutioii  dont  la  base  liieranbique  avait  l'ie  jetée  dans  l'Kvangile. 
»  C'est  au  milieu  des  luttes  contre  l'empire  (pielle  a  montré  aux 
»  princes  de  la  terre  (pie,  pour  elle,  rindépemiance  et  la  vérité. 


(I)  Si  Jrun,  \,  tn. 


A   (iK.lKVK.  299 

»  c'étaient  la  vie.  C'est  dans  le  creuset  des  contradictions  ,  des 
»  discussions  et  des  aitafjues  de  tout  genre ,  que  se  sont  fixés  et 
»  épurés  les  éléments  de  sa  loi.  Désormais  de  nouvelles  hérésies 
«sont  impossibles.  Toutes  les  vérités  catholiques,  successive- 
»  ment  attaquées,  sont  sorties  victorieuses  du  combat.  La  marche 
»  de  l'Eglise  ne  sera  plus  interrompue  par  la  nécessité  des  con- 
»  cilcs  :  les  oracles  de  TEsprit-Sainl,  consignés  dans  nos  sym- 
»  boles,  sont  gravés  dans  l'esprit  et  le  cœui-  des  lidèles,  en  même 
»  temps  qu'ils  sont  gardés  dans  l'Arche  dont  le  Vicaire  de  Jésus- 
»  Christ  tient  la  clef.  Que  les  réformés  rentrent  dans  l'unité,  et 
»  le  monde  sera  étonné  des  prodiges  que  l'Eglise  enfantera.  Sans 
»  doute  elle  aura  toujours  à  combattre  le  vice  inséparable  de  l'é- 
»  tat  de  liberté,  et  la  philosophie,  qui  renaîtra  tant  que  vivra  l'or- 
»  gueil  de  l'esprit;  mais  ces  deux  ennemis  sont  peu  à  craindre. 
»  La  vie  n'est  qu'éphémère  ;  il  cède  à  la  grâce  pour  rentrer  dans 
»  la  gloire ,  ou  à  la  mort  pour  tomber  dans  les  ténèbres  exlé- 
»  rieures. 

»  Ne  nous  inquiétons  pas  non  plus  de  la  philosophie.  L'arrêt 
»  qui  jadis  condamna  les  enfants  de  Babel  pèse  encore  sur  les 
»  philosophes;  laissons-leur  le  soin  de  se  détruire  mutuelle- 
»ment.  Quand  chaque  jour  verrait  apparaître  un  de  ces  fiers 
«esprits  libres,  tout  affublé  des  oripaux  du  paganisme,  il  serait 
»bien  vile  dépouillé  et  mis  à  nu  par  d'autres  esprits  libres,  tout 
»  aussi  opposés  à  ses  dogmes  qu'ils  le  sont  à  ceux  de  l'Evangile. 
»  L'erreur  n'est  vraiment  dangereuse  que  quand  elle  est  accou- 
»  plée  à  la  vérité;  or,  la  philosophie,  comme  le  vice,  ne  laisse 
»  rien  après  elle.  Si,  dans  les  derniers  temps,  elle  a  fait  tant  de 
»  mal,  c'est  qu'elle  était  soutenue  parle  protestantisme,  qui  lui- 
»  même  devait  la  vie  à  ce  qui  lui  restait  de  croyance  chrétienne. 
»  Le  passé  de  la  philosophie  nous  dit  ce  que  sera  son  avenir. 
»  Parmi  les  milliers  de  philosophes  qui  ont  enseigné  la  terre,  pas 
»  un  n'a  laissé  une  religion,  une  secte  ,  ou  seulement  une  école 
»  portant  son  nom  ou  professant  ses  doctrines  (1).  » 

Ainsi  s'exprimait  en  1848  l'éloquent  évêque  dont  nous  avons 

1 1)  Lettre  au  roi  de  Prusse,  par  Mgr  Rendu,  évêque  d'Annecy. 


MU)  I>E    I  ^    (  0>TROVERSE  hEI.I(ilEl'!»E 

rilc  (|U('l(|Ucs  pyioli's  ;ai  cniiiniciicfinf'nt  iikmiip  de  «et  arlitl»*. 
Eu  cmmnTMiit  ciisiiilo  los  const'cjiiciicf^s  de  ce  roioiir  à  runitt-, 
il  fuisaii  j:iillir  l:i  r<>alisaiiMn  do  ce  bnnlieiir  im^mc  matériel  que 
lecliiTclic  avec  tant  d'ardciir  rimmaniU'  à  travers  tant  d'épreuves 
successives  et  »ie  fatales  expériences.  Nous  erovons ,  en  effet , 
qu'alors  seulement  les  peuples ,  n-unis  dans  un  même  esprit  de 
foi  et  de  charité,  rencontreront  toute  la  somme  de  bonheur  com- 
patible avec  l'infirmité  de  notre  natniedéfjradée  p:ir  la  déchéance. 

(Jiioi  «ju'il  en  soit,  catholiques  de  (ienève  et  de  la  Suisse  en- 
tière, travaillez  ensemble,  travaillons  résolument  en  donnant  à 
l'erreur  re\em|)l<' de  la  vertu,  en  r<(lifiant  par  iios  bonnes  (ru- 
vrcs,  par  notre  zèle  pour  la  maison  de  Dieu,  à  amener  cette  ère 
de  réconciliation  <lont  ravènemenl  n'est  plus  retardé  que  par  le 
fanatisme  de  quelques  hommes  dans  le  camp  de  la  Réforme  et 
par  la  tiédeur  et  riiidifférence  relii^'ieusr-  de  (pu-lqnes-iins  d'entre 
nous. 

Nous  vous  disions  dernièrement  encore  que  l'avenir  du  monde 
est  au  catholicisme,  cctntie  qui  Jes  parles  de  Venfrr  ne  peuvent 
prévaloir.  Nous  y  retracions  en  même  tenqis  le  tableau  des  con- 
versions au  catholicisme  dont  l'Angleterre,  la  Prusse  et  l'Alle- 
ma^jne,  aux  circonscriptions  protestantes  si  vastes,  nous  offrent 
«harpie  jour  le  consolant  spectacle.  Vous  vous  réjouissiez  avec 
nous  lie  trouver  dans  ces  houimes  ramené-s  à  la  foi  catholicpie  par 
la  force  seule  du  raisonnement  et  de  la  vérité,  les  intelligences 
les  plus  droites  et  les  f>lus  hautes,  des  savants,  des  |»hilosophes, 
des  ma^'istrals,  Inules  conversions  qui  se  pèsent  et  pourraient  ne 
point  se  compter.  Aujounlliiii ,  \ous  ramenant  à  des  faits  sem- 
blables et  plus  consolants  encore,  nous  vous  répéterons  les  pa- 
roles mêmes  que  nous  vous  adressions  alors  : 

m  Si  la  lutte  religieuse  continue,  nous  ne  reculerons  pas  devant 
.elle... 

»  Regardant  la  sérénité. des  catholiques  qui  ne  redoutent  pas 
«plus  les  Cdinbals  «pi'ils  ne  s'éliraient  de  ipiehpies  défections  , 
»  ces  captifs  du  libre  exann-n  ne  itounont  s'emp«Vher  «le  «lin-  : 

•  Jh  !  que  ne  suis-je  nVec  eux  partageant  leur  joie  et  leur  espmrf 

»  Oui,  quoi  ()u'on  dise,  (|Uoi  «ju'on  fasse,  ce  mouvement  actuel 

•  aura  ces  inévitables  «onséipiences  ;  tous  les  subiront. 


A  GEKÈVE.  301 

»  Que  les  prolestants  ne  s'en  inilent  pas;  ce  n'est  pas  la  vic- 
»  toire  de  l'homme,  c'est  la  victoire  de  Dieu;  c'est  le  temps,  la 
»  force  des  choses,  la  véril»'  qui  l'emporteront. 

»  On  peut  sans  déshonneur  céder  à  de  telles  puissances. 

»  Que  les  catholiquos  acceptent  la  lutte  sans  haine  ni  amer- 
»  tume,  rf'pondant  aux  calomnies  par  la  charilc  ;  qu'ils  sachent 
»  bien  que  leur  cause  est  la  cause  de  la  vérité,  el  que  leurs  priè- 
»  res  et  leur  vie  édifiante  doivent  hâter  l'heure  de  la  pacification. 

»  Les  discussions  qui  ont  pour  juges  le  bon  sens  des  hommes 
»  et  la  justice  de  Dieu,  n'ont  rien  à  craindre,  même  ici-bas  ;  elles 
»  peuvent  être  vives  et  douloureuses,  mais  elles  attendent  l'avc- 
*  nir  avec  confiance  !  » 

Un  mot  encore  sur  cet  important  sujet. 

Éternelle  comme  Dieu,  la  vérité  ne  meurt  jamais.  Nous  avons 
entendu  quelquefois  des  catholiques,  dont  le  zèle  est  digne  d'é- 
loge sous  plus  d'un  rapport,  manifester,  à  propos  de  ce  qu'ils 
appelaient  le  progrès  de  l'hérésie,  des  craintes  que  quelques  ré- 
flexions suffiront  à  dissiper. 

D'abord ,  ce  progrès  n'est  point  réel  et  il  ne  saurait  l'être. 
Partout  en  Europe  un  mouvement  de  retour  vers  la  foi  catholi- 
que, longtemps  abandonnée,  s'opère  parmi  les  intelligences  pu- 
res, sérieuses,  profondes,  investigatrices.  En  Angleterre  et  en 
Prusse,  on  tourne  contre  le  protestantisme  cette  arme  du  libre 
examen  dont  la  Réforme  avait  tenté  et  ose  même  tenter  encore 
de  faire  contre  notre  foi  un  instrument  de  mort. 

Partout  où  il  y  a  pureté  de  mœurs  el  science,  le  catholicisme 
fait  de  nouvelles  conquêtes. 

Partout  où  l'étude  peut  venir  en  aide  au  désir  sincère  de  con- 
naître la  vérité,  il  fait  de  nouvelles  conquêtes  encore. 

Le  protestantisme,  doctrine  de  négation  qui  n'a  de  valeur  que 
par  ce  qu'il  a  emprunté  au  catholicisme,  ne  recrute  sa  milice 
de  sectaires  que  dans  les  bas-fonds  de  la  société. 

Est-il  une  famille  que  la  faim  dévore  dans  l'agonie  de  la  mi- 
sère? Le  démon  tentateur  est  là  faisant  briller  l'or  à  ses  yeux. 

Est-il  une  âme  égarée  quelquefois  par  les  théories  politiques 
du  siècle  et  par  le  désir  de  voir  l'humanité  marcher  dans  des 
voies  plus  libres?  le  démon  tentateur  est  là;  il  n'offrira  point  de 


30*2  l>e   L\    CniHTROVKHSe  RELIUIEl'àe 

l'or  (cos  coiiscienrt's  g«-nereuscs  le  rc|)(iussur:iient),  in:ùs  pjihini 
de  révoluiioris,  dr  ir;mslMiin:iiions  s<»ci;dos,  de  lu  fuliiie  felicii»- 
terrestre  du  -cm  t-  liiiiiiniii,  ;id()|(iaiii  louies  les  uiopies  et  les  cii- 
ressant,  il  se  mêle  à  loin,  par  ses  employés  qu'il  multiplie;  el 
si,  par  hasard  ,  au  poids  «le  l'exil  s'ajoute  eelui  de  liulorlUDr, 
il  u  des  espérances  de  position,  <i  soiiveiii  plus  que  des  espéran- 
ces, à  donner  pour  ap|)il  ù  des  couNieiions  défaillantes. 

Esl-il  dans  «juehjues  mansardes  <le  jeunes  liommes  sans  tra- 
vail, de  jeunes  lilles  ou  des  femmes  à  (jui  ne  sullisent  poinl  leurs 
ressources  ({uoiidiennes?  Le  démon  tentateur  esi  \ù  donnant  peu, 
promctianl  l>eau(  oup  ti  sollicitanl  pai  tout  et  toujours  l'aposta- 
sie. 

Nous  n*avons  dessiné  que  <piel(]ues  linéameuls  d'un  tableau 
sombre.  Mais  ce  eonlour  d'un  portrait  t|ue  nous  pourrions  sur- 
charger de  détails  non  moins  vrais,  esl  d'une  incontestable  Nérilé. 
La  capiation,  toujours  la  eaptalion! 

C'est  l'évangile  moderne  de  Téglise  réformée. 

G;  (pic  le  code  criminfl  potirsuil  en  nialière  de  piopi  itif  it  i- 
riloriale,on  l'exeri-e  impunément  et  au  giand  jour  |)0ur  les  âmes. 
Le  domaine  céleste  du  Christ  est  livre  à  la  bande  noire  des  sec- 
tes (pii  le  ravage  à  prix  de  promesses  el  d'argent.  La  comédie 
annuePe  <l«'S  cents  genevoises,  qu'est-elle  en  dernière  anahse? 
Ce  que  d'autres  on  dit  avant  nous,  la  traite  des  consciences  né- 
cessiteuses. 

Il  «'Si  malheureux,  sans  doute ,  et  très-malheureux,  ipu"  lo 
catholicisme  genevois ,  dépouille  de  ses  propriétés  il  y  a  trois 
siècles,  par  les  patriarches  de  la  Vénérable  Compagnie  protes- 
tante, les  anciens  gene\(»is,  ne  puisse  soutenir  qu'à  peine  ipiel- 
(pies  familles  ^\uc  la  faim  alllige;  mais  il  \  a  dans  le  plus  grand 
uombre  résistance  digne,  heroupie,  à  un  mal  «pu:  le  di>in  inspi- 
rateur de  l'Évangile  a  annoneé  quand  il  a  dit  :  /'vus  aurez  tau-  1 
jours  drs  pauvres  parmi  vous.  ' 

Il  \j  aura  toujours  des  pauvres  parmi  vous.  Mais  l'achat  des 
conseicnccs  a  |)rix  d'argent,  à  prix  de  placements  ou  do  promes- 
ses répugne  essentiellenunl  au  i  alholieisnie  «p>i  a  d'ineffables 
consolations  à  lepandre,  eonsiilations  maPrielles  lorsqu  il  le 
peut  ,  mais  eonsolations  plus  hautes  sous  le  rapport  spirituel  el 


A  (.hyv.\  i;.  303 

(Il  l'ace  (les  malheurs  qui  ostnl  à  peine,  laiil  ils  oui  conservé  la 
pudeur  d'une  prohe  lionnCloié ,  avouer  leurs  tentations  et  leurs 
auj^oisses  quotidiennes  ! 

Les  lionimes  de  zèle  dont  nous  parlions  plus  haut  s'eiïraient; 
ils  devraient  simplement  déplorer  le  malheur  des  circonstances 
(pii  ont  privé  le  catholicisme  des  ressources  dont  il  ne  disposa 
jamais  que  pour  accomplir  à  la  lettre  les  saintes  paroles  de  l'É- 
vangile :  «  J'ai  eu  faim,  et  vous  m'avez  nourri,  j'étais  pauvre  et 
vous  m'avez  vêtu.  L'entraînement  des  passions  développées  dansée 
siècle  et  à  Genève  surtout  ,  au  sein  du  peuple  que  nous  voulons 
libre  comme  il  veut  l'être,  ne  peut  être  qu'accidentel. 

On  revient  d'une  erreur  lorsqu'on  la  reconnaît.  Vous  catholi- 
ques de  peu  de  foi,  dont  nous  ne  blâmons  pas  le  zèle  peu  rai- 
sonné ,  tant  nous  en  respectons  les  motifs ,  croyez-vous  que  les 
conversions  acquises  au  protestantisme  soient  pour  la  plupart 
sincères? 

Croyez-vous  que  des  convictions  intimes  ne  se  récrient  point 
contre  les  moyens  employés? 

Croyez-vous  que  tant  d'hommes  plus  ou  moins  connus  pour 
n'avoir  point  de  religion,  recrutés  partout,  quelquefois  parmi  des 
faussaires,  des  faillis ,  des  condamnés  pour  causes  immorales, 
soient  des  conquêtes  dont  un  culte  quelconque  puisse  se  montrer 
l)ien  glorieux? 

Et  ne  savez-vous  pas  d'ailleurs  que  par  une  lactique  dont  l'ha- 
bileté mondaine  ne  saurait  être  contestée,  nos  adversaires  ont 
plus  d'une  fois  trouvé  bon  de  faire  reparaître  dans  leur  comédie 
annuelle  des  néophytes  dont  les  noms,  bien  qu'inavoués  par  eux, 
étaient  depuis  longtemps  connus  d'un  grand  nombre  de  catholi- 
ques? 

Rappelez-vous  donc  la  réponse  de  Jésus-Christ  pendant  la  tem- 
pête, dont  les  flots  assaillaient  la  barque  qui  portaient  le  divin 
Rédempteur  avec  quelques-uns  de  ses  apôtres  : 

«  Domine,  salva  nos,  perirnus,^  Seigneur,  sauvez-nous,  nous 
périssons!  s'écrièrent  les  apôtres.  «  Hommes  de  peu  de  foi,  leur 
répondit  l'homme-Dieu,  que  craignez-vous?  »  Et  il  commanda  à 
la  tempête.   Le  calme  se  fît  à  l'instant.  Et  leur  foi  raffermie  par 


I 


;{0l  DK   l.i    i;o>TROVERSE  ntl.lGIKl>B 

les  effets  (i'un  nouveau  pr<Kli}^M«,  se  pn-para  pour  riaulres  luîtes 
moins  svnib»)Ii«|ues  poul-êlre,  mais  plus  lianj^tMcuses. 

Vous  li«  mbk/  au  sujet  des  hérésies?  Le  cliristianisnic  ù  peine 
victorieux  du  paganisme  par  le  martyre,  n'eûlil  pas  ù  en  com- 
battre et  de  la  pire  espèce?  Depuis  Julien  l'Apostat,  et  avant 
nu'me,  »'num«re7.  ses  triomphes. 

Dès  le  premier  siècle  de  l'Église ,  plusieurs  demi-chréiiens , 
mêlant  à  la  doctrine  du  cliiislianisnie  les  pr«'jup;<s  du  judaïsme, 
les  systèmes  de  la  philosophie  païenne  et  les  illusions  de  leur 
imagination  généralement  surexcitée  par  des  excès  de  toute  na- 
ture, tombèrent  en  diverses  erreurs  contraires  à  la  foi. 

Ils  furent  condamnés  par  les  A[)ôtres  et  séparés  de  la  commu- 
nion des  fidèles.  Leurs  sectes  s'él«'if,'nirent  (»u  tombèrent  dans 
Toubli. 

Dans  le  second  siècle  apparaissent  les  /  nlnitiruens ,  combat- 
tus eluijuemmenl  par  saint  Innée.  Leur  erreur  |>riiicipale  était 
de  faire  Dieu  un  composé  de  plusieurs  êtres  spirituels,  d'en  ad- 
mettre toujours  dans  la  sphère  de  la  spiritualité  de  Dieu  de 
bons  et  de;  niechanls,  de  nier  la  divinité  de  Jesus-Chrisl  et  la  ré- 
surrection des  morts. 

Comme  le  protestantisme,  cette  secte  compta  d'abord  de  nom- 
breux adej)los,  <pii  ne  purent  longtemps  s'entendre  et  tjui  se  di- 
>isèrent  en  une  inliiiile  d  autres  sectes. 

Les  MarciontsUSy  proclamant  deux  principes  éternels  et  néces-  1 
saires,  l'un  essentiellement  bon,  l'auire  essentiellement  mauvais, 
se  montrent  prescpie  à  la  même  époque.  Ils  déclarent  le  mauvais 
principe  créateur  du  monde,  formateur  de  nos  corps  et  auteur 
de  l'Ancien  Testament.  Ils  prétendent  que  le  Christ  n'est  point 
ne  de  la  Vierge  Marie  et  qu'il  n'a  pris  que  l'apparence  de  l'hu- 
manité; qu'il  n'a  pas  réellement  soiillert  et  cpie  les  corps  ne  res- 
susciteront pas  à  l'appel  de  Dieu  au  jour  du  dernier  jugement. 

Le  corps  des  prêtres  de  l'Églisi'  condaiiuia  avec  saint  Irénée 
cette  monstrueuse  hérésie,  comme  celle  des  Montanistes  presque 
contemporains,  qui  soutenaient  que  Montan ,  leur  chef,  inspire 
par  le  Pnrnrht  promis  par  Jésus-Christ ,  avait  le  droit  de  pro- 
duire des  doctrines  nouvelles.  Il  ajoutait  (jue  l'.Église  ne  pouvait 
absoudre  des  grands  crimes  ;    «pie    les  secondes   noce»  étaient 


A   (iEi\È>K.  305 

des  ;uliill»''rcs  ;  (|iril  n'était  jamais  permis  de  fuir  la  persécution  ; 
(|iril  fallait  observer  dans  Tannée  trois  carêmes. 

(-e  (ieiiiier  trait  de  Terreur  vous  prouve  déjà  qu'il  y  en  avait 
nn  observé  par  l'Eglise. 

Dans  le  troisième  siècle  nous  voyons  les  Sabeîliens,  qui  niaient 

'  le  mystère  de  la  Sainte  Trinité.  Cette  négation  ne  montre-t-elle 

pas  que  déjà  ce  mystère  était  une  croyance  adoptée  par  l'Église? 

Les  Novatiens  viennent  à  peu  d'intervalle.  Le  chef  qui  leur 
donna  son  nom  se  sépara  du  Pape  Corneille  sous  le  piétexte  qu'il 
ne  fallait  pas  admettre  à  la  communion  les  chrétiens  tombés 
dans  l'idolâtrie  pendant  les  jours  de  la  persécution.  Il  se  fit 
consacrer  évéque  par  trois  évêques  dont  il  abusa  de  la  sim- 
plicité. Condamné  par  un  concile,  il  fut  chassé;  ses  nom- 
breux sectateurs ,  qui  renchérirent  sur  le  rigorisme  de  sa  doc- 
trine au  point  d'exclure  de  la  communion  ceux  qui  avaient  com- 
mis des  péchés  pour  lesquels  on  étaient  soumis  à  la  pénitence 
publique,  tels  que  VaduUére,  la  fornication,  etc.,  furent  séparés 
de  l'Église  de  Jésus-Christ  et  déclarés  schismaiiques,  parce  qu'ils 
avaient  commencé  d'eux-mêmes  et  sans  mission  légitime  un  en- 
seignement non  reconnu  par  l'Église. 

A  ces  deux  hérésies  ,  ajoutons  celle  des  Manichéens  ,  qui  ne 
furentau  fond  que  des  plagiaires  du  Marcionisme,  tout  en  croyant 
en  Jésus-Christ ,  et  nous  aurons  une  idée  succincte  des  erreurs 
qui  s'étaient  produites  en  haine  de  la  véritable  Église  pendant  le 
troisième  siècle. 

Dans  le  quatrième  siècle,  les  Donatistes  supposèrent  que  les 
sacrements  administrés  par  les  pécheurs  étaient  nuls.  Ils  regar- 
dèrent comme  complices  de  l'ordination  de  Cécilien  non-seule- 
ment les  évêques  africains  de  sa  communion,  mais  le  pape  et  les 
évêques  d'ouire-mer  qui  communiquaient  avec  lui.  Ils  en  arri- 
vaient à  cette  conséquence  que  toutes  les  églises  du  monde 
avaient  été  souillées  et  qu'elles  avaient  cessé  de  faire  partie  de 
la  véritable  Église  de  Jésus-Christ,  réduite,  suivant  eux,  au  pe- 
tit nombre  de  leurs  sectateurs. 

Cette  dernière  opinion  n'est-elle  pas  aussi  celle  de  la  Ré- 
forme ? 


>(M>  i>i^  lA  (.o>Tno\ei($E  ncLir.iEi'si: 

Li'S  Àrient  nitMcnt  la  divinité  de  Jésus-Christ  oi  ils  fiircni  i  oii- 
(lamnt's  «laiis  l«'  i<»noil»'  <!»•  Nicco,  prmiicr  coiuilo  f^'énéral. 

Les  Macédoniens  nii'reiil-la  divinité  du  Saint-Ksprit  et  ils  lu- 
rent condanitM^s  par  le  concile  de  Conslanlinople,  second  conrile 

général. 

L'n  prcirc  arien,  nomme  .\<'iitis,  |>rfU'n<lit  tpn'  I  r\(i|iic  ti'cst 
passupciicur  au  prêtre.  O  preshythinnism»-  anticipé  lut  rcpouss»'* 
par  les  défenseurs  de  la  foi  catholique,  et  la  supériorité  de  l'e- 
piscopat  resta  consacrée  aux  yeux  des  lidèles.  Les  Dnnatiftrs,  les 
ariens,  les  Macédoniens  et  le  prêtre  .4ètius,  tels  sont  les  princi- 
paux hérésiarques  que  l'Éplise  eut  à  combattre  pendant  le  qua- 
trième siècle. 

Dans  le  cin^piième,  \^^>\\s  mi\i>ii>  ir.s  Pilagicns  rpti  nièrent 
l'existence  du  pec  lie  originel ,  la  nécessité  de  la  p-.Ace  pour  la 
sanctification  et  le  salut.  Cette  doctrine  erronée,  si  flatteuse  pour 
l'or^Mieil  (lu  cieur  Iiiimaii)  ,  se  propagea  qiiehpie  temps,  bien 
(ju'elle  eût  ele  condamnée  par  un  graml  iioml»i-e  de  conciles 
particuliers. 

Nous  rencontrons  à  la  même  époque  l'hérésie  des  .\estoriens, 
condamnés  dans  le  concile  (ri%phèse,  troisième  concile  général, 
parce  qu'ils  soutenaient  qu'il  y  avait  deux  personnes  en  Jésus- 
t'Iirist,  et  que  par  consé(pient  on  ne  pou>ait  attribuer  A  sa  per- 
sonne «livine  les  in^stèies  de  la  Nie  et  de  la  mort  du  Sauveur. 

Les  Eulirhèins  enseignèrent  alors  (pie  la  nature  humaine  avait 
été  confondue  avec  la  naïuic  (li\ine  dans  la  personne  de  Jésus- 
Christ,  et  essayèrent,  par  conséquent,  de  détruire  la  ré:diié  des 
souffrances,  de  la  mort  et  de  la  résurreeiinn  de  Jesus-Christ. 
L'anathème  du  concile  de  Chalcédoine  .  (pratriènie  concile  géné- 
ral, sépara  de  l'i'^glise  les  Eutichéins. 

L'n  pr(Mre  de  Harcelonne  précéda  de  treize  siècles  les  réfor- 
mateurs modernes  en  alta(piani  dans  le  cinquième,  par  des  rail- 
ferics  et  de  frivoles  raisonnements,  le  culte  «les  Saints,  la  véné- 
ration (les  reli(pies,  le  célibat.  Saint  .lér("»me  lui  opposa  l'auinrité 
de  la  tradition  unanime  de  t(»utes  les  églises.  Les  prosélytes  de 
Vigilance  furent  peu  nombreux  ;  mais  les  catholiques  doivent  re- 
marquer avec  édification  l'iJentilé  de  la  do(  Irine  et  des  pratiques 


de  l'Églisn  à  relie  C|>0(|ue,  avec  les  pratiques  el  la  fkxtrine  de 
l'É^'liso  dans  notre  si«îcle. 

Le  septième  siècle  produit  les  Monolhèlitrs ,  rpii  soinenaienf 
qu'il  n'y  a  point  en  Jésus-Christ  de  volonté  et  d'action  liumainc. 
C'était  atta(juer  le  mystère  de  la  rédemption.  Le  concile  de  Con- 
stantinople,  quatrième  concile  général,  déclara  les  Monothéliles 
hérésiarques. 

Voici  venir  dans  le  huitième  siècle  les  Iconoclastes,  ou  briseurs 
d'images,  dont  l'empereur  Léon  Tlsaurien  fut  en  quelque  sorte 
le  chef,  comme  il  en  fut  le  soutien.  Le  concile  de  Nicée  prononça 
contre  cette  innovation,  et  ses  définitions  devinrent,  après  quel- 
(jues  années,  celles  de  l'Église  universelle. 

Dans  les  neuvième  et  dixième  siècles,  peu  d'erreurs  dignes 
d'être  définies  et  comptées. 

Dans  le  onzième,  nous  trouvons  l'accomplissement  définitif  du 
schisme  des  Grecs  commencé  dans  le  neuvième  siècle  par  Photius, 
patriarche  de  Conslantinople. 

Cette  consommaiion  d'un  schisme  dont  un  espoir  de  domina- 
tion sur  les  églises  d'Orient  fut  la  cause  unique,  et  qui  ne  s'o- 
péra en  réalité  que  par  suite  de  raisons  subordonnées  et  secon- 
daires, un  siècle  et  demi  après  la  mort  de  celui  qui  l'avait  susci- 
té, comment  la  juger  ? 

L'autorité  et  les  réclamations  des  pontifes  de  Rome  étaient  là, 
s'appuyant,  comme  toujours,  sur  le  droit  écrit  dans  l'Évangile, 
et  repoussant  de  l'Eglise  universelle  ces  fractionnements  que  tant 
de  fois  ont  lanté  d'accomplir  les  passions  humaines.  Photius  ne 
recula  pas.  Michel  Céruiaire,  après  lui,  entraîna  dans  le  schisme 
les  églises  d'Orient ,  et  d'autres  ambitions  de  patriarches  con- 
slantinopolitains  finirent  par  rendre  irrévocable  et  compacte  cette 
division  funeste.  Pour  se  séparer  de  l'Église  primitive  ,  il  fallait 
un  point  de  controverse.  On  ne  voulut  point,  contrairement  à  la 
r.royance  admise,  que  le  Saint-Esprit  procédât  du  Père  et  du  Fils. 
On  nia  la  primauté  du  pape.  Mais  on  conserva  tous  les  autres 
dogmes  professés  par  l'Église  catholique,  ceux  en  particulier  des 
sept  sacrements,  de  la  présence  réelle  du  corps  de  Jésus-Christ 
dans  l'Eucharistie  et  le  saint  sacrifice  de  la  Messe. 

Cette  croyance  fondamentale,  comment  l'auraient-ils  conser- 

20 


;J08  l't   IV  I  iiM  i,<i\  i.i.>t  i.ia.MiM 

\rr  ,  en  î>f  scpaïaiu  de  l'Kfilisf  romaine  ,  si,  ainsi  tjUc  \cs  nlor- 
inatciirs  modernes  l'ont  alliinx-  ,  rhf^li.sc  romaine  ne  l'avaii  pas 
rue? 

fitranger ,  arrliidiacre  de  Tours,  essaie  en  mt^me  lenips  une 
nej^'aiiori  plus  lapiiale,  erllf  de  la  Iranssubslaniialion  ,  < 'es(-à- 
(liif  (lu  (  lKin;4<'iiiciiI  iiiitaciilciix  (|iii  se  fait  du  |)aiii  et  du  \ineu- 
(  haiisli(iu(s  au  torps  el  au  sanj,'  de  J('sus-(!Im  isl,  «l  cepcndani  il 
admel  le  dogme  de  la  présent  e  réelle  !  tirante  eoniradielion  , 
renouvelée  depuis  et  condamne»'  alors  dans  les  eoneiles  de  Touis, 
de  Paris,  de  Vereeil .  dans  <leux  eoneiles  de  Home,  el  par  son 
auleur  lui-même.  Ce  do^'me  de  la  iranssubslaniialion  eiail  donr 
reconnu  par  rKj,'lis<',  puis(pie  Bélanger,  «pii  se  rétracia  plus  lard, 
le  nia  d'abord. 

C'esl  un  lait  (pi'on  n'a  |)oiut  assez,  reiuartpu"  peui-éire  ,  (pie 
toutes  les  lu'it'sies  sui"\enues  dans  la  série  des  siècles  sont  uni' 
constatation  éclalanlc  de  rininuiiabiliie  des  doctrines  et  des  priu- 
»  ipes  professés  par  l'Ilglise  catiiojiipie  ! 

Au  douzième  siècle  naissent  les  /  audois,  (pii  < oniincncirtiii 
par  prêilier  la  nécessité  de  la  pauvrolé  pour  le  salut.  .Sans  doule, 
la  pauvreté  dignement  supportée  est  un  aciieminement  <-vangeli- 
()ue  vers  le  royaume  l'ternel.  Mais  la  consicb-rer  comme  indispen- 
sable était  aller  trop  loin  peut-être;  et  daillt-urs,  l'Kglise  calbo- 
lii]ue  ne  rcprocba  d'abord  <'ii  réalité  aux  dis(  iples  du  Lyonnais 
\  aido  (pie  de  prèclier  sans  mission.  eu\  laiipies,  «pie  de  jeler  le 
trouble  dans  les  consciences,  «jue  tie  prétendre  (pie  tous  les  chré- 
tiens étaient  prêtres  par  une  diviiw»  inspiration;  ()ue  d'attribuer 
ù  eux  seuls  la  qualité  de  membres  de  la  véritable  l^lglise  dont  ils 
excluaient  le  pape  ,  les  évê(|Ues  et  le  clergé  inférieur,  en  raison 
des  possessions  temporell(>s  dont  ils  disposaient.  Il  faut  bien 
ajouter  qu'ils  condamnaient  toutes  les  cérémonies  caiholitpies, 
la  loi  du  jeûne,  la  nécessité  de  la  confession,  les  jirières  pour  les 
morts,  le  culte  des  saints,  la  vén(!ration  des  images  et  des  reli- 
ques. Ils  élaienl  les  aînés  du  protestitntisnie  ,  (]ui  n'a  rejeté  de 
leur  doctrine  que  ce  (pii  n'est  pas  compatible  avec  le  bieo-ôlre 
matériel. 

Les  .'llhigeoi»  alTIigèrini  à  leur  loin  ri*'.glise  de  Jésus-Christ  en 
niani,  <  ouiine  tant  d'autres  sectaires,  la  di\iiiii<du  .Saiivem  .  et 


V    til.NKVt.  {OU 

en  enseij»nanl  «jne  h-  inoiuic  éiail  la  création  <lc  l'csprii  de  t»'nè- 
bres.  Ils  lojelaieni ,  onoiiHf.  los  sacrements  o\  la  discipline  de 
l'Église. 

Il  est  inulilo  d'ajouloi'  à  celle  série  d  l«erêsiar<iiies  appailenant 
au  dou/ièmc  siècle  les  noms  de  Pierre  de  Bruys,  de  Henri  de 
Tanchelin  et  d' Arnaud  de  Brescia.  Opposés  de  doctrine,  ils  sa- 
vaient, comme  la  rc-lornie  moderne,  se  ri'-unir  et  faire  corps  lors- 
f|u'il  était  question  d'atiacjuer  l'autorité  du  clerf;*'-,  les  sacrements, 
les  lois  et  les  pratiques  de  TÉglise. 

Il  est  inutile  de  dire  que  l'anathème  railiolique  pesa  sur  rlia- 
cun  de  ces  sectaires. 

Dans  le  troisième  siècle,  nous  ne  rencontrons  que  les  Frati- 
cellcs  qui ,  vivant  d'abord  dans  une  pureté  évangélique  conforme 
à  l'esprit  de  l'Église,  d<''générèrenl  bientôt.  La  vie  des  membres 
qui  composaient  cette  société  avait  été  d'abord  exemplaire  et 
sainte  ;  elle  devint  bientôt  scandaleuse,  et  l'Église  catholique  les 
retrancha  de  son  sein.  Dès  ce  moment,  ils  s'élevèrent  contre  l'au- 
torité pontificale,  lui  opposant  la  Sainte  Écriture  interprétée  dans 
leur  sens;  ils  supposèrent  une  église  invisible  toute  spirituelle. 
Ils  en  disaient  Jésus-Christ  le  chef  et  eux  seuls  les  membres.  Le 
Donatisme  ,  dont  ils  invoquèrent  quelques  principes  ,  vint  ajouter 
à  leurs  erreurs  corroborées  de  maximes  albigeoises  et  vaudoises, 
un  plus  haut  point  de  culpabilité  dangereuse.  Mais  alors  l'ana- 
thème ecclésiastique,  en  les  frappant,  les  anéantit. 

Le  quatorzième  siècle  ne  fut  guère  que  l'écho  somnolant  dn 
relui  qui  l'avait  précédé.  Aucune  hérésie  nouvelle  de  quelque 
inportance  ne  s'y  produisit. 

Celui  qui  suivit  porta  dans  son  sein  tous  les  orages.  Wiclef  et 
Jean  Huss  étaient  apparus. 

Le  libre  examen  protestant  avait  ses  premiers  apôtres.  Luther 
et  Calvin,  dans  la  période  sécidaire  qui  succéda  à  celle  dont  nous 
parlons,  n'eurent  plus  qu'à  tirer,  des  principes  posés  par  leurs 
devanciers  moins  heureux  qu'ils  ne  le  furent  eux-mêmes,  des  con- 
séquences dont  les  effets  funestes  à  l'Église  d'abord,  le  furent 
ensuite  à  la  société  entière  en  créant  l'antagonisme  des  pouvoirs. 

Wiclef  nia  tous  les  dogmes  de  l'Eglise  primitive.  11  se  fit  un 
domaine  de  tomes  les  erreurs  anathématisées  avant  lui.  L'Angle- 


.'MO  i»r  i.\  <:«»>TMovERSi:  nKLiGir.rsr. 

terre  n'ss«»niii  plus  lanf  Ir  contrc-roup  dr  ces  doctrines.  Lois, 
do^'tnes,  nilic,  |ir:ili(jtK'S  n>ligieiis«*s,  simpi»'  saccrdocf,  ôpisc»»- 
pat,  il  i(iii;i  (le  loin  déconsidérer.  Plagiaire  des  Vuudois  et  des 
lieféiiipies  (les  tem|)s  anliTleiiis ,  il  voidnl  envelopper  h  foi  ro- 
m;iine  dans  iiii  cataclysme  pn'S(|ue  universel.  Pour  lui,  plus  de 
sacrcnicnis,  plus  de  jeûnes,  plus  d'invocation  de  Saints.  Il  s'at- 
tacha surtout  à  ex<  iter  Tenvie  contre  le  cler}^'»''  en  montrant  au 
peu|de  les  biens  ecclt'siastirpies  comme  ime  proie  di},'ne  de  tenter 
SI  cupidité.  Jean  Huss  ne  fut  presque  en  tout  «pie  l'imitateur  un 
pi  11  p;*dc  de  Wiclef  dont  il  renouvela  toutes  les  erreurs,  mais  en 
les  [»iè(  liant  ;i  des  |)opulalioi)s  impressiouualdes.  C'est  alors  que 
reconimençireiii  ,  mais  sur  nu  théâtre  immense,  ces  {guerres 
(ruelles  et  sanglantes  qui  tôt  ou  lard,  si  l'unité  religieuse  ne  vient 
pas,  se  renouvelleront  encore  parmi  ces  mi^nies  peuples,  lassi-s 
aujourd'hui  «les  années  de  douleurs  et  d'angoisses  cpi'ont  traverse 
les  générations  dont  nous  sommes  les  enfants. 

Nous  arrivons  au  seizième  sié«'le  ,  ipie  domine  le  génie  «do- 
qurni  et  l'apostasie  de  Luther.  ï>iux  mots  seulement  sur  les  doc- 
iiiiios  de  ce  fougueux  sectaire  (jue  ,  dans  son  livre  sur  les  f'a- 
ria(wn$  protfsinulei ,  R«»ssuet,  dans  son  impartialité  »  atliolique 
é|o(piente,   a  prcsfjuo  llatlé. 

Le  calme  le  plus  profond  régnait  dans  IKuiope  entière  «piand 
Luther  apparut.  La  foi  des  peuples,  soumise  ^  tant  d'épreuves, 
pendant  N's  si^M'Ies  précédents,  s'était  )>artoui  consolidée.  Les 
(hretiens,  unis  dans  une  inéme  communion,  respectaient  tous 
l'autorité  de  l'Kglise  (pii,  heureuse  elle-niéme  ,  apjtelait  ,  mAme 
temporelleineiii,  tousses  fds  au  |tartage  de  son  bonheur. 

Qu'une  ipu'Stion  fl'ordre  religieux  .  une  rivalit»'-  de  e<irps  à 
(iropos  d'indulgences  aient  ()ousse  Luther  à  ce  point  de  haine 
contre  l'Église  qu'on  retrouve  presque  à  chaque  page  de  se* 
écrits,  nous  sommes  autorisés  ft  croire  qu'il  n'en  est  point  entiè- 
rement ainsi.  S-ins  nous  montrer  frondeur  à  sou  sujet,  comme  le 
fui  Krasme ,  son  contemporain,  il  nous  semble  que  fvs  Chan- 
tons df  fobU,  qui  ont  ét«^  imprimées  et  traduites  en  français,  que 
son  mariage,  après  le  serment  ecclésiastique  d'usage,  accusent 
une  antre  inifndsion  que  celle  d'une  rivalilt'  mesquine  de  mm- 
merce  'comme  on  dit  partni  bs  réformés^  entre  (\ru\  corps  reli- 


\   t.i/s\:\  i;,  '.}  I  ( 

gicux.  \.cs  chansons  prouveni  l'iibsence  des  mœurs  piiivs,  ei  le 
mariage  coiilvaclc  on  dehors  des  lois  ecclésiastiques  ,  n'esta  nos 
yeux  (junn  corollaiie  de  celle  intempérance  que  le  fougueux 
docteur  nugustin  manifesta  jusque  dans  son  langage  de  contro- 
verse. 

Ne  nous  arrêtons  pas  à  ces  misères  si  bien  caractérisées  dans 
un  article  de  la  Revue  des  Deux-Mondes,  écrit  en  1839  par 
M.  Saissel,  à  propos  de  la  résurrection  du  vollairianisme  sous 
une  autre  forme,  qu'il  conslalait  p;ir  des  citations  extraites  de 
Miclielet. 

Le  protestantisme  luthérien  n'a  pas  été  seulement  la  négation 
de  l'autorilé  spirituelle,  il  a  été  celle  de  toute  autorité  qui  n'é- 
tait pas  celle  de  Luther,  son  auteur.  Toutes  les  hérésies  antérieu- 
rement condamnées  par  l'Église  se  sont  retrouvées  en  germes  ou 
en  fruits  dans  les  dogmes  souvent  contradictoires  auxquels  il  a 
cru  devoir  donner  V autorité  de  son  nom. 

Il  soutint,  puis  rojela  la  piimaulé  ponlilicale  du  chef  visible 
de  l'Église,  dont  l'infaillibilité  lui  devint  odieuse  aussitôt  qu'elle 
l'eut  condamné.  L'épiscopat,  le  sacerdoce,  la  messe,  la  confes- 
sion ,  le  célibat ,  les  vœux  religieux  ,  le  purgatoire,  le  culte  des 
saints,  le  jeûne,  l'abstinence,  le  libre  arbitre  même  et  les  sacre- 
ments, à  l'exception  de  deux  (le  baptême  et  la  cène)  déplurent 
au  grand  novateur.  11  les  supprima  de  son  autorité  privée.  Le 
ciilic  qu'il  inventa,  en  ne  conservant  des  doctrines  du  christia- 
nisme primitif  que  quelques  parcelles,  a  été  changé,  modifié 
dans  son  essence  par  les  ministres  qui  l'enseignent  aujourdhui. 
C'est  que  l'erreur  est  variable,  et  que  l'immutabilité  dans  les 
doctrines  appartient  exclusivement  à  l'Église  romaine,  fondée  sur 
une  base  inébranlable ,  la  parole  de  Jésus-Christ  communiquée 
à  ses  apôtres. 

Nous  avons  exprimé  déjà  plusieurs  fois  notre  pensée  en  bien 
et  en  mal  sur  le  calvinisme.  Luther  avait  dit  que  l'Écriture-Sainte 
est  la  seule  règle  de  la  foi.  Il  avait  ajouté  qu'à  tous  les  chrétiens 
est  laissé  le  droit  de  l'interpréter  à  son  gré.  Cinq  ans  ne  s'étaient 
pas  écoulés  que  la  discorde  régnait  déjà  dans  le  camp  des  Phi- 
listins de  l'Évangile.  Carlostad  rejetait  le  dogme  de  la  présence 
réelle  admis  par  Luther,  Zwingli  et  OEcolampade  embrassèrent 


'A\'2  m:  I. \  i;(»>Tiio>  Er.si.  ntLii.iLisK 

rupinidii  tif  i  licrci>iai-(|U(*    f»iUf;ii«u\   (|im«  I' \IIimi;il;iii-  ;i\;iit  .  \ 

puUc. 

Calvin  ajouta  aux  rnours  de  Luilirr  en  iiialièrc  tli'  «logiiu-s. 
Il  réforma  la  réforme  du  friand  a^ilalciir  allemand  doni  il  a\ait 
adoplc  la  plupart  «les  prin(i|)es.  Luther  n'avait  admis  «ju'unr 
partie  des  hérésies  des  siècles  précédents,  Cahiii  iriii;i  d  fri  fain* 
un  faisceau,  l^crivain  remanjuaMe,  lial)ile  à  mueprendrc , 
plub  habile  encun;  à  ilissiinu!»  r  les  p<iistes  de  haine  «-t  dr 
vengeance  (|ui  convaicnt  dans  sun  ai«iriitc  puiiijnc,  le  cha- 
noine expulse  de  .\oyon  ,  expidse  dr  (jenéve,  puisa  dans  les 
ressources  de  sou  j^enie  ce  plan  d'organisation  th('-ocrati(|ue 
i|ui ,  dès  le  jour  de  sa  rentrée ,  devait  «'craser  les  ennemis  de 
sou  système  ini]uisilorial. 

(l'était  la  terreur  orgaiiisi'-c  a  (kium-  .soiix  une  .ippin tini- 
exangclitpie.  Le  hncher  de  Michel  SeiNet  le  teu)oigiie  assez  hau- 
liinciil  dans  Ihistoire.  (l'était  la  police  des  ramilles  elal>li«'  avec 
tant  d'art  et  e\er<'ée  avec  une  si  scrupuleuse  oppression  .  «pi'il 
n'était  pas  de  secrets  conliés  au  foyer  domesticpie  (pii  rcvcisscm 
longtemps  ignorés  du  (".onsisloire. 

En  religicm.  il  rdrva  Av  sa  iiiine  aru  iciiiie  Ihén'sie  oubliée 
des  iconoclastes. 

Il  raviva  celle  de  N  igilance  à  propos  du  (  ulic  des  saints,  de  la 
vénération  des  reli<|ues  et  du  («-libat,  hérésie  sur  laipiellc  avaient 
passé  on/e  siècles  d'indilTi-reut  e. 

Llu'resiarrpie  Heranger,  <p)i  alUige  les  (  alholi<pies  du  on/iemc 
sièrie,  ni  les  Albigeois  manichéens  du  douzième,  payèrent  leui 
im|>ôt  d'h('*résie  posthume  à  cet  homme  hilieux,  dont  la  haine  du 
nom  catholi(pie  surexcitait  telleuïent  l'oiganisation  ,  cpiil  avaii 
perdu  le  sommeil.  Wiclef,  Jean  Huss ,  Zwingli,  Carloslad,  tous 
les  temps  et  toutes  les  doi  Iriiics  srrvirnil  a  la  composition  de 
son  svndiolc,  au(piel  cependant  il  imprima  une  sorte  d'unité'  fac- 
tice ,  «omhaitue  avant  et  phis  tard  par  ses  pro|)res  et  remar- 
quables écrits. 

Consistoires,  collocpu's  et  svnodes  genevois  furent  pour  le  ré- 
formateur des  leviers  d'a<:tion  politicpie.  Que  les  calvinistes  les 
plus  «li-voués  à  leur  eidtc  lisent  son  premii-r  cati'chismc  et  qu'ils 
le  com|>areut  ave(    h*  secouil .  ils  en  reconnaitront  la  différence 


A   <;iM,\  K.  ,{  I   j 

kiir  (les  (juesliolis  roiid;»ineiUales  t'I  cl(''li(;a(<'s  clans  l(>S(iiu;llcs  lu 
conti"i<li('li(»ii  accuse  rincerlitude,  tomiiu'  riiKcrliHKir  acciiso  le 
délaut  de  conviction . 

Remarquons,  en  passant,  que  Jean  C/ilvin  ,  (jui  lecusail  l'au- 
lorilé  du  chef  de  l'Église  catholique,  du  pape,  s'était  établi  pape 
genevois  de  son  propie  chef  et  pour  sa  plus  grande  gloire  |)er- 
sonnclle.  Que  signiliaienl ,  en  réalité,  les  censures  et  les  peines 
canoniques,  le  droit  même  d'excommunier  qu'il  avait  donné  à  la 
juiidictioîi  consistoiiale  élahlic  pai-  lui?  N'f'iail-co  pas  une  pa- 
pauté improvis('e?  Pourquoi  le  grand  réformateur  refusa-t-il  de 
se  conformer  aux  règlements  faits  dans  un  synode  des  ministres 
de  la  prétendue  réforme  tenu  à  Berne?  Pourquoi  fit-il  brûler 
Michel  Servet?  Pourquoi  fit-il  emprisonner  Genlilis?  Pourquoi 
fit-il  chasser  de  Genève  Okin,  Bolzec  et  Castalion  qui  s'occupaient 
de  faire  Dieu  auteur  dil  péché  et  de  la  damnation  des  pécheurs, 
de  nier  la  liberté  de  Thomme ,  de  soutenir  enfin  que  Dieu  a 
soumis  à  une  réprobation  auiicipéc  une  multitude  d'êtres  hu- 
mains, avant  la  prévision  de  leurs  péchés,  en  leur  refusant  les 
grâces  nécessaires  au  salut? 

Nous  ne  dirons  rien  de  plus  dans  ce  tableau  rapide  des  héré- 
sies sur  Luther  et  Calvin.  Nous  avons  admiré  leur  talent  et  dé- 
ploré leurs  erreurs.  Qu'il  nous  soit  toutefois  permis  de  constater 
que  la  doctrine  de  ces  deux  maîtres  en  hérésie  avarié  dans  l'en- 
seignement théologique  dans  la  proportion  du  nombre  des  dis- 
ciples que  leur  influence  avait  égarés ,  et  peut-être  aussi  dans 
celle  des  temps  qui  se  sont  écoulés  depuis  le  jour  où  ils  prêchè- 
rent leur  doctrine.  L'Allemagne  et  la  Suisse,  plus  hautement  que 
tout  le  reste  de  l'Europe,  nous  en  disent  quelque  chose  aujoui- 
d'hui. 

Comme  si  la  coupe  de  l'erreur  n'avait  pas  été  épuisée ,  les 
anabaptistes  survinrent.  La  libre  interprétation  de  l'Ecriture 
Sainte,  donnée  en  principe  par  la  Réforme,  devait  amener  de 
toute  nécessité  une  sorte  de  renchérissement  sur  les  hérésies 
précédemment  en  travail  de  publicité,  de  divisions  et  de  guerres 
religieuses  à  jamais  déplorables. 

Luther  vivait  encore  lorsque  la  secte  des  Anabaptistes  se 
forma.  Ils  conclurent;  malgré  le  sectaire  émérilc  qui  les  perse- 


.{  I  i  |iK    l\    rt»>1  KO\  l.liM     r.Kl.li.lM  >F. 

enta  (Il  N< nu  (K*  >uii  autorité  p<  i>oiinellf,  ù  l'inulilite  itii  buplt'iiic 
pour  K'N  t  iiraiii>,  r^mnic  incnpables  de  foi.  IIh  pn^i  hèronl  la  ne- 
ressilf  tic  iel>a[»liser  ions  ceux  (|iii  avaicnl  mu  le  .sainl  hap- 
It^nio  dans  ccl  à^'f  (rij,'iit)raiM'('.  (Ituiiinc  Irur  prt'miiT  niaiin'  i\v- 
\i-iui  liMir  cnnfiui ,  ils  prrsuaJrrr.iil  a  la  foule  ili*  lfui>,  ailrpirs 
(|ut:  luus  1rs  rliretii-ns  sont  inspires,  (piaud  ils  demandent  les 
lumières  du  rLspril  8;iinl.  Leur  inia^inaiiou  s  exalia,  i-i  hienlùi 
on  les  vil  app«ler  la  n-volle  conlre  la  puissance  t  ivile,  |)ru('lunu'r 
non  pas  sculenienl  l'égalité  des  rangs,  mais  le  partage  des  biens. 
Ils  sont  les  aicux  du  commimisme  moderne.  Sous  le  souille  fana- 
li(]Ue  de  leur  parole,  la  sédition,  eoiiiilie  un  vaste  iiKeiidie. 
étendit  ses  ravages  dans  la  plus  grunde  partie  de  TAIIemagne. 

Il  faill  l'avouer  eepeiidanl  ,  il  exista  prestpie  en  nièiue  temps 
un»;  autre  seete  danabaplisles  appelés  paLilitjues,  (pii  se  repro- 
duisit avec  toutes  les  variations  c<»minunes  à  Terreur  dans  l'Al- 
lemagne, dans  la  Moravie,  dans  la  Hollande.  Les  pacifiques 
s'oeeupaienl  de  leligion  seulement.  .Mais  ils  se  monirér«Mil  con- 
slaïuinent  hostiles  aux  prolestanls,  |>aree  (pi'ils  avaient  eonserve 
(pielqiie  chose  de  la  religion  callioTupie,  et  aux  <  allioli<|ues,  en 
haine  de  l'iiivaiiable  principe  sur  leipicl  repose  leur  croyance. 
L  analraplisme  a  liiii  par  altontir  à  des  exlra\a;;anc«'S  et  à  toutes 
les  erreurs,  (i'élait  nu  resnliat  inc\iialilc  de  (elle  preton«liie  in- 
spiration céleste  dont  chacun  de  ces  sectaires  prétendait  axoir 
reçu  le  don. 

Le  seizième  siec  le  vil  eclor»'  aussi  le  Socinianismr.  autre  en- 
l'anl  de  la  reforme  de  Lniher  et  de  Calvin.  Les  soeiniens  furent 
<laus  leur  erreur  des  logiciens  habiles.  Ils  poussèrent  le  priinipc 
de  la  Keloinie  pi-oteslante  à  ses  dernières  limites.  \u  principe 
du  libre  examen  en  matière  leligieiise,  ils  ajonlereni  ipn-  pour 
interpri-ter  la  ilibli' .  il  fallait  deierminer  le  s«'n<.  «le  ses  textes 
d'api  es  le  jugtîiiuut  di*  la  raison,  sur  les  objets  dont  il  eiail  ques- 
tion dans  les  textes  sacrés.  C'était  eontlure  d'après  la  règle  adop- 
tée pur  les  calvinistes  lorsqu'ils  rej«'tèreni  le  dogme  de  la  pré- 
sence réelle,  et  d'après  celle  que  les  liiiheriens  s'etai<<nl  imposée 
pour  repousser  le  dogme  de  la  iranssnbsianliatiou.  De  là,  poul- 
ies disciples  do  vSocin  ,  rejet  «le  t(»iis  It  s  mystères,  oelul  de  la 
Tiinile.  (Il-  |:i   dixinilc  et  de  l'incai  nalion  de  .lesiis-ChrisI  ;  rejet 


A  (;K>È>t;.  3(5 

lie  la  rcdcnipiioii,  du  péché  originel  et  de  la  nécessité  de  In  grâce. 
Aucimc  dortiinc  erronée  n'éiaii  appelée  à  faire  un  plus  grand 
nombre  de  prosélytes  ;  mais  ils  se  sont  fails  et  se  Ibnl  sans  bruit, 
sans  relentissonieul  d  aucune  sorte.  Le  socinianisme  n'est-il  pas 
au  fond  la  négation  de  tout  principe  chrétien,  et  ne  met-il  pas  à 
Taise  la  conscience  de  ses  sectateurs?  Michel  Servet,  brûlé  par 
Calvin,  avait  été  socinien  avant  la  naissance  de  la  secte  qui  au- 
jonid'hui  se  j)roduit  encore  sous  ce  nom.  11  n'a  ét(';  brûlé  par  l'or- 
dre du  réformateur  que  par  la  force  logique  du  raisonnement; 
il  avait  tiré  des  doctrines  professées  alors  à  Genève  les  consé- 
quences les  plus  rationnelles.  Il  y  a  péril ,  comme  on  le  voit ,  à 
examiner  de  trop  près  les  doctrines  des  sectaires  et  à  conclure 
d'après  elles! 

Le  socinianisme  a  enfanté  le  déisme,  qui  ne  reconnaît  que  la 
raison  pour  lumière  et  pour  juge,  et  cpii ,  rejetant  la  révélation  , 
n'admet  que  la  religion  naturelle.  Du  déisme  sont  nés  les  athées 
(s'il  en  existe  véritablement) ,  qui  rejettent  l'existence  de  Dieu 
parce  que  leur  raison  ne  peut  concevoir  l'existence  de  l'être  in- 
fini. Ces  fruits  funestes  de  la  Réforme  ne  prouvent-ils  pas  toute 
la  vérité  des  paroles  du  divin  Sauveur  :  Fous  les  reconnaitrez  d 
leurs  fruits? 

A  mesure  que  nous  avançons  dans  la  série  des  âges,  l'hérésie 
perd  sa  physionie  primitive,  son  cachet  d'originalité.  Elle  repro- 
duit, mais  ne  crée  plus. 

Ainsi,  dans  le  dix-septième  siècle,  se  montrèrent  \es  Jansénis- 
tes. Jansénius  ,  évèque  d'Ypres,  avait  consigné  précédemment , 
dans  un  livre  qui  ne  parut  qu'après  sa  mort,  plusieurs  hérésies 
sur  la  matière  de  la  grâce.  Cinq  propositions  principales  consti- 
tuaient riiétérodoxie  d(;  sa  doctrine  :  l'^Que  les  justes  ne  peu- 
vent pas,  en  certaines  circonstances,  remplir  quelques  comman- 
dements, et  qu'il  leur  manque  la  grâce  nécessaire  pour  le 
pouvoir;  '2°  que  l'on  ne  résiste  jamais  à  la  grâce;  3°  que  l'on 
peut  mériter  et  démériter  sans  la  liberté,  et  avec  la  nécessité  in- 
térieure d'agir;  4°  que  les  semi-pélagiens  n'avaient  été  condam- 
nés que  parce  qu'ils  n'admettaient  pas  une  grâce  nécessitante  ; 
6"  que  c'est  être  semi-pélagien  de  dire  que  Jésus-Christ  est  mort 
absolument  potu'  tous*les  hommes. 


.1  M»  i»K  i\  noNfRii^  tn^K  nti.K.iti  st. 

Uiiii  M  tsl  |iliis  drscsppnmi  <|iH'  relie  dùrlrine.  J:inseiiiiis  a\:iil 
«labli  pour  liase  de  son  syslème  (|ue  la  libellé  de  riiomme  a 
eu-  perdue  |»ar  le  |ie(lié  «le  nos  |»ieiiiie|-s  parents,  el  «|ne  dès  lors 
1  [loiniiie  n'a^il  |)as  par  le  choix  de  sa  >olonle  ,  mais  qu'il  est 
lU'Cessaircmi'ni  tii'lerniine  au  him  ei  au  mal  f)ai'  l'enlrainemenl 
ijielectaùu)  (!«»  lu  coneupiseeuee  ou  par  celui  de  la  {^rilce  (|ui 
aj^'issenl  sur  lui  en  proporlion  de  leur  lori'e  rclaiive,  eomme 
deux  poids  dans  les  deux  bassins  (i'unc  balance. 

(À'ile  bén'sie ,  facilemenl  re<onnaissabl«' ,  oui  des  puriisuns 
dans  les  plus  liaiiles  rcf^ions  de  rintellij^ence  el  de  la  société.  I.a 
puissance  civile  la  jtroléj^'ea  en  France.  L<»  (lape  Innocent  X  la 
condamna  par  une  bulle  adressée  à  tous  les  évoques  cailioli(|ues. 
publiée  par  les  eNcques  de  France  el  reçue  sans  réclamation  par 
les  autres  «'Véquos  de  la  catholicité. 

Presque  au  seuil  du  dix-huilicme  siècle,  VlUuminismc,  lils 
adultérin  de  la  Reforme  protestante  et  du  Jansénisme,  creuse 
un  sillon  nouveau  dans  le  terrain  friable  et  meuble  des  erreurs 
biiniaines. 

I/llliiminisnif  «"^i  une  secte  presque  indéfinissable,  tant  nom- 
breux et  divers  se  produisirent  les  éléments  (pii  entrèrent  dans 
SI  composition.  On  |>eul  le  ju^^er  plutôt  par  i;es  résultais  que 
par  reosemble  des  erreurs  qu'il  professa.  Né  de  la  Réforme  par 
la  libre  interprétation  «le  la  Bible,  il  «Mit  avec  le  Janst-nisme  une 
remanpiable  allinit«'.  Ses  partisans  se  prétendirent  inspirés  de 
l'Kspril  Saint.  Kn  Fran««' ,  ils  jou«'renl  aux  miracles,  après  l'in- 
lerdiction  jelé«'  |»ar  Taulorité  civib*  sur  leurs  coiivi'nti«ul«'s,  oii 
de  malheureuses  \ictimes  «l'un  fanatisme  iiiexplicabh*  s«'  soumi- 
rent plus  ou  moins  voloniaininent  à  des  iortiir«"s  inouïes.  Kn 
Allemagne,  rilluminisine  •  ut  un  antre  «araclèfe.  Swedemb«»r;j, 
<p«i .  le  preniier,  en  lit  profession,  avait  prétendu,  éclairt*  d'une 
lumière  divine,  avoir  vu  le  jii^«'ment  «hs  l*)sprits  el  la  .b-riisabin 
céleste  descendr»'  sur  la  t«'rre.  Il  s'était  cru  en  «ommunication 
intime  et  «onslanl*-  avec  Dicii,  dont  il  avait,  disait-il.  rei;ii  la  mis- 
sion «le  prêcher  le  ri'^^ne,  au  nom  trois  fois  saint  de  .lesns-( Jirist. 
I.'l'^çlis»'  visible  ,  rF^lis«'  catholiipie  dis|iar.iissait  à  ses  yeux.  Le 
culte  exlérieur  disparaissait  également.  S  uiiii  a  Dieu  par  la 
pensée  et  par  la  \f»Ionté  «-tait  ress«'nce  de  la   religion  n«»uvelle. 


G'IU'  iiiiidii  coiisiiiiiaii  Vèglise  véritable,  et  ceux  (jni  la  prali- 
()iiai('ni ,  à  (jueliiiK-  si'cle  qu'ils  apparlinssont ,  ('taifnt  puriiiés, 
saiiciilirs,  iMisst'in-ils  mémo  éU-  coiipahlcs  d'actes  cxltTieiirs  les 
plus  désordonnés. 

o  On  paivicnl  à  celte  union,  dit  un  écrivain  de  cette  époque, 
dont  le  nom  ne  nous  est  pascoiniu,  en  se  menant  on  rapport  avec 
les  es^nits  célestes;  car  il  est  un  monde  invisible  d'esprits  qui 
communicpient  entre  eux.  L'homme  acquiert  ce  grand  art  do 
correspondance  en  lisant  la  Sainte  Ecriture.  Le  flambeau  céleste 
ne  lui  fait  jamais  delaut.  H  commimique  alors  avec  les  esprits 
humains,  contme  avec  les  esprit  angéliques.  Il  agit  sur  eux  par 
la  pensée  et  la  volonté  ;  il  pénètre  les  corps  et  les  distances,  dé- 
couvre les  secrets ,  produit  des  effets  merveilleux,  des  extases , 
des  guérisons  prodigieuses,  etc.  » 

Les  visionnaires  du  XVIir  siècle,  sous  le  nom  d'illuminés , 
n'étaient,  comme  on  le  voit,  que  les  plagiaires  du  Gnosticisme , 
représenté  dans  le  second  siècle  de  l'Eglise  pur  Valenlin  ,  et  des 
Priscillianisles,  dont  les  excès  furent  mieux  connus  que  leur 
doctrine.  Il  y  eut  scission  bientôt  entre  les  disciples  de  Svvenden- 
borg,  el  il  en  nacquii  les  Moraves,  les  Piétisles,  les  Martinistes, 
les  Mesmériens  et  ces  Illuminés  sansénistes  dont  nous  avons  parlé. 

Au  XIX®  siècle,  d'autres  et  d'aussi  grandes  hérésies  ont  de- 
mandé à  la  presse  le  droit  ou  plutôt  la  permission  de  se  répan- 
dre. En  haine  du  catholicisme,  la  presse  les  propagea.  Malgré  cet 
oflicieux  appui,  dont  on  ne  peut  nier  la  puissance,  elles  sont  tom- 
bées presque  toutes  dans  loubli,  parce  qu'elles  résumaient  toutes 
les  hérésies  des  siècles  antérieurs. 

Nous  n'avoQs  voulu  que  résumer  en  quelques  pages  le  tableau 
des  principales  erreurs  religieuses  dont  l'humanité  a  parcouru 
le  cercle.  Qu'elle  ait  épuisé  tout  le  délire  de  l'orgueil,  toute  la 
haine  de  l'impiété,  toute  l'audace  du  crime,  nous  l'avons  vu  et 
nous  le  voyons.  Mais  un  grand  travail  de  rénovation  se  prépare. 

Les  hommes  d'étude  et  de  science,  quelle  que  soit  leur  nation 
et  l'opinion  religieuse  dont  les  premiers  retentissements  les  frap- 
pèrent du  berceau  à  l'âge  mûr,  ne  se  contentent  plus  de  ce  qui 
leur  fut  enseigné  avant  l'éveil  de  leur  raison.  Ils  recherchent  la 
vérité  el  la  vérité  les  ramène ,  pour  la  plupart,  au  catholicisme 


1IH  iih  I.  \  «.o>Tr.n\  i;n>t  in.Lii.itLSC. 

«jiii  NtuI  :i  (les  toiisolaliuns  |)oiir  luules  les  misères,  des  sultiiions 
pour  lou.s  K's  (loiiU's  t'I  uue  régit;  iniiiuiubli.'  à  opposer  à  ces  dan- 
gert'usfs  nvolirs  (le  ror^Micii,  dans  les  doniùuniix  coiidiais  de 
la  vie. 

Toulcs  les  licrésies  humaines  se  sonl  résumées  dans  le  proles- 
taiilisme.  Elles  y  ont  epiiix-  inule  leur  force  de  pensée  et  d'ac- 
tion. Ce  qui  le  deinuiitre  claiicincnt,  c'est  (]ue  toutes  les  becles 
se  liguent  contre  noire  relij,'iou  caiholiijue,  forte,  seule  compacte, 
inébranlable,  et  (|ue  racharnemeui  de  leur  haine  commune  réus- 
sit à  peine  à  e\eiller  «pu'Upies  craintes  peu  cvan^jelifpies  en  des 
âmes  assurément  bonnes,  mais  faibles,  dont  la  voix  seléve  et  erie, 
comme  celle  des  apôtres  pcmlani  Idrage  :  •  Seigneur,  Snuvez- 
nous,  nous'prrissons.  » 

La  nomenclature  (|ne  nous  avons  donne»;  des  hérésies,  en  Ira- 
versant  d'un  pas  rapide  une  lon^^ue  succession  de  siècles,  pendant 
lesquels  le  catholicisme,  toujours  aiiaipié,  est  sorti  toujours  vic- 
torieux des  luttes  de  l'erreur,  doit  rassurer  l<*s  âmes  iiupiiè- 
tes.  Notre  foi  a  traversé  tontes  les  épreuves.  Tous  les  pouvoirs 
humains  se  sonl  iij,Miés  <  oniic  elle.  Le  creuset  des  persécutions 
.sanj^lantes  s'est  elaij^i  pour  dcNorer  nos  frères  des  premiiTS  siè- 
(  les.  Dans  ceux  (pii  suivirent,  survinrent  d  antres  persécutions, 
painii  lesquelles  il  faut  placer  an  premi(>r  rauf;,  comme  la  |)Ims 
dangereuse,  ee'ilc  de  riiensic.  Lh  Mcn  !  le  catholicisme  a-l-il 
varié .' 

La  catholicisme  a-t-il  vn  sa  moi.sson  céleste  plus  stérile?  A-i-il 
vu  ses  a  pu  1res  moins  convaincus  ,  moins  ardiMits  à  en  étendre  le 
domaine,  moins  unis  dans  l'universel  désir  de  conquérir  à  Oieu 
les  âuu's  indillerenles  et  égarées.' 

De  tout  ce  que  nous  avons  dit ,  dans  cet  artich; ,  concluons  en- 
semble, lils  g<Miéreux  du  catholicisme  qui  \i>e/  sur  une  terre  <»ù 
l'erreur  prend,  pour  vous  persécuter,  tontes  les  formes,  conclimns: 

1"  Que,  pnis<|ue  les  milliers  d  hérésies  nées,  dans  la  succes- 
sion des  siècles  et  pres<|ue  sans  iuieii  ii|)iinn.  ponr  semer  l'ivraie 
«lans  le  champ  dn  Seigneur,  n Ont  pn  ni  loi  nn'r  nn  corp.*  de  doc- 
trines Iradiiioniu'iles  et  ininuiables,  ni  nn  i  urps  durable  de  ser- 
lateurs,  c'est  parce  qu'elles  n'étaient  point  la  \eriie. 

'2"  Qur  la  lon^'cvii»'  du  |in>tpstanlismc  qui.  sous  s<»s  différentes 


K  (;k.\kvk.  -iW) 

lorines  ol  réformes,  a  résumé  toutes  les  hérésies  des  âges  précé- 
dents, et  tendu  la  main  à  toutes  les  sectes  comme  à  des  auxiliai- 
res, est  menacée  aujourdMiui. 

3"  Que  puisque  la  vérité,  divine  émanation  du  Père  céleste , 
ne  peut  point  périr,  les  sectaires  qui  nous  menacent  au  momer\t 
même  où  déjà  s'édaiicissenl  leurs  rangs,  verront  leur  hérésie, 
qui  n'a  été  un  peu  plus  durahleque  par  ce  qu'elle  avait  emprunté 
au  catholicisme,  s'anéantir  bientôt  dans  les  ténèbres  d'un  indif- 
férentisme  àoniVà  réaction  nécessaire  (car  toute  action  a  sa  réaction) 
sera  inévitablement  un  retour  dos  peuples  égarés  au  catholicisme. 

■i°  Que  ce  retour  est  prochain.  Que  VUnion  des  intérêts  pro- 
testants à  Genève  est  un  symptôme  de  l'agonie  des  doctrines  de 
ht  réforme  calviniste.  On  ne  s'unit  point  lorsqu'on  ne  craint  pas. 
Les  doctrines  mortes,  ceu\  (pii  en  vivent  tentent  d'en  galvaniser 
h;  cadavre  et  de  lui  imprimer  un  dernier  mouvement  dont  il 
n'aura  pas  conscience. 

Catholiques,  des  signes  infaillibles  nous  annoncent  la  victoire, 
à  nous  enfants  de  la  croix  :  In  hoc  signe  vesices. 

1°  L'anarchie  des  croyances  enfante  au  milieu  de  nos  adver- 
saires l'anarchie  politicjue. 

2"  La  tendance  qu'ont  les  sectes  nouvelles  à  ne  plus  s'attaquer 
iiu  pouvoir  spirituel,  mais  au  pouvoir  temporel,  et  à  rechercher, 
même  dans  l'eireur,  le  principe  d'autorité  et  d'unité  qu'elles  ne 
trouveront  pas  assurément  en  dehors  du  catholicisme. 

3°  Le  travail  de  retour  de  tous  les  hommes  qui  pensent  sérieu- 
sement, vers  l'unité  catholique. 

Nous  pourrions  indiquer  une  multitude  d'autres  signes  égale- 

.ment  consolants  pour  les  amis  sincères  du  christianisme.  Nous  ne 

le  ferons  pas  aujourd'hui,  sous  la  réserve  de  rentrer  plus  tard  et 

avec  des  faits  précis  dans  cette  question  dont  l'importance  ne 

saurait  être  niée. 

La  mission  des  catholiques  du  canton  de  Genève  et  de  toute 
l'Europe  est  belle  en  ce  moment,  puisque  l'exemple  do  leurs  ver- 
tus peut  hâter  le  retour  à  la  foi  des  dissidents  que  des  préjugés 
d'origine  ou  peut  être  des  intérêts  personnels  retiennent  encore 
dans  les  chaînes  de  l'hérésie.  Cet  exemple  de  vertus  et  de  gran- 
deur, les  catholiques  le  donneront  au  monde  aujourd'hui  comme 
aux  premiers  siècles  de  l'Église,  nous  en  avons  l'intime  conviciion. 


Hl'LLKTIN    lUHI.IOGKAPIllOlE. 


La  xéritc  de  l  Eglise  catholique  démontrée,    par  l'ahbc  ('attet, 
ancien  vicaire  général  de  Lyon.  2v.  in-8.  Chez  Périsse.  Lyon. 

Les  elTorls  du  proiestaniisme  nous  volent  de  beaux  livres  en 
faveur  de  noire  foi.  Après  les  travaux  du  I*.  Perinne  ,  voici  une 
d«'monslrution  éclalanle  et  irréfutable  de  la  vérité  eatlioliquc  , 
dans  le  livre  de  Tahbé  Catiet.  Le  savant  el  pieux  auteur  eonnail 
le  protestantisme  qu'il  combat  depuis  longtemps;  nul  mieux  que 
lui  ru-  pouvait  cxposeï-  une  défense  romplète  de  l'Église  catholi- 
qtie.  Il  a  eu  le  tah'ut  de  condenser,  dans  deux  volumes,  re  que 
renferment  nos  gros  ti-aiies  de  ilieolngie.  et  surtout  n(»us  le  félici- 
tons d'avoir,  en  modernisant  l'apologétirpie,  parfaitement  manifes- 
té l'étroite  conuexité  qui  existe  entre  le  (bristiajiisme  et  le  catbo- 
licisme,  el  d'avoiradmirablement  repondu  aux  besoins  de  la  contro- 
verscacliielle en  faisant  voir averliossuel  «(pie  lesmAmes  principes 
qui  nous  font  clirétiens,  nous  font  aussi  catboliques.  ■  ('c  livre, 
bien  pensé  et  bien  écrit ,  est  une  réponse  à  une  provocation  que 
les  cliefs  du  uïetliodiste  avaient  portée  à  l'auteur  de  prouver  la 
vérité  de  l'Église  romaine.  M.  Cattet  a  accepté  le  défi,  il  a  relevé 
le  gant  (pii  lui  avait  l'-té  jeté,  el  il  l'a  fait  av<'(  la  valeur  d'un  cliaui- 
pion  <pii  ne  reiu  onire  pas  deux  fois  le  même  adversaire.  Si  nous 
sommes  bien  informé,  le  parti  protestant  lui  promit  une  réponse, 
et  il  en  est  encore  à  ses  promesses. 

Le  Souverain  Pontife,  dans  un  bref  très  flatteur  adressé  à  l'au. 
leur,  a  daigné  le  bénir  pour  ce  travail  et  le  remercier  de  l'avoir 
enirepriH.  retto  approbation  du  Vicaire  de  .lésus-Cbrist  nnim  dis- 


lU  I.I.LTIA    lMIWJ<)(;r.APH10l;F;.  321 

jxMise  (le  loul  éloge.  Nous  croyons  devoir  signaler  à  nos  lecteurs 
la  nouvelle  preuve  que  M.  Caitet  a  mise  en  relief,  des  découver- 
tes dans  les  Catacombes;  de  là  icssort  l'idenlilé  du  catliolicismc 
de  noire  époque  avec  celui  des  premiers  siècles,  et  nous  ne  pou- 
vons mieux  terminer  ce  rapide  compte-rendu  que  par  une  cita- 
lion  qui  révélera  le  plan  et  le  style  de  l'auteur. 

....Nous  hisserons  parler  rÉcriltire,  toujours  si  décisive  auprès  des  pro- 
testants; nous  interrogerons  l'histoire,  la^^lradilion  universelle  des  siècles 
chrétiens,  le  témoignage  même  du  genre  humain  sur  le  fait  du  catholicisme. 
N"a-t-on  pas  dit  constannnent  que  la  religion  chrétienne  était  un  fait?  Eh  bien  ! 
le  catholicisme  est  aussi  un  fait  :  tous  ces  caractères  qui  doivent  aous  le 
montrer  vrai,  son  umtk,  sa  sainteté,  sa  catholicité,  son  apostolicité,  etc., 
sont  autant  de  faits,  lesquels  se  prouvent  comme  tous  les  événements  histo- 
riques, comme  rexislcnce  de  Rome  ou  de  César.  Or,  une  preuve  de  fait  est 
toujours  l'argument  le  plus  logique  et  le  plus  tranchant.  —  Enfin,  la  raison 
théologique  aura  une  force  particulière  contre  nos  adversaires,  appuyée 
quelle  est  sur  un  principe  révélé  et  sur  la  foi  des  peuples  chrétiens. 

Quelques  personnes,  informées  de  la  prochaine  apparition  de  cet  écrit,  se 
sont  inquiétées  du  ton  que  nous  allions  ()rendrc  vis-à-vis  des  protestants  pour 
ne  pas  les  cho(|uer.  Hélas!  avons-nous  répondu,  lexpérience  nous  a  appris 
qu'une  réfutation  ,  quelque  modérée  qu'elle  soit,  sera  loujouis  choquante 
pour  l'orgueil  hérétique.  Les  protestants,  en  particulier,  qui  ont  si  peu  mé- 
nagé l'Église  romaine  dans  leurs  actes  et  leurs  discours,  exigent  néanmoins 
qu'on  les  ménage  à  l'excès.  Or,  nous  sommes  bien  résolu  de  garder  envers 
eux  toutes  les  règles  de  la  charité  chrétienne  ;  à  Dieu  ne  plaise  que  nous  fas- 
sions ici  des  questions  de  personnes!  !Vous  ménagerons  donc,  autant  que 
possible,  nos  frères  séparés,  comme  individus.  Jamais  aucun  nom  propre  ne 
sera  mis  en  scène,  qu'autant  qu'il  s'agira  d'un  chef  de  parti  qui  se  sera  afli- 
chc  lui-même.  C'est  à  l'erreur  seule  que  nous  en  voulons;  c'est  contre  cet 
ennemi  du  genre  humain  que  nous  devons  nous  élever  avec  vigueur.  Si  donc 
nous  employons  parfois  un  langage  animé,  ce  sera  celui  de  la  conviction  ; 
nous  ne  ferons  qu'imiter  en  cela  nos  modèles,  les  Pères  de  l'Eglise,  les 
grands  controversistcs,  comme  Bossuet,  qui  s'armaient  de  toutes  pièces,  de 
toute  l'énergie  de  leur  foi  contre  les  hérésies.  Nous  suivrons,  après  tout,  les 
règles  de  la  polémique  tracées  par  Mnldonat,  qui  veut  dans  ces  sortes  de  lut- 
tes un  style  acéré  et  véhément,  acer  et  vehemens.  Voilà  la  part  Je  l'auteur. 
Quelle  doit  être  la  part  de  ceux  auxquels  s'adresse  principalement  cet  écrit? 
Est-ce  trop  de  leur  demander  la  bonne  foi,  la  Lrobité  d'une  conscience 
droite,  le  désir  de  connaître  la  vérité  pour  l'embrasser  avec  amour,  conmie 
aussi  d'apercevoir  l'erreur  dont  on  aurait  été  jusque-là  victime,  pour  l'ab- 
j\irer?... 


MÉLANGES  ET  .NOIVELLES. 


Genève.  —  Il  y  a  (|ucli|uc  temps  une  |iulértiiqtic  s'était  engagée  rnlrt; 
le  Journal  de  Genève  cl  quelques  feuilles  des  pays  vtiisins,  sur  les  insultes 
faites  nu  clergé  ilans  les  mes  de  noire  \ille.  Les  ÀnnaUt  .iv aient  tenu  à  res- 
ter en  deiinrs  de  cette  polémique  ;  mais  la  persistance  de  la  feuille  genevoise 
à  nier  des  faits  évidents  nous  avait  forcé  à  en  sij^naler  qtieliiucs-uns. 
I)'honoral)les  citoyens  ont  cru  à  tort  que  les  Annales  a\  aient  accusé  toute  la 
population  de  (Jenève  de  urossières  paroles  à  regard  du  clergé  cl  de  maheil 
lance  à  l'adresse  de  la  famille  d'Orléans.  Noire  pensée  a  été  mal  inlcrpréléc  ; 
nous  savons  que  les  illustres  exilés  oui  reçu  ici  l'accueil  qui  est  dû  au  mal- 
heur noblement  porté  ;  nous  savons  aussi  que  bien  des  protestants  déplurent 
ees  cris  inconvenants  que  quelques  hommes  mal  élevés  jettent  aux  prêtres. 
Conmie  nous  et  avec  nous,  ils  n|ipellent  de  tous  leurs  vœiiv  les  temp*  où  la 
liberté  sera  prise  au  sérieux  par  tous  et  pour  tous. 

—  Pendant  que  le  proleslanlisme  poursuit  son  œuvre  de  prosélytisme  par 
l'argent  et  en  se  glissant  derrière  les  révolutionnaires  ,  l'f.glise  eatbnlii|ue 
élève  par  In  foi  et  la  généreuse  pauvreté  de  ses  fils  des  universités  ralholi 
ques  à  Vienne  et  »  Dublin:  elle  envoie  ses  prêtres  et  ses  s<r<irs  de  rlinrilé 
au  milieu  des  eanq)s,  et  ce  dévouement  lui  vaut  l'admiration  des  .Anglais  et 
des  infidèles. 

—  La  littérature  catholique  s'enrichit  de  nombreux  ouvrages  qui  honorent 
notre  foi,  et  le  |)i'otestantisme  ,  par  ses  hommes  d  es|irit ,  produit  de  gros  li- 
vres eummc  celui  de  Napoléon  lloussel,  où  par  une  maladroite  comparaison 
des  nations  calhuliqucs  el  des  nations  protestantes,  il  démontre  que  la  reli- 
gion protestante  est  la  religion  du  confortable.  Le  Journal  des  Débalt,  que 
personne  ne  suspectera  de  partialité,  a  fait  une  spirituelle  réponse  à  M.  Rous- 
sel ;  nous  la  reproduirons  prorhaiiuinent,  car  elle  démontre  parfaiirnieiit 
f]u'h  ce  pri\  li-  proirstanlismc  n'e*«t  qu'un  matérialisme  déguisé. 


LETTRE 

A  M.  L'ÂBBÉ  CAILLÂT. 


Monsieur  l'Abbé, 


Je  vous  remercie  d'accepter  jusqu'à  mon  retour  la  laborieuse 
direction  des  annales  Catholiques.  Ma  santé  un  peu  affaiblie  me 
force  ,  à  mon  grand  regret ,  d'aller  chercher  quelque  repos  ,  et 
vous  avez  compris  que  mon  absence  ne  devait  pas  nuire  à  une 
œuvre  qui  nous  est  chère. 

Je  ne  puis  vous  le  dissimuler,  votre  lâche  est  grande  !  Appelé 
à  diriger  une.Revue  catholique  dans  une  ville  où  le  catholicisme 
a  droit  de  cité,  mais  où  il  rencontre  encore  des  préjugés  séculai- 
res ,  des  haines  traditionnelles,  votre  cœur  de  prêtre  et  votre 
loyauté  souffriront  souvent  à  la  vue  de  la  calomnie  qui  travestit 
nos  croyances  et  de  l'intérêt  qui  spécule  sur  la  pauvreté  et  le 
malheur  pour  nous  ravir  des  consciences  malheureuses. 

Cette  polémique  faite  avec  des  objections  vieillies  et  ce  pro- 
sélytisme abaissé  n'auront  qu'un  succès  d'un  jour  ;  mais  ils  at- 
tristent l'âme.  Cette  agitation  protestante  ne  peut  durer;  créée 
par  des  intérêts  de  partie  soutenue  par  une  société  qui  s'appelle 
les  Intérêts  protestants,  elle  marche  à  la  conquête  des' âmes  en 
faisant  briller  quelques  intérêts  de  ce  monde,  et,  selon  la  spiri- 
tuelle expression  du  Journal  des  Débats,,  elle  entasse  une  pile 

21 


32i  I  ETTRE  \    «.    I.ADME   CAILLAT. 

lie  gros  suus  et  proclame  (jue  la  meilleure  religion  est  celle  où  se 
trouve  le  plus  d'argenl  et  le  plus  élégant  confortable.  Dans  une 
ép<^»quc  oii  la  raison  ^'énérale  est  en  tl«'cad«nce,  oii  la  conscience 
publique  a  perdu  de  son  austère  délicatesse,  nous  comprenons  que 
les  hommes  vaincus  par  la  misère,  froissc'-s  jiar  l'exil,  accueillent 
des  opinions  qui  leur  valent  un(;  aisance  commode  et  sans  fa- 
tigue. 

De  là  viennent  les  tristes  et  douloureux  résultais  de  cette  doc- 
trine du  bien-être  ;  le  servilismc  et  la  d<'>gradation  des  caractè- 
res, la  vénalité  des  âmes  et  le  mépris  de  l'ordre  surnaturel. 

Grâce  à  Dieu,  l'opinion  publi(|ue  se  forme  en  Europe  à  cet 
égard;  ù  Gènes,  àTurin,  en  Brlj,'i(pie,  comme  âG<'nève,  les  hom- 
mes sérieux,  même  protestants,  gémissent  de  ce  honteux  trafic; 
vous  entendrez  plus  d'un  aveu  qui  vous  sera  fait  clandestinement 
qu'une  doctrine  perd  à  jamais  sa  dernière  influent  e  en  se  menant 
il  la  remorque  de  toutes  l<'s  révolutions  pour  recueillir  à  prix 
d'argent  les  conspirateurs  on  disi)onil)ilit<''. 

Toutefois  votre  lâche  sera  consolante;  plus  d'une  fuis  nous  au- 
rez à  entendre  les  secrètes  inqui«'-iudes  des  âmes  qui  ont  envie 
d'arriver  à  la  foi  catholique.  C'est  là  une  des  plus  grandes  joies 
qui  puissent  être  réservées  à  nos  labeurs;  c'est  de  voir  que  nos 
efforts  ont  écarté  quelques  préjugés,  ont  fait  briller  un  «clair  sur 
les  ténèbres  d'une  âme,  ont  entr'ouvert  uiir  vue  nouxelle  à  un 
coMir  avide  de  vérité!  En  présence  d'une  mass<>  oublieuse  des 
grande  pensées  de  l'éternité,  en  face  de  luttes  incessantes,  le 
défenseur  de  la  foi  éprouverait  une  lassitude ,  s'il  ne  savait  que 
les  âmes  se  contpiièrent  une  à  une,  et  si  Dieu  ne  le  consolait  en 
lui  faisant  discerner  un  travail  réel,  (pioiqiic  latent,  qui  enirainc 
notre  épo<|uc  vers  le  catholicisme. 

Partout,  les  plus  fermes  esprits  viennent  si?  ranger  sous  le  joug 
de  la  foi  catholique.  En  Angleterre  ,  la  s<ience  n«»us  donne  ses 
docteurs,  et  l'Iit-roisme  des  steurs  de  charité  et  des  prêtres,  au 
milieu  des  champs  de  bataille,  présente  aux  Anglais  la  vérité 
sous  la  puissance  de  la  diarilé.  I/Allenvigne  essaie  de  nouvelles 
théories;  elle  prétend,  avec  Schclliiig,  qu  il  faut  opérer  une 
transaction  avec  le  catholicisme,  en  Hmdant ,  par  la  liberté  et 
l'autorité,  l'Église  de  l'avenir.  Elle  étudie  notre  vie.  notre  his- 


LETTRE  A    M.    LABBÉ  CAILLAT.  325 

loirc,  nos  arts,  et  elle  devient  respeclueuse.    C'est  toujours  le 
premier  pas  de   la   science  véritable;    elle  admire,  puis  elle 
abaisse  le  front  devant  une  autorité  supérieure.    Les  puséistes 
d'Oxford  ont  creusé  les  premiers  siècles,  ils  ont  étudié  les  Saints 
Pères,  et,  comme  eux,  les  docteurs  de  l'Allemagne  seront  for- 
cés de  conclure  que  l'Église  de  l'avenir  est  la  même  que  celle 
du  passé;  que  cette  Église  ,  c'est  l'Église  catholique  ,  parce  que 
tous  les  temps  sont  à  elle  comme  à  Jésus-Christ  son  fondateur! 
En  France,  en  Suisse,  surtout  à  Genève,  malgré  les  apparen- 
ces d'un  organisme  national  ou  d'un  cadre  méthodiste,  le  pro- 
testantisme n'a  plus  ni  une  doctrine  acceptée,  puisqu'il  rejette 
les  confessions  de  foi ,  ni  un  pouvoir  qui  le  représente  et  le  di- 
rige. Il  n'a  donc  plus  ni  le  lien  qui  réunit  les  âmes,  ni  la  foi  com- 
mune qui  les  rassemble  ;  il  n'a  qu'une  communauté  de  haine  contre 
nous.  C'est  donc  l'individualisme,  c'est  le  règne  de  la  raison  qui 
s'avance  armé  du  raisonnement.  Mais  n'est-ii  pas  manifeste  que 
le  raisonnement  est  aussi  impuissant  à  rassembler  les  esprits  su- 
périeurs dans  l'unité  et  l'universalité ,  qu'il  est  impuissant  à  re- 
lier les  multitudes  dans  la  vérité  unique.  Les  agitations  qui  se 
succèdent  dans  le  champ  de  la  science,  les  sectes  qui  se  persé- 
cutent et  se  détruisent,   les  doutes  qui  croissent  dans  les  âmes, 
n'est-ce  pas  là  de  magnifiques  témoignages  de  la  stérilité  de  l'in- 
dividualisme inhabile  à  édifier  et  actif  à  détruire.   Les  disputes 
ont  pris  la  place  de  la  foi,  l'union  n'est  pas  même  possible  entre 
deux  âmes  qui  parlent  ensemble  des  premiers  problèmes  de  la 
vie  humaine.    La  séparation  engendre  la  séparation,  les  sectes 
se  divisent,  les  écoles  se  suicident,  les  partis  se  fractionnent,  les 
intelligences  s'isolent,  se  retirent  au  désert,  et  de  là  les  plus  fortes 
gardent  encore,  par  le  prestige  de  la  parole  humaine,  un  cercle  de 
disciples;  mais  bientôt  la  parole  perd  de  sa  fraîcheur,  les  disci- 
ples se  lassent  de  leur  chef;  et  le  dernier  débris  d'une  dernière 
opinion  meurt  dans  la  tristesse  de  sa  solitude.  L'unité  leur  est  im- 
possible; ils  n'ont  qu'une  agglomération  d'éléments  arbitraires; 
une  aggrégation  fortuite  de  consciences;  mais  il  n'y  a  pas  so- 
ciété, pas  plus  qu'il  n'y  a  liaison  dans  un  tas  de  pierres  qui  cou- 
vrent le  sol,  pas  plus  qu'il  n'y  a  union  entre  les  sauvages  qui 


:i'2Vt  I  KTTnE    K    M.    1.   VlUih  r.MLLAT. 

vi\oni  nom:wlps  dans  les  fon'ls  incultes.  Un  «'crivain  |troips!:ini 
l'a  d«''in«»nir«''  ;  il  sVcrio  avec  l'acci-nl  tic  la  dunicnr  : 

"Nous  n'av(»ns  plus  (l'uniic,  |tlus  tic  ^gouvernement  religieux, 
»  (>lus  de  rchilions  oflicicllcs;  nous  ne  sommes  pas  un  cnsem- 
»  Me.  Le  consisloii-t;  n'est  «ju'nn  iVayineni  d'un  ordre  de  choses 
»  dcfruit.  Fragment  sans  prix  et  sans  signilicatiou  dans  son  isolc- 
ument.  D'ailleurs,  les  consistoires  entre  eux,  et  souvent  les  dif- 
»  férentes  églises  d'une  consisloriale,  sont  en  proie  à  ta  plus  fu- 
»  ncsie  division.  Les  pasteurs  se  refusent  récipro(|uement  leurs 
>  chaires,  prennent  des  résolutions  contraires  els'anaih<''mutisent, 
»  montrant  d<'  toutes  manières  (ju'ii.s  >f.  so">t  plis  les  membres 

n  n'r.N  r.OKPS,  mais  ai  TAM    HE  membres    l^iDÉl'E^^A^TS  OL    HOSTILES. 

»  Hélas!  le  sentiniciii  de  (cite  dissolution  prend  clia(]ue  jour 
»>  plus  profondément  racine  dans  la  conscience  des  protestants 
»  français.  Quel  est  (  clui  (pii  ose  encore  parler  de  noire  église 
»  reformée?  » 

L'unité  est  donc  absente;  le  |)rincipal  élément  de  la  so- 
ciété- n'est  pas  là;  l'action  su|)érioure ,  l'organe  d'autorité 
a  disparu.  Oui  d'ailleurs  oserait  se  constituer  eu  autorite 
dans  l'iiidividiialisnu' .'  Les  pasteurs  enseignent,  il  est  viai  ; 
mais  ils  enseignent  par  une  inconsécpience  int^xplitable ,  ils 
se  posent  en  maîtres  «juanil  le  libre  examen  devrait  exister, 
ei  TindiNidualisme  garder  le  sceptre  religieux.  Gîllc  auto- 
rité de  fait ,  l»if  n  faible  parce  «prello  n'est  «pi'une  contra- 
diction palpable,  a  pourtant  conservé  au  protestantisme  (]uel- 
qurs  restes  ile  vie,  (piel(|ues  dél)ris  de  vérité;  c'est  à  celte  auto- 
rité d'emprunt  «pi'il  doit  son  souille  actuel.  M.  Schérer  le 
reconnaît.  «  L'autorité  religieuse  est  absente...  aussi  nos  chaires 
»  ont  pu  être  envahies  par  toutes  les  nuances  jiossibles  de  foi  ou 
«d'incrédulité,  de  pieie  ou  d'impiété...  Notre  église  réformée 
»  privée  à  la  fois  de  son  «aractére  do;:malique,  de  sa  forme  et  de 
»  sa  doctrine,  privée  de  ce  (]Mi  l.i  constituait  comme  église  chré- 
»  tienne,  a  véritablement  cessé  d'exister....  son  nom  demeure, 
»  mais  ho  dé'signe  plus  qu'un  cadavre,  un  fantAme,  ou  ,  si  l'on 
»  veut,  un  souvenir  et  uuo  espérance...  Elle  a  cessé  d'exister.  •> 
Coninienl  donc  (  roire  l'eclise  [lossible?  b'  lien  d'uni<»n  est  rom- 


i.i;rri;i,  v  m.  L'Ar.r.i';  cvii.i.at.  327 

pu,  I  aiiloriu'^  est  en  ruines ,  riiidividii  snliic  ses  propres  rêves; 
cliaque  lioiumo  poursuit  une  k\ro  cliréliennc  dans  des  rcelierches 
laborieuses;  et  tous  mnrclienl  dans  des  loules  perdues,  sans 
guides,  sans  lumière.  Quel  désolant  speelacle!  l'union  ihi  monde 
spirituel  est  brisé  !  El  il  y  a  six  ans,  M.  Scliérer,  ailrislé  à  celle 
vue ,  publiait  avec  IVancliise  les  craintes  qui  l'accablaient  : 
«  L'église  réformée  est  atteinte  dans  sa  nature  intime,  elle  a  dis- 
sparu  ;  son  nom  ne  pare  plus  qu'un  fantôme  mutilé...  Jfpigé  des 
»  divisions  cl  des  morcellements  consommés  par  V  individualisme, 
»  j'ai  besoin  de  recbercber  l'unité  libre  et  simple  de  nos  institu- 
»  tions  presbytériennes.  Cbrétien  enfin  et  croyant,  j'ai  J)esoin  de 
»  voir  des  erreurs  pernicieuses  abandonnées  à  leur  propre  néant, 
»  la  vérité  rétablie  dans  son  droit...  de  voirie  cbrislianisme  évan- 
«gélique  enseigné,  propagé,  représenté  par  une  société  reli- 
»  gieuse  qui  en  soit  le  digne  et  vivant  organe.  » 

Ce  n'est  pas  un  écho  isolé  que  cette  voix;  c"esl  un  accent  uni- 
versel qui  s'échappe  des  entrailles  du  protestantisme.  Partout 
ses  âmes  les  plus  généreuses,  ses  esprits  les  plus  hardis  procla- 
ment son  impuissance.  Ils  n'ont  trouvé  dans  son  sein  ni  une  paix 
durable,  ni  une  sereine  possession  de  la  vérité.  Ils  ont  vu  ses 
divisions,  ils  ont  assisté  à  ses  discordes  intestines,  même  sur 
l'inspiration  de  la  Bible,  que  les  uns  traitent  d'amulette;  ils 
ont  aperçu  dans  un  récent  synode  de  Fraucforl  leurs  divisions 
sur  la  sainte  indissolubilité  du  mariage,  et  il  est  impossible  que 
le  spectacle  de  notre  unité  et  de  nos  convictions  ne  les  frappe  pas 
un  jour  de  son  mystérieux  éclat. 

Oui,  quoi  qu'on  dise  ou  quoi  qu'on  fasse  à  l'enconire,  il  y  a 
dans  notre  siècle  un  mouvement  religieux,  un  entraînement  vers 
l'Église.  Tous  le  subissent  de  loin  ou  de  près,  et  même  ses  en- 
nemis les  plus  acharnés  n'échappent  pas  à  cette  influence  irré- 
sistible. Plus  que  jamais  l'Église  apparaît  comme  le  vivant  organe 
du  christianisme  évangélique,  comme  la  libératrice  du  genre  hu- 
main, le  témoin  delà  révélation,  la  gardienne  de  la  vérité,  la  seule 
puissance  capable  de  donner  la  foi  aux  âmes,  la  seule  autorité 
assez  forte  pour  rendre  l'unité  aux  nations  désolées  par  l'anar- 
chie. 

Pas  plus  que  moi ,  Monsieur  l'Abbé ,  vous  ne  désespérez  de 


3*i><  LtlThE   A   M.    i/aBBÉ  CAILLAT. 

iioUr  |);iNN  i-l  (i«'s  liomiiifs  >.éiieux  (ju'il  [)rodiiil  encore.  Ne  dou- 
te/ pas  (le  la  mission  que  vous  ave/,  à  n-iiiplir;  aime/  lu,  elle  e:>t 
j;ranile  ;  d'ailleurs  nos  chefs  vénérés  bénironl  vos  Iruvuux  el  en- 
«ourai^eronl  vos  efforls. 

Les  circonslances  el  nos  enn«'mis  ont  donne  à  nos  .annales, 
dans  la  presse  catholique,  une  place  importante  que  nous  n'a- 
vions pas  le  droit  d'espérer.  Fondée  dans  le  but  de  répandre  à 
une  |)rovocation  protestante,  notre  revue  devait  suivre  le  Semeur 
et  re|)ondre  à  ses  atiaijnes.  Sauf  (juehpies  articles,  le  Semeur 
s'est  posé  en  insulieur  vul{^aire  ;  nous  avons  cru  de  noire  di- 
j^nité  (le  le  laisser  vivre  el  mourir  <ibscurémeni ,  sans  nu'me 
qu'il  obtint  l'ailliesion  de  ses  amis  et  les  silllets  de  ses  advei- 
saires. 

Vous  lui  laisserez  celle  place  que  sa  polémique  a  conquise;  il 
l'a  justenK'nl  méritée. 

Il  m'appaitieni  moins  qu'à  |)ersonne  de  vous  donner  des  con- 
seils. >la  jeune  expérience  me  convainc  toujours  plus  du  malaise 
cpii  agile  les  consciences  et  rie  rin(|niétude  qui  les  travaille. 
Oui,  ave/  pitié  de  ceux  qui  cherchent  sérieusement  la  foi;  ils 
soni  à  plaindre  ;  donnez-leur  la  vérité  avec  amour  ;  que  nous  re- 
trouvions la  suave  el  inellable  lendresse  (pi'avait  saint  François 
d«;  Sales  dont  nous  possédons  les  éciils  el  dont  nous  voudrions 
reproduire  les  merveilleux  secrets  du  cœur. 

I>aissez-moi  vous  redire  ce  que  je  me  disais  à  moi-même  en 
inau;;urant  celte  llevue  : 

«  Sachons  éviter  les  deux  excès  «l'amollir,  d'énerver  la  sainle 
iniéj^rilé  de  nos  croyances  par  d'imprudentes  concessions,  ou  de 
blesser  par  des  formes  impérieuses,  pleines  d'Apreté ,  l'adver- 
saire que  nous  voulons  c(mvaincre...  Nous  ne  voulons  jamais  ou- 
blier «pie  la  charité  est  inséparable  de  la  vérité,  sans  nous  ravir 
pourtant  le  droit  de  flétrir  les  calomnies  avérées  ou  les  équipées 

de  la  haine La  sainle  cause  de  la  vérité  redoute  avant  tout 

les  triomphes  de  la  vanité  et  b's  obstinations  de  ranionr-pr«)pre. 
Que  Dieu  nous  garde  de  ce  double  péril  !  Ce  serait  pour  nous 
un  snj«'t  d'in<*onsolable  douleur,  si  nous  étouffions  ,  par  un  n)Ot 
même  invol«)nlair«',  h's  s«'mences  «]ui  germent  inconnues  dans  les 
âmes  cl  qui,  un  jour  pcul-ôlrc,  sous  rinlluence  d'une  parole 


I.KTTRE   A    M.    L  ABBt   CAILLAT.  32'.^ 

amie,  s'épanouiront  â  la  lumière  catholique.  H  n'a  fallu  souvent 
([u'une  main  affectueuse  pour  aider  une  intelligence  à  Iranchir 
rabînic  qui  la  sépare  do  la  foi.  «  C'est  déjà,  disait  Bossuet,  une 
assez  grande  peine  aux  gens  que  de  leur  montrer  qu'ils  ont  tort , 
surtout  en  matière  de  religion.  » 

Puissions-nous  faire  iigréer  à  «juelques-uns  de  nos  frères  sépa- 
rés celte  parole  qu'il  attendent,  cette  main  qu'ils  recherchent! 
Nous  connaissons  les  talents  de  plusieurs;  comme  ils  seraient 
fructueux  au  service  de  la  vérité  !  Nous  ne  pouvons  croire  que  la 
paix  religieuse  et  l'unité  des  âmes  aient  fui  pour  jamais  nos  con- 
trées que  Dieu  a  faites  si  brillantes  ;  nous  épions  des  signes  de 
sérénité  dans  les  incertitudes  de  l'avenir;  nous  les  cherchons 
d'un  regard  avide,  et  nous  serons  heureux  de  préparer  à  Genève 
l'unité  de  la  foi  que  nos  vœux  appellent  et  que  le  Sauveur  du 
monde  a  demandée  à  son  Père  comme  le  bien  suprême  des  hom- 
mes, au  sein  des  divisions  et  de  l'instabilité  terrestres. 

»  Qu'ils  soient  un  !  Sint  unum  !  » 

C'est  donc  un  organe  catholique  fondé  à  Genève  ;  vos  mains 
le  soutiendront  mieux  que  je  ne  pouvais  le  faire.  Vous  ne  serez 
pas  isolé,  vous  aurez  les  sympathies  de  la  presse  catholique, 
l'appui  d'hommes  influents  dans  le  clergé  et  dans  les  laïques; 
vous  verrez  de  jeunes  chrétiens  venir  essayer  leurs  forces  dans 
notre  Recueil  et  réclamer  une  part  de  travail  dans  ce  champ  où 
ils  paraissent  inexpérimentés  d'abord,  mais  où  ils  seront  plus 
habiles  un  jour.  Nos  Annales ,  n'eussent-elles  pour  but  que  de 
former  un  faisceau  catholique  de  défenseurs ,  de  développer  la 
vie  scientifique  et  littéraire  parmi  nous ,  de  montrer  que  nous 
vivons,  que  cela  seul  suflirait  pour  fixer  leur  existence. 

D'ailleurs,  nous  pourrons  être  un  écho  du  mouvement  catho- 
lique et  des  efforts  protestants  en  Europe.  Placé  entre  l'Italie, 
l'Allemagne  et  la  France,  notre  recueil  peut,  mieux  qu'un  autre, 
être  l'interprète  fidèle  de  nos  luttes  et  de  nos  espérances.  Des  écri- 
vains connus  et  aimés  dans  l'Église  nous  ont  promis  leur  concours. 
L'illustre  archevêque  de  Gênes  et  le  P.  Perrone  nous  parleront 
de  l'Italie  ;  Dœilinger  nous  racontera  cette  admirable  fermenta- 
tion catholique  qui  se  révèle  au-delà  du  Rhin  ;  le  savant  évêque 


330  LETTRE  A    »      t'ABBé  CAILLAT. 

de  Moniauban  et  M.  l'aMn'  «l'AI/on,  vicaire-gt'néral  «le  Nîmes, 
rediront  à  nos  lecteurs  la  valeur  théologiqne  des  proieslanls  fran- 
çais il  de  leurs  écoles.  Nos  collahoraleurs  et  nos  abonnés  nous 
soroiil  lid»'les.  \'ous  le  voyez,  la  i.li  lie  tsl  bien  alléj^ée;  il  s'agit 
de  la  remplir.  Je  1  ai  lenlé  ;  je  n'ose  croire  ù  mon  succès;  je  me 
console  en  l'cspéranl  pour  vous. 

Je  ne  vous  délaisse  pas  ;  je  garde  ma  pari  de  responsabilité  et 
de  labeurs.  Je  vais  à  Rome  réparer  ma  santé  ébranlée  et  retrem- 
per mon  âme  dans  la  ville  des  grandes  inspirations  et  des  sain- 
tes ménu»ires.  Là  se  rencontre  qu»;lque  cliose  de  meilleur  que 
les  livres,  une  terre  pi-trie  de  ruines  et  de  cendres,  des  monu- 
ments pleins  de  souvenirs,  et  des  hommes  qui,  avec  l'austérité 
de  la  foi,  ont  gardf  la  S("ience  ff'-conde  et  la  chaleur  du  nrur. 
J'aurai  la  joie  de  contempler  le  «;éna(  le  des  Poniiles  venus  de 
tous  les  points  du  globe,  rénnis  autour  de  Pie  I\,  et  préparant 
celle  solennelle  d«'cision  qui  doit  glurilier  la  Reine  de  l'Église, 
la  Mère  de  Ncitrc  Seigneur  Jesus-Chrisl.  J'associerai  nos  lecteurs 
à  ces  fêtes  de  la  ville  éternelle;  ma  parole,  il  est  vrai,  ne  pourra 
Ctre  qu'un  reflet  lointain  de  ces  splendeurs  caiholicpies;  mais  ils 
l'accueilleront  comme  le  voyageur  qui,  au  déclin  du  jour,  ne 
vovant  plus  h"  soleil,  se  réjouit  de  regarder  encore  le  nuage  em- 
pourpré de  ses  derniers  leux. 

Remercions-le  de  nous  avoir  fait  >ivre  dans  un  temps  oii  b; 
prêtre  n'a  d'autres  joies  tpie  de  passer  sans  éclat  et  courageux, 
semant  la  vérité,  pansant  les  blessures  et  consolant  lésâmes;  re- 
mercions-le de  nous  placerait  milieu  de  ceux  qui  méconnaissent 
son  Église  et  d'être  appelés  à  leur  montrer  sa  grandeur  et  ses 
ttienfaiis.  Plus  que  jamais  nous  pourrons  leur  faire  entrevoir  les 
glorieuses  destinées  qui  semblent  s'ouvrir  devant  elle;  soyons 
les  plus  humbles  et  les  plus  dévoués  enfants  de  l'Kpouse  <lu 
Sauveur.  Nous  traNaillons  pour  Dieu  ;  nous  savons  que  même  des 
efforts  stériles  ne  sont  pas  sans  prix  à  ses  yeux,  et,  dans  nos  fai- 
bles travaux,  rappelons-nous  avec  joie  ces  paroles  prophétifpies 
«l'im  célèbre  penseur,  de  Joseph  de  Maistr»'  :  «  Nous  louchons  ;i 
la  plus  grande  des  époques  n-ligieuses,  oii  tout  homme  est  tenu 
d'apporter,  s'il  en  a  la  for(  e ,  ime  pierre  pour  l'édifice  auguste 


LETTRE   A   M.    i/aBBÉ  CAILLAT.  331 

dont  les  plans  soni  visiblement  arrêt(''s.  La  médiocrité  des  talents 
ne  doit  elfrayer  personne...  L'indigent  qui  ne  sème  dans  son 
étroit  jardin  que  l'ancili,  la  mendio  oi  le  cumin,  peut  élever  avec 
confiance  la  première  lige  vers  le  ciel.  » 

L'Abbé  Gaspard  Mermillod  , 

Missionnaire  apostolique,  Vicaire  de  Genève. 

Genève,  le  15  octobre  \8M. 
Fête  de  sainte  Thérèse. 


l]\  SPtClMt.V  Dt  i;\l»OLOGIt  IMlOTESTAATt. 


D;in.s  noirt'  nnnu  ro  du  mois  prcc  «'dent ,  lums  ;»vons  fail  ineii- 
lion  d'un  cxciIltMJl  compic-rondu  ,  publie  dans  le  Journal  dts 
Débats  du  12,  d'un  livre  de  M.  Napoléon  Roussel.  En  relisant 
ce  travail  spirituel  et  plein  de  verve  de  M.  John  l.emoinne,  nous 
n'avons  pu  «|ue  nous  confirmer  dans  noire  première  apprécia- 
lion.  L'écrivain  «les  Débais  fail  juslic»',  avec  une  indignation  qui 
honore  son  sentiment  religieux  et  sn  foi  clin'lienne,  des  absurdes 
et  al)«)minal)les  principes  qui  ont  servi  de  base  à  la  nouvelle  pro- 
duction de  M.  Rouss«>l.  Nous  «-«uinaissons  d«'puis  longtemps  la 
pitoyable  manii^re  de  «et  «'irange  apologiste  du  protestaniisme  , 
dont  la  plume  «b'vergondee  ignore  egal«'u»ent  le  r«'spe«t  et  1'»'- 
(|uile ,  et  nous  ne  «louions  pas  «|ue  si  M.  L«'m(>inne  eut ,  comme 
nous,  connu  les  écrits  anléri«'urs  d«>  M.  Roussel,  il  n'eiU  omis 
dans  sa  critique  la  seule  |iliiase  qui  honore  cet  «'HTrivain. 

Les  lecteurs  «les  ÀnnaUs  seront,  sans  aucun  «loute,  enchantés 
comm«'  nous  de   lire  tout   «-ntit'r  rintér«'ssaiit  travail  «le  M.  Le- 
moinne.    C'est  une  «  riiique  liiie  «-i   mordante  d«'  tout  un  genre    1 
apol<>géii«|ue  «pii  est  aujourd'liiii  employé  de  préférence  par  les 
ministres  du  saint  Évangile.  i 

Les  nations  catholiques  et  les  nations  protestantes  considérées  sous 
le  triple  rapport  du  bien-être,  des  lumières  et  de  la  moralité, 
par  Napoléon  Roussel. 

«  Nous  avions  ouvert  ce  livre  avec   le  désir  d'eu  dire  tout  le 
bien  «pie  nous  pourrions;    mais,  av«'c  la  meilleure  volonté  du 


in    SI'K<:iML>    DE    I.Al'OLOtilE   l'KOTlis'l  Ai^lTK.  33.'î 

inonde,  il  nous  est  impossible  de  le  considérer  ni  comme  un  bon 
livre  ni  comme  une  bonne  notion.  L'auteur  est,  nous  n'en  faisons 
uucun  doute,  un  homme  lionnêle  et  honorable  ;  et  pourtant,  avec 
des  intentions  (|ue  nous  voulons  croire  excellentes,  il  a  fait  une 
œuvre  dont  le  dernier  mot  est  le  maticrialismc  le  plus  cruel,  le 
plus  insensible,  le  plus  désespérant.  En  vérité,  si  un  ministre  de 
rÉvan}j[ile  n'a  qu'une  morale  comme  celle-là  à  présenter  au 
monde;  si,  protestant  ou  catholi(iue,  quel  qu'il  soit,  il  n'a  point 
d'autre  conclusion  à  tirer  de  l'histoire,  alors  il  ne  reste  plus 
aux  hommes  qu'à  se  bien  nourrir,  à  se  bien  porter  et  à  bien 
faire  leurs  affaires;  les  plus  riches  seront  toujours  les  plus  ver- 
tueux. Celte  lecture  serre  le  cœur;  elle  indignerait  et  elle  révol- 
terait si  l'auteur  n'était,  nous  en  sommes  convaincu,  un  homme 
digne  de  respect;  aussi  désirons-nous  que  M.  Napoléon  Roussel 
veuille  bien  prendre  seulement  pour  son  livre  notre  jugement  et 
nos  reproches. 

»  M.  Roussel  a  eu  l'intention  de  comparer  les  nations  catholi- 
ques avec  les  nations  protestantes  sous  le  triple  rapport  du  bien- 
être  ,  des  lumières  et  de  la  moralité.  Par  malheur,  dans  cette 
comparaison  ,  la  moralité  ,  qui  aurait  droit  à  la  première  place  , 
n'occupe  que  la  dernière  et  la  plus  petite;  les  lumières  viennent 
au  second  rang,  et,  comme  dans  le  titre,  le  bien-être  s'étale,  et 
pour  ainsi  dire  se  carre  sur  le  premier  plan.  Nous  ne  blesse- 
rons point  M.  Roussel  en  disant  qu'heureusement  il  n'est  presque 
point  l'auteur  de  son  livre;  ce  n'est  guère  qu'un  assemblage 
confus  de  citations  prises  à  droite  et  à  gauche,  et  mises  en  re- 
gard pour  les  besoins  de  la  cause.  M.  Roussel  a  de  celle  manière 
accumulé  deux  volumes  d'extraits  par  lesquels  il  démontre,  à 
grands  renforts  de  chiffres,  que  les  protestants  sont  infiniment 
plus  heureux  dans  ce  monde  que  les  catholiques;  qu'ils  ont  plus 
de  rentes,  plus  d'actions  industrielles,  plus  découverts  d'argent, 
plus  de  chemises  et  plus  de  bottes.  Jusqu'à  préseni  nous  avons 
toujours  cru  qu'au  jour  du  jugement  dernier  Dieu  mettrait  d'un 
côté  les  bons  el  de  l'autre  les  méchants;  mais,  dans  le  système 
de  M.  Roussel ,  l'humanité  est  partagée  en  deux  autres  catégo- 
ries :  celle  des  gens  gras  el  celle  des  gens  maigres.  Dieu  ne  son- 
dera plus  les  reins  et  les  cœurs,  mais  les  estomacs.  Si  M.  Roussel 


.'i.'M  IN  spécime:^  Dr.  i'apolocif.  pr.((TESTA>Tr.. 

pt-rmcimii  à  >>;nni  INnie  do  garder  rt'iiirir  du  Paradis,  ccrlai- 
nemrnt  il  lui  donncrail  pour  ronsignc,  comme  aux  Tuileries,  de 
ne  laisser  passer  (|uo  les  g«ns  bien  portants  et  bien  v(''tus;  dans 
sa  tlieol()|,'io,  pour  «-tro  s;iu\é,  une  mise  décente  est  do  rigueur. 

>  Il  faut  voir  avec  (pielle  com|ilaisancc  M.  Uousscl  aligne  les 
comptes  de  tous  \vs  pays  catliolitpies  cl  do  tous  les  pays  protes- 
tants; c'est  une  véritable  tenue  de  livres  on  partie  double.  Nous 
pourrions  d'abord  contester,  sinon  roxaciiiude,  du  moins  la  va- 
leur de  SCS  cbillros;  dans  Tappréoiation  des  faits  moraux  ,  il  n'y 
a  pas  de  plus  grande  crroiir  que  de  croire  (pic  deux  et  deux  font 
(pialic  ;  c'est  de  la  pliilosopliio  de  boniitpie  et  do  comptoir. 
Dieu  ne  compte  pas  seuiomcnl  les  crimes  (pii  se  conuiioiienl 
contre  les  luis  des  lioiiimes,  mais  aussi  ceux  (pii  se  commeiient 
contre  ses  propres  lois.  Il  voit  et  il  juge  les  intentions,  pendant 
(pie  le  (j)(le  ne  peiii  voir  ol  atteindre  (jue  les  actes,  et  la  sociélé 
la  plus  vertueuse  à  ses  yeux  n'osl  pout-i'^tro  pas  celle  à  <jui  la  sla- 
tistiipie  donne  le  prix  de  morale  et  do  bonne  conduite.  Il  y  a  , 
par  exemple  ,  un  n)ond)re  de  rAca(l(!'mie  des  sciences  qui  a  in- 
vente une  carie  de  France  divisée  en  départements  plus  ou  moins  . 
colories,  soltui  (pie  rinslrucii(m  primaire  y  est  plus  ou  moins  ré- 
pandue; que  M.  Koussel  se  serve  de  cetlf-  espèce  de  jouj(»u  pour 
compter  le  nond)i(>  de  4':i!li(ili(pies  ou  de  protestants  (|ui  saveut 
lire  et  écrire,  nous  le  voulons  bien;  mais  le  nomlue  do  ceux  tpii 
seront  sauvés,  ni  M.  Iloussel,  ni  l'Académie  des  sciences  mora- 
les n'en  sauront  Jamais  rien. 

»  Laissons  donc  de  côté  la  (jnestion  de  moralité,  et  occupons- 
nous  do  la  (piesiion  |»rimordial(^  du  bien-("tro.  Sur  ce  terrain, 
M.  Houssi'l  et  le  pidiestaiilisMie  re^miil  en  maiires  :  ils  soûl  les 
plus  riches.  Voyez,  pai  exemple,  l:i  ligure  «pie  fait  celte  li'isle 
ol  sale  Iilande  à  c('»t(Nle  ses  sd'iirs  |»rol(  Plantes!  ,M.  UdusscI  nous 
donn(> ,  d'après  un  ra|>porl  ollicicl ,  le  bilan  d'une  paroisse  do 
4000  habitants,  <  tous  catholiques ,  •  a-t-il  soin  d'ajouter;  ni 
ces  4000  calh(>li<|ues  posscdont  entre  eux  «  une  charrette ,  une 
charrue,  s(.*ize  hersos ,  huit  selles  d'homme ,  doux  selles  de 
l«ninii-,  sept  loui*  helti's  do  table,  (|ualre-vingt-trei/e  chaises, 
doux  coni  (]uarantc-lrois  tabourois,  vingl-se|>i  oies,  trois  diitdcs, 
jleux  mnielais,  huit  paillasses,  hiiii  <  handeliers  de  cuivre,  trois 


l'N  sPEnniKN  i)i;  i.'vi'<m,u(;ii:  i'kotest\inte.  335 

inontros,  une  école,  un  prôtre,  point  de  chapeaux,  point  de  pen- 
(liil(>s,  point  (le  licites,  point  de  navets,  point  de  carottes...» 
Aiirloiis-iioiis  un  peu  dans  relie  noincnclaiiiie;  M.  Roussel  en 
(iu;  des  paj^es  cuiirres  cpii  ne  préscnlcul  rien  de  nouveau  pour 
quiconque  a  vu  le  pays  dont  il  parle  ;  el,  après  avoir  achevé  cette 
sorle  de  visite  à  riiôpiial,  il  s'ccrie  Irionqilialement  :  «  Traver- 
sons donc  le  canal,  et,  après  avoir  vu  [Irlande  catholique  el  ses 
misères,  contemplons  l'Ecosse  protestante  et  sa  prospérité,  » 

»  Comme  les  gens  qui  ont  la  jaunisse  et  qui  voient  tout  jaune, 
M.  Roussel  va  déterrer  du  catholicisme  jusque  dans  des  coins  où 
on  n'aurait  jamais  cru  (pi'il  pùl  se  nicher,  licite,  par  exemple, 
le  récit  d'une  scène  de  pugilat  qui  se  passe  en  Irlande,  les  com- 
baiiants  se  niellant  en  pièces,  les  témoins  les  lavant  avec  du  vi- 
naigre et  leur  Taisant  avaler  de  Teau-de-vie,  enfin  tous  les  accom- 
pagnements habituels  de  ce  genre  d'exercices.  Mais  savez-vous 
le  scandale?  C'est  que  ces  Irlandais  se  battent  à  coups  de  fouet , 
au  lieu  de  se  battre  à  coups  de  poing,  comme  «  les  nobles  bo- 
xeurs exercés  de  l'Angleterre!  »  M.  Roussel  cile  gravement  ce 
fait  comme  un  exemple  de  la  grossièreté  des  mœurs  irlandaises 
et  catholiques.  Quelle  différence  avec  ces  «  nobles  boxeurs  ).  pro- 
testants et  ces  admirables  coups  de  poing  inspirés  sans  doute  par 
la  foi!  Mettez  aux  prises  deux,  boxeurs,  l'un  catholique,  l'autre 
prolestant,  on  les  distinguera  Tun  de  l'autre  au  plus  ou  moins 
de  vigueur  des  coups  ;  voilà  un  nouveau  critérium  auquel  nous 
n'avions  jamais  songé. 

»  Continuant  son  tour  du  monde.  M,  Roussel  soumet  au  même 
procédé  de  comparaison  la  Suisse  catholique  et  la  Suisse  protes- 
tante. Voici  un  voyageur  qui  arrive  dans  un  canton  catholique, 
et  son  premier  mot  est  :  «  Quelle  malpropreté!  quel  teint  jaune, 
noir  et  livide  !  »  C'est  convenu  :  tous  les  catholiques  sont  jaunes. 
Voici  encore  une  autre  impression  de  voyage-,  nous  citons  : 
«  Nous  arrivâmes  sur  les  deux  heures  à  Fluellen  ;  cette  terre 
dn  catholicisme  nous  fut  annoncée  par  quatre  goitreux  ,  six  ga- 
leux ,  une  demi-douzaine  de  malheureux  en  guenilles  qui  pa- 
raissaient sortir  du  tombeau...  »  C'est,  comme  on  voit,  de  mieux 
enmienx  ;  tout-à-l'heure  les  catholiques  étaient  jaunes,  à  présent 
ils  sont  tous  galeux.  Détournons  nos  regards  de  ce  triste  spec- 


33(>  l>    5rMHIK>   ut   LAPoKX.ir.    PIU»Tr.STAXTE. 

tacio ,  et  hâtons-nous  .ie  U'S  rasséréner  par  la  vue  dune  terr.' 
prolostante  :    -Que  de  vaU..ns!   quelle  eullure!   s'éeric  le  tou- 
riste cité  par  M.  Uoussel.  Que  .l'alM,nd:.n.  <•  el  .l'induslrie!  Zu- 
rich et  ses  beaux  environs  lur   paraissent  l'asile  de  la  sagesse, 
de  la  modération  ,  de  laisame  el  du  Lcnlieur...  Nous  mirâmes 
dans  une  chaumière  où  la  maîtresse  du  lo^^is  u..us  olFrii  du  h.it 
et  des  cerises,  et  plav^  sur  la  table  neuf  ou  dix  grandes  cuillers 
d'argent...  »  Entende/.-vous  bien?  dix  euillers  d'argent  î  Quelles 
saintes  gens!  Ce  ne  sont  pas  .es  galeux  de  catholiques,  ces  gens 
livides,   qui    pourraient  vous   eu  moulror  autant  !    Voulez-vous 
suivre  M.  Roussel  en  Espagne?  lii  encore,  à  grand  reoforl  de 
citations,  il  vous  prouvera  (lue  les  roules  sont  nud  tenues,  que 
les  auberges  sont  sales  el  qu'on  y  mange  dans  des  ouverts  dV- 
lain;  puis  il  c.Muparera  celle  terre  du  catholicisme  a  lAugletenv, 
cette  terre  du  protestantisme,  qui  s'annonce  à  son  tour  par  «les 
couverts  d'argenl ,  par  des  chemins  de  fer.   par  du  linge,  etc. 
.  Nous  ne  tenons  pas  a  ac.  ompagner  M.  Uoussel  dans  toutes 
ses  pérégrinations;    nn..s    ne    nions  point   l'exactitude    de   ses 
comptes,  et  nous  laissons  au  pr..l.-stanlisme  le  l.én«  hee  de  son 
..r-enterie.    Mais  M.  Roussel,    quand    il   voyageait  en  Irlande , 
par  exemple,    n'a-l-il   jamais   éprouvé  le  moindre  remords  de 
conscience?    Ne  s'est-il  jamais  demande  si  l.s  protestants  n  e- 
laient  pas  pour  quel.pie  chose  dans  la  misère  de  celle  terre  ca- 
Iholi.pie?  si  les  proi.stants  ne   représenlent  pas  plus  d'un   di- 
xième de   la  population    de  l'Irlande,  de  quel   droit  ont-ils  fait 
main  basse  sur  tout.-s  Ws  propriétés  el  tous  les  revenus  de  1  K- 
glise  caiholi.pie?   Et  quan.l   M.  Roussel,  puur  prouver  que  les 
caiholicpies  ne  sonl  plus  opprimés   en   Irlande,  nou»  du  qu  ils 
ont  quatre  archevé.pies ,  vingi-imis  évéques  ,   deux  mille  .  inq 
,cnls  églises,  plus  de  deux  mille  prèires.  n.mm.ut  n  a-t-il  pas 
„„  peu  .radmiraiion  pour  ce  peuple  de   mendiants  qu.   trouve 
encore  à  prélever  sur  sa  misère  l'entretien  de  son  Eglise,  pen- 
,lmt  qu.'  l.s  cN.'.pies  et  les  ministres  protestants  vivent  grass.- 
,„,.ni  .1  planiur.usem.-nt  du  pro.luit  de  la  confiscation?   Com- 
n.ent   un   mmis.n-   .h-   T^Aangile  ne  se.  rappelle-t-il   pas  cette 
simple  parole  :   .  Je  vous  .lis  .n  vérité,  cette  ,>auvre  veuve  a  plus 
,I.„HH.  ,,ue  tous  ceux  qui  ..ni  mis  .lans  le  tronc  ;  car  tous  les  au- 


UN  SPÉCIMEN  l»K  t. WouU.lM   PKOTESTANTE.  337 

très  ont  donné  de  leur  abondance,  mais  celle-ci  a  donné  de  son 
indigence  même  tout  <c  quVlIcî  avait  et  tout  ce  qui  lui  restait 
pour  vivre.  » 

Mais  M.  Roussel  a  gardé  pour  la  France  le  plus  éclatant,  le 
plus  invincible  de  tous  ses  aigunienls.  Écoutez  plutôt  : 

«Persécutés  pendant  des  siècles,  dépouilN's  de  leurs  biens, 
les  protestants  français  devraient  être  aujourd'hui ,  non  pas  au 
niveau ,  mais  bien  au-dessous  du  reste  de  la  nation  à  l'égard  de 
la  richesse.  En  est-il  ainsi?  Si  nous  ne  voulions  consulter  que 
l'opinion  publique,  nous  pourrions  dire  que  la  conscience  du 
lecteur  a  déjà  répondu...  » 

»  Nous  vous  prions  d'admirer  en  passant  le  singulier  office 
que  remplit  ici  la  conscience;  mais  laissons  continuer  l'auteur  : 

«  Mais  nous  d(''sirons  ne  jien  affirmer,  pas  même  l'évidence , 
sans  nous  appuyer  sur  des  documents.  Ceux  que  nous  nous  som- 
mes procurés  sur  ce  point  sont  auihenliques  et  de  la  plus  haute 
importance  dans  la  question...  »  —  Ici  nous  avons  frémi  pour  le 
catholicisme.  Que  va-t-il  lui  arriver?  Quelle  tuile  va  lui  tomber 
sur  la  lêle?  Rassurons-nous;  c'est  un  sac  d'écus,  c'est  une  pluiede 
gros  sous.  M.  Roussel  nous  explique  en  détail  qu'il  s'est  procuré 
le  relevé  de  la  cote  mobilière  payée  par  les  protestants  du  dé- 
parlement de  la  Seine.  La  liste  est  lithographiée  ;  elle  est  entre 
ses  mains,  et,  d'après  cette  base,  il  trouve  que  la  moyenne  payée 
par  tous  les  habitants  de  Paris  est  de  33  fr.  14  c,  et  la  moyenne 
payée  par  les  protestants,  de  87  fr.  1  c.  «  Ainsi,  dit-il,  les  pro- 
testants français  possèdent  trois  fois  plus  de  richesses  que  leurs 
compatriotes  catholiques  romains.  )»  Après  un  pareil  coup ,  le 
catholicisme  doit  se  rendre  ;  décidément ,  il  ne  se  relèvera 
pas  de  la  cote  mobilière.  Mais  pourquoi  M.  Roussel ,  pendant 
qu'il  était  en  train  de  faire  ses  comptes,  n'a-t-il  pas  consulté  aussi 
la  cote  payée  par  une  autre  partie  de  la  population  ,  à  laquelle 
nous  ne  voulons  rien  adresser  de  blessant,  mais  qui  passe  géné- 
ralement pour  assez  bien  cotée,  nous  voulons  dire  les  Juifs.  Qui 
sait  s'il  n'aurait  pas  trouvé  les  Israélites  encore  plus  riches,  et 
nécessairement  encore  plus  vertueux  que  les  protestants? 

»  Mais,  encore  une  fois,  nous  ne  voulons  point  contester  les 
chiffres  de  M.  Rou;~sel  ni  troubler  son  triomphe.  Nous  le  laissons 


J.iS  l>    SPt(:iXK.>    l»t   LAr<»LO(.lh    CKOTEliTANTL. 

monter  sur  sa  pyramide  proiesuintc  de  pièces  de  cent  sous  et  > 
chanter  son  Gloria  in  excelsis.  Il  y  a  (|uel(|u'un  qui  a  dit  :  «Je 
vous  dis  eu  vérité  qu'il  est  Itien  difTicilc  (|u'un  riche  entre  dans 
le  royaume  des  (  ii.-ux.  Je  vous  le  dis  encore  une  fois  :  il  est  plus 
aisé  qu'un  chameau  passe  |>ar  le  iruii  d'une  aiguille  «|n  il  nr  l'est 
(pi'un  riche  enlr»;  dans  le  rovaume  des  l'ieux.  »  Nous  pourrions 
faire  encor  «'  (]uel(pu's  autres  citations  qui  vaudraient  bien  celles 
de  M.  Uoussel,  mais  il  n'est  pas  de  notre  conq)«'ienee  de  faire  un 
sermon.  Ainsi  que  nous  le  disions  en  commençant ,  M.  Roussel 
a  peut-être  sincèrement  cru  laire  im  livre  moral  et  religieux  ; 
l'esprit  de  secte  l'a  aveugh-,  et  nous  regrettons  d'avoir  à  répeler 
que  ses  conclusions  sont  essentiellement  matérialistes.  • 

J.    L£XUI>>£. 


l\  CONFESSION  VOCALE  DES  PÉCHÉS 

rRATIQlÉK  PAR    l'aNCIENNE  SYNAGOGOE,  ET  ÉLEVÉE  A  LA  DIGNITÉ  DE 

SACREMENT  PAR  JÉSUS- CHRIST  DANS  L'ÉGLISE  ;  AVEC  L'N  APPENDICE 

SI  R  LA  CONFESSION  DANS  LES  SIÈCLES  PAÏENS. 

TRAITÉ  IIISTORIQLE,  ARCIIÉOLOGIOIE  ET  APOLOGÉTIQUE, 

PAR  LE  PROFESSEUR  D.    liOuis  VI!\'CE!%ZI   (1). 


Le  prolestanlisme,  aidé  par  l'or  de  la  Grande-Bretagne,  tente 
tous  les  moyens  pour  corrompre  la  foi  de  la  caiholique  Italie,  et 
y  implanter  ses  détestables  doctrines.  La  Lombardie,  et  surtout 
le  Piémont,  où  il  se  cache  sous  le  voile  de  la  politique,  ou  plu- 
tôt de  la  démagogie ,  sont  principalement  le  théâtre  de  ses  hon- 
teux exploits  et  de  ses  coupables  manœuvres.  Le  mensonge, 
l'imposture ,  voilà  son  arme  favorite.  Il  attaque  nos  dogmes  les 
plus  sacrés,  mais  le  dogme  de  la  confession  est  peut-être  celui 
qui  enflamme  le  plus  la  bile  des  émissaires  des  sociétés  bibliques. 
L'épiscopat,  à  la  vue  des  loups  dévastateurs  qui  fondent  sur  le 
troupeau  de  Jésus-Christ,  a  élevé  la  voix  pour  le  prémunir  contre 
la  fureur  des  sectaires  et  contre  leurs  ruses ,  car  bien  souvent 
ces  émissaires  se  couvrent  de  la  peau  de  brebis  pour  pénétrer 
plus  facilement  dans  le  bercail  du  Seigneur  et  y  exercer  impuné- 

(\)  La  confessione  vocale  dei  peccali,  praticata  dalla  Sinagoga  anlica,  e 
înnalzata  a  sacramenlo  da  Jcsu-Christo  nella  Chiesa,  con  appendice  inforno 
alla  confessione  dcgli  anlichi pagani ;  trattato  storico-archeologico-apologe- 
ticO;  del  prof.  D.  Luigi  Vincenzi.  Romatipographia Paterne.  iSSO.  \  v. 8°. 140p. 

22 


JlO  \K   rOMFESSIO?»    \(>(  ALt   KES  PÉCHÉS. 

iiiciii  de  plus  gruuds  ravjges.  Des  hommes  l'inioenLs ,  par  leurs 
vertus  et  par  leur  science,  ont  joint  leurs  efforts  à  ceux  des  pre- 
miers past«*urs ,  pour  repousser  les  atla<pies  de  reiinemi  el  lui 
opposer  une  barrière  infranchissable.  Ils  ont  composé  des  traites 
solides  el  sultslaiiliels  dans  IcMpiels  ils  réfutent  les  uiensonj^es 
de  rinrésie  el  dcmonlient  la  Nerile  des  dogmes  calholitpies.  Au 
nombre  de  ces  savants  et  intrépides  défenseurs  du  catholicisme 
fij^ure  l'illuslre  Louis  Vinccn/.i,  professeur  d'hébreu  à  l'Université 
de  Rome,  membre  du  colléj;e  |»liilosoplii<jue  de  cette  ville,  connu 
du  monde  saNaiil  par  ses  nombreux  ira\au\.  Il  a  fait  |>araitre  un 
cxcellenl  Traité  sur  la  confession  orale,  dont  nous  allons  donner 
une  rapide  analyse. 

Les  proteslanls  ,  accoutumés  à  manier  larme  de  la  calomnie, 
ne  cesse  de  crier  :  (|ue  la  confession  est  une  institution  inventée 
par  les  moines;  (|u'elle  a  pris  naissance  dans  les  siècles  barba- 
res ,  quand  les  l«''nèbr»'s  du  moyen  âge  enveloppaient  l'Église  ; 
qu'elle  n'a  pas  ('lé  praiiipiée  par  les  AjHtircs;  que  notre  divin 
Sauveur  n'en  a  point  parlé  ,  et  que  ce  rite  était  inconnu  de  l'an- 
cienne Synagogue.  Le  célèbre  théologien  de  Home  réfute  leurs 
objections,  cl  démontre  avec  un  rare  talent  ()ar  nos  s-ainls  livres. 
par  la  tiadilion,  ijin-  la  confession  était  connue  des  llcbreux  , 
(ju'elle  a  été  prescrite  par  Jésus-(;iirisl,  |)rali<piee  par  les  Apô- 
tres et  par  leurs  successeurs  dans  les  trois  |»remiers  siècles  de 
l'Église.  Très-versé  dans  la  connaissance  des  langues  greccjuc 
et  hébraujue,  il  a  recours  aux  textes  originaux,  com|)ulse  même 
les  commcnlaires  du  Talmud  ,  pour  ex|)liquer  le  véritable  sens 
des  passages  de  la  iJibb'  contestes  par  ses  adversaires. 

Dans  le  pniuiei-  chapitre,  il  établit  (|ue  la  (onfessioD  orale 
des  péchés  a  ele  prati(|uee  dans  la  S\nag()gu»'  comme  partie  in- 
tégrale de  la  loi  mosan]Uc.  Il  le  |irouve  par  divers  passages  du 
Pcnlaleuque,  entre  autres  par  relui  du  Lèvit.y  V,  6,  où  il  est  or- 
donné :  «Que  lors(|ue  quehpi'un  aura  péché,  il  confesse  d'a- 
n  bord  la  faute  (pi'il  a  (ommise    I  .  «   Il  démontre  par  plusieurs 


(I)  Il  est  vrai  que  l.i  Viili^alc  traduit  :  Pirnilmtiam  agat  prn  pecralo.  Mai* 
le  Icxtc  hcbrrn  »>l  foruu-l  :  Confiirbihir  in  qun  prccaril.  La  Bible  de  Zurirli 
traduit  :  *  Con/ilcalur  quoil  rà  rt  pcccnvit.  »  I.a  liiblc  anglicane  Ir.iduil  «g-i- 


i.v  (;o^^■ESSl(^:N  vocale  des  i-éciiés.  ."{il 

;iulres  passages  de  l'Ancien  Testament,  qu'il  faut  enlendie  par 
("onfession  l'expression  hébraïque  Hilvaddah,  et  s'appuyer  sur  la 
lituij^io  de  l'éj^liso  syrienne;  car  les  Maronites  em|)loienl  la 
nit'me  expression  dans  le  même  sens  dans  leurs  rites.  L'auteur 
de  la  Mima  parle  claircmenl  de  la  nécessité  de  la  confession  : 
«  A  chaque  sacrifice  fait  par  les  Hébreux  ,  on  doit  nécessaire- 
»  ment  faire  la  confession  des  péclics  commis  (I).  »  Les  rabbins 
les  plus  instruits,  tels  ijuc  David  kimclii ,  Salomon  Bcn-Melec , 
Moyse  Nacmanide,  Maimonide,  Abenezzra,  etc.,  sont  très-expli- 
cites sur  le  même  sujet;  quelques-uns  d'entre  eux  nous  ont  con- 
servé la  formule  de  confession  usitée  parmi  les  Israélites  ;  la 
voici  :  «  Je  vous  adresse  mes  supplications,  Seigneur,  j'ai  péché, 
»  j'ai  agi  injustement,  j'ai  prévariqué,  j'ai  agi  de  telle  et  telle 
»  manière,  voilà  que  je  me  repcns,  et  que  j'ai  honte  de  mesœu- 
»  vres,  je  ne  retomberai  plus  dans  ces  fautes.»  Les  Juifs  croyaient 
que  les  sacrifices  ne  servaient  de  rien,  que  les  péchés  ne  pou- 
vaient être  expiés,  sans  la  pénitence  et  la  confession.  Il  est  in- 
contestable qu'ils  faisaient  usage  de  la  confession  du  temps  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  puisque  les  évangélistes  saint  Mat- 
thieu et  saint  Marc  disent  formellement  que  tous  ceux  qui  ve- 
naient recevoir  le  baptême  de  saint  Jean-Baptiste ,  confessaient 
leurs  péchés  (2).  L'auteur  corrobore  toutes  ces  preuves  par  l'au- 
lorité  de  Flavius  Josèphe  (3),  par  celle  de  Philon  (4),  d'Origène 
et  de  saint  Augustin  (5). 

Quant  aux  Juifs  modernes,  Buxtorf  nous  apprend  (6)  qu'ils  se 
confessent  à  leurs  rabbins,  à  peu  près  comme  nous  à  leur  lit  de 


lemcnt  :  «  That  he  shaU  confess  Ihat  he  has  sinned  in  thaï  thing.  »  La  tra- 
duction de  Le  Gros  est  la  même;  etc. 

(1)  Abarbancl.  Sur  les  ch.  IV  et  V  du  Lévitique. 

(2)  Mallli,,  III,  6;  Marc  i,  5.  Nous  ferons  observer  que  les  rabbins,  de 
même  que  les  Grecs,  ne  confondent  pas  la  pénitence  et  la  confession,  et  se 
servent  d'expressions  différentes  pour  exprimer  Tune  et  l'autre. 

(5)  Antiquités  judaïques,  liv.  m,  ch.  ix,  n.  5. 

(4)  De  Viclimis. 

(5)  Voir  les  textes  nouveaux  de  saint  Augustin  sur  la  confession,  découverts 
par  le  cardinal  Mai. 

(6)  Buxtorf,  Synagoga  Judœontm,  c.  5. 


,14*2  I  *  (;o.>FF.s.si().\  >(»(  iiK  i>tî»  rtcii^s. 

inoK.  Les  |>ius  ignorants  uni  une  formule  ;{(M)éralc  de  confesHinn 

qu'ils  récitent ,  les  autres  confessent  leurs  péciiés  on  |iarticu- 

lior(t). 

Dans  le  dcuiiènie  (  liapilre,  M.  Lduis  \  inconi^i  soutient  <|ue  lu 
confession  orale  des  péchés  a  passe  de  la  synagogue  dans  TÉ- 
glise  chrétienne,  (ju'elle  a  vU^  éle\ée  à  la  dignii»'  de  sacrement 
par  Notre  Sauveur,  qui  en  a  conféré  Tadministraiion  aux  Apô' 
très.  Il  prouve  »jue  le  ministère  sacre  d  Aaron  a  été  transféré  à 
Jésus-Christ,  et  (|ne  Jésus-Christ  l'a  confén-  aux  Apôtres  et  à 
leurs  sncccssenis,  cpiand  il  leur  dit  :  o  ( Connue  mon  père  m'a  en- 
«  voyé,  je  vous  envoie  ;  recevez  l'Esprit-Sainl  ;  les  pèches  sen)ni 
u  remis  à  ceux  à  «pii  vous  les  remettrez,  etc.  »  Pur  ces  paroles, 
le  divin  R<'denq)leur  th'clarait  ouvertement  que  le  sacerdoce  le- 
\iti(pie  elait  alxdi  ,  n'étant  que  l'ombre  et  la  figure  de  celui  du 
Christ,  le  veril;d)le  prêtre  selon  l'ordre  de  Melchisédec. 

Dans  les  troisième  et  <|uatrième  chapitres,  il  montre  que  le  sa- 
cn'menl  de  pénitence,  an  moyen  «le  la  confession  orale  des  pè- 
ches, a  ele  prescrit  et  administre  |)ar  les  Apoii'es  dans  IKglise, 
conformément  à  la  doctrine  de  Jésus>Christ,  et  que  celte  prati- 
que n  existé  dans  les  trois  premiers  siècles.  Il  s'appuie  sur  di- 
vers passages  du  Nouveau  Testament ,  en  particulier  sur  les 
textes  d(>  l'ipitre  de  saint  l'aul  aux  Corinthiens  :  Dédit  nobis 
ministerium  rcconciliationii  (2).  Pro  Chriito  ergo  legatione 
futigimur  (3);  siu'  ce  verset  des  A(  les  des  Apôlrcs  :  Mulli  ne- 
(lenltum  renitbanl  cunfilentes  il  annunlidtiles  arlu.i  $uo$  (^4).  Il 
cite  les  ext  luples  de  la  pécheresAc  à  laquelle  le  Siiuveur  adresse 
ces  paroles  :  «  'l'es  pi-ehés  te  sont  remis;  ■  ceux  de  Zachée,  de 
Penfant  prodigne,  ipii  confesse  st's  péchés  en  disant  :  •  J'ai  |>é- 
ché  contre  le  ciel,  etc.»  «  Pœnitcnliam  agite,»  d'i&ait  saint 
Pierre  aux  habitants  de  Jérusalem ,  et  saint  Paul  à  l'aréopage. 
Ce  dernier  use  du  pouvoir  «pi'il  a  de  lier  et  de  délier,  en  livrant 
ù  Satan  l'incestueux  de  (iorinlhe.  La  Misna  fait  aussi  mention  de 


(I)  Dnm  Calnirl.,  Ihiltim.  dr  la  Ihblr,  t.  il.  ji.  Ii7. 

{"!)  2Corinll...  v,  IH.  «!». 

(r»i  ii.id..  v.'jt). 

4'  \(t.  A|)o^l..  M\.   I".  \\ 


LA   COiXFESSION   V0«;AI.L  DES   l'ÉClILS.  343 

l'excommunicaiion  praliqui-e  dans  la  synagogue  (1).  Il  cilc  en- 
core CCS  paroles  de  l'apôtre  saint  Jacques  :  «  Confitemini  al- 
terutrum  peccata  vestra  ;  et  prouve  par  le  contexte  et  do  savan- 
tes observations  pliilosopliicpics ,  par  les  interprétations  des 
Pères ,  et  l'explication  de  Rosen-Midler,  quoique  ennemi  de  la 
confession  ,  que  celte  expression  allerulrum  ne  peut  s'entendre 
réciproquement  des  pénitents  et  des  prêtres,  mais  qu'elle  doit 
s'appliquer  exclusement  à  ces  derniers.  Saint  Clément,  pape, 
saint  Denis  l'Aréopagiste,  saint  Polycarpe,  saint  Irénée,  évêque 
de  Lyon,  Clément  d'Alexandrie,  Tertullien,  Origène  ,  Eusèbe  , 
l'auteur  de  l'histoire  ecclésiastique,  saint  Cyprien  ,  fournissent 
des  textes  nombreux  pour  démontrer  avec  la  dernière  évidence 
que  la  confession  a  été  en  usage  dans  les  trois  premiers  siècles 
de  l'Église. 

Dans  le  cinquième  chapitre,  M.  Louis  Vincenzi  jette  un  coup 
d'œil  sur  la  doctrine  des  Pères  les  plus  célèbres  du  quatrième 
siècle,  saint  Ambroiso  et  saint  Jérôme,  en  Europe;  saint  Basile 
et  saint  Jean-Chrysostome ,  en  Asie,  et  saint  Augustin  en  Afri- 
que, touchant  les  rites  de  l'Église  primitive  dans  l'administration 
du  sacrement  de  pénitence,  et  montre  que  leur  enseignement  est 
entièrement  conforme  à  celui  que  professe  de  nos  jours  l'Église 
catholique. 

Le  sixième  chapitre  contient  un  curieux  appendice  sur  les  ves- 
tiges de  la  confession  orale,  trouvée  dans  les  traditions  du  Paga- 
nisme. —  Tous  les  peuples  ,  dès  leur  origine  ,  ont  manifesté  un 
attachement  inséparable  pour  la  religion  et  le  sacerdoce,  qui  sont 


{{)  Il  y  est  fait  mention  d'un  endroit  dans  le  sanctuaire,  où  rexconimunic* 
entrait  par  une  voie  particulière.  Interrogé  par  les  assistants  pourquoi  il  agis- 
sait ainsi ,  il  répondait  :  «  Parce  que  je  pleure  ;  »  on  lui  disait  ensuite  ;  «  Que 
»  celui  qui  habite  dans  ce  lieu  te  console.  »  Après  qu'il  s'était  avoué  coupable  et 
excommunié,  ils  reprenaient  :  «Que  celui  qui  habite  dans  ce  temple  touche 
»  ton  cœur  et  te  donne  d'entendre  la  voix  de  tes  compagnons,  afin  qu'ils  te  re- 
»  çoivent  de  nouveau.  »  Le  coupable  s'arrêtait  ensuite  dans  cet  endroit,  repen- 
tant de  ses  fautes,  jusqu'à  ce  qu'il  obtînt,  par  les  prières  des  assistants,  d'être 
admis  dans  le  temple,  dans  la  société  des  autre?  Juifs,  pour  l'exercice  de  ses 
devoirs  religieux.  Dans  le  cas  où  l'Israélite  se  serait  montré  impénitent,  il  était 
chassé  de  la  synagogue.  (Buxtorf.  Leœ.  rabb.,  au  mot:  yiddui,  p.  loOô.) 


311  lA    «■.<)MrKSSIO>    MXALE   DES   l'ÉCIIhS. 

I«'s  «1t'U\  bases  sur  l«'s<|Uollos  rc|K)so  cl  s'aircrmil  l'éiai  social  de 
I  hoiniiM*.  Nos  saints  livres  nous  donnent  des  preuves  évidentes 
du  rcs|)«'ct  dont  ou  cnioiUMit  les  pn'-ires  d'I^f^ypte.  Oui  les  In- 
diens, la  «lasse  des  pliilusoidics,  (jui  elait  la  classe  sacerdotale, 
occu|>ail  le  premier  ranj;  <lans  Tadminislration  des  choses  spiri- 
tuelles et  temporelles.  Home  n'allei^Miit  le  plus  haut  dejfré  de 
^•raiideur  cl  de  puissance,  que  parce  «puî  Numa  inspira  au  peu- 
ple le  res|>ect  des  personnes  «onsacrécs  au  culte.  (Jie/  les  an- 
ciens Gaulois,  les  Druides  avaiciii  la  plus  grande  pari  aii\  allaires 
pul)li(]ues.  I)a!is  loiiles  les  naliuiis,  le  prèire  «'laii  r«'j,'ar(le  comme 
le  médiateur  entre  la  l>i\inite  et  I  liumtne  :  de  la  l'usage  des  sa- 
criticcs.  Mais  les  sacrifices  que  l'on  faisait  |)Our  apaiser  la  colère 
des  Dieux,  ne  pouvaient  <^lrc  ellicaces  (jue  par  le  repentir  du 
coupable,  et  ce  rc|)('nlir  devait  être  accompaj^né  de  l'atyu  de  ses 
crimes.  L'auteur  prouve  par  divers  passaj^es  de  CiciTon,  de  Pla- 
ton, (le  Porphyre,  d'Aristophane,  d'Homère,  de  Pluiarque,  d'Hé- 
lodole,  de  Lucien,  cic.,  (pie  la  confession  lui  prati(piée  |>;ir  les 
l'^îyptiens ,  les  Grecs,  les  Homaiiis,  etc.  Philosirate  raconic 
qu'Apollonius,  voyageant  sur  le  Nil,  appela  auprès  de  lui  un  cer- 
tain Timasion,  «pii  dt'sirail  apprendre  de  lui  la  sagesse.  A  peine 
Timasion  lui-il  en  présence  d'Apollonius,  que  celui-ci  lui  dit  : 
«Oh!  jeune  KgNplien,  exp(tse-moi  ce  (pie  lu  as  fait  de  hien  et  de 
»  mal ,  afin  ipic  je  le  pardonne  !<•  mal  ,  et  (pie  tu  reçoives  la 
n  |(Mian;^'c  (|iieln  mérites,  si  lu  as  lait  le  hien,  ei  lu  pourras  ainsi, 
•  comme  mes  C(»m|)agnons  et  moi.  devenir  |»hilosophe  (IV  •  Gi- 
eéron  écrivait  à  Octave  :  Sit  erranti  niedicina  confessio.  Pour 
être  initié-  aux  mystères  de  Racchus  et  d'Adonis,  il  fallait  se 
confesser  (2).  Marc-Aurèle,  en  s'associanl  aux  mystères  de  Gé- 
rés Eleusine,  fut  obligé  de  se  confesser  à  l'hiérophante  (3). 
Ahel-Uémusal ,  savant  orientaliste,  parlant  de  la  religion  domi- 
nante du  Tliihel,  dit  (pi'on  v  fait  usage  de  la  confessiim  aiii  icii- 


(\)  IMiilostialr,    tir  il'Ai><>lli>niiis,  I.  iv.  r.  i>. 

(3)  L'abl»'  (fiiillni^.  Hrehrrrhe»  sur  la  confession  aurirulnirr,  IK-K».  <ln  pciil 
ronsnilrr,  sur  Ir  m^nic  sujet,  un  oiivrnfjc  curieux  du  «Iculriir  lloilrau,  frère 
<lii  poèlr,  inlilul('- :  Ilislorin  ronfrssionit  nuricuinris.  Pari*.  tlW.",  in-S.  |  vol. 

[a)  V'nllairc,  //i.«/.  grnrralr. 


LA  COiNI'tSSIO.N  >()(:Af.l-    DES  TlicilKS.  345 

lairc.  Cluv.  l(^s  Cliinois  ,  lorsqiio  rcmpeioui"  remplit  roUu-o  de 
saciilicnleiir,  il  |)i"Ui(|ii('  un  gr;iiid  iionibrc  de  eéi(''motiics,  parmi 
lesquelles  se  trouve  la  confession  (1).  «[.a  eonfession,  dit  avec 
raison  M.  Guillois,  est  aussi  ancienne  que  le  monde;  Adam  pèche 
eu  transgressant  le  précepte  du  Seigneur,  Adam  l'ait  l'aveu  de 
sa  faute  pour  en  obtenir  le  pardon.  »  L'Iiistoire  nous  montre  les 
grands  coupables  portant  avec  eux  les  bourreaux  qui  les  tour- 
mentent, le  remords  de  conscience  :  l'aveu  du  ciime  commis  est 
comme  un  soulagement  aux  peines  inlérieures  (jui  déchirent 
rame.  La  confession  est  naturelle  à  l'homme.  Cela  est  si  vrai 
que  les  ennemis  les  plus  acharnés  du  catholicisme  n'ont  pu  mé- 
connaître l'inlluence  salutaire  de  la  confession  et  les  effets  sans 
nombre  qu'elle  procure  à  la  société.  Quelques  communions  pro- 
testantes l'ont  conservée.  Elle  est  prescrite  dans  l'église  angli- 
cane (2).  «  Dans  le  rituel  luthérien  des  églises  danoise  et  norvé- 
gienne, un  article  traite  de  la  confession  privée,  qui  est  auricu- 
laire. On  y  voit  qu'après  avoir  déclaré  ses  péchés,  le  pénitent  se 
prosterne  aux  pieds  du  ministre,  qui  l'absout  en  vertu  du  pou- 
voir qu'il  a  reçu  de  Dieu  même  pour  remettre  les  péchés  (3).» 
Nos  farouches  républicains  de  93 ,  qui  avaient  renversé  de  fond 
en  comble  toutes  les  institutions  catholiques,  pour  y  substituer 
un  culte  ridicule  et  monstrueux  ,  avaient  conservé  un  simulacre 
de  confession  ,  et  dans  le  dernier  village  de  France ,  tout  citoyen 
était  contraint  de  s'épurer  devant  les  patriotes  et  de  déclarer  ce 
qu'il  avait  fait  pour  ou  contre  la  R(''publique. 

Le  remarquable  traité  de  Louis  Vincen?.i  se  termine  par  ces 
paroles  pleines  de  sens  que  nous  croyons  devoir  reproduire  : 
«La  philosophie  moderne,  se  dépouillant  du  manteau  sacré  de 
»  la  Révélation,  rejetant  loin  d'elle  le  bouclier  qui  pouvait  seul 
»  la  préserver  de  l'erreur,  veut  être  libre  et  indépendante.  Elle 
»  veut  secouer  le  joug  si  léger  et  si  facile  du  sacerdoce ,  objet 
»  de  la  vénération  de  peuples  dès   la   plus  haute  antiquité ,  du 

(1)  L'abbé  Guillois,  ibid  ,ulsuprù. 

(2)  Hère  sball  the  sick  pcrson  be  movcd  to  make  a  spécial  confession  of 
hissins...  After  which  confession,  the  priest  shall  absolve  him  ..  (  The  book 
ofcommon  Prayer.  Cambridge,  1716.)  (  Visit.  ofthe  sick.) 

(5)  RilualeecclesiarumDaniœ  et  Noru'eggiœ,'\n-l2.  p.  76. 


,'{10  Ll    CO.IKESMOM    LOCALE   DES  PÉCIlÉS. 

■  >a««T(locr ,  base  i-ssciiiifllu  ili'  l'inlilice  sorial  ,  et  dont  niiriirir 
»  ualioii  nv  s'est  sepaiée  sans  cojirii  à  sa  perle.  Si  les  peuples 
»  {Kiiens  oui  tant  fuit  |Kjiir  consener  parmi  eux  ce  prestige  si 
»  utile  pour  la  couseivaiion  de  l'oi-dre ,  ijue  ne  devra-t-on  pas 
(faire  aiijuurd  hui  au  sein  du  (Jirislianisinc ,  dont  le  sucerdoc<* 
»  d«Jri\e  de  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  et  dont  il  investit  les  apô-, 
»  très  et  leurs  successeurs,  non-scidement  pour  propaj^er  la  v»'-- 
•  rilé  au  milieu  des  nations,  mais  comme  médiateurs  et  inleprè- 
»  les  de  Si's  volontés  et  ju^'cs  de  nos  actions?  L'empereur  Tliéo- 
»  dose  paraissant  devant  saint  Anibroise  en  hahit  de  pénitent ,  cl 
»  reconiiaissiinl  dans  le  saint   «'vé(pie  le  pouvoir  divin  de  lui  re- 

■  mettre  son  péché,  prononça  ses  paroles  :  "  Tuum  est  jtharma- 
u  ca  oslendcre  et  miscere,  meum  suscipere. 

■  Que  les  philosophes  ne  se  fassent  pas  illusion,  que  les  prin- 
»  ces  et  les  ma^iistrats  ne  se  fassent  |)as  illusion;  (pie  les  réfor- 

■  mateurs  modernes  des  nations  et  «jue  les  peuples  ne  s'axeuglenl 

■  pas.  Il  ne  sulTii  pas  de  crier  :  «  Respect  aux  lois,  »  si  celles-ci 

■  ne  sont  pas  proit'gées  par  la  relij,Mon.  Il  ne  suflit  pas  de  criei- 

■  Uelij,'ion,  »  si  celle-ci  n'est  pas  vénér(*e  et  regardée  comme  en- 
»  vovée  du  ciel,  et  descendue  parmi  les  hommes,  pour  les  sépa- 

■  rer  des  hrutcs  et  les  élever  au  ran;;  des  anges.  Il  ne  suflit  pas 
»  enfin  de  prononcer  son  nom  MiMime,  si  ses  ministres  ne  sont 
»  pas  consultes  comme  conseillers,  écoutés  (omine  des  pères,  rc- 
»  cherchés  comme  des  médiateurs,  ré'puiés  comme  juges,  crus 
»  comiiur  messagers  de  Dieu,  visités  et  vénérés  comme  médecins 

■  de  nos  âmes.  » 

L'ahhe  lu.  Hi.a:ic,,  (  iii''  d''  Doina/aii. 


POÉSIES  V)l  ViM  (jALL  mouel, 

BÉNÉDICTIN      Ui:     NOTHE  -  DAMK  -  DES  -  IIERMITES  (1). 


Le  volume  que  nous  annonçons  est  une  des  œuvres  littéraires 
les  plus  remarquables  que  la  Suisse  allemande  ait  mis  au  jour 
depuis  longtemps.  C'est  du  milieu  de  ces  Hautes-Alpes  où  des 
esprits  simples  et  passionnés  s'imaginent  de  loin  ne  voir  qu'i- 
gnorance et  barbarie,  c'est  du  sein  de  ces  petits  cantons  (jui  for- 
ment le  centre  et  le  noyau  de  la  Confédération  Suisse,  que  nous 
arrive  ce  volume.  Empreint  d'une  tendance  élevée,  hautement 
poétique,  et  d'une  inspiration  toujours  pure,  il  est  dû  à  la  plume 
d'un  homme  connu  dans  le  monde  savant  et  dont  ce  volume  est 
loin  d'être  le  seul  titre  de  gloire.  L'auteur,  Saint-Gallois  d'ori- 
gine (il  nous  l'apprend  lui-même  dans  la  pièce  intitulée  :  Mon 
village),  appartient  à  cette  illustre  phalange  des  Bénédictins  qui 
a  rendu  tant  de  services  à  la  science  et  aux  lettres.  Que  l'on  ne 
s'étonne  pas,  dit-il  dans  une  ingénieuse  préface  en  vers,  de  voir 
sur  le  titre  de  cet  ouvrage  le  nom  d'un  Père,  d'un  religieux; 
nous  vivons  dans  une  grande  époque  et  il  faut  bien  nous  accoutu- 
mer à  entendre  en  ce  monde  des  sons  discordants  et  divers.  Au 
surplus,  le  Père  Gall  Morel  soutient  avec  talent,  par  ses  œuvres, 
la  renommée  de  son  Ordre,  et  l'on  reconnaît,  dans  toutes  les 
pages  de  son  volume ,  un  de  ces  esprits  richement  doués ,  un  de 
ces  cœurs  éminemment  chrétiens  toujours  désireux  d'utiliser  leur 

(1)  Un  volume  de  trois  cenls  pages  environ.  1852. 


^■iH  nuMi^  Kl    p.  (.Ail.  .Mor.iL. 

(levouonu-iil  au  prolil  de  1  liuinaiiilé.  S'il  avait  besoin  d  une  jus- 

liticaiion,  rc  serait  hien  là,  croyons-nous,  la  meilleure  et  la  plus 

concluante. 

Os  poésies  comprennent  d'abord ,  iinb-pendammont  d'un 
poème  sur  Notre-Dame-des-lb  riiiiles ,  un  (tilain  nombre  de 
ciiants  religieux  dont  la  |>lupart,  sinon  tous,  ont  été  mis  en  niu- 
si(|iie  et  introduits  dans  plusieurs  e;,'lises.  Les  chatils  de  Morl, 
Les  Mages,  Le  matin  de  Pûques  et  d'autres  morceaux  dignes  d'ê- 
tre cités,  développent  dans  un  style  moelleux  et  simple  à  la  fois, 
plein  de  vie  et  de  nerf,  les  sublimes  vérités  de  l'Évangile.  Au 
nombre  de  ces  cbants  figurent,  non  sans  distinction  ,  quelques 
pièces  réunies  sous  le  titre  de  Chants  de  Marie,  et  qui  sont  |)é- 
nétrées  comme  les  autres  de  l'esprit  le  plus  véritablement  clin- 
lien  ;  car,  «  la  croix  ensanglantée,  la  croix  victorieuse  de  la 
mort,  »  est  pour  l'auteur  «  le  seul  bàion  de  voyai:»'  ipii  ne  se 
brise  point.  » 

Il  serait  diflicile  de  dire  tout  ce  «ju'il  y  a  d'onction  disi  rète 
et  pénétrante,  de  suave  |)oésie ,  dans  ces  pièces  que  la  |)lume 
iXiï  béuédii  lin  écrit  à  la  gloire  de  Dieu.  L'auteur  comprend  mieux 
(jue  tout  autre,  ei  avec  celte  modestie  exempte  d'aiïeciaiion  qui 
est  d'ordinaire  le  cacliet  du  vrai  talent,  combien  ees  divins  et 
magnifiques  sujets  sont  au-dessus  de  la  force  liumaine  et  dépas- 
sent la  |)ortcc  de  l'intelligence  lu  mieux  tlouéc  :  «Musc  lemé- 
»  raire ,  s'écrie-t-il  par  mcmients  ,  laisse  tomber  ta  lyre!  jieiix- 
»  tu  clianter  les  merveilles  de  Dieu?  la  (oupe  liumaine  |)eut-elle 
»  contenir  une  boisson  «livine?  •  Kt  ailleurs  :  «  Ce  n'est  qu'en 
baut  (pie  brille  la  vie  dans  sa  pure  splendeur.  •  On  dirait  une 
alouette  (pii  s'élance  vers  les  cieux  sa("liant  (pi'ime  aile  mortelb; 
ne  peut  les  atteindre.  —  Aussi  ne  trotiverez-voiis  nulle  part  dans 
ces  poésies  ces  défaillances  et  cel  abattement  moral  qui ,  sous 
une  ecorce  en  apparence  religieuse,  ne  respirent  (pruii  sce|>ti- 
cisme  déguisé  et  cara(  térisent  beaucoup  dduvres  contenq)orai- 
nes  (|ui  n'ont  de  religieux  (|ue  le  nctm.  Il  serait  curieux  de 
comparer,  sous  ce  rapport,  les  |>oésies  du  père  Gall  Morel  avec 
qiielipies-iines  des  pot'siesde  notre  Suisse  fran(;aise  et  notamment 
des  (aillons  de  \  aiid  et  de  Cienève,  aux  poésies  de  Frédéric  Mon- 
neron,  par  exemple;  soit  an  point  de  vue  des  idées,  de  leur  élé- 


POÉSIES    DU   P.    (iALL    >1(JIU:L.  340 

vation  véritahU?,  de  leur  grandeur,  la  comparaison  ne  se  sou- 
liendiait  guère,  e(  Tavaniage  serait  tout  en  entier  en  faveur  de 
Tilluslre  bt'nédiclin. 

Rien  d'étroit  ou  dexagéré  dans  les  pages  qui  sortent  de  sa 
plume  ;  plus  d'une  fois,  nous  dit-il,  il  a  rlé  blessé  dans  la  mêlée 
Immainc,  mais  ses  blessures  sont  cicatrisées  ,  et  l'on  sent  passer 
tl'un  bout  à  l'antre  de  son  œuvre  comme  un  souille  viviliant  de 
cbarité.  «  La  loi  nouvelle,  s'écrie-t-il,  a  établi  l'unité  des  nations 
et  en  quelque  sorte  une  parenté  entre  des  âges  et  des  pays  di- 
vers. Ici-bas  déjà,  une  terre  enchanteresse,  une  terre  promise, 
se  montre  de  loin  à  celui  qui,  à  l'ombre  des  bannières  de  Dieu, 
sait  bravement  se  frayer  une  route  vers  le  ciel.  »  —  Sons  cette 
baute  inspiration  se  montre  une  haute  bienveillance ,  une  cha- 
leur d  ame  où  l'homme  disparaît  pour  ne  laisser  voir  que  le 
chrétien. 

Le  volume  renferme,  en  outre,  des  chants  de  voyage  et  des 
poésies  diverses.  C'est  ici  que  le  talent  de  l'auteur  nous  appa- 
raît sous  une  face  nouvelle  et  que  nous  pouvons,  pour  ainsi  dire, 
mieux  étudier  et  sa  science  et  son  cœur;  tantôt  nous  le  voyons 
traverser  le  petit  canton  d'Unlervvald  et  faire  pour  son  pays  des 
souhaits  qui  rappellent,  au  milieu  des  orages  dont  la  révolution 
de  Juillet  fut  suivie ,  les  vœux  que  Salis ,  du  milieu  de  Paris , 
adressait  à  sa  patrie,  quelques  années  avant  la  révolution  fran- 
çaise. Tantôt  nous  l'entendons  chanter  un  hymne  du  matin  ,  sur 
le  sommet  du  Saint-Gothard  ;  nous  le  voyons  tour  à  tour  en  Al- 
lemagne et  en  Italie,  à  Munich ,  à  Milan  et  à  Gênes,  et  la  même 
voix  qui  s'est  fait  ouïr  tout  à  l'heure  sur  les  bords  de  la  mer,  se 
fait  entendre  aujourd'hui,  à  côté  des  glaces  éternelles,  dans  le 
haut  passage  du  Splugen. 

A  peine  sorti  des  riantes  contrées  de  l'Italie ,  il  se  trouve  en 
face  de  la  sévère  nature  des  Alpes,  et,  du  sommet  des  montagnes, 
il  adresse  un  adieu  qui  n'est  point  sans  mélancolie,  à  cette  terre 
merveilleuse  qu'il  vient  de  quitter.  Mais  bientôt,  sous  la  forme 
d'une  apparition,  de  mâles  pensées  chassent  en  lui  d'inutiles  re- 
grets :  «  Laisse-là  ces  larmes  de  femme,  que  l'air  des  montagnes 
les  dessèche  sans  retard  ;  laisse-Ià  ces  regrets  insensés  !  marche 
d'un  pas  rapide  et  assuré,  marche  en  avant  à  travers  les  éboule- 


300  P(»tMt>   lu    r.    (. U.I.  \ini;hr.. 

tiiciiis  (les  rochers,  car  il)-  ina^iiili(|ues  récompeDses  atlondeni 
les  fatigues  de  lou  voyage.  Olil  vois,  ces  liomines  héroïques  ù 
(|iii  la  pdsicrilé  no  refuse  pas  son  admiration,  vois-les  se  choisir 
\ol(»nlaireinent  de  rudes  chemins;  lame  s'eir<'inine  an  milieu 
des  roses;  ce  n'est  i|iir  par  des  elforls  continuels  vers  un  but 
diflic  ile  à  alleindrc  ,  «|ui'  m  peux  le  forlilier  dans  les  luttes  de 
riniclligence  et  t'ennohlir  dans  les  coud)ais  de  la  vie.  —  Ton 
existence  est  seuildahle  à  ces  rudes  et  âpres  sentiers  des  Alpes, 
(]ui ,  des  plaines  riantes  de  l'Italie  ,  le  reconduisent  en  Suisse  , 
dans  ton  pays;  mais,  pour  regagner  la  véritable  patrie,  la  ptrie 
d'en-liaui,  il  faut  que  ton  âme  se  remplisse  de  courage,  (\  voya- 
geur !  cl  tu  ne  pourras  atteindre  ce  noble  but  que  par  l'épreuve 
et  les  condials!  » 

On  voit  (jnel  bel  et  noble  essor  s;iil  prendre,  dans  ses  poésies, 
le  docte  religieux  de  Notre-Dame-des-Hermites.  Ce  n'est  tou- 
tefois qu'avec  discrétion,  je  dois  le  dire,  en  les  «-mondanl,  en 
les  laissant  on  quehpie  sorte  deviner,  que  souvent  ces  hautes 
pens^'cs  sont  ollertes  au  lecteur,  dans  ce  remarquable  volume 
de  poésies.  On  sent  que  sa  poitrine  bat  avec  force  à  toutes  les 
joies,  à  toutes  les  douleurs  de  l'humanile.  Je  n'en  voudrais  pour 
preuve  «|ue  les  slr()|thes  qu'il  ;idresse,  sous  le  titre  de  liienvenue, 
aux  enfants  de  son  frère  mort  en  Italie,  au  moment  où  ils  quit- 
tent Milan  |>our  retourner  dans  le  canton  de  Saint-(iall  :  «  (>^u\ 
que  Dieu  a  reunis  pour  la  joie  et  pour  la  douleur,  aux  heures  se- 
reines et  matinales  de  la  vie.  Dieu  les  réunit  de  nouveau  et  inti- 
mement ,  dans  leur  cher  pays  ,  dans  leur  vieille  patrie.  Séparés 
de  bonne  heure,  ils  s<;  retroUNcnt  après  une  longue  absence,  ils 
mai'duiil  en  se  donnant  la  main,  à  traM-rs  la  vie;  leur  soleil 
couchant  a  tout  l'éclat  dr  l'aurore;  car  le  soleil  des  cœurs  ne 
s'obscurcit  jamais.  »  ti  quel  noble  sentiment,  quelle  commise- 
rati(»n  élevée  dans  d'autres  pièces  du  volume,  en  particulier 
dans  la  pièce  intitulée  :  Le  cadavre  du  Mrndinnt.  ^o^s  assistons 
aux  derniers  instanlâ  d'une  pénible  existence  :  un  infortunt*  vient 
de  finir  sa  journée.  La  jourut'c!  a  été  bien  longue  ;  tous  ses  frères 
le  repoussaient,  il  était  ab.iiidoune  de  tt)us,  et,  à  cette  heure 
suprême,  le  Dieu  siuiveur  lui  accorde  une  céleste  hospitalité. 
Nul  ne  laisse  «oïdei   des  pleurs  sur  sa  tombe  ;  mais  qu'importent 


POÉSIES    1)1     P.    (.Vl.r,   MOREiL.  351 

(!<•  vains  regrets?  la  paroi  du  tombeau  est  si  épaisse;  et,  les  re- 
grets, le  mort  ne  les  entcnil  pas  ;  puis,  nous  voyons,  comme 
dans  un  lahicau  ,  ce  mallicurcux  voyaj^cur  lasse-  par  la  fa<iij;ue, 
laissant  échapper  son  bàlon  de  voyage,  et,  les  mains  pieusement 
jointes ,  s'aelieminant  vers  le  tombeau  :  «  Ah  !  s'écrie  le  Père 
Morel ,  dors,  dors,  pauvre  inforlun»'-,  dors  jusfiu'à  l'heure  des 
joies  divines!  C'est  toi  qui  m'apprends  comment  je  dois  vivre 
pour  me  Sf'-parcr,  joyeux,  de  cette  terre;  celui-là  est  bienheu- 
reux au  moment  de  la  résurrection  (jui  a  suivi  dans  ce  monde 
le  dillicile  chemin  de  la  croix!  »  —  Il  serait  ais(''  de  faire  un  plus 
grand  nombre  de  citations  ;  mais  une  traduction  dans  une  lan- 
gue étrangère  ne  saurait  que  décolorer  le  texte  original  dont  elle 
ne  peut  donner  qu'une  faible  et  insullisanle  idi'e. 

Je  voudrais  surtout,  par  cet  article,  avoir  inspiré  à  quelques 
personnes  le  désir  de  lire  ces  poésies,  et  avoir  fait  sentir  à  celles 
qui  n'ont  point  fait  une  étude  spéciale  de  la  langue  allemande , 
toute  la  valeur  des  œuvres  poétiques  de  notre  compatriote  ; 
heureux  qui  peut  concilier  ainsi  les  belles-lettres  avec  des  tra- 
vaux plus  scientifiques  et  plus  sérieux  encore,  et  avec  de  graves 
et  austères  devoirs  ! 

Inutile  sans  doute  d'insister  davantage  ici  sur  la  valeur  litté- 
raire et  la  portée  de  ces  œuvres.  D'autres  journaux  lui  ont  rendu 
suffisamment  justice,  la  Revue  Suisse,  entre  autres ,  qui  se  pu- 
blie dans  notre  Suisse  romande,  et  dont  le  jugement,  extrême- 
ment favorable,  mérite  d'autant  plus  d'être  rappelé  que  le  cou- 
rant d'idées  qui  règne  à  Neuchâielou  à  Lausanne  est  très-différent 
de  celui  qui  règne  à  Notre-Dame-des-Hermites.  Ces  vieux  mo- 
nastères, berceau  de  notre  civilisation  ,  ont  eu  sans  doute  quel- 
quefois çà  et  là ,  comme  toutes  les  institutions  humaines,  même 
les  meilleures,  leurs  jours  de  lassitude  et  de  décadence,  mais 
leurs  jours  glorieux  et  utiles  ,  mais  leurs  travaux  prospères  sont 
inûniment  plus  nombreux  ,  plus  saillants;  les  méconnaître,  c'est 
degaité  de  cœur  nier  l'évidence,  c'est  être  injuste  à  force  de  par- 
tialité, souvent  aussi,  disons-le,  c'est  faire  preuve  d'une  naïve  et 
profonde  ignorance. 

Jules  VuY. 


HISTOIRE  Di:  JKSLS-CIIIUST, 

d'aPRKS    les    TKXTKS    «;o>TEMP(tRAI>S, 

PAU  M.   FOISSET(l). 


Kt  qua-rcbat  viderc  Jcsiim,  (jiiiscssrl. 
(Liir,  XIX,  Â.) 


M.  Foissci,  (onsoillor  à  la  cour  imptrialo  do  Dijon,  vinit  dopii- 
blicr  uno  Ilisfnirr  de  .V.  S.Jrsus-(^hri.'<l.  .Nous  iircrovons  pas  pou- 
voir mieux  faire,  pourmanifcsier  dos  svinpailiios  à  IN'-gard  de  ce 
livre,  que  de  reproduire  la  préface  de  J'ouNraf^e.  En  matières 
aussi  graves,  à  l'auteur  seul  appartient  le  droit  de  faire  connaî- 
tre et  le  but  (ju'il  s'est  proposé,  et  le  point  de  vue  où  il  a  jugé 
bon  de  se  placer.  Qu'il  nous  soit  toutefois  accordé  de  dire  que  ce 
>oIume  se  lit  non-soulcnient  avec  l'intérj^t  pénétrant  et  grave 
(|ui  s'aliaclie  au  sujet,  mais  qu'il  procure  en  outre  toutes  les  sa- 
tisfactions d'une  œuvre  littéraire  distinguée.  Ces  pages  sont  écri- 
tes avec  clarté,  netteté-  et  élégance,  elles  se  lisent  avec  agr»'- 
menl.  Puissent  le  zèle  et  les  intentions  de  M.  Foisset  i^tre  recom- 
pensés par  des  fruits  abondants  et  avant  tout  par  la  joie  d'avoir 
ramenés  quelques  Ames  à  Celui  rjuil  a  voulu  glorifier! 

(I)  \  vol.  in-tf ,  P«rin.  Vives.  2.".  rue  (^asscllf. 


HISTOIRE  DE  JÉSUS-CIIKIST.  .i;"),] 

«Pourquoi  lo  tairo,  mais  commoni  le  dire?  Parmi  les  savants, 
parmi  les  Ictiiés,  |)armi  les  hommes  de  loisir  comme  parmi  les 
liommes  dallaiivs,  il  en  est,  et  en  trop  grand  nom))ie,  pour  qui 
l'Evanj,'ile  en  vérité  n'existe  pas.  Combien  ne  roni  jamais  lui 
«ombien  surioui  l'ont  oublie!  Il  eu  est  même,  hélas!  en  qui  le 
Cl.risiianisme  est  tellement  oblitéré,  que ,  dans  leur  mémoire, 
ils  ont  gardé  plus  de  place  à  Jupiter  qu'à  Jésus-Clirisl.  C'est 
l'riucipalement  en  vue  de  ceux-là  qu'a  été  écrite  V Histoire  de  Je- 
sus  Christ  d'après  les  textes  contemporains. 

L'auteur  a  fondé  quelque  espoir  sur  l'amour  de  la  vérité,  sur 
rimporiance  du  sujet,  sur  la  brièveté  du  livre  :  il  s'est  persuadé 
que  peut-être  des  faits  de  cet  ordre,  racontés  sans  phrases  par  un 
homme  du  monde,  attireraient  la  curiosité  de  quelques-uns; 
qu'une  fois  la  lecture  commencée,  on  irait  jusqu'au  bout,  et  que 
l'intime  vérité  du  récit,  la  vertu  de  la  parole  évangéliqu'e,  et  la 
grâce  de  Dieu,  feraient  le  reste. 

Tel  était  le  dessein  premier,  tel  est  encore  le  dessein  principal 
de  l'ouvrage. 

Voilà  pourquoi  cette  Histoire  de  Jésus-Christ  s'ouvre  par  la 
prédication  de  saint  Jean  et  par  le  baptême  du  Sauveur,  suivant 
l'exemple  donné  par  saint  Pierre  quand  il  commençait  un  de 
ses  discours  en  ces  termes  :  «  Vous  avez  ouï  parier  de  la  parole 
qui  s'est  répandue  dans  toute  la  Judée,  et  qui  a  commencé  par 
la  Galilée  après  le  baptême  que  Jean  a  prêché.  .  Fos  scitis  quod 
factum  estverbumper  universam  Judœam,  incipiens  à  Galilœa 
post  baptismum  quod  prœdicavit  Joannes  (Act.  X,  37). 

On  se  trouve  ainsi  tout  d'abord  en  présence  de  Jésus-Christ 
homme  fait;  on  entre  tout  de  suite  et  comme  de  plain-pied 
dans  sa  vie  publique.  Son  histoire  commence  comme  une  his- 
toire ordinaire,  j'ai  presque  dit  comme  une  histoire  profane  : 
«  La  quinzième  année  de  l'empire  de  Tibère,  Ponce-Pilate  étant 
gouverneur  de  la  Judée,  etc.  .  Ce  sont  du  reste  les  propres  ter- 
mes  de  l'Évangéliste  saint  Luc  :  Jnno  quinto  decimo  imperii  Ti~ 
herii  Cœsaris,  procurante  Pontio  Pilato  Judœam...  Et  par  cela 
seul,  toute  idée  de  mythe  disparaît.  On  se  sent  en  pleine  his- 
toire; on  débute  par  une  date  précise  et  d'une  authenticité  com- 
plète; le  premier  anneau  de  la  chaîne  du  récit  évangélique  se 


354  IIISTUIRE    OK  JfcSlii-CHMIST. 

rive  à  un  lexU»  tle  Tarite  :  Àuctor  nominis  fjUs  {Chriglianorum 
icilieet)  Christus,  qui ,  Ti'berio  impernnte ,  per  procuratomn 
Pontium  Pilatum  fuppUrio  n/}trlus  crat  (Annal.  \V  ,  M.  Kl  Ta- 
(-iti>  liii-ni^me  est  presque  un  conlompoiain  :  il  était  ne  an  rom- 
mrnctMUPnt  du  rr^'iio  do  Néron,  (iiiaraiilf-cirKj  ans  avant  la  mon 
du  dernier  des  Évanf,'élisles,  de  Tapùtrc  saint  Jean. 

Ce  n'est  pas  que  la  nouvelle  Histoire  de  Jésus-Christ  passe 
sous  silenee  les  merveilles  de  la  eonceplion ,  de  la  naissance  et 
de  l'enfance  du  Sauveur  :  à  Dieu  ne  plaise  !  Au  moment  où  le 
Sauveur  proche  à  Nazareth,  — à  proj>os  m^me  de  rumeurs  (jui 
remplissent  alors  la  petite  ville  et  que  nous  rap[>ortenl  les  Évan- 
^élistcs  :  «N'est-ce  point  là  ce  charpentier,  ce  fils  de  Joseph? 
n  Nesl-ce  pas  lui  dont  la  mère  s'appelle  Marie?  >  —  l'auteur 
saisit  l'occasion  de  rapporter  non-seuleinenl  ce  qu'on  disait  de 
Jésus  dans  la  bourgade  oii  il  avait  vécu  jusqu'au  baptiMuc  de 
Jean,  miis  encore  tout  ce  qwo  les  Évanj^iles  nous  a|)prennent  de 
lui  jus(|u'à  sa  trentième  année.  Saint  Luc  et  saint  Matthieu  seuls 
ont  ici  la  parole  :  mais  le  lecteur  est  préparé  d'avance  à  cette 
poilion  (lu  riM'il  «'vaniièlifpic  par  tout  ce  (|ui  a  éclaté  déjà  de  sur- 
naïutvl  dans  la  vie  publi<pie  dr  Notre  Seigneur  a\ant  sa  prédica- 
tion de  Na/.areth. 

L'auteur,  du  reste,  ne  dispute  pas;  il  raconte.  Disons  mieux, 
il  laisse  raconter  les  témoins  ocidaires  et  auriculaires;  il  les 
interrompt  le  njoins  cpi'il  j)eut.  C'est  là  ce  qui  fait  surtout  la 
diirérence  de  son  travail  d'avec  celui  des  modernes  historiens  de 
Jésus-Christ.  Le  lecteur  exempt  de  prévcniinns  ju^'era  si  le  sim- 
ple résumé  des  t('moif,mages  conten)(torains  ,  lu  sans  comnien- 
Uiire,  n'emporte  pas  avec  lui  sa  conclusion. 

M.  de  Monialemhert  écrivait  à  ^L  Foisset  :  a  Je  ne  comprenais 
pas  (ju'il  puisse  v  a\oir  une  autr<'  histoire  de  Jesus-(.hrist  que 
celle  des  quatre  l^^vangélistes.  n  M.  Foisset  déclare  qu'il  no  le 
comprend  pas  davantage  :  seidenicul  quelques  explications  sont 
nécessaires  à  cet  égard. 

Nul  n'ignore  assurément  que  les  actions  et  les  paroles  princi- 
pales de  Jésus-Christ  ontj-ti-  recueillies  par  deux  témoins  oculai- 
res (saint  Matthieu  et  saint  Jean). et    par  (\ou\  conlem|)orains 


^ 


I 


msTuiKr.  i»c  Jiisus-ciiKi.sT.  ;i55 

(saint  Marc  el  saint  Luc)  :  ce  quadrii|)lc  récit  est  dans  les  mains 
de  tous  les  cln(''ti(Mis  dej)uis  dix-liuii  siècles. 

Mais  on  sait  (juo  les  (juair*!  Lvangrlislcs  n'étaient  pas  des 
écrivains  de  profession  et  que,  par  suite,  ils  n'attachaient  pas 
une  bien  grande  imporiance  à  l'ordre  des  laiis.  Il  est  donc  fort 
<liflicile,  en  les  lisant,  de  rétablir  dans  son  esprit  la  véritable 
suite  des  événements,  ce  qui  pourtant,  dit  très-bien  le  P.  La- 
cordaire  à  ce  sujet,  est  d'un  irès-grand  intérêt  pour  en  sebiir  la 
force. 

On  sait  de  plus  que,  précisément  parce  que  les  quatre  Évan- 
gélistes  ne  se  sont  pas  copiés  l'un  l'autre,  ils  ne  rapportent  pas 
tous  les  mêmes  faits ,  ou  bien  ils  ne  les  rapportent  pas  à  la  méiiie 
place,  ni  avec  les  mêmes  circonstances. 

Pour  embrasser  d'une  seule  vue  toute  la  vie  de  Jésus-Christ, 
il  ne  suffit  donc  pas  de  lire  successivement  les  quatre  Évangiles i 
il  faut  les  combiner,  les  fondre  en  un  seul  récit,  qui  comprenne 
tous  les  faits  et  mette  chaque  fait  à  sa  véritable  place. 

Dire  que  cela  est  indifférent,  c'est  condamner  d'immenses 
travaux  honorés  par  toute  l'Église.  En  effet,  nombre  d'hommes 
excellents  s'y  sont  appliqués,  à  l'exemple  de  saint  Augustin  qui 
écrivait,  dès  l'année  399  de  l'ère  chrétienne,  ses  quatre  livres 
sur  l'accord  des  Évangélistes  (De  consensu  Evangelistarum) . 
^  Toutefois ,  parmi  ceux  qui  s'en  sout  occupés  depuis,  les  uns 
n'ont  pas  écrit  en  français;  les  autres  manquent  de  brièveté; 
d'autres,  ne  voulant  pas  sacrifier  une  syllabe  des  textes  évangé- 
liques,  les  ont  traduits  avec  une  multiplicité  de  renvois  qui  fati- 
guent l'œil  et  impatientent  le  lecteur.  Il  y  a  donc  quelque  chose 
encore  à  faire. 

Peut-être,  en  s'aidant  de  tout  ce  qui  a  été  Aut  jusqu'ici ,  n  e- 
tait-il  pas  impossible  de  parvenir  à  une  combinaison  meilleure 
encore,  comme  aussi  à  une  meilleure  traduction  des  textes.  C'est 
toute  la  prétention  du  travail  que  nous  annonçons. 

L'auteur  y  parle  en  son  propre  nom  :  ce  qui  rend  son  allure 
plus  libre  que  celle  d'un  simple  traducteur.  Il  ne  dit  rien  que 
d'après  les  textes;  mais  il  n'était  point  assujetti,  comme  les  au- 
teurs des  Concordes  évangéîùjues,  à  n'en  omettre  aucun.  H  a 
donc  cru  pouvoir,  comme  un  prêtre  qui  écrivait  la  vie  de  Jéstis- 

23 


.{.*»<»  HISTOIIlE   I»E  JÉSrS-CBHIST. 

(  liiist  ;iii  Wir  su"cle  (1),  •  ne  prrndre  des  paroles  do  Noire- 
8ci};n«'iir  <|ii('  vc  qu'il  pourrait  rendre  p:nTaiienienl  intelli^'iblc  à 
lom  le  monde,  sans  sorlir  du  iara(  1ère  de  son  ouviaj,'e  ;  hiissant 
;iu\  ilieolo},'iens  à  pxplit(uer  ce  qu'il  y  a  de  plus  dillii  lie.  »  Il  se 
l'est  (lu  permis  (l'aui;irii  uiitiiv  que  s;iint  Jean  lni-m«'nie  déclare 
n'avoir  pas  ju|;e  nécessaire  de  lapporler  tous  les  miracles  de 
son  maître,  ;i  plus  forte  raison  toutes  ses  |)aro|es  ("2).  On  peut 
néanmoins  s'assurer  (pie  le  Sauveur  n'a  prescjuc  rien  dit  (jui  ne 
soit  leproduil  en  (pielque  endroit  de  cette  Histoire. 

Par  c<'la  même  (pi'il  y  a  ici  autre  chose  (pi'une  traduction, 
l'auteur  s'est  également  permis,  de  loin  en  loin,  quelques  mots 
(|ui  aident  à  comprendre.  Ces  mots  sont  foi  t  rares  cl  fort  courts, 
on  se  persuade  (ju'ils  ne  sont  pas  disparates;  c'est  aux  hons  ju- 
},'es  ù  |uononcer.  Quant  aux  éclaircissements  (jui  auraient  fait 
disparate  dans  le  récit,  ils  sont  rejetés  dans  des  noies  où  Ion 
s'est  elforcé  de  ne  point  perdre  de  vue  le  précepte  du  Sage  :  Ne 
quid  nimis. 

Un  mot  encore  sur  ce  (jiii  tient  a  la  iraduitiou.  Il  faut  Iticn  le 
n-eonnaitre,  chaque  siècle  a  sa  nuance  de  goût  particulière.  Le 
tour  lent  et  un  peu  timide  des  traducteurs  du  WII'  siècle,  est- 
il  liien  ce  (pi'il  >  :i  de  plus  approprie  à  la  f;içon  de  sentir  du 
XIX*?  Pent-ôlre  est-il  permis  d'en  douter.  Si  nous  ne  nous  trom- 
pons, les  versions  les  plus  répandues  de  l'Évangile  ne  proiluisent 
plus  guère  d'effet  (|ue  sur  les  âmes  pieuses.  Des  textes  évangéli- 
ijues  ainsi  traduits  ou  para|)hrasés,  on  peut  dire  ce  qu'a  dit  saint 
Augustin  des  merveilles  de  la  nature  :  Jssiduitate  vilufrunt. 
(7csi  une  monnaie  frappée  à  une  effigie  d«''jù  ancienne;  une 
longue  (  irculalion  lui  a  <  omme  «'njeve  toute  euqireiute.  Kt  pour- 
tant on  y  est  fait  à  ee  point,  qu'en  voulant  «'viter  reffacemenl, 
le  mancjue  de  (ouleur  et  de  relief,  ou  ris<pie  de  scandiliser  les 
lidèles.    Kester  simple  ,  parfaitement  simple,  sans  jamais  rester 


(1)  I/ubbi^  de  Saint Rtnl. 

(i)  .Multn  quiilnni  ol  uliu  signa  fccit  Jésus  in  conspcctu  (li»ri|iuloruni  suo- 
rum.  qu(r  nnn  suni  scripla  in  Ubro.  (Johann..  XX,  W.;  —  Sunt  aulcm  et  ali.i 
inullQ  (piT  fcril  Jrsiis  ;  quir  si  scritxintnr  prr  sogiil.i,  ncc  ipsinn  .irtiitror  muii 
dum,  capcrc  ponsc  eos  qui  scribcndi  sunt  libroi.  (Ibid.  X\I.  "î'î  ' 


HISTUlRt  Ue  JÉSUS-OUKI<r.  .'i.w 

nul  ;  (Mro  /«eu/  (|u;iml  on  ne  fait  que  traduiie,  sans  t'iie  nouveau 
{ut  dicas  MOVE.  coninic  [larlc  saint  Vincent  de  Lérins,  non  dicas 
nova),  c'est  là  une  des  grandes  dini<!ultcs  d'un  sujet  tant  de  fois 
iraitét  L'approbation  do  plusieurs  princes  de  l'Église  permet  à 
l'auteur  d'espérer  du  moins  <ju'il  n'a  pas  manqué  à  l'ortliodoxie. 

Mais  ce  «pii  importe  surtout,  c'est  la  mise  en  ordre  des  textes. 
Les  neuf  dixièmes  des  objections  ressassées  par  Strauss  tiennent 
uni(iuement  au  ma«pie  d'ordre  apparent  des  récits  évang(';liques. 
Restituer  chaque  lait  a  sa  véritable  place,  c'est  en  même  temps 
empêcher  l'objection  de  naître  dans  l'esprit  de  ceux  qui  l'igno- 
lent  et  la  réfuter  vistorieusement  dans  l'esprit  de  ceux  qui  la 
connaissent.  C'est  à  quoi  l'on  s'est  par-dessus  tout  appliqué. 
L'auteur  est  magistrat  :  à  ce  titre  ,  il  a  quelque  habitude  de  dé- 
couvrir la  vérité  à  travers  les  témoignages  des  hommes  ;  il  a  com- 
paré les  dépositions  écrites  des  témoins  de  la  vie  de  Jésus- 
Christ,  et  il  apporte  avec  contiance  devant  le  jury  du  XIX' 
siècle  le  résultat  de  son  examen. 

S'il  avait  rempli  sa  tâche,  son  livre  serait  le  livre  de  tous;  il 
s'adresserait  tout  ensemble  aux  hommes  de  science  et  aux  hom- 
mes de  foi  ;  il  résoudrait  les  doutes  des  uns ,  il  répondrait  en 
même  temps  à  la  piété  des  autres,  car  il  conserverait  à  la  Parole 
do  Dieu  tout  son  parfum  et  toute  sa  vertu.  INon  que  celte  his- 
toire prétende  égaler  le  charme  de  la  lecture  directe  des  Évan- 
giles. Rien  ne  supplée  à  l'impression  qu'on  éprouve  lorsqu'on  est 
face  à  face  avec  un  tel  livre  :  l'original  emporte  tout.  Mais  si 
celle  Histoire  de  Jésus-Christ  contribuait  à  faire  relire  les  textes 
eux-mêmes  et  donnait  aux  Évangiles  un  seul  lecteur  de  plus  , 
l'auteur  croirait  n'avoir  pas  perdu  sa  peine.  » 

Nous  citons  trois  morceaux  qui  donneront  une  idée  complète 
de  la  manière  de  l'auteur  : 

«  Tentation  de  Jésus.  —  Jésus,  en  se  présentant  au  baptême 
»  de  Jean,  s'était  mis  au  rang  des  pécheurs.  En  recevant  ce  bap- 
»  tême,  il  s'était  voué  à  la  pénitence;  car  ce  qui  distinguait  le 
»  baptême  de  s^ens  des  autres  pjirificaiions ,  en  usage  parmi  les 


i.'tH  HISTOIRE  ne   JÉSl'S-OliRIST. 

•  Hibr<u\,  r  (  si  (|u'il  cCiit  iino  soric  <rinili:ilion  sulennf'llp  à  une 

•  vie  pénitcnio  (I). 

•  Jésus  donc,  plein  de  TK^prit  saint,  s'éloigna  du  Jourdain,  et 
-  l'Esprit  le  poussa  dans  le  dés«»rt,  où  il  dev.'ùi  <*li*e  lente  pî«rS:i- 
»  tan  (par  celui  q<ii.  d'après  Taiiiique  tradition  ronsorvée  dans  la 
»  Genèse,  avait  ftordu  le  |»r(nii»r  lionune  ,  et  qui  devait  axoir  la 
»  lêie  broyée  par  l'un  des  descendants  de  la  première  fennme^ 
»  Aussi  bien,  J«'sus  était  envové  de  Dieu  [Miurque  sa  vie  ntortelle 
»  lût  l'exemple  pi(>|>(>se  à  toujours  à  l'imitation  de  tous  les  hom- 

•  mes;  il  fallait  donc  (pi 'elle  ressemblât  en  tout  h  la  nôtre,  qu'il 
»«  fût  soumis  à  toutes  nos  épreuves,  qu'il  fût  bomme  en  tout,  Imrs 
•>  en  un  seul  point,  le  p«''cbé  (2). 

»  Or,  Jésus  fut  dans  le  d«'sert  quarante  jours  et  quarante  nuits. 
"  sans  autre  compagnie  que  les  bétes  sauvages;  et  il  était  tent»'* 
»  par  Satan.  Durant  tout  ce  temps  il  ne  mangea  point  ;  et  après 
»  ce  long  jeûne,  où  les  conditions  co:nmimes  de  la  vie  pbysique 
«avaient  été  suspendues,  il  fut  lf>urmenié  {>ar  la  faim  (3). 

»  Alors  le  Tentateur  lui  dit  :  Si  tu  es  le  Fils  de  Dieu,  ordonne 

>  que  ces  pierres  deviennent  des  j^ains.  —  Il  est  écrit,  répondit 

>  Jésus  :   «  l/lion)uie  ne  vit  pas  seulement  de  |)ain,  mais  de  toute 

•  parole  qui  émane  de  Dieu  »  ^4}. 

»  Finsuite,  S;itan  le  conduisit  à  Jérusalem  sur  le  point  le  plus 
»  élevé  du  temple,  et  lui  dit  :  Si  tu  es  le  Fils  de  Dieu,  précipite- 
»  toi  en  bas,  car  David  à  dit  que  Dieu  a  ordonné  à  ses  anges  de 

•  soutenir  le  Messie  de  leurs  mains,  de  peur  quil  no  heurte  le 


(!)  Fgf>  fiiiMrw  hitptizo  vos  in  aqita  i.n  pokmtemia»  (Erasme  traduit  :  An 
pœnilrnliam).  —  Mattii..  m.  II...  Farite  fnirtus  dignns  i-<«;mtfnti.»  iIac. 
Ml,  8).  —  Quant  aux  puriCications  unliiiairrs  des  llél)rrii\,  v.  Exon.,  xxix,  I; 
LtTmc,  VIII,  C;  —  .Nihch.,  viii,  6,  7,  H. 

{%  Trntatum  autem  pf.r  ovmia,  pro  similiti  dim.,  ahsnur  pcccnto  (S.  Paul 
aux  llfbr.,  \\\  l.*i).  —  Tout  li-  inoiulo  r(>nii:ii(  le  Icxli*  tic  la  (îcni'sc  :  Inimi- 
ttliax  ponam  tntrr  le  ri  mulirrrm,  inirr  *rmrn  lutim  ri  smirn  illiux  :  ip$a 
(IMCH  «Inns  rii^br.)  rnntrrri  rapui  luum  (m,  JS>. 

fSl  FA  rral  in  ârscrln  \i.  dirbu»  ri  xi.  norlilnin,  el  Imlabatur  a  Snltina. 
tratque  cum  brxlii».,  (Marc  i,  45)...  hl  nihit  tnamhicavil  in  diebut  iUis.  rt 
consummati»  illi*  esuriil  [I.n:-,  iv,  i). 

(Il  {'.i'\j  c>t  l'cril  dans  le  Drtiléronoinr,  viii.  i>. 


À 


IIISTOIKI;   l»l:    JtsUb-GURiST.  35ti 

»  pied  conlro  quelques  pierre.  Jésus  répli(iua  :  «  Tu  ne  tenteras 
»  poinl  le  Seigneur  ton  Diru  »  ,1). 

»  Satan  le  mena  enlin  sui-  une  montagne  très-haute;  ei,  indi- 
»  quant  du  geste  tous  les  royaumes  de  la  terre,  il  dit  à  Jésus  :  Je 
»  te  donnerai  toute  cette  puissance  et  toute  cette  gloiie  ;  tout 
»  cela  est  à  loi,  si  tu  veux  m'adoier.  Jésus,  prenant  l'accent  du 
B  commandement,  lui  dit  :  Retire-loi,  Satan;  car  il  est  écrit  : 
«Tu  serviras  le  Seigneur  ton  Dieu,  cl  tu  ne  serviras  que  lui 
»  seul  0  (2). 

»  Alois,  toute  tentation  étant  épuisée,  celle  de  la  sensualité, 
»  celle  de  la  présomption,  celle  de  l'orgueil  et  de  l'ambiiion,  le 
»  Tentateur,  qui  avait  échoué  trois  fois,  se  relira  de  lui  pour  un 
»  temps.  El,  au  même  instant,  les  anges  s'approchèrent  de  Jésus 
»  et  le  servirent  (a).  » 


(1)  DEtTKB.,  VI,  10.  — Les  paroles  de  David  auxquelles  Satan  fait  allusion 
sont  les  versets  H  et  12  du  psaume  xc. 

(2)  Delter.,  VI,  13. 

(a)  El  consummalo  omm  tentulione,  Diabolus  rccessit  ab  illo  usque  ad  tem- 
pus  (Lie,  IV,  15j...  El  ecce  angeli  accesserunt  et  minislrabanl  ei  (Matth., 
IV,  11). 

Ce  fait  de  la  tentation  de  Jésus  est  à  la  fois  un  fait  réel  et  un  fait  symboli- 
que de  l'ordre  le  plus  élevé  (v.  Stolberg,  Eschenraayer,  Kuhn,  Néander  et 
surtout  le  docteur  Sepp,  anaysés  par  M.  l'abbé  Chassay,  Démonslrat.  Evan- 
gcliq.,  édit.  de  Migne,  t.  XVIIl,  p.  189  et  suiv  ). 

Une  voix  d"en-haut  proclame  Jésus  le  Fils  de  Dieu  ;  c'est  là  le  premier 
acte  de  sa  vie  publique.  —  L'épreuve  est  le  second.  —  Le  miracle  person- 
sonnel,  celui  de  Cana,  n'est  que  le  troisième. 

L'épreuve  est  la  loi  commune  de  l'humanité.  Jésus ,  le  modèle  éternel , 
devait,  pour  l'exemple,  subir  cette  loi  commune,  pour  mieux  nous  montrer 
comment  on  résiste  au  mal.  —  Mon  qu'il  ait  été  vraiment  tenté  en  ce  sens 
que  son  âme  ait  été  ébranlée  par  le  Tentateur,  mais  il  a  été  soumis  au  con- 
tact et  aux  incitations  de  l'esprit  du  mal  pour  mieux  nous  enseigner  la  voie 
du  triomphe. 

L'ange  déchu  ignore  beaucoup  de  choses.  Il  savait  que  le  temps  prédit  pour 
l'avènement  du  Messie  était  arrivé;  il  soupçonnait  que  c'était  Jésus;  il  lui 
importait  de  s'en  assurer;  si  Jésus  eût  failli,  ce  n'était  point  le  Sauveur  :  de 
là  la  triple  séduction  tentée  par  Satan. 

De  là  aussi  la  triple  victoire  de  Jésus  sur  les  trois  grandes  convoitises  de  la 
nature  déchue,  sur  la  tyrannie  des  sens,  sur  la  présomption  de  l'esprit,  sur 


300  IlfSTOIRE  DE    JÉSIS-CHIIIST. 

«  E?iTtrnE?i  AVEC  NicoDÈME.  —  Jésus  demeura  ù  Jérusalfiii 

•  durant  toutes  les  solennités  pascales  ,  f:iisant  hraucoiip  il»*  mi- 
>  raeles,  et  un  prand  nombre  d'homm«'S  crurent  en  lui. 

■  Un  pharisien,  membre  du  Sénat  <les  Juifs  et  dtxleur  de  la 
»  Loi  ,  vint  le   trouver  pendant  la  nuit  et  lui  dit  :  Maître,  nous 

■  savons  que  vous  êtes  un  do<  leur  envoyé  de  Dieu  ;  nul,  en  effet. 
»  si  Dieu  n'est  avec  lui,  ne  saurait  f;iire  les  prodiges  que  vous 
»  faites. 

»  Il  est  à  croire  que  Nieodème  demanda  en  outre  ce  «pi'il  avait 
»  à  faire  pour  entrer  au  ciel  ;  car  Jésus,  employant  la  lorme  d'af- 

■  lirmaiion  la  plus  solennelle  qui  fut  en  usage  parmi  les  Juifs,  lui 

■  répondit  :  En  vérité,  en  vérité  je  te  le  dis,  nul,  s'd  ne  renaît  une 

■  sectmde  fois,  ne  peut  voir  le  royaume  de  Dieu.  Comment ,  s'il 
»  ne  renaît  une  se(onde  fois!  dit  Nieodème;  un  vieillard  peut-il 
»  rentrer  dans  le  sein  de  sa  mère  et  naître  une  seconde  fois?  Jé- 

■  sus  rép(»ndit  :  En  vérité,  en  vérité  je  te  le  dis,  nul,  s'il  ne  renaît 
»  de  l'eau  el  de  l'Esprit  saint,  ne  peut  entrer  dans  le  royaume  de 
»  Dieu. 

>  On  le  >oit,  Jé'sus  pose  ici  le  dogme  de  la  nécessité  d'une  ré- 

•  génération  spirituelle  ,  dont  le  baptême  est  le  symbole.  Mais 
»  Nieodèuje  était   préocciq»»'  de  l'idée  d'une  seconde  naissance 

•  (orjwrelle.  Jésus,  sansse départir  du  langage  elliptiques!  fami- 

•  lier  aux  Hébreux,  essaie  alors  de  lui  faire  sentir  <pielle  diffe- 
»  rence  il  y  a  entre  la  naissance  spirituelle  dont  il  pru  le  et  In 

reiii\rcmt-iil  «le  la  voloiili-.  Dieu  n'a  pns  confié  1rs  grnndrs  disprnfalions  do 
sa  ProNidonrr  qu'à  ceux  qui  se  sont  mnnirrs  «lignes  «le  Lui  «lans  la  lutte  con- 
tre le  niRl.  Aussi  voyons-nous  unei'|ireuve  «le  ce  genre  prért'tlrr  l'instilulion 
(lu  Ju(lni<in)e  :  Alirahnni  subit  lépretne  «le  la  fui  el  «le  la  lidelilc  aui  coni- 
niandentents  «li\ins,  el  e"esl  quand  il  en  est  sorti  victorieux  que  l'Ange  lui 
apporta  la  (irandc  Promesse. 

Or,  s'il  en  a  été  ainsi  de  linstilulion  pn'paraloire,  «pie  sera-ce  de  l'insti 
lution  définitive?  Les  hommes  ne  pouvaient  «Mre  sauvés  qu'autant  que  In 
puissance  «lu  nnl  serait  vaincue.  Force  est  donc  bien  de  reconnaître  que  la 
Tentali«)n  occupe  dans  I  K\angile  jii-te  la  place  «pii  «-.JUNient,  au  coninimce- 
mcnl  de  riiistoirc  proprement  dite  «le  la  v.ication  «le  J«suh  :  il  coin  citait  évi- 
drminrnl  que  la  U('d<ni|)ti<)n  de  I  Iniinanilé  fût  inaugurée  par  celte  grande 
victoire  sur  le  génie  «lu  mal.  Cf.  Ftossirr.  fUrvnlion*  sur  1rs  myttrrrt  \%\' 
.semaine. 


iiiSTuiiic  DE  jtsLS-ciirusr.  3GI 

»  naissance  commune  ù  tons  les  hommes.  Celle-ci  est  toute  <;liar- 
»  nelle ,  et  tout  ce  (|ni  en  provient  l'est  aussi  :  «  Ce  qui  est  né 
•  de  la  cliair,  dit  .It'sus  à  Nirodème,  est  chair.»  Mais  la  seconde 
»  naissance  est  toute  spiriluclle,  ainsi  (juc  les  fruits  qu'elle  porte  : 
«Ce  (jui  naît  du  Saint-Esprit,  ajoute  Jésus,  est  esprit.  »  C'est 
»  par  les  œuvres  seulement  qu'on  reconnaît  celte  régénération 
»  opérée  par  un  piincipo  invisible.  Jésus  en  développe  les  effets 
»  sous  un  endjjèmc  sensible,  sous  l'emblème  du  vent  :  «  Lèvent, 
»  dit-il,  souille  où  il  veut;  on  entend  sa  voix,  mais  on  ne  sait 
»  d'où  il  vient  ni  où  il  va  ;  il  en  est  ainsi  de  l'esprit  dans  l'âme 
»  qu'il  régénère.  » 

»  Toutefois,  Nicodème  ne  comprit  point  et  il^dit  :  Comment 
«cela  se  peut-il  faire? 

»  Jésus  repartit  :  Quoi!  tu  est  docteur  en  Israël  et  tu  ignores 
»  ces  choses  ! 

»  Ce  n'est  pas  tout  :  Jésus  n'est  point  seulement  un  docteur  de 
»  la  Loi ,  comme  le  pense  Nicodème;  il  est  un  Révélateur,  il  est 
»  homme  et  Dieu  tout  ensemble.  En  effet,  il  continue  en  ces  ter- 
»  mes  :  «  En  vérité,  en  vérité  je  te  le  dis.  Nous  n'affirmons  que 
»  ce  que  Nous  savons,  Nous  n'attestons  rien  que  Nous  n'ayons  vu, 
»  et  vous  n'en  repoussez  pas  moins  Notre  témoignage.  Si  vous  re- 
»  fusez  de  croire  des  mystères  que  je  vous  expose  sous  des  ima- 
>  ges  tirées  des  choses  de  la  terre  (comme  sont  le  vent  et  ses 
»  effets),  comment  croirez-vous  si  je  les  exprime  dans  le  langage 
»  du  ciel?  Encore  une  fois,  je  ne  dis  que  ce  que  je  sais.  Mais, 
»  pour  savoir  ces  choses,  il  faut  avoir  été  au  ciel,  et  aucun  homme 
I)  n'a  été  au  ciel,  sinon  Celui  qui  est  descendu  du  ciel,  le  Fils  de 
»  V homme,  qui  est  dans  le  ciel  (a). 

y>  Jésus  va  plus  loin.  Après  le  dogme  du  Baptême,  il  vient  de 
»  poser,  vomme  on  voit,  celui  de  l'Incarnation;  il  va  poser  celui 
»  de  la  Rédemption,  celui  du  salut  des  hommes  par  le  Christ.  FI 
»  poursuit  en  effet  : 


(1)  yemo  ascendit  in  cœlum,nisi  qui  descendit  decœlo,  Filius  hominis  qui 
EST  in  cœlo  (Jean,  m,  15).  Jésus  est  Dieu  ;  comme  tel,  comme  Verbe  de  Dieu, 
il  est  dans  le  ciel.  Et  il  continue  d'y  résider,  bien  qu'il  se  soit  uni  à  la  na- 
ture humaine,  bien  qu'il  se  soit  fait  le  fis  de  l'homme,  le  fils  de  Marie. 


.'Ui'J  IMSTOinii  DE  JKst 'S-CMRIST. 

«(.oiiime  Moysf  :i   fl<*vé  dans  la  fuite  d'Egypic  un  serpent 

■  (l'uirain  (."lu'il  siiilisait  de  regurclor  pour  ^trc  gucri  de  la  nior- 

■  sure  des  serpents  du  désert)  [Ij,  de  mf^uw  il  faut  «jue  le  Fils 
B  de  rtioinme  soit  »'lev»'  à  sun  tour  f'alliisiiMi  au  cru(ilicm«'nt\  de 

•  ifllc  sorte  «pie  tout  lioniinr  ipti  croit  eu  lui  ue  périsse  point, 
»  mais  qu'il  |>ossède  la  vie  éternelle.  Kn  effet,  DiEi'  a  aimé  le 
»  «o>nE  jrsoi''A  i>oM>ER  SON  Fits  iNioiE,  afin  que  tout  honnue  qui 
»  croit  en  lui  ne  périsse  pas,  mais  (ju'il  ait  la  Aie  à  toujours. 
»  Dieu  n'a  pas  envoyé  son  Fils  dans  le  monde  pour  condamner 
B  le  monde,  mais  pour  le  sauver. 

o  Celui  qui  croit  en  lui  n'est  pas  condaume  ;  mais  celui  «jui  ne 
»  croit  point  est  jugé  déjà,  pan  e  cpi'il  a  refus»'-  de  croire  au  nom 
»  (lu  Fils  uni(pie  de  Dieu.    Et   la  cause  de  cette  condamnation  , 

•  c'est  «jne  la  lumière  est  venue  dans  le  monde,  et  que  les  liom- 
»  ujosonimi«'U\  aiuie  l«'s  ténèbres,  parce«pie  leurs  actions  <'>taieot 
»  mauvaises;  car  quiconque  fait  mal  hait  la  lumière,  et  il  ne  vient 

■  point  à  elle,  de  pour  qu'il  ne  soit  repris  de  ses  œuvres.  Mais 
»  ci'lui  qui  fait  bien  vient  à  la  lumière;  il  ne  craint  pas  que  ses 

■  a<  lions  paraissent,  parce  (prtlles  sont  faites  selon  Dieu  ■  (2). 

•  Tout  le  Christianisme  est  dans  ce  discours  :  l'Incarnation , 

•  la  Ht'di'mptiMO  par  la  (  j-oi\  ,  la  re;^'énération  des  âmes  par  le 
H  Jiaptème  et  par  une  vie  meilleure.  On  y  voit  mî^me  distincte- 
n  ment  les  trois  Peisonnes  de  la  Trinité  :  le  Père  donne  son  Fils 
w  unique  pour  sauver  le  monde  par  Eui,  et  l'Esprit  régénérateur, 
»  unissant  à  l'eau  flu  baptême  son  action  inufe-puissante.  trans- 

•  forme  rimnime  en  une  «•l'eature  noiivrije.  ■ 

«  KriHH.tE.  —  Plus  lard,  Jra»;  liis  de  Zabdai,  le  pécheur  de 

•  Galilée,  Jean,  qui  avait  vu  mourir  Jésus  sur  la  croix,  i<:rivait 
»  ces  paroles  : 

'  Ce  rjui  était  dés  Ir  rotnmmmnenl,  —  ce  que  nous  avons  vu 

■  et  scrute  de  nos  yeux,  ce  (pie  nous  avons  ouï  du  Verbe  vivant, 
»  ce  que  nos  propres  mahs  ot  toiché, — nous  en  rendons  témoi- 
n  pnage  fie  va  ni  vous. 

(S]  On  n«  saurait  Irop  ninlilrr  (  r>  part'lrj  «If  Jf>us-Chri-^l. 


UISTOlKi;  DL  JtSUS-CURIST.  363 

»  Au  COMMENCEMENT  était  LE  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu, 
»  ET  LE  Verbe  était  Dieu. 

»  Au  commencement ,  il  était  en  Dieu.  Toutes  choses  ont  été 
»  faites  par  Lui,  et  rien  de  ce  qui  a  été  fait  me  l'a  été  sans  Lui. 

»  En  Lui  émit  la  vir;  en  Lui ,  la  Lumière  des  hommes.  La  In- 
»  inière  a  lui  dans  les  ténèbres,  et  les  ténèbres  ne  l'ont  point 
»  comprise. 

»  11  y  eut  un  homme  envoyé  de  Dieu;  son  nom  était  Jean.... 
»  H  n'était  pas  la  Lumière;  mais  il  vint  pour  rendre  témoignage 
»  de  Celui  qui  était  la  Lumière,  la  Lumière  vraie,  qui  éclaire  tout 
»  homme  venant  en  ce  monde. 

»  Le  Verbe  était  dans  le  monde,  et  le  monde,  fait  par  Lui,  l'a 
»  méconnu.  Le  Verbe  est  venu  dans  son  héritage,  et  les  siens  ne 
»  l'ont  point  reçu. 

»  Mais  il  a  donné  le  pouvoir  de  devenir  enfants  de  Dieu  à  tous 
»  ceux  qui  n'étaient  pas  les  siens  et  qui  L'ont  reçu,  à  tous  ceux 
»  qui  croient  en  son  nom... 

»  Et  le  Verbe  s'est  fait  CHAIR,  et  il  a  habité  parmi  nous,  plein 
»  de  grâce  et  de  vérité  ;  et  nous  avons  vu  sa  gloire,  comme  Fils 
»  unique  du  Père. 

»  El  nous  vous  prêchons  ce  que  nous  avons  ouï  et  ce  que  nous 
»  avons  vu  ,  afin  que  vous  entriez  en  société  avec  nous,  avec  le 
»  Père,  avec  son  fils  Jésus-Christ.  » 


I TIDE  SIR  LE  «OVi;\  ACE. 


lo  artiste  dans  un  cloitre  (1). 


Le  soleil  couchant  rouj^issaii  au  loin  ({uclques  légers  nuages. 
La  chaleur  pesante  s'allourdissait  au  frond  des  pèlerins  fatigués. 
Ils  étaient  deux  précipiianl  leurs  pas  sur  la  voie  poudreuse.  Le 
plus  jeune,  appuyé  sur  son  bàlon,  dit  à  l'autre  :  Guido,  vois- 
in là-has ,  sur  le  liane  de  cette  belle  colline,  comme  les  murail- 
les nouvelles  surgissent  blanches  dans  les  masses  obscures? 

Frère,  disait  l'autre,  laisse-moi  m'agenouiller ;  bientôt  nous 
serons  dans  «es  murailles  bénies  ;  prions,  je  me  sens  si  peu  de 
fermeté,  que  je  n'aurai  pas  le  courage  d'une  réponse  d  qui  nous 
oiivriia  la  porte;  et  toi,  sauras-lu  re|>ondre? 

Prions,  répondit  le  jeune  homme...  Kt  la  lune  naissante  rayon- 
nait sur  leurs  fronts  penchés,  et  la  brise  du  soir  agitait  pour  la 
«lernière  fois  peui^^Ure  leurs  longs  cheveux. 

La  nuit  s'était  faite  dès  longtemps,  quand  ils  secouèrent  la 
poussière  de  leurs  pieds  à  la  porte  du  cloitre. 

Que  voulez-vous.'  dit  le  frère  portier.  -  •  Vêtir  Ihabit  de  saint 
I)omini(jue.  —  Deo  yratias. 


Guido  était  un  jeune  peintre  simple  ,  doux   et  timide.    Dans 


(I)  t>lto('tUflr  n'est  point  une  fiction  ;  clic  est  fondée  surdos  faits  racon- 
14^ s  par  Vasari  cl  le  P.  Marrhcsc. 


J 


ÉTUDE  SLR  I.i;    M<Mt?(  AGK.  365 

raielier  de  son  innîde  et  parmi  ses  condisciples,  il  était  comme 
la  jeune  lille  (pii,  le  |)reuii('r  jour  de  sa  sortie  de  couvent,  entre 
dans  un  salon  (l<'  bal  ;  ou  plutôt,  le  pauvre  enfant,  comme  le  pe- 
tit agneau  (pii  a  perdu  de  vue  sa  mère,  et,  se  tiouvant  égaré, 
dans  un  troupeau  étranger,  bêle  tristement. 

Quand  le  soir  venait,  il  j)renail  le  bras  de  son  jeune  frère,  et 
tous  deux  promenaient  par  la  ville  leurs  vagues  inquiétudes  et 
leurs  pensées  d'avenir. 

Ils  arrivaient  ainsi  à  la  porte  d'une  vieille  chapelle.  Là  age- 
nouillés, tous  deux  priaient  avec  la  ferveur  des  cœurs  jeunes. 

Un  soir,  le  petit  dit  à  l'autre  :  Sais-tu  ce  que  j'ai  cru  voir, 
quand  tu  priais  dans  l'ombre?  il  m'a  semblé  que  saint  Domini- 
que, vêtu  de  blanc,  te  bénissait  et  t'embrassait  au  front;  et, 
dans  ce  moment,  je  me  suis  senti  attiré  vers  toi  et  comme  collé  à 
ton  habit.  --  Guido  répondit  :  Je  ne  sais  si  saint  Dominique  me 
bénit  et  m'attire,  mais  je  sens  en  moi  quelque  chose  que  je  ne 
puis  nommer.  As-tu  vu  le  germe  du  jeune  pêcher  quand  il  écarte 
sa  dure  enveJoppe?  Ainsi  je  me  sens  travaillé  intérieurement  et 
quelque  chose  y  germe  péniblement.  Il  est  des  forces  énormes 
accordées  à  l'homme  ;  tu  as  senti  la  puissance  de  la  parole  de 
Giovani  Dominici ,  le  saint  prieur  de  Fiésole;  tu  sais  comme 
elle  ébranle  l'intime  de  notre  être  ;  eh  bien,  il  est  une  force  aussi 
puissante,  et  je  veux  l'acquérir.  L'art,  petit  frère,  n'est  pas  la 
reproduction  servile  de  la  nature ,  comme  le  croient  quelques- 
uns  d'entre  nous;  il  faut  que  l'homme  y  mette  son  âme,  y  infuse 
son  être.  Comme  la  prédication  sacrée,je  voudrais  faire  naître  des 
sentiments  profonds  ;  je  voudrais  exprimer  tout  ce  que  je  sens  et 
tout  ce  que  ma  parole  ne  peut  rendre.  Oh  !  si  j'étais  dominicain, 
que  je  puisse  jouir  de  la  retraite,  sans  souci,  sans  distraction; 
ah  !  je  le  sens ,  je  ferai  quelque  chose  qui  toucherait  jusqu'au 
passant  affairé  ! 

Et  pourquoi,  Guido,  ne  pas  endosser  le  saint  habit?  je  le  pren- 
drais aussi,  je  m'ennuie  tant  ici  !  et  je  n'aime  pas  à  voir  rire  quand 
je  fais  le  signe  de  la  croix  avant  de  toucher  à  mon  pinceau  comme 
avant  de  me  mettre  à  table.  Si  tu  le  voulais,  comme  nous  serions 
tranquilles  tous  deux!  comme  nous  pourrions,  à  deux  genoux, 
prier  la  Sainte-Vierge  dont  tu  esquisses  toujours  les  traits! 


306  ETlUtMKIt     Mt)^E.>    VGK. 

Puiivrcs  cnfuiits,  quo  la  pensée  de  l'arl  dominait ,  mais  que: 
les  douces  troyances  enlouraiont,  déjà  le  monde  était  amer  pour 
vous!  Que  serajl-ce,  si  vous  viviez  aujourd'hui .' 


I/an  1108,  dans  iino  crllulc  de  l'olit^iio  ,  un  pauvit;  fit-re,  le 
visajçepiile,  inclinait  sa  jeune  t(Me  que  le  rasoir  avait  rmdue  sem- 
blable à  celle  «l'un  niotl.  se  iVappail  la  poitrine  et  pleurait. 

Fia  Rcnedelti>  entra,  et  le  voyant  f)lon^'e  en  oraison,  posa  sur 
la  table  la  palette  et  les  pinceaux  (juil  apportait  dans  les  plis 
de  sa  robe,  el  sur  la  pointe  des  pieds  il  s'en  alla. 

Guido ,  ou  FraGiovani,  sanglolte  ,  solitaire;  bien  humble  est 
son  visage,  sa  retraite  est  cachée,  le  nom  de  son  pi^'re  nVsi  pas 
connu  ;  on  sait  à  peine  son  Age,  n'était  le  poli  de  son  front  el  la 
vivacit»''  de  son  regard.  Ce  n'est  «pie  le  dernier  venu  des  pèle- 
rins (pii  aient  deniondé  la  robe  de  bure. 

Mais  il  se  relève;  voilà  (jue  les  pinceaux  frappent  ses  yeux; 
son  cœur  bat  à  rompre;  sa  main  tremblante  s'allonge;  A  art 
chéri!  soupirc-l-il ,  et  le  voild  à  PdMivre...  et  la  nuit  passa  en- 
tière, et  les  matines  sonnèrent ,  et  l'aube  blanchit  à  l'horison,  et 
le  soleil  éclairait  sa  cellide  (juarid  il  se  reposa. 

Fra  Benedeito,  in(|uiet  et  n'osant  le  dire,  vint  frapper  à  sa  porte 
et  entra.  —  Oh  î  la  belle  Viergi-  <iui!  vil  !  oh!  les  cél(\<;tes  re- 
gards (piil  rencontra!  Le  prieur,  tous  h  s  frères  accoururent.  A 
eux  aussi  Marie  apparut  modeste  dans  sa  gloire  et  toute  rayon- 
nante de  beauté  céleste.  Et,  «pioicpiele  tableau  fut  à  peine  achevé, 
il  les  (•niul  si  fort,  qu'ils  joignirent  les  mains  et  restèrent  sans 
voix. 

Cependant,  frère  .lean,  presque  honteux,  la  t^te  penchi-e  avec 
un  doux  et  modeste  souiii'e,  se  tenait  debout,  laissant  pendre  ses 
bras.  Kl  si  |)ieux  elaii  tout  sou  air,  cpie  le  vi«Mix  prieur,  repor- 
tant ses  regards  de  la  Vierge  au  jeune  frère,  lui  dii  :  Merci, 
frère  Angélique. 

Vous  connaisse/  son  nom!  C'est  le  prince  des  peintres  mysti- 
ques; c'est  l'artiste  des  célestes  joies.  C'est  l'Angélique  le  bien 
■ommé. 


KTIDE  SIR    LK  MOYEN  ACE.  .107 

Haplin<>l  a  reçu  le  nom  de  divin.  Rapliai-I  rnprésenle  la  heanté 
<M  la  ^'làce  sans  pariMlle.  11  donne,  on  l'admire...  Fra  Angelico 
touche  et  fait  rêver. 

Avant  de  nu'iirc  la  main  à  ses  mivres  maj^mifiques ,  Sanzio  a 
vu  ,  a  admire  les  toiles  de  l'Angélique.  Est-ce  peu  que  cela?  Le 
jeune  Raphaël  est  ému  et  touché  ;  l'idéale  beauté  surgit  à  ses 
yeux,  il  se  sent  ap|)elé  à  créer  aussi ,  et  son  cœur  ardent  aspire 
à  un  avenir  glorieux. 

Le  pieux  frère  soupire  et  prie,  ses  genoux  pèsent  sur  la  pierre  ; 
il  se  cache  à  tous  les  yeux,  et,  seul  dans  la  nuit,  il  aime  à  rêver 
du  ciel. 


Cependant  sa  renonunée  s'étend  au  loin.  On  parle  du  frère 
Angélique,  on  veut  de  ses  tableaux  à  tout  prix.  Demandez  au 
prieur,  répond  l'humble  frère,  je  ferai  ce  qu'il  me  commandera. 
Et  moins  fréquents  sont  ses  coups  de  pinceaux  que  ses  aspira- 
lions  brûlâmes;  ou  plutôt  (on  l'a  dit),  la  peinture  est  la  mani- 
festation de  ses  sentiments  ardents;  c'est  sa  manière  de  prier. 

Une  nuit  que  la  lune  éclairait  les  murs  de  sa  cellule,  il  pensa 
qu'il  était  beau  de  voir  le  ciel  étoile;  il  se  leva  et  alla  s'asseoir 
sur  la  margelle  d'un  puits  profond.  Se  croyant  seul,  il  se  prit  à 
chanter  d'une  voix  basse  et  sourde.  De  profondis  clamaviadte 
Domine  \  mais  quelqu'un  continua  le  verset;  et,  tout  étonné,  il 
reconnut  le  père  Antoine.  Ils  s'aimaient  tant,  ces  deux  frères  en 
Jésus-Christ  crucifié  ,  qu'ils  s'embrassèrent  étroitement! 

Antoine,  depuis  saint  Antoine  de  Padoue,  et  Giovani,  ou  l'An- 
gélique ,  causèrent  longuement.  Le  saint  donnait  ses  idées  sur 
l'art,  et  l'artiste  l'écoutait.  Mon  frère,  disait-il,  si  tu  faisais 
tout  blanc  le  vêtement  de  la  bienheureuse  Vierge,  elle  me  plai- 
rait davantage,  surtout  quand  tu  la  représentes  glorifiée ,  et  bleu 
ou  rouge  seulement  dans  la  vie  humaine.  Mais  comment,  ô  Gio- 
vani! dis-le  moi ,  comment  as-tu  trouvé  ce  sourire  céleste  que 
tu  as  mis  tout  dernièrement  sur  ses  lèvres  divines?  —  Je  ne  sais, 
murmurait  le  fraie.  —  Mais  où  l'as-lu  vu,  ce  sourire,  dis-le  moi. 
—  Je  ne  puis,  répondait-il  doucement,  car  sa  modestie  l'en  em- 


36^  tS!>AI    ?IR    LE    .M()\K>    Al.e. 

p«^-|iail,  il  craignait  «ju'oii  le  ciui  favorisf  «I»'  bien;  il  voulait 
Olrc  le  tljTDÎt'r  de.s  di-rnicrs.  El  ccpeiidaui  la  \  ii-rge  bénir  lui 
était  apparue  ;  il  Pavait  vue  lui  sourire  doucement ,  et  ce  sourire 
céleste  ,  il  l'avait  gardé,  il  l'avait  saisi,  et  son  pinceau  l'avait  re- 
tracé. Je  lie  sais,  je  ne  |)uis,  ô  humilité  chrétienne,  «pii  grandis- 
sait si  fort  le  ^'enie! 

Mais,  Antoine,  serviteur  de  Dieu,  qui  souvent  aussi  avait  reçu 
de  douces  faveurs,  coni|)ril  celt»-  pieuse  réserve;  il  \it  dans  le 
cœur  candide  du  jeune  honiin(>,  connue  dans  l'eau  de  la  citerne  il 
voyait  se  refléchir  la  lune ,  et  l'enlouranl  de  ses  bras,  il  pleura 
de  joie.  Tous  deux  |>lcurèreni  ainsi.  El  jns(ju'à  l'aube  ils  se  con- 
tèrent leurs  ineffables  joies  et  jetèrent  l'huile  de  leur  charité  dans 
le  brasier  de  leur  pur  amour! 


Le  talent  de  fra  Anyelico  ne  peut  pas  s'analyser.  On  peut  van- 
ter la  pureté  de  son  dessin ,  la  grAce  de  son  coloris ,  la  beauté 
de  sa  composition;  mais  comment  retracer  ce  «pii  n'appartient 
(pj'à  lui  seul,  ce  je  ne  sais  cjuoi  de  céleste  qui  vous  saisit  à  la  vue 
de  ses  toiles?  H  a  crée  un  type  de  Christ  et  de  Vierge  (pii  lui  est 
propre,  type  souverain  qui  le  place  au-dessus  de  Haphael.  Ses 
peintures  merveilleuses  ne  |>euvent  pas  s'expliquer  par  le  génie 
seul;  le  génie  est  trop  faible  [>our  de  telles  œuvres.  On  sent  la, 
la  foi  vive,  la  grâce  surnaturelle.  On  est  tenté  de  baiser  celle 
toile  où  a  passé  la  main  d'un  saint.  Ce  n'est  pas  seulement  l'œu- 
vre d'un  ange,  c'est  une  relique  sacrée. 

Un  cu'ur  tout  à  Dieu,  voilà  le  secret  du  frère.  Quand  il  avait 
mis  toute  son  âme  dans  la  figure  du  divin  Maître  ou  de  sa  douce 
Mère,  l'extase  qui  le  possédait  ne  lui  permetiait  pas  de  leioin- 
ber  tout  à  coup  dans  la  realite  ;  il  ne  pouvait  ainsi  chuter  du 
ciel  ;  il  fallait  une  transition,  et  sa  main  colorait  au  pied  de  son 
tableau  une  figure  plus  humaine;  il  faisait  partager  son  cxlase 
à  saint  Domini<pic  on  à  saint  François  ,  et  <|uand  il  les  avait 
|uoslern(''s  au  pied  du  Dieu  d'amour,  luise  relevait,  et  son  œu- 
vre était  parfaite. 

Qui  a  dfmné  à  l'Angélicpie  ces  idées  élonnantes  dans  certains 


KSSAI   S[iR   LE  MOYEN    AGE.  369 

déluils  qui  seules  suflîraicnt  ù  le  faire  acclamer  génie?  Où  a-l-il 
pris  celle  idée  de  placer  la  couronne  hors  de  la  main  de  Jésus, 
à  peine  ellleurée  de  ses  doiyls,  dans  son  tableau  du  couronnement 
de  la  Vierge?  Comme  si  Dieu  envoyait  la  couionne  se  placer 
elle-même;  pensée  sublime,  dit  le  Père  Marchesc,  qui  rappelle 
le  fiât  (le  la  ciéation. 

Qui  lui  a  insjjiré  ce  calme  majestueux  dans  le  Jésus-Dieu  du 
Jugement  dernier,  alors  que  tous  les  peintres  le  représentaient 
terrible  et  irrité?  L'Aiigélicpie  le  peint  calme  et  étendant  la  main 
pour  éloigner  les  maudits;  oh  !  la  sublime  idée!  A  ce  calme  on 
reconnaît  Dieu,  que  nos  passions  n'agite  pas. 

Où  a-l-il  aperçu  ces  anges,  qui,  selon  l'expression  italienne  : 
sembrano  piovuti  dal  cielo  P  Ah  !  le  secret  de  son  art ,  c'étaient 
ses  sanglots  au  pied  de  la  croix,  c'étaient  ses  soupirs  brûlants 
que  lui  suggéraient  la  méditation  de  son  sujet,  alors  qu'étendu 
sur  la  pierre,  il  gémissait... 

Mais  voici  qu'il  se  levait,  comme  Lazarre  à  la  voix  de  Jésus;  il 
prenait  son  pinceau,  son  cœur  battait  violemment,  il  vivait  dans 
son  œuvre,  et  vite,  vile,  il  travaillait;  la  sainte  image  était  déjà 
dans  sa  poitrine  et  dans  sa  tête,  toute  belle  et  rayonnante,  il  lui 
lardait  de  la  voir  sur  la  toile  et  devant  lui,  et,  sa  main  frémissante 
courrait  (1)...  L'œuvre  achevée,  il  la  regardait  avec  amour  et 
complaisance,  et  quelle  qu'elle  fût,  la  laissait  sans  la  retoucher 
jamais,  disant  naïvement,  le  cher  frère,  que  Dieu  l'avait  voulu 
ainsi.  Quand  on  pénètre  dans  sa  cellule ,  quand  on  regarde  un 
peu  dans  le  cœur  de  ce  frère  étonnant ,  on  comprend  la  suavité 
de  ses  conceptions  et  la  douceur  de  ses  types  ;  on  comprend  ses 
célestes  joies.  Voyez  le  pauvre  dominicain,  sa  grande  manche 
retroussée  et  l'œil  en  feu,  est-ce  pour  la  gloire  humaine?  est-ce 
pour  l'argent  qu'il  se  courbe  sur  la  toile,  qu'il  use  ses  dernières 
palpitations?  Non  ;  c'est  là  sa  vie,  c'est  là  sa  prière,  c'est  là  sa 
joie.  Oh  !  joie  souveraine  de  l'artiste  chrétien,  qu'il  ne  sera  ja- 
mais donné  de  sentir  qu'à  l'artiste  dans  ces  conditions. 


(1)  Vasari  dit  qu'il  est  incroyable  qu'un  seul  homme  fit  autant,  aussi  \ile 
et  aussi  bien. 


:(70  ESSAI   StK  LE  MnTI:>    A<.E. 

Sans  «lontp,  ô  Ange  de  Fiésolo,  dans  un  «.Mao  d'amour  trop  fort 
fjour  ton  cœur,  il  s'est  rompu,  cl  ce  lui  là  la  mon. 

Son  «'piiaplic  dit  (ju'il  donnaii  aux  pauvres  le  prix  de  ses  ta- 
bleaux :  louchante  fleur  jetée  sur  sa  tombe  ! 

Claude  Mermillod. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES. 


ROSIIO.  —  Le  cardinal  An^clo  Hlaï.  —  L'illdslie  cardinal 
que  la  moii  a  frappé  soudaincnienl  dans  la  luiit  du  8  seplembre 
ISoV,  a  laissé  parmi  tous  les  savants  de  TEurope  un  si  grand  renom 
que  son  éloge  ne  sera  taxé  par  personne  d'exagération,  et  que  nous 
pouvons  commencer  cette  notice  en  disant  qu'il  lut  la  gloire  du  Sa- 
cré-Collège et  le  prince  des  philologues  de  notre  siècle. 

Angelo  Maï  naquit  le  7  mars  1782,  à  Schilpario,  dans  la  vallée 
de  Scalve  (province  de  Bergame).  Ses  parents  voulurent  qu'il  s'ap- 
plicàl  de  bonne  heure  à  l'étude,  et  leur  principal  soin  fut  de  dé- 
ployer chez  lui,  en  môme  temps  que  les  dons  de  l'intelligence,  les 
qualités  du  cœur. 

Il  eut  pour  maître  le  prêtre  Louis  Mozzi,  qui  avait  appartenu  à 
l'illustre  Compagnie  de  Jésus;  sous  la  direction  de  son  érudil  con- 
citoyen, le  jeune  Mai  fit  de  grands  progrès  au  séminaire  épiscopal 
de  Bergame  et  se  distingua  dans  toutes  les  parties  de  l'enseigne- 
ment. Mais  tout  à  coup  il  quitta  son  pays  et,  avec  quatre  de  ses 
compagnons  d'études,  se  rendit  à  Colorno,  où  Ferdinand  de  Bour- 
bon, duc  de  Parme,  avait,  avec  l'agrément  du  Souverain  Pontife, 
Pic  VII,  permis  au  PP.  Jésuites  d'établir  une  maison. 

Entré  dans  la  Compagnie  en  1799,  Angelo  Mai  s'y  appliqua  avec 
ardeur  à  l'étude,  et  cliez  lui  la  piété  était  à  la  hauteur  du  mérite. 
En  180V,  il  fut  envoyé  à  Naples  pour  y  enseigner  les  humanités. 
Ce  fut  alors  qu'au  milieu  de  ses  recherches  comparatives  sur  les 
auteurs  classiques  latins,  grecs  et  italiens,  il  écrivit  quelques  com- 
positions poétiques  qui  révélaient  chez  lui  une  ardente  imagina- 
tion. Mais  la  poésie  n'était  qu'un  délassement,  et  son  esprit  tendait 
vers  un  but  plus  élevé,  vers  des  occupations  plus  sérieuses. 

Contraint  de  (juitter  Naples,  il  vint  à  Rome  avec  quelques-uns 

24 


.172  héi.\><;ks  kt  ><u  vni.i.Hti. 

ilt's  menions  di;  la  Compagiii»',  vl  après  un  couil  si'joui  (l.iiis  la  c.i- 
pilale  (lu  monde  culliuli(|iii> ,  il  se  rendit  à  Orvieio,  où  Tappelail 
rarilie\é«|iie  de  celte  Nille.  Jean-l{a|)lisle  Lanibruscliiiii.  Là,  il 
s'appliqua  à  l'élude  de  la  tliéulu^ie,  puis  à  celle  des  lan^iie>  hébraï- 
que et  grecque,  et  enfin  de  la  paléographie,  sous  la  direction  des 
cx-jésuiles  esjyagnol;:,  Monero  el  Manchaca.  Dans  cette  dernière 
science  surloul,  il  ne  tarda  pas  ù  doenir  passé  niailre.  C'est  vers 
cette  époque  (ju'il  fui  admis  au  sacerdoce. 

Tandis  (ju'il  se  livrait  avec  tant  d'ardeur  et  de  joie  à  un  travail 
ininiense  (jui  embrassait  toutes  les  sciences  divines  et  humaine^, 
Anj;t'lo  Mai  se  vit  obligé  d'obéir  à  la  loi  impérieuse  en  vertu  de  la- 
quelle chacjue  Italien  devait  revenir  dans  son  pays  natal.  Alors  il 
alla  à  Milan  ;  Mozzi ,  son  niailre  dévoué,  était  avec  lui,  el  en  lui 
procuranl  la  nomiiialion  de  docteur  de  la  bibliolhéque  Ambroisien- 
ne,  il  lui  ouvrit  l'enlrée  de  ce  sanctuaire  de  l'élude. 

Tout  le  monde  sait  avec  ciuels  soins  et  quels  frais  le  cardinanior- 
roniée  avail  réuni  dans  cette  bibliothèque  une  énorme  quantité  de 
manuscrits  précieux,  envoyant  dans  toutes  les  parties  de  l'Europe 
des  savants  à  la  recherche  des  ouvrages  qu'ils  pourraient  achcler, 
et  leur  ordonnant  de  faire  copier  ceuv  qu'on  ne  pourrait  se  procu- 
rer aulremeril.  Mai,  i\  la  vue  de  lanl  de  richesses,  conçut  le  projet 
d'exhumer  de  l'ombre  et  de  la  poussière  les  trésors  qui  y  étaient 
enfouis.  I.e  voilà  occupé  >aM«.  lehuhe  à  loiirner  et  relourner  les  par- 
chemins, à  examiner  les  palimpsoles  confus  el  embrouillés,  à  pro- 
mener partout  un  regard  scrutateur,  dans  l'espérance  de  retrouver 
quehpie  nionumiiil  de  ranlicpic  science.  Il  avail  reconnu,  en  effet, 
qut;  parmi  les  <imi\  res  classi({ues  des  auteurs  de  ranli(|uité,  il  en  est 
un  certain  nomlire  de  Ironijuées  el  d'autres  qu'on  croit  perdues; 
aussi,  dans  les  recherches  qu'il  faisait  sans  cesse,  élail-il  guidé  par 
son  désir  de  combler  «juehjiie  lacune  de  ce  genre.  Or,  ses  doclcs 
veilles  ne  furenl  point  superfluiîs  :  toujours  appli(|ué  à  déchiffrer 
des  textes  que,  soit  le  temps,  soit  l'ignoiance  des  hommes  avail  dé- 
figurés, de  palimpsesles  chargés  d'écrilure,  de  feuillets  (|ui  avaient 
élè  réunis  au  hasard,  Mai  eut  le  bonheur  de  (k'couvrir  de  véritables 
trésors  li\  où  lanl  d'autres  n'avaienl  su  voir  (jue  des  paperasses 
inutiles. 

Le  premier  fruit  de  ses  excellents  travaux  fut  le  discours  d'Iso- 
crale  :  De  pcrmutationr,  (ju'il  traduisit  en  lalin  en  lilluslranl  dr 
noies  el  d'une  préface,  el  qu'il  publia.  Mustodixi  avail  fait  paraître 
le  texte  de  rc  discours,  el  Mai  joignit  à  l'original  la  traduction  et 


MLi.\N(ii;s   i;i'   ^(MM,r,l:s. 


873 


(rim|i()itanU  roiiinieiilaiies.  Mais  ce  nV'tail  là  pour  lui  qu'un  ossai. 
Knrouragé  puissamment  par  le  succès  d'une  première  lenlalive,  il 
ne  se  sentit  (jue  plus  d'arclour  pour  conliuuer  son  œuvre.  Sans  se 
laisser  un  instant  clélourner  do  ses  doitivs  investi^^Uions,  il  réussit 
en  peu  d'années  i\  mettre  au  jour  une  foule  d'ouvrages  en  tout  ou 
partie  inédits.  De  1813  à  1810,  il  présenta  aux  savants  dos  travaux 
qui  lurent  accueillis  avec  enlliousiastne.  Dans  le  nombre,  nous  ci- 
terons des  fragments  d'Homère  avec  un  grand  nombre  de  peintures 
également  antiques  et  dont  les  sujets  sont  liiés  des  œuvres  de  ce 
grand  poète;  les  écrits  inédits  de  Cornélius  Fronton  ;  des  lettres 
inédites  d'.^ntonin-le-Pieux,  de  iMarc-Aurèle,  de  Luciiis  Verus  et 
d'Appien;  des  fragments  de  discours  d'Aurélius  Symmaque  ;  les 
Antiquités  romaines  de  Denis  d'Halicarnassc,  qui  manquaient  jus- 
qu'ici ;  des  fragments  inédits  de  Piaule,  d'Isée,  de  Thémiste-le- 
Philosoplie  ;  un  ouvrage  inédit  de  Porphyre-le-Philosopho  ;  quel- 
ques écrits  du  juif  Pbilon  ;  les  anciens  interprètes  de  Virgile;  deux 
livres  des  Chroniques  d'Euséhe  Pamphile  ;  trois  livres  de  Julius  Va- 
lériiissur  la  vie  d'Alexandre  de  Macédoine  ;  les  VF  et  XIV  livres 
sibviiins;  une  traduction  en  langue  gotliique  desépîlres  de  saitjt 
Paul  et  i](i>  autres  livres  d<;  l'Ecriture,  par  Tlfila.  Par  ces  décoi!- 
verles  inestimables  qu'il  [)ublia,  Angelo  Mai  rendit  de  grands  ser- 
vices aux  amis  des  lettres.  Son  nom  ne  tarda  pas  à  acquérir  de  la 
célébrité.  Tous  les  savants  avaient  les  yeux  fixés  sur  l'infatigable 
investigateur  de  la  bibliothèque  Ambroisicnne. 

En  1819,  l'emploi  de  premier  bibliothécaire  de  la  valicane  étant 
devenu  vacant,  le  cardinal  Lilta  et  le  cardinal  Consaivi  s'unirent 
pour  prier  le  Souverain  Pontife  Pie  VII  d'y  appeler  Angelo  Maï, 
bien  certains  que  nul  mieux  que  lui  ne  saurait  le  remplir.  Le  sa- 
vant philologue  se  montra  Irès-flatté  de  cette  honneur,  qui  allait 
lui  permettre  de  poursuivre  à  Rome  les  travaux  qu'il  avait  si  bien 
commencés  à  Milan.  Ses  recherches  ne  tardèrent  pas  en  effet  à  être 
couronnés  de  succès.  Il  découvrit  dans  la  bibliothèque  vaticane  une 
autre  partie  des  livres  de  Cornélius  Fronton  cachée  sous  un  pa- 
limpseste :  de  plus  quelques  fragments  du  droit  civil  antérieurs  au 
code  de  Justinien,  quelques  discours  de  Symmaque,  la  Rhétorique 
de  Julius  Victor,  etc.  Mais  ce  qui  retentit  le  plus  haut  en  Europe, 
ce  fut  la  découverte  des  six  livres  de  la  République  de  Cicéron,  que 
tout  le  monde  savait  bien  avoir  existé,  mais  qui,  depuis  le  XIIÏ*^ 
siècle,  étaient  perdus  sans  que  ni  Pétrarque,  ni  Poggio,  ni  Bessa- 
rione  et  tant  d'autres  patients  investigateurs  fussent  parvenus  à  les 


374  HKI.AMIES   KT   >OLVKl.l.hS. 

ri'lrouM'r.  l'iic  Ullc  j^loire  l'tail  réservée  à  Angcio  Mai,  et  ce  sera 
puiir  lui  un  lilru  élernel  aux  }'eu\  Je  lu  puslérilé.  A  peine  celle  œu- 
vre si  iiii|icirlanle  eùt-elle  élé  publiée  par  lui  avec  des  noies  exéj;é- 
liijues  cl  lii>loii(]U(>s,  (lu'ellu  se  répandit  dans  luule  TKurope  el  fut 
traduite  dans  presque  luules  les  langues. 

Nunimé  chanoine  de  la  basilicpie  patriarcale  du  \  atic.m,  et  admis 
dans  le  collcye  de  la  prclatuie  runiaine ,  An<;elo  Maine  suspendit 
pas  un  moment  ses  excellents  travaux.  A  Canipido^lio,  en  182V,  il 
prononça  un  remarquable  discours  au  sujet  d'un  concours  artisti- 
que, el  il  avait  pris  pour  texte  :  Oi-  l'accord  muluel  de  la  reliyion  et 
des  arts;  dans  la  môme  année,  il  lut  à  TAcadémie  catholique  un 
autre  discours  Sur  les  bienfailf  de  Pie  l'il  et  du  clergé  eiirers  lef  let- 
tres. A  ces  morceaux  justement  estimés,  il  i'aul  joindre  l'oraison  fu- 
nèbre eu  latin  qu'il  pronon«ja  dans  la  chapelle  Sixtine  lors(|u'on  y 
célébra  les  obsèques  de  Jean  \  I,  roi  de  Portugal,  el  un  discours 
Pro  eligcndo  ponti/ire  qu'il  lit  entendre  en  présence  du  Sacré  Col- 
léj,'e  au  moment  où  Ton  allait  entrer  au  conclave  où  lut  nommé  le 
pape  (irégoire  \^'I. 

Les  travaux  publiés  par  Angelo  .Mai  eussent  pu  suflire  à  sa  gloire, 
mais  ils  ne  suflisaient  |)as  à  son  aciivilé. 

Dans  le  courant  de  l'année  \Hl't ,  il  lit  paraître  le  Catalogue  des 
papyrus  égyptiens  de  la  l{ibliolhéi|uc  du  Vatican,  réunis  par  les 
papes  Pi(!  VII  el  Léon  \1L  et  mis  en  ordre  par  lui.  .NLiis  ce  travail 
n'est  rien,  si  on  le  compaïc  à  la  collection  des  auteurs  anciens,  en 
dix  gros  volumes,  qu'il  commença  à  imprimer  en  1827.  Il  ne  lent 
pas  plus  lot  achevée,  (|u'il  en  publia  une  autre  également  en  dix 
volumes,  sous  ce  titre  :  Clttasici  Srriiilores  e.r  codicilius  /  alicanis  editi, 
entreprise  qu'il  ne  pul  mener  à  lin  (]u'en  1838. 

Sa  renommée  était  devenue  immense;  toutes  les  académies  se 
disputaient  Ihonneur  de  le  compter  parmi  leurs  membres.  L'.Vn- 
glelerre  lui  décerna  une  grande  médaille  d'or,  où  l'on  voyait  d'un 
côté  l'image  du  roi,  de  l'autre  cet  exergue  :  Jugelo  Maio,  paliusea- 
taruni  iiireiiluri  atguc  reslauratori. 

.Mais  si,  à  l'étranger,  il  était  l'objet  dt;  mille  honunagcs,  sa  patrie 
non  plus  n'était  pas  indilVi  i«>nte  envers  lui.  En  1825,  Bergamc 
inaugura,  avec  des  félcs,  son  portrait  placé  dans  l'Athénée.  Des 
son  avènement,  Grégoire  \\  1  voulut  donner  une  preuve  éclatante 
de  son  estime  au  savant  bibliothécaire  en  le  nommant  secrétaire 
de  la  S.  Congrégation  de  la  Propagande  |1833).  Le  12  février  18:{8, 
Angelo  Mai  fut  appelé  au  cardinala!  en  métnc  temps  que  Mez/o- 


MÉLANGES  ri  NOUVELLES.  3/5 

fanli,  io  plus  grand  polyglotte  (|iii  ait  jamais  existé.  Comme  s'il  eût 
puisé  dans  cet  honneur  une  nouvelle  ardeur  d'étude,  Maï  joignit 
aux  collections  classitpies  (juil  avait  déjà  publiées  une  œuvre  en 
dix  volumes  encore,  intitulée  :  Spicilegitim  rotnanum,(\m  fut  ache- 
vée en  18 V4. 

F^a  mort  du  cardinal  Pacca  ayant  laissé  vacante  la  préfecture  de 
la  Congrégation  de  correction  des  livres  de  l'église  orientale,  cette 
place  fut,  par  ordre  du  Souverain  Pontife,  confiée  au  cardinal  Maï, 
Il  fut  nommé  aussi  préfet  de  la  Congrégation  de  l'index  ;  mais  il 
échangea  plus  tard  cette  dignité  contre  la  préfecture  de  la  Congré- 
gation du  Concile,  où  il  resta  jus(pi'en  1853,  c'est-à-dire  jusqu'à 
l'époque  où  il  fut  nommé  bibliothécaire  de  la  Sainte  Église  ro- 
maine. 

Toujours  plein  de  force  et  d'énergie,  le  cardinal  IMaï  n'interrom- 
pit point  SCS  études,  et  continua  d'y  consacrer  autant  d'heures  qu'il 
avait  coutume  de  le  faire  dans  sa  jeunesse,  (^est  aux  dernières  an- 
nées de  sa  vie  qu'on  doit  la  A'ouvelle  bibliotlièque  rfcs  SS.  Pères,  en 
six  gros  volumes  (1).  Mais  l'illustre  cardinal  n'eut  pas  la  satisfac- 
tion de  pouvoir  terminer  cette  œuvre  parvenue  à  sa  moitié  seule- 
ment. Retiré  à  Albano,  où  il  avait  été  chercher  un  peu  de  repos,  il 
y  fut  saisi  d'une  inflammation  d'entrailles  qui  l'emporta  en  trente- 
cinq  heures,  dans  la  nuit  du  8  au  9  septembre  de  cette  année,  date 
néfaste  pour  les  sciences  et  les  lettres,  qui  ont  fait  en  lui  une  perte 
irréparable. 

Les  dépouilles  mortelles  du  cardinal  Mai  furent  portées  dans  l'é- 
glise Sainte-Anasiasie,  dont  il  était  titulaire;  et  le  13  septembre, 
ses  obsèques  furent  solennellement  célébrées  en  présence  de  Sa 
Sainteté  Pie  IX,  qui  rendait  hommage  à  tant  de  vertus  et  de  mé- 
rites. 

Le  nom  d'Angelo  Mai  occupera  une  place  glorieuse  dans  l'his- 


(1)  Dans  cette  BibUolhvque,  Angelo  Mai  a  donné  un  fragment  sur  la  Hié- 
rarctiie  de  Denis  TAréopagite  ;  deux  autres  fagments.  lun  de  Denis  d'Alexan- 
drie, l'autre  de  saint  Cyprien,  un  extrait  du  Traité  de  rincarnation,  du  pape 
Félix  1"  ;  des  fragments  d'Origène  et  de  saint  Hippolytc  ;  une  lettre  de  saint 
Ambroise,  une  autre  de  saint  Athanase,  un  commentaire  de  saint  Basile  sur 
Daniel,  un  autre  de  saint  Cyrille  sui'  saint  Luc  et  sur  les  prophètes  ;  divers 
écrits  d"Eusèbe  de  Césarée,  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  de  saint  Chrysos- 
tome  et  de  saint  Jérôme,  outre  des  poésies  de  saint  Paulin  de  Noie  et  des 
livmncs  de  saint  Jean  Damascène. 


.■>7t>  MCI-V.MiKS   bT   .MH'VLl.l.liS. 

luiru  dos  ledres,  1 1  les  «ouvres  que  ce  savant  a  remises  en  iuinicrc 

ItMonl  i\  sa  niémoiri*  un  »Hernel  el  lirillanl  corlé^'e. 

Mais,  oulro  lanl  do  litres  oclalanls,  il  on  (îst  un  qui  ne  coiilri- 
Ixiera  pas  moins  à  la  gloire  de  son  nom  :  par  un  ncle  suprême  de  sa 
Noloiilt'",  le  cardinal  Angclo  Mai  a  Iôjïuo  toul  son  patrimoine  aux 
pauvres  de  son  pays  1).  Tous  les  voyageurs  amis  de  la  science  (jiii 
visiteront,  i^  Sainlc-Anaslasie,  la  tombe  du  grand  philologue,  sa- 
lueront aussi  en  lui  le  bienfailcur  des  indigenlsde  Scliilpario,  celle 
liunibli'  cilé  qui  désormais  est,  par  Angelo  Mai,  sortie  de  son  obs- 
curité. 

—  Ou  lit  dans  \'  /mi  de  la  Heligion  : 

On  nous  t'crit  do  lloriio  (|u"nn  y  altciid  un  ;;rantl  nonibrr  «l'évoijucs,  cl 
(|u'<)H  verra  arriver  avec  la  plus  grande  satisfaction,  aussi  bien  que  les  pré 
l.its  oniciellemcnl  invités,  ceux  que  leur  dévolion  y  allirera. 

f^cs  uns  el  les  autres  prendront  part,  suivant  leur  rang,  à  la  grande  a 
semblée  générale  du  Consisloirc. 

Celle  assemblée  générale  sera  préparée  par  des  réunions  particulières  (pu 
ne  seront  composées,  nous  écrit-on,  que  des  seuls  in\ ités  .\7>«'f /«^mcn/. 

C'est  M;j;r  Auliciqui  a  été  non)niéscciélairedela  Congrégation  cunsisturiaie. 

Pnrnii  les  prélats  français  (pii  doi\ent  se  rendre  à  Home  pour  assistera  ce 
grand  événrniont.  ou  annonce  Mgr  rarchcvèque  de  Pari-^  et  >'N.  SS.  de  Mai  - 
fcille  et  dAgen. 

France.  —  On  s.iit  <]U(>  Ir  l(<nipsdu  prov  iiu  i.dal  du  K.  P.  La- 
cordairt^  est  expiré,  vl  qui*,  d'après  les  statuts  de  r(Jrdre,  le  grand 


(i)  Lnlre  autres  fondations  pieuses  que  lit  itvanl  de  mourir  lilhislre  car- 
dinal Mai,  nous  rcmar(|uons  deux  eanonicats  qu'il  fonda  dans  l'égliso  de 
Sainte-An;islasie.  I,a  bibliotliè(]iie  ipi'il  lais'^e  esl  |»eutèlre  la  plus  considéra 
ble  el  la  |ilus  précieuse  ipii  ait  janiais  appartenu  à  aucun  cardinal. 

I.e  Jnunidl  tics  Drbals  ajoute,  <ra|)rès  sa  correspondance  de  Rome  dater 
du  2i  septembre,  les  détails  suivants  :  «  1-e  cardinal  Aiigelo  Mai  a  institué  les 
pauvres  de  son  pays  nalal  ses  héritiers  universels,  sauf  les  legs  laissés  à  un 
neveu  et  à  ses  domcslicpies.  Celle  succession  est  considérable.  Le  cardinal 
avail  n-liré  des  sonnnes  élevées  de  diverses  publications,  mais  la  partie  la 
plus  importante  de  sa  fortune  esl  la  nombreuse  bili!iotlièi|uc  qu'il  ovail  ras- 
sembice  à  grands  frais.  On  l'év.nlne  à  environ  TO.OnO  piastres,  soit  environ 
'itK).(MN)  fr.  Par  une  clause  spéciale  du  lestamenl,  le  gouvernement  ponlili 
«al  c-l  autorisé  à  acquérir  celle  liihliolliètpie  pour  la  moitié  de  sa  valeur.  le 
bruil  eourl  «pie  le  goiivernemenl  renonce  â  ce  privilège,  el  que  celle  eu! 
leclion  sera  vendue,  annonce  propre  à  locllrc  en  éveil  tous  les  bibliophile* 
«les  deux  minides.  » 


Wli;LAi\(iKS  ET   yoUVIiLLES.  377 

orateur  ne  pouvait  ôlre  élu.  C'est  le  K.  P.  Danzas  qui  à  été  élu 
pioviruial  par  le  cliapilie  de  l'ordre,  en  romplacemenl de  l'illustre 
restaurateur  des  Dominicains  en  France. 

—  Au  mois  d'août  dernier,  M.  le  ministre  de  la  guerre  demandait 
cent  religieuses  à  la  supérieure  des  filles  de  Saint-Vincent-dc-Paul, 
pour  aller  desservir  les  hôpitaux  de  Conslantinople  et  de  Varna.  Le 
même  jour  vifigt-d(îux  religieuses  quillaient  Paris  et  partaient  pour 
l'Orient.  Voici  comment  Ttine  d'(;lk;s,  qui  appartient  au  diocèse 
d'Arras,  apprend  à  sa  famille  son  départ  et  son  arrivée  à  Conslan- 
tinople : 

Coiistaiiliiiople,  ii  septembre  185i. 
Mes  ehers  parents, 

Le  l)t)n  Dieu  m'a  choisie  et  m'a  préférée  à  beaucoup  de  mes  compagnes 
pour  une  mission  qui  m'est  bien  chère.  Le  24  d'août,  notre  très-honoréc 
mère  me  demanda  si  je  voulais  me  dévouer  à  aller  à  l'étranger.  Chers  pa- 
rents, j'étais  tellement  contente  que  je  ne  pouvais  croire  ce  qu'elle  me  di- 
sait. Le  même  jour,  à  0  heures  du  soir,  nous  sommes  parties,  22  sœurs  et 
2  prêtres  de  la  mission,  pour  aller  soigner  les  soldats  blessés  et  les  choléri- 
ques. Nous  nous  sommes  embarquées  à  Marseille  le  27,  et  nous  sommes  ar- 
rivées à  Constantinople  8  septembre.  Pendant  la  traversée,  nous  a\ons  été 
malades  du  mal  de  mer. 

Ma  chère  mère,  je  désirais  bien  vous  écrire  avant  de  partir  de  la  com- 
munauté; mais  le  temps  m"a  manqué  :  il  a  fallu  faire  le  sac  de  suite,  comme 
les  militaires.  Notre  traversée  n"a  pas  été  des  plus  agréables;  nous  avons 
toujours  eu  le  vent  contraire.  Vous  comprenez  bien  qu'étant  nigaude  comme 
je  suis,  n'ayant  jamais  vu  que  mon  clocher  et  celui  de  la  communauté,  j'ai 
eu  un  peu  peur,  surtout  la  première  nuit  que  je  passai  sur  mer.  Jlais  je  me 
suis  bientôt  habituée.  Ce  que  le  bon  Dieu  fera  de  moi,  je  n'en  sais  rien,  mais 
je  suis  toute  prête  à  faire  sa  volonté.  Nous  sommes  chez  nos  sœurs  de  Con- 
slantinople. Là,  on  va  nous  distribuer,  les  unes  pour  rester,  les  autres  pour 
aller  à  la  guerre.  Je  vous  dirai  que  ce  mot  de  guerre  nous  amuse  beaucoup. 
Mais  enfin  fîat.  Nous  avons  été  dans  les  camps  des  soldats.  Comme  ils  étaient 
contents  de  nous  voir!  Ce  sont  bien  nos  sœurs  qui  les  soignent;  mais  elles 
sont  si  peu  nombreuses!  Ces  pauvres  militaires  n'auraient  pas  voulu  les  voir 
partir  et  les  laisser  là!  Le  choléra  a  beaucoup  cessé;  mais  il  en  est  beau- 
coup mort,  et  nos  sœurs  nous  disent  qu'ils  sont  morts  presque  tous  après 
avoir  reçu  les  derniers  sacrements.  Ce  sont  eux  qui  demandaient  les  pre- 
miers à  se  confesser.  Je  ne  puis  dire  combien  cela  me  fît  de  peine  de  voir 
tant  de  jeunes  gens  malades  ,  d'autres  qui  se  mouraient  :  et  cela  m'a  fait 
prendre  la  résolution  de  faire  tout  ce  que  je  pourrais  pour  leur  être  de 
quelque  utilité.  —  Chers  parents ,  aidez-moi  à  remercier  le  bon  Dieu  de 
m'avoir  donné  une  vocation  si  belle.   C'est  un  petit  sacrifice   pour  moi  de 


378  XKLAKGeS   tT   M»l>fe:i.M^S. 

quitter  mes  rliùrc»  compagnes  de  Paris.  Elles  désiraient  luulc.s  |>.ii(ir:  niai« 
l<-  bon  Dieu  m'a  préfcréc.  Que  son  yMui  lunu  suit  béni! 

RuMMle.  —  l'no  lellro  adross^»»  de  llanilioiir^  ;i  V lnii< prinlance 
Lilijr,  sur  1rs  «'t'oles  iiiilitairrs  ili-  l;i    lUissif,   coiiticnl    la  nouvelle 

stii\ariU'  : 

l>aiis  «(urli|Ui>-!iiu's  tic  cos  iii>tiluliiiiis  nnlilairts,  lics  pntrcs  cnlttoiit]urs 
vont  èlrr  nppelcs  ;i  donner  rcnsci;;norni-nl  tic  ot'tle  religion  ;  tfilc  innuvulion 
nicrilf  irélre  rcrnart|uée  dans  les  circonstances  actuelles. 

PriiKito.   —  On  ('(-ril   <li^  Hcriin.  If  1.*>  oclobro,  ù  la  Gazette  de 

S I  un  II-  : 

Ia'.  plan  tic  fonder  une  iiiiivcr>i(é  c:tliioli(|nc  (|iii  représenterait  plus  exclu- 
sivcnicnt  (pic  les  uni\er!<il('-s  cvislantcs  les  tendances  cal!iidi(]nes  dans  la 
sphère  de  In  science  et  de  renseignement,  est  l'objet  de  vives  préoccupations 
dans  les  cercles  eatboliijues,  et  on  dit  (pic  celle  ({ucstiun  a  été  soulevée  der- 
iiicrcnicnt  dans  les  comités  callioliipies.  On  assure  qu'un  des  évéques  les 
plus  zélés  de  rAlIcmngne  a  entrepris  «le  réunir  les  moyens  d'exécuter  ce 
pliiri. 

Frniirrort.  —  Le  smk^Jo  oniiiiei  du  |)ru(esl:iiilisnio  alieniaiid 
viiMil  d'iuoir  lieu  ;'i  Fraticiorl.  Il  s'e>l  occtipi'  de  l'usage  de  In  liiblc 
dans  la  faniillc,  dos  refuges,  de  la  snnclilicalion  du  dimaoche,  du 
liapli'Mne  des  ('iifanls,  des  assoiùalions  de  lion  rompagnonago,  de 
Tari  (•lir»''lien.  Le  docieur  Sleinniaver  de  Bonn  a  jiistilié  le  hapl^^me 
administré  aux  enfants.  Pour  tout  homme  (|ui  suit  avec  attention 
Tagilalion  protestante  en  Allemagne,  il  lui  est  facile  de  conslaler 
(pie  les  (■•h'-menls  de  di>isi()n  «pianl  à  la  criiyanee  ne  font  qu'aug- 
menler  :  e'est  un  vt'rrilahle  eflroi  qui  s'empare  des  esprits  quand  on 
peut  craindre  que  les  questions  dogmatiques  peuvent  ùtre  soidevées 
dans  un  synode:  il  n'a  d'i'>gal  (pie  la  peur  du  calliolieisnie  progres- 
sant. Il  n'est  pas  moin'»  digne  de  remanpie  que  le  proleslantismc 
allemand  pour  galvaniser  ses  membres  allant  s'éparpillanl  emprunte 
tant  (pi'il  peut  aux  institutions  et  aux  pratiques  de  l'Kglise  rallioli- 
«pie.  On  cojiie  nos  ordres  d'iiospitalieres  par  les  diaconesses  ;  nos 
as.sociations  de  saint  François  Hégisel  celles  de  l'illustre  abbé  Kol- 
pierg  par  des  associations  ouvrières;  nos  conciles,  nos  synodes  et  nos 
assenibh''es  ealbolitpies  par  des  réunions  analogues.  Nous  croyons 
(jue  ce  mouvement  amènera  A  une  élude  comparative  et  sincère 
des  institutions  de  TEglise  et  servira  à  propager  de  plus  en  plus  In 
véritable  foi. 

.Mai->  l'iiii  ideni  iiuporUuil  tlii  »n  notli-  ihoIoI.wiI  de  Fr.UK  lot  I.  c  est 


iiL:r.A\(.i:s  i;t  inouvei.les.  379 

la  discussion  sur  rc.ircKciicr  rt  la  /inv.ssi7<f  de  rindùsolubililé  du  ma- 
r'uujd!  (jui  aurait  cru  ;'i  uw  pareil  revirerruMil?  Le  |)rofessPur  Mul- 
ler  de  Halle,  Tavucal  Tliesenar,  ont  soulevé  couragcusenient  la 
question,  ce  dernier  a  cité  le  Temps,  feuille  protestante  de  Berlin, 
(|ui  doniu!  le  cliillrc  des  divorces  en  18.')3  dans  la  seule  capitale  de 
la  Prusse,  c'esl-à-dire  8oG  1  !  !  Les  orateurs  ont  attaqué  les  gouver- 
nements qui  ont  abandonné  TEcriture  sainte,  ceux  qui  sont  albéis, 
révolutionnaires,  troj)  c.irih.  Mais  ils  ont  oublié  toutes  les  tbèses 
des  tliéologiens  protestants  on  faveur  du  divorce  et  la  trop  fameuse 
consultation  signée  par  Lulbcr,  Melancblon,  Bucer,  Corvin,  Lenin- 
gen,  Vinfert  et  Mélanlber,  adressée  au  Landgrave  Pbilippe  de 
Hesse.  i<Si  votre  altesse  a  résolu  d'épouser  une  seconde  femme, 
»  nous  jugeons  qu'elle  doit  le  faire  secrètement,  comme  nous  avons 
»  dit  .1  l'occasion  de  la  dispense  qu'elle  demandait  ;  c'est-à-dire  qu'il 
»  n'y  ait  que  la  personne  qu'elle  épousera  et  quelques  autres  au  be- 
))  soin  qui  le  sacbenl,  en  les  obligeant  au  secret  sous  le  sceau  de  la 
»  confession.  Il  n'y  a  pas  ici  à  craindre  de  contradiction,  ni  de  scan- 
»  dales  considérables,  car  il  n'est  point  extraordinaire  aux  princes 
»  de  nourrir  des  concubines,  et  quand  le  menu  peuple  s'en  scanda- 
»  Userait,  les  plus  éclairés  se  douteront  de  la  vérité.  On  ne  doit  pas 
)j  se  soucier  beaucoup  de  ce  qui  s'en  dira  pourvu  que  la  conscience 
»  aille  bien.  C'est  ainsi  que  nous  l'approuvons.  Votre  Altesse  a  donc 
»  dans  cet  écrit  non-seulement  notre  approbation  ^;our  tous  les  cas 
»  de  nécessité  sur  ce  quelle  désire!  !  !  r. 

C'est  tout  bonnement  l'approbation  de  l'adultère  et  de  la  biga- 
mie. Le  divorce  n'en  est  qu'une  conséquence. 

La  discussion  de  Francfort  est  donc  d'une  haute  importance  ;  la 
force  des  choses  et  de  la  vérité  ramènera  à  la  doctrine  catholique 
de  l'unité  et  de  l'indissolubilité  du  mariage  chrétien^  tel  que  Jésus- 
Christ  l'a  institué;  à  moins  que  le  protestantisme  ne  se  jette  dans 
le  mormonisme.  Qui  sait? 

Le  synode  a  décidé  : 

1"  D'inviter  les  gouvernements  de  l'Allemagne  à  rétablir  les  lois 
matrimoniales  sur  leur  base  évangélique,  et  à  faire  disparaître  tous 
les  motifs  de  divorce,  excepté  ceux  qu'ont  maintenus  les  réforma- 
teurs (?) 

2"  De  prier  les  grands  dignitaires  ecclésiastiques  de  refuser  de 
marier  ceux  qui  se  sont  séparés  pour  d'autres  raisons  que  les  sus- 
mentionnées. 


.'iHO  MKL.VX.KS    KT    >()1>L1.LES. 

SftYolc.  —  Annkcy.  —  La  Conlérencc  de  Saint-Viiiccnl-de- 
l'aiil  (l'Annecy  vit'iit  de  perdre  son  président,  M.  (leorges  Terrier, 
mort  A  \'eyrior.  La  ville  entière  parlapc  la  douleur  de  cette  perte, 
car  tout  le  monde  admirait  sa  prolonde  piété  jointe  aux  plus  aima- 
bles qualités  du  cœur  et  de  l'esprit. 

L'avant  veille  de  sa  mort,  il  avait  passé  la  nuit  auprès  des  cho- 
lériques dans  riiùpilal  d'Annecy,  el  c'est  dans  l'exercice  de  tel  acte 
sublime  qu'il  a  conlraclé  la  maladie  dont  il  est  mort. 


SiiImnc.  —  liKn>K.  —  Le  /  atcrlnud  a  constaté,  dans  un  article 

sur  liî  |)aupérisme,  les  ra\ages  (jue  cette  plaie  pul)li(|ue  a  causés  de- 
puis plusieurs  années.  Il  résulte,  entre  autres,  d'un  rapport  de  la 
direction  de  l'intérieur,  fait  en  18'*i,  que  Timportation  de  l'eau- 
de-vie,  qui,  en  1811,  n'était  (|ue  de  (>'2,;{'iV  pots,  s'était  élevée,  en 
18V.'i,  à  77f$,300  pois;  la  l'abricalioii  intérieure  avait  augmenté 
dans  la  même  |)roportion.  \  la  suite  de  la  nouvelle  loi  sur  les  au- 
berges de  IH'Jfi  ,  il  s'élail  ouvert  un  iiiillirr  d'établissements  nou- 
veaux pour  le  débit  des  boissons.  Jusiju'en  18i0,  le  nombre  de» 
communes  qui  s'imposaient  des  taxes  pour  l'entretien  des  pauvres 
était  de  :i()7  ;  les  taxes  elles-mêmes,  Irés-mininws  dans  le  principe, 
s'élevaient  déjà  en  1817  à  la  somnu;  annuelle  de  IU)(»,81>8  fr.  ."j."j  c, 
cl  quoique  celte  somme  eût  été  fixée  par  la  législature  comme  ma- 
ximum ,  elle  augmenta  dés  lors  d'une  manière  effrayanle,  malgré 
les  années  abondantes  el  les  temps  j)rospéres  (|ui  avaient  succédé  à 
cette  époque  de  disette.  En  18i0,  le  total  arrivait  à  m>V,8o7  fr.  97c. 
H  n'y  avait  pas  moins  de  soixante  communes  où  la  taxe  allait  de  '2 
à  8  1/2  pour  lt)00.  Le  nombre  des  individus  entretenus  par  les 
communes  s'élevait  "  en  180i>,  i\  10,(ilG;  en  1 82-2,  ;H  7,588  ;  en 
1828,  à  19,997;  en  18V0,  à  32,0V7.  Dans  lo  cbilTre  de  cette  der- 
nière année  sont  com|)ris  VV78  enfants  légitimes  et  2V5tî  illégiti- 
mes, (;ntret(Mius  aux  frais  des  comniunes.  On  a  compté  !I!U>  pères 
de  fan)illc  valides  qui  avaient  abandonné  complètement  femmes  el 
enfants  A  leurs  communes.  Depiiis  18V7,  l'Llat  a  dépensé  en  secours 
directs  pour  le>^  |)auvres,  dans  l'ancien  raiilon,  2,875,308  fr. 


UtLAi-NfiLS    ET    NOWKLLIiS. 


381 


lieiièTC.  —  Noire  villoa  recueilli  depuis  quelques  années  bon 
iionihie  (Je  réfufçiés  |)olili(|ues.  lieaucoup  manquaient  de  moyens 
d'exisU-MU'c;  pUisipuis  joi;,'naienl  dans  le  sentiment  d'une  môme 
aversion  et  l'autorilé  civile  devant  laquelle  ils  avaient  fui,  et  Tau- 
torité  religieuse  qu'ils  savent  opposée  à  la  révolte  armée  et  aux 
exagérations  du  socialisme.  l.'L'nion  protestante  de  Genève  s'ap- 
plaudit de  ces  tempêtes  qui  lui  jetaient  des  victimes.  Elle  n'a  pas 
un  facile  accès  auprès  des  catholiques  anciennement  établis,  lissent 
af;uerrisà  ses  manœuvres;  ils  savent  à  quoi  s'en  tenir  sur  ses  of- 
fres el  ses  promesses  ;  la  moralité  de  ses  actes  et  la  sincérité  de  ses 
in(t;ntions  sont  trop  percées  A  jour,  pour  que  le  miel  de  ses  paroles, 
ou  le  bruit  de  son  argeiil  aient  chance  de  les  séduire.  Mais  les  pau- 
vres étrangers;  mais  les  nouveaux  débarqués,  qui  ne  connaissent 
rien  de  la  sainteté  calvinienne  el  de  la  charité  mercantile  qui  spé- 
cule sur  les  consciences  ;  voilà  une  proie  facile  à  circonvenir,  à  fas- 
ciner, à  juguler.  Tout  l'art  du  prosélytisme  va  là.  Des  agents  postés 
dans  toutes  les  rues  s'informent  des  mutations  de  domicile;  ils 
épior)l  tous  les  nouveaux  visages,  ils  se  font  dire  Thistoire  el  la  si- 
tuation des  ménages  arrivants.  Bientôt  la  famille  étrangère  voit  en- 
trer le  Monsieur  en  habit  noir  et  en  cravate  blanche.  Il  s'annonce 
courtoisement  comme  Vemoyédu  Christ,  il  s'excuse  de  sa  hardiesse 
sur  son  ministère  et  sur  la  plénitude  de  sa  charité  qui  le  presse 
d'aller  au  devant  de  tous  les  chrétiens  que  la  Providence  lui  envoie. 
Puis,  dans  le  cours  de  la  conversation,  il  glisse  adroitement  quel- 
que plirase  hypocrite  sur  les  vues  intéressées  des  prêtres,  sur  les  exi- 
gences pénibles  de  la  religion  catholique,  sur  la  bonté  de  Dieu,  qui 
ne  regarde  pas  aux  formes  diverses  sous  lesquelles  on  le  sert, 
pourvu  qu'on  croie  à  sa  Parole.  L'accueil  fait  à  ces  avances  lui  ap- 
prend ce  qu'il  peut  espérer;  s'il  a  affaire  à  des  indigents  ou  à  des 
mécontents  d'une  conscience  faible,  il  n'épargnera  rien  pour  obte- 
nir une  perversion. 

L'inion  protestante  aurait  grand  désir  de  signaler  ses  succès  par 
quelques  noms  honorables  ;  mais  il  ne  lui  est  pas  possible  d'en  con- 
quérir; elle  se  rabat  sans  pudeur  sur  tout  ce  qu'elle  rencontre;  les 
antécédents  ne  lui  font  pas  confusion,  elle  fait  flèche  de  tout  bois. 

Elle  palrone  habilement  une  société  d'Italiens  qui  ont  consenti 
à  abjurer  leur  foi  par  l'espérance  d'avancer  la  marche  de  la  révolu- 
lion  dans  leur  pays.  Elle  a  placé  à  la  tête  de  cette  association  semi- 
proteslanle  et  semi-socialiste  un  courrier  de  Gènes,  qui  s'est  dis- 


382  lltLAX(;E.S  ET  MOI  VELLES. 

lingué  dans  les  Iroublus  de  telliî  ville  ,  au  j>oinl  do  juger  prudent , 
après  que  le  succès  lui  cùi  fail  défaut,  de  s'échapper  de  sa  patrie 
pour  se  rèfujjier  àfionève.  fleinonsieiir  Hela,  dev»>nu  rlicf  de  seitc, 
cl,  on  n(5  sait  par  la  {jriko  de  (jiii,  niinisire  «les  sacren)cnls  dans  sa 
comniunatilé,  a  cru  se  faire  honneur  en  annonçant  son  apostasie  el 
en  faisant  un  appel  à  ses  concilovrns  d'Italie  pour  les  inviter  à  ab- 
jurer le  calliolici«inie,  conmuî  nunon  préliniitiain^  d'arriver  à  la  ré- 
publique. Son  père,  chrétien  sincèie  et  ferme  dans  sa  foi,  a  répon- 
du à  cet  écrit  par  une  lettre  |)ubliée  dans  V/Iannonin,  dont  nous 
reproduisons  la  traduction.  File  fera  de  mieux  en  mieux  ressortir 
la  tendance  des  apostasies  cpie  l'on  sollicite  ici,  et  le  caractère  de 
ceux  qui  y  travaillent.  Klle  montrera  aussi,  par  le  déplorable  exem- 
ple de  M.  Reta,  quelle  funeste  influence  exercent  les  idées  fausses 
d'un  parti  polilicpnî  ;  comment  elles  pervertissent  les  meilleures  dis- 
positions et  entraînent  juscjuau  sacrifice  de  ce  que  Ibommc  a  de 
plus  cher  et  de  plus  sacré,  la  conscience  et  la  religion. 

.4  Constantin  lieta,  ion  père  tns-afpigé. 

Dans  la  vie  d'ini  père,  il  y  a  des  moments  Irès-soiennels,  moments  d'une 
joie  ineffable,  quand  Dieu  lui  donne  avec  en  fils  l'espérance  de  voir  son  nom 
pcrpt'liic,  cl  d'avoir  un  soutien  pour  sa  vieillesse.  Il  y  a  des  moments  d'une 
douleur  très-profonde,  quand,  dans  la  (lejir  de  ses  espérances,  il  est  con- 
damné à  perdre  ccjncinc  enfant  cl  qu'il  ne  peut  le  sonslrairc  à  la  morl. 
.l'ai  éprouvé  les  premières  consolations:  heureux  si  le  Seigncui  ne  m'avait 
condamné  qu'à  souffrir  ce  dernier  chagrin! 

Il  m'a  fallu  souffrir  bien  davantage.  Mou  fds  Constantin  n'est  pas  mort, 
mais  il  a  lui-même  annonce  dans  les  journaux  qu'il  n'est  plus  catholique.  La 
révolution,  qui  lui  avait  enlevé  la  patrie,  lui  a  aussi  enlevé  la  foi.  J'étais  ma- 
lade, mes  amis  el  mes  collègues  me  cachèrent  un  numéro  du  Diritln  et  un 
aulre  de  Httilia  r  Popolo.  Ccpendanl  le  liruil  de  leur  conlenu  par\nil  jiis- 
qu  a  moi.  je  les  chert-liai,  j'ai  aiisohmient  voulu  les  lire;  je  l'ai  ai  lus  cl  je  n'ai 
jws  pleuré,  tant  jetais  pélrifié.  Dieu  sail  cond)ien  j'ai  souffert  el  combien  je 
.souffre.  Mon  fils  Couslantin,  s'il  avait  pu  l'iniager,  n'aurait  pas  écrit  ce  qu'il 
vient  d'ccrire. 

Dans  le  numéro  \\0  du  Din'lln  il  a  [ndiliè  (]u'i7  sr  fait  unr  gloire  dnp 
partrnir  à  ht  rommutiinilr  rriniffrliqur  dr  (irnrrr,  <'l  dans  VWiliaf  Popnln, 
nunuTo -2(it,  il  a  nu'iiic  «le  plus  cxplicile.  cl.  sadrcssanl  aux  (icnois.  il  leur 
dit  :  I  Ne  croyez  pas,  messieurs  cl  concitoyens,  que  je  prolcslc  contre  l'af- 
lirmalion  que  je  suis  évangclique  ;  loin  de  là.  au  contraire,  je  me  glorifie 
d'avoir^mis  entre  moi  et  cette  lèpre  italienne,  labyme  que  les  Ktals-Inis  cl 
I  AuKlclcrrc  >  ont  placé,  je  veux  dire  la  reforme  .  .le  prie  le  lecteur  de  me 


MKLA>(iKS  ET   ^OrVELLES.  383 

ilispeiisor  ilr  Iranscrirc  le  rcslc.  Je  rcmcicic  le  lise  de  (ièiics  diivoir  scr|iios- 
tréla  feuille  uù  Tapostusic  de  mon  iiU  était  publiée. 

AussiliH  fus-je  remis  de  ccl  étourdisscmcnt,  qucj"ai  cherche  à  me  persua- 
der que  mon  lils  n'avail  pas  reçu  de  la  nature  un  bon  naturel,  ou  qu'il  n'a- 
vait pas  étudié.  Cette  pensée  m'aurait  donné  quel(|uc  consolation  et  je  pour- 
rais dire,  pour  soulager  mon  cœur:  Il  s'égara  par  ignorance,  il  s'égara  par 
bonne  foi.  Mais  cela  n'est  pas;  le  Seigneur  a  doimé  à  Constantin  une  belle 
intelligence;  il  a  beaucoup  lu  et  il  a  cultivé  les  lettres.  Il  connaît  le  catholi- 
cisme, il  connaît  la  reforme;  cependant  il  abandonne  celui-là  et  il  embrasse 
celle-ci,  et  il  s'en  vante  ! 

Si  ce  n'est  pas  un  égarement  d'esprit  qui  la  bouleversé,  serait-ce  corrup- 
tion de  cœur?  Je  connais  la  grande  responsabilité  qui  pèse  sur  un  père,  et 
je  me  suis  demandé  à  moi-même  si  l'éducation  donnée  à  mon  Constantin 
avait  jamais  pu  l'entraîner  à  un  tel  excès.  Ma  conscience  ne  m'a  fait  aucun 
reproche  ;  la  grâce  de  Dieu  m'a  assisté  dans  le  devoir  paternel,  et,  à  mon 
tour,  je  puis  me  glorifier  de  ne  pas  avoir  contribué,  ni  par  les  exemples  ni 
par  les  doctrines,  à  l'apostasie  de  mon  fîls. 

Et  toi-même,  ô  Constantin,  qui  m'es  toujours  plus  cher,  parce  que  tu  es 
plus  malheureux,  toi-même,  je  t'en  prends  à  témoin.  Dis  si  l'éducation  que 
je  t'ai  donnée  et  mes  enseignements  ont  pu  te  conduire  au  précipice  dans  le- 
quel tu  t'es  jeté  ;  dis-le,  puisque  la  société  demande  compte  aux  pères  des 
méfaits  des  enfants  ;  dis-le,  puisque  une  partie  de  la  honte  réservée  aux  apos- 
tats tombe  sur  mes  cheveux  blancs. 

Cependant  mon  lils  n'a  point  le  cœur  corrompu;  un  faux  pas,  une  ténacité 
de  résolution,  une  fermeté  peu  judicieuse  de  caractère  l'a  entraîné  à  labyme. 
Mais  je  me  félicite  de  ce  qu'il  étudie  et  qu'il  enseigne  l'histoire  ecclésiasti- 
que. Le  grand  Bossuet  faisait  déjà  remarquer  que  les  Anglais,  tard  ou  tôt, 
retourneraient  au  catholicisme  par  leur  grand  respect  pour  les  choses  an- 
ciennes, par  leur  amour  pour  les  éludes  historiques.  J'espère  bien  que  mon 
Constantin  en  recueillera  aussi  le  même  fruit.  J'ai  cherché  dans  ses  lettres 
qui  m'ont  donné  et  me  donnent  tant  de  chagrin,  une  parole  de  consolation, 
et  je  l'ai  justement  trouvée  dans  la  lettre  publiée  dans  le  DiriUo,  où  il  dit 
avoir  donné  un  cours  (ï histoire  ecclésiastique. 

Je  serais  curieux  de  connaître  comnient  il  a  traité  la  période  de  la  ré/"orme. 
Où  était  l'Église  évangélique  avant  le  XVP  siècle  ?  Que  croyait  Genève  avant 
le  10  octobre  doôO?  Lui,  ennemi  de  la  violence,  amant  de  la  liberté,  aura 
bien  vu  que  la  nouvelle  foi  fut  portée  aux  Genevois  avec  14,000  Bernois  et 
20  pièces  d'artillerie.  Lui ,  ami  de  la  civilisation  et  des  bonnes  mœurs,  aura 
trouvé  que  lapùtre  de  la  réforme  à  Genève  fut  un  certain  Froment, 
l'homme  au  plus  haut  point  débauché  et  brutal,  et  qu'un  de  ses  premiers  af- 
filiés fut  Louis  Bernard ,  qui  découvrit  le  Christ  dans  une  belle  femme 
qu'il  corrompit  de  toute  manière,  ainsi  que  Calvin  lui-même  la  écrit  à  Bul- 
linger.  —  Mon  fds  qui,  par  amour  pour  l'Italie  et  la  liberté,  s'est  fait  éuan- 
gélique,  m'a  rappelé  ces  malheureux  Hongrois  qui,  par  amour  de  la  liberté 
et  de  la  pairie,  se  sont  faits  Turcs.  Lui,  naguère  législateur,  pourra  étudier 
dans  l'histoire  ecclésiastique  le  code  donné  à  Genève  par  Calvin,  code  écrit 


rWÎ  «ÉLANOES  ET  NOl'VEI.I». 

avec  III)  frr  muge,  coiniin'  l'avoue  iiii  do  ses  apoloijislcs.  Il  Iroiivcr»  lc«  friiils 
de  ce  code  :  Toussaint  Masquin,  exilé  ù  vie  sous  peine  de  la  poleiice,  |>our 
avoir  dit  que  la  rcli)(iuit  de  Calvin  sur  la  prcdeslinatioii  olail  coiilrairc  aux 
livres  divins.  ne»aiiron  Dadaz,  François  Clienelat  et  Claude  de  (^liateauiieuf 
condamnés  à  trois  jours  de  prison,  au  pain  et  à  l'eau,  parée  qu'ils  avaient  ri 
pendant  un  sermon  ridicule  de  (]al\in.  —  Trois  enfants  condamnés  à  la  fus- 
tigation en  public,  parce  (juils  avaient  manqué  au  sermon  pour  aller  man- 
ger un  gùlcau.  —  Je  ne  parle  pas  d'une  centaine  de  faits  de  la  même  espèce, 
ni  de  l'histoire  de  Michel  Servet,  qui  est  à  la  connaissance  de  tout  le  monde.  Je 
recommande  à  mon  fils  le  livre  du  calviniste  Galiffe,  dans  lequel  il  trouvera 
Calvin  peint  impartialement,  Calvin  qui,  dans  l'espace  de  deux  ans  (1558-99), 
dotait  Genève  de  ili  procès  criminels. 

Si  quelqu'un  accusait  mon  fils  d'avoir  vendu  son  àmc,  je  me  lèverais  le 
premier  pour  le  ciMnballre.  Non,  il  n'est  pas  capable  d'une  aussi  grande  lâ- 
cheté. Le  malheureux  s'est  laissé  tromper,  voilà  tout.  Les  soufTraiices  de 
l'exil  ont  eu  le  pouvoir  d'abattre  |)our  un  instant  son  esprit.  .Mais  je  prie  ses 
concitoyens,  qui  sont  les  miens,  de  l'excuser;  je  prie  les  clccleurs  qui  jadis 
l'ont  envoyé  comme  leur  représentant  au  parlement  piémontais,  d'avoir  pi- 
tié de  lui.  Qu'ils  ne  disent  pas  encore  (|irils  ont  élu  un  apostat,  un  parjure  : 
j'ai  une  si  profonde  connaissance  de  mon  fil»,  «le  la  bonté  de  son  cœur,  de 
la  rectilinle  de  ses  intentions,  que  j'assure  «[u'il  ne  mourra  pas  protestant. 
La  miséricorde  de  Dieu  lui  rendra  sa  foi,  et  le  pardon  tics  hommes  lui  ren- 
dra sa  patrie. 

Déjà  Dieu  a  voulu  (jue  Vllalia  c  Popolo  de  Gènes,  en  publiant  la  lettre  de 
mon  Constantin,  ait  déclaré  ne  pouvoir  s'associer  m  (oui  ù  ses  opiniont.  El- 
les doivent  être  bien  impies,  les  opinions  (|ui  sont  rejetées  même  par  r//«- 
lia  e  Popolo!  Oh!  Constant  in,  où  t'a  conduit  l'esprit  de  révolte!  Loin  de 
ton  pays  et  de  ton  père,  tu  n'a  plus  de  patrie.  ]>lus  de  foi,  plus  un  ami  qui 
ose  publier  en  Piémont  les  pensées  sans  i)rolester  qu'elles  ne  sonl  pas  les 
siennes  ! 

Moi  aussi,  autrefois,  j'ai  éprouvé  l'amour  île  l'Italie,  mais  je  l'ai  éprouvé 
tant  qu'Italie  et  catholicisme  étaient  unis.  Ce  jour  où  l'on  me  dit  que  pour 
être  Italien  il  fallait  cesser  d'être  catholique,  j'ai  reculé  d'eflroi,  cl  je  crois 
mètre  montré  Ixui  Italien  en  reculant.  Et  toi.  ù  Constantin,  tu  n'es  plus  Ita- 
lien, puisque  tu  as  '•esse  d'être  catholi(|iie.  Crois-moi,  tes  lettres  ont  fait  un 
tort  immense  k  la  cause  à  laipielle  tu  appartiens.  Tes  concitoyens  t'appellent 
apostat,  cl  tu  l'es  marqué,  malheureux,  lu  t'es  marqué  toi-même  avec  le  fer 
rouge  de  Calvin. 

Les  larmes  m'empèchcnl  d'écrire  plus  longuement.  Je  pardonne  à  ceux  qui 
ont  tenté  d'arracher  le  fils  au  père,  el  je  les  avertis  iju'ils  n'ont  pas  réussi. 
Si  la  religion  des  proteslanls  et  des  juifs  ordonne  aux  pères  de  persécuter 
leurs  enfants  (|ui  sont  passés  à  une  croyance  dilTérenle,  la  mienne  me  com- 
mande, ô  Constantin,  de  t'aimer  davantage,  parce  i|u  aiijourd  liui  tu  es  plus 
malheureux.  Il  n'arrivera  jamais  que  je  l'oublie  ou  que  je  le  renie.  Dès  à 
présent,  au  contraire,  je  redoublerai  me*  soins  pour  loi.  et  souvent  !<■''  I'<- 


MKLANfiKS  ET  NOUVELLES.  .'J8G 

1res  (le  ton  prio  viciidroiil  le  rappeler  ton  eririic  et  ton  dcvnir.  Tant  (|iic  je 
vivrais,  tant  (|uc  tu  vivras,  j'aurais  toujours  Icspcrancc  de  pouvoir  te  rame- 
ner à  la  v«îritable  foi,  el  désormais  je  suis  certain  de  ne  pas  descendre  dans 
le  sépulcre  avec  le  chagrin  d'avoir  laissé  sur  la  terre  un  apostat. 

Oui,  l'exemple  de  les  ancêtres  t'empêchera,  je  l'espère,  de  lomber  dans  le 
précipice  que  tu  as  ouvert  sous  tes  pieds.  Tu  étais  encore  enfant  (piand  Ion 
î^rand  père  mourut  dans  la  paix  du  Sci<;neur.  Ton  cœur,  alors  innocent,  fut 
vivement  ému  de  te  voir  enlever  celui  (]ui  t'aimait  tant.  Souviens-toi  avec 
combien  de  foi  cet  homme  éminemment  catlioli(]ue  a  reçu  les  derniers  se- 
cours de  noire  sainte  religion,  après  les  avoir  lui-même  sollicités  à  plusieurs 
reprises.  Médite  les  paroles  que,  le  12  novembre  1820,  le  pieux  el  savant 
curé  défunt  de  S.  Maria  di  Piazza,  après  avoir  aidé  notre  vieux  père  à  fran- 
chir le  grand  passage  de  l'éternité,  nous  adressait  en  nous  quittant.  Oh  !  com- 
bien notre  douleur  fut  soulagée  en  entendant  la  grave  voix  de  l'oint  du  Sei- 
gneur s'écrier  :  Prctiosa  in  conspeciu  Domini  mors  sanclorumejus. 

Gio  Luca  Reta. 


FIN  DE  LA  QUATRlEiME  SERIE. 


TABLi;  IttS  MAilKKES 


Le  libre  examen  jiig6  par  les  prolcslanls 5 

Lettre  de  M.  Aii'^iistin  Cocliiii  à  M.  Aii;.Misle  Nieol;i> lî) 

Pro|»a<,Mmle  prulrstaiito.  —  Discord»' cl  dix  ision 40 

Du  »  Kiiimene   des   consciences M,  Ht?) 

Mclaii-.s  l't  nouvelles 59,  117,   188,  248,  311,  .W.) 

Inlrodutlion  du  proteslarilisnu;  dans  le  canton  de  Vaud.    .    .  (i.'i 

Le  proleslaiilisint-  cl    li;  lihri'  l'xanu'n H',\ 

Histoire  de  Croniwill  de  .M.  (iuizol,  par  M.  Foisset 1>."> 

Lettre  à  un  [)rolt'slant  sur  le  l'iu-;;aloire \i\i 

Stérililé  des  missions  protestantes IVO,  271 

Essai  sur  les  ùK;ctions  épiscopales  en  «général,  et  en  particulier 
dans  les  diocèses  de  Lausanne  et  de  (tenève,   par  le  R.  P. 

Schmidt 153,  VX\ 

Des  aris  en  Suisse  avant  la  réforme 212 

Les  ri'lifîiotis  dWnpIeterre.  —  I.  Les  irwinjjions '.  21î> 

Le  prott'slaîilisintî  et  M.  dt*  Hémusat 222 

Julien  ou  la  lin  d'un  siècle  de  M.  Kungener,  par  M  de  Komont.   2V1, 

28:i 
De  rédtic.ilioii  du  (  ler;,'é  anglican  ,  lettres  û  M.  l'abbé  A.  d'Al- 

7on,  par  un  niini>lre  coinerli * 2o9 

De  la  controverse  religieuse  à  (îenève.  —  Nos  craintes  ut  nos 

cs()érances • 2îH 

Itullelin    nil>lio;;raplii(pie *    .    .    .  '.VU) 

Lelhede  M.  TAl.l.e  Merniillod :iJ:.\ 

l'n  spécinien  de  rapolo;^ie  |Toleslanle,  par  J.  I.einoinue.    .    .  332 
De  la  confession  vocali^  des  pccliés  dans  la  SMiagogue,  du  pro- 
fesseur N'incenzi,  par  M.  l'abbé  Hianc XV.) 

Poésies  du  P.  (iall  Morel,    par  M.  J.  Vuy 3V7 

Histoire  «le  Jésus-(Mirist,  |»ar  M.  Foisset 35'» 

Ktude   sur  le   moyen  Age.  --  l'n  artiste  dans  un  clollre,  par 

M.  Claude  Meimillod 3ti2 


H>     nF.    I.A    TABI.i: 


CKN^VF..  —  MARC    .MKHLING,    IMPRINKIR-MBRAIRR,    rORRATRRIF.,    12. 


ANMLES  CATHOLIQUES 

DE  GENÈVE. 


AN^ALKS 


CATIIOLIQIES 


DE  GENÈVE 


El  llet  iinum  ovile,  et  uniis  pastor. 

^AHOLtS    DE    N.    S.    J.-C.) 

Post  tcncbras lux. 

(  Devise  de  Gexève.) 


€'M.\QUiE3ME    SEtiME. 


MARC  MEHLING,    IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 
T'orralorie,  12. 

1854. 


LK 


SÂLDT  GRATUIT  ET  M.  DE  RÉMUSAT. 


M.  Charles  de  Rémusat,  dans  l'ariicle  de  la  Revue  des  Deux 
Mondes  que  nous  avons  examiné  au  mois  d'août  dernier,  a  écrit 
les  lignes  suivantes  :  «  Le  salut  gratuit  des  protestants  ne  me 
»  seml)le  pas  absolument  contraire  à  l'esprit  du  christianisme; 
»  il  semble  ressortir  des  termes  des  ëpîtres  de  saint  Paul,  et 
»  sans  certains  versets  de  l'épître  de  saint  Jacques,  j'oserais 
»  ajouter  qu'aucun  texte  de  l'Écriture  ne  le  contredit  formelle- 
»  ment.  » 

Quelle  est  l'idée  que  s'est  faite  M.  de  Rémusat  du  salut  gra- 
tuit protestant?  Evidemment  c'est  l'idée  commune,  l'idée  op- 
posée à  la  doctrine  catholique,  l'idée  que  juge  M.  de  Rémusat 
lui-même,  comme  contraire  «à  l'idée  de  mérite  et  de  démérite, 
»  l'idée  de  la  justice  de  Dieu,  l'idée  du  libre  arbitre  de  l'homme,» 
c'est  le  système  de  la  prédestination  absolue  et  du  salut  gratuit 
par  la  foi  seule  sans  les  œuvres,  sans  les  œuvres  méritoires,  et 
même  malgré  les  œuvres;  c'est  là  le  grand  cri  de  Luther,  et 
surtout  de  Calvin. 

Nous  avons  osé  annoncer  à  iVl.  Charles  de  Rémusat  que  s'il 
connaissait  bien  l'Écriture  Sainte  et  l'enseignement  de  l'Église 
catholique,  il  dirait  avec  nous  que  «la  doctrine  du  salut  gratuit 
*  sans  les  œuvres  est  contraire  à  l'esprit  du  christianisme, 
»  qu'aucun  des  textes  de  saint  Paul  n'est  absolument  opposé  à 


(>  i,K.  SAM  r  i.iiA  II  II  I  r  M    DK  hkmisat. 

»  la  «loclriiie  tatlioli(|iu'.  cl  tjiit-  (rimioinhraltlcs  loxlrs  do  l'K- 
»  criimc  coiiirciliscnl  roinielleineni  h;  syslimi'  piolosianl.  » 

(Ju'il  nous  soii  permis  de  pénétrer  résolumcnl  et  prudemment 
dans  la  tiladelle  du  salut  gratuit  protestant,  d'en  explorer  les 
1  einpaiis  et  les  réduits,  alin  d'en  dcinj^or  les  derniers  partisans. 
rSoiis  l<:  t'ci'uns  sans  passiuu  cumme  suns  rusu;  iiuus  n'avons 
ijuiiiie  seule  ainhilion  :  instruire  solidement  les  c-atlioli(|Ucs  sur 
les  erreurs  (proii  leur  débile  et  i\non  leur  prête  eliaipie  joui- 
avec  une  incidyabic  outrecuidance;  ouviir  les  yeux  aux  pro- 
testants de  bonne  foi,  et  examiner  môme  s'il  ne  se  manifeste  pas 
un  sein  du  protestantisme  un  rapprocliement  avec  l'Église  catho- 
lique sur  cette  (juestion,  la  plus  mave  de  toutes  celles  qu'a  sou- 
levées la  réforme.  Que  Dieu  nous  |ti'êie  aide  et  assisiance. 

Or,  avant  tout,  posons  bien  la  cpiestion. 

L'É},'lisr  callu)li(pie  ensci},'nr  «pie  .lésus-Cbrisl  est  mort  pour 
tous  les  hommes  sans  exception  ;  (piil  veut  h."  salut  de  tous  ;  que 
personne  n'est  prédestine  par  un  décret  abstdii  et  laial  de  Dieu 
a  la  ré|)robation,  que  le  salul  est  gratuit,  «jue  la  foi  et  la  grûce 
sont  nécessaires  au  salut;  que  les  boimes  u-uvres  laites  dans 
l'étal  de  foi  et  de  gràcc  par  le  motif  d(i  la  charité  sont  méritoir»s 
devant  DitMi. 

(!«;  saint  eriscif^'iieiufiit  repose  sur  la  Parole  de  Dieu;  il  est 
«'•cril  en  caracières  iiiell'açables  dans  les  saintes  Kcritures  et  s|m'- 
cialeineni  dans  saint  l'an),  (  oinnu-  aussi  dans  toute  la  tradition 
de  l'Église  catholicpie;  il  est  exprimé  doginali<pieinent  dans  le 
décret  louchant  la  Justiiicalion  <le  la  sixième  session  du  concile 
général  de  Trente,  enfin  il  est  rendu  de  la  manière  la  plus  exacte 
et  la  plus  lucide  «lans  les  pages  suivantes  du  grand  Uossuet 
[Exposition  dr  In  doctrine  de  ri^glise  catfioliqur,  para^'raplies  (i 
et  7]  : 

«  Nous  <rovons  premièrement  que  non  j>i(  hts  nous  sont  remis 
gratuitement  par  la  miséricorde  divine  d  cause  de  Jésus-Christ 
(("onc.  Trid.  Siss.  \  I.  (..  0  .  Ce  sont  les  propres  termes  du  con- 
cile de  Trente,  (pii  ajoute  (Ibid.  (',.  H)  (pie  nmis  sommes  dits  jus- 
tifiés gratuitement,  parce  qu'aucune  de  ces  choses  qui  précédent 
la  justification .  soit  la  foi.  soit  1rs  a-itrrrs.  ne  p'tit  mrrilrr  rrllr 
grthr. 


LE  SALliT  (.HATI  n    Kl    M.   DE  RKMtSAT.  7 

•  Comme  l'Écrilure  nous  explique  la  rémission  des  pécliôs,  lan- 
lAl  en  (lisant  (jue  Dieu  les  couvre,  et  lanlùl  en  disant  qu'il  les 
Ole,  et  qu'il  les  eilace  par  la  grâce  du  Saint-Esprit,  qui  nous 
fait  de  nouvelles  créatures  (Tit.  III,  6,  6,  7);  nous  croyons  qu'il 
faut  joindre  ensemble  ces  expressions,  pour  former  l'idée  par- 
faite de  la  justification  du  p(''clieur.  C'est  pourquoi  nous  croyons 
qu(;  nos  péchés,  non-seulement  sont  couverts,  mais  qu'ils  sont 
entièrement  effacés  i)ar  le  sang  de  Jésus-Chrisl,  ei  parla  grâce 
qui  nous  régénère;  ce  qui,  loin  d'obscurcir  ou  de  diminuer  l'idée 
qu'on  doit  avoir  du  mérite  de  ce  sang,  l'augmente  au  contraire 
et  la  relève. 

»  Ainsi  la  justice  de  Jésus-Christ  est  non-seulement  imputée, 
mais  actuellement  communiquée  à  ses  fidèles  par  l'opération  du 
Saint-Esprit,  ensorte  que  non-seulement  ils  sont  réputés,  mais 
faits  justes  par  sa  grâce. 

»  Si  la  justice  qui  est  en  nous  n'était  justice  qu'aux  yeux  des 
hommes,  ce  ne  serait  pas  l'ouvrage  du  Saint-Espril  :  elle  est 
donc  justice  même  devant  Dieu,  puisque  c'est  Dieu  même  qui  la 
fait  en  nous,  en  répandant  la  charité  dans  nos  cœurs. 

»  Sur  le  mérite  des  œuvres,  rÉglisc  catholique  enseigne  que 
«la  vie  éternelle  doit  être  proposée  aux  enfants  de  Dieu,  et 
»  comme  une  grâce  qui  leur  est  miséricordieusement  promise 
»  par  le  moyen  de  notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  comme  une 
»  récompense  qui  est  fidèlement  rendue  à  leurs  bonnes  œuvres 
»  et  à  leur  mérite,  en  vertu  de  cette  promesse»  (Sess.  VI,  C.  16). 
Ce  sont  les  propres  termes  du  concile  de  Trente.  Mais  de  peur 
que  l'orgueil  humain  ne  soit  flatté  par  l'opinion  d'un  mérite  pré- 
somptueux, ce  même  concile  enseigne  que  tout  le  prix  et  la  va- 
leur des  œuvres  chrétiennes  provient  de  la  grâce  sanctifiante,  qui 
nous  est  donnée  gratuitement  au  nom  de  Jésus-Chrisî,  et  que 
c'est  un  effet  de  l'influence  continuelle  de  ce  divin  Chef  sur  ses 
membres. 

»  Véritablement  les  préceptes,  les  exhortations,  les  promesses, 
les  menaces  et  les  reproches  de  l'Évangile  font  assez  voir  qu'il 
faut  que  nous  opérions  noire  salut  par  le  mouvement  de  nos  vo- 
lontés avec  la  grâce  de  Dieu  qui  nous  aide,  mais  c'est  un  premier 
principe,  que  le  libre  arbitre  ne  peut  rien  faire  qui  conduise  à 


8  DKhAII   I   UliVIin    II    M.    llKHKMtSAI. 

I:i  félicilé  ét«Tnelle,  <|irniitant  qu'il  esi  uni  el  «>levé  par  le  Saiol- 
Ks|>rit. 

•  Ainsi,  rÊglise  sacliaiK  que  c'est  ce  divin  Esprit  (|ui  fait  en 
lions,  par  sa  s'rAce,  tout  ce  que  nous  faisons  de  bien,  elle  doii 
croire  que  les  bonm^s  œuvres  des  fidèles  sont  Irès-agréabN's  à 
Dieu,  cl  de  {grande  considéralion  devant  lui  :  et  c'est  jusienieni 
qu'elle  se  sert  du  mot  de  mérite  avec  toute  ranti<|uité  cliréiiennc, 
principalement  pour  sif^nilicr  la  valeur,  le  prix  et  la  dignité  de 
ces  o'iivres  (pie  nous  faisons  par  la  pràcc.  Mais  comme  toute  leur 
sainteté  >ieii(  de  Dieu  qui  les  lail  en  nous,  la  même  Kglise  a  reçu 
dans  le  concile  de  Trente,  comme  doctrine  de  foi  catholique, 
cette  parole  de  saint  Augustin  que  Dieu  couronne  $es  dons  en 
couronnant  les  mérites  de  ses  serviteurs. 

I  Nous  prions  ceux  (]ui  aiment  la  vérité  et  la  paix,  de  vouloir 
l)ien  lire  ici  un  peu  au  long  les  paroles  de  ce  concile,  aGn  qu'ils 
se  désahiisoni  une  fois  des  mauvaises  impressions  qu'on  leur 
donne  de  notre  doctrine.  •  Kncore  (jue  nous  voyons,  disent  les 
»  l'ercs  de  ce  concile  (Sess,  ^  I,  C.  16),  que  les  Saintes  Lettres 
»  estiment  tant  les  bonnes  œuvres,  que  Jésus-Christ  nous  promet 
i>  lui-même  ipiun  verre  d'eau  froide  donné  à  un  pauvre  ne  sera 
■  pas  privé  de  sa  récom|)ensc;  et  que  l'apôtre  témoigne  qu'un 
»  moment  de  peine  légère,  souffert  en  ce  monde,  produira  un 
»  poids  éternel  de  gloire:  touiofois  à  Dieu  ne  plaise  (pie  le  rhii'- 
»  lien  se  lie  et  se  glorifie  en  lui-même  et  non  en  noire  vSeigneur, 
»  dont  la  bonté  est  si  grande  envers  tous  les  hommes,  qu'il  \eiit 
»  que  les  dons  (pi'il  leur  fail  soient  leurs  mérites.  » 

»(>elte  doclrin(î  est  répandue  dans  loui  ce  concile,  qui  enseigne 
dans  une  autre  session  (Sess.  XIV,  C.  8),  que  «nous,  qui  ne 
»  pouvons  rien  de  nous-nn'^mes,  pouvons  tout  avec  celui  (pii  nous 
»  forlilic,  en  telle  sorte  (pie  l'homme  n  a  rien  dont  il  se  puisse 
»  glorifier,  »  ou  ponivpioi  il  se  puisse  r(tnlier  en  lui-même;  «mais 
»  que  toute  sa  confiance  et  toute  sa  gloire  est  <n  Jcsus-Christ, 
»  en  qui  nous  vivons,  en  <pii  nous  méritons,  en  (pii  nous  satis- 
»  faisons,  faisant  de  di};iies  fruits  de  pénitence,  (pii  tirent  leur 
»  force  de  lui,  par  lui  sont  olferls  au  Père,  et  en  lui  sont  acceptés 
»  par  le  Pftre.  » 

■>(.('si    |ioiir(pi()i    iii'iis   ilcmaiidons  loni     ii<>iis  ispri  iiu-»  inni. 


I.I-.  SAM  1   (iUl  I  111    ».l    M.  1)1.  UKMLSAl  .  9 

nous  rendons  grâces  di;  loin  [)ar  notre  Seigneur  Jésus-Christ. 
Nous  confessons  hautement  (|uo  nous  ne  sommes  agréahles  à  Dieu  |j 

qu'en  lui  et  |)ar  lui,  et  nous  iw.  comprenons  pas  ({u'on  puisse  nous  H 

atlrihucr  une  autre  pcnsc-e.  Nous  mettons  tellement  en  lui  seul  ] 

toute  l'espérance  de  notre  salut,  que  nous  disons  tous  les  jours  a  1 

Dieu  ces  paroles  dans  le  sacrifice  :  «Daignez,  ù  Dieu,  accorder 
»  à  nous  pécheurs,  vos  serviteurs,  qui  espérons  en  la  multitude  ,1 

»  de  vos  miséricordes,  quelque  part  et  société  avec  vos  bienheu- 

)'  reux  apôtres  et  martyrs ,  au  nombre  desquels  ndus  vous 

»  prions  de  vouloir  nous  recevoir,  ne  regardant  pas  au  mérite, 
»  mais  nous  pardonnant  par  grâce  au  nom  de  Jésus-Christ  notre 
»  Seigneur.» 

Cette  exposition  du  grand  Bossue»  est  si  claire  et  si  franche 
qu'elle  étonne  et  qu'elle  ravit  à  la  fois. 

L'illustre  Mœhler,  dans  sa  symbolique,  n'est  pas  moins  admi- 
rable. 

«L'Église  enseigne  dit-il,  que  dans  l'homme  déchu,  il  existe  en- 
core des  facultés  supérieures  ;  que  ces  facultés  ne  sont  pas  exclu- 
sivement capables  de  pécher,  maiscju'elles  doivent  concourir  à  la 
régénération.  Or,  cet  enseignement  fil  penser  aux  luthériens  que, 
selon  nous,  le  bon  usage  de  la  volonté  mérite  la  grâce  sancti- 
fiante. Effectivement  ce  serait  tomber  dans  le  pélagianisme  que 
de  soutenir  une  semblable  opinion,  car  alors  ce  ne  serait  plus 
Jésus-Christ,  mais  l'homme  qui  mériterait  la  grâce;  disons 
mieux,  la  grâce  cesserait  d'être  grâce.  Pour  éviter  cette  erreur 
prétendue,  les  réformateurs  dirent,  que  l'homme  horriblement 
dégradé,  ne  reçoit  que  dans  la  régénération  la  faculté  de  perce- 
voir les  choses  divines. 

«Mais  voici  le  sens  profond  du  dogme  catholique.  Le  fini  ne 
peut,  livré  à  lui-même,  atteindre  l'infini  ;  en  vain  la  nature  dé- 
ploie-l-elle  tous  ses  efforts,  elle  est  incapable  d'arriver  au  surna- 
turel ;  entre  Dieu  et  l'homme  il  resterait  un  abîme  immense,  s'il 
n'était  comblé  par  la  grâce.  En  un  mot,  il  faut  que  Dieu  s'abaisse 
jusqu'à  riiomme  pour  que  l'homme  soit  élevé  jusqu'à  Dieu. 
Aussi,  dans  le  mystère  de  la  réconciliation,  c'est  Dieu  qui  s'est 


10  I.F.  SALI  1   i.HAini   I  I    M.   ItKRKMlSAT. 

\.ùi  homme,  mais  ce  n'ost  point  Thomme  qui  s'csl  fuit  Dieu.  Or, 
c'est  ainsi  ({ii'il  i-ii  .iirivo  dans  In  régénération.  Rien  (|U*il  pos- 
sède »'noore  îles  luircs  spiriliK'lles,  riionimc  loinlH-  iio  peut,  par 
leur  Iton  usage,  vcnii-  à  la  f^râco,  mais  il  laiii  «pic  la  fîràcc,  loti- 
jours  misiTicordieusc,  donne  à  nos  fai  iiltés  la  première  consé- 
cration diNinc  ;  il  1:1111  (prelh*  nous  |)ré|)aie  à  recevoir  l'image 
du  Christ»    (1). 

El  précisément  sur  le  salui  par  la  foi,  le  grand  thc-ologicn  alle- 
mand n'est  ni  moins  profond  ni  moins  exact. 

«La  foi,  dit  le  concile  de  Trente,  esl  le  commencemenl  du  sa- 
lut de  l'homme  cl  la  racine  de  la  justiliralion  ;  sans  elle  il  esl 
impossihic  de  plaire  a  Dieu,  ni  d'arriver  à  l'association  de  ses 
enfants.  »  Ce  passage,  toutefois,  ne  renferme  pas  une  définition 
proprement  dite,  écoulons  le  caléchisme  romain  :  La  foi  est  un 
ferme  assentiment  par  lequel  l'esprit  croit  avec  une  certitude 
pleine  et  entière  à  la  révélation  des  mystères  de  Dieu.  Ainsi  la  foi 
est  l'alliance  de  l'homme  avec  son  anieiir,  alliance  qui  s'effectue 
par  le  moyen  de  l'inielligence,  et  «pii  éveille  plus  ou  moins  les 
sentiments  du  cœur;  en  un  mol,  c'est  la  lumière  divine,  l'illu- 
minalion  supérieure  dans  la(]uelle  nous  confessons  les  décrets 
suprêmes,  elle  comprend  les  relations  de  Dieu  à  l'homme  el  de 
l'homme  à  Dieu. 

»(Jr,  comme  la  justifu  alion,  dans  le  sens  catholique,  est  la  ré- 
novation com|dète  de  riiomme,  nécessairement  l'Église  de>ait 
cnseij^ner  (pie  la  loi  seule  ne  rend  pas  juste  devaul  Dieu,  qu'elle 
est  au  contraire  la  condition  première,  indis|)ensahle  pour  le  de- 
venir, la  racine  sur  laquelle  est  entée  la  justice  de  l'homme;  le 
sol  où  se  féconde  l'association  d«'S  enfants  de  Dieu.  Mais  lorsque 
la  foi  passe  (1(>  l'intelligence  dans  la  volonti';  lors<pje,  pénétrant 
el  vivilianl  les  senliments  i\u  co'ur,  elle  enlanle  Ihoinme  nou- 
veau créé  selon  Dieu;  cpiaiid  pour  [»arler  avec  Séripando,  la  cha- 
rité s'allume  au  foyer  de  la  loi  couime  reiincille  jaillit  d(>  la 
pierre,  alors,  mais  seulement  alors,  l;i  jiisiilîr;iiioii  est  accom- 
plie. (2). 

[{)  Symbolique.  !..  1,  tli.  III,  J  \'l. 
(S)  Syml)i.|i.|iic.  1.    1.  <h.  III,  S  i:>- 


Il    SAI.l  T  (iKATl  1 1    KT  M.  I)K  KKML'SAT.  1  1 

Enliij,  au  sujet  dos  bonnes  (l'uvios,  je  cilc  encore  av«.'C  hon- 
lieur  les  lif^ncs  suivaiUes  du  même  docteur  :  ., 

!> 
«Par  bonnes  (euvres  l'Eglise  entend  tous  les  actes  moraux  de  *! 

riiommc  justilié  en  Jcsus-Christ,  ou  si  l'on  veut,  les  fruits  de  la 
volonli'  droite,  de  l'amour  dirii,'<''  par  la  foi.  Il  ne  s'agit  donc 
point  de  dévolions,  de  cérémonies,  de  pratiques  extérieures. 
Puisque  l'Église  ne  voit  plus  de  péché  dans  l'homme  régénéré, 
puisqu'elle  enseigne  que  toutes  ses  facultés  sont  saintes,  agréa- 
bles à  Dieu,  il  s'ensuit  qu'elle  doit  soutenir  la  possibilité,  l'exis- 
tence et  le  mérite  des  l)onnes  œuvres.  On  voit  aussi  que,  par 
une  conséquence  non  moins  rigoureuse,  elle  peut  exiger  l'accom- 
plissement de  la  loi. 

»  Mais  avant  tout,  nous  devons  bien  le  remarquer,  l'Eglise 
n'appelle  bonnes  que  les  œuvres  faites  en  Jésus-Christ,  elle  ne 
parle  de  l'accomplissement  de  la  loi  (jue  dans  Jésus-Christ.  Voici 
sur  ce  point  l'enseignement  du  concile  de  Trente  :  «Puisque 
Jésus-Christ,  comme  le  chef  dans  ses  membres,  comme  la  vigne 
dans  ses  pampres,  répand  sans  cesse  sa  vertu  dans  ceux  qui  sont 
justifiés,  vertu  qui  précède,  accompagne  et  suit  toujours  les  bon- 
nes œuvres,  et  sans  laquelle  elles  ne  pourraient  en  aucune  ma- 
nière être  méritoires  ni  agréables  à  Dieu,  il  faut  croire  qu'il  ne 
manque  plus  rien  à  ceux  qui  sont  justifiés,  pour  être  estimés 
avoir,  par  ces  bonnes  œuvres  faites  en  la  vertu  de  Dieu,  pleine- 
ment satisfait  à  la  loi  divine,  selon  l'état  de  la  vie  présente,  et 
avoir  mérité  la  vie  éternelle  pour  l'obtenir  en  son  temps,  pourvu 
toutefois  qu'ils  meurent  dans  la  grâce.  » 

»  On  voit  également  par  ce  passage  dans  quel  sens  les  œuvres 
sont  appelées  méritoires.  Partant  de  ce  dogme  fondamental  de 
toute  vraie  religion  que  Dieu  nous  a  donné  l'existence,  qu'il 
nous  réserve  le  ciel  par  un  amour  purement  gratuit;  supposant 
d'ailleurs  la  foi  dans  cette  vérité,  nous  appelons  méritoires  les 
œuvres  qui  sont  faites  librement  dans  la  vertu  de  Jésus-Christ, 
et  c'est  pourquoi  le  saint  concile  ajoute  :  La  honte  de  Dieu  est 
si  grande  qu'il  regarde  ses  dons  comme  nos  propres  actions.  Telle 
est  l'idée  que  l'Église  a  dans  tous  les  siècles  attachée  au  mot 
mérite.  Ainsi  la  proposition,  le  chrétien  doit  mériter  la  vie  éter- 


t2  l.l    ?VI,IT  I.KMIII    Kl    .M.   DU  «KMl  SA  I  . 

n«//«,  veut  dire  qu'il  doit  en  devenir  di^ne  par  le  Sauveur,  i\u  cu- 
ire le  ciel  et  l'homme  il  doii  s'éiulilir  une  liaison  intime,  uu  rap- 
port aussi  ttroit  <pr<'nir('  je  priiK  i|»e  et  la  conséquence,  c'esl-à- 
dirc  entre  la  sanctilieation  et  la  ^lorilication.  Puisque  la  justice 
est  inhérente  au  fidèle,  profondément  enracinée  en  lui,  il  s'ensuit 
que  le  salut  de  l'homme,  enlé  sur  celle  justice,  se  développe  et 
croît  par  les  bonnes  œuvres.  La  semonce  céleste  jelée  dans  le 
juste  doit  porter  des  fruits  pour  le  ciol  »  (1), 

Bossuei  résume  la  question  par  ces  trois  mots  qui  renferment 
tout  renseignement  catholique.  «Que  les  doctes  de  leur  parti 
cessent  de  nous  objecter  que  nous  anéantissons-I^gràce  de  Dieu, 
en  attribuant  tout  à  nos  bonnes  œuvres,  puisque  nous  leur  avons 
montré  en  termes  si  clairs,  dans  le  concile  de  Trente,  ces  trois 
points  si  d(.'cisifs  en  celte  maticre  :  a  Que  nos  péchés  nous  sont 
»  panlnnnés  i>ar  une  pure  miséricorde,  à  cause  de  Ji-sus-Chrisl; 
»  que  nous  devons  à  une  libéralité  gratuite  la  justice  tpii  est  en 
»  nous  par  le  Saint-Esprit;  et  que  toutes  les  bonnes  œuvccs  que 
I  notis  faisons  sont  autant  de  dons  de  la  grâce.» 

Ainsi  le  salut  est  gratuit  de  la  |tarl  de  Jésus-Christ;  dans 
l'homme  la  foi  et  la  grâce  sont  nécessaires  pour  le  salut;  le  libre 
arbitre  subsiste;  les  bonnes  œuvres  sont  méritoires  en  vertu  des 
mérites  de  Ji''Sus-(-hrisl,  pai-  la  ftti  et  la  grâce  »jui  les  viNilient. 

Avant  d'exposer  les  systèmes  piolestants  sur  le  salui  gratuit, 
qu'il  me  soit  permis  de  dire  que  la  plupart  des  théologiens  pro- 
testants, et  je  h;  dis  sans  entrer  ici  dans  Texamen  du  plus  ou  du 
moins  de  bonne  foi,  d'exactitude  ou  d'ignorance  de  chacun,  ont 
déliguré  la  doctrine  catholique  pour  la  combattre.  Ils  ont  dit  : 
rÉglise  catholique  enseigne  le  salut  non  gratuit;  l'Église  catho- 
lique ne  regarde  pas  la  foi  comme  nécessaire;  l'Kglise  catholi- 
que accorde  aux  bonncîs  «euvres  sans  la  loi  et  sans  la  grâce  une 
valeur  méritoire  pour  le  salut  ;  l'Église  catholi(|uc  est  pélagienne 
ou  seiui-p«'lagieMne. 

INous  (h'clarons  «jue  si  l'Église  caiholi<jue  avait  eu  un  pareil 
onscignemcnl,  ce  serait  effectivement   l'erreur;  non-seulemcni 


1)  S)nil)nlii|tic.  L.  1.  cil.  III,  S  il. 


II-.  SAUT  <iRAI.(  1    Kl    M.  DE  RKMI  SAT.  13 

l'ÉfîIisc  n'a  jamais  enseigné  ces  erreurs,  mais  elle  les  a  toujours 
combatlues.  Nous  disons  l'Église  caiholique,  sans  prétendre  la 
confondre  avec  les  opinions  individuelles  d'un  petit  nombre  de 
théologiens  qui  sont  restées  sans  valeur  dognialifjuc  en  présence 
des  décrets  des  conciles  généraux  et  particuliers,  des  bulles  des 
souverains  pontiles,  des  ouvrages  de  la  presque  unanimité  des 
docteurs  et  des  monuments  de  la  liturgie  universelle. 


Quels  sont  donc  en  présence  de  la  doctrine  définie,  claire, 
positive  de  l'Eglise  catholique,  les  systèmes  protestants  sur  la 
prédestination,  la  justification,  le  salut  gratuit,  l'inutilité  et  le 
danger  des  bonnes  œuvres? 

La  confusion  est  là  comme  dans  toutes  les  autres  parties  des 
croyances  divisées  et  incomplètes  des  divers  prolestantismes. 

Les  uns  sont  al.>solus  et  se  cramponnent  plus  ou  moins  forte- 
ment à  l'idée  de  Luther  et  de  Calvin,  c'est  la  destruction  du  li- 
bre arl)ilre  de  l'homme  dans  l'œuvre  du  salut. 

D'autres  plus  ou  moins  mitigés  se  rapprochent  de  la  doctrine 
catholique. 

Les  autres  se  jetant  dans  l'extrême  opposé,  renouvelle  le  péla- 
gianisme,  c'est  l'exagération  du  libre  arbitre  de  l'homme. 

Bornons-nous  pour  le  moment  au  rôle  d'historien. 

Les  luthériens  s'accordent  avec  les  catholiques  en  ce  qu'ils 
enseignent  que  sans  justification  il  est  impossible  d'arriver  au 
salut,  mais  ils  posent  en  principe  que  quoique  justifié,  l'homme 
reste  l'esclave  du  péché....  «L'homme  reste  ce  qu'il  est,  aucun 
»  changement  n'a  eu  lieu  au  dedans  de  lui;»  «seulement  ses  pé- 
»  chés  sont  couverts  par  les  mérites  de  Jésus-Christ,»  et  «ces 
D  mérites  sont  imputés  par  la  foi  seule.  »  Ainsi  ni  la  charité,  ni  le 
repentir,  ni  aucune  autre  vertu  ne  sera  admise  dans  l'opération 
de  la  justification.  «Si  dans  la  foi,  dit  Luther,  un  adultère  pou- 
»  vait  être  commis,  ce  ne  serait  pas  un  péché  (1).  Quelque  chose 
»  que  tu  fasses,  dit  Mélanchton,  que  lu  manges,  boives,  ensei- 

(i)  Disp.  Witt.  lat.  t.  I,  f.  S23. 


ik  I.K   SAl.l   I    (•RAIIIi    I   r   M.   ItJ.  KKm>iT. 

•  gnos,  J'ajoute  quand  tu  drt^raig  péchtr  publiqutmcnt  en  le  fai- 
■  sant,  no  luis  point  aiicntion  ù  urs  œuvres,  suogc  ù  la  promcssi 
D  (le  Dieu!!!»  Le  sysl»'mc  Intliérien  admoi  avec  les  calhuliques 
la  possibilité  de  perdre  la  grâce  de  la  juslilicalion,  mais  scule- 
incnl  par  «  l'incrédulilé,  »  tandis  «|uc  les  catlioliques  croient 
([u'ollc  peut  se  perdre  aussi  par  le  pccln  iiiDrlti,  tandis  qu(>  Us 
calvinistes  enseignent  (pirllc  ne  ptiii  pas  se  perdre. 

«Mais,  pour  coni|>léter  l'exposilion  de  la  doctrine  luilir*- 
riennc  de  la  juslilicalion,  il  reste  une  (pieslion  à  examiner, 
celle-ci  :  Comment  lliomme  parvient-il  à  celte  foi.'  D'après 
la  doctrine  catliolicpie,  la  jusiilication  csl  le  |)roduit  de  deux 
actions,  celle  de  Dieu  et  celle  des  hommes.  Mais  dans  le 
système  lutlu'rien,  l'homme  n'est  dans  le  royaume  de  Dieu 
(prune  pierre,  une  souche,  (jui  n'a  d'autre  force  que  celle  de 
la  résistance.  Il  ne  peut  rien  faire  en  sa  faveur.  Les  symboles 
Intht'riens  enseij^nent  »pie  l'homme  conserve  une  position  ifuite 
p:issi\e,  et  (pic  Dieu  seul  fait  nailrc  dans  rhoinine  la  foi  néces- 
saire à  la  justification.  C'est  là  la  doctrine  de  Luther,  à  laquelle 
Melanchion  arccda,  dans  les  commenc^ments,  ainsi  qii'tm  peut 
le  voir  par  la  première  édition  d<î  ses  lAeux  communs,  avec  une 
docilité  inconcevable.  Mais  après  la  mort  du  chçf  on  parut  vou- 
loir en  revenir  à  des  idées  plus  saines.  Un  pasteur  de  Leipzig;, 
nomme  Pfefjingcr,  risqua  d'ensoij;ncr  que  l'homme  devait  coopé- 
rer; il  s'appuyait  sur  Melanchion  qui,  dans  ses  éditions  siibse- 
(|uentes,  traita  la  doctrine  de  Luther  de  rêverie  manichéenne  et 
(l'énorme  innisnngr.  \  peine  son  ouvrage  eut-il  paru,  l'an  I. ').'>.'», 
qu'il  fut  attaque  de  tons  les  côtes.  Amsdorf,  principal  gardien  de' 
l'orlhodoxie  luthérienne,  le  iraiia  d'enthousiaste,  de  partisan  de 
Thomas  d'Aquin  cl  de  Dun  Scot,  ci  daposiat  des  doctrines  de 
Liilher,  de  Paul  et  du  Christ.  Pfefllnger  se  défendit  à  la  vérité, 
mais  son  ouvrage  demeura  sans  résultai;  sa  doctrine  de  la  coo- 
pération de  l'homme  devint  le  but  de  toutes  les  attaques.  On 
l'appela  du  stinrrrjisme,  et  il  partagea  la  deslin«''e  de  ions  les  ad- 
versaires du  protestantisme,  c'est-à-dire  qu'on  lui  atiribna  des 
idées  diamétralement  opposées  à  celles  que  contient  son  livre. 
La  formule  «le  concorde  décida  contre  lui;  ceux  qui  ne  voulaient 


LKSAMIT  GRATUIT  KT  M.  I)K  HKMLSAT.  1*> 

•'tilciuln'  à  aiicuno  esprcf  do  roopôralion  lriom|>li»"'r(!nl;  la  doc- 
iiiiu"  (le  Liiilicr  l'ut  ciaMit;  syinl»orK|ii(Miient  (l).» 

Il  y  cul  m<'ine  du  vivant  de  Lulhcr  uno  grande  querelle  sur  la 
nécessité  des  bonnes  (L'uvres,  entre  Georges  Major  et  Amsdorf. 

a  Luther  vivait  encore  quand  Georges  Major  lut  nommé  pro- 
fesseur à  l'université  de  Witlemberg.  Celui-ci  avait  joué  un  rôle 
assez  considérable  dans  les  affaires  religieuses  du  temps,  il  ne 
manquait  pas  d'érudition,  et  il  se  distinguait  parmi  les  autres 
chefs  de  l'Église  de  Wittembcrg  par  la  pureté  de  ses  mœurs. 
IMus  tard,  en  l'an  lor)2,  il  fut  fait  surintendant  au  pays  de  Man^- 
feld.  Ce  fut  cet  homme  dont  la  Providence  se  servit  pour  mettre 
le  monde  en  étal  déjuger  laquelle  des  deux  doctrines  contradic- 
toires était  celle  des  luthériens.  Georges  Major  avait  vu  avec 
douleur  la  corruption  des  mœurs,  la  perte  de  tout  sentiment 
d'honneur  et  de  subordination  parmi  ses  coreligionnaires.  Il  ne 
tarda  pas  à  reconnaître  que  la  doctrine  luthérienne  de  la  justifi- 
cation était  l'origine  de  cette  aflligeante  position.  Il  jugea  néces- 
saire, d'après  cela,  de  mettre  plus  en  évidence  le  côté  moral  du 
christianisme  et  d'insister  sur  l'exercice  des  bonnes  œuvres.  Il 
n'était  certes  pas  papiste,  car  il  se  montrait  sans  cesse  prêt  à  dre 
tout  le  mal  possible  du  pape,  que,  comme  les  autres,  il  traitait 
d'Anlechrist.  Mais  cela  ne  lui  servit  de  rien.  A  peine  eut-on  ap- 
pris qu'il  insistait  sur  les  bonnes  œuvres,  que  l'on  vit  s'élever 
contre  lui  tous  les  hommes  regardés  généralement  comme  les 
colonnes  de  l'orthodoxie  luthérienne,  savoir  :  Amsdorf,  Illyricus, 
Gall  Wigand,  Merlin,  Senepp.  Major,  si  cruellement  attaqué,  fit 
alors  la  déclaration  suivante  :  <  J'avoue  que  j'ai  enseigné,  que 
j'enseigne  encore  et  enseignerai  toute  ma  vie,  que  les  bonnes 
œuvres  sont  nécessaires  au  salut  et  que  personne  ne  peut  jamais 
se  sauver  sans  bonnes  œuvres.  Quiconque  enseigne  autre  chose, 
fut-ce  un  ange  descendu  du  ciel,  qu'il  soit  anathème!»  Major 
n'avait  nulle  intention  d'introduire  du  levain  papiste  dans  son 
Église,  qui  comptait  à  peine  trente  années  d'existence;  il  pro- 

(1)  Symbol,  popul.,  p.  319. 


IR  I.KSAI.»   I    t.UAMll    t.l    M.  l)K    Ul  Ml  >AT. 

testa  solonnellcnienl  contre  t«»utc  insinuation  de  co  j^onir,  ii  ile- 
clara  hautement  qu'il  ue  prétendait  enseigner  d'autres  doctrines 
que  celles  que  feu  Luther  avait  Iui-m<'^iue  enseignées.  Les  éclair- 
cissenienls  «ju'il  donne  sont  tels  en  elVct,  qu'il  est  impossible  do 
le  rej,'arder  comme  un  partisan  de  l'Antéchrist  romain.  Il  refusa 
tout  mérite  auv  bonnes  œuvres,  et  ne  se  rapprocha  par  consé- 
quent pas  autan!  du  papisme  que  r.\|M»logie,  dans  le  passage  où 
elle  dit  (pie  ces  œuvres  sont  méritoires.  Mais  il  suÛisail  qu'il  se 
fût  déclaré  en  faveur  des  bonnes  œuvres  en  général  et  qu'il  \e% 
reconnût  nécessaires,  pour  (pi'on  le  stigmatisât  comme  un  apostat 
du  luthéranisme.  Les  gardiens  de  Torihodoxie  regardèrent  la 
doctrine  de  Major  comme  si  dangereuse,  qu'ils  le  condamnèrent 
comme  le  pape  Tauiait  pu  faire,  &\\  èiaii  venu  à  Witlemberg 
présider  le  collège  des  cardinaux.  La  polemi(iue  devint  très-vive; 
les  luthériens  furent  exhortés,  conjurés  de  conserver  la  purglé 
de  la  doctrine  luthérienne,  dans  laquelle  ils  avaient  persévéré 
jusqu'alors,  et  de  ne  pas  se  laisser  corrompre  par  le  levain  de  la 
charité  et  des  bonnes  auvres.  »  Un  misérable  qui  aurait  mis  le  feu 
à  quelques  douzaines  de  villages  et  causé  la  mort  de  quelques 
centaines  de  personnes  n'aurait  pu  être  traité  avec  plus  de  mé- 
pris (pie  ne  le  fut  Georges  Major.  On  le  railla  m(*me  sur  son  nom. 
«Major,  disait-on,  qui  prétend  annoncei-  la  parole,  devrait  bien 
prendre  garde  de  devenir  un  )ninor  ou  même  un  minimus,  puis- 
que le  Seigneur  a  dit  que  celui  qui  se  relâche  sur  le  moiudre 
commandement  sera  aussi  le  plus  petit  dans  le  royaum<î  du  fiel.» 
Il  faut  convenir  qu'il  est  assez  dillicile  de  comprendre  comment 
on  pouvait  appliquer  ce  passage  à  Georges  Major,  qui  combattait 
précisément  en  faveur  des  commandements.  «Major,  disait-on 
encore,  a  trois  liancées  qui  sont  toutes  trois  lilles  de  I  Anlechrisi 
et  qui  se  donnent  la  main  :  ce  sont  les  trois  propositions  :  1°  Les 
bonnes  œuvres  sont  nécessaires  au  salut;  2*^  il  est  impossible 
d'être  juslitié  et  sauvé  sans  bonnes  œuvres  :  3"  personne  n'a  ja- 
mais été  sauvé  sans  bonnes  œuvres.  »  Amsdorf  pronon(,a  la  sen- 
tence suivante  contie  Major  :  «Quiconque  enseigne  cl  prêche 
»  que  les  bonnes  (ru\res  sont  nécessaires  au  salut  est  un  péla- 
»  nien.  V  un  apostat  (pii  renie  Jésus-Christ  et  est  ins|»ire  du  m<'ni« 


rr:  SAi.t  T  ORATi  II  r,r  m.  df,  rf.misat.  17 

os|)iit  (iiii  aiiiiiiait  Mansing  el  Wioelius  |1)  lorsqu'ils  sciiliront  la 
nécessité  des  bonnes  œuvres  contre  le  fcn  docteur  Martin,  d'heu- 
reuse niônioire.  C'est  |)oiir(|uoi  mon  compère,  le  docteur  Geor- 
ges Wajor  a  un  esprit,  un  cœur  el  un  sentiment  papistes,  et 
([uand  même  il  se  retourne  et  s'explique,  il  ne  fait  en  cela  que 
des  tours  de  gobelet.  Car  ces  mots  :  Les  bonnes  œuvres  sont  né- 
cessaires au  salut,  sont  impies,  dangereux  et  suspects.  En  con- 
séquence Georges  Major  persistant  à  soutenir  que  les  bonnes 
œuvres  sont  nécessaires  au  salut,  il  a  déjà  abandonné  la  pure 
doctrine  et  renié  Jésus-Christ. 

Tel  fut  le  sort  de  Georges  Major.  Mais  on  ne  se  borna  pas  en- 
vers lui  à  des  injures.  Ne  voulant  pas  renoncer  à  ses  doctrines, 
il  fut,  pour  mieux  manifester  le  trionjphe  de  la  liberté  de  cons- 
cience, arrêté  et  condamné  à  l'exil,  trop  heureux  encore  de  pou- 
voir conserver  sa  tête.  La  réponse  à  la  question  de  la  véritable 
doctrine  luthérienne  est  maintenant  toute  faite.  Si  elle  avait  été 
conforme  au  premier  système  exposé,  on  aurait  laissé  Major  en 
paix  (2).» 

Les  calvinistes  ont  été  encore  plus  loin  que  les  luthériens. 
Voici  les  cinq  articles  du  synode  de  Dordrecht  (1619)  qui  sont 
la  quintescence  de  l'idée  de  Calvin  formulé  par  ses  disciples 
eux-mêmes. 

«Art.  1".  De  la  prédestination  divine.  —  Dieu  ,  par  un  dé- 
cret absolu,  a  élu  pour  le  salut  éternel  un  très-petit  nombre 
d'hommes,  sans  aucun  égard  à  leur  foi  ou  à  leur  obéissance.  Il 
a  exclu,  par  le  même  décret,  de  la  grâce  qui  sauve,  toutlereste 
des  hommes,  et  les  a  destinés  à  la  damnation  éternelle  sans  au- 
cun égard  à  leur  infidélité  ou  à  leur  impénilence. 

Art.  2.  Du  mérite  et  des  effets  de  la  mort  du  Christ.  --Jésus- 
Christ  n'a  souffert  la  mort  pour  personne  autre  que  pour  les 


(i)  Ces  deux  noms  répondent,  pour  les  luthériens,  à  l'idée  que  le  reste 
des  chrétiens  attache  à  ceux  d'IIérode  et  de  Pilate.  Ils  ont  surtout  en  horreur 
Wiclius,  qui  renonça  au  luthéranisme  pour  rentrer  dans  le  sein  de  l'Église 
catholique. 

(2)  Symb.  pop.  p.  ô7-2. 

2 


18  i>:  SAi.i'1  i.K '.  I  II  I  I  I  M.  m.  Kl  >i(  SA  I . 

élus  sruls;  il  na  poinl  (  ii  I  iiiliiniuii  liii-iintui-,  cl  il  n'a  |hiiiiI 
reçu  le  comniaiidoincni  de  son  IN  rc,  tic  f;nre  salisradion  pour 
h's  pcrlics  tif  toul  II'  inonde. 

An.  .3.  De  la  volonté  de  Vhommc  dans  l  ilat  nalunl.  —  Par 
la  cluile  d'Adam,  ses  descendaïus  tmi  perdu  leur  libre  aihilrc. 
Ils  sonl  poussés,  par  une  iiiéviuihle  nécessilé,  à  faire  ou  à  ne  pas 
faire  loui  ce  qu'ils  fonl  ou  ne  fonl  pas,  soil  bien  soil  mal  ;  «'lanl 
pretlesliiu's  à  cela  par  un  seciel  dessein  élcrnci  el  ellicace  de 
Dieu. 

Art.  4.  De  la  convers'ion.  —  Dieu  pour  sauver  ses  élus  de  la 
masse  coriom|>U(',  cnj^'cndrc  en  eux  la  loi  par  un  pouvoir  égal 
à  celui  par  Iccpnl  il  ( km  !••  monde  cl  ressuscite  les  morts;  de 
telle  sorte  que  ceux  auxquels  il  donne  cette  grâce  ne  peuvent  la 
repousser,  el  <pie  les  autres,  étant  n-prouvé's,  ne  peuvent  la  re- 
cevoir. 

Art.  o.  /)r  la  certitude  de  la  persévérance.  —  Ceux  (pii  ont 
uni;  l'ois  reçu  par  la  foi  celle  j^râce  ne  p(Mivent  en  declmir,  ni  li- 
nalcmeiil  ni  c(in)pleteiiienl,  (pielle  tpie  soil  l'enorinité  des  péchés 
qu'ils  Nieniieiit  à  commettre.» 

Les  lignes  suivantes  sont  de  Calvin  lui-même,  elles  dépassent 
toute  idée. 

!  !  !  ! 

".le  n'ignore  pas  que  (piel(pies-uns  trouvent  rude  et  ne  peuvent 
»  soulfrir  qu'on  attribue  la  foi  aux  réprouvés,  pane  que  suint 
»  Paul  dé'clare  tpie  c'est  un  fruit  de  notre  élection.  Mais  celle 
n  ililliculié  n'est  pas  mal  aisée  à  résoudre.  Car,  (pioiqu'il  n'y  ait 
»  (|ue  les  prédestinas  au  s:iliii  ipie  Dieu  éclaire  de  la  lumière  île 
»  la  foi,  el  à  (]ui  il  lasse  vraiiiuiil  Miiiir  l'idlicaïc  de  l'hyaiigile, 

■  rex|)erience  pourlanl  nous  monire  (]ue  les  réprouvés  sont  quel- 
»  quefois  touchés  d'un  sentiment  presque  égal  à  celui  des  élus;  en 
»  sorte  que,  selon  leur  opinitm  même,  ils  doivent  être  mis  au 
»  nombre  des  vrais  (idcles....  Ce  n'est  pas  (pi'ils  comprennciii 

■  quelle  est  la  vertu  du  Sainl-Ksprit,  ou  (|uils  la  reçoivent  d'une 
»  manière  vive  el  solide,  ou  qu'ils  soient  é-clairés  de  la  vraie  lu- 
a  mière  de  la  foi;  mais  Di(*u,  pour  les  convaincre  dans  le  fond  de 
»  leur  conscience  el  les  rendre  eniieremenl  inexcusables,  s'insi- 
n  )iur  ilans  leurs  esprits  et  hur  [dit  smlir  1rs  effets  de  son  amour. 


r.r  sai.it  «inATirr  r.r  m.  nr.  RKMiSAr.  10 

»  aiit;mi  (jik^  sa  honte-  poiil  être  goùléc  sans  la  vcriii  de  son  Kspi  il 
»  d'adoplion.  »!  !  ! 

Celle  doctrine  fail  frémir  et  il  esl  facile  de  voir  que  par  vole 
de  cons(''(jncnce  elle  renferme  le  salnl  {^ratiiil  en  le  délif,airant; 
elle  exi|Jo  la  foi  en  lui  prètani  une  nature  aulr(î  que  la  véiilable; 
elle  exagère  la  grâce  el  elle  anéantit  avec  le  liljre  arbitre  les 
bonnes  œuvres  de  l'honinK;;  elle  doit  même  les  faire  et  elle  les 
fail  effectivement  «mauvaises  et  détestables » 

Les  Mennomtes  sont  pres(|uo  entièrement  d'accord  avec  l'É- 
glise catholi({ue  sur  la  justification,  la  foi,  el  la  foi  rendue  active 
par  la  charité.  Ils  se  rapprochent  des  luthériens  en  n'admettant 
aucune  coopt-ration  de  l'homme  dans  les  forces  qui  amènent  la 
régénération. 

Les  Arminiens  sont  divisés  :  ils  ont  des  textes  dans  leur  pro- 
fession de  foi  qui  sont  catholiques,  d'autres  qui  sont  lutliériens 
ou  calvinistes.  Leurs  plus  grands  théologiens  Curullanus  et  Lim- 
borch  s'expriment  comme  des  théologiens  catholiques. 

Les  Quakers  s'accordent  aussi  sur  ce  point  avec  l'Église  ca- 
tholique. Ils  avaient  la  bonhomie  de  croire  que  la  doctrine  ca- 
tholique faisait  l'homme  juste  devant  Dieu  uniquement  par  des 
œuvres  extérieurs,  telles  que  les  jeûnes  ,  pèlerinages  et  répéti- 
tions irréfléchies  de  formules  de  prières. 

Les  SociNiEXs  ne  sont  ni  tout  à  fait  luthériens  ni  tout  à  fait  ca- 
tholiques. «Ils  diffèrent  des  luthériens  en  ce  qu'ils  n'admettent  point 
refficacilé  du  mérite  de  Jésus-Christ,  elqu'ilsexigent,  avec  la  foi, 
l'obéissance  aux  commandements  de  Jésus-Christ.  Celle  obéis- 
sance consiste  à  déposer  le  vieil  homme,  à  s'abstenir  de  péchés 
et  à  s'efforcer  d'accomplir  la  volonté  de  Dieu.  C'est  en  cela  que 
les  sociniens  s'accordent  avec  l'Église  catholique.  Quant  aux 
forces  qui  agissent  dans  la  justification,  le  protestantisme  des  so- 
ciniens est  diamétralement  opposé  à  celui  des  luthériens  et  des 
réformés.  Ces  derniers  soutiennent  que  Dieu  seul  fait  tout  et 
l'homme  rien;  les  sociniens  disent  que  l'homme  n'a  nul  besoin 
du  secours  de  Dieu,  et  qu'il  ne  lui  est  pas  non  plus  départi.  Ils 
parlent  à  la  vérité  de  certain  aide  que  les  hommes  reçoivent  de 
Dieu;  mais  ils  n'entendent  par  là  que  la  force  excitante  qui  se 


*I0  I.K  SAI.I   I    '.K\H  II    II    >l.    m    KKMISAT. 

(l'ouvc  (Iniis  les  ciisei^'iieiiK'iiis  cl  les  promesses  de  Jésus-Christ. 
Kllc  est  iiccordée  ù  ceux  qui  croient  à  l'Évangile;  mais  les  soci- 
nieiis  «'nsei^iiciU  |>osiliv(Mnoiil  ((!:il.  Rac.  9,  .370)  «jiie,  pour 
croire  à  rilvaiigilc,  on  n'a  pas  Uesujn  du  secours  de  Dieu  (T.» 

Les  SwEDEMBORGiEMs  onl  voiilu  reuverscr  la  doctrine  de  Luther 
qu'ils  croyaient  très-pernicieuse. 

«Swedenborg  imagina  une  nouvelle  théorie  pour  la  justifica- 
tion. Seldu  lui,  il  no  saurait  y  en  avoir  sans  régi'-nération  et  sans 
sancliliralion  intérieures.  Il  enseigne  la  remission  des  péchés, 
mais  il  ne  la  l'ait  pas  remonter  aux  mérites  de  Jésus-Christ.  Il 
ne  le  pouvait  pas,  puis(|u'il  avait  combattu  la  justification.  D'a- 
près Swedenborg,  une  loi  morte  ne  justifie  point;  pour  pouvoir 
justifier,  il  faut  que  la  foi  soit  active  par  la  «liarilé.  Aliii  de  la 
produire,  il  faut  que  les  forces  humaines  s'unissent  à  rinlluence 
(le  Dieu  sur  les  hommes  (1).  » 

Les  MÉTHODISTES  n'ont  pu  éviter  entre  eux  les  plus  graves  dis- 
sensions sur  le  sujet  «pii  nous  occupe.  La  guerre  se  déclare  en 
1741  entre  les  deux  chefs  du  méthodisme  anglais  Wesley  et 
Whitelield. 

<  Wesley,  ilans  ses  sermons,  avait  laissé  tomber  quelques  pa- 
roles eu  faveur  de  la  grâce  universelle.  Lors(iuc  dans  un  sermon 
imprimé,  il  eut  développé  l'ensemble  de  son  système  mal  com- 
pris encore  sur  ce  (ju'il  nommait  la  grâce  libre,  Whitefield  pu- 
blia aussil(^t  une  réfutation  chaleureuse  de  cet  écrit  théologicjue. 
Depuis  (c  moment  {\7 i\  ,  deux  partis  se  formèrent,  iloni  l'un 
avait  son  siège  principal  à  Londres  et  rantre  à  Bristol.  Les  par- 
tisans de  WCsIcv  étaient  plus  nombreux  ;  on  en  coinpi:iil  12,000 
eu  1747.  Wesley  s'exprima  en  termes  énergitpies  contre  la  doc- 
trine de  Calvin.  Si  d'ailleurs  il  se  prononça  en  faveur  de  la  grâce 
universelle,  contre  le  particularisme  calviniste,  c'était  moins 
parce  cpi'il  adoptait  le  système  de  l'Église  cvangélique  luthé- 
rienne) ipie  par  une  tendance  secrète  vers  l'arianisme,  qui  de- 


(I)  Synib.  |>t>|).  |).  ô-ïti. 
(3)  Symb.  pop.  p.  32G. 


LK  SALI  T  (iRATlIT  I  T  M.  DE   «KMISAT.  21 

puis  loMf^'lomps  était  n'pandu  dans  l'Église  ûpiscopale.  VVIiile- 
fieUl  luouriil  ou  1770,  en  Ani(  riqiie.  Su  mort  ne  fil  point  cesser 
la  discorde  qui  n'-gnail  parmi  les  mélliodisles  (1).  » 

En  Suisse  et  même  à  Genève,  écrivait  Schrockh,  où  Calvin 
avait  établi  son  prcdoslinatismc,  lo  dogme  rencontra  au  dix-sep- 
lièmo  siècle  l'opposition  la  plus  ('ncrgique  (1). 

«La  quorclle  sur  la  grâce,  dit  IJayle,  partie  de  la  tribune  des 
professeurs  de  Genève,  se  communiqua  à  la  cbaire  des  prédica- 
teurs, et  s'étendit  cnsuiie  dans  le  soin  des  familles,  où  cliacun 
adoptait  les  opinions  du  prédicateur  avec  lequel  il  était  en  rap- 
port d'amitié  ou  de  parenté.  Les  ouvriers  s'abordait  dans  les 
rues  en  se  demandant  les  uns  aux  autres  s'ils  étaient  pour  la 
grâce  universelle  ou  pour  la  giâce  particulière  ;  il  en  résulta 
des  désordres  de  toute  nature.  11  y  eut  même  un  instant  où  l'on 
crut  au  danger  imminent  d'une  révolte  qui  aurait  sans  doute 
entraîné  la  ruine  de  la  république.  Le  conseil  des  Deux  cents 
s'en  émut,  et  dans  son  assemblée  il  interdit  sévèrement  à  cha- 
cun de  parler  de  la  grâce.  Alors  tout  rendra  dans  le  calme.  On 
imposait  silence  aux  défenseurs  de  la  grâce  universelle,  parce 
qu'on  les  regardait  comme  des  novateurs.  Les  professeurs 
qui  avaient  embrassé  cette  doctrine  n'osèrent  plus  désormais  eu 
parler  ni  dans  leurs  sermons,  ni  dans  leurs  cours  publics;  ils 
durent  même  signer  un  formulaire  rédigé  par  le  parti  adverse. 
Si  depuis  cette  transaction  on  sembla  s'être  réconcilié,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  les  Universalistes  et  les  Particularistes 
subsistèrent  longtemps  encore,  de  sorte  que  les  esprits  étaient 
loin  d'être  calmés,  et  qu'ils  nourrissaient  les  uns  contre  les  autres 
le  même  sentiment  de  répulsion.  Les  Particularistes  cherchaient 
surtout  à  empêcher  les  Universalistes  de  faire  des  prosélytes  (1).» 

En  1844  la  guerre  fut  très-vive  à  Genève  entre  les  métho- 
distes et  l'Église  nationale.  C'est  à  cette  époque  que  M.  Chene- 
vière,  pasteur  et  professeur  de  cette  Église,  publia  son  sixième 


(1)  Hœninghaus,  T.  H,  p.  147. 

(2)  Schrœck,  L.  c.  vol.  VIII,  p.  661. 

(3)  Haeninghaus.  T.  II,  p.  109. 


■22  l.t  b.Vl.l  J    (.KAIlir  il    M.   l»l.  IIKMINVT. 

essai  iiuiluh-  :  a  De  la  Prédestination  et  de  (juelques  dogmes  cal- 
vinistes combattus  par  la  raison,  le  sentiment  et  i Ecriture.  Le 
hyslùrae  de  Calvin,  formulé  aujouKrimi  |t;ii  /.r  salut  tjratuit par 
ta  foi  seule,  y  csl  (It'-iiinli  |)i('cc  |»;ir  pièrc.  Je  u  ai  pas  à  disriiler 
it'i  les  <>|»iiiions  peisuniiclles  d».'  M,  (llienevière;  je  donne  siude- 
iihiil  son  ju^'enienl  sur  le  calvinisme. 

t  Le  calvinisme  esl  en  opposition  avec  l'Evangile.  \  oici  le 
resum<''  du  Calvinisme,  sans  ndoucissemcul,  sans  périphrases, 
mais  sans  exagération.  «  L'homme  naît  corrompu  et  condamne, 
toutes  ses  actions  sont  odieuses  à  l'I^tre  suprême.  La  loi  el  la 
conversion  de  lliommc  sont  indt'pendantcs  de  lui  ci  de  ses  ef- 
lurts,  la  foi  lui  esl  donm-e  gratuiiemonl,  sa  conversion  est  surna- 
turelle, c'est  un  miracle  aussi  bien  que  la  résurrection  d'un 
mon.  Quand  il  csl  une  fois  converli,  les  actions  les  plus  crimi- 
nelles ne  penvcnl  le  faire  déchoir  de  la  grâce.  La  rédemption  de 
Jésus-Christ  n'est  |)as  applicable  à  tous  les  hommes,  son  ellicace 
<'st  icslreinle  aux  prédestines  et  aux  élus,  car  il  y  a  prédestina- 
tion à  vie  el  à  mort,  à  salut  et  à  condamnation;  a\ant  que  de 
n;iilro,  b;  sort  île  cliarun  est  invariablement  arrête  ;  entre  les 
liomnu\s,  les  uns  sont  destinés  au  bonheur  sans  les  «einres  et 
maigre  les  «ruvres  ;  la  foi  seule  justilie  :  les  autres  sont  condam- 
nés, cpielle  (|ue  soit  leur  conduite,  et  les  peines  «pfils  auront  à 
subir  sont  éternelles.  Totit  se  fait  pour  la  gloire  dcï  Dieu,  el  celle 
gloire  n'éclate  pas  plus  dans  les  hymnes  des  saints  qu«;  dans  les 
t  ris  de  désespoir  des  damnés.  » 

»»  Mêliez,  continue  M.  Chencviere,  nielle/.  rKv;m,i;ile  eriire  les 
mains  de  personnes  impartiales  et  sensées,  je  garantis  (pi'il  n'y 
en  aura  pas  uni.'  seule  cpii  puisse  y  trouver  le  calvinisme;  il  faut 
pour  cela,  de  toute  nécessite',  lautcuile  absolu»;  de  personnes 
en  (jui  l'on  ail  conliance  ,  il  faut  des  commentateurs  caressants, 
qui ,  aidés  de  leiq-s  petits  Irailés,  de  leurs  mauvaises  versions, 
de  leurs  gloses,  lient  de  force  des  passages  détachés,  et  qui  pro- 
noncent avec  douceur,  mes  frères,  ma  chère  sœnr,  vous  êtes  élus, 
la  gràc('  vous  a  enlacés,  vous  ave/,  foi  a  noli-e  système,  nous  irons 
tous  à  la  vie  <ieriielle.  Mais  tous  les  autres,  les  membres  de  l'E- 
glise jiiilionale,  el.  ;i  leur  lêK",  ses  pasteurs.  <|iii  oui  ele  nos  (  liefs 


ri:  SAr.i  T  (iUAiLir  r.r  m.  m.  ri;mi  svr.  23 

spirituels  ot  nos  professeurs,  sonl  des  aveugles  qui  ne  sont  pas 
chrétiens,  ils  seront  tous  d:imn<''s! 

»  Oui,  voilà  le  calvinisuio.  Quand  Tl-ivangile  dit  :  Vtillez,  tra- 
vaillez à  votre  salut  avec  crainte  :  il  dit,  ne  craignez  point,  vous 
êtes  élus.  Quand  l'Evangile  dit  :  Repentez-vous,  faites  de  bon- 
nes œuvres  :  il  dit,  Le  repentir  et  les  œuvres  sont  un  piège. 
Quand  l'I-^vangile  appelle,  à  son  de  trompe,  au  salut  tous  les  en- 
fants des  liouiincs,  il  le  fait  à  loreille  de  quelfjucs  privilégiés. 
Quand  l'Évangile  bénit,  il  dit  anaihème.  Quand  l'Évangile  dit 
ciel,  il  dit  enfei"!  Le  calvinisme  est  tiré  à  grand  effort  de  paroles 
isolées  de  saint  Paul,  qu(î  l'on  torture,  que  l'ensemble  de  ses  le- 
çons repousse,  et  que  l'on  a  la  prétention  et  l'espoir  de  natura- 
liser de  nouveau  dans  notre  pairie.  A  quoi  point  ne  faut-il  pas 
(pie  les  chefs  de  Tabazan  adoucissent  et  assouplissent  cette  doc- 
trine pour  la  faire  goùtor  à  des  femmes  douces,  pieuses,  et  dont 
plusieurs  seraient  des  modèles,  si  la  préoccupation  d'esprit, 
l'exagération  et  le  fanatisme  ne  gâtaient  tout  ce  qu'ils  touchent. 

»  Et  sous  les  formes  sévères  que  lui  prête  Calvin,  l'Évangile  a 
un  bras  de  fer;  la  fatalité  dispose  du  sort  des  humains,  et  le 
christianisme,  si  beau  dans  la  bouche  de  son  chef,  devient  une 
loi  cruelle.  Oui,  le  calvinisme  et  son  frère  le  méthodisme,  sont, 
de  toutes  les  formes  qu'a  prises  la  religion  dans  un  cerveau 
d'homme,  les  plus  rebutantes,  et,  dans  les  temps  modernes,  les 
seules  haïssables.  » 

La  question  du  salut  gratuit  par  la  foi  seule  reçoit  encore 
chaque  jour  de  rudes  coups,  malgré  les  efforts  de  l'école  métho- 
diste et  l'appui  que  lui  a  prêté  M.  le  comte  Agénor  de  Gasparin 
dans  son  livre  Des,  écoles  du  doute  et  de  l'école  de  foi.  L'année  der- 
nière Une  requête  respectueuse  fut  adressée  au  Consistoire  de  l'É- 
glise nationale  de  Genève  par  deux  pères  de  famille.  C'était  une 
réaction  calviniste  ou  méthodiste  contre  le  socinianisme  de  l'É- 
glise ofïjcielle.  Elle  attaquait  solennellement  le  Catéchisme  que 
le  Consistoire  fait  étudier  dans  les  collèges,  écoles  et  services 
publics  protestants,  et  le  Premier  catéchisme  en  neuf  leçons  d'his- 
toire sacrée  à  l'usage  des  enfants,  nouvelle  édition  adoptée  par  la 
Vénérable  Compagnie  des  pasteurs  de  Genève.  Ces  deux  caté- 


ik  1.1.  >AI.L  i    l.U.VILll    11    .M.    Ut.  Kl  MISAT. 

chismc  sont  accusé  d'ariaiiismc,  et  spécialement  sur  la  (|U(>sliuii 
(|iii  nous  occupe.  Voici  conimenl  la  Requête  prouve  «pi^ils  rcn- 
fiTUicnl  une  aliération  ou  né^'alion  de  la  doctrine  du  salut. 

Le  catéchisme.  «.Icsus  nous  a  sauvés  1",  <n  nous  annonrani  et 
en  nous  conlirinanl  par  sa  mort,  le  pardon  de  nos  péclics  sous 
la  condition  de  la  ro|)eulance  :  2°  en  nous  offrant  dans  sa  doc- 
trine, dans  son  exemple  et  dans  les  secours  du  Saiiit-Ksprit,  les 
movrns  de  nous  sanclilier  et  de  nK'riler  le  saliK. 

La  Reqi'ète.  «Pas  un  mot  de  la  foi!....  Ce  n'est  donc  pas  la 
mort  de  Jésus  qui  nous  mérite  le  salut  (aussi  la  foi  n'est-elle 
pas  mentionnée);  mais  c'est  notre  propre  travail  de  sancliiica- 
tion.-  u  La  pratique  des  bonnes  œuvres  nous  assure  le  bonheur 
éternel! Un  Ce  que  le  Fils  de  Dieu  a  fait  se  réduit  par  conséquent 
à  ceci.  —  «<  Il  nous  a  annoncé  le  pardon  de  nos  péchés;  mais  il  ne 
Ta  pas  accompli  «c»  portant  lui-mime  nos  péchés  en  son  corps 
sur  le  bois,  et  en  devenant  péché  et  malédiction  à  notre  place.  » 
—  Sa  mort,  qui  est  a  un  généreux  sacrifice,  »  n'a  d'autre  but  que 
de  confirmer  V annonce  du  pardon  de  nos  pèches;  ce  n'est  pas  le 
sang  de  Jésus-Christ  qui  nous  purifie  de  tout  péché,  c'est  nous- 
mêmes  (pii  nous  en  purifions  au  moyen  de  la  doctrine  et  de  Vexem- 
ple  de  Jésus  !! 

Le  Catéchisme  «Est-il  bien  intéressant  (!  !)  de  nous  rappeler 
la  mort  de  Jésus-Christ? 

n  R.  Oui,  car  ( elle  mort  est  le  ^a|;e  di*  nuire  récoiicilialitm; 
cl  ce  souvenir  nous  porto  à  remplir  av(M'  soin  les  romliiidus  né- 
cessaires pour  obtenir  le  salut  éternel. 

La  REyi'ÊTE.  «Encore  une  fois,  ce  n'est  pas  la  mon  de  Jé- 
sus-Christ qui  nous  obtient  le  salut;  le  catéchisme  la  réduit  à 
l'élal  de  simple  souvenir,  et  ce  souvenir  doit  nous  porter  ù  rem- 
plir nous-mêmes  les  conditions  nécessaires  pour  mériter  le  salut. 
—  Voilà  poiinpioi  colle  mort  est  pour  nous  simplement  quehpie 
chose  d'intéressant.  {!!•') 

»  Vous  souffrez  avec  nous,  Messieurs,  conlinue  la  Requête,  et 
vous  rougisse/  pour  Genève  en  lisant  de  telles  p.iroles;  mais  re- 
connaissez aussi  ave<-  nous,  <prelles  sont  la  consetpience  néces- 
saire de  l'arianisme.  —  Comment  outrager  la  personne  de  notre 
adorable  Sauveur  sans  anéaiilir  son  «eiivr»'? —    Au  reste,  si    lu 


I.K  SAM  T  (iRATI  ir  Kl    M.   Di:  «ÉMISAI.  25 

praii(iiic  (les  bonnes  œuvres  est  la  source,  la  cause  et  le  moyen 
(lu  saint,  il  faut  nécessaiiemenl,  pour  maintenir  une  semblable 
docirine,  porler  atteinte  aux  perfections  de  Dieu  et  obscurcir, 
ou  mieux,  nier  sa  sainteté  et  sa  justice.  —  Les  deux  catécliismes 
vont  jus(|ue  là.  Ils  reconnaissent  que  nos  œuvres  sont  îmjoor/ai- 
tcs,  et  ils  enseignent  cependant  qu'elles  méritent  le  salut  I  ! 

Le  Catéchisme.  «Pourquoi  l'Evangile  promet-il  le  salut  à 
ceux  qui  pratiquent  les  bonnes  œuvres? 

K.  Parce  que  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  veut  bien  se  conten- 
ter de  nos  intentions  et  de  nos  efforts  et  les  récompenser  par  la 
vi(î  éternelle.  Il  voudra  bien  couvrir  de  son  support  nos  fautes  et 
nos  faiblesses  et  nous  accorder  le  bonbeur  éternel. 

La  Requête.  «Enormité  qui  renverse  l'Evangile,  qui  compro- 
met la  sainteté  de  Dieu  et  qui  anéantit  par  cela  même  la  morale 
cbrélienne! 

»  Le  déisme  le  plus  avoué  n'a  jamais  rien  enseigné  de  plus  con- 
traire à  la  Parole  de  Dieu!  C'est  de  là,  sans  doute,  que  notre 
peuple  a  tiré  cette  coupable  formule  d'incrédulité:  «Dieu  est 
Irop  bon  pour  nous  punir.  » 

»  Un  pareil  enseignement  fait  descendre  ces  catéchismes  au- 
dessous  même  du  catholicisme  romain;  car  en  inventant  le  pur- 
gatoire il  a  (lu  moins  rendu  hommage  à  la  sainteté  de  Dieu,  dont 
les  yeux  sont  trop  purs  pour  voir  le  mal,  tout  en  ruinant,  il  est 
vrai,  parce  purgatoire  l'œuvre  de  Jésus-Christ,  qui  sauve  entiè- 
rement ceux  qui  s'approchent  de  Dieu  par  lui.  (?) 

«Dans  un  système  religieux  qui  promet  le  salut  aux  bonnes 
œuvres,  la  foi  doit  tenir  bien  peu  de  place  et  une  place  bien  in- 
férieure. En  effet  : 

Le  Catéchisme.  «La  foi  est-elle  nécessaire? 

»  R.  Oui,  puisque  Dieu  nous  a  parlé,  ce  serait  être  coupable 
envers  lui,  et  rejeter  un  puissant  moyen  de  salut  que  de  ne  pas 
croire  à  ses  instructions. 

La  Requête.  «La  foi  n'est  donc  qu'^n  moyen  de  saint....  Du 
reste,  s'il  est  parlé  de  la  foi  dans  le  catéchisme,  c'est  une  foi  dont 
l'objet  n'est  pas  la  personne  et  l'œuvre  de  Jésus-Christ,  c'esl-à- 


'JO  LK  SALtT  tiRATl  IT  KT  M.  DE  BKMlSAT. 

dire,  le  {,'rnnd  mystère  de  piété,  mais  simplcmonl  les  instructions 
de  l)i(Mi,  ou  en  d'autres  termes,  ses  priceplrs.  » 


CetlL'  levée  de  boucliers  des  défenseurs  du  salut  gratuit  par  la 
foi  seule  sans  les  œuvres  a  amené  sur  le  terrain  M.  André  Arclii- 
iiard,  Tundes  pasteurs  do  l'église  nationale,  <piia  pnhlié  une  liro- 
eliure  intitulée  :  Le  catéchisme  de  l'église  de  Genève  défendu  con- 
tre la  requtHe  de  dcuj:  pères  de  famille,  et  sur  la  «piestion  qui 
nous  occupe  il  porte  un  nouveau  <  onp  de  liaclie  au  système  cal- 
viniste. «Le  système  de  la  justification  par  la  foi,  dil-il,  prêché 
»  indépendamment  des  œuvres,  ou  pn-conise  aux  dépens  des  œu- 

>  vres,  a  trouve  dans  Calvin  son  ûrj^ane  \v,  plus  accompli,  le  plus 
»  rigoureux,  le  plus  logique;   et  l'œuvre  de  Calvin,  toute  consé- 

>  quente  qu'elle  est,  foirmille  d'inconséquences,  d'erbeirs  de 
Lor.iouE  ET  d'imperfections.  »  Kt  pour  qu'on  ne  puisse  pas  de- 
(  ouq)oser  ou  decoloier  le  système  cahiniste,  M.  Arcliinard 
ajoute,  dans  la  note  LL,  les  lignes  suivantes  : 

u  Un  bon  nominc  de  personnes  croient  pouvoir  admettre 
ceilains  points  de  la  doctrine  dite  orlliodoxe,  el  y  atlaclienl  une 
grande  importance  (|ui ,  d'ailleurs,  ne  voudraient  point  enten- 
dre parler  de  la  prédestination.  Mais  il  faut  pourtant  avoir  un 
système  de  croyances  (|ui  présente  un  ensend>le  (pjel(|ue  peu  lié. 
Or,  dès  qu'on  en  \ient  à  nier  (]ue  l'homme  soit  juge  d'après  ses 
œuvres,  et  «pie  ses  ouvres  aient  aux  yeux  de  Dieu  au<  un  prix, 
dès  qu'on  proclame  la  doctrine  du  |>e(  lie  originel ,  celle  de  la 
jusiilicaiion  par  la  foi  el  d'un  salui,  non-seulement  oiïert,  mais 
encore  donne  gralnilemenl ,  il  faut,  si  l'on  n<'  se  paie  pas  de 
mots,  si  l'on  lient  à  avoir  un  système  iliéologi(]UC  tant  soil  peu 
coordonné,  il  faut  nécessairement  arriver  jusqu'à  la  prédestina- 
lion.  Il  n'y  a  pas  là  de  milieu  ni  de  ménagements  possibles.  » 

On  le  voit,  nous  sommes  loin  de  l'ailîrmaiiou  de  M.  Charles  de 
Hémusat  :  «Le  salut  gratuit  des  protestants  ne  me  semble  pas 
»  absolument  contraire  à  l'esi^ril  du  christianisme  ;  il  semble  res- 
»  sortir  des  termes  des  épîtres  de  saint  Vaul ,  et  sans  certains 
•  versets  de  saint  Jaccjues  ,  j'oserais  ajouter  (]u'aueun  texlc  de 
■  rE(  liinre  ne  le  contn'dii  formellement.  » 


M.  SALIT  (IRATI  IT  KT  M.  I)K  RKMl  SAT.  27 

J'ose  délier  M.  Charles  de  Rénuisat  de  sortir  de  ce  labyiiullie 
cl  de  me  dire  quel  est  le  irai  système  protestant  sur  le  salut 
gratuit. 

Mais  (]uo  |)onsoi-a  le  noble  écrivain,  quand  nous  aurons  eu  l'iion- 
ncur  lie  lui  iaiie  faire  connaissance  avec  riiouiuic  le  plus  consi- 
dérable, sans  coniredit,  de  l'église  nationale  de  Genève,  M.  le 
pasteur  Martin.  Ce  n'est  pas  un  arion  prononcé  comme  M.  Che- 
novièrc  ;  ce  n'est  pas  M.  Arcliinard  produisant  une  brochure  so- 
ciniennc  jetée  à  la  volée.  M.  Martin  est  un  théologien  sérieux, 
(pii  croit  à  la  divinité  et  au  sacrifice  de  N.  S.  Jésus-Christ,  qui 
croit  au  libre  arbitre  de  l'homme  et  à  la  grâce  du  Saint-Esprit. 
M.  Martin  n'est  ni  do  l'école  méthodiste  patronée  par  M.  le  comte 
Agénor  de  Gasparin  ,  ni  de  l'école  rationaliste  qui  domine  dans 
l'église  nationale  genevoise.  Ce  n'est  ni  un  batailleur  de  bas  étage, 
ni  un  piètre  conférencier,  c'est  un  protestant  avec  lequel  on  peut 
discuter.  Je  ne  dis  pas  cela  pour  le  compromettre  vis-à-vis  des 
siens,  je  le  dis  naïvement,  sous  l'impression  de  la  lecture  de  son 
livre. 

C'est  en  1846  et  en  1847  qu'il  a  prêché  ses  conférences  sur  la 
rédemption  ;  elles  sont  imprimées;  je  les  ai  non-seulement  lues, 
mais  étudiées  avec  la  plus  grande  attention.  La  question  de  la 
prédestination,  du  salut  gratuit,  de  la  foi  et  des  œuvres,  y  est 
traitée  ex  professo. 

Or  M.  Martin  appelle  le  système  de  Calvin  un  système 
«  ÉPOUVANTABLE.  » 

Avec  quel  charme  je  retrouvais  dans  un  excellent  style,  mal- 
gré des  erreurs  et  des  imperfections  d'expression  résultant 
de  la  forme  prolestante  à  laquelle  un  catholique  se  fait  dif- 
ficilement, avec  quel  charme  je  retrouvais  la  plupart  des  doc- 
trines catholiques  sur  le  sujet  qui  m'occupe.  Je  n'ai  donc  pas 
eu  tort  de  dire  en  commençant  cet  article  :  n'y  a-t-il  pas  quel- 
ques lueurs  d'espérance  d'un  rapprochement,  si  déjà  on  peut 
s'expliquer  et  peut-être  s'entendre  sur  la  thèse  la  plus  délicate, 
la  plus  difficile  et  la  plus  importante  qu'ait  soulevée  la  réforme... 

Que  M.  Charles  de  Rémusat  et  les  bienveillants  lecteurs  des 
Annales  me  permettent  de  leur  faire  connaître  prochainement  le 
système  de  M.  Martin. 

A. 


NOTICK  BIOGRAPHIQUK 


SDR 


SÉBASTIi:.\  WERUO, 

CIKF  DE  PRIUOIRO  KT  PKKVOT  DU  CHAPITRE  DE  SAINT  TTICOLAS, 

PAU  M.  PIERRE  ESSEIVA. 


M.  Pierre  Essciva,  de  Fribourg,  vient  de  traduire  le  journal  d'un  priMrc 
fribourgeois  de  In  famille  Werro,  qui  acroniplit  le  pèlerinage  de  la  Terre- 
Sainte  vers  la  fin  du  seizième  siècle  (IfWO).  ^ous  sommes  heureux  de  repro- 
duire ici  la  notice  destinée  à  faire  connuilre  la  vie  d'un  prêtre  savant  et  pieux 
qui,  dans  les  circonstances  dilliciles  où  lèlalilissemenl  de  la  reforme  avait 
placé  le  ralliolicisme  en  Suisse,  sut  conrilicr  dans  un  beau  caraclèrc  les  ver- 
tus du  citoyen  et  celles  de  disciple  lidèle  à  IK^Iise.  Parmi  les  fragments  du 
livre  (|ui  sollicitaient  l'attention,  il  en  est  un  qui  nous  a  paru  plus  digne  d'in- 
térêt que  les  autres;  c'est  le  chapitre  où  le  voyageur  raconte  l'audience  qui 
lui  fut  accordée  par  le  Pape  Grégoire  \lll  pendant  le  séjour  qu'il  fit  à  Home. 
Nous  le  plaçons  ici.  Au  moment  où  notre  vénérable  évé(jue,  Mgr  Marilley, 
prend  place  dans  cet  illustre  sénat  de  jionlifes  appelés  par  le  successeur  de 
(Irégtiire  \lll  pour  appuyer  de  leur  autorité  la  délinilion  d'un  dogme  cher  à 
Ions  les  catlioli(|ui's,  on  lira  n>ec  curiosité  le  récit  de  l'audience  pontificale 
d'un  autre  |)rélre  fribouijîcois  qui  visita  la  Nilie  sainte  il  y  a  trois  cents  ans, 
le  diocèse  de  Lausanne  se  ^^tlu^ant  dans  des  circonstances  singtilièrement 
analogues  à  celles  qui  nous  niïligenl  aujourd'hui.  Alors  comme  aujourd'hui 
l'Kglise  de  I^usannc  était  veuve  de  son  ]iremier  pasteur.  Il  y  avait  48  an- 
nées que  l'évèquc  n'avait  pas  résidé  sur  les  terres  couliécs  à  sa  garde.  Alors 
comme  aujourd'hui  un  clergé  fidèle  veillait  sur  le  troupeau,  et  à  travers  une 
époque  |ilciiic  de  périls  pour  la  foi  et  pour  les  niu-urs  ,  il  parvint  à  sauver  le 


NOTU.K  m«><;RAI'fllQ(,li  SUR  SKBASTIFN  WKHRO.  29 

(lt|)(M  sacii-  «li-s  vi'-rilt-s  c;illiiili(nii's.  lui  lilSI,  les  sollicitaliniis  du  |iri!vùl 
Wcrro  contriliiièrciil  ptivir  Ucancttiip  à  |iri-|):\rer  le  rclour  du  poiilifo  absent, 
il  en  sera  de  iiu^mc  iioiir  notre  sièele,  el  nn  Umv^  Icnips  ne  s"ccouicra  pas 
avant  que  les  tristesses  de  l'exil  ne  soient  finies  jiour  M^r  Marilley.  Les  heu- 
reux cvénenienls  t|ui  viennent  de  se  passer  autorisent  tout  espoir.  Le  peu- 
ple fribourgeois  n'est  pas  de  ces  peuples  qui  périssent,  car  il  sait  demeurer 
fidèle  aux  vérités  les  seules  capables  d'instituer  les  nations  sur  des  fonde- 
ments solides. 

L'illusire  conciloyeii  auquel  nous  thîvons  cet  Ilinéraire  na(|uit 
en  lôôô,  de  François  Werro ,  membre  du  Conseil  journalier  de 
la  ro|)ul)li(|ue,  et  de  Marie  AViclil,  de  Fribonri,'.  Il  eut  un  frère, 
nommé  François,  qui  dans  la  suite  lui  bailli  de  Chàtel-Saint- 
Denis  (1),  el  une  sœur,  Catherine,  dont  nous  ignorons  le  sort. 
Sans  être  dans  roi)ulence ,  les  époux  Werro  jouissaient  d'une 
honnête  fortune,  qui  leur  permit  de  cultiver  les  heureuses  dis- 
positions du  jeune  Sébastien  et  de  former  son  esprit  à  la  science 
en  même  temps  que  son  cœur  à  la  piété. 

Après  avoir  terminé  ses  premières  études  à  Fribourg,  sa  ville 
natale,  Sebastien,  âgé  pour  lors  de  17  ans,  se  rendit  à  l'univer- 
silé  de  Fribourg  en  Brisgau,  où,  au  l)oul  de  deux  ans  d'études, 
il  obtint  le  diplôme  de  maître  ès-ar(s.  Ayant  ensuite  fréquenté 
avec  distinction  les  cours  de  théologie,  il  passa  à  Besançon,  où 
il  reçut  les  ordres  sacrés  dans  le  courant  de  1677,  à  l'âge  de  22 
ans.  Aussi ,  lorsqu'il  fut  de  retour  dans  sa  patrie ,  le  prévôt 
Schneuwlin,  vicaire  général  du  diocèse  el  rigide  observateur  de  la 
discipline  ecclésiastique  ,  ne  voulut-il  point  l'admettre  à  l'exer- 
cice du  saint  ministère  ,  avant  qu'il  se  fut  mis  en  règle  pour  son 
défaut  d'âge  avec  la  grande  pénitencerie  de  Rome.  Sébastien 
n'eut  point  de  peine  à  se  faire  absoudre  de  son  irrégularité,  sous 
la  condition  toutefois  qu'il  n'exercerait  point  les  fonctions  sacer- 
dotales avant  sa  vingt-quatrième  année.  Enfin,  le  9  février  1.578, 
le  fervent  lévite  eut  le  bonheur  de  célébrer  sa  première  messe 
dans  l'église  collégiale  de  Saint-Nicolas. 

Ses  rares  capacités  lui  frayèrent  bien  vite  le  chemin  des  em- 


[i)  Un  descendant  de  ce  magistrat,  M.  le  chancelier  d'Etat  Romain  Werro, 
a  publié  en  1841  une  notice  sur  la  vie  et  les  écrits  de  r.iuteur,  qui  nous  a 
servi  de  guide  dans  la  rédaction  de  celle-ci. 


30  KOTK >:  BI'M.RAIMllylK  SI  R  «♦KBASTM^^   WKRRO. 

plois.  Depuis  un  an  déjù  il  faisait  partie  de  la  Chambre  dite  (l<^s 
Scolarques,  chargée  de  la  surveillance  des  écoles,  cl  du  chapi- 
tre (le  Sainl-Ni(  olas,  dont  il  fut  nonini»'-  (rcmMiT  sccrciaire,  puis 
chantre.  A  la  mémo  cpocpic,  !«•  prévôt  Schncunlin,  qui  éprou- 
vait pour  lui  une  affection  paternelle,  se  Tassocia  en  qualité  (h; 
secrétaire  dans  sa  visite  du  diocèse.  En  1579,  il  joignit  à  ses 
autres  fonctions  celle  de  catéchiste  ,  et  il  s'en  actpiilta  avec  tant 
de  zèle  ,  que  la  cure  de  Frihourg  étant  devenue  vacante  au  com- 
mencemeni  de  l'année  suivante,  le  chapitre,  qui  avait  coutume 
de  présenter  à  la  bourgeoisie  deux  on  trois  sujets  pour  ce  posie, 
se  borna  à  sa  seule  i)iésentation.  Il  y  lui  iiommi*  à  ruiianimiti' 
des  suffrages,  le  7  février  1580.  Deux  mois  auparavant,  il  avait 
rempli  la  charge  de  promoteur  an  synode  diocésain  présidé  par 
le  nonce  Honhoméus,  et  avait  été  ensuite  établi,  avec  le  prévôt 
Schneuwlin,  exécuteur  des  constitutions  synodales,  avec  le  litre 
de  délégué  apostoli(pie.  Il  fut  encore  préposé,  avec  le  père  Jean 
Michel,  cordelier,  à  l'examen  des  confesseurs  et  «les  apirants  aux 
(ordinations  ecclésiastiques. 

Tous  les  instants  (pii  n'étaient  point  remplis  par  les  soins  im- 
portants de  son  ministère,  Sébasiien  les  donnait  à  l'étude.  Versé 
dans  la  connaissance  des  langues  hébraïque  ,  grecque  et  latine , 
il  s'était  composé  une  biblioihèipie  choisie,  où  liguraienl,  à  côté 
des  Saintes-Écritures  et  des  prières  de  l'Eglise,  les  imivres  im- 
mortelles de  CicfTon ,  de  l'Intarqne.  de  Platon.  d'Aristote,. 
d'Ovide  et  de  Virgile. 

Félix  qui  potuit  rcrum  cognoscerc  causas 

avait  chanté  le  cygne  de  Mantoue  ,  et  ce  vers  avait  reveillé  un 
écho  dans  l'àme  de  l'auteur.  Les  sciences  naturelles,  si  mal  (  om- 
prises  et  si  néglig«''es  de  son  temps,  avaient  pour  lui  îles  .iitrails 
particuliers.  Sous  le  titre  de  Physimrum  libri  A,  il  lit  paraître, 
aux  premiers  mois  de  1581,  le  fruit  de  ses  investigations  dans  le 
domaine  de  la  nature.  Cet  opuscule  traite  successivement  de  la 
nature  en  général,  de  l'astronomie,  des  éléments,  de  la  gt'né'ra- 
tion,  des  mél«'ores  ,  des  fossiles,  des  plantes,  des  animaux,  de 
l'Ame  el  de  ses  facultés.  Il  n'offre  plus  de  nos  jours  d'autre  in- 
\ovH  (\\ir  (  elni  «riiiir  pieire  inilliaiie  placée  sur  la  route  de  !.•> 


NOTK  I.  HKK.R AI'niQUE  SI  R  SÉBASTIKN  WERIU).  31 

science  pour  nous  aider  à  mesurer  l'espace  iimnense  qu'elle  a 
paieoniu  dans  les  trois  sièch.'s  ipii  suivirent  sa  publication.  Le 
lecteur  (pii  ne  possèilerail  que  des  connaissances  fort  ordinai- 
les  en  astronomie  et  en  pliysiipie  ,  n'y  apprendrait  pas  aujour- 
d'hui sans  sourire  que  la  terre  est  immobile  au  centre  de  l'uni- 
vers, que  les  étoiles  de  première  grandeur  ne  sont  que  cent  sept 
fois  plus  grandes  que  la  terre,  que  les  comètes  sont  des  exha- 
laisons visqueuses  des  astres  enllammces  par  le  soleil ,  que  les 
lleuves ,  après  s'être  déchargés  dans  la  mer,  retournent  vers 
leui'  source  par  des  canaux  souterrains,  que  les  huîtres  croissent 
et  décroissent  avec  la  lune,  (|u'il  y  a  deux  couleurs  primitives,  le 
blanc  et  le  noir,  dont  le  mélange  produit  toutes  les  autres,  que 
la  terre  humide  et  la  putréfaction  engendrent  divers  animalcu- 
les, etc.  Mais  le  système  de  Copernic,  récemment  découvert, 
rencontrait  encope  beaucoup  de  contradicteurs,  et  Galilée,  âgé 
pour  lors  de  seize  ans,  n'avait  point  encore  inventé  le  télescope 
ni  créé  la  philosophie  expérimentale.  Tel  qu'il  était,  le  traité  de 
l'auteur  paraît  avoir  été  goûté  à  son  apparition ,  car  le  célèbre 
cardinal  Sirlet,  auquel  il  fit  hommage,  le  plaça  dans  la  bibliothè- 
que du  Vatican. 

Au  milieu  de  ses  travaux  de  pasteur  et  de  savant,  Sébastien 
nourrissait  dans  le  fond  de  son  cœur  un  projet  qui  témoigne  de 
toute  la  vivacité  de  sa  foi,  celui  de  visiter  le  berceau  et  le  sépul- 
cre du  Sauveur.  Des  difficultés  et  des  périls  sans  nombre  l'atten- 
daient sur  sa  route  ;  mais  sa  courageuse  piété  et  sa  confiance  sans 
borne  dans  l'assistance  divine,  lui  firent  surmonter  tous  les  obs- 
tacles. Il  avait  d'ailleurs  devant  les  yeux  l'exemple  de  nombreux 
Fribourgeois  qui,  dans  la  première  moitié  de  ce  siècle,  avaient 
accompli  le  pèlerinage  de  Terre-Sainte.  Nous  citerons  entre  au- 
ties  François  Arsent,  Antoine  Treytorrens  ,  Humbeit  de  Praro- 
man ,  iNicolas  de  Praroman ,  Jean  Vogt  et  Pierre  Falk ,  dont  le 
dernier  succomba  au  moment  où  ,  pour  la  seconde  fois,  il  allait 
loucher  le  fortuné  rivage  de  Palestine.  Si  la  dévotion  avait  la 
principale  part  au  voyage  de  l'auteur,  il  n'en  saisit  pas  moins 
cette  occasion  d'étendre  le  cercle  de  ses  connaissances  par  une 
constante  observation  des  hommes  et  des  choses.  Il  nous  a  laissé 
deux,  relations  manuscrites  de  son  pèlerinage;  la  preiTiière,  en 


laliii,  t^t  iiii  simpU' jourual,  iliiiis  l<(jiu'l  il  a  coiisij^né  péle-nn^lc 
et  à  mesure  qu'«'IU's  se  préscDlnicnl,  ses  impressions  de  rouie; 
l'autre,  en  allemand,  esl  rcdii^'ée  avec  plus  d'ciciuliif,  d'ordre  et 
de  soins.  Elle  a  |»onr  liire  :  Idnerarium  von  tirr  saligcn  Reiss 
gun  Rom  und  Ilierusalem  ,  iras  daselbst  gesehen  auch  tras  uff 
(lem  treg  (Ifn  Pilgcni  iriilerfurt,  hurz  und  //'nr/iaffi  bescliriben 
durch  Sébastian  //  vrro,  unitihdigen  Pr (ester  von  Frgburg  tiss 
Nuchstlanndl.  In  lar  1;")81.  N'ousavons  soi^neusenjenleollaiionné 
ces  deux  manuscrils,  cl  si  dans  la  (raduciion  nous  avons  dû  don- 
ner h\  picféri'nrc  au  second,  le  [trcinier  nous  a  servi  à  élucider 
el  à  c(un|)letrr  en  (pichpics  endroiis  le  lexio  allemand  (I). 

Rendu  à  sa  patrie  el  à  son  posle,  N'  (•ur<'  \N  eiio  iiaNailla  avec 
ardeur  à  réparer  le  temps  enlevé  à  ses  «hères  ouailles.  Il  sentait 
trop  bien  le  prix  de  l'inslruclion,  pour  ne  pas  la  répandre  à  flots 
sur  la  jeunesse  Irihour^eoise.  Une  plus  grande  dillusion  de  lu- 
mières, notamment  en  relif^ion,  lui  paraissait  un  moyen  assuré 
de  la  préserver  des  aïK'inles  du  prolcstanlisme  qui ,  a|>rès  tout, 
était  aussi  bien  le  IViiil  de  l'i^noianee  cpie  de  rorf;ueil  el  de  la 
corruption  des  nueurs.  Le  vénérable  P.  Pierre  Canisius,  chargé 
par  le  P.  Kverard  Meicnrian,  ^M-néral  des  Jésuiies,  de  la  fonda- 
lion  d'un  collé-^e  à  Fribourj,',  <tail  arrivé  dans  cette  ville  le  10 
décembre  ITiSJ),  en  compaj,'nie  du  P.  Robert  Andrenus,  Anglais. 
Sébastien  s'estima  heureux  de  parlag(;r  provisoirement  son  lo- 
gement avec  ces  hommes  de  Dieu  ,  el  ce  fut  là  l'origine  de  !'('- 
troite  amiiie  qui  le  lia  avec  le  P.  Canisius  juscju'à  la  mort  de  ce 
dernier,  en  1597.  Grùce  au  concours  du  prévùt  Schneuwlin  et 
au  sien,  les  obstacles  «pie  r«'nc(tntra  d'abord  l't'lablissemenl  pro- 
jeté furent  applanis.  L(îs  fondemenis  du  gynniase  furent  posés 
en  l;"i8r>,  ceux  du  collège  en  1586.  Dix  ans  plus  lanl ,  les  deux 
bâtiments  étaient  terminés  el  livn'-s  à  l'inslruclion  publique. 

Promu  dans  l'intervalle  à  la  dignité  de  doyen  ,  Sebastien  ,  d«'- 
sirant  se  eonlormer  striclemenl  aux  «b'cisions  du  contile  de 
Trente,  <pii  interdisaient  la  pluralité  des  bénéfices,  prolesta  n<- 


ft)  I.c  manuscrit  allt'inand  .t|»().trlifiit  ;i  In  l>il)linlli('<|in*  <Tonon)i(|in'  Mi- 
Frihoiirg.  t/iiiilrr  rsl  la  pr(ipritM«'  dr  M.  If  clianrclifi  Weiro.  qui  a  liirn 
voulu  le  niellrp  ;i  notre  ilispo^^ilion. 


NOTIC.F.  nior.UAIMIlOI  F  SI  R  SFKASTir.N  WF.RRO.  33 

point  vouloir  cumuler  les  fondions  de  doyen  avec  celles  de  curé. 
Le  gouvernement  en  référa  au  Souverain  Pontife  Sixte  V,  en  lui 
exposant  que  le  curé  Werro  s'était  constamment  montré  si  pieux, 
si  assidu  et  si  vii^ilant  dans  raccomplissement  de  son  minis- 
tère pastoral,  qu'il  ne  pourrait  y  renoncer  sans  qu'il  en  résultât 
une  grande  perte  pour  le  salut  des  âmes.  Sa  Sainteté  apprécia 
ces  motifs,  et  par  rescrit  du  8  juillet  1589,  elle  déclara  compa- 
tibles les  fonctions  de  curé  et  de  doyen  ;  par  conséquent  clic  per- 
meltait  au  titulaire  et  lui  enjoignait  même  de  garder  les  deux 
bénéfices.  Cette  décision,  communicpiée  sous  date  du  1**"  septem- 
bre, par  le  nonce  Paravicini,  leva  tous  les  scrupules  de  Sébastien, 
pour  lequel  cette  nouvelle  dignité  fut  un  nouveau  stimulant  à 
son  zèle.  Mais  le  scandale  public  que  donnèrent  l'année  suivante 
deux  compagnies  fribourgeoises  rappelées  du  service  de  France, 
et  l'inutilité  de  ses  démarches  auprès  des  autorités  pour  en  ob- 
tenir la  répression,  l'engagèrent  à  se  démettre  de  tous  ses  em- 
plois avec  l'autorisation  du  nonce,  et  à  se  retirer  à  Rome,  afin 
d'y  répéter  ses  cours  de  théologie  au  collège  germanique. 

Pendant  les  trois  années  qu'il  séjourna  dans  la  ville  éternelle, 
il  assista  aux  funérailles  de  deux  papes  et  en  vit  couronner  trois. 
Grégoire  XIV,  Innocent  IX  et  Clément  VIII.  En  1592  Messei- 
gneurs  de  Fribourg  lui  écrivirent  pour  le  charger  de  complimen- 
ter en  leur  nom  ce  dernier  pontife,  de  lui  offrir  leurs  services  et 
de  l'assurer  de  leur  soumission.  Par  une  seconde  lettre  ils  lui 
témoignèrent  leur  satisfaction  et  leur  reconnaissance  pour  la 
manière  dont  il  avait  rempli  leurs  intentions.  Le  crédit  et  l'ha- 
bileté de  Sébastien  le  mirent  bientôt  à  même  de  rendre  de  nou- 
veaux services  à  sa  patrie  en  conduisant  à  bon  terme  quelques 
négociations  qui  lui  furent  ultérieurement  confiées  par  le  gouver- 
nement du  canton  et  par  le  chapitre  de  son  église. 

Après  avoir  passé  par  toutes  les  épreuves  académiques  et  con- 
quis le  diplôme  de  docteur  en  théologie,  il  retourna  l'année  sui- 
vante à  Fribourg,  oia  les  dignités  qu'il  fuyait  ne  tardèrent  pas  à 
venir  le  chercher.  Dès  l'année  1597  il  fut  appelé  au  poste  émi- 
nent  de  prévôt  du  chapitre  de  Saint-Nicolas,  puis  à  celui  de  vi- 
caire-général du  diocèse,  que  la  mort  de  son  ami  Pierre  Sch- 
neuwlin  avait  laissé  vacant.  Le  nonce  eut  beaucoup  de  peine  à 

3 


lui  faire  ucccptci*  relie  dcrniùru  charge  que  son  hiiiniliié  lui  fai- 
sait ju^er  au-dessus  de  ses  forces.  Mais  dans  sa  haute  position 
Scbasiien  donloya  toutes  les  i]ualiies  de  son  piédéeesseur  et  en 
preniirre  lij^ne  une  couia^'euse  franchise  qui  ne  reeulait  devant 
aucune  considération  humaine,  et  une  fermeté  inébranlable  dans 
l'extirpation  des  abus.  Cependant  ces  mêmes  qualités  devaient 
être  j)Our  lui  la  source  de  nouvelles  tribulations.  Ces  cnrûlemenls 
au  servii'e  de  France  enii-eicnus  par  l'appas  des  pensions  et  des 
titres  exerçaient  une  action  fâcheuse  sur  la  moralité  des  citoyens, 
et  en  lonienlant  l'esprit  de  di\ision  ei  de  castes,  conduisaient 
la  répul)li(pie  à  de  fatales  dissensions.  Aussi  Sébastien  voyait-il 
de  mauvais  œil  l'inlluence  française  alors  toute  puissante  à  Fri- 
bourg  el  il  ne  lit  point  mystère  de  ses  convictions.  Il  avait  ou- 
veiiement  coiid)attu  les  |)ièlsconsidéiables faits  dans  les  derniers 
temps  à  celle  couronne,  il  avait  cherché  à  empêcher  l'envcii  de 
nouvelles  troupes  et  s'était  pareillement  élevé  avec  force  contre 
racccptatiou  des  pensions.  Ce  lanj^'a^e  avait  froissé  une  foide 
d'intérêts  privés  et  lui  avait  aliène  des  hommes  dont  l'appui  lui 
était  le  plus  nécessaire.  Désespérant  dès  lors  d'opérer  le  bien 
dans  la  mesure  qu'il  eût  désiré,  il  se  décida  une  seconde  fois  à 
résijîner  toutes  ses  fonctions,  sauf  (elle  de  prédicateur  (1601\ 
I/évêque  Jean  d'Orot,  lui  écrivit  à  ce  sujet  une  lettre  très-alfec- 
tueuse,  où  il  déplore  sa  retraite  et  le  supplie  de  ne  point,  pour 
cela,  le  priver  de  ses  lumières  et  de  son  expérience. 

Libre  désormais  de  se  livrer  tout  entier  à  son  ^oùt  dominant 
pour  la  prédication  évan^jélique  el  pour  la  vie  contemplative, 
Sebastien  continua  à  offrir  jusqu'à  son  dernier  soupir  le  jtarfait 
modèle  de  toutes  les  vertus  sacerdotales  et  surtout  d'une  ar- 
dente charité  qui  ne  pouvait  «jue  s'enllammer  davantage  par  des 
relations  épistolaires  avec  l'évéque  de  Genève,  François  de 
Sales  (1).  Son  amour  (lour  les   pauvres  ne  connaissait   pas  de 


(t)  Des  Icllrrs  adressées  pnr  saint  François  de  Salos  h  l'auleur,  deux  sni- 
los  sont  parvenues  jiisqn".'»  nous,  conservées  dans  les  arcliives  de  la  fan>illr 
WiMTo.  Rllrs  onl  rapporl  l'une  et  laiilrp  ^i  la  f;rande  ec^rénionic  relipioii^r 
qui  eul  lieu  dans  le  ChaMais  en  seplen>l»rc  l.WH.  pour  eél<'l>rer  le  retour  do 
«etle  contrée  :i  la  foi  calliolii|iic.    l,\  preinii-re  csl  ainsi  conçue  : 


NOTH.r.  BlnGnAl'HIOlK  SIR  SKBASTIF.N  WKRRO.  Ho 

bornes  ot  lorsqu'il  éiail  dans  l'impossibilité  de  les  assisler  par 
lui-mt'inc  il  savaii  intéresser  sa  famille  en  leur  faveur  par  de 
touchâmes  paioles.  Un  elironiqiiour  rapporte  qu'il  se  faisait  ser- 
vir un  repas  abondant  et  (pi'assis  auprès  do  sa  table  chargée  de 
mets,  il  élevait  son  âme  à  Dieu  et  méditait.  Se  tournant  ensuite 
vers  ses  domesti(iucs,  il  s'enquérait  auprès  d'eux  des  malades 
les  plus  indij^^nts  et  leur  faisait  porter  tous  ces  mets,  n'en 
gardant  pour  lui  que  la  moindre  part  (1). 

L'auteur  nous  a  laissé  plusieurs  monuments  manuscrits  et  im- 
primés de  son  zèle  pour  la  défense  de  la  foi  catholique,  de  sa 
science  et  de  sa  piété.  Le  premier  ouvrage  qu'il  livra  à  la  publi- 
cité, son  traité  sur  la  physique,  était  sorti  des  presses  bûloises, 
le  second,  de  même  que  les  suivants,  parurent  à  Fribourg,  où 
une  imprimerie  avait  été  établie  dans  l'intervalle.  Il  est  intitulé  : 
Fragstuck  des  christtichen  Glaubens  an  die  neuwe  Sectische  Pre- 
digkandlen,  erstlich  durch  den  Hochgelelirten  H.  Johann  Hayum 
auss  Schotlen,  der  Socielet  Jesu  Thoologum  franzosisch  heschri- 
hen,  demnach  durch  Sébastian  Tf^arro  Pfarrherrn  zu  Freyburg 
in  Uechtlands  in  das  Teutsch  gebracht  und  mit  angehencktem  an- 

A  Monsieur  le  prévôt  de  Saint-Nicolas  de  Fribourg. 

Monsieur, 
La  dévotion  des  40  heures  a  esté  relardée,  jusques  au  dimanche  et  jour  de 
St  Barthelcmi,  22  et  2i  de  ce  moys.  Ccst  pour  un  beaucoup  plus  grand  bien. 
Je  vous  ay  bien  voulu  faire  ce  mot  dadvis,  affin  que  si  quelcun  de  delà  desi- 
rait honorer  cest  action  de  piété  de  sa  présence,  il  sacheminast  pas  envain 
cesle  semayiie.  Mais  aussi  je  voudrais  que  personne  ne  perdit  courage  de  ve- 
nir pour  cette  relardation,  parsque  la  tardiveté  sera  recompensée  d'une  bien 
grande  consolation,  si  Dieu  nous  fait  les  grâces,  que  nous  espérons.  Je  bayse 
très  humblement  vos  mains  sacrées  et  me  dis  a  jamais 
Vostre  phis  humble  confrère 
et  serviteur 
Franc,  de  Sales,  prevost  de  Si  Pierre  de  Genève. 
Le  R.  p.  Chérubin  et  toute  la  brigade  des  serviteurs  de  Dieu,  que  nous 
avons  ici,  vous  salue  très  affectueusement.  A  Thonon,  le  12  Aoust  1398. 

Par  la  seconde  lettre,  écrite  en  lalin,  le  prévôt  Werro  est  informé  que  la 
dévotion  en  question  doil  encore  être  relardée  par  ordre  supérieur. 

(1)  Friburgum  Helvetiorum  Nuilhonias.  Chronique  du  XVIP  siècle,  tra- 
duite du  ialin  et  annotée  par  Héliodore  Rœmy  de  Berligny. 


30  >o||<  I.  llhN.UAfflKjl  K  StR  SÉBASi;iF.^   W'KRRO. 

(teren  Theil  rermchrct.  (Jiiesliuiis  sur  lu  loi  cliiélicnne  aux  nou- 
veaux prcditauts  scciaires,  écriies  d'abord  en  français  par  le 
irès-savanl  M.  Jean  Ilayus  (de  la  Haye),  Ecossais  th(i)loyien  de 
la  St)ci('l«''  de  Jésus,  puis  Iraduiles  en  allemand  el  augmentées 
(I  une  seconde  partie  par  Sébastien  Werro,  curé  à  Fribourg  en 
Nuillionie.  —  Ces  questions  étaient  de  nature  à  end)arrasscr  les 
apôtres  de  la  réforme.  Aussi  les  gouvernements  de  Zurich,  de 
Berne,  de  BAIe  et  de  Scbaiïouse  s'empressèreni-ils  de  demander 
à  celui  de  Kribouig  la  sujipression  du  livre  au  nom  de  la  paix  el 
de  la  concorde  entre  conleilérés  et  sans  doute  aussi  au  nom  du 
libre  examen. 

En  1599  parut  sous  son  nom  une  chroni(|ue  universelle  depuis 
le  commeiiceiucnt  «lu  momie  jusipià  la  fin  du  seizième.  Chro- 
nica  Ecclcsiœ  cl  Monnichinruin  a  anulilo  mundo  Sebastiani 
ff^erronii  Prœpositi  friburgensis  in  JJelvelia,  St  Theologiœ  doc- 
toris  nunc  primum  7iova  mclhodo  elucubrata.  Cet  ouvrage  assez 
volumineux  fut  suivi  en  1009  d'une  nouvelle  production  égale- 
ment latine  inlilulee  :  De  Phclothiœ.  In  candvum  canlieurum  /i- 
hri,  (|ui  valut  à  l'auteur  des  letties  très-llalteuses  du  cardinal 
Paravicini  et  de  notre  célèbre  compatriote  Guilliman,  historio- 
graphe de  la  maison  d'Auli-iebe.  Deux  années  après  il  mil  'mi 
jour  un  petit  livre  allemand  :  Der  Roscnkranz  Maria.  Le  Rosaire 
de  Mai  ie,  contenant  des  méditations  journalières  sur  la  vie  de  la 
mère  de  Dieu.  Nous  possédons  encore  de  lui  un  iraid'  manus- 
cril  sur  la  religion,  De  Religione. 

François  Werro,  frère  de  l'auteur,  nous  a  transmis  la  date  de 
sa  mort.  Nous  lisons  en  effet  ces  mots  tracés  en  allemand  sur  la 
première  page  de  son  Itinéraire  :  «Comme  on  complaii  depuis 
la  naissance  de  N.  S.  Jésus-Cbrisl  1614  ans,  le  27  décembre, 
M.  Sébastien  Werro  s'est  endormi  saintement  dans  le  Seigneur. 
Dieu  veuille  tous  nous  rejouir  éternellement  avec  lui.  Amen.  — 
Fr.  Werro»  Il  était  ainsi  âgé  de  59  ans,  lors(pi'il  alla  recevoir 
dans  le  sein  de  Dieu  la  récompense  réservée  à  ceux  (jui  cmt  com- 
battu le  bon  combat.  Ses  de|)ouilles  mortelles  furent  déposées 
sous  le  chdur  de  l'église  de  St-Meolas,  auprès  de  celles  du  père 
Canisius  et  du  prévôt  Scbneuwlin  (pi  il  avait  tant  aimes  durant 
sa  vie. 


NOTICE  BlOOnAPIlIQLR  SLR  SÉBASTIEN  WERUO.  37 

Nous  citons  ici  le  chapitre  27  du  journal  de  voyage  : 

—  Audience  du  Saint-Père.  —  Saint  Paul ,  voyageant  en 
Gièce,  faisait  diligence  afin  de  C(''lébrer  la  Pentecôte  dans  une 
ville  (le  premier  ordre  lelW;  que  Jérusalem  (1).  Nous  éprouvions 
alors  quel(|ue  chose  d'analogue  aux  sentiments  qui  animaient 
Tapôtre,  car  c'était  pour  nous  une  douce  satisfaction  de  passer 
dignement  à  Rome  les  solennités  de  la  Pentecôte,  de  la  Trinité 
et  de  la  Fête-Dieu.  L'évèque  de  Verceil  m'avait  remis  des  let- 
tres de  recommandation  pour  le  Protonoiaire  Speciano  et  pour 
le  cardinal  Sirlelo,  qui  me  lirent  le  plus  bienveillant  accueil, 
ainsi  que  pour  le  Saint-Père.  En  même  temps  il  m'avait  donné 
toutes  les  directions  nécessaires  pour  me  comporter  convenable- 
ment en  sa  présence.  Je  ne  comptais  d'abord  rester  à  Rome  que 
jusqu'à  la  Pentecôte.  Dans  l'intervalle  je  me  proposais  de  de- 
mander au  Saint-Père  lui-même  l'autorisation  de  m'embarquer 
pour  la  Terre-Sainte  et  de  me  rendre  pour  la  Fête-Dieu  à  Ve- 
nise, où  j'espérais  trouver  un  bâtiment  en  partance.  Je  dus  néan- 
moins dillerer  mon  départ  à  cause  de  la  rencontre  de  plusieurs 
fêtes  durant  lesquelles  il  n'est  pas  aisé  d'obtenir  une  audience 
de  Sa  Sainteté.  Samedi,  13  mai,  vigile  de  la  Pentecôte,  on  célé- 
brait l'anniversaire  de  l'élection  de  Grégoire  XIII  glorieusement 
régnant.  A  cette  occasion  il  y  eut  dans  toute  la  ville  des  céré- 
monies religieuses,  des  décharges  d'artillerie  et  des  feux  d'ar- 
titîce.  Le  palais  était  illuminé  de  six  cents  flambeaux  placés  en 
dehors  des  croisées.  Vint  ensuite  l'anniversaire  de  son  installa- 
tion ou  de  son  couronnement  qui  coïncidait  avec  la  Fête-Dieu 
célébrée  le  25  de  ce  mois.  Ce  joui-  là  Grégoire  XIII  entrait  dans 
la  dixième  année  de  son  pontificat. 

16  mai.  Nous  visitâmes  les  sept  églises  privilégiées  dont  j'ai 
indiqué  plus  haut  les  noms.  Je  fis  ce  jour  la  rencontre  du  révé- 
rend Paul  HofTiCus,  assistant  des  Jésuites,  ci-devant  provint  ial  à 
Dillingen.  Je  lui  représentai  que  le  collège  de  Jésuites  établi 
dans  notre  patrie  ne  pouvait  être  mis  sur  un  bon  pied  avant  Par- 

(1)  Act.  apost.  XX. 


38  Î^OTICK  HHK.UAI'HKJI  K  fel  H  ^KBA•.T^:?^  \%EBRU. 

rivée  du  Provincial.  Il  se  munira  mieux  dis|>osé  celte  fois  qu'il 
ue  l'avait  été  dans  le  temps  à  Diliingen,  fjrâce  aux  ieilres  que  lui 
avaient  adressées  le  louable  conseil  et  le  révérend  prévôt.  Il 
m'annonça  donc  (juc  le  père  visiteur  avait  déjà  reçu  des  instruc- 
tions à  ce  sujet.  Nous  prolilàmes  de  son  occasion  pour  écrire  à 
nos  amis. 

17  mai.  Le  Saint-Père  étant  parti  le  lundi  de  Pentecôte  pour 
sa  villa  de  Montedraj^one,  située  à  1  i  milles  de  Rome,  je  me  d«'- 
cidai,  sur  le  conseil  du  capitaine  des  gardes,  à  m'y  rendre  pour 
en  obtenir  une  audience.  Sa  Sainteté  étant  sortie  à  l'heure  des 
vêpres,  je  l'abordai,  en  lui  présentant  la  lettre  de  l'évéque  de 
Verceil,  ainsi  (pi'un  mémorial  contenant  les  différentes  demandes 
que  j'avais  à  lui  adresser,  et  qui  étaient  au  nombre  de  quatre.  En 
premier  lieu  je  demandai  que  les  oraisons  et  les  livmnes  en  usage 
dans  le  diocèse  de  Lausanne,  non  contenues  dans  le  bn'viairc 
romain  ou  qui  ne  lui  étaient  pas  absolument  conformes,  fussent 
examinées  par  im  cardinal  et  approuvées.  Si  j'émis  ce  vœu, 
c'était  pour  m'acquiitcr  d'une  mission  que  m'avait  confiée,  avant 
mon  départ,  le  vénérable  CliajMlre.  En  second  lieu  j'exposai  que, 
le  prévôt  de  notre  église  de  St-Nicolas  étant  autorisé  à  porter 
la  mitre  comme  un  abbt*  et  devant  élrc  confirme  dans  ce  privi- 
lège par  Sa  Sainteté,  il  était  à  désirer  qu'en  labsen.ce  d'un  évé- 
<|ue  elle  voulut  biiii  lui  (  onlerer  le  pouvoir  de  consacrer  les  ca- 
lices, les  cloches  et  les  corporaux.  Celle  demande  ne  m'avait 
point  été  dictée  par  le  chapitre;  mais  elle  m'asait  été  suggérée 
par  l'évêque  de  Verceil,  ainsi  que  le  troisième  point  de  mon  mé- 
morial qui  avait  irait  à  ta  réforme  des  Augustins.  Enfin  je  sup- 
pliai Sa  Sainteté  de  lrou\er  bon  que  j'accomplisse  mon  pèleri- 
nage au  Sainl-Sepulcre. 

18  mai.  Le  lendemain  à  la  pointe  du  jour,  conmie  le  Saint- 
Père  se  rendait,  selon  son  liabilndc,  dans  l'église  voisine  des  ca- 
pucins, pour  y  faire  ses  oraisons,  je  me  représentai  sur  son  pas- 
sage et  après  avoir  reçu  sa  bénédiction,  j'entrai  dans  de  plus 
amples  détails  sur  mes  demandes  de  la  veille.  En  terminant  je  lui 
exprimai  la  reconnaissance  du  clergé  fribourgeois  pour  sa  solli- 
citude palernelje  envers  la  confédération  et  spécialement  envers 
la  ville  de  Kribourg.  Je  suppliai  Sa  Sainteté  de  bien  vouloir  nous» 


>0TI(:K  niOJiRAPIIiyriCSl'R  SKBASTIF.'H   WKRRO.  30 

honorer  de  la  visite  d'un  saint  évoque  et  légal  qui  remédiât  à  la 
décadence  du  service  divin  et  de  la  discipline  ecclésiastique  sur- 
venue durant  l'absence  prolongée  de  l'évêque.  Je  l'assurai  enfin, 
comme  il  convenait,  du  profond  d(''Vouement  du  louable  conseil 
et  je  reconunandai  à  sa  conslanlo  bénignité  le  diocèse  de  Lau- 
sanne. Sur  la  demande  de  Sa  Sainteté,  combien  d'années  s'étaient 
écoulées  depuis  l'expulsion  de  Tf-vècpie,  je  lui  répondis  ;  qua- 
rante-cinq ans.  De  là  je  pris  occasion  de  lui  repiéscnlcr,  selon 
ce  que  m'avait  recommandé  l'évêque  de  Verceil,  combien  il  se- ^ 
rait  à  propos  (pi'elle  mandât  à  l'évêque  de  Lausanne,  résidant  à 
Besançon,  de  visiter  et  d'administrer  par  lui-même  son  diocèse, 
vu  que  ce  prélat,  cpioiquc  de  noble  lignée  et  d'une  éminente 
piété,  était  plutôt  enclin  par  caractère  à  vaquer  à  ses  dévotions 
qu'à  réformer  ce  qui  avait  besoin  de  l'être.  Après  cela  je  sup- 
pliai le  Saint-Père  d'excuser  ma  témérité,  si  je  me  permeliais 
d'émettre  un  dernier  vœu.  Il  n'ignorait  pas  que  la  supputation 
des  temps  et  la  position  des  fêtes  dans  le  calendrier  s'éloignait 
de  plusieurs  jours  de  la  vérité,  et  que  depuis  les  temps  de  Tem- 
pereur  Auguste  il  n'avait  point  été  remédié  à  cet  inconvénient. 
Le  besoin  d'une  réforme  du  calendrier  se  faisait  donc  vivement 
sentir  et  il  m'avait  été  assuré  par  de  savants  mathématiciens  que 
ce  résultat  ne  serait  jamais  obtenu,  à  moins  qu'il  écrivit  à  Sa 
Majesté  impériale,  aux  rois  d'Espagne  et  de  France  et  à  tous  les 
potentats  chrétiens  pour  les  engager  à  faire  corriger  cette  erreur 
par  toutes  les  universités.  Là  dessus  Sa  Sainteté  me  demanda  si 
j'étais  mathématicien,  puis  elle  ajouta  que  déjà  elle  avait  écrit  à 
ce  sujet  à  l'empereur  et  à  d'autres  souverains,  qu'en  oulre  le  car- 
dinal Sirleto  était  chargé  d'examiner  la  question.  Ce  cardinal, 
ainsi  que  je  le  sus  plus  tard,  est  un  de  nos  premiers  savants  con- 
temporains. J'appris  également  par  le  protonolaire  Speciano 
qu'on  s'occupait  depuis  plusieurs  années  de  la  réforn)e  du  ca- 
lendrier, et  que  la  question  marchait  vers  une  prompte  solution. 
Arrivés  à  proximité  de  l'église,  je  pliai  le  genou  devant  Sa 
Sainteté  et  je  pris  congé  d'elle.  Quant  à  la  réponse  à  mon  mémo- 
rial, je  devais  la  trouver  en  partie  chez  le  cardinal  Sirleto,  en 
partie  chez  le  maître  Dataire.  Le  pape  entra  dans  l'église  accom- 
pagné de  cinq  cardinaux  et  de  sa  suite.  Il  était  vêtu  d'une  longue 


40  NOTICh  BIlMiRAl'HI^lK  SIR  SEBASTIKM  WKRRO. 

soutane  de  drap  l)lanc  avec  le  rochel,  sur  lequel  un  camail  rouge 
descenilail  jus({u'à  la  ceinture.  Il  portail  en  outre  un  large  cha- 
peau <t  des  mules  hiancbes.  Dans  sa  marche  il  s'appuyait  sur 
une  canne  dont  la  pomme  était  foruue  d'une  figurine  d'ivoir. 


A  MONSIEUR  LE  DIRECTEUR 


DES 


ANNALES  CATHOLIQUES  DE  GENÈVE. 


J'ai  appris  que  l'on  va  donner,  dans  les  écoles  rurales  de  noire 
canton,  des  leçons  d'histoire  sur  les  principaux  événements  qui 
ont  eu  lieu  en  Suisse,  et  en  particulier  à  Genève,  depuis  l'établis- 
sement du  protestantisme.  L'on  dit  aussi  que  les  maîtres  devront 
suivre,  pour  guide,  dans  leurs  leçons,  VHistoire  de  la  dation 
Suisse  par  Daguet.  Or,  le  premier  volume  de  celle  histoire  est 
écrit,  en  général,  dans  un  mauvais  esprit,  et  renferme  un  grand 
nombre  d'erreurs  dont  quelques-unes  sont  injurieuses  à  l'Église 
catholique;  c'est  ce  que  j'ai  déjà  dit  et  prouvé  dans  l'Observa- 
teur. Dans  le  second  volume,  M.  Daguet  paraît  oublier  que  les 
peliis  cantons  sont  les  fondateurs  de  la  confédération  helvétique 
et  qu'ils  ont  toujours  montré  le  plus  héroïque  dévouement  et  le 
plus  généreux  patriotisme  pour  défendre  et  conserver  la  liberté 
de  la  commune  patrie.  —  On  est  étonné  de  l'indifférence  avec 
laquelle  il  parle  des  guerres  injustes  entreprises  par  Zurich  con- 
tre les  cantons  restés  Bdèles  à  la  foi  de  leurs  pères.  Mais  quelle 
haine  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'un  ordre  religieux  qui  a  rendu 
les  plus  éminents  services  à  la  Suisse  !  Les  maîtres  consciencieux 
se  feront,  sans  doute,  un  devoir  de  consulter  d'autres  historiens, 


••.:  A  MONSIKIR  I.F.  UIBKCTKl  B< 

pour  i\o  pas  indiiiio  en  erreur  leurs  jeunes  élèves.  Mais  tous  au- 
ront-ils le  courage  de  se  mettre  en  op|>usition  avee  l'esprit  qui  a 
présidé  aux  choix  des  questions  ù  enseigner  aux  enfants?  Il  est 
au  n)oiiis  permis  d'j'pronvcr  (pielque  (  lainie.  Ces  Messieurs  flai- 
renl  de  loin  ce  qiron  allcnd  tleux. 

Quoicpiil  en  soit,  c'est  une  grande  imprudence  de  Miiir,  ilaiis 
un  canton  mixte,  tiailcr  des  questions  très-irrilantes  par  elles- 
mêmes  et  (|ui  sont  de  nature  à  faire  naître  et  à  fomenter  la  haine 
entre  les  citoyens.  Les  amis  de  la  jeunesse  doivent  Teclairer,  si 
l'on  cherche  à  la  tromper;  c'est  ce  molit  qui  m'a  engagé  à  ré- 
pon(h'e  aux  questions  hisioriipies  <pie  l'on  \a  enseigner  aux  en- 
fants de  notre  canton.  Il  me  sera  facile  de  faire  les  portraits  des 
apôtres  de  la  bienheureuse  réfonnation  ;  ]*•  ir;iiiiai  qu'à  copier; 
je  les  trouve  déjà  peints  par  eux-mêmes  on  les  uns  par  les  autres. 
Ces  portraits  de  famille  feront  peut-être,  sur  certains  esprits,  plus 
d'impression  (]ue  la  plus  savante  polémi(|ue,  et  tel  qui  aurait  r»-- 
cusé  tous  les  plus  solides  raisonnements  contre  la  prétendue  ré- 
forme appréciera  à  sa  juste  valiMir,  en  considt'rant  ceux  qui  lui 
ont  donne  naissance,  d'où  ils  tenaient  leur  mission,  (lequel  esprit 
ils  étaient,  Luc  II,  35,  cl  (|uellc  sanction  ieiii-  vie,  leur  caractère 
et  leurs  moMirs  ajouiaieni  à  leur  doctrine. 

Diin  antre  côte,  nous  verrons  si,  comme  on  a  I  impudeur  de 
le  dire  dans  une  histoire  imprimée  à  Genève,  chez  Julien  elfils, 
place  du  Bourg-de-Four,  n.  71.  1843,  nous  verrons  si  Genève 
a  déposé  les  parures  riches,  mais  tombantes  et  souillées  du  pa- 
pisme, pour  revêtir  les  blancs  vêtements  de  l'Évangile.  (Histoire 
de  Genève  racontée  aux  jeunes  Genevois,  page  200.)  La  même 
histoir<'  parle  des  auteurs  de  la  pr<''tendin>  réforme  en  ces  ter- 
mes :  /ît  vous  vénérablrs  réformateurs ,  Farel,  Froment,  f  iret , 
vous  (Calvin,  nrdnxt  cl  irrésistible  athlète,  Théodore  de  liéze, 
doîice  fujure  qui  nous  accompafjnera  lomjtrmps  ;  par  vos  soins, 
un  sang  épuré  et  plein  de  sève  circula  dans  tes  membres  de  la  ré- 
publique régénérée.  I*.  lOG  et  p.  107.  L'on  serait  tenté  de  croire 
que  c'est  une  vraie  ironie,  si  l'on  ne  connaissait  pas  de  quoi  est 
capahie  le  fanatisme  méthodiste.  —  Dissensions  coniinnelles,  ré- 
volutions Irequenies,  prises  d'armes,  gut-rres  civiles,  sympathie 
pour  tous  les  troubles,  dans  loui  les  pays,  envoi  de  ministre;» 


I)i:S  ANNAI.IIS  CATIIOLIOLES.  43 

pour  sonicr  dos  doclriiies  destructives  du  cliiislianisnie,  asile  of- 
Icrl  à  tous  les  scandales  de  l'apostasie,  impression  et  colporlage 
de  libelles  remplis  de  blasphèmes  contre  les  vérités  que  Dieu  a 
ri'véh'es,  distrihution  de  l'or  de  l'Angletene  et  de  la  Hollande 
pour  renouveler  avec  «pielqucs  pauvi-es  calliolicpies  la  convention 
déicide  de  Judas  avec  les  Juifs.  Voilà  les  blancs  vêtements  dont 
l'Évangile  de  Calvin,  selon  même  les  historiens  protestants,  a 
revêtu  Genève. 

9  novembre  1854. 

Un  citoyen  du  canton  de  Genèi'C. 


Question  prélliiiiuairc  provoquée  par  le 
qucstiounairc. 


I.    Ce  qu'on  entend  par  hérésie. 


Vhérésie,  selon  saint  Thomas,  est  une  erreur  volontaire  qu'une 
personne  baptisée  soutient,  avec  opiniâtreté,  contre  quelque  vérité 
de  la  foi  catholique.  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  a  prédit  que, 
dans  la  suite  des  temps,  il  y  aurait  des  hérésies.  Matth.  C.  VII, 
V.  15,  gardez-vous  des  faux  prophètes  qui  viennent  à  vous  cou- 
verts de  peaux  de  brebis,  et  qui,  au  dedans,  sont  des  loups  ravis- 
sants. Maiih.  C.  XXIV,  V.  4  et  5.  Prenez  garde  que  quelqu'un 
ne  vous  séduise;  parce  que  plusieurs  viendront,  sous  mon  nom, 
disant  :  Je  suis  le  Christ,  et  ils  en  séduiront  plusieurs.  L'apôtre 
saint  Paul  va  jusqu'à  dire  :  il  faut  qu'il  y  ait  même  des  hérésies 
parmi  vous,  afin  qu'on  découvre  par  là,  ceux  d'entre  vous  qui 
ont  une  vertu  éprouvée.  Coi-.  C.  XI,  v,  19.  Remarquez  toutefois 


4V  A  MU<«!»1EI  R  LE  DIRKCTfftR 

(|ii(î  cos  parolps  de  rn[)ôlro  no  si^'nilicnt  pas  qiu;  cciix  i|iii  sont 
ht  retiif  ues  \v  soni  nécessairemcnl.  iNUri,  cci  les  !  LluTcsio  est  un 
grand  ciinic  aux  yeux  de  Dieu,  el  saint  l';iiil,  en  plusieurs  eo- 
droils  de  ses  épines,  ranailicnjaiisi';  p;ir  conséquenl  ceux  (pii  en 
sont  inleclés,  le  sont  \kh  leui-  Éuuie,  par  leur  i»igueil,  par  leur 
esprit  de  désolK'issanee  A  lu  loi  de  Dieu,  par  leur  n-voiie  volon- 
laire  contre  Dieu  lui-même;  autrement  TÉcrilure  ne  les  condam- 
nerait [»as.  Le  véritable  sens  des  paroles  du  friand  ap("»tre,  que  je 
viens  de  citer,  est  donc  le  suivant  :  les  lionuues  sont  si  orgueil- 
leux, la  nouveauté  a  de  si  grands  attraits  pour  eux,  ils  sont  si 
enntMnis  de  tout  ce  «jui  (•oi)trari<'  leurs  |ten(liants  pour  les  |>lai- 
sirs,  ils  font  si  [)eu  deirorls  pour  vaincre  leurs  passions,  que  plu- 
sieurs, pour  vivre  au  gré  de  leurs  désirs  déréglés,  nieront  les 
vérités  que  Dieu  enseigne  aux  hommes  par  Torgane  de  son 
Église. 

Aussi  de  tout  temps  il  y  a  eu  des  hérétiques,  comme  de  tout 
temps  il  y  a  eu  des  blasphémateurs,  des  hommes  esclaves  de  la 
volupt«'',^les  voleurs,  des'inédisanis,  des  ivrognes,  etc.  (1). 

Dès  la  naissance  du  christianisme,  il  y  a  eu  des  hérésiarques 
qui  ont  attaqué  successivement  toutes  les  vérités  delà  foi  :  l'exis- 
tence du  péché  originel,  la  nécessité  du  baptême,  la  liberté  de 
l'homme,  la  nécessité  de  la  grâce,  la  di\inite  de  Jésus-thrisl,  le 
mystère  de  la  Sainte  Trinité,  l'invocation  des  saints,  etc.  .\insi 
l'Église  a  vu  naître  les  Ariens,  les  Nestoriens,  les  Eutychiens,  les 
Pélagiens,  les  semi-Pélagiens,  les  Novatiens,  etc.,  etc.;  elle  a 
frapjié  danatliènie  tous  cesenfanls  rebelles;  elle  les  a  vuspasser; 
elle  seule  est  restée  pour  condamner  encore  ceux  qui  les  imite- 
ront dans  leur  révolte  contre  Dieu  lui-même;  et  la  victoire  qu'elle 
a  remportée  sur  tous  ces  novateurs  est  une  preuve  évidi-ntoprelle 
vient  de  Dieu,  qu'elle  est  soutenue  par  la  main  tle  Dieu,  et  que 
conséquemment  elle  ne  peut  pas  périr.  Toutes  les  anciennes  hé- 
résies sont  «''leintes,  ou  tellement  allaiblies  qu'on  n'en  parle  pres- 
que plus;  celles  qui  alUigent  aujourd'hui  l'Kglise  s'éteindront  de 
même  successivement.  L'Église  toujours  contredite,  toujours  pér- 


il) Si  Paul.  (;iil.  V 


ItlS  AN-VALKS  r.ATnoMQL'KS.  k6 

sécutéc,  souiïrirn  cl  frémira  toujours,  mais  jamais  elle  ne  suc- 
romhcra;  rassislance  du  Saint-Kspril  ne  rabandonnera  jamais  et 
la  l'era  toujours  iriomiilior  de  loulcs  les  puissances  de  l'enfer  réu- 
nies contre  elle. 


H.  Llièrès'ie  est  un  très-grand  crime. 


Quoi  de  plus  injurieux,  à  l'égard  d'un  père,  que  la  conduite 
d'un  enfant  (|ui  lui  tiendrait  ce  langage  :  Vous  m'avez  fait  plu- 
sieurs commandements,  ils  ne  me  paraissent  pas  tous  sages  et 
justes  ;  je  ne  tiendrai  aucun  compte  de  ceux  que  je  trouve  ou  dé- 
raisonnables, ou  contraires  à  l'équité!  Que  deviendrait  l'autorité 
d'un  père  dont  les  enfants  raisonneraient  ainsi?  Que  servirait-il 
de  faire  les  lois  les  plus  sages  et  les  plus  justes,  dans  un  état 
quelconque,  pour  y  faire  régner  l'ordre,  et  respecter  la  propiiété 
d'autrui,  si  cbaque  citoyen  croyait  avoir  le  droit  de  rejeter  celles 
qui  ne  lui  plairaient  j)as?  C'est  néanmoins  à  la  lettre,  ce  que  font 
les  bérétiques;  en  cboisissani  parmi  les  vérités  révélées,  celles 
qui  leur  conviennent,  et  en  rejetant  celles- qui  ne  leur  convien- 
nent pas,  en  ne  reconnaissant  pour  règle  de  leur  foi  que  leur 
raison  individuelle,  ils  mettent  en  contestation  la  sagesse  et  la 
justice  divines,  ils  se  prétendent  plus  sages  et  plus  saints  que 
Dieu,  en  un  mot  ils  font  à  Dieu  la  plus  grave  injure  en  refusant 
de  se  soumettre  à  l'autorité  qui  parle  en  son  nom.  L'hérésie  est  à 
l'égard  de  Dieu  ce  que  le  crime  de  lèse-majesté  est  à  l'égard  des 
souverains,  des  magistrats,  en  un  mot  de  tous  les  légitimes  dé- 
positaires de  l'autorité.  Le  crime  de  lèse-majesté  consiste  à  se 
révolter  contre  le  souverain,  porte  au  mépris  de  l'autorité  du  sou- 
verain et  tend  à  la  détruire;  de  même  le  crime  d'hérésie  consiste 
à  se  révolter  contre  l'autorité  de  Dieu,  représentée  sur  la  terre 
par  l'Église,  porte  au  mépris  de  celte  autorité  et  tend  à  l'anéan- 
tir, si  elle  pouvait  être  anéantie. 

D'après  ces  simples  notions  que  la  droite  raison  nous  donne 
sur  le  crime  des  fauteurs  d'hérésieS;,  on  comprend  pourquoi  les 
livres  saints  lancent  contre  eux  de  si  terribles  anathèmes.  Mal- 


^6  «   MoNsil  (  R  I.K.  IIIRF.r.TFI  R 

heur  (i  vous,  ijui  dites  que  le  mal  est  bien,  et  que  le  bien  est  mal , 
gui  donnez  aux  ténèbres  le  nom  de  lumière,  et  à  la  lumière  le  nom 
de  ténèbres  ;  gui  faites  passer  pour  doux  ce  qui  est  amer  et  pour 
amer  ce  qui  est  doux.  Is.  V,  '20.  Tes  paivdcs  s'ailrrsscnl  à  tous 
li\s  coiHcmptciirs  tl<>  r;iiitoritc  diviiir  «jui  parlt^  aux  hommes  par 
l'or^ano  dr  rÉylisc  catliolifjiK'.  Scluu  le  propliMo,  \o  premier 
degré  du  «lérèglemenl  de  1  liuuime  est  de  souicnir  que  le  mal  est 
bien,  de  faire  passer  l'erreur  pour  la  vérilé,  cl  la  voie  large  qui 
conduit  à  la  mort,  pour  une  voie  sûre  (|ui  mène  à  la  vie.  Le  se- 
cond degré  qui  est  heaiiroup  plus  dangereux  et  que  l'on  peut 
appeler  le  cond)le  et  la  puniiion  du  premier,  est  de  soutenir  que 
l(!  bien  est  mal,  de  donner  à  la  vci  iié  le  nom  de  mensonge  et 
d'en  faire  un  crime  à  ceux  qui  la  suivent.  Celui  qui  appi-llc  les 
ténèbres  lumière,  aime  les  ténèbres  et  veut  les  Taire  passer  pour 
la  lumière,  et  celui  qui  appelle  la  lumière  ténèbres,  hait  la  lu- 
mière et  n'a  plus  aucun  moyen  pour  découvrir  les  ténèbres.  Telle 
est  la  conduite  de  tous  les  novateurs.  La  véritable  lumière  ré- 
pandue sur  la  terre  par  l'enseignement  de  l'Église,  ils  l'appel- 
lent ténèbres,  et  les  ténèbres  de  leur  raison  individuelle,  ils  les 
appellent  lumière,  ils  aiment  les  t«'nèbres,  délestent  la  lumière, 
comment  les  éclairer!  Il  est  écrit  au  chapitre  111,  v.  7,  de  saint 
Matthieu,  que  les  Pharisiens  et  les  Sadducéens  venant  vers  saint 
Jean-Bapiisit-  pour  recevoir  son  bapiéme,  le  saint  pi((  iirseur  les 
appelait  race  de  vipères.  Saint  Paul  (Act.  C.  Xlll)  étant  à  Pa- 
phos,  le  proconsul  Serge  l'envoya  chercher  pour  entendre  de  sa 
bouche  la  parole  de  Dieu,  mais  là  se  trouvait  un  magicien  qui 
faisait  tous  ses  efforts  pour  empêcher  le  |>roconsid  d'embrasser 
la  foi.  Alors  saint  Paul,  rempli  de  l'Ksprii-Saint,  et  regardant 
fixement  cet  homme  lui  dit  :  O  homme  plein  de  toute  sorte  de 
tromperie  et  de  fourberie,  enfant  du  diable,  ennemi  de  toute  jus- 
tice, ne  resserez-i  (lits  jamais  de  j)erierttr  les  voies  ilroiles  du  Sei- 
gneur? 

Fuyez,  dit  le  même  apôtre,  à  son  disi  iple  Tite,  fuyez  celui 
qui  est  uÉnKTiQt'E,  après  l'avoir  averti  une  et  deux  fois.  C.  III, 
v.  10.  Saint  Pierre  appelle  tous  les  faux  docteurs  des  animaux 
sans  raison,  qui  ne  suivent  que  le  mouvement  de  la  nature,  il  dit 
qu'ils  tiennent  des  discours  pleins  d' insolence  et  de  folie  et  qu'ils 


DKS  A>.>AI,KS  CAMIOI.lyi  ES.  47 

amorcent  par  les  passions  de  la  chair  et  les  voluptés  sensuelles, 
ceux  qu'ils  vciilciii  pcrdi'c;  qu  ils  promettent  la  liberté,  quoique 
eux-mêmes  soient  esclaves  de  la  corruption,  ()irils  donnent  un 
mauiuis  sens,  pour  leur  propre  ruine,  à  certains  passages  des 
épîtres  de  saint  Paul,  di/Jiciles  à  entendre.  —  Seconde  épître  de 
saint  Pierre. 

Si  quelqu'un  vient  vers  lous,  et  ne  fait  pas  profession  de  cette 
doctrine,  ne  le  recevez  pas  dans  votre  maison,  et  ne  le  saluez  point, 
dit  saint  Jean.  Il  saint  Jean,  C.  10. 


III.   Llièrésie  favorise  tous  les  vices,  tous  les  crimes. 


Quelle  doit  être  la  règle  de  notre  conduite?  C'est  noire 
croyance.  Nous  devons  adorer  et  n'adorer  que  Dieu  seul,  parce 
que  nous  croyons  qu'il  est  et  qu'il  est  seul  le  Créateur  et  le  sou- 
verain mahre  de  toutes  choses.  Qu'est-ce  qui  fait  que  nous  res- 
pectons, ou  que  nous  devons  respecter  le  bien  d'aulrui  même 
dans  les  circonstances  oîi  nous  sommes  fondés  à  croire  que  per- 
sonne ne  nous  voit,  qu'il  n'y  a  rien  à  craindre  de  la  part  des 
hommes?  C'est  qu'il  est  écrit  dans  le  fond  de  notre  ame,  dans  ce 
livre  que  nous  appelons  la  conscience,  que  le  vol  est  un  mal, 
qu'il  ne  faut  pas  faire  aux  autres  ce  que  nous  ne  voudrions  pas 
qu'on  nous  fit,  c'est  que  nous  savons  que  Dieu  défend  positive- 
ment le  vol  :  cous  ne  volerez  point,  Exod.  XX,  15,  et  qu'il  con- 
damnera les  voleurs  à  l'enfer,  s'ils  meurent  sans  avoir  réparé  les 
injustices  qu'ils  pouvaient  réparer  ou  sans  avoir  la  volonté  de  les 
réparer  quand  ils  le  pourraient.  Ni  les  voleurs —  ne  seront  point 
héritiers  du  royaume  de  Dieu.  1  Cor.  C.  VI,  v.  10.  Celui  qui  ne 
croirait  ni  à  l'existence  de  Dieu,  ni  à  l'immortalité  de  l'âme  au- 
rait-il une  probité  à  l'épreuve  de  quelque  occasion  facile  de 
s'enrichir  aux  dépens  de  son  prochain,  et  dans  des  circonstances 
où  il  s'imaginerait  j)ouvoir  le  faire  et  couvrir  son  crime  d'un  voile 
impénétrable  aux  yeux  de  la  justice  humaine?  Eh  bien!  l'héré- 
sie tend  à  détruire  toute  croyance,  et  par  conséquent  à  favoriser 


't8  A  MO>SII  I  R  l.r    DIRK  IKI  R 

toutes  les  passions,  tous  les  vices,  tous  les  éfTJrenu'nts  de  l'esprit 
oi  (lu  cœur. 

Quel  est  le  principe  fondanicninl  de  l'Inrcsie  nppclec  prote^ 
tanlisuie?  C^est  que  tout  lioniine  doit  prendre  une  bible,  la  lire, 
et  suivre  la  religion  qu'il  croit  y  trouver  enseignée,  et  ne  suivre, 
dans  la  recherclie  de  cette  préien<lue  relij;i<)n,  que  les  lumières 
de  sa  raison  individuelle.  —  D'après  ce  principe,  c'est  la  raison 
(pii  juK"%  t"!  dernier  ressort,  de  ce  qu'il  laut  adinetire  comme 
wiù,  ou  rejeter  comme  faux,  en  matière  de  rcli^'ion.  Or,  une  fois 
qu'un  lionunc  s'est  mis  dans  la  Icte  ipi'il  peut  rejeter  lout  ce  qui 
ne  convient  pas  à  sa  raison  individuelle,  il  n'y  a  plus  rien  de  sa- 
cré, d'immuablement  vrai  à  ses  yeux,  parce  que  sa  raison  sera 
toujours  assez,  complaisante  pour  trouver  faux  ce  qui  contrarie 
ses  liassions.  Dès  lors,  dans  cet  bommc,  ce  seront  les  passions 
qui  feront  la  loi,  sans  qu'il  y  ait  rien  qui  ))uisse  les  re|»rimer.  Et 
comme  les  passions  qui  ne  sont  retenues  par  aucun  frein  portent 
à  tous  les  vices,  à  tous  les  d('rèj,demenls,  à  tous  les  crimes,  il  s'en 
suit  (]ue  riiomme  (]ui  éialilii  sa  raison  ju;,'e,  en  deinici- lieu,  de 
sa  foi  et  de  sa  conduite,  devient  nécessairement  coupable  de  tous 
les  forfaits  les  |)lus  criminels,  nn  alliée  même,  s'il  se  conduit 
d'après  ses  principes. 

Aussi,  vovons-nous  (pie  les  proiestanis  (jni.  en  religion,  re- 
connaissent leur  raison  individuelle  comme  souveraine,  absolue, 
ne  croient  rien,  si  ce  n'est  t/u'il  n'y  a  rien  qu'ils  srtictil  obligés  He 
croire.  Ils  n'ont,  même  à  l'égard  des  >eiiics  fondamentales  du 
christianisme,  que  des  opinions  qui  changent  avec  les  Itmips,  les 
pays,  les  intérêts  personnels  ou  naiionaux.  Tout  le  symbole  est 
réduit,  pour  eux,  à  ces  mots  :  tu  croiras  rr  que  tu  voudras.  Et 
comme  d'après  le  principe  posé  ci-dessus,  la  foi  est  la  règle  de 
notre  conduite,  tout  le  décalogue,  pour  les  |)rotestanis,  esl  ré- 
duit à  ces  mots  :  lu  feras  ce  que  tu  voudras. 

De  toutes  les  considérations  qui  précèdent  on  est  amené  à  con- 
clure :  1"  que  si  les  [>rolestants  liraient  loiHes  les  conséquences 
(jui  d(*coulent  nécessairement  de  leurs  prin(  i|»es  desirncteurs  de 
toute  foi  et  de  toute  morale,  il  n'y  aurait  plus,  parmi  eux,  ni 
charit<\  ni  humanité,  ni  probité;  que  toute  \erlu  en  serait  ban- 
nie à  jamais;  (ju'il  n'y  aurait  que  l'égnisme  et  le  règne  brutal 
du  fort  sur  le  faible. 


DES  ANNALES  <;ATH0LiyiIF.5.  M 

2"  Q[\o  le  |)iolosianlisino  est  cnnoini  de  toute  autorité  hu- 
maine, tie  loul  gouvernement,  quelle  que  soit  sa  forme.  Le  pro- 
testantisme commence  par  se  révolter  contre  l'autorité  divine,  il 
se  pose  en  Dieu  ;  comment  ne  m«''Connaîlrail-il  pas  toute  autorité 
humaine?  Une  fois  que  Ion  s'est  permis  de  citer  à  son  tribunal 
Dieu  lui-même,  d'examiner  ses  lois  pour  savoir  si  elles  sont  justes 
ou  nom,  quel  respect  peut-on  avoir  pour  les  lois  des  hommes? 
El  une  fois  que  l'on  admet  qu'il  est  permis  de  rejeter  les  lois  qui 
ne  plaisent  pas,  c'en  est  fait  de  l'autorité,  parce  que  les  actes  de 
l'autorité  même  les  plus  justes,  contrarient  toujours  quelques- 
uns  des  penchants  de  l'homme. 


ÏV.   Comment  les  Pères  de  V Église  et  autres  grands  personna- 
ges traitaient  les  hérétiques. 


Saint  Polycarpe  ,  évêque  de  Smyrne  et  disciple  de  saint  Jean 
l'Evangéliste,  ayant  fait  un  voyage  à  Rome,  rencontra  dans  cette 
ville  l'hérésiarque  Marcion  qui  lui  demanda  s'il  le  connaissait. 
Oui,  répondit  le  saint  évêque,  saisi  d'horreur,  je  te  reconnais 
pour  le  fils  aîné  de  Satan.  Une  autre  fois,  il  s'écria,  en  voyant 
Cérinthe  entrer  dans  un  bain,  fuyons  de  peur  que  la  maison  ne 
tombe  sur  nous. 

«Grande  et  belle  leçon,  dit  un  auteur  en  rapportant  ce  trait, 
»  relativement  ù  la  conduite  à  tenir  envers  les  hérétiques.  Si  ce 
»  saint  et  savant  évêque,  disciple  des  apôtres,  si  près  de  la  lu- 
»  mière  évangélique,  n'a  osé  communiquer  avec  des  sectaires, 
»  craignant  le  souille  impur  des  faux  docteurs,  que  penser  de  la 
»  témérité  ou  de  la  coupable  indifférence  des  simples  fidèles  qui 
»  fréquentent  leur  société,  lisent  leurs  livres  ou  écoutent  leurs 
»  discours?  —  Saint  Prosper  appelle  Pelage  le  serpent  hritanni- 
»  que.  Représentons-nous,  dit  saint  Augustin  (liv.  cont.  Donat. 
»  G.  VIll),  un  homme  qui  soit  chaste,  qui  observe  la  continence, 
»  qui  ne  soit  pas  avare,  qui  ne  soit  pas  adorateur  des  idoles, 
»qui  exerce  l'hospitalité  à  l'égard  des  indigents,  qui  ne  baisse 

A 


:>(l  A  MO>SIKtll  I.E    DIRKTTF.IK 

»  iMisoiinc ,  «jiii  «vil»'  les  conleslations,  qui  soit  p:iiiriii  »i  nari- 
»  «juilU",  (|iii  no  iluTclic  à  s'élcvi-r  sur  iicrsoniU' ,  <|ui  ne  poile 
•  envie  ù  personne  ,  (jul  observe  la  sobriété  el  la  fru^alilc,  mais 
u  (]ui  soil  liér('ii(ju«'.  INuirtcla  seul  »)u'il  est  lierétique,  personne 
»  ne  peut  en  douter,  il  n'entrera  pas  dans  le  royaume  de  Dieu.   » 

Le  passage  suivant  du  même  saint  docteur  semble  avoir  été 
«'cril  contre  ces  hommes  «pii,  de  nos  jours,  montrent  aux  indi- 
gents le  Christ  genevois  sous  la  ligure  d'une  |>icce  de  monnaie. 

o  Prenez  garde  (lib.  2.  ad  Calecli.  c.  \\)  que  (jueUiue  Arien 
»  ne  surprenne  l'Église.  C'est  un  loup ,  connaissez-le  bien  ; 
»  c'est  un  ser|»ent,  écrasez-lui  la  tcie  ;  il  llalte,  mais  il  lrom|>e; 
»  il  promet  beaucoup  de  (  lioses ,  mais  il  ne  lient  pas  sa  parole. 
»  Venez,  dit-il,  je  vous  assisterai;  si  la  faim  vous  presse,  je  vous 
•>  nourrirai  ;  si  vous  êtes  nus,  je  vous  habillerai;  je  vous  fourni- 
»  rai  de  l'argent,  je  réglerai  ce  (pic  je  pourrai  donner,  tous  les 

>  jours  à  chacun.  O  loup  tUFamé,  Ct  serpent  rempli  de  malice,  à 
«serviteur  infidèle!  Malheureux  hérétique,  tu  ne  couvres  ceux 

►  «pii  sont  nus  que  potii'  les  dépouiller  de  Ji-sus-Christ  ;  tu  ne 
»  nourris  ceux  <pii  ont  faim  que  pour  ravira  leur  âme  la  nourri- 
»  lure  céleste;  tu  ne  leur  donnes  de  l'argent  qu'afin  qu'ils  te 
»  vendent  Jésus-Christ,  comme  Judas  le  vendit  aux  Juifs.  ■ 

Kncure  une  lois,  si  le  grand  évoque  d'IIippone  avait  vu  ce  qui 
se  passe  à  Genève  en  1854,  aurait-il  écrit  autrement  contre  ces 
mômiers  et  ces  ariens  (|ui,  une  des  mille  Bibles  genevoises  falsi- 
liées  d'une  main,  une  [)ièce  de  monnaie  de  l'autre,  «piel(|ues  pa- 
roles du  vieux  serpent  l«'iilateui-  à  la  bouche,  >ont  dans  les  chau- 
mières du  caiiiwi  et  de  la  Savoie  pour  en  chasser  le  vrai  Christ 
(pi'on  yadoio,  et  y  nuttie  à  sa  place  le  Christ  genevois,  tout 
barbouillé  des  immundiccs  de  la  prétendue  réformation. 

Gennadius  parle  d'un  certain  Julien  qui  avait  retenu  toute  la 
[)crlidie  et  toute  la  dissimulation  de  Pelage,  cl  «pii ,  par  les  au- 
mônes (pi'il  faisait,  dans  tics  tenq)s  <le  famine  et  de  misère,  en- 
gagerait dans  s(m  hérési(!  beaucoup  de  pcisoimes.  Selon  Origène, 
le  démon  peut  inspirer  une  certaine  apparence  de  chasteté;  ne 
peut-il  pas  aussi  inspirer'  une  charité  ir'ompeuseà  ceux  qui  tra- 
vaillent sous  SCS  ordres,  à  la  perte  «lésâmes?  Cette  réflexion 
d'Origènc  nous  fait  comprendre  pourtiuoi  presque  tous  les  héré- 


DIS  ANNAI.KS  C  A  iiror.ioi  r  S.  .'il 

tiques  oui  conticfail  la  cliarilc,  et  se  sont  souvent  présentés  aux 
peuples  sous  le  manteau  hypocrite  de  cette  belle  verHi,  Cette 
coutume  qu'ont  les  ennemis  de  la  foi  d'étaler  de  fausses  maxi- 
mes de  charité  dans  leurs  discours ,  et  d'en  faire  paraître  dans 
leurs  actions,  est  donc  un  viai  arlilicc  de  cet  ospiit  orgueilleux 
qui  a  été  le  premier  menteur.  Et  cet  artifice ,  il  y  a  longtemps 
(ju'il  est  en  usage  à  Genève.  Voici  ce  ({ue  je  lis  dans  un  de  mes 
bouquins  :  L'n  nommé  ***  arriva  à  Genève  avec  deux  pèlerines, 
accompagnement  ordinaire  de  tout  bon  apostat.  Lorqu'on  lui  de- 
manda ce  (ju'il  était  cl  d'où  il  venait,  il  répondit  à  ces  questions 
et  déclara  qu'il  avait  logé  trois  jours  dans  Vhôpital  de  Gez,  et 
qu'il  venait  pour  rendre  au  nouveau  prophète  le  vœu  qu'il  avait 
fait  depuis  quatre  années.  «  Celui  qui  l'interrogeait,  édifié  de  sa 
»  dévotion,  pria  le  fondateur  de  la  chambre  des  prosélytes  de 
»  changer  son  habit  de  pèlerin  en  un  autre  de  drap  de  Hollande 
»  qui  n'avait  été  porté  que  quelques  jours.  »  Dès  qu'il  eut  paru 
sous  celte  décoration,  on  lui  trouva  d'abord  une  parfaite  ressem- 
blance avec  Esaii  qui  vendit  son  droit  d'aînesse  pour  une  soupe 
de  lentilles,  ce  qui  fournit  alors  la  matière  à  ces  vers  : 

Cet  Esaû  "*  (je  laisse  le  nom  propre)  afFainé  de  lentilles, 
Renonce  au  droit  du  ciel,  abandonne  sa  loi, 
Pour  avoir  un  habit  avec  quelques  grenilles  (i) 
Que  lui  donne  Farel  pour  le  prix  de  sa  foi. 

Mais,  diront  quelques  lecteurs,  très-prudents  et  très-charita- 
bles ,  du  moins  beaucoup  plus  prudents  et  plus  charitables  que 
les  écrivains  dont  je  viens  de  rapporter  les  paroles ,  pourquoi 
tous  ces  passages  si  injurieux  à  l'égard  des  protestants?  A  quoi 
bon  les  rappeler?  Ne  vaut-il  pas  mieux,  lorsqu'on  parle  de  ceux 
qui  n'ont  pas,  comme  nous,  le  bonheur  d'avoir  la  vraie  foi,  n'em- 
ployer que  des  termes  qui  ne  causent  aucun  déplaisir? 

Voici  ma  réponse.  D'abord ,  je  ne  dis  rien  contre  les  protes- 
tants; toutes  mes  paroles  sont  dirigées  contre  le  protestantisme 
ou  contre  l'hérésie  en  général;  mais  l'on  comprend  qu'il  n'est 
pas  toujours  facile  d'expliquer  en  quoi  consiste  une  erreur,  sans 


(1)  Selon  l'auteur,  la  grenillc  vallait  lrni«  sous  à  Genève. 


5i  A  MoN.sui  u  II   lURi  i  ri  t  n 

|):iilfr  (If  «iiix  (jui  l:i  souiictiiiciil  cl  (|iii  iravaillcni  ;i  hi  |iropng(.-r. 
H  nv  faiii  |i(>inl  birsseï-  les  riiueinis  de  la  lui  dans  l'inlention  d(; 
les  blesser;  nous  sommes  d'aecord.  Il  ne  laul  pas  dire  la  vi'rilé 
luis(|u'elle  les  blesse,  el  «ju'il  est  nécessaire  de  la  dire  pour  les 
enipéelier  de  séduire  les  vrais  croyanls;  je  ne  suis  pas  de  cet 
avis.  Je  vous  comprends  ,  selon  vous  il  faudrait,  ù  l'exemple  de 
qucbpics  callioli(juos  un  peu  avancés  en  loN'-rance,  appeler /j/i.v- 
teurs  el  vcnirablcs pasteurs  ces  messieurs  (jui,  contraiicmcnl  au\ 
principes  protestanls,  monicni  en  tliaire  pour  commenter  une 
des  mille  Bibles  nées  du  prolestanlisme,  el  déclamer  contre  la 
Messe,  conire  la  divine  Kucharislie,  contre  l'invotalion  des 
saints,  etc.,  etc.  C'est  vraiment  av(»ir  perdu  la  vraie  notion  de  la 
charité.  Avec  les  deux  cents  millions  de  catholiques  qui  sont 
sur  le  f^lobe,  avec  toute  l'antiquilé  chrétienne,  avec  tous  les 
plus  grands  lionimes,  donl  plusieurs  n'ont  i)as  seulement  étonné 
le  monde  pai-  la  [(roloïKlt  iir  de  leur  génie,  mais  l'ont  encore  édi- 
fié |)ar  l'exemple  tics  vertus  les  plus  sublimes  ,  avec  les  Augus- 
tin ,  les  Jérôme,  les  Alhanase,  les  Thomas  d'Aquin,  les  Bacon, 
les  Descaries,  les  Pascal,  les  Malebranche,  les  Bossuel,  les  Féné- 
lon,  etc.,  et  fondé  sur  les  divines  écritures,  je  crois  que  la  sainte 
Messe  est  un  vrai  sacrifice  établi  par  Jésus-Christ  pour  repré- 
senter el  coulinuer  celui  de  la  croix  et  nous  en  ap|»liqucr  les  mé- 
rites; je  crois  que  les  saints  qui  régnent  avec  Jésus-Christ  sont 
à  honorer  el  à  invotpier;  je  (  lois  (juil  y  a  un  purgatoire  el  que 
lésâmes  ijui  \  sont  détenues  sont  soulagées  par  les  prières  des 
fidèles  ;  je  crois  toutes  les  vérités  qu'enseigne  l'Église  catholique, 
hors  de  huiuclle  il  n'y  a  <pi'erreur  ou  mensonge —  Comment 
voulez-vous  qu'en  restant  attaché  à  ma  foi,  (pi'en  conservant  l'u- 
sage de  la  droite  raison,  je  puisse  appeler  vérurahlcs pasteurs  ces 
hommes  qui  blasphèment  contre  ce  qu'il  y  a,  à  mes  yeux,  de 
plus  saint,  de  plus  digne  de  vénération?  Pour  agir  ainsi,  il  fau- 
drait èlre  un  imbécile  ou  un  fourbe. 

Vous  me  répondrez  p»iii-ètre  :  ih  sont  de  bonne  foi.  Je  n'ai 
pas  à  décider  (elle  (pieslion  ,  je  la  laisse  ;  il  est  toujours  dange- 
reux de  s'expli(juer  sur  ce  point.  Dieu  qui  lit  dans  les  plis  el  re- 
plis de  h  conscience ,  Dieu  qui  connaii  les  motifs  qui  font  agir 
les  hommes  .  I>i»  u   cpii  (  onnait  si   tel  houunc  est  dans  l'erreur 


DES  ANNALES  CATHOLIQLES.  o3 

iiinoccininoiil  ou  pour  no  vouloir  pas  ouvrir  les  yeux  à  la  lu- 
mi(''ro  qui  éclaire  tout  homme  venant  en  ce  monde  ^  Dieu  jugera 
tous  les  hommes. 

Qu'il  me  soii  iK'anmoins  permis  de  manifester  ce  qui  se  passe 
dans  le  fond  dt;  mon  àmc  ,  lorsque  j'entends  pailer  de  la  bonne 
foi  des  ministres  de  la  secte  protestante.  Remarquez  que  je 
parle  des  ministres;  il  y  a  à  Genève  un  grand  nombre  de  sectes 
qui  ne  sont  que  des  subdivisions  ou  modifications  des  deux  sec- 
tes principales  que  constituent  les  ministres  mômiers  ou  dissi- 
dents et  les  ministres  de  Véglise  nationale.  J'emploie  cette  déno- 
mination pour  être  compris;  mais  hors  de  l'Église  catholique, 
je  ne  reconnais  aucune  église  ;  je  vois  des  assemblées  de  mô- 
miers,  des  assemblées  d'ariens,  comme  je  vois  des  assemblées 
de  francs-maçons,  de  mormons,  et  rien  de  plus.  Les  ministres 
mômiers  admettent  la  divinité  de  Jésus-Christ;  les  ministres  de 
l'église  nationale  sont  ariens ,  tous  de  droit ,  et  la  plupart  de 
fait.  Je  m'explique  :  On  peut  être  ministre  de  l'église  nationale 
sans  être  obligé  d'enseigner  la  divinité  de  Jésus-Christ,  et  même 
en  soutenant  l'erreur  contraire  à  ce  dogme.  Si  l'on  élevait  le 
moindre  doute  sur  ce  dernier  chef  d'accusation,  je  le  prouverais 
sans  beaucoup  de  peine  :  1°  par  les  catéchismes;  2''  par  les  li- 
vres de  liturgie  suivis  à  Genève;  3°  par  les  différentes  traduc- 
tions de  la  Bible  qui  ont  été  faites  à  Genève;  4°  par  les  thèses 
publiques  soutenues  par  les  étudiants  qui  aspiraient  à  être  mi- 
nistres; o"  par  divers  écrits  de  quelques  ministres  ;  6°  par  le  té- 
moignage de  d'Alembert  et  par  celui  de  J.-J.  Rousseau,  etc.,  etc. 
Les  ministres  mômiers,  pour  prouver  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
et  les  ministres  sociniens,  pour  la  nier,  s'appuient  sur  la  Bible. 
Le  père  est  plus  grand  que  moi,  objectent  les  ministres  de  l'église 
nationale,  entachés  d'arianisme;  donc,  Jésus-Christ  n'est  pas 
Dieu.  Le  Père  et  moi  nous  sommes  un,  tout  ce  que  fait  le  Père,  le 
Fils  le  fait  aussi,  etc.,  disent  les  mômiers,  et  ils  ajoutent  :  l'Es- 
prit Saint  ne  vous  éclaire  pas  ;  vous  n'êtes  pas  dans  la  bonne 
voie.  Les  ariens  répliquent  ;  Qui  vous  a  donné,  messieurs  les 
mômiers,  le  droit  de  nous  imposer  vos  croyances  et  de  nous 
condamner,  si  nous  refusons  de  vous  écouter?  Prouvez-nous  que 
vous  êtes  éclairés  d'en  haut  et  que  nous  ne  le  sommes  pas.  Ces 


A    MON.'IEl  K  Li;  UIRKCI  hl  R 


faits,  uicssicui;»  les  inùinicrs  et  messieurs  les  sociiiiens  genevois, 
prouvent  évidemment  deux  choses  :  I"  Qu'avec  la  IJibIc  seule, 
vous  ne  pouvez  pas  (^trc  certains  de  découvrir  la  vérité  en  ma- 
tière de  religion,  et  que  vous  n'êtes  pas  éclairés  les  uns  et  les 
autres  par  l'Esprit  Saint,  dans  la  reclierclic  (!<•  la  vérité;  autre- 
ment il  faudrait  Mnsphémer  et  tomber  dans  l'absurde  en  disant 
que  rÉcriiiirc-Sainle  et  le  Saint-Esprit  ensei}în<'nt  aux  uns  le 
lion  et  aux  autres  le  oui  sur  la  même  (juesiion.  Vous  êtes  les 
uns  et  les  autres  sans  mission,  vous  ne  pouvez  vous  appuyer  que 
sur  votre  raison  individuelle  pour  enseigner  au  peuple  quelle  est 
la  voie  du  salut ,  ce.  qu'il  faut  croire  et  ce  «pi'il  faut  faire  pour 
arriver  à  notre  lin  dernière.  Ne  voyez-vous  pas  (jue  vcius  <  réez 
autant  de  religions  qu'il  y  a  d'individus  capables  de  lire  la  Bi- 
ble.' Ne  voyez-vous  pas  que  votis  ouvrez  la  porte  à  toutes  les  ab- 
surdités qui  peuvent  entrer  dans  la  tête  d'un  homme  guidé  par 
les  faibles  lumières  de  sa  seule  raison?  à  tous  les  dérèglements 
dont  est  capable  un  homme  «jui  regarde  comme  permis  tout  ce 
que  sa  raison  obscurcie  par  les  ténèbres  des  passions,  ne  lui  dé- 
fendra pas.'  Lorsque  vous  piêchez  au  peuple,  le  seul  uiniif  de 
crédibilité  (jue  \<tus  puissiez  lui  présenter,  c'est  relui-»  i  : 
Croyez  ce  que  Je  vous  dis,  parce  (/tic  Je  le  crois  aussi;  vous  ne 
pouvez  donner  d'autre  garant ,  d'autre  cauiiun  de  ce  (pie  vous 
enseignez  «pie  votre  raison  individuelle. 

Or,  pouv\*z-vous  de  bonne  foi  [trésenter  au  |)euplo  vos  opinions 
particulières  sur  la  religion,  comme  des  articles  de  foi?  Ne  vous 
exposez-vous  pas  à  lronq)er  ceux  qui  vous  écoutent  et  à  les  met- 
tre dans  le  (  lu  inin  de  l'erreur  et  de  la  perdition? 

Tout  nùiiislic  protestant  ipii  prè«  lie  ses  opinions  au  peuple,  a 
la  témérité  et  l'orgueil  de  subsliiuer  son  autorité  |)ersoniielle  à 
l'autorité  de  toute  l'Église  catholique.  C'est  un  reproche  (pie 
J.-J.  Housseau  faisait  aux  ministres  genevois,  en  ces  termes  : 
Notre  clergé,  compose  de  petits  barbouillons  à  qui  V arrogance  a 
tourné  la  tête,  ne  sait  ce  qu'il  veut,  ni  ce  quil  dit,  et  note  l'in- 
faillibililé  à  l'Église  quafin  de  l'usurper  chacun  pour  soi.  Cor- 
respondances, .3,  V.  p.  284,  édit.  Didot. 

Ees  ministres  eoimaissent  ou  doivent  connailre  les  «'crils  des 
SS.  l'éres  et  des  doeleurs  de  l'Église  ;    ces  messieurs  uni  saiik 


DES  ANNALES  CA  rnOMQl  ^.S  33 

doule  ces  ouvrages  dans  leurs  hiblioUièques,  et  ils  peuvent  en- 
core les  eonsulter  à  la  bil)liolliè(jue  publique  de  Genève.  Or,  ces 
saints  et  savants  personnai^es  qui  ont  écrit  au  troisième,  au  qua- 
trième, au  cinijuicnie  siècles,  parlent  du  sacrilicc  de  la  Messe, 
de  l'invocation  des  saints,  de  la  prière  pour  les  morts,  absolu- 
ment de  la  même  manière  qu'en  parlent  aujourd'hui  les  prêtres 
de  l'Kglise  catholique.  Ces  saints  auteurs  étant  voisins  du  temps 
des  apôtres,  il  leur  était  facile  de  connaître  le  véritable  sens  des 
livres  du  Nouveau  Testament  ;  les  sectaires  sont  obligés  d'en  con- 
venir. Aussi,  de  l'aveu  même  d'un  grand  nombre  d'<''crivains  pro- 
testants, l'Eglise  du  troisième  et  du  quatrième  siècle  était  la  vé 
niable  Eglise  de  Jésus-Christ,  dans  laquelle  se  trouvait  la  vérité. 
Cependant  les  ministres  soii  mômiers,  soit  sociniens  des  sectes 
diverses  du  protestantisme,  viennent,  sans  donner  et  sans  avoir 
aucune  preuve  de  mission  divine ,  enseigner  une  doctrine  toute 
contraire  à  celle  de  tous  les  docteurs  de  l'Église,  depuis  le  temps 
des  apôtres  jusqu'à  nous.  Peut-on  être  de  bonne  foi,  quand  on 
se  met  en  opposition  avec  tous  les  docteurs  de  l'antiquité  chré- 
tienne ,  pour  s'appuyer  sur  Luther,  sur  Calvin,  sur  Zwingle  et 
quelques-uns  de  leurs  devanciers,  tous  apostats,  libertins  éhon- 
tés  auxquels  nulle  âme  un  peu  honnête  ne  voudrait  ressembler. 
Un  vieux  Romain,  Marcus  Amilius  Scaurus,  accusé  par  un  homme 
sans  foi  d'avoir  trahi  la  république,  se  contenta,  pour  se  justifier, 
de  parler  en  ces  termes  :  Romains^  un  certain  Farius  accuse 
Marcus  Jmilius  d'avoir  trahi  la  république;  Marcus  amilius 
le  nie  :  qui  faut-il  croire?  Le  peuple,  entraîné  par  l'assurance 
de  ce  discours,  se  mit  à  applaudir  l'orateur,  et  l'accusateur  fut 
confondu.  Qu'il  nous  soit  permis  de  nous  écrier  aussi  :  Les  Jé- 
rôme ,  les  Augustin  ,  les  Athanase  ,  les  Grégoire  ,  les  Basile  ,  les 
.  Bernard  ,  les  Thomas  d'Aquin  ,  tous  ces  grands  et  nobles  génies 
sont  pour  l'Église  catholique;  Zvvingle,  Calvin  ,  Henri  VIII  sont 
contre  l'Église  catholique  :  qui  croirons-nous?  Peut-on,  de  bonne 
foi,  se  séparer  des  docteurs  de  l'Église  catholique  pour  suivre 
les  pères  du  protestantisme,  gens  sans  foi,  sans  aveu,  qui  se  sont 
mis  en  opposition  avec  les  Saintes-Écritures  et  avec  les  tradi- 
tions, qui  ont  outragé  les  mœiu's  de  la  manière  la  plus  révol- 
tante, qui  n'ont  été  de  l'avis  de  personne,  et  qui  ne  se  sont  pas 


."iO  V  .M<>N-<li:lR  I.K  DIRtCTKlR 

L-niemlus  eux-mêmes?  Nçsl-on  pas  lemé  de  se  dire  :  Dans  un»- 
telle  conduite,  il  y  a  orf,'ueil,  pD-sumplion,  dépravation  du  cœur, 
il  y  a  péclié  contre  le  Saint-Esprit,  ou  comble  de  raveu^lemen». 
On  ne  peut  cooserver  de  Tamour  pour  l'Église  et  pour  les  âmes 
que  Jésus-Christ  a  raclielées  de  son  sang,  sans  ôlre  ému  d'une 
sorte  d'indignation  contre  ces  hommes  téméraires  et  présomp- 
tueux (jui  tiennent  tant  d'âmes  séparées  de  Jésus-Christ  et  de 
son  Église,  et  qui  les  coDduisent  dans  le  chemin  de  la  perdition. 

Mais  encore,  voule/.-vous  armer  les  citoyens  les  uns  contre  les 
autres,  souiller  au  milieu  d'eux  le  feu  de  la  discorde,  prêcher 
une  croisade  contre  quiconque  n'est  pas  catholique?  Non,  cer- 
tes !  Ce  ne  sont  pas  là  les  doitrines  de  la  vraie  Église.  La  religion 
(jue  nous  professons  nous  dit  d'aimer  notre  prochain  comme  nous- 
mèmc  ,  de  vivre  en  paix  avec  nos  concitoyens  ,  de  nous  montrer 
bons  et  serviables  à  leur  égard,  de  respecter  leur  honneur,  leurs 
biens,  leurs  personnes,  do  remplir  envers  eux  tous  les  devoirs 
de  la  vie  civile.  Et  les  catholiques  ne  sont  pas  en  arrière  avec  les 
dévoyés  pour  l'accomplissement  de  ces  devoirs.  Si  l'union  et  la 
confiance  ne  régnent  pas  dans  le  canton,  ce  n'est  certainement  pas 
aux  catholiques  qu'il  faut  en  attribuer  la  cause.  A  peine  sommes- 
nous  sur  la  défensive  dans  les  (piestions  qui  divisent  les  catho- 
liques d'avec  les  protestants.  Avons-nous  fait  une  coalition  ou 
union  c:itholiquo  entre  nous  pour  ruiner  leur  commerce ,  leurs 
établissements  cl  pour  leur  couper  les  vivres,  comme  ils  ont  fait 
contre  nous  une  union  protestante?  Pour  trouver  dans  l'histoire 
quel(|ue  chose  d'aussi  odieusement  célèbre  que  l'union  protes- 
tante ,  il  faudrait  remonter  à  ce  prince  de  cruelle  et  tragique 
mémoire  qui,  pour  exterminer  le  peuple  de  Dieu,  avait  ordonne 
de  faire  périr  tous  les  enfants  mâles  des  Israélites.  L'histoire  ne 
nous  dit-elle  pas,  à  chncpie  page,  que  ces  vieux  enfants  de  l'apos- 
tat de  Noyon  auraient  voulu  s'entourer  de  murs  élevés  jusqu'à 
Uranus  elde  fossés  creusés  jusqu'aux  antipodes,  pour  empêcher 
l'accès  de  tout  catholique  ? 

Le  duc  de  Guize  ,  François  de  Lorraine  ,  était  poursuivi  par  la 
haine  des  calvinistes,  parce  «pi'il  «'tait  le  soutien  des  catholiques 
en  Kranc<'.  Lorsqu'il  faisait  le  siège  de  Rouen ,  on  lui  amena  un 
gentilhonnne  qui.  f;in.iii>Hi'  p:ir  les  d<<l;un;ilioii.s  ei  par  les  libelles 


DKS  ANNALKS  CA  IIIOMQLKS.  57 

de  quel(|iios  ministres  de  la  prétendue  réforme,  épiait  l'occasion 
de  le  poignarder.  Ce  malheureux  déclara  que  l'intérêt  de  sa  re- 
ligion avait  été  Tunique  motif  de  sa  criminelle  tentative.  Or 
ça,  dit  h  prince,  Je  ceux  vous  montrer  combien  la  religion  que 
je  tiens  est  plus  douce  que  celle  de  quoi  vous  faites  profession. 
La  votre  vous  a  conseillé  de  me  tuer,  sans  m'ouïr,  n^ayant  reçu 
de  moi  aucune  offense;  et  la  mienne  me  commande  que  je  vous 
pardonne  j  tout  convaincu  que  vous  êtes  de  m' avoir  voulu  tuer 
sans  raison.  (Biographie  universelle.) 

Tels  seront  toujours  les  sentiments  des  vrais  catholiques  à 
l'égard  de  leurs  ennemis.  Mais  la  religion,  en  nous  recomman- 
dant toutes  sortes  de  bons  procédés  à  l'égard  de  ceux  qui  sont 
hors  de  la  voie  de  la  vérité ,  nous  défend  de  laisser  croire  que 
nous  approuvons  leurs  erreurs,  et  nous  commande  de  les  signa- 
ler pour  en  préserver  ceux  qu'ils  cherchent  à  séduire.  Elle  nous 
dit  d'appeler,  sans  détour,  erreur  ce  qui  est  erreur,  hérésie  ce 
qui  est  hérésie,  ministres  du  mensonge  et  du  blasphème,  ceux 
qui  prêchent  le  mensonge  et  blasphèment  contre  les  vérités  de 
la  foi.  Elle  nous  dit  que,  dans  nos  discussions  ou  controverses 
avec  les  novateurs  quelconques,  nous  dcvons.marcher  sur  les  tra- 
ces des  saints  Pères  ;  de  ces  grands  et  immortels  génies  qui  ne 
mettaient  point  des  coussins  sous  les  coudes  des  faux  prophètes, 
mais  qui,  sans  respect  humain  ,  et  avec  une  noble  fermeté,  dé- 
voilaient leurs  ruses  et  leurs  fourberies  pour  les  empêcher  de 
séduire  les  fidèles.  ?• 


MÉLANGES  ET  \0l  VELLES. 


C^enèvc.  —  Lo  chaiilier  de  loiislriuiioii  de  IVglise  Noire- 
Dame  vienld'élre  fermé.  Les  travaux  demeiirenl suspendus  jusqu'au 
priulenips.  firike  à  Dieu,  l'édince  a  noliililemenl  avancé  celle  an- 
née. Le  grand  porlail  d'enlrée,  les  porlails  latéraux  sont  terminés. 
Les  fenêtres  des  nefs  latérales,  du  transept  cl  des  cinq  chapelles 
absidales  sont  achevées.  Les  ouvriers  se  sont  arrêtés  A  la  naissance 
des  voûtes  des  bas-côtés.  On  peut  dire  que  cette  grande  œuvre  est 
parvenue  à  la  moitié  de  sa  course,  et  déjà  il  est  possible  d'admirer 
le  plan  et  la  magiiilique  ordonnance  de  Tédifice.  L'église  aura  trois 
nefs.  Les  nefs  latérales  se  [)roloiigcront  en  déambulatoire  autour 
du  chœur.  (]etlc  disposition,  fort  rare  dans  les  anciens  édifices  sa- 
crés de  nos  contrées,  ne  se  rencontre,  crovons-nous,  qu'à  la  cathé- 
drale de  Lausanne  ;  elle  sert  très-favorablement  la  pompe  du  culte 
et  la  grandeur  des  cérémonies  callioliques.  La  chapelle  de  la  Sair»te- 
Vierg<*,  placée  au  chevet  de  ral)side,  cl  quatre  chapcllesde  moindre 
dimension,  sont  groupées  de  la  manière  la  plus  heureuse  auprès  du 
sanctuaire;  elles  Tentourent  comme  d'une  ^racit'use  couronne.  Les 
connaisseurs  admirent  beaucoup  la  disposition  du  transept  si  habile- 
ment agrandi  par  deux  chapelles  pratiquées  dans  les  angles  de  la 
partie  supérieure. 

Le  st} le  adopté  est\:elui  du  plus  pur  treizième  siècle  au  début. 
Les  ornements  sont  simples,  ou  plutôt  il  n'y  en  a  que  très-peu.  Les 
moulures  S(!  dislingu«*nt  par  l'ampleur  et  le  relief.  L'artiste,  à  l'in- 
verse de  la  plupart  des  arcliilectes  qui  lentenl  aujourd'hui  I?  résur- 
rection des  formes  ogivales,  n'a  pas  imaginé  que  le  génie  de  ce  style 
résidât  dans  le  menu  des  détails  et  la  jtrofusion  des  ornements.  Il  a 
prouvé,  par  l'exenqde,  (|ue  la  pensée  des  mémorables  édifices  du 
niouii  Age  e^t  ailleurs  «pie  tians  le  ^èteuieut   de  kurfacc,  quelque 


IIKLAXJES    I:T    >«)LVF.I,I,I.S. 


.'iO 


brillant  (lu'il  soit  ou  qu'il  puisse  6(re.  Il  prouve  en  oulie  que  le 
sl\le  ojjival  se  pri'te  miciiv  ([ue  toul  autre  ù  réaliser  do  notre  temps 
des  conceptions  originales,  à  la  condition  toutefois  que  l'artiste 
créateur  aura  des  idées,  qualité  essentielle  qui  n'est  pas  donnée  il 
tout  le  monde  ,  et  «|ui  n'a  rien  de  commun  avec  le  sl^'le  choisi. 

Il  n'y  a  (lu'iine  voix  pour  louer  la  solidité  et  la  beauté  de  l'exécu- 
tion, non  moins  (|ue  la  (jualilé  excellente  des  matériaux.  En  cela, 
riiabile  architecte,  M.  (Irigny  (d'Arras),  a  été  admirablement  bien 
secondé  |)ar  iM.  (ligneux,  (|ui  est  chargé  de  la  direction  des  travaux 
et  du  soin  matériel  de  Tenlreprise.  S'il  était  possible  de  poursuivre 
les  travaux  pendant  deux  années  encore  avec  autant  d'activité  que 
celle-ci,  on  arriverait  au  terme  de  la  maçonnerie ,  c'est-à-dire 
de  la  partie  la  plus  importante  et  la  |)lus  coûteuse  de  l'œuvre.  Mais 
pour  atteindre  avec  cette  rapidilé  une  époque  aussi  désirée  etren- 
«lue  si  nécssaire  par  l'accroissement  constant  de  la  population  ca- 
tholiques de  Cicnéve,  il  faut  que  les  aumônes  atlluent  et  que  le  dé- 
vouement des  fidèles  ne  se  lasse  point.  Les  sollicitations  doivent 
être  cette  année  d'aulant  plus  pressantes,  que  les  circonstances  ap- 
parentes se  montrent  défavorables.  Le  triple  Héau  de  la  guerre,  de 
la  cherté  des  vivres  et  de  l'épidémie  cholérique  se  présente  pour 
donner  un  autre  cours  et  bien  naturel  à  la  charité  privée,  sur  la- 
quelle seule  repose  l'avenir  de  notre  église.  Il  faut  pourtant  que 
ces  murs  s'achèvent.  Lauda  Jérusalem  dominum  lauda  Deum  tuum 
S  ion . 

—  Le  samedi  11  novembre  mourait  à  l'hôpital  catholique  de 
Plainpalais  un  jeune  Italien.  Environ  quinze  jours  auparavant, 
plein  de  vigueur  encore,  quoique  très-souffrant,  et  jouissant  de 
toutes  ses  facultés,  dont  il  a  d'ailleurs  gardé  l'usage  jusqu'à  sa  der- 
nière heure,  il  avait  reçu  tous  les  secours  que  l'Église  catholique 
accorde  à  ses  enfants  dangereusement  malades.  Il  s'était  confessé, 
il  avait  communié  et  reçu  l'exlrème-onction.  La  cérémonie  ache- 
vée, il  disait  au  prêtre  en  lui  serrant  la  main,  et  d'une  voix  péné- 
trée :  Je  suis  bien  content  !  La  sépulture  a  eu  lieu  le  13.  Sur  la  de- 
mande de  quelques-uns  de  ses  camarades  ,  elle  avait  été  fixée  à  9 
heures  du  matin.  Cette  heure  convenait  assez  peu  au  clergé  et  à 
l'église  de  Saint-Germain,  qui  précisément  alors  devaient  être  oc- 
cupés par  un  autre  service  funèbre.  N'importe;  à  9  heures  un  vi- 
caire, envoyé  par  M.  le  curé  de  Genève,  était  à  l'hôpital  de  Plain- 
palais et  venait  conduire,  suivant  la  coutume  catholique,  le  défunt 
à  sa  dernière  demeure.   M.  l'abbé  récita  les  prières  de  la  levée  du 


(">0  >lKI.AMiKS    ET    M)LVKI.LKS. 

corps  Cl  se  mit  en  roule.  Il  sort  de  l'enceinle  de  rhùpitai  ;  mais,  au 
lii'u  de  le  suivre,  les  Italiens  qui  portaient  le  corps  et  qui  formaient 
le  convoi  prennent  une  autre  dircclion,  et  malgré  les  remontrances 
et  les  supplications  de  la  sciMir  Supérieure  de  lliôpilal,  ils  vont  au 
cimetière  prolestant ,  non  sans  avoir  caché  la  croix  blanche  du 
drap  mortuaire.  Comme  la  carte  exigée  en  |»areil  cas  n'avait  pas  élé 
donnée  au  concierge,  ils  ne  furent  point  admis.  Force  leur  a  donc 
été  de  se  rendre  au  cimetière  catholique.  Ils  y  sont  allés,  mais 
sans  [»rélre.  Prés  d'y  arriver,  comme  si  Dieu  l'ut  voulu  leur 
ménager  une  leçon  et  leur  apprendre  comment  un  enterre- 
ment catholique  doit  se  faire,  ils  ont  rencontré  un  cortège  funèbre, 
bien  dilTérenl  du  leur.  C'étaient,  qu'on  nous  permette  de  le  (lire«'n 
|)assanl,  les  membres  de  la  Société  de  Sainl-\incent-de-I'aul  qui 
venaient ,  deux  prêtres  à  leur  tète  ,  d'accompagner  les  restes  mor- 
tels de  leur  excellent  vice-président,  M.  Hernard.  Ces  Italiens  ont 
donc  enterré  sans  aucune  prière,  sans  le  moindre  signe  de  (  alholi- 
cisme,  le  cadavre  victime  d'une  violence  et  d'un  guet-apens  si 
odieux.  Nous  livrons  ce  fait  à  la  publicité  pour  deux  motifs.  Nous 
voulons,  en  premier  lieu,  que  si  ce  récit  arrive  aux  oreilles  des  au- 
teurs de  cet  acte  brutal,  ils  sachent  bien  qu'ils  ne  remporteront  pas 
une  autre  fois2un  aussi  facile  triom|>he.  Qu'ils  se  tiennert  pour 
avertis.  Nous  désirons,  en  second  lieu,  (pi'on  apprécie  û  l'étranger 
et  que  nos  concitoyens  protestants  eux-mêmes  ap|)rennent  à  mieux 
peser  la  valeur  de  ces  Italiens  ennemis  ou  déserteur»  du  catholi- 
cisme. Les  voili  peints  par  eux-mêmes.  Après  s'être  probablement 
battus  comme  des  lièvres  dans  la  Loml)ardie,  ils  \iennent  agir 
comme  en  pays  conquis,  sur  la  terre  qui  leur  accorde  une  hospita- 
lité imméritée.  S'ils  savent  fuir  devant  les  baïonnettes,  du  moins 
ils  sont  capables  d'insulter  aux  convenances  et  à  la  religion.  Pourvu 
qu'ils  soient  trente,  ils  osent  tenir  télé  à  une  fenune,  braver  une 
sœur  de  charité,  celle-là  même  qui  avait  soigné,  pendant  deux 
raois ,  chaque  jour,  les  plaies  de  leur  compalriole,  malgré  une  in- 
fection (]ui  soulevait  le  c<L'ur.  Leur  vaillance  a  été  plus  forte  que  ses 
prières;  ils  ont  pu  s'emparer  d'un  cercueil,  faire  un  mort  prison- 
nier et  emmener  victorieusement...  un  cadavre;  ils  n'ont  eu  peur 
que  d'une  chose,  de  la  croix  II!  Nous  rcconunandons  fort  ces  héros 
•»  I  église  protestante  italienne  de  Genève,  si  déjà  ils  n'en  font  partie. 

—  Nous  pensons  que  les  lecteurs  des  .hiualti  liront  avec  plai- 
sir la  lettre  suivante,  écrite  de  Home  par  M.  l'abbé  Mermillod  : 


MF.I  ANOFS  ETNOI  VKIJ.ES.  61 

Roriic,  le  17  novembre  iSSi,  fétc  de  S' Grégoire. 
Mon  bien  cher  ami, 

Vous  avez  biUe  de  recevoir  mes  impressions  d'arrivée  dans  la  ville  éter- 
nelle, comme  j'ai  h  mon  tour  besoin  de  les  parlaf^cr  avec  vous;  l'àme  a  des 
joies  qu'elle  ne  peut  garder  pour  elle  seule  et  (|u'ellc  doit  confier  à  l'amitié. 
Personne,  plus  que  vous,  n'a  des  droits  à  lire  dans  mon  cœur  ces  émotions 
chrétiennes  qu'y  produit  la  ville  des  martyrs  et  la  cité  des  saints.  Notre 
voyage  a  été  presque  un  pèlerinage  ;  nous  formions  une  pieuse  caravane  sous 
la  conduite  de  rarchevè(|ue  de  Gènes,  de  l'évèque  d'Annecy,  de  l'évêque 
de  Saiiit-.Iean-de-Mauriomie  et  de  notre  illustre  évêque  exilé,  Hlgr  Mariliey. 
Tour  à  tour  nous  avons  pris  la  voie  de  terre  et  la  voie  de  mer;  nous  avons 
admiré  celle  route  de  Gènes  qui  cotoyc  la  niera  travers  des  contrées  parse- 
mées d'orangers  et  d'oliviers  :  jeté  un  rapide  regard  sur  Pise ,  celle  ville 
paisible  dans  ses  souvenirs,  cette  cité  sans  bruit  dont  le  Campo  Santo  est  le 
symbole  ;  nous  n'avons  pu  que  saisir  au  vol  les  merveilles  de  Florence,  pleine 
encore  de  l'éclat  des  Médicis  ;  pourtant  nous  sommes  allés  dans  le  couvent 
de  Saint-Mare  baiser  les  reliques  de  saint  Antonin ,  visiter  la  cellule  de  Sa- 
vonarole  et  prier  avec  des  larmes  de  ravissement  devant  les  peintures  de 
frère  Angelo  de  Fiesole.  Comme  celte  Italie  est  bien  la  patrie  des  arts!  le 
peuple,  presque  enfant  dans  la  vie  publique,  comprend  les  grandes  choses 
de  la  foi  et  du  génie;  et  même  dans  ses  jours  de  décadence,  il  a  conservé  la 
grandeur  du  sentiment  et  l'exquise  délicatesse  de  la  poésie  et  de  la  peinture. 

De  Livournc  à  Civita-Vecchia,  nous  primes  un  vaisseau  qui,  en  une  nuit, 
nous  fit  aborder  au  port  des  Etats  pontificaux  ;  la  traversée  fut  pleine  de 
charmes;  le  ciel  était  pur,  la  lune  brillait  et  pas  un  souffle  ne  venait  rider 
cette  immense  surface  des  eaux.  IVous  nous  promenions  sur  le  pont,  regar- 
dant les  cotes  de  l'ile  de  Corse,  de  l'île  d'Elbe,  de  l'île  de  Sardaigne  qui 
fuj aient  sous  nos  yeux,  et  le  matin,  à  six  heures,  le  jour  de  la  Toussaint,  à 
la  vue  du  magnifique  spectacle  du  lever  du  soleil,  nous  posions  le  pied  sur 
les  Etats  du  Souverain  Pontife.  Après  avoir  célébré  la  Sainte  Messe  dans  la 
cathédrale,  nous  fîmes  route  vers  Rome.  En  quittant  Civita-Vecchia,  le  voya- 
geur traverse  d'immenses  plaines  d'un  aspect  mélancolique  ;  l'œil  n'y  décou- 
vre presque  aucune  habitation  ;  des  prairies  solitaires,  semées  de  ruines  et 
peuplées  d'aigles  et  de  troupeaux.  L'àme  se  recueille  involontairement,  elle 
oublie  les  bruits  du  monde,  les  agilations  des  grandes  villes;  elle  pressent 
qu'elle  va  entrer  dans  une  cité  où  rien  n'est  petit,  où  la  vie  terrestre  n'est 
que  le  vêtement  d'une  vie  supérieure  ;  dans  une  cité  où  l'action  divine  ap- 
paraît plus  vivante  encore  que  les  créations  colossales  du  peuple-roi.  Je  son- 
geais alors  aux  pages  mensongères  de  N.  Roussel  sur  les  nations  catholiques 
et  les  nations  protestantes  ;  je  ne  les  ai  pas  toutes  lues;  d'ailleurs  elles  sont 
déjà  tombées,  mises  en  morceaux  par  le  coup  de  fouet  du  Journal  des  Débats. 
Je  songeais  donc  que  ce  ministre  du  confortable  aurait  \\n  [h{:me  magnifique 
à  développer  sur  les  alentours  tristes  et  déserts  de  Rome,  et  les  environs 

de  Genève,  coquettement  couverts  de  petites  maisonnettes,  de  petits  parcs, 


«i2  MKLAXUF.S    KT   NOl'fEI.I.KR. 

tic  petits  jardins  ;  «m  !;>  iii;iiii  «li-  rii<iiiiriii>  a  jelc  sur  une  belle  nature  dos 
beautés  artificielles,  des  fantaisies  de  nénoriants  qui  ont  l'ambition  desri7f«.<. 
1,0  confortable  a  pris  la  jdace  de  l'art ,  et  les  f;randes  idées  ont  disparu  de- 
vant les  satisfactions  des  sens  et  de  la  vanité,  ('ne  ville  qui  est  un  comptoir 
de  banquier  doit  avoir  un  autre  entourage  qu'une  cité  qui  est  un  temple,  un 
autel  et  un  reliquaire.  Si  ce  n'était  pas  un  anachronisme  d'appeler  encore 
Genève  la  Rome  protestante  ,  je  serais  heureux  de  voir  Napoléon  Roussel 
établir  le  parallèle  dos  deux  Home  ;  dans  cette  peinture  des  deux  villes  se 
trouverait  l'expression  évidenic  de  l'erreur  et  de  la  vérité.  A  Genève  ,  nul 
trace  des  souvenirs  anciens,  la  tradition  y  est  détruite,  les  }{loires  chrélien- 
nes  oubliées,  méconnues  ou  avilies;  tout  y  indique  un  polit  culte  local ,  »ine 
religion  étroite,  nationale,  (|ui  n'a  point  do  passé  et  <|ui  est  parquée  dans  les 
limites  d'un  canton  suisse.  A  Rome,  tout  ultoslc  qu'elle  est  la  religion  du 
passé,  du  présent  et  de  l'avenir,  qu'elle  possède  la  foi  vérilable,  la  religion 
une  et  universelle,  (]u°clle  a  eu  une  prédeslinulion  providentielle  pour  être 
la  métropole  de  la  société  chrétienne  qui  embrasse  tous  les  temps  et  tous 
les  peuples.  Aussi  nous  éprouvions  une  consolation  inelTable  d'arriver  à 
Rome  le  jour  de  la  Toussaint,  dans  cette  solennité  où  l'Kglisede  la  terre  mêle 
à  la  tristesse  de  ses  chants  d'exil  les  joies  du  ciel,  on  elle  rassemble  dans 
une  commune  gloire  ses  fils  de  tout  siècle  et  de  toute  nation,  et  montre  à 
nos  regards  sa  couronne  où  apparaît  la  palme  des  martyrs  et  le  lis  des  vier- 
ges ;  je  relisais  avec  enthousiasme  ,  en  saluant  de  loin  la  coupole  de  Saint- 
Pierre  :  O  rerè  bcala  mater  ccclesid,  (imim  rinanliiim  yloriosus  sanguis 
rxornal...  Flarihus  ncc  rosa  nrc  Ulia  désuni  (Bréviaire  romain  ,  jour  de 
la  Toussaint). 

Le  Saint  Père,  dans  sa  paternelle  sollicitude,  a  fait  préparer  aux  évéques 
et  h  leurs  prêtres  des  appartements  an  Vatican  et  au  Qnirinal  ;  il  donne  à  tous 
une  inagniiii|ue  hospitalité  pleine  de  grandeur  cl  de  bicnvoillance.  C'est  un 
spectacle  qui  dès  longtemps  ne  s'était  pas  vu  ici,  cette  réunion  de  princes  de 
l'Église,  venus  de  toutes  parts,  s'accueillanl  avec  une  fraternelle  afîeetion, 
racontant  les  combats  et  les  espérances  de  l'Kglise  dans  leurs  diocèses.  Cha- 
que contrée  a  envoyé  ici  (|uelquos-uns  de  ses  plus  illustres  prélats.  Nous  ha- 
bitons le  Vatican  ;  c'est  comme  un  séminaire  dévéques.  Près  do  nous  se  trou- 
vent les  archevé(|ues  de  IJalliniore  cl  do  New-York,  qui  nous  ont  redit  les 
merveilleux  progrès  de  la  jeune  Hglise  des  Ktats-lnis;  les  évéques  d  Irlande 
sont  très-nombreux  ;  l'Angleterre  a  député  le  cardinal  Viseman  et  i|uatrc  au- 
tres prélats;  la  Belgique  a  envoyé  le  cardinal  de  iMalines,  les  évéques  de 
Bruges,  de  Namur  et  île  Tournay  ;  lAllemagne  fournit  à  ce  cénacle  de  pon- 
tifes le  cardinal  Scliv\ar7.eid»erg,  le  primat  do  Hongrie,  rarchovoque«leVienne, 
l'arohcvoque  de  Miniich  et  lilluslre  éNoquo  de  Mayence.  (>  dernier  parle 
avec  espoir  des  combats  du  clergé  dans  le  grand  duché  de  Rade;  la  reine  • 
d'Espagne  a  fait  les  frais  do  \oyage,  avec  un  éclat  espagnol,  .'i  trois  évéques 
qu'elle  a  chargés  d'être  ses  députés  auprès  du  Saint  Pontife  pour  solliciter  la 
proclamation  du  dogme  de  l'Immaculée  Conception  ;  la  France  aura  à  Rome 
«le  nombreux  évéques;  les  cardinaux  de  Reims,  de  Besançon,  et  l'ëvéqur  de 


MKI.ANOES    ET    NOIVELMS.  63 

Marseille  soiil  di-jà  arrivés.  Les  cvcV]ues  crilalic  sont  en  Irès-grand  nombre. 
Ilicn  ne  peut  faire  entrevoir  la  grandeur  de  cette  réunion;  c'est  comme 
une  résurrection  des  conciles,  et  le  Saint  Pontife  accueille  tous  ses  vénéra- 
bles frères  avec  une  tendresse  qui  n'est  pas  de  la  terre,  mais  qui  vient  du 
ciel.  Souvent  j"ai  le  bonlicur  de  contempler  celle  figure  où  la  majesté  et  la 
bonté  se  fondent  ensemble;  et  quand,  dans  une  audience  accordée  à  notre 
évéque,  j'eus  la  joie  indicible  de  magciiouilicr  sous  celte  main  qui  bénit  la 
ville  cl  le  monde,  je  sentais  bien  (pie  celte  main  est  vraiment  celle  qui  a 
reçu  de  .lésus-Clirist  les  clefs  du  royaume  des  cieux,  la  houlcUe  pour  pailrc 
les  agneaux  et  les  brebis,  que  c'était  en  effet  là  Ihérilier  de  la  grande  pro- 
messe :  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise. 

Les  assemblées  pour  la  question  de  l'Immaculée  Conception  commence- 
ront lundi  prochain.  Jusqu'à  présent  on  a  distribué  aux  évéques  les  travaux 
faits  par  les  congrégations  préparatoires.  On  leur  a  communiqué  neuf  volu- 
mes où  se  trouvent  accumulées  les  réponses  sur  celle  question  de  tous  les 
évéques  du  monde  à  l'Encyclique  de  Gaële  et  les  livres  faits  à  cet  égard.  On 
voit  que  Rome  agit  avec  une  parfaite  prudence  et  une  sage  maturité  ;  ce  n'est 
qu'après  avoir  «onstalé  que  celle  pieuse  et  douce  croyance  est  réellement 
renfermée  dans  le  dépôt  de  la  tradition  et  qu'elle  a  sa  place  dans  les  vérités 
révélées,  que  le  Vicaire  de  Jésus-Christ  prononcera  cette  grande  décision 
que  l'Eglise  attend  avec  confiance.  La  bulle  va  être  soumise  aux  évéques , 
on  ignore  encore  quelle  sera  la  forme  du  décret,  c'est  le  secret  du  cœur  de 
Pic  IX.  Le  célèbre  P.  Perrone,  que  je  vois  beaucoup,  et  qui  est  bien  dévoué 
à  nos  chères  Annales,  qui  a  été  le  promoteur  de  celle  question  et  sera,  dil- 
on,  le  cardinal  de  joyeux  avènement  de  la  Sainte-Vierge,  ainsi  que  le  P.  Pas- 
saglia,  ont  fait  de  beaux  ouvrages  où  sont  ramassés  les  souvenirs  de  l'Église 
orientale,  les  textes  des  premiers  siècles,  la  constance  et  l'universalilé  de  la 
tradition  sur  ce  point  consolant  de  notre  foi. 

Les  protestants  trouveront  étrange  qu'au  milieu  des  orages  de  la  politique 
et  des  bruits  de  guerre,  qu'au  centre  des  agitations  de  notre  siècle,  l'Église 
songe  à  une  pacifique  réunion  et  se  préoccupe  d'un  privilège  de  la  Vierge- 
Marie.  Étrangers  à  notre  foi  et  à  nos  sentiments,  ils  ne  comprennent  pas  que 
nous  tenions  à  ce  triomphe  de  la  Mère  du  Sauveur;  que  l'Église,  épouse  fidèle 
de  Jésus-Christ;  est  la  gardienne  des  gloires  que  Jésus  a  données  à  sa  Mère. 
A  Rome,  plus  que  nulle  part,  je  les  plains  et  je  prie  pour  eux  ;  et  naguère, 
en  célébrant  la  Sainte-Messe  à  la  confession  de  Saint  Pierre,  sur  cette  pierre 
sacrée  qui  recouvre  les  reliques  des  saints  Apôtres,  mes  lèvres  et  mon  cœur 
répétaient  avec  enthousiasme  ce  symbole  de  ma  foi,  toujours  attaquée  et 
toujours  invincible  :  Je  crois  en  Dieu,  je  crois  en  Jésus-Christ,  je  crois  au 
Saint-Esprit,  je  crois  à  l'Église  catholique  ;  je  le  répétais,  sur  cette  terre  où 
tant  de  martyrs  l'ont  écrit  avec  leur  sang,  sous  celle  coupole  que  Michel- 
Ange  a  jetée  dans  les  airs  pour  témoigner  de  sa  vie  féconde,  en  face  de  ces 
ruines  paiennes  qu'il  domine,  en  présence  de  ces  monuments  chrétiens  qu'il 
a  fait  surgir!  Je  voyais,  suspendus  à  l'autel,  un  anneau  et  une  croix  pasto- 
rale, insignes  d'un  évéque  anglican  converti,  qui  était  venu  déposer  au  tom- 
beau de  saint  Pierre  ces  insignes  d'un  pontificat  usurpé  ;  c'est  le  savant  doc- 


Ùk  MKI.A>GES    KT    >Ul  A  P.I.LK5. 

Umh  hcs,  tloiil  1rs  Annalfi  ont  raconté  la  conversion,  qui  a  placé  comme 
gage  »|p  son  rrloiir  a  rKglise  ce  trophée  de  sa  conversion.  Je  <lrinandai$  alors 
au  Dieu  inailrc  des  ctrurs,  à  IKspril  Saint,  source  de  toute  luniitVe,  à  Jésus, 
prince  des  pasteurs,  de  ramener  à  la  vérité  tant  d'Ames  dont  je  connais  les 
angoisses  stériles,  de  les  conduire  sur  ce  tombeau,  leur  faisant  goûter  un  jour 
la  joie  d'être  catholiques,  d'appartenir  à  cette  famille  religieuse,  fondée  par 
Jésus-Christ,  établie  par  les  Apôtres,  destinée  à  réunir  tous  les  peuples  et  à 
leur  ouvrir  le  ciel. 

Home  prépiire  de  fjraiidcs  fi-tes  pour  le  triomphe  de  sa  Reine;  cette  ques- 
tion, pureDitiit  Ihéologicpie.  agile  le  monde:  et  niéme  le  journalisme  mondain 
iiécliappc  pas  à  cette  influence.  Le  Journal  des  t)ébals  >ienl  d'essajer  ses 
forces  théologiques,  et  dans  quelques  articles,  respectueux  pourtant,  mais 
faibles  de  science,  il  discute  comme  on  le  ferait  dans  une  classe  de  théologie. 
Quels  jours  que  les  nôtres,  où  l'on  voit  le  mou\ement  religieux  entraîner 
dans  sa  marche  même  les  plus  indifférents!  La  conversion  récente  du  frère 
de  lévéquc  dOxford,  du  savant  Vilberfoee,  a  ici  un  grand  rcleiitisscmcnl  ; 
le  cardinal  Visman  nous  disait  que  IKglise,  dans  cette  conversion,  menait 
d'extraire  de  l'anglicanisme  tout  ce  «jui  lui  restait  de  théologie.  Cet  exemple 
sera  suivi.  Il  y  a  là  de  quoi  nous  consoler  des  recrues  munimées  que  fait  le 
protestantisme  aux  dépens  de  la  misère  et  de  la  faim. 

On  espère  que  la  basilique  de  Saint-Paul  pourra  être  consacrée  par  le 
Saint-Père  en  présence  des  évoques  étrangers.  Cette  basilique,  avec  ses  cinq 
nefs,  est  bien  la  sœur  de  celle  du  Vatican  ;  ses  forets  de  colonnes,  son  autel 
de  la  confession,  formé  de  présents  royaux,  avec  son  obélisque  donné  parle 
chef  mahométan  de  la  race  arabe  ;  toute  cette  niagnilicence,  qui  éclate  dans 
celle  église  ressuscitée  de  ses  cendres,  atteste  bien  que  Home  est  la  gar- 
dienne de  la  foi  des  Apôtres,  comme  elle  conserve  leurs  illustres  reliques. 
Si  elle  a  un  soin  filial  pour  les  restes  mortels  do  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul,  si  elle  abrite  leurs  débris  sacrés  sous  des  voûtes  d'or  et  de  marbre, 
elle  n'en  est  pas  moins  fidèle  à  conserver  leur  doctrine,  leur  enseignement 
et  leurs  paroles!  Le  chrislianismc  primitif  est  \ivant  encore;  il  se  présente 
aux  regards  sous  toutes  formes;  cha(|ue  pierre  parle  de  lui.  et.'»  chaque  pas 
on  rencontre  une  pensée  religieuse  ou  un  souvenir  de  notie  histoire  catho- 
lique. Aussi,  comme  les  protestants  paraissent  petits  avec  leurs  discussions 
interminables  ;  je  souris  en  songeant  (|u°ils  osent  contester  le  séjour  de  saint 
Pierre  à  Rome  ;  mais  c'est  nier  à  Versailles  l'existence  de  Louis  XIV. 

Je  viens  d'assister  h  une  cérémonie  ipii  est  admirable  de  simplicité  et  de 
grandeur;  le  cardinal  primat  de  Hongrie  a  reçn  le  chapeau  dans  un  consis- 
toire public  bien  nombreux,  et  demain  nous  aurons  les  solennités  de  la  dédi- 
cace de  l'église  de  Sainl-!*iL'rre.  Rome  oITre  <lans  la  terre  de  l'exil  un  reflet 
quotidien  des  joies  du  ciel  ;  cha(|ue  jour  o  sa  fêle  et  sa  mémoire  ;  nulle  ville 
n'est  aussi  favorable  aux  sainics  pensées,  aux  sentiments  religieux  ;  le  cœur 
et  l'Ame  du  chrétien  ont  des  jouissances  qui  ne  lassent  pas  ;  il  y  a  presque  un 
avant-goût  de  la  cité  permanente,  parce  que  tous  ces  souvenirs  mullipliés 
nous  ramènent  it  la  pensée  unique  du  règne  de  Jésus-Christ  dansPunirers. 
Adieu.  Imit  à  vous  en  Notre  Seigneur. 

i;a>.paril  .MKKMILLOI),  missionnaire  •po>toliquc. 


NI.  L'ABBÉ  PATTERSON  w. 


Sous  le  liue  de  Journal  d'un  voyage  en  Orient ,  avec  noies 
et  appendice  sur  l'élat  de  la  religion  en  Orient ,  il  vient  de  pa- 
raître ,  en  anglais ,  un  livre  qui  nous  parait  présenter  de  rinlc- 
rèt  au  point  de  vue  religieux.  L'auteur  ,  M.  Patterson  ,  aujour- 
d'hui prêtre  catholique,  fil  son  voyage  en  1849  et  1850,  époque 
où  rexcitatioD  parmi  les  anglicans  était  portée  à  son  comble  par 
le  célèbre  procès  Gorham.  11  était  alors  ministre  protestant,  maî- 
tre ès-arls  du  collège  de  la  Triuilé  à  l'université  d'Oxford,  et  vi- 
caire d'une  paroisse  de  cette  ville.  Depuis  quelques  années  il 
éiaii  puseysle.  Trop  jeune  encore  pour  pouvoir  se  rendre  compte 
de  toute  la  portée  des  principes  mis  en  avant  par  le  P.  Nevvman 
et  ses  collaborateurs,  M.  Patterson  avait  adopté  avec  ardeur  les 
opinions  et  les  pratiques  à  demi-catholiques  qui  n'étaient  chez 
les  auteurs  de  ce  mouvement  remarquable,  que  les  conséquen- 
ces de  leurs  principes  religieux.  A  l'époque  donc  où  le  docteur 
Newman  et  ceux  qui  le  suivaient  de  plus  près  firent  leur  abjura- 
tion, l'abbé  Patterson  et  un  grand  nombre  de  jeunes  gens  se 
trouvaient  dans  une  position  singulière.  D'un  coté  leur  magnus 
Apollo ,  celui  qui,  tout  en  croyant  seulement  aiTermir  les  bases 
minées  de  l'anglicanisme  ,  avait  donné  la  première  impulsion  du 
retour  d'Oxford  à  Rome,  le  P.  Novman  en  était  venu  à  reconnaî- 
tre qu'en  dehors  de  la  communion  tutélaire  du  Siège  apostoli- 
que il  n'y  a  de  salut  ni  pour  la  foi  ni  pour  la  discipline.  D'un 


(1)  Le  remarquable  travail  qu'on  va  lire  nous  est  envoyé  par  un  catholi- 
que anglais,,  qui  a  abjuré  il  y  a  peu  de  ten)ps  les  erreurs  protestantes. 

5 


G6  M-   '    ARIII-    l'.nTKRSON. 

aulrc  côlé,  cu\-mt-iins,  imlms  de  la  |Misiiasi(in  (juc  le  |iiis('Vsmt' 
t'Sl  le  juslc-milicii  vuUr  les  cneiirs  prolcslaiiloscl  le  calliolicisnu' 
t'xclusir  tUî  ll(»m(',  se  irouvaionl  aussi  impuissants  à  suivre  leur 
chef  (lu'à  (lenicurcr  imntobilcs  dans  colle  voie  doni  le  seul  lermo 
logique  élail,  d'après  la  dénionslraiion  du  V.  Novman,  une  sou- 
mission absolue  à  l'Église.  Les  anciens  disciples  du  sa\anl  tloc- 
teur  avaient  donc  beau  se  rejeter  sur  ses  préeédenls  ouvrages 
anli-caiholiques ,  mais  bien  plus  encore  anli-prolesiants ,  ils 
étaient  comme  malgrt-  eux  poussés  au  même  résultat;  car  dans 
l'abjuration  du  V.  Newman  se  trouvait  toute  une  rél'utaiiun  de 
ces  mcMues  ouvrages,  réfutation  de  fait  d\me  immense  portée. 
Oulre  cela,  l'opposilion,  la  résistance  des  autorités  anglicanes  au 
puseysme,  et,  nous  pouvons  le  croire,  les  habitudes  de  piété,  les 
bonnes  œuvres  auxquelles  ces  jeunes  gens  étaient  formés,  étaient 
autant  de  causes  du  travail  secret  ei  incessant  de  leur  esprit. 

Il  paraît  que  plusieurs  d'entre  eux  ,  dans  les  angoisses  de  leur 
agonie  protcslantc ,  avaicnl  lourm-  leurs  regards  vers  l'Orient. 
Déjà  depuis  1837,  M.  Palmcr,  membre  du  collège  de  Ste-Marie- 
Madeleine  d'Oxford,  s'était  épuisé  en  vains  clforts  pour  établir 
dos  relations  avec  l'église  greco-russc.  La  tentative  n'était  pas 
nouvelle  chez  les  anglicans.  Au  dix-septième  siècle,  un  arche- 
vêque de  Canlorbéry  avait  fait  des  démanches  infructueuses  au- 
près du  malheureux  Cyrille  Lurar,  patriarche  sehismaticpie  de 
Conslantinople  ,  pour  être  reconnu  par  les  Grecs  comme  chef  de 
l'église  «catholique-réformée»  de  l'Angleierrc.  M.  Paiterson 
et  un  de  ses  amis ,  M.  Winne,  membre  du  collège  des  Fidèles- 
Trépassés  (AII-SouIs)  d'Oxford,  et  vicaire  d'une  paroisse  de 
cette  ville  ,  se  décidèrenl  à  partir  pour  l'Orient  avec  l'idée 
de  voir  de  près  ce  qu'était  l'état  de  cet  antique  christianisme 
de  l'Asie  et  de  l'Afrique.  Ayant  besoin  de  repos  pour  le  corps 
et  pour  l'âme,  ils  se  tournai(Mit  vers  l'Orient  ;  ils  espéraient  trou- 
ver là  une  solution  de  leurs  doutes,  soit  en  reconnaissant  parmi 
les  vieilles  hérésies  orientales  une  catholicité  incb'pcndanlc  de 
celle  de  Rome,  soit  en  arrivant  à  la  conclusion  contraire. 

Ils  étaient  nuinis ,  nous  dit  M.  l'alierson ,  de  lellres  (|ui  leur 
a\aient  été  remises  par  un  ancien  condisciple  devenu  évoque  an- 
glican ,    dans   lesquelles    ils   étaient    qualifu-s  d'ecclésiastiques 


M.   I.'aHUK  l'ATTKIlSON.  G7 

n  anf,'lo-(ailioli(|ucs-ortliodoxcs,  »  cl  icromiiiandés  aux  soins 
cl  à  la  communion  de  ions  les  cvêqucs  «  catlioli(|ncs  cl  orllio- 
doxcs  des  cj^liscs  orientales.  »  A  la  lc(-turc  de  lonles  les  peines 
<jue  se  sonl  données  ces  messieurs,  on  se  dcmajide  commcnl  il 
est  possible  que  deux  hommes  instruits  cl  intelligents  aienl  dû 
faire  tant  d'efforts  pour  arriver  "l'i  la  connaissance  d'un  fait  aussi 
('datant  (juc  celui  de  la  catholicité  exclusive  de  l'Église. 
Ce  fait,  auquel  ils  se  licurtaieni  à  chaque  pas,  ils  avaient  des 
moyens  particuliers  de  l'apprécier;  ils  étaient  compagnons  de 
voyage  de  M.  Allies,  cel  autre  émigranl  du  puseyme  vers  Rome, 
dont  il  a  élé  question  ces  dernières  années.  C'est  ici  le  cas  de  répon- 
dre que  nul  n'arrive  à  la  foi  sans  la  grâce  de  Dieu,  grâce  absolument 
indépendante  des  lumières  nalurellcs,  mais  qui,  pour  porter  tous 
ses  fruits  ,  veut  rencontrer  la  coopération  de  la  bonne  volonté  de 
l'homme.  Ajoutons,  en  passant,  que  même  avec  celle  bonne  vo- 
lonté ,  il  faut  aux  Anglais,  à  moins  d'un  éclatant  miracle,  bien 
du  temps  pour  se  désabuser  de  leurs  préjugés  religieux  ,  dont. 
l'empire  a  une  inexplicable  puissance.  Nous  n'avons  pas  le  loisir, 
dans  un  article  comme  celui-ci ,  de  suivre  pas  à  pas  M.  Patter- 
son  et  son  ami.  En  Egypte  ,  en  Nubie,  en  Syrie,  en  Grèce  ,  ils 
rencontrent  les  Cophtes,  les  Abyssiniens,  les  Jacobiles,  les  Nes- 
loriens,  les  Grecs  schismatiques  et  autres  hérétiques  de  l'Orient. 
Ils  Irouveni  parmi  eux,  d'un  côté,  le  simulacre  d'une  autorité  il- 
lusoire, de  l'autre  l'ignorance  et  l'habitude  aveugle,  seuls  ap- 
puis de  toute  hérésie  dogmatique.  Ils  reconnaissent  alors  que  ce 
que  l'anglicanisme  a  de  commun  avec  les  schismatiques  d'Orient, 
c'est  le  principe  de  désunion  et  la  haine  pour  l'Église  catholi- 
que ;  partout  ils  retrouvent  les  missionnaires  prolestants  envoyés 
par  les  soins  de  l'Angleterre  et  de  la  Prusse,  fraternisant  avec 
l'élément  rationaliste  qui  commence  à  travailler  les  schismes 
usés  de  l'Orient.  Si  un  évéque  Cophte  de  la  haute  Egypte  les  in- 
vite à  célébrer  avec  lui  la  communion,  ce  n'est  nullement  qu'il 
reconnaisse  en  eux  des  «  ecclésiastiques  anglo-catholiques,  » 
mais  bien  parce  qu'ils  les  estime  hautement  comme  étant  émis- 
saires de  l'évêque  anglo-luthérien  de  Jérusalem  ,  colporteurs  de 
Bibles,  avocats  du  libre  examen,  et,  avant  tout,  hostiles  à  l'É- 
glise de  Rome.   S'ils  trouvent  des  prêtres  arméniens  en  Syrie , 


68  M.  i/aUHK  I'ATTKRHO. 

pleins  d'«*gards  el  «le  polilrsse,  cr  n'est  |>:is  (|iie  ( ciixm  i  l»'s  lini- 
nenl  jxnir  [in'lros  Icj^iiinies  ,  iléposimires  de  la  saine  docirine  n 
dispensateurs  (les  sacrenienls  de  l'K^lise  ;  mais,  an  rontraiie, 
eVsl  «ju'ils  les  reconnaissent  pour  Anf^lais ,  pour  pr<»iesianls , 
par  cons(''<]iicnl,  f^ens  cclnirùs  et  aceommodants  en  matière 
«le  foi.  Pour  eux  .  Arméniens,  ils  sont  prêts  à  nier  toutes  les  vé- 
rités ,  bonnes  seulement  pour  le  [)euple  i};norant ,  et  à  iransi},'<'r 
avec  les  vieilles  hérésies  sur  la  personne  du  Sauveur,  pourvu 
(|u'on  leur  aide  à  détruire  TK^Iisc  détcsti-e  d'Occident  el  à 
former  une  «  nation  »  protestante  sous  la  protection  i\r  l'Anj^le- 
terrc,  comme  il  y  en  a  une  catlioli(|ue  sous  la  tutelle  de  la  France 
el  de  l'Auirichc,  cl  une  grecque  sous  celle  du  czar.  Les  expé- 
riences que  nos  voyaj^eurs  faisaient  en  Orient  «'taient  donc  des 
|)lus  <lécisives  contre  la  théorie  puseyste.  Si,  en  Occident,  même 
en  Anglelerre,  ils  ne  se  trouvaienl  pas  assez  à  l'abri  de  celte  ma- 
jestueuse vérité  calholi<pic  qui  les  attirail,  «pioique  voih'-e  et 
déligurée  par  les  préjugés  et  la  mauvaise  foi  de  trois  siècles  d'i- 
solement dans  les  ténèbres  de  Terreur,  en  Orient  ils  se  sentaient 
cenl  fois  plus  mal  à  leur  aise  ;  «  honteux  ,  »  ils  nous  le  disent 
eiix-nu'mes,  il'appartenir  au  radicalisme  religieux  qui  s'y  mon- 
trait si  évidemment  l'ami  et  le  conqilice  de  tout  ce  qui  s'oppose 
ù  toutes  les  autorités  ,  lanl  légitimes  qu'illégitimes.  En  elfct ,  si 
••n  Kuropo  il  est  évident  que  tout  chiislianisme  qui  ne  s'appuie 
pas  sur  le  principe  de  l'auioriie  (el  (jui  dit  autorité  dit  l'a|)e,  ou 
ne  dit  rien),  csl  prêt  à  disparaître,  en  Orienl  on  peul  dire  (pie 
déjà  il  a  disparu.  Les  sectes  n'y  ont  qu'une  vie  factice,  poliiicpie 
ou  sociale,  en  tant  qu'elles  tiennent  à  leur  ancienne  indépendance 
du  souverain  turc.  Oite  indep(M)dance,  elles  tâchent  de  la  uiain- 
lenir  ou  eu  s'aliachanl  ;'i  la  lUissie,  |)ouvoir  soi-disanl  <ons<'r- 
vateur,  à  la  longue,  le  plus  desirnctenr  de  tous;  ou  en  se  suici- 
dant ouvertemcnl  en  faveur  du  |(rotestantisme  qui  jette  ses 
iilcls  dans  toutes  les  eaux  troubles  (1). 


(I)  Nous  appelons  la  Russie  le  pouvoir  radical  par  excellence,  parce  qu'il 
ne  vilquc  de  dcslniclion.  Si,  selon  le  mol  profond  de  Nnpok'on  III.  le  |k»u- 
voir  c()nscr\atcnr  sort  (|iicIt|U('rois  d'inic  légalité  li>pociitc  cl  iiubi-rilc  pour 
renircr  d;iiis  l'ordre,  le  dospolismc,  au  conirairr,  n'a    |i(inr  loulc  loi  «pic  la 


M.   I.AUnK  l'ATTKRSON.  f>«) 

L)c  nos  jours,  on  ;i  vn  des  «''}j;lis«'S  scliisi»aii(|ihs  cnlièrcs  ,  cl 
mémo  une  (''j^lisc  cailioli(|ii(',  vu  Orient  et  dans  l'Kuiopc;  orien- 
tale, tlisparailrc  dans  le  gouflVc  du  despotisme  moscovite;  celles 
(|ui  ne  périssent  |)as  do  celte  façon  violente  s'en  vont  se  dissol- 
Nanl  par  leiii'  tiision  avec  le  proieslaniisme  an^Mican,  prussien, 
lulliérien ,  calviniste  et  pliiloso|>lii(|ue  de  M.  Goliat ,  évoque  an- 
{^iican  de  Jérusalem,  par  la  {^'ràco  di*  Victoria  et  la  laveur  de  Fro- 
déric-Guillaume.  Ainsi  nos  voyaj;curs  anglicans  reconnaissaient 
de  plus  en  plus  que  leurs  idées  puscystes  n'étaient  qu'un  rêve  ; 
(|u'il  n'y  avait  en  Orient  nulle  église  ealliolique  vivant  dans  l'iso- 
lement d'une  véiitablo  antiquité  et  d'un  ])ays  «'gaiement  éloignés 
de  Rome.  Mais  si  celle  «<  recherche  de  la  meilleure  des  républi- 
(jues,  »  ainsi  qu'ils  la  révaieni ,  ne  réussissait  pas  à  leur  gré  ,  ils 
liouvaient  cependant  autre  chose  qui  la  valait  l»ien.  Comme  le 
prince  abyssinien  de  Johnson  ,  en  cherchant  l'impossible  ,  ils 
s'emparèrent  du  vrai.  A  chaque  pas  qu'ils  lirent  dans  ce  pays  de 
désillusions  ,  à  côté  des  fausses  églises  ,  ils  en  voyaient  une  qui 
|)résenlail  toujours  ces  mêmes  caractères  de  vérité  qu'ils  s'effor- 
çaient de  trouver  ailleurs.    C'est  ainsi  que  séduit  par  le  mirage 


dcslruclioii  de  1  ordre.  C'est  ainsi  que  la  Russie,  taisant  profession  dune  Cs- 
spècc  de  synerétisme  politique,  viole  fous  les  droits  de  Ihumanité  en  agglo- 
niérnnt  dans  son  sein  meurtrier  toutes  les  races  et  toutes  les  croyances.  Elle 
est  incapable  de  rien  organiser;  elle  ne  fait  qu'accumider  les  cléments  du  dé- 
sordre qui  se  fera  un  jour  le  châtiaient  même  de  cet  abus  de  pouvoir.  Les 
faits  parlent  trop  haut  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'insister.  Cependant  nous 
en  citerons  un  récent  et  peu  connu.  En  1849,  après  la  guerre  de  Hongrie,  le 
czar  distribua  beaucoup  d'ornements  et  de  livres  liturgiques  parmi  les  égli- 
ses des  sujets  slaves  schismatiques  de  son  alliée  rAutriche.  Dans  ces  litur- 
gies, on  trouve  le  nom  de  Nicolas  comme  chef  de  «  l'église  orthodoxe,  »  sub- 
stitué partout  à  celui  du  patriarche  schismatique  de  Constantinople.  Et  les 
millions  d'ùmes  de  l'église  ruthéniennc,  de  celle  des  Géorgiens  et  des  Armé- 
niens ,  que  sont-ils  devenus  sous  la  protection  moscovite?  Croient-ils  (par 
ukase  impérial)  aux  dogmes  du  czar  et  de  son  «  vénérable  frère  le  saint  sy- 
node de  Pétersbourg?»  (parnobile  fralrum) ,  ou  ne  sont-ils  pas  abandonnés  à 
l'incroyance  qui  les  ronge  lun  et  l'autre?  Et  la  Grèce,  la  Grèce  où  les  hautes 
classes  sont  travaillées  par  le  rationalisme  des  universitaires  à  la  Coletti ,  la 
Grèce  où  le  peuple  est  entretenu  dans  une  ignorance  fanatique  par  le  clergé 
gréco-russe,  lui  préparait-on  un  meilleur  sort?  Heureusement  Dieu,  per 
Francos,  en  dispose  autrement. 


7(»  M.  I    Mini:  rMTKHSoN 

(l'un  dt^srri  suhloneiix  ,  il  ;iirivc  parfois  (|ue  le  voya^oiir  cgar»'* 
lin'  son  prolit  de  son  nit-m-  imiiic,  »ii  ii(»iiv;ini  une  source  d'eau 
]»iin;  (|iii  lui  :iiir;iii  aiilrcinciit  et  li;ip|>(''.  Los  lici<''sios  de  l'Oricni 
Ncinblaienl  à  leurs  yeux  rcNivrc  d'uni*  vie  de  coiiiiptiun  à  la  voix 
du  protestantisme.  De  la  tombe  des  siècles  ils  voyaient  sortir 
une  armée  de  vieilles  erreurs  <pii ,  oubliant  leurs  haines  mu- 
Itu'lles,  venaient  se  ranger  sous  l'étenilard  d'un  confrère  nou- 
veau. Il  les  embrasse  et  les  réchaulTo  toutes  lour  à  tnur,  dans 
sou  ample  sein,  embrasé  d'un  lèu  <pii  n'a  rien  de  céleste,  puis 
elles  viennent  se  jeter  chacun»'  à  sa  j^iiise,  sur  le  commun  ennemi 
«pii  les  condamnait  toutes  dès  leur  orif,'ine.  Diriges  par  les  cris 
confus  de  cette  armée  déloyale,  nos  anglicans  s'apercevaient  par 
là  même  que  son  ennemi  devait  être  des  plus  respectables.  Les 
sectes  orientales  ne  reconnaissent  le  protestantisme  pour  leur 
<hef  (jue  parce  qu'il  présente  l'ensemble  de  toutes  leurs  néga- 
tions individuelles  ;  tandis  (jue  l'Église  catholique,  objet  de  leurs 
\ieilles  inimitiés,  ne  cesse,  au  ctmlrairc,  de  proclamer  des  vé- 
rités (jue  chacune  de  ces  sectes  admettait  à  son  idur.  Lalliance 
donc  entre  les  invalides  orientaux  et  leur  chef  occidental  était 
a  leurs  yeux  plus  «jue  suspecte.  La  certitude  qu'ils  venaient  d'ac- 
quérir (pie  le  protestantisme  n'est  essentiellement  (pie  pure 
iiegaliou,  cl  qu'il  ne  saurait  exister  un  instant  sans  emprunter 
l'être  à  la  vérité  môme  qu'il  s'efforce  de  détruire,  devenait  pour 
M.  Pallcrsttn  et  son  ami  le  inolif  |>ro('hain  de  leur  conversion  à 
la  foi  calhujique. 

Mais  il  y  a  encore  bien  loin  de  la  conversion  naturelle  à 
la  soumission  surnalurclie  que  demande  l'Église  calholi(iue  , 
et  pcul-ètrc  nos  voyageurs  n'auraient-ils  jamais  fait  ce  grami 
pas ,  s'ils  n'avaient  lini  par  demander  sur  le  Calvaire  même  et 
auprès  du  tombeau  du  Seigneur  la  lumière  de  la  vraie  foi , 
(pjcllc  (prelle  lût,  et  la  grâce  d'accomplir  la  volonté  de  Dieu  à 
loui  prix.  M.  Palt(M'son  ne  fait  pas  un  miracle  de  sa  conversion 
accomplie  à  Jérusalem  ;  cependant  nous  pensons  (jue ,  dans  le 
fond  de  l'âme  ,  il  rcconiiait  ipic  le  changement  opéié  en  lui  et 
sou  ami ,  deux  jours  après  leur  arrivée  dan:»  la  sainte  cite,  le 
\  cndredi-Sainl  1850,  était  une  grAce  toute  spéciale  non-seule- 
ment dans  le  fond,  mais  aussi  dans  la  forme.    On  ont  dit  (pie  la 


M.  i/ahhi;  i'Arir.KS(^>.  71 

Proviilfucc  leur  avait  roscrvo  une  hicn  douce  consolaiion  de 
|)lus  ;  c'est  sculemciil  a()r('.s  leur  conversion  (ju'ils  ont  eu  l'occa- 
sion de  voir  qu'à  côté  d<,'s  rava^^es  faits  par  la  religion  (ju'ils  ve- 
naient d'ahiiirer,  il  y  a  cliez  les  Orientaux  un  mouvement  tout 
céleste  dos  âmes  droites  et  sincères  de  toutes  les  sectes  vers  le 
seul  refuge  de  ceux  qui  aiincnl  la  Nerilé.  Chez,  les  Cophtes,  chez 
les  Grecs,  chez  les  Nesloricns,  cl  surtout  chez  les  Arméniens  d<! 
la  Turijuie  (jui  ont  é(;ha|)pc  à  rannexion  russe,  |)ai'  huiucllc  le 
siège  patriarcal  d'Etchemiazin,  formant  jadis  leur  centre  reli- 
gieux, leur  a  été  arraché,  il  y  a  une  tendance  prononcée  vers  le 
catholicisme.  Le  primat  de  cette  secte  à  Constantinople,  et  plu- 
sieurs meudtres  de  son  clergé,  sont  connus  comme  très-favora- 
bles à  un  retour  à  l'obédience  du  Saint-Siège  ;  et  des  conversions 
remanpiables,  la  publication  d'un  journal  et  de  différents  livres 
écrits  dans  ce  sens,  donnent  de  grandes  esjtèrences  pour  l'ave- 
nir. 

Dans  les  circonstances  présentes,  nos  lecteurs  demanderont 
peut-être  avec  intérêt  quel  edet  la  guerre  avec  la  Piussie  pour- 
rail  produire  au  |)oint  de  vue  religieux.  Selon  ce  que  nous  dit 
M.  Patterson,  il  paraît  que  le  schisme  grec  présente  bien  moins 
que  les  autres  sectes  des  motifs  de  consolation  à  l'âme  chrétieime. 
Fidèles  aux  traditions  et  aux  antécédents  de  Constantinople,  les 
Grecs  s'appuient  de  plus  en  plus  sur  le  pouvoir  temporel.  L'esprit 
astucieux  et  rampant  du  clergé  flaire  depuis  longtemps  de  quel 
endroit  lui  doit  arriver  la  protection  qu'il  ne  demande  plus 
qu'au  nom  du  gouvernement  ottoman.  On  s'étonne  que  la  diplo- 
matie anglaise,  sous  lord  Palmerston,  ait  pu  laisser  le  czar,  pen- 
dant de  longues  années,  libre  de  construire  un  second  empire 
gréco-russe  au  sein  même  des  Etats  du  sultan.  La  nullité  de  la 
France  en  Orient  depuis  1830  ne  demande  pas  d'explication. 
Malheureusement  le  gouvernement  de  Louis-Philippe  y  faisait 
uioins  que  rien  ;  car  en  se  taiguant  de  ses  droits  de  protection 
sur  l'Église  latine  en  Turcjuie,  il  empêchait  l'Autriche  et  les  au- 
tres puissances  catholiques  de  faire  le  peu  qu'elles  auraient  pu 
[»our  résister  au  mal.  Après  dix-huit  années  de  gouvernement, 
Louis-Philippe  laissa  pour  monument  de  son  zèle  pour  la  reli- 
gion et  pour  les  intérêts  de  sa  patrie  en  Orient,  l'érudit  M.  Botta 


M.    I      VltlU     l'A  I  I  titSO>. 


oonxme  consul  à  Jériisakiii ,  et  son  |>ro|)i'c  itoriiaii ,  assez,  mal 
pcini,  |«uii'  ilécorer  les  murs  de  l'cglise  latine  dn  Saint  S<'|uilcre, 
qu'il  ne  Mnilail  ni  proli'-^'iT  Ini-niênio  ni  laisscM'  proii-^or  par  les 
autres,  l'cndani  que  ers  anni'fs  pn-cionses  {irret'ocnbili'  trmpus) 
s'écoulaient,  la  Russie  taisait  dis  pro^M'ès  immenses.  Elle  minait 
une  grande  et  iiilliienio  partie  de  i'Klat  turc,  et ,  selon  toutes  les 
apparences,  ili\  ans  de  |)lus  de  rèync  à  Louis-lMiilippe  en  France 
et  il  lord  Palmerston  en  Angleterre  auraient  rendu  la  guerre 
d'aujourd'hui  inutile,  sinon  à  tout  jamais  impossible. 

Celte  guerre  nous  semble  capable  d'agir  pour  le  bien  duehris- 
tianisme  par  deu\  moyens  diiliiciiis.  |ji  premier  lieu,  elle  emp«^- 
(  liehunaiclie  du  despotisme  moscovite  qui,  en  écrasant  le  sultan, 
détruirait  avec  lui  toutes  les  croyances  (ju'il  est  obligé  de  pro- 
léger, même  celle  des  Grecs,  que  le  c/.ar  suUoipio  par  ses  soins 
])aterncls  depuis  plus  d'un  demi-siècle.  D'un  autre  côté,  avec 
(piellc  justice  la  France  et  l'Angleterre  pourront-elles  jouer  on 
Tiutpiic  le  même  jeu  déloyal  et  contraire  aux  lois  des  nations 
qu'elles  dénoncent,  avec  raison,  clie/.  le  c/.ar  comme  subversif  du 
pouvoir  ottoman?  Or,  dans  la  destruction  du  pouvoir  russe  dans 
les  Etats  du  sultan,  et  dans  l'ajjslention  de  la  même  poliiiqu»;  de 
la  part  des  autres  puissances,  nous  voyons  de  grandes  espéran- 
ces pour  l'avenir  de  TÉglisc  en  Orient.  Que  la  protection  civile 
des  Grecs  scbismaiiques  non  sujets  du  sultan  appartienne  à  la 
Russie,  (|ue  les  catlioliipies  du  rit  latin  jouissent  de  celle  de  la 
France  et  des  autres  puissances  catliolicpies,  que  les  protestants 
aient  é'galemenl  une  protection  consulaire  anglaise  ou  prussienne, 
il  n'en  peut  être  autrement  tant  que  le  sultan  et  son  gouverne- 
ment seront  musulmans.  Mais  si  l'inlégrité  de  l'enqure  ottoman 
est  désirée  de  bonne  foi  par  l'Europe,  elle  ne  manquera  pas  de 
le  maintenir  en  pleine  et  inde|)ondantc  possession  de  ses  droits 
souverains  sur  ses  sujets  de  toutes  les  croyances.  Dans  cet  éiiit 
de  choses,  la  religion  aura  tout  à  gagner.  Le  schisme  greco- 
russc  tombera  dans  une  nullité  complète,  comme  religion,  aussi- 
tôt «ju'il  aura  perdu  l'appui  du  c/.ar.  Le  principe  protestant  ne 
pourra  |»as  opérer  ce  qu  il  lait  chez  nous,  iiiNcler  le  terrain  jon- 
ché des  ruines  d'anciennes  erreurs;  ce  terrain  réclame  et  ob- 
liemlia  la  (  nlitire  lilire  du  luissidiiiiaire  de  la  loi.  .Jamais  le  prn- 


M.   I.   \I!IIK  l'ATTKUSON.  /.5 

h'stnniismc  nioUt'im;  no  pourra  s'érij^cr  en  système  religioux 
sans  l'appui  do  la  force  mah'ricllc.  L'Église  callioliquo,  au  con- 
ir.ure,  ne  demande  que  la  vraie  liberté,  aulani  «|u'ellc  peut  l'cs- 
pcrer  on  pareilles  circonstances.  I.o  Saini  Sioj^e,  nous  apprend 
M.  PalU'rsou,  a  loujoiirs  reprouM'  raf^'^'io^Mtion  des  convorlis  su- 
jets du  sultan  au  rit  latin,  paico  <|u'il  craignait  (|mc  Ton  ne  se  lit 
(Miholicjuc  pour  gagniM'  la  protection  consulaire  des  puissances 
catliolicpics.    L'Église  exige  que  ceux  qui  se  convertissent  soient 
toujours  aggrégés  au  rit  de  leur  race,  ce  qui  ne  les  émancipe  nul- 
lement de    leur   d<''pondance    civile   du    sultan.    L'ouvrage  de 
M.  l*atterson  est  public  depuis  1851  ;  il  prévoyait  d(''jà  ce  qui 
est  arrive'  depuis,    et  ce  fut  pour  lui  une  grande  consolation 
de  voir  que  les  succès  du  rationalisme  protestant  et  la  domina- 
tion du  scliisme  grec  en  Turquie  n'étaient  dus  qu'à  la  protection 
russe  et  anglaise.    Le   catholicisme    n'avait   évidemment,  pour 
toute  cause  de  ses  succès,  que  ses  forces  intrinsèques,  sa  mis- 
sion et  sa  fin  divines.   L'ouvrage  que  nous  parcourons  nous  pa- 
raît intéressant  non-seulement  au  point  de  vue  religieux,  comme 
témoignage  de  ce  que  peut  la  vérité  catholique  dans  des  circon- 
stances aussi  dillérentes  que  sont  celles  où  se  trouvent  l'Orient 
et  l'Occident,  mais  aussi  au  point  de  vue  politique.  Pour  ceux 
qui  sont  catholiques  avant  tout ,  il  paraît  dillicile  de  concevoir 
une  sympathie  profonde  dans  la  guerre  actuelle ,  soit  pour  les 
Turcs,  soit  pour  les  Russes.   Si  nous  comprenons  bien  la  situa- 
tion ,  il  nous  semble  évident  que  nos  vœux  devraient  être  pour 
la  conservation  ,  sous  de  nouvelles  conditions  ,  du  pouvoir  otto- 
man ,  attendu  que  sa  dissolution  immédiate  tournerait  bien  plus 
au  prolit  de  l'incroyance  qu'à  celui  de  la  religion.  Tôt  ou  tard 
cette  dissolution  aura  lieu  ;    espérons  qu'en  attendant  l'Église 
aura  eu  le  temps  de  jeter  de  profondes  racines  parmi  ces  races 
égarées  depuis  tant  de  siècles  dans  l'erreur  et  l'ignorance.   Elle 
ne  demande  pour  cela  qu'une  vraie  liberté  d'action,  car  l'expé- 
rience lui  montre  que  la  protection  des  princes  est  presque 
aussi  nuisible  que  leur  tyrannie. 

Si  l'on  demandait  maintenant  à  M.  Palterson  quel  est,  selon 
lui,  l'avenir  probable  du  mouvement  puseyste  en  Angleterre,  il 
répondrait,  pensons-nous  ,  que  tout  en  s'attendant  avec  raison  à 


M.  I.  Ainii;  I'.vtti;b^»>. 


iiii  assez  ^raïul  nuinbrc  de  lonvcrsions  im|>orlanies  opirécs  par 
rinfliioncc  des  opinions  (rOxIonl ,  on  s'ahuseraii  ccpcMuIani,  en 
s'ima^'inant  «pu-  rAnglrierre  vn  général  se  rapproche  <Ie  la  foi 
par  cette  voir.  La  pensée  t\r  M.  Patterson  s'expliquera  si  on  vcu^ 
remonter  à  l'origine  et  à  l'histoire  du  pusosmc  Kn  1833,  de 
nouveaux  empiétements  du  gouvcrneuïent  sur  les  droits  que  s'ar- 
roge l'église  pioteslanle  olliricllc,  donnèrent  à  Irtirs  (-liain[)ions 
I  occasion  de  recliereher  les  principes  iondamenianx  de  l'unité, 
de  la  visibilité ,  de  rindépcndance  cl  de  l'autorilé  de  ce  corps 
inysti(pie  de  Jésiis-Clirisl ,  qui  est  l'Église  :  principes  dont  on 
avait  peu  à  peu  |)erdu  la  tradition,  même  comme  théorie.  Mew- 
nian,  l'usey  et  leurs  confrères  proclamèrent  hautement  ces  prin- 
cipes, vraisemblablement  sans  en  prévoir  les  conséquences  logi- 
ques, c'est-à-dire  l'ajjandon  du  schisme  anglican  et  la  soumis- 
sion ù  l'autorilé  île  Ihylise  cailioli<pie.  Leurs  yeux  se  dessillèrent 
peu  à  peu  seidement,  soit  par  la  renonciation  explicite  des  auto- 
rités anglicanes  à  ces  nïémes  principes ,  soit  par  l'impuissance 
qui  s'«'u  suivait  pour  eux  de  les  mettre  en  pratique,  soit  encore 
par  leurs  études  apfjrol'ondies  de  la  (piestion  et  les  lumières  qui 
en  jaillissaient ,  mais  surlimt ,  nous  le  répétons,  par  le  profond 
sentiment  religieux  (jui  dominait  en  eux,  et  leur  désir  ardent  de 
connaître  la  \érilé.  (^e|)endant  tous  ne  marchèrent  pas  d'un  pas 
égal.  Les  attaches  du  cœur,  de  la  volonté,  les  pré-jugés  de  l'édu- 
cation, l'intelligence  et  la  conscience  mal  «'clairées,  les  habitu- 
des, les  relations  de  famille,  de  sociét»'* ,  présentaient  des  obsta- 
cles plus  ou  moins  diflicilcs  à  vaincre  suivant  la  position  de  cha- 
cun. Aussi ,  voyons-nj)Us  (piehpies-uns  des  premiers  partisans 
du  pnseysmc  devenir  catholiques  setdement  à  présent,  c'est-à- 
dire  vingt  ans  après  le  d('-i)ut  du  mouvement ,  ^'l  neuf  ans  après 
<pie  son  illustre  chef,  le  I*.  Nowman  ,  «mi  a  donné  l'éclalxinte  so* 
Inliun  par  sa  soumission  à  l'Église.  Il  y  a  beaiicou|t  de  jeunes  gens 
surtout  qui  ne  sont  devenus  puseystes  que  par  l'éducation  ou 
par  sentiment ,  et  ipii  ne  comprendrom  bien  c<»s  principes  et 
leurs  légitimes  consé(piences  «pie  Ix'auconp  plus  tard.  Il  est  un«' 
grande  fraction  «lu  |>arti  dont  on  ne  p<>ul  garantir  la  bonne  foi. 
llhe/.  plusieurs,  uiw  haut«!  inl«'lligen«e  ne  h'ur  permet  p:is  «le 
s'abuser  sur  la  portée  des  principes  «pi  ils  ont  reconnus,  mais  ils 


>l.   I.'.VHHK  l'.VTTKIlSnN.  75 

n'onl  pas  l»î  f,ouraf,'('  de  leurs  eonviclions,  et  perdant  peu  à  peu 
la  ediiscience  et  la  perception  de  ces  vérités  gênantes,  ils  se 
jeiienl  dans  l'indilTérence  ,  puis  dans  l'abîme  d'une  incrédulité 
absolue.  D'anlres,  plus  bornés,  ne  veident  pas  leconnaître  que 
leui-  ancienne  j)()siii()n  n'est  |)ius  tenable.  (londaninés  par  la 
v()i\  publi<pie  à  un  juste  ridicule  ,  ils  s'eiïorccnt  de  réhabiliter 
rid*'»'  delà  socle  en  jouant  au  piiseysuie  de  1833  vinf,'t  ans  trop 
lard  ,  et  ils  sirrilcnl  de  la  faiblesse  de  leur  succès.  On  les  re- 
irouve  de  temps  en  temps  dans  les  journaux  ameutant  une  pa- 
roisse pour  le  chant  d'un»;  litanie  ou  le  droit  de  porter  un  sur- 
plis en  chaire ,  traquant  un  pauvre  évéque  jusque  dans  le  sein 
paisible  de  sa  nombreuse  famille  pour  porter  plainte  contre  un 
confrère  qui  ne  prêche  pas  à  leur  gré  sur  la  Cène  ou  la  succes- 
sion apostolique  du  minisière.  Sévères  envers  ceux  (|ui  ne  les  cs- 
linicnt  |)as  pour  les  seuls  vrais  repr(''senlants  de  l'Église  domi- 
nante, ils  n'en  sont  que  les  enfants  terribles ,  et  troublent  en 
vi'iitables  cauchemars  le  doux  sommeil  de  toute  la  haute  offi- 
cialité  anglicane.  Tout  en  singeant  ce  que  bon  leur  semble,  le 
culte  et  même  la  croyance  de  l'Église  catholique,  ils  la  craignent 
et  la  haïssent  ('gaiement ,  et  reproduisent  ainsi  le  type  usé  des 
schismatiques  de  l'Afiique  et  de  l'Orient.  Mais  hors  ce  parti 
même  (qu'on  pourrait  appeler  la  reductio  ad  absurdum  de  la 
secte),  les  opinions  puseysles,  quoique  assez  répandues  parmi 
les  gens  instruits,  ne  se  propageront  jamais  dans  les  masses. 
C'est  un  système  insaisissable  ,  trop  flottant,  trop  fondé  sur  des 
appréciations  raffinées,  et  savamment  sophistiques  pour  agir  sur 
loute  une  nation. 

L'Angleterre  reste  encore  dans  la  masse  profondément  pro- 
testante. Sans  doute,  elle  commence  à  être  puissamment  re- 
muée, et  dans  les  classes  hautes  et  dans  le  peuple  des  gran- 
des villes,  pai-  le  rationalisme,  de  sorte  que  beaucoup  d'hom- 
mes pensants  et  agissants  n'y  sont  pas  plus  chrétiens  aujour- 
iriiui  que  les  Allemands  non  piétistes.  Cependant  la  grande 
classe  moyenne,  la  plus  étendue  et  la  plus  influente  sous  tous  les 
rapports,  est  rivée  à  l'habitude  du  protestantisme  national  tel 
qu'il  était  au  seizième  siècle.  L'isolement  et  l'esprit  tout  maté- 
riel des   Anglais  suffisent  à  peine  pour  en  donner  une  raison  : 


M.   I.  AllllK  l'ATTKBSoN. 


nuis  la  prriive  «>n  rsi  <|u'aucun  ininistùie  n'a  pu  jiis(|u'à  piésciil 
.se  |>asser  de  recourir  a(i  cri  do  no  popery  !  (à  bas  \o  Papel)  dans 
les  inoinriils  drcisils  dos  «'Icciions  i;<'nérales.  Tour  à  lour  nous 
voyons  les  Tories,  les  \Vlii},'s  ri  les  radiraiiv  venir  |»n»lcsier  à 
U<»me  <|u'ils  ne  la  (ont  nullemenl  par  conviction,  mais  seulement 
parce  (jue  la  nation  l'exi^'C.  l*oliii<jue  làelic  qui  ne  leur  pa^nera 
jamais  cet  appui  du  Saint-Sit'-^'e  «pi'ils  reelien  Ik-ui  pour  venir  à 
l»oul  de  l'Irlande  ,  ollVatU  à  l'K^'lise  îles  promesses  de  protection 
<|ii'on  ne  leur  demande  pas,  et  qu'ils  savent  eux-mêmes  ne  |>as 
pouvoir  tenir.  Selon  nous,  illaudiades  instruments  d'une  trenq»e 
liien  autrement  forte  qu(;  la  tentative  puseysle,  pour  rompre  les 
liens  «lu  vieux  protestantisme  national.  Ia»s  conversions  qui  s'ef- 
leetuent  par  ce  moyen  y  contriliueni  sans  doute  en  ébranlant 
r«'j,'lisc  dominante,  dépositaire  de  la  tradition  anti-eaiholique, 
mais  la  nation  en  j,'eneral  veut  èlre  desaliusée  par  la  loyique  im- 
pitoyable du  rationalisme.  Quand  on  reconnaîtra  enfin  l'impossi- 
bilité de  croire  à  la  Tiinilé  et  à  l'incarnation  sur  la  foi  d'un  vieil 
acte  du  Parlement  d'Klisabetli ,  quand  les  derniers  débris  du 
symbole  an^dican  ne  présenteront  plus  l'apparence  d'un  boule- 
vard contre  l'incrédulité  du  siècle,  alors  peut-être  verrons-nous 
un  retour  vraiment  considéraMeà  la  vciité.  Pour  le  moment  le  pre- 
mier acte  (b;  ce  grand  ilrame  u'rsi  «pie  eommi'ucc.  <>ommc  dans 
les  premiers  siècles  de  notre  ère  le  paganisme  romain,  ainsi  de 
nos  jours  la  religion  anglaise  rampe  encore  à  travers  les  fertiles 
campagnes  et  les  bourgs  tlorissanis  du  pays,  à  peint-  entend-elle 
parler  delà  tempête  qui  viendra  un  jour  fondre  sur  ses  paisibles 
possessions,  et  la  mettre  en  déroute  pour  jamais. 

L'hglise  de  Dieu  n'invite  pas,  elle  attend  en  sûreté  le  déluge 
<lévastat«Mir.  tlle  verra  en  frémissant  se  produire  bientôt  sous  ses 
yeux  dans  ranii(|ue  ile  des  saints,  les  dernières  scènes  de 
cette  longue  tragédie  dont  depuis  trois  siècles  l'Europe  est  le 
flieàtie  ,  mais  clb;  n'v  reconnailra  «pi'un  nouvel  accomplissement 
de  ce  mot  de  son  maître  :  toute  plante  tjin  n'est  pas  plantée  par 
mon  Père  céleste  doit  ètrctlvracinée.  Portée  sur  les  Ilots  tnmnliucux 
<|ni  font  sond>rer  toute  autre  banpie  «juc  celUî  do  Pierre,  cil»! 
s  net  upe  à  accueillir  les  naufrages  rari  uantes  in  gurgile  vasto 
qui  viennent  s  y  nfugier.  Déjà,  sous  les  ordres  de  l'Iiabile  |>iloto. 


M.  i.'ahhi-;  i'atti;iiso>.  77 

les  (It  riiicis  \onu.s,  à  Icuiloiir,  iMiircnt  de  colli;  nu  r  Iioublé»'  les 
lilcls  chargés  du  Galilrcn. 

On  a  ()S(''  <  riliipn^r  Tà-piMtpos  du  •^laïul  aclc  d<'  rclalilisscmcni 
(le  la  Im(  rai(  liic  vatlioluiiic  m  Aii^lrione.  C'est  un  acte  <lu  Sou- 
verain Pontife;  coinnu!  tel,  nous  ne  nous  i-econnaissons  pas  le 
ilioil  lie  1(^  discuter.  A  lui  de  cnninuinder,  à  nous  d'oiiéir.  Quel- 
(pies-uns,  qui  ne  se  perniclliaienl  pas  de  hlànier  la  déniarclie  en 
elle-même,  eriliipicnt  cependant  la  manière  dont  la  volonté  du 
Pontife  a  été  accomplie.  Pour  parler  net,  on  a  accusé  le  cardi- 
nal-aiehevêqiu;  de  AVestminster  d'un  imprudent  éclat;  mais  cet 
telat,  il  ne  Ta  nnllemcni  rechcrclié.  Ce  qu'on  appelle  le  hasard 
a  voulu  qu'il  revint  de  Ronui  revêtu  de  la  pourpre  impériale  de 
rKi;lise;  car  le  Souverain  Pontife,  en  l'aggrégcant  au  Sacré  Col- 
lège, voulait  (ju'il  resta  à  Home;  il  ne  changea  d'avis  que  pour 
condescendre  aux  instances  réitérées  des  catholiques  anglais. 
C'est  ainsi  que  ses  actes  furent  revêtus  dun  éclat  indépendant 
el  de  sa  propre  volonté  et  de  celle  du  Souverain  Pontife.  Cet 
éclat  était-il  regrettahie?  Non,  certes!  il  ne  l'était  pas,  parce 
<iue  le  moment  était  arrivé  où  il  fallait  que  l'Église  se  montrât  et 
lit  entendre  une  voix  capable  de  dominer  de  menaçantes  cla- 
meurs. Outre  cela,  la  bonne  foi  des  âmes  droites  courrait  risque 
d'être  abusée  par  les  prétentions  du  puseysme ,  qui  s'arroge  le 
nom  et  l'autorité  de  l'Église-mère.  Il  ne  l'était  pas,  enfin, 
parce  que  la  servitude  où  depuis  trois  siècles  les  catholiques 
croupissaient  sous  la  persécution ,  et  l'atmosphère  protestante 
qu'ils  respiraient,  avaient  nui  à  l'esprit  de  courage  et  à  la  fer- 
veur généreuse  qui  doivent  se  retrouver  dans  l'Eglise  de  Dieu  en 
tout  temps  et  en  toutes  circonstances.  Aux  yeux  de  la  foi,  ce  que 
Dieu  opère  en  Angleterre  de  nos  jours  se  résume  donc  sous  deux 
chefs  :  1"  Il  prépare  son  Eglise  et  il  la  désigne  ouvertement  par 
l'établissement  de  la  hiérarchie  et  l'organisation  qui  en  d('!COule, 
pour  une  nouvelle  lutte  dont  nous  ne  voyons  que  les  commen- 
cements; 2°  il  appelle  quelques  âmes  dont  les  motifs  ne  sauraient 
être  suspects ,  à  la  foi  catholique,  comme  prémices  de  ce  qu'il 
réserve  dans  le  secret  de  l'avenir. 

II  est  bon  de  rappeler  que  le  même  homme  illustre  auquel 
le  Pasteur  de  l'Église  a  confié  le  gouvernement  suprême  de 


7S  M.   I.Alini    l'ATTKRS«»V. 

son  troupeau  en  .\nj;lclcrrc ,  \v.  cardinal  \N  iseiiian  esi  |  jn- 
sliiimcrit  (le  ce  double  nsnli.it.  j>ès  son  airivéc  en  Anglu- 
U'ire  comme  vicaire  aposloli(|ue,  il  a  travaille  à  retirer  l'É- 
ylisc  anglaise  de  son  obscurité  et  à  la  replacer  là  oii  elle 
élait  avanl  la  réforme.  Il  la  trouva  clans  les  cauicond»cs;  il 
la  laissera  dans  les  basili»pies.  D'un  autre  cMc ,  ce  fui  lui  <pii 
sui  apprécier,  ijui  comprit,  et  par  consé(pient  put  convain- 
(  re  et  amener  à  la  foi  les  nombreux  sectateurs  de  Newman  ei  de 
Pusey.  Ici,  selon  nous,  se  borne  l'aurore  divine  pour  le  moment. 
Dieu,  créateur  et  conservateur  de  toutes  les  choses ,  ne  déiruii 
rien,  pas  même  Terreur  :  il  la  laisse  se  détruire  elle-même. 
Quand  Torgucil  de  la  raison  liuuiaine  en  révolte  aura  accom|)li 
son  œuvre  en  Anj^leterre ,  quand  l'orale  suscité  par  le  démon, 
ennemi  aveugle  de  notre  race,  aura  passé  par  toute  la  terre,  ver- 
ra-l-on  de  nouveau  rarc-cn-ciel  de  la  misé-ricorde  divine?  Dieu 
parait,  à  nos  yeux,  l'avoir  décrété,  car  il  n'inspire  pas  son  Vi- 
caire sans  but  ni  sans  raison  ;  il  ne  commence  que  ce  «ju'il  veut 
achever  un  jour. 

Amenés  par  l'ouvrage  de  M.  Paiterson  à  jeter  un  coup  d'œil 
rapide  sur  l'Orient  et  l'Occident,  nous  ne  pouvons  pas  nous  eni- 
pècherde  laire  la  réilexion  ipie  l'avenir  iinundial  de  l'Ej^lise  <'n 
général  semble  plein  d'espérances  consolantes.  Le  principe  des- 
tructeur du  protestantisme  a  fait  son  u'U\re.  Kngendré  lui- 
même  |>ar  le  pèche  qui  perdit  la  race  humaine  dans  son 
origine,  il  a  donné  la  vie  à  une  lignée  qui  d«'*vore  ses  pro- 
pres aieux  et  ses  derniers  rejetons.  Le  rationalisme  et  le  so- 
cialisme font  actuellement  le  tour  du  monde  en  «lissolvanl  tout 
ce  <pii  s'oj>pose  à  leur  action  en  dehors  de  TK^^Iise  de  Dieu.  Cer- 
tes il  y  a  loin  des  puseystes  d'Oxford,  ou  des  arméniens  à  moi- 
tié* catholiques  de  roiislaiiiino|)le  ,  aux  hé^M'Iiens  ,  aux  disciples 
de  Feuerbach  de  Ijerliii,  et  aii\  soiialisies  à  la  manière  de  Louis 
Blanc  de  France;  mais  il  est  néanmoins  vrai  aujourd'hui,  comme 
il  l'était  il  y  a  dix-huit  siècles,  (pie  celui  qui  n'est  pas  avec  .b- 
sus-Christ  en  son  Églises  est  contre  lui.  L'action  de  ceux  qui  \eu- 
leni  empêcher  le  mal  sans  être  en  possession  du  seul  vrai  re- 
mède, est  nulle.  Malgré'  eux,  ils  sont  entraînés  par  leurs  dcvan- 
«iers  ;    heureux  si    déjà,   sur  le    bord   de   l'abîme  où   <)n    veut 


M.   l.'AHItr.   l'ATTKHSON.  71) 

les  onioncei',  ils  s'aperroivciii  (|ii'il  n'y  ;i  de  saliil  (ineii  s<'  sou- 
incllanl  à  raïUoriK'î  du  Clirisl  dans  son  Mj^'liso.  Il  nous  csl  doiiné 
(le  voir  do  lous  les  (•ùlés  <l(>  f (!s  ànics  dioilcs  s(î  sauvant  ainsi  du 
mal  qui  \vs  menace  de  si  près.  Jamais  raitilndo  du  monde  civi- 
lisé ne  fut  plus  mena(;anie  pour  l'I-^giisc  (juc  depuis  les  derniers 
siècles,  cl  cepondanl  la  ra^'c  de  ses  ennemis  n'a  aliouli  (pi'à  leur 
propre  dél'aiu.'.  Kn  voulant  écraser  V infâme ,  les  [)erséculeurs 
hétérogènes  du  christianisme  se  sont  iniiiucllemciit  Trappes  à 
mort.  Les  peuples  ,  gisant  meurtrissons  leurs  coups,  commen- 
cent à  se  retourner  vers  leur  vrai  libérateur,  et  depuis  le  lever  du 
soleil  jusqu'à  son  coucher,  on  invocpie  de  nouveau  le  saint  nom 
du  Sauveur.  Certainement  le  mal  ne  s'était  jamais  montré,  selon 
la  phrase  expressive  de  saint  Paul  (1),  agile  à  nous  attaquer  de 
lous  les  côtés,  comme  il  l'est  de  nos  jours.  Apprenons  donc,  tout 
en  détestant  le  principe  monstrueux  du  mal ,  l'hydre  ensemble 
et  le  proiée  des  hérésies,  à  regarder  ceux  qui  en  sont  victimes, 
sous  quelle  forme  (jue  ce  soit,  avec  la  plus  grande  charité,  avec 
un  désir  ardent  de  les  en  voir  délivrés  ,  avec  l'espérance  qu'ils 
sont  de  bonne  foi,  et  que  tôt  ou  lard  ils  seront  parmi  les  bien- 
heureux déserteurs  de  la  grande  armée  rebelle.  Il  nous  faut  tâ- 
cher de  les  comprendre  eux-mêmes;  car  c'est  là  un  pas  très-con- 
sidérable vers  la  vérité ,  pour  ceux  qui  la  cherchent  de  bonne 
foi.  M.  Paiterson,  nous  dit-il,  s'est  proposé,  en  publiant  son  jour- 
nal ,  la  double  fin  de  faire  connaître  la  vérité  parmi  ses  anciens 
confrères  protestants,  et  de  faire  comprendre  l'erreur  à  ses  com- 
patriotes catholique.  Nous  lui  souhaitons  tout  le  succès  mérité 
par  ce  but  qui  devrait  être  cher  à  toute  àme  catholique. 

(1)   Circumstans  peccalum.  Héb.  di.  XIII. 


\hs  labiés  lonniaiilrs,  du  siiiiialiiicl  en  géiicittl 
cl  lies  csprils, 

l\ir  le  comlc  Agéisor  de  GASPAIUN. 
Deux  vol.  in- 12.  l*aris  185 V. 


M.  (le  Gasparin  est  intrépide.  A  peine  vienl-ii  de  consacrer 
800  pages  in-8  au  d(Velop|>ement  dun  sy.slèuic  de  lliéopneustic 
l>il)li(|uc,  <pi'il  nous  envoie  deux  volumes  destinés  ù  pourfendre 
les  tables  tournailles,  les  espiits,  Us  revenants,  les  sorciers; 
mais  avant  tout  et  surtout  la  doctrine  dv  Tl-^ylise  catlioliiiuc  lou- 
thani  le  surnaturel  et  sa  persistance  dans  le  monde.  C'esl  ce 
dernier  point  ipii  nous  a  l'ail  tenter  la  lecture  de  la  récente  pro- 
duction du  fécond  et  j)rolixe  écrivain.  M.  de  Gasparin  est  un 
peu  reniant  leirible  du  protestantisme  (Paujourd'liui.  Par  une 
outrance  que  Ton  a  voulu  a|)peler  chevaleresque,  il  en  a  si  bien 
mis  <'n  relief  et  les  extrémités  désastreuses  ]>our  la  raison  et  les 
consé(juences  funestes  jiour  tout  ('tal  social  lé^ulier,  (pi'à  lire 
ses  écrits  il  y  a  toujours  (pielques  enseignements  'A  recueillir. 
Individualiste  freneli<|ue,  M.  de  Gasparin  |)oiisse  jus(prau  bout 
les  consé(iuences  du  piincipe  protestant.  Il  n'en  veut  conserver 
que  le  caractère  d'émancipation  absolue.  Aussi  n'a-l-il  trouvé 
assc7.  pure  pour  lui  aucune  des  innombrables  tormules  des  ré- 
formés.  Il  s"est  érii^é  un  système   biblique  i»ropre  des  dogmes 


l)i;S  TABLKS  TOLRNANTKS,  TTC.  81 

spcciuiix  ,  une  ili(!oloyi(;  pariiciilière.  Isole  <lc  l<jui  le  monde,  r<;- 
lire  sur  les  hauteurs  do  sa  consciente  individuelle,  il  tire  à  1)0U- 
lets  rou{4;es  sui-  les  divers  c:iin|>s  réformés,  ei  prend  plaisir  à 
susciter  force  <juerelles  (piil  e.sl  ludiile  à  l'aire  durer. 

M.  de  Gasparin  aime  à  vivre  dans  ces  almosj)lières  conien- 
lieuscs  où  chacun  prétend  l'Esprit  Saint  pour  soi ,  où  l'on 
se  dispute  à  coups  de  passajijes  bibliques  et  de  prophéties;  où 
chacun  l'ait  assaut  de  prétentions  exégéiiques.  Un  de  ses  grands 
amusements  consiste  à  embarrasser  ses  adversaires.  Il  les  con- 
liaint  souvent  alors  à  mettre  à  nu  le  nc'-ant  de  leurs  théories  et  à 
révéler  le  dessous  des  cartes  (juils  auraient  intéiêt  à  cacher. 
C'est  là  pour  lui  le  comble  de  la  jouissance. 

Triste  spectacle  que  do  voir  ces  prédicants,  ministres  ou  laï- 
ques ,  chacun  défendant  seul  son  système  et  sa  manière  de  croire 
en  Dieu;  chacun  s'érigeani  à  lui-même  son  Christ  historique  on 
mystique  ;  chacun  enûn  se  bâtissant  à  part  son  église  visible  ou 
invisible.  En  dehors  de  l'animosité  anii-calholiquc  ,  il  n'y  a  quo 
cela  dans  le  mouvement  des  idées  protestantes. 

L'an  dernier,  M.  de  Gasparin  publiait  un  grand  travail ,  les 
Ecoles  du  doute  et  V école  de  la  foi.  Il  en  a  élé  rendu  compte  ici, 
et  le  lecteur  a  pu  apprécier  les  gigantesques  prétentions  d'un 
système  sur  l'inspiration  des  Écritures,  où  l'absurde  ne  le  dis- 
pute qu'à  la  béate  satisfaction  de  l'invcnieur.  C'est  bien  là  le  fa- 
natique scripiuraire  par  excellence.  Il  n'y- a  point  lieu  d'exposer 
ici  de  nouveau  ce  système.  Disons  seulement  qu'il  avait  poui- 
objet  principal  la  négation  de  la  doctrine  catholique  (plus  ou 
moins  conservée,  par  débris  inconséquents,  dans  les  divers  pro- 
tesiantismes)  sur  Tinfaillibiliié  de  la  tradition  et  l'enseignement 
de  l'Église  touchant  la  formation  du  canon  et  l'interprétation  des 
livres  saints.  M.  de  Gasparin  ne  veut  ni  église  visible  chargée  de 
conserver  le  dépôt  des  vérités  de  la  foi,  ni  sacerdoce  ayant  mis- 
sion de  les  enseigner.  Il  veut  que  chacun  adhère  et  croie  en  Jé- 
sus-Christ par  une  expérience  personnelle  acquise  au  contact  de 
la  Bible.  «  Nous  ne  sommes  pas  réduits  ,  dit-il  ,  à  bâtir  aujour- 
»  d'hui  tout  le  christianisme  sur  la  démonstration  périlleuse  des 
»  miracles  du  Sauveur  et  de  ses  apôtres.  Ces  miracles,  manifes- 
»  talion  nécessaire  de  la  divinité  de  Jésus-Christ ,  ces  miracles 

6 


SI  nf:STABLKSTOtR?IA!«TKS,  KTC. 

•  sonc  coriainsà  nos  y<'u\,  piiis(|u<r  \o  recueil  divin  les  r:i|»|>or(o; 

•  mais  les  mir.'ules  ne  sont  pas  h's  ^Mianis  du  livre  ;  c'est  le  livre 
»  (|iii  esl  le  j,Mr:ml  des  miracles.  » 

On  le  voit,  M.  de  (îaspaiin  ,  qui  accepte  le  ténioi^na^e  lin- 
niain  ei  historique  pour  présenter  aii\  lioniines  la  personne  d<; 
Jésus-Christ ,  pour  leur  faire  dir»'  :  «  Jamais  homme  n'a  |)arle 
conune  ccl  homme;  »  et  de  là  les  contraindre,  par  une  inconce- 
vable série  d'arguments,  ù  accepter  sa  Bible  (avec  son  canon  à 
lui),  M.  de  Gasparin ,  disons-nous,  récuse  lout  lémoipnage  hu- 
main, par  consé(iu<Mil  toute  tradition  qui  veut  attester  les  mira- 
cles de  Jésus  el  des  apO>trcs.  Car,  dit-il,  si  ce  témoigna^'t; 
humain  est  accepté  à  l'égard  du  Christ  et  de  ses  disciples  immé- 
diats ,  comment  l<>  lécuser  alors  rju'il  viendra  m'attesicr  des 
miracles  ulteiieuis?  Or  ceux-là,  je  n'en  veux  point.  Donc  je 
dois  écarter,  quant  aux  premiers,  l'aulorilt- du  témoignage.  On 
comprend  maintenant  l'inierêl  si  pressant  i|ui  a  porté  M.  de 
Gasparin  à  douer  la  lettre  matérielle  de  IKcriture  d'une  vertu 
lhéopneiisti(iue  toute  particulière. 

Ici  se  rencontre  le  trait  d'union  entre  le  livre  sur  V Ecole  de  la 
foi  et  celui  sur  l(;s  Tables  tournantes.  Dans  le  premier,  l'auteur 
prétend  établir  la  divinité  de  Notre  Seigneui"  Jesus-(Jirist  et  le 
canon  biblique  sur  une  simple  preuve  de  seîitiment,  résultat  do 
['expérience  personnelle.  Il  croit  aux  miracles  et  aux  faits  de  la 
vie  de  Jesus-Christ,  parce  qu'il  les  trouv(;  relates  dans  la  Bible, 
non  parce  que  ce  sont  les  apôtres  ou  autres  contemporains 
(|ui  en  ont  transmis  le  récit,  car  il  se  réserve  de  dire  que  les 
apôtres  et  les  évangélistes ,  en  dehors  du  moment  précis  où  ils 
tenaient  la  phmic  pour  écrire  leur  pari  des  Kcrilures ,  étaient 
parfaitement  faillibles  et  capables  d'induire  en  erreur  touchant 
la  personne  de  leur  Maître.  Or,  le  livre  sur  les  tables  tournantes 
se  propose  de  prouver,  en  (»utre  ,  que  depuis  la  disparition  des 
apôtres,  il  ne  s'est  passé  aucun  fait  miraculeux,  et  M.  de  Gas- 
parin de  s'écrier  :  «  Qui  donc  compromet  les  miracles  de  Jésus- 
Christi*  vous,  vous  seuls,  avec  votre  théorie  du  témoignage;  vous, 
avec  votre  surnaturel  apocryphe ,  non  moins  attesté  (|ue  celui 
de  l'Évangile  ,  et  dont  la  fausseté  se  trahit  nécessairetncnl.  En 
d'autres  termes  ,    reprouvons  le  témoignage  de  l'Kglise  calholi- 


I>i:S  TAIU.ICS  roi  lOAMKS,   I.TC.  83 

«jut!  allesianl  h's  miracles  du  Sauveur,  car  si  nuiis  ra(ce[)tons 
l»(»ur  valide,  nous  soinnies  aussi  obligés  de  raceopler  allesianl 
les  loui'beries  el  les  faux  ntiraeles  (|ir*'llr  iiii|)ose  an  ^eiire  humain 
depuis  di\-huil  cenls  ans.  » 

Qu'esl-ce  à  dire?  Enlend-on  allirni<  r  cl  dcnioniicr  l'imposiuie 
eoniinuelle  de  l'Église  eailioliquc?  M.  de  Gaspuiin  n'a  pas  d'au- 
tre 1)111.  I.e  point  de  vue  du  sectaire  apparaît  ici  dans  son  entier, 
l'oinl  de  sninalurel,  ni  divin  ni  satani<pie,  dans  le  monde,  de- 
puis la  disparition  des  apôtres. 

essayons  d'anaivser. 

La  première  partie  de  Tonviage,  lori  distincte  des  autres,  est 
consacrées  aux  labiés  tournantes.  M.  de  (iasparin  prend  une  po- 
sition mixte  entre  ceux  (pii  ne  veulent  voir  dans  le  phénomène 
qu'un  mouvement  résultant  de  l'action  musculaire,  et  ceux  qui 
évoquent  les  esprits.  Il  admet  des  tables  tournantes ,  mais  non 
des  tables  parlantes  et  clairvoyantes,  il  n'accorde  pas  seulement 
le  mouvement,  mais  le  soulèvement  à  distance,  sans  contact  en- 
tre la  table  et  le  cercle  des  expérimentateurs.  Il  accorde  aussi 
que  la  table  répond  aux  nomlM-es  pensés.  L'hypothèse  d'un  fluide 
agissant  sous  rintluence  de  la  volonté  est  insliluée  pour  expli- 
«luer  les  phénomènes. 

L'opinion  de  M.  de  Gasparin  est  qu'en  tout  ceci  il  n'y  a  rien 
de  merveilleux  ;  que  ce  sont  là  tout  simplement  des  phénomènes 
naturels  d'un  ordre  nouveau ,  que  la  science  oflicielle  a  le  tort 
de  dédaigner.  Jusque-là  ,  rien  de  mieux.  Mais  nous  n'avons  pas 
su  voir  quel  paili  l'auteur  a  tire  des  phénomènes  des  labiés, 
soit  pour  débouler  les  sorciers,  soit  pour  donner  quelque  explica- 
tion plausible  des  faits  réputés  miraculeux. 

Dans  la  seconde  partie ,  qui  embrasse  les  deux  tiers  du  pre- 
mier volume  et  le  second  en  enlier,  l'auteur  traite  du  surnaturel, 
d'abord  en  général  ;  puis  il  étudie  successivement  des  catégories 
paniculières  de  faits,  qu'il  a  soin,  bien  entendu,  de  choisir  à 
son  gré. 

Partout  interviennent  les  préoccupations  de  l'auteur;  surtout 
sou  système  scripiuraiie  ;  même  alors  qu'il  a  raison,  il  y  a  tou- 
jours en  sa  manière  quelque  chose  de  tendu  ,  d'excessif  qui  ré- 
pugne au  vulgaire  sens  commun.  C'est  ainsi  qu'il  débute  par  une 


84  UKS  TABI.KS  TMIHÎIASTKS,  KT^. 

(Ii:iiril>r  siii  \v  kinoif^'iia^e  uii ,  an  milieu  di!  vérités  banales  ilc- 
bili-es  aver  une  vélicmenco  ainusanle,  se  mêlent  d'élraiif^es  »txa- 
f^éraiions.  Puis,  il  lallail  s'y  altenilrc.  r^>riture  est  mise  en 
scène  :  «  I/hriiluie  ,  dit  M.  de  (iasparin  ,  ne  nous  autorise  à 
»  cioiri'  ni  à  la  prodigalité  des  miracles  divins  ou  saianiqnes,  ni 
»à  la  condnualion  jimhahle  des  miracles  après  1rs  apôtres ,  ni 
•  à  un  Satan,  |)néril  rival  de  Dieu  et  partageant  la  souvcrai- 
»  neté,  ni  aux  possessions,  grossier  matérialisme,  ni  à  l'ensom- 
»  ble  d'une  tradition  qui  vient  se  résumer  dans  la  peur  du  dia- 
»  blc.  »  Enfm,  après  une  discussion  sans  portée  sur  les  fraudes, 
Taulcur  classe  les  faits  extraordinaires  et  miraculeux  sous  trois 
ordres  de  causes  :  l'excitation  nerveuse,  l'action  lluidique,  l'Iinl- 
lucination. 

Les  faits  sont  des  aventures  de  sorciers,  d'astrologues  et  de 
magiciens;  des  relations  de  maladies  nerveuses  épidémiques, 
les  récits  de  quelcjnes  événements  C(''lèbres,  tels  que  les  convnl- 
sionnaires  jans«''nisles  au  tombeau  du  diacre  Paris,  les  j)roplièies 
protestants  des  Céveunes,  enfin  la  fameuse  liistoire  des  nrsulines 
de  Loudun ,  considérées  comme  possédées  |)ar  la  plupart  des 
conlenq)orains,  comme  malades  par  certains  médecins ,  comme 
lonrbes  pai'  plusieurs.  Là  trouvent  place  les  esprits  frap|)eurs , 
les  médiums,  etc.  Qjiani  aux  miracles  attestés  par  l'Église  catlio- 
liques,  qui  devraient  tenir  ici  la  plus  grande  place,  il  n'en  est 
pas  question.  Chacun  est  longin-mont  réfuté  ;  et  la  thèse  de 
M.  de  Gasparin ,  «  point  de  surnaturel ,  »  arrive  comme  le  dé- 
nouement nécessairemcnl  \ictoricnx  d'une  lutte  aussi  partiale- 
nient  prolongi-e. 

Tel  est  le  parti  extrême  (jue  M.  de  Gasparin  a  cru  deMtir 
adopter  pour  la  plus  grande  gloire  de  la  Bible. 

Voyons  dimc  ce  (|ue  dit  la  Bible. 

Il  ne  s'agit  point  ici  de  présenter  la  défense  de  ILglise  qui  croit 
à  l'incarnation  permanente  de  J.-C.  dans  l'Eucharistie.  Cette 
Église,  après  18  siècles  de  luttes,  aflirme  sa  croyance  au  surna- 
turel avec  une  confiance  ('gale  à  celle  des  premiers  jours.  Klle  vit 
dans  le  surnaturel  comme;  dans  son  élénn-nt;  elle  touche  au 
(ici  ei  à  la  terre  ,  et  elle  ne  cesse  d'admirer  et  de  constater  les 
faits  miraculeux  par  lescpiels  .lésns-r.hrist  témoigne  de  sa  puis- 


IH'.S   lAItr.KS  KM  H>A\rF.S,  KIT.  85 

santé  cii  la  pcrsoiiiK!  cic  ceux  (|iii  oui  la  loi  cloiil  parle  l'apôUe  , 
coUc  foi  qui  transport!  les  montaj,'nes. 

Encore  une  fois,  l'Éj^'llse  eatlioliiiiie  n'a  pas  besoin  de  jiislidca- 
lion;  elle  s'allirme  et  elle  passe.  Mais  ouvrons  l'Kvangile  et  li- 
vrons-nous à  lUM!  simple  vériliealion. 

ÎM.  de  Gasparin  a  autant  de  f,'Oiit  pom-  torturer  les  textes  que 
nous  en  avons  \)vu.  Il  eni])l<)ie  Ibree  paires  à  faire  diie  à  cpielipies 
passages  le  conltaire  de  ee  cprils  veulent.  Nous  aurons  garde 
de  le  suivre  dans  ces  argumentations  aussi  peu  claires  que  déci- 
sives. Il  sullira  de  citer  les  endroits  des  Écritures  qui  motivent 
notre  conliancc  en  la  promesse  <;vangélique. 

Il  y  a  d'abord  les  célèbres  passages  de  saint  Jean  :  Celui  qui 
croit  en  moi  fera  les  œuvres  que  je  fais,  et  il  en  fera  encore  de 
plus  grandes.  Et  tout  ce  que  vous  demanderez  à  mon  père  en  mon 
nom,  je  le  ferai  [Si  Jean  XIV,  12-13j. 

Si  vous  me  demandez  quelque  chose  en  mon  nom,  je  le  ferai 
(Si  Jean  XIV,  14). 

En  vérité  je  vous  le  dis ,  si  vous  demandez  quelque  chose 
à  mon  Père  en  tnon  nom,  il  vous  le  donnera  (Si  Jean  XVI,  2.3). 

Puis  le  passage  non  moins  clair  de  saint  Marc  (XVI,  17,  18), 
lors(|ue  Jésus-Chrisl  apparaît  aux  onze,  après  sa  résurrection,  el 
leur  dit  :  Jllcz  par  fout  le  inonde  prêcher  rÉvangile  à  toute 
créature...  Foici  les  miracles  qui  accompagneront  ceux  qui  au- 
ront cru.  Ils  chasseront  les  démons  en  mon  nom;  ils  parleront  de 
nouvelles  langues.  Ils  prendront  des  serpents  avec  la  main,  et  s'ils 
boivent  quelque  breuvage  mortel,  il  ne  leur  fera  aucun  mal.  Ils 
imposeront  la  main  sur  les  malades,  et  les  malades  seront  guéris. 

Dans  saint  Luc,  XVII,  6  :  Le  Seigneur  leur  dit  :  Si  vous  aviez 
de  la  foi  seulement  comme  un  grain  de  Sénevé,  vous  diriez  à  ce 
mûrier  :  déracine-toi  et  te  va  planter  au  milieu  de  la  mer,  et  il 
vous  obéirait. 

Au  moment  où  Jésus-Chrisl  dessèche  le  figuier,  il  ajoute  :  En 
vérité  je  vous  le  dis  :  si  vous  avez  de  la  foi  et  si  vous  n'hésitez  pas 
dans  votre  cœur,  non-seulement  vous  ferez  ce  que  je  viens  de  faire 
à  regard  de  ce  figuier,  mais  quand  même  vous  diriez  à  cette 
montagne  :  ôte-toi  de  là  et  te  jettes  dans  la  mer,  cela  se  fera.  Et 
quoique  se  soit  que  vous  demandiez  dans  la  prière,  vous  l'obtien- 
drez, si  vous  le  demandez  avec  foi  (Si  Marc  XXI,  21,  22). 


8(>  l»»->   lABI.I-.H  Tnl  HNANTfcS,  KTC 

Môme  r«-(  il  (i:iiis  saint  Man\  XI,  23,  24,  :ivo<  l;i  l^rtmilr  ijut- 
rumqur,  ^jricoHoi'E,  «ommo  dans  s;iint  Jean. 

El  cncopp  :  Mes  bien-aimts ,  si  notre  carur  ne  nous  condamne 
point,  nous  avons  de  l'assurance  devant  Dieu  ,  et  quoique  ce  soit 
que  nous  lui  demandions  ,  nous  le  recevrons  de  lui  ^  fepiirc  dr 
saint  Jcuo,  IV,  21,  22). 

\oilà  les  textes  on  M.  de  (îaspitriii  prétend  voir  que  .lesus- 
(Inisl  limite  sa  |>i(tmcsse,  ipiil  la  reslreinl  aux  apùlres.  De 
(piel  droit  disiin;,Mi(-t-il  la  oii  Jésns-Clirisl  ne  dislin^ue  pas?  de 
(piel  droit  resireini-il  la  |)arole  de  Jcsus-Christ  ?  C'est  f,'raluile- 
meni  et  arbitrairement  «jii'il  borne  aux  temps  des  apôtres  des 
promesses  évidemment  sans  limites  et  (ju'il  raeeonrcit  le  bras  do 
Dieu  depuis  dix-sept  siècles. 

Tous  ces  textes  sont  une  voix  unanime.  Ils  se  fortifient  l'un 
|»:ir  l'autre.  Voyez  plut('»t. 

Quand  Jésus-Christ  disait  (Si  Jean  XIV)  :  Quodcumque  petieri- 
tis,  tout  ce  que  tous  demanderez  ;  il  ne  s'adressait  pas  aux  seuls 
apôtres,  mais  à  tous  ceux  (pii  rroiraiciii  iii  lui  dans  la  suite  des 
siècles. 

C'est  le  passaf^e  de  saint  Marc  (\VI)  qui  exerce  le  plus  l'ar- 
},'Utic  de  M.  dr  Gasparin.  Il  est ,  en  effet ,  si  formel ,  si  sim|)le , 
qu'il  y  avait  lieu  d«'  le  commenter  avec  abondanre  pour  y  trouver 
que  le  don  des  miracles  devait  <^lre  limite  aux  apôires  et  à  leurs 
disci|>les  immédiats. 

Ce  passaj;»'  consacre  la  perpéiuile  du  surnaturel  infernal 
«omme  celle  du  surnaïuid  divin,  f  oici  1rs  miracles  qui  accom- 
pagneront ceux  qui  auront  cru.  Ils  chasseront  les  dnnnns,  etc. 

C'est  le  premiei-  ordre*  de  miracle  (pii  soit  promis  à  ceux  qui 
croiront  à  la  prédication  apostoliipie  ,  ils  chasseront  les  démons 
au  nom  de  Jésus-Chrisi .  Il  restera  donc  sur  la  terre  des  démons 
a  chasser,  même  après  rosccnsidu  du  Saineur,  car  Jésns-Chrisl 
a  prononcé  (.elle  |>arole  au  momeui  même  de  son  ascension  ;  or, 
relie  promesse  est  conçue  en  des  t«'rnK's  si  nets,  si  précis,  si  pé- 
remploires ,  qu'elle  denieure  invincible  «'onire  tous  les  faux - 
fuyants  de  M.  de  Gasparin;  surtout  si  on  la  rapproche  du  texte 
«le  saint  Matthieu,  WVII,  18  :  Toute  puissance  m'a  été  donnée 
dans  Ir  ciel  et  dans  lu  terre. 


DKS  TABLES  TOIHNANTHS,  KTC.  87 

Imi  ellcl ,  (.Ile  n'a  traiitrcs  limiCes  (juc  la  prôdicalion  de  l'É- 
vangile ;  elle  «'Si  la  consécralion  eMéiieiirc  lU?  la  divinité  de 
celte  prédication j  donc  elle  diircia  auiani  (prelle.  Pourquironque 
a  lo  s«îns  lt)j;i(in(!,  ces  paroles  se  ticnnoni  par  nn  lissn  lellcmcnl 
serré,  «piMi  n'y  a  pas  moyen  d(!  passer  à  travers. 

Mais,  objecte  encore  M.  de  Gaspurin,  enlendc/,-vous  que  cette 
déclaration  garantisse  à  jamais,  à  tout  chrétien,  le  don  des  mi- 
racles? 

Eh!  mon  Dieu,oni,  nous  l'entendons  ainsi;  il  n'est  point  né- 
cessaire d'être  constitué  en  dignité  dans  l'Église  pour  faire  des 
miracles,  les  laitpics  les  plus  obscuis  en  ont  lait.  Ce  (|ui  est  né- 
cessaire, c'est  délie  anime  de  cette  loi  qui  peut  lrans[)orter  les 
montagnes;  et  ceux  (pii  ont  ce  degré  de  loi  ont  toute  une  in- 
tensité de  vie  cliréiienne  |)r(»portionnée  à  l'intensité  de  leur  foi. 
Ceux-là,  on  les  appelle  des  saiints. 

Et  ne  dites  pas  que  c'est  là  une  distinction  arbitraire  comme 
celle  de  M.  de  Gasparin.  Celte  restriction  est  de  Jésus-Christ 
lui-même,  car  c'est  Jésus-Chrisi  qui  a  dit  devant  le  liguier  des- 
séché :  Si  vous  avez  la  foi  et  si  tous  n'hésitez  point  dans  votre 
cœur. 

Et  ailleurs  (Si  Marc  XI),  toujours  au  sujet  du  figuier,  le  même 
lerme  revient  :  Quiconque  dira  à  celle  montagne ,  ôte-loi  de  là 
et  te  jettes  dans  la  mer,  et  cela  sans  hésiter  dans  son  cœur;  mais 
croyant  que  tout  ce  qu'il  aura  dit  arrivera,  il  le  verra  en  effet  ar- 
river. 

Voilà  ce  que  Jésus-Christ  entend  par  croire  ,  quand  il  s'agit 
d'obtenir  des  miracles.  C'est  à  celte  intensité  de  foi  seulement 
qu'il  a  promis  que  la  loute-puissance  de  Dieu  ne  lui  ferait  pas 
défaut. 

M.  de  Gasparin  de  s'étonner.  Quoi!  dit-il,  tant  de  miracles 
depuis  la  Bible,  et  si  peu  pendant  la  Bible???  Ne  pas  oublier 
que  M.  (le  Gasparin  ne  croit  qu'aux  faits  consignés  dans  l'Écri- 
lure.  La  Bible  elle-même,  cependant,  a  dit  qu'elle  ne  disailpas 
pas  tout. 

Voilà  de  quelle  manière  en  usenl  avec  l'Écriture  ces  personna- 
ges qui  font  foi  en  d'autres  occasions  de  croire  à  l'infaillibilité 
littérale  du  texte ,  et  de  lui  rendre  un  culte  approchant  du  féti- 


88  DKS  TAIII.KS  TOIR!«A>TF.S,  KTI  . 

iliiMiio.  L'tiiUure  «'Sl  cxt-rllonie,  mais  à  la  condilioii  (Hi'rllc  ex 
|)riinora  loulcs  les  fantnisios  df  nom*  esprit. 

M.  de  Gas|)arin  ne  fait  pas  moins  do  violencp  au  sens  com- 
mun (;l  à  la  raison  univi'iselli'  (pi'aiix  lexies  sacrés.  C'est  jnslire. 

On  l'a  vu  ,  rameur  se  jjroposc  la  i:lrlie  honni^te  et  modérée 
de  eonvaincre  l'Église  cadiolique  d'imposlure,  alors  (jirelle 
allirme  sa  loi  aux  laits  miraculeux  et  cju'ellc  eu  |>résente  à  la  >é- 
ueration  des  lidelcs.  Noijà  la  thèse  :  ou  tout  ce  (juc  M.  de  Gas- 
parin  avance  pendant  deux  volumes  n'a  point  de  sens.  D'emblée 
nousosons  lui  faire  un  reproche,  celui  d'avoir  manqué  de  francliise. 
Il  pose  la  question,  il  en  esquive  les  preuves.  Certes,  c'était  le 
lieu  de  combattre  corps  à  corps  avec  l'Église  caiholitpie,  «le  l'at- 
taquer sur  It.'  terrain  des  canonisations,  de  faire  le  procès  aux 
saints  «ju'elle  rev«'re  ;  d'en  démolir  au  moins  quebpies-uns  entre 
les  |>lus  considérables.  C'étaient  b's  vies  de  saint  Fian«;ois  d'As- 
sise, de  saint  François  Xavier,  de  sainte  Thérèse,  de  saint  Fran- 
çois de  Sales  «ju'il  fallait  cribler  à  jour.  Un  ricanement  furtif 
n'est  pas  une  épreuve  critique.  Les  vies  de  ces  adnjirables  ser- 
\iieurs  de  Dieu,  ont  été  continuellement  ^loriliées  par  les  mira- 
cles; le  surnaturel  y  éclate  à  clKupie  pas;  leur  foi  si  énergique, 
si  intense,  si  déj^'a^'c'-e  d'attaches  terrestres,  ressemble  si  peu  à 
celle  du  commun  des  hommes,  cpion  ne  s'étonne  plus  de  les  voir 
transporter  les  montagnes,  vaincre  la  iiaiiire  et  dominer  les  élé- 
ments. Voilà  ce  «pie  nous  éprouvons  en  présence  de  c<'s  admira- 
bles s«'rviieurs  de  Dieu  qui  sont  «Tailleurs,  comme  tant  d'autres, 
des  |)ersonna|,'es  <]«•  riiisloire.  Les  préi«''riter,  c'est  faire  acte  in- 
sif^ne  de  faiblesse. 

Quand  on  a  le  verbe  si  li«'r,  il  siérait  davdir  le  vrai  «-otira},'»' 
«le  son  «»pinion  et  «le  s'atta«pu'»'  aux  re(.'lles  «liHi«"ultes  du  sujet. 
Quelques  pages  insignifiantes  sur  b's  «-rreurs  des  l«''moif,'nages 
ne  suHisent  pas  [)Our  «onvaincn'  l'Église  de  fraud«'s  «lans  «es 
procès  d«'  «'anonisation  si  lents,  si  circonspects,  si  graves  «lans 
b'urs  actes ,  ««l  dont  la  procé«lure  ,  au  siècle  dernier,  confondit 
d  une  manière  si  éclatante  les  préjugés  «l'un  anglican  «lont  la  «'on- 
version  est  «lemeurée  «élèbre.  .M.  de  (iasparin  croit-il  an«''antir 
pour  niiiis  les  pag«'s  admirables  «le  s, uni  Augustin  dans  la  «iH*  de 
Dieu,  iiii  It-  saint  e\èipie  priii  lame  tant  de  faits  miracideu\  doni 


DIS  I  AIII.I.S  KIIIUNAM  i;S,  KTC.  89 

il  a  ô.U'  le  tiMiKiiii,  ceux  en  parliculier  (|ui  échilèreiil  lors  de  l'io- 
vciiiioii  (lu  (îoips  (io  saint  l^liofine,  I(ï  picmier  mailyrc,  et  les  si- 
j^iics  oxlraordinaircs  (|iii  accoinpafîiirn'ul  la  (h'-coiivcrlo  <los  corps 
(le  saint  Gcrvais  et  dv  saint  l'rulais  par  saint  Anihroisc.  Il  osl  nn 
iiiiiaclo  qnc  l)oancou|i  de  saints  ont  opér»'-,  saint  l)oiniiii(|uo  cl 
saint  François  Xavi(M-  en  paiiicidii  r,  c'est  la  rcsurrection  des 
morts.  M.  de  Gaspaiin  a  i^arde  d'en  pailer  et  île  nous  dire  par 
quel  sorliléyc  ces  ('•vén<Mn('iils  se  [)r<)dniscnl.  Nond)r(!  de  ces  faits 
sont  inhérents  à  l'histoire;  si  on  les  nie,  ce  n'est  pas  seulement 
le  surnaturalisme  qu'on  nie,  c'est  le  rondement  de  toute  cerli- 
iiide.  Contester  ainsi  les  merveilles  d'une  vie  telle  (jue  celle  de 
sainte  Catherine  de  Sienne,  celle  lemme  sublime  qui  fil  sortir  les 
Papes  de  l'exil  d'Avignon  ;  de  sainte  Thérèse  ,  la  gloire  des  Es- 
pagnes  ,  c'est  nier  la  vertu  dans  son  plus  bel  éclat,  élevée  à  la 
plus  haute  puissance  par  !a  loi  la  plus  intense,  c'est  méconnaître 
le  génie  dans  toute  sa  force.  S'il  ne  faut  pas  se  fier  à  sainl  Au- 
gnsiiu  ou  à  sainl  Bonaventure  ,  touchant  des  faits  qu'ils  ont  vu  , 
à  (jui  se  lier? 

M.  de  Gasparin  prétend  Montaigne  pour  lui,  et  il  ose  se  poser 
simplement  comme  son  continuateur.  Il  offre  au  lecteur  un  frag- 
ment où  Montaigne  se  moijue  des  faux  miracles,  c'est  très-bien; 
nuiis  pourquoi  donner  à  entendre  qu'il  n'admet  aucun  miracle, 
ce  qui  est  faux  (1).  C'est  par  la  même  tactique  déloyale  que  M.  de 


(1)  Voici  ce  que  dit  Montaigne,  au  livre  1*'  des  Essais,  chap.  i20  : 
«  Quand  nous  lisons  dans  LJouchet  les  miracles  des  reliques  de  sainct 
llilairc,  passe;  son  crédit  n'est  pas  assez  grand  pour  nous  osier  la  licence 
d'y  contredire  :  mais  de  condamner  d'un  train  de  pareilles  histoires,  me  sem- 
ble singulière  impudence.  Ce  grand  sainct  Augustin  tesmoigno  avoir  veu , 
sur  les  reliques  sainct  Gcrvais  et  Prolaisc  à  Milan,  nn  enfant  aveugle  recou- 
vrer la  vcue  ;  une  fenmie,  à  Carihage,  cstr.e  guarie  d'un  cancer  parle  signe 
de  la  croix  qu'une  fenmie  nouvellement  baptisée  lui  feit;  Hesperius,  un  sien 
familier,  avoir  chassé  les  esprits,  qui  infestoient  sa  maison,  avecques  un  peu 
de  terre  du  sepulchre  de  nostre  Seigneur;  et  cette  terre  depuis  transportée 
a  l'eglisc  ,  un  paralytique  en  avoir  esté  souhdain  guari  ;  une  femme,  en  une 
procession,  ayant  louché  à  la  chasse  sainct  Estienne,  d'un  bouquet,  et  de  ce 
bou(piet  seslant  IroUé  les  yeulx  ,  avoir  recouvré  la  vcue  pieça  perdue;  et 
plusieurs  aultres  miracles,  où  il  dict  luy  mesme  avoir  assisté  :  de  quoi  accu- 
serons nous  et  lui  cl  deux  saincis  evesques  Aurelius  et  Maximinus,  qu'il  ap- 


W  HKS  TABI.KS  TOI  r.^ANTtlS,  V.TC. 

do  Gaspariii  laisse  iroire  que  les  dncleurs  Caliiuil  ri  livii'w  lien- 
unit  tous  lus  miracles  des  mysli(|iics  el  lous  les  cas  d«;  posses- 
sions i>our  des  cas  de  folie,  du  seul  fait  <|uc  ces  messieurs  en 
nu'llenl  en  discussion  un  ceriain  nombre,  el,  nous  nous  empres- 
sons de  le  dire,  avec  une  parfaite  comptlcnce. 

Kncore  une  fois,  il  s'agissait  ici  de  discuter  les  miracles  aux- 
tpu'ls  rEj,'lise  a  donn<''  la  },'araniie  de  son  examen.  Au  lieu  de 
cela,  M.  de  Gasparin  nous  enlretienl  de  faits  louchani  lescjucls 
l'Kglise  n'a  rien  décidé;  des  miracles  attribués  à  Gassner,  par 
exemple,  et  de  ceux  du  prin<e  llolienlolie,  (ju'il  nomme  des  mi- 
racles ullramontains,  de  la  croix  de  Miyné,  des  slyj;maiisées  du 
Tyrol  ,  qu'il  nomme  des  miracles  catholiques.  Comprenne  <pii 
pourra  la  dillerence.  Ces  sectaires  ont,  en  vérité,  des  imagina- 
tions prodi^'ieuses.  Puis  il  tourne  court ,  après  (juehjues  pro|)os 
«le  commis  voyageur,  sur  les  reliipies,  et  il  assure  quil  le  faut 
louer  de  sa  modération.  C'est  se  motpier.  Qu'est-ce  autre  chose, 
(piécette  modération,  sinon  la  reculade  la  |)lus  complète?  Dn 
pareil  acte  se  devrait  laxei-  de  déloyauté,  s'il  n'y  fallait  voir, 
avant  tout,  l'irrésistible  témoignage  de  défaillance  d'un  esprit 
extravagant  engagé  dans  une  entreprise  impossible. 

Il  est  un  livriî  c<lèl»re  entre  tous  ceux  qui  traitent  de  ces  ma- 
tières, autant  par  l'imposante  notoriété  de  son  auteur  cpie  par 
la  science  admirable  ipi  il  révèle;  c'est  la  Mystique  sacrée  de 
l'illustre  protestant  converti  Gierres.  Un  homme  sérieux,  tpii  au- 
rait eu  (pielque  rcsptîcl  de  soi  et  de  ses  lecteurs,  se  serait  gard*' 
de  n'en  pas  entreprendre  la  réfutation.  M.  de  Gasparin  pass«- 
outre  fièrement  et  il  triomphe. 

Si  seulement  il  avait  essayé  imc  discussion  s(''rieuse  sur  un 
fait  particulier;  par  exenqde,  sur  le  récit  de  la  litpielaclion 
du  sang  de  saint  Janvier,  écrit  par  l'historien  Hurler,  étant  en- 
core protestant,  alors  qu'il  présidait  le  Consistoire  de  SchalTliouse. 
Mais  ne  croyez  |)as  (pi'il  accorde  de  pareilles  satisfactions.  Il  est 


pfilc  |U)iir  SCS  recors?  sera  ce  d'ignorance,  sinipicssc,  facilite?  onde  malice 
cl  iinposlnrc?  Ksl-il  homme  on  noslrc  siècle  si  inipndcnl,  4]ui  pense  leur 
cstre  coniparid)le.  soil  en  verin  cl  piott',  soit  en  .«i.ivoir,  iugcmcnt  cl  snlli- 
sancc  ?  • 


ni:S  TAIILKS  roi  IIN.VMI'.S,  KTC.  91 

l)i(Mi  plus  commodo  de  courir  sus  aux  pclitcs  hisloires  de  sor- 
ciers. Là,  ou  |K'nl  vaincio  loul  :•  rais<'. 

Diions-uous  (ju'il  y  a  eu  de  faux  miracles  ?  Eli,  mon  Dieu  î  en 
laul-il  d'autre  preuve  que  le  soin  extrême  qu'apporte  rEj,dise  à 
vérilierceux  qu'ell»;  estime  dignes  d'être  soumis  à  son  examen? 
Tout  croire  aveuglément  est  tine  grande  faiblesse,  sans  doute; 
mais  tout  rejeter  systématiquement  n'en  est  pas  une  moindre. 
Oli  !  les  vaillants  espiils  (pio  ceux  (pii  eontestcnl  tout  surnaturel  I 
S'il  n'y  avait  pas  de  vrais  miracles  ,  on  ne  se  donnerait  pas  la 
peine  d'en  faire  de  faux.  La  fausse  monnaie  n'existe  qu'à  la  fa- 
veur de  la  bonne  qui  est  en  circulation. 

Ayant  considéré,  dit  Pascal  (1).  d'où  vient  qu'il  y  a  tant  de  faux  miracles,  de 
fausses  révélations,  de  sortilèges,  il  m'a  [)aru  <iuc  la  véritable  cause  est  qu'il  y  en 
a  de  vrais  ;  car  il  ne  serait  pas  possible  (ju'il  y  pùI  tant  de  faux  miracles,  s'il  n'y 
en  avait  de  vrais,  ni  tant  de  fausses  révélations,  s'il  n'y  en  avait  de  vraies,  ni 
tant  de  fausses  religions,  s'il  n'y  en  avait  une  véritable.  Car  s'il  n'y  avait  ja- 
mais eu  de  tout  cela ,  il  est  comme  impossible  que  tant  d'autres  l'eussent 
cru.  Mais  comme  il  y  a  eu  de  très-grandes  choses  véritables,  et  qu'ainsi  elles 
ont  été  crues  par  de  grands  hommes,  cette  impression  a  été  cause  que  pres- 
(jue  tout  le  monde  s'est  rendu  capable  de  croire  aussi  les  fausses.  El  ainsi, 
au  lieu  de  conclure  qu'il  n'y  a  point  de  vrais  miracles,  puisqu'il  y  en  tant  de 
faux,  il  faut  dire  au  contraire  qu'il  y  a  de  vrais  miracles,  puisqu'il  y  en  a  tant 
(le  faux;  et  qu'il  n'y  en  a  de  faux  que  par  celle  raison  qu'il  yen  a  devrais; 
et  qu'il  n'y  a  de  même  de  fausses  religions  que  parce  qu'il  y  en  aune  vraie. 
L  objection  à  cela,  que  les  sauvages  ont  une  religion  :  mais  c'est  qu'ils  ont 
ouï  parler  de  la  véritable,  comme  il  paraît  par  la  croix  de  Saint-André,  le 
déluge,  la  circoncision,  etc.  —  Cela  vient  de  ce  que  l'esprit  de  l'homme,  se 
trouvant  plié  de  ce  côté-là  par  la  vérité  ,  devient  susceptible  par  là  de  toutes 
les  faussetés. 

Qu'il  y  ait  donc  des  faits  controversables  ;  qu'il  y  ait  de  nom- 
breuses erreurs  commises;  qu'il  faille  surprendre  des  fraudes, 
des  défauts  de  jugement  et  démasquer  des  impostures,  là  n'est 
pas  la  question.  Encore  un  coup,  qui  en  a  jamais  moins  douté  que 
I  Église,  (jue  l'on  accuse  de  pousser  à  la  crédulité  supersti- 
tieuse? Si  M.  de  Gasparin  eût  borné  sa  lâche  à  l'effort  louable 
de  dépister  le  faux  surnaturel ,  les  intrigues  de  quelques  mal- 
lionnêlesgens,  d'agrandir  le  champ  des  effets  naturels  et  scien- 

H)  Pensées.  Edit.  Lcfcbvre.  Paris  18t7. 


\)1  l»KS  T  IIII.KS  TiM  n\  WTKS,  KTC. 

iili<|iios  par  .!»'s  rechorclu's  sui-  la  naiiiir  des  moiivoini'nls  lluitli- 
(|m'S  el  le  magnclisnu',  il  aiirail  bien  irn'-rilé  de  la  xrii»'.  Mais  la 
passion  le  perd;  loiile  firaviii-  rahaiiddiiuc.  Il  demciirr  jiisipraii 
lioiit  lidèle  à  la  maxime  qu'il  Hawaii  l'an  deiriirr  dans  un  di- 
ses livres  :  (fn  ne  saurait  haïr  médiocrement  V Eglise  catholique. 
Aussi  la  linine  est  lu  plus  forte,  ei  le  chrétien  bildi(|ue  inspiré 
ne  rougit  ()as  de  mille  gravelures  voltairiennes  et  «les  propos 
liahiltiels  dt;  l'inipiflé  la  plus  lésolue. 

Ce  pitint  d<'  nuc  capital  :  la  persistance  du  surnaturel  di- 
Nin  (''tant  é<artée  ,  Tceuvie  de  railleur'  «'Si-elle  de  (piolipir  prix  , 
lournit-elle  queUpies  clartés  touchant  les  possessions  ,  la  niajîie , 
les  revenants  et  les  manifesialions  des  esprits  auxquels  l'appa- 
lilion  des  tables  tournantes  a  rendu  quelque  crédit? 

\voir  mal  posé  les  (juestions,  avoir  déserté  la  discussion  sur 
le  point  essentii'l,  sont  déjà  des  torts  considérables  (pii  intliuient 
d'avance  les  conclusions  secondaires.  Voyons  cependant. 

M.  de  Gasparin  ne  croit  pas  au  surnaturel  dÎNin  dipuis 
les  apôtres,  il  ne  croit  pas  davantage  au  surnaturel  diabolique; 
i(»Mt  au  moins  V expérience  personnelle  ne  l'y  porte  pas  en  ce  mo- 
ment. C'est  pourtant  lui  (jui  écrivait  il  y  a  six  mois,  dans /p.v 
Ecoles  du  doute  :  Le  catholicisme  est  le  chef-d'œuvre  du  diable  , 
et  le  diahlc  est  le  prince  du  monde.  Ces  incoher«'n<es  accroieni 
bien  leur  valeur  pour  une  It-ie  bii-n  organisée,  mais  passons  et 
eouienlons-nous  d'être  louclu's  de  ce  débris  d'ancienne  («»n- 
science  en  notre  laveur;  cai-  à  l'endroit  des  catholi«pies,  il  n'ap- 
paiaii  pasipi'il  se  suit  o|>éré  des  changements  dans  l'opinion  d<' 
M.  de  (jaspaiin.  Quoi  «pi'il  en  soit ,  pour  le  «piart  d'heure,  no- 
tre théologien  réformé  constitue  le  diable  à  l'état  de  roi  fai- 
néant; il  assure  que  de|Miis  la  Hible  Sa  Majesté  est  rentrée  dans 
ses  appartements.  C'est  pour  des  raisons  expérimentales  de  cette 
force  que  le  ministre  Coquerel  ié|»rouvait  l'autre  jour  le  dogme 
du  pèche  originel  en  style  larmoyaiil.  L'Kglise  caiholi<pie  n'a  pas 
aiilaiu  de  bonheur,  elle  croit  au  démon;  elle  garde  la  parole  de 
la  Bible  ,  in  nomine  mco  demonia  ejicient.  Mon  nom  étant  invo- 
ijué,  ils  chasseront  les  démons. 

L'état  de  possession  dont  il  est  lant  parlé  dans  les  temps  apos- 
toliques, avait  des  caractères  propres  admis  par  les  païens  et  les 


DIS  lAIII.KS  r()lU>AMi:S,  KIC.  93 

.liiils.  aussi  l)i(ii  ([lie  j»;ir  les  <  lirt'liens.  Si  on  le  considère  comme 
un  élal  iialm«'l  :  de  ce  qu'il  ii'exisle  plus,  ou  ne  s;iur;iii  conclure 
(|iril  n'îi  juin. lis  existe'-.  De  (•<•  (luaujouicriiui  il  n'y  a  plus  de  lé- 
preux. |)ersoniie  ne  voudra  soutenir  qu'il  n'y  en  a  jamais  eu. 

Si  on  le  considère  ,  el  c'est  là  son  vrai  caractère  ,  comme  un 
étal  surnaturel ,  quant  à  la  fréiiucncc  el  quant  aux  raisons  de  se 
produire,  il  devient  l'analogue  des  autres  faits  surnaturels.  Ce 
sont  là  des  matières  sur  lesquelles  l'Kgiise  n'a  donné,  que  nous 
sachions,  aucune  délinition  de  de'tail.  Ou  ne  peut  donc  hasarder 
(|U0  des  conjectures;  nous  ne  voulons  pas  nous  v  livrer. 

Mais  on  a  voulu  expliquer  l'clai  de  possession  par  un  état  de 
maladie.  L'explication  a  toujours  échoué  pour  les  faits  bibliques. 
Quant  aux  faits  ultérieurs  à  ceux  des  trois  ou  quatre  derniers 
siècles,  sur  lesquels  une  critique,  fort  permise  assurément,  s'est 
exercée  dans  tous  les  sens  :  eh  bien,  la  confusion  la  plus  extrême 
résulte  des  théories  contradictoires  avancées  pour  les  expli- 
quer. Certes ,  nous  ne  voudrions  pas  contester  les  progrès  de 
la  science ,  et  nul  n'est  plus  disposé  à  rendre  hommage  à  des 
travaux  consciencieux  tels  que  ceux  de  MM.  Calmeil  et  Brière  de 
Boispiont  sur  la  folie  ;  mais  nous  ne  pouvons  dissimuler  qu'à  notre 
sens  les  théories  de  M.  Calmeil  sur  les  épidémies  de  démonopa- 
diie  sont  trop  absolues.  Si  tel  de  ces  faits  rentre  fort  ration- 
nellement dans  les  cas  de  folie,  si  la  théorie  moderne  des  hal- 
lucinations explique  plusieurs  phénomènes  d'une  manière  sa- 
tisfaisante, d'autre  part  il  y  a  des  circonstances  graves  devant 
lesquelles  la  science  échoue.  De  même  qu'il  a  été  impossible 
d'assimiler  les  possessions  bibliques  à  aucune  des  maladies  con- 
nues, il  est  tels  de  ces  exemples  d'épidémies  nerveuses  où  la 
science  est  à  bout  de  voies,  arrêtée  qu'elle  se  trouve  par  des 
circonstances  insolites.  Il  résulte  de  là  que  les  tentatives  d'inter- 
prétation n'engendrent  pas  toujours  des  convictions  définitives. 

Il  en  est  de  même  pour  la  magie.  L'Église  non  plus  n'a  rien 
d('fini  à  cet  égard  ;  mais  elle  a  proscrit  la  magie  dans  ses  conciles, 
donc  elle  croit  à  la  possibilité  d'un  pacte  entre  l'homme  et  les 
esprits  de  ténèbres.  La  sorcellerie,  qui  avait  rempli  toute  l'an- 
tiquité ,  était  punie  comme  un  crime  dans  toute  l'Europe.  La 
plupart  des  sorciers  se    réfugiaient  dans  ses  arcanes.  Il  y  a 


Î)V  •»•  >  iAHi.h>  r(tiu>AMi.>,  i.n  . 

eu  «le  nomluoux  (M  volumineux  procès  contre  les  sorciei*s,  sui- 
vis <le  condamnations  capitales.  Dire  que  les  magistrats  qui  ont 
concourus  ù  ces  arrêts  dunint  des  siècles  n'ont  su  ce  (ju'ils  fai- 
saient, et  que  les  aveux  par  eux  ohienus  des  accus«''s  ne  prouvent 
quoique  ce  soit ,  c'est  un  peu  hasarde,  il  est  <ertain  que  très- 
souvent  les  individus  incriminés  de  sorcellerie  ont  avoué  le  fait 
sans  avoir  sid)i  la  torture.  Le  Parlement  de  BourgO},'nc  jugea  un»; 
cause  de  celle  nature  veis  le  inilien  du  dix-luiitièmc  siècle;  ou 
ne  saurait  rejeter  une  pareille  cimdamnalion  sur  les  ténèbres  du 
moyen  âge,  sur  le  fanatisme,  sur  ravetigiement  des  juges.  Au 
moins  faut-il  admettre  qu'il  y  avait  des  hommes  rpii  croyaient  à 
la  magie,  qui  avaient  eu  sérieusement  la  coupable  pensée  d'en- 
trer en  relation  intime  avec  le  diable  et  qui  croyaient  sérieuse- 
ment y  être  parvenus,  puisqu'ils  en  convenaient  au  péril  de  leur  vie. 

il  y  a  beaueou|)  de  légèreté  dans  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  et' 
triste  sujet ,  et  on  a  regret  de  voir  un  homme  religieux  tel  que 
M.  deGasparin,  s'emparer  de  ces  friperies  vollairiennes ,  pour 
en  tirer  un  bill  d'accusation  non  seulement  contre  l'Église,  mais 
encore  contre  l'ancienne  magistrature  française,  la  première 
magistrature  de  l'Europe  civilisée. 

M.  de  Gasparin  voudrait  faire  de  la  magir  une  prérogative  des 
pays  catholi(pi('s;  et  Ton  pourrait  eiier  ici  son  diili\rambe  sur 
les  sorciers  piilissant  j>arl(tut  <levant  la  himitre  biblique  reton- 
tjuise  |»arle  protestantisme.  Il  est  fâcheux,  pour  celle  prétention, 
(|ue  l'histoire  ra|)porlc  (jue  jamais  les  épidémies  de  sorciers  ne 
furent  plus  nombreuses  qu'au  16'  et  au  17'  siècle,  dans  les  pays 
réformés.  A  Genève,  on  peut  compter,  ù  cette  époque,  par  cen- 
taines les  condamnations  capitales  pour  cause  de  sortib-ges.  As- 
sun-ment  alors  on  était  en  pleine  lumière  réformée,  et  la  Bible, 
au  dire  des  pasteurs  de  Genève,  céb'e  jiendant  tant  de  siècles 
par  le  clergé  catholi(pie,  exeieait  toute  sa  puissance.  Ce  courant 
d'idées  était  si  prépondérant  ilans  le  pays,  <pje  nous  voyons  les 
ministres,  pour  résister  aux  succès  de  la  prédication  de  saint 
François  de  Sales  dans  le  Chablais,  ne  pas  savoir  trouver  d'autre 
expédient  (pie  de  l'accuser  de  sorcellerie.  Malgré  toules  les  af- 
firmations de  M.  de  Gasparin,  il  n'y  a  qu'A  ouvrir  un  livre  d'his- 
toire sérieuse  pour  voir  qu'après  la  refoi'me  !••  peupb-'  i\u  pays 


i>KS  ta»m:s  Toni NANTIS,  i.n;.  î)o 

(le  Vaiul  tomha  dans  la  supcrslition  et  accorda  plus  (|uc  jamais 
coniiance  aux  sorciers.  Les  lois  hernoises  furent  ohlij,'ées  d'inli-r- 
vonir  mainic  lois.  On  lit  dans  Ruclial  (llisl.  ccclés.  du  canlon  de 
Vaud)  «lu'il  y  eut  en  IG16  assemblée  des  ministres  de  la  classe 
de  l.ausanne.  Là  on  demanda  à  tous  ce  ([u'ils  pensaient  touchant 
la  cause  de  la  multitude  des  sorciers  (jui  se  trouvaient  dans  le 
pays.  La  preuve  (|ue  dans  les  temps  calliolitpies  il  était  fort  peu 
(pieslion  de  sorcellerie  dans  le  pays  de  \  aud,  c'est  (]ue  le  synode 
de  Berne,  en  lo3*2,  ne  traite  pas  de  cette  matière,  qui  le  préoc- 
cupe coniinuellenient  GO  ou  80  ans  plus  lard.   Aujourd'hui  en- 
core le  paysan  vaudois  est  plus  inleclé  de  croyances  superstieu- 
ses  que  ses  voisins  de  France,  de  Savoie  ou  de  Frihourg.  M.  de 
Gasparin  a  tout  près  de  lui,  à  Valleyre,  un  sorcier  célèbre,  qui 
pratique  la  fumigation  magique  dans  les  (-tables  où  se  trouvent 
des  bestiaux  malades.  Que  ne  Iravaille-t-il  à  détourner  de  son 
métier  ce  persoimage.    Ce  scrait-là  une  œuvre  pie  tout  aussi 
agréable  à  Dieu  que  d'enrichir  de  subsides  les  entreprises  d'(''- 
vangélisaiion  protestantes.  On  pourraitciier  bien  d'autres  témoi- 
gnages. M.  de  Gasparin,  qui  ne  voit  jamais  le  moyen  agc  qu'à  Ira- 
ver  les  vésanies   de  son  imagination  ,   parle  des  procès  faits  à 
des  animaux  malfaisants  par  les  oflicialiiés  des  évêques  de  Lau- 
sanne, et  il  s'empresse,  avec  la  plèbe  des  demi-savants,  de  pré- 
senter ces  actions  judiciaires  comme  des  actes  de  superstition 
et  de  barbarie,  ce  qui  est  donner  à  ces  faits  la  couleur  la  plus 
mensongère. 

Voici  ce  que  dit  M.  Léon  Ménabréa  (1)  dans  l'introduction  à 
son  savant  mémoire  sur  VOrigine,  la  forme  et  Vesprit  des  juge- 
ments rendus  au  moyen  âge  contre  les  animaux  : 

Dans  le  temps  où  Ion  imagina  de  faire  des  procédures  aux  animaux  nui- 
sibles, afin  de  les  obliger  à  déserter  les  lieux  où  ils  exerçaient  leurs  ravages, 
on  n'était  pas  assez  aveugle  pour  croire  (juc  ces  créatures  brutes  fussent 
douées  de  conscicnec,  cl  qu'on  dût  les  placer  au  niveau  de  l'homme  :  ces 
procédures  ne  constituaient  primilivcmonf  qu'une  espèce  de  symbole  des- 
tine à  ramener  le  sentiment  de  la  justice  parmi  des  populations  qui  ne  con- 


(1)  Chambér>  ISiT).  in-8. 


90  !»>>  lABI.KS  TOI  IINANTKS.  KT«:. 

iiai<i>.iioi)(  ilr  ilrnit  ({tic  le  ilroit  «lu  |ilii>>  fort  ,  i-t  de  loi  i|iir  la  loi  de  l'intidii- 
daliiin  cl  de  la  \iolcncc. 

Au  niovLMi  â^r .  alors  que  Ir  dc^sordrc  planait  sur  la  socit'ttS  <|uc  le  fail)lf 
restait  sans  np|iui  contre  le  puissant ,  «pic  la  propriélé  demeurait  exposée  a 
toutes  sortes  d'attentats,  «le  dévastations,  de  rapines,  il  y  axait  je  ne  sais 
quoi  de  beau  dans  la  pensée  <pii  assimilait  l'inscrte  des  champs  au  chef- 
d'œuvre  de  la  création,  et  qui  rendait  l'un  l'éf^al  de  l'autre.  Si  l'on  devait  en 
elTet  respecter  la  retraite  du  vermisseau,  combien  à  plus  forte  raison  ne  fal 
lait-il  pas  que  rtiomnic  respectât  l'honnue,  et  que  chacun  se  pouvernit  selon 
l'équité!  Ces  idées,  par  leur  exagération  même,  étaient  destinées  à  impres- 
sionner vivement  les  esprits,  et  à  réveiller  chez  le  peuple  le  cidie  des  ver- 
tus sociales.  Il  y  a  plus,  en  considérant  les  ravages  des  insectes  comme  des 
fléaux  que  le  ciel  envoyait  pour  la  punition  du  méchant,  on  amolissait  les 
cœurs  endurcis ,  on  les  forçait  à  s'avouer  coupables  ;  les  cérémonies  reli- 
gieuses pratiquées  en  pareil  cas,  n'avaient  d'autre  but  que  de  fléchir  la  colère 
divine  et  de  consommer  l'amendement  des  pécheur.*.  Quant  à  l'anathème 
(|u'on  fulminait  d'habitude  contre  les  bétes  nuisibles,  et  qui  servait  de  com- 
plément à  la  |)rocé(liire.  il  faut  bien  se  {garder  de  le  confondre  avec  l'excom- 
munication proprement  dite.  Uni  ignore  en  elfet  que  les  censures  de  l'Kglise 
ne  peuvent  alTccter  (jue  ceux-là  seuls  ((ui  font  partie  du  corps  des  fidèles,  et 
<juc  les  créatures  privées  de  raison  ne  sauraient  y  être  soumises?  Il  ne  s'a- 
gissait donc  ici  que  d'une  espèce  de  malédiction  ou  d'imprécation  semblable 
à  celle  dont  les  livres  saints  fournissent  de  si  fréquents  exemples;  ce  qui  est 
prouvé  d'ailleurs  par  la  formule  des  sentences  que  l'on  rendait  dans  les  cau- 
ses de  ce  genre 

Il  est  |)i(]ii;uit  <]iiocf*  soit  jtisi('iiir>nt  le  roi  l.oiiis  \IV,  (jiic  M.  de 
Giisparin,  on  bon  piolcslanl,  honore  d'iiiic  iiiiiiiiiie  personnelle, 
qui  ail  fait  cesser  les  cx<  oulions  judiciaires  pour  cause  de 
sorcellerie.  C'est  aussi  un  souverain  catholique  qui  rend  l'iiat 
civil  aii\  piotc-ilants  de  France,  pitis  do  40  ans  avant  le  hill  d  ••- 
nian(  ipalion  des  callioli(|ties  en  Anglelcrre,  cela  à  une  époqu»' 
où  dans  tous  les  Etats  protestants  n^gnail  celle  législation  draco- 
nienne que  M.  de  Gasparin  réprouve  si  justement  dans  la  Suède 
d'atijourd'htii. 

Pour  les  tables,  M.  de  Gasparin  leur  dit  :  \'ous  irez  jusquc-l;i, 
et  pas  plus  loin.  Vous  tournerez,  vous  vous  soulèverez  à  distance 
des  opératetirs  ;  votis  deraonlrerez  l'existence  d'un  agent  fltiidi- 
<jue  se  produisant  sous  l'empire  de  ctMiaines  circonstances  don- 
nées, et  sous  l'imptilsion  de  certaines  personnes.  Quant  à  parler, 
à  rendre  des  oracles,  à  manifester  les  volontés  des  moris,  à  d<'- 
voilfi-  raveiiif.  vous  n'y  prclcndrez  |)oinl.  En  ceci,  le  scnliiui m 


i)i:s  lAHMiS  roMiNAS riis,  i:tc.  97 

(l(;  M.  (Ir  (iaspiiiiii  pai-iil  loil  jiislc.  Il  rapproche  le  iiiouvenK'nt 
l]tii(li(|ia>  (l(>s  tables  (lu  nia;<nétisme  animal,  avec,  qui  il  u  plus 
(l'une  anal()jj;ie.  Chez  Ions  deux,  CD  ellet,  môme  incohérence  des 
Ksidiats,  même  incertitude  d'action,  même  penchant  :\  ne  se 
produire  (|ue  sous  rinilucnce  d'in(li\i(îus  privilcfjics,  même  va- 
j;ue  (juant  aux  conclusions  à  tirer,  même  impossibilité  pour  re- 
produire, à  volonté,  deux  ou  plusieurs  lois  des  elFcts  semblables; 
partout  même  inaptitude  des  deux  aj,'enls  à  réaliseï-  des  données 
fixes  cousiantes  ,  certaines ,  en  un  mol  scient i(i(pies.  Il  est  grand 
dommage,  vraiment,  que  M.  de  Gasparin  n'ait  pas  limité  son 
ambition  à  celte  ipieslion  des  tables  et  du  magnétisme.  Il  aurait 
été  utile ,  actuel  ;  tandis  qu'en  se  laissant  aller  au  gré  de  son 
humeur,  il  a  gaspillé  inlructueuscment  un  sujet  immense,  des 
plus  graves,  celui  du  surnaturel.  A  chaque  pas  son  incompétence 
éclate ,  et  le  lecteur  se  sent  d'autant  plus  dispose*  à  la  lui  repro- 
cher, qu'il  se  montre  plus  absolu  dans  ses  assertions  et  plus 
acerbe  dans  ses  formes. 

C'est  dire  que  M.  de  Gasparin  fait  bonne  guerre  aux  esprits 
frappeurs,  aux  spiritualisles,  aux  médiums,  à  toutes  les  préten- 
tions prophétiques  et  mystérieuses  qui  osent  se  greffer  sur  les 
mouvements  rotatoires.  On  trouvera  dans  son  livre  force  rensei- 
gnements sur  les  mœurs  des  tables  fluidifiées  et  sur  celles  des 
inspirés  ou  des  nerveux  qui  les  mettent  en  œuvre.  M.  de  Gas- 
parin veut  que  pai'mi  les  protestants  d'Amérique  les  seuls  uni- 
tariens  se  soient  abandonnés  aux  esprits  frappeurs,  et  il  les  per- 
sécute à  merci.  Il  faut  voir,  dans  cet  acharnement ,  l'animosilé 
d'une  querelle  intestine  de  secte  à  secte,  car  l'assertion  est  trop 
tranchante.  A  Genève  ,  où  les  tables  ont  aussi  leur  petite  secte 
(parmi  les  protestants),  qu'en  est-il?  Le  fait  eût  été  bon  à  éclair- 
cir.  La  mansuétude  dont  fait  état  M.  de  Gasparin  devient 
fort  équivoque,  alors  qu'il  se  prend  de  détester  les  gens;  sa  co- 
lère contre  les  uniiariens  le  fait  bien  voir. 

Il  ne  resterait  plus  maintenant  qu'à  conclure  et  à  essayer  de 
tirer  quelques  enseignements  du  livre  de  M.  de  Gasparin;  mais 
un  dernier  fdon,  dans  ces  >ftstes  volumes,  attire  notre  attention. 

A  travers  celle  mêlée  d'esprits ,  de  revenants  ,  d'apparitions, 
de  lycanlhropes,  de  possédés  que  M.  de  Gasparin  fait  passer  sous 

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Uë  i»i>  1  Aiii.i.s  roi  n.NAMHS,  I  rr. 

nus  v(Hi\,  il  (Si  un  r\cm|)hurc  dr  possession  dont  il  linit  din-  un 
Mioi,  car  il  n'c'si  pas  h;  moins  intt'rrssani  de  la  f,'al(rir.  (xMIe 
l»oss«'ssioii,  c'est  rcllr  (h;  M.  de  (jasparin  Ini-inênu' ;  c'est  le  ror- 
(  U*  d'idées  fixes  où  son  imagination  u  |>ris  racine;  et  n'allez,  pas 
croire  que  la  recherche  soit  oiseuse,  car  c'est  dans  ces  ar- 
canes de  sa  pensée  (ju'il  faut  surprendre  les  motifs  déterminants 
qui  ont  enj^aj,'é  Tauleur  à  faire  la  chasse  aux  esprits. 

(Jiii  l'eût  jamais  pensé!  M.  de  Gasparin  prend  la  parole  pour 
déjouer  une  conspiration;  oui,  nnc  <  onspiiaiion  de  l'tdtramon- 
lanisme  conire  les  piolestanis  :  «  Il  ne  sert  de  rien  ,  dit-il  en 
»  maints  endroits  du  livre  ,  de  se  faire  illusion  ;  nous  assistons  à 
>»  rien  moins  «pi'à  une  levée  de  l)OU(diers.  h  ime  manifestation 
»  (h)nl  la  portée  ne  saurait  être  méconnue.  Indépendamment  du 
•  rôle  considérable  (|ue  remplit  le  spiritualisme  américain 
»  comme  orj^anc  de  runitarismc,  il  a  pris  au  milieu  de  nous 
')  une  gravité  particulière  depuis  (pi  il  a  été  adopte  ouvertemeni 
»  par  le  parti  ultranionlain.  (le  parti  ne  dissimule  |ias  ses  pro- 
»  jets  |)leins  de  niciiaces  pour  nt)tre  civilisation  et  pour  nos  li- 
i>bertés;  il  saisit  avec  anicur  l'occassion  qui  lui  est  offerte  di' 
»  réhabiliter  ses  traditions  et  son  moyen  âge,  » 

V  ous  voyez  tl'ici  le  tlièm(;  s'arran},'er  dans  la  tète  de  l'elferves- 
cenl  écrivain  :  l'Éj^lise  s'appuyant  sur  les  tables  pour  n'habili- 
ter la  magie,  les  sorciers,  lcses[>rits,  les  épreuves  judiciaires,  le 
moyen  âge  enfin.  Les  biuhers  de  la  future  inquisition  éclairent 
II!  rè\e,  <i  de  nouv(;lles  dragonnades  sont  la  sanction  inévitable 
de  ces  «loctrines  terrifiantes.  Les  chefs  du  mouvement  sont  le 
j(Mirnal  V/nivcrs,  M.  le  marcpiis  de  Mirville,  M.  Gougrnot  des 
Mousseaux  (1),  les  évétpies  de  France,  etc.  On  va  dire  (|ue  c'est 
là  un  conte  à  dormir  debout,  une  histoire  forgée  à  plaisir.  Qu'on 
prenne  le  livre,  (|u'on  le  veuille  bien  parcourir,  on  ne  trouvera 
j)as  un  chapitre  oii  ces  idées  ne  tiennent  |)la<'e  ;  ou  |>lutôl  «pi'on 
se  borne  au  dernier  chapitre,  où  l'auteur,  pour  la  centième  fois, 


(I)  M.  de  MirvilIc  ri  M.  «les  Mousseaux , •auteurs  dc'crils  récrnls  sur  le 
surnuturel  et  les  esprits.  Ces  messieurs  <»nl  soutenu  la  liièse  tliamc'lrnlcineni 
••pposco  à  celle  de  M.  de  Gasparin. 


DKS  TAULKS  TOIRNANTKS,  ETC.  U\} 

nioicn  lij,'nescs;ir|^imifnis.  (/csi  l;i  (|n'oii  pourra  screiidr*;  coin|)l<: 
(les  pi'éocciipatioDs  (|iii  a^'ilrnt  anjoiinl'lmi  nombre  do  protes- 
lanis.  On  ne  j)enl  se  faire  une  idée  du  conianl  de  folN.'s  idées  qui 
anime  ces  imaj^inalions  sectaires.  Hicn  de  sain,  rien  de  [)Osé, 
rien  de  solide  dans  ces  têles  oii  les  aspirations  d'un  Tilx-ralisme 
enVén('  se  trouvent  aux  pr-ises  avec  les  fantômes  d'une  fraveur 
maladive.  El  M.  de  (ias|)aiin  n'est  pas  nu  <;\emplaire  unique. 
Il  ne  reproduit,  avec  un  peu  plus  d'intensité,  (pièce  que  disent 
bien  d'aulies. 

(Juoi  d(!  surprenant  (pic  la  foule,  parmi  les  protestants,  soit, 
à  l'endroit  des  eatlioli(pies ,  imbue  d(!  préjugés  aussi  imbéciles, 
(piand  on  voit  nn  homme  tel  que  M.  le  comte  de  Gasparin ,  un 
homme  qui  a  du  monde ,  qui  se  pique  d'érudition  et  de  lecture , 
<pii  se  piipie  surtout  de  sagesse  et  d'être  un  type  de  loyauté,  se 
faire  l'écho  de  ces  absurdit(»s,  de  ces  mille  mensonges  qui  vou- 
draient être  méchants,  si  avant  tout  le  ridicule  n'en  faisait  jus- 
tice. 

D'abord  il  est  convenu  qu'en  tous  lieux  les  protestants  sont 
opprimés,  tout  au  moins  qu'ils  sont  en  bulle  à  mille  attaques  d(; 
la  part  de  celte  fameuse  conspiration,  qui  aurait  les  jésuites  pour 
meneurs ,  le  journal  VUnivers  pour  organe ,  pour  instruments 
celte  masse  passablement  compacte  d'évéques,  de  prêtres,  de 
lidèles  qui  se  contentent,  chacun  à  son  rang  dans  la  hiérarchie, 
d'être  modestement  catholique  et  d'obéir  à  l'Église,  sans  lui  op- 
poser les  petites  restrictions  de  leur  amour-propre,  à  l'exemple 
des  Débats  ou  du  Siècle^  ces  pharisiens  du  libéralisme  que  les 
protestants  alTectent  toujours  de  considérer  comme  les  types  dd 
catholicisme  éclairé  qui  leur  convient. 

Mais  à  qui  M.  de  Gasparin  persuadera-l-il  que  les  protestants 
soient  aujourd'hui  persécutés  en  Europe.^  qu'ils  le  soient  en  France 
surtout,  où  certes  leurs  coudées  sont  assez  franches,  où  les  libres 
penseurs,  à  tous  les  degrés  de  l'échelle  sociale,  ne  cessent  de 
les  entourer  d'une  sympathie  extérieure  ,  par  manière  d'opposi- 
tion et  de  précaution  contre  l'Église.  M.  de  Gasparin  n'a-t-il 
pas  joui  outre  mesure  de  la  liberté  de  parler  à  temps  et  à  contre 
temps  ;  n'est-il  pas  un  enfant  gâlé  du  laisser  faire  et  laisser  passer 
moderne  en  fait  d'opinion  ;  n'a-t-il  pas  eu  l'aide  obligeante  de 


KHJ  I»ES  TABLW  T«U  B>ANTKS,  KTC* 

loMi  II- moiulo,  jus(|irà  celle  de  ces  c:»ilioli«jiii's  «ju'il  hail  si  vi- 
goiiii'iisiiiicnt?  Ne  cioil-ll  pas  loiil  à  la  TraïKe  de  noire  icmps  ; 
t(tiM,  jiis»jirà  ee  lilrede  nolili'sse  <|iii  aiiréilii  iiéaiil  sa  Itouigedise 
tainille.'(Juijaiuaisu  comprimé  les  fantaisies  de  sa  couscicncc  elles 
éclals  de  son  zèle?  assnivnient  personne,  si  ce  n'est  peni-êiieses 
amis  on  ses  proches  tprinipoilunenl  ses  ardeurs  indiscrètes.  S'il 
fallait  voir  dans  co  jeu  de  la  persécution  auiic  chose  qne  les  im- 
pressions personnelles  de  M.  de  Gasparin,  on  en  trouverait  le  pré- 
texte dans  le  dépit  des  j>artisans  d'une  cause  (jui  s'anioin<lrit,  (pioi 
(lu'elle  fasse.  Car  l'ayilation  n'est  pas  le  proj^rès,  pas  plus  «jue  la 
colère  n'est  de  la  force;  pas  plus  que  le  vertige  d'un  esprit  in- 
<piiet  ne  ressemble  à  la  sérénité  d'une  âme  maîtresse  de  soi. 
On  n'est  point  persécuti',  mais  on  serait  enchanté  de  l'être  un 
peu.  C'est  évident  à  l'ardeur  que  l'on  met  à  exploiter  quelcjnes 
éclaboussures  occasionnées  par  des  lenlalivcs  prosély tiques  par 
iri>p  provoquantes,  ou  par  des  connivences  polili<jues  suspectes. 

Le  bilan  de  l'agitation  protestante  de  ces  dernières  années  est 
possible  :  qui  a  lieu  de  s'en  réjouir?  On  sait  les  violences  de  l'An- 
gleterre; vh  bien,  le  mouvemenl  tle  retour  au  catholicisme  a-t-il 
cessé  de  suivre  sa  marche  dc|)uis  la  conversion  des  Newman  et  des 
Manning,  jus(iu'à  celle  du  deuxième  Gis  de  l'illustre  Wilberforce, 
<pii  recevait  naguère  à  l'aiis  le  sacrement  de  conlirmation  dans  la 
(hapelle  du  nonce  du  Pape?  Sauf  cette  masse  que  les  intérêts 
politiques  dirigent ,  à  laipielle  d'ailleurs  la  prévention  séculaire 
et  l'ignorance  invincible  oblitèrent  l'entiaidemenl,  M.  de  Gaspa- 
rin croit-il  (pi'adversaiies  ou  amis,  chacun  ne  sache  pas  exact»'- 
menl  ce  (ju'il  faut  j)enser  de  l'agence  proselyiicpie  organisée  par 
le  Consistoiie  de  Genève? 

M.  de  Gasparin  ne  pouvait  manquer  de  placer  ici  qut'hpies 
pages  halciauies  d'indignation  sur  l'édit  de  Nantes.  \  (juoi  bon 
tout  ceci  et  cette  fureur  de  camisard  fé'bricitani  à  propos  de  ta- 
bles tournantes?  à  quoi  bon,  si  ce  n'est  parce  que  M.  «le  Gaspa- 
rin met  sa  passion  partout  hors  de  propos,  el  qu'il  ne  veut  pas 
perdre  une  occasion  de  peisuader  à  son  cercle  d'auditeurs  (jue 
les  actes  du  gouverjiemenl  de  Ix>uis  \IV  étaient  des  actes  de  foi 
ratlnili(iue.  l.a  laclicpie  est  sans  doute  excellenie  pour  enti'cte- 
tcnir  l'animosité;  mais  comment  la  juger  au  nom  de  la  raison/ 


DKS   rAIIM'.S  TOI  RNANTKS,   KTC.  101 

Ces  violences  de  poI»iini<|u«'  ne  nous  leivonl  pas  accorder  un  in- 
sianl  d'asscnlimenl  à  l'aclcdc  la  Révocation,  (|ui  eut  toujours  no- 
ire sin(-t;re  léprohaiioii  ;  mais  toujours  est-il  «[u'uiie  autre  atti- 
tude serait  convenabU;  aujourd'hui  poui-  parler  de  ces  lunestes 
événements.  D'ailleurs,  il  ne  faut  [loint  prendre  le  change;  c'est 
puérilité  que  d'évoquer  sans  cesse  ces  débats  d'un  autre  ûge, 
alois  (jue  tous  les  toi ts  sont  réparés.  Si  h^s  ealholi(pies  avaient 
assez  peu  de  diynilé  ipie  d'ayir  d(^  même  et  de  l'aire  étalage  de 
sensibilité  en  renouvelant  le  souvenir  des  persécutions  qu'ils  ont 
endurées,  ils  auraient  d'amples  motifs  d(>  réci'iminalion.  N'é- 
laicnl-ils  pas  hier  par  milliers  sui-  les  éehaidauds  de  931'  les  at- 
teintes portées  à  la  liberté  de  la  Suisse  caiholi(pie  par  la  guerre 
du  Sondcrbund,  ne  sont-elles  pas  encore  llagrantes?  Mais  trêve 
à  ces  souvenirs  douloureux  que  nous  aurions  garde  d'évoquer 
dans  le  but  assurément  l)i<'n  misc-rable  d'intenter  un  procès  de 
tendance.  La  laiblesse  de  l'adversaire  se  trahit  à  attirer  ainsi  le 
débat  de  questions  doctrinales  dans  cette  atmosphère  conten- 
tieuse. 

L'Église  catholique  suivit  à  toutes  les  révolutions;  elle  triom- 
phe des  efforts  redoublés  du  génie  de  l'impiété  et  des  inimitiés 
politiques.  Grâce  à  Dieu ,  jamais  sa  faiblesse  ,  au  point  de  vue 
humain,  ne  fut  plus  apparente  ;  jamais  à  aucune  époque  de  l'his- 
toire elle  ne  fut  plus  libre  de  protections  temporelles;  tes  at- 
taques ne  lui  font  pas  défaut.  Cependant  elle  fournit  sa  course, 
elle  donne  des  témoignages  permanents  de  fécondité  et  de  puis- 
sance spirituelle.  Les  conversions  d'Angleterre  sont  une  des 
preuves  les  plus  convaincantes  de  la  force  virtuelle  et  intrinsè- 
que d'une  doctrine.  Voilà  des  faits  qui  se  passent  au  grand  jour 
et  que  ne  sauraient  étouffer  ni  la  conspiration  du  silence ,  ni  le 
tumulte  des  passions  soulevées.  Et  c'est  a  ce  moment  que  l'on 
ose  insinuer  que  l'Église  ne  triomphe  que  par  la  persécution  et 
qu'elle  se  dispose  à  en  rouvrir  la  carrière. 

La  conspiration  ultramontaine  ne  veut  pas  seulement  ramener 
l'ère  des  persécutions,  elle  va  ressusciter  le  moyen  âge. 

S'il  est  un  fait  avéré,  c'est  le  désordre  produit  par  l'apparition 
des  tables  au  milieu  du  protestantisme  américain.  Les  Etats- 
Unis  sont  la  patrie  des  esprits  frappeurs,  des  spiritualistes  et  des 


Kri  DKS  TABI.Ks  un  H>iNTKS.   KTf. 

tnediums.  Kii  biiro|><.>,  l<^iil  <  ela  na  prnddii  (|u  Un  «'(Tet  de  curio- 
sité. En  l'rance,  oii  les  imaginations  travaillent  si  vite,  an  niilicn 
(le  renlrainiMUL-nt  Jii  jeu  (|iicl(|iies-Mns  lirent  inler\enir  W  Mirna- 
lurel.  De  là  un  peu  d  eniuliun  cliex  les  laibles,  des  scrupules 
pour  plusieurs.  Sur  ces  enirefaitos,  deux  ou  trois  cvèqucs  ont 
pris  la  parole  pour  faire  cesser  ce  trouble  passager.  Ils  n'ont  rien 
(lelini.  Ils  déclarèrent  seulement  le  jeu  inutile  et  oiseux  ,  (|ue 
riiillu(!nce  des  esprits  dt;  ténèbres  pouvait  s'immiscer  dans  ces 
sortilèges  nouveaux  ;  partant,  que  le  commun  des  mortels  ferait 
bien  de  s'abstenir,  n'ayant  pour  dislinj^uer  le  vrai  du  faux,  ni  le 
discernement  ni  la  compétence  nécessaires. 

Et  tout  a  été  uni.  \oilà  comment  on  tranche  les  ipiesiions 
dans  la  société  catholique,  et  comment  le  calme  se  rétablit;  ce 
«jui  ne  veut  pas  dire  que  les  personnes  «pii  désirent  poursuivre 
l'élude  du  sujet  dans  un  but  scientilicpie  ne  conservent  |)as  leur 
liberté.  MM.  de  Mirville  et  des  Mousseaux  demeurent  à  l'etal  de 
sa\anls  (|ui  ont  ('-tudié  le  sujet  à  un  point  de  vue  <pii  leur  est 
exclusivement  propre ,  et  ils  gardent  la  responsabilité  entière  «le 
leurs  opinions  comme  de  leurs  actes.  Ils  n'ont  pas  fait,  d'ail- 
leurs, un  bruit  considérable.  Il  y  a  un  an,  alors  »)ue  l'on  était  au 
fort  de  la  curiosité  surexcitée  ,  Vi'nivcrs  publia  trois  ou  quatre 
articles  des  auteurs  précités,  et  analysa  quel(|ues  journaux  amé- 
ricains qui  parlaient  des  spiriCualisles.  \  oilà  à  quoi  se  monte 
cette  fameuse  conspiration  ultramontaine  qui  voudrait  ramener 
le  moyen  âge.  «Lenioven  âge  oii  personne,  assuie  M.deGaspa- 
»  rin,  n'était  sur  du  lendemain,  ni  de  sa  liberté,  ni  de  la  bouchée 
»  de  pain  noir  réservée  à  sa  famille,  ni  de  l'honneur  de  sa  fdle 
»  ou  de  sa  femme.  »  (M.  de  Gasparin  parle  ici  du  droit  du  sei- 
ijiicur.  Il  va  sans  dire  qu'il  adopte  ta  version  de  l'opéra  conii- 
«jue.)  Le  portrait  continue  de  la  sorte  pendant  dix  pages.  Gîs 
trois  lignes  suflisent  pour  caractériser  la  manière. 

M.  de  Gasparin  couiprend-il  tout  ce  «piil  y  a  de  puéril  ù  déni- 
grer une  époque  (|ui  eut  sa  grandeur  et  ses  points  obscurs,  ni 
l»lus  ni  moins  que  la  notre?  Au  moment  où  tant  de  savants  du 
premier  ordrt-  consacrent  leiirs  veilles  a  manifester  le  réde  si 
admirabbi  di*  l'Église  catholique  qui  conserva  la  science,  les  let- 
tres, b's  .iris  a   travers  les  siècles  les  |)lus   laborieux  de   Ihis- 


DIS  TAIIF.I'.S  TOliRNANTES,   KTf.  lOil 

idin",  la  position  de  contraclidcMir  est  peu  liononhle.  Si  les  arls, 
si  U's  IcUiT's  n'avuicni  eu  pour  soiiliciis,  à  cette  ('pcxpie,  <pie  les 
Vaudois  ei  les  AII)ij,'eois  ,  les  seuls  auciilres  spirituels  (\uv.  le 
chiislianisme  de  M.  de  Gasparin  conseille  à  reconnaître  comme 
gardiens  de  la  doctrine  pendant  cette  épo(juc  diflicile,  l'esprit  hu- 
main n'aurait,  croyons-nous,  yuère  lieu  de  se  {,doriner  aujour- 
d'hui. 

\  Tinstani  nous  arrivent  (juelques  pages  remarcjuables  écrites 
par  un  éniiueni  (  ritique  (1 1,  aussi  autorisé  en  matière  historique 
qiw  !>!.  de  Gasparin  l'est  peu.  Nous  ne  résistons  pas  au  désir 
d'en  extraire  un  fragment  sur  ce  moyen  âge  que  M.  de  Gasparin 
ne  veut  connaître  (pi'à  travers  les  lieux  communs  d'une  science 
équivoque.  Aussi  bien  fait-il  bon  d'échapper  un  moment  à  une 
atmosphère  de  sols  mensonges. 

Ceux  qui  vfuleiil  soir  l'Europe  leodale  imnibleincnl  et  docileinoiil  pros- 
Icnu-e  aux  pieds  du  Saint-Siège  ,  (jui  envisagent  le  Pape  comme  le  chef 
suprême,  incontesté,  comme  le  couronnement  régulier  de  iédilice  féodal, 
ceux-là  sont  forcés  d'oublier  bien  des  choses.  Ils  oublient  les  révoltes  con- 
tre lautorilé  pontificale,  si  fré(iucnlcs  dans  ces  âges  d'indiscipline.  Ils  ou- 
blient les  luttes  incessantes  des  Papes  contre  le  principe  féodal,  qui,  à  Kome 
niènie,  cuire  les  mains  de  ces  terribles  dues  lombards,  a  fait  le  malheur  de 
leur  cité  et  ramerlumc  de  leur  vie.  Ils  oublient  comment  les  Papes  ont  en- 
suite |)oursuivi  le  principe  féodal  dans  le  sein  de  l'Eglise,  où,  introduit  par 
les  évéques  et  les  prêtres  de  race  barbare,  il  menait  avec  lui  la  simonie,  le 
concubinage,  les  allures  anli-saecrdolales,  l'asservisscmenl  de  l'Eglise  au 
pouvoir  temporel,  à  titre  de  vassalité  :  comment  ils  ont  été  amenés  à  le  com- 
battre chez  les  Empereurs,  lorsque  ceux-ci,  Teutons  plutôt  que  Romains, 
chefs  de  la  société  barbare  et  féodale  plutôt  que  souverains  civilisés  de  l'Em- 
pire chrétien,  ont  défendu  leur  droit  d'investiture,  c'est-à-dire  leur  droit 
d'asservir  cl  de  corrompre  l'ÉgUse;  comment  ils  l'ont  combattu  enfin  dans 
les  institutions  et  dans  les  mœurs,  condamnant,  à  rencontre  du  torrent  qui 
entraînait  les  sociétés,  et  le  duel  judiciaire,  elles  épreuves  juridiques,  et  les 
guerres  privées,  et  l'astrologie,  et  les  sortilèges,  et  toutes  les  superstitions 
du  germanisme.  Remarquez  que  dans  ces  luttes,  malheureusement,  le  clergé 
local  a  faibli  plus  dune  fois  ;  les  évéques,  entiainés  et  par  leurs  souvenirs 
d'origine,  et  parles  penchants  de  la  société  à  laquelle  ils  appartenaient, 
et  par  la  proximité  du  pouvoir  qui  pesait  sur  eux  ,  ont  cédé  par  mo- 
ments à  la  pression  du  despotisme  féodal  et  du  nationalisme  barbare.   De 


(l)  Correspondant,  livraison  de  novembre  iStii,  article  de  M.  Champagne, 
sur  les  Queslions  historiques  de  M.  Lenormant 


luv 


WS  TABI.K-S  TOUBNAWTM,  KTC. 


Monic  seule  est  venur  constamincnl  la  force  et  la  lumière,  la  rt'sislance  ini- 
pcrtuihablc  au  lual,  i  rasscrvisscmcnl  de  lÉgiiso.  nu  germanisme  amirl.ré- 
tien,  h  la  superstition,  à  la  barbarie,  l-t  rcla.  avant  loul,  gràre  à  la  mission 
•livinc  et  à  la  puissance  surnatiireil.-  ,1e  la  Papauté,  niais  price  aus.si,  humai- 
ncmcnl  et  secomlairomonl.  ù  la  sil.iali,.n  Ké..Krnp|,i,,ue  et  historique  de  larilé 
.hoisie  de  Di.u  pour  tUre  le  centre  du  pnivemement  .le  son  Kglise.  Rome  a 
traverse  le  moyen  à},'e  en  le  combattant  et  lo  dominant,  plutôt  qu'en  sassi- 
milant  à  lui.  L'art  du  moyen  i^gc  no.  pour  ainsi  dire,  point  laissé  de  trace 
dans  son  enceinte  ;  ses  institutions  ne  sy  sont  jamais  implantées.  Home  est 
demeurée,  au  milieu  de  celte  grande  enfance  des  peupks ,  pleine  d'années, 
de  maturité  et  d'expérience,  supérieure  à  leurs  faiblesses,  étrangère  h  leurs 
ignorances,  comme  une  n.èrc  au  milieu  déjeunes  enfants,  n.ais  denfants 
sans  cesse  révoltés.  Sa  gloire  a  été  .le  cond^Ulre  plus  encore  ,,ue  de  gouver- 
ner, .le  plier  sous  elle  ce  sic^cle  rebelle  plut.'.t  que  .le  lavoir  paisiblen.cnl  fa- 
çonné à  son  image,  den  être  la  courageuse,  patiente,  laborieuse,  et  souvent 
contestée  dominatrice,  bien  plut.'.t  qu'une  reine  paisible  et  toujours  obéie. 

Hevcnons  à  M.  de  Gaspariii. 

Le  style  se  ressent  des  dispositions  de  l'écrivain.  On  nimap^'i- 
miaii  pas  quelque  chose  de  plus  confus,  de  plus  faiii,'uani  à  lire 
que  .s..n  livre.  De  l'esprit,  des  connaissances  variées,  de  la  cha- 
leur même  dans  l'expression,  no  siilTiseiit  pas  pour  dissimider  les 
inconvénients  d'un  esprit  faux,  .huuais  un  moment  de  calme  ;  de 
linveciivc  et  de  la  véhémence  toujours  et  contre  tout  le  monde. 
(,)uelqu'un  disait  «levant  nous  :    M.  de  Gasparin  est  possé<l«-  par 
son  idée,  il  ne  la  possède  jamais.  On  no  saurait  mieux  oaraolé- 
riser  l'homme.  L'ordre  ne  nait  pas  chez  lui    II  ressasse  sans  cesse 
son  thème  de  onspiration ,  et  la  liirour  <lo  tout  dire  l'entraîne  à 
uno  prolixité  insaiiabio.  Le  lecteur,  à  cha<jue  instant  dévoyé,  ne 
sait  auquel  entendre.  Ce  pédantisme  impérieux  si  pou  autorisé 
l'indispose  plus  qu'on  ne  peut  dire.   L'injure,  dans  ce  livre,  dé- 
passe môme  les  bornes  permises  à  la  passion.  Est-ce  se  montror 
soi;,'neux  de  .sa  dignité  (jue  d'appeler  grossier  matérialisme  la 
croyance  aux  esprits  et  aux  sacrements  dans  l'Église  caiholicpie? 
Qu'a  donc  fait  Jé.su.s-Christ  quand  il  est  descendu  dans  les  eaux 
du.lourdain?    Les  j^'cns  do  cetto  sorte  ont  sur  tout  une  demi- 
science  (jui  les  perd.    La  haine  île  l'Église   est  mauvaise  con- 
soillèro.  S'il  y  a  un  mauvais  p.irti  :i  prendre  dans  un.'  .pirsiion, 
à  coup  siir  ils  l'adoplont. 

Cet  ouvrage  fera  tort  indtihiiahlomoni  à  la   réputation  déjà 


DIS  TAIII.KS  TOL'RNANTKS,  KTC.  lOo 

roiupromisc  de  M.  de  Gasparin.  Ln  livre  sur  les  Ecoles 
<le  la  foi  avait  fait  douter  de  sou  jugement.  Celui-ci  |)Our- 
i;iit ,  en  outre,  mettre  en  question  sa  loyauté  même,  s'il  n'était 
|):ir  trop  visiltle  que  la  passion  le  df'hnrde.  Ses  amis  prolestants, 
qui  avaient  espère  lrouvei«Mi  lui  l'étoile  d'un  docteur,  se  montrent 
fort  embarrassés  de  cet  individualisme  pointilleux,  toujours  prêt 
à  s'é|)urer  aux  dépens  de  ses  proches,  indiscret  jusqu'à  révéler, 
pour  sa  plus  giande  yloire,  les  misères  intimes  du  parti.  Quant 
aux  catholiques,  ils  ne  peuvent  qu'être  satisfaits  :  car  ces  excès 
n'aboutissent  qu'à  montrer  sous  un  verre  grossissant,  dépouillées 
•  (l'artiGce  et  de  ménagements  humains  dont  elles  ont  grand  besoin, 
les  négations  protestantes.  Or,  nul  procédé  n'est  comparable  à 
celui-là  pour  manifester  combien  la  raison,  la  science  et  la  cha- 
rité do  Jésus-Christ  s'opposent  aux  conclusions  téméraires  des 
réformateurs  du  seizième  siècle. 


LKTTHK     l>i;    HOMi:. 


L'IMMACULÉE  CONCEPTION. 


L(!  plus  j^iîMifl  cvénoincnl  des  tnmps  modernes  est  ucconipli. 
Le  Souverain  INmlire,  le  \  icaire  de  .lesiis-dlirist  a  prononcé  la 
parole  suprême  au  milieu  tie  luiiies  les  s|>lend«'urs  de  Rome,  en 
présenee  de  la  plus  an^usle  assemblée  du  monde.  Plus  de  deux 
eenis  ('vèipies,  oij;aiU's  de  l'Église  enseignante,  |)rès  de(|uaran(e 
nnlle  lidèles,  représentanl  rÉj^lise  enseignée,  prosternés  dans  la 
hasilicpie  de  Saint-Pierre,  ont  reçu  avec  des  altendrissenx'Uts 
divins  le  d«'erei  solennel  île  rimmacidée  Conception  de  la  sainte 
Mère  de  .lésus-Clirisl  Notre  Sauveur.  De  tels  spectacles  appa- 
raissent rarement  dans  le  cours  des  Ages  ;  c'est  un  éclair  des  fêtes 
du  paradis  i|ui  \ieiii  illunnner  les  Irislesses  de  notre  vallée 
d'exil,  (piand  le  ciel  prèle  à  la  terre  (pielijues  rayons  fugitifs  de 
ses  pompes  «'ternelles.  Après  cette  majestueuse  el  émouvante 
c«''rémoni«;,  tous  s'écriaient  :  Il  n'y  a  rien  ici-bas  qui  puisse  sur- 
passer IT'clai  de  c«'tle  solennité! 

Je  vous  ai  promis  un  réc  il  ;  ma  promesse  est  une  lourde 
eliarge;  la  parole  humaine  ne  ieira(e  pas  ces  merveilles;  mou 
<  o'in   ne  pouNaii  eonienir  ses  einolinns.    il  se  ii(»nv.ni  à  l'eiroii 


/ 


I.'lMMArLI.KK  CONCKiniON.  107 

«laus  sa  IVôlc  onvcloppr,  il  «'prouviiit  dos  soiUimenls  <!<;  foi  oi  âo 
hoiiliciir  (|iii  (Iclxddaicnl  cti  ai(<'nls  «le  irconnaissancc  (l'avoir 
OU',  appelé  (lo  Dieu  h  conicrnpior  \r  piodi^çf?  vivanl  do  rnriito  ca- 
tli()li(pic.  Je  ne  puis  rprihaïK-licr,  avcr  noiro  pauvre  lani^'age  Im- 
maiii,  eerpiej'ai  eiiirevn  comme  un  rellet  des  clarlés  du  eiel. 

Les  préludes  do  la  fêle  faisaient  pressentir  sa  grandeur.  Déjà 
la  fête  de  la  dédicace  de  la  basilicjue  de  Sainl-l'ierre  avait  eu  une 
splendeur  inaccoutunK-e  par  la  présence  des  piélats  ;  le  premiei' 
dimanche  de  W/cent,  suivant  l'usage,  la  solennité  des  quarante 
heures,  qui  se  succède  dans  toutes  les  églises  de  Rome,  commen- 
çait dans  l'église  du  prince  des  apôtres.  Le  Saint-Père  l'inaugura 
par  une  procession  admirabii;  ;  après  les  cérémonies  de  la  cha- 
pelle papale,  Pie  IX,  précédé  des  évoques  de  toutes  nations,  tra- 
versait la  foule  et  la  bénissait  avec  le  Saint-Sacrement  qu'il  por- 
tait en  faisant  le  tour  intérieur  du  temple.  La  vue  du  Sauveur 
voilé  sous  les  espèces  eucharistiques,  porté  par  son  Vicaire,  en- 
touré de  ses  pontifes ,  produisait  sur  mon  âme  une  de  ces  im- 
pressions qui  la  transportent  au-delà  des  mondes  visibles  et  lui 
laisse  une  empreinte  incfTaf^able.  Plus  que  jamais  je  sentais  la 
puissance  du  culte  extérieur;  je  comprenais  que  l'Église  était 
bien  l'épouse  de  Jésus-Christ  et  la  mère  des  hommes,  en  prépa- 
rant à  son  fondateur  un  triomphe  parmanent  qui  rappelle  sa 
glorieuse  entrée  à  Jérusalem,  et  en  élevant  nos  esprits  vers  les 
idées  surnaturelles  à  l'aide  d'un  symbolisme  qui  s'empare  de 
nos  sens  et  les  met  au  service  de  l'âme.  Pendant  plusieurs  jours 
le  Saint  Père  permit  l'exposition  publique  de  toutes  les  insignes 
reliques  dont  Rome  est  la  dépositaire  fidèle  :  la  crèche,  la  croix 
de  Notre  Seigneur,  la  lance  qui  ouvrit  le  cœur  de  noire  Dieu  ,  le 
voile  de  sainte  Véronique,  les  clefs  des  Apôtres;  et,  par  une  fa- 
veur spéciale,  Pie  IX  voulut,  l'avant-veille  de  l'Immaculée  Con- 
ception, célébrer  la  messe  dans  la  basilique  vaticane  et  donner 
la  sainte  communion  aux  membres  des  Conférences  de  Saint- 
\  incenl-de-Paul.  Plus  de  quatre  cents  membres  romains  et 
étrangers  eurent  le  bonheur  de  s'asseoir  à  la  table  sainte,  et 
j'eus  l'ineftable  consolation  de  m'adjoindre  à  eux.  Le  Pape  ne 
voulut  pas  ([ue  ces  jeunes  et  fidèles  apôtres  do  la  charité  conser- 
vassent  poui-  eux  seuls  les  joies  de  celte  matinée;  après  avoir 


108  II  TTni:  1)1  BoMK. 

fuit  descendre  dans  leur  cri'ur  le  Dieu-liommc  cl  après  les  avoir 
luni ,  il  Its  (liat^'ca  de  porier  à  leurs  proiégés  une  part  de  ces 
joii's,  en  leur  doruianl  douze  milh;  francs  ù  <lis(riltuer.  C'<'l:«ii 
une  douce  préparation  à  la  fètc  pour  I»'  cœur  du  Pontife,  pour 
les  membres  des  Sociétés  de  Saint-Vinceni-de-Paul  et  pour  leurs 
pauvres.  H  y  eut  une  ncuvaine  préparatoire  de  prières,  de  pré- 
dications; un  jeûne  de  vij,'il(;  strict  fut  ordonné;  et  après  que  la 
science  et  la  prièic  eurent  ainsi  ouvert  les  voies  à  un  acte  so- 
lennel, arriva  ce  jour  glorieux  et  béni.  La  veille  au  soir,  maigre 
une  pluie  toireiitielle  ,  l«>s  Romains  illuminaient  leurs  demeu- 
res et  annonçaient  par  leur  enthousiasme  qu'ils  comi)!enaient  la 
grandeur  du  fait  qui  allait  se  passer  dans  leur  cilé.  Le  lende- 
main 8  décembre,  le  ciel  était  beau,  le  vent  avait  balayé  les  nua- 
ges,  et  Thorison  apparaissait  avec  cette  pureté  qu'offre  l'Italie 
après  quelques  jours  d'orage.  Toutes  les  cloches  de  Home  caril- 
lonnaient un  joyeux  angélus;  elles  ne  rappelaient  pas  seulement 
la  cé'Ieste  salutation  de  l'ange  à  la  Vierge  Marie  ,  mais  elles  an- 
nonçaient la  prochaine  acclamation  de  la  terre  à  la  Heine  du 
ciel.  Je  célébrais  la  Sainte  Messe,  et ,  le  cœur  ému,  songeant  à 
celte  mystérieuse  attente  du  monde  catholique  qui ,  a  cette 
heure,  avait  les  yeu\  tournés  vers  Home,  je  pensais  à  Genève  où, 
an  milieu  de  tant  dt'  préoccupations  terrestres,  se  rencon- 
trent aussi  de  nobles  cœurs  qui  regardent  la  ville  éternelle;  je 
pensais  aux  imes  qui  restent  étrangères  à  ces  joies  de  la  foi  ;  je 
priais,  agenouillé  dans  celte  immense  basilique  (|ue  la  foule  en- 
vahissait à  grands  flots. 

A  8  heures  ,  la  cérémonie  commence  ;  le  Souverain  Pontife  se 
rend  à  la  chapelle  Sixtine  où  raitendaient  les  cardinaux  revêtus 
de  la  chasuble  blanche  et  d'une  mître  de  soie;  les  évécpies  parés 
«le  la  chape  blanche  et  de  la  mître  de  lin.  Pie  I\  porte  la  tiare  ; 
il  est  placé  sur  le  siège  gestaloirc.  La  procession  se  met  en  mar- 
che. Les  gardes  nobles,  les  eameriers,  le  cierge,  les  |)rélats,  les 
généraux  d'ordres  religieux ,  les  abbés ,  chefs  de  grandes  ab- 
bayes, les  évoques,  les  archevé(iues,  les  cardinaux,  puis  le  Sou- 
verain Pontife,  qui  s'avance  entouré  d'affection  et  <>n>ironne 
lie  respe<ts.  La  procession  descend  le  maguiliijue  escalier  du  \  a- 
lican;  elle  marclu'  enlVe  celle  colonnade  <jui  oHie  à  la  vue  de 


l/iMMACt'LKE  CONCICI'TION.  109 

si  hollos  pcrspeciivcs.   Elle  passe  dcvanl  la  slaliie  équestre  de 
(ioiisiaiiliii,  (|ui  dm  tressaillir  au  souvenir  de  Ricci  ;  elle  entre 
dans  la  l)asili(|uc  et  se  rend  à  raulel  de  la  eonl'ession.  Les  évê- 
(|iies  chantent  les  litanies  des  saints;  la  foule  unit  sa  grande  voix 
à  la  voix  des  pontifes;    ces  invocations  à  la  Sainte  Trinité  ces 
|)rièrcs  à  la  Sainte  Vi<;r{j;e,  aux  saints  Apôtres,  aux  confesseurs, 
aux  martyrs  ,  ces  demandes  faites  aux  saints  d'intercéder  pour 
nous,  ce  chant  de  tout  un  peuple,  ce  cri  de  l'Église  de  la  terre 
à  l'Eglise  du  ciel,  cette  union  des  combattants  et  des  glorifiés , 
ces  deux  mondes  qui  se  relient  entre  eux  par  la  prière,  ces  sou- 
pirs de  l'exil  et  ces  accents  de  triomphe  qui  se  confondent  en- 
semble et  préparent  une  auréole  à  la  Mère  de  Di(.'u,  tout  prédis- 
posait l'âme  à  de  grandes  pensées.    La  vue  de  ces  deux  cents 
mîlres  (pii  précédaient  la  tiare,  cette  succession  de  pontifes  ve- 
nus de  tous  les  points  de  l'univers,  ces  prélats  de  l'Australie 
cpii  chantent  avec  les  évéques  de  France;  ces  pontifes  des  Etats- 
Unis  qui  harmonisent  leur  voix  et  leur  marche  avec  les  chefs 
des  diocèses  allemands  ;    cette  réunion  de  deux  cents  hommes 
pris  parmi  les  plus  illustres  de  leur  génération ,  qui  ne  forment 
qu'un  cœur  et  qu'une  ame,  qui  ont  une  même  foi  et  une  com- 
mune affection,  qui  s'entendent  admirablement;  n'est-ce  pas  là 
un  phénomène  qui  révèle  l'unité  dans  toute  sa  force ,  et  montre 
que  l'esprit  de  Dieu  qui  unit  est  là  dominant  l'esprit  de  l'homme 
qui  divise  toujours?  INi  aucune  assemblée  délibérante,  ni  un  con- 
grès scientifique,  ni  une  conférence  de  diplomates,  ni  un  synode 
(|uelconque  de  ministres  prolestants  choisis  parmi  les  plus  droits 
et  traitant  les  problèmes  les  plus  simples  de  la  terre ,  ne  pour- 
raient offrir  une  image  lointaine,  une  idée  affaiblie  de  cet  har- 
monieux accord  sur  les  choses  religieuses.    Pendant  que  l'on 
chante  les  psaumes  de  tierce,  le  Saint-Père,  assis  sur  son  trône, 
reçoit  tour  à  tour  les  membres  du  Sacré  Collège,  de  l'épiscopat, 
qui  viennent,  chacun  dans  son  rang,  renouveler  à  ses  pieds 
l'hommage  de  leur  obéissance;  ces  formes  respectueuses,  ces 
démonstrations  qui  caractérisent  la  hiérarchie  catholique,  ont 
une  grande  valeur  et  n'abaissent  personne;  rien  n'est  bas,  a  dit 
quelqu'un,  quand  c'est  l'amour  qui  s'abaisse  devant  un  Dieu  ! 
La  messe  poniilicale  commence  ;  le  Vicaire  de  Jésus-Christ 


I  II)  I.KTTHK  UK  RUMK. 

est  onloiiic  a  I  aiilcl  de  <|ua(rf  cardinaux  el  dis  deux  plus  au- 
»  M'us  arclievt'<|uos  ;  rar«ln'V(*'(|Uo  i\i'  Paris  avait  lanj^  parmi  <ii\. 

II  s«j  trouvait  à  ct'iic  do  rarilM.'vrcpic  de  Turin.  Je  ne  puis  nous 
redire  eu  dilail  lo  rit  pimiitical;  mais  il  porte  reniprcinic  du 
syndxdisme  le  plus  élevé;  on  sent  (pie  c'est  la  plus  haute  auto- 
rité <pii  ofl're  le  plus  {;rand  sacrifice  au  Souverain  Maître  du  ciel  1 
L  epilre  el  rKvanf;ile  sont  cliautés  en  grec  el  en  latin  par  des  dia- 
cres el  des  sous-diacres  (pii  ont  leurs  vêlements  particuliers. 
A|»rcs  rEvanj;!;ile,  les  doyens  des  cardinaux,  avec  les  patriarches 
de  leylisc  j^rcc(pie  unie,  un  arclie\èque  arménien  et  un  é\èque 
laiin,  se  présenieni  devani  le  Pape  el  lui  demandcnl  de  porter  le 
décret  sur  l'Immaculée  Conception.  Pie  IX  re|)ond  en  invitant  à 
implorer  les  lumières  do  l'Esprit  Saint;  il  lombe  à  genoux,  en- 
louue  le  f^  e7ii  Creator  d'une  voix  l'orle  et  émue  ;  tous  le  clianteni 
avec  lui,  les  pontifes,  quarante  mille  fidèles,  le  corps  diplomaii- 
(jue,  les  olFuiers.  Rien  n'était  beau  comme  ce  concert  unanime 
d'une  loulo  inmiensc  qui  n'a  (ju'un  cdur  et  qu'un  cii  de  foi.  €'«•- 
lait  bien  la  reproduction  de  la  Pcnlecôle,  rallcnie  mystérieuse 
de  l'Esprit  Saint.  Pie  l\  se  lève;  il  se  fait  un  grand  silence;  le 
\  icaire  de  Jésus-Christ,  qui  doit  conlirmer  ses  frères  dans  la  foi, 
ouvre  la  houche;  il  va  prononcer  une  parole  qui  fixe  à  jamais 
dans  le  synd)ole  catholique  une  vérité  pieusement  accepléejus- 
(pio-là;  sa  voix  esi  vihranle  et  pleiiUMl'émotion  ;  il  dé-clare  ipic 
la  cioyanco  de  l'Immacnlfe  (loncipiion  a  été  rév«'lée  par  Jé-sus- 
Christ,  el  <pie  celui  (pii  aura  laudaco  d(!  la  rejeter  dans  son  cœur 
a  lait  naulra;.;!!  dans  la  foi  el  est  sépar»'  de  l'Eglise.  Le  Saint 
Père  ne  peut  achever;  ses  larmes  trahissent  son  émotion,  il  s'ar- 
lêle ,  inqniissanl  à  la  dominer;  de  douces  larmes  de  bonheur 
coulent  de  tous  les  yeux.  Il  essuie  ses  yeux  et  achève  celte  lec- 
ture solennelle.  Par  un  concours  étrange  de  circonstances,  un 
rayon  de  soleil,  formant  comme  un  faisceau  de  lumièi-e,  vient  se 
jouer  à  ses  pieds;  el  pendant  la  déclaïaiiDU  du  diacre,  il  monte 
peu  à  |)eu  jusque  sur  son  front.  L(;  visage  du  Pontife  était  rayon- 
nant ;  là,  debout  sur  les  relicpios  sacrées  de  saint  Pierie.  devani 
les  Pontifes,  en  face  des  cvéques  représentant  toute  la  catholi- 
cité,  Pie  IX  prononce  une  parole  qui  va  éire  portée  aux  exlré- 
mil<''s  de  la  terre,    ipie  douze  cent   millions  d'àujcs  accopleroni 


l/i.MMACtLKE  CONCEPTION.  1  I  t 

avec  une  joyeuse  soumission  ,  qui  est  cliie  en  une;  soûle  lanf,'ue  , 
(|ui  va  élre  iransmise  à  lous  les  peu[)les,  et  que  tous  ils  enien- 
tlnuit  dans  leurs  lanf;uos.  A  c(!l  inslant,  le  canon  du  fort  Sainl- 
Ange  ra()piit  à  la  vilUî  clcinellc;  loutcs  les  cloches  lui  répondi- 
rent, la  joie  éclate  dans  les  regards  de  tous  les  assistants,  heu- 
reux d'avoir  contemplé  celle  admirable  scène  et  d'avoir  vécu  à 
Rome  à  celle  heure  solennelle  dans  Thisloire  de  l'Église ,  au 
milieu  de  cette  réunion  rare  et  privilégiée. 

De  vous  dire  quelles  pensées,  quelles  émolions  passèrent  alors 
dans  toutes  les  âmes,  je  ne  l'essaierais  pas;  nulle  d'entre  elles 
ne  sait  elle-même  tout  ce  que  Dieu  lui  a  fait  sentir.  Le  frisson 
parcourt  les  membres,  le  cœur  bat  fort,  les  yeux  sont  mouillés 
comme  si  l'on  avait  devant  soi  une  apparition  surnaturelle!  L'âme 
vivait  alors  de  la  foi  qui  l'inondait;  quel  instant  que  celui  où  une 
déclaration  semblable  est  faite  au  monde  !  le  successeur  de  saint 
Pierre  constate  et  affirme  que  cette  croyance  est  dans  le  trésor 
des  vérités  révélées  dont  l'Eglise  est  la  gardienne  inviolable. 
Désormais  ce  dogme  prend  sa  place  dans  le  cœur  des  fidèles ,  il 
passe  de  l'état  latent  à  l'éclat  de  croyance  manifestement  révé- 
lée; le  témoin  sûr  et  infaillible  de  la  révélation  en  a  rendu  l'ir- 
réfutable témoignage.  A  la  vue  de  ce  divin  spectacle  si  expres- 
sif, si  parlant,  qui  exprimait  si  bien  la  vie  de  l'Église,  l'on  se 
sentait  heureux  et  fier  d'être  catholique,  d'appartenir  à  celte 
grande  société  des  âmes  qui  se  rangent  humblement  sous  le  joug 
tutélaire  et  béni  de  l'autorité  de  Jésus-Christ ,  à  cette  famille 
qui  jouit  de  la  certitude  de  la  vérité  dans  l'unité,  parce  qu'elle 
possède  un  organe  institué  pour  enseigner  perpétuellement  et  in- 
variablement la  doctrine  révélée. 

Le  saint  sacrifice  de  la  Messe  s'acheva  avec  ses  magnificences  ; 
avec  le  rit  si  touchant  et  si  symbolique  de  la  première  commu- 
nion des  apôtres  assis  à  la  table  du  Sauveur;  la  Messe  achevée, 
l*ie  IX  béni  le  peuple  et  entonne  le  Te  Deum.  Alors,  comme  au  Feni 
Creator^  par  un  mouvement  spontané  ,  étranger  aux  usages  des 
messes  pontificales,  toute  celte  foule  chante  avec  un  accent  de 
joie;  elle  était  ravie  du  triomphe  de  la  Reine  du  ciel;  puis  le 
Souverain  Pontife  s'avance  dans  la  chapelle  des  chanoines  pour 
couronner  un  tableau  de  la  Sainie-\  ierge  d'une  magnifique  cou- 


112  LETTIU;  l)K  UHMi;, 

roiine  d'or  enrichie  de  pierres  précieuses.  Le  (  Imiir  clianui  It- 
Hegina  cœli  lirtarc  pendanl  (pic  h»  iniiin  de  Pic  l.\  plaçait  ce  dia- 
drnjc  sur  la  iclc  de  la  \  icr},'C  immaculée,  cmbicuie  de  Tcloile 
hrillanlc  que  le  décret  venait  d'ajouter  à  l'auréole  dont  la  pi<''tc 
liliale  de  l'Église  a  décoré  son  Iront. 

Jamais  les  Romains  n'avaient  vu  une  foule  [»lus  serrée,  plus 
compacte  et  plus  recueillie  se  piesser  sous  les  voûtes  de  Saint- 
Pierre.  11  est  consolant  de  penser  qu'au  milieu  des  agitations 
matérielles  de  notre  épcKjnc,  un  fuiiicli^Meux  prf'occupe  les  âmes 
à  ce  point  qu'il  devienne  le  fait  capital  de  nolro  siècle.  La  solen- 
nité du  matin  fut  comph'lée  le  soir  par  de  magnifiques  illumina- 
tions; la  coupole  de  Saint-Pierre  élincelait  de  mille  feux;  toutes 
les  lignes  de  raidiitecture,  de  la  colonnade  se  dessinent  en  traits 
de  feu;  les  maisons  sont  pavoisées,  les  églises  sont  rayonnantes 
de  clartés  ;  les  rues  les  plus  splendicles  et  l'impasse  le  plus  caché 
ont  leurs  feux  de  joie  ;  nul  ne  reste  étranger  à  cette  fête  de  la 
Sainte-Vierge.  Des  orchestres  sont  dressés  devant  les  églises  ;  des 
chants  pieux  se  font  entendre  de  toutes  parts;  des  académies 
tiennent  de  brillantes  réunions.  J'assistais  au  Capitole,  sur  ce 
mont  oii  les  trioni|>hateurs  anciens  venaient  cueillir  leur  triple 
couronne,  au  irioinplie  plus  pacilnjuc  cl  [)his  grand  de  la  Mère 
de  Dieu,  à  une  séance  de  l'académie  des  Arcades.  Le  cardinal 
Wiseman  lut  un  discours  admirable  de  foi  et  «le  grâces,  et  des 
académiciens  vinrent  tour  à  tour  jeter  une  cliannanie  llcur  de 
poésie  italienne  aux  pieds  de  la  Sainte-Vierge  Immaculée.  Le 
lemlemain,  le  Saint-Père  réunit  dans  un  consistoire  tous  les  car- 
dinaux et  tous  les  évéques;  dans  une  admirable  allocution  latine, 
il  passa  en  revue  l'état  du  monde,  ses  craintes  et  ses  espérances* 
il  parla  avec  douleur  des  attentats  du  Piémont  contre  la  liberté 
de  l'Église  ;  il  signala  la  plaie  des  sociéti's  secrètes,  de  l'indilTé- 
rence,  du  rationalisme,  des  études  sans  religion  et  sans  christia- 
nisme ;  il  montra  aussi  les  grandes  raisons  d'espérer  cette  renais- 
sance religieuse  qui  se  voit  presque  partout  et  qui  est  due  en 
partie  aux  Conférences  de  Sainl-\  incent-dc-Paul.  Cette  parole 
si  haute  du  Souverain  Pontife,  prononcée  dans  une  réunion  aussi 
solennelle,  empruntait  aux  circonstances  une  sanction  nouvelle. 
Il  avait  entendu  tous  les  évéques  dans  l'intimité;   sa  voix  était 


I.'lMMACULKE  CONCKI'TK».  113 

<;omiiie  un  écho  do  roui  ce  (ju'ils  lui  avaiciil  îippris  des  luîtes  du 
mal ,  (lu  (ravail  du  Iticu  ,  du  grand  cr  du  beau  dans  chaque  iia- 
liou.  Qiudlc  dillcrcnce  entre  ce  consistoire  et  les  partages  par- 
lementaires et  les  synodes  protestants  !  Le  cardinal  de  Ronald,  au 
nom  de  tous  les  j'vêques,  remercia  avec  effusion  le  Saint- Père  du 
décret  porté,  de  sa  bienveillance  paternelle,  et  Pie  1\  lui  répon- 
dit en  italien  avec  des  paroltîs  si  belles,  si  gracieuses,  si  affec- 
tueusement bonnes,  si  intelligentes,  ([ue  tous  les  évêques  en 
éprouvèrent  une  sainte  et  douce  émotion.  Pie  l\  a  l'âme  d'un 
saint ,  le  cœur  d'un  père ,  et  il  passe  à  Rome  pour  le  premier 
orateur  de  l'Italie;  c'est  vous  dire  quelles  paroles  devaient  s'é- 
<-happer  de  ses  lèvres ,  chargées  par  Jésus-Chrisl  de  bénir  les 
villes  et  le  monde. 

Le  dimanche,  à  8  heures,  eut  lieu  la  consécration  de  la  basili- 
que de  Saint-Paul  hors  des  murs,  sur  la  voie  d'Ostie.  Cette  ba- 
silique, destinée  à  servir  de  tombeau  au  grand  apôtre,  remplace 
le  monument  à  jamais  regrettable  qui  a  été  détruit  en  partie  par 
un  incendie.  Reconstruit  par  les  deniers  de  la  chrétienté ,  pavé 
d'or  et  de  marbre,  orné  de  colonnes  que  tous  les  souverains, 
depuis  l'empereur  de   Russie  jusqu'au  chef  mahométan  de  la 
race  arabe  ,  ont  envoyé  au  chef  de  l'Église ,  cette  basilique  im- 
mense exprime  la  puissance  pontificale  qui,  dans  nos  jours  d'é- 
puisement et  d'égoisme,  a  su  créer  un  semblable  monument. 
Ailleurs  les  trésors  protestants  sont  impuissants  à  restaurer  des 
cathédrales  que  leurs  deniers  n'ont  pas  construites,  et  Fvome  con- 
serve une  force  toujours  jeune  dans  sa  durée  perpétuelle.  Nos 
rits  de  consécration  d'église  sont  une  attestation  de  la  foi  à  la 
présence  réelle  de  Jésus-Christ  ;  pour  nous,  un  temple  n'est  pas 
une  demeure  froide,  des  murailles  glacées  et  insignifiantes;  mais 
c'est  la  demeure  du  Fils  de  Dieu  ,  le  tabernacle  du  Sauveur  qui 
vient  habiter  parmi  nous  ;  c'est  l'autel  où  s'immole  son  amour, 
c'est  le  rendez-vous  des  âmes  qui  cherchent  un  refuge  ici-bas 
pour  s'élever  dans  les  hauteurs  de  la  foi  et  de  la  charité.  Aussi 
l'Église  consacre-t-elle  par  des  onctions  saintes  ces  pierres  qui 
doivent  abriter  nos  grands  mystères.  La  cérémonie  commença  à 
Sheures;  Pie  IX  fit  d'abord  une  allocution  sur  les  gloires  de  sain 
Paul,  sur  les  travaux  de  ce  docteur  des  nations,  justement  appelé 

8 


114  Ml  I  III    l)K   HOMK. 

le  vase  d'élcclioii,  puis  il  rotriua  ù  farauds  iraiis  riiisloirc  de  l:i 
lKisili(jUc,  el  il  m;mircsl:i  sa  jnie  (li*  la  cDiisacicr  au  inilirii  de  lanl 
d  iliusires  eN<*iiac'.s.  Il  cul  la  dclicale  alinitifin  de  se  laire  aidcM- 
dans  cette  cérémonie  par  les  cardinaux  étrangers;  les  cardinaux 
tic  Lishonne,  «le  Tolètlc ,  de  Lyon,  de  Ilcsançon  ,  de  Reims,  de 
Hoiiyrio,  le  cardinal  W  iseman  el  le  cardinal  Scliuar/enbcrf,'.  les 
cardinaux  de  Malines  el  de  Napks.  Maigre  la  dislance  de  Rome, 
la  foule  était  nombreuse  el  ne  pouvait  trouver  place  dans  cette 
vaste  enceinte.  A  une  lieun;  et  demie,  la  Cf-icmonie  se  termina 
par  la  bénédiction  de  Fie  IX,  dont  la  \o'\\  et  le  regard  expri- 
maient le  bonlieur. 

Toutes  ces  fêtes  que  Rome  vient  de  montrer  au  monde  mani- 
festent sa  vie.  Je  redisais  avec  fierté  celle  parole  de  Rossuet  : 
Nou  ,  Rome  n'est  pas  épuisée  ;  sa  voix  n'est  pas  éteinte  dans  sa 
vieillesse;  elle  est  bien  le  centre  du  cbristianisme,  toutes  les  na- 
tions relèvent  d'elle;  elle  est  la  reine  du  monde  par  la  \ériiéel 
par  la  charité.  Les  peuples  qui  n'ont  plus  voulu  de  sa  douce  ei 
divine  autorité  s'en  vont  à  Tanarcbie  des  ûmes,  à  la  ruine  des 
doctrines,  ou  à  l'esclavage,  des  esprits.  Elle  vient  de  m'olTrir, 
dans  ces  trop  rapides  solennités,  le  triple  raractère,  qui  n'appar- 
tient «pi'à  l'Église  de  Jésus-Christ,  de  l'unilé ,  de  la  per|>eiuité, 
de  l'universalité.  J'ai  vu  lous  les  temps  apporter  leurs  recber- 
clies  hisioi  iqiies  ,  leurs  témoignages  de  science  à  son  décret 
dogmatique;  lous  les  peu[»les  le  reccNoir  par  l'organe  de  lems 
évéques;  j'ai  entendu  celle  décision  lomber  des  lèvres  d'un  seul 
homme  qui  I  im|X)se  au  monde,  parce  qu'il  l'a  reçue  de  Dieu  par 
la  tradition.  Quel  morlel  a  ce  pouvoir  incomparable  de  parler  a 
toute  la  terre,  et  d'être  écouté  d'elle  avec  joie  et  soumission?  Un 
auteur  dit  quelque  part  que  si  une  cérémonie  a  la  prétention 
d'être  grande  sans  être  soutenue  pflr  de  grandes  réalités  qui  lui 
correspondent,  il  y  a  dispropuilion  entre  sa  forme  el  sa  matière. 
Le  caractère  factice  et  faux  (|ui  vn  résulte  ne  saurait  tromper  le. 
seiiliment  public  ;  le  bon  goTit  <'sl  froissi*.  Le  président  du  con- 
sistoire de  Genève,  l'archcNêipic  anglican  de  Canlorbéry,  le  mé- 
tropolitain de  Moscou,  seraient  tous  les  maîtres,  si  cette  idt^ 
leur  passait  par  la  tête,  de  se  mettre  à  prononcer  une  décision, 
à  bt'nir.  du   haut  d'un  clnchrr,   leurs  \illes  et  le  monde;    in;iis 


i 


l'iMMACILKI:  COMKI'TION.  11. ■> 

«Dimiic  tli(  fs  (le  ciilii's  locaii\  ,  (réj^lisos  niilionales,  leur  clKU'g<! 
sciail-rllc  (l(>  taille  à  se  iiaiisser  avec  f^iàcc  jusqu'à  celte  liéiié- 
diciiun  iiiiiveisellc?  On  ne  joue  pas,  comme  on  vont,  le  rôle  de 
père  commun.  Le  Poniife  de  la  seule  Église  qui  ait  engendre'  des 
enfants  parmi  tous  les  peuples,  est  le  seul  qui  puisse  se  trouver 
à  Taise,  avoir  un  maintien  naturel  elêtre  accepté  dans  la  majesté 
de  cet  acte. 

N'y  a-l-il  pas  dans  celte  sollicitude  de  l'Église  calholi(iue  à 
Faire  à  l'apùtre  saint  Paul  un  niagnirnjue  sépulcre  et  un  glorieux 
lombeau,  à  recueillir  la  plus  légère  parcelle  de  ses  saintes  reli- 
«jues,  un  signe  ('vident  de  sa  fidélité  à  garder  ce  qui  vaux  mieux 
que  ses  cendres,  ses  paroles,  sa  doctrine  sacrée?  N'y  a-t-il  pas, 
dans  la  joie  de  l'Église  à  constater  les  privilèges  si  grands  de 
Marie  ,  mère  de  Jésus  ,  à  chanter  ses  litres  de  gloire,  un  carac- 
tère manifeste  de  son  inviolable  attachement  au  Sauveur?  Elle 
est  donc  Ihéritière  des  apôtres  et  l'épouse  de  Jésus-Christ. 

Quelques  esprits  frivoles  ou  incroyants  trouveront  cet  acte  de 
l'Église  bien  étrange.  Le  monde  s'agite  sur  ses  bases,  et  dans 
cet  ébranlement  universel,  dans  ces  bruits  de  guerre  et  ces  com- 
motions générales,  le  Pape  porte  paisiblement  le  décret  sur 
rimmaculée  conception.  Oui,  ce  sont  là  les  grands  soucis  de 
l'Église,  parce  que  les  agitations  des  temps  sont  passagères  et 
qu'elle  garde  les  vérités  qui  sont  éternelles.  Quand  la  flotte  de 
Lépante  luttait  afin  de  sauver  l'Europe  d'un  souverain  musul- 
man ,  un  Pontife,  qui  portait  le  nom  de  Pie,  appelait  les  fidèles 
à  l'humble  récitation  du  rosaire;  les  incrédules  riaient  peut-être 
de  cet  acte  insignifiant  ;  mais  la  victoire  docile  répondait  à  l'ap- 
pel du  Pape.  Pie  IX  suit  encore  cette  tradition;  à  l'heure  où 
l'hérésie  anglaise  semble  perdre  son  hostilité  et  prête  ses  forces 
aux  puissances  catholiques  pour  arrêter  les  flots  envahisseurs  du 
schisme,  il  fait  saluer  d'un  glorieux  titre  la  Sainte  Vierge.  Sur 
le  cratère  d'un  volcan,  au  milieu  des  révolutions,  en  exil  ou 
dans  le  triomphe ,  la  Papauté  garde  les  dogmes  sacrés  de  la  ré- 
vélation, et  ailleurs  ils  sont  tombés  des  mains  impuissantes  à 
les  retenir.  Qu'il  est  doux  d'être  catholique  !  Plaignons  les  âmes 
étrangères  à  l'Église;  prions  pour  elles;  de  tristes  préjugés  les 


M(i  I  I  I  I  III    lU    ItoMI      —  I.  IMMACI'LKF.  r.ONCKPTION. 

éloif^nciil  «le  la  Ijinillo  universelle  et  les  exilent  déjà  ici-bas  des 
|)lus  douces  satisfaciiniis  de  l'esprit  et  des  meilleures  joies  du 
«uMir. 

Gaspard  Meriillod, 

Missionnaire  apostolique. 
Home,  le  11  décembre,  fétc  dcSlDatnaso. 


MKI-ANOKS  KT  NOUVELLES. 


tiEHKVK.  —  Pendanl  que  les  villes  de  Lyon  et  de  Marseille, 
qui  possèdent  les  deux  plus  célèbres  sanctuaires  en  Phonneur  de  la 
Sainle-Vierge;  pendant  que  d'innombrables  cités  catholiques  célé- 
braient à  l'envi,  avec  tant  de  magniGcence  et  de  toi,  la  fête  de  rim- 
roaculée  Conception  de  la  sainte  Mère  de  Dieu,  Genève  catholique 
avait  aussi  sa  pieuse  et  louchante  solennité.  Genève  où  se  perpé- 
tuent depuis  trois  cents  ans,  et  aujourd'hui  plus  que  jamais,  les 
plus  incroyables  attaques  contre  les  privilèges  de  la  Sainte  Vierge 
Marie;  Genève  où  on  est  arrivé  à  une  négation  presque  générale 
de  la  divinité  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  du  péché  originel  et 
de  la  nécessité  du  baptême  ;  Genève  où  on  ne  comprend  plus  rien,  ni 
au  libre  arbitre  de  l'homme  tombé,  ni  à  la  rédemption  de  Jésus- 
Christ  Homme-Dieu,  ni  à  la  grâce  du  Saint-Esprit,  Genève  a  vu 
le  8  décembre,  dans  l'église  de  Saint-Germain,  à  toutes  les  messes 
et  aux  exercices  du  soir,  de  nombreux  Gdèlcs  venir  adorer  le  divin 
Sauveur  du  monde  dans  le  sacrement  de  son  amour,  et  honorer  sa 
très-sainte  Mère  Immaculée;  les  communions  ont  été  très-nom- 
breuses. Toutes  les  pensées  étaient  à  Rome,  tous  les  cœurs  étaient 
aux  pieds  de  la  Reine  du  ciel.  Rien  de  plus  émouvant  que  le  mo- 
ment où,  après  le  sermon  du  soir,  M.  le  curé  de  Genève,  au  pied 
des  saints  autels  avec  tout  le  clergé,  a  entonné  spontanément  l'in- 
comparable cantique  Magnificat.  Tous  les  fidèles,  hommes  et 
femmes,  ont  fait  retentir  l'église  de  leurs  voix.  Ils  étaient  les  té- 
moins et  les  acteurs  de  celte  parole  et  de  celle  prophétie  qui  n'ont 
leur  réalisation  qu'au  sein  du  catholicisme  :  Quia  fecil  mihi  magna 
qui  potens  est.  Celui  qui  est  tout  puissant  a  fait  en  moi  de  grandes 
choses...  Ecce  cnim  cahoc  heatam  me  dicent  omneè  generationcs,  ci 
toutes  les  générations  m'appelleront  bienheureuse Quand  il  fut 


118  MÉI.AMJES    KT    MOI  VKI.LF.S. 

dt'cidé,  il  V  a  Irois  ans,  que  la  notivi'lle  (>gliso  qui  se  cotislruil  à  (ie- 
néve  sérail  stius  le  vucahle  de  Nulre-Danie  de  rininiaoulée  Coueep- 
lion.  on  répoiidail  à  un  vœu  de  lous  les  calliuli(|ues.  Le  Souverain 
l'onlife,  dans  la  pruclainaliuD  du  dogme  ,  avait,  indèpcndaninienl 
de  l'avis  de  loul  Tépiseopat,  émis  \o.  v(ru  el  le  sentimenl  de  Ions  les 
fidèles.  Il  faut  avouer  ipio  si  les  ealliolicpies  de  (icnévc  onl  su  ré- 
sister à  Tatmospliére  délétère  de  la  eilé  de  Calvin  qui  ne  met  au- 
runc  borne  à  ses  outrages  à  la  Sainte  Mère  de  Dieu,  c'est  bien  à  leur 
foi  el  à  leur  confiance  envers  Marie  (ju'ils  le  doivent.  (Jue  sera-ce, 
(|uand  le  nouveau  sanctuaire  élevé  à  la  gloire  de  Dieu  et  en  l'hon- 
neur de  la  Vierge  Immaculée  pourra  retentir  des  hommages  des 
catholiques  de  (jenève  ! 

—  On  nous  communique  la  pièce  suivante  : 

./  VuHsiVur  le  Prv^ident  et  à    Vessieurs  les  JUembres  du  Luineil  d''État 
de  la  Hcpublique  et  Canton  de  Genève. 

Décembre  1854. 

Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 

Les  soussignés  cx|>oscnt  avec  respect  qu'en  vertu  d'une  conven- 
lioM  con(  lue  entre  cinq  canlons  dont  celui  de  (lenéve  fait  partie. 
«  onvenlion  tlonl  le  texte  ne  se  trouve  point  au  Ikcueil  des  Luis,  mais 
dont  l'existence  n'est  pas  déniée,  l'entrée  de  notre  canton  est  in- 
terdite à  Sa  (irandcur  Monseigneur  l'évéque  du  Lausanne  et  de 
fienéve.  Otte  mesure  frappe  à  la  lois  le  pasteur  el  les  ouailles; 
elle  n'est  ni  dans  l'esprit  de  notre  temps,  ni  dans  nos  niœurs,  ni  au- 
torisée par  nos  lois. 

Les  soussignés  ont  gardé  le  silence  aussi  longtemps  qu'ils  onl  pu 
••spérer  de  voir  révoquer  par  ses  au'.<;urs  mêmes  celle  >enlence  de 
bannissement  :  mais  puisqu'elle  est  indéfiniment  maintenue,  les 
soussignés  croiraient  manquer  à  leur  double  devoir  de  chrétien  et 
de  <-ito>ens  s'ils  n'appeIai(Mil  pas  rallenlion  la  plus  sérieuse  du  Con- 
seil d'iitat  sur  un  état  de  choses  aussi  préjudiciable  dans  Tordre  de 
la  religion  que  contraire  ii  la  justice  dans  Tordre  temporel. 

Les  Iributjaux  seuls  oui  (pialilé  |)our  prononcer  des  peines  .  no- 
tauimenl  celle  du  banni.ssemenl  ;  i'évèt|ue  n'a  été  ni  accusé,  ni  mis 
en  jugement,  ni  condamné  par  aui  un  Iribimal,  soit  do  notre  can- 
ton, >>oil  d'un  canton  étranger  ;  el,  a  supposer,  ce  qui  n'est  pas, 
qu'il»  >e  IrouMtl  alteiut  par  nue  sentence  d'un  tribunal  d'un  autre 
canton,  la  n<MJ^  elle  lonslitulion    fédérale  ne  garantit   de  lanlttna 


mki..vn<;ks  i:t  noi  vkli.i.s.  119 

canloii  (jiic  ri'xociilioii  clos  jugcmenls  tivilî- ;  or,  un  jiigcmoiil  civil 
ne  |)(Mil  jii  prononcer  de  peine  antre  qn'nne  amende,  ni  slaliier  sur 
des  points  élrangcrs  an\  inlérùls  pécuniaires  ou  aux  droits  des  fa- 
niilli's. 

La  nouvelle  conslilulion  fédérale,  noire  pro|)re  conslilulion  et 
nos  lois  ne  permet  lent  à  aucune  autorité  d'interdire  par  mesure  de 
police  le  lerriloiic  du  canton  à  un  citoyen  suisse  qui  n'est  atteint 
d'aucune  condanuiation.  Elles  consacrent,  au  contraire,  le  droit  de 
libre  élablissenienl. 

Les  soussignés  ne  sauraient  donc  comprendre  comment  il  pour- 
rail  être  fait  à  l'évéquo  du  diocèse  une  position  différente  de  celle 
de  tout  autre  citoyen  suisse;  position  qui  le  met  au-dessous  des 
heimathloses  et  des  étrangers.  Les  traités  auxquels  Genève  doit 
son  nouveau  territoire  ,  et  le  bref  d'incorporation  au  diocèse  de 
Lausanne,  obtenu  du  Pape  à  la  demande  même  du  gouvernement, 
garantissent  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique  ;  il  y  est  sti- 
pulé que  l'évêque  ne  sera  jamais  inquiété  dans  le  cours  de  ses  visi- 
tes, et  le  traité  de  Turin  maintient  dans  le  territoire  sarde  cédé  les 
lois  et  usages  qui  y  étaient  en  vigueur  relativement  à  la  religion  au 
30  mars  1815.  Ces  dispositions  sont  inconciliables  avec  toute  pré- 
tention d'une  autorité  quelconque  d'interdire  par  voie  administra- 
tive l'entrée  du  canton  à  l'évoque  du  diocèse,  surtout  quand  cet 
évèque  est  citoyen  suisse. 

Indépendamment  des  entraves  que  le  séjour  forcé  de  leur  évèque 
en  pays  étranger  entraîne  pour  les  catholiques  du  canton  en  tout 
ce  qui  tient  A  l'ordre  spirituel,  et  de  la  gêne  qui  en  résulte  pour  eux 
dans  l'exercice  du  plus  cher  et  du  plus  sacré  de  leurs  droits,  les 
soussignés  ne  doivent  pas  laisser  ignorer  au  Conseil  d'Etat  que  la 
mesure  arbitraire  dont  leur  évèque  est  victime  les  atteint  plus  que 
lui.  ils  ont  le  droit  d'avoir  leur  évoque  au  milieu  d'eux  toutes  les 
fois  que  celui-ci  le  juge  utile  ou  nécessaire,  et  ce  droit  ne  peut  ni 
ne  doit  être  sacrifié  aux  prétentions  ou  aux  convenances  du  gou- 
vernement d'un  autre  canton,  d'un  canton  à  qui  nous  ne  devons 
rien,  dont  nous  ne  sommes  point  solidaires,  et  qui,  s'il  fait  ses  af- 
faires selon  son  bon  plaisir,  n'est  assurément  pas  fondé  à  demander 
que  l'on  biffe  en  sa  faveur  les  articles  des  lois  et  des  constitutions 
de  Genève  qui  garantissent  les  droits  religieux  des  catholiques  de 
notre  canton. 

Dans  l'ordre  civil,  la  mesure  dont  il  s'agit  est  de  nature  à  éveiller 
l'inquiétude  et  la  défiance  chez  tous  les  citoyens.  Qui  pourra,  après 


12:)  MFI.ANCKS    KT    NOLVKLLKS. 

un  |>areil  anlôcédenl,  se  croire  A  l'abri  de  l'arbilmirc".'  Oui  pourra 
>L'  bercer  de  l'espoir  de  >oir  ses  droits  pailiculiers  mieux  respectés 
i|ue  ceux  de  l'évOque,  c'esl-;i-dire  ceux  (b'  (nii<  b>s  catholiques  en- 
>emble? 

Si  révt^pie  arriviiil  inopinément  à  tlené\e,  se  trouverait-il  d'ail- 
leurs un  fonctionnaire  (|uel(oiu|ue  qui  0'i;U  prendre  sur  lui  la  res- 
ponsabilité de  rarrestalion  ou  de  rex|)ulsion?  Kn  \ertu  de  quoi 
pourrait-il  être  requis  de  procéder?  La  convention  de  Fribourj^  n'a 
atiiunc  existence  publi(|ue;  et,  fùl-elle  insérée  au  Herueil  drs  Lois, 
elle  ne  changerait  pas  pouj-  cela  de  caractère. 

Les  soussignés,  bien  convaincus  que  toutes  ces  pensées  se  sont 
plus  d'une  lois  présenlé(>s  à  l'esprit  des  nia;.'islrals,  déposent  avec 
confiance  entre  les  mains  du  (Conseil  d'Llat  l'expression  de  leur 
douleur  et  de  leur  désir  de  voir  ordonner  le  retrait  d'une  prohibi- 
tion injurieuse  pour  celui  qui  en  est  l'objet,  alTligeantc  pour  tous 
les  catholiques,  allcnlatoirc  i\  bîurs  droits,  et  pardessus  tout  par- 
faitement inutile. 

Dans  l'espoir  légitime  <(ue  le  gouvernement  se  rendra  à  leurs 
vœux,  les  soussignés  prient  le  (Conseil  d'Klat  de  daigner  agréer 
riiun)niaç[e  de  leur  profond  respect. 

[Suiretil  Irf  iifjnalurff. 

('elte  pétition  ,  pleine  de  force  quant  au  fond  et  de  convenanctî 
«lans  la  forme,  si*  couvre,  ou  plutôt  est  déjA  couverte  de  noms.  Il 
est  des  communes  où  tous  les  catholi(|ues,  membres  du  (irand  «"on- 
s»;il,  maire,  adjoints,  conseillers  munici()aux  en  léle,  ont  signé, 
dans  les  autres  l'immense  majorité.  (Quelques  éclairée  seuls,  qui 
n'ont  |)as  le  sentiment  catholique,  fenmt  exception.  L'honneur  de 
riniliali\e  revient  à  (pielque>i  simples  citoyens,  obscurs ,  si  l'on 
vent,  mais  hommes  de  caractère  et  de  foi.  Ils  ont  pensé  que  le  mo- 
ment était  bien  choisi,  et  nous  le  croyons  comme  eux.  Il  y  a  quel- 
ques semaines,  on  aiiiail  pu  soupçonner,  sons  «elte  démarche,  une 
manœuvre  |)oliti({ue  ou  électorale:  aujourd'hui,  impossible. 

.\  Fribourg,  d'où  est  parti  le  coup  qui  nous  a  enlevé  notre  évé- 
«|ue,  une  demande  analogue  a  été  adressée  dernièrement  au  (îrand 
(inuseil.  t^elui-ci  y  ac(piies«"era  ou  non.  Mettons  la  chose  au  pire  el 
aduH'ttons  (|u'il  fasse  cette  fois  encore  la  sourde  oreille.  Terminant 
>uii  existence  anti-républicaine  et  renouveh' en  IS'itl,  on  peut  pro- 
pliétiser  s;uis  crainte  ce  (pi'il  sera  alors.  Les  dernières  élections  en 
tioni  un  sur  i,Mranl  ;    il   u'v  .1    ipie   le  f'(»»i/"»''//^rp' cpii  puiosc  découv  1  ir 


Mi:iwVN<;r.s  i  r  Nnrvr.i.LKS.  121 

iiiie  vicloirc  pour  lui  dans  la  quintuple  défaite  qui  a  été  inflif^ée  à 
son  [)arli  le  13  novembre.  Une  fois  arraché  au  despotisme  qui  pèse 
sur  lui,  h'riliour^'  ranpcrn  parmi  ses  premiers  devoirs  le  ra[)p('l  de 
rév(\jtie.  Il  faudra  bien  (|ue  (ienève  or»  fasse  autant.  Pourquoi  donc, 
au  lieu  do  marcher  à  la  remorque  d'un  autre  gouvernement,  celui 
de  ('icnève  ne  le  précéderait-il  pas  dans  les  voies  de  la  réparation? 
Il  V  aurait  là  évidemment  plus  de  noblesse.  On  ne  prétextera  pas 
(jue  ce  serait  contraire  aux  principes  démocratiques,  à  la  volonté 
du  peuple.  Le  peuple,  que  cela  re<]farde,  la  popidalion  catholique 
réclame  son  premier  pasteur.  A  (Ienève,  le  gouvernement  de  t^'i-7, 
(|ui  a  prêté  les  mains  ii  l'inique  mesure  de  son  exil,  est  tombé.  Le 
gouvernement  actuel  est  donc  parfaitement  placé.  Aussi  nous  le  di- 
sons avec  assurance  :  Si  le  Conseil  d'Etat  entend  ses  propres  inté- 
réls,  s'il  veut  sincèrement  la  réconciliation,  quelle  belle  occasion 
pour  lui  !  Nous  verrons  s'il  saura  êlrc  indépendant,  juste  et  habile. 

—  Un  nouveau  cours  de  conférences  d'hommes  a  été  ouvert 
pendant  le  mois  dernier,  dans  la  salle  du  Fort-de-l'Ecluse.  Ces 
conférences,  continuées  sur  différents  points  depuis  1853,  témoi- 
gnent du  zèle  que  met  le  Consistoire  à  maintenir  l'œuvre  inaugu- 
rée dans  le  temple  de  la  Madeleine.  Toutefois,  le  choix  des  sujets 
traités  dernièrement  nous  a  paru  fort  remarquable  jiar  son  côté 
inoffensif  et  presque  étranger  au  but  primitif  de  ces  assemblées. 
Nous  comprenons  que  les  ministres  protestants  soient  vite  au  bout 
de  leur  symbole  ;  mais,  auraient-ils  sitôt  épuisé  le  chapitre  des  er- 
reurs de  l'Église  romaine,  et  le  répertoire  des  calomnies  dont  elle 
est  l'objet,  ou  bien  jugeraient-ils  enfin  convenable  de  renoncer  à 
ce  genre  de  déclamation?  Quoi  qu'il  en  soit,  les  conférences  de  ce 
mois  ne  présentent  j^lus  le  caractère  belliqueux  de  leurs  sœurs  aî- 
'•c»''Hs.  F.n  p^TcI,  sur  quatre  réunions  qui  ont  déjà  eu  lieu.  Tune  a  été 
remplie  par  un  rapport  qu'a  fait  M.  le  professeur  Munier  du  synode 
de  Francfort,  auquel  il  avait  assisté  comme  délégué  de  l'église  de 
Genève.  Deux  autres  séances  ont  été  consacrées,  par  M.  le  profes- 
seur Alph.  Favre,  à  des  considérations  géologiques  sur  la  formation 
et  la  structure  de  la  terre.  Nous  ne  pouvons  qu'applaudira  un  genre 
d'instruction  (jui  n'est  point  de  nature  à  soulever  les  passions  popu- 
laires ;  mais  il  nous  est  impossible  de  ne  pas  voir  dans  quelle  pénu- 
rie se  trouvent  les  prédicateurs  de  la  réforme  lorsqu'ils  n'attaquent 
pas  l'Église  catholique,  et  ceci  nous  rappelle  les  prédications  de 
certains  ministres  américains  dont  l'un  annonçait  dernièrement  un 


im  MÉLANUKs    I:t    >Ol  VELLKS. 

s«M mon  sur  ce  siijol  :  Uf  légumes  sont  les  settls  alitncnts  autorhet  par 
la  pu  iule  tic  JJifu. 

M.  Bungener  seul  esl  leslé  sur  le  lenaiii  de  la  controverse.  Il  a 
parlé  (In  rOlv  de  la  Bilile  au  cuniinrncenient  itii  moyen  t'uje,  pour  éla- 
blii  un  contrasle  eulre  la  tonduile  de  rKj,'lisc  à  celle  é|)oque  et  de 
nos  jours.  Ouhlianl  les  phrases  pompeuses  par  lesquelles  il  annon- 
çail,  en  1853,  (jue  Lullier  avait  découvert  la  Cible,  comme  Chris- 
tophe Colouil)  rAuiéri(|uo,  il  sV-sl  a|»pliqué,  celle  fois,  à  uioulrei 
que  la  Bible,  au  commencement  du  moyen  dge,  était  le  livre  des 
>avants  et  des  ignorants,  ouvert  à  lous  ;  que  tout  ce  <|u*il  y  avait 
(le  lumière  à  celle  é()0(jue  était  mis  au  servie»'  de  la  Bible  pour  la 
faire  connaître,  pour  la  traduire,  pour  la  copier.  Témoins  les  ef- 
forts des  Croisades,  des  Virhilas,  des  saint  (Jrégoire  l'^  des  Bédé, 
des  Cbarlemafjne,  tles  Alcuin,  des  Oltfried,  pour  la  propager. 

Or,  pendant  (|ue  ces  considérations  sont  |)résentées  au  Fort-de- 
rKtluse,  on  distribue  aux  calholi(|uos  de  {)elites  brochures  desti- 
nées à  les  convaincre  qu'ils  doi\  enl  lire  la  Bible  et  que  l'/^glise  les 
y  convie  par  la  voie  de  ses  Pérès,  de  ses  conciles  et  de  ses  Papes. 
Pourquoi  toujours  allecler  de  confondre  deux  ([ucstions  bien  diffé- 
rentes, la  lecluie  de  la  Bible  et  la  libre  interprétation  de  ce  livre 
divin?  Oui,  Tf-lglise  catholi(|ue  permet  la  lecture  des  Livres  saints 
à  toutes  les  Ames  droites  qui  y  cherchenl  la  vérité.  Oui,  elle  la  re- 
garde comme  la  parole  de  Dieu,  et  elle  la  respecte  beaucoup  plus 
que  lie  le  font  les  j)roleslanls.  Elle  ne  va  pas  la  jolcr  dans  tous  les 
carrefours,  la  livrer  à  rinterprélalion  privée  du  premier  libertin  ou 
du  premier  impie  qui  se  présente,  la  distribuer  aux  ignorants  et  aux 
sauvages  en  leur  disant  :  Lise/  et  faites-vous  une  religion.  Mais 
e'esl  elle  qui  Ta  transmise  intacte  aux  générations  actuelles;  c'est 
elle  qui  maintenant  veille  A  sa  conservation  en  prohibant  toute  ver- 
sion inlidéle.  Voyez,  de  quelle  vénération  elle  l'environne  dans  ses 
conciles  cl  dans  toutes  ses  cérémonies  religieuses.  ^  oyez  surtout 
avec  quel  respect  elle  en  consulte  les  oracles  sacrés.  Elle  ne  l'ouvre 
jamais  pour  en  saisir  le  sens  profond  ,  sans  interroger  en  mémo 
temps  tous  ces  témoins  ({ui  nous  ont  transmis  les  enseignemer>ls 
des  .Vpûlrcs,  sans  demander  aux  écrit.s  des  premiers  docteurs,  aux 
lilhurgies,  aux  monunu'iits  |)ublics,  aux  prali(|ues  religieuses  des 
égli>es  (juellc  a  été  la  foi  des  premiers  disciples  de  l'Iivangile.  Pour- 
quoi toutes  ces  précautions?  Pour  préserver  la  parole  de  Dieu  du 
mélange  des  o[)inions  humaines  en  s'assurant  de  ce  qui  a  été  cru 
toujours  et  partout. 


3iFLAN(ii;s  11    >()tvi;i,M:s.  *23 

<:e  que  rtglisc  déJend,  ce  n'osl  donc  poinl  la  Icclmc  de  la  Bible, 
va  sont  los  traduclioiis  enlachées  d'hérésie,  c'est  rinterprétalion 
arhilraire  (pic  peiil  en  doniior  Tespril  privé.  Si  rK<^lisc  n'a  pas  le 
droit  do  dirijfor  les  fidèles  dans  cette  locturc,  que  font  donc  les  mi- 
nistres eux-mêmes?  Après  avoir  pendant  une  année  exposé  le 
principe  do  la  sullisance  de  la  Bible,  leur  devoir  était  donc  de  des- 
cendre de  la  chaire  et  de  laisser  la  Bible  à  leur  place,  en  Tabandon- 
n.int  au  libre  examen  de  chacun. 

—  Un  journal  de  (ienève  s'est  occupé  des  travaux  et  du  prix  des 
travaux  de  construction  de  la  nouvelle  église  de  Notre-Dame.  Nous 
sommes  aulorisé  à  aflirmer  qu'il  n'y  a  dans  les  assertions  de  ce 
journal  à  cet  égard  qu'inexactitude  et  énorme  exagération. 

—  Jamais  la  félc  de  Noël  n'a  été  plus  belle  que  cette  année  dans 
l'église  de  Saint-Germain  de  Genève.  Concours  immense,  commu- 
nions nombreuses,  recueillement  parfait.  Mais  nous  avons  la  dou- 
leur d'avoir  à  constater  un  grand  scandale  dans  l'église  paroissiale 
de  Carouge.  Quand  les  Cdèles  de  cette  ville  sont  arrivés,  à  1 1  heu- 
res et  demie,  pour  assister  à  la  messe  de  minuit,  ils  ont  trouvé  l'é- 
glise envahie  par  des  tapageurs  venus  de  Genève.  Pendant  tout 
l'oflice,  même  au  moment  de  la  communion,  il  y  a  eu  force  propos 
outrageants  contre  la  religion,  insultes  aux  femmes,  plaisanteries 
indignes,  conversations  impudentes,  que.  le  clergé  et  les  catholi- 
ques de  Carouge  n'ont  pu  empêcher,  malgré  tous  leurs  efforts. 
Pendant  la  messe,  les  cafés  et  les  cabarets,  contrairement  à  la  loi, 
ont  été  encombrés  de  gens  venus  également  de  Genève.  Y  a-t-il  eu 
préméditation?  est-ce  un  coup  monté?  L'autorité  n'a-l-elle  rien  su 
ou  rien  pu  faire  pour  protéger  la  paisible  population  de  Carouge? 
Cette  manière  d'entendre  la  liberté  des  cultes  de  la  part  des  tapa- 
geurs de  Genève  a  reporté  tout  naturellement  nos  souvenirs  vers 
ce  temps  où  on  envoyait  50  gendarmes,  armés  de  menotes,  puis 
ensuite  des  compagnies  de  milice,  pour  protéger  le  culte  provoca- 
teur d'un  ministre  protestant  à  Chevrans!! 

P. -S.  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  la  police  fait  des  recherches. 
Nous  avons  le  droit  d'espérer  que  l'année  prochaine  les  lois  seront 
observées  et  la  liberté  des  cultes  assurée.  Quant  à  nous,  citoyens 
catholiques  de  Carouge,  nous  saurons  au  besoin  faire  respecter  no- 
tre église.  In  ciloyen  de  Caroufje  au  nom  de  plusieurs. 


\1\  MKI.%%<il-S    F.T    KOl'VKI.I.KS. 

^illNWK.  —  .Holcuro.  —  Ln  h'atholischr  Airchfnzeitung  ^ Ga- 
zelle ecclésiaitifjur  cat/tulii/ur  de  la  Suiise],  qui  st'  publie  .i  Soleure , 
«lopiiis  s«'|)t  ans,  annonce  qu'elle  conlinuera  à  paraHre  ,  aidùe  de 
nouxcaux  collaboraleurs.  Fidèle  à  son  litre,  elle  ne  s'occupera  pas 
plus  de  politique  que  par  le  passé;  elle  demeurera  une  feuille  reli- 
gieuse, callioli(|iio  ;  et,  sans  omettre  les  nouvelles  de  l'extérieur, 
i|ui  entrent  dans  sa  sphère,  elle  traitera  spécialement  les  objets  qui 
intéressent  l'Eglise  en  Suisse.  Nous  espérons  pour  nos  amis  la  bé- 
nédiction de  Dieu  et  un  succès  toujours  croissant. 

—  Dans  le  consi>loire  sccu'l  du  1(1  novembre,  N.  S.  I*ere  le  PajM^ 
a  contirmé  réiccliun  de  Mgr  (^liarles  Arnold  au  siège  é|)isco|>al  de 
BAle.  Cet  événeucnl  comble  les  vœux  des  fidèles  de  ce  diocèse  ut 
inspire  les  plus  douces  espérances. 

Xti?.  —  Sur  les  bords  riants  du  lac  de  /ng  sélève  le  cbilteau 
dL'  Huonas.  M.  le  chapelain  J.-A.  iJruhin  a  loué  celte  maison  avec 
quelques  parcelles  de  terrain,  pour  y  fonder  un  élablis.seroent  d'é- 
ducation en  faveur  de  jeunes  ouvriers.  Il  a  commencé  sans  bruil , 
au  printemps  de  cette  aiinée  ,  et  les  succès  qu'il  a  obtenus  l'encou- 
ragent ù  donner  à  son  projet  une  plus  grande  extension.  M.  Bruhin 
prend  de  jeunes  garçons  destinés  A  devenir  de*  ouvriers,  leur  fait 
enseigner  une  jirofession  par  des  maîtres  éprouvés  qui  demeurent 
dans  rél?blissemcnl  même,  et  il  leur  distribue  le  bienfait  d'une 
éducation  pro[ue  :\  faire  d'eux  de  bons  et  chrétiens  ouvriers.  Cette 
œuvre  ,  toute  de  charité  ,  se  soutient  et  marchera,  nous  l'espérons. 
Le  concours  de  bienfaiteurs  génénMix,  une  pension  modique  pavé(î 
par  les  apprentis,  pension  dont  le  chilTre  est  réglé  sur  les  circcuis- 
lances,  le  produit  de  la  vente  des  objets  confectionnés  dans  la  mai- 
son, et  par  de-^sus  tout  le  dévouement  actif  et  désintéressé  du  foii- 
dal(Mir,  telles  sont  les  ressources.  I/élablissement  n'a  aucun  fonds; 
aussi  comptons-nous  sur  un  ln'urcux  résultat.  Dieu  lui-même  sera 
le  ban(|uier. 

Dans  un  rapport  dale  du  îl  novembre,  .M.  Ibuhin  rend  le  compte 
suivant  du  but  et  des  conditions  de  l'entreprise  :  n  Apprendre  une 
profi'ssion  à  nos  élèves,  leur  donner  l'inslruclion  et  l'éclucation  , 
voili^  ce  «jutî  nous  nous  proposons.  Kn  premier  lieu  ,  nos  enfants 
doivent  traraillrr,  et  travailler  avec  application  et  assiduité,  afin 
d'a((|uérir  l'habitude  de  racti\itè  et  ranu)ur  du  travail.  Ceux  dont 
rallt'iilion  et  la  constance  méritent  d'élre  réi  om|)ensées,  oblien- 
neril  lie  travailler  ehaqiii'  jour  <|ii('lqiu's  iristanh  pour  eux-mêmes, 


MKhAN<iKS  i:t  nouvkllks.  125 

(Ml  bien  ils  reruivotit  une  modeste  ^ralilicatiou  qui  est  déposée  dans 
une  caisse  d'épaigne  et  peut  être  employée,  sous  la  surveillance  du 
directeur,  ;\  des  œuvres  (ruiililé  ou  de  bienfaisance.  Ils  se  forment 
ainsi  de  bonne  heure  à  Vécouomie  et  à  la  charité. 

»  La  plupart  ont  un  prand  besoin  d'instruction.  Ils  en  reçoivenl 
une  qui  les  met  en  étal  de;  f,'agner  honorablement  leur  vie.  Le 
chant  leur  est  particulièrement  cnsei^'né  ;  en  même  temps  qu'il  les 
maintient  dans  luie  gaité  honnête,  il  leur  fournit  le  moyen  de  se 
procurer  à  eux-méracs  et  aux  autres  des  jouissances  variées,  sans 
([u'il  leur  soit  nécessaire  de  courir  après  certaines  sociétés  musicales 
ou  dans  les  estaminets. 

»  Le  point  principal  est  sans  doute  Vèducalion.  Ici  l'éloigncmenl 
de  la  vie  légère  et  frivole  agit  puissamment.  Tel  jeune  homme  qui 
aurait  été  perverti  par  les  compagnies  et  les  occasions  ,  deviendra 
facilement  un  bon  sujet,  parce  qu'il  vil  loin  d'elles. 

»  Ajoutez  à  cette  absence  de  dangers  l'instruction  religieuse  qui, 
grAces  à  la  vie  de  communauté,  est  plus  pratique,  intéressante,  qui 
saisit  et  pénètre  l'existence  entière.  On  s'efforce,  en  outre,  d'inspi- 
rer aux  enfants  l'amour  de  la  simplicité  ;  on  les  accoutume  à  se 
contenter  sans  exigences,  à  obéir,  à  aimer  leur  prochain  et  à  met- 
tre au-dessus  de  tout  l'amour  et  la  pratique  de  leur  religion  ,  et  le 
salut  de  leur  âme. 

)-  En  un  mot,  l'établissement  doit  offrir  autant  que  possible  une 
vie  de  famille  simple,  mais  douce,  bonne  et  catholique.  On  ne  veut 
pas  élever  les  enfants  comme  des  gens  destinés  au  cloître,  mais  les 
disposer  à  mener  plus  lard  une  vie  chrétienne  et  honorable  dans  le 
monde.  » 

Le  digne  chapelain  réclame  ensuite  l'obole  de  la  charité,  et  il 
termine  ainsi  :  «  Mais  votre  fonds,  où  est-il?  me  deraandera-l-on. 
Nous  comptons  sur  l'intérêt  des  hommes  de  bien  ;  nous  comptons 
principalement  sur  la  Providence,  qui  n'a  jamais  fait  défaut  aux 
œuvres  entreprises  pour  sa  gloire  avec  la  bénédiction  de  l'Église.  » 

Honneur  à  ce  langage  et  à  ces  sentiments  1  honneur  au  prêtre 
modeste  el  zélé  qui  comprend  si  bien  une  des  nécessités  les  plus  im- 
périeuses de  notre  époque  !  Que  Dieu  accorde  succès  et  prospérité 
à  cette  nouvelle  et  intéressante  création  ! 


126  MKI.AM.KS    V.r    >OI  VKLI.KS. 

i:Tii%!\c;i:BI.  —  France.  —  M.  (!(•  (îasparin  s'indique, 
ànnsU's  ^rrhirvi  Jucliristi(itii:>mr,  \\  novonilire,  dn  coricerl  dV'UxTs 
pavù  par  par  les  prolcslniils  cux-im^mi'S  au  d(>vuiienu>nt  do  nos 
Sœurs  de  Cbarilû  pnrties  pour  l'OrienJ.  Toujours  pr<^t  A  insulter  ce 
(|ui  a  une  ap|)arcnce  de  calholicisnie,  il  devient  roniique  à  force  de 
haine.  Il  se  réjouit  et  il  sattriïte  en  nu-me  temps  de  ce  que  l'Anf^le- 
lerre  aussi  envoie  des  sœurs.  Voyez,  dit-il,  lu  protestantisme  n'o>l 
pas  moins  fécond  en  héroïsmes  (jue  l'Kglise  romaine.  Ouel  honlieur 
pour  M.  de  (ïasparin  1  .\Jai>.  o  cauciiemar!  il  voit  là  un  nouveau 
pas  fait  dans  la  voie  qui  ramène  rAn<^leterrc  protestante  au  catho- 
licisme. Nous  sommes  assez  de  ci'l  avis.  «  Dans  cette  noble  .\ngle- 
terre,  ajoute  .M.  de  (las|)arin,  couverte  d'd'uvres  si>onlanées,  et  où 
la  foi  (  hrélicnne  fait  chaque  jour  des  miracles,  on  n'a  pas  craint 
d'insinuer  qu'à  moins  d'eniprunter  au\  catholiiiucs  leurs  corpora- 
tions de  sdHUs,  le  protestantisme  ne  saurait  enlourerde  «oins  V:\me 
et  le  corps  de  ses  malades,  de  ses  blessés  ! 

»  Oui,  on  a  eu  cette  audace.  Il  n'y  avait  pourtant  qua  ouvrir  les 
yeux  pour  s'assurer  (juo  sans  ongagcments,  sans  costume  et  sans 
célibat,  l'Angleterre  protestante  sait  trouver  des  milliers  d'évangé- 
listes,  de  colporteurs  ei  de  missionnaires  (grassement  payés),  des 
maîtres  pour  les  écoles  déguenillées,  des  lecteurs  de  la  Hible  pour 
l'armée  d'Orient  [ù  intré|)idité  !  ,  des  hommes  et  des  femmes  em- 
pressés à  accepter,  au  nom  de  C.brisl,  les  devoirs  los  plus  rebutants 
ou  ménie  les  plus  périlleux.  Il  n'y  a  point  de  sœurs  do  la  charité  en 
Angleterre  !  .Mais  (jue  sont  les  chrétiennes  qui  visitent  les  malades, 
qui  pensent  les  blessés,  qui  veillent?  » 

Puisque  M.  de  Gasparin  fait  une  question  ,  il  nous  permettra  de 
répondre.  Voici  ce  <|ue  dit  une  feuille  at)glaise,  le  Cunrdiam ,  de 
ces  chrétiennes  proleslatiies  (|ui,  en  .\ngleterre,  visitent  les  mala- 
des, pansent  les  plaies  et  veillent  : 

<«.... L'idée  générale  qu'on  se  fait  d'un  hc^pital  anglais  est  celle 
d'un  lieu  où,  pour  rien,  les  pauvres  ont  tous  les  soins  et  tout  le  con- 
fort que  l'argent  procure  aux  riches  ;  et  des  personnes  incapables 
de  déguisement  répètent  souvent  aux  pauvres  qu'ils  trouveront 
aux  hôpitaux,  avec  le  secours  de  la  plus  haute  scieiue,  des  atten- 
tions et  une  considération  qu'ils  chercheraient  vainement  ailleurs. 

■>  ...  Les  pauvres,  eux,  racontent,  eu  (|uittanl  rh(*>|)ital,  ce  (ju'ils 
ont  soutlert  et  \u  soulTrir,  cl  leur  réjiugnaïuc  aussi  enracinée  «ju'u- 
niversclle  pour  la  plupart  des  hôpitaux  ,  ne  peut  être  ignorée  de 
persotmes  lanl  soit  peu  au  (ouranl  de  leurs  pensées  et  de  leurs  ha- 


MRLANGKS    HT    NUIM.I,I,i;S.  127 

l)iludo.s.  Un  sentiment  général  el  profond  sur  unr  question  prali- 
(|U('  fi'cst  passou\(Mil  sans  fondtMnent,  et  nous  croyons  (ju'il  no  l'est 
pas  (lu  tout  en  celte  cirronslanciî.  Notre  profire  expérience,  par 
lapport  i\  diMix  des  grands  hôpitaux  de  Londres,  nous  donne  Jicu 
de  croire  qu'une  (illo  honnête  pounait  diflicilenient  entrer  en  un 
lieu  plus  propre  à  la  dénioraliscir,  ou  une  pauvre  femme  chercliant 
des  soins  tendres  et  minutieux,  tomber  entre  des  mains  plus  gros- 
sières. 

»  Ces  expressions  sont  sans  doute  très-fortes,  mais  nous  prions 
nos  lecteurs  de  croire  que  nous  ne  les  appliquons  ni  sans  fondement 
ni  sans  considération.  Non-seulement  ils  ne  dépassent,  mais  ils 
n'atteignent  même  pas  la  force  des  termes  dont  se  servent  souvent 
les  membres  de  l'administration  et  du  service  médical  de  ces  éta- 
blissements. Dans  un  excellent  petit  livre,  qu'on  vient  de  publier 
sur  la  question  qui  nous  occupe,  on  ne  trouvera  que  trop  de  preu- 
ves tirées  des  sources  les  plus  authentiques,  et  conduisant  aux  con- 
clusions les  moins  satisfaisantes,  et  pour  prouver  une  évidence  trop 
longue  à  détailler,  nous  n'avons  rien  de  mieux  à  faire  que  de  ren- 
voyer à  cette  publication.  Le  résultat  de  cette  étude  ne  peut  être 
autre  que  de  prouver  jusqu'à  quel  point,  nonobstant  le  bien  qui  se 
fait  dans  certains  hôpitaux,  une  réforme  serait  nécessaire  par  rap- 
port à  la  négligence,  à  la  dureté,  à  l'indécence  qu'on  y  rencontre, 
jointes  à  ce  froid  mépris  des  plus  délicats  sentiments,  encore  plus 
faciles  à  froisser  dans  l'accablement  de  la  maladie.  Des  témoins  ha- 
biles et  expérimentés  avouent  franchement  ces  vérités  qu'on  ne 
peut  faire  remonter  qu'à  une  seule  et  unique  source.  Les  méde- 
cins sont  aussi  habiles  que  nombreux  ;  le  chapelain  mal  payé  et 
épuisé  fait  tout  ce  qui  dépend  de  lui,  mais  ni  le  chapelain  ni  le  mé- 
decin ne  peuvent  remédier  au  mal,  car  ni  l'un  ni  l'autre  ne  peu- 
vent passer  auprès  du  malade  ces  longues  heures  du  jour  et  de  la 
nuit,  où  il  a  besoin  de  soins  constants  et  affectueux  ;  ni  l'un  ni  l'au- 
tre ne  peuvent  veiller  à  son  chevet ,  lui  lire ,  lui  parler,  lui  rendre 
enfm  ces  innombrables  services  d'où  dépend  toujours  un  bien-être 
comparatif,  et  souvent  même  la  vie. 

»  Tous  ces  soins  sont  le  partage  des  infirmières^  et  il  est  certain, 
comme  règle  générale  ,  qu'une  classe  moins  propre  à  ce  service  ne 
pourrait  être  choisie.  Mercenaires  sans  éducation,  négligentes, 
égoïstes,  souvent  indécentes,  ivres,  et  toujours  trop  peu  nombreu- 
ses, il  leur  arrive  même  d'être  criminelles  dans  leur  cruauté,  et  sans 
citer  le  passage  où  ce  fait  est  constaté,  nous  y  ajoutons  foi.  »  etc. 

Le  reste  est  à  l'avenant. 


1*28  MKI.AMJKS    KT    >ol  VKI.I.KS. 


Af.CDBD  DES  MINISTRES  PROTESTANTS  SIH  I.KS  POINTS  KONDAMENTAl  \ 
ni  CHRISTIANISME,  ET  1"  SIR  CETTE  QtESTION  :  JÉSLS-CIIRIST  EST- 
II.  1)1  Kl  ? 

M.  Bosl,  pasteur  à  Sedan  :  «  On  peut  discuter  sur  Homère,  on  ne 
II' peut  sur  Josus-dlirisl...  Jésus-Christ  se  donne  comme  le  vrai 
Dieu,  il  dit  :  Celui  qui  m'a  vu  a  vu  le  Père.  Ses  apôtres  le  procla- 
ment le  vrai  Dieu  et  la  vie  éternelle,  etc..  Si  cela  est  faux,  le  chris- 
tianisme n'est  ])lus  (ju'une  duperie;  Jèsus-Christ  un  imposteur; 
sainl  Paul  un  sol  ou  un  fourbe,  et  ceux  (]ui  ont  soulevé  le  inonde, 
des  niais  qui  se  sont  laissé  prendre  aux  beaux  dehors  d'un  charla- 
tan ,  ou  des  escrocs  qui ,  à  force  d'habileté  ,  ont  fini  par  obtenir  les 
uns  cl  les  autres  le  seul  résultat  qu'ils  pussent  espérer,  le  mar- 
tyre )>  (1). 

M.  Archinard,  pasteur  à  (îenèvc  :  «  Si  l'on  veut  donner  au  mot 
Dieu  le  sens  qu'y  donnaient  les  Orientaux,  celui  d'être  élevé  en  di- 
gnité, soit  parmi  les  hommes,  soit  au-dessus  des  hommes,  nous  ne 
ferons  i\  cela  aucune  dilTîcullé,  Christ  est  l'être  le  plus  rapproché 
de  Dieu  qu'il  y  ait,  le  Fih  unique,  le  Fils  hien-aimc  du  Père.  Mais 
veut-on  dire  (|u'il  est  le  Dieu  souverain  qui  doit  être  seul  adoré,  et 
duquel  procèdent  toutes  choses?  oh!   alors,  voilA  ce  qu'il  nous  est 

impossible  d'admettre  »   (2U 

Art  fuite  a  chaque  numéro. 

(1)  Observations  sur  la  profession  de  foi  du  \l\'  siècle,  de  M.  Eug  l'el- 
Iclan.  Paris,  rue  Tronchet,  "2.  iS.'it.  P.  ôR. 

(2)  Le  catécliisnic  de  lé};lise  de  Genève  défendu,  etc.  (îenèvc  IWCî.  p.  17. 


L.ES  .  VAUDOIS     OV     MOYKIV     \GE  , 

LKllR  OHIOrNI-:  ET  LKl'K  LITrÉKATURE 

d'aPRK!»    LKS    travaux    les    plus    récents   DK    la    CRITIQUK 
PROTESTANTE. 


.Non  cniin  possumus  aliquid  adversus  veritateni, 
sed  pro  vcrilatc.  (II'  cp.  ;ul  Cor.  XIII,  8.) 


Deux  opinions,  dont  l'une  est  précisément  la  négation  de  l'au- 
tre, ont  prévalu  jusqu'à  nos  jours  sur  l'hisloire  de  l'hérésie  vau- 
doise.  L'une  est  l'opinion  des  écrivains  catholiques  ;  l'autre,  celle 
que  les  Vaudois  du  Piémont  ont  accréditée  depuis  l'époque  de 
la  réforme. 

Les  partisans  de  la  première  ,  s'appuyant  sur  les  témoignages 
des  historiens  catholiques  du  moyen  âge  ,  font  remonter  l'origine 
de  cette  secte  à  la  seconde  moitié  du  douzième  siècle,  et  regar- 
dent Pierre  de  Vaud,  ouValdo,  comme  en  étant  l'auteur  (1).  D'a- 
près eux,  Valdo  et  ses  adhérents  conservèrent  primitivement  les 
dogmes  catholiques,  et  ne  contestèrent  d'abord  à  l'Eglise  que  sa 


(1)  Son  véritable  nom  était  probablement  Valdes  ou  Valdez.  Le  prénom 
de  Pierre  parait  pour  la  première  fois  dans  un  manuscrit  de  Strasbourg  du 
quinzième  siècle.  V.  Herzog,  die  romanischen  Waldenser,  etc.  p.  H2  et  Ho. 


130  I.Kâ  VA(  IKtIS  DL  MUYKK  AGR. 

Iiirrurchii*.  Jus(|u'à  la  iiti  du  moyen  âgo  ,  quoi(|iir  plus  ou  ntoiiis 
ennemis  «le  l'K^'lisc  i-onjainc  ,  ils  no  cln'irlièi»!nt  ««'pcndanl  |ias  à 
rompre  ouvcrlcmenl  avec  elle.  Ce  ne  lui  qu'au  sei/ièiuc  siècle 
(comme  le  démonlrent,  à  l'aide  de  documenls,  h'S  écrivains  ca- 
lliolitjues),  à  daler  de  la  réforme  ,  que  le  schisme  vaudois  s'aC- 
complil  dans  le  vrai  sens  du  terme ,  ei  que  la  secie  devint  con- 
forme, ou  à  peu  près,  dans  ses  doymes,  avec  \>  proleslanlism»'. 

L'autre  opiuion,  que  les  Vaudois,  depuis  leur  adhésion  à  la  re- 
forme, surent  faire  accepter  pendant  près  de  trois  siècles  à  l'his- 
toire protestante  ,  est,  connue  nous  l'avons  dit,  diamétralement 
opposée  à  la  première.  Quoique  ses  défenseurs  ne  soient  pas 
d'accord  entre  eux  sur  l'époque  précise  de  l'origine  de  la  secte 
(ils  hésitent  entre  les  temps  apostoli(iucs,  le  siècle  de  Constantin- 
le-Grand,  l'époque  carlovingionnc,  le  onzième  siècle  ,  les  temps 
de  Bérenger  de  Tours  et  les  premières  années  du  douzième  siè- 
<le!),  ils  sont  unanimes  pour  lui  revendiquer  une  existence  an- 
térieure à  Valdo  et  entièrement  indépendante  de  lui,  ainsi  «piune 
confession  de  foi  de  tout  temps  analogue  à  celle  de  la  réforme. 
D'après  eux,  linlluence  que  les  nouvelles  doctrines  du  seizième 
siècle  exercèrent  sur  l'église  vaudoise  ne  serait  qu'une  odieuse 
fiction,  née  dans  la  cervelle  de  gens  ennemis  de  l'Évangile,  in- 
téressés à  noircir  les  saintes  origines  d'une  religion  qui  les  ac- 
cuse d'idolâtrie  et  de  mensonge.  Ils  fondent  leur  assertion  sur 
une  série  de  manuscrits  (piils  iniaginent  avoir  paru  dans  les  pre- 
mières années  du  douzième  siècle,  au  sein  même  des  \  audois  du 
l'iémont. 

Tant  (juc  les  Vaudois  n'eurent  all'aire  qu'à  leurs  adversaires 
naturels,  ils  eurent  beau  jeu.  Ils  purent  sans  peine  persuader  ù 
leurs  adeptes,  et  à  ceux  que  la  haine  contre  l'Église  romaine  dis- 
posait en  faveur  de  leur  étrange  système,  (juc  leur  histoire  avait 
été  déligurce  à  dessein  et  par  esprit  de  paiti;  «ju'on  ne  pouvait 
ajouter  U>\  aux  lécits  calomnieux  d'idolâtres  qui ,  n'ayant  pu 
réussira  les  extirper  par  le  fer  et  par  le  feu,  avaient  dû  naturel- 
lement laire  tous  leurs  ellorts  pour  les  déuigrxîr,  car  leur  secte 
étant  d'origine  apostolitpie,  la  pureté  de  la  doctrine  les  couvrait 
de  honte,  en  prouvant  jusqu'à  l'évidence  que  Uomc  avait  étouffé 
sa  foi  primitive  sous  de  grossières  superstitions,  et  réalisait  dans 


LES  VALDUIS  DU  MOYIIN  AGE.  131 

son  sciu  la  propliélic  de  l'Apocalypse.  D'ailleurs ,  nos  preuves 
sont  là ,  (lisaient-ils.  Nous  possédons  des  documents  authenti- 
ques d'une  haute  anti(piiié.  Ces  documents  ont  vu  le  jour  au 
commcncenuMit  du  douzième  siècle.  Donc  notre  religion  ne  peut 
avoir  pour  auteur,  comme  nos  ennemis  veulent  le  faire  croire , 
Pierre  de  Vaux  ,  qui  ne  commença  à  prêcher  ses  doctrines  que 
vers  l'an  1170.  El  puis,  examinez  ces  précieux  trésors  que  nous 
avons  hé'rités  de  nos  pèios;  voyez  quel  esprit  évangélique , 
quelle  pureté  de  doctrine ,  quelle  exposition  franche  et  jamais 
contradictoire  des  vérités  bibliques!  Est-ce  là  ce  qui  caracté- 
rise une  secte  qui  vient  de  naître  ? 

Sans  doute,  dès  que  l'on  admet  avec  les  Vaudois,  comme  pro- 
duction des  premièî'es  années  du  douzième  siècle,  certaines  œu- 
vres de  leur  littérature,  dont  le  contenu  ,  on  ne  saurait  le  con- 
tester, tranche  d'une  manière  fortement  prononcée  avec  les 
dogmes  de  l'Église  romaine  ,  on  ne  peut  faire  autrement  que 
d'attribuer  à  leur  secte  une  origine  antérieure  à  Valdo,  et  de 
concéder  que  ce  n'est  point  à  cet  hérésiarque  qu'elle  est  rede- 
vable de  ses  principes  religieux.  D'ailleurs,  une  secte,  à  peine 
à  son  berceau,  n'aurait  pu  formuler  un  symbole  aussi  net,  et  qui 
fût  aussi  unanimement  accepté.  Les  sectes,  à  leur  origine,  ne  pré- 
sentent jamais  le  caractère  de  l'unité.  Elles  tâtonnent  encore, 
elles  hésitent,  elles  cherchent  un  point  d'arrêt,  et  ce  n'est  qu'a- 
près un  long  enfantement,  après  bien  des  vicissitudes,  après  des 
luttes  sans  cesse  renouvelées ,  qu'elles  arrivent ,  —  quand  elles 
y  arrivent  !  —  à  une  décision  en  matière  de  dogme. 

Mais  la  haute  antiquité  dont  les  Vaudois  se  sont  plus  à  hono- 
rer leurs  manuscrits,  et  dont  ils  se  sont  prévalus  jusqu'à  nos 
jours ,  comme  d'un  argument  péremptoire  de  leur  foi  soi-disant 
évangélique,  est-elle  un  fait  avéré  et  incontestable?  C'est  préci- 
sément là  la  question,  et  ce  ne  sont  plus  leurs  adversaires  qui  en 
doutent,  ce  sont  des  amis,  tout  aussi  intéressés  qu'eux  à  faire 
valoir  leurs  prétentions.  Des  critiques  protestants,  remarquables 
par  leur  pénétration  et  leur  profond  savoir,  se  sont  pris,  dans 
ces  dernières  années ,  à  contester  aux  manuscrits  en  question 
l'exactitude  des  dates  que  Léger  leur  avait  assignées.  Ils  leur 
ont  découvert  des  traces  d'une  origine  infiniment  plus  récente. 


132  I.KSVAIIHUS   l>r   .MI>YKN   A(.K. 

liirti  loin  de  pouvoir  les  l'aiie  remonter  aux  preniicrcs  aiiDées  «lu 
12'  siècle,  un  examen  aiienlifei  oonseicncieux  les  a  (!onvaineus 
(ju'ils  l'iaieni  mémo  do  heaiicoup  posiérieurs  aux  lemps  de  l'Iié- 
résiarquo  Pierre  de  \  aux.  De  plus,  ils  se  soni  assuiés  (|u'il  exis- 
tait tout  une  catégorie  de  manuscrits  qui  présentaient,  au  point 
de  vue  du  dogme,  un  caractère  encore  éminemment  catliolicpie. 

(]'esl  TAngletorre  ,  où  la  tradition  vaudoise  avait  trouve  long- 
lemi)s  de  si  nombreux  et  zélés  défenseurs,  (|ui  a  donné  le  signal 
de  la  réaction,  et  rendu  aux  écrivains  catholiques  du  moyen  âge 
la  justice  <|ue  leurs  adversaires  leur  avaient  si  hardiment  refusée. 
C'est  au  savant  M.  Mailand  (pi'esl  due  la  gloire  d'avoir,  le  pre- 
mier (dans  un  rcmarquahie  travail  (pi'il  lit  paraître  en  1832), 
ouvert  la  nouvelle  voie  dans  hupieile  est  entrée  la  crili(pie  pro- 
testante louchant  la  lilléiatuie  vaudoise  (1).  D'autres  érudils 
de  ses  compatriotes  ne  tardèrent  pas  longtemps  à  marcher  sur 
ses  traces.  Monsieur  Todd,  frappé  de  l'importance  de  ses  décou- 
vertes, se  livra  à  de  nouvelles  recherches,  et  en  lit  connaître  le 
résultat  dans  un  ouvrage  (ju'il  publia  à  Dublin,  en  IS-iO,  sous  le 
litre  de  :  Dissertations  sur  les  prophéties  relatives  à  l'Anté- 
christ (2),  cl  (lai\s  son  Catalogue  raisonne  des  manuscrits  vau- 
dois  de  la  bibliothèque  du  Trinity-Collége  de  Did)lin,  (ju'il  lit  in- 
sérer dans  le  British  Magazine  (liv.  d'avril,  mai  et  juin).  M.  Gilly 
lui-même,  dans  l'édition  qu'il  donna,  en  18ol ,  do  l'Évangile 
vaudois  de  saint  Jean,  refusa  toute  authenticité  aux  dates  de  Lé- 
ger, et  M.  Fabcr,  (jui  fut  louglcmps  un  ardent  représentant  de 
l'opinion  vaudoise,  renonça  à  ses  idées  favorites,  et  déclara  loya- 
lement (|ue,  à  part  le  manuscrit  de  rAntechrist,  dont  rantiquil»' 
ne  lui  semblait  pas  en  tout  point  contestable,  il  donnait  raison  à 
ses  devanciers. 

Cependant ,  et  l'on  est  enlin  convenu  de  leur  rendre  celle  jus- 
lice,  la  première  impulsion  donnée  à  la  critique  des  manuscrits 
vaudois,  est  partie  des  historiens  cailioli(pics  eux-mêmes.  L'il- 
luslre  évoque  de  Maux  avait  déjà,  au  livre  onzième  de  son  Hi$- 


(1)  Facls  aiuls  tlocMiinoiils  illuslralivc  of  llic  liislory,  doctrine  aiid  rites  i»f 
Ihe  ancicnt  Albif-cnscs  and  Waldoiiscs.  I.ondon.  IKli. 

(2)  Discnurscs  on  Ihe  prophccicsrclatingto  Anlichrist.  Dublin.  IRU). 


I.KS  VAl  DOIS  1)1    MOVKN  AOi:.  133 

toire  (les  f"  arialions ,  fait  (luelqucs  obscrvalions  très-fondées  sur 
plusieurs  productions  de  la  lillérature  vandoise ,  observations 
((ui  auraient  pu  nieiire  depuis  longtemps  les  historiens  protes- 
tants sur  la  voie  de  la  v«''rilé  ,  s'ils  ne  se  lussent  laissé  aveugler 
par  l(!ur  singuliei-  axiome,  (pie  toutes  les  donn<''CS  des  auteurs  ca- 
llioliques  sur  l'origine  de  la  secle  défavorables  à  la  tradition 
vaudoise  ,  (''laicni  nvccssaircment  cvyoi\ùp<^,  tandis  que  celles  qui 
parlaient  en  sa  faveur,  étaient  inconte slahlvmcnl  justes. 

L'Allemagne ,  ce  pays  classique  de  la  science  et  des  recher- 
clierclios  [)aiiontes  et  consciencieuses ,  ne  pouvait  rester  en  ar- 
rière de  ce  giand  mouvement  imprimé  par  l'Angleterre  à  la  cri- 
tique des  manuscrits  vaudois.  Aussi ,  peu  d'années  après  la 
publication  des  travaux  de  M.  Todd,  un  savant  professeur  de 
l'université  de  Halle,  le  docteur  Herzog,  lit  paraître  une  disser- 
tation intitulée  :  De  Jfaldensium  origine  et pristino  statu  (1848), 
qui  fut  suivie  de  près  d'un  article  inséré  par  le  même  auteur 
dans  la  Reiue  de  théologie  et  de  philosophie  chrétienne  (1850), 
sous  le  titre  de  :  Quelques  observations  sur  Vorigine  et  les  doc- 
trines primitives  des  Faudois.  M.  Herzog  démontra  que  la  Con- 
fession de  foi,  à  laquelle  on  avait  attribué  une  si  haute  antiquité 
(on  la  faisait  dater  ni  plus  ni  moins  que  de  Tan  1120),  n'était 
autre  chose,  dans  ses  parties  essentielles,  qu'un  extrait  littéral 
du  rapport  qu'adressa,  en  1530,  au  réformateur  OEcolampade, 
le  célèbre  G.  Morel ,  sur  l'état  de  la  secle  dont  il  était  un  des 
principaux  représentants.  Il  trouva,  en  outre,  que  plusieurs  por- 
tions du  même  écrit  indiquaient  évidemment  une  époque  de 
beaucoup  postérieure  au  douzième  siècle.  Ses  découvertes  ne 
s'arrêtèrent  pas  là.  Une  élude  minutieuse  du  catéchisme  vaudois 
et  du  livre  de  VJntechrist,  que  l'on  faisait  remonter,  le  premier 
à  l'an  1100,  le  second  à  l'an  1120,  le  convainquit  que  ces  dates 
étaient  entièrement  fautives,  et  que  ces  deux  documents,  si  vé- 
nérables aux  yeux  des  protestants  par  leur  prétendue  haute  et 
incontestable  antiquité,  et  si  concluants  en  faveur  des  prétentions 
de  la  secle  vaudoise ,  au  dire  même  de  savants  que  l'on  aurait 
cru  plus  compétents  en  semblable  matière,  étaient  beaucoup  plus 
modernes  qu'ils  ne  se  l'étaientimaginé.  La  Nohla  Leyczon,\2i  plus 
connue  d'entre  les  poésies  vaudoises  et  que  Raynouard  avait  re- 


J3i  LKS  VAlDdlS  Dl,   M(iVi;>"  a(;f. 

produite  en  entier,  mais  l'orl  ineonectcmeni,  d'après  le  texte  du 
manuscrit  de  Genève,  dans  son  Choix  des  poésies  des  trouba- 
dours JI,  73],  fut  aussi  l'objet  d'une  étude  sérieuse  de  la  |>arl 
de  réminent  professeur.  Il  se  persuada  toujours  plus  (pie  Rav- 
iiouard  avait  assigiu-  à  ee  poème  une  fausse  date,  et  (ju'il  remon- 
tait tout  au  plus  aux  dernières  années  du  douzième  siècle.  Enfin, 
la  date  si  ancienne  de  11-20  (pie  l'on  altrihuait  an  traité  du  Pur- 
ijatoire ,  lui  parut  |)lus  (jue  prublémati(juc ,  et  il  n'hésita  pas  à 
considérer  cet  écrit  comme  une  production  de  la  fin  du  siècle 
treizième. 

Les  reclierclies  criti(]ues  du  docteur  Herzog  donnèrent  lieu  au 
récent  ouvrage  sur  les  Vauduis  du  moyen  âge  de  son  savant  com- 
patriote, M.  Diecklioff,  licencié  et  privat-docent  en  théologie  de 
l'université  de  Gd'ttingue  (1).  M.  Dieckholf  reprocha  vivement  à 
ses  devanciers  de  s'être  occupés  pres(]ue  exclusivement  de  pré- 
ciser l'origine  la  plus  ancienne  des  manuscrits  vaudois ,  tandis 
que  le  point  le  plus  injporiant ,  selon  lui,  était  de  connaître  la 
date  la  plus  n'-cente  qu'il  fiit  possible  de  leur  assigner.  A  cela, 
Ton  peut  réjjondre,  comme  le  fait  M.  Herzog  dans  im  premier 
travail  dont  nous  nous  réservons  de  parler  plus  tard  ,  qu'il  est , 
sans  nul  doute,  de  la  plus  haute  importance  pour  l'hisloire  du 
developpentcnl  successif  de  la  secte,  de  connaître  rcj)()(iuc  la  plus 
récente  possible  de  chacune  de  ses  productions  religieuses,  mais 
(]ue  ce  ne  peut  être  là  runi(iue  point  nécessaire  ;  que  M.  Dicckhon" 
a  eu  le  tort  d'être,  à  son  tour,  trop  exclusif.  Que  sert-il,  en  ef- 
fet, de  savoir  si  tel  écrit  vaudois  a  paru  dans  la  première  on  dans 
la  dernière  moitié  du  seizième  siècle ,  dès  que  c'est  un  fait  ac- 
(piis  à  la  criti(pic  histori(pie ,  (pi'il  est  en  tout  cas  postériettr  à 
l'introduction  de  la  réforme  dans  les  vallt-es  vaudoises  du  Pié- 
mont?  Évidemment,   dès  (jue  l'on  est  d'accord  sur  ce  dernier 
|ioint,  l'écrit  en  qu(;stion  ne  peut  plus  servir  de  soiuce  pour  con- 
naître les  conditions  religieuses  de  la  secte  ant(''ri('uremenl  à  la 
reforme.    Que   la    lédaclion   de    tel   manuscrit   appartienne   au 
commencement  ,    au   milieu  ou   à   la  lin  du    treizième   siècle , 


ti    Die  \\  :lll|l■ll^):^  iin   MiUrlalIcr.  Zwci  liistoiisclio  t'nli-rsiifliiiii(;rii  Vdii 
A.  NV.  DicckliolT.  Lie.  iitid  Privi>t-(l(»ccnl  «1er  Tlicologio  m  ('fœtlingcii.  1851. 


Li:s  VAiDOis  ni!  moykn  A(ii: .  135 

toujours  osl-il  qu'il  ne  peut  plus  êlrc  allégué  à  l'appui  f'e  la  Ira- 
tlilion  sur  ranti([uilé  de  la  seclo  et  sa  priorité  au  temps  de 
Valdo. 

Quoi([ue  dépourvu  des  précieuses  ressources  diplomaiiques 
dont  sut  profiler  plus  lard  ,  ainsi  que  nous  le  verrons  ,  le  profes- 
seur Herzog,  M.  Dieckliolî  a  rendu  néanmoins  de  notables  servi- 
ces à  l'étude  d(î  la  littérature  vaudoise,  bien  que,  peut-être,  il 
se  soit  laissé  trop  entraîner  par  son  [)rincipe,  en  cherchant  à  dé- 
montrer que  la  plupart  des  manuscrits  ne  remonTaient  pas  au-delà 
du  seizième  siècle.  Son  principal  mérite  est  celui  d'avoir  fait  une 
des  plus  cuiieuses  découvertes  et  d'avoir  ainsi  jeté  un  jour  im- 
mense sur  une  partie  considérable  des  écrils  de  la  secte  vau- 
doise. Il  est  parvenu  à  démontrer  que  la  Confession  de  foi  de 
l'an  1431  des  frères  Bohèmes  (Hussites  ou  tahorites)  a  servi  d'o- 
riginal à  un  grand  nombic  de  manuscrits  publiés  par  Perrin  et 
Léger,  savoir  le  catéchisme  ,  les  divers  traités  sur  le  purgatoire, 
l'invocation  des  saints  et  le  jeûne. 

Cette  découverlc  suggéra  naturellement  à  son  auteur  l'idée 
que  d'autres  manuscrits  pourraient  aussi  dériver  de  la  même 
source,  et  l'induisit  à  supposer  que  même  La  nobla  Leyczon 
avait  pris  naissance  au  sein  des  Taboritcs  vaudois. 

De  tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  il  résulte  un  fait  de  la 
plus  grande  importance ,  et  que  nous  tenons  à  constater,  c'est 
que  presque  tous  les  écrils  favorables  à  la  haute  antiquité  de  la 
secte  et  à  l'orthodoxie  protestante  de  ses  dogmes,  appartiennent 
à  une  époque  relativement  récente  ,  el  qu'ils  sont ,  les  uns  pos- 
térieurs à  l'an  1431,  c'est-à-dire  à  la  Confession  de  foi  des  frères 
Bohèmes,  les  autres  à  l'an  1532,  c'est-à-dire  aux  négociations 
religieuses  qu'entama  G.  Morel  avec  les  réformateurs  OEcolam- 
pade  et  Bucer,  et  au  synode  d'Angrogne,  qui  eut  lieu  le  12  sep- 
tembre 1532,  comme  le  prouve  un  manuscrit  de  Dublin,  el  non 
le  12  décembre,  comme  le  pensait  Léger. 

Ce  résultat  cependant,  du  aux  travaux  successifs  des  divers 
critiques  protestants  modernes  que  nous  avons  mentionnés,  ne  le- 
vait pas  toutes  les  difficultés.  La  tradition  vaudoise  pouvait  allé- 
guer encore  en  sa  faveur  une  série  de  manuscrits  auxquels  la 
critique  ne  savait  assigner  une  diite  précise.    Mais  une  fois  dé- 


|;}6  i.Ks  %AiiM)is  ni  M(»yk>  agk. 

inoniro  t|ue  h'iir  contenu  conirodisail  inanifesiemeni  l'opinion 
|iro|)af;éc  par  les  Vaudois  depuis  la  réforme  sur  rorigine  antique 
de  leur  secte  cl  leur  perpétuelle  unité  doctrinale  ;  qu'il  était  op- 
posé ù  celui  des  manuscrits  que  la  critique  avait  déclarés  d'une 
époque  de  beaucoup  postérieure  à  Valdo;  cpi'il  liarnionisait , 
enfui,  d'une  manière  étonnante  avec  les  récits  des  écrivains  ca- 
ihuliqucsdu  moyen  âj^c,  alors  l'opinion  vaudoise  perdait  évidem- 
ment son  dernier,  son  uniijue  point  d'appui,  et  la  véracité  de  ses 
adversaires  recctail  un  éclatant  témoignage.  Or,  ce  point  impor- 
tant et  qui  devait  nduirc  à  néant  les  prétentions  des  Vaudois 
du  Piémont,  M.  Her/og  avait  cherché  à  le  prouver  dans  Ifcrit 
(|ui  prt'céda  l'ouvrage  de  M.  DicckholT,  autant  que  le  lui  permet- 
taient ,  du  moins ,  les  faibles  secours  dont  il  pouvait  disposer. 
Quoi(ju'il  ne  se  fût  pas  douté  lui-même  des  larges  emprunts  que 
les  Vaudois  du  moyen  âge  avaient  faits  aux  Hussites  (Taborites), 
il  avait  découvert,  cependant,  que  la  littérature  vaudoise  pré- 
sentait un  caractère  gé'néralement  défavorable  à  l'opinion  à  la- 
(juelle  elle  avait  servi  de  base. 

C'est  précisément  cette  découverte,  nous  aurions  dû  le  dire  en 
son  temps,  qui  constitue  un  des  principaux  mérites  du  travail  de 
M.  Her/.og,  et  lui  donne  une  valeur  (pio  n'ont  pu  méconnaître  deux 
de  ses  plus  ingénieux  et  plus  savants  adversaires,  MM.  Hahn  et 
Dieckhoff ,  quoique  peu  satisfaits  de  sa  méthode  et  surtout  des 
résultats  qu'il  avait  tiré  de  ses  laborieuses  recherches.  Kolre 
intention  n'est  point  d'initier  nos  lecteurs  à  la  polémique  ii  la- 
quelle dimna  lieu  ,  de  la  part  de  ces  doux  écrivains,  la  disser- 
tation du  théologien  de  Halle  (I).  Il  suflira  «le  dire  que  M.  Dicc- 
kholV,  que  nos  ItMieurs  auront  pu  croire,  d'après  son  premiei- 
ouvrage,  nécessairement  favorable  aux  vues  de  M.  Hcrzog,  sur 
l'origine  moderne  et  les  conditions  primitives  de  la  secte  vaudoise, 
formula,  au  contraire,  de  graves  objections  contre  elles,  dans  une 
<  rilique  animée  qu'il  lit  insérer,  en  18/>0,  dans  une  des  premiè- 
res Revues  théolo^'itpies  de  l'Allemagne  protestante,  le  RepcrUt- 


(\)  La  rriliqucdo  M.  I':iliii.  tlicolnj^u'ii  ln>ONtiii)é  111111  icrlaiii  partiprulo 
tant  cil  Alloin:ii;iic,  cl  aulciii  dnn  j;ryiul  (riixail  sur  les  licrcliqucs  au  moyen 
.IRC,  so  Iroiive  ilaiis  les  Sttidicn  uiid  Krilikcn,  de  rannce  |K50. 


LES  VAUDOIS  DU  MOYEN  AGE.  137 

rium  de  Hcuter.  Il  prll  le  parti,  un  pou  singulier,  sans  doulc,  de 
nier  ncllement  rimporlance  cl(^  la  qncsiion  d'origine  que  M.  Her- 
/.og  avait  posée  en  premier  lieu,  et  prétendit,  de  plus,  que  ce 
(lerniornr  l'avait  aucunomonl  résolue.  Suivant  M.  DicckhofTIa  tra- 
dition vaudoise  ne  niait  point  (juc  les  ('crivains  catholiques  du 
moyen  âge  n'eussent  eu  en  vue  la  même  secte  que  celle  à  laquelle 
elle  revendiquait  une  origine  antérieure  à  Vaido ,  elle  affirmait 
seulement  que ,  ayant  défiguré  à  dessein  son  histoire ,  et  pour 
des  raisons  dogmatiques,  leur  autorité  n'était  d'aucune  valeur. 
M.  Dieckhoff  a  eu  le  tort,  comme  le  fait  observer  M.  Herzog, 
d'avoir  méconnu,  dans  tout  le  cours  de  sa  réfutation,  un  point 
qu'il  n'aurait  pas  dû  perdre  de  vue,  et  qui  détruit  ses  objections, 
c'est  que  la  tradition  vaudoise  ne  s'était  appuyée,  jusqu'à  nos 
jours,  que  sur  une  classe  toute  particulière  d'écrits,  dont  la  date 
était  de  beaucoup  trop  récente  pour  servir  de  preuves  à  l'anti- 
quité de  la  secte  et  à  l'orthodoxie  soi-disant  évangélique  de  ses 
doctrines  primitives.  Comparés  à  d'autres  écrits  d'une  origine 
antérieure,  et  qui  sont  encore  tout  empreints  de  catholicisme, 
ils  ne  prouvaient  qu'une  chose,  c'est  qu'à  l'époque  où  ils  paru- 
rent, la  secte  professait  des  dogmes  tout  à  fait  opposés  à  ceux  de 
sa  première  confession  de  foi  ;  c'est  qu'elle  n'était  plus  la  même, 
mais  avait  renoncé  à  l'élément  catholique  qui  la  caractérisait 
fortement  dans  le  principe,  pour  embrasser  l'élément  protestant. 
La  distinction  chronologique  de  celte  double  catégorie  d'écrits, 
dont  les  plus  anciens  avaient  encore  une  forte  saveur  de  catholi- 
cisme ,  tandis  que  les  plus  récents  se  ressentaient  tout  à  fait  de 
l'influence  protestante,  justifiait  donc  pleinement  ce  que  disaient 
des  doctrines  et  de  l'origine  de  la  secte  les  écrivains  catholiques 
du  moyen  âge. 

Les  historiens  catholiques,  M.  Herzog  l'avoue  avec  une  impar- 
tialité qui  lui  fait  honneur,  ont  été  les  premiers  à  faire  ressortir 
la  prédominance  du  principe  catholique  dans  la  littérature  vau- 
doise antérieure  au  seizième  siècle.  Bossuet,  dans  son  Histoire 
des  Fariations,  et  bon  nombre  d'auteurs  après  lui ,  avaient  fait 
la  remarque  que  les  Vaudois  se  rapprochaient  beaucoup  plus, 
avant  la  réforme,  de  l'Église  romaine  que  du  protestantisme. 
L'unique  reproche  que  leur  fait  M.  Herzog  est  celui  d'avoir  donné 


138  LVS  VAL  DOIS  Dt'  MOYEN  AGE. 

:i  celle  prédominance  de  irop  fortes  proportions,  et  d'avoir  mc- 
c  (»nnu,  dans  les  origines  de  la  sec  le,  l'existence  du  principe  lor- 
inel  du  protestantisme.  Bossiiet  a  eu  le  toit,  selon  lui,  de  ne  pas 
Noir  (pi'il  y  avait  clic/,  les  preniicis  \  audois  deux  |>artis,  le  parti 
statioiiiiaire,  qui  tenait  encore  aux  dogmes  catholiques,  et  le 
parti  plus  avancé  qui  clierchait  à  rompre  toujours  plus  avec 
l'ancien  ordre  de  choses  religieux  ,  et  qui  devait  finir  par  l'em- 
porter. Une  secte  qui ,  tout  à  l'heure ,  professait  des  principes 
cminemmenl  catholiques,  aurait-elle  pu,  en  un  moment,  et  sans 
(]u'il  se  fut  opéré  préalablement  dans  son  sein  un  changement 
(|uelcon»jue  ,  manifester  des  tendances  aussi  piononcées  pour  la 
réforme?  Sans  pit'tendre  criliijuer  l'opinion  d'un  Dossuet ,  ni 
celle  qu'(''mit ,  dans  ses  Recherches  historiques  sur  la  véritable 
origine  des  Faudois  (1836),  un  très-savant  et  fort  judicieux  écri- 
vain de  nos  jours,  Monseigneur  Charvaz,  archevècpie  de  Gênes, 
bien  plus  auioris*'  (jue  nous  pour  se  prononcer  en  pareille  ma- 
tière, nous  ne  pouvons  nous  empocher  de  croire  l'explication  de 
M.  Herzog  plus  probable  et  |)lus  conforme  aux  lois  ordinaires 
qui  président  à  la  marche  des  sociétés.  Qu'un  individu  change 
de  religion  comme  on  change  de  vêtement ,  par  l'effet  d'un  pur 
caprice,  cela  est  possible  ;  mais  qu'une  société  tout  entière  re- 
nonce subitement  à  la  religion  de  ses  pères;  que  des  milliers 
d'individus  abdicpienl  tout  ù  coup  des  croyances  aimées  jus- 
cju'alors,  et  qui  formaient  la  base  de  toutes  leurs  institutions  do- 
meslicpies  elpul)li(]ues,  pour  embrasser  un  svnibole  en  tout  point 
opposé  à  celui  cjui  avait  prévalu  jusqu'au  moment  même  de  la 
révolte,  cela  nous  semble  au  moins  sujet  ù  contestation. 

Que  lasse  enfin  de  trois  siècles  d'obéissance  servile  à  lu  su- 
prématie d'un  Parlement,  l'Angleterre  se  Ivve  tm  jour,  et  par  un 
mouvement  spontané,  pour  rcconcpiérir  sa  première  foi,  dirons- 
nous  alors  qu'elle  l'aura  fait  par  caprice?  Evidemment  non.  Elle 
l'aura  fait  jtar  suite  du  grand  travail  (|ui  s'opérait  dans  son  sein, 
depuis  le  moment  où  l'heresie  lui  fut  im|)Osee  par  les  plus  atro- 
ces tourments;  elle  l'aura  fait,  parce  qu'en  elle  fermentait  de- 
puis trois  cents  ans  l'élément  catholicpie,  que  lc;s  amendes,  les 
prisons,  les  chevalets  et  les  échalauds  de  la  bonne  reine  Elisa- 
beth n'avaient  pas  réussi  à  étouller;  [larce  cjue  les  conversions 


r.KS  VAIDOIS  Dt;  MOYKN  A(;i..  i39 

(';laicni  nombreuses  cl  puissantes ,  parce  que  les  hommes  émi- 
ncnls  qui  avaient  courageusement  renoncé  à  une  religion  qui  ne 
pouvait  les  satisfaire,  ni  sous  le  rapport  du  sentiment  moral,  ni 
sous  celui  de  rintclligcnco,  avaient  fini  par  cnlraîncr  les  masses, 
déjà  bien  dis|)Osées,  dans  la  voie  bénie  dans  laquelle  ils  étaient 
entrés  à  force  de  prières,  d'humilité  et  de  science.  Il  ne  nous  est 
pas  non  plus  possible  de  croire  que  la  réforme  au  seizième  siè- 
cle ait  été  une  siuq)le  guerre  de  fantaisie  faite  à  l'Église.  Que 
même  des  milliers  d'individus  aient  embrassé  alors  les  idées  nou- 
velles, ou  plutôt,  hélas!  des  idées  qui  n'avaient  rien  moins  que 
le  mérite  de  la  nouveauté,  pour  satisfaire  simplement  d'ignobles 
passions,  et  se  défaire  d'un  joug  qui  pesait  trop  à  leurs  esprits 
charnels,  nous  le  concédons  d'autant  plus  volontiers  que  l'his- 
toire est  là  pour  le  prouver;  mais  qu'une  grande  partie  de  l'Al- 
lemagne, de  la  France  et  de  la  Suisse ,  se  soit  jetée ,  en  masse  et 
spontanément,  aux  pieds  des  chefs  de  la  révolte,  par  l'effet  d'une 
simple  velléité,  nous  pensons  que  l'histoire  est  aussi  là  pour  dé- 
mentir cette  assertion.  Elle  nous  montre,  en  effet,  que  des  hé- 
résies nombreuses ,  qui  renaissaient  toujours  sous  d'autres 
formes,  à  mesure  qu'elles  s'éteignaient,  travaillaient,  depuis 
longtemps  et  profondément,  la  société  chrétienne,  et  qu'une  ré- 
volte ouverte  contre  l'Église  devait  en  être,  un  jour  ou  l'autre, 
l'inévitable  conséquence.  Même  en  Angleterre  ,  l'orgueil  anglo- 
saxon  ,  plus  fort  encore  que  l'attachement  à  l'autorité  et  aux  an- 
tiques usages,  froissé  depuis  les  temps  de  Guillaume-le-Conqué- 
rant  par  des  institutions  qui  n'étaient  pas  nationales,  avait  ouvert 
la  voie  à  la  réforme,  laquelle,  en  tant  que  religieuse,  fut  un  ca- 
price peut-être,  mais  ne  le  fut  pas  au  point  de  vue  politique. 

H  nous  semble  donc  que  le  ministre  protestant  Jacques  Bas- 
nage  de  Beauval ,  n'avait  pas  tort  d'écrire  ,  dans  son  Histoire  de 
V Église  (II.  f.  1445),  ces  paroles  citées  par  M.  Herzog  :  «  Si  les 
Vaudois  n'avaient  rien  eu  de  commun  avec  les  réformateurs  que 
leur  haine  contre  l'Église  romaine,  pourquoi  envoient-ils  des  dé- 
putés au  fond  de  la  Suisse  ?  Comment ,  au  retour  des  députés , 
reçurent-ils  sans  résistance  la  réformalion  si  éloignée  de  leur 
doctrine? 

Cependant    cet    écrivain    du    dix-septième    siècle    a    eu 


140  LKS  VAl  DOIS  Dl    MOYH.N  AGK. 

«crtaincmeni  lorl  de  prélcndro  que  rinlroduciion  dt-s  principes 
de  la  réforme  eut  lieu  dans  le  sein  des  V  audois  piéuionlais  sans 
rësislance,  car  résistance  il  y  eût  de  leur  part,  comme  le  démon- 
tre, par  leurs  propres  documents,  le  professciir  de  Halle.  Et 
cela  devait  être,  car  réiémciit  c:ulu)li<ine,  «luoicpie  allaibli,  exis- 
tait encore.  Leurs  tentatives,  d'un  cote,  d'entrer  en  négociation 
avec  les  réroimaleiirs,  pour  recevoir  d'eux  des  ('claircissements 
et  des  enseignenicnis  en  matière  de  dogme,  et,  de  l'autre,  rin'-- 
sitaiion  qu'ils  témoignent  à  les  accepter,  prouvent  clairement  la 
coexistence  chez  eux  du  principe  protestant,  qui  les  attirait  vers 
les  novateui'S,  et  du  principe  catholique,  (]ui  les  empêchait  de 
rompre  avec  les  doctrines  de  l'Église.  M.  Ilerzog  lait  à  ce  sujet 
l'observation  suivante  dont  on  ne  saurait  contester  la  justesse. 
L'orthodoxie  soi-disant  év:in^élique ,  on  l'orthodoxie  dans  le 
sens  protestant,  que  la  tradition  neo-vaudoise,  c'est-à-dire  celle 
que  les  Vaudois  piémoutais  ont  propagée  depuis  la  reforme,  pré- 
tend revendiquera  la  secte  avant  le  seizième  siècle,  est  absolu- 
ment incompatible  avec  les  instances  pressantes  de  celle-ci  auprès 
de  Bucer  et  d'OEcolampade,  pour  obtenir  de  ces  deux  rélorma- 
leurs  des  conseils  et  des  instructions  en  l'ait  de  dogmes. 

Les  deux  {principes  contradictoires  (jui  caractérisaient  alors 
l'hérésie  vaudoise,  no  pouvaient  exister  longtemps  simuliane- 
ment  ;  l'iiii  des  deux  devait  céder  le  pas  à  l'autre.  Il  ne  restait 
aux  Vaudois  qu'un  pas  à  faire;  ou  de  rentier  dans  le  sein  de  l'K- 
glise  romaine,  ou  de  se  plonger  toujours  plus  profondément  dans 
l'erreur.  Ce  fut,  en  effet,  ce  qui  arriva.  Les  uns  se  déclarèrent 
loyalement  catholiques,  et  renoncèrent  pour  toujours  à  leurs  opi- 
nions héréliiiues,  tandis  que  les  autres,  chez  lesquels  prédomi- 
nait le  principe  protestant ,  s'éloignèrcnl  chaipie  jour  davantage 
de  l'orthodoxie  romaine.  Lés  brillants  succès,  ajoute  M.  Herzog, 
qu'obtint  St  Vincent  Ferrier  (le  Lacordaire  espagnol  de  ces  temps, 
en  lanl  que  [irédicaleur  célèbre  et  dominicain),  dans  les  vallées 
vaudoises  du  Piémont,  au  commencement  du  quinzième  siècle  ; 
la  facilité  avec  la(pielle  ,  à  la  iin  de  ce  siècle,  et  dans  les  pre- 
mières années  du  suivant ,  de  nombreuses  communes  vaudoises 
se  réconcilièrent  a\ec  l'Kglise  lomaine,  montrent  clairement  le 
rùté  calholi(jue  de  la  secte,  tandis  que  les  tendances  protestai!- 


I.KS  VAl'DOIS  DI    M()Yi;.\  AGK.  141 

tes  se  manireslcnl  pnr  l'altraclion  qu'elle  éprouve  vers  loule  in- 
HueiKX'  nouvelle  et  anli-cailioli(|ue.  C'esl  ainsi  que  nous  la  voyons 
se  rapprocluT  successivouicnl  des  disciples  d'Ainaud  de  Brcscia, 
des  frères  du  libre  esprit^  des  soeiélés  mystiques  des  contrées 
rhénanes,  plus  lard  de  la  secte  des  Hussiles,  surtout  des  Tabo- 
rites  ,  dont  elle  emprunte  les  doctrines  ,  jusqu'à  ce  que  ,  enfin  , 
fali^'uée  de  son  vagabondage  religieux,  elle  se  laisse  absorber  par 
la  réforme. 

Encouragé  par  les  féconds  résultats  auxquels  l'avaient  con- 
duit ses  laborieuses  recherches,  résultats  qu'il  consigna,  comme 
nous  l'avons  dit ,  dans  sa  dissertation  sur  l'origine  et  les  condi- 
tions primitives  des  Vaudois,  le  docteur  Herzog,  avec  celte  heu- 
reuse ténacité  qui  distingue  les  savants  de  l'Allemagne,  résolut 
de  poursuivre  son  œuvre  jusqu'au  bout.  On  connaissait  depuis 
longtemps  l'existence  à  Genève  de  bon  nombre  de  manuscrits 
vaudois;  mais  ce  fui  seulement  vers  l'an  1840  que  l'on  apprit, 
dans  l'Europe  continentale,  que  la  bibliothèque  de  Dublin  en 
possédait  aussi  de  la  môme  catégorie.  Les  citations  de  M.  Mo- 
nastier,  dans  son  Histoire  de  l'église  vaudoise  (1848),  celle  du 
docteur  Gilly,  dans  un  ouvrage  déjà  mentionné,  et  particulière- 
ment le  Catalogue  raisonné  de  M.  Todd ,  firent  comprendre  à 
M.  Herzog  l'importance  de  ce  nouveau  fonds ,  et  l'engagèrent  à 
entreprendre  une  expédition  scientifique  dont  Genève  et  Dublin 
devaient  être  le  but. 

Heureusement  pour  lui ,  il  put  commencer  le  grand  travail 
qu'il  préméditait,  et  dont  il  était  loin  de  se  dissimuler  les  diffi- 
cultés, par  l'cxnmen  'd'un  des  manuscrits  les  plus  récents,  le 
codex  de  Zurich  du  Nouveau  Testament  vaudois,  qu'il  trouva,  à 
Strasbourg,  dans  la  maison  de  l'un  de  ses  savants  amis,  le  pro- 
fesseur Reuss.  Il  compara  minutieusement,  et  d'un  bout  à  l'au- 
tre, le  texte  de  saint  Jean  ,  tel  que  le  portait  ce  manuscrit ,  avec 
celui  du  même  Évangile,  publié  par  le  docteur  Gilly,  à  Londres, 
en  1848,  d'après  le  manuscrit  de  Dublin.  Il  copia,  en  outre,  une 
partie  des  autres  Évangiles  et  des  Épîtres,  tout  en  cherchant  à  se 
rendre  compte ,  à  l'aide  de  la  Vulgate ,  des  expressions  dont  le 
sens  lui  paraissait  obscur. 

Initié  de  la  sorte  à  la  langue  des  manuscrits  vaudois,  il  se  ren- 


142  «  KS  VAIUOIS  Dl   MOVKN  AGE. 

(lit  à  Genève,  dans  lintenlion  d'enlreprendre  une  étude  sérieuse 
de  «eux  (|ue  contenait  la  bibliothèque  de  cette  ville,  convaincu 
(jue  les  exlrails  «jui  en  avaient  été  faits,  et  (|ui  depuis  lon^'tein|>s 
étaient  connus  du  public,  devaient  être  iusuflisauls  et  incorrects. 
En  effet,  il  s'aperçut  bientôt  que  tout  élaità  ref;ure,  que  les  com- 
pilations précédentes  étaient  extrêmement  défectueuses  sous  le 
double  rapport  de  la  forme  et  du  contenu.  Son  travail  fut  en  con- 
.séquence  surtout  un  travail  de  révision.  Il  collaii(tnna  avec  les 
manuscrits  genevois  les  copies  qu'il  en  avait  fait  faire,  ainsi  que 
le  texte  des  documents  que  M.  Halm  avait  ajoutés  ,  sous  le  titre 
de  suppb'ments  (Beilagen),  à  son  Histoire  des  f  audois.  Son  at- 
tention se  porta  particulièrement  sur  des  manuscrits  restés  jus- 
qu'alors inconnus  au  public,  il  transcrivit  en  grande  j)artie  de  sa 
propre  main  le  traité  du  Purgatoire  (Purgatori)  ,  laissant  à  ses 
copistes  le  soin  de  faire  le  reste ,  qu'il  confionia  ensuite  lui- 
même  avec  l'original.  De  plus,  il  fit  de  nombreux  extraits  d'an- 
tres écrits  dont  le  contenu  lui  paraissait  de  (pielque  importance. 

De  Genève  M.  Her/og  j)rit  la  route  de  Dublin ,  en  passant  par 
Grenoble,  dont  la  bibliothèque  contenait  un  manuscrit  vaudois 
du  Nouveau  Testament  qu'il  tenait  à  connaître.  Le  célèbre  pro- 
fesseur trouva  dans  la  bibliothèque  de  Dublin,  outre  des  exem- 
plaires identiques  à  ceux  de  Genève  ,  et  dont  il  n'eut  qu'à  noter 
les  variantes,  des  originaux  d'ouvrages  de  la  plus  grande  impor- 
tance (|ui  uKUKpiaient  à  la  collection  genevoise  ,  et  qui  n'avaient 
jamais  été  publies.  11  y  découvrit  aussi  le  texte  manuscrit  d'au- 
tres écrits  vaudois,  connus  jusqu'ici  du  public  par  des  copies  dé- 
figurées ou  fragmentaires,  qu'il  corrigea  et  compléta  sur  le  texte 
original.  Quant  à  plusieurs  autres  traités  sans  grande  valeur, 
<jue  lui  uftVit  aussi  la  même  bibliothèque,  il  se  contenta  d'en 
prendre  connaissance. 

Le  manuscrit  dublinois  du  Nouveau  Testament  vaudois  fut 
aussi  l'objet  de  son  exan)en.  L'académie  royale  des  sciences  de 
Berlin  l'avait  chargé  d'en  faire  une  copie  à  l'usage  de  la  biblio- 
thèque rovale  de  cette  capitale.  Mais,  après  avoir  transcrit  de  sa 
propre  njain  les  dix-neuf  premiers  <  hapiires  de  saint  Matthieu  . 
il  s'aperçut  «juc  ce  travail  ,  accompagné  de  celui  de  la  révision 
qu'il  n'oserait  confier  à  nul  auii c,  prolongerait  trop  son  séjour  en 


LES  VAUDOIS  DU  MOYF.N  AGK.  143 

Irlande  où  il  avait  d'aulros  manuscriis  à  étudier,  l'idée  lui  vint 
alors  de  s'adresser  au  docteui-  Gilly  do  Norham,  dont  il  avait 
fait  la  connaissance  par  rcntieniisc  du  cliovalier  Bunsen,  and)as- 
sadeur  prussien  à  Londres,  en  le  priant  de  lui  faire  i)arvenir  à 
Dublin  un  copie  de  ce  Nouveau  Testament,  que  le  docteur  Gilly 
possi'dait  déjà  depuis  plusieurs  années,  lui  promettant  de  la 
confronter  attentivement  avec  l'original,  sous  (condition  toutefois 
de  pouvoir  la  prendre  avec  lui  à  Halle.  M.  Gilly  y  consentit;  il 
y  allait,  du  reste,  de  son  intérêt,  et  M.  Herzog  put  la  transcrire 
plus  lard  en  entier  de  sa  main,  dans  l'hiver  de  1851  à  1862.  Il 
collaiionna  aussi,  en  partie  à  Dublin,  en  partie  à  Halle,  avec  le 
manuscrit  copié  de  Dublin  ,  celui  de  Zurich  ,  que  le  professeur 
Reuss  avait  mis  à  sa  disposition,  confrontation  dont  les  résultats, 
ainsi  que  ses  observations  sur  le  manuscrit  du  Nouveau  Testa- 
ment vaudois  de  Grenoble,  se  trouvent  dans  une  dissertation  de 
M.  Reuss  sur  les  Traductions  vaudoises  de  la  Bible,  insérée  dans 
la  Revue  de  théologie  et  de  philosophie  chrétienne  (1851,  mois  de 
juin  ;  1852,  mois  de  décembre  ;  et  1853,  mois  de  février). 

Les  manuscrits  que  le  professeur  Herzog  put  consulter  à  Pa- 
ris et  à  Cambridge  ,  étaient  peu  nombreux  ,  mais  non  cependant 
sans  utilité  pour  le  but  qu'il  se  proposait. 

Quoique  versé,  sans  doute,  dans  la  connaissance  de  quelques- 
unes  des  langues  romandes ,  et  surtout  du  provençal ,  connais- 
sance qui  facilite  infiniment  plus  que  le  latin  l'accès  à  l'intelli- 
gence du  dialecte  vaudois;  bien  qu'aidé  de  la  Vulgate  pour 
l'interprétation  du  Nouveau  Testament,  le  docteur  Herzog  dut 
rencontrer  quelques  difficultés  dans  la  traduction  des  manuscrits 
qui  devaient  servir  de  complément  à  ses  précédentes  études.  Le 
dialecte  vaudois  n'est,  selon  toute  probabilité,  qu'une  ramifica- 
tion modifiée  de  la  langue  provençale  (une  des  plus  belles  créa- 
tions de  la  lingua  rusttca  des  Romains,  et  se  parlait  jadis  dans 
le  sud  de  la  France,  dans  le  nord  de  l'Italie  occidentale,  et  au 
nord-est  de  l'Espagne)  [1].  11  est  loin  d'avoir  été,  comme  le  sont 

(1)  V.  Dicz,  Grammalik  der  romanischen  Sprachen,  l,  p.  77;  et  pour  les 
analogies  frappantes  du  dialecte  vaudois  avec  le  provençal,  Raynouard , 
Choix  des  poésies  originales  des  Troubadours,  vol.  I,  p.  13, 15,  et  vol.  II,  p. 


ikk  i'i^  VAl  DOIS  1)1   MO%E>   AGK. 

depuis  (luelques  aiuiccs  les  autres  langues  i  oinandes ,  l'obj»'! 
d'une  élude  spéciale.  Nous  regreitons  inliiiimenl  cpie  le  profes- 
seur Di«'z,  de  l'uiiiversitc  de  Bonn,  n'ait  pu,  faute  de  ressources, 
consacrer  dans  son  admirable  Grammaire  des  langues  romandes 
(3  Yol.  Bonn  1836-1844),  une  plus  grande  place  au  dialecte 
vaudois.  il  eût  éclairci ,  nous  en  sonnnes  sûr,  bien  des  diQicul- 
tés.  An  moyen  de  son  excellent  système  de  la  fornuition  des  mots 
dans  les  langues  issues  du  latin  vulgaire,  il  aurait  facilité  Tiotcl- 
ligencc  de  cet  idiome  provençal,  et,  ce  t|ui  «'tait  plus  nécessaire 
encore  poui- le  travail  liistoritpie  du  docteur  Hor/.oj,' ,  résolu  pai 
son  étonnante  perspicacité,  en  partie,  du  moins,  le  diilicilc  pro- 
blême de  la  classification  des  manuscrits  vaudois.  Haynouard  , 
si  compi'teni  en  matière  do  philologie  romande,  a  donn»-  néan- 
moins dans  des  erreurs  passablement  graves.  C'est  ainsi  que  , 
selon  le  professeur  Herzog  (1),  il  attribue,  dans  son  Lexique  ro- 
mand, à  un  ancien  écrit  vaudois,  un  passage  qui  appartient  à  un 
traité  relativement  fort  moderne  sur  les  sacrements,  et  emprunte 
aux  Taboriies.  Le  même  savant  ne  trouvait  aucune  difliculté  à 
faire  remonter  aux  premières  années  du  dou/.ième  siècle  le  fa- 
meux poème  de  la  Nohla  Leyczon ,  ainsi  que  l'écrit  de  Vy^ntc- 
chrisl,  se  fondant  à  tort  sur  la  langue  de  ces  deux  jiroductions 
pour  prouver  la  vérité  d'une  assertion  qui  ne  devait  pas  manquer 
de  procurer  une  grande  joie  aux  admirateurs  de  la  prétendue 
antiquité  de  la  secte  vaudoise.  Le  texte  tpi'il  a  donné  des  poèmes 
vaudois  (car  on  sait  (ju'il  u'enlrait  pas  dans  le  cadre  de  son  tra- 
vail de  s'occuper  des  œuvres  vaudoiscs  en  prose,  dont  la  langue 
est,  du  reste,  absolument  id<;nlique),  surtout  celui  de  la  jyobla 
Leyczon^  est  incorrect  en  près  de  deux  cents  endroits;  il  faut 
cependant  dire  que  celte  inexactitude,  inconcevable  chez  un  sa- 
vant aussi  distingué  et  aussi  scrupuleux,  doit  être  attribuée  i)lu- 
tôt  au  copiste  qu'il  avait  charge  de  transcrire  le  poème  en  ques- 
tion, d'après  le  manuscrit  de  Genève,  qu'à  lui-même. 

Si  Raynouard  a  pu  se  tromper  de  la  sorte,  (jue  sera-ce  de 
Perrin  et  de  Léger? 

C'est  à  ce  long  voyage,  à  la  possession  acquise,  on  le  voit,  à 

(I)  Die  rotnanischcn  Waldcnscr,  préface,  p.  G. 


LKS  VALDOIS  DU  MOYEN  AGIC.  1  Vo 

force  de  paiicnce ,  de  Ions  ces  précieux  trésors ,  inconnus  jus- 
qu'alois  au  continent  do  rEuio|)e,  on  partiellement  livrés  au  pu- 
l)lic  par  des  éciivains  (|ui  en  méconnaissaient  la  valeur,  ou 
avaient  à  tâche  de  la  dissimuler,  que  nous  devons  le  grand  ou- 
vrage que  publia,  l'année  dernière,  le  savant  professeur  de  Halle, 
sur  les  Faudois  romands  (1). 

C'est  à  cette  œuvre  consciencieuse,  nous  tenons  à  le  dire,  de 
peur  qu'on  ne  nous  fasse  l'honneur  d'une  science  que  nous  som- 
mes infiniment  éloif^nés  de  posséder,  que  nous  avons  recueilli , 
ù  part  la  méthode  et  quelques  observations  d'une  très-mince  va- 
leur, les  notices  que  nous  avons  données  des  divers  travaux  dus 
au\  critiques  protestants  de  nos  jours  sur  les  origines  de  la  secie 
vaudoise  et  les  époques  de  leur  littérature. 

Par  l'exactitude  de  ses  recherches  et  la  persévérance  qu'il  a 
mise  à  examiner  un  à  un  les  manuscrits  vaudois  des  bibliothè- 
ques de  Genève,  de  Grenoble,  de  Lyon,  de  Paris,  de  Cambridge 
et  de  Dublin ,  le  docteur  Herzog  est  parvenu  à  rétablir  les  textes 
dans  leur  intégrité.  Les  extraits  corrects  qu'il  en  donne  à  la  fin 
el  dans  le  corps  de  son  ouvrage  ,  seront  bienvenus  des  amateurs 
des  langues  romanes,  et  nous  espérons  que  son  savant  collègue, 
M.  Fuchs,  et  tant  d'autres  de  ses  illustres  compatriotes  qui  ont 
rendu  dans  ces  dernières  années  de  si  éminents  services  à  la  plii- 
lologie  romande,  en  tireront  un  utile  parti.  Mais  ce  que  notre 
cœur  souhaite  avant  toute  chose ,  c'est  que  le  travail  de  M.  Her- 
zog serve  d'encouragement  aux  historiens  présents  et  futurs  qui 
s'occupent  ou  voudront  s'occuper,  sans  se  laisser  aveugler  par 
l'esprit  de  parti ,  de  l'étude  d'une  hérésie  dont  l'histoire  a  été 
bien  autrement  défigurée ,  jusqu'à  nos  jours  ,  par  ses  adhérents  , 
que  par  ses  adversaires  naturels.  Les  catholiques,  quoique  habi- 
tués déjà  aux  réhabilitations  historiques,  si  glorieuses  pour  l'É- 
glise ,  de  la  part  de  grands  historiens  protestants  ,  prendront  in- 


(1)  Die  romanischen  Waldenser,  ihre  vorreforraatorischen  Lustaende  und 
Lehren,  ihre  Reformation  im  scchszehnten  lahrhundert,  und  die  Rueckwii- 
kungen  dersclben,  hauptsœchlich  nach  ihren  eigenen  Sciiiiflen  dargcsielit 
von  D''  Herzog,  ord.  Professor  der  Théologie  in  Halle.  Halle,  Ediiard  Anton 
18.^5. 

10 


1  VG  I.KS  VAIOOIS  nt  MOYF.K  AOK. 

lêrél  à  la  nouvelle  phase  fl:ii)s  l;n|ii(II<'  est  cmice  l'histoire  d'unr 
secio  «jiii ,  hier  encore,  se  n'iranchuil  si  fièrcnn'nt  derrière  s.'i 
prélenilue  origine  aposloliijue  el  la  perj)«'luiie  de  sa  foi  1;.  Au- 
jourd'hui, si  elle  ne  veut  donner  un  (h'-nienti  aux  preuves  les  plus 
formelles,  elle  esi  obligée  de  confesser  qu'elle  est  née  dans  les 
dernières  années  du  douzième  siècle,  qu'elle  a  pour  auteur,  non 
pas  un  apôtre,  mais  un  sinq)le  mar(  liand  de  Lyou,  et  (|uV*lle  n'a 
réussi  à  formuler  un  symbole  qu'en  se  jetant,  après  trois  siècles, 
et  plus,  de  stériles  tàtoiuiemenls,  dans  les  bras  de  la  réforme. 

Peut-être,  si  Dieu  le  pcimel,  donnerons-nous,  dans  un  pro- 
chain article,  aux  lecteurs  des  .annales,  une  analyse  suceinte  de 
l'ouvrage  <lu  docteiu'  Herzog.  Sans  les  retenir  longtemps  sur  le 
terrain  un  peu  aride,  sans  doute,  mais  ft'cond  en  résultats  im- 
porlauls  ,  lie  la  classinculiou  par  ordre  de  dates  <les  n)anuserits 
vaudois,  au  point  de  vue  du  savant  professeur,  nous  les  ferons 
assister  successivement,  avec  lui ,  aux  origines  et  aux  |iremi«MS 
mouvements  religieux  de  la  secte  vaudoise ,  aux  emprunts  con- 
sidérables (|u'elle  fait  d'abord  aux  Pères  de  l'Kglise,  et  en  gé- 
néral aux  dogmes  catlioli(pies,  puis  ù  la  Inile  incessante  qui 
s'engage  dans  son  sein  entre  deux  principes  incompatibles  et  (pii 
entravent  l«)ng(eni|)S  >a  uiarelie,  \r.  |)iinci|>e  caili(»li»|ue  qui  la  re- 
lieiil  encore  et  le  principe  [)rotesl:int  (pii  n'allend  |)lus  qu'une 
puissante  inilueni  i;  du  dehors  |)onr  l'enlrainer  tout  entière  dans 
l'abîme  de  l'erreur.  Nos  lecteurs  verront  que  les  \  audois  de 
M.  Herzog  ne  sont  plus  tels  que  nous  les  représentaient  naguère 
encore  les  histoires,  ou  plutôt  les  romans  protestants.  Ils  suivent 
le  système  des   variations  inlK'rentes  à  l'erreur,   el  (|ui  cara(  - 


(I)  C'est  ce  que  les  Vaiulois  du  Piônioul  ont  hoin  ilc  faire  croire  ù  leurs 
atlcples  cl  à  ceux  qu'ils  rhorchi-nl  à  entloctriupr.  l'n  pauvre  calliolique  qui, 
par  pure  ignorance  ,  nous  voulons  bien  rniluicllrc  ,  avait  apostasie  pour  em- 
brasser lliéré^ie  \auiloisc,  nous  rrponilail  inxariableiuenl ,  et  du  ton  d'un 
lioinnic  priifondcinenl  convaincu,  loulos  les  fois  i|ue  nous  lui  pariions  des 
ori;;ines  de  lu  réforme,  qu'il  se  souciait  fort  peu  d'OKioIampade  et  de  lUicer, 
qu'il  n'avait  rien  de  Pomm\in  avec  les  réformateurs,  qu'il  lui  suflisail  de  sa- 
voir, pour  se  confirmer  dans  sa  foi  nouvelle,  qu'il  la  tenait  de  l'apôtre  saint 
Paul  el  que,  de  toul  temps .  les  Vaudois  avaient  professé  les  mOmcs  croyan- 
ces religieuses  ! 


m:s  vaudois  du  moyen  m.k.  147 

lérisenl  loules  les  sccios ,  depuis  les  temps  apostoliques  jusqu'à 
nos  jours.  Ce  ne  sont  pas  ces  êtres  tels  que  se  plurent  à 
nous  les  dépeindre  les  partisans  du  jugement  privé  ou  les  enne- 
mis de  rÉglisc.  Ils  n'occupent  pas,  non  plus,  au  sein  du  moyen 
âge,  le  rang  important  que  leurs  descendants  leur  ont  si  complai- 
samnU'nt  altribui'.  Hien  loin,  enfin,  de  pouvoir  |)r(''tendre  à  l'au- 
réole de  sainteté  dunt  leurs  admirateurs  les  ont  entourés,  ces 
sectaires  donnent  lèio  haissco  dans  toutes  sortes  de  travers,  et, 
tout  en  déclamant  contre  les  corruptions  de  l'Église  de  Rome, 
que  personne  ne  condamnait  plus  hautement  que  l'Église  elle- 
même,  ils  participent  [)lus  que  tous  les  autres  aux  misères  spi- 
rituelles du  moyen  âge. 

Que  nos  lecteurs  ne  s'imaginent  pas,  cependant,  que  Herzog 
soit  le  moins  du  monde  hostile  à  la  secte  vaudoise.  S'il  en'a  mis 
les  origines  et  la  vie  dans  leur  vrai  jour,  cela  n'a  point  été  par 
opposition,  mais  pour  obéir  à  la  vérité.  iVous  ne  pouvons  rien 
contre  la  vérité ,  dit-il  avec  saint  Paul ,  mais  seulement  pour  la 
vérité.  Pour  rassurer  toutefois  la  secte  ,  qui  pourrait  se  montrer 
fort  peu  satisfaite  du  procès  qu'il  lui  intente,  et  pour  calmer  la 
douleur  qu'elle  pourrait  éprouver,  en  voyant  ses  archives  les 
plus  secrètes  livrées  sans  façon  aux  regards  des  profanes,  et  ses 
fraudes  pieuses  dévoilées  au  grand  jour,  il  s'efforce  de  lui  per- 
suader que  tout  cela  ne  saurait  nuire  à  son  existence  et  à  sa  pros- 
périté actuelles,  et  que  les  églises  protestantes  ne  lui  en  témoi- 
gnent pas  moins  le  même  intérêt  cordial  et  actif,  qu'elle  a  su  leur 
inspirer  dans  tous  temps  ! 

Henri  Stevenson. 


I)K 


L'ÉDUCATION  PUBLIQl'K 


DA>S    LE 


rA:%T<»\  Di:  gk^kvk. 


Le  plus  grand  inlérêi  d'un  peuple ,  c'est  l'éducniion  de  ses 
enfants. 

L'é(lur;iiion  pr«''|)ure  la  nioraliié,  la  dij^nité,  la  force,  le  bon- 
heur et  ravcuir  des  nations. 

Le  plus  grand  fl«'au  des  États ,  c'est  un  mauvais  système  d'<''- 
ducation. 

L'éducation  qui  nVnibrassc  pas  tout  l'Iiomnic  est  une  «'dura- 
tion  incomplète. 

L'éducation  qui  ne  formera  que  le  corps ,  pour  le  seul  déve- 
loppement des  forces  ou  des  grâces  musriilnires,  ne  fera  que  des 
automates  de  sérail  ou  des  nomades  du  désert. 

L'éducation  qui  n'opérera  pas  à  la  fois  sur  les  facultés  et  sur 
les  caractères,  afin  de  développer  le  bien  et  de  vaincre  le  mal 
inhérents  à  la  nature  humaine  ,  cette  éducation  ne  pourra  faire 
que  des  hommes  manques. 

L'éducation  (pii  ne  donnera  à  la  jeunesse  que  des  connaissan- 
ces sans  croyances,  des  sentiments  sans  vertus,  des  aptitudes  sans 


i)K  l'kducath»  pluliqlk,  ktc.  149 

le  f,'rnnd  [jrincipe  du  devoir  et  du  sacritice,  cette  éducation  n'en- 
laïuera  (ju'une  décadence  progressive. 

L'éducation  qui  ne  sera  établie  que  dans  un  but  exclusif,  l'é- 
lémeiii  p()liti(]ue,  par  exemple;  l'éducation  qui  ne  saura  pas 
harmoniser  les  diverses  lins  de  l'homme,  afin  de  Taire  concourir 
toutes  les  forces;  l'éducation  qui  méconnaîtra  la  destinée  su- 
prême de  l'homme,  sa  destinée  sociale,  sa  destint-e  de  famille, 
sa  destinée  piivée,  celle  éducation  n'enfantera  jamais  des  nations 
vigoureuses  ni  des  chrétiens  sincères. 

L'éducation  qui  déclassera  les  inlluences  actives  par  lesquel- 
les les  hommes  sont  formés;  qui,  par  exemple,  mettra  la  reli- 
gion à  la  queue  de  l'éducation  ,  l'autorité  paternelle  en  dehors  , 
cette  éducation  faussera  dès  l'abord  le  jugement  de  la  jeunesse 
et  régarera  dans  des  voies  fatales. 

L'éducation  qui  ne  fait  que  de  l'instruction  n'est  qu'une  mé- 
canique pour  produire  des  esprits  vains,  des  cœurs  rétrécis,  des 
caractères  faibles,  des  vertus  sans  consistance. 

L'éducation  purement  civile,  politique  ou  administrative,  est 
le  signe  sensible  de  la  décadence  morale  d'un  peuple. 

L'éducation  sans  religion  est  le  plus  grand  châtiment  que  la 
Providence  puisse  laisser  infliger  à  un  peuplp  ingrat  et  indiflé- 
rent. 

Dans  les  pays  éclairés  par  la  lumière  et  la  grâce  du  christia- 
nisme, l'éducation  doit  être  chrétienne,  et  non-seulement  l'édu- 
cation, mais  l'instruction. 

Ces  principes  sont  vrais  en  eux-mêmes ,  et  peu  de  personnes 
les  contrediront;  mais  il  y  a  des  hommes  à  système,  des  pays, 
des  époques  et  des  institutions  qui  font  plier  ces  principes  ou  qui 
les  dénaturent  dans  l'application. 

Dans  le  canton  de  Genève,  nous  vivons  sous  l'empire  non-seu- 
lement de  la  liberté  des  cultes,  mais  encore,  chez  les  protes- 
tants ,  de  la  liberté  de  conscience  ,  et  môme  de  la  liberté  de  n'a- 
voir ni  culte,  ni  conscience,  ni  religion.  C'est  un  fait,  un  fait 
inévitable,  fatal,  si  vous  voulez,  mais  enfin  légal,  constitution- 
nel et  même  fédéral. 

Dans  le  canton  de  Genève,  nous  sommes  en  présence  de  deux 
conséquences  de  ce  fait    :    l'instruction  publique  et   la   liberté 


150  1>K  LKim  Alli>   IlULlylK 

d'enseigoeineul,  qui  n'est  ct'pondanl  réalisable  ()ue  dans  certai- 
nes loealitc's,  ei  t|ui  ne  supporte  qu'avec  de  grandes  peines  la 
lonenrrence  puissanie  et  liclii;  do  rinsiriiction  publi(]ne. 

Dans  le  canton  de  Genève  ,  l'inslruelion  |>ul)li(jue  est  pure- 
ment civile  cl  poIiti(|ue;  elle  a  pour  de  la  relij,'ion,  elle  la  relè- 
gue à  la  queue  de  ses  lois,  de  ses  règlements  et  de  ses  écoles; 
eUe  est,  il  est  vrai,  en  présence  de  la  liberté  des  cultes  et  des 
nou-culles;  elle  a  peur  aussi  de  la  liberté  d'enseignenieni ,  ei 
elle  la  combat,  tant  (juV-lle  peut,  du  moins,  par  l'énergie  de  son 
budget. 

L'Académie,  le  Collège,  le  Gymnase,  à  Genève,  sont  compo- 
sés en  immense  majorité  de  professeurs  et  d'élèves  protesianls. 
L'enseignement  y  est  donc  ou  protestant,  ou  rationaliste,  ou  avec 
absence  totale  de  toute  croyance  religieuse;  c'est  même  là  la  per- 
fection du  genre.  Il  y  a  bien  des  professeurs  de  religion  qui  don- 
nent des  le<  ons  non  obliyatuircs  et  entièrement  en  dehors  de 
renseigiieincnl;  mais  ces  leçons  ne  sont  suivies  «pie  par  les 
|)rolestanis,  dont  les  parents  appartiennent  au  système  religieux 
du  ministre  professeur  (I). 

A  Carouge,  le  Collège  est  devenu  niixte  d'exclusivement  ca- 
ilioliipie  qu'il  était  en  vertu  des  traiti's  de  1815. 

Les  ('coles  piimaires  sont  purement  civiles.  Elles  sont  compo- 
sées d'enfants  catholiques  dans  les  campagnes  cat[)oliques,  et 
d'enfants  protestants  dans  bîs  campagnes  protestantes.  Qiu'bjues 
l'iifanls  prolestants  vont  dans  les  l'cob's  composées  en  majoril»' 
d'enfants  catholiques,  et  vice  versa. 

A  Genève,  il  y  a  des  écoles  secondaires  mixtes  et  des  écoles  (2) 
primaires  de  trois  espèces.  Ecoles  de  catholiques  on  majorité , 
écoles  de  protestants  en  majorili'*,  écoles  mixtes  proprement  di- 
tes. On  a  mis  des  régents  proiestiints  dans  des  écoles  d'enfants 
«:;flholi(pies,  ei  des  régents  calboliipies  dans  des  écoles  d'enfants 
protestants.  Le  système  poursuivi  av«c  suite  et  acharnement , 
c'rsi  donc  celui  des  écoles  mixtes  avec  tles  leçons  de  religion  en 


(I;  Il  y  a  un  cliii|u-I;iiii  callinliciuc  pour  los  (]ucl(|U(-s  rnlholiqurs.  niait  son 
riiscigncnicul  u'v>{  nullcnioiit  obligaloiir. 

(i)  On  viiit  «|utjr  no  parle  ici  i|ur  des  écoles  gouMincinfiilalfs. 


DANS  LK  CANTON  DR  GENKVK.  151 

dehors;  l'innuciirc  des  minisires  de  la  religion  est  devenue  nulle 
ou  dérisoire  ;  le  elioi\  des  régenls  cl  des  régentes,  les  méthodes, 
l'ordre  réglementaire,  la  eensure  des  livres  d'école  cl  de  prix, 
rinspection  de  la  discipline  ,  de  la  moralité  des  enfants  et  des 
fonctionnaires,  tout,  en  un  mot,  est  devenu  rouage,  omnipotence, 
bon  plaisir  gouvernemental.  La  loi  de  1848  a  été  élasliquement 
pliée  à  ce  syslènK!  par  un  règlement  monstre,  inapplicable  et 
inappliqué,  vexation  permanente  contre  les  régents,  contre  les 
élèves,  les  communes,  les  parents  et  les  ministres  de  la  religion. 

Et  tout  ce  système  bâtard  ,  sans  vie ,  sans  moralité,  sans  ave- 
nir, coule  au  peuple  l'c-nornie  somme  de  270,000  francs. 

Et  il  n'a  produit  aucun  résultat  avantageux  au  point  de  vue 
même  scolaire  ,  si  ce  n'est  de  faire  de  la  noble  carrière  des  in- 
stitutcuis  de  la  jeunesse  une  cairière  d'agents  plus  ou  moins  po- 
litiques, soumis  à  toutes  les  vicissitudes,  les  peurs,  les  souples- 
ses des  changements  de  gouvernements  ;  si  ce  n'est  aussi  de 
dénaturer  la  véritable  éducation  de  l'enfance  par  l'afFaiblisse- 
ment  de  l'autorité  paternelle,  de  l'autorité  de  la  religion,  de  l'au- 
torité des  maîtres,  etparrénervemenl  des  caractères,  des  mœurs 
et  de  l'esprit  de  travail  lui-même. 

Le  clergé  catholique  a,  dans  le  temps,  réclamé  contre  la  loi. 
La  loi  volée,  il  a  momentanément  conservé  l'espoir  qu'un  règle- 
ment administratif  saurait  concilier  tous  les  droits  ,  toutes  les 
exigences  de  la  religion,  de  la  famille,  de  la  commune  et  de 
l'Etat.  Le  règlement  de  1849  est  venu  détruire  loutes  ces  illu- 
sions :  les  écoles  ont  été  officiellement  déclarées  mixtes;  toutes 
les  réclamations,  même  les  plus  modérées  et  les  plus  convena- 
bles de  l'autorité  ecclésiastique  ont  été  entièrement  méconnues. 

Mais  tout  cet  échafaudage  sans  consistance  ne  lient  plus  à  rien. 
la  loi  est  insuffisante,  le  règlement  vermoulu;  les  régents  se  dé- 
ballent entre  le  poignet  gouvernemental  et  l'influence  des  fa- 
milles et  des  conseils  municipaux  ;  le  malaise  est  général,  l'ex- 
périence est  faite,  le  système  est  jugé. 

Et  quand  on  considère  le  mouvement  européen  qui  fait  par- 
tout abandonner  ces  essais  avortés  d'écoles  et  d'une  instruc- 
tion publique  mixtes  et  matérialisées;  quand  on  voit  de  tou- 
tes parts  les  pères  de  famille,  les  communes,    les  provinces, 


152  I)K  I.'kIUCATION  l»l  OI.IQI  K 

iiiéiiu' les  pliiN  liublilt'S  naguère  à  rintliu^nce  du  clirjj;»',  venii 
(Itinander  à  grands  cris  le  renversement  de  systèmes  réprouvés 
par  une  expérience  funeste,  et  exiger  des  garanties  contre  des 
utopistes  ,  des  livres  et  des  mt'tiiodes  qui  n'ont  enfanté  que  des 
ruines ,  on  se  sent  pi-nétrc  de  douleur  en  vovanl  le  canton  de 
Genève  non-seulement  retardataire  danslemouvement  régénéra- 
tciu"  eurojiéen,  mais  encore  rcstani  à  l'élat  de  pélrilicatinn  dans 
une  voie  tpii  ne  conleiilo  |)orsonne  et  qui  obère  tout  le  monde. 

Nous  allons  incessamment  assister  à  des  discussions  importan- 
tes dans  le  Grand  Conseil  du  canton  de  (îenève,  puisque  M.  Pons, 
l'auteur  du  système  actuel,  nous  promet  de  demander  la  révision 
de  la  loi  sur  Tinslruc  lion  |)nl)iique.  Nous  suivrons  ces  discus- 
sions avec  le  plus  grand  intérêt,  sans  passion,  comme  sans  op- 
pctsilion  préconçue;  il  nous  sullit  aujourdMiiii  de  bien  poser  les 
questions. 

Deux  systèmes  vont  se  irouver  en  présence,  <piant  à  l'insirue- 
lion  primaire,  la  seule  qui  nous  (»c(  upe  dans  le  présent  travail. 

Premièrement,  le  systènie  absolutiste  ou  de  la  loi  et  du  règle- 
ment actuels.  Ecoles  mixtes,  instruction  sans  ('-ducation ,  choix 
des  régents,  des  livres  et  des  méthodes  uniquement  et  souverai- 
nement goUM'inemental  ;  ronclionnaircs  subissant  toutes  les  in- 
lluenccs  mobiles  de  la  poliliipu'  el  des  partis  qui  arrivent  tour  à 
tour  au  pouvoir. 

SecondemenI,  le  système  de  la  (  oncilialion,  où  tous  les  droits 
soient  respecli'S  et  où  toutes  les  b'gilimes  inlluenccs  soient  appe- 
lées à  apporter  leur  concours  pour  le  bien  commun. 

Le  système  actuel  est  né  du  radicalisme  nivelenr  ipii  a  voulu 
léguer  par  la  dc-moralisation  et  ipii,  sous  le  prétexte  de  la  liberté 
illimitée  des  consciences  «•!  (h-s  croyanc  es .  a  su  cré-cr  lomnipo- 
lence  gouvcrnenicnlale. 

Le  gouvernement  actuel  suivra-l-il  les  mêmes  ericmenis? 
<!ontinuera-t-il  raccaparement  d<'  ses  adroits  prédt'cesseurs? 
\  oudra-t-il  maintenir  le  système  des  écoles  mixtes,  maintenir 
l'arbitraire  el  la  tactiipie  des  partis  dans  le  choix  et  le  sort  des 
régents,  l'hostilité  dans  les  méthodes  el  les  objets  de  l'enseigne- 
nii-nl,  I  indilléreiice  religieuse  d.ins  l'educalion  de  la  jeunesse,  el 
la  défiance  systémaii(|ue  coniie  je  pdiivuir  palernel  ei  conire  le 


DANS  I.lî  CANTON  DE  (JENÈVE.  153 

clorg»'?  Nous  îitlondons  ;  ninisccqno  nous  croyons  fernicmont , 
sous  IVinpire  d'iiniî  cludc  npprofondio  du  système  acluol ,  du 
sonliment  sérieux  ot  paiienl  des  populations,  du  mouvement  gé- 
néral européen,  c'est  que  !a  contiiination entêtée  et  rétrograde  de 
l'absolutisme  incroyant  rendra  le  mal  plus  désastreux  et  chaque 
jour  plus  dillicile  à  guérir. 

Combien  a  été  plus  sage  le  canton  de  Vaud.  Il  respecte  entiè- 
rement la  liberté  d'enseignement  dans  les  paroisses  catholiques 
des  bords  du  lac.  Lausanne,  ÎNyoïi,  etc.,  ont  leurs  écoles  calholi- 
<pies ,  et  l'autorité  supérieure  rend  hommage  chaque  année  à 
rexcellenie  tenue  de  ces  écoles  paroissiales.  Dans  plusieurs  com- 
munes du  district  d'Echallens,  les  populations  sont  mixtes; 
alors  les  catholiques  ont  leurs  écoles  et  les  protestants  les  leurs, 
sous  la  direction  du  déparlement  et  de  la  loi  de  l'instruction 
publique  ;  mais  en  même  temps  dans  des  conditions  qui  respec- 
tent tous  les  droits,  facilitent  tous  les  rapports  et  obtiennent,  je 
crois,  la  perfection  de  l'instruction  primaire  dans  le  district  d'E- 
challens. 

Dans  le  canton  de  Genève,  les  écoles  mixtes  pourront  êlre 
violemment  imposées  aux  catholiques,  mais  elles  ne  seront  tou- 
jours regardées  que  comme  un  état  anormal  et  provisoire.  I-e 
clergé  catholique  les  sait  condamnées  par  l'Eglise,  il  en  connaît 
les  dangers  pour  la  foi,  il  en  constate  chaque  jour  les  vices  pal- 
pables pour  l'éducation  religieuse  f  t  pour  la  formation  des  intel- 
ligences ,  des  caractères  et  des  vertus  qui  forment  l'homme  de 
la  famille  et  l'homme  de  la  société.  On  ne  fera  jamais  compren- 
dre à  des  catholiques  tant  soit  peu  religieux  qu'on  puisse 
élever  des  enfants  avec  un  pareil  système  ;  les  communes 
sont  sous  la  même  impression ,  et  le  département  de  l'ins- 
truction publique  sait  exactement  le  nombre  des  conseils 
municipaux  qui  réclament  à  grands  cris  contre  la  présence  de 
régents  qui  ne  leur  vont  pas.  Tout  le  monde  est  dans  la  gêne  : 
l'autorité  civile,  l'.autorité  communale,  l'autorité  ecclésiastique, 
les  régents  eux-mêmes  ;  il  n'y  a  entre  tous  ni  confiance,  ni  con- 
cours. On  a  voulu  faire  des  régents  des  propagateurs  d'une  édu- 
cation sans  croyances  positives,  des  agents  électoraux,  des  an- 
tagonistes des  curés;  on  a  voulu  ladicaliser  l'instruction  piibli- 


15V  DF  l'ÈDIC.VTIOJJ  I'I  III. lyi  K 

«|ue.  ei  on  a  lue  les  écoles,  on  a  mal  «'levé  les  enfants ,  oi  on  a 
inéconlenlé  loul  le  inonde. 

Veiit-on  la  conciliation,  veul-on  le  progrès?  veut-on  la  mora- 
lité de  la  jeunesse?  veut-on  la  vériiahU'  é<lucalion?  Eh  Itien, 
avec  toute  la  convenance  et  l'Iiumililé  qndii  a  droit  d'exiger  de 
nous,  mais  aussi  nous  servant  d'une  longue  expérience  pratique 
et  d'une  étude  de  l'étal  de  l'instruction  dans  les  pavs  de  l'Eu- 
rope que  nous  avons  parcourus ,  nous  donnerons  modestement 
nos  idées.  Ce  sera  aux  hommes  qui  ont  droit  et  devoir  ù  prendre 
ce  qu'il  y  a  d'applicable  à  nos  contrées. 

Une  école  mixte  doit  être  ainsi  di-finie  : 

C'est  une  école  où  le  mailre  peut  être  indilléremment  catholi- 
que ou  protestant,  ou  sans  religion  aucune;  qui  doit  ne  jamais 
parler  de  religion  à  ses  élèves ,  jamais  de  leur  religion  ,  et  tout 
au  plus  de  celle  religiosité  en  général  ipii  n'est  qu'un  leurre,  une 
duperie  et  une  sourde  destruction  de  toute  religion  positive,  et 
particulièrement  de  la  religion  catholique.  Une  école  mixte, 
c'est  celle  où  on  retranche  la  prière  caiholiquo  pour  la  rempla- 
cer par  une  prière  à  la  manière  des  ihéophilantropes ,  c'est-à- 
dire  une  prière  qui  ne  va  ni  au  cœur  des  enfants,  ni  au  cœur  de 
Dieu,  et  (jui  n'<'st  (|u'une  continuelle  hostilité  contre  les  saintes 
prières  de  l'Écriture  Sainte  et  de  rKglise.  Une  école  mixte  est 
une  prédication  continuelle  d'indifférentisme  religieux,  soit  par 
ce  qui  s'y  passe,  soil  par  ce  qui  ne  s'y  passe  pas.  Une  école  mi- 
xte sera  toujours,  en  définitive,  une  ("cole  rationaliste,  atten- 
du que  la  direction  des  études,  le  choix  des  livres,  l'es- 
prit de  l'enseignement  de  l'hisioire  seront  toujours  dans  la 
main  des  autorités  qui  sont  en  niajniité  rationalistes,  soit 
au  Grand  Conseil ,  soit  au  C/rnscii  d  lùai ,  soit  dans  l'admi- 
nistration,  soit  dans  le  but  suprême  du  système  adopté.  Une 
école  mixte  prive  le  régent  du  ressort  vital  de  toute  éduca- 
tion :  la  religion;  son  autorité  n'est  reçue  que  comme  venant 
d'un  homme,  d'une  administration  civile;  son  action  est  toute 
mécanique,  toute  réglementaire.  Les  mois  et  les  phrases  sacra- 
mentels sont  :  le  IU<jlemrnl,  Vlns/urtrur  et  le  Département.  Mais 
le  iioiii  de  Jésus-Chiisi,  rKvangilc  «le  Jesus-Clirisl,  les  ravissau 
les  paraboles  de  l'Évangile,  le  regard  de  Dieu,  l'offense  faite  à 


DANS  LE  CANTON  DK  GENÈVE.  155 

Dieu  ,  les  (îxempics  des  jeunes  saints ,  modèles  do  la  jeunesse , 
toute  celle  action  inlime  de  la  loi ,  de  respérancc  ,  de  la  charité, 
de  riiumililé,  de  la  répression  chrétienne  inspirée  et  obtenue  par 
la  crainte  et  par  l'anioui-  de  Dieu,  tout  cela  est  banni  des  Hîvres 
du  maître  et  de  l'éducation  des  écoles  mixtes;  les  régents  sont 
des  fonctionnaires  gouvernementaux  ,  tandis  que  dans  la  nature 
même  de  leurs  belles  et  modestes  vocations ,  ils  ont  aussi  une 
mission  qui  vient  du  père,  de  la  mère,  de  l'Église  et  de  Dieu.  Eh 
bien,  on  leur  cadenaiera  la  bouche,  le  cœur  et  la  foi.  On  se  dé- 
fiera singulièrement  des  régents  qui  sortiront  des  rigueurs  des- 
séchantes du  règlement ,  on  leur  imposera  le  serment  de  ne  pas 
penser  ou  parler  autrement  que  le  département,  et  on  notera  avec 
faveur  le  régent  qui  aura  su  s'incarner  à  l'image  et  à  la  ressem- 
blance de  l'idée.  Oh  î  combien  on  est  appelé  à  gémir  avec  l'E- 
glise, avec  les  pères  et  les  mères  de  famille,  avec  les  véritables 
amis  de  la  jeunesse  et  du  pays  ,  et  aussi  avec  les  bons  régents 
qui  voient  le  mal  qui  se  fait  et  le  bien  qu'on  les  empêche  de  faire  ! 

Il  faut  encore  ajouter  que  le  système  bâtard  des  écoles  mixtes 
n'est  ni  dans  la  constitution  de  Genève,  ni  dans  la  loi  sur  l'ins- 
truction publique.  Avec  la  constitution,  on  peut  avoir  un  excel- 
lent règlement,  des  écoles  excellentes,  et  cela  sans  porter  at- 
teinte ni  à  la  liberté  des  cultes,  ni  à  la  liberté  d'enseignement,  ni 
à  la  juste  part  de  direction  de  l'autorité  civile. 

Mais,  hélas!  les  épreuves  et  les  essais  ne  sont  pas  à  leur  fin. 
Nous  examinerons  prochainement  quelles  seraient  les  institutions 
et  les  modifications  qui  pourraient  amener  une  conciliation  sincère 
et  donner  à  rinslruction  primaire  une  vie,  un  progrès  qui  leur 
manquent  tolalement.  En  attendant,  nous  croyons  faire  un  vérita- 
ble plaisir  à  nos  lecteurs  en  citant  les  pages  suivantes  que  nous 
extrayons  d'un  Mémoire  adressé  à  Mgr  Marilley  en  1849,  par 
M.  Dunoyer,  vicaire  général,  curé  de  Genève  (1)  : 

«  La  loi  du  25  octobre  1848  sur  l'instruction  publique  dans  le 
canton  de  Genève  vient  de  recevoir  son  complément  et  son  in- 
terprétation par  le  règlement  des  écoles  primaires  en  date  du  21 


'   (i)  Ce  mciiioiie  a  été  imprimé  cl  rend»  imltlic  au  mois  d'août  18i9. 


lo<»  DE  L'ÉDlCiTION   PI  BLIQIF. 

juin  1840,  anrU'  par  le  (lé|)arlpn»enl  do  l'instruction  pul)li(|U«-, 
«•n  vertu  d'une  autorisation  préalable  du  Conseil  d'Étal. 

»  Avant  d'examiner  les  dispositions  de  ce  règlement,  qui  dé- 
truisent toutes  les  espérances  du  cler^'»'-  et  des  catlioliques  du 
canton  de  Genève,  (piant  aux  },Mranlies  (ju'ils  avaient  droit  d'at- 
tendre; dispositions  qui,  d'ailleurs,  accroissent  leurs  légitimes 
alarmes  pour  l'avenir,  je  crois  devoir  exposer  à  \  olro  Grandeur 
les  motifs  londamenlaux  et  l'Iiisloriciue  des  réclamations,  mal- 
lieureusent  infructueuses,  qui  ont  eu  lieu,  et  les  pièces  olliciel- 
les  qui  s'y  rattachent. 

»  I.c  catholicisme,  dans  tout  ce  (|ui  concerne  l'educatiim  de  la 
jeunesse,  est  placé  sur  un  terrain  «piil  ne  peut  jamais  abandon- 
ner, et  qu'il  doit  sans  cesse  défendre,  parce  que  le  salui  des 
âmes,  la  conservation  de  la  vraie  foi,  le  bonheur  des  peuples,  la 
f<licité  des  familles  s'y  rattachent  essentiellement. 

»  La  religion  que  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  a  apportée  sur 
la  terre  et  qu'il  a  donné  à  son  Église  la  mission  de  conserver  et 
d'enseigner,  est  le  l)ien  suprême  de  l'homme  ici-bas  :  elle  est 
pour  lui  la  règle  infaillible,  illiiminali\e  et  parfaite  de  son  intel- 
ligence, de  son  cœur,  de  ses  mœurs,  de  ses  droits,  de  ses  de- 
voirs. La  religion  prend  l'homme  au  berceau  et  elle  ne  l'aban- 
donne pas  jusqu'à  ce  moment  solennel  oii  il  va  lendre  compte  à 
Dieu  de  sa  vie  tout  entière. 

Or,  c'est  par  l'éducation  chrétienne  de  l'enfance  et  de  la  jeu- 
nesse que  les  hommes  sont  formés,  .^on-seulemenl  l'édjication 
développe  les  facultés  de  leur  esprit,  mais  surtout  elle  règle  leur 
jugement,  développe  leur  caractère,  aiïermii  leui-  niuralité;  et  , 
bien  plus  encore,  elle  doit  faire  pénétrer  dans  tout  1  honinie  les 
principes,  les  sentiments  et  les  habitudes  (jui  perfectionnent  le 
véritable  chrétien  pendant  le  pèlerinage  de  celle  courte  et  dilli 
eile  vie. 

»  L'éducation  est,  aux  yeux  des  calholiipies  ,  inséparable  de 
la  religion,  cl  ils  regardent  comme  un  grand  malheur  pour  les 
âmes,  pour  les  familles  et  pour  les  sociétés,  ce  fatal  divorce 
qu'on  semble  voidoir  parfois  réaliser  entre  ces  deux  éléments 
dr  la  vie  morale  et  sociale  des  hommes. 

"  L<'s  catholiques  sont  égalemeni  <  otiNainnis  ijuc  l'instruction 


D.v>s  LK  CANTON  i)K  (;F,?ir;vi:.  157 

et  rcnseignemcnl  sans  réducalion ,  comme  l'rducaiion  sans  la 
religion,  est  plus  souvent  un  flrau  qu'un  avantage;  et,  plus  que 
jamais  aujourd'liui ,  cclto  vt'i-ité  leur  est  démontrée  par  l'état 
des  sociétés ,  et  les  révélations  effrayantes  des  statistiques  euro- 
péennes sur  la  criminalité. 

»  Les  catholiques  croient  que  la  religion  et  la  famille  ont  des 
devoirs  sacrés  à  remplir  dans  le  choix  des  instituteurs  de  l'en- 
fance, parce  que  ces  instituteurs,  appelés  à  des  rapports  conti- 
nuels avec  les  enfants,  exerçant  sur  eux  l'autorité  de  leur  posi- 
tion et  de  leurs  exenq)lcs,  ont  une  grande  inducnce  sur  la  jeunesse 
et  peuvent  faire  beaucoup  de  bien  ou  beaucoup  de  mal. 

>  Ces  instituteurs  doivent  donc  recevoir  leur  mission  si  esti- 
mable, si  importante,  de  la  religion  et  des  parents;  et  si  le  pou- 
voir civil,  en  ce  qui  le  concerne,  a  le  droit  de  lui  en  donner  une, 
il  ne  peut,  sans  usurpation,  empiéter  sur  un  terrain  qui  n'est  pas 
le  sien. 

»  Les  catholiques  savent  que  les  écoles  purement  civiles , 
c'est-à-dire  d'où  la  religion  est  bannie,  ou  bien  dans  lesquelles 
son  action  est  illusoire,  sont  un  grand  malheur,  parce  que  ces 
écoles,  ne  donnant  qu'un  enseignement  purement  mécanique,  ne 
forment  point  des  citoyens  dévoués  et  des  chrétiens  éclairés; 
elles  facilitent  alors  l'invasion  de  toutes  les  erreurs  et  de  toutes 
les  passions. 

»  Pour  un  instituteur,  n'avoir  pas  une  tendance^  une  influence 
positive  religieuse  ,  c'est  avoir  une  tendance  dangereuse  ,  une  in- 
fluence désastreuse  dans  l'éducation.  L'absence  du  bien  ici  con- 
stitue le  mal. 

»  Les  catholiques,  instruits  par  l'expérience,  forts  des  déci- 
sions du  Souverain  Pontife  Pie  IX,  savent  très-bien  que  les  écoles 
primaires  mixtes  sont  un  véritable  désastre  non-seulement  pour 
leur  religion,  mais  pour  toute  religion  positive ^  et  que  le  résul- 
tat le  plus  ordinaire  de  ces  mélanges  est  de  conduire  la  jeunesse, 
au  moins  à  la  plus  funeste  indifférence  religieuse,  lorsqu'elle  n'a- 
boutit pas  au  scepticisme. 

»  Enfin  les  catholiques  ne  pourront  jamais  admettre  que  l'au- 
lorité  civile,  ici  ordinairement  protestante  en  fait,  et  forcément 
indifférente  en  droit,  surtout  dans  une  république  démocratique, 


158  DK  L'ÉDI'CATIO.%   i>l  BLIUIK 

Cl  (i:iiiN  un  |)a\s  iiiiMc,  où  lu  liberté  des  cultes  est  écrite  dans  la 
conslituliuii,  puiss»-  absuihcr  tous  les  droits  de  la  r<'lif;ion  et  des 
pères  de  famille  eatLolicjiies,  et  se  constituer  une  suprématie  sur 
réduralion,  ou  une  inQuence  sans  limites  sur  les  jeunes  généra- 
tions. 

o  C'est  sous  l'empire  de  ces  principes  claiis  <l  simples  (pie  li* 
clergé  «lu  canton  de  Genève  n'a  pas  cessé  de  réclam«'r  auprès 
de  Votre  Grandeur  ù  l'effet  d'obtenir,  par  son  entremise  auprès 
du  gouvernement ,  les  garanties  sans  lesipielles  les  écoles  ne 
peuvent  remplir  le  but  de  leur  existence. 

»  Jusqu'à  la  loi  du  25  octobre  1848,  le  système  adopté,  quel- 
(|Ue  imparfait  ({u'il  fût,  reconnaissait  des  écoles  catboliques  et 
le  plac(!t  de  rcvè<]ue  pour  les  régents  dans  les  écoles  eallioli- 
ques;  les  livres  étaient  soumis  à  lui  coiuiole  préalable  qui  ollVait 
des  garanties  suffisantes,  et  tous  les  curés  pouvaient  exercer  une 
beureuse  influence  sur  les  ('cctles;  ils  l'ont  exercée  en  ellét  avec 
avantage  et  sans  égoisme  personnel ,  de  l'aveu  même  des  parti- 
sans des  idées  nouvelles.  » 

Voici  comment  Mgr  Marilley  s'exprimait  au  commencement 
de  sa  dépèclie  du  20  septembre  1847,  à  M.  le  conseiller  d'Etat 
Pons  : 

«  Vous  m'avez  l'ail  rin»iineur  de  in'adresser  le  1.5  de  ce  mois 
le  projet  de  loi  sur  l'enseignement  religieux  dans  les  établisse- 
ments d'instruction  publique  du  canton  de  Genève,  et  vous  me 
demande/,  de  vous  transmeitre  mes  observations  sur  ce  projet. 

»  Je  répondrai,  Monsieur  le  Président,  à  vos  vomix,  avec  toute 
la  francliise  et  avec  tout  le  soin  qui  convi(Mineni  dans  <ette  cir- 
constance grave  pour  la  religion  et  pour  l'éducation  ;  mais , 
avant  de  reprendre  cbacjue  article  du  projet,  pernuttez-moi  de 
bien  [)reciser  les  principes  qui  dominent,  au  point  de  vue  des 
catboliques,  les  questions  d'application,  principes  que  j'ai  déjà 
eu  l'avantage  de  vous  exposer  verbalement  dans  l'entretien  que 
vous  ave/  eu  l'obligeance  de  m'acrorder. 

»  L'instruction  religieuse,  cbe/  les  cailioliques,  appartient  es- 
sentiellement au  curé  de  chaque  paroisse,  c'est  une  de  ses  obli- 
gations les  plus  sacrées;  il  doit  la  remplir  à  l'égard  de  tous  les 


DANS  m:  canton  i>k  (;k>kvi;.  159 

oiifanis,  (jirils  soionl  ou  non  dans  les  écoles;  aucune  disposition 
lc}j;isl:itive  ou  adniinisiraliv»'  no  [mmiI  à  cet  égard  rcgiemenler  ce 
(Iroil  on  ce  devoir.  Si  les  ('colcssonl  callioliquos  dans  sa  pai'oisse, 
il  pi'ul  y  l'aire  ses  insiiuclions,  el  conller  au  régent  la  simple  ré- 
citation de  la  lettre  du  catéchisme  ;  s'il  existe  d'autres  écoles,  il 
lui  appartient  d'examiner  si,  par  le  personnel  du  régent,  par  la 
nature  de  renseignement,  il  peut  leur  donner  l'appui  moral  de 
son  action  pastorale. 

»  La  question  grave  n'est  pas  celle  de  l'instruction  religieuse 
que  les  enfants  auront  toujours,  quelles  que  soient  la  loi  et  l'é- 
cole, la  question  sérieuse  est  celle  de  r(''ducation.  Or,  aux  yeux 
(les  catlioliciues ,  l'i-ducation  domine  l'instruction  et  elle  en  est 
inséparable,  l'école  est  le  suiiplémeni  de  la  famille,  le  maître  est 
le  représentant  des  parents ,  il  est  appelé  à  former,  non-scule- 
met  l'intelligence,  mais  le  cœur,  mais  les  sentiments,  les  habi- 
tudes religieuses  des  enfants,  el  à  faire  fructifier  chaque  jour  les 
enseignements  de  la  foi  par  ses  exemples  et  par  son  influence  au 
dehors  et  au  dedans  de  l'école.  Tel  est  et  lel  doit  être  le  régent 
aux  yeux  des  catholiques  ;  cl  si  l'Etal  constitue  l'enseignement 
au  point  de  vue  purement  scolaire  ,  les  pères  de  famille,  les  pas- 
teurs des  âmes,  r(''véque  surtout,  ne  peuvent  rester  étrangers  à 
la  constitution  et  au  personnel  des  écoles.  Il  ne  s'agit  nullement, 
veuillez  bien  le  croire.  Monsieur  le  Président,  d'une  prétention 
envahissante  ou  exagérée  ,  mais  d'un  concours  harmonique  ,  ai- 
dant sincèrement  les  efTorls  judicieux  du  gouvernement,  tout  en 
maintenant  les  droits  et  les  devoirs  des  pères  de  famille  et  de 
l'Église,  dans  l'intérêt  non-seulement  de  l'instruclion  religieuse, 
mais  de  l'éducation  catholiijue  des  enfants  catholiques.  J'éprouve 
le  vif  désir  d'entrer  dans  toutes  les  vues  larges  du  gouvernement, 
puisqu'elles  créent  une  concurrence  avantageuse  pour  tous  les 
genres  de  progrès;  mais  il  me  paraît  que  tous  les  efforts  du  lé- 
gislateur doivent  tendre  à  environner  l'école  primaire  de  tous  les 
moyens  de  perfection  qui  satisferont  à  la  fois  les  droits  de  la  re- 
ligion, les  devoirs  du  clergé  et  des  parents,  et  empêcheront  un 
malaise  certain  qui  nuirait  infailliblement  à  l'école  si  elle  était 
privée  de  plusieurs  des  conditions  essentielles  de  son  exis- 
tence normale,  et  un  jour  peut-être  porterait  atteinte  à  d'autres 


160  UK  l'kdlcatiom  1>(  III.IOI  k 

inlérûis  non  moins  j,'ravi's.  Vous  êles  suDsdoiilr,  Monsieur  le 
Présidenl,  trop  proiondémcnl  occupi'  d«'s  (|ucslions  confession- 
nelles (jui  agitent  notre  pays,  pour  ne  pas  apercevoir  que  la  so- 
lution de  la  plupart  des  dilliculiés  ne  se  trouvera  (jue  dans  la  lé- 
gislation qui  laissera  partout  les  catholiques  et  les  protestants 
régir  leurs  affaires  religieuses  et  l'éducation  de  leurs  enfants  d'a- 
piès  leurs  croyances.  » 

Enfin  le  clergé  ,  par  l'organe  des  archiprêtres  du  canton  ,  s'a- 
dressa, mais  toujours  en  vain,  au  Grand  Conseil.  Voici  sa  lettre, 
|)leiiie  de  dignité  et  de  sens  : 

o  Nous  avons  pris  connaissance  du  nouveau  projet  de  loi  sur 
l'instruction  puhlicpie;  après  un  mûr  examen  du  système  géné- 
ral qu'il  renferme,  et  en  particulier  de  ce  qui  concerne  l'instruc- 
tion religieuse ,  nous  avons  l'honneur  de  vous  adresser  nos  res- 
pectueuses observations. 

»  Nous  estimons  (jue  le  projet  tond  à  constituer  des  écoles 
mixtes  et  purenuMii  civiles,  conirairemenl,  pour  plusieurs  de  nos 
écoles,  aux  traités,  et,  pour  toutes,  aux  droits  des  pères  de  fa- 
mille, aux  exigences  d'une  bonne  éducation  et  à  l'esprit  de  la 
religion  catholique. 

»  Le  Souverain  Pontife  Pic  1\  ,  par  un  acte  solennel ,  a  dans 
ces  derniers  temps  rappelé  les  principes  de  l'Église  à  l'égard  des 
écoles  mixtes. 

»  Le  clergi'  catholique  avait  l'espoir  que  son  concours  désin- 
téressé, intelligent  el  dévoué,  ne  serait  pas  repoussé,  et  que 
l'influence  de  la  religion  ne  serait  pas  ainsi  déconsidérée  cl 
anéantie,  là  où  elle  est  un  devoir,  un  droit  et  un  bienfait. 

»  Nous  ne  demandons,  Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 
rien  que  de  légitime,  aucune  position  envahissante  ou  exception- 
nelle pour  le  clergé  catholique,  aucune  disposition  qui  nuise  à 
la  bonne  harmoni»'  entre  les  citoyens,  aux  droits  de  TRitat,  aux 
progrès  de  l'instruction,  nous  désirons  seulement  conserver  le 
droit  el  la  possibilité  de  faire  du  bien  aux  enfants  et  aux  écoles 
de  nos  paroisses. 

»  En  conséquence  nous  vous  prions,  Monsieur  le  Président  et 
Messieurs,  de  vouloir  bii  n  maintenir  par  la  loi  aux  ("coles  cathn- 


DANS  LE  CANTON  DR  GENÈVE.  161 

li(jnes  (lu  canloii  loiir  caractère  d'écoles  catholiques  ,  avec  leurs 
habitudes  et  leurs  usages  religieux,  et  à  Monseigneur  noire  évê- 
que  ou  à  ses  délégués,  la  surveillance  générale  des  intérêts  de 
la  religion  dans  ces  écoles;  de  déterminer  que  des  garanties  se- 
ront données,  pour  que  le  choix  des  régents  et  d'inspecteurs  ca- 
iholi(pies  puisse  inspirer  toute  confiance  aux  parents;  de  laisser 
à  Messieurs  les  curés  la  faculté  d'exercer  leur  sollicitude  pasto- 
rale sur  les  écoles,  au  nom  de  la  religion  et  de  la  morale  dont 
ils  sont  les  gardiens,  dans  l'étendue  de  leurs  paroisses;  enfin  de 
donner  à  l'autorité  ecclésiastique  le  droit  de  réclamer  efficace- 
ment si ,  dans  les  livres  d'enseignement ,  il  y  avait  des  choses 
portant  atteinte  à  la  religion  et  aux  bonnes  mœurs. 

»  Nous  as'ons  la  ferme  confiance ,  Monsieur  le  Président  et 
Messieurs,  que  vous  voudrez  bien  prendre  en  grande  considéra- 
tion notre  juste  et  respectueuse  réclamation. 

»  Elle  exprime  les  sentiments  de  l'unanimité  du  clergé  et  de 
l'immense  majorité  des  pères  de  famille  catholiques  du  canton 
de  Genève. 

»  Nous  avons  l'honneur  d'être  avec  respect ,  Monsieur  le  Pré- 
sident et  Messieurs,  vos  très-humbles  et  obéissants  serviteurs. 
DuNOYER,  vicaire  général,  archiprétre  et  curé  de  Genève. 
Baillard,  archiprétre,  curé  de  Chêne.   Greffier,  ar- 
chiprétre, curé  de  Carouge.  » 

On  le  voit  facilement,  le  clergé  catholique  ne  demandait  que 
ces  quatre  points  :  1°  De  conserver  à  leurs  écoles  leur  caractère 
catholique;  2°  d'obtenir  des  garanties  dans  le  choix  des  régents; 
3°  de  laisser  à  MM.  les  curés  la  faculté  d'exercer  dans  les  écoles 
leur  sollicitude  pastorale  ;  4°  de  maintenir  à  l'autorité  ecclésias- 
tique le  droit  de  réclamer  efficacement  au  sujet  des  livres. 


n 


LA 


LIGUE  D'OR  OU  LA  LIGUE  BORROMÉE. 


Les  lecleurs  des  annales  se  souviennent  pciii-rirc  (ju'iin  Av. 
nos  collaborateurs  a  promis  (voir  noire  numéro  de  novembre 
1851,  p.  Ai,  A'2)  «le  traiter  les  (pieslions  liisiuii(pies  dont  l'en- 
seignement est  piescril  dans  les  éeoles  priniaiies  du  canton. 
Noire  savant  et  lionorable  ami  tient  parole,  et  il  aborde  aujour- 
d'Iiui  la  «piesiion  suivante,  si  pleine  d'int«''rêt  et  de  grands  sou- 
venirs. Amis  de  notre  foi  et  de  noire  pairie,  nous  im|)rimons  avec 
un  véritable  orgueil  les  pag<'s  qu'on  va  lire.  O  vieilb"  Suisse  ca- 
ilioli(|ue,  «pie  tu  étais  belle  ! 


La  ligue  d'Or  ou  la  ligue  Borroméc  est  une  alliance  que  les 
cantons  c.itliolicpies  conliaclrrent  eiilre  eux  pour  conserver  la 
vraie  loi,  la  loi  cailioliipu',  et  s'opposer  au\  efforts  continuels 
que  les  cantons  devenus  héréliiiues  Faisaient  pour  proleslantiser 
le  reste  de  la  Suisse.  (Mallel,  hist.  des  Suisses,  lom.  111,  p.  34(». 
Hist.  de  la  Suisse,  p.  loO.  Daguet,  I/ist.  de  la  nation  suisse.  H' 
part.,  p.  68.) 


I.A  L11.LK  d'oK  or  LA  LIGIK  BOMROMÉE.  Hï.i 

KIU'  lut  conclue  l<;  1"  octobre  1586,  à  Lucernc ,  entre  les 
cuntons  suivants  :  Luccrne,  Uri,  Scliwii/,  Lnterwald,  Zug,  Fri- 
hourg  et  Soleure.  Ces  sept  Klals  s'engagèrent ,  par  l'organe  de 
leurs  députés,  à  rester  inviolahlenient  attachés  à  la  religion  ca- 
tholique, cl  à  se  secourir  mutuellement  contre  les  attaques  des 
hérétiques.  On  l'appela  Ligue  d'Or,  probablement  à  cause  des 
heureux  fruits  qu'on  en  attendait  pour  le  triomphe  de  la  vraie 
foi,  et  Lùjuc  li or r ornée,  sans  doute  en  Tlionneui'  du  grand  et 
saint  cardinal  de  ce  nom,  (pii  avait  été  le  plus  zélé  défenseur  de 
la  cause  caiholi(pie  en  Suisse.  (Daguet,  p.  68,  IP  part.) 

Cette  alliance,  que  I\I.  Daguet  nous  représente  '\V  part.  p.  68] 
comme  violant  le  principe  de  la  souveraineté  cantonale  en  ma- 
tière religieuse,  sapant  la  Confédération  par  la  base,  déchirant 
l'alliance  éternelle  de  1291^  <?/  brisant  le  corps  helvétique  en  deux, 
était-elle  juste?  Etait-elle  fondée  sur  des  motifs  légitimes?  Voici 
ma  réponse  :  Tout  homme  qui  lira  riiisloire  de  la  Suisse,  de- 
puis l'établissement  du  protestantisme,  et  qui  ne  sera  pas  aveu- 
glé par  l'esprit  de  parti,  sera  forcé  de  convenir  que  les  catho- 
liques, en  concluant  cette  alliance,  opposèrent  la  force  à  la  force, 
et  usèrent  du  droit  de  légitime  défense.  Quelques  traits  histori- 
ques ,  dont  plusieurs  seront  tirés,  de  préférence,  de  l'ouvrage 
de  M.  Daguet,  adopté  dans  les  écoles  de  notre  canton,  prouve- 
ront ma  thèse  d'une  manière  incontestable. 

«  Les  progrès  de  la  réformation  remplissaient  le  cœur  de 
»  Zvvingli  de  joie  et  d'espérance.  Le  désir  de  consolider  ces 
»  progrès  et  de  les  étendre  à  toute  la  Suisse,  lui  suggéra  le  pro- 
»  jet  d'une  alliance  offensive  et  défensive  des  villes  protestantes. 
»  Siir  de  Zurich  ,  où  son  influence  dans  les  affaires  d'Etat  crois- 
»  sait  tous  les  jours,  il  s'adressait  au  gouvernement  de  Berne,  et 
«secondé  par  Roust ,  il  parvint  à  gagner  les  magistrats  de  ce 
»  canton...  Bàle  ,  où  dominait  OEcolampade,  Mulhouse,  Schaff- 
»  house  et  Bienne,  ne  furent  pas  difliciles  à  persuader.  C(  s 
»  cinq  Etats  réunis  formèrent,  avec  la  ville  autrichienne  de  Con- 
»  stance,  une  alliance  séparée,  sous  le  nom  de  Combourgeoisie 
n  chrétienne  (Christliche  Biirgerrecht).  Un  conseil  secret  fut 
»  établi  à  Zurich ,  sous  la  présidence  de  Zwingli ,  pour  diriger 
»  les  affaires  de  l'alliance  séparée  qui  venait  d'être  conclue.  Ce 


IGV  I.A  LKit  K  d'oH  <»l    I.A  l.ll.l  K  BOKHOM^JÏ. 

»  SondcrbunU  |)ioi«'sl;iiu  iriiia  les  adversaires,  qui  y  0|)posèrrnt 

•  nussilùt  un  .So/i(/er/>u/ir/ (:;ulioli(|U(!  formé  par  les  Eials  d'Uri, 

•  Scinvitz,  Underwald,  Lucerne ,  Zug ,  Fribourg,  auxquels  se 
.  rallia  l'Etal  du  Valais  »  (avril  1529).  îDa-îiiel,  II'  part.  p.  22.  ) 

Voilà  donc  les  ranlons  protesianis  <|(ii  sont  les  premi<'rs  à  s'al- 
lier avec  des  étrangers,  ei  dans  l'intenlion  avouée  de  décaiho- 
liscr  la  Suisse  entière.  «  La  ligue  protestante  avait  pris  l'inilia- 
»  live  d'une  alliante  avec  un  Etal  étranger,  avec  Constance,  dont 
»  il  s'agissait  de  protéger  la  foi  el  la  liberté  contre  l'AnlriclH-. 
»  Les  cinq  cantons  s'étayèrenl  de  cel  exemple  pour  s'unir  à  la 

•  maison  d'Autriclu;  elle-même.  A  Zurich,  l'exercice  <lu  cnlie 
»  catholique  était  sévèrement  interdit,  même  hors  du  canton,  de 
»  sorte  <|iif  les  Zuricois  restés  fidèles  au  catholicisme  ne  pou- 
»  vaienl  pas  même  aller  dans  les  cantons  limitrophes  pdur  assis- 
»  1er  au  service  divin.  (Daguct,  ibid.  p.  7.)  A  Berne,  de  grosses 
«amendes  el  l'exclusion  des  charges  publiques  étaient  la  puni- 
»  lion  des  catholiques  qui  refusaient  d'apostasier  (Daguct,  p.  IG). 
»  A  Bâie,  un  édil  qui  accordait  la  liberté  de  conscience  mécon- 
»  tenta  les  réfoiinés.  Au  nombre  de  2000,  ils  prirent  les  armes 
»  contre  leurs  adversaires  qui  n'étaienl  que  600  (8  février  1529). 
»  Les  actes  de  vandalisme  qui  avaient  manpié  la  victoire  des 
»  réformés  à  Zurich  el  à  Berne  se  re|)r(»duisircnt  à  Bàle  ;  le  bour- 
»  reau  en  léte  ,  ils  dévastèrent  ta  cathédrale  el  firent  don/e  feux 
»  de  joie  sur  la  place  publique,  des  objets  d'art  qu'ils  avaient 
»  trouvés  dans  cette  église  et  dans  les  autres  tenqdcs  de  la  ville. 
»  (Daguet,  p.  19.)  Partout  les  hérelicpies  pénétraient  en  aimes 
»  dans  les  églises,  aballaienl  les  autels,  brûlaient  les  images,  de- 
»  truisaieni  les  plus  magniliques  monuments  de  l'art,  pillaient  les 
»  vases  sacres  ainsi  ([ue  d'autres  objets  précieux,  «-t  faisaient  ven- 
»  dre  à  renchère  les  vêlements  sacerdotaux  ;  car  c'est  par  ce 
»  vandalismeci  ces  sacrilèges  que  se  signala  la  révolution  religieuse 
»  du  seizième  siècle.  (De  Haller,  p.  63.)  Les  protestants  s'élaienl 
•>  alliés  avec  le  landgrave  d(;  Hesse  pour  le  ujaintien  de  ce  qu'ils 
»  appelaient  leur  réforme.  (De  Hidler,  p.  66.)  Les  Zuricois  el  leS 
•  B(!rnois  lenlèri-ni  d'introduire  de  vive  force  leur  réforme  dans 
»  les  bailliages  communs  ou  ils  n'etaienl  pas  les  seuls  maîtres  , 
»  et  même  dans  les  cantons  catholiques  où  ils  n'avaient  rien  \ 


i.A  liglkd'oh  ol  la  liglk  HoKuo.^iiit:.  165 

»  iliie.  De  llallcr,  p.  66).  Zwingli  vouluil  la  guerre  qu'il  envi- 
«  siigeail  (•(•niinc  un  moyen  d'écraser  ses  adversaires  et  de  faire 
j>  IrioMiplu'i-  la  réforme  dans  loute  la  Suisse.  »  (Daguel.  |).  24.) 

«Le  3  juin  1529,  les  Zuricois  déclarèrent  ouvertement  la 
»  guerre  aux  cinq  cantons;  mais  ils  pâlirent  et  reculèrent  en 
»  voyant  que  les  catholiques  s'étaient  aussitôt  réunis  en  masse  et 
»  se  trouvaient  prêts  à  se  d(''fcndr(;.  »  (De  Haller,  p.  68.)  Les 
cantons  neutres,  presque  tous  protestants,  et  des  députés  de 
|)lusieurs  villes  d'Allemagne,  se  portèrent  pour  médiateurs  pour 
empêcher  que  la  (pierelle  ne  fût  vidc'e  par  les  ai-mes.  Et  effecti- 
vement ils  firent  accepter  une  paix  (le  16  juin)  qui  ne  fut  que  si- 
mulée et  qui  ne  contenta  aucun  des  deux  partis.  «  Toujours  do- 
»  miné  par  le  dessein  d'anéantir  le  catholicisme  ei  de  faire 
»  triompher  la  réforme  dans  toute  la  Suisse,  Zwingli  ne  se  las- 
»  sait  pas  de  prêcher  la  croisade  protestante  contre  les  catholi- 
»  ques  des  cinq  cantons.  Transformant  la  chaire  en  une  tribune 
»  politique,  il  répétait  sans  cesse  à  ses  concitoyens  :  Il  n'y  a  pas 
»  de  salut  possible  pour  la  patrie^  que  lorsque  la  réforme  aura 
y>  fait  le  tour  de  la  Suisse.  »  (Daguet,  p.  28.) 

Poursuivant  sans  relâche  ses  tentatives  de  propagande  protes- 
tante ,  il  eutrepiit  de  faire  réviser  le  pacte  fédéral ,  afin  de  dé- 
truire le  principe  d'égalité  entre  les  cantons,  d'anéantir  les  can- 
tons primitifs  et  de  doimer  la  suprématie  à  Zurich  et  à  Berne. 
Si  les  petits  cantons  ne  veulent  pas  consentir  à  cette  révision  du 
pacte  dans  le  sens  que  je  l'entends,  disait-il,  il  faut  tirer  Vépée  et 
les  y  contraindre  par  la  force.  Un  mémoire  dans  ce  sens  fut  pré- 
senté au  gouvernement  de  Berne.  (Daguet,  p.  30.) 

Dans  ce  fameux  mémoire ,  il  menace  les  cantons  protestants 
de  la  colère  divine ,  s'ils  refusent  d'exterminer  les  catholiques 
qu'il  désigne  sous  le  nom  de  Philistins.  «  Après  s'être  débarrassé 
»  du  parti  des  nobles  qui  pouvait  entraver  son  plan  de  décatho- 
»  lisation ,  Zwingli  commença  à  l'exécuter  dans  le  Rheinihal  et 
»  laThurgovie,  où  les  prêtres  furent  chassés;  à  Saint-Gall,  où  Zu- 
»  rich  travailla  à  établir  la  domination  exclusive  de  son  canton  , 
»  au  détriment  de  celle  du  prince-abbé  et  des  cantons  catholi- 
»  ques  de  Schwilz  et  de  Lucerne,  co-protecteurs  de  l'Abbaye.  » 
Les  députés  de  ces  cantons  réclamèrent  dans  plusieurs  diètes 


)()6  I.A  I.IGIK  uViR  01'  LA  LIGl'E  BdRROMKK. 

contre  la  violation  «lu  trait«''  conclu  à  Cappcl  16  ou  16  juin 
1529  ,  «jui  gaïamissail  la  liluTl»'  de  conscience  dans  les  l»ailli;i- 
gcs  communs;  mais  les  partisans  de  Zwingli  ne  tinrent  aucun 
compte  de  leuis  justes  represeniaiions  (p,  3'2). 

«  Dans  les  seijjneuiics  communes,  les  cantons  protestants,  ei 

>  Zurich  surtout,  violèrent  ouvcTtemeni  le  traité  de  paix  de  1529. 
»  Partout  ils  soutenaient  la  minorité  rebelle,  et  prétendaient  (aire 
»  embrasser  et  faiic  prévaloir  leur  nouvelle  réforme.  S:ms  aucun 
»  nouveau  motif,  ils  interdirent  à  leurs  voisins,  les  cin(|  cantons 
»  catlioliques,  le  commerce  du  blé  et  du  sel,  afin  de  les  affamer- 
»  et  de  les  soumettre  ensuite  pour  les  punir  de  leur  fidélité'  à 
»  l'ancienne  religion.  »  (De  Haller,  p.  7i.^ 

Zwingli  prononça,  le  21  septembre  lo31,  un  discours  pour 
exciter  les  Zuricois  à  la  guerre;  il  s'exprimait  en  ces  termes  : 
«  Levez-vous,  attaquez;  les  cinq  cantons  sont  en  votre  pouvoii-. 
»  Je  maicherai  à  la  t«'lc  de  vos  rangs  et  le  premier  à  rennemi. 
»  Là,  vous  sentirez  la  force  de  Dieu,  car  lorsque  je  les  barangue- 
»  lai  avec  la  vérité  de  la  parole  de  Dieu  et  leur  dirai  :  qui  cber- 
»  cliez-vous,  inq)ies.*  alors,  saisis  de  terreur  et  de  crainte,  ils  ne 

>  pourront  répondre,  mais  ils  tomberont  en  arrière,  et  prendront 
»  la  fuite  comme  les  juifs,  à  la  montagne  des  Oliviers  ,  devant  la 

>  parole  du  Christ.  \  ous  verrez  (pie  Paitillerie  qu'ils  auront  bra- 
»  quée  contre  vous  se  tournera  contre  eux  et  les  foudroyera  eux- 
n  niémes.  Leurs  pi(|ues,  leurs  hallebardes  et  autres  armes  ne 
«vous  blesseront  point,  mais  les  blesseront  eux-mêmes.  «>  (De 
Haller,  p.  78.) 

Les  cantons  catholiques  ,  irrites  au  plus  liant  <legré  en  voyant 
la  manière  indigne  dont  les  Zuricois  et  en  général  t(Uis  les  parti- 
sans de  Zwingli  violaient  le  Irait»*  de  Cappel  ,  toutes  les  séduc- 
tions, tous  les  moyens  inicpics  auxquels  ils  avaient  recours  pour 
répandre  leurs  erreurs  dans  toute  la  Suisse ,  menacèrent  de  re- 
courir aux  armes  pour  obtenir  justice  ;  Zurich  et  Berne  rr- 
pondirent  aux  menaces  pai-  des  préparatifs  de  guerre.  Hisl.  dr 
la  Suisse,  |).  144. 

\lors  les  <-in(|  cantons  eaiholitpies  .  Lucerne  ,  Uri ,  Scinvitz  .  j 
llndenvald  e!  Zug  adressèrent  aux  Ktals  de  Zurich  et  «le  Berne  i 
le  manifeste  suivant  :  /'ous propaycz  chaque  jour  votre  noureau    j 


LA  LIGUE  d'or  OU  LA  LIGUK  BORItOMÉi:.  167 

culte  par  la  ruse  et  par  la  violence  :  devons-nous  souffrir  que  la 
sainte  foi  de  7ios  pères  disparaisse  entièrement  du  sol  qu'ils  nous 
ont  transmis  en  héritage?  fous  aliénez  nos  sujets,  vous  encoura- 
gez les  rebelles,  vous  avez  souffert  que  les  révoltés  du  Rheinthal 
outrageassent  le  bailli  d'f  nderwald,  vous  avez  dépouillé  Vabbé  de 
Saint-Gall  de  ses  droits  et  de  ses  biens.  Nous  avons  invoqué  le 
droit  fédéral,  et  vous  avez  été  sourds  à  nos  réclamations.  Que 
Vépée  décide  entre  vous  et  nous,  puisque  vous  l'avez  voulu.  Dieu 
sera  notre  arbitre,  (flist.  de  la  Suisse,  p.  144,  145.) 

Celte  déclaraiion  fut  bientôt  suivie  des  lioslililés.  Le  11  octo- 
bre les  Zuricois  et  les  catholiques  se  livrèrent  bataille  à  Cappel, 
dans  le  canton  de  Zurich,  sur  le  revers  occidental  du  mont  Al- 
bis.  Les  Zuricois  furent  entièrement  défaits  et  prirent  la  fuite 
dans  le  plus  grand  désordre.  Us  perdirent,  dans  cette  journée 
si  funeste  pour  le  parti  hérétique,  dix-neuf  canons,  quatre  dra- 
peaux ,  toutes  leurs  munitions  ,  et  au  moins  quinze  cents  hom- 
mes, parmi  lesquels  on  comptait  vingt-sept  magistrats  et  quinze 
prédicants.  Zvvingli  lui-même  fut  trouvé  parmi  les  morts,  cou- 
vert de  blessures ,  mais  respirant  encore.  Un  officier  catholique 
d'Underwald  lui  demanda  s'il  voulait  se  convertir  et  se  confesser, 
et  comme  il  répondait  par  un  signe  négatif,  ce  môme  officier  lui 
porta  un  coup  mortel  en  lui  disant  :  Meurs,  hérétique  endurci,  et 
reçois  le  commencement  du  châtiment  que  tu  mérites  pour  avoir 
abandonné  ta  religion  et  armé  tes  frères  les  uns  contre  les  autres. 
(Hist.  de  la  Suisse,  p.  145,  de  Haller,  p.  79.) 

«  Le  corps  de  Zvvingli ,  écarlelé  d'abord  par  le  bourreau  de 
»  Lucerne  ,  fut  livré  aux  flammes  et  ses  cendres  mêlées  à  celles 
»  d'un  animal  immonde  qu'on  immola  sur  le  champ  de  bataille.  » 
(Daguel,  p.  34.) 

Le  24  octobre  1531,  les  Zuricois ,  revenus  de  leur  première 
frayeur  et  renforcés  par  leurs  alliés  de  Saint-Gall ,  du  Toggen- 
bourg,  de  la  Thurgovie,  des  Grisons,  de  Berne,  de  Bàle,  de  So- 
leure  et  de  Neuchâtel ,  cherchèrent  de  nouveau  les  catholiques 
pour  leur  livrer  bataille.  Lausanne  leur  avait  envoyé  80  hommes 
et  Genève  200.  L'armée  des  partisans  de  Z>vingli  se  trouva  ainsi 
portée  à  près  de  vingt  mille  hommes  ,  forces  bien  supérieures  à 
celles  des  cantons  orthodoxes.  Elle  marcha  sur  le  canton  de  Zug, 


I(i8  I    V    I  li.l  I     l>  Dit   Ol     I.A   MOI  K  lIllHRltMKK. 

Il,  chemin  faisant,  les  Bernois  pillera  tu  le  nionnstëre  de  Mûri  ; 
ils  n'auraii'iit  pas  su  passer  devant  une  église  ou  dc>ani  un  rou- 
venl,  sans  les  dévasier.    Les  liirétiques  /uingliens  s'avancèrcni 
jusqu'au  pied  du  Zug^'erljerj^ .  ou  nionl  de  Zug;  c'i-iail  sur  celle 
hauteur  que  les  ailendait   l'armée  catholique  peu  nombreuse, 
mais  pleine  de  coiiraf^'e  et  conduite  par  des  cficfs  Iiahiles  dans 
lescpiois  elle  avait  la  plus  ^^laiide  conliance  (halaille  du  Goiihel). 
Jean  Hug,  de  Lucerne,  à  la  t^^te  de  six  ou  sepl  cents  hommes 
d't'-lite  ,  lomha  à  rimprovisie  ,  à  tleiix  heuies  {\n  malin  ,  au  clair 
de  la  lune,  sur  un  corps  de  cinq  mille  hommes,  ipii  s'éiaienl  le 
plus  avancés,  el  les  défii  entièrement.  Deux  mille  hommes  lom- 
hèrenl  sur  le  champ  de  bataille  ou  dans  des  précipitées.  Les  Zu- 
ricois  perdirent ,  dans  cette  déroule,  un  f^rand  nombre  de  leurs 
bourgeois,  et  onze  canons.   iJoianus  ,  ministre  biilois  el  disciple 
d'OEcolampade,  fut  du  nombre  des  lues.  Celle  nouvelle  victoire 
fut  un  nouveau  sujet  de  trioni|»lie  pour  les  r atlioliqiics  ;  mais  elle 
ne  les  etiorgueillii  point;   ils  commencèrent  à   rendre  grùces  à 
Dieu,  selon  la  pieuse  coutume  de  leurs  ancêtres;  ils  témoignè- 
rent aussi  leur  reconnaissance  à  la  Sainte  Vierge  ,  qui ,  disaient- 
ils,  connaissant  le  dessein  des  ennemis  de  piller  Kinsiedicn  ,  les 
avait  frappésd'aveuglement.  Ils  élevèrent  sur  le  champ  de  bataille 
une  cha|>elle  en  l'honneur  de  saint  Séverin,  dont  ce  jour  portait 
le  nom  ,  el  ils  ordonnèrent  (ju'il  y  d'il,  dès  lors,  à  perpétuité, 
un  service  annuel  pour  les  âmes  des  leurs  morts  en  combattant 
pour  la  liberté  el  la  foi ,  el  que  l'on  fit  aussi,  chaque  année,  une 
procession  pour  rendre  grâce  à  Dieu  de  la  victoire  remportée  sur 
les  heréiiiiucs.   I/ist.  delà  Suisse,  p.  HG,  Mallei.  t.  ML  p.  KJÎ), 
Daguet,  p.  34,  de  Haller,  p.  81.) 

Les  Zuricois  qui  avaient  refusé,  à  plusieurs  reprises,  de  sous- 
crire à  des  conditions  de  paix  pleines  de  douceur  et  d'i'-quité, 
lurent  oblig»'-  de  baisser  leurs  bannières  devant  les  vain(]ueurs 
de  rappel  el  du  Goubel.  Ils  signèrent  la  paix  telle  qu'il  plut  à  la 
générosité  v.l  à  la  modération  des  cantons  cailioli»pies  de  la  leur 
donner.  Voici  les  principales  dispositions  de  ce  traite  de  paix  , 
signé'  à  Dennikon,  près  de  Baar,  dans  le  canton  de  Zug,  le  6  no- 
vembre l/>31 . 

Il  porl;til  en  siibsl:m(  »•  <.  i|ii<-  les  Ziiiiciiis  devaient  el  voiilaielil 


I.A  LK.l  K  l)'nu  Ul    LA  I.Kil  1.  ItURROMKK.  1()l> 

«laisser  les  cinq  canlons  iivec  leurs  alliés  et  leurs  adhérents, 
»  dès  à  présent  et  à  l'avenir,  dans  leur  ancienne,  vraie  et  induhi- 
»  table  fui  chrétienne ,  sans  les  inquiéter  ni  imporlnnci-  par  des 
»  chicanes  ou  des  disputes,  renonçant  à  tout  mauvais  sul)it.'rfuge, 
»à  louic  arrière-pensée,  à  louic  ruse  et  fraude;  (jue  de  leur 
«>  c(")lé  ,  les  cinq  cantons  Nonlaicnt  aussi  laisser  les  Zuricois  et 
»  leurs  adh('rents  libres  dans  leur  croyance  ;  «jue  dans  les  sei- 
»  gneuries  communes,  dont  les  cinq  canlons  étaient  co-souverains, 
»  les  paroisses  qui  avaient  embrassé  la  nouvelle  /oj' pourraient  la 
»  conserver,  si  cela  leur  convenait,  que  celles  qui  n'avaient  pas 
»  encore  renié  Vancienne  foi  seraient  pareillement  libres  de  la 
»  conserver,  et  qu'enlin  celles  qui  voudraient  reprendre  la  vérï- 
»  table  et  ancienne  foi  chrétienne^  auraient  le  droit  de  le  faire... 
»  De  plus  les  Zuricois  s'engageaient  à  rétablir  les  ornements  que 
»  leurs  troupes  avaient  gâtés  ou  enlevés  dans  les  églises,  et  à  les 
»  réparer  décemment.  Les  Bernois  et  leurs  adbérenls  étaient 
»  expressément  exclus  de  ce  traité,  etc.,  etc.»  (De  Haller,  le  ba- 
ron d'Alt,  Hist.  des  Helvétiens.) 

Toutes  ces  conditions  étaient  d'une  grande  modération,  si  l'on 
considère  les  vexations  et  les  perfidies  dont  les  zwingliens  de 
Zurich  et  des  autres  cantons  s'étaient  rendus  coupables  à  l'égard 
de  leurs  confédérés  catholiques.  «  Cependant,  s'écrie  le  protes- 
»  tant  Mallet,  combien  n'en  dut-il  pas  coûter  aux  Zuricois  de 
»  signer  ainsi,  en  quelque  sorte,  leur  condamnation?  Après  tout 
»  ce  qu'ils  avaient  fait  pour  anéantir  la  religion  catholique  en 
»  Suisse,  ils  étaient  forcés  de  la  qualifier  d'ancienne,  vraie  et  in- 
»  dubitable  foi  chrétienne.  La  leur  était  nommée  simplement  la 
»  religion  de  Zurich.  Ce  fut  ainsi  que  le  parti  protestant  fut  puni 
»  de  son  zèle  outré  et  de  son  intolérance  !  La  leçon  était  sévère, 
«mais  à  un  certain  point  méritée  et  peut-être  nécessaire.  » 
(Mallet,  t.  III,  p.  174.) 

Quelques  jours  après,  les  Bernois  déconcertés  se  soumirent 
aux  mêmes  conditions  de  paix  que  Zurich  avaient  acceptées  et 
dans  les  mêmes  termes.  «  Ils  reconnurent  donc  aussi ,  par  im 
»  traité  formel,  que  la  religion  catholique  est  l'ancienne,  >raie  et 
»  indubitable  foi  chrétienne ,  et  que  celle  qu'ils  venaient  d'intro- 
»  duire  était  une  religion  toute  nouvelle  et  par  conséquent  fausse. 


170  I.V  I.IOIK  I»'<»R  01    I.A  I.KjI  K  UOKRUMKK. 

.  De  plus,  il  s'i'iigagèrenl  à  payer  trois  mille  éous  pour  images 
n  bris«''es  cl  ornements  diirnits  (i;iiis  Tabbayc  de  Mûri  cl  dans 
»  tl'Miitres  ('glises,  et  deux  mille  six  cents  cens  d'or  ponr  frais 
»  de  la  guerre,  à  libérer  le  canton  d'L'nderwald  des  charges 
»  qu'on  lui  avait  imposées,  cl  à  laisser  rentrer  dans  leur  patrie 
»  les  habitants  du  Grindeiwald,  bannis  pour  avoir  défendu  leur 
».  ancienne  religion.  »    De  Haller,  p.  77,  78. j 

Après  la  paix  de  Denniknn  ,  les  cantons  apostats  ne  montrè- 
rent ni  plus  de  lidelitc  aux  traités,  ni  une  plus  grande  tolérance 
tpraiiparavaiii.  lue  fois  (pie  fut  évanouie  la  peur  «pie  les  Bernois 
et  les  /uiicdjs  avaient  éprouvée  à  la  suile  de  la  delailc  de  Caf)- 
pel  cl  de  celle  du  Goubel ,  ils  recommencèrent,  au  mé>pris  des 
trailés,  à  travailler  clic/  eux  et  dans  les  bailliages  communs  à 
l'œuvre  de  la  d«''fatholisaiion  de  la  Suisse.  Dès  qu'ils  avaient 
proclamé  qu'il  <'(ail  permis  à  chacun  de  prendre  dans  la  Bible 
ce  ipii  lui  loinieni  cl  de  rejeter  ce  qui  ne  lui  convient  pas,  il 
«'•tait  toiil  naUirel  (pi'ils  suivissent  ce  principe  en  pn|iii«pic  et 
qu'ils  inieipréiasseni  les  traités  d'une  manière  favorable  à  leurs 
intérêts  ei  à  leurs  opinions  religieuses.  Le  gouvernement  de  Zu- 
rich prononça  la  peine  du  bannissement  contre  (juiconque  com- 
inunierail,  nn-me  hors  du  canton,  selon  le  rite  de  l'Église  catho- 
lique. (Dag.,  p.  3X.)  La  justice  bernoise  avait  ado|)lé  le  principe 
siiivaiii  :  Si  la  majorité  d'une  paroisse  se  déclarait  pour  le  pro- 
che, la  minorilé  devait  se  soumettre ,  et  la  religion  cath(dit/ue  était 
abolie;  sij,  au  contraire  ,  la  majorité  l'emportait  pour  la  ntesse, 
la  minorité  protestante  demeurait  libre  de  professer  publiquement 
ce  qu'elle  appelait  la  par<de  de  Dieu  (de  llallei).  Les  calholi(]iies 
de  robeiland  n'obtinrent  de  rentrer  dans  leur  patrie  cpi'à  la 
condition  expresse  d'apostasier.  (Daguet,  p.  38.) 

Les  cantons  restés  fidèles  à  la  vraie  religion,  témoins  des  ef- 
forts continuels  (]ue  faisaient  les  cantons  dt'voyés  pour  étendre 
leurs  erreurs  sur  tout  le  sol  hehéiiqne,  témoins  de  leurs  inlide- 
liies  aux  irailes  ei  de  leurs  supercheries  ,  témoins  des  horreurs  . 
des  actes  (riiiipiete,  des  sacrilég(»s  à  peine  cr(»yables  commis 
par  les  Bernois  dans  le  canton  de  \  aud,  dans  le  Chablais,  à  Ge- 
nève et  dans  le  pays  de  Gex  ,  se  crurent  obligés  de  faire  une 


LA   I.K.l  i;  non  01    I.V  I.K.I  K  HOimOMKK.  171 

alliance  (la  liguft  d'Or)  entre  eux  pour  conserver  leur  foi  el  leur 
lilierié. 

Voici  le  Icxlc  clo  ce  pacte  qui  honorera  à  jamais  les  sept  can- 
tons catli(>Ii(itu's  qui  \r.  sij,'nèrcnl  : 

«  Nous,  th'légués  des  villes  cl  des  campagnes  des  sept  cantons 
»  catholiques  de  la  ConftMh'iation  suisse,  «!t  revrlus  des  pouvoirs 
»>  nécessaires ,  savoir  :  pour  le  canton  de  Lucerne,  Louis  IMifer, 
»  chevalier,  porte-étendard  et  prùteur  actuel ,  Henri  Flekeins- 
»  tein  ,  pr«Heur  de  l'année  précédente ,  S<''baslien  Feer,  porte- 
»  étendard,  Nicolas  Kiis  et  Joseph  Holderneger,  tous  deux  séna- 
»  teurs  ;  pour  le  canton  «l'Uri ,  Jean-Jacques  Frogcr,  chevalier, 
»  lieutenant  actuel ,  et  Melchior  Spiz,  S(''nateur;  pour  le  canton 
»  lie  Scinvitz,  Christophe  Sriiorno,  chevalier  et  porte-étendard, 
»  et  Gaspard  Abyberg,  l'un  landammnnn  de  cette  année,  l'autre 
»  de  l'année  passée  ;  pour  le  canton  d'Underwald  inférieur,  Jean 
»  Waser,  chevalier,  porte-étendard  et  landammann  ;  pour  le 
»  canton  d'Underwald  supérieur,  Jean  Rosacher,  landammann; 
»  pour  le  canton  de  Zug,  au  nom  de  la  ville  et  de  la  campagne, 
•  Henri  Ellener,  sénateur;  pour  le  canton  de  Fribourg,  Bonne- 
»  grâce  Wild  ,  et  Martin  Goilrau  ,  tous  les  deux  trésoriers  et  sé- 
»  nateurs. 

»  Dans  cette  circonstance,  nous,  en  vertu  de  l'autorisation  du 
»  gouvernement  de  notre  canton,  réunis  dans  la  ville  de  Lucerne 
>poiir  prendre  les  résolutions  suivantes,  faisons  connaître  à  tous, 
»  par  ces  lettres ,  que  les  chefs  et  les  magistrats  suprêmes  de 
»  nos  cantons,  comme  nous-mêmes  aussi,  nous  en  sommes  aujour- 
»  d'hui  les  témoins,  ont  été  réduits  à  voir,  depuis  longtemps, 
»  avec  une  grande  douleur  et  une  profonde  affliction ,  que  plu- 
»  sieurs  nations  et  peuples  du  monde  chrétien,  se  rendaient  cou- 
»  pables  d'une  trahison  indigne  à  l'égard  de  la  religion  chré- 
»  tienne,  véritable,  ancienne,  catholique,  apostolique  et  romaine, 
»  hors  de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut  :  trahison,  nous  ne  pou- 
>■  vous  le  dire  qu'avec  horreur,  qui  a  pénétré  jusqu'à  nos  portes, 
«et  même  jusqu'au  seuil  de  nos  maisons;  car  c'est  à  ce  point 
»  qu'en  s'éloignant  de  la  voie  et  des  traces  de  nos  pieux  ancêtres 
»  on  est  devenu  étranger  à  la  susdite  vraie  foi  catholique. 

«Une  douce  espérance  nous  animait,  que  le  Dieu  de  bonté  et 


172  I.A  I.llilF.  D'uR  or  LA  LIGie  BORROMF.E. 

B  de  miséricorde  nurnii  mis  un  terme  à  ces  maux,  e(  qu'il  aurait 
•>  Fait  briller  enfin  le  soleil  de  lu  grAcc  et  la  lumière  de  la  vérité 
»  sur  les  transfuges  de  la  foi.  Mais  la  j^randeur  de  nos  |M''clirs  v 
»a  mis  sans  doute  un  ol>siacl«';  car,  an  lontrairc,  i»n  voit  ces 
»  hommes  devenir  évidemment  plus  obstinés  cl  plus  opiniâtres, 
«comme  il  nous  est  bien  permis  île  le  conclure  des  actes,  des 
u  alliances  et  des  ligues,  qui,  de  leur  part,  se  succèdent  sans 
»>  cesse,  et  comme  nous  le  prouve  suffisamment  une  expérience 
')  journalière.  Il  est  donc  clair  que  le  prince  des  ténèbres  est 
»  l'âme  de  ces  alliances  et  de  ces  actes,  parce  que  tous  ces  en- 
"  nemis  de  la  foi,  quoique  loul-à-fail  iropinions  contraires,  sur 
«d'autres  points,  s'accordent  sui  un  seul  point,  c'est-à-dire  à 
vouloir  l'abolition  de  notre  véritable  religion  catholi(jue ,  et 
»  réunissent  tous  leurs  ellors  pour  la  déraciner  entièrement. 

»  Mais,  comme  le  Tout-Puissant,  par  sa  miséricorde,  a  daigné 
»  nous  conserver  dans  la  lumière  de  la  véritable  religion,  d'une 
«manière  adniirabh'  et  pleine  de  bonté ,  afin  (pie  nous  demeu- 
»  rassions  lidèlos  aux  exemples  de  nos  ancêli'es,  rette  considéra- 
»  tion  nous  porte  à  désirer  que  non-seulement  nous-mêmes,  mais 

•  avec  nous  nos  contemporains,  et  encore  nos  arrière-neveux  , 
»  aient  le  cœur  i)én(''tré  de  ce  bienfait  inellable  de  la  IVovidence  ; 
D  qu'avec  nous  ils  en  rendent  à  la  divine  Majesté  de  justes,  de 
»  très-soumises  et  de  très-humides  actions  de  grAces,  et  qu'ils 
»  prient  ardemment  le  Tout-Puissant,  aiin  qu'il  veuille  nous  con- 

•  server  toujours  à  l'avfnir  dans  celte  saint»'  religion  ,  avec  la 
»  même  miséricorde.  Kl  puiscjuc,  comme  nous  avons  dit  tout  à 
»  l'heure  ,  les  écrits  des  novateurs  s'aggravent  et  se  mulliplienl 
»  (le  jour  en  jour,  nos  magislials  suprêmes,  ayant  considère  sr- 
»  rieusement  la  chose  comme  il  fallait,  et  eu  égard  à  ces  temps 
o  dangereux  et  extraordinaires,  tout  mûrement  pesé,  ont  arrête, 
»  pour  eux  et  leurs  descendants,  dans  l'ordre  et  de  la  manière 
»  (|ui  suit,  et  ont  de  plus  d(Uiné  mandat  à  nous,  leurs  délègues 
•>  et  procureurs,  d'exécuter  la  chose  en  leur  nom,  savoir  : 

»  1°  Nous,  les  sept  cantons  eatlioiiques  susdits,  nous  nous  re- 
»  cevons  et  nous  reconnaissons  muiuellemenl  pour  de  iideles. 
»  de  chers  et  anciens  alliés,  sous  la  loi  du  |>a(ie  juré,  |H)ur  des 
»  concitoyens  et  des  couq)atriotes  attaches  à  la   confession   de 


I.A  LIGLK  DOU  UL  LA  LIGLK  UOHUOMKK.  173 

»  rancicnne  roligion  railiuliquo  roiiininc,  ol  nous  renonçons  tout 
»  à  liiil ,  Cl  à  jamais  pour  nctus  cl  pour  nos  descendanls,  à  loulc 
»  loiiression  «m  ronée  cl  suivie  par  les  seclaires.  Nous  nous  recon- 
»  naissons,  cMi  oulie,  i'C(i[)iû([iienunl  pour  des  fr«Mes  sincères  elvé- 
»  riiablc's,  tels  (pi'il  faudra  nous  reconnaître,  nommer  et  consi- 
»  déror  ù  l'avenir,  non-seulement  en  paroles,  mais  en  fait,  dans 
)'  toutes  les  leltros  et  pièces,  tant  publiques  que  privées,  abso- 
»  lumeiit  comme  si  nous  étiitns  des  frères  naturels,  de  sorte  que 
»  chacun  d'entre  nous  se  n'jouisse  du  bien  qui  arrivera  à  qui 
«que  ce  soit  de  nous,  comme  si  ce  bien  lui  arrivait  à  lui-même, 
«et  que  chacun  de  nous  s'allligo  de  mal  cpii  arrivera  à  chacun 
»  de  nous,  comme  si  ce  mal  lui  arrivait  à  lui-même. 

»  Quoique  nous  soyons  parfaitement  instruits  de  ce  que  nous 
»  devons  faire  dans  les  cas  do  m'-cessité  et  de  danger,  en  vertu 
»  des  alliances  et  des  conventions  précédentes,  lesquelles  con- 
»  ventions  et  alliances  ne  sont  point  abrogées  par  la  présente , 
«mais  restent  dans  toute  leur  vigueur  ;  néanmoins,  pour  une 
»  cause  de  la  plus  grande  importance,  nous  avons  cru  qu'il  con- 
»  venait  d'ajouter  ce  nouveau  pacte  aux  précédents ,  puisque 
»  notre  pensée  unanime  et  notre  résolution  arrêtées,  d'un  com- 
»  mun  accord  et  pour  toujours,  sont  de  persévérer  entièrement, 
«constamment  et  fermement  dans  la  religion  chrétienne,  an- 
■  cienne,  véritable,  certaine,  catholique,  apostolique  et  romaine, 
»  et  de  vivre  et  mourir  dans  son  sein,  comme  nous  espérons  que 
»  le  Dieu  tout-puissant  nous  en  accordera  la  grâce. 

«Ainsi  donc,  nous  nous  sommes  promis  mutuellement,  et 
»  nous  nous  promettons,  par  la  force  et  par  la  vigueur  des  pré- 
»  sentes,  tant  pour  nous  que  pour  nos  descendants,  à  perpé- 
»  tuité  (car  nous  voulons  que  ce  pacte  les  lie  constamment  et 
»  inviolablement)  ,  que  nous,  les  sept  cantons  catholiques,  nous 
»  nous  défendrons  et  nous  nous  soutiendrons,  et  que  nous  nous 
»  regarderons  comme  étant  obligés  de  nous  défendre  et  de  nous 
»  protéger  principalement  et  avant  tout,  dans  l'exercice  de  notre 
»  susdite  religion  chrétienne,  catholique,  apostolique  et  romaine. 

»  C'est  pourquoi ,  si  l'un  ou  plusieurs  de  ces  sept  cantons 
»  (veuille  la  bonté  du  Seigneur  tout-puissant  ne  le  permettre  ja- 
»  mais),  se  montraient  enclins  à  abandonner  cette  religion,  les 


17  V  l-A  LKil  r.  I)  OH  ul    I.A  LIOl  i:   IIDHRDMKK. 

u  ;iuirt's  cantons  seiai<'nl  obligés  d'employer  la  pei-suusiun  <iu 
»  nH^uH'  la  force  ponr  retenir  et  faire  persévérer  «lans  la  susdit*' 
»  relijj'ion  ce  canton  ou  ces  caillons  |>réls  à  aposlasier.  De  plus, 
.  les  cantons  demeurés  fidèles  seraient  ol>lig«s  d'arrêter  en  quel- 
»  que  lieu  «pie  ce  soit  les  auteurs  de  cet  attentat  de  schisme  ,  el 
»  de  les  punir  selon  qu'ils  le  mériteraient. 

u  De  la  même  nianicic ,  nous,  les  sept  cantons  cjtlioli(pies , 
«promettons,  en  nous  obligeant  volontairement  les  uns  envers 
■  les  autres ,  de  nous  défendre  et  de  nous  soutenir  réciproque- 
»  ment,  dans  l'exercice  de  la  susdite  véiitabU'  religion,  de  tout 
»  noire  pouvoir  et  de  tous  nos  efforts,  aux  dépens  même  de  nos 
»  biens  et  de  nos  vies,  contie  ions  ceux,  sans  aucune  exception, 
»  (pii  nous  menaceraient  d'une  invasion  ;  de  telle  sorte  que  ni  un 
»  pacte  plus  ancien  ,  ni  un  pacte  plus  ré(  eut ,  «jue  l'on  pourrait 
>  faire  à   l'avenir,  ne  puisse  empêclier  d'aucune  manière  cette 
»  mutuelle  défense,  ni  offrir  une  occasion  d'excuse,  commen- 
»  taire,  tergiversation  ou  objection.   Mais  nous  nous  promettons 
y>  réciproquement,  en  termes  clairs  et  pr«''cis,  que  si  l'un  ou  plu- 
»  sieurs  tles  se|)l  cantons  étaient  envahis  d'une  façon  hostih*  et 
»  à  main  armée,  pour  cause  de  religion,  quoique  sous  un  autre 
»  prétexte  inventé,  nous,  les  autres  cantons,  nous  nous  cinpres- 
»  serions  de  voler  à  leur  secours,  de  tout  notre  pouNoir,  par  tous 
»  nos  efforts  et  par  tous  nos  moyens,  et,  comme  nous  avons  dit, 
I)  soit  qu'un  seul ,  soit  que  plusieurs  cantons  fussent  envahis,  et 
»  de  leur  fournir  des  secours  jusqu'à  ce  (pi'ils  fussent  entière- 
»  ment  délivres  de  celte  calamité.   Et,  comme  on  peut  violer  les 
»  droits,  h'ser  les  intérêts,  el  ruiner  les  affaires  des  autres,  non- 
»  seulement  dans  une  guerre  ouverte  el  parla  voie  des  armes, 
»  mais  aussi  en  recourant  à  |)lusieurs  autres  genres  d'injustices 
»  et  d'intrigues,  en  consécpience,  nous  déclarons  hautement,  par 
«les  présentes,  que  si   l'un  de  nos  cantons  alliés  éprouvait  de 
»  ces  agressions  déguisées  de  la  part  de  quel(]ue  autre  <pii  ne  s(.- 
»  rait  pas  de  notre  religion  calholi(pie,  et  (|ue  si  l'un  ou  plusieurs 
»  de  nos  cantons  alliés  se  voyaient  forcés  de  recourir  aux  armes 
I)  pour  se  défend.ie  contre  la  violence  lyrannitpie  el  l'injustice  de 
n  nos  ennemis,  nous,  les  autres  cantons,  sciions  obligés  et  tenus 
»  par  devoir,  de  prt-ter  secours  aux  opprimés,  de  la  manière  ei 


LA  LIGl'E  d'or  ou  LA  LIGLE  BORROMÉi:.  175 

»  (lîins  l;i  forme  (juc  nous  avons  exposée  plus  liaui,  et  comme  s'ils 
»  avaient  élé  attaqués  à  main  armée.  Ce  pacte  chrétien  ,  formé 
»  (Miiro  nous,  pourra  cire  publié  de  nouveau,  et  confirmé  par  un 
«nouveau  serm«,*nl ,  toutes  les  fois  que  le  magistrat  le  jugera 
«utile  ou  nécessaire,  alin  que  noire  postérité  le  connaisse 
»  comme  nous,  et  que  la  mémoire  ne  s'en  efface  point,  en  obser- 
»  vant  cependant  cette  condition  expresse^  qu'il  n'y  soit  rien  ôté 
»  ou  changé,  et  pourvu  (ju'on  n'en  formule  pas  de  nouveaux  ac- 
))tcs,  mais  que  ces  premiers-ci  soient  laissés  avec  toute  leur 
»  vigueur. 

»  Enfin,  voulant  que  tout  ce  qui  est  renfermé  et  écrit  dans  ces 
»  présentes ,  ait  toute  sa  force  de  nos  jours  et  à  perpétuité  ,  et 
«ne  subisse  aucun  changement,  nous  tous,  délégués  ci-dessus 
»  nommés,  revélus  par  nos  chefs  et  par  nos  magistrats  suprêmes 
»des  pouvoirs  convenables,  après  avoir  examiné  nos  consciences 
»  et  confessés  nos  péchés,  avec  une  véritable  douleur,  nous  avons 
»  reçu  la  sainte  communion,  pendant  la  célébration  solennelle  de 
»  la  messe  du  Saint-Esprit,  dans  l'église  paroissiale  de  Lucerne, 
»<ivec  les  cérémonies  et  solennités  chrétiennes  récitées  en  pa- 
»  reille  circonstance. 

»  Ensuite,  le  jour  déjà  mentionné  dans  ces  présentes  lettres , 
»  au  nom  de  la  Très-Sainte  Trinité,  à  sa  gloire  et  à  sa  louange, 
»  ainsi  qu'en  l'honneur  de  Marie,  reine  du  ciel ,  mère  de  Dieu, 
»  et  de  toute  l'armée  céleste;  pour  notre  commune  consolation 
»  et  celle  de  notre  patrie,  pour  la  conservation,  la  propagation  et 
«l'accroissement  de  notre  véritable  religion  catholique,  nous 
«avons  prononcé  un  serment  et  un  vœu  solennels,  en  levant  la 
»  main,  et  avec  la  teneur  des  paroles  accoutumées,  en  la  présence 
»  de  Dieu  et  de  tous  les  saints.  Et  de  plus,  voulant  aussi,  par  la 
«force  des  présentes,  lier  et  obliger  fermement  et  irrévocable- 
«  ment,  pour  l'avenir,  nos  seigneurs  et  magistrats  avec  tous  les 
«  nôtres  et  leur  postérité ,  en  vertu  du  pouvoir  et  du  mandat  re- 
»  çus  d'eux  à  cette  fin,  nous  jurons  et  faisons  vœu,  en  leur  nom 
«et  place,  et  promettons  nous-mêmes  ,  conjointement  avec  eux  , 
»  d'observer  avec  une  fidélité  inviolable  et  à  perpétuité  ,  tout  et 
«chaque  article  de  ce  qui  est  contenu  dans  ces  lettres,  et  de 
«l'exécuter  ponctuellement,  sans  aucun  commentaire,  aucune 


176  l'A  LKilK  I)\>K  Ut  l.A  LIGI  i:  IIUIIHOMÉE. 

•  fraude,  aucune  hésitation,  selon  toute  la  force  et  la  valeur  dos 

•  présentes ,  desquelles  sept  copies  ont  «';té  laites  mot  à  root,  et 
p  munies  du  sceau  propre  et  ordinaire  de  chacun  des  sept  can- 
»  tons,  et  tous  les  sept  cantons  en  ont  reçu  un  exemplaire. 

»  Fait  et  exregislré  le  dimanche,  après  la  féie  de  saint  Fran- 
■  çois  d'Assise,  confesseur,  l'an  1586.  Ainsi  soil-il.  » 

Il  serait  dilTicilo  de  trouver  dans  I  histoire  des  nations  un  plus 
noble  témoignage  d'aiiaclicmeut  à  la  loi,  d'amour  à  la  patrie,  de 
courage  et  de  fermeté  ])our  la  défense  de  l'une  et  de  l'autre. 
Aussi,  par  leur  foi  vive,  par  leur  courage  héroïque,  les  cantons 
signataires  de  la  Ligue  d'Or  triom[)hèreni-ils  de  tous  les  efforts 
et  de  toutes  les  ruses  de  l'hérésie  pour  pénétrer  vhci  eux;  el  les 
annales  de  la  Suisse  conservent  le  récit  des  faits  d'armes  si  glo- 
rieux par  lesquels  ils  défendirent  el  leur  indépendance  el  la  re- 
ligion qu'ils  avaient  reçue  de  leurs  pieux  ancêtres.  Cappel,  \\'i\- 
mergen,  Gugel,  rediront  à  tous  les  âges  ce  que  peuvent  des 
hommes  de  foi  el  de  cœur,  quelque  petit  que  suit  leur  nombre. 
Il  est  donc  constaté  par  les  faits  historiques  les  plus  multipliés  et 
les  plus  authentiques,  que  les  Bernois  el  les  Zuricois  cherchaient 
toutes  les  occasions  el  tous  les  moyens  de  répandre,  soit  ouverte- 
ment ,  soit  secrètement ,  leurs  nouvelles  erreurs  au  milieu  des 
cantons  orthodoxes,  de  conspirer  contre  l'indépendance  de  ces 
mêmes  cantons,  et  de  les  vexer  en  toutes  manières,  pour  les  faire 
aposlasier.  Déloyautés,  trahisons,  infidélités  :hix  traités,  ruses, 
perfidies,  violences,  tout  était  mis  en  jeu  avec  une  entente  et  une 
pers<''vérance  diaboliques  pour  réaliser  le  vœu  de  Zwingli  :  Il  ny 
a  de  salut  possible  pour  la  patrie  que  lorsque  la  réforme  aura  fait 
le  tour  de  la  Suisse. 

L'Église  catholique  avait  béni  les  drapeaux  des  \aleureux  en- 
fants de  l'Helvélie  au  jour  des  combats  ,  el  appelé  sur  leurs  ar- 
mes la  protection  du  Dieu  des  aimées.  L'Kglise,  du  Rhin  an  Lé- 
man, avait  couvert  le  sol  helvétique  de  monuments  religieux  , 
d'institution  de  bienfaisance,  témoignages  de  reconnaissance 
pour  des  faveurs  de  tout  genre  obtenues  d'en  haut.  C'est  à  l'É- 
glise que  les  Suisses,  comme  les  autres  peuples  chrétiens,  de- 
vaient leurs  lois,  leurs  mours,  leur  éducation,  leur  civilisation  ; 
ei  cependant  l'Église  n'avait  pas  d'ennemis  plus  archarnés  que 


LA  IJGLK  d'où  01   LIGUE  BORROMÉK.  177 

les  liaMlanls  des  cantons  devenus  liércliques.  L'unilé  catholique 
ne  laisail  de  toute  la  la  Confédération  des  descendants  de  Tell 
«ju'une  seule  l'aniille  lieurcuse ,  forte,  puissante  et  (jui  jouissait 
de  la  plus  grande  estime  chez  les  nations  étrangères.  Mais,  lors- 
que les  cantons  apostats  curent  rompu  le  lien  de  l'unité  reli- 
gieuse,  on  les  vit  tourner,  avec  une  fureur  incroyable,  contre 
leurs  confédérés  restés  lidèles  à  l'ancienne  et  vraie  religion,  ces 
mêmes  armes  <iui  jusqu'alors  n'avaient  été  rougies  que  du  sang 
des  ennemis  de  la  commune  pairie.  Peut-on  lire  sans  frémir 
d'horreur  les  moyens  que  prirent  les  Bernois  pour  anéantir  la 
vraie  foi  et  implanter  l'hérésie  dans  l'Oberland,  à  Château- 
d'OEx,  dans  le  canton  de  Vaud ,  à  Genève  ,  dans  le  pays  de  Gex 
et  le  Chahiais!  Que  d'actes  de  froide  impiété  et  de  basse  ven- 
geance! Injustices  criantes,  cruautés  étudiées,  attentats  aux 
mœurs,  incendies,  meurtres,  pillages,  sacrilèges  horribles  ;  voilà 
les  hauts  faits  par  lesquels  les  novateurs  se  signalèrent  dans  les 
malheureuses  contrées  qu'ils  envahirent.  Que  de  pertes  irrépa- 
rables pour  les  arts  et  pour  les  sciences ,  dans  cette  guerre  sau- 
vage faite  au  sein  de  notre  infortunée  patrie,  aux  châteaux ,  aux 
couvents,  aux  bibliothèques,  aux  chartes  des  seigneuries ,  aux 
églises,  aux  croix,  aux  vases  sacrés,  aux  tableaux  religieux,  aux 
ornements  d'autels,  à  tous  les  objets  destinés  à  servir  au  culte 
divin  !  Notre  pays,  après  l'occupation  bernoise,  ressemblait  à  ces 
contrées  ravagées  jadis  par  les  vautours  du  Nord  ;  il  n'aurait  pas 
présenté  un  plus  triste  aspect  quand  il  aurait  été  envahi  par  une 
bande  de  Vandales.  Les  cantons  restés  fidèles  à  l'antique  et  vraie 
religion,  comme  ils  rappelaient,  témoins  des  crimes  et  des  per- 
fidies des  hérétiques,  témoins  des  tentatives  qu'ils  faisaient  con- 
tinuellement pour  établir  les  nouvelles  erreurs  sur  la  ruine  de  la 
vraie  foi  et  pour  dicter  la  loi  on  Suisse  ,  ne  devaient-ils  pas 
craindre  non-seulement  pour  leur  religion  ,  mais  encore  pour 
leur  indépendance?  En  ces  circonstances  si  graves  et  si  péril- 
leuses ,  c'était  pour  eux  un  droit  sacré  et  un  devoir  impérieux 
de  réunir  leurs  efforts  pour  conserver  leur  liberté  politique  et 
pour  empêcher  l'hérésie  de  planter  au  milieu  d'eux  son  drapeau 
sur  lequel  on  lisait  déjà  :  troubles,  divisions,  guerre  civile,  ré- 
volte, incrédulité,  arianisme,  socialisme,  communisme.  Les  can- 

12 


178  I.  \  i.iiii  F.  i>  oB  or  i.i<;i  r.  iioRROMKK. 

tons  qui  :ivaiciil  npostnsiés  épuisaiont  tous  les  moyens  qiio  Irui' 
donnaicnl  la  supériorité  iU\  noml»n',  rinllucnce  des  richesses  n 
les  st'diictions  des  piédicanis  novalcurs,  poui*  étondro  leur  domi- 
nation et  leurs  laussos  doctrines  sur  touie  la  Suisse.  Qui  oserait 
dire  <pie  les  Etats  restés cailioliques  n'avaient  pas  le  droit  de  faire 
une  alliance  pour  sauvegarder  leur  nationalité  et  leurs  croyances 
relij,'ieuses?  Si  quel(|u'un  avait  voulu  ravir  aux  cantons  lldèles 
leurs  montagnes,  leurs  chalets,  leurs  troupeaux,  est-ce  qu'on 
les  blâmerait  d'avoir  pris  le  moyen  de  défendre  leurs  pro- 
priétés, rh(''ritagc  de  leurs  pères?  Eh  l)ien  !  les  zuingliens  vou- 
laient ravir  aux  fondateurs  et  aux  plus  intrépides  défenseurs  de 
la  Confédération  helvétique  la  vraie  foi ,  la  foi  qui  nous  éclaire 
sur  nos  destinées  éternelles,  (|ui  est  une  source  ahondante  de 
consolations  inelîahles  pour  nous  dans  ce  monde,  qui  nous  mon- 
tre le  chemin  d'une  meilleure  patrie  et  qui  nous  aide  à  y  mar- 
cher; c'est  un  bien  plus  précieux  que  les  richesses,  que  la  li- 
berté ;  les  catholi(]Ucs  avaient  «loue  le  droit  de  se  li},'uer  pour 
défendre  ce  bien.  En  cela,  ils  ne  faisaient  rien  de  contraire  aux 
intérêts  de  la  commune  patrie,  ils  travaillaient  à  sa  conservation. 
Sans  les  cantons  j>rimihfs,  il  y  a  longtemps  peut-être  que  la 
Suisse  aurait  eu  le  sort  de  tant  d'autres  républi<jues.  Il  y  a  long- 
temps que  ces  doctrines  anti-sociales  (pii  ont  fait  de  quelques- 
uns  des  petits  Etats  de  notre  patrie  le  refuge  de  tous  les  apostats, 
de  tous  les  brouillons,  de  tous  les  ennemis  de  l'ordre  et  la  terre 
classicpie  des  révolution,  aurait  attiré  sur  elle  la  vengeance  des 
puissances  voisines....  Quod  Deus  avertatl 


MÉLANCES  ET  NOUVELLES. 


GEilÈVE.  —  Voici  trois  mois  que  siège  le  Grand  Conseil  issu 
des  dernières  élections  du  mois  de  novembre.  On  sait  de  quels  élé- 
ments hétérogènes  il  se  compose.  D'une  part  une  majorité  bigarée 
formée  des  membres  les  plus  ardents  de  VL'nion  protestante  coalisés 
avec  un  groupe  socialiste.  De  l'autre,  la  minorité  renfermant  les 
débris  du  parti  Fazy.  Cette  législature  promet  d'être  fertile  en  in- 
cidents singuliers.  Tous  ne  pourront  être  consignés  dans  ce  recueil  ; 
mais  nous  aurons  garde  de  négliger  ceux  qui  intéressent  la  reli- 
gion. Genève,  ce  coin  de  terre,  est  destiné,  dans  les  vues  de  I?  Pro- 
vidence, à  présenter  en  raccourci  les  phases  successives  que  le  dé- 
veloppement nécessaire  du  principe  protestant  impose  aux  pays 
qui  l'ont  adopté  de  gré  ou  de  force.  Cette  série  d'expériences  que 
doivent  subir  les  consciences,  ces  modifications  imposées  périodi- 
quement non-seulement  aux  formulaires  des  églises,  mais  encore 
aux  dogmes  les  plus  importants,  toutes  ces  variations  sont  d'un 
haut  intérêt. 

Deux  questions  de  cette  nature  sollicitent  aujourd'hui  notre  at- 
tention. Elles  viennent  d'être  l'objet  de  graves  délibérations  ausein 
du  Grand  Conseil.  L'une  est  la  suppression  du  serment  imposé  aux 
députés;  l'autre,  une  proposition  ayant  pour  but  la  séparation  de 
l'Église  et  de  l'État. 

La  question  du  serment  est  la  même  que  celle  qui  se  présente  en 
Angleterre  depuis  que  les  électeurs  de  la  Cité  s'obstinent  à  envoyer 
chaque  année  au  Parlement  un  juif,  le  baron  Lionel  de  Rotschild. 
A  Londres,  croyons-nous,  la  formule  sacramentelle  n'a  pas  été  abo- 
lie. Un  sentiment  chrétien  que  nous  respectons  fort  a  empêché  la 
suppression  d'une  coutume  qui  avait  déjà  eu  si  grande  peine  à  s'é- 


180  MKI.ANGKS    KT    .NOlVKI.LtlS. 

largir  pour  facililcr  Taccùs  dus  députùs  calholiqucs.  CeUc  tcnacilu 
dan»  It;  respccl  rsl ,  en  tlrlinilivc* ,  un  liummagc  rendu  au  principe 
rlirolien. 

A  (Icnèvc,  à  la  première  sommation,  le  corps  législalif  a  suppri- 
mé le  permcnl.  C'est  là  un  signe  de  décadence  morale  et  un  ténioi- 
gnagne  d'abaissement  du  vc-rilalde  esprit  clirélien,  (jue  cet  empres- 
sement do  tout  un  corps  à  abandonner  un  usage  séculaire.  La  dis- 
cussion avait  été  bien  plus  longue  alors  qu'il  s'était  agi  de  modifier 
la  prière  <jui  ouvre  les  séances.  Kt  pourquoi  celte  suppression?  est-ce 
pour  admettre  unjuil"?  pas  le  moins  du  monde;  mais  uniquement  pour 
consentir  à  l'opinion  singulière  d'un  citoven  qui  s'est  mis  entête  de- 
puis quelques  années  de  ne  plus  prêter  de  serment.  On  dit,  par  contre, 
qu'il  a  |)romis  à  Dieu  de  ne  plus  ùler  son  chapeau  devant  |)ersonne, 
ce  qui  le  fait  ranger  au  nombre  des  quakers.  Si  encore  te  citoyen 
avait  rendu  au  pays  qtielque  service  important,  s'il  s'était  signalé 
par  quelque  découverte  ou  quelque  action  d'éclat  ;  mais  il  n'en  est 
rien.  Il  s'agit  d'un  liommc  honorable,  sans  doute,  mais  qui  ne  dif- 
fère en  rien  de  tout  le  monde.  En  d'autre  temps,  ce  scrupule  eût 
été  fort  blAmé  et  le  Conseil  ei"4t,  sans  délibérer,  passé  à  l'ordre  du 
jour  sur  la  requête.  Aujourd'hui,  tellement  les  consciences  se  sont 
énervées  et  les  convictions  amollies  aux  dépens  d'une  sorte  de  sen- 
sibilité bannale,  on  a  couiru  au  devant  de  ce  <jue  le  plus  grand 
nombre  appelle  un  trait  d'originalité.  Il  est  évident  que  les  motils 
(]ui  ont  porté  M'"  à  solliciter  la  suppression  ne  sont  pas  les  mêmes 
(jui  uni  décidé  le  (^on>eil  à  la  voter. 

.Mais,  dira-t-ou,  la  fonuiile  du  serment,  encore  qu'elle  ail  élé 
inudifiée  pour  faciliter  l'accès  des  catholiques,  émanait  de  l'église 
nationale  pro'cslanle.  Ce  sont  les  sentiments  de  celte  église  qu'elle 
entendait  bien  représenter.  Le  citoyen  en  (jueslion  doit  donc  être  un 
opposant  de  ^églis(^  nationale.  C'est  là  ce  qui  vous  trompe,  M  ***  se 
fait  affranchir  du  serment  pour  satisfaire  une  conviction  domcsti- 
(lue.  Il  est  [)arlisan  de  la  liberté  religieuse  absolue  quant  à  l'indi- 
vidu et  (inaiit  à  la  famille,  lùoule/.-le  un  instant,  vous  serez  con- 
fondu de  ses  respects  pour  ce  (|u'il  appelle  les  dilTérentes  croyances. 
H  va  donc  se  renfermer  dans  l'individualisme  ou  tendre,  par  son 
action,  à  propager  les  convictions  de  la  secte  particulière  |>our  la 
gloire  de  laquelle  il  fait  si  grand  étalage  de  sentiment.  Eh  bien, 
non  ;  il  n'eu  sera  pas  ainsi.  M***  sera  peul-êlro  individualiste  ou 
d'une  petite  religion  privée  dans  son  cabinet  ou  entre  les  rideaux 
de  son  lit  ;  peut-être  n'assistera-l-il  jamais  au  prêche  ;  mais  en  pu- 


MÉLANGKS  KT  NOrVKLLKS.  181 

blic  il  soiidont  rtW'liso  n;itionalo  ;  il  participe  A  ses  œuvres  extérieu- 
res ;  il  sera  môme  un  de  ses  diacres  et  l'un  des  membres  les  plus 
ardents  de  la  société  des  Intêrêls  protestants;  il  fera  des  œuvres  de 
prosélytisme  ;  il  favorisera  de  tous  ses  efforts  les  agences  organisées 
pour  grossir  le  troupeau  réformé. 

Pourquoi  cette  inconséquence?  Ici  nous  touchons  à  un  Irait 
de  mœurs  protestantes  Ires-frappant  à  Genève  :  Le  citoyen  en 
question,  et  avec  lui  beaucoup  d'autres,  prétendent  bien  con- 
server leur  émancipation  complète  dans  le  for  intérieur  de  la  con- 
science. Ils  auront  le  droit  de  croire  ceci  ou  cela,  et  avant  tout  celui 
de  ne  croire  à  rien  ;  mais  il  faut  conserver  et  entourer  de  protection 
l'église  nationale  comme  force  matérielle  contre  le  catholicisme , 
comme  une  sorte  d'abri  bannaloù  s'installeront  de  temps  en  temps, 
pour  la  forme  du  moins,  nombre  de  consciences  indifférentes  ou 
dévoyées ,  pas  assez  soucieuses  de  religion  pour  courir  sus  aux 
aventures  de  l'individualisme,  bonnes  pourtant  pour  faire  nombre 
dans  le  troupeau  protestant  ;  admirables  surtout  pour  faire  la  guerre 
aux  catholiques,  pour  hurler  contre  les  jésuites  et  les  ullramon- 
tams;  utiles  toujours,  quand  ce  ne  serait  que  par  l'argent  qu'elles 
se  laissent  prendre  pour  les  caisses  des  diaconies  et  les  sociétés  d'é- 
vangélisation.  L'église  nationale  n'est  donc  plus  qu'une  force  ma- 
térielle, qu'une  machine  de  guerre.  Elle  serait  bien  vite  abandon- 
née, si  le  catholicisme  n'était  pas  là  pour  stimuler  les  zèles  et  réchauf- 
fcrla  vieille  inimiti(>.  II  ne  faut  pas  chercher  d'autre  cause  à  cette  sorte 
de  fusion  apparente  qui  s'opère  aujourd'hui  entre  les  méthodistes 
et  les  demeurants  de  l'église  de  l'Etat.  Quel  fait  instructif!  A-t-on 
jamais  vu  des  incrédules  se  faire  catholiques,  même  pour  la  forme, 
dans  le  but  de  faire  la  guerre  à  la  réforme?  Dans  le  protestantisme 
genevois,  cette  monstrueuse  promiscuité  est  visible.  Quelle  preuve 
plus  manifeste  de  la  décadence  intime  de  l'église  nationale  ! 

Cette  question  du  serment  nous  a  conduit  un  peu  loin.  Mais  il 
fallait  bien  apprécier  la  notoriété  du  citoyen  qui  a  mérité  d'obtenir 
qu'une  pareille  concession  fût  octroyée  aux  scrupules  de  sa  con- 
science. Il  fallait  constater  les  motifs  de  l'indifférence  du  Grand 
Consed.  Il  fallait  enfin  constater  rélal  intérieur  de  cette  église  qui 
accepte  les  services  d'un  homme  qui  refuse  son  serment  et  qui  en 
désavoue  les  dogmes  ;  du  moins  ses  actions ,  pesées  au  poids  de  la 
logique,  autorisent  à  tirer  cette  conclusion. 

Oii^ciissiou  Hnv  la  séparnlioiB  de  l'E^li»c  et  de  B'E- 
iat.  —  Cette  proposition   a  été  introduite  par  M.  Duchosal ,  un 


182  MKLANGFlS    ET    :<t(>tVKLLES. 

des  membres  tlii  |)arli  radical.  Quel  a  été  son  but?  Nous  no  sa- 
vons y  voir  que.  l'indice  d'un  senlimeol  d'indifférence,  ou  plu- 
tôt d'hostilité  formelle  ù  l'endroit  de  toute  religion.  Toute  sa  vie, 
te  tribun  de  la  démocratie  j^onevoise  a  afliclié  l'irréligion  la  plus 
fornu'lle.  Il  n'a  laissé  échapper  aucune  oi'casion  [>ubli(|ueou  parti- 
culière de  témoigner  de  son  sentiment.  La  protestation  de  respect 
(|\ie,  dans  l'occasion  présente,  il  a  cru  devoir  faire  en  faveur  des 
convictions  d'autrui,  est  pure  plaisanterie  de  sa  part. 

Le  but  principal  de  la  proposition  de  M.  Duchosal  est  un  acte 
d'opposition  dirigé  contre  l'aristocratie  et  le  parti  conservateur  pro- 
testant. V.n  dépit  de  deux  révolutions  successives  ;  en  dépit  des  en- 
traves imposées  à  l'église  nationale  par  la  constitution  de  ISI$1,  il 
voit  celte  église  d'Etat ,  cet  instrument  de  domination  aristocrati- 
que relever  la  tête  ;  il  voit  le  parti  radical  succontbant  sous  l'atta- 
que des  conservalcurs  qui  ont  repris  leur  drapeau  en  criant  sur 
tous  les  tons  que  M.  Fazy  sacrifie  le  protcstantisn)C  aux  jésuites. 
Il  voit  tout  cela,  et  il  n'imagine  pas  de  meilleure  vengeance  qtie  de 
mettre  la  main  sur  les  biens  de  l'église  nationale,  estimant  que  c'est 
lui  enlever  son  dernier  élément  de  cohésion  et  son  suprême  moyen 
de  puissance. 

\  l'endroit  des  catholiques,  les  intentions  de  >L  Duchosal  ne  sont 
pas  meilleures.  Héat  révolutionnaire  ,  il  en  est  encore  à  croire  que 
l'Église  callioli(jue  doit  s'écrouler,  dès  que  ses  prêtres  n'émarge- 
ront plus  au  budget  ofliciel  ;  mais  ,  pour  le  qi*;«rt  d'heure  ,  les  ca- 
tholiques du  canton  de  (îenéve  ne  lui  causent  pas  grand  souci  ; 
c'est  avant  tout  aux  conservateurs  protestants  qu'il  en  veut. 

Nous  ne  dissimulerons  pas  notre  opinion.  S'approprier  de  cette 
manière  les  biens  de  l'égliso  genevoise,  c'est  commettre  un  acte  vé- 
ritable de  spoliation.  Nous  n'avons  pas  deux  poids  et  deux  mesu- 
res, comme  les  conservateurs  protestants,  qui  n'ont  [)as  assez  de 
cris  pour  réprouver  à  Cicnéve  ce  qui  les  enchante  à  Turin  et  A  l'ri- 
bourg.  >L  Duchosal,  un  enfant  dé  (îenëve,  un  des  produits  directs 
de  l'école  protestante,  est  la  verge  révolutionnaire  destinée  i\  les 
cluUier  de  leur  continuel  mépris  des  principes,  de  leurs  applaudis- 
sements à  toutes  les  entreprises  spoliatrices  dont  les  catholiques  ont 
été  les  victimes.  Qui  a  produit  des  convictions  analogues  i*  celles 
de  i>L  Duchosal ,  si  nombreuses  à  (ienéve  ,  si  ce  n'es!  cette  classe 
d'hommes  d'Etat  dont  le  parti  conservateur  a  fourni  les  plus  célè- 
bres e(  (|iil  ont  été  les  promoteurs  de  toutes  les  mesures  socialistes 


MKLANUES  ET  NOUVELLES.  183 

dôcrélccs  contre  les  catholiques,  cette  cause  de  tous  les  ferincntsde 
discordes  civiles  qui  troublent  la  Suisse? 

Quant  i\  nous,  catholiques,  si  la  séparation  s'accomjjlissait,  nous 
serions  les  victimes  d'un  vol  véritable  ,  car  le  traitement  de  notre 
clerj^é ,  jfaranti  par  les  traités  de  Vienne  et  de  Turin  ,  n'est  qu'une 
indenmilé  représentant  les  biens  ecclésiastiques  enlevés  à  nos  com- 
munes j)ar  la  première  révolution  française.  Uu  des  membres  du 
(irand  Conseil,  M.  (ialilTe  ,  n'a  pas  craint  de  dire  que  quelques 
membres  exclusifs  de  PÈglise  romaine  applaudiraient  à  la  procla- 
mation du  principe  de  la  séparation,  parce  qu'ils  y  verraient  le  coup 
de  grdce  donné  au  culte  protestant.  Cette  assertion  est  formelle- 
ment calomnieuse;  c'est  là  une  induclion  gratuite  lancée  pour  pro- 
duire de  TelTet  dans  la  discussion.  Ces  exclusifs  dont  parle  M.  Ga- 
lifTe  sont  apparemment  le  clergé  et  les  catholiques  soucieux  des 
intérêts  de  leur  religion.  Eh  bien ,  ceux-là  ont  toujours  protesté 
contre  toute  idée  de  séparation,  la  considérant  comme  devant 
déterminer  une  spoliation  des  biens  du  clergé,  perturbatrice 
des  droits  des  populations  catholiques  et  les  mettant  immédiate- 
ment dans  un  étal  d'infériorité  précaire  et  dangereux  vis-à-vis  du 
protestantisme  oppresseur.  Ces  opinions  ont  été  soutenues  maintes 
fois  dans  des  brochures  et  des  écrits  périodiques.  Nous  mettons 
M.  Galiffe  au  déli  de  prouver  son  allégation.  Si  quelques  rares  in- 
dividus nés  catholiques  favorisent  la  cause  de  la  séparation,  c'est 
qu'ils  affectent  à  l'endroit  de  l'Église  les  mêmes  sentiments  d'hosti- 
lité que  M.  Duchosal  professe  à  l'égard  de  toute  religion. 

Les  partisse  sont  dessinés  dès  le  début  de  la  discussion.  Les  par- 
tisans de  la  séparation  sont  les  radicaux  et  les  membres  des  sectes 
dissidentes  de  l'église  nationale.  Les  radicaux,  sauf  des  nuances  de 
peu  de  valeur,  sont  entrés  dans  le  sentiment  de  M.  Duchosal.  Ils 
veulent  la  séparation,  parce  que  les  ministres  de  l'Église  nationale 
font  trop  de  politique;  parce  que  sous  Je  prétexte  de  religion  ,  ils 
ont  enlacé  le  pays  dons  les  trames  d'une  institution  inconstitution- 
nelle qu'on  a  nommé  les  diaconies;  institution  qui  fait  beaucoup 
plus  de  politique  que  d'œuvres  charitables.  Celle  opinion  a  été  sou- 
tenue par  MM.  Fazy  et  Carteret.  Us  ont  ajouté  que  la  séparation 
serait  une  conquête  libérale  et  qu'il  était  digne  de  Genève  de  don- 
ner un  aussi  beau  complément  aux  conquêtes  du  seizième  siècle. 
Le  tout  mêlé  d'insinuations  touchant  les  conservateurs  qui  veulent 
faire  de  l'église  un  instrument  de  règne  et  de  pouvoir. 


18i  MKI.AXil.S    r.T    NOIVKI.LKS. 

Los  dissidents  onl  élu  plus  timides,  moins  francs  et  plus  parta- 
gés dans  l'expression  de  leurs  désirs. 

Les  uns  se  sont  lancés  dans  les  utopies  du  système  \inet  qui 
nie  à  TLtat  la  puissance  d'être  chrétien  ;  les  autres  onl  vanté  le  dé- 
veloppement intrinsèque  que  prendrait  l'esprit  religieux  dans  l'hy- 
(lothése  de  la  séparation  ;  ceux-ci  onl  fait  Téloge  de  l'Amérique  en 
déltilant  les  hannalilés  que  l'on  sait  sur  ce  point  ;  ceux-là  révélé  de 
curieux  détails  sur  la  situation  intime  du  protestantisme  à  Genève. 
Le  principe  de  l'union  de  l'église  et  de  l'Klat  n'est  |)lus  vrai,  a  dit 
M.  llogel.  ((  Il  n'est  plus  dans  la  réalité  des  faits.  Ce  système  ne 
»  peut  se  soutenir  que  s'il  y  a  réellement  une  union  religieuse  en- 
»  tre  tous  les  membres  du  troupeau  ;  mais  ce  n'est  pas  l'état  actuel  ; 
«  il  n'y  a  (|u'ii  ouvrir  les  yeux  |)our  le  voir  et  pour  reconnaître  qu'il 
»  y  a  des  églises  diirérentes,  cl  que  cette  église  nationale,  qui  est 
»  censée  compacte  ,  est  remplie  d'opinions  contraires.  Il  n'y  a  au- 
»  cune  convenance  di  niaiiilenir  une  position  qui  n'existe  (|ue  dans 
>.  les  mots  et  que  les  (ails  démentent  quotidiennement.  >• 

Ces  dissidents  yeulenl  bien  élever  à  leurs  consciences  des  sanc- 
tuaires particuliers.  Ils  onl  bien  l'opinion  de  la  supériorité  de  leurs 
doctrines  propres,  ils  se  regardent  comme  inliniment  plus  pieux 
que  les  nationaux  ;  cependant  un  grand  nombre  parmi  eux  veu- 
lent conserver  l'église  de  l'Jitat.  Ils  la  tiennent  pour  une /^flr;a<7uc(l) 
lé/ardée.  Ils  ne  lui  accordent  aucune  estime;  toutefois  ils  n'osent 
la  renverser.  La  l)arraque  doil  sul)sister  pour  servir  d'abri  à  ces 
nuillitudes  inintelligentes,  grossières  de  sentiments ,  dépourvues 
(lu  sens  spirituel,  (|ui  n'auront  jamais  Pinslincl  religieux  assez  dé- 
licat pour  goûter  les  cbarmcs  de  la  dissidence.  Si  la  barraque 
tombe,  où  ira  cette  foule  et  que  deviendra  le  protestantisme  géné- 
ral? L'église  nationale  peut  bien  être  arienne  ,  entacbée  d'unita- 
risme,  désolée  par  tontes  les  imperlections  qu'entraîne  avec  soi 
l'église  multitude;  cependant  elle  entretient  l'esprit  prolestant, 
r'est-à-dire  l'esprit  anti-catlioli<pu!  :  motif  déterminant  pour  la 
«onserver. 

Les  adversaires  formels  de  la  séparation  se  ratlacbcnl  au  vieux 
parti  consi'rvateur  prolestanl.  Ceux-là  ont  horreur  de  la  dissidence. 
Ils  la  considér(;nl  comme  un  fanatisme.  Ils  poursuivent  surtout  en 
elle   la  prédestination  calviniste  (|ui  répugne  au  libéralisme  mo- 


lli (,  !•>!    Il-  In  Mil'  ii-ilr  (  lie/   1rs  mil  IiiuIi-Iin   ilissuli  ni-  |ii.ii  r  (Irsifjiirr  I  r- 
f;li»i*  n;ilioiiulc. 


MÉLANGES  Et    NOUVELLES.  185 

dcnio  et  qu'ils  n'oiil  plus  assez  do  foi  pour  embrasser.  Au  tolal, 
l'esprit  religieux  ,  assez  vif  chez  certains  dissidents ,  s'est  relire  de 
ces  soutenants  de  l'église  nationale.  Ils  dissimulent  mal  leur  incré- 
dulité, moins  bien  encore  leur  incohérence  dogmatique.  Le  chris- 
tianisme ,  chez  eux  ,  se  réduit  à  quelques  préceptes  moraux  ;  des 
dogmes  précis,  ils  ne  s'en  soucient  guère  et  les  taxent  d'intolérance. 
Ils  veulent  donc  aussi  de  l'église  comme  d'un  abri  pour  la  multi- 
tude. Ils  se  rendent  parfaitement  compte  de  l'avantage  que  don- 
nerait sa  disparition  à  la  dissidence  d'abord  ,  puis  au  catholicisme 
si  solidement  assis,  disent-ils,  sur  son  principe  d'autorité.  Il  ne 
faut  pas  trop  nous  désorganiser  vis-à-vis  de  l'Église  romaine,  nous 
aurions  l'air  trop  misérables  et  nous  verrions  se  produire  chez  nous 
le  spectacle  d'églises  dissidentes  pauvres  stipendiées  par  rélrau- 

Mais  la  grande  raison  qui  empêchera  la  séparation  ,  c'est  la  pré- 
sence des  traités  de  Vienne  et  de  Turin  qui  garantissent  l'existence 
légale  de  l'Église  catholique  dans  le  canton  de  Genève.  Radicaux 
dissidents  et  nationaux,  tous  voudraient  s'en  débarrasser,  tous  ont 
insinué  que  le  moment  serait  bien  opportun  pour  dépouiller  les  ca- 
tholiques, alors  qu'à  Turin  gouverne  un  ministère  si  libéral  qui  dé- 
truit les  couvents  et  met  la  main  de  la  révolution  sur  les  biens  ec- 
lésiastiques.  Tous  les  mauvais  instincts  du  protestantisme,  sa  soli- 
darité avec  le  socialisme,  sa  haine  stupide  à  l'endroit  d'une  popu- 
lation qui  lui  rend  mille  services  et  dont  il  ne  saurait  se  passer, 
ont  apparu  dans  ces  propositions  tendant  à  la  destruction  des  trai- 
tés ;  mais,  grâce  à  Dieu,  et  pour  le  salut  des  faibles,  les  traités  sub- 
sisteront. Il  ne  lient  pas  à  la  mauvaise  volonté  des  Genevois  pro- 
testants et  du  ministère  Cavour  qu'ils  soient  détruits  ou  qu'ils  du- 
rent. Les  actes  de  Vienne  et  de  Turin  sont  garantis  par  la  France 
et  l'Autriche.  Or,  en  ce  moment-ci  il  ne  serait  pas  sage  de  violer 
ces  traités,  cela  pourrait  amener  des  complications.  Nos  gouver- 
nants n'ont  point  dissimulé  cette  difficulté. 

L'existence  légale  de  l'Église  catholique  continuera  donc,  et 
avec  elle  ,  par  le  fait  môme  ,  celle  de  l'église  nationale  protestante. 
Il  résulte  de  tout  ceci  la  conclusion  curieuse  que  c'est  la  présence  de 
l'Église  catholique  à  Genève  qui  fait  vivre  l'église  nationale  pro- 
lestante. Sans  nous  ,  on  ferait  bon  marché  de  celte  barraque  dont 
les  radicaux  n'ont  nul  souci  ou  se  détient  comme  d'une  puissance 
politique  qui  leur  est  adverse  ;  que  les  dissidents  méprisent  comme 
professant  de  fausses  doctrines;  à  laquelle  les  suprêmes  demeu- 


IHtî  MKLAXit:')    KT    NOtVKLLILS. 

i;iii(s  du  nalionalismc  n'ont  plus  foi.  parce  que  les  vérités  subslan- 
lii'lles  du  t  liristiaiiisrne  si',  soiil  |)iilvériséos  cliez.  eux.  Les  calboli- 
(|ues  enipùdienl  i'é(,'iisc  nationale  de  tomber,  comnte  la  corde  sou- 
tient le  pendu.  C'est  un  protestant  qui  a  prononcé  celte  parole. 

\o'\\à  le  résumé  clair  el  net  «le  la  discussion.  Il  i  ous  fait  trop 
il'bonneur  pour  en  rien  dissimuler. 

Pour  nous,  demeurant  dans  lu  réalité  et  Tactualité  des  faits, 
nous  n'irons  pas  discourir  sur  l'essence  de  l'Ktat  tbrélien  et  sur  les 
caractères  mysli(|ues  île  rF{;i;lise.  Nous  sommes  francbemenl  op|K>- 
sés  au  principe  de  la  sé|)aralion  ,  [larce  que  ce  serait  donner  notre 
adbésion  à  un  vol  commis  à  notre  détriment.  Nous  nous  abriterons 
jusqu'à  l'exlréniilé  derrière  les  traités  de  ^  icnne  r,[  de  Turin,  parce 
«ju'ils  sont  les  sauvegardes  de  notre  existence.  Ils  nous  ont  rendus 
de  trop  bons  services  en  nous  préservant  des  atteintes  de  la  mal- 
veillance protestante  pour  (jue  nous  soyons  tentés  de  l'oublier.  O-ci 
n'est  pas  et  ne  doit  pas  élre  une  (piestion  de  sentiment  de  noire 
part,  mais  une  grave  question  d'intérêt. 

Maintenant,  dans  l'bypolbèse  de  la  séparation  accomplie,  que 
deviendra  rïîglise  catboli(|ue  dans  nos  pays?  pourrons-nous  exis- 
ter? Cba(|ue  moment  sullit  à  sa  peine.  Nous  verrons  alors  !  Disons 
seulement  (pie  durant  celte  discussion,  nos  adversaires  eux-mêmes 
nous  ont  rendu  justice,  el  (juc.  tout  en  ayant  la  ferme  pensée  que 
le  principe  de  la  séparation  pourrait  nous  procurer  quelques  em- 
barras, pour  cela  ,  dans  leur  opinion  ,  nous  ne  conlinuerions  pas 
moins  à  vivre. 

Nous  n'aurons  pas  moins  bonne  opinion  de  nous-mêmes  que  nos 
adversaires. 

Il  faut  d'ailleurs  s'entendre  sur  le  mol  séparation.  H  ne  saurait 
avoir  la  même  si{;nilicalion  pour  les  calboliques  et  pour  les  proles- 
lanls.  Dans  le  protestantisme,  la  notion  d'Kfîlise  n'existe  pas,  elle 
est  abolie  ;  tout  au  |)lus  se  peut-il  accorder  que  les  dissidents  en 
aient  resaisi  une  idée  vague,  un  sentiment  peu  dèlerminè.  Mais 
les  églises  dites  nationales,  que  sont-elles,  sinon  IJùlal  promulguant 
des  dogmes  comme  une  cbarle,  les  taillant,  les  conservant,  les  ré- 
formant au  gré  des  circonstances  et  de  ses  volontés  ?  ('/est  là  le  sort 
de  l'église  anglicane,  tout  comme  celui  de  l'église  genevoise. 

Cbez  les  calboliques,  au  contraire,  l'Klal  el  l'Eglise  sont  toujours 
<b'mt!uiés  dislincls.  L'Eglise,  c'est  la  sociclé  des  (idèles  répandue 
par  toute  la  leire,  conliaclant  alliance  avec  les  divers  |H)U\oirs 
(enqiorels  :  alliance  variable  suivant  les  lieux  «l  suivant  les  temps, 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  187 

s'cxprimanl  le  plus  souvent  par  des  traités  concordataires  des- 
tinés i  rcg^er  les  matières  litigieuses  cl  les  droits  respectifs.  Là, 
TEgiise  demeure  toujours  une  puissance  séparée,  exprimant  ses 
dogmes,  ses  droits  et  ses  volontés.  Les  combats  qu'elle  ne  cesse  de 
soutenir  depuis  qirelle  existe ,  n'ont  jamais  eu  d'autre  |)i  iiicipe  et 
d'autre  lin  que  le  maintien  de  son  intégrité. 

Cette  permanence  de  l'intégrité,  de  l'unité  de  TEglise  catholique 
qui  a  traversé  les  temps  aux  prises  avec  toutes  les  civilisations  ,  est 
un  continuel  sujet  d'irritation  pour  les  prolestants.  Ils  sentent  par- 
faitement qu'il  y  a  là  une  puissance  devant  laquelle  ils  demeurent 
bien  faibles,  malgré  leurs  efforts.  Cette  puissance  qui,  pour  nous, 
n'est  pas  autre  chose  que  l'assistance  divine,  les  protestants  ont  tou- 
jours été  tentés  de  l'attribuer  à  l'appui  du  pouvoir  temporel.  L'ex- 
périence des  événements  commence  à  les  faire  revenir  de  celte  er- 
reur. L'Eglise  catholique,  dans  des  vicissitudes  bien  diverses,  a 
donné  trop  de  preuves  de  vitalité  pour  qu'ils  n'en  demeurent  pas 
frappés.  Un  peu  plus  ou  un  peu  moins  de  couvents,  un  peu  plus  ou 
un  peu  moins  d'émoluments  pour  le  clergé,  ne  constituent  pas  le 
fait  de  la  permanence  de  l'Eglise,  Nous  avons  recueilli  dans  les  dé- 
bats que  nous  analysons  le  témoignage  sensible  de  modifications 
réelles  produites  à  cet  égard  dans  bien  des  esprits.  Siau  moinscette 
intelligence  plus  exacte  du  fait  de  l'Eglise  catholique  servait  à  éta- 
blir un  mode  de  vivre  plus  équitable  I 

L'Eglise  catholique  est  si  bien  une  puissance  intrinsèque,  qu'aux 
Etats-Unis,  où  le  fait  de  la  séparation  est  consommé,  les  prolestants 
ont  longtemps  imaginé  que  le  sol  ne  serait  pas  viable  pour  elle.  Au- 
jourd'hui que  l'expérience  témoigne  qu'il  n'y  a  pas  de  sol  si  ingrat 
où  nos  missionnaires  ne  puissent  implanter  la  hiérarchie,  déjà  la 
jalousie  se  montre.  Des  sociétés  secrètes  formidables  se  sonl  orga- 
nisées au  sein  du  protestantisme  et  de  l'incrédulité,  qui  ont  pour  cri 
de  ralliement  :  Mort  au  catholicisme!  Il  ya  peu  de  mois  un  de  nos 
compatriotes,  un  prêtre  fribourgeois,leP.Bapst,  est  mort  des  suites 
deviolences  commises  sur  sa  personne  pardes  assassins  appartenant 
à  ce  carbonarisme  américain.  Combien  d'autres  violences  dont  le 
souvenir  pourrait  être  invoqué  1  Eh  bien  I  dans  les  rangs  du  pro- 
lestantisme,  trop  de  gens  se  trouvent  qui  s'émeuvent  fort  peu  de 
ces  brutalités  dont  une  nation  civilisée  devrait  rougir.  On  répond 
que  l'Eglise  catholique  devient  trop  forte,  qu'elle  risque  de  com- 
promettre la  constitution  libérale  des  Etats-Unis,  laquelle,  après 
tout,  ne  doit  pas  servir  à  proléger  indéfiniment  les  progrès  d'une 


188  MKLAIVGES    ET    NOUVKLLF.S. 

l'glisc  onvnhissanlc  (|ui  porlc  lo  germe  du  despotisme  partout  où 
l'Il.^  sVlaMit. 

Ces  faits  sont  instructifs  ;  ils  servent  à  faire  comprendre  |)Our- 
(juoi,  mùmo  ««n  dcliors  de  la  position  do  droit  propre  aux  catholiques 
du  canton  de  (Icnève,  nous  soruuics  ftn  l  peu  fanalifjues  de  ceN  i(lée> 
de  séparation  telles  (jue  les  adoptent  les  protestants.  Notre  Kglise 
est  séparée  de  l'Klat  depuis  son  orij,Mne  autant  qu'elle  pourra  ja- 
mais l'être.  Ce  sont  lA  des  léinoi^na^'es  de  laiMesse  que  iKfçlise- 
mére  no  saurait  donner.  (Juoi  qu'on  fasse  et  (juni  qu'on  dise,  le 
catholicisme  tient  dans  le  monde  une  trop  grande  place  pour  qu'il 
ne  faille  pas,  de  prés  ou  de  loin,  toujours  compter  avec  lui.  A  vrai 
dire  ,  c'est  là  >ine  condition  do  lutte  inéviiable  ,  mais  c'est  aussi  et 
avant  tout  un  "ase  d'immortalité. 


o"n" 


Une  réclaniatioii  «le  11.  «le  (■amparln.  —  M.  de  (ïaspa- 
rin  nous  écrit  la  lettre  suivarWe  : 

Rivage,  li  janvier  1855. 
Monsieur, 

On  m'envoie  aujourd'hui  voire  numéro  de  décembre  contenant 
vingt-cinq  pages  d'injures  à  mon  adresse.  Je  vous  abandonne  \o- 
lontiers  ma  personne  ,  y  compris  mon  caractère  et  mon  bon  sens; 
mais  je  dois  au  nom  <jue  j<î  porlc  de  relever  l'assertion  (fort  bles- 
sante dans  votre  pensée)  que  renferme  la  phtase  suivante  :  a  Ne 
doit-il  pas  tout  à  la  France  de  notre  temps  ;  tout ,  jusqu'à  ce  litre 
de  noblesse  qui  a  tiré  du  néant  sa  bourgeoise  famille?  » 

Sans  débat(i-e  les  (|ueslions  de  bourgeoisie  et  de  noblesse,  ques- 
tions que  je  sais  réduire  à  leur  juste  valeur,  je  vous  dirai  ceci,  puis- 
(|u'un  procédé  inouï  de  discussion  me  force  A  mentionner  ces  mi- 
sères : 

Ce  n'est  pas  <■  la  France  de  noire  lemps  >-  (pii  a  im|>rinu'  les  al- 
manachs  militaires  d'avant  1789,  où  figure  M.  de  Ciasparin  mon 
grand'père.  Ce  n'est  pas  »  la  Fraru-e  de  notre  tctnps  ><  qui  scellait 
à  la  mémo  épo(jue  les  hUtres  de  nu)n  gratuPpère  du  cachcl,  des  ar- 
mes et  de  la  devise  de  ma  famille.  Ce  n'est  pas  en  verlu  d'un  acte 
«le  «  la  F*'rance  de  noire  lem|»s,  «i  (|u';^  l'extitïclion  de  la  branche  aî- 
née, les  titres  qu'ell(>  [lorlait  ont  été  recuillis  par  la  branche  ca- 
delle. 

J'allend- de  vous,  Monsieni .  l'inscition  de  ma  lettre. 

A.  de  (iASi>Ani>. 


MKLANUKS  Kl  «OLVKLLKS.  189 

Il  faut  avouer  (iiie  voilà  imo  singulière  réponse.  Le  faux-fuyant 
esl  adiuiralile.  Ilrsl  comniodi!  tlo  se  relrancber  derrière  romission 
«l'un  quarlit'r  de  noblesse ,  de  se  retirer  du  débat  et  de  ne  répon- 
dre à  rien.  Nous  avions  risqué  à  Tcndroit  des  outrances  de  M.  du 
(■asparin  la  qualification  de  clievalcres(iue.  Voudrait-il  nous  en 
faire  repentir?  S'enfuir  en  appelant  d(\s  injures  un  travail  où  l'E- 
criture, rhistoire,  les  sciences  sont  confrontées  tour  à  tour  avec  les 
incroyables  développements  d'une  tbèso  scandaleuse,  la  tactique 
esl  aisée.  Nous  n'avions  pas  cru  si  bien  dire  en  répondant  ù  M.  de 
Gasparin ,  qu'il  n'a  pas  le  courage  de  ses  opinions  autant  qu'il  le 
veut  bien  faire  paraître.  Comnienl,  un  écrivain  emploie  deux  lourds 
volumes  à  essayer  de  prouver  la  disparition  de  l'élément  sur- 
naturel dans  le  monde  depuis  les  apôtres,  il  tire  la  conclusion 
que  l'Eglise  catbolique,  qui  allirnie  l'existence  du  surnaturel,  est 
une  école  d'escroquerie,  d'ignorance  et  de  superstition  ;  il  l'accuse 
même  de  faire  mentir  la  Hible.  Le  critique  repousse  les  allégations 
du  sectaire  avec  l'indignation  d'un  bomme  blessé  dans  ses  senti- 
ments les  plus  intimes,  et  AL  de  (lasparin  se  prétend  injurié.  Où 
en  sommes-nous?  Combien  de  gens  font  à  Genève  un  crime  aux 
catholiques  d'être  venus  au  monde!  M.  de  Gasparin  voudrait-il 
leur  enlever  jusqu'au  droit  de  la  discussion  ?  Un  écrivain  nous  ou- 
trage, et  nous  aurions  tort  d'étudier  la  physiologie  intellectuelle  du 
caractère  qui  engendre  de  pareils  excès  ! 

Essayons  de  lui  donner  satisfaction  eu  égard  au  quartier  de  no- 
blesse. 

Dans  la  pensée  de  l'auteur  de  l'article  ,  il  s'agissait  uniquement 
du  titre  de  comte  qui  n'est  venu  que  fort  récemment  illustrer  le 
nom  des  Gasparin.  Nous  avions  placé  ce  titre  au  nombre  des  lar- 
gesses dont  Napoléon  T""  combla  la  famille.  Plusieurs  même 
assiirent  que  cette  inscription  au  livre  dor  serait  de  date 
bien  plus  récente.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  reconnaissons  à 
l'instant  notre  erreur;  Monsieur  de  Gasparin  tient  à  un  quar- 
tier de  noblesse  de  plus,  il  l'aura.  Nous  le  faisions  dater  de  son 
père;  il  veut  n'être  point  privé  de  sou  aïeul,  qu'à  cela  ne  tienne. 
(Je  grand'père ,  cependant,  est  de  ces  personnages  dont,  pour  l'or- 
dinaire, on  naime  guère  à  évoquer  la  mémoire,  car  ce  grand'père 
n'était  rien  moins  qu'un  révolutionnaire  de  la  pire  espèce,  un  con- 
ventionnel, enfin  un  régicide.  La  Biographie  universelle  nous  le 
donne  bien  comme  possédant  la  particule  nobiliaire,  mais  nulle- 
ment ce  titre  de  comte  qui  a  contribué  plus  qu'on  ne  pense  à  poser 


190  MKLA-SGES    KT    .NOl  VELKKS. 

son  lu'til-fils  dans  lo  monde  prolrstant.  Elle  dit  aussi  que  vc 
(lasparin-là  servit  dans  les  années  du  roi  Louis  XVI,  ainsi  que 
nous  l'écrit  M.  Agénor,  puis  qu'inOdéle  au  souverain  qui  lui  avait 
rendu  l'état  civil  et  le  droit  de  servir  dans  les  armées  françaises ,  il 
s'abandonna  aux  passions  révolutionnaires  les  plus  violentes,  qu'en- 
Un  il  vota  la  mort  du  roi  en  lui  refusant  l'appel  au  peuple.  Plus 
tard  ,  Napoléon  1"  combla  de  faveurs  les  CIs  du  régicide  et  leur 
laissa  cent  mille  francs  par  son  leslamenl. 

Voilà  ce  qu'était  ce  grand'père  (jue  M.  de  Gasparin  nous  repro- 
che d'avoir  laissé  dans  l'ombre.  Ouanl  aux  bienfaits  de  la  France 
moderne  ,  ils  nous  semblent  assez  visibles  pour  que  nous  n'ajons 
rien  à  retirer  de  notre  parole. 

Trèvo  sur  ce  déplorable  grand'père.  Que  M.  de  (lasparin  soit 
d'antique  lignée,  s'il  y  a  droit,  nous  y  consentons  de  grand  cœur; 
mais  à  la  condition  qu'il  se  voudra  bien  souvenir  du  vieux  dicton 
jadis  si  fort  en  honneur  :  .\oblesse  oblige.  S'il  veut  être  vraiment 
noble,  qu'il  le  soit  par  le  caractère  autant  que  par  le  nom.  Ou'il 
donne  à  tous,  sinon  l'exemple  d'une  discussion  calme  et  modé- 
rée, du  moins  exempte  de  ces  entraînements  qui  lui  commu- 
niquent un  caractère  fanatique.  Il  est  une  mesure  permise  à 
l'expression  des  convictions,  quelles  qu'elles  puissent  être,  lien 
est  une  permise  même  à  la  passion.  Mais  nous  n'accorderons  ja- 
mais que  racbarnemenl  que  M.  de  Gasparin  met  à  dénigrer  et  à 
travestir  la  doctrine  catholique,  son  histoire  et  ses  enseignements, 
soit  de  la  discussion  régiilièrc  et  digne  de  respect.  Surtout  que 
M.  de  Gasparin  veuille  bien  abandonner  à  notre  endroit  le  parti  do 
l'ignorance  systématique.  Il  a  plus  à  y  gagner  encore  que  nous.  Il 
est  telles  choses  qu'un  homme  ,  dans  la  position  qu'il  prétend  ,  ne 
peut  pas,  ne  doit  pas  ignorer,  sous  peine  de  mériter  cet  oubli  mi- 
séricordieux de  l'opinion  publique  qui  met  le  personnage  à  l'abri  de 
toute  controverse  et  ses  œuvres  en  dehors  de  toute  discussion. 


MKLANGKS  KT  NOIIVRI.LKS.  191 

l<:TR.%I%f>li}BI.  —  France  —  Les  Àrchivefi  du  Christianisme, 
(l.uis  un  arliclc  signé  Hosl  el  destiné  à  combattre  l'Immaculée  Con- 
((>|)lion,  emploient  les  arguments  suivants  : 

<(  Nous  ne  parlerons  ni  des  déclarations  de  l'Ecriture  sur  les  au- 
tres enfants  qu'elle  eut  après  son  mariage,  ni  de  sa  longue  inintel- 
ligence quant  à  la  divine  mission  de  son  Fils,  ni  des  leçons  qu'elle 
eut  à  recevoir  de  lui,  ni  du  vide  qui  se  fit  autour  d'elle  aussitôt 
après  l'ascension  de  Jésus,  ni  du  silence  complet,  parfait,  profond, 
que  gardent  sur  son  compte  toutes  les  épîlres  du  Nouveau  Testa- 
ment, qui  nous  parlent  de  la  foi  chrétienne  en  la  développant,  sans 
dire  un  mol  de  Marie ,  el  le  livre  des  Révélations  qui  nous  mon- 
Ire  le  ciel  ouvert,  le  ciel  habile^  le  Père,  le  Fils,  le  Saint-Esprit,  les 
saints  anges,  les  anciens,  les  êtres  vivants,  !es  martyrs,  les  saints, 
et  qui  ne  nous  marque  pas  la  moindre  place  pour  Marie,  qui  ne 
fait  pas  à  sa  présence  la  moindre  allusion.  » 

Nous  ne  répondrons  pas  aux  arguments,  aux  blasphèmes  de 
M.  Bosl;  on  y  a  répondu  cent  fois.  M.  Bosl  n'aurait  qu'à  ouvrir  une 
théologie  catholique  quelconque.  Nous  nous  contenterons  de  la  ré- 
flexion suivante  :  Le  proteslantisme  dénigre,  abaisse,  hait  la  mère 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ;  M.  Bosl  va  jusqu'à  la  damner. 
L'Eglise  catholique  l'aime,  la  loue  et  la  glorifie.  Qui  a  raison,  le 
proleslantisme  ou  l'Eglise?  El  quelle  est  donc  la  religion  du  Christ, 
relie  qui  insulte  et  méprise,  ou  bien  celle  qui  vénère  et  exalte 
la  mère  du  Christ?  El  comme  la  diatribe  de  M.  Bosl  doit  être 
agréable  à  celui  qui  a  dit  :  Tes  père  et  mère  honoreras,  afin  que  tu 
vives  longuement.  Les  journaux  de  Genève  se  sont  mis  égale- 
ment en  frais  d'esprit  contre  le  dogrne  de  l'Immaculée  Conception. 
Nous  laissons  passer  ces  flots  d'injures.  Nous  croyons  que  c'est  le 
génie  de  l'erreur  et  du  mal  qui  les  soulève,  el  qu'il  les  soulève  parce 
qu'il  sent  son  empire  menacé.  Et  nous  aimons  à  répéter  les  paroles 
suivantes  de  Mgr  l'évêque  de  Montauban  dans  son  Mandement  au 
sujet  de  l'Immaculée  Conception  : 

(V  Si  nous  en  croyons  à  un  pressentiment  général,  aux  aspirations 
des  plus  saints  personnages  de  ces  derniers  temps,  la  proclamation 
authentique  de  la  doctrine  et  du  sentiment  de  l'Eglise  sur  la  pré- 
rogative de  Marie  conçue  sans  péché ,  sera  le  prélude  d'une  ère  de 
prospérité  et  de  bonheur,  de  paix  et  de  renouvellement  de  la  piété 
dans  tous  les  Etals  catholiques.  Nous  avons  même  la  confiance  que 
le  sein  de  l'Eglise  cessera  alors  d'être  déchiré  par  le  schisme  et  par 


192  MÈLANtit:S  KT  NOIVF.LLES. 

l'Iu'ri'sio  ,  ot  f|iifi  nos  frères  sc'part's  viendront  en  foule  se  réfugier 
sous  la  houIclU'  du  \  icaire  de  Jésus-Christ.  Puisse-t-il  en  être  ainsi  ! 
c'est  la  grAce  que  nous  demandons  avec  ardeur  par  rintcrccssioii 
de  Celle  que  l'Eglise  félicite  si  souvent  dans  ses  ofliccs  d'avoir 
triomplié  seule  de  toutes  les  hérésies  cl  de  les  avoir  anéanties  dans 
tout  l'univers.  »  Fiat,  fiât! 

AllciiiHjçne.  —  A  la  conversion  récente  du  savant  Robert 
Wilherforce,  vient  s'ajouter  la  suivante  :  Le  comte  de  Stolberg,  pe- 
til-Ols  du  célèbre  historien  de  ce  nom,  converti  en  1808,  est  ren- 
tré, il  y  a  quelques  jours,  dans  le  sein  de  l'Eglise  catholique,  A  Kal- 
tern  (Tyrol). 

Cet  heureux  événement  nous  en  rappelle  un  autre  un  peu  dif- 
férent. Un  M.  De  Sanctis,  religieux  et  prêtre  catholi(|ue,  apostasia 
en  1847.  Il  publia  un  pamphlet  contre  le  sacrement  de  l'énitence  et 
vint  ù  Genève  où  il  fut  accueilli  et  choyé.  C'était  naturel.  Nous 
croyons  même  qu'il  a  été  appelé  à  parler  plus  d'une  fois  dans  des 
assemblées  du  culte  prolestant.  Or  la  Lucc  cvanQdica,']o\xn\d\  pro- 
testant de  Turin,  annonçait  eu  novembre  dernier  «  que  M.  De  Sanc- 
tis, ministre  du  Saint-Evangile....  a  été  par  la  vén.  Table  de  l'E- 
glise vaudoise,  dkmissio.nnê  a  l'instant  de  l'emploi  d'évangélislc.» 
Dans  la  Buona  Xoiella,  autre  journal  de  la  secte  vaudoise,  on  a 
aussi  inséré  la  lettre  de  doidlution  de  M.  De  Sanctis.  Pourquoi  cette 
destitution?  On  ne  le  dit  pas;  mais — 

On  voit  qu'il  y  a  conversions  et  conversions. 


LE 


SALOT  GRATUIT  ET  M.  DE  RÉMOSAT. 


II. 


Les  doctrines  de  la  prédestination,  de  la  justification,  du  salut, 
de  la  grâce  et  des  œuvres  ont  toujours  été  des  mystères  redouta- 
bles hors  de  l'Eglise.    Tandis  que  se  rencontrent,  s'unissent  et 
s'harmonisent,  dans  la  foi  catholique,  la  sagesse,  la  justice  et 
la  bonté  de  Dieu;  la  rédemption,  l'amour  et  la  grâce  de  Jésus- 
Christ;  le  libre  arbitre,  la  moralité  et  la  sanctification  de  l'hom- 
me ,  au  contraire ,  dans  tous  les  systèmes  anciens  ou  nouveaux 
qui  ont  voulu  changer  quelque  chose  à  l'ordre  souverain  du 
Créateur,  en  modifier  les  relations,  en  forcer  les  conséquences, 
les  plus  funestes  aberrations  sont  venues,  avec  toutes  sortes  de 
maux  pour  l'humanité,  constater  une  fois  de  plus,  qu'il  ne  faut 
rien  moins  qu'une  autorité  infaillible  pour  enseigner  les  vérita- 
bles rapports  de  Dieu  avec  les  hommes.  Le  génie ,  la  plus  sa- 
vante exégèse,  les  intentions  les  plus  pures,  la  raison  la  plus 
droite  restent  parfaitement  incapables  de  fixer  la  croyance ,  de 
l'imposer  à  soi-même  et  aux  autres.  Qu'ils  sont  donc  téméraires 
les  hommes  qui ,  sur  des  matières  d'une  si  haute  portée ,  disent 
à  l'artisan  des  villes  ou  au  laboureur  des  champs  :  «Prenez  une 

13 


19»  I.K  SAUT  r.HATC  IT  l-T  M.   M    lil^-MlSAT. 

»  Hil»!»'  plus  ou  moins  compkic,  plus  ou  moins  hirn  Uaduiir,  (  i 
»  résolvez  les  plus  inribles  problèmes  de  la  naluie  de  Dieu,  de 
»  la  rédeinpiion  de  Jésus-Clirisi  ei  de  la  liberté  de  l'homme  1  » 
Les  plus  j,'rands  {,'énies  de  l'antiquité,  les  sommités  de  la  icfor- 
malion  thi  sei/ième  siècle  s'y  sont  brisés;  aujourd'hui,  hors  de 
rEf,'lise  caiholifpie,  l'anarthie  et  le  doute  conduisent  incessam- 
ment les  iniellij,'en(  <'s  é},Mrées  et  les  cœurs  faciles  aux  extrêmes 
de  rincn'dujiié  et  de  la  sujx-rslition,  et  vous  osez  dire  :  Prenez, 
lisez  et  décidez  !! 

Pour  nous,  plus  nous  éludions  et  les  erreurs  des  hommes,  ei 
la  doctrine  de  l'Kj^lise,  plus  nous  nous  sentons  heureux,  tout  à 
la  fois  d'avoir  un  guide  divin  dans  nos  éludes,  et  de  découvrir 
tous  les  jours  davantage  par  la  contemplation  des  vérités  ca- 
tholiques, la  sûreié,  la  beauté  et  le  ravissant  éclat  de  la  mani- 
festation de  Dieu. 

Mais  ce  qui  a  aussi  un  cliarmc  particulier,  c'est,  dans  le  cours 
d'une  vie  de  méditation,  de  travaux  et  de  prière,  de  rencontrer 
parfois  (juebpi'une  de  ces  âmes,  en  dehors  de  la  société  et  de 
l'unité  caih()li(pies,  qui  reçoivent  cependant  ses  bénignes  inlluen- 
ces  et  qui  viennent  des  lointaines  plages  des  opinions  humaines 
et  individuelles,  ap()orter  leur  lénioiguage  <'onlre  l'erreur. 

Je  dois  le  dive,  en  lisant  les  Conférences  de  M.  Martin  sur  la 
rédemption  (\),  j'ai  «prouvé  ce  charme;  ei,  avec  toutes  les  r<'- 
serves  n('cessair«'s,  je  dis  (pie  ce  ministre,  dans  la  question  de  la 
justification,  de  la  foi,  <le  la  grâce  et  des  uuvres,  est  souvent 
catholique,  peut-être  sans  le  savoir  et  certainement  sans  le  vou- 
loir. Evidemment  M.  Martin  reste  et  restera  ministre  protestant; 
si  quelquefois  nous  pouvons  tomber  à  peu  près  d'accord  ensem- 
ble surquehjues  parties  de  la  grande  thèse  ipii  nous  occupe  ,  la 
chose  n'en  ira  pas  plus  loin.  Il  est  visible  (pi'il  n'a  pas  encore 
éiiidit'  la  qui^siion  de  l'Rglise  et  des  saciements  de  la  même  ma- 
nière (ju'il  a  étudie  celle  de  la  juslilication  ;  et  comme  mille  (hai- 
nes enlacent  ses  idées  et  ses  sentiments  dans  une  position  fixée, 
il  est  d'une  immense  diffîculté  ,  je  ne  dis  pas  impossibilité,  (pi'il 
arrive  à  comprendre  et  à  exposer,  à  l'instar  des  plus  célèbres 

(I)  M.  Martin  est  pasteur  do  l'église  nationale  ilc  (lencvo. 


LK  SAIXT  «RATUIT  ET  M.  DK  RKMtSAT.  195 

ininisircs  anglicans  ([iii  so  sont  faits  catholiques,  les  magoifiques 
et  inal((''rahlos  nisci^'ncmcnts  de  l'Ef^liso.- 

M.  Martin  a  certainement  le  talent  de  l'analyse  et  de  l'exposi- 
lion  ;  il  a  beaucoup  travaillé,  il  a  commencé  à  pénétrer  dans  les 
ouvrages  des  grands  théologiens  catholiques,  il  a  comparé  les 
systèmes  protestants,  et,  semblable  à  ces  docteurs  d'Oxford  et 
de  Heidelberg  qui  ont  délaissé  le  salut  gratuit  par  la  foi  seule 
sans  les  œuvres,  il  est  arrivé  à  peu  de  chose  près  à  enseigner  à 
son  auditoire  acad('nii<iue  et  choisi  de  Genève,  qui  certes  ne  s'en 
doutait  guère  ,  plusieurs  des  doctrines  du  concile  général  de 
Trente.  Sans  doute  c'est  une  autre  phraséologie  ;  sans  doute  la 
teinte  protestante,  les  accessoires  protestants  y  sont  nombreux  ; 
sans  doute  il  y  a  plusieurs  erreurs  capitales;  mais  enfin  ,  nous 
arrivons  à  dire  ensemble  :  «  La  prédestination  absolue  est  un 
»  système  «  épouvantable  »  (1).  Le  salut  est  gratuit  en  tant  qu'il 
»  précède  tout,  que  Jésus-Christ  ne  nous  devait  rien;  que  sans 
»  la  foi ,  sans  la  grâce  ,  sans  la  chai'ité  ,  sans  le  libre  arbitre  de 
»  l'homme,  sans  sa  part  dans  sa  propre  sanctification  («  les  bon- 
»  nés  œuvres  »),  il  n'y  a  pas  de  salut!!  » 

Oui,  nous  en  sommes-là  tous  les  deux  ;  et  dans  une  joie  que 
je  voudrais  faire  partager  à  M.  Martin  et  à  tous  les  protestants, 
je  me  demande  si  la  grande  barrière  étant  franchie,  d'autres  lu- 
mières et  d'autres  rapprochements  ne  se  feront  pas....  Je  ne  de- 
mande, pour  cela,  que  des  études  consciencieuses  et  fortes,  de 
la  droiture  ,  une  portée  d'esprit  élevée  et  le  généreux  désir  de 
réaliser  la  pensée  et  le  sentiment  du  cœur  de  Notre  Seigneur  Jé- 
sus-Christ :  l'unité  des  chrétiens  dans  la  même  foi,  una  fides , 
et  dans  la  même  charité,  m  charitale. 

Je  dois  justifier  ici  mon  jugement  au  sujet  de  M.  Martin. 

Dans  sa  dernière  conférence  de  1846  ,  M.  Martin  traite  de  la 
CONSCIENCE  et  il  soutient  ces  trois  propositions  : 

1°  La  foi  au  pardon  gratuit  augmente  le  respect  pour  la  loi 
morale. 

2"  La  foi  au  pardon  gratuit  est  le  plus  sur  mobile  pour  la 
sanctification. 

(1)  Martin,  T.  II,  p.  105  et  205. 


196  LK  SALIT  GRATUIT  IT  M.  I»l    ItKMISAT. 

3°  La  foi  au  pardon  f^raluil  donne,  soulo,  la  paix  :'i  la  rons- 
cicnco  de  riioniinc. 

M.  Marlin  expose  «juc  *  Tcsscncc;  du  pardon  j,'iainit ,  c'osi , 
»  comme  son  nom  l'indique,  d'ôlre  donné  pour  rion  ;  >  «  qu'une; 
•  condition  y  est  attachée,  la  foi;»  et  que  la  foi  (1),  c'est  la 
»  confiance  en  celui  (]ui  pardonne ,  le  rc^^ret  d'avoir  mal  fait  cl 
»  le  désir  de  bien  faire.  » 

Il  met  en  présence  de  ce  système  celui  qui  considère  l'Iiom- 
me  comme  «  ne  |)0uvani  obtenir  son  pardon  de  Dieu  qu'après 
»  l'avoir  mérité  par  (pRlcpie  «liose,  après  s'être  sanctifié,  après 
»  avoir  fait  des  bonnes  œuvres.  »  Il  commence  alors  un  duel  à 
mort  entre  ce  qu'il  appelle  le  Pardon  par  la  loi  de  grâce,  el  le 
Pardon  par  la  loi  des  œuvres.  Hien  entendu  le  premier  pourfend 
le  second. 

Si  M.  Martin  avait  cru  combattre  la  doctrine  catholique  dans 
cet  hétérogène  système  du  Pardon  par  la  loi  des  œuvres  sans  la 
gratuité  de  Jésus-Christ  (*2),  sans  la  foi ,  sans  la  grâce,  et  avec 
des  œuvres  purement  humaines ,  évidemment  il  aurait  montré 
une  ignorance  de  la  doctrine  catholique  qui  condamne  tout  cet 
échafaudage  bien  autrement  que  ne  peut  le  faire  M.  Marlin; 
aussi  cet  écrivain  n'a-t-il  dit  nulle  part  qu'il  s'exprimait  ainsi 
contre  le  catholicisme,  c'est  le  système  socinien,  le  système  pé- 
lagien  qu'il  a  sans  doute  voulu  foudroyer;  et  il  a  bien  fait,  et 
nous  sommes  d'accord  avec  lui ,  sinon  sur  la  valeur  des  défini- 
tions,, du  parallèle  et  des  arguments  ,  du  moins  sur  l'inanité'  du 
«  pardon  par  la  loi  des  œuvres  seules.  »  En  lisant  les  Conféren- 
ces de  1847,  ou  peut  croire  à  un  changement  de  front,  à  une 
modification  profonde  dans  les  idées  de  M.  Marlin;    mais  sans 


(i)  Celte  définitiun  ncsl  pas  exacte.  «  Or  la  foi,  dit  saint  Paul,  est  le  fon- 
»  dément  des  choses  ijue  l'on  doit  cspcier,  et  Ui  pleine  conviction  de  celles 
»  qu'on  ne  voit  pas.  »  «  Est  autem  fldrs  sprrttndnntm  subslantia  rervm,  ar. 
»  gumentum  non  apparcnlium.  »  (lleb.  \I.  I).  —  La  foi  est  une  vertu  sur- 
nalui-clle  par  laquelle  nous  croyons  en  Dieu  cl  toutes  les  vérilt's  qu'il  nous 
a  révélées  par  son  Eglise.  Dans  la  foi,  il  y  a  trois  objets  essentiels  :  les  vé- 
rili't  de  Dieu  à  croit  e,  la  gnlce  qui  agit  el  la  ro/nn(<'' qui  adhère  fermement. 
huinbleMiciit  et  enlièremcnt. 

Ci)  Saint  Paul,  a.l  II. .m.  III.  2i.  Conc.  Trid.  .«^ess.  6.  ^8. 


LE  SALLT  (illATC  IT  KT  M.  DE  RÉMLSAT.  197 

nous  arrêter  à  l'impression  que  nous  avons  épiouvée  à  cet 
«'•yard,  nous  devons  dire  qu'en  présence  du  système  pélagien  , 
les  trois  propositions  de  la  thèse  de  M.  Martin  sont  vraies,  si 
dans  le  terme  de  la  foi  aupardon  gratuit  se  trouve  ,  comme  il  le 
tait  prcsscntii-  et  comme,  il  le  dira  lormellement  plus  tard,  t  la 
»  sanctification  ou  les  bonnes  œuvres  avec  la  foi,  le  libre  arbitre 
»  de  l'homme  et  la  grâce  de  Dieu.  » 


Nous  arrivons  aux  conrércnccs  de  1847.  L'année  précédente, 
M.  Martin  traitait  de  I'Expiation;  cette  année,  c'est  de  la  Sanc- 
tification. Voici  le  titre  des  six  conférences  : 

1°  Nécessité  de  la  sanctification. 

2"  Union  du  pardon  gratuit  et  de  la  sanctification. 

3°  Nature  et  degré  de  la  sanctification. 

4°  L'homme  dans  l'œuvre  de  la  sanctification. 

6"  Dieu  dans  l'œuvre  de  la  sanctification. 

6°  Développement  et  résultats  de  la  sanctification. 

Ces  conférences  sont  suivies  d'un  Essai  sur  la  prédestination, 
où  M.  Martin  justifie  l'expression  d'ÉPOUVAiNTABLE  dont  il  s'est 
servi  en  qualifiant  la  prédestination  calviniste  ;  il  prouve  que 
cet  épouvantable  système  est  contraire  aux  Saintes  Ecritures,  et 
il  montre  que,  soit  dans  l'Eglise  primitive  et  dans  l'Eglise  du 
moyen  âge,  soit  dans  les  églises  réformées  anglicanes  et  améri- 
caines, V épouvantable  est  condamnée  ou  abandonnée.  On  le  voit, 
nous  sommes  singulièrement  loin,  M.  Martin  et  moi,  de  l'idée  de 
M.  Charles  de  Rémusat. 

Dans  la  première  conférence,  M.  Martin  admet  que  les  mots 
conversion,  sainteté,  bonnes  œuvres,  sanctification,  désignent  au 
fond  la  même  chose  ;  il  se  propose  d'examiner  la  sanctification 
en  elle-même  et  dans  ses  moyens  de  la  produire  ;  «  l'opposition 
du  pardon  gratuit  et  de  la  sanctification  qui ,  loin  de  s'exclure , 
se  complètent    et  s'unissent  pour  former  un  seul   tout,  n'est 

qu'apparente »   «  Je  prouverai,  dit-il,  que  la  libre  volonté  de 

l'homme  est  un  élément  essentiel  de  son  changement  moral  ;  qu'il 
est  appelé  à  prendre  à  ce  changement  une  part  telle,  qu'il  de- 
vient complètement  responsable  du  résultat ,  et  qu'ainsi ,  en  ce 


\\)H  I.K  SALIT  GRATin    ET  M.  DK  MKMLSAT. 

sens,  la  saiiciilicalion  est  véiilablemenl  l'œuvre  Je  l'homme.  »> 
•  Je  |)rouvcrrai  ensuite  que  si  l'action  de  l'Iiomme  est  nécessaire 
pour  (ju'il  puisse  se  sanctifier,  cependant  elle  ne  sufTil  pas;  si  peu 
même  ,  qu'il  est  vrai   de  dire  que  toute  sa  volonté  et  tous  ses 
efforts  ne   sauraient   rien  produire    dans    un    ordre    de  faits , 
sans  le  secours  de  Dieu  ,  sans  l'inlluence  de  la  grâce ,  de  son 
Saint-Esprit,  et  «pi'ainsi ,  en  ce  sens,  la  sanctilicaiion  est  vérita- 
bk'uicnl  Vœuvre  de  Dieu.  »  Après  avoir  écrit  de  belles  payes  sur 
la  sainteté  de  Dieu  et  sur  la  nécessité  de  la  sainteté  de  l'homme 
pour  le  salut,  il  termine  par  ces  paroles  bien  propres  à  renver- 
ser cette  malencontreuse  assertion  de  M.  Charles  de  Uémusat  : 
«  Le  salut  gratuit  semble  ressortir  des  termes  des  épilresde  saint 
»  Paul,  et  ffMcun  texte  de  l'Ecriture  ne  le  contredit  formellement.  » 
n  Mais  si  je  voulais  rapporter  ici ,  s'écrie  M.  Martin  ,  toutes  les 
déclarations  semées  dans  nos  Ecritures  pour  allesler  cette  irré- 
fragable vérité,  que  la  sanctification  est  nécessaire  à  l'homme 
pour  être  sauvé,  je  n'en  finirais  pas!  Un  instant  seulement  encore 
pour  entendre  là-dessus  l'apôtre  de  la  justification  par  la  foi,  le 
j)rédicaieui'  par  excellence  du  pardon  gratuit,  afin  de  voir  si,  se- 
lon saint  l*aul,  les  d  iivies  font  |)eu  de  chose  poiu-  le  salut.  Je  ne 
citerai  cju'unc  ou  deux  de  ses  pai'olos  paiini  vingt  autres  sembla- 
bles :  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui  écoulent  la  loi  qui  sont  justes  dé- 
liant Dieu,  ce  sont  ceux  qui  iobservent  qui  seront  justifiés.  Gar- 
dez-ious  donc  de  tous  amasser  un  trésor  de  colère  pour  le  jour 
de  la  colère  et  du  juste  jugement  de  Dieu,  qui  rendra  à  chacun 
selon  ses  œuvres.  Il  donnera  la  vie  éternelle  à  ceux  qui,  par  la 
perséiérance  dans  les  bonnes  oeuvres,  cherchent  la  gloire^  Vhon- 
neur  et  Fimmortalité.    El  <|Ue  dit  de  lui-même,  à  cet  égard,  cet 
liomme  de  loi.'  Je  traite  durement  mon  corps  et  je  le  tiens  as- 
sujetti, de  peur  qu  après  avoir  prêché  aux  autres,  je  ne  sois  moi- 
même  rejeté.    Saint  Paul  donne-t-il  peu   d'inq^ortance  à  la  sain- 
teté.' —  Mais  quoi!    n'esl-ce  |)as  lui  encoriî  (jui  fait  cette  décla- 
ration si  précise  cl  si  nelle  :  Sans  la  sanctification,  personne  ne 
verra  le  Seigneur.  » 

Dans  sa  .seconde  conférence,  M.  Martin  vent  ciablir  qu'il  y  a 
niiinn  du  pardon  giatuit  et  de  la  sanclilicalion.  «  La  sanctili- 
caiion chrélieniir.   (lii-il,  tsi   piuenient  la   manisfestalion    exte" 


LE  SALUT  GUATUIT  HT  M.  DK  IlÉMLSAT.  10!) 

rieiiie  du  [lardon  gratuit »    Ce  pardon   est  accordé  à  la  loi 

seule  sans  les  œuvres...  »  <  Aussi  quels  que  soient  ses  anlécé- 
denls  (M  à  (lurhiuc  moment  <iuo  la  flamme  de  la  foi  s'allume  ou 
se  rallume  dans  son  âme,  que  ce  soit  hier,  aujourd'hui  ou  de- 
main, il  est  aussitôt,  par  cela  même,  réconcilié,  uni  à  Christ,  en 
étal  de  },'râce  devant  Dieu....  (1) 

Il  est  évident  que  ces  (rois  phrases  sont  des  erreurs.  La  sanc- 
tification n'est  pas  qu'une  manifestation  du  pardon  gratuit...  Le 
pardon  n'est  pas  accordé  à  la  foi  seule...  La  foi  ne  suffît  pas  pour 
la  réconciliation  avec  Dieu  ,  pour  l'état  de  grâce ,  pour  l'union 
avec  Jésus-Christ  — 

Ce  sera  M.  Martin  qui  se  chargera  tout  à  l'heure  de  le  prou- 
ver. Mais  qu'il  me  soit  permis  de  faire  observer  que  le  système 
de  M.  Martin  ne  peut  pas  être  complet  tant  qu'il  n'admet  pas  les 
moyens  institués  par  Jésus-Christ  pour  opérer  la  réconciliation , 
Vétat  de  grâce  et  Vunion  avec  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  les  sa- 
crements de  réconciliation,  sacrements  qui  donnent  ou  augmen- 
tent la  ^r(2ce,  sacrements  d'wnton  avec  Jésus-Christ  !!I  Mais  ce 
comph-ment  nécessaire  du  christianisme,  ces  inventions  de  la 
miséi'icorde  et  de  l'amour  de  Jésus-Christ  étant  méconnus  ou 
niés  pour  la  plupart,  ou  étant  défigurés  dans  les  systèmes  protes- 
tants, surtout  dans  ceux  qui  sont  calvinistes,  M.  Martin  est,  par 
la  force  même  de  ses  négations,  obligé  à  clore  encore  ses  idées. 
S'il  abandonnait  la  pointe  d'aiguille  où  il  se  place,  il  tomberait 
aussitôt  en  plein  calvinisme  épouvantable  à  ses  yeux,  ou  en  plein 
catholicisme  impossible  pour  lui.  Je  recommande  cette  observa- 
lion  à  l'examen  des  hommes  sérieux. 

Ce  qui  aide  M.  Martin  à  passer  par  dessus  la  difficulté  ou  la 
contradiction ,  c'est  qu'il  exige ,  «  pour  obtenir  le  pardon  par  la 
»  foi,  que  cette  foi  soit  sincère  (2).  »   «  Pas  autre  chose,  »  dit-il. 


(1)  Il  y  a  une  autre  phrase  du  même  genre  et  de  la  même  conférence  qui 
est  encore  plus  louche  qu'elle  n'est  inexacte:  a  la  sanctification  ne  vous  est 
nullement  nécessaire  pour  le  passé,  le  pardon,  mais  elle  vous  est  nécessaire 
pour  l'avenir,  le  salut.  » 

(2)  M.  Martin  change  la  valeur  habituelle  du  mot,  de  l'idée  et  des  condi- 
tions de  la  sincérité. 


200  LB  SALLT  UflATl'IT  ET  M.   UK  KEMISAT. 

La  foi  sincère  est  celle  qui  se  manifestera  par  l'amour...  L'a- 
mour est  une  joie,  une  force,  il  est  aussi  la  source  de  la  vie  mo- 
rale. «  Et  voilà  pourquoi,  s'«''crie  M.  Martin,  il  est  profondc'ment 
vrai,  que  ce  n'est  que  la  foi  cliréticuiie  <jui  produit  la  sam  tilica- 
tiou  ,  parce  qu'elle  seule  produit  l'amour,  et  par  conséquent  le 
dévouement,  qui  est  le  lanf,'agc  d«^  l'amour.  Celui  (jui  ne  sent 
que  de  Id  crainte  pour  Dieu,  se  ferait  rebelle,  s'il  l'osait.  Com- 
ment se  sanctilierait-il  !  L'infortuné  ne  travaille  que  par  force, 
et  il  lui  manque  ce  qui  donne  la  force.  Tandis  que  celui  qui 
aime  est  sanctilié  par  cela  même;  car  Vamour,  dit  saint  Paul, 
est  l'accomplissement  de  la  loi.  —  Et  cette  foi,  qui  imprime  à 
l'àme  un  si  puissant  entraînement  vers  ce  qui  est  paix,  joie,  sain- 
teté, c'es-à-dire  vers  Dieu,  celle  fui,  en  remontant  ainsi  toujours 
à  la  source  infinie  de  toute  perfection  et  de  toute  félicité,  y 
puise  sans  cesse  de  nouvelles  forces.  Elle  s'alimente  et  s'enri- 
iliil  dans  ce  saint  commerce  :  plus  elle  donne,  plus  elle  reçoit , 
et  plus  elle  reçoit,  plus  elle  donne.  C'est  alors  qu'on  voit ,  dans 
le  cœur  du  chrétien,  la  foi  et  la  sainteté  se  fortiliant,  se  dévelop- 
pant l'une  par  l'autre  et  grandissant  ensemble;  comme  nous 
rainionce,  au  reste,  et  nous  le  promet  avec  tant  de  clarté'  cette 
parole  de  l'Ecriture  :  f^otre  foi  agissant  par  vos  œuvres ^  par  los 
œuvres  votre  foi  devient  parfaite. 

»  Voilà  pourquoi  l'Evangile  ne  fait  qu'un  ,  du  pardon  gratuit 
et  de  la  sanctilication,  ou  si  vous  voulez,  de  la  foi  et  des  œuvres 
(car  il  n'échappe  sans  doute  à  personne  ici  que  c'est,  au  fond  , 
celte  question  qui  nous  occupe).  Voilà  pourquoi  l'Evangile  ne 
sépare  jamais  l'une  des  autres,  pas  plus  (pj'on  ne  peut  séparer 
la  plante  de  sa  racine  ou  le  fleuve  de  sa  source.  Voilà  pour(]Uoi, 
enfin,  nous  devons  tous  nous  pénétrer  de  celle  vérité.  Car  on 
|)eut  se  faire  des  illusions  sur  sa  foi;  et  plus  d'une  personne, 
(jui  serait  fort  étonnée  et  peut-être  irrité-e,  si  on  se  permettait  de 
douter  de  la  sienne,  ne  se  préoccupe  pas  assez  peut-être  de  cette 
intime  union  de  la  foi  et  des  œuvres  dont  parle  l'Evangile.  • 

Et  M.  Martin,  combattant  «  la  foi  de  tête,  »  o  la  foi  sentimen- 
lale  ei  des  larmes,  »  ajoute  les  paroles  de  saint  .lar(jues  :  •  /  ous 
avez  la  foi?  Montrez-moi  votre  foi  sans  les  «lUives ;  pour  moi, 
je  vous  motUrvrai  ma  foi  f>nr  mes  ouvres.  Comme  un  corps  sang 


I-i;  SAIA'T  (iUATLIT  Kl    M.  I)K  HKMISAT.  201 

dme  est  mort,  de  même  la  foi  sans  les  œuvres  est  morte ^  et  elle  ne 
pourra  pas  t>ous  sauver.  »  «  El  prenez -y  garde,  tous  les  apôlrcs 
lienncnl  le  rnt^nio  langage.  Qu()i([u'il  puisse  leur  arriver  parfois, 
et  suivant  le  besoin,  d'insisler  davantage,  tantôt  sur  l'une,  tan- 
tôt sur  l'autre  des  deux  laces  de  la  rédemption,  au  fond  ,  leur 
pensée  est  constamment  la  même  ;  il  n'y  a  de  diiïérence  entre  eux 
que  la  différence  de  leurs  auditeurs.  Saint  Paul  s'adressant  à  des 
chrétiens  judaisans ,  qui  prétendaient  n'avoir  pas  besoin  de  la 
grâce  qui  est  en  Jésus-Christ  et  voulaient  donner  leurs  œuvres 
comme  équivalent  du  salut,  saint  Paul  leur  dit  :  C'est  par  grâce 
que  vous  êtes  sauvés,  par  le  moyen  de  la  foi,  et  ce  n'est  point  par 
les  œuvres,  afin  que  personne  ne  se  glorifie.  Saint  Jacques,  que 
quelques-uns  se  plaisent,  je  ne  sais  pourquoi,  à  opposer  à  saint 
Paul  sur  ce  point,  saint  Jacques,  s'adressant  à  de  tels  hommes, 
leur  parlerait  de  la  même  manière  ;  mais  il  écrit  à  des  chrétiens 
(jui  se  jetaient  dans  un  excès  opposé,  en  croyant  à  l'inutilité  des 
œuvres  pour  le  salut.  Alors  l'apôtre  combattant,  non  pas  la  foi 
sanctifiante  que  prêche  Paul ,  mais  la  foi  de  tète  en  laquelle  se 
confient  ces  insensés ,  l'apôtre  leur  dit  ce  que  vous  venez  d'en- 
tendre. Saint  Paul,  s'adressant  à  de  tels  hommes,  leur  parlerait 
de  la  même  manière.  Que  dis-je  leur  parlerait  P  II  leur  a  parlé; 
et  je  vous  en  ai  cité  des  preuves  qui,  certes,  ne  sont  pas  équivo- 
ques. Eh  !  c'est  saint  Paul  qui,  de  tous  les  apôtres  peut-être,  est 
le  plus  abondant  dans  l'union  intime  et  nécessaire  de  la  foi  et 
des  œuvres;  c'est  lui  qui  nous  fournit,  à  cet  égard,  les  formules 
les  plus  précises  et  les  plus  nettes  ;  témoin  celle-ci  encore  ,  qui 
pourrait  résumer  tout  le  sujet  :  Ce  qui  sert  en  Jésus -Christ,  c''est 
la  foi  agissante  par  la  charité,  ou  l'amour.» 

Dans  la  conférence  sur  la  nature  et  le  degré  de  la  sanctifica- 
tion, M.  Martin  se  fait  ces  questions  :  «  Qu'est-ce  donc  que  cette 
»  sanctificaiion  qui  m'est  si  nécessaire?  En  quoi  consiste-t-elle 
»  positivement?  Et  comment  puis-je  savoir,  enfin,  si  je  la  possède 
»  ou  si  je  ne  la  possède  pas?  »  Question  de  toute  gravité,  puis- 
qu'elle revient  à  celle-ci  :  si  je  mourais  maintenant ,  serais-je 
sauvé,  serais-je  perdu?»  Selon  lui,  la  sanctification  chrétienne 
consiste  en  deux  choses  : 

1°  Le  changement  du  cœur...,  l'intention...,  et  le  seul  motif 


•201  l.V.  SALIT  GBATllT  KTM.  DK  KKMl  SAT. 

»  i|ui  puisse  rnidrc  nos  actions  bonnes,  c'est  qu'elles  soient  fail«'s 
o  par  amour  pour  Dieu  cl  dans  le  dessein,de  lui  plaire.  »  Voici 
une  belle  page  de  M.  Martin  :  «  Kli  hien,  il  n'y  a  qu'un  seul  mo- 
tif (|ui  puisse  rendre  lionnes  nos  actions,  c'est  (ju'elles  soient 
failts  pai-  amour  pour  Dieu  et  dans  le  dessein  do.  lui  plaire.  IVé- 
r«  ni-  (juel<|uc  chose  à  Dieu,  et  par  conséquent  obéir  ù  une  au- 
in-  impulsion  (pie  la  sienne,  c'est  précisément  l'inverse  de  la 
.san(  lilication.  L'iiounne  qui  est  ainsi  ne  peut  pas  faire  des  œu- 
vres chrétiennes;  il  faut  auparavant  «|u'il  change  son  cœur,  qu'il 
aime  Dieu  :  c'est  la  régénération.  —  El  je  n'imagine  pas  que 
personne  veuille  contester  le  [)rincipeque  je  NÎensde  poser  et  (|ui 
est  la  base  de  tout,  savoir  :  qu'il  n'y  a  de  bon  moral  «pie  ce  (jui  esl 
conforme  à  la  volonté  de  Dieu  ei  fait  dans  le  dessein  de  lui  plaire. 
Car,  d'abord  ,  vouloir  admettre  qu'un  être  opposé  à  Dieu  puisse 
devenir  saint,  ce  serait  admettre  une  sainteté  en  opposition  avec 
Dieu,  ce  qui  esl  nou-seulemenl  une  inq)ossibilité,  mais  une  con- 
tradiction dans  les  termes.  Dieu,  s'il  esl  Dieu,  est  la  source  unique 
de  tout  bien  ,  el  hors  de  lui  il  n'y  a  <pic  mal  1'  :  c'est  un  axiome 
philosophi(|ue.  Va  (piaiil  aux  motifs  de  la  conduite;,  si  l'homme 
ne  les  puise  pas  dans  l'amour  de  Dieu  ,  il  les  puise  nécessaire- 
ment dans  l'amour  de  soi  ou  du  monde  :  c'est  le  péché.  —  Il 
vous  esl  donc  très-facile  de  reconnaîtie  que  celui  qui  n'aime  pas 
Dieu,  fera  naturellement  de  mauvaises  œuvres,  mais  qu'il  ne 
peut  pas  en  faire  <pii  soient  réellement  bonnes,  en  d'autres  ter- 
mes agréables  à  Dieu  ;  car  (elles  nu*mes  de  ces  œuvres  qui  sem- 
bleraient bonnes,  ne  le  seraient  (ju'en  apparence,  puiscpie  le  mo- 
tif nfn  est  pas  bon.  Ainsi,  deux  hommes  pourraient  avoir  une 
vie  parfailemenl  semblable  à  l'extérieur,  et  paifaiiemeni  oppo- 
sée aux  yeux  de  Dieu.  !■  «  Et  prenez  garde,  (pii  lui  a  donné  son 
cœur  tout  entier.  Ce  serait  une  dérision  que  d'imaginer  qu'il  suf- 
lise  de  le  donner  en  partie  ;  celui  qui  s'en  réserve  tme  part,  au 
fond  ne  donne  rien.  Qu'est-ce  qu'un  cœur  partagé?  Ce  n'est  au- 
tre (  liose  (pi'un  cœur  tout  entier  soumis  au  monde,  (]ui  regrette 
seulemenl,  parfois,  de  ne  l'ôlre  pas  à  Dieu.  Mais,  sans  poursui- 
vre ici  des  raisonnements  superllus ,  laissons  parler  l'Eiritnre; 
elle  est  assez  explicite  ;'i  cet  egaid.  La  raison  souveraine  vous  le 

il)  1,1!  sci-diid  ineinbrc  lie  la  proposition  n■c^l  >rai  que  fccundum  quid. 


LE  SALUT  GRATi;iT  KT  M.  I)K  HKIM»  SAT.  203 

(lil  avec  toiUc  l'anloiilé  (|iii  lui  apparlicnt  :  Nul  ne  peut  servir 
deux  maîtres  ;  il  minera  l'un  et  il  haïra  l'autre .  Celui  qui  aime 
le  monde,  V amour  du  Père  n  est  point  en  lui.  Lo  Tiès-Haul  ne 
soullre  point  de  partage.  Tu  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu,  de 
tout  ton  cœur,  de  tonte  ton  âme  et  de  toute  ta  pensée.  C'est  là  le 
premier  et  le  plus  grand  commandement  ;  et  il  ne  peut  pas  ne  pas 
l'êlrc.  Oui ,  changer  son  cœur,  le  donner  tout  entier  à  Dieu , 
voilà  le  premier  trait  de  la  sanciilicalion  chrétienne.  » 

2"  Le  second  irait  de  la  sanciilicalion  clirélicnne  selon  M.  Mar- 
tin, c'est  d'agir  en  conséquence  du  changement  du  cœur,  c'est 
de  montrer  son  amour  par  ses  œuvres...,  c'est  l'obéissance  aux 
coniinaridcmenls  de  Dieu,  c'est  robcissance  à  tous  ces  comman- 
dements, c'est  la  sainteté  entière.  «  Je  ne  veux  pas  dire,  ajoute 
très-bien  M.  Martin,  que  la  sanctification  ne  soit  pas  nécessaire 
au  salut  ;  j'ai  prouvé  trop  hautement  le  contraire  par  toute  l'E- 
criture. Je  ne  veux  pas  dire  que  la  sanctification  chrétienne  ne 
soit  pas  telle  que  je  vous  l'ai  présentée,  c'est-à-dire,  selon  le 
Christ  lui-même,  la  sainteté  parfaite;  elle  ne  peut  pas  être  au- 
tre chose.  Mais  il  y  a  bien  de  la  différence  entre  dire,  qu'il  faut 
absolument  faire  des  œuvres  pour  être  sauvés  ,  ce  qui  est  très- 
vrai,  et  dire  que  si  l'on  manque  à  quelques-unes,  on  est  irrémis- 
siblement  perdu  ,  ce  qui  est  très-faux.  Il  y  a  bien  de  la  diffé- 
rence entre  dire ,  qu'il  ne  faut  jamais  s'arrêter  dans  le  chemin 
de  la  sanctification,  jamais  croire  qu'on  a  fait  assez  pour  Dieu  et 
son  salut,  mais  qu'il  faut  toujours,  au  contraire,  tendre  au  but 
qui  est  la  perfection  chrétienne ,  ce  qui  est  très-vrai  ;  et  dire , 
qu'il  n'y  aura  de  sauvés  que  ceux  qui  seront  parfaits  dès  ici-bas, 
ce  qui  est  très-faux.  » 

Puis,  après  des  pages  très-remarquables  sur  les  œuvres  faites 
par  amour  pour  Dieu  et  par  le  désir  de  lui  plaire,  il  ajoute  : 
«  Mais  vicns-je  vous  dire  par  là  :  Soyez  certains  de  votre  salut? 
Ah  !  à  Dieu  ne  plaise  que  je  vous  le  dise,  je  vous  tromperais  ! 
Saint  Paul  lui-même  avait  peur  d'être  rejeté;  et  c'est  lui  qui  nous 
avertit  que  nous  ne  sommes  sauvés  qu'en  espérance.  Vous  ne 
pouvez  être  assurés  de  votre  salut ,  que  si  vous  êtes  assurés  de 
voire  persévérance  ;  eh  !  que  de  sérieux  avertissements  dans 
l'Écriture  pour  nous  tenir  en  crainte  à  cet  égard.  Que  d'exem- 
ples on  a  pu  voir  de  disciples  de  Jésus  qui  se  croyaient  fermes  et 


2Ui  Lh  SALI  1    (.HATl  H  Kl    M.  l)i:  UKMI  SA1.  " 

qui  iont  tombés.  Je  ne  puis  donc  dire  au  chrélicn  qui  se  ton\or- 
lit,  .|ut' tr  que  lui  (lis:iii  rapùlrc  des  gentils:  iVe  f  enorgueillis  I 
point,  mais  crains.  Considère  la  bonté  et  la  sévérité  de  Dieu,  sa 
sévérité  à  l'éyard  de  ceux  qui  sont  tombés,  et  sa  honte  à  ton  égard, 
pourvu  que  tu  répondes  toujours  à  cette  bonté  :  autrement  tu  se- 
ras aussi  retranché.  El  alors ,  ajoute  saint  Pierre  ,  cette  dernière 
condition  devient  pire  que  la  première.  A  Dicn  ne  plaise,  encore 
une  fois,  (pie  je  elierclie  à  vous  jeler  dans  une  sccuriie  (|ui  pour- 
rail  vous  perdre  !  » 

Le  résumé  de  ces  pages,  c'est,  selon  M.  Martin,  «qu'une 
»  sanctiiicalion  imparfaite,  si  c'est  imolontairement  qu'elle  resie 
»  telle,  n'enqiêcliera  pas  (pie  vous  soyez  sau\és.  > 

Si  nous  avions  le  temps,  nous  prouverions  que  toute  cette  le- 
çon est  la  lélialtiliialioii  du  libre  arbitre  t'i  des  o'uvrcs  dans  la 
sancliHcalion  de  riioimne  ;  qu'elle  leiahlit  l'Iiumilité  et  la  crainte 
de  Dieu  dans  les  âmes,  qu'elle  arrive  à  la  distinction  des  péchés 
graves  et  des  |)éclies  véniels,  et  inccssanmienl  aussi  à  la  doctrine 
du  puri^aioire.  Le  germe  y  est. 

Mais  c'est  surtout  dans  la  confcrenee  intitulée  :  L'homme  dans 
l'œuvre  de  la  sanctification,  ipie  M.  Martin  porte  le  dernier  couj) 
à  «  Vépownntnble  »  justiliealion  ealvinisle. 

C'est  un  écrivain  hors  ligne  que  celui  <pii  ,  à  renctmtre  des 
esprits  superficiels  cjui  croient  tout  savoir  et  qui  méprisent  «e 
qu'ils  ne  comprennent  pas,  a  su  se  défier  de  ses  forces  en  son- 
dant les  grands  nivsières  des  rapports  de  Dieu  et  de  l'homme,  et 
respecter  les  grandes  luttes  de  res|)rit  humain  si  dédaignées  par 
la  h'-gèreté  et  l'ignorance  de  notre  siècle.  Je  cite  avec  plaisir  les  \ 
pages  suivantes  :  »  En  effet,  à  celle  question,  i]ui  paraît  d'abord  i 
simple,  se  trouvent  inevilablemenl  lices  les  «pieslions  les  plus 
dillieiles,  les  plus  profondes,  les  plus  redouiables.  Nous  abor- 
don  un  terrain  hériss»'  d'obstacles,  sem(''  de  précipices  cachés  ou 
découverts,  et  oii  nous  marchons  sans  cesse  entre  deux  abimes, 
la  liberté  humaine  et  la  grâce  divine.  D'un  côté  l'action  la  plus 
mystérieuse,  les  décrets  les  plus  insondabh'S  du  Très-Haut,  pro- 
fondeurs inaccessibles  à  la  pensée  <le  riionime.  De  l'autre,  l'es- 
sener  n»»*ine  de  l'esprit  hinnain,  les  nionvt  iiienis  les  plus  intimes 
de  1  .'iint  ,  profondeurs  <pii  ne  sont  guère  mieux  connues  que  ccl- 


LK  SALIT  (illATITT  KT  M.   1)1.  lllbUSAT.  205 

les  (ic  Dieu.  Va  cr  (iiu;  nous  cliercfions,  ce  sont  les  rapports  qui 
unissciU  CCS  deux  mystères. 

»  Si  je  in(^  lias;ird:iis  à  vous  jinrlcr  ici  des  innombrables  diffi- 
cultés dont  on  s'est  pn'-occupé  à  l'occasion  de  la  grâce,  si  je  vous 
demandais  d'oxamincr  et  de  résoudre  (;e  qu'il  l'aut  comprendre 
et  ce  qu'il  faut  croire  sur  la  grâce  prévenante,  la  grâce  suHisante, 
la  grâce  ellicace ,  la  grâce  universelle,  la  grâce  irrésistible  et 
bien  d'autres...  je  risquerais  sans  doute  de  faire  naître  dans  mon 
auditoire ,  si  ce  n'est  un  sourire  moqueur,  du  moins  un  grand 
éloiiiuinient  de  u>e  voir  ressusciter  tant  d'incompréhensibles  sub- 
tilités scliolastiques ,  si  parlaiienicnt  inutiles  et  si  parfaitement 
oubliées. 

»  Et  cependant,  sous  ces  noms  dédaignés,  je  ne  ferais  que  vous 
demander  d'examiner  et  de  résoudre  si  Dieu  est  juste,  si  Dieu 
est  saint,  si  Dieu  est  bon ,  si  Dieu  connaît  tout,  si  l'homme  est 
libre ,  s'il  peut  se  sanctifier  et  se  sauver,  en  un  mot ,  je  ne  ferais 
que  répondre  à  votre  question.  —  Sous  ces  noms  dédaignés,  je 
ne  ferais  que  rappeler  ces  luttes  gigantesques  de  la  pensée  où  se 
trouvaient  engagés  les  intérêts  du  monde  et  où  de  si  grands  noms 
se  sont  illustrés,  Bossuet  et  Leibnitz,  Pascal  et  ses  adversaires, 
Luther  et  Calvin,  Rome  et  Genève,  toutes  les  églises  de  la  chré- 
tienté, la  grande  philosophie  dil  moyen  âge,  et  vers  les  premiers 
siècles,  saint  Augustin  et  Pelage.  —  Sous  ces  noms  dédaignés, 
je  ne  ferais  que  répéter  les  problèmes  que  discutaient,  bien 
avant  le  christianisme,  les  Platon,  les  Aristote,  les  Épicure,  les 
Zenon  et  toutes  les  écoles  de  la  Grèce  païenne.  El  si  je  prête 
l'oreille  aux  échos  affaiblis  de  ces  philosophies  primitives  nées 
dans  l'antique  Orient ,  c'est  encore  de  ces  problèmes  qu'ils  me 
parlent.  Car,  sous  ces  noms  dédaignés,  sont  des  problèmes  qui 
tiennent  à  la  racine  même  de  l'âme  et  des  destinées  morales  de 
l'humanité;  tellement  que,  de  nos  jours  encore,  les  philosophies 
les  plus  excentriques,  les  plus  dégagées  de  toute  entrave  divine 
ou  humaine,  les  rencontrent,  quoi  qu'elles  fassent,  s'en  préoc- 
cupent et  les  résolvent.  — Qu'est-ce  donc  qui  peut  justifier  le 
rire  des  moqueurs  sur  ces  noms  dédaignés?  Leur  ignorance  ou 
leur  légèreté.  » 

La  thèse  de  M.  Martin,  dans  cette  conférence,  c'est  de  prouver 


•200  I.E  SAM  I   I.KA7I  II    11    M.  DK  RKMlàAT. 

<jii«-  I  lioinim:  est  libre  cl  responsable  de  sa  sancliûcaiion  ;  il  y 
p'ussii  farilcmnit  (>ar  \c  rnisotiiictncnt  vi  par  l'Écrituro;  oi  pre- 
scniaiil  aussilôl  le  s\tème  de  la  predesliiKilioti  cahinisie,  il  s'ex- 
prime ainsi  :  «  Cette  doctrine  enseigne  que  tous  les  hommes 
naissi'tu  dans  le  pèche  et  la  condamnaiion,  et  «piils  y  restent  et 
y  resteront,  (]Uoi  (]u'ils  fassent,  (piui  (|u  ils  veuillent;  que  Dieu 
jette  chacjue  année  sur  ce  globe  des  millions  d'iHres  pour  celle 
affreuse  destinée  ;  que  tous  ces  êtres  sont,  quant  à  la  sanctifica- 
tion et  au  salut,  des  cadavres,  qui  ne  peuvent  prendre  vie  que 
par  le  secours  de  Dieu  ,  et  que  ce  secours,  l)i»'u  le  leur  refuse. 
Seulement,  dans  ce  vaste  cimetière  d'Ames  immortelles,  Dieu  en 
prend  quelques-unes,  indépeiid;iniment  de  louie  (cuNre  et  de 
toute  dis|>osiiion  de  leur  part,  et  il  leur  communi(|ue  sa  grûce. 
Mais,  même  alors  et  depuis  lors,  ces  ûmes  ne  font  rien;  elles 
n'ont  pas  la  moindre  sanetilicaiion  qui  leur  soit  propre,  quelque 
imp;nfaite  fju'on  la  suppose  ;  Dieu  fait  tout  en  elles  :  c'est  même 
nue  sanclificalion  e'iîingère  <|n'il  leur  inq)Ute.  —  Au  milieu  de 
si  inconcevables  erreurs,  il  y  a  <pielques  vérités.  Par  exemple  : 
riiommc  ne  peut  rien  s:»ns  le  secours  de  Dieu,  c'est  vrai  ;  mais 
ce  secours,  il  peut  toujours  l'obtenir.  Le  monde  gît  dans  le  pé- 
ché et  la  condamnation,  c'est  vrai;  mais,  avec  la  volonlé  libre 
et  la  spontanéité  de  Tàme  ,  tout  s'explique  :  c'est  l'homme  qui 
est  l'auteur  de  son  |)éché  et  d(!  sa  perdition.  Sans  cela  ,  t'est 
Dieu.  > 

M.  Martin  appelle  encore  ce  dogme  calviniste  :  «  Cet  affreux 
SACRIFICE  «le  l:i  liberté  liuin;iine —  celte  nniOE  perversion  «les 

Écritures ce  tekiuble  do^me — »    «  Sur  (pioi ,  ajoute-l-il , 

nous  fondrions-nous ,  enfin  ,  pour  enlever  à  l'homme  sa  liberté 
morale?  Est-ce  peul-tUro  sur  l'Iùriture?  Oui,  il  y  a  trois  passa- 
des diflicilcs  sur  ce  sujet  dans  saint  Paul.  Mais  il  est  impossible 
d'oublier,  à  celte  occasion  ,  l'averiissemenl  de  l'apôtre  saint 
Pierre,  «juand,  parlant  aussi  des  mystères  cachés  de  la  volonté 
divine,  il  rnppelle  ce  ipie  dit  sur  ce  point  .«o/i  frère  hien-nimé 
Paul,  qui  écrit  dans  toutes  ses  épitres  selon  la  sagesse  qui  lui  a 
été  donnée  lorsqu'il  parle  de  ces  choses;  mais,  entre  ces  choses, 
ajoulc-l-il,  tV  y  en  a  de  difficiles  à  entendre,  dont  quelques  person- 
nes iqnornntes  cl  mal  affermies  thtnurncnt  le  sens.  F'renons  ^'nrdo 


m; SAi.i  T  «jnATMT  i:t  m.  or.  hicmusat.  207 

(le  n'i^li'c  |):is  (U- ces  ixrsomics;  c'osJ  iiii  nvcilis.sciiK'iit  sôricnx 
pour  toul  lo  nioiicle.  I.cs  passngcs  cloiil  il  s'aj,'it  peuvenl  s'expli- 
(pi(M-  d'iiiK"  manière  saiislaisanto ,  sans  recourir  à  un  systôm»;  de 
pi'cdcstiiialion  (pli  n'a  ctc  l'orinulé  qno  bic^n  (l(;s  siècles  après  l'a- 
|tôire.  Mais,  (piainl  nous  no  pourrions  pas  les  expliquer,  coni- 
nuMii  renverseï-,  par  trois  passaj,'es  oitsenrs ,  loulc  l'Écrilure,  si 
claire  eisi  peremploire  sur  la  liberté  de  riioinnKî  ?  Quelle  étrange 
mélliodc  d'interprétation  I  et  où  n'irail-on  pas  ainsi?  Oui,  toute 
ri-lcrilure,  d'un  bouta  l'auire,  lait  appel  à  la  libre  volonté  de 
riionime  ;  car  «n'est-il  ()asévidentquc,  quand  Dieu  nous  dit  :  que 
»  votre  volonté  se  porto  à  ceci  et  ne  so  porte  pas  à  cela ,  il  nous 
»  montre  que  nous  avons  un  libre  arbitre  ,  dont  il  veut  que  nous 
»  usions  bien.  »  Mais,  poiii*  l'aire  sentir  toulo  la  force  de  l'Écri- 
ture sur  ce  point,  il  l'audrait,  en  vérité,  la  citer  tout  entière.  » 

Enfin  ,  M.  Martin  ,  dans  la  cin<|uième  conférence,  se  propose 
d'établir  «  l'action  pleine  et  entière  de  la  grâce  divine  aussi  liau- 
»  temenl  et  aussi  franchement  (ju'il  a  établi  lo  libre  concours  de 
»  riiomme  dans  l'œuvre  de  la  sanctification.  » 

«La  volonté  de  l'homme,  dit-il,  est  libre  et  doit  nécessaire- 
»  ment  concourir  à  l'œuvre  de  la  sanctification;  mais  elle  est  in- 
»  capable  d'opérer  seule  et  par  elle-même  la  sanctification.  » 
«Oui,  s'écrie  M.  Martin,  le  péché ,  voilà  ce  qui  mine  notre  vo- 
lonté et  lui  enlève  sa  force  pour  le  bien  ,  comme  un  ver  caché 
dans  la  plante  et  qui  la  dessèche;  le  péché,  celte  terrible  mala- 
die de  l'âme  humaine,  qui  ne  lui  ôle  pas ,  sans  doute,  le  souve- 
mv  du  bien  précieux,  qu'elle  a  perdu,  la  santé  morale,  qui  ne  lui 
ôle  pas  même  le  désir,  mais  qui  lui  ôle  le  pouvoir  de  la  recou- 
vrer. Quel  homme  sérieux,  s'il  prèle  l'oreille  ,  ne  peut  entendre 
celle  voix  au  fond  de  son  cœur?  J'ni  la  l'olonté  de  faire  le  bien, 
mais  je  ne  trouve  pas  le  moyen  de  V  accomplir .  Je  prends  pourtant 
plaisir  à  la  loi  de  Dieu,  selon  V homme  intérieur;  mais  je  l'ois 
une  autre  loi  dans  mes  membres,  qui  combat  contre  la  loi  de  mon 
esprit  et  qui  me  rend  esclave  de  la  loi  du  péché.  Quelle  vérité! 
quelle  connaissance  du  cœur  humain  !  quelle  profonde  philoso- 
phie dans  ce  passage  de  saint  Paul  !  » 

El  non-seulement  la  grâce  est  nécessaire,  mais  «  la  grâce  jore- 
vient  tous  les  hommes;  ^  et  M.  Martin  l'établit  par  l'Écriture  et 


906  LE  SALIT  (.RATl  n    II    M.   I>K  RKMISAT. 

licrase  \c  cruel  système  calviniste  qui  ne  faisait  mourir  Jésus- 
riuist  (jut'  pour  un  nombre  fixe  et  préci«''(eruiiné  de  pri'deslinés. 
Enlin  il  prouve  (juc  la  grâce  n'est  pas  irrésistible,  mais  suffisante. 
oCcla  est  nécessaire,  dil-il,  ptiistpic  si  l'Esprit  de  Dieu  nous  con- 
traignait au  bien,  nous  cesserions  d'êlre  libres.  Notre  obéissance 
deviendrait  semblable  à  celle  de  l'astre  qui  suit,  et  suivra  jus- 
qu'à la  lin  des  si«'cles,  la  ligne  qui  lui  fut  tracée  dans  l'espace; 
c'est-à-dire  que  nous  tomberions  dans  la  classe  des  choses ,  au 
lieu  de  demeurer  dans  la  classe  des  êtres,  des  êtres  moraux,  tels 
que  Dieu  les  voulut  dans  sa  sagesse  et  sa  bonté.  —  Au  reste  , 
l'Écriture  est  positive  à  cet  égard.  Elle  nous  dit  ,  en  tout  autant 
de  termes,  que  l'homme  peut  résister  au  Saint-Esprit.  »  Et  non- 
seulement  on  peut  résister  à  la  grâce,  mais  «  la  grâce  est  sulli- 
n  santé  pour  (juiconque  veut  suivre  ses  inq^ulsions,  et  elle  croit 
»  en  lui  à  mesure  qu'il  en  use  mieux...  La  grâce,  ajoute  M.  Mar- 
»  lin,  produit  ainsi  et  développe  dans  l'âme  tout  ce  que  Dieu  de- 
»  mande,  le  repentir,  l'amour,  la  sainteté,  eu  un  mot  la  foi  et  les 
»  œuvres ,  ces  impérissables  conditions  du  salut.  »  En6n  il  ter- 
mine par  ces  paroles  :  «  Quoi  qu'il  en  soit  de  nos  explications 
plus  ou  moins  complètes,  plus  ou  moins  heureuses,  il  n'en  reste 
pas  moins  certain  que  les  deux  principes  sont  également  vrais  : 
il  faut,  pour  la  sanctification,  l'action  entière  de  l'homme  et  l'ac- 
tion cnlière  de  Dieu.  Ce  sont  là  les  deux  faces  de  la  conversion  ; 
elle  a  son  côté  divin  comme  elle  a  son  côté  humain.  Déterminer 
leurs  contours  et  leur  exacte  proportion ,  c'est  inutile  et  c'est 
impossible;  mais  il  faut  les  reconnaître  tous  les  deux.  Nier  l'un, 
l'aflion  divine,  c'est  tomber  dans  le  stoïcisme  antique  ou  le  pé- 
lagianismc  moderne  ;  nier  l'autre,  l'action  humaine,  c'est  tom- 
ber dans  le  fatalisme  antique  ou  la  prédestination  moderne;  les 
accepter  tous  deux ,  sans  vouloir  les  mesurer  et  les  déûnir,  c'est 
la  vérité.  » 

Je  laisse,  comme  beaucoup  moins  saillante,  la  dernière  confé- 
rence, sur  le  d<''veloppemcnt  et  les  résultats  de  la  sanctification. 
Le  développement,  selon  M.  Martin,  a  lieu  par  la  vigilance  et  la 
prière  ;  les  résultats  sont  le  bonheur  ici-bas  et  le  bonheur  du 
ciel. 

Tel  est  le  système  de  M.  Martin.   Je  le  demande,  au  milieu 


I.K  SALLT  GRATIIT  KT  M.   DK  BÉMUSAT.  209 

des  hésitations  d'un  esprit  individuel,  qui  ne  croit  pas  à  son  in- 
faillibilité et  qui  avoue  francliemenl  et  humblement  qu'il  tremble 
en  présence  de  dillicultés  et  d'abîmes;  au  milieu  des  erreurs, 
des  contradictions  cl  des  inconstMiuenccs  d'un  système  néces- 
sairement incomplet,  puisque  les  deux  thèses  de  l'Eglise  et  des 
sacrements  l'ont  défaut  ;  au  milieu  des  exigences  d'un  enseigne- 
ment à  Genève  ,  sous  l'œil  de  sectes  dissidentes  et  hostiles  ;  je 
le  demande,  le  livre  de  M.  Martin  n'est-il  pas  un  événement? 
N'esi-ce  pas  le  vieux  calvinisme  et  le  méthodisme  actuel  ruinés 
par  leur  base?  ^'est-ce  pas  un  fait  nouveau  et  grave  que  la  réha- 
bilitation du  libre  arbitre  de  l'homme ,  de  la  foi ,  de  la  grâce  et 
des  œuvres?  N'est-ce  pas  un  pas  sérieux  vers  le  catholicisme, 
puisque  M.  Martin  arrive  précisément  à  plusieurs  des  solutions 
du  concile  général  de  Trente ,  et  que  plusieurs  de  ses  définitions 
dogmatiques,  plusieurs  de  ses  propositions  théologiques  et  mo- 
rales sont  entièrement  conformes  à  la  doctrine  catholique?  Il  y 
a  donc  un  point  de  contact ,  un  point  de  départ  pour  l'examen  , 
la  discussion  et  le  rapprochement.  Du  moins  pouvons-nous  dire 
que  nous  avons  trouvé  un  adversaire  sérieux,  et  j'oserais  presque 
dire  avec  lequel  il  y  aurait  du  charme  à  se  mesurer. 

M.  Martin  croit  avoir  rendu  un  grand  service  au  protestan- 
lisme  en  le  dégageant  de  «  1 'épouvantable  »  doctrine  de  la  jus- 
tification calviniste.  II  a  raison  dans  un  sens;  mais  avec  sa  sa- 
gacité, et  son  livre  fait  foi  qu'il  n'en  manque  pas,  comment  ne 
voit-il  pas  qu'il  a  sapé  l'édifice  par  son  fondement,  et  qu'il  a 
accéléré  le  courant  vers  le  pélagianisme  ou  vers  le  catholicisme? 
Calvin,  à  qui  cependant  M.  Martin  rend  des  hommages  obligés 
d'admiration,  est  détrôné,  et  il  est  détrôné  à  Genève  par  un  mi- 
ni&lre  de  cette  J^énérahle  compagnie  des  pasteurs  de  Genève  qu'il 
avait  fondée;  son  système  n'est  pas  même  relégué  dans  rou])li, 
il  est  déclaré  à  la  face  de  Genève  «  épouvaintable  ,  »  et  cela  au 
milieu  d'un  auditoire  genevois  qui  applaudit  le  démolisseur  de 
l'édifice  de  Calvin.  La  prédestination  absolue  s'écroule;  le  salut 
gratuit  de  par  Calvin  s'écroule;  la  négation  du  libre  arbitre  de 
l'homme  s'écroule  ;  la  foi  sans  la  sanctification  ou  les  œuvres 
s'écroule  ;  et  aujourd'hui  dans  Genève,  chaque  protestant  aurait 
honte  d'avouer  qu'il  croit  Pt  qu'il  pratique  «  I'épouvantable.  » 

14 


ojo  I  K  SAM  T  <;nATrn  i  t  m.  i>f.  rk.misat. 

l/infaillil>ilit(-  ilti  iiiaiirc  disparaii;  rinlaiHihilit/;  do  lu  ruisnii  in- 
dividuelle disparaît;  l'inrailliliililé  du  libro  examen  dispaïaîl  ; 
rinfaiHihilité  de  rinspiraiion  du  piéliste  disparaît;  il  ne  reste 
dehoiil ,  invaria])le  et  pur,  que  la  inéc.essité  de  l'aulorilé  el  de 
rinfaillibililé  de  l'Éj^lise  catholique;  la  <livinité  de  la  sainte  pa 
rôle  de  Notre  Seif^neur  .lésus-Clirist.  I/liomme  justifié  gratuite- 
ment par  la  grâce  et  par  la  rcdeinplion  de  Jésus-Clirisl  (1), 
riiomme  justifié  par  la  foi...  l'homme  justifie,  non-seulement  par 
la  foi,  mais  aussi  par  les  œuvres  rendues  méritoires  par  la  foi  et 
par  la  grâce  qui  les  vivifient  — 

A. 

(I)  Rom.  [II.  ^U. 


w.KH  VAC  uoiM  nv  no\K^  AC>ii: 


u'aprls  m.  herzog  (1). 


Ch.  II.   (H.  Mv.  l,   r,li.  II.) 


■littérature  vaiicloise.    Sou  berceau  et  son  antiquité. 

La  littérature  vaudoise,  depuis  l'origine  de  la  secte  jusqu'à  la 
Réforme,  se  réduirait  à  fort  peu  de  chose,  si  nous  en  croyons  les 
écrivains  catholiques  du  moyen  âge.  Quelques  traductions  delà 
Bible  en  langue  vulgaire,  auxquelles  Vaido  aurait  donné  la  pre- 
mière impulsion  ;  des  extraits,  rangés  sous  des  titres  communs, 
de  S.  Augustin,  S.  Jérôme,  S.  Ambroise  et  S.  Chrysostôme  ;  un 
petit  nombre  d'essais,  plus  ou  moins  heureux,  de  revêtir  d'une 
forme  poétique  des  sentences  empruntées  aux  docteurs  de  l'É- 

(1)  Il  n'est  pas  nécessaire  di;  prévenir  nos  lecteurs  que  le  ton  du  présent 
article  et  de  ceux  qui  suivront,  nesl  pas  celui  qui  caractérise  l'ouvrage  de 
M.  Herzog.  En  protestant  loyal  et  qui  sait  respecter  toute  conviction  sin- 
cère, le  professeur  de  Halle  ne  s'abaisse  jamais,  il  est  vrci,  à  ces  mesquines 
déclamations  à  l'endroit  de  l'Église  qui  défigurent  malheureusement  des  tra- 
vaux, d'ailleurs  méritoires,  de  plusieurs  de  ses  coreligionnaires  ;  mais  il  n'en 
est  pas  moins  un  grand  apologiste  des  principes  de  la  réforme. 


212  I.KS   V.Vl  IHMS  1)1     M<tVr.N   A(ii:. 

^'lisr,  «i  siiiioiii  à  r('vtV)ut'  d'Hipponc  ;  telles  seraient,  selon  eux. 
les  seules  œuvres  littéraires  que  riién'sie  vnudoisc  aurait  enfan- 
tées peiulaiit  les  trois  |)i"<'nii<'rs  sirclesct  jtius  (j(^  son  existence  (I). 
Les  premières  années  du  sei/iéme  siècle  devaient-elles  être  plus 
fécondes?  Ce  n'était  guère  probable,  vu  l'extrême  ignorance  du 
clergé  vaudois  à  cette  épo(|ue.  George  Morel  écrivait,  en  1530, 
au  réformateur  OEcolampade,  que  les  Vaudois  de  son  temps  dont 
rinleutiou  était  de  se  vouer  à  l'étal  ecclésiaslicpie,  ne  connais- 
saient pas  même  l'alpliabei.  «  Un  leur  enseigne  d'abord  à  épc- 
ler,  disait-il,  et  une  lois  (|u'i!s  sont  parvenus  à  savoir  lire,  on 
leui'  l'ait  apprendre  par  cœur  les  évangiles  de  saint  Jean  et  de 
saint  Matibieu ,  les  épîtrcs  catboliques  et  une  bonne  partie  des 
épîtres  de  saint  Paul.  » 

Il  faut  être  juste,  ce|K'ndanl.  Les  liistoriens  cadioiiques  anté- 
rieurs à  la  réforme  se  sont  sûrement  trompés  en  donnant  à  la  lit- 
térature vaudoise  des  premiers  siècles  d'aussi  maigres  propor- 
tions. Non  pas  (jue  les  assertions  de  Perrin  (2)  aient  grand  droit 
à  notre  conlianee,  car  Periin  était  tort  intéressé  dans  la  partie; 
et,  d'ailleurs,  il  faisait  trop  bon  marcbé  de  l'épitbète  de  ri"«/j:  li- 
vres. N'appelait-il  pas  fort  vieux  un  ouvrage  dans  le(]uel  se 
trouve  cité  Laurent  Valla,  ce  philologue  tant  connu  du  quin- 
zième siècle!  Mais  il  n'est  pas  du  tout  inipr<»l»al)le,  comme  le  sup- 
posait déjà  le  savant  auteur  des  Centuries  de  Mnfjdebourg,  ¥\.\- 
cius  lllyrieus,  <pie  des  éeiits  vaudois aniérieurs  au  sci/ième  sièlo, 
se  fussent  «'-garés  dans  le  trouble  des  persécutions.  Ils  se  seraient 
retrouvés  plus  lard,  en  paitii,"  du  moins,  puis«|ue,  selon  M.  Her- 
7.0g,  (piebpies-uns  des  itianuscrits  vaudois  i\uo  nous  possédons 
actuellement  prcnèdent  de  «piebiues  années  l'i-poque  de  la  ré- 
forme. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  révolution  religieuse  du  seizième  siècle 

(1)  V.  Etienne  de  Bourbon,  lic  scptcm  donis  Spirilus  suncli  dans  la  cullcc- 
tio  judictorum  de  Duplcssisd'Argenlié.  Paris  17i8.  I,  S.")!)!  ;  cl  Yvonct,  trac- 
talus  de  hœrcxi  pauprruin  di  l.ugduno  in  Martene  cl  Dur.  thés,  anecd.  T. 
V.  f.  ^78  .sq. 

(2)  Son  ouvrap;e  parut  à  (ienèvc  en  IGlHet  lf>l'.>.  Il  conlicnt  trois  parties; 
la  première  traite  de  {'histoire  des  Vaudois,  la  seeonde  de  celle  des  .Mbi^joois  : 
«ians  la  troisième  se  trouve  tin  recueil  de  document?. 


I.I.S  VA!  DOIS  I)t  MOVKN  AGK.  ^lij 

inipiiina  à  raciiviic  liiioraiie  des  Vaudois  un  nouvel  essor.  Ils  se 
virent  alors  dans  la  néccssilé  d'appnyer  sur  dos  documents  leur 
pr('l(;nlion  à  une  liaule  auiicpiilé  (1),  cl  leur  assertion  tant  soit 
peu  hasardée,  i\\w  réglise  vandois(î  antérieure  au  seizième  siècle, 
éiait  déjà  en  pleine  possession  des  doctrines  professées  plus  tard 
par  la  réforme.  Ils  se  mirent  à  publier,  en  conséquence,  force 
livres  qu'ils  liront  passer  pour  des  productions  de  vieille  date  (2). 
Quel(iues-uns  des  documents  publiés  par  Perrin  et  S.  Léger  ap- 
partiennent à  celte  catégorie. 

Quelle  est  l'origine  religieuse  de  la  litléraiure  vaudoise  telle 
qu'elle  nous  est  parvenue?  Ne  se  eomposcrait-elle  que  d'écrits 
Iiussitcs,  surtout  taborites,  traduits  ou  retouchés?  C'est  ce  que 
M.  Herzog  croit  pouvoir  hardiment  allirmer  d'une  notable  partie 
des  œuvres  de  la  secte  vaudoise,  mais  non  de  toutes  sans  excep- 
tion, comme  le  veut  M.  Dieckhoff.  En  effet,  celles  qui  sont  em- 
pruntées aux  Hussiles,  se  distinguent  des  autres  par  un  type  tout 
particulier.  Elles  présentent  un  caractère  didactique  très-pro- 
noncé. De  nombreuses  citations  des  Pères  de  l'Église,  accompa- 
gnées souvent  de  l'indication  des  livres  et  des  chapitres  d'oîi  elles 
ont  été  lirées ,  leur  donnent  un  certain  air  d'érudition  que  l'on 
chercherait  vainement  dans  les  autres.  L'oppostion  contre  l'É- 
glise y  prend  un  ton  plus  tranché;  le  slyle  même  en  est  souvent 
différent  et  rappelle  celui  de  la  scholastique  du  moyen  âge.  Les 
autres  écrits  se  ressentent  aussi,  il  est  vrai,  des  idées  taborites, 
mais  il  est  possible  qu'ils  aient  été  seulement  retouchés  sous 
l'influence  des  doctrines  professées  par  les  frères  bohèmes.  En  ad- 
mettant comme  vraie  cette  hypothèse  de  M.  Herzog  ,  il  faudrait 
reconnaître  qu'il  existe  dans  la  littérature  vaudoise  une  classe 
d'écrits  antérieurs  à  l'introduction  dans  la  secte  de  l'élément 
hussite. 


(i)  Voyez,  sur  les  causes  qui  ont  porté  les  Vaudois  et  les  protestants  à 
s'attribuer  une  plus  haute  antiquité  qu'ils  ne  Font,  Tintéressant  chapitre  IV 
des  Recherches  historiques  sur  la  véritable  origine  des  Vaudois ,  de  Mgr 
Charvaz.  Paris  1836. 

(2)  C'était  là  aussi,  on  le  sait,  la  grande  manie  de  l'époque.  On  aimait  tant 
alors,  en  Italie  surtout,  donner  un  air  de  vétusté  à  des  œuvres  toutes  moder- 
nes î 


•il  »  i.KS  \  \i  i»<»i>  Di   .>i(»VK.>  a«;k. 

l'n  Miiiv  |>roblt;me  à  lésoïKlir ,  <i  (|iii  n'ollre  pas  de  minces 
«lillirnUés,  esl  celui  du  berceau  de  la  lilicraïuie  vaudoise.  Où 
;i-l-('lle  pris  naissanco?  CUo/  quels  Vaiidois?  (ilie/  ceux  du  Pié- 
iiioiil,  de  la  l'niNcnce  mu  du  |);iii|>liine?  Avant  d'ahorder  celle 
quesiitiu.  rappelons  un  laii  impoi  tant  ei  que  ikhis  avons  signale 
dans  notre  précèdent  arli<le,  c'est  que  les  léj;ères  différences 
enlre  la  langue  des  docuuienls  vaudois  et  celle  dos  Irouhadours 
nous  obligeui  d'admettre  ,  avec  Haynouard  et  Diez  ,  que  la  |)re- 
mière  ne  peut  être  tprun  idiome  ,  un  dialecte  de  la  lan^'ue  pro- 
vençale. 

Il  est  tout  clair  que  le  problème  pos»-  par  M.  Herzog  devait 
paraître  au  moins  oiseux  à  l'Iiislorien  Perrin.  (détail  pour  cet 
«•crivain  un  article  de  foi  que  les  Vaudois  avaient  habité  les  val- 
lées du  Piémont  de  temps  immémorial.  Il  ne  se  permit  ja- 
mais le  moindre  doute  à  cet  égard.  Comment  donc  supposer  un 
instant  que  la  littérature  vaudoise  tût  née  sur  un  autre  sol , 
(prelle  ne  fût  pas  originaire  des  f  allées?  Les  historiens  vaudois 
depuis  Léger  (1)  ont  prétendu  <|u'il  existait  eoire  la  langue  ar- 
luelle  des  Vaudois  du  Pié-mont  et  celle  des  anciens  documents  de 
la  s(>cie,  des  an-.dogies  telles,  (ju'il  n'était  pas  permis  de  douter 
de  leur  identité.  Lue  conlVonlatinn  minutieuse,  et  faite  avec  ("e 
tact  philosophi(|U(>  (|ui  le  distingue,  enlre  l'idiome  moderne  vau- 
dois et  celui  des  manus(  rils ,  a  cf)nvaincu  M.  Her/og  que  cette 
opinion  était  dénuée  de  tout  fondement. 

Lue  autre  circonstance  le  porte  à  croire  que  le  dialecte  parlé 
dans  les  vallées  vaudoises  du  Piémont  n'est  point  celui  des  ma- 
nusciits.  Les  décisions  du  synode  d'Angrogne  sont  écrites  dans 
une  langue    qui  se   rap|)roche  singulièremenf  de  l'italien.    Or, 


{l)  Jean  Lojîcr.  aiiU'iir.  au  iJix->>0|tlièine  sièi-le,  cIHih'  Histoire  genèrnk 
fies  rylisrs  du  Pivmiinl.  Climlcs  Huila ,  i]iic  jiersoiiiu'  ne  taxera  tl'injusliic 
•■nvrrs  les  iicn-lHiiios,  le  traite  de  brouillon,  tVlumunc  pervers,  incorrigible. 
«le  iTrti  lyran  el  i]c,inenleur.  Sluria  d'itniia,  T.  VII.  L.XXV.  V.  Mgr  Char 
\a/.,  flecherches,  clc.  p.  10.  Il  ne  faut  pas  le  roiifondre  avec  son  oncle  An- 
toine Lc^er,  pliil(>l'j|;uc  d'un  ^rand  mérite  ,  el  qui ,  dans  le  bul  d'un  rappru- 
ilu-nienl  enlre  réj;li>c  nrce(|iie  el  léglisc  réformée,  entretini  avec  le  palriai 
ehe  (ImIIIo  I.uiar  ime  ronespondanie  «ini  a  clé  en  partie  pid>liée  par  J.  .\\ 
mon.  dan^  le-.  Miitiiimnilf:  dr  lu  rrlifiinii  des  (irees. 


LES  VAIDOIS    l)  1  YlOVIùN  AGK.  215 

nous  savons  (jue  ce  synode  l'ut  convoqué  ;\  l'insligaiiou  des  Vau- 
dois  tVanvais,  dans  le  hiil  d'engager  ceux  du  Piémont  à  embrasser 
la  réforme.  Les  Vaudois  piémonlais  durent  naturellement  former 
la  majorité  des  assistants.  (",e  fui  eonséquemment  dans  leur 
idiome  (jue  se  n'-digèrent  les  décisions  du  synode,  à  moins  de 
vouloir  admettre,  contn;  toute  probabilité,  qu'on  eiJl  sacrifié  la 
langue  de  la  majorité  au  désir  de  complaire  à  une  petite  fraction 
de  Vaudois  italiens  accourus  du  fond  de  la  Calabre  et  de  l'Apu- 
lie  pour  prendre  pari  au  synode. 

On  pouirait  oitjecter  à  cela  que  le  dialecte  vaudois,  l(d  (ju'il 
se  parle  de  nos  jours,  et  dont  nous  possédons  un  spécimen  dans 
la  traduction  de  l'ancien  poème  du  Novel  Sermon,  publié  par 
M.  Hahn  (H,  701),  et  dans  le  Sent  évangile  de  nostrc  Seigneur 
Gcsu-Christ  counfourma  Sent  Luc  e  Sent  Giann,  rendu enlengua 
Faldesa  par  Bert  (Londres,  1832),  est  totalement  différent  de 
l'idiome  des  arrêtés  du  synode  d'Angrogne.  Mais  entre  ces  deux 
traductions  et  le  synode,  il  s'est  écoulé  un  espace  de  trois  siècles, 
et,  d'ailleurs,  les  deux  spécimens  en  question  ne  représenieul 
qu'un  des  paiois  des  Fallées. 

Il  est  donc  à  peu  près  certain  que  les  documents  vaudois  qui 
ont  été  conservés  ne  sont  pas  originaires  des  Vallées.  Quel  est 
donc  leur  pays  natal?  Vouloir  le  déterminer  d'une  manière  pré- 
cise, est  chose  impossible  ;  mais  le  manuscrit  de  Dublin  qui  con- 
tient, à  côté  des  décisions  du  synode  d'Angrogne,  les  transac- 
tions de  George  Morel  avec  les  réformateurs  OEcolarapade  et 
Bucer,  jette  au  moins  un  grand  jour  sur  la  question.  En  effet, 
ces  transactions  sont  écrites  dans  la  même  langue  que  celle  des 
documenis  vaudois.  C'est  là  un  fait  hors  de  toute  contestation. 
Or,  Morel ,  nous  le  savons  ,  était  natif  de  Traissinières  ,  en  Dau- 
pbiné.  La  langue  qu'il  parlait  ne  pouvait  être  eonséquemment 
que  celle  des  Vaudois  de  la  Provence  et  du  Dauphiné.  Ajoutez  à 
^cela  que  la  plupart  des  anciens  écrits  de  la  secte,  ainsi  (|u'un 
exemplaire  vaudois  du  Nouveau  Testament,  ont  été  découverts  , 
au  seizième  siècle,  dans  la  vallée  de  Pragelas,  qui  fait  partie  du 
Dauphiné. 

Passons  maintenant,  avec  M.  Herzog,  à  la  question  d'antiquité. 
D'une  part  les  différences  peu  sensibles  (jue  présente ,  sous  le 


2l(»  I.KS  VAlDulS  UL  MUYF.>  AL.K. 

rapport  do  la  langue,  le  lexie  dos  négociations  de  More! ,  com- 
paré à  celui  des  autres  productions  de  la  littérature  vaudoise , 
et,  «le  rauiie,  les  nuances  légères  (pii  disiingtieiit  les  écrits  em- 
pninlés  à  la  secte  des  lahoriies  de  ceux  (pii  datent  d'une  épo«pie 
antérieure,  feraient  croire,  selon  lui,  (pie  la  litli'-ratnrede  la  secte 
vaudoise  ne  remonte  pas,  en  général,  au-delà  du  (|uinzième  siè- 
cle. D'un  autre  côté,  cependant,  elle  présuppose  évidemment  un 
degré  de  culture  (pii  n'est  guère  en  harmonie  avec  celle  des 
V^uidois  de  cette  époque,  car  l'ignorance  que  G.  Morel  repro- 
chait, en  1530,  à  la  grande  masse  des  \'audois  de  son  temps, 
caractérisait  aussi  fort  probablement  ceux  du  siècle  précédent. 
La  liuérature  vaudoise,  en  effet,  nous  transporte  au  sein  d'une 
civilisation  llorissanle.  Il  y  est  fait  mention  de  richesses  considé- 
rables plongeant  les  habitants  d'une  nature  exubérante  dans  tou- 
tes les  délices  de  la  vie  sensuelle;  de  cantadors  faisant  retentir 
les  airs  de  leurs  chants  mélodieux  ;  de  contrées  où  fleurissent  le 
commerce  ,  la  science  et  l'art  ;  où  les  sages  de  ce  monde  $avi 
d'aquest  mont)  étalent  pompeusement  les  trésors  de  leur  élo- 
quence et  de  leur  érudition.  Comment  concilier  un  pareil  étal 
de  choses  avec  cette  espèce  de  barbarie  qui  dégradait,  au  quin- 
zième siècle,  les  V'audois  de  la  Provence,  du  Dauphiné  et  du 
Piémont?  Comment  penser  que  ceux-ci  eussent  dé  capables  de 
traduire  le  Nouveau  Testament  en  entier,  de  composer  surtout 
des  l'crils  <pn  r(''vèlent  une  connaissance  passablement  étendue 
des  Pères  de  l'Église?  Cette  objection  ne  manque  pas  d'une  cer- 
taine portée;  cependant  il  n'en  faudrait  j)as  inH-rer  que  la  litté- 
rature vaudoise  appartient  à  une  époque  antérieure  à  r«''tablis- 
semenl  des  Vaudois  dans  les  vallées  et  sur  les  hauteurs  des  Alpes 
Cotliennes,  c'esl-à-diie  au  treizième  siècle.  Pour  que  celle  hy- 
pothèse fût  vraie,  il  faudrait  admettre  que,  dans  le  long  <ours  de 
«leux  siècles ,  le  dialecte  vaudois  n'eût  subi  que  des  altéraiions 
coni|)arativement  très-légères. 


I.KS  VAIDOIS  Ut  MOVEN  Mil..  217 


Cil.  III.   fil.  II.  L.  Ch.  I. 


Orijçiiic  «lu  nom  «Ick  Vnu«loiA».    liCiiri»  «loctrluem 
aiitériciirciMent  à  riufliicnce  liussite. 

Nous  avions  promis  à  nos  lecteurs  de  ne  pas  les  retenir  trop 
longtemps  sur  le  terrain  des  manuscrits  vaudois.  Nous  ferons 
plus,  nous  ne  disons  pas  mieux;  nous  sauterons  à  pieds  joints 
tout  le  troisième  et  le  quatrième  chapitre  qui  terminent  le  pre- 
mier livre  de  l'ouvraye  de  M.  Herzog.  Nous  l'avouons,  il  nous  en 
coûte  beaucoup  d'abréger  de  la  sorte;  car  les  soixante  et  quel- 
ques pages  que  ce  savant  théologien  protestant  a  consacrées  à  ce 
que  nous  pourrions  appeler  un  catalogue  raisonné  des  manuscrits 
vaudois,  constituent  évidemment  la  partie  essentielle,  la  base 
même  de  son  travail  sur  les  Vaudois  du  moyen  âge.  Elles  n'of- 
frent pas  seulement  un  vif  intérêt  aux  amateurs  de  vieux  parche- 
mins, elles  sont  indispensables  à  connaître  pour  quiconque  veut 
apprécier  la  nature ,  la  validité  des  arguments  dont  notre  auteur 
s'est  appuyé  pour  démontrer  l'architecture  toute  moderne  du 
temple  vaudois.  C'est  donc  à  contre  cœur,  nous  le  répétons,  que 
nous  les  passons  sous  silence  ;  mais  comment  faire  un  triage 
parmi  tant  de  matériaux ,  quand  chacun  d'eux  est  nécessaire  à 
la  construction  de  l'édifice?  Et,  d'ailleurs,  serions-nous  bien  sûr 
d'être  goûté  du  public  entier  des  Annales?  Laissant  donc  à  ceux 
qui  seraient  tentés  de  connaître  de  près  la  forme,  le  caractère, 
làge,  le  contenu  et  jusqu'aux  vicissitudes  de  fortune  des  archi- 
ves vauddises ,  le  soin  de  recourir  eux-mêmes  au  texte  original , 
nous  transporterons  nos  lecteurs  sans  plus  tarder  au  sein  même 
de  la  secte.  Selon  M.  Herzog,  trois  époques  bien  distinctes  ca- 
ractérisent son  histoire  :  l'époque  antérieure  à  l'influence  de 
l'hérésie  hussite,  puis  celle  où  sa  littérature  est  toute  empreinte 


!2I8  I.KS   \  Al  IHIIN   IM      M(>\KNA<iK. 

(iii  lype  religieux  des  frères  bohème»  ,  et,  enfin,  r«'|>o<|ue  de  |;i 
irforme,  où  le  protescinlisnic  xii-nl  à  son  loin  iiMulilicr  le  smh- 
lidle  des  descendants  de  \  aldo. 

Nous  ferons  pi-j-céder  la  première  épocj^e  de  «piehjues  obser- 
vations snr  rori^'iiit'  tniit  ((nncsicr  du  nom  des  Vuudois.  Celle 
ipicNiion  «Myniiil()j^i(|Uf  csi.  on  le  conçoit,  d'une  telle  importance, 
<|Uf  nous  ne  saurions  l'onjellre. 

(Quoique  Vaido  ait  vécu  au  sein  d'une  société  oii  l'hérésie  avait 
<ii'j:i  jeté  de  prolondt-s  racines  (1),  la  secte  vaudoisc  doit  cepen- 
dant reconnaître  en  lui  son  véritable  fondateur.  C'est  de  lui ,  et 
de  lui  seul,  (|u'elle  a  tiré  son  nom,  comme  le  certili<-nt  presqu'à 
Ti  naniuiite  les  auteurs  les  plus  dignes  de  foi  i\u  douzième  siè- 
cle, les  plus  anciens  liisloiieus  vaudois;  plus  encore,  les  Vautlois 
eux-mêmes  (^2).  Le  nom  qu'il  |)oilc  ,  d'une  orlliogra|ilie  incer- 
taine (3),  (pioique  irès-répandtf  au  moyen  Age,  mais  qui,  selon 
toute  proltabilit»',  doit  s'écrire  Valdes  ou  \  aide/,  n'est  point  un 
surnom  <pii  lui  eût  été  ap|)liqué  à  raison  de  sa  liaison  avec  des 
li<-reti(pics  d'une  dénouiiiiatiun  ideiiliipie,  mais  Itien  un  véritablt; 
nom  propre.  Ce  qui  le  prouve  tout  d'abord,  c'est  le  (omplet  si- 
lenc(;  <pie  j^Miderit  tous  les  écrivains  callioliques  de  son  temps 
sur  un  fail  qu'il  eùl  i-lé  celles  dans  leur  iiiterêl  de  faire  ressor- 
tii-,   pour  donner  plus  de  poids  à   leurs  accusations.    C/Ommeni 


'!)  Le  nianiciicisinc  giioslicjiic,  toujours  le  inèiiic  dans  son  essence  ,  quoi- 
i|iif  rovi'lanl  mille  formes  diverses,  était  venu  des  bords  de  TEuplirate  se 
transplanter,  au  eomniencemenl  du  onzième  sièrie  ,  dans  la  haute  Italie  et 
dans  la  France  méridionale.  V.  Hurler,  llist.  du  Pape  Innncrnt  III,  etc. 
!..  IV.  Nicolas,  Du  pnilrsdmtismr,  clc.  p.  ^>^)l  cl  sui\ .  Paris  JK.'ji.  Pour  le 
douzicme  siècle,  voyez  suiloul  Micliclcl,  llisl.  de  France,  III,  cli.  VI. 

(2)  Les  frères  de  Bohême  écrivaient,  dans  la  j>réface  à  leur  confession  de 
foi  de  l'an  1573,  en  parlant  des  Vaudois  :  hontm  eccicstœ  nuxtri»  muUo  an 
liquiora,  quce  nnmen  hahent  a  H'aMo,  qundam  cire  Lugdunensi.  ut  perhi- 
lienl.  Notez  bi»'n  ces  derniers  mots  :  ut  pcrhibent.  Ils  se  rapportent  évidem- 
mciil  aux  Vaudois  dont  il  est  ici  question,  et  ne  sauraient  élr»  équivalents 
de  ut  frr(ur.  Ce  ne  fut  qu'à  dater  île  la  réforme,  et  pcut-circ  sur  les  instan- 
ces de  Théodore  de  llèze,  que  les  Vaudois  renièrcnl  leur  vérilable  ori^ine. 

lô)  NValdus,  Waldius.  Valdesius,  Valdisius,  W  alilensis,  Valdensis  ;  dans  un 
niauu.oerit  de  Cambridge  yaldetm;  dans  celui  de  Strasbourg  ir«W»«;  Valrio 
dans  Pcrrin,  Léger,  (lillcs. 


I.IS  VALDolh  1)1    MO\l.>  A«ii;.  219 

coiK  ilit-r  leur  ignorance  à  ce  sujet  avec  l'asserlion  (jue  la  secte 
vaudoise  élail  coniuu^  depuis  lon^'lenips  aux  hahiianls  de  Lyon, 
la  p:iliie  de  \  aldo,  cl  (|Uf  ce  lui  là  le  inotij'  piineipal  pour  lecjucl 
l'art  lievi^iiue  de  celle  ville  excouuuunia  le  reformateur  des  rives 
(lu  Rhône? 

Mais,  a-l-on  dil,  dans  le  poème  de  la  Nobla  Leyczon  qui  perle 
la  date  de  JlOO,  il  esl  déjà  fait  uienlion  des  fraudes.  Consé- 
tjucunuenl  le  nom  de  \  audois  ne  peut  venir  de  Vaido  qui  ligure 
seulement  dans  l'histoire  soixante-dix  ou  même  qualre-vingls 
ans  plus  laril.  A  celle  ohjfclioii ,  si  formidahle  aux  yeux  des 
pariisans  de  la  liauie  anli([uilé  de  la  secle ,  M.  Her/og  répond  : 
Puisque  dans  ce  poème  il  esl  question  des  Faudès,  la  date  de 
1 100  qu'on  lui  assigne  est  évidemuicnt  eironée.  En  effet,  il  saule 
aux  yeux  (pie,  dans  le  passage  en  question  (t),  Faudès'^si  un 
nom  injurieux  donne  par  les  callioliques  à  la  secle,  et  que  celle- 
ci  repousse  avec  indignation.  Nous  savons ,  par  les  auteurs  ca- 
iholicpics  du  moyen  âge,  que  les  Vaudois  ne  s'étaient  jamais 
appelt'S  eux-iiiêmcs  de  ce  nom,  mais  se  donnaient  celui  de  pau- 
peres,  pauperes  de  Lugduno,  ou  pauperes  de  spiritu.  La  secle 
élail  conséquemment  connue  à  l'Église  au  temps  où  vivait  le 
(Xièle  de  la  Nobla  Leyczon.  Or,  jusqu'au  troisième  concile  de 
Latran,  que  convoqua  en  1179  le  Pape  Alexandre  III,  il  n'en  est 
pas  tait  mention.  Les  premières  traces  certaines  se  rencontrent 
seulement  dans  les  Statuta  synodalia  Odonis ,  episcopi  Tul- 
lensis,  de  l'an  1192  (2).   La  date  de  1100,  communément  attri- 


(i)  Nous  le  citons,  d'après  le  texle  correct  de  M.  Herzog  :  tMa  Vcscrip- 
lura  di,  e  nos  a  poen  ver,  —  Que  si  ni  a  alcun  bon  que  ame  e  lema  Geshu 
Xrisl,  —  Que  non  volha  maudire  ni  jurar  ni  mentir,  —  ni  avotrar  ni  au- 
cir  ni  prerre  Vautruy  —  ISl  vcnjar  se  de  li  seo  enemis,  —  Uh  dion  qu'el  es 
Vaides  p  degne  e  punir,  k  (V.  5G7-572.)  C'est-à-dire  :  Mais  l'écriture  dit,  et 
nous  pouvons  le  voir,  —  Que,  s'il  y  a  quelque  bon  (homme  de  bien)  qui  aime 
cl  craigne  Jésus-Christ,  —  Qui  ne  veuille  maudire  ni  jurer  ni  mentir,  —  Ni 
comnieltrc  adultère,  ni  tuer,  ni  prendre  l'aulrui  (le  bien  d'autrui),  —  Ni  se 
vcnj^erdc  ses  ennemis,  — ils  disent  que  c'est  un  Kawdès  et  digne  d'être  puni. 
M.  nieckholY  s'appuie  de  ce  passage  pour  démontrer  que  le  poème  a  pris 
naissance  au  sein  des  frères  bohèmes,  parce  que  ceux-ci  considéraient  comme 
un  ternie  injurieux  le  nom  de  Vaudois  cl  n'en  voulaient  à  aucun  prix. 

(2)  Selon  M.  Ilerzog.  lo  Pnpc  F.ucins  Itl.  dans  son  décret  de  l'an  1184,  ne 


"220  I.tS  »  Al  «OIS  DL  MUYKN  AM.. 

biici;  ;iu  |n)fmr  vaudois ,  osl  <Joiu-  une  hypothèse  puretnem  gia- 
tuiie  cl  en  tontradiclion  ouverle  avec  Thisloire.   D'ailleurs,  la    | 
lan;,'ue  dans  laquelle  est  ccrilc  la  Nobla  Leyczon  osl  irop  mo- 
dcrne,  pour  qu'on  puisse  en  l'aire  remonlcr  la  comiiosiiion  aux 
premières  annj'cs  du  dojiztème  siècle. 

(JueUjiic  variées  i]iw  soient  les  formes  sons  les(|nelles  se  pré- 
senlo  ,  depnis  les  écrivains  du  moyen  ;"i^e  jusqu'à  nos  jours,  le 
nom  (le  \audois,  nous  relrouvons  invariablement  dans  chacune 
d'elles  la  consonne  d  (1),  ce  qui  rend  impossible  i'éiymologie 
de  iol  (vallis) ,  que  la  tradition  vaudoise,  se  basant  sur  quelques 
passages  isolés  et  d'untî  anloril»'  tout  au  moins  fort  eonlesial>lr, 
a  eliercln''  à  faire  prévaloir  à  partir  de  la  réforme.  La  dt'rivalion 
de  Vaido  a,  déplus,  en  sa  faveur,  l'analogie  d'une  infinité  de 
nom  de  sectes. 

Le  premier  auquel  est  dû  l'honneur  de  l'étrange  étymologie 
que  la  pitqiarl  des  historiens  vaudois ,  et  surtout  dans  ces  der- 
niersjtemps  Mi\L  l'eyran.  Bon  et  Muston,  ont  lente  de  faire  va- 
loir, par  es|»ril  de°par(i,  sans  doute,  plutôt  que  par  ignorance, 
est  en  même  temps  [le  premier  écrivain  qui  ail  traité  des  Vau- 
dois, Bernard  de  Foni-Caudc  (ou  Font-Cald),  mort  en  1193. 
«  Dicti  siint  f'alilcnscna,  dii-il  dans  son  livre  Jdversus  Falden- 
sium  sectam,  nimirum  a  l'alU  densa,  eo  quod  profundis  et  densis 
rrroruni  tenebris  involvunlur.  »  (Jni  ne  voit  ici,  du  reste,  une 
allusion  allégorique  qui  n'exclu!  aiiciinemcnl  la  possibilité  d'une 


inciilioniic  point  le  nom  ih*  \'au(Iois.  Mgi°  Cliarva/  paniit  ciiu'llic  uik^  opi- 
nioii  contraire,  en  assurant,  à  propos  du  passage  de  l'altlu"  de  Fonl-Caudc, 
que,  sous  I.uciuslll,  iIVsl  question  pour  la  première  fois  du  nom  de  Vau- 
dois, et  que  ce  Pape  [prononce  eireclivcmenl  leur  condamnalion  au  concile 
de  Vt-rone,  en  i  18-i  (p.  ÔC,  57).  Les  sectaires  condamnés  étaient-ils  vraiment 
des  Vaudois?  Il  nous  semble  (|u'à  celte  époque  VaIdo  et  ses  disciples  étaient 
encore  tolérés  p;ir  IKglisc.  Kn|  tout^cas,  le  nom  lui-même  de  Vaudois  n'est 
pas  uienlioiuié^dans  le  drrreltim. 

(I)  Les  Vaudois  s'appellent  Vaudes  dans  la  yobla  Jxyczon;  Valdes,  dans 
IVpIlre  des  frères  de  Bohême  au_roi  Ladisins  ;  Valdeiii  cher  Wallher  Mapos  ; 
H'iidnys,  dans  les  statuts  de  révé(|ue  Odon,  de  \\9i:  WnldnisfS,  dans  l'K- 
dirluiu  llde[)lionsi,  Ariigonum  re;;is.  et  dnns  relui  d'Ollion  IV,  de  1108;  ainsi 
que  (  lii'z  Kliennc  <h\Uourl>on,  Moneta  et  nnires  auteurs  catholiques  du  moyen 
Age  ;  vaudnix  enjranrais  nioilerne. 


IIS  VA!  Dr»IS  ni   MOYKN  AGK.  2Î1 

connaissance  exacte ,  chez  Bernard  ,  de  la  vérilahle  oii},'ine  du 
inol? 

Il  en  est  de  même  du  passage  de  V Àntihœresis  d'Eberard  de 
Hélhune,  en  Flandre,  le  seul  aussi  qui  ail  omis  la  lettre  d ,  cWi- 
demmenl  ù  dessein,  pour  donner  plus  ample  carrière  à  sa  ma- 
nière de  jouer  sur  les  mois.  «  Quidam  autcm,  ce  sont  ses  paroles, 
qui  N  allensens  5e  appcllant ,  co  quod  in  valle  lacrymarum  ma- 
neant.  »  l.e  même  auteur  ne  dérive-t-il  pas  aussi  le  nom  de  Mon- 
lanistes  de  montani,  les  montagnards.  Ces  sectaires  lurent  ainsi 
dénommés,  selon  lui,  parce  qu'ils  s'étaient  rf-l'ugics- dans  les  gor- 
ges des  montagnes,  pour  échapper  aux  persécutions.  D'ailleurs, 
de  quelle  autorité  |>eut  être  celle  d'un  auteur  qui  vivait  à  une  si 
grande  distance  du  théâtre  de  l'hérésie  vaudoise?  Certes  son  éty- 
mologio  ne  saurait  contrebalancer  celle  d'écrivains  bien  plus  à 
portée  que  lui  de  savoir  ce  qu'il  en  était  de  la  véritable  origine 
de  la  secte.  Du  reste  ,  ce  (pi'il  y  a  d'incontestable,  d'après  Ebe- 
rard  lui-même,  comme  l'observe  très-justement  Monseigneur 
Charvaz,  c'est  que  les  V  audois  de  son  temps,  en  parlant  de 
vallées,  entendaient  par  là  le  monde  même,  qu'ils  regardaient 
comme  une  vallée  do  larmes,  et  ne  songeaient  nullement  aux 
vaux  et  aux  vallées  vaudoises  (1). 

L'analogie  du  nom  des  Vaudois  avec  celui  des  habitants  du 
canton  de  Vaud,  en  Suisse  ,  est  frappante  ,  sans  doute  ,  mais  ne 
conclut  absolument  rien  en  faveur  de  l'étymologie  favorite;  car 
vouloir  dériver,  de  nos  jours  encore,  de  val  ou  vallis,  le  nom  de 
Vaud  ,  ce  serait  commettre  là  une  bévue  tout  au  plus  pardon- 
nable aux  étrangers,  comme  l'avouait  Ruchat  lui-même  (2). 

Mais  il  est  temps  d'arriver  à  riiistoire.  On  nous  pardonnera 
d'avoir  tant  insisté  sur  une  question  de  nom,  en  se  rappelant  que 
ce  n'est  pas  une  question  de  mots,  comme  le  dit  fort  bien  l'au- 
teur des  Recherches,  puisque  les  écrivains  vaudois  en  font  dépen- 
dre celle  de  leur  origine  et  de  leur  ancienneté. 

Un  vif  désir  de  puiser  à  la  source  même  de  l'Évangile  ,  désir 

(1)  Recherches  historiques,  etc.  p.  iôo.  édit.  de  Paris  1836. 

(2)  Ruchat,  Abrégé  deVhist.  ecclés,  du  canton  de  Vaud,  p.  \\l,  ihIU.  Vuil- 
lemin.  Laiis.  1858. 


^^2  I.KS  VAl  IHll"'   1)1    M(tVK>    \(iK. 

(loiii  l;i  léalisulion  lrans|Kni<'  dans  les  ic^inris  lis  plus  suliliiiit>s 
(le  l;i  loi  li  (le  r;unoiir  loiilc  fiiiii'  liiiiiiltlniiciii  soiiinisr  à  l'K- 
^lisc,  mais  qui  aboulit  iiHvilaMciiioiii  à  de  rnneslcs  (  onsc(|U('nci's 
(juaiul  il  proc«'de,  <oiiini('  <  e  lui  le  cas  dans  Vaido,  de  vagues  as- 
piraiioiis  religieuses  el  d'une  conception  eironi'-c  de  la  mission 
de  Tespril  humain  dans  les  choses  d<;  Dieu,  fui,  sans  aucun 
doute,  la  cause  première  de  l'hérésie  vaudoise.  C'est  ce  «juf 
nous  apprend,  en  ternies  non  équivoques,  l'historien  Etienni'  de 
Bourbon,  de;  l'ordre  des  Dominic  ains  ,  (pii  avait  passé  plusieurs 
années  à  Lyon  et  (  onnaissail  inlimement  un  piètre  des  amis  il<> 
Valdo.  «  .indiens  d'angelia ,  écrit-il  en  parlant  de  ce  dernier, 
cum  non  esset  multum  lilleratus ,  curiosus  intcUi<jerc  quid  ilirr- 
rent,  lecit  pactum  cum  dictis  sacerdotibus,  alleri  uttransferrct  pi 
in  vulgttri,  alleri  ut  scribcret  quœ  ille  dictilaret»  (1).  \  aido,  pour 
satisfaire  à  ce  qu'Etienne,  avec  un  peu  de  malice,  sans  doute, 
appelle  une  simple  curiosité  ,  mais  qui ,  au  fond ,  conmie  le 
prouve  toute  la  conduite  de  cet  hé-résiarque,  était  h;  fruit  d'une 
surexcitation  religieuse ,  conclut  avec  deux  ecclésiastiques  de 
l'Église  romaine  une  sorte  de  traité,  d'après  letjnel  l'un  devait  lui 
traduire  les  Évangiles  en  langue  vulgaire,  tandis  (jue  l'autre  ser- 
virait de  secrétaire  à  l'interprète.  La  traduction  une  fois  ache- 
vée, il  s'en  empara,  la  lut  assidûment  et  chercha  à  bien  se  péné- 
trer de  son  contenu.  L'idé-e  do  s'ériger  en  prédicateur  et  de  faiie 
profiter  ses  concitoyens  de  ses  éludes  bibliques,  ne  lui  vint  |)as 
dès  l'abord.  Il  faut  lui  lendre  cette  justice,  d'autant  plus  (|ue 
l'auteur  que  nous  venons  de  citer,  et  dont  les  témoignages  font 
auloritc',  est  très-j)Ositil  à  cet  égard.  Ses  disciples  qui,  à  l'exem- 
ple de  leur  maître,  se  piquaient  de  conformer  leur  vie  aux  ensei- 
gnements de  l'Évangile  et  de  les  observer  à  la  lettre,  ne  se  mê- 
lèrent pas,  non  plus,  dans  les  commencements,  d'endoctriner  le 
peuple.  C'est  ce  (piafrume  ^  vonei  lui-même,  <]ui  n'eût  pas  man- 
qué, si  le  fait  eût  été  vrai,  comme  l'ont  assuré  quelques  auteurs, 
de  le  faire  ressortir,  car  les  Vnudois  ne  paraissent  guère  avoir  été 


{{)  Sloplianus  de  Borbonc ,  iil    de  licilinilla  :  t.ibrr  dr  Vil  dnnit  spirihis 
sanrti.  IV  parle,  Cap.  XXX.  iipnil  Krlhinl.,  T.  I.  p.  IKiot  spq. 


i.KS  v.\i  i)»»i>  IX   >i(>vi:n  A<iK.  '2-2'.\ 

dans  ses  goùis  (1).  Mais  la  prédication  ne  devait  pas  se  faire 
longtemps  atton<lre.  Valdo  et  ses  disciples  voulaient  être  apôtres 
en  toute  chose.  A  Texomple  des  disci|)les  du  Sauveur,  ils  avaient 
renoncé  à  tous  les  biens  de  la  terre.  Jusque-là,  l'initiation  n'é- 
tait encore  qu'iniparlailc;  comme  les  apôtres,  il  fallait  aussi 
prêcher.  Pour  le  moment  donc,  le  chef  de  l'hérésie  vaudoise  et 
ses  partisans  se  conlenlèieiit  de  se  reunir  entre  eux,  pour  s'(;di- 
lier  par  la  lecture  de  la  Bible,  comme  ces  bons  habitants  de  Me(/ 
dont  parle  le  Pape  Innocent  111 ,  dans  sa  lettre  aux  chrétiens  de 
cette  ville  (2). 

Ne  croyez  pas,  cependant,  que  Valdo  et  ses  disciples  eussent 
eu  d'abord  la  moindre  velléité  de  créer  une  secte  et  de  se  mettre 
ainsi  en  opposition  directe  avec  l'Église.  Leur  schisme  ne  date 
vraiment  que  du  moment  où,  sopposant  aux  conseils  du  Sou- 
verain Pontife  et  aux  exhortations  paternelles  de  l'évêque  de 
Lyon  ,  ils  persévérèrent  à  s'adonner  publiquement  à  la  prédica- 
tion. Ce  fut  alors  seulement  que,  au  cri  de  :  Il  vaut  mieux  obéir 
à  Dieu  qu'aux  hommes,  ils  déclarèrent  ouvertement  la  guerre  à 
l'Église.  Leur  désir  de  connaître  les  Saintes  Écritures  n'avait  na- 
turellement en  lui-même  absolument  rien  de  condamnable  aux 
yeux  de  l'orthodoxie  romaine  (3).  C'est  ce  que  M.  Herzog  avoue 
avec  franchise  et  en  historien  sincère  qui  ne  cherche  point  à  dé- 


(1)  «  Apud  Lugdunum  fucrunl  quidam  scmpliccs  laïci  qui,  quodam  spirilu 
inllammati,  et  super  ceteros  de  se  prapsumcntes.  jactabant  se  veile  omnino 
vivcre  secundum  Evangelii  doctrinam  ,  et  illam  ad  iiUeram  perfecto  sevare. 
Poslea  cepcrunt  ex  se,  ut  plenius  se  Christi  discipulos  et  apostoloium  suc- 
cessorcs  osleuderenl,  etiam  sibi  prœdicalionis  ofïicium  jactanler  assumcrc.  » 
M.  Ilerzog  paraît  altiibucr  à  Yvonet  le  Traclalus  de  hœresi  panpcrum  de 
Lugduno,  d'où  est  extrait  le  passage  que  nous  venons  dévoiler.  Cet  auteur 
vécut,  selon  lui,  sous  le  pape  Grégoire  X. 

(2)  Innoc.  III,  epist.  lib.  II.  ep.  141. 

(5)  Le  Pape  Innocent  III  écrivait  aux  habitants  de  Metz  qui  se  réunissaient 
pour  s'édifier  mutuellement  par  la  lecture  des  Saintes  Écritures  :  «  Le  dé- 
sir d'apprendre  les  Saintes  Écritures  et  de  vous  édifier  par  leur  lecture,  est 
certainement  chose  recommandable.  Ce  que  nous  désapprouvons  seulement, 
c  est  que  vous  teniez  des  réunions  secrètes ,  qu'il  vous  prenne  fantaisie  de 
prêcher,  etc.»  Ep.  II,  141,  142.  Y.  Hurler,  Hisl.  du  Pape  Innocent  III.  etc. 
Liv.  14'. 


•J-2»  I.KS  VAI  UOIS  1)1    M«»YK>"  AGI:. 

iKiliin  1  It's  faiis  |)ai  esprit  de  syslèiut*.  L'Éj,'lise  ne  mettait  au- 
mutiiH'nl  à  l'index,  les  traductions  de  la  Bible  en  laii^'ue  vulgaire, 
lille  n'exi^çeait  qu'une  chose  ,  cl  en  cela  elle  aj^'issait  avec  une 
parfaite  sagesse ,  c'est  que  les  versions  fussent  conformes  à  la 
tradition  catholique  de  tous  les  siècles.  Il  faut  le  dire,  cepen- 
dant, il  y  avait  chez  \  aldo  (juehpie  chose  d'anormal  et  (pii  faisait 
pressentir  en  lui  le  fuliir  no\aleur.  Un  sim|)l('  laKiuc  comme  lui, 
sans  instruction  quelconque  (1),  qui  jusqu'alors  ne  s'était  occup»'- 
fjuc  du  négoce,  et  cpii,  tout  à  cou|),  se  sent  possédé  d'un  ardent 
désir  de  sonder  les  Écritures  de  lui-même,  sans  le  secours  de 
l'Église,  dont  il  ne  parait  jamais  avoir  compris  la  véritable  mis- 
sion, réalise,  dansée  but,  un  jtlan  tout  entier  de  sa  conception  ; 
s'associe  deux  prêtres  i)(»iir  en  obtenir,  à  ses  Irais,  une  traduc- 
tion de  la  Bible  (Jans  sa  langue  maternelle  (2);  un  laïque;,  disons- 
nous,  qui,  en  |»Kiii  moyen  âge,  réunissait  en  lui-même  tant  d'é- 
léments proleslants,  devait  inéviiablement ,  un  jour  ou  laulre, 
se  croire  appelé  à  réformer  l'Église.  II  su  peut,  comme  le  croit 
Monseigneur  Charvaz ,  que  l'honnête  négociant  de  Lyon  ne  son- 
geât d'abord  qu'à  fonder  un  ordre  religieux  de  pauvres  i>olon- 
taires.  Les  démarches  (pi'il  lu  au|>rès  d  Innocent  III ,  quehiues 
paroles  à  ce  sujet  de  l'abbe  trUrspeig,  témoin  oculaire,  el  le 
fait  qu'un  grand  nombre  de  Vaudois  marquants  de  la  secte  ,  tels 
(|ue  Duiaml  d'Iluesca  ,  Guillaume  de  Saini-Anlonin  ,  Bernard  et 
plusieurs  de  leurs  frères,  obtinrent  du  Pape  ,  après  avoir  abjuré 
leurs  erreurs,  l'autorisation  de  former  une  nouvelle  association 
sous  le  nom  (\c pauvres  catholiques  (paupcrcs  calholici),  sem- 
bleraient confirmer  cette  hypothèse.  Cependant,  qnoi(]uo  Valdo, 
comme  saint  lMan(.ois  d'Assise,  son  conlempoiain,  eût  rencmcé  à 
toute  occupation  mondaine,  abandonné  tous  ses  biens,  fait  vnii 


(i)  Sine  scicntia,  sine  lillcralura,  dit  Alain  de  llslc,  Ip  docteur  universel 
dn  douzième  sièch-.  V.  M^îp  Cliiirvaz,  piôros  jiislificalives ,  n"  2.  Rcinier  «lit 
de  Valdo  «]uil  était  aliqudnluliim  liKnnlus.  Il  n'i-tail  cependant  pas  cap.dilo 
de  lire  la  Viilgali-.  Que  ponvait  êlre,  au  douzième  siècle,  un  Immme  de  lel- 
Iru  qui  ne  savait  pas  le  lalin  ! 

(2)  De  laïques  catholiques  qui  aient  pourvu  à  une  tradurliun  de  la  Bible  , 
Hurler  ne  rnnnnil  que  fînillanmi'  le  Coufiuèran»  el  Valdo. 


l.i;S  VAIDOIS  in    MilYF.N  A(iK.  225 

de  paiiYiclc  ,  i|uand  des  richesses  considérables  lui  permeltaicni 
de  vivre  dans  le  luxe ,  et  cela  pour  se  conformer  littéralement 
au  dénùmenl  du  Sauveur,  il  n'était  guère  homme  à  fondor  un 
ordre  de  frères  mineurs.  Si,  à  la  vue  de  cet  ami  qu'une  mort  su- 
bite frappait  à  ses  cùlés  ,  il  se  lût,  comme  Luther,  réfugié  dans 
uu  couvent,  comme  lui  aussi,  soyez  en  certain,  il  en  serait  tôt  ou 
rard  sorti  pour  guerroyer  contre  l'Église  (1). 

Le  point  de  départ  de  la  secte  vautloise  fut  donc  la  Bible.  Les 
aulres  hérésies  qui  pullulaieni  au  moyen  âge  ,  même  celle  des 
Cathares ,  quoique  ceux-ci  s'appuyassent  souvent  de  la  Révéla- 
tion divine  pour  donner  à  leurs  erreurs  quelque  apparence  de 
vérité,  étaient  parties  d'un  principe  différent.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  l'assertion  peut-être  exagérée  du  Pscudo-Reinier,  que  loi 
paysan  vaudois  savait  par  cœur  tout  le  livre  de  Job,  tel  autre  le 
Nouveau  Testament  en  entier,  toujours  est-il  que  les  Saintes 
Ecritures  formaient  l'occupation  principale,  même  exclusive, 
des  premiers  disciples  de  Valdo.  Walther  Mapes  (Gualterus  Map- 
peus),  qui  rencontra  quelques-uns  d'entre  eux  au  troisième  con- 
cile de  Latran,  en  1 179,  raconte  qu'ils  présentèrent  au  Souverain 
Ponlife  im  volume  contenant  des  traductions  en  langue  vulgaire 
de  diverses  parties  de  la  Bible.  On  aurait  tort  d'en  conclure , 
cependant,  que  les  Vaudois  eussent,  en  général,  une  connais- 
sance fort  étendue  des  Écritures.  Leurs  interprétations  étaient 
souvent  vacillantes,  indécises.  Il  n'en  pouvait  être  autrement. 
Grâce  aux  disciples  de  Jean  Huss ,  et,  plus  tard,  aux  réforma- 
teurs, ils  firent  de  rapides  progrès  dans  l'exégèse  biblique.  Nous 
parlons  de  l'exégèse  protestante ,  il  n'est  pas  besoin  de  le  dire. 
George  Morel ,  dans  les  ]Sé(jociat'ions  que  nous  avons   souvent 


(i)  M.  Herzog  dit  que  Valdo  était  doue  d'un  esprit  trop  indépendant  pour 
devenir  jamais  le  fondateur  d'un  ordre  religieux.  S'il  entend  par  là  l'esprit 
d'insubordination  aux  lois  de  l'Eglise,  nous  lui  donnons  parfaitement  raison. 
Sinon,  nous  pourrions  bien  lui  opposer  saint  Fi-ançois  d'Assise.  Le  caractère 
indépendant  de  ce  saint,  qui  fut  en  même  temps  un  poète  sublime,  ne  lem- 
pécha  pas  de  créer  un  des  plus  beaux  ordres  dont  puisse  s'honorer  l'Église. 
Mais  ,  tout  en  étant  indépendant ,  dans  le  noble  sens  du  mot,  saint  François 
était  d'une  admirable  humilité.  Nous  pensons  que  cette  vertu  manquait  au 
réformateur  des  rives  du  Rhône. 

15 


iiieniiunnces,  aNuiie  en  lernies  formels  Tignorance  do  ses  co- 
religionnaires ù  ce  siijei,  lis  se  penneltaienl  aussi  souveni  de 
grandes  licences  dans  leurs  ciiaiions  des  textes  de  la  Parole  de 
Dieu.  Cependant  on  ne  saurait  leur  en  faire  un  reproche,  <ar  les 
écrivains  catholiques  du  moyen  Age  n'étaient  pas  toujours  plus 
exacts. 

Un  Irait  caract«'risti<jue  de  la  secte  vaudoise,  d«''jà  à  l'époque 
qui  nous  occupe,  et  qu'il  est  bon  de  constater,  comme  consii- 
luanl  évidemment ,  qnoi(|u'à  son  insu  ,  un  véritable  antagonisme 
entre  elle  et  IKi^dise,  eonïme  l'observe  avec  raison  M.  Her/.og  . 
c'est  la  prédominance  prescpie  exclusive  quelle  accorde  au  Nou- 
veau Testament  sur  l'Ancien.  C'est  ce  qui  ressort  avec  évidenre 
de  plusieurs  passages  de  la  Nobla  Leyczon  et  du  commentaire 
vaudois  du  Cantique  des  Cantiques  (1).  Dans  la  suite,  nous  voyons 
aussi  la  secte  traduire  le  Nouveau  Testament  tout  entier,  et  seu- 
lement quelques  livres  de  l'Ancien.  Selon  Morel  lui-nu^me,  les 
Vaudois  ne  connaissaient  guère  que  l'Évangile.  Toutefois  ce  se- 
rait donner  un  démenti  à  riiisloirc  de  soutenir  avec  Vvonet  qu'ils 
n'admettaient  point  l'Ancien  Testament.  Sous  ce  rapport,  ils 
n'avaient  rien  de  commun  avec  les  Cathares.  Toutes  les  fois  qu'ils 
trouvaient  moyen  de  le  concilier  avec  leurs  vues  particulières 
sur  le  Nouveau  Testament ,  ils  ne  mancpiaient  pas  de  l'utiliser. 
Il  nous  reste  d'eux  bon  nombre  de  sermons  auxquels  des  pas- 
sages de  l'Ancit'n  Testament  servent  de  textes.  Leur  commen- 
taire du  Cantique  des  Canlicpies  y  fait  de  fréquentes  allusions, 
et,  ce  qui  importe  encore  plus,  leur  plus  antique  poème,  la  ^'o- 


H)  On  a  cm  que  le  commentaire  vaudois  du  Cantique  des  Cantiques,  au- 
quel il  est  difficile  d'assigner  une  date  précise,  nctailquune  simple  imitation 
d'une  des  nombreuses  interprétalions  en  vogue  au  moyen  âge.  M.  Hcrzogesl 
convaincu  qu'il  n'en  est  rien.  Il  ne  lui  trouve  aucun  rapport  avec  les  célè- 
bres scrnums  de  saint  Bernard  de  Clairvaux  sur  ce  sujet;  et  quoique  l'cxc- 
gèse  vaudoise  de  ce  livre  divin  offre ,  dans  plusieurs  détails ,  des  traits  frap- 
pants de  ressemblance  avec  les  explications  qu'en  donnèrent  Aponius,  au 
huitième  ou  neuvième  siècle,  Angeiomus  et  saint  Bruno  d'Asti,  il  ne  conclut 
pas  cependant  de  là  à  une  contrefaçon,  mais  trouve  la  raison  de  ses  analo- 
gies dans  une  sorte  de  tradition  cxégctiquc  du  Cantique  des  Cantiques  qui 
aui-ait  traversé  le  moyen  ftpe  cl  servi  aux  commentateurs  de  source  corn- 
niiinc 


IIS  VUDOIS  ni    MOYEN  MiV..  227 

hla  Leycion,  en  parle  en  tonnes  positifs  comme  d'une  révélation 
divine  (1). 

De  l'assertion  du  mt'me  Yvotiet  que  les  Vaudois  se  vantaient 
d'observer  littéralement  (ad  liHcras)  la  doctrine  évangéliquo,  il 
ne  Huidrait  pas  conclure  que  la  secte  vaudoise  ,  avant  la  période 
de  l'induence  hussite,  se  fût  attachée,  dans  l'interprétation  des 
Écritures,  exclusivement  au  sens  littéral.  Bien  loin  de  là,  ils 
procédaient  absolument  comme  les  callioliqucs ,  et  mettaient  ii 
profil,  dans  rinlérél  de  leurs  doctrines,  l'interprétation  allégo- 
rique. Dans  leurs  plus  anciens  écrits  ,  surtout  ceux  qui  sont  an- 
térieurs à  la  pt'riode  hussite,  le  sens  figuré  joue  même  un  rôle 
important.  Ils  s'étaient  aussi  approprié  les  principes  exégétiques 
consacrés  par  les  docteurs  de  l'Église.  L'auteur  du  commentaire 
du  Cantique  des  Cantiques  admet,  en  termes  bien  exprès,  la 
quadruple  interprétation,  savoir  la  littérale,  l'allégorique,  la 
iropologique  ou  morale,  et  l'anagogique.  Dans  le  livre  intitulé 
Fertucz  (2),  dont  le  type  si  éminemment  catholique  a  fait  croire, 
bien  à  tort  cependant,  qu'il  avait  quelque  moine  pour  auteur, 
le  triple  sens  pratique,  moral  et  allégorique,  se  manifeste  d'une 
manière  incontestable.  Les  secrets  de  Dieu ,  dit  l'auteur  dont 
nous  parlons,  se  divisent  en  quatre  parties,  «  l'histoire  (estonia), 
l'allégorie  (ewaZe^fon'a) ,  la  tropologie  (trippologià)  [sic],  et  l'a- 

(1)  Nous  n'en  citerons  que  les  deux  vers  li8  et  H9  :  «  Jîotas  autras  en- 
segnas  Dio  al  seo  poble  fey  ;  —  El  li  pac  XL  an  al  désert,  e  lor  done  la  ley.  » 
La  Nobla  Leyczon,  de  479  vers,  n'est  autre  chose  qu'une  suite  d'exhortations 
à  la  pénitence.  L'auteur  profite  de  son  argument  pour  passer  brièvement  en 
revue  l'histoire  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  celle  de  l'Église  de- 
puis la  fin  des  temps  apostoliques.  Ce  poème  est  d'une  haute  importance,  en 
ce  qu'il  développe  occasionnellement  les  principes  religieux  des  premiers 
Vaudois.  Le  mot  de  leçon,  comme  on  le  voit,  a  ici  un  sens  plus  étendu  que 
dans  le  langage  de  l'Église. 

(2)  Cet  écrit,  qui  appartient  à  la  période  antc-hussite,  contient  l'énuméra- 
tionetla  description  de  vingt-cinq  vertus,  entre  autres  la  componcion  delcor, 
la  confession,  la  penilenlia,  la  caslila  et  la  pura  entencion.  Et  soutenir, 
après  cela  ,  que  les  Vaudois  ont  de  tout  temps  professé  les  principes  de  la 
réforme  !  Pas  un  seul  dogme  catholique,  dans  tout  le  livre,  qui  soit  attaqué. 
Le  Pseudo  Rcinier  prétend  que  les  Vaudois  rejetaient  le  sens  mystique  de 
ce  livre.  On  en  a  conclu  qu'il  n'avait  pas  pour  auteur  un  Vaudois.  Bien  à 
tort,  car  les  sectaires  dont  parle  ici  cet  auteur  ne  sont  pas  les  Vaudois  romans. 


2-iM  i»%AM>oi>ni    M^>v^^   \c,F.. 

n:i^o^ii>  (enigoienl).  L'histoire ,  c'esl  le  lexle  des  Écriiurps  (|ui 
raronlc  toul  uiiiiiiont  les  choses  visibles  du  Créateur;  VaUégorie, 
c'esl  le  sons  mélangé  (renlcndeaient  inescla),  caché  sous  l'his- 
toire; la  Iropologie  est  la  paiole  «jui  a  pour  but  l'édilication  de 
râroe  et  regarde  surtout  les  mœurs  des  saints  (costumas  de  li 
saut);  Vanagogie  est  la  connaissance  des  choses  célestes,  de  \'v- 
lernité,  de  la  trinité,  de  la  béatitude  des  anges  et  de  leurs  joies 
futures.  » 

^ous  nous  sommes  arrêté  à  dessein  sur  la  méthode  e\ég<''ti- 
(|ue  adoptée  par  les  Vaudois  avant  le  quin/iéme  siècle.  Elle 
prouve  assez  clairement,  il  nous  senddc,  (pie,  sous  le  rapport  de 
la  forme ,  la  secte  portait  dans  ses  origines  un  cachet  encore 
passablement  cailiolicpie.  Nous  verrons  bieniôt  (jue  Bossuet  ne  se 
trompait  guère  en  attribuant  aux  premiers  disciples  de  Vaido 
une  confession  de  foi  différente,  en  bien  des  points,  de  celle  de 
la  réforme. 

Henri  Steve>'som. 


i 


DE  L'ANTI-CIIRISÏ. 


Il  est  un  personnage  mystérieux  auquel  font  allusion  quelques 
passages  de  la  Bi])le ,  assez  obscurs  pour  avoir  exercé  les  re- 
cherches de  plus  d'un  ili('>ologien  et  pour  avoir  soulevé  de  vives 
discussions  parmi  les  savants.  C'est  cet  homme  de  péché,  cet  être 
malfaisant  et  puissant  qui  dut  apparaître  avant  le  dernier  et  glo- 
rieux avènement  du  Christ,  et  qui  doit  faire  une  guerre  acharnée 
aux  adorateurs  du  vrai  Dieu  ,  aux  serviteurs  du  Christ  ;  ce  per- 
sonnage ,  nous  rapi)elons  Jnte-Chrisl,  précurseur  du  Christ; 
telle  est,  du  moins,  la  version  qu'en  donnent  plusieuis  auteurs. 
En  anglais,  en  allemand,  en  italien,  on  dit  Jnti-Christ,  ennemi 
du  Christ.  Cette  dénomination  nous  paraît  un  peu  vague  et  ne 
désigne  pas  cet  être  mystérieux  d'une  façon  plus  claire  que  tant 
d'autres  ennemis  du  Christ,  tels  que  les  Empereurs  romains, 
Mahomet,  Arius;  en  l'admettant,  on  arrive  aisément  à  con- 
clure avec  Grotius ,  le  rév.  Hammond  et  d'autres  savants  que 
l'Anii-Christ  est  déjà  venu,  soit  dans  la  personne  de  Cali- 
gula  ou  d'Héliogabale  qui  se  firent  adorer  comme  Dieu,"  ou  dans 
les  traits  de  Simon  le  magicien  et  des  Gnostiques.  Mais  celte  ap- 
pellation d'Anti-Christ  servait  trop  bien  les  haines  protestantes 
pour  la  négliger.  En  Angleterre,  il  fallait  persuader  à  des  popu- 
lations dont  l'ignorance  fit  tout  le  succès  de  la  réforme,  que  l'E- 
glise était  l'ennemie  de  la  religion  ;  on  en  vint  à  assimiler  l'Anti- 
Christ  avec  le  Pape,  et  par  une  sorte  de  métonymie,  à  tout  le 
catholicisme.  Cette  opinion  eut  aussi  ses  partisans  parmi  les  cal- 
vinistes de  France,  et  nous  trouvons  qu'un  synode  tenu  à  Gap  en 


1603,  inséra  dans  ba  confession  de  foi  un  ai  ticle  uù  le  Pape  était 
di'crélé  Anti-Clirisl. 

Si  l'on  ne  savait  «lucllc  est  l'épaisseur  des  voiles  jetés  sur  l'in- 
telligence pai-  l'esprit  de  |)arti ,  on  pouirait  s'émerveiller  et  se 
demander  comment  on  a  pu ,  soit  dans  VJnle,  soit  dans  VJntt- 
Qirist,  voir  l'Éj^lise  constituée  par  >olre  Sei},'neur  il  y  a  dix-huit 
siècles,  et  (jui  n'a  donc  pas  attendu  les  derniers  jours  pour  ap- 
paraître; cette  Église  dont  la  deNise,  sur  les  bûchers  du  paga- 
nisme, parmi  les  persécutions  du  protestantisme,  ou  les  sarcas- 
mes de  la  philosophie,  fut  toujours  «  tout  pour  la  croix  et  par  la 
croix.  »  Kt  il  ne  faut  pas  croire  que  ce  soit  une  de  ces  aberra- 
tions où  entraîne  la  première  fureur  des  guerres  civiles,  dont  la 
raison  <'l  le  temps  font  justice.  Sur  dix  Anglais  de  la  bonne  vieille 
suuclie  (of  ihe  old  stock)  auxquels  vous  demanderiez  ce  qu'on  doit 
entendre  i)ar  Anti-Christ,  se|)t  au  moins  vous  répondraient  :  «  C'est 
»  la  grande  prostituée  de  Babylone,  c'est  l'Évèque  hérétique  et 
»  schisniati(juc  de  Uome ,  c'est  l'idolâtrie  papiste.»  l*eut-élre 
(|Uel(]ucs-uns  vous  diront  avec  un  peu  plus  d'urlianite,  (jue  c'est 
le  romanisme  (1). 

Un  numcio  de  la  Bibliothèque  instructive,  petite  publication 
catholique  (pii  a  pour  but  de  neutraliser  l'eilét  des  Tracts  de  la 
propagande  prolestante  en  Angleterre ,  contient  sous  ce  titre  : 
Célébration  de  A'oël  chez  iJnti-Christ,  un  article  plein  d'aperçus 
et  de  rapprochcnn'nts  assez  picpianis.  Peut-être  nos  lecteurs  nous 
sauront-ils  gré  deleur  euollrir  la  traduction  aussi  littérale  (jue  le 
permet  la  simplicité  d'un  langage  adressé  particulièrement  aux 
classes  pauvres. 

fY>lélira(ioii  «le  :\oël  vUvm.  T Aiili-4  liriot. 

\u\  premiers  jours   du   iMolestantisine ,    le  roi  d'Angleterre 
avant  demandé  à  un  noble  de  sa  roui-  <  «■  qui  lui  faisait  si  vive- 

[l)  ,Nt)Us  truuxoiis  le  coiiiiiiciilaire  mii\;iiiI  liaiis  un  1  r.sCainnil  anglais, 
sur  lu  (leiixii-nic  t-pitrc  aux  Thcssalonicicns  :  .  Cette  épilre  |)orte  la  preuve 
»  la  pins  inconleslahlo  tic  son  inspiration  divine,  dans  le  lalvlenn  «incllc  fait 
»  de  IKtîlise  romaine  sous  le  no.ii  d'AnliCliris».  »  Sni\ent  îles  tiéveloppe 
nienls  que  tes  deux  lifîiie.s  lais.sent  dexnicr. 


i)K  i/anti-<:iii(Ist.  231 

iiicni  désirer  de  visiter  Rome ,  le  grand  seigneur  répondit  qu'il 
était  curieux  d'entendre  rAnli-Christ  dire  son  Credo. 

Il  serait  à  désirer  (juc  tous  les  protestants  partageassent  cette 
curiosité  ;  s'ils  faisaient  réciter  le  catéchisme  à  celui  qu'ils  ap- 
pellent Anti-Christ ,  ses  réponses  les  surprendraient  assez  pour 
les  l'aire  douter  de  ses  droits  à  ce  titre.  Car  quelque  soit  l'obs- 
curité répandue  sur  les  passages  de  l'Écrilure  concernant  ce 
mystérieux  personnage,  on  en  infère  que  bien  loin  d'adorer  ou 
Dieu,  ou  son  Christ,  il  usurperait  plutôt  leur  place  sur  l'autel  et 
s'y  ferait  adorer  lui-même  comme  Dieu.  Et  cependant  ceux  qui 
ont  parcouru  les  pays  de  la  catholicité,  et  qui  en  connaissent  les 
usages  et  les  mœurs,  ont  dû  se  convaincre  que  non-seulement 
l'Eglise  catholique  adore  le  Christ ,  mais  que  sa  vie  intime  , 
comme  sa  vie  extérieure  ,  n'est  qu'un  acte  continuel  d'adoration 
fervente.  Le  Christ  est  le  soleil  autour  duquel  l'armée  ecclésias- 
tique opère  sa  rotation  perpétuelle  avec  ses  fêtes,  ses  jeûnes,  ses 
temps  de  deuil  et  de  réjouissance.  A  l'exemple  de  la  sainte  Mère 
de  Jésus,  l'Église  suit  son  divin  Maître  de  la  crèche  au  sépulcre 
avec  le  plus  ardent  amour;  elle  le  reçoit  dans  ses  bras  à  sa 
naissance,  elle  se  tient  désolée  sur  le  Calvaire,  elle  pleure  au- 
près de  son  tombeau ,  se  réjouit  à  sa  résurrection  et  triom- 
phe à  sa  glorieuse  ascension. 

Nos  adversaires  n'ignorent  pas  le  respect  et  l'amour  que  nous 
portons  à  tout  ce  qui  a  de  près  ou  de  loin  quelque  rapport  avec 
le  Sauveur,  car  c'est  justement  ce  respect  et  cet  amour  qu'ils 
traitent  de  superstition. 

Oui,  nous  vénérons  la  crèche  où  le  Christ  naquit;  la  colonne 
où  il  fut  enchaîné  ,  les  clous,  la  croix,  tous  les  instruments  enfin 
de  sa  passion;  nous  vénérons,  nous  aimons  plus  tendrement  en- 
core ses  saints,  ses  images  vivantes  sur  la  terre ,  et  sa  bienheu- 
reuse Mère  ,  car  d'elle  seule  ,  il  a  pu  être  dit  que  Jésus  était  les 
os  de  ses  os,  la  chair  de  sa  chair. 

Le  culte  même  que  nos  ennemis  outragent  le  plus,  l'adoration 
du  Très-Saint  Sacrement ,  qu'est-elle,  si  ce  n'est  l'adoration  de 
Jésus?  Chacun  sait  bien  que  nous  ne  nous  prosternons  pas  de- 
vant du  pain  et  du  vin,  mais  que  nous  courbons  nos  corps  et  nos 
cœurs  devant  ces  espèces,  sous  lesquelles  la  foi  nous  enseigne 


Î32 


Dh  L  .\.>  Il  CIIKIM' 


que  se  cache  le  Christ.  Que  les  prolesianls  repoussent  lacrovancc 
à  la  |nrsence  n'clle,  s'ils  le  veulent;  mais  qu'ils  ne  nient  pas, 
car  ils  ne  le  peuvent,  «pie  ce  soit  au  Christ,  :i  lui  st'ul  «pie  notre 
âme  adresse  se:»  adorations. 

Celte  adoialion  «'sl-elle  un  des  attributs  «le  r.\nli-Clirist? 

Los  lûtes  de  No»!  \iennent  nous  sujjjj'érer  ces  ienexi«>ns  :  Qui- 
con«|ue  a  eu  le  bonheur  de  se  trouver  à  pareille  épo(jue  parmi 
des  caihoIi(iues ,  a  pu  se  convaincre,  quelle  que  soit  d'ailleui-» 
sa  manière  favorite  «le  passer  ce  saint  jour,  «pie  l'objet,  la  pensée 
de  celte  f«^'le  sont  retracés  par  TÉylise  ;iux  inh-lligences,  aux 
cœurs,  aux  yeux  des  fidèles  avec  une  vivacité,  une  intensité  dont 
le  prol«'sianlisme  n'a  aucune  iilée. 

Au  reste,  Nû«'1  apporte  tant  de  bonheur  avec  lui,  ijue  son  in- 
lluence,  comme  un  rayon  joyeux  ,  va  pour  un  instant  Tondre  les 
glaces  du  protestantisme,  y  réchauller  les  sombres  abîmes  des 
populations  dans  ce  pays  oii  toui  à  la  surra«c  est  si  souriant,  «)ii 
loui  esl  si  désolé  au  Ibiid.  Je  ne  sais  quel  gai  rréniissein«'nl  par- 
court à  Noël  les  cœurs  de  presque  tous  les  Anglais;  des  feuilla- 
ges verls,  des  baies  rouges  «lécoreni  les  églises  et  les  cliapelh-s; 
les  rues  retentissent  de  chants  particuliers  auxquels  on  donne 
«Micore  le  vieux  nom  français  «le  Corroies  \  on  se  salue  en  échan- 
geant avec  cordialité  ces  paroles  :  «Joyeux  Noél  pour  vous!  » 
Le  liceuf  et  le  pudding,  «pii  sont  les  formes  que .  dans  ce  froid 
<  liniîit,  la  j«>ie  aflVcle  le  plus  volonliers,  fument  sui"  plus  «l'une 
table  qui  ne  les  voii  j;iinais  à  «lautres  époques  de  l'année;  peut- 
être  m«*nie  que  ilans  les  dep«'>ls  de  mendicité  on  accorde,  ce  jour- 
là,  une  disiiibution  de  gruau. 

Ce  n'est  pas  des  festins  de  No«l  que  nous  volons  tirer  des  com- 
paraisons défavorables  entre  la  célébration  de  ce  jour  en  Angle- 
terre et  dans  la  catholicité.  Lhabilud(!  de  se  régaler  dans  toutes 
les  occasions  joyeuses  n'ist  pas  protesianU',  mais  nationale  ;  il  «'ii 
était  de  même  du  temps  où  nos  aïeux  les  Saxons  étaient  encore 
païens  au  fond  «le  leurs  forêls.  C'él;iii,  nous  rJ«onle-l-on.  an  mi- 
lieu de  leurs  ban«piets  (pie  leurs  esprits  séchaulfaient  pour  les 
grandes  choses.  Nous  savons  aussi  «pi'à  l'époque  de  notre  con- 
version au  christianisme,  le  bon  Pape  saint  (îrégoire«»rdonna  que 
le  peuple  eut  la  permission  de  tuer  des  l»«ruls  et  «les  moutons. 


DE  i/ami-ciiiust.  233 

;iliudc  se  régaler  aux  fêtes  de  l'Église  comme  on  l'avait  fait  jus- 
•m'alors  aux  f«Hes  des  idoles  (1).  Nous  n'avons  certes  pas  la  pen- 
sio  (le  trouver  mauvais  ce  que  dans  sa  sagesse  le  Saint  Père 
;ivail  auloris»;,  en  considéralion  d'un  climat  froid,  qui  fait  d'une 
:ii)ondante  nourriture  une  condition  indispensable,  et  cela  à  un 
point  (jue  les  peuples  du  midi  ne  peuvent  concevoir.  INos  aïeux 
Saxons,  avec  leurs  proportions  aihlétiques,  ne  pouvaient  suppor- 
icr  ni  le  travail  pénible,  ni  l'abstinence  prolongée.  Combien, 
lii'las!  doivent  souffrir  nos  pauvres  écrasés  sous  la  fatigue  et  la 
lai  m  ! 

La  différence  entre  les  catholiques  et  les  protestants  anglais  qui 
lous  deux  aiment  la  fête  de  Noël,  c'est  que  les  premiers  l'aiment 
pour  l'amour  du  Christ,  d'une  façon  beaucoup  plus  distincte  et 
|)Ius  précise  ;  le  nom  même  de  cette  solennité  est  tout  catholique  ; 
(iirist's  mass  (Messe  de  Noël).  Pour  les  protestants,  la  première 
partie  de  ce  mot  n'offre  qu'une  idée  incertaine,  confuse,  la  se- 
(  onde  syllabe  a  perdu  son  sens. 

Examinez  la  partie  olliciellement  religieuse  de  la  fête,  et  voyez 
tu  quoi  elle  consiste  :  dans  les  églises  de  l'Etablissement  angli- 
,  can,  sur  les  baies  et  les  feuilles  de  houx,  qu'est-ce  qui  vous  parle 
I  lie  la  naissance  du  Sauveur?  On  y  lit  le  chapitre  de  l'Évangile 
I  (\u\  raconte  cet  événement  et  quelques-uns  des  psaumes  qui  le 
I  prédisent  ;  peut-être  y  prêche-t-on  quelquefois  un  sermon  sur  la 
;  Nativité;  mais  rien  ne  varie  la  routine  monotone  du  culte,  rien 
' ,  u'appelle  la  dévotion  des  assisiants  aux  pieds  du  divin  Enfant,  ni 
•     ne  témoigne  de  celle  de  l'Église.  Quant  aux  chapelles  des  dis- 

I  sidents,  oii  tout  est  laissé  davantage  à  la  fantaisie,  ou  à  la  spon- 

II  tanéité  des  individus  ,  la  solennité  du  jour  y  est  célébrée  tantôt 
d'une  façon  plus  chrétienne ,  tantôt  avec  plus  de  froideur  encore 
que  dans  les  églises  de  l'Etablissement.  Partout  le  sermon  paraît 
être  le  point  essentiel ,  ce  qui  fait  dépendre  la  célébration  de  la 
fête  de  la  voix ,  du  talent  d'un  homme ,  au  lieu  d'en  donner  la 
charge  à  l'Église. 


(1)  De  là  vient  probablement  que  le  mot  feasl  signifie  également  fêle  et 
régal;  «le  là  aussi  vient  probablement  le  mot  fiançais  festin,  dont  l'élymolo- 
gic  n"a  rien  de  commun  avec  le  latin. 


234  i>r.  i.A>Ti-(.nnisr. 

Je  voudruis  que  tout  protestaiil  qui  assimile  le  caiholitisnic  à 
rAnii-Clirisl,  pûi  éire  iransporlé  pendant  la  nuil  de  Noël  ù  Rome 
ménie,  dans  ce  contre  de  la  caiholiciié.  A  rasi)ect  de  la  joie 
universelle  dont  toute  la  ville  est  irradiée,  il  pourrait  croire  (jue 
la  naissance  d'un  nouveau-né  vient  de  léjouir  les  ca'urs  de  tou- 
tes les  familles;  les  rues,  aussi  claires  (]u'en  plein  jour,  sont  en- 
i'onibr«''OS  de  la  foule  qui  s'empresse  de  se  rendre  à  la  Messe  de 
minuit.  C'est  |)ar  cette  messe  nocluine  en  riionneur  de  la  nais- 
sance de  Notre  Sauveur  à  pareille  heure ,  (jue  l'Éj^lise  marque 
celte  fêle,  la  plus  douce  entre  toutes  les  fêles;  ce  privilège  n'est 
donné  qu'à  >ioel;  à  Noél  seulement  aussi,  chacjue  prêtre  peut 
dire  plus  d'une  messe;  chacun  d'eux  offre  trois  fois  le  saint 
sacrilice ,  et  cet  usage  a  un  sens  mystique;  c'est  pour  com- 
mémorer les  trois  naissances  de  Notre  Seigneur  :  Sa  naissance 
divine,  naissance  qui  lut  de  toute  éleriiilé,  sa  naissance  himiaine 
dans  le  temps,  sa  naissance  spirituelle,  par  la  grâce,  dans  l'Ame 
d«'s  fidèles.  Dans  l'église  de  Sainle-Maric-Majeure,  qui  a  le  bon- 
heur (le  posséder  un  morceau  de  la  sainte  crèche  de  Hethlécm , 
la  première  messe  se  célèbre  en  pn-sence  du  Saint  Père ,  avec 
une  solennité  dont  on  donnerait  dillicilement  la  moindre  idée.  La 
Messe  de  minuit,  à  Sainl-I'icrre ,  est  aussi  d'une  imposante  ma- 
gnificence; l'ollice  (jui  la  précède  est  composé  de  psaumes  dits 
en  plain-chant ,  et  cntre-mêlcs  de  versets  qui  racontent  la  visiie 
des  anges  aux  bergers;  la  musi(pie  de  ces  stances  est  admirable- 
ment adapté'c  aux  paroles  et  fait  songer  aux  mélodies  (pii  du- 
rent llottcr  dans  les  cieux  lorsque  la  trompette  c<''leste  répéta  : 
Gloire  à  Dieu  et  paix  sur  la  terre!  Un  grand  nombre  de  paysans 
<les  environs  de  Rome  liassent  touie  la  nuit  à  l'i-glisc  de  Saint- 
Pierre,  et  ce  sont  eux  surtout  «pii  la  remplissent  ce  jour-là  ;  car 
les  habitants  de  la  ville  préfèrent  aller  à  leur  église  de  paroisse 
pour  y  faire  leurs  dévolions.  Ce  n'est  pas,  du  reste,  à  Rome  seu- 
lement que  la  solennité  de  Noèl  est  belle;  partout  où  la  Messe 
de  minuit  est  permise,  même  au  fond  de  quelque  petite  mission 
en  Angleterre,  les  protestants  seraient  étonnés  de  remarquer  tout 
ce  <|ue  la  foi,  le  /.èle,  la  dévotion  peuvent  trouver  d'ingénieux 
et  de  poétique  pour  rendre  la  solennité  inqtosanle  et  louchanle, 
malgré  la  pauvreté  des  moyens.   C'est  que  la  source  de  tout  don 


DK  i/anti-ciikist.  235 

paituit,  do  toute  lumière,  de  loule  beauté,  est  cachée  dans  le 
oulte  catholique  et  fait  ruisseler,  pour  ainsi  dire,  sur  lui  toutes 
SCS  ^l'àccs.  Pendîint  les  fêtes  de  ]\o<'l ,  dans  toute  la  catholicité  , 
V Enfant  Jésus  est  constamment  ollert  à  nos  regards  et  son  adora- 
lion  présentée  à  nos  âmes.  Le  moindre  doute  ne  peut  se  glisser 
ilans  l'esprit  du  plus  ignorant  des  enfants  sur  l'objet  des  céré- 
monies de  Noël ,  et  au(;un  d'eux  ne  court  risque  de  confondre 
t'tle  fête  avec  celle  du  vendredi  saint,  comme  j'ai  entendu  faire 
parmi  des  enfants  des  écoles  de  charité  en  Angleterre.  Dans  la 
plupart  des  églises,  sont  des  représentations  de  grandeur  nalu- 
rclle  des  saints  personnages  qui  entouraient  la  crèche,  et  les 
plus  simples  d'entre  les  simples  d'esprit  sont  ainsi  familiarisés 
dès  l'enfiince  avec  les  noms  de  Jésus,  de  Marie  et  de  Joseph. 
Toutes  les  boutiques  sont  garnies  de  petits  objets  et  de  petites 
lîgurines  qui  peuvent  servir  à  faire  des  crèches  pour  chaque  fa- 
mille ;  et  plus  d'un  pauvre  enfant  en  Italie  amasse  soigneusement 
sou  sur  sou  pour  se  faire  une  petite  crèche  qu'il  place  dans  l'en- 
droit consacré  à  la  prière,  qu'on  trouve  invariablement  dans 
loute  maison  catholique.  Là  il  brûle  une  bougie  chaque  jour, 
pendant  la  durée  des  fêtes,  et  chante  l'hymne  populaire  de  Noël, 
dont  voici  le  refrain  : 

«  O  saint  enfant  Jésus  !  qui  avez  été  ainsi  abaissé  pour  moi , 
enfant  Jésus,  fontaine  d'amour,  je  vous  donne  mon  cœur.  » 

Quelque  soit  plus  tard  la  vie  de  cet  Italien,  il  est  difficile  que 
l'image  du  Bamhino  et  les  associations  qui  s'y  rattachent  s'effa- 
cent entièrement  de  sa  mémoire. 

Les  protestants  peuvent  trouver  puérile  cette  manière  de  rap- 
[leler  et  d'enseigner  la  naissance  du  Sauveur;  mais  ils  ne  peuvent 
nier  que  tout,  dans  un  pays  catholique,  ne  vous  présente  ce  sou- 
venir à  chaque  pas.  Le  grand  plaisir  de  l'Allemagne  catholique, 
«et  arbre  que  l'Allemagne  protestante  elle-même  a  conservé  et 
(|ui  s'est  récemment  introduit  parmi  nous,  avait  aussi  son  sens 
(t  son  nom  chrétiens  qu'il  a  perdus  par  la  transplantation.  Quel- 
ques esprits  plus  moroses  que  sérieux  pourront  penser  que  c'est 
chose  profane  d'associer  des  noms  saciés  avec  des  jeux  d'en- 
lants;  mais  dans  l'esprit  de  l'Église  qui  sait  combien  la  simpli- 
(  ité,  la  naïveté  de  l'enfance  ont  de  prix  aux  yeux  de  celui  qui  a 


236  1H-.  i.'am  i-t.iiiusi . 

dii  ;  «  Laisse/  \eDir  à  moi  ces  enfants  ;  le  royaume  des  deux  est 
»  pour  ceux  qui  leur  ressemblent  ;  »  l'Église  ne  voit  pas  de  pio- 
f;mali«>n  dans  celte  association  de  l'idée  religieuse  avec  celle  des 
innocentes  joies  de  l'enlancc,  dans  ce  jour  surtout  où  Jésus  a|>- 
parul  enfant  au  monde  qu'il  venait  sauver.  L'arbre  de  Noél  s'ap- 
pelle en  Allemagne  l'arbre  de  l'Enfant  Jésus;  les  cadeaux  sus- 
pendus à  ses  branches  se  nomment  les  dons  de  l'Enfant  Jésus,  et 
la  reconnaissance  enfantine  (jui  s'implante  dans  ces  jeunes  cœurs 
u'est-elle  pas  une  préparation  à  une  gratitude  plus  éclairée,  plus 
profonde  qu(î  n'inspire  |)lus  l'arbre  de  Noél,  mais  la  naissance  du 
(ilirisl  ei  la  rédemption  du  ni(»nde?... 

Suivent  quelques  détails  sur  la  nature  et  la  distribution  de  ces 
petits  prt'sents,  qui  n'ont  rien  d'intéressant  pour  nos  lecteurs 
déjà  familiarisés  avec  «'ette  coutume  allemande;  nous  demandons 
la  permission  de  les  remplacer  par  une  question  :  Si  on  deman- 
dait à  un  biahme,  à  un  Iman,  ou  même  à  iin,rabl)in,  lafpielle  des 
deux  communions  a  ('té  llélrie  par  l'autre  du  nom  d'Anti-Clirist, 
celle  (jui  a  banni  de  ses  temples,  de  ses  cimetières,  de  la  vie  de 
famille,  loul  ce  qui  peut,  en  parlant  aux  sens,  lixer  l'esprit,  y 
rappeler  le  nom  et  l'amour  du  Christ,  ou  bien  celle  qui  garde 
si  fidèlement  le  souvenii-  de  Jesus-Çlirist;  et  qui  le  représente  à 
toutes  les  phases,  à  toutes  les  heures  de  la  vie  des  fidèles,  ces 
sages  souriraient  à  l'idf'-e  (pie  ce  catholicisme  qui  a  porté  et  j)orte 
encore  le  nom  du  Christ  à  travers  les  nations,  ce  catholicisme 
qui  se  dresse  toujours  et  partout  devant  leurs  dogmes,  ce  ca- 
tholicisme leur  redoutable  adversaire,  ait  jamais  pu  être  appelé 
Vennemi  du  (lin'st. 

De  Homomt. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES. 


GE^KVE.  —  Un  projet  de  loi  a  été  présenté  par  M.  Duchosal 
au  Grand  Conseil  pour  la  séparation  de  TÉglise  et  de  l'État.  11  s'a- 
gissait tout  bonnement  de  supprimer  l'église  nationale  protestante 
et  l'Église  catholique  à  Genève;  mais,  du  moins,  M.  Duchosal 
demandait,  par  son  projet,  qu'on  traildl  avec  la  cour  de  Sardaigne 
pour  l'annulation,  du  traité  de  Turin.  Le  Grand  Conseil  a  nommé 
une  commission  composée  de  MM.  Duchosal,  Fontanel,  Turrel- 
lini,  général  Dufour  et  Gabriel  Oitramare.  M.  Duchosal  et  M.  Fon- 
tanel appartiennent  au  parti  radical  ;  M.  Turreltini,  ancien  procu- 
reur général,  est  membre  de  la  haute  aristocratie  et  de  Tune  des 
sectes  séparatistes  de  Genève;  M.  le  général  Dufour  et  M.  Oitra- 
mare sont  de  l'église  nationale.  Les  trois  premiers,  formant  la  ma- 
jorité, ont  chargé  M.  Turrettini  d'être  le  rapporteur  d'une  loi  en- 
core plus  excentrique  que  celle  de  M.  Duchosal.  La  minorité,  par 
l'organe  de  M.  Oitramare,  l'a  repoussée.  M.  Turrettini  propose 
la  séparation  hic  et  mine  sans  s'inquiéter  des  traités  :  on  trai- 
tera après,  si  on  peut.  D'accord,  comme  dissident,  avec  les  démo- 
crates-socialistes et  avec  les  radicaux  pour  renverser  l'église  na- 
tionale protestante  actuelle,  il  devient  niveleur,  et,  pour  être  juste 
et  conséquent^  il  faut  détruire  aussi  l'Église  catholique.  Et  pour 
cela,  il  s'agit  de  leur  supprimer  tous  moyens  d'existence.  En  con- 
séquence . 

L'État  ne  donnera  plus  un  centime  à  aucun  culte. 

Les  COMMUNES  ne  pourront  plus  entretenir  aucun  culte. 

Les  ÉGLISES  ne  pourront  posséder  aucun  bien. 

Les  INDIVIDUS  ne  pourront  être  forcés  de  soutenir  aucun  culte. 

Vous  avouerez  que  c'était  bien  là  le  sublime  du  genre,  si  ce  n'é- 


238  IIKI.A?CGES    FT    »50l  VEI.LKS. 

lait  |>as  lo  genre  le  plus  injusle  ol  le  plus  odieux.  C'est  ce  qu'on  up- 
pt'Iie  ici  la  si'paration  de  l'Église  el  de  Tf^lat.  Selon  nous,  t'eut 
été,  du  moins  cii  droit,  sinon  en  fait,  la  destruction  de  toute  reli- 
gion, à  la  honte  de  l'Iltal. 

Kien  de  [)lus  bizarre  et  de  plus  curieux  que  la  discussion  sur  ce 
projet  qui  a  eu  le  mérite  d'agiter  singulièrement  tout  le  canton. 
Nous  croyons  que  cette  discussion  contient  de  graves  enseigne- 
ments pour  les  catholiques  comme  pour  les  protestants.  Nous  y  re- 
viendrons avec  soin.  Samedi  dernier,  A  l'ouverture  de  la  séance  du 
Grand  Conseil,  M.  le  président  a  lu,  au  milieu  d'un  silence  parfait, 
une  lettre  de  M.  Dunover,  N'icaire  général,  (^uré  de  (îenève,  et  de 
tout  le  clergé  du  canton,  demandant  le  rejet  de  la  loi.  Nous  donnons 
cette  lettre  ci-a[)rés.  La  discussion  s'est  engagée  de  nouveau,  mais 
avec  des  modilications  évidentes  dans  le  langage  des  orateurs.  L'as- 
semblée a  ensuite  rejeté  le  projet  de  loi  par  ^0  voix  contre  21.  Ce 
vote  est  d'une  certaine  gravité  comme  expression  d'une  situation 
nouvelle.  Les  catholiques  et  les  conservateurs  ont  voté  ensemble 
et  formé  la  majorité  contre  les  démocrates-socialistes,  les  radicaux 
et  les  sectes  dissidentes. 

Voici  la  lettre  de  M.  le  vicaire  général  Dunoycr  : 

Cicnève,  le  14  février  1855. 
Monsieur  le  Président  cl  Messieurs, 

Les  soussignés  ont  pris  connaissance  du  projet  de  loi  présenté  au 
firarul  (lonscil  sur  la  séparation  de  1  ï-iglise  et  de  l'tvtat.  Sans  s'im- 
miscer dans  ce  qui  est  étranger  aux  droits  et  aux  intérêts  de  \'È- 
glise  catholique,  ils  se  sont  appliqués  à  une  étude  approfondie  de 
ce  |)rojet. 

Dûment  autorisés  par  nos  supérieurs  ecclésiastiques,  et  sans  vou- 
loir entrer  pour  le  moment  dans  l'appréciation  des  détails  d'une  loi 
dont  nous  ne  pouvons  pas  encore  connaître  toutes  les  modifications 
possibles,  et  par  conséquent  toute  la  portée ,  nous  nous  croyons 
.  obligés  de  vous  exprimer  les  sentiments  qui  nous  dominent. 

IVemièrcment ,  le  principe  même  de  la  loi  et  ses  conséquences 
.sociales  sont  marqués  d'un  tel  caractère  dindiffèrence  religieuse, 
qu'ils  outragent  le  christianisme,  base  de  toute  législation,  de  tout 
ordre  dans  les  sociétés  éclairées  des  lumières  de  l'Évangile.  La  loi 
placerait  lo  canton  de  Genève  dans  un  isolement  flétrissant  au  mi- 
lieu de  l'Kuropc  qui  n'est  civilisée  que  parce  qu'elle  est  chrétienne. 

Secondement,  les  trois  articles  de  la  loi,  ainsi  que  les  disposition^ 


MRI.AN<ir:S    KT    NOtVF.LLKS.  239 

transitoires,  sont,  en  co  qni  rcf^ardo  l'figliso  catholique  cl  les  ca- 
tholiques, esscntiellenient  et  la  plupart  textuellement  contraires 
aux  droils,  avantages  et  usages  r»',ligieux  ,  que  nous  garantissent 
le  traité  de  Paris,  le  traité  de  Vienne ,  le  traité  de  Turin  et  le  bref 
d'incorporation  du  canton  de  tlenèvc  au  diocèse  de  Lausanne. 

Troisièmement,  lo  [jrojet  de  loi,  sans  entente  préalable  avec  les 
hautes  puissances  qui  ont  cédé  au  canton  de  (lenèvc  les  paroisses 
catholi(|ues,  brise  plusieurs  contrats  synallagmatiques  et  méconnait 
les  conditions  mêmes  de  la  cession  de  territoire  et  de  l'incorpora- 
tion diocésaine. 

Dans  la  prévision  des  malheurs  et  des  diiVicultés  graves  dont  l'a- 
doption du  projet  de  loi  menace  la  patrie  commune,  le  clergé  du 
canton  de  Genève  croit  devoir  vous  supplier,  Monsieur  le  Président 
et  Messieurs,  de  repousser  ce  nouvel  élément  de  complications  sé- 
rieuses et  de  divisions  inévitables  jeté  au  milieu  de  nous. 

Nous  sommes  avec  respect,  Monsieur  le  Président  et  Messieurs^ 
vos  très-humbles  et  très-obéissants  serviteurs. 

Suivenl  les  signatures. 

—  On  lit  dans  une  lettre  adressée  au  Lien  par  M.  Gaberel,  les 
lignes  suivantes  : 

«  Une  récente  découverte  a  vivement  intéressé  le  public  ami  des 
faits  historiques.  C'est  la  détermination  positive  de  la  maison  où 
est  mort  Calvin  et  où,  après  lui,  Théodore  de  Bèze  a  passé  le  reste 
de  ses  jours.  La  tradition  indiquait  la  rue  des  Chanoines;  un  sa- 
vant et  infatigable  paléographe,  M.  Théophile  Meyer,  a  collalionné 
tous  les  actes  notariés  du  seizième  siècle  concernant  les  immeubles 
de  cette  localité,  et  il  a  trouvé  que  la  demeure  où  les  réformateurs 
ont  vécu  et  sont  morts  est  précisément  la  maison  de  la  cure  catho- 
lique !  Toutefois,  il  n'y  a  plus  de  trace  de  l'édifice  du  seizième  siè- 
cle ;  cette  partie  de  la  ville  fut  reconstruite  vers  1760,  et,  chose  cu- 
rieuse, cette  môme  demeure  d'où  les  chefs  de  l'Église  dictaient  les 
sévères  ordonnances  touchant  les  excès  du  luxe  et  les  vices  du 
temps,  fut  transformée  en  un  somptueux  hôtel  où  les  mœurs  de  la 
cour  de  Louis  XV  eurent  accès,  ensorte  que  le  peuple  disait  :  Le 
luxe  est  entré  dans  Genève  par  la  porte  cochère  de  M.  B.  Enfin,  de  nos 
jours,  la  fabrique  catholique  a  succédé  à  cet  opulent  propriétaire. 
Du  reste,  l'incertitude  où  l'on  est  demeuré  touchant  le  séjour  et  les 
tombeaux  de  nos  réformateurs  tient  au  spiritualisme  de  la  foi  de 
nos  ancêtres.  Témoins  de  la  facilité  avec  laquelle  le  peuple  passe 


•2V0  »IKLA!<GKS   KT    NOIVF.M.KS. 

<iii  <  ui(c  dos  souvenirs  au  cullc  des  localités  et  des  reliques ,  les 
\ieiix  réfornu'S  oui  caclir  soij^neuscinent  les  traces  matérielles  de 
leurs  grands  liutiiuies  ;  ils  ont  été  si  réservés  dans  les  louanges , 
qu*il  faut  des  travaux  très-compliqués  pour  réunir  les  faits  de  la 
vie  (les  pasteurs  du  seizième  siècle.  » 

Admettra  (pii  voudia  cette  mystique  el  bienveillante  interpréta- 
tion ,  si  peu  conlbrme  au  sentiment  général  des  peuples  à  l'égard 
des  grands  hommes.  Si  M.  (îabcrcl  voit  une  dilTérencc  entre  le 
culte  des  reliques  et  le  culte  des  souvenirs,  au  moins  il  ne  devrait 
pas  voir  un  danger  dans  h's  louanges  (lu'on  aurait  accordées  aux 
réformateurs.  L'histoire,  plus  impartiale,  nous  a  appris  que  ces 
hommes  n'ont  pas  légué  à  leurs  contem()orains  des  souvenirs  qui 
méritassent  un  culte. 

—  On  lisait  dans  VUnivers  du  10  décembre  1854  : 

<.  La  plus  singulière  de  toutes  les  sectes  auxquelles  l'interpréta- 
tion individuelle  de  la  Hible  ait  donné  naissance  dans  ces  derniers 
temps,  est  celle  des  Mormons.  Peu  de  temps  après  son  apparition 
en  Amérique,  il  y  a  environ  vingt  ans,  des  émissaires  du  mormo- 
nismc  s'occupèrent  de  faire  des  recrues  en  Angleterre.  Le  rel;\chc- 
ment  de  leur  morale  et  les  avantages  temporels  qu'ils  offrent  à  leurs 
néophytes  ménageaient  à  leur  nou>cllc  do(  tiine  un  accueil  favora- 
ble et  ne  lardèrent  pas  à  leur  assurer  de  nombreux  prosélytes  dans 
la  Grande-Bretagne.  11  est  pénible  et  honteux  de  l'avouer,  mais 
c'est  un  fait  que  des  milliers  d'individus ,  hommes  et  femmes ,  ont 
abandonné  leur  religion  pour  croire  aux  ré\eri(;s  de  Smith,  le  pro- 
phète mormon,  el  ont  quitté  leur  pays  pour  aller  sur  les  bords  du 
Lac-Salé,  aux  Etals-Unis,  praii(|uer  en  liberté  une  religion  dont 
les  rites  el  les  pratiques  immorales  ne  seraient  poiul  tolérées  par 
les  lois  anglaises.  Le  nombre  des  néophytes  du  mormonisme  qui 
ont  déjà  émigré  s'élève  à  plusieurs  milliers,  et  pourtant  il  en  reste 
encore  beaucoup  en  Angleterre.  Les  missioiuiaires  de  la  secte,  ré- 
pandus par  tout  le  |)ays,  se  gli<s»'nt  dans  les  carrefours  et  les  ré- 
duits des  cités,  où  ils  font  journellement  de  nouvelles  recrues.  Il  est 
consolant  pour  les  catholiques  de  savoir  que  jusqu'à  présent  les  en- 
fants d(^  la  véritable  Église  n'aient  point  cédé  aux  séductions  de 
ces  imposteurs.  C'est  des  rangs  de  l'hérésie  qu'ils  tirent  leurs  pro- 
sélytes. Comme  nous  venons  de  le  dire,  leurs  progrès,  dans  ces  der- 
niers temps  surtout,  sont  devenus  assez  considérables  pour  alarmer 
les  honmu's  sérieux  el  rédéchis.  Des  soiiélés  ont  été  organisées  et 


MKLANGES   ET    NOUVELLES.  â^Vl 

des  souscriptions  rcnioillios  dans  le  but  d'opposer  un  antidote  aux 
progrès  du  mal.  Reste  à  savoir  quels  seront  les  succès  de  ces  asso- 
ciations ;  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  tandis  que  des  mission- 
naires protestants  perdent  leur  temps  en  vains  efforts  pour  perver- 
tir les  soldats «atlioliciues  iVanrais,  malades  ou  blessés,  dans  les  bô- 
pilaux  de  Scutari  et  de  Canstantinople,  les  apôtres  américains  du 
mormonisme  entraînent  des  milliers  de  dupes,  dans  les  trois  royau- 
mes, à  renier  le  cbrislianisme  et  la  |{iblo. 

)'  La  contagion  du  mormonisme  ne  se  renferme  point  dans  la 
Grande-Brelajjine  ;  elle  s'étend,  à  divers  degrés,  à  tous  les  pays  où 
les  croyances  protestantes  diminuent.  Les  régions  Scandinaves,  où 
la  foi  dite  réformée  règne  depuis  longtemps  sans  rivale,  lui  ont 
fourni  une  plus  ricbc  moisson  d'adeptes  (jue  les  Iles-Britanniques. 
Nous  apprenons  de  temps  à  autre  que  des  cargaisons  de  ces  néo- 
phytes ont  fait  voile  de  quelque  port  du  Nord  pour  l'Amérique,  où 
ils  vont  s'installer  au  foyer  de  leur  secte,  le  Lac-Salé. 

»  Il  est  à  remarquer  que  jusqu'à  présent  le  mormonisme  n'a  fait 
ses  recrues  ni  dans  les  rangs  élevés,  ni  chez  les  pauvres,  mais  dans 
cette  classe  de  la  société  qui  a  reçu  une  demi-éducation,  sufîisanle 
pour  lire  la  Bible  et  pour  l'interpréter  à  sa  façon.  C'est  précisément 
cette  somme  de  connaissances  bornées,  imparfaites,  se  joignant  à 
un  grand  développement  des  passions  animales  et  à  un  désir  sans 
frein  de  bien-être  matériel  et  de  plaisirs  sensuels,  qui  a  préparé  les 
voies  aux  prophètes  mormons  parmi  les  protestants.  C'est  là  une 
des  déplorables  conséquences  des  doctrines  dites  réformées,  qui 
rejettent  toute  autorité  en  matière  de  religion,  et  qualifient  les  en- 
seignements de  l'Église  catholique,  en  ce  qui  concerne  la  mort ilica- 
tion  et  l'abnégation,  d'erreurs  et  de  superstitions.  On  a  dit  aux  pro- 
testants de  lire  la  Bible  et  de  tirer  chacun  sa  religion  du  texte  sa- 
cré ;  ils  l'on  fait,  et  de  la  Bible  même  ils  ont  appris  à  rejeter  les 
doctrines  bibliques,  justifiant  ainsi  ce  mol  de  Bossuet  :  «  que  pour 
être  chrétien  il  faut  être  catholique.  » 

Ce  qui  se  passe  en  Suisse  est  une  démonstration  de  plus  à  l'appui 
de  l'article  qu'on  vient  de  lire.  La  Kirchenzeitung  de  Soleure  ra- 
contait naguère  que  le  mormonisme  gagne  des  adeptes  dans  les 
cantons  protestants,  notamment  à  Zurich.  Tout  récemment,  à 
Rumlang,  un  citoyen  est  mort  un  quart  d'heure  après  avoir  été 
baptisé  par  un  prêtre  mormon.  Le  Journal  de  Genève  du  8  février 
nous  apprend  que  les  mormons  font  aussi  chez  nous  des  prosélytes, 
et  qu'ils  se  permettent  de  les  immerger  à  la  jonction  de  l'Arve  et 

16 


243  MKLAMGKS    RT    .'«OtVI'.LI.FS. 

du  Hhôni'.  I/hospico  drs  alii-ms  rst  (oui  \m'<  de  là.  Nous  n'avons 
pas  ouï  diro  qu'un  seul  catholique  ait  [lassé  à  cette  abominahlo 
secte,  laquelle,  comme  on  sait,  admet  et  professe  la  |>olv^ainiu. 
Ali  !  si  Ton  voulait  ouvrir  les  yeux  !  Ce  seul  fait  ne  donnc-t-il  pas  h 
renéchir? 

—  Nos  lecteurs  connaissent  M.  César  Malan.  Auteur  et  chef  du 
inouvcmcni  méthodiste  à  (îenéve  ,  il  fonda  une  église  dite  du  Té- 
moignage cl  s'en  élal)lil  lo  pasteur.  Il  aurait  pas>é  peul-ètrc  pour 
un  homme  de  (|uelqiie  imporlancf,  s'il  n'eùl  j  jmais  écrit.  Mais  il  s'est 
mis  à  lancer  des  fusées  de  brochures  contre  le  catholicisme  qui  ne 
s'en  est  jamais  douté.  Dés  lors,  adieu  la  gloire!  adieu  le  prestige! 
L'étoile  de  M.  Malaii  a  pAli  (()ul-;Ufail.  C'est  à  peine  >i  on  se  .sou- 
vient de  lui.  Nous  croyons  ccpendanl  (|u'il  vil  encore.  On  nous  de- 
mande si  la  proclamation  de  l'Immaculée  Conception  l'a  lai.ssé 
muet.  Nous  parierions  que  non.  Nous  devons  ajouter  que  si  une 
nouvelle  production  »  si  sortie  de  sa  [ilunie,  nous  ne  l'avons  pas  lue 
et  nous  ne  la  lirons  pas.  Pour  lire,  dit  un  auteur,  il  faut  être 
éveillé.  Au  lieu  de  nous  imposer  une  charge  par  trop  forte,  nous 
préférons  citer  ici  une  a|>préciation  de  la  science,  du  style  et  du 
genre  de  M.  .Malan,  tracée  par  un  protestant,  dans  le  AiV/i,  journal 
des  églises  réformées  de  France.- 

Voyons  le  livre  du  Rév.  docteur  César  Malan  : 

Pourrai-je  entrer  jamais  dans  V/Cglisr  romaine  auisi  longtemps 
que  jr  croirai  toute  la  liihle']  (Jucstion  soumine  à  la  ronêcirnce 
(le  tout  lecteur  chrétien,  par  le  Uévércnd  docteur  (]ésar  .Malan,  pas- 
teur de  l'église  du  Témoignage,  àCicnèvc.  —  Bruxelles,  librairie 
(  hrélienne  évangélicjue,  IS.'iV,  in-12  de  ."iii  pages.  V  édition,  re- 
vue et  de  nouveau  augmentée  par  l'auteur. 

«  Ce  livre,  —  celui  de  ,M.  Malan,  —  laisse  après  lui  un  profond 
sentiment  de  tristesse.  Conmicnt  !  c'est  lace  qu'a  su  écrire  pour  dé- 
fendre une  si  belle  cause,  un  homme  dont  les  cheveux  ont  blanchi 
dans  ce  genre  de  luttes;  qui,  en  cerlaiiis  pays,  très-faciles  à  con- 
tenter dés  qu'on  atlaiiuc  le  papisme,  passe  pour  un  théologien  con- 
sommé, qui  a  fait  assez  de  bruit  pour  que  son  nom  ait  percé  en 
bien  des  endroits  la  couche  épaisse  d'indiiïérence  qu'on  opposait 
naguère  au  protestantisme  et  aux  protestants,  et  qui,  par  consé- 
quent, a  plus  de  chances  qu'un  autre  pour  que  son  livre  soit  acheté 
par  le  passant  (pii  l'a  vu  étalé  chez  le  libraire.  —  Oh  !  c'est  triste, 
triste  ! 


MKI,ANGI.S    KT    NOIVKLLEH.  2'|3 

»  Suppose/  donc  que,  par  niullieur,  un  Français  catholi(|U(; , 
ayant  reçu  l'inslruclion  variée,  sinon  profonde,  (jue  donnent  nos 
lycées,  se  procure  cv.  livre  dans  l'inlcnlion  d'y  éludicr  le  [irotcs- 
(anlisinc.  Je  vous  demande  en  grAcc  comment  il  ne  sera  pas  rebuté 
mille  fois  de  la  forme  lourde  ,  déclamatoire,  alFectée,  incorrecte  et 
injurieuse  que  la  discussion  a  revêtue  tout  le  long  de  l'ouvrage.  On 
ne  dit  pas  élever  (p.  1),  mais  soulever,  proposer  une  question.  Celte 
phrase  de  la  p.  9  :  IHcn  îles  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  fécrivis  ce 
qui  précède,  est  affreuse.  Sur/titusser  (p.  93)  ne  veut  pas  dire  exalter, 
mais  élever  le  prix  d'une  chose  déjà  chère.  L'Etat  Civil  (p.  248)  n'a 
jamais  voulu  dire  les  autorités  civiles.  Mais  assez  sur  le  style  !  Pas- 
sons aux  agréments  de  la  discussion  ,  dont  voici  quelques  spéci- 
mens. La  Vulgate  est  une  version  adultère  (p.  46).  Les  apocryphes 
sont  une  loupe  gangrenée  (p.  55).  Nous  trouvons  (p.  194)  les  Pères 
du  Concile  de  Coustance  qui  se  livrent  à  l'ordure.  A  la  p.  452,  après 
avoir  parlé  de  ces  pauvres  recluses  du  moyen  âge  qui  s'enterraient 
vivantes  dans  une  cave  et  croyaient  parla  gagner  leur  salut,  l'au- 
teur ajoute  gravement  que  c''est  ainsi  qu'on  hait  Dieu,  quon  sert  Sa- 
tan. Comme  tout  cela  est  spirituel  et  aimable  !  Inutile  d'ajouterque 
pour  l'auteur,  Rome  est  toujours  la  prostituée  de  l'Apocalypse 
(p.  169).  N'oublions  pas  non  plus  que,  toujours  selon  le  révérend 
docteur,  c'est  l'ancien  serpent  (p.  37)  qui  sème  dans  VEglise  des 
ylriens,  des  Pélagiens,  des  Sociniens,  des  Unitaires,  des  Néologues  et 
des  Nationalistes.  Comme  nous  ne  doutons  pas  un  instant  que  nous 
ne  soyons,  à  vos  yeux ,  rangés  dans  l'un  quelconque  des  grains  de 
ce  chapelet  de  mécréants,  si  ce  n'est  dans  tous  à  la  fois,  grand 
merci,  M.  Malan  ! 

»  Veut-on  juger  maintenant  du  savoir  théologique  et  historique 
du  révérend  docteur?  A  la  p.  17,  le  symbole  de  iXycée  ou  d\4thanase 
est  déclaré  conforme  aux  Saintes  Ecritures.  P.  21  et  133,  l'auteur 
affirme  que  les  Lollards,  les  Albigeois,  les  Vaudois,  etc.,  remon- 
tent aux  Apùlres.  Que  dis-je?  Dès  la  préface,  l'auteur  se  proclame 
descendu  d'une  de  ces  antiques  familles  qui  ont  gardé ,  depuis  les  pre- 
miers siècles  de  VEglise  apostolique,  le  pur  dépôt  de  la  parole  de  Dieu. 
Voilà  une  prétention  nobiliaire  un  peu  forte  !  Pourquoi  ne  pas  tout 
de  suite  imiter  ce  seigneur  allemand  dont  l'arbre  de  généalofrie 
commençait  à  Noé?  Quant  à  ce  fait  qu'aujourd'hui,  la  prétention 
qu'avaient  les  sectes  du  moyen  âge  de  remonter  aux  apôtres  n'est 
plus  soutenable,  l'auteur  n'a  seulement  pas  l'air  de  s'en  douter. 
Mais  nous  aurons  mieux  encore.  Non-seulement  (p.  24)  Irénée  est 


2m  MKI.A?jr,K5  KT  ?<0t  VF.I.I.KS. 

r\li>  conimr  puslt'iit-ui  ;i  (Mi-riuMil  tl'AlcxaiiHrie  cl  p.  3G<>)  cl  à  Cj- 
pricn  ;  non-seiilenirnl  p.  95)  on  fait  mourir  a»  I\*  siècle  Isi- 
dore de  Sévillc,  qui  csl  mort  on  Vt'Mt;  non-srulenien(  p.  81)  Hégi^- 
sippc  nous  csl  annoncé  comme  Ir  prrmifr  dea  l'èrtn  i/ui  ail  puhlié 
l'hittoirr  lie  l'Kgli^e,  mais  cnroro  on  pn^tt'nd  que  rautoritiWlo  la 
tradition,  par  opposition  à  ri>ri(uro,  était  inconnue  auv  premiers 
siècles  (p.  3i),  que  ces  messagers  du  Sauveur  allèrent  chez  tous  les 
peuples  du  monde,  qui  enleiidirent  lesap(Mrcs  chacun  dans  sa  lan- 
gue (p.  51),  que  la  conIcssioM  do  loi  vaudoise  fut  rédigée  |)lusieurs 
siècles  avant  la  réformalion  p.  101).  Ne  soyons  pas  surpris  de  ce 
•pic  (p.  90)  on  «ile  parmi  les  églises  futhodoxes,  dont  la  tradition 
est  opposée  à  celle  de  Homo ,  les  Monophvsites  dH)ricnl  connus 
sous  le  nom  d'Arméniens  et, de  Jacobites.  ÇSua  dis-jc?  les  Nesto- 
riens  fp.  100^  ont  trouvé  grilce  devant  le  docteur,  si  impitovahic 
pour  les  Ariens,  et  sont  cités  in  gluho  avec  les  autres.  Du  reste,  cela 
peut  bien  aller  de  pair  avec  l'idée  que  les  églises  des  Indes  ont  été 
fondées  par  saint  Thomas  'p.  103),  que  Ton  peut  invo(|uer  Alha- 
nase,  Chrysostome  et  Augustin  p.  l'^^<,  en  faveur  de  la  tolérance 
religieuse  ;  qu'Hermès,  Rarnabas,  Ignace  et  Polycarpe  (p.  184)  écri- 
virent du  temps  que  Pierre  vi\ait  encore,  et  que  Papias  mort  en 
Ki.'Vl  est  un  esprit  fécond  en  iloclrincf  immjinairei  qui  (lori.ssait  vers 
la  fin  du  second  siècle.  Oh  !  M.  Malan,  quel  coup  vous  portez,  sans 
le  savoir  sans  doute,  A  la  défense  du  Canon  !  Ht  maintenant  vous 
nous  permetlre/.  de  vous  dire  i|iie,  quand  nous  lisons  dans  ^otro 
ouvrage  que  les  Pères  en  général  favorisent  la  doctrine  de  l'inacti- 
\ité  de  l'homme  dans  l'œuvre  du  salut  p.  M)2  et  celle  du  salut 
gratuit  (p.  V15  ;  que  Denvs  de  Corinllie  ;p.  29î>  fut  Vun  des  hom- 
mei  le»  plus  dislinguês  de  son  Irtnps  et  par  ton  saroir  et  par  la  faintclé 
de  $es  mfrur.<  ;  (jue  les  Pères  apostoliques  fe  plaisent  à  entrer  dans  les 
moindres  détails  de  la  vie  chrétienne  (().  70^;  que  Justin  martyr  et 
Tortullicn  (p.  2V0)  repoussent  très-expressément  l'idée  d'un  sacri- 
lice  dans  la  Cène,  nous  ne  |)ouvons  nous  cm|)écher  de  nous  deman- 
der si  vous  parlez  sérieusement  ou  si  vous  avez  jamais  lu  dans  vo- 
tre vie  <'es  autorités  que  vous  alléguez  si  carrément. 

»  Noire  langage  est  vif,  et  nous  voudrions  ne  pas  oublier  que 
nous  [>arlons  à  iw  vieillard.  Après  tout,  ce  n'est  pas  des  personnes 
qu'il  s'agit  ici,  mais  des  choses,  de  la  chose  en  (jutslion  ;  c'est  l'hon- 
neur et  la  défense  du  protestantisme,  et  nous  nous  mépriserions 
nous-mémc  ,  si  nous  pouvions  rester  froid  et  calme  en  voyant  l'un 
et  l'antre  compromis  par  do  telles...  maladresses.  » 


—  Les  Actes  et  (Iestes  merveilleix  de  la  cité  w.  (jeihève 

NOl  VELLEHENT  CONVERTIE  A  L'IivA>Gll.E,  KAICTZ  Dl    TEMPS  DE  LA  RÉ- 

FuRMATioN  ;  par  Anloiiu;  Fruraciil.  Mis  en  lumière  par  Gustave  Re- 
villiuJ.  Genève  185V.  in-8. 

Le  Levain  du  Caliininne  ou  Commencement  de  Vhérésie  de  Gé- 
nère^ par  la  sœur  Jeanne  de  Jussie,  est  depuis  longtemps  devenu 
excessivement  rare  cl  ne  se  trouve  plus  que  dans  quelques  biblio- 
thèques publi(|ucs,  ou  entre  les  mains  d'un  [)elil  nombre  de  biblio- 
philes. M.  Au;;usle  Uevilliod  l'a  fait  réimprimer  en  185.3,  en  suivant 
fidèlement  Tèdition  donnée  en  IGll  à  Chambéry  par  les  frères  V>\x- 
four. 

La  sœur  Jeanne  de  Jussie  était  religieuse  de  Sainte-Claire  à  Ge- 
nève à  l'époque  de  la  rét'ormation  ;  elle  quitta  cette  ville  avec  les 
autres  religieuses  de  son  couvent  pour  se  retirer  à  Annecy,  où  elle 
mourut  dans  un  dgc  fort  avancé.    «  Les  historiens,  dit  l'éditeur 
\)  'M.  Uevilliod),   ne  nous  donnent  aucun  détail  sur  le  commence- 
ment de  son  existence  qui,  sans  la  réformation,  se  serait  écoulée 
u  tout  entière  sans  bruit,  à  Tomljrc  du  cloître  et  dans  les  austérités 
»  de  la  pénitence.  »  Et  il  ajoute  :  «  Echo  de  tous  les  bruits  vrais  ou 
'  faux  qui  arrivaient  jusqu'à  elle,  ce  n'est  ni  une  fldélilé  histori- 
»  (jtie  bien   rigoureuse,   ni   surtout  une  bien  grande  impartialité 
»  qu'il  faut  chercher  dans  la  sœur  Jeanne;  mais  son  livre  offre  un 
»  tableau  singulièrement  naïf  des  mœurs  du  temps,  écrit  en  style 
•  peu  grammatical,  même  au  point  de  vue  de  l'époque,  lequel,  tou- 
tefois, n'en  a  pas  moins  gardé  son  charme  par  le  naturel  et  par 
»  une  certaine  saveur  locale.  » 

Un  livre  écrit  dans  la  langue  du  seizième  siècle  n'est  à  la  portée 
que  d'un  très-petit  nombre  de  lecteurs.  La  sœur  Jeanne  de  Jussie 
ne  saurait  donc  faire  grand  mal.  Les  réserves  de  M.  Revilliod  au 
sujet  de  Tinexactilude  et  de  la  partialité  de  l'auteur,  doivent  d'ail- 
leurs prémunir  suflisamment  tout  bon  lecteur  prolestant  contre  le 
danger.  Remarquons  néaimioins,  en  passant,  que  tous  ceux  qui  ont 
écrit  sur  l'histoire  de  Genève  citent  la  sœur  Jeanne  ,  et  que  jamais 
elle  n'a  été  accusée  ni  convaincue  d'erreur  grave  ou  volontaire,  ni 
d'injuste  partialité.  Fervente  catholique  et  religieuse  de  Sainte- 
Claire  ,  elle  ne  pouvait  avoir  ni  les  sentiments  ni  le  langage  d'un 
prédicant  de  la  réforme.  S'il  y  a  là  matière  à  reproche,  brûlez  éga- 
lement tout  ce  qui  a  été  écrit  en  sens  contraire,  car  vous  ne  sauriez 
exiger  qu'un  auteur  soit  condamné  pour  crime  de  partialité  par 
cela  seul  qu'il  n'est  pas  des  vôtres.  Fort  heureusement  la  partialité 


•2\f}  MI.I.A.Ntil'.S    II     >nl  \  I  I.I.KS. 

l'I  riin(tarhalili' se  recoiinaissenl  A   de  loMl   autres  caractères,  et 
l'on  cil  juge  par  de  tout  autres  rèj,des. 

(Quoiqu'il  en  soit,  .M.  Uevilliod  n'a  pu  luire  sans  e\|)iation  une 
lionne  «mi\  re,  car  c'en  e>l  une  que  «le  nous  avoir  donné  Jeanne  do 
Jussic.  Poursuivi  par  des  scrupules  de  conscience,  ou  harcelé  par 
les  liiéroplianles  tle  Tlnion  Protestante,  il  s'est  cru  astreint  à  une 
sorte  d'amende  honorahie,  cl  il  vient  de  publier  la  Chronique  de 
Froment,  restée  jusqu'à  ce  jour  inédite,  cl  que  les  magistrats  de 
(ienève,  it  répo([ut;  où  elle  fut  r^'digée,  avaient  cru  condamner  à  un 
é'.eruel  oubli,  en  la  mettant  sou«  clef  dans  les  archives  de  la  ville, 
ioul  ce  que  le  travail  de  Fromenl  pouvait  renfermer  d'intéres- 
sant ou  d'utile  en  a  été,  selon  nous,  extrait  depuis  lon|;lemps.  l/ou- 
vrage  entier  ne  tentera  probablement  que  la  curiosité  d'un  bien 
petit  nombre  de  lecteurs.  Force  déclamations,  injures  grossières, 
(  vnismc  révoltant  du  langage,  peu  de  faits,  abondance  de  contes 
fabriqués  à  plaisir,  le  tout  en  un  stvie  détestable,  tel  est  le  résumé 
de  l'œuvre  de  l'homme  qui  partage  avec  son  compatriote  Farel  le 
triste  honneur  d'avoir  apporté  à  (Icnève  les  premières  lueurs  du 
nouvel  Evangile. 

Eolrc  mille  preuves  de  la  défiance  que  doit  inspirer  cet  auteur, 
qu'on  nous  permette  d'en  donner  une  seule  : 

M  Donc  il  fiist  trouvé  (p.  lO.i  au  couvent  de  Sle  Claire  seulle- 
)'  ment  par  conte  faict  1700  œulx  de  poulaille,  qui  estovnt  desia 
..  gaslés.  »  C'est  sans  doute  .M.  Froment  (|ui  a  fait  le  com[)te,  car 
nul  autre  n'en  dil  mot,  non  plus  plus  (jue  des  hallndff  cl  roiuieau.r 
iriimourettr,  tlvsfjueh  en  furnil  Iruurrz  un  grand  noinhre  dans  leurs 
(Uambrcs.  Pourquoi  donc  s'en  aller  à  Annecy,  au  lieu  de  rester  à 
Cienève  où  tout  les  conviait  à  rester,  où  elles  auraient  trouvé  la  li- 
berté cl  le  mariage? 

Nous  avons,  pour  juger  du  mérite  de  Fromenl  et  de  la  foi  qui! 
mérite,  peu  de  chose  à  faire,  d'autres  ayant  avant  nous  pris  ce 
soin.  M.  Hevilliod  ne  pouvait  Tii^norer,  et  le  lecteur  a  droit  de  lui 
reprocher  cette  ignorance  aflectée,  et  les  vains  elforls  tentés  pour 
déguiser  le  peu  de  valeur  de  l'ouvrage  cl  de  rouvrier. 

Nous  lisons  en  effet,  dans  la  préface,  p.  7  :  «  La  seigneurie  trouva 
»  plusieurs  injures  cl  choses  dé>bonorantes  ^on  ne  dil  pas  pour  qui], 
»  elle  lit  retirer  tous  les  exemplaires...  aucun  n'est  connu.  »  El  l'on 
ajoute,  p.  H  :  «  Dés  lors  la  fiersonne  de  Froment  acheva  de  rentrer 
n  complélt-menldans  lOnibre  ;  il  renonça,  nou>diseiil  les  historiens, 
)'  à  la  charge  de  ministre,  pour  pieiidre:  place  dans  les  (>onseils.  et 


MÉLANT.FS    KT    NOUVIÎLLKS.  247 

»  cri  lioinmc  (|iii  avait  exercù  une  si  ^'lande  iiinnonce  sur  l'inlro- 
»  diictiuii  (le  la  reforme  û  (îenève,  occiipail  sur  la  fin  de  sa  vie  une 

niodeslc  place  de  notaire.  » 

Mais  d'abord  les  Fra|:^nicnts  historiques  publiés  par  M.  (Ire- 
nus  rapportent,  p.  M)  (an  l.iG'i),  les  termes  exprès  des  registres  du 
Petit  Conseil,  qui  accusent  Froment  dVrrctirs  et  de  prolixité.  La 
mauvaise  réputation  de  l'auteur  (on  va  le  voir),  l'absence  totale  de 
retenue  qui  est  le  trait  distinclit"  de  son  lanj^age,  et  la  haine  aveu- 
gle qui  lui  fait  inventer  ou  accueillir  les  fables  les  plus  absurdes, 
tels  fuHMit,  à  notre  avis,  les  motifs  de  la  suppression  ordonnée  à 
Tinstant  même  où  il  publiait  son  travail. 

Au  risque  de  compromettre  l'humilité  du  Auinl,  citons  encore  les 
Fratjtnenls  histon(jiu's,  et  souvenons-nous  que  ce  sont  des  extraits 
des  registres  du  Conseil  de  Genève.  On  y  lit,  p.  20  (an  1552)  : 
«  Antoine  Froment  est  reçu  notaire  public.  » 

P.  20  (an  1553)  :  «  Antoine  Froment  est  reçu  bourgeois,  comme 
»  ayant  été  un  des  premiers  ministres  de  l'Évangile  en  cette  ville.» 

P.  30  (an  15G2)  :  «  Antoine  Froment,  prisonnier  pour  soupçon 
»  de  paillardise,  est  démis  du  Conseil  des  Deux-Cents.  » 

P.  43  (an  1572)  :  «  Permis  à  Antoine  Froment  de  revenir  en  celte 
M  ville,  vu  ses  services  passés,  et  quoiqu'il  se  soit  mal  conduit  de- 
M  puis  son  départ.  » 

P.  47  (an  1574)  :  «  On  lui  permet  d'exercer  le  notariat.  » 

Ces  courtes  notices,  fort  bien  connues  de  M.  Revilliod,  ou  qu'il 
a  pu  et  dû  connaître,  car  il  cite  lui-même  les  Fragments  historiques, 
sulTisaient  pour  le  mettre  sur  la  voie,  s'il  eût  voulu  ,  et  il  aurait 
vraisemblablement  trouvé  dans  les  registres  mêmes  des  renseigne- 
ments plus  complets. 

Calvin  faisait  assez  peu  de  cas  de  sou  frécur&cur ,  s'il  est  permis 
d'en  juger  par  les  deux  textes  que  nous  allons  rapporter. 

Le  premier  est  tiré  de  la  lettre  387,  adressée  à  Viret  :  a  Froment 
»  rapporte  (c'est  Calvin  qui  parle)  que  la  reine  de  Navarre  est 
w  mieux  disposée  que  jamais.  Tu  sais  cependant  qu'on  ne  peut 
»  ajouter  une  foi  entière  à  tout  ce  qu'il  dit  ;  car  l'honneur  d'avoir 
»  été  admis  à  l'audience  de  la  reine  l'a  tellement  enflé  d'orgueil , 
»  qu'il  me  parait  avoir  perdu  le  peu  qui  lui  restait  de  raison.  » 

Le  second  se  trouve  dans  les  adieux  de  Calvin  mourant  aux  mi- 
nistres de  Genève,  recueillis  par  le  ministre  Pinaud.  «  Quand  je 
»  vins  premièrement  en  cette  église...  il  y  avait  maislre  Antoine 
»  Saulnier,  et  ce  beau  prescheur  Froment,  qui  ayant  laissé  son  de- 


2»S  ilfcl-.V.MjUS    tl     >OLVELLti. 

u  vantier  s'en  montoit  en  chaire,  puis  s'en  rctournoit  i  sa  boutique 
D  où  ii  jasoil  ot  ainsi  faisuil  (Joul)lc  sermon  »  ;1  . 

Froment  n'était  pas  plus  content  de  ceux  qui  étaient  venus  après 
lui,  et  il  ne  les  ménage  ^uèl•e.  «  Il  y  en  a  aus>ii  d'autres,  dit-il  ('2  , 
»  qui  sont  cause  de  ^'rand/  escandalle/...  qui  sont  les  bien  venus 
j)  entre  ceulx  qui  sont  sourtis  d'une  niesme  religion,  moines,  prebs- 
»  très,  jacopins  ou  courdelliers  comme  eulx,  aflin  qu'ilz  n'accusent 
w  l'un  l'aultre  s'il/,  ont  faict  des  abominations,  des  mescbanc;*tez 
»  ou  dissolutions  en  leurs  convens  :  des  (|ut'lz  en  est  sorti  beaucoup 
»  de  grandes  l'ascheries  en  l'Eglise  et  l'Kvangile  |)ar  eulx  vitupéré; 
»  car  ilz  sont  si  effrontés  qu'ilz  ne  se  soucient  que  d'estre  veulx,  et 
»  de  complaire  aux  prirjces  pour  avoyr  quelque  nom...  les  quelz 
>;  ont  esté  et  sont  bien  si  hardis  de  reprendre  ceulx  qui  leursem- 
y>  bicnt  cslre  vehemcns  eu  reprehcnsions,  ou  en  leurs  prédications, 
•»  ceux  qui  ont  ahattit  si  soubdainvmcnt  la  pa])aulê,  $ans  concilie,  ou 
n  pur  aventure  sans  euLi-  ou  leur  avoir  demandé  conseil.  »  Si  ces  der- 
niers mots  ne  sont  pas  à  l'adresse  de  Calvin,  de  ses  collègues  et  des 
magistrats  en  charge  à  l'époque  où  écrivait  Froment ,  ils  n'offrent 
aucun  sens  raisonnable. 

Nous  pensons  en  avoir  assez  dit  pour  mettre  le  lecteur  en  état  de 
juger  |»ar  lui-même  de  la  valeur  de  Froment.  En  dépit  de  la  re- 
liure antique  .  du  papier  cliamuis,  pour  simuler  fort  mal  la  vétusté, 
en  dépil  d'une  sorte  de  luxe  typographique  et  des  belles  initiales 
dans  le  goût  du  seizième  siècle,  les  ./vtrs  ri  Cestes  merveilleux  reste- 
ront enfouis  dans  les  plus  obscurs  recoins  des  bibliolhè(|ues.  Jamais 
une  mère  chaste  ne  permettra  qu'ils  souillent  les  yeux  et  le  cœur 
de  sa  lille  ;  et  aucun  père  honnête  n'en  conseillera  la  lecture  ;\  son 
lils.   Le  langage  de  l'auteur  est,  du  reste,  à  lui  seul  une  barrière 


(I)  Lettres  de  .Icaii  Calvin,  Paris  i8.ji,  vol.  Il,  p.  î)li-575.  Liîilitcur  dis 
Icltres  ajoute  à  ce  texte  la  note  suivaiilo,  (jui  n'est  pas  sans  inlérrt,  venant 
d'un  protestant  zélé  :  t  On  sait  que  Froment  se  présenta  d'al)ord  à  Genève 
»  en  qualité  de  maître  d'école.  Esprit  vain  cl  léger,  il  ne  s»if  pas  rester  h  la 
»  lianleur  de  son  rùlc  glorieux  comme  missionnaire  de  la  réforme.  Il  aban- 
»  donna,  en  lî>.'>ô,  le  ministère  de  IKvanjîile,  acheta  un  oflicc  de  notaire,  «l 
»  mérita  plus  dune  fois  par  sa  conduite  inconsidérée,  les  censures  de  i.i 
>  .seigneurie.  ■ 

I.a  lettre  à  Vircl  ncst  pas  tirée  de  ce  rcrncil,  dont  les  deux  premiers  vo- 
lumes qui  ont  paru  ne  rcnferniciil  i|iif  les  lettres  françaises,  celle  à  Viret  est 
en  latin. 

Ci)  l*.  ON  cl  passim. 


MICLAMiIsS    I:T    iNOl'VlilXKS. 


249 


sutlisanlc  corilrc  une  indiscrèle  curiosité.  Autant  il  y  a  de  naïveté, 
de  f^rAce  et  de  clarté  dans  le  style  parfois  incorrect,  si  l'on  veut,  de 
la  bonne  sœur  Jeanne  ,  autant  la  plume  et  le  langage  de  Froment 
sont  rudes,  obscurs  et  entortillés.  L'obscénité  a  seule  le  pouvoir  de 
délier  la  bouche  de  cet  homme.  L'n  soldat  de  Tamerlan  n'eût  écrit 
ni  mieux  ni  plus  mal  dans  l'ivresse. 

Tout  mauvais,  tout  méprisable  qu'est  ce  livre,  il  a  pourtant  un 
(ôlé  ulile  pour  les  hommes,  malheureusement  en  si  petit  nombre, 
qui  cherchent  la  vérité.  Car  l'iniquité  qui  ment  à  elle-même,  inen- 
tila  e$t  iniquilas  sibi ,  est  condamnée  à  se  punir  de  ses  propres  ira- 
postures.  Les  plus  irrécusables  témoignages  ont  dès  longtemps  éta- 
bli que  la  réforme  de  Genève  fut  l'œuvre  de  la  violence,  et  que 
les  prêtres  et  les  moines  qui  s'y  jetèrent  étaient  des  gens  perdus  de 
débauche.  Le  livre  de  Froment  n'est ,  d'un  bout  à  l'autre,  qu'un 
long  commentaire  de  ces  deux  vérités.  C'est  à  Messieurs  de  Genève 
de  voir  s'il  en  réjaillit  beaucoup  d'honneur  sur  leur  sainte  et  bien- 
heureuse réformation. 

Certains  livres ,  certains  noms  sont  un  peu  comme  les  bâtons 
flottant  sur  l'onde  : 

De  loin  c'est  quelque  chose  et  de  près  ce  n^est  rien. 

Bonnivard  ,  dont  on  affectait  tant  de  parler,  n'a-t-il  pas  été  tué 
par  ceux  qui  se  sont  avisés  de  publier  ses  Chroniques  et  son  Traité 
de  la  police  de  Genève?  Nous  croyons  M.  Revilliod  destiné  à  appren- 
dre ,  par  sa  propre  expérience ,  qu'il  eût  été  mieux  pour  sa  bourse 
et  pour  sa  réputation  d'éditeur,  de  laisser  Froment  aux  vers  qui  le 
rongeaient  en  silence  dans  les  archives  de  Genève. 

C'est  une  maladresse ,  si  toutefois  il  est  permis  de  l'appeler  par 
son  nom  ;  mais  elle  n'en  est  pas  moins  très-réelle.  Comment  M.  Re- 
villiod ,  qui  appartient  à  la  meilleure  société ,  a-t-il  oublié  qu'au 
sortir  d'une  excellente  compagnie,  on  ne  va  pas  à  la  taverne  boire 
avec  des  valets ,  et ,  ce  qui  est  pire ,  avec  des  gens  dont  un  valet  ne 
voudrait  pas  pour  ses  serviteurs. 

Nous  parlons  sans  rancune  ;  la  bonne  sœur  Jeanne  a  si  bien 
plaidé  chez  nous  la  cause  de  M.  Revilliod  ,  que  nous  serions  dispo- 
sés à  pardonner  à  celui-ci  beaucoup  de  choses ,  si  l'indulgence  ne 
lui  devait  être  aussi  nuisible  qu'elle  serait  coupable  de  notre  part. 
Les  lithographies  dont  il  a  orné  son  livre,  et  dont  le  nom  et  le  faire 
jurent  passablement  avec  un  volume  destiné  à  singer  le  seizième 
siècle,  étaient  tout  au  moins  fort  inutiles.  S'agit-il  purement  d'un 
caprice  d'éditeur?  Nous  n'avons  rien  à  dire,  et  nous  ne  dirions 


i50  MKI.AStiKS    l'.T    >OrVELLE8. 

elTocliveincnl  rien  ,  si  le  fond  ne  perçait  pas  trop  visiblement  sous 
la  forme.  l'our(|iioi,  en  regard  de  la  p;ij,'e  -W,  celte  veuve  enccinle, 
oiilouréc  d'eiiTanls  en  pleurs,  et  qui  apporte  à  un  pr("^tre  ou  à  un 
moine  horrible  à  voir  une  bourse  très-lourde?  S'agit-il  d'un  fail? 
l'as  le  moins  du  monde  ;  c'est  tout  bonnement  le  commentaire  pour 
les  yeux  d'une  partie  d'un  discours  de  Froment. 

Ou'est-ce  encore,  en  regard  de  la  page  l'o.i ,  que  celte  liidcuse 
rc|)roduction  d'une  ancienne  gravure  qui,  dit-on,  reproduisait  elle- 
même  une  peinline  Irouvée  dans  ré''lise  du  couvent  des  Domini- 
cains  à  Plaiiipalais?  Il  sera  |)ermisde  douter  de  rexistence  de  celle 
gravure  aussi  longtemps  qu'on  n'en  indiquera  ni  le  possesseur,  ni  le 
lieu  où  on  peut  la  voii-.  Jusqu'alors,  nous  aurons  le  droil  de  faire 
honneur  de  ce  cbef-d'œuvre  à  \'imjcuii:u.v  crayon  de  M.  (jandon  , 
Tarlisle  de  M.  Revilliod.  Et  quand  la  gravure  originale  sera  pro- 
duite, il  resterai  prouver  qu'elle  fût  la  copie  fidèle  de  l'iMm^r  trou- 
vée au  couvenl  de  Plainpaiais.  Cela  ne  serait  pas  facile,  la  descri|)- 
tion  donnée  par  Froment  n'étant  pas  en  tout  d'accord  avec  l'ignoble 
barbouillage  offert  par  M.  Revilliod  à  ses  lecteurs.  Enfin,  veut-on 
cpiun  moine  dévergondé  ait  tracé  ou  peint  sur  les  murs  de  son 
église,  pour  blasphémer  contre  le  Pape  et  contre  l'Eglise,  quelque 
chose  qui  ne  peul-élre  décemment  nommé  ni  décrit,  (pie  s'en  sui- 
\ra-t-il?  (Juel  |)rofil  pour  le  lecteur  ou  pour  la  réforme?  il  y  a  de 
ces  fables  dans  Luther  et  dans  Rabelais,  les  plus  grands  maîtres  en 
ce  genre;  ajoutent-elles  un  atome  au  mérite  de  ces  deux  écrivains? 
sont-elles  du  moindre  poids  contre  l'Eglise?  Non.  Mais  elles  témoi- 
gnent de  la  haine  de  leurs  auteurs  et  du  mauvais  goût  de  ceux  qui 
les  exhument  aujourd'hui.  A  coup  sûr,  si  le  fils  de  M.  Revilliod 
était  surpris  par  son  père  à  copier  Viininje  du  moine  de  l'iainpolaiii , 
l'enfant  aurait  les  oreilles  tirées,  et  le  maître  de  dessin  serait  igno- 
minieusement chassé. 

Nous  passons  volontiers  sur  mainte  autre  peccadille  de  ce  genre, 
pour  arriver  à  un  grief  plus  sérieux. 

A  la  suite  du  texte  «le  Froment  se  trouvent  '20\)  pages  d'extraits 
«les  registres  publics  et  de  notes  supplémentaires.  C'était  l'occasion, 
ou  jamais,  si  M.  Revilliod  l'tùl  voulu,  «l(>  rectifier  mainte  erreur  ou 
mainte  imputation  calomnieuse.  Maispoinl,  il  va  droil  son  che- 
min, sans  plus  se  soucier  de  la  vérité  qu'un  Turc.  Témoin  l'empoi- 
sonnement de  Viret,  mis  par  Froment  sur  le  c()m|)te  du  chanoine 
d'Orsièrcs,  qui  fut  pourtant  acquillé,  comme  l'a  fait  voir  M.  lialilTe. 

/.a  fin  couronne  riFurre,  dit-on;  pour  rendre  tomplèlo  la  parure 


mklan(;ks  kt  nolvellks. 


251 


de  la  sienne,  M.  Rcvilliod  y  a  joint  (p.  Cl)  une  petite  dissertation 
du  ininislre  Flomiiois  sur  Vintinidirité  des  gens  de  C/ùjUse  de  Genève 
arant  la  n'fi>rnnilion.  Oui  sans  doute,  il  y  avait  û  Genève,  avant  la 
Information,  dos  ecclésiasti(|M('s  dont  la  vie  était  un  scandale;  la 
sd'ur  Jeanne  de  Jussie  vous  Ta  dit.  El  ce  qu'elle  vous  a  dit  de  Ge- 
nève, Bossuet,  les  Papes,  les  conciles,  les  historiens,  les  lois  de  TE- 
glise  vous  le  disent  pour  une  foule  d'autres  lieux.  Mais  ces  ecclé- 
siastiques déréglés  étaient  beaucoup  moins  nombreux  que  vous  ne 
voulez  le  faire  croire.  Vos  historiens  et  vos  registres  témoignent  que 
fort  peu  de  prêtres  embrassèrent  la  réforme,  que  presque  tous  quit- 
tèrent la  ville  pour  ne  pas  apostasier,  et  que  Genève  se  remplit  de 
prêtres  apostats  et  de  moines  défroqués  des  pays  voisins.  Expli- 
(juez-nous,  si  vous  le  pouvez,  comment  ce  qui  attirait  les  uns  avait 
la  vertu  de  chasser  les  autres.  Et  si  vous  ne  trouvez  à  ce  problème 
aucune  solution  raisonnable,  convenez  qu'il  y  avait  dans  notre 
clergé  d'alors  plus  d'honneur,  de  foi  et  de  vertu  qu'il  ne  vous  plait 
de  lui  en  accorder.  Dans  un  corps  aussi  nombreux  que  le  sacerdoce 
catholique,  il  se  trouvera  toujours  des  membres  malades  ou  gangre- 
nés. Nous  le  savons.  Mais  nous  n'avons  vu  nulle  part  le  mariage 
opposer  au  désordre  une  barrière  plus  forte  que  ne  fait  le  célibat  ; 
et  sans  aller  à  Constantinople  ,  nous  trouverions  aisément  de  quoi 
rédiger  une  petite  chronique  scandaleuse  sur  le  compte  de  gens 
j     très-régulièrement  engagés  dans  l'union  conjugale  (1). 

Au  fond ,  la  dissertation  Flournois  n'a  pris  place  à  la  suite  de 
Froment  qu'à  raison  de  la  phrase  finale  (p.  CV)  :  «  Pour  ce  qui  est 
»  des  religieuses  de  Ste  Claire,  le  registre  n'en  dit  point  de  mal  ;  il  xj  a 
y>  apparence  qu'elles  étaient  plus  sages;  si  non  castiores  ,  saltem 
»  CAUTiORES.  »  (Plus  prudcutes,  sinon  plus  chastes.) 

Fort  bien,  M.  Revilliod  ;  fort  bien.  Vos  registres,  vos  chroniques, 
vos  historiens  ne  vous  fournissent  contre  ces  pauvres  filles  aucune 
arme;  vous  l'avouez;  mais  elles  ne  passeront  pas  impunément  de- 
vant vous.  Aucun  fait,  aucun  indice  ne  vous  donnant  le  droit  de 
vous  ériger  en  juge  ,  vous  vous  contentez  du  rôle  de  diffamateur. 

(1)  L'impertinence  des  béats  du  mariage  s'attire  de  temps  à  antre  un  juste 
châtiment.  Une  dévote  genevoise,  appartenant  à  une  des  meilleures  maisons 
de  la  ville,  s'avisa,  il  y  a  quelques  années,  dédire  à  M.  l'abbé  Chéney,  alors 
vicaire  de  cette  paroisse  :  Mais,  M.  l'abbé,  comment  est-il  possible  que  vous 
vous  passiez  de  femme?  Comment  faites-vous?  —  Et  vous,  3Iademoiselle , 
comment  faites-vous  vous-même?  lui  répondit  son  interlocuteur;  la  conver- 
sation ne  fut  pas  poussée  plus  loin. 


"lo'î  MËLA?IUES  ET  NOtVELLES. 

Vous  lavez  Irès-bicn  que  le  soupçon  lance'  à  propos  trouve  le»  oreil- 
les el  les  esprits  ouverts.  La  sœur  Jeanne  de  Jussie  a  paru  sans 
qu'un  mot  de  votre  part  soit  venu  ternir  sa  réputation;  tV  a  fallu 
(nous  choisissons  A  dessein  ces  termes)  expier  cette  faute  en  faisant 
respirer  à  vos  lecteurs  la  calomnieuse  liaU-iiic  du  ministre  Floiir- 
nois.  Froment,  sans  cela,  ne  fût  peut-être  point  sorti  de  l'oubli. 

En  voili  bien  assez  sur  Froment  et  sur  son  livre,  (ienève  va  le 
compter  parmi  les  f/loricu.T  monumenls  de  la  réforme,  et  rien  ne  dé- 
montre mieux  l'aveuglement  de  l'orgueil  et  de  l'esprit  de  parti.  On 
nous  jette  sans  cesse  à  la  face  comme  un  reproche  la  Saiiil-Barthé- 
lemy,  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  les  Dragonnades,  etc.,  et 
l'on  ferme  les  yeux  sur  sa  propre  histoire.  Nous  ne  parlons  ni  de 
rirlande,  ni  de  l'Angleterre,  ni  de  la  Suède,  ni  de  toutes  les  autres 
parties  de  l'Europe  où  s'est  établie  la  réforme.  Sans  sortir  de  (ie- 
nève  et  sans  autres  documents  que  ceux  fournis  par  nos  adversai- 
res, nous  venons  leur  dire  :  (îenève  était  toute  catholique:  quel- 
ques brouillons ,  favorisés  par  les  machinations  de  Berne  .  et  usant 
de  violence,  y  apportèrent  un  culte  dilTérenl  ;  une  partie  des  habi- 
tants finit  par  se  laisser  séduire  ;  mais  le  plus  grand  nombre  voulait 
rester  fidèle  à  l'ancien  ordre  de  choses;  un  tiers  au  moins  de  la 
population  émigra  pour  se  soustraire  à  l'apostasie.  Pendant  de  lon- 
gues années,  deux  temples  suflirent  aux  réformés;  Saint-Germain 
avait  été  transformé  en  boucheritî  d'abord  ,  puis  en  magasin  d'ar- 
tillerie (1)  ;  en  l.'ilK»,  les  propriétaires  ne  trouvaient  pas  pour  leurs 
maisons  des  locataires  a  la  seule  cfiargr  d'en  entretenir  les  toitures. 
Les  noms  de  la  plupart  de  vos  anciennes  familles  ne  subsistent  plus 
que  dans  les  villages  de  la  Savoie  ou  du  pays  de  tîex  ,  où  elles  s'é- 
taient réfugiées.  El  vous  osez  nous  parler  de  tolérance  et  de  liberté 
de  conscience,  quand  vous  êtes  riches  des  dépouilles  de  vos  cora- 
palrioles  chassés  de  leur  pays  pour  leur  fidélité  à  la  foi  de  leurs 
pères!  Cessez  de  vous  moquer  de  nous.  Le  temps  a  pu  faire 
disparaître  les  pierres  des  autels  employées  aux  plus  viles  usa- 
ges (2)  ;  mais  il  n'effacera  jamais  la  mémoire  de  la  rapine  et  de  la 
violence.  Les  princes  catholiques  ont  souvent  employé  la  rigueur 
pour  abattre  les  nouveautés  en  matière  de  religion.  Entre  leur  con- 
duite et  la  vôtre  ou  celle  de  vos  pareils,  il  y  a  toute  la  différence 

vl)  Froment. 

(2)  On  s'en  servit,  dit  Frotncn»,  pour  los  cfioùls  do  la  ville,  les  lieux  d  ai- 
sance cl  le  gibet. 


MKLANfiKS  ET  NOUVELLES.  253 

qui  sépare  le  père  do  famille  se  mainlonanl  chez  lui ,  do  l'usurpa- 
teur qui  s'empare  du  bien  du  voisin.  Kssayez  une  bonne  fois  de  ré- 
pondre à  celle  question  :  Dr  quil  droit  n-l-on  pu  imposer  la  réforme 
uux  catholiquci  qui  n'eu  voulaient  pai^'!  El  ne  dites  pas  :  Novis  vou- 
lions seulement  être  libres  de  pratiquer  notre  religion.  C'est  un 
mensonge.  Pas  un  de  vos  réformateurs  ni  de  vos  apôtres  n'a  tenu 
ce  Ianga{]fe.  Tous  ont  dit  :  Détruii^om  r/îglÏM'  catholique. 

Elle  est  encore  debout ,  Dieu  merci  ;  mais  la  vôtre  esl  bien  ma- 
lade. La  nôtre  esl  accoutumée  à  perdre  des  soldats  et  à  gagner  des 
batailles.  Parcourez  le  monde,  vous  trouverez  partout  les  marques 
de  la  sépulture  que  ses  ennemis  ont  reçue  d'elle. 


ÉTRAUGER.  —  France.  —  Nous  ne  résistons  pas  au  plai- 
sir de  citer  les  lignes  suivantes  d'un  mandement  que  Mgr  l'arche- 
vêque de  Paris  vient  d'adresser  à  ses  diocésains  à  son  retour  de 
'  Rome  : 

«  Ce  qui  nous  frappait  par  dessus  loul  dans  nos  communications 
intimes  avec  le  Souverain  Pontife  ,  dans  tous  nos  rapports  avec  les 
hommes  éminents  qui  sont  associés  à  toutes  ses  sollicitudes,  et  qui 
de  près  ou  de  loin  l'aident  à  porter  le  lourd  fardeau  du  gouverne- 
ment de  l'Église  ,  dans  celte  atmosphère  de  Rome  où  nous  respi- 
rions, et  qu'on  représente  quelquefois  au  dehors  comme  ardente 
et  troublée ,  c'est  la  sérénité  des  esprits,  c'est  la  sagesse,  la  modé- 
ration et  l'universelle  bienveillance  qui  en  fait  le  fond  pour  ainsi 
dire.  Rien  de  heurté  ,  d'aigre  et  d'absolu  :  on  ne  met  de  l'énergie 
et  une  juste  ténacité  qu'à  sauver  les  principes;  toujours  prêt,  du 
reste,  à  entrer  en  composition  avec  les  faits,  avec  les  besoins,  avec 
les  nécessités  des  temps  et  des  pays. 

»  Celte  disposition  à  la  conciliation  et  à  l'accommodement  se 
rencontre  partout  à  Rome ,  soit  qu'elle  appartienne  à  la  nature 
des  esprits,  soit  qu'elle  vienne  d'une  longue  pratique  du  gouverne- 
ment dans  le  centre  d'un  vaste  empire  qui  embrasse  aujourd'hui, 
comme  autrefois,  des  temps  et  des  peuples  divers. 


25%  MKLA?ir.RS  KT  %oi  v(:i.i>:s. 

u  r.cux  qui  so  plaignent  des  lonlciirs  du  Saint-Siège  oublient  que 
le  temps  est  souvent  son  meilleur  ministre  ,  et  qu'un  peut  pren- 
dre du  temps  (|uaMd  un  sait  qu'un  est  éternel. 

'■  (]eux  (|ui  raetusenl  d'iniprudeme  et  d'exagération  le  jugent 
peul-élrc  d'après  certains  hommes  sincères,  sans  doute,  mais  ex- 
clusifs et  ardents  qui  foui  professioD  d'un  grand  dévouement  |>our 
lui,  mais  qui  trop  souvent  risquent  de  le  compromettre  par  des 
vues,  des  pensées  ouliées  et  un  zèle  intempérant. 

»  EnGo,  ceux  qui  l'aHligent  par  leurs  révoltes  et  ne  parviennent 
pas  à  s'entendre  avec  lui,  oublient  la  sainteté  et  l'inviolabililé  des 
principes  dont  il  a  le  dépôt,  loiilenl  aux  ()ieds  la  loi  de  Dieu,  et  s'é- 
tonnent ensuite  de  l'inflexibilité  de  TKglisc  et  de  ses  rigueurs.  Klle 
ne  serait  pas  inflexible  s'ils  ne  poussaient  pas  à  bout  sa  |)atiencc,  et 
il  serait  facile  de  s'entendre  avec  elle  si,  outre  le  sacrifice  de  ses 
intérêts,  on  no  lui  demandait  pas  encore  le  sacrifice  de  la  vérité.  » 

AlltMiiasiK'.  —  On  lit  dans  la  /'o/A«/*a//e  de  Cologne  : 
«  D'après  des  lettres  de  la  frontière  polonaise  du  10  février,  on 
a  envoyé  ,  il  y  a  (|uel(|uc  temps  ,  dans  toutes  les  communes  du 
rovaume  de  Pologne,  des  circulaires  oflicielles  par  les(|uellcson  fait 
connaître  A  tous  les  noms  de  trois  princes  russes  déclarés  traîtres  A 
la  patrie  et  apostats,  «  parce  qu'ils  ont  abandonné  la  foi  ortlio<loxe 
(c'est-à-dire  le  rite  grec),  et  qu'ils  se  sont  fait  adnieltre  dans  Vi.- 
glise  catholique  ,  se  réunissant ,  dit  la  ciculaire,  aux  ennemis  de  la 
patrie  russe.  »  Il  n'est  pas  dit  clairement  dans  la  circulaire  si  ces 
trois  princes  ont  efTeclivenient  quille  la  Hussie  et  passé  «lans  les 
rangs  ennemis,  ou  si  leur  simple  conversion  au  catholicisme  motive 
les  expressions  de  la  circulaire.  >» 


Dans  un  temps  où  le  gouvernement  catholique  du  catholique 
Piémont  poursuit  les  ordres  religieux  avec  tant  de  haine,  nous  ai- 
mons à  reproduire  les  vers  que  l'on  va  lire.  Ils  sont  extraits  d'une 
|)oésio   intitulée  :    l<*  Huinrs  ih  l\-ihhnt/r  ilr  JHoutirif.  insérée  dans 


MKLAM'.KS  KT    ><>l  VI.IJ.IS.  255 

une  publicalion  qui  a  paru  ù  Porrcnlruy  vn  IS.'ri.  L'nulcur  est  un 
ininislre  proteslant. 

Oh  I  qu'ils  sonl  loin,  ces  temps,  et  que  je  les  envie  I 
Ces  temps  où  l'on  avait  un  but  à  contiuérir. 
Où  le  monde  était  plein  do  jeunesse  et  do  vie. 
Où  la  parole,  au  moins,  d'œuvres  était  suivie. 
Où  l'on  savait  vaincre  ou  périr  I 

Hommes  heureux  !  sachant  ce  que  c'est  qu'espérance, 
.C'était  vers  l'avenir  que  vous  tourniez  les  yeux  ; 
Vous  n'avez  pas  connu  la  triste  indifférence, 
Vous  avez  cru  ;  —  la  foi,  surmontant  l'ignorance, 
Vous  rendait  aciifs  et  joyeux  1 

Qu'elle  est  loin,  cette  époque,  à  jamais  disparue, 
Où  le  moine,  à  la  fois  apùtrc  ou  laboureur, 
iManiait  d'une  main  la  bêche  et  la  charrue, 
El  de  l'autre  montrait  à  la  foule  accourue 
Le  ciel  et  la  croix  du  Sauveur  ! 

Un  monde  surgissait  des  débris  du  vieux  monde, 
Informe  encor,  cherchant  et  sa  route  et  ses  lois  ; 
Mais,  astre  bienfaisant  dans  cette  nuit  profonde. 
Rocher  fixe  au  milieu  des  reflux  de  cette  onde, 
On  voyait  se  dresser  la  croix. 

Et  ceux  qui  la  portaient  sur  les  monts,  dans  la  plaine, 
Au  milieu  des  forêts,  c'étaient  des  hommes  forts. 
Dont  chaque  battement  de  cœur,  et  chaque  haleine 
Appartenaient  à  Christ,  et  dont  la  vie  est  pleine 
De  dangers,  de  luttes,  d'efforts. 


ArCORD  I>ES    MINISTRES  PROTESTANTS  SI  R  LES  POINTS  FONDAMEJtTAl  \ 
Dl"  (.IIRISTUMSME.  —  SIR  LK  PÉCHÉ  ORIGINEL. 


M.  J.  Martin,  pasteur  à  (jciièvc  : 

«  La  base  de  la  Rédemption  chrétienne,  c'est  le  péché  enraciné 
dans  l'honinie...  Y  a-t-il  oui  ou  non  un  profond  désordre  dans 
rbonimc?  Ou,  si  l'on  veut,  ot  sous  une  forme  plus  précise  :  Nous 
est-il  possible  d'admettre  que  l'homme  soit  tel  qu'il  est  sorti  des 
mains  du  Créateur,  tel  qu'un  Dieu  saint  l'a  aouIu?  J'en  appellerai 
à  l'expérience  universelle  et  ù  votre  sentiment  intime  pour  vous 
faire  résoudre  cette  question  (négativement)... 

»  Deux  faits  immenses  et  simultanés  (car  il  n'y  3  point  de  temps 
en  Dieu)  se  trouvent  à  l'origine  de  notre  race,  sa  chute  et  sa  ré- 
demption... De  l'un  de  ces  faits  sort  le  péché  qui  envahit  comme 
une  lèpre  toute  la  postérité  d'Adam,  attaquant  et  détrui>ant  son 
héritage  de  bonheur  et  de  paix  sur  la  terre  et  dans  le  ciel...  A  la 
chute  de  l'homme  ,  Dieu  ,  pour  qui  toutes  choses  sont  présentes , 
Dieu  vit,  comme  il  la  voit  maintenant,  notre  malheureuse  race  dé- 
chue et  perdue  »  (l^. 

M.  Athanase  Coquercl,  pasteur  à  Paris  : 

"  Me  voici  amené  à  vous  prouver  laborieusement  deux  choses  : 
la  première,  que  dans  les  commencements  d'une  vie  humaine, 
avant  que  l'être  humain  ait  vu  le  jour,  et  après,  avant  l'éveil  de 
raclivilé,  de  la  conscience,  de  la  raison,  durant  les  jours  de  vie 
instructive  et  végétative,  pour  ainsi  dire  il  n'y  a  ni  péché,  ni  souil- 
lure, ni  condamnations  ;  et  la  seconde,  que  nous  ne  sommes  en  rien 
coupables  d'un  premier  péché  commis  sans  notre  participation , 
avant  notre  existence,  il  y  a  des  milliers  d'années,  par  un  autre»  [2). 


(i)  Conférences  sur  la  Rédemption,  Genève  1846,  p.  4 1,  iii,  W,  î». 
(2)  t'n  dogme  nouveau  ronrernant  la  Vierge  Marie.  Paris  lS^i^^.  p.  V 


LE  PROTESTANTISME 

Condamné  ù  ne  ponvoir  ni  se  définir,  ni  se  pronver. 


Il  n'appartient  qu'à  la  véritable  Église  de  savoir  dire  ce  qu'elle 
est,  par  une  délinition  nette  d'elle-même,  et  de  fournir  des  preu- 
ves de  sa  divine  existence.  Par  contre,  une  religion  qui  ne  peut 
ni  se  définir,  ni  se  prouver,  est  convaincue  par  là  même  de  faus- 
seté. Demandez  à  la  plus  spécieuse  des  hérésies  d'essayer  de  se 
définir,  et  de  vous  fournir  des  preuves  de  la  vérité  de  son  Église, 
vous  la  forcez  de  mettre  à  nu,  avec  l'absence  de  ce  double 
avantage,  toute  sa  misère.  Pourquoi  l'Arianisme  ,  par  exemple, 
malgré  tout  le  fracas  qu'il  fit  au  quatrième  et  au  cinquième  siè- 
cle, malgré  la  puissance  des  Césars  qui  le  soutint,  et  malgré  les 
nombreuses  populations  qu'il  entraîna  à  sa  suite,  ne  put-il  jamais 
se  faire  passer,  auprès  des  esprits  clairvoyants,  pour  la  véritable 
Église  du  Christ,  et  lomba-l-il  bientôt  en  ruine  comme  un  fra- 
gile édifice,  ouvrage  de  la  main  de  l'homme?  C'est  qu'au  lieu 
de  définir  sa  raison  d'être ,  et  de  prouver  sa  divine  existence , 
cette  grande  hérésie  n'apparut  au  monde  que  pour  l'effrayer  par 
ses  blasphèmes  et  ses  violences  contre  l'antique  Église,  surpren- 
dre les  simples  par  la  subtilité  de  ses  sophismes,  porter  enfin  le 
ravage  dans  la  société  chrétienne. 

Nous  en  sommes  fâché  pour  le  protestantisme  :  n'est-il  pas , 

17 


258  1.1  l'Hitn  >i  AMisMi. 

à  l'insiar  tl<'  I  aiiuiiisiiu' ,  cuiKhininé  nussi  :i  («'Hl'  oxin'mc  iiidi- 
^once  de  inan<|iu-i' de  déiiniliuii  et  de  ptruvc,  ;ui  point  de  ne 
|)ornoir  |>i<)duire  un  lilre  sculciuonl  probuhie  de  la  vérilé  de  son 
églisi'  ou  il<"  sa  reli^'ion  .* 

Voyons  d'abord,  dans  un  premier  article ,  l'imixiissanie  de 
celte  iiop  fameuse  réformation  ù  se  délinir  comme  Église,  ou 
(  oinmc  une  soci('lé  relijj;i('use  fond«'-e  par  Jésus-Christ.  Nous  fe- 
rons loudier  au  doiyl ,  dans  un  deuxèuïe  article,  son  impuis- 
sance à  fournir  des  preuves  de  sa  vérité. 


JS:^  V^.   —   liC  |»rol«'%taiilisiiic  Hitiik  «Irlliiillon. 


N'avons-nous  pas  droit  d'appliquer  à  la  réforme  protestante 
ce  qu'on  a  dit  de  l'hérésie  en  jîc'néral.  i]uellc  nest,  à  tout  pren- 
dre, qu'une  ncjation  des  vérités  chrétiennes  professées  jusqu'à 
elle,  ou  encore  une  protestation  contre  l'ancienne  Église  qu'elle 
a  pris  fantaisie  d'abandonner,  au  mépris  des  doctrines  tradition- 
nelles remues  dans  tous  les  siècles  chrétiens.'  Or,  ainsi  (jue  nous 
l'avons  fait  remarquer  dans  un  ouvrage  récent  :  La  vérilé  de 
V Église  catholique  démontrée,  on  ne  délinit  point  une  négation  , 
ni  une  protesiation,  parce  qu'on  ne  saurait  delinir  le  néant. 

(",'esl  un  fait  historique  (pj'à  peine  né  ,  le  prolestaniisme  se 
divisa  en  autant  d'églises  ou  de  sectes  dissidentes  qu'il  comptait 
de  principaux  chefs  se  disant  réfoi  niateurs  :  église  luthérienne, 
église  anabaptiste,  église  zwinglienne  ,  église  calviniste  ou  ré- 
formée, église  anglicane  sous  Henri  VIII.  Puis  ces  premières 
fractions  de  la  réforme  de  se  subdiviser  à  mesure  que  les  chefs 
ou  les  disciples  avançaient  dans  la  voie  des  innovations.  Le  monde 
chrétien  vit  avec  «''lonneuieiit  la  multitude  de  sectes  enfantées 
chaque  jour  |)ar  \v  protestantisme,  lesquelles  s'arrogeaient  tou- 
tes à  Tenvi  le  titre  fastueux  d'Kglise  du  Christ.  Ne  sont-elles 
pas,  aujourd'hui,  innombrables  les  sectes  protestantes  qui  pul- 
lulent en  Suisse,  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Hollande,  aux 
États-Unis,  et  (pii  à  ieiu  t(.nr  ani(  lient  la  mi'me  prétention  d'être. 


r.<INDAM.>K  A  M.  l'Ol  VOIR  M  SK  UKI  IMK  M  Si:  i'RdI  VER.  2'V.) 

clKKUiie  en  parliciilier,  l'cglisoi  la  plus/JMre,  la  \ûusévangéliquel^ 
Il  n'csi  pas  jusqu'aux  diverses  sociétés  des  Frères  Moraves,  des 
Mormons,  des  l'ielisles  de  iM  iissc,  des  Mélliodistes  d'Ecosso,  de 
Genève  ou  d  .\njéri(iue,  espèces  d'eiilhousiaslcs  aux  doctrines  les 
plus  dis()arales  et  lesplus  exeenlri<iues,(|ui  no  crient,  chacune  de 
soncoié  :  C'est  moi  qui  suis  la  véritable  Eglise  du  Christ!  Or,  en 
présence  do  ces  niorcellemenis  du  proleslanlisnic,  au  milieu  des 
lul(es,(lesdécliireinenLs  de  tant  (\v.  |)aiiis  rivaux  ou  (régliscs  aux 
prises  les  unes  avec  les  auies,  et  l()rs<pi'il  ne  reste  debout,  parmi 
ces  prclendus  réfonnés,  qu'un  prle-niêle  ou  le  chaos,  le  moyen, 
pour  les  chercheurs  de  la  véritable  Église  au  sein  du  protestan- 
tisme,  de  savoir  où  elle  est,  de  prononcer  quelle  est  celle  de 
toutes  ces  sectes  aniipaihiques  qui  ressemble  par  quelque  en- 
droit à  l'Eglise  du  Christ,  ou  qui  se  définit  du  moins  comme  so- 
ciété un  peu  régulière?  Ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  dans  ce  tohu- 
bohu  de  la  nouvelle  réforme ,  c'est  l'impossibilité  d'un  rappro- 
chement entre  des  ennemis  jurés,  tels,  par  exemple,  que  les  Lu- 
thériens et  les  Sacramentaires,  les  calvinistes  et  les  Quakers,  qui 
se  lancent  mutuellement  des  anaihèmes.  Le  savant  auteur  de 
La  Réforme  contre  la  Réforme  a  donc  eu  raison  de  dire  que 
«  l'c'lat  actuel  du  protestantisme  le  rend  indéfinissable.  » 

De  l'ait,  la  logique  ne  dit-elle  pas  qu'il  faut,  pour  une  défini- 
tion exacte  ou  un  peu  valable ,  qu'elle  signale  dans  son  genre 
prochain  la  chose  qu'on  veut  faire  connaître,  c'est-à-dire  que 
celle-ci  se  définisse  par  des  caractères  propres  et  tellement  dis- 
tinctifs,  qu'on  ne  puisse  confondre  l'objet  en  question  avec  d'au- 
tres d'un  genre  plus  éloigné.  Ainsi  la  vraie  Église  devra-t-elle 
être  distinguée ,  par  sa  définition ,  de  toutes  les  sociétés  qui  ne 
seraient  pas  elle,  ou  qui  seraient  schismatiques,  hérétiques.  Eh 
bien!  qu'on  nous  montre,  dans  la  fourmilière  des  sectes  du 
protestantisme,  une  seule  d'entre  elles  qu'il  soit  possible  de  dé- 
finir suivant  cette  première  règle  de  la  logique!  Essayez  donc, 
par  exemple,  de  définir  la  société  luthérienne  en  termes  propres, 
avec  des  caractères  distinctifs  assez  saillants  pour  l'empêcher 
d'être  confondue,  dans  sa  définition,  avec  toutes  les  autres  sectes 
ses  rivales,  qui,  comme  elle,  ont  la  prétention  d'être  la  véritable 
Église  du  Sauveur  !  Vous  n'y  réussirez  pas. 


2<)0  I.K   l'ROII.M  AM  ISMI. 

Wai.-»,  tJiioiii  Us  clrleiiscurs  tic  la  M'ioriikaiion  ,  |jour(|utii  ne 
jugcriez-vous  |>a$  de  la  vcrih'  de  nus  églises,  ou  du  pruU'&iaii- 
lisnie  en  gj-néral,  par  lu  vérilé  de  leurs  docirincs?  —  Parce  que, 
répondrons-nous,  la  voie  de  discussion  est  ini[)ralicaltle,  impos- 
sildc  pour  la  nuiliilude  ;  parce  «pie  trois  siècles  tre\|M'ricncc 
vous  la  d(-inon(rent  interminable  chez  les  ministres  même  les 
plus  instruits;  parce  <]u\'nlin,  niellant  à  la  place  d'une  autitrité 
décisive  en  matière  de  reiif^iun  votre  examen  individuel  ,  essen- 
liellcmenl  dis|)uteur,  vous  ne  faites  surgir  (priaccrtilude,  fluc- 
tuation d'esprit  sur  tous  les  objets  de  la  foi,  Siins  en  excepter 
la  (]Ucstion  capitale  de  la  v<ritable  E;^lise.  Au  moins,  pour  met- 
tre un  terme  ù  vos  éternelles  divisions ,  vous  laudrail-il  un  lien 
cxléricur  capable  de  raltaclier  enire  eux  les  membres  épars  de 
votre  éylise.  Que  ne  leur  avc/.-vous  donne,  à  celle  fin,  une  prt)- 
fession  de  loi  coinimiiie,  précise,  iinariablement  ariêlee!...  Mais 
au  lieu  (le  cela  .  vos  formules  de  croyance  se  sont  mullipliées  à 
l'infini,  avec  des  variantes  ou  même  d'énormes  cliani^'cmenis. 
sans  <|uc  vos  adeptes  aient  jamais  su  à  la(|uelle  il  fallait  s'atta- 
cber  de  préférence  :  Confession  de  foi  de  Saxe,  confession  d'Aug- 
sbourg,  confessions  d'Helvétie,  —  de  Belgi()ue,  —  de  Pologne, 
—  d'Angleterre,  — de  France,  etc.,  etc.  Et,  pour  qu'il  ne  soit 
pas  dit  (praucune  de  ces  professions  de  foi  est  sans  retour  ci 
pourra  désormais  fixer  les  esprits ,  l'Assemblée  de  Berne  de 
1628,  où  présidaient  avec  les  seigneurs  du  Petit  et  du  Grand 
Conseil  des  cantons  suisses,  les  cliauds  partisans  triine  révolu- 
tion religieuse ,  déclare  dans  son  acte  de  séparation  d'avec  l'É- 
glise romaine  ,  appelé  aussi  sa  confession  de  foi ,  qu'ELLE  faisait 

CETTE  RÉSERVE  DE  POUVOIR  AJOl  TER  OU  RETRANCHER  aUX  dix  articles 

qui  la  composent,  lorsqu'elle  uécouvrirait  ouel^ue  «  iiose  ue 
MEILLEUR.  Il  faut  couveuir  qu'une  pareille  réserve,  de  la  pan  des 
nouveaux  dogmatis<'urs,  élail  faite  pour  t'der  toute  certitude, 
toute  confiance  à  leurs  décisions. 

Qui  ne  sait,  du  reste,  qu'après  ces  milliers  de  professions  de 
foi,  dont  aucune  ne  s'est  conservée  dans  son  texte  primitif,  et 
qui,  pour  la  plupart,  ont  été,  dès  leur  origine,  une  lettre  morte, 
les  corypliées  des  diverses  braïuhes  du  prolcslanlisine  se  sont 
pris,  de  guerre  lasse,  à  renoncer  enfin  aux  formules  de  foi,  jugées 


r.ONDAMNK  A  >K  l'Ol  Vdiri   M  SI.  Ili:i  I.M!(  M  SU   l'BOLVKR.  2()1 

imililesou  iiuapahlcs  de  incitrc  un  lerino  à  lanl  de  divisions  in- 
lestines  qui  déchirent  el  consument  toutes  les  sociétés  proies- 
laulcs, 

Maiiilouanl  au  uùlieu  dt-  ces  iiuessanles  vaiialious,  de  ces 
conllils  de  «locliiues  ou  de  partis  opposi'S,  et  lorsipi'il  n'apparaît 
datuniii  côté  un  signe  certain  de  vérité  doctrinale,  découvrez 
il(»nc  un  corps  d'Ej^lise  (pii  ressemble  à  celle  de  Jésiis-Cluist , 
dont  1  iiiiitt'  el  la  YJsihiliié  sont  les  premiers  éh-menls! 

Mais,  s'écrient  les  réformés  de  tous  noms,  n'avoiis-nous  pas 
l'Écriluie  |)0ur  siyiie  ou  éloudard  de  l'Iiglisc  du  Christ,  comme 
point  de  ralliemeui  de  toutes  nos  sectes  dissidentes,  et  gage  au- 
thentique de  leur  vérité?  — Et  nous  de  répondre  à  ces  argu- 
mcntaieurs  :  Faites  aiteuiion  que  ce  livre  des  Écritures,  dérobé 
ù  l'antique  Église  [)ar  tous  les  héréliqiies  qui  désertaient  son 
camp,  se  trouve  entre  les  mains  des  errants  comme  entre  celles 
des  vrais  croyants.  Par  conséquent,  un  tel  livre,  dont  toutes  les 
sectes  prétendent  se  faire  un  bouclier  pour  couvrir  leur  déser- 
tion et  leurs  erreurs,  ne  saurait  être  le  signe  caractéristique  de 
la  divine  institution  d'aucune  d'elles,  pas  plus  qu'elle  n'est  le 
lot  particulier  de  celle-ci  ou  de  celle-là. 

\'ous  osez  dire  encore,  en  présence  de  la  confusion  flagrante 
du  protestantisme,  que  la  Bible  est  un  point  de  ralliement  pour 
toutes  vos  sectes  si  étrangement  divisées.  Ah  î  dites  plutôt  qu'elle 
est  pour  elles  un  brandon  de  discorde,  un  champ  de  bataille, 
une  arène  où  chacun  tirant  à  soi  le  texte  sacré,  s'en  dispute  leslam- 
beaux.  Eh!  ne  voyez-vous  pas  que,  par  l'inévitable  abus  du  droit 
d'interprétation  individuelle  des  Écritures,  départi,  au  nom  de 
Luther  et  de  Calvin,  à  tous,  sans  distinction  de  savants  ou  d'i- 
gnorants, vous  faites  disparaître  ce  prétendu  signe  d'une  Église 
vraie  dans  votre  réforme,  comme  dans  toute  secte  qui  se  targue 
aussi  bien  (juc  vous  d'avoir  la  Bible  entre  les  mains?  Comment 
donc,  après  cela,  oser  dire  du  Saint  Évangile  qu'il  est,  pour 
ceux,  même  qui  en  abusent  manifestement,  un  gage  authentique 
de  vérité  leligieuse? 

Mais,  puisqu'il  s'agit  ici  de  la  détinition  d'après  les  Écritures, 
question  vitale  pour  le  protestantisme,  qui  veut  tout  voir  dans  la 
Bible  et  par  la  Bible,  ce  livre  divin  lui  viendra-t-il  en  aide,  en 


•2f>-2  II     l'Mull  SI  AMl^MI 

lui  fouriiishaiii  du  inniiis  <jui'l(|U(>s  tornios  pour  sr  dt-liiiii?  Ouvre/ 
ri-^anj^ile,  et  vous  ne  verroz  nulle  part,  tians  ses  |>nges  sacrées, 
fij^uror  rEj,'lise  pn-lcndue  réformée,  ni  direeiomeni,  ni  indirer- 
tcment.  Au  lieu  de  justifier  votre  séparation  d'avec  le  Souverain 
Pontilc  el  le  corps  des  Kvèques,  Ii'f^itiines  successeurs  de  Tau- 
toriié  apostolique,  cel  Évangile  csl  l'inllexiltle  accusateur  de  l'u- 
surpation du  sanctuaire  pai-  le  moine  augusiin  et  consorts,  sous 
le  beau  nom  de  la  icforine. 

Ce  qui  est  positif,  c'est  qu'après  qu'on  a  maintes  fois  défié  les 
docteurs  du  protestantisme  de  trouver  dans  l'Éfriture  un  seul 
tiail  caracleiisli(pie  de  TKglise  i\u  Christ  (pii  soit  applicable  à 
«juehpi'une  de  leurs  églises  réformées,  ils  sont  restés  muets  de- 
vant un  pareil  déli.  Ne  craignons  pas  de  reproduire,  à  propos  de 
ce  silence  des  Écritures  à  l'endroit  du  protestantisme,  une  preuve 
expérimentale  dont  Mgr  \  illecoiirl,  «véque  de  la  Hoclielle,  vient 
dii  nous  faire  part.  Ce  prélat,  entrant  dans  une  ville  de  son  dio- 
cèse, au  milieu  d'un  grand  concours  de  lidèles  catholiques,  vit 
venir  à  lui  un  ministic  mômier  (pii,  lier  de  sa  science  biblique, 
crul  l'embnrrasser  par  celte  brusque  apostrophe  :  «  Monsieur 
»  ré'vèqiie  ,  me  montrerez-vons  (|uelque  pan  d.ins  rÉciiture  la 
»  délinili(»n  de  l'Kglise  romaine?  —  A  vous,  Monsieur  l'interro- 
»  gat<Mir,  rt'pond  r(">èque,  de  n'-soudre  tout  le  premier  la  «pies- 
»  tion.  Puisque  vous  ^o^e/.  toul  dans  la  Uible  ,  votre  unii|ue  ora- 
»  cle ,  de  grâce,  monti'c/.-nous  indiquée,  par  quelque  texte  de 
»  riù  riturc ,  votre  église  libre  d'hcosse  ou  votre  Méthodisme!  n 
Le  ministre,  qui  ne  s'attendait  guère  à  celte  rétorsion,  balhniia 
et  tiiiit  |)ar  declaiei'  (pi'il  ne  pouvait.  «  Eh  bien!  reprit  le  prélat, 
»  un  «athorupie  Icra  ce  que  ne  satirait  faire  un  protestant  ; 
»  voici  l'Église  romaine  bien  deliuie  i)ar  l'Évangile  :  (.'est  i.'éni- 

-  FICE   DIVIN  BATI    SI  R    SAINT  IMeKI\F,,  ET  COÎSTRE   I.EOl'EL  LES    PORTES 

»  HE  l'enfer  ne  PRÉvAinRONT  JAMAIS.  Vssuiv'-ment ,  continua  l'é 
»  vêqiie,  ce  sont  I)ien  là  les  propres  paroles  de  .lésns-Chrisl  :  Tu 
»  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  hd tirai  mon  Eglise,  et  les  portes 
"  fie  Venfrr  nr  prérnudmnt  point  rnntre  rllr.  n  Inutile  d(»  jliro 
quel  fut  le  désappointement  du  ministre.  Au  lieu  d'une  victoire 
doni  il  se  llallail,  il  n'emporla  que  la  honte  de  la  défaite  el  le 
blâme  de  ses  coreligionuaiiis  |n>ur  ^ou  inqirudenie  pi-ovocalioii. 


((»DAM>K  A  m:  I'OI  VOIU  M  SK  l>KI  IMU  M  SK  PUOLVKR.         H'hi 

.Jurit'u  :ivait  si  bien  compris  qiraucune  des  secles  protestantes 
ne  peut  se  délinir  comme  Église,  qu'en  désespoir  de  cause  il  est 
venu  joler  dans  If  puhlic  celte  ('irange  d«';finition  de  l'Église  de 
Jésus-(Mirisl  :  «Elle  est,  dit-il,  la  colleciion  ou  l'agglomération 
»  de  toutes  les  sociétés  religieuses  qui  admettent  les  articles  fon- 
»  damcntaux.  »  Une  d«'linilion  aussi  inattendue  que  bi/arro  pou- 
vait-elle être  prise  au  sérieux?  Le  siècle  de  Louis  \IV  la  regarda 
comme  le  fruit  d'une  imagination  en  délire;  et,  aux  yeux  même 
des  sages  protestants,  c'était  le  monstrum  horrendum,  informe, 
ingens,  dont  parle  le  poète.  Personne,  alors,  ne  comprenait  com- 
ment un  amalgame  de  sectes  aux  dociiines  si  opposées,  si  con- 
tradictoires pouvait,  aux  termes  du  nouveau  système,  formel-  un 
tout,  aboutir  à  l'unilé  dune  seule  Église  :  comme  s'il  fût  possi- 
ble de  faire  de  l'harmonie  avec  des  éléments  hétérogènes  qui  se 
repoussent,  qui  s'excluent  mutuellement. 

H  est  vrai  qu'atin  de  tempérer  l'odieux  d'un  tel  système  ,  son 
inventeur  posait  pour  condition  de  cette  Église  dont  il  agrandis- 
sait indéliniment  le  cercle  par  l'adjonction  de  tant  de  sectes  di- 
verses, que  chaque  membre  de  ce  corps-monstre  admettrait  les 
articles  fondamentaux.  —  Mais  ,  lui  demanda-l-on  ,  quels  sont 
ces  articles  fondamentaux?  Là  fut  l'embarras  du  ministre  de 
Rotterdam.  On  avait  cru,  jusqu'à  Jurieu,  que  tout  dogme  révélé 
par  Jésus-Christ  était  un  article  fondamental  de  croyance  pour 
tous  les  chrétiens;  mais  il  plaît  au  ministre  de  faire  un  triage, 
dans  le  trésor  de  la  Révélation,  des  points  à  sa  convenance,  sans 
pouvoir  expliquer  néanmoins  pourquoi  tel  article  est  fondamen- 
tal et  tel  autre  ne  l'est  pas.  A  tout  prendre,  il  n'y  eut  guère 
qu'un  point  bien  précisé  par  le  ministre  comme  fondamental  : 
celui  de  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Partant,  pour  avoir  sa  place 
dans  celte  agglomération  de  sectes  déclarée  Église  par  Jurieu , 
il  fallait  au  moins  la  foi  en  Jésus-Christ  Homme-Dieu. 

Mais  une  autre  célébrité  protestante ,  le  philosophe  Locke , 
trouva  la  condition  de  cet  unique  point  fondamental  encore  trop 
rigoureuse,  disant  qu'iY  su^saj7  de  croire  au  Christ  envoyé  de  Dieu. 
Or,  faire  si  bon  marché  de  la  divinité  de  Jésus-Christ ,  n'était- 
ce  pas  saper  dans  sa  base  l'édifice  du  christianisme?  Les  Soci- 
niens  devenaient  de  plein  droit ,  dans  ce  système  lalitudinaire , 


2(>4  l-i-:  l'HoTtSTAVnSMK 

eofanis  de  l'Eglise,  l'ai  li;  laii,  celte  tiit-orie  uii(i-chré(ieiiDc  du 
philosophe  d'oulrc-mer,  dorinaiii  eniréc  duos  la  sociélé  fondée 
par  Jé.sns-(.lirisl  à  tous  les  iin|iies  (|iii  rojcllciil  sa  «livinilé,  éiait 
le  s)slèuîe  lecliaiille  de  l'aiisl»;  Socin  ,  qu'avait  poursuivi  à  ou- 
truDce  le  chef  de  la  n'forme  ù  Gcdùvc.  Et  cepciiduiu,  voici  qu'au- 
jourd'hui un  tel  sytèuie  aurait  prévalu  non-sculeniont  chez  la 
pliq)arl  des  beaux  esprits  du  protestanlisuie  d'Allcmaj,'ne,  d'An- 
jîleterre  et  de  Suisse,  mais  dans  réj^lise  natiotiale  »le  Genève 
elle-même...  Comment  ne  pas  voir,  cependant,  qu'avec  une  si 
horrible  dénégation  de  la  divinité  du  Christ,  mise  en  vopue  dans 
la  reroruu',  IKgliso,  dont  le  \<ibe  éternel  cesse  d'être  le  londe- 
mcnl  et  la  vie,  ne  serait  plus  (pi  un  ouvrage  de  l'homnii' ,  |»ar 
consecjueiit  une  société  tout  humaine  ;  et  le  rult<'  des  chrétiens, 
d'où  le  Dieu  de  vérité  se  trouve  banni,  ne  sérail  plus  qu'une  af- 
faire de  convention  entre  les  hommes,  un  simulacre  de  rite  divin 
où  le  blasphème  prendrait  la  place  de  Tadoration  ! 

Pour  ne  pas  rester  en  arrière  de  ces  réformés  progressifs, 
ceux  (le  France  ne  viennent-ils  pas  d'allicher  à  Paris,  dans  le 
ttinpie  de  Penlemons ,  le  même  sociuianisme  fait  pour  soulever 
la  conscience  des  viais  cioyants?  Le  pasteur  Athanase  Coi]uerel. 
dans  s<m  discours  en  date  du  7  janvier  1856,  contre  Tlmmacu 
lée  Conception  de  Marie,  a  essayé  lui  aussi  de  |)i-oduire  une  deli- 
nilion  de  son  Eglise  ;  mais,  au  lieu  de  la  défmir  catégoriquement 
et  dans  sa  natni'e,  il  se  contente  de  signaler,  à  son  point  de 
vue,  une  double  dillVrence  entre  la  reforme  et  le  «atholicisme. 
Quelles  sont  dtjiie  ces  deux  différences?  —  La  prendère, 
vous  dit  le  pasteur  calviniste,  c'est  que  les  catholifiues  croient  à 
la  divinité  de  Jésus-Christ,  taudis  que  les  reformes  la  rcjetliMit. 
Merci ,  Monsieur  Cocjuerel ,  pour  votre  candide  aveu,  dont  la 
France  chrétienne  saura  prendre  acte  î  —  La  secondi;  «lilférence 
serait,  suivant  le  pasteur,  la  déification  de  Marie  vison  adoration 
de  la  part  des  catholicjues.  Pour  le  coup  ,  nous  nous  élevons 
contre  une  si  atroce  calomnie.  Où  donc  le  savant  doctcui-  a-t-il 
vu, chez  les  catholiques,  la  déification  et  l'adoration  deMarie(l)? 

(i)    Si  nuti»  a\i<)u<(  à  \i>ii|}cr   ici  lu   fui   ruinuiiio  cttiilri'  tnic  >i  uulrtt)!CiiM- 


(ONDAMM    A    M    l'Ol>t)|U   M  SK  i>i:i  IMR  M  SK  l'IlOI  VfK.  2().'> 

Kvidcinmriii,  la  seconde  clUrércnco,  donnée  pour  si  caracié- 
nsti<|ut'  onlie  le  cailiolicisnio  ei  la  réforme  proleslanlc,  est  une 
pure  invoniion  de  son  rspril  av('iij,'lénionl  pirvcnn  tonlic  l'hf^'lise 
romaine.  Nous  no  suivrons  donc  pas  M.  Coipieicl  père  dans  lou- 
les  les  diva},'aii(>ns  de  son  discours;  il  nous  sullil  de  savoir 
(priiomme  du  libéralisme  prolcslanl  le  plus  avancé  ,  il  fait  de  la 
réformalion  au  di\-ncuvicme  siècle  une  sociélc-  de  déistes.  Voilà 
pourlant  ce  qu'on  appelles,  dans  le  proleslanlisme  actuel,  une 
délinitiou  leciinicpie  de  l'Église  du  Christ  I  Mécontents  des  vains 
essais  de  ces  modernes  délinissrurs  d'é^^dises  protestâmes,  qui, 
au  lieu  de  délinir  la  rérormo  par  un  côté  du  moins  spécieux,  l'ont 
ravalée  en  la  déûnissant  par  ce  qui  fait  sa  honte  :  le  vide  des  doc- 
trines, l'absence  complète  de  la  foi  en  Jésus-Christ  Dieu,  les  Mé-- 
ihodistes  et  autres  puritains  se  sont  pris  à  revenir  aux  détinitions 
de  l'Église  mises  en  avant  par  Luther,  Calvin  et  consorts.  Sans 
doute  que  les  nouveaux  sectaires,  se  disant  évangéliques,  auront 
cru  donner  à  leur  église  plus  de  relief,  la  rendre  plus  spirituelle, 
plus  céleste,  en  la  mettant  sous  l'égide  des  patriarches  du  protes- 
tantisme; tandis  qu'en  réalité  ces  délinitions  sont  encore  plus 
insignifiantes  (jue  celles  qui  les  ont  suivies,  et  qu'au  fond  elles 
ne  définissent  rien.  Quelles  sont,  en  effet,  les  définitions  de  l'É- 
glise mises  en  avant  par  les  premiers  réformateurs?  Selon  Lu- 
ther, VÉglise  est  l'agrégation  des  saints  qui  croient  et  obéissent 


accusation,  nous  rappellerions  au  doclc  pasteur  quil  affecte  ici  la  plus  pro- 
fonde ignorance  sur  réconoraie  de  l'Incarnation,  reconnue  dogme  fondamen- 
tal chez  les  anciens  protestants  aussi  bien  que  dans  le  catholicisme.  Il  est 
vrai  qu'aujourd'hui,  comme  toujours,  l'Église  catholique  honore  Marie  en  sa 
qualité  de  3Ière  de  Dieu  ,  si  expressément  contenue  dans  l'Écriture.  L'É- 
Tangiie  ne  dit-il  pas  du  Fils  de  Marie  :  Il  sera  appelé  Emmanuel,  ou  Dieu 
avec  nous  (Matth.  I,  25);  et  encore  :  Le  Verbe  s'est  fait  chair...  et  ce  Verbe 
était  Dieu,  ET  tiEvs  erat  Verbim  (Joann.  I).  Pourquoi  dès  lors,.  Monsieur  le 
Pasteur,  venir  faire  ici  le  procès  au  concile  dÉplièse  pour  avoir  déclaré  Ma- 
rie Theotocon  ou  Mère  de  Dieu?  Est-ce  que  l'union  hypostatique  de  la  per- 
sonne du  Verbe  à  la  nature  humaine  n'assure  pas  un  si  beau  titre  à  celle  qui 
adonné  le  jour  à  Jésus-Christ  ?  —  Mais,  parce  que  3Iarie  a  été  crue  et  saluée 
par  tous  les  siècles  chrétiens  Mère  de  l'Hommc-Dieu,  peut-on  induire  de  là 
qu'elle  soit  une  divinité  aux  yeux  des  calholiques,  et  que  ceux-ci  feront  de 
Yidol(\trie  en  la  priant,  en  l'invoquant  comme  la  plus  parfaite  des  créatures, 
comme  la  plus  puissante  protection  auprès  de  son  divin  Fils  ? 


H'A'y  l.K  PRUTKSTANTISMI 

tiu  Christ  (Lib.  dt- Consil.  Pl  Eeclcs.,  |)ail.  III);  sL-loti  r,al\iii 
ri  ses  émules,  cest  la  société  des  justes,  on  encore  la  réunion  des 
prédestinés  (Inslit.,  lih.  IV,  cup.l).  Orque  pensez-vous,  lecleur, 
do  ces  ddinilions  l'ii  termes  à  peu  près  identiques?  \  eus  foni- 
ellcs  voir  l'Église  de  Dieu,  ou  vous  éuonceui-<'lles  un  sij,'ne  iiidi- 
i:uifde  sa  présence  ici-bas?  Connaî(riez-vous,  par  hasard,  quels 
M)nt  les  saints,  les  ilus  de  Dieu,  les  prédestinés?...  A  coiq>  sûr, 
il  y  aura  toujours,  dans  l'Église  du  Christ ,  des  saints  ,  des  élus  ; 
mais  quels  sont-ils?  C'est  là  le  secret  de  Dieu  ,  et  nul  homme  ne 
portant  au  front  le  signe  de  sa  sainteté  ou  de  sa  prédestination  , 
nul  aussi  ne  saurait  dire  avec  certitude  qu'il  est  (7m  ,  (pi'il  est 
prédestiné.  Saint  Paul  lui-méuie,  t(»ut  en  afhrmant  (jue  sa  ro«- 
science  ne  lui  reproche  rien,  ajoute  aussitôt  :  Je  ne  suis  pas,  pour 
cela,  justifié  (I  Cor.  IV,  i).  Il  vous  dit  encore  (|u'i7  craint  qu'a- 
prés  avoir  prêché  aux  autres,  il  ne  soit  lui-même  réproux 
(Ibid.  IX,  27).  Enfin  l'Écriture  vous  déclare  que  personne  au 
monde  ne  sait  *'i7  est  digne  d'amour  ou  de  haine  (Ecclés.  I!l,  8). 
A  plus  forte  raison  ne  pouvez-vous  savoir  si  tous  les  membres 
de  telle  ou  telle  sociét»'*  religieuse  ont  cet  heureux  pri\ilége  d'ê- 
tre autant  de  saints,  t\e  justes,  de  prédestinés. 

\  oiri  cependant  que  les  églises  méthodistes  de  \\'erley  et  de 
iM.  Empeyiaz  seraient  une  réunion  de  saints  otx  di'.  prédestinés.  Si 
vous  en  croyez  aux  exaltés  de  ces  églises  ^r«n^f/»7UM  ,  chacun 
d'eux  serait  sur  <lc  sa  saintet*-  ou  de  sa  prédestination.  Laissons- 
les  à  leur  béatitude.  H  n'en  est  pas  moins  vrai  qji'en  dennissanl 
l'Église  par  son  côté  le  plus  invisible,  celui  d'un  troupeau  de 
justes,  de  parfaits,  d'élus  de  Pieu,  les  chefs  de  la  réforme,  au 
lieu  (le  définir  l'Église  du  Christ  toujours  éclatante  de  visibilit*-, 
vous  donnent  la  détinition  d'une  chimère  ,  ou  d'une  société  (pii 
n'est  point  de  la  terre,  puisfpi'ici-bas  il  y  a  nécessairement  mé- 
lange de  pécheurs  et  de  justes.  L'Évangile  ne  vous  dit-il  pas  que 
l'Église  est  un  champ  où  i ivraie  se  trouve  mêlée  au  bon  grain 
(Matth.  XIII,  25)?  et,  sehm  saint  Paul,  ne  renferme-l-elle  i>as 
des  vases  d'honneur  et  des  vases  d'ignominie  Rom.  IX,  21)? 

Trêve  dimc  sur  toutes  ces  definiiions  protestantes  de  l'Église, 
dont  le  moindre  \ice  est  d'être  un  non-sens,  lorsqu'elles  ne  sont 


(•.ONI»AM>K  A  >K  l'<U  VOIR  M  SI-,  hKI-IMIt   M  SIC  l>IU)l  VKK.         '207 

pas  évorsivos  de  toute  i('lif,'i(»n  ,  ou  (iircllcs  no  vous  uW;nenl  pas 
droit  M  la  ruine  de  la  sociélc  luiidee  ();ir  Jésus-Cliiist. 

Le  moyeu  ,  eu  ellVt ,  (juavec  votre  système  du  lihi'o  examen 
tiuo  société  l'eli^'ieuse  puisse  rester  deltoul?  VOus  ne  pouvez,  pas 
n)èmc,  à  raison  d<'ce  dissolvani  le  plus  aclil  d'un  corps  religieux, 
«■'lahiir  sur  quehpie  base  solide  une  socic'lé  quelconque.  D'après 
le  princi|)e  plnlosopliique,  Prius  est  esse  quam  esse  talc ,  il  faut 
(Tabord  former  une  société,  avant  de  nous  la  donner  pour  reli- 
gion ou  pour  Eglise.  Or  l'examen  individuel  rend,  chez  vous , 
impossible  l'existence  d'un  corps  de  doctrines,  comme  d'un 
corps  de  croyants.  Faites  donc,  si  vous  pouvez,  un  corps  d'Église 
aux  croyances  uniformes,  alors  que,  par  votre  sens  privé  ou  in- 
dividuel, vous  individualisez  les  doctrines  pour  en  faire  des  opi- 
nions particulières;  alors  que  vous  étiolez  votre  société  en  sépa- 
rant, en  isolant  les  uns  des  autres  tous  ses  membres. 

Nous  avons  donc  eu  raison  de  dire  que  la  réforme  protestante 
est  indéfinissable  au  point  de  vue  d'une  Église,  puisque,  contrai- 
rement aux  règles  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  des  siècles, 
elle  ne  s'est  jamais  délinie  par  son  origine,  par  sa  nature,  ni  par 
aucun  des  caractères  intrinsèques  et  extérieurs  de  la  véritable 
Église. 

Il  est  pourtant  un  fait  capital  qui  peut  fournir  aux  églises  pré- 
tendues réformées  de  quoi  se  définir  en  termes  les  plus  significa- 
tifs; car  un  point  culminant  domine  toute  la  question  du  pro- 
testantisme et  apparaît  clairement  à  tous  les  regards  :  c'est  le 
fait  de  sa  rupture  éclatante  avec  la  seule  Eglise  de  l'époque  où 
surgirent  les  réformateurs;  c'est  la  séparation  violente  de  Luther 
et  de  ses  émules  du  sein  de  cette  mère-Église  qui  les  avait  nour- 
ris. Alors,  en  rompant  avec  la  catholicité,  ils  rompirent  avec  l'u- 
nique autorité  religieuse  qui  fût  dans  l'univers  ;  ils  donnèrent  au 
monde  le  hideux  spectacle  d'un  schisme ,  d'une  révolte  contre 
tous  les  pouvoirs  existants.  Eh  bien  !  à  ce  point  de  vue,  nouveaux 
religionnaires,  définissez  votre  église  réformée  et  vous  serez  dans 
la  vérité  de  Thistoire... 

Votre  réforme,  ainsi  envisagée,  sera  en  définitive  une  rupture 
des  prétendus  réformateurs  Luther,  ZAvingle,  Calvin,  Henri  VIII, 
avec  la  giande  Église  seule  rayonnante  de  visibilité  et  d'aposto- 


iiiilé.  Ce  sera  nue  révolution  (|ui  u  bris*'*  in  pensoo  clireticiiii)' 
(le  l'Europe  et  bouleversé  jusque  dans  leurs  fundemeuts  lu  plu- 
part des  Etats  européens. 

Mais  cpie  résultera-t-il  d'une  paioille  dctinilion  mise  sous  les 
yeux  de  vos  adeptes?  Ils  venonl  dans  le  prolisianlisme  ,  non 
rÉ^lise  du  Christ,  dont  les  réformateurs  désertèrent  la  bannière, 
mais  un  calaclysiu»',  un  bouievt'rsemciit  dans  l'ordre  reli^'ieux  et 
social,  cniin  nii  scandale  ipii  accusera  élcrnelleniont  les  auteurs 
de  la  réformation  de  s'éire  posés  en  ennemis  de  tous  les  pouvoirs 
icni|)urcls  comme  spiiituels.  IJaylc  lui-même  l'a  ainsi  compris  : 
«  Le  changement  des  prolestants,  dit-il,  \enani  de  ce  qu'ayant 
«espéré  une  grande  liberlé,  pourvu  (ju'ils  sec«)uassenl  le  jou^ 
*  papal ,  ils  éprouvaient  «pie  le  joug  de  la  puiss^ince  séculière 
u  sous  lequel  il  Icui-  fallait  vivre  n'était  pas  plus  doux  »  (1).  El 
le  pliilùsoplie  prolcslani  de  ralilier  ces  paroles  l)icn  connues  de 
Grolius,  au  sujet  des  réformés  :  «  Impatients  de  toute  sujétion  , 
ils  troublèrent  tous  les  empires  où  ils  prévalurent.  »  Aussi  aiiri- 
bue-l-on  à  une  autre  célébrité  protestante  ce  mot  (|ui  équivau- 
drait à  une  définilion  phîine  de  justesse  :  «  Les  proleslanls  sont 
ainsi  nommés,  parce  (pi'ils  ont  protesté  contre  toutes  les  vérités 
reçues  et  contre  tous  les  pouvoirs.  » 

Ali  !  plai},'nons  nos  IVères  séparés  de  leur  impuissance  ù  se  dé- 
linir  comme  Église  et  comme  religion  I  Ils  donnent  par  là  le 
droit  à  tout  homme  réfléchi  de  tirer  celle  conséquence  Ingicph,' 
contre  leur  reforme,  tju'elle  n'est  qu'une  abstraction,  nullement 
la  vérité  religieuse. 

L'Abbé  Cattet, 
Jncien  f'îcairc-(>cnéral. 

(I)  Dictionn.  de  Ka\lc,  t.  I",  p.  I.'ii. 


t.KH  VAVDOIN   »l     llOYi:^'   AiiE 

d'après  m.  HKRZOr,. 


Ch.  m.    H.  L.  II.  Ch.  II. 


!^ultc  de  la  période  ante-husïiite.  Emprunts  faits 
aux  Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise.  La  perfection 
chrétienne.  L.a  prédication.  Le  célibat  et  le  pur- 
g:atoire.  Ea  paui^-reté. 


Tout  en  recourani  à  la  Bible  comme  source  première  de  la 
vérité  chrétienne ,  Valdo  et  ses  disciples  ne  dédaignèrent  point 
d'emprunter  aux  Pères,  et,  en  général,  aux  Docteurs  de  l'Église. 
L'hérésie  vaudoise  professait  ainsi,  dans  ses  origines,  deux  prin- 
cipes, dont  l'un  révélait  ime  tendance  nouvelle,  tandis  que  l'au- 
tre était  encore  éminemment  catholique.  Dans  la  pensée  de  son 
chef,  ces  deux  principes  ne  formaient  entre  eux,  cependant, 
aucune  espèce  d'antagonisme.  11  s'était  adressé  à  deux  savants 
prêtres  de  l'Église  romaine ,  absolument  irrépréhensibles  sous 
le  rapport  de  l'orthodoxie,  pour  connaître  par  leur  intermédiaire 
le  contenu  de  l'Évangile  ;  ce  furent  aussi  eux  qui  l'initièrent,  par 


27(1  I.KS  >  Al  I»U|>   Dl     MM\K>A»iK. 

il»'  noinl>nMi\  «Mraiis  iraduits  en  langue  vulgaire,  aux  œuvres 
lies  Pères  et  des  Docteurs.  I.a  niarclie  «ju'il  suivit  devait  néan- 
moins, (jnoiqu'à  s(»n  insu,  l'entrainer  i«*»t  ou  lard  dans  de  funes- 
tes erreurs  dogniati(|nes.  En  effet,  au  lieu  d'interroger  d'abord 
l'enseignement  de  l'Église,  la  tradition  catholique  de  tous  les 
siècles,  et  de  sonder  ensuite  les  Écritures,  il  aborde  l'Évanpile 
sans  préliminaires  (|uelc()n(|ucs,  et,  concluant  de  rintailliluliit; 
de  la  Divine  parole  à  celle  de  sa  propre  raison  ,  il  ne  songe  à  la 
iradilion  (jiie  pour  la  mellre  en  harmonie  avec  son  sens  particu- 
lier. Mais  SCS  adhérents  ailoptèicnl  le  ntème  système.  Vous  di- 
mande/.  comment  ils  s'y  prirent  pour  concilier  l'exégèse  des  Pè- 
res de  l'Église  avec  des  doctrines  que  l'Église  avait  toujours  con- 
damnées? Il  n'y  avait  qu'un  moyen,  c'c'taitde  glisser  adroitemeni 
sur  les  passages  contraires  à  Tinterprélalion  nouvelle,  et  de  ne 
citer,  en  les  tronquant  toutelois  et  en  les  isolant  du  contexte, 
qjie  ceux  dont  le  sens  paraissait  lui  être  favoraMe.  C'est  aussi 
ce  que  iircnl  Vaido  et  ses  partisans,  comme  le  ceriilie  Yvonct , 
et  nous  savons  qu'en  cela  ils  eurent  malheureusement ,  et  ont 
encore,  d'ingénieux  imitateurs. 

L'assertion  d'^'vonct ,  et  celle  non  moins  positive  d'un  autre 
écrivain  caiholicpie  du  nioyenâge,  Moneta,  relativement  aux  lar- 
ges emprunts  <|ue  liieni  les  premiers  Vaudois  aux  Pères  et  aux 
Docteurs  de  l'Eglise,  est  » oulirnit'»'  en  Ions  points  par  les  docu- 
ments mêmes  de  la  secte.  11  y  est  fait  uientiou  d  une  traduction 
vaudoise  du  commentaire  de  saint  Chrysostome  de  l'Évangile  de 
saint  Matthieu.  C'est  aussi  à  des  docteurs  catholi(pies  (ju'il  faut 
attribuer  prohalilemenl  les  originaux  de  plusieurs  sermons  et 
traités  (|ue  nous  possédons  encore.  L'ancienne  littérature  vau- 
doise abonde  en  citations  des  Pères.  Pour  ne  |ias  nommer  les 
(|ii:iire  granrs  docteurs  saint  Vrnhidise,  saint  Augustin,  saint  Jé- 
rôme et  saint  Ciregoire  ,  «pie  Naido  avait  promis  de  sa  propre 
bouche  au  Souverain  Pontife  de  prendre  pour  guides  dans  ses 
étufles  bibliques,  comme  l'assure  Moneta,  il  est  frr'quemment 
parle  ,  dans  les  •'•criis  antérieurs  à  la  réforme,  de  saint  Chrysos- 
tome,  de  saint  liernard  de  Clairvaux  ,  de  Hugo  de  Saint-Victor, 
du  Pape  Saint  Sixte,  <\r  saint  Léon-le-Grand,  et  même  du  célèbre 
mallre  flrs  sentences  Pierre  Lombard.    An   frrgirr  dt  Canfolln- 


I.r.S  VAl  DOIS  1)1    MOVl-N  A(.K.  271 

/ion,  production  de  vieillr  date  ,  n'est  aiiinî  (  lioso  qu'un  recueil 
de  sentences  tirées  des  Pères.  Dès  rinlroduclion,  l'auteur  de  ce 
livre  déclare  dénuée  de  tout  fondement  solide  une  croyance  re- 
ligieuse (jni  n'a  poiiii  pour  l»as(;  l'autorité  des  Saints.  Bien  loin  de 
la  mépriser,  il  la  met  sur  la  même  ligne  (|ue  celle  des  hommes 
inspirés  de  l'Ancien  Testament. 

Il  est  même  ù  croire  (jue,  sans  ses  ('tudes  palristicpies,  éludes 
singulièrement  dércclncuses ,  sans  doute,  puisqu'il  ne  connais- 
sait les  œuvres  des  Pères  que  par  quelques  fragments  isolés , 
Valdo  n'eût  pas  accordé  une  si  haute  importance  au  principe  qui 
devint  ensuite  le  mobile  de  toute  son  existence,  1  imitation  du 
dénùment  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ.  L'Évangile,  il  est 
vrai,  dépeignait  en  traits  admirables  la  nudité  du  divin  Maître, 
le  danger  des  richesses  et  la  béatitude  céleste  réservée  aux  pau- 
vres volontaires;  mais  ce  furent  surtout  lesgraves  et  incessantes 
exhortations  des  Docteurs  de  l'Église  à  dédaigner  les  biens  pas- 
sagers de  ce  monde  ,  qui  engagèrent  le  chef  de  la  secte  vaudoise 
à  faire  consister  dans  une  vie  austère  et  dépouillée  le  fondement 
même  de  la  vie  chrétienne. 

Ceci  nous  conduit  à  quelques  observations  sur  l'idée  de  la 
perfection  chrétienne  au  point  do  vue  de  Valdo  et  de  ses  parti- 
sans. Une  conformité  littérale  à  la  pauvreté  du  Christ  qui,  maî- 
tre de  toutes  les  richesses  de  la  terre ,  les  méprisa  toutes  et  en 
signala  les  grands  dangers,  telle  était,  selon  eux  ,  la  condition 
sine  quâ  non  de  la  vie  spirituelle  et  de  l'héritage  céleste.  Plein 
de  cette  pensée ,  Valdo  jeta  aux  pieds  des  pauvres  les  trésors 
considérables  qu'il  s'était  acquis  peut-être,  comme  Zachée,  par 
des  voies  illégales,  et  ne  conserva  que  le  strict  nécessaire  pour 
vivre  et  se  vêtir.  Il  exigea  de  ses  adhérents  le  même  sacri6ce  ,  et 
le  nom  de  Pauvres  de  Lyon  s'attacha  longtemps  aux  partisans 
de  la  secte  nouvelle.  Ils  s'appelèrent  eux-mêmes,  comme  le 
prouvent  les  plus  anciens  documents  vaudois,  lipaures,  lo  paure 
pôble  de  Dio,  et  leur  église  prit  le  nom  de  la  Gleisa  de  li  paures. 
«  Dans  la  manière  superstitieuse ,  dit  l'auteur  des  Recherches  , 
dont  ils  entendaient  imiter  les  apôtres  en  tout,  ou  pour  mieux 
dire,  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  tête,  ils  portaient,  selon  les 
uns,  une  espèce  de  chaussure  coupée  par  dessus,  de  manière  ù 


IV.H  VAl'ItOl!)  I>f    MOYF.?(  A«JK. 


laisser  voit  les  pieds  nus;  selon  d'autres,  une  espèce  de  saixtis 
inarqui's  «l'une  croix  on  d'un  autre  signe  en  forme  de  houcliers, 
pciisanl  fjiie  telle  avait  é\*'  la  chaussure  des  apAlres ,  bien  que 
l'Écriture  ne  dise  mot  sur  ce  sujet.  » 

Les  écrits  (pii  appartiennent  à  la  p«'Miode  ante-liussitc,  revien- 
nent constamment  sur  la  niressité  de  se  dépouiller,  pour  l'a- 
mour de  Jésus ,  de  tous  les  biens  terrestres ,  et  sur  les  périls 
éternels  auxquels  s'ex|»osont  les  liclies.  Dans  la  Glosa  pater, 
l'une  des  nombreuses  interprétations  vaudoises  de  l'Oraison  Do- 
minicale ''quelques-nues,  disoiis-lo  en  passant,  insistent  longue- 
ment sur  la  vertu  de  chasteté  et  le  dogme  de  la  traiissubslanti.i- 
lion),  nous  lisons  ces  paroles  :  «  Malheur  à  vous,  riches  qui  trou- 
vez votre  consolation  ici-bas!...  Bienheureux  les  pauvres  en  es- 
prit, car  le  royaume  des  cieux  est  à  eux!...  »  Le  royaume  des 
cieux  n'est  promis  qu'aux  reray  religios,  à  ceux  qui  suivent  le 
Seigneur  dans  la  l;iiiu  cl  la  nudiié.  Lo  Fergier  de  ConsoUacion 
appelle  la  pauvrclt-  une  vertu  sublime,  causa  aulisshna  ,  et  le 
commentaire  du  Cantique  des  Cantiques  lui  donne  le  nom  de 
gloriosa  paureta.  Force  citations  des  saints  Augustin,  Jérôme, 
Grégoire  et  Bernard  de  Clairvaux  viennent  ici  corroborer  les  pré- 
ceptes évangéliqucs. 

La  prédication,  nous  l'avons  dit,  ne  lut  poui-  les  nouveaux  sec- 
taires qu'une  conséquence  naturelle  (1(>  leurs  droits  exclusifs  à 
la  succession  des  apùlres.  A  leurs  yeux  ,  les  prêtres  de  l'hglise 
romaine  ne  pouvaient  plus  préu-udre  à  ce  titre.  Pour  continuer  la 
chaîne  apostoli(pie,  il  fallait  d«'ux  choses,  une  sainteté  parfaite  et 
une  profonde  connaissance  des  Écritures.  Or,  eux  étaient  saints, 
et  jtersonne  ne  poss<''dait  comme  eux  les  viM-ités  bibliqties.  Ils  ne 
prononçaient  pas,  il  est  vrai  ,  ranathèrne  sur  tous  les  fidèles  de 
l'Église,  pas  môme  sur  la  totalité  du  clergé;  quelques-uns,  ils 
voulaient  bien  l'admetire  ,  s'étaient  conservt's  purs  des  corrup- 
tions du  siècle.  Mais  le  i)etit  nombre  de  prèlres  qui  ne  s'«''taient 
pas  encore  agenouillés  devant  le  veau  d'or  et  Baal ,  ne  remplis- 
saient que  la  première  condition  requise.  Ils  étaient  saints,  mais 
en  même  temps  ignorants  des  Écritures.  Le  peuple  avait  besoin 
d'être  éclair»'  et  sanctilie  tout  à  la  fois.  L'Église,  déchue  de  sa 
priniiei'c  j^M-anrlenr,  :iv;iii  perdu,  pensaient-ils  dans  lenr  hiiuii- 


I.KS  VAl'DOIS  Di;  MOYKN  AfiK.  273 

lilé,  tous  stvs  .Iruiis  M  In  ,ivili.s.,ion  <lu  .nondo.  \  aido  et  ses  par- 
tisans se   crurent  donc  appelés  de  Dieu  à  renouveler  le  saint 
in.mslere.  Eux  seuls  joignaient  à  la  foi  vraiment  apostolique  l'é- 
olaiant  lenioi^naK^c  de  l'exemple.  Ils  s'érigèrent  donc  en  prédi- 
«^^'t«'"rs.  \aldo  ouvrit  la  marc  l.e.  Il  se  n.ii  à  haranguer  la  foule 
dans  les  rues  et  sur  les  places  pul.li,,ues.  Des  disciples  zélés  ne 
tardèrent  pas  à  tout  quitter  pour  le  suivre.   Hommes,  femmes, 
gens  de  tout  métier,  sans  cula.re,  sans  ins.rueiion  quelconque 
se  reun.rent  at.tour  du  nouvel  apôtre  qui  leur  enseigna  l'Évangile.' 
Entrâmes  par  leur  zèle,  ils  parcoururent  les  villages  pêle-mêle 
dans  une  confusion  étrange,  pénétrèrent  dans  les  maisons,  se 
nièrent  dans  les  églises,  prêchant  -  hommes  et  femmes  —  et 
engageant  à  faire  de  même  quiconque  avait  à  cœur  la  gloire  de 
».eu(l).  Quel  spectacle!  Mais  il  n'y  avait  pas  encore  désordre, 
dit  M.  Herzog,  car  rien  n'était  encore  ordonne-! 

Dans  les  commencements,  nous  le  voyons,  tous  les  partisans 
de  la  nouvelle  secte  prêchèrent,  sans  distinction  d'âge  ni  de 
sexe    Quiconque  s'entendait  à  répandre  la  Parole  de  Dieu  n'a- 
vaUHl  pas  le  droit  de  le  faire  ?  Saint  Jacques  n'avait-il  pas  dit  ex- 
pressément que  toute  grâce  et  tout  don  parfait  viennent  d'en 
haut  (2)?  Jésus  n'avait-il  pas  repris  saint  Jean  d'avoir  voulu  em- 
pêcher un  homme,  qui  n'était  pas  de  ses  disciples,  de  chasser  un 
démon  en  son  nom  (3)?  Et  l'apôtre  saint  Paul  n'avait-il  pas 
enfin,  écrit  aux  Philippiens  ces  paroles  :   «  Pourvu  que  le  Christ 
soit  annoncé  en  quelque  manière  que  ce  soit,  je  m'en  réjouis  et  je 
m  en  réjouirai   toujours»  (4)?  Hommes,  femmes,   tous  étaient 
donc  appelés  à  la  prédication  ,  dès  qu'ils  avaient  pour  but  uni- 
que la  gloire  du  Seigneur.   Ils  étaient  de  simples  laïcs    c'est 
vrai;  mais  saint  Grégoire  avait  déclaré  en  termes  formels  que 

J\^^V^  f"  '■'PP'"''  ïécrivain  calholiquc  du  ,uoyen  âge  Etienne  de 
Bourbon,  dont  Pauturité  ne  saurait  être  suspecte.  D'ailleurs,  qui  nel^con 
naît  dans  cette  confusion  de  la  secte  vaudoise  à  son  origine    Ttra  t  carac" 
tenslique  de  toute  révolution?  e    «^ ,  le  irait  carac- 

(2)  S.  Jacq.  I,  17. 

(ô)  S.  Marc  IX,  37-59. 

H)  S.  Paul  aux  Pliilipp.  1.  l'i-js. 

18 


LES  VAt'IK>IS  IH    MoVF.N  ACiK. 


qiiicon<iue  avail  entendu  au  dedans  de  lui  la  voix  de  Tninour,  de- 
vail  faire  enlendrc  au  prochain  la  voix  de  rexhortaiion.  El, 
d'ailleuis,  le  bienheureux  Forlunaïus  el  E(jnitius,  dont  parle  lo 
niêine  saint  dans  ses  dialogues,  avaient  «té  de  simples  laies,  et 
dans  des  temps  plus  rapprochés,  Raymond,  surnommé  Paul, 
avait  «tonné  Th^lis*'  pur  ses  n«)inl>r«'iix  miracles. 

Tels  étaient ,  en  ellét ,  les  singulieis  arguments  sur  lesquels 
s'appuyaient  les  premiers  Vaudois,  pour  prouvera  l'Église,  par 
l'Kvangilc  et  l'histoire,  «ju'ellc  avail  ton  de  s'opposer  î'i  leur  vo- 
cation divine  ! 

Le  célibat,  la  virginité  formaient  au  moyen  âge  l'élémenl  in- 
dispensable de  la  perfection  évangélique.  Les  premiers  partisans 
de  la  socle  vaudoisi;  a<lmirent  pleinement  c«'  [>rincipe  et  l'appli- 
«juèrent  surtout  à  ceux  i]ui  se  ^ollaicnl  au  ministère  de  la  prédi- 
cation. Leurs  «crils  le  prouvent  amplement.  I)'apr<'s  la  Anbla 
Lcyczon  ,  rexhortaiion  à  la  virginité  caract«'-rise  le  Nouveau  T<s- 
tamenl  el  le  dislingue  de  l'Ancien  (1).  L'auteur  de  ce  poème  va 
plus  loin  encore  el  considère  la  vertu  de  cliastelc,  dans  le  sens 
catholique  du  mol,  comme  une  condition  essentielle  de  l'imitation 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Clirisl,  a  Jucunc  bonne  œuvre,  dit  le 
livre  des  f'crlucz,  na  de  mérite  sans  lu  chnslelc  des  pensées,  ni  la 
chasteté  des  pensées  sans  celle  du  corps.  ()  mes  bien-aimés,  soyez 
beaux  de  corps,  et  beaux  de  cœur.  Comme  s'exprime  l'apôtre 
(noie/,  bien  ceci),  la  f'icrge  ne  pense  quaux  choses  de  Dieu  et  à 
ce  quelle  doit  faire  pour  lui  plaire  ,  de  manière  à  être  sainte  de 
corps  et  sainte  de  pensées.  »  Dans  le  fergier  de  Consollacion , 
nous  trouvons  c<*s  paroles:  «La  chasteté  est  un  doux  fruit,  la 
joie  (liiOmCj  la  sainteté  du  corps;  elle  est  sœur  des  anges,  sœur 
de  Jésus  et  i>E  Marie  sa  mèhe.  »  A  l'appui  de  celt«'  doctrine  si 
émincninienl  caih(»rKpie,  sonl  cités  saint  Augustin  et  saint  Ber- 
nard. Valdo  lui-même,  si  nous  en  croyons  une  tradilinn  catholi- 
que (2),  voua  ses  deux  filles  au  clolirc. 


(1)  V.  242  :  La  ley  vrlha  maudi  lo  vrulir  qur  fiur  non  ha  porta,  la  no- 
velha  consclha  gardar  vrrgencta. 

(2)  Clironicoii  anonymi  canonici  lauduncnsis.   V.  Recueil  des  liistoricns. 
Vol.  XII,  I».  GHO. 


i.v.T*  VAi  uuia  uu  Jiinr.n  ;nii'. 


L;i  |);mviric  vi  lit  virginité,  telles  furent  donc  les  deux  vcrius 
fondamentales  qu'exigèrent  de  leurs  prédicateurs  les  premiers 
Vaudois.  Seniblal)lcs  en  cela  à  rapùlre  saint  Pierre ,  ceux  qui 
étaient  déjà  mariés,  au  dire  de  TMistorion  Yvonct,  renoncèrent 
à  leurs  femmes. 

Les  femmes  ne  furent  cependant  pas  longtemps  tolérées  par 
la  secte  en  leur  (lualili'-  de  piédicaKîurs.  Ordre  leur  fut  donné, 
la  moralité  publi<|ue  le  léclamail,  de  garder  le  silence  et  de  se 
coDstituer  en  ordre  religieux. 

En  s'adonnant  à  la  piédicalion  ,  les  Vaudois  se  mettaient  né- 
cessairement en  opposition  directe  avec  la  hiéraichie  catholique. 
Aussi  l'archevêque  de  Lyon  leur  conscilla-i-il  sagement,  en  1170, 
de  ne  plus  pérorer.  Intimer  aux  vrais  successeurs  des  apôtres 
Tordre  d'abdiquer  leurs  droits  !  C'était  agir  en  Pharisien,  en  en- 
nemi du  Christ.  Les  Vaudois  répondirent  nettement  à  l'arche- 
vêque qu'il  fallait  obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes.  Cepen- 
dant, chose  singulière,  et  qui  démontre  clairement  l'ignorance 
de  ces  sectaires,  ils  se  considéraient  encore,  malgré  tout,  comme 
membres  de  l'Église.  Comment  expliquer  autrement  le  fait,  no- 
toire qu'ils  se  présentèrent ,  neuf  ans  plus  tard  ,  devant  le  Pape 
Alexandre  111  et  le  concile  de  Latran  ,  demandanf,  avec  instance 
qu'on  sanctionnât  leur  étrange  apostolat?  La  réponse  qu'ils  re- 
çurent, on  le  conçoit,  fut  négative.  Ils  n'en  continuèrent  pas 
moins  à  exercer  les  fonctions  qu'ils  s'étaient  arrogées,  ce  qui 
contraignit  le  Pape  Lucius  111  (1)  à  prononcer  contre  eux,  en 
1184,  l'excommunication,  qui  fut  renouvelée  plus  lard  à  plu- 
sieurs reprises,  et  d'abord  par  Innocent  111 ,  en  1215,  au  qua- 
trième concile  de  Latran. 


(1)  Hâtons-nous  de  corriger  ici  une  erreur  que  nous  avons  commise  dans 
une  note  du  précédent  arlicle.  Le  Pape  Lucius  III  avait  effectivement  con- 
damné les  Vaudois.  Nous  maintenons  cependant  que  le  nom  de  Vaudois  ne 
se  trouve  pas  dans  son  décret. 


•27«i  I.KS  VAIDOIS  Dl    MOTK5  AGK. 


Cil.    III.    ^W.    U.C.   III.) 


liii  pénitence.  I^e  |»ur;(a(<»lre.  liOM  pécli^N  mortelw  «*t 
IcN  |»écli«*«»  'koiiielM.  liU  contrition,  la  c«>nrcNhlon  et 
la  satisfaction. 

Qu'annonçaient  donc  Vaido  et  ses  disciples  dans  les  villes  et 
les  villages,  dans  les  rues,  sur  les  places  publiques,  dans  les 
églises,  dans  leurs  rc'unions  secrètes?  Ils  pn-cliaient  la  péni- 
tence, a  Faites  pénitence,  s'écriaicnt-ils,  car  le  royaume  des 
cieux  est  proche  I  Le  jour  du  Seigneur,  le  jour  du  grand  juge- 
ment est  proche;  tremblez,  pécheurs,  et  préparez-vous!  »  C'é- 
tail-là,  du  reste,  la  grande  |)réoccupation  du  jour.  A  l'époque 
où  parut  riiércsiartiuc  Vaido,  on  aitendail  de  nouveau,  avec 
tremblement,  la  lin  du  monde.  Depuis  la  naissance  du  christia- 
nisme, chaque  siècle  avait  été  saisi  de  la  mémo  épouvante.  De 
nos  jours  aussi,  comme  «lu  temps  de  saint  Paul  ,  «jnelques  âmes 
pieuses  se  demandent ,  en  f:ice  des  nuages  qui  s'accumulent  à 
rhori/.on,  si  la  dernière  heure  du  mon<le  tardera  de  sonner.  Au 
moyen  âge,  les  monstrueux  enl'antenunts  de  la  liberté  religieuse 
et  certaines  prophéties  lugubres,  qui  n'étaient  guère  propres  à 
rassurer  les  esprits,  légitimaient  un  peu  la  crainte  des  bonnes 
âmes.  Une  prédiction  sinistre  plongeait  alors  l'Europe  dans  la 
consternation.  Elle  annonçait  (pi'en  1185,  au  mois  de  septem- 
bre, —  la  date  était  précise,  —  la  terre  entière  serait  en  proie 
à  toutes  les  horreurs  de  la  peste  cl  de  la  famine.  Elle  ajoutait 
même  qu'une  ellrayante  destruction  menaçait  l'univers.  En  1198, 
le  bruit  courait  parmi  les  populations  en  émoi  que  l'Antéchrist 
s'était  montra;  aux  portes  de  Bàbylone.  Joachim  de  Flora  con- 
firmait l'allarme  universelle  paries  paroles  prophéticpies  :  Omnc 
tcmpus  a  \'20()  ultra  astimo pcn'culosum. 


I  r.s  >  \u>ul^  1)1   Movio  \(;ii.  277 

li  n'esl  pas  im|>rol)abl(>  que  l'allcnle  générale  d'une  épouvan- 
table cataslruphe  lut  pour  *piol(|ii(;  cliosc  dans  la  vocation  à  la- 
(pielle  so  crurent  appelés  Vaido  cl  ses  adhérenis.  Klle  explique 
aussi  riiumeuse  succès  «prohiinrcni auprès  delà  loule  consternée 
Icui's  premières  prédications. 

La  Nobla  Leyczon  n'esl  \)ùs  la  seule  à  rappeler  aux  âmes 
qu'elles  doivent  se  tenir  prèles  pour  la  venue  prochaine  du  Fils 
de  Dieu.  Le  scrn)on  Tcmor  del  Segnor,  le  Commentaire  du  Can- 
tique des  Cantiques  et  le  traité  De  las  tribulacions  renferment  de 
longues  el  solennelles  exhortations  à  la  pénitence. 

Aux  prédications  sur  la  (in  du  monde  qui  n'arrivait  pas,  suc- 
cédèrent celles  sur  l'inconstance  et  la  caducité  des  choses  hu- 
maines. Grand  nombre  d'écrits  remontant  aux  premiers  temps 
de  la  secte  vaudoise,  sont  pleins  de  considérations  sur  ce  sujet. 
»  O  poussière ,  s'écrie  entre  autres  l'auteur  de  Li  parlar  de  li 
philosophe,  traduisant  en  sa  langue  les  paroles  sublimes  d'une 
religieuse  du  dixième  siècle,  ô  poussière,  pourquoi  t'enorgueil- 
lis-tu? Ton  enfantement  n  est-il  pas  péché ,  misère  ta  naissance^ 
ta  vie  douleur  et  agonie  ta  mort?  Pourquoi  engraisses-tu  ta  chair 
et  Vornes-tu  de  choses  précieuses,  elle  que  vont  dévorer  bientôt 
les  vers  du  sépulcre?  »  (1)  Le  poème  de  la  Nobla  Leyczon,  celui 
de  la  Barca ,  le  Temor  del  Segnor  sont  tous  empreints  de  ces 
idées.  A  ces  réflexions  se  joignent  souvent  des  descriptions  de 
l'inexorable  jugement  de  Dieu,  dans  lequel  il  sera  rendu  à  cha- 
cun selon  ses  œuvres.  «  Alors,  dit  la  Nobla  Leyczon ,  on  verra 
le  Fils  de  la  Vierge  descendre  du  ciel  sur  les  nuages...  »  Ces 
paroles  ont  servi  de  texte  au  sermon  del  Tudyci ,  un  des  plus 
anciens  de  la  secte. 

Le  dogme  du  Purgatoire  tel  que  l'entend  l'Église  est  partout 
rejeté,  quoique  d'une  manière  indirecte,  dans  les  premières  pro- 
ductions de  la  littérature  vaudoise.  La  Nobla  Leyczon  s'était  déjà 
exprimée  là-dessus  en  termes  qui  pourraient  prêter  à  équivoque, 


(1)  «  Opolver,  perque  te  ensoperbisses,  lo  concebament  delqual  escolpa,  la 
naysser  miseria,  lo  riore  pena,  lo  morir  anguslia.  Perque  engrayssas  la 
loa  carn  de  cosas  prcciosas  c  la  bornas,  laquai  li  verni  son  a  devorar  d'aqui 
a  pocjorn  al  sepulchre  ?  » 


278  LES  VAl  DOIS  IH    MOYKN  \(.K. 

mais  dont  le  vériialile  sens  est  facile  à  discerner.  «  L'Écriture 
dit ,  et  nous  devons  le  croire .  que  tuit  home  del  mont  per  duy 
chaminz  tenren:  li  bon  iren  en  yloria  e  li  mal  al  tormeut.»  •  Qui- 
conque n'ajoute  pas  foi  à  cette  double  distinction ,  continue  lo 
|ioctr,  quil  sonde  les  ncritures  depuis  le  commencement.  »  «  Que 
celui  qui  souffre  pour  la  gloire  de  Dieu  se  console  abondamment , 
car  aussitôt  après  avoir  quitté  ce  monde  (al  partir  d'aquest  mont). 
le  royaume  de  Dieu  lui  sera  ouvert  (1).  Le  Temor  del  Segnor,  !»• 
porinc  de  la  liarca,  V^vangeli  de  li  A  sermenz  et  le  traité  de  la 
Penitencia  ,  écrits  qui  appartiennent  tous,  selon  M.  Hcrzo}^,  à 
l'ipoquc  dont  nous  nous  occupons,  paraissent  unanimes  à  faire 
consister  le  Pur^'atoire  dans  une  soumission  volontaire  aux  épreu- 
ves de  cette  vie.  Si ,  d'un  côté  ,  les  plus  anciens  auteurs  ca- 
tiioliqucs  du  moyen  âge,  tels  que  Alain  de  l'Isle ,  Bernard  de 
Font-Caude  ,  Pierre  Lemoine  [Petrus  Monaclius  et  le  véritable 
Rainier  (2)  sendileiit  avoir  eu  raison  de  ne  pas  affirmer  que  les 
premiers  Vaudois  rejetaient  absolument  le  doj^nie  caili<tli(pie,  il 
»'st  permis  de  croire  aussi  qu'Yvonet  ne  sVsl  pas  trompé  en  leur 
attribuant  pour  maxime  :  Non  esse  purgalorium. 

Les  prédicateuis  \au(luis  ne  se  ronienlèrent  pas  d'exhorter  au 
repentir.  Comprenant,  comme  l'Église,  qu'une  connaissance 
exacte  de  la  naturr  et  de  la  j^iandciir  du  pf-cbé  était  indispensa- 
ble à  une  vrai(î  pénitence  ,  ils  entrèrent  ù  ce  sujet  dans  les  plus 
minutieux  détails.  Ils  condamnèrent  surtout  l'orgueil ,  la  déso- 
béissance el  l'incrédulité,  causes  premières  des  égarements  de 
riionmie  et  de  sa  condamnation  éternelle.  «  Le  trait  dislinctif  de 
riiduime  rejeté  de  Dieu,  dit  l'auteur  tlu  /'ergier  de  Consollacion, 
empruntant  les  paroles  de  saint  Grégoire,  c'est  l'orgueil.   L'or- 


(1)  .V.  L.  V.  49, 20,  r>7:),  :>?«>. 

(2)  Voici  lo  titre  di"  In  Siimnia  aullicnlujuf  de  Ituiiiicr  ;  Suiiima  de  i'alhd 
ri»  et  Ij'onittis  seu  Pauperibus  de  Lugdunn,  reproduite  dans  Mart.  et  Dur. 
Tiies.  anecd.  Paris  i7i7.  T.  V.  f.  t7'»9  sq.  Il  f;iul  se  garder  de  confondre  l'o- 
riginal avec  le  texte  altéré  et  considéraMemenl  augmenté  du  même  ouvrage, 
tel  qu'd  se  trouve  dans  la  Max.  Ribl.  Palriim.  T.  XXV.  i.^Vl  sq.  On  peut 
(  Dhsulter  sur  la  di><liiictii)n  imporl.inte  à  «'lablir  entre  les  deux  textes,  la  dis- 
sertalinn  critique  du  savant  lluMilogien  protestant  (îicseler  :  />r  Riiiunh 
SarrhuHi  Summn  de  C    ri  L.  mmmrnlalio  rritini.  titi'tlingue  IXTJl. 


LES  VAL'DOIS  IH    MOYKN  \(il\.  270 

gueil,  c'est  la  désobéissance  envers  Dieu,  désobéissance  qui  lit 
chasser  Adam  du  paradis  el  rexclul  du  royaume  de  Dieu.  »  Nous 
pourrions  nous  étendre  lonj,'uemcnt,  avec  M.  Ilerzog,  sur  le 
clia[)ilre  du  péché,  au  point  d(!  vne  des  [)remiers  Vaudois.  Le 
temps  et  Tespace  ne  nous  le  pciinetlenl  pas.  Nous  nous  conten- 
terons de  relever  un  p(jinl  impoitant,  c'est  que,  dans  ses  origi- 
nes, la  secte;  ne  professa  point  reiVrayant  dogme  de  la  prédesti- 
nation absolue.  Klie  admeliail  rranchemenl  (juc  le  premier 
homme,  en  se  séparant  de  Dieu  ,  avait  agi  spontanément,  avec 
h\  conscience  pleine  et  entière  de  sa  désobéissance.  Le  Créateur 
lui  avait  donnéune  liberté  absolue  d'action  ;  il  pouvait  choisir  en- 
tre le  bien  et  le  mal  (1).  Quoique  souillé  par  le  péché  dès  sa 
naissance,  l'homme,  lils  d'Adam,  n'avait  point  perdu  la  grâce 
divine  du  libre  arbitre.  Il  d<''pendait  de  lui  de  se  soustraire,  avec 
l'aide  de  Dieu ,  par  la  foi  et  les  bonnes  œuvres,  à  la  condamna- 
tion éternelle. 

Quoique  assez  disposés,  comme  plus  tard  les  calvinistes,  à 
voir  l'enfer  au  l)oui  de  la  moindre  prévarication  ,  les  adhérents 
de  Valdo  ne  rejetèrent  cependant  pas  d'abord  la  distinction  entre 
les  péchés  mortels  et  les  péchés  véniels.  C'est  ce  que  prouve  un 
passage  de  leur  poème  Lo  Paxjre  éternal,  composé  à  la  louange 
de  la  très-sainte  Trinité. 

Les  Vaudois,  nous  l'avons  dit  et  nous  le  répétons  à  dessein, 
insistaient  donc  particulièrement  sur  la  pénitence.  Elle  formait, 
selon  eux,  une  des  doctrines  fondamentales  du  Nouveau  Tes- 
tament. Par  elle,  l'homme  pouvait  s'approprier  la  grâce  de  Dieu. 
L'auteur  du  Fergier  l'appelle  la  guérison  de  l'âme,  l'espoir  du 
salut.  «  L'homme  sauve  son  dme  par  la  pénitence ,  est-il  dit  dans 
un  autre  livre ,  comme  le  pellican  délivre  ses  enfants  de  la  mort 
en  les  abreuvant  de  son  propre  sang.  »  «  Élève-toi  par  la  péni- 
tence jusqu'au  Christ,  s'écrie,  dans  un  sermon  sur  la  régénéra- 
tion spirituelle,  un  prédicateur  vaudois;  c'est  vers  lui  que  nous 
devons  voler  par  les  veilles,   la  prière,  les  aumônes  et  les  bonnes 


(1)  Nobla  Leyczon .  V.  17. 


liHO  I.KS  VAIUU1>  1)1    .>H»>K>'  AUt. 

(ruvres  »  (1).  Dans  un  autre  sermon  (2)  sur  les  saintes  femmes 
i|ui  se  procurèrent  des  parfums  précieux  pour  embaumer  le 
I  orps  (lu  Sauveur,  se  trouvent  ces  paroles  :  «  La  première  (Ma- 
rie-Madeleine) achète  de  la  myrrhe  :  la  myrrhe,  c'est  la  connaK- 
sauce  et  la  douleur  du  pèche.  La  deuxième  (Marie,  mère  de  Jac- 
ipus)  se  procure  de  Valoès,  plus  amer  encore  que  la  myrrhe  : 
ialoès,  c'est  la  confession  qui  rejette  du  cœur  la  corruption  pu- 
ridura)  cachée  du  péché  et  le  purifie.  La  troisième  (Maric-Salome) 
se  munit  de  baume,  le  plus  amer  de  tous  :  le  baume  représente  la 
satisfaction  par  les  bonnes  œuvres  (la  satisfaciou  diî  Tobra  en  la- 
quai es  granl  lavor).  Ces  trois  vertus,  la  contricion,  la  confes- 
sion et  la  satisfacion,  semblables  à  trois  précieux  parfums,  for- 
ment Vonguent  spirituel  de  la  pénitence ,  un  cnj^ent  esperytal , 
local  es  apela  pencdeuc/a.  > 

Sans  la  contrition  ou  la  componction  (componcion) ,  point  de 
pénitence  possible,  (lisaient  avec  l'hi^liso  les  j)aiiisans  de  Vaido, 
et  sans  la  confession  vocale,  la  contrition  n'a  aucune  valeur. 
«  //  n'y  a  point  d'espoir  de  guérison,  déclare  le  livre  des  Fertucz, 
tant  que  le  fer  reste  enfoncé  dans  la  plaie  ;  point  de  guérison  pour 
Ir  péché,  tant  quil  n'est  point  comme  arraché  du  cœur  par  la 
confession.»  Mais  était-ce  au  prêtre  (pi'il  fallait  faire  d'aboid 
r;iveu  de  ses  fautes?  A  Dieu,  disaient  les  Vaudois,  et,  apiès 
Dieu,  à  son  minislre.  Eu  cela,  (]U(ii  tpreii  pense  M.  Her/o},' ,  ils 
se  conformaient  sliicienuMit  à  la  doctrine  de  TKglise  (3).  Leurs 


(I)  V.  le  sciiiioii  viuid(;is  sur  le  Icxlc  :  Sia  renovela  im-  l'rspnit.  Man. 
Kcncv.  N'SOfi  :  voUi  m  <tul  pcr  pvtttdcuczn  al  pai  (?i  dcl  solrlh,  çi)  es  Jexus 
('hrixt...  al  cal  drven  volar  pcr  vcyilias  v  pcr  oraciau^v  pcr  almouas  c  pcr 
liiitias  nhras. 

i->)  Mail.  gcii.  ^i-im. 

(3)  Nous  ne  voyons  pas  sans  rcgici  i|iic  M.  Ilor/.d};  ait  ronscrvé  sur  k- 
(lofçmc  ratlinliqiio  île  la  roiifcssioji  les  ]>ri'jii';(''.s  aussi  «'Iranm's  (jii'iiijuslcs  de 
SCS  rorcli};ioniiaires.  €  Les  Vaiidnis,  dil-il,  mirent  <le  nouveau  ru  |)ralii|ue  le 
^rand  principe  du  la  pritnithc  Kglise  ca(li(>li(|ue ,  i|uc  le  pécheur,  avant  de 
s'ouvrir  au  prrire,  devait  verser  ses  pi  rliés  daliord  dans  le  sein  paternel  de 
Dieu.»  Comme  si  IK^Iisc  romaine  n'avait  pas  de  tout  temps  professé  la  même 
iloclrinc!  Quel  est  donc  le  catholique  sincère  et  éclairé  (|ui  ne  croie  violer 
une  des  lois  les  plus  formelles  de  sa  religion,  en  s'approchant  du  tribunal  de 
la  pénitencr,  sans  s'être  présenté  préalaldemml  devant  le  tribunal  de  Dieu^ 


i,i:s  VAi  uois  Di;  moven  âge.  281 

pasleurs  dcvaicni  exiger  des  fidèles  une  confession  niinulieuse, 
ei  leur  imposer  des  pénitences  sévères,  le  jeûne,  Taumône,  des 
prières  fervenles.  «  Par  là,  dit  le  poète  de  la  Nobla  Leyczon , 
Vdmc  trouve  son  salut ,  per  aqucstas  cosas  iroba  l'arma  salva- 
niont.  La  secle  vaiuloise  ne  conci-dail  cependant  pas  à  ses  minis- 
tres le  pouvoir  de  l'absoluiion.  Elle  l'avait  formellement  refusé 
aux  prêtres  de  l'Église  romaine ,  à  tous  les  Papes  depuis  saint 
Sylvestre,  à  tous  les  cardinaux,  à  tous  les  évêques ,  et  naturel- 
lement à  tous  les  abbés.  C'est  ce  que  déclare  le  même  poète  du 
ton  le  plus  solennel ,  avec  toute  la  gravité  d'un  docteur  infail- 
lible (1).  Etienne  de  Bourbon  avait  donc  raison  de  dire,  en  par- 
lant des  Vaudois  :  Si  veritatem  suœ  credentiœ  fateanturj  ponunt 
solum  Deum  a peccatis  absolverc.  Que  faisait  alors  le  confesseur? 
Il  écoutait  seulement  les  aveux  du  pénitent  et  lui  donnait  de  sa- 
lutaires conseils  {2].  «  Quand  tu  te  présentes  devant  le  confesseur. 


Avant  d"ouvrir  son  cœur  au  prcire,  ne  fait-il  pas  son  Sauveur  le  premier 
confident  de  ses  misères?  ^'■expose•t-il  pas  à  Lui  d'abord  toutes  les  plaies 
de  son  âme,  et  n'est-ce  pas  d'abord  en  sa  présence  qu'il  plaure  sur  elles? 
N'est-ce  pas  dabord  et  avant  tout  son  pardon  qu'il  invoque?  Il  y  avait  au 
moyen  âge,  comme  de  nos  jours,  des  chrétiens  légers  qui  se  jetaient  aux 
pieds  du  prêtre,  avant  d'avoir  examiné  sous  les  yeux  de  Dieu  l'état  de  leur 
conscience.  Personne  n'en  disconvient.  Mais  les  abus  font-ils  la  règle?  Que 
diraient  donc  de  nous  nos  frères  séparés,  si  nous  jugions  de  leurs  doctrines 
d'après  la  conduite  de  ceux  qui  les  transgressent?  C'est  cependant  là  leur 
manière  d'agir,  quand  ils  imputent  à  l'Église  les  fautes  de  quelques-uns  de 
ses  membres. 

(1)  Nobla  Leyczon.  V.  408-413.  Ce  passage  ne  laisse  pas  que  d'être  fort  cu- 
rieux ,  à  noire  avis.  L'auteur,  en  refusant  à  tous  les  Papes  depuis  saint  Syl- 
vestre le  pouvoir,  accordé  par  Jésus-Christ  aux  apôtres,  de  lier  et  de  délier, 
ne  concède-t-il  pas  par  cela  même  à  tous  les  Souvcrams  Pontifes  des  trois 
premiers  siècles  le  droit  d'absoudre  et  de  condamner?  Pourquoi  ceux  qui  le 
suivirent  en  furent-ils  donc  privés?  Parce  qu'avec  saint  Sylvestre  et  les  pré- 
tendues donations  que  ce  Pape  reçut  de  Constantin,  la  corruption  s'était  glis- 
sée dans  l'Église  et  l'avait  transformée  en  la  Babylone  de  l'Apocalypse.  C'é- 
tait là,  on  le  sait,  une  des  étranges  conjectures  de  la  secte  vaudoise,  et  que 
des  historiens  protestants,  même  sérieux,  se  complaisent  à  répéter.  Mais 
alors,  pourquoi  les  Vaudois  ne  faisaient-ils  pas  dépendre  aussi,  comme  pour 
les  sacrements,  le  pouvoir  de  l'absolution  de  la  sainteté  des  prêtres?  Il  nous 
semble  qu'il  y  avait  au  moins  là  une  grande  inconséquence. 

(2)  Liber  Sententiarum.  f.  25)0:  ille  eut  fit  confessio  peccalorum,  solum- 
modo  dat  consilium. 


i^2  lis  vAi  uois  ni  moyi:n  m.v.. 

u  dit  l'auieur  de  la  liarca  (v.  308-3*23),  tiens-lui  ce  latujage  : 
»  Moi,  pécheur,  je  me  présente  devant  Dieu  et  vous,  afin  que 
»  vous  me  fassiez  part  de  vos  conseils  et  m'inspiriez  ttne  sincère 
j> péiiilencc...  Confesse  ensuite  et  rlairemetil  tous  tes  pèches,  sans 
"attendre  d'être  interrogé.  Commence  d'abord  par  les  sept  pé- 
»  chés  capitaux,  puis  raconte  ceux  des  cinq  sens,  et  tes  transgres- 
»  sions  des  dix  commandements.  Dis  ensuite  si  lu  as  tenu  de 
«mauvais  discours,  médit,  maudit,  blasphémé.  Quand  tu  as 
)'  fait  ainsi  l'aveu  sincère  et  détaillé  de  toutes  les  fautes,  prends 
»  courage  etpromcts  de  n'y  plus  retomber,  mais  de  suivre  fidèlement 
»  les  bons  conseils  (le  bon  conselh)  qui  te  seront  donnés,  et  de 
i>  faire  une  vraie  pénitence,  si  tu  ne  veux  encourir  la  damnation 
>y  éternelle...  »  Nous  eussions  pu  nous  dispenser,  sans  doute,  de 
(itei-  lexlucllement  ce  long  passage;  mais  nous  nous  sommes 
proposé  ,  en  le  faisant,  un  double  but,  celui  de  confirmer  notre 
asseilion  et  de  faire  parla  nos  lecteurs  do  la  formule  de  confes- 
sion toute  catholique  en  usage  chivi  les  premiers  \  audois.  D'ail- 
leurs, riiistoire  que  nous  traitons  doit  être,  plus  que  tout  autre 
peul-<^lre,  basée  sur  des  faits.  Elle  a  été  si  falsifiée  jus(pi'ici  par 
les  partisans  de  la  secte  vaudoise,  <ju'on  aurait  de  la  pnnv  à  nous 
croire,  si  nous  allirmions  sans  donner  des  preuves  jtalpahles  de 
la  vérité  de  nos  paroles. 

I. a  régénération  sjtiriluclle  était,  avec  raison,  et  conformément 
à  renseignement  de  TEglise,  considérée  par  les  \auilois  connue 
la  garantie  d'un  consciencieux  repentir.  Ils  insistaient  fortement 
sur  le  baptême  de  l'esprit,  reconnaissant  toutefois  avec  la  tradi- 
tion caiholi(jue  que  sans  le  baptême  d'eau  la  régc'-nération  n'a- 
vait aucune  valeur,  selon  ces  paroles  expresses  du  Sauv<'ur  men- 
tionnées dans  le  Commentaire  du  Cantique  des  Cantiques  :  Celui 
qui  ne  renaît  de  Veau  et  de  l'esprit ,  ne  peut  entrer  dans  le 
royaume  des  f  ieux  [l]. 

(1)  ranha/ (toi  fsl  Ir  litre  (lu  doininrulairo'*  C.  IV,  8.  M.  Hurler  a  donc  eu 
lorl  «l'aflirnïer  que  les  Vaudois  eiisei^uaieul  riiiutilitê  du  l)npti^ine  par  l'eau. 


I.I'.S  VAl  DOIS  AL  MOYEN  AGIi.  283 


Ch.  IV.  (H.  II,  IV.) 


liafol  sans  les  oeuvres  est  morte.  La  charité.  IjCJub 
fftatiii  u'appartient  <|ii*à  Dieu.  La  pau^^eté  et  la 
eliastcté.  Le  sacrement  dn  mariag^e.  La  contem- 
plation et  la  vie  relig:ieuse.  La  prière.  Les  trois 
orcires  de  la  chrétienté.  Il  faut  vénérer  les  Saints. 

Les  premiers  Vaudois  professaient  sur  la  justitîcaiion  une  doc- 
trine en  tout  conforme  à  l'orthodoxie  romaine  (1).  D'accord 
avec  la  tradition  catholique  de  tous  les  siècles,  ils  admettaient 
que  par  la  foi  nous  devenons  les  enfants  adoptifs  de  Dieu  adopta 
en  filhs  de  Dio) ,  et  que  sans  elle  les  œuvres  n'ont  aucun  mérite 
quelconque.  D'un  autre  côté,  leurs  écrits  font  ressortir  avec  plus 
de  force  encore  que  la  foi  ne  saurait  justifier  l'homme  aux  yeux 
de  Dieu  sans  l'amour,  sans  les  bonnes  œuvres.  Les  passages  où 
il  est  déclaré  que  les  œuvres  sont  indispensables  au  salut  éternel, 
sont  innombrables.  «  Notre  foi  est-elle  morte,  dit  l'auteur  du 
»  Fergier,  citant  les  paroles  de  saint  Bernard,  le  Christ  est  aussi 
»  mort  en  nous.  Si  Vamour  se  refroidit ,  la  foi  meurt  comme  le 
»  corps  dépouillé  de  Vâme  qui  fait  sa  vie.  »  «  Saint  Jacques,  est- 
»  il  écrit  dans  le  livre  du  Novel  Confort,  déclare  en  termes  formels, 
»  explicites,  que  V homme  ne  saurait  être  justifié  par  la  foi  seule; 
»  la  foi  sans  les  oeuvres  est  vide  et  morte.  »  a  Jl  y  a  deux  choses — 
ce  sont  les  paroles  du  Commentaire  vaudois  du  Cantique  des 
Cantiques  (IV,  8)  —  il  y  a  deux  choses  au  moyen  desquelles  la 
»  sainte  Église  s'élève  jusqu'au  Christ,  la  foi  et  V œuvre ,  et  l'une 
»  n'a  aucune  valeur  sans  l'autre,  la  fe  e  l'obra  ,  e  l'una  non  val 


(l)  Non  pas,  sans  doute,  lorlhodoxic  romaine  (clic  que  la  représente  à 
dessein  ou  par  ignorance  le  protestantisme. 


28!>  LES  VAlJDOIS  DU  MOYEN  AOE. 

srncza  l'obra.  La  foi  et  les  bonnes  œuvres  sont  les  deux  joues  de 
1(1  bien-aimée.  »  L'aiileiir  insiste  à  plusieurs  reprises  sur  la  justi- 
ficacion  de  las  obras. 

L'amour  île  Dieu  et  du  prochain,  ou  la  cliarilé  dans  le  sens 
le  plus  élendu  du  mot,  est  aussi  un  thème  favori  des  pre- 
mières productions  vaudoises.  Il  faut  le  dire  à  la  louange  des 
adhérents  de  Valdo,  ils  n'avaient  pas  encore  pour  l'Église  qui 
les  avait  bannis  de  son  sein  ,  rette  haine  passée  dans  le  protes- 
tantisme, pour  ainsi  dire,  à  l'étal  de  dogme.  Ils  se  soumirent 
d'abord  avec  résignation  à  la  position  diflicile  qu'ils  s'étaient 
créée  cux-mémos  ,  vn  faisant  la  guerre  à  la  hir'rarchie  romaine. 
Les  malins  diront  peut-être  que  c'était  là  le  seul  parti  à  prendre 
pour  une  faible  minorité  on  face  d'une  majorité  redoutable.  Nous 
pensons  cependant  que,  en  rejetant  comme  indigne  du  chrétien 
tout  esprit  de  vengeance,  les  anciens  Vaudois  étaient  miis  aussi 
par  un  sentiment  de  pit'té.  11  \  allait  néanmoins,  il  faut  bien 
l'avouer,  beaucoup  de  leur  intérêt  à  prêcher  aux  populations,  et 
surtout  aux  autorités,  la  nécessité  d'aimer  le  prochain.  Qui- 
conque, au  moyen  âge,  secouait  le  joug  de  l'Église,  se  révoltait 
par  cela  même  contre  l'autorité  civile.  Lespartisansde  Valdo,  en 
professant  des  principes  hérétiques  ,  s'exposaient  donc  à  élret 
traités  en  malfaiteurs,  en  pcrluibateurs  du  repos  public.  Pour 
échapper  aux  persécutions,  il  fallait  eonséqueniment  insister 
sur  la  loi  de  grâce  qui  ordonnait,  |>ar  opposition  à  la  loi  mo- 
saupie,  de  pardonnera  tous.  C'est  aussi  là,  en  ell'et,  ce  que  ré- 
pétaient sans  cesse  les  sectaires  de  Lyon.  Ils  allaient  même  jus- 
qu'à soutenir,  contrairement  à  l'Évangile ,  qu'à  Dieu  seul  était 
réservé  le  droit  de  châtier.  Lojus  glndii  de  l'autorité  séculière 
était  à  leurs  yeux  incompatible  avec  le  précepte  évangélique  de 
l'amour.  Les  révolutionnain.'s  de  tout  tcuq)s  n'ont  pas  professé 
nn  principe  différent,  que  je  sache.  On  comprend  pourquoi.  Ce 
principe  tiécoulait  aussi  chez  les  Vaudois  de  leur  tendance  essen- 
liellenicnt  protestante  à  exagérer  le  sons  de  certaines  doctrines 
bibliques,  sans  chercher  à  les  mettre  en  harmonie  avec  d'autres 
«pii  ne  sont  contradictoires  qu'en  a|)parence.  De  nos  jours  encore, 
on  le  sait,  le  droit  du  glaive  et  consequcmment  celui  de  la  guerre, 
est  déclaré,  par  plusieurs  chauds  partisans  de  la  réforme,  direc- 


LES  VAUDOIS  DC  MOYKN  AGK.  285 

tement  contraire  à  l'esprit  du  christianisme.  Sur  ce  point,  comme 
sur  tant  d'autres ,  l'hérésie  donne  la  main ,  malgré  elle  sans 
doute,  mais  par  une  conséquence  nécessaire  de  ses  principes, 
aux  ennemis  de  toute  autorité. 

Les  deux  vertus  principales  au  point  de  vue  de  la  secte  vau- 
doise,  dans  la  première  période  de  son  existence,  étaient  donc 
la  pauvreté  et  la  chasteté.  Nous  avons  vu  que  les  sectateurs  du 
réformateur  lyonnais  faisaient  de  ces  deux  vertus  l'apanage  in- 
dispensable de  quiconque  embrassait  le  ministère  de  la  prédi- 
cation. Mais  pour  que  la  pauvreté  fût  méritoire  aux  yeux  de 
Dieu,  deux  conditions  étaient  requises  :  elle  devait  être  sincère, 
spontanée,  et  en  même  temps  laborieuse.  C'est  ce  que  prouvaient, 
d'une  part,  l'exemple  d'Ananie  frappé  soudain  de  mort  pour 
avoir  retenu  en  secret  une  partie  de  son  bien ,  et ,  de  l'autre , 
celui  de  saint  Paul  renonçant  sans  arrière-pensée  à  tout  pour  l'a- 
mour de  Dieu,  mais  travaillant  aussi  de  ses  propres  mains,  pour 
n'être  point  à  charge  à  ses  frères  dans  la  foi. 

La  chasteté ,  de  son  côté ,  exigeait  qu'on  s'abstint  même  de 
toute  espèce  de  familiarité  avec  les  personnes  du  sexe  (familia- 
rita  de  las  fermas).  L'auteur  du  Fergier  est  très-sévère  à  cet  en- 
droit. Il  s'arme  même  de  nombreux  passages  tirés  des  Pères  et 
de  quelques  paroles  mordantes  d'un  certain  philosophe  Secun- 
dus,  pour  prouver  à  ses  lecteurs  que  les  femmes  sont,  tutte  quan- 
te ,  une  source  de  perdition  pour  l'homme.  Il  ne  faudrait  pas  en 
conclure,  cependant,  que  les  Vaudois  rejetassent  le  sacrement 
du  mariage  (1).  La  Nohla  Leyczon  recommande  expressément  la 
tidélilé  dans  le  mariage  ,  qu'il  appelle  un  noble  contrat.  Gardes 
ferm  lo  malremoni,  dit  le  poète  au  vers  88,  aquel  noble  couvent. 
L'Epistola  Fideli  enseigne  que  le  mariage  est  le  quatrième  (sic) 
sacrement  de  l'Église,  et  l'auteur  du  sermon  De  las  noczas  (ma- 
nuscrit de  Dublin,  n"  3),  s'élève  avec  force  contre  les  hérétiques 


(1)  C'est  là  une  grave  erreur  que  M.  Hurler  a  aussi  reproduite  dans  sa 
biographie  d'Innocent  III.  Les  quelques  pages  que  cet  écrivain,  d'ailleurs  si 
consciencieux,  a  consacrées  aux  croyances  religieuses  des  Vaudois,  offrent 
plusieurs  inexactitudes  de  ce  genre.  M.  Jager  en  a  rectifié  quelques-unes  dans 
des  notes  ajoutéesàla  traduction  française dcM.  Alexandre  de  Saint-Chéron. 


•2S()  I.KS  VAIDOIS  V\    MOYF.N  AGK. 

qui  avaicnl  déclaré,  conlraircmoni  à  la  foi,  l'union  conjugale 
chose  illicite.  Les  adliérenls  de  Valdo  professaient  cependant  à 
leur  tour  une  doctiine  anliscripluraire,  en  refusant  ù  riiumaiiie 
faiblesse  le  droit  de  recourir  au  septième  sacrement  pour  échap- 
per aux  dangers  que  signale  saint  Paul  (1  Cor.  VII,  2,  5,  9).  C'est, 
du  moins,  ce  que  nous  croyons  pouvoir  inférer,  en  toute  jus- 
tice, de  plusieurs  passages  de  leurs  écrits,  que  l'extrême  déli- 
catesse du  sujet  ne  nous  permet  pas  de  citer  textuellement. 
Quelques  paroles  plus  positives  encore  du  Pscudo-Reinier,  et 
que  nous  passons  également  sous  silence,  viennent  à  l'appui  de 
notre  opinion.  Elles  nous  montrent  que  les  catholiques  du  moyen 
âge  accusaient  même  la  secte  de  voir  un  pcchi'  mortel  dans  «e 
que  la  loi  de  grâce  concédait  pourtant  au  chrétien  comme  frein 
à  ses  passions.  Le  point  de  vue  purement  mosaïque  sous  lequel 
les  premiers  Vaudois  envisageaient  l'union  conjugale,  ferait 
supposer  aussi  qu'ils  n'admettaient  pas  même  comme  légitime 
aux  veux  de  Dieu  l'instinct  naturel  qui  porte  les  deux  sexes  à 
s'unir,  dans  l'espérance,  comme  s'exprime  le  cait'chismc  du 
concile  de  Trente,  de  se  secourir  et  de  s'aider  mutcllcment,  afin 
de  supporter  plus  aisément  les  incommodilcs  de  la  vie,  les  in- 
firmités et  les  peines  de  la  vieillesse.  On  s'étonnerait  de  la  ten- 
dance asc«''ii(iue  (jui  dislingue,  en  génc'ral ,  les  doctrines  primiti- 
ves dc§  \  audois  ,  si  l'on  n'y  reconnaissait  un  des  traits  caract»'- 
ristiques  de  toute  hérésie  à  son  début.  Dépouillées,  par  une 
conséquence  inévitable  de  leur  principe  fonrlamcntal,  de  cet  ad- 
mirable esprit  de  tlisccrnemenl  (|ui  est  un(^  des  marques  évi- 
dentes de  la  perpétuité,  dans  TKglise,  du  don  de  la  Pentecôte, 
les  hérésies  ont  toujours,  dans  la  morale,  comme  dans  le  dogme, 
penché  vers  les  cxlrèmi's.  Uemarcpiez  aussi  (pie  les  doctrines  re- 
ligieuses nées  en  dehors  do  TKglise  et  par  opposition  à  ses  ensei- 
gnements, sont  presque  toujours  anti-sociales  et  contraires  aux 
lois  de  la  nature.  Elles  ne  font  d'ordinaire  aucun  cas  des  besoins 
(lu  cci'ur  dcrhomme,  quelque  légiiimcs  qu'ils  puissent  être  d'ail- 
leurs. Ceci  s'expli(puî  facilement.  L'harmonie  complète  des  lois 
divines  avec  celles  qui  ré'gissent  la  nature  humaine,  ne  se  ren- 
contre (|uc  dans  le  catholicisme. 

Tout  en  considérant  le  mariage  comme  honorable ,  la  secte 


LES  VAIDOIS  DL  MOYEN  AGE.  287 

vaudoise  faisait  néanmoins,  comme  l'Église,  une  part  bien  autre- 
ment belle  à  la  virginité.  Elle  constituait,  nous  le  répétons,  avec 
la  pauvreté,  le  caractère  distinclif  du  chrétien  parfait,  du  ucray 
Religios.  Ces  deuwertus  introduisaient  l'âme  dans  le  sanctuaire 
de  la  vie  contemplative.  «  La  contemplacion,  dit  l'auteur  du  f^er- 
gier,  cesl  l'élévation  à  Dieu  de  Vdme  qui  a  renoncé  à  tous  les 
biens  de  ce  monde.  «  «  Qu'il  est  doux^  est-il  dit  dans  le  livre  des 
Fertucz,  de  demeurer  jour  et  nuit  dans  la  maison  de  la  contem- 
plation! Ju  dehors  tout  est  danger,  car  au  dehors  sont  la  tem- 
pête et  le  trouble  qui  donnent  la  mort.  »   Mais  pour  atteindre  au 
plus  haut  point  de  sainteté  possible  à  la  créature  humaine,  il  ne 
suffisait  pas  encore  d'être  chaste  et  pauvre  ;  il  fallait  aussi  châtier 
la  chair  par  de  nombreuses  et  dures  pénitences  (motas  aspreczas), 
et  par  le  jeûne.  L'oraison  (oracion,  auracion),  nécessaire  à  tous 
les  degrés  de  la  vie  spirituelle,  l'était  aussi  et  avant  tout  à  ceux 
qui  aspiraient  à  la  perfection.  C'était  sur  les  ailes  de  la  prière 
que  le  chrétien  chaste,  pauvre  et  voué  aux  bonnes  œuvres^  péné- 
trait à  travers  les  chœurs  des  séraphins  et  des  chérubins  jusqu'au 
tribunal  du  Souverain  Juge.    Remarquez  bien  ceci  :  la  prière, 
pour  être  agréée  de  Dieu ,  devait  être  accompagnée  des  bonnes 
œuvres.  Telle  était  la  doctrine  qu'enseignaient  les  anci,ens  Vau- 
dois.   C'est  ce  que  déclare  positivement  l'auteur  du  Fergicr. 
«  Nos  prières ,  dit-il  avec  saint  Cyprien,  ne  s'élèvent  vers  Dieu  ^ 
qu  autant  que  nos  œuvres  ont  de  mérite  à  ses  yeux.  » 

Le  peuple  de  Dieu  formait ,  selon  les  anciens  Vaudois ,  trois 
classes  distinctes.  Ceux  qui  embrassaient  la  vie  contemplative 
et  vivaient,  conséquemment,  comme  le  Sauveur  et  les  apôtres, 
dans  la  pauvreté  absolue  et  la  chasteté,  occupaient  le  premier 
rang  dans  l'Église  de  Jésus-Christ.  C'étaient  là  \e& parfaits  (per- 
feit).  Le  royaume  de  Dieu  devenait  leur  partage.  Après  eux  ve- 
nait la  noble  cohorte  [guarnicion]  des  chrétiens  vierges  qui,  sans 
renoncer  entièrement  à  tous  les  biens  terrestres,  se  contentaient 
cependant  du  strict  nécessaire,  donnant  le  reste  aux  pauvres. 
Leur  héritage  était  la  nouvelle  terre  promise  à  ceux  que  le 
Christ  appelait  les  bienheureux.  Dans  la  troisième  catégorie  se 
trouvaient  placés  les  époux  vertueux ,  qui  pratiquaient  les  bon- 
nes œuvres  et  élevaient  leurs  enfants  dans  la  crainte  de  Dieu.  A 


2H8  I.KS  VAIIMUS    I»l    ^lOYKN  AGE. 

«'iix  seraient  adressées  au  faraud  jour  du  jugoment  final  les  con- 
solantes paroles  du  Sauveui-  :  Venez  à  moi ,  vous  les  bénis  de 
mon  l'ère.  Cette  triple  classification  correspond  exactement  au\ 
trois  ordres  des  moines,  des  ecclésiastiques  et  des  hommes  nia- 
ri«''S,  dont  parle  Joachim,  l'abbé  de  Floi-a  (1).  Tous  les  chréiieiis 
avaient  ilroit  aux  diNines  promesses,  mais  la  plus  glorieuse  paii 
était,  nous  le  voyons,  réservée  à  ceux  qui  préféraient  aux  dou- 
ceurs de  la  vie  conjugale  la  chasteté  parfaite  et  la  pauvreté  (2  . 
Le  nombre  trois  paraît  avoir  eu  ,  du  reste ,  aux  yeux  des  Vau- 
dois,  une  signification  fort  mystérieuse.  Ils  y  reviennent  sans 
cesse  dans  leurs  écrits.  On  dirait  qu'il  constituait  pour  eux  l'es- 
sence mémo  du  christianisme.  La  distinction  de  Dieu  en  trois 
personnes,  ce  dognu'  fondamental  de  la  religion  révélée,  et  dont 
ils  ne  se  lassaient  pas,  avec  raison,  de  faire  ressortir  rextréme 
importance,  avait  sans  doute  contribué  à  leur  faire  envisager  sous 
un  triple  point  de  vue  toutes  les  vérités  chniiennes.  C'était  en 
trois  époques  qu'ils  divisaient  le  développement  de  l'humanité: 
r<'*po(iue  antérieure  à  la  loi  mosaïque,  celle  de  la  loi  et  l'époque 
du  christianisme.  A  celle  triple  partition  correspondaient  les 
trois  lois  <pie  Dieu  donna  au\  hommes,  la  loi  naturelle,  celle  de 
Moïse,  et  la  loi  de  grâce.  Ils  comptaient  frow  venues  distinctes 
du  Sauveur,  qui  s'était  manifest*'  d'abord  dans  la  chair  |>ar  le 
mystère  de  llncarnalion  ,  se  révélait  an\  siens  pai-  l'infusion  de 
son  esprit,  ei  apparaîtrait  de  nouveau  au  monde  au  jour  du  ju- 
gement. Nous  avons  vu  qu'ils  distinguaient,  comme  l'Église  du 
reste,  la  pénitence  en  trois  parties,  la  contrition  ,  la  confession 
et  la  satisfaction.  L'homme  avait  trois  ennemis  principaux,  le 
monde,  son  corps  et  le  démon.  Nous  verrons  plus  lard  que  la 
hiérarchie  vaudnise  subit  aussi  cette  loi  générale,  et  qu'elle  con- 
sistait dans  révèqu(! ,  le  pièlre  et  le  diacre.  Ils  repn-sentaicnt 
la  croix  sous  la  forme  d'un  T,  et  le  Sauveur  crucifié  un  pied  sur 


(1)  V.  Engclliarl.  Kirclicngcsrhirhtliclic  l'iilcrsucliungcn,  p.  4ii-73. 

(2)  Dans  un  trait»';  vauduis  de  la  I)il)linthè(|nc  do  Paris,  les  religieux  sont  dé- 
peints comme  formant  la  plus  noble  portion  du  peuple  de  Dieu,  et  supérieurs 
par  leur  rmi  de  ehastelé ,  h  ceux  qui  pr.nlicpient  crUe  vertu  sans  en  oviir 
pris  renfoncement  solennel. 


I.F.S  VA(  DOIS  I)t  MOYEN  A(JE.  280 

l'autre,  cl  constiqiicinincnl  percé  sculcmeni  de  Iro'is  clous,  ce 
qui  leur  valut  de  sévères  réprimandes  de  la  part  d'Innocent  III, 
à  cause  du  scandale  que  causait  leur  innovation  (1).  Leur  tort, 
au  fond,  a  moins  été  celui  d'attribuer  une  valeur  mystérieuse  au 
nombre  trois,  que  d'en  avoir  fait  une  espèce  de  cbiffrc  cabalis- 
tique. 

Les  doctrines  vaudoises  exposées  jusqu'ici ,  cl  puisées  à  la 
source  même  des  documents  de  la  secte,  sulTiraienl  à  elles  seules 
pour  justifier  les  assertions  des  écrivains  caiboliques  du  moyen 
âge.  En  présence  de  faits  aussi  authentiques,  que  croire  main- 
tenant de  la  véracité  des  historiens  vaudois?  Ont-ils  eu  raison 
d'aflîrmer  que  leurs  adversaires  avaient  pris  à  lâche  de  falsifier 
les  croyances  de  leurs  aocéires?  N'est-il  pas  évident  que,  si  leurs 
pères  avaient  certaines  tendances  que  le  protestantisme  appelle- 
rait orthodoxes,  ils  étaient  bien  éloignés  cependant  de  professer 
des  principes  absolument  homogènes  à  ceux  de  la  réforme?  Les 
Vaudois  français  avant  le  seizième  siècle  ne  voulaient  pas  même 
concéder  que  leur  confession  de  foi  différât  de  ceile  de  Rome. 
Fides,  dit  Moneta,  en  parlant  d'eux  (ut  ipsi  dicunt),  una  est  in 
ecclesia  romana  et  in  congregatione  IFaldensium ,  licet  discre- 
pantia  in  operibus. 

Que  pensait  la  secte  vaudoise  ,  dans  l'origine,  de  l'invocation 
des  Saints?  Ici,  il  faut  en  convenir,  elle  n'eut  pas  besoin  de  la 
réforme  pour  être  hérétique.  Non  pas  qu'elle  refusât,  comme  le 
prétend  Yvonet,  à  l'Église  triomphante  la  faculté  d'entendre  les 
prières  des  chrétiens  ici-bas;  elle  n'avait  pas  encore  résolu  ce 
grand  problème  qu'il  était  réservé  seulement  aux  profondes  lu- 
mières des  novateurs  du  seizième  siècle  de  trancher  d'une  ma- 
nière infaillible;  mais  elle  n'admettait  pas  que  l'armée  céleste 
pût  intercéder  auprès  de  Dieu  en  faveur  de  sa  sœur  militante. 
Les  saints  assistaient  d'en  haut  aux  luttes  spirituelles  des  fidèles, 
à  leurs  souflVances  ;  ils  voyaient  les  efforts  incessants  que  faisait 
le  prince  des  ténèbres  pour  entraîner  les  âmes  avec  lui  dans  l'a- 
bîme éternel  ;  ils  entendaient  leurs  gémissements  et  jusqu'à  leurs 

(I)  y.  Hmtcr.  Liv.  XIV. 

19 


21)0  I  KS  VAllMUS  1)1    MOVF.N  A(;«  . 

soU|)irs,  inaih  ils  n\  |juu\;ii(*iil  rien  !  Sans  doiile  ,  du  regard  iU 
inlcno^'oaient  le  Fils  de  Dieu,  le  suppliant  de  secourir  ceux  qui 
coudialtainit  pour  l'amour  de  son  nom,  mais  le  Fils  de  Dieu  res- 
tait impassible;  il  eût  été  au-dessous  di^ui ,  le  Toul-Puissanl, 
d'accorder  la  moindre  ^râcc  aux  liahiianls  <lu  ciel,  IVil-c»"  mt^me 
à  sa  propre  mère!  Quelle  étrange  doctrine!  Quelle  belle  part 
de  béatitude  faite  aux  élus!  Les  documenis  vandois  ne  lienneni 
pas,  il  est  vrai ,  ce  langiige  ;  mais  ,  nous  le  demandons,  peul-on 
tirer  d'autres  conclusions  de  leur  croyance ,  que  les  saints  en- 
tendaient sans  doute  les  prières  de  leurs  frères  sur  la  terre , 
mais  ne  pouvaient  intercéiler  auprès  de  Di(;u  en  leur  faveur? 
Voyez  aussi  «pielle  incons«'<pience!  Les  Vaudois  priaient,  comme 
les  protestants,  les  uns  pour  les  autres;  ils  intercédaient  auprès 
du  Seigneur  les  uns  pour  les  autres;  le  Seigneur  les  écoutait,  les 
exauçait  souvent,  et  il  n'écoutait  pas,  il  n'exauçait  passes  amis 
intimes,  ceux  cpii  avalent  versé  leur  sang  jxmr  lui,  s'étaient 
pour  lui  fait  brûler  à  petit  feu,  scier,  décapiter,  écorclier,  fla- 
geller jusqu'à  la  mort,  même  crucilier! 

L»  secte  vaudoise  jirofessait  cependant  une  grande  vénération 
pour  les  saints,  el  surtout  pour  Marie.  La  Mère  de  Dieu  est  appe- 
Ifc  dans  le  poème  de  la  Mubla  l.ryczon  la  /'ergena  glortasa,  nos- 
Ira  tlona  (1).  l-e  li\rc  «les  Trihulacions  contient  ces  paroles  : 
«  Vaine  est  la  crainte  de  celui  qui  redoute  de  renoncer  à  la  com- 
munion de  son  père  et  de  sa  mère,  el  qui  n'a  point  peur  de  per- 
dre celle  de  Dieu  et  de  la  rierqe  Marie.  »  «  Après  Dieu  , 
est-il  dit  dans  la  Glosa  patrr ,  nous  devons  d  la  hirnhcurcusr 
Vierge  Marie  (beata  vergena)  les  plus  grands  honneurs  d'entre 
toutes  les  créatures,  car  elle  est  la  mère  du  Christ.  »  —  La  Mère 
do  Dieu  bienheureuse!  Klle  qui  voit  soulïrir  ses  enfants,  les  frè- 
res de  son  lils  bien-aimé,  el  ne  peut  obtenir  de  Lui  la  moindre 
grice  pour  eux!  —  lit  ailleurs  :  Ceux  qui  participeront  aux 
noces  célestes  sont  le  Christ  el  In  f'iergc  la  \  icrge  après  le  Clirisi' 
el   tôt  lo  content  de  l'ost  cclestial  e  la  cumpagnia  de  li  esleja. 


(I)  V.  30.  :j|  1,21(1. 


LES  VAIDOIS  DL  MOYF.N  AGK.  291 

Marie  porlo  aussi  le  glorieux  lilre  que  lui  donne  l'Église  de 
Reine  du  Ciel,  Regina  del  cel.  Les  Vaudois  lui  adressaient  le  sa- 
lut angt'lique  Jve  Maria,  mais  conséquents  avec  leur  principe, 
ils  omettaient  la  prière  finale,  par  laquelle  l'Église  réclame  son 
inlcrcession. 

H.  S. 


CKNÈVE  Al  COMMEXCEMEXT  W  \W  SifXLE. 


Qu'était  Genève  au  commenrement  du  sei/ièmc  sircio? 
Avant  que  do  n'pnndro  à  celte  demande,  je  prie  les  lecteurs 
des  Jnnales  de  ne  pas  perdre  de  vue  que  les  questions  histori- 
ques que  je  traite  ici ,  sont  enseignées  dans  les  écoles  de  notre 
canton  ,  et  qu'elles  sont    (lélij,'ur('es  par  plusieurs  des  maîtres 
charges  de  l'instruc  tion  des  enfants.  Sans  cette  dernière  consi- 
dération ,   les  Jnnalcs  n'auraient  pas  choisi  le  moment  actuel 
pour  parler  de  rétablisseuunl ,  des  causes  el  des  effets  du  pro- 
testantisme ,  parce  qu'il  est  dillicilc   d'en  parler  sans  dire  des 
choses  qui,  par  elles-m^mes,  sont  de  nature  à  causer  de  l'irriia- 
lion  dans  un  pays  dont  la  po|>ulation  est  composée  de  catholitpies 
et  de  protestîuits  obligés  d'avoir  des  rapports  continuels  les  uns 
avec  les  autres.    Mais,  puisqu'on  enseigne  des  erreins  »pii  peu- 
vent avoir  les  suites  les  plus  funestes  pour  les  jeunes  gens,  n'est- 
ce  pas  un  devoir  poiii-  tout  lion  citoyen  de  dissiper  ces  erreurs? 
On  re[)résente  les  evécpies  conimi'  des  tyrans  sous  lesquels  gé- 
missait la  vieille  Genève  catholique.   On  apprend  aux  enfants  :i 
saluer  comme  une  aurore  de  liberté  ,  de  prospérité  el  de  bon- 
heur, le  jour  oii  les  salelliH'S  «le  l'apostat  de  Noyon  usurpèrent 
le  pouvoir  temporel  et  le  pouvoir  spirituel  des  princes-<'véquesde 
Genève.  Le  radicalisme  ,  né  de  l'impiété  el  de  la  révolte  ,  le  so- 
cialisme «le  m«*me  race,  et,  de  plus,  aux  gages  de  l'Union  pro- 
lesiani»'  genevoise  ,  illuniin«s  tous  l«'s  deux  par  les  log«îs  maço- 


(iKSKVE  Al    (.OMMiiXMCMEM  l)L    XM*"  SliXLi:.  293 

niques  (1),  l'arianisme  de  l'église  nationale,  le  mélhodispie  des 
lourbcs  niùmiors  :  tous  ces  agents  d'iniquité  se  tendent  la  main 
et  mettent  tout  en  œuvre  pour  faire  germer  dans  le  cœur  des  en- 
fants et  pour  y  entretenir  la  haine  contre  tout  ce  qui  tient  à  la 
religion  catlioli(|Uc,  et  surtout  contre  ceux  qui  sont  les  gardiens 
de  ses  dogmes  et  de  sa  morale.  Ne  pas  avertir  les  pères  et  les 
mères  de  famille  des  pièges  qui  sont  tendus  à  leurs  enfants,  se- 
rait un  crime. 

Qu'était  Genève  au  commencement  du  seizième  siècle?  Cette 
«juestion  renferme  implicitement  les  deux  suivantes  :  Quelle 
était  la  religion  profcssi'e  par  les  habitants  de  Genève,  et  quelle 
était  la  constitution  politique,  ou  la  forme  du  gouvernement  de 
Genève  au  commencement  du  seizième  siècle  ? 

Ce  qui  constitue  une  société ,  une  communauté  quelconque  , 
bien  organisée ,  c'est  la  religion  professée  par  les  membres  de' 
celte  société,  ce  sont  les  lois  qui  régissent  celte  société.  La  reli- 
gion et  les  lois  fondées  sur  la  religion  ,  le  pouvoir  divin  commu- 
niqué aux  hommes  pour  le  bonheur  des  hommes,  le  pouvoir 
émané  de  Dieu  ,  exercé  sur  la  terre  par  les  représentants  de 
Dieu ,  dans  l'ordre  spirituel  et  dans  l'ordre  temporel ,  voilà  la 
source  divine  de  toute  justice,  de  toute  vertu  et  la  base  de  l'or- 
dre social.  Aussi,  un  peuple  ,  une  réunion  d'hommes  ayant  des 
lapports  les  uns  avec  les  autres ,  sans  principes  religieux  quel- 
conques, est  encore  à  trouver.  Vous  découvririez  plutôt  une  ville 
bâtie  dans  les  airs.  Partout  où  vous  rencontrerez  des  hommes 
(|ui  vivent  ensemble,  vous  y  verrez  de  même  des  lois  écrites  ou 
des  coutumes  qui  prescrivent  certains  devoirs  à  ces  hommes , 
pour  l'avantage  de  tous,  et  qui  décernent  certaines  peines  con- 
tre ceux  qui  nuiront  au  bien  commun  de  la  société ,  ou  à  celui 
des  individus  en  particulier. 

La  destinée  de  l'homme  sur  la  terre  n'est-elle  pas  de  servir 
Dieu,  son  Créateur,  et  de  concourir  au  bonheur  des  autres  hom- 
mes avec  lesquels  il  est  appelé  à  passer  les  quelques  jours  de  vie 


CI)  Nous  pourrions  noninici-  un  citoyen  qui  occupe  une  place  importante 
cl:ms  le  canton  et  qui  disait,  dans  une  lionorabic  compagnie  :  Il  y  a  quatre  lo- 
ges qui  ont  agipour  me  faire  arriver  à  la  place  que  j'occupe. 


29i  liENKVF  Al    t:oMMK>«:KJIl-:.M    1)1    Wl»^^  SIKtLK. 

qui  lui  suul  dunnés?  Or,  d'après  cette  double  lin,  il  doit  obser- 
ver les  lois  émanées  immédiatement  de  Dieu  lui-même  ou  de  ses 
représentants,  ilans  l'ordre  spirituel ,  «-t  celles  (|ui  sont  portées 
par  ses  re|»résenianis  ,  ilans  l'ordre  temporel,  (les  dernières  lois 
règlent  principalement  les  rapports  que  les  hommes  ont  les  uns 
avec  les  autres,  pour  les  choses  de  ce  monde,  et  si  on  les  consi- 
dère en  elles-mêmes,  et  dans  la  forme  du  pouvoir  où  elles  pren- 
nent leur  source,  elles  sont  ce  (pi'on  a|t|)elle  la  constiiuiion  po- 
litique d'un  jiays. 

Demander  à  l'hisloir*'  ce  qu't'tait  un  peuple  à  tel  siè(  le,  à  une 
épociue  deteiminée,  c'est  demander  principalement  tiuelle  était 
la  religion  professée  par  ce  peuple  et  quelle  était  la  constitution 
politique  qui  le  ii'gissait. 

Quelle  était  la  religion  professée  par  les  Genevois  depuis  les 
premiers  siècles  du  clirisiianisme? 

On  dira  peut-être  :  à  quoi  bon  ces  détails  historiques  dans 
lesquels  vous  entrez?  Voule/.-vous  nous  prouver  l'existence  du 
lac  Léman?  Encore  une  fois,  j'ai  en  vue  les  écoles,  et  l'on  verra, 
dans  un  autre  article,  la  connexion  naturelle  qui  existe  entre  ce 
que  je  vais  dire  et  ce  que  je  dirai  plus  tard. 

La  religion  des  GencNois,  depuis  les  premiers  siècles  du  chris- 
tianisme, était  la  religion  catholi(|ue.  Tout  nous  le  rappelle  : 
l*"  Les  églises  de  Genève  construites  avant  le  seizième  siècle  por- 
tent le  nom  d'un  saint  ou  d'une  sainte.  On  v  voit  la  belle  cathé- 
drale de  Saini-l'i«'rre,  l'église  de  Sainte-Madeleine,  celle  de 
Sainl-Gervais ;  ces  noms  nous  disent  <pie  «es  édifices  ont  été 
consacrés  à  Dieu,  sous  l'invocation  du  saini  ou  de  la  sainte  d(mt 
ils  portent  le  nom.  N'est-ce  pas  une  preuve  évidente  que  ces 
saintes  maisons  ont  été  bAlies  pour  les  assemblées  religieuses 
d'un  peuple  (|ui  honorait  saint  Pierre  apAlre ,  sainte  Madeleine 
pénitente,  saint  Gervais  niariyi?  Les  habitants  de  Genève,  avant 
le  seizième  siècle,  honoraient  les  saints,  connue  font  et  ont  tou- 
jours fait  les  catholiques;  ils  n'étaient  donc  ni  calvinistes,  ni  mô- 
uiiers  ;  ces  sectaires  ne  rendent  aucun  ImuncMi-  aux  saints,  |)as 
même  ù  la  Reine  de  tous  les  saints,  et  ils  sont  ainsi  en  contradic- 
tion avec  cette  prophétie  de  la  bienheureuse  Mère  du  Verbe  in- 
carné (Luc  I)  :  Dénormais  je  serai  appelée  bienheureuse  par  toutes 


«ilCNÈVl!;  AL  COMMKNCKMKNT  DU  XVl'   SIIXIJ:.  205 

les  générations.  Voyez,  les  l('mi>los  que  les  disciples  de  Calvin  et 
aiilres  liéréli(iucs  ont  conslruils  pour  y  faire  le  prêche  et  y  lire 
une  des  mille  Cibles  nées  du  prolestanlisinc ,  ils  n'ont  point  le 
nom  d  un  saint  ou  d'une  sainte;  c'est  le  temple  de  la  Fuslerie  , 
le  lemplc  du  l*ré-B6ni,  le  temple  de  la  Pélisserie,  celui  de  la  rue 
du  Tabazan,  réiçlise  anglicane,  le  temple  des  Luthériens,  et  bien- 
tôt on  verra  aussi  le  temple  des  Mormons. 

2°  Les  noms  des  rues.  Il  y  a,  à  Genève,  la  rue  du  Purgatoire, 
la  rue  des  Corps-Saints,  la  rue  des  Chanoines;  donc  il  fut  un 
lemps  où  il  y  avait  à  Genève  des  chanoines  ,  et  où  le  peuple  ge- 
nevois croyait  au  Purgatoire  et  honorait  les  reliques  des  saints; 
les  anciens  genevois  n'étaient  donc  ni  calvinistes,  ni  mômiers. 

3°  Les  inscriptions  qu'on  lit  encore  sur  les  dalles  de  Saint- 
Pierre,  sur  les  murs  et  sur  les  vitraux  du  chœur,  témoignent  que 
cet  édilice  est  l'œuvre  des  catholiques.  «  Un  grand  nombre  de 
»  tombeaux  ont  été  découverts  dans  l'église  (de  Saint-Pierre); 
»  ces  sépulcres  appartenaient  à  des  ecclésiastiques  inhumés  avec 
»  leurs  vêlements  dont  les  restes,  la  chaussure  surtout,  étaient 
»  presque  toujours  reconnaissables  ;  devant  le  premier  grand 
»  autel  se  trouve  le  corps  d'un  prélat  renfermé  dans  un  sarco- 
»  pliage  en  pierre,  il  est  revêtu  de  ses  ornements  sacerdotaux,  les 
»  débris  de  la  crosse,  un  calice  et  sa  patène  sont  renfermés  dans 
»  ce  tombeau  qui  est  demeuré  intact.  Il  paraît  résulter  des  re- 
»  cherches  auxquelles  s'est  livré  M.  l'archiiecle  Sordet,  au  sujet 
)>  de  ce  tombeau,  qu'il  contient  les  restes  de  Jean  de  Courtecuisse, 
»  évêque  de  Genève  dès  1420,  et  mort  dans  cette  ville  le  4  mars 
»  1423.  »  (Rapport  sur  les  reclieiches  et  les  travaux  exécutés  en 
1850,  dans  le  temple  de  Saint-Pierre,  par  J.-C.BIavignac,p.  13.) 

Ce  prélat,  docteur  en  théologie  de  la  faculté  de  Paris,  professa 
la  théologie  dans  cette  ville,  et  en  fut  nommé  évêque.  Peu  de 
temps  après  il  passa  du  siège  épiscopal  de  Paris  sur  celui  de  Ge- 
nève. Il  laissa,  par  testament,  500  livres  au  clergé  de  Genève, 
pour  quatre  services  solennels  pour  le  repos  de  son  âme.  C'était 
un  homme  distingué  par  sa  science;  la  bibliothèque  de  Genève 
])Ossède  quelques-uns  de  ses  manuscrits. 

L'histoire  nous  fait  connaître  les  noms  des  évêques  de  Genève, 
depuis  les  lemps  les  plus  rapprochés  de  l'établissement  de  l'é- 


•2Wi  GEXTKVE  Al COMMKMCEMt.M    1)1     XM'MlXl.i:. 

};lise  calliuiiquc ,  jusqu'à  Mgr  Maiilloy,  aujourd'litii  évùcjue  de 
Lausanne  el  de  Genève  ,  quoicjue  la  tyrannie  radicale  rcinpc^clie 
de  résider  dans  son  diocèse  el  de  porter  les  cunsolalions  de  son 
saini  ministère  aux  fidèles  confiés  ù  ses  soins  et  qui  soupirent 
après'le  jour  fortuné  où  il  leui  seia  duniu'  de  recevoir  sa  béné*- 
dittiou  cl  d'entendre  sa  voix  hien-ainiée.  L'histoire  nous  montre 
ces  évêques  en  communion  avec  les  successeurs  de  saint  Pierre, 
les  chefs  suprêmes  de  toute  rKj,dise.  Genève  était  donc  caiholi- 
(|ue.  La  chapelle  des  iMacchahées  (puî  l'on  voit  adossée  à  la  ca- 
ilicdrale  de  Saint-Pierre,  fut  construite  en  140G,  par  les  soins  et 
aux  frais  de  Jean  Fraczon,  cardinal,  connu  sous  le  nom  de  cardi- 
nal de  Brogny.  Elle  était  placée  sous  l'invocation  de  Marie.  Après 
avoir  retenti  ,  pendant  plus  d'un  siècle,  du  chant  des  louanges 
de  Dieu,  elle  a  été  cliangc'e  par  les  calvinistes  en  auditoire;  des 
professeurs  ariens,  incrt-dules,  rationalistes,  y  sont  venus  tour  à 
luur  développer  leurs  faux  systèmes.  Le  cardinal  de  Brogny  fut 
nommé  évêipie  de  Genève,  mais  il  mourut  avant  cpie  de  se  ren- 
iln;  dans  son  nouveau  diocèse  et  fui  enterré,  comme  il  l'avait  de- 
mandi",  dans  la  chapelle  des  Macchabées. 

C'est  un  évêque  de  Genève  ,  Guillaume  de  Lornay,  <pii  fit  pla- 
cer au  clocher  de  Saint-Pierre  la  grande  el  belle  cloche  qu'on  y 
voit  encore  et  (ju'il  a|)pela  CUmencc,  en  Ihonneui'  de  son  ancien 
maître  et  ami  Clcineni  \  II,  issu  de  la  maison  des  comtes  de  Ge- 
nevois. Klle  fut  fondue  [)rès  du  bas  de  la  tour  sur  la<iuelle  elle  est 
montée,  ei  cul  pour  parrains  les  quatre  syndics. 

Elle  portait  l'inscription  suivanle  : 

«  Laudo  Drum  verum,  plebem  voco,  congrego  cleruni. 

«  Defunclos  ploro,  pestem  fugo,  fesia  decoro. 

«  Vox  niea  cuncloium  fit  terror  dû'monioiiim.  » 

Je  loue  le  vrai  Dieu^  /appelle  le  peuple,  je  rassemble  le  clergé,  Je 
pleure  les  morts,  je  inels  en  fuite  la  peste,  /embellis  les  fêtes  ;  ma  voijc 
inspire  la  terreur  à  tous  les  démona.  Un  auteur  |>rotestant,  après 
avoir  raj)porté'  celle  inscri|)tion,  fait  la  n'Ilexion  suivante  :  «  Celle 
»  espèce  de  filleule  d'unanlipapt.'  d'Avignon  semblait  prédestinée 
»  à  sonner  l'heure  de  la  réformalion  (|ui  devait  soustraire  Genève 
à  la  suprématie  de  Home.  A  b(»n  eiilendeiir  salui.  >  Ce  sont  de 
CCS  soilcis  d'amaliililcs  que  l'on  i cnconlic  fretpiemmeni  chez  les 


<;e>i;vk  ai  (.»)MMi:m:i:mi:.m  du  xvi"  sikcli;.  297 

dévoyés.  Et  moi,  je  dirai,  à  mon  leur,  que  la  belle  Clémence 
doit  bien  }j;émir  do  jouer  le  triste  rôle  auquel  l'ont  condamnée 
Farel  et  Calvin. 

Laudo  Dcum  vcrum.  Et  aujonid'inii  elle  loue  le  Christ  gene- 
vois. Or,  qu'est-ce  que  ce  Christ?  Pour  ({uelques  ministres,  c'est 
III)  être  qui  n'est  ni  Dieu,  ni  homme,  mais  une  nouvelle  catégo- 
)ic  dans  la  classe  des  êtres.  «  Dans  cent  quatre-vingt-dix-sept 
»  sermons  prêches  par  nos  pasteurs  depuis  plus  d'un  demi  siè- 
»  de,  dit  M.  Empaytaz,  pas  un  seul  où  l'on  trouve  une  profession 
»  de  loi  sur  la  divinité  du  Sauveur.  »  Aux  yeux  des  autres  mi- 
nisiies,  ce  Christ,  d'abord  léformé  par  Calvin  et  qui  a  subi  mille 
métamorphoses  depuis,  dit  à  ses  disciples  :  Lisez  une  des  Bibles 
augmentées,  diminuées,  corrigées,  falsitiiées  par  le  protestan- 
lisme ,  et  après  votre  lecture,  trouvez-vous  que  pour  être  dans 
la  voie  du  salut  il  faut  être  arien?  soyez  arien.  Trouvez-vous 
que  les  mômiers  sont  dans  le  bon  chemin?  faites-vous  mômiers. 
La  religion  perfectionnée  et  superflue  de  l'un  de  nos  députés  [1] 
(comme  dit  la  Revue  de  Genève)  vous  paraît-elle  encore  meilleure 
(jue  l'arianismede  M.  Chenevière  et  que  le  méthodisme  de  M.  Ma- 
lan?  embrassez  vite  cette  religion  swper^ne.  Ne  craignez  rien  : 
l'usure,  la  fornication  ,  le  divorce  répété  tant  qu'il  vous  plaira  , 
ne  vous  excluront  pas  de  mon  royaume,  et  il  ne  vous  reste  plus 
rien  à  faire,  si  vous  croyez  en  moi.  On  peut  appliquer  soit  aux 
calvinistes  ariens ,  soit  aux  mômiers ,  ce  que  dit  l'anabaptiste 


(1)  Ce  député,  descend  en  ligne  droilc  de  Tun  de  ces  hommes  qui,  au 
seizième  siècle,  quittèrent  Lucqucs  pour  venir  à  Genève  vénérer  les  glo- 
rieuses et  saintes  cicatrices  de  .Ican  Calvin  et  embrasser  le  système  religieux, 
ou  plutôt  l'expédient  pour  se  passer  de  religion ,  enseigné  par  ce  nouvel 
.npôtre...  L'on  dit  que  quelques-uns  de  nos  compatriotes  de  lune  des  sectes 
dissidentes  sont  allés,  ces  derniers  temps,  en  Italie  pour  y  porter  la  bienfai- 
sante lumière  de  leur  évangile  perfectionné,  et  prêter  leur  secours  aux  maz- 
ziniens  pour  l'œuvre  de  la  régénération  de  ce  pays.  Toutefois,  ajoule-t-on,  le 
zèle  de  ces  nouveaux  missionnaires  peu  aguerris  ne  s'est  pas  soutenu  en 
jtrésence  du  choléra;  à  la  première  apparition  de  ce  fléau,  ils  ont  rejoint 
leurs  pénates.  Nous  ne  disons  cela  que  d'après  le  bruit  public;  si  la  chose 
est  réelle,  espérons  que  nos  correspondants  nous  ferons  connaître  les  noms 
des  pieux  pèlerins,  alin  (jue  nous  puissions  leur  payer  notre  tribut  de  recon- 
naissance. 


■2W  (iKMKVE  AU  COMMH^CtMKM   Ut  Wi'^  iilKCLb. 

Scliwenlfcld  :  Leur  évangile  consiste  à  maudire  le  Pape...  ils  se 
funt  du  dn(jme  de  la  justifiralion  jtnr  ta  foi  de  nouvelles  iudul- 
(jcnces  à  ion  marché,  du  rejet  du  libre  arbitre  un  motif  de  négli- 
ger le  bien ,  du  non  mérite  des  œuvres  cl  de  la  satisfaction  de 
Jésus-Christ,  une  source  de  fausses  consolations. 

Plebem  voco.  Elle  «'l.iil  (IcstitK'»'  à  a|)|)clt'r  aux  loiiclianles  cl 
belles  solninih's  du  culte  (•atlinli(jue  un  |)iu|)le  de  (ri»y:inls  ;  cl 
elle  convoque  un  peuple  (pii  ,  île  p;ir  (',;ilvin  et  les  ralionalisles 
4jui  lui  ont  sueeéde,  a  la  lihei  lé  de  croire  ce  que  lui  enseigne  la 
déesse  raison,  el  mémo  de  ne  rien  croire. 

Congrego  cUrum.  Depuis  Jésus-Christ  jusqu'à  nous,  il  y  a 
toujours  eu  des  évoques  et  des  prêtres ,  et  il  y  en  a  eu  à  Genève 
peu  de  temps  après  la  venue  Ao  Jésus-Clirisl.  Les  év/^qucs ,  les 
prêlres ,  les  relij,'ieu\  ,  >oilà  le  cleryé  <prelle  rassemldaii  jadis, 
dans  le  lieu  saini.  Depuis  irois  cent  vinf,'t  ans,  au  mois  d'août, 
elle  convo(jUC  des  hommes  qui  s'appellent  ministr<'S  et  qui  lom- 
Immu  dans  la  plus  manileslc  conlradieliun  ,  toutes  les  ibis  qu'ils 
njonieni  en  chaire  pour  parler  de  religion.  En  effet,  ils  disent  à 
leurs  auditeurs  :  Lisez  la  Bible,  n'écoutez  (jue  la  IJihIe,  que  cha- 
cun de  vous  suive  la  religion  cpi'il  trouve  dans  la  liihlc  ,  el  non 
celle  (m'y  décijuvro  un  autre.  Kl  maigre  ce  principe  l'ondamcn- 
\\i\  du  protestantisme,  chaque  ministre  monte  en  chaire  pour  im- 
poser son  système  religieux,  ses  opinions  en  matière  de  religion, 
aux  autres  hommes  cpii  lisent  aussi  la  Hible  et  (]ui  peuvent  tout 
aussi  bien  que  les  ministres  prétendre  ù  l'inspiration  divine. 
M'est-ce  pas,  comme  leur  disait  Rousseau,  n'ôter  Viiifaillibihtr 
à  V  Eglise  qu'a  fin  de  V  usurper  chacun  pour  soi?  (Corresp.  3,  \  ). 
/>rfunrtas  ploro.  \  l'unisson  des  coMirs  calvinistes,  elle  ne  dit 
mol  en  laveur  des  défnnls...  Pestem  fugo.  Elle  <'sl  au  service  de 
riiérésie  l:i  pins  fnnesie  de  lonies  les  pesles,  dans  ce 

.Miseraiilt;  sejutir  (le  toute  .«posla.si»',     * 
D'opuiiàliwle,  d'orgueil  el  (riiere«>ie. 

KoNSAIIl». 

Festa  decoro.  Il  ny  a  plus  de  létes.  Un  sermon  lu  ou  Tniitle- 
incnl  (h'Itilé  par  un  arien  rationaliste,  un  psaume  de  Clément 
.M.irol  chanté  sur  \m  air  ula(  ial  .  esl-ec  une  féie  .'   Tout  rc  y»/i  In 


GENÈVK  AU  COMMENCKMEÎMT  DU  \\l^  SIÈCLK.  290 

fille  de  Sion  avait  de  heau  lui  a  été  enlevé...  Ses  souillures  ont 
paru  sur  ses  pieds,  et  elle  ne  s'est  point  souvenue  de  sa  fin...  Les 
ennemis  de  Jérusalem  ont  porté  leurs  mains  sur  tout  ce  qu'elle 
(liait  de  plus  désirable  ,  parce  quelle  a  Vu  entrer  dans  son  sanc- 
tuaire des  nations,  au  sujet  desquelles  l'ous  aviez  ordonné,  Sei- 
(jneur,  qu  elles  n'entreraient  jamais  dans  votre  assemblée...  Com- 
ment les  pierres  du  sanctuaire  ont-elles  été  dispersées?  Notre  hé- 
ritage est  à  ceux  d'un  autre  pays,  et  nos  maisons  sont  entre  les 
mains  des  étrangers.  (Jérémic.) 

f^ox  mea  cunctorum  fit  terror  dœmoniorum.  Le  démon  est  le 
premier  menteur,  et  ceux  ([ui  enseignent  Teneur  en  matière  de 
l'eligion,  sont  les  menteurs  les  plus  dangereux  et  les  plus  crimi- 
nels. 

Quelle  était  la  constitution  politique  de  Genève  au  commen- 
cement du  seizième  siècle? 

II  y  avait  à  Genève  trois  pouvoirs  distincts  :  celui  de  l'évêque, 
celui  des  citoyens  et  celui  du  Vidomne  (l'ices  domini  gerens) ,  ou 
représentant  des  ducs  de  Savoie.  Dans  l'origine ,  le  Vidomne 
était  le  lieutenant  des  comtes  de  Genevois;  plus  tard,  le  pouvoir 
des  comtes  de  Genevois  passa  aux  ducs  de  Savoie. 

Pouvoir  de  l'évéquc.  L'évêque  était  souverain,  et,  en  cette 
qualité,  il  s'était  réservé  le  droit  de  faire  grâce.  (Franch.,  art. 
14.)  Il  avait  «ous  sa  dépendance  immédiate  le  Conseil  épisco- 
pal  qui  Jugeait ,  de  droit ,  toutes  les  causes  ecclésiastiques  et 
celles  qui  concernaient  une  somme  excédant  la  valeur  de  soixante 
sous.  Il  était  toujours  permis  d'en  appeler  des  autres  tribunaux 
à  celui  du  Conseil  épiscopal,  etc.,  etc. 

Pouvoir  des  citoyens.  Les  intérêts  de  la  commune  de  Genève 
étaient  administrés  par  quatie  fondés  de  pouvoir,  appelés  pro- 
cureurs ou  syndics,  qui  étaient  nommés  par  le  peuple,  mais  qui 
recevaient  leur  juridiction  de  l'évêque  ;  ils  s'adjoignaient  ordi- 
nairement vingt  conseillers.  Il  leur  appartenait  de  rendre  la  jus- 
tice criminelle  dans  la  ville.  Dans  le  jugement  des  causes  crimi- 
nelles ,  ils  étaient  assistés  de  quatre  jurés  élus  par  les  citoyens. 
Lorsqu'il  y  avait  une  sentence  de  mort  à  exécuter,  les  syndics 
la  <"onimuni(juaieni  au  Vidomne  avec  cette  injonction  :  J  vous, 
Monsieur  le  Fidomne ,   mandons  et  commandons  de  faire  mettre 


:{00  (.i:>i:vKAi  com.mkmkmi-m  in  xvi'  sikcli  . 

ù  exécution  notre  sentence  de  mort.  Le  Vidomnc  éiaii  tliai};».-  de 
Aiirc  conduire  le  condumné  jusque  dcvanl  lu  porte  des  comtes  de 
(jenevois;  lu  il  faisuil  crier  par  trois  fois:  J\'y  a-t-il  personne 
ici  pour  vwns  de  Cencvois,  seigneur  de  Gaillard?  A  lu  Iroisièm»* 
luis,  le  cliûieiaiu  de  Gaillard  s'avanrail  à  clieval  cl  l<>  \  idomue 
Jui  remettait  le  criminel  avec  ces  paroles  :  Messeiyneurs  les  syn- 
dics ont  condamne  cet  homme  ^  je  vous  commande  de  mettre  leur 
:>entence  à  exécution.  Le  cliàlclain  remellaii  le  coupable  au  hour- 
reau  et  Texécution  se  faisait  à  Cliampel,  qui  dépendait  de  la  ju- 
lidiction  de  l'évèque. 

La  commune  de  Genève  était  représentée  j)ar  le  Conseil  f^é- 
ueral  qui  se  composait  des  chanoines,  au  nom  du  clerjjé,  et  de 
tous  les  chefs  de  famille,  sans  distinction  de  rang  ni  de  fortune. 
Il  était  convoqué  au  son  de  la  f,Mande  cloche,  et  s'assemblait  deux 
lois,  de  droit,  chaque!  année,  au  cloilie  de  Saint-Pierre,  le  di- 
manche après  la  Saint-Martin,  pour  Oxer  le  prix  des  denrées,  et 
le  dimanche  après  la  Purilicalion  ,  pour  l'élection  des  quatre 
.syndics.  La  commune  avait  sa  milice  armée,  sa  police,  ses  corps 
<le  métiers,  ses  franchises.  Elle  s'im|)Osail  elle-même,  et  répar- 
lissaii  les  taxes.  La  police,  pendant  le  jour,  se  faisait  au  nom  de 
l'évéquc,  et  les  arreslaiions  avaient  lieu  de  la  part  du  Vidomnc 
Depuis  le  coucher  du  soleil  ju.sepi'au  matin  ,  c'est  aux  syndics 
f|u'appartenait  le  droit  de  police,  etc.,  etc.  • 

\  idomne.  Le  Vidomne  était  un  lieulenanl  laïque  <pii  re|ire- 
bculail  dans  Genève  le  comte  du  Genevois,  mais  (jui  tenait  sa 
mission  de  l'évèque.  Il  était  juge  des  causes  civiles  concernani 
une  valeur  (pii  ne  dépassait  pas  soixante" sous.  Ce  magistrat 
avait  le  droit  de  police  depuis  le  lever  jusqu'au  coucher  «lu  so- 
leil. L'intendance  des  prisons,  le  pouvoir  de  mettre  en  arresta- 
tion les  coupables  de  délits  civils  et  de  faire  exécuter  les  senten- 
ces de  mort  «pi'avaii'ut  prononcées  les  syndics,  en  matière 
irimiiielle  ,  lui  apparlenaienl  aussi.  On  ne  poUNait  plaider  au 
tribunal  du  Vidomne  que  de  bouche  et  en  langue  romane  ou  pa- 
tois; le  latin  et  les  écritures  en  étaient  lormellemenl  exclus,  ei 
si  l'on  était  mécontent  «le  son  jugement,  on  eu  ap|>elail  au  Con- 
s«;il  de  l'éNèque,  le  souverain  d'oii  enKinait  tout  droit  de  justice. 
Noilà  quelles  élaieni  les  pi  incipules  aiiribuiions  de  ces  trois 


GKNKVK   \l    roMMKNCK.MKNT  1)1    Wl''  SlKn.K.  301 

pouvoirs;  «  :itlrilmiioiis  (jiii,  bien  comprises  o.l  maintenues  de 
i.  bonne  loi,  dit  M.  Galille  (Mal.,  etc.  T.  1",  p.  7),  n'auraient 
»  occasionné  aucune  espèce  de  confusion  ,  et  auraient  assuré 
»  dans  la  comuuinaui»'  l'ordre  le  plus  parlait,  au  grand  avantage 
»  de  tous  trois ,  car  il  est  impossible  de  concevoir  un  état  de 
"  clioses  plus  admirable  en  lliéorie,  et  la  pratique  en  était  si 
»  facile,  que  la  perversité  seule  pouvait  y  mettre  des  entraves.» 
«  Sa  constitution  (de  Genève)  [Galiffe,  Malér.,  p.  11]  réums- 
»  sait  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  les  trois  principales  formes 
»  de  gouvernement.  La  démocratie  y  prédominait  en  ce  que  les 
»  citoyens  ne  pouvaient  être  poursuivis  et  jugés  au  criminel  que 
»  par  des  magistrats  de  leur  cboix  ,  et  ils  nT'laient  entravés  par 
»  aucune  espèce  de  condition  de  naissance  ou  de  fortune,  ni  pour 
»  les  électeurs,  ni  pour  les  éligibles. 

»  L'aristocratie  avait  tout  le  poids  que  lui  assurent  dans  une 
»  société  bien  organisée  la  faculté  de  faire  beaucoup  de  bien,  le 
»  prestige  des  noms  historiques,  et  les  agréments  extérieurs  ré- 
»  sultant  dune  éducation  plus  soignée,  et  de  la  fréquentation 
»  babiluelle  du  grand  monde.  Les  listes  des  syndics  et  conseils 
»  font  foi  du  nombre  de  nobles  de  première  classe  qui  prenaient 
»  part  à  l'administration  de  la  ville  avec  de  simples  artisans. 

»  La  monarchie,  représentée  par  l'évéque,  existait  dans  un  de- 
»  gré  absolu  sous  le  rapport  de  la  souveraineté  ,  mais  bien  limité 
»  sous  celui  de  son  exercice.  Son  attribut  le  plus  important  ei 
»  le  plus  utile,  celui  de  faire  grâce,  subsistait  dans  toute  sa 
»  force...  » 

«  Les  citoyens  (Galiffe,  Mater.,  etc.  T.  I,  p.  9)  étaient  aussi 
»  heureux  que  possible.  Libres  sous  la  souveraineté  plutôt  nomi- 
>  nale  qu'effective  d'un  prince  essentiellement ,  et  presque  né- 
»  cessairement  pacifique ,  ils  en  profitaient  pour  faire  un  com- 
»  merce  immense  et  très-lucratif,  qui  les  conduisait  ordinaire- 
»  ment  en  peu  d'années  à  toutes  les  prérogatives  et  à  toutes  les 
»  jouissances  de  la  noblesse  féodale,  car  ils  acquéraient  des  ter- 
»  res  seigneuriales  et  formaient  des  alliances  illustres.  La  ville 
»  était  d'ailleurs  remplie  de  gentilshommes  et  de  chevaliers  des 
»  plus  grandes  maisons  ,  qui  tenaient  à  honneur  ou  avantage  de 
»  s'intituler  cilovens  de  Genève —  » 


3(^  GKNKVE  Al' COMMKNCF.MKM    l>l    Wl''  SIKCI.K. 

oJNos  liisloriolis  (IWiil..  p.  M)  oui  beaucoup  crili(|ué  celir 
»  consliluiioii  (ju^ils  iroiil  poiril  comprise,  cl  qui  me  paraîl  «  c- 
»  pcndanl  bien  lumineuse;  ils  ny  (»nl  vu  (juun  conllil  de  juri- 
»  (liciiuns  qui  n'existait  point  dans  le  fait ,  et  ils  ne  se  sont  pas 
»  donné  la  peine  d'en  clienher  les  motifs  (lui  sont  assez  évidents. 

»  Avec  r(''piscopat  cl  les  foires  (Ihid.,  Il,  p.  3),  le  Vidomnr 
»  n'était  point  un  liors-d'œuvrc  gênant,  comme  on  Ta  dit.  Si  un 
»  prince  ecclésiastique  ne  devait  pas  se  mêler  des  peines  capiia- 
»les,  il  devait  encore  moins  eniietenir  un  bourreau  pour  les 
»  exécuter.  Les  citoyens  ,  qui  avaient  le  droit  de  prononcer  les 
»  sentences,  ne  devaient  pas  avoir  celui  de  les  accomplir.  D'au- 
»  tre  part,  le  commerce  amenait  à  Genève  une  foule  d'étrangers 
»  qui  se  seraient  défn-sde  la  justice  municipabî  et  qui  comptaieni 
»  sur  celle  d'un  prince;  neutre,  intéressé  à  se  faire  une  grand»' 
»  réputation  d'équité.  On  payait  son  intervention  et  sa  bienveil- 
»  lance  ;  mais  on  ne  payait  point  au-delà  de  leur  valeur  les  im- 
»  menses  avantages  qu'on  en  relira  tant  que  prospérèrent  les 
»  foires,  si  l'on  considère  que  ses  Etals  enclavaient  la  ville  «le 
»  tous  côtés  et  qu'elle  ne  pouvait  avoir  de  commerce  et  même  de 
»  subsistances  que  de  son  aveu.  Ainsi,  tant  qu'il  se  contenta  de 
»  ses  droits  légitimes  et  du  reveini  qu'ils  lui  produisaient,  l«' 
»  maintien  de  son  autorité  lin  un  bonheur  national.  » 

Ce  serait  ici  le  lien  de  faire  connaître  les  franchises  ou  libertés 
dont  jouissait  la  commune  de  Geuevc  sous  le  gouvernement  <le 
ses  princes-évéques;  mais  les  bornes  prescrites  à  un  arlicle 
d'une  Revue,  ne  permettent  |)as  de  rai>porler  les  soixante  et  dix- 
sept  articles  dans  lesquels  elles  sont  renfermées.  On  peut  les 
voir  au  long  dans  les  hisloriens  de  Genève.  Je  me  contenterai  de 
mentionner  ici  quelques-uns  des  droits  et  priviléfçes  qu'elles  ga- 
rantissaient aux  citoyens. 

Les  citoyens  nommaient  de  droit  leurs  syndics  ou  procureurs 
(art.  23  des  Franchises).  Les  syndics  avaient  le  droit  de  police 
pendant  la  nuit  ^art.  22).  Les  citoyens  ne  |V)uvaient  être  distraits 
de  leurs  juges,  et  ces  juges  «'taieni  leurs  pairs  ou  des  citoyens 
({ui  lorinaient  un  jury  (art.  12-14).  Toute  accusation  secrète 
était  défendue.  L'accusateur  devait  se  constituer  prisonnier  en 
nïèine  letnps  ipie  l'aci  use  <lait  arrêté  (art.  10.  lil.  7i).    Celui 


GENÈVE  XV  COMMENCEMENT  1)1    XVI^  SIECLE.  303 

(|iii  donnait  une  ("uilioii  no  pouvait  être  retenu  en  prison  (art. 
10,  61,  74).  Le  vol  de  t;rand  chemin,  le  meurtre,  le  crime  de 
haute  trahison  faisaient  seuls  déchoir  de  ce  droit.  Les  mesures 
de  capacité  ,  d'aunajjc  et  de  poids  ,  étaient  déterminées  par  les 
lois.  Les  héritiers  succédaient  par  testament  ou  ab  intestat,  sans 
(jue  rEp;lise  ni  la  commune  eussent  rien  à  réclamer.  Si  les  héri- 
tieis  étaient  absents,  la  commune  faisait  administrer  l'hoirie  jus- 
([u'à  la  présentation  des  ayants  droit  (art.  .34,  35).  Les  biens  des 
citoyens  étaient  à  l'abri  de  toute  confiscation  (art.  19).  Les  ci- 
toyens établissaient  eux-mêmes  des  impôts  et  des  percepteurs 
pour  les  recueillir  (art.  28-67).  Ils  pouvaient  faire  rédiger  par 
les  notaires  et  se  faire  expédier  par  eux  les  testimoniales  dont  ils 
avaient  besoin  ;  personne  ne  pouvait  y  mettre  opposition  (art.  54). 
Tel  était  le  code  des  Franchises  de  Genève,  qu'un  évêque, 
Adhémar  Fabri  ,  prélat  éclairé  et  sage  législateur,  fit  recueillir 
et  publier  en  1387,  le  23  mai,  dans  la  cathédrale  de  Saint- 
Pierre,  avec  le  concours  et  l'approbation  du  chapitre.  Tout  évê- 
que, à  son  avènement,  devait  jurer  de  les  respecter  et  de  les 
maintenir.  Tous  les  officiers  de  l'évêque  et  tous  les  magistrats , 
en  entrant  en  charge,  devaient  faire  la  même  promesse,  sous  la 
foi  du  serment. 

En  1430,  le  Conseil  ordonna  qu'en  en  lirait  deux  ou  trois  cha- 
pitres à  chacune  de  ses  séances.  En  1444,  Félix  V,  devenu  évê- 
que de  Genève,  donna  une  bulle  solennelle  de  confirmation  de 
ces  mêmes  Franchises,  en  y  faisant  quelques  modifications.  «  On 
»  comprend ,  dit  Mallet ,  que  les  Genevois  durent  s'empresser  de 
7.  saisir  l'occasion  que  leur  offrait  la  fortune,  d'un  pape  devenu 
»  leur  évêque  en  même  temps  qu'il  était  chef  de  la  maison  de 
■  Savoie  ,  pour  obtenir  la  confirmation  de  la  charte  de  leurs  li- 
»  bertés.n  Elles  furent  les  seules  lois  de  Genève  jusqu'à  l'apos- 
tasie de  cette  ville,  et  plusieurs  de  leurs  dispositions  survécurent 
à  cette  révolution  religieuse  qui  semblait  devoir  anéantir  tout  le 
passé. 

Ce  court  exposé  de  la  constitution  politique  de  Genève  suffit 
pour  nous  prouver  d'une  manière  évidente  que  les  citoyens  de 
cette  ville  jouissaient,  sous  le  gouvernement  paternel  de  leur 
prince-évêque ,  de  la  liberté  la  plus  étendue  et  la  plus  sage  ,  et 


;10'»  r.F.>KVF  AI    (  n>l>|KM.KMKNT  lU    XM'  MKCI.E. 

(ju'ils  n'uvaicni  |t(iii-»*iic  rini  à  cinicr  :i  vvu\  de  loui  auire  cpo- 
(|ue.  Qufll»'  (lilléreiice  enire  lo  n'{j;inu' de  douceur,  de  protec- 
tion ,  d'ordre,  de  fermeté,  tout  au  profit  «les  membres  de  la 
petite  commune  genevoise,  et  le  sceptrtî  de  fer,  et  les  lois  inqui- 
sitoriules,  lois  de  sang  et  de  vexation  du  nouveau  pape  de  Ge- 
nève, Jean  Calvin!  An  reste,  ce  i\uq  je  dis  des  bienfaits  des  cv»"-- 
ques  de  Genève,  à  l'égard  de  leuis  sujets,  je  le  dis  de  tous  les 
évoques  en  général  au  moyen  âge.  Partout  ils  se  montrèrenl  les 
amis  et  les  prolecteurs  des  libertés  communales;  il  est  môme 
des  auteurs  d'un  grand  poids  qui  soutiennent  que  la  nninion 
des  gens  du  peuple  en  commune  est  leur  leuvre.  Aussi ,  au 
moyen  âge  ,  le  régime  doux  et  paternel  avec  lequel  les  évoques 
gouvernaient  les  peuples  soumis  à  leur  autoriti*  était  proverbial. 

Les  anciens  genevois  se  plaisaient  souvent  à  déclarer,  de  leur 
propre  mouvement ,  en  assemblée  générale ,  qu'ils  regardaient 
leur  prince-(''vê(pie  comme  leur  souveiain  légitime.  N'est-ce  pas 
une  preuve  sans  réplique  qu'ils  voyaient  dans  la  personne  de  leur 
évéque  non  un  tviau,  mais  un  père,  mais  un  prolecteur,  mais 
le  défenseur  zélé  el  sincère  de  leur  liberté  elde  tous  leurs  droits? 
Voi<i  une  de  ces  déclarations  faite  en  1420,  el  rapportée  par 
Sppn  (Preuve  de  l'Ilisl.  de  Genève,  n"  51)  : 

«  Depuis  plus  de  400  ans  la  ville  de  Genève,  avec  ses  fau- 
o  bourgs,  s«m  teiritoire  et  sa  banlieue,  est  sous  le  baul  domaine 
»  et  sous  la  pleine  et  entière  juridiilion  de  l'évéque;  le  peuple 
»  se  jilait  à  reconnaître  aujourd'liui  ,  comme  l'ont  fait  ses  ancê- 
»  1res,  la  domination  el  la  puissance  de  l'Église  de  Genève  et  de 
»  son  »'-vé«|ue.  » 

La  charge  de  Vidomne  était  conûée  ,  de  temps  immémorial,  à 
(pieb]ue  membre  de  la  famiUe  des  «  omtes  de  Genevois,  vassaux 
desévêques  de  Genève  ;  elle  leur  avait  été  romme  inféodée  pour 
leurs  bons  services.  Us  avaient  encore  la  garde  du  château  de 
l'Ile.  Dans  la  suite  des  temps,  les  comtes  de  Genevois  furent 
sup|)lantés,  dans  cette  prérogative,  par  les  ducs  de  Savoie;  el 
soit  les  comtes,  soit  les  ducs  eurent  plus  d'une  fois  le  désir  de 
voir  passer  sous  leur  domination  une  ^ille  dont  le  si-jour,  stir  les 
riantes  rives  du  Léman.  Icin  était  si  agn'-able. 

Amédéc  \  111  ne  dissinuila  point  ce  désir;  Genève  riche,  rom- 


GESKVK  Al    COMMF.NCKMF.NT  Dl    WV  SrKCLK.  305 

uierçanle,  au  milieu  desesEtats,  lui  faisait  envie;  mais  en  princo 
loyal  et  fiilMc  à  ses  scrmenis,  il  commença  par  en  faire  la  pro- 
position à  révèquo  qui  éiail  alors  Jean  de  Pierrecisc  ou  de  Ro- 
clietaillée,  lui  promettant,  en  retour,  une  indemnité  avantageuse. 

Jean  de  Pierrecise ,  sachant  bien  qu'il  n'était  pas  maître  ab- 
solu de  Genève  ,  mais  que  le  peuple  avait  des  droits  et  des  fran- 
chises, ne  voulut  prendre  aucune  dclib('raiion  sans  consulter  le 
vœu  public  sur  une  question  aussi  importante.  Il  fit  donc  réunir, 
au  son  do  la  grande  cloche  ,  au  cloître  de  Saint-Pierre  ,  les  syn- 
dics, les  curés  des  sept  paroisses,  le  Conseil,  en  un  mot  tous  les 
représentants  de  la  commune ,  et  les  invita  à  délibérer  sur  la 
proposition  faite  par  le  duc  Amédée  VJIl   le  dernier  févr.  1420  . 

Jamais  le  Conseil  général  n'avait  été  si  nombreux  ;  il  était 
composé  de  727  assistants.  Or,  comme  il  n'y  avait  dans  tous  les 
cœurs  qu'un  seul  vœu,  celui  de  vivre  sous  la  dépendance  dun 
maître  dont  on  connaissait  les  bienfaits ,  il  n'y  eut  dans  toutes 
les  bouches  qu'une  seule  voix.:  Five  notre  prince-évêque  !  Et 
à  l'unanimité  fut  volée  cette  adresse  touchante  qu'une  députation 
alla  déposer  aux  pieds  de  l'évêque  Jean.  (Spon  ,  preuve  do 
l'hist.  de  Genève,  n"  54.) 

«Depuis  plus  de  quatre  siècles,  Genève  et  ses  dépendances  ont 
»  toujours  été,  avec  tous  leurs  habitants,  sous  l'entière  autorité 
)de  l'Église  et  de  l'évêque,  qui  en  est  le  chef.  Les  habitants, 
»  ainsi  que  leurs  ancêtres,  n'ont  jamais  été  traités  par  lui  qu'avec 
»  douceur,  bienveillance  et  bonté ,  et  ils  ont  toujours  été  gou- 
»  vernés  dans  un  esprit  de  paix  et  de  tranquillité.  Ils  ne  peuvent, 
»  ne  doivent  et  ne  veulent  reconnaître  d'autre  seigneur,  sans 
»  l'ordre  exprès  de  l'évêque ,  leur  supérieur  unique  et  immé- 
»  diat.  P»ien,  d'ailleurs,  ne  commande  un  tel  échange,  à  une 
»  époque  où  les  citoyens  n'ont  plus  pour  voisin  que  le  duc  de 
»  Savoie,  prince  ami  de  la  justice,  de  l'ordre  et  de  la  paix,  des 
»  prélats  surtout  et  des  ministres  de  l'Eglise  ,  prudent,  zélé  ca- 
»  Iholique,  et  prêtant  à  la  ville  aussi  bien  qu'à  son  Église  l'ap- 
»  pui  bienveillant  et  amical  qu'elles  ont  toujours  trouvé  auprès 
»  de  ses  ancêtres.  Pour  eux,  loin  de  consentir  à  aucun  change- 
»  ment,  ils  sont  décidés  à  vivre  et  à  mourir,  comme  leurs  pères, 
»  sous  l'autorité  de  lÉglise  de  Genève,  et  si  l'évêque  promet  de 

20 


:{()(*)  «.K>KVK  AL  C«»MMK>CEME>T  Ul    wT  SIÈ(  LE. 

•  ne  coiiseulir  jamais  à  aucune  aliénation,  ils  promelteni,  de  leur 
n  côtt',  tle  l'aider  cn\rrs  el  contre  tous,  de  leur  soumission,  de 
a  h'urs  conseils,  de  leurs  biens  cl  de  leurs  personnes.  » 

Ainsi  s'exprima  Jean  Iludriot  au  nom  de  la  commune. 

L'évètjue,  vivement  touché  d'une  si  noble  ré|)onse  el  d'une  si 
grande  marque  de  dé\ouemcnt,  y  répondit  par  le  serment  solen- 
nel de  rester  uni  à  la  cité,  de  la  protéger  el  de  la  défendre,  il 
proposa  même  un  pacte  d'union  mutuelle  envers  ctconlre  tous, 
pacle  que  les  éviîipies  à  leur  avènement,  ei  les  syndics  à  leur  en- 
trée en  charge,  jureraient  d'observer  lidélemenl.  Le  19  mai  sui- 
vant, le  Conseil  général  de  la  commune  se  nunii,  el  727  chefs 
de  f^imille  signèrent  le  pacte.  L'évéque,  la  main  sur  la  poitrine, 
jura  de  l'observer  d'une  manière  inviolable  ,  el  les  syndics  firent 
le  ni('nie  serment,  la  main  sur  l'Kvangile.  Un  prince  qui  invite 
ses  sujets  à  délibérer  s'ils  veuleni  lui  rester  soumis  ou  changer 
de  maître,  est  un  phénomène  peut-être  unique  dans  les  fastes  de 
riiisloire.  Cette  condescendance  de  la  pari  de  l'évéque  est  une 
preuve  (ju'il  ne  craignait  pas  d'être  accusé  de  dureté  el  d'injus- 
tice dans  son  administration  ;  comme  aussi  la  conduite  du  peu- 
ple, dans  cette  circonstance,  est  une  preuve  qu'il  saNait  appr»'- 
cicr  la  sagesse  el  ré<|uil«''  de  son  souverain.  Ce  lait  à  lui  seid 
prouve,  sans  réplique,  que  les  citoyens  genevois,  bien  loin  de 
se  croire  asservis,  se  regardaient,  au  contraire,  comme  libres  el 
heureux  sous  la  houlette  de  leur  évéque. 

Aussi,  les  historiens  protestants  sont  forcés,  par  les  faits  qu'ils 
trouvent  consignés  dans  les  annales  de  Genève,  de  rendre  hom- 
mage à  l'équité  ,  à  la  douceur,  à  la  sagesse  «les  évoques  qui  la 
gouvernèrenl  pendant  si  longtemps. 

«  Arduiius,  après  avoir  gouverné  son  troupeau  avec  autant  de 
"Sagesse  que  d'énergie  pendant  cin(]uante  ans,  mourut  le  1" 
»  août  118â 

»  Quelle  ville  pourrait  avoir  reçu  plus  de  bienfaits  de  ce  grand 

•  prélat?  Elle  (Genève)  lui  doit  peut-t'-trc  sa  liberté.  On  peut, 
»  en  effet,  croire  qu'Ardutiiis  a  eu  la  plus  haute  iniluenrc  sur  les 
»  destinées  de  Genève.  Sa  haut»*  naissance,  les  liens  qui  l'unis- 
»  saienl  à  des  princes  puissants,  la  longueur  de  son  épiscop.il , 
n  se  joignirent  à  la  noblesse  de  son  caractère  et  à  son  énergique 


GENi;VK  AI    COMMENCEMENT  Dl    XYI*^  SIÈCLE.  307 

»  adresse  pour  affermir  et  enraciner  l'indépendance  de  Genève  , 
»  en  dépit  de  la  maison  puissante  qui  l'entourait  de  toutes  paris 
»  et  en  convoiiail  ardomnicnl  la  possession.  Nous  avons  vu  qu'à 
»  la  même  épo(pic ,  à  la  lin  du  douzième  siècle ,  plusieurs  des 
»  évôchés  qui ,  à  la  chute  du  royaume  de  Bourgogne,  s'étaient 
»  constitués  en  principautés  indépendantes,  commençaient  à  s'a- 
»  baisser  sous  le  joug  des  princes  laïques  voisins.  C'est  ce  qui  ar- 
»  riva  successivement  aux  sièges  situés  dans  les  Etals  des  comtes 
»  de  Savoie  (Tarentaise,  Maurienne,  Aosle,  Belley).  Il  est  proba- 
»  ble  que  sans  la  résistance  d'Ardulius,  Genève,  soumise  aux 
»  comtes  de  Genevois,  aurait  passé,  avec  les  autres  Etats  de  ce 
»  prince,  à  leurs  puissants  successeurs  les  Comtes  de  Savoie. 
(Piciet  de  Sergy,  tom.  1",  p.  272;. 

L'évêque  Nanlclme,  qui  succéda,  en  1186,  au  grand  Ardulius, 
s'opposa  à  de  nouvelles  tentatives  d'envahissement  de  la  part  du 
comte  de  Genevois,  et  il  fit  confirmer  par  l'empereur  Frédéric 
Barberousse  ,  encore  vivant ,  les  privilèges  et  l'indépendance  de 
son  Église  ainsi  que  de  la  cité  de  Genève. 

«  Genève,  dit  le  même  auteur,  au  milieu  de  cet  abandon  où 
»  les  protecteurs  des  peuples  les  laissaient  alors  plongés,  conli- 
»  nuait  à  recevoir  de  ses  Evêques  des  bienfaits  de  toute  nature 
»  (au  XIV*  siècle)  [tom.  II ,  p.  13].  La  plupart  de  nos  évêques 
»  (Sénebier,  Journal  de  Genève^  8  janv.  1791)  s'intéressèrent 
»  avec  chaleur  et  avec  succès  à  Genève,  et  lui  conservèrent  ses 
»  droits,  aux  dépens  de  ses  revenus  qu'ils  sacrifièrent.  Il  faut  le 
»  dire  avec  reconnaissance  ,  nous  devons  à  plusieurs  d'entre  eux 
»  noire  liberté  personnelle.» 

«Pendant  plus  de  800  ans  (James  Fazy,  Précis  de  l'hist.  de 
»  Genève)  l'accord  entre  la  cause  du  peuple  et  celle  de  la  reli- 
»  gion  ,  fit  de  Genève  une  ville  très-avancée  :  les  lois  y  étaient 
»  douces;  les  violences  qui  déshonoraient  d'autres  pays  y  étaient 
»  moins  répétées;  à  peine  si  la  torture  y  était  appliquée.  La  con- 
»  fiscaiion  des  biens  n'y  existait  pas ,  et  il  ne  reste  aucune  trace 
»  dans  cette  période  de  ces  procès  monstrueux  faits  aux  opi- 
»  nions.  » 

Ardulius,  et  Jean  de  Rochetaillée ,  sauvent  l'indépendance  de 
Genève.  Adhémar  Fabri  fait  recueillir  les  Franchises  de  cette 


;{08  (.K>KVK  Al  (.()mmem:emi:>t  m  .\m    sii:ci,i:. 

villo  cl  en  forme  un  code  de  lois  donl  on  :idn)ire  encore  aujour- 
d'Iiiii  la  sagesse  ei  la  doucenr,  afin  que  les  Évéques  et  les  ci- 
lovcus  1rs  connaissent  lùcn  vl  que  tous  les  ohscrvenl  rulMoment. 
Tous  les  cvêques  favoiisent  le  développenicnl  moral  cl  industriel 
de  la  Cité,  el  rcnrichissenl  d'institutions  de  bienfaisance  ou  de 
quchiue  monument  précieux.  Et  aujourd'hui ,  dans  ces  églises 
([u'élcvércnt  des  mains  callioliques ,  dos  prédicanis  môniiers  ou 
iiriens  invitent  h'  pauvre  peuple  à  bénir  llitcrnel  d'aNoir  délivré 
Genève  de  la  tyrannie  des  Évoques.  El  aujourd'hui ,  un  succes- 
seur des  Ardutius,  des  Fabri,  des  de  Brogny,  distingué  aussi  par 
ses  lumières  et  par  ses  vertus  ,  est  banni  de  Genève  ,  sans  qu'on 
puisse  lui  reprocher  autre  chose,  si  ce  n'est  de  défendre  les  inié- 
réls  de  la  religion  avec  une  noble  fermeté  el  de  s'opposer  aux 
desseins  iniques  de  l'impiét*'"  radicale  alliée  avec  l'hérésie.  Jéru- 
salem, Jérusalem  qutp  occùlis  prophelas,  et  lapidas  eos  qui  ad  te 
missi  sunt,  quoties  volui  congregare  filios  tuos,  quem  ad  modum 
C.nllina  congregat  pullos  suos  sub  nias,  el  noluisti?  (Mailh. 
\.\lll,37.) 


LETTKE 

A  M.  FAZYPASTEUR, 

Ancien  Président  de  la  Sociélé  Ëconomique  de  Genève. 

Vaimiii  est  vobis  aiite  lucem  siirgere.  (Psalm.,  iHH) 


Monsieur, 

\'ous  avez  consacré  une  grande  partie  de  votre  vie  a  la  défense 
des  intérêts  de  l'église  protestante  de  Genève.  Dans  les  conseils  de 
la  république  et  dans  vos  écrits,  votre  voix  et  votre  plume  se  sont 
toujours  montrées  fidèles  à  la  devise  :  Tout  pour  Genève,  tout  contre 
Rome.  Vous  n'avez  laissé  perdre  par  votre  faute  aucune  occasion  de 
nous  attaquer  ou  de  nous  nuire,  et  à  défaut  des  occasions,  vous 
n'avez,  non  plus  que  bien  d'autres,  reculé  devant  aucun  prétexte. 
Tant  de  dévouement  à  votre  cause,  tant  d'ardeur  à  combattre  la 
nôtre ,  eussent  mérité  ,  ce  semble  ,  ou  plus  de  succès ,  ou  du  moins 
une  mauvaise  fortune  moins  opiniâtre.  Encore  si  vos  compatriotes 
se  montraient  reconnaissants  de  vosefTorls,  les  revers  qui  n'ont 
cessé  de  vous  atteindre  seraient  moins  cruels.  Mais  celte  consola- 
tion même  vous  échappe.  Dans  un  moment  d'ivresse  politique,  sur 
laquelle  vous  avez  eu  tout  le  loisir  de  verser  d'amères  larmes,  quel- 
qu'un essaya  de  vous  décerner  le  litre  de  grand  citoyen  ,  et  je  ne 
vois  aujourd'hui  personne  qui  s'en  souvienne.  A  tout  prendre,  vos 


.MO  IKTIKi;  A  M.   FAZV-PASTI  IK. 

jii^'fs  les  jilus  inodérOs  i-l  K's  plus  ùquilnblos  sonl  encore  ces  catLu- 
litHU'S  «[lie  vous  awi  comballus  avor  laiil  d'acliaiiiomenl ,  el  qui 
lionorent  en  vous  la  franchise  que  vous  miles  toujours  et  partout  ù 
M)us  prùsoiilcr  coninic  leur  irrécoiuiliable  ennemi.  Ils  vous  liono- 
reraienl  davantaj^e  eneore  si  celle  franchise  eill  été  plus  contpléle, 
et  si  l'ardeur  de  l'antagonisme  ou  les  nécessités  de  la  tactique  ne 
vous  eussent  jamais  entraîné  au-delà  de  ce  qu'autorisent  les  règles 
de  la  guerre.  Aujourdhui  vous  ne  reliriez  pas  sans  y  trouver  ma- 
tière à  une  ample  cl  juste  critique  telle  de  vos  brochures  et  tels  de  vos 
discours,  ceux  par  exemple  où,  nouveau  Latlliaiolais,  vous  frappiez 
d'estoc  et  de  taille  sur  les  pauvres  Jésuites  qui  n'étaient  pas  là  pour 
se  défendre,  en  présence  de  catholiques  qui  riaient  de  vos  efforts  et 
de  voire  érudition  d'emprunt,  de  radicaux  pour  (jui  vous  tiriez  les 
marrons  du  feu,  et  de  conservateurs  protestants  comme  vous,  mais 
(pii  voyaient  fort  bien  que  vous  dépassiez  le  but.  Ne  vous  étes-vous 
jamais  pris  à  regretter  que  les  enfants  de  saint  Ignace  ne  soient 
plus  à  Schwytz,  à  Sion,  à  Fribourg  et  à  Lucernc?  Ces  regrets  ho- 
noreraient voire  cœur,  voire  caractère  et  \olre  espiil,  j'aime  à  y 
croire.  Les  bons  Pères  de  la  Société  vous  laissaient  fort  tran(|uilles, 
et  si  vous  n'aviez  attisé  le  feu  qui  a  consumé  leurs  demeures,  les 
./.•sij(7(s  (/('  Geiure  régneraient  probablement  encore  sans  partage 
dans  la  cité  de  Calvin. 

On  a  fait  chez  vous  preuve  de  bien  peu  de  clairvoyance.  //  fi'y 
((  .  dit-on,  si  bon  cheval  qui  ne  bronche.  Mais  toufr  une  écurie!  Kli 
bien,  oui,  toute  l'ècuric  a  bronche;  pas  un  do  vos  magistrats  les  plus 
populaires  d'alors,  pas  un  des  professeurs  les  plus  en  vogue  do  vo- 
tre académie,  pas  un  de  vos  minisires,  pas  un  do  vos  linartciers 
écoutés  dansiienève  à  l'égal  de  Calchas,  (|ui  ait  éventé  la  mine  et 
reconnu  que  les  jésuites  atla(|ués  ici  par  un  certain  parti  étaient 
des  jésuites  fort  innocents,  fort  peu  catholiques,  et  coupables,  tout 
au  [)lus,  d'avoir  de  l'argent  et  des  places;  en  un  mol,  di^  gouverner 
l'Kglise  et  l'Etat.  La  Compagnie  des  Pastetirs,  jésuite;  l'Acadé- 
mic,  jésuite;  la  Société  Ecoiiomicjue  et  les  aulres  bourses  protcs- 
lanles  (|ui  faisaient  de  votre  église  la  plus  opulente  église  du  mon- 
de, eu  égard  au  nombre  de  ses  membres,  jésuites.  MM.  Higaud, 
('ramer,  Fazy-Pasleur,  etc.,  etc.,  jésuites!  Kt  de  par  qui,  s'il  vous 
plait?  De  par  leur  simplefue  cl  comme  légitime  chiltiment  infligé 
par  des  maios  très-coupables  à  ceux  qui  ont  applaudi  aux  larrons 


LKTTKK    A    M.    1  AZY-l'ASTllL  II.  311 

d'Aruu  et  aux  [)illards  de  Fribourg,  ou  qui  les  ont  laissé  faire  (1). 
La  Providence,  Monsieur,  s'est  chargée  de  continuer  à  travers  les 
siècles  deux  ouvrapfcs  dignes  d'étude,  mais  composés  à  douze  siè- 
cles de  dislance  Pun  de  l'autre;  je  veux  dire  fMctance,  de  Mortibus 
perscculorum,  et  Spclman,  de  non  temerandis  Ecclesiis.  La  dernière 
page  n'est  pas  encore  écrite.  Dieu  n'a  pas  LAle,  et  les  uns  et  les 
autres  nous  pouvons  avec  juste  cause  le  remercier  de  sa  longanimité. 

Au  surplus,  qu'a  fait  la  Suisse  en  chassant  les  Jésuites  des  can- 
tons où  ils  étaient  établis,  où  on  les  regrette,  où  on  les  rappellera 
dés  que  la  persécution  protestante  et  radicale  sera  apaisée?  D'un 
champ  fertile  et  fécondé  par  leurs  sueurs,  vous  avez  envoyé  les  ou- 
vriers dans  un  autre  où  le  père  de  famille  réclamait  leur  ministère  ; 
vous  vous  êtes  couverts  de  honlo,  et  vous  avez  ,  surtout  à  Genève  , 
fait  à  votre  église  protestante  un  mal  irréparable.  Voilà  de  quoi 
vous  montrer,  en  vérité,  bien  tiers! 

Si,  Monsieur,  vous  vous  étiez  abstenu  de  prononcer  notre  nom  et 
de  nous  mettre  en  cause  dans  votre  récent  écrit  sur  la  Séparation  de 
VEfjlhe  et  de  l'Etat;  si  d'autres  personnes,  imitant  votre  exemple 
ou  mues  par  un  même  sentiment,  n'eussent,  ou  par  écrit  ou  dans 
le  Grand  Conseil  de  Genève ,  cherché  à  se  faire  contre  cette  sépa- 
ration une  arme  de  la  faveur  qu'à  les  en  croire  la  proposition  Du- 
chosal  devait  trouver  chez  les  catholiques ,  je  n'aurais  point  pris  la 
liberté  de  vous  adresser  cette  lettre.  Mais  puisque  à  propos  d'une 
de  vos  éternelles  querelles  de  ménage,  il  vous  a  plu  de  faire  en- 
core une  fois  le  coup  de  feu  contre  nous,  souffrez,  je  vous  prie,  que 
je  vous  réponde;  cela  est  de  bonne  guerre,  et  je  suis  sur  le  terrain 
de  la  défense.  Le  langage  de  la  vérité  pourra  vous  paraître  sévère  ; 
mais  si  je  ne  me  trompe  du  tout  au  tout,  vous  ne  m'accuserez  du 
moins  pas  de  manquer  aux  égards  dus  à  tout  adversaire,  et  plus 
encore  à  la  vieillesse. 

Selon  vous.  Monsieur,  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  ex- 
pose Genève  au  danger  d'être  conquise  par  les  ullramontains  (2). 


(1)  Certaines  pages  de  M.  de  Maistre,  si  M.  Fazy-Pasteur  pouvait  aujour- 
d'hui surmonter  son  antipatiiie  pour  l'auteur,  lui  apprendraient  ou  lui  rap- 
pelleraient, car  jai  peine  à  croire  à  son  ignorance  sur  ce  point,  qu'il  est  des 
châtiments  dont  l'exécution  nest  jamais  confiée  à  un  homme  d'honneur  ni 
à  un  honnête  homme.  C'est  pour  le  coupable  une  aggravation  de  la  peine. 

(2)  Réflexions  sur  la  séparation  complète  entre  l'Eglise  et  l'Etat,  par 
M.  Fazy-Pasteur. 


.■ii2  I.tl  IRE    DK    M.    KAZY-PASTFIR. 

I.'.iM'ii  est  d'uni'  iiaïvoU'  impayable.  Mais  d'abord  s'entiMid-on  bien 
(juaiid  on  parli"  de  riiiiioii  ou  de  la  s»'()aiatioii  de  l'I-lglise  et  de  TK- 
tal?  J'ai  toujours  admiré  la  l'acililé,  la  bonhomie  avec  lesquelles  à 
(ienùve  vous  vous  lance/  dans  les  qucistions  les  plus  épineuses,  sans 
en  connaître  la  portée,  sans  vous  être  assurés  d'un  lil  pour  sortir 
(lu  lal>yrinlbe,  plus  d'une  fois  sans  le  moins  du  monde  vous  douter 
do  (juoi  il  s'agit. 

Dieu  nous  ayant  créés  pour  le  connaître,  l'aimer,  le  servir,  et  par 
ce  moyeu  méiitcr  la  vie  éternelle,  il  n'est  pas  permis  à  l'homme 
d'oublier  en  aucun  instant  de  sa  vie  la  lin  pour  laquelle  il  est  fait , 
à  laquelle  il  doit  rapporter  toutes  ses  actions,  et  qui  est  la  posses- 
sion de  l'auteur  de  son  être.  On  ne  conçoit  j^uère  comment  la  so- 
ciété politi(|ue,  assemblage  de  tous  les  individus  dont  une  nation  se 
compose  ,  et  qui  n'est  établie  que  pour  leur  assurer  le  moyen  d'ac- 
complir en  paix  le  temps  de  leur  pèlerinage  terrestre,  pourrait  ou 
devrait  avoir  ù  cet  égard  uwc  autre  règle  que  l'individu,  comment 
elle  pourrait  ou  devrait  faire  abstraction  du  Dieu  dont  chacun  de 
ses  membres  fait  profession  de  suivre  la  loi  ;  comment,  en  un  mot, 
Ihomme  religieux,  si  vous  prenez,  à  [)art  cha(iue  individu  de  l'es- 
pèce, pourrait  être  matérialiste  dans  le  gouvernement  de  la  société, 
et  ne  tenir,  en  donnant  des  lois  à  lui-ménuî  et  à  ses  semblables, 
nul  compte  de  celles  auxcjuellcs  Dieu  l'a  soumis. 

Jusqu'ici  nous  serons,  je  crois,  d'accord,  si  j'en  juge  par  quelques 
ligties  de  la  dernière  partie  de  vos  /{cflcjioiis.  Mais  ici  aussi  nous 
allons  commencer  à  nous  séparer. 

{La  suifr  (tu  jiforhitin  numéro.) 


MtLAXGliS  ET  NOUVELLES. 


CJKHiiVK.  —  La  station  du  Carême  est  prêchée  cette  année 
à  Genève  par  M.  l'abbé  Desgnorges,  membre  de  la  Société  des  Mis- 
sionnaires de  Lyon.  Dès  lepremier  jour,  Péglise  de  Saint-Germain 
a  été  remplie  par  une  assistance  pressée  et  attentive.  Le  dimanche 
et  le  mercredi  ont  eu  lieu  les  conférences  pour  les  hommes  ;  Téglise 
était  également  entièrement  occupée.  L'orateur  est  resté  sur  le  ter- 
rain des  grandes  vérités  de  la  foi  et  de  la  morale  évangélique;  et 
il  n'a  pas  cessé  de  captiver  les  esprits  et  les  cœurs  par  une  éloquence 
douce  et  persuasive.  Les  premières  conférences  pour  les  hommes 
ont  eu  pour  objet  le  développement  des  vérités  suivantes.  Une  reli- 
gion sans  mystères  ne  serait  qu'une  religion  humaine  et  fausse  :  les 
mystères  sublimes  du  christianisme  sont  un  témoignage  éclatant 
de  sa  divinité.  —  Les  causes  des  erreurs  des  hommes  en  matière 
de  religion  sont  l'orgueil  humain  et  les  passions.  La  seule  Eglise  ca- 
tholique qui  combat  elïicaceraent  ces  deux  sources  du  mal,  est  la 
vraie  religion.  —  La  vérité  d'une  vie  à  venir  est  la  plus  démon- 
trée, la  plus  nécessaire  et  la  plus  grave  à  méditer  par  un  homme 
raisonnable  et  par  un  chrétien...  —  Rien  de  plus  consolant  que  le 
spectacle  de  cette  foule  compacte ,  recueillie  ,  qui  se  presse  autour 
de  la  chaire  sacrée.  Il  semble  que  plus  les  ennemis  acharnés  de  la 
religion  catholique  emploient  de  moyens  de  perversion  que  ré- 
prouvent la  raison,  la  conscience  et  TÉvangile,  plus  les  catholiques 
de  Genève  sentent  le  besoin  de  se  rattacher  à  cette  religion  qui  ne 
varie  pas,  au  milieu  des  variations,  et  qui  sanctifie  les  âmes  que 
voudraient  lui  arracher  l'incrédulité  et  le  libertinage  de  l'esprit  et 
du  cœur. 


SllSSi:.  —  5<oIeure.  —  Le  dimancbc,  18  courunl ,  a  en 
litHi  la  consécration  de  Mgr  (Charles  Arnold  ,  évùque  du  diocèse  de 
Haie.  F.e  consécralour  êlail  Mj;r  Jo.in-l'ierre  Mirer,  évùque  de 
Saiiit-(iall,  assisté  des  al)bés  d'KirïsidIen  el  de  Mariastcin.  La  cé- 
rémonie ,  honorée  de  la  présence  de  Son  Excellence  Mgr  Joseph 
H(tviéri ,  chargé  d'allairos  du  Sainf-Siége  en  Suisse,  a  eu  lieu  sui- 
vant les  helles  et  s^niboiiijues  prescriptions  du  pontifical  romain  ; 
el  quand,  ù  la  lin ,  le  Je  Deum  a  été  entonné,  le  bruit  du  canon 
s'est  mêlé  au  son  joyeux  des  cloches  pour  arnioncer  au  loin  (|ue  les 
catholiques  de  Soleure  venaient  de  recouvrer  un  pasteur  cl  le  clergé 
un  chef. 

Au  repas  olliciel  (jui  a  suivi,  des  discours  ont  été  échangés.  Voici 
celui  du  représentant  du  Souverain  Pontife  : 

Monseigneur,  Messeigneurs, 

Messieurs  les  députés  cantonaux,  Messieurs  les  conseillers 
d'Ltat,  Messieurs  les  chanoines,  Messieurs  les  magistrats 
de  la  ville,  Messieurs, 

La  solennité  à  laquelle  nous  venons  d'assister  nous  a  réjoui  tous  ; 
elle  a  réjoui  la  ville  entière  de  Soleure.  Elle  réjouira  également  les 
hauts  Etals  dont  ce  diocèse  est  composé,  parce  qu'ils  auront  à  trai- 
ter avec  un  évé(jiie  doué  de  sagesse,  aimant  la  justice  et  la  paix  , 
plein  de  charité  et  animé  «l'un  zèle  trempé  dans  la  douceur. 

Celle  solennité  réjouira  aussi  les  autres  callioli(|ues  diocésains, 
parce  qu'ils  vont  enlin  recevoir  leur  pasteur  bien-aimé  ,  qui ,  par 
ses  paroles  de  vie  el  par  >es  cxcm[)les,  conduira  ses  ouailles  dans 
le  chemin  droit  du  salut.  Mais  ce  n'est  pas  assez.. 

Je  vois  dans  cette  heureuse  solennité  (|ui  a  réuni  tant  d'illustres 
magistrats  ,  le  principe  d'un  aciord  plus  étroit  v[  d'une  harmonie 
plus  intime  entre  les  deux  pouvoirs  de  l'Eglise  cl  dt  s  hauts  Etais 
diocésains  :  ce  qui  nous  comble  de  joie ,  surloul  moi  qui  n'ai  rien 
|tlus  i\  cœur  (|uti  de  voir  cimenlées  parloiil  v^''^  bonnes  relations,  et 
de  les  <  imcnlcr  moi-même  ,  en  tant  (pi'il  dépend  de  moi,  sachant, 
ainsi  que  l'expérience  nous  le  dit,  que  la  bonne  harmonie  enlre  les 
deux  pouvoirs  est  une  source  do  bnnbeiir  et  de  tranquillité  tant 
pour  les  gouvernants  que  poïir  les  gouvernés. 

Veuillez  donc,  .Monseigneur,  suivre  ce  chemin,  el  attaché  au 
Saint-Siège  dans  l'exercice  de  vos  droits,  ainsi  que  dans  l'accom- 
plissement de  vos  devoirs  sacrés,  rendez  respectueusemenl  A  César 
n-  (|ui  lui  appartient  ;  alors  il  vous  entourera  de  -on  respect,  cl  vous 


MKl.ANGK^  I  T  NOl  VKI.LKS.  315 

icndra  ce  qui  appartient  à  Dieu.  C'est  ainsi  que  la  justice  et  la  paix 
se  donneionl  le  haiser  d'amitié  durant  le  temps  de  votre  épiscopat. 
N  ive  donc  celle  bonne  harmonie  I 

Le  nouvel  évOque  de  BAle  a  répondu  en  français  : 

Excellence, 

Permettez  que  je  vous  remercie  de  ce  que  vous  avez  voulu  avoir 
la  bonté  de  venir  à  Solcure  et  d'honorer  de  votre  présence  mon  sa- 
cre et  rehausser  cette  sainte  cérémonie.  Placé  sans  aucun  mérite, 
seulement  par  la  miséricorde  de  Dieu  et  la  grâce  du  Saint  Père,  sur 
le  siège  épiscopal,  je  m'efforcerai  de  bien  remplir  les  graves  devoirs 
qui  me  sont  imposés.  Oui,  Excellence,  je  partage  les  sentiments  et 
les  principes  que  vous  venez  d'exprimer.  Je  chercherai  «  à  donner 
à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu,  et  à  César  ce  qui  est  à  César.  »  —  Veuil- 
lez transmettre,  s'il  vous  plaît,  cette  expression  à  Sa  Sainteté,  dont 
vous  êtes  le  noble  et  digtie  représentant;  veuillez  lui  dire  que  je 
suivrai  toujours  la  règle  que  je  me  suis  imposée  depuis  que  j'ai  reçu 
les  saints  ordres,  ~  la  règle  :  «  Sois  bon  prêtre  et  bon  citoyen  ;  sers 
bien  ton  Dieu,  sers  bien  ton  Eglise,  sers  bien  ta  patrie.  » 

Puis,  s'exprimant  en  allemand,  Mgr  Arnold  a  remercié  Sa  Gran- 
deur l'évéque  de  Saint-Gall  el  les  deux  prélats  assistants  d'avoir 
bien  voulu  déférer  û  son  désir  et  d'êlre  venus  à  Soleure.  Il  a  égale- 
ment exprimé  sa  reconnaissance  aux  délégués  que  les  gouverne- 
ments des  sept  cantons  formant  le  diocèse  de  Bàle,  avaient  députés 
à  cette  fête.  Puis  il  est  revenu  sur  l'idée,  exprimée  par  Mgr  Bo- 
viéri,  de  l'accord  entre  l'Eglise  et  l'Etat  : 

«  C'a  été,  a-t-il  dit,  une  malheureuse  pensée  du  siècle  dernier 
de  représenter  TEglise  et  l'Elat  comme  des  ennemis  nécessaires  et 
forcément  jaloux  l'un  de  l'autre,  comme  si  tous  deux  n'avaient  pas 
le  même  but  élevé ,  j'entends  le  vrai  bonheur  de  l'humanité,  et 
comme  si  l'Eglise  n'avait  pas  besoin  de  l'Etat ,  ni  l'Etat  de  l'Eglise. 
Si  l'esprit  de  la  religion  de  Jésus-Christ  est  un  esprit  qui  doit  em- 
brasser et  pénétrer  toutes  les  relations  humaines,  et  si  celles-ci 
n'ont  de  valeur  et  de  stabilité  que  quand  elles  sont  sanctifiées  par 
cet  esprit ,  il  n'est  pas  facile  d'imaginer  qu'il  puisse  y  avoir  une  in- 
stitution humaine  quelconque  avec  laquelle  l'Eglise  ne  soit  en  con- 
tact de  quelque  manière  plus  ou  moins  rapprochée.  » 

Nous  sommes  heureux,  pour  terminer,  de  rappeler  im  trait  digne 
d'un  évêque.  Pendant  que  Mgr  avait  à  sa  table  les  différents  digni- 


•nr»  MÉLAN«iKS  I:T  >0I  VKI.I.KS. 

Uiires  présouts  î"!  son  sa«  ic  ,  il  faisait  pai  liii|u;r  à  un  petit  banquel, 
dans  la  maison  des  orphelins,  les  enfants  de  Técole  fondée  par  le 
romilé  des  pauvres.  Les  prisonniers  n'ont  pas  été  davantage  ou- 
bliés. 

*"*•  —  Le  jjonvcrnenienl  de  te  petit  et  pauvre  canton  a  donné 
IGOO  fr.  pour  la  couslruttion  d'une  église  tatboliquc  à  Herne. 


l^THA.^Cil^lt.  —  Orient.  —  On  lit  dans  le  Livu  du  2\  fé- 
vrier un  extrait  textuel  d'un  rapport  de  MM.  Frossard,  Hœhrich  et 
<.liardon,  aumôniers  protestants  de  l'armée  d'Orient.  Kntre  autres 
trais  du  dé\ouenient  do  ces  Messieurs,  eux-mêmes  accusent  lu 
suivant  : 

«  Le  jeudi  iio  nous  avons  commencé  nos  visites  aux  hôpitaux. 
.Nous  les  avons  continuées  jusqu'à  ce  jour,  sauf  un  jour,  pendant 
lequel  un  de  nous  a  été  légèrement  indisposé,  et  un  autre  où  le 
temps  était  trop  mauvais  pour  s'aventurer  dans  les  boucs  du  pavs.») 

•Ne  vous  semble-t-il  pas  entendre  un  enfant  (|iii  «rie  :  Papa,  je 
>ais  me  mouiller  les  pieds  !...  Ht  que  cette  abnégation  est  curieuse, 
comparée  à  celle  des  aumôniers  catholiques  qui  sont  morts  ou  qui 
nieurenlà  la  peine,  au  témoignage  des  juiirnanv  anglais  eux-mê- 
mes. Le  l*ére  Parabère,  ù  cb(îval  sur  un  «anon,  pour  se  trouver  au 
nulieu  du  feu  avec  sus  soldats,  nous  parait  un  peu  plus  admirable  cl 
plus  chrétien  (|ue  ceux  (jui  viennent  |»iteuscment  vous  dire  :  lo 
temps  était  trop  mauvais 

.%ll<*niiij(iic.  —  Lcsvnode  annuel  du  protestantisme  allemand 
.\  111  lieu  il  y  a  (|iicl(|ucs  mois  à  Kran»  fort.  Il  s'est  occupé  de  l'usage 
de  la  iJible  dans  la  famille  ,  des  refuges,  de  la  sanrlilicalion  du  di- 
manche, du  baptême  des  enfants,  des  associations  de  bon  compa- 
gnoiiage,  de  l'art  chrétien.  Le  doclenr  Sleinnia\er  de  Honn  a  ju>- 
lilif  le  baptême  adniini>lrr  aux  enfants.  l*our  tout  liumnic  qui  >uil 


MKI.ANGES  ET    NOITELLES.  iJlT 

avec  altcnlion  l'agilalioii  prolpstantc  en  Allemagne,  il  lui  est  facile 
de  constater  que  les  élénienls  do  division  quant  à  la  croyance  ne 
font  qu'augmenter  :  c'est  un  véritable  effroi  qui  s'empare  des  es- 
prits quand  on  peut  craindre  que  les  queslions  dogmatiques  peu- 
vent élre  soulevées  dans  un  synode;  il  n'a  d'égal  que  la  peur  du 
catholicisme  progressant.  Il  n'est  pas  moins  digne  de  remarque 
que  le  proteslanlismo  allemand  ,  pour  galvaniser  ses  membres  al- 
lant s'éparpillant,  em[)runle  tant  (|u"il  peut  aux  inslitulions  et  aux 
pratiques  de  l'Eglise  catholique.  On  copie  nos  ordres  d'hospitaliè- 
res par  les  diaconesses;  nos  associations  de  saint  François  Régis 
et  celles  do  l'illustre  abbé  Kolping  par  des  associations  ouvrières; 
nos  conciles,  nos  synodes  et  nos  assemblées  catholiques  par  des 
réunions  analogues.  Nous  croyons  que  ce  mouvement  amènera  à 
une  étude  comparative  et  sincère  des  institutions  de  l'Eglise  et  ser- 
vira à  propager  de  plus  en  plus  la  véritable  foi. 

Mais  l'incident  important  du  synode  protestant  de  Francfort, 
c'est  la  discussion  sur  Veccistence  et  la  nécessité  de  V indissolubilité  du 
mariagel  Qui  aurait  cru  à  un  pareil  revirement?  Le  professeur 
Muller  de  Halle,  l'avocat  Thesenar,  ont  soulevé  courageusement  la 
question  ;  ce  dernier  a  cité  le  Temps,  feuille  protestante  de  Berlin, 
qui  donne  le  chiffre  des  divorces  en  18o3  dans  la  seule  capitale  de 
la  Prusse,  c'est-à-dire  856  !!  Les  orateurs  ont  attaqué  les  gouver- 
nements qui  ont  abandonné  l'Ecriture  Sainte,  ceux  qui  sont  athées 
révolutionnaires  trop  civils.  Mais  ils  ont  oublié  toutes  les  thèses  des 
théologiens  protestants  en  faveur  du  divorce  et  la  trop  fameuse 
consultation  signée  par  Luther,  Melanchton  ,  Bucer,  Corvin  ,  Le- 
ningen,  Yinfert  et  Mélanlher,  adressée  au  landgrave  Philippe  de 
Hesse. 

La  discussion  de  Francfort  est  donc  d'une  haute  importance;  la 
force  des  choses  et  de  la  vérité  ramènera  à  la  doctrine  catholique 
de  l'unité  et  de  l'indissolubilité  du  mariage  chrétien,  tel  que  Jésus- 
Christ  l'a  institué  ;  à  moins  que  le  protestantisme  ne  se  jette  dans 
le  mormonisme.  Qui  sait? 
Le  synode  a  décidé  : 

1°  D'inviter  les  gouvernements  de  l'Allemagne  à  rétablir  les  lois 
matrimoniales  sur  leur  base  évangélique,  et  à  faire  disparaître  tous 
les  motifs  de  divorce,  excepté  ceux  qu'ont  maintenus  les  réforma- 
teurs (?). 

2"  De  prier  les  grands  dignitaires  ecclésiastiques  de  refuser  de 


318  MKrA>GES  KT  ?f()L  VF.LI.E». 

marier  ceux  qui  se  sont  Si'parés  pour  d'autres  raisons  que  les  sus- 
menlionnées. 

—  l'ri  publicistc  distingué,  M.  Auguste  Lewald,  et  le  pasteur 
d'une  commune  libre  [Freic  Cemeindc  ,  M.  (jiese,  sont  rentrés  dans 
le  sein  de  TEgliso  catholii|ue,  ce  dernier  ù  Munster. 

—  Le  chancelier  du  royaume  de  Prusse,  M.  Charles-Louis-Au- 
guste de  Wcgnern  ,  décédé  il  y  a  quebjues  semaines,  a  laissé  tous 
les  ouvrages  calhuliques  que  renfermait  sa  bibliothèque  à  la  pré- 
vôté catholique  de  Kienigsberg.  Dans  son  testament,  il  parle  des 
sentiments  d'amour  et  de  respect  qu'il  a  toujours  eus  dans  le  cœur 
pour  l'Eglise  catholique;  et  ra|ipulaiit  la  sentence  de  saint  Augus- 
tin :  In  nccessariis  unilas ,  in  duhiig  liberta»  ,  in  omuibut  charitat ,  il 
écrit  des  paroles  où  l'on  peut  voir  l'expression  d'une  pensée  qui 
empêche  un  grand  nombre  de  protestants  d'abjurer  l'erreur  :  Puis- 
sent, dit-il,  l'Eglise  catholique  et  l'Eglise  protestante,  jutqxCau  mo- 
ment de  leur  réunion  sous  le  f  icuirc  Je  Jésus-Chrisf ,  tnoment  qui  ne 
peut  jjlus  cire  éloigné,  s'aimer  et  se  tolérer  mutuellement  ! 

.•inglrtcrro.  —  Statistique  religieuse  des  iles  brilanniquef.  — 
D'après  le  calendrier  ecclésiastique  de  l'année  courante,  on  compti; 
en  Angleterre:  1  archevêque  ,  12  évéques  et  environ  D(>0  prélro 
séculiers  ou  réguliers;  17  maisons  religieuses  d'hommes,  85  item 
«le  fonjmes,  ()î>7  églises  et  chapelles.  En  Ecosse,  il  y  a  trois  vicaires 
apostoliques,  i:)V  prêtres,  5  maisons  religieuses  (dont  la  plus  an- 
cienne n'a  été  fondée  qu'en  1835,  à  Edimbourg,  par  Mgr  (iillis, 
encore  vivant) ,  1  collège,  IVl  églises  et  chapelles.  L'Irlande  ?  '» 
archevêques,  31  évéques,  280'i-  prêtres  séculiers,  (itl  couvents,  13;{ 
maisons  de  sœurs,  29  collèges  et  séminaires;  population  catholi- 
que, 7  millions.  Dans  les  colonies  et  possessions  anglaises  il  y  a  50 
évéques,  dont  (piehjues-uns  sont  seulement  coadjuteurs. 

Ainsi  le  clergé  irlandais  est  fort  restreint  proportionnellement  au 
nombre  des  fidèles  ;  il  le  faudrait  trois  fois  plus  considérable  pour 
satisfaire  aux  besoins  du  culte.  En  .Angleterre,  quoique,  proportion 
gardée,  il  soit  plus  nombreux  ,  il  le  faudrait  le  double  au  moins 
pour  soigner  les  fidèles  et  |)Our  augmenter  les  conversions.  Malheu- 
reusement il  ne  s'est  pas  accru  l'auru-e  dernière,  les  ordinations 
ayant  à  peine  suppléé  aux  vides  faits  par  la  mort.  Mais  si  le  clergé 
n'est  pas  devenu  plus  nombreux,  il  n'en  est  pas  de  même  des  édi- 
fices sa»  rès,  et  c'est  chose,  importante  atissi.    Enviror»  'lO  nouvelle* 


MÉLANGES    lîT   NOrVELLES.  MU 

églises  ont  été  consacrées  ;  cinq  d'entre  elles  sont  dues  à  cinq  gé- 
néreux bienl'aileurs. 

Nous  voyons  augmenter  les  conversions  dans  la  classe  distin- 
guée :  l'I  ministres  proU'slaiils  ont  (piilté  leurs  bénéfices  pour  ren- 
trer dans  le  giron  de  la  véritalde  Eglise.  On  doit  mentionner  spé- 
cialement, outre  M.  Wilbcrforce,  deux  ministres  qui  enseignaient 
à  Oxford,  un  à  Cambridge  et  un  autre  de  liante  naissance.  Les  laïc» 
ont  donné  leur  part  à  l'Eglise  calbolique.  Parmi  les  3'i- principaux 
convertis,  on  compte  trois  lords. 

llollaïKle.  —  Nous  lisons  dans  les  Précis  historiques ,  sur  \a 
statistique  religieuse  des  Etats  de  la  Hollande,  les  intéressants  dé- 
tails qui  suivent.  Ils  sont  empruntés  aux  listes  ofliciellcs  du  gou- 
vernement : 

«  Le  nombre  des  catholiques  dans  les  cinq  diocèses  d'UtrecLt, 
de  Harlem,  de  Bois-le-Duc,  de  Bréda  et  de  Ruremonde,  est  de 
l,80i,V08.  Les  juifs  y  sont  au-delà  de  60,000. 

«  Sans  compter  les  chapelles,  les  annexes  et  les  communautés 
religieuses,  il  y  a  : 

Dans  les  diocèses  doyennés 
D'Utrecht.  15 

De  Harlem.  16 

De  Bois-le-Duc.  13 

De  Bréda.  6 

De  Ruremonde.  11 

61  911  1648 

«  Le  budget  est  chargé ,  pour  les  différentes  sectes  protestantes , 
de  la  somme  de  flor.  1,640,688;  pour  les  catholiques  de  536,244. 
Ce  qui,  réparti  sur  le  nombre  des  catholiques  et  des  protestants, 
donne  74  fl.  pour  chaque  protestant,  et  seulement  36  pour  chaque 
catholique  ;  soit  flor.  855  pour  chaque  dominé,  et  flor.  302  pour  les 
curés  et  vicaires.  Notez  bien  qu'ici  il  n'est  question  que  de  ce  que 
paie  le  gouvernement.  Il  y  a  encore  diverses  autres  sources  de  re- 
venus communaux,  et  bon  nombre  de  bénéfices  anciens  actuelle- 
ment entre  les  mains  des  protestants,  entre  autres  plusieurs  com- 
mandeurs de  l'Ordre  Teutoniqne  ,  et  la  plupart  des  prébendes  de 
Tancien  diocèse  d'Ulrecht.  Aussi  de  temps  en  temps  on  trouve  des 
annonces  comme  celle-ci  :  «  Décédé  M.  NN...,  chanoine  d'Utrecht, 


paroisses 

prêtres 

236 

371 

198 

333 

222 

431 

77 

155 

178 

358 

320  MKLA!VGF.S  F.T  NOLVF.I.LKS. 

signé  veuve  NN.,  née  HH...  »  Il  paraît  même  que  loutc  celle  agi- 
tation antipapislc  de  Tannée  dernière  «onlrc  Pérection  des  éveillés 
provenait  eti  yrando  partie  de  la  peur  que  ces  soi-disant  chanoiiu  ^ 
avaient  ou  feignaient  d'avoir  d'être  enfin  obligés  de  faire  reslilii- 
tion  de  ces  liicns  volés  autrefois  à  l'Kglise  catholique. 

'(  Dans  nos  colonies,  il  y  a  aussi  encore  bien  des  iniquités  à  ré- 
parer. Citons  un  exemple.  La  population  des  iles  de  Curaçao,  etc., 
dans  les  Indes-Occidentales  ,  est  de  lî>,.'lo2  catholiques  ,  r>H7V  pro- 
testants et  8«»2  juifs.  Cependant  la  [)resque  lolalilé  des  emplois  est 
dans  les  mains  des  protestants,  et  le  nombre  des  employés  juifs , 
sous  tous  les  rapports  ,  est  même  supérieur  à  celui  des  calholiques. 
A  peu  près  tout  ce  qu'il  y  a  de  lucratif  est  entre  des  mains  anti-ca 
Iholitjues. 

«  Ces  colonies,  ainsi  que  celle  de  Surinam  dans  la  (îuyane,  con- 
tiennent un  grand  nombre  d'escla\es.  Il  y  a  bien  des  catholiques 
parmi  eux.  Les  maîtres  sont  généralement  protestants,  et  les  ins- 
pecteurs souvent  juifs.  Il  s'y  commet  bien  des  horreurs.  Un  ou- 
vrage intéressant  ([ui  vient  de  paraître,  et  qui  est  dû  à  M.  Van 
Hoëvell,  membre  de  la  seconde  Chambre,  donne  des  détails  bien 
tristes.  11  est  intitulé  :  De  Salvcm  en  de  I  rigen.  » 


L'EGLISE  PROTESTANTE 

Condamnée  î>  ne  pouvoir  so  prouver. 


Si  le  prolesianlisnie  ne  peut  se  définir  comme  Eglise,  il  peut 
encore  moins,  à  ce  titre,  prouver  qu'il  est  d'institution  divine, 
qu'il  vient  en  droite  ligne  des  Apôtres.  Eh  !  à  qui  une  Eglise  née 
d'hier  demanderait-elle  des  preuves  de  son  origine  apostolique, 
ou  de  sa  vérité,  lorsque  ni  la  raison,  ni  la  tradition,  ni  l'Ecriture 
ne  lui  viennent  pour  cela  en  aide? 

1*  La  raison,  dont  le  rationalisme  protestant  veut  faire  son 
premier  chef  de  preuve,  que  peut-elle  en  faveur  delà  Réforme 
considérée  au  point  de  vue  d'une  Eglise?  Rien  pour  établir  sa 
vérité,  et  beaucoup  pour  la  convaincre  d'erreur. 

Voyons  d'abord  l'impuissance  de  la  raison  protestante  dans  la 
recherche  de  la  vérité  de  l'Eglise  : 

Tout  le  monde  sait  quelles  sortes  de  vérités  sont  du  ressort  de 
la  raison  humaine.  Les  questions  de  l'ordre  purement  intellectuel, 
d'ontologie,  de  métaphysique,  de  mathématiques,  lui  appartien- 
nent naturellement,  ctfournissentample matière  à  l'esprit  raison- 
neur, qui  peut,  sur  ce  terrain,  s'exercer,  se  débattre,  subtiliser 
tout  à  son  aise.  Mais  quand  il  s'agit  d'un  fait  positif,  il  faut  d'au- 
tres motifs  de  crédibilité  que  le  raisonnement  :  ce  sont  les 
témoignages,  les  monuments  historiques  qui  doivent  décider  de 

21 


.'l>0  l'eOMSE  I'ROTKSTAKTK 

l'exislcnce  de  ce  fail.  Kh  bien  !  riiisliiuiion  de  i'E^'lise  pr  Jésiis- 
<;iirist,  (|iioi(|ue  d'un  oidre  siiriKiinrel,  est  un  fail  positif,  aussi 
[lairnl  qu'il  (Si  oMiaordiiiaiie  ;  il  osi  par  consé«juciil  du  domaiiif 
dei'hisloire,  cl  s'«''lablil,  comme  lous  les  aulrcs  fails  mémorables, 
surielémoigiiagc  du  j^'enrc  humain.  Quand  il  s'a^'ii  surloui  d'un»- 
E},'lise  ayant  le  privilt-j^'c  d'être  persévérante  et  de  frapper  lou- 
jours  les  regards  des  hommes  par  l'éclat  de  sa  visibilité,  un  tel 
fait  porte  avec  lui  son  évidence  extrinsèque.  Or  comment  ne  pas 
voir  qu'un  raisonnement,  ici,  sérail  un  hors-d'œuvre,  parce  qu'on 
ne  laisonne  point  sur  rcvidoncc;  |)arcc  (ju'un  fait  «'datant  ou  de 
noloriété  publique  se  prouve  par  lui-même  et  n'a  pas  besoin 
d'autre  «lémonstraiion.' 

L'institution  de  l'Eglise  n'est  pas  seulement  un  faii  ca|iiial 
dans  l'histoire  ,  le  plus  grand  événement  qui  se  soit  produit  dans 
l'univers;  elle  est  le  résultat  de  la  libre  volonté  de  Dieu,  la 
manifestation  de  son  Verbe,  de  sa  vérité,  «le  sa  loi  sainte  |)ar  le 
ministère  apostolique;  en  un  mol,  c'est  le  mon«le  moral  créé  par 
Jésus-Christ.  Comment,  après  cela,  ne  pas  voir  qu'il  n'y  a  plus 
à  laisonner  sur  une  telle  instilulion  ,  qui  existe  comme  le  ciel  l'a 
déterminée,  l'a  révélée  à  la  terre;  qu'il  faut,  dès  lors,  l'ac- 
cepter dans  les  conditions  que  lui  a  faites  le  Dieu  révélateur? 
En  face  d'une  Eglise  ainsi  établie  par  un  décret  de  la  souveraim; 
Sagesse,  trouve/,  donc  matière  au  raisonnement!..  Evid«'nimcnl, 
loule  discussion  ,  toute  action  d«'  r«'spi  il  humain  serait  un  para- 
logisme, alors  qu'elle  s'exercerait  sur  un  objet  au-dessus  de  sa 
sphère.  Vous  aurez  beati  raisoun«'i'  sur  la  Maie  Eglise,  dirons- 
nous  aux  protestants  jaloux  «l'honorer  leur  Ueforme  d'une  si 
belle  «lualification  ,  cet  édifice  religieux  restera  ce  que  la  main 
du  Tout-Puissant  l'a  fait,  inébranlable  sur  sa  pierre  angulain*, 
le  Christ  (\\i'i  était  hier,  qui  est  aujounrhui  «t  <|ui  sera  dans  les 
siècles  des  siècles  (Hebr.,  XIII,  8). 

Ces  principes  d'une  saine  philosophie  une  fois  posés,  n'y  a-l- 
il  pas  lieu  d'èlre  surpris  de  l'cxorbitanle  prétention  (prafliclient 
à  cette  heure  les  rationalistes  protestants  sur  le  fait  ou  sur  la 
nature  de  l'Eglise,  expression  de  la  volonté  de  Jésus-Christ? 
Voici  qu'ils  viennent  soumettre  au  conlr«jle  de  leur  raison  in<li- 
vidnojle  ce   fait    merveilleux  et    siirliumnin  :  c'est-h-dire  que  , 


r.ONDAMNKK  A  NK  POUVOIR  SE  PROUVER.  321 

rapetissant  une  si  haute  institution,  ils  la  feraient  descendre  au 
niveau  de  l'esprit  de  chaque  individu ,  et  mettraient  ainsi  la  dé- 
bile raison  de  l'homme  à  la  place  de  la  raison  divine  !! 

Sans  doute  que  les  grands  raisonneurs  de  la  Réforme  n'auront 
pas  fait  attention  à  cet  autre  principe  élémentaire  de  la  théolo- 
}j;ie ,  que  le  doij;me  de  la  vérih-  dr  l'Eglise,  comme  les  autres 
dogmes  de  l'Evangile,  est  objet  de  la  foi,  et  non  de  raisonnement 
et  de  discussion.  Certes ,  s'il  n'est  pas  permis  à  un  chrétien  de 
raisonner  sur  le  mystèic  de  rincarnaliou  ,  il  ne  doit  pas  lui  être 
permis  davantage  de  raisonner  sur  celui  de  l'Eglise  ! 

Le  grand  Apôtre  n'appelle-t-il  pas  l'Eglise  le  Corps  de  Jésus- 
Christ,  Corpus  Curisti  (1  Cor.  XVII,  27;  Eph.  I,  23);  corps 
animé  par  le  Verbe  de  Dieu,  dont  la  vie  ineffable  doit  se  manifes- 
ter constamment  par  des  actes  de  sainteté  et  de  vertus  éclatan- 
tes, par  d'immenses  bienfaits  répandus  sur  la  société  humaine , 
par  des  miracles  qui  signaleront  cette  Eglise  dans  tous  les  âges  , 
et  que  seront  forcés  d'admettre  ses  plus  grands  ennemis  :  les 
païens ,  les  hérétiques ,  les  Centuriateurs  de  Magdebourg  eux- 
mêmes.  Enfin  ,  et  l'homme  attentif  ne  peut  s'empêcher  de  le  re- 
connaître, ce  corps  du  Christ,  appelé  l'Eglise,  est  marqué  des 
traits  distinctifs  de  V unité ,  de  la  catholicité,  de  Vapostolicité  : 
autant  de  caractères  divins,  ostensibles,  pleins  d'actualité,  et 
pour  ainsi  dire  palpables  à  force  d'évidence;  car  il  faut  que  nul 
homme  ne  puisse  échapper  aux  rayons  de  l'Eglise  du  Sauveur, 
pas  plus  qu'on  n'échappe  aux  rayons  du  soleil  en  plein  midi , 
parce  que ,  de  l'aveu  de  nos  adversaires ,  cette  Eglise  est  deve- 
nue l'arche  du  salut  pour  tous,  le  rendez-vous,  l'asile  des  en- 
fants de  Dieu. 

Ainsi  Dieu  se  plait-il  à  confondre  les  fiers  raisonneurs  de  la 
Réforme,  en  marquant  son  Eglise  d'un  sceau  de  divinité  si  ma- 
nifeste et  si  inimitable,  qu'on  ne  puisse,  à  moins  d'être  aveugle 
volontaire ,  s'empêcher  de  la  voir,  de  la  discerner  entre  toutes 
les  fausses  sociétés  religieuses,  comme  la  Citéj  dont  parle  Jésus- 
Christ  ,  placée  au  sommet  de  la  montagne  ,  Civitas  supra  montem 
posiTA.  (Matih.  V,  14.) 

Voilà  donc  que ,  par  sa  nature ,  le  corps  de  l'Eglise  est  essen- 
tiellement visible,  qu'il  tombe  par  là  même  sous  les  sens,  au 


322  l'eolisk  protestante 

|)oirU  <IUL'  ces  sens  ju^eni,  tliscorneni,  louthenl,  pour  ainsi  dire, 
ce  corps  divin.  Kli  bien!  en  pr«sence  d'une  visibilit*'-  aussi  per- 
péluellequ'éblouissanle  de  clarlé,  quelle  place,  encore  une  fois, 
rcsle-l-il  au  raisonncnienl?...  Au  lieu  donc  de  raisonner  ù  perle 
de  vue  sur  ce  grand  fait  de  l'inslilulion  cl  de  la  perpéluclle 
existence  de  l'Eglise,  un  clirciien  «le  honiie  foi  n'a  plus  (ju'à  em- 
brasser celle  colonne  de  vérité^  comme  l'appelle  sainl  Paul ,  co- 

LUÎINA  ET  FlUMAMEMl»  VERITATIS.   ("2  TJin.  111,  15.) 

Le  mal  des  enlhousiaslcs  de  la  lU-lorme  a  été  de  se  laisser 
prendre  au  cliquetis  des  paroles  de  Luilier  el  autres  beaux  dis- 
coureurs du  parti.  Us  se  crurent  dans  une  almospbère  de  lu- 
mière, lorsqu'ils  n'étaient  (ju'illusionnés  par  les  t'iincellcs  d'une 
éloipience  de  tribun.  Telle  fui  la  fascination  d'un  grand  nondire 
de  lettrés  de  l'époque  ,  qu'ils  virent  dans  la  réforraalion  le  chef- 
d'œuvre  du  génie  de  l'homme;  qu'ils  écoutèrent,  de  préférence 
à  la  voix  de  l'Eglise  ,  la  voix  de  V Ecclésiaste  de  f  iitemberg  (1)  , 
croyant  sur  parole  le  nouveau  réformateur,  el  prenant  pour 
règle  de  leur  foi  les  divagations  de  leur  esprit  privé.  C'esl  donc 
à  dire  qu'ils  abandoimèrenl  de  gaité  de  cœur  l'Eglise  que  Jésus- 
Christ,  soleil  de  justice  ,  avait  entourée  de  ses  splendeurs,  pour 
suivre  les  pâles  lueurs  de  la  raison  humaine ,  sans  s'apercevoir 
qu'ils  déplaçaient  le  foyer  des  vraies  lumières;  pnis(ju'ils  le 
voyaient  du  côté  de  I  homme  ,  tandis  «pie  ce  foyer  existe  du  c«5lé 
de  Dieu,  ou  de  son  Eglise,  «{ui  en  esl  ici-bas  la  personnilicalion. 
Comme  s'ils  eussent  oublié  qu'en  disani  à  son  Eglise  :  (>ui 
vous  écoute  m'écoule  Luc  \  ,  IG  ,  Jésus-Christ  a  établi  «elle-ci 
son  organe,  son  oracle  sur  la  terre;  «ju'il  en  a  fait  par  là  même 
un  grand  foyer  de  lumière  pour  instruire ,  pour  éclairer  les  na- 
tions! Ah  I  pourtjuoi ,  au  lieu  d'aller  se  p«'rdre  dans  les  nues,  en 
prenant  le  vol  de  l'aigle  ,  ces  génies  suj)erbes  n'ont-ils  pas  imité 
plus  modestement  le  lis  de  la  vallée,  qui  s'épanouit  aux  rayons 
de  l'astre  du  jour  et  re«:oit  ses  salutaires  influences!...  Pour  par- 
ler sans  figure,  «jue  n'onl-ils  olxi  à  la  plus  haute  et  la  plus  b'-gi- 
iim«,'  autorité  qui  lût  au  monde!  Leur  ol>éissan«:e,  alors,  eût  été 


(1)  C'est  le  nom  (|iio  .sr  «loiiiiail  l.ullicr. 


CONDAMNÉE  A  NK  POUVOIR  SE  PROUVER.  323 

raisonnable ,  selon  l'expression  du  grand  Apôlrc  :  ratioinabile 
oBSEouiUM.  (Rom.  Xil,  l.) 

De  fait,  lorsqu'au  seizième  siècle  apparut  la  Réformation,  il 
existait  une  Eglise  éminemment  visible,  remplissant  l'univers  de 
son  nom  el  de  son  autorité;  qui  montrait  à  tous  les  regards  un 
corps  de  pasteurs  la  dirigeant,  et  un  Souverain  Pontife  marchant 
à  sa  tête  ;  qui,  dès  lors,  était  en  conformité  avec  l'Evangile,  tant 
par  son  admirable  unité  de  hiérarchie  que  par  l'union  de  ses 
membres  entre  eux  et  avec  son  chef  principal  ;  en  sorte  qu'elle 
faisait  un  seul  bercail  sous  la  houlette  de  ce  pasteur  suprême,  se- 
lon la  parole  de  Jésus-Christ  :  unum  ovile  et  unus  pastor.  (Jean 
X,  16.) 

Eh  bien  !  voyez  l'inconséquence  des  premiers  réformateurs  et 
de  leurs  disciples!  Tandis  qu'il  était  si  rationnel  de  s'attacher  à 
l'Eglise  catholique  .  société  religieuse  unique  dans  l'univers  par 
tout  son  ensemble ,  ces  étranges  novateurs  ont  abandonné  son 
étendard ,  fermé  les  yeux  à  ses  traits  étincelants  de  vérité ,  et 
bouché  leurs  oreilles  à  son  enseignement ,  dont  l'orthodoxie , 
pourtant,  était  assurée  par  la  présence  de  Jésus-Christ  promise 
aux  Âpolres  et  à  leurs  successeurs,  tous  les  jours ^  jusqu'à  la  con- 
sommation des  siècles.  (Matth.  XXVIII,  20.) 

En  revanche ,  par  un  renversement  de  l'ordre  ,  les  nouveaux 
rationalistes ,  mettant  leur  autorité  privée  à  la  place  de  cette 
grande  autorité ,  leur  raison  individuelle  à  la  place  de  celle  de 
l'Eglise,  se  sont  précipités  dans  la  voie  du  libre  examen  ou  de  la 
discussion  des  doctrines,  pour  arriver  plus  sûrement ,  disaient- 
ils,  à  la  connaissance  de  la  véritable  Eglise.  L'ignorant  comme 
le  savant  étaient  également  appelés  à  une  telle  discussion.  On 
avait  beau  dire  aux  inventeurs  de  ce  système  qu'une  pareille 
tâche  était  au-dessus  du  commun  des  intelligences;  les  prévenir 
qu'en  suivant  la  voie  si  scabreuse  du  sens  privé,  on  ferait  néces- 
sairement fausse  route  ;  qu'après  tout,  Jésus-Christ,  voulant  sau- 
ver le  monde  par  son  Eglise,  avait  dû  mettre  à  la  portée  des  es- 
prits les  plus  vulgaires  la  connaissance  de  celle  Eglise,  fanal  du 
genre  humain  :  des  considérations  si  puissantes  ne  pouvaient 
arrêter  dans  leur  marche  ces  fougueux  rationalistes.  Le  sort  en 
était  jeté  ;  et  il  fallait ,  pour  dessiller  les  yeux  des  coryphées  du 


:]-2\  i/tOLISE    PROTESTANT!-: 

parti,  (jue  lu  raison  qu'ils  invo<]Uuient  se  louriiài  contre  leur  ré- 
iDiint'  pour  la  démolir  et  en  faiie  la  piemière  vieliuie  de  leur 
pernicieux  syslcme.  L  état  actuel  du  protestantisme,  où  chacun 
se  fait  une  religion  à  sa  guise,  n'est -il  pas,  pour  Tesprit  le  plus 
opiniâtre,  la  démonstration  du  triste  résultat  de  la  raison  mise 
au  service  de  chaque  individu?  —  Qu'a  produit  le  rationalisme 
protestant?  11  a  égaie  tous  ses  auteurs  et  ses  propagateurs,  au 
point  de  les  mettre  aux  prises  les  uns  avec  les  autres  et  de  les 
empêcher  de  pouvoir  jamais  s'entendre  entre  eux  sur  une  for- 
mule de  loi.  El  parce  qu'ils  n'ont  pu  se  tixer  sur  le  corps  des 
vraies  doctrines,  ils  n'ont  pu  davantage  arriver  à  la  connaissance 
de  la  vraie  Eglise  ,  dont ,  selon  eux ,  ces  doctrines  devaient  être 
le  véhicule  et  le  signe  indicateur.  Aussi  le  protestantisme ,  de 
nos  jours  ,  est-il  effrayé  lui-même  de  son  anarchie,  de  son  frac- 
lionnement  en  des  myriades  de  sectes  qui  se  déclarent  toutes 
également  Eglise  du  Christ,  sans  qu'aucune  puisse,  plus  qu'une 
autre,  alléguer  une  raison  probable  de  sa  vérité,  pour  mériter  la 
préférence  sur  ses  rivales. 

Voilà  donc,  chez  nos  frères  séparés,  la  raison  opposée  à  la 
raison,  et  les  esprits  livrés  à  d'éternelles  lluctuations ,  sans  sa- 
voir de  (piel  côté  se  ranger! 

Les  adorateurs  de  la  pure  raison  au  sein  du  protestantisme, 
doivent  donc  être,  niainlenani ,  convaincus  par  leur  propre  expé- 
rience qu'ils  ont  abusé  de  celte  raison,  lorscpiils  <»nt  voulu  la 
prendre  pour  pierre  de  touche  de  la  véritable  Eglise.  Le  principe 
de  l'examen  individuel ,  mis  en  vogue  parmi  eux  ,  loin  de  four- 
nir une  preuve  de  la  vérité  de  la  Réforme  au  |)oint  de  vue  d'une 
Eglise,  est  devenu  entre  leurs  mains  une  arnir  meurtrière,  le 
rouleau  de  division  dont  parle  saint  Augustin  ,  «pii  a  mis  en  piè- 
(  es  le  prolestaniismc  et  lui  a  fait  peidie  poui' jamais  les  premiers 
éléments  d'un  corps  d'Eglise.  Il  ne  lui  est  reste  au  lieu  du  Chris- 
tianisme, ou  d'une  religion  positive,  qu'un  je  ne  sais  quoi  de 
\ague  nommé  par  Benjamin  (Constant  la  religiosité. 

Ainsi  est-il  clair  comme  le  jour,  d'après  ce  premier  aperçu 
^>ur  l'insunisance  de  la  raison  humaine  dans  la  grande  question 
«le  la  \érité  de  l'Eglise,   «pu-  la  Réforme  protestante  ne  saurai! 


r.ONDAMNKK  A  NE  POl/VOIR  SE  PROUVER.  3'25 

puiser  :i  celle  source  des  preuves  de  son  inslilulion  divine,  ni  se 
faire  valoir  raiionnellemenl  à  tilrc  d'Eglise. 

Par  contre,  cette  raison,  qui  n'est  d'aucune  ressource  au  pro- 
icstantismc  se  disant  Ej>;lise  du  Christ,  va  nous  fournir  force  ar- 
guments pour  le  combattre ,  pour  le  renverser  de  fond  en 
comble.  Ce  second  aperçu  ne  sera  pas  le  moins  curieux,  par 
l'embarras  où  il  doit  jeter  les  ardents  défenseurs  de  la  raison 
protestante. 

Nous  croyons  entendre  d'ici  un  ministre  de  Genève,  assez  peu 
versé  dans  ime  question  de  philosophie  qui  n'est  cependant  pas 
transcendante,  nous  adresser  celte  apostrophe  :  Quel  rôle  faites- 
vous  donc  jouer  à  la  raison  de  l'homme?  Ne  vous  mettez-vous  pas 
en  contradiction  avec  vous-même ,  alors  qu'interdisant  l'usage 
de  la  simple  raison  pour  juger,  apprécier  au  fond  ou  dans  sa  na- 
ture la  vraie  Eglise ,  vous  donnez  un  libre  essor  à  cette  même 
raison  pour  combattre  notre  Réforme,  qu'il  vous  plaît  d'appe- 
ler fausse  Eglise?  —  Et  nous  de  répondre  :  Faites  donc  attention, 
Monsieur  le  ministre ,  que  ces  deux  Eglises  sont  de  nature 
bien  différentes  ;  qu'elles  doivent,  par  conséquent,  avoir  aussi 
leur  appréciation  dans  un  ordre  d'idées  tout  différent.  L'une, 
savoir  la  société  fondée  par  Jésus-Christ ,  est  création  de  Dieu  , 
et  l'autre ,  qui  est  l'ouvrage  d'un  hérésiarque ,  est  nécessaire- 
ment création  de  l'homme.  Parce  que  la  première  est  un  fait 
surhumain,  un  dogme  positif,  une  Eglise  enfin  qui  a  ses  fonde- 
ments sur  la  sainte  montagne,  selon  l'expression  de  l'Ecriture, 
fundamenta  ejus  in  montibus  sanctis  (Ps.  LXXXVI,  1),  elle  est 
dès  lors  au-dessus  du  contrôle  comme  de  la  conception  de 
l'homme  :  celui-ci  n'a  plus  qu'à  s'incliner  devant  la  souveraine 
raison  de  l'Instituteur  de  cette  Eglise,  qui  l'a  marquée  de  son 
sceau  divin. 

Parce  que  ,  au  contraire,  la  seconde  société  ,  qu'on  appellera 
hérésie ,  fùt-elle  décorée  du  beau  nom  de  réforme ,  est  d'inven- 
tion tout  humaine;  elle  se  ressentira  naturellement  de  son  ori- 
gine terrestre;  elle  portera,  par  conséquent,  avec  elle  le  cachet 
de  l'humanité ,  ses  variations,  ses  imperfections,  toutes  les  fai- 
blesses de  l'inventeur.  ]1  est  visible  qu'alors  ma  raison  est  dans 
son  élément,  qu'elle  use  de  son  droit,  en  s'emparant  de  cette 


3i(i  L  ËGLISK  PKOTESTANTK 

|nodiiclion  (Je  l'esprit  humain  pour  la  soumcllre  au  scalpel  de  sa 
triiique.  Ne  voulant  pas  trop  allongor  cet  article,  disons  seule- 
ment nue,  jetée  au  creuset  de  la  laison,  la  Kélormc  n'en  l'ait  jail- 
lir aucune  preuve  en  faveur  de  son  Eglise  multiple;  (ju'elle 
trouve ,  au  contraire ,  dans  cette  raison  des  preuves  péreraptoi- 
rcs  et  accablantes  contre  tout  le  protestantisme. 

La  raison,  en  premier  lieu,  ne  fournit  point  d'argument  ca- 
pable d'étayer  la  Réforme  protestante  en  sa  qualité  d'Eglise,  soit 
(pion  l'envisage  dans  son  origine,  dans  ses  premiers  chefs,  dans 
les  causes  ou  les  motifs  de  son  ap|>arition  au  sein  de  l'Europe 
chrétienne,  soit  qu'on  la  considère  dans  ses  progrès  et  ses  ré- 
sultats :  parce  que  la  raison  y  voit  partout,  au  lieu  d'un  ouvrage 
divin,  le  jeu  des  passions  humaines,  le  fruit  malheureux  de  la 
licence  ou  de  l'amour  des  nouveautés. 

Les  défenseurs  de  la  cause  protestante  ont  dépensé  tout  leur 
esprit  en  sophismes,  on  d(''clamations  contre  le  catholicisme.  De 
nos  jours,  M.  Merle  d'Aubigné  ,  dans  son  Histoire  de  la  Réfor- 
malion,  s'est  fait  l'écho  de  ces  diatribes,  de  ces  calomnies  ù 
l'endroit  de  l'Eglise  romaine.  Tandis  qu'il  donne  au  protestan- 
tisme tous  les  reliefs  d'une  belle  cause,  d'une  Eglise  sainte,  il 
nous  dépeint  des  plus  noires  couleurs  l'anii^pie  Eglise  qu'ont 
abandonnée  les  réformateurs.  QmA  dommage  pour  la  véracité 
de  l'historiographe,  qu'aux  veux  des  hommes  instruits,  son  apo- 
théose de  la  Uéforme,  conimt;  ses  violentes  attacjues  contre  le 
«atholicisrae,  ne  soit,  à  tout  prendre,  qu'un  tableau  de  pure  fan- 
taisie ou  d'imagination  ! 

iVlais  (juand  même,  dirons-nous  aux  détracteurs  du  catholl- 
4-isme,  toutes  vos  accusations  ramassées  sur  la  tête  des  Pontifes 
romains el  de  toute  l'Eglise  catholique  seraient  aussi  fondées  en 
raison  qu'elles  sont  fausses  ou  exagérées,  les  torts  de  celle-ci  par 
hasard ,  juslilieraient-ils  rationnellement  vos  innovations  reli- 
gieuses? Singidière  logiipie  des  argumeutateurs  de  laRt'formc, 
de  demander  leurs  preuves  aux  griefs  vrais  ou  supposés  de  leurs 
adversaires  ! ...  Le  grand  reproche,  par  exemple,  dont  vous  croyez 
a(  ciibler  I  Eglise  romaine,  serait  les  abus  de  l'epocpu;,  qui,  selon 
vous,  detnandnicnl  fie  votre  part  wie  prompte  réformation.  Mais, 
de  bonne  foi,  ces  abus,  réels  ou  énormément  grossis,  donnaient- 


CONDAMNÉE  A  NE  l'OUVOIR  SE  PBOLVEll.  327 

ils  la  mission  divine  à  Lullier,  à  Calvin,  pour  se  faire  eux-mêmes 
les  réformateurs  de  la  Catholicité?..  Voilà,  cependant,  la  savante 
argumentation  qui  arma  au  seizième  siècle  le  moine  saxon  contre 
l'Eglise  oii  il  avait  reçu  le  jour;  qui  lui  fit  élever  autel  contre  au- 
tel, et  lui  inspira  l'audace  de  porter  une  main  sacrilège  sur  TarcAe 
sainte;  de  vouloir,  dans  sa  fureur,  démolir  cette  antique  Eglise 
qui  a  reçu  de  Jésus-Christ  des  promesses  d'immortalité  !l 

N'arrêtons  pas  trop  longtemps  sur  ce  terrain  brûlant  nos  frères 
séparés  ;  il  suffit  d'en  appeler  ici  à  tous  ceux  qui  sont  au  courant 
de  la  controverse  protestante;  qu'ils  disent  s'ils  ont  remarqué, 
dans  les  arguments  des  défenseurs  de  la  Réforme,  autre  chose 
que  des  arguties,  de  misérables  chicanes,  des  injures  à  l'adresse 
de  l'Eglise  romaine  ou  de  ce  qu'ils  ont  gracieusement  appelé  le 
papisme,  la  Bahylone,  la  Prostituée... 

Voilà  donc  qu'en  premier  lieu  la  raison  fait  défaut  à  la  cause 
protestante,  incapable  qu'elle  est  de  fournir  aucune  preuve  de 
vérité  à  l'Eglise  ou  aux  Eglises  réformées. 

Mais,  en  second  lieu,  cette  raison,  qui  ne  dit  rien  en  faveur 
du  protestantisme,  ne  se  prononce-t-elle  pas  contre  sa  prétention 
d'être  l'Eglise  du  Christ?  entendez  ces  quelques  arguments  de 
l'inflexible  raison  : 

«Votre  réforme,  dira-t-elle  au  protestantisme,  est  une  religion 
d'un  jour,  une  Eglise  née  d'hier;  mes  lumières  naturelles  me 
disent  qu'un  homme  ne  saurait  prendre  la  place  de  Dieu  pour 
faire  une  religion;  partant,  le  fabricateur de  votre  édifice  soi-di- 
sant religieux,  se  nommât-il  Arius,  Luther  ou  Calvin,  ne  sera, 
à  mes  yeux,  qu'un  mauvais  génie,  et,  aux  termes  de  l'Ecriture, 
un  fabricateur  de  mensonge.  Qu'une  raison  aveugle  ou  égarée 
prenne  cette  production  de  l'esprit  humain  pour  une  merveille, 
qu'elle  lui  fasse  un  piédestal  pour  l'encenser  comme  un  chef-d'œu- 
vre de  l'esprit  humain,  il  n'en  saurait  être  ainsi  d'une  raison  saine 
et  éclairée.  Envisageant  sous  ces  diverses  faces  l'Eglise  bâtie  par  la 
main  de  l'homme,  elle  fera  ressortir  tous  les  vices,  mettra  à  nu 
toutes  les  misères,  celle  surtout  d'avoir  manqué  de  la  mission 
venue  directement  du  ciel,  ou  par  légitime  succession  des  Apô- 
tres :  et  alors  de  demander  à  l'usurpateur  des  droits  sacrés  de 
Jésus-Christ  :  Qui  vous  a  chargé  de  refaire  le  Christianisme,  de 


328  i/kglisk  protfstame 

rehàlir  cei  cdilice  loïKié  par  le  Sauveur  tlu  monde?  Évidemment 
r<)uvra{;e  sorti  do  vos  mains  osl  une  entioprisc  l«''mérairc,  im 
hoirible  atleniat  contre  la  Divinité,  dont  vous  usurpe/,  les  proro- 
gatives sous  le  nom  hypocTite  de  réformateurs.  » 

Puis,  ultacpiani  la  Réforme  par  son  principe  du  libre  examen, 
la  droite  raison  lui  lait  ce  raisonnement  d'une  lo^'irpic  non  moins 
rigoureuse  :  Votre  principe  de  liberté  religieuse,  proclamé  si 
haut  par  Luiher  et  reçu  universellement  chez  vous  comme  base 
de  toute  la  Réfome,  a  donné  le  droit  à  tous  vos  religionnaires  de 
laire  ceipi'onl  lait  les  premiers  réiormateurs  à  l'égard  de  l'Kglisc 
avec  laquelle  ils  ont  rompu  si  violemment.  De  plein  droit,  par 
conséquent,  tous  les  génies  aventureux  du  proli'stantisme  pour- 
ront se  taire  leur  religion  à  part,  ajouter  des  schismes  au  schis- 
me antérieur,  des  scissions  à  votre  première  scission  ;  et  à  force 
de  morceler  la  société  protestante,  la  réduire  aux  inllniment  pe- 
tits, à  néant!..  Or  ost-il  possible  (jue  Dieu  ail  créé  son  Eglise  sur 
ui}e  base  aussi  ruineuse?  N'est-il  pas  absurde  de  supposer  une 
société  divine,  portant  avec  elle  ce  principe  du  libre  examen, 
<lissolvanl  le  plus  a<tird'un  corps  social,  le  glaive  i\m  doit  inévi- 
tablement lui  donner  le  coup  de  mort?..  Il  est  donc  logiquement 
prouvé  (|u'une  Eglise,  dans  de  pareilles  conditions,  ne  saurait 
être  l'œuvre  de  Dieu. 

Laissons  parler  encore  la  raison  d'après  des  faits  notoires  : 
D'une  part,  dit-elle  au  protestantisme,  vos  diverses  Eglises  im- 
provisées par  Luiher,  par  Calvin,  par  un  Henri  VllI,  par  un 
Georges  Fox,  sont  di-pouillécs  de  tous  les  caractères  qui  distin- 
guent l'Eglise  du  Christ  :  elles  n'ont  ni  sa  Constante  visibilité,  ni 
son  invariabilité  de  doctrines  ,  ni  son  unité  de  foi  et  de  sacre- 
ments, ni  sa  catholicité,  ni  son  apostolicité.  J'ai  donc  droit  de 
conclure,  par  rapport  à  cette  absence  totale  de  signes  caractéris- 
tiques de  la  vériit'  religieuse ,  «pii  devraient  briller  dans  vos 
('glises,  qu'elles  sont,  à  tous  égards,  marquées  au  coin  de  la  faus- 

S«'l<''. 

D'autre  part,  ajoutera  la  raison,  lorsque,  l'histoire  à  la  main, 
i*'  vois  votre  Réiormation  s'annoncer,  dès  son  début,  par  les 
scandales  et  les  divisions  de  ses  chefs ,  par  ses  révoltes  contre 
tous  les  pouvoirs  existants,  par  les  déchirements  de  la  société 


CONDAMNÉE  A  ISL  POLVUlK  St  l'KOLVr.K.  329 

européenne ,  le  gros  bon  sens  me  dit  :  Non ,  ce  n'est  pas  là  la 
religion  de  J«''sus-Clirisi,  ni  l'Eglise  fondée  par  les  Apôtres! 

Eh  bien!  celle  conclusion  lirée  d'un  tel  ensemble  de  faits 
accusateurs  du  protestantisme,  n'est-elle  pas  des  plus  logiques 
contre  tous  les  échafaudages  d'Eglises  qu'a  élevés  la  Réforme? 

Mais  si,  le  Hambeau  delà  raison  à  la  main,  un  sage  prolestant 
entrait  dans  les  entrailles  mêmes  du  sujet,  et  qu'il  parcourût 
certaines  pages  de  l'histoire  de  la  Réformaiion,  il  y  verrait  des 
faits  assez  peu  édifiants,  des  principes  de  morale  fort  étranges 
sur  la  perte  du  libre  arbitre,  sur  la  prédestination  absolue  au 
ciel  ou  à  l'enfer,  sur  l'inulilité  des  bonnes  œuvres,  sur  la  poly- 
gamie, etc.  Or  ce  protestant  à  l'esprit  droit  pourrait-il  s'empê- 
cher, en  face  de  pareils  méfaits  et  de  si  déplorables  maximes, 
de  les  stigmatiser,  de  signaler  au  monde  chrétien  et  civilisé  leur 
opposition  directe  non-seulement  avec  l'Evangile,  mais  avec  la 
loi  naturelle  elle-même  ? 

D'après  ces  diverses  considérations,  les  puritains  de  la  Ré- 
forme devraient,  ce  semble ,  être  désenchantés  d'une  raison  dont 
l'usage,  en  matière  religieuse,  les  a  si  visiblement  égarés. 

Il  est  donc  vrai  qu'autant  la  raison  est  impuissante  pour  éta- 
blir ou  pour  ébranler  la  vérité  de  l'Eglise  de  Dieu,  autant  elle 
a  de  force  pour  déconcerter,  démolir  pièce  à  pièce  l'hérésie  des 
derniers  temps,  qui  veut  se  poser  en  institution  divine. 

Ainsi  est-il  évident,  aux  yeux  de  tout  homme  réfléchi,  qu'il 
n'est  pas  possible  à  la  Réforme  protestante  de  s'étayer  de  la  rai- 
son humaine,  d'en  extraire  une  seule  preuve  de  la  vérité  de  son 
Eglise. 

2°  Le  protestantisme,  qui  ne  saurait  demander  des  preuves  de 
sa  vérité  à  la  raison,  n'en  demandera  certainement  pas  à  la  Tra- 
dition qu'il  renie,  qu'il  repousse,  comme  lui  étant  lout-à-fait 
contraire.  Quelque  jour,  dans  une  thèse  spéciale,  nous  excipe- 
rons  de  cet  aveu  des  prolestants  par  rapport  à  l'opposition  de 
l'enseignement  traditionnel  avec  celui  de  la  Réforme,  pour  en 
faire,  contre  le  protestantisme  en  général,  un  sujet  d'argumenta- 
tion qui  devra  à  tout  jamais  le  convaincre  d'erreur,  écrasé  qu'il 
sera  sous  le  poids  d'une  si  haute  autorité. 


3;JU  I-  ÉGLISE  l'BuTESTAKTK,  ETC. 

Dans  notre  prochain  article,  nous  verrons  si  lEcrilurc  Sainte, 
ce  j^Tand  cheval  de  hataiih*  du  f)rotcstanlisme,  doit  lui  fournir, 
comme  il  s'en  Halte,  des  preuves  plausibles  de  sa  vérité  reli- 
gieuse. 

L'Abl>é  Cattet, 
Chanoine  cl  ancien  Vicaire-Général. 


ROME,  PARIS,  GENÈVE. 


A  MONSIEUR  BUNGENER. 


H  a  plu  à  M.  BuDgener,  ministre  prolestant  à  Genève,  d'a- 
dresser 5  Mgr  l'archevêque  de  Paris  une  lettre  intitulée  :  Rome 
à  Paris,  à  Toccasion  du  mandement  de  ce  pontife  sur  la  procla- 
mation du  dogme  de  l'Immaculée  Conception  de  la  Sainte  Vierge. 

Non,  il  n'est  pas  possible  de  trouver,  dans  les  annales  des 
écrivains  prolestants,  une  telle  suffisance,  une  si  prodigieuse  dé- 
pense de  fiel  et  d'insinuations  déloyales;  non,  rien  ne  dépasse  la 
fatuité  de  ce  monsieur  se  posant  en  docteur,  en  juge,  en  criti- 
que, en  prophète,  en  spadassin.  Quoique  Français  il  y  a  peu 
d'années  encore,  il  méconnaît  toutes  les  convenances  de  style  et 
de  position,  et  il  a  su  prendre  déjà  toutes  les  allures  de  celle 
polémique  seclaire  qui  mêle  sous  des  formes  mielleuses  l'in- 
jure à  la  perGdie.  M.  Bungener  est  riche  en  adverbes  restric- 
tifs ou  dubitatifs,  à  l'aide  desquels  il  égratigne  jusqu'au  sang  en 
faisant  patte  de  velours. 

M.  Bungener  est  à  Genève  ministre  d'une  des  sectes  protes- 
tantes qui  n'a  ni  profession  de  foi ,  ni  dogme ,  ni  conviction  ar- 
rêtée. Il  est  accusé  par  les  dissidents  d'être  «  hérétique,  »  de  ne 
pas  croire  à  la  divinité  de  Jésus-Christ,  d'avoir  une  Bible  falsi- 
fiée ,  d'enseigner  un  catéchisme  arien;  sa  mission  principale  ici 
est  de  faire  des  conférences  contre  la  religion  et  le  clergé  caiho- 


332  ROMK,  PARIS,  (;k>kvi:. 

liqucs  pour  faire  des  apostats;  licii  de  plus  audacieux  cpic  sa 
tactique,  rien  de  plus  pauvre  que  son  exégèse,  sa  science  t h t'-o- 
logique  cl  son  arf^umcntation.  Il  est  vrai  qu'il  n'a  guère  le  temps 
que  d'être  écrivain  lilléraleur  cl  romancier. 

Mais  n'est-ce  pas  un  devoir  pour  nous  de  prouver  que  nous 
n'exagérons  rien  en  donnant  ainsi  le  portrait  de  M.  Bungencr? 

Voyez  comme  cet  «  liomme  »  se  pose  facilement  et  comme  il 
appelle  plus  facilement  encore  Mgr  l'arclievéque  de  Paris  au  tri- 
bunal de  sa  supei  be  autorité  : 

«  Monseigneur,  le  jour  où  l'Immaculée  Conception  a  été  pro- 
clamée à  Notre-Dame,  si  vous  aviez  par  hasard  levé  les  yeux  sur 
une  des  hautes  galeries,  celle  qui  l'ail  face  à  voire  trône,  vous 
y  auriez  vu  un  homme  fort  respectueux  dans  sa  tenue,  mais  évi- 
demment étranger  aux  détails  de  votre  culte,  et,  sans  affecta- 
tion,  n'y   prenant  point  part.    Cet  homme  est  celui   qui  vous 

écrit ,  et  c'est  à  vous  (|ue  j'adresse  «es  pages.  —  «  Pourquoi 

à  l'archevêque?  »  me  dira-t-on  peut-être.  —  «  Pourquoi  à  un 
autre?  »  répondrai-je.  Vous  avez  été  ce  jour-là.  Monseigneur, 
non  un  homme,  mais  un  symbole,  et  un  double  symbole.  En  or- 
donnant de  croire,  vous  étiez  celui  de  l'autorité;  en  acceptant 
vous-même  ce  que  vous  imposiez  au  nom  du  Pape,  vous  dcv<'nieï 
celui  de  l'abdication  personnelle,  de  TindiNidu  cessant  d'être  et 
s'absorbant  dans  l'unité.  Rien  donc,  dans  mes  reniarques,  qui 
vous  soit  personnellement  hostile.  Vous  étiez  l'incarnation  d'un 
.système  ;  c'est  ce  système  que  je  n'ai  pu  m'empècher  de  con- 
damner au  nom  de  la  conscience,  de  la  raison,  de  l'Évangile.  » 

En  vérité,  il  est  bien  regrettable  (|ue  Mgr  Sibour  n'ait  pas  vu 
cet  «  homme,  »  que  cet  «  homme  étranger  au  détail  de  notre 
culte,  »  se  permette  pourtant  tout  à  l'heure  d'en  parler  comme 
un  aveugle  de  la  lumière;  cpie  «cet  homme»  annonce  des 
«  remarcjues  sans  hostilité  personnelle,  »  quand  il  va  deux  pa- 
ges plus  loin  outrager  l'homme  et  le  Pontife  par  les  insinuations 
les  plus  envenimées.  »  M.  lîungener  n'a  pu  s'empêcher  de  <on- 
»  damner  le  système  dont  Monseigneur  Sibour  est  l'incarnation  ;  » 
< 'est  bien  fâcheux,  en  vérité,  pour  le  .système  et  |>our  l'archevê- 


K(»Mi-:,  PAnis,  (ii:>KVK.  333 

(|iio  de  Paris  surtout,  puisque  le  jugement  pontifical  tle  M.  Bun- 
gcner  est  prononcé  au  nom  «de  la  conscience,  de  la  raison  et  de 
l'Évangile  »....  selon  M.  Bungener 

On  va  voir  ce  que  c'est  que  «  la  conscience ,  la  raison  et  VÈ.- 
n  vangile  »  de  ce  nïonsieur. 

Quand  on  lit  un  livre,  une  brochure  ou  un  pamphlet  sectaire*, 
ce  qu'il  importe  fort  au  lecteur  qui  veut  l'apprécier  à  sa  juste 
valeur,  c'est  de  dégager  le  fond  de  la  forme,  et  de  formuler  clai- 
rement les  axiomes  de  l'écrivain. 

M.  Bungencr,  dans  la  pompe  de  nos  cérémonies  et  dans  les 
iionneurs  rendus  à  rarchevèque ,  ne  voit  «  qu'une  église  trans- 

»  formée  en    boudoir» ,    «  des  vanités   éblouissantes  »...., 

«  l'homme  qui  devient,  par  les  hommages  qui  lui  sont  rendus, 
»  plus  que  Dieu,  plus  que  la  Vierge  elle-même....  » 

Comme  on  sent  qu'effectivement  M.  Bungener  reste  «  évidem- 
ment étranger  au  détail  de  notre  culte  !  »  Mais  alors  comment 
se  permet-il  de  parler  de  ce  qu'il  ne  sait  pas,  de  ce  qu'il  est 
incapable  de  comprendre?  Il  prétend  ne  juger  que  «  les  faits  », 
sans  parler  de  la  «  théorie,  »  et  il  conclut  que  «  Mgr  Sibour  se 

fait  plus  que  Dieu  ,  plus  que  la  Vierge  elle-même »    Quelle 

ignorance  du  sens  catholique,  quelle  ignorance  de  la  nature  hu- 
maine, quelle  ignorance  de  la  Bible!...  Les  magnificences  des 
costumes  et  des  cérémonies  prescrites  par  Dieu  lui-même  ne  re- 
haussaient aux  yeux  du  peuple  d'Israël  la  dignité  des  pontifes 
qtie  pour  sanctionner  leur  autorité  et  contribuer  à  la  gloire  de 
Dieu.  Et  si  «  les  apôtres  n'allaient  pas  dans  un  tel  appareil,  » 
c'est  que  l'Église  avait  300  ans  de  persécution  à  subir  avant 
que  Constantin  permît  l'ouverture  des  basiliques  chrétiennes  et 
plaçât  la  croix  sur  le  Labarum  et  sur  sa  couronne.  De  même  que 
la  simplicité  du  culte  des  patriarches  a  précédé  les  somptuosités 
du  tabernacle  et  l'éclat  du  temple  de  Jérusalem,  de  même  la  sim- 
plicité du  culte  des  catacombes  a  dû  précéder  la  majesté  du  culte 
public  et  solennel.  Mais  comment  vouloir  qu'un  «homme» 
qui  arrive  de  Genève  à  Notre-Dame  de  Paris  avec  une  idée 
préconçue,  une  hostilité  systématique,  avec  le  froid  glacial  de 
Calvin  dans  le  cœur,  et  la  nudité  du  temple  de  la  Fusterie , 
puisse  rien  comprendre  à  ce  que  nous  comprenons,  à  ce  que 


33i  K«»MK.,    l'ARIS,  GK.nkVK. 

ijous  :>ciiions  si  bien,  nous  cailioliques?  A  nos  yeux  ,  l'arcluvO- 
que  de  Paris  resie  «  liomnie,  »  vl  ù  ses  propres  yeux  il  s'humilie 
;tvoc  d'auianl  plus  il«^  Iraycur  «fu'il  csi  plus  «'levé;  le  pontife  esl 
honoré  parce  <ju'il  est  consacré  à  Dieu  bien  plus  (ju'Aaron,  ei 
parce  qu'il  csl  le  successeur  des  Apôires;  et  loin  d'être  plus 
que  Dieu  ou  la  Vierge  ,  la  majesté  de  Dieu  et  riionnoiir  de  sa 
Sainte  Mère  nous  paraissent  d'autant  plus  grands  que  ■  riiomuie» 
et  le  ponlife  s'entourent  de  plus  de  solennité  pour  offrir  i  la  Di- 
vinité seule  le  sacrifice  d'adoration ,  de  reconnaissance  et  d'a- 
mour, et  pour  proclamer  avec  plus  de  splendeur  les  privi^'^ges 
de  la  Mère  du  Sauveur  du  monde.  Vous  êtes  étranger  à  tout  cela, 
Monsieur  Bungener,  et  vous  y  resterez  encore  étranger.  Non-seu- 
lement vous  n'avez  pas  le  sens  cailioli<|ue,  mais  vous  ^les  sous 
l'empire  du  parti  pris,  et  vous  savez  pourquoi. 

M.  Bungener  va  donner  tout  à  l'heure  sa  leçon  dogmatique  et 
calviniennc  sur  le  dogme;  mais  il  lui  faut  avant  essayer  d'une 
tentation  et  d'une  insulte  particulières  au  clergé  de  Paris,  «  aux 
pauvres  petits  prôtres,  »  et  le  voilà  osant  écrire  les  lignes  sui- 
vantes : 

«  Ils  sont  là  ,  me  disais-je ,  trois  ou  <|uatre  cents  prêtres  de 
tout  rang,  les  uns  plus  loin,  les  autres  plus  |)rès  de  celle  écla- 
tante dignité,  mais  tous  également  lelipsés,  écrasés  par  elle,  et 
tous,  pourtant,  pouvant  espérer  d'y  arriver.  Vous  avez  été  prê- 
tre, Monseigneur,  avant  d'être  évêque  ;  vous  |)Ourriez  dire  mieux 
(jue  moi  ce  que  de  send)lables  spectacles  peuvent  éveiller  d'am- 
bition sous  une  soutane  de  jeune  homme,  et  ce  (jue  la  divine  hié- 
rarchie, comme  dit  votre  mandement,  y  reçoit  d'impressions  nii- 
sérablcmenl  liurnain<s.  Que  d'autres  nous  vantent  cel;i»(onimc 
une  organisation  habile  ;  je  n'y  vois  (jue  la  tentation  oiganisé-e,  le 
cœur  et  l'esprit  enchaînés.  Oui,  pauvre  petit  prêtre  pertlu  tout 
là  bas  dans  la  foule,  cette  mitre  pourrait  un  jour  resplendir  sur 
ton  front.  Tes  yeux  brillent  à  cette  pensée;  ton  cœur  bal...  mais 
écoute  :  Mul  ne  dcNient  maître,  dans  l'Kglise,  s'il  n'a  été-  pro- 
fondéineot  soumis  cl  ne  paraît  devoir  l'être  à  tout  jamais.  Un 
moment  de  réveil,  un  ccaimencemenl  de  résistance,  un  doute, 
un  rien,  et  le  voilà  cloué  ,  juscpi'à  la  mort ,  où  tu  es;  heureux  si 


HUMK,   l'AHLS,  GENÈVK.  335 

un  110  l\>ii  chasse  pas.  Soumissiun ,  suiiinissiun  encore,  ahilica- 
lion  pleine  el  puiTaito,  voilà  le  seul  moyen,  ici,  d'être  el  de  res- 
ter quelque  chose.  » 

Où  M.  Biinp[ener  a-l-il  trempé  son  pinceau?  Autant  de  lignes, 
autant  de  sottises.  Où  a-i-il  trouvé  de  ces  prêtres  catholiques 
éclipsés,  écrasés,  cloués,  enchaînés,  à  sa  façon?  Où  a-t-il  rencon- 
tré de  ces  j)rètres  pouvant  espérer  d'arriver  à  la  dignité  d'ar- 
chevêque, nourrissant  sous  la  soutane  Vamhition  de  la  mitre, 
avec  ces  yeux  brillants,  ce  cœur  qui  bat?  Esl-ce  là  un  argument, 
un  enseignement?  est-ce  là  la  condamnation  que  M.  Bungener 
nous  annonçait  au  nom  de  la  conscience,  de  la  raison  et  de  l'É- 
vangile? Quand  on  se  permet  un  pareil  outrage  à  tout  un  clergé, 
c'est  d'abord  qu'on  est  parfait  ignorant  des  sentiments  du  prêtre 
catholique ,  el  qu'à  défaut  de  raison  on  s'arme  de  fades  inven- 
tions. Et  M.  Bungener  appelle  cela  sa  «  conscience  »  et  son 
«  Évangile....  d 

Alors  arrive  le  tour  de  Mgr  Sibour.  M.  Bungener  (juge/  de 
sa  «  conscience ,  »  mais  aussi  de  sa  perfidie  sectaire)  craint  de 
s'aventurer...;  «  il  n'écoute  que  le  bruit  public,  on  dit  que... 
»  Je  n'en  sais  rien...  mais  certainement  tout  n'est  pas  faux.... 
ï  c'est  possible....  peut-être....  Je  crains  bien....  vous  avez 
»  cru...  laissez-moi  croire...  »  Et  puis,  sur  de  pareilles  autori- 
tés, ou  plutôt  sur  de  pareilles  trivialités,  cet  «  homme  de  la 
»  galerie  qui  aurait  voulu  attirer  les  regards  de  Mgr  Sibour,  »  va 
lui  jeter  à  la  Ggure  ces  phrases  calomnieuses  :  «  Vous  avez  été 
»  peu  partisan  non-seulement  de  la  proclamation ,  mais  du 
»  dogme;...  »  «  vous  avez  émis  à  Rome  des  idées  médiocrement 
»  favorables;  votre  clergé  avait  su  vos  velléités  contraires;...  » 
«  deviez-vous  parler  ainsi  après  ce  qu'on  avait  su  ou  cru  sa- 
»  voir?...  »  o  Rome  même  trouve  que  vous  avez  trop  obéi,...  » 
«  Laissez-moi  plutôt  croire  qu'il  vous  en  coulait  de  parler,  et  que 
»  vous  avez  hésité,  en  homme  d'honneur  et  en  chrétien,  devant 
»  un  acte  qui  allait  risquer  de  paraître  un  abandon  de  vous- 
-même... »  Puis,  M.  Bungener,  après  une  insulte  à  Fénélon , 
flnit  par  ces  mots  :  «  Mais  laissons  cela  ,  c'est  une  affaire  entre 
»  Dieu  et  vous.  » 

22 


•  i'Mt  UOMr.    PARIS,  (iK.IÈVK. 

Nous  aurif/  dû  ;ijouifi-  ;  cl  M.  lWtii},'»-iii.'r  ;...  lui,  le  jugr  de 
rarchevê<|ue  de  Paris,  du  cierj;»'  de  Paris;  lui  (]iii  parle  «  d'hun- 
nenr  »  et  (|ui  ouMie  (|ue  sa  prcinièrc  loi  dc-fend  rinsinualioD  pcr- 
lide;  lui  qui  parle  de  «  ciirislianisuie  »  el  (|ui  ne  ^aïi  pas  «|uel 
est  le  sien  el  celui  de  sa  secie  I  El  si  cela  élail  une  affaire  entre 
Dieu  et  Monsei^Munir  Sihuur,  puunpioi  vous  en  nièlr/.-vous? 
pounpioi  toutes  ces  astuces  que  l'arclievùque  de  Paris  ue  relè- 
vera même  i>as,  nous  en  avons  l'espoir,  et  que  chaque  prôlre  el 
chaque  catholique  du  diocèse  de  Paris  traitera  avec  le  mépris 
que  méritent  ces  manières  de  faire  oblicjucs  que  M.  Bun^^cnor 
appelle  «  sa  conscience,  sa  raison  el  son  Lvanyile.  n 

Après  le  clergé  cl  «  les  pauvres  petits  prôlres;  »  après  Mon- 
seigneur rai(lu'vét|ue,  arrive  la  ipieslion  du  dogme.  «  M.  IJun- 
»  gêner  ne  veut  pas  s'y  ariêter  longien)|)S  :  elle  n'est  |>as  la  priu- 
»  cipale  à  Paris  ;  elle  ne  l'a  pas  élé  à  Uome.  »  Voyez  (piclh-  grave 
autorité  que  celle  de  M.  Bungener  dominant  la  question  à  Rome, 
à  Paris  et  dans  toute  la  catholicité!  Tous  les  évéques  du  monde 
ont  donné  un  avis  idenli(pie;  la  maiiiléslaiion  de  la  loi  et  du 
bonheur  des  populations  catholiipies  est  universelle;  mais 
M.  Bungener  en  sait  davantage  certes  «pie  tous  nos  évê(|U<  s... 
Il  sait   n  les  vices  »  du  dcriet  du  Pape;  ail  devient  clair  comme 

•  le  jour,  dit-il,  cpie  rimmaculée  Conception,  si  elle  avait  vi\ 
«pour  elle  lous  les  témoignages  des  siècles,  serait  article  de  foi 
adofjuis  des  siècles,  depuis  les  premiers  siècles.»  Pour  moi,  il  est 
clair  connue  le  jour  (jue  .M.  Bungener  ne  sait  pas  même  ce  que 
c'est  que  le  premier  (lev(»ir  di-  la  logique.  Conmie  si  l'unanimité 
des  témoignages  obligeait  rhgiise  de  se  piononcer  liic  et  nunr... 
(domine  si  à  Nicee,  a  Consianiiuople,  à  K|>hès(',  à  (.ialcedoine,  on 
était  arrivé  trop  lard  pour  déiinir  des  dogmes  qui,  jus(|u'à  chacun 
de  ces  conciles,  n'éiait'ut  que  des  croyances  revêtues  d'unanimes 
ténroignages...  Comme  si  M.  Bungener,  accordant  à  la  réforme 
du  seizième  siècle  le  pouvoir  d'apercevoir,  comme  il  ledit,  «le 
nouvelles  vérités,  el  à  lous  les  siècles  celui  de  faire  pr(»gresser 
la  religion;  «"onime  si  lui,  aujourd'hui  voyant  ou  enseignant  au- 
tr«'ment  «pie  Lniher,  «jue  Calvin,  «pi«'  M.  Mahin  «-l  que  M.  Gaus- 
sen,  et  même  s'accordanl  le  droit  de  changer  de  dogmes,  ou  de 
morale,  ou  «le  culte,  du  jour  au  lendemain,  sous  tine  leriurc 


HOMF.,  PAMIS,  <iF.Ni:vi:.  'X]7 

plus  lihro  clo  la  Bible  on  sons  une  impression  plus  forte  de 
son  esprit;  couiine  si  M.  liuiiyeiier  avait  hoiinc  j,'râce  de  ve- 
nir l'aire  le  procès  à  l'tj^lise  cailiolique...  El  il  faut  encore  re- 
marquer que  ce  lin  joùleur  nonlcnd  rien  à  la  théologie,  à  la 
tradition  ,  ù  la  définition  des  articles  de  foi,  par  la  raison  toute 
simple,  il  est  vrai,  qu'il  est  hors  d'(''lat  d'avoir  une  notion  exacte 
de  ce  que  c'est  qu'une  profession  de  foi,  une  croyance,  un  dogme, 
de  ce  que  c'est  même  que  la  loi.  On  est  stupéfait  d'une  telle 
usurpation  et  d'une  telle  (ontradiciion.  Kt  |niis,  avec  quelle  dé- 
sinvolture ce  romancier -théologien-rationaliste  vient  contester, 
en  quelques  pauvres  assertions  de  son  esprit,  les  témoignages  de 
la  sainte  Bible,  des  Apôtres,  des  Pères  de  l'Église!  Comme  il  est 
content  de  citer  saint  Bernard  en  le  défigurant  totalement!  Quelle 
science,  quelle  exégèse,  quel  terrible  pourfendeur  des  évoques 
de  toute  la  chrétienté,  des  théologiens  de  tous  les  siècles  et  de 
toutes  les  églises,  des  évèques  réunis  à  Rome!  Quelle  grave  et 
puissante  autorité  que  celle  de  M.  Bungener,  ministre  à  Genève, 
auteur  d'un  odieux  et  immoral  roman  contre  le  clergé  catholi- 
que, se  posant  en  présence  de  l'Écriture  Sainte,  de  la  tradition, 
de  l'Église ,  des  populations  catholiques  de  l'univers  manifes- 
tant leur  bonheur  de  voir  une  de  leurs  plus  chères  et  de  leurs 
plus  unanimes  croyances  élevée  à  la  dignité  d'un  article  de  foi  ! 
Ah  !  si  iM.  Bungener,  avant  d'écrire  sa  faible  et  orgueilleuse  bro- 
chure à  Mgr  l'archevêque  de  Paris,  avait  lu  les  seuls  mande- 
ments des  grands  évêques  de  France,  et  entre  autres  ceux  de 
Mgr  l'évèque  de  Poitiers,  de  Mgr  l'evèque  d'Orléans!  etc.,  etc.  ; 
mais  quand  on  n'a  rien  compris  dans  le  mandement  de  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Paris,  comment  aurait-on  compris  quelque  chose  à 
la  science ,  à  la  théologie ,  à  la  piété  de  tous  les  évèques  du 
monde? 

Mais  M.  Bungener  ne  voulait  pas  «  s'arrêter  longuement  sur 
la  question  du  dogme.  »  A  mes  yeux ,  il  a  été  trop  long  et  trop 
court  ;  ce  qui  «  l'indigne  »  surtout ,  c'est  que  Rome  a  parlé  ; 
«  elle  a  fait  de  rien  (pielque  chose,  »  et  il  se  prend  de  déses- 
poir en  voyant  «  les  évêques  se  faisant  comparses  sur  le  grand 
«théâtre  de  Saint-Pierre...  perdant  leur  dignité  de  Français  et 
»d'évéques.  »  Il  est  humilié  de  voir  «  l'Église  gallicane  (ceci  est 


X\H  Kii.Mi  ,   l'vRis,  GK>èvr.- 

délicieux)  oublier   ilo   i;i|>|»il<  r    ;ni    Dieu  du  Vatican  (|u'il   esi 
>  homme,  •  et  ces  «  deux  cenls  évt'(|ucs  sanclionnanl  la  contis- 
ncaiion  suprême  que  Home  irvail  depuis  mille  ans.  »  ■  Ce  (pu- 
D  j'admire,  dil-il,  ce  n'eslplus  la  hardiessedu  Pape,  mais  la  V(^tl•e, 
»  Monseigneur.  »    «  Vous  vous  ôles  enivre  du  despotisme  que  vous 
«avez  respiré  au  \'aiiran.   On  ne  s'appr(»clie  pas  impunément, 
»  même  à  genoux  ,  d'un  homme  qui  s'est  lait  Dieu  ;  toujours ,  eu 
n  revenant,  on  se  croit  un  peu  Dieu  soi-même.  »  Puis  les  tirades 
hahiluelles  sur  «la  Papauté,»  sur  le  «catholicisme  im|)uissaut,  > 
puis  sur  a  le   tiône  ébranlé  du  Pape,  »  puis  sur  «  Pie  IX  qui  a 
»  su   rougir  du  zde  aveugle  de  Mgr  Sihour,  »  |>uis  sur  «  Paris 
«  humilié  des  abaissements  de  son  archevêque  devant  le  Pape.  » 
Puis   M.   Bungener  s'avance  lui-même,   «  et  sans  être  de  P:iris  , 
n  dil-il,    sans  être   même  catholique,  on  peut  encore  s'affliger 
»  d'un  si  coui|)let  abaissement  de  l'homme   devant  l'homme.  » 
El  alors,   quesiiounant  Mgr   Parchevêquc  de  Paris   avec  celte 
audace  de  tous  les  sectaires   iuconsé<pients,  avec  cette  phra- 
séologie de   ces   écrivains    qui    montent   sur  des  é<hasscs  poui- 
se    faire    écouler  :   *  Et    c'est   pour   cela ,    Monseigneur,    que 
>  je  vous  demanderai  en  terminant,  sans  ironie  aucune  (la  bro- 
»  churc  en  esl  pleine  d'un  bout  à  l'autre),  d'homme  à  homme, 
•  de  chrétien  à  chrétien  (?),  ce  que  vous  attendez  du  grand  acte 
»  dont  il  vous  a  fallu  paraître  si  joyeux  et  si  heureux.  »  Com- 
bien nous  désirons  à    Genève  que  Monseigneur  Sibour   ne  ré- 
j)on(le  pas  à  «  cet  homuio  n  de  la  galerie  de  Nolie-Dame ,  à  ce 
«  chréiien  «    <pii    m;  croii  pas  même  à    la   divinité  de  Jésus- 
Christ,  à  la  nécessité    du   baptême,  et  qui  passe  son   temps, 
ici  à  Genève  ,  à  faire  d'odieuses  courerenc<'s  pour  tromper  les 
prolestants  et  pour  arracher  la  foi  à  de  pauvres  fdles  de  la  Sa- 
voie en  défigurant  le  catholicisme. 

M.  Hungener  estime,  lui,  que  Mgr  sert  lincredulite  et  l'hé- 
résie, alfaiblil  le  christianisme  et  la  foi,  le  système  catholi(|ue 
et  le  pouvoir  absolu  du  Pape...  Et  pourquoi  toutes  ces  calami- 
tés? parce  que  Monseigneur  : 

1°  «  A  mis  sur  le  st^cond  plan  Vidée  de  la  ledemption  par  la 
croix.  » 


«OMl-,   l'AUIS,   (iICMCVl..  339 

2"  «  A  reguidc  le  salut  du  genre  humain  de  plus  en  plus 
comme  l'œuvre  de  la  Vierge.  » 

3°  a  A  aidé  les  peuples  à  une  véritable  adoration  de  la  Vierge.» 

4°  «  A  fait  de  la  Vierge  l'espérance,  la  Providence  et  la  divi- 
nité des  chrétiens.  » 

ô"  o  Et  s'est  fait  à  Paris  le  plus  grand  ennemi  du  christia- 
nisme. » 

Quand  on  pense  que  de  pareilles  absurdités  sont  la  pàlurc 
des  infortunés  protestants  de  Genève  qu'on  égare  ;  quand  on 
pense  que  ce  sont  là  les  déclamations  d'hommes  qui  devraient 
être  sévères  et  qui  se  disent  ministres  du  Saint  Evangile!  J'au- 
rais presque  envie  d'évoquer,  à  la  manière  de  M.  Bungener,  les 
anciens  controversistes  protestants,  les  Claude,  les  Jurieu ,  les 
Leibniz,  les  Grolius,  les  Moulinié  ;  que  diraient-ils,  en  voyant 
jusqu'où  s'est  abaissée  la  controverse  genevoise? 

Luther  a  eu  ses  communications  avec  le  démon  ;  il  avait  son 
génie.  M.  Bungener  n'a  pas  reçu,  lui,  des  inspirations  si  puissan- 
tes ,  il  a  tout  vu  à  Notre-Dame ,  dans  le  mandement  de  l'arche- 
vêque de  Paris ,  dans  la  solennité  de  Rome  ,  dans  l'Immaculée 
Conception  de  la  Sainte  Vierge,  dans  l'autorité  et  l'enseigne- 
ment de  l'Eglise  catholique,  il  a  tout  vu  sous  une  influence  qui 
l'a  égaré,  enivré,  passionné;  ce  n'est  plus  Vombre  de  Calvin  qui 
a  dirigé  sa  plume,  c'est  «  le  rire  de  Voltaire  qu'il  a  entendu  à  la 
»  lecture  du  décret  à  Notre-Dame,  et  qu'il  a  entendu  plus  aigre 
»  en  lisant  le  mandement  de  l'archevêque  de  Paris.  » 

Tout  M.  Bungener  est  là  ;  maintenant  sa  brochure  s'explique  ; 
seulement  Voltaire  voulait  écraser  Vinfâme,  qui  était  pour  lui  le 
christianisme;  pour  M.  Bungener,  c'est  le  catholicisme. 

Voltaire  ne  rit  plus,  pas  même  au  Panthéon;  M.  Bungener 
ne  rira  pas  toujours... 

Le  christianisme  ne  sera  pas  sauvé  par  les  ministres-roman- 
ciers qui  se  croient  «appelés  du  ciel  à  le  soigner.»  «L'arbre  éter- 
nel, »  c'est  le  catholicisme  aux  pieds  duquel  sont  venus  se  bri- 
ser de  siècles  en  siècles  les  hérésies,  les  rodomontades,  les 
suIUsances,  les  calomnies  et  les  perfidies  des  faiseurs  de  bro- 
chures. 


LOGIQUE 

Par  W  W.  1*.  Gratry,  prèliT  de  TOratoii'e 
de  rimmacuhT  Conception. 


Le  I'.  Gratry  a  quuraiiie  ans,  cl  il  y  a  trois  années  à  f>eine 
i]ue  son  nom  est  connu  du  public.  AumAiiier  de  l'Ecole  normale 
alors,  on  se  souvient  avec  quel  éclat  et  quelle  supériorité  il  en- 
tra en  lutte  avec  un  professeur  de  cette  institution,  M.  Vacbe- 
rol.  L'occasion  du  conflit  était  une  Histoire  des  philosophes  d'yi- 
lexandrie,  où  l'élève  de  M.  Cousin  ,  non  content  de  travestir  la 
doctrine  callioli(|ue,  s'abandonnait  à  tous  les  errements  de  l'bé- 
jîélianisnie.  V Etude  sur  la  sophistique  contemporaine  révéla  :  à 
la  France  un  esprit  pbilosopliique  de  plus  ;  à  l'Église  un  défen- 
seur docte  en  toutes  sciences.  Adversaires  et  amis,  personne  ne 
se  nit'prit  sur  la  valeur  de  ce  manifeste.  Encore  bien  (|u  il  n'eût 
jamais  rien  publié,  il  était  évident  que  l'auteur  n'était  pas  plus 
uDvice  dans  l'art  d'écrire  que  dans  la  culture  des  bautes  scien- 
(  es.  Le  P.  Gratry  recueillait  la  récompense  de  s'être  préservé 
mieux  que  nul  antre  en  ce  siècle  de  cette  impatience  de  publi- 
cité qui  de  nos  jours  fait  avorter  tant  d'intelligences.  En  France, 
quelqu'un  l'a  dit  (1),  ce  qu'on  a  appris  la  veille  on  le  professe  le 


il)   M.  t'oi>scl,  i|iii  ;i  rci-dc-illi  ers  iloluiU  luoniapliKHir.»  dans  une  anilysr 
Liiliquo  du  t'ruHé  df  ta  cunniiituancr  de  Diru.  Lorrcs|».  janv.  1895. 


LOCIOIR.  341 

lendemain,  lo  snilcndemain  on  l'imprime.  Ainsi  nu  j)oinl  fait  le 
W  Grau  y. 

Me  en  ISUo,  «'ninK'né  enfant  en  Allemaf,'nn,  pnis  ramené  en 
France,  élève  de  Henri  IV  et  de  Saint-Louis,  lauréat  de  l'Univer- 
sité aux  coneours  g(';néraux  ,  —  Prix  d'honneur  en  1824,  — 
apiès  cinq  années  de  cette  incrédulil»'  de  collège  on  restent  la 
plupart,  il  avait  eu  l'insigne  bonheur  de  retrouver  la  foi.  Tout 
entier  au  sentiment  de  la  vérité  reconquise,  il  voua  sa  vie  à  la 
joie  sainte  de  la  faire  connaître  et  aimer  par  d'autres.  Il  voulut 
donc  étudier  les  sciences  (car  elles  sont  à  Dieu  comme  les  let- 
tres), et  voyant  une  auréole  sur  le  Iront  des  élèves  de  l'École 
Polytechnique ,  il  souhaita  d'appartenir  ù  celte  École.  Mais  il 
avait  dix-neuf  ans  et  denn,  et  il  ne  savait  pas  faire  une  addition. 
Néanmoins,  il  mit  sa  confiance  en  Dieu  ,  se  présenta  en  mathé- 
matiques spéciales  sans  avoir  entendu  parler  de  mathématiques 
élémentaires,  et ,  au  bout  de  l'année,  il  entrait  à  l'École  Poly- 
technique. 

Là,  il  partagea  son  temps  entre  la  science  et  la  lecture  de  VJ- 
mitation,  unie  à  la  méditation  assidue  de  l'Écriture  sainte.  Dé- 
signé ,  après  deux  ans  passés  dans  ces  fortes  études,  pour  suivre 
la  carrière  du  génie,  il  donna  sa  démission  ,  et,  rentré  dans  sa 
liberté,  il  partit  pour  Strasbourg,  où  un  autre  converti,  élève 
comme  lui  de  l'Université  de  France  ,  M.  Bautain  ,  fondait  une 
école  de  philosophie  catholique.  11  y  avait  là  un  groupe  déjeu- 
nes hommes  admirables  d'amour  de  Dieu  ,  d'élan ,  de  courage  et 
de  dévouement  (1).  M.  Gratry  entra  dans  les  saints  ordres  avec 
eux  et  comme  eux  se  fit  humblement  professeur  au  petit  Sémi- 
naire de  Strasbourg.  Il  y  demeura  douze  ans.  Pris  comme  de 
force  pour  diriger  le  collège  Stanislas,  de  Paris,  il  poursuivit  ses 
chères  éludes  malgré  ce  fardeau;  il  s'était  habitué  à  mener  de 
front  le  travail  de  la  pensée  et  le  reste  ,  en  portant  tout  ce  qu'on 
peut  porter  d'activité  extérieure. 


(1)  M.  de  Boiinecliose,  aujourd'hui  cvcque  d'Evrcux,  M.  Cari,  directeur  du 
collège  de  Juilly,  M.  l'abbé  Ratisbonne,  historien  de  Saint-Bernard,  M.  l'abbé 
Goschler,  ancien  supérieur  du  collège  Stanislas,  Mgr  Level,  supérieur  de 
Saint-Lonisde  Rome,  etc.,  etc. 


C'était  un  jou^  louicfuis  :  l'abbé  Grairy  le  rompit,  et  rindii 
rnlin  à  quelque  loisir,  re<,u  ,  après  des  examens  sérieux ,  doc- 
teur en  théolofïie,  il  devint  aumônier  do  l'École  Normale,  d'où  il 
sortit,  comme  on  s;iil,  par  son  duel  pliilosophi(]ue  :ivec  M.  Va- 
clierot.  C'est  alois  qu'il  se  sentit  appel»'  ;i  concourir  avec  quel- 
ques hommes  d'élite  à  une  oeuvre  jurande  et  sainte,  à  la  fonda- 
tion d'un  institut  rclif^'ieux  spéeialenjeni  \our  i\  la  direclion  de  la 
|)reini«''ie  ('-ducaiion  cléricale  :  j'ai  nommé  le  nouvel  Oratoire. 

Il  faudrait  revenir  ici  sur  la  méprise  à  laquelle  ce  nom  d'Ora- 
toire avait  induit  un  écrivain  fort  rt'pandu  dans  le  monde ,  un 
académicien  (l)  fjui  voyait  là  non  sans  applaudissements  un 
},'erme  d'antagonisme  contre  une  Société  partout  et  toujours 
odieuse  aux  ennemis  de  l'Église.  Dans  la  préface  de  la  seconde 
édition  de  la  Connaissance  de  Dieu,  le  P.  Gralrv  a  dissipé  tous 
les  nuages.  Il  a  enlev»'-  à  M.  de  Kémusat  tout  prétexte  pour  lui 
faire  jouer  un  rôle  équivoque.  Moins  que  les  autres,  les  lecteurs 
des  annales  s'étonneront  de  celte  légèreté  qui  a  entraîni-  l'Iiis- 
lorien  d'Aheilardà  commettre  d'aussi  graves  erreurs.  L'écrivain 
qui  avait  prétendu  juger  du  protestantisme  d'aujourd'hui  d'après 
des  formules  surannées  depuis  longtemps  délaissées  par  lui , 
pouvait  fort  bien  attribuer  au  nouvel  Oratoin>  les  tendances 
(rop[)osilioii  ilun  prclrridu  liln-iaiisine.  C'éi;iii  dans  l'ordre. 
Mais  quelle  ignorance  de  ses  propres  contemporains!  Est-il  per- 
mis de  parler  de  la  sorte  d'hommes  qui  Nivent  au  grand  jour, 
d'hommes  que  l'on  coudoie  à  chaque  instant?  Kn  vérité,  voilà 
pour  la  gravité  académique  de  ces  bévues  compromettantes. 

Ce  préambule  était  nécessaire  pour  parler  d'iui  homme  trop 
distingué  désormais  pour  qu'il  soit  permis  d'ignorer  son  histoire. 

Il  n'est  point  dans  notre  dessein  de  parler  ici  longuement  du 
Traité  de  la  connaissance  de  Dieu,  ce  livre  fournit  une  brillante 
carrière.  Il  a  méiilé  les  suffrages  académiques.  Il  est  entre  les 
mains  do  cette  classe  de  lecteurs  heureusement  de  plus  en  plus 
nombreuse  qui  se  plail  à  voir  un  grand  esprit  unir  la  ferveur 
«l'une  solide  piété  aux  investigations  d'une  science  transcendante. 

ili   M.  (If  ili-iimvil.  il.iriN  l.i  liiiitr  tle.\  Ihu.i   M«ndc%. 


Il  a  conquis  des  syinpalhies  jiiS(|Uo  sur  les  icncs  rélorniécs(l), 
|)uur  l'ortlinairc  si  peu  comptables  de  justice  à  l'endroit  des  œu- 
vres caiholiciues.  La  France  reconnaissante  n'hésite  pas  à  placer 
le  P.  Gralry  à  côté  de  de  MaleWranclie.  C'est  à  la  fois  formuler 
nu  éloge  exempt  d'exagération  et  caractériser  les  mérites  de 
l'œuvre.  La  Connaissance  de  Dieu  rappelle  la  Recherche  de  la 
vérité  et  les  Entretiens  métaphysiques.  C'est  la  même  imagination 
brillante.  C'est  la  même  abondance  dans  le  discours.  C'est  le 
même  soin  de  parler  une  langue  pure  dont  les  élégances  ex- 
cluent toujours  la  manière.  Le  P.  Gratry  a  peut-être  plus  de 
grâce  que  son  devancier;  il  n'a  pas  moins  d'éloquence.  Assuré- 
ment il  possède  à  un  plus  haut  point  ce  don  si  précieux  de  ré- 
pandre son  âme  dans  ce  (pi'il  écrit. 

La  logique  a  suivi  de  près  la  Connaissance  de  Dieu.  Il  se  voit 
aisément  que  les  deux  livres  ont  été  composés  simultanément. 
L'un  est  le  complément  de  l'autre.  Le  Traité  de  la  connaissance 
de  Dieu  n'est  en  déluiilive  (ju'unc  application  de  la  Logique; 
des  motifs  secondaires  ont  seuls  déterminé  le  P.  Gratry  à  inter- 
vertir l'ordre  naturel.  C'était  de  sa  part  une  question  de  tacti- 
(jue.  Il  n'a  pas  voulu  effrayer  tout  d'abord  le  lecteur  par  la  con- 


(J)  Nous  désignons  ici  surtout  le  travail  si  distingué  de  M.  Secretan,  pro- 
fesseur de  philosophie  à  Ncuchàtel ,  publié  dans  la  Bévue  Chrélienne.  Tou- 
tefois ,  fidèle  à  ses  habitudes  d'individualiste ,  M.  Secretan  parle  trop  des 
convictions  du  P.  Gratry  comme  dun  christianisme  rationaliste  et  expéri- 
mental. C'est  à  la  fois  méconnaître  ihonime  et  la  doctrine  qui  fait  sa  force 
et  sa  lumière.  Pourquoi  faut-il  que  ce  jugement  si  bienveillant  et  si  autorisé 
se  termine  par  quelques  lignes  qui  sont  une  véritable  tache  !  Il  va  là  autant 
d'erreurs  que  de  mots.  Qui  M.  Secretan  croit-il  abuser  en  amplifiant  jusqu'à 
l'absurde  une  assertion  isolée  du  comte  de  Maislre  et  en  l'appliquant,  par 
voie  dinsinuation  et  de  conséquence,  à  l'Eglise  catholique  entière?  Que  dire 
de  ce  plat  mensonge  touchant  la  bulle  i.neffabilis?  Cette  malheureuse  con- 
clusion serait-elle  un  passeport  nécessaire  pour  avoir  l'honneur  d'écrire  dans 
\i  Revue  Chrélienne?  A  lire  M.  Secretan,  on  l'aurait  pu  croire  supérieur  à 
celte  immense  faiblesse  de  travestissement  qui  déshonore  si  souvent  la  polé- 
mique des  partis  adverses  à  la  doctrine  catholique.  Tout  en  demeurant  dans 
ses  lignes,  l'auteur  de  la  Philosophie  de  la  liberté  d^uraM  pu  s'épargner  cette 
défaite  :  car  c'en  est  une  pour  un  homme  qui  veut  être  sérieux  que  de  tom- 
ber à  ce  point  dans  le  dénigrement  vulgaire.  Quel  éclatant  démenti  à  cette 
diatribe  que  le  livre  qu'il  vient  d  analyser  ! 


n'i'i  i.ooiyvF. 

.Mdcralioii  ilc  ces  aspciilcs  sèches  cl  rudes  doiil  du  a  riialiiliide 
d'oiKoiiier  le  leime  do  logi()uo.  L'événement  a  parlaiiemeni  jus- 
lilié  des  prévisions  fondées  sur  une  oxacie  appréciation  de  la  na- 
ture des  intellif^ences  et  de  leur  médiocre  intensité».  Le  lecteur, 
ravi  par  les  paf,'es  élo(pienlcs  de  la  Connaissoticc  de  Dieu ,  s'em- 
presse aux  dillicultés  de  la  Logique;  il  va  sans  hésiter,  et  le 
/.èle  immi'dialcnieiit  trouve  sa  ré<on)pense. 

Kn  ellel,  la  luj^iijuc  n'est  point  puui-  le  P.  Gratrv  une  sèche  ex- 
position des  formes  du  langage;  elle  n'est  pas  pour  lui,  comme 
on  le  dit  vulgairement,  l'art  lechnicpie  du  raisonnement  enseigné 
par  une  méthode  ingrate  et  méticuleuse.  Pour  le  P.  Gratrv, 
comuje  pour  Leibniz. ,  la  logique,  c'est  l'art  d'employer  sa  raison 
non-seulement  à  juger  ce  tjui  est  doimé  ,  mais  encore  à  trouver 
ce  qui  est  caché.  Le  docte  prêtre  se  représente  comme  tm  lionmie 
«jui,  après  avoir  traversé  la  vie  jus<|u'à  l'automne  dans  un  travail 
sans  relâche  ;  après  avoir  blanchi  à  la  charrue  de  l'étude ,  pour 
l'amour  de  la  vérité  seule,  essaie,  après  la  récolle,  d'apprendre 
aux  plus  jeunes  otivriers  l'ensemble  des  travaux  qu'il  faut  subii-, 
des  lègles  et  des  industries  (pi'il  fatit  connaître,  des  semences 
«juil  faut  avoir,  des  lléaiix  (pi'il  faut  eviler  pour  arriver  à  une 
moisson.  Il  espère  <pie  les  conseils  et  les  discouis  de  ce  bienveil- 
lant laboureur  seront  utiles  à  ses  jeunes  frères  et  sauront  en  ame- 
ner quebpies-uns  à  l'art  de  produire  dans  le  champ  de  leur 
âme,  sous  le  soleil  et  la  rosée  de  Dieu,  le  vin  et  le  froment  de  la 
vc'rité. 

Telle  est  l'ambition  du  P.  Gratrv  :  aider  ceux  qui  cherchent 
la  vérité,  la  vérité  entière.  Dans  tous  les  sens,  dans  tous  les  or- 
dres de  choses;  la  vérité  pour  sa  beauié,  pour  l'amour  des  hommes 
et  pour  Tamoui'  ch;  Dieu.  \oilà  le  princij)e  et  le|)oint  de  dé-part. 
Puis  il  faut  tra\ailler  sur  cette  semence.  Dieu  ne  cesse  de  semer 
dans  notre  âme.  Comme  |)iéparalion  préliminaire,  ce  n'est  pas 
notre  esprit,  mais  notic  volonté  (pi'il  faut  applicjuer  d'abord  aux 
données  de  la  vérité.  Le  Maître  l'a  dit,  il  faut  faire  en  soi-même 
la  vérité  avant  de  la  connaître.  La  loi  de  la  volonté,  pour  ne 
pas  corrompie  la  semence,  est  de  prt'ft'rer  toujours  Dieu  à  soi 
même  et  au  mondi".  Cette  sorte  de  rericjncement  ;i  soi-même  et  an 
inniidc  ,   pour  préb-rer  Dieu,   c'est  la  nwrl  philosophique  doni 


i,i)(,i(^n  !• .  34.') 

païK'iii  SiHiait'  tl  IMaloii  ,  l'osl  rimilaiioii  morale  du  sacrifice 
(•vaii^'clit|ii('.  La  tin  dciiiicic  dr  la  raison  consiste  à  eolrer  dès 
ccUc  vie  en  niioKiuc  coniinrnicint'nl  de  rapport  direct  avec 
Dieu.  Il  y  a  iks  croyants  (jui  repoussent  de  la  Loj^iquc,  comme 
mi  allVeux  mélange,  toute  mention  de  celle  fin  dernière.  Mais, 
pourrait  dire  la  raison  ,  pouripioi  sé[)arer  l'idée  de  mon  but  ter- 
restre et  ridée  de  mon  but  rélestc  ;  pourquoi  ne  les  jamais 
comparer  et  n'en  point  saisir  les  rapports  poui-  embellir  mon  but 
terrestre  par  la  sainte  perspective  du  ciel?  Comment  ne  pas  voir, 
ajoute  le  P.  Gralry,  qu'un  des  plus  grands  obstacles  qui  empêche 
la  raison  d'arriver  à  son  but  terrestre,  c'est  qu'elle  ignore  ou 
mt'connail  son  bul  céleste.  La  raison  ne  peut  impunément  s'ab- 
straire du  désir  naturel  de  connaître  Dieu  et  des  continuelles 
excitations  surnaturelles  qui  la  poussent  à  sa  lin  dernière.  Ne 
refuser  jamais  à  la  raison,  surtout  à  la  raison  flexible  des  jeunes 
hommes ,  l'ensemble  des  données  de  l'ûme  sur  Dieu  et  le  dou- 
ble flambeau  des  deux  lumières.  Agir  autrement,  on  ne  le  voit 
que  trop ,  c'est  s'exposer  à  tenir  sous  le  boisseau  la  meilleure 
des  deux. 

Tels  sont  les  préliminaires  que  le  pieux  oralorien  donne  à  sa 
Logique.  C'est  bien  là  une  logique  vivante,  la  seule  digne  de  ten- 
ter des  esprits  sérieux,  comme  la  seule  capable  de  captiver  les 
jeunes  intelligences;  à  cet  âge  oîi  il  est  afl'aire  de  si  grande  im- 
portance de  tourner  sans  cesse  le  cœur  de  l'homme  vers  le  but 
souverain. 

Ici  intervient  une  définition  de  la  certitude.  C'est,  dit  l'auteur, 
un  étal  de  l'âme  qui  en  exclut  le  doute.  Mais  quel  peut  être  cet 
étal  de  l'âme  qui  exclut  le  doute  et  engendre  la  certitude?  Pour 
le  P.  Gralry,  comme  pour  saint  Augustin,  pour  saint  Thomas, 
pour  saint  Bonaventure,  Descartes,  Leibniz  et  tout  le  dix-sep- 
tième siècle,  «  le  fondement  de  la  certitude  est  la  lumière  de  la 
raison  ,  lumière  que  Dieu  met  en  nous  et  dans  laquelle  il  nous 
parle.  »  Nous  voyons  et  nous  jugeons  tout  en  Dieu ,  en  ce  sens 
que  nous  ne  connaissons  et  ne  jugeons  que  par  la  participation 
de  la  lumière  de  Dieu.  Car  la  lumière  de  la  raison  est  une  cer- 
taine participation  de  la  lumière  divine.  C'est  ainsi  que  nous 
voyons  et  jugeons  les  choses  sensibles  par  le  soleil,  c'est-à-dire 


3V0  I.DOlvJLl.. 

par  la  luiuien:  du  suleil.  C't'Sl  puui'({Uui  suinl  Augustin  a  dit  : 
l.os  principes  évidenls  des  sciences  ne  peuvent  ôlrc  vu»,  s'ils  ne 
sont  illumines  par  leur  soleil,  c'est-à-dire  par  Dieu.  De  même 
dune  ijuc  pour  Noir  les  ol)jels  sensibles,  il  n'est  pas  nécessaire  de 
voir  la  substance  du  soleil ,  de  même ,  pour  voir  les  vérités  in- 
telligibles, il  n'est  pas  nécessaire  de  voir  l'essence  de  Dieu 
(saint  Thomas).  Donc  dans  la  vue  des  idées  et  dans  la  vue  du 
monde,  Dieu,  d'une  certaine  manière,  et  nous  parle  et  se  mon- 
ire.  C'est  de  sa  vérité,  c'est  de  sa  véracité  que  vient  à  notre  es- 
prit toute  certitude.  Descartes  a  dit  :  o  La  rè^le  que  j'ai  posée, 
savoir  que  les  choses  que  nous  conc<'vons  clairement  sont  toutes 
vraies,  n'est  assurée  qu'à  cause  que  Dieu  est,  et  que  tout  ce 
qui  est  en  nous  vient  de  lui.»  C'est  ainsi  que  toute  science  est 
en  Dieu  ,  d'après  la  profonde  parole  de  saint  Paul  :  «  C'est  en 
Dieu  que  nous  vivons,  «juc  nous  sommes  et  i\ue  nous  nous  mou- 
vons. » 

A  ce  sujet  IcP.Gralryse  livre  à  un  lumineux  commentaire  d'un 
texte  de  S.  Thomas.  Ils'aj,'ilderamplilicalion  de  l'anj^e  de  l'Ecole 
sur  le  passaf,'e  des  psaumes  :  «  >ous  verrons  la  lumière ,  Sei- 
gneur, dans  ta  lumière.  »  A  notre  sens,  ce  commentaire  résout 
certaines  objc.'ciions  faites  par  des  thomistes  stricts  au  P.  Gra- 
try  sui'  qui'l(|ues  passages  de  la  Connaissance  de  Dieu.  Ces  der- 
niers, se  défiant  un  peu  des  tendances  platoniciennes  du  P.  Gra- 
iry,  reprochant  à  sa  pensée  de  ne  |>as  conserver  assez,  de  soli- 
dité à  travers  rai)ondance  de  son  style,  étaient  tentés  de  croire 
que  ,  donnant  dans  l'erreur  de  Malebranche,  il  ne  distinguait  pas 
sufTisamment  la  vue  naturelle  de  la  vision  intuitive  de  Dieu  ;  la 
lumière  de  raison  de  la  lumière  de  grûce.  Voici  la  conclusion 
du  nouvel  oratorien  : 

«  La  vue  de  la  vcrité  dans  la  connaissance  naturelle,  c'est  la 
vue  non  pas  de  la  lumière  créée ,  mais  bien  de  la  lumière  de 
Dieu  ;  c'est-à-dire  de  la  lumière  dont  brille  Dieu  même.  Et  cela, 
parce  que  la  lumière  de  raison  n'est  autre  chose  que  le  reflet  de 
la  lumière  de  Dieu  en  nous.  C'est  ce  reflet  qui  rend  notre  àmc 
image  de  Dieu.  Donc,  «piand  la  raison  voit  la  lumière  qui  est  en 
elle  et  qu'elh;  voit  l'âme  Timagii  de  Dieu,  ce  n'est  pas  seulemeni 
l'empreinte  qu'elle  voit,   comme  l'empreinte  du  cachet  sur  h 


LOGIQLE.  347 

cire,  c'csi  aussi  une  lumière  et  une  lumière  qui  est  celle  dont 
Dieu  brille  ,  mais  reflétée  en  nous.  Aussi  n'est-ce  point  la  sub- 
stance nit'nie  de  Dieu  (pie  nous  voyons,  c'est  son  image,  l'image 
de  sa  substance  formée  en  nous  par  la  lumière  même  dont  Dieu 
brille.  » 

De  tout  ceci,  il  résulte  qu'il  faut  comparer  avec  saint  Thomas 
la  certitude  naturelle  de  la  raison  à  la  certitude  surnaturelle  de 
la  foi.  C'est  la  même  loi  dans  les  deux  ordres  si  différents  par 
leur  substance.  L'on  adhère  aux  principes  par  la  lumière  natu- 
relle dans  laquelle,  d'une  certaine  manière.  Dieu  nous  parle, 
comme  on  adhère  aux  choses  de  la  foi  par  la  lumière  surnatu- 
relle dans  laquelle  ,  d'une  autre  manière.  Dieu  nous  parle.  Les 
deux  ordres  sont  parallèles.  Aussi  bon  nombre  de  philosophes, 
depuis  Arislote  jusqu'à  Kant  et  aux  Ecossais,  appellent  foi  l'adhé- 
sion à  l'évidence  naturelle  des  principes. 

La  certitude  ne  trompe  pas,  parce  que  dans  toute  certitude, 
c'est  Dieu,  la  vérité  mémo,  que  l'esprit  entend.  La  certitude  est 
une  paix  que  seul  l'Esprit  de  Dieu  peut  donner. 

Les  fondements  de  la  certitude  une  fois  établis ,  le  P.  Gratry 
s'applique  à  manifester  les  causes  de  nos  erreurs.  Si  Dieu  nous 
parle  et  nous  instruit,  comment  se  fait-il  que  la  philosophie  soit 
le  lieu  principal  de  l'erreur?  La  réponse  est  celle  que  l'on  devait 
attendre  d'un  esprit  aussi  tendre  dans  l'expression  de  sa  piété 
qu'ardent  à  la  poursuite  de  la  connaissance. 

Le  premier  et  le  principal  vice  de  la  philosophie  est  de  cesser 

d'être  pratique  pour  demeurer  exclusivement  spéculative.  Avec 

la  connaissance  de  la  vérité,  la  vraie  philosophie  veut  l'amour  et 

la  pratique  du  bien.  Toute  spéculation  isolée  qui  ne  jette  point 

en  même  temps  ses  racines  et  dans  l'intelligence  et  dans  le  cœur, 

n'est  qu'une  tentative  sophistique.   «Dans  l'homme,  a-t-on  dit, 

lu  lumière  seule  est  vaine.   La  lumière  seule  ne  suflQt  pas.  -»  La 

chaleur  et  la  lumière  réunies  forment  la  vie  totale.  La  philoso- 

(iii  phie  ne  saurait  être  une  lumière  sans  chaleur,  sinon  ce  n'est  plus 

])(i  que  l'art  des  sophistes,  ce  vain  et  faux  travail  dont  Pascal  dit  : 

ejl  o  Toute  la  philosophie  ne  vaut  pas  une  heure  de  peine.  » 

al)      Donc,  de  toutes  les  causes  d'erreurs,  la  première  et  la  princi- 

\i\  pale  ,  c'est  la  spéculation  isolée  ,  c'est  le  sommeil  de  l'âme  qui 


3^8  KM. loi  F. 

préli'iul  thnclur  la  vérité  sans  s'appuyer  sur  la  praiiiiue  «lu 
bien.  Il  en  osi  d'autres  encore  qui  sont  autant  (le  formes  diver- 
ses des  vices  inh.'lIciMuels. 

L'un  des  travers  les  plus  ap|)areuls  de  la  philosophie  sépart-e 
(qui  veut  agir  en  dehors  des  solutions  chrétiennes),  est  la  pour- 
suite des  questions  vaines  et  celle  des  questions  insolubles  ;  abus 
qui  vient  d'une  prétention  vicieuse  :  la  prétention  à  la  dèmonslra- 
lion  ahsulue  et  à  la  (Uittoustraliun  dtductivc  continue. 

La  prétention  de  la  démonstration  absolue  provient  d'une  sorte 
dimmoralilé  radicale,  espèee  d'egoisme  insiineiif  dans  lequel 
l'esprit  se  croit  centre,  |)oinl  de  départ,  cause  |)remière  de  vé- 
rité. Or,  res|)rit  créé  n'est  pas  source  de  vérité,  mais  seulemeni 
le  canal  de  vérité.  Il  n'est  pas  la  limiière,  il  en  est  le  témoin. 

La  prétention  à  la  «lémouslration  déduclive  consiste  à  vouloir 
appliquer  à  tout  l'un  des  deux  procédés  de  la  raison,  le  syllo- 
gisme ou  principe  d'identité,  ce  qui  est  appauvrir  l'esprit  hu- 
main, cpii  possède  un  autre  procédé  (lialccii(jue. 

Ces  deux  prétentions  sont  absurdes.  La  |)liilosopliic  ne  sau- 
rait subsister  <lans  le  vide  ;  elle  doit  reconnaître  une  vérité  pour 
base  et  point  de  départ,  de  même  que  les  autres  sciences,  I<  s 
malhémaiiques  en  particulier,  qui  reconnaissent  des  axiomes. 
Quant  à  la  prelenliitii  déduclive  couiinue,  la  philosophie  doit  en 
admettre  les  bornes  aussi  bien  que  les  mathématiques.  Bacon 
vous  dira,  dans  son  langage  ingénieux  ,  qu'il  a  connu  celte  phi- 
losophie orgueilleuse  suspendue  entre  le  ciel  et  la  terre,  c'est-à- 
dire  sans  base  expérimeolale  terrestre  ni  céleste,  ei  lirani  tout 
de  sa  propre  substance.  C'est  elle  qu'il  comparait  à  l'araignée, 
à  l'araignée  suspendue,  elle  aussi  ,  entre  le  ciel  et  la  terre,  au 
rentre  de  sa  toile,  dans  ce  domaine  inconsistant ,  fragile,  nuisi- 
ble, captieux,  qu'elle  a  tiré  de  sa  propre  substance;  insecte 
malfaisant,  égoïsie ,  qtie  l'on  doit  écraser,  viiieux  et  impuissant 
rival  de  l'admirable  cl  généreuse  abeille  qui  lire  du  suc  des 
fleurs  le  miel  dont  elle  nourrit  les  hommes.  L'abeille,  image  de 
la  philosophie  véritable,  suivant  Bacon  ,  toujours  cité  par  le  P. 
(irairy  ;  l'abeille  ne  tire  pas  de  sa  propre  substance  la  matière 
de  son  œuvre,  mais  la  recueille  sur  les  flc'urs  où  la  distille  la 
sève  lerreslre,  oii  la  dépose  la   losée  du  (ici  :  les  parfums  de  la 


l.()<ilQ(E.  8^9 

icrre  unis  à  la  rosée  du  ciel  soiK  la  siil)Slaiu(!  do  son  travail; 
l^racieuse  et  profonde  image  de  ce  que  doit  êlre  la  maiière  du 
travail  liiiinaln.  Le  spcc'tacio  de  la  nature,  lo  goût  des  choses  de 
Dieu,  les  données  expeiinieulales  terrestres  et  les  données  céles- 
tes surnaturelles,  voilà  la  double  base  de  l'œuvre  philosophique 
et  le  vrai  sang  de  la  pensée  de  riionime. 

Ces  fondements  de  la  logique  une  fois  posés ,  le  philosophe 
entre  dans  le  détail.  H  aborde  l'étude  des  procédés  de  l'intelli- 
gence dans  son  opération  sur  les  trois  mondes  au  sein  desquels 
rhomine  vil  :  la  nature  visible,  l'âme  et  Dieu. 

Il  y  a  deux  procédés  de  l'esprit,  pour  marcher  dans  le  do- 
maine de  la  connaissance  :  le  syllogisme  et  l'induction;  le  syl- 
logisme, qui  piocède  par  voie  d'idenlilé  et  déduit  d'un  principe 
ce  qu'il  contient;  l'induction,  <pii  prend  son  point  de  départ 
non  comme  principe,  mais  comme  simple  point  de  départ, 
comme  base  d'élan  inlellecluel  pour  s'élever  à  de  plus  hautes 
vertus. 

Ces  deux  procédés  reposent  sur  deux  principes  que  l'on  peut 
appeler  principe  cVidcnlité  ou  de  contradiction ,  et  principe  de 
transcendance. 

Le  premier  procédé,  le  syllogisme,  est  le  plus  connu;  le  se- 
cond, très-incomplètement  décrit,  à  peine  soupçonné  par  les 
maîtres,  est  celui  que  le  P.  Gratry  s'applique  le  plus  à  mettre 
en  évidence.  C'est  le  côté  le  plus  original  de  son  travail.  Nous 
allons  voir  quel  immense  parti  il  en  tire  et  combien  de  vues  fé- 
condes il  accumule  autour  de  ce  point  de  vue  nouveau. 

Mais  auparavant  que  d'étudier  directement  ces  deux  principes, 
l'auteur  les  considère  en  regard  de  la  doctrine  qui  les  nie. 
Cette  élude  incidente  implique  toute  la  question  du  panthéisme. 

Ici  commence  une  guerre  à  outrance.  Le  P.  Gratry  ne  traite 
pas  le  panthéisme  comme  un  adversaire  avec  lequel  un  savant 
qui  se  respecte  puisse  consentir  à  se  mesurer.  «  Nous  n'entre- 
prendrons point,  dit-il ,  la  réfutation  d'Hegel,  cette  personnifi- 
cation dernière  et  la  plus  complète  du  sophisme  panthéiste.  On 
ne  réfute  pas  les  sophistes,  on  les  cite,  on  les  décrit,  on  les 
classe,  on  les  emploie,  mais  on  ne  se  commet  pas  avec  eux, 
parce  qu'avec  eux  la  victoire  même  est  ridicule.   Beau  triom- 


35n  HM.iyiF. 

I»hi',  11)  ellci,  (|iiL>  d'airather  à  un  adv»  rsair«î  terrassé  I  aveu  t\uc 
(|uelque  chose  exislo;  que  Ton  on  peun^tre  cerlaiii  ;  que  le  mal 
el  le  bien  sonl  contraires;  que  les  contradictions  ne  sonl  pas 
identiques.  On  ne  réfute  donc  pas  ces  sophistes,  on  les  emploie 
comme  «lenjonsiralion  par  l'absurde,  llégcl,  sous  ce  rapport,  est 
jxiur  nous  d'un  usage  excellent  et  presque  continuel,  comme 
conlradic'icur  direct  cl  (•••mpict  de  lonics  les  vérités,  comme 
destructeur  praiicpic  et  ilutnicpie  de  toute  logique  el  d<'  toute 
raison...  »  Cicéron  se  faisait  dire,  dans  un  de  ses  dialogues  . 
«  Vous  venez  de  rayer  Kpicure  de  la  liste  des  philosophes.  »  Le 
I*.  Gratrv  prétend  pour  lui  le  même  éloge  touchant  Hegel  de 
la  pari  de  toute  raison  (jui  ne  sera  pas  entamée  d'avance  par  la 
sophistique  du  professeur  allemand. 

La  lutte  s'engage  et  «'Ile  se  prolonge.  Il  est  impossible  d'en 
♦•numérer  ici  tous  les  incidents. 

Il  faut  lire  en  eniicr  ce;  chapitre  où  l'erreur  est  poursuiNie 
jusque  dans  ses  derniers  reiranchements.  On  suit  l'auteur  sans 
regret  dans  cette  descente  vers  les  mystères  de  la  mon  el  de  la 
décomposition  intelleciuelle.  Ces  spectacles  sonl  salutaires. 

Les  deux  procédés  dialectiques,  le  syllogisme  et  l'induction, 
sonl  mis  en  pr«'sence  du  panlh<''ismo,  el  l'on  voit  à  l'insiant  com- 
ment il  se  lait  (pie  le  panthéisme  soit  devenu  une  question  de 
logique. 

Hegel  détruit  le  procède  syllogistiquc  d'ideniile,  en  allirmant 
que  les  contradictoires  sont  identi(]ues. 

Le  procède  dialectique  d'induction  ou  de  transcendance  dans 
la  considération  du  lini  aflirmc  l'inlini  par  la  négaiion  des  limi- 
tes ;  Ib'gel  le  retourne  en  a|)pliquant  rallirmaiion  à  la  limite,  la 
négation  a  l'ètrif. 

C'est  là  tout  le  système;  mais  cet  énoncé  snflit  |>our  faire 
comprendre  (pi'Ilégel  détruit  tonte  raison  en  détruisant  les  deux 
procèdes  de  la  raison,  el  (juil  n'aboutit,  en  délinilive,  qu'à  at- 
teindre la  forme  la  plus  radicale  el  la  plus  savanle  de  l'alhéisme. 
Ces  monstruosités  sonl  de  grande  importance;  car  pour  Tespril 
humain  la  (piestion  est  toujours  celle-ci  :  DiEr  ou  non.  Par  un 
choix  libre  el  secret  de  chaque  âme,  il  y  a  des  esprits  qui  d«'s- 
ccndent  vers  les  ténèbres,  il  y  en  a  qui  montent  vers  la  lumière 


de  Dion.  La  ronuiilc  d  llcf,'(l,  ridfiiliti;  de  \  c(re  <'l  du  néant,  est 
l'expression  de  celle  lendancc  vers  les  ténèbres ,  qui  du  m^mc 
coup  pose  que  Dieu  n'est  pas  et  que  la  raison  n'a  ni  révidcnce 
positive  de  ridoniité,  ni  l'évidence  négative  de  la  contradiction, 
par  cela  niènie  (jue  les  contradictoires  sont  identiques. 

Ici  le  P.  Gratry  met  en  présence  Hegel  et  Arislote ,  et  l'esprit 
re^fueille  de  ce  rapprochement  un  enseignement  lumineux  et 
tl'une  larc  énergie.  Il  montre- Aristole  dénonçant  les  sophistes  de 
son  temps,  mettant  le  doigt  sur  la  plaie,  analysant  l'erreur  jus- 
qu'à ses  dernières  racines,  montrant  à  l'avance  toutes  les  ex- 
trémités d'Hegel.^ Voilà  un  homme  qui  ,  en  pleine  lumière  chré- 
tienne,recule  jusqu'à  Gorgias  et  Hérocliie.  Il  n'est  pas  simplement 
un  sophiste,  c'est  le  sophisme  par  excellence,  car  il  s'est  identifié, 
il  s'est  assimilé  toutes  les  formules  de  ses  devanciers. 

Le  P.  Gr.atry  n"e^^|as  moins  concluant  alors  qu'il  met  le  pan- 
th<Ssme  d'Hegel ^en^ffésence  du  principe  de  transcendance.  Il 
le  4îours«it  sans  relâche,  textes  en  main,  et  ne  lui  donne  pas 
trêve  qu'il  ne  l'ait  dépouillé  de  tout  prestige,  qu'il  n'ait  mis  à  nu 
toute  sa  misère.  Il  montre  aussi  la  vanité  des  prétentions  du 
professeur  allemand,  quand  il  ose  invoquer  à  l'appui  de  son  sys- 
tème les  sciences  naturelles,  physiques  et  mathématiques.  Le 
.  P.  Gratry  a  l'esprit  géométrique  le  mieux  doué.  Il  manie  avec 
la  plus  grande  aisance  l'arme  de  la  science,  et  c'est  merveille  de 
le  voir  s'avançant  avec  la  confiance  que  lui  communique  la  vé- 
rité qu'il  défend,  au  milieu  de  ces  monstrueuses  rêveries.  Mais 
ces  abus  de  la  science  et  de  l'histoire  ne  sont  que  surajoutés  au 
système;  le  fond  est  ce  que  démontre  surabondamment  le  sa- 
vant religieux;  l6  fond,  le  germe  de  ces  divagations,  c'est  la 
dialectique  telle  que  l'ont  maniée  les  sophistes  de  tous  les  temps; 
c'est  la  raison  oilentée  en  sens  inverse  de  la  direction  légitime  et 
retournée,  par  irn  crime  de  la  volonté  libre,  contre  Dieu  et  vers 
le  néant;  c'est  le  procédé  dialectique  principal  de  la  raison  qui, 
à  la  vue  des  êtres  limités,  efface  toutes  les  limites  pour  conce- 
voir Dieu;  c'est  ce  procédé  même  retourné;  c'est  la  pensée 
effaçant  la  notion  de  l'être  pour  s'efforcer  de  concevoir  des 
limites  infinies,  c'est-à-dire  le  néant.  Mais ,  ajoute  avec  une  im- 
placable résolution  le  P.  Gratry,  la  raison  ainsi  retournée  ef 

23 


iirof:iin«>  tlaiis  les  es»piils  |jr«varicatrurs,  se  venge  el  montre  sa 
r.lesu-  orij,'ine  en  les  menant ,  av«'C  une  infaillible  rectitude  et 
une  irrésistible  force,  là  où  ils  doivent  aller:  à  l'absurde  absolu, 
manifeste,  avec  son  (  rilêriiim  el  son  caractère  propre,  la  «ontra- 
iliciion  dans  les  termes. 

Quelques-uns  de  vouloir  s'étonner  el  de  s'écrier  :  Est-ce  donc 
là  ce  paiitlit'isnie  si  redoutable  qui  a  boulevers»'-  la  science  tiu 
soin  de  la  nation  la  plus  savante;  de  rLuro[)e;  ijui  a  troublé  ail- 
leurs tant  de  tôles  philosophiques;  qui  a  enivré  de  ses  concep- 
tions folles  les  sectes  socialistes?  Se  peul-il  qu'il  puisse  être  ré- 
iluiidc  la  sorte  à  deux  ou  trois  formules  exirav;j^'anios?  D'autres, 
plus  lamiliers  avec  les  syslèuies  pliilosup|ii(pi«'s,  tout  en  protcs- 
laul  de  leur  cloignenienl  pour  le  panthéisme,  chez  Hegel  ou  au- 
tre pari,  feront  re|)roche  au  docte  oratorien  d'avoir  si  fort  mal- 
traité une  dûiirine  erronée  peut-être  dan!^Mj)rincipes,  funesl(i 
assurément  dans  ses  conséquences,  mais,  i^è^  tout,  disent-tls, 
puissante  par  son  influence  el  son  retentissement  sur  les  di- 
vers ordres  de  la  science.  Si  grand  est  l'orgueil  implanté  dans  les 
ànies  |>ar  une  longue  habitude  du  rationalisme,  cpu-  Ton  se  prend 
a  admir»r  une  doctrine,  même  perverse,  par  le  fait  que  son  dé- 
veloppe nient  et  sa  construction  logique  attestent  la  force  de 
l'esprit  humain.  On  se  plaira  à  énunurer  les  prétextes  spécieux 
et  habiles  dont  clic  s'enioure,  les  mirages  dont  elle  se  paie,  les 
illusions  dont  elle  se  nourrit,  les  préjugés  qu'elle  entretient,  les 
fausses  apparences  sur  lesquelles  elle  s'appuie,  les  •''(]ui\o(p)cs 
qu'elle  propage;  cela  pour  grandir  un  triomphe  dont  on  devrait 
rougir  au  nom  de  l'humanité  cl  de  la  raison  outragée.  En  célé- 
brant les  grandeurs  du  panthéisme  hége-lien,  otï  croil  faire  hon- 
neur à  l'esprit  humain  ;  on  veut  l'admirer  à  tout  prix,  même  alors 
qu'il  s'égare. 

Ces  ménagements,  ces  admirations  pour  l'hégélianisme  sont 
surtout  le  fait  de  rationalistes  protestants;  cela  se  conçoit  sans 
peine  de  la  part  de  savants  pour  lesquels  la  notion  de  la  >érité 
intégrale  n'existe  pas ,  pour  qui  le  christianisme  lui-mêiue  n'est 
qu'une  yihilosophie  mobile  au  gré  du  tcmpéremmcnt  intellectuel 
et  du  travail  expérimental  de  chacun. 

Le  savant  catholique,  arme  de  la  vérité  intégrale,  identifié  par 


L04;iOlF..  3.>J 

toutes  les  facultés  de  son  inlolligenre  ;i  la  solennelle  exposition 
c]ogm;iti(|iie  de  rÉj,'lise,  ne  saurait  pratiquer  celle  indulgence. 
Il  croirait  favoriser  l'erreur.  Il  lui  semhlerail  pactiser  avec  elle. 
Il  a  trop  de  liàlc  d'élever  une  barrière  contre  l'eau  trouble  que 
produit  le  faux  système ,  afin  de  préserver  de  son  contact  le  flot 
pur  de  la  vérité  tpii  doit  à  jamais  être  libre  de  mélange  avec  le 
mensonge  et  les  mystères  d'iniquité. 

C'est  dire  que  nous  ne  saurions  faire  reproche  au  P.  Gratry 
d'avoir  courru  sus  au  cnur  de  la  question;  d'avoir  dévoilé  l'er- 
reur, de  l'avoir  radicalement  détruite.  Celte  victoire  complète 
d'un  prêtre  qui  parle  au  nom  de  la  foi  et  n'écrit  que  pourglori6er 
Dieu  et  son  Église ,  pourra  déplaire  à  tant  d'hommes  qui  entre- 
tiennent avec  le  rationalisme  sous  toutes  ses  nuances ,  des  rap- 
port que  l'on  veut  croire  libres  d'engagements  compromettants. 
Il  était  temps  que  le  verdict  fut  prononcé  avec  celte  sévérité. 
Oui ,  le  panthéisme  hégélien  doit  faire  horreur  à  toute  intelli- 
gence honnête.  Mais  le  P.  Grairy  ne  l'a  pas  montré  seulement 
insultant  à  la  raison ,  il  l'a  manifesté  ridicule ,  impuissant  sur 
tout  esprit  vraiment  libre.  Interrogeant  l'histoire,  il  l'a  signalé 
comme  une  vieille  erreur  déjà  confondue  par  Arislote  et  Platon. 
La  cause  est  finie. 

On  ne  saurait  trop  dévoiler  le  panthéisme  de  nos  jours.  Il  s'est 
glissé  partout.  Il  a  introduit  ses  solutions  malfaisantes  dans  les 
sciences  naturelles,  dans  la  cosmographie,  dans  la  physiologie. 
Que  de  lumière  sans  chaleur,  parlant  peu  féconde,  n'a-t-il  pas 
répandu  dans  le  livre  du  Cosmos  de  M.  de  Humboldt,  celte  vaste 
encyclopédie  où  l'on  regrette  l'absence  d'une  inspiration  plus 
élevée.  La  physiologie  de  Muller,  celle  de  Burdach  en  sont  im- 
prégnées. Combien  de  jeunes  gens  nous  reviennent  d'Allemagne 
complètement  familiarisés  avec  Videntité  des  contradictoires!  Or 
c'est  là  un  abaissement  manifeste  de  la  raison  contre  lequel  il 
ne  faut  pas  cesser  de  prolester. 

Ce  souflle  panlhéistique  répandu  dans  la  science  moderne, 
n'est  pas  moins  malfaisant  que  le  naturalisme  proclamé  par  le 
dix-huitième  siècle.  Il  se  peut  dire  qu'il  en  poursuit  avec  ser- 
vilité les  errements ,  et  qu'en  définitive  le  résultat  est  le 
même.   L'oubli  de  toute  métaphysique  sérieuse,   le  mépris  de 


•*'^*  I.OCIOtiE. 

l-on.uloKie,  e(,  m:,l(jré  ,lcs  d.„cga.io„s  .|u  il  f3u.  savoir  ,„■<.„- 
dre  ,,ou,-  ce  ,,uç.l..s  v.!.,,, ,  l'aiheisn,,-  ,,n„ou, ,  .elles  son,  le, 
conclusions  dos  de.,.  s.vs.èn,es.  La  ,,ul™,i,,„c  dusavan.ora.orien 

avec  M  Vacl,e,oi  a  dès  long.emps  dissipe-  dos  doutes  descn 

.nposs,l.los  Plus  f.anc,  le  sensualisme  vol.airien  accuse  cuver! 
.emen.  ses  dosso.us  ;  son  a.laque  os.  de  vi.e  force,  par  là  nu'me 

".uosnel.es,  ,1  ne  renverse  ouvenemon,  aucune  véri.o,  mais  il 

Z^rT'""'-  *  '^"^■''""P-"  "«  "-ô-es  dune  in.p'ar.iali.é 
preleuduo    .1  ne  pa,v,en.  ,,ue  plus  sùromen.  à  ruiner  .ou.e  véri.é 
dans  I  ,nielligen,e  qui  s'abandonne  à  son  cnseiguemen. 
Le  prei^ier  volun.e  se  .ermino  pa,'  IVxposé  dos  modes  du  svl- 

Irr    n '"■'""  """"'  '""'  '""""«  '="  ^'■"'"'^"^^  -'-puis 
Ans.o.e  e  le  n  a  pas  varié.   Il  n'y  a  pas  lieu  de  l'exposer  ici; 

d,  ons  seule.,,e„.  q„e  ce„e  é.ude  sur  le  syllogisme  es.  suivi 
d  une  ad„„ral,le  d.ssoria.ion  oi.  l'a,.,our  compa.e  les  deux  pro- 
cède, de  la  ra.sou .  le  syllogisme  e.  l'iuduc.ion  dialoc.inue.  Il 

ce  dance  de  la  vue  ph.losophique  s'uni,  dans  „„  merveilleux  ac- 

rd:c:.o"  """''  '^  '""  '""■■  '"■'•  '"■  '^  "'-  ''-'-''^ 

Edouard  Dufresne. 
(la  fin  au  prochain  numéro.) 


NOUVELLE  CONFÉRENCE  DE  FRIBOURG 


DU  II  AVRIL  1866. 


Les  catholiques  du  canton  de  Genève  d'abord,  puis  ceux  du 
canton  de  Fribourg  et  ceux  du  canton  de  Neuchâtel,  ont  adressé 
à  leurs  gouvernements  respectifs  des  pétitions  motivées,  signées 
à  d'immenses  majorités,  pour  obtenir  la  rentrée  de  Mgr  Maril- 
ley  dans  son  diocèse. 

Les  Conseils  d'Etat  des  cantons  de  Fribourg,  Vaud,  Neuchâ- 
tel et  Genève  (Berne  s'est  réservé  le  protocole  ouvert),  ont  cha- 
cun envoyé  deux  délégués  à  Fribourg ,  où  une  conférence  a  eu 
lieu  entre  eux  le  11  avril. 

La  demande  si  unanime  des  catholiques  a  été  rejetée. 

Voici  le  procès-verbal  de  cette  séance  : 

«  Lecture  faite  des  principales  pétitions  et  des  résolutions  des 
conférences  des  16  et  17  août  et  des  30  et  31  octobre  1848,  et 
des  principales  pièces  relatives  à  l'objet  en  tractation,  et  après 
un  exposé  historique  des  actes  et  des  événements  qui  se  ratta- 
chent à  cette  question,  la  discussion  a  été  ouverte. 

»  Fribourg,  conformément  à  ses  instructions,  propose  de  dé- 
clarer que  l'entrée  de  l'évêque  Marilley  est  impossible  aussi 
longtemps  que  l'Etat  ne  sera  pas  d'accord  avec  l'autorité  ecclé- 


:)5(»  >ul  VELLE  CU?i»EllKKCK  DE  VltlBUl  RG. 

siasti(|ue  sur  les  divers  points  principaux  sur  lesquels  les  deui 
:iulorilés  sont  en  dissentiment. 

>  (lonroiint-nienl  à  ses  instructions,  Fribourg  soulève  le  point 
di-  vue  fédéral  de  cette  (juestion  dans  le  sens  que  la  confi-rence 
veuille  examiner  rdpporiuiiité  d'en  iianiir  l'autorité  fédérale, 
sous  le  rapport  de  l'ordre  et  de  la  tranquillité  publique. 

»  f'aud.  Le  déb-gué  déclare  n'avoir  ni  pouvoirs,  ni  instruc- 
tions, mais  qu'il  est  cliargé  de  référer  à  son  gouvernement. 

»  Il  pense,  toutefois,  que  son  gouvernonjent  donnera  les  mains 
a  toutes  les  eun(  liisions  (pii  pourraient  i^tre  prises  et  «jui  ten- 
draient à  régler  celte  affaire,  plus  particulièrement  importante 
pour  le  canton  de  Fribourg. 

n  11  estime  que  le  rappel  de  révècjue  Marilley  ne  serait  pas 
opportun  et  qu'il  ferait  un  effet  extrêmement  fûcbeux  sur  la  po- 
pulation du  canton  de  Vaud.  Si  cependant  les  autres  Etats  du 
diocèse  devaient  trouver  nécessaire  de  consentir,  sous  certaines 
réserves,  à  la  rentrée  de  ce  prélat,  il  a  la  conviction  que  le  gou- 
vernement de  Vaud  ne  s'y  opposerait  pas. 

■  Il  doute,  par  contre,  que  le  Conseil  d'Etat  du  canton  de 
Vaud  consente  à  faire  intervenir  dans  cette  (juestion  l'autorité 
fédérale. 

»  Quant  à  une  réponse  à  faire  aux  pétitionnaires ,  il  propose 
d'en  charger  les  délégations  de  Fribourg  et  Genève. 

»  JS'euchdtel.  La  délégation  déclare  n'avoir  pas  d'instructions, 
et  qu'elle  référera  5  son  Conseil  d'Etat  sur  les  propositions  qui 
pourraient  «^Ire  faites. 

»  Elle  fait,  au  reste,  connaître  que,  poiir  le  canton  de  Neu- 
chûtel ,  le  renvoi  de  l'évéque  ,  et  en  général  les  résolutions  des 
confc'-rences  des  30  et  31  octobre  1848  ont  force  «le  loi ,  et  ne 
pourraient  être  révoquées  sans  une  d«''cision  du  (îrand  Conseil. 

»  La  délégation  estime  aussi  qu'il  serait  à  désirer  (|ue  l'auto- 
rité fédérale  pût  être  nantie  de  cette  affaire,  mais  elle  appelle 
l'attention  sur  les  inconvénients  (]ui  résulteraient  il'un  refus  de 
la  Conb'deration  de  s'en  (  liarger. 

•  Genève  déclare  avoir  pleins-pouvoirs,  sauf  ratification,  l^ 
délégation  reconnail  (|u'it  s<Tait  im[)ossiblc  de  rappeler  l'i'véque 
Marillcv  dans  les  circonstances  actuelles,  mais  elle  reconnaît  en 


NOUVELLK  CONFKRKNCK  DK  FRIBOl'IlG.  357 

même  temps  l'urgence  de  trancher,  si  possible ,  définitivement 
la  question.  La  députation  consentira  ù  examiner  s'il  convient  de 
nantir  les  Grands  Conseils  de  chaque  canton  diocésain,  en  leur 
sounu'liani  un  projet  de  concordat  conforme  aux  résolutions 
précédentes,  afin  de  calmer  les  populations  et  de  leur  démontrer 
quahsiiaciion  faite  i\o  la  personne  de  Marilley,  on  désire  ré- 
gler les  rapports  entre  l'Église  et  TEtat. 

»  Cependant,  une  réponse  étant  à  faire  aux  pétitionnaires,  elle 
devra  être  conçue  dans  le  sens  des  délibérations  de  la  confé- 
rence du  mois  d'octobre  1848.  Cette  réponse  pourrait  insister, 
entre  autres,  sur  la  circonstance  que  le  siège  de  l'évéché  n'ayant 
été  accordé  à  Fribourg ,  en  1593  ,  que  sous  la  réserve  que  l'é- 
voque se  soumettrait  aux  lois  du  canton  et  n'introduirait  aucune 
innovation,  et  que  ces  conditions  ayant  été  violées,  cette  rési- 
dence est  devenue  impossible  jusqu'à  ce  que  les  rapports  entre 
l'Église  et  l'Etat  aient  été  réglés. 

»  Après  une  préconsultaiion  générale ,  on  procède  à  la  dis- 
cussion spéciale  des  divers  points  soulevés. 

>>  Fribourg  propose  de  ne  rien  décider  encore  sur  la  question 
de  savoir  si  l'on  veut  s'adressera  la  Confédération,  mais  de  ré- 
server cette  question  à  une  prochaine  conférence. 

»  Quant  à  une  réponse  à  faire  aux  pétitionnaires,  la  déléga- 
tion propose  d'en  charger  les  délégations  de  Genève  et  de  Fri- 
bourg, dans  ce  sens  :  que  le  rappel  et  la  résidence  de  l'évéque 
à  Fribourg  n'est  possible  qu'à  la  condition  que  les  rapports  en- 
tre l'Etat  et  l'Église  soient  préalablement  réglés. 

»  Genève  est  arrivé  .  par  l'ensemble  de  la  discussion ,  à  re- 
connaître que  la  rentrée  de  Marilley,  avec  ou  sans  condition,  est 
devenue  impossible;  qu'elle  est  incompatible  avec  le  maintien  de 
l'ordre  public  et  la  dignité  de  l'autorité  civile.  Il  formule,  en 
conséquence,  les  propositions  suivantes  : 

»  1°  De  maintenir  de  plus  fort  les  résolutions  des  30  et  31 
octobre  1848; 

»  2°  L'autorité  de  chaque  canton  répondra  à  ses  pétitionnai- 
res de  la  manière  qu'elle  trouvera  convenable,  mais  dans  le  sens 
et  les  limites  des  résolutions  susdites. 

n  En  suite  de  la  discussion  et  des  diverses  propositions ,  l'on 


;t58  XUMII.h    (  IIM  KHI X >.  A  miBoMll.. 

|tar;iii  Kt-néralomcni  d'accord  à  laisser  tomber,  pour  le  moment, 
rt'\;imen  dr  la  <|ucsiion  au  point  de  vue  fédéral.  La  proposition 
de  ciiarj^'cr  les  députaiioiis  ou  les  (lonseils  d'Etat  de  Genève  et 
de  Fribourg  d'une  rédaction  uniforme  de  réponse  ù  faire  aux 
pétitionnaires,  est  retirée. 

»  La  discussion  étant  terniinrc,  le  j)résident  n'-sumc  comme 
suit  les  hases  des  décisions  à  prendre  par  la  conférence  : 

»  Connaissance  prise  des  pétitions  adressées  aux  autorités  de 
Gencvf,  de  Neucliâlel  et  de  Fribourg,  pour  demander  le  retour 
de  Marilley  dans  le  but  d'exercer  des  ibnciions  «-piscoijales; 

»  Fondé  sur  l'exposé  historique  des  faits  qui  se  sont  passés 
depuis  l'épocpie  des  premières  résolutions  de  la  «conférence  des 
cint)  cantons  formant  le  diocèse  dit  de  Lausanne  et  de  Genève; 

»  Vu  les  nombreuses  cl  infructueuses  démarches  tentées  par 
les  Etats  de  Fribourg  et  de  Genève  dans  le  but  de  faciliter  la 
condusion  d'un  concoidat  tendant  à  régler  les  rapports  des  Etals 
avec  l'Église  catholique; 

»  Vu  la  réponse  faite  par  la  cour  de  Rome,  par  l'intermédiaire 
du  chargé  d'afl'aires  Bovieri,  datée  de  Lucerne ,  l"mars  1853, 
à  la  dernière  démarche  collective  des  deux  Etats,  en  date  du 
'22  décembre  18o2,  les  cinq  cantons  décident  : 

»  1"  De  maintenir  les  résolutions  arrêtées  dans  la  conférence 
tenue  à  Fribourg  les  30  et  31  octobre  1848. 

»  '2°  Les  autorités  do  chat|ue  canton  répondrimi,  dans  les  li- 
mites el  conformément  aux  dites  résolutions,  aux  pélitions  adres- 
sées par  les  ressortissants  de  chaipie  Elal,  concernant  la  rentrée 
de  Marilley  comme  chef  <lu  diocèse. 

»  Les  délégués  des  Etats  de  Genève  el  de  Fribourg  déclareni 
dors  el  déjà  adhérer  à  ces  décisions,  sous  réserve  de  ratification 
de  leurs  commettants. 

Les  délégués  des  Eiats  de  Vaud  el  de  Neuchâtel  déclarent 
comme  acte  de  vérité  le  résumé  de  la  conférence,  se  réservant 
d'en  référer  à  leurs  commettants  el  de  communiquer  leurs  déci- 
sions dans  le  plus  bref  délai. 

»  Ainsi  fait  el  délibéré  à  Fribourg,  le  11  avril  1855,  pour 
•"'iresoumis"ù  la  ratification  des  Conseils  d'Etat  des  cinqcanloos.» 


Genève,  le  30  avi  il  1855. 

LU  CLERGÉ  DU  CANTON  DE  GENÈVE 

A  Monsieur  le  Président  et  à  Messieurs  les  Membres  du 
Conseil  d'Etat  du  Canton  de  Genève. 


Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 


Nous  avons  pris  connaissance  du  procès-verbal  de  la  conférence 
qui  a  eu  lieu  à  Fribourg  le  11  avril. 

Cette  conférence  repousse  les  vœux  des  catholiques  du  diocèse 
de  Lausanne  et  de  Genève  qui  demandaient  avec  une  touchante 
unanimité  que  Mgr  Marilley,  leur  évoque,  leur  fût  rendu.  Elle  se 
réfère  aux  résolutions  de  la  conférence  de  Fribourg  des  16  et  17 
août  1848  ;  elle  maintient  les  résolutions  de  la  conférence  des  30  et 
31  octobre  de  la  môme  année;  elle  fonde  ses  résolutions  actuelles 
sur  les  démarches  tentées,  dit-elle,  par  les  Etats  de  Fribourg  et  de 
Genève,  dans  le  but  de  faciliter  la  conclusion  d'un  concordat,  et 
elle  décide  que  cbaque  canton  répondra  aux  pétitionnaires  confor- 
mément aux  dites  résolutions. 

Sans  nous  arrêter  à  relever  ici  Poubli  des  convenances  que  dé- 
note la  rédaction  de  ce  procès-verbal,  nous  sommes  dominés  par  le 
besoin  de  vous  dire  dès  l'abord,  Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 
quelle  impression  profondément  douloureuse  les  catholiques  du 
canton  de  Genève  ressentent  en  ce  moment  en  voyant  leurs  vœux 
si  légitimes  et  si  pacifiques  ainsi  méconnus  ;  et  aussi  quel  sentiment 
répulsif  leur  a  fait  éprouver  une  intervention  insolite  dans  une  so- 
lution qu'ils  avaient  sollicitée  seulement  des  magistrats  de  la  répu- 
blique de  Genève.  Le  clergé  du  canton  de  Genève,  consolé  par  l'as- 
sentiment dont  il  est  entouré  de  toutes  les  populations  catholiques 
du  canton,  doit  à  l'Eglise  catholique  entière,  à  son  vénéré  évèque, 
à  tous  ses  concitoyens,  à  ses  magistrats,  la  manifestation  solennelle 
et  réfléchie  de  ses  principes. 

1^  Le  clergé  et  les  catholiques  du  canton  de  Genève,  soumis  res- 
pectueusement aux  lois  et  aux  autorités  constituées  cantonales 
et  fédérales,  conteste,  de  la  manière  la  plus  catégorique,  aux  can- 


(OMS  «h*  Berne,  «le  Fi  ibouig  cl  de  NeucbAlel,  le  droit  de  s'imniisct  r 
dans  les  afliiires  i'e(li'si;isli(|iies  <lu  canluii  de  (leiieve.  Olte  ini- 
niixlion  sérail,  pour  le  canlon  d»'  (ienéve,  Taliénalion  d'une  parlif 
dtî  s«m  iiidé|iendanee  el  i]i'S  droits  sacrés  «ju'une  partie  des  «  ito_ven> 
genevois  tiennent  de  pln>ienrs  sonrees  également  inviolables.  ("«• 
(|iic  Herne,  Fi  iliuur;;,  N  and  el  NeiicliiUel  lU'  pj'nvenl  faire  datjs  no- 
Ire  canton,  ils  ont  le  dioil  de  le  dénicir  à  (iene\edans  leurs  cantons 
respectifs,  el  dans  leurs  alTaires  ecclcsiasliijues  qnelcon(|ues.  Fa 
conférence  de  Fril)our<(  est  illéf^ale  el  inconslitulionnellc  û  (ienùve. 
|]|le  est  contraire  au  l'acte  fédéral  qui  a  limité  à  une  seule  restric- 
tion le  sacrilice  des  libertés  cantonales  au  point  do  vue  reli;iieu\. 
File  usurpe  un  pouvoir  temporel,  spirituel  et  pénal,  arbitraire  m 
debors  des  lois  ;  elle  est  en  outre  repoussée  par  b;s  catboliques  du 
canton  de  (îenéve,  parce  qu'elle  crée  contre  eux,  contre  leurs  li- 
bertés el  leurs  droils,  une  majorité  d'Ftats  protestants  puissants  el 
ime  majorité  «b;  déléjjués  protestants  naturellement  bosliles,ou  poui 
le  moins  ignoiant  les  priiuipes  et  les  iiislilulions  de  la  religior\  ca- 
Iboliipie,  cl  Ncnant  s'ingérer  dans  des  localités,  des  intérêts  «'t  des 
situations  qui  ne  sont  pas  de  leur  compétence.  Les  décisions  de  la 
louférence  de  Fribourg  sont  donc,  pour  les  calboliques  du  canton 
•le  (îenéve,  comme  non  avenui  s. 

2"  Fe  clergé  dû  canton  de  Ficnéve  renou\elle  la  déclaration  (ju'il 
a  faile  publiquenient  et  par  toutes  les  voies  en  son  pouvoir  en  IHiS. 
de  ses  sentiments  de  totale  répulsion  conirtî  b^s  résolutions  de  la 
conférence  de  Fribourg  des  IG  el  17  août,  allendu  : 

Premièrement,  (jue  ces  résolutions  sont  sibismali(|u»;s  en  elles- 
ménies  el  coiulanuiées  par  le  Souverain  Pontife  de  la  sainte  Fglise 
lalbolifjue,  aposioli<jue  et  ron)aine  ,  ainsi  qu'il  consle  en  particu- 
lier de  la  proleslalion  de  Son  l'minence  le  cartiinal  Soglia,  en  dale 
du  ;}0  septembre  1HV8,  adressée  au  Directoire  fédéral. 

Secondement,  que  ces  fatales  résoluliotjs.sotil  spécialenjenl  con- 
traires aux  ilroiis  el  usages  (|ue  la  religion  catbolique  lient  dans 
le  canton  de  (ieuéve,  et  sans  aucune  parité  avec  ce(jui  se  pa^.se  dans 
les  cantons  de  Herne,  de  Fribourg,  de  \'aud  el  de  Neucbiitel,  de  ses 
anli(jues  prérogatives,  des  traités  de  cession  de  Paris,  de  N  ienne  et 
de  Turin,  du  bref  d'incorporation  qui  a  réuni  ce  canton  au  diocèse 
de  Lausanne;  (|u'elle  tient  aussi  des  plus  solennelles  promesses  du 
canton  do  (ienévc  (|ui  avait  demandé  lui-même  et  oblenu  cette 
réunion  ;i  certaines  conditions,  parmi  les(|uelles  se  trouve,  pour  les 
calbolicjues,  le  droit  de  ne  |)as  être  privés  de  voir  leur  é\éque  exer- 
«•er  librement  ses  fonctions  el  «  u'cln  jamais  trouble  dan*  ses  ritifrs 
jiasfuialrs.  » 

Troisièmement,  attendu  que  ces  résolutions  sonl ,  comme  la 
simple  lecture  le  démontre  ,  un  produit  irjapplicable  de  passions 
\\m  autre  temps,  et  le  résultat  d'une  ignorance  évidente  des  pre- 
miers éléments  <le  la  foi  et  de  la  discipline  de  l'Fglise,  comme  aussi 
<les  conditions  essentielles  <)e  la  liberté  religicust^  dans  un  canton 
mixte. 

Le  clergé  el  les  calboli<|ue-.  du  canton  de  (ienévc   ne  pourraient 


.3 

jamais  se  soninotlic  aux  dt'cisions  arbitraires  et  scliismaliqucs  de  la 
conférence,  di;  Fril)ourg,  sans  ahditiiier  leur  qualilé  de  catholiques. 
Nous  tenons  à  nos  dioils  religieux,  ;;énéraux  (;l  particuliers,  et  nous 
ne  reconnaissons  (|u*aii  Sou\erain  l'ontife  le  pouvoir  de  les  modi- 
lier,  sans  abandonner  le  sincère  désir  de  voir  régner  la  bonne  har- 
monie qui  doit  exister  entre  l'Eglise  et  l'Etat. 

3"  Le  clergé  et  les  catholiques  du  canton  de  (ieneve  nadmettetit 
pas  davantage  les  décisions  de  la  conférence  de  Fribourg  des  30  et 
31  octobre  18i8.  Ils  restent  pleins  de  soumission  aux  iribiinaux  ré- 
guliers de  la  Confédération  helvéli(|ue  et  aux  tribunaux  réguliers 
du  canton  de  Genève;  mais  ils  ne  peuvent  croire  qu'un  tribunal 
exceptionnel,  arbitraire,  tel  que  l'a  été  la  conférence  de  Fribourg, 
puisse  ,  sans  observer  mémo  les  formes  conservatrices  de  la  liberté 
des  citoyens  et  de  la  libre  défense  des  accusés ,  sans  jugement  con- 
tradictoire, sans  publicité,  condamner,  arrêter,  emprisonner,  exiler 
sur  une  terre  étrangère,  un  évéque  catholique,  un  citoyen  suisse, 
et  surtout  priver  les  catholiques  du  canton  de  Genève  du  droit  de 
recevoir  leiu- évéque,  canoniquement  institué,  reconnu  par  le  Saint- 
Siège  ,  qui  n'a  contrevenu  à  aucune  loi  du  canton  ,  et  contre  lequel 
il  n'a  jamais  été  formulé  aucune  plainte,  de  quelque  nature  que  ce 
soit.  Ces  convictions  se  sont  successivement  affermies  par  la  pro- 
testation du  Chargé  d'affaires  du  Saint-Siège  du  31  octobre  18i8, 
par  celle  de  Son  Eminence  le  cardinal  Soglia,  secrétaire  dEtat,  du 
10  novembre  18i8,  par  la  lettre  du  Saint  Père  lui-même  du  21  jan- 
vier 18V9,  par  celle  de  Nos  Seigneurs  les  évêques  de  la  Suisse  à 
Mgr  Marilley,  et  enfin  par  la  protestation  itérative  du  30  janvier  du 
Saint-Siège. 

i"  Enfin  le  clergé  du  canton  de  Genève  estime  que  si  le  gouver- 
nement de  (jenève  croit  avoir  à  faire  des  démarches  auprès  du 
Souverain  Pontife,  le  gouvernement  de  Fribourg  n'a  rien  à  y  voir  : 
les  situations  sont  entièrement  différentes,  et  l'indépendance  can- 
tonale doit  rester  complète.  Si  Fribourg  s'est  adressé  à  la  cour  ro- 
maine, c'était  uniquement ,  et  nous  le  savons  de  science  certaine  , 
pour  ses  affaires  cantonales,  et  Genève  n'avait  point  à  s'en  préoccu- 
per. Et  si  notre  Saint  Père  le  Pape,  et  les  catholiques  du  can- 
ton de  Genève,  n'ont  pas  regardé  les  communications  de  Fribourg 
à  Rome  comme  sérieuses,  c'est  qu'elles  étaient  dérisoirement  main- 
tenues sur  le  terrain  des  résolutions  schismatiques  et  arbitraires 
des  conférences  de  Fribourg  des  IG  et  17  août  et  des  30  et  31  oc- 
tobre 18i8,  etque,  par  là  même,  elles  rendaient  tout  arrangement 
impossible  dans  ces  conditions. 

En  conséquence,  Monsieur  le  Président  et  Messieurs,  nous  ve- 
nons, dominés  par  le  cri  de  notre  conscience  et  parles  sentiments 
de  nos  droits  et  de  nos  devoirs,  nous  venons  protester,  de  la  ma- 
nière !a  plus  explicite,  contre  les  résolutions  de  la  conférence  de 
Fribourg  du  11  avril,  comme  contraires  aux  droits  del'Eglise  catho- 
lique, aux  droits  de  notre  évéque,  du  clergé  et  des  catholiques  du 
canton  de  Genève. 


Vous  iiuu!»  pernicUrt'Z,  Monsieur  le  Président  el  Messieurs,  de 
repousser  |K>ur  iiolri"  (  ompte  la  responsahililé  des  tonséqueiiees 
(jui  |ieu\enl  résulter  de  ce  nouvel  élémcnl  de  dillicidlés  introduit 
si  nialheureuseinent  et  si  inulilcmenl  d.ins  le  canton  de  (ienéve,  el 
(ju'il  eût  été  si  facile  d'éviter  à  jamais  par  l'application  de  la  seule 
justice  et  de  la  véritable  liberté  relijiieuse. 

Vous  trouverez  juste,  nous  n'en  doutons  |)as,  <|ue  nous  transmet- 
tions la  présente  protestation  au  haut-Cons -il  fédéral,  à  Son  Excel- 
lence le  ciiar^'é  d'affaires  du  Saint-Siège  et  aux  lé^'alioiis  des  hauls- 
Etals  signataires  des  traités  de  Paris,  de  \  ienne  et  de  Turin. 

Nous  sommes  avec  le  plus  profond  respect. 

Monsieur  le  Président  et  Messieurs, 

Vos  très-humbles  el  obéissants  serviteurs. 

Suirent  Irs  sif/nalures. 


NOLVKM.K  C0!SI"I-;RI:>CIÎ  de  FltlBUl'RU.  359 

Toute  la  Suisse  sait  (ju'il  n'y  a  pas  un  seul  des  faits  allégués 
contre  Mj^r  Marilley  <jui  puisse  soutenir  un  moment  la  discus- 
sion devant  un  tribunal  régulier  quelconque. 

En  particulier  le  canton  «le  Genève  na  jamais  articulé  un  seul 
j,Miel' contre  Mgr  Marilley  ;  il  n'y  a  jamais  eu  le  moindre  démêlé 
ni  politique ,  ni  ecclésiastique  entre  l'évêque  et  l'aulorilé  can- 
tonale. 

En  outre,  jamais  il  n'y  a  eu  ni  identité^  ni  similitude  entre  la 
situation  ec«;lésiasti(iue  des  canton  de  Berne,  Fribourg,  Vaud  et 
JNeuchâtel,  et  celle  du  canton  de  Genève,  L'évêque  porte  même  le 
litre,  reconnu  légalement  par  le  gouvernement  de  Genève,  d'évêque 
de  Lausanne  et  DE  Genève.  Le  canton  de  Genève  est,  au  point  de 
vue  canonique  et  au  point  de  vue  des  relations  entre  les  deux  au- 
torités civile  et  ecclésiastique,  dans  des  conditions  toutes  diffé- 
rentes de  celles  des  autres  cantons  Le  canton  de  Genève  a  con- 
servé, en  vertu  des  traités  de  Paris,  de  Vienne  et  de  Turin,  tous 
ses  droits  et  usages  propres ,  et  l'évêque  est  tenu ,  aussi  bien 
que  le  gouvernement  civil,  de  les  respecter.  Le  Pape  seul  peut 
les  modifier  (protocole  de  Vienne).  Le  bref  d'incorporation 
du  Pape  Pie  VII,  de  1819,  est  tellement  catégorique  à  cet  égard, 
et  les  promesses  de  Genève  en  l'homologant  sont  si  catégoriques 
que,  en  vérité,  il  faut  fermer  les  yeux  à  la  lumière  pour  ne  pas 
voir  l'énorme  distance  entre  les  deux  positions.  La  pétition  des 
catholiques  du  canton  de  Genève  redemandant  leur  évêque  a 
exprimé  ce  fait  palpable  avec  une  force  invincible.  Aussi  avions- 
nous  une  confiance  entière  dans  le  Conseil  d'Etat,  et  nous  atten- 
dions-nous à  une  simple  levée  d'interdit  qui  eût  été  à  la  fois  de 
la  bonne  politique,  de  la  justice  et  de  l'habileté,  au  moment  sur- 
tout où,  au  Grand  Conseil,  viennent  d'être  proclamées  tant  de 
belles  professions  de  foi  sur  l'indépendance ,  sinon  la  séparation 
de  l'Église  et  de  l'Etat.  Aujourd'hui  c'est  un  joug  de  fer  posé 
sur  l'Église  catholique  dans  le  canton  de  Genève,  malgré  les 
traités,  malgré  l'acte  d'incorporation,  malgré  la  constitution 
cantonale,  malgré  la  constitution  fédérale,  malgré  le  droit  civil, 
le  droit  criminel,  le  droit  de  police,  malgré  la  liberté  religieuse, 
malgré  même  les  plus  vulgaires  lois  des  convenances  et  de  la  po- 
litesse..., et  tout  cela  pour  traîner  les  catholiques  du  canton  de 


300  MOI  VELLK   CONKKRK.XIK  «K  KBIBUIRG. 

GiMicvc  à  la  remorque  des  passions  politiques  du  canton  de  Fri- 
Iniurg 


Catholiques  du  canton  de  Genève,  qui  aviez  agi  cependant 
avec  tant  de  prudence  et  avec  tant  de  respect  pour  les  lois  et 
|)Our  les  magistrats,  sentez-vous  TalTront  qiù  vous  est  lait?  Esl-il 
assez  sanglant?  El  vous,  clergé  catholique  du  canton  de  Genève, 
coniprene/.-vous  comment  on  paie  votre  sagesse  dans  maintes 
circonstances? 

La  demande  des  catholiques  de  Genève  est  rejetée,  et  par  qui? 

Par  ceux  qui  n'ont  aucun  droit  dans  notre  canton,  par  une 
ronference  qui  n'est  ni  léf?ale,  ni  impartiale,  ni  instruite.  Et 
c|iii  donc  a  permis  aux  Fribourgeois,  aux  Neuchâtelois ,  aux 
Vaudois  de  venir,  sans  en  connaître  le  moindre  mot,  toucher  à 
nos  droits  et  usages  ecclésiastiques,  que  nous  tenons,  nous,  de 
l'Église,  et  dont  nous  jouissions  déjà  sous  la  France  et  sous  la 
Savoie?  Qui  donc  leur  a  demandé  un  concordat,  un  changement 
de  situation,  eux  protestants  ou  ennemis  de  notre  religion,  sans 
nous  consulter  et  même  malgré  notre  pélition  si  claire  et  si 
lormelle?  Nous,  nous  ne  voulons  ni  i\i\  régime  ecclésiastique 
ancien  et  actuel  de  Fribourg,  ni  de  l'asservissement  du  canton 
de  Genève  et  de  la  religion  catholique  aux  cantons  de  Berne,  de 
Fribourg,  de  Vaud  et  de  Neuchâiel.  Ils  n'ont  rien  à  voir  chez 
nous,  comme  nous  n'avons  rien  à  voir  chez  eux. 

Quant  aux  délégués  du  Conseil  d'Etat  de  Genève,  nous  le  di- 
sons avec  une  vive  douleur,  ils  ont  agi  contre  le  sentiment 
et  la  volonté  manifestés  des  catholiques;  ils  ont  compromis  les 
droits  du  canton,  des  catholiques  et  de  l'Église  catholique  dans  le 
canton  de  Genève,  en  les  rivant  à  une  conférence  d'abord  essen- 
tiellement illégale,  et  ensuite  essentiellement  schismatique. 

Les  catholiques  sont  profondément  blessés.  La  plaie  est  sai- 
gnante. Qui  la  guérira? 

Oui,  la  conférence  actuelle  de  Fribourg  est  schismatique. 
Llle  renouvelle  et  conlirme  les  décisions  des  16  et  17  août  1848; 
décisions  condamnées  par  l'Église.  Voici  ces  décisions  : 

«  Les  cantons  se  lient  par  concordat  conclu  dans  l'intérêt  de 
l;t  paix  publique  en  matière  religieuse  et  ayant  pour  but  de  faire 
respecter  leur  souverainlé ,  sans  porter  alteinle  au  dogme,  à  la 


NOtVULLi!:  COi>tÉRE>iCt  Uli  FRUIOlR<i.  361 

foi  et  au  libre  exercice  du  culte  catholique.  —  Ils  se  déclarent 
solidaires  de  toutes  les  résolutions  prises,  ainsi  que  des  mesu- 
res d'exécution. 

Le  concordat  sera  soumis  à  la  ratification  du  Directoire  fédé- 
ral. 

L'évêque  sera  sommé  par  le  gouvernement  de  se  soumettre 
sans  restriction  à  la  constitution  et  aux  lois  du  canton,  à  re- 
noncer à  toutes  prétentions  contraires  et  notamment  d  l'exercice 
du  place t  pour  la  postulation  aux  bénéfices,  tel  qu'il  a  été  intro- 
duit abusément  par  les  consiilutions  synodales.  Le  gouverne- 
ment de  Fribourg  lui  déclarera  qu'il  méconnaît  à  une  autorité 
quelconque  le  droit  d'intervertir  la  charte  constitutionnelle  par 
des  ordres  ou  émissions  contraires.  En  conséquence,  il  deman- 
dera que  tout  ordre,  mandement  pastoral,  publication  de  revé- 
cue, soient  soumis  à  l'approbation  de  l'Etat,  et  que  les  constitu- 
tions synodales  soient  mises  en  harmonie  avec  les  lois  civiles. 

»  Cette  démarche  sera  appuyée  par  les  cinq  Etals  sur  le  point 
de  vue  de  l'intérêt  public  et  de  celui  de  la  religion  catholique. 

»  Pour  le  cas  où  l'évêque  n'obtempérerait  pas  à  celte  som- 
mation, en  cas  de  résistance  formelle  à  un  concordat  souverain 
de  plusieurs  cantons,  il  en  sera  déféré  au  Directoire  qui  avisera 
aux  mesures  les  plus  efficaces  pour  faire  cesser  le  trouble  ré- 
sultant de  cette  résistance. 

»  Les  cantons  se  réservent  en  outre  leurs  moyens  d'actions , 
en  retirant  au  titulaire  leur  placet  pour  V exercice  ultérieur  des 
fonctions  épiscopales. 

»  Les  Etals  concordants  déclarent  que  dès  la  première  vacance 
du  diocèse,  ils  entendent  faire  usage  du  droit  de  souveraineté, 
en  se  réservant  la  nomination  de  Vévêque.  Cette  nomination  aura 
lieu  par  des  délégués  nommés  par  les  Conseils  d'Etat  respectifs 
dans  la  proportion  suivante  : 

»  L'Etat  de  Fribourg  enverra  4  délégués ,  de  Genève  2 ,  de 
Vaud  1,  de  Berne  1,  de  Neuchûtel  I. 

»  Cette  délégation  sera  présidée  par  le  premier  député  nommé 
de  Fribourg. 

>  L'élu  prêtera  le  serment  de  fidélité  aux  constitutions  et  aux 
lois  des  cantons  compris  dans  le  diocèse. 


3Hi  NOLvr.i.i.K  (  ()>rKRK>t  K  m  KniBoi  rg. 

.  La  ^()Ml^ÀTlo^  des  membres  de  la  cour  éptscopale  stra  sou- 
mise à  Vapprobation  du  goui'ernement  dans  le  lorriloire  duqut^l 
réxèque  aura  sa  résidence. 

I»  La  nomination  des  doyens  sor.i  soumise  dans  cha(|ue  canton 
j  Vnpprohalion  du  gouvernement  lespeclif. 

»  Les  candidats  à  réiai  ecclésiastique  seront,  avant  leur  en- 
trée an  sacerdoce  ,  soumis  dans  chaque  canton  a  un  examen  de- 
vant une  commission  mixte,  et  suivant  un  programme  uniforme. 
Cet  examen  constatera  que  les  candidats  posiièdenl  les  coonais- 
saoces  et  les  capacités  nécessaires  pour  Vexercice  de  leurs  fonc- 
tions. 

»  Le  candidat,  une  fois  admis  par  l'évêque  et  le  gouverne- 
mt'ut  respectif,  pourra  aspirer  «an«  autre  permission  épiscopale, 
à  tous  les  bénéfices  vacants  du  diocèse,  sous  réserve  toutefois 
des  cas  de  discipline  eccNsiaslique  ou  d'empêclieraenl  notoire 
survenu  depuis  son  admission. 

»  Les  cantons  ouvriront  des  négociations  avec  le  Saint-Siège 
pour  la  suppression  canonique  des  fêtes,  ou  leur  translation  sur 
le  diinanclio,  et  pour  la  diminution  des  jours  déjeune  et  d'ab- 
stinence. 

»  Les  cantons  s'engagent ,  pour  le  cas  où  ces  négociations 
n'auraient  pas  un  résultat  satisfaisant,  à  refuser  toute  sanction 
pénale  aux  fêtes,  qui  ne  sont  pas  instituées  ou  contirmées  par  la 
loi  civile,  à  l'exception  générale  des  dimanches  et  spécialemeni 
pour  le  culte  catholiipie,  la  Fête-Dieu,  Noël,  l'Assomption,  la 
Toussaint,  l'Annoncialion  ,  pour  le  culte  evangélique  reformé, 
le  Vendredi  saint  et  TAnnonciation. 

»  Les  cantons  concordants  déclarent  ne  reconnaître  en  matière 
de  culte  catholique,  d'autorité  spirituelle  que  pour  ce  gui  regard 
la  foi  et  les  sacrements.  Ils  renouvellent  les  réserves  faites  dans 
le  temps  contre  V  ad  mission  des  décisions  du  Concile  de  Trente, 
réserves  qui,  sauf  la  foi  et  les  sacrements,  <»nt  eu  pour  but  d'as- 
surer aux  gouvernements  la  continuation  des  aniicjues  droits , 
libertés  et  franchises  de  la  Suisse,  et  \imr  someraineté  en  ma- 
tière de  discipline,  de  police  et  de  haute  surveillance  du  culte. 

Les  cantons  déclarent,  au  stirplus,  que  tous  les  fonctionnai- 
res et  bcnéficiers  cccbsiastiques  auront  droit  à  Vnppui  de  lati- 


NOl  VIl.Li:  COM  ÉlîKNCi;  iJI.  MUDOlU(i.  363 

loriié  civile  ;)our  Vexercice  de  leurs  fonctions  dans  la  limite  des 
lois,  et  que  l'Etat  les  prolégera  jmur  la  considération  et  le  res- 
pect dus  à  leur  (lii,'nité. 

»  Les  dclé^u()s  leront  les  propositions  suivantes  : 

»  Les  cantons  concordants  exigeront  Vexequalur  pour  toute 
publication  venant  du  Saint-Siège. 

»  Ils  ne  toléreront  plus  sur  leur  territoire  de  port  d'habits 
distinctifs  pour  les  ecclésiastiques. 

»  Les  délégués  prendront  en  outre  part  aux  ouvertures  qui 
pourraient  être  faites,  et  ont  le  pouvoir  d'en  formuler  et  d'y 
adhérer  suivant  la  marche  de  la  discussion  et  dans  le  sens  de  la 
présente  instruction. 

»  Ils  sont  autorisés  à  se  joindre  aux  propositions  qui  se  rap- 
procheraient le  plus  des  points  de  celle  instruction. 

»  Le  projet  de  concordat  sera  soumis  à  la  ratiûcation  défini- 
tive du  Grand  Conseil. 

»  Les  16  et  17  août  iJ 


La  simple  lecture  d'un  pareil  document  suffit  pour  faire  com- 
prendre que  JAMAIS  les  catholiques  du  canton  de  Genève  ne  se 
soumettront  à  de  pareilles  énormités. 

Le  30  septembre  1848,  le  cardinal  Soglia  (1)  écrivit  au  Direc- 
toire fédéral,  au  nom  du  Souverain  Pontife,  pour  réclamer  contre 
ces  détestables  décisions  de  Fribourg,  plus  schismatiques  en 
tous  points  que  celles  même  de  la  conférence  de  Bâle  de  1834. 
En  ce  qui  concerne  spécialement  le  canton  de  Genève,  le  secré- 
taire d'Etat  du  Saint-Siège  s'exprimait  dans  des  termes  aujour- 
d'hui devenus  d'une  extrême  importance  pour  les  catholiques. 
Qu'on  les  lise  avec  attention  : 

De  la  Secrétairerie  d'Etat  de  Sa  Sainteté. 

Rome,  le  30  septembre  18i8. 

MM.  les  bourgmestres  et  Conseil  d'Etat  de  Phonorable  canton  de 
Berne,  Directoire  fédéral. 

Les  feuilles  publiques  ont  récemment  annoncé  que  les  délé- 

(1)  Voir  les  1"'  et  4°"'  documents  sur  la  liberté  de  l'Eglise. 


:4}i^  >0I  VF.I,I.K  «.OMFKBFNO:  Dl    FKIBOIIK.. 

uues  iïcs  ciin\  caillons  dont  se  compose  le  diocèse  de  I^ausnnne 
Cl  Genève,  N«^naieni  d'approuver  de  leurs  voles  une  instruciion 
du  Conseil  d'Eial  de  Frihour^'  remplie  de  nouvelles  et  insuppor- 
tables entraves  pour  T^^^iise  callioli<|U('.  et  que,  de  plus,  la  con 
vention  délibérée  enlre  ces  dcié^'nes  sous  la  forme  de  celle  in- 
slruclion  elail  soumise  aux  raiilicalions  des  Grands  Conseils 
canlonaux  el  du  Directoire  fédéral.  Celle  nouvelle  a  profondé- 
ment alUi^îe  le  cn'ur  du  Sainl  Père.  La  sollicilude  que  ses  augus- 
tes prédécesseurs  el  lui-même  ont  toujours  monlrée  pour  la 
Suisse  ,  la  modération  extrême  avec  laquille  il  a  ttdéré  tout  ce 
que  l'on  pouvait  rejeter  sur  le  mallnur  des  temps,  la  longanimité 
avec  laquelle  il  a  autorisé  les  sacrifices  (piil  était  possible  à  l'K- 
glise  de  faire,  lui  donnaient  l)ien  le  droil  d'attendre  un  autre 
résultai. 

Et  réionnemenl  se  joint  à  la  douleur  lorsqu'on  réfléchit  que 
les  lois  en  question  sont  proposées,  non  j^as  en  un  temps  ou  de 
rupture  absolue  avec  le  culte  (ailiolique  ,  ou  de  pure  tob-ram  e  , 
mais  en  un  lemps  où  les  lois  de  la  Confédération  promulguent  et 
sanctionnent  la  liberté  de  conscience.  De  lelle  sorte  que  ce 
qui,  à  une  autre  époque  ,  pouvait  être  ,  non  pas  assurément  con- 
forme à  la  justice,  puisque  cela  était  conliaire  au  droit  naturel 
el  divin  de  l'Église,  mais  du  moins  conforme  aux  institutions  ci- 
viles et  polilicjues  de  certaines  parties  de  la  Suiss»',  se  trouve  au- 
jourd'bui  en  conlradiction  manifeste  avec  ces  institutions.  La  li- 
berté de  conscience,  en  efl'et ,  ne  peut  se  réduire  à  une  pure 
liberté  de  foi  intérieure,  dont  les  actes  échappent  naturelle- 
ment il  l'empire  des  lois  humaines  ;  pour  que  celle  liberté  soit 
réelle,  il  faut  (pi'elle  s'étende  a  racconq^lissemenl  des  devoirs 
que  la  religion  impose  à  chacun,  selon  sa  condition  el  selon  la 
posilion  qu'il  occupe  dans  l'Église. 

Pour  que  les  lidéles  aient  le  libre  exercice  du  culte  catholi- 
que, il  est  nécessaire  qu'ils  puissent  recevoir  les  sacremenls  et 
entendre  la  Parole  de  Dieu  ,  de  prêtres  et  de  pasteurs  légitime- 
ment établis,  selon  les  lois  canoniques,  car  ces  lois  les  obligent 
à  s'abstenir  des  praticpies  du  cidie  ,  plutôt  (pie  de  se  mettre  en 
commuiii(»n  avec  des  pasteurs  qui  n'auraient  pas  été  inslilués 
ranoniipiement. 

Pour  (pie  les  pasteurs  aient  le  libre  exercice  du  culte,  il  est 
nécessaire  qu'ils  puissent  instruire  les  bdèles  de  la  Loi  de  Dieu, 
sans  dép(;ndre  en  cela  des  lois  civiles  ou  du  bon  plaisir  des  gou- 
vernements; il  est  nécessaire  qu'ils  puissent  librement ,  selon  le 
diciainen  de  leur  propre  conscience  et  selon  les  lois  de  l'Eglise, 
donner  ou  retirer  I  institution  aux  pasteurs  de  l'ordre  inférieur  ; 
il  est  nécessaire  cpiils  puissent,  avec  une  pleine  indépendance, 


NOl  VKI.I.K  r.ONFKRF.XIK  UV.  l'RinOI  RC.  365 

admeilro  dans  le  sanctuaire  ceux  qu'ils  juj^ont  dignes  et  en  ex- 
clure les  indignes;  il  est  nécessaire  (|n'ils  puissent  librement, 
lorsqu'ils  ont  ('le  légitinieinenl  institués ,  garder  l'exercice  de 
leur  autorité,  car,  d'après  les  htis  de  l'Église,  il  ne  leur  est  pas 
permis  d'y  renoncer;  il  est  n<''cessaire  enlin  (ju'ils  puissent  obéir 
aux  publications  du  Saint-Siège,  communicjucr  avec  le  Saint- 
Siège  en  toute  liberté  et  mettre  à  exi-culion  ses  actes  de  juridic- 
tion dans  Us  alTaiics  ecclésiastiques,  car  c'est  le  propre  de  l'É- 
glise cailiolique  d'avoir  un  chef  su|)rèmede  qui  tous  ses  membres 
dépendent.  Tout  cela  est  nécessairement  compris  dans  la  liberté 
de  culte,  car  en  dehors  de  ces  conditions ,  il  devient  impossible 
d'exercer  le  ministère  èpiscopal  sans  trahir  ce  qu'a  de  plus  sa- 
cré la  conscience  du  prêtre  catholique. 

Or,  aucune  des  (  onditions  ci-dessus  ne  demeure  sauve  avec  la 
convention  qu'on  suppose  faite  par  les  députés  des  cinq  cantons  : 
la  servitude  qu'elle  impose  au  clergé  va  jusqu'à  lui  interdire  un 
costume  qui  le  dislingue  des  laïques.  L'Église ,  au  contraire , 
même  dès  les  premiers  temps,  et  alors  que  le  costume  ecclésias- 
tique n'était  pas  encore  arrêté,  a  toujours  exigé  que  la  modestie 
cléricale  se  distinguât  d'une  manière  ou  d'une  autre  des  usages 
du  monde.  El  non-seidemenl  l'Église,  mais  tous  les  peuples,  ont 
toujours  cru  nécessaire  que  le  prêtre  portât  dans  ses  vêtements 
comme  un  souvenir  continuel  des  devoirs  de  son  état ,  a6n  que 
dans  le  commerce  des  hommes  il  fût  sans  cesse  rappelé  au  res- 
pect de  soi-même  et  maintînt  parmi  les  autres  la  dignité  de  son 
caractère. 

En  des  circonstances  aussi  graves,  l'auguste  chef  de  l'Église 
ne  peut  donc  pas  garder  le  silence,  et  puisqu'il  dépend  encore 
de  la  sagesse  et  de  la  justice  des  Grands  Conseils  cantonaux  et 
du  Directoire  fédéral  de  prévenir  les  funestes  conséquencesquc 
produirait  un  tel  acte  ,  Sa  Sainteté  a  ordonné  au  secrétaire  d'E- 
tat soussigné  d'appeler  sur  ce  point  la  sérieuse  attention  de  Vos 
Seigneuries  Excelleniissimes,  et  par  elles  celle  des  Grands  Con- 
seils. 

Quant  à  l'honorable  canton  de  Genève  en  particulier,  le  sous- 
signé ne  doit  pas  négliger  de  rappeler  que  si,  en  1819,  le  Sainl- 
Siége  consentît  à  séparer  cette  Église  du  diocèse  de  Chambéry 
pour  l'unir  à  celle  de  Lausanne,  ce  fut  en  considération  de  quel- 
ques articles  de  la  constitution  cantonale  par  lesquels  étaient 
confirmées  les  garanties  en  faveur  de  la  religion  stipulées  par  le 
roi  de  Piémont  dans  les  traités  de  Vienne  et  de  Turin,  garanties 
violées  plus  tard  par  la  convention  que  le  canton  imposa  au  dé- 
funt évêque  Mgr  Venni,  et  que  le  Saint  Père  désapprouva  so- 
lennellement dès  qu'il  en  eut  connaissance,  en  1844,  bien  que 


Wm;  NorVF.I.I.K  <  ONKKHK.X  K  l(K  KHIR(»I  K(. . 

celle  couveolion  ne  déiruisU  pas  ces  garanties  au  nn^ne  dcprif 
que  le  ferait  le  nouveau  concordat  des  cinq  cantons  dont  il  evt 
inniiitciiaiit  (]uostion. 

l)t'  nu'iiK' ,  il  est  nécessaire  de  rappeler  que  si  le  Saint-Sié{?e 
m  1820,  aiiloiisa  l'cvcviiie  et  le  clcif^é  de  Genève  à  |)rè(er  ser- 
nieni  de  lidelilc  à  Ttlal  cl  d'ohéissance  à  srs  lois,  le  Saint-Siège 
ne  le  fit  que  parce  que  ce  serment  «Icvenail  licite,  en  vertu  d'une 
d«''claraiion  solennelle  du  gouvernement  cantonal,  portant  qu'on 
n'eiiU  ndail  |)ar  le  serment  ohligcr  le  clerf,'é  à  rien  de  contraire 
aux  principes  de  la  foi  catholique  ni  aux  ordonnances  de  C  f^<jlise. 
11  en  résulte  (jiie  si  celte  declaralioii  ciail  impliciicment  révo- 
quée ,  comme  il  paraît  (|u'elle  le  serait  par  le  nouveau  concor- 
dat, l'autorisation  de  prêter  serment,  donnée  par  le  Sainl-Siége, 
le  serait  aussi. 

Enlin,  ni  pour  le  canton  de  Genève,  ni  pour  aucun  des  quatie 
autres  cantons,  le  Saint-Siège  n'a  connaissance  d'aucuoe  con- 
cession qui  ait  mis  des  limites  à  son  droit  d'élire  librement  l'»'- 
vêque. 

Le  Saint-Siège  a  certainement  toujours  eu  l'habitude  de  choi- 
sir des  personnes  étrangères  aux  intrigues  mondaines,  et  par  cela 
même  non  suspectes  aux  gouvernements.  Mais  le  Saint-Siège  ne 
peut  reconnaître  à  aucun  gouvernement,  comme  procédant  de  la 
souveraineté  temporelle,  le  droit  de  nommer  les  èvê<|ues.  Quant 
aux  causes  canoni(iues  pour  lesquelles  la  nomination  des  évoques 
a  été  accordée  à  d  autres  gouvernements,  elles  ne  se  sont  jus- 
qu'à présent  jamais  pièsenleos  dans  les  cantons  dont  il  s'agit. 

C'est  pouripidi ,  sur  tons  ces  points,  le  Saint-Siège  ne  peut 
s'empêcher  de  réclamer  hautement  contre  les  prétentions  ma- 
nifestées par  les  députés  des  cinq  canions.  Pour  user  envers  Vos 
Seigneuries  Excelleniissimes  d'un  procédé  amical ,  Sa  Sainteté 
a  ordonné  au  soussigné  de  leur  adresser  le  présent  office,  se 
(lallant  que  cela  snilira  pour  lui  épargner  la  nécessité'  d'en  venir 
à  d'autres  actes,  auxquels  sa  conscience  l'obligerait  devant  le 
monde  catholique,  si  les  raisons  ci-dessus  n'étaient  pas  suffi- 
samment appréciées. 

Le  soussigné  profite  bien  volontiers  de  cette  occasion  fionr 
exprimer  à  \  os  Seigneuries  Excelleniissimes  les  sentiments  de 
sa  considération  la  plus  disiinguè'e. 

J.  Card.  Soglia. 

Le  clergé  du  canton  de  Genève  protesta  en  chaire  contre  les 
décisions  de  la  conférence  schismaiique  de  Fribourg.  Voici  les 
paroles  qui  furent  [)ronon(  «'esdans  toutes  les  églises  catholiques, 
le  18  septembre  1848  : 


NOl  VF.LLKS  œ>FÉKr.>CF,  DE  iniBOIRf;.  o<)7 

«Los  membres  du  clcrj^é  ealliolique,  citoyens  du  canlon  de 
Genève,  ont  pris  eonnaissance  du  projet  de  loi  présenté  au  Grand 
Conseil  du  canlon  de  Friltonrj,'  le  11  août  dcinicr. 

»  Ils  n'ont  ni  la  mission,  ni  la  prétention  d'exprimer  leurs 
pensée  sur  ce  projet,  en  ce  qui  conceinc  les  intérêts  généraux 
de  la  religion  dans  le  diocèse  et  l'éducation  publique  dans  le 
canton  de  Fribourg;  mais  il  est  de  leur  droit  et  de  leur  devoir, 
en  tpialité  de  citoyens  genevois,  de  protester  solennellement  en 
ce  qui  regarde  renseignement  llw'ologique  réglementé  par  ce 
projet,  attendu  que  cet  enseignement  est  simulian»'-  pour  tous 
les  ressortissants  du  diocèse;. 

I.  Les  paroisses  cédées  pai-  la  France  et  la  Sardaigne  au  can- 
lon de  Genève,  en  vertu  des  traités  de  Vienne,  de  Paris  et  de 
Turin,  ne  peuvent  peidre ,  en  vcilu  d'une  loi  quelconque,  les 
droits  que  ces  traités  leur  ont  garantis.  Or,  parmi  ces  droits, 
celui  de  la  liberté  d'enseignement  en  matière  tliéol()gi([ue,  inhé- 
rent d'ailleurs  à  l'autorité  ('piscopale,  ne  peut  faire  l'objet  d'une 
question  au  point  de  vue  historique  et  catholique. 

»  IL  En  outre,  le  canton  de  Genève  a  été  distrait  du  diocèse 
de  Chambéry  pour  être  réuni  au  diocèse  de  Lausanne  par  le  bref 
du  Pape  Pie  Vil,  du  20  septembre  1819.  Cette  mutation  a  eu 
lieu  '(  aux  prières  du  gouvernement  de  Genève  et  de  toute  la 
»  Confédération  suisse,  et  sur  l'assurance  donnée  au  Souverain- 
»  Pontife  que  la  religion  catholique  serait  maintenue  de  la  même 
»  manière  qu'elle  l'était  sous  les  princes  de  la  maison  de  Sa- 
»voie...»  Et  il  est  porté  aux  registres  de  l'Etat  de  Genève  (V 
octobre  1819)  que  «ce  bref  prononçait  le  dit  démembrement, 
»  reçu  avec  reconnaissance  par  Genève,  rappelle  expressément 
»  le  protocole  de  Vienne  et  le  traité  de  Turin,  qui  s'y  réfère 
»  comme  le  fondement  des  droits  du  gouvernement  de  Genève 
»  et  la  règle  de  ses  devoirs  pour  le  maintien  et  la  protection  de 
»  la  religion...» 

III.  Enfin,  et  indépendamment  des  droits  attachés  à  la  consti- 
tution divine  de  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine,  les 
catholiques  du  canton  de  Genève  jouissent  de  ceux  que  leur 
confère  la  constitution  de  la  république  et  canlon  de  Genève,  du 
24  mai  1847,  qui  proclame  la  liberté  des  cultes.  Cette  consti- 
tution ne  pose  de  limites  à  celte  liberté  qu'en  ce  qui  concerne 
l'exercice  extérieur  du  culte,  el  elle  rappelle  «  les  traités  aux- 
»  quels  la  constitution  ne  peut  déroger  en  rien  et  qui  reste  en  vi- 
»  gueur  dans  toute  leur  intégrité.  » 

»  Les  membres  du  clergé  catholique ,  citoyens  du  canton  de 
Genève ,  protestent  donc  avec  tout  le  respect  convenable ,  mais 
aussi  avec  toute  l'énergie  de  leurs  convictions  el  de  leur  foi , 

24 


:|(,H  >Ul  VKLLK  CONFÉRENCE  DK  FRIBOLRG. 

;ai\  lins  de  ilélcndrc  leurs  ilioils  cl  les  droits  des  cailioiitjurs 
«onlre  h'S  dis|)(»siliuiis   thi  projet  de  loi  sur  rinstruclion  puhli- 
quo  do  Friboiirg  en  ce  qui  concerne  renseignement  Ihéologique. 
»  Fait  à  Genève,  le  18  septembre  1848.» 

l'uis  ce  même  clergé  écrivit  à  Monseigneur  Marilley  la  lettre 
suivante  : 

«  Monseigneur, 

»  Nous  avons  pris  connaissance  d'un  document  inlitult'  :  In- 
siructions  i>our  la  conférence  entre  les  cinq  cantons  intéressés  aux 
affaires  du  diocèse  de  Lausanne  et  Genève. 

»  INous  nous  sommes  assurés  que  les  stipulations  que  renferme 
ce  document  sont  au  moins  à  l'étal  de  jirojot. 

»  Tout  voire  clergé,  à  l'unaniniilé,  Monseigneur,  a  été  pro- 
fondément ému  à  l'apparition  d'un  j)laii  si  évidemment  suhveisif 
de  la  conslilution  divine  de  l'Fglise,  de  son  indépendance,  de 
ses  lois  canoniques,  de  ses  droits,  et  pai- conséquent  de  la  re- 
ligion elle-même. 

»  Tous  les  fidèles  catholiques  de  nos  paroisses  eut  éprouvé  la 
même  indignation  et  la  même  douleur  que  nous. 

»  Aussi,  sous  l'empire  de  cette  unité  et  de  cette  union  ,  qui 
(onstiluent  la  famille  diocésaine,  dont  Votre  Grandeur  est  le 
Pasteur  légitime  et  le  Père  chéri,  nous  venons  déposer  à  vos 
pieds  l'expression  filiale  et  respectueuse  de  notre  ailachemenl 
inviolable,  de  notre  inalt*  rable  soumission  à  vous.  Monseigneur, 
notre  evêque,  successeur  des  Apôires,  envoyé  de  Ji-sus-Christ , 
et  à  noire  sainte  mère  l'Église  ealholi(pie,  aposloli(iue  et  romaine, 
dans  la  personne  de  Sa  Sainteté  le  Pape  l\. 

»  Que  votre  cœur  brisé  soit  surabondamment  consolé  par 
cette  déclaration  solennelle  de  tout  votre  clergé. 

>  Oui ,  Monseigneur,  nous  sommes  tous  prêts ,  s'il  le  faut ,  à 
subir  la  uïort  même  pluiùt  (pie  de  nous  soumettre  et  de  sou- 
mettre jamais  les  fidèles  catholiques  aux  prétentions  usurpatrices 
cl  schismatiques  renfermées  dans  ce  document,  et  nous  renouve- 
lons entre  vos  mains,  dans  toute  la  pb'nitude  de  notre  foi  et  de 
notre  ailachemenl  à  l'Église,  la  promesse  de  n'admettre  aucune 
modilicaiion  (pielconqne  en  matière  de  discipline  qui  ne  soit 
sanclionnée  par  \  nWo.  Grandeur  ei  par  le  Souverain  Pontife. 

»  Si  Votre  Grandeur  est  accal)lée  sous  le  poids  des  épreuves, 
si  nous  ressentons  chacune  de  ses  souffrances,  nous  trouvons 
touiefois  une  consolai  ion  bien  grande  à  coniempler  la  sérénité 
d  ànie  et  la  feiincle  inébranlable  que  .h'sus-Christ  donne  à  son 
serviteur  ;  et  en  pojlanl  tour  à  tour  nos  regards  sur  le  Père  com- 


NOUVEIXE   CONFÉRK.NCR  I)K  FRIBOLbG.  M)') 

mun  des  fidèles  el  sur  noire  bien-aimé  évêque,  nous  répétons  les 
adorables  et  fécondes  pciroles  du  Sauveur  des  hommes  :  Beati 
qui  perseculionem  patiuntur  pr opter  justiliam .. .  Beati  estis  cum 
maledixerint  vohis ,  et  persecuti  vos  fuerint ,  et  dixerint  omne 
malum  advcrsùm  vos  tnentientes  propter  me  :  Gaudete,  et  exul- 
tate  :  quoniam  merces  vestra  copïosa  est  in  cœlis...  (St.  Mailli. 
c.  V.) 

»  Nous  sommes  avec  le  plus  profond  respect, 
»  Monseigneur, 

»  De  Votre  Grandeur, 
»  Les  très-humbles  et  irès-ohéissants  serviteurs. 
(Suivent  les  signatures.) 

Bientôt  intervinrent  les  résolutions  de  la  conférence  de  Fri- 
bourg  des  30  et  31  octobre  1848,  qui  prononcèrent  l'expulsion 
de  Mgr  Marilley  de  son  diocèse. 

Voici  ces  résolutions  : 

«  Les  gouvernements  des  hauts  Etats  de  Berne,  Fribourg, 
Vaud,  Neuchâiel  et  Genève,  sur  le  territoire  desquels  s'étend  le 
diocèse  dit  de  Lausanne  et  Genève; 

»  Vu  les  délibérations  des  délégués  réunis  à  Fribourg,  en  con- 
férence pour  les  affaires  diocésaines  ; 

»  Vu  également  les  actes  qui  se  rapportent  à  la  conduite  de 
l'évéque  Etienne  Marilley  dans  les  événements  dont  le  canton  de 
Fribourg  a  été  le  théâtre  ; 

»  Considérant  que  le  gouvernement  de  Fribourg  n'a  accordé 
en  1593  la  résidence  dans  le  canton  aux  évêques  de  Lausanne, 
fugitifs  depuis  longtemps  de  leur  siège  épiscopal,  qu'à  la  condi- 
tion qu'ils  se  soumettraient  aux  lois  du  pays,  qu'ils  respecte- 
raient les  libertés  et  franchises  de  l'Etat,  et  qu'ils  se  comporte- 
raient d'une  manière  pacifique  et  amicale  ; 

»  Que  ce  gouvernement  est  toujours  resté  au  bénéfice  de  ces 
droits  et  réserves,  nonobstant  la  tolérance  dont  il  a  usé  à  l'égard 
de  certains  actes; 

»  Que  l'évéque  Etienne  Marilley  a  évidemment  violé  les  con- 
ditions de  résidence  stipidées  en  1593,  en  refusant  dans  plu- 
sieurs circonstances  de  reconnaître  la  suprématie  du  pouvoir  ci- 
vil en  matière  temporelle,  et  notamment  en  résistant  en  dernier 
lieu  aux  sommations  qui  lui  ont  été  adressées  par  le  Conseil 
d'Etat,  de  se  soumettre  à  la  constitutions  cantonale,  garantie  par 
la  Confédération. 


•S70  r(iti  \i:i.i.K  conkf.renck  ui  i  hihiiik<.. 

•  (Àtnsidéiant  t|ii  il  :i  itiiissaiiimcnl  coniribué  par  ses  discours 
«•1  SOS  cxcilaiions,  cl  suiioui  |):ir  la  Ix-iicdiiiioii  qu'il  a  faiic  îles 
drapeaux  des  reltelles,  à  la  loriualiou  delà  ligue  (|ui,  en  l^i7, 
n  amené  la  guerre  civile  en  Suisse  et  nus  l'indipendance  de  la 
pallie  en  danger; 

u  Que  c'est  par  une  cMrônie  indulgence  cl  par  égard  pour  le 
(aiaclère  dont  il  est  revèiu ,  ipi'il  n'a  pas  éti'  atteint  alors  par 
les  mesures  dont  on  a  happé  de  grands  coupables; 

»  Considérant  que  loin  d'être  ramené  à  rol)servation  de 
ses  devoirs  par  les  procédés  dont  il  a  été  l'objet,  l'évèque 
Kiienne  Marilley  n'a  cessé,  depuis  cette  mallieureuse  époque, 
denlraver  dans  leur  administralion  les  auloriles  constitutionnel- 
les, soit  en  taxant  dheietiques  ri  de  scliisniaticpies  la  conslilu- 
lion  cl  les  lois,  s»til  en  cliercliant  à  en)|)èclier  leur  exéculion  par 
des  cin  ulaiies  incidieuses,  notaumient  par  celles  des  11  IcNrier 
et  18  septembre  1848,  soil  encore  en  refusant  à  l'étal  le  droit 
d«'  collature  et  celui  de  supiême  inspection  siii-  l'instruciion  pu- 
blique; 

»  Qu'il  a  (le  plus,  par  ses  circulaires  du  18  seplemlire  el  sui- 
vant, pioviMpif  le  relus  fait  par  un  grand  n(»nd)re  de  pré|)0sésde 
<  ommunes  de  prêter  le  serment  prescrit  à  leur  entrée  en  fonc- 
tions, et  augmenté  par  là  les  dillic  ult<''s  de  l'administration  pu- 
bli<|ue; 

»  Considerani  cpie  de  l'ensemble  tie  ces  actes,  il  résulte  que 
l'évêqur  Kiit  une  Marilley  aspirait  à  se  placer,  en  matière  tem- 
porelle ,  au-iiessus  du  pouvoir  civil ,  et  (pie  dès  lors  il  ne  restait 
plus  au  gouvernement  que  de  b*  mettre  en  denteure  de  se  pro- 
noncer d'une  manière  catégorique; 

Que  le  Conseil  d'Elat  l'a  fait  en  le  sommani,  jtar  son  oflice  du 
H  octobre  1818,  de  déclaier  jusipi'au  '2'.i  du  menu*  mois  s'il 
voulait  se  soumettre  sans  restriction  à  la  constitution  et  aux  lois 
(j'u  canton  ; 

■  Que  celte  sommation  a  été  appuyée  par  plusieurs  Etals  dti 
diocèse,  et  que  les  autres  Etats  s'apprêtaient  à  prendre  la  même 
mesure,  lorscpie  leur  attention  a  ilù  se  lixer  sur  de  plus  graves 
circonstances  ; 

»  Considérant  ipie  l'évéciue  Marilley  a  ré-pondu  à  ces  somma- 
tions par  un  manifeste  portant  la  date  du  23  octobre,  lequel 
renferme  non-seulement  un  refus  positif  de  se  soumettre  aux  jus- 
tes exigences  du  Conseil  d'Elat  de  Fribourg  ,  mais  contient  en 
outre  la  preuve  cpu-  ce  prdat  n"a  |)as  renonce  à  ses  preieniions 
usurpatrices  en  conlinuanl  à  s'arroger  le  droit  de  contrôle  sur  le 
gouvernement  (h*  l'Etal; 

»  Considérant  «pu!  ce  dernier  acte  de  ri'sisiancc  a  été  suivi 
dans  la  nuit  du  2'.i  au  24  <)Clobre  de  mcuivemeuts  insurrection- 
nels dans  plusieurs  parties  du  canton  de  Fribourg; 


NOUVELLE  CONFÉRENCE  nr:  FUinOI  RO.  371 

i>  Que  ces  troubles  onl  ôlé  oxcilés  cl  diiij^'és  puv  los  pnrlisans 
el  mènic  pur  les  plus  proches  parcnls  de  révê(|uc  Marilley,  et 
(pi'ils  sont  le  résultai  évident  de  la  conduite  provocairice  de  ce 
prélat; 

Qu'ils  oui  nécessité  une  nouvelle  oecupaiion  militaire  du 
("intdu  <lc  Fiiltourj,',  par  les  troupes  des  cantons  voisins,  et  que 
de  |j;ran(ls  ui;m\  vont  peser  une  seconde  fois  sur  ce  |)ays; 

ilonsideraui  (pu*  le  Cons«'il  (THlal,  pour  metti-e  lin  le  plus 
j)romptcnienl  possible  à  celte  situation  crilicjue,  a  ,  f)ar  mesure 
de  haute  police,  ordonné  la  translation  de  l'évécpie  Etienne  Ma- 
rilley hors  du  territoire  fribourgcois,  et  qu'il  a  dû  le  conûer  à 
la  garde  des  autoiilés  du  canton  de  \  and,  jusqu'à  ce  que  des 
décisions  ultéi-ieures  aient  été  rendues  à  son  égard; 

»  Considéiaul  (pje  le  retour  de  l'évéque  dans  le  canton  de 
Frihourg  et  son  séjour  dans  une  partie  quelconque  du  diocèse 
est  incompatible  avec  le  maintien  de  la  tranquillité  publique; 

»  Que  ce  prélat  a  perdu  la  confiance  et  la  considération  qui 
sont  nécessaires  à  l'exercice  des  hautes  fonctions  de  l'épiscopat; 

»  Qu'il  est  urgent  de  mettre  un  terme  à  un  état  de  choses  qui 
couqiromet  sans  cesse  la  paix  dans  le  canton  de  Fribourg  et 
menace  le  repos  de  la  Confédération  entière  ; 

»  Usant  de  leurs  droits  de  souveraineté,  les  Etals  sus-nommés 
onl  d'un  commun  accord  arrêté  les  résolutions  suivantes  : 

Art.  1.  Etienne  Marilley  n'exercera  plus  de  fonctions  épisco- 
pales  pour  le  diocèse  dit  de  Lausanne  el  Genève. 

Art.  2.  Le  séjour  dans  les  cantons  sur  le  territoire  desquels 
s'étend  le  dit  diocèse  lui  est  interdit. 

Art.  3.  Le  Conseil  d'Etat  du  canton  de  Fribourg  prendra 
les  dispositions  convenables  pour  l'administration  provisoire  du 
diocèse.  Il  avisera  de  plus  aux  préliminaires  propres  à  amener 
la  réorganisation  de  l'évôché.  * 

Les  présentes  résolutions  ont  été  délibérées  par  les  délégués 
soussignés  ,  pour  être  soumises  à  l'adoption  des  gouvernements 
respectifs,  à  Fribourg,  les  30  et  31  octobre  1848. 

Pour  copie  conforme  :  Les  délégués  de  l'Eiat  de  Berne, 
H.  Stockmar,  Im.  Oberstec. 
Les  délégués  de  l'Etat  de  Fribourg, 
ScHALLER,  L.  PicTET.  —  Le  chancelier  :  D.  Berchtold. 
Le  délégué  de  l'Etat  de  Vaud, 
H.  Druey. 

Les  délégués  de  l'Etat  de  Neuchâtel, 

(Sauf  à  référer)     Piaget,  J.  Steck. 

Nous  prouverons  plus  lard,   dans  les  Annales,  que  pas  un 


372  XOl  VKLLE  CUNKBRKNCI-:  DK  KRIBOt  HC. 

lies  considérants  n'est  vrai ,  ei  que  pas  une  des  décisions  n'est 
jiiih'  «'t  légale. 

Nouvelle  réclamation  du  Saini-Siége,  nouvelle  protestation  du 
clergi' du  canlon  de  Gom-vr  ,  nouvelles  adresses,  nouvelles  pé- 
titions, et  en  |iarli(uiier  l'adresse  de  tous  les  évéques  de  la 
Suisse. 

Voici  la  protestation  de  Son  Excellence  le  chargé  d'affaires 
du  Sainl-Siége  eu  Suisse  : 

./u  gouvernetneut  de  Fribourg. 

Luccrue,  ce  31  octobre  18^. 

J'ai  appris  que  Sa  Grandeur  Monseigneur  Etienne  Marilley,  évû- 
«pie  (le  Lausanne  et  de  (ienève,  a  élu  le  2o  du  courant  enlevé  par 
la  force  armée  de  sa  résidence  épiscopale  de  Fribourg  el  transporté 
au  cliAteau  de  Chillon. 

En  |)réscnce  d'une  telle  mesure,  inusitée  en  Suisse  depuis  des 
siècles  «'l  exécutée  à  um;  épo(pie  de  civilisation  el  de  liberté,  je  ne 
saurais,  pour  ce  qui  me  concerne,  <,farder  le  siien(;e.  Je  dois  à  la 
•  barge  que  j'ai  Tbonneur  do  ren>plir  auprès  de  la  Confédéralion 
suisse  de  vous  adresser  celle  lettre,  en  vous  présentant  les  observa- 
lions  suivantes  : 

La  cause  principale  de  la  dite  mesure  se  trouve  dans  lo  refus  de 
se  soumeltrc  aux  somnialions  que  vous  lui  aviez  adressées.  Or, 
c'est  uniipiement  dans  ce  que  la  conscience  lui  défendait  «ju'il  no 
s'y  est  pas  soumis.  Je  ne  dois  pas  croire.  Monsieur  le  Président  et 
Messieurs,  que  vous  ayez,  voulu  conirnindre  sa  conscience,  parce 
<jue  ce  serait  porter  alteinle  à  ce  que  l'Iiomme  a  de  plus  sacré.  Ce- 
pendanl.  en  voulant  excu.»er  rintenlion,  ou  trouve  dans  voire  ul- 
litiinlum  nue  véritable  conlrainle  de  fait,  puis(|ue  vous  y  sommez 
♦»a  (irandeur  de  se  soumeltrc  sans  restriction  à  la  con&lilulion  can- 
tonale, tandis  (jue  celle-ci,  en  garantissant  Veuercice  de  la  religion 
calliuliijur,  la  restreint  ilans  le»  limilcin  de  l'ordre  ptildir  et  des  lois.  Si 
l'on  ne  veul  point  de  réserve  dans  la  soumission  au  statut  cantonal, 
on  n'en  doil  apporter  aucune  A  l'exercice  de  la  sainte  reliyiot). 

En  outre,  dans  les  sommations  faites  à  Monseit^neur  l'èvêque  el 
dans  >Gslois,  il  y  a  des  exigences  louchant  la  discipline  générale 
de  l'Eglise  (pi'uu  évéque  ne  |)eut  pas  accorder.  Il  n'appartient 
•|u'au  Saint  I*ére  de  moililier  celle  discipline  pour  des  molifs  gra- 
ves el  légitimes.  Tattt  (pic  ces  modilicalions  ne  sont  pas  obtenues, 
révê(pie  doil  se  soumettre  à  la  discipline  existante  el  la  faire  res- 
pecter. 

»  (^)uanl  A  ces  modilicalions  (pie  vous  pourriez  désirer,  je  sais  que 
Sa  Grandeur  nous  a  invités  plus  d"uiu>  lois,  direclement  ou  indirec- 
tenienl,  ;\  vous  entendre  avec  h;  Saint-Siéj^e.  Je  ne  i)uis  moi-même 
que  vous  réilérer  celle  invilalion,  parce  que  c'est  là  l'unique  moyen 


NOLVELLE  CONFÉRKNCK  DK  KHIBOl  RG.  373 

de  (ennincr  toutes  les  dinioiiltés  ot  <le  rétablir  lo  calme  cl  la  sécu- 
rilt!  parmi  les  populations  «atholitiues.  Car  vous  ne  l'ignorez  pas, 
Monsieur  le  Président  cl  .Messieurs,  les  mesures  que  vous  avez 
adoptées  à  l'égard  de  Mgr  Marilley  inquiètent  fous  les  bons  catho- 
liques du  diocèse,  qui  se  voient  j)rivés  de  l'action  de  leur  pasteur; 
elles  in(iuièlent  le  clergé  et  étonnent  tous  les  honnêtes  gens  de  la 
Confédération,  à  quelque  confession  qu'ils  appartiennent,  sans  par- 
ler de  l'elVet  qu'elles  produiront  plus  loin.  Elles  peuvent  aussi  ame- 
ner do  fiicheuscs  conséquences,  dont  on  ne  saurait  calculer  la  por- 
tée. 

Je  dois  de  plus  vous  faire  remarquer  que  ces  mesures  déplora- 
bles sont  en  o|)posilion  soit  ?vcc  le  pacte  lédéral  qui  va  cesser,  soit 
avec  la  constitution  qui  le  remplace.  Et  comme  le  statut  de  la  Con- 
fédération qui  garantit  la  liberté  de  culte  est  placé  au-dessus  de 
toutes  les  constitutions  cantonales,  on  ne  doit  s'écarter  de  celui-ci, 
ni  dans  la  teneur  de  ces  constitutions,  ni  dans  leur  interprétation. 

Mais  écrivant  à  un  gouvernement  catholique,  qui  doit  et  déclare 
vouloir  respecter  la  religion  catholique,  il  me  suflîra  de  lui  signa- 
ler, dans  un  but  de  conciliation  et  de  paix,  la  gravité  de  ces  mesu- 
res par  rapport  à  la  religion,  pour  l'engagera  rendre  la  liberté  à 
son  évêque.  Elles  portent  atteinte  à  la  liberté  de  culte,  à  l'inviola- 
bilité des  évoques,  pasteurs  sacrés  revêtus  de  la  plus  haute  dignité 
dans  la  hiérarchie  d'ordre  instituée  par  Jésus-Christ  lui-même,  et 
destinés  par  son  Vicaire  sur  la  terre,  le  père  commun  des  fidèles, 
à  gouverner  une  portion  des  enfants  de  l'Eglise.  Elles  portent  at- 
teinte aux  lois  générales  de  l'Eglise,  aux  droits  sacrés  du  Saint- 
Siège,  dont  le  Saint-Père  est  le  dépositaire,  et  doit  pour  cela  main- 
tenir l'indépendance  pastorale  dans  l'administration  des  diocèses. 

Ainsi,  Messieurs,  si  d'un  côté  mon  devoir  m'oblige  à  protester, 
comme  je  proteste  en  effet,  contre  l'arrestation  de  Mgr  Marilley, 
en  réclamant  sa  mise  en  liberté,  de  l'autre  je  vous  prie  de  peser 
mûrement  les  réflexions  que  je  vous  présente,  afin  qu'elles  vous 
engagent  à  accomplir  au  plus  tôt  cet  acte  de  justice,  en  espérant 
alors  que  les  négociations  que  vous  entamerez  avec  le  Sainl-Siége 
seront  couronnées  de  succès. 

J'ai  l'honneur.  Monsieur  le  Président  et  Messieur,  de  vous  as- 
surer de  ma  haute  considération.  (1). 

J.  BoviERi,  Camêrier  d'honneur  de  Sa  Sainteté,  chargé 
d'affaires  du  Saint-Siège. 

De  la  Secrétairerie  d'Etat  de  Sa  Sainteté,  10  novembre  1848. 

Messieurs  les  bourgmestres  et  Conseil  d'Etat  du  louable  canton  de 
Berne,  Directoire  fédéral. 

Dans  le  moment  même  où  le  Saint  Père,  avec  une  juste  confiance, 

(i)  Ces  protestations  ont  été  renouvelées  les  29  et  50  janvier  18bl  par 
S.  Exe.  !Mgr  Boviéri,  chargé  d'affaires  du  Saint-Siège  en  Suisse. 


3T'i  >0l  VELLK  «■.<»KÉRE!<fi:E    I)K    MIIRdlRC. 

s'iillL'iulail  il  \oir  arriver  une  ri'ponse  salisf.nsanlc  à  la  note  que  le 
soussi;;!!»''  cardinal  seiTclain;  d'Klat  avait  eu  l'Iiorineur  d'adresser  à 
\  os  Seigneuries  I']xc'ell(M)(i»sinit's  sous  la  date  du  'M  si'[)lcmbre 
dorniei',  un  fadieux  événement  est  venu  renouveler  sa  douleur. 
Les  au(orilé>  fiibouigeoisos  ont  [iroeédé  i\  des  voies  de  f.iit  contre 
la  itcrsninie  niùnn*  du  vénérable  évécpie  do  Lausanne  et  de  (lenévc. 

l'ne  circulaire  où  le  prélat  rapiielait  aux  fidèles  les  obligations 
relatives  à  l'acte  religieux  du  stMinent,  ujie  circulaire  où  il  ne  fai- 
sait aucune  rénexior»  sur  les  loiscantonaU's,  mais  seulement  il  aver- 
tissait l(îs  lidéles  d'exaujincr  dans  leur  conscience  si  la  promesse 
(|u'on  exigeait  d'eux  serait  conforme  aux  lois  de  Dieu  et  de  l'E- 
glise, avant  de  la  donner  sans  restriction  ;  une  circulaire  enfin  dans 
laciuelle  il  défendait  aux  curés  d'ajouter  aucun  commentaire,  a  été 
considérée  comme  une  déclaration  (]\.ic  la  constitution  du  canton 
était  l»éréti(|ue.  J^t  par  ce  nuttif  elles  ont  fait  intimer  à  l'évéque, 
(|ue  <  etie  même  circulaire,  si  elle  n'était  pas  révoquée,  on  toute 
autie  publication  faite  sans  autorisation  préalable  du  gouverne- 
ment, serait  |iunie  et  regardée  comme  un  acte  de  révolte  et  de  pro- 
vocation à  la  désobéissance  aux  lois. 

I.e  gouvernement  de  Fribourg  trouva  encore  un  grief  contre  l'é- 
véque dans  le  refus  do  «elui-ci  à  se  soumettre  aux  lois  (|ui  feraient 
dép»MuIre  la  ( ollalure  d<'S  bénéfices  ecclésiastiques  enlieicment  de 
laulorité  (  ivilo  ,  et  (jui  voudraient  régler  l'enseignement  nn'me 
tbéologicjue 

La  constance  avec  laqin'lhî  dans  ces  deux  questions  l'évéque  a 
sauvegardé  un  droit  ((ui  n'était  pas  le  sien,  mais  de  l'Kglise,  a  paru 
un  motif  sullisant  à  un  seul  des  cinq  cantons  dont  les  populations 
calbolicjiies  composent  le  diocèse  de  Lausanne  et  Genève,  non- 
seidement  pour  l'enlever  violemmerU  de  sa  résidence,  mais  aussi 
pour  le  garder  en  prison  comme  un  coupable  d'Klat. 

Le  soussigné  cardinal  croit  inutile  d'expliquer  ici  les  raisons  qui 
ompècbaienl  Mgr  .Marilley  il'agir  dans  ces  deux  occasions  d'une 
manière  dillérente  de  ce  ([uil  a  fait.  Il  est  de  toute  évidence  que 
les  (•atboli(jues  se  trouvent  (lan>^  l'impossibilité  de  prêter  un  serment 
civil  sans  aucune  réserve,  pour  l'obéissance  qui  est  due  aux  lois  de 
Dieu  et  »le  l'Kglise.  D'ailleurs  en  point,  aussi  bien  (jue  celui  de  la 
liberté  (jue  l'ICglise  doit  avoir  dans  son  enseignement  et  dans  le 
cboix  de  ses  pasteurs,  s«;  trouve  assez  développé  dans  la  note  |)ré- 
citée  du  30  se[)teml)re. 

Le  Saint  l'ère  ne  peut  donc  refuser  ni  faire  attendre  l'appui  de 
sa  voix  apostolique  à  l'égard  d'un  évéque  innocent.  Kt  en  récla- 
mant la  liberté  du  |)rélat Ct  son  prompt  retour  à  son  siège,  il  croit 
agir  non-seulement  d'après  la  justic  e,  mais  dans  l'intérêt  mén)e  du 
gouvernement.  Puisqu'il  y  aura  sans  doute  parnù  les  catlioliques 
uf)  certain  nombre  qui,  en  soulevant  leurs  regards  au-dessus  delà 
terre,  béniront  le  Seigneur  d'avoir  donné  :\  la  Suisse  un  de  ces 
evéncnuuits  (|ui  raniment  la  foi  dans  les  peuples,  mais  il  y  en  aura 
d'autres  «pii,  si  aucune  voix  ne  s'élevait  pour  la  défense  de  la  jus- 
tice,  pourraient   se   croire  ai;lorisés  par  la  nécessité  à  opposer  la 


NOLVIiLLE  conférkm:!,  DK  I  lUBOLn*;.  37o 

violence  conlro  la  violence,  et  le  cœur  paternel  de  Sa  Sainlelé  au- 
rait encore  la  douleur  de  voir  s'aij,'rir  cette  malheureuse  plaie  que 
les  haines  politiques  ont  ouverte  dans  le  sein  de  la  Suisse. 

Le  soussigné  ne  doute  pas  que  Vos  Seigneuries  Excellenlissimes 
ne  reconnaissent  la  justice  de  cette  réclamation,  et  qu'elles  vou- 
dront en  faire  communication  le  plus  tôt  |)ossibIe  aux  autorités  du 
canton  de  Frihourg,  en  y  ajoutant  vos  bons  onices.  Il  profite  do 
cette  occasion  pour  vous  renouv»'ler  l'expression  de  sa  haute  consi- 
dération. 

J.  Cardinal  Soglia. 

Et  aujourd'hui,  au  moment  où  on  se  berçait  de  l'espérance  de 
la  pacitication  religieuse;  au  moment  où  tous  les  catholiques 
du  diocèse  offraient  à  leurs  gouvernements  respectifs  le  moyen 
honorable  d'un  arrangement  devenu  alors  possible,  la  confé- 
rence de  Fribourg  du  11  avril  vient  solennellement  sanctionner 
les  projets  schismatiqnes  d'août  1848  contre  la  religion  catholi- 
que ,  et  les  illégalités  et  les  violences  d'octobre  contre  la  per- 
sonne de  l'évèque!! 

Les  catholiques  ne  sont  pas  assez  bornés  pour  se  laisser  pren- 
dre à  l'unique  démarche  concordataire  faite  à  Rome  .  ils  sa- 
vent parfaitement  que  si  on  a  fait  une  ouverture,  c'était  en  pro- 
posant des  impossibilités,  et  avec  la  volonté  de  se  donner  les 
gants  d'intention  conciliatrice  sans  franchise.  Les  catholiques 
ne  sont  pas  assez  bonnasses  pour  se  laisser  escamoter,  sans  une 
profonde  indignation  ,  leurs  droits  et  leurs  usages  religieux,  ec- 
clésiastiques et  constitutionnels ,  au  profit  d'un  pouvoir  confé- 
rencier arbitraire,  illégal,  qui  travaille  contre  eux. 

Les  catholiques  attendaient  la  justice,  l'impartialité,  la  paix 
confessionnelle  de  leurs  concitoyens ,  de  leur  Conseil  d'Etat,  et 
de  leur  Conseil  d'Etat  seul.... 

Ils  se  sont  parfaitement  trompés. 

Que  feront,  sous  ces  oppressions,  les  catholiques  et  le  clergé 
catholique  du  canton  de  Genève? 


I 


MÉLAXGKS  ET  NOIVELLES. 


ti^l'I.'\ÈVK.  —  La  station  quadragésimale  a  été  terminée  à  (jc- 
nève  le  jour  de  Pâques  par  la  communion  générale  des  hommes. 
M.  l'abbé  Desgcorgc's  a  prêché  ce  jour  quatre  fois.  Le  matin  pen- 
dant la  communion,  it  la  grand'messc,  à  la  réunion  dos  domesti- 
ques et  le  soir  à  ime  dernière  réunion  d'hommes.  Toujours  même 
affluence,  même  empressement,  mémo  recueillement.  Celle  année, 
le  nombre  des  catholiques  qui  ont  eu  le  bonheur  de  faire  leurs  Pû- 
quos  s'est  tellement  accru,  qu'il  a  fallu  faire  plusieurs  communions 
générales,  indépondammont  de  la  communion  qui  n'a  pas  cessé 
d'être  distribuée  cha(|uc  jour  à  toutes  les  messes,  dans  la  semaine 
comtiie  le  dimanche.  M.  l'abbé  Dcsgeorges  a  su  admirablement 
comprendre  le  caractère,  les  dispositions  et  les  besoins  do  la  pa- 
roisse de  Genève  ,  et  il  nous  a  quittés  emportant  la  confiance ,  la 
reconnaissance  et  l'affection  de  l'unanimité  des  catholi(|ues  qui  ont 
eu  le  bonheur  d'assister  à  ses  prédications  si  pleines  de  foi,  do  cha- 
rité et  de  prudence. 


l-:TH.%\<«i:it.  —  Or<^Mnlc.  —  \.es  Jnnates  de  la  fh-opagalion 
il*  la  foi  du  mois  de  mars  contiennent  un  extrait  du  deux  letlroi 


MICLANGKS    I.T    >()l  VKI.I.KS.  377 

écrites  de  rArchipel  dos  Navigateurs  (Océanie),  par  le  l\.  P.  Fon- 
bonnc,  inarisle,  à  M.  Moyne,  cur6  de  Causon,  el  à  .M.  Marcel,  curé 
de  Fourneau.  On  nous  permetlra  de  mettre  en  relief  le  passage 
(suivant  : 

H  De  la  Nouvt'lle-(]alédonie  nous  avons  fait  voile  pour  l'Archipel 
dos  Navigateurs.  Ici,  la  guerre  allumée  par  les  rivalités  jalouses  de 
tribus  à  tribus,  ou  de  chefs  à  chefs,  est  suspendue  depuis  quelques 
mois  ;  mais  on  parle  de  la  recommencer  de  plus  belle,  aussitôt  que 
seront  terminées  quelques  grandes  embarcations  que  construisent 
pour  cela  des  Européens.  Ces  luttes  presque  incessantes  achèvent 
de  démoraliser  la  population,  et  sont  un  des  grands  obstacles  au 
progrès  religieux.  Toutefois,  le  prêtre  en  profile  encore  pour  exer- 
cer sa  mission  de  foi  cl  de  charité,  en  donnant  aux  vieillards,  aux 
femmes  et  aux  enfants  un  asile  souvent  respecté  du  parti  vain- 
queur, et  en  portant  aux  blessés  el  aux  mourants  des  remèdes  et 
des  consolations.  Ces  pauvres  infidèles  établissent  alors  la  compa- 
raison entre  le  ministre  protestant  el  le  prêtre  catholique. 

»  Il  y  a  quelque  temps  le  ministre,  notre  voisin,  voyant  se  rap- 
procher de  sa  maison  le  théâtre  de  la  guerre,  se  dépêcha  de  fuir 
avec  sa  femme  et  ses  enfants  ;  il  ne  reparut  que  quand  la  paix  fui 
conclue  entre  les  naturels.  Ni  les  représentations  de  ses  ouailles,  ni 
la  crainte  du  ridicule  n'avaient  pu  le  retenir.  Celte  fuite  déprécia 
beaucoup  son  parti.  Dans  une  assemblée  très-solennelle,  où  tous 
les  ministres  se  trouvèrent  réunis  avec  les  chefs  de  l'île,  ceux-ci 
en  prirent  occasion  de  leur  reprocher  publiquement,  et  en  termes 
tout  à  fait  injurieux,  leur  cupidité,  leur  tyrannie  el  leur  pusillani- 
mité. Un  de  nos  catéchumènes  acheva  admirablement,  par  la  plai- 
santerie, ce  que  les  premiers  avaient  commencé  par  la  colère.  Il 
faut  vous  dire  qu'il  est  de  bon  ton,  parmi  les  chefs  de  Samoa,  d'a- 
voir habituellement  à  la  main,  quand  ils  sortent,  un  bâton  où  per- 
che un  pigeon  familier.  Ce  pigeon  a  ses  heures  de  repas,  ses  pro- 
menades très-réglées,  et,  s'il  cherche  à  s'écarter,  on  le  rappelle  sur 
sa  branche  en  frappant  dans  le  creux  de  la  main  et  en  criant  : 
«  Pô  I  pô  !  pô  1  »  et  à  ce  cri  l'oiseau,  s'il  est  docile,  revient  vile  au 
perchoir.  Or,  le  caléchumène  dont  j'ai  parlé,  se  tournant  vers  le 
ministre  déserteur,  au  milieu  de  son  discours,  l'apostropha  sans 
pitié  par  cette  allégorie  : 

«  Un  pigeon  étranger,  lui  dil-il,  est  venu  dans  nos  bois;  il  nous 
a  séduits  par  son  beau  ramage.  Nos  chefs  ont  assemblé  pour  lui 
leurs  familles,  ils  ont  dit  à  leurs  enfants  :  Construisez  une  belle 


378  Mii.\>».iN  Kl  'sorvKi.i.KS. 

râpe  pour  le  pigeon  élranger.  Dans  ccllc!  éléganlc  volière,  nos  lils 
.ippurlaicnt  clipque  jour  la  rncillcuru  nonrrilure,  et  nous  venions 
tous  faire  au  ramier  mille  caresses.  Or,  un  jour,  cerlaiu  hruil  ef- 
iVava  le  pigeon  »'lranger;  el  peiuianl  qu'on  voyait  ces  papistes 
odieux  accourir  au  milieu  de  nos  guerriers  pour  verser  sur  leurs 
plaii'S  Tcau  qui  fait  \i\re,  lui,  timide,  sVcliappait  |)0ur  aller  bien 
loin...  Nous  avions  beau  lui  crier  du  rivage  :  l'o  1  jk^  1  pu!  pigeon! 
Toiseau  eiïarù  nu  revint  pas  à  sa  branche;  il  fuyait  A  lire-d'ailes, 
emmenant  avei-  lui  toute  sa  couvée.  >. 

»  Ce  langage  nous  montre  assez  (|u'on  ne  se  gôue  pas  avec  les 
ministres,  el  que  leur  crédit  a  scnsiblemenl  baissé  depuis  Tarrivéo 
des  missionnaires.  Comment  pourrait-il  en  être  autrement?  Les 
s;iuvages  niùme  parviennent  loi  ou  tard  à  discerner  le  mensonge  de 
la  vérité,  el  à  distinguer  Tesprit  avide  du  marchand  (|ui  cherche 
la  fortune,  du  dévouement  apostolique  qui  demande  uniquement 
lies  Mues  pour  les  conduire;  au  ciel.  \'oyez  de  près  ces  mêmes 
hommes  qui,  en  Europe,  déclament  contre  le  luxe  du  clergé  ;  venez 
les  voir  ici,  entourés  de  dix  ii  douze  domestiques,  se  faire  porter 
triomphalement  autour  de  nos  iles  sur  les  épaules  des  insulaires, 
dans  un  palanquin  soigneusement  ombragé;  tandis  (jue  le  prêtre 
fait  le  môme  chemin  à  la  huilante  chaleur  du  jour,  ou  par  la  pluie, 
le  bAton  i  la  main,  la  chaussure  souvent  en  lambeaux  el  les  pieds 
déchirés,  i  travers  les  roches,  les  coraux,  les  sables  mouvants,  les 
rivières  el  les  précipices.  N'enez  voir  les  taxes  qu'imposent  annuel- 
lement CCS  minisires  du  sainl  Evangile,  en  vivres,  huile  de  cocos, 
nattes  fines,  argent,  etc.,  pendant  que  le  jiauvre  mis>i(tnnaire  par- 
tage ses  menues  ressources  avec  les  naturels.  Ileureusemeeit  la  des- 
tinée de  l'erreur  est  de  n'avoir  qu'un  temps,  el  dans  nos  iles  son 
règne  est  déj:\  compromis.  Qui  aurait  voulu  «roirc,  par  exemple, 
«juau  début  de  notre  apostolat  aux  Navigateurs,  nous  élèverions 
une  école  catholique,  une  maison  centrale  de  religieux,  el  la  pre- 
mière église  en  pierre  de  nos  missions,  au  l)eau  milieu  de  la  pro- 
priété de  IMilchard  ?  Qui  aurait  cru  que,  dans  la  position  la  plus 
imporlanle  cl  la  plus  apparente  de  ccl  Archipel,  on  verrail  succé- 
<ler  si  lot  le  pauvre  babil  du  prêtre  au  costume  du  ministre-con- 
sul, el  à  la  place  de  son  pavillon  la  croix  d'un  évé(|ue  calholicjue? 
Qui  aurail  cru  (jue  tout  cela  serait  fait  par  le  ministre  même,  au 
milieu  des  vmiférations  de  ses  confrères  et  des  menaces  de  tout 
son  parti?  C'est  (|ue  Dieu  aime  A  tirer  la  gloire  de  sa  religion  des 
effoi  Is  même  que  font  ses  ennemis  pour  la  détruire.  » 


MKLANGF.S    Kl     \<K  VI.I.I.IIS.  379 

l<'raurc.  —  Dans  la  coinniuno  de  Sainl-Michcl  (Basses-Alpes), 
cil  1851,  i\  la  siiilc  d'une  juste  cl  sévère  décision  de  Tévéque  dio- 
césain, une  partie  de  la  population  avait  appelé  des  prédicateurs 
proleslanls.  Aujoiird'liui  l«*  prutcslantisine  n'y  compte  plus  un  seul 
prosélyte.  Derniéreniciil  la  jiopulation  tout  entière  ,  réunie  dans 
l'église  [laroissiale,  réparait  d'une  manière  éclatante  ses  égare- 
ments passés,  à  roccasion  de  la  clôture  du  jubilé.  Celte  sainte  jour- 
née fera  é[)o<iue  dans  les  souvenirs  du  pays.  Tous,  hommes  et  fem- 
mes, brebis  restées  fidèles  et  brebis  égarées,  étaient  confondus 
dans  un  même  sentiment  de  ferveur  et  de  foi;  tous  se  sont  ap- 
prochés de  la  table  sainte  avec  recueillement  et  cette  ardeur  qu'in- 
spire une  sincère  et  profonde  conviction.  On  demande  quelquefois, 
à  quoi  bon  les  jubilés?  Voilà.  (Univers  du  29  mars.) 

Savoie.  —  On  lisait  dans  le   Courrier  des  ytlpes  du  10  avril. 

«  Ce  matin,  le  Ilév.  Delavigne  a  reçu,  dans  l'église  raélropoli- 
laine  de  Chambéry^  en  présence  d'un  grand  nombre  de  Cdèles  ac- 
courus à  cette  touclianle  cérémonie,  l'abjuration  d'un  ministre  de 
l'église  anglicane,  M.  John  Syndar  Wright,  associé  en  théologie  du 
(Collège  royal  de  Londres,  chapelain  de  la  colonie  anglaise  du  che- 
min de  fer  en  Savoie.  M.  Wright  a  reçu  sur  les  fonds  sacrés  du 
baptême  catholique  les  prénoms  de  William-Augustin-Marie;  il  a 
eu  pour  parrain  M.  CostadeBeauregard,  et  pour  marraine  Mme  la 
marquise  de  la  Serraz. 

n  M.  Wright  appartenait  au  petit  nombre  des  dissidents  de 
bonne  foi  que  le  culte  de  Terreur  ne  satisfait  point,  quoiqu'ils  en 
aient  subi  les  inspirations  dès  leur  enfance.  Fatigués  par  le  doute 
qui  s'empare  d'eux  à  mesure  que  leurs  études  s'avancent  dans  la 
recherche  de  la  vérité,  ils  demandent  à  toutes  les  religions  la  ré- 
vélation d'une  lumière  qui  calme  et  remplisse  leur  àme. 

»  M.  Wright,  poussé  par  ses  instincts  religieux  à  l'étude  de  la 
théologie,  était  entré  dans  le  clergé  anglican  où  il  s'était  distingué 
par  sa  science  et  son  zèle.  Aussi  fut- il  désigné  pour  venir  en  Sa- 
voie pour  travailler  au  succès  de  la  propagande  biblique  qui 
essaie  de  s'y  implanter  depuis  quelques  années. 

»  A  peine  eut-il  mis  le  pied  sur  cette  terre  classique  du  catholi- 
cisme, sur  celte  terre  que  les  sueurs  de  saint  François  de  Sales  ont 
rendue  féconde  ;  à  peine  eut-il  vu  de  près  la  piété  des  populations, 
les  vertus  de  notre  clergé  ,  en  un  mol  la  religion  catholique  dans 
son  articulation  la  plus  complète,  que  les  mouvements  de  son  cœur 
lui  firent  entrevoir  que  la  paix  et  la  vérité  étaient  là. 

»  Par  un  bonheur  providentiel,  par  une  de  ces  coïncidences  que 


:jhMI  MKLANtiKS  F.T  XOIVF.I.I.KS. 

Dieu  ménage  A  ses  élus,  M.  Wriglil  arrive  à  (^linmbérj  au  (  oni- 
rnencemenl  d'une  slalioii  de  Carême  prôchée  par  le  Rév.  Delavi- 
gue,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Cel  éminenl  orateur,  cet  ap<Mre  si 
éloquent,  si  persuasif ,  si  entraînant ,  avait  attiré  dès  son  début 
toute  la  population  autour  de  la  chaire.  Prolondémcnl  versé  dans 
l'étude  des  livres  saints  et  dans  l'histoire  ecclésiaslifpie,  chaque 
jour  le  P.  Delavigne  développait  dans  un  style  niagnili(iue  les  preu- 
ves irrécusables  des  principaux  dogmes  catholi(jucs.  M,  Wright 
vint  assister  à  ces  confcrentes  où  l'on  ne  savait  ce  que  l'on  devait 
le  plus  admirer  de  la  logique  de  l'argumentation  ou  des  richesses 
oratoires.  Il  v  vint  et  il  y  lut  convaincu.  Kt  quand  cette  conviction 
se  fut  emparée  de  lui,  il  n'hésita  |)as  à  aller  se  jeter  dans  les  bras 
du  ministre  dont  la  parole  l'avait  éclairé,  le  supplier  d'achever  son 
œuvre  en  le  rendant  digue  d'être  rcru  dans  le  sein  de  l'Église  ca- 
tholifiue. 

»  Chez  riiomme  droit  dont  l'àmc  n'aspire  qu'à  la  possession  de  la 
vérité  morale,  les  sacrifices,  pour  l'acquérir,  ne  comptent  pour 
rien,  et  réellement  M.  Wright  est  un  de  ces  hommes,  car  pour  de- 
venir catholique,  il  a  tout  sacrifié  (1).  'loule  sa  position  linanciére 
d'abord  ;  car  ses  fondions  étaient  largement  rétribuées,  il  recevait 
5000  francs  par  an  ;  toute  la  considération  de  ses  coreligionnaires, 
dont  son  abjuration  lui  a  aliéné  les  sympathies  à  jamais  peut-être  ; 
tout  l'avenir  de  sa  famille  ,  car  il  est  marié,  péro  de  plusieurs  en- 
fants cl  sans  fortune.  Mais  qu'importent  pour  lui  tous  ces  biens 
éphémères  dans  la  balance  (»u  il  les  a  posés?  Ne  vaudra-l-il  pas 
mieux  pour  sa  famille  et  pour  lui  de  vivre  pauvre  dans  le  sein  de 
la  grande  famille  catliolique,  que  do  devoir  une  existence  même 
brillante  à  la  pratique  cl  à  la  propagation  de  l'erreur?  M.  Wright, 


(I)  Nous  recommandons  ce  qui  suit  à  1  attention  du  Journal  de  Génère, 
qui  a  cm  devoir  noter  soigneusement  que  M.  de  Costa  et  Mme  la  marquise 
de  la  Serraz  avaient  été  généreux  envers  It'ur  filloul.  S'il  est  vrai,  ce  que 
nous  ne  savons  pas,  cl  ce  que  le  Journal  de  Genève  ne  sait  pas  plus  que 
nous,  qu'ils  lui  .lient  accordé  un  souvenir,  nous  sommes  prêts  à  parier  qu'ils 
ne  lui  ont  pas  alloué  JKXX)  francs  de  rente  en  ronipensation  de  la  somme  ('gale 
à  laquelle  il  renonçait  en  devenant  catholique,  et  que  ni  eux,  ni  d'autres  ne 
lui  ont  promis  un  sou  pour  le  convertir.  Le  trafic  des  Ames  est  connu.... 
mais  à  Genève  seulement.  Qu'on  nous  permette  ce  mol  familier  :  il  nous 
seml)le  que  le  Journal  de  Genève  mouche  les  autres  lorsqu'il  se  sent  mor- 
veux. Parmi  ses  prosélytes,  pnnrrait-i!  nous  en  citer  un  qui  ait  sa(<rific  non 
pas  îiOOO  frnnrs.  mais  cinq  sous  pour  se  faire  protestant? 


MÉI.ANUES    Kl     NOl  VIXLKH.  381 

d*aillcurs,  esl  un  homme  lellrô,  c'est  un  savant  professeur  de  lan- 
gues et  d'hisloire ,  les  universités  catholiques  seront  Gères  de  le 
recevoir. 

»  Aussitôt  que  son  projet  fut  formé,  il  l'annonça  odicicllement  d 
la  petite  église  anglicane  vers  laqiiollo  il  avait  été  envoyé.  Nous  sa- 
vons déjà  que  son  désinléresscmcnl,  que  son  exemple  entraînent  d'au- 
tres conversions.  -» 

—  Une  cérémonie  touchante  se  passait  dernièrement  à  la  mé- 
tropole de  Clianibéry.  Les  quelques  personnes  venues  à  l'église 
pour  entendre  la  messe,  se  sont  retirées  vivement  émues  du  spec- 
tacle auquel  elles  ne  s'atlendaionl  point.  C'étaient  un  ouvrier  al- 
lemand et  une  jetine  allemande,  Jean  Krœber,  de  Hesse-Darms- 
tadl,  et  Marie  Schenk,  du  canton  de  Berne,  qui  venaient,  au  pied 
des  autels,  abjurer  le  protestantisme  et  recevoir  successivement, 
les  sacrements  de  baptême,  de  pénitence,  de  mariage  et  d'eucha- 
ristie. 

Les  deux  néophytes  s'étaient  préparés  depuis  plus  de  deux  mois 
à  cet  acte  important  par  les  soins  de  M.  Delacquis,  professeur  au 
collège  national,  qui  a  été  chargé  de  recevoir  leur  abjuration  et  de 
leur  administrer  les  sacrements.  Leurs  parrains  étaient  MM.  Du- 
cret  et  Labully,  professeurs,  et  les  marraines  Mlle  Viviand,  dame 
de  charité,  et  Mlle  Favre,  institutrice. 


9VS  DE  LA  CINQUIEME  SEBIK. 


TABLi:  OKS   MATIÈRES 


Paj,'cs. 

Le  salut  gratuit  et  M.  de  Rémusat 5,  li)8 

Notice  biographique  sur  Sébastien  Werro,  par  M.  P.  Esseiva.     25 

Sur  le  queslionnairi'  des  écolus  pritiiaires  de  (ienèvc il 

M.  labbé  Pallerson (»o 

Des  tables  lournaules,  du  surnaturel  en  général  et  des  esprits, 

par  le  comlc  Agénor  do  (lasparin  ;  par  E'" 80 

Lettre  de  Home.  —  L'Immaculée  Conception,  par  M.  l'abbé 

(j.  Mermillod  ,  missionnaire  apostolique 10î> 

Les  Vaudois  du  moyen  Age,  leur  origine  et  leur  littérature, 

d'après  les  travaux  les  plus  récents  de  la  critique  protestante, 

par  H.  Stewenson 129,211,  2t>9 

De  l'éducation  publique  daD«  le  caDlon  de  <jenèvc 1^ 

La  ligue  d'Or  ou  la  ligue  Rorromée 1(J2 

De  rAnli-Cbrist,   par  M.  de  Komont 2i!> 

Le  protestantisme  condamné  à  ne  pouvoir  ni  se  déûnir,  ni  se 

prouver,  par  l'abbé  Callet 2."i7 

(ieneve  au  commencement  du  seizième  siècle 2î>2 

Lettre  à  Monsieur  Fazy-l'asleur :U)î> 

L'église  protestante  condamnée  à  ne  pouvoir  se  prouver.   .   .  lU'J 

Rome,  Paris,  (ienève.  —  A  M.  Rungcner 331 

Logi(|ue,  par  le  P.  (iralr} ,  prêtre  de  l'Oratoire  de  l'Immaculée 

Conception  ,    par  K.  Dufresne 3i0 

Nouvelle  conférence  de  Fribourg  du  11  avril  1855 355 

Mélanges  et  Nouvelles :i8.  117,  179,237,313,370 

H\     1)1,     I   \     lAHIK. 


GRNKVF..  —  MARC    MKIII.i:«(;,    IMPRIMItlR-MBRAIRR,    CORRATERiR,    12. 


BX  802   .A55 
SMC 


Annales  catholiques  de 
Genhve. 

AIP-1689    (MCAB) 


BOOK  DOES  NOT 
CiRCuLATE