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ANMLES CATHOLIQUES
DE GENÈVE.
A^IVALES
CATHOLIOIËS
DE GENÈVE
Pabliccs soujs la direction de M. i'ablié
G. A1ER1IILI.OD.
Et fiet unum ovile , et unus paslor.
( Paholes de N. s. J.-C. )
Post tenebras lux.
( Devise de Genève.)
§}M 11958
TROMSIÈME SÉJRME.
BERTHIER-GUERS,Cité, 224. J ( Marc MEHLING, Corraterie, 12.
DE CHATEAUVIEUX, Molard. 1 ^^ ( MATTHIEU, Fustcrie, 85.
1854.
AUX ABONNÉS.
Les Annales Catholiques de Genève commencent leur seconde
année d'existence ; Dieu a béni nos travaux au-delà de nos espé-
rances.
Une première année est toujours un péril pour une Revue;
nous avons la joie d'avoir traversé ce péril , en suscitant de bon-
nes et généreuses sympathies.
La presse catholique de France, d'Allemagne , de Belgique et
d'Italie nous a accueilli comme un nouveau combattant qu'elle
était heureuse de voir dans la lice ; elle nous a ouvert ses rangs,
et nous avons pris place, malgré l'inGrmité de nos efforts, parmi
ces vaillants champions de la cause de Dieu et de son Église.
Personne , mieux que nous , ne sent les imperfections de notre
œuvre. Condamné , d'ailleurs , à combattre des adversaires qui
redoutent d'élever la controverse religieuse à une hauteur de vue
digne de la vérité, nous devons les suivre dans les défilés étroits
où nous appellent leurs déclamations; nous devons rétablir nos
croyances perpétuellement défigurées par d'aveugles préjugés.
Dans cette guerre quotidienne, au milieu des haines qui nous en-
vironnent et des hostilités qui se multiplient, il est difficile de
garder toujours cette mesure du langage qui tempère la vivacité
de la discussion. Nous sommes si souvent attaqués par la mal-
veillance systématique, froissés dans nos plus saintes convictions!
et dans l'ardeur de la défense, il n'est pas étonnant que nos cœurs
émus laissent échapper l'accent de la plainte. Nous ne pouvons
pas, sous le prétexte de la charité, amollir en nous l'amour de
la vérité !
Notre Revue a, dit-on, favorisé le réveil protestant; nous se-
rions heureux de mériter cet honneur qui ne nous est pas dû;
nous n'avons fait que répondre à une agression. C'est, au reste,
placer la question religieuse sur le premier plan. La lutte vaut
mieux que l'indifférence.
Nos lecteurs ont pu voir se refléter dans nos articles cette phy-
sionomie d'une ville qui croyait avoir gardé, à l'aide de ses rem-
0 A NOS ABONMÉS.
paris et de ses lois , son caoliei calviniste , cl (|ui loin d'un rou|»
sp Voit iransformt'f par la forci' des cvcnciiicnts. Ce d<''saccoiil
eiilrc le passe el TaNeiiir, ces teiilaljves iiiiililes de faire reNJNrc
une épo<pie disparue, celle ap|i3reuee d'un»* doctrine religieuse
«|u'un jette sur une population [)ré<)rcu|KM' d'affaires, loui iraliil
une situation pleine d'angoisses. (îenéve n'a plus les vieilles
croyances de (Calvin, ni son antiipic organisation; il ne lui n-ste
que des souvenirs. Klle n'a plus d'alliiniaiions; son église natio-
nale tombait en poussière, lorsque le calliolicisnie , par sa pré-
sence, est venu la secouer de son sommeil. Elle a retrouvé, con-
tre nous, la seule force de la protestation, el ainsi elle a ravivé
le fanatisme éteint. Ses ronlérences, ses brochures el s«'S llétris-
sanles conrpiétes sont d'irr<'cusables lémuins qu'elb* ne {»ossé(le
(ju'une vie d'opposiiion.
-Nous av(tns l'espoir (pie du sein de ces ruines un jour fécondes
se lèveront des hommes de cœur qui abjureront toute solidarité
avec ces fractions religi<;uses privées de lien doctrinal , mais
réunies dans une comniune haine. Nous pouvons tliscerner des
sxniplômes de vo. retour, et nous crovons que nos travaux et les
efforts maladroits de nos agresseurs tendent à pré|>arer ce conso-
lant succès.
Nous comptons sur les prières et sur le pi'rsévi'rant concours
d(! nos amis.
IMus que jamais, les Jnnales Catholiques de Genève s>onX xir-
«'cssaires.
I.e protestantism»' cherche à s'emparer de l'opinion publiipic
en Kurope; il crie sans cess»' à l'intolérance et il enq»risonnc les
«•atholi<pies en Suéde; il subit malgré lui la liberté de l'Église en
Aiiglelerre et en Hollande, comme il \oudraii anéantir à (îenèvc
la liberté" de |»ricr l>i«Mi dans mie église constrnile avec nos de-
niers, et la liberté de défendre notre foi. Ces manoiivres, ces
ilameuis n'ont d'autre iiut (juc de |)roitger ses colporiiiir-^ en
Italie el de voiler son prosélytisme ré'volutionnaire.
Notre situation à Genève nous impose donc le devoir de < oini
nuer notre u'uvre. Il nous serait doux de hâter un rapproche-
ment (les intelligences et des cœurs dans l'hglise de .lésiis-Chrisi.
Nos labeurs n'ont jtas éi('' sans succès; d'ailleurs, n(Uis les con-
fions à la garde de la Providence, nous savons qu'ils oe sont ja-
mais stériles à ses yeux.
^MN.'inhrc. I-Vlc Je la PrcscitlaUnn
lie la S" Vierge.
LM.Lt(j. MKHMII.I.Ol).
FRÉDÉRIC OZANAM.
In omnibus cxhibeamus nos met ipsos siciit
Dci ministros , in nmlUi palicntià, in tribulatio-
nibus, in necessitatibus, in augustiis, in scicntià
in longanamitate , in suavité, in charitalc non
fietà.
(Épist, S"Pauli adCorinth.)
Frédéric Ozanam, professeur de littérature étrangère à la Fa-
culté des lettres de Paris, vient de mourir, à peine âgé de qua-
rante ans. C'est là un nom trop cher aux lettres catholiques, pour
qu'il ne soit pas consacré dans ce recueil quelques pages à ho-
norer sa mémoire. Aussi bien Ozanam ne fut-il pas , durant sa
trop courte carrière, un rare exemple de vertu courageuse, un
travailleur infatigable , un noble cœur ouvert à toutes les gran-
des inspirations? Combien de motifs pour nous entretenir ici de
ce type du vrai chrétien, tel qu'il se doit montrer dans le monde,
à ce moment surtout où les incertitudes de l'avenir laissent une
si forte prise aux défaillances et semblent autoriser l'abaissement
de tant de caractères! L'époque était-elle meilleure, alors que
notre regrettable ami, franchissant les années de la jeunesse, at-
teignait si rapidement une virilité précoce, discernait les périls
encourus par la société et formait , dans le silence de son cœur,
le généreux projet d'employer sa vie à combattre et ces doctri-
nes mauvaises qui se veulent substituer aux clartés de l'Évangile,
et cette fausse science occupant les avenues de l'esprit humain,
partout depuis tant d'années conjurée contre la vérité?
Nota. — On nous saura gré de publier cette notice sur Ozanam. L'illustre
professeur s'intéressait chaleureusement aux luttes et aux progrès du catho-
licisme à Genève. La reconnaissance et Tamitié lui doivent un souvenir dans
nos Annales; et nul n'avait plus de droit à tracer son éloge que le président
de notre Société de Saint-Vincent-de-Paul, qui a vécu dans son intimité et qui
a partagé, à Paris, la joie de son dévouement aux pauvres. Celte biographie
est digne d'Ozanam ; la Société de Saint-Vincent-de-Paul a la destinée de sui-
vre l'Eglise, à notre époque, par la double influence des écrits et des bonnes
œuvres. G. MEILMILLOD.
8 FRÉnÉHin nzA?iAV.
Une grande passion, l'amour ilc l'Éf^lisc, dominp celle exis-
tence si hien remplie. Accoiilum»', |)ar iràdilion de famille, à
voir en elle la mère de toute sagesse , duninl vingl-deux anni'cs
il l;i seii pai' la science, il la sert |)ar les duvres, il la sert |inr
le salutaire exem|)le d'une \ie irréprochable. Depuis le premier
acte de son existence publique, la défense de la doctrine catholi-
que contre le socialisme sainl-simonicn , jus<]u'à ces derniers
jours où il employait ce que la maladie lui avait laissé de forces,
à multiplier les (Conférences de Saint-\ incent-de-Paul dans la
Toscane, Ozauam ne faillit jamais ù Tunité de son caractère. Il
ne connut pointées faiblesses, ces éclipses passagères (pii furent
le partage de tant d'honunes de lettres, même entre ct'U\ qui eu-
rent toujours le ferme propos de se dire chrétiens. Il puisa ,
dans une prali(pie exacte et constante des devoirs de la religion,
l'admirable prorogative d'être toujours lidèlc à lui-même. Quand,
ù une Ncrtu aussi rare , outre le don d'un savoir hors ligne , s'unit
cette llamme qui pénètre lescœui'S et emporte les convictions, un
boinnie est puissant pour le bien. Il de\icnt un de ces instrumenis
providentiels qui décident des mouvements des idées et des pro-
grès des doctrines.
Tel futO/anum; et c'est à ce |>oint de vue que nous le vou-
lons considérer <piel(|ues instants. D'autres, plus autorisés, étu-
dieront le suivant, analyseront ses ouvrages, apprécieront la
sagacité du critique. Une pareille liiche , trop au-dessus de nos
forces, d'ailleuis, ne saurait être entreprise durant ipielipies heu-
res disputées à l'exercice d'une profession |H»ur laquelle le loisir
des étmles littéraires n'existe pas. Avant tout, c'est le souvenir
de l'homme , agissant , vivant au milieu de ses amis et de ses vie-
ves, que nous voulons évocpier ici.
Fré'déric O/anan» est issii d'une famille de Presse d'ofigine
juive, «jui a donné à la science d'illustres represenlanis. Il
« ompte |)armi ses ancêtres Jacques O/anam , ce laborieux géo-
mètre du dix-septième siècle, Hont on aime :l citer ce mol
qui dénote la fermeté des principes chn'*tiens traditionnels dans
cette respectable famille : a II ap|)artient, disaii-il, aux docteurs
FRÉDÉHIC OZA>.\.n. 0
<lc Sorl»oiin(; do (liscutor, :ui Pape tic dc-cidcr, aiiv i^ôomôlres
d'aller au paradis par la perpendiculaire. » Ce savant , auteur
des Récréations mathématiques et d'autres nondjreux ouvrages
encore consultés, avait quitté de bonne heure sa vallée de Dombo
pour habiter Paris où il niourut.
Le père de notre ami est le médecin auquel la science est re-
devable d'une savante histoire des épidémies. Après diverses vi-
cissitudes, il s'établit à Milan oii il exerça la médecine pendant
plusieurs années. Ce fut là que, le 23 avril 1813, vint au monde
Frédéric, le second de ses fils, sur cette terre d'Italie dont il
devait plus tard célébrer les grands hommes et la destinée his-
torique. En 1817, après que la Lombardie fut redevenue une
terre autrichienne, le docteur Ozanam se fixa à Lyon, où il four-
nil une honorable carrière brusquement interrompue, en 1836,
par le plus déplorable des accidents.
Frédéric Ozanam appartient bien à la cité lyonnaise. C'est là
qu'il fut élevé; c'est là qu'il naquit à la vie de l'intelligence et
de l'étude : d'abord sous la direction de son père, fort bon hu-
maniste dans un de ces intérieurs de famille graves tels qu'on en
rencontre si souvent dans une ville où la vie chrétienne a de si
profondes racines , puis au collège où ses mérites précoces atti-
rèrent l'attention d'un remarquable professeur. Ce maître fut
l'abbé Noirot, qui enseigna pendant plus de vingt ans la philo-
sophie à Lyon. Peu connu en dehors du cercle de ses élèves,
M. Noirot mériterait de l'être davantage. Extrêmement réservé
dans ses rapports avec le monde, l'habile professeur ne visa jamais
à obtenir une renommée scientifique. Quoique vivement sollicité,
il n'a publié aucun ouvrage. C'est à grand'peine qu'un de ses
élèves a obtenu la permission de mettre au jour la rédaction de
quelques-unes de ses leçons, et encore depuis qu'il a quitté
l'enseignement. Plutôt que de produire des livres, M. Noirot es-
timait plus utile de produire des hommes. 11 s'appliqua conti-
nuellement à discei-ner, parmi les jeunes gens qui passaient sous
ses yeux, ceux qui pouvaient donner quehjue chose; puis, avec
cette patience et ce désintéressement (jue seuls peuvent engen-
drer la conscience d'un grand devoir, il cultivait ces germes fai-
bles encore. C'est ainsi que souvent il a amené à l'âge viril des
10 FRÉnÉRlC U/A.>A>I.
ioleltigcnccs qui honorent la société non moins qu'elles justiliont
sa sagacité et sa f;<''ncreusc initiative. Il n'y aurait à louer
M. l'abb»' Noirol (\\H' du mérite (rav(»ir découNcrt cl poussé
chacun dans sa voie des hommes tels (|u'()/.anam, Ulanc de Sainl-
Boniici , le poète Laprade, le j^eintre Janmot et tant d'autres,
que, certes, la part de l'éloge devrait être grande.
Le cours de philosophie de M. Noirol était une préparation
scienlilique à liiiiiialion délinilivc de l'esprit à la docliine callio-
licpie. Le do^'mc , dans loutc sa sévérité, était le terme invin-
cible de ses argumentations, ci encore cpie rarement il lui ar-
rivât, surtout dans ses leçons publi(pies, de le faire intervenir eu
des expositions de principes où il mettait en jeu le libre arbitre
autant (pie les facultés de l'intelligence ; il n'est pas moins évi-
dent <pic la conclusion impliquait une adhésion raisonné-e et ré-
flt'chie à CCS grandes vcrilés mdaphysiipics et morales, patri-
moine de l'humanité, dont l'Église catholique a laugustc privi-
lège de demeurer (h'posilaire à travers les vicissitudes des temps
cl les contradictions des sysièmes. Quel(|ues-uns se sont «levés
contre cette réserve de l'abbé Noirol, qui se contentait de faire
pressentir renseignement chrétien plut»*)t (pj'il ne l'exposait. Il ne
ne nous appartient ni d'en scruter les molils possibles, ni de re-
chercher si ces ménagements ne lurent |K»int commaiKi<s par la
situation. En présence de succès évidents, quVsl-il besoin de
justilication? Ce qui demeure incoiUestai)le, c'est «jue l'abbé
Noirol avait le don de deviner les intelligences et celui de les cap-
tiver. Un don semblable prévaut sur toutes les mélhodes.
Ceux qui connureiii O/.anam à celle |)eriode de sa vie, s'accor-
dent à dire (|ue pour lui la jeunesse, à vrai dire, n'exista |)as.
Des I e moment, il se (lislingna par une giaNilc prématurée «i par
ct;Ue o|)iniàtreté dans le travail qui, chez lui, étail une tradition
«le l-iinille. S'il ne connut «le la jeunesse, ni les «carts, ni ce je ne
sais «pioi de vague «;l «l'intiihércnt dans les idées qui la «?arac-
térise si souvent, il en cons«'rva Umjours une tenue modeste,
parfois poussée jus<ju'à la timidité, aussi bien que cei élan affec-
tueux qui répandait sur sa |)ersoiine nu allrail tout jiarliculier.
Il laiit compter 0/,aiiani parmi les iiinoinbrables Ni(iim«'S lit-
téraires qui hantèrent contre leur gré les antres «le la chicane.
FRÉDBKIC OZANAn. 1 1
Au sortir du collège, trop jeune encore pour aller à Paris, ses
parents l'envoyèrent , pendant deux années , dans une étude de
notaire. Pour cliarmcr ses ennuis , il composait et conduisait à
terme un poème épique envers latin, sur h Prise de Jésuralem par
Titus. Ce fut seulement en 1831 qu'il se rendit à Paris pour sui-
vre les cours de l'école de droit. Il eut alors la bonne fortune de
passer deux années dans la maison du célèbre physicien Ampère
et de jouir de la familiarité de ce savant. Ce toit hospitalier était
un lieu de réunion pour un grand nombre d'hommes distingués.
Il se lia avec plusieurs, en particulier avec le philosophe Ballan-
che. C'est de ce moment que se forma, entre Ozanam et M. Am-
père le fils, une étroite liaison, dont ce dernier donnait naguère
un témoignage bien touchant.
Sur ce nouveau théâtre, Ozanam mena de front, avec une ar-
deur sans pareille , la vie de l'étude et la vie des œuvres chré-
tiennes. Rien n'égalait sa passion pour s'instruire. Aussi, de no-
tre temps trouverait-on bien peu d'hommes ayant, en aussi peu
d'années, conduit à terme des travaux aussi considérables. Oza-
nam avait l'esprit ouvert à tout. Il était docteur en droit et doc-
teur ès-letlres. L'histoire , en particulier celle des origines des
civilisations et des littératures, n'avait pas de champs inexplorés
pour lui. Il apprenait les langues vivantes avec une facilité peu
commune; sans négliger, pour cela, l'étude de l'antiquité.
Il s'était mis à lire l'hébreu tout en copiant des actes de notaire.
Rien ne demeurait superficiel en lui. Il n'aurait pas si bien
compris le moyen âge et ses grands théologiens philosophes ; il
n'aurait pas pénétré avec autant de bonheur les difficultés des
Pères de l'Église des troisième et qu*atrième siècles, s'il n'eût
été versé dans les lettres grecques et latines. Poursuivant avec
persévérance la question si complexe de la formation des langues
modernes, il avait été attiré, remontant de siècle en siècle, d'in-
vasion en invasion, jusque sur les plages de l'Inde, dont il n'avait
voulu ignorer ni les idiomes primitifs, ni la cosmogonie.
Un travail pareil et aussi continu ne semblait compatible qu'a-
vec une vie solitaire. Il n'en fut rien pourtant : Ozanam n'aurait
pas compris cet égoisme. Il fut le condisciple le plus aimable;
on cite de lui des traits charmants. Pendant le choléra de 1832,
12 rRKDF.Rir ()/A>AM.
il sr montra admirable do dévouement pour ses amis atteints par
le llt'-au. Un d'entre eux, l'abbé Ducbesne, raconte qu'étant fort
malade, le studieux étudiant, (pii ne cessîut de lire, lui apporta
<pul(|ues volumes pour le distraire. C'étaient les trois |testcs les
plus eélebreos par la littérature : Thucydide et la peste sous Péri-
dés, plus celle de Lucrèce , plus celle de Mil;ni , dans les Fiancés
de Man/.oni.
Aussi ne tarda-t-il pas, par l'attrait puissant tpi'il exer-
çait, à conquérir la première place au milieu du groupe
cboisi qui avait mérité ses prédilections. Grâce à cette itilluonce,
il |irit une part prépondérante à la tondation de deux institu-
tions qui ont eu sur les destinées intelleetnelles et reli{;ieuses de
la France une action éminente. Nous voulons parler des Confé-
rences de Notre-Dame et de la So( iélé de Saint-Vinceul-de-I'auI.
C'était J'U 1831. Cette date n'a pas besoin de eommeniaire ;
et (jui V(»udraii caractériser l'é'iat de la jeunesse catbolique à cette
épo(|ue, en France, le pourrait faire en ces mots : dispersion to-
tale des forces, inq)uissance pour le bien, résultant «le cette dis-
solution. Sans doute, sous la Hestauration , de nobles âmes
avaient déjà songé à rallier en un centre d'action la jeunesse
des familles clirétieunes. Mais soit par la faiblesse des éb'ments,
soit par la trop i^rande soiiflarité des pr<»moteurs de l'teuvre avec
le pouvoir politique, il avait sulli d'une révolution pour mettre
â néant ces tentatives. Chacun de sou côté, en se séparant, avait
emporté un souvenir et une espérance. Il fallait une circonstance
et une impulsion nouvelle pour rallier des éléments dispersés,
pour rendre conliance et courage à des esprits abattus, pour re-
nouer enlin la salutaire inidiliou des «ruvres de charité et du
travail scieutirupie en commun.
Un groupe obscur déjeunes étudiants eut cet honneur. On n'a
point oublié les tentatives du socialisme saint-simouien. l>es
atleptos de la secte avaient jeté un <léli aux delenseurs du dogme
catholi(jue. ()/:inaui et ses amis répondirent à la pr<»vocation, et
dans des luttes de parole dont le souvenir n'est point effacé, ils
le\rient avec ('nergie ce drapeau < ;iilioli<pu' dont croyaient avoir
lrionq»lu'' le sarcasme ei l:i perseculiou libérale. Les idées échan-
gées dans cette < (uiiroxerse furent retracées par O/anam «lans
FRÉDÉRIC OZANAM, 13
un petit écrit sur la doctrine de Saint-Simon. Ce fut, croyons-
nous, le premier essor de son talent. H avait 18 ans.
A cette époque, les chaires des facultés de Paris retentissaient des
sophismes de l'enseignement le plus anti-chrétien. Au scandale de
doelrines impies , les professeurs ajoutaient ordinairement l'acte
moins justiliable encore de présenter sous un jour mensonger le
catholicisme, qu'il a toujours été plus aisé d'attaquer par la ca-
lomnie que par la logique. Ce n'était, à chaque leçon, que cita-
tions tronquées , qu'inexactitudes historiques perfidement cal-
culées à l'avance. Ozanam, en présence de cette guerre déloyale,
sentit s'éveiller en lui toute la fierté d'une âme blessée dans le
sanctuaire de ses affections et de ses respects. Tout faible qu'il
pouvait paraître avec ses vingt ans , il écrivit lettres sur lettres
aux maîtres qui se permettaient ces calomnies quotidiennes.
L'une de ces lettres (elle s'adressait à Jouffroy) força le coupa-
ble de rentrer en lui-môme. Jouflroy, qui avait reçu les bien-
faits d'une éducation chrétienne, se sentit ému d'une involontaire
sympathie pour la protestation courageuse de son adversaire in-
connu. Il fît une rétractation publique de son erreur, non sans
rendre justice au savoir et à la parfaite convenance des observa-
tions qui lui étaient opposées, et dès ce jour les professeurs de la
Sorbonne (cela fut remarqué) devinrent à la fois et plus mesurés
dans leur langage , et plus comptables d'impartialité dans leurs
jugements. Ozanam les fit reculer par les armes de la science
dont ils se croyaient les exclusifs dépositaires. C'est ainsi qu'ils
apprirent à connaître celui qui devait plus tard s'asseoir au mi-
lieu d'eux.
Cependant le troupeau saint-simonien succomba sous le poids
de la banqueroute et du ridicule. Les jeunes amis qui avaient si
vaillamment combattu sous la direction d'Ozanam, se troublèrent
à la pensée de voir se dissoudre leur petite Conférence , et in-
continent ils résolurent de sanctifier par des actes de charité
une réunion qui n'avait eu pour but que la défense des saines
doctrines. Mais laissons Ozanam lui-même raconter les humbles
commencements d'une grande œuvre (1) :
(1) Discours prononcé en ISaô, devant la Conférence de Florence.
14 KKÉDÉHIC OZAHAM.
Nous (ilioits alors envahis par un déluge de doctrines philosophiques et
hétérodoxes qui s'agitaient autour de nous, et nous éprouvions le désir et le
besoin de fortilier notre fui au milieu des assauts (|uc lui lixmient les systè-
mes divers de la fausse scienee. Quelques-uns «le no» jeunes eonqtagnons
d'études étaient matérialistes; quelques-uns sainl-sinioniens ; d'autres fourié-
ristcs ; d'autres encore déistes. Lorsque nous, eatholicpies, nous nous efTor-
cions de rappeler à ces frères égarés les merveilles du christianisme , ils
nous diraient tous : c Vous avez raistm, si vous parlez du passé : le christia-
nisme a fait autrefois des prodiges ; mais aujourd'hui le christianisme est mort.
Et en cfTct, vous qui vous vantez d'être catholiques, que faites-vous? Où sont
les œuvres qui démontrent votre foi et qui peuvent nous la faire res|>ecter
et admellre? Ils avaient raison : ce reproche n'était (|ue trop mérité. Ce fut
alors que nous nous diiurs : Kh bien ! à l'œuvre ! et que nos actes soient d'ac-
cord avec notre foi. Jlais (|uc faire? Que faire pour être vraiment catholi-
ques, sinon ce qui |)lait le plus à Dieu? Secourons donc notre prochain,
comme le faisait Jésus-Christ , et mettons notre foi sous la protection de la
charité.
Nous nous réunîmes tous les huit dans cette pensée , et d'abord même ,
comme jaloux de notre trésor, nous ne violions pas ouvrir à d'autres les por-
tes de notre reunion. Mais Dieu en avait décidé autrement. I/association peu
noud)rcuso d'amis intimes (jue nous avions rêvée df> enait, dans ses tlesseins,
le noyau d'une immense famille de fK-rcs, qui devait se répandre sur une
grande partie de l'Europe. Vous voyez «pic nous ne pouvons pas nous don-
ner véritablement le titre de fondateurs : c'est Dieu qui a voulu et qui a fondé
notre Société !
Je me rappelle que, dans le principe, un de mes bons amis, abusé un nu»-
ment par les théories saint-simoniennes, me disait avec un sentiment de com-
passion : « Mais qu'espérez-vous donc faire ? Vous êtes huit paux res jeunes
gens, et vous avez la |»rétention de secourir les mist-res qui pullulent dans
une ville comme Paiis? El quand vous seriez encore tant et tiuit, ^«lus ne fe-
riez toujours pas grand'chose ! Nous, au contraire, nous élaborons des i«lées
cl un syst«"'me qui réformeront le monde et en arracheront la mist-re p«uir
toujours ! Nous ferons en un instant pour l'humanité ce que vous ne sauriez
accoiiqiliren plusieurs siècles. » Vous savez, Messieurs, à quoi ont abouti les
théories «pii causaient celle illusion à mon pauvre ami ! El nous, qu'il prenait
en pitié, au lieu de huit, à Paris seulement, n«nis sommes deux nulle et lutus
\isitonscin<i mille familles, c'est-à«lire environ vingt mille imlividiis, c'est-à-
dire le quart des pauvres que renferment les murs de cette immense cité. I^s
Conférences , en France seulement, s«mt au nombre d«'. six cents , et nous en
avons en .Vngleterre , en Espagne , en Ikigiipic , en Hollande, en Suisse, en
AlhMuagne, en Amérique cl jusipi'à Jérusalem. C'est ainsi «pi'en eommeni:aut
huud)lem«-ut . ou peut arrivera faire de gramlcs ch«>ses. Jésus-tiluisl , «le ra-
baissement de la crèche, s'est élevé à la gloire du Thabor. C'est ainsi que Dieu
a fait de notre univre la «ienni- et l'a voulu répandre par toute la terre en la
comblant de ses bénédictions.
Tels furent les délmls oWurs de la Sociélr de iviiiil-V incent-
l'KÉDÉRIC OZANAM. 15
dc-Paul. Les huit (Hudiants conservèrent à leur assemblée le nom
(le Conférence, dernier souvenir de rintérèt scientilique qui avait
été, dans l'origine, l'objet de la réunion, et c'est en mémoire de
ses fondateurs que chaque assemblée particulière de la Société,
aujourd'hui encore, porte le nom de Conlérence. Ozanam se dé-
voua tout entier à la propagation de la Société de Saint-Vincent-
de-Paul, et plus qu'aucun autre, par l'ascendant de son aimable
naturel, par l'effusion de sa charité, il a contribué à maintenir au
sein des Conférences ces caractères de simplicité, de cordialité,
de dévouement à l'Église, de déférence envers l'autorité ecclé-
siastique qui ont valu sans doute à la Société la prospérité dont
elle jouit. Après avoir fondé la Société à Paris , Ozanam l'éta-
blit à Lyon. Il fut toujours membre actif et assidu de l'une des
Conférences de Paris, membre du conseil général et vice-prési-
dent de la Société. Aujourd'hui , après vingt années écoulées ,
maintenant que les enfants de saint Vincent de Paul se donnent
la main dans tout l'univers catholique ; après surtout que la So-
ciété a grandi à l'ombre de tous les palais épiscopaux et mérité
les brefs de louange de deux Souverains Pontifes, il faut bien re-
connaître que Dieu récompensa, par une salutaire pensée, le zèle
de ces jeune gens qui, à une époque critique, se consacrèrent à
la défense du spiritualisme chrétien. C'est le cas de dire , cette
fois, comme en tant d'autres occasions, qu'une humble pensée
de dévouement et de foi a pesé pour beaucoup dans la balance des
événements , car la Société de Saint-Vincent-de-Paul , on ne le
saurait nier, se manifeste par une grande part d'action dans la re-
naissance du catholicisme au dix-neuvième siècle. Cette prépondé-
rance ne se montre pas seulement par la fécondité des œuvres
de miséricorde, elle apparaît aussi, non moins inattendue qu'in-
téressante, sur un tout autre domaine : celui des luttes scientifi-
ques et du conflit des doctrines.
Hâtons-nous de le dire , la Société de Saint- Vincent-de-PauI
resta partout étrangère aux opinions politiques. Cette neutralité,
toujours et aujourd'hui plus que jamais exactement observée , a
fait sa force et contribué, plus que tout autre caractère, à rendre
efficaces les sincères efforts de ses membres. Trop longtemps, en
France , les intérêts religieux du pays furent subordonnés à la
16 (HÉoÉRic oi\y vn
fortune d'un drap<;au pulitique. Il i:iail temps que cette solida-
rité cessât; elle n'avait, à notre sens, pas plus servi les intérêts
de la reli^iiMi «ju'ellt' n'avait assun- le succès d'une cause nionar-
cliique. La Soeiété de Saint-Vincent-de-Paul, créée spontanément
dans une jtensée de /èle compatissant pour les pauvres, établit ce
terrain neulic. La rapide multiplie alion d»; ses Conlerenees at-
teste la sincérité de la tentative qui répondait à un besoin vérita-
blement senti.
Aussi vint-on de tous les horizons et de tous les rangs «le la so-
ciété se grouper sous la modeste règle des Conférences. Là dus
hommes qui ne se devaient jamais voir se rencontrèrent et s'uni-
rent pour le bien. Après avoir parlé des malheureux et soigné leurs
intérêts, ils se demandèrent si l'on ne pourrait passe retrouver
ailleurs et faire concourir à d'autres desseins ces forces vives et
cet élan de la jeunesse. Les projets passèrent bien vite à l'état
de réalité, et O/.aiiain eut une grande part dans l'organisation de
ce mouvement. Mais il faut lenvoyer à une épo<pie ultérieure le
récit de ces œuvres nouvelles. A. ce moment il détermina , par
ses instances, la fondation des Conférences dogmaticjues sur les
vérités de la religion ilans l'église métropolitaine de Paris. Or,
( 'est là un événement considérable.
Dans l'histoire moderne de l'Église, il n'y a pas d'événement
plus consid«ral»le «pie la chute de M. de Lamennais et la «lisper-
sion de la brillante pléiade d'écrivains et d'orateurs (]ue son la-
lent avait rangé autour de lui. Le journal VÀvenir fut condamné.
Le Saint-Siège montra une fois de plus (pi'enire une renommée,
<piel«pi(! Iirillaiilc qu»:!!»- soit, et h; de|»<il sarr»; «les vérités ôv.
la foi «•«►nfié à sa garde, p<jiu lui il n'v a pas de transaction pos-
sible. Le maitn; s'«'n lut m«ttre au }»er\ico des enn«'mis de l'hglise.
«!i de la soci«'ié une plunu^ désormais dévolue à maudire tout c(^
«|u'«'lb' avait loué. Les disciples s'allligcrent devant cette obstina-
tion et «et orgueil dont ils n'avaient pas mesuré les hauteurs,
puis cha«un reprit sa voie. L'abbé Gerbet « hcrcha une solitude
oii il put écrire «'U paix «es beaux ouvrages où il «levait déployer
les grAces intinies d'un style fénélonien. M. de Montalembcrt se
voua aux recherches bénédictines qui illustrèrent sa studieuse
jeuness«'. BienltU il allait s«trtir de sa retraite, arnw de deux «eu-
FRÉDÉRIC OZAINAM. 17
vres qui expriment admirablement les deux faces de son admi-
rable talent. D'une main portant Vllistoire de sainte Elisabeth
de Hongrie, où les d(Hicatcsses lamilirres de l'agiof^raphe s'unis-
sent si bien à la sévérité de l'historien ; de l'autre cette véhé-
mente philippique contre le Vandalisme dans Vart, coup de fouet
vengeur bien nécessaire assurément pour introduire devant le pu-
blic une cause qui ne devait être gagnée qu'à force d'instances.
Le P. Lacordaire le premier devait rentrer dans la vie publi-
que. Déjà le discours qu'il prononça devant la Chambre des
Pairs, pour le procès de l'École libre, tout d'abord avait fait
pressentir ce qu'il fallait attendre d'un talent oratoire qui s'an-
nonçait aussi original que spontané. Le futur dominicain prêcha
une série de discours fort «distingués dans la chapelle du Col-
lège Stanislas. Dès lors , les jugements furent fixés. On se sou-
vient des joies intellectuelles des trop rares privilégiés qui ,
vu l'étroite enceinte , assistèrent à la révélation de ce beau
génie. Ozanam et quelques-uns de ses amis jugèrent à l'instant
de quel intérêt il serait de produire au grand jour, sous les
voûtes de Notre-Dame, cette parole visiblement inspirée, pour
aller au cœur et à la situation de ses contemporains. Ils portèrent
leur demande à Mgr de Quelen , alors archevêque de Paris. La
proposition fut accueillie, et pendant le Carême de l'année 1836,
le Père Lacordaire constituait cet immense auditoire qui
n'est pas le moins étonnant des signes multipliés de la renais-
sance religieuse. Quel orateur chrétien a jamais eu à parler des
vérités de la foi devantun auditoire exclusivement composé de plu-
sieurs milliers d'hommes? Certes le phénomène était nouveau.
La présence d'une réunion aussi imposante de jeunesse lettrée et
d'hommes d'élite, assurait à la diffusion de la vérité évangélique
une portée rare. Bossuet et Massillon, dans la chapelle de Ver-
sailles ou dans leurs cathédrales, ne virent rien de semblable.
L'auditoire mondain qui s'empressait auprès de Bourdaloue n'é-
veille aucune idée de comparaison. La Société de Saint- Vincent-
de-Paul eut le bonheur de donner le premier élan à cet enthou-
siasme; elle eut le mérite non moins appréciable de la persévé-
rance. Aussi que de sympathies acquises par l'illustre orateur
dans cette foule ; que de conquêtes pour l'Église ; combien d'â-
2
18 KKbDLRlC OZANAM.
mes amcliùes i\ rinrrtiluliit' par le ciiarmc de cette parole qui ,
il le (lisait lui-nn*nie : o supplie plus (ju'elle ne commande, qui
» épargne plus qu'elle ne frappe, (|ui entrouvre l'horizon plus
• qu'elle ne le déchire, qui traite enlin avec l'intelligence et lui
» ménage la lumière conmie on ménage la vie à un être malade et
» lendremenl aimé.»
C'est ainsi qu'Ozanam , tout en vaquant à ses fortes études ,
inlluait sur le mouvement des idées et la direction des esprits.
Après avoir épuisé le programme universitaire, il revint à Lyon
où il occupa, pendant (luehjue temps, une chaire de droit com-
mercial. Pour cela, ses travaux n'étaient pas interrompus. Déjà,
dans sa thèse de docteur, il avait préparé les malériaux de son
livre sur Dante et la Philosophie catholique au treizième siè-
cle, et il se disposait à affronter le concours de l'aggn'gaiion à la
Faculté des lettres de Paris. Le succès fut complet. Il obtint la
première place à toutes les épreuves ; rien ne résista à son éru-
dition immense. 11 étonna ses juges par l'éclat et l'animation
de ses improvisations. M. Cousin, un bon juge dans rap|)ré-
ciation du beau, s'écriait en l'applaudissant : * Ah! M.Ozanani,
on n'est pas plus élotpient que cela ! »
Ce brillant concours rappela Ozanam à Paris et lui donna ac-
cès à la Faculté des lettres, où il parut comme suppléant de
Fauriel. 11 est inutile de dire qu'Ozanam, pendant ce court séjour
ù Lyon, employa ()our le bien l'iiitlneiice (pie lui accpiit imm»'-
diaiement l'estime générale doni il ('i;iii mtouré. C'est à celte
époque qu'il entra dans les Conseils <le l'OKiivre de la l'ropa-
gation de la loi , dont il fut longtemps le secrétaire. On
lui doit plusieurs des comptes-rendus des Jnnale». Ozanam
était respecté autant qu'aimé, à un Age où les jeunes gens ont à
peine le droit d'étn- nommés. H s'efforça de ri'-pandre, dans les
ConlV-renres de Sainl-Vint enl-di'-Paul de Lyon, un peu de cette
circulation de sentiments actifs et généreux, de ce prosélytisme
enthousiaste dont il ne voulait pas laisser à Paris l'absolue préro-
gative.
Un jour ; c'était vers la lin de l'année 1838) les Conféren-
ces de Lyon furent convocpiées en séance extraordinaire pour sa-
luer b' P. Lacordaire qui se rendait en Italie. L'illusire orateur
FUÉDÉKIC OZANAM. 19
allait entrer comme novice dans un couvent de l'ordre de Saint-
Dominique. Il avait voulu, sur son passage, serrer la main à
quelques amis; Ozanam était du nombre. Celui-ci, à son tour,
avait tenu à ce que les membres de Saint-Vincent-de-Paul enten-
dissent les derniers adieux de celte voix si clière à la jeunesse ca-
ibolique. L'assemblée était aussi nom')reuse que l'avait pu per-
mettre un salon exigu. Le P. Lacordaire improvisa une de ces
allocutions exquises de délicatesse, de simplicité et d'abandon
que lui inspirent si souvent les réunions d'hommes. Il parla de la
Société de Saint-Vincent-de-Paul en termes chaleureux, indiquant
expressément que c'était là qu'il aimait à compter ses plus chères
sympathies. Sollicitant le concours d'affectueuses prières, il ex-
pliqua en peu de mots le but de son œuvre alors si peu comprise et
souvent si mal interprétée. 11 insista sur la nécessité de la réap-
parition des ordres religieux sur le sol de la France désolé par
les révolutions , et termina par quelques considérations sur la
mission particulière des Frères prêcheurs dont il allait embras-
ser la règle. Cette assemblée de jeunes hommes; la vue de ce
prêtre allant ensevelir dans la solitude du cloître l'éclat d'une
vie déjà si remplie de gloire et de succès ; ces deux disciples qui
l'accompagnaient, attirés vers lui, disait-on, du fond des socié-
tés secrètes; ces existences qui acceptaient librement, à la face
du siècle, la loi du travail, la pauvreté volontaire, la souffrance
volontaire, c'était là un spectacle inattendu, bien propre à tou-
cher l'âme et à déterminer dans l'esprit de ces mouvements qui
décident de toute une vie. Il y avait dans l'assemblée des nou-
veaux venus qui n'en ont jamais perdu le souvenir. Voilà, entre
bien d'autres, un épisode intime de ces réunions où la part d'ac-
tion d'Ozanam était si prépondérante.
11 faut suivre maintenant Ozanam à Paris, où l'appellent
les devoirs de sa charge universitaire. II va monter dans une
chaire de la Sorbonne et distribuer en leçons savantes les tré-
sors de ses patientes études. C'est dans cette carrière , pour la-
quelle il était merveilleusement doué , qu'il épuise rapidement
une vie trop tôt vouée à la souffrance et aussi trop activement dé-
pensée dans l'entraînement sans égal d'un dévouement qui ne sut
jamais mettre une borne à ses entreprises.
20 IHÉDÉRIC (>ZA^A1I.
Le succès inconlosU' du concours pour r;igfîr«*{îaiion «lovait
rassurer O/anam. H n'en fni rien. Toujours «lélianlde lui-mèmo,
il n'aborda (ju'eii Ireuiblanl la ( liaire de Fauriel qu il «-lail a|»-
pelé à suppléer, il n'y avait pouriani nulle conipuraison ù él9-
blir entre le titulaire et son suppléant. Fauriel lisait, saos se
préoccuper d'être ayreable, des cahiers lentement élabores dans
le cabinet. Ozanam consacrait de longues heures à chacune de
ses leçons. 11 arrivait pourvu de notes, de textes pleins d'intérêt.
Son [)lan était trav»'-; mais bientôt le souille de l'improvisation
remportant, il s'écliaullait au contact d'un autliloire toujours
sympathique, et abondait en mouvements pleins de chaleur (|ue
ne laissait guère soupçonner la timidité du début. Dès la pre-
mière épreuve la place d'Ozanam lut marquée entre les meilleurs
orateurs de la Sorbonne. Aussi , deux ans plus lard , ({uand
Fauriel mourut, personne, excepté lui, ne doutait «ju'il ne
fût appelé à occuper définitivement sa place. L'événement, en
effet, réalisa toutes les espérances. (Ai n'est pas qu'au sein de la
docle Compagnie qui le choisissait, il nesemontrAt quelques mur-
mures; car si le cours d'O/.anam, en fixant l'attention publi<]ue,
donnait du lustre à la Faculté des lettres, il l'allait convenir que
la franchise de ses convictions catholi(pies ne laissait pas que <lc
déplaire un peu à des collègues tels (pie M. Cousin , par exem-
ple, qui se glorifiaient de s'inspirer à tout autre source; toute-
fois la justice prévalut.
Les triomphes oratoires de MM. Gui/ot , Cousin et \ illc-
main avaient eu un retentissement extraordinaire. Ils avaient
fait école , et , que bien , que mal , plusieurs s'efforçaient de
marcher sur leurs traces. 11 faut reconnaître , cependant , que
cet enseignemenl célèbre empruntait aux circonstances la plus
grande i)arlie de sou intérêt. Les trois professeurs s'étaient fait
les chauq>ioiis de l'opposition en politique. Ils aNaient iransfornie
leur chaire en une tribune oîi trop souvent, pour M. (x)usin sur-
tout , le développement didacti(]ue du maître s'cllaçait devan;
la dangereuse exposition ilc divagations doctrinales et des actes
de flatterie non moins re|)réhensibles à l'adresse des partis ré-
volutionnaires.
Ozanam, on le peut croire, n'eut pas lambiiitm de cuniinuer
FRÉDÉRIC OZANAM. 2t
ces succès ; mais il s'autorisa de cet exemple pour faire servir au
triomphe et à la propagation de ses convictions un mode d'ensei-
gnement désormais passé à l'état de coutume dans l'Université.
Et, par un retour fréquent des choses de ce monde, que de fois
ne lui est-il pas arrivé d'attaquer de front ou de démolir indi-
rectement les thèses favorites de ses devanciers!
Nous voudrions pouvoir caractériser plus expressément cet en-
seignement si honorable, dont la trace est encore si vive, dont les
résultats furent si féconds pour l'avancement moral et la-^esti-
née doctrinale de ceux qui le recevaient. Qu'ils sont rares, les
maîtres tels qu'Ozanam, dont il se peut dire qu'en initiant la jeu-
nesse aux difficultés de la science, il l'initiait au culte de l'hon-
neur, et qu'il lui faisait la plus solide apologie de la religion !
Ozanam préparait laborieusement son œuvre. Comme tant
d'autres il aurait pu, se confiant aux ressources de son abondante
mémoire , puiser, sans trop de peine , dans le trésor de son
érudition. Mais non ; chaque leçon pour lui était l'objet de mé-
ditations consciencieuses et de recherches nouvelles. L'infati-
gable ouvrier n'était jamais satisfait; il ne produisait rien , soit
une leçon , soit un article de journal , que ce ne fût pour lui le
fragment d'un livre dont il se promettait bien de revoir l'épreuve,
de polir le style et d'augmenter la valeur. Il ne connut pas l'art
de certains professeurs qui consiste à vivre des facettes d'une
idée longuement délayée, ou bien à poursuivre sur la pointe
d'une aiguille des mots heureux ou des saillies spirituelles. S'il
mérita quelque reproche, ce fut celui d'être trop abondant et
d'arriver parfois à la diffusion à force de vouloir être complet.
Il était étonnant par la multiplicité des aperçus, non moins esti-
mable par la profondeur de ses propres recherches que par son
habileté à mettre à profit celles d'aulrui.
A des qualités aussi solides, à une conscience d'érudit qui ne
fut jamais trouvée en défaut , Ozanam unissait une imagination
exquise et une sensibilité que bien peu ont égalée. Heureux as-
semblage de mérites opposés, rare association de la sévérité d'un
jugement calme aux élégances du plus bel esprit littéraire! Ce
don de sentir, hélas! ne fut que trop souvent mis à l'épreuve
dans nos temps où les existences sont si fort agitées , si brus-
22 FRÉDÉRIC OZAMAX.
qucimiil cl à tliacjue inslanl rappelres au sentiment df leur-
néant. Ozanum ne pouvait échapper ù ees mille occasions de sol-
liciiutie qui sans cesse atteignent tout cfrur liien né dans ses plus
nobles allVctions. Si l'on se rappelle, en ouire, que de honnc heure
hisoiiHiani e |)liysi(pu' lut le |»artaj^<' d'O/anam, cpie ces travaux
incessants , <juc ces levons d'un intérêt si profond n'arrivaient à
leur terme qu'au prix, d'une lutte eonlinuellc avec la maladie,
on ne sera plus surpris d'enieiulie diie (ju^Ozanam était triste, il
lui fallait un effort pour se produire cl pour écarter ce voile de
mélancolie toujours répandu sur ses traits. Ne l'oublions pas;
soit qu'elles ressentent doublement le poids de leurs infirmi-
U-s; soit contcmplalion plus assidue des misères huiuaiues;
soit en vertu de cette soif de l'idéal, de ces aspirations vers
l'inlini, conlinucl aliment de leurs pensées: c'est le propre <le ces
grandes et nobles âmes que délie tristes. A le voir arriver dans
la chaire de laSorbonne, pâle, inquiet, tremblant, personne n'eût
imaginé qu'Ozanam fût capable de suflire à l'effort d'une leçon
d'une heure et demie. Cependant b; calme se faisait pendant la
rapide récapitulation de la leçon preci'dente , puis le professeur
abordait une question : soit un tableau historique, soit l'exposé
de (pielque système de |>liiloso|»bie , l'analyse des traités nu-ta-
pliysicjues de saint Anselme, par exemplt;, et il fallait voir de
quelle hauteur magistrale; on ne savait (pi'admirer le plus de sa
sagacité merveilleuse ou do la profondeur de ses aperçus. Après
avoir fourni une course plus ou moins longue dans ces dilBeultés
du sujet, il arrivait toujours un moment où sa sensibilité se irou-
vail en présence d'une grande pensée ou d'une belle action.
Soudain il éclatait en mouvements inq^évus; cette ;\mc conte-
nue se répandait en flots d elo«pieiice, et c'était un spectacle ad-
mirable (pie de voir cette organisation si frêle rencontrer alors
les plus énergi(pjes accents comme les plus suaves délicatesses de
la poésie. On n'imagine pas une telle abondance de pensées
heureuses, toujours exprimées avec celte préoccupation d'éveil-
ler chez ses auditeurs le culte de la vérité, le sentiment du beau,
et par dessus tout celui du devoir.
Un jour, c'était pendant l'hiver de \8ii , le professeur
étudiait l'histoire littéraire de l'Italie au treizième siècle,
KKÉDÉRIC OZANAM. 23
au siècle du Dame, cette figure poétique qui l'ut l'objet con-
stant de ses prédilections. Après avoir analysé la Divine co-
médie, Ozanam groupa autour du poèi(3 les imposantes figu-
res qui donnent un si grand caractère à ce siècle de combats
et de progrès. Il avait successivement étudié saint Pierre
Damien et ses luttes contre les vices de sou temps; les mis-
sions providentielles de saint Dominique et de saint François
d'Assise , visiblement appelés à renouveler la vie chrétienne
par l'esprit de pauvreté et de sacrifice; la légion des poètes
franciscains l'avait longtemps arrêté; puis, faisant un retour
vers les sommités de la science, il avait réservé pour le couron-
nement de son œuvre ces deux grands hommes, l'honneur de
l'esprit humain^ saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure.
Deux leçons furent consacrées à donner un aperçu de ces ency-
clopédies de ce temps-là , que l'on nomme les Sommes de saint
Thomas.
Enfin il arriva au docteur séraphique. Après avoir exposé la
philosophie de saint Thomas procédant de la logique d'Aristote,
il montra, dans Vltinerarium mentis ad Deum, le théologien des
Frères mineurs s'appuyant d'une main sur l'Évangile de saint
Jean, de l'autre sur le Timée de Platon et en tirant une métaphy-
sique admirable. Puis, comme pour procurer à son auditoire une
sorte de récréation , il leur parla de ces gracieux opuscules en
prose et en vers, dans lesquels saint Bonaventure a prouvé que,
pour s'être enfoncé dans la poussière des luttes scholastiques,
son génie enchanteur n'en était pas moins capable des plus sua-
ves conceptions. C'est alors qu'il analysa la Légende de saint
François , et surtout ces admirables Méditations sur la vie du
Sauveur auxquelles il donnait , pour ainsi dire , une nouvelle
naissance au milieu de la génération actuelle. Enfin, dit Ozanam,
il fallait que le docteur, l'historien, le ministre général de l'ordre
de Saint-François en vint aussi à cette faiblesse de tous les cœurs
passionnés et qu'il composât des vers. Après avoir cité divers
fragments, la leçon fut terminée par une paraphrase ravissante
du beau chant de Philomena. Pour le poète, l'oiseau chanteur
c'est l'âme humaine considérant le Rédempteur en croix et s'u-
nissant par un chant sublime aux scènes terribles et déchirantes
21 FHÉDKRIC n/AMAlI.
qui si^nalèicul U-s dciuicies lieuies de la vie du lils de Diru.
O/anain , entraiiiû par lu situation, a^'raudissaol l'œuvre du mai-
tie, substitua au texte les accents «'mus de son propre cu'ur en
ravivant les i ouleurs, comme on lerait d'un vien\ tal)l(>an par des
retouches habiles. Sans Tavoii* chiMclit', il trouva un prodigieux
effet d'élo<]uence. Lj; professeui- a\aii (lisj)Mru; il n'y avait plus
(pi'un poêle inspir»'.
La mémoire dv. celle leçon demeure impérissable, pour tous
ceux qui renlcndirenl, comme un type de cet ensei^memenl où
les recherches de l'érudition la plus approfondie se mêlaient
avec une rare aisance aux entraînements de la plus émouvante
parole.
0/.anam arrivait à la renommée. Il réalisait les promesses de
ses dix-huit ans, et le moment approchait oii ITelat de son
professoral allait lui donner une nouvelle part d'inlluence dans
cette germination d'œuvres eaiholicpies qui se produisit i\ Paris
vers 1843. La controverse sur la liberté d'enseignement, tombée
pendant quehiue temps, après la condamnation de \\4vcnir, re-
commen(,uiit aNec une ardeur nouv»lle. M. de INlontalembert en-
trait dans la vie politique par sa décisive brochure sur les De-
voirs des catholiques. Il inaugurait à la Iribune de la Chambre des
Pairs sa mémorable carrière d'orateur politique. Le Correspon-
dant, recueil périodicpie plusieurs fois interrompu, recommen-
çait une nouvelle course. M. Foisset, qui s'appli(|ua toujours avec
une si grande pers»'véranee à servir de trait-d'union entre les
individiialilts calholiipies de tli\erses mianees, ralliait les fonda-
teurs de celle Uevue. C'étaient MM. de Champagny , «le Carné ,
Wilson, de (^/alès , di? Fontette, (Jabourd , Veuillot, aux«piels
vioreut s'adjoindre MM. Lenormant, de Falloux, de Hazelaire.de
Valroger,de Blanche, Audley,etc., s;ms oublier M.deMontalem-
berl lui-môme. O/anam faisait naturellement partie de ce groupe
d'écrivains avec les»pu'ls il avait déjà travaille à la Heruc européen-
nes.' g%\.(\m\sW Cor respomhml (\\\"\\ w publi«'|»arrragnieri!s de gran-
des parties de ses ouvrages. Il aimait volontiers les produire ainsi
à titre «l'essais, toujours avec le propos de refondre son œuvre
avant «juc de lui donner sa forme délinitive. Il n'est pas d'ar-
tiste ((ui ait poursuivi davanlagi; l'idéal de la perfection.
FRÉDÉRIC OZANAII. 25
Celle même année fut fondé le Cercle callioliciuc établi sous
le palronage et la direction de Mgr ÂflVe, archevêque de Paris,
de M. Dosgencltes , curé de Nolrc-Dame-des-Vicloires , de
M. Rendu, membre du Conseil royal de l'Université, de M. Cau-
chy, le célèbre géomètre , de M. de Vaiimesnil , de M. de
Beaul'orl, de M. Amédée Tliayer. Celte institulilon, rapidement
florissante, a rendu les plus grands services à de nombreux, étu-
diants qui s'y trouvaient classés en autant de Conférences qu'il y
avait de branches d'études. Ozanam présidait la Conférence de
littérature. Les assemblées générales rassemblaient, outre les
habitués, une société d'élite fort nombreuse. Souvent il leur
prêta son concours; là, comme à la Sorbonne, l'enthousiasme pas-
sionné et l'art de bien dire venaient toujours en aide à l'érudi-
tion.
Le Cercle catholique devint un centre d'activité intellectuelle
très-actif. C'est là que M. l'abbé Bautain renouvela ses succès de
Strasbourg dans ces éloquentes Conférences, modèles d'exposi-
tion didactique , où il manifesta si énergiquement le danger de
séparer artificiellement la philosophie abstraite des lumières sur-
naturelles de la révélation. Le P. Lacordaire s'y fit entendre plu-
sieurs fois , et l'on sait s'il excelle dans ces réunions où il parle
de plein pied. M. de Monialembert y vint aussi, et à leur tour le
P. de Ravignan , MM. Cœur et Dupanloup. Des courants d'idées
très-vifs animaient cette jeunesse; c'étaient l'union de la foi
et de la science , l'alliance de la religion et de la liberté , le
désistement de tout lien de solidarité onéreuse entre l'Église
et les gouvernements temporels; c'était surtout la réhabilita-
tion du moyen âge chrétien par l'étude loyale de l'histoire;
l'histoire si horriblement défigurée par une végétation de tra-
vaux malsains, de diatribes sans probité, de réticences calcu-
lées. Questions d'art, questions de science, rien n'échappait
à cette ardeur qui dépensait autant de véhémence à discuter
l'âge d'un monument, la légitimité d'un bréviaire ou le mode
de la notation musicale au treizième siècle , qu'ailleurs on en
pouvait mettre à traiter de la politique du jour. Ozanam eut une
remarquable influence dans les questions d'art. Personne mieux
que lui n'a fait comprendre le rôle de l'art, cette noble faculté
20 niÉUÉniC OZAMAM.
d'exprimer des croyances par des signes matériels, sa mission
parmi les hommes, entin les sublimes conceptions inspirées par
le j^('nie catholique.
Toulefois le Cercle n'était (priai intéressant épisode au milieu
de ce réveil de l'esprit catholi(|ue si .manifestant par l'élude et
par les œuvres. Le P. Lacordaire, revenu d'Italie dans la pléni-
tude de son talent, avait repris p<»ss«'ssion de la chaire de Notre-
Dame. Un souille nouveau circulait dans l'K^'lise de France :\
tous les degrés de la hiérarchie. Tout concourut pour donner
au mouvement les caractères d'une époque mémorable. Les tra-
vaux historiques et apolof,'éti(iues surj,'irent de tout côté ; unei>o-
lémi(iue savante autant (pie vij^oureuse trac.ait les voies. Pour
n'en citer que quelques-uns, quels livres ont obtenu des succès
plus in('(ml('sl('s et |)lus durables que les /nstitutions liturgiques
de l'abbé de Solesme , l'Histoire universelle de V Eglise, par
M. Rohrbacher, les Études philosophiques de M. îSicolas, enfin
la belle Elude sur Dante, par notre 0/anam? Mais aucun évé-
nement ne réjouit plus les catlioli(|U('s (jue de voir M. Ch. Le-
normant entrer dans leur canip. Ce |>rofesseur, qui suppléait
alors M. Guizot dans sa chaire d'histoire, donna ù ses nombreux
élèves le spectacle d'une conscience droite modifiant ^'radiielle-
ment ses convictions, ne dissiimulani ni ses irrésolutions, ni ses
temps d'arrêt. Le travail dura trois ans, et chaque année le
même auditoire revenait moins captivé par de solides le(,ons que
par cette lutte d'un homme aux |)iises avec une conviction (pii
grandit en lui et linil irresisliltiemeiit par le dominer.
Ozanam, lié depuis longtemps avec M, Lenormant. (ju'il avait
renconlii' darrs le salon de M°" Kecamier, prenait, on le conçoit,
le plus vif inleièt à l'avènement de S(m collègue aux idées chré-
tiennes. Cet exemple d'une parfaite loyauté lui servait souvent
pour mo(l('Ter ses amis catholiqut^s dans la vivacité de leur zèle
contre l'Université.
Pour donner une notoriété plus complète au mouvement ca-
tholique, il ne lui manquait que d'être l'objet d'hostilités pu-
lilifpies; elles ne se lireiil pas lon^tiMiips attendre. Déjà le cours
dtlixpicnce sacrée de M. l'abbe Diipanloup avait ele troublé par
dci libéraux qui avaient Uouvé mauvais qu'on eût mal parlé de
KIIÉDÉRIC OZ.VNVM. 27
Voltaire. Survinrent les violences de MM. Miclielet et Quinet,
dont les approl)ateurs résolurent de réduire au silence le converti
de la Sorbonne. Encore que M. Lenonnanl ne s'appliquât en au-
cune façon à réfuter les tribuns révolutionnaires du Colb'ge de
France, son cours fut itérativement l'objet de manifestations tu-
multueuses. Ozanam , qui avait , on ne sait pourquoi , trouvé
grâce devant les fauteurs du désordre , vint un jour au cours de
son collègue. Il ne put contenir son indignation. Apostrophant
les perluibateurs, il les adjura, au nom de la liberté, de respec-
ter les manifestations des opinions. Le tapage cessa , M. Lenor-
mant acheva sa leçon; mais le lendemain son cours était sus-
pendu sur l'ordre d'un gouvernement qui, par faiblesse originelle,
trop souvent reculait au lieu de prendre en main la défense des
véritables principes sociaux.
Le moment est venu de parler des livres d'Ozanam. Son pre-
mier ouvrage fut un parallèle entre deux chanceliers d'Angleterre,
Bacon de Vérulam et saint Thomas de Cantorbéry; le grand
homme suivant le monde , et le grand homme suivant l'Église.
Cet essai laisse deviner toutes ses qualités. On y sent la chaleur
communicative d'un style coloré qui met en œuvre les plus con-
sciencieuses recherches.
A la même époque, en 1836, Ozanam paya un noble tribut de
louanges et de regrets à la mémoire de son protecteur, M. Am-
père. Cette notice, insérée dans le premier volume de VUniver-
sité Catholique, mériterait d'en être exhumée.
En 1840 parut la première édition de son travail sur Dante et
la Philosophie catholique au treizième siècle. Ce livre , que l'au-
teur ne cessa de revoir et d'augmenter, eut une seconde édition
en 1845. Quatre traductions italiennes, une anglaise et une alle-
mande l'ont répandu dans l'Europe entière. Malgré d'autres tra-
vaux plus considérables , peut-être est-ce dans son Essai sur le
Dante que le génie propre d'Ozanam se révèle avec le plus d'in-
tensité.
Visitant, au Vatican, les chambres de Raphaël, il se demande
par quelle faveur singulière, dans la dispute du Saint-Sacrement,
ce chef-d'œuvre du maître, le Sauzio place Dante Alighieri au mi-
lieu des docteurs et des vénérables témoins de la Foi. 11 voit par
^^ FRÉDÉRIC OZANAX.
toute l'Italie les honneurs les plus rares rendus à ce poêle qui
n'a vaincu la mort qu'apr»>s une vie entière passée dans l'aban-
don et k's liislcsses de l'exil. Il no |teut pas rroire (ju'une telle
auréole de j,doire ail été placée sur la trte d'un poète chanteur
dont il ne faudrait admirer (jue des épisodes surna^^eant au
milieu d'une œuvie obscure et remplie de défauts. Pénétrant
plus avant, O/.anam voit dans l'auteur de la Divine Comédie un
philosophe et un théologien, et il s'applique à reproduire les vé-
ritables caractères de son ouvr»-. Il voit le poète, conduit par la
raison et par la foi, d»'vancer le temps, pénétrer dans le monde
invisible, s'y établir comme dans sa patrie, lui (jui n'a plus de
patrie ici-bas; ses discours sont des enseignements qui subju-
guent les convictions et inclinent les consciences en s'em|>a-
rant de ce (ju'il y a «le plus fort en elles, riniclligence et l'amour.
L'union de deux choses si rares : une philos(»phie poeiiijue et
populaire, une poésie philosophi(|ue et vraiment sociale dans
une (luvre litt<'raire qui captive les multitudes, tonslilue |>our
le commentateur un événement mémoiable «pii indi(]uc un des
plus hauts degrés de puissance où l'esprit humain soit jamais
parvenu. Il conclut que si toute puissance a sa raison d'être
dans les circonstances contemporaines, l'apparition d'un livre tel
<jue la Divine Comédie donne lieu d'apprécier la < ullure intel-
lectuelle de l'époque qui Tinspiia. Dante; ne saurait être séparé
de ses maîtres et de la civilisation de son temps.
Ces quj'hpn's lignes sullisent pour faire apprécier l'étendue du
sujet embrassé par Ozanam, à quelle hauteur de vue il s'élève et
sur (piels horizons d'id('>es il ouvre le débat.
Ici se placent les Etudes germaniques, <euvre considérable qui
mérita deux lois le grand prix (jobert tiecerné |)ar l'Institut de
France. Ces Eluda se composent de deux volumes; l'un s'ap-
plique aux Germains avant le christianisme ; le second va suivre
la civilisation chrétienne dm/, les Francs. Toute la société fran-
çaise, dit ()/.anam, repose sur trois fondements : le christianisme^
la civilisiUion romaine ei rétablissement des barbares. Ce sont
les trois sujets d'eindes ;iux«piels il ne faut pas se lasser de re-
venir dés cpion vent s ex|>liquer le droit public du pays, ses
md'urs, sa littérature. C'est à l'aide de celte triple lumière qu'il
éclaire les obscurités du sujet (piil s'est donné.
FRÉDÉRIC OZANAlff. 29
Une première partie est consacn-c aux origines germaniques ;
à ses propres rcclicrches il unit les travaux modernes de l'Al-
lemagne, non sans prendre le soin d'écarter les tendances
malfaisantes que trop souvent ils révèlent. Par exemple, il ne
marche point sur les traces de l'orientaliste Lassen; il se garde
d'opposer avec lui le paganisme libéral des Germains au Dieu
t'goiste des Hébreux; il n'accepte point non plus les regrets de
Gervinus qui ne peut se consoler de voir la mansuétude catholique
altérer le caractère belliqueux de ses ancêtres. Dans la seconde ,
Ozanam met la Germanie en présence de la civilisation romaine.
Ici on reconnaît l'ancien professeur de droit à la profondeur, à
la suite de ses aperçus sur l'organisation politique et administra-
tive de la puissance romaine. Mais, dans les desseins de la Pro-
vidence, la tâche de la civilisation de Rome est achevée. L'Église
s'est constituée partout à l'abri de ses colonies et de ses muni-
cipes. Les invasions peuvent venir, elle est en mesure de les re-
cevoir. Il y a des évêques à toutes les portes de l'empire et des
prêtres sur Je chemin de tous les barbares. C'est dans cette troi-
sième partie qu'Ozanam déploie tout le charme de son talent
dans le récit des courses apostoliques des missionnaires catholi-
ques qui se répandent sur les pays envahis par les invasions.
C'est ainsi qu'il est amené à raconter les voyages de saint Colom-
ban et de saint Boniface, la fondation des monastères de l'Alle-
magne et de la Suisse, enfin les institutions de Charlemagne. Les
savants font le plus grand cas des trois derniers chapitres de ce
volume qui traitent des écoles dans ces siècles laborieux. Ils
abondent en détails curieux et du plus haut intérêt.
Le livre sur Dante et les Études germaniques n'étaient pour
Ozanam que deux pierres d'attente d'un grand ouvrage qui de-
vait embrasser l'histoire des lettres depuis le quatrième au trei-
zième siècles. Il avait à cœur de montrer que l'Église n'avait
jamais laissé s'éteindre le flambeau des lettres humaines,,
et que pendant ces longs siècles si fort méprisés des beaux es-
prits modernes, dans des écoles publiques, dans des cloî-
tres ignorés, toujours, quelque part, des existences vouées
au sacerdoce catholique ont rattaché la civilisation antique
au monde moderne , en maintenant le feu sacré de la science et
'.iO FRÉO£BIC OZA.NAM.
en le vivifiant par un principe noiivouu. Pour réaliser &on beau
(lessein , il :»\ail lait un drponilloinont dos idées Icj^uées par le
monde roinaiti an nioyrn àgc; c'est à saint Augnstin, < 'i-st à s;iinl
Jérôme «jn'il s'était adressé de préférence. Pour rtMracer le plan
de cet ouvraj^e, nialheureusemont inachevé, nous pourrions évo-
(juer à ce sujet le souvenir d(! (judijucs conversations que nous
eûmes avec lui en 1849; mais, plus heureux encore, il nous est
permis de le laisser parler lui-même. Voici ce qu'il écrivait à
M. Foissel, le 26 janvier lcS48, en le remerciant d'avoir consenti
à rendre compte des Études ijcrmaniques dans le Correspondant,
Ceci ne veut pas dire (jue je n'aie pas été très-reconnaissant de ce que
vous m'avez écrit au mois d'octobre. Coinment ne vous remercierais-je pas
d'avoir Lien voulu accueillir, nia demande iiidiscr«'te, et vous charger d'être le
parrain de mes Germains, de mes barbares? J'en suis d'autant plus recon-
naissant, que je sais bien de quelles occupations vous êtes surchargé; je
ne voudrais faiie tort ni à vos justiciables, ni au public (jui attend
de vous quelque œuvre de longue baleine ; et cependant rien ne me se-
rait plus utile que votre jupement sérieux et motivé sur un livre qui doit peut-
être décider de l'emploi de mes prochaines années. Mes deux essais sur Dante
et sur les Germains sont pour moi comme les deux jalons extrêmes d'un
travail dont j'ai déjà fait une partie de mes le(;ons publiques, et que je vou-
drais reprendre pour le compléter. Ce serait rhi>t()ire littéraire des temps
barbares, l'histoire des lettres, et par conséquent de la civilisation, depuis la
décadence latine et les premiers commencements du génie chrétien , jusqu'à
la lin du treizième siècle. J'en ferais l'objet de mon enseignement pendant
dix ans, s'il le fallait et si Dieu me prêtait vie; mes leçons seraient sténogra-
phiées et formeraient la première rédaction du volume que je publierais, en
les remaniant à la lin de chaque année. Celte façon de tra\ailler donnerait à
mes écrits un peu de cette chaleur que je trouve (juelquefois tlans la chaire
et qui m'abandonne trop souvent dans le cabinet. Elle aurait aussi l'avautagc
de ménager mes forces en ne les divisant point et en ramenant au même but
le peu que je sais et le peu que je puis. Le sujet serait admirable, car il s'agit
de faire connaître celte longue et laborieuse éducation que l'Kglise donna aux
peuples modernes. Je commencerais par un \olume d'introduction où j'cs'
saierais de montrer l'élal intellectuel du monde à l'aNènemcnl du chri.slia-
nisme, ce (|ue l'Kglise pouvait recueillir de rhéril.i;:c de.ranliijuité, eonmient
clic le recueillit, par conséquent les origines de larl chrétien et de la science
chrétienne, dès le temps des catacombes et des premiers Pères. Tout le
voyage que jai fait en Italie lan passé a été tourné vers ce but. Viendrait
ensuite le tableau du monde barbare à peu près comme je l'ai tracé dans le
volume (jui attend \otre jugen\ent ; puis leur entrée dans la société ealholi-
que et les prodigieux tra\aiix de ces honunes comme Hoece, comme Isidore
de SiSville, comme Bcdc, saint Buniface, qui ne permirent pas à la nuit de se
FRÉDÉRIC OZANAÎI. 31
faire, qui portèrent la lumière d'un bout à l'autre de l'empire envahi, la firent
pénétrer chez des peuples restés inaccessibles, et se passèrent de main en
main le flambeau jusqu'à Charicmagc. J'aurais à étudier l'œuvre réparatrice
de ce grand homme, et à nionlrcr que les lettres qui n'avaient pas péri avant
lui ne s'éteignirent pas après ; je ferais voir tout ce qui se fit de grand en An-
gleterre au temps d'Alfred, en Allemagne sous les Otton, et j'arriverais ainsi
à Grégoire VII et aux Croisades. Alors j'aurais les trois plus glorieux siècles
du moyen âge, les théologiens comme saint Anselme, saint Bernard, Pierre
Lombard, Albert le Grand, saint Thomas, saint Bonaventure; les législateurs
de l'Église et de l'État, Grégoire VII, Alexandre III, Innocent III et Innocent
IV; Frédéric II, saint Louis, Alphonse X; toute la querelle du sacerdoce et
de l'empire, les communes, les républiques italiennes, les chroniqueurs et
les historiens , les universités et la renaissance du droit ; j'aurais toute cette
poésie chevaleresque , patrimoine commun de l'Europe latine , et au-dessous
toutes ces traditions épiques particulières à chaque peuple et qui sont le com-
mencement des littératures nationales ; j'assisterais à la formation des langues
modernes , et mon travail s'achèverait par la Divine comédie , le plus grand
monument de cette période , qui en est comme l'abrégé , et qui en fait la
gloire. Voilà ce que se propose un homme qui a failli mourir, il y a dix-huit
mois, qui n'est pas encore bien remis, assujetti à toutes sortes de ménage-
ments ; que vous connaissez d'ailleurs plein d'irrésolution et de faiblesses.
Mais je compte d'abord sur la bonté de Dieu, s'il veut achever de me rendre
la santé et me conserver l'amour qu'il m'a donné pour ces belles études; je
compte ensuite sur mon cours où je trouverai désormais, au lieu d'une dis-
traction, un soutien, une règle, une raison de ne pas abandonner mon plan.
J'y trouverai aussi la mesure dans laquelle des questions si multipliées doi-
vent être traitées, non pour le petit nombre des savants, mais pour le public
lettré. Car je n'ai jamais eu la prétention d'aller jusqu'au fond de ces sujets
dont chacun suffirait à l'emploi de plusieurs vies. D'ailleurs voici huit ans que
je me prépare sans interruption, soit par mon enseignement où j'ai fait suc-
cessivement l'histoire littéraire d'Italie, d'Allemagne, d'Angleterre au moyen
âge, soit par les fragments où j'ai essayé de fixer et de réunir quelques-unes
de mes recherches et de les soumettre aux bons conseils de mes amis. Main-
tenant que je me suis laissé aller à une confession si longue et si indiscrète,
faites qu'elle me profite, et outre l'avis que vous voudrez bien donner publi-
quement sur mon pauvre livre, soyez assez bon pour me dire ce que vous
pensez du dessein d'y donner suite. Je vous demandais tout à l'heure d'être
impartial, j'ai rayé le mot, sachant bien que je demandais une chose impos-
sible à l'amitié : mais soyez sincère, je suis encore assez jeune pour être cor-
rigible
La maladie a empêché la réalisation complète de ce beau
projet. Cependant il reste deux volumes. M. Ampère, ami d'O-
zanam , qui s'est chargé de recueillir ses manuscrits, donne
l'assurance que le premier paraîtra prochainement. C'est le
32 FRÉDéniC O/ANAM.
frontispice do rouvrngo qui doit ^ire mis en UHe des Études ger-
maniques. D^iiiiies ri"i},'m«'iUs iipparlcniint à la ptrinde inifinn-
diaiic, qui va de (-harlemamie au DauU', IoiuhmocU un sccuud
volumr. M. Ampère a insère, <lans les articles si distingués qu'il
a publiés sur O/.anam dans le Journal des Débats 9 et 12 octo-
bre 1853), une partie de l'introduction du premier volume.
Celte page peint riiomme telleuu'ul au vrai, que nous ne pouvons
nous empMier do la reproduire ici.
Apiès avoir Iitni Dieu de l'avoir fait cliKijen et avoir rappeh-
les doutes qui avaient assailli sa jeunesse, il ajoute :
Depuis lurs vingt ans se sont écoules. A mesure que j'ai plus vécu . la fui
m'est devenue plus chère. J'ai mieux épruuvc ce qu'elle pouvait dans les
grandes douleurs et dans les périls publics. J'ai plaint davantage ceux qui ne
la connaissaient pas
. . • . Le bonheur de mon temps m'a permis d'entretenir de grands
chrétiens, des hommes illustres par lallianee de la foi , et d'autres qui, sans
avoir la foi, la servaient à leur insu par la droiture et la solidité de leur
science. La vie s'avance cependant ; il faut saisir le peu qui rchtc des rayons
de la jeunesse. Il est temps d'écrire cl de tenir à Dieu la promesse de mes
dix-huit ans
. . . . Je ne ferme point les yeux sur les orages du temps présent; je
sais que j'y peux périr et avec moi celle œuvre à la(|uclle je ne promets pas
de durée. J'écris cependant, parce que Dieu ne m'ayant point donné la force
de conduire une charrue, il faut néanmoins que j'obéisse à la loi du travail
et que je fasse ma journée. J'écris comme travaillaient ces ouvriers des pre-
miers siècles qui tournaient des vases d'argile ou de verre pour les besoins
journaliers de l'Kglisc, et qui, d'un dessin grossier, y liguraienl le Ikm I'.«s-
tcur ou la Vierge avec des sainls. Ces pauvres gens ne songeaient pas à l'a-
venir. Cependant (jnelques débris de leurs \ases, trouvés dans l«'s cimetières,
sont venus, (juinze cents ans après, rendre témoignage et prouver l'antiquité
d'un dogme contesté.
Nous sommes tous des serviteurs inutile? ; mais nous servons un maître
.souverainement économe et qui ne laisse rien perdre, pas plus une goutte de
nos sueurs qu'une goutte de ses rosées. Je ne sais (jnel .sort allend ce livre,
ni s'il s'achèvera, ni si jallendrai l.i lin de relie p:ige (]ni fuit sous ma plume ;
mais j'en sais assez pour y mettre le reste, quel qu'il soil, démon ardeur et
de mes jours.
Puis, .s'inspiranl «lu Dante et arr«*tant sa peiisi'-e vers iN-poiise
hien-ainiée, si digne i\r le ((inqueiidre, que Dini lui a\ait «lon-
nee :
frédékk; o/A!>A>r. 33
Je veux faire aussi l c pèlerinage de trois momies, et nrcntoiicor d'abord dans
cette période des invasions, sombre et sanglante comme l'enfer. J'en sortirai
pour visiliT les ((înips «lui vont de Chariciiiagiic aux Croisades, comme un
purgatoire où péiictrenl dt'jà les rayons de Icspérance. Je trouverai mon pa-
radis dans les splendeurs religieuses du treizième siècle. Mais, tandis que
Virgile abandonne son disciple avant la fin delà course, car il ne lui est pas
permis de franchir la porte du ciel , Dante , au contraire , maccompagnera
jusqu'aux dernières hauteurs du moyen âge où il a marqué sa place. Trois
femmes bénies : la Vierge Marie, ma mère et ma sœur (1) ; mais celle qui est
pour moi Béatrix m'a été laissée sur la terre pour me soutenir d'un sourire et
et d'un regard, pour m'arracher à mes découragements et me montrer, sous
sa plus touchante image, cette puissance de l'amour chrétien dont je vais ra-
conter les œuvres....
C'est au milieu de ces défaillances el de ces angoisses qu'O/a-
nam travaillait. Ce que c'est que de nos existences telles que les
fait la société moderne! Le labeur présent n'était qu'au prix de
continuelles souffrances; et l'avenir? de quel voile de tristes in-
certitudes n'était-il pas enveloppé î Ozanam avait l'âme la plus
tendre; il n'aimait pas médiocrement; avec quelle force il res-
sentait les sentiments d'époux , de père , de frère , d'ami , tels
que le christianisme, qui les a élevés si haut, les imprime au
cœur de ceux qui s'inspirent de sa divine doctrine ! Nous venons
de voir avec quelle fierté respectueuse l'époux chrétien parle
de la compagne qui partage ses joies et ses douleurs, qui apaise
ses souffrances et s'associe à ses travaux. Ozanam n'est pas
moins exquis de délicatesses alors qu'il s'adresse à ses amis; tous
les sentiments généreux débordent en lui. Il écrivait à M. Fois-
set, quelque temps après son mariage :
Cette première ivresse du cœur qui suit le mariage ne saurait faire oublier
les droits de l'amitié. Il semble même que la sensibilité, plus émue, soit plus
impressionnable encore , et qu'on ait trop de bonheur pour ne pas sentir le
besoin de le voir partagé autour de soi. Aussi, est-on empressé, impatient de
recevoir à cette occasion les félicitations de ceux qui déjà depuis longtemps
étaient chers ; la joie qu'on éprouve redouble au milieu du concert de tant de
sincères sympathies Il y a dans vos paroles, avec l'expression d'une bien-
veillance chaleureuse, les traces aussi d'une raison haute et sûre, d'une phi-
losophie de la vie, qui manque malheureusement à plusieurs même des nô-
(1) Une sœur plus âgée que lui , morte à 19 ans, qui avait soigné son en-
fance et commencé son éducation.
31 FRKOÉRIC OZANAM.
irt'S. Dt'jj, jmr une liciircusc rx|H-rirnrt'. jr roiinais que vous dites vrai : la
roiito commune esl In rnoiii«» danpcrciisr , l'esprit ne perd rien à ^tre fix^ ;
et c'est un (,'ran(l point «l'avoir donné :i l'existence passagère d'ici-bas le tei^
rain solide de la funullc. La compagne que Dieu m'a choisie uv peut iHre
pour moi ({u'une nouvelle inspiration et non pas un obstacle.
Nous ne pouvons ncMis arrêter davantage h ces récits des temps
lienretix. Encore qu'il en coûte, il faut marcher vers le terme
fatal que déjà font pressentir les tristesses de notre ami.
Dès raiitomiic de iHiH, t rtlr santé, l'oltjot de (-oiilinuclles sol-
licitudes , reçut une grave atteinte. Il fallut renoncer à paraître
dans la chaire (]o la Sorlxmnr cl chercher en Italie du repos avec
un ciel meilleur. Mais à un houirac cuninic O/.anani , le vériia-
hle repos était inipos.sihlc. Parti pour l'Italie avec une mission
scientifique de M. de Salvandy, il prit son mandat tout à fait au
si'rieux, et rapj)oita de son voyage les mat»''rianx de deux volu-
mes. Le premier est un recueil de ilocuments iniiliis jiuur senir
à l'histoire littéraire de r Italie depuis le huitième siècle jusqu'au
treizième; la plupart de ces ciiivres étaient tout à fait incon-
nues. Une intéressante dissertation sur les écoles et Tiustruclion
publique en Italie, au temps des barbares, sert d'introduction.
Le second volume est V Histoire des poètes franciscains en Ita-
lie au treizième siècle. C'étaient, dit rautcur, (juel(|ues ileurs
de poésie recueilliis parmi les épis dune moisson |)lus grave,
comme le liseron mêlé an hie mur. De l'aveu de tous. Les poètes
franciscains sont un livre charmant. Si cet ouvrage n'est pas celui
oii l'auteur a déployé le plus de lorct;, à coup sûr c'est celui oii
il a mis le plus de grâce. On est surpris, «lit M. Ampère, qu'il
soit possible de parler avec autant de charme de ces pauvres
moines; c«'la aurait bien étonn»'- Voltaire. Ce livre entier est à
lire, il faut renoncer à en doimer une idée; on ne peut ici «|ue _
répéter avec M. Foisset (1) : la grAce ne s'analyse pas, elle se
montre.
Va vcra incessu patuit Dca.
Os pages brillantes portent l'empreinte d'un sotdlle animé
(I) Cnrrrtpnudanl . vol. !>!.
fhédékk; o/anam. 35
qui ne liiiblii pas. Il y a des morceaux incomparables sur l'union
des beaux-arts el de la poésie. L'Ombrie , la pairie de saint
François, devient celle de l'art chrétien. Les tombeaux des ser-
viteuis de Dieu sont autant de semences qui perceront le sol et
en feront sortir des monuments. La foi qui transporte les mon-
tagnes élève ces cathédrales , ces montagnes de pierre toutes
ciselées, toutes peintes, toutes animées de figures, toutes reten-
tissantes du chant des hymnes.
J'ai passé «dit notre voyageur» un jour trop court pour moi dans la vieille
cité d'Assise. J'y ai trouvé la mémoire du saint aussi présente que s'il venait de
mourir hier et de laisser à sa patrie la bénédiction qu'on lit encore sur la
muraille de la ville. On m'a montré le lieu de sa naissance et la chapelle où
son cœur disputé se rendit à Dieu. On m'a fait voir le buisson d'épines qui se
couvrit de roses quand François s'y précipita dans l'ardeur de sa pénitence.
J'y ai reconnu l'image de cette langue italienne qui n'eut besoin que d'être
touchée par l'ascétisme catholique pour germer et fleuiir. Enfin , je me suis
agenouillé au saint tombeau, sous cette voiite d'azur ctoiléc d'or qui le cou-
ronne et qui fut le premier ciel où la peinture rcnaissanle essaya son vol....
Les hommes du moyen âge ne pensaient pas aroir achevé un monument
pour avoir élevé pierres sur pierres : il fallnit que ces pierres pariassent,
qu'elles parlassent le langage de la peinture , qui est entendu des ignorants
et des petits ; que le ciel s"y rendit visible et que les anges et les saints y de-
meurassent présents par leurs images , afin de consoler et de prêcher les
peuples. Sur ces parvis se déroulèrent les mystères des deux Testaments et
la vie de saint François y fit suite au livre des révélations divines. Mais
comme s'il eût été impossible d'approcher impunément du tombeau miracu-
leux, les peintres appelés à l'orner de leurs ficsques se sentirent agités d'un
esprit nouveau : ils commencèrent à concevoir un idéal plus pur, plus animé
que les vieux types bysantins, etc.
C'est en ce langage, orné des plus beaux dons d'une imagina-
lion charmante, que le livre se poursuit jusqu'au bout; pour
cela, la force n'en est point exclue ; aussi les Études sur les poètes
franciscains sont-elles une œuvre littéraire des plus distinguées.
Une traduction des Petites fleurs de saint François termine le
volume. On reconnaît dans ces pages une touche plus douce et
plus légère. Elles ont été écrites par la seule personne à qui l'au-
teur les pouvait prendre sans plagiat , et ne sont pas le moin-
dre ornement de ce délicieux ouvrage.
C'est ici le lieu de se demander de quelle école littéraire
procède Ozanam. Avant tout, il appartient à un courant d'idées
36 FkéDÉniC 02A?IAM.
eiifièrenifnt inotlti iic- , iuuoduii [)ar la nouvelle ^éni'l'ation ra-
llioli(]ue. IMus cxpK'sst'iiiL'nl au point de vu»» île la forme , Oza-
nam dérive de Cliateauhriand, ei plus encore peu(-/'trc de Bal-
lanclie. On seul qu'il a lu Lanjartin»', toutefois san^ np()rpndre
de lui lait de faire entendre des sons liarnionieux, desintéressés
de toute émotion sérieuse. Si, dans ses premiers essais, le soiiflRe
de l'école romantiipie parfois send)le l'atteindre, ce n'est qu'en
passant. C-lie/. O/anani, toujours la pensée prévaut sur l'expres-
sion. Il se garde de ces cli(|uetis de mots inutiles tpii déparent
tant de livres. Sans cesse l'idée est présente. Le langage si ex-
pressif, si colort', (jui lui est fanùlier, n'est qiiun moyen de la
mieux rendre; jamais il ne dégénère en un hors dœuvre plus
ou moins poéti(jue. Toutefois, il ne faudrait pas croire que ce
style si riche d'éh'gances fût primc-sautier et jaillit comme de
source. Au contraire , 0/anam composait avec un effort visible.
De sa part, le travail littéraire exigeait un véritable lahcur, au-
tant pour atteindre la juste expression que par la nécessité des
investigations de l'érudit. Fait «ligne de remaïque : cette re-
cherche du terme propre , fatale à tant d'écrivains , pour Oza-
nani n'est (|u'une occasion d'atteindre la réelle beauté.
Dans le discours parb'*, cette incubation laborieuse «'-tait plus
visible encore. Eh bien, dans cette lutte pour parvenir à la forme
détinilive, pour le témoin il y avait une sorte «l'aurait, car tou-
jours on sentait l<> bouillonnement intérieur <|iii l'animait. Dans
ses le<;ons, v«)Ionti«TS on l'eût comparé à un volcan au feu «luquel
se ni«''lcnl (les ccndr«'S «'t «!«• la itoiissiere; sou«lain arrive un
nouvel t tfiiii , désormais la Hauime jaillit pure et éclatante. De
même sa phrasi^ ne sortait lini|»i<l«' «t vibrante de remolioii du
cœur, qu'au prix d'une véritable c«)nt«>nti«>n. G>pen«lant l«>s fruits
de tant d'«'llorls n'avaient pas été perdus, et pendant ses «ler-
nières années , Oxanam avait acquis plus «le facilit«'. Dans ses
Poélcg franciscains , «lans le Péhrinaije au pays du CiJ, sou iler-
uier ouNrage, le style apparait singulitrcment ()lus alerte, plus
dégagé, plus varié dans ses tours. Si vous le voulez rapprocher
un instant d'«'«rivains auprès desquels il parut souvent : il se
peut «lire «pi'il n'a jamais égalé le V. I^conlaire par le nombr«',
par l'anqdeur tlassitptc de ses périodes, non plus que par la
FRÉDÉRIC OZAHAIH. 37
sponiancilé la plus vive, la plus élincelanle qui se puisse conce-
voir. M. de Moiilalembert se dislingue par plus d'îfîsance et de
naturel dans un style brillant et vif au dernier point. Ozanam a
le don pariiculier des mots heureux, des expressions pénétrantes.
Il trouve facilement des traits fins et spirituels, plus souvent en-
core la suavité.
O/.anam était allé chercher en Italie le repos d'abord, puis les
bibliothèques et les monuments, plus instructifs que les livres.
Il trouva le pays en proie à la plus vive agitation. C'était la pre-
mière année du pontifical de Pie IX. Il partagea les espérances
qui s'exaltaient de toutes parts. Comme tant d'aulres il vit, dans
un avenir prochain, l'Italie régénérée se gouvernant elle-même,
réalisant les promesses téméraires de l'auteur du Primato.
Comme tant d'aulres aussi et des meilleurs, il vit la religion se
réconcilier avec la liberté. « Je crois, disait-il (1), Pie IX venu
» pour mettre la main à de grandes choses : à la réconciliation de
» l'autorité et de la liberté, dont la lutte fait depuis trois cents
» ans le malaise du genre humain. C'est la même lutte qui se
» perpétue d'un autre côté entre la science et la foi. » Lui qui
ne connut jamais d'autre liberté que celle de bien faire et de
s'imposer des devoirs, il ne pouvait pas croire que ce mouvement
ne fut l'indice d'un véritable réveil. Aujourd'hui que tout est
fini; après que le peuple italien a fait défaut à tant d'espérances ;
maintenant que la réalité est apparue dans sa triste laideur,
beaucoup se veulent montrer sévères pour ceux qui se laissèrent
abuser par la conspiration des ovations. Les récriminations sont
faciles, après la défaite. Encore qu'à l'ordinaire elles soient le
refuge de ces esprits médiocres dont le courage n'apparaît qu'a-
près le péril, aussi impuissants pour agir que pour prévenir ;
nous accorderons volontiers qu'Ozanam fut victime d'illusions
généreuses. Il avait peu le sens politique, et il n'hésitait pas à
en convenir. Les natures comme la sienne sont trop vives , trop
passibles d'impressions soudaines pour devenir aptes aux affaires
de gouvernement.
(1) Dans un arlicle du Correspondant de janvier 184o : Les dangers de Rome
et ses espérances.
3^ IRÉDÉRIC OZA?(AV.
Les ospc l'an ces cornues par 0/anaiii au sujci du mouvement
ilulieii dé(id«T»'nl de son attitude à Paris en presenet* de la ré-
voluiiou de février 1848. Ia' professeur di* Sorltonn»' fut da nom-
bre de ceux qui crurenl à l'avènemenl defniitif de la forme
républicaine. Aussi fut-il Tardent promoteur «lu journal VÉre
.\nuvelle, destiné à manifester <|ue la doctrine cailioliipie n'était
rien moins (ju'inconcilial)le avec la démocratie.
Il a publie, dans cette feuille, plusieurs articles fort remar-
(|ual>les, ^\u\ tous, nous ne craignons pas de le dire, portent
l'empreinte de sa belle ûme. Nous ne pouvons oublier son tra-
vail contre le divorce^ qui mériterait assurément d'être distinj^ué
et recueilli , avec quelques autres, au milieu de celte collection.
Cette année (|ui suivit la révolution de Février fut sinjîulière-
ment labttrieuse pour Ozunain. 11 en ressentit profoiid«'inent les
alternatives émouvantes. Cependant il faisait régulièrement son
cours et surveillait l'impression du dernier volume de ses Ger-
mains. En automne 1849, il passa queUjues semaines :i Fernex.
Il n'avait pas trop à se [)laindie de sa santé. Il avait conliance en
l'avenir, et il s'ouvrait avec abandon dans des contersations inti-
mes touchant ses projets de travail. Il aimait à exposer devant
des amis le plan de son grand ou\rage. Jamais il n'eut plus de
chaleur de cœur et de cette aménité sympathique qui rendait son
commerce si attravant. La Conf(Ten( e de Saint-Vincent-de-l*aul
de Genève, «juil visita, conserve précieusement le souvenir d'une
allocution toute penétn'e des ardeurs de sa charité et de son zèle
pour les pauvres. Toutefois, cette puissance dans l'expression
du seniinunl, unie à une» constiluiioii si failde , ne laissait pas
<iue d inspirer de tristes appréhensions.
Cet état intermédiaire entre la santé et la inala<lic dura deux
ans encore. Il eût fallu surs«M»ir à tout tra\ail ; ()/anam \aquait
à tous ses devoirs. Il avait S(»if de science. Il devait succombera
la peine ; et vraiment il faut admirer ce dont il était capable ,
malgré tant de traverses, de si fréquentes interruptions, ayant à
combattre ce sentiment de son propre néant (|ui ne manque jamais
d'alleindrc les malades, uu'ini; les plus courageux. Onand on
pense qu'il écrivait alors les Poêles franciscains , «pi'il donnait ses
Études sur le paganismr nu moment dr l'invasion des barbares,
KKÉDÉKIC UZAIN\n. 30
el son travail sur le Progrès dans les siècles de décadence. En vé-
rité , il semblerail qu«î ses facultés redoublassent d'iulensité au
mumcnt où la force physique l'abandonnait.
Les Éludes sur le paganisme doivent trouver leur place dans
les volumes inédits qui seront publiés. Elles sont comme une in-
troduction à V Histoire des lettres pendant les temps barbares.
Entre l'antiquité et le moyen l'igc, dit-il, les historiens ont mis un abime.
Il faut le fermer en faisant voir les communications par lesquelles la Provi-
dence unit tous les temps. Au moment où l'antiquité va finir, il faut connaî-
tre ce qui doit périr dans le désordre des invasions, ce qui doit être sauve.
Il faut savoir quelles croyances, quelles lois, quelles habitudes littéraires se
conserveront dans l'Église ou malgré l'Eglise, pour faire l'éducation du
moyen âge ou pour en faire le scandale.
Alors descendant le cours des siècles, l'historien suit la trace
de l'antique religion longtemps maîtresse, du sol par ses monu-
ments, de la société par ses souvenirs, du gouvernement par les
lois, d'un grand nombre d'âmes par la force de l'habitude et
l'excès même de ses erreurs. Les apologistes nous montrent d'or-
dinaire la société païenne s'évanouissant devant le souffle divin
du christianisme : certes la victoire est décisive et la preuve
imposante ; mais il n'est pas moins instructif de considérer le
revers de la médaille et de s'attacher aux vestiges de la civilisa-
tion païenne, si lents à disparaître, si tenaces, malgré les persé-
vérants efforts de l'Église. Il faut en suivre les traditions dans les
lettres, dans la philosophie, dans le droit, dans une foule de su-
perstitions populaires, dans la magie et ces sciences occultes qui
ne parurent s'évanouir qu'à la grande lumière du dix-septième
siècle. Mais le paganisme ne s'évanouit pas avec elles. Ne règne-
t-il pas dans l'esprit, tant que le matérialisme et le panthéisme
s'y défendent ; dans les cœurs, tant qu'y domine l'attrait volup-
tueux de la nature?
Voilà quelques traits d'analyse sur ce travail qui peuvent en
laisser soupçonner l'importance.
En 1851, Ozanam fit un voyage à Londres en compagnie de
M""* Ozanam et de son ami M. Ampère. Ce dernier partait pour
40 tn^DÉHIC OZA7IA1.
I«'S hl:ils-l)nis. il nous r;i(oni«* (1) que son rsprit s'oiivrail à des
admirations nouvi-lles (]ir(J/.aiKun ne |);ulaj<cait plusanianiqu'au-
Irefois, quand ils s'cntondaienl si bi«'n sur les Nicbclun^^'t'ijct sur
le Dante. « Il trouvait, continue M. Ampère, (|ue j'admirais trop
» l'Anf^Ittcrre, que j'oubliais trop les Irlandais, Lui, meilleur que
» moi, me laissait rclourncr au Palais de Cristal, pour avoir le
» temps de visiter les caves babilées par les pauvres catholiques
» d'Irlande ; il en revenait tout ému, et je crois un peu plus pau-
» vre (ju'en y descendant. »
Au retour de celte excursion, 0/.anam s'arrêta ù Dieppe pour
prendre les bains de mer. De ce séjour il écrivit à celui (jui es-
saie en ce moment de raconter sa vie. Celte lettre renfeinje une
appréciation bien remar(iiiable du pays «pi'il \enail «le cjuiiier.
Ses nombreux amis , avides de tout ce qui est sorti de sa plume,
seront heureux de la trouver ici.
Dieppe, S8 août 18KI.
Vous mo. ilispenscrcï, cher ami, de vous dt'crirc le Palais de Cristal.
Les Journaux vous ont entretenu de cette merveilleuse exposition (|u'on ne
peut assez louer, si l\»n y considère la victoire de IIkhouic sur lu nature el
rnceoniplissetnent le pins magnifique de la lui qui nous condamne uu tra\ail.
Car c'est du travail et de la sueur humaine (|u'«)nt jailli ces piliers de fonte,
ces voûtes de verre el tous les trt'sors quelles renferment. L'.Xnglelerre y
olTrc une brillante hospitalité à toutes les industries de la terre ; sans s'oublier
néanmoins , et sans négliger de s'y faire la meilleure part. Elle étonne , elle
subjugue les meilleurs esprits |)ar le .spectacle de sa puissance matérielle,
par la hardiesse de ses machines, par le bon marcJié de ses tissus. .Mais il y
u deux choses c|u°elle .se ganle d'exposer, el que ses visiteurs d'un jnnr n'ont
pas vues, quand ils vunl publiant que le peuple anglais est le premier du
monde : ces «leiix choses muiI lu misère des paii\ res el la violence des pas-
sions protestantes.
L'Angleterre met sa gloire dans son agriculture, qui lui donne les plus
gras troupeaux et par con.>^-qucnl la meilleure viantle du monde; et dans son
industrie, qui lui permet de fournir les meilleurs tissus .m plus bas prix. Com-
ment donc se f.iit-il que Londres, liirmingham, .Manchester, Li^erpool, Lred
nient une |)opulati()ii considérable qui non-seulement ne mange pas de \iande,
mais (pii mani|ue de pain et qui vil de pommes de terre? Comment la capi-
tale luémc csl-ellc stilloDnée d'indigento demi-nus , qui poursuivent létran-
li Alt. dis Uebnlulii |-iuitobic IKuu
KHÉDÉHIC OZAilA». 41
ger, qui se jellent jusque sous les roues tics voitures, portant sur leur visage
l'eiuproinle il un désespoir inexorable? Lu taxe des pauvres et les work-
liouses n'y peiivciil rien : les An^^lais ne sauraient cmpéclier la mendicité de
pénétrer dans Londres, ils la tolèrent, et je les loue de la tolérer. Mais alors
pourquoi insulter d'un air si hautain la mendicité des pays catholiques? Ja-
mais, dans les rues d^Home, je n'ai rencontré rien de compaiable à ces fem-
mes en haillons qui tendent la main le long du Strand . à ces petites filles
qu'on voit la robe déchirée jusqu'aux hanches , les pieds nus dans la boue
noire et froide. Ne dites pas que c'est l'étalage d'une détresse qui veut forcer
la pitié du passant. Pénétrez , je ne dis pas dans les quartiers pauvres de
White-Chapel ou de Southwark, mais derrière ces rues fastueuses de Regent-
Street, d'Oxford Street. Vous trouverez d'étroites ruelles, obscures, fétides,
sur lesquelles s'ouvrent des cours plus étroites encore, bordées de hautes
maisons. Là s'entassent les indigents; on les loge à la semaine; une cham-
bre moyenne coûte ordinairement de trois à q\iatre schcllings par semaine,
c'est-à-dire de 200 à 2IjO fr. par an. Beaucoup de familles sont trop malheu-
reuses pour supporter seules le poids de ce loyer, elles se réunissent afin
d'en supporter le fardeau. Elles ne connaissent plus même celte dernière sa-
tisfaction qu'ont chez nous les plus misérables ménages, la satisfaction d'être
chez soi. J'ai vu une chambre et un étroit cabinet que venaient d'habiter
quatorze personnes. Depuis quelque temps les règlements de police ne per-
mettent plus de loger dans les caves ; mais la misère, plus forte que tous les
pouvoirs, oblige beaucoup d'ouvriers à chercher ce dernier refuge. J'ai vu,
dans une cave, une ^eule chambre occupée par deux ménages se composant
de neuf personnes. Il n'y avait là que trois lits ; et telle est la détresse de ces
pauvres gens, que bien peu songent à donner des lits différents aux enfants
des différents sexes.
Je sais aussi que la charité catholique les visite , que l'aumône et la
parole qui rend l'aumône douce et honorable descendent dans ces tris-
tes réduits. Je sais qu'il y a un mois l'allégresse régnait dans un de ces quar-
tiers habités par les malheureux Irlandais. A la suite d'une mission qui avait
converti bien des cœurs, le cardinal Wiscman était venu prêcher et bénir une
assemblée de quatre mille catholiques : trop nombreux pour s'enfermer dans
les murs d'une chapelle, ils s'étaient réunis en plein air, le soir, aux flam-
beaux , autour des bannières du Sauveur et de la Sainte Vierge. Ils étaient
ravis d'entendre les discours de leur évêque et les chants de leurs enfants à
qui l'on avait appris des hymnes convenables pour la solennité. Mais je sais
aussi quelle fut la colère du protestantisme contre ces joies des pauvres, et
avec quelle violence ses journaux injurièrent l'évêque des mendiants.
C'est la seconde douleur de celui qui visite Londres avec une autre curio-
sité qne celle de la foule, avec quelque souci des intérêts de Dieu et de
rhumanilé. On ne peut nier les qualités du peuple anglais. Il aie respect de
la loi et l'amour de son pays, il est infatigable au travail; il semble même
religieux, si l'on en juge par le grand nombre des clochers qui dominent Lon-
dres, et mieux encore par ce repos du dimanche si exactement observé d'un
bout à l'autre du pays le plus laborieux de l'univers. Mais je crains que de
42 FHÉDKRIC OZA.1AM.
beaurotip d'ciitrc rii\ Dit>u ne puisse dire ce (|u'il disait des Juifs : cCe pou*
pie in'lionnre des lèvres. » Je reconnais la bonne foi d'un (;rand nondirc d'i-
(;ni>nints, ninis je crains bien de trouver chez ceux qui conduisent la mulli-
lude, l'orgueil pliarisaupie, les haines de secte ; rien de l'huniilité , de l'oubli
de .soi-nii^nie, de l'amour enfin, qui constiluejit le fond niérue de la religion.
Je ne veux pas en donner les preuve-! qu'a fait t'elaler I* bill des titres eccU—
siastii|ues. Je ne veux pas parler des questions conten)|»oraines. Je recueille
seulement limpression (|ne ma laissée le sanctuaire national de Westminster
tel (jue le protestantisme l'a transformé.
M. de Maistrees|)érait que le dix-neuviènio siècle verrait célébrer la messe
à Saint-Paul de Londres : je l'espère aussi ; mais le catlioiicisme lui-même au-
rait bien de la peine ù réclinufler ce glacial édifice. I^ véritable basilique de
Londres, le Sainl-Denys de la nionarehie anf;luise, est à \Ve».tn)inster. Là
sélève ur>e nef rivale «le nos belles nefs d'.Amiens cl de SainlOuen, portée
sur des piliers hardis et légers. La tnnée (|ui la coupe est dune pro|»ortion
admirable , terminée par des rosaces flamboyantes. Les architectes chrétiens
qui construisirent cette église la firent longue et large, pour contenir les flots
du peuple fidèle; lieutc cl aérienne, con»me pour porter l'hommage de la
terre plus près de Dieu. Seulement, derrière le cœur et le grand autel, une
cloison renferniiiil im étroit espace où reposait la châsse renfermant les re-
liques de saint Kdon:inl. l'n tombeau de pierre orné de mosaïques a\ ait reçu
Ws dépouilles du .^ailll roi, du roi |topulaire (pii représentait les souvenirs hé-
roïques lie la nationalité anglo-saxonne. Les princes normands n'avaient ja-
mais songé à troubler la |i:n\ <lc ce sanctuaire, toute leur ambition était d'y
dormir autour de saint Edouard. Kl en elTet, tout autour de la cliAssc étaient
ks sépultures d'Honri IlLd'Kdouanl III, de niehanl IL Et derrière, Henri VII
avait b.ili une chapelle nier\eilleuse qui est la perle <le IWnglelerre. Or, le
prolestantisme ayant chassé Dieu de celte église, el ne pouvant plus la rem-
plir de peuple ^ivanl, a imaginé «le reiicond)rer de ses morts. >'e aous figu-
rez pas comme ;i Saiiit-|>icrre de Home, comme à Sainte-Ooix de Florence,
un certain nombre de sépultures illustres décorant les murailles et mêlant
à la sainteté du lieu la grandeur des .souvenirs. Il y a bien, comme on dit. le
coin des hommes d'État et le rni'n des poètes. Mais le doyen et le chapitre d<'
Westminster, en vertu d'un pouvoir arbitraire, ont concédé ou vendu il eniv
qui n'étaient ijue riches, le droit de figurer parmi les grands. De la cclli-
prodigieuse quantité «le maiisoli'es sans inti'rèl historique, sans mérite ni'
niimentul. (lar si v«ius exreptez ipielipies statues de Klaxman el «le Chantnv
tout le reste est misérable. (Jepemlant ils ne se sont pas contenté «le garnir
les murs, ils ont fermé des arcades entières pour y entasser des m«u)umenls
de leur vanilé el de leur mauvais goût. Les morts de la Héforme Iri'ment sur
des monlagnes de marbre , entouré.s de génies el de personnages allégori-
ques, avec tout le paganisme de la renaissance, moins l'élégance et la beauté.
Mais les morts «lu moyen Age ne de\ nient pas dormir traïujuilles : La chAsse
de saint Etloiiard ne pouvait «'-rhapper aux i('«>iiorlasles. Ils l'ont mutilée, el,
le saint porlaiil malheur aux rois «pii reposaient à son ombre, les sépultures
des |>lant«genrls sont là. profanée», délabrées, si bien que le voyageur fran-
FREDERIC OZAI^AM.
43
çais qui les visite ne peut voir sans pilic ces vieux et Illustres ennemis de
sou pays réduits ù cet état d'abandon cl d'igiioniinie. Et le Parlement , qui
trouve des millions pour se bâtir un palais superbe, n'a pas de subsides pour
restaurer les tombeaux de ses anciens rois. Le fnnalisme protestant ne le
permettrait pas. Il veille sur ces ruines qu'il a faites. On dirait que c'est hier
qu'il a passé là le marteau à la main. Ali! ne louez plus cette nation de son
respect pour le passé ; aucune n'a poussé plus loin la haine et le mépris du
passé chrétien ; elle ne s'est attachée avec tant d'opiniâtreté à la tradition dans
les affaires politiques, dans celles qui changent, qu'en abandonnant la tradi-
tion dans les choses éternelles. IVous avions cru pendant vingt ans à leur
tolérance et à leurs lumières. Mais le vieux préjugé protestant n'était que
muselé, les honmies d'État se réservaient de le lâcher quand il en serait temps,
et vous voyez ses fureurs.
Il faut avouer cependant que les emportements du protestantisme s'expli-
quent, s'ils ne se justifient pas, par le; progrès de la vérité catholique. Cha-
que jour compte des conversions nouvelles, et l'exemple de ces deux gran-
des âmes, ISevvman et Manning, continue d'ébranler les cœurs les plus reli-
gieux du clergé anglican. Rien n'est plus touchant que de voir cette Eglise de
Londres, menacée présentement, mais pleine d'espérance, cette belle cathé-
drale de Saint-George, glorieux témoignage du progrès des catholiques trop
nombreux pour se contenir dans les chapelles obscures où la persécution les
avait relégués ; aux offices divins, le recueillement, la ferveur des fidèles, le
grand nombre des conmiunions, enfin le cardinal Wiseman, cet évêque élo-
quent qui fait entendre aux Anglais le langage depuis longtemps oublié de
saint .\nselme et de saint Thomas de Canlorbéry, et autour de lui un groupe
de prêtres et de laïques zélés, qui me rappelaient votre Église de Genève,
moins considérable, mais non moins florissante
Pendant l'hiver de 1852, Ozanam eut encore la force de faire
son cours ; mais au printemps survint une crise des plus violen-
tes; il dut quitter Paris où il ne devait plus revenir. Les or-
dres des médecins le conduisirent d'abord aux Eaux-Bonnes,
puis à Biarilz, au bord de l'Océan. Là il parut reprendre
quelques forces, et il voulut à l'instant partir pour l'Espa-
gne , où l'attiraient une littérature qu'il aimait passionnément
et des monuments autour desquels sa mémoire érudite groupait
à l'avance les fastes poétiques de l'histoire du pays. Il avait rêvé
le pèlerinage célèbre de Saiut-Jacques-de-Compostelle ; c'était
par cette station où il devait satisfaire à la fois sa piélé et son
ardeur de science neuvelle , qu'il voulait inaugurer son séjour
dans la patrie du Cid et de sainte Thérèse. Mais la prudence dut
le faire renoncer à son projet ; un hiver prémature étant survenu,
44 khéoérh: uza?(ai.
force fui de s'arrêter à liurgos. Il g*éiail promis âet ramasser le*
co<]uiII<'s dii [)Morin sur la pl:i^'«> i\o Composlcllc, ù IVndroii oii,
st'Iuii l:i li'f,'»'n(lt', le corps du sailli ajK*ilr(' fui y-U' par la m»r. Il
ri\ iiii. iiuus dil-il dans son journal, les mains vidt'S de coquilles,
pltincs st'ult-nu-nl de ces fruillos h'fîcres oii le V(»yagrnr a
crayonné s«'s premiers souvenirs. Un a publié ces noies sous lo
tilrc d'un Pèlerinage au pays du Cid (1), et c'est avec émotion
que ses amis trouvent dans ces pages une verve, un éclat qui con-
trastent fort avec la pensée «pi'ils lisent son dernier écrit.
0/anaui arrivait adinirahlenient |)répare pour ce voyage d'Es-
pagne. Il ne passe que quatre jours à Burgos; et Ton demeure
étonné de la profusion de souvenirs qu'éveille en lui la vue des
monuments de l'héroupie ciu'. C'est le Cid dont il reconnaît la
demeure , et dont il ne voit pas sans mélancolie les ossements,
troublés dans leur dernier asile par l'invasion française ; expo-
sés, après diverses vicissitudes , dans la chapelle de ril()tel de
Ville, où un gardien les li\re pour une pièce de monnaie à la
curiosité des passants. Ce sont les sept enfants de Lara dont
il aperçoit les têtes coupées suspendues au frontispice de la cathé-
drale. C'est la forteresse monastiqu»' de Las liuelgaSy où le roi
Siiint Ferdinand fut arm*'- chevalier. C'est la chartreuse de Mira-
flores, é\e\éc par la grande reine Isabelle, la protectrice de Chris-
tophe Cx)lonil), comme un magnifique mausolée sur le tonduau
de son père. Mais c'est pour la calhedrale, Noire-Dame de Bur-
gos, celle merveille de l'art ogival, la digne sonir des églises de
Chartres. d'Amiens, de Lausanne et de Sirashourg. qu'il réserve
1rs accents de l'admiration la plus expansive. Il faut lire cette
description animée , oii se mêlent si agréablement au tracé des
lignes archilei nn-ales , ici un souvenir de Tf-cole, I;^ \\n épisode
lilléraire , ailleurs tme digression historique , plus loin des vues
pleines d'intérêt sur le svnd)olisme di\in (pii a remm'' ces pierres
et leur a fbmné la pensi'-e. Enlin le moment est v<>du de prendre
f.ongi' fie ces beaux lieux aiiMpiels |e vovagcur va laisser sus-
pendiu" une part de st's affections et de ses regrets. Il embrasse
d'un regard l'ensemble de la nef mystérieuse ; il s'agenouille
(I) Dans le Corrrtjynnditni, livmison d'iK lobrc l^W.
FRÉDÉRIC OZANAM. 45
«ne dernière fois dans le radieux sanctuaire et résume ses pen-
sées en une admirable prière que voici :
O Notre-Dame de Burgos, qui êtes aussi Notre-Dame de Pisc et de Jlilan,
Notre-Dame de Cologne et de Paris, d"Amiens et de Chartres, reine de tou-
tes les grandes titës catholiques, oui vraiment, « vous êtes belle et gracieuse»
pulchra es et décora, piiis(juc votre seule pensée a fait descendre la grâce et
la beaulc dans ces œuvres des hommes. Des barbares étaient sortis de leurs
forêts, et ces brûleurs de villes ne semblaient faits que pour détruire. Vous
les avez rendus si doux, (lu'ils ont c()url)é la fêle sous les pierres, qu'ils se
sont attelés à des chariots pesamment chargés, qu'ils ont obéi à des maîtres,
pour vous bâtir des églises. Vous les avez rendus si patients , qu'ils n'ont
point compté les siècles pour vous ciseler des portails superbes, des galeries
et des flèches. Vous les avez rendus si hardis, que la hauteur de leurs basili-
ques a laissé bien loin les plus ambitieux édifices des Romains, et en même
temps si chastes, que ces grandes créations architecturales avec leur peuple
de statues ne respirent que la pureté et rimniatériel amour. Vous avez vaincu
jusqu'à la fierté de ces Castillans qui abhorraient le travail comme une image
de la servitude; vous avez désarmé un grand nombre de mains qui ne trou-
vaient de gloire que dans le sang versé; au lieu d'une épée, vous leur avez
donné une truelle et un ciseau , et vous les avez retenus pendant trois cents
ans dans vos ateliers pacifiques. 0 Notre-Dame, que Dieu a bien récompensé
l'humilité de sa servante! et en retour de celte pauvre maison de Nazareth,
où vous aviez logé son Fils, que de riches demeures il vous a données !
Un des fondateurs de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ne
saurait quitter Burgos sans donner une accolade fraternelle aux
membres d'une jeune Conférence récemment établie dans la ca-
pitale de la Casiille. Le Bulletin de la Société a rendu compte
de cette entrevue , oij le vice-président du Conseil général fut
reçu avec un empressement et une ouverture de cœur qui don-
nent lieu d'admirer la puissance du lien catholique.
Le voyageur ne veut pas connaître à Burgos seulement les mo-
numents ; il cherche aussi les hommes ; il trouve quelques sa-
vants, il voit surtout de ces prêtres instruits et bons qui ont fait
la juste réputation du clergé espagnol. Dans le cours de l'entre-
tien, il accorde de vifs regrets à Balmès , ce philosophe profond
et judicieux, ce publiciste d'un patriotisme si éclairé, enlevé
si jeune à l'Epagne et à l'Église entière. Il distingue un col-
lège où l'enseignement des langues orientales s'unit à celui
des langues anciennes. 11 visite de ])onnes écoles primaires et
se mêle avec plaisir, durant quelques instants, à ce peuple de
i^G FKbUtlHlC O/AMAM.
mulcliers ei tic paysans qui :icli«'le au iiiarcliù dis ballades el
des loinanci's , cl (lui ne lui donne pas lieu de e(»nteni|)ler les
haillons hideux qu'il reiuonirMÏt :i Londres autour du Palais de
Cristal.
Noire malade leviui à grands pas vers la France. Avant de j;a-
gner Tllalie, il cul la consolation de visiter, près de Dax, le lieu
de naissance de saint Vincent de Paul. Il vit sortir de terre les
fondations de la cha|)elle «'levt'»' par les soins dr Mgr révôcjue
d'Aire , el soutenue par les souscriptions des Conférences. Eiilio
O/.anam partit pour la Toscane , oii il partagea son hiver entre
Pise et Florence. Il y eut des jours liieii mnu\ais à supporter; la
maladie s'aggravait et la tempùraluire froide et humide répon-
dait peu à l'idéal de ce ciel méridional que Ton avaii rôvé.
«Les poètes, cependant, écrit-il dans un moment degaité, avaient
» pris soin de m'en avertir. Devais-jc ni'c'tonner des neiges de
» I\i>me et des eaux du Tibre grossissant sous les orages, quand
> Horace déjà s'en prtiKiii à .Jupiter de l'opiDidlrelé des frimas,
» etcrovait revoir sous Auguste le di'iuge de Deuralion? El lors-
»que Daule, au troisième cercle de son /:'«/fr^ décrit la pluie étcr-
» nelle, maudite, froide cl triste,
Klcni.i. maladctta, frcdda c grave
» certainement il en trouve l'image sur les bords de l'Arno, à Pisc,
• où moi, indignecomnienlateur, pour réclainissemcni de ce seul
■ vers, j'ai vu plt;u>oir (inquanicjours.» Pendant son passageà Flo-
rence, il re(,ul le diplôme de membre de l'Académie de la Crusca.
Le même jour, celte flatteuse distinction, trrs-raremenl accordée
aux étrangers, était envoyée au comte IJalbo, l'auteur des Espé-
rances de l'Italie, avec qui Ozanam sympathisait profondément.
Cependant, chaque fois que cela était possible, il accourait dans
les archives el hantait les bibliotliè(]ues. Il rassembla les maté-
riaux d'une histoire dt; la fondation de la couiuiuiie de Milan.
Mais c'était au service des |)auvrcs qu'il aimait surtout à mettre
à |irolit les heures de répit que son mal lui a( tordait |)arfois. Il
se plaisait a visiter les Conférences de Sainl-Vincent-de-Paul des
villes de Toscane, à les animer de son zèle, à leur inculquer les
naines tradition* de l'Œuvre.
irkdlrk; <^zA^Aw. 47
Ce l'ut à l'Antignano , village proche de Livournc , qu'il reçut
les dernières secousses. Un moment il avait paru renaître au-
près de cet air viviliant de la mer qui si souvent lui avait été
propice; mais bientôt il fallut renoncer à toute illusion. Aussi
bien , dès longtemps ne s'en faisait-il point lui-même. Le 23
avril, il écrivit son testament, ilonl nous aimons à reproduire ces
quelques passages; ils résument tout l'homme.
Jixlrail du Irslamcnt olographe de M. Ozanam, décédé à Marseille, le jour
de la fêle de la Nativité de la très-sainte Vierge, le 8 septembre 1853.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. — Ainsi soit-il.
Aujourd'hui, 25 avril 18'j5, au moment où j'accomplis ma quarantième an-
née, dans les inquiétudes d'une maladie grave, soutirant de corps, mais sain
d'esprit, j'ai écrit en peu de mots mes dernières volontés, me proposant de
les exprimer plus complètement quand j'aurai plus de force....
Je remets mon âme à Jésus-Christ mon Sauveur ; etîrayé de mes péchés,
mais confiant dans l'infinie miséricorde, je meurs au sein de l'Église catho-
lique, apostolique et romaine. J'ai connu les doutes du siècle présent, mais
toute ma vie m'a convaincu qu'il n'y a de repos pour l'esprit et le cœur que
dans la foi de l'Eglise et sous son autorité. Si j'attache quelque prix à mes
longues études, c'est qu'elles me donnent droit de supplier tous ceux que
j'aime de rester fidèles à, une religion où j'ai trouvé la lumière et la paix.
Ma prière suprême à ma famille , à ma femme, à mon enfant, à mes frères
et beaux-frères, à tous ceux qui naîtront d'eux , c'est de persévérer dans la
foi, malgré les humiliations, les scandales, les désertions dont ils seront té-
moins.
A ma tendre Amélie, qui a fait la joie et le charme de ma vie, et dont les
soins si doux ont consolé depuis un an tous mes maux , j'adresse des adieux
courts comme toutes les choses de la terre. Je la remercie, je la bénis et je
l'attends. Au ciel seulement je pourrai lui rendre autant d'amour que je lui
en dois. Je donne à mon enfant la bénédiction des patriarches, au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il m'est triste de ne pouvoir travailler plus
longtemps à l'œuvre si chère de son éducation, mais je la confie sans regret
à sa vertueuse ettrèsaimée mère....
Parmi les legs pieux se trouve celui-ci :
Je lègue deux cents francs aux pauvres de la Conférence de Saint-Vincent-
de-Paul de la paroisse Saint-Germain-les-Prés, cent francs au Conseil général
de la Société. Mes confrères savent que je voudrais faire plus.
Je remercie encore une fois ici tous ceux qui mont rendu service. Je de-
mande pardon de mes vivacités et de mes mauvais exemples. Je sollicite les
prières de tous les miens , de la société de Saint- Vincent-de-Paul , de mes
amis de Lvon.
^trs FREDCMr OZÀNAV.
Ne VOUA laisses pas ralentir |tar ceux qui vous diront : lletl au eiel. Priez
toujours pour i-clui qui vous ainit* bcau(-ou|i, niais qui a beaucoup prcbé. Aidé
lie vos sii|)|ilii-ati(iiis , cIuts bons amis , jf *)uiUcrai la li'm* a\e(v lu.iins de
craiiiti*. J espère fermenienl «lur nous ne nous st'parcrons point, et que
je ri'Sli' a\ec vous juMiu'à ce que vous \riiicr. à moi.
Que sur vous tous soil la bénédiction du Père, du Fils et du Sainl-Ksprit.
Ainsi soil-il.
Fisc, le 23 avril 1853. Signé : A. F. Ozasam.
Aprt'S avoir arrnmpli < <■ (Itvuir. !•• in:ilado ne son^'ra plus
(ju'à se pitpanT à la mori. On pnil dirj* «jirO/.aiiam a maiiUrsié
dans tout»' sa grandeur le caractèrr du chrétien aux prises avec
l'adversité et les soulFrances. Il avait de (es délicatesses de con-
science bien rares, à l'ej^ard d«'s personnes (|ui avaient pu éprou-
ver les vivacités du malade. Il se repentait m^iiie de ces frapi-
lilés que, vu l'infirmité de notre nature, il esl bien dilTicile
d'éviter. Toujours en prt'sence de Dieu, il n'avail de pensée que
pour le ciel ei pour sa famille ipii l'erilourail. Même sur ce lit
de douleur, rpi'il ne quittait plii>, il s'elForçail de travailler en-
core. Il faisait des vers. Lui aussi, à toutes les »po(pu>s de sa
vie, il s'était laissé aller à ce (ju'il appelaij, nous l'avons vu, la
faiblesse des cœurs passionnés, il prenait plaisir à exprimer en
ce lang-age les joies de la famille et ces élans chaleureux de
l'âme (pi'il savait si bien rendre. On conserve de lui un recut'il
«les passages des Saintes Kcriiures (juil avait juges les plus ap-
propriés aux besoins (iiui malade.
«Jamais, noiisécrivait son frère ledocleur Charles Ozanam, ac-
■• couru de Paris pour l'assister à ces moments suprêmes, ou ne
»vil cM'ur |)lus ardent, plus tendre envers Notre Seigneur. Un
» soir cpiil ei;iii iriste ei que je cherchais à dissiper ce nuage,
o il me repondit : Ah ! mon cher frère, sans doute, je suis triste,
«mais c'est une tristesse bien douce en même lem|ts qu'ambre.
• Lorsque je songe d mespé-chés, et qu'ils sont la cause des
B souffrances de Notre Seigneur dans sa |.assion, je ne saurais rc-
» tenir mes larmes, el il se mil à pleurer abondamment
■ Mon p;uivrc frère désirait ardemment revoir Paris el ses amis.
«Dès qu'il fut possible, le retour fui résolu. Nous quitt.lmes
» l'Autignano le dernier jour d'août. En sortant de la maison
•.pour monter en voiture, Frédéric 6ta son chapeau, cl Icvani
FRÉDÉHIC OZAKAM. 49
» les mains au ciol , il s'écria : Mon Dieu , je vous remercie de
» toutes les croix, de toutes les souflVanccs que vous m'avez en-
» voyécs dans celte maison , acceptez-les pour le salut de mon
» âme
La traversée l'ut bonne; mon frère avait un lit
» sur le pont. Il prenait plaisir à considérer les beautés de la
» mer, aussi calme qu'un lac, et la côte de Corse, près de la-
» quelle nous passions. En vue des rives de la Provence, le malade
» fut saisit d'une grande joie; mais arrivé à Marseille , il tomba
» tout à coup dans une extrême faiblesse. Il fallut renoncer à al-
» 1er plus loin. Il reçut les derniers sacrements de l'Église avec
» une entière connaissance , répondant lui-même aux prières du
» prêtre ; puis il s'assoupit , et ce sommeil dura jusqu'à la fin. »
Frédéric Ozanam est mort le 8 eptembre, jour de la Nativité
de la Sainte Vierge. Sa dépouille mortelle reçut d'abord les fra-
ternels bonneurs des membres de la Société de Sainl-Vincenl-
de-Paul de Marseille. A Lyon, il fallut s'arrêter pour satisfaire
la piété de nos confrères encore et des nombreux amis du défunt.
A Paris , les funérailles ont été célébrées dans l'église de Sainl-
Sulpice , au milieu d'un immense cortège de parents, de mem-
bres de Sainl-Vincent-de-Paul , de prêtres, de professeurs de
Facultés, de savants de tous les ordres. Après la cérémonie, le
cercueil a été déposé provisoirement dans les caveaux de l'église,
les membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul de Lyon
ayant exprimé le désir de voir revenir au milieu d'eux ces pré-
cieux restes , et l'autorisation nécessaire n'étant pas encore ac-
cordée. M. Victor Le Clerc , le doyen de la Faculté des lettres,
se fit le noble interprète des sentiments de l'assemblée en pro-
nonçant un discours dont nous ne saurions dire autre cbose , si
ce n'est qu'il fut digne de celui qui l'inspira et l'écho sympathi-
que des regrets qui remplissaient tous les cœurs.
Pour nous , jetant un dernier regard sur cette carrière si glo-
rieusement remplie par le dévouement et le travail, et nous
adressant plus particulièrement aux membres de la Société de
Saint-Vinccnt-de-Paul qu'il édifia pendant vingt années par ce
zèle charitable qui pour lui était une seconde nature, nous les
adjurons de ne point faillir à un si grand exemple. Ne laissons
4
50 rnÉDÉRlC OZAîlA».
pas piTJr une mémoire si chère. Dans toaics les conditions, no
s'est-il pas montré un modèle? Apprenons avec lui comment on
foule aux pieds l'éf^'oisme, le respect lium:»in, la cupidité sordide;
comment un liumme aux prises, autuiiicjue les moins favorisé'S
d'entre nous, avec les dillicultés de la vie, a su concilier dans une
admirable mesure les devoirs du [ȏre, de l'ami, du < iloy<'n, avec
les strictesexigeucos de sa conscience relij,'ieuse. Admirons surtout
qu'étant un maître de la science, un homme hors ligne en toutes cho-
ses, il ait conservé dans sesliaisonsavec le monde celte simplieilé,
celte modestie, cette in^'énue franchise, cette candeur de l'âme
qui rendaient son commerce si attrayant. Il en est qui déplurent
la perte du savant , les travaux inachevés, un avenir si riche de
promesses, une existence tianehée au moment où elle arrivait à
la i^loiro, aux honneurs, à toutes les visées de la plus h'-j^itime
ambition. Certes il y a là des motifs pour d'inexprimables re-
},'rets , et ce serait peut-être le lieu de s(^nder le mystère de ces
existences contemporaines sitôt ravies à l'Hylise militante dont
elles faisaient la force : Mdhler, Balmès, Donoso-Cortès et tant
d'autres. Bénissons plutôt la main qui frappe, en nous efforvani
de pénétrer ses conseils. Sachons voii' en celui (pii fut nritre guide
coniliien (rd'uvres plus nu-ritoires ipie ne lecherche pas la célé-
brité mondaine. « La société au ujilieu de laquelle nous vivons, » dit
M. Lenormant dans les paroles si expressives qu'il prononça au-
près du lit funèbre d'0/.anam, « [larle sans cesse de citoyens uti-
» les; je n'en connais pas de plus utiles qu'un homme (|ui , par
» sa parole et ses écrits, a maintenu l'élévation de l'esprit et la
> pureté des sentiments, le dévouement , la ;,'<'n(''rosit(' , le dc-sin-
» téressement dans plus d'Ames (ju'aiK un do ceux (jtii , à notre
• époque, ont rec ii une part dans la direction de la jeunesse. »
Assurément il ne faut pas luccoiniailre ce qu'il y a de valem-
dans ces hommes considérables de la linance et de l'industrie,
dont on voudrait faire les pivots de l'ordre social. Mais d'a-
voir été un savant de |>remier ordre ; d'avoir influé sur la di-
rection des doetrines; d'avoir pesé rrune autorité prépondé-
rante dans la lutte contre le niai; d'avoir honoré les lelties par le
culte sans uielan^'e du Mai ei du beau; d'avoir apaisé des pas-
sions dans les cœurs en les tournant vers la source imnmable de
FRÉDÉRIC OZAN\». 51
toute sagesse; d'avoir enfin manifesté le caractère d'une existence
fidèlement partagée entre les œuvres de miséricorde et les con-
quêtes dans le domaine de la connaissance : sont les qualités d'une
âme grande et qu'il faut estimer à un bien plus haut prix. Ceux-
là sont des hommes complets; ils passent véritablement à tra-
vers le monde en faisant le bien : ils sont le ciment nécessaire
qui préserve la société ; à leur puissance personnelle s'ajoute la
prérogative d'engendrer de^ âmes à la vie intellectuelle : or
cette fécondité dans l'ordre des idées est le signe de la supé-
riorilé la plus éminente. Voilà les solides mérites devant Dieu et
devant les hommes. Et s'il est à regretter qu'Ozanam soit
mort avant que les académies se soient emparées de son nom,
avant que le siècle ait mis le sceau à sa renommée, ne faut-il pas
voir des motifs de consolation dans cette gloire plus haute et
aussi plus sûre qui devient la récompense d'une vie honorée par
l'exercice de toutes les vertus? Gardons la parole de son testa-
ment; comme lui, soyons fidèles à l'Église, car être fidèle à l'É-
glise, c'est être fidèle à l'honneur ainsi qu'à la vraie science et à
l'idéal de tout bien parfait.
Edouard DUFRESNE.
Ql'ELQl ES DÉFAl'TS
DES (,HRKTIE\S D'AWdl'nD'IllI ,
Par l'auliMir du .}îanagc au point de vue ckrétirrt . M" '• .i.md'iw
Agi^nor de (ïasparin (i).
Esi-ce une étude de mœurs ? csi-ce uu examen de conscience ?
Voilà ( c que nous nous sommes domandt' en parcoiiranl \o nou-
vel ouvra^'c de M"" do Gasparin. Qih'I <ju'fn soil le caraclèi'e,
ou légèrement satyrique, ou sinqtlcmonl religieux, toujours esl-
il que nous lui devons un portrait fort piquant de la société pro-
testante.
Avec une perspicacité et une justesse de coup d'œil remar<|ua-
hles, l'anteurmet à nu et dissccpic toutes les faiblesses, toutes les
misères, tontes les tristesses, toutes les impuissances du proies-
tantisme. Ce sont des aveux qui peuvent être prec ieux à recueil-
lir. Mais nous doutons que ces confidences publiques aient reçu
l'assentiment du malade. Si on l'avait consulté , il est probable
qu'il se serait oppost- au /èle (pielqiic peu indiscret de son «loc-
teiir.
M"* de Gasparin a beau protester contre « toute interprétation
» maligne <pie le monde V(uidrait donner à ses observations; •
elle a beau nous assurer « qu'elle a presque toujours été son
■ propre modèle; » et qu'en peignant ses frères, elle a >oulu se
peindre elle-même ; — toutes ces raisons ne consoleront que iné_
(i) l'n \ol. in t'i. Pari» l'I (•(■ilinc, IHoô.
QIJELQES DÉFAUTS, ETC. 53
diocromenl ses frères ; cl on lui pardonnera diflicilement d'avoir
ainsi trahi des secrets de famille iju'il <'ût été peut-être plus cha-
ritable de ne pas livrer aux profanes regards des étrangers.
« Nous éprouvons tous plus ou moins le besoin de nous faire
» le directeur d'autiui , » avoue M™" de Gasparin. « Et puis , »
ajoute-t-elle plus loin, « il y a une certaine malice innée qui trouve
» sa satisfaction à soumettre le prochain au régime des amènes
«pilules. » Est-ce là ce qui a déterminé l'auteur des Défauts?
Cette question est trop délicate pour que nous nous hasardions
à l'aborder. Ce qu'il y a de certain, c'est que les pilules n'ont
pas été du goût de tout le monde, et que c le prochain, » dit-on,
n'a pas reconnu, comme il le devait, le zèle officieux.de THippo-
crate qui s'intéresse si vivement à sa santé.
D'ailleurs, soyons justes, ce zèle est bien un peu vif, un peu
grondeur, tant soit peu amer. Et l'homme est ainsi fait, qu'il
n'aime pas à accepter sans regimber une direction qui s'impose
avec un ton de supériorité un peu trop marqué. II est vrai que
M"* de Gasparin ne s'adresse , comme elle a soin de nous en
prévenir, ". qu'à des chrétiens, et à des chrétiens décidés et sincè-
ï res. Détournées de leur destination, nous dit-elle, ces observa-
» lions porteraient à faux; bien plus, elles pourraient devenir
» funestes! » Ceci est inquiétant. Mais admettons, pour éloigner
tout pronostic fâcheux, que ces observations ne seront pas « dé-
» tournées de leur destination. » S'ensuit-il que ces chrétiens
décidés et sincères reconnaîtront à M"^ de Gasparin le droit de
les juger? Ne contesteront-ils pas sa mission? Admettront-ils la
justesse de ses observations? Ne sont-ils pas eux-mêmes les
meilleurs juges de leurs actes ou de leurs opinions?
Pour nous, qui sommes désintéressés dans le débat, nous
avouerons que ces objections, qui doivent se présenter tout na-
turellement à l'esprit du lecteur protestant, nous semblent assez
fondées pour ôter toute influence aux avis de M™* de Gasparin.
Voilà , en effet, la grande erreur où tombent tous les protestants qui
se mêlent de diriger ou d'éclairer leur frères. Ils oublient con-
stamment que l'essence du protestantisme est l'inspiration indi-
viduelle , et que du moment qu'il y a , d'un côté , déploiement
d'autorité, de l'autre soumission, et par conséquent aveu d'in-
fériorité, l'esprit de la Réforme est entièrement faussé.
54 QlELQl'ES DÉFAUTS
Etrange inrons«'(|iienir <lo IVsprit himiuin ! Comment ! vous
aurez d'abord surexcité l'orgueil en brisani tous les liens de To-
béissance; vous aurez favorisé lous les insiincls de la révolte en
vous aitaquani à ce qu'il y a de [)liis au},Misie oi de plus sacré sur
la terre, à l'autorité déléguée par le Fils de Dieu, et j)uis vous
prélendez que voire voix soil écoutée, lorsque vous vous présen-
tez comme le seul interprète infaillible de l'Esprit Saint?... —
C'est au nom de la Bihie, dites-vous. — C'est au nom de votre
Bible, a vous; mais votre Bible est-elle celle de votre frère? Au
nom de sa Bible, ce frère repoussera, de toute l'énergie de son
orgueil froissé, le joug (jue votre main impuissante voulait im[>o-
ser à son ind«''peiidance.
Maintenant, en mettant à part l'opportunité de celte publica-
tion, et en ne consultant (jue nos impressions personnelles, nous
dirons (jue la lecture de cet ouvrage nous a profondément attris-
tés. Il est douloureux de voir le découragement , l'ennui , Pin-
quiétude d'esprit qui oppresse ces pauvres ûmes essayant en
vain de vanter le bonbeur de leur indépendance, et ne pouvant
se faire illusion sur le mécontentement (jui les accable. Écoutez,
ces aveux :
« C'est peut-^'lrc à ce mécontentement de nous-mêmes, dou-
» blé d'impuissance, qu'il faut rattacber la couleur essentiellement
* morose de notre piété moderne.
» I^ plainte babite nos lèvres, la tristesse oppresse notre cœur ;
» lesgémissemenls soidUcnt dans nos voiles. IMulôt que de ne nous
» lamenter [>oint, nous pleurons au besoin sur nos joies. Nous
» man'bons à pas tragi(]ues, battus de l'aile, alanguis, ennuyés,
o dégoûtés souvent des autres, mille fois plus de nous-mêmes;
» nous promenons d'un bori/.on à l'autre un regard découragé ;
■ l'avenir nous épouvante, le présent nous bumilie, le passé nous
» accable; rameaux flétris, nous pendons le long de l'arbre, et
o le monde, à nous voir si destitués de sève, se sent plus que ja-
■ mais repoussé loin <le Cbrist. .Nous avons beau |)arler de notre
* boidieur, nous en parlons d'un loii lamentable , et le monde ne
* nous croit pas. »
Ce tableau est peu réjouissant, cl il a fallu quelque courage à
M"" de Gaspiirin pour faire de pareilles confidcrnces. Souvent,
DES CURÉTIEMS d'aUJOURd'uUI. 55
dans le cours de son ouvrage, l'auteur revient sur cette tristesse
invincible qui est, en eflet, un des traits caractéristiques du pro-
tesianiisme :
« A force d'alamhiquer noire air, dit-elle, nous nous sommes
» fait une atmosphère appauvrie où nous étouffons. Nous avons
» perdu la naiveu- de l'esprit, ce charme des grandes intelligen-
»ces , ce don de s'amuser d'un rien qu'avaient nos pères et qui
» mettait tant de soleil dans leur vie... 11 y a dans l'air un décou-
»ragenient, une puissance de dégoût que nous subissons et qui
^ achève de nous ùter la santé morale! »
«Notre route, ajoute-t-elle encore, ressemble trop souvent à
» un tunnel bien noir où pendent quelques lourdes lanternes fu-
» meuses....»
0 peuples de l'Italie , insoucieux de votre avenir, écoutez ces
aveux! Voilà la vie que l'on vous apportera, si vous vous lais-
sez séduire par une propagande éhontée I Voilà les trésors que
l'on vous offre en ('change de votre soleil, de vos fêtes, de vos
joies naïves, de votre bonheur !
Écoutez encore :
« On s'est sevré de la vie , on s'est en quelque sorte bâti un
» couvent bien muré, bien grillé, on s'y est claquemuré, et puis,
» cela fait, on s'étonne d'être étiolé comme une plante qui croît
» en cave.
» Au lieu de nous enfouir dans nos langueurs , dans nos mal-
» saines délicatesses de conscience, faisons volte-face vers l'ac-
» tion. Reprenons possession de tout ce que Dieu nous donne.
» Revenons à l'obéissance enfantine....
» Nous n'aurons plus de figures allongées, plus deux yeux ter-
» nis qui errent sans joie sur le monde, plus de ces âmes épou-
» vantées qui se font crime de tout, même de contempler la cam-
I pagne ou de respirer une fleur!... »
N'est-il pas vrai que l'on se sent comme pris par le frisson en
lisant ces lamentables descriptions? Sont-ce là les fruits du chris-
tianisme? De bonne foi , croit-on que ces langueurs malsaines et
maladives soient le produit du pur Évangile?
M"' de Gasparin ne signale pas avec moins de courage et de
vérité cet état fébrile d'inquiétude , cette agitation de l'esprit ,
56 OIEI.Q LES DÉFAITS
celte inconslàncc porpriuelle tropinions, qui m)iii hi pit>u\r si
évidente de rinconsistance des doctrines.
« i\ous Potions, portés çà et là par tout vent de doctrine (feph.
■ IV, 4).... Nous manquons absolument de discernement et de
» critique. Je ne sais pas d'erreur assez folle (|ui ne trouve ou-
■ verte à deux ballants la porte de notre ime que ne garde plus
» l'amour de la M-rité.
»|Uneeliûse le prouve qui fait notre honte, c'est le facile accès
> quant dans notre esprit toutes les fausses doctrines , dans nos
» E|,'lises toutes les sectes. »
El plus loin : « ....Si quelqu'un vient nous prreher un autre
■ Jésus que celui qu'annonçait Paul, un autre Esprit que l'Esprit
1 qui inspirait Pierre, une autre bonne nouvelle que la nouvelle
» proelaméc par l'Ancien et le Nouveau Testament , nous le svp-
• portons (2 Cor. \1, 4). Ce «juc nous ne supportons pas, e'est la
» vérité bibliijue. »
Il faut avouer <jue M"" i\o Gasparin ne elierehe pas à dissimu-
1«T le mal. Elle met coniaf^eusement le doi^t sur la plaie. Mais
s'agit-il de remonter au principe de la maladie, voilà où nous
croyons que sa science l'abandonne. Quelles sont, en eflet , les
causes qui ont amené un si déplorable étal? Selon M"" de Gas-
parin (si nous avons bien saisi sa penst'c), ces causes peuvent se
résumer en une seule : Vesprit de soumission ou d'obéissance, qui
est, à ce qu'il paraît, le di'faut caractéristique des protestants
de nos jours.
Nous avouons que nous ne nous en étions pas encore doutés.
Ainsi donc , c'est par la soumission que périssent les proles-
tants; c'est l'obéissance qui perd le ])rolestaniisme. o L'obéis-
sance! » s'écrie M"" de Gasparin dans un sainl iiansporl d'indé-
pendance blessée; « l'obt'issance pour obéir, «presl-ce que cela
B veut dire? (^elle obéissancr-h'i est une nou\elle venue : on no
» la rencontre point dans la Hible, on ne la ren( ontn' dans l'iiis-
• toirc ni des patriarches, ni «les prophètes, ni des Apùtres : On
» la rencontre dans l'histoire des moines! »
€ Nous périssons par ne pas obéir, dit-on? On se trompe!
» nous périssons par obéir trop, par ob«''ir en aveugles; nous
» périssons par man(|iif île i tsist;incc, par man(|ue de caractère,
DES CHRÉTIENS d'aUJOURd'hI'I. 57
» par ne pas savoir dire non, par efTaceincnt, par ploiement de-
» vanl loule autorité légitime ou illégitime,... par être tout le
» monde, excepté nous ! » On n'accusera pas, du moins, M"* de
Gasparin de servilité dans son style. Ce style est bien lui-même,
et on ne peut certes lui reprocher ni l'effacement, ni le ploiement
devant l'autorilé de la langue.
Ainsi c'est convenu. C'est cette pauvre obéissance qui est le
bouc émissaire chargé de tous les péchés du protestantisme. En
effet, selon M"** de Gasparin, c'est la soumission à l'opinion des
frères , la soumission à des usages dont on n'a pas osé secouer
le joug, qui donne naissance au formalisme; c'est la soumission
aux conseils des pasteurs, aux interprétations reçues, qui tue la
la liberté de l'interprétation individuelle, et réduit le chrétien à
n'être plus qu'un faible et tremblant esclave « asservi aux con-
î sciences de tyrans, trembleurs comme lui devant d'autres maî-
» très! » En un mot, les prolestants sont «papistes dans l'âme 1 »
Voilà , nous n'en doutons pas , le reproche qui sera le plus sen-
sible aux malheureux frères de M""^ de Gasparin.
C'est très-bien ; mais en attaquant ainsi ce funeste esprit de
soumission à l'opinion des frères, M™® de Gasparin ne craint-elle
pas de prévenir ses lecteurs contre elle-même, en les mettant
en garde contre les excellents conseils qu'elle leur donne? N'a-
t-elle pas vu qu'elle fournissait ainsi des armes qu'on tournerait
contre elle-même?
On nous dira que cela ne nous regarde pas ; et on aura par-
faitement raison.
Mais enfin, quel est le remède à tous les maux déplorables
dont l'ouvrage de M"® de Gasparin déroule le saisissant tableau?
« Le meilleur remède, s'écrie-t-elle , l'infaillible remède, on l'a
«nommé. Eh bien, oui, c'est la Bible, c'est toujours la Bible!»
Ici, nous l'avouerons, nous n'avons pu nous défendre d'une
légère surprise. Eh quoi ! ces chrétiens dont M™* de Gasparin
analyse si spirituellement les défauts , ces chrétiens décidés et
sincères ne lisent pas la Bible? N'est-ce pas un peu trop de pré-
somption de la part de l'auteur? Il est vrai qu'elle ajoute encore
qu'elle veut « la Bible lettre et non pas la Bible esprit ; » ce sont
ses propres termes. Mais ses frères ne pourraient-ils pas lui ré-
58 yi'ELytKS DÉFAUTS
poD(irc qu'ils veulent tout au rebuurs , la liihle osprit, et non
la BiliU lettre, en se fondant, avec assez <ra|)|»arenco «le raison,
stii- lin texte de cette rot^roe Bible qui aflirnie précisément que la
lettre tue?
Helas! où irouvfi- le moyen de s'entendre lorsqu'il n'y a pas
une autorité à laquelle on en puisse appeler ! On cherchera la
paix de bonne foi, nous le youIods bien ; mais quelle est l'opiuion
qui voudra céder, lorsque chacun, consciencieusement, croira
être dans son droit? Cependant on sent bien, au fond, que cet
individualisme est mortel à la charité, à l'union après laquelle
chacun soupire : de là ce malaise, cette iti(|iiietude, ce m<*con-
tenleiiient (|ui oppresse les âmes et qui décolore la vie !
Voilà ce qui tue le protestantisme, et non pas cet instinct d'o-
béissance contre hquel vous vous «'levé/, si mal à propos, (-ar cet
instinct, tout fourvovi'* qu'il est dans son a[>|)lication, est encore
un irrécusable indice de la nécessité dune autorite, sentiment
gravé en caractères ineffaçables dans la conscience humaine.
Plus vous vous isoleie/, plus vous vous retrancherez dans l'in-
dé|»endance de vos opinions personnelles, plus aussi la vie <om-
mune se retirera de ce corps divisé, pour faire place au refroidis-
sement et à la rijçidilé de la mort. Si vous voulez revenir à la
vie, à la pai\, an bonheur, prêchez l'union, prêchez la fusion et
l'aniour, prêchez l'obéissance et la soumission à une autorité li-
brement acceptée, mais respectée et bénie, parce qu'elle émane
<le Dieu et non du caprice <les hommes.
Nous n'avons pas eu riiileniion de faire une analyse de l'ou-
vrage de M"" de Gasparin. Nous nous sommes bornés, on le voit,
à exposer rapidement quelques-unes de nos impressions, sans
entrer dans un examen raisonné.
Nous l'avons dit : on ne peut contestera M"" de Gasparin nn
véritable talent d'observation; elle ne manque ni de finesse, ni
de justesse dans ses appréciations. Nous rendons é^alenu'nt hom-
mage à la chaleur de ses convictions, et nous croyons que le
courage dont elle a lait |)renve pour combattre les travers de ses
amis, ne peut prendrt; sa source que dans nn sincère désir du
bien. Mais nous ( hcrcherions en vain dans son ouvrage ce qui
DES CHRETIEN d'aUJOURd'iIUI. 59
lail le cliannc des moralistes vraiment catholiques, l'onction et
l'indulgence. On rencontre trop souvent dans ce livre celte hu-
meur morose et chagrine , ce ton grondeur qui , comme le dit si
bien l'auteur lui-même, « donnent au prochain l'envie de nous
» contredire avant même de nous avoir entendus. »
Et maintenant, M"** de Gasparin nous permettra-t-elle de sou-
mettre à sa conscience une simple observation? Il est reconnu,
nous le croyons , qu'un auteur protestant ne peut se dispenser,
quelque soit le sujet qu'il traite, de lancer quelques épigrammes
d'un goût plus ou moins douteux , sur l'Église romaine , les er-
reurs de Rome, les idolâtries papistes, etc. Nous défions qu'on
nous montre un écrit protestant dans lequel cet accompagne-
ment obligé n'occupe pas une place importante qui pourrait
être plus utilement employée. Nous ne prétendons certes pas
obliger les protestants ù ne pas s'occuper du catholicisme. De
quoi s'occuperaient-ils, hélas 1 Mais il nous semble que dans un
examen de conscience comme celui que M"^ de Gasparin a entre-
pris au profit de ses frères, elle aurait pu inscrire au nombre des
travers ou des défauts des chrétiens d'aujourd'hui, la tendance
que nous lui signalons. M™® de Gasparin a incontestablement de
l'esprit, de l'originalité (nous prenons ce mot dans son acception
la plus bienveillante) ; son style incisif et tout individuel n'aurait
pas besoin de l'assaisonnement vulgaire des diatribes anti-catho-
liques pour captiver ses lecteurs. Qui sait? Le rejet de ces
moyens usés donnerait peut-être à son talent une nouvelle ori-
ginalité.
Nous osons même lui prédire qu'en faisant le sacrifice de cette
mesquine animositë, son cœur éprouverait une satisfaction inu-
sitée; et s'il est vrai, comme elle l'assure, qu'un constant esprit
de prière préside à ses travaux , ce ne serait pas sans quelque
douceur qu'elle se rendrait le témoignage d'avoir respecté, ne
fût-ce que par son silence , celle antique foi de l'Église catholi-
que qui produit les martyrs et les saints, et qui fait le bonheur
de tant d'âmes chrétiennes auxquelles, nous l'espérons. M"® de
Gasparin serait heureuse d'être unie par la foi et par la charité.
C'est le succès que nous souhaitons à ses travaux.
MiTiATio'i nw) c:i:\i:vt:.
CHHOMQIE lŒLlGIELSE.
Pendant le temps de l'A vent, M. le curé de Genève a chargé M. l'abbé Mcr-
millod de prêcher une série de Conférences sur les vérités fondamentales de
la religion. Il était juste que notre jeune orateur mit au service de l'Église
de (icnève, aujourd'hui attaquée avec une si grande violence, la précoce re-
nommée (ju'il vient de conquérir à >'olrc-l)ame-(lcs-Victoiresde Paris et dans
les cathédrales de Unuen, d'Orléans et de Bcsamon. Dans la première Con-
férence, M. Merniillod a prêché Jésus-Christ homme-Dieu et Dieu-honmie.
Jésus-Christ, la plus grande figure de l'histoire, Jésus-Christ, le fondateur
de l'Eglise catholique, Jésus-Christ, le modèle de la haine la plus passionnée
et de l'adoration la plus absolue qui jamais ait partagé l'humanité ; sa divi-
nité, a-t-il dit, est un fait attendu, un fait prouvé, un fait accepté.
La seconde Conférence a traité de la *|ucstion de savoir qui de l'Eglise ca-
tholique ou des sectes hérétiiincs a le mieux gardé la fidélité de la foi cl de
l'amour h Jésus-Christ en proclamant sa Divinité. Ce dernier discours, com-
plètement neuf par le plan, la disposition des preuves et les jours qu'il ouvrait
sur les doctrines religieuses à Genève , a ému au plus haut point l'auditoire
qui s'empresse dans notre étroite église. Chacun sentait qu'il avait devant lui
un cœur vraiment touché et une intelligence de la plus réelle distinction.
llîUons-nous de <lire qu'à toutes les qualités (pii ornent le véritable orateur,
M. .Merniillod unit la charité la plus sincère, non moins que c<^lte juste me-
sure «pii permet de condiattre un adversaire sans jamais se rendre coupable
envers lui d'aucun déni «le justice. Les nomlircux protestants (|ui \ienncnt
entendre les Conférences de Saint-<iermain |)eu\ent attester «|uc si M. Mcr-
millod n'est pas venu faire la glorifieatiun du peuple de Genève et remuer des
passions mauvaises, il a garde aussi de se .servir du mensonge et de la falsi-
fication, ces armes des causes perdues cl des orateurs qui prétendent bien
plus il exciter la libre populaire qu'à prèclur le Dieu d'anu)ur et de bonté
qui est venu uppnrtir la paix aux hommes.
Pour nous, catholiques, rendons gr;Wcs à Dieu, car après nous avoir donné
pendant cin(|uanle ans îles prêtres fidèles, dévoués à î'Kglise, exemplaire»
par Irnr vie et courageux dans les tribulations qui ne leur manquent jamais,
CHRONIQUE RELIGIEUSE. 61
il nous envoie ce quîl ne nous devait pas , ce qui n'était point nécessaire
assurément pour faire éclater sa puissance , une parole éloquente qui attire
à lui les cœurs par sa bonté encore plus qu'il ne les conquiert par la science
et toutes les prérogatives du talent. Que notre collaborateur pardonne si nous
parlons de lui en ces termes et à cette place ; mais, en vérité, il nous eût sem-
blé faillir à la reconnaissance que lui a vouée la paroisse de Genève, si nous
n'avions pris sur nous dcxprinier ici quelque peu des sentiments qui l'ani-
ment. D'ailleurs, mieux qu'un autre ne sait-il pas que si Dieu lui a mis dans
l'intelligence de la force et dans le cœur un peu d'amour pour lui, d'autant
plus grande aussi est sa tâche et la part de sacrifice qui peut être exigée de
sa personne. E.... D....
— Evidemment le protestantisme a peur ; ses plus fiers esprits, ses journalis-
tes etses hommes politiques ont des hallucinations qui trahissent leurs craintes.
Depuis quelques semaines, les feuilles protestantes donnent à leurs dévoués
lecteurs des frissons incroyables en leur dénonçant la présence de Jésuites
à Genève. A voir leurs terreurs, on croirait que la Compagnie de Jésus s'est
emparée des portes de la ville ; et pourtant il ne s'agit que d'une modeste con-
frérie de Bonne mort ; des catholiques se réunissent dans leur église, ouverte
au public, une fois le mois, pour se préparer à bien mourir, et ils s'engagent
à prier pour leurs frères décédés. Voilà ce qui épouvante le protestantisme
genevois; voilà ce qui suffit pour effrayer des intelligences livrées au libre
examen et mettre en péril la cilé de Calvin. Nous les remercions de nous ré-
véler ainsi leur esprit et leur faiblesse.
— Le lord-évêque de Vinchester, homme du parti rationaliste de l'église an-
glicane, est venu consacrer la chapelle anglaise; les ministres nationaux et
méthodistes étaient convoqués pour cette cérémonie; mais ces derniers n'ont
pas voulu paraître dans une cérémonie où se trouvait Téglise nationale de
Genève, parce qu'elle est arienne. Ce fait seul révèle les misères du protes-
tantisme, et quand nous avons soutenu que les Bibles protestantes étaient fal-
sifiées , nous ne nous attendions pas que M. Gaussen , cet adversaire de
M. Combalot, viendrait nous prêter l'appui de ses écrits; nous serons spec-
tateur de la lutte, enregistrant les aveux ; voici des fragments de la lettre de
M. Gaussen, ministre méthodiste :
L'ÉGLISE NATIONALE DE GeNÈVE JLCÉé PAR LES MÉTHODISTES. — « LcS, minis-
tres de l'Oratoire de Genève, qui depuis plus de 20 ans ont vécu dans la plus
intime communion d'esprit avec les chapelains anglais de leur cité, et qui
même . avant d'avoir établi la cène dans leur propre chapelle, avaient cou-
tume de l'aller recevoir au service anglican , se sont tous abstenus d'assister
le 50 août à la consécration de la nouvelle chapelle. Ils avaient béni Dieu de
voir s'élever dans leurs murs cet édifice, consacré à la pure doctrine (1); mais
la manière dont la solennité s'est faite leur ayant paru contraire à leurs prin-
cipes de foi et d'un funeste exemple pour les troupeaux de Genève , ils ont
{\) Nous sommes supris de voir des presbytériens déclarer que l'église
épiscopale a les pures doctrines.
62 CUROMQt'E FOLITIQIE.
craint de |)araitrc l'approuver par leur présence et sont avec regret demeu-
rés h l'écart.
• On a dit (|u'ils s'étaient plaints (|nc l'éf^iisc évangéliquc n'eût pas été con-
viée ; on a dit aussi qu'ils avaient objecté contre l'invitation de telle ou telle
personne ; ces assertions ne sont point exactes, et ces raisons n'ont jamais
été les leurs.
» Deux ou trois mois avant l'ouverture de la chapelle, j'eus l'avantage de
rencontrer le président de son roniité, i|ni voulut bien me demander !>i, dans
le cas où tous les ministres de (lenève sans distinction seraient imités à la
cérémonie , nous nous ferions "icmpule d'y prendre part. — « Nullement ,
• répoiidis-je , cliacuii n'est là que pour soi; nous ne jugeons personne ; cl
• quant à moi, quelles que soient vos invitations, je m'y rendrai avec plaisir.»
— Cependant, un mois plus tard , j'appris que la question avait cntiéreiuent
changé de face, et que le comité, soumis ù des influences locales, se propo-
sait d'inviter, non plus seulement des individus, mais oQicielIcmcut et
comme corps ecclésiastique , la compagnie des pasteurs de (ienève, c'esl-à-
dirc un corps qui , depuis un demi siècle , mais surtout depuis ôO ans, n'a
cessé de professer publi({ueinent l'arianismc dans ses r^téchismes , dans ses
versions de la liible, dans sa chaire tlicologique et dans ses sentences judi-
ciaires, sans que rien jamais ait été rétracté. — Il nous parut alors é\idenl
qu'il y avait là pour nous deux devoirs à remplir : avertir des frères qui pou-
vaient n'avoir pas compris toute la portée de la profession qu'ils allaient faire ;
et si, malgré ces avertissements, ils persistaient dans leur dessein, nous tenir
entièrement à l'écart de leurs démonstrations.
Ces deux choses, nous les axons faites. — Il y avait, avons-nous dit, trois
manières d'a^'ir pour le comité anghiis, trois également polies: mais la pre-
mière était indifférente ; la seconde fidèle, tandis que la troisième n'était ni
l'un ni l'autre. — Si l'on suivait l'une des deux premières, nous y assisterions
de grand cœur; si l'on suivait la dernière, nous nous abstiendrions. — Selon
la première, on envoyait des billets individuels à t<Hi s les ecclésiastiques pro-
testants de (îenève, San* faire de prufession. ni bonne, ni mauvaise; selon la
seeonile , on écrivait au clergé national (jne l'on serait heureux de voir à la
consécration tous ceux de messieurs les pasteurs qui se sentiraient en com-
munion avec les saintes doctrines de l'église anglicane ; selon la dernière
enfin „on invitait ofliridlement , mais sans oucunc expression de foi , i la
consécration de f l'église de la Trinité, » un corps dont toutes les professions
publiques sont anti-trinitaires, et l'on avait avec lui, le même jour, une as-
semblée présidée par un évéque anglais, pour s'y donner réciproquement la
main d'association. Tlie (M'nc\ese (écrit de Genève le correspoiulaiit anglais
» de Brll'n Menrngrr\ tlie 'îenevesc , wilh tlic exception nf a fcw ill advised
» and extrême mcn, held ont tlie haml nf folios slii|( to us. >
Si nous avions consenti i\ donner, jiar notre présence, la moindre appro
bation à l'alliance pr^claraéc le 30 août dans le service de la chapelle angl.iise,
et dans rasscnd>léc qui la suivit, nous aurions renié tout notre ministère
passé et contredit tout le cours de notre vie; car c'est pour relever dans
nntre patrie le drapeau de ta foi à la divinité de Jésii^Christ que nousa\ons
CUnOMQUE RELIGIEUSE. 63
fondé notre Société évangélique, érigé noire Ecole de théologie, construit
notre Oratoire et travaillé 25 ans; c'est pour avoir publié que rariauisme
renverse l'Evangile par sa base et pour avoir établi cette Ecole de théologie
destinée à faire prêcher la divinité niécoiinue de Jésus-Ciirisl, que je fus cassé
comme pasteur avec nion ami Merle d'Aubigné de toutes les chaires du can-
ton. — Nous ne nous sommes levés que pour la doctrine ; jamais pour des
questions d'Eglise... Nous avons même écrit au Consistoire en d855 que s'il
revenait à la religion de nos pères, notamment à la divinité de Jésus-Christ,
nous nous trouverions heureux de ranger notre ministère sous son gouver-
nement. — Quand donc aujourd'hui nous improuvons l'alliance proclamée le
30 août par la chapelle anglaise, ce n'est encore que pour la doctrine ; et si
la Compagnie des pasteurs rétractait demain ses professions unitaires, et pro-
clamait demain l'éternelle vérité du Rédempteur, dès demain nous serions
reconnaisfants et fiers, comme Genevois et comme prolestants , de tous les
témoignages d'honneur que nos frères d'Angleterre voudraient bien lui don-
ner.
Mais pour mesurer toute l'étendue du mal que peut faire dans Genève cette
manifestation anglaise d'inditTérence pour la sainte doctrine de la divinité de
Jésus-Christ, il faut connaître les circonstances de l'église et la condition des
esprits au milieu de nous.
Quand Haldane vint à Genève, il y 55[ans, tout le pays était arien, à l'ex-
ception de quelques hommes que l'on pouvait compter sur les doigts. — Plus
tard, une suite de témoignages éclatants, de nombreuses conversions, et
surtout la fondation de la Société évangélique , ont grandement changé la
disposition des esprits ; l'arianisme n'a plus osé se produire ouvertement par
des prédications ; et maintenant l'hérésie du jour consiste bien plus à profes-
ser lindillerence des doctrines qu'à nier leur vérité. — Elle ne dira plus
tant : « Jésus-Christ n'est pas Dieu ; » mais elle dira, chez les unitaires : « Peu
» importe après tout qu'il le soit ou ne le soit pas ; » — et chez les orthodo-
» xes relâchés : «Je crois qu'il est Dieu et je le prêche ; mais la différence des
» dogmes est do faible importance, pourvu qu'on ait la vie et qu'on maintienne
en commun le principe protestant de la liberté d'examen et l'inspiration
» plus ou moins complète ou plus ou moins incomplète des Ecritares ; en
» sorte que l'église de Genève peut être florissante, tout en renfermant dans
» son sein des ministres qui prêchent la divinité du Sauveur et d'autres qui
» la nient.»
Mais si cette manifestation du 50 août nous inquiète pour Genève , elle ne
nous afflige pas moins pour l'église anglaise à Genève, comme un signe de
déchéance; car [c'est un abandon du rôle honorable qu'elle avait rempli
30 ans au milieu de nous. -— Jamais elle n'avait cessé jusqu'ici d'être un té-
moin dans Genève, tous ses chapelains y ont été des modèles de fidélité.
On n'a pas oublié la fidélité de votre Société biblique , sollicitant celle de
Genève de renoncer à sa version arienne, et rompant enfin, pour ses refus,
fout rapport avec elle. — On se rappelle aussi cette manifestation du clergé
d'Angleterre en 1831, lorsque 800 ministres épiscopaux s'accordèrent pour
adresser à la Société évangélique une lettre de sympathie et d'encouragement
64 CHBOniQUE RELIGIEUSE.
«près qu'elle se fut Icvt'o à Grnt'vc pour lu divinité du nédcmplenr. — Crr-
tainrinoiit, pour ijiii rt>n'»idt'rc rc iiublc rùle tic I Kfçliso d'AgIctcrrc au milieu
de nous pendant un (]uarl de siècle, il doit être douloureux de l'y \'t>ir renon-
cer.
La faible importance des doctrines les plus fondamentales du christianisme,
c'est là, je l'ai dit, l'hérésie du temps; c'est là ce que veulent trop d'ecclé-
siastiques soit en France, soit en Suisse; c'est U, je le dis avec douleur, ce
que veulent dans le cler);é national de (îenèvc, non-seulement les ministres
ariens, mais même plusieurs de ceux qui ne le sont pas : associer en une
même église nationale, en un même cler<;é national, en une même école na-
tionale de théiil(ij;ie, et faire monter de dimanche en dimanche, dans les mê-
mes chaire:^ |iour prêcher aux mêmes âmes, des ministres i>our qui Jésus-
Christ est Dieu et d'autres pour (]ui il ne l'est pas... >
L'EGLISE LIBRE ilGÊE PAR LES MINISTRES DC l'ÉGLISE NATIONALE. — MM.McrlC
d'Aubigné, Gaussen et Malan, ministres méthodistes, refusi-rent donc de pac-
tiser avec l'église nationale lors «le la prise de possession de la chapelle an-
glaise. Le Semeur genei'nis leur répond par l'article suivant ; il est facile d'y
reconnaître cette mansuétude de doctrine, cette élévation de pensées, ces
aménités évan{;éliques qui lui sont ordinaires. Ce qui nous étonne, c'est qu'il
ne les réserve pas exclusivement pour les catholiques ; aujourd'hui il les adresse
aux méthodistes, et sans pitié il leur reproche de n'avoir fait de l'opposition
religieuse que pour les (Ruinées anjjlaises qu'ils ont pieusement récoltées. Il
connaît le mêlhudisme mieux (jue nous, et nous loi laissons la responsabilité
de ses attaques. Toutefois s«m servilisme devant les lords et ses Oatteries
à Sa Seigneurie de Winchester nous font soupçonner (juc les guinées an-
glaises ne lui seraient ni inutiles, ni désagréables.
Voici l'article du Semeur :
€ .Nous avons fait connaitrc à nos lecteurs ce qui s'est pasjié à Genève, lor»
de la consécration de la chapelle anglaise, en évitant avec le plus grand soin
de leur révéler certaines intrigues de (pielques personnes, dont la charité,
la véracité et la droiture ne répondent pas toujours h leurs prétentions d'ortho-
doxie... tN'osant pas provoquer une lutte ii Genève et publier en français leur
prétendue justification, ils ont épanché, dans les journaux anglais, les flots
d'une bile tellement amère que nous devons supposer i|u'ils ont eu un moment
de vertige. Nous ne voulons pas répoiulre encore à toutes les calomnies et k
toutes les injures qu'ils ont multiplié contre notre église cl ses conducteurs
spirituels, nous voulons, avant tout, essayer de leur faire comprendre qu'ils
se sont fourvoyés dan» une mauvaise voie , qu'ils se sont chargés d'un riMe
vraiiucnl odieux.
N'ous devons observer, en premier lieu, que Sa Seigneurie de Winchester
devait opter entre «les sectaires qui sont impalienis de toute espèce de frein,
qui repoussent le principe des églises de multitude, de l'union de l'Kglise et
de l'Klat, et les représeutanis dune Kglise olliciclle, nationale, qui n'i» point
de confession de foi. c'est vrai, mais «jui ne condamne |Miint les Kglises qiii
croient convenable d'en avoir une. Sous ce premier point de vue il nous sem-
CHKONiyUE RELIGIEUSE. 65
blc assez nalmol que l'i-vèquc de Winchester ait préféré conserver des rela-
tions avec notre Église, au lieu de prodiguer toutes ses faveurs aux amis in-
times des dissidents anglais, des ennemis les plus acharnés de l'Église épisco-
palc.
Nous observons, en second lieu , que Sa Seigneurie connaît assez bien le
clergé de Genève et tout ce qui s'est passé dans notre ville, pour savoir ce
que valent les accusations portées contre notre Église nationale par certaines
gens , qui ont plus d'impudence que de charité , et même que de loyauté. Il
n'a tenu aucun compte des prétentions assez originales de ces gens, qui ont
contracté la douce habitude de recueillir les applaudissements et les guinécs
britanniques, en se faisant passer pour de pauvres martyrs persécutés par les
ariens et les sociniens de Genève. C'est ce qui a le plus irrité ces Messieurs,
c'est ce qui les oblige de prouver aux Anglais que Tévéque de Winchester a
eu tort, grand tort, de fraterniser avec notre Église.
Tout est là. Nous ne prétendons pas cependant que nos dissidents soient
très-avides de guinées... Il y a si longtemps qu'ils en récoltent pieusement
ET soigneusement, qu'ils en ont plus qu'il ne leur en faut... Mais ils ont besoin
de l'appui des Anglais pour soutenir leurs œuvres , leurs institutions , et ils
ont peur que les subsides diminuent, quand on apprendra en Angleterre que
nos pasteurs no sont pas plus ariens que sociniens. On comprend qu'il serait
fort désagréable pour MM. Malan, Merle, Gaussen et autres personnages, si
l'on découvrait de l'autre côté de la Manche que ce n'est point leur orthodo-
xie qui a été condamnée , mais leur insubordination, leur intolérance, leur
exclusisme...
L'évéque de Winchester nous a prouvé qu'il connaît parfaitement l'histoire
des relations de notre Église avec la sienne, relations qui datent des premiers
temps de la Réforme , et qui ont toujours été également bienveillantes de
part et d'autre, jusqu'au moment où quelques chapelains anglicans se sont
alliés avec nos dissidents pour insulter et calomnier notre Église nationale,
pour rompre les liens qui existaient entre elle et l'Église épiscopale anglaise.
Il a jugé convenable de mettre fin à ces petites intrigues, de faire compren-
dre à nos dissidents que leur anglicanisme, un peu intéressé, ne saurait ba-
lancer encore les preuves d'affection fraternelle que notre Église nationale a
donné dans tous les temps à l'Église anglicane.
Nous ne prétendons nullement que l'évéque de Winchester, ou le comité,
aient voulu froisser MM. Malan, Merle, Gaussen et autres... Nous ne croyons
pas que Sa Seigneurie ait songé à leur donner une leçon paternelle, mais la
leçon est venue toute seule, par la force même des choses...
Malheureusement nos dissidents n'étaient pas plus capables de s'élever à la
hauteur de l'évéque de Winchester, que de répondre à cet appel de la tolé-
rance la plus chrétienne et la plus aimable. Ils n'ont songé qu'à sauvegarder
leur orthodoxie, en évitant de prier avec nos pasteurs.
Cette manière d'agir n'a pas eu beaucoup d'approbateurs à Genève. On a
trouvé que ces Messieurs n'avaient pas eu plus d'esprit que de charité, plus
de savoir-vivre que de tolérance. Ils se sont fait du tort auprès de tous ceux
qui ne partagent pas leurs vues étroites, qui n'applaudissent pas à tout ce
0(5 (IIRONIQI'E rOLITIQI E.
i|U il> li'iil ri ;i tout (-(' i|irils (liM-iil, qui cuiniiu-iicfiil >i e()iii|)rciitJrc i|iie Iriir
liaiuc pour rRglise nationale va un peu trop loin pour être éxangliquc... »
CHRONIQUE POLITIQUE.
.Nous n'avons pas l'Iiabitude de nous immiscer dans les questions politi-
ques ; nous croyons qu'à Genève la religion ne doit pas s'abaisser dans une
arène où s'agitent des questions de personnes et non pas des questions de
|)rincipcs. Mais aujourd'hui nous ne pouvons taire qiie les c'Ieelions derniè-
res ont rfvolu, inal^ri' les catlioliqucs, une apparence de lutte religieuse. Les
insultes tie (juclques feuilles contre leur foi, les menaces d attenter à la liberté
des cultes et à la liberté de rensci};nemenl , avaient éveillé la susceptibilité
des catlioliques, qui ne veulent aucun privilège , mais (|ui veulent le respect
de leurs droits. M. Fazy a été renversé par l'alliance des conservateurs el des
socialistes. Quoi qu'il en soit de l'avenir, nous catholiques, nous ne craignons
pas; nous sommes forts de nos droits cl de la constitution; tous nous nous
lèverions pour les défentlre, s'ils étaient attaqués ; mais nous espérons qu'ils
seront respectés. Ix (j>nscil d'Ktal vient de le pnmultre dans sa proclama-
tion. I/union protestante, (]ui a afliché des airs de triomphe, en sera |>uur ses
frais de panules ; seulement elle a constaté à la face de l'Kurope, «jue son pro-
testantisme a peur, puiscjuil est venu ilemamler un appui au socialisme en se
réfugiant sous son drapeau. Le livre de .M. .\ugusle .Nicolas rc^-nit 4 Genève
une conlirmalion de sa thèse. On dit que des ministres protestants, joyeux
du résultat, ont suivi le cortège proclamant les élus; ils ont ainsi compromis
leur situation ; el dans celle agitation, ils n'ont obtenu encore d'autres béné-
fices que la po|)ularité des sifllets et des chansons. Nous leur laissons volon-
tiers ce kuccès !
BULLETIN LITTËRAIRE.
Histoire de l'arcuitecture sacrée du quatrième au dixième siè-
cles DANS LES AîCCIENS ÉVÊCHÉS DE Ge.NÈVE , LAUSANNE ET SlON ,
par J. Blavigoac, architecte. 1 vol. in-8, accompagné d'un allas
in-folio.
Cet ouvrage est d'un haut intérêt. Nous avons l'espoir qu'un travail spé-
cial le fera conaître par une analyse exacte et une discussion approfondie aux
lecteurs des Annales; mais nous avons à cœur de le signaler dès aujourd'hui
à l'attention du public. C'est là, en effet, un travail consciencieux et dont
nous, catholiques de Genève, nous devons faire grand cas. Il est digne de re-
marque que ce soit un protestant qui , recherchant avec constance les mo-
numents de cette période difficile, ait mis en lumière ces glorieux vestiges de
Tart et de la science à une époque où l'Egiise catholique faisait l'éducation
des rudes populations de nos contrées, et les amenait à la culture intellec-
tuelle, à la civilisation et à la vie politique. Nous serons donc fort empres-
sés à suivre M. Blavignac dans cette étude des titres de gloire de nos ancêtres.
On voit dans son livre ce qu'ont fait pour le progrès des idées et l'avance-
ment moral des peuples, les missionnaires catholiques, pendant la sombre
période des invasions; ce que firent plus tard les institutions monastiques,
alors que seules elles tenaient allumé le flambeau des lettres humaines au
milieu d'une société livrée à des guerres perpétuelles ; ce que firent enfin
les évéqucs des trois sièges de Genève , de Lausanne et de Sion , avant que
les fatales divisions religieuses du seizième siècle eussent plongé notre pays
dans cette atmosphère de contentions et de désordres dont, après trois cents
ans , nous sommes encore le prétexte et les témoins. Ce sera donc avec le
plus grand respect que , guidés par un investigateur habile et expérimenté ,
nous approcherons de ces monuments vénérables qui attestent et la perpé-
tuité de notre foi et la fidélité de l'Eglise catholique aux enseignements de
son 3Iaitre divin.
Le livre de M. Blavignac offre dès l'abord un défaut qui était malheureuse-
ment inévitable , il est fort cher ; il dépasse même la mesure accordée d'or-
dinaire aux œuvres d'archéologie. Ces deux volumes ne coûtent pas moins
deôOfr. .ajoutons toutefois que l'exécution typographique est irréprochable,
et que plus de huit cents dessins inédits , pris sur les lieux par M. Blavignac
lui-même , donnent à l'œuvre un mérite de nouveauté rare qu'il faut savoir
apprécier.
L'ouvrage se vent à Lausanne chez l'éditeur Bridel ; à Genève chez le li-
braire Heiner; on peut aussi le demander au bureau des Annales.
Les ÉPREUVES du maruge, par M. Tabbé F. -Edouard Chassay,
membre de l'Académie de la Religion de Rome. — Paris , M™**
Poussielgue; Lyon, Pélagaud.
Lqs Annales ont déjà recommandé h Bibliothèque d'une femtnc chrétienne.
<)8 BILLETI.N LITTtRAlKl.
en parUiiil il»- 1 Ilitlonr df la Rrdrmption, par M. (.Iiassit). (irttc cullrclioii,
qui a reçu les rncoiira;j;oiuenls (1rs prinrinaux organes de la presse rathnii-
que en France, en Hel^'iqnc cl en lUlie. vu-nt «le saiijfmentcr «l'un nou>eau
volume, l/iuiteur a pari»', dans les Dnutirs drs frmmrx, des qualités Rénëriles
Jiu'une fonnuc «loit apporter dans lu taniille. Dans les Dt/ficuUrf dr la virde
amiUf , il s'occupe des personnes envers lesquelles ces qualités doivent
s'exercer, les enfants, les itarents et les heaux-parcnts. Il lui restait à en-
tretenir ses lecteurs du chef de la famille, c'est-à-dire de celui dont les qua-
lités et les défauts pcu> eut a\oir une si (;rande indueiicc sur leur l>»)nheurcl
celui de leurs enfants. I/importance du sujet a décidé M. (iliassay à ne pas
traiter en passant celte };rave question et à lui consacrer un nouveau volume
qui parait sous le litre des t'prruvrx du mariage.
Plus d'une fois l'auteur a été amené à réfuter les liypotlièses protestantes
sur la vocation et les devoirs de la femme cliréliemie. Il est ddlicile de trai-
ter un sujet de morale sans être obligé de combattre quelque erreur propa-
gée par la prétendue Réforme.
LfC.\i.kndrihr moral dk la jF.r>F5si:. — l nf pensée pour chaque
jour de l'année ; par J. Traiclet. 1 vol. in-18.
Ce livre a deux parties : dans la première , M. Traiclet présente une mé-
thode particulière pour faire pénétrer dans l'esprit et le cœur du jeune àae les
Srincipes, les préceptes et les maximes de la religion. Ce moyen spéci.il d'é-
ucation intellectuelle et morale consiste principalement à mettre , chaque
jour, sous les yeux de l'enfant une pensée religieuse ou une sage maxime, et
par divers procédés ingénieux , à fixer son attention d'une manière utile et
mtéressantc sur cette pensée, afin que, comme une semence jetée en terre,
elle germe , croisse et produise des fruits de vertu. C'est donc par
la réllexioji habituelle de 1 esprit, et l'applicition journalière de la volonté à
une vérité morale, que le maître forme son élève, et que surtout il lui apprend
à penser. C'est ainsi qu'il dé\el'tp|ie dans son cœur de bons et généreux
sentiments, et qu'il dépose dans sa jeune ùmc le germe des vertus chrétien-
nes et sociales.
Ensuite de l'exposé de sa méthode, et de quelques idées pédagogiques fort
judicieuses, fruit île l'expérience, M. Traiclet. pour confirmer son principe,
passe à la sec<indc partie île son livre, (jtii est la plus essentielle ; il donne le
Calendrier moral, dans lequel il allecle à clia(|ue jour de l'année une pensée
morale ou religieuse , comme sujet d'exercice. Ces pensées, justes, excellen-
tes et toujours instructives, sont puisées dans les Saintes Ecritures et dans
l'imitation de Jésus-Christ, ou extraites en substance de nos meilleurs au-
teurs ; elles sont bien coordonnées et forment, dans leur ensemble, comme
un petit code de morale chrétienne, qui endirasse nos devoirs envers Dieu,
envers le prochain et envers nous-mêmes V.u approuvant et en recomman-
dant celte publiiali.>n, vous contribuerez ii faire connaître et à répandre un
livre bon et utile, propre à introduire dant ientrignemrnt primatre une vé-
ritable amélioratton.
Tel est le résumé d'un rapport fait à l'évé^iue de Nancy sur cet utile ou-
vrage.
— Il va paraître prochainement une seconde édition des Contemplations
poétiques dOrlavc Uucrosdr Si\t ; le manque d'espace nous force à retarder
la publication de (|iiciques-uncs de i es belles cl eliréticnnes poésies; les suf-
frages de ri nurri cl du Vorrrspundant smil un imlice du succès réservé b
cette ofuvre de foi et de talent.
(i. .Mkrmillod.
DE L'AUTORITÉ
ET
DE LA RÉVOLUTION.
Uo omTage fort petit, mais tout gros de science, de raison et
d'intérêt , a paru dans le courant de cette année , sous le titre
de : Du principe d'autorité depuis 1789. Nous en parlons un
peu tard; mais le sujet qu'il traite devant être jusqu'à la fin du
monde à l'ordre du jour, on est toujours à temps d'y revenir.
Cet écrit, important par lui-même, l'est aussi beaucoup par
l'auteur auquel il est attribué. On le dit de l'Empereur des Fran-
çais; nous sommes portés à le croire. En 1851 parut un autre
petit ouvrage sur la révision de la constitution française, ou
plutôt sur la nécessité de détruire la république en France, et
cet ouvrage était du prince Louis-Napoléon, alors président de
la république. S'il est permis de juger les écrivains comme dans
les tournois on reconnaît les chevaliers par les couleurs qu'ils
portent , nous sommes portés à croire que les deux ouvrages
sont du même auteur. Il appartenait à l'homme de la Providence
de se présenter dans la lutte des idées et des partis comme le
défenseur de l'autorité. Dans une société qui sent le besoin de
se reconstituer et de s'affermir, c'est surtout l'autorité qu'il faut
connaître, qu'il faut chercher avant tout.
L'autorité n'est pas facile à définir. A force d'avoir été ballotté
5
/M DE L AUTORITE
au milieu des révolutions «lui se succèdent, le mot lui-mt^cost
devenu vieux, il a dû perdre la signification qu'il avait sous un
autre ordre de choses; nous ne sommes |)as étonnes cjuil n'ait
pas été compris «le tous, ni d»- la ménn? manière. I/efforl le plus
constant de notre épo(|ue, c'est de détruire l'autorité, de la di-
viser. de Tamoindiir , de la gaspiller, de la rendre douteuse,
\iagère, invisible. Que de fois déjà les ma^'istrats ont été obli-
gés de se dire ù eux-mêmes : où donc est rautorilé? Au nom de
(pii n-ndons-nous la justice?
I/ou\raj<e dont nous parlons fait l'histoire de cet alfaiblisse-
menl; mais ce (pii n(»iis étonne j;randemenl, c'est «pi'il ne le fasse
remonter (pi'à 1789. Si n«tus ne n<»us trom|>ons, il fallait cher-
cher |)lus loin les causes de l'ahandon du principe d'autorité.
En effet, l'autoriti" «]ui commence par être morale avant d'ê-
tre civile, ou si l'on veut, (jui commence par commander à la
conscience avant de diri},'er les actions, a reçu la première
atteinte au jour où une partie de l'Kurope, rompant les liens de
l'unit*' religieuse, se s«para de l'Église el proclama la légiti-
mité du libre examen. Ce jiassag»' de Dieu à l'homme, de lau-
lorité de l'Église universelle à l'autorité de l'individu, est le |>lus
grand événement (]ui put arriver au monde chrétien. A peine
tombé de la bouche d'un apostat, le libre examen fait invasioQ
dans tout ce (|ui tient à rintelligciuc humaine.
Kl pourquoi |)as .' Quand, dans les choses de Dieu, il est
permis à chaque individu de ne dépendre (|ue de soi, à plus forte
raison est-il permis de ne d(-|)en(ire (|ue de soi pour les misi-ra-
bles choses de I humanit*-. Nous sommes bien étonnés (|ue les
politiques et les philosophes moralistes n'aient pas été frap|>és
de cette cause première du dépérissement de l'autorité. Elle est
une, toujours identiipie à ellc-n«ème quand elle vient de Dieu,
mais du joui- oii il a ete permis a Lulhei de dire (pi'au li<-u d'être
placée sous la sauvegarde de l'Eglise et de sou chef, l'Ecriture
a été livrée à la raison particulière, par là même à la raison
de chaque individu, on, comme le veut Ma/./.ini, à la raison du
peiqth; , l'autorité perd son caractère divin, elhî cesse d'ôtre
autorité. En la chassant de l'Eglise, la raison, qui est consé-
quente, la chasse tle partout. Dès lors, à laulorile qui est la
ET DE LA REVOLUTION. 7{
cause (le Tordre succède tout naturellement l'indépendance qui
est le principe générateur de l'anarchie. Dans l'autorité il y a
quoique chose dunivcrsel qui lie les individualités; dans l'indé-
pendance, au contraire, il y a quelque chose de dissolvant qui
sépare et produit l'individualisme. L'autorité, quand elle conserve
son caractère divin, plane sur les individus et produit la so-
ciéiéet la civilisation; l'indépendance, qui commence et finit
dans l'individu, ne peut enfanter que la sauvagerie et tous les
maux qu'elle tialne à sa suite. L'autorité étant la raison d'être
de l'ordre social, peut sallier avec la liberté la plus étendue-
l'indépendance ou l'individualisme, cause nécessaire de division!
ne peut se maintenir dans une société qu'avec la force et l'es-
clavage. Comme il est facile de le voir, les deux principes portés
chacun à son extrême ont des conséquences bien- différentes.
L'autorité reconnue, admise partout, produit l'ordre parfait le
bonheur, la civilisation, le beau idéal de la société; l'indépen-
dance, quand elle est admise par tous les esprits, conduit à l'a-
narchie universelle, au Prudhonisme, au brutalisme complet
L autorité honore l'homme, l'élève, le rend plus digne en ne
lui demandant l'obéissance qu'au nom de Dieu à qui tout l'uni-
vers obéit; l'indépendance qui semble au premier abord flatter
son orgueil, le dégrade et l'avilit. Pour l'homme qui refuse de
reconnaiire l'autorité fille du ciel, il n'y a pas de milieu, il est
tyran s'il est maître, il est esclave s'il obéit. L'un ne vaut pas
mieux que l'autre.
IL
Une fois admis dans le monde, le principe du libre examen a
par la puissance logique des faits, pénétré dans toutes les doc-
trines et toutes les institutions. Un torrent débordé s'étend tout
naturellement dans la plaine, et ses eaux pénètrent partout. Sui-
vons-le, s'il est possible, dans ses envahissements.
La dogmatique, en passant du régime de l'autorité sous celui
du libre examen, se transforme tout-à-coup en un champ de
/ 2 DE L AITORITE
(iévaslatiou. Cliuquo indiviiiu.ile quel(|iie posilioa ou de quelque
capacit»' (|u'il soit, priiur ou urtis:m, lisserand <»u général, armé
d<' la sape du libre examen, se inei à renverser celles des co-
lonnes de rédilice religieux, qui sont le plus à sa portée ou à la
porite de son intelligence et de ses forces. Abattre toujours,
abattre partout, \oilà ce que Ton voit. Rien n'est plus curieux et
plus triste à la fois (jue le spectacle de ce travail dt; mort auquel
on a donne le nom de Réformation et «pii dure depuis trois siè-
cles sans a\oir cliangt de caractère. Rangés en grou|>es autour
de l'édilice religieux, commandes par des chels (jui ditlerenl de
vues, de but et d'intérêt, les réformateurs sont nuit et jour
occupés à abattre sans jamais essayer de reconstruire. Ici on
détruit trois ou (juatre sacrements, là on les re|>ousse tous ég;»-
lement. D'un côté, on veut l'Eglise avec sa hierarcbie, de l'au-
tre on proclame l'égalité entre tous ses membres. Les uns veulent
l'Écriture telle que l'a transmise la tradition, les antres veulent
choisir les parties ipii nieriient d être conser\ées et encore les
épurer en les soumettant à l'examen de leur intelligence privée.
Un grand nombre rejettent les vertus de conseil et tous s'accor-
dent à lepousser l'autorité représentée par celui à qui Jésus-
Christ a dit : Paisse/, mes brebis, paissez mes agneaux; Pierre,
j'ai prié pour que votre foi ne vienne jamais à défaillir, je vous
donnerai la clef du royaume des cieux. De Luther, de Calvin,
d Henri NUI cpii n'ont d'abord voulu que mutiler l'u-uvre de
Dieu, jusqu'à Strauss qui a tenté d'en détruire jusqu'à lu dernière
trace, il n'y a de différence réelle que dans la hardiesse et les
movcns employés pour renverser l'édifice du christianisme; les
|)remiers ( ommençaient par le toit , les seconds s'atta(piaient
aux fondements.
Il nous semble (pie l'on n'a |»oint encore assez, dévoile cette
la< e de mort sous laipielle doit apparaître la Réformation qui
depuis trois siècles continue à fouiller le sol religieux. Klle est
tellement hideuse que le protestantisme la cache aut^int qu'il le
peut. 11 alVecte de av présenter au monde comme une religion.
Il s'efforce de ne montrer aux regards des investigateurs que la
portion de vérité qu'il a conservée ou qu'il se propose de con-
ser>er encore, espérant que cette portion est a.sse/. belle pour
ET DE LA REVOLUTION. 73
satisfaire les plus exigeants. Vain espoir! l'histoire, Ja raison,
l'expérience, le bon sens sont là pour dire que pour un vrai
protestant, uno doctrine, quelque chétive qu'elle soit, ne peut
être que provisoiremeiil admise. Après des réformateurs timides
et réservés, viendront des réformateurs hardis, vigoureux qui
mettront la main à la cognée et couperont tout ce qui reste.
Mainte fois les prolestants, effrayés eux-mêmes de la rapidité de
leurs progrès vers l'anéantissement de toute foi, ont essayé de
s'arrêter sur la pente en dressant des symboles, en cherchant à
fixer, dans des constitutions écrites^ quelques articles capables
d'indiquer au moins quelques points de repaire dans le désert
de leur esprit; inutiles efforts! La Réformation s'attaquant à
elle-même, arrachait ces jalons où son nom du moins restait
encore écrit. Avec l'individualisme porté dans les choses de la
conscience, les professions de foi ne sont plus possibles. Le pro-
testantisme, s'il est sincère, ne doit pas s'arrêter au milieu du
chemin, la négation de toute vérité révélée l'attend au bout de
sa carrière. Au lieu de commencer son symbole par ces mots :
je crois en Dieu et à son Eglise, il doit se contenter de dire :
je crois en moi et à ma raison. C'est le Prudhonisme religieux.
Avant que l'autorité fut écartée des choses de ce monde, toute
législation prenait son point de départ dans la loi première, la
loi fondamentale de toute loi. Alors les ordonnances humaines
participant à la justice divine, commandaient le respect et méri-
taient l'amour. Du moment, au contraire, où l'homme a cru
pouvoir dire : ma loi vient de moi, le principe de la législation
a été changé, l'utilité a remplacé la justice, et comme l'utilité
varie autant que les individus, la législation est une guerre per-
pétuelle et la loi qui en sort est une victoire de parti, une pierre
d'attente pour de nouveaux combats. Si l'on voulait méditer at-
tentivement les centaines de mille lois qui sont tombées comme
une grêle sur la société depuis soixante ans, il en est peu au-
dessous desquelles on ne parvint pas à découvrir la passion de
l'individu. La fonction du législateur est descendue jusqu'à n'être
qu'un métier ordinaire, et le législateur qui était si grand quand
il était inspiré par l'éternelle volonté du grand législateur de
l'univers, s'est transformé en un misérable économiste cherchant
7i Itr LAITOKITE
la mosiirt' du hit-u dans Ui scnsiinlitr. cl Trlendue du progrès
d:iiis l:i diiriH' d'une vio passagère. Que resterail-il de 4oule
celle l(';;isl:ition si l'on on retranclKiit 1rs lois de rrdrro, de ven-
geance, de ( U|)iditt' , de liainc et d";nnl»ilit»n?... Si l'on veut
arrêter la révolution, il faut commencer par sortir de cette
voie.
Juscpi'à l'introduction du piincipe prol"stanl , la philosophie,
celle science de raison avail pris son point de départ dans les
sûres vérités de la rév«'lation première et de la tradition; mais
dès lors, ne vouhint d'antre autorilé (]ue celle de l;i raison indi-
viduelle, elle se lance sans }<uide , sans appui, sans boussole ,
sans critérium à travers le mobile océan des fantasques concep-
tions de l'esprit humain et des revers de rima^Mnatif)n. L'aban-
don de l'autorité devant nécessairement produire l'isolement des
inlellij;ences, il n'y a plus de mailles, plus .d'éioles et partant
plus de foi. La philosophie devient un amas de systèmes incohé-
rents dans le(|uel chacun |)eut choisir celui (pii est le moins an-
lipathi<|ue à s»'s ^oùts, c'est le chaos des idées, la divagation <le
la pensée sans frein, c'est le prudhonisme intellectuel, l^s mê-
mes causes devant [)roduire partout les mêmes effets, la liberté
de la raison a jeté le doute universel sur le protestantisme comme
sur la philosophie. Dans l'un el lautre cas, la raison desespérée
cherche ù se reconstituer. Les protestants se rassemblent à Berlin
pour se construire un svmbole, et la philosophie, cet enfer où
les opinions s'entredevureni, s(î «onslilue en «'clectisme ilans lu
folle espérance de trouver encore assez de vérités pour former
un symbole à son usage; mais du sein du catholicisme où elle
a été reléguée, l'autorité leur crie : entre vous et moi, il y a le
chaos.
Le libre examen a aussi fait invasion dans la morale. Avant
le protestantisme elle avait sa règle dans les dix lignes «pii ,
descendues du Sinai , retracent si admirablement, et on peut
le dire, si miraculeusement tous les devoirs de l'homme «n-
vers Dieu , envers son semblable et env«'rs lui-même. Kman-
cipé'c par le protestantisme , la raison abandonne la parole
de Dieu el va chercher la règle des actions dans nous
ne savons ipnlies lois occultes auxcpielles on donne le nom
I:T I)K la REVOLUTION. 75
indéiinissablo de lois naturelles. Le? libre examen admis à pa-
tauger dans les obscures et vagues notions qui sont si chères à
la pliilosopliie, en fora sortir avec une incroyable facilite'' toutes
les ininioralitcs qui pourront convenir aux passions du cœur. On
en fera sortir, selon les occasions différentes, la poligamie , la
promiscuit('', l'inceste, le vol, le meurtre, le parjure et tout ce
qui pourra convenir aux convoitises du cœur humain dont la
loi la plus fortement accusée; est de convoiter, de convoiter tou-
jours. On s'étonne de voir l'assassinat admis, prêché, ordonné,
dans des associations assez nombreuses pour faire trembler l'Eu-
rope ; on s'étonne de voir cette doctrine mise en pratique dans
tous les pays; il serait mieux, ce nous semble, de s'étonner de
ce que les gouvernements ont partout favorisé un enseignement
au-dessous duquel se trouve une absolution pour tous les
crimes.
On se tromperait grandement si l'on pouvait croire que la
littérature a pu échapper aux désordres qui ont du accompagner
le libre examen. Jusqu'à la révolte du seizième siècle et même
pendant le dix-septième, la république des lettres était soumise
à une législation qui, remontant aux siècles les plus reculés de
l'antiquité, avait été encore fortifiée en traversant les âges du
christianisme. Les idées d'ordre, d'harmonie et de subordina-
tion que porte avec lui le catholicisme qui était la loi fonda-
mentale de l'Europe au moyen âge, s'étaient ajoutées aux idées
de la Grèce et de Rome pour régler les lettres. Aristote, Lon-
gin, Quintilien, Cicéron, Horace, Boileau, Rollin et mille autres
législateurs, après avoir interrogé la nature, le bon sens et l'ex-
périence, avaient dicté des préceptes auxquels tous les écrivains
se faisaient gloire d'être soumis. Dans les lettreS;, aussi bien que
dans la société, la légalité était observée. L'ordre alors décou-
lant de la pensée particulière dans la pensée publique, y faisait
régner l'harmonie qui est un des caractères du beau.
Quand à la suite du libre examen, la souveraineté individuelle
eut passé dans la religion, dans la morale et dans la politique,
les écrivains durent bien vite abandonner les anciens maîtres de
l'art, et ne prendre pour règle que le caprice de leurs volontés
et de leurs goûts. En prenant la plume, chacun dut se dire : Je
76 UE LAITORITE
serai à luoi-iiiiuif ma règle du beau, du jusle et du Mai. Dès
lors, l'anarchie a pesé sur les travaux de l'esprit et le moDS-
irucux dans tous les fîenrcs a pris la place de l'Iiarmonicuse ré-
gulariic; un ne s'est plus iiKiuit-ii- ni du beau, ni du vrai, ni de
l'honnîïte, od a surtout clierohé ce «pii pou\ait étonner, scanda-
liser et faire peur. 11 en est résuit»; une certaine lillcralure nau-
séabonde aussi étrangère au bon sens qu'elle l'est au bon goûl
à la<|uelle on a donné le nom de romantisme. Expression de
toutes les corruptions de la mauvaise nature «'t de toutes les io-
llrmités de l'esprit, le rumantisme, soit le prudlionisme littéraire,
est tievenu, comme on pouvait s'y attendre, le langage laNori de
la démagogie.
Tour passer dans la poliliipie, le libie examen avait de gi-ands
obslaclesà vaincre; la tradition, lesdroilsacijuis, les habitudes pri-
ses, les intérêts personnels, la saine raison, tout semblait s'o|)|>oser
à ses succès politiques. Admettre le libre examen des institutions
qui avaient jusque-là règle la soci«'ié, c'était la remettre en
doute. Si les princes (1) avaient pu, de leur |)rime abord, com-
prendre combien de calamités coûterait^au monde l'abandon du
principe d'autorité, il est infiniment probable que la révolution
ne serait ni si avancée qu'elle l'rst, ni si dillicile à retenir. Nous
disons la révolution, car il ne faut pas oublier que la révolution
qui s'opère consiste à substituer l'autorité individuelle, pariicu-
lière, à l'autorité absolue universelle. La révolution n'est deve-
(i) .Nous croyons devoir avertir le lecteur que, par F'rince, nous n'cnlen-
(lons pas celui qui est issu de sang royal , mais toute personne placée à la
itMe d'une nation. Qu'elle soil homme ou fenune. Empereur, Roi. Toiiseil,
Président, pou importe, elle e.st Prinrrps, Phmus. Pra-sri, Pratul. Pnrpo-
filut, etc.
Nous devons avertir encore que. par le mot IVupie. dont nous nous ser-
vons assez souvent, nous entendons In pirtie la plus nondireuse d'une na-
tion. I>es divisions aneicnncment admises n'étant plus possibles, nous en ad-
mettons une beaucoup plus simple el surtout plus vraie. Il y a dans tout pays
deux sortes «le personnes, celles qui vivent du tia\ail de l'intellif'ence el
celles qui vivent du travail des bras. Les ^)remiérrs gouvernent, elles for-
ment laristocrotie ; les serondes obéissent, elles forment le peuple. Comme
toujours et comme partout, on |>eul passer d'une classe dans l'autre à cer-
taines eondititms.
ET DE L\ KEVOLUTIO'. 77
nue possible que quand, à force de ruse, de perfidie et de per-
•versiié, les conspirateurs sont parvenus à atteler les princes à
son char.
Une chose digne de romiirque, c'est que la liberté d'examen
s'introduisit dans la politique en France à l'époque même où le
peuple français avait perdu toutes ses libertés.
En effet, il y a une liberté qui va jusqu'au peuple, une liberté
qui lui apparlienl, c'est la liberté civile ou entière ou réduite à
de justes proportions. Un gouvernement qui viole cette liberté
fait une usurpation, il devient coupable, il est atteint d'un mal
dont il périra. La statolâtrie est un crime qui méiite la mort. Le
prince a sans doute des droits et doit en conséquence avoir de
l'autorité; mais il n'est pas le seul. L'autorité est dans tous les
membres du corps social. Si l'un d'eux vient à être paralysé, il
y a pour le tout souffrance et diminution de force, et quand tous
les membres sont atteints, la mort s'ensuit.
La société française n'avait pas conservé les libertés civiles
dont elle avait anciennement joui ; mais elle en gardait le souve-
nir, et quand la violence était trop forte le peuple faisait entendre
ses doléances qui arrivaient jusqu'au pouvoir. Mais trop souvent
le pouvoir faisait comme la mort, quand il entendait les plaintes
du peuple, il se bouchait les oreilles et le laissait crier. Alors
il y eut du malaise dans toute la nation et le libre examen en
profila pour se glisser dans l'arène, citer le pouvoir à sa barre et
le condamner. Or, du pouvoir à l'autorité il n'y a qu'un pas, et
ce pas fut fait, l'autorité disparut. Dans l'absence de l'autorité,
le pouvoir fut mis au pillage, chacun en voulut sa part, et cette
part chacun prétendit se la faire à la mesure de ses appétits.
Pourquoi pas! En l'absence de l'autorité légitime, la force est la
seule mesure du droit.
On nous parle souvent des conquêtes de 89 ; elles se résument,
ce nous semble, dans la destruction de l'autorité, dans le triom-
phe de l'individualisme et l'indépendance du sujet. Il est cu-
rieux, à celte époque d'anarchie, d'examiner comment se tra-
duit dans le langage, la révolution qui s'avance sur le char de
la raison émancipée. C'est la liberté de la pensée; l'émancipa-
tion de l'esprit humain, l'égalité des hommes, la souveraineté
78 i»E l'aitokitk
du peuple, les droits de l'homme, la pondération, l'équilibre des
pouvoirs, la liherlé <Jc la parole ei de la ((tnsrienre cl eent autres
inepties de re genre. Au-dessous de toute logomarhie, il y avait
une chose, rindcptiidance alisolue de l'individu, r'està-dire l'a-
narthic et le pruillidnisnic social. Voilà la Ncriialile roufpnMe
de 89.
Pourtant le principe d'aulorite n'a pas «piilte le monde, il se
montre encore dans l'ordre moi-al comme dans l'iirdre physique.
La société qui est l'ouvraj^ede Dieu doit durer, or pour qu'elle
dure, pour (pie la vie c ircule dans son sein, il fatit que le prin-
cipe d'autorité se trouve à portf't» d'y revenir. Eh liien ! nialj;ré
les efforts (pie l'ont les ennemis de l'ordre pour étouffer l'auto-
ritt\ elle vit dans les doctrines, dans les ensei'jnemenls , dans
la constitution de l'Ej^lise catholi(iue. En apprenant aux hommes
qu'un Dieu a créé le monde, (ju'ime Providence veille sur lui,
que ce même Dieu (jui a réveh' les lois m(»rales, a établi un en-
seignement visible poiir les préserver de l'erreur ; le catholicisme
étalilit l'aniorité dans la raison, et en la prenant ailleurs il la
place sur la raison. .Viissi il est la seule école d'autorité a( tuel-
lemenl ouverte dans le monde. Infatigable défenseur de la so-
ciété, il n'a pas failli A sa mission ; mais il est seul actuellement
à lutter contre la révolution. Cependant il ne se décotirage pas.
Professeur de la hberte universelle, il ne |»eut la déposer dans
les iriielligences sans y déposer en même temps les germes de
rautorit('. les raisons An devoir et les principes générateurs de
l'ordre. Il ne faut désespérer de rien ; si jamais les innombrables
ennemis de l'autorité, protestants, sehismaiicpies, rati(malistes,
indépendants, and)itieux de toutes les catégories, tous ligués
contre Dieu el contre son Christ, parviennent à plonger le monde
dans le chaos de ranar(hie, (piebpie missionnaire inconnu
viendra souffler sur l'étincelle catholique, raviver dans les esprits
celte lumi(''re (pii éclaire tout homme venant dans ce monde el
recommencer la civilisati(»n (jui ne fui et ne sera jamais possible
qu'avec Dieu et l'autorité.
ET DE LA llEVOLirno?*.
III.
79
Après cette digression qui nous était nécessaire pour faire
connaître où en est l'autoiilé cl quelles sont les causes qui l'ont
si fort affaiblie, revenons à l'ouvrage que nous nous sommes
proposé d'examiner.
L'auieur du principe d'autorité depuis 1789 a entrepris d'exa-
miner quelle est la dynastie appelée par la Providence à arrêter
le cours de la révolution et à rendre à la France le principe
d'autorité sans lequel une nation n'a pas sa raison d'être. Ce
but est la partie ostensible des motifs; elle est parfaitement
traitée dans la première partie. Nous avons cru en décou-
vrir un autre plus intime qui se trouve dans la seconde partie
et le voici : La France a pu redouter que le pouvoir nouveau
sous lequel la Providence semble avoir pris soin de la placer ,
ne fut qu'une continuation de ceux qui ont passé et qui , par
aveuglement ou par une ambition mal entendue, se sont faits les
instruments de la démagogie. Deux raisons auraient pu donner
à celte crainte quelque apparence de légitimité. La première,
c'est le langage dont S. M. l'empereur s'est servi dans quelques
circonstances où il n'a pas craint d'invo(iuer les principes de 89 et
ensuite de paraître faire alliance avec la démocratie qui est sor-
tie de ces mêmes principes et a commencé à se montrer à celte
époque.
Pour rassurer les partisans de la monarchie qu'il voulait ré-
tablir, il fallait bien expliquer comment il était possible de con-
cilier la révolution de 89 et la démocratie avec l'Empire. En effet,
vouloir établir une monarchie forte , durable , capable de faire
reculer la révolution toujours menaçante en s'appuyant sur la
démocratie et les principes de 89, paraissait un problème diffi-
cile à résoudre. L'auteur a essayé de le faire dans la première
partie.
La seconde raison de crainte était une prédiction sortie de la
80 I»E L*AtTORlTE
plume du jn'and philosophe des temps modernes. L'universel de
Maistre, qui av;iil pnilit le sort de la icvoliiiidii Iranraise el la
fin de la première répui)li(|U(', avait aussi annoncé qu'après avoir
rétaldi la monarclii»*, lionnpnrte (hsjiarailrait lui et sa race. Or,
il est bien |)ermis de u'êlre pas parlaitcnH'Ul rassuré devant les
paroles d'un homme de celte taille; il fallait donc les réfuter,
et l'auteur l'a lait avec beaucoup d'éloquence dans la seconde
partie.
Nous avons lieu de croire que ces deux parties ne sont pas de
la même main. La première, froidement philosophique, poursuit
avec nue lo;,'ique imperlubable la démonstration du problème
politique (|uil a pose, à savoir que l'Empire seul est appelé à
vaincre la révolution et l'anarchie toujours sur le point de se
remontrer. La seconde s'attache principalement à démontrer
que l'Empereur est souverain léj^itime, el qu'en invoquant les
princi[)cs de 89, il est loin de; vouloir la r«''Volution et moins en-
core la démagojîie. Dans la |)remière partie, c'est la science po-
liti(]ue, la profondeur, l'élévation et la force d'«'Xpression. Dans
la seconde, c'est l'éloquence, c'est res[)rit qui domine. La pre-
mière est la leçon d'un maître, la seconde est le plaidoyer d'un
habile avocat; toutes deux concluent -^ l'Empire. C'est fort bien;
mais l'autorité (]ui est en cause suivra-l-elle l'enqiire? Ce prin-
cipe (|ue la révolution a <l<(i iiit, «pie la Hestauralion n'a pu faire
revivre, que la royauté de juillet aurait achevé de ruiner si déjà
la chose n'avait rw faite, ce principe est-il tellement attaché à
rEuq)ire (|u'ils doivent n<''cessairement se trouver unis? Esl-il
bieu sur que l'Empire veuille et puisse prendre tous les moyens
de lui ren<lre la vie? Voilà ce qu'il importe de savoir et <pie nous
nous permettrons d'examiner. S'il y a encore du danj^er, il se-
rait trop cruel (le laisser le pouvoir s'endoiruii" dans une fausse
sécurité et de le voir ensuite r(''veille par la foudre qui le ren-
verse.
Arrêter la n'volution ipii depuis deux siècles n'a pas cessé de
marcher et dont le mouvement s'est accéléré d'une manière ef-
frayante depuis la lin du siècle passé, est une entreprise bien
hardie; elle sullirait à elle seule pour ih'celer un ^rand génie
dans celui qui oserait l'entreprendre. Kelever un empire (|ui
I
IT DE LA l'.EVOMTION. 81
tombe, rendre des conditions de vitalité à un peuple en déca-
dence, restaurer une société démoralisée , faire luire la vérité
dans des inti'llij;ences obscurcies par les ténèbres de l'erreur,
redresser des opinions faussées, ce serait plus que vouloir fixer
sur un plan fortement incliné, une masse arrondie dont la pe-
senteur dépasserait celle de la terre ; pour cela, il faudrait plus
qu'un géant, ce ne pourrait être que l'œuvre d'un Dieu. Jus-
qu'ici, il faut l'avouer, ce Dieu s'est montré favoraJ^le à l'Em-
pire; car c'est par l'empire qu'il a sauvé la France et l'Europe
au moment où ils étaient sur le point de faire le dernier pas
vers les abîmes de l'anarchie. A ce moment suprême, fort de
volonté, généreux par caractère, ayant foi à son nom et à sa
destinée, un homme enfin tels qu'ils sont quand Dieu les envoie
pour les grandes choses ou les grands besoins; cet homme, aidé
sans doute par un bras plus puissant que le sien, a suspendu le
cours de la révolution. L'a-t-il arrêté? Nous ne le pensons pas,
et nous dirons pourquoi : Dieu sans doute s'est montré pour
lui. Dieu a fait beaucoup, il est prêt à faire plus encore; mais
il veut dans les choses de ce monde, comme dans les choses de
la grâce , le libre concours des volontés. Ces volontés seront-
elles longtemps, seront-elles toujours disposées à travailler avec
Dieu et selon Dieu?...
L'auteur c?w Principe d'autorité depuis 1789, saisissant d'un
rapide coup-d'œil l'histoire du demi siècle qui vient de s'écou-
ler, montre avec une lucidité sans égale les fautes qui ont été
faites par les dépositaires du pouvoir. Tout ce qui a passé sur
l'horizon pendant celte époque d'agitation , a donné son coup
pour saper l'autorité ; aussi on la voit tombant de chute en chute
dans des mains qui la livrent aux ennemis qui l'attendent pour
la détruire à jamais. Sous la royauté légitime, ce sont des con-
cessions scandaleuses que l'on fait à la révolution , et sous la
royauté d'expédient ce sont de criminelles connivences.
En tout cela l'auteur obtient une facile victoire. En politique
comme en philosophie, le terrain est facile à déblayer quand il
ne faut qu'enlever les débris informes qui le couvrent. Tout ce
qui n'est pas vrai d'une manière absolue tombe devant la raison
qui reste toujours maîtresse de détruire son ouvrage. Le diffi-
82 i>E l'aitorite
cilo, l'est «le loconsiniirc. (l'est là (|iic nous attcMulons IKuipiro.
Il dit d'abord ce (|u il ne fera |>as.
Il c&i&lc, ilu reste, dit-il, un critérium excellent pour juger si un pouvoir
se trouve dans des conditions naturelles et vraies . c'est de voir s'il possi'îdc
les allrihuts essentiels de rautorito. Or l'aulorilé est inxiolubic et sacrée : est-
ce IKinpire (|ui a laissé violer son sanctuaire par la réxolle? L'aiitorité est
invincible : est-ce l'Empire qui a cté vaincu par l'esprit révolutionnaire?
L autorité est fcrnie : est-ce rEn»|>ire (|ui u failli <le\anlle desordre? Lau-
torité doil parder le troupeau : est-ce l'Kmpirc qui l'a livré sans défense aux
appétits démagogiques? L'autorité doil faire révérer la religion : est-ce l'Em-
pire qui l'a compromise par une protection maladroite, ou laissé insulter par
le sac de ses temples ? L aulorilc est la gardienne des lois : csl-cc l'Empire
qui a pernùs aux barricades de se dresser contre elles et de nielire à leur
place l'anarchie? Ainsi, les causes et les cfTels, les conditions d'existence et
les opinions, tout concourt à démontrer que depuis longtemps la France n'a-
vait rien fondé d'aussi nécessaire , d'aussi national et d'aussi logique que la
nuiuarchic iiujuriaic.
On peut, d'a|)rès cela, conclure (|ue, fort de son aniécédent.
profilant de re\|)('rien(e du passé, l'Empire ne tombera pasdau>
les ernmr'nls (pii ont perdu la royauté el (pi'il erhappera à
toutes les embûches qui lui seront dressées par d'habiles rons-
pirateiirs; mais tout cela n'est poini encore assez pour n'iabiir
le princijM' d'autnrilé. Ce serait l'aMiNre de plus d'un siècle. Eu
le dé(tlaçant d'abord el ensuite eu deiruisanl le |)rincipe d'auto-
rité, le ])rotestanlisuie ralioiiajisnie miti^'e, aidé du rationalisme
pur. est parvenu à donner pour base do l'ordre, la force et les
intérêts matériels qui vont n-chauffer au fond des cœurs la cu-
pidiii-, l'ambition, le sensualisme, source trop fertile d'ant;igo-
nisme, <le rivalité el de guerre perpétuelle. Or, pour rempla-
< er sous le monde moral ces faibles étais par une base capa-
ble de défier le temps, il faudrait bien de la persévérance dans
les volontés, dans les moyens, dans les inslilutious. Klilqui ptiii
persévérer dans une épiupie oii tout est au provisoire?
Nous l'avons digà dit, l'autorité est ipielque chose »Ie moral
qui doil avoir s;i racine dans les cœurs, el qui ne peut y germer
que lentement sous l'influence de renseignement, de l'éducation,
«les habiuidfs et des mteurs. C'est une foi sociale <]ui vient ù
la suite des dogmes et «pii s'en va quand vient l'inrrédulitc. Or,
i:t ni: la i;i;voi,ltion. 83
(jui ne voit i\nc riiicrédulilé politicjue veoiie ù la suite de l'incré-
dulité religieuse a hieniùt envahi tous les esprits! Qui ne voit
que la foi politique ne pourra revenir qu'avec la foi religieuse!
Maisquede lenq)s il faudrait poui- replacer dans les intelligences
les raisons de l'ordre que l'on voudrait ensuite voir se refléter
dans la société. Une génération démoralisée ne se convertit pas
comme pourra le faire un individu , il faut qu'elle passe. Celle
qui vient après, qui a vécu dans son contact, plus ou moins
atteinte de la contagion, ne vaudra guère mieux, il faut en-
core (ju'elle passe. Les mœurs vont avec les siècles et non
avec les jours. La tâche que l'Empire assumerait sur lui
serait donc immense. Il faudiait supposer dans ceux, qui en
tiendraient les rênes une longue durée, une grande persévé-
rance de volonté et d'action, une certaine continuité d'intelli-
gence, et, avec tout cela, le concours de la Providence, qui, du
reste , ne manque jamais à ceux qui consentent à marcher avec
elle. Est-ce bien là ce que nous voyons?
L'Empire veut sauver les principes de 89. Il y a quelque chose
de bien équivoque dans celte déclaration. Contient-elle une pro-
messe ou une menace? Nous ne le savons. Toutes les fois que
nous entendons parler des principes de 89, et Dieu sait combien
de fois cela nous arrive, nous nous demandons à nous-même, et
nous demandons aux autres quels sont donc ces principes? Nous
aimons la clarté et la netteté dans renonciation des choses. On
ne nous répond que par des tergiversations, des phrases embar-
rassées et de fausses allégations. Voici ce que le livre de l'auto-
rité contient de plus précis sur ce sujet : « Quant au temps pré-
» sent, dit-il, on ne niera pas que nous ne possédions la liberté
» civile dans tout son développement. Nous avons avec l'abolition
» des privilèges, avec l'égalité de tous devant la loi et la répar-
» tilion proportionnelle de l'impôt, la liberté individuelle, la
» liberté de la conscience, la liberté de l'industrie, la liberté de
» la propriété. Voilà la solide et précieuse conquête de la civilisa-
Blion moderne, etc.
Nous commençons par convenir que nul pays en Europe ne
jouit d'autant de liberté que la France; mais nous sommes loin
de croire qu'elle possède la liberté civile dans tout son dévelop-
I
84 i>E l'autorité
pftnent. Dans un pavsoîi le p^ro de faniillt' iit- |»»mii, jpns soi,
disposer de sa foriiiiie (|ur selon le hoii |»laisir du code , où ses
enfants lui sont ravis parla conscription, oii tout un attirail de
lois universitaires se présente pour drlenniner le degré d'in-
struction qu'ils devront a(-(]Utrir pour |)lairc à l'Etat; dans un
pavs où toute œuvre de charité doit passer S(»us les fourches cau-
dines du gouvernement, sous peine de nullité, oîi la commune
ne peut gérer ses avoirs, créer ses «'lahlissemenis publics, se
fonder des iiislilulions, sans avoir au préalable soutnis toutes ses
volontés à des volontés étrangères qui sont incapables de les
apprécier, ni même de les bien comprendre; dans un pays enfin
oii le peuple paie des impôts cpi'il n'a i)as consenti, il ne faut
pas parler de liberté civile, à moins qu'on ne veuille donner ce.
nom de liberté à un système inventé tout exprès pour étouffer la
liberté.
On s'efforce aussi de faire homiciir à 89 de l'abolition des pri-
vilèges et de l'égalité devant la loi. II va trente ans qu'on ne cesse
de nous répj'ter cette fable. Pourtant, malgré la fâcheuse dispo-
sition que nous trouvons partout à se contenter de mot^ vides de
sens, nous doutons que les publicistes qui s'en servent aient la
moindre croyance à celle assertion.
Il est vrai (pi'eu France, comme partotit, on est égal devant la
loi ; mais |>our être vrai, il laui bien vile ajouter que c'est de-
vant la loi qui établit les inégalités et les privilèges. Jamais so-
ciété ne fut plus loin de l'égalité (]uc ne Icsi la nôtre. Depuis
que l'État s'est substitué à l'individu, à la famille, a la com-
mune, est-ce que tout n'est pas devenu privilège? Fonder imr
aumAne, établir un hôpital, exploiter une industrie, enseigner
des enfanls, rendre la justice, défendre une cause, dresser un
acte, porter une assignalion . donner des soins aux malades,
vendre des drogues, t( nir nn cabaici. etc., etc., ne sont-ce pas
des privilèges que donne la loi, comme elle en donna et en
donnera toujours.^ Nous ne trouvons pas que tout soit à bU^mer
dans ces prévoyances ; mais ce qui nous parait élraDgc, c'est
que l'on veuille faire de cette égalité devant la loi une conquête
de 89. Est-ce (pi'aiiparavant la loi ne créait pas des inégalités,
comme elle le fait aujcmrd'huiP Pour être moins nombreuses
ET DE LA REVOLUTION. 85
peut-être qu'elles ne sont à [nésent, étaient-elles moins légi-
times? La loi d'alors était-elle moins apte à faire un baron, un
marquis, un duc et pair qu'elle ne l'est aujourd'hui à faire un
médecin, un avocat, un préfet, un juge, un ministre ou tout au-
tre chose?
Avant 89, dit-on, les privilèges venaient de la naissance plus
que de la loi : c'est une erreur; ils ne suivaient la naissance que
parce que la naissance était elle-même dans la loi. Est-ce que
de nos jours la naissance ne donne pas des prérogatives légales ?
N'est-ce pas la naissance qui vous donne une patrie, le nom de
votre père et les biens de votre famille? Quels privilèges pour-
raient jamais, dans une belle âme, égaler ceux-là? N'est-ce pas
encore à la naissance que se trouve attachée la succession du
pouvoir dans les monarchies modernes? La légitimité qui est un
article fondamental du droit public européen est, sans contredit
la plus admirable institution des pays civilisés ou ceux qui veu-
lent le devenir. Pourquoi cette légitimité ne rayonnerait-elle
pas du centre à tous les points de la circonférence, et n'assure-
rait-elle pas la perpétuité de la famille comme on veut qu'elle
assure la perpétuité de la nation? Pendant que cette loi de vie
ne sera qu'une exception, qu'un privilège de la dynastie, nous
redoutons bien qu'elle ne puisse jamais devenir une institution
nationale, un article fondamental du droit politique d'un peuple.
Mais laissons l'examen de ce grand problème à de plus experts
que nous.
On ajoute encore que s'il y a des privilèges établis par les
lois, ils ne blessent pas l'égalité, puisque tout le monde peut y
parvenir. Cette assertion n'est guère plus vraie que l'autre. Il
n'est pas vrai que tout le monde puisse y parvenir. Les privilèges
naissent les uns des autres comme les branches de l'arbre nais-
sent dn tronc. Or, ce tronc auquel se rattachent les privilèges
est toujours le même, la naissance qui donne la fortune et la
fortune qui donne la position ou le moyen de l'acquérir. Tel a
pu devenir avocat, médecin, préfet ou ministre parce qu'il a pu,
par l'étude, acquérir les connaissances indispensables à ces
charges. Pour l'étude il fallait le loisir, et pour le loisir il fallait
6
8(i DE LAL'TdRITK
I» forluoe et jus(|u'ù un certain point la naissance ou la position
de famille.
L'égalili- tlevant la loi, l'aholiiion dos piivilcj^es ne sont donc
|K)int (les concjuctes de la révolution. Quand nous entendons des
pubiic'istes distin|^'ués d'ailleurs, nous assourdir à force de noiLS
répéter ce contre sens , nous sommes tentés de croire qu'ils
obéissent à un de ces mots d'ordre que l'on transmet sans se
croire obligé d'en examiner la portée.
Quiconque voudra examiner avec franchise, loyauté cl df^in-
tére«senieiil les jirincipes qui ont été post'-s en 89, principes dont
nous subissons les funestes conséquences , sera forci- d'avouer
que rien n'est sorti de ce mouvement, si ce n'est le discrédit de
la proprii'ié la libelle illimitée des impôts, ranéantissement de
toute leprcsentaiion et le déplacement du despotisme ipii était
venu au monde avec le i)roteslanlisme et cjui, à celte époque, a
passé d'un trône sur des hancs. Un lioronic de génie, M. de Bo-
nald, a parfaitement détini la lévoluiion de 89 <|uand il a dit que
c'était la guerre des infériorités jalouses contre les supt'-riorilés
nécessaires.
Pendant que les Étals généraux étaient respectés et qu'on leur
permettait d'obéir au but de leur insliuiiion première, la France
avait une véritable représentation, tous les intérêts trouvaient
des défenseurs et même des d«''fenseurs obligés; car chaque dé-
puté ayant un mandat, un pouvoir réel, il était dans toute la vé-
rité de l'expiessioii le d<'posiiaire des volontés du peuple. Au 20
juin 1798, les députés se reunissent au Jeu-de-Paume, abjurent
leurs mandats, usurpent les droits du peuple, ceux Ju monar-
que, et inaugurent le règne d'une féodalité haiarde et du despo-
tisme de l'aristocratie bourgeoise sur le peiq)le (pii, dès lors, n'a
plus compte pour rien dans les alTaires pid>li(|ues , à moins
que l'on ne veuille regarder tomme un privilège l'ohlig-ation
donnée à quelques-uns de voter pour se créer des despotes sans
responsabilité. Aujourd'hui, un prince (pii a rmlelligence de
la société a compris (ju il devait soriir l«' peuple de l'étal
d'ilotisme auquel soixante ans de serv;ige l'avait réduit; il l'a
consult*'- et a \oulu lui demander un mandat, esjK'rons (|u'il lui
reconnaîtra d'autres droits.
ET l>K LA KÉVOLUTION. 87
Jusqu'n rEiiipin;, inio <;oml»inaison savante, mais d'une poi-
lidie sans éj^alo, disposait du peuple pour en faire un instrument;
c'était une machine à fabriquer des maîtres. Ces maîtres devaient
sortir de l'arislocralie , car ils n'étaient choisis ni par la com-
mune, ni dans la commune. Ces maîtres avaient un pouvoir illi-
mité, car il ne peut venir dans la pensée de personne de regar-
der une royauté constitutionnelle comme un obstacle au despo-
tisme des députés. Le roi qui est sans responsabilité n'agit que
par ses ministres; ses ministres doivent sortir de la chambre des
députés ; ces députés qui deviennent ministres doivent apparte-
nir à la majorité. Donc la majorité, ou ce qui revient au même,
les députés ont un pouvoir sans limites. Que l'on dise à des po-
litiques ignorants qu'il peut y avoir dans une chambre haute un
pouvoir modérateur capable de contrebalancer l'omnipotence
des députés, cette fadaise tomberait bien vite devant les fournées
de pairs, de sénateurs, etc.. Les députés du peuple peuvent à
leur gré ruiner, piller, voler, tyraniser selon leur bon plaisir ou
l'inspiration de leurs intérêts. Ils ont fait voir tout ce dont ils
étaient capables. C'est bien sous eux et par eux que le peuple
français est devenu taillable à miséricorde. Aussi quand il a été
permis au peuple de donner son avis, il a autant qu'il l'a pu ap-
plaudi à la chute de cette inepte comédie qui avait pour titre :
gouvernement représentatif.
C'est surtout pour les impôts que le mandat spécial était né-
cessaire. En 1484 les États généraux rassemblés à Tours exi-
gèrent l'abolition des impôts qui avaient été mis arbitrairement,
c'est-à-dire sans eux. Ils ne s'en tiennent pas à cela, ils prévoient
l'avenir et statuent que désormais le consentement des États
sera indispensable pour l'établissement de toute taxe nouvelle.
Enfin ils déclarent qu'ils ne veulent autoriser que pour deux
ans la perception des impôts extraordinaires établis sous Char-
les VIII et encore à titre de don ou de concession.
Quand un peuple jouit du droit de garder ce qu'il a et de ne
le céder qu'à bon escient , il ne se laisse pas dépouiller comme
cela arrive de nos jours. Sous les gouvernements du moyen âge,
il n'était pas rare de voir diminuer les charges du peuple. De-
puis que le despotisme bourgeois a commencé à peser sur la
88 Dt l'autorité
France, pas une seule année ne s'est «M-oulee sans apporter de
nouvelles charges au peuple. Celte au};mentatton n-gulicre des
impôts sous les ^'ouvenienients constitutionnels est un phéno-
luène digne de remarque et qui suilirait à lui seul pour le faire
apprécier à sa juste valeur. En rcniont;int au hu«l^'»i de 1789
(|ui s'elèvc à la modeste somme de 476 millions, un le voit mon-
ter d'année en année jusqu'à la somme de deux milliardsl... Ce
n'est pas le cas de dire : si le peuple le; savait!... flelas! il le
sait tiop. Mais on pourrait dire ; ali ! si le peuple était ap{)eié
à le voler !
On dirait, à voir la froidenr avec laquelle les hommes d'Elat
traitent les linanc«'S, (|u'ils ignorent l'importance politique d'un
budget. Ils sont tellement habitués ù compter le peuple pour
rien, que la pensée de ses soffraoces ne pénètre pas jusqu'à leur
esprit. Le budget est le miroir et jusqu'à un certain point la
mesure des libertt's d'un |»eujth'. La liberté est en raison inverse
du budget; elle diminue comme le budget augmente.
La centralisation parfaite comme elle existe actuellement dans
un grand nombre (TLials est |)our le peuple la perle de toute
liberté, même de la liberté de |)enser, car la pensée revient
chaque jour toute faite du centre. La centralisation est un régime
d'impôts; le peuple qui avait |ierdu le droit de s'administrer
doit payer, et surtout payer bien cher, ses gardiens, ses admi-
nistrateurs , ses tuteurs , ses •'•ducaleurs, ses inspecteurs el ses
maîtres en tout genre.
On demande pourquoi il y a dans le |)eiq)le si |)eu d'affcclion
pour des goinernenieiits «pii lui donnent tant de lustre, tant de
gloire par les belles entreprises que la ceniralis:ition ren«l pos-
sible? C'est (pje pour le peuple le luxe de la civilisation n'est
qu'en secon<le ligne. Il croil, comm<; on le lui a dit quelque-
fois, que la première condition pour aller à rimmortalilc, c'est
de ne pas mourir de faim. 11 di'teste les gros budgets <pii ne sont
adorés (pie par ceux qui en veulent tirer nue grosse part.
Atleiidie des oligarchies modernes la iliiiiinution des budgets,
c'est ne pas connaître les hommes qui la «om|)osent. augmenter
sans mesure le nombn* des |)reiianls, ac» roilic iiuhriniment la
part affén'iitc à chacun d'eux , j;'cst la sciib- chose dont leur
ET DE L\ RÉVOLUTION. 89
vienne la pensée. Pour diminuer le budget, il faudrait rendre la
liberté, et pour arriver à la liberté, passer sur les ruines de la
centralisalion. Il y a trop de bras occupés à tirer cette lourde et
pesante cliaruo. Quand le sillon est achevé, il ne produit pas de
quoi nourrir railclagc. Il l'audrait laisser cultiver à économie le
champ du pays; c'est ce que ne pourra jamais faire l'aristocratie
bourgeoise ; un prince le pourrait et il se ferait adorer du
peuple!
Nous avons beau chercher ce qui peut être sorti de bon de 89,
il nous est impossible de rien y découvrir de semblable. Nous
ne sommes pas seuls dans cette conviction. Un publiciste dont
on ne suspectera pas la sincérité, M. de Cassagnac, a démontré
que tout ce qui est sorti de juste, d'utile et de bon de ce grand
mouvement qu'on appelle la révolution française avait son ori-
gine et souvent même un commencement d'application sous la
monarchie légitime... Nous ajoutons nous, et nous sommes prêts
à le démontrer, l'histoire à la main, que si la révolution de 89
et sa longue queue n'était pas venue , le progrès dans les réfor-
mes, les améliorations et toutes les institutions utiles, aurait été
plus constant, plus uniforme, plus complet, et qu'il aurait très-
probablement donné lieu à un état de civilisation perfectionnée,
de prospérité tranquille auquel nous ne pourrons plus jamais
atteindre. Du reste, l'auteur de l'ouvrage sur le Principe d'auto-
rité n'est pas loin de penser comme nous, car voici ce qu'il dit :
« La grande révolution de 1789 a commencé par d'admirables
» réformes, et a abouti à de grands excès, les réformes, œuvre
» du progrès des mœurs et de la raison, sont le patrimoine ina-
» liénable de la France ; mais les excès , ouvrage des passions
» anarchiques, sont restés odieux à la génération actuelle comme
» ils l'avaient été aux contemporains , qui infligèrent le nom de
» terreur à ces folies sanguinaires. »
IV.
La France, d'après l'auteur du Principe d'autorité, ne veut
ni de la légitimité, ni de la royauté de juillet ; car elle ne veut
90 DE l'autorité
ni retour au passé, ni connivence avec la révolution. Gj qu'elle
veut, c'est la conservation dos réformes de 89 et une main assez
forte pour les empc^cher de lourner à la rt'vulution ; car « elle
» tient esseniiellemenl aux inléi-^ts l<'f,'itimes nos de la révolu-
■ tion de 1789; mais elle condainiit; autant (ju'elle redoute les
» idées révolutionnaires (|ui prétendent aller au-delà.
■ Telle est évideiiiineiit le sentiment j^énéral du pays : ni re-
» tour au jeu lunesle des révolutions. C'est pourquoi ce qu'il
» recherche surtout dans son gouvernement, c'est une force qui
» se dévoue au régime nouveau, et qui, en raî'me temps, le pré-
» serve de révolutions nouvelles. »
Si maintenant l'on en < roit à l'auteur dont nous venons de
citer les paioles, la force qu'il croit indispensable ne peut se
trouver (pie dans rEn)piie. La France irécliappera aux liorreurs
de la révolution (]u'à la condition de passer par les mains de
l'Empire.
Nous commençons par convenir que pour échapper h un tel
mal, la condition priniièrc est la force. Nous convenons encore
que rKmpire d'aujourd'hui, con)me le fut relui dt- luumaire, c'est
la force çUe-méme; car c'est pour elle «ju'il a momentanément
triomphé; nous ajouterons «|u'il en a use avec une modération,
une sagesse (jui l'ont sans cesse soutenu et l'ont empêche de dé-
générer en tyrannie et de tomber dans le sang. Mais on se trom-
perait si l'on pouvait croire que la force qui est une condition,
étiiit aussi un moyen suflisanl pour arrêter la révolution et re-
placer les choses dans U'ur «'lat normal. La force est dans la so-
ciété ce que le tonnerre est dans les airs; c'est le régne d'un
monwnl. Klle siir;,'it, die tombe, elle change de direction avec
une rapiditi' (]ui étonne. Henversanl aujouril'hui ce qu'elle éle-
vait hier, elle brisera demain les autels ((u'elle commençait à orner
pour ses favoris. Il y aurait plus <pie de l'imprudence à compter
sur elle. Klle se «ompose d'elénjenls si divers, elle exige le
concours de tant de >olonlés, elle est un pioldème (|ui a tant
d'inconnu qu'il serait téméraire d'en attendre des résultats
certains et loiijoiirs iiit'nii(]nes.
La révolution, au contraire, est un mal chronique, une vieille
lèpre (pii ronge la so< iété et la conduit lentement à la mort. 1^
ET DE L,V RÉVOLUTION. 91
force peut arrêter un spasme, prévenir une défaillance; mais
quand a cessé son action, la langueur recommence et la mala-
die reprend son cours.
Est-ce à dire qu'il faut désespérer de nous, que notre mal est
incurable et que nous sommes fatalement conduits à la mort par
la révolution qui, dans le langage démagogique, a reçu le nom
de république démocratique et sociale P .. . Hélas! nous sommes
portés à le croire ! Le mal est si profond, il a pu atteindre un
si grand nombre de générations qu'il nous est impossible d'être
rassurés par la présence de la force. 11 est vrai que, trop con-
fiante dans le nombre, le dévouement et l'audace de ses adeptes,
la révolution a cru pouvoir, à plusieurs reprises, s'emparer du
monde et qu'elle a été repoussée ; mais elle n'a pas été tuée; le
danger passé, elle s'est remise à l'œuvre. On ne peut pas dire
que la France soit comme le sont actuellement la Suisse et le
Piémont, une machine de guerre au service de la révolution;
mais tout caché qu'il est, le travail continue et se rit de la force
qui ne manquera pas d'aller en s'affaiblissant chaque jour, tan-
dis que chaque nuit grandira la révolution.
Si quelque force était capable de comprimer et ensuite d'ar-
rêter la révolution, ce devrait être une force latente, continue
comme celle d'une montagne qui pèse incessamment sur le sol.
Sous une pression de cette nature, la révolution se débattrait,
rugirait quelquefois comme le géant sous le mont Etna; mais
le monstre ne sortirait pas de son antre. Or cette force-là serait
dans l'amour du peuple pour son gouvernement, dans la foi à
l'autorité, dans le respect du pouvoir. In hoc signo vinces!
Mais comment établir ces vertus politiques dans un si grand
nombre de cœur qui leur sont actuellement fermés?... Ce n'est
point une chose impossible. La Providence ne manque jamais à
ceux, qui invoquent son concours et qui consentent à marcher
avec elle; le prince fort, courageux et prudent qui suivrait ses
inspirations, obtiendrait, par une sagesse continue, ce que jamais
la force ne pourrait lui promettre.
Un large système de réforme embrasserait toutes les facultés
de l'homme, et par une éducation continue, relèverait aux vertus
sociales qui sont indispensables pour produire l'harmonie et la ci-
92 DE l'autorité
vilisaiion. On a dit :ivec vcrilé que pour faire d'un jeune homme
un chrélien, il éuiil ncccssain' que h- chiisiianisnH' s'offrit à lui
par les exemples de la famille, par les leçons des maîtres, par
les ens('if:n«'nn'nts publics, parles leriures [tartirulières, par la
vue (les monuments, par les parlantes images «les cérémonies
religieuses et par toutes les conversations auxquelles il sérail
appelé à prendre part. Si en entnnl dans son es|>ril, la vérité
chancelé, il est diflîcile qu'elle s'y étaMisse. S'il voit autotir de
lui des dissentiments, dos contradictions, iles inconsé(]U('nces, il
commence ù douter, et au lieu de devenir chrétien , il devient
scepticjue ou indifférent. A plus forlo raison en est-il ainsi d'un
peuple. Si l'on veut qu'il soit dans son ensemble pénétré de
respect pour l'autorité; si l'on veut que chaque citoyen aime
son pays, qu'il en soutienne les lois et les institutions, qu'il soit
prêt t^ voler à la frontière pour repousser l'ennemi, (ju'il se re-
fuse aux conqdois des conspirateurs, il faut que ce sentiment
de respect et d'amour soit poussé jusqu'au plus profond de ses
entrailles par tout ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il fré-
quente. Cette «'ducation de bon citoyen est manquée, si à chaque
pas il e»t enci)uragé à rompre l'harmonie du concert social, à
se rc'volter contre l'autorité.
Il V a une vérijô fondamentale dont les conducteurs des peu-
ples devraient se [>énétrer de manière à faire comprenilre par
tons leurs actes qu'ils en sentent l'importance. Cette vérité, la
voici : Les hommes ne savent que ce qu'ils aj^prennent. ils ne sont
que ce qut» l'éducation les a faits. Or, les nations se composent
«l'hommes, donc les nations ne seront non plus que ce qu'on les
fera.
Interrogez tous les hommes les ims après les autres, du plus
savant jus(]u'au plus ignoiant, du [dus civilist' jiis«pi'au plus sau-
vage. Demandez-leur, que savcz-vous? Ils seront forcés de vous
répondre : je sais «"e (]u«? l'on m'a ap[tris. Ciéalure de tradition,
je reproduis mes maitres. Formé [>ar la fiarole, par Tt-criture ,
par les images, ou par l'exemple oti l'action, je rends à la société
ce que la sorii'té m'a donné. Je n'ai pas moi-même formé le
monle dans lequel on m'a jeté. .le parle, je pense, j'agis comme
ont parlé, conmie ont pensé, comme oni agi ceux au milieu des-
ET DE LA RÉVOLUTION. 93
quels j'ai grandi. Dans loul le bagage de ma science, de mes
principes moraux, il n'y a pas un article qui soit de moi, tout
m'est venu par tradition. Est-ce ma faute si cette tradition est
perverse? si elle a été assez mauvaise pour empêcher la vérité
d'arriver jusqu'à moi ou de n'y arriver qu'entourée de toutes les
erreurs les plus séduisantes pour un cœur aussi faible que le
mien ? Vous m'avez ouvert toutes les écoles, j'en sors avec toutes
les doctrines. Disciple de Lucrèce, de Spinosa , des panthéistes
allemands, je dis : plus de Dieu! plus de Providence!... Disci-
ple de Lamélrie, je dis : plus d'âme! plus d'immortalité! plus
de ciel! plus d'enfer!... Disciple du Grand-Orient, je dis : plus
de révélation! plus de Christ!... Disciple de Luther, partisan du
libre examen, je dis : plus d'Église ! plus d'infaillibilité ! plus de
représentant de Dieu sur la terre!... Disciple de Réranger, de
Barthélemi, de Ponsard et de mille autres, je répète avec eux :
plus de rois! plus de rois! plus de roisl... Disciple de Prudhon,
j'avance avec lui vers le dernier terme des négations politiques,
et je dis : plus d'autorité! plus de hiérarchie ! plus de gouver-
nement!... Disciples des clubs et des sociétés secrètes, je dis :
plus de propriété! plus d'héritage! plus de famille!... Dégoûté
des incertitudes de la philosophie, de la politique et de la mo-
rale, je me suis réfugié chez les économistes et j'en suis sorti en
disant : plus de frein, plus d'entraves aux concupiscences de la
chair! Je m'en tiens à jouir!
Ne serait-ce point là l'histoire de notre état social? Et l'on
semble s'étonner qu'avec un tel enseignement , la révolution
continue. Ce dont il faut s'étonner, c'est qu'elle n'ait point encore
abouti.
V.
Voici donc l'Empire avec la promesse et l'assurance de tuer
la révolution. Nous ne voulons point. Dieu nous garde, amoin-
drir l'idée que l'on peut avoir de sa puissance. Nous ne voulons
pas même révoquer en doute sa légitimité.
"4 |»E I. ALTOhITK
Quand an milieu des a^iiaiions, du trouhlo, des inquiétudes
géntTales el de la guerre civile, un lioninic vient ù se révéler;
qu'il se précipitr au devant du cliar de l'Etat pnH à chavirer ei
à se briser sur les pavés, que d'une main lianlie cet homme sai-
sit les rênes abandonnées par de lâches ou timides conducteurs ;
alors même que de l'autre main il tiendrait le fouet menaçant,
nous sommes tout disposés à le reconnaître comme l'envoyé du
ciel; et certes, cette légitimité de droit manifestement divin en
vaut hien une autre. Mais la (juestion n'est ()as là.
L'Empire que nous voyons à l'œuvre depuis quelques temps,
prend-il les moyens d'arrêter la révolution, ou bien, après lui
avoir résisté pendant quelques jours, va-t-il lâcher prise et lui
permettre de s'organiser de nouveau?
Entendonj-nous bien d'abord sur ce que signifie ce mot, ré-
volution. Il ne s'aj^it point ici d'un changement de prince, de
ministre, de constitution, tl«' forme gouvernementale ni même de
dynastie. Cx's changements qui n'afl'ectent que la partie pour
ainsi dire accessoire de la société sont amant d'é-volutions qui
peuvent accélérer ou retarder la n''voliition; mais ne sont pas
elle, La n'volution a quelque chose de plus radical, elle s'attache
aux bases mêmes de la soci«''tt'.
En elfei , depuis le commencement du monde, la société a
existé par l'autorité. Nous alhrmons (|n'il ne pourrait en être au-
trement. Or, tout autour de nous, il y a une école qui prétend
organiser une société sans autorité, sans hiérarchie, sans sou-
veraineté, sans propriété, sans famille. Les défenseurs de cette
idée partout n'-pandus, sapent tant qu'ils peuvent l'ordre de choses
actuel, et tout ce (ju'ils font perdre au jirincipe d'autorité est
gagui' pour eux. La révolution aura triomphé- le jour oii l'anar-
chie sera complète. Ils ont assez de confiance «lans leurs prin-
cipes pour l'avouer.
Pour rétablir sur la terre l'autorili' (|ui est fille du ciel , la
inan lie esi iraice. H n'v a (pi'à faire le 'onlraire de ce (]ue font
ses ennemis pour la détruire. Quand Dieu régnera dans les en-
seignenieiiis et dans les mœurs, l'autorité assise sur le trt^ne
régnera sur les cd'urs.
Les apôtres de la république sociale ont compris que la rcli-
ET UE LA KÉVOLlJTlOiH. 95
gion catholi(}ue était le seul obstacle à leurs projets. C'est con-
tre elle qu'ils dirigent tous leurs eflorts, qu'ils associent tous les
intérêts, qu'ils soulèvent toutes les puissances, qu'ils ameutent
toutes les passions. Pour rappeler l'autorité, il faudra donc ac-
corder une protection active à la doctrine universelle. Au
moins, faudra-t-il lui laisser une entière liberté de se produire
et de se manifester aux hommes.
L'Empire a sans doute déjà fait beaucoup pour la liberté re-
ligieuse de la nation. Il n'y a pas de pays en Europe où la con-
science catholique soit plus à l'aise. Les intentions de l'Empire
peuvent être généreuses, il peut élargir encore les limites de la
liberté ; mais pourra-t-il échapper longtemps aux obsessions
des sectaires de foute nature qui s'efforceront de lui inspirer des
craintes hypocrites sur les empiétements de l'Église , sur ses
exigences et même sui- ses tendances à une trop grande liberté?
Les zélateurs de l'omnipotence spirituelle de l'État ne trouve-
ront-ils pas dans les lois organiques un arsenal d'où l'on pourra
chaque jour tirer de nouvelles armes pour tuer, la liberté re-
ligieuse?
Le peuple français, cette immense majorité qui couvre et cul-
tive le sol, est chrétien. Décidé de vivre et mourir en chrétien,
il voudrait une loi digne de répondre à ce besoin du cœur fran-
çais. Il aspire à la loi du repos, il veut le respect du dimanche
comme condition essentielle de toute moralité civile et reli-
gieuse. Si l'Empire le voulait, le précepte divin deviendrait la
loi la plus nationale qu'il soit possible de donner à la France ,
et pourtant cette loi qui existe n'est point encore observée. On
impose quelquefois au peuple des fêtes que l'on appelle natio-
nales, tristes manifestations des triomphes de partis, pendant
lesquelles des millions de vaincus vont se cacher pour pleurer.
On ne s'arrête pas devant cette souffrance, et quand il s'agit
de donner au peuple une loi de moralité religieuse, une loi qui
donnera de grandes consolations et ne fera pas couler une larme,
on recule, devant quelques industriels qui ne trouveront jamais
dans l'année assez de jours pour pressurer l'humanité. On recule
devant quelques chefs de conspiration qui ont besoin d'abrutir le
peuple pour en jouir à leur aise. Ceux-là redoutent le dimanche
9G nt l'aitorité
peoclant le(]ucl le peuple peut alimenter son âme, apprendre
à connaître Dieu, ;1 se connaître soi-même, à a|)prccier ses droits
et sa dignité. L'i^'norance du peuple leur convient ; elle est, en
effet, plus favoraldr au proj,Tès «le la révolution.
I.a religion <ailioli(iue, la religion des Français |)ourra-l-elle
toujours veiller à ses iniérùts; maintenir sa discipline, recevoir
lihit'mt'nl de son < lu-f les grâcrs et les instructions (|ui sont n»*-
cessaires à son unile? Au lieu de la permission, aura-t-elle la li-
berté des conciles? Il ne faut pas oublier que Tasservisseroent
de l'Eglise signilie toujours la liberté de la révolution. Entendez
plutôt les révolutionnaires du duché de IJade, de la Suisse et du
l'iemonl!
L'Empire i>ourra-t-il résister aux obsessions de l'université,
cette espèce de religion de Triât qui nouriil depuis si longtemps
l'espérance de se substituer un jour à la religi(»n révélée? En
supposant (]u'elle ne demande pas l'abolition de la demi-liberté
qui a pas.s('* dans renseignement, l'université ne parviendra-t-elle
pas à la rendre illu'^oire par 1rs j)n'rogatives et les privilèges
dont (Ile sf iVra coinhlcr .' Oulri* ro|>po>ition (pi'elle doit natu-
rellement apporter à l'enseignement religieux, ne peut-elle pas
«levenir un instrument de rè-volution? conduire à la révolution
par la srieme et la philosophie/
Un enseignement cpii n'est pas d'accord avec lui-m<^me con-
duit au doute; le doute conduit à l'incn-dulité; l'incrédulité
conduit à la négation de l'auloi lie cl partant «le la révolution.
Scra-t-il |>osî>ible à l'Empirt' dei;d)lir, dans toute son ('tendue,
un enseignement vraiment chrétien? Le régent du village parle-
ra-t-il à ses jeunes «'lèves comme le pasteur «le la paroisse leur
a parlé le dimanche au pn'>ne? O même régent n'ira-t-il point
sur la place pidili<pie ou dans les cabarets, débiter la grossière
philosophie du sensualisme ou du néant? Kn sortant de recelé
tJ'niic ]>:u' un jesuit»', le 'jenn«' honmie ne se irouv« la-t-il |K)int
subilenieni place sous la chain' d'un <,abanis, «l'un Hroussais,
d'un Mirheb'i ou de mille autres qui commenceront et finiront
leurs dis««Mirs par un geste «h* niépiis «lirigé conlre ceux qui
auront «mi I:i faiblesse de fréquenter les é«oles clrricaUsP L'en-
seignem«-nt olfHicl sera-t-il pi>ur longtemps d'accord avec l'en-
ET DE LA RÉVOLUTfON. 97
seigneiîient libre? Il ne laut pas l'oublier, luniversilt! toujours
vivanlc dans sa pbilosopliie, frappe à la porle de l'Empire; si
la porte s'ouvre, c'est la révolution qui entre. (1)
Un homme d'État a dit que renseignement était devenu laïc.
A-t-il donné ce changement comme une conquête ou comme un
lléau't' Nous ne savons. Veut-il parler de renseignement en lui-
même ou de ceux qui le donnent? Un enseignement laie? Serait-
ce un enseignement qui n'aurait pour base que la raison du
maître indépendamment de toute science révélée? Nous serions
tentés de croire que telle est la pensée que l'on s'efforce de ca-
cher sous cet enseignement laïc ; car il est prôné par tous les
adeptes des sociétés secrètes qui s'opposent à l'enseignement
clérical. On le croirait un mot d'ordre du Grand-Orient qui
espère trouver dans l'enseignement laïc la parole perdue. Oh !
(1) Une circonstance peu importante en elle-même nous a semblé indi-
quer un ecrtainretour vers les doctrines universitaires. Sous la Restauration
et sous la Royauté de juillet on suivait dans les petits séminaires les traités élé-
mentaires d'histoire du père Loriquet, parmi lesquels se trouve VAbrêgé de
l'histoire de France. Nous ne savons précisément à quelle époque on vit sortir
de la vieille officine où se fabriquaient les calomnies contre les jésuites, une ac-
cusation dirigée contre lePère Loriquet. On supposait que dans son cours d'his-
toire, il désignait Bonaparte comme marquis et lieutenant-général du roi. Cette
accusation fit très-grand bruit dans toute la France et même au dehors. l>â)us
qui avons mis ce traité entre les mains de nos élèves, nous avons alors consulté
et revu un certain nombre d'exemplaires appartenant à différentes éditions, et
pas un mot semblable ne s'y est rencontré. Ce livre, devenu classique, a été
tiré à des millions d'exemplaires, et pas un ne contient les paroles qu'on leur
impute. Voici même un témoignage officiel qui suffirait, à lui seul, pour dé-
montrer la fausseté du fait. M. Beuchot bibliothécaire de la chambre des dé-
putés, dans la Bibliographie de la France ou Journal général de l'imprime-
rie el de la librairie, année 1845, page 271, n" 2578, dit : «A cette occasion,
je rappellerai qu'on a dit que, dans une histoire de France, publiée en 1814,
le P. Loriquet, mort récemment, nomme Napoléon marquis et lieutenant
général du roi. Je n'ai jamais vu cette édition. Rien n'est incroyable de la
part de l'esprit de parti.»
Nous avons été péniblement surpris de retrouver cette vieille accusation
reproduite dans l'ouvrage du Principe d'autorité, etc., et en nous rappelant
que les ouvrages du P. Loriquet venaient d'être prohibés dans les collèges de
l'Empire, nous avons pensé qu'une erreur pouvait être la source de beau-
coup d'autres.
08 DE L'AtTORiré
dans ce sens, l'enseignement laie ser.iil un lir-aii. Que Dieu noos
en prt'srrxe l
Si, au contraire, on veut dire que renseignement se donne
aiijoiird'luii \K\r «les birs, le fait n'a rien (l'iiKniiftanl. Supposez
«pic Ton eiU dans la carrirrc de rinstruciion pul)lj(pi(> des hom-
mes de foi, tles professeurs religieux, des laies aussi profondé-
ment chrétiens (]u'ils scmi instruits, nous n'hésitons pas à leur
donner la préférence, tant nous avons la persuasion que le jnur
oii le siècle s unira a IKglise pour rendre les hommes meilleurs
par la science et la venu, la n-Nolution sera vaincue, et la civi-
lisation triomphera.
Il y a |)ar dessous la société un travail (jui en mine les fonde-
ments, c'est celui des sociétés secrètes (pii ne se reposent pas tant
que leur but n'est pas atteint. Ce mal est d'autant plus dangereux
qu'on ne le voit pas. Caché dans les viscères les plus intimes du
corps social, ce n'est qu'après la mort (juil est possible de le
voir et de mesurer la profondeur des plaies qu'il a creusées.
Il y a deux espèces de sociétés S(;crèies, les sociétés aristocra-
ticpies et les démocralicpies. Les premières, que l'on désigne plus
ordinairement sous le nom de francs-maçons, n'ont guère en
vue qtie la révélation «pi'ils veulent remplacer par la raison pure,
la raison seule, indépendante et se siilTisant pour toute chose.
Les secondes n'en veulent qu'à l'ordre social (pTelles ont envie
de changer radicalement. Dans les premières, c'est une guerre
«le riiomme à FHeu; dans les secon«les, «'««st une guerre à mort
de 1 homme desheril«' de fortune «'t d«' pouvoir, contr«' l'homme
qui s'en trouve nanti par une législation qu'ils regardent comme
contraire à la nature. Dans l'un et l'autre cas, c'est une lutte
fl'orgeuil «>ii chacun attacjuc «t veut détruire «e qu'il voit au-
dessus de soi.
Les sociétés démocratiques ne poursuivent pas la religion
comme «-royance ; «'Iles serai«'nt plut^^t portées à radnwtin' ; mais
elles s'aitaipu'nt comme obstacle à leurs projets. Les francs-
maçons veulent une révolution radicalement religieuse, el les
demixTales une révolution radicalement sociale. Dans la réalité,
ils vont au m«^me but, la «h'struclion de l'autoritJî. Les premiers
ratla«iucnl de loin, les seconds tirent «lessus à bout |)orlanl.
KT DE L.V RÉVOLUTIO.N. 99
L'Empiro ponrra-l-il rrsisler longtemps à rclte puissance oc-
culte qui alta<ino toujours et avance toujours sans ôtre vue?
C'est bien dilHcile. 11 prend des mesures contre les sociétés dé-
magogiques, c'est une urgente n('>c(!ssil(''; mais il laisse une
grande liberté d'action aux sociétés ma(^onni([ues. Il nous semble
qu'il serait aussi prudent d'arrêter ceux qui sèment, que d'arrê-
ter ceux qui veulent moissonner.
Avant que les émeutes eussent nettement dessiné les partis, et
que la limite qui les sépare fut connue de tout le monde, il y
avait entre les démocrates et les maçons rationalistes, des rap-
ports de fraternité capables de faire croire qu'ils marchaient
ensemble et travaillaient au même but. La démocratie en prolita
pour se glisser dans les loges du Grand-Orient, espérant se ser-
vir avec avantage de ces indépendants religieux pour les faire
travailler à l'indépendance sociale. Elle était parvenue à avoir
dans les réunions une prépondérance qui aurait suffi pour prou-
ver que ses espérances n'étaient pas vaines. Après la catastrophe
de février, on reconnut le danger, et les loges de la rue Gre-
nelle furent fermées. Nous avons lieu de croire que l'on fit dans
l'organisation des changements propres à paralyser la démocra-
tie, car le Grand-Orient reçut bientôt la permissioa de conti-
nuer ses travaux.
Nous redoutons grandement que l'Empire ne se trompe. Il se
rassure, parce qu'il compte de nombreux amis dans les sociétés
maçonniques, et aussi parce que ces sociétés sont en général
composées des hommes les plus intéressés par leur fortune et
leur position, à combattre la démagogie. Sont-ils aussi intéres-
sés à combattre la démoralisation? Nous en doutons. Dans cette
innombrable armée de la maçonnerie, recrutée dans toute l'Eu-
rope, pour marcher contre Dieu, contre son Christ et contre son
Église, il y a des princes, des frères de rois, des hommes d'État,
des diplomates, des ministres, des grands de toute sorte; mais il
y en a d'autres aussi. A partir du simple frère, dont on rebat les
oreilles par les mots assez sonores de bienfaisance, lumière, pro-
grès, union, humanité, raison, liberté et mille autres fadaises
de cette nature, jusqu'à l'initié qui pénètre dans les profondeurs
des mystères maçonniques en foulant aux pieds le crucifix, la
100 KE l'aITOMTÉ
distaoce est graudc, li*s grades suni nombreux, il y a place |)Our
tous. Le bas «le reclielle est large ; avec un peu de bonne volunlc,
tous peuvent y mettre le pied, mais le sommet en est très-étruit,
î\ n admet (ju'un très-petit nombre d'cliis. Ainsi celte tourbe de
hauts et puissants • oii>piraieurs muraux se comjM)se d'une cer-
taine quantité de gras oisons que l'on plume, de puissants vani-
teux (]ue l'on aveugle par de la fumée d'encens et de quelques
intelligences supérieures qui semblent obéir à un j>acte signe
dans l'enfer.
En résumé, des deux sociétés secrètes qui |>ai-tagent le monde,
Tune travaille |tariout avec l'assentiment du pouvoir; l'autre,
en sacrilianl de temps à autre quel(|ues sentii.<'lles perdues, se
mo(|ue du pouvoir et grandit [>our le détruire au protil de la
révoliilioii.
Ln autre mal tjui semble plus directement encore o|)posé au
rétablissement du principe d'auioiilt-, c't^st la centralisation.
Centraliser, c'est faire le monctpole de l'autorité en faveur de
quelques personnes ou de quelques classes; c'est une des plus
criantes usurpations.
En descendant sur, la terr<>, l'autorité n'y vient que comme
une delëguiion du ciel. Absolue seulement dans le Mailrc de
l'univers, elle est limitée dans tous ceux »pii la reçoivent, et
clin n'est limitée que par l'autorité ou le droit des autres. On
sei-ait dans une «'irange erreur si l'on pouvait se persuader que
l'aulorilé n'est de «Iroit divin que cpiand elle est dans le prince.
Il \ a plusieurs espèces de princes dans la societ<- qui ont une
autorité tout aussi £acn'*e que celle du chef de la nation. Le
chef de la société leligieuse, le père de famille, l'époux, le pré-
sident de la communauté, le mailre d'un tliamp, ont, chacun
dans sa sphère , une autorité de droit divin que le prince lui-
même doit respecter s'il veut qiu' tout le monde respecte la
sienne. Or, que fait la centralisation.' En détruisant la spontanéité
perstinnelle, elle \eut absorber, dans l'autorité du prince, l'au-
torit»' de la famille, celle de la communauté et celle de la pro-
priété; «'Ile va (|ue|(piefois jusipi'a vouloir s'arroger b' do-
maine di'schoses spirituelles. C'est le comnmnisn)e par le prince.
Celle usurpation jette parloulle desordre el la perturbation. L'E-
ET DE LA REVOLUTION. 101
gliso, que l'on dénature quand on veut en faire une institution
civile, lu lamille qui soutire quand on veut lui imposer une édu-
cation qui est en opposition avec ses principes, la commune
qui nuirnuire quand on met des entraves à la liberté de son ac-
tion suises propres int<''rèls, ne sauraient ni reconnaître, ni aimer
une autorité qui veut pour soi le respect et l'esclavage pour les
autres.
L'autorité qu'ont l'un sur l'autre les deux chefs de la famille
est de droit divin, tout aussi bien que l'autorité qu'ils ont sur
leurs enfants. Nulle autorité dans le monde n'est supérieure à
cette autorité, se limitant dans sa sphère. L'Écriture a formulé
cette loi avec la clarté et la concision qui caractérise la Parole
de Dieu. L'homme, dit-elle, ne séparera pas ce que Dieu a uni.
Au-dessus de l'époux et de l'épouse, vivant dans la famille, il
n'y a que Dieu, et entre les deux, il ne peut y avoir personne.
Mais, pour que tout cela soit vrai, il faut que le mariage soit re-
ligieux. Dès l'instant qu'il devient un pacte civil, il change de
nature, il devient une institution humaine, le droit divin de cha-
que époux disparaît, la dignité des conlractanls s'en va , il ne
reste qu'un bail de location ou un contrat de vente.
Ainsi, de centraliser la famille et la communauté pour ren-
forcer la centralisation de l'État ^ est un grand contre-sens, c'est
vouloir détruire l'autorité pour l'autorité. C'est enfin un encou-
ragement donné à la révolution.
L'Empire semble identifié avec la centralisation; le premier
empire avait jeté les bases, le second a mis le faîte de l'édifice.
Nous doutons que ce soit un moyen de se faire aimer.
Il y a une chose que l'on ne veut pas comprendre et que nous
voulons répéter à satiété, c'est que la liberté est plus favorable
à l'autorité que l'étendue du pouvoir. Quand la liberté quitte
un pays, c'est la révolution qui s'en empare. Pourquoi n'en se-
rait-il pas ainsi ? L'idée d'abattre le pouvoir doit naturellement
venir à ceux qui n'en ont point, tout comme le besoin de le sou-
tenir doit venir à ceux qui en ont. Respectez donc l'autorité
d'autrui si vous voulez qu'on respecte la vôtre !
La propriété est de droit divin. En dehors de la loi de Dieu,
la propriété est un mystère, ou tout au moins un problème sur
7
102 l»K L AlTOniTI:
lc't|url uii se ili5|>ui« la toujours s;ins juniais (ouclurc par l'c-vi-
deiice. PourlaiU l'auloiile sur lu loilunu est celle à la()uelle les
liuiumes |>araissent tenir le plus. Ils ont beau en jouir, ils oe
s'en dégoûtent pas. Ils oui beau eu av(ur, ils n'en ont jamais
assez. Aussi le youverueuunt «piils tleleslenl le |»lus, c'est relui
(|ui leur eu laisse le uioiiis.
Sans doute, les iui|)ôts sont nécessaires, mais a deux condi-
tions; c'est (|u'ils soient juslt^s, c'est-à-dire <<insenlis et qu'ils
M>ient modères. Ils ne fuui pas qu'ils aillent jus(|u'à la souiFrancc,
car lu .soulFraDcc engendre le désespoir, et le désespoir amène
la révolte;, alors même que le soullrant ne prendrait |)as une part
aclise à l'émeute (|ui lenverse les trônes, il ne pourrait s'em-
pôclier d'applaudir en les voyant crouler.
Si les hommes d Étal voulaient regarder alteutivemeni, ils dé-
couvriraient l'intime liaison (ju'il y u pour un peujile entre lu
ruine et la révolution. Celle-ci marcbe après celle-là.
L'inqml le plus maladroit est celui (|ui frappe le peuple en
frappant le sol. Il s'altacjue aux sources de la vie. I.e peuple tient
certainement à t<jutes les liliertes qui sont de natin'C a venir jus-
i]u'à lui; mais il lient, avant tnut, a la liberté du sol. Avec Tim-
pôl, celle hypothèque privilégiée (pii pèse sur lui, le sol est
esclave. Si vous ne pouvez les briser entièrement, adoucissez du
moins les chaînes qui pèsent sur lui, et le peuple vous aimera.
Le capital mobile doit être aussi respecté; mais cette pro-
pricié floitanle après la<iuelle il faut sans cesse courir comme
après un vaisseau desenq)are, est bien loin d'avoir liinpoi lance
du sol.
L'Écriture qui raconte l'homme comme il est, parce (pi'elle
le coimait parfaitement, dii une vérité (|ui siMnble d'abord n'être
que morale, mais ijui bien examinée, se trouve être profondé-
ment |K)litique. « Où est votre trésor, là est votre cœur, > dit le
Sauveui des hommes. Ne serait-ce point là l'histoire dti capita-
liste.' l'oiir lui, la l< giiimile est une couleiii chatoyante (pii n'a
rien de lixe; c'est un arc-en-( iel dont l«' centre change avec
l'œil (|ui le conleuq)le. Il est bi»ii dilli( ile t\\u' le < (iiir du capi-
taliste ne soit pas cosmopolite comme les capitaux. Au contraire,
la propriété solide fixe le cœur dans une patrie, l'attaclie ù une
ET UE l.A r. EVOLUTION. 103
loi et idnntilio, autant quo la clioso est possible, son autorité
avec l'autoiiie du souverain. C'est dans riicrilage du sol (jue se
trouve l'expression de la légitimité de la famille. Dégrevez donc
le sol, affi-mcliisse/. les héritai^os si vous voulez lortilicM- le prin-
cipe d'aulorile cl la légitiuiilé du souverain. Faites le contraire
de ce que veulent l'aire les révolutionnaires. Leur tâche à eux
est de df'lruire la légitimité dans la famille aussi bien que dans
l'État. Pour y parvenir, ils veulent remplacer la sainteté et l'in-
dissolubililo du mariage religieux par le concubinage légal, bri-
ser l'aulorilé paternelle, prêcher la république universelle, ren-
dre cosmopolites les affections politiques, mobiliser le sol par
le crédit foncier, semer par tous les moyens, dans les cœurs,
les germes d'un indifférenlisme politique incompatible avec toute
légitimité. Les deux tendances sont si clairement dessinées qu'il
est diflicile de comprendre comment les législaienrs se laissent
encore tromper.
Sera-l-il possible à l'Empire de sortir de la voie des impôts
progressifs dans laquelle il a été jeté par les gouvernements qui
l'ont précédé? Nous le désirons de tout notre cœur. Il a tout
ce qui peut lui être nécessaire pour se faire redouter au dedans
comme au dehors; qu'il joigne à tout cela un système de liberté
administrative et d'économie financière, et l'amour viendra s'a-
jouter au respect de l'autorité. Alors la révolution qui guête
aux portes de la France, qui épie un moment de désordre pour
s'y glisser, reculera au lieu d'attendre.
La presse est l'inslrument de révolution le plus puissant et le
plus actif qui ait été mis en action par la démagogie. Incapable
de faire le bien, d'enfanter la vertu, de faire triompher la vérité,
elle est d'une puissance que rien n'égale pour faire entrer le
vice dans les cœurs. Aucune institution conservatrice ne peut
tenir devant ce bélier sans cesse occupé à saper l'autorité.
Pour résister, il faudrait non-seulement régler la presse quo-
tidienne et la brider de manière à réprimer ses excès, mais il
faudrait encore imposer à la presse ordinaire une main assez
forte pour l'empêcher de tomber dans la boue.
Nous entendons crier de toute part que la liberté de la presse
est une conquête du peuple français et que jamais ce peuple n'y
104 DE i.'ai'Toritk
renoncera, i'.c u'i'si iciU's |)as noustiucl'un uccusei-a de repousei-
la liberté loin du («iiplr. Peui-étro sommes-nous seul à la vou-
loir pour lui. On nous ac.cusi'ra pluiôi de \oul<iir trop de lihorté,
<jue (Je ne |tas en vouloir asse/.. .Nous demandons la lilierlé du
bien en tout el pour tous, la liberté de l'Éj^lise, la liberté de la
famille, la liberté du la commune, la liberté de la province en
lonl ce (jui n'intéresse pas ces pers<tnnalités. Mais, tout en ac-
ceptant la liberté de la presse, nous sommes loin de la deman-
der, et si nous consentons à le faire, ce ne serait pas au nom du
peuple. Attribuer au peuple une certaine prédilection pour la
liberté de la j»resse, c'est alliiiner un ^ros nieiisony»*. En ceci,
comme en beaucoup d'autres cboses, on voudrait trouver dans le
cœur du peuple ce que l'on trouve dans son propre cœur. Si
l'on veut être sincère, on est forcé d'avouer (|ue de fait, la li-
berté de la presse est un privilège de l'aristocratie, un privilège
qui fournit aux classes lettrées le moyen d'exploiter le peuple ;
mais (pii n'arriv(> jamais jus(pi'à lui. Le peuple qui cultive le sol
el (jui forme la loialite des liabilatits des canqta^'nes el les neuf
dixièmes des iiiiitiianls des villes, le peuple occupé six jours de
la semaine à gaj,'ncr sa vie à la sueur de son Iront, a bien d'autres
choses à faire (jue d'user de la libert»' de la presse. Il ne public
pas de journaux, il ne fait pas de livres, (^uand il le peut,
il lit quelques ouvrages utiles, quelques livres qui ne lui man-
queront jamais, pas même sous les f,'(»nvernements les plus ab-
solus. Les véritables partisans de la liberté de la presse sont
surtout les ambitieux qui s'en servent pour séduire le peuple, le
tromper el s'en faire une «'cbelle pour monter au pouvoir. Pour
le pi-uple, il sail ce (pie lui vaut la liberté de la presse. Il |iaie
les frais de vingt révolntimis qui ont (*te faites par cette fàcln^use
institution. Il trouve que c'est assez. Il n a dans toute la France
cinq millions d'Iiouimes qui j(»uissenl dt; ce fameux pri\ilef;e. il
y en a trente millions qui le |iaient.
Sans doute, on allègue que le peuple le veut ainsi ; mais on
fait dire au |tenple tant de choses qu'il ne pense pas!... Dans la
crainte d'avoir un démenti, on se garib' bien de l'interroger...
Mais soyons justes. Le p(;uple a éie une fois interrogé avec bonne
foi. Louis-^iapoléon lui a demandé son avis, il est allé l'interro-
ET DE LA REVOLUTION. 105
ger au coin du feu, il a fait faire silence, et le peuple a parlé.
Son languj^je a ét«'; clair, net, précis, il a dit : « Ce que je veux,
ce n'est ni la liberté de la presse que d'autres réclament pour
eux et non pour moi, ni la liberté de la tribune qui n'a jamais
retranché un centime aux impôts dont je suis écrasé; ce que je
veux, c'est la liberté que tous peuvent atteindre; celle qui com-
mence aupi'ès du foyer du laboureur et qui s'avance en semant
ses bienfaits jusqu'au centre de la nation. Ce que je veux, c'est
la liberté de faire le bien par moi-même, sans être forcé de le
faire par l'Etat, ni comme l'Etat, ni avec l'Etat. Ce que je veux,
c'est la liberté de mon domicile, de ma personne, de ma famille
et de ma communauté ; ce que je veux, c'est pour moi la liberté
d'user à mon gré de ma fortune, et pour l'État la nécessité d'en
être économe ; si maintenant vous voulez savoir à qui je deman-
derai de me garantir ces libertés qui pour moi sont précieuses
comme la vie, je ne le demanderai ni à vos journaux qui me
trompent, ni à vos tribunes qui n'ont jamais couvé que le des-
potisme et fait éclore que la tyrannie, ni à vos constitutions
éphémères qui naissent et meurent aussi vite que la mauvaise
herbe de nos champs. Pour protéger, pour garantir ma liberté,
je veux la force de l'Empereur !» Qu'on nous dise si ce n'est pas
là la signification des huit millions de voix obtenues par Louis-
Napoléon !
L'Empire obéira-t-il à l'attente du peuple? Il a déjà suspendu
sur la tête de la presse périodique une épée qui peut tomber
à chaque heure; c'est quelque chose; mais ce n'est pas assez.
Cette demi mesure ne peut atteindre que la moitié du mal. Au
lieu de quelques milliers de bouches pour se produire chaque
jour, la révolution se contentera de marcher plus lentement avec
des livres; mais enfin elle marchera.
Ce n'est pas tout : l'Empire exerce quelque sévérité contre
la presse qui ose s'attaquer directement à lui. Il défend ses actes,
ses lois, sa constitution, son administration et tout le personnel
dont il est entouré. C'est bien, l'Empire défend sa tête; mais
défend-il ses pieds? Dans le corps social, ainsi que dans le corps
humain, la mort a plusieurs portes pour s'introduire. Les mo-
numents que l'on attaque par la base croulent aussi infaillible-
lOG Ht L AlTOIlITE
menl que teu\ ijuc l'on ulla<{ue par le faile. Or, lu foi religieuse
et les boDiies inceui-s sont les bases et comme les pieds «le l'Em-
pire. Sont-ils défendus contre les atta(|ues de l'ennemi? Sont-ils
couverts d'im l)ou(lier sullisant .' Nous ne le pensons f)as. Que
rEujpire abaiidunne à lÉj^lise le soin de pro[)a^er la foi par
reiiseijj'nement, c'est juste; mais au moins pourrait-il faire bais-
ser les «tendards «pie l'on dresse contre elle. Le respeei dû au
culte de Irenl»' millions de Français, le soin de sa propre con-
servation lui en donne le droit et njème lui en font un devoir.
La ruine des nueurs annonce et précède la ruine des empires.
Donc c'est un de>oir pour les },'ouvernemenis de faire des lois
capables de sauvt'j^ardi r les iimurs. l'ent-iré sans doute de la
vérité de ces principes, l'Empire avait interdit le roman feuillc-
lOD , celte fétide émanation de pensées vénéneuses. Bientôt
après on a rouvert la source, et le poison recommence :\ couler.
Que dire de celte littérature dramati(pie «pii pousse la cor-
ruption dans les âmes parlons les sens à la foisPL'Empire pour-
ra-l-il mettre un frein à cette fui-enr (l'obscéuilé qu'une dépra-
vation toujours croissante appelle dans les iheàîres?... Il y a
quchpies jours, une jeune lille qui n'était pas encore parvenue
au dej;re d'elTronterie <pie rend nécessaire la litiéi-ature drama-
litjue de notre tenq)S, refusa de se montrer dans un costume que
la décence ne pouvait adm«'itre; elle fut cité-e devant les tribu-
naux, et sa pudeur fut condamnée à de ^TOsses amendes... Un
peuple <'st bien malade quand il est, par sa législation, |)ar sa
magislraiure ou par ses nm-urs, forcé de se ran;;er du côté des
corrupteuis et de condamner la vertu ! . . .
L'étendue du mal est à faire désespérer de la gui-rison ; ce-
pendant, il nous semble (pie l'Ilmpire pourrait faire beaucoup
pour rassainir la littérature. Il a de l'argent, des places^ des
liommes, des distinctions, des encouragements, des bMmes, des
méjiris plus puissants quelquefois que les punitions et les amen-
des; s'il st' ser\ail a\ec prudemc et sagesse de tous ces moyens
pour encourager une littérature grave, bonnête, décente et res-
pectueus«' pour le Nrai, il est probable qu'il aurait du suceès.On
dit qu'après tous les dévergondages île la grande rexolulion. Na-
poléon I" avait réussi à faire aimer Racine et les auteurs du fli\-
ET DE LA nEVOI.UTION. 107
septième siècle. La chose ne serait pas plus dillicile de nos jours.
Rien de semblable ne se fait encore et les beaux arts, les lettres
et la presse continuent à prêter leurs secours à la révolution.
Arrêlons-nous. La question que nous avons traili-e est d'un
immense inicrêl. La révolution esi-eile vaincue? L'aniorité s'est-
elle assise sui- b; trône de France à côté du prince qui a su
pressentir les vœux de trente millions d'hommes? On nous
répond : Oui. La France, Cnlin^ lassée de marcher à travers une
révolution si prolongée, a ouvert ses bras à la force, et la force
unie à la sagesse, dans l'Empereur, va faire revivre le principe
d'autorité. Voilà ce qu'on dit.
Persuadé qu'une fausse conflance serait dangereuse et que ce
serait pour la France et pour l'Europe, un grand malheur de
s'endormir dans une trompeuse sécurité, nous avons voulu peser
les motifs qui sont propres à nous rassurer en leur opposant
ceux qui nous inspirent des doutes. Tranquille et vieil observa-
teur des mouvements sociaux, nous avons mis dans la balance
nos espérances d'un côté, et nos craintes de l'autre. Pour l'auto-
rité, nous avons un homme, et quand on peut donner à quelqu'un
ce titre absolu, c'est quelque chose. Nous avons donc un prince
instruit, généreux, fort et capable de volonté. Nous avons une
armée vaillante et dévouée, et enfin un peuple prêt à soutenir les
mesures que prendra l'Empereur pour repousser les tentatives
de la démagogie. De l'autre côté, nous voyons les innombrables
sociétés du protestantisme travaillant avec ardeur à remplacer
l'autorité par le libre examen, la religion de Dieu par la reli-
gion de l'homme, et l'enseignement de l'Église par un enseigne-
ment sans mission et partant sans autorité. Nous avons une phi-
losophie errant à l'aventure à travers des systèmes usés par le
temps, des opinions qui ont été reçues mille fois comme vraies
et vingt mille fois comme fausses, une philosophie qui, plaçant
l'autorité morale ou de la raison du vrai dans la raison indivi-
duelle ou collective, proscrit à jamais l'autorité. Nous avons des
sociétés secrètes se recrutant dans toutes les classes, s'organisant
dans l'ombre et préparant la révolution. Nous avons enfin un
enseignement, des théâtres, une presse, une littérature que ré-
prouvent les bonnes mœurs et les saines doctrines , mais que
108 DE LAl'TOHITE
rarislocraiie sociale uiinu cl lavurisc. Si nous joigoons à cila re
cercle de révoluliuQnaires <|ui enluceni la France, qui la liar-
collent sur tous les |>oint,s, (jui, par rAiigleU-rre, la li«'lgique, le
Ilaui-IUiiu, la Suisse, le l'ieamut el uiènie rKspugne jelleni la
révolutioQ sur le sol de THnipire oii elle arrive pai- |>ariies bri-
sées, CD comprendra que nous ayons i>eu d'espérance |>our l'a-
venir.
Cepondanl, au-dessus de ce que peuvent faire les hommes
pour rétablir le principe d'autorité, el niûnie pour le déiruire,
il y a une ProNidenre qui s'est montrée jusqu'à ce jour favorable
ù l'Empire. Oh ! puisse celle I*ro\idencc >eiller sur les destinées
de la France, et, par elle, sauver l'Europe des maliieursqui la
menacent !
t LOUIS, évégue d'Jnnecy.
PRÉJUGÉS DES PROTESTANTS
CONTRE
LE CATHOLICISME
Fragments de Conférences inédites de Newmaei.
Un des phénomènes les plus singuliers qui se rencontrent dans
Tordre intellectuel, est l'aveuglement absolu où sont les protes-
tants anglais sur tout ce qui concerne le catholicisme et les ca-
tholiques. Ce phénomène paraît inexplicable, quand on songe
à la puissance positive de cette religion qui domine sur plus de
deux cents millions d'âmes , chiffre que n'atteignent pas toutes
les autres communions chrétiennes réunies; quand on examine
la richesse , la variété de ses institutions et de ses développe-
ments, et qu'on se souvient des œuvres sublimes qu'elle a inspi-
rées, des grands génies qui l'ont professée, de la longue durée
de siècles qu'elle a traversés sans altération. Tous ces faits, l'in-
crédule même ne les nie point, quoiqu'il ne puisse en trouver la
raison ; mais la nation anglaise s'obstine dans une cécité vo-
lontaire, continue à mépriser, à détester le catholicisme et à tenir
ses enfants pour gens ignorants , superstitieux , lâches et stupi-
des. L'Anglais plaint ces pauvres reclus qui, derrière leurs hau-
tes murailles, oublient le monde et restent étrangers à ce qui s'y
passe; tandis que lui-même, par une bigoterie étroite et pré-
somptueuse, se dérobe la connaissance des faits les plus magnifi-
110 PRÉJKJÉS DES rBOTESTA>TS
ques qu'ulliv l'Iusioire de l'univers. Il n^nplacc la iralitc <le
l'existence de lÉglisc par le mol papisme , au moyen tliujuel
il f;iit absinM'tion «'omplèle des «piin/c siècles (|ui ont précédé
Liillicr et les relè;,'ue parmi les époipies d'idolAtrie et de cor-
rii()iiHti. Tandis (|irj| n'est pas nue ejine des Andes ou des Alpes
que sa science humaine n'explore, pas une mine que sa cupidité
n'exploite. j)as une espèce rar«> d'eiiire les trois rèj^nes de la na-
ture (|ui n'eniicliisse les catalogues «le ses musées : les usages cl
les principes religieux de deux cents millions de chrétiens res-
tent aussi inconnus à la majorité des Anglais que s'il s'agissait,
je ne dis |)as des habitants des terres polain-s, mais de ceux des
planèles. Kn vérité, je crois que si l'I^l^'lise callioli(pie résidait
dans l'un de ces globes qui roulent à travers les espaces, on ap-
porterait plus de soin à découvrir sa nature, plus d'exactitude à
la delinir.
Nous passons à la fois pour dupes «'t irom[)eurs aux yeux de
nos compatriotes qui ne veulent pas prendre la peine d'examiner
les «Icux faces de la (]uestion dont il s'agit, cela par insouciance,
ou par <Taintc «le se trouver «iaiis le faux. L'ima^'c (pi'ils se font
de nous est celle du lion peint par riionime. «'ternelle histoire
des apprei iations injustes ; mais qu'il est «trange de voir sjibsis-
ter encore dans un siècle qui se pique de propager les lumières,
les recherches, les r«habiliiaiionshislori(]ues, enlin de professer
une philosophi(pie im|)artialilé. Cesl que les Anglais, qui font à
l'Eglise un crime de son respect pour la tradition apostolique,
Mint eu\-ni)°tnes sous le joug d'une irailitioii immémoriale, mais
sans auilieniii iie. .le ne m-ux fair(> ici ni de la rhelliorique, ni de
la controverse ; j'ex[)os<>rai seulement certains faits évidents, in-
coiitestaliU's ; je les considérerai philosojthiipiement , el j'en <lé-
duirai des conséquences que non-seulement mes frères de l'Ora-
toire auxquels je m'ailresse, mais tous h's hommes «''quitables et
sensés, rej'onnaitront pour être rigoureusenïent exactes.
Je le répète, il laut chercher dans une tradition loil ancienne
sans doute, mais sans autluMiiiciie, l'origine des erreurs que les
Anglais nourrissent à notr«* égard. Ils ne songent jamais à mettre
en praticpie sur «e sujet le libre examen dont ils parlent si haut.
Tout ce qu'ils s:iv(>nt <lu catholicisme, leur a été enseigné dè«
CONTnE LE CATHOLICISME. 111
leur berceau, dans leur chambre d'éinde, dans les salles de leurs
collèges, par les chansons de leurs nourrices, par la tribune, la
cliaire, les journaux , les romans , par la sociétc'. — C'est un
immense enseignement ninluel : « On l'a dit, on le .s«î7 ; mais
où l'a-t-on appris ? — Tout le monde le répèle, et personne ne
dit le contraire; il faut bien que ce soit vrai : » El l'Anglais
raconte le bruit que fit le bill pour rémancipalion des catholi-
ques, dont son père, son vieux pasteur, lord Eldon et Georges III
parlaient avec le même eilVoi; il rappelle la démission que M.
Pitt fut forcé de donner à ce propos, et l'aflaire du lord Geor-
ges Gordon , le bon protestant qui dirigea une émeute où tou-
tes les chapelles catholiques furent brûlées.
Voilà certes d'excellentes raisons : mais cherchez à remonter
à Torigine d'une tradition aussi vénérée, aussi impliciiemenl
admise que l'Évangile, un épais brouillard renveloi)pe, et voilà
pourtant ce qui fait la base de l'opinion anti-catholique.
Certes, je suis bien éloigné, mes frères, de réprouver l'emploi
de la tradition humaine; c'est la porte de toute connaissance;
sans elle chaque gén(''ration demeure dans l'isolement, dans l'in-
dividualisme; la vie ne suffirait pas à chacun de nous, s'il nous
fallait recommencer à chercher, à découvrir toute la science
transmise par nos devanciers au moyen de la tradition; c'est
sans doute un motif rationel de créance, jusqu'à preuve du con-
traire; c'est encore un utile précédent, un guide à suivre, à dé-
faut d'autre conseil, dans certaines positions de la vie. La tradi-
tion nous sert, mais elle ne suffit pas; elle commence l'édifice
de notre science, de notre croyance, elle ne peut l'achever, et
il ne faut pas se reposer si absolument sur son enseignement,
qu'on puisse repousser tout ce qui pourrait nous en dépersuader.
Encore moins faudrait-il la tenir pour si sacrée que nous en
arrivassions à concevoir de la haine, de l'irritation contre ceux
qui ne partagent pas notre façon de voir.
Supposez qu'une tradition généralement répandue en Angle-
terre, dénuée pourtant de toute preuve positive, racontât que le
roi Charles II mourut empoisonné; elle serait admissible tant
qu'il n'existerait aucun témoignage contradictoire; mais si l'on
venait à découvrir un récit des derniers moments du roi, écrit.
1 12 ir.hJlOES DES PROTESTANTS
si^QC par ses médecins, et conienani le détail de sa maladie et de
ses causes tontes naturelles, rejrtterait-on le i»moi}<nage de ce
document |>our rester attaché à la tradition? Cène serait pas lu
de la lidi'lite à la vérité, mais d<- rcnd^ement dans l'erreur.
Ici je ne parle i\iu'. d'une tradiiiun htAcv ; car lorsqu'il v a con-
cordance de plusieurs traditions indépendantes les unes des au-
tres, cette accumulation de temoi^naf^es éiranj^ers les uns aux
autres et conlurmes <ntre eux, acipiiert un haut degré de valeur.
Par exemple, s'il se produisait dans quelque canton isolé de
l'Irlande, une tradition portant que telle famille doit la posses-
sion de ses terres à la |);irl prise par un anet'ire ;i l'enipoisonne-
meni de (lliarles II, une pareille comcideuee serait un indice
qui frapperait notre esprit comme le fait les dépositions sem-
hlahles de deux témoins éiranj,'ers l'un à l'autre. Il peut donc
ressortir d'une masse de traditions conformes entre <'lles, des
preuves assez évidentes pour qu'un honiiue veuille sacrifier sa
vie pluli'it que sa'croyance au fait (pi'elles attestent.
Mais je le répète, la tradition vaj^uc , isolée sur hupielle est
billie l'upiniun anj^laise à noire égard , ne produit que de la
prévention indij^ne du nom de conviction. Si vous demandiez au
premier protestant venu (xmnpioi il |)ense <pie l'Église catholi-
(pie est un ahîme d'initjiiiies, il ne répondra pas (pi'avant vécu
paimi les nations callioli(pies, il les connaît parlaiienient, «piil
a sérieusement étudié l'histoire et la théologie, qu'il a des preu-
ves in(()ntestal»les de ce «pi'il avance. Mais d'un air significatif,
il dira «pi'il est certain de son fait, et que vous ne réussirez, ja-
mais à changer son opinion : ou bien, il s'emportera, vous im-
posera silence , traitera vos prêtres de misérables iujposleui *n
dont les serments sur l'echafaud même, sont autant de parjures
«'t H'péiera cette phrase, cet ullima ratio des ignorants, « c'est
» un fait reconnu, les calholitpies torturent les hei-étiques, mu-
» reni tontes Nivantt's déjeunes religieuses, iichétent des pep-"
• missions «le pcclier, et irantent d'incessants complots contre
» les rois et contre IcsgouveintMnenis. »
L'hcrilure sainte nous fournil un exemple analogue, de ce fa-
natisme traditionel. Au tenq>s de la prédication du Sauveur, le
parti national en Judée était domine par une école qui prcien-
r;()^TRE i.E catholicisme. 113
(lail inaiiiicnir des commandemonls d'Iioniincs décoii's du litro
de tradition des anciens. Elle était peut-être lid«.'lement trans-
mise et remontait à une haute antiquité; mais dès qu'elle n'a-
boutissait qu'à des autours humains, elle ndlFrait plus rien de
sacre, elle ne pouvait rien, puistpie les auteurs ctaienl sujets à
l'erreur, sujets à se tromper et à tromper les autres.
Aussi, Notre Sei^Mieur dit-il : « Ce peuple m'honore des lè-
vres, mais son cœur est loin de moi; ils enseignent les doctri-
nes et les commandements des hommes. » (St-Matthieu XV.)
Sans doute, lorsque la tradition se présente appuyée par des
miracles, par des proph('!ties qui corroborent son témoignage ,
elle devient imposante et irrécusable; mais telle n'était pas celle
des Pharisiens qui n'invoquaient d'autre garantie que leur propre
parole; cependant nous savons avec quel zèle aveugle les jurés
la défendaient , croyant servir l'Éternel en mettant à mort les
ennemis de cette doctrine. Un sentiment populaire peut être
énergique et violent sans être pour cela plus raisonnable.
Nous pouvons donc, sans témérité, attril)uer à une tradition
la répulsion éprouvée contre les catholiques par la majorité des
protestants. En dehors de la multitude, il y a sans doute des
honmies qui nous combattent avec les armes de l'érudition et du
raisonnement; mais ce sont les masses qui font loi et ce sont
des masses que je veux, parler. La plupart des protestants ne
s'avouent pas peut-être qu'il sont sous l'empire d'une tradition,
et se croiraient blessés dans leur dignité, si on les croyait ca-
pables de se laisser influencer par l'autorité de certains noms
célèbres pour leurs opinions anti-catholiques; mais il ne s'agit
pas ici de savoir si les protestants reconnaissent cet ascendant,
si même ils ont conscience de leur foi implicite dans une tradi-
tion, mais bien de savoir si cette foi existe, et si elle met obsta-
cle aux lumières qu'un examen approfondi pourrait leur appor-
ter sur ce sujet.
Lorsque le roi Hnri VIII inaugura une nouvelle religion, lors-
que après lui sa fille Elisabeth y donna upe forme et que leurs
successeurs parachevèrent cette œuvre , ils furent trop habiles
pour la laisser sans garanties d'avenir ; quelque chose leur di-
sait qu'abandonné à sa propre force, le protestantisme ne pour-
1 I 4 rnÉJi(;KS dus protestats
rail se porpeiucr, parce qu'il manquait «l« force viialc, de telle
force aussi oécessaire contre les i-nneinis du dehors que ronire
les intubles iolérieurs. Ko eiTel, soil que vous considérez le Lu-
thiianisme ou le calvinisme, vous ne les retrouvez plus tels
qii ils «Uiietil à leur poiiil «If di'|)art; l'action du raisonncuunt
a usé le |)remier en Allemaj'ne, comme le second à Genève; les
callioli(|ut's le pn-disaient, les réformateurs eu\-m«^mes le pres-
sentaieiil iiistiiictivcment. Aussi, quand les fauteurs du proles-
tantisine eurent fait , pour leurs propres intéréu el selon leurs
vues, loul Tusage qu'ils voulaient de ce terrible insiruntent du
libre examen, ils commencèrent à le trouver de trop; ilsfennè-
rcnl l'cciuse «pi'ils avaient ou\erle et inqxtsèrent aux populations
qu'ils prétendaient av(tir émancipées, une tradition arlificielle de
leur façon. Bien plus, ils rentremêlérent dans le tissu de la
constitution polili(|ue et nationale ; en un mot, ils l'vtablirent (1),
ils la promid^uerent comme ime loi civile.
Oq dira peut-être que le catholicisme a plus d'une fois été
promulfïué , établi, c'est-à-dire de<lare reHj-ion de l'Klal. En
ellet, une nation déclare que le catholicisme est sa relij^ion, et
cela par un mouvement spontané, unanime, par In force même
des choses, mais ce n'est |»as i'Kp^lise rotholi(|ue qui s'impose à
ce peuple. Le catholicisme n'a pas besoin pour exister d'être un
établissement ; uon-^ou\vmvni il n'est pas établi en Irlande, mais
encore il y est persécuté depuis trois cents ans, et il y subsiste
toujours pins fervent et plus eiierj-ique. Or, je dt'lie (pi'on me
puisse nionlrer un peiq)le ipii, dans des conditions send>lal)les,
demeure (idele au luthéranisme ou calvinisme (11. IN'Ut-t^trc on
objectera (pu* la persécution est un lien puissant qui rattache les
opprimes les uns aux autres et alfei mit leur foi ; mais le prin-
cipe du libre examen est un dissolvant qui agit au temps de paix
(I) I.'Kplisc .-incLiisr rst ilcsigiu-r p.nr le mol ii'cxlnbUthtnrnl. l.en rnnrniis
de YrlabUttemrnt »onl les prpshytt'ricns, Ir^ ralvini.stc$ comnu* \e* rallioli-
qu«»; sriilcincnt on ne le» rcdoiilc pas autant. (.\.du trad.)
i\) On pourrnil rilcr li-s Bitrhrts «m \'aiiilni!« du Pii'inont ; mais les ri-
gueurs exercccs contre eux n oui L-u ni l'inlcncitc, ni la persistance des per-
sécutions contre les calltoliqucs irlandais; celle-ci dure encore.
conthk le catholicisme. t (5
et de Iriomplie, coiiiiik; aux jours do ^'uone cl do malheur.
L'histoire, nies IVères, l'atleslo surahondamnieul.
Cet élablissemenl du protestantisme ne fut point, à son début,
un développement spontané de la foi nationale, ce ne fut point
une (l'uvre populaire. Il lut alors ee (|u'il est encoi-e de nos jours,
le résultat d'un aete arbitraire énianci du despotisme; ee fut
l'œuvre de politiques habiles, (!cclésiasli(jues ou séculiers qui,
par la force et par la ruse, s'efforcèrent de rendre national ce
qui ne l'était nullement, ce qui sans eux ne le serait jamais
devenu.
L'établissement (c'est-à-dire le maintien par la loi) du [)rotes-
tantisme est le sine qua non de son existence. Il subsiste donc,
non en vertu de sa sagesse, de sa beauté, de ses droits à l'amour,
au respect des masses, mais en vertu d'une loi humaine mainte-
nue par quelques générations d'hommes d'État, en vertu d'une
tradition reçue par compulsion.
V établissement protestant devait, au reste, rencontrer moins
d'obstacles au sein des populations d'Angleterre que nulle part
ailleurs. La nature toute positive de l'Anglais se refusa aux in-
vestigations ardues, aux études abstraites qui sont indispensa-
bles pour se former une idée des diverses doctrines controver-
sées , pour les comparer entre elles et en suivre les développe-
ments au point de vue théologique. L'étude du passé, par la-
quelle on remonte au temps des apôtres et à leur enseignement
primitif, est encore un de ces moyens d'arriver à la connaissance
de la vérité que l'Anglais, en général, néglige. Il prend, on le
sait, peu d'intérêt aux opinions, aux croyances, aux usages des
étrangers. Isolé par son Océan, il se concentre en lui-même et
ne s'occupe du continent que par rapport à soi-même. Eminem-
ment pratique, le passé, le présent lui demeurent indifférents,
parce qu'ils lui semblent inutiles. Vivant dans sa maison à lui ,
séparée d'autres demeures, il regarde droit devant lui, sans
lever beaucoup les yeux vers les sphères dn spiritualisme, ni les
tourner vers des temps éloignés, et ne se préoccupe du minis-
tère des affaires étrangères qu'autant que le commerce peut re-
cevoir quelque atteinte de la politique.
Le caractère national s'adaptait donc merveilleusement aux
1 (6 I'HÉJUGÉS ULS l'HOTtMA>TS
cxi^oancns du proleslantisme dont le propre est de n'avoir pas
df d(»( iriiic fixe el dùUTinini'C, ei (|iii a brisé avec tout le passé
chrétien.
Je ne prétends eerles pas qu'il ne se soit pas renecinlré dft
protcslanls erudils, de conlrovcrsisles profonds «pii aient l'tudié
les temps apostoliques, et qui y aient fait appel. Les réforma-
teurs se piipiaient, au contraire, de retourner au eliristianisme
priniilil", et il leur fallait bien étaler (pielcjue science ecclésias-
licliie, faire parade d'arguments, spj'-cieux ; mais leur but une
fois atteint, ils se débarassèreut bienlôl d'un attirail qui les
gênait. Eli! vous le Vdvcz . mes frères, |)armi les protestants
de nos jours sont les laiitudinairiens (jui font profession de se
passer de doctrine, el les «'vanj^éliques qui ne veulent pas de
l'histoire.
Les deux moyens donnés ù l'intelligence pour arriver à la
connaissance de la vérité étaient donc ceux devant lesquels re«
culail le |)rotestantisme qu'ils eussent percé à fond, tandis que
l'espiil inipalitnl «'i matériel de l'Anglais se refusait à les em-
ployer. Mais les novateurs avaient, en outre, unearme toute puis-
sante que leur fournissait un autre trait caractéristique de la
natun' anglaise : c'est son amour, sa fidélité pour son souve-
rain (1), vertu qui s'allie parfailt-ment avec cet amour du positif,
cet instinct de la |)ersontialite, si uïéme elle n'y prend pas sa
source. L'Anglais a besoin de l'attrait extérieur et visible, il faut
à son alleciion, tomnie à la foi de saint Tliomas, linéique chose
de tangible. La sainteté cachée sous des haillons, sciait repous-
sée : revêtue de velour, on l'adorerait. La populace anglaise
huerait saint François d'Assise nu tète et pieds nus, elle rece-
vrait avec vénération saint François Xavier, s'il se montrait ha-
bille en mandarin. Accessible à l'amour du bien el du beau,
l'esprit et le cœur de notre iiatKm ne peuvent pas le percevoir
i\'\iiu' façon abstraite; il faut, pour exciter son intérêt, que les
talents, le mé'rite, la naissance, le rang, la s<ience soient person-
nitiés sous une forme brillante, et c'est la conscience de celle
(I) l-r mot nii^lnis InyaKy nVst pniiil traduit par notrr mot tic loyautr; il
le serait plutôt pnr le vieux mol fraii(;ais, fèaltc, ffnutf.
CONTRE LE CATHOLICISME. 1 17
tendance ù l'admiration du visible qui fait de la présence d'un
cardinal et d'une hiérarchie catholique en Angleterre, un épou-
vantait pour nos liomnios d'I^^lat.
Les lioninies ipii présidèrent à la rélornie anglicane étaient
trop habiles pour négliger cet instrument de succès; ils com-
prenaient fort bien que ni la sécheresse du culte de Calvin avec
ses monstrueuses spéculations ; ni le mysticisme sensuel de Luther
avec sa parodie de sacerdoce, ne rencontreraient de sympathies
parmi les masses ; il fallait incarner le protestantisme dans la
personne visible du souverain. Eflectivement, l'anglicanisme,
c'est la religion du trône représentée, transmise, maintenue par
une succession de souverains et par une aristocratie héréditaire.
Les réformateurs anglais ne lirent résider la force de la religion
naturelle, ni dans des arguments et des expositions de doctrines
que le peuple n'aurait pas exécutés, ni dans l'élude du passé qui
ne l'intéressait pas, ni dans la sanction apostholique; ils greffè-
rent le protestantisme sur le dévouement au souverain, à ce
prince visible que tout Anglais apprit à défendre contre le Pape
étranger, qu'il ne voyait pas. Douter de la religion royale, c'é-
tait un crime de lèse majesté, et désormais les rois devinrent les
saints et les docteurs de l'anglicanisme. On eut le franc et
joyeux roi Henri, la glorieuse Elisabeth, le royal martyr ^ \e jo-
vial monarque, l'immortel et le pieux Guillaumej le bon roi
Georges, personnages assurément très-différents les uns des au-
tres , mais infaillibles puisqu'ils étaient souverains, et comme
tels, objets de la vénération de tout fidèle Anglais.
{La fin au numéro prochain.)
PRIÈRES ET SOUVENIRS.
Poésies religioiiscs, par Octave pucros (de Sixl). Un vol. in-12.
P.iris 185i. r.h«'/ I.'Noffro, libraire.
Lelcm|)spr(>scnt,(Jit-oii, Psl peu propice à lapo^sin. Lei^diiTuiil-
Irs, crovons-nous, on tous les loni()S, furent û pou pros los mi^mes.
Qu«'l sii'cU; se |iourrail-il «il.'r où ceux <]nv If dcmoi) de la poésie a
poursuivi n'aient ou a surmonter rindilTorenre, ledédain, les mépris
même, ontin des trihulaliuiis sans nombre? Mal;;ré li; Ion positif
qui rogne aujourd'hui ; eu depii tie i c caracléro utilitaire que ré-
vèlent presque forooiuenl les eduoations, les sources de l'admira-
tion ne sont point taries. Il ro;;ne plutùt un excès d'indulgence,
qui prend sa source dans rabaissement des éludes littéraires. S'il
faut aoruser le siècle, à coup sûr ce n'est poiut tïr rigueur à l'en-
droit des tentatives. Qu'il arrive seulement une jeune renommée
qui lorce l'attention el surtout le respect, bienlùt les témoignages
les plus empressés se biUoront d'annoncer sa veiuie el d'entourer
son bercoaji. (lombien ne pourrait -on pa< citer ici de ces nourris-
sons des muses dont des applaudissements trop précoces ont forcé
le talent, tari dans son gernu" lo dévelop|)<'uicnl poéli(|iie pour ur
faire que des hommes iiu(mijilcis et inconijuis, des hommes en
quélc d'untf carrière durant t(»uii' leur vie, bienheureux encore si
l'aigreur et lo dépit d'un insuccès ru* les a pas jelés dans les rangs
de l'opposition anli-religieuse «-t anti-so( ialo. « cl asile déshonorant
des mécontents de toute nature.
Nous rrovons donc fort peu aux poètes étoufTcs par lo dédain de*
génériition-». 'loulos les carrières pourraient ici taire mcuiire «le
leurs victimes. Nous serions plutôt itortés .i dire qui; la société, cl
plus ex[)ressénicnl la sociclé dos honnête- gens, a forl .1 se plaindre
des |>oetes. Pour tpielipic>-uns Siuis tache, qui dans le cours des
PKIKRIvS ET SOUVKMKS. 1 f9
âges s'unissent ;iu chœur dos intclliponces |)rivilé},'iées qui ont
cherché Dieu, chanté sa gloire et gh)ri(ié ses œuvres, contihien (jui
ne furent jamais (jiie les chantres de la vohipl»', h«s insligalcMirs du
vice, les adulateurs de toutes les faihiesses? Nulle société plus que
la nrtlre eut foi aux poêles ; elle les a cru dignes du pouvoir suprême?
F. es honneurs les plus magnifiques ont été leur partage. Ce n'est
point le lieu de ledircî ici des histoires que chacun sait, mais com-
ment ne pas déplorer ces fortunes imméritées, car elles ne sont à
la louange d(î persojine. Si la réprobation la plus sévère doit fraji-
per des hommes qui ont fait un abus si coupable des prérogatives du
lalenl, il est impossible de ne pas Tétendre sur ces foules engouées,
lesquelles, après tout, n'ont adoré dans ces hommes que les com-
plices de leurs |)assions. Ouel(jues-uns trouveront que c'est là faire
un bilan bin dur de ia renommée des Bérangcr, des Lamartine,
des Victor Hugo, des Alexandre Dumas, des Musset. Pesant au
poids de la conscioure le mal imrn(*nse qu'ils ont fails, Iiî tribut à
peu prés continuel qu'il ont apporté au désordre dans les idées, à
la dépravation dansles sentiments, au courant irréligieux du siècle,
nous croyons n'être que justes. Ce qui ne nous empêcherait pas,
le cas échéant, de manifester par quels endroits ils furent dignes
de remarque, quelles qualités éminentes et variées servirent leur
talent, de quel cachet de distinction grande ils marquèrent les
quelques œuvres sorties de leur piume, que les [)remiers nous vou-
drions pouvoir sauver du naufrage de leur renommée.
Ces chefs de file ont fait beaucoup de mal ; grâce à Dieu, cepen-
dant, ils n'ont pas entraîné tout le monde. S'il ne s'est point élevé
de figure imposante à rencontre du flot malfaisant qu'ils ont
provoqué, il faut reconnaître que dans une splière plus humble, de
nobles âmes, de jeunes cœurs dévoués à Dieu et à l'Église ont
protesté contre le scandale. Préférant une destinée moins brillante
etaussi plus méritoire, bornant leur désirs, ils ont suivi l'étroit sen-
tier du devoir. Pour la plupart d'entre eux, la poésie n'est que le
délassi'menl d'une vie occupée de sérieux intérêts. Quelques-uns
leur reprocheront de manquer de chaleur, d'éclat, de ne pas dé-
ployer une énergie sulTisante. Sans doute, vous ne retrouverez pas
chez eux l'ivresse de la passion échevelée, les souvenirs brûlants
de l'orgie, ni la flamme capricieuse d'un esprit qui se rit de tout.
Ceux là se r(;S[!ecli!nt eux-mêmes et ils respectent les autres. Leur
muse est chaste. Ils ne craigncïil pas de parler du re[)entir. Leur
pensée reconnaît un frein et leur conscience un joug dont elle ne
l'H^ PRIÈRES ET SOIVE.XIRS.
tVcmil |ias. (Jellc suhrioU; rvidumiiioiil impose de la gène, mais
pour culu l'cnlbou&iasmc uVsl pas banni. La grâce, ce parfuni des
des setilimonts doux v.l afTeiiueux, ne leur fail pas défaut. Ils rcn-
coulrenl aussi la lorre alors ijue .s'eianranl dans les relions du pur
amour, ils célèbrent dans leurs vers les augustes mystères de la
foi, les souvenirs bibli(|ues uu les magnilieences du culte cbrt^lieii.
Les Pvnnei éiamjclitjuei de Laprade , les poésies de rur(|uety ,
celles de Violeau cl de Désiré Carrière, les œuvres si exquises
do Hri/eux , Tauleur de .Varie et dei BnlviiA , pour n'en citer
(|ue (|uel(|ues uns, ont des longtemps piouté que la vraie poésie
n'esl point incompatible avec les vertus sévères. Et ici nous insis-
tons sur ce caractère de fidélité grave que revôl un e.sprit calboli-
que convaincu, sérieusement allaché à la règle et aux précoptes
qu'il accepte, car les renommées mondaines dont nous parlions tout
à riieure , elles aussi ont voulu cbanter le Cbrisl et glorifier ses
bienfaits. Parfois chez elles se trouveront <juel(|iies pages estima-
bles , parlant d'une émotion sincère ; mais combien d'autres où le
('brisl, rtvangile et ses mystères sont invoqués uniquement pour
donner lieu à de détestables blaspbèmes ou pour infecter l'auguste
doctrine des impures émanations du panlbéismc ou de l'albéismc
prati(|ue.
M. Octave Ducros, dont iioun annonçons un second recueil, as-
pire à prendre rang parmi les poètes de la voie étroite dont il faut
encouragiT les louables edorls. Il faut des poètes, l'our nous tous,
il est une période de la vie où ce langage du cœur passionné qu'on
nomme la poésie attire les plus nobles fiicultés île noire esprit. Sa-
chons ne pas comprimer ni dédaigner cette Oeur des jeunes années ;
cfTorçons-nous plutôt de nous emparer de celle attraction , de la
faire servir au bien. La véritable pédagogie ne consiste pas ii com-
primer les aspirations, mais à les diriger, mais <li les contenir. Crai-
gnez que la jeunesse ne se tourne vers la licence, si vous lui enle-
vez toute ré<réation , si vous la sevrez systématiqueuïent de tout
élan vers le beau. l'our cela, osons iavoriser les vocations poétiques
telles que celles de M. Ducros ; plaçons sans crainte ses vers entre
les mawis de tout le monde , entre celles des jeunes gens surtout,
car jamais il ne fait entendre que les accents les plus élevés comme
les plus libres do tout soufUe impur.
Le goùl trouvera aussi en M. Ducros un ino<léIe à suivre. S'il faut
le louer de la chasteté (h> ses pensée», apprccions d»* même la pu-
reté de son style, sor» élégance continui* , l'absence du mauvais
PRIÈKES RT SOUVENIRS. 121
goùl, les images justes et bien en place. Sans doute M. Ducros
quelquefois ose beaucoup; il arrive qu'il n'atteint pas toujours l'i-
déal qu'il rùve ou celui qu'il entr'ouvre devant son lecteur attiré.
Ne nous plaignons pas trop ; pour les poètes comme pour les pein-
tres, il faut d'abord estimer l'intenlion, apprécier les efforts. Il faut
se souvenir aussi (jue M. Ducros aborde le plus souvent des sujets
religieux, les plus grands sujets : la Croix, le Miaerere, l'Eglise, la
Résurrection. Pour réaliser le degré de force et de couleur requis
pour de pareils sujets, il faudrait une organisation poétique trans-
cendante, car à la vue métaphysique la plus perçante, il faudrait
unir une imagination incomparable. Atteindre, nous ne disons pas
la perfection, mais une beauté relative, eu s'exerçant sur de tels
motifs, est déjà bien digne d'éloges. C'est dire que M. Ducros, vrai-
semblablement, ne forcera guère l'admiration des indifférents;
mais nous osons lui prédire que les âmes pieuses aimeront à le lire,
car elles retrouveront dans ses pages élégantes la moelle de la pen-
sée de l'Église, c'est-à-dire leurs méditations de chaque jour et la
paraphrase populaire de nos grands mystères catholiques, comme
le commentaire animé des plus belles paroles des Saints Livres.
Nous terminons en citant deux pièces; c'est le procédé le meil-
leur et le plus franc pour faire goûter une œuvre digne des plus
sympathiques applaudissements. £....
A LA JEUNESSE.
Qu'ils sont beaux, mes amis, les jours de ma jeunesse !
Combien douce et charmante est cette enchanteresse!
Quel breuvage enivrant nous présente sa main !
Ah 1 ne les perdons pas, mes amis, ces jours splendides.
On dit autour de nous qu'ils s'écoulent rapides :
S'ils passent, que pour nous ce ne soit pas en vain !
Pendant que notre ciel rayonne.
Que nos yeux en sondent l'azur;
Cherchons-y celui qui nous donne
Les soleils d'or et le ciel pur.
On nous dit souvent que les hommes
Sont ingrats : à l'âge où nous sommes,
I '2- rnihits tr soi vkmh>.
Me» amis, «>àl-il des ingniU?
L'oubli pour nous serait un crimo ;
Dans nos cœurs le hionriit iniiiriuic
Des Iraits qui ne sVfTacj'nl pas!
La vie à lar^^es (luts dans nos veines circule.
Inextinguible et rluT, un feu secret nous brûle;
Rien ne peut nVsisler à sa puissante ai (leur.
Il ecliaufle à la fois riotre saiij^ «-l nos Aines;
Si le temps doit Téteindre, au milieu de ses flammes
Ayons du moins brûlé noire encens au Sei{,'neur!
Est-ce une âme[à moitié flétrie,
Un cœur qui va se refroidir,
Sont-ce les restes de la vie
Qu'au Dieu vivant il faulofl'rir?
Non, non : ce serait une honte!
Nous ne savons pas comme on compte:
Nous ne calculons pas eocor !
Les mains de Dieu sont généreuses ;
Les nôtres répandront joyeuses ,
A ses pieds tout notre trésor !
Dans les saints jours, Toyez ces fleurs toujours présenles,
Pencher pieusement leurs gerbes odorantes
Sur Taufcl qui reçoit et le pain et le vin.
Les fruits lon-jlt'uiiJS mûris servent au sacrilîce;
La Heur dans sa jeunesse ouvre son frais calice,
Et laisse les parfums s'exhaler de son sein.
Notre vie en sa fleur s'élève ;
Au Dieu du jour et de la nuit
Offrons-la, quand monte la sève,
Atiii (|<i'il mûrisse le fruit.
Chacjue fleur est une promesse,
l'n «'spoir que le ciel caresse
Kl (ju'ii ne faudrait pas trahir!
L'arbre en vain de fleurs se couronne :
Dieu l'arrache, quand vient l'automne.
S'il n'y trouve rien à cueillir!
PKlÉr.ES ET S()UVE?(HiS. 123
Oli ! (lu'il est 1)011 d'aimer I Oh ! qu'il est bon de vivre
Au milieu des transports dont l'amour nous enivre !
Qui, pour les contenir, élargira mon cœur?
Quest-cc en réalité que la belle jeunesse?
Est-ce elle qui vraiment est notre enchanteresse?
C'est la saison d'aimer; l'amour est l'enchanteur !
Livrons-nous, livrons-nous sans crainte
A son empire : il est si doux !
Obéissons-lui sans contrainte :
Qu'en maître il dispose de nous.
Que de son aile la plus forte
Il nous soulève, il nous transporte
Aux lieux qu'on ne sait plus nommer.
Qu'il nous verse à longs traits l'extase ;
Mais je voudrais plus grand le vase :
Car c'est Dieu qu'il nous faut aimer!
Souvent auteur de nous, amis, j'ai vu sourire.
Nos généreux élans, que sont-ils? du délire.
C'est aux illusions que nous ouvrons les bras...
Chères illusions, compagnes fortunées
Que le Seigneur envoie à nos jeunes années.
Au ciel, d'où vous venez accompagnez nos pas !
Amis, ces prétendus mensonges
Sont d'ineffables vérités ;
Et ce qu'on appelle nos songes
Sont les saintes réalités.
Amis, le beau seul est aimable !
Amis, l'amour est véritable.
Et le bonheur n'est pas un mot.
Mais ne faisons point de méprise :
Si tout désir se réalise,
C'est quand on s'adresse au Ïres-Haul !
Nous aimons, quand le soir vient finir la journée,
A nous en rappeler la fraîche matinée :
Ce rayonnant azur alors était serein ;
Ce beau soir eut pour sœur une charmante aurore.
124 PHIÈRES ET SOL'VE.MRS.
£t eu dernier rnvoii dont le ciel pur se dore
Vsl frère du rayon qui dora le malin.
Amis, au bout de la'carrière,
A l'heure où vient le souvenir.
Nous re(,'ardi!rons en arriére :
Il faut le faire sans rougir!
O ma jeunesse, reste pure ;
Reviens aimable et san> souillure
Réjouir plus tard mes vieux ans ,
Elqu'emporlanl comme espérance
Ton doux souvenir, je m'élance
Te rejoindre au delà des temps !
L'ÉtiLISK.
Kplise du Seigneur, ma vieille cl sainte mère.
Bien des ans ont passé sur la léle si cbere :
Mais vieillir, c'est encor, pour Ion front respecté,
S'élever couronné de jeunesse cl de grike ;
C'est du long cours du temps garder pour seule trace
La noblesse et la majesté !
Quand dansTheureux séjour, à la face des ange».
Deux cœurs humains pour Dieu mêlèrent leurs louanges.
Tu naquis, au milieu de leur ravissemi-nl.
De ce premier transport d'amour et d'itinorence,
Et l'hymne glorieux de leur reconnaissance
P'ut ton premier vagissement !
Tu naquis, et les cieui à la voix tressaillirent,
El les anges émus en silence entendirent
S'élever d'ici-bas, «m accent fraternel :
l^ar, pour parltîr comme eux dans la langue divine^
Il n'était pas besoin de plus noble origine :
La terre alors était un ciel !
PUIEKES ET SOUVEINIRS.
Ail! (le^)uis... mais loujours la céleste harmonie,
Doux et sacré langage a[)pris dans la pairie,
Que n'ont point oublié t<5s lèvres ni Ion cœur,
O lille de l'Edeii, sur ta bouche repose,
Comme au jour où jadis, pieuse, elle est éclose,
Pour rendre gloire au Créateur.
Bien des fois^ seulement, depuis ce jour antique,
Quand le chant résonnait sur (a bouche angélique,
— Était-ce une espérance ou bien un souvenir? —
0 6lle de TÉden, ta voix mélodieuse
Vibra plus tendrement, chaste et mystérieuse,
£l s'exhala dans un soupir I
Et tu semblais alors si touchante et si belle,
Ton œil brillait si bien d'une joie immortelle,
Ton sein d'un si doux poids paraissait oppressé.
Qu'on eùl dit une vierge heureuse et rougissante.
Murmurant en son cœur d'une voix caressante
Le nom chéri d'un fiancé !
Oui, c'est un fiancé que ce soupir implore ;
C'est loi, ton bien-aimé, ton époux, plus encore.
Ton Dieu, qu'au ciel jaloux veut ravir ton amour :
Lui si beau, si puissant, si grand, noble exilée.
Qu'aussitôt tu pourras, prés de lui consolée.
Oublier ton premier séjour !
Lui, ce n'est pas en vain qu'on l'attend et qu'on l'aime
Pour te rendre ta part de volupté suprême.
Il quitte les splendeurs de son trône étoile.
Il t'est venu jurer une amour éternelle ;
Tu dois croire, oh! bien croire à ce serment fidèle :
Vois de quel sang il l'a scellé I
Sang divin, sang sacré, dont la vertu féconde
A tes fils pour berceau donnant tout notre monde,
Assemble sur ton sein d'innombrables enfants,
Que du ciel reconquis franchissant la barrière.
Tu porteras enfin au séjour de lumière,
Pressés dans tes bras triomphants !
125
J *^<» IT.IKRES ET SOl'V&.MI.s.
Pour CCS heureux vnfauU, ce» fils de m Icodrcssc,
Cel iininotlt'l «-poux ronfie. à la saj;osse
Des tri'sors uu la rnain [tiiise, sans tes laiir,
Tous les duiis (lu Seigneur, lous, jusqu'à la puissance
(Jui rend aux cœurs suuillés leur preniiiTC innocence.
L'innocence pour un soupir I
Pour parler au Irés-Haul, tes I(<j0ns njatcrnelles
Fonl redire ici bas à des bouches niurlelles
La langue (pie parlait cet «'poux glorieux,
Ces paroles d'amour cpje lui seul put l'a[)preudre.
Où Ion Dieu reconnaît, ravi de les entendre,
Le Verbe qui lui parle aux cieux !
Au ban(|uet iiiciïablc où la voix les confie.
Tu donnes à les lils un pain qui rassasie
Leur faim, faim de bonheur et d'imuiorlalilé!
El ta divine main leur présente un breuvage
Qui, du ciel sur la terre inépuisable gage,
Les enivre de charité !
Oh! oui, nous nous aimons! (|uand tios lèvres tremblantes
A l'approche d'un Dieu craintives, pillissanlcs,
De bonheur et d'i-fTroi se sentent défaillir;
Quand notre voix se meurt, vos nobles voix s'élëveul,
G mes frères du ciul, et pour la nôtre achèvent
Le mol qu'elle n'osait Unir !
Oh! oui, nous nous aimons! quand nous avons pour hôte
Celui dont li' saiip pur elTace loute faille,
Quand de lui tous nos v(rux doivent être enlendus,
Frères qui gémissez, frères (pie la prière
Peut introduire au ciel, pour vous est la première
Oui jaillit de nos c(rurs émus!
Kl toi, de quel bonheur ton joyeux regard brille
Quand, écoutant au loin cette immense famille.
Tu rc.nl(M)(is s'appeler, se répondre en tout lieu !
Quand tu la vois, malgré la distance lointaine.
Former avec amour la glorieuse chaîne
Qui finit au trône de Dieu !
PRIÈRES ET SOUVENIRS. 1-7
1(1 souris : et [louitaiit, à li avers ce sourire,
Dans tes yeux, en secret une larme vient luire ;
Des enfants que ta voix rappelle encore en vain,
Des mères peuvent-ils délaisser la plus tendre?
Des bras si caressants peiiv(;nt-ils donc se tendre
Sans qu'on s'élance sur ton sein?
Ab! si de ses bienfaits nous gardons la mémoire.
Nous sur notre lium[)le terre, et vous dans votre gloire,
O mes frères, prions pour elle à notre tour:
Heureux si, pour payer tant de longues tendresses,
Nous pouvions rendre un fils à ses douces caresses.
Un fils encore à son amour !
.MÉLA\CES ET VOlVELliS.
I»en«*vc. — \ Oii i un };rarul mois que fonclionne le nouveau
goiivjTiiiîiiH'nl (Je (iencvc, el le incilleiir élope qui se puisse faire
de lui esl qu'on ne le sent guère el que, jusqu';i presenl, il se laisse
oublier. Plai>e ;i Dieu qu'il eu soit loujouis ainsi. Kti effet, l'idéal
d'une bonne administration ne duit-il pas ètrfe de marrlier sans ef-
fort, sans violenci!, sans |)rétendre vouloir s'imposer bruyamment
aux ronsfiences. Ct*l idéal, en particulier, ne doit-il pas être celui
d'un gouvernement (lt'mo<Tali(|ue (|ui se pose comme voulant être
le gouvernement de tous el inaugurant une ère de réconciliation
entre les divers partis.
Les r.'itlioli(|ues de (ienève ne demandent pas mieux que d'avoir
confiance en ces promesses. Au>si attendent-ils >anse>pérer ni crain-
dre. Ils sont forts de leur conduite passée. Si les nouveaux conseillers
d'Klal (oui preu\e de quelijue sagacité, ils auront vile compris que
les I atli(ili(|ues (|ui ont porté leurs votes sur M. Fa/y, n'ont été mù
que |>ar la pensée de sauvegarder la liberté religieuse el l'inlégrilé
de leurs droits menacées par une faction implacable (|ui sème le
trouble el la division sous le prétexte de couMtlider l'elablissenuMil
protestant. Les calholi({ues ne peuvent se dissimuler que les élec-
tions aient été faites sous l'impressiuii d'un mouvement (Patiimosilé
contre eux. Lt; gouvernenuMit nouveau, pour première dillicullé,
devra liquider ce scandaleux mensonge qui a dominé toute la situa-
tion él(?ciorale ; ce mensonge est (jiie les <'atboli(|ues aient été fa-
vorisés par l'administration Fazv aux depen> de (|uelle fraction du
protestantisme que ce soit. Omme si nos motifs de plainte les plus
légitimes n'étaient pas demeurés jusqu'au bout sans satisfaction.
L'administhilion Ka/v nous a-l-elle donné des écoles publiques di-
gnes de res|)ect? n'a-l-cllc pas maintenu l'exil de notre évùque
MKLAMGES ET NOUVELLES. 129
aussi bien que ce modèle des gouverneineuls conservateurs qui ré-
side à Berne?
On a donc im[)tilé aux catlioliqiKîs nno foule d'absurdités, dans
le but de renverser la défunte adniinislralion ; on a réussi. Pour
cela, notre situation n^a pas changé, et nous ne nous considérons
point comme des vaincus. La dernière agitation n'est qu'une des
mille phases de la situation nouvelle qui est faite à la nationalité
genevoise par l'accroissement de l'élément catholique. La lutte ac-
tuelle était inévitable, elle devra durer longtemps encore : les vo-
lontés humaines ne peuvent empêcher l'antagonisme d'éléments
aussi opposés. Cette lutte ne peut que se caractériser chaque jour
davantage, car il ne s'agit de rien moins que de savoir si une co-
lonie d'émigrants étrangers qui s'imposa à la ville de Genève il y a
trois siècles, à la faveur d'une révolution, comprimera à tout jamais
l'antique élément national réintégré dans ses droits par la force des
choses et les péripéties de la politique. En parlant sans cesse de son
histoire, le protestantisme oblige les catholiques à réapprendre la
leur. Nous avons eu douze siècles d'histoire avant que le calvinisme
ait commencé la sienne ; et, à fiolre sens, il est permis de les oppo-
ser sansdésavantage aux temps de la domination protestante. C'est
le catholicisme qui a créé Genève, qui l'a initié à la vie intellec-
tuelle, à la vie artistique, à l'activité commerciale ; et quant aux
libertés politiques, il y a longtemps que des auteurs protestants ont
mis en parallèle les franchises de l'èvèque Adhéniar Fabry avec le
code draconien imposé aux Genevois par le réformateur picard.
Tel est le cercle nouveau dans lequel entre la question qui se dé-
bat entre les deux populations, et l'on conçoit qu'en présence d'é-
léments aussi divergeants, nous soyons fort empressés de souhaiter
à nos magistrats l'esprit de sagesse et de modération, comme celui
d'intelligence.
— Sous le titre d'Essai sur la question politico-religieuse dans le
canton de Genève, on a répandu un petit écrit où se lisent les
passages suivants :
« On sait que, sous le rapport confessionnel, l'État de Genève
est depuis l'annexion de plusieurs communes savoisiennes, dans
une position fausse et très-compliquée; position qui lui a été faite
par les clauses du traité de Turin, en faveur de l'établissement pa-
piste. Et, chose bizarre ! cette faveur est très-peu flatteuse pour
les citoyens membres de l'Église ainsi privilégiée. Nous disons : en
130 nÉLAncES rr mouvelles.
tant que citoyfuf ; car ils 110 pourraient oii\-ni<^nios v rirn chnnpor.
Par un n-Millat di'risoiri' lrur> iM-rsunno n'v mmiI |K)ur rien ; Ir
Irailt' en question n« prolile ri^ellt'int'nl cjn'jni ch'rgô romain qui
snura bien le maintenir envers el contre tons. Dans les communes
qui V sont assujetties, les élections nuinicipales ne sont pas libres,
les écoles non plus, etc., et ces taches hont indélébiles. Mais le mal
ne pouvait pas se borner là. Celte position privilégier faite au
cleipé papiste (sous le nom de simple parant ie due à la religion ca-
tholique , lui a facilité le mowîn d'inoculer systématiquement à
son nonibreux troupeau le plus injuste, comme le plus funeste es-
prit de haine el d'antagonisme contre l'anj-icnne bourgeoisie pro-
testante — Ku vérité, on a de la peine à s'expliquer comment
ceux d'entre les catholiques, qui se disent Ubérnus... qui s'odense-
raient d'être aj)pelés papi>tes, parce qu'ils apprécient aussi bien
que nous l'absurde impiélé »le l'adage : //ors l'/:gtisf point dr m-
lut ;... qui connaissent, <pii stigmatisent dans l'occasion, toutes Ie5
roueries du jésuitisme, persévèrent néanmoins i\ rester etix et leurs
enfants, olTciellemenl ininiatriculés, et comme écrojiés, sur les re-
gistres d'une société à laquelle, en conscience, ils n'appartiennent
plus, tandis (|uc la réforme évangélique est \à qui les convie vaine-
ment sous ses honorables el larges drapeaux. N'y a-l-il en «mix
qu'une iuirlie fatale ? Ne craigneiil-ils donc point de se rejtrocher
un jour, mais trop laid, de n'avoir pas eu le courage de leur opi-
nion, peut-éire même de n'avoir pas été insensibles aux avantages
politi(iues que les circonstances assurent pour le monu'nt aux gros
bonnets de la population papiste?... lùdin s'ils ne soni retenus
(pie par les charmes d'un culte pon>peu\ et des doctrines poétiques
qui ont bercé leur enfance, nous sommes bien loin de leur et> faire
un crime, mais alors ils |)ourraieiil se constiltier en église du rite
grec oriental qui, tout en leur présentant les niéuies a\ af<tages es-
tbétnpies, tout en leur conservant un < albolicisine pour le nuiins
aussi apostolique et orlhoiloxe, appuyé (|u'il est sur les sept conci-
les primitifs, les sou^lraiiail au joug taré «le In cour de Home et
dei p'suile.o, et, en leur rendant la libi»- roiistillalion des Sainte--
É<rilures, les mellinit en étal de fralemisi r sans feinte avec leurs
frères du rite é\anyéli(|ue.
» L'ftltal i\i'. (lenéve, à m«»ins de se rendre posilivemenl com|dire
de l'action déléicre que le clergé lomain. dans son indépendance
privilégiée, exene p.iiini nous, Pf^lat de (i«u»ève, disons-nous, diu't
créer des contre-garanties sérieuses, non-srufnvrnf jwur les proie*-
yi':i. v\(JC:-i ET NoiVLr.rs. loi
fnnli êfaugvliqxtn, mais pour tous lesnon-papistcii en général, croyants
ou non-rrot/unts. Il y a une gr.indo convenance, pour ne pas dire
urgence d'y procéder pendant (jne cède classe forme encore majo-
rilé. Ce que TÉlat pourrait faire de |)ltis ralionel serait de les réu-
nir en un faisceau de proleclion mutuelle et d'en composer, à cet
effet, iine Église Fkdkrék, vérifahliunoiit nationalk, laquelle,
sous rinvocalion du DiK.u toit-piissa>'t, proclamerait comme son
principe fondamental, non un système (juelconque de théologie,
mais une protestation permanente contre toute atteinte au droit d'exa-
men et à la liberté de conscience. Cette institution aurait doue pour
but spécial de garantira toutes les grandes nuances de l'interpré-
tation biblique, depuis les luthériens el les calvinistes les plus fon-
cés jusqu'aux philosophes simples amis de l'Évangile, ainsi qu'aux
Israélites, aux catholiques indépendants et ta tous autres, la faculté
de conférer ensemide, publiquement et en toute sécurité, sur les
questions religieuses et de vaquer à leurs cultes respectifs.
» On a toujours regardé comme un immense inconvénient social
tout ce qui scinde une population en factions et en castes, tout ce
qui crée un État dans l'Étal. Or convenez que chez nous l'établis-
sement papiste est non-seulement cela, mais pis que cela, étant
pajson essence même, extra-nalional,ou plutôt anti national. Nous
ferons sacement de nous abstenir de toute vaine récrimination :
mais si nos législations cantonales et fédérales ne peuvent rien
pour la suppression même de. ce mal, il ne nous est pas encore in-
terdit d'y chercher des palliatifs. Le meilleur, avons-nous dit, con-
sisterait à le «pu/ra/fST par un établissement qui en fût sous tous
les raj^\)orls dangereux U\ contre paviie bienfaisante. Ainsi, l'établis-
sement papiste est éminemment restreint, exclusif et intolérant
dans l'exercice de la pensée religieuse... Qu'une Église-Fédérée-
Nationale admette et protège toutes les croyances, toutes les études
sérieuses, toutes les bonnes intentions. Qu'elle présente ainsi l'idéal
réalisé d'un protestantisme sincère et complet. »
L'auteur de cet écrit nous est inconnu. En temps ordinaire, nous
ne lui aurions accordé aucune attention. On l'aurait laissé passer
comme une production de l'un de ces nombreux individualistes
originaux qui ptilullent au sein du protiîstantisme ; mais par le
temps qui court, les idées que protège la notoriété de notre inconnu
inspirent beaucoup d'esprits, el il faut en voir le témoignage dans
des indices multipliés. L'auteur do VEssai est du nombre de ces
132 lltLA.>l.ts L1 .>OlV£LLK».
déistes |ihiluso|)li«'s dunl Huussoau a fait (çcrnier dans Genève une
féroiidu lignée. Il (>st bon pruleslant, on le reronnail à sa passion
contre le lalbolieisme ; mais pour tliréticn, il ne Test pas; il a lutr-
reur des dogmes, il ne < ruil essenlirl d'adliérer qu'à un Dieu luut-
puiitant rémunir aleur final. Il e&l impatienté des innombrables re-
ligions (|ui peuplent la terre de par le Tiil du protestantisme; mais
il a la saj^t'sse de reeuitnaltn; tpi'il ni> |iful rien ( ontre cette ntnlli-
plicitë qui oiïusqiiu la largeur do sa pensée. Aussi le but de son ef-
fort de législateur esl-il de se préserver lui et ses pareils des mes-
quineries des n-ligions dugn)ati(|U(-s. Il aicorde même qu'il faut su
résigner ix acce|)ter des < atl)uli(|ues , mais qu'il les faut profondé-
ment moditier, aiin de les rendre a|)tes rt entrer dans le grand pan-
démoniuni du libre examen, dans son église fédérée (jui doit réali-
ser le proleilantisnie sincère et nmtplet.
Or, e'est par ee point que l'auteur de VKsfoi luucbc à une eorde
fré(juemment agitée tbez nous depuis queNpies mois. Beaucoup de
protestants sans foi religieuse; cerveaux fêlés par de mauvaises
lectures; esprits dévoués par leur promiscuité avec tous les genres
de libéralisme; bommes qui n'ont laissé debout, dans leur cons-
cience, aucune vérité positive, aucune noiion de respect pour quelle
autorité que ce soit ; ces protestants pbilosopbes voudraient cons-
truire un grand abri légal, une seconde baraque nationale, comme di-
raient b's mtilioilistes, poui protégi-r leur indilb-rence d'abord, el
pour neulrali>er les progrès des calboli(|U('squi sont leur caucbemar.
Dans ce but, ils se tournent vers les mau\ais catboliques, ceux qui
ne sont point papislt-s ni ultianMinl.iins , cei.x qui sont libéraux ,
ceux qui ne mi/iI (pi'immaliic ules sur les registres de baptême, ceux
enGn qui ont borreur des prêtres et qui s'en passent. Il } a is. (îe-
néve de mauxais calbitliqiirs , il y en eut de tout temps, et ce qiii
surprend, c'est (|u"il n'y «m» ait pas davantage, vu l'almospberc de
dissolulioD qu'ils respirent. Mais de ces catboliques, très-peu ont
consenti et con>>enlenl à .sortir de l'indifTérence et du matérialisme
pratiipn; (pii les relient pour lomballre ouvertement l'ICglise ; au-
cun (nous voulons parler d'bommes qu'on puisse nommer et qui
n'aient pas mmkIu leur conscience] n'a passé ù un |)r()te>tantisme
dogmali(pH> (|ui'lc()ii(|ue ; il ni; s'en trouvera pas (la>ant.tgu {toin'
une église de tbéopbilantbropcs où se célébreraient des fêtes à
l'Ktrc suprénu- dans le genre de celles que présidait Robespierre.
Les calboliqut's <{ui ne veulent pas de l'f-^glisc ne donnent guère
dans ces fadaise.4 pbilosopbiipies. I/enseignoment calbolique a ceci
HÉLANGES ET NOUVELLES. 1 '{3
de caraclt''risliquc qu'il laisse dans l'esprit de ceux qui le veulent
délaisser des notions fort nettes. Ceux-là vont à l'égoût du sensua-
lisme et A l'opposition révolutionnaire. Ils sont rarement aptes à
faire di* riivpocrvsic el du jiislc-milicu débonnaire enire toutes les
croyances, à la suite des embrouillés du libre examen. Ils ne sont
pas assez comédiens pour cela, et ils conservent sur leur terrain
d'boslilité une lro() juste notion de la doctrine qu'ils abandonnent.
Aussi les ihéopbilanlbropes de Genève en seront-ils pour leurs frais
d'avances.
Mais comment ne pas stigmatiser ces manœuvres d'hommes sans
conviction et impui.'sanls à en avoir ! Ils ne disent pas aux catho-
liques : venez à nos croyances ; ni ils ne l'osent, ni ils le peuvent.
Ils disent : restez catholiques pour la (orme ; mais laissez le Pape,
les prêtres, les jésuites, la confession et le jeune; débarrassez-vous
du joug clérical qui vous opprime; c'est-à-dire, catholiques, soyez
des hommes sans honneur, des perdus devant Dieu ; vous serez des
adeptes excellents pour \g proteslanlisme sincère et complet, il n'en
faut- pas davantage.
Cette tactique de démoralisation n'est pas nouvelle. Dans tous
les temps et sous tous les régimes, elle fut en honneur auprès des
protestants de Genève. Le conservatisme appelait les mauvais ca-
tholiques, éclairés et tolérants; le radicalisme, plus franc, les dé-
core du nom de libéraux soustraits à la domination cléricale. Les
uns et les autres ont choisi dans ce milieu leurs hommes de con-
fiance, ceux auxquels ils estiment pouvoir donner sans péril une
part d'action administrative ou gouvernementale. Ce jeu-là est
percé à jour"; il n'abuse personne. Sur ce point, les divers |)artis
protestants s'entendent à merveille. Le Journal de Genève, le pur
conservateur, n'a-t-il pas ouvert ses colonnes à la systématisation
légale des doctrines de ce protestantisme indifférent? Que veut, en
effet, M. l'avocat Hornung, dont cette feuille a publié une longue
correspondance ; que veut-il, malgré ses circonlocutions trop dé-
pourvues de sincérité et ses protestations de libéralisme, si ce n'est
l'anéantissement de la dignité religieuse chez les catholiques et l'a-
bandon formel des points les plus essentiels de leur doctrine , par
conséquent de la liberté de leur conscience. Ce légiste se débattra
tant qu'il voudra, il ne pourra pas faire que l'Église catholique ne
soit l'Église de tous les temps et de tous les lieux. S'il daigne permet-
tre aux catholiques d'exister, il faut qu'ils soient sous le gouverne-
ment de la hiérarchie sacerdotale ; il faut qu'ils soient en coramu-
131 MtLA>UES ET ?inilVELLES.
nicalioli a\t'c le l'uiilifi' sujut'iiu' ; il faut qu'ils aient le smlinient
de riiidi'pendaiice rrelle do leur elerjjé. lion ^rv, malgré, il n'a\ ilira
jamais les ralbuliques ipii n'auront |tas forfait à l'honneur i jouer
le rùle qu'il leur propose. Assuréniful il siérait |)lus «liniic de leur
pari alors de passer a la Héfurnie ; niais) M. Hurnung liii-uièuie uo
parait pas l'espérer. Lui aussi en sera pour ses projets puérils d'un
culte national où l'filat, érij;é en siiprr-nie dir«'cteur des conscien-
ces, aurait avant tout la cliar^'e d'up|iiinier le> ( allioli(|ues , de les
dénaturer le plus possible, atin de les rapprocher du typr protestant
sincère et complet. D'ailleurs, à travers les phrases louches et scn-
tcntieuses de M. Ilurnnn^, on ne seul battre son cieur \H)in aucun
christianisme ; son organisme reli<^ieu\ ne répugne à aucun com-
promis sceptique ou rationaliste ; il hait les catholiques, cela lui
sufljt. Son rêve serait d'établir en Suisse un conseil laïque des a(Tai-
res religieuses, dans le genre de celui (|ui promulgue à Saint-Pé-
tersbourg les ukases de l'empereur Nicolas.
Sur le terrain pratique, l'on rencontre aussi les tendances indif-
féretites qui caraclérisenl le proteslaiilisme de M. Horruing et de
l'auteur de \'£$i(ii. C'est le propre d'une iutinite de prolestants,
dans les conversations qu'ils peuvent avoir avec des catholi(|ues,
d'affecter un dédain supérieur pour ce (ju'ils appellent les formes
du culte. Ils diront aux calholiijues ; croyez i tout ce que vous
voudrez, cela nous est égal ; mais nous ne voulons pas de vos prêtres,
ce sont (les obscurantins (|ui relardeni le progrés et vous tiennent
sous un joug humiliant. Les agents de prosélytisme qui s'attaquent
aujourd'hui en si grand nombre î\ nos pauvres catholique.^, aiïcc-
tent le ménie thème. Mes bon*; amis, disent-ils, il lu; s'agil pas de
changer de religion, mais de laisser l;i \os curés et leurs pratiques
superstilieu.ses. Venez avec nous, vous ne nianciuerez de rien ; ce
ne sont pas les prêtres qui feraient pour vous ce que nous faisons.
M. OItramare, dans le discours (]u'il a prononcé dati> un lem|)le
devant cette poignée de malheureux qu'il a décoré du nom de pro-
.séljtes de la réforme, n'a pas tenu d'autres lang.ige , cl il n'est pas
de jour (jue ses confrères en courtage évangélicjue ne le fassent «:n-
tendre dans la mansarde de nos pauvres.
.\ Genévf, il r>'y a parmi les protestants que quelques méthodis-
tes dont le prosélytisme religieux soit sincért^ et fondé sur une con-
viction sérieuse ; les autres, en amenante eu\ les catholiques, n'ont
pas d'autre dessein que celui de constituer des électeurs pi otestants,
des ayant droits à riinpital calviniste, comme n'ont pas rougi de le
MÉLAN<;CS ET iV«)lJ\ EI.Î.ES. 135
(lire, dans Tcxposé de leurs motifs, divers personnages. En vérité,
le Icrine est admirable et l'honneur sans pareil.
AfTnIrcK ecclésiastiques de Fribourg^en Brlwg:aa. —
Les traditions de saint Thomas de Cantorbéry ne sont pas perdues
dans l'Église catholique. Après les nobles exemples de Cologne et
de Posen, après l'emprisonnement de notre magnanime évêque de
Lausanne et l'exil de Mgr Fransoni, voici venir l'archevêque de
Fribourg en Brisgau qui ajoute une nouvelle et bien héroïque page
à ces souvenirs des résistances sacerdotales contre les empiétements
du pouvoir laïque toujours si glorieuses pour l'Église. Mgr Vicari ,
iigé de 83 ans, après avoir épuisé (ous les ménagements, après avoir
témoigné de la longanimité la plus extrême, se fait emprisonner
plutôt. que de reconnaître que le pouvoir civil ait le droit de pour-
voir aux charges ecclésiastiques. Il lance un Mandement qui mar-
que le dissentiment et déclare qu'il est à bout de concessions et de
patience. Uu gouvernement persécuteur menace d'emprisonnement
et d'exorbitantes amendes tous les prêtres qui feront lecture du
Mandement. Le Mandement est lu dans toutes les chaires. Il ne
se trouve que deux prêtres qui reculent devant leur devoir. Voilà
de ces exemples sublimes qui attestent la divinité de l'Église et la
perpétuelle assistance qu'elle reçoit de l'Esprit Saint. Nous som-
mes Gers, nous catholiques, de ces persécutions dont les exécuteurs
sont des gouvernements stupides qui se rient des droits, des con-
sciences et du sanctuaire de l'homme où réside la foi et la fidélité à
J.-C. Ce ne sont pas les établissements prolestants qui nous donnent
de pareils spectacles. Depuis les calvinistes et les luthériens de la
Prusse qui se laissent fusionner à la parole d'un roi ; depuis ces ser-
viles dignitaires de l'anglicanisme qui renoncent à la doctrine de
leur église sur le baptême, parce qu'il plaît ainsi à la reine et à son
conseil ; jusqu'à ces ministres de Genève envahis par le rationa-
lisme et l'incrédulité, qui mendient du pouvoir civil la faculté de
supprimer un article de leur confession de foi sur le péché originel,
afin de pouvoir exclure de leur compagnie un confrère récalcitraut (1)
(1) Affaire du ministre Bost,
13G MÉLAUGKS ET ?IOr\tLLES.
qui lient à cet article. £lccs lioniinc&Muples si liuniblfs, fiid«''pour-
vus lie (li<^iiitr (Icv.int un |M)U\oir litiiiiain, vutidraiont l'aire (-iiiisidc-
rés coinmr des rninislrcs df rr^aii^ili*, rijx (jiii oui mis rKvaii;;il«'
en pièces et qui ont appris au peuple à y trouver lu |>our et le contre,
le vrai et le faux. (Ju'e.st-ce donc que relie dcxlriue qui pi clond
»^lrc une religion ; lacinelle lonrnc au premier s(»iifll<' d'un mo-
narque : qui s'abinie irn^sislihlemenl dans rincréduliK^ ou le plus
va^iu* latitudinaiisnu', (jui aurait enfin disparu dans le néant d'un
libéralisnu' lîfrrcrit', >i la j)résenr(: pcrmantuli- d»' riljîlise lalliuliquc
ne la contraignait à former un faisceau de ses négations, de s«!s ré-
pulsions et de ses doutes , afin «le conserver une sorte de fi;:ure cl
de raison d'i^tre.
Il n'est point dans noire dessein de raconter ici toutes les phases
de ce mémorable conflit de l'archevêque de Fribourg avec un gou-
vernement proleslanl lequel, apré>s'élre évanoui Idchemenl devant
la démagogie, relevé par des mains étrangères, n'eslime pasqu'il ail
d'ennemis plus redoutables à comballre qu'un vénérable prélat en-
touré de ses prêtres (idéles. Les détails de cette alTaire .sont dans tou-
lesles bouches. Faisons remarquer cependatttcetleadmirable unité
de l'épiscopat calholi(|ue qui se range par acclamations autour
d'un de SCS membres souffrant la persécution pour l'honneur de
l'Église cl l'intégrité des droits du sacerdoce de Jévus-("Jirisl. Au
milieu de ce.s nombreuses adresses qui viennent lorlilitîr dans sa
prison le noble archeféque , distinguons la lettre de notre évoque
exilé. Qui plus cpie Mgr Marilley avait le droil de féliciter Mgr Vi-
cari de sa vigoureuse initiative et de l'encourager dans le combat?
Jaloux du régenl de Bade, le gouvernement de Nassau harcèle de
de son cAlé l'évêcpie de I. imbourg, ('e prélat a élé cité à la barre
d'un tribunal criminel, sous prévention de concussion , |K)ur avoir
disposé d'un bénélice en faveur d'un prèlre de son <liocèse.
— Un pasteur proli-stant prussien, hî dorleur I.utt«'nmullor ,
vient d'abjurer le lulhcr.inisine pour r»'ntrer dans l'Église calholi-
({ue. Il a publié un exposé des motifs de sa démarche accablant
pour cfux (|\i'il aliandontu'.
llouvrile-llireuikdc. — Mgr .MoNquera, archevêque de Bo-
gota, exilé de son pays par un gouvernement hostile aux libertés
de l'Églis' , vient de moinir à .Marseille au moment où il se rendait
à Uome. Des funérailles magnilique.-, lui ont élé failcs par l'évéque
de Marseille assisté de loul son clergé.
l/f:Kli^<* rMtliolIqiic en AllcniMsnc prti<lnnt lr«
IrolN flrmlrrai niol«. — I. /.'(n<rmlilcc (trs lUSiKuitivm catho-
MÉLAUGES ET NOUVELLES. 137
/ù/Mc (i f'ienne. — Conformément iï la décision prise l'annén der-
nière ;\ Munster, la septième assemblée générale des Associations
catholiques d'Allemagne eut lieu en septembre dernier dans la ca-
pitale de ri'in|)ii(' (l'Autriche. L'on (•oni()iend aisément l'impor-
tance d'un pareil lieu de réunion. La position traditionnelle de
l'Autriche, tant d'ineiïaçables souvenirs, les services récents ren-
dus par son jeune (empereur à la cause de la liberté de l'figlise, le
contraste même; des soulïrances et de l'oppression que l'Kglise en-
durai^ à cet heure-là même dans les autres contrées de l'Allema-
gne, enfin surtout la noble et généreuse hospitalité qu'olTVail aux
associéi le magnanime ûls de IU)(lol[)h(î de Habsbourg et de Marie-
Thérèse, tout cela devait infailliblement dilater les dmes et les ou-
vrir aux manifestations de la joie la plus cordiale. «Cet assemblée,»
nous écrivait l'un de ses plus illustres membres, « a été la plus bril-
» lante de toutes celles qui ont eu lieu jusqu'à ce jour. Elle compte
» parmi ses assistants deux cardinaux (1), deux archevêques, dix
» évéques et plus de cent prélats. Par une heureuse coïncidence,
T> le premier jour de l'assemblée eut lieu la déposition solennelle
»des insignes de la couronne de Hongrie, ce qui fut cause que la
» prélature hongroise fut si largement représentée. »
Tel fut, en effet, l'un des caractères saillants de cette réunion :
la nation hongroise y figura pour la première fois, et, en entrant
dans ce grand mouvement des Associations catholique, elle devait
naturellement lui donner un nouveau prestige et une nouvelle
force. Une fois de plus, on allait constater que ce qui seul peut
rallier les peuples de l'Allemagne dans une puissante et féconde
unité, c'est la communauté de la foi religieuse. Un évoque hon-
grois, Mgr Fogassy, monta même à la tribune, et, par un discours
chaleureux, il consacra publiquement le fait de cette adjonction
de sa nation aux efforts communs des autres catholiques d'Alle-
magne.
Touchant événement I N'est-il pas vrai, en effet , que c'est de
l'Allemagne que la foi chrétienne et la civilisation sont venues en
Hongrie? Les rôles restaient donc les mêmes. Le lien de fraternité,
que la religion catholique avait établi depuis le roi Etienne entre
deux races originairement si différentes, ne faisait que se fortifier.
L'apostasie d'une partie de la nation hongroise, au temps de la ré-
forme, et le fatal système de l'empereur Joseph II étaient parve-
(!) Son Emin. le cardinal Vialc-Prela et le cardinal primat dp Hongrie.
138 nKLAXGLS ET MOIVELLE!*.
nus i\ relâcher ce lien, œuvre des (>iecle&; mais vuici que TÈgKw
u'dfvcnni; lil»r»* di'vail n'j;;i;,'npr au>si le terrain perdu rt rétablir
rancieiine union des esprits et des Kturs, non point sur la base
rra(;ile cl changeante des inlériMs polit i(|uefi, mais sur le fondement
larye et solide de la jjloire de Dieu dafis sa «iairite (!4(lisn.
Ln<' assemblée se juge par s»?s œuvres. I/assemblée de Vienne a
continué l'œuvre de ses devancières de Mayenre, de breslau, de
Ualisbonn >, de l.inizet de Munster. Jamais l'Allemat^ne catholique
n\)utjliera leur ellicace (uopeiatiou a la régénération qui s'opère en
elle. Chaque année nouvelle marque un prugrëti nouveau, et à
foreiî de persévérance l'on approche insensiblement du but. Sans
doute, les i:atliolu|ui;>i d'Allemagne auront encore bien des lombals
■à livrer avant d'atteindre le terme marqué pour la recon»lruclion
de leur ordre relifjieux, poliliqtie et social; sans doute une pareille
entreprise dépend d'une foule de conditions ; mais ce (]ui est in-
contestable, c'est (|un la naissance des associations catholiques, et
surtout l'établissement de ces assemblées générales annuelles, ont
été jusqu'aujourd'hui et ne cesseront pas d'être, A la fois, des
sympt<"»mes et des causes ellicaces du mouvement salutaire qui en-
traine les sociétés germaniques vers une vie nouvelle.
A iinstar des assemblées précédentes, les travaux de celle de
Vienne furent partagés entre diverses commissions. Notre inten-
tion dans cet aperçu général n'est que de rappeler les principales
résolutions (pii fnn'ut adoptées. Telles furent : l'adresse aux Évô-
qucM (le la province ecclésiasti{|ue du Haut-Hliin dont on comprend
le motif; l'adresse à l'Association catholi(|ue. des l'ays-Bas au sujet
du rétablissement delà hiérarchie en Hollande; l'invitation à tous
les catholiques d'unir leurs [trières pour obtenir h' retour dans le
giron de l'Kglise des (Irecs schismatKjues La question de l'émigra-
tion, dont nous parlions il y a plus de deux ans comme devant être
de celles (pii ressort iront de la spliere d'ai liiui «les associations ca-
tholique et qui atleuflront d'elles leur solution, fut accueillie avec
une vive sollicitude par l'assemblée de Vienne. Klle nomma une
commission permaïu'nle chargée de préparer le;» élénu'iits do la
discussion sur ce grave sujet pour la prochaine réunion : les noms
des membres de cotte commission, parmi les<|ueU rmus remarquons
ceux de .MM. Hiess, de Stuttgart, et Zander, de Munich, nous font
attendre d'utiles résultats de leurs travaux. Mais ce qui nous ré-
jouit encore plus que cela, et re (]ui, sans contredit, est d'une bien
•lÉl.AlNr.ES ET NOUVELLE». I 39
plus grande iroporlance, c'est le vote de rassoniblée relnlivement
i\ rétablissemonl û'uno .académie catholique eu Allemagne.
L'Allemagne s'agilera en vain et se consumera en stériles efforts
tant que sa situation intellectuelle ne sera pas amélior«''e. L'Église
catholique elle-même manquera de l'un de ses plus actifs et plus
ptiissantsau.viliaircs, tant qu'elle n'aura |)as sous sa main, en queU
que sorte, un corps savant, fortement organisé dans une vigou-
reuse unité, pour battre en brèche les derniers remparts du pro-
testantisme soldé par les pouvoirs et appuyés de la protection exté-
rieure des États. Et, en vérité, les circonstances deviennent de plus
en plus propices pour la réalisation de celle grande œuvre dont
i'épiscopat allemand, réuni à Wiirzbourg, en 18i8, salua le projet
avec tant de joie et d'espérance. L'Association catholique sera,
sans aucun doute, le promoteur le plus naturel de l'entreprise. Par
son action commune et par celle de tous ses membres en particu-
lier, dans les diverses contrées de l'Allemagne, bientôt l'on aura
réuni toutes les forces nécessaires pour remporter ce triomphe.
Nous ne pouvons nous empêcher de nous réjouir vivement à la
pensée que nous ne tarderons pas à voir réunis en faisceau tant
d'éléments épars en ce moment dans cette grave et féconde Alle-
magne, la patrie par excellence de la science sérieuse et du patient
labeur. Assurément la religion catholique aura à s'en féliciter. Après
avoir donné naissance à la grande hérésie du seizième siècle, l'Al-
lemagne aura également donné le jour à la puissance qui lui portera
le coup mortel. Celle puissance sera l'université catholique qui li-
vrera ses combats au principe protestant, à la fois par l'inQuence
de l'enseignement qu'elle donnera à la jeunesse et par les œuvres
scientifiques qui en sortiront et qu'elle seule sera dans le cas d'ac-
complir.
Nous formons des vœux les plus ardents pour le succès de l'en-
treprise et adressons à nos frères d'Allemage les encouragements
les plus chaleureux ; car, bien que nous soyons à un niveau fort
supérieur à celui de l'Eglise d'Allemagne, pour ce qui concerne
l'éducation cléricale dans nos séminaires et Tinstruclion élémen-
taire dans les sciences ecclésiastiques, combien n'avons-nous pas
besoin de modèles et de guides dans l'enseignement théologique
supérieur, malheureusement si négligé parmi nous' Or, que man-
que-t-il à l'Allemagne pour nous donner, sous ce rapport, le plus
salutaire exemple? Elle qui, déjà, nous envoie tant d'œuvres ma-
gistrales, soit d'apologétique, soit d'histoire, soit de critiques pa-
1 11» MÉLANGES tT ^•HVELLE».
trislique et scripluairu, elle ferait incommensiirablcmenl davan-
ta;;u si luiites ces forces préciense-, qui suiit inainti'iiant disscini-
nées el i>oU'e» sur >on ininuMisc Icrriloire, se (rou\jioul réunies et
urganis«'es dans un puissant concert.
u En attendiiiil Texeeulior) de ce ^rand dess(>in que l'assembéo
de Vienne, coniuiu sa devainiere de .Muiisler, embrasse avec svm-
palhio el ardeur, rAssuiialiun calholicfue adopte les slaluls d'une
Académie calltolique, œuvre élaborée par une coDimissioii insti-
tuée, l'année dernière, dans la capitale de la \N'eslpliaiie. De plu<,
elle (b'cide la fondation d'un journal $tienldi(|uc destiné à servir
du lien aux savants cadiolique.s d'Allemagne pour la défense d'une
même cause. Ce sont des pas importants, comme une sorte d'en-
ga<;ement pour l'accomplissement de l'œuvre principale. Faxit
Deus !
Ajouterons-nous quelque chose sur les oraleuriiqui se dislingue-
renl dans celle assemblée? Nous ne ferions (jue rappeler à no> lec-
teurs des noms déjà connus el aimes, tels que ceux des docleurs
Buss, de Fribour;;; Heinricb, de Muvence; Lieber, de Bamberg ;
Riess, de .Slull^jard ; Kolpin^', de (]ulo},'ne, el Miclileis, de Pader-
born. Ce|)endanl, ce qui lut >erilabiemenl un événement dans cet
assemblée, ce fut le discours du prince-arcbevéque de Vienne, M^r
de Uauscher, ci-devanl évèqiie de Set kau, qui ouvrit l'assemblée,
et celui de Son i'.minence le cardinal \ iale-lNela, le nonce cberi
des Allemands, |)rès la cour de Vienne. Jamais W-istocialion catho-
liquc n'oubliera lu ma^niliquc |iro;;ramme (pii lui fut tracé parées
princes de It^lise, ni les encouia^eanles paroles qui, lombee> de
CCS augustes lèvres, venaient la forlilier et l'animer dans son en-
treprise.
[^mi de la Ucligion).
PRÉJUGÉS DES PROTESTANTS
COKTRE
LE CATHOLICISME
Fragments de Conférences inédites de Newmaji.
( Voir la livraison de décembre 18S3.)
Pour ôter au catholicisme toute chance de salut ou de retour,
il ne s'agissait que d'opérer en sens contraire : élever dès lors
la Couronne au-dessus de l'autel et de l'Évangile , renverser la
croix pour y substituer les supports des armes royales , le lion
et la licorne; proscrire les prêtres comme autant de traîtres,
faire rendre des arrêts sommaires par la législature assemblée;
faire du roi et de sa cour des protestants , et du protestantisme
un passeport pour les honneurs et les emplois; imposer un ser-
ment de fidélité à V établissement, à tous les fonctionnaires civils,
ecclésiastiques et militaires; entourer cette religion naissante de
tout le lustre que pouvait répandre le rang, la fortune et le ta-
lent. — Ce peuple , indifférent à la vérité historique , insouciant
de la vérité dogmatique; dédaigneux des idées des nations étran-
gères, devait s'enrôler avec joie et s'enrôla avec fanatisme sous
des drapeaux qui étaient ceux de son roi : la vérité étant dé-
sormais synonyme de l'ordre et de l'autorité ; quoi de plus sim-
ple qu'une pareille doctrine? Le triomphe momentané des pu-
9
142 l>RÉJl'tiÉ5 UES PBOTESTAKTS
riiains, les railleries el les réfuiaiions des sceptiques, les re-
cherches des savants vcrs«'S dans l'étude des Pères de Tl-^îlise ,
rien ne pouvait prévaloir sur retle tradition de main humaine,
de main royale.
C'était dans le beau temps de la rrine vierge , de la fdle
d'Henri \ III , (jui, pour conserver quelque le^itinnté de nais-
sance el de règne, avait besoin d'abolir celte religion devant la-
quelle elle demeurait eniachf'c de bâtardise. Elisabeth fit (hmc
appel à tout ce (ju'il y avait de lidelile royaliste, à toute la no-
blesse, à toute la puissance du pays, et toutes ces gr.indeurs vin-
rent, comme l\aleigh , jeter leurs manteaux devant ses pieds.
Elle s'adressa à la jurisprudence, science (]ui ne revient |)lus de
ce qu'elle a décr»!»'-. Une fois qu'elle se déclarait protestante,
une fois qu'elle faisait reconnaître le protestantisme comme prin-
cipe fondamental de la constitution, la dérision était irrévocable,
car les précédents font loi dans la jurisprudence anglaise, dont
Tesprit servait merveilleusement l'installation, la consolidation
de la tradition protestante. En outre, plus d'une question dehal-
lue depuis longtemps entre leseoursdeRomeet d'Angleterre, pu-
rentalors recevoir ime solution favorable aux prétentions locales;
déjà le roi Henri Mil avait termine ses différents à sa manière en fai-
sant couper la tète à l'éNéque rislier qui avait refusé île reconnaî-
li'e sa suprenialié s[>iriluej|e. Juge et partie, la législature deilara
justes les réclamations de la Couronne et tint pour usurpations
les droits du Saiut-Siége, et |)as une voix ne put ou n'osa s'oppo-
poser aux oracles rendus par le Parlement en qui résidait la
tuprime sagesse ^ l'intelligence collective dune puissante nation.
Reine de l'opinion et de la mode, Elisabeth imposa à la littéra-
ture, à la science, à la philosophie, aux arts, l'esprit du protes-
tantisme ; dés lors il a été- univerbellemenl reçu en public, comme
en particulier, (|uc le catholicisme est chose absurde; on n'a
plus osé aNouer qu'on tenait à celte religion sans présenter sa
propre apologie. Nul n'a pu écrire, parler, se mêler aux intérêts
du monde el de la nation , sans admettre préalablement (|ue les
principes du protestantisme sont irréfragables, et que la religion
d'Alfred, d'Edouard le Confesseur, de Slepher» Eanglon , <lu
moine Koger Bacon est une vieillerie, une chimère effacée. En
CONTRE LE CATHOLICISME. 1-13
Angleterre plus qiifi parfont ailhiurs les classes inférieures singent
les hautes classes. L'oitservanei! religieuse de la cour fut rapidement
adoptée par la nation entière, qui tint pour abject et ignoble
tout ce qui ne suivait pas re\cm[>le des grands. Encore à pré-
sent, on croit aller très-loin, lorscpi'en parlant du catholicisme,
on veut bien lui trouver quelque poc'sie et le déclarer supportable
dans une tragédie, mais odieux dans la vie réelle. On croit être
singulièrement charitable, en avouant que les catholiques valent
peut-être mieux que leur religion, en supposant qu'ils soient de
grandes dupes s'ils y croient; des poltrons s'ils en doutent, sans
oser l'abandonner. Le catholicisme ne pouvait plus désormais être
que la croyance des classes les plus basses de la société, et pour
être protégé, secouru par les grands et les riches, il fallut adop-
ter le jargon protestant. Nous savons qu'il a été une époque ,
qu'il est même encore certains cercles où il est de bon ton de
paraître ou d'être incrédules, oii les railleries contre toute
croyance religieuse, les propos licencieux tiennent lieu d'esprit
et de science, et où les adeptes, novices d'abord en impiété,
finissent par nier, rejeter tout ce qu'ils s'accoutument à enten-
dre bafouer. Il en fut de même à l'égard des catholiques qui de-
meurèrent convaincus d'ignorance , de superstition et de fana-
tisme, uniquement parce qu'on les en accusait.
Un autre moteur de la tradition prolestante en Angleterre fut
le mouvement littéraire qui s'opéra dans le monde à cette même
époque. Avant Elisabeth, l'Angleterre n'avait pas de littérature;
c'est vers la fin de son règne que commence cette série d'auteurs
célèbres qui se prolonge jusqu'à nos jours. La Renaissance, cette
rénovation due aux Grecs chassés de Bysance par les Turcs, était
venue charmer les intelligences de l'Europe ; c'était comme les
tièdes haleines du printemps avec sa gaîié et ses vives couleurs,
succédant aux formes pures, sublimes, mais fantastiques du gi-
vre et de la neige d'hiver. L'austérité, la grandeur naive et rude
de cette noble et chrétienne école du moyen âge se fondaient
pour ainsi dire , disparaissaient étonnées devant l'éclat de ce
génie grec qui se révélait au monde intellectuel. Aux veux de
l'érudit, du poète, de l'artiste s'épanouissait tout un monde d'i-
dées gracieuses et luxuriantes, et les langues vulgaires gagné-
\i^ VKÉJVois DES PROTtSTATS
rcnt vn niflinomeiii el en élcj^ance au contact de celle de Périclès
et de Dtinosiliène. Ct'tl<' rtnaissance avait commencé dans la ca-
tliuli<|Ut; Italie; elle s'était propagi-c dans la France ('atlioli(|iie ;
elle lit son apparition en An^detrrre simultanément avec le
protestantisme qui s'('m[)ara de cette voix sortie des tombes du
monde anli(pi<î, pour fairr iclt-ntir son nouvel ('nseignenienl. Ca'.
fut dans ccltr langue anglaise cpunt; , ytiiunt* d'un souille nou-
veau, dotée dès lors de simplicité et d'énergie que les réforma-
teurs eurent la bonne forlunc d'énoncer leurs nouvelles doctri-
nes, en provofjuant radmiralion d'un peuple avide et curieux.
Ils entreprirent la lra«lueti(tn do la Bible en langue vulgaire,
et celte œuvre demeure un modèle de diction , d'harmonie, de
vigueur, un type de bon langage anglais. La même époque vit
surgir Shakespeare, SidncN, Bacon de Verulam , Spencer, Ha-
leigh, Hooker, tous plus ou moins courtisans d'Elisabei h , par-
tant, soutiens de sa religiou. Ode brillante reunion lunna la
souche d'une succession d'œuvres littéraires d'une grande va-
leur, dont le protestantisme «'tait à la fois l'essence et le point
de départ. Que fallait-il de plus à la loi nouvelle pour captiver
toutes les iiilelligences ('blouies et charujées que rebutaient les
raisoiuK inenls iiietil(igi(|ues et l'étude des annales du passé;'
D'ailleurs, les poètes de cour n'étaient pas les seuls qui gros-
sissaient la masse des traditions prolestantes. Miltuml Bunvan 1 ,
sortis, le premier de la elasse uhiyenne, le second du bas peu-
ple, exercèrent plus d'influence (jue Shakesiieare même, dont le
génie ne daignait pas s'abaisser à prêcher la doctrine particulière
d'une secte. Miltun et Bunvan ont vidgarisé, pour ainsi dire, les
Saintes Écritures, tant leur langage et leurs expressions devin-
rent familiers à la multitude. Plus tard, Clarendou et les hom-
mes d'Ktai , l>ocke et les philosophes, Addison et les publicistes,
Iliimc, Bobeitson et les historiens, Cooper et les poètes secon-
daires coniinnèrent à proclamer (pn> le protestantisme était sy-
nonyme du bon sens , tandis que le catholicisme était le type du
(|t Ilimyan est l'aiitrtir de ce Voyage du pèlrrin qiir iniss Cntiningliani
<li5tribiiait loiil n'-crmmcnt rn Totcnnr. V. du Tr.
COMRE LE CATIIOMCISUR. M/)
fanatisme, de la su|)ersliiioii ou de quelque étrange aberration
de l'ospiit. Le joug de la tradition devint si irrésistible, que les
convictions, les instincts, les pencbanis durent se courber ou
s'eflacer devant cette puissance. Pope était catboliquc , et per-
sonne ne le devinerait à la lecture de son poème. Samuel Jobnson,
né protestant, se sentait attiré vers le catholicisme , dont il dé-
fendait parfois avec véhémence quelque point de doctrine ou de
discipline, et cependant à sa mort il fit profession de ce protes-
tantisme qui n'avait pas ses sympathies et ne sullisait pas aux
besoins de son âme. De nos jours n'avons-nous pas \\i Walter
Scott, honteux de ses tendances catholiques, s'en excuser et les
expliquer par ses goûts d'antiquaire? Wordsworth expier quel-
ques sonnets catholiques par des compléments où il ftiit profes-
sion de panthéisme? Burke rejeter sur une nécessité politique
ses efforts généreux en faveur des catholiques d'Irlande? L'incré-
dulité, le libéralisme ne seraient que des péchés véniels dont on
préférerait se chargei- plutôt que de paraître entaché de bien-
veillance pour la religion de ses ancêtres et des nations voisines.
Le protestantisme a son idiome, sa phraséologie, sa chronique,
ses proverbes, que rien ne peut corriger ni faire oublier. Ainsi le
règne d'Elisabeth est un âge d'or; celui de Marie sanglant ; l'église
d'Angleterre est pure et apostolique , les réformateurs ywrf/ciewa?
et justes ; le livre du Rituel , ou prière ordinaire (1), est incom-
parable et sublime; les trent-neuf articles sont sages; mais le
Pape, les païens, le prétendant et Satan, sont tous réunis
dans une même aversion. Si Londres est brûlé, on élève un obé-
lisque afin de perpétuer cette calomnie qui attribue l'incendie
au papisme. Les termes de moine, de jésuite, de jésuitique, de-
vinrent des injures ; le nom de papesse Jeanne (2 ^ est donné à un
jeu de cartes; parmi ceux de Sorcier, deMalibran, d'EIssler, de
Taglioni , de Lucifier, sous lesquels on désigne les chevaux de
course, vous trouvez le mot pour nous si respectable de Crucifix,
(i) Il est presque textuellement emprunté aux prières de l'Église.
(y. du Trad.)
(2) Notre nain jaune.
146 PRÉnUCÉS I>K> PROTKSTANTS
et dans les ignobles inasciiradcs des rues, à côlé du SulUin vous
verro/. le l'ape portant la croix et la iriple tiaro.
Ainsi livn' liadiiioimoIU-nienl an\ ri^^'iiciirs d<' la loi. anx mé-
pris dr la solide, :iii\ dédains do la science et do la lilleraiurc,
aux avanios de la populace, je le répète, conimont lo catholi-
cisme pent-il par>euir à se faire connaiire, comprendre, appn*-
cier; comnjonl |)ounait-il briser cette barrière (|ui s'inier|)ose
mire nous et chacun des protestants auxquels nous voudrions
adresser des paroles de paix ; ceux-ci ne croicnl-ils pas connai-
ire notre Yeli^ion mieux que nous-njèmos?
Le <"lerj,'«' ari^'lican a pour mission bien ujoiiis d'enseif^ner ses
doctrines particulières et de les conserver dans leur orthodoxie,
que de maiuleiiii- la lia(Iili<»n anii-caiholicpu' , i\e la préserver
de tout amoindrissemeni, aliti «pie celte arm<> toute puissante soit
prèle à défendre rÉlablissemeni en cas de danger, ('.ar le temps
opère bien des changements, il aplanit des montagnes et com-
ble des abîmes; laissée à elle-même, la tradition protestante
s'allaiblirail ; les luis, les usages, la société, la lilieraluro subi-
raient des altérations qui eu iniroduii'aieni à leur tour dans les
esprits. I.e clerg»' anglican est un sévère gardien dont la vigilance
renouvelle sans cesse les accusaii<ms, les fauss(!s appréciations,
les scandales, les sarcasmes et les mensonges aux(|uels l'Eglise
est en butte. Unitairiens, sabelliens, utilitairiens, méthodistes,
calvinistes , swcdenborgiens , irwingisles , libr«'s penseurs , tous
peuvent èlre loli-resau sein niènu' derLtablissemenl, jiourvu <jue
toutes ces sectes demeurent d'accord sur ce seid point : « ipie
» S. M. la reine est la mère, la prole<irice de toutes les églises,
» et (pie révè(pu! de l\ome ne peut ex<'r(<r aucune juridiction
» dans ce royaume. » Il est un mot de ralliement universel qui
ne nianipie jamais son effet : guerre d la papauté! un appel qui
réveille tous les zèles et tous les courages : V/ùjUse nationale est
en prril ! Si le danger vient de l'Iiciesie, du schisnie ou de l'in-
crédulité, il passe inaper(;u ; mais (piil s'èlèNo le plus léger
souille de catliolicisnie, on s'è'meut , on se trouble, on signale
rimminence d'une tem|)èie <|ue toutes les églises sont intéressées
à conjurer; cl comme parmi les populations reculées et ignoran-
tes , on sonne les cloches à l'approche de l'orage, de ions les
CONTRE LE CATHOLICISME. t 47
évêchés, de tous los cliapiiics , do loiis les presbylèrcs s'élance
un concours de clameurs alarmantes et accusatrices : c'est l'a-
gression papiste, insolente et insidieuse , atroce et ingrate, pestt_
lenlielle cl horrible, audacieuse et basse, impie, absurde et révolu
tante, méprisable et hardie — Que sais-je encore, mes Frères, et
que vous dirai-je , (jne vous n'ayez pu entendre et lire comme
moi dans ces derniers temps? Aux époques les plus paisibles ,
quand il semblait que le clergé anglican , tranquille dans son
triomphe, n'aurait pas eu besoin d'insulter les vaincus, n'est-ce
pas l'Église catholique et ses enfants qui ont défrayé ses prédica-
tions les plus admiri'es. La sortie d'Egypte, le Veau d'or, la
chute du Dragon, les cruautés et les pompes de Jézabel, le culte
de Baal , l'image de Nabuchodonosor, la captivité de Baby one ,
les Pharisiens, lesZélotes, la menthe, l'anis et le cumin, les sé-
pulcres blanchis étaient d'inépuisables textes à allusions sur les
erreurs monstrueuses ou les superstitieux enfantillages de l'Église
romaine. Wolsey était le type de l'orgueil; le duc d'Albe celui
de la barbarie; Becket de la rébellion; Kildebrand de raml)i-
tion. Si on parlait de débauches. César Borgia servait d'exemple,
comme Louis XI pour la superstition et les Croisades pour le fa-
natisme. Saints etcriminels, tous étaient assimilés par une même
animadversion.
Est-il étonnant que celte réprobation traditionnelle des catho-
liques soit si profondément enracinée dans l'esprit anglais, qu'on
ne veuille pas seulement entendre nos dénégations et nos recti-
fications. Quand nous essayons de détromper un de nos compa-
triotes, il se rit de notre crédulité ou s'indigne de notre effron-
terie ; alors que nous refusons notre créance à ses allégations ,
il s'écrie qu'on ne pouvait attendre autre chose d'un catholique.
Démontrer que les crimes ne sont pas tarifés et absous d'avance,
que les prêtres vivent dans la chasteté, que les religieuses ne
s'assassinent pas et que nous n'avons pas des idoles, serait peine
perdue; il en appellerait au premier passant pour s'appuyer sur
un témoignage qui se trouverait conforme au sien, à tous les li-
vres qu'il a lus, et répondrait à vos représentations par de nou-
velles énormités, comme la déification de la Sainte Vierge et du
Pape par les catholiques, l'obéissance implicite et sans exception
t'18 PKÊJL'Oés, LTC.
aux (irdns de réxèque de l\uiiie , l'aoulo^ie des fêtes pupisles
avec telW's de la Home paicnin' , il vous racciiitcrail que la pa-
pesse Jeanne fui le pape Jean \ 111, qu'elle était Anglaise, s'ap-
pelait Gilhcrie et donnait des leçons ù Koine ; il vous dirait (|ue
<juin/.e cents femmes «le mauvaise vie suivaient à Constance les
iNics (Tuii de ces Conciles que nous pD'iendons infaillibles; il
vous dirait «ju'il y a au moins viuj^i mille jésuites en Angleterre,
et, ce qui est bien pire, (]u'il v en a un grand nombre dans les
universités protestantes... Mais je m'arrèt»', mes frrns, je las-
serais votre patience avant d'épuiser le catalogue des alléga-
tions mensongères que tout bon Anglais se fait un devoir d'ad-
mettre à notre «'gard, sans examen, de conliance, par soumission
à la tradition de main royale, établie définis Elisabelb. Telle
(jue nos compatriotes l'ont reçue, ils la transmettent à leurs en-
fants , (|ue nous voyons lever leurs petites muios, leurs faibles
voix contre «eux (pi'on leur désigne comme pervers et dange-
reux. Dieu seul , mes freies, pourra briser cet «'difice de men-
songes et en disperser les matériaux, sous lesquels la vérité est
comme «'mj)risonDée. Prions pour (|ue le jour de celte délivrance
se fasse bienlôt !
( Tnuiuil par .M"" de Romont.j
UN DERISIER MOT
SUR LA
RELIC10\ DE LEIBXITZ.
Tel est le sujet d'un écrit de M. le prince Albert de Broglie,
inséré dans un des derniers numéros du Correspondant. Il a paru
opportun de placer ici un fragment de ce travail qui se recom-
mande à l'atlenlion du lecteur, par l'imporiance du sujet autant
que par la notoriété de son auteur. M. Albert de Broglie, en ef-
fet, lient une place considérable dans un monde où les idées ca-
tholiques ont trop souvent rencontré des courants adverses, pour
qu'il n'y ait pas lieu de faire grand état de la franchise de ses
convictions comme des qualités distinguées de son écrit. Plus
que tout autre, d'ailleurs, M. de Broglie avait le droit de donner
une conclusion touchant une question plus d'une fois agitée
dans de savantes controverses. C'est à lui que la science est
redevable d'une traduction du Systema theologicum, œuvre iné-
dite de Leibnitz , retrouvée il y a cinquante ans dans la biblio-
thèque de Hanovre, oii elle demeurait enfouie depuis la mort de
l'illustre philosophe (14 novembre 1716). Le manuscrit fut soi-
gneusement caché jusqu'à la fin du siècle. En 1810, l'abbé Emery,
supérieur général de la Congrégation de Saint-Sulpice, publiant
une seconde édition des Pensées de Leibnitz sur la religion, dé-
sira connaître ce traité. La France alors commandait en Europe;
M. Emery lit part de ses désirs au cardinal Fesch, qni obtint de
150 ry DERnieR bot
Jérôme Bonaparie, roi de Weslplialie, que le mystérieux volume
serait envoyé à Paris. Une copie en fui faiic, mais hûlive et dé-
fecluruse. Elle servit toiiteHiisà la première traduction du Sys-
tema publiée en 1810 par MM. de Saint-Sulpice. Cependant
l'ai'toj^'raplir s'en allait à Home avec les papiers du cardinal
F«s(li. Vinj^i ans après (IS.Jλ), le prélat mourait, et sa Inblio-
tlièqne «'tait transportée à Saiiit-Loiiis-des-Franrais; c'est là que
M. l'abhé Lacroix, clerc national pour la France à Rome, retrouva
le manuscrit ori^'inal du Systema. Il le cotlationna avec l'édition
des Sulpiciens, et sentit à l'instant la nécessité de restituer le
texte VI liiahlc. Celte se<onde édition jiarut en 1844, et c'est ce
texle ré'tahli par M. Lacroix que M. Albert de Broglic a réim-
primé avec sa propre tradnciinn en 184Ô.
A |)ai tir de ce moment, le Systema devient l'objet de reilier-
ches nombreuses et de juj^ements contradictoires. Les critiques
protestants veulent à toute force le réduire à n'être qu'une
œuvre sans portée, indij,'ne de son auteur, sans connexion
avec ses immoi-iels ouvr:i.u<'s, sans lien doctrinal avec les <»pi-
nions metapliysiques de lonie >:i\ie. Pour eux, le célèbre ma-
nuscr'it de Hanovre, si soi^'iieusement dt-robe aux investif^a-
tions caiboliques durant près d'un siècle, el mis en lumière par
droit de conquête française , ne serait qu'un vestif?e des tentati-
ves d(î conciliation entre les deux relijîions qui occupèrent les
cours d'Allenia;;ne durant le dix-septième siè<*le. Dans cette by-
polliese, a lacpiclle se réduisent, en dernier»' analyse, les opi-
nions émises par MM. Gidiraner, de Kommel et Grolefend , le
Si/steinn iheolixjirum , ce livre dar)s lequel «pielipies catboliques
se sont tr()p empressés de voir un teslameni reli;{ieux, la der-
nièie expression de la foi de Leibnit?., enfin une preuve formelle
de conversion, ne serait qu'un expédient diplomatique, qu'un
pié'^îe mi^iTable tendu j)ar l'auteur de la Thmdicèe aux évé«]ues
catlioliqnes enj;a;;es dans ralV;iire de la ri'union.
Les crili(|»Jes catholiques, jiliis nspii imux pour la mémoire
de Leibnii/ , ont attribue une tout autre \alenr à l'o-iiNre pos-
thume objet de tant dt* controverses. Les premiers, s'autorisant
du fait de la non publication du traité, l'élevaienl à la si}înitica-
lioD d'une véritable profession de foi. Leibnitz, combattu du-
SUK l,A UEriGIO?» DE LEIBMTZ. 151
nmt loutc sa vie, aurait adhéré, dans ses derniers jours, au
symbole cailioliquc. Le soin caraclôrisiiqiie avec lequel le Sys-
tema avait ('-lé cacli<'! serait venu cii aide à loulos les conjccMires
favorables à une conversion in extremis. Telle était ro[)iiiion
du vénérable snlpicien Eniery, de M. de Lamennais, de M. La-
croix, de M. Albert de Broi'lie en 1845, au moment où il tra-
duisait le Systema. M. Foisset , qui s'est aussi occupé de Leib-
nitz, et qui en a publié des Lettres inédiles (1), partage le même
sentiment.
Depuis la restitution du Systema par MM. Lacroix et Albert
de Broglie , ont paru les travaux allemands sur Leibniiz, dont
les plus importants sont ceux de MM. Guhraner et de Rommel ,
dont déjà nous avons indiqué les tendances hostiles au Systema.
M. Gurhancr a publié une savante biographie de Leibnitz et deux,
volumes inédits d'écrits allemands du philosophe. M. de Rom-
mel, historiographe de la maison de Hesse , a mis au jour
la volu.ii neuse coirespondance de Leibniiz avec un prince
de cette famille, le landgrave de Hesse-Rheinfels. Ce landgrave
de Hesse, lils de Maurice le savant, était du nombi-e de ces dix-
sept princes protestants allemands qui se convertirent à la reli-
gion catholique vers le milieu du dix-sepiième siècle; il fut
longtemps le correspondant de Leibnitz, et c'est dans Tintimité
de ces lettres que le philosophe s'ouvre avec le plus de fran-
chise louchant ses opinions religieuses et l'attitude de conscience
qu'il a cru devoir affecter durant toute sa vie.
M. le comte Faucher de Careil s'est chargé de faire connaître
à la France ces travaux dans de savantes analyses critiques (2).
Il est curieux de voir comment, opposant l'un à l'autre ces deux
adversaires du Systema, redressant une erreur grave de M. Guh-
raner, il parvient à rétablir le véritable caractère de la con-
science religieuse du grand homme. Au moyen de la correspon-
(1) Les Lettres de Leibnitz à Nicaise, publiées pour la première fois dans
'es deux Bourgognes. Ce sont ces lettres que M. Cousin a réimprimées in
extenso dans ses Fragments philosophiques, sans indiquer où il les avait pri-
ses.
(2) Voirie Correspondant, aux vol. 50, 52 et 33.
(•>2 I > liEtllIKIl fl(lT
dance avec lo landgrave do Hesso-HlM-infels , M. de Careil fixe à
1683 ou l(j84 la dal<' du Systema iheologicum. Or, c'est là une
nn»«liti<aii(ui ini[)nri;inie *|ui doit nccfssainnnMil influer Iteau-
coup sur roj)inion (|ue l'un doit si; former de ce livre. M. Al-
bert de Brogiie , qui se ranjje à celle opinion, comme on va le
voir, ne parait pas rendre une justice suflisanlc aux dissertations
doM. deCarcil. Car c'est liieu M. de Careil (pii présente sous son
vérilable jour celte connexion sideteruiinante entre le Systema vt
cette correspondance avec leLandgrave, où Leibnit/ manifesteavcc
le filns d'ouveiture combien il incline vers la doctrine c;itholi(|ue,
et ijuelle place considérable les solutions dogmati<iues de rtf;lise
tienneni dans sa raison |d)iloso|)liique.
Donc,' s'il faut, en présence de cette correspondance, renon-
cer à voir dans b> Systema une œuvre diplomatiipic destint'C à
faire toud>er dans un piège les évèques négociateui-s , il faut
aussi , eu égard à Ti'poque où il fut écrit, se désister de la pen-
sée d'y trouver les sentiments d'un Leibnit?. entièrement catboli-
que. Et à vrai dire, nous ne voyons pas ijue ce dernier point suit
d'une si capitale importance. Sans vouloir méconnaître quelle
consolation grande on éprouverait en voyant Leibnitz se dwider
ù entrer rlélinitivement dans le corps de l'Kglise, à la porte de
hupielle il resta toute sa vie et qu'il ne cessa d honorer d'un res-
pect sincère , nous osons faire remanjuer que son adhésion ra-
tionnelle aux points fondamentaux tie la (b>ctrine cailioli(]ue
conserve; une grandi; valeur. L'Iiomiuage si complet qu il rend
aux allirmations dogmati(]ues de notre doctrine dans leurs rap-
ports nécessaires avec les solutions nn-iaphysiques que sa haute
raison lui avait suggén-es, doit peser dans l'appréciation de tout
homme sérieux, et d'autant plus fort, à notre si-ns, qu'il n'a
jamais atteint ce derni(»r terme de la conviction religieuse,
ce degré su|>rême de l'intelligible, que donne la foi. Quoi!
Leibnit/. accorde l'adhésion ralioimelle ;i tous les dogmes
catholiipies; il décerne m^me les plus grandes louanges au
gouvernement de Tl-lglisc, à ses formes hiérarchiques, et
l'on voudrait que cet assentiment d'une raison si haute, si «'-clai-
rée, si transcendante, ne lût pas pour les < ailioli(pies un b'gi-
limc motif ik joie et de confiance? Ce grand exemple ne nous
sur. LA RELIGION I)E LKIHMTZ. 153
autoriserait pas , alors que nous disons qu'en dehors des idées
calholiqui's il n'y a pas d'aimosplnMC salutaire |)0ur la raison?
Leihnit/, comme tous les grands c^prils du dix-septième siècle,
a cherché à produire par ses travaux celle paix lumineuse et fé-
conde qui doit unir les sciences et les esprits en Dieu. II n'y a
pas jusqu'à ses admirables inventions géoméirifjues qui ne
soient inspirées par ce dessein sublime. Or, pour atteindre les
clartés si éminentes de ses œuvres, il ne trouve pas de procédé
meilleur que d'unir sa voix à ce chœur des intellii,'ences catholi-
ques dont saint Augustin et saint Thomas d'Aquin sont les gui-
des, comme ils le seront éternellement de tous ceux qui cherche-
ront la science de l'àme humaine et celle des perfections de Dieu,
c'est-à-dire le point central de toute philosophie. D'ailleurs, il
faut bien le faire remarquer, ce n'est pas seulement dans ce vo-
lume posthume du Syslema qu'il faut reconnaître les inclinations
catholiques de Leibnilz ; ce n'est pas non plus dans ces lettres si
fortes qu'il écrit au landgrave de Hesse, c'est dans une foule
d'opuscules épars, c'est dans tous ses ouvrages. Le Systema
n'offre guère autre chose que le mérite de présenter, coordon-
nées en un ensemble, des convictions qui se retrouvent partout
dans ses écrits.
Ces hommages rendus au symbole catholique par d'illustres
intelligences qui ont grandi et brillé hors de l'Église , ne sont
pas le fait du seul Leibnilz. Rien de plus connu que les tendan-
ces catholiques souvent exprimées dans leurs écrits en termes
très-positifs : de Grotius en Hollande, de Haller en Suisse, de
Johnson et de Burke en Angleterre. Il y aurait bien d'autres té-
moignages à invoquer ici ; mais nous ne citerons que celui de
Deluc, ce savant Genevois, bien plus admirable par la persistance
avec laquelle il défendit le spiritualisme chrétien en des jours
mauvais, que par des travaux de physique dont la science aime
à se souvenir. C'est dans ses lettres au docteur Teller que l'on
trouve les marques de son respect non équivoque pour le catho-
licisme. Deluc, dans un mouvement de généreuse indignation,
écrivit sa brochure sur Bacon tel qu'il est, pour protester contre
' une indigne sophistication voltairienne des œuvres du philoso-
phe anglais. A ce moment il échangea quelques lettres avec
151 un DERMEH «UT
M. Kinory, supérieur île Sainl-Siil|>i»'e, qui iravailiuit le mémo
sujet. Dans l'une de ces lettres, l>*>lu(- écrivait que toutes les fois
qu'il aN:iit le bonheur (icrainem r un increiliilc au (hrislianisnie.
il lui (onseillail de se taire (-atliulique , parce que, disait-il : le
catholicisme est |>lus propre (ju'aucune autre communion a con-
server la foi chrétienne. El parmi nos contem|>orains protestants,
combien n'y en a-l-il pas ipii, pcair trouver un air respirabi»',
s't'ihappenl dans noire milieu et si' mcilcnl a penser en catholi-
ques!
M. de Broglie , dans le système qu'il adopte pour expliquer la
situation de conscience de Leibnit/ , et sa persistance dans son
refuj d'entrer dans la religion catholique depuis 1684, épocpie
où vraisemblablement il «crivit le Stjs(cma , fait jouer un rôle
prépondérant à la revociilion de l'Kdit de Nantes et à la con-
duite du j,'ouvenienienl de Louis \l\ à l'ejçard des protestants
fran<.'ais qui en fut la cons«'(pience. Il n'entre point dans no-
tre pensée de nous élever ici contre le j«i;,'ement prononce par
M. de Rro^die louchant un acte; d'autoctatie royale aussi dur
dans ses procédés d'exi'culion qu'inutile dans ses résultats.
Nous y adhérons de tout notre cu'ur. Mais qo'il soit permis de
voir dans ce ra[)prorhement une hypothèse inspiiée trop ^isible-
ment par wiw pensée de po|emi(|ue contre des écrivains (pii n'en
ont pas moins bien nieriii- de l'K^lise, encore cjue |)arfois on
ail pu leur re()iocher tmp de vivacité (I).
On a regret de trouver le ^'rand nom de Leibnit/. mêle à
(t) Toutefois les rc-ilarleiirs dr I / ninrx ne s.inraienl être roniptalilrs de
la publication de lllistoirr du Itrfiigr, par M. \\ eiss, (]ni a élo la cause ma-
jeure de la p'>l('-ini(|iie , et M Aiil)ineaii l'tnil parfaiteiiieiit dans suit dmil en
soumettant à une criti(|ue srvère un livre nù l'auleiira |)nr trop abusé du droit
d'être inexact tout en paraissant mettre en œuvre «les dontmenis prt'ei^.
Encore une fois, :l ne s'agit point ici de donner une approbation a la révocatiua
de rtdil de Nantes; mais convenons que si (|ucl(|u'un abuse de ce sujet, ce
sont les éerivains protestants. Ils semblent ne \ivrc que île ce ll«6me, e'est-
ii-dirc, apri^s tout, d'une question extérieure qui ne résout rien quant à l«
valeur inlrinsi'qur de la doctrine . pas plus que les désordres de quelque*
membres du clergé avant le seizième siècle ne légilimcnt les atteintes por
lit$ k la liberté humaine par LulJier cl la prédestination calviniste. A entendre
SLIK LA RELIGION DELEIBFtlTZ. 155
une controverse toute moderne, et invoqué pour servir de rem-
part à qui n'en avait nul besoin pour l'aire prévaloir son senti-
ment.
Leibnitz, en effet, vivait dans un temps oii les questions de li-
berté des cultes et de liberté des consciences n'étaient nulle-
ment posées ainsi qu'on les entend aujourd'hui. Les doctrines des
réformateurs avaient si fort installé le despotisme en Europe, en
anéantissant les droits des consciences des sujets vis-à-vis du
pouvoir, en faisant des manifestations de ces consciences une
chose à la dévotion des caprices et des volontés des souverains,
que ces errements avaient constitué un droit public auquel per-
sonne alors ne songeait à résister. Que Leibnitz ait eu des
motifs plus ou moins spécieux pour demeurer exiéiieurcment
protestant ; que pi usieurs de ces motifs ne fussent que des prétextes
subtils; que l'esprit personnel, toujours si dominant en pareille
matière , alors que la soumission de la foi n'intervient pas , ait
joué un grand rôle, c'est évident; mais qu'on lui veuille prê-
ter les échappatoires de quelques individualités de nos jours ,
qu'on le fasse raisonner comme un rédacteur du Lien ou de V Es-
pérance , c'est là ce que nous ne pouvons admettre. Gardons-
nous de méconnaître que pour beaucoup d'hommes de notre temps,
prendre feu pour la liberté des consciences, c'est manière de pren-
dre position contre l'ÉglisecaihoIique, en qui l'on personnifie l'in-
tolérance, parce qu'elle est fidèle à ses dogmes et ne livre point l'É-
vangile de Jésus-Christ aux quatre vents du libre examen ; c'est
affaire de gens qui trop souvent ne croient à rien , ne veulent
croire à rien ou ne savent pas ce qu'ils veulent croire. Dieu
merci, le phénomène de la conversion des âmes d'élite à la doc-
trine catholique n'est point rare aujourd'hui ; après les exemples
mémorables et toujours contagieux de l'Angleterre , voici venir
l'Allemagne qui s'ébranle. Dans le mois dernier seul ont paru les
motifs de l'abjuration de deux hommes importants dans la science
ces Messieurs, il semblerait que les catholiques n'aienl jamais connu les che-
mins (le l'exil, pas plus que celui de réchafaud. Quand saurons-nous consi-
dérer les questions en soi et pour soi, plutôt que de nous répandre en
logomachies irritantes sur les méfaits de nos devanciers ?
lÔC I >• DhRMfch MOT
(le pasieur Lutkenmuller, de liorlin , et \o professeur Gfrœrer,
du grand-duclu* de Bjide, ancien ami et collaborateur de Strauss);
nous ne VOYOUS pas que, pour aïK un, ers (picslidus do liberté de
conscience jouent un rôle «juclconqut; dans les utlernioiements
cil ils ont pu s'attarder. Quand un liomnie sérieux se croit, par
conscience, en^aj^é à embrasser une doctrine religieuse, il ne
s'inipiifio i^Mière de savoir s'il aura plus ou moins d'aises. Il sait
Imp bien ^\li^•u ce monde la v«'ril(; ne s'a((|uierl et ne se garde
qu'au prix des sacritices et des combats.
Leibnil/ a pu trouver I.ouisXIV excessif dans ses procédés con-
tre les proieslanis. 11 a pu blâmer sa politique ; mais nous ne lui
faisons pas l'injure de croire qu'il ait fait remonter jusqu'à la doc-
trine elle-même les torts d'un prince enivré de son pouvoir et
liabitne à voir tomber devant lui toute résistance. C«'t esprit
dominaleiir du j^rand loi ne s'exerea-l-il pas aussi au grand dé-
triment de ses sujets catholi(]ues qu'il conduisait directement au
scbisme, sans la pr(''p(»nder;ince et l'Iiabilelt' de Itossuei? Le pré-
jugé- et riiabitude de sentiments (]ue l'on ne veut soumettre à au-
cune révision, peuvent seuls rendre compte de la persistance de
certains critiques à voir dans les outrances d'une |)oliti(]ue
royale l'expression d'une |ioliti<]ne catholique. L'hAle de la
cour de Hanovre vivait d ;iilleuis à une epo(pie trop rapprochée
des débuts d(.> la Réforme, pour «pie ( eiie violente entreprise d'un
mon;ir(pie sur les droits des consciences, ail dû lui p:iraiire fort
inouïe.
Si nous avons émis ces rédexions, c'est uni(|uement parce qu'il
nous parait plus convenable de mettre la personne d'un homme
tel que Leibnitz hors de cause dans ces débals d'un ordre infini-
ment secondaire, alors (pi'il s'agit des décisions d'un pareil
génie en pré'sence d<' la vérité. Qu'on vi'iiille bien ne |>oinl
voir dans ces reserves aucune insinuation contre ce (pie l'on
nomme de nos jours la liberté des consciences religieuses.
Nous avons voulu manifester (pie rien n'est nuisible comme de
vouloir juger d'une é(>oque à travers les préjuges d'une autre;
pas autre chose. Si la Providence a|)|)elle l'Eglis»* calholi-
que à entrer dans une ère nouvelle eu égard à ses rafiporis
avec l'État, l'Église, soyons-en sûrs, ne faillira pas à ses nou-
SIR lA AELIOION DE I.EIB.MTZ. 157
velles destinées. Il y a trop de siècles qu'elle est l'Église de
tous les temps et de tous les régimes, pour avoir souci de pareils
changemeuls; mais il serait peu digne de ses enfants de se pré-
cipiter au-devant des aventures d'un mode de vivre nouveau.
Les catholiques ont pour eux l'Iiisloire entière; les individua-
listes [)iotestanls ne connaissent d'autres annales que celles de
leurs doutes et de leurs vues personnelles. Il est avéré que ces
maximes modernes de liberté de conscience ont pris naissance
dans les pays réformés, et cela par la force des choses, pas le
moins du monde en vertu de chartes libérales octroyées par gra-
tuite condescendance. C'est la multiplicité des sectes, ce sont
les ravages de l'individualisme religieux et de l'incrédulité qui
ont provoqué l'avènement de ces doctrines lalitudinaires; il n'ap-
paraît pas qu'alors on ait beaucoup pensé aux catholiques ; si ce
n'est pour les mépriser et proclamer que le moyen le plus effi-
cace pour les faire disparaître était de les mettre aux prises avecle
libéralisme. Nous ne voyons dans l'histoire moderne qu'un seul fait
de liberté de conscience accordée bénévolement par un gouverne-
ment à une minorité religieuse, c'est la restitution de l'état civil
aux protestants par Louis XVL Cela dans un pays catholique, plus
de vingt ans avant que la Messe ait été célébrée publiquement à
Genève en vertu de la domination française; plus de cinquante
ans avant l'émancipation des catholiques en Angleterre. 11 importe
de rappeler ces faits à Genève, dans une ville où les catholi-
ques, chassés ou forcés d'apostasier par contrainte (1) au mo-
ment de l'établissement du calvinisme, que nous sachions, à
aucune époque, même passagèrement, ne jouirent du bénéfice
d'aucun édit de Nantes quelconque. Aussi bien cette liberté,
alors même qu'elle est écrite dans les lois, nous préserve-t-elle
des violences? Les colères de l'agression papale en Angleterre,
les récentes agitations de la Hollande, les indignités de la guerre
du Sonderbund, sont là pour donner la mesure des véritables
sentimentsdes masses prolestantes en fait de liberté de conscience,
comme les persécutions delà Suisse, les incarcérations du grand-
(1) Voir le journal du syndic Balard, récemment publié par la Société
d"archéoloi'ie de Genève.
10
Iô8 i \ i»Er.Mi:r. mot
duché de Badf, Irs «xils pronoiiréi <onii«' de véneriibU'S év^qyes
parlesgouveinfUK'nts soi-disaot f roj^rossifs de Tanncn fi du nou-
veau monde, sont l;'i pour icinoifincr du dc^Té de conli;in<-(' que
les cailioli(|uesdoiveni accorder au lilieralisine des Ktals dicliris-
tianisés. Tout bien pesé , noire cndiousiasme modéré pour les
preneurs de liberté relij'ieuse se conçoit ; trop souveni nom
sommes viclimes, pour- consentir à «Mre toujours dupes.
Ces «jueslions dilliciles sont donc loin d'être ref»l«''es. Pour-
ront-elles jamais l'être aulreuiont qne |i;ir rtquilihre toujours
instable des int«'rèis poiititjiies? C'"st le secret de la Providence.
Ce qui ne nous empêche pas de formuler les v«i»ux les plus sin-
cères pour qu'une solution é(]uilablesoil trouvée; car nous avons
la ferme persuasion que l'Église n'a rien à y perdre; quelques
dêlicits apparents d'iniluence politique seraient plus que com|>en-
ses par Tac» ictissenient de sa domination sur les intelligences.
Or, dans les conseils de Dieu, c'est avant tout dans ce sanc-
tuaire de I ;Miie liimiaine (ju'elle règne et qu'elle établit sa doc-
trine.
Mais il est grand temps de laisser le champ libre à M. Albert
de Broglie.
Eilouard I)ifres?if.
« Nous voyons bien ce qu'on va nous dire. Si le Systema
theologicum est l'cruvre sincère et la confession personnelle de
Lcibnil/., |)ourquoi s'en est-il tenu là? l'oui(pioi ceit»' pièce ca-
pitale a-t-elle langui, inconnue, cachée à tous les regards, parmi
les manusi rils infurnx's d«' st»n auteur? Pour(piui ne pas la
mettre au jour? Pourquoi surtout ne |)as mettre sa conduite en
.accord avec ses croyances? Pourquoi écrire en catholique et
vivre, et surtout mourir en proH'slani? Nous le reconnaissons,
cette diiliculté est réelle et elle est tout entière à notre charge.
Nous sommes tenus d'e\pli(]uei par (pi<l inoiil Leiluiii/, catholi-
que d'opinion , est resté protestant extérieur jusipi'au dernier
jour. Nous acceptons le problème sans l'éluder.
Mais ce n'est pas l'éluder assurément, (juc de le poser dans
ses véritables termes et de le réduire à sa juste valeur. Le pro-
bI^me qu'on nous donne à résoudre et que nous acceptons, c'est
si'n I. \ iiKr.i(.i().> ni- i.i.ihmt/. 1 />î)
de savoir pourquoi un liotninc, — un ^r;nul homme ussurémeni,
— mais un homme a|)rès loiil, — avec beau(ou|) plus de géuie,
ujais |)as beaucoup plus de vertu (jue ses semblables, — n'a |)as
agi, dans une eirconslanco crilique et solennelle, dans une dé-
termination qui pouvait changer tout le cours de sa vie, en con-
formité avec les inspirations de sa conscience; — pourquoi il a
parlé tout haut, auiromont qu il ne pensait tout bas; — pour-
quoi il a hésité à rompre avec des souvenirs et des préjugés d'en-
fance, avec des liens d'amitié et de patrie; à s'exposer à l'ini-
mitié de ses coreligionnaires, à l'animosité des partis, aux
critiques railleuses de l'opinion, à la défaveur de son souverain ;
pourquoi il a tardé à sacrifier une situation honorée, indépen-
dante de toute règle, affranchie de toute autorité supérieure,
pour embrasser le noviciat humble et pénible de la pénitence
et de la soumission. Le problème que nous avons à résoudre est
de savoir pourquoi un homme a tenu une conduite différente de
ses convictions. En vérité, appeler cela un problème, c'est se
faire de la nature humaine et même de la nature des grands
hommes une plus haute idée qu'elle ne mérite.
Leibnitz pouvait penser que de tous les systèmes religieux,
la foi catholique était le mieux établi sur ses preuves histori-
ques, le plus conforme à la liaison logique des idées, le plus
approprié aux besoins de Thumanité. Il pouvait penser, avec sa
raison supérieure et perçante, qu'il fallait à l'homme une foi
pour compléter son intelligence et une autorité pour régler sa
foi. Mais, en pensant tout cela , il pouvait demeurer un philoso-
phe fort épris de ses propres idées, trouvant commode de pro-
mener son esprit tout à l'aise dans toutes les régions de la pen-
sée, sans rencontrer nulle part une barrière pour l'arrêter,
encore moins une sentinelle pour lui défendre le passage. Il pou-
vait apprécier la nécessité générale de l'autorité, et goûter pour
lui-même les douceurs d'une liberté sans limite.
Leibnilz pouvait penser que , pour l'Allemagne sa patrie , le
retour à l'antique foi nationale était la véritable voie de grandeur
et de salut. Il pouvait désirer ardemment (comme il l'exprime
souvent dans ses livres de Droit publfc) le rétablissement de l'an-
cien ordre social de l'Europe, avec l'unité politique représentée
160 t > l»ERMER ^OT
par rKmpcrPui n I uiiiic icli^'ieust.' |»ar U; l';i|)0. Mais, en pen-
sant tout cela, il pouvait dom<'urer le secrétaire et le confident
d'un petit souverain protestant d'Allemagne, qui avait pris sa
part des biens ecclésiastiques, dont IrU-ctorat avait grandi dans
1rs troubles de la Hefunne. et qui aspirait à conquérir, en \erlu
de la succession protestante, le irOne d'Angleterre, rendu vacant
par la révoluiion de 1688.
Lcihnil/., eulin, pouvait élrc atliir p;ir un inuuvcnieiit sincère
vers la religion catholique, et en même temps se complaire dans
rette^situation intermédiaire (|ui a ses charmes particuliers , et à
laquelle les formes éiasticpies de la rfîligion protestante se prêtent
facilement; oii l'on prend du calholicisme tout (C qui est com-
mode , en en rejetant tout ce qui gène; — oîi l'on est hoooré,
flatté, courlisi' même par hs deu\ partis, et où Ton s'attribue un
rôle d'arbitre, dont lorgueil lait assez son tonqtte; — dans cet
éiai d'esprit , en un mot , que le texte saint nous peint par ce
mot du roi Agrippa : « Peu s'en faut (lue vous ne me persuadiez;»
lequel n'est pas très-dillV'rent de cette autre parole : ■ Je vous
écdulcrai une autre lois. » Avec des dispositions de celte sorte,
on peut écrire le Systema tlieologicum, vivre encore assez long-
temps, et étr»' sin plis par la moit, avant de sétre décidé à ren-
trer toul-à-iait tlaiis I tglise.
Leibnitz, en un mol, et aucun protestant sincère ne nous le
contestera, pouvait être converti d'esprit, et non de c<i'ur. Mais
cette dislinclion, si imporlanle. capitale pour le sort de chaque
ûme , ne fait rien à la valeur inK.'llectuelle ni à la portée d'un
écrit. Si l'Église a eu le chagrin de ne pas compter Leibnitz lui-
même parmi ses enfants, elle n'en a pas moins le droit de comp-
ter son jugement parmi les t«'uu)ignages «loni elle s'honore. A
chacun sa part. A nous catholiques, l'autorité morale, ihéologi-
que et philosophique de l'éîcrit de Leibnil/. A la cousf ience, à la
mémoire de ce grand homme, la responsabilité de ses faiblesses
et de ses inconséquences. Les lecteurs du Systema theologicuni
conservent le droit de s'édilif-r de ses rares beautés; les biogra-
phes et les historiens de ï^eibnitz auront à rendre compte des dis-
parates malheureuses de sa conduite. Si nous avions ce rôle à
remplir, nous n'hésiterions pas à dire (pie le Systetna theologi-
SUR LA RELIGiniN DE LEIBMTZ. 161
cum renferme la vérilable opinion qu'enlrelenail Leibnitz lors-
qu'il pensait aux questions religieuses, mais qu'il eut le malheur
de n'y pas penser toujours , et de n'y pas penser assez sérieuse-
ment.
Nous ne sommes pas encore au bout de la discussion. 11 nous
reste à confesser que, d'après les correspondances de Leibnitz
dernièrement publiées, sa tendance à se rapprocher du catholi-
cisme, bien loin de devenir plus forte dans les dernières années
de sa vie, parait, au contraire, s'être ralentie. Les dernières let-
tres de Leibnitz et du landgrave ne sont pas exemptes d'un ton
d'aigreur, et on y remarque un échange d'insinuations désobli-
geantes. Le landgrave s'impatiente de voir Leibnitz tourner pen-
dant des années dans un cercle étroit de tergiversations et de
faux-fuyants, et lui adresse, à ce sujet, des railleries assez pi-
quantes. Leibnitz réplique en rejetant sur les catholiques la faute
de la rupture des négociations. Il reprend, en son propre nom,
des arguments dont il paraissait, au début, avoir fait bon mar-
ché. Il cherche , pour ainsi parler, des querelles au Concile de
Trente, et même d'assez mauvaises querelles, car il lui repro-
che d'avoir opposé des prohibitions trop absolues au divorc|e et
à la polygamie. La fin de la vie de Leibnitz paraît, nous en con-
venons, avoir été beaucoup moins catholique que le commence-
ment. C'est le seul point sur lequel les publications nouvelles
aient jeté d'importantes lumières, et nous nous empressons de
le reconnaître avec autant de regret que de franchise.
II ne serait pas absolument impossible, nous le croyons, de dé-
terminer les véritables motifs de ce refroidissement de Leibnitz
pour les opinions de sa jennesse et de son âge mûr ; mais ce se-
rait par des considérations un peu générales, en jetant les yeux
sur le caractère des événements et le mouvement des esprits
pendant le siècle où vécut Leibnitz, que l'on arriverait, suivant
nous, à les apprécier justement. On pourrait montrer qu'ici en-
core Leibnitz, malgré la supériorité de son génie, n'a fait que
se comporter à peu près comme la masse de ses contemporains,
et qu'il s'est tour à tour éloigné ou rapproché de la religion ca-
tholique, suivant que le courant général des idées autour de lui
y portait ou en écartait la faveur publique; qu'il n'a fait que sui-
Vit' le 11ii\ (III II' rcHiix «II' r(i|iiiiiuii , i]iii , iiiêm)' dans ce temps
(le liluTie restreinie , et im^me sur de si li;iuies matières, exer-
çait dej:i une croissaiile et pres<iiie iri<'sisiilileinl]ui>ncf . Leibiiitz,
vivemenl adiré vers le «"itlioljcisine dans sa jeunesse, et presque
eonvcrti au milieu de sa vi«' , s'en éloignant avec défiance sur
ses derniers jours , repri-seni»' assez bien le dix-septième sièele
tout entier, ce siérie ipii a eommen<"e par une renaissance si bril-
lante de sn foi, ipii a mi «-rlore ( i mùiir tant de chefs-ii'œuvre et
tnnt de bi'lles aeiioiissous ceii<' inspiration cbaleureuse, et qui
n pourtant fini par s'assondirir et se desséclicr, <'t par préparer
b'S voies au débordement de la liienee et de Tintrédulite <|ui
l'ont suivi. Leibniiz assista à ces trois pliases de rroiss;ince et
d'é( lai , et de de( lin du mouvement relif,'ieu\ au di\-se[)tième
siècle, et s(»n esprit observateur en ressentit, à eliacpie fois, une
profonde impression.
Rien n'est éclaianl, en effi't , rien ne dut paraîire inattendu ,
dans Tbistoire du monde moral , comnie la renaissance de la Un
catboliqiie au dix-septième siècle. Il y aurait tout un tableau à
en tracer, et ce serait une manifestation nouvelle de ro qu'on
pourrait appeler le don de la résurrection dans l'Kj'Iise, de cette
faculté merveilleuse qu'elle |iossède de parallre descendre au
lombeati pour en sortir, et subir la inorl pour en liiomplier. (le
mruvement est surtout admirable A suivre, lorsqu'on sonj^e de
quel point il était parti. Pendant tout le cours du sei/.iènu siè-
cle, ri^;j,'lise avait eu moins à souffrir de ses églises dévastées, de
ses trésors dispersés, des membres entiers séparés violemment
de son corps , que d'une sorte de discrédit moral où elle était
tombée devant les safjes du monde.
L'Éplise catholique , dans l'âpfe des Ramus , des Estienne , des
Bernard de l'alissv et d-s Paré, semblait une doctrine vieillie,
partage d'esprits faibb's. repoussée et dépassée par lessor rapide
«les progrès de l'esprit nouveau. La mode des beaux esprits s'é-
tait prononcée contre elle. Une {çiieire d'opinion, de dédain et
de ridicule, lui t'-tail (b'-elarée, plus dangereuse que les insurrec-
tions des p.'i\. sans et les usurpalions des princes. I*eiidaiil qu'on
la combattait sur les cbamps de bauiille. on en médisait dans les
écoles , on en riait dans les l>oiid«tirs. Les dames «le «lisiinciion
SI T. LV KELH;i<)> DE LEIB.MT/. 1 G3
uiinaiii à raisonner de religion , |)ar manière de passe-temps ,
entre deux divertissements de nnir, et à recevoir les hommages
des gens de lettres, ou passaient dans les rangs des sectes réfor-
mées , ou l'aisaienl bon marché de la foi de leurs pères, si un
reste de convenance ou une nécessité de position les y retenait.
Marguerite de Navarre avait fait de sa petite cour béarnaise un
asile d'érudits protestants. Sous l'influence de cet esprit du jour
qui entraùie d'ordinaire toute imagination artiste^ l'éloquence et
la poésie avaient paru (juiller l'Église, qui avait été si longtemps
leur maison paternelle, pour émigrer sous des tentes nouvelles.
La véhémence oratoire de Luther, la concision nerveuse du style
de Calvin, n'avaient trouvé ni en France, ni en Allemagne, d'ad-
versaires dignes de leur tenir tête. Les défenseurs de l'Église ca-
tholique , plus zélés qu'illustres, plus savants qu'éloquents,
n'exerçaient que peu d'ascendant sur la foule. Pour un observa-
teur superficiel, l'Église catholique, pendant le seizième siècle,
aurait pu ressembler souvent à un vaisseau désemparé, dont au-
cun vent ne venait plus agiter les voiles.
C'est de cet état d'abaissement, et en quelque sorte d'abandon,
où Dieu semblait avoir laissé tomber son Église , que tout d'un
coup, dès les premières années du dix-septième siècle, on voit
une vie nouvelle la parcourir et s'y réveiller. De grands saints ,
qui sont en même temps de grands hommes et parfois de grands
écrivains , y reparaissent. De toutes parts le génie et l'ardeur y
rentrent. Le soleil des premiers jours va luire de nouveau. L'é-
loquence dorée d'un Chrysostôme va se poser sur les lèvres de
saint François de Sales; Milan reverra dans l'héritier de Borro-
mée les vertus et la science de saint Ambroise. A la voix des Bé-
rulle, des Olier, des saint Vincent de Paul, les rangs désertés des
milices de la charité se remplissent de nouveau; les solitudes se
repeuplent; la Trappe est baignée par les pleurs de nouveaux
Pacùmes et de nouveaux Macaires. Il ne manque à Port-Royal que
plus d'humilité et de soumission, pour faire admirer au monde
chrétien l'érudition ressuscitée de Jérôme, à côté de la sainteté
des Paule et des pleurs pénitents des Agiaé. Partout les études
chrétiennes se raniment, et, sur le fond inébranlable de la vieille
foi, elles se renouvellent et se rajeunissent. Tandis que la langue
164 t>l ItKRMKIi MdT
sucrée conserx*- aux Nériiés dog[nati(|ues leur caractère iinintia-
l)|p et iHiivcrsol, «i;ms cIkkiik' jtavs l'iisai^'o des langues viilfjaircs,
lieurfiisemcnl cmployers pour lu controvorse, et acquiTant, sous
la main d'écrivains caiholiqiics, une l'iMmoié et une vigueur
inouïes , popularise et répand les (résurs enfouis de la science
religieuse, et arme, comnie à la léger»', les ddénseurs jusque-l:^
un peu pcsainineiit l'iptipes de la loi. l ne [thilosoplii*- nouvelle,
dont le principe assurénient est discuinhie , dont les abus peu-
\ent èirc «l;mger<'U\ , niais d<iiit les internions étaient drctites et
dont I cHéi lut iniincnsf, donne à toute la veiite pour hase le con-
seoteincnt de la raison humaine. Avec son aide on peut élever
un nouvel édifice de démonstration religieuse, dont chaque pierre
est [losée par la raison seule, <|ui est elle-même conduite de son
plein gr«' et de sou propre aveu ;i rccoiinaiire son insnllisiince et
à demander à la Révélation son complément. V:\r une diversion
hardie, le protestantisme se Iroiiva suivi sur son propre teriain,
sur celui de la discussion et de l'examen. A ces troupes ralliées
et chaque jour croissantes, il ne manque qu'un capitaine pour les
commander, sîi voix ne se fait pas longtemps attendre. Il a la
prudence et la fougue ; son œil est étincelant et sa main pesante.
Bossuet entraine l't-rudilion d'un docteur et la di:il)-cii(pu> d'un
philosophe dans les «lans d'une éloquence antique. Tous ses
écrits de coniroNcise resseinhient auxc liarges d'une indomplahle
cavalerie; le poids de la masse est doidde par rim[)etuosiie de la
course. Les Variations, les Averlissemenis aux protestants, les
Rc'ponses aux ministres (llaude et .lurieii regagnent chaque jour
quelques pieds du terrain perrlii |»ar la loi. L'arniee caiho!i(iue .
del);iiidee par un instant de laihlesse , mais ref<»rmé(> en batail-
lons serrés, déb<»uche de toutes paris par les postes mal gardés
et accable son viiinipienr « oiiliaiii ei sans défense.
Leibnilz, dont le regard curieux siiiv;iit du fond df lAlleni:!-
gne tous ces mouvements, qui, deshaiileiirs où il savail.se placer,
dominait tons les incidents de ces combats de le pensée, ne res-
tait point indillerenl à un tel spe»'lacle. Ses écrits, ses correspon-
dances teiiioigneiii, à cliaipie insiant, de la sympathie qu'il res-
sentait pour ralhlète illustre du catholicisme. On peut croire.
saiM peine, (pi'il lui (Mail pénible de se sentir représenté et son-
SDK LA UELlGlOi^ DK LEIBIVITZ. 165
lonu dans ce dé!)al par des gens de la valeur de Claude ou de
Jurieu. D'ailleurs, autour de lui, l'enliaincnuMit ciail général.
M. de Ronunel rccoiuiaii riunuense développement du prosély-
tisme ('allioli(iut' vu Allemagne, dans cette première phase du
dix-seplième siècle. Il ne compte |)as moins de quinze; princes
allemands convertis presque à la fois. Il est vrai qu'il a pour
chacun quelque raison tirée des intrigues des Jésuites ou de quel-
ques faiblesses domestiques. Leihnilz, dont aucun intriguant ne
se serait joué aisément, avait le mérite de reconnaili-e la valeur
de ses adversaires, et subissait, de jour en jour, d'une manière
plus visible, l'ascendant de la vériié. C'est à ce moment de sa
vie, selon toute apparence , qu'il faut rapporter la composition
du Systema.
Quand et comment se ralentit chez lui et autour de lui ce
mouvement qui se propageait avec une si étonnante rapidité?
Quel fut le temps d'arrêt de cette heureuse réaction? Les faits
de l'histoire et les correspondances de Leibnitz à la main, nous
nous le dirons sans détour. La réaction religieuse du dix-sep-
tième siècle s'arrête le jour oîi, aux conditions de liberté res-
treinte, mais réelle, qu'avaient établie, en France, la pacification
de redit de Nantes et en Allemagne la paix de Westphalie, suc-
céda chez les catholiques une tendance malheureuse à recourir
de nouveau à l'appui du pouvoir temporel, à appeler en aide ù
leurs arguments les moyens matériels de contrainte, et surtout
à identifier leur cause avec celle du pouvoir absolu d'un homme
et d'un roi.
La première moitié du dix-septième siècle, en effet, a été dans
une certaine mesure un temps de liberté de discussion. La tolé-
rance accordée par Henri IV aux protestants en France avait ré-
duit le combat des deux cultes aux armes spirituelles. Ils s'é-
taient mesurés l'un et l'autre, non plus par la force des bataillons
sur les champs de bataille, mais d'après leur valeur intrinsèque,
par leurs preuves et par leurs œuvres. Cette épreuve avait été
merveilleusement favorable à la religion catholique. On dit d'or-
dinaire que c'est dans les temps de lutte que la grandeur de la
foi catholique apj)araît. Nous ne voulons rien ôter assurément
aux mérites et aux vertus des niarlvrs : mais nous oserons dire
1^*> I > ni'.n.MEh MOT
cjiif lu résislance courageuse aux lourmenis matériels esl une
viilu .(.miiiiiiM' à la vcriic «t à l'erreur, au fanallsmo el à la foi,
ei (jue prescjiie louieii les sectes religieuses ou politiques en ont
donné de j,'rands exemples. Lesliereii(|ues de tous les Ages avaient
eu leurs martyrs et leurs supplices, comme les chrétiens de la
primiiive Éj-lise. Mais ce qui est propre à rÉ;j;lise callioli(]ue et
ce (pi'on ne saurait imiter, c'est celle puissante organisation <|ui
mainiienl la ferveur cl pi cviciii le relàcliement , même au sein
de la paix, (pii coiiiieiii la division et riiidisciplirie ; qui sait, en
un mot, non-seulement détruire, mais produire ; non-seulement
niei-, mais agir; non-seulement résister, mais gouverner. Cette
supériorité de l'Église catholique n'éclate jamais mieux que dans
les temps do liherlé religieuse. Pendant que toutes les autres
sectes, abandonut'es à elles-nn-mes. du moment oii elles ne s<miI
plus liées entre elles par la cominiinaiilé des périls, ni soutenues
par l'ardeur de la luiie, se divisent, se disputent, lanj-uisseni,
tombent dans la liedeurou dans une exallalion mysli(|ue, l'Église
<atholi(|ue seule conserve, dans les temps de liberté, son unité,
sa hiérarchie, son autorité modérée, son obéissance raisonnable,
sa ferveur prudente et .«on zèle suivant la sagesse. C'est ce spec-
tacle (|ui avait puissamment conlribue à la reaclion du dix-sep-
tième siècle. Les divisions du protestantisme vainqueur en An-
gleterre, en Hollandi> et en Allemagne, comparées avec l'unité
paisible de rKglise, dans les mêmes conditions, étaient l'un des
plus puissants arguments de Dossuet , et un de ceux assurément
qui agissent le plus sur un esprit ami de l'ordre el de la règle ,
comme celui de U'ibnit?.. On le voit ;l l'insistance avec laipiellc
le landgrave le presse de sortir de la cunfusion babylonique de la
I\<-forme.
Le retour au système de rinloléran<e , dont la révocation de
l'Édit d(; .Nantes lut le signal , ôia à cet argument une partie de
sa force. Devant l'intérêt inspiré par les calvinistes bannis de
France, tous les protestants lirent de nouveau cause conunune ,
el le proiestaniisme, alarme pour son exisK-nce, sembla retrou-
ver son uriiie. Ces mêmes miiiisiics «pii, hillant contre Hossuet à
armes égales, entre Charenton et Faris , n'arrivaient pas h la
moiii»' de sa laille , placés tout «l'un coup sur le piédestal de la
SI T. I.A RLLIG10^ Uli t.tlKMTZ. 107
porséculinn, suivis d'un collège de; fuj^ilifs qui joij,maient des ver-
tus au nialliour, se irouvèrenl tout d'un coup, dans l'estime de
l'Europe indilVcienie, presque au niveau de Louis XIV. L'effet de
la revocalion de l'Édit de Nantes, pour ramener l'intérèl des
hommes généreux en Euro|ie sur U' proieslaniisme pâlissant, fut
aussi grand qu'immédiat. Sur Leibnilz surtout, il fut presque dé-
cisif. A partir de 1685, il n'est presque pas une de ses lettres
qui n'en poile la irace. Ce ne sont pas seulement les sentiments
naturels à une âme élevée qui se rattache involontairement à des
coreligionnaires malheureux et qui craindrait d'être soupçonnée
d'une apostasie intéressée , c'est une inquiétude personnelle et
qu'il ne dissimule pas. Le retour de Tintolérancc religieuse,
dans le premier pays et dans la nation prépondérante d'Europe,
réveille chez lui les instincts jaloux d'indépendance du philoso-
phe. Le spectacle des protestants dispersés, des jansénistes jus-
tement condamnés par la cour de Rome, mais mesquinement
poursuivis par la police, plus tard de Fénelon même languissant
en exil, malgré riiéroisme de son obéissance, le ramènent visi-
blement du côté de la Réforme, oîi il trouve, non [)as plus de li-
berté véritable (il en convient lui-même en plus d'un endroit),
mais, à la faveur de la mulliplicilé des sectes, plus de facilité
d'échapper à la main d'un maître.
Encore si ce maître eût été ce chef spirituel de la foi , dont
Leibnitz avait toujours parlé avec tant de déférence et de respect!
Mais, il faut en convenir, le maître des consciences , on aurait
dit, après la révocation de l'Édit de Nantes, que ce n'était pas
un pontife, mais un roi, qu'il ne s'appelait pas Innocent XI, mais
Louis XIV. Louis XIV, dans le siècle auquel il a donné son nom,
fixait les regards de toute l'Europe, et il avait fait de l'établis-
sement de l'intolérance en quelque sorte son affaire personnelle.
Il affichait assez naïvement la prétention de régenter le catholi-
cisme en le défendant. Il avait fait et entretenait à dessein une
sorte de confusion entre sa gloire et celle de Dieu ; H prenait
les armes pour les assurer et les venger toutes deux. Les protes-
tants et les jansénistes lui semblaient plutôt encore des rebelles
que des hérétiques, moins coupables de désobéir à la loi de Dieu
que de ne pas professer la foi du roi. L'ardeur d'amour-propre
108 l.> UKH.-IIKK MOT
|)ersomjel qu'il portail 4i;ins toute controverse religieuse et qu'il
arconipîi^iiait do sa haiiiciir et «le son fasto atiouiumés , avait
fait (II' lui, ••n\rrs I Liir(>|)c , le n-prescnlaul olljcici du calholi-
cisnie, et malheureusement le elergr de France , par un éblouis-
sonnnt d'cniliousiasme et une reconnaissance imprudente, avait
autorise (l'iie assimilation. Peu de choses, suivant nous, ont fait
plus de mal à la loi dans le monde (|ue les liNmnes d'adulation
et les maximes (il faut dire le moi) de pure servitude que lit en-
tendre le clei^(e français au pied du trùne de Louis \\\ . Peu de
choses furent pins déplorables tpie celte eloquenci; sainte pres-
crivant du ha III (If la chaire, la Bible à la main, robeiss;ince pas-
sive de tout un peuple. Mous savons, nous apprécions les excu-
ses. Une race perdue dans la nuit des temps, formant comme
une chaîne dont ))res(pie ions les anneaux étaient de grands
souverains, et au milieu des(]uels brillait, comme un diamant
d'une eau pure, riiemisme de saint Louis; — un prince prcs(|ue
ne sur le irone et dont l'enfance avait paru miraculeusement pro-
tégée pai- la main divine; — l'éclat inattendu des armes et des
lettres; — le loncours d<''Voué, l'admiialion passionnée de tout
ce que la France comptait d'hommes de bien, de cœur et de ta-
lent, tout cet ensemble e\pli(]uait la sincérité de l'enihousiasme :
et sans tous ces motifs reunis, Rossuei , tout Bossuet qu'il est,
ne coin[)araîirail pas sans tache devant la postérité. Mais il n'en
est pas moins vrai (|ue la j;lorilicalion excessive de Louis \l\ par
le clergé français porta à la réaction religieuse du dix-septième
siècle un coup fatal et déliniiif. Il vint un jour, en effet, où le
nom (le Louis \IV devint à chaire à pres(pie tous les coMirs hon-
n("'les en Kurope ; où ce nom représenta une pénitence dépourvue
d'humilité et suspecte d'hvpocrisie , le faste excessif d'une cour
eniK'Ieniie aux dépens d'im peuple eniier. l'enivrement d'une
volonté orf;ueilleuse se plaisant dans l incapacité et la bassesse
(de ses ministres; el ce jour-là, ce fui une révolution protestante,
au-delà de la Manche , qui donna le signal de la résistance des
nations anx prétentions d'une monarchie universelle, el de la
prolestalion des vieilles libertés de IKurope chrétienne conire
des théories by/antines de despotisme illumini*.
Ce serait ni<'-connaltre le caractère de res|)rii de Leibnil7 (|ue
si'R LA l^El.l^.IO^ di: i.EinMT/. 169
de conlesler rinfliience que ces mouvements généraux de la poli-
tique (Miropc'enne durent exercer sur ses convictions religieuses.
L'inimitié de Ldiiis \l\', (|ui respire dans toute sa correspon-
dance, commune à tout bon Allemand à la lin du dix-septième
siècle, défit eu lui ce cpi'avail ('-lé sur le point (h; faire l'admira-
lion de liossuet. La force matériel le des dragonnades effaça
l'empreinte laissée par la force morale des arguments. C'est à
ces oscillations, à ce flux, pour ainsi dire, et à ce reflux de son
esprit, que nous avons voulu faire assister un instant nos lec-
teurs. Ils nous pardonneront nos longueurs , s'ils prennent
comme nous un intérêt sincère à l'analyse morale d'un caractère
éminent; si , comme nous aussi , ils pensent qu'en religion plus
qu'en tout autre matière , les mêmes questions se reprodui-
sant toujours et le cœur humain opposant aux mêmes appels de
la grâce les mêmes résistances, l'étude du passé est une source
précieuse de lumières. Il n'y a plus de Leibniiz dans notre siè-
cle : Dieu ne les promet ni ne les donne à tous les âges. Mais
nous avons encore autour de nous plus d'un esprit éclairé et
d'un cœur généreux, que la grandeur touchante du catholicisme
attire , que des préjugés retiennent et qui mêlent souvent des
considérations élevées de philosohie et de politique humaine aux
délibérations de leur conscience. Nous avons aussi à prendre no-
tre humble part dans une réaction religieuse, aussi surprenante,
bien que moins brillante que celle du dix-septième siècle, et qui
pourrait, si les mêmes fautes étaient commises, être par mal-
heur aussi passagère. Il ne saurait être inutile de reconnaître ,
pour les éviter, sur quels écueils on peut échouer. »
\A
LIBERTÉ RELIGIEUSE A GENÈVE.
Les Ànnnhs Catholiques sp sont n-nlVrinct^s jiis(]irù ro jour
dans la splirro dos <|ii«'Ntions doctrinalos. Notis xnons lui de-
mand(>r la permission d'cnircr sur If Ifirain historique et prati-
que des iniérêis relii^'icux <l('s r;iilioli(|n('s du raninn lie Genève,
l'arlotit l'Éj'Iise a hisoin de défendre iion-sculenient sa foi,
sa morale , son culte , mais aussi son autorité et son indépen-
dance. Elle se trouve sans cesse en présence de l'incrédulité, de
l'hérésie et des svsièmes humains qui voudraient la transformer
ou la dominer. L:i luiie ;i eoujuience l«)rs(]ue « les ()rè(res juifs .
» les ma^'istrals du temple et les sadduceens firenl mettre les
» Ap«)lres en prison, parce qu'ils ensei^aieiii le peuple au nom
» de Jesus-( Jinst. » (Act. 1\ .) (^u'esl-i e donc de nos jours (jue
les persécutions contre l'évécjue de Lausanne cl de Genève, con-
tre les archevêques de Turin, de Ca<{liari , de Ik>goia , de
Luxemhniir}; et <le Frihnurjî en Brispaw? Tttiijours au fond la
même «pieslion, celle de liiulependance de rÉf^lise. I/hglise lient
autant à la distinction des deux pouvoirs qu'elle tient aux dog-
mes de la Trinité et de rincarnation. Son indt'pendance de l.i
puissance civile esi un article de foi aussi nécessaire au salot que
celui de la nécessité de la griice. Le respect pour les droits de
l'autorité temporelle, l'obéissance aux gouvernements établis,
sont des devoirs sacrés que l'Eglise enseigne ; mais , en même
temps qu'elle jiréche de rendre à César ce (|ui est à Cé-sar, elle
enseigne aussi qu'd faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Et
LA r.inF.RTÛ RtMCinCSK A (jr.mHf. 171
(|iKUi(l 1:» Syn:ij,'Oj;uo (l»'fonclait à saint Pierre de prêcher Jésiis-
(^lirist, saint Pierre répondait : « Jn^'cz s'il est juste devant Dieu
» de vous obéir plulAl qu'à Dieu. » Ce qui s'est passé en 1847 à
Fribourg en Suisse, ce qui se passe aujourd'hui à Frihourg, dans
le grand-dnrhé de Bade, c'est la même usurpation d'une part,
c'est la même résislautc de l'autre. L'Église, en défendant son
indépendance, détend non-seulement un droit inhérent à son
origine, un attribut essentiel à sa nature, mais aussi le droit ab-
solu qu'a la vérité d'être libre, qu'a Dieu de parler aux hommes
pour les instruire, les sauver, en être obéi et aimé. Toute so-
ciété religieuse qui st; soumet, quant à son enseignement, à ses
croyances ou à son sacerdoce, à un pouvoir humain, abdique ou
tous ou quelques-uns des signes d'autorité, de mission et de vé-
rité divines qui devraient la constituer.
Nous ne nous étonnons nullement de la perpétuité de la lutte ;
elle continue parallèlement à celle de l'erreur et de la vérité, de
l'incrédulité et du doute, du vice et de la vertu ; mais nous esti-
mons que partout il importe, à Genève comme à Fribourg, à Tu-
rin comme à Amsterdam, d'exposer nettement, franchement et
historiquement les principes, les droits et les positions, de ma-
nière à éloigner le soupçon d'envahissement de l'Église, et à dé-
masquer la tactique sournoise et hypocrite des véritables usur-
pateurs de la liberté religieuse.
La situation de Genève est claire quant à la liberté religieuse.
Qu'on soutienne, avec Montesquieu, ou dans la Suède protes-
tante, ou dans la Toscane catholique, qu'on peut et qu'on doit
s'opposer à l'introduction d'une religion nouvelle dans un pays
qui n'en a qu'une, nous n'examinons ni le principe, ni l'applica-
tion , ni même le commodo et Yincommodo de ce système ; nous
restons pratiquement à Genève, où la constitution du pays pro-
clame le droit de la liberté religieuse, et où nous croyons pou-
voir proclamer les axiomes politiques et pratiques suivants :
Dans un pays mixte, la liberté des cultes est une nécessité
pour tous.
Pour que la liberté religieuse soit réelle, il ne faut pas qu'une
société religieuse puisse gêner la liberté d'une autre société re-
ligieuse.
172 Ll I lUKRTÉ REIIIHEISe
Il ne faut |>:is i|uc la puissance lenipurelle |)uisse porter at-
teinte à rin(l('|)eii(l;«iice de lu puissance spiiiliielle.
Dans les objets |)un'nu'nt relif^ieux,, l'indépendance de rt^lise
doit être absolue; »hms les objets purement civils, Tindépen-
dan( e de TÉlal duil être complète; dans les objets mixtes , les
deux puissan( es duivenl s'entendre à l'aniiable, sans usnr|»ati«in
de l'une sur l'autre.
A Genève, lescallioliques invoquent la liberté relifçieu&e :
Premièrement , parce qu'ils croient (]ue leur n'Ii^ion est la
vérité f qu'elle est divine, établie dirciK-mcnl par Jesus-Uirist
qui est la vérité : Ego sum Veritas. Or, la vérité a un droit éter-
nel el illimité à la liberté partout et toujours.
Secondement , parce (jue , lorsque les communes catholiques
françaises et savoyardes ont été reunies à la Nille de Genève
pour constituer un canton suisse, cet accroiss«meDl de territoire,
qui a été un iloiij a <'U lieu à des conditions i\u\ garantissent la
liberté, les droits, les usaj,'es de l'Église catholique.
Troisièmement, parce »pie les traités qui ont garanti ces droits
ont été conclu précisément dans le but d'empè<her l'oppression,
par l(! pri»testanlisme dominant et dominateur, des catholiques
el de rt},'lise calholicpie «l.uis le canlon tic Genève.
Quatrièmement, parce que ces traités l'ont partie de la consti-
tution nationale genevoise, (art. 129 et 134.)
Cin«piièmement , parce que celle constitution proclame la li-
berté religieuse comme un des éléments essentiels de la nationa-
lité genevoise.
Sixièinenienl , i>arce qiu; la ronstilution Fédérale renferme le
même principe de la librrlc religieuse pour toute la Suisse.
Septièmement, enfin, parce <pie les adversaires du catholi-
cisme, invojpiant la liberté de conscience pour eux, il serait sou-
verainement illogique cpiils la relusasMiii :iii\ catliolicpii s.
Telle est la situation à Genève.
Or, les protestants se. partagent en deux canq»s sur la «pies-
lion qui nous occupe.
Les uns sont conséquents el ils veulent cjue les catholiques
jouissent «le leur liberté el de leurs «Iroils.
Les autres, par p<nr, par système ou par haine, proclament
tjiie la nationalité g<;nevoise est protestante, que les catholiques
ne doivent être que tolérés, que l'Église catholique est dans l'É-
tat, que le pouvoir civil doit dominer l'Kglise, et enfin que les
traités qui ont garanti la liberté et les droits des catholiques,
doivent être ou brisés par la seule volonté de l'un des contrac-
tauis ou du moins rapporl('s siiuulian( ment par ceux qui les ont
signés.
C'est dans cet étal de choses que les journaux conservateurs
et démocrates de Genève ont exprimé plus ou moins explicite-
ment la pensée qui les domine : détruisons les traités, qui sont
le. palladium des catholiques; et même tachons que ce soit les
catholiques eux-mêmes (jui soient habilement amenés à se don-
ner ce mauvais coup : faisons-les pétitionner.
Les catholiques ne se sont pas laissé prendre au piège, et un
écrit court, serré, concluant, est venu les éclairer sur la néces-
sité de tenir fortement aux traités. On attribue cette brochure
remarquable à un savant jurisconsulte qui nous paraît avoir saisi
parfaitement la question. C'est pour nous un bonheur de citer les
pages suivantes :
« Nous avons été réunis en 1815 à la cité de Genève protestante,
riche, industrieuse, et, par radjonclionde nos communes françaises
et savoyardes toutes catholiques, Genève est devenue un canton
Suisse. Si nous n'avons pasapporté à notre nouvelle patrie le genre
de prépondérance, de puissance et de richesse qui caractérise les ci-
tés, nous sommes venus lui donner une ceinture territoriale, une
population agricole, travailleuse, qui assure sa force, son indépen-
danceet son union avec la Confédération helvétique. Ce que Genève
nous a donné lorsque nous avons été séparés des deux grandes nations
dont nous étions les enfants depuis des siècles glorieux , nous l'ap-
précions, mais nous nous rappelons^ nous, qu'en brisant nos liens
avec la Frauce et la Savoie, nous avons constitué Genève ce qu'elle
est désormais, comme nation et comme canton,
» De là le sentiment profond qui est indestructible chez les catho-
liques: nous sommes parfaitement égaux aux anciens genevois ; ils
nous doivent au moins autant que nous leur devons ; et le bonheur,
la prospérité , la conservation du canton de Genève sont à ce prix :
l'égalité réelle, acceptée, sincère, entre la cité et la campagne, entre la
protestants et les catholiques.
11
174 \K f llirRTK REI.ir.IElsf
u Tuule cousUtiilioi), luiil i;ouverii<>mi'nl, luute lui qui rcspeclu-
ront ce principe acquerront l'appui des (-alholi(|ues. Plus on aura
(>gar(l à ce sentimeiil indi'slnicliblo, plus on rafTerniira l'union né-
cessaire lie la ville ol de la campagne, (le ne sera pas scnlfiiifnl de
la justice, ce sera de la prudence et de Phabileté.
Mais si celle é;^.iIiU' el celle union entre des populations cita-
dines et agricoles, toutes d'une nit"'nie origine et d'une nu^me anti-
quité, toutes aulrefuis sœurs par l'unité et par la fralernilé de leur
foi : si celle égalité esl écrite -à la télé de la dernière <onslilulion
qui les gouverne, il faut (|u'ellesoil forniuUM* aussi dans la protection
non-seuli'menldes droits el des avantages commun», mais des droits
différents ou la confusion, l'échange el rharnionie ne [leuNcnt avoir
lieu.
On le voit, la question religieuse $c pose d'elle-même devant
nous ; on peut la mépriser, mais on no l'évite pas; (»n peut la com-
battre, on ne la détruit pas. L#q sagesse des législateurs el des gou-
vernements consiste à la résoudre avec le plus de justice et do pru-
dence possible ; les pcrséculcurs, les casse-cous el les petits esprits
s'y brisenl el s'y perdent.
denéve, sous l'empire des doctrines réformées et des institutions
ecclésiastiques cl politiques de Calvin , sous les lois de proscrip-
tion qui atteignaient cruellement les calboliques et les sectes
proleslanlcs qui osaient loucher A l'arche calviniennc ; Genève,
l'asile de tous les bannis pour cause de protestantisme, s'était donné
et s'était acipiis en lùtropc le nom de Home protestante. Mais le
jour où elle a renoncé à toute profession de foi positive, le jour où
elle a laissé pénétrer dans son sein el contre elle le principe du libre
examen absolu, le principe de la liberté de conscience sans bornes,
la liberté des cultes , la liberté d'enseignement ; le jour où le code
civil à renversé l'c'/rtt/jssc/Hc/i/ de Calvin ; lu jour où, de parla
loi el l'égalité devant la loi, une première .Messe a été dile au Ma-
nège ; le jour où (îeneve signa les traités dt; Paris, de Vienne , de
Turin pour se donner une nature el une vie nouvelles; le jour où
elle accorda sa voix pour constituer le moderne unilarisme suissc.au
pri\ d'une partie de sa souveraiiu'té locale , le jour où elle vil ses
forlilicalioiis s'écrouler, cl où elle ouvrit aux cpialro vents de son in-
comparable position les embarcadères de ses chemins de fer; ce jour,
ou plutôt ces jours, portant dans leur sein une implacable fatalité,
(icnévc marche, (ïerteve ne peut plus reculer, el pour tous les ha-
bitants du canton, ce n'e^t plus la cité de Calvin, la (ité de la pros-
cription, c'est la cité de la liberlé!...
A (.!'.> K> T.. 175
» Quand on vient dire aux calboliques (ju'en invoquant sans
cesse les traités ils demandent des j)riviléges, qu'ils veulent se pla
cer, au point de vue religieux, dans une position plus avantageuse
que les pro'.estanls, et qu'ils affaiblissent l'égalité que leur a accor-
dée la consliliilion , on méconnaît les fails, on égare les esprits et
on retardi! la bonne harmonie entre tous les concitoyens de la
même patrie.
Les protestants ont la majorité numérique dans la population du
canton : celle majorité est dans une proportion encore plus grande
entre les ciVoi/cns jouissant des droits politiques; la grande majorité
du Grand Conseil est protestante, le Conseil d'État également. La
ville, qui a la principale influence dans le canton, qui a les riches-
ses, l'industrie, le commerce, le mouvement, les administrations,
les tribunaux, les établissements d'instruction publique, les ban-
ques, l'arsenal et toutes les forces accessoires qui pèsent si forte-
ment sur la campagne, la ville de Genève compte une grande ma-
jorité de protestants, surtout de citoyens protestanls ; les pasteurs et
ministres sont nombreux, ils exercent une grande influence, môme
politique, par leurs alliances avec les principales familles de Ge-
nève ; les riches genevois donnent abondamment pour soutenir les
œuvres de prosélytisme de leurs ministres; ceux-ci reçoivent en-
core davantage de l'Angleterre et de l'Ecosse. Le prosélytisme des
convertisseurs, des livres et de l'argent, est organisé sur une grande
échelle; les sectes religieuses, profondément divisées entre elles, se
réunissent comme un seul homme lorsqu'il s'agit de combattre le
catholicisme, et le journal du parti le plus riche, le plus habile et le
plus nombreux , n'a pas craint de manifester la pensée-mère des
protestants de Genève, en disant : « L'État doit être protestant
» L'État doit soumettre et dominer l'Église catholique... » Et le
manifeste de la nouvelle Union protestante proclame que « le pre-
» mier élément de sa nationalité, c'est le protestantisme, » et que
« ses efforts tendent à faire pénétrer la foi réformée au sein même
» du catholicisme. » C'est le môme cri, c'est la même espérance qui
faisaient dire à un Genevois de 1815 en recevant les vingt-deux
communes catholiques : « Dans vingt ans, nous les aurons déca-
tholisées. »
Qu'on pèse bien ces faits exacts, ces prépondérances, ces in-
fluences capitales, inévitables, et qu'on prenne ensuite les traités.
Qu'on considère les avantages immenses, territoriaux, commer-
ciaux, politiques, financiers, militaires, internationaux, qui ont été
I7(> I A I.IBERTK RELIGIUI SE
|H>ur (itMiève la i-onsi'»jucnce de la dunation bént^volo et généreuse
des vini,'l-dcn\ coriinnincs call)uliq(i«->^ ; (|ii'on n|)[»récio la sollicitude
de la France et de la Sardai^nc pour prolé{;er les enfants qu'elles
cédaient d Uenève proleslaMlo, cl on proclamera facilenienl ces vé-
rités :
1. Les traités ont fait considérablement pour (ienève.
2. Les traités n'ont imposé à tiene\e que des conditions mini-
mes.
3. Les traités ne sont que protecletirs au point de vue religieux.
V. Sans les Irailès, en ISlo, aujourd'hui, ou demain peut-être,
Tégalilé serait détruite, la balance ne serait plus exacte, la campa-
gne serait à la merci de la ville, la religion catholique serait domi-
née par rdémenl protestant.
Il est donc de l'intérêt suprême des catholiques de tenir avec une
invarial)le fermeté aux traités, soit A leur point de vue constitu-
tionnel et puIili(|U{', soit à leur point de vue relii^ieux catholique.
il faudrait fermer les yeuv à la lumière du soleil pour ne pas
comprendre (jue rien ne peut remplacer ces traités. Les constitu-
tions chan;;ent, les gouvernemenls changent , les influences chan-
gent ; la liht'rté et l'égalité écrites dans les constitutions ne seraient
réelles que si la cam|)a;:ne pouvait balancer la ville en richesse
et dans tous les genres de puissance et d'action que les cités possè-
dent exclusivement et surtout la cité de (^ilvin. Les traités forment
donc un contre-poids légitime, suflisant, sage, modéré, nécessaire.
Ils sont le palladium de la liberté des campagnes et des catholi-
ques, 1)
Nous citons niissi le passage suivant, qui démontre jusqu'à la
«lernière évidence rimpossibilité de toucher aux traités :
« 1, Le traité de Turin du 6 mars 1816 n'est pas seul ; il n'c«t
qu'une conséquence du traité »le Vienne, une suite de donations
faites par les puissances infininn'iit plus nv.iiilaL'i'ii«»es ■^ la cité de
Calvin qu'aux catholiques.
2. Le traité de Turin n'a pas été < ont lu entre la >jrdaigne et
(ieneve seulement, mais aussi avfc la Confédération Suisse, (jcnùvc
n'y peut absolument pas loucher toute seule.
'.). Si vous louche/ aux articles du traité de Turin qui garanlis-
Mut les droits de l'ÏCgli'.c catholique, gare qu'on ne touche aussi aux
articles commerciaux et territoriaux. Croyei-vous d'ailleurs que le
A (iENÈVK, 177
Piémont, quelque soient sa politique et son gouvernement inté-
rieurs, va de j;aité de cœur briser ce traité?...
4. Quand hs Genevois diraient : Nous ne voulons plus du traité
de Turin, ils rj'auraient absolument rien fait; le traité important,
le traité fondamental, la base de tout l'édiGce, c'est le traité de
Vieniuîd'i 'iO mars 1815. Le traité de Turin n'est qu'un petit gar-
çon à côté. Or, le traité de Vienne a été conclu, non entre ces puis-
sances et la Suisse, mais entre elles seules, c'est-à-dire entre l'Au-
triclie, l'Espagne, la France, !a Grande-Bretagne, le Portugal, la
Prusse, la Russie et la Sardaigue.
Seulement la Diète de la Confédération suisse, réunie à Zuricb,
ayant reçu des ambassadeurs d'Autriche, d'Angleterre, de France,
de Prusse et de Russie, la déclaration relative aux affaires de la
Suisse, « a accédé à la déclaration des puissances, a promis que les
» stipulations de la transaction insérée dans cet acte seront fldéle-
» ment et religieusement observées, et a exprimé la gratitude éter-
» nelle de la Suisse envers les hautes puissances. »
5. Donc, pour toucher aux gariinties qui regardent la religion
catholique dans le canton de Genève, il faudrait, alors môme que
les Genevois protestants de la ville les fouleraient aux «pieds, lors
même que le traité de Turin serait déchiré , il faudrait encore
réunir le Congrès des huit grandes puissances contractantes à
Vienne.
6. Et puis, il y a aussi les traités de Paris du 30 mai 181i et du
20 novembre 1815, qui cèdent les communes françaises. Croit-on
que l'Empereur Napoléon III ne dirait pas aux Genevois, comme
son oncle écrivait en 1810 au grand-duc de Bade :
« Sa Majesté Impériale et Royale ne saurait voir d'un œil indif-
» fércnt et tranquille que l'on traite en sujets disgraciés, et, pour
» ainsi dire, en ilotes, des sujets qu'elle-même a donnés au grand-
» duché de Bade ; qu'elle ne lui a pas donnés pour en faire des es-
» claves, et auxquels elle doit protection, par cela même qu'elle les
» lui a donnés. »
7. Puis, indépendamment du traité de Turin, du traité de
Vienne, du traité de Paris, il y a aussi le Bref du Pape Pie VII qui,
sur la demande de Genève, a incorporé le canton de Genève au dio-
cèse de Lausanne. Or, cette incorporation n'a eu lieu qu'avec l'as-
surance de Genève que les garanties des traités seraient respectées.
Catholiques de Genève , lisez plutôt la fameuse délibération du
Conseil d'État de Genève, du 1" octobre 1819: la voici, elle est
l?''^ I.A LIBERTÉ RKLIGIElSi:
curieuse : <■ Le Rref ('niant' du Sninl-Siojje rappelle expressément
» le protwole de \ ienne et le traité de Turin, (jui s'y référé, comme
» le fondement des droits de notre gouvernement et la régie de ses
u devoirs pour le maintien et la prolecliun de In religion dans les
I» paroisses cédées par les deux traités susmentionnés, et exprime
» la confidnce du Saint-Pére aux dispositions de noire gouverac-
» ment, pour l'exécution des clauses des dils protocoles et traités.
» Oui le rapport ci-dessus, considérant que la constitution charge
» le Conseil d'État de faire toutes les démarches nécessaires pour
» que le clergé catholi(]ue relève d'un évéque suisse ; iecttire faite
» de la dépêche où Son Èniinence le cardinal (Jonsaivi , secrétaire
B d'Ëtat, nous annonce te succès de ces démarches, laquelle ex-
» prime en termes hienveillanls, soit les motifs «lu relard que cette
» affaire a éprouvé , soit la confiance de Sa Sainteté dans la ferme
B et sincère résolution de notre gouvernement de proléger et main-
B t»Miir la religion catholique, comme le protocole de Vienne el nos
» inlérèts bien erilendus nous en fout un de\oir. »
8. Enfin, avant d'anéantir le trailé de Turin, le traité de Vienne,
le traité de Paris, il faudrait anéantir la conslilulioD du canton de
Genève qiiî garantit aux calholitiues ces traités. »
Nous croyons utile de donner aussi le texte des articles I el
III <lu proiooolc du Conférés de Vienne du 29 mars 1815. Nos
lecieurs pourront, en méditant sur ce «locimienl fundamenial ,
comprendre toute la porU'<; des elforls du proieslaniisme à Ge-
nève contre les traités, el toute la fermeté avec hi(|uelle les ca-
tholiques doivent y tenir :
<i Les puissann's alliées a>ant téuioigiie le \if désir «ju'il fût ac-
cordé quelques facilités au canton de (m iieve, soit pour un désen-
clavemenl d'une partie de ses possessions, soit pour ses communi-
calions avec la Suisse ;
Sa Majesté le roi de Sardaignc étant empressée, d'autre part, de
témoigner à ses hauls el puissants alliés toute la satisfaction qu'elle
éprouve à faire (|uelqiie chose qui puisse leur être agréable, les
plénipotentiaires soussignés sont couNcnus de ce <|ui suit :
Arl. 1. Sa Majcsiè le roi de Sardaigne met A la disposition de>
hautes puis-ances alliées la partie de la Savoie <|ui se trouve, etc.
.\rt. 3. D'autre part. Sa .Majesté ne pouvant se résoudre à con-
sentir qu'une partie de son terriloiro soit réunie à un Liai où la re-
ligion dominante est différente, «ans procurer aux habitante du
À f;E>Èvr.. 170
pays qu'elle cède la cerlilnde qu'ils jouiront du lilne exercice de
leur religion, qu'ils conlinucront à avoir les moyens de fournir aux
frais (le U'ur culte, el à jouir eux-niômes de la plénitude des droits
de citoyens,
Il est convenu (|ue :
1. La religion catholique sera maintenue et protégée de la
même manière qu'elle l'est maintenant dans toutes les communes
cédées par Sa Majesté le roi de Sardaigne, et qui seront réunies au
canton de Genève.
'2. Les paroisses actuelles qui ne se trouveront ni démembrées,
ni séparées par la délimitation des nouvelles frontières, conserve-
ront leurs circonscriptions actuelles, et seront desservies par le
même nombre d'ecclésiastiques ; et quant aux portions démembrées
qui seraient trop faibles pour constituer une paroisse, on s'adressera
à l'évéque diocésain pour obtenir qu'elles soient annexées à quel-
qu'autre paroisse du canton de Genève.
3. Dans les mûmes communes cédées par Sa Majesté, si les ha-
bitants protestants n'égalent pas en nombre les habitants catholi-
ques, les maîtres d'école seront toujours catholiques. Il ne sera éta-
bli aucun temple protestant, à l'exception de la ville deCarouge,
qui pourra en avoir un.
4. Les officiers municipaux seront toujours, au moins pour les
deux tiers, catholiques, et, spécialement sur les trois individus qui
occuperont les places de maire et des deux adjoints, il y aura tou-
jours deux catholiques. En cas que le nombre des protestants vint,
dans quelques communes, à égaler celui des catholiques, l'égalité
et l'alternative sera établie tant pour la formation du conseil mu-
nicipal, que pour celle de la mairie. En ce cas, cependant, il y aura
toujours un maître d'école catholique, quand même on en établi-
rait un protestant. On n'entend pas, par cet article, empêcher que
des individus protestants habitant une commune catholique ue
puissent pas, s'ils le jugent à propos, y avoir une chapelle particu-
lière pour l'exercice de leur culte , et y avoir également , à leurs
frais, un maître d'école protestant pour l'instruction particulière
de leurs enfants. Il ne sera point touché, soit pour les fonds et reve-
nus, soit pour l'administration, aux donations et fondations pieuses
existantes, et on n'empêchera pas les particuliers d'en faire de nou-
velles.
5. Le gouvernement fournira aux mêmes frais que fournit le
gouvernement actuel pour l'entretien des ecclésiastiques et du culte.
180 IV LinERTK KELICIEISE.
G. l,"('ij;lise calholiqui' juiuellimeiil exiitlaiilo ;i lienève, t fera
niaiiilrmic telle qu'elle exi>(e, ii la «liargi: de l'î-^lat, ainsi que les
lois évenluelles de la constiluliun l'avaient déjù décrété; lo curû
sera doit'; et \o^(' convetiahlcnierit.
7. Les eonuniin*"^ (-allioli(|iK*!i el la paroisse de (lenëve ronlinue-
ront à faire partie du diocèse qui ré^'ira les provinces du Cliablais
el du Faueigny, sauf qu'il en soit réplé autrement par l'autorité du
Saint-Siêf;e.
8. Dans tous les cas, Tévéque ne sera janiai;» troublé dans les vi-
sites pastorales.
9. Les haliitanls du territoire cédé sont pleinement assimilés,
pour les droits civils et polili({ues, aux Genevois de la ville ; iisjes
exerceront concurremment avec eux, sauf la réserve des droits de
propriété, de cité ou de commune.
10. Les enfants cadiuliques seront admis dans les maisons d'é-
ducaliun publi(|uc ; l'tMisjignoment de la religion n'y aura pas lieu
eu commun, mais séparément, et on emploiera à cet effet, pour les
catboliques, des ecclésiaslicjues de leur communion.
11. Les biens communaux ou propriétés appartenant aux nou-
velles communes leur seront conservés, et elles continueront â les
administrer comme par le passé, et à en employer les revenus à
leur |)roiit.
12. Ces mêmes communes ne seront point sujettes à des charges
plus considérables (]ue l«>s anciennes cou)muiies.
13. Sa .Majesté le roi de Sardaiyne se réserve de portera la con-
naissance de la Diète belvéti(|ue, el d'appuyer par le canal do se^
agents diplomatiques auprès d'elle toute réclamation à laquelle
l'inexéculiou des articles ci-des,sus pourrait donner lieu, u
Le trait»' (le Turin du l(i niars 181(i n étant, au jïoint de vue
religieux , (ju'un «ompl/imiit aux articles du protocole de
Vienne, nous nous bornons à ciler le préambule el les arlicles
10, 12 et 13:
« \u nom de la Très-Sainte et iiidivi'^ible Trinité!
Sa Majesté le roi de Sardaigne , en considération du vif intérêt
que les piiivsnnres signataires du traité de Paris du .10 mai 181V
avaient tén)oi;,'né pourqiio le canton de (lenèveoblintfjueKpies faci-
lités, soil dans le bul de désenclaver une partie de ses possessions,
soit quant à ses ronimunirations avec la Suisse, ayant consenti, par
le protocole du congrès de 'Vienne du 29 mars 1815, à mettre A la
1 GEMiVi;. 181
disposilion de ces mêmes puissances une partie de la Savoie y dési-
gnée, pour étro réunie à Genève; et alin de donner à co canton
une m;ni|ue pailinilièro de sa bienveillance, ayant éfialcment con-
senti aux stipulations contenues dans les articles o et G dudit pro-
tocole, etc.
Art. 10. Les droits ac(|uisau\ sujcîlsde S. M., eu vertu des lois
en vigueur jusqu'au monuMil de la remise du territoire, seront res-
pectés par la nouvelle législation.
Art. 12. ...Attendu que ledit protocole a arrêté, art. 3, § 1, « que
» la religion calholicjue sera maintenue et protégée de la môme
» manière qu'elle Test maintenant dans toutes les communes cédées
» par S. M. le roi de Sardaigne, et qui seront réunies au canton
» de Genève, » il est convenu que les lois en vigueur au 29 mars
1813, relativement à la religion catholique dans tout le territoire
cédé, seront maintenues, sauf qu'il en soit réglé autrement par l'au-
torité du Saiiit-Siége.
En exécution du § G dudit article 3, lequel a arrêté que le curé
de l'église catholique de Genève sera logé et doté convenablement,
cet objet est réglé conformément à la stipulation convenue dans
l'acte privé, en date de ce jour.
Art. 13. Le gouvernement de Genève, voulant montrer les sen-
timents dont il est animé envers les habitants des communes cé-
dées, et son désir de pourvoir convenablement aux établissements
de charité et d'instruction publique, consent à ce que les prix non
payés des biens des communes vendus sous Tadministration fran-
çaise, et les créances obtenues à ce litre par lesdites communes ,
soient perçus par elles et employés à leur profll, que les établisse-
ments de charité et d'instruction publique existants conservent
leurs fonds et les avantages dont ils étaient eu possession ; enfln, il
pourvoira à ce que lesdits établissements ne puissent à aucun égard
se trouver en souffrance par le fait de la présente cession de terri-
toire. »
Tant que la campagne ne sera pas la ville; tant que Genève
n'aura pas abandonné sincèrement sa prétention exclusive de
t nationalité protestante ; y> tant que les constitutions pourront
être changées à tout moment, sous l'influence des partis plus ou
moins hostiles à la religion catholique; tant que les catholiques
seront menacés de voir arriver au pouvoir les hommes qui prê-
chent hautement romnipotence de l'État sur l'Église catholique,
1^'i 1 LA LIBEHIb KkLISietlSB A CCnÈVE.
et la nécessité de l'Élai réformé loiii puiss:int à Genève sur l'É-
glisi* cailioliijiit'; tant «pie ces faits, rrs (l(»f trines et ces évenlua-
lités restent en permanence, «les traités de Paris, de Vienne
> et tie Turin sont, comme le dit très-hien la Itn» liiire dn savant
n jurisconsulle, la garantie (le la liberté et de l'egalii»' religieuses
» des catliolicpies dans le canton de Genève. »
Nous verrons une autre fois quels sont , par une sincère el
sage liberté rcliKiense dans un pays mi\l«î comme le canton
du Genève, les éli-menls d'une entente lacili', honorabU*, solide,
avantageuse pour tous entre tous les honnêtes gens. Esl-ce une
utopie, un rêve ou un plan réalisable .' Nous verrons.
ÉTIDKS UELIGIEISES SIR L'ALLEMAGIVE.
Eie gio'iètne Synoite pt-otetitatti de Oewtin.
L'Allemagne religieuse vient de donner un de ces grands specta-
cles dont, seule de toutes les nations européennes, elle peut être le
théâtre. Les champions des deux religions qui se partagent cette
intéressante contrée se sont réunis en assemblée générale : les ca-
tholiques à Vienne, les protestants à Berlin. C'est avec le plus vif
intérêt que nous devons suivre les péripéties de la lutte giganlesque
entreprise et soutenue par nos frères d'Oulre-Rhin. Nous nous con-
tenterons aujourd'hui de mettre les lecteurs au courant des circon-
stances qui ont précédé et accompagné le sixième synode prolestant
de Berlin.
Grâce aux doctrines panthéisliques prêchées du haut des chaires
universitaires, le clergé protestant en était venu au point de reje-
ter avec dédain les dogmes positifs du christianisme. Les ministres
eux-mêmes professaient des opinions qui n'étaient que l'expression
du naturalisme le plus grossier. On peut conclure de là quelle de-
vait être la foi du peuple. Les gouvernements se sont épuisés en
stériles elTorls pour s'opposer au débordement : l'indépendance s'é-
tait déjà transplantée du terrain religieux dans les régions de la po-
litique ; les apôtres les plus fougueux de la démagogie se trouvaient
dans le clergé protestant. Les sociétés secrètes, et particulièrement
les loges maçoniques, n'avaient pas de membres plus dévoués et
plus ardents que les ministres du culte évangélique.
Voici le tableau qu'un publicisle célèbre trace de la conduite du
clergé prolcslaul en Allemagne :
« La cause primitive de la désolante situation de la religion pro-
testante en Allemagne se trouve dans le manque de foi. Ce résul-
tat doit être attribué à la franc maçonnerie, qui ne cesse d'affirmer
184 KiL ocs r,Ei.i(.ici sr-i
que les dotâmes de rÈ^^lisc chrélienne ne sont |)oint des révéialions
divincfi. Dans les svmhules de ses io^es, elle proche une doclrino
abominai)!)', niorislriieiiv niélango di- pliilosofiliie, de judaïsme cl
de christianisme , qui se résout, en dernière analyse, au déisme le
plus révoltant. Le clergé ploletlant at en grande partie initié. Le
ciille prolfslaiit est exercé par des prêtres qui ne croient pas même
à la divinité de leur mission , puis(|ue dans les loges ils professent
le déisme. Faut-il dès JOrs s*élonner que de tels prêtres montrent
si peu de Zfle |>our remplir une funclion (pii n'est pour eux qu'un
mo>en d'existence? Faut-il s'élonner que depuis utu- génération on
ne lusfoie fiius paraître au lit des malades et de« moribonds, qu'ils
n'aient plus atuun jouci de leurs ouailles? Faut-il s'étuniii^r qu'ils
»uient si indifTérenls pour la plus belle et la plus inq)or(anle partie
de leur ministère? Ksl-ce que i<*s lidèles qui sont confiè.« â leurs
soins seraient di:> profanes |)Our eux?.. Lorsque les prêtres s'imagi-
nent être trop élevés pour partager ce qu'on veut a|>peler la crédu-
lité du public, lorsque dans l'exercice de leurs fonctions, ils ap-
prennent a nier et d bafouer la foi, il faut s'attendre à voir un
peuple dégénérer et rétrograder jusqu'à la barbarie.
Cette dernière phrase d'Lckerl nous amène à parler de la mora-
lité du peuple protestant. Hien de plus aflligeanl que les plaintes
formulées au dernier synode parle rapporteur M.deKapff. Les
extraits que nous allons publier so:il empruntés au f'olkflilatt pir
Sladt und Land, journal prolestant de Halle : « Le père emmène
avec lui au cabaret son fils à peine dgé de onze ans cl lui apprend
à fouler aux pieds s;» mère désolée. L'ouvrier (|ui n'a consulté que
l'intérêt dans le choix d'uru! épouse, déclare A sa fenune, après trois
semaines de cohabitation que l'église où ils se sont unis n'est qu'un
lieu de débauche , la Bible wnc fable, et le mariage un non-sens;
il arrache son épouse de son lit de douleur ; il la force de se livrer
à des travaux excessifs, pour la détruire et en être ainsi débarrassé.
Le rédacteur de journaux fait chanter à ses fdh'S des arkMles d'o-
péra, quand leur mère veut prier à table. Lue société composée de
familles de fonctionnaires choisit le dimanche pour sortir de la
ville, musirpie en tête, et consiicrer le saint jour j\ des danses luxu-
rieuses; aux spectateurs étonnés, elle crie : nous sommes sépara-
listes! Si le pasteur exprime .sa surprise et sa douleur, on lui de-
mande s'il ignore que le dimaiu lie doit être destiné à la «lanse. .Vu
roomcnlou Ton veut commencer la prière pour le roi, ont fait en-
tendre un immense éclat do rire, et les démocrales sorlcnl prècipi-
Sun LALLEMACr^E. 185
tamment do IV^glisc. Laissons les détails qui pourraient blesser les
oreilles cbaslcs. Dans une des villes les plus considérables de l'Al-
lemagne, une pélilion en faveur d'un albéc est couverte des signa-
turcs de otiOO bonuiies et de 5300 fcmrne«. A Berlin on compte à
peine 24,000 à 30,000 prali(|uants qui fréquentent les temples,
c'est-à-dire le seizième de la population. »
Nous n'insisterons pas davantage sur ces tristes détails; il n'en
ressort que trop clairement que le protestantisme, ruiné dans sa foi,
trabi par son propre clergé, méprisé par ses adeptes, se trouvait
sur le bord d'un abîme. Est-il étonnant que lesyeux se soient enfin
désillés, et qu'on se soit décidé à revenir à la croyance à des dog-
mes positifs, pour sauver la religion et l'État d'une ruine complète?
Les années 1848 et 1849 ont du reste montré ce que peut un peu-
ple lorsqu'il a secoué le frein salutaire de la foi.
Mais là n'est pas seulement la cause de l'agitation religieuse des
protestants allemands ; l'envie, ou plutôt la crainte d'un grand en-
nemi commun, a fait sentir la nécessité de recueillir toutes les for-
ces des piélistes.
Emancipé en Prusse et en Autricbe, le catholicisme s'est mon-
tré à l'Allemagne dans l'unité de sa doctrine, dans l'ardeur de sa
charité et dans la majesté de son culte. La liberté religieuse, in-
scrite dans les constitutions rédigées par des sceptiques, servit ad-
mirablement la cause du catholicisme. Délivrés des liens qui en-
travaient leur libre essor, nos frères d'Oulre-Rhin surent exploiter
leur nouvelle position avec autant d'babileté que d'énergie. L'as-
sociation de Pie IX étendit sur toute l'Allemagne son réseau salu-
taire ; chaque localité de quelque importance eut son association
particulière correspondant avec le comilécentral. Dansces réunions
religieuses, les hommes les plus éminents par leur science, par leur
dévouement et par leur position sociale, entretinrent et récbauCFè-
rent la foi dans l'esprit des populations catholiques. Des moyens
efficaces furent arrêtés non-seulement pour se défendre victorieu-
sement, mais encore pour prendre l'offensive avec succès. Enfin
des réunions générales se tiennent annuellement; les députations
des différentes assemblées particulières viennent y rendre compte
de l'exécution des mesures adoptées, des progrès réalisés et des be-
soins à satisfaire. Après avoir retrempé leur ardeur dans une édifi-
cation réciproque, ces délégués reportent dans leurs provinces le
feu sacré qui s'est allum.é dans leurs cœurs.
Témoin de la verdeur et de la force du catholicisme, à la vue de
I8G KTl DES RLLK.II.ISES
ce colos<(o qu'on avait pris plaisir d représeiiler comme surcombant
à la décrépitude de sa vieillesse, le protestantisme s'est cru menacé
dans son «.'xislence. Impassible' jus<]ui'-l;i aux dissiMisions qui détbi-
raient son sein , indifTcreMl en f;ne de riurrrdulilé et de l'immo-
ralité de ses adeptes, il retrouve dans son cœur Tamertume doses
vieilles haines. Le danger lui donne de l'activité et de l'énergie. A
des associations il op|>ose des associa(ions ; aux missionnaires ca-
tholiques, ses frrt/icaii/s voyageuriy à la propagande, nu prosély-
tisme ardent.
.Malheureusement pour lui, le manque d'unité dans la doctrine,
le désotdre dans les idées, la diversité dans les .symboles paraly-
saient tous ses elTorls et le condamnaient :\ l'impui-^i^ance. Les pro-
testants étaient humiliés d'entendre les calhuli(|iies leur répéter
sans cesse : « Pourquoi sommes-nous le but uni(|ue de vos atta-
ques? Y a-t-il entre vous et vos coreligionnaires moins do diffé-
rence qu'entre vous et nous? » Ou bien : « Divisés en cinq cents et
quel(]ues sectes , vous n'avez de counnun cpie la h;iine que vous
nou> portez ; mais la haine n'étant pas un principe, dites-nous donc
a quels signes vous vous reconnaissez comme protestants. Quels
sont donc les dogmes communs à toutes les différentes sectes du
protestantisme? \ ous non», allacjuc/. et \ous ne savez vous-mêmes
ce que vous êtes. »
Les piolcsiants ont compris cnlin (jue leurs di> ers groupes isolés
ne pouvairnl pas laire de résistance sérieuse et étaient destinés à
une défaite certaine ; ils ont senti <|ue leurs discordes intestines les
empêchaient de mettre dans la lutte l'unité d'action qui est indis-
pensable pour le suc( es. L'nilé I unité ! tel a été leur cri de détresse.
Un appel est adressé aux différentes sectes de l'Allemagne et de
la Suisse : Luthériens anciens et modernes, calvinistes, méthodis-
tes, unionistes, etc., sont convoques U \a sirième Mn.^tuti du tynodc
protestant à Berlin. Le but de cette réunion était d'allier ces ëlé-
njenls si hétérogènes, <le discipliner cette masse indisciplinée cl de
ne faire présjnter qu'un seul liout à ces langs d'hommes aussi
acharnés les uns contre les autres que contre l'ennemi commun ; il
s'agissait de rédiger un symbole (jui fut adopté par les sectes les
plus diverses du proleslantisnu;.
Le problème à résoudre était dillirile. Kn effet, pour (ju'il y ciU
unité réelle, il aurait fallu que ibaïun, en acceptant un formulaire
iiDi(|ue, renonçât aux opinions particulières qui le séparaient du
type adopté. Le mut unité dan-^ la durlrine ru)n .Heulement impli-
SlJi; I.'AM,l'.MAf;iNE, 187
que Tadmission complète des mômes vérités, mais encore exclut les
croyances dianu''lralenicnt opposées. Mais le comité cenlral, con-
vaincu qu'il échouerait dans celle Iculalive, a jugé prudent de pren-
dre un aulre expédient. Il a donné au mol unité une signilication
nouvelle. D'après lui il peut y avoir unilé entre les deux contrai-
res, voici son principe : Pourvu qu'il y ait entre des hommes d'opi-
nions opposées quelque point de contact, l'unité existe entre eux. Avec
celle délinilion singulière, l'unité existe parlent. Il y a unité enlre
le feu et l'eati, puisque tous les deux ils coulienneut une certaine
dose d'oxygène ; il y a une même unité entre le protestantisme et
le catholicisme, puisqu'il est plusieurs dogmes qu'ils professent
également. Celte élrange manière d'enlendre l'unité a élé stigma-
tisée au synode par M. Tesswar, avocat de Cologne, lorsqu'il a dit :
« En faisant consister l'unilé dans l'adhésion à la confession d'Aug-
sbourg, et en tolérant d'iui aulre côté les bigarrures des églises par-
ticulières, que faisons-nous, si ce n'esfde. proclamer que nous som-
mes unis, excepté dans ce où nous sommes divisés? »
Mais il fallait , bon gré mal gré , fair croire à l'unité du protes-
tantisme : l'absurdité n'a pu faire reculer les organisateurs du sy-
node.
D'un aulre côté, nous sommes forcés de rendre hommage à l'ha-
bileté de M. Belhman et consorts, lisent compris qu'ils succombe-
raient a la tâche et qu'ils exigeraient des dissidents des sacrifices
impossibles, en voulant établir une unilé réelle et non illusoire.
En effet, enlre partis opposés, la fusion n'est possible qu'à la con-
dition qu'on fasse le sacrifice au moins d'une partie de ses opinions.
Celui qui avait regardé comme essentielle l'admission de telle véri-
té doit sacrifier cette conviclion, s'il veut n'être qu'wn avec celui
qui la rejette. La conséquence de ce procédé est évidente. L'un en
acceptant un nouveau dogme, l'autreenrejetantune vérité à laquel-
le il avait cru jusqu'alors, prouvent que le dernier avait cru trop et
le premier trop peu.
Que dire des rationalistes qui ne voient dans les dogmes positifs
du christianisme qu'un long tissu d'erreurs et de superstitions ? En
souscrivant purement et simplement à un symbole qui résume les
croyances d'un christianisme tronqué , ils auraient dû condamner
leur passé, et donner un démenti à la raison qu'ils avaient exaltée
comme l'unique guide à suivre.
En un mot , tous ceux qui auraient adhéré sans restriction à la
confession d'Augsbourg se seraient eux-mêmes convaincus d'erreur.
Kniin, .si un logicien eùl (Jrmandù au fusionislo comrocnl il ex-
plique sa transaction avec le parti unitaire, nous ne voyons qu'une
rrponse sali<if;us.inl»! i\ donner «"^ celle question : il aurait été con-
traint d'avanii'r (|iie les «lofâmes non>ean\ (ju'il prolest»c aujour-
d'hui ou que les véritésqu'il rejette sont de |>cn d'importance, sont
indifftrenli. El la r»''pli(|ue auiailélé si facile ! IndilTiTenl le Iiap~
léme.^ indilTérenle la (jrarr :-> indilTérente la ialifftulion'! indilTércnle
la prétence réfUe ? Mais si tout cela est indifférent, soyez donc con-
séquents avec vous-niénïes, et déclare/ <|ue tout le christianisme
est indilTérent.
Les cor>phées du protestantisme avaient prévu ces objections;
forcés d'opter entre l'erreur on l'indifférence, ils ont choisi la der-
nière allcrnalive.
L'art. 10 de la première confession d'Au^ishourp admet la foi en
la présence réelle dans la Sainte Kucharislie. Or, l'immense majo-
rité des prolestants rejelle'ce dogme. C'était donc s'exposer û un
échec certain que de proposer de souscrire a un symhole dont un
des points principaux étai nt rejeté par la masse des délégués à
Kerlin. Le comile central a fait disparaître cette pierre d'achoppc-
nienl, en déclarant qu'on resterait libre d'aiinieltre ou de rejeter
l'art. 10 de la (;onf.:ssion d'Augsbourg , que la foi en la présence
réelle ou la négation du ce dogme n'empêcherait pas Tunilé entre
les signaUiircs !
La présence réelle, ce dogme qui est ici-bas toute noire espt'rance
et notre consolation, l'anoblissement de l'humanité, le fondement
et le centrt! du culle, la présence réelle, on en f;iit si bon marché!
On peut la nier, et malgré celte négation, on ne détruit pas l'unité
avec d'autres protestants qui croieni à la Sainte Eucharistie! Nous
n'insistons pas sur ce (|u'il y a de poignant dans la proposition du
comile central; loul c(rur ( hrélien n'en sera déjà que trop navré.
Disons seulement que le synode de Berlin a, par cette déclaration,
proclamé l'indinérence la plus complète de tous les dogmes chré-
tiens. (>ar si l'on se croit en ilroil de déclarer qu'il n'y a aucune
conséquence à admettre ou à rejeter la Sainte Eucharistie, on doit
afficlier le même dédain pour toutes les autres vérités religieuses.
Apres ce>> observations préliminaires, nous devons rendre un
compte fidèle de la lenue du Synode. Nous cxtravons notre compte-
rendu de préférence des jonrn;iu\ proleslanls.
L'assendilee, composé»; de 1800 membres présents, réunissait
tontes les sommités pruleslanles, tant du barreau et des universités
SIR l'alle.magne. 189
que du clergé évangélique. La population de Berlin a témoigné la
plus froide indifTérenc»' pour cetto imposante manifestation.
Le président, M. Bethmann-Hollweg, a commencé par rendre
compte à l'assemblée de la manière dont avaient été mises à exé-
cution les lésolutions de la dernière session : « Un recueil de can-
liquos a été composé; le catéchisme luthérien de Heidelbcrg a été
universellement admis, sauf dans le grand-duché de Nassau; la
question des mariages mixtes a été résolue à la satisfaction du pro-
testantisme ; la protection accordée par le comité permanent à la
famille des Madiai a été efllcace. h Puis il a prononcé un discours
où il a engagé le Synode à déployer toute l'activité et toute l'éner-
gie que commande le danger. La faiblesse de sa voix et les défauts
acoustiques de la salle n'ont guère permis à l'assemblée de com-
prendre les paroles de l'orateur. Passant à la question à l'ordre du
jour, il a proposé à l'assemblée de décider que la confession d'Augs-
bourg est le symbole fondamental de toutes les églises évangéliques de
l'Jllemagne. Voici les termes textuels de celte proposition :
'< Les membres du Synode évangélique allemand déclarent pro-
fesser de cœur et de bouche la confession protestante présentée à
la diète d'Augsbourg, en 1330, à l'empereur Charles Y par les prin-
ces et les étals évangéliques. Ils reconnaissent solennellement cette
confession comme le document le plus ancien, le plus simple, le
plus commun de la doctrine de l'Église évangélique de l'Allema-
gne.
» Ils déclarent en outre ne pas renoncer par là aux formulaires de
foi de leurs églises particulières ; et les partisans de l'i'yioy ne s'enga-
gent pas à renoncer à leur conse>'Sls. L^admission de la confession
d'Augsbolrg laisse intactes les diverses opimons des luthériens,
DES LMTAIRES ET DES RÉFORMÉS SLR l'aRT. 10 (présCMCe réelle), ET
NE doit en rien MODIFIER LA POSITION DES ÉGLISES RÉFORMÉES QUI
n'ont JA3IAIS ADMIS CE FORMULAIRE COMME UN SYMBOLE. »
Avant de commencer le développement de celle proposition, on a
procédé à la formation du bureau. M. Sarlorius, intendant-géné-
ral, est nommé premier rapporteur. MM. Nilzsch, Krummacher et
Stahl sont nommés orateurs adjoints.
M. Sartorius s'est longuement étendu sur des considérations his-
toriques et sur le contenu de la confession d'Augsbourg.
Le docteur Nilzsch a insisté pour que le symbole ne fût pas ac-
cueilli comme une vaine formalité par les unionistes. Ceux-ci doi-
12
1D(I KTIUES KELICIEISES
veut V adiu'rer de cœur cotiiini' à la confession la plus simple et la
plus (wpulaire do l'églis»' cvanj;élique.
Le pas(our Krummaclier, laissant do côlc loulo discussion sublilc
ou irril.inlc, n Tiit :t|i|i*-l au SLMilini<>rit. I)an>i un dixiours palliéli-
(|ue, il a allit'é rattcnliun du sviiudo sur l'iuipossibilile de résister
i\ un ennemi vigoureux, infatigable et fort par l'union, si les diilc-
renls partis de réglise évaiigt'li(|ue ne se duiincnt la main et ne con-
cenlreiil tous leurs ellorts. L'orateur a été interrompu par deux
assistants qui ont entamé Tliymne luthérien : EinefrstrUuirj. Toute
rassemblée a bientôt cunlinué le * liant, et le président, inrapable
de mettre iiti au désordre, a dû subir la première slru|)he jusqu'au
bout.
Kufii) .M. Slalil a considéré la (oiilession d'Aiig^hourg comme
l'ail bi.slori(iuc , conune symbole de doctrine , et comme lien entre
toutes les églises évangéliques.
Vint le tour de l'opposition. M. Toswar, avocat à Cologne, s'op-
pose A l'admission de la proposition. « Au lieu, dit-il, d'être le té-
moignage de notre union , la proposition , telle qu'elle est rédigée ,
prouve tout le contraire. I-adeuxiéme (lartie nièce que la première
afllrme, et l'ensemble n'a d'autre signiûcation (|ue celle-ci : Mous
sommes d'accord dans ce où nouf ne fonimm pas en désaccord. Ce n'est
pas ainsi qtie nous serons à même de nous présenter en face du ca-
tholicisme. » Comme pour racheter cette franchise, l'orateur se li-
vre à une violente diatribe! contre l'flglise romaine. C'est rimi(|uo
orateur qui se soit permis cette odieuse attaque; la plus grande ré-
serve a caractérisé le sixième synode protestant.
M. IIep(»e, professeur à ^^^rbourg. exprime les opinions les plus
avancées. .Après s'être étendu sur le principe et l'esprit du protes-
tantisme, il rappelle (|ue Luther et Mélanchlon ont secoué le joug
de tous les dognu's de l'fCglise catholique et ont fait bonne justice
(1ère monstre (pi'on appelle .Sacirilucr, etc. Des cris : <i l'ordre .' ont
mis fm -à ce discours.
F.e docteur Henri, prcilie aleiir a lîfriiii, pro[K)>e de ne pas ex-
clure les réformés non allemands qui adnu'tlent les trois points sui-
vants : l'Écriture Sainte, la justification par la foi et la présence
réelle. Le président ayant rappelé ii l'orateur (pi'il s'écartait do la
question à l'ordre du jour, .M. Hi<hler, pasteur à Hracauiilieim,
s'est écrie : a Mieux vaudrait dire de nous taire et de répondre
oui et amen. »
M. Millier, professeur à Halle , appuie la proposition , mais en
SIR i/alleuàgïme. 191
faisant ses réserves. « Les variantes des diverses confessions
d'An<;sboiii'^', dit-il, importent peu ; la manifestation que nous vou-
lons faire aujourd'hui ne sgtI qu'à raviver un souveni}' historique.
Puis, chez les protestants, drs symboles ne sont pciA, comme pour les
cathuliques, dcA cuUck dr croi/aiiccs ; il ne font (jue constater Topinion
des anciens réformateurs sur la parole de Dieu. »
Knlin M. iMerle dWubigné, professeur à Genève, est venu fran-
chement combattre le vote de la proposition. L'orateur professe la
plus grande vénération pour la confession d'Augsbourg, non-seu-
lement parce qu'elle proclame le fondement du protestantisme,
mais encore parce qu'elle a eu pour auteurs des hommes dévoués et
courageux. Ce qu'il redoute, c'est que les luthériens ne lui donnent
\inti portée exagérée ; ce (ju'il prévoit , c'est l'introduction de nou-
veautés dans la liturgie et dans la hiérarchie. Les cris : la conclu-
sion! à l'ordre! se croisent de toutes parts et empêchent l'orateur
de poursuivre.
La liste des orateurs inscrits était bien loin d'être épuisée; mais
la fatigue et le dégoût étaient au comble. « Le président proposa
de continuer les débals le lendemain, ce qui fut accepté. Mais lors-
que l'on comprit qu'il s'agissait pendant toute une journée des dis-
cours aussi soporifiques, on recourut à un second vote, et la clôture
fut prononcée. »
La proposition mise aux voix fut adoptée à l'unanimité des
membres, moins huit.
Rédigée comme elle l'était, la proposition ne devait trouver au-
cune opposition. Aucun membre ne pouvait refuser son approba-
tion à celte rédaction : Xadmeli la confes&ion d'Jugsbourg, tout en
faisant mes réserves pour mes opinions qui lui sont opposées.
Nous avons déjà fait voir comment celle unilé du protestantisme
n'est qu'un leurre pour en imposer aux gens crédules. Les mem-
bres du synode en sont tellement convaincus, que dans une des
séances subséquentes, ils ont dû aviser pour mettre un terme à l'es,
prit de secte et de si^paraii'ion ( sektirerci und separatismus). Les
unionistes, qui avaient déjà fait entre eux une espèce de confédé-
ration, ne s'y rallieront jamais. Puis l'histoire nous prouve l'inuti-
lité de toutelentative de fusion. Guillaume III, roi de Prusse, avait
déjà conçu le projet de réunir sous une seule bannière les diverses
branches du protestantisme. Le synode tenu en 1817 à Munster, -^î^^
voulant faire disparaître toutes les dénominations particulières , ^t.^^;^
donna à toutes les sectes indistinctement le nom û'évangélistes. tj^^J/
192 ÉTI'DI! ilEI.IGIErS(:S
L'nnili^ si ardemment désiri'C y fut |>roclaméu à pou près dawlM
m«^nirs termes et avor les niôiiu^s n'-si-rves qu'A la drrnii're fftssfon
ilo HtTlin. Kri IS'»»), une nouvrlle réntiion fut jugée indispensable
|>oiir mettre un terme auv dissensions intestines des évan<;4^>liques.
On voit quel a été le rt^sultat de ces elForls, puis(|u'en 18^j;J on est
forcé d'en venir A un nouveau mode d'unité. Il ne peut en être au-
trement , dés qu'on ne reconnaît pas d'autorité conimunc (jui dé-
cide en dernier ressort sur les vérités do^'maliques. Aussi longtemps
que le protestantisme n'abjurera pas le princifte de l'examen privé,
il doit y avoir autant d'opinions (pn; de lecteurs (Je la Hilde.
Néamoins, mal^'ré son inconséquence, la pro|H)sition adoptée par
le sjnode de Dcrlin ne laisse pas d'avoir une signification inquié-
tante. La proclamation de cette unité , (ont illusoire tprdleest,
peut avoir momentanément sur la situation des catholiques alle-
mands des résultats fAcbeux. Non-seulement elle prouve que les
protestants ont conscience du dan^'cr qui les menace, mais elle va
ranimer les vieilles haines et faire mettre plus d'ensend)le dans
l'exécution des mesures arrêtées contre le catholicisme. Les pou-
vernemenls de rAllema<;ne, déjà si mal disposés A l'éj^ar»! de nos
coreligionnaires catlioli(jues d'Outre-llhin , trouveront peut-être
dans le vote de Kerlin l'autorisation et la disculpation de leurs per-
sécutions. Les alTaires de Friliourg et de Linihourg ne sont-elles
pas le premier fruit de cette animosité réveillée contre les catholi-
ques?
Mais ne craignojis pas l'avenir. Dieu, dont la sollicitude pour l'É-
glise d'Allemagne est si évidente, n'abandonnera pas nos frères
dans ce moment de crise.
Il y a plus ; il ne faut pas être doué d'tine forte dose de perspica-
cité ])our prévoir (jue les moyens employés contre les catholiques
seront paraivsés , et que les armes destinées à notre jierte seront
dirigées contre les piolestants eux-mêmes. Kn effet, cette versatilité
de nos adversaires doit les discréditer aux yeux des moins clair-
voyants. Après avoir parcouru le cercle de toutes les erreurs, les
voilà forcés de revenir à leur point «le départ ! .\prés avoir auda-
clcuscmcnt nié toutes les vérités chrétieimes, ils reculent devant
l'abfme que Ifurs mains ont creusé 1 Las dti doute et <le la négation,
ne saioissant pluscpu* les oml)res du vide, il faut (|u'ils rétrogradent
de trois siècles pour retrouver quelque chose de positif! Oui, c'est
se flétrir, c'est étaler aux veux des populations ses plaies honteu-
ses q\ic de proclamer si hautement l'absence d'union entre les dif-
Sl!U I.AI.LEMAOE. 193
férentes branches du la rainiile protestante. Et puis, il n^est pas si
facile (l'arrôlcr le cours des idées ; on ne peut A sa guise modifier
l'opinion ptiblique. Ce n'est pas parce qu'il a plu à quelques doc-
teurs elûquel(|ues laïques de souscrire à la confession d'Augsbourg,
que l(*s proleslartts s'y soumellronl do gaîlé de cœur. Ces dogmes
et ces instilutions, qu'ils sont habitués depuis si longtemps à voir
bafouer, ne pourront soudainement devenir l'objet de leur véné-
ration. Le résultat infaillible de celle contradiction sera le discré-
dit de l'autorité religieuse.
Ajoutons que les protestants sincères sont en droit de dire à ceux
qui s'imposent comme docteurs : « Pourquoi tant de soucis? Qui
vous a autorisés à modiûer notre foi? Nous ne vous reconnaissons
nullement le droit de vous mettre au-dessus de la Bible. Luther et
Mélanchton ont pu exprimer leurs croyances dans la confession
d'Augsbourg ; mais leur formulaire ne peut être pour nous un code
de foi. Habitués à ne consulter que notre propre raison , nous ne
pouvons accepter vos décisions sans abdiquer les principes du pro-
testantisme. La Bible 1 la Bible 1 est notre unique règle de foi. Ou
les articles de la Confession d'Augsbourg se trouvent dans l'Écri-
ture Sainte, ou ils ne s'y trouvent pas. Dans la première hypothèse,
votre réunion de Berlin était superflue ; dans la seconde, nous ne
pouvons y souscrire qu'en nous suicidant. Du reste, c'est à nous de
juger ce qui est contenu ou non dans la Bible. »
Et ce raisonnement, si simple et si naturel, nous déOons les pro-
testants de le réfuter.
Enfin , ce qui nous inspire la plus ferme confiance , ce qui nous
permet de croire au triomphe complet du catholicisme allemand ,
c'est la science dont nos frères d'Outre-Rhiu sont aujourd'hui les
coryphées ; c'est Pardeur , le zèle , le dévouement qu'ils déploient
dans la lutte; c'est l'unité et l'ensemble qu'ils mettent dans la tac-
tique ; c'est la constance et la persévérance qui distinguent leurs
efforts. Confiants avant tout dans le secours divin, et puis dans leur
force numérique et morale, ils s'avancent courageusement dans
l'arène de la publicité où ils manient avec la même habileté la
plume et la parole.
La septième session de Y Association de Pie IX, qui a été tenue
dernièrement à Vienne, prouve ce qu'on peut attendre de ces vi-
goureux athlètes.
iiisToiUE m (:\.\To\ m: v\id(i
PAIi VKRbl.lI..
Les souscriptions pour la seconde édition de Vl/isluire du canton
de f aud, par M. le docteur ^'e^deil , ont ntleinl un chilTn! élevé.
Cet ouvrage mérito à plus d'un titre la faveur dont il jouit parmi lea
compatriotes de l'auteur. Les \ audois lui doiM'ul la (oiiiiaissanco
de certains faits oubliés à dosein : les usurpations polilitiues et re-
ligieuses ne se maintienni'nt qu'en effaçant le souvenir de leurs
propres violences et celui des bienfaits du svsléme ({u'elles ren-
verseul. I/i^'uorance conservée ofliciellcment sur riiistoire de la
Iléformalion aurait déjà pu être dissipée par l'ouvrage de M. de
Ualler ; mais les protestants étaient eu garde contre un livre écrit
par un callioliiiuc , par un nouveau ('alli()li({ue mOnie. Due à la
plume d'un de leurs coreligionnaires, VJJiitoirc du canton de l aud
n'a pas éveillé leurs deliances, et ils ont pu y apprendre, ce dont
quelques-uns d'j'ulrc eu\ semblent parfui> douter, qu'ils n'ont pas
été Suisses et calvinistes de unisfancc. In protestant écrivait l'autre
jour de (jeuève : « Nous sommes ici dominés par un las de men-
» dianls callioli(|ues. >- Il _v a trois siècles, tout ce que la vieille ville
épiscopale et libre comptait de noble, de liebe, de vénérable, d'an-
tique , se voit aussi dominé par des mendiants , par des réfugiés
dont lu elief était un diacre >candaleux «basse «le Novon, de Senlis,
qui avait nom (',bau\in ou (Calvin, et «pii «li'vint le Svlla de cette
Home protestante. Car ces mendiants, aidés par l'or d'Llisabelli ,
appuyés par les révoltés de France et d'Allemagne , soutenus par
les nioUMiuet'^ «1rs Suisses, de mendiants d(>vinrent ricbes à force
(1) Non» rs|UTiMis ipir I (iistuirc lic <n'iir\r ;iiira un j>>ur .snii crriMiiii un
ptrtial. (G. M. >
IIISTOIRR IH' «'AiM'O.^ 1)IL VAI'I) 105
de piller églises, couvents , de vagabonds se firent citoyens cl ma-
gistrats, on chassant les ai\cicnn(;s aulorilrs; do minorité se firent
majorité, gr.'U-cs à l'échafaud et anx proscriptions. Les mendiants
catholiques n'ont rien, eux, rien qu'une croix ; mais cette croix,
elle a dominé les panthéons, les hasiliquos, les Capitoles, les coly-
séos du nio'iflc païen ; ponr(inoi n'apparailrait-clle pas à Genève,
d'où la chassèrent les novateurs, qui condamnaient partout leurs
temples A se roconnaitre à l'absence du signe du salut?
M. A'erdeil n'a rien dissimulé des atrocités, des injustices, des
spoliations, des perfidies qui accompagnèrent les Bernois dans la
conquête du pays de Vaud. Il a dit les violences qui |)résidèrent à
rétablissement du protestantisme, et l'oppression qui suivit cette
époque de la réformalion , appelée cependant par les Vaudois :
glorieuse et bienfaisante. Glorieuse ! et pour qui donc? les crimes des
Bernois, leur facile triomphe sur un pays sans défense, furent-ils
de la gloire? la soumission presque sans lutte, sauf quelques excep-
tions, d(!s populations vaudoises qui protestaient pourtant de leur
attachement à la vieille foi, par des réserves, au cas que Vancienne
créance s'en rainst au pays, cette soumission qui les livra comme
des troupeaux , pour être marqués du sceau bernois et calviniste,
fut-elle de la gloire? y en avait-il à perdre les droits, les franchi-
ses, la nationalité, à descendre comme Lausanne, du rang de cité
impériale, à celui de chef-lieu d'un baillage bernois?
M. Verdeil a recherché avec un soin et une persistance louables
"de vieilles chroniques du temps qui lui ont fourni des détails pré-
cieux par leur originalité, leur authenticité. La vérité s'est fait jour
comme ces plantes vivaces qu'une semence inaperçue fait germer
au milieu des ruines et qui percent au travers des fissures des pier-
res massives. La main de la Providence soustrait le palais de Ni-
Dive aux dévastations des siècles, et les découvre quand l'heure
est venue de réfuter les détracteurs de la Bible ; c'est la même
main qui enfouit dans un coin de la Maison de V'ille, au fond d'un
bahut de quelque grenier communal, des documents qui, re-
trouvés plus tôt, eussent été détruits par la haine de parti, qui
l'emportait alors sur l'amour de l'histoire. Les archives de la vé-
rité sont impérissables.
Mais, entre l'historien érudit, entre le chercheur, le compulseur
patient de vieux manuscrits, entre l'ennemi de Berne, il y a un
M. Verdeil, le prolestant d'habitude, le libéral avancé. Celte dua-
lité produit des oppositions flagrantes, des inconséquences étranges
196 IIISTUlRi: ou CAMTO.M UE VAID.
entre le savant consciencieux (|iii rap(M)r(e les faits et le philusiopbe
moderne ((ui les commente «'t les apprécie Si l'on igrtorail que les
esprits les plus éclairés se laissent défurnier au suuflle de la préven-
tion, conmionl expliquerait-on, par exemple, la contradiction évi-
dente qui ressort des deux passages suivants.
A la tin du l***^ vuluun;, M. Nitidcil disait : « Le bourgeois de
» Herne leva ses vasseaux , l'évéijue Sébastien de Moulfaiiton fut
1) chassé de ses £]tats, la bourgeoisie de Lausanne futasser\ie, les
i> ricliesses de Tï-Iglisc accumulées depuis des siècles dans la calbé-
h draledeJcan de (lossonaz et dans le monastère de la reine Berlhe,
j) formèrent ce trésor que le bourgeois de Berne augmenta aux dé-
V pens du pays conquis. Mais â son tour une république puissante.
» foulant le faible sous ses pieds, \oulut s'emparer de ce trésor.
» Elle entra dans le pays de \ aud, appelée aus^i, disait-elle, par la
» liberté opprimée : elle renversa la puissance du bourgeois de
u Berne, qui, dans son orgueil, croyait que trois siècles d'usurpa-
u tion constituaient le droit divin. »
Dans le second volume, page 183, nous lisons cotte étrange
phrase : <> Henri IV abjura, et celte mesure déplorable retarda de
» deux siècles l'avènemenl de la lilierté en France, u
Quoi! ce protestantisme, qui de ce côté du Jura amène avec soi
les violences, les rapines, les injustices et roppres.sion, ce protes-
tantisme aurait, en montant au trùne, donne le bonheur à la France!
Quoi ! ce fut une mesure déplorable, celle qui, approuvée par les
sages létes du parti prolestant ^nous ne parlons |)as ici d'.Vgrippa
d'.Vubigné), pacilia le royaume en sati^^ais,■^nl aux justes exigerj-
ces du parti catholique, du parti national, après tout; car les hu-
guenots , partout et toujours agresseurs , blessaient les sympathies
populaires. (Juui ! ce fut une nu>>ure (lé|)lorable, celle ipii \int
soustraire le royaume ùl des scènes pareilles ù celles dont la Navarre
avait été le thédtre , sous les auspices et par les ordres de Jeanne
d'Albrel, la reine protestante! -Ui ! s'il y eut ipnlque chose a dé-
plorer, ce fut le retard d'une mesure qui rendait a l'I'^glise un des-
cendant de saint Louis que deux fois l'insouciance et une faus&o
politique avait éloigné de la foi do ses pères.
Si ces deux lignes renferment une appréciation (juelque peii lé-
gère do l'abjuration de Henri 1\ , elles contiennent un aveu dont
nous prenons acte. Quand lus écrivains catholiques reprochent d la
réforme d'avoir préparé la révolution, les prolcstanls re[)ous.>»<'nl
cette solidarité avec indignation. Mais voici qu'en deux mots M.^ er-
iiisnuiii-; 1)1 CANTON dk t.vld. 11)7
ilcil lullache les colloques des calvinistes aux clubs des jacobins.
« L'abjuralioii dUenri IV ret-iida de deux siècles ravéneraent de la
libellé. .. (Jue sijriiilie cet aveu d'enfanl leiiible? « Laissez domi-
» ner le proleslantismo , laissez-lui faire son a>uvre, afin que deux
» siècles plus lui le Irône s'écroule , la noblesse soit détruite , la vie
» et les propriélés de tous soient allatiuées ; laissez dominer le pro-
»> lestanlisme, pour que deux siècles plus tôt le sang coule à lor-
» renls, les éfrjises et les sépultures soient profanées, et qu'on fasse
» l'aumône à l'Être Suprême de je ne sais quelle reconnaissance of-
>) ûcielle, tandis que partout le bonnet phrygien remplace la croix ;
» laissez dominer le protestantisme, afin qie renouvellant l'hérésie
» albigeoise, sous prélexte de l'indignilé J'un prince ou d'un prê-
» trc , la royauté et le clergé soient abolisl; laissez-le dominer, afin
» qu'anéantissant toute hiérarchie, il fasst disparaître l'obéissance
» aux supérieurs et le respect pour l'autor^'lé, même celle du père
» de famille; laissez-le dominer, afln quel deux siècles plus tôt les
» calculs de l'intérêt remplacent les aspirations de la foi , pour que
» la prudence de l'égoïsme remplace les ebns de la charité , et que
» toutes les espérances de l'homme se résMment par une fm de mois
.) satisfaisante ; laissez venir plutôt la liberté, que le protestantisme
» devait faire éclore ; laissez venir 93 et iV Terreur ! »
Qu'il nous soit permis d'emprunter aux lettres de Fénélon, pu-
bliées par l\J,ni de la lieligion, quelques ci'-.tions qu'il sera curieux
de rapproche- de ce p^.age de il. verdeil. Le pieux archevêque
redout- 1 avenir, l'historien déplore le passé : pronostics et regrets
se rencontrent, en partant certes de deux points bien opposés.
« La France est pleine de protestants mal convertis, écrit en 1710
» Fénélon au cardinal Alaraanni , qui se joindraient aux jansénis-
>' les... Si la maison de France était abattue, il n'y aurait plus que
» la maison d'Autriche qui pût soutenir la catholicité... Nos peu-
» pies sont dans le plus grand péril de séduction, car on paie les
» pauvres familles qui vont au prêche des protestants, et on lient
» aux riches les discours les plus pernicieux... On éteint la véné-
» ration et la conGance dans le cœur du peuple ; la critique devient
» plus hardie de jour en jour. Un terrain qu'on sape ne paraît
» ébranlé que lorsqu'il tombe tout à coup... Je ne me mêle point
» de politique, mais je suis effrayé de tout ce que le parti protes-
» tant peut faire en peu d'années dans l'Empire et dans toute l'Eu-
"^**P^-'^ (Mn^^deRoMONT.)
SIÉLA\(;ES et NOIVELLES.
ll«»llMntle. — l*arini le$ évéïicniciits qui onl pu avant la lin de
l'aniiL-c 18o3 , consoler le «œur du Souverain-l'onlife , il en csl un
dont la dernière allocution poiiliiicale n\i pas àù faire nienlion ,
mais qui lieiidra une ;,'rand<> place dans les annales religieuses , et
qui sera Tune d(;s j;loires de Pie I\ : nous \oulonsdire la restau-
ration areoniplie et reconnue ofticiellcmcnl de la hi^'rarchie ecclé-
siasli(|ue en Hollande.
Les journaux onl récemment annoncé cpie le minisire de l'inté-
rieur à la Haie venait de signer un arrêté portant que, « en vertu
de ce rélablissemenl de la liir'rarchie , les archevêques et évéqiies
catholiques sont seuls autorisés A délivrer aux étudiants en théolo-
gie les cerliticats ayant pour objet de les exempter de la milice et
de la ;;ar(ltî civicpie. I/arrélé, ajou(e-l-on, donne les noms patro-
nymiques des prélats, suivis de leur litre. ^yémi de In Religion.)
France. — Orléans. — On lisait naguère dans le journal de
Bcangency : « Kncorc une conquête à enregistrer dans les fastes du
» catholicisme. Dans la chapelle des Dames Ursulmes de Bcau-
» gency, a eu lieu l'abjuralion cl le liaptéme d'une dame proles-
» tante, couronnée le lendemain par sa première communion. .Ma-
» dame de ***, appartenant à une des familles les jilus lionorahlo
» de fionèNe, av;iil soupronné, pcnd.inl un séjour «le vingt ans à
» Paris, que la religion réformée ne contenait pas la vérité tout en-
» tiére. La Providence lui fit rencontrer un homme de Dieu aussi
» fervent qu'éclairé, qui devait la lui communicpier dafis toute sa
n plénitude. Après des études approfondies p«'ndant plus d'une au-
» née, elle entrait, il y a un niois, ;^ la «ommunauté des Irsulincs,
» et demandail à la sainte solitude le calme nécessaire aux grandes
» choses que sa conscience ne lui permettait pas de diiïérer.
Miîr.A?((;i;s et ^(orvEi.LES. 199
» M. raumôniei' et M. le suptiiietir, dans des allocutions vivement
» senties et exprimées, firent partager leur juste émotion à leur au-
» ditoire, et surtout à la pieuse catéchumène, qui ne cessa de ré-
» pamlri' des larmes. »
Beljsi(|iic. — On lit dans la licvue catholique de Louvain :
« L'Université catholique , inaugurée à Malines le k novembre
183i, installée à Louvain le l'*^ décembre 183o, est entrée dans la
20*' année de sa carrière. Vj^nnuaire qu'elle publie depuis 18 ans,
renferme les preuves authentiques et incontestables de sa prospé-
rité, de son influence, de ses services, des succès que ses élèves ob-
tiennent devant les jurys d'examen. Depuis sa fondation jusqu'au
commencement de décembre 1853, elle a vu ses cours fréquentés
par 10,496 élèves, et ce chiffre devra être majoré de 1893, si l'on
veut y ajouter les élèves du collège de la Haute-Colline depuis 1838
jusqu'à 1850. De pareils chiff'resont une haute signiticalion pour tous
ceux qui connaissent l'histoire contemporaine et qui ont étudié de
près dans notre pays tout ce qui se rattache à la grande et impor-
tante question de l'enseignement.
Après avoirr cilé le chiffre total des inscriptions, il est intéressant
de le décomposer, alin de faire mieux apprécier quelle a élé la mar-
che des études dans chacune des facultés entre lesquelles elles se
partagent. Nous trouverons alors : 1005 théologiens, 2, 71i juristes,
1,670 étudiants en médecine , 1,476 étudiants en sciences, 3,627
étudiants en philosophie. Depuis 1836 jusqu'à la lin de la 2*^ session
du jury de 1852-53 , 3,419 élèves de l'université catholique ont
subi leurs examens, et 139 ont obtenu lajilus grande distinction.
Dans ce relevé ne sont pas comprises les prom.otions aux grades
scientihques qui ont élé faites à l'université et qui se rapportent
surtout aux études de théologie, de droit canon et de médecine.
Les inscriptions prises pendant les deux premiers mois de l'année
académique 1853-54, montent à 562; elles se sont élevées à la fin
de l'année précédente à 576. »
Genève. — M. Bungener, ministre protestant français, venu
à Genève il y a quelques années , obtint ici droit de bourgeoisie et
de plus une place de professeur. Il croit devoir payer sa reconnais-
sance en mettant au service du protestantisme son talent de con-
200 MÉLV^(;ES et ?IOltTELLba.
leur, (>t (Ml insultant, avec des formes brillantes, les convicliuns des
callioli(|ues gcuevuis el h'ur vénération pour leur clergé. C'est une
cliOMî ftrangc que crtte nianiéro d«' colli};iT des défenseurs de tou-
tes parts, de irs appeler au secuurs du laivinisine, et dr froisser
une partie d<* la pu|)ulalion. L«* protestantisme gene\ois est donc
bien en pénurie , puis(|u'il a besoin de demander à la France des
conteurs, à l'Ilalio et à la Savoie de pauvres adeptes, à l'Angleterre
des guinées ; et avec des littérateurs français, des a|K)slals italiens
el de l'argent britanni(|ue, il espère sauver la nationalité protes-
tante. (Juelle nationalité !
Nous avons entendu un spirituel inédet in prutestant de (ienéve
appeler M. Hungener un (iri<((/r»o>r,- le mol est vif ; nous croyons
(|u'il mérite mieux; c'est un fécond conteur, qui ne veut y»?,
eonime le marquis de Mascarille, mettre Ihisloire romaine en ma-
drigaux, mais (]u( met l'hisloire el la religion en romans. Il a dr;)-
matisé les volumes de fra Paolo, et nous a donné un roman sur le
Concile de Trente ; il a fail des romans sur les prédicateurs du siè-
cle de Louis \I\'et de I^ouisW, et il vient de rajeunir les thèmes
de Dumas el de N'ietor Hugo, elde les faire servir au prosélytisme
prolestant. Son dernier ouvrage* , Julim oh la fin d'un iifcle , a ob-
tenu de \' ./.*M'inl)lt'c ydtionalr un arli<li' que nous regrettons do ne
pas reproduire en entier. « L'histoire, dit-elle, court grand péril à
» être ainsi maniée. Hahaissée de la sorte jus<]u',^ l'anecdote, l'Iiis-
» toire se trouve aisément avilie jus(|u*au pamphlet. » Le libre exa-
men protestant prend ses ébats dans les études historicpies comme
dans la théologie; il se réserve des droits d'invention comme M. Hun-
gener, de citations fausses comme M. Weiss ; c'est là l'histoire ella
littérature pour les salons; il a aussi .ses calomnies |>our le lecteur
des rues , alors il produit les Jésuilei^ de Brilci/. De ce pamphlet au ro-
man de .M. Bungener, il n'y a que la dilTérefice du talent de ro-
mancier el d'écrivain; c'est toujours un «-alomnieux récit destiné
à servir de ptllure aux haines lettrées ou ignorantes contre le catho-
licisme. Sans doute il y a une distance énorme d'un écrivain ha-
bile et spirituel, d'un style plein de, verve, d'unt' .série de .scènes
émouvantes, aux lourdes narrations, au frantjais de frontière qui
nous ont révélé l'cr-noricr ;mais l'attaque ne perd passa déloyauté,
(pielle »pie soit la valeur littéraire du récit. L'Jtscmblce Nationale
termine l'article par ces remarcpies pleines de sens :
« Mais ces ronvirtions, <|ue nous ne partageons pas. <i non* \on-
MKLANOES ET NOUVELLES. 201
lions les comhaltrc, ce ne sérail point à l'aide do la fiction qui est ar-
bitraire et, |);ir consi'qiienl, ne prouve pas. M. Hiinj^ener imagine
deux pri^tres , doiil riin ne respire (|u î scepticisme et l'autre que
luxure. Oui nous empocherait d'imaginer deux ministres proles-
tants plus misérables, ou plus scélérats (jue ces deux prêtres? Notre
réponse vaudrait l'attaque de M. liungener, c'est-à-dire qu'elle ne
vaudrait rien du tout.
» Nous préférons, en terminant, dire à M. Bungener : Vous re-
prene/ inulilenient un thème usé, le thème de Voltaire, le thème
de Courier, des faux libéraux, des poètes déchus, des polygraphes
immondes. Regardez autour de vous : on compte en France envi-
ron cent mille prêtres. L'opinion est ombrageuse à leur endroit;
elle les surveille scrupuleusement ; tous les yeux sont ouverts sur
leurs moindres actions. Où sont les crimes ? Où sont les scandales?
Où sont les fautes? Ces cent mille prêtres ne portent-ils pas avec
allégresse ce double joug et ce célibat qui vous indigne ? Oui, ils le
portent avec allégresse, parce que c'est le joug dontJésus-Christ a
dit : « Voyez, que mon joug est léger.» Il y a plus : ce joug qui à
vos yeux les déshonore, pour nous, fait leur dignité, et là où vous
trouvez la cause de leur prétendue faiblesse, nous plaçons, nous,
l'inébranlable fondement de leur puissance.
» Comment , je vous prie , un prêtre nous imposerait-il , à nous ,
catholiques, s'il nous parlait au nom d'une autorité qui le domine?
Vous nous parlez en votre propre et privé nom? Soit. — Vous pou-
vez être un homme de sens et nous sommes touchés de vos conseils.
Mais de là à nous imposer, il y a loin. Car, en définitive, notre rai-
son est égale à la vôtre. Dès lors, chacun ne relevant que de soi-
même, la fraternelle unité du dogme est rompue, l'Eglise renversée
et toute religion réduite à un déisme inconsistant.
» Il y a dautre part, chez le prêtre, une force qui nous subjugue,
autant et plus peut-être que l'autorité de sa parole; c'est la force
de son exemple. Supposez que le prêtre ne garde pas le célibat ;
il sera donc marié et jouira, sinon des délices de la vie, au moins
d'une honorable aisance et des pénétrantes douceurs que procurent
unefemme, des enfants, un ménage. Mai alors de quel droit m'or-
donnera-t il la résignation, à moi qui n'auraitni pain, ni asile, ni sup-
port? Nesera-t-ilpaslropfixéàlaterre pour me parler efficacement
du ciel, et quand je l'appellerai mon père, pourra-t-il, du fond de
ses entrailles, m'appeler son fils ? Non , il nous faut, à nous, catho-
liques, desVincent de Paul qui soient chastes, pauvres, détachés, qui
«202 ItLA.^UES ET NOUVELLES.
protiqnPiU les auslérilés qiril> nous prùclu'i.l , el qui , non coDlcnls
d'endurer leurs propres niau\, dimiuueiil Nuloulier- nu> souffrances
en les parla-eanl, ou prenncnlnoscbaines, pour nous en dccbargcr.
» Or, entre do U-ls prèlres el l'abbe Julien , que M. Bungener
veuille bien y reUocbir, il y a un abime. L'abbe Julien n'esl, lout
au plus, qu'une copie du Vicaire Savoyard.»
Après ces admirables paroles de VM»embtée vnlionalt, il nous
reste à formuler un re-rrt. Si M. Rnn^enor, au lieu de n'ainbil.on-
ncr que l'auditoire restreint de .lueLpies protestants. enq)loyait ses
loisirs à une œuvre d'où la haine et les préjugés reli^ie.ix sotent
absents, il parviendrait à ronquérir une renommée littéraire; mais
son désir de servir le petit oaUini^me genevois le condamne aux
médiocres succès d'une célébrité de coterie
— .///i/iVc de Chnrans. L'agitation proleslanlc porte ses fruits.
\pre> l'organisation de plusieurs sociétés de prosélytisme , de clubs
religieux |)our les boinnus el les femmes au Casino, de conférences
san.r nombre ; après le colportage des pampblels calomnieux el les
distributions d'argent j.our acheter les pauvres el le> ;\mes vénales,
1 ri.ioM protestante vient do tenter une aventure de propagande
dans nos campagnes. In minislie, enlouié d'une poignée d'apostats
étrangers, est allé, dans un hameau exclusivement calholique, éta-
blir un prêche, malgré les représentations de la population. Ce n'est
pas comme à Hernex, à Onex ou a V.Tnier. une réunion particu-
lière pour les proteslanls (jui habilenl ces villages, cl cpie les ca-
Iholi.piesn'onl jamais troublée; c'est une lenlalive du prosélytisme
le plus indiscret elle moins molivé. Le mini>lre, .s'abritant sans
.ourage derrière une légalité spécicu>e, de.vail bien prévoir qu une
H-\W provocation jetée i^ une population religieuse et paisible, sou-
lèverait des représailles de la part .Ihommos de foi el de cœur. >os
.amna-nards ne veulent point «luon les croie capables de devenir
.l.-^ transfuges ou d'être achetés parla caisse des Int^rcU protestante.
Us ont protesté contre cet envahissement; la presse gencv^oisc le.
accuse dévoie de fait, do violation de domicile; nous blAmo.»
loulc illégalité el toute violence; mais nous croyons que le pi.»
.-oupable est celui qui vient jeter un f.Tmenl de discorde dan^
„n pays «lui ne l'a point appelé et s'imposer ^ un village catholique
au mépris des traités. - tjuel.|ues paysans sont en pn>on ; h-
habitants des campagnes raniment leur foi el leur zèle a la vue d.s
.nœuvres de l'héiésie , cl on nous assure que deux apostats d un
mai
MÉLANCKS El >OUVELLES. 203
village voisin sont revenus à résipiscence depuis cette équipée. Cer-
tes, ce n'est pas en voyant un niinislrc arriver en voiture, appuyé
•par des compagnies do soldais et une et-couade de gendarmes ,
fort peu glorieux d'ailleurs de cette corvée évangélique, que nos
bonnes [)Oj)ulilions reconnailront un apôtre; elles savent que
c'est rbabitude de Terreur de recourir au [)Ouvoir civil ; que Viret
et Farelont eu à leur service les baïonnettes de Berne pour implan-
ter le culte du libre examen,, et elles sont décidées à ne pas faiblir
devant l'audace actuelle du protestantisme, qui non content dépos-
séder presque tous les temples de la ville, veut en couvrir notre
pays. Nous espérons encore que le gouvernement actuel saura res-
ter impartial et juste, et que nous ne reviendrons pas au temps où
la Vénérable Compagnie et l'Union protestante gouvernaient le
Conseil d'État et le tenaient en laisse. Qu'il sacbe bien, malgré l'al-
légresse du Journal de Genève et de la Démocratie calviniste, que la
distribution des cartouches à balles a produit fort mauvais effet.
Les miliciens en étaient tristes et honteux, et ils ne se sont point
gênés pour témoigner de leur mécontentemeut , soit à la caserne,
soit pendant celle ridicule expédition. Celte campagne ne sera pas
féconde en heureux résultats pour le protestantisme. Le sera-t-elle
pour le gouvernement?
— Nous avons reçu du savant Évêque de Bruges, de l'auteur
de l'admirable livre sur la lecture de l'Écriture Sainte, une lettre
que nous sommes heureux de publier.
Bruges, 12 décembre 18o3.
Monsieur l'Abbé ,
Les .annales Catholiques de Genève me sont connues très-avanta-
geusement par les extraits que j'en ai rencontrés dans les journaux
religieux et par les livraisons que vous m'avez envoyées.
Je suis intimement convaincu de la nécessité de défendre aujour-
d'hui la foi et les droits de l'Église non-seulement de vive voix,
mais aussi par la plume. La révolution française a malheureuse-
ment interrompu la chaîne des écrivains chrétiens et des apologis-
tes de la foi, qui se rattache au berceau de l'Église. Les temps plus
calmes où nous vivons doivent voir surgir de nouveau au sein de
l'Église une nombreuse série de défenseurs armés de toutes pièces
et faisant de toutes parts face à l'ennemi pour rendre comnte de
l'espérance qui est en nous, et pour humilier les esprils orgueilleux
qui s'élèvent contre la science de Dieu.
204 lÉLANGES ET NOUYELLCS.
I/ïl^lisc a en ce moment trois ennemis principaux à combattre :
le pn>ti'>tantisnie, comme ;^ ^lenévc; la polilirjiie paiVnne qui fnil
de IKlal une divinilé, «oniim' dans le pa\s dr Hadcn ; el rincrèdii-
lilé sous la forme de TindifTérence des eulles, parlout.
Dans les ./«/ui/cs ('(itholii/urs de Génère , \ous prenez à partie le
premier de ces adversaires, et vous le mener rudement, (l'est là une
œuvre qui mérite la sympalliie de tous les raihuliques; rar quoi-
que le proleslanlisme tombe en lambeaux, le principe destructeur
qui aniu)(î ce corps monstrueux peut encore, avant de sV'leindre,
exercer des ravaj^es et amonceler des ruines. .\u moment de se pré-
cipiter dans l'incrédulité et de s'en^doutir dans la négation absolue,
les siîctes protestantes s'a^'itent et se débattent, c<»mme »m mori-
bond dans les convulsions de l'agonie. Il laut que les défenseurs de
la loi arrêtent , pulvérisent ces efforts désespérés , et couvrent de
leur égide le peuple de Dieu que les faux docteurs menacent. C'est
surtout à tienéve que cette lutte est nécessaire, pane que l'agita-
tion fébrile des sociétés protestantes, en qui se résume anjourd'bui
toute la vie du protestantisme, se fait surtout sentir dans celte an-
cienne Kome protestante , devenue depuis longtemps la Rabylone
des sectes. L'opportunité de temps et de lieu ajoute donc un nou-
veau mérite à vos travaux.
Y.n Belgique la lutte est placée sur un autre terrain. Ici nous
rombaltous pour conserver à l'Kglise sa liberté d'action dans les
choses spirituelles, et son action morale sur le peuple. Les adver-
saires des (•alboli(|ues sont plongés parmi notis dans une ignorance
si profonde de la foi, (pi'il leur serait impossible de soulever une
discussion dogmatique sans se rendre souvnrainement ridicules.
Les ( oiitrovei ses que vous soutene/ avec un savoir et un talent re-
marquables n'ont donc poifil en Helgiijue l'intérêt d'actualité qu'el-
les ont sans aucun doute en Suisse cl en France. Cependant je re-
eonimanderai votre recueil aux ecclésiastiques de mon dicnése qui
font vuM! élude spéciale de la controverse.
Recevez l'expression des veux que je forme pour lo .succès de
votre entreprise, cl l'assurance de mon affectueux dévouement.
Signé : 7 J. B., ùvéque de Bruges.
LES MORMONS.
On a remarque soiivenl, et avec beaucoup de raison, que les
annales de toutes les hérésies, quelques différences qu'elles pré-
sentent d'ailleurs aux yeuK du lecteur vulgaire , ont cependant
entre elles une uniformité d'apparences et de caractères qui
frappe nécessairement l'observateur plus profond et plus atten-
tif; mais s'il est vrai qu'il y a beaucoup de ressemblances, il est
vrai aussi qu'il y a des différences notables entre les histoires de
chacun de ces mouvements religieux , qui ont successivement
ébréché l'unité de l'Église, éloigné les hommes de ses doctrines,
et soustrait les peuples à son obéissance. Lliérésie consiste
moins dans la négation, que dans la mutilation ou l'exagération
de l'une ou de l'autre des vérités révélées. La plupart de ceux
qui, de temps à autre, ont donné leur nom à des corporations
religieuses, condamnées par l'Eglise, n'ont pas agi avec le des-
sein prémédité de rejeter un article de foi universellement ad-
mis; mais un zèle ardent et jaloux, pour la défense de tel ou tel
dogme particulier, les a poussés à négliger ou à contester d'au-
tres vérités, tout aussi nécessaires que la première dans l'admi-
rable économie de la foi. L'esprit humain est malheureusement
trop enclin à se flatter d'une apparence de soumission à l'auto-
rité, alors qu'il ne fait que suivre les fantaisies et les caprices
de sa volonté propre. Fallit vitium, specie virtutts et timbra.
Nous croyons qu'une analyse exacte de chacune des hérésies
qui se sont produites dans le sein de lEglise, prouverait à l'évi-
dence ce que nous venons d'avancer. Par exemple, l'Arianisme
était-il autre chose que l'exagération de la doctrine de l'Église
13
2()G LES MORMU.^S.
sur l:i vérilahle liiimaniié (ie nuire Seigneur, au détriment de ce
quVIlo nous cnseij^'nc sur sa divinité? Kl le Ncsioriiinismc n'é-
lait-il pas une exagcralion du dof;me de la divinité réelle du Sau-
veur, enseigné par des hommes qui oubliaient que Jésus est
aussi « véritablement homme de la substance de sa mère. • Ce que
nous disons avec raison de («s \i('illes hérésies, nous pouvons le
dire aussi, mutatis n\utandis, ilo celles des temps modernes. Le
Luthéranisme et le Calvinisme , le \N Csleyanisme el le Mormo-
nisme, toutes les hérésies, en un mot, prouvent la vérit»'* de no-
tre observation , ainsi que le montrerait sans peine un examen
détaillé de la question. Elles sont toutes des corruptions de vé-
rilcs, distinctes sans «loute et sé'parables peut-être par la pensée,
mais cependant intimement liées les unes aux auties. Toutes
ces hérésies, comme chacune d'elles en particulier, saisissent
une vérité, en exagèrent rimporiancc, amoindrissent d'autres vé-
rités qui les gênent, ruinent des parties également importantes
de la religion, et détruisent l'ensemble du système grandiose de
la foi catholique. Dans les pages suivantes, nous ti^cherons de
montrer jusqu'à quel point cette obserx'ation s'applique an Mor-
monisme.
Avant le XVl' siècle , le monde chrétien croyait universelle-
ment que l'Église catholique n'est pas une pure abstraction, un
fantAme sans réalité, une simple aggrégation d'individus croyant
en une doctrine commune; il était persuade que c'est un corps
vivant, rcMupli des grûces d'en haut, doué de pouvoirs spirituels,
et par la vertu de cette vie et de cette énergie célestes, unissant
les hommes dans une même fraternité, d'une manière surnatu-
relle el sacramentelle, comme étant tous rachetés par le pré-
cieux sang du Sauveur, et consacrés pour être les temples vi-
vants de son Esprit-Saint, (,'éiait là, disons-nous, la croyance
universelle el spontanée de la chrétienté avant les jours qu'on
appelle la glorieuse réforme. Et ce n'était pas là une croyance
purement spéculative : c'était la réalisation pratique de cet ar-
ticle du svmbole de la foi chrétienne : je crois m une Eglise cn-
tholxquf, la communion des Saints. Mais le temps marcha, et le
monstre à cent têtes du protestantisme apparut dans la chré-
lieuté occidentale. Il s'avança, en prenant des allures timides et
r.E5 M(>nMO>«. *i07
mystérieuses, parlant avec hésilalion cl rlouic, et semant à l'om-
bre des théories rationalistes; ses discours étaient ambigus et
pleins de défiance , et cependant il était rempli d'orgueil et de
présomption. Il siii,'f;éiail des doutes et ne les résolvait point; il
aliaipiaii l'autorité séculaire do réalités objectives, et prêchait
un système beaucoup plus subjeciurisie que celui qui avait pré-
valu jusqu'alors. Puis, pour montrer la réalité de son zèle pour
l'honneur de Dieu, il se lit un jeu de son Église, et, pour mani-
fester son caractère purement spirituel , il mit en question , et
finit même par nier l'existence de tout ce qui est spirituel et sur-
naturel.
Il mit de l'orgueil à abaisser toutes choses au niveau du na-
turel, du visible, du sensible. Elevant la chair au-dessus de Tes-
pril , et la certitude des sens au-dessus de celle de la foi , il se
servit du sarcasme pour ridiculiser cette antique croyance : que
l'Église de Dieu est" en quelque sorte un magasin de grâces et de
dons spirituels, établi par le Seigneur à l'usage des fidèles. Dans
les contrées septentrionales de l'Europe, ce système de doute,
si flatteur pour l'orgueil du cœur humain, parvint à dominer, et
dans ces pays surtout, qui par leur situation ou d'autres circon-
stances étaient moins intimement liés au Saint-Siège, il devint,
sinon la forme unique , du moins la forme principale de la foi
populaire. On y eût dit, depuis lors, que les hommes avaient ou-
blié l'existence de choses distinctes du sensible et supérieures à
la perception des sens; et c'est ainsi que le protestantisme a
frayé la route à ces nombreuses hérésies qui ont pris racine sur
son sol froid et stérile. L'ivraie empoisonnée fut portée bientôt
au-delà des mers, et se développa en Amérique avec une fatale
rapidité. Là, rien n'arrêtait l'essor de l'hérésie, à laquelle le
vieux monde opposait ses vieilles lois, son système de gouverne-
ment enraciné dans ses mœurs et ses traditions populaires, bar-
rières fortes et puissantes qui entravaient l'entier développement
de l'erreur, et contrôlaient ses tendances naturelles.
S'il en est ainsi du protestantisme , comment s'étonner de ce
que le Mormonisme, ou la religion des « Saints des derniers
jours, » soit né et se soit développé avec une telle rapidité en
Angleterre et en Amérique, pendant ces vingt-cinq dernières an-
208 I K> «lOfllKiNs.
nées.'... I*oUî» nous, nous ne pouvons que nous étonner de ce
<jue l'hérésie proleslanio ail pu exister pcndani trois siècles ,
avant l'apparition du Mornionisme dans le monde. Le Mormo-
nisux; est un téni<)ij;iiaj,'e e\j»licite contre l«; |)roiostantisni«- , (|ui
ceptinlant lui a donne naissance, et une preuve de son impuis-
sance absolue à satisfaire aux besoins moraux et spirituels du
cu'ur humain. Sans doute, le Mormonisme descend en ligne di-
recte du protestantisme ; mais aux \»ux du vulgaire, il n'a avec
lui que bien peu de traits de ressemblance. Son caractère prin-
cipal est une protestation violente contre l'idée de la cessation
de tout rapport surnaturel entre Dieu et riuimanité. Le protes-
tantisme, en effet, enseigne que Dieu a voulu que cet ordre de
choses surnaturel cessât à la mort du dernier membre surNivant
du collège apostoli(jue, pour ne jamais cire continué ou recom-
mence. Joseph Smith, l'auteur habde, quoiiiue illettré, de lu
nouvelle révélation mormonique , ne tarda pas à découvrir ce
côté faible de la doctrine protestante; , et osa concevoir, il y a
vingt-huit ans à p<'ine, l'idée de fimder une nouvelle secte reli-
gieuse, avant |>oni' fondement la crovanctî aux gr;'i< es et aux dons
surnaturels. Il avait dû voir, il est vrai, (jue la s;iinie Bible ne
parle' |ias d'une restauration future de ces communications spi-
rituelles, après dix-huit siècles d'interruption, mais, de leur
ronlinuation non-inter rompue. Quoi qu'il en soit, il vit et senlil
que si la Bible dit vrai et que Dieu n'ait pas cessi'; de veiller sur
l'humanité, les grâces spirituelles et surnaturelles, preuves de la
révélation, doivent rcellenient exister (pieUpie part, aus^i bien
au dix-neuvième siècle qu'aux premiers jours de l'Église. « Si la
révélation, se dit-il , vient de Dieu, il faut que Dieu la prouve
aujourd hui, comme anciennement. Le |)rotesiantisme a méconnu
celle grande vérité. Je me mettrai résolument à l'œuvre, je oie
créerai une forlunc et un nom, en ravivant celle doctrine oubliée
«le nos jours. Je veux fonder ime nouvelle secte et je la nomme-
rai Eglise, o (l'est ainsi (|ue dut pailcr le |ȏre du Mormonisme.
« Des hommes que le monde a honoré du nom de philosophes,
» dit lautcur d'une histoire des Mormons (1), onl travaillé à
(I) The Mormons, or. LaiUr Day SaiiUt ; a conlcmporurj- Hiktoiy. Loiuloii.
Omce of the National illustralcd Ubnry (p. 999-990^.
LES MOnM()>S. 209
» remplir le vide (juMIs senlaienl exister dans le christianisme
^ moderne. La réforme de Luther était directement opposée à
» cet esprit de mysticisme, caché dans le sein de toutes les com-
j> munions roli{j;ieuses , esprit que le grand réformateur ne put
» éioulfer et qui exerça même une large part d'influence sur ses
» propres opérations intellectuelles. La doctrine de Chillingworth,
» que la Bible, et la Bible seule, est la religion des prolestants,
» tendait à substituer à l'idolâtrie du prêtre l'idolâtrie du livre.
» Le temps des communications miraculeuses du ciel avec les
«hommes était passé à jamais. L'illustre sage de l'Amérique,
» Monsieur Emerson , sentait la pesanteur du joug protestant en
» cette matière; son enseignement, dit-il dans une de ses leçons,
» équivaut à admettre que Dieu est mort par rapport à l'huma-
» niiédes temps actuels. Or, c'est là une conclusion que rejettera
» loul homme bien pensant; le bon sens en démontre la fausseté.
» Rien d'étonnant donc qu'il se trouve quelque part dans le monde
n chrétien un Joseph Smith qui, profondément affligé d'une con-
» clusion si désolante, cherche à mettre le culte en harmonie
» avec les tendances naturelles de l'humanité et les besoins ac-
» tuels, tant de l'individu que de la société tout entière. »
Donc, de même que le protestantisme est le fruit naturel de la
rébellion du cœur humain, de la même manière le Mormonisme
est la réaction que le protestantisme appelait fatalement, dès qu'il
serait parvenu à prévaloir sans contestation sérieuse, et à se dé-
velopper sans rencontrer d'obstacles. Nous ne sommes guère
étonnés, quand on nous apprend que le Mormonisme, ou (comme
il s'appelle lui-même) l'église des Saints des derniers jours, qui,
en 1831, ne comptait que cinq fidèles, en a aujourd'hui plus de
300,000, et que dans la Grande-Bretagne, surtout dans le pays
de Galles et les districts manufacturiers , elle compte ses mem-
bres par dizaines de mille.
Maintenant, racontons brièvement à nos lecteurs la naissance
et les progrès de celte nouvelle hérésie , si étrange , qu'on peut
affirmer que jamais on n'en a vu de semblable dans la chrétienté
depuis l'apparition de Mahomet. D'après ce qu'on raconte géné-
ralement, Joseph Smith, le fondateur et le prophète du mormo-
uisiiif, ctuil un liuiniiie J'iiiic (oiulilion obiji-ure , sans iiisirui-
tiun cl d'un caraciiTt' poii uu|>uini proiioiicf. Il habitait, a\(>c ses
parents, un petit village des Étals-Unis, .leiine enc «)re , ses sen-
. linu'nt.s ri'ii^iriix avaient éi«'- fortenii-nt rxalies par d«'s prédica-
tions wcsliyennes, sans ipie crpendani * vUv exaliaiion |int pré-
venir l'indécision où le jetèrent une foule de doctrines diverses
qu'il entendait prêcher de tous côtés. Enfin, il se dit (|ue tous
CCS cultes devaient être également faux , et il conçut le projet
de créer, d son tour, une relif^ion nouvelle ( ISÎ.!"). Trois ans au-
paravant, assura-t-il, niir voix miraculeuse lui avait appris que
toutes les reli^'ions s'daient égarées sur la voi(^ de la vé'rilé , et
que la vraie doctrine lui serait révélée plus lard. Si nous en
croyons son histoire, il eut une seconde révélation dans la soirée
du 21 septembre 18*23. L'être céleste qui lui apparut se déclara
être un ange de Dieu, envoyé' pour lui ap|)rendre «pu* si'S péchés
étaient partlonnes , que raccoinplissement des promesses faites
par le Seigneur aux Juifs était |»roilie , «pie le temps était venu
où rÉvangib.' allait être pré( lie dans sa plenilude à toutes les
nations*, el «pie lui, Joseph Suiilh, eiait rinsiriimcnt «lonl la main
de Dieu se servirait pour l'accomplissement de ses mis«''ricor-
dieux desseins. Il lui fut encore révt'lé ii celle occasion que les
Indi(>ns d'Americpi»' ciaienl un reste des tribus perdues d'Israël,
«■l(pie, 1400 ans auparavant, les annales de leur race avaient
été enlevées en punition «le leurs crimes. Ces annales , écrites
sur des labicties «l'airain «m «l'or, n'éiaient pas «létruit«'s, mais
«•nt«'ire«'s siii- l«' v«'rsanl «)ccidcnlal diiiie «olline, prés du petit
village «le Manchester, entre Palmyra , comié du Maine, el Ca-
nan<ligua, comté de l'Ontario, état de New-York. (!omme saint
l*aiil, dans une autre «rirconsiance, il paraît «pie le prophèt»' des
Mormons « ne fut pas desobéissant à la >ision céleste,» el le
lendemain matin, 22 septembre 1823, il se mil à chercher les
«'xcavalions «b- la colline, l'.nlin, après beaucoup «le re«herches,
son pied frappa conire un obstaib' , il bron«lia , el il s«' trouNa
«levant l'ouviTlure d'une espèce de |>etile caverne, dont les pa-
rois étaient couvertes de larges dalles d'une pierre l«'ndre, soi-
gneusement jointes et formant une espèc»- de boile ou de coffre.
Smilh rouvrit, et il conuinplait a\ec étounement le trésor sacre.
I.ES MOK.WOX5. 21 1
lorsque soudiiin l'ange du Sei{,'neur, qui l'avait visité la veille,
se trouva devant lui. De nouveau son âme fut illuniin<';e et rem-
pli(! de riispiil-Saint; les cieux s'ouvrirent à ses regards, la
gloire (le Dieu l'entoura et se reposa sur lui. L'ange lui dit que
sur les lahlellcs qu'il avait trouvées dans le eoiïre de pierre, se
trouvait écrit le complément de l'évangile du Seigneur. Durant
les quatre années suivantes, Smith reçut, dit-on, de fréquentes
instructions orales du céleste messager, et le 22 septembre 1827
l'ange lui remit les tablettes historiques. Aussitôt aidé par la
grâce de Dieu et le secours des Urïm et des Thummin, il en com-
mença la traduction. Comme il était fort peu instruit, et surtout
mauvais calligraphe, force lui fut d'employer un écrivain pour
lui faire écrire sous dictée ce travail important. Trois indi-
vidus engagés dans cette affaire , Olivier Cowdery, David Whit-
mer et Martin Harris, attestent qu'ils ont vu les tablettes, et que
le sens des mots étrangers qui y étaient gravés , leur a été révélé
directement par Dieu; et huit autres témoins déclarent avoir vu
et touché les tablettes elles-mêmes et les caractères qui y sont
gravés (1).
Remarquons cependant que la plupart de ces huit derniers
témoins sont des gens intéressés au succès du prophète. Quatre
d'entre eux sont des alliés de D. Withmer, l'im des trois premiers
témoins; trois autres sont le père et les frères de Smith; du
dernier on ne connaît rien de précis. C'est donc sur le témoi-
gnage de ces personnes intéressées que repose tout l'échafaudage
de la religion nouvelle; la suite de ce travail montrera jusqu'à
quel point il mérite créance. Le Millenial Star, vol. III, page
148 (2), nous apprend que pendant que Smith et Cowdery, son
(1) Il résulte d'un autre passage de Thisloire de Martin Harris, racontée
par lui-même, qu"j7 n'a jamais vu ces tablettes des yeux de la chair, mais
seulement des yeux de la foi, sa vue corporelle étant alors couverte d'un
voile. H est avéré de la méiiie manière que Harris « écrivit la traduction du
livre de Mormon sous la dictée de Smith, qui ne voulait pas lui en laisser
voir Toriginal (ce que c'était que cet original, nos lecteurs le sauront bien-
tôt), et se tenait derrière un rideau, entièrement caché aux regards de sa
dupe. »
(2) Cité dans The Mormons or Lalter-Day- Saints, etc.
212 LES HORS0?«S.
associé, iravaill:iiont i\ hi tiaductiun «le It'ur livrr mysiéneux .
un mcss:i;;pr (élostr desrondit du firmanif^nl dans un niia;;»' lumi-
neux, «'i les ordonna prêlres « de j'ordic d'AaioD par l'imposi-
tion de ses mains ; mais comme les prêtres de cet ordre n'ont
pas le pouvoir de commiini<]iier à leur tour les grâces d'en haut
par l'imposition des nnius, l'an^^c leur promit qu'ils recevraient
plus tard la |)'énilude de la puissance sacerdotale. » « Le mes-
sager céleste qui nous visita alors et nous conféra le sacerdoce ,
ajoute le nairateur, déclara se nommer Jean , le même que l'E-
vanjîile appelle Jean-Ba()tiste. Il était placé, dit-il, sous les or-
dres de Pierre, de Jacques et de Jean , l'évangéliste, qui seuls
avaient le pouvoir de conférer la prêtrise de Ponlre de Melclii-
sédech , dignité qui nous serait confén'e en temps opportun
Ce fut le 15 mai 182!) <pie nous fûmes baptisés et ordonnés par
la main de l'envoyé céleste. »
La valeiu" de ce témoignage, comme l'itbseive M. Frère '\ ,
est considérablement diuiimiee par ce fait (pie les onze témoins
étaient profondément compromis dans l'imposture, dont ils at-
tendaient leur profil et leur nom. Ajoutons (pie six d'entre eux
se sont séjiarés plus tard du Mormonisme, pour devenir ses ad-
versaires les plus acharnés. De ceux qui sont restés lidèles, trois
sont déjà morts et les deux autres, Iliram et Samuel Smiili, sont
les |)ropres frères de l'imposteur.
Le livre de Mormon se vaille lui-mc^mc de contenir une ncu-
velle révélation, faite à J. Smiili par un ange de Dieu, et réclame
le titre et les privilèges de livre insjiiré, en même temps que
l'autorité (pi'oii accorde aux Saintes |^(Tilures. De plus il as-
sure , non-seulement (pie Sniilh est un prophète de Dieu, mais
encore (pie, toutes les autres religions étant fausses, il n'y a de
salut (pic dans le Moniionisiiie. (Vest là, ce nous semble, une
assertion bien hardie de la jiaii diin homme (p»i, lors(|u'on lui
demandait de conliniii i sa mission divine par des miracles, ré-
pondait toujours que les initiés seuls avaient le droit de voir des
[\A shfn( hislniii nf ihr Mniiiioitilts or l.titlnlhty- Saints >\illian ac
rount of thc rral nhgin of thc hnok o( Mormon. \\\ llic Rcv. John Frcrr.
M. A.. (.Ii«j>lainln thr I<ont Hishop of I/Omlon. M«Mrrs. IK'iO.
LES niORMOi"MS. 213
miracles tins à sa puissance. Smiili singeait, en quelque sorte,
Mahomet. Mais le lin mot de tout cela, c'est que le livre de Mor-
mon (comme le prouve à l'évidence le témoignante écrit de la
veuve de son auteur) [1] , n'a jamais été extrait de la colline,
ni communiqué à Smitli par un ange, ni écrit sur des tablettes
de cuivre ou (Tor. L'original n'c'lait autre chose (|ue le manus-
crit d'un roman, écrit par un révérend gentleman, nommé Salo-
mon Spaukiing, et contenant la narration des aventures imagi-
naires des tribus perdues d'Israël. Après la mort de M. Spaulding,
le manuscrit lesta, pendant quelque temps, entre les mains de
M. Paterson , éditeur d'un journal à Piltsburg, qui avait à son
service un nommé Sidney Rigdon , complice et instrument de
Joseph Smith. Celui-ci l'engagea à prendre connaissance du ro-
man et à le copier, car il était trop perspicace pour ne pas voir
qu'il avait trouvé un instrument tout-à-fait propre à servir son
dessein de se poser comme fondateur d'une nouvelle religion
dans le monde occidental. L'idée était heureuse, l'événement
ne le prouva que trop. L'ascendant que Smilh sut prendre , dès
le principe, sur l'esprit du vulgaire, se manifesta par ce fait,
qu'un fermier, nommé Martin Harris, lui donna d'abord ôO dol-
lars pour imprimer « sa Bible d'or, » hypotéqua ensuite sa ferme,
pour réaliser des fonds destinés à la même fin, et enfin (crainte
d'irriter la divinité), consentit à se tenir durant plusieurs se-
maines, dans une chambre isolée, seul avec Smith, pour écrire
tout ce que le prophète , caché derrière un rideau , trouverait
bon de lui dicter. La prétendue traduction , dit la Revue an-
glaise, dont Martin fut la dupe, n'était autre que le roman de
Spaulding, altéré et embelli par Smith, d'après les idées du pro-
phète et colles de son associé Cowdery (English review I\/° 28 ,
art. spiritual gifts and spiritual Delusions).
Maintenant il est temps que nous passions à un autre ordre
de choses. Jusqu'ici, nous n'avons considéré que l'histoire exté-
rieure du Mormonisme et de son livre, espèce d'évangile sur le-
quel repose toute l'imposture de l'hérésie. Constatons à présent,
{{) Ce document se trouve tout au long dans les deux histoires du Mor-
monisme déjà citées.
21 1 les noitau.is.
uu moyen des sources nuilit'nii(jiies, (|iu'l(jnes-unes des doctri-
nes-mères conlenues dans le li\ru lui-inènic. (As extraits founii-
ronl à nos lecteurs le ntoyen de se faire une idte exacte des
prétentions des Saints des derniers jours, et de leur [K)siiion
vis-à-vis (les proiestanls et de toutes les autres corporations hé-
rétiipies ou s(-liisnia(ii|ues.
Les Mormons rattachent la découverte de leur livre à certai-
nes i)r(»[)h('lies conlenues dans les Saintes ^Icrilures, et qui se
rapportent aux « Derniers jours. » De la le nom de Sainis des
derniers jours, qu'ils se sont donné. En traitant de rauthenticilé
divine du livre de Mormon, M. Orson ï*rail, l'écrivain le plus
distingué que le Murmonisnie ait produit, déclare « «pie le livre
a été ( unlirmé au vu et au su de plus de dix mille personnes,
par l;i voix du Seigneur, par le ministère des anges, par des vi-
sions célestes, et par le miracle de la communication des grâces
et des pouvoirs de l'Epril-Saint. Il s'efforce ensuite de prouver
que l'Éerilure-Sainte elle-même parle clairement d'une révéla-
tion i des derniers jours; » à cet effet il applique au \l.\* siè-
cle une séiie de textes du Vieux T<'slamenl, écrils plusieurs siè-
cles avant l'incarnation de Notre Seigneur, et qui se rapportent
soit à la fondation de l'Église catholique, au |<;rand jour de la
PeniecAte, et de cette manière ont trouvé leur accomplissement
depuis plus de dix-liuii siècles, soit à des passages de l'Apocidypse
relatifs à la lin du monde et au grand jour du jugement dernier.
Par exemple, d'apiès M. Orson Pralt, l'Église des Saints des der-
niers jours est cetic pierre , pri-diie par le proplièie D;iniel. comme
ayant été arrachée de la montagne sans la main d'aucun homme.
Cl destinée h renverser limage sur ses pieds d'airain cl d'argile,
pour devenir ensuite grande montagne , qui remplira le monde
entier (Daniel II, 4o et II, 35),
Le même proplièle, à un autre endroit, dit : ■ Le royaume et
la domination, et l'étendue du royaume de tout ce qui est au
ciel, seront donin's au peiqde saint du Très-Haut, dont le
royntimeest un royaume éternel, e; tous les rois le serN iront et lui
obéiront» (Daniel VII, 27). Voici maintenant le commentaire
Mormoniie de Pratl sur ces passages.
« Les nations de l'Europe moderne, y compris l'Angleterre et
I-ES MORMO^iS. 215
» les peuples païens du rAtnénquc, composent les jambes et les
» pieds do l'ima-o, landis (|uc les autres parties de celte image se
» rappoi-tcnl, pour la plupart, aux pays asiatiques. La position
»' {,'<''o;;raplii(pic de V■my^^c est de l'Est à l'Ouost, la tête se trouve
» ou Asie, et rexlremii('" dos pieds on Europe et en Amérique.
» Quand le royaume de Dieu s'élève, il doit s'élever quelque part
» à l'extrémité occidentale de cette grande image, car les pieds
^ Cl les extrémités du pied sont ce que la pierre, c'est-à-dire le
» royaume de Dieu, brise d'abord, pour ne briser le reste que
» plus lard. Cela nous apprend qu'il s'avance de l'ouest à l'est;
» les royaumes de ce monde ont progressé de l'est vers l'ouest :
» le royaume de Dieu prend une direction contraire. La pierre,
» selon Daniel , doit être « arracbée de la moniagne sans le se-
» cours d'aucune main : » arracbée de la moniagne, cela signifie
» sa séparation et son repos dans un endroit donné, avant qu'au-
» cune partie de l'image soit brisée. Le lieu de repos actuel de
» l'Eglise des derniers jours se trouve dans les vallées qui en-
» tourent les montagnes rocbeusos, et c'est là la position la plus
» propre et la plus conforme aux paroles de Daniel. La pierre
» doit être arrachée sans le secours d'aucune main, cela signifie
» que c'est un royaume qui ne doit pas être formé par la volonté
» des liommes , mais par la volonté de Dieu. La sagesse bumaine
» n'a pas contribué à son établissement, mais le Dieu du ciel l'é-
» lève, le soutiendra, et jamais il ne sera détruit (1). »
Un autre passage, apporté à l'appui de l'imposteur Mormonite,
est un texte (ïhaïe (XXIX, 4) : Tu seras abaissé, dit le prophète,
tu parleras de dessous la terre, et tes paroles en sortiront pour
se faire entendre. Ces paroles sont indignement appliquées
par l'écrivain Mormon à la prétendue découverte des tablettes
d'or, dans la cbambre souterraine. Jamais prophétie, dit Orson
Prait, ne reçut un plus entier accomplissement. Dans la décou-
verte du livre de Mormon, Joseph Smith sortit cette histoire sa-
crée hors de lu terre, et cette hisioire est la voix des anciens
prophètes de l'Amérique, parlant de dessous la terre. Plus loin
Isaïe dit, que le livre lui-même sera délivré à celui qui n'est pas
{i) Voir Ihe Mormons, etc., cité plus haut, p. 274.
21 G Ltn !iioRio:«.s.
instruit, ou, comme lo porie la version catliolique, le lùre sera
donné à quelqu'un qui ne connaît pas une lettre. Ct'lie propliciif
fui remplie, au dire d'Orson Prail , lorsque ran},'e du Srij^neui
mit If livre aux mains de M. Smilh ; «pioique illeltru dans louic
aiilre lanj;ne (pie sa langue maternelle, il lui fut lependanl en-
joint de lire et de traduire le livn*
« Quoi de plus étonnant et de plus merveilleux que ce fait! I^
» Si'i^MX'iir fait en soiie «prun Jeune homme i^'norant lise et tra-
n duisc un livn- , cjue toute la sagesse des plus savants et des
» mieux instruits était incapable de déchiffrer. » Un peu plus
loin , le prophète Ézéehiel est appelé à prouver la vérité du
Mormonisn)e : Et toi , fils de V homme , prends un bdton et écris
dessus : Pour Juda et pour les enfants d'Isratl, qui lui sont
unis; et prends un autre bâton et écris dessus : Pour Joseph, le
hùlon d' Ephraim, et pour toute la maison d'/srael, et jtour ceux
qui lui sont unis ; joins ces deux bâtons, de manière à n en for-
mer qu'un seul , et ils deviendront un dans ta main (Éz('chiel
XXWII, IG. 17).
D'apns le comnienlaire mornjonitpie, ces deux butons repré-
sentent l'union de {\c{\\ livics dans la main du Seigneur. De ces
deux bâtons ou rouleaux , tui livres (car ces choses sont ici sy-
nonymes, voir Jcnmie, \\\VI, 1, 2\ l'im, destiné à Juda, est
la bible (]ui est l'histoire de Juda ; l'autre, destine'' ù loseph, le
bîUon d'Éphiaim, est le livre de Mormon, qui n'est autre chose
que l'histoire de la tribu de Joseph écrite en Amérique. Nous
apprenons ainsi «pie l'union de ces deux livres ne dcNait pas se
faire accidi-iiicilenieni, mais |)ar un dessein prcnjediii' dr Dieu ;
et c'est ainsi que M. Orson Pratt observe que • les deux écrits se
» «onfondant en un seul dans la main dh/crhicl, sont une figure
■ magnifuiue «les deux «'crits i|ui se confondraient dans la main
» du Seigneur, >» c'est-à-dire la Uible et le livre de Mormon.
Ce dernier livre se trouve donc, d'après les Saints des derniers
jours, dans le même rap|)ort vis-à-vis dis Snintes-Écrilures, que
le .Nouvr;iu IV.siainent \is-â-^is de rAiicieu. Il est le complé-
ment et le |)crfectionnement <lr la llibl»-. Par conséquent la Bible
•'l le livre df Mormon forment l'ensemblr tir la docirine Morino-
nite. Cependant, comme nous verrons plus loin , ils ne sont [kis
LES MORMOINS. 217
assez dépourvus d'esprit pour regarder ces deux livres , pris
euseniblo, comme la rèi,Me complète et unique de leur foi. Quel-
que loin (juc les Mormons se soient écartés de la vraie religion
enseignée par Jésus-Christ et ses Apôtres, cependant ils ne sont
pas encore assez aveuglés pour adlx-rer à cette opinion protes-
lanle, que la letire morte do la Sainte-Écriture est une règle
sullisante de foi théorique et praticjue. Loin de là : véritables
protestants dans leurs cris contre l'Église catholique, son sacer-
doce et ses sacrements (1), ils ont trop de sens commun, qu'on
(1) Orson Pralt, dans son traité sur l'authenticité «livine du livre de Mor-
mon, déclare hardiment que «tous les prêtres catholiques, grecs, proles-
» tants, depuis le jjape jusqu'au dernier vicaire de campagne, n'ont pas reçu
» de mission céleste, pas plus que le démon et ses anges. » Luther, l'impie
Jewell, le Rév. Ilobart Seyinour sont moins explicites que M. Pratt. «Telle
«devait être la religion des derniers jours prophétisés par les apôtres; et
» telle est la religion des églises papale, grecque et protestante au XIX* siè-
» cle. Cette prédiction a été faite, il y a dix-huit siècles, et nous trouvons son
• accomplissement dans le christianisme moderne. Au lieu d'avoir dans leur
» Église des apôtres, des prophètes, des hommes inspirés de Dieu, commu-
» niquant avec lui dans des visions et des songes^ recevant des révélations
» par le ministère des anges, auxquels ils commandent, doués d'un discerne-
» ment céleste dans le choix des prêtres et d'une sagesse surhumaine dans
» le gouvernement de l'Église : ils n'ont qu'un pape, pécheur, corrompu, que
» Dieu n'inspire point, et des archevêques, des évêques, des prêtres, qui ne
» valent guère mieux. Leur piété revêt une multitude de formes, toutes plus
» corrompues les unes que les autres, ils nient la possibilité actuelle des ré-
» vélalions divines, et la communication de toute espèce de pouvoirs surna-
» turels, choses qui de tout temps ont caractérisé l'Église de Dieu. Ces hom-
» mes pervers, impuissants, hypocrites, ces faux docteurs, « font commerce
» de la religion» et la prêchent en retour de larges salaires qui montent sou-
» vent à plus de dix mille livres sterling par an. Eux et leurs dupes se dé-
» tournent de la foi des Apôtres et des Saints ; cette foi qui jadis brava la vio-
» lence du feu, ferma la gueule des lions, divisa les eaux, vainquit toutes les
■» forces de la nature, ils la rejettent comme inutile. Cette foi, qui inspire aux
» hommes le don de révélation...., ils enseignent qu'elle n'est pas de notre
» époque. La haute doctrine qu'enseignèrent les Apôtres, et qui met l'huma-
» nité en possession de ces grâces, de ces dons et de cette puissance, est trop
» sublime, disent-ils, pour être comprise de nos jours et mise en pratique.
j> Les doctrines, les lois, les fables, les traditions, les croyances de gens que
» Dieu ne connaît point, sont substituées aujourd'hui à l'inspiration directe
» du Seigneur.... Des conjectures, des hypothèses, desimpies opinions,
218 LES «0R3IO>«..
nous |)ormelie l'expression, inélé à li-iirs a)>surHités , pour no
pas voir que lout documonl écrit a nécessairement besoin d'une*
parole vivante pour re\|tli«nier or le commenler. Ils ne croient
pas (|ue Dieu, qui a parh* jadis par la bouche de ses proplièies
et de son Fils, ne peut plus parler aux hommes. La conlinuité
de la révélation est la véritable base de leur crovance. Ils croient
avec M. Kmerson que « Dieu n'est pas mort, » depuis qu'il a in-
spire son apôire saint Je:m, écrivant son l-lvan^jib- et l'Apocalvpse,
ou que, si jamais il a été » mort , » il ne l'est pas à présent.
Pour nous servir des paroles de l'auleur de l'hisloire des Mor-
mons , disons : « L'hj^lisc est [wur eux les Mormoniles le té-
moin vivant, l'interprète suprême de la lettre morte des vieux
documents religieux. De cette manière il y a une sociéti' perpé-
tuelle entre Dieu et riinmme ; de là inspiration divine, de là en-
core cerlitude de l'exisience de Dieu, Ainsi tout croyant est
comme anciennement, « le temple de l' Espn'l-Saint • (I).
En d'autres termes. I»'S Saints des derniers jours, en s'ap-
puyant sur leur jugement privé dont les protestants ne peuvent
raisonnablement contester la compétence, ont prouvé qu'ils sont
eux-mêmes assez bons protestants, assez bons « chrétiens selon la
Bille, • pour découvrir dans le volume sacré l'absurdili? de la
doctrine nière du protestantisme. Ils y ont trouvé la nécessite
d'un Interprète vivant des Saintes Ecritures. Ils y ont trouvé cette
vérité (ju'iin svslème religieux surnaturel, établi par des moyens
surnaturels, doit être maintenu et confirme «le temps en temps de
la même nianière. En d'autres U'rmes. ils croient à l'existence
actuelle de puissances surnaturelles résidant quelque part dans
rhum:milé; ils croient aux inspiralitms, aux révélations, aux mi-
racles. C'est ainsi que U; Mormonisme , comme toutes les autres
hérésies, est venu à son tour rendre un hommage involontaire
au!t doctrines de l'Eglise du Dieu vivant.
V()i( i maintenant comment raisonnent les Morinonites : toute
> quelquefois pcul-Otrc une croyance approchant de la vérité, voilà tout ce à
* (|uni \\s p.irvicniiei)t ; jaiiiais ils iroblioiinriit la moindre certitude, parée
• qu'ils nient la ri'vclatioii, seul nuiyrii d'y atteindre. ■
(I) The Mormon», ctc , p. 2î»2.
LES MORMONS. 219
leur argumentation se réduit ù ces mots ; « Pendant quatorze
cents ans, PÉj^liso, fondée primitivement par les apôtres, a vécu
à l'état de sommeil, a été plongée dans une espèce d<; h'-lliargie.»
«Nous croyons, écrit M. Orson Pralt, dans son livre des visions
n remarquables, n° 6, (|u'il y a eu une apostasie g(''nérale dans l'E-
» glise primitive, de sorte que le monde connw a existé pendant des
» siècles sans posséder l'Eglise du Christ, et sans sacerdoce au-
» torisé par Dieu à administrer les sacrements. Nous croyons que
» chacime des églises qui se sont formées à la suite de cette aposta-
» sie,a corrompu l'Evangile, l'une de telle manière, l'autre de telle
1- autre : par exemple, presque toutes les Eglises ont aboli le sa-
»cremcnt de l'immersion pour la rémission des péchés. Le petit
» nombre de ceux qui sont restés fidèles à cette pratique néces-
» saire , ont aboli le sacrement de l'imposition des mains sur les
» catéchumènes pour leur communiquer les dons de l'Esprit-
» Saint. Encore ceux qui ont conservé ce dernier sacrement ont-
» ils corrompu le premier, ou bien ils ont rejeté les dons, les
» grâces et les bénédictions qui viennent de l'Esprit de Dieu , ou
» bien encore, ils ont dit aux apôtres et aux prophètes du Sei-
» gneur : En ces jours-ci l'Eglise n'a pas besoin de i^ous. Ceux
» enfin qui ont continué à croire aux œuvres de l'Esprit-Saint, et
^ qui ont défendu cette croyance, ont corrompu les sacrements
» ou les ont rejetés. Ainsi toutes les églises prêchent des doctri-
»nes fausses, corrompent l'Evangile, et, au lieu d'avoir reçu de
» Dieu la mission d'administrer ses sacrements , elles sont cour-
» bées impuissantes sous le poids de sa malédiction , pour avoir
» corrompu ses doctrines et leurs voies. »
Il est amusant de voir comment, dans le passage suivant que
nous extrayons de ses œuvres, M. Orson Pratt prend le protes-
tantisme à partie, se moque de ses prétentions, et arrête la main
de tout défenseur de cette hérésie qui s'aviserait de jeter la pre-
mière pierre aux « Saints des derniers jours. » « Comme l'Église
» d'Angleterre et les autres protestants, dit-il, ne se vantent
» guère d'avoir reçu quelque' mission par voie de révélation, mais
> enjoignent à leurs fidèles de rejeter toute croyance semblable,
» il est permis de leur demander : D'où vous vient donc votre
» autorité? Ils répondront qu'ils la tiennent de Wyclef, de Cran-
220 i.M «(»mn>?i>.
» miT, (!•• IjiiImt, de (.alvin oi U<* divers réformaieurs qui s»? sont
• scpurt'S de l'Église rom:iino. Mais d'où Ni<iii l'uiilorité de ces
» n"f()im;ii«Mirs oiix-inrims';' Urpons»* : Des <;iilioli(|iu's romains.
B Mais li's (\itli<>li(|ucs romains les ont cxcomfnunii's, ot certes l'au-
» lorilé qu'ils avaient le pouvoir de leur donner, ils avaient le pon-
• voirde la leur reprendre. Donc, si l'Église romaine avait quelque
» autorité, les protestants étant bannis de son sein, n'en peuvent
• avoir aucune de son clid. Mais si 1rs catli(ili(|U('s jouissent de
■ l'autorité, leur Église doit éir»- la véritable, et parlant les pro-
» testants sont des apostats; d'un aiiliT côté, >,i l'Kglise ( atlmli-
» que n'est pas la vraie Église, iin|>ossil>le qu'elle en donne aux
I autres. Maintenant voici ce que nous lisons dans une des ho-
• mélies de l'église anglicane. Les laïques et le clergé, les savants
p et les ignorants, les hommes, les femmes et les enfants de tout t)gc
■ et de tout sexe ont été tout à coup plonges dans ta plus affreuse
■ idolâtrie , et cela dans toute V étendue du monde chrétien. Cette
■ idoliltric iihominahle a duré (chose affreuse à penser) pendant
m plus de huit cents ans. Wesley, dans son 94"" sermon, dit la
» même chose en substance : La cause réelle pour laquelle on ne
• rencontra plus les dons extraordinaires du Sainl-Hsprit dans
• l'Kglise chrétienne , c'est que les chrétiens étaient redetenus
• paii-ns et n'avaient conservé du christianisme que la forme
» morte. Si donc le monde chrétien tout entier, sans exception, a
• été plongé dans l'idolfiirir la pins abominable pendant plus de
» huit siècles, comme l'enseigne l'église anglicane, et si, parce
• que les chrétiens sont privés des dons d'en haut , ils ne sont
» plus même des chrétiens, mais des païens, d'après l'assertion
■ deWesb'V, nous demanderons où était l'auinrilé pendant ces
■ XOO ans, et oii elle est maintenant? Évidcnimeiii, I>ieu ne vou-
• (Irait pas rei onnaitrc les idolâtres les |)lus abominables, comme
» dépositaires de l'autorité ; s'il en est ainsi, l'auioriK' des .'iditra-
■ tcurs de Juggernaut vaut autant que celle du < hristianismc
«idolâtre — Maintenant, si le monde chrétien tout entier a été
■ sans ponvoi^ et sans autorité pendant plus de huit siècles,
• quand l'autorité a-l-clln «te rétablie' ( ominent l'a-t-elle clé?
I.F.S MOKMO.'N"<. 221
>» En faveur de quoi homme ou de quel peuple? Évidemment ce
» n'a pas clé on favour de rÉf;liso cailioliquo, qui ne prélcnd pas
» ôlre rodevtMiue déposilaire de l'aulorilé (I). L'église anglicane
» ol les autres églises protestantes ne peuvent avoir cette pré-
» tention. Pour elles, la deinière rc'vélalion est le Nouveau Tes-
» tament. i^ar conséquent, d'après les |)iopres aveux du protes-
» tanlisme. Dieu n'a plus dans le monde chrétien de sacerdoce
» avoué, autorisé par lui. C'est pourquoi il est nécessaire, indis-
» pensable mèuic qu'il vienne une nouvelle révélation pour éta-
» blir celle aiilorili' et ce sacerdoce sur la terre, et mettre l'hu-
» manilé en communication directe avec Dieu, comme aux jours
» d'autrefois. Mais celle rc'véhuion a été faite, etc., etc. (2). »
Nos lecteurs caiholiques nous pardonneront la longueur de
celle citation, car ils y verront toute la doctrine prolestante ren-
versée, anéantie par une argumentation protestante, et cela
avec tant de force et de vigueur fpi'il n'y a pas de réplique pos-
sible. Inutile que nous ajoutions quelque chose à ce passage;
cependant nous observerons que nul protestant, s'il raisonne
avec sincérité, ne peut ébranler cette argumentation, ne peut
même y faire la moindre objection sérieuse. Comment donc
peuvent-ils s'étonner des progrès du Mormonisme? Le pro-
testanlisme a posé les prémisses, le Mormonisme en tire la
conséquence. Quant aux catholiques, ils savent, sans pouvoir
jamais en douter, que c'est un blasphème que de croire un in-
stant que le Saint-Esprit, qui a fondé l'Église chrétienne, l'ait
jamais abandonnée depuis , l'ait jamais privée de ces pouvoirs
surnaturels et de cette autorité spirituelle, dont il l'a gratifiée
dans le principe. De là nous concluons que l'Église catholique
est la seule forme de croyance religieuse qui présente un en-
semble de vérités assez solide pour résister victorieusement aux
attaques du Mormonisme. En effet, il est important de noter que
M. Orson Prait considère les paroles de l'Église anglicane et de
(1) L'Église callioliqiie, n'ayant jamais perdu ce dépôt, il est impossible
qu'il lui ait été restitué!
(2) The Hformons, etc., p. 288-280.
14
222 IE.S 10RH«MS.
M. \<sliv, riit'cs plus li;mi, t onimc des <*s|>èce8 de vériu-s d'é-
vun^ile, el leurs assi'iiions , commodes conclusions définilivos.
Pour nous, nous oserons dire que le faii en question, c'esl-à-dire
le f;iit rcci, ici qu'il doit cire cimsidéré, esl souv«nl dianieirale-
iiK-iii «ip|KJsé au même fait, ici <|ue nous le présentent les arli<ies
cl les liomclies ilu protestanlisme. « Tout ce (jui brille n'est pas
or, » et loul ce que l'cj^lise anglicanc-étalilie allirnic n'est pas
jxirole d'Ëvaugilc.
HeME de Dl'BLI?(.
Trad. par les Annales de l.iéçr.
L'EICHARISTIE Al POIIVT DE VIE PROTESTAAT,
JLDAïaiE ET UATIOINALISTE.
Tous ceux qui ont écrit de notre temps la vie du Rédempteur,
et qui ne partagent pas nos croyances , ont senti l'importance de
la question de la présence réelle, et la nécessité de se faire une
opinion sur ce point capital, si l'on veut avoir une notion exacte
de renseignement du Sauveur et de rinfluoncc des doctrines
qu'il est venu révc'-ler à la terre. Les historiens de Jésus, dont
les ouvrages ont eu le plus de succès au xix* siècle, sont Hess (1),
Néander (2), le docteur Strauss (3), et M. Salvador (4). Par un
hasard assez remarquable , ces écrivains a[)parliennent à des
écoles qui ont envisagé la question de l'Eucharistie sous des
aspects complètement différents. Hess , compatriote de Zwinglî ,
reproduit les théories des sacramentaircs, auxquelles se ratta-
chent les calvinistes, et qui regardent l'Eucharistie comme une
simple figure. Néander, un des plus célèljres docteurs du luthé-
ranisme contemporain, devrait, s'il était fidèle aux idées des
fondateurs de sa secte, défendre la présence réelle, tout en niant
le dogme catholique de la transsubstantiation. Mais, la doctrine
deZwingli et de Calvin lui semblant plus facile à concilier avec
les prétentions du rationalisme moderne, il a complètement adopté,
dans sa Fie de Jésus, les idées de Hess. Mais nous trouvons dans
le célèbre commentateur luthérien Olshausen un représentant
fidèle des plus anciennes opinions de sa communion. Ses grands
travaux %ur l'histoire évanvélique (5) , lui donnent le droit de
(1) Iless, Vie de Jésus. fS) Néander, Vie de Jésus. (5) Strauss, ViedeJè-
ms. (i) Safvatîor, Jésus-Christ el sa doctrine. (;j) Olsiiauscn, Cowjnentaires
sur le Nouveau Tcstatncut.
'2'2A L*EH:iURISTIK, KTC.
paraliic ii i t omme le type de la matière d'inlerpréler TÉvangile
nu |>oinide vue de Luther. Quant à M. Salvador, (|ui sVst imposa
la mission de restaurer et de iransfonrior le mosaismc, d'en faire
la rcli^'iori de l'avenir, ses théories sur l'Eucliarislie n'ont ni pro-
fondeur, ni originalité. Il ne voit dans ce sacrement (lu'un mémo-
rial de la mort de Jésus. H ne dilTère donc guère des historiens
protestants (|ui ont accepté rinterprétation donnée par Zwin;,'li.
Le (lo( tcurSlrauss apparaildansccttc galeiic comme un repré-
sentant di'cidc des opinions rationalistes. Il aflirme que, pour les
rédacteurs des Évangiles, le pain de la Cène était le corps du
Christ. Mais, comme il a le goût des solutions singulières, toutes
les fois (ju'il en peut trouver, il avance que les A|>otres auraient
repoussé la doctrine catholique, (juMIs n'auraient pas compris
celle de Luther, cl qu'ils n'auraient |>oint été satisfaits du sys-
tème des sacrameiitaires. Selon lui, l'ancien homme de VOrient
était incapable de ces distinctions al)straites. J'avoue qu'une ré-
flexion de ce genre me paraît iiuli(pier une ignorance extraordi-
naire (le l'histoire intellectuelle du monde asiati(|ue. Pour ne ci-
ter qu'un exemple, est-ce que la philosophie hindoue ne révèle
pas le génie de la spéculation poussé jusqu'à ses dernières limi-
tes (!)? Les écrits des Pères orientaux prouvent qu'ils se fai-
saient de la présence réelle les idées les plus nettes et les plus
|>ositives, et que l'ancien homme de VOrient n'était pas dénué de
toute pénétration théologi(pie. La théorie «lu docteur Strauss sui-
l'Eucharistie est trop exccnlricjue pour avoir exercé- une grande
influence sur le [)arti rationaliste, cpii est, du reste, assez divisé
sur cette question capitale. Les uns adoptent l'interprétation figu-
rative, les autres pensent que le Christ enseigna vt'rilahlement le
<logine de la présence réelle, mais (pi'il l'emprunta aux religions
antérieures, principalement au Mazdé-isme. Li première théorie,
qui est la plus populaire , puis(]ue nous la voyons adoptée tout
(I) Voypï Colfbrookc , Kttait iur la philn$nphif des Hindous, trad.
Pantliicr. — Comme le «loctnir Slratiss par;iil peu faiinliarisr a\rc la lillc'ra-
turc anglaise, nous le renverrons à HiUit. Ilislnirr dr lu phtlntophie an-
cirnne. — Frt'dcric de SrliU-gcl, De la sagesse et dr la langue des Hindous.
— Windisclimann, De la philosophie dans U progrès de l'histoire.
i/eucharistic, etc. 225
à la fois parle calviniste Hess, le liuhérien Néander, le rationa-
liste Salvador, nuMiie d'abord de lixer noire attention.
Il faut , en commençant celle discussion , rendre celle justice
aux trois historiens de Jésus que je viens de nommer, qu'ils ont
dégagé la question de toutes les discussions inutiles dont l'a-
vaient surchargée tous leurs devanciers. On ne trouve chez eux
aucune déclamation sur «les étranges inventions du papisme,
sur les absurdités de la présence réelle, sur les corruptions sa-
cerdotales, » pas un mot de ces thèses Ibudroyanlcs qui semblaient
faire le bonheur de leurs prédécesseurs (1). Nous le remer-
cions, dans l'intérêt de nos lecteurs, de ne nous avoir pas obligé
de répondre à toutes ces vieilleries. lisse bornent, en effet, à
opposer aux dogmes de la présence réelle un petit nombre de
diflîcultés , mais ce sont les plus capitales et celles qui méritent
vraiment d'attirer l'attention des conlroversistes catholiques.
La première de ces objections, formulée par Hess et par Néan-
der, consiste à faire remarquer que les Apôtres n'ont manifesté
aucun élonnement lorsque Jésus institua l'Eucharistie. Or, dit-
on, s'ils avaient cru que leur Maître leur proposait une croyance
aussi étrange que le dogme de la présence réelle, ils n'auraient
pu dissimuler leur surprise. Rien ne les avait préparés à recevoir
sans hésitation une doctrine qui devait blesser toutes leurs con-
victions et qui soulève dans l'intelligence des répugnances incon-
testables.
Cette objection , qui paraîtra peut-être spécieuse au premier
coup-d'œil , repose sur des suppositions dont nous espérons dé-
montrer la fausseté.
Il est d'abord de la plus haute importance de constater, ainsi
que l'a fait le professeur Haneberg (2), que les Juifs attendaient,
au temps du Messie, une nourriture miraculeuse , dont la manne
était la figure (3). C'est pourquoi on lit dans le Midrasch Coke-
leth, fol. 90, 2 : « De même que le premier Sauveur fit descen-
dre la manne du ciel, ainsi que l'attestent ces paroles : « Voyez,
(1) On sait qu'à Genève les théologiens protestants vivent de ces redites
et des diatribes vieillies : c'est là ce qu'a fait M. Oltramare. (2) Voyez dans
les Archives théologiques de 4845. Xll" cahier, un extrait de son ouvrage.
(5) Exode, XVI, 46.
220) i.'EUcuAniSTiE , rrr,
jf fais pleuvoir «In pnin tin ciclt^l); » de mrmn Ir domior Snii-
vrur apporKM"! I:> tii:innf ici-lins, r:ir il «'«il l'rrit : • Il y aura i\n
lilé à pleines mains snr la lerre. • Kt il est «lit plus loin : « Que
dans les lenips du Messie, Dieu préparer:» pour les Israélites nne
I;il)le et la «ouvrira «ralimenfs ; rpn* qnieoncpie en mangeri ,
n'aura plus l»es«>in d'une atiire nourriture ^2). » D'après la \r.\-
«lilion accejitee de tous, consignée dans le livre de la Sage9»e ,
la manne se iransfurniait selim les désirs de relui qui en man-
},'eait.
• Et alors Seigneur , vous donniez à votre peuple la nourriture
des anj^es, et vous lui présentiez le pain du eiel . (pii renferme
en soi toutes les dé-lices et tout ce ipii peut llatter le f,'oùt.
» Et ce i>ain montrait combien est grande votre douceur en-
vers vos enfants; et s'act ommodant an désir de chacun dVnx ,
il se changeait en totii ce ipii leiii- plaisait (3). »
Ees rabbins aiment à décrire ce r\i> transformé, comme l'ap-
pelle Abarbanel (ij. Non-seulement il est rpiestion de cette
transformation dans le Schemoth rabbà (5) , dans le TalmuH
Jomn (fî"), mais le plus ancien commentaire, la Prsikta, en parle
avec plus de détails, et compare cette nourriture au lait de la
mère «|ni tient lieu à l'enfant de tous les aliments et prend pour
lui tous les goûts. Nous lisons encore dans le Zohar (7) : «Tous
les lidMes sortirtMit pour en ramasser, et exaltèrent en consé-
quence le nom du Irès-Sainf. De cette manne s'exhalait l'odeur
de tous les parfums du Paradis, d'oii elle descendait; quand on
en servait à «pielqn'un, il y trouvait tons les goûts (]u"il désirait.»
Knlin, dans le Siphre (8). les sages «lisent <pie la manne se chan-
geait pour les Israélites en tout ce (jn'ils voulaient , seulement
«pi'ils ne voyaient pas cela uniqneiuent avec les yeux. Ix*5 doc-
teurs du judaïsme avair'ut don«'[)arraitement compris l'importance
j»ro|tlielique de la maime. Faui-il s'en ét(»nner? Ne trouvons-nous
(h Psaiinir lAXII , selon riiObroii. (2) Srlinnmolh rnbhu, sccl. ÎÎO. fol.
Hi, 3. Dixil I)ru5 ». I). ad Isrnclil.-is : vos n-iraslis riiilii iiiensani, cr«i liltc-
nibo vn», ut non nmplhin illam in^truorr «IclM'iili* , et ip»e instniam \obi>
mi*nMim4cni|KirilMi4 Mr*»!»'. (7,) Sngcdso, XVI. iO-il. (4) Sur IKx«hIc XVI.
H. m. Sorti. .11 XXV. i6> Clinp. VU?. f..l. 7». f7> I. M. «H. î. <«• Sur 1rs
NotnInT?*, XI, I».
f
l'eucharistie, etc. 227
pas dit'/ eux plusieurs fois el clairement exprim<'(! l'idée que le
lalxTiiaclc, aussi bien (juo les vases sacrés et le lemple tout en-
tier, ne sont (pic la li^'ure syuiboliipie des choses saintes, et que
tout ce qui nous a été donné de signes visibles sur la terre , est
connue l'ombre par rap|)ort au corps, et ne forme qu'un rellet de
l'essence des types qui furent un jour pn-scnlés du haut du ciel.
Nous ne devons donc pas être surpris de les voir s'attacher à dé-
couvrir la profonde signification do la manne. Le rabbin Éliézer,
«•onteinporaiu de saint Polycarpe, disciple des AptUros, parle de
la manne que l'on doit attendre dans les jours du Messie, et il
donne pour raison de cette espérance une promesse du prophète
Jérémie (1) : «Lorsque Jérémie dit aux enfants d'Israël : Pour-
quoi ne vous occupez-vous pas de la loi? Ils lui répondirent :
comment pourrions-nous alors gagner notre vie? Le prophète,
leur montrant un vase plein de manne , leur dit : voilà la parole
de Dieu ! Vos pères qui s'occupaient de la loi ont vu d'où ils ti-
raient leur nourriture : et vous , si vous les imitez, le Dieu hau-
tement béni vous nouriira avec cette manne. » Les rabbins atta-
chent à cet aliment une si grande importance , qu'il est dit dans
l'antique commentaire Baal hathurim : « La loi n'est donnée
qu'à ceux qui mangent la manne. » Et à cette question : «. Pour
qui cette manne est-elle préparée? » On répond (2) : « Pour les
justes dans le siècle futur. Celui-là seul qui croit est digne d'en
manger.» Dans le Zohar (3) elle est appelée un saint et précieux
aliment céleste , pour la nourriture de l'esprit et de l'àme, un
pain de l'espace éloigné et incomparable du ciel, un repas des
sages, destiné par la sagesse d'en haut à ceux qui se vouent à la
loi. Éliézer (4) s'exprime avec plus de force encore sur les avan-
tages de la manne du Messie comparée à celle de Moïse. « Les
justes sont destinés à manger de cette manne dans le siècle futur;
et si vous demandez : sera-ce de la même manière? la réponse est
celle-ci : Non, d'une manière beaucoup plus élevée, et telle
qu'elle n'a jamais eu lieu. » Celte haute signification symbolique
de la manne dans la tradition hébraïque étant admise , on s'ex-
(1) Mcchilla, fol. 20, 1. - Taiicliuma, fol. 29, 4. (2) Jalkiit Scbinioni, p. I,
fol. 75, ^, (5) Exorle, fol. 2G, col. 102. (4) Foi. 28, 3.
2*28 l'ei'cuaristir, etc.
pli(|ue faciicriieul |M)ur(|uui les rabbins uuaibeni rux-mt^mes tant
d'itJ)|H)r(:ui(e aux |)ass:ij;es déjà niv du psaume LWMI, 1G(1).
a 11 y auia du lilr a |i|(-iiit>s mains sui- la Irrrc. » Le l'argum
chaldécn traduit ainsi : « Il y :iui:i dans le |Kiys une niïrande de
j,'rain sur les IkiiiIcuis des ujoutii^-ncs d»- I K^ lise. » l);ius le Be-
i('s< liitli-l\ahl)a i 2 ) il est dit seulement comme explieatiun f;éné-
ralc : « Dieu leur fait descendre du ciel un aliment qui n'a pas
soD pareil. • Haschi , ennemi de toutes les interprétations chré-
tiennes, déclare lui-même a ^\\\^' les ral»h;ns ex|tli<]uent tout ceci
d'une es|)ècc de },'àieau (|ui doit exister dans les jnurs du Messie ;
parce qu'ils sont persuad('\s que tout le psaume doit lui ^trc ap-
[)li«|né (3). » kimclii se lapprnclie encore plus de nos idées (4),
quand il dit : « Quehjues personnes expliipient tes mots : « Ils
vivront de grain, en disant: un jour, lors(jue le Rédempteur
viendra , il y aura l'n changexent dans la nature du grain. »
D'autres parlent aussi d'un mysière de la manne, d'une manne
spirituelltî et d'un aliment iileal. Le K. Mose Ben Nai limau «'(Tit
même: o I.a manne est engendrée de la Lumière di>ine, qui,
d'après la volonté de son Cii'ateur, a pris un corps. » Jésus ne
dit-il pas aussi : < Je suis le pain vivant (pii est descendu du
ciel (.5). » Les opinions des rabbins jettent donc le plus grand
jour sur toute la doctrine du Vi*^ chapitre de saint Jean , et les
protestants n'auraient pas tant de Un>, déliguré ce passage célè-
bre, s'ils l'iivaienl rapproche des traditions de la synagogue.
En ctTet , <lans le discours qui est rapporté dans ce chapitre,
Jésus annonce aux Juifs et à ses disciples cpiil réalisera toutes les
es()éranccs de leurs ancêtres, (|u'il li>ur donnera une manm; nou-
velle, son corps avec son sang, et qu'il deviendra ainsi la nour-
riture de nos âmes. C'est en vain qu'on a fait de prodigieux ef-
forts pour expli(]ucr tout ce passage de la f(ti qu'on doit avoir en
(I) Selon IVbrcu. (2) In Gcnrv, \\XI\, I. (ô1 Cf. in ps. il. Docloirs
nostri srnMiin i-xplir:iriint di" ropc Mrs^io, vcnim nd rrspoiulondnm liirrr-
licis |i(iiins illc rxplicadir ilc ip>(> vl>a\i(lc). — La sérii* niticrc ili's passafçcs
(le la l)it)l<' rrlaliN an Messie et que les Habbiii» expli(|nriit d'une manière
conforme h la tradition , se trouve dans l<* Icxiqiir Tulmutln biblique de
Nork. — VoycE aussi de Voisin, Obsrrv. in Haim., Mart., p. 150-154 il 157 b.
(l) Sur Om^c, XIV, H. (5) Jean, VI, 51
L'EUrUARISTIE, ETC. 229
Jésus-Chi ist. Il esl bien vrai que c'est là le sujet de la première
partie du discours, ot personne, parmi nous, no le conteste;
mais il est évidemment question d:ms la seconde (1) de la pro-
messe de rKueliarislie. Il sullil, |)our s'en convaincre , de relire
ce chapitre avec un peu d'altenlion :
« Je Sl'IS LE PA1>' DE VIE.
» Vos pères ont mange la manne dans le désert, et sont morts.
» C'est ici le pain qui esl descendu du ciel, afin que si quel-
qu'un en mange, il ne meure point.
» Je suis le pain vivant (pii est descendu du ciel.
» Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le
pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma cliair.
» Les Juifs disputaient donc entre eux, et disaient : Comment
celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger?
» Or, Jésus répondit : En vérité, en vérité, je vous dis : Si
vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang,
vous n'aurez point la vie en vous.
» Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure
en moi et moi en lui.
» Comme le Père qui est vivant m'a envoyé , et moi je vis à
cause du Père ; ainsi celui qui me mange, vivra par moi.
» C'est ici le pain qui est descendu du ciel ; vos pères ont
mangé la manne, et sont morts; mais celui qui mangera de ce
pain, vivra éternellement.
» Il dit ces paroles dans la synagogue , enseignant à Caper-
Naiim.
» Plusieurs de ses disciples l'ayant entendu, dirent : Cette pa-
role est dure, et qui la peut écouter?
» Mais Jésus , sachant en lui-même que ses disciples murmu-
raient, leur dit : Cela vous scandalise-t-il?
» Que sera-ce, si vous voyez monter le Fils de l'homme où il
était d'abord (2)?
(1) Je pense avec Tillustre cardinal Wiseman que cette seconde partie
commence au verset 28 (Voir pour les preuves Wiseman , La présence cor-
porelle du corps et du sang de N. S. Jésus-Christ dans la divine Eucharis-
tie, trad. Furon, ù^ns\ts Démonstrations évangéliques de M. 3Iigne, t. XV,
£01. 1178-1181. (2) S. Jean, VI, 18 63. — Je supprime ici à dessein le ver-
2.'{0 l'bIîCIURISTIE, KTr:.
» Dès ce monicnl-là , |ilusioui's «le srs «lisriplc^ s'éloif^nèreru
»i no marditrent pins avec lui.
» Jisus «lit ilonc au\ lion/c : Kl vous aussi, voulez-vous vous
on aller?
» Simon-PitTrc lui n|>(»n<lit : S<M},'npnr, :i (|iii irons-nous?
vous avr/ les paroles de la vie elcrnclle.
» Et nous avons cru et nous avons ronmi ipic nous ^les le
(lliiisl, le Fils du Dieu vivant. »
Jésus leur dit : « Ne \oiis ai-ji- p;iN i Iumms .mi iiondti'O de
douze, et l'un de vous est un deuion (I i? »
L.i le( tnic Mille (]<• ce fra^'uienl, les murmures des liahilants
de (lapf'i-Namn ('2), la e<»n(liiil<' de plusieurs des discipl»'s, prou-
vent déjà (pi'il s'ayi! d'une autn- do« trine «pie de la loi en Jé-
sus. L'examen des circonstances dans lescpielles fut prononcé ce
discours, une interprétation «léiaillée du texte montreront jus-
qu'à l'évidence (pie le Sauveur annonce rinsiiuiiion de l'Kuclia-
ristie.
Jé'sus se sert ordiuaireuuMit de l'oi'casion d'un niiiacle poui-
inriilfpier à ses auditeurs une docli ine (pii a de lanaiof^ie avec
le prodi^fe (pii vient de se passer sous leurs yeux (3). Or, puis-
que telle était sa coutume, on ne peut «list'onvenir que, s'il a ja-
mais désir<'' rencontrer une occasion heureuse de proposera ses
auditeurs le do^îme de la présence réelle dans l'Eucliarislie , il
n'a pli, «lans tout le cours de sou uiinisiére, en trouver une plus
lavorahle à son dessein. ()ar, cnuini'' m « etle «irconstance , en
IténissanI le])ain, il lui donna une nouvelle eflicacile et le mul-
tiplia au point de le rendre sidlisant |)our nourrir |)lusieurs mil-
liers d'hommes, nous ne i»ouvons rien concevoir de plus analof^tc
ù ce sacrement, dans lequel son <orps s»' multiplie suflisamment
pourêln- l'aliiiifiit de tous les liounnes, d.ins toutes les parties
un fii, qiioii|ti'il fasse partie ilii «lisroiirs ili' Jrsus, parrr (piil «loit être plus
loin lol>jrl ilimr ili^riission parlinilii rc. (J J«nn. Vl.(i7 7l. (3) On f.nplinr-
nauiu. (ô) On trouvera les preuves tir cette asscrlinu «Inns S. E. le ctniinal
Wi»ciaau, Vnnfrrrncr» sur Irt dorlrinr» ri Ir» initiripnlr» prnliqurs de fÈ-
OUif ralHnlUpir, tmd. Furon «Ions le loinc XV «les Itemnnsiralitms èvangrU'
qurt .le M. Mij;iie. runfi^reiicc \IV.«le. la lranssuli!.lantiati«iii, part. I", roi.
1077 7H
L'El'CII.VniSTIE, ETC. * 231
(le rniiivcr.s. n'aillcius, les Juifs (nix-m(^mcs ramèneront pur
loiirs (|iu'sii()iis h |):ii loi- de la présciwc réi.'llc :
(t Ils lui dirent : Quel si^nc l'ailcs-vous, afin (juc nous le
voyions et que nous croyions en vous? Quelle œuvre failes-vous?
» Nos pères ont mangé la manno au désert ainsi qu'il est
écrit : Il leur a donné à manpfcr le pain du ciel (1). »
Il est évident ((ue les auditeurs de Jésus comptaient sur un
miracle analogue à celui que Moïse avait opéré en faisant tomber
la maime du ciel. Le récit de saint Jean est donc comi)lètemenl
en rapport avec les tn'.diîions de la synagogue; puisque l'on voit
ici les Juifs demander eux-mêmes à Jésus cette nourriture nou-
velle qu'ils attendaient du Messie. Il serait donc étrange que le
Sauveur répondît à une demande de ce genre par des considéra-
lions vagues sur la foi (ju'ils devaient avoir dans sa céleste ori-
gine. Mais il est an contraire très-naturel qu'après avoir rappelé
cette céleste origine et la toute f)uissancc qu'elle lui confiait, il
leur promette un aliment miraculeux très supérieur à celui que
leur avait donné leur législateur (2). Après leur avoir parlé en
termes généraux d'une union avec lui qui doit s'opérer par la foi,
dans la seconde partie il prophétise aux Juifs et à ses disciples
une union plus intime dans le sacrement de l'Eucliaristie. Arrivé
à cet endroit de son discours, il se sert d'une phraséologie toute
nouvelle, très-propre à faire sentir à ses auditeurs la nature du
sujet dont il veut les entretenir. Il avait d'abord évité avec le plus
grand soin , et même en sacrifiant, jusqu'à un certain point, les
propriétés du langage, toute expression comme celle de manger
le pain de vie; encore plus celle de manger sa propre personne.
Il avait même entièrement al)andonné la métaphore dont il s'était
servi d'abord, dès qu'il s'était aperçu que cette manière de par-
ler donnait lieu à quelque méprise ; et voilà qu'à ce moment il y
revient avec beaucoup plus d'énergie que jamais, mais de façon
à ne pas permettre à ses auditeurs de prendre ses expressions
(1) Jean, VI, ÔO, 31. (2) On trouve, (railleurs, dans d'autres discours de
Jésus, des exemples de transitions analogues , ainsi que la démontré avec
sa science ordinaire S. E, le cardinal Wiseman , Confêrenc^^.çXc, Confcr.
XIV, col. H)79. — Et La présence réelle, etc., col. 1181.
'1T2 L'tiJCHAnisTit:, tr»:.
dans lo même sens qu'auparuvuiit : ■ Je suis le pain \ivant qui est
distendu du ciel. — Si <|U('l(|u'un niante di- ce; |)ain , il vivra
t-lLTUL-lhnient, cl le pain <pic ji- donnerai pour la vie du niunde,
c'est ma clciir. » IMus loin il ajoute : « En vérité, en vérité, je
vous dis : Si vous ne man^'e/. la chair du l'ils de l'homuie, et ne
buvez son san^, vous n'aurez point la vie en vous. — Celui qui
man^e ma chair cl boit luou .s;ii);;a la vie éternelle, elje le res-
susciterai an dernier jour. (.:ir n);i ( liair est vraiment une nour-
riture , et mon san^' est Nrainienl un l)reuv;ij,'e. Celui <|ui mange
ma chair et l»oii mon sanj; , demeure en moi et moi en lui, —
Comme le Père (|ui est vivant ma envoyé, cl moi je vis à cause
du Père; ainsi celui (|ui me mange vivra par moi. — C'est ici le
pain qui est descendu du ciel ; vos pères ont mangé la manne et
sont morts : mais celui ipii mangera de ce pain vivra élernelle-
meni. » Or, n'est-ce pas là une série d'expressions véritablement
incompreliiiisibles. si le S;iuvenr a voulu les enj|>lr(yer dans un
sens uuiaphot itjue.' Comment pourraii-il ajouter (ju'il donnera
lui-mémc à ses disciples ce pain viviliani, s'il s'agit uniquement
du don que le Père céleste a lait au monde en lui envoyant son
Fils bien-aimé.
Mais c'est ici qu'apparaissent les iuq)Ossibilités de l'interpréta-
tion métapboriipie. Kn eiïet, cette locution manger la chair
d'uue personne, avait dans la langue sainte une signification
très-determinee, quand on rempluviil dans un sens syndxtiique.
Elle signiliaii toujours : taire par pensée ou par action, mais sur-
tout [>ar caloumie, une graNe injure à quebpi'un (1). Il en est
entore de même dans l'idiome des Arabes qui habitent aujour-
d'hui la Terre-Sainte (2), circonstance très-digne d'attention,
puisqu'il est reconnu par tous les honmies com|>cienls que les
écrits, les habitudes et même les sentiments de ce p<>uple sont le
(1) Voyez Psaume XXVF, 2. — Job XIX, 22. - Mirlu'p III. T.. — Erclr-
siastr IV, ."i. (2) O'rsl rc (|up prouvent les textes du Koraii. sur.n \MX, 12,
ëdil. Mnrncei. — Kl Nawaliig , «dit. Srlmllens, n. Hti. — Ama$<i. dansChul-
Icn», CommenI, in Job, p. i^O. — tl l'xecrpla de l'ilamasa dnn.» V Antho-
logie dr Schultriis, p. 7. — Micliaclis , Chrestoiualir arabe . 153. — Schan-
fari, cité dans Srhultcns, in Job, 4W. — Mridan. Provrrbri, p. 7.
l'euciiakistie, etc. *233
moyen W plus sur d'expliquer la Sainte Écriture. Je ferai la
même remarque sur le Syro-Clialdéen, langue que parlait notre
Seigneur (I). Il est donc évident (pie si les expressions dont il
s'agit ont été quelquefois prises dans nn sens niélapliori(pie, —
ce que nous n'avons aucun intérêt à nier, bien au contraire, —
elles l'ont toujours éié dans une signification qui n'a pas le moin-
dre rapport avec la foi. D'ailleurs, quand même on parviendrait
à les expliquer de cette façon, on ne se débarrasserait pas facile-
ment de ces mots remarquables — buire son sang. Comment le
Sauveur aurait-il pu employer une pareille figure, s'il n'avait
voulu se servir que d'une simple métaphore , lui qui savait que
l'action de boire du sang était interdite aux Juifs sous les peines
les plus sévères (2)? Quant à manger de la chair humaine ou à
boire du sang humain , il n'en est jamais parlé dans les livres
saints que comme de la plus affreuse malédiction dont Dieu
puisse frapper ses ennemis (3).
Aussi les Juifs ne se trompèrent-ils pas sur le sens des paro-
les du Seigneur. C'est un avantage peu commun que de savoir en
pareil cas l'impression qu'un discours produisit sur ceux qui
l'entendirent. Qui pourrait se vanter maintenant d'avoir mieux
saisi le sens du discours de Jésus que ses propres auditeurs?
« Comment, dirent les Juifs, celui-ci peut-il nous donner sa chair
à manger? » Or, que devait faire le Sauveur s'ils entendaient mal
sa doctrine? Les avertir qu'ils avaient tort de la prendre dans le
sens littéral et faire disparaître ainsi un préjugé qui les écartait
de la voie du ciel. Tous ceux qui connaissent sa charité et son
zèle pour le salut des âmes, ne peuvent douter de son empresse-
ment à montrer à ses auditeurs qu'ds se trompaient grossière-
ment sur la signification de ses paroles. Nous n'en sommes pas
d'ailleurs réduits sur ce point à de simples conjectures. En li-
sant attentivement l'Evangile, on voit que le Sauveur, quand il
s'élève une objection contre ses enseignements, soit parce qu'on
(1) Gésénius, Thésaurus philologicus crUicus linguœ hebrceœ et chaldœœ,
t. Ijfasc. I, p. 91. — Jahn, Elementa Aramaicae seu chaldaeo-syriacae Un-
guae, p. 175. (2) Genèse IX, 4. — Lévilique XVII, dO. — Judith XI, 10, II.
(5) Sagesse XI, 7. — Jérémie XIX, 8, 9. — .\pocalypse XVI, G.
'23 i l'kl'duaiiistie, i.tc.
u [trisii l:i li'itrc ce (|u'ii disiiil uu liguiv, M>il |v>ui-luai<- uiitir rui-
soo, a lotiJMiirs soin d'avcrlir ses aiuii(('(ii-> ci île Imii- fuirecom-
prcudn' sa vnitaltlf prnst-c ^\). Il «si aussi fori (ligne de rc-
iiiari|uc ((lie loiilcs les fois qu'il s'cvpriinail dans le sctns lilloral,
et (|(io Tun atia(|uait la doclriiie (|u'il (iiopu^ail, il répc^luil les
|>arules mêmes (]ui a>aieni éli* un objet de scandale {2). Or, dans
le cas doni il s'agil, au lieu de l'aire enlundrc que ses e\|)res-
sioos soni li^urees , il conlirmc sou asseilion en euq»lo\anl l'af-
tiininiion la plus M^nili( alivc : « Kn veiile, en v«riie , je vous le
dis : Si vous ne man^c/ la eliair du lils de lliuniuie el ne buvex
son suog , NOUS n'aurez point la \ie en \ous>. • Dira-l-on qu'il ne
s'agissait |>as d'un do^'nie iinporlanl, el (|ue le (Christ |»uu>ail
s:jns ineonvénienl laisser ses auditeurs dans leur erreur.' Celle
ress<»uree fait encore défaut à nos ad\ersaires. Il est en clfel
question d'un précepte tellement (;rave, d'après les paroi* s ntê-
nies du divin .Maiire , <|iie la \if éternelle en dépend. Or, est-il
|>ossihlc d'admettre (|ue le Rédempteur, pour promulguer une
loi aussi im[)ortante, se soit servi d'expressions ligurécs , lon-
trairement à toutes les liahitudcs du lan^a^'e reçu? Lorstpi'il en-
sei;;ne la ni'cessilé du bapii'>me , il s'expli»pie absolument de la
même façon que lorsqu'il lait à tous les eliretiens une olill;;atiou
de recevoir son corps el son s;mg.
Sans parler de beaucoup d'antres raisons ipii aciirvt raient de
montrer que linterprelaiion liitciale est la seule admissible, je
me tontentcrai de faire remarquer la conduite du Sauveur à Té-
(;ard des disci|)les ifui se sc;indalisenl de In doctrine (|u'il vient
de leur annoncer. « (iette |)arole est duie, diseui-ils, el qui la
peut «'Couler? • Ces hommes eussent-ils parle ainsi, s'ils avaient
cru «piil ne s'agit que de la foi vn lui .' .Ne lavaient-ils pas re-
connu comme l'envovc de Dieu .' Or, quelle est, dan> une circon-
stance si grave , la («induite ib; .b-sus? Dit-il un seul nml pour
retenir ses disciples, pour les « inpèeber «le se perdre eu aban-
donnant le Fils de Dieu. Il ne leur donne pas la moindre expli-
cation . et il les laissf? dans une erreur «pii eut OU' vérilaltlemenl
iusiiii ibie, si, coaimc on le suppose, il a\ail \oulu parler dans un
(I) Jc.in III MaUhioii XIX. ('2)Jrnn Mil. Mallliiru |\ - J. an Mil-
l'euciiakistie, ltc. 235
sens inéta|)lioii([U('. Mais comparons à la contliiiie des disciples
incrédiilos (îeilc des douze A|)(Ures. Jésus leur demande s'ils ne
son! pas aussi décidés à le ([uiiier. IMcire dit au nom de ses col-
lègues : o Seigneur, à qui irons-nous? Vous avez les paroles do
la vie éternelle. » N'est-c/i pas comme s'ils avaient répondu :
«Vous seul connaissez les mystères du ciel ; il ne nous appartient
pas (r(>()poser à vos paroles les lumières de noire faible intelli-
gence. C'est à vous de parler, à nous d'obéir avec une foi bum-
blc et docile. Le Clirist , le Fils du Dieu vivant ne peut jamais
induire ses disciples en erreur. » Faut-il donc être surpiis (jue
Simon-Pierre et les autres apôtres aient écouté leur maître dans
un silence respectueux, lorsqu'il prononça les paroles solennelles
par lesquelles il institua le sacrement de l'Eucbarislie? Ils sa-
vaient que le Messie donnerait à ses disciples une nourriture
miraculeuse, Jésus leur avait dit à Caper-Naûm que cette nour-
riture serait sa cbair et son sang, comment pouvaient-ils donc
s'étonner de le voir exécuter sa promesse, au moment où il allait
remonter vers son Père?
Mais, disent Hess et Néander, tout ce qu'il peut y avoir d'ob-
scur dans le Nouveau-Testament sur la question de l'Eucharistie
est suffisamment expliqué par ce que Jésus dit à ses disciples en
terminant le célèbre discours de Caper-Naiim : « C'est l'esprit
qui vivilie , la chair ne sert à rien ; les paroles que je vous dis
sont esprit et vie (1). » Cette objection est très-populaire, la
plupart des protestants s'imaginent qu'il n'y a rien de solide à ré-
pondre A cette difficulté. Que des personnes étrangères aux ques-
tions d'exégèse aient une semblable manière de voir, je n'en suis
nullement surpris ; mais je suis étonné que des théologiens
comme Hess et Néander, aient recours à une interprétation aban-
donnée par tous les commentateurs éclairés, même de leur com-
munion. Aussi nous nous bornerons à réfuter par une observation
unique, mais décisive, cette manière d'entendre le passage de
saint Jean.
(1) Jean VI, fi3. Voici le texte de ee versel important : To -■nûit.o. inri-'i
2.'t0 l'eL'CUAKI&TIE , feTC.
Les mois chair cl esprit ^ op|X)st'S l'un à l'aiilre dans k» Nouveau
Tesiamt'Ul , onl iiiir si-^'oilic aiioii iiiNaiialilt- , lit's-(li(T<'r«*nie de
cellf tjuc l'ou X'ul leur donniT. Il sullit pour s'en cuiivaincre de
lire le chapiire VIII de VÉpitre aujc Romains^ depuis le verset
1" jusqu'au 14' (1). Ce passade prouve seul (ju'il faut entendre
par le luol chair les dispositions pcrverM's cl les mauvais senti-
ments d»' la nature liumainc, cl par esprit les sentiments de
riiomme régénère par la grâce.
Ceci posé , il n'est pas difTnilc d'cx|)li(picr le vrai sens du
passage de saint Jean, dont ou lait tant de bruit. Il veut dire
simplement : Les paroles de Jésus-Christ sont esprit et rie,
elles sont telles que la ciiair, ou l'homme réduit à ses propres
forces, ne |)cut les recevoir, et qu'il laut pour les agréer, le
puissant secours di; la grâce. Ainsi , ce tevic loin d'être conii-aire
à rinlerprétation que nous avons donnée de loul l'cnseniMe de
ce discours, la rorlilie cvidenimeul. N'csl-il pas nalurcl en effet,
qu'après avoir propose à ses auditeurs une vérité cpie la chair el
le sang ne sont pas en état de comprendre , le Sauveur dise à
ceux qui l'écoulent, qu'ils onl besoin, pour profiter de ses paro-
les, de s'éle\er au-dessus de la terre, «'t d'implorer du Ciel un
secours partii ulier? Il me sendile inutile d'insister davantage sur
ce point, malgré rim|)orlance <|ue quelques écrivains protestants
semblent encore y all.icher. Kn effet, |>arn)i v\\\ les exégèles les
plus instruits, reconnaissent mainlenanl (jne l'interprélation du
verseï 64' du chapiire VI' de saint Jean , proposée par Hess
et par Neander, ne peut être défendue, pour peu que l'on tienne
quelque compte de la langue du Nouveau Teslamenl, el que l'on
ne sacrilie pas lesinlerèis de la science aux inlerèts passagers des
partis (2).
(1) Ce passage est tellement connu que je ne crois pas n«^ccsaire de le re-
produire ici. (2) Kinœl (In Jean., VI. t. Il), apr^s avoir indique linlerprc-
lation qu'on donne vulgairement dans la communion & ce passage célèbre,
ajoute : «Scd liirc vcrbornm interprctaliou su loquendi scriploi-um Novi Tes-
tamenti comprobari nrquil.... Pr.Tplarcl igilur mihi eonim ratio quibus
rvijiAX ut pcrfrctior, sublimior senlieiidi cl staturndi ratio qu;«m «loclrina
Christi eflficil ; itî^ humilis, vilis >enlieiidi ralio, qualis cral Judœorum, qui
prcconceplas de Mestia et bonis in ejus regno expectandis opiniones fove-
l'eiciiaristie, et»;. IM
Ccpandaiii Hess et Néandor s'accordent à iroiivcr dans les
circonstances de rinstitutioii de l'Eucharistie un motif (jui a dû
oblijîer les apôtres d'entendre dans un sens symbolique les pa-
roles de leur Maître. Comme ils voyaiont .b'siis présent devant
leurs yeux, ils ne pouvaient s'imayincr <]u il eût la pensée de
leur donner dans le nouveau Sacrement son corps avec son sang.
L'impossibilité de la présence corporelle d'un même corps en
plusieurs lieux est ti'op évidente pour (ju'elle n'ait pas frappé les
Apôtres.
Je ne raisonnerai pas longuement sur ces prétendues impossi-
bilités. Personne n'ignore que la question de l'essence de la ma-
tière partage toujours les savants. Les uns alHrment avec Des-
cartes (1) que l'étendue est essentielle à la matière , les autres
disent avec Leibnilz que cette proposition n'a aucune base vrai-
ment philosophique (2). Kant a mis les deux opinions aux prises
bant : ut adeo sensus sit : valedicere dcbetis opinionibus vcstris praejudica-
tis, nani siiblimior tantum senliendi et statuendi ac operandi ratio, TTVEma sa-
lutatem oITerl; humilis, vilis statuendi ac sperandi ratio judaïca illa ratio,
<5%il, nihil confert ad veram felicilaler». » — Bloomfield, qui copie Kuinœl,
dit aussi : «que celte traduction (la traduction protestante populaire) ne
peut être prouvée d'après Viisus loquendi de ITcrituro. — Horne est du
même avis : «Le Saint-Esprit, dit-il , est mis pour ses effets (2 Cor. III, 6).
Ici, par le mot lettre, nous devons entendre la loi écrite avec des lettres sur
la pierre. Par l'esprit, il faut entendre la doctrine salutaire de TÉvangile,
dont TEsprit-Saint est le premier auteur. C'est dans le même sens que Jésus-
Christ a dit (Jean VI, 65) : « Les paroles que je dis sont esprit et vie, c'est-
à-dire elles sont inspirées par l'Esprit de Dieu , et conduiront à la vie éter-
nelle celui qui les recevra avec une foi véritable (Introduction, vol. II, p.
ioj, 7'édit.). — Dans son Index du langage symbolique de l'Écriture, au
mot chair, il dit encore : Apparence extérieure, condition, circonstances,
caractère, etc. (Jean VI, 65) : La chair ne sert de rien (Ibid., vol. IV). —
Voyez aussi Schleusner, au mot Sx;^. — Kopp, Excursus in Epist. ad Galat.
— Sartorius , Dissertatio theologica de notione vocis crâi; in N. T.— Storr,
Commentatio de vocum carnis et spiritus genuino sensu. — Schmid, De
poteslate vocabulis aâix.c; et îrvcJaaTc; in N. T. subjecta. — RoUer, De vo-
cum (jio; et -'<iju.y. in Pauii espist. ad Galatas sensu.
(1) Il est remarquable que, malgré la diflérence de leurs principes sur l'es-
sence de la matière, Descartes et Leibnitz ont travaillé à démontrer la possi-
bilité de la présence réelle au point de vue de leur philosophie. (2) Voyez
de Pres.ey, Instruction pastoral^ sur le mystère de l'Eucharistie; et Leibnitz,
Systema Iheologicum,
14
238 l/RITHAHlSTIt , KT<.,
d»ti& SCS < clcbit ■^ :iiihnoiuiti8 (1). TuQt que l«'s pliilosuplies n'au-
i-onl |>ii s'eDlendn* sur cv.ilc question fondauiontule, nous aurons
If droit do fair»' hiiii |teu de cas d«'b dillindlts (jii'ils |»ourronl
ojipostT au do^nie de la présence d'un corps en plusieurs lieux.
Aussi les protestants éclairés ne songent plus guère ù nous faire
des objections ([ue Ton retournerait facilement contre les autres
mystères du (Jirisliaiiisme. I.e savant théologien an^dicau Faberl,
dans ses DifficulUs du runKDiiame , s'exprime sur ce point avec
une franchise qui lui lait le plii> ^laiid honneur :
o En discutant sur ^•^• sujii, dit-il, ou en no le toiu liant «pie
pai- incident, (pieUpies écrivains, j'éprouve de la douleur à le
dire. s(; sont montres trop prodigues de ces termes inconvenants :
ahsurdiU', impossibililé! Le moindre reproche qu'on puisse; faire
a unpaieil lanj,'a;,'e . c'est qu'il mancpie de bons procédés. L'n
autre défaut beaucoup plus sérieu\tpi'(»n peut y reprendre, c'est
<•(' Ion de |)rés(»niplioM et d'orj^iieil cpi'il laisse percer, et ipii ne
sied nniicnietit à une < rcalurc' dont les facultés s<mt si bornées.
Cerlainenienl Dieu ne veut rien faire d'absurde, et ne peut rien
faire qui soit impossible. Mais il ne s'en suit pas rigoureusemeni
que nous voyions toujours les choses d'une manière parfaitement
exacte , vi cpie nous ne puissions jamais nous m<'prendre. Nous
pouvons lacib-mi-nt nous imaginer voir des coniradii lions là oii,
de fait, il n'y en a pas le moins du monde. Donc, avant de taxer
une doctrine de coniradiciion , il faut éire sûr davoir une in-
telligence |)aifaile de la matière qui y est proposée : car, autre-
ment, la contradiction pourrait bien ne pas être dans la matière
elle-même, mais dans notre manière de la concevoir. Pour moi,
comme la conscience que j'ai des bornes di' mon intelligence ne
me permet |>oint de vouh^ir en faire la nu'siire de tout ce (pii
est convenable et [X)ssible , il nie semble qu'il est à la fois plus
sage et plus convenable de m- point adarpier la doctrine de la
(I) On a fnil jusqu'ici t)p.niicoup dXTorls pour résoiitirr rrllc anlinumir.
Aucun n'n 6lê cniironni^ dr <iiicc(*$ : sur toiilos Ic9 questions fondamentale»,
la philo5op|iir raliinalistc balbutie conniu* nn jour de sn nais^nllrc. (Voyez.
M\r rr puiiit les aveux rrniarquables de MM. Jouiïroy ri Prmidlion dan» mon
i'alrrhismr historique dit incroyant*, livre III. tbn|). Wll- XXIII.
I.'ElTHAniSTM-, ETC. 230
Iranssiihslanliation , sur ce reproclio d'absurdité, flr ronlradic-
tion 01 (rimpossil)ilil('! qu'on allèpiuo contic fille. Suivre ce plau
d'alUKiue, c'est vrairucnt al)an(l<)iiner le terrain d'une ar^'umen-
talion rationnelle et persuasive. La doctrine de la iranssubstan-
liaiion, comme celle de la Triiiitc- , n'est pus une malièie qui se
discute pai" des raisonnements abstraits; c'est une question de
pure évidence (l). Nous rcf^artlons la révélation divine comme une
règle essentielle et infaillible de la vérité. Le plus siniple pour
nous n'est pas de nous perdre dans des raisonnements abstraits
sur rabsurdilé et les prétendues contradictions de la transsub-
stantiation ; mais c'est de rechercher, à l'aide des meilleurs
moyens qui soient en notre pouvoir, si la Sainte Écriture ensei-
gne véritablement cette doctrine. Ceci sullisamment prouve* et
déterminé, nous serons certains que la doctrine n'est ni absul'de,
ni contradictoire. .le soutiendrai toujours que la doctrine de la
transsubstantiation, conmie celle de la Tiinité, est une question
de pure évidence (2).
Leibnitz, le pliis grand nom de la philosophie protestante, est
encore plus explicite : Il repousse absolument toute idée de con-
tradiction dans le dogme catholique, et fait ol)server que , bien
loin qu'on puisse démontrer, comme on s'en est vanté avec tant
d'éclat, « qu'un corps ne saurait être en plusieurs lieu\ à la fois,
on peut au contraire prouver solidement que, quoique l'ordre
naturel des choses exige que la matière soit définitivement cir-
conscrite, cela cependant n'est pas d'une absolue nécessité ;3).»
Si les Apôtres avaient été philosophes , ils n'auraient eu donc
rien à objecter à la doctrine que leur divin Maître proposait à
leur croyance. Mais ils étaient complètement étrangers à ces dis-
cussions abstraites. Pour nous former une idée de l'état de leur
intelligence, nous devrons examiner avec un peu d'attention les
{l)C.-à-(l. une question de foi. (2) Le célèbre théologien entend par là la certi-
tude morale. Il veut dire qu'il n'est pas question de savoir si la présence
réelle est conforme à la philosophie , mais si elle a été évidemment révélée.
(5) Leibnitz, Syslenia theologicum, p. 2!2i. — Quant aux kantistes, Zimmer
leur a prouvé qu'au point de vue des principes de leur maître, ils ne peu-
vent nier la possibilité de la présence réelle. (Voyez Zimmer. Théologie spé-
ciale, t. m, % 162.)
"ilO L'Ei'f.HAtiSTiE, rrc.
Iiuiiiiiii's |>i*'(i\ >i sensés de la clussu à l:i(|uclli' ils :ip|>:irt(>naiont.
Or, oïl cluM'clierail vn vain dans ceUe classe d<'s notions exac-
tes sur ce (|ni osl ini|)ussil)le el coDlradictoire. L'idée que les
jjens du |H!U|>lt! ont iU\ possilile sr mesure toujours sur la puis-
sance de celui (|ui a^it. A leurs yeux rien n'est impossible au
Tout-Puissant, à celui qui fjouverne la nature avec une autorité
absolue. Or, les actions du Sauveur avaient dû l« ur donner de
son p(iuv(»ir l'idée la plus coni[)lèle.
Navail-il pas en Kur présence rendu d'un seul nmt la santé
aux intirmes, Touie aux sourds, la vue aux aveugles? N'avaient-
ils pas été témoins de la résurrection des morts.' La nature n'a-
vail-clle pas à ses ordres suspendu constamment toutes ses lois?
Jésus, sous les veux de ses Apôtres, s'était promené sur la sur-
face des eaux (1). Aux noces de Cana , il avait transformé l'eau
en vin (T); dans deux'autres cii onstanccs il avait fait, d'une ma-
nière plus frap|)anle encore , violence à toutes les lois de la na-
ture, en nourrissant cinq mille hommes avec cinq pains et deux
poissons, et quatre mille hommes avec cinq pains (3). Ce spec-
tacle étendit si loin l'idée que les Apôtres se faisaient de la toute
puissance de leur Maître , qu'ils ne durent t(>nir aucun compte
de l'idée d'impossibilité ou de contradiction lorsqu'il fut question
dans la suite d'inleipréter ses enseignements. Quand môme nos
adversaires par\irndraienl ù expliquer h' j»rodif;e de la multipli-
cation des pains et à le concilier avec leurs théories sur les lois
de la nature, la substance, l'étendue, etc. , toujours est-il que de
semblabUs ujiraclcs devaient sin;îulièrement disposer des hom-
mes tels que les Apôtres à croire que leur Maître pouvait réali-
ser toutes les merveilles qu'il unnon(;nit. On se tromperait donc
(iranfiemeni en croyant (]ue pour explicpier ces paroles : « Ceci
est mon corps, » ils auraient eu recours à l'impossibilité du sens
littéral et qu'ils se seraient dit : « Il a changé l'eau en vin ; il a
privé son corps de |)esanleur; il a multipli»* (pielques pains de
façon à nourrir une multitude; mais ceci est tellement différent
des miracles qu'il a opén'-s, qu'il nous faut pour la première fois
(I) Voypi MaUhifu XIV. Mnrr M l'Ji Jean It. 'ôl Marr Vllf . f-0.
. Jfin VI, 3 14.
L'eUCnARlSTlË, ETC. 241
(Jouter de son pouvoir et |)r(Mulre ses |)iiroIes au figuré. » Qu'au-
raienl-ils fait d'ailleurs de ces niagniliijues raisonnements, lors-
qu'ils virent le corps du Rédempteur traverser les portes fer-
mées (1)? Mais si les laits dont je viens de parler devaient donner
aux (liscipl(!s la plus liauic idée du pouvoir de leur Maître, ses
enseiguemenls, loin d'aU'aiblir leurs dispositions, étaient au con-
traire do nature à les fortifier. A chaque instant Jésus vantait la
foi de ren\ qui croyaient sans hésitai ion en son pouvoir, il re-
commandait cette loi comme la première condition pour parve-
nir à la vie éternelle (2). Si quelquefois il réprimandait sévère-
ment ses disciples, c'était pour avoir manqué de conliance (3) en
sa parole. Nous l'avons vu, quand il annonça l'insiiiution de l'Eu-
charistie, laisser partir sans regret les disciples qui avaient douté
et féliciter ses Apôtres d'avoir accepté sans balancer une doc-
trine qui avait scandalisé tous les autres [4]. Il les avait donc
préparés de longue main à recevoir tous ses enseignements avec
une foi complète et à ne pas opposer les conceptions de leur
intelligence aux affirmations de celui qui leur révélait les mys-
tères de la vie éternelle.
Hess met en avant une dernière difficulté qui ne mérite pas une
longue discussion. Les Apôtres, selon lui, étaient habitués à
entendre leur maître se servir de paraboles, et ils durent croire
sans peine qu'il continuait de parler ainsi , l'orsqu'il institua
l'Eucharistie. Mais cette objection ne peut être plausible que
pour un homme qui n'a pas fîiit une élude sérieuse de l'Évangile.
Si le Sauveur, se conformant au génie de l'Orient, se sert souvent
de similitudes, il a soin de montrer à ses Apôtres le sens pro-
fond de ces comparaisons. Ainsi, après avoir raconté la parabole
du Semeur, il leur dit : « La semence est la parole de Dieu (5).»
Toutes les fois qu'on se trompe sur la signification d'une parole
obscure, il en explique le véritable sens à ses disciples avec une
(1) Jean XX, 19, 26. (2) Voyez l'histoire des aveugles (Matthieu IX). —
Celui du centurion (Matthieu VIII). — Celle d'un lépreux (Ibid.) — La ré-
ponse de Marthe (Jean XIX, 21, 22.) (5) Voy. Matthieu VIII, 26 ; XIX, 24.
(4) Jean VI. (5) Luc VIII, tl et Matthieu XIII, 5-25. — Le texte de ce der-
nier confirme tout ce que je dis ici : « Les disciples s'approchant lui dirent :
242 L'EltlIUWMIK, ETC.
bonté pa't'riicllc (1). Or, «huis iiiic (|ueslion aiis^i iiii|>oi tante, eu
cv iiioiiu'iit soU'uiifl, lors(|u'il laissait à srs Ap«')tiTS s«*s derntèn's
iitstJiKiions,|)eul-oncn)ire qu'il ail np;,'li}?«Mr(Mii[)loyiT les expres-
sions les plus ( l;iii('s, <|u'il se soit sei\i des paialxiles h l'aide dcs-
tjuelles il l'ssajait de laire comprendre an penpie les vérités les
plus |>rofondes de son ensei^nenn-nt , «pi'il se soit eonlié eompI6-
leinenl à l'intelli^enee <ie ses disciples dont il connaiss^iit si bien
les |)rejii^és et les travers? Une telle supposition ne niérite pas de
nous arrêter plus lon^len)|>s.
Plusieurs rationalistes uvoucnl traneliement tpie le Christ a
révélé à SCS Apôtres le do^me de la pr<'senee réelle; ils se mon-
trent en cela pins sincères (pie Iteancoiip d'ecrixains protestants.
Mais ils n'en croient |>as moins (pu- ( e dopne <'sl une conception
purement linmaine, et «pi'il lani clienlier son orij;ine dans les
antiques relif;ions de lUrient. M. Jean Ueynaud (2) , et M.
Quiuel (3), attribuent aux Ma^es la première idée de rEucharis-
lie. Benjamin Constant n'est pas éloij,'né de penser que celle
croyance est née dans la presipiiie de l'Inde (4). Nous ne réfute-
rons j>as i( i des niopiesqne nous avons appréciées ailleurs assex
lon^'uemenl (6). Nous nous bornons à <-onsiater les étranges di-
visions de nos adversaires et à montrer avec «pielle imprudence
ils se cond>attent mutueiU>ment ; c'est ce (pii arrive toujours
quand on veut soumettre Tliistoire aux intérêts des coteries et des
socles (6). l/alilie K. Cuassxy, docteur eu théologie.
Pourquoi Inir |);ii-li'Z-\ous ni piiraboles? — 1:1 il U'iir ri'-|u)ii(lil : P.irrf
qu'il vous est (Joiiul' de rdimitilrc 1rs niyslrros île la parole »le Dieu; mais,
pour eux eelle eonnaissiuiee ne leur est pas aeeordi'e... Heureux xos yeux,
parce qu'ils voient, et vos oreilles parée i|u'elleH eiitetiiient !
(I) Voycr rcnlreticn de Jésus avec .Nieod^nie (Jcnn III). — L'avertisse-
ment aux disciples sur le levain des Pharisien.H et des Sadducéeiis (.MaUbicu
XVI, 0 et Luc \II, 1 ) ; l'explieation de la nourriture du Clirist (Jean XV, Tii) ;
ei plusieurs autres points. (Jean M, H. — M;illliieu XIX. 2i. — JcanVIII,
21, ô2, W.) (2) Voy. J. Itiynard , art. Zoroattrf. HI8, dans V Fnryrlnprdir
youvrtlf. (ô) Voy. K. Quiuel, ticnir dis rrUyiont, ôll. (i) N'>y. Henjaniin
Construit, ttr la nUyion rinnUlinr dan» tu snurcf, sr» formes cl ses dire-
lopprmrnti. II, \)7^. ('•>) Voy. le Christ rt l'f'.vangile. 2'édil.. cliap. IV: le
liaptéiue et rKucliaristic.
(fli Cet arlirlc est extrait d'un rcuiarqualdc ouvrage «juc vient de publier
notre ami M. Vnhhv Chassay ; llislnirt tir la piu$tou dr .V. .s". Jè$%u , uan
reur du mnndr.
ÉTLDE DE LA DOCTRmE CATHOLIQIE DAIVS LE
CO\CILE DE TREiXTE,
proposée cominc moyen de réunion de toutes les communions clirétieiines,
PAR LE R. P. NAMPON.
Sous ce titre a paru un excellent ouvrage, qui se vend en
France et en Suisse depuis plus d'une année. Nulle part mieux
qu'ici on n'était à portée d'apprécier le mérite de ce livre et
de comprendre quels avantages il y avait à le faire connaître.
Les Jnnnles cependant s'étaient bornées à l'annoncer. Nous
avions prédit le succès; deux contrefaçons attestent que nos
prévisions étaient légitimes ; car cette Etude, prêchée en confé-
rences dans l'église de Saint-Germain, avait obtenu des protes-
tants qui l'entendirent, comme de l'auditoire catholique, le plus
favorable accueil.
Nous n'avions entendu de ce travail que des fragments déta-
chés ; il a beaucoup gagné à l'impression. Les solides démons-
trations, la justiiication lumineuse de leur foi, que déjà les catho-
liques avaient recueillies des livres du R. P. Nampon , ils les
retrouveront aujourd'hui dans son livre, avec une remarquable
pureté de diction, une connexion et un ensemble qui en doublent
la force.
Ce qui ne témoigne pas médiocrement en faveur de cet ou-
vrage, c'est que plusieurs fois déjà il a mérité les attaques de nos
adversaires. Comme au P. Perrone, comme au cardinal Gousset,
on fait au P. Nampon l'honneur de le prendre pour point de
241 KTI'IIE
inirf, lorsqu'on sVssaio :i (îrnrvr à diTochcr quelque trait mala-
droit ((inlir la <l<>«irin«' cailioliciuo. Mais un «•< rivain est fort ,
quanti il oonilial smus la cuirasse i\c la verit»'*. Aussi ceux-là
iiu'me qui no veulent pas se rendnî à cet evpose «le foi, n'ont pas
lenle et ne tenlerunl pas «le lui diunier une sérieuse réponse. Us
lui prépareront encore sournoisement quelques é^rati^nures, ils
lui lanceront des épij,'ranimes vieillies, et puis cela fait ils se re-
mettront sur l'oreiller «le rin«ré«lulité et feindront de s'endor-
mir i umme après une vi«loire j^a^iiée. hluder les questions déci-
sives, louv(>\er autour <1«'S prineijtes au li«'u «le les aborder
francliement , tell»* a toujours été la friande lialtilete des conlro-
versisles pr«)testanls en lace des apologistes de notre foi.
Lonju'une place est imprenable, pour tromper l'opinion , on
multiplie tout autour des escarmouches sans portée; on éblouit
ainsi les esprits inalt«'ntifs, «pii, sans raisonner, donnent jr^'in de
cause sur les plus vaines a(>pareu«('s. Mais l«'S li«>mmes réfléchis
ne soDl pas dupes; ils peuvent se tain; «>u faire «horus par une
impardonnable cuimiNence; mais ils le sav«'ut très-bien, «ians le
fait, liuil Lit jeu u'esL qu'une tactique sans sincérité. O'ile ma-
nière de combutlre , surtout lorsqu'il s'agit de religion , est loin
de mériter une qualificaLion honorable.
Qu'v faire? Il v aura l«»uj«»urs des hommes atteints pai « eil»-
« fusur»' de notr»' S;iuv«.ur : lisant drs y( us pour ne point voir,
et une intelligence pour ne rien comprendre. A ces aveugles de
parti pris, c'est p<.'iuepet<lu«! «le pres«'nler la lumi«Te. Mais ceux-
là mis à part, nous cidvons utile «Je n-commander le livre du
1*. NauqMin aux âmes si nondueuses encore qui veulent suvoii
la vérité sur la plupart des points lU' «loclrin»; débattus entre le»
calhoIi«pies et l«'s protestants. Les uns y tnuiveront b's plus jus-
U's motifs «l«; s»; gloi ilier <l«! leur foi, et les autres d«' salutaires
éclaircisiitrmeuts à leurs «toutes.
Le mobile* (|ui a conduit la pUinie de I auteur, liii-m<''me l'in-
di«pie , c«; fut une «'spcraiice. \ ojri coinineiit il s'exprime «Ians
l'inlroduclioii :
< La réconciliation de toutes les communions chrétiennes n'est
• pas impossible. Car hieu la veut; Jesus-Christ l'a demandée la
• vedle «le sa mort ; les périls de la société la commandent; les
I>i: I.A DOCTRIM-: CATIIOI.IOI'K. "lA-i
» expcrieiu'cs liiiles la iacilileiii, les moyens d'instiuction plus
» répaiulus la lavorisent...
» Or W. moyen le pins obvie et lo pins sûr d'opérer celte ré-
» conciliation, c'est, ce me sem])le, de présenter aux protestants
» notre dodrine telle que l'Église elle-m«'me l'a délinie au con-
» cile tle Trente.
» Poui- prononcer contre elle avec justice, il faut la connaître,
» et la connaître non sur des rapports mensongers, mais sur des
» documents authentiques. Or ces pièces nécessaires à la révision
» d'un inique procès, je les fournis toutes dans cet écrit. Qu'on
» passe par dessus mes introductions et mes préambules, j'y con-
» sens volontiers; mais avant de prononcer contre le concile lui-
» même, au moins qu'on l'écoute ! »
Hâter un heureux rapprochement entre les peuples chrétiens,
appeler au baiser de paix tous les hommes qui acceptent la di-
vine mission de Jesus-Christ , telle est, on le voit, l'idée fonda-
mentale de l'ouvrage dont nous parlons.
De tout cœur nous nous associons à cette aspiration sainte et
généreuse; nous voudrions, conmie l'auteur, renverser le mur
de séparation qu'éleva l'esprit d'orgueil; nous souhaitons, nous
aussi , de clore cette arène où s'épuisent sans profit des forces
qui, durant de longs siècles, avaient ennobli le drapeau d'une
même foi.
Ah! comment ne pas gémir sous le coup de ces oppositions
sans cesse renaissantes, de ces déchirements profonds et doulou-
reux entre des hommes qui vivent côte à côte, et que tout, sauf
la pensée religieuse, tend à réunir! Quelle âme droite, fatiguée
de ces luttes quotidiennes , ne se prend à maudire les auteurs
d'une trcp déplorable scission? Et quoi de plus naturel que de
nous retourner, avec les larmes du regret, vers cette unité per-
due, vers cette paix des jours anciens, pour en appeler le re-
tour! S'il est un labeur digne d'éloge et de sympathie, n'est-ce
pas celui qui vise à aplanir les sentiers , à combler les abîmes
sous les pieds de ceux que le cœur ramène déjà dans la même
route tracée par le Fils de Dieu ?
Et néanmoins cet acte de réconciliation si désiré, faut-il le
!21(> KTI'DK V
dire? Iiiimninemfiil nous ne rrspérons pas jwnr noire pays. A
noire avis , l 'esl un rêve heureux , mais rien au-delà. Quelques
Ames (Iroiles cl simples , placées en dehors de rainiosphère
d'un prosélylisme hAlard, seront allirées par les eharmcs secrets
de Dieu; (pii>li|ues inielligen( es d'élile se jeiieronl dans les
l)ras (pie rKj^iisc leur ouvre. Une volonié plus Toile «pie les mes-
quines passions , et un amour de la vérité supérieur ù tous les
sa<Tilices, les y auront (onduiles. Mais le relour en masse,
comme le fui la dél'e<;iion. nous ne le prévoyons pas, nous ne
l'attenilons pas. Sans doule que la Providence a des voies mysté-
rieuses et des ressources extraordinaires; elle a s«'s marches
soudaines <>t inatlendties (]ui irom|)eiit lous les ralctils; mais
aussi la inalici', rciilêii'inciil sysieiii;iii(jiie des hommes nonl-ils
pas d'insondables abîmes, qu'à moins (rancaiilir hue liberlé,
toute la miséricorde divine ne saurait combler?
Or nous le croyons, l'un de ces abîmes se creuse dans le pro-
testanlisme lel «pie nous le révéhni ces derniers temps, en par-
ticulier à Genève. Plutôt Turc tjur catholique, voilà un mot pro-
noncé ici plus d'une f«)is par «mmix «pii :i^'il«'iil la population. Ce
mot, tout ex«<'nlri(pie «pi'il soil, d<Ni«'m de plus m plus l'ex-
|)ression vraie d<*s sentiments des aj^ilateurs.
Toutes les races ne se ressemlilent poini; il imi est «liez «jui
le lu'soin de reli;;ion se fait profondément sentir. Celles-là c«»n-
serveni . même «lans d<'s croyances «'iila» liées d'erreur, un fond
d«' respet I p«iur les choses saintes. Une sorle d'aplilude pour les
rapports siirnaliiiels «le l'ànu' ave«- ni«'U fa\oris«> l«Mir reiiirée
au henail du bon Pasteur. Tel est . à notre sens, le p«uple an-
glais; tel esl, en général, le peuph- allemand, malgré les ravages
du panthéisme et du communisme. Chez eux on sait enrore
prier, on y trouve encore «les habitudes de pii'-lé et (h'S formes
de«-ulleipii «latent du «atholiiisuu'. Des i«'sl«s «l'un chrislianisine
|)Ositifs'y sont maintenus, malgré leur opposition aux doctrines
subversivi's «pii «mt prévalu. Aussi ne déses|)erons-n(Mis pas de
voir ces grand«s nations s«' lever par un élan de foi et n-venir
avec bonheur à l'Église catholitpie, comme on revient à une mère
trop longtemps délaissée. N'est-ce pas celte Église qui a laborieti-
SUK l.X DOCrr.lNE CATHOLIOl'K. 247
si'incni liK-oriiic leur berceau el embelli leur jeunesse? Et lors-
qu'elles auront parcouru le coi'cle fatal des erreurs, épuisé la
coupe des diiceptions, n'est-ce pas à celte Éylisc qu'elles de-
manderont la guérison de leurs maux? \ qui iraient-elles enfin?
L'Éi,'lise seule a les paroles de la vie éternelle.
Quant au pi-otesianlisme de Genève, nous nous en formons
une autre opinion. C'est une religion dont on a ôté le cour. Au
lieu d'un enseignement qui dilate et porte en haut , on n'y ren-
contre à l'origine qu'un dogmatisme roide et nu (pii resserre, qui
concentre en soi-même, qui glace. Et aujourd'hui que tout sym-
bole est évanoui , que lui rcslc-l-il? Une seule chose : la haine
du catholicisme, haine aveugle (|ui n'écoute point de raisons, ou
que les raisons exaspèrent, haine incompréhensible, qui ne sau-
rait se justifier par aucun motif élevé. La religion est annulée
ici dans son objet premier et principal, qui est d'unir à Dieu!
Dieu, elle le piétériic presque entièrement, elle le laisse étran-
ger aux âmes. La Réforme se pose avant tout comme une orga-
nisation habile, qui a fait, dit-on, le caractère national, la célé-
brité, la prospérité industrielle et financière de Genève, Voilà
le grand mérite de l'œuvre de Calvin. Ce mérite, s'il était réel
el indiscutable, pourrait suflire à une religion d'homme; mais
est-ce assez aux yeux de Dieu et pour les besoins spirituels d'un
peuple chrétien.'
Ce protestantisme, on le voit, loin d'être une religion qui at-
tire à Dieu, c'est un parti qui cantone ses adeptes dans des pré-
jugés séculaires et qui attise une aversion croissante contre l'élé-
ment catholique. Il se croit obligé de lui résister en désespéré.
Eh bien, un tel parti, pouvons-nous compter qu'il nous donnera
une main fraternelle, ou seulement qu'il consentira à discuter les
bases d'une réconciliation (1)? Nullement. Aujourd'hui, tout en
conservant son nom , la Réforme arrive au rationalisme pur, à la
(1) Nous n'adoptons pas toutes les idées de notre collaborateur; au milieu
de l'agitation liaincuse, nous croyons entrevoir des symptômes de retour, et
jamais nous n'avons désespéré de la conversion de notre pays.
G. Mermillod.
218 KTl 1)1
négnliitn do loiilc loi M-iitablc; mais flic n «ii liemcun-pas iiiuius
l'irréconciliablr ailversaiie tlu calliolicisme; rllt* |)ri'ffivra se
voiiir au rôle de Voltaire, pluiâi que de faire un pas vers la re-
Iit;iuii (pii avait dunm- à Genève douze siècles «le paix cl de ^loi^e.
Non, telle retrudescene*: de dis|)osiiions hostiles ne permet
guère d'espérer un procliaiu retour à la doctrine exigcnie du
salul. La vérité parvint-t-clle à se faire jour, sa connaissaoco, on
ne l'ignore pas, n'est (jue la moindre paiiie dans l'ituvra^c d'une
conversion.
Mais si «pielque jour se formulait une intention sérieuse
d'étudier le ealliolicisme, le travail du V. Nampun seiail un fluide
sûr et à la portée de tous les esprits. Il a le j;rand mérite d'of-
frir an lecteur la plus lidèle expression de la doctrine catholique
dans le texte du concile <le Trente. Puis ce texte, déjà si ferme
dans sa concision , si persuasif par la haute raison , par le ion
d'assurance «(ui y règne et qui en est le cachet, comme il est ce-
lui (le la vérité; ce texte est éclairci , justifié, développé par
d'admirables expost'-s.
La (onfrontaiion dt!s doctrines adverses y met en relief l'édilice
antique et imbranlable de lu vérité; elle fait en même temps
loucher du doigt, sur chaque article controversé, le sable mou-
vant des doctrines purement rationnelles, et l'inconsistance des
Structures de main d'Iiomme, Ou sait le nierite de \ Exposition
de Bossuet ; on sait les conquêtes qu'elle a faites dans les rangs de
nos adversair<'s; eh bien, c'est une exposition nouv( lie (jue pré-
sente l'auteur. Le fond n'y est pas change, on le conçoit; mais la
forme est modernisée; les preuves sont ajoutées aux propositions,
et un vêlement de traits hisloriipies , d'heureuses citations, de
n'Ilexions solides relève enc(»re l'expression de la foi catholique
déjà si belle dans sa nue sinq)lit ile.
Un autre mérite encore distingue cet ouvrage de ceux de ce
genre : c'est le fréquent usage et la sîigace a|>plication des pas-
sa g«'s de la Sainte-Lcrituii'. En voici un excinpU' pour terminer.
Il s'agit de justifier l'intolérance dogmali(]ue de l'Église, qui est,
dit l'auteur, une nouvelle preuve de la divinit»' de sa foi. Il em-
prunte avec honh<'nr un trait historique du livre des Hois.
SI'R F.V llOr,TRI>'E «lATIIOLlQUr. 2'19
«Deux mères sont amerK'Os (levant Salomon. Elles se dispu-
!• lent avec une éj^ale chaleur un nourrisson que eliacune d'elles
» prétend lui appartenir. Elles vivaient sous le même toit , elles
» nourrissaient chacune un enfant du même âge. L'une d'elles,
» ayant éloullé le sien pendant la nuit, a place l'enfant mort dans
» les bras de sa voisine, et s'atiribue le survivant. La vraie mère
» le réclame avec chaleur. A qui l'adjuger, puisque ni le crime,
» ni le droit ne peuvent être découverts , puisque l'enfant lui-
» même ne sait point encore, par sou sourire, distinguer sa mère?
» — Qu'on le partage donc en deux, prononce Salomon, et puis-
» que les droits sont égaux., que chaque mère en emporte la
» moitié! — Non! non! s'écrie aussitôt l'une d'elles, non, point
» de partage ! mon fds m'appartient tout entier, qu'il vive ! —
» Tel fut le cri maternel ! Personne ne s'y méprit, nul n'osa ja-
» mais reprocher à cette pauvre mère ni égoïsme, ni intolérance,
» ni dédaigneuse lierté. Au contraire, la marâtre, celle qui avait
» étoulfé son enfant et dérobé l'autre, accepte la sentence et ré-
» pond : Partageons! Et par ce seul mot elle s'est déclarée cou-
» pable. Tout le monde a bien vu que cet enfant, qu'elle sacri-
» fiait ainsi, n'était pas son enfant; qu'elle n'avait pas porté dans
» ses lianes, nourri de son lait ce fils qu'elle consentait à voir im-
» moler sous ses yeux.
» L'application est facile. Que toute secte qui s'est fait un sym-
» bole consente à le refaire, à le modifier, à sacrifier au besoin
» de l'union et de la paix quelques articles de sa croyance, à ne
» pas condamner ses contradicteurs, cela doit être ; ainsi firent
» tous les dissidents, chaqi"e fois qu'ils y trouvèrent leur intérêt.
» Mais la société religieuse que Jésus-Christ a établie dépositaire
» de ses enseignements, de ses sacrements, de ses pouvoirs, à la-
» quelle il a dit : « Enseignez toutes les nations, leur ordonnant
» d'observer tout ce que je vous ai prescrit... Qui vous écoute,
» m'écoute... Qui ne croira pas sera condamné... Qui refusera
» d'écouter l'Eglise , qu'il soit à vos yeux comme un païen et un
» publicain !... Ah î vous avez un signe certain pour la reconnaî-
» tre entre toutes les autres. Voyez si elle refuse obstinément de
» livrer une parcelle du dépôt sacré; si le partage est pour elle ;
25(» KTIDE blR L\ DOCTRINE C ATlIOLiy l E .
• si fllf va réjH'iaol, après Jésus-Christ, d«' siècle en siècle, sans
» disÂiimilaiioD ni respect liumnin : ■ Qui ne cruira pas sera co»-
» damné! » Vove/. si elle dit liaulcment et partout romnie Pierre,
■ au premier jour de la prédication tle rKvanglN' ; • Il n'y a de
» salut ([u'cn Jésus-Clirist seul. » A ce sif,'ne , il vous sera facile
■ de la distinguer avec certitude. Examinez dooc ei com|>arez le
■ langage, l'atliludo de l'Église et des sectes rivales, et juge/ avec
• la sagesse ci !<• {lis( • rncmtiil du grand roi. •
L.
DU l'ROTESTAi\TISME A GENÈVE.
Situation actuelle.
Les hommes pacifiques du prolesianlisme qui se plaisent à
dire que la paix et le progrès des nations sont l'œuvre de la pré-
tendue réforme, n'ont jamais songé à l'histoire de Genève. Cette
brillante cité a vraiment organisé chez elle l'agitation perma-
nente et le mouvement perpétuel. Sauf les jours de calme et de
liberté dont elle a joui sous quelques évêques, sauf les jours de
terreur oii le double despotisme civil et doctrinal de Calvin lui
imposait le silence, notre ville est une ville turbulente. Quelle est
la cause de ces troubles? Certes, ce n'est ni la magnificence
de sa situation, ni le caractère paisible de ses habitants. La
cause réelle, au moins depuis trois siècles, n'est-elle pas
évidemment cette doctrine du libre examen , cette souverai-
neté universelle de la raison humaine, cette indépendance
religieuse qui, après avoir fait invasion dans les consciences, des-
cend , par une progression inévitable, dans l'ordre social. Un
homme (l) à qui personne ne contestera la réputation d'homme
d'esprit, a écrit, il y a quelques années, des lettres sur Genève
(roù il serait facile d'extraire des traits épars et d'en faire un
fidèle tableau de notre république ; ce serait le daguerréotype
d'unî ville faite par le protestantisme et à son image. Cet
écrivain disait un jour : Notre peuple genevois est ingouverna-
ble! Quand les âmes ont fui la soumission à l'autorité religieuse,
comment ose-t-on espérer qu'elles restent dociles au pouvoir so-
cial!
(1) M. Baiimgartner.
252 in l*n(>TESTA>TIStiK A r.EXÈVF.
Gliorrrs ci>ili>s, coininotions |)olilii|ues, <lcl)Uts lli(ulo^'i(|uc.s ,
émcuii'S roli^'iouses, noire histoire est pleine «le ces troubles, cl
à toutes les époques, nous voyons les faits que rarontu M. Che-
iievière à I'orij;îne «lu métlioLlisme : « La désunion s'est (glissée
entre d'aneien amis, des eiilanls se sont deiailiés de leurs jièrcs,
des femmes de leurs é|)oii\. » (luupie année noire verre d'eau
a eu ses Itinprles (l). Sans rcmouler hieii haut, nous trouvons
des (|uerclles (|ue nos luttes d aujourd liui ne doivent pas faire
oublier, cl «|ui sont le développemenl du protestantisme.
Colnel, ce journaliste plein d'esprit et de malice de la Restau-
ration , a tracé le <ro(]uis de ces animosités à l'occasion d'une
l)ro( liure <le M. Chenevière; c'est une pa^e que nous de\ons re-
produire; celle revue rélrospective est le |)réumbule de notre si-
tuation :
Les Inmbles reliRirux dont M. Lhcneviriv [race le luMcaii ilnlrnl do IKJIî.
A crUe épo(|ue, une feiiuiic dr beaucoup dcspril, d'une iniugiiialion ardente,
qui d'ailleurs, c'est une justice (pie Unn ceux (|ni l'uni enlenduc se plaisent
à lui rendre, prêche aussi W\ci\ tpie le pasteur le plus disert, Mme la baronne
de Krudner, car il faut l)ien la nommer, vint à Genève; et, si nous devons
en croire M. (ilienevièrc, la discorde y vint avec elle. Celle daine, k peine
arrivée dans la maison qu'elle occupait , réunit un assez grand nombre de
disciples. Le Consitlnire en fui épou\anté , et , à l'exemple du Sénat romain
qui, dans les cireon>lanccs périlleir?>es, ordonnait aux consuls de veiller au
salul de la répidilicpie. il nomma des commissaires € cliarpés de s'assurer si
le protestantisme ne courait aucun danper. » Mai* déjà Mme île Krudner
était partie, emmenant avec elle un jeune ministre, M. Hmpeyla, (|ui avait ré-
solu de la suivre partout cl «le parlargcr ses joies et ses tribulations.
Le Consistoire leur souhaita bon voyage et crut n'avoir plus rien à crain-
dre. Il se trompait : Mme de Krudner venait de préparer les voies à des en-
nemis plus redoutables. Rlle avait semé : d'autres allaient recueillir. Bientôt,
en eiïel, pour nie servir des expressions de M. le pasteur Clienexière, une
nuée de méthodistes, ou, si l'on veut, de protestants qui protestaient contre
le prolestantisme de Geiicve, fondit sur cette \ille.
On voyait à leur tête l'Kcossais lloldane , calviniste ripiije, se refusant à
toute conces.Hion , ayant en horreur ces mezzn termine dont il reprochait ii
se.s adversaires de .s'aceonimmler beaucoup trop facilement. Apre» lui mar-
chait sir Henri Drummont. i moins profond dans son art, dit M- Cheneviérc,
mais |tlus impétueux. » ("e dernier, l'Ajax des dissidents, ne gardant aucune
mesure, annonça publiquement que rK(»lisc élail déehue, et qu'il fallait s'en
(T C'esl le niol malin d'un tninisire de l'raiire qui. en parlant d'une de nos
révolutions, disait : C'est une ten»péte dans un \crre d'eau.
Di; PKOTKSrVMISME A UEilÈVR. 2r).'{
5ppaicr au plus vile. II traita ses ministres d'impies, de blasphémateurs
Que sais-je, moi? Il les condamna tous au feu de Tcnfer,
Ajax Drummont fut cité devant MM. Jes syndics, qui l'invitèrent à modé-
rer son bouillant couraf^c. Mais il était trop tard ; ses prédications avaient
produit leurs fruits. On nous donne Ji entendre qu'il dut ses triomphes plus
encore à son ar;;cnl quà son élotjuenee. On rajtpeilc le banquier de la secte.
« Il distribuait ù la lois, nous dil-on, des leçons et des deniers, o M. Cliene-
vièrc a-til senti tout ce qu une pareille insinuation a\ait de désobligeant pour
ses compatriotes dissidents? Après tout, ils sont plus intéressés que moi à la
repousser. Je leur laisse donc le soin de prouver à M. le pasteur Chene-
vièrc que, s'ils ne font plus partie de son troupeau , c'est à la grâce seule
qu'il doit s'en prendre, que l'argent n'est pour rien dans cette affaire; enfin,
qu'ils ont été beaucoup plus touchés des leçons de M. Drummont que de ses
deniers.
Que faisait alors la vénérable compagnie des pasteurs? Sa loi du silence
date de celle époque ; elle voyait avec douleur qye les chaires publiques, où
le venin du méthodisme commençait à se glisser, allaient devenir autant d'a-
rènes. Déjà d'indiscrets prédicateurs y professaient des doctrines, fort an-
ciennes d'ailleurs, mais fort nouvelles dans Genève. L'un d'eux n'a'^it-il pas
osé prêcher en faveur de la consubslanlialilc du Verbe? La vénérable com-
pagnie sentit la nécessité de faire cesser ce scandale; en conséquence, toutes
les parties entendues, et sans prononcer sur le fond du procès, elle défendit
à tous ses prédicateurs « d émettre leur opinion sur la manière dont la na-
ture divine est unie à la personne de Jésus-Christ.» Question délicate sur
laquelle , jusqu'à plus ample informé , on est convenu à Genève de ne dire
ni oui, ni non.
Ce règlement n'eut pas les résultats qu'on en attendait. On le trouva ob-
scur, conçu en termes équivoques. Les uns y lirent un acte de faiblesse, les
autres un acte de tyrannie. 31. le pasteur Chenevière assure que des malin-
tentionnés le firent réimprimer sans le considérant, qui en expliquait l'esprit
et le but. Moi, j'ai entendu dire que d'autres en firent cette parodie : «De
par la vénérable compagnie des pasteurs, défenses sont faites de parler, en
cette ville, de Jésus-Christ, soit en bien, soit en mal. d II y a des mauvais
plaisants à Genève comme chez nous.
Les ministres de cette ville se trouvaient alors dans une position assez pé-
nible. Il pleuvait des pamphlets, des brochures et des chansons contre eux.
«On leur prodiguait , dit M. le pasteur Chenevière, les reproches et les ou-
trages; on décriait leur foi, leurs enseignements...; et les honorés seigneurs
du Conseil d'État ne voulaient pas qu'ils se défendissent ! M. le pasteur Che-
nevière s'qp plaint amèrement ; en effet , il est dur d'être livrés pieds et
poings liés aux attaques de ses adversaires, de recevoir tous les coups qu'ils
vous portent, et de ne pouvoir, quoique les doigts vous démangent, leur en
rendre un seul. M. le pasteur Chenevière brûlait, ainsi que plus d'un de ses
confrères, d'entrer en lice; mixls \es honorés seigneurs, qui apparemment ne
partageaient pas sa belliqueuse ardeur, lui prescrivirent le silence le plus
rigoureux, et, de ce qu'il se taisait, on ne manqua pas do conclure qu'il n'a-
vait rien de bon à dire, ni lui, ni ses confrères.
16
254 LK PROTESTAiNTisiiE A r.e:ièvi:.
Telle lut, à ce (ju il |>aniit, I upiiiion de M.M. les paslcun de l^usaniie, qui,
doutant df Vurthodoxie de leurs voisins, rompirent dès ce moment toute
i-unitnuuicaliun a\ec eux. L'église de (ieiiùve n'ciil pus , dans eelte eircuii
stanre, bcaueoiip plus à se louer des journalistes anglais, (|ui, se rappelant
fort à pnipos les compliments «|u'elle a rcens , il ) a soixante ans, de d'A-
lemberl cl de nos encyclopédistes , raccusèrent de professer le» doctrines
d'une fausse philosophie , luuie mondaine. * Genève n'est plus chrétienne.
Ce cri, dit M. Ctieuoière, s'est fait entendre en Angleterre, en Hollande, en
Allemagne, cl a retenti jusqu'aux oreilles étonnées du Nouveau-Monde. >
Ainsi, comme il a niison de r«)l»server, ce sont des réfornu's qui « <lé(liirent
la réforme ; » ce sont des protestants qui veillent :d)aUre le lioulcvanl du
protestantisme. > Mais cette guerre intestine nous étonne moins que M. le
pusleur Chenexièru : nous savions depuis longtemps que tout cela arriverait
tôt ou lard; Uus6uet nous l'avait dit, ainsi qu'à M. le pasteur Cliencvière,
qui aurait dû l'en croire.
Aux ennemis du dehors ajoutons ceux que Genève renferme dans son sein,
et qui ne sont pas les moins dangereux. J'n|)erçois parmi eux des avocats ,
des professeurs, des ministres du Saint Kvangile, et même des pasteurs. On
nous diLM|uc ce sont pour la pliq)art de t jeunes hommes fougueux et pour
ainsi dire échapju's. » Kh bien, ils n'en sont que plus à craindre.
Ce ([ui m'elfraic encore davantage pour M. le pasteur (Ihenevièrc, qui
|)Ourlaut n'en fait que rire , et pour sa compagnie, c'est c un régiment de
femmes rntrc drtix ()gcs, qui n'ont fait, dit-il, que changer de passion et qui,
armées d'une petite HIMc, vonî, comme de profondes tliéologieimcs, visiter
des artisans, des pauvres, des canq)agnards, pour les convaincre de Vhrrèsir
de leurs pasteurs. » .\ la place de .M. (Cliencvière, j'aurais jiarlé sur un autre
ton d'un corps >i rcdoiilalile. (-es feniines rnlrr dni.r <\yrs lui ap|)rendront. je
l'espère, qu on ne les insulte pas inq>unémenl; et d'ailleurs, a-t-il encore le
droit de censurer leur conduite? Elles ont quitté sa paroisse, elles ne sont
plus ses ouaille.s.
Que penser encore de ce bataillon virginal composé «le * demoiselles de
qualor/.c à (juinze ans, ipii font aujourd'hui la leçon à leurs pasteurs, leur
disant, unis Imisscr 1rs ynur, «ju'il» ne sont plus elnéliens, catéchisent cl en-
seignent les docteurs...?» Il nie semble qu'en voyant ces jeunes demoisel-
les, dont la raison parait Irès-éclairée . dans les rangs de leurs adversaires,
tous les professeurs de théologie devraient trembler dans leurs chaires. En
faut-il davantage pour ébranler jusque dans ses fondements la métropole de
Calvin? El .M. Chenevièrc en plaisante! Courage, M. le pasteur, courage; on
ne saiir.iit perdre ])lus gaiment la portion la plus jolie et la plus intéressante
de son troupeau. #
Je laisse à d'autres le soin d'apprécier les arfinmenls Ihéologiqties que l'au-
teur de ce précis cni|iloie pour réfuter le iiiétliodisnie ; leur examen n'est
pas de ma compétence. .M. (Jienevièrc conclut en disant que les méthodistes
sont de mauvais rourhrurs. Il le sait donc? Je crois qu'il le saura encore
mieux dans quelques années : car ces mauvais coucheurs, comme il les ap-
pelle, ne se contenteront pas de tirer h eux toute la couverture. On peut.
LE PHOTESTA^TIS.HE A GE.>(EVE. ZOO
sans ('lie pniplictt;. iiiuiuiiccr (]u'ils fiiiiruiit par jelcr leurs cumaïaUcs de lit
ilaiis l:i ruelle (1).
Il y a laniôl irenle ans que cei article fui écrit, et depuis lors
le méthodisme a envahi les consciences élevées. Prol(''jjf(' parles
guinées amjlaises, selon l'expression du Semeur, il a construit
des chapelles indépendantes, fondé une école libre de théologie;
il a créé pour les âmes sérieuses et à l'usage du grand monde
un culle qui méprise profondément l'église naiionale. Le médio-
disnie n'a pas échappé aux scissions intestines; les irwingiens ,
les darbistes lui ont enlevé des partisans, et naguère M. Sché-
rer l'a abandonné, emportant avec lui une influence scientifique
que lud ne peut méconnailre. Ce professeur a fait école; nous
la nommerions volontiers Técole rationaliste mystique; elle a un
organe, qui est un des plus redoutables adversaires du protes-
tantisme genevois (2). Pendant que l'église libre grandissait, l'é-
glise nationale était assoupie; elle avait l'influence de l'Académie ,
elleavait ses temples; elle dormait cependant patronée par l'État,
s'inquiétant peu du catholicisme et du méthodisme. Quelques
hommes jetèrent siu' elle un reflet de savoir, quoique plus d'une
revue protestante accusât l'église de Genève d'avoir laissé périr,
avec ses derniers débris de christianisme, tout, souvenir de forte
théologie (3). A vrai dire, de nos jours, nul livre de grande va-
leur ihéologique n'est éclos dans l'école de Genève, et il a fallu
que le catholicisme, par sa présence et son mouvement d'as-
cension, vint la sortir de sa torpeur littéraire et religieuse. Par je
ne sais quel fatal aveuglement , les protestants s'imaginent que
Genève doit rester à jamais inféodée à la Réforme ; les ministres
nourrissent ce préjugé populaire qui sert de thème invarial)le à
leur éloquence. Ils parlent de cette cité gardée par PÉternel ,
parce qu'elle a su résister aux tentatives aventureuses d'un duc
de Savoie, toutefois ils ont soin d6 mettre en oubli le règne de cet
(J) Gazelle de France, 28 juin 1823. (2) Revue de Strasbourg.
(ô) Nous nous rappelons avoir lu un article spirituel sur le petit bagage de
chrislianisnîc qu'emportaient de Genève les étudiants de théologie. Comme
il s'agit d"nn écrit spirituel, personne ne confondra le Semeur de M. OItramare
cl de M. Vaucher-^foucllon. avec le Semeur de Paris. Il n'y a que le litre qui
soit ressuscité.
2-"»0 I r PROTESTX^TISUE A CtlMÈVE.
fUaiiyi'i [Mtard , de (Calvin, «|ui , à l'aide de fanattques armés.
s'empara «l<* Genève, pour lui imposer une dictature égale A l'aulo-
craiic russe. L'Escalade peut Mendéfruyer de mé«liorres esprits,
<|ui y trouvent des succès de faconde oratoire; mais Genève ne
pouvait être une < ite à jamais calviniste. IMus haut que l'escalade
du duc de Savoie, il y a l'escalade de la Providence. Une ville,
au\ «'[KHjues de cahue , gardera (pitlcpie temps, sous la pro-
tection lie ses rem|>arts et de lois sévères, son cachet religieux
ou politique; mais au jour des agitations sociales, des voyages
pi'rpétuels, des émigrations multiples, elle sera forcrnient tran-
sformée et se verra a[)pelée à de nouvelles destiné-es. Quelle est
la ville en Europe qui n'ait suhi, depuis i in<|uantc ans, des pha-
ses inconnues jusqu'alors? L'Europe se mêle, les nations se
visitent, les peiqiles se ( onfoudeiil , et peut-être Ilieure va
sonner ou cette fusion générale qu'amènent nos rapides com-
munications fera prévaloir partout l'indépendance spirituelle et
la liberté de l'Église. Quel que soit l'avenir que nous réservent
les facilités d'émigrations, l'Eglise est prête; les progrès mo-
dernes serviront à pctrter au loin son «lévouement sacerdotal et
à resserrer les liens de sa féconde hiérarchie. Genève ne |)ouvaii
échapper au mouvement général de noire épocpie. Elle ne sau-
rait à perpétuité olïrir le spectacle des puritains de Cromvvel
ou lin tableau des prédestinés du seizième siècle. Quand tout
change autour d'elle, (juand ses familles vont au loins'inq)régner
d'id«'es nouvelles et reviennent avec des préjugés disparus, quand
ses lils recherchent à l'étranger succès et fortune, et i\\U' les vi-
des inévitables de sa population se comblent nécessairement par
les habitants des pavs voisins, il faut bien accepter des change-
ments. Les conlréesquirenlonrenlsonl catholiques; le protestan-
tisme ne pouvait être (|ti un iiuident de son histoire. Il agitera en-
core despréventions séculaires ^'l lies passions humaines; nuis il
ne peut ressaisir son influence telle tombe. On l'a dit justement (1):
• Les temps ne roulent point en cercle , ils suivent une ligne
droite, et la vieillesse n'apprend pas de l'exil le retour à la vie.
Il y a dans les grandes destructions des choses qui ne se rel^-
' I' l.r P l.acordairc.
il
LE Pn<)TnSTA>TIS11fc. A «C.^ÈVE. 2Ô7
▼eni pas ; et c'est la tentation des esprits attardés de revonii-
aux ruines et d'y atta(;her dos afl'ections impuissantes et désespé-
rées. Tandis que Zorobabel , avec la foi d'un jeune homme , re-
bâtissait l(î temple, les aneiens qui avaient vu le premier pleu-
raient sur le second. C'est la loi de l'Age et du cœur humain. »
Nous comprenons ces regrets sur un étal de choses disparu : re-
grets inconsoles dans quelques âmes qui, l'œil fixé sur le passé,
s'imaginent que le meilleur état social et religieux est celui
où Calvin gouvernait les consciences et les conseils de la ré-
publique au nom du libre examen. Le Journal de Genève a, dans
sa rédaction, quelques-uns de ces inénarrables esprits; et ces
béats du calvinisme espèrent encore que les chemins de fer ra-
mèneront à Genève les antiques pouvoirs de la Vénérable Com-
pagnie, toutaumoinsqu'ilsvontélendreauloin les conquêtes de la
petite église nationale genevoise. Ce sont ces béats qui donnent
aujourd'hui l'impulsion aux idées de nos protestants ; de là ces
efforts inouïs, ces essais infructueux, ces dévouements pour ten-
ter la résurrection de siècles évanouis; pauvres gens qui pren-
nent des souvenirs pour des institutions durables et des regrets
pour l'imniorlalité ! Le protestantisme du passé n'est plus ; il n'a
plus de vie doctrinale, car elle s'est retirée dans le méthodisme ;
il n'a plus de vie organique, car la constitution de 1847 lui a
enlevé les formes de Calvin et l'a modernisé en lui infiltrant le
double élément laïque et démocratique. Un dogme surnage, c'est
la foi à Genève comme Rome protestante et métropole calviniste ;
un reste de vie s'agite encore dans ses veines, c'est l'horreur
de la sainte Église de Dieu, la peur de ses succès et de ses
triomphes !
En présence d'une semblable situation, qu'a fait le nationa-
lisme protestant? Il a rallié ses forces, et, convoquant les ban-
quiers et les ministres, il leur a dit : «La vieille Genève s'en
» va ; les catholiques nous débordent, bientôt ils seront les plus
» nombreux; ils prennent une place à notre soleil; la fabrique
» afllue d'ouvriers catholiques ; le petit commerce , et même le
» haut commerce, sont bientôt entre leurs mains ; de plus, ils ont
» l'audace d'écrire et de parler, comme si l'argent, l'esprit et la
» parole, à Genève, n'étaient pas la propriété des protestants ! »
'i.">8 I.E l'KDTlSTA^TISHK VT.EMKVE.
L;i crainU' loima liJL'iiiôi, sons \r liirc de Société tics Intéréli pro-
testants, une coalition de la parole, de la plume el (ic Iq caisse.
Armés de ces Irois puissances , les partisans de l'ancien réj^ime
essaient de lutter contre le catholicisme (jui a pour j,'ardiens de
ses succès la Providence et la force des <"lioses. Leurs elforts met-
tront à nu leur luist le, ils montreront à tous ipie leur attaque,
Itonne pour «létruire, est incapalil(> pour fonder, et (pi'elle :d)Ou-
lira à ime anarchie des ;!imes. Une doctrine <ro(i sont ahsi'ntes
les idées d'autorité et d'or^^anisation, ne petit rcToncilier les in-
telligences ni unir les cu>urs. D'ailleurs, ni le juhih* de 1835
avec ses l);unpiets et ses discours, ni Vinion protestante , ni les
Intérêts protestants , n'ont nussi à retenir nue socii-ié en disso-
lution, ni à former un faisceau durable d'éléments eu désaccord,
(les forces de l'I-^i^lise nationale n'ont pas pi'oduit lui synd>ole, une
adirmation chrétienne; elles n'ont pu répcmdre ni aux colères
mysticpies de M. Malan, «pii lui jetait le reproche d'aria-
nisme, ni à la science de M. Schérer, ni aux récriminations de
M. dt! (îaspaiin. Kii piéscnce d'une attaipie habile qui la met-
lait au ileti de prouver l'inspiration des livres saints en dehors
de rautoriti' caiholi(pie , l'ej^lise nationale a essayé une timide
arf,'unierii:i(ion qui tiahit sa faiblesse et r/'vèle ses aflinilés avec
le rationalisme. Malgré sa pénurie, (^Ic a poussé à une guerre
contre les caiholiipies; les prétextes ne lui ont pas manqué, et
après avoir tendu la main à des Anglais étrangers «pii ont i>Ati
une chapelle, elle excite bvs passions contre des concitoyens
qui (ousiruisent une église à lems frais. Les honunes sérieux
d<'ploreni en silence celle agitation fébrih»; ils n'osent la blAiner
au grand jour, m:iis ils ne consentent |)as ;'i s'en rendre comjdices;
ils se retirent de la scène, attristes de voir ries intelligences de
v.dein- conduites par des esprits étroits, et ils déplon-nt ce réveil
protestant, (pii est le fait de la haine et de la vulgarité!
Lescatlioliques nes'elli aient pasdc ci iir Imie :u luelle, la politi
que j pli 1rs diviser, l:i religion saura les unir; ils ont conscience
de li'iii vileur, ils se comptent et ils savenl que désormais ils
peiiNeni espérer une grande part dans la vie rcligiejise, sociale
ei litieraire de notre pays !. Nous ne faisons (pie renaître , et «léjà
nos u'uvres de charité sont lloris&anles ; nVis institutions de dé-
LE PROTIiSTANTlS.ME A GENÈVE. 259
voucMiuMil prospôront, et plus d'im joiinf; cu'ur deniande à rélni-
bililor le catholicisme dans l'iiistoiro, dans la science et dans
les arts! Des préju{^'és s'ell'acent , d'autres s'ail'aihlisscnt ; les
mensonges que trois siècles ont entassés sur nos dogmes et notre
passé commencent à s'éclaircir, et le jour n'est pas loin où
le catholicisme n'aura qu'à se présenter devant bien des âmes
pour être accepté avec la vérité qu'il conserve et les grâces qu'il
répand au nom de Jésus-Christ. Les dons de Dieu ont leur raison
d'être ; et la Providence a des vues , quand elle suscite cette
pléiade de jeunes gens qui sont à l'entrée de la vie publique,
prêts à se vouer à la défense de l'Église et à la glorifier par leur
vie, leur dévouement et leur parole.
Nos adversaires n'ont contre nous que deux ressources : des
brochures sans portée et l'achat des âmes. Ce n'est pas avec un
roman de M. Bungener que poursuivent les sifflets du Journal
des Débats et les mépris de V Assemblée Nationale , que le jour-
nal de M. Coquerel n'accepte pas même comme auxiliaire,
non plus que celui de M. de Pressensé ; ce n'est pas avec
les récits et la prose de M. Gaberel , ni avec les pamphlets et
le style de M. Ollramare, qu'une doctrine quelconque pourra
reconquérir son prestige sur les âmes. On nous attaque par une
controverse (le carrefour ; il nous est arrivé l'écho de certaines
ignominies de paroles que les clubs du Casino et du Fort-de-
l'Ecluse ont entendu ; il y a pour nous, dans ce seul fait, un si-
gne évident de notre force et de leur faiblesse. Ce n'est pas en
raconlant sournoisement des scandales du clergé , les abus du
moyen âge, qu'il est possible de retenir les esprits; tôt ou tard
ils échappent à cette fascination historique. Les abus, c'est là
un mot que les radicaux retourneront contre leurs ministres ; il
serait facile d'établir un parallèle entre ce moyen âge où, grâce
à l'Église, la civilisation a triomphé de la barbarie, et l'époque
où Calvin a fait prévaloir son règne et ses idées. L'agitation ac-
tuelle est le fait de quelques individus innomés jusqu'à cette heu-
re, qui ont voulu sortir de l'obscurité en se posant comme les ad-
versaires de l'Église. Ces jouteurs paraissent tour à tourdevantun
auditoire que les secours et les aumônes ont disposé à accepter
provisoirement toutes leurs rêveries contre le catholicisme ; le suc-
l}fi<» Lt PnOTtSTA?iTlSVE A Ct>È>E.
cfs csl liojj biiii |>n'|);iri' pour Irur niauqucr; ils nbliinnent les
rir«'s iiv IciirN iHM)|)|iytrs aux dépens «le la foiifessittn et du
clergé; ils ont (|ti<l(]ues iraiis d'esprit conire les choses les plus
saintes; fripniis d«'i«»l)('es aux conti's do I.alonlaine <»u à lii'ran-
ger, cl ils appellent cette cullerlion d'anecdotes, pas tdiijonrs
présentées dans une mise convi-nable, murs d'instruction à l'u-
tage des catholiques. Nous ne sonim(>s pins surpris s'ils n*osent
publier les noms de leurs prosélytes, i^auf eelui d'un ebanojne
italien dont la bi«>f;rapliie sera hientc^t mise an jour à la gloire
des con(|uéies de l'église nationale. Que les injures volent contre
nous, nous ne les redoutons guère, car elles ont aussi leur vuleur
dans l'opinion publicpie.
Le catholicisme juge-, bafoué au dix-huitième siècle, est sorti
plus vigoureux de celle épreuve; il est debout, pendant que ce
siècle insniteiir ne nous paraît plus (ju'iin proiHj^e «rign«)ralice
et daveugleuient ; et pour ceux cpii connaissent la question loul
entière, il devient visible que l'apologie du christianisme est plus
forte que sa (Tilifjne; que les plus lumineux espiits du dix-
neuvième siècle, dans toute rEuro|)e , ont été lumineux pour
avoir puisé, ne serait-ce qu'un instant, à la sève catholique, et
sont déchus quand ils ont cessé d'y puiser; qu'au sein de l'Eu-
rope prolestante, bî réveil de la vie religieuse est manifeste dans
les iiilelli;,'ences élevées et sincères, et qu'éveillées à la vie chré-
tienne , elles marchent au « alholicisme. Le P. Gralry. dans un
beau livHî qu'il vient de publier, a dit à merveille ipi'elant don-
nées la raison éclairée et la liberté vraie , le triomphe du catho-
licisme est certain.
A l'insulte i|ui nous attacpie , à la calomnie «pii travestit nos
croyances, nos ;nlversaires ont :ijoulé une dernièn* ressource,
qui a re^ii une lletrissure [)ubli(pie par la desi,i;naiion d'ACiiAT
DBS CONSCIENCES. Les co'urs élevés ne veulent pas croire qu'il
s'accomplit à (ienève une traite des Ames ; et pourtant, si toutes
les formes du marcln'' ne sont pas gardées dans toutes les per-
versitms, il est évident ipielainnôme est devenue leressort géné-
ral pour s'emparer des pauvr«'s catholiques. I-a charité n'est plus
un secourt désintérc&sé , c'est une prime offerte à l'apostasie;
I.K l'UOTESTANTISMIi A (iKNLVE. 261
une i('com|M'iise doiiiiée aux âmes vénales ou aux malheureux
dont la soulIVance osl exploitée. Le Dante a chanté combien le
|)ain d'aiilrui est amer, et combien il est dur de toujours monter
et de toujours descendre l'escalier d'une maison étrangère (1).
Coinnif le pain esl amer, ipiand il est le prix d'une déser-
tion religieuse ou le salaire du déshonneur! Les grandes et no-
bles idées de l'aumône et de la |)auvreté disparaissent ; les cœurs
s'abaissent, les caractères s'énervent, les convictions tombent,
la vt'rité et la religion ne sont plus qu'un moyen d'exploiter le
riche et d'avilir le pauvre. A notre époque, où les notions du
surnaturel existent à peine, oîi les préoccupations terrestres, les
affaires et les plaisirs tuent les aspirations de l'âme vers les idées
sereines de la foi, nous nous sentons profondémenthumiliésdece
que notre pays offre à l'Europe ce hideux spectacle d'un agiotage
religieux. Quand le pauvre, au sein de sa misère, en face desri-
chesscsqu'il convoite et des propriétaires qu'il jalouse, est entraîné
à éteindre en lui la pensée religieuse pour se procurer son pain de
chaque jour; quand le riche hii-méme vit presque toujours dans
l'idée fixe de perte et de bénéfice, comment oser encore, au nom
d'une religion, développer ces tendances matérielles? Le pauvre
sentira un jour les remords lui venir; il aura la haine de celui
qui lui a enlevé les consolations de sa foi , il sera toujours du
coté du succès, et il deviendra un instrument de ruine partout où
se trouve un profit. Que de fois nous avons rencontré des pauvres,
à qui nous avions parlé de porter avec une sainte résignation les
fatigues et les gloires de la pauvreté, qui nous ont répondu qu'ils
avaient l'espoir d'être bientôt à l'aise, car un visiteur protestant
leur avait dit : « Venez à nous, vous aurez plus de bien-être dans
notre religion.» Le profit est donc le dernier dogme de ce protes-
tantisme. C'est la religion du confortable , comme si l'Evangile
n'était pas une doctrine de mortification, et comme si la foi avait
pour but non pas d'élever l'âme , mais de nourrir le corps. De
(d) Tu proverai si corne sa di sale
Il pane altrui, e com"e duro calle
Lo scender e il salir per le altri scale.
Par. XVll.
202 LE rnoTKSTANTISlE A CENK^E.^
p:uoils f;iiis soulrvcnt rindi^^iKilioii des cailioliiiiips ; unis il y :i
encore dans notre \k\\s un tlernier relnj-c contre ces i^'nominies,
c'est la «'onscience |)ul>li(|ne. Les proie<«iations contre ce iralic
sont violentes ivirfuis; mais c'est le cri d'hommes de cœur qui
proclament qu'au-delà de l'argent il y a la conscience, et qui ne
consenlent pas à voir notre canton |»euple d'un ramassis de ven-
deurs et d'acheteurs (1). Si celte double action d'une controverse
infime et d'un prosélytisme \énal se |»er()«'tiic à Genève, nous ne
craignons pas pour les catholiques (pii sauront dominer la situa-
tion ; mais nous y voyons des signes d'abaissement pour la raison
et la conscience publi(]ues. Ces deux gardiens des convictions
et des mœurs d'un petqjle sont en péril, et les grandes idées de
vérité cl de vertu sont près de l'aire naufrage.
Telle est la situation; le protestantisme national se débat con-
tre la force des choses. Que sorlira-t-il de rciw fièvre? Sans
trop présumer, l'esprit le moins habile peut discerner des symp-
tômes de retour à TKglise et d«'S signes d'une conciliation intelli-
gente. Plus d'un cœur se sent déjà mal à l'aise dans ces attaques
qui ne i)rillent (|iie par la haine et la vult^arilé; plus d'une :1me
manque d'air cl aspire à des régions plus hautes. L(>s boulines
qui aiment les st^ii-nces, «jui se livrent aux recherches studieu-
ses et (pii ont le goût diîs lettres et du beau , ne pourront se
soustraire au monvemenl qui lait graviter les intelligences
d'é'lite vers l'Kglise catholi<pie; il y a dans toutes les scien-
ces un courant qui mène à Rome , et Genève subira lAl ou
larii celte sain(î inlluence qui eniraine aujourd'hui les savants
d'Angleterre. De un'ine «pie la réforme protestante a «léiruit
ranti(|ue constitution de la «hréiiente, «Ile a brise la synthèse
scienlifi<|ue qui était la gloire de l'Kurope chrétienne. La raison
(1; On .1 I i>iili'>lr ji s i.lll^ Il .H il li <i< < <>ii>< leiii'f, il pourtant il nous serait
facile (Ip piiltlirr une mrrruriair drs t\mrf , «h* rarontcr le^ secours donnt's
à «le^ catlir)li(nicH |ier\erlis. lan<lis (|tie «les protcsianis sonl ilélaissés ; il nous
serait facile île re<lire fjue M. («... n promis ii un jeune t'tranger la bourgeoi-
sie et un tlroilù l'hopilal, s'i\ se faisait protestant. Nous avons entre les mains
une lettre «l'un Saxoyan! h un de ses amis ; il l'engage h devenir transfuge.
cl il lui parle des ressources «jue son apostasie lui a values de la part (!«•
M. O... Cn travail sera public^ sur cet apostolat nouveau. _
l
Li: PllOTESTANTlSME A fiENÈVE. 2(33
iiidividiicllc, (Icvrmic soiivcrinnc , a divisé les esprits , ;mioindri
les efforts, dissipé les traditions des siècles; les intelligences se
fractionnent, s'individualisent; tristes dans leur isolement,
elles souiVrcnt et des vérités qu'elles retiennent et des erreurs
(ju'ell(>s ont adoptées.
I.es lioniuies protestants (jui s'occupent des (piestions sociales
vitMuli'oiii à nous; ce prosélytisme nouveau n'est à leurs yeux que
le vestil)ul(; du socialisme; les consciences qui voyagent à prix
d'argent ne s'arrêtent pas à l'église nationale, c'est une étape;
elles s'arrêtent et jouissent, jusqu'à ce qu'un appât plus fort les
attire ailleurs. Si un peuple laisse se former dans son sein une
race d'hommes qui se vendent au dernier enchérisseur, ce peuple
n'a plus qu'à creuser sa tombe, il se suicide ! De plus, en face
d'une société démantelée, les hommes d'ordre se prennent à dési-
rer un rempart plus fort que le glaive, plus respecté que les con-
stitutions, et tôt ou tard ils aperçoivent le catholicisme, celte
grande école de respect, tandis qu'ils voient le protestantisme con-
niver partout avec la n'-volution. L'In-résie se glisse dans les Etals
catholiques sous la protection des émeutes; elle conquiert à Lon-
dres et à Genève les réfugiés qui se soucient peu des croyances sé-
rieuses et qui prennent le libre examen comme un instrument pro-
pre à démolir la religion et l'ordre social. Ces amis qui lui viennent
de toute région et de toute doctrine ; ces consciences qui s'affu-
blent de textes bibliques pour protéger leur far-niente et préparer
leurs conspirations ; ces partisans de toute révolution, devenus les
auxiliaires intéressés de la réforme, tout celaouvre les yeux mê-
mes les moins clairvoyants, et montre partout un champ de ruines
qui est l'opf'ralion du protestantisme. — Les âmes avides de bon-
nes œuvres, passionnées de dévouement viendront à nous; elles
sentent que le foyer de la chaleur chrétienne a disparu, elles
se prennent à regretter nos cloîtres, elles ont des regards d'envie
pour nos petites sœurs des pauvres ou nos sœurs de charité.
Plus d'une âme soupire à Genève et se sent à l'étroit dans ce
mécanisme sec qu'on appelle- l'église nationale. Il y a des
âmes qui n'ont besoin que d'une parole d'un saint Vincent-de-
Paul; de la certitude de la foi et des grâces eucharistiques, et
elles iraient à la recherche de toutes les douleurs pour les con-
1Î01 I.t PKOTKSTAMTISXE A CE?IKVr.
»okT, ht'un'uses d»' servir Jésus-Clirisl. Gîlle vie de liaiiwî el
il'iiivi'Clivr leur deplail ; elles se retirent, se iiourrisseiil des <le-
bris de eliristiaiiisme qu'elles ont gardé. Malgré li ur libre exa-
men, elles ont eneore une puissance pour les œuNres de misé-
ricorde qui attestent les m«r\eilles dont elles seraient capables
avec lu foi et la cliarilû catliuliipies.
Kniin , Tagitation actuelle ramènera vers nous les consciences
qui ont soif de la vi<.' intérieure ; le protestantisme les a livrées
à luules les laiilaisies d'un mysticisme individuel. A Genève,
à la vue de ( e m iterialisroc croissant, bien des âmes protestantes
sont prises d'im inexprimable dégoût ol se réfugient dans leur
cœur |)Our y cbercber (piel(]ue < liose qui soil puissance el vérité ;
elles gémissent et réclament la foi , elles racceptenl des sectes
qui aflic lient des prétentions de spiritualisme; mais elles y ren-
contrent bientôt des défaillances el des desillusions.
Naguère la comtesse ilalin-llalm, en racontant sa conversion
au cuiliolicisme, son retour de risolemcnt à la communauté chré-
tienne, de la division à l'unité, de l'inquiétude à la paix, parle de
noire époijue a peuplée de ces âmes immenses mais vides, qui,
oiseaux de tempête, pcrrbés solitaires à la pointe d'une roche
nue, fonl entendre une phiiiit<' m(lancoli(|ue el monotone, imi-
tée du bruit de la vague ccinire les rtcifs , el a[)pr(tpriée à la
scène inlinie de l'Océan. » (-es âmes inclinent vers l'Kglise de
Jésus-Chrisl, el dans les laborieux et consolants travaux de noire
sacerdoce, nous avons entendu les |)laintes nombreuses de celles
qui attendent l'Iieurc de Dieu !
\oilà notre espoir; on peut le taxer de présomption; mais
nous le ganJons, et nos rap|)orts «piotidiens avec des protestants
n'ont pu ralfaiblir. Nos efforts tendront à ranu'uer la eontro-
V(rrse dans une sphère |ilus cieNce (pie le tralic des Ames ; nous
acceptons le libre cours donné aux luttes doctrinales el reli-
gieuses; la lutte d'esprits vivants dans le champ des croyances
vaut mieux que leur fatal repos dans le sépulcre de l'incrédu-
lité, l/unile religieuse esl sans doute un grand bien, la meilleure
garaniic di- l'uniit- nationale; mais quand un peuple ne Ta pas,
couunfiii peul-il la reeoiKpK-rir .* par la IïIm iie et la bivaute des
discussions. Li seulement la vraie ndigion peut Iriompher de se»
I.r PROTESTANTISME A GEINÈVH. 265
rivales dans les esprits qui la combattent faute de la connaître,
en déployant ses véritables titres à la croyance , les privilèges
(|u'elle a reçus du ciel. Leur splendeur frappera les reJ5'ards. A
Genève, la guerre nous est utile parce ([u'elle dévoile nos ad-
versaires et leurs doctrines, et qu'elle fera briller le divin éclat
de notre Église.
Elle vaut mieux qu'une paix stérile I Elle fera des conquêtes
pour la vérité (1).
Pour nous catholiques, il nous est glorieux d'être dévoués à
celte cause do Dieu! Songons à notre puissance; et en face des
protestants qui regrettent le passé, des utopistes qui appellent
la religion de l'avenir, ayons confiance, car nous sommes tout
ensemble les hommes du passé et les hommes de l'avenir!
L'abbé G. Mermillod.
{{) Bellura missiim est bomim, ut remperetur pax mala.
St Jérôme.
MIIWCES ET .\01VEI1E8.
Amérl<|UC. — l. Almnnnrh rnlhnliqur den /itiits-r»!* [>o>ir 1H54
a parti au (-(iiiiiiu-iu'i'iiiL'iit (\v luniit'c, et il iixtiitrc que, dans une |icrii)<lc de
vingt années, le iiMnbre des «lioeèses. des t'j^iises el des |iri'|ies, :i quadru-
plé. — On coinjilait dans ce pays, en 4804, H diocèses, ^lo |>rétres. *H»
églises, 9 séniinaires, (I eidlé^es eeclésiaslicjucs et "H) rouvenls donnant lu)-
slrurtion aux jeunes personnes.
Kn ISii, il y a\ail il dioeèses. fil7 prêtres. 611 églises, 19 séminaires,
li ei)llé{;es ecclésiasli(|ues et {H pensionnats tenus par des religieuses.
Knlin, en iN-^ii. on eiunplc il dincèses, i'.'ûi prêtres, 17l2égli>cs, 34 sé-
minaires, 20 eolléges eeelésiastiques, et 112 couvents pour l'éducation des
jeunes lilies. (les cliilTres ont leur elcxpience et proelanu-nt d'une manière
incontestable les pro;.'rès de la reliî;i((n aux Klats Tnis.
L'épiscopiit d.Aniérique s'honore de posséder ilans son sein onze préial>>
framais. parmi leM|iiil> se trouve laneien \icaire île Teniex, maintenant évé-
quc de Saint-Paul, l'ne partie de leurs prêtres sont aussi français, et chaque
évéquc , eliar){é d'or>;aiiiser un nouveau diocèse , se luUe de se rendre en
France, pour recruter des ouvriers apostolitpies. des religieuses et des aumô-
nes. La catholique Irlande fournit encore une forte proportion d'ecclésiasti-
ques au\ Klals -iriis. Knlin . h" sacerdoce se reenite parmi les .Américains
catholiques et parmi les ministres prolest;uits qui se couxcrtivsent , cl ces
derniers, qui tievienncnl chaque jour plus nendtrcux , sont ceux qui exer-
cent peut-être le plus d'inlluencc pour ramener à la véiilé nos frères sépa-
rés.
€«cii«*vc. — Affaire de Chtrrnnt. — l.e petit culte de M. Bourrit a
I>orté son premier fruit. I):ins la nuit du li au 12, on a H' ' lit coupe
a croix île ce vilLi^je rallio|i(|ue. Nous ne xoiijons pas longue-
ment, l/autenr de ce fait n'est pas cmmi ; nous préfér...- ^ qu'il na
pas été conseillé. Mais on sait hisloriqueniiMit, dans notre pays, comme partout
où s'est établi la Kéforme , i|uels sont ceux qui brisent les croix , el quels
sont ceux qui élèvent et vénèrent ce si^ne rédempteur sans lequel on ne
conçoit plus le chrislianisme.
Celui quia voulu empêcher la croix de protéger Chevrans s'e-t trop hilé;
l'heure n'a pas sonné de protcslanliser ce pays-la. 1^ croix sera relevée a>cc
honneur; elle aura un titre de plus au respeet des habitants du hameau.
.Mieux que eelu. La chose était à peine apprise dans la \ille, qu'une souscri|i-
tion s'est ouxerte aussitôt; en deux jours on a recueilli plus cjue le siiflisant
pour placer .'i l'entrée de Chcvrans une croix (|ue l'on ne pourra pascou|H:r.
lit le jour où elle sera exaltée, ce sera pour les paroisses de la rive dniite nn
jour solennel, un jour qui protestera liatiteiiienl eonlie les teiitnti\es de pro-
sélytisme. — Déjà le dimanche 2(1 une solennelle procession a en lien ; nnc
chaleureuse allocution de M. l'abbé lkil>el, prononcée àChorans, a ému tous
1rs assistants.
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE.
De la connaissance de Dieu, par A. Gralry, prêtre de TOratoire de l'Imma-
culée Conceplion. 2 vol. ia-8. Paris 1855, chez Douniol et Lecoffrc.
M. Foissct , dans un remarquable travail, vient de faire connaître ce li-
vre; nous espérons le reproduire en partie. Mais nous ne saurions attendre
plus longtemps pour signaler à l'admiration de nos lecteurs lœuvre du P.Gratrj',
C'est une œuvre de première force dont la France et lEglisc doivent se glo-
rifier. Aux mérites d'une science profonde , d'une discussion lumineuse ,
d'une pénétration rare, l'auteur unit toutes les qualités d'un grand écrivain.
L'impression que sa lecture a produite sur les esprits éminents a été immé-
diate et décisive : tous s'accordent à reconnaître dans le P. Gratry un maître
qui rappelle les grands hommes du dix-septième siècle, par la magnificence
du langage autant que par la pureté de la doctrine et la transcendance de
l'esprit. Ces quelques mots suffisent pour caractériser la ligne doctrinale du
P. Gratry, c'est dire qu'il est un enfant soumis de l'Eglise catholique, cette
mère nourricière de toutes les belles intelligences, et qu'il s'unit étroitement
à cette chaîne de grands hommes qui depuis saint Augustin et saint Thomas
d'Aquin, jusqu'à Bossuet et Leibnilz, ont consacré les lumières de leurs rai-
sons parfaites dans leur droiture à démontrer qu'en dehors des solutions ca-
tholiques, il n'y a point de science solide pour l'intelligence, pas plus que de
paix véritable pour le cœur. Ajoutons que le P. Gratry, qui avait frappé d'un
coup si décisif la dialectique hégélienne dans son Éiude sur la sophistique
contemporaine, développe ici plus amplement son attaque, avec une vigueur
nouvelle, et venge en termes incomparables la raison humaine, si indigne-
ment pervertie et outragée par l'impure école de philosophie que l'Allemagne
a engendrée.
Des esprits et de leurs manifestations fluidiques, par 31. Eudes de Minillc,
2""= édition. 1 vol. in-8.
Cet ouvrage remarquable et courageux vient d'avoir en peu de temps les
honneurs d'une seconde édition. L'auteur a dévoilé une des plaies de notre
époque qui , déjiourvue de foi , est avide du merveilleux et va le chercher
dans des communications mystérieuses avec le monde transnaturel. Les ta-
26K r.t>ir. niBLiocr.APHiyic.
ble$ pirlanlf!», les cs|>rils frappeurs ne sonl «lu'un des modes de celle fièvre
qui ngilc bien des âmes et qui les p»usse i jouer nvec un inconnu. Ia: P. Ven-
tura et le p. de Itavi^nan ont approuvé cet ouvrnpi- où sont racontés des
faits d'une nature cirante, et où ils sonl étudiés avec une linnineuse discus-
sion et où npparail rexplicalion de celle épidémie spirituelle ipii nous en-
valiit. Le succès a parlé rn faveur d'un volume que nous voudrions voir
entre les mains des catholiques, ils y liraient une éclatante réparation des
reproches de crédulité supcrslilieusc qui ont été adressés à l'Eglise.
Harmonie du catholicisme avec la nature humaine, par M"* de Chalië, née
Jussieu.
Un essai sur la liberté , l'égalité et la fraternité avait déjà appelé l'atten-
tion des esprits graves sur la jeune femme qui, avec une élévation dépen-
sée et de -style, axait creusé les pr«)blèntes les plus ardus de l'ordre social.
Aujourd'hui .Mme de Clialié monte dans uiw région plus haute et plus se-
reine , où sa vue s'étend, son cœur se dilate , en décrivant les harmonies du
calhiilicisme avec notre nature. Ce livre aura un succès que nous souhaitons
à l'auteur, et ipril est digne d'obtenir, celui de ramener des intelligences ù la
vérité, des :\mes dans les joies et dans la vie de l'Kgiisc eatliolique. Nous
croyons devoir dire à l'auteur que son livre est meilleur dans la partie qui
traite des aflinités du cœur avec le catholicisme.
Jésus, sauveur du monde; histoire de la Passion de Sotre Seigneur, par
l'abbé Chassay, docteur en théologie, elc.
Les lecteurs des Annales connaissenl depuis longtemps M. l'abbé Chassay,
par les ouvrages que nous avons recommandés, par les citations que nous
en avons faites, et ils auront lu dans le numéro de ce jour un fragment sur
rFucharislic extrait du beau livre que nous annonçons aujourd'hui. M. Chas-
say a le talent de mener de front des travaux qui paraissent incompatibles: il
publie des ouvrages qui ont un grand succès sur les devoirs, sur la mission
des femmes dans la famille et dans la srtriélé, et il travaille à une apologie
complète du christianisme. Il a déjà mis au jour la réfutation des systèmes
rationalistes et protestants qui nous viennent d'Allemagne, et il continue une
série de volumes sur lliistoirc de la passion, de la résurrection, de la prédi-
cation de Notre Seigneur, sur l'histoire de la prédication des Apôtres, sur
l'introduction scientilique et apologéli(|ue à l'histoire de Notre Seigneur Jé-
sus-Christ. Le premier volume vient de paraître; il a le double mérite d'être
écrit avec une onction qui charme le ccriir et une solidité (|ui met à néant
les idées de l'exégèse allemande. Cet étalage «le science qu'allichenl le pro-
testantisme et l'incrédulité s'évanouit devant les pages pleines de foi, de vi-
gueur et d'érudition de cet ouvrage; ce livre sera utile aux prêtres et aux
laïques qui ont .soif de s'instruire et de s'édifier. Au reste, M. Chassay a
des succès qui doivent le consoler des fatigues que son zèle et son talent
imposent ù une santé mise au service de l'Kglise.
G. MKRMII.I.OD.
DES OKDBES RELIGIEUX.
Les ordres religieux sont un fruit de la fécondité catholique; ils sont un
signe évident de sa vie surnaturelle. L'Église de Dieu a vu fleurir dans son
sein ces créations multiples qui manifestent Tunilé du dévouement chrétien;
en dehors d'elle, il n'y a eu aucune germination d'ordres religieux. Ces fa-
milles spirituelles, des déserts de la Thébaïde ont fait invasion dans le monde.
A toutes les époques de l'histoire, il y a un nom de moine à la tête d'un mou-
vement religieux, scientifique ou littéraire; c'est aux religieux que revient
la plus grande part de gloire dans la culture ou le progrès des sciences. Le
service de Jésus-Christ et des âmes devait réunir des dévouements qui eus-
sent été stériles dans leur solitude et qui eussent péri dans leur isolement.
Ces forces groupées en un seul faisceau sous la discipline de l'obéissance,
sont une des formes vivantes de la foi. Le protestantisme qui, par son libre
examen, a inauguré le règne de l'individualisme, ne pouvait ni créer, ni com-
prendre nos associations religieuses. Impuissant à les imiter, il n'a fait que
les couvrir de calomnies. Ses mensonges historiques ont eu leur cours; ils
ont encore quelques succès à Genève parmi les admirateurs lettrés de M. Bun-
gener, ou les néophytes intéressés de M. Oltraraare. Notre siècle, malgré des
temps tumultueux, a vu ressusciter les cloîtres. Leurs travaux sont remis en
honneur; de toutes parts on les réclame comme les plus habiles auxiliaires de
l'ordre social. En face de l'égoisme contemporain, de la richesse devenue reine,
de lajouissance placée comme but suprême de l'existence, il était bon que l'É-
glise présentât ses milices toujours jeunes et toujours fécondes de la pauvreté
et de l'obéissance. Rien ne démontre mieux l'esprit de vie qui anime l'Eglise
comme la durée des ordres monastiques; ils peuvent avoir leurs heures de
décadence, subir la loi inévitable des choses humaines ; ils peuvent être em-
portés dans un orage politique;... tôt ou tard ils fleurissent de nouveau sur
le tronc vigoureux du catholicisme. Quant au protestantisme, il montre
son état de mort par sa stérilité à cet égard; il a l'instinct de ses œuvres,
il s'essaie à des agrégations de diaconesses , pitoyable contrefaçon des
Sœurs de charité ; il n'a pas des ordres religieux voués à la contemplation, à
l'étude, au silence de la cellule ou à la prédication de la parole sainte. Les
17
270 l*KS OnDRLi KElir.lElX.
àmcs délite qu'il reiifcriiip sentent ce vide; elles ambitionnent notre force et
notre union ; elles ont de vagues tendances ou des regrets sur les ruines faites
par le marteau démolisseur ; elles sont, au milieu de celle dissolution doc-
trinale, une expression des «ffinilés secrètes qui existent entre lime cl la vie
religieuse.
LÉglisc catholique a toujours eu des hommes prêts pour tous les temps cl
pour Unis les besoins sociaux. C'est sa gloire d'avoir produit ù noire époque,
dans un àgc infécond, au sein de l'nnioindrisSiMncnt des caractères cl des
défaillances des cœurs, celte magnifique floraison de communautés religieu-
ses qui s'épanouit au soleil de la foi. Des ordres nouveaux apparaissent,
d'aulres se lèvent avec une ferveur de jeunesse et un passé illustre ; nulle
aspiration ne reste isolée, nui besoin ne reste sans secours.
Parmi ces créations catholiques, l'ordre de Saint-Dominique occupe une
large place. Il a reparu en France, sous le .souffle de Dieu el sous l'action du
P. Lacordaire. (^cl orateur a conquis une rcnoniniée populaire. .Naguère un
membre proteslnnt de l'université d'Oxford, que la science a ramené à la
sninle Kglisc, racontait dans son journal de voyage l'impression que lui avait
produite une visite au P. I.acordairc : t Figurer.- »'ous , dit-il , un vrai moine,
une sorte de saint Hcrnard ressuscité , pour ainsi dire , en chair et <<n os ,
dans toute son énergie virile; sous son blanc vêtement de Dominicain, il
semblait le beau idéal des guerriers chréliens , armé de pied en cape pour
guérir Ihérésic, et savançant sans erainlc a\\ milieu des périls de la vie, du
choc des systèmes qui s'écroulent. Sa figure frairhe el rosée, son reil vif et
sondire , son expressicm onimée en faisaient un des personnages les plus
Ir.ippanls que j aie jamais conliMuplés. » — F.e P. Lacordaire a vu de nom-
breuses intelligences lui demander de tra\ ailler avec lui h la conquête des
âmes. A son apparition dans la vie publique , il publia un mémoire pour le
rétablissement de l'ordre des Frères-Précheurs. Cet écrit, qui porte l'em-
preinte du grand orateur, met h néant les injures amoncelées sur les Domi-
nicains , déroule leurs glorieuses phases el fait appel à la justice des siècles
el il rimparlialité de sa [lalrie. (>t accent de foi el de liberté eut du retentis-
sement : el h celle heure la France voit plusieurs mais.ins de cet ordre se
fonder au grno<l jour, et les fils de saint Dominique annoncent la parole sainte
dans les chaires les plus illustres. Il y a peu de temps, nous allions reposer
notre ûme dans un de ces asiles bénis où s'abritent la prière et la science;
nous y avons trouvé l'hospitalité du cœnr. le charme de la piété, la sérénité
des intelligences qui possèdent In cerlitude de la foi et qui explorent avec cou-
rage le champ des investigations Ihéologiques. Celui qui a vu de près les
conflits lie la nfornie, les divisions innombrables du prolestanlisme. les luî-
tes dissolvantes des secles, est heureux dans celle atmosphère ; il sent que
là esl la vérité, parce qu'il y a l'unité et la paix. Bientôt nous fûmes admis à
l'intimité de leurs labeurs ; nous lûmes h la hâte un travail que préparait le
H. P. Danzas, prieur de Flavigny, sur l'esprit de l'ordre de SaintDoml-
uiqiie. C'est un complément nécessaire au mémoire du P. Lacordaire; nous
ubtininrs de la bienveillance de l'auteur un fragment inédit que nous offrons
aux Irclrurs des AnnaUs : ce sont les prémices d'un beau livre qui nous ré-
hi:?; oiu)i;es helk.ikix. 271
vèkra la vie inlimc cTun ordre donl le P. Lacordaire a lacoiilt'. rintluence cl
la destinée dans rK};lise, dans la science et dans les arts. Le P. Lacordaire
fait admirer les remparts et la magnificence extérieure; le P. Dnnzas
conduit dans le sanctuaire et dévoile les merveilles qui échappent aux
yeux distraits, mais qui attirent les regards de Dieu, des anges et des
âmes de foi. D'ailleurs ce clia|)itre détaché sera une preuve éclatante de no-
tre force catholique qui ronduil dans la vie religieuse les âmes à la hauteur
de la perfection évangéliqne , tandis que le protestanlismc révèle sa faiblesse
par son incapacité d'enfanter un ordre monastique, une chose si intimement
en harmonie avec l'esprit delà croix.
I/Âbbc G. MermiiiLod.
\
ESSENCE DE LA VIE RELIGIEUSE.
La vie religieuse est une dans sa diversité. Son unité de prin-
cipe et de fin est dans l'esprit de tous et n'a pas besoin d'autre
preuve. Il n'est personne qui ne reconnaisse , dans les ordres les
plus dissemblables, les rameaux d'un même tronc; il n'est per-
sonne qui ne réunisse, sous une dénomination commune, et le
solitaire qui se voue à un silence perpétuel , qui passe, pénible-
ment courbé sur un sillon , tous les moments qu'il dérobe à la
prière, et le religieux qui parcourt les cités annonçant aux hom-
mes la parole de Dieu , et celui qui, dans la paix du cloître,
s'exerce, au profit de tous, aux plus hautes spéculations.
Outre le caractère particulier de chacune de ses branches, la
vie religieuse doit donc présenter un caractère commun, insépa-
rable de toute existence monastique ; l'universalité , la nécessité
de ce caractère nous font reconnaître en lui la base et l'élément
essentiel de la vie religieuse; elles nous manifestent un principe
supérieur aux formes variables qui sont nées dans la suite des
siècles d'inspirations diverses, de circonstances de temps, de
lieux plus diverses encore, et des besoins sans cesse renaissants
'272 DKS OKURIS HELICIEl'X.
(iii inonde chrétien auxtjuels les corporations religieuses n'ont
j:im:iis fait défaut.
I/esprit ou la vie murale des corps rclij^icux prospère ou di-
minue dans la proportion oîi cet (''lément essentiel (]ue nous al-
lons chercher à définir est compris et prati(]uc. Aussi , ayant à
parler dos Frères Prêcheurs , de leur esprit et de leur vie , est-
il necessairi" de nous poser ces dt'uv (jueslions : Comment l'onl-
ils compris au treizième siècle? comment l'ont-ils pratiqué?
Pour rt'soudre la première de ces deux «piesiions , il est juste
(jue nous recourions avant tout à l'autorilc doctrinale la plus
haute de son ordre et de son siècle, à celle de saint Thomas
d'Aquin. Selon ce ^Tand docteur, le but de la vie religieuse est
la iterfcction do l'amour divin ; son moyen est l'holocauste ou
riniinoialion de soi. Celte lormule est à la fois la plus élevée et
la plus austère qui se puisse donner ; nous allons essayer d'en pé-
nétrer le sens; et si nous craignons , à < et énonc»' , les entraîne-
ments trop généreux dont notre faiblesse serait parfois tentée
d'accuser les saints , nous trouverons dans la raison si calme et
si lumineuse de l'Ange de l'École la meilleure des garanties.
Qu'est-ce que la |)erfection? comment s'acquiert-elle? En quoi
consiste l'état de perfr-ction? Telles sont les (piestions que saint
Thomas se pose à lui-même dans un traité spécial ipfil intitule :
De la perfection de la vte spirituelle.
Tout d'abord il établit «pie la perfection (ju'il ^eut nous pro-
f>oser n'est pas une perfection partielle, born<''e à telle ou telle de
nos facultés , à tel on tel de nos actes. Il n'entend point , par
exemple , traiter de la perfection de la science, de l'éloquence ,
ou «l'aucune (J«'s choses variables nu\»pielles b's ordn's monasti-
ques ont pu se prêter avec plus ou moins de succès ; perfection
restreinte, qui ne r«'n«l point l'Iiomme bon totalement, et qui
peut être le propre d'un reprouve. La perf«'( lion dont il va nous
parler, c'est la perfection dernière «le l'homme, la perfection ab-
solue, intime et essentielle de s<m ètn», celb- qui seule l'élève aux
yeux de Dieu, celle à laquelle Dieu a subordonné tous ses des-
seins, celle <|ui consomm** ses sainls dans b'ur élern«'lle union
avec lui, la charité, en un moi. cette fin de tout précepte et cette
\
DiiS oauRKS r.iii.icitix. 273
pléoilude de toute loi, ou, comme l'appelle encore saint Paul, ce
lien, ce résumé de toute perfection.
El en ellot, un rire n'est piirfait que lorsqu'il atteint sa fin;
or c'est la charité qui nous unit à Dieu , notre iin dernière ; car
celui qui est dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui.
La charité, en conséquence, est le don parfait; elle est plus
grande que la foi, plus jurande que l'espérance ; celles-ci sont des
moyens , des servantes de la charité ; elles passeront , la charité
subsiste éternellement; la foi est une lueur échappée des clartés
célestes, et qui, traversant les ténèbres de notre exil, vient di-
riger nos pas vers Dieu ; l'espérance nous assure la possession de
Dieu , mais pour un avenir éloigné , tandis que déjà la charité
l'embrasse, dit saint Thomas, et se répand en lui.
Mais de faibles hommes peuvent-ils , malgré la fragilité du
vase où ils ont reçu ce trésor divin , prétendre à son usage par-
fait?
L'idée de perfection implique quelque chose de consommé, de
total et d'absolu. Le parfait, dit saint Thomas, avec l'ancienne
philosophie, est ce à quoi rien ne manque. Aussi , lorsque Dieu
nous inculqua le premier et le plus grand des commandements,
celui qui résume à lui seul la loi et les prophètes , il voulut , afin
que nous l'accomplissions parfaitement, que toutes les facultés
de notre être, et chacune d'elles totalement, fussent employées
à l'aimer : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de toutes tes forces, de tout ton esprit. » Aimer Dieu parfaùe-
tement, c'est donc l'aimer totalement.
Cependant, dans un sens, Dieu, source et plénitude infinie de
toutes les perfections qu'il a daigné communiquer à ses créatu-
res, Dieu seul aime totalement; il aime avec une perfection dont
mille créatures, dont les séraphins les plus embrasés ne sauraient
approcher; Dieu seul s'aime autant qu'il est aimable; une bonté
infinie ne peut être totalement aimée que par un amour infini.
Mais plus nous nous rapprochons de Dieu , plus notre amour
croît et s'assimile les perfections de l'amour incréé. Les saints et
les anges du ciel aiment Dieu totalement, en ce sens que tout en
eux, tous leurs cœurs, toute leur âme, toutes leurs forces et tout
leur esprit, sont sans cesse ravis et suspendus à la vue de l'éter-
271 i>ti or.UKfr> r.kLiGiti'i.
iielle beauté. «Lu vision diNine, dit saint Thomas (Compend.
>Theol. Opusc. 3), produit l'immobilité de l'inteili^'ence et de
» la volonté; celle de l'intelligence, parce que, dès qu'on est ar-
■ rivé à la cause première dans la(|uelle toutes choses sont conlem-
1 plées, l'intelligence suspend toute recherche ; celle de la volonté,
■ parce (ju'etant jmi f)Ossession de la lin dernière qui renferme la
» plénitude de toute bonté, il ne lui reste plus rien (ju'eile puisse
• désirer; car ce qui causait la mobilité de la volonté d'un objet
» vers un autre, c'était qu'elle désirait un bien qu'elle n'avait pas
■ encore. ■ Tel est l'amour du ciel qui, pleinement assouvi , ne
peut assei: s'assouvir encore à la source inépuisable et toujours
nouvelle de la divine bonté, amour sans ralentissement et sans
repos, comme il sera sans lin.
Mais cette extase de l'élernilé n'est point compatible avec no-
tre existence d'ici-bas. Prétendre aspirer et expirer sans cesse
l'amour divin comme l'athmosphère qui nous entoure, ou , pour
se servir des expressions de saint Thomas (22, XXIV, 8), préten-
dre (jue notre pensée soit sans cesse appliquée aux choses de
Dieu , que notre volonté se meuve sans cesse vers lui , c'est mé-
connaître les limites qui nous sont tracées dans notre vie d'é-
preuve, c'est vouloir antici[)er sur les récom[>enses, sur les joies
sans mélange et sans elTorts réservées à ceux-là seulement qui
auront d'abord exercé la charité dans des conditions laborieuses.
Citoyens du temps comme nous le sommes de l'élernilé, force
nous est de condescendre aux exigences d'une chair ujortelle et
aux relations multiples qu'elle nous crée. L'exercice de la charité
ne peut donc être pour nous (priiitcrmiltent ; et les saints eux-
mêmes, après s'être enivrés des délices de l'amour divin, sont
rappelés à la réalité de leur <()ndilion présenie. et contraints d'a-
baisser leurs regards vers la terre (pi'ils avait oubliée.
Ce que nous pouvons, ncaiiinoins, c'est avant tout de conserver
sans tache le vêlement nuplial de nos âmes; c'est d'écarter soi-
gneusement tout ce qui répugne à l'essence de la charité. Dieu
ne nous a confié cette perle inestimable que pour la faire valoir;
pour ne jamais agir, la charité périrait; elle ne sac croît qu'en
»'exer( ant ; nous devons, [)ar une coopération fidèle et généreuse,
par des acte» fervents et multipliés, augmenter tous les jours le
I
DKS ORDRES HKI.IGIKI.'X. 275
Irésor qui nous esl commis. C'est la mesure de nolie coopération
qui nous constitue parfaits ou imparfaits. Cette parole de l'É-
criture : « la vie des justes est comme une lumière resplendis-
» santé qui croît jusqu'au jour parfait, » n'est pas également ap-
pliquahle à tous ceux qui possèdent la chaiité. Tous, pour aimer
Dieu souverainement, ne l'aiment point uniquement; tous, pour
être morts au péchés^ ne sont pas morts à la créature ; contraints
par la nécessité d'accorder au monde extérieur une partie de
notre temps et de nos œuvres, nous lui laissons bien souvent
usurper, dans le sanctuaire intime de nos affections , une place
qui n'appartient qu'à Dieu. Celui-là, dit saint Thomas, qui n'ac-
corde pas à Dieu un amour souverain, manque totalement au pré-
cepte de la charité. Celui qui aime Dieu sur toutes choses et
place en Dieu sa fin dernière, accomplit le précepte de la cha-
rité, maisd'un manière plus ou moins parfaite, suivant qu'il est
plus ou moins attaché aux biens créés. Les biens créés, en effet,
sollicitent notre cœur, et s'ils n'en sont pas l'idole , du moins
réussissent-ils la plupart du temps à le partager. C'est ce que
nous explique davantage le saint Docteur, lorsqu'après nous
avoir engagés à prendre pour point de mire et comme un objet
d'émulation la charité des anges et des saints dans le ciel , il
ajoute : « Il est manifeste que notre cœur se porte avec d'autant
» plus de force et d'intensité vers un objet, qu'il se détache d'un
» plus grand nombre d'autres. Donc noire âme se sentira portée
» d'autant plus parfaitement à aimer Dieu, qu'elle sera moins af-
» fectionnée aux choses de ce monde. Aussi saint Augustin dit-il
» que le poison qui tue la charité est l'espoir que nous fondons
» sur l'acquisition ou la conservation des avantages temporels,
» que la charité progresse en raison inverse de la cupidité , que
» l'extinction totale de celle-ci est le triomphe de la charité par-
» faite. »
Si donc la charité, au degré où elle est strictement nécessaire,
nous a déjà fait mourir au péché, sa perfectionnons aura fait
mourir à la.créaiure , afin que Dieu nous soit tout en toutes cho-
ses. Les conseils évangéliques ont pour but de procurer cette
mort bienheureuse. « Tous les conseils, continue saint Thomas,
» qui nous invitent à la perfection ont pour but de détacher notre
'i7() l*tS UKbM^ RELIGIEl'X.
• ânic iK'S choses lt>ni|)ui elles , aliii (]iie |>lus lil)i(*men( «.'lie tende
>>(•■> Dieu , 1(! cuiiUMiiplaiit , l'aimant cl ai cuMi|jlis.s;ini «-n tout sa
■ velouté. »
G;s dcrnièros paroles du saint Docteur nous font f)resscntir
quel doit t^lre ralinienl do la cliaiité; «'est le sacrilioe , l'holo-
causle ou If sacnliee pariait, s'il s'agit de la cliarilé |)ai-iaile.
L aimmi , s'il est pur, s'il est di^'ue d'un nom si souvent pro-
fané , s'exerce par le don de soi. L'amour est extatique , disait
saint Denys l'aréopagit»!, il nous cnleNe à nous-m«}mes, il nous
aliène pour nous rendre la possession de l'être que nous aimons.
Ainsi Dieu nous a-t-il aimés. L'être qui seul esl ubsolumcot
libéral, comme s'exprime saint Thomas, ne nous a point aimés
pour son utilité, mais à cause de sa honte; il ne nous a [winl ai-
mes, dii saint Laurent .luslinien, de cet amour intéressé qui veut
jouir de ceux (pi'il aime. Dieu aime pour devenir la possession de
l'objet de son anxtur.
Mais Dii'U lit plus pour nous. Bien qu'assez riche pour être li-
béral sans s'appauvrir jamais, et qu'au contraire son inaliénable
féliciti' lui oppo.s;il eu apparence un obstacle invincible au sacri-
fice, ('e l'ut cepentlant le sacrifice qui! <'lioisit comme le symbole
le plus expressif de son amour pour nous, ce fut éj^alement fwur
nous af>prendre comiiieiii noiisdesions aimer. Voilà comment on
ainu'! écrivait un saint au-dessous d'une imaj^e de J«-sus crucilie!
Le 8a( rilice est en effet la condition nécessaire de l'amour hu-
main. S'il est vrai que l'amour s'exerce par le don de soi , com-
incnl la créature, essentiellement limitt'-e, ne possédant rien de
son |)rttpie fond, pourra-l-elle , sans se de|>ouiller, se montrer li-
bérale/ Comment se donnera-t-elle autrement qu'en s'alienant?
D'autre part , l'amour qui a Dieu pour objet doit être plus pur et
plus desiutéressé que tout aulu' amour, et cependant nous trou-
vons à servir Dieu notre intérêt suprême. Conviés par s;i parole
expresse à être ses amis : ■ Je ne vous appellerai plus mes ser-
nviteurs, mais mes amis,» ne semlilerait-il [)asquiî l'espoir d'tinc
recompense qui dépasse inlinimeiil nos services nousempêche,
en devenant le iiiobile de nos actes , de nous élever du rang do
mer«enaires à celui d'amis. L'amitié est fondée , ainsi que nous
i'explicpie saint Thomas, sur la i»-ciprocité de deux amours
Dbs OKUKb.S RELIGIEUX. 277
sembliibles. Comuicni rintime créaiure qui n'a rien, qui attend
tout do Dieu, pourra-t-elle aspirer à la ressemblance de l'amour
incréé, se montrer grande , généreuse , libérale et désintéressée
à l'égard du Tout-Puissant ; on un mol, l'aimer comme il l'aime?
C'est dans le sacritico qiio se rencontreront ces deux amours
pour s'idonlifior on quelque sorte l'un avec l'autre et se confon-
dre sous une même appellation , celle de la charité. Par le sacri-
fice, Dieu avait abaissé son amour à la condition du nôtre. Par le
sacrifice substitué à la vue de son utilité , la créature s'élève dans
la propoi'lion oîi Dieu s'était abaissé. Elle s'oublie, elle oublie
sa propre indigence; l'amour lui sullil, elle ne songe plus qu'à
se donner, qu'à s'aliéner pour devenir la possession de celui
qu'elle aime. Ainsi les provocations amoureuses de Dieu pour
l'œuvre de ses mains ne restent point vaines et solitaires, un pacte
d'amitié, une substitution d'intérêt est conclue entre l'infini et
le néant : «Pense à moi et je penserai à toi, » disait Notre Sei-
gneur à sainte Catherine de Sienne.
Sans cette condition du sacrifice, il n'y aurait point eu de
saints, mais une seule voie pour tous les hommes, celle de l'in-
térôt; les bons et les méchants s'y seraient confondus, ou, pour
mieux dire, il n'y aurait eu ni bons, ni méchants, ni mérites que
Dieu eût pu couronner par l'éternelle possession de lui-même.
Il a donc daigné , avec une sagesse égale à son amour, nous mé-
nager les occasions du sacrifice. Il a fait de notre vie une épreuve
et une tentation. Voilant sous le demi-jour de la foi son éter-
nelle beauté et en ajournant la possession de telle sorte que
croire et espérer les récompenses éternelles, fût pour notre in-
telligence et notre cœur plutôt une immolation qu'un calcul
d'intérêt, il a couvert d'attraits la créature périssable. S'il a
ainsi répandu sa bonlé sur toutes ses œuvres, c'est, entre plu-
sieurs raisons, pour nous inviter à lui sacrifier leurs charmes fu-
gitifs et pour nous rendre dignes de posséder leur invisible au-
teur. Placés ainsi entre deux termes qu'il a pris soin en quelque
sorte d'équilibrer, de manière que l'hésitation et l'épreuve nous
fussent possibles, d'une part les biens visibles, mais bornés, de
l'autre les biens infinis, mais encore invisibles et éloignés ; c'est
de celui de ces deux termes que nous aurons choisi pour nous
27H DBS OUDKES RELICIEUX.
en faire un Dieu, pour y ronslilucr Doirc fin dernièi-e, que dé-
pend noire destinée ; ce sont ces deux amours (|ui font les saints
el les reprouvés, et qui, au dire de saint Augustin, ont bâti deux
rites; l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité de la
terre; l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité d<' Dieu.
Penser <?tre chrétien sans renoncements, [)r<'teiidre aimer el
servit- Dieu sans qu'il en < oùte, serait une illusion aussi contraire
à la notion du dévouement et du véritable amour, qu'à toutes
les pages de l'Évangile. Qiiicon(iue veut vivre par la charité ,
qu'il aspire ù sa perfection , ou (juil se rctianche dans la |)raii-
quc d'une vertu plus facile , doit par cela même se vouer aux
renoncements dans une certaine mesure, mesure totale et abso-
lue s'il veut être |):irfait , et s'il est imparfait, si son cœur cède
encore aux attraits des biens périssables, du moins doit-il sa-
voir les sacrifier, s'abstenir ou se détacher d'une jouissance non
encore assouvie là où commence l'ofl'ense de Dieu (1).
(1) De là CCS cxprcjsions si familières aux livres saints, de croix, d'hostie,
d'abnégation, de niurt. De lii ces considcraliuns sur le sacrifice intérieur de
nos cœurs ntixquelU-s s'élèvent si souvent les Docteurs el les Pères de l'K-
glise : € Nous sommes les temples de Dieu, dis.iil saint Augustin, quand nous
> levons nos l'unes en haut; le cœur est son autel, son fils unique, le priHre
* par lequel nous le fléchissons ; nous lui immolons ses victimes sanglantes
> quand nous combattons jusqu'au sang pour sa vérité; nous brûlons devant
» lui le plus suave encens, lorsque en sa présence une pieuse et sainte flamme
» nous consume ; nous lui faisons en nous el de ses dons une offrande re-
» conniiissanle en cerlnines fêles solennelles, à certains jours marqués, con-
> sacrant la mémoire de ses bienfaits, de peur que le cours du temps n'amène
» peu à peu une ingrate uubliance, nous lui sacrifions sur l'autel du cœur, au
* foyer d'une ardente charité, une victime de louange et d'humilité.» Et
plus loin : I Le vrai sacrifice , c'est toute œuvre que nous accomplissons
* pour nous unir h Dieu d'une union sahitc, toute ar>uvre qui se rapporte &
» ce bien suprême, principe uni(|ue de notre véritable félicité.... I/homme
» consacré par le nom de Dieu, dévoué à Dieu , est un sacrifice en tant que
» pour vi\re.i Dieu il meurt au monde. Notre corps lui nu'me, quand nous
» le mortilions par la tenq)éronee, quanil nous ne préUms pas nos membres
* au péché comme des armes d'ini<]uité , mais à Dieu connue des armes de
* justice, est un sacrifice... Et si notre corps esclave ou instrument do l'àme
* est un sacrifice en tant qu'un bon el légitime usage le rapporte il Dieu,
» combien plulôl l'àme elle-même, lors(|u'ellc s'ollre k ce même Dieu embra-
*s4e du feu de son amour, et que, dépouillant la concupiscence du siècle
I>tS Or.Ur.tS HLLIOIELX. 279
Les pai'fails, ainsi que le lépèle eu plusieurs enUroils l'Ange
de l'École , sont ceux qui méprisent les biens d'ici-bas pour ne
s'ailaclier qu'aux biens spirituels ; les imparfaits sont ceux sur
lesquels ces biens exercent encore un certain ascendant, mais
qui, toutefois, les subordonnent à l'ordre établi de Dieu; les ré-
prouvés sont ceux ((ui y placent leur fin dernière.
Le saciilice est donc inséparable de toute vie chrétienne, non
moins que la charité dont il est l'aliment. Les préceptes nous
l'intiment, les conseils nous y convient. Condition nécessaire du
salut, il l'est plus encore de toute vie parfaite. Commun aux ti-
mides et aux forts, ce n'est que par l'étendue qu'il diffère ; pour
tous , ce sont encore les mêmes objets qu'il comprend , c'est-à-
dire le monde avec ses trois convoitises.
Et en effet, après avoir montré dans un article de sa Somme,
que celui qui met toutes ses affections dans les biens créés , de
manière à en faire sa fin dernière, sa règle et la raison suprême
de sa conduite, s'exclut totalement des biens éternels, et qu'à
l'opposé, celui qui s'est interdit toute jouissance dans les choses
d'ici-bas , s'est donné par cela même totalement à Dieu , saint
Thomas réduit à trois chefs les biens créés et les compare à trois
convoitises dans lesquelles saint Jean fait consister tout ce qui
est dans le monde : « Les biens créés sont de trois sortes , dit
» l'Ange de l'École, les richesses ou les biens extérieurs qui con-
» slituent la convoitise des yeux, les plaisirs sensuels objet de
» la convoitise de la chair, les honneurs qui appartiennent à l'or-
» gueil de la vie. Rompre totalement avec ces trois sortes de
» biens, s'en séparer, du moins, autant que notre condition pré-
» sente le permet, c'est à quoi nous conduisent les conseils
» évangéliques. Et voilà pourquoi la vie religieuse, qui est un état
» de perfection, est fondée sur l'abdication des richesses par la
t pour se réformer sur limmortel modèle, elle fait hommage de la beauté in-
» finie de ses propres dons, d'après les paroles de lApôtre : Ne vous confor-
» mez pas au siècle , mais transformez-vous par le renouvellement de l'es-
»prit, recherchant la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable,
» ce qui est parfait. »
2M0 Vti UHUREâ RELIGIEUX.
• pauvreté, des délices dii la cliuir par la «^hastelé, et de Tor-
» gueil de la vie par la serxitude de lobeivsance. »
(icpcndaiil, dans l'uuvra^c ipir nous analysons spécialement,
saint Thomas n'a pas encore noniniê la vie rt-li(;ieu$o. Il recher-
che , rtvan^ile à la main, le ly()c ideul «l'un elai «le [>erfe(iion.
Plus lard il lui donnera son nom et nous re\pli(|U(>ra. Entrant
dans l'économie des renoncenienis exigés |)ar la vie chrétienne,
il montre à la fois ceux qui sont obligatoires et ceux qui, s'cle-
vaiii au-d«'ssus de la sphère de la nécj'ssiié, sont par cela même
plus nieriloires; car il y a [dus de perleclion, «lit-il, à renon«:er
pour lauiour de Jésus-Christ aux biens dont on |)Ourrait user li-
breuu'ui.
El d'abord , «ju'un homme tienne aux biens extérieurs plus
qu'a Dieu , et qu'il prétende (jue Dieu devienne par surcroît son
éternelle possession, c'est vouloir anéantir la parole de Dieu,
car elle nous dit : « Il est plus fa«'ile à un «hameau de passer
par le trou d'une aiguille, «ju'à un riche d'enirer dans le royaume
des cieux. » Et, remarque le saint Docteur, cet arrêt doit se
|)it'ntlr«' à la lettre, car qu'un chanu-au passe par le trou d'une
aiguille, cela n«> ré|)U^ne «{u'à la nature; mais qu'un riche qui
conserve un amour désordonn«' pour les biens de ce monde, pos-
sède le royaume céleste, c'est une impossibilité qui répugne à la
justice m«îme de Dieu , dont les lois sont tout auirem«'nt inviola-
l)l«s que celles de la nature. En se« ond lieu, ceux qui travail-
lent sincèrement à leur salut doivenl rencontrer dans les riches-
ses des obstacles et «l«'s «lilTieuln-s. C'«'st dans «e sens que le Sau-
veur disait : « Combien il est dillitile au riche d'entrer dans le
royaume des cicux ! » Car ainsi «pie Jésus-Christ le dit en un
autre endroit : « Les sollicitudes du siècle et l'illusion des ri-
chess«'S éloulFent la semenc c de la parole «livineet la rend«'nl sans
fruit. » El pour «"eux «pii veuh-nl «'•ti»' parlails, Jésus-ChrisI leur
indique comme moyen le plus puissant et le plus abrép«'', un re-
noncenunt total : « Si tu veux êir«' iiarlail , disait-il à r«' j«'une
homnu' sur h-quel il avait attaché un re^'nrd de son amour, et
que ses grandes richesses cmpé«hèrent d'obéir à la grAce de sa
vocation , vas cl vends tout ce que tu poss«'d<'s , et d«)nne-lc aux
pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; viens et suis-moi. »
DKS ORDRhS RELIGIEUX. 281
Du renoncement de la pauvreté, saint Thomas s'élève à celui
de 1.1 rhaslc'té. Tout chrétien , en vertu des promesses de son
l>aplêmc, doit faire de son corps une hostie vivante, sainle et
aj^réable à Dieu ; tout chrétien doit observer la chasteté , celle
du moins (jui convient à son état, sacrilice déjà plus méritoire que
celui de la pauvreté; car, dit saint Thomas avec saint Augustin,
notre adhésion à Dieu est d'autant plus étroite que nous mépri-
sons davantage notre propre bien ; or, le renoncement aux biens
extérieurs nous touche de moins près que les renoncements atta-
chés à la chasteté. Plus puissante encore sera la continence ab-
solue pour nous unir étroitement à Dieu. Les sacrifices qu'elle
implique sont de deux sortes et présentent comme deux degrés.
Le premier et le renoncement à ses proches et aux affections si
puissantes dont le lien conjugal est la source. Dieu nous excite
à la haine de notre père et de notre mère, de notre épouse et de
nos enfants, de nos frères et de nos sœurs. Comment de telles
paroles ont-elles pu tomber de la bouche miséricordieuse d'où
est sortie la loi d'amour, celle qui nous commande d'aimer jus-
qu'à nos propres ennemis? Nous aimons dans nos proches, dit
saint Grégoire, ce qu'ils sont, nous haïssons les obstacles qu'ils
nous opposent dans les voies du salut. Celui qui s'est épris des
choses éternelles , doit , dans cette entreprise divine à laquelle il
s'est consacré, s'élever au-dessus de l'amour de ses proches et de
lui-même, afin de connaître Dieu, d'autant plus que lorqu'il s'a-
git de son service, il ne connaît plus personne.
11 est manifeste que les affections de la chair et du sang divisent
et affaiblissent les forces de l'âme, et obscurcissent son regard.
Quant au lien conjugal , non-seulement il est la source de toutes
ces affections , mais il est la plus forte de ces affections mêmes ,
puisque toutes les autres doivent lui être sacrifiées. >< L'homme
quittera son père et sa mère pour s'attacher à son épouse ; » il en
résulte qu'envahissant notre cœur, il n'en reste plus qu'une part
restreinte à Dieu. « Celui qui est sans épouse , dit saint Paul ,
s'occupe des choses du Seigneur, s'efforce de plaire à Dieu ; ce-
lui qui a une épouse s'occupe des choses de ce monde, s'efforce
de plaire à son épouse et reste divisé. »
Au contraire , la continence absolue non-seulement nous isole
282 DM ORDRES nELicietx.
des hros les plus clicrs sur l«'S(|uols oussenl pu s<» r<»posf»r nos
afft'ciions , mais «'ncorc impliijue le sacrilice d une poriiun de
nous-nx'Uies, criui do noire propre elinir, obstncle plus (^rjDd
à la perfeelion de l'amour divin que tous les objets extérieurs.
D«' toutes les passions, la plus aveujjle ri la plus violente, celle
qui liumilir davantage la raison et ohsrurcil en nous l'image de
Dieu, cVsl la passion des sens. La continence rétablit celte
image, elle nous fait vivre comme en dehors de la chair; elle
nous rapproche de ces |)urs esprits aux(iuels le Seigneur u pro-
mis de nous égaler un jour, ei que saint Denys appelle de irès-
purs miroirs de la divinité, parce qu'en eux tout est intelligence
et amour. « Cependant peu comprennent ce conseil, dit le Sau-
n Neur, st'ulemeiil (eux (jui ont reçu le «Ion d'en haut; • preuve
du mérite qui y ^st attaché cl de sa sublimite. Pr«'tendre vivre
dans la chair comme un ange du fiel, c'est une (euvre rare et dif-
ficile, un don |)lus spécial de lEspril Saint, ainsi que dcja l'ex-
primait le sage : « J'ai vu que je ne pouvais êlre continent que
» par un don de Dieu , el c'était une haute sagesse de savoir de
> qui ce don provenait. » « Que celui qui peut comprendre com-
pr«;ime, » dit encore le Sauveur, après nous avoir insinué sous
des lermes voilés et proportionnés à notre faiblesse le conseil de
la chasteté; paroles d'encouragement, dit saint Jérôn>e; J«'sus-
Christ appelle ses soldats aux luttes de la chasteté, comme s'il
disait : Que celui qui peut les entreprendre entre dans la lice,
qu'il \ainque el qu'il triomphe (1).
{{) Saint Thnma» remarque ensuite que la voie de la ronlinence étant dif-
ficile et tous ne la comprenant point, il est ncrcssairc que ceux qui l'embras-
sent évitent avec un grand soin tout ce qui pourrait leur tire de quelque ob-
stacle dons celle voie. Le saint Docteur énunWrr trois obstacles; ceux qui
proviennent du corps, ceux qui proviennent de l'esprit, ceux qui proviennent
des objets exli'-ricurs, des cboses el des personnes, pnncipnlemcnl de la frc-
quentalion drs femmes. Toujours arnii- des paroles de IKcrilure cl des té-
nioipnanes des Pr:res , il nous enseigne ?i ntmb.iUre ces trois obstacles , le
prenuer par les jeûnes, les privations, les veilles et autres maoéralions ; le
second par la contemplation, l'élude des écritures dixines. l'habilude de sain-
tes pensées el In fuite du désœuvrement, le troisième par l'éloigncment du
monde el par la solitude. Ainsi, avant d'avoir abordé ouvertement la qiie«tion
DES ORDRES RELIGIEUX. 283
Mais l'Ange de l'École va nous exposer une voie plus excel-
Icnle encore. Au-dessus du sacrifice des biens extérieurs, au-
dessus du sacrifice des alleclions naturelles et des délectations
des sens , s'élève comme couronnement le sacrifice de soi , sans
le(|uol l'édifice de notre perfection resterait ébauché. Car l'a-
Mioiir, avons-nous dit après saint Denys, est extatique , c'est-à-
dire cpiil ne nous permet point d'être à nous-mêmes, mais il
nous donne à la personne aimée. Et c'est bien là ce qu'éprou-
vait saint Paul , lorsqu'il s'écriait : «Je vis, mais ce n'est plus
» moi (jui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » El c'est là cette
mort spirituelle qu'il nous montre réalisée dans les premiers
fidèles : «Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec
«Jésus-Christ; » ou qu'il leur recommandait par ces paroles :
« Jésus-Christ est mort pour tous , afin que ceux qui vivent ne
» vivent plus pour eux-môuïes, mais pour celui qui pour eux est
» mort et ressuscité. » Principe , du reste , posé par le Sauveur
lui-même, lorsque, annonçant que pour devenir son disciple, il
faut haïr son père et sa mère, son épouse et ses fils, ses frères et
ses sœurs, il ajoute : «et de plus haïr son âme; » et lorsqu'il
dit : « Si quelqu'un veut venir à ma suite , qu'il se renonce ,
» qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. »
' Ayant établi tour à tour que celte salutaire abnégation , celle
haine charitable est en partie nécessaire au salut, et pai* consé-
quent une obligation commune à tous, puisque tous doivent sou-
mettre leur intelligence et leur volonté au joug de la foi et de la
loi divine, et qu'en partie elle appartient aux conseils de l'Évan-
gile et à la pratique de la perfection, saint Thomas l'examine
sous ce dernier point de vue.
« C'est, dit-il, pratiquer la perfection que de sacrifier par la
» grandeur de noire amour et en vue de n'appartenir qu'à Dieu ,
» ce dont nous pourrions licitement user. » Puis il pose cet autre
principe : « Plus une chose est naturellement aimée, plus il y a
» de perfection à la mépriser pour Dieu. » Montrant en cou-
de la vie religieuse, saint Thomas nous a donné déjà par avance l'intelligence
de sa discipline et ses pratiques ascétiques quil joint à l'observance des trois
vœux.
2H4 I»KS OKhRES RELir.lEl'X.
si'qiience ((ue TactP le plus hôroûjiio de la rharilé esl de souf-
frir l:i mon |>oiir J<^siis-(".lirist , In saini doct«Mir rccliorrlu» (\w\
est, ajurs le sairilici' dr notre vie, le plus ^rand bien qu'il nous
soil |K)ssil)le d'immoler, ei, d'après lui , ee luon , c'est celui de
la lilierlé. « Kn ellef, ajoute-t-il, rien n'est plus cher à l'homme
■ que la libre disposition de sa volonli'. Far elle, il est maître et
1 sei{j;neur des biens extérieurs; par elle, il en use ei en jouit;
■ par elle, il est maître de ses propres actes. De sorte que de
» même que l'homme , en abandonnant les richesses cl Ifs per-
• sonnes (|ui lui sont unies par les liens du sanj^ , les r-^nonee .
» ainsi abandoimant le libre usage de sa volonté qui le rendait
» maître de lui-même, il en résulte «pi'il s'est lui-ménje renoncé.»
Tel esl le dernier des renonrements , le plus eleve <lans l'or-
dre du sacrifice spirituel , l'immolation la plus précieuse qu'il
nous soit possible d'oIVrir au Seigneur, après celle du mariyrc ;
renonrement qui, à la différence des autres, les contient tous,
puis()ue la volonté' commande à tous nos actes, renoncement
enfin (|ui nous exalte <l:ins la mesure où il nous abaisse; car il
nous unit aux anéantissements qui ont mérité au Fils de Dieu
son exaltation, et dont le (ombh; a éle son obéissance jusqu'à la
mort et jusqu'à la mort de la croix.
Celte triple formule de la pauvreté, delà chasteté et de l'obéis-
sance, est par son universalité la dernière expression, le résumé
des conseils évangeliques, c'est-à-dire de ee que rKvangile nous
offre de plus parfait. Saint Thomas fait voir comment tous les
actes de perfection qu'il nous esl donné d'accomplir rentrent
dans CCS trois vertus et leur empruntent leurs motifs, ('/est en
effet accomplir un acte rie pauvreté- s|)irituelle que de se dépouil-
ler en faveur des indigents d'une aumrtne qu'on était libre de
garder. C'est pratiquer la chasteté en esprit de perfection, que
de s'abstenir pour un temps des délectations permises , dans le
but de vaquer aux choses de Dieu. C'est «'ncore immoler sa vo-
lonté- dans le même esprit, que d«' faire du bien à ses ennemis,
lorstpi'on n'y est point obligé , ou d'oublier une injure, lorsqu'il
était permis d'en exiger une juste réparation. C'est, dans ces
trois hy|K)thèses , sacrifier ù la perfection de la charité les biens
extérieurs, les biens du corps, les biens de l'àme.
»ES OllUKES UELIGIEUX. 28.")
Mais si CCS rciioiicomciits partiels nous ciilèvonl à nous-mê-
mes et nous unissonl si puissamment à Dieu, que sera-ce, s'ils
sont réunis en faisceau et pratiquf's jusqu'à leurs dernières con-
séquences? Que sera-ce de l'homme (|ui a lout donné, jusqu'à
Tespérancc d'acciuérii? Que sera-ce de riiommo vivant dans la
chair comme un an^'O du ciel? Que sera-ce d'une vie dont l'o-
béissance est poussée jusqu'à la mort inclusivement (1), et n'est
exclusive que du péclic'?
Cependant saint Thomas ne nous a point encore conduit, ainsi
qu'il se l'était promis, jusqu'à la notion de l'état de perfection,
ni jusqu'à celle de l'holocauste. Pour s'être rendu pauvre, chaste,
obéissant, pour avoir compris dans cette triple immolation tous
les biens créés, on n'a point épuisé jusqu'à la dernière goutte le
calice du sacrifice. Autre chose est de ne s'immoler que par
choix , avec la facilité de rentrer en la possession de soi-même,
autre chose est d'avoir changé les conseils en préceptes et de
s'être fait du sacrifice le plus étendu une ol>ligalion sans retour.
Le vœu consommera notre sacrifice et notre mort au monde;
c'est par le vœu que nous serons des holocaustes au Seigneur,
non pas seulement au point de vue de l'universalité des biens que
nous aurons renonces , mais au point de vue de la perpétuité
d'une iirémissible immolation. C'est le vœu qui, anéantissant à
tout jamais notre liberté et nous fixant dans la servitude de Jé-
sus-Christ, nous constitue dans l'étal de perfection, c'est-à-dire
dans une situation stable, permanente, irrévocable, ainsi que le
terme d'état l'indique, dans un état de perfection, parce que par-
fait est ce à quoi rien ne manque , et qu'on ne peut faire plus ,
lorsque Dieu ne nous convie point à la grâce du martyre , que
de mourir à tous les biens créés et d'y être mort perpétuellement,
que de se sacrifier en tout et toujours (1).
(1) Usque ad mortcm inclusive (Constitutions des FF. Prêcheurs).
(2) Au reste , saint Thomas a bien soin de remarquer la différence qui
existe entre l'état de perfection et la perfection personnelle. Les vœux de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance, ne constituent pas la perfection, mais
les moyens les plus sûrs d'y parvenir. oDe même, dilil, qu'il se rencontre
» des âmes qui sans s'être lices par des vœux sont cependant parfaites, ainsi
18
286 I'» ^ m.Mi.i - 1,1 I. M. Il I \ .
(Jiii lia poiiil ictouiiu ù tel expose i|iu' l'An^f ilt- l'Ecole a
fail surlir des Saiiites Lcrilures el des inler|)réiatiuns des doc-
leurs caiholiques, la vive image de la vie religieuse? IVeuve ma-
nifesle <]ue lelle-ci esl un éiai de pcrfeeiion, qu'elle découle
nauirelltiueiil de l'ENangile; <|u'elle esl sou expression pralitpic
la plus liaiilc , el <|ue si le nioiide la considère comme un fait
étrange, inex|)licablc, c'est parc»' (pie le monde n'est pas chré-
tien.
Les faits, d'ailleurs, cunlirment celte demonslralioii. La vie
religieuse, au point de vue de son développement dans le temps,
n'est pas moins lilie de l'Eglise tpi'au point de vue ihéoriipie.
L'Evangile, il est vrai, n'avait point alUiidu «pie ses cloilrrs fus-
sent fondés non-seulement pour enfanter iim- iiuiliiiude de sain-
tes âmes; mais jjour les léiinir dans la coiiiiminaiiié des mêmes
pratiques et des mêmes renoncemenls , el oITiir au Seigneur un
peuple parfait. Dès les premiers jours de l'Église , nous voyons
que la mullitude des croyants n'a>aii qu'un cœur et qu'une
ûm<', «juc nul d'entre eux ne possédait rien en propre, tous per-
se>érant ensenilile dans la prière, rompant le pain avec un saint
transport et dans la simplicité de leurs cœurs, occupés sans cesse
de la louange <le Dieu el pleins de giâie devant les hommes. Si
cet elal de choses eût persévéré, l'Eglise louienlière eût été ceth'
religion pure et immaculée fondée sur des œuvres saintes dont
parle l'apôtre saint Jacipies. La vie religieuse eût été |)raii(]Uee
par le fait, et par contre les âmes ferventes et >ouées ù la prati-
que de ce <|u'il y a de plus parfait dans la prati<|ue de l'Évangile,
n'eussent point présenté ce caractère de singularité que le monde
leur reproche; et cpi'il doit s'imputer à lui seul. Le monde, en
elTet, envahissait-il l'Eglise, par lui la charité se refroidissait.
Le simple accomplissement des préceptes de l'Évangile rencon-
trant dans un sièchî pervers ei dans la connivence de notre pro-
pre cour tant de r<sistance , cpie serait-ce de la vie parfaite?
Dieu pourvut, par ses inspirations, ù ce (pie la pratique en com-
» s'en Imiivcrail-il qui , l»icn qu'onf?aj{écs dans l'iflat i\e porferlion , ne sont
» point parfaites pour cela. » Le i-eli((irux , en effet, n'avancer» vers la per-
fcdi'iii (pi Niilant qu'il rorrr^pondra aux grAres de M>n ëtjl.
DES OnDKES RELIGIEUX. 2H7
mun dos conseils ovanf,'cli(|iics ne péril point. Des i\mes d<''siien-
ses de inellro à couvert leur pro|)rc fuiblessc , fuyant les attraits
du inonde, se retirèrent dans la solitude. Comme on avait vu dans
l'ancienne loi les prophètes et les fils des prophètes habiter les
déserts, de même <pie la vie; de saint Jean-Bapliste s'y était con-
sum«''e, ainsi aux âges chréliens vit-on les Paul, les Antoine, les
Pacôme chercher loin du commerce des hommes la liberté de
n'appartenir qu'à Di(>u. Ils devinrent bientôt les initiateurs et les
patriarches d'une mnililude qui, plus nombreuse que les étoiles
du ciel, lit tressaillir d'une sainte alh'gresse les sables inhabités
jusqu'alors de la haute Egypte. La vie érémitique des premiers
Pères avait appelé la vie ccnobitique ou de communauté. Les
mêmes raisons qui séparaient du vieux monde ces âmes qui par
milliers se rencontraient au fond des déserts, les unissaient en-
tre elles, ainsi que la multitude des premiers croyants , en un
même cœur et un même esprit. La solitude s'érigeait en cité,
il lui fallait des lois. Ces lois ne porenl être que l'expression de
ce qui était au cœur de tons, du désir d'une vie parfaite et qui
épuisât tous les renoncements. De là ces bases de toute législa-
tion monastique, telles que saint Thomas les a tracées, et lors-
qu'après quinze siècles de durée, nous voyons cette même légis-
lation subsister intacte et pleine de vie , malgré les attaques du
dehors et les périls plus redoutables de la corruption du dedans,
il est permis de conclure à son excellence et à son efficacité, de
reconnaître en elle une origine surhumaine , de la déclarer im-
périssable comme l'Évangile dont elle est l'expression.
La pratique en commun des conseils évangéliques étant deve-
nue dans l'Eglise un fait particulier, il lui fallut un nom qui la
distinguât. Celui de moines ou de solitaires fut d'abord attribué
aux âmes qui s'y consacraient; mais lorsque, poussée par la cha-
rité , une partie de cette armée du Seigneur se rapprocha du
monde et lui tendit la main, le nom de moine sembla présenter
une acception trop restreinte et cessa d'être générique. Celui de
religieux lui fut substitué.
C'est encore l'Ange de l'École qui nous en expliquera le sens
et la raison. « L'idée de religion, dit-il avec saint Augustin, cor-
» respond à celle du culte que nous rendons à Dieu. Cicéron lui-
288 I»KS ORKRtS REI-IGIEIX.
» même drfinissait dans sa Hlici()ri(|ue la religion une vertu qui
■ honore une natnrr su|)«''rionrc , (ju'on appelle divine, par l<-
» moyen du culte et d«'s cérémonies. Or Ir culii- dû au ^ra^ Dieu
• consiste princi|>alemenl dans le sacritice. On oiïre à Dieu un
D sacrilice prélevé sur h'S biens <'xl<'i i«'uis, «piaiid on les distri-
» bue comme il est manjuc en l't pitre aux Ikbreux : N'oubliez
» pas la bienfaisance et la communication de vos biens, car c'est
» par de pareilles hosties que l'on plait au Seigneur. On offre à
u Dieu un sacrifice dt; son |)ro|)re corps, ipiand ceux qui sont à
n Jésus-Christ crucifient leur chair avec ses vices et ses convoiti-
■ ses, comme l'apôire le recommande. Et encore comme le texte
» de ce même apôtre : Offre/, vos corps ( omnu' une hostie vi-
» vante , sainte , agréable à Dieu. Il y a enlin un iroisièuie sacri-
* Gce, celui qui nous concilie davantage la faveur de Dieu, c'est
» le sacrifice de notre esprit, selon celte parole du psaume : Le
» sacrifice (|ue Dieu aime est celui d'un cœur contrit et humilié.
» Mais il faut remarquer, ainsi que le fait saint Grégoire sur
♦ Ézéchiel, «pie la différence entre le sacrifice simple et l'holo-
» causte est celle-ci ; Tout holocauste est un sacrifice, mais tout
> sacrilii e n'est point un holocauste; dans le sacrilice, une part
• seulement de la victime était consumée ; mais dans l'holocauste
» elle était consmuée tout entière. Or «piaïul (pirhprun, dit saint
» Grégoire , offre à Dieu une part de ses biens et s'en réserve
» une autre , c'est un sacrifice ; mais (piand il consacre par un
1 vœu au Tout-Puissant tout ce qu'il a , tout ce par «pioi il vit.
» tout ce (pi'il peut goûter ici-bas, c'est un holocauste. Et tell.
» est res|»ècc de sai rilice (pii itsulie des trois v«eux dont il a éi-
> fait mention, d'où il est manifeste que ceux (pii en ont contraci<
«rengagement sttni excellcninvut appelés religieux, à cause de
» l'excellence de leur holocauste, o
HISTOIRE DE L'ARCHITECTLRE SACRÉE
Du qualrième au dixième siècles, daus les anciens évê-
elles de Genève, Lausanne et Sion,
Pjr J.-D. BLAVIGNAC, architecte (i). Lausanne 1853. (Bridel, éditeur.)
Pcr visibilia, invisibilia dcmonstramus.
S" Gregorii Episf.
( PREMIER ARTICLE).
Voici un excellent livre, et, ce qui vaut mieux encore , une
excellente action. Assurément c'est là un signe des plus heureux
de l'esprit nouveau qui se manifeste depuis vingt-cinq ans dans
les études historiques, au grand profit de la science et surtout
de la vérité. Reportons-nous aux années du collège, à ce que de
candides professeurs consentaient alors à nous dire du moyen
âge et de l'éducation laborieuse des peuples modernes par l'É-
glise catholique, on admirera une révolution si rapide, si féconde
en résultats précieux. Sans doute il reste à désirer. Justice com-
plète n'est point faite de tant de haines imméritées , de tant de
récits controuvés , de tant de doctrines malfaisantes : les thèses
équivoques du dix-huitième siècle ont toujours leurs soutenants.
Mais à côté de ce courant dont le flot s'amoindrit chaque jour,
quelle réaction salutaire ! et combien d'écrivains assidus au tra-
vail pour remettre en honneur ces temps difficiles oiî l'Église
(I) Un vol. in-S" accompagné d'un atlas renfermant plus de 800 dessins.
200 HiSTOinE DE l'auciiitecture SAcnéE.
produisit U's i;<'u«r:iiioiis sactidotalcs qui amenèrent les conqué-
rants l)arl»ares à la vie de la ciNilisalinn . aux lumières de la
science et des leiires, et, ce qui vaut |»lus encor»', à accepter le
jouK' austère des vt-rtus clinticnnes! Toutes les nations de l'Eu-
rope ont apporté leur tribut à cette a-uvre de reconciliation; la
ni\trc non plus n'a pas failli à l'appel. Sous la direction si éclairée
de M. dcGin},'ins, la Société d'histoire de la Suisse romande a
publi»' une collection île mémoircsdu plus haut intér»^t. Avec plus
do réserve la Société d'ari lienloj,'ie de Genève est entrée dans lu
même voie. D'autres travaux ont succédé, entre lesquels nous ne
voulons distiuf^uer aujiturd'hui (jue V/Iisinire du canton de I aud,
parM. Verdeiljce livre écrit sous rins|»iration d'un patriotisme si
vrai , si franchement dénué de méchantes passions. Encore que
chez l'auteur le préjuj;»'' apparaisse souvent, nulle part il ne revêt,
dans son expression inolfensive, le ( araclère de la haine. Pour être
indiret teselinatteiKlues,(esrehal)ilitali(»nsn'ont(pie|)lusde prix;
linipailialité de l'écriNain einessort d'autant plus; et vraiment il
estpro\idenliel de voir niisi^rand nombre de documents mis en lu-
mière, tant d'illustres mémoires vengées de l'oubli ou de I injustice
de l'opinion : cela par des hommes auxquels assurément on ne
saurait attribuer le dessein prémédité d'avoir voulu réparer, ù
l'endroit de l'f^glise caiholirpie, les torts des générations précé-
dentes.
M. Blavignac, lauiciir de l'ouvrage que nous essayons de faire
connaître, est un an liitecte genevois «dunu du public par une
collecti(tn d'estimables travaux archeologiipies. Dans cette der-
nière étude, il donne une preuve nouvelle et imposante de
sagacité, de science érudile, non moins (pie de rare obstina-
tion au travail. Les monuments, on l'a dit, souvent sont plus
instructifs (jue les livres. Ils portent les signes caraclcristi-
(pies de la civilisation «pii les ins|>ira. S'il s'agit des édifices reli-
gieux, alors intervient plus e\|iressement la notion de l'art: «cette
■ faculté sociahî d'«'\primer des croyani es par des signes maté-
■ riels»(l); l'art, cettecréation secondaire, cette action dugénie
de l'homme s'exerçant sur la matière pour lui faire porter l'eni-
(I) Dénnilion de M. K. Cadicr dans ^on E»thoUi|ur de Sn^onarole.
iii-^TOii'.F, r)E i/aiu.iiitlcti'ke SAnm'iE, 291
preinle do sa pensée, alors qu'il inspire sur la masse informe le
souille (le son ànie iniclligonto. Les inonuinenls du moyen âge, ces
témoins adniiiahU's des éminentes prérogatives du génie chré-
tien s'iipjiliquanl à idéidiser la matière, ont f'-ié rohjcl de recher-
ches mnilipliées en France, en Angleterre et en Allemagne. La
Suisse , incontestablement , était demeurée en arrière dans ce
mouvement réparateur; à Genève en particulier, le moyen âge
artistique était lettre morte jusqu'à M. Blavignac. Celte absten-
tion doit être attribuée à plusieurs causes.
La vallée du Léman est moins riche que bien d'autres contrées
en édifices bâtis durant la période qui s'étend de la fin des
Croisades au quinzième siècle. Or c'est là l'époque la plus mé-
morable pour l'architecture au moyen âge. Ce fut alors que le
système de construction basé sur l'emploi de l'arc aigu (1) ou
ogive prit cet essor qui donna un développement si magnifi-
que au plan idéal du temple catholique conçu par les écoles sa-
cerdotales des âges précédents. Celte expansion de l'art chré-
tien conclut à la Sainte-Chapelle de Paris, aux cathédrales
d'Amiens, de Chartres et de Cologne, et l'on sait de quelle vé-
gétation prodigieuse d'édifices elle couvrit l'Angleterre, la Belgi-
que et surtout la France au-delà de la Loire. La Suisse romande,
qui fut le théâtre d'un mouvement architectural très-brillant
pendant la durée du second royaume de Bourgogne, moins favo-
risée dans les siècles suivants par les circonstances politiques et
économiques, ne vit pas se produire avec autant de profusion que
dans les pays du Nord le règne de l'arc aigu. Nous avons bien
Notre-Dame de Lausanne , conception artistique des plus belles ,
singulièrement variée dans ses effets , à la fois riche et sévère
dans ses ornements, et qui réunit dans un ensemble harmonieux
autant qu'original, un souvenir des églises romano-byzantines
des bords du Rhin, au système svelte et élancé de la Bourgogne
(I) M. Blavignac démontre à merveille que le terme ogive est une expres-
sion fort impropre, que Togive est un contrefort, un plein, et non pas un
arc vide. Sa remarque est fort juste ; mais comment prévaloir contre un usage
aussi solidement établi et autorisé de l'exemple de tant dhommes compé-
tents?
2î)*i HI>T(HKE Ut l'aRCHITKCTI'RE SACRLE.
fl de rilf lie France. Nous avons bien iiolrr Saini-Pierrc de Ge-
nève, si j;rave, bi [tuissanl d'ellel, si raro comine lypr d'uiiL* |>ê-
riodo de transition. Mais les autres édilices groupes autour des
deux cathédrales ue répondent pas à ce que l'on étail en droit
d'attendre en présence tl'aussi beaux modèles. Les injures du
temps, el plus encore celles des hommes, ont altén'' ces églises
paroissiales el convenluelles. Aussi , dépourvues de caractères
imposants, privées d'oi'iiemcnts, mutilées par les disf)Ositions qui
les adaptent au culte nouveau , dédaignées depuis trois siècles
comme témoins importuns de tenq)s dont on voudrait anéantir
le souvenir, élaienl-elles peu pro|)res à suggérer l'enthousiasme
que nous avons vu surgir aillems, alors (pie le mou\emont inau-
gure par M. (le (latiniiinl, l'ugin, M. ih; Montalemberl el Sulpi((;
Boisserée a r( iniif la moindre ville en l-rance el en Allemagne.
Une seconde cause de l'oubli où lurent si longtemps condamnés
chez, nous les monuments du moyeu âge, c'est riulluenco des idées
protestantes. I/art a corrompu ses voies au seizième siècle.
I/Kglise, (jui no permit i)as un seul instant à la nuit de se faire
entre ranli(piilé et les temps modernes, avait recueilli rhérilagc
inlellectnci (h; rancien mond(î ; et Ton sait avec quelle puissance,
transportant dans l'école les |)rocédés dialectiipies de Platon el
d'Aristote, des génies tels (pie saint Augustin, saint Anselme,
Albert le Grand, sainl l'honias (rA<prm, saint Honaventure, (ier-
son , ont fécondé le champ du père de famille dans l'ordre des
idées et de la science. L'art, cet élément si prépondérant de
loute civilisation, avait été, au service du paganisme, un instru-
uu'nt habile d'erreur el de corruption ; l'on sait aussi par (|uelle
discipline admirable , à ravènemenl du christianisme, le sen-
sualisuK! disordonné des artistes de la Rome des euqiereurs,
avait lait place aux clans du sunboliMue le plus chaste comme
le plus brillant dans son expicssion. .lainais anéanti . tnii-
jours vi( torieusemenl deleudu dans le c(eur de l'homme,
le sensualisme païen fui remis en honneur par la Uenais-
sance. Le culte de la forme, dans son expression la plus
charnelle , prévalut derechef sur la recherche de la perfection
idéale et de la beauté surnaturelle. Le mouvement une fois donné,
le courant funeste s'établit pai tout, el en (li'|Ht d'efforts itidivi-
i
HisroïKii Di: L*AuciiiTi:cTLr.t: sackèe. 293
duels , en depil des Iciupérainenls habiles , nous le voyons ar-
river jusqu'à nous sans éprouver de contradiction efTicace. A un
seul moment, en France, sous Louis XIII ; alors que se maniles-
lail celle renaissance calh()li(|U(! (|ui préparait l(;s gloires dura-
bles du rèj^ne suivaiii; entre sainl François de Sales et saint
Vincent de Paul, non loin de la Kicnlieureuse carmélite Maiie de
l'incarnaiion el de sainte Chantai; à Tinsiant où Rancé réforme
les cloîtres bénédictins, apparaît Lcsueur, un artiste qui prie et
qui, renouvellant les exemples de Fra Angelico, s'en va mourir
jeune dans les solitudes d'une Chartreuse. Lesueur, par la seule
force de l'amour de Dieu qui anime son génie, renoue la tradition
hiératique brisée par la Renaissance, et il lui est donné, dans
des œuvres incomparables, d'atteindre, sans faillir à la beauté
de la forme, des expressions de piété et de pureté angélique tel-
les que Raphaël n'en a janiais produit.
Cet abaissement de l'art se propage sur le sol italien, d'où il pé-
nètre en France. Le protestantisme, qui se rattache à la Renaissance
par des liens si manifestes, ne saurait être seul accusé de la déca-
dence de l'art chrétien ; cette réforme eut lieu dans les pays catho-
liques; pour lui il alla plus loin, il supprima l'art comme entaché
d'idolâtrie. Quoi de surprenant que les peuples protestants soient
peu sensibles aux beautés artistiques? Comme ici les traditions sont
«catholiques, comme les œuvres des grands maîtres qui forcent
l'admiration universelle sont toutes consacrées à célébrer les
mystères de la religion et les dogmes fidèlement gardés par l'É-
glise, il est naturel de voir la sympathie faire défaut et le senti-
ment demeurer absents. Calvin, si sec, si dur dans son génie
compassé , avait interdit les joies de l'art chrétien à sa tribu de
prédestinés; ce fut seulement vers le milieu du dix-huitième siè-
cle que le goût des beaux-arts reprit quelque faveur à Genève,
mais cela à une époque mauvaise. Les dogmes qui avaient marqué
une nationalité factice d'une physionomie sicaractérisque étaient
battus en brèche. L'indifférence et la philosophie cosmopolite
avaient gagné Genève, ramenant avec elles legoîit des beaux-arts
tels qu'on les comprenait alors, c'est-à-dire comme une fantaisie et
une pure récréation des sens. Il y eut désormais à Genève comme
partout de riches amateurs qui peuplèrent leurs cabinets de ta-
bleaux flamands, de nudités italiennes ou de peintures du temps
204 ii:sTotr.i. i»h t'\K<:MiTK«:Ti i;e saiuli.
qui vuluicnl encore moins. A te inomenl Tau éuiii en plrine dé-
caJencc , les écoles ctaieni domiiKM-s \y,\r un n;iiuralismo &ans
j,'i:in(I«Mir, (ItTiiii-r Icnnc on dcviiirnl ;d)ituiir l'an liiti'cluro, la
poininrc «l la siiil]»iiii(' abandonnées drpuis la n-naissance aux
caprices lie riniliviilnaiisnie. (".es iiadiiions prévalent encore de
nosjours à (jent've; louielois Uousscau, Charles Bonnet, Horace
de Saussure cl Bourril iniroduisirent une manière nouv» Ile de
comprendre et d'inlerpn'icr la nainic, (jiii n'a pas été sans agir
sur l'école de paysage (pii brille aujourd'hui.
Une socit''t('^ (pii n'alirilmi" à l'ait (|n'ini but do jouissance, ne
saurait avoir riniclli-ence de la mission salutaire que lui im-
pose le catholicisme. L'Église introduit l'art dans les catacom-
bes pour on consoler les tristesses. Nous la voyons dès le second*
siècle y produire des l<''moignages ineffaçables de la perpétuité de
ses dogmes et de ranli(|niié de sa discipline; elle ridenlilio à
ses manifestations extérieures, et avec le cours des âges il de-
vient une de ses forces sociales; elle lui destine une sorte de
sacerdoce et des fondions sublimes. C/ciait l'an (pii devait em-
bellir sa doctrine de grâce et de majesté; c'était l'art qui devait
instruire le |)eu|t|e et lui conimimiiper, malgn- son ignorance et
sa pauvreté, les richesses de la science avec les fidicités de l'a-
mour divin. Voilà ce «jue l'Église catholique a fait avec celle
parfaite connaissance du cd'ur de riiomme (pie lui donne la
possession de la vérité iniégrale; voilà ce (pie le protestan-
tisme n'a pas compris. Mais, a|)res tout, il est impossible de mu-
tiler la nature linmaine; on peut bien I "altérer, la pervertir,
la ( onipriiner : le sentiment du beau et de Tideal n'en persiste
pas moins. Si votis méconnaisse/, les admirables desseins de l'É-
glise, le développement de ces facultés ne sert qu'à établir la do-
mination du sensualisme et le culte de la frivolité. Quelle auire
signili(.ation |trétendrait-on donner à ^ o t\uuno inepte pédagogie
appelle les arts d'agrément ';'
(>)nsidéré à la clarté du spiritualisme chrétien , l'art est un
moyen de réhabilitation , de puissance et de lumière |>ar lequel
riiomme s'ellorce de |)énétrer dans le moinb' invisible. Dans
l'a'uvrc n'-parairice de Jésus-Christ, qui rattache à Dieu l'hu-
manité dé( hue, l'art est le premier degré (pii monte de la nature
a l'idéal , de la matière à l'esprit. Le catholicisme honore la na-
IIISTOIKI- Dli L'Ar.CHITECTLT.K SVCRlii:. 295
lure connut' l'œuvre de Dieu; mais il ne veut |)as que l'homine
s'y attache cl y établisse sa demeure. Il s'en sert comme d'un
picdi'slal, couinic d'un point d'appui pour lourner le roi de la
création vers liiilini, vers Dieu (pii est la somxe de toute perfec-
tion et notre souverain bien.
Pour marquer en quelcjucs mots la place occupée par l'art
chrétien dans l'ordre hiérarchi<juc de nos connaissances, qu'il
soit permis de citer saint Bonavcnture. < Quoique, dit le doc-
teur séraphiquc (1) , toute illumination de rinielligence par la
connaissance soit intérieure, nous pouvons raisonnablement dis-
tinguer une lumière extérieure : lumière de l'art; une lumière in-
férieure: lumière de la connaissance philosophique; une lumière
supérieure : lumière de la grâce et lumière de la Sainte Écriture.
Cette synthèse magnifique n'excluait aucune science, aucun pro-
grès, aucun degré dans le domaine de la connaissance. Elle a été
brisée cependant, sous le prétexte d'affranchir l'esprit humain de
la domination sacerdotale. Notre science sécularisée a dédaigné
cette sagesse de l'Église disciplinant les connaissances de l'homme,
les plaçant en ordre hiérarchique pour les faire tendre au bien
parfait qu'elle leur montrait pour but suprême. Ce n'est point ici
le lieu de rechercher si l'on a gagné ou perdu à celte émanci-
pation ; mais nous ne saurions dissimuler le mouvement de sym-
pathie qui nous émeut en présence de cette théorie scientifique.
Poursuivant: saint Bonaveniure compare l'initiation scientifique
de l'homme aux sept jours de l'œuvre génésiaque, il voit six illu-
minations successives éclairer l'entendement. Mais, ajoute le
maître, ces illuminations sont en celte vie, et elles ont leur soir,
car toute science humaine , incomplète par nature , est périssa-
ble et s'évanouit devant la science de Dieu. Mais à ces six jours
de labeur mystérieux succède le septième jour, le jour du re-
pos ; or, ce jour n'a pas de soir, car les illuminations partielles
des sens et de l'esprit aboutissent à l'illumination éternelle de la
gloire, qui est la claire-vue des perfections de Dieu.
Dans la synthèse de saint Bonaveniure, l'illumination de l'art
(1) De reduclione artis ad theologiam. Nous empruntons ce passage au re-
marquable essai de iM. labbé Sagette sur l'art chrétien.
ilXi inSTOIIiK l»L L AKCIIITECTl'KE SlACRtI;.
curres|>on(i ù la iroisiùiiir' illuniinalioii ^énésiaque duns la syn-
thèse do la crénlion : la si'irjralion du la terre d'avec l'eau , la
^oniiinalioii des |tlanli's cl des arbres.
Avaiii «lue dr romnu'iutr le pieux [ù'Ierinage auquel M. Bla-
vignac nous convie à travers les édilices sacn-s de noire pays,
il dcvail «^iT'e accordé ircvcxpicr <|ucl<)ucs souvenirs de celle
|)hilosopliie niysti(]uc du moyen àgc, cl d'inditpur le rôle assi-
gné à l'un par une civilisation religieuse (pii contiait la nialière
à des mains consacn-es el la faisait servir à l'enseignement des
choses invisibles. Aussi bien M. Blavignac nous y invile lui-même
p;«r la graviie de son œuvre el le respect avec le<|uel il s aj)pro-
che de ces monuments inspiri'S à nos ancêtres par leur foi. Il ne
méprise point une religion unie par d'/lroils liens aux |»liases
liistori(jues les plus glorieuses pour notre patrie. Cet exemple
d'impariialitt-, de respect pour la vérité el les convenances, tou-
che d'autant plus que chez nous il esl plus rare ; il honore le
caractère de l'auleur et il contribuera , nous en avons la con-
fiance , à étendre le succès d<' son œuvre. Mais M. iJlavignac ne
se contenle pas de purs respects extérieurs ; il n'a pas tardé à
reconnaître que |intir comprendre les nionumeiils callioliques el
p('nelrer le symbolisme qui les anime , il laut étudier les dog-
mes et les enseignements de la doctrine qui les inspira; cVstce
qu'il fait avec la simpliiiie la plus louable el la droiture la plus
complète. Aussi M. IJIaxignac parle avec (onnaissance de cause.
Chez lui, poinl «le paroles ininielligenies, point de ces ignoran-
ces si grossières «pi'on les dirait calculées, lesquelles déparent
les écrils d'iiisioriens <pii se veulent dire graves, ceux de Sis-
mondi, par exemple. Il n'imagine pas, parce qu'il s'agit «les ca-
tholicpies el des vieux ienq)les qui ont reçu pendant des siècles
la prière de nosan«ètres et recueilli leurs ossements, qu'il doive
élre moins comptable d'exactitude , moins désintéressé de pré-
ventions injustes, (pie ces voyageurs qui d«crivcnl, aux applau-
dissements de l'Kurope savante, les mu'urs el les coutumes reli-
gieuses des Assyriens et des Ilindotis. Le sentiment qui dirige
l'auteur se caractérise dans ce verset du Psalmiste par lequel
il termine sa préface : Domine dilcxi decorem domus tu(r.
Le livre n'est que le commentaire animé- de ces belles paro-
HISTOIRE DE L'ARriIlTECTIJRE SACRÉE. 297
les , et ce n'est pas une des moindres surprises du Icclcur que do
oonslatcr une si inlinic connaissance du sujet chez un prolestant.
Il faut s'attendre à loui autre chose qu'à une aride nomenclature ;
M. niavif^nac est anunc, par ses études consciencieuses, à prcs-
soniir toute la grandeur de la liturgie cailiolique, dont les cdi-
flces sacrés qu'il décrit avec tant de zèle ne sont que l'expression
symbolisée. 11 couipi-cnd aussi que rarchiteclure est le premier
des ans, que les autres, tels que la peinture cl la sculpture, n'en
sont que les accessoires et les dérivés : deux considérations qui
nous forcent d'étendre encore un peu ces prolégomènes, car elles
sont majeures pour établir la notion exacte du rôle social de
l'architecture dans la civilisation chrétienne au moyen âge.
L'architecture est le premier des arts; vérité dillicile à faire
comprendre aujourd'hui que la construction des édifices n'est,
pour l'ordinaire, qu'une atfaire de spéculation, exclusive de toute
notion du beau, où les combinaisons d'un certain goût frivole et
mesquin seules s'unissent à l'idée du confortable et de l'avanta-
geuse disposition des parties. Parmi nos bâtisseurs, si experts
dans les procédés de ventilation et la manière de disposer un ca-
lorifère ; si habiles pour gagner de la place et calculer les agen-
cements d'un cabinet de toilette, combien qui aient le sentiment
d'une conception architecturale comme œuvre d'art, combien
qui comprennent que pour bâtir un édifice il faut en avoir l'idée
présente et vivante dans l'esprit, avant que de la réaliser, sous
peine de pécher par les proportions, d'élever une œuvre incohé-
rente, sans unité, sans harmonie , sans style, de ne Jamais réus-
sir, enfin , à provoquer chez le spectateur cette satisfaction que
procure la vued'un monument, quelque petitqu'il soit, où les con-
venances sont observées et le goût satisfait. Qu'on pardonne ces
expressions chagrines; mais ne trouvent-elles pas leur ex:cuse au
moment où la spéculation bâtit à Genève une ville nouvelle qui
pourra ressembler à New- York , à Saint-Étienne ou à San-Fran-
cisco; maisqui paraîtra singulièrement déchue de beauté en pré-
sence des hôtels qui couronnent si avantageusement les collines
de la ville haute. Ceci fait comprendre l'indifférence profonde du
monde moderne pour l'architecture et l'absence de sensation du
peuple en présence des monuments. Il n'en était pas ainsi au
298 IIISTUIKE UL L\R(:illTE(m'RE SACRÉE.
nu)\«Mi iiic. Le peuple alors éuiil n)ieu\ iraiié. C'est pour 1rs
priiis, |>oiir les painrcs, pour les i^^noranls (jue l'arl clir«îlien
prt^le au lio^^nie son exposiiiou , à la fui son lan^a^e, à la |)rière
}>es foniuiles saisi^sanles. Knire Us mains de iK^lise, l'arl elait
devenu l'auxiliaire d«' la parole, un organe de prédication, un
acte public de religion. Et voyez quelle union intime entre la li-
turgie, celte voix |)eruianenle de l'Kglise , et les uionumenls sa-
crés qui ne sont, en dt'liniiive, (jue la réalisation sensible de
ses intentions et de son langage.
Gir l'Église cailioli(pic est vraiment le icmple du Dieu vivant.
Jésus-Cliiisi y esl adore en espi il et en vérilé. Conime l'aigle,
rliaque année elle renouvelle sa jeunesse. Le lidèle , conduit par
le cycle lilurgi(|uc, itariicipe sans cesse à une action dont la per-
sonne de M. S. Jésus-C!irisi est le cenlie et le nioliile. L'année li-
turgique, c'est la manifeslaiion périodique de Jesus-Christ et des
niyslères de sa \ie «lans l'Lglise et dans l'âme lidèle. C'est ainsi
que «lurant les quatre semaines de l'Avent , avec les patriarches
et les proplièles, le ( hréiicn attend la venue du Messie promis,
prédit el ligure. Arrise la pleniiiule des tenqts, le (lirist nait, il
habile parmi nous, et le lidèle s'unit an\ bergers et aux rois [wur
l'adorer dans les abaissenients ile la crèche. Puis il le voit jeû-
nant au désert , prêchant sur la montagne , enseignant la multi-
tude, expirant sur le Gdvaire, ressuseilant le troisième jour,
montrant ses plaies aux disciples , remontant à la droite de son
Père; il a(comi>agne les saintes ft>mmes dans les stations de la voie
<louloureusi' ; il va aM-(le\anl de lui avec Madt-leine au malin de
larésurreciioii ; il passe avec les Apôtres dix jours tians le Cénacle,
lenq)s de retraite (|ui se termine par l'elVusion de l'Kspril Saint
et par l'élablissemcnl delinilil d(;cttl<' société des enfants de Dieu
qui doit durer et rormcr des élus jusqu'à la consommation des
siècles.
Tel esl le culte d'amour, de vénération el de lideliié (pic l'E-
glise catholique a voue à la pers(»nne de Jésns-dbi ist. .lésus-
Christ est là présent; il n'y a plus de ligure, plus (ratienle ; il
y a la réalité. El dans cet ttrdre de cérémonies si niervrilleuse-
meni proportionné pour satisfaire tous les besoins spirituels,
toutes les aspirations de l'homme , adQiirons la mansuétude de
IllSTOIIir. DE l'akCHITECTUUE SACIlKi;. 21)0
l'Église (|ui parle si bien le langage des pauvres el des faibles,
mais ne soyons |>as moins toucbé do la liberté laissée aux intel-
ligenees cultivées dans ce symbole qui ne gène aucun élan de l'es-
prit, bien qu'il assigne des linnles à l'étonduc de sa domination. Jé-
sus-Cliiislse laisse toucher el comprendie par l'âme humble qui
ne lui ollVccpie les mérites cacliésd'u!! cœur obéissant, de même
<|u"il ouvre un horizon infini de clarté au savant (pii, franchissant
dans les voies ch; la justice tous les degrés duanonde sensible au
monde intelligible , airive à voir Dieu , qui est la fin dernière
de la raison comme la récompense de toute vertu.
Ces vues rapides sur le cycle liturgique feront comprendre la
puissance du culte catholique comme action sociale; elles feront
comprendre aussi quelle impulsion le génie catholique devait don-
ner à l'élément artistique s'appliquant à bâtir le temple destiné
à contenir l'assemblée des chrétiens. La maison de prière par
excellence est sortie de terre à la voix de l'Office divin ; c'est lui
qui a déterminé ce pUm synd)olique, ces longues perspectives,
ces innombrables détails de l'œuvre dont chacun a un sens pro-
fond et exprime une intention traditionnelle.
Par l'avènement du christianisme, l'art devait se transformer.
L'Évangile ne vint pas anéantir les règles naturelles de l'esprit
humain, mais rendra leur terme providentiel possible. «11 ne
» vint pas, ainsi que le disait naguère un admirable philoso-
» phe (1), détruire l'ancienne loi, mais l'accomplir; de même il
» ne vient pas détruire le fruit humain de la pensée philosophi-
» que, mais le mûrir. Il opère dans l'esprit humain et son im-
» périssable philosophie précisément la même révolution qu'il
» opère dans l'éternelle et universelle religion du cœur humain.»
L'art, qui avait jeté une si brillante lumière dans la civilisation
antique, partagea ces nouvelles destinées. Le paganisme avait
fait régner dans l'art la forme sur l'idée, la matière sur l'esprit.
M. Thiers, à coup sur, entre les esprits, l'un des moins accessible
(1) Pliilosopfiie de la connaissance de Dieu, par le R. P. Gmiry, de l'O-
ratoire.
'M){\ IIISTOIRF. DF LAr.riIlTKrTrRE SICRÉE.
au onsiicismc it'lii;ieu\ , en esl frappé, il dit (^1) de Tari ancien
qu'il esl doué d'un corps, cl l'an modorno ti'unc âme.
L'art j^rec, si pur, si correci, si parfait dans son liori/on limité,
n'cnlévo pas l'Iioinme aux ré;,'ions du naturalisme. Hien ne fait
penser au ciel dans la condinplation des lijçnes extpiises du Par-
tlienon. La sculpture de Phidias, ce Kapliuel de l'an grec, at-
teint sans doute un jjrand (aractère de béante plastique; mais
M. Fortoul a raisou en disant ipie p(»nr les artistes de telle épo-
que (2) « riiomiue ne lut qu'un animal plus i)eau que les autres,
» et la Ic^le «pi'une des parties de cet animal ; elle fui traitée non
■ pas comme le miroir des passions, mais comme un membre ac-
» cessoin; s(>ud)lable aux autres «'l destiné seulement à complé-
» ter avec eux l'Iiarmonie d(; l'ensemble.» Il était réservé à l'an
chréiim il'aci order au visage liumaiti toute sa valeur, d'en faire
l'objet suprême île s«'s éludes et d en troubler la trancpiille sur-
face pour y peindre les désirs, les jîeosées, les résolutions, en
un mol toutes les alVeclions de rame,
L'é'lement chrétien Iransportc immédiatement 1 arl dans les
régions de l'idéal. Pour les catholi(|ues, une église, c'est l'image
du ciel, c'est la figure mysii(|ue du corps de Jésus-Christ , c'est
le svmbole de la .ItMiisalmi lelesle dont les nuirs se construisent
tous les jours au milieu de imus, mais dnnl la dédicace n'aura lieu
qu'à la fin des temps. Kmu de [)areilles pensées, on ne sera pas
surpris de l'impulsion déterminante que le clirisiianisme im-
priuje aux arts. Dès les catacombes, je vois «e peuple souterrain,
mêlé d'esclaves, d'affranchis, d'étrangers, ce peuple que Pline et
Tacite méprisent, je le vois s'emparer de rarchitecture , de la
sculpture et de la peinture, introduire partout le symbolisme, ce
langage ligure, cet elforl de IhoniMie i apiif sous son enveloppe
terrestre, pour faire reluire la pensée sous l'image et l'idéal sous
le réel ; ce sont d'abord des ouvriers ignorants , travaillant à la
hâte, et sous la menace de la mort; mais bientôt le ciseau chré-
tien devient plus libre , plus fécond , et au moment où les pros-
(\) Dr la proprii-tr, clr.
(5; De l'art en Allrmanm-, pir H. Forlonl , loni. II. Nimvcllc Ihéuric de
lurt f.rt'c
iiisToir.i: Dr. i/auciiitecii rvn sacwéc. 301
crits paraissent à la lumière, ils apporieni avec eux loulo une ci-
vilisation 01 tout un an nouveau. « Pendant, dit Ozanam(l), que
» les nuirailles de la ville éternelle s'ébranlent sous les béliers,
» et que les Goihs et les Vandales entrent par la brèche ; pendant
» que k's Barbares enlèvent juscju'aux toitures de plomb et jus-
» qu'aux portes d'airain; au moment oîi il semble que tout soit
» peiilu , l(;s sépultures sacrées des catacombes soulèvent pour
» ainsi dire le sol et produisent ces admirables basilifiues de Saint-
» Paul hors les murs, de Sainte-Marie-Majeure et tant d'autres
» qui, du quatrième au Ireizièmesiècles, recueillirent, réunirent
» et sauvèrent tous les arts. Au lieu de la poésie des écoles, il y
» eut la poésie des monuments. Pendant que la société ancienne
«périssait, la basilique fut le centre d'agrégation, le refuge
») d'une société nouvelle; et il fallait que le seul lieu où une pen-
» sée morale rassemblait encore les hommes, les accoutumât à
» l'ordre et à la règle, qu'ils en sortissent obéissants et discipli-
i> nés. La lumière des sciences et des arts menaçait de s'éteindre ;
» il fallait que la basilique conservât dans ses pierres mêmes un
» enseignement populaire capable d'éclairer les esprits et d'é-
i mouvoir les imaginations ; il fallait que les hommes en sortissent
» instruits et charmés, pour qu'ils y revinssent avec amour, comme
» en un lieu où ils trouvaient le vrai et le beau. Pour réaliser
" l'idc'al de ce temps, une église devait contenir toute une ihéo-
» logie et tout un poème sacré. »
C'est à ce n)oment, c'est au quatrième siècle de l'ère chré-
tienne que M. Blavignac ouvre l'histoire des monuments sacrés
des trois diocèses de Lausanne, de Genève et de Sion. C'est au
moment où expire la société antique dans la Suisse romande qu'il
commence son pèlerinage patient à travers des ruines, des pier-
res effacées, des vestiges ignorés dont il a restitué l'origine véné-
rable. Rome a ouvert nos forêts agrestes à la civilisation par ses
colonies et ses municipes ; elle a fait plus encore , elle a envoyé
des apôtres par toutes les routes de l'empire , et le souvenir de
nos premiers évêques se mêle naturellement à ces premiers es-
sais de l'art chrétien. Il était donc juste de rendre hommage aux.
(1) Poètes franciscain». Cliap. l".
19
30'2 lIISTOinF Df t'ARCUITECTtRE SACREE.
oiiMicis ilt'a caiacojubis, tar ce sont eux qui ont parlé les pre-
miers celte laoyuc ina^'iiiliciue df l'arl iM-yciifre, el le sMnItolisnie
que leur inspira leur foi nous arrive en mt^nie lemps que la se-
mence de la divine doctrine pour laquelle ils répandirent leur
sanK-
Edouard Dufresise.
(La /in au numéro yrochatn.\
LETTRE A Il\ PROIESTAM
LE CULTE DE LA SAIXTE VIERGE.
Placé , par l'indépendance de voire caractère et l'équité de vos
sentimenls, au-dessus des préjugés du vulgaire, vous permettez à
vos adversaires d'exposer librement les croyances qui peuvent être
en opposition avec les vôtres. Vous faites plus, vous les respectez ,
vous les honorez. Et souvent je vous ai vu , frappé par la justesse
d'une ex[)licalion franche et convaincue, rendre hommage à la pu-
reté des doctrines catholiques, et, ledirai-je? envier parfois le bon-
heur et l'immuable sérénité dont nous jouissons sous l'autorité ma-
ternelle de l'Église.
C'est cette noble impartialité de vos sentiments, si rare, hélas!
de nos jours, qui m'encourage à vous adresser aujourd'hui quelques
réflexions sur une des doctrines catholiques le plus étrangement
défigurées par les adversaires de notre foi. Je veux parler du culte
que l'Église rend à la Vierge ]\Iarie.
Le croirait-on? nous sommes encore entourés de personnes qui,
de la meilleure foi du monde, grâce aux préventions dont elles ont
été nourries dès l'enfance, sont persuadées que nous adorons la
Vierge Marie. Nous avons beau leur exposer la vérité de notre doc-
trine, les engager à vérifier par elles-mêmes si dans l'enseignement
catholique il y a un seul mot qui puisse autoriser une telle accusation ;
tout est inutile. Leurs convictions sont arrêtées; rien ne les fera
changer. Nous nous résignerions facilement à la calomnie ; nous ne
prétendons pas être plus privilégiés que les i)remiers chrétiens ;
30 1 I.KTTRf. \ r?t PROXP^TA-ST.
iiiaiN il- «jui c-il iloiiloiiiLMix à pL'tJSfr, c'est (|uo par une espère de
« oiiipoiisation , leiix (|ui nous accusciil ti'adurvr la N'iergc, l'ij arri-
vent à éprouver pour elle un véritable éloignemcnt. Ils ne s'a-
vouent pas, sans doute, la cause de celle aversion ; mais cette avcr-
sioti existe. Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de le con-
stater. Or, il est impossil)le (]ue des hommes qui s'honorent du
nom de chrétiens puissent, sans encourir le re()roclie du la plus
criminelle incor»séqucnce , persister à étoufler dans leur cœur les
sentiments les plus naturels et les |tlus léfriiimes envers Celle qui a
élé choisie pour être la mère du Sauveur.
Vous ne partagez pas cette aberration , je le sais cl le reconnais
avec bonheur. Mais, avouez-le , notre alTectioii pour Marie vous
étonne, vous scandalise même. Ou, si votre indulgence vous porto
à excuser une tendresse qui vous parait irréfléchie, ce n'est qu'une
concession (jue vous faites ;1 noire faiblesse ; vous vous reprocheriez
sûrement de partager nos crovances et nos afTeclions.
C'est contre une telle disposition d'es[)rit que je voudrais pou-
voir vous prémunir, en vous exposant les molifs et les raisons sur
lesquels se fonde noire culle de dé\olion à la ^ ierge Marie. J'en
ai l'assurance, si vous pouviez vous défaire de l'influence de vos
traditions, si vous pouviez un instant secout;r les préjugés de l'édu-
cation, si, en un mol, vous pouviez être parfaitement libre de toute
préoccupation anii-calholique , et, dans cet état d'impartialité ab-
solue, méditer dans rf-icrilure les grandeurs de la Mère du Sau-
veur, il n'est pas douteux (|ue voire Ame émue ne découvrit dans
le texte sacré des profondeurs qui jusque-lù avaient échappé à vos
regards, et qui vous ré>éleraient soudain des trésors inatlendusde
lumière et de vérité.
La Bible est sans r«'sso dans vos mains; mais ne peut-il }■ avoir
des paroles auxquiîlles vous n'avez pas attaché toute l'importance
(pi'elles méritaient? Pour ne citer qu'un exemple, y a-l-il un chré-
tien (pii puisse se flaller d'avoir pénétré et coujpris la |)orlée «le
ces simples mots : (• .Mai ie, de laquelle eut ttc Jèsm, qui est appelé le
Christ? » Je ne sais, mais il mu semble que cette seule énonciation,
dans sa concision sublime, donne mie telle idée de la gloire et de la
grandeur de Marie , que l'esprit en demeure confondu. Oui, ces
simples paroles, qui contiennent tout le mystère de notre salut, sonl
insondables tians leur profondeur ! C'est de Mnrie «ju'est né le Christ!
C'est dans son sein (ju'il a pris celte chair qui devait unir notre bu-
inanilé ;\ la divinité ! I.c corps adorable de Jésus a élé réellement
i.r.nwr. \ i > ri\0Ti;ST\>T. 305
formé du sang et de la chair de Marie! Et elle a pu dire, en parlant
de son divin lils , ce qu'Adam a dit de la compagne que Dieu lui
présenlail ; « Voici los os de mes os cl la chair de ma chair! » De-
vant de Iclios considéralioris, on comprend pres(nierclTroi religieux
du jansénisle Saint-Cyran, et on serait tenté de s'écrier avec lui :
« Que les grandeurs de la Vieige sont lerriblcrs! » Loin de nous,
cependant , ce malheureux esprit qui ne trouve que des motifs de
terreur là où l'enfant de l'Église catholique ne saurait voir qu'un
sujet de confiance et d'amour ! Mais, dans son erreur môme, le
sentiment de Port-llojal prouve du moins à quel point les sublimes
prérogatives de la Mère du Sauveur ont pu frapper des esprits qui,
par leur nature, n'étaient certes pas portés au facile enthousiasme
que l'on reproche tant aux catholiques.
Mais avant de poursuivre dans l'Évangile la recherche des titres
qui recommandent si expressément Marie cà l'amour des chrétiens,
ouvrons l'Ancien Testament, et arrêtons-nous quelques instants à
l'entrée de la Genèse. Nous pourrons y entrevoir l'immense part de
gloire réservée à la bienheureuse Vierge dans les conseils de la Sa-
gesse éternelle. C'est au moment de la chute du premier homme, c'est
lorsque toute espérance de bonheur est perdue à jamais pour l'hu-
manité, que Dieu, n'écoutant que sa miséricorde inflnie, a déjà dé-
signé le Sauveur qui rachètera la race condamnée et lui rouvrira le?
portes du ciel. Le serpent avait triomphé de la femme, mais il sera
vaincu par la Femme. Dès lors , la mission de Marie est arrêtée.
« J'établirai, dit l'Éternel au serpent, l'inimitié entre toi et la fem-
me, entre sa race et la tienne. » Quelle est cette femme? Est-ce la
malheureuse Eve qui vient précisément de succomber par la sé-
duction de l'Esprit du mal? Quelle est cette race ennemie du serpent?
Est-ce la race perverse des hommes dont les crimes vont bientôt
appeler sur le monde un déluge vengeur? Évidemment non. La
femme qui doit écraser la tête du serpent, et dont rmi/m^'e ne
pourra laisser s'établir aucun rapport entre elle et le démon, c'est la
Vierge bienheureuse qui sera annoncée par les prophètes, c'est celle
que le ciel saluera plus tard comme la bénie entre les femmes! — La
race de la femme , séparée de la race du serpent par une inimitié
éternelle, c'est Jésus, et en Jésus toute la grande famille des chré-
tiens.
Ainsi se dessinent, dès l'origine des temps, les deux grandes di-
visions qui se partageront le monde : les enfants de Dieu et les en-
fants des hommes ; la cité de Dieu et la cité du démon.
3(H» l,tTTf\K V l > PR(»TF.STà:1T.
Maiiili-nanl, csl-il possilile de ne pas voir dans Marie la iiuiMcllc
tivc dcslinée à réhabiliter la femme déchue? Kl |)ouvuMS-noiis, si
nous fçéniissons au souvenir du pcclu' cnlrr dans le monde par la
faute de la première k\c, ne j)as bénir i'Kve de la nouvelle alliance,
par laquelle la grdcc cl le salut nous ont été donnés?
Tt'Ile a été la doctrine constante de rf^f,'lise. Parcoiirei les écrits
des l'ércs ; sans cesse vous les verrez revenir sur cette pensée, a H
fallait, dit le saint marlvr Irénée, que le genre humain , condamné
i\ mort [)ar um^ vierpc, fut aussi délivré par «inc vierpe .. 1. Vous
\o\e/ dans ces paroles le sentiment des temps apostoli |ues : car,
vous le savez, saint Irénéo, Tillustre évéquc qui a porté la foi dans
les Gaules, était le disciple de saint Poiwarpe, (|ui lui-même était
le disci|)le de l'évangiéliste saint J»'an. 'i'erlnllien dit A son tour, en
parlant de la part (|ue la femme a eue à notre perte : « Il était né-
cessaire que ce qui avait été perdu par ce sexe fût ramené au salut
par le njémc sexe >' [i]. l-À'oulez encore le grand saint Augustin :
« Par une femme la mort, nous dil-il, et par une femme la vie ; par
Eve la ruine, par Marie le salut. Per feminam mors, per feminam
rita ; per Erain intcritus, per Marinm mlus » (3). Tous les autres Pè-
res ont parlé dans le même sens.
« Il était donc certainement convenable, remarque Bossuet, que
» Dieu ()rédestin;U une nouvelle î^ve aussi bien qu'un nouvel Adam ;
» afin de donner à la leire, au lieu de la race ancienne qui avait
» été condamnée , uwc nouvelle postérité i|ui fût sancliliée par la
» grâce. »
I-l à l'appui de celte doctrine si snintc et si ancienne de T^iglise,
écoulez ce parallèle entre f-^ve el .Marie. Je laisse la parole à Bos-
suet : « L'ouvrage de notre corruption commence par fcve, Pou-
» vraj^e de la réparation par Marie; la parole «le mort est portée h
» iîlve, la |)arole do vie ;\ la sainte \'ierge; Kve élait vierge encore,
" et Marie est vierge ; Eve encore vierge avait son époux, et Marie
n la vierge des vierges avait son époux ; la malédiclion est donnée
» à flve, la bénédi< lion à Marie : • Vous éte> bénie entre toutes les
» femmes »; un ange de ténèbres s'adresse â îilve, un ange de lumière
.. parle à Marie; l'an^ic de ténèbres veut élever \'.\c A tme fausse
»i grandeur en lui faisant affecter la divinité : <'\ous serez, lui dit-
(i) Cuiiira llirrcs. lil». V. I<).
(5) Oc ramfi Chrisli, n. 17.
(3) Dr l^jmb. atl Calrclnim. S«rm. ^
LETTUI-; A ni PROTESTAIT. 307
» il, comme des dieux ; » Tange de lumière établit Marie dans la
» véritable grandeur, par une sainte société avec Dieu : « le Sei-
» gncur est avec vous, » lui dit Gabriel ; l'ange de ténèbres par-
). lanl à Kvc lui inspire un (lt'ssi>in de rébellion : f< Pourquoi est-ce
» que Dieu vous a commandé de ne point manger de ce fruit si
» beau? » L'ange de lumière parlant à Marie lui persuade l'obéis-
» sance : « Ne craignez point, Marie, lui dit-il ; et, Kien n'est im-
» possible au Seigneur. » Eve crut au serpent et Marie à l'ange. De
» cette sorte, dit Tertullien, une foi pieuse efface la faute d'une té-
» méraire crédulité, et « Marie répare en croyant à Dieu ce qu'Eve
» avait ruiné en croyant au diable. » Enfin, pour achever le mys-
» 1ère , Eve, séduite par le démon, est contrainte de fuir devant la
» face de Dieu, -et Marie, instruite par l'ange, est rendue digne de
» porter Dieu. Eve nous ayant présenté le fruit de mort, Marie
» nous présente le fruit de vie ; afin , dit saint Irénée , écoutez les
» paroles de ce grand martyr, « afin que la Vierge Marie fût l'avo-
» cale de la vierge Eve, « ut virgitiis Evœ virgo Maria feret adiocala,
V Après un rapport si exact, continue Bossuet , on ne peut dou-
» ter que Marie ne soit l'Eve bienheureuse de la nouvelle alliance ;
» qu'elle n'ait la même part à notre salut qu'Eve a eue à notre
» ruine, c'est-à-dire la seconde après Jésus-Christ ; et qu'Eve étant
» la mère de tous les mortels , Marie ne soit la mère de tous les
» vivants. » (1)
Voyons maintenant dans l'Évangile l'accomplissement des hau-
tes dcsiinées réservées à Marie.
L'habitude de lire et d'entendre répéter des paroles merveilleu-
ses qui n'ont été adressées à aucune autre créature ne saurait affai-
blir le sentiment d'attention et de respect avec lequel nous devons
les méditer.
Ne craignons donc pas de revenir sur ces paroles : « Le Seigneur
est avec vous... Vous êtes bénie entre toutes les femmes.» Ce sont
les paroles de Dieu même, ne l'oublions pas. C'est l'envoyé de Dieu
qui s'acquitte d'un message divin ; — il n'est que l'écho fidèle de la
voix du Seigneur. C'est donc Dieu lui-même qui se plait à procla-
mer la primauté de cette créature choisie entre toutes les créa-
tures. Et remarquez la confirmation de cet oracle sacré dans la
bouche d'Elisabeth. «Remplie du Saint-Esprit, elle s'écrie à
haute voix : Vous êtes bénie entre toutes les femmes! » Sera-ce
(1) 4™* Sermon pour la fête de l'Annonciation.
3UiS IIITK»; A 11 IT.OTtSrVNT.
sans (lu prufuiidc» ruisoii.s que rtvaiigilu a pris buiii de iiou;» appren-
dre ci'Uo remarquable circonstance? VA ne dirail-on pas que le
Saint-Ksprit , en dunnanl une nouvelle consécraliun aux paioles
prononcées par ran;;e d«i Scîi^neur, a voulu les graver plus profon-
dénienl encore dans le cœur des clirétiens?
Je voudrais pouvoir vous faire |)arlager i'iinpre»ion (|ue pro-
duisent sur moi ces autres paroles de sainte Élisalietli : <• Kl d'où
mo vient ceci, (|ue la .Mcre île mon Sci;;neur vienne jiisi|u'ù n>oi ! «
En eiïet, la joie, la confusiiMi devant un lel honneur, le respect, l'af-
fection, une sainte humilité, tout est contenu dans celle exclama-
tion (jtii révèle si haiiltMncnl la [gloire inelTaltlt; de Marie!
Oiiant au suhlini(; canli(|iie de la \ ier<;e, i< Mon âme glorilîc le
Seigneur, » je sais ([ue vous Tadmircz sincèrcmcnl, et que vous
ùles frappé de ses beautés. Mais qu'éprouvez-vous en lisant ces pa-
roles inspirées : » J'uutrs lc!> (ji'm'ratiiitis m'appellcrotit biettlicureuse! u
De bonne foi, peul-on dire que c'est à la Uéforme qu'appartient
l'honneur d'accomplir celle i)rophélic? A'ons ne le prétendez pas 1
l'oiir nous, au contraire, nous proclamons avec bonheur, avec or-
gueil, qu'à l'Église catholique seule est réservée celte auguste mis-
sion. C'est dans son sein (|ue se sont succédées sans rel;\che, et quo
se succéderont jiixju'à la iin des siècles /<".s yènénttiomi <|ui appelle-
ront Marie la Hienheureusc et la Hénie entre toutes les femmes.
N'est-ce [»as là, au fond, tout le culte de Marie? l*euton, en cé-
lébrant son bonheur el sa gloire, ne pas être animé pour elle des
sentiments de la vénération la plus profonde et de l'amour le plus
pur? Et dés (ju'on la vénère et (ju'on l'aime, à cause des liens pri-
viléj;iés qui l'unissent si étroitement à l'auteur de notre salut, peul-
on ne pas mettre en elle une conliance sans bornes, ne pas implo-
rer le secours de ses puissantes |)riéres auprès de celui qui a voulu
être son fils P Où voyez-vous une autre créature, parmi lous les saints
cl les esprits célestes, (|ui ait les mêmes droits à l'amour de toutes
les générations? Non, ce sentiment lilial si unanime dans sa durée
comnn; dans son extension, n'est pas le fui il d'une pieuse illusion.
Il y a dans cet accord cl celle perpéluilè un de ce> caractères sai>is-
sanls qui n'appartiennent qu'à la vérité. Le chrétien, frère de Jé-
sus-Christ, ol uni par des liens mystérieux , mais cITectirs, à la
mère de rHuminc-Dieu. Marie, nous le répétons avec toute Vti-
glise, .Marie e.sl réellement et véritablement notre mère !
« Voilà ta mûre ! u Ce sont, en effet, les dernières paroles de Jé-
•us mourant sur la croix ; c'est le testament suprême par lequel, on
I.ETTni- A l.\ PI'>OTESTA>(T. 309
nous atloptanl coniiiic ses IVères, il a voulu proclamer la sublime
mali'iiiilé (Je Marie; sur tous les cluéliens. Kt il confirme celle al-
liance sacrée en nous présentant à Marie dans la personne du disci-
ple fidèle qui a suivi son maître jusqu'à la croix : « Femme, voilà
ton fils! » Car, vous le sentez sùrenienl comme nous, il est impos-
sible d'attacber un sens restreint et purement de circonslance à des
paroles divines prononcées dans un tel nionienl. Ce serait nier la
perpétuité el la vie de la Parole éternelle. Non, nous ne nous abu-
sons pas! Nous savons bien que cV-st à nous qu'elles sont adressées...
à nous, du moins, si, comme le disciple bien-aimé, nous nous pres-
sons avec Marie au pied de la croix de Jésus. Car c'est là, surtout,
que nous éprouverons les effets de cet amour maternel dont nul
cœur catholique ne peul méconnailre la puissance.
Dites-le moi , ne comprenez-vous pas maintenant que nous ai-
mions d'une aCfeclion toute spéciale la bienheureuse mère du Sau-
veur? Et ne sentez-vous pas que noire amour pour Jésus-Christ,
loin d'en recevoir la moindre atteinte, n'en est que plus tendre et
plus profond? Car tout se rapporte à Jésus-Christ dans le culte que
l'on rend à ses saints. C'est lui que l'on aime en les aimant, en les
vénérant. L'Église, depuis sa naissance, n'a jamais varié dans celte
doctrine. En honorant les martyrs, elle honorait les serviteurs fidè-
les qui avaient donné leur vie pour Jésus-Christ ; en vouant un
culte d'afTeclion filiale à Marie, elle vénérait la femme, bénie entre
toutes les femmes, qui avait porté Jésus-Christ dans son sein, l'heu-
reuse mère qui l'avait nourri de son lait, celle, en un mot, qui te-
nait à Jésus-Christ par des liens dont aucune relation sur la terre
ne saurait représenter l'excellence.
Hélas ! vous partageriez encore avec nous celle vénération sécu-
laire pour la Vierge bénie, sans les déplorables divisions qui ont
déchiré le sein de l'Église! Oui, si la Réforme n'avait pas rejeté
l'une des plus consolantes doctrines de la foi, vous penseriez encore
avec bonheur aux « amis que vous avez dans le ciel, » à ces amis
dont l'ardente charité s'intéresse à votre sort éternel, à ces amis
qui offrent sans cesse vos prières à Dieu, et qui, avec les saints an-
ges, se réjouissent à chaque nouveau progrès que vous faites dans
la voie du salut ! Aussi, j'admire souvent, pardonnez-moi ma fran-
chise, la facilité avec laquelle vous, qui tenez tant à votre indépen-
dance, vous pouvez vous soumettre sans examen à toutes les déci-
sions des réformateurs. Quoi! parce qu'il aura plu à Lulheret à
Calvin de décréter que désormais nulle relation n'existerait plus
.TIO lETTIiK A TM PROTr5TA\T.
ciidf ïe^ haltilaiilh du ciel cl les habitants du la Icrrc, il s'ensuivra
({u'iin >ilence de murt doit s'i^lablir entre des Ames vivantes ut ini-
niorlciles créées |)mir j»'ainH'r élernellemenl ? Il faudra ({u'unu froi-
deur glaciale succcile aux saints transports de la charité? (juu l'in-
difTérence cl Tuiibli reniplacenl lunles les aiïucliuns les plus pures
et les plus légiliine.s? Quoi! lu Sauveur vous aura dit : • Aiinez-
>ous les uns les autres... m o C'est à votre amour mutuel ({ue l'on
reconnaitra que vous «Mes mes disciples; » et ces prtVcples divins,
i|ui, a\ec l'amour de Dieu, renfernu'ut tout le chri»linnisme, seront
(lé.sormais restreints à la durée épluMuére des rapports terrestres?
Il \ous sera défendu d'aimer vos frères, jiarcu que plus heureux
que \ous, ils vous auront précédés dans la patrie éternelle'?... Non,
vous ne [touvez le penser I C'est lu courage ({ui vous manque peul-
étre pour briser les entraves dont on a voulu enchaîner la liberté
de vos Ames , mais certes, vous en gémissez douloureusement ! J'en
appelle à vos aspiratiiuis vêts les êtres chéris (|ui ont été enlevés à
votre amour. \ otre cœur ne vous trompe pas : ils vivent, ils vous
entendent ; et s'ils sont dans le sein du Dieu, ce n'est sûrement pas
par l'insensiltililé (ju'ils répondent à vos larmes cl à vos regrets!
Eh bien 1 comprenez donc aussi (|ue la mère de Jésus, la mère des
chrétiens, ne peut pas non plus être insensible à l'immense concert
de tendresse et d'amour qui s'élève vers elle depuis plus de dix-
huit sii-cli's ! Oo\ez, je >ous en conjure, croyez à r.itliimalion des
innombrables enfants de l'I-lglise , dans tous les temps el dans tous
le." lieux, lorsqu'ils vous diront la douceur infinie de ces communi-
cations crhvslrs, lorsipTils vous diront les consolations el les grdccs
sans noml're accordées à la prière et A la foi !
Ici, c'est une heureuse mère dont l'enfant \ ieni d'être rendu nu-
ra( uliMisement à la vie et à la santé; là, c'est un jiMine homme qui,
au nioment de céder à ses passions, a été retenu sur le bord de l'a-
biine, el qui se sent renaître à l'honneur, A la religion; plus loin,
c'e.st un pécheur repentant, lii.-r encore l'ennenii de Dieu, el loul
étonné aujourd'hui d'avoir >enti >on co'ur de jtierru se fondre sous
rinduence irrésislible d'une force inconnue. Interrogez ces chré-
tiens; ils savent bien, dans leur IiomIhmm. (|ue tontes ces grAcesonl
été accoril«'e> par l'enlrenuM' de Marie.'. Maiie, à la deujande de la-
quelle lu Sauveur axait opéré son premier miracle aux no<M>s do
Cana , alors ménn; (|ue <> .son heure n'était pas encore venue, »
(Jean II, '»;, Marie se charge en«ore aujourd'hui de présenter A .son
Fils lus humbles prières do ses enfants. Kl les catholiques peuvent
dire si leur confiance n jamai<; été trompée!
F.KTTRE A V^ PROTESTA?«T. 31 (
Aussi, lii rccomiaissaiicc, une reooiiuaissarice tpie chaque siècle
voit s'accToihe, se nianifesle-t-elle incessaninieul, dès l'origine du
chrislianisinc, sous toutes les formes et par tous les moyens qu'une
ingénieuse piété peut inspirer à l'amour filial le |)lus tendre et le
plus dévoué. ï.es arts, l'éloquence, la poésie, toutes les facultés de
l'os|)ril humain somhicnt se réunir dans l'élan d'une mémo pensée,
pour donner au ciel un témoignage de la gratitude qui anime tous
les cœurs.
Sous l'invocation de Marie, le sol se couvrira de sanctuaires et
de temples magniliques qui transmettront jusqu'à la fin des dges la
foi des chrétiens et leur conGance dans la mère du Sauveur ; les
cités catholiques se feront gloire d'appartenir à Marie, et graveront
sur leurs murs l'acte de leur consécration à celte douce souveraine;
le pinceau , le ciseau, le burin, retraceront à l'envi son image , et
sous l'influence de ce divin modèle, les Fra Angclico, les Pérugin,
les Raphaël, animés de la même foi qui avait produit les artistes
des catacombes , légueront à l'admiration du monde leurs inimita-
bles chefs d'œuvre ; la mélodie sacrée trouvera pour elle ses accents
les plus suaves et les plus purs, et inspirant les Palestrina et les Per-
golèse, associera la terre aux concerts des angi^s ; enfin , son nom
bien-aimé, objet de la vénération universelle, se multipliera telle-
ment parmi les filles des hommes, que nulle d'entre elles bientôt ne
voudra être déshéritée de ce glorieux talisman : tandis que l'É-
glise, heureuse de l'unanimité de ses enfants et veillant dans sa
sagesse à maintenir leur ferveur sous les règles de la discipline,
s'unira à ces témoignages de piété filiale, et rappellera dans sa li-
turgie, dans ses prières, dans ses fêtes, les gloires et les douleurs de
la mère du cruciOé.
Vous le voyez , il n'y a dans le culte de l'Église pour la Vierge
Marie rien que de parfaitement raisonnable, rien que de juste, rien
que de rigoureusement orthodoxe, quand on a conservé, d'accord
avec tous les siècles, la croyance aux communicalions entre le ciel
et la terre; en un mot, quand on a foi (ainsi que le proclame le
Symbole des Apôtres), à « la communion des Saints. »
' Maintenant vous trouverez, c'est possible, que nous sommes trop
expansifs dans notre affection pour Marie. Que voulez-vous? Tout
le monde n'a pas la même manière d'aimer. Je suis même prêt à
convenir, si vous y tenez, que la piété catholique a, dans son es-
pression , quelque chose de l'abandon et de la foi candide de l'en-
fance. Je ne saurais m'en alarmer, je l'avoue; surtout lorsque je
.{ I 2 I.KTTIlK \ Vr* ni()TESTA:iT.
vois dans l'Évangile des paroles comme celles-ci : « Si vous ne de-
venez comme de pelib enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume
dos cioux » « Je vous rends grdce , mon pero , de ce que vous
ave/ lacbê CCS cliost'.s aux sages et aux havanls , cl que >ous les
avez révélées aux humbles et aux pelils > Du reste, il vous est
loi^iltle d'aimer la N'ierge Marie sévércmciil, gravement, et sans
manifeNlcr au-Jdiors le senlinicnl profond qui remplira votre cœur.
L'essentiel, ^et (jiie je serais heureux si ce peu de lignes, si indignes
du sujet (|u'ellcs traiteul, pouvaient dissiper quelques préventions,
réveiller (pichpies douces pensées ! ) l'essentiel est q»ie vous aimiez 1
l*ensez donc souvent, j'ose vous en prier, ;i la mère de Jésus-Christ ;
méditez sur les gr;kes inellubles qu'elle a reçues de Dieu, aimez-
la ; cl puis Dieu fera le reste !
A.
MÉLAXCES ET NOUVELLES.
CiE!%ÈVE. — !\ouTeIlcs coiiférenccs ««ar la Toi ré-
rorinéc. — L'Église nationale convoque ses ouailles à une se-
conde série de conférences. Le succès de haine et de scandale ob-
tenu l'an dernier était propre à entretenir le zèle. Aussi ne som-
mes-nous point surpris do voir le Consistoire et la Compagnie des
pasteurs préparer leurs fidèles à une nouvelle exhibition de dia-
tribes contre l'Église catholique.
L'an dernier nous avons suivi exactement ces discours, et nous
en avons donné à nos lecteurs une fidèle analyse. Au milieu de la
décrépitude du système protestant, c'était chose curieuse que de
voir les ministres de Genève oser affirmer quelque chose, émettre
une déclaration de principes : eux qui depuis si longtemps se re-
tranchaient dans un mutisme commode et dans les nuages du la-
liludinarismc le plus conséquent. Avant que d'arriver au temple,
nous savions d'avance que penser de cette prétendue déclaration
de principes ; il était évident que sous prétexte de s'affirmer, le pro-
testantisme national ne cherchait qu'une occasion nouvelle de faire
une manifestation anti-catholique. On a vu celte haine distillée en
six longs factums écrits par six minisires différents qui avaient as-
sumé la tâche de résumer une fois de plus les diatribes que la Ré-
forme oppose depuis trois cents ans au catholicisme. On a vu ce
tissu de négations où aucune doctrine ne prenait corps, si ce n'est
une ombre de la doctrine de la jusliGcalion parla foi seule, ce dé-
bris de l'immoral système de la prédestination auquel le protes-
tantisme ne peut échapper, encore qu'il le veuille. On a vu un de
ces ministres , plus franc que les autres, proclamer que la division
M \ MÉLA>GLS hl XHVKI.1.E*.
des esprits est un bien ; que c'est là la f;luire et le dernier terme du
proj^rès ri'foiini' ; qu'il n'y a pas de vérité intégrale rn «e niundc ;
(|ue Jésus-Christ n'a puinl annuncé (ri^vaiigiie iuiiiuialiic , el
que les protestants qui se veulent soustraire à cette loi inévita-
ble du projjrés, ne sont (pic des ratholiqucs inconsé(|uonls. On a
vu, au milieu de ces divagations ranaU(|ucs, uti seul fait clairement
apparaître , c'est la connivence perpétuelle du protestantisme avec
les ferments révolutionnaires (|iii déshonorent la société el la fra|H
pent de déchéance. On a vu celte main fraternelle tendue à travers
les ;4{;cs à tous les misérahlo qui ont renié l'ï^j^lisc et ses dof^mes,
à toutes les sectes ignobles ipii ont étalé devant le monde des doc-
trines malfaisantes, sectes que la société a été obligée, sous peine
de péril, de combattre par la force, comme le soci:disme contem-
porain. On a vu ces élans de sympathie pour le libéralisnu; le plus
irréiléchi ; sympathie pour la révolution sous toutes ses forniess
parce que la révolution, partout cl loujour>«, alUupuî l'ï-lglise catho-
lique ; sympathie pour les enfants |)ordus de tous les |)ays, pour les
réfugiés de toutes nations, parce (juc c'est dans ces rangs déchris-
tianisés (jue la propagande prolesUinle reciule le plus facilement
des âmes vénales, les seules anjouni'hui (jui aillent à elle.
Voilà ce (|ue nous avons dû raconter l'an dernier à nos lecteurs;
et, en dernière analyse, il a fallu dénoncer le mobile purement po-
litique (|ui fait agir les mini>lres. Ces serviteurs de ri;\ angile ré-
formé sont avant tout les soutenants d'une cause temporelle. Les
événements et la force des choses entraînent Genève vers de nou-
velles dcslinées. IJicntôt le protestantisme ne sera plus dans notre
ville qu'une opinion retranchée dans le domaine de la conscience;
il ne peut plus prétendre ù in)primer un caractère à la nationalité,
a violenter les intelligences, à infliger à une |)opulation désormais
libre dans ses allures le symbole h\|»nrrile de son prétendu libéra-
lisme. Il ne p'ut plus rien de tout cela. Or cela, le prole.slanlismo
organisé par Calvin sur les débris de l'ancienne population déci-
mée par l'exil et la ()ersécution, il l'a fait durant lrui> siècles, et il
ne fallait pas s'attendre à ce <|u il renonçât sans combat à une posi-
tion acquise et gardée au prix de tant d'eflorts de toute nature.
Les confeiences de IH.'iii étaient un programme polilicpu* destiné
a réveiller le fanaliMue des vieux |)roleslants. Celles de 1H,")V ont
pour dessein de prolonger l'agitation fomentée et de lui r onimuni-
rpier, s'il est possible, un caractère plus positif encore de haine acri-
monieuse «il de prosélytisme turbulent. l>'ailleur>, ne faut-il pas
I1ÉIANGE5 ET NOUVELLES. 315
réchauffer le zèle pour alinienler la caisse de la Société des Intérêts
;)ro//'.^/M/i/}!? Maintenant que l'on a constitué avec une j)oif(née de mi-
sérables étrangers un culte à tllievrans, {,'ràce à Tappui des baïonnet-
tes j^ouvernementales, les espérances s'exaltent. Déjà l'on a institué
une école dans le village tout catlioli(|ue de N'illette, et des émis-
saires ourdissent des intrigues dans tous les endroits du voisinage,
et ils sont nombreux ! où la misère des temps facilite l'accès d'une
aumône accompagnée de suggestions prosélytiques. La population
protestante parait toujours disposée, elle veut bien subir encore
l'impulsion donnée : il faut derechef frapper un grand coup.
Sur les six ministres conférenciers de l'an dernier, le Consistoire
en a conservé quatre; M. Tournier a été mis à l'écart, probable-
ment par défaut d'àpreté et de véhémence. M. Munier remplace
M. Jaquet , et ce choix est significatif. M. Alunier est un ancien
pasteur retiré; il a toujours joué un rôle prépondérant dans les af-
faires politiques du parti conservateur ; il est le boute-feu des con-
sciences aristocratiques. Quoique très-passionné dans son carac-
tère, il sait cacher son ardeur sous des dehors habiles. Aussi ne
s'est-il pas compromis des premiers dans l'agitation actuelle. En
homme prudent, il s'est tenu à l'écart; il a d'abord lancé et dirigé
ses lieutenants. Puis, l'été dernier, il a organisé la Société des //i-
téréls protestants. Maintenant que le mouvement anti-catholique a
acquis toutes les proportions qu'il peut avoir, M. Munier paraît au
grand jour, et il se met en tète de la phalange des ministres mili-
tants. 11 faut que la haine du catholicisme, ou plutôt que la passion
de commander et de diriger un mouvement soit bien puissante chez
M. Munier, pour qu'il se soit décidé à sortir de sa retraite. Car
M. Munier est du nombre des ministres qui , pendant longtemps,
ont affecté les doctrines les plus vagues, les moins attachées à un
symbole définitif. Il était du parti qui avait imposé le silence tou-
chant la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Jamais son
dogmatisme n'a offensé personne, si ce n'est ceux qui étaient assez
intolérants pour oser s'attacher à quelque chose de positif. A l'en-
droit des catholiques, souvent il eut de bonnes paroles, même une
sorte de bienveillance; il est vrai , bien suspecte aujourd'hui. Eh
bien ! cet homme qui avait gardé jusqu'à présent les dehors d'une
prudente et politique réserve, le voilà qui devient chef de parti.
MM. Oltramare et Bungener le contraignent de se mettre à leur
tète : c'est tout dire.
11 n'est point dans notre intention de donner cette année une
MC) MÉLANGES ET KOUVKLLES.
nnaivsc d»^tailléi' dos conférences ; ce serait nous exposer à tics rc-
diles fali^anU's. Si Messieurs les niinislres ne se lassent pas de ré-
péter les mêmes mensonges et d'enfler leurs discours des mêmes
caluninics, nous avouons franchenient n'avoir [tas la patience do
fournir la nu*'nu' cours»*. Avec des ^cns (|ui ne savent pas se respec-
ter et (|ui n'ont nul souci do la vt'rilé, la réfutation est inutile; il
suflil de caiactéristT en peu de mois l'attilude <pi"ils veulent pren-
dre. D'ailleurs ces .Mes>ieurs puMierotil leui> discours; il> auront
garde du laisser la lumière sous le boi.sseau. il sera temps alors de
revenir sur (pu'Kpics détails, s'il parait nécess.iire.
M. Hunj,'ener, cette fois encore, a ouvert la lice. Ce romancier,
dont la critique protestante et catholique vient de sifller le dernier
écrit, est pour le Consistoire Tlionnue des justilicalions hi>tori(pics.
C'est justice ; un pareil personnage est liien di^ne déU'vor le fron-
tispice de ce temple du mensonge qu'on nomme l'église réformée.
Toujours préoccupés de poli(i(|ue, les ministres no cessent d'évo-
(pier les souvenirs de la vieille (ienéve dont, osenl-ils dire : la
génération actuelle doit maintenir intactes la foi cl les mœurs.
Ce cri de ralliement est maladroit dans son insistance. La vieille
(ienéve, c'est la (îenéve callioli(pie ; elle exisia douze siècles avant
(ju'un apostat étranger, un transfuge de la véritable Kglisc vint, à
la faveur de troubles politit|ues, imposer à une collection de réfu-
giés le joug draconien d'une nationalité fabriquée de toute pièce,
qui n'eut jamais dans le sol de noire pairie de racini^s vivantes.
C'est le catiiolicisme qui fonda la nationalité de (îenéve, c'est lui
qui a couvert le pays de monuments magnifiques, témoignages
sensibles de la foi de nos véritables nneétres. I,e proleslan-
tisme fut toujours ici un produit e\oli(|ue. l'our être demeuré (rois
siècles dans une enceinle de murailles, il n'a pas davantage acquis
It! droit de pres«"riplion qiu' le Turc planté sur le Pospliore. I.es
ministres pourront bien égaler les ulenias de Constantinople en fa-
natisme frénétique; malgré leur babiit'té humaine, malgré les
inoven temporels dont ils disposent , ils ne retirderonl pas d'un
siMil instant It; résultat d(* la dissolution dot Irinale du proleslan -
lismc : l'hisloire le leur dira tout à l'heure.
Après celte épiire détiicatoire au\ soutenants du proleslantismo,
M. iWingener a allirmé (|ue Jesus-(>hrist n'a poinl fonde d'église
visible avec une organisation hiérarchique, l.o passage : Tu es
Pit-rre, el sur celte pierre je b.Uirai mon ^Iglise, à son «lire, est
isolé et sans valeur. .\vec de pareilles gambades, on peut faire d'un
MÉl.V\(ii;S r.T > ou VI. LES. 317
sujet ce (|ue l'on veut et passer loul à son aise au radicalisme reli-
gieux, ce refuge ullime des consciences reformées. L'Église est in-
visible. Il est fort heureux pour MM. Bungener cl Cougnard que
Calvin et ses successeurs iraient [)as adopté sou sentiment, vraisem-
blablement alors les enfants terribles de son église n'auraient point
aujourd'hui la faculté de prêcher avec autant d'aise et devant une
foule béate, (pie la division des esprits est un bien.
Puis M. Bungener a fait paraître la papauté devant le tribunal
de son histoire. Le sophiste a vécu une fois de plus des arguments
condensés depuis le seizième siècle par les ministres réformés. Saint
Pierre n'a pas été à Kome, saint Paul ne l'y a point vu, etc. Puis
diatribes sur les Papes, ces usurpateurs des droits des nations qui
n'ont rien fait de bien; enfin, la série d'aménités habituelles énon-
cées sans preuves aucunes. Qu'on juge, par une seule citation, de
la valeur morale des assertions et du caractère de M. Bungener. Il
a essayé d'enlever aux Papes le mérite d'avoir sauvegardé l'indis-
solubilité du mariage en disant qu'ils auraient favorisé le divorce
quand leurs intéiéls le commandaient. Comme preuve, il a affirmé
sur sa seule parole, bien entendu : que le Pape avait promis d'a-
vance à Henri VIII de prononcer son divorce. Voilà par quels con-
tes en l'air les ministres essaient de purifier les immondes origines
du protestantisme. Ce trait seul donne la mesure de M. Bungener.
Il faut que ce ministre ail dépassé toutes les bornes ; car il est
bruit d'une réprimande que les membres du Consistoire auraient
administré à leur romancier. L'aversion de ces Messieurs pour les
catholiques est bien forte ; cependant, parmi eux, il en est : les uns
d'assez avisés, les autres d'assez honnêtes pour sentir tout ce qu'un
pareil langage a de compromettant. Aux yeux du public, ces con-
férences passent pour avoir été commandées par eux et avoir ob-
tenu leur sanction ; or, pour qui veut avoir la réputation d'homme
grave, il est malaisé d'endosser les pamphlets de M. Bungener.
N'oublions pas que le Consistoire est en entier composé de conser-
vateurs qui doivent, s'ils n'ont pas perdu le sens, être fort désa-
gréablement impressionné du radicalisme religieux que les confé-
renciers de la Madeleine prêchent avec une verve si peu réfléchie.
Nous voudrions bien savoir, par exemple, ce qu'ils pensent de cette
doctrine de l'Église invisible. Assurément ils ne croient point ap-
partenir à cette Église-là. Ils doivent se considérer avec effroi, eux
pour qui la religion est avant tout une politique, en entendant
énoncer une doctrine que l'Église nationale, jusqu'à présent, avait
20
;il8 UKI VX.ES F.T >()rVF.I.I.ES.
rt'l.''»iit'e |tjimi \v> plus aliMiiili-* rliinu'H'> du inclhodisino. Lc.s
nio^ensdt! prosi-lvlisim' lic tottc «''glisr invisible sont singuliiremerit
terrcstrt'.s, tutit au moins lus argnmrnis mis en u>age poui grossir
II* (roupcnu mvsli(|uc le soiil-ils furl pou : .MM. (jobcrel el Vaucbcr-
Mouclion en sa\ent (iiiel(jue clutse. Nous rTaxons poitil, d'ailleurs,
a faire ressortir ionguemenl loul ce qu'il v a d«' ridicule pour le
Consistoire dans ce puéril exercice d'une ombre d'autorité : cela au
moment où, par son ordre, on enseigne pnl)li(|uement que Jésus-
Christ n'a institué ni égli>e, ni société desliiu-es à se per(»éluer à
travers les bommos. Il n'y a au monde que des protestants gene-
vois pour dévorer ce (issu d'absurdités el d'inconsé(|uences.
M.t^uu^riard .s'est montré rcneiguniéne désordonné de l'an der-
nier. Cependant on l'a trouvé moins brillant. Oue voulez-vous? le
S|)ectac!e n'a plus le mérite de la nou\eauté.
M. Ollramaro s'est évertué pendant une beure A démontrer
que Jésus-Cbrist n'avait |)oint établi de sacrements, qu'il n'y a au-
cun lien permanent entre le monde naturel et le monde surnaturel,
(pie ce sont les pré(r»'s calbolicpie-. ipii ont forgé ces inventions pour
extortiuer de l'argent au peuple, etc., etc. Ces cboses-là peuvent
s'entendre, mais on ne nous forcera pas à les répéter, la matière a
été traitée l'an d«'rnier. Quant à M. Ollramare, c'est un malheu-
reux fanati(|ue (juil faut laisser se débattre dans l'égortt de -a
polémi(jue et compromettre sa dignité dans les entreprises du plus
ignominieux prosél_\ lisme.
— .M. le ministre tîabercl a su prolitor des loisirs que lui laissent
les faciles succès du Casino(l), pour faire part à ses amis de France
des joies do son c iMir et des belles œuvres du proles|anti'>me gene-
vois. I.e Lien, ce journalqui rend si souple le réseau de l'orthodoxie,
est donc enrichi, au 11 mars, d'une correspondance de M. tîaberel.
Tout naturellement, le minisire historien du C.asino est trés-salisfait
de l'élat florissant îles alTaires dans la cité de Calvin. Le ban et
l'arriérc-ban des célébrilés protestantes de noire ville ont étécon-
\o<|ués à Ij^ défense de l'édifice cal.inisle qui menaçait d'être cm-
(I; Le (;asii\.( est inu* salle nnbliipic ilc conceris. I.cs ntini.slrcâ s'en scr-
vciil pour (Ikiiikt des cnurs l^iutiilit-rs où ils <léver<n-iit rimlre le r.iltioli-
ri>mc Ifs ralomiiics ri l.i li;iinc (|iii ounl |iii lroii\or pLirc sous le couvert des
tfinplcs. M. (iidxTtl s'\ est ingénié, cri hiver, il juslilier le rij^orisme calvi-
nisie qui a lu-sé sur (ïeuève duraul Irnis siècles; il a p.ii' là luèine trouve' oc-
casiiin d rxriler raul:>j;i>iiisuir prole<lnul ronlre les nouveaux venu» du enlho»
licisme.
MiaA>UES Kl .>OU\ EI.LLS. 3 I î)
porlé d'assaut par le calhollcismc. Tout le monde s'csl exéculé
avec plus t)ii uiuins de bonne <;i;\ce , el une charge générale a été
résolue contre l'inimorlel ennemi. Comme toujours on s'est montré
fort coulant sur ses convictions |)ersunn(:ll(;s ; on les a immolées bra-
vement au salut de la cause commune. Chacun a été mis à contri-
buli(ui pour sa spécialité, et, comme on sait, M. Gaberel n'a pas
joué le moindre rùle dans cette croisade où se distinguent des sol-
dats de toutes armes. Bien qu'il ne dise | as tout, et qu'il connaisse
l'à-propos de la disciélion , toutefois, a\ec une salisfaclion mar-
quée , il initie son public à bon nombre de [)etits mvslcres, de mé-
diocres exploits el d'exubérantes espérances. On senl surtout qu'il
est à l'aise sous le nouveau gouvernement ; cette liberté outrée du
système l'azy el ce coinmoiicemenl d'égalité entre catholiques cl
protestants suffoquaient évidemment le protestantisme (car tout air
gouvernemental ne lui est pas respirabic] ; mais aujourd'hui !! ah î
que nous nageons dans de belles eaux! c'est l'heure du réveil, ou
jamais ; c'est le soleil des triomphes qui se lève; il faut donc rem-
plir les échos de toutes les trompettes de l'agression !
Le catholicisme de Genève est façonné à la lutte. Depuis 50 ans
qu'il est ressuscité , il souffre, il résiste et il avance ; s'il n'a jamais
joui des doux loisirs de la paix , il n'a non plus jamais manqué des
gages plus doux encore de la victoire. Tout ce bruit el tout ce mou-
vement ne nous effraient donc qu'à demi. En dehors du petit trou-
peau aux gages de l'agitation, se condense et se grossit chez nos
frères sé()arés un tiers-parti qui conçoit tout autre chose que de
l'estime pour les auteurs de ces excitations; il tournera ses sympa-
thies ailleurs qu'aux assemblées provocatrices de l'union protes-
tante. Outre la surcharge d'ignominie qu'assument les chefs de
celle union, et à laquelle il leur sera moins facile de faire face
qu'aux dépenses exigées pour l'acquisition d'àmes vénales, il se
forme , nous le savons , une opinion générale du pays, qui fera re-
jaillir en avantages pour le catholicisme toute la défaveur dont celte
tacti(iue sera couverte sous peu de temps.
Quant à la lettre de M. Gaberel, elle [)orte un caractère trop bé-
nin el étale une trop pleine béatitude , pour que nous osions nous
permettre d'y glisser la tristesse par un revers de médailk. Nous
u'avons que quelques simples remarques à faire sur l'un de ses su-
jets de triomphe, pour lequel il s'élaie d'un journal mensuel qu'il est
au-dessus de nos forces de liie, de réfuter et même de nommer.
Il s'agit d'une traduction de l'Évangile qui est, selon les amis de
320 MM \N<.Fs rr Noi >r.ii.KS.
M. (îaherel, unelraduclioiicélcîbre, el qui, cependant, selon M.(ia-
bcrel lui-mi^me, a élé exhumée toul dernièrement pour enrichir la
controverse protestante d'un |)ré(iiMi\ docninent. I*a>.>ii' pour celte
petite coniradiclion. tletle édition est revéttu» de l'approbation des
docteurs en théologie de Paris, et cependant elle contient quarante-
deux passages falsiiiés (sic] , dans lu sens de la tradition calboli-
<iue.
Quelle bonne aubaine pour les héros du libre examen ! Vojons
toutefois si cette trouvaille de M. Liolard fera avancer d'un bien
grand pas la controverse en leur faveur.
Nous ne pensons nullemcnl être obligés de justifier le fait de
celle traduction, non |ilus que son approbation. I.a plume du P. Vé-
ron n'a jamais passé pour rorj;aru' de ^^];ilise ( alli(ili(|ue. ni le ju-
gement des docteurs en théolojjie de Paris, fort respectable d'ail-
leurs, pour sa sanction. L'fCgIise p«'ul donc décliiu'r l'une et l'au-
Irc; elle n'esl pas engagée à les soutenir en toute chose. A défaut
des autres, celte simple réponse sufliiait. Mais allons plus loin. Il
y a dans nos adversaires une étrange illusion : c'est de vouloir, con-
tre l'évideiice, placer l'Église catlu>li(|ue dans la situation où ils se
trouverU eux-ménirs vis-à-vis de la Sainte-ti i iliire. Or, les rap-
ports sont ici tres-dilTéri'uls. Le protestant n'a pas le droit d'ajou-
ter un mol de doctrine , ni d'explication à ce qui est exprimé dans
le livre di\in. ('ar pour lui tout s'y trouve el clairement; en de-
hors il n'y a que tromperie. Ainsi, dés qu'il se pernu'l seulement
de vouloir m'en détei miner le sens, je l'arrête; je lui demande au
nom de qui il prend celle liberté. Qui m'assure (pie son mot d'ex-
plication ou de commentaire n'esl pas erroné? Pourquoi sa manière
d'entendre serait-elle la mienne? Rien ne lui donne autorité sur
moi.
L'Église, au contraire, n'esl pas esclave de la lettre merle de
l'Écriture; elle setde possède l'esprit qui la vivilie. C'est elle qui, à
l'origine, a authentiqué le livre di\in el a mis son inspiration à l'a-
bri du dout(; par la reconnaissance qu'elle en a faite. Car l'Église,
on ne peut le nier, est antérieure ;\ l'Écrihire , soit par le fait do
son établissement, soit dans l'espril de. son Fondateur. L'approba-
tion de l'Église , comme l'inspiration divine elle-même, n'ont pas
comninnitpié aux expressions scriplurair«'S la v«'rlu d'engendrer
l'inlaillibililé. La valeur de ces expressions, dépendante de l'inter-
prétation légitime , csl encore liée à cel ensemble do vèrilés cl de
fjils qui, selon le mot de saint Jean, n'a pas été tracé sur le papier
!HÉI.A.>GKS KT >()lJ\KLLtS. 321
el avec l'encre , m-iis qui a été mis en dépôt sous la garde de l'É-
glise el s'est transmis de bouche en bouche à ses enfants. Ainsi la
parole écrite a besoin de se combiner avec l'enseignement oral ou
do Iradilion, pour retracer la doctrine complète de Jésus-Christ,
dont ri];;Iise seule fournit la dernière expression par ses définitions.
Et maintenant, qui pourra ravir à l'Église le droit, tout en conser-
vant le texte primitif, d'y ajouter les ex|)licalions et les développe-
ments de tradition divine, (jui en sont le complément? Qui lui con-
testera la faculté de rendre plus lucides pour les fidèles qu^elle est
chargée d'instiuire, les passages vagues et obscurs? C'est ce qu'elle
a toujours fait |)ar son exégèse et par ses commentaires, quelque-
fois joints au texte même , quelquefois séparés. Le crime qu'y dé-
couvrent M. Gaberel et ses amis, il faut qu'ils le fassent peser aussi
sur tous les Pères de l'Église catholique el sur tous les exégètes
protestants. — Le texte original demeurant toujours, il est facile au
savant d'y recourir, et quant aux fidèles, il suffit que l'Église ne
leur donne pas à lire des traductions falsifiées dans le vrai sens du
mot. Or, ils savent qu'elle a des garanties pour ne le jamais faire.
Mais il y a chez les catholiques plusieurs traductions différentes,
toutes également approuvées! s'écrient nos adversaires. Et qu'en
voulez-vous conclure? Ceci sans doute : les docteurs catholiques
ont jugé que des mots dilTérents et des phrases différentes pou-
vaient rendre la même pensée, que des traductions diverses pou-
vaient être utiles aux fidèles, ou que l'une pouvait l'être plus que
l'autre. Eh bien, qui le nie? El quand ni l'une ni l'autre ne fausse
la doctrine de Jésus-Christ, quel motif de blâme y voyez-vous? Est-
ce que vous voudriez que l'on fit lire au dix-huitième siècle les tra-
ductions françaises du quinzième? Jamais, du reste, l'Église n'a
approuvé une traduction avec la pensée qu'elle fût exempte de
tout défaut, et qu'on n'en put faire une meilleure. Mais, ce qui
saute aux yeux devant ce grand nombre de traductions approu-
vées, c'est la mauvaise foi de ceux qui répètent imperluibablement
celte banale fausseté : l'Église soustrait la connaissance de la Sainte
Écriture aux fidèles. Nous ne doutons point que M. Gaberel ne le
redise encore mille fois à ses crédules ouailles ! Arrangez cela avec
la conscience, comme vous pourrez !
J'arrive maintenant à la traduction du P. Véron, dont je ne con-
nais que les passages cités dans le Lien. Voici ces passages dont la
prétendue falsification se trouve dans les mots en italiques.
Actes XIII, 2. Comme ils offraient au Seigneurie sacrifice de la
.'122 11KI.\>CrS ET l^Ol'VtLLES.
fMfjî.ic t'I ji'ùnaieiil... — D.wis la Vulgale : }fini$frantibus autrui il-
Iti Domino, rtjrjuninUilnis.
1 Cor. XI, 28. Or, (|iic riiommc s'i-proiivo soi-niOnip , et ainsi
manfîc «le ce pain rif cl lioive de ce calice. — Viilgalc : F^l fie de
pniir illo l'dtit r( ilr cadre liilinf.
1 Cor. III, !.*>. 11 éili;t|i|it'i'ii |iar le ft'ii (\» piirgaloire. — Vulgale:
/pie auti'iit stilrua ri il, s/c tiinirn y"">"» /""'' iijurm.
Nous (lisons tout d'abord (jiie nous ne louons pas celle traduction.
Voici cependant pour sa jiislidcalion. L\iuleur a rendu explicite lo
dogme renfermé d'une jnanière \aguc et indécise dans le texte do
lu Vulgale ; il a delerniiné, d'après l'enseignement Iradilionnel, le
sens que les expressions ."cripturaires pouvaient laisser incompris.
Toute la société clirétienne, A dater des .\prttres, a «lonné A ces pa-
roles la même signilicalion que le P. Véron y attache. Ksl-cedonc
ime falsilication de l'avoir expritnée? On ne fausse pas un auteur
quand on ne change ricn;l sa pensée. Or, encore une fois, la vraie
pensée des auteurs sacrés, l'Église seule la sait, et c'esl celle qu'a
exprimée la Iradiiclion qu'on alla(|ue.
Ouellcs sont les fondions sacrées dont les disciples s'ac(|iiillaient
devant le Seigneur, si ce n'csl l'offrande du sacrifice de l'autel? —
Si le pain eii(li;iri«.li(]iic n'est pas un pain rirant, n'est pas Jésti-s-
Chri>l même, pourcjuoi saitil Paul vienl-il de dire que celui qui le
mange indignement se rend coupable dii corps de Jésus-Christ,
faute de le disierncr d'avec le pain orditta':re? — Le feu à travers
lequel on est sau\é, (jucl est-il, sinon le feu du purgatoire?
Je le répèle, ainsi l'ont compris et dit les Apôtres dans leur en-
seignement oral, (|iii e>l rindispensalile complément de l'enseigne-
ment écrit ; ainsi l'ont ((tnipris et dit les docleurs et les interprètes
chrétiens; ainsi rentcnd l'Église calholi(|U(î Ce n'csl donc pas \n\
crinic de l'exprimer, pas plus (jiie d'a[)proii\cr ceux (jiii l'expri-
numl, méuje dans une Iraduclioj».
Nous avons fait assez d'honneur à celte fameuse objection. Ce
qui résulte de nos explicnlicns, c'est (jiie : 1" Les [)rotestants n'ont
pas le droit de traduire la HiMe, mi (jue se reconnaissant faillibles,
il pcuMiil prendre le texte primitif;^ contre-sens cl le rendre mal.
Jamais ils ne pourront être sûrs de la fidélité de leurs traductions:
ils doivent donc lire la IJible dans les langues où elle fut écrite.
L'Lglise calholi<|in? seule peut traduire la Bible; seule elle en peut
garantir le vrai sr*ns dans une langue autre qtie celles des auteurs
sacrés.
MÉI.\^GES i:t mjlvellcs. 323
2° Comme il peut y avoir des liadiielions fautives, el môme
qu'aucune liaduclion ne saurait rendre parfaitement le texte ori-
ginal, il faut en toute rigueur une autorité pour les surveiller et
un enseignement oral pour les expliquer. Les protestants manquent
et de eelte autorité et de cet enseignement ; mais lÉglise catholi-
que les possède tous deux.
3° C'est une calomnie d'avancer que la Parole de Dieu est sous-
traite aux Gdéles par TÉglise catholique. Elle seule la présente tout
entière et à l'abri de Terreur. Les ministres n'offrent au contraire
la Parole de Dieu que tronquée, puisqu'ils en retranchent la partie
traditionnelle. Que le lecteur juge sur qui retombe le poids de l'ob-
jection.
Il ya plus : les Bibles protestantes sont falsifiées non pas seule-
ment par des traductions défectueuses, mais par le retranchement
total de plusieurs livres sacrés. Les .annales l'ont démontré. M. Ga-
berel appelle ces livres retranchés des apocryphes. Le terme est
bien vite prononcé. L'épitre de saint Jaques, les livres des Jlacha-
bées, l'histoire de Tobie et d'autres écrits inspirés que rejettent les
protestants, avant eux personne ne leur donnait la qualification
d'apocryphes. Voilà un facile moyen de sortir d'embarras. Il fau-
drait cependant tenir un peu plus de compte de ses expressions.
Encore un mot à M. Gaberel, Il cite, dans sa lettre, des paroles
d'indignation que M. Mermillod a laissé échapper dans la chaire
contre le trafic connu désormais à Genève sous le nom de la traite
(les âmes. Un Italien a exprimé la chose plus énergiquemenl encore
en qualifiant publiquement ses compatriotes, qui n'en avait pas
les mains pures, du titre de carne venduta. Les quelques mots de
M. Mermillod on fait impression , parce qu'ils manifestaient un
sentiment vrai et fondé sur des faits connus de tous.
M. Gaberel ose encore nier ce commerce des consciences, sans
s'apercevoir qu'il l'avoue l'instant d'après dans une note. Mais il a
contre lui toute la voix publique. Quant aux noms propres des ca-
tholiques pervertis, que les ministres se gardent de citer, viendra
bien le jour de leur manifestation. Malgré la répugnance qu'on
éprouve à remuer ces viles transactions, tout ne restera pas dans
l'ombre.
;{2Î HÉLAMUES KT .-NUUVkLI.es.
FrMnrr. .ihjértr. Toul Ir monde coiinail le beau discours qu'a
prùthé sur Maliomel .Mj;r rOvéque d'Al{,'tT. Ce distours, prononcé
dans l'église cathédrale du cet ancien foyer de la barbarie, est déjà
un r.iil iininensf ; ni;iis ses proporlioiis ^ran(li>seiit encore, (|uand
on sait que les .Vrabes n'en ont niilU-nient ete oiTuMpiés el (|ue plu-
sieurs nolables maures dWIgcr, ({ui iMaienl prè.scnis à celle prédi-
cation, sont ailes eux-mêmes, après la cérémonie, complimenlcr et
féli< ilcr M^'r l'évèquc.
Cu travail vrai et déjà sensible fait présager le moment où il
sera |)Ossible de se livrer à la mission proprement dite. Il faul donc
se tenir prêt pour l'heure où le père de l'amille appellera ses niois-
sonneurs a l'œuvre.
Or, le mojen le plus sur, le plus sage, le plus en harmonie avec
les vues de D'uni dans les lem[is actuels, c'est évidemment de fon-
der des établisscmenls, de procéder par des institutions, plutôt que
par la prédication volante et de détail.
La jeune é|^liso d'Afriiiue, quoi(]ue aux prises avec desdiOicul-
lés inimaginables, en face de besoins dont on n'ose sonder la pro-
fondeur, a cependant admirablement marché dans cette voie.
Conime toutes les œuvres do Dieu , elle s'est vue pre.<(|ue submer-
gée à son berciMu , mais un \ent du ciel el un pilote habile l'ont
arrachée à l'abime et lancée sur les flots où elle vogue d'un pas
ferme aujourd'hui. (^)ue d'instidilions glorieuses ne comple-t-elle
pas déj.\ dans son sein? Les ()r|ihelinals, les n>aisons du IJon-Pas-
leur, les écoles, les congrégations religieuses, la'i'ra|q)e de Staotiéli,
le noviciat de Bab-Azoun , les séminaires grand et petit, ifui riva-
lisent, au moin>< par le bon esprit, avec ceux de la métropole. L'or-
phelinat (le Mu>-lapba ne redoute aucune comparai.son avec les œu-
vres semblables en Europe , et on peut douter qu'il y ait en Franco
une Trappe (pii puisse faire pAlir SlaoutMi. Oiiel clergé vigoureux,
pMine, r«">olu, sur tous les |)oinls de IWlgérie ! .aujourd'hui courant
la mer, demain montant ù cht;val, se dévouant avec orgueil dans
les épidémies et répandant partout l'esprit du vie et de charité ! On
l'a vu celte année, A la reliaite ecclésiastique, étonnant les religieux
eux-méme> par son recueillemi-rit , sa piété, son exactitude, son
union au chefi]ui gouvermî cette /église. (Quelle armée de religieux
et de religieuses autour de ce pontife ! Les Jésuites, les Lazaristes,
les Trappistes, les Frères dt; la Doctrine-dhréticime, les Dames du
Sarré-Ciuur, les Fdies du Hon-l'a>leur, et tout cela disséminé d'é-
tape en étape justpi'aux portes du désert.
VKLANUES ET NOL'VKLLES. 325
L'aclioli de laiU tic prôtros , tic Frères , de Sœurs de cliarilé , tie
tant de dévouements applicjués à la foi n'est pas rcst(}e slOrilc. Elle
a produit des fruits bien consolants au sein des populations euro-
péennes. Ces poptil.ilions suis foi, venues tIe tous les coins d(î TEu-
ro()e , ont été, oti [)eul le dire, en partie recontjuiscs au christia-
nisme. De nombreuses conversions se sont faites dans toutes les
classes de la société, ce (|iii a donné lieu à l'organisation du zèle et
de la charité parmi les lauiues.
Aujourd'hui, Alger possède une Société de Saint-Vincent-de-
Paul aussi édifiante qu'intelligente et active; une société de cha-
rité, qui verse des sommes considérables au sein des pauvres, dans
laquelle les dames, non contentes de donner l'aumône, vont encore
t'Ilefl-mémes, au nom de Jésus-Christ, visiter, encourager et con-
soler ceux qui soufl'rent.
Nous ne dirons rien des villes secondaires ; mais partout il y a
effort pour imiter les plus grands centres dans l'accomplissement
des œuvres de religion et de charité chrétiennes.
Les protestants ont subi celte salutaire influence. Bon nonibre
d'entre eux sont entrés avec amour dans le sein de l'Église catho-
lique. Un écrivain protestant, qui exhalait naguère ses plaintes
dans un journal de France , portail à un sixième de la population
protestante le nombre des convertis sur la terre d'Afrique.
Ce que nous avons dit du travail qui se fait chez les musulmans,
pour être !a chose principale, n'est cependant pas tout.
L'Évangile fait son œuvre en Algérie. A nous d'en hâter la mar-
che par le concours de nos prières, de nos bonnes œuvres et de tous
les moyens d'action que la divine Providence a placés dans nos
mains.
BULLETIN BIBLIOr.RAPHIOLE.
(Les ,4Mna/« aiiraieni dû potil rtn- s Hccupcr »Je ce livre rs ymfetso ;
mais, coninie dit le proverbe : à corsaire corsaire et demi. Or, imus ne
nous niiMoiis pas de posséder chez nous ce corsiiire d'iniporlniicc (|ui doit
najçflliT riiisloirc de M- («alterel. C'est le proleslaiilistnc Ini-ntéuic <|ui de-
vra rouruir ce venjjeur de la v(*rilé cl de l:i justice. La race des (Jrenus et
des (ialilTe n'est pas cleiiilc. Kn allciidunt, nous plaçons ici un ju(;eincnl fort
compilent lii c de la Ucrue de I.ouiuin. )
Histoire de l'flqlise de Grnhe , depuis le coininrncemrut de la Hi formation
jusqu'en ISI.i, par Jean (iabcrci, ancien |»aslcur. Tunic l''. Gcni'tc 18!)3.
In vol. in H".
tll n'existe point encore dliisloire complète de lY^^lisc genevoise... Nous
livrons ce Iraxail à l'impression, encoura};é par la bienveillance avec laquelle
le public genevois a sui\ideiix cours ilonnés sur ce sujet. Du reste, le mo-
ment nous semble aussi favorable qu'intéressant. Genève entre dans une
phase de travail national et reli);ien\ dont les conséquences nous sont in-
connues. Itonic con\oile plus ipie jamais l'empire spirituel de sa rivale, cl
quelques genevois protesl:nits vont juscju'à oublier qu'ils doivent aux princi-
pes chrétiens leur liberté de conscience cl de pensée. »
C'est en ces termes (pie l'auteur nous fail ronn;iitre le ntolif iuipérieux pour
lequel il vient de pid)!ier celte liisl'iire. Celui qui a sui%i de près le» révolu-
lions intérieures de la Suisse dans ses dernières années, et surtout celles qui
ont porté le pouvoir à (ienèvc entre lanl de mains dilTérentes, se demande
avec étonnement cpielle petil être cette phase de travail nationil et religieux
où va entrer la Home prule>lanle. bien décime de son ancienne renonunée
et depuis l(iti;;lenq)s en proie à de si profonds et de si cruels «léehircntents.
Maisenlin, comme celle phrase npocalyplique doit aM>ir une signilicalion ,
force esl bien d'en chercher la ciel «lans tout l'ouvrage; mais, hélas! il nous
faut le dire axant tout, le livre enlier n'est qu'une énigme. Est-ce une his-
toire, est ce un roman, est-ce un pamphlet? Anton sérieux, au slylc bibli-
que qui y régnent le plus souvent, il faut bien penser que l'auteur a voulu
fiirc une histoire; d'un aiilre coté, les c iu(| cenls pages de ce livre contien-
nent tint il'anecdoles , de narrations épisodiques, de cancans, dirons nous,
que XMis croiriez a\oir sous les \eu\ un pasliclie des Mille et une Muils;
enfin, d'un l>oul » l'autre, c'est un tel salmigondi* de diatribes contre le ca-
r.ri.i.LTi^ r.ini.ioc.n.U'îiioiR. 327
tliiiîiii^.iic, (II* Ci)iilos ritlicnk's sur les inoiiips, It's prêtres, ks miracles, ijc
l)ani\lili's liaintMisPS ;"i l'adresse de ri',L;lise niinaine, que l'on se demande s'il
est [lossilde d'i'eiire un plus Ion;; et plus insipide [laniphlct. (]ar il ania plu-
sieurs volumes.
A travers les olisruriU's et les rélicences de l'auteur, nous croyons cepen-
dant avoir démêlé le mol falidi(|ue et pressenti \:\ pliase. Le grand rêve do
.M. (îaherel, c'est la résurrection de la Rome protestante, c'est Genève deve-
nant de nouveau le sii'ge pontilieal de la lléfornie : celte idée nous send)le
ressorlir de nombreux [lassa^es, l)ien que nulle [)art elle ne soitfornndée en
termes exprès. Voici par exemple un fra_;^ment qui nous parait assez clair et
qui renferme en outre la profession de foi de la Rome nouvelle.
Après avoir voilé, autant qu'il était en sen pouvoir, cette intolérance pro-
vcrbii^^r, celte cruauté incontestable dont la réforme issue de Genève a
donné pendant des siècles et donne encore des exemples si multipliés , après
avoir allirmé, — cela devait être — que cette intolérance était une ivraie ro-
maine jetée dans le champ protestant, l'auteur poursuit en ces termes :
«■Mais l'intolérance ne fut jamais qu'une plante [larasile sur le sol de la li-
berté de pensée : éclairés par les actes du synode de Dordrecht, les pas-
teurs et les magistrats de Genève firent des pas rapides vers l'enlière liberté
de conscience. En IGS'i, à l'occasion de deux grands procès touchant la doc-
trine et la morale, on abolit les supplices et les peines corporelles pour
cause d'hérésie, puis le progrès continua. Non content de cette victoire lé-
gale, le clergé genevois voulut que la tolérance passât dans les mœurs, il s'ef-
força de détruire les querelles, les vengeances, les haines théologiqnes ; il
voulut que des personnes d'opinions dilTérentes en religion pussent vivre
dans une fraternité chrétienne ; il atteignit presque à l'unité de res|irit par le
lien de la paix, dans une société aussi ardemment attachée aux idées reli-
gieuses qu'on peut l'èlre de nos jours aux systèmes polilicjues. Il proclama
un double principe, qui , nous l'espérons, deviendra la seule confession de
foi de l'Église de Jésus-Christ. L'Évangile reçu comme autorité divine, et
sur celte base, la liberté pour chacun de former sci foi selon hs lumières de
sa raison, les directions de sa conscience et le secours de Dieu.
.Ainsi donc, voilà le grand nuinifcstc de la nouvelle église encyclopédique,
voilà la vaste formule qu'elle jette aux quatre vents du monde. Après a\oir
été ballottée pendant trois siècles entre tous les partis qui ont successivement
occupé le pouvoir dans son canton, après avoir passé par les confessions de
Farel et de Calvin et par les innombrables décrets de ses magistrats théolo-
giens, voilà nù le progrès l'a conduite, cette pauvre église de Genève ! A cette
confession quintessenciée qu'elle croit sublime à force de largeur et qui , au
fond, n'est autre chose que l'anarchie proclamée an nom de Dieu. Si les Fro-
ment et les Viret pouvaient revenir au monde,, comme ils hurleraient d'ef-
froi en écoutant votre dogme! Il est vrai que, mesurés au compas du XIX*
siècle, ils ne furent que des rétrogrades et que, comme le dit .M. Gaberel,
«les réformateurs ne purent se débarrasser d'une manière absolue de l'es-
prit du temps. Après avoir proclamé la liberté de conscience, le droit pour
chaque personne intelligente {et ce mot-là établit à lui seul un abîme entre
328 lll'LLbri> DIBI.IUUKVl'UlUie.
eux et vous; d'rxainiticr l'Éxaiigilc, ils s'arr^t*!>rf iit sur cette route : ils yre
tendirent concentrer la parole de Uicu dans de lirt^xes formules; ils décla-
rèrent licrélii|ues ceux qui nadnicltraicnt pas exactement cri expos»^, cHlr
confession de la foi clin tienne : puis l'espril du siècle les entraîna plus loin
encore, ils appliquèrent la lui romaine punissant l'Iicrtfsie. *
M. Gaberel, on le voit par ces lignes, traite fort cavalièrement les premiers
apùtres de sa foi; il s'expose à de terribles représailles de la part de ses ar-
rière-neveux qui le jugeront peut-être encore plus durement au nom de la
raison et de la libellé. Mais il se fait illusion s'il esjtère, à l'aide de la for-
mule qu'il développe, et qui n'est plus clirélicniie que de nom, satisfaire à
toutes Ici velléités d'indépendance et d'inlerprélalion persunuelle qui pour-
ront surgir dans les mille sectes (|uil convie à se tourner vers Genève. Le
phare qu il croit y avoir allumé n'est |ioiiit assez brillant pour diriger la
course aventureuse de tous les réformateurs dispersés dans le monde. Com-
ment d'ailleurs l'Angleterre, la Prusse, la Suède et la Hollande pourraient-
elles renoncer à leur organisation ecclésiastique, devenue institution civile,
ou même la modifier? Leurs synodes et leurs consistoires, ces pouvoiis pu-
iili(|ues (l adaiinistralifs si dociles entre les mains des gouvernants, lendront-
ils unanimemeiil leurs mains a celle que Genève leur présente, quand le
plus miidesle de leurs pasteurs a autant de droits à rédiger son symbole que
la Home proleslanlc tout entière ?
.Mais c'e.sl assez parler de l'esprit du livre de M. Gaberel, disons un seul
mol des faits historiques qu'il contient. Malgré ces efTorts pour lui donner
de l'importance, il est vrai de dire avec un auteur moderne : après Calvin,
l'histoire politique de (îenèvc se borne à des (|uerellcs intestines dénuées de
grandeur et parlant d'iiitérél ; selon nous, on peut en dire autant avant et
sous (Calvin. M:iis si nous nous croyons fondé à porter ce jugement de l'his-
toire politique de Genève, nous n'oublions pas cependant que .M. Gaberel a
écrit une histoire de l'église de celte cité, (^e sont l.i en cfTct pour Genève
deux termes inséparables. Celle ville qui n'adopta la réforme que pour se
procurer son alTrnncliisscmenl politique, où l'intervention des magistrats ci-
vils<inns les afTaires de dogme et de conscience est légale et quotidienne, où
les luttes intérieures sont exclusivement religieuses, du moins jusqu'à la fin
du XVIII' siècle, celle ville ne peut avoir i)u'unc seule histoire, .\ussi (|uc
voyons-nous dans le premier volume? Ftablissement de la réforme, c'est-à-
dire révolution de Genève contre son évéquc cl contre la maison de Savoie,
tumultes sanglants, (|ucrclles de clocher entre Berne, Genève et l'ribourg
Genève, Fribuurg et Ucrne , discussions armées sur le rite bernois, sur le
pain cl la coupe ; interminables décisions du cooseil cl des syndics sur les
matières les plus controversées du dogme.
(^uant à la manière dont l'auteur expose les faits, nous dirons hautement
qu'il maïKpie avant tout de la première qualité de l'hislorien : de la dignité
.Sou livre n'est inspire ipie |)ar la liaiiie la plus passionnée, Is plus acerbe <lr
I Eglise romaine. Oubliant qu'il parle tie ses pères, il entasse, avec une inaii
vaisc foi indigue d'un historien grave, tous les torts, tous les ridicules, ton-
les crimes sur le com|He des catholiques, el n'a pour eux que des couleurs
B^^L^:Tl^ nini.iOGKAriiiQUE. 329
sombres ot ahsiinlomcnt finisses. Quand il parle des parlisans de la réforme,
sa plume trace un pané;;yri(iiic pcri)L'lucl ; les excès, les horreurs, que d'au-
tres historiens leur ont reprochés, sont pour lui des hauts faits et des vertus.
Il n'a (pie des élo;;es pour le vandalisme des iconoclastes et n'éprouve que de
l'adiniralion pour les ridicules et odieux décrets des conseils genevois réglc-
nienlanl à leur j^ré les controverses reli;,Meuses ou faisant jeter dans les fers
un prêtre eallioliquc assez eouraj;eux pour y défendre sa foi. Mais les jdus
brillanles teintes de sa palette, il les réserve pour nous retracer l'éminentc
pureté, l"al)né},'ation, la science des Farel, des Froment, des B. Ocliin, des P.
Martyr. S'il fallait en croire les portraits que nous en fait M. (Jaberel, les
hommes les plus émincnts de l'histoire ne seraient pas dignes de déchaus-
ser ces gens-là. Il est vrai qu'en revanche des citoyens genevois et protes-
tants avaient osé les stigmatiser tout simplement du nom d'émeutiers. Aussi
iM. Gaberel ne se fait-il pas faute de parler avec peu de chanté chrétienne de
ceux de ses confrères qui ont eu celte téméraire juslieo.
En un mot, ce livre, qui a été fort loué dans la Bibliothèque universelle de
Genève, et dont nous avons parlé plus longuement peut-être qu'il ne méri-
tait, ce livre est une preuve de |)liis que le seul lien qui unisse les commu-
nions issues de la réfo'-me, le seul dogme qu'elles reconnaissent toutes, c'est
haine à THglise catholique !
De l'affaiblissement de la raison et de sa décadence en Europe, par M. B.
Saint-Bonnet. Paris, Hervé, éditeur. d8ui. Un\ol.in-8.
Ce remarquable ouvrage a déjà suscité d'ardentes controverses. Wnivers
l'a loué suivant ses mérites. Les Débals l'ont dénigré en usant avec lui de ce
procédé déloyal qui consiste à dénaturer la pensée d'un adversaire en l'exa-
gérant et en lui faisant dire tout autre chose que ce qu'il a écrit.
M. de Saint-Bonnet, placé à une autre extrémité de la France, et sans s'être
concerté avec lui, traite la même question que le P. Gratry dans Tinlroduc-
tion de son beau traité de la Connaissance de Dieu. Comme le savant ora-
torien, il voit de notre temps la raison humaine en péril; il voit cette infir-
mité intcliectuclie provenir de l'irréligion pratique et systématique qui
domine renseignement depuis le XVIIl* siècle, irréligion qui livre l'homme
tout entier aux suggestions des sens et lui enlève les facultés de l'esprit. Il
voit, en outre, de celte décadence de la raison, résulter dans les esprits l'af-
faiblissement des notions métaphysiques justifiées et commandées par la doc-
trine catholique, d'où, comme conséquence logique, le panthéisme s'élablis-
sant dans les sommets de la pensée et le socialisme sur les confins de la
pratique.
Il y a deux parties fort distinctes dans le travail de M. de Saint-Bonnet. La
première traite de la raison dont il donne une définition métaphysique et une
analyse psychologique. L'auteur part de la doctrine platonicienne des idées
innées, et il développe son système avec une abondance littéraire et une ri-
chesse de style fort remarquables. Quelques-uns diront avec trop d'abon-
dance littéraire et un trop grand luxe de style, car en matières si ardues, en
des sujets si subtiles, où la précision est de si haute importance, une parole
dépourvue de rhétorique est peut-être plus nécessaire que l'éloquence. Un
330 DiLLem oidliugrapiiiulc.
rspril juslr goùlc «iavaiilagc la sobriété tJo la phrase cl des idées élevées ex
)>rinii'-f» t'i) un !>l.\lo (-uii(-i<> <iù i'érial des images ne viriil |»a» troubler l'exar
tilnile. lit'Ut' rriuar<|nr iri(U|ili(|ue pas le uiiiiiis du nioiult' (|nc M. de Sainl-
Iloiini'l suit tombé ni aucune errc-iir. On ^nlt trop le si-nliinrnl s\ pur et ^i
di'sinlércM^é i|iii l'aninii', pour (|u'il suit possible un seul instant de se mé-
prendre sur ses droites int<'nlions ; mais il faut reconnailrc (|u'en certaines
occasions, la clialeur et l'imagination de l'écrivain dépassent les intentions
du pliilusuplic.
Nous savons toute la liberté que l'Kglisc laisse i ses enfants toucbanl celle
question de l'origine de la raison et de sa cnnslitution métaphysique ; nous
avons ^ardo d ignorer iptel éclat la théorie plaloniiiriuie de la raison revcl
sous la pliinii' de saint Augustin, de Fénilon rt de Dossuel. Mais nous sa-
xons aussi les iiu-otnénienls du système de MalUbranche ; et, .'i un moment
où les sublilirs délinilions du panthéisme circonviennent tant d'intelligences,
n'y aurait il pas (|uel(|uc avantage ù choisir la définition thomiste de la rai-
son en disant avec un écrivain qui a toujours rendu de si loyaux services
aux lettres catholiques :
1 II y a en moi unb force naturelle de percevoir cl de discerner la vérité.
> Celle force naturelle, je l'appelle raison.
» Or, non-seulemenl cette force est en moi, mais cette force est moi. Elle
» esl un élénu ni constitutif de mon être.
• Ce n'est pas moi, certes, qui me la suis donnée; elle me vient del'au-
» leur premier <lc mon être, elle me vient de Dieu. Mais, nous ne saurions
» trop le remaripier, «Ile n'est pas en moi comme la lumière du stileil est
» dans mon œil, un simple ra^on reçu du dehors et réfléchi par un miroir.
» En d'antres lermcs, la lumière de raison n'est point une timjtir hnanation
» de la lumière infinie, ("esl une lumière distincte de la lumière inrrèèe, une
» lumière personnelle, j'ai pres(|ue dit substantielle, car l'àme est une sul>
» stance et une substance intelligente; c'est une lumière active, participant
• lie I activité de Dieu qui a créé noire àme à sa ressemblance : .\ii lieu tpie
» le miroir est passif, il réfléchit l'image, il ne la voit pas.
» Celte activité de mon ;Uiie fait partie de ma nature ; elle esl innée. »
Otle ilclinilion (I) ne semble l elle pas plus convenable pour résister h
l'adversaire du temps présent , aux impures conclusions de riiégélianismc
aussi bien «praiix insititiations du ralioiialisme de M. Cousin. Pour nous,
nous n'en avons pas rencontré de plus expressément conforme au bon sens
catholique.
I.a seconde pnilie du lra\nil de M. <le Saint nonnrt renferme une admira-
ble rrilirpiede l'enseignement di-ehristiaiiisi' «|Uf les dorlriiii's philosophiipiet
du Wlir siècle ont imposé à la France et à l'Europe. L'auteur reprend celle
M) Elle esl empruntée au beau travail que Vient de suggérer k M. Foisset
la Philosophie de In connaissance de Vint du P. (Iraliy. Voir la livraison du
Corrcsponda ni i\ii ï-'i mars JS.*)!.
1
RI i.i.r;Ti> lur.i.Kx.r.M'irioi i;
33 f
faniciisp question ilt-s classiqitrs (]iii a si fort n;;itc le monde religieux et lit-
téraii'e res ;iimées derniiTes. Disons tout (I'hIkucI (|iril ne vient point recom-
meneer une (niercllc à peine assoupie. M. de Saint-Bonnet adopte l'opinion
modérée (|ui a prévaiii auprès de tous les hommes sensés soucieux de voir
l'esprit chrétien vivifier l'éducation des génératicms nouvelles, toutefois sans
introduire dans les méthodes et les procédés pédu^opiqiies des bouleverse-
ments capables plutôt de compromettre l'ensei},'m'ment littéraire que de réa-
liser le but désiré. Il accorde aux auteurs païens une juste part d'influence ;
mais il ne veut pas, connue il est arrivé depuis trois siècles, qu'ils soient à
peu près les uniipies iiistrurncnls du développement de l'intelligence et de la
pensée pour les enfants. Il faut lire dans le livre lui-même les pages aussi
attrayantes qu'instructives suggérées par cette considération à M. de Saint-
Boiuiet. Le sujet est lajeuni par le talent d'expression; mais bien plus en-
core par la vérité du sentiment.
M. de Sainl-Bimnet déplore ensuite la bifurcation des études et ce pro-
gramme de sciences physi(iucs venant faire suite à la culture intellectuelle
donnée à l'enfant par les auteurs pa'iens. Et cela à l'âge de ii à 18 ans, au
moment où l'intelligence n'est point encore formée. Il démontre à merveille
le danger qu'il y a à animer tout à coup la nature de toutes ses forces de-
vant le jeune homme, sans répandre sur tant de prestiges celte solidité de
l'enseignement théologique et de la philosophie traditionnelle qui ramène au
sein de la création la splendeur divine de la cause première. Il manifeste
combien il importe que les sciences physiques soient subordonnées aux scien-
ces morales au point de vue de leur utilité comme au point de vue de leur
importance , et combien il y a de péril pour la civilisation, alors qu'il en est
autrement. Car les sciences naturelles et physiques n'ont pas la mission ni
la capacité de former l'homme, elles ne peuvent développer en lui ces facul-
tés par lesquelles il entre en relation avec Dieu, avec lui-même, avec la société
pour ses fins absolues. L'étude exclusive des sciences physiques pourra
bien forn)er des arpenteurs, des fabricants de produits chimiques et des
ingénieurs de chemins de fer, elle ne fera jamais des hommes d'état , des
hommes d'un grand caractère , des hommes d'un jugement sain et éclairé.
Une dernière raison , c'est que tous les hommes de génie qui ont illustré
les sciences, ont pris impulsion dans une éducation littéraire. Depuis qu'il
en est autrement, la décadence est évidente dans les savants de science
pure. Ce n'est pas pour un autre motif qu'il ne sort aujourd'hui des éco-
les spéciales que des industriels, habiles peut-être pour faire des affaires,
mais dont les rangs n'ont fourni que trop de partisans aux systèmes absur-
des du fouriérisme, du saint-simonisme et de tous les socialismes contem-
porains.
La conclusion est qu'il faut renouveller par la base toute l'éducation, d'une
part en faisant dominer l'esprit chrétien sur l'esprit païen, d'autre part en
assignant aux sciences physiques une part légitime, mais en ne permettant
jamais qu'elles envahissent dans l'esprit la place qui ne doit être occupée que
par les solutions philosophiques que le christianisme impose à la raison. Car
hors de ces solutions, il n'y a pas d'atmosphère salutaire pour les individus,
pas plus que pour la société.
332 nuLi.ri> HMw i<M;»i\piiiorK.
Sacliont un gré iniiiii tt M. df Saiii(li4itiiirt d'avoir insista une fuis d«
plus sur ces vérités en nieUanl au service d'une cause aussi im|>ortantr l'ati-
torilé de son nom rrspeclc. Assurciiicnt le mal est bii-n grand; mais on
|)cu( cs|>orer (|u'ii sera conjuré en voyant que l'origine n'en e»t pas ignorée
et qu'elle prcuccupe tant d e>prils. Quelque part dans son li\ rr il parie de
ers esprits nou\i-au\ qui, faisant scission avec le siccle. ont riidirassé avec
entliousiasntc la cause de rK^^lisc , (|iii ont fait de son enseignement la In-
niicrc do leur entcnden)ent et ipii ont la ferme volonté de ne marelier à la
conquête des sciences qu'à la ciarlé do la dueirine di\ine qui doit être pour
riiumino la vérité tout entière, parlonl et toujours. Il considère combien ces
esprits qui uni pris la synthèse calliuliquc |>our soutien de leur intelligence,
sont étrangers au milieu de la génération actuelle, non-seulement auprès des
adversaires, mais encore auprès de leurs proches, de leurs amis, de ceux
mêmes (|ui \oulonl bien être avec eii\ quant ù la foi. m:iis qui n'esliment pas
qu'il suit nécessaire de porter le llainbeau de la foi hors du domaine de la
conscience, dans toutes les avenues do l'esprit humain. Faisons elTort avec
lui pour que le nombre do ces étrangers grandisse et (|U°il domine , car à
l'exemple de .M. do Suint-Bonnot. ils ne veulent pas autre chose (|ue le règne
de Dieu dans l'exercice do la raiscm, comme dans toutes les manifestations
de l'activité de l'esprit humain. Les ferments révolutionnaires déposés au
scindes peuples modernes par le WIIT siècle ne seront vaincus qu'au prix
do cette transformation.
EXPLICATION.
Sous ce titre : Explication, M. Nicolas a écrit un chapitre qui sert d'intro-
duction à la seconde édition de son livre sur le Protestantisme. Ce chapitre
entièrement nouveau était dû à nos lecteurs ; ils connaissent presque tous un
ouvrage qui a été l'objet de critiques dautant plus passionnées que l'auteur
avait manifesté plus au vif le désordre produit par le principe de l'individua-
lisme protestant dans la raison humaine d'une part, et de l'autre dans l'ordre
surnaturel établi par Dieu même pour ramener à lui l'humanité déchue. Les
défenses du protestantisme , si vivement attaqué , ont été à fin contraire de
leur but, cl bien des personnes qui trouvèrent il y a deux ans la thèse de M. Ni-
colas excessive dans ses conclusions, accordent aujourd'hui qu'il n'arienditde
trop. Les circonstances ont rendu pour nous le fait évident à Genève, dans cette
officine remuante des passions réformées. Enhardi par des débats politiques
intérieurs, stimulé par le cri de réprobation qui s'est élevé contre lui dans
l'Europe entière, depuis 18i8, nous avons vu le protestantisme sous toutes
ses formes, ou plutôt tous les protestantismes de Genève se lever et se po-
ser: quidans sestempies officiels, quidans ses chapelles privées, qui dans ses
réduits obscurs , qui dans le cabinet d'un homme de plume , pour s'affirmer
chacun à son tour, se poser en sauveur du monde et se déclarer défenseur
privilégié de la parole de J.-C. Nous avons vu à deux reprises des ministres de
l'Eglise nationale, sur l'ordre de leur Consistoire et dirigés par un homme in-
fluent, le professeur Munier, venir dérouer une colossale diffamation de la
doctrine catholique, sous le titre d'exposition de la foi réformée. Nous avons
vu les fatras exégétiques de M. Gaussen ; nous avons vu les sceptiques pro-
positions de M. Schérer, cet immense orgueil individualiste, assurément l'in-
strument de destruction le plus serpigineux que le proteslantisme ait pro-
duit de nos jours; nous avons vu lilluminisme théopneuslique de M. de
Gasparin lancer aussi son système d'excommunications personnelles. Nous
avons vu plus encore : ces protestantismes divers s'analhématisant, se ruinant
les uns les autres, ne retrouvant un peu de solidarité que pour se coaliser con-
tre les consciences des pauvres qu'ils oppriment et séduisent à prix d'argent.
Pour dernier trait, enfin, on a vu le protestantisme tendre la main aux ex-
communiés de la société civile et aux excommuniés de la société catholique,
21
33 i i:\ri.i<:ATi(M.
p^rcc qu il i*»l »l.tiii »a lulun- tic fratiTiiiscr a\fc lou» les eiinriiiis de l'E-
plisc, sous «ju«'l<|U<* forrnr (juils npparnissrnl. On a \\i loiJt cria ; cl, en der-
nière analyse, il éclate visil)lcn)rnl qn'un société désolée de la sorte e«l inca-
pable désormais de maintenir les droits de la raison ; aussi les courants
niairaisanls du panlliéismc s infiltrent partout chez les prolestants, et l'on va
voir se discipliner ces éléments épars pour former lliérésie finale qui suc-
cédera fi tant (le divagalicms. Les fuits apportent à la tlièse de M. Nicolas la
confirmation la plus solennelle.
Aussi son liN re sur le protestantisme est-il plus (|ue jamais un livre d'actua-
lité. Cette seconde édition est coiiT'idéruhlrment nn^iiu-nlér. Nous nous pro-
posons de revenir plus tard sur ces additions qui sont autant de perfection-
ments heureux.
Un écrivain proleslant, cher a«i\ leiiics clirèiionnes, el dont
la dduco t't f;rav(' nuMUoirc est liicii faiic jioiir léiinir, dans un
cominnn scntiint'nt do rcj^rct ol do respect, les prolesianis et les
catholiques, Alexandre Vinel, a écrit ces belles paroles :
« Quiconcjiie est d'avis do laisser la Vi'rilé faire toute seule
» ses affaires n'es! jvis son ami. On parle trop de Tinulilité des
» professions do foi, du raisonnomeni, des appels à la conseience.
» Je croirais bien plul(^t qu'aiiciiiio parole de vérité ne demeure
» absolument sans effet, el <|u';iii('iiti |<ernie ne péril, l/irrilation
■ elle-nirinc, la li;iiiie, esl un riiiii atncr, niais un fruit, liun des
■ faits iin[i()rlanls, pour éirt' iiivisililes, n'en sont pas moins réels ;
» el mille fois on a eu lien d admirer comment les vérités les plus
» contestées oui, an IkuiI il'un cerlain temps, pris pied el gagné
n du terrain dans resprit, dans les mœurs du moins, des plus ré-
■ calcitranls. Il Inir serait dur de regimber irop longtemps
» contre un tel aiguillon. Le déconragemenl «orail donc dérai-
» sonnablo et iiijtislo; mais, ei'il-il plus d'excuses «pi'il n'en a,
■ le devoir de (pii possède la vérité, c'esi dr la dire avec ou sans
• espérance; c'est di' ne pas laisser aux seuls événements llion-
» neur do la démontrer el de riin|»(tser; c'est de ne pas adnni-
» ire, en ce qui la concerne, qu'inlrodiiite <lans le monde par la
» nécessité comme par une sage-femme briilale, elle naisse morte
■ au lien de nallre vivante. » A'.moi 5i/r In ttinntfrflation des ron-
victions rvligiruses, p. i/i.)
Ces paroles, qu'un sduffle passager n'a pas inspirées, mais
doiii le dév( jopiiemcMl lellcclii et consciencieux compose l'on-
EXPLICATION. 335
vrage le plus imporianl et U' plus individiiL'l (lui soit sorti de la
plume de leur auteur, seront l'épigraphe de telle seconde édi-
lion , et c'est sous leur auspice que nous adressons de nouveau
ce livre à tous les prolcstanis que sa première publication a frois-
sés et irritf'S, et à certains catholiques qui, mesurant trop Tin-
lluonce propre do la vérité sur les âmes qui la méconnaissent à
celle qu'ils lui accordent sur la leur, sont d'avis de la laisser
faire toute seule ses affaires.
S* une âme aussi incomplètement en possession de la vérité, et
d'ailleurs dune si grande mansuétude que Vinet, a senti et ex-
primé si énergiquement le devoir de la dire , au prix de l'oppo-
sition la plus violente qu'elle pût rencontrer, et en dépit de tout
désespoir de la faire admettre, comment nous, qui possédons la
vérité totale, substantielle, vivante, la Vérité même, nous qu'elle
possède, la retiendrons-nous captive dans Vinjustice? (1] Vai-
nement l'eussions-nous tenté : comme le géant hébreu, elle eiît
emporté sur la montagne les portes mêmes de sa prison.
A ceux qui demanderaient encore la raison de cette manifesta-
tion de nos convictions , nous dirons donc pour première ré-
ponse : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (^).
Il y a deux manières de faire connaître et valoir la vérité :
en elle-même, c'est ce que nous avons essayé dans nos Études
philosophiques sur le christianisme ; dans sa contre-partie, c'est
ce que nous nous sommes proposé dans ce second ouvrage. Celte
seconde manière est ardue et pénible, nul ne le sent plus que
nous; mais elle est très-efficace, en ce qu'elle est la conlre-
épreuve de la première , en ce qu'elle donne à la démonstration
de la vérité ce caractère, et, pour ainsi dire, ce cachet de certi-
tude absolue qui ne ressort parfaitement que de son opposition
avec l'erreur. Aussi a-t-il été dit qu'il convenait qu'il y eût des
hérésies : par la même raison , il nous a paru qu'il convenait de
les exposer.
Nous avons la conviction, d'ailleurs, que la question n'est pas
seulement entre le catholicisme et le protestantisme. Nousn'au-
(1) Aux Romains, ch. I, v. \S.
(2) Ps. an, V. iO.
336 KXPi,in\Tiox.
lions pas t* ulirpi is ctl ouvrage , si elle n'avuii ou (jiic ctilc |»oi-
lée : assez d'autres, bien supérieurs au nôtre, existent déjà et suf-
fisent à qui veut réellement s'éclairer. Mais nous avons l'inlime
eonvicliun qu'en défendant le caiholieisme , nous défendons le
ehiislianisnu', et rpie, dans le jirutestaniisnie, nous frappons le
plus dangereux de tous les déismcs.
Lue preuve singulière de eette vérité, entre mille, est venue
s'dllrir d'elle-même à nous. Un des organes les plus sérieux du
protestantisme franvais, la Revue de tfuoloyie de Strasbourg, a
accueilli notre ouvrage avec colère. Dans un long article qu'elle
lui a coi»sacié, on s'est proposé d'exercer sur lui la >indicle du
protestantisme. Nous ne pouvons pas dire «pic nous y avons été
indifTércnt. Nous avons été au contraire vivcmenl affecte d'avoir
pu blesser jusqu'à celte irritation des convictions sans doute
chrétiennes. Mais (jnel n'a pas été notre «'tonnement, plus triste
encore ([ue cette première impression, lors^iue, au revers de cet
article et dans plusieurs de ceux qui le suivent, nous avons
trouve la négation ouverte et froide de la di\iiiitt' du S;iuvrurdu
monde (1).
(I) Dans un premier article intitulé : Etquisse d'un rotirs de religion chré-
tienne pour la récrplion de» catèchumènrt ou confirmation , on indique la
manière d'expliquer le sjniboledes apolrrs, et venu à ee passage : Jecrois
enJêsutChrisI, xon Fils unique, nolrr Srignrur, on «lit : « I/e<;prilesl frappi'
» d'abord par la cfinlradiclioii apparente ()ui existe entre la (inaliflrnlinn de
» Fils unii/ur de Dieu . réscrvt'e h Jésns-tllirist . et re que nous venons de
» dire sur liioninic crc'ti à liniajçe divine, eonirue l'ils de Dieu. Pour résou-
> dre cette contradiction, nous sommes amené naturellement ù parler du pé-
» ché. — L'homme, qui est virtuellement fils de Dieu, a perdu celle qualité
» par la désobéissance. Dieu restant son père, i\ n'est pas resté fils de Dieu ;
9 l'image de Dieu est altérée en lui. F.xreption unique. Jésus Clirist. Sa \ie
» sans péché. Absence du pérlié originel. »
.Ainsi Jésusdhrist n'est qu'une exception dans l'humanité. Kn lui il ne faut
pas adorer la naOïrr rfirr'/ir, Dieu même nous diuniant par son anéantisse-
ment el son sacrifice la niesure de sa justice, de sa niiscrironie, de sa sain-
Iclé, de S.1 puissance et de sa sagesse , Chrittum crucifixum Dei virtulem .
et Ùei tapientiam (1 Cor. I, !i4), en même temps que la mesure de noire mi-
sère el de notre grantleur, el l'exemple cl le prix de notre rédemption :
toutes ces subliiues notions disparaissent , toute cette divine économie du
christianisme s'évanouit, et il ne reste pkis que la nature ttumaine, plus ou
moins p.-u faite.
EXPLICATION. 337
La question n'esl pas entre le catholicisme et le prolcstan-
lisme ; elle est entre le Christianisme et l'Impiété : elle est entre
le OUI et le NON sur Jésus-Christ.
La quesiion a une portée plus vaste encore : Nier la divinité
de J(''sus-Christ, en elVcl, c'est nier toute religion positive ; c'est
nier l'ordre suinalurel révélé; et nier cet ordre surnaturel, c'est,
comme on l'a très-bien dit, déchaîner le désordre dans les so-
ciétés des hommes, c'est attenter à la civilisation.
LîPqueslion entre le catholicisme et le protestantisme est donc,
d'une manière générale et sauf des exceptions respectables,
mais individuelles, entre le christianisme et l'impiété, entre la
société et le socialisme , entre la civilisation et la barbarie , et
nous avons cru au catholicisme, au christianisme, à la société et
à la civilisation. J'ai cru, c'est pourquoi f ai parlé.
Nous ajouterons : J'ai espéré, et c'est aussi pourquoi j'ai parlé.
Quand la vérité n'a pour elle que la conscience individuelle ,
il y a mille moyens de se faire illusion à son égard , mille biais
pour lui échapper : c'est un oracle divin , sans doute , mais dont
les réponses sont trop souvent dénaturées par l'esprit qui les
transmet à la passion qui les demande.
Quand la vérité est annoncée par les événements, comme elle
On ne nons laisse pas même le soin de tirer celte conclusion impie; car
on ajoute, parlant toujours de Jésus-Christ : «Nature ftwmame parfaite... De
» cette manière, toujours d'après notre méthode analytique, nous partons de
» la nature humaine pour arriver à ce qu'on appelle improprement nature
» divine. » Et pour qu'on ne se méprenne pas sur l'intention et la portée de
cette négation , on souligne, comme nous l'avons fait, les mots qui la résu-
ment.
Dans un autre article sur les miracles et les prophéties de Jésus-Christ,
intitulé : les prédictions de Jésus-Christ , on travaille à leur enlever le sens
propre et historique, et à les réduire à un caractère purement symbolique.
« C'est ainsi, conclut-on, que les prédictions de Jésus nous apprennent à ju-
» ger de la nature de sa conscience prophétique. Jésus ne prévoit pas les faits
» en vertu de je ne sais quelle toute-puissance abstraite , de quelle omni-
* science mécanique et d'ailleurs incompatible avec la sincérité de son huma-
nité; il les prévoit en vertu de la profondeur de cette pensée religieuse qui,
«par cela même qu'elle est religieuse, va jusqu'au fond des choses, et les
*juge d'après les seules lois éternelles et absolues, celles de l'ordre moral
» de l'univers. Sa sainteté est la source de sa science. »
338 K\PLirvTi(»>«.
l'a fU- «l'iiiit' in;ini»'ip si piovidfiitit'IU' :i noire «''noqiip , on v esl
il'aburd i)liis ;iUt'nlir : riiii|)rossion t'ianl (ommuiie tl {{éncrale
pèse sur chacun avec la force de tous ; et la soriélc tout entière
est éuiuc, non-seulrmenl de la voix du ciel, mais plus encore di*
l'écho de celle grande voix. Elle se rend à elle-nu^me des oracles,
et ces oracles sont d'autant [tins relij^ieux , (|ue les honc lirs (|ui
les prononcent leur donncin, par Imr récente hostilité, nn carac-
tère (If |)ro(li^'e.
Mais la icnipèie passée, l'cclio rentre dans le silence, les voix
extraordinaires se taisent; l'impression des événements s'efface ;
chacun délaisse peu à |>en la vérité <pii en était sortie, et cherche
à reprendre sur elle, avec usure, le i redit (ju'il lui a^ail accordé,
aux dépens de ses intérêts alarmés et de ses passions confondues.
Celte vérité, naguère confessée par tous, se trouve bieniAt aban-
donnée, désavouée, sur le point de (piittei- la terre (]ui n'en
veut plus, et (|ui, par celte criminelle inlidelile, se prépare un
retour liinesie.
C'est le moment, pour l'ami de la véril»'-, |)onr lanii de la so-
ciété, lie rattacher l'une à l'autre, de pré\cnir celle lalale sépa-
ration , de prendre acte des événements , et d'en inscrire , d'en
ûxer les leçons dans la raison et dans la conscience.
Tel est le hnl (jue nous nous sommes proposé. Nous ne nous
en cachons pas : nous avons voulu expjoiler, non la |)assion du
moment, comme on nous l'a bien injustement reproché, mais la
vérité du moment. Nous avons voulu l'écrire à la lueur des faits,
en présence des événements, en nous appuyant sur les impres-
sions de la veille et sur les pressenlimenls du lendemain. Nous
avons voulu que celte vérité, qui nous a coûté si cher, n'em-
pruntât pas de nouveau la voix des révolutions pour se faire en-
tendre , et (\uin(n)iluite dans le monde par la néreffité comme
par une sage-femme brutale, elle ne naquit pas morte , mais 7'i-
vante.
Ce n'est pas noire faute si la société esl telienienl inattentive
et infidèle qu'à peine, dans une première émotion, a-t-elle de-
mandé, comme le proconsul romain : Qu est-ce que la l'énlèP
elle retourne à ses injustices, sans allcndrc la réponse; et si,
pour lui faire enlcndic celte réjwnse, il faut proliter de cette prc-
F.Xn.K. VTIO.N. 339
niière émotion... Nous no dtjdaignons pas de jeter la semence
dans le sillon que la cliarruo divine a tracé.
Grâce à celle providentielle opportunité, nous espérons (jue
cette senienccî portera son fruit. Nous ne nous laissons pas décou-
rager par l'irritalion et la haine même qu'elle soulève, car cela
est déjà un fruit amer, mais un fruit. On ne s'irrite le plus
souvent que parce que l'aiguillon de la vérité pénètre dans la
conscience, que parce qu'on est IrouMé , secoué dans les illu-
sionV d'erreurs au sein desquelles on vit et qui font comme par-
lie de l'existence, que parce qu'on est partagé entre ces illusions
qui pâlissent et le jour de la vérité qui apparaît, que parce qu'on
est forcé de prendre un généreux parti , sous peine de rester
moins content de soi-même.
Il n'est pas de la nature d'un tel ouvrage, comme d'une simple
expression de la vérité, de produire un elfct individuel et direct,
mais plutôt, s'il répondait à son dessein, un effet collectif et in-
direct, d'agir d'abord sur l'esprit public, d'influer sur les idées
généreuses, sur l'opinion, et, par l'opinion, sur les consciences
individuelles. Celles-ci doivent d'abord repousser son effet di-
rect; elles doivent l'immoler à leurs préventions personnelles;
mais, avec cela, elles n'en gardent pas moins une certaine im-
pression qui, se multipliant à divers degrés avec pareilles impres-
sions faites autour d'elles, les amène à subir l'effet général qui
en est le résultat. La vérité , quelques détours qu'on l'oblige à
faire, finit toujours par prendre son niveau avec la conscience.
Un autre fruit important que nous nous sommes proposé, et qui
nous paraît encore moins contestable, c'est de raviver le sens ca-
tholique parmi les catholiques ; c'est de raffermir, d'augmenter
leur confiance dans les destinées de leur foi , en les rattachant
au raisonnement et à l'expérience ; c'est de leur donner des con-
victions plus sûres d'elles-mêmes, ayant une prise plus large et
plus ferme dans les combats de la conscience et de la pensée ,
et par conséquent plus douce et plus charitable, comme tout ce
qui est plus fort et plus éclairé.
Enfin, entre les deux camps, il y a une multitude flottante qui
compose ce que l'on appelle le tribunal de l'opinion. C'est là
principalement que nous avons dirigé notre intention, et sur ce
340 e\plh:ation,
|Miinl que nous avons nu'.siiic la porlce de noire ouvrage. Ce Iri-
bunal se (J<'|)la(e à clia(|ue inslani . cl n'iid loujours à se perler
d'un rùté ou de Tauire. Il suflit (ju'il ne nous soit pas hostile; il
suflîl (lu'il soil impartial cl libre. Nous préférons uH^nu' , pour
riionnour de la vériié, qu'elle f^aj^no sa cause devant un tel iri-
l)unal , avant dr mouler y repieiidr»' sa place, et y recevoir les
hommages de ses juges et de ses accusateurs, devenus ses disci-
ples et ses apùlres.
Ce livre, du reste, (omine nous en sommes couNenu, reçoit
toute sa valeur des circonslances. Il en est à la fois le commen-
taire et le texte : le rommenlaire pour le passé, le texte jtour le
présent et l'avenir. Les circonslances, les événenients, «piehpie
éloipienls (pi'ils soient , nom pas atteint, ce semble, toute leur
signilicalion , et peuvent rentrer dans le doute , dans la nej^alioii
même de leurs enseij;nenienls les pins terribles, tant cpiils n'onl
pas été iraduils dans un \erbe humain, lani que la leçon (ju'ils
renferment n'en a pas été extraite et mise en < ire ulation. Mais
ont-ils trouvé un interprète , c'est fini : ils sont ac(juis à la con-
science pid)liqne : la vérité a été dite; plus ou ujoins bien, n'im-
porle par qui, il sullit quelle ait éié dite, dite tout haut : toutes
les consciences en sccrei la ratifient, y ap[tortent leurs impres-
sions et leurs réHexions individuelles, dont elles ne doutent plus,
dès lors (pie cette vérité n'eu dépend plus, et qu'elle se trouve
hautement exprimée. El ce résultat est surtout souverain lorsqu'il
est lellemenl pris dans les entrailles de la situation, si l'on peut
ainsi dire, que non-seulement les faits de la veille, mais les faits
du jour, les faits (U\ lendemain, viennent lui a|)porter témoi-
gnage, et ceux qui en < (mtestenl le plus la vérité par leurs paro-
les se char^'ent S(tuvent delà prouver par leurs actions.
Ainsi en esl-il de la véi ite du rapport entre le protestantisme
et le socialisme.
Ce mot protestantisme ne doit pas être pris, sons notre plume,
dans un sens étroit. Nous n'entendons pas le resserrer au protes-
tantisme à l'étal de culte ; notre thèse, nous tenons à le dire très-
expressément , y perdrait de sa vérité et de sa justice. Nous
voubius dire par là l'esprit de rupture, de n'volle, de conjura-
tion, dans toutes ses manileslations extérieures, dont le proies-
liM'I.ICVTIO.'N. 311
taniisme à sa naissance a élc la prcnùère ol la plus haute expres-
sion , mais qui , dépouillani la forme religieuse , ou plutôt la
brisant, a revêtu cl brisé successivement la forme philosoplii-
ipie, la loimc politique, et est arrivé à revêtir la forme sociale,
laissant derrière lui ses précédentes manifestations, dont il s'au-
lorise^ustement, sans en recevoir pour cela un secours direct ,
quelquefois même étant condamné par elles.
Ce n'est donc pas un rapport direct et immédiat que nous ac-
cusons entre le proieslaniisme et le socialisme ; c'est un ra[)port
médiat et indirect , un rapport allongé , si l'on peut ainsi dire ,
mais qui n'en est pas moins réel, comme le rapport d'une source,
quelque haute et reculée qu'elle soil, avec l'aflluent d'un fleuve.
On nous a reproché d'avoir abusé de la logique dans la dé-
monstration de ce rapport entre les erreurs religieuses et les
désordres sociaux, aux diverses époques de l'histoire; entre les
idées qu'on s'est faites de l'inlini et le cours des choses humai-
nes; on a accusé d'exagération l'importance et la rigueur que
nous avons attachées à ces relations; on les a même niées for-
mellement en ce qui touche le socialisme. A notre théorie ,
voici celle qu'on a substituée pour l'explication de cette maladie
sociale : « Le socialisme est de tous les temps; il vil au fond de
» toutes les sociétés , sous toutes les formes de gouvernement et
» de religion; c'est l'éternelle question des riches el des pauvres,
» queslion grosse de tempêtes , qui dort dans les temps de calme
» et de prospérité, pour se réveiller avec plus ou moins de fureur
» dès que les révolutions politiques ou religieuses ébranlent le
» monde. 11 y a aussi des courants d'idées qui s'emparent des na-
» lions, en vérité sans qu'on puisse dire pourquoi, el qui les
» poussent tantôt vers le port, lantôl vers l'abîme. Toutes les
» raisons qu'on donne pour expliquer ces mouvements, quelque
» ingénieuses qu'elles soient, ne satisfont pas l'esprit. » (M. de
Sacy, Journal des Débals, 16 novembre 1852.)
On dirait que ces lignes sont détachées de l'Essai sur les mœurs
et l'esprit des nations; elles en touf au moins ce caractère super-
ficiel el évasif, qui évite l'élévation el la profondeur, comme
pour éluder la raison des choses. Le caractère et le talent de
M. de Sacy ne sont pas faits pour continuer l'héritage de la plume
.'{12 i.\ri.ir.\Tioi.
de \ uluiiie , si ce ii'esl (juaiil à celle furino naturelle et facile
que le piihlic goùie avec raison dans les articles signés de lui ;
il D*est pas fait pour réduire la pliilosopliie dol h'sloire aux cour-
tes pro|Hirtions d'un journal, et la mettre ainsi en AuuvelUt du
jour, sans rapport avec les faits de la veille et ceux du lende-
main. INtur peu «pi'il s<' fût élevé à la hauteur de sa proppe pen-
sée, il aurait vu, comme M. de Tocqueville, a qu'il n'y a presque
» point d'a( tion liuniaiiie, (juclcpie parlicidiere (pi'on la suppose,
u (pii ne prenne naissance dans une idée irès-genérale (juc les
» hommes ont conçue de Dieu , de ses rapports avec le genre
» humain, de la nature de leur Ame et de leurs rapports envers
«leurs send)lal)les; que Ton ne saurait faire (|ue ces idées oc
■ soient pas la source <ommune dont tout le reste découle (1), »
et avec \ incl (pie a tonli' la vie humaine se réfléchit dans la re-
» lij^'ion, imilf la relij;inn dans la vii- hiinuiine ; «pie riiisloirede
» riiinnanilc est iliislDire de ses ciovances, l'Iiisloire des croyan-
» ces df riiniiiiin' csi riiisiuirc de I lionnne lui-même (2). »
^ incl s'élève surtout avec une elnipicnie répulsion contre ces
dispositions maléiialistes (pii veulent soustraire, à force de l'a-
baisser, l'ordre naturel à l'ordre surnaturel , le fini à l'inlmi, et
ne |tas tenir c«»nq»te de la loi de leur rapport, avec toutes ses
consecpjences. « Loin d'ici et p<»ur jamais, s'ecrie-t-il, les misé-
» rahles commentaires du maicrialisme! Laissons ses derniers
> disciples faire de l'intini une invention de la |>olilique, ne
» vovant pas que c(;ttc invention elle-même suppose un hesoin
» de l'humanité, et <pie ce hesoin est un hesoin l(tf;i(pie. Qti'esl-
» ce donc (pie le fini, si l'infini n'est pas? Qu'est-ce que le rela-
■ lif sans l'absolu? Oii est la raison, où est la ccrlitude de quoi
n (pie ( (• soit, oii est h^ l»on sens, hors de cette première donnée?
(Jui donc comprendra la matière sans l'esprit, et (pii s'(;xpli-
» (piera le Uni maieiiel (pie |>ar l'infini spirituel? Que île lelh»»
» idées aient |)ii être traitées de paradoxales, c'est une des plu»
» grandes manpies de notre chute, car elles sonl le premier /k»*-
» lulat de toute pensée , et , si je puis ainsi dire , la raison pre-
(I) Itr In riémnrrniir m Amrriiiur, ¥ pari., ch. \'
(3) httai sur la manif. tle* ronvir. reUg., p. (>8.
EXPI.irVTION. 313
. riiièic dv noire raison. Nous sommes plus ccilain de l'esprit
» que de la matière, el de Tintini que du fini. Et l'instinct atfai-
» bli pcul-élre chez chacun des membres de l'humanité, et chez,
» quelques-uns en apparence détruit, V instinct du divin, comme
» explication de l'humain, se retrouve dans la masse de l'huma"
» nité. Si l'homme s'est fourvoyé dans la recherche de celte ex-
» plication, si sa route a dérivf' bientôt vers les erreurs du pan-
■^ théisme et du polyiliéisme , un fait n'en reste pas moins con-
n stani : c'est que sa vie vie séparée du principe de tonte vie , le
» fini détaché de l'infini, eût paru à sa raison une souveraine dé-
» raison ; toute solution lui a semblé bonne au prix d'une vie li-
» vréc au hasard (1). »
Tel est le point de vue où nous nous sommes placé, et du haut
duquel nous avons essayé de saisir l'action des doctrines reli-
gieuses sur les événements humains. Cette action doit être incon-
testable pour tous ceux qui admettent la vérité divine. S'ils s'é-
tonnent de la rigueur de nos raisonnements , c'est qu'ils n'ont
pas assez réfléchi à deux choses nécessaires dans l'ordre absolu
de la religion : l'une, c'est que la vérité ne peut pas être la vé-
rité sans que ce qui en dévie soit erreur ; l'autre, c'est que l'er-
reur ne peut pas être erreur sans que ce qui en découle soit dés-
ordre.
Sans doute , il y a d'heureuses inconséquences qui viennent
suspendre ou pallier le mal ; nous savons là-dessus tout ce qu'on
peut dire, et nous irons à le reconnaître aussi loin qu'on voudra;
mais à la fin on voudra bien reconnaître avec nous , à moins de
nier la puissance des principes, c'est-à-dire leur réalité, que ces
inconséquences ne peuvent aller jusqu'à neutraliser complète-
ment l'action logique de la vérité et de l'erreur, du bien et du
mal dans le monde. Ce qui a été conçu doit être tôt ou tard en-
fanté : ce n'est que l'affaire du temps ; et les sociétés n'étant en
définitive que ce que sont les hommes qui les composent , l'on
doit pouvoir dire d'elles ce qu'on a dit de ceux-ci, ce qui se vé-
rifie en chacun de nous : Deinde concupiscentia cum conceperitj
(i) Bssai sur la manif. des convie, relig., p. 69, 70, 71.
.TÎ1 K\ri l(-ATIO>.
parit percatum; percaîum vrru cum consummatwn [uent, genr-
rat mortem { Jacq. 1, 15 ).
Hicn 110 se ponl tic hi voriU' ot de rcrrcur (hiiis le monde ,
qu'on en soit bien eonviùncu : aucun principe de vérilé, comme
dit Vinel, ne demeure ab.tniumrnt sans elfel, aurun j^erme ne pé-
rit. Si on horne son observjiiion ù des détails plus ou moins lo-
oaii\ , tem[)oraires et superlieiels, nn pourra nous opposer des
faits (pii seiulijcnt démentir noire llieorie; mais si l'on eonsidère
les grandes li^'nes, les f;rands mouvements de riinmanité; si on
perce les apparences el si on pénètre au cœur des choses , on
trouvera, à travers toutes ces opposlions partielles el superlieiel-
les , la loi de la l()^i(pie morale |>nrraitement accusée dans les
faits. Le rapport du rationalisme el du sceptieisme de nos jours
avec la philosophie du dix-huitième siècle, el de celle-fi avec
l'cnKiiH ipaiion relij^ieiise du seizième siècle; el linlluence cor-
respondante de ces trois rcvoliilions de l'esprit limnain sur l'elal
des sociéU'S , sont chose trop nKiMilcsic , iiop pidfondémcnt em-
preinte dans les évcnem<nls cl dans les mœurs, pour qu'on
puisse sonj-ei- à la révcxjucr en doute. Les lois physiipies du
mouvement et de la |>esanieiir n'offrent rien qui soit plus scosi-
blemenl démontre.
La France siirtonl, nalinn iof^i(pie |i:ii' excellence, est le ihéà-
ire le plus propre à celte observation, et rKuri>|»e, rhumanité ci-
vilisée, se modelant t«\t ou tard sur la France, on a raison do tout
le problème en le |>osant sur ce terrain. Aussi tout l'art de nos
conlradicleurs consiste à l'cviler, et à porter la question en An-
gleterre ou en Améi iipie. Nous aurions tort de dissimuler l'ob-
jection (pie l'on lire de létal de ces deux pays, d'aulanl qu'il est
aisé d'en ait» iiuer au moins la |)ortée en attendant la réponse des
cvénemcnis, et nous croyons l'avoir fait diine manière saiisfai-
sante. Mais que penser de ceux qui bmt abstraction de la France
oii ils écrivent, des événenuMils qui les frap|>«'ni, des revoluii»»ns
qui les renversent, des catastrophes qui les menacent, el qui ,
dans c(? milieu é<lalant cl terrible de lumières et de leçons , re-
fusent de voir et de confesser la vérilé qui les accable, el se font
Anglais ou Américains pour lui .'chapper, on plutôt pour gagner
■ EXPLICATION. 345
quolqiios jours sur elle, nu |>rix encore de loin ce (|ui nous reste
(Je supériorilc morale sur ces cleu\ |)eu|)les niarcliands!
Ces subterfuges et ces expédients de l'erreur aux abois ne
sauraient arièter le mouveni<!nt de toutes les âm(;s sérieuses et
préoccupées vers le centre de la vériié, de l'unité, vers le catho-
licisme, qui aujourd'hui, plus que jamais, est tout le christia-
nisme, toute la société, toute la civilisation. Nous avons con-
fiance, nous avons espc'rance dans ce mouvement, et c'est cette
espérïince non moins que la foi qui nous a dicté cet ouvrage :
J'ai espéré, c est pourquoi j'ai parlé.
Enfin, il nous larde d'ajouter : J'ai aimé, et c'est encore pour.
quoi f ai parlé.
Nul n'a un caractère ])lus antipathique que le nôtre à la con-
tention et à la polémi(jue. Nous souffrons plus (jue personne des
blessures que la vérité fait en pénétrant dans les ûmcs qui lui
sont fermées par la prévention, d'autant que celle-ci est souvent
excusable , quelquefois même honorable. Aussi la foi et l'espé-
rance, qui nous ont d'abord déterminée manifester la vérité,
auraient-elles été bien (chancelantes, si elles ne fussent venues
s'appuyer sur la charité, et si ce sentiment, qui seul pouvait re-
tenir notre plume, ne fût venu se joindre à ceux qui la faisaient
mouvoir.
Notre livre a été accueilli par de bien violentes , de bien in-
justes interprétations ; mais il ne leur a pas été donné de nous
irriter ni de nous abattre ; de nous faiic départir le moins du
monde, non-seulement au dehors, mais dans le fond de l'âme,
de notre première devise : Diligite homines , interficile errer es.
Grâce à Dieu , nous avons une ample provision de charité et de
courage; et on ne fera jamais que nous détestions les hommes et
que nous ne détestions pas l'erreur : d'autant que ces deux dis-
positions s'engendrent et se fortifient réciproquement, que nous
affectionnons les hommes en raison du mal que leur fait l'erreur,
et que nous délestons l'erreur en raison du mal qu'elle fait aux
hommes. On nous a rendu une justice qui nous a plus touché
que toutes les injustices ne nous ont aigri : « Je dois dire , a-t-
» on dit, qu'en attaquant les principes, M. Nicolas ménage les
» personnes avec beaucoup de charité. Peut-être même pourrait-
340 hVPLICATION.
• on lui io[)rocher de lomhiT <|U('l(]ticf()is d'un oxc«'s dans l'au-
» li'P, l;iril son siylc, dur el MUrv «juaiid il s';igil d«'s cliosrs, s'at-
» iciidi il d«v;iiii les poi-sonnos IK • Si on y eù\ regard»' dp plus
prt's, on aurait vu que la cliarih' nr rts|iirail pas moins dans no-
ire durele à l'égard des choses <|ue dans noire lenilresse à I «'gard
des personnes; qu'elle y élail njènie plus en exercice, parcelle
durelé nièuie conlre le mal (|ue les choses fonl aux personnes, en
vue de les en <l»'livrer.
On a cependant conieslé celle dislinciion <|Uf nous avons tou-
jours maintenue entre les choses el les personnes, entre le pro-
leslanlisme el les |)roleslanls : on a eu lieu d'v Noir une taeli(|ue.
« Lv prolfsiantisme, » nous a-t-on objecte dans une rejjonse qui
se distingue d'ailleurs par un caractère de moih'raiion dont nous
avons été touché de la part d'un adversaire (|ui nous croyait un
ennemi (2); « le proteslantisme n'est [)as un être malériel et cor-
» porel <pii agisse par lui-mènii- : pour qu'il soit dangereux «-l
«nuisible, il faut qu'il ;iii des seeiateiirs (pii lassent (piehpie
» chose , et ces seetaleurs sont les f)rolestanls. I.e simple bon
» sens el la raison la moins développée comprennent «pie l'on
» ne peut pas distinguer une doctrine de ceux (pii la suivent et
» (]ui la mettent en praiicpie, pour détruire lune, et p«)ur <on-
» server, aimer et ehei ir les autres. >
Il se |)eul que la raison la moins développée comprenne ainsi
les choses ; mais tine raison plus développée comprendra très-
bien notre dislinciion el le sentiment qui nous l'a dictée. Il n'y
a |)as (pie ce qui esi ujalc-riel et corporel yu» atjisne pnr lui-mémr;
ou plutôt rien de corporel et de matiriel n'agit par lui-même.
Tout |)rin( ipe d'action est necessairenient spirituel. Les doctri-
nes, l'esprit d'où elles émanent, sont «e qu'd y a de seul réel
comme principe d'action en bien ou en mal dans la société. Sans
doute elles ont besoin d'être incarnées dans des sectateurs pour
excr<('r celte action, mais celix-ci la reçoivent a\ant de la eom-
(l; M. «Ir Sary, Journal dis fhhnls, Ifi iio\«'mbrc IK'ii.
(2) Ije prntextnnlisme et la sorirlé, réponse au livre pub iêpar M. NiColm
contre le prolrslanlismr, par M. F.crcrf, piofrssoiir hniiornirc à la FariiHr de
Urojl et II)) inltrc du connistoirr do l'Kgli»c rcfoiiiu^e «le (^;icn.
EXPLICVTION. 347
ii»uni(jiier, ei c'esl loujoiirs Tcspril de ces doclrincs qui ygil cii
eux el par eux. Aussi n'agil-il (;ue dans la proportion où ils le
reçoivent ; et cette in«''galité de proportion fait ressortir la distinc-
tion dont nous parlons. L'Évangile, le christianisme, le (;atholi-
<isme est une chose irès-dllFerente, en bien, des chréiiens ca-
tholi(|ues, même des meilleurs. Le protestantisme, l'esprit de
rébellion, de confusion et d'anarchie, est une chose bien diffé-
rente, en mal, des chrétiens protestants, niênie des plus mau-
vais. V^s catholiques valent moins et les protestants valent mieux,
que leurs doctrines; parce que l'homme n'est ni absolument bon,
ni absolument mauvais, et que le bien et le mal absolus, l'esprit
de l'un et l'esprit de l'autre, sont par conséquent très-différents
de leurs sectateurs.
En mettant d'ailleurs tout raisonnement de côté, le cœur suf-
lit pour faire celte distinction, sans laquelle les hommes seraient
toujours en guerre. Aux protestants qui hésiteraient encore à
l'admettre, nous demandons de nous faire l'honneur d'attacher
autant de foi à la cordiale sincérité qui nous l'inspire, que nous
en attachons nous-méme à celte déclaration de Vinet , heureux
terrain d'intelligence et de charité sur lequel nous serons toujours
lidèle au rendez-vous : « On voit que nous n'avons point paiié des
» Iwmmes, mais des choses. Nous n'avons point jugé les catholi-
» quesj mais le catholicisme , ni les protestants, mais le protestan-
ytisme. Et en effet, c'est une question de choses, que l'on déna-
» lure trop souvent en la déiournini .^ur les hommes. Traitée dans
» son vrai point de vue , elle n'est point propre à exciter le scan-
» dale ni à réveiller les haines. « (Mémoire en faveur de la liberté
des cultes, p. 174.)
Nous hésitons à répondre à une accusation qui a été plus loin :
l'accusation d'appeler la persécution sur la tête des protestants.
Quelque grave qu'elle soit par sa nature , elle passe tellement
au-dessous de notre caractère, que nous la relèverons moins
pour nous en défendre que pour la ramener à son véritable but.
Celte accusation n'est pas sérieuse : leurs auteurs mêmes n'y
croient pas. En la mettant en avant , ils ne se sont pas tant pro-
posé de nous l'adresser que de se soustraire à l'accusation d'er-
reur que nous avons nous-même adressée à leur doctrine, que de
.JIX lATLICHTION.
faire prcmlrt' le clianj,'c, rn (létuurnani sur k's humntes une «jiios-
tion (le choses dont ils «'*Uiienl embarrasses. Voilà lu xérilé.
Nous on avons une preuve sin;;uli»'ie.
Dans un premier arlitle du Journal des Débats, mi M. de Sacy
a cif jusK' à force dV'ire Lienveilhiiil , il disait (h; nous : «Kl
» pourlaiil M. Nicolas lui-même veui-il nous faire itionriur au
» moyen à^'e cl à la iheocraiie.' I)euianilc-l-il des IukIicis pour
nies liereTupus? Non! non! lui aussi il a d'heureuses inconse-
nquenees; il ne suit |)as sa lof^ique jus(|u\iu bout. Su raison,
» son co'ur, sa piété repoussent les persécutions en matière de
» foi. Il aime la tolérance; il n'en appelle nu^nie contre le libre
» examen (juà la libre discussion. Ici je suis heureux de me ren-
p conlrer avec M. Nicolas...» Ce témoignage , aussi honorable
pour son auteur (pie |)0ur nous, est du 10 n(»vend)re 18ô2.
Un an a|)rès, le 18 décembre IS.").!, M. de Sacy, réclamant
dans le môme journal en faveur d'un seiiuon de M. le pasleur
protestant Grandpierre sur le proteslanlisme justifié du reproche
de favoriser les tendances anti sociales , cl oii nous sommes
nommé , a dil : <« Présenter le protestantisme comme le foyer
» secret du socialisme, c'était une uianièi-e adroite de eac her la
» «jur'stion reli;<ieuse sous la (juestiou polili<pu', et «le rt-chuner
» le renouNellenienl di-s |)ers»'cuiinns au nom du salui de TKtat.
» M. (iraïKlpiene a déchire d une ni;iiii ferme ce \uile, assez lé-
» f»er d'ailleurs, n
Ainsi le IG novembre 18o2 nuire raison, notre cour, notre
piété repoussent les persécutions en matière de foi; nous aimons la
tolérance ; ntms n\n appelons même contre le libre examen quà
la lihre discussion; et le 18 décembr»; 18.').J nous réclamons le
renouvellement des persécutions au nom du salut de l' Etat , et ,
«lans ce but , nous cachons adroitement la question religieuse
sous la (jueslinn poliliffue , et cela dans le nn'ine ouvra^^e . |t.uu
avant ces deu\ juj^euu'nts.
Ksl-( c que, dans l'intervalle qui les sépare, nous avons écrit
ipiel(pies lijînes «pii aient trahi en nous un esprit de persécution
(pion était si loin d'abî rd de. nous supposer? — l'as un mol
n'est sorti de notre plume.
Kst-e.c que notre ouvrii^e lui-mômc aurait révolé cet esprit par
EXPLICATION. 349
les fruits (ju'il aiiraii porlés? — Notre ouvrage s'est écoulé en
effet dans cet intervalle; il a été lu à trois mille exemplaires;
mais pas le plus léger froissement n'en est résulté contre les
protestants; leur liberté a continué à coulera plein bord en
France; elle a même contrasté plus que jamais avec les persé-
cutions qu'ils exercent contre les catholiques à l'étranger.
Qu'est-ce à dire donc? Le voici : nous n'avons qu'à retourner
l'accusk^iondeM. deSacy, ella vérité se trouvera au revers. Pré-
senter notre thèse, purement philosophique et doctrinale, comme
un moyen de réclamer le renouvellemenl des pers(!'cutions con-
tre les protestants, c'est une manière adroite de cacher la ques-
tion des choses sous la question de personnes et de la soustraire
à la libre discussion. Le voile est assez léger : il n'est pas be-
soin d'une main ferme pour le déchirer, et il a fallu une main
bien souple pour en tisser la trame.
Se figure-t-on aujourd'hui, en pleine pacification religieuse,
le retour des anciennes persécutions, du moins dans les pays ca-
tholiques : les bûchers , les dragonades; et nous croit-on , je ne
dis pas assez intolérant, mais assez naïf pour les rêver? Que
l'on remarque bien d'ailleurs que ce n'est pas seulement aux
protestants religieux que s'adresse notre ouvrage, mais encore,
mais surtout aux protestants philosophiques, politiques, sociaux,
aux rationalistes, aux individualistes, aux socialistes, aux mau-
vais catholiques, c'est-à-dire à l'universalité de nos contempo-
rains , à la société tout entière que nous prenons à partie , et
pour laquelle, par conséquent, nous dressons le bûcher. Mais
que l'on se rassure 1 Comme nous y faisons monter tout le monde,
il ne restera plus personne pour y mettre le feu.
Nous nous garderions bien, pour notre compte, de le faire :
ce serait aller diamétralement contre le but que nous nous pro-
posons. Vous ne voulez pas en croire noire charité, soit : elle
n'en existera pas moins pour cela; mais croyez-en du moins no-
tre intérêt, consultez le vôtre.
Le vôtre , j'entends votre malheureux intérêt de parti , c'est
qu'on vous persécute. Vous ne pouvez renaître que de vos cen-
dres. Le protestantisme s'en va : il se décompose définitivement :
il devient du socialisme d'un côté, et il redevient du catholicisme
22
'.\î}0 K\ri.i<\vi(>>.
(le raulif. nifiilôt, bieniûl il n'y aura plus de position tonûMr
pour un seul proieslanl entre deux. Une seule chose pourrait
reformer le protestantisme, ce serait de le persécuter; une seule
chose peut préei|)iier sa ruine, c'est la discussion , la lumière , I
la \erilé. C'est pourtpioi nous en appelons uni(juement à la dis- 1
cussinn . à la lumière, à la vérité; nous serions les premiers à
courir éteindre le fou, arrêter le glaive de la persécution, comme
un atlent;it à la vérité autant qu'à la charité, qui seules doivent
avoir la gloire et la consolation de ce triomphe, pour qu'il soit
durable.
Nos adversaires, ennemis d'eux-mêmes en cela, le sentent ; et
c'est pourquoi ils veulent ctoufTer la discussion et cacher la lu- ^
mière sous le boisseau , sous l'intérêt et le danger ehinnrique
de la persécution ; ci par-là ils se rendent eux-mêmes coupables i
d'une véritable intolérance contre la liberté de penser el de dis- I
cuter, el de la pire de toutes, de celle qui se cache sous le nom
de tolérance. El n'est-ce pas aussi la plus déraisonnable? Quoi!
on a pu discuter une religion, une sociele qui reposait sur l'aii-
lorité, et on ne [)eut pas discuter une doctrine ipii repose sur la
discussion! c'est nous, cathoIi(|ues, cpii sommes les derniers te-
nants de la liberté de penser el de la logi(|ue contre vous, pro-
testants et rationalistes, qui les désavouez, (|ui les décriez! Qik I
aveu de votre inqtuissance ! (|uel signe de \otre fin ! Vous n'avez
pas l'autorité, et vous ne voulez |)lus de la discussion!
Pour nous , «pii avons l'une et l'autre , nous les exercerons au
servit <■ de la m rite (|iii les assure et de la diarité qui les unit,
nous en userons c(mirc \ous en apparence, pour vous en n'-alité;
contre vos erreurs, pour vous en deli\rer. >ous nous redirons
ces belles paroles que vous adressait il y a deux cents ans im de
nos plus illustres docteurs, qui fut à la fois un grand théologien,
im profond pensotw et un des premiers créateurs de notre lan-
gue, le cardinal «le Heridle : « Je n'emploierai point vers vous de
» belles paroles, car je n'en al point, et n'ai point estimi' à pro-
» pos d'en r(,'<liei< lier el apprendre pour vous parler, jugeant ,
» selon le dire d'un aneieii , (ju'il n'v nvoil rien si éloquent qiir
» la v»'rile! Je n'y mesle point d'aigreur, de lie!, ni d'amerlume.
B Car eomnie aux sacrifices anciens ipii s'olfroicnt |K)ur la paix «
EXPLICATION. 351
» et concorde conjiij;al<!, on ôtoil le fiel des hosties; ainsi tmv la-
» heurs (jui sont voik-s cl consacrés à la paix cl concorde de l'É-
» poiise de Dieu , c'est-à-dire de l'Église , on doit ôtcr le fiel
» cl l'amertume des contentions qui tendent, non à réunir les
» âmes, mais à parlir les courages. Que si en ces discours il y a
» qu('l(|uclois de la pointe et vigueur, ce sont paroles qui s'adres-
» sent au mal, et non au malade; ce sont coups qui portent con-
» trc Iflf-résie, et non conirc l'hérétique; et sont traits de lan-
» gue et de plume qui ressemblent aux traits décochés par cet
l'industrieux archer, lequel, sans offenser Achis son bien-aimé,
» sçailbien offenser le serpent qui rentorlille (1). »
Ces sentiments ont toujours été les nôtres. On a dû, on devra
les trouver dans notre ouvrage , car ils sont dans notre cœur.
Avant même sa publication , ils avaient hâte de s'exprimer, et
ils le firent dans un écrit demeuré inédit et que nous nous re-
procherions de taire dans celte iVancho et complète explication.
Averti que le simple tilre de l'ouvrage, du rapport du pro-
testantisme avec le socialisme, blessait d'honorables et justes sus-
ceptibilités , avant que l'ouvrage même fût venu révéler son
esprit et sa portée, nous eûmes à cœur de nous expliquer immé-
diatement , sous forme de lettre , à un protestant de nos amis,
qui, par l'élévation de son esprit et l'indépendance de son ca-
ractère, autant que par sa position, était on ne peut plus propre
à cette loyale entremise, M. Charles Read.
Une circonstance étrangère à sa volonté et à la nôtre retarda
la publication de celle lettre, et l'ouvrage lui-même ayant paru
dans l'intervalle, la rendit selon nous superflue.
Aujourd'hui cependant que notre confiance dans l'équité de
la critique a été trompée , qu'après avoir d'abord rendu justice
à la tolérance et à la charilé de nos intentions, on ne craint pas
de se contredire jusqu'à nous accuser d'exploiter la passion et
de provoquer la persécution, il nous paraît bon de faire voir
comment, toujours d'accord avec nous-même, nous avons, avant
comme après la publication de notre ouvrage, expliqué l'esprit
(I) De la Mission des pasteurs , OEuvres du cardinal de Bériille, in-folio,
\). 45.
.*{.') '2 K\PI.ICATI(»>.
i|ui nous i'u iaspiré, et (|u'oa n'aurait pas dû cesser de recon-
naitre dans les p;igcs où il rcspirr.
Paris, ISaoùliKSS.
À Monsieur Charles Urad . chef des affaires non calholiq^tes , au rninislére
des cultes (I).
Mon l)ien cher ami ,
Je suis aÉFecté de ce que nous nie mandez, que le litre seul de
mon livre fait sur quehpies-uns de vos honorables coreligionnai-
res une impression fâcheuse, comme si, sou* ce titre, ils croyaient
voir une de ces atiacjues abusives qui s'adressent plus au\ prv-
jugés et aux passions ipià la raison et qu'à Tecpiiie. \ ous qui me
connaissez ei cpii connaissez en grande partie mon œuvre, vous
avez pu redresser celte impression , et je vous remercie cordia-
lement de l'avoir fait : je n'attendais pas moins de voire loyale
amitié. Sous peu de jours, je l'espère, le livre lui-même va venir
dégager comjdètement votre parole.
J'ai voulu , comme vous le savez, que cet ouvrage présentât
une discussiim exclusivement docirinale et philosoplii(iue sur le
proleslanlisme et le catholicisme comparés par rapport i l'état
actuel de la sociélé. I.es principes et les faiis les plus gén«''raux
sont les seuls éléments de celte discussion, d'oii j'ai pris soin
d'écarter toute ombre de personnalité , toute atteinte d'inloié-
rancc, et où j'ai eu le désir de rendre aux proleslanis la justice
qui leur est due, en me réservant les droits de la vérité envers le
prolestanlisnic.
Je dirai môme en toute simplicité, que, si les protestants ont
quel(|u»' chose à redouter dans <<• livre, c'est |)eut-êlre l'absence
complète de ce (ju'ils redoulenl. Si je m'étais laissé aller à des
personnalités, si j'avais fait appel à l'intolérance, c'eùl ét^ un
(1) Le fon^pntpmrnt qiir M. Brada bien ^oiilii donner h la puhliralion de
celle IfUri" iriiiiplii|uc pas, parliii iiii^iiie, son adliésion à «e qui y e>.l «•xpriiiK* :
c'est, de sa part , un pur prncrdr i]ui lui laisse, connue à loul le monde, l.i
libcrlé «le la critique, hlierlé que nous lui reconnaissons d'autant plus >oloii-
liers, que personne n'en est plus dipic el mieux fait pour en bien user qi.
M. Charles llead.
r.\iM.M;Mio.>, 353
malheur j)oui- moi, mais c'eût élé aussi une laiile ; et si mon ca-
raclère n'y eùi pas résiste, l'intérêt de ma cause m'en aurait
averti.
J'ai eu assez de loi dans la force propre de la vérilc pour
cioire qu'elle pourrait se sullire à elle-même, et qu'elle serait
d'autant plus persuasive et victorieuse au dedans, qu'elle serait
plus charitable et plus pacifique au dehors.
Les prolestants doivent dès lors se trouver à leur aise en pré-
sence dv celte discussion. Ou les raisonnements et les faits géné-
raux qui la conqiosent n'auraient pas de portée, et alors il leur
serait facile de me r<'^futer; ou bien, au contraire, je porte le
jour de la vérité sur la plus grave de toutes les questions, et je
leur fais l'honneur de croire qu'ils aiment assez cette vérité pour
se rendre à sa lumière.
Le protestantisme est, à tort ou à raison, assez généralement
impliqué aujourd'hui dans la cause du socialisme. Dans cette si-
tuation , une explication franche, complète et approfondie, doit
être désirée par tous les cœurs honnêtes et sincères, avec la gé-
néreuse indépendance qu'inspire le seul amour de la vérité exalté
par la grandeur même du sacrifice qu'elle exige.
Nous jouissons en France d'une tolérance religieuse unique au
monde ; le protestantisme , qui sait en revendiquer et en exer-
cer les droits, doit aussi savoir en subir les conditions et en
payer le prix. Or, la discussion est le prix de la tolérance ; et
le droit de dire entraîne la nécessité d'entendre.
La discussion est même le gage de la tolérance , puisqu'elle
en est l'exercice , et que la proposer , c'est , à plus forte raison ,
l'admettre. Sous ce rapport, je viens en quelque sorte en aide
aux protestants. Si , comme ils semblent l'appréhender, il y a
une réaction contre le protestantisme , ils doivent se féliciter
qu'elle soit élevée au ton d'une discussion qui exclut toute autre
force que celle de la vérité, et qui la relient dans ses limites.
C'est d'ailleurs, ce me semble, une justice de le reconnaître :
depuis soixante ans le catholicisme n'a pas eu un moment d'au-
dience favorable au tribunal de l'opinion prévenue ; il a été plus
ou moins à l'état d'ostracisme moral, et c'est en vain (;u'il a dit
à son ennemi, comme l'Athénien : Frappe j mais écoute, A la fa-
3/>î LM'I.ll. UIO.^.
M'ur «U'i ^;i;iU(Js a\ri lisseinciils ijue la Providpocf a fait éclater
hur nos'tt'tts, il s'ist Hiii iiii iiiomciii (Itr/airci dans les préjuges
à son c^arii : i|ii()i de |>lus iiaiiircl , i\\n>\ «le plus juste qu'il en
()roiile |»our s'e\|)li(iuer une fois avec la société et faire cesser
le malentendu qui les divise , cl qui selon moi est la grande
cause de nos malheurs.
J'ai pensé cpi'il fallait [>roliter de «ettc occasion soh'nnelle ,
dût le sentiment de ce (le\oir nï'ahuser sur l'insullisance de mes
moyens et sur les dilVicultes de la tentative. J'ai |)Oui'suiYi celle-
ci, à travers ces dillicultés, niin-senlenniit dans l'inl/'rêtMu but,
et par dévouement à mes con\ictions, mais par justice, par hon-
neur, je peux dire môme par amour pour mes ndversaires. Ou-
tre la sympathie des catholi(]ues, j'ai mis ma confiance dans celle
de tous les amis de l'ordre et de la socii-té , dans les honnêtes
gens de toutes les convictions. Je l'ai mise en particulier dans la
lovaulc des protestants , qui , à la manière dont j'attaque le pro-
testantisme, et à la force même, s'il m'est permis de le dire ,
des coiqjs «jue je lui porte au fond, reconnaîtront, je l'espère,
que le zèle de mes intentions , s'il est vif, est du moins désinté-
ressé et charitable, et qu'il peut prendre pour devise ces belles
paroles de saint Au^nistin au\ Donatistes : Si guis advertat, si
quis attrndat, hoc non est liliyarc , sed amore. « Pour ipii sait
■ discerner, pour qui sait observer, ce<i n'est pas combattre,
■ c'est aimer. »
Air.i'sTE Nicolas.
LES MINISTRES ET LÀ BIBLE.
La Bil)le! Toute la Bible ! Rien que la Bible ! Voilà ce que le
menu peuple prolestant, cemmc les grands docteurs, ne cesse de
corner au\ oreilles des catholiques. La Bible, c'est toute la Pa-
role de Dieu, c'est toute la religion! Lisez la Bible, et vous êtes
sûrs d'y trouver la foi et la vraie foi ; vous êtes sûrs d'obtenir le
salut et un salut h bon marché ! Voulez-vous vous débarrasser de
toutes les superstitions romaines, lisez la Bible! Aspirez-vous
à une religion commode , facile et dégagée de pratiques gênan-
tes, ayez une Bible! Voulez-vous compter pour un converti et un
élu de Dieu, achetez une Bible ! — Mais vous ne savez pas lire?
qu'importe! c'est le seul moyen de salut. Mais vous vous défiez
de votre sens propre; vous ne comprenez pas; vous ne trouvez
pas un ensemble clair et bien défini de vérités et de devoirs ,
qu'importe encore! lisez néanmoins et façonnez votre religion.
Ou plutôt toute la religion, c'est la lecture. — Quand on aflîche
un culte si profond et si exclusif pour le livre divin, il est deux
excès, deux péchés dont on devrait être à l'abri ; ces péchés, les
voici : C'est de rejeter ce que la Bible affirme clairement et d'ad-
mettre ce dont elle ne dit mot. Eh bien ! ces deux péchés, les
protestants les commettent journellement dans l'enseignement
comme dans la pratique. Nous voulons l'indiquer par quelques
exemples. Ce que nous essayons ici, ce n'est pas une discussion,
ce n'est pas un traité, c'est une simple confrontation. Nous met-
ions en regard, en suggérant quelques conclusions, d'abord ce
35G LtS «ni«TRBS KT l.\ BIBLE.
que dil la Bible el (|ue u'aiiiiielleni pas les |)roteslanls ; puis «c
que ne dil pas la Bible et (pi'aiinM'Hont ei pr:ui«pi»m les prolcs-
taals. Beaucoup d'enire eux n'oul aut une idée de ce <jue pré-
sente relie |)eiile comparaison , parce qu'ils ne lisent pas la Bi-
ble; beaucoup aussi parce qu'ils la lisent sans réflexion, ei beau-
coup parce (pi'oii ne la leur donne à lire qu'avec de faux com-
nienl:iiies. Qu'ils jellenl un coiip-dteil sur cet aperçu et qu'ils
se disent à cu\-in«^mes ce (pi'il laul penser du premier principe
(pi'on leur inc nhpie et (pi'ils aduplent si aisément : toute la Bi-
ble, rien que la Bilde! ! Qu'ils voient comment les nunistres y
sont lidèles , et qu'ils concluent sur le resle de ce qu'ils ensei-
gnent.
Pour ôter la tentation de retourner, en désespoir de cause,
celte confrontation contre T^l^lise caiholi(|ue, nous n'avons be-
soin que de deux mois : elle est placée, par sa doctrine, dans
des conditions tout autres vis-à-vis de la Suinlr-Ecriture. Elle
l'admet connue la Parole de Dieu, mais eu compa^'nie de la Tra-
dition divine; par conséquent, si une vérité ou une pratique ca-
tholique n'est pas exprimée formellement dans rÉcriture-Sainte,
il lui resle la traditi(m pour la justifier. Puis le sens de l'Ét rilure
et «le la Tradition, rKf,'lise n'admet pas qu'il puisse être saisi,
dans tous les cas, sans une autorité cpii h' définisse; par consé-
quent, si un mot de l'I-lc riiure ne reçoit [tas dans rcnsei;;nennnl
ou dans la pratique callioliques ra|>pli( alion qu'il scmlde olTiir
à la raison toute nue, il nous resle l'autorité inlerprélalive de l'É-
glise pour explicpier cette apparente la« une et mettre en repos
notre foi. Nous n'examinons pas si nous sommes en droit, en
revendifjuant la tradition et l'autorité; c'est assez que l'on com-
prenne que notre position est, dans les principes, toute différente
de celle des protestants vis-à-vis de la Sainte-Écriture. Eux,
ils sont forcement esclaves de cei axiome : TouH' la Bible! Rien
(|ue la Bible !... Il n'en est pas de m^me de nous. Arrivons au
fait.
LES MiMSTiii:s i;t i.a r.ini.E.
357
DR L An URITK DK L EGLISE ET DE L ECRITURE.
Croyance rt pvnliqur prolrs-
tanhs.
I.cs ministres disent : < Il
n'y a point d'antre anlorité en
reljijion (|nc l:i Hihie. C'est à
elle seule (|uil faut eioire. Tout
cnseipnernenl qui vient pnr
l'Iioniinc , si ce n'est pas la I3i-
blis est usurpation et menson-
ge. »
Les ministres disent : « L'E-
glise a corrompu la doctrine de
Jésus-Christ, et rcnfcr a préva-
lu contre elle dès les premiers
siècles.»
Les ministres disent : « En
religion, on n'obéit à person-
ne qu'à la Bible. >
Les ministres disent : « Les
évècjues sont de trop ; leur mi-
nistère est usurpé. »
Les ministres disent : «L'E-
criture est facile à saisir, et en
la lisant, on est à l'abri de
toute erreur. »
Texte de In Sainic-Érritutr.
Jésus-Christ n'a jamais dit cela; au con-
traire, il a dit à douze hommes : «Ainsi que
mou Père ma envoyé, je vous envoie ( St
Jean IV, 58). — Toute |)uissance m'a été don-
née dans le ciel et sur la terre; allez donc
et instruisez tous les peu|)les, les baptisant
au nom du Père , et du Fils, et du Saint-Es-
prit ; et leur apprenant à observer toutes les
choses que je vous ai commandées (StMatt.
XXVIII, 1«). — Qui vous écoute, m'écoute ;
qui vous méprise, me méprise (Luc X, 16).
— Tout ce que vous lierez sur la terre sera
lié dans le ciel , et tout ce que vous délie-
rez sur la terre sera délié dans le ciel (Matt.
XVIII, 18).
Jésus-Christ dit: «Tu es Pierre, et sur
cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les por-
tes de l'enfer ne prévaudront pas contre
elle.» (Matlb. XVI, 18).
Et saint Paul : «Obéissezà vos conducteurs
et soyez soumis à leur autorité ; car ce sont
eux qui veillent pour le bien de vos âmes,
comme devant en rendre compte ( Hébr.
XIII, 17).
Saint Paul dit aux évêques qu'il a institués
lui-même : « Le Saint-Esprit vous a établis
évêques pour gouverner l'Eglise de Dieu»
(Acl. XX, 28).
Saint Pierre dit en parlant des épitres de
saint Paul : a Comme il fait aussi en toutes
ses lettres, où il parle de ces mêmes choses,
dans lesquelles il y a quelques endroits diffi-
ciles à entendre, que des hommes ignorants
et légers détournent, aussi bien que les au-
tres écritures , à de mauvais sens , pour
leur propre ruine » (2 Pierre III, 16).
DE LA TRADITIOX.
Le Sauveur, on le sait, n'a rien écrit; il n'a point recommandé à
ses apôtres d'écrire ; il n'a laissé aucune parole pour indiquer
aux chrétiens qu'ils devraient lire ce qu'écriraient les apôtres.
Aussi priait-on, jeûnait-on, recevait-on le baptême, la sainte
communion, pratiquait-t-on la religion entière et obtenait-on le
salut dans la primitive Église, sans lire l'Évangile, qui n'existait
pas. Celte petite remarque infirme passablement le grand dogme
3."»S LES «i:ii5TRr> kt iv uintE.
|)rotcsi:int (|iril faut néco&suircment lire TÉcriturc |)our ronnai-
ire la rclij^ion et ^Ire sauvé. — Q)u'a donc fait Jésiis-Clirisi pour
établir ri maintenir sa religion .' Il a onlonne aux a|>ôtres de la
prèelier ; tout est là. Les a|KUres ont jugé utile de uiellre en écrit
les priniipaux enseignements et les traits les plus saillants de la
vie de leur Maiire; c'est ce qui forme l'Éxangile. Le reste, ils ont
( uuiinué à Itiiseignei- de vive voix, sans l'écrire ; c'est la Tradi-
tion. Ainsi la tradition est la parole de Dieu , aussi bien que
rE\angile. Venons maiiilenant aux textes, et voyons si le dire
des ministres s'accorde avec le dire de l'Écriture.
Les ministres rliscnl : t Nous
ne voulons puinl «le tradition.»
Les ministres disrnt: iToul
ce (](ie Jésus a fait et dit se
trouve dans l"Kvan;;ilc ; il n'y
a rien à elierriier en deliors.»
Les ministres di-nit : t II n'y
a pas d'antre dorlrinedes apô-
tres que ee qu'ils oiU écrit. Ils
n'ont point laissé d'autre ensei-
gnement i|uc leurs lettres. >
Saint Paul dit : < (iardcz les traditions
que vous axez recueillies soi! de mes dis-
cimrs, soit de mes lettres. » iTliess. II. 14. )
Saint Jean dit : t Jésus a fait une inlinilé
d'autres choses; et si on les rapportait en
détail , je ne cri>is pas que le monde même
put contenir les livres qu'on en écrirait. >
(Si Jean \XI,ïi.)
Saint Paul dit à l'évoque Timoihée : € Ce
que vous avez appris de moi dexant plu-
sieurs lémniiis , donnez-le en dépôt à des
liouHues lidèles, qui soient eux-mêmes ca-
1)ables d'en instruire d'autres. * ( i Tira.
I, 2.) Ht saint Jean : ■ Quoi(|ue j'eusse plu-
sieurs elmscs à vous écrire, je n'ai point
xoulu le faire sur «lu papier et avec de l'en-
cre , «'spéraiit vous aller voir et vous en
enlrelemr île \i\e \oix, afin que votrtjoic
Soit pleine 1 1 parf.iite. •
DU PÉCHK ORIGINKI.
Les ministres disent : t Nous
naissons tous innocents, le
péché il'.Vdam ne passe pas aux
enfants des chrétiens. »
Saint Paul dit : • Par im seul homme le
péché est entré «lans le mon<ie, et la mort
par le péché: et ainsi la mort est passée
lians tous les honmies, tous ayant péché
par un seul. » (Uom. V, li.)
LKSALtT l'.^H I.A FOI KT l'AR LES OKIVBKS.
Les ministres disent : « La
justilication et le salut de
l'homme s'oblieiment par la
foi seule, c'est une pure f;rà-
ce ; si l'honune miiI y con-
courir en (|uelque manière, il
fait un péché. Les œuvres sont
inutiles. •
Saint Jaques dit : « Mes frères, «juc ser^'i-
ra-l il à queliiu un d'axuirla foi, s il n'a pas
lescpuxres? (a foi pourratelle le sauver?..
.Vussi la fui qui n a point les œuvres est
morte en eile-mèine... Noire l'ère Abra-
ham ne fut-il pas juslitié par les u'uvres,
Inrsqu il otTrit son lils Isaac sur l'autel ?...
Vous \or l'z donc qiie c'est par les œuvres
que l'homme est justifié . et non pas seule-
ment |.ar la foi ( Si Jarq. IL I i et suiv. \ —
i:t saint Jcan,dansr.\pocalypse.cha|i.\XIL
LIS .MI.>ISTKi;S l/i LA lîlULR.
350
.Les ministres disent : «La
ffliî seule suffit pour être sau-
ve. »
Les ministres disent : «Ce-
lui qui a la foi est assuré du
salut; il n'a rien autre à faire
qu'à la conserver, ou même il
ne peut plus la perdre. » —
« Quoiqu'il fasse , toniba-t-il
même dans les plus ptrands pé-
chés, sa foi le met à l'abri de
tout châtiment. >
Les ministres disent : « IV'os
bonnes œuvres n'ont aucun
mérite devant Dieu et ne ser-
vent à rien. »
« Elles ne méritent point de
récompense. »
Les ministres disent : « Les
bonnes œuvres n'auront pas
de récompense. »
Les ministres disent : « Le
ciel est donne à la foi seule. »
11 : « Que celui qui est juste se justifie en-
core ; que celui qui est saint se sanctifie en-
core. — Ll saint Paul : Faites donc mourir
les membres de l'homme terrestre qui est
en vous, etc. (Coloss. III, li.) — N'abandon-
nez point au péché les membres de votre
corps . pour lui servir darmes d'iniquité ;
mais donnez-vous à Dieu , coninic devenus
vivants de morts (pie vous étiez, et consa-
crez-lui les membres <le votie corps, pour
lui servir d'armes de justice. » ( Rom VI ,
13.)
Jésus-Christ dit : « Si vous voulez entrer
dans la vie, p;ardez les commandements.»
{Mallh.XIX,f7.)
Saint Pierre et saint Paul sont d'un autre
avis : « Efforcez-vous donc de plus en plus,
mes frères, d'affermir votre vocation et vo-
tre élection par les bonnes œuvres.» (2
Pierre I, 10. j — i Je traite durement mon
corps et je le réduis en servitude; de peur
qu'ayant prêché aux autres, je ne sois ré-
prouvé moi-même. » ( \ Cor. IX , 27. ) —
« Que celui donc qui croit être ferme, pren-
ne bien garde de ne pas tomber.» { 1 Cor.
X, 12.) — a Opérez votre salut avec crainte
et tremblement.» — (Phil. II, 12.) — «Ceux
qui vivent selon la clfair ne peuvent plaire
à Dieu. Si vous vivez selon la chair, vous
mourrez ; mais si vous faites mourir par
l'esprit les œuvres de la chair, vous vivrez.»
(Rom. 'V'III.)
Et saint Paul : « Demeurez fermes et iné-
branlables, et travaillez sans cesse de plus
en plus à l'œuvre de Dieu, sachant que votre
travail ne sera pas sans récompense en No-
tre Seigneur.» (1 Cor. XV, îiS.) — «Car Dieu
n'est pas injuste, pour oublier vos bonnes
œuvres et l'amour que vous avez témoigné
pour son nom. » (Hébr. VI, 10.)
«Ne perdez donc pas la confiance que
vous avez, et qui doit être récompensée
d'un grand prix. » (Hébr. X, ôo.)
Jésus-Christ dit : a Et quiconque aura
donné seulement à boire un verre d'eau
froide à l'un de ces plus petits, comme
étant de mes disciples , je vous le dis en
vérité , il ne perdra pas sa récompense. »
(Matth. X, 42.)
Et Jésus-Christ ne le donne qu'aux œu-
vres delà foi. «Alors le roi dira à ceux qui
seront à sa droite : Venez, les bénis de mon
Père , possédez le royaume qui vous a été
préparc dès l'origine du monde. Car j'ai eu
faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai
eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'ai eu
besoin delogementet vous m'avez locé.»etc.
(Matth. XXV, 54.)
3(iO l.tS JIIXsTliES KT LV UII1I.E.
Lm minittres ilisciit : t F«i- El Jcsui-Chrisl : « Le Fils Je rhomine duil
If » des bonnes (riivrrs on n'en vrnir dans la jçloirr de son Père, «vec ses
faites pas, c'csl la même cho- nn;;e« ; et alors il rendra à ihaciin »clun se»
se. » QMixres. > (Mail. \VI. -27.)
VKS sacreme:vts.
Jiis(|ir;iu sti/irmo sièclo , on avait toujours cru et enseigne
dans l'Éj^lise et ui^me parmi les sectes séparées, (|u'il y a sept sa-
crcinenls institués par Notre Seif^neur Jésiis-Chrisl. Luther et
Calvin ont trouvé bon d'en rciranclier cinc] et d'amoindrir la
vertu des deux autres. Où ces messieurs avaient-ils ac(|uis le
droit de découper ainsi la doctrine du Sauveur el d'ôlcr au peu-
ple chrétien les trois quarts de son héritage? Je ne le sais; mais
assurément ce n'est pas dans l'Évangile, (]ui dit : «Celui donc
qui \iolera l'un des moindres commandements et qui apprendra
aux hommes à les violer, sera regard»' dans le royaume des cieux
comme le dernier ; mais celui (jui fera et enseignera, sera grand
dans le loyaumc des cieux. » (Matih. V, 19.) Voyons donc si la
parole des ministres ressemble à celle de Jésus-Christ, comme ils
s'en vanlent, et choisissons entre eux cl Lui.
LE BAPTÊVE.
Les ministres disent : « Le Jdsus-Christ : • En vérilt', en véril<* je
baptême n'a point de vertu ré- vous le ilis : Si un homme ne renaît de l'eau
gênératiiee en lui-même. Ce et du S.iiiil Kspril , il ne peut entrer dans le
n'est qu'une cérémonie qui royaunie de Dieu. » (Jean III, S.)
témoigne qu'on entre dans la
sociélé des chrétiens. »
Cilvin cl ses suivants disent Kl Jésus Christ dil cpie sans le baplêmft
que le baptême n'est pas né- on ne peu! enln-r dans le royaume de Dieu,
cessaire au salut, l'I que celui (Voyez la ritalioii précéilentc.)
qui l'affirme mi-rile d'rlre sif-
flé. (Instil. I. IV, r. \:\. Ifi.i
LA PRKSKNCK KKKLLK l)K JKSl S-CUBIS T l»A>S I.'l.H II\IU>Iir.
Aux jours de la Réforme, nn peintre lit le tableau de l'institu-
tion (le la Cène. On voyait au inilii u le divin Sauveur distribuant
le p;iin sacre aux Apôiits et prMf(i;ini ces paroles : Ceci est mon
corps; — à droite, un peu plus b;is, l.ullur donnait la cène aux
siens, en disant: Ceci conlinil mon corps; — à gauche, ("alvin
faisait la môme chose, en murniurani : Ceci est la figure de mon
corps. Au fond, l'artiste avait écrit en grosses lettres : auquel des
LFS MI!>(ISTnKS ET I. V r.lIU.F.. 3G 1
trots faut-il croire? Ce labli'au lit bien des conversions. Que nos
frères sépari'S veuillent l>i(;n y jeter un coup-d'ceil ; qu'ils voient
le cas que leurs chefs ont fait de la parole fornieile du Sauveur,
cl qu'ils se demandent qui est avec Jésus-Christ et son Écri-
ture, d'eux ou des catholiques.
Les ministres disent : « Le
Sanveiir n"a point voulu don-
ner sa cliair h manj^er ; c'est
K nne erreur forgée par lE-
;;lise romaine, et pour la coni-
l)altrc, nous nous appuyons
sur la parole de Jésus-Christ,
vu qu'elle seule est la vérité.»
Or écoutez Jésns-Christ (Jean XI, 48 et
suiv.) : « C'est moi qui suis le pain de vie.
Vos pères ont man<;é la manne dans le dé-
sert et ils sont morts. Mais voici le pain
qui est descendu du ciel, afin que celui qui
en mange ne meure point... Je suis le pain
vivant, qui suis descendu du ciel... Si quel-
qu'un mange de ce pain, ri vivra éternelle-
ment ; et le pain que je donnerai , c'est ma
cliair immolée pour la vie du monde... Les
juifs disputaient donc entre eux, disant:
Comment celui-ci peut-il nous donner sa
chair à manger?.. Et Jésus leur dit : En
vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous ne
mangez la chair du Fils de l'homme, et ne
buvez son sang , vous n'aurez point la vie
en vous. »
Et Jésus-Christ dit à Pierre : « Tout ce
que tu lieras sur la terre sera lié dans le
ciel, et tout ce que lu délieras sur la terre
sera délié dans le ciel. » (Matlh. XVI, 19.)
— Plus tard le Sauveur dit encoi'c aux dou-
ze apôtres : «Je vous le dis en vérité, tout
ce que vous lierez sur la terre sera lié aus-
si dans le ciel , et tout ce que vous délie-
rez sur la terre sera aussi délié dans le
ciel. » (Matlh. XVIII, 18)
DE LA CONFESSION ET DU POUVOIR DE REMETTRE LES PÉCHÉS.
Les ministres disent : c C'est
une usurpation et une tyran-
nie de prétendre lier ou dé-
lier les consciences. Nulle
créature n'a reçu ce pouvoir.»
Les ministres disent : «Dieu
seul remet les péchés. Il na
pas communiqué aux hommes
le pouvoir de les remettre.
Les ministres disent : « Il
n'y a pas trace de confessfbn
du temps des apôtres. »
Les ministres disent que Jé-
sus-Christ n'a pas confié aux
hommes le ministère de la ré-
conciliation.
Et Jésus-Christ dit à douze hommes :
« Recevez l'Esprit Saint ; les péchés seront
remis à qui vous les remettrez, ils seront
retenus à qui vous les retiendrez. » (Jean
XX, 22.)
Et saint Luc rapporte dans les Actes
(XIX, 18) qu'à la suite d'un miracle de saint
Paul, plusieurs d'entre les Juifs elles Gen-
tils, qui avaient cru, « venaient confesser
et déclarer ce qu'ils avaient fait de mal. »
Et saint Paul (2 Cor. V, 18, 19, 20) dit
que Dieu , « après nous avoir réconciliés
avec lui par le Christ, nous a donné un mi-
nistère de réconciliation. Car Dieu était dans
le Christ réconciliant avec lui le monde, et
ne tenant plus compte des péchés des hom-
mes: et il a placé en nous la parole de ré-
conciliation. Nous sommes donc les ambas-
sadeurs de Jésus-Christ, ccst comme si
Dieu exhortait par notre bouche ; nous
prions au nom du Christ, rentrez en grâce
avec Dieu. »
3G'2 I.F.5 «I>I^TRF.S LT I.A BIHI.E.
DE I. ^.\^Rf.M^:-o?^CTlo^^.
Calvin et ses successeurs El pourtant saint Jacques s'exprime en cet
n'ont que (l'insullanles p.iro- termes (V, lii: « Ouelqu'un de Vous est-il
les pour l'omlion des luou- malade ? qu'il apprJU- les nrèlreu de JKglise.
rantï. Jamais ils ne portent Que eeux-ci prient pour lui, (|u au nom du
cette onction aux malades. Seigneur ils I oignent d'Iiuilr, et la prière de
la fui sauvera le malade : et le Seigneur al-
légera ses soulTninccs , et s'il a des pérhés
sur la conscience, ils lui seront remis. —
Kt saint .M:iir i-.qipoile (|ue les apùtres «ci-
gnaienl d liiiiic Ix aiiroup de malades et les
guéris.saieiit. > (Mare VI, 1:2.)
Nous 11»' poiiviins nous rifusrr à cilcr iri riioinina;,'*' ({u'a rondu
à ce sa» r«'meni , ((uiiin»' cl ailltiiis à tous les (luj^mcs <■( à loulcs
les institutions catholiques, l'esiuil le plus cIcihIu el le plus pro-
fond de la r<'lormaiion , Leilmil/.. Voici ses expressions dans le
Systema theoloyicum : « L'onction des iniinnes a pour elle les |>a-
> rôles de la Sainte Ecrilure el l'interpiM'iation de l'Église, guide
» siir pour les enilioli(]ues. Je ne vois point quel reproche on
» pourrait faire à celle eoulume. Autrefois elle était accompa-
> gn<!'e (le guerisons niiracideiises; ce don nicrvcilleux, ainsi <pic
• les autres grâces extraordinaires, est devenu moins fn-quenl
» depuis i\Mo l'hi^dise est solidement élaldie, mais ne croyons pas
» qu'autrefois tous les malades lussent guéris par rExlrèmc-Onc-
» lion. Ce (pii reste atijourd'hui . ce (pii restera toujours , rc qui
> ne trompe jamais, c'est la vertu de guérir les âmes convenahlc-
■ ment ilisposi'-es, qui, d'après saint .lacques, remet leurs p«''cliés
» vl augnienie leur loi et leur courage. Jamais on n'a plus hesoin
i de ce secours qu'a l'heure où la vie est en |niil, on, au mi-
» lieu des lerreurs de la mort, il faut repousser les traits enllam-
■ mes de Satan, alors plus violents ipie jamais.» Iri Père de l'K-
glise ne se sérail pas mieux exprime.
Il serait facile de pourstiivre celte confronlation , oii ressort
a\er évidence une flagrante opposition enlre l'enseignement des
ministres et la parole sainte. Ils disent : toute la IJihlr, et à cha-
<pie pas ils troncpieni la Kilile, anirniani le contraire de ce qu'elle
exprime en termes formels. C'est une iiifiaclion p.dpahie de
leur premier principe, el un»' tromperie peruianenle à l'eg.'ird de
leurs crédules ouailles. Kt cependant nous n.non*; pris aucun
I.i;S MlNlSTUliS El LA niIlI.E. 303
lexic en dehors du Nouveau Teslameni; nous n'avons rien cité
de l'Ancien ; nous avons laissé de côlé même un grand nombre
de points sur iesciuols les ministres ne tiennenl aucun compte de
rÉvangilc , malgré leur apparent respect pour ce livie divin.
C'est ainsi qu'ils rejettent le jeune qui consiste dans la privation
d'aliments, et ridiculisent l'Église (■aili(»ii(pio parce qu'elle le
pvatique , quoique plus de dix passages du ÎNouveau Teslameni
en montrent l'usage chez les chrétiens et le recommandent.
Faites foi maintenant à leur parole, après les avoir vus démentir
eux-mêmes si ouvertement leur grand mol d'ordre : La Bible
toul entière!! Ainsi encore habiluenl-ils les bouches protestantes
à répéter cette ignoble impiété : La Fierge Marie est une femme
comme une autre, quoique l'Évangile, outre mille autres éloges,
dise deux fois « qu'elle est bénie entre toutes les femmes ; » ainsi
s'obsiinenl-ils à lui refuser toute marque, toute expression de
sympathie et d'honneur, en dépit de sa parole prophétique con-
signée dans saint Luc : '< Toutes les générations m'appelleront
bienheureuse. » Ce dernier trait suffirait à lui seul pour déter-
miner de quel côlé se trouvent les vrais disciples de l'Evangile.
Toutes les générations catholiques ont respecté et aimé Marie,
la mère de Jésus, et Vont appelée bienheureuse. Toutes les géné-
rations protestantes ont pris à lâche de dénigrer Marie et d'a-
moindrir sa dignité et son bonheur. Personne ne le niera, et tout
homme sensé en doit tirer une conséquence inévitable, c'est que
les générations catholiques, et elles seules, sont avec Jésus-Christ
et sa véritable doctrine.
Le lecteur est fatigué, nous n'en doutons pas, de suivre la sé-
rie de ces contradictions; il n'est pas médiocrement surpris que
les ministres protestants faisant profession de recevoir et de vé-
nérer toute la Sainte Écriture, osent cependant en rejeter lant
de mémorables passages ; il ne comprend pas qu'ils parlent sé-
rieusement et sans rougir de leur respect pour la parole de No-
ire Seigneur. Nous ne le comprenons pas non plus.
Ici se présente une seconde liste d'antilogies dans le langage
des chefs de la Réforme. Ce serait l'énumération des points sur
lesquels la Bd)lc csl muette, et qu'admettent cependant et prati-
quent les protestants contre leur second axiome : Rien que la
.{04 LES MIMSTRES LT LA IllIlLK.
Bihh. Mais ici les déuiils nous conduiraicni trop loin, nous nous
borncriius à (]ii(li|ii(>s indiciiiions.
Kl d'abord li's ministres (|iii crient si fort : rien que la Bible,
de quel droit vienneol-ils s'interposer entre elle ei les fidèles,
avec toutes leurs prédications, tous leuis oatéeliismeseï tous leur s
commentaires? Frandiemeiit , une bonne fois, si la Bible suQit,
pouiipiui y a-l-il des ministres chez les protestants?
Les ministres avancent ()iie rKvanj,'ile de saint Matthieu et ce-
lui (le saint Marc, sont \erilableinent sortis de la plume de saint
Malliiicu et de saint Marc; mais, en \erité , nulle part on ne lit
celte assertion dans la Hible. Ils prétendent que les lettres des
Apôtres, rA|»ocalypse, les Actes, et tous les autres livres du
Nouveau Testament sont inspires; mais, en vérit»-, il leur est
impossible de le démontrer par la Sainie-Écriture. Nulle phrase
connue de Jésus-Christ ne peut justifier, de leur part, celte opi-
nion. Les minislies disent cpiil faut consacrer le dimanche au
culte divin, et il le font. L Kt riture dit au cimtraire «piil faut
sanclitiei* le sabbat ou le samedi.
Les ministres ensei^'nent que les enfants baptisi'-s et morts avant
l'âge de raison, sans avoir pu faire un acte de foi, sont sauvés;
et cependant I K( riture ne dit pas cela, elle dit le contraire.
« G^-Ini qui croira et sera baptise sera sauvé ; celui qui ne croira
pas sera (ondamiié. » Les minislr«s enseij^nenl que la sainte eu-
charistie n'est pas nécessaire au salut des enfants , et ils ne la
donnent que vers Tige de seize ans. Rien, dans l'hcriinre, ne les
autorise à faire celte interprétation; le Sauveur y dit au con-
traire : « Si vous ne mangez la chair (\n Fils di' l'homme, vous
n'auiez pas la vie en vous. » Il ne niei pas d'exception.
Nous lisons dans saint Jean (Mil, lô) que notre divin Sauveur,
avant de distribuer la sainte cène aux douze apùlres , voulut
leur laver les pieds, et (pi'aprés aNoir aclu'^^• cet acte sublime
d'humilité, il leur dit : a Savez-vous ce (pie je viens de faire?
» Vous m'appelez Maiire et Seigneur, cl nous avez r.iison, car je
» le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis Seigneur
• et Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns les au-
» 1res, car je vous ai donné l'exemple, alin (pie ce (pu* je vous ai
• fait, vous le fassiez, vous aussi, n — Je le demande mainte-
LES MliMSTKES ET LA niBLE. 365
iKiiii : quel cas les ministres fonl-ilsde cet exemple et de cet or-
dre lormcl (le Ji-sus-CInist? Quand les a-l-on vus laver les pieds
des lidèlosi' Et s'ils ne le loiit j)as, <nii les autorise à prétériter
entièrement cette leçon de rÉvangile?
Les prolestants se permeltoui de nian[,'er du sang et des ani-
maux suiVoqués, et cependant les Apôtres, réunis tous ensemble
à Jtrivsalem , ont décrété que ceux qui se convertissent à Dieu
doivent s'en abstenir (Âcl. XV, 20) ; et nous ne lisons pas dans
rÉcriiure que cette défense ait été levée. — Les ministres de
Genève donnent le baptême du baut de la chaire; ils jettent sur
reniant, qui est en bas, quelques gouttes d'eau qui l'atteignent
ou ne Tatteignent pas. Eh bien, sur quel passage des Écritures
s'appuient-ils pour choisir celle façon d'administrer le plus in-
dispensable des sacrements? Nulle part on ne lit que les Apôtres
l'aient pratiqué si légèrement; au contraire, lorsque saint Phi-
lippe baptisa l'eunucpie de la reine de Candace, il le fit descen-
dre dans l'eau d'un ruisseau; et la primitive Eglise, on le sait,
conférait le baptême par immersion. — Les ministres ordonnent
de solenniser les jours de Noël, de l'Ascension, etc., en vertu de
quel passage de l'Évangile? Et pourquoi ne solennisent-ils pas,
par exemple, la Transfiguration de Notre Seigneur sur le Thabor,
ou son entrée glorieuse à Jérusalem?
Jésus-Christ aflirme solennellement (MarcXXI, 17) f que ceux
qui auront cru en lui chasseront les démons et parleront de nou-
velles langues, qu'ils prendront les serpents sans danger, que
s'ils boivent quelque breuvage mortel il ne leur fera point de
mal, qu'ils imposeront les mains sur les malades, et que les ma-
lades seront guéris.» — En vérité, nous serions heureux d'appren-
dre que les chrétiens réformés vérifient en eux-mêmes celte pro-
messe de Jésus-Christ. Mais si les vrais croyants de Luther et de
Calvin ne peuvent, depuis trois siècles, citer un seul fait de cette
nature, il est bien permis de soupçonner qu'ils ne sont pas les
croyants de Notre divin Sauveur.
Nous voyons dans les Actes des Apôtres que les premiers chré-
tiens se dépouillaient de leurs biens et les mettaient en com-
mun. Or, de toutes les dames méthodistes qui prônent la lecture
de la Bible, et qui peut-être se figurent bonnement en suivre les
23
366 LES BlflUTRES ST I.A BIBLP.
l('Vf>ns cl les <\<'m|)U*s. nous n'on voyons aucune parinpcr, à la
inaiii« re de rÉvangile, ses hicns et sa forlunr aver les cliréiiens
ses frères. — Jésus-Chrisl a dit forniellemeni et plus d'une fois,
romnie dans saint Luc (MX, 33) : oQuicon<]ue d'entre vous ne
renonce pas à tout ce qu'il a , il ne peut élre mon discijde. >
M. Munier, M. Ollraniare, et les ûmcs fidèles qui les suivent,
n'ont-ils donc jamais lu ces passades? El s'ils les lisent, iK)or-
(|Uoi n'en voyons-nous aucun renoncer ù ses châteaux, à ses l)os-
quets, à sa famille, à ses dix mille ou \ingt nnlle francs de rente,
pour être disciple de Odui qu'ils nomment leur unique Maître?
Faut-il donc se donner tant de [)eine. faui-il s'époumoner et
nous assourdir en répétant : la Bible! la Hihie! touic la Bible!
pour n'aboutir qu'à faire fi de ce que dit la Bible !!
Nous nous arrêtons ici. Un utile cnseif^nement peut surgir,
pour nos frères séparés, desquebjues remarques tracées dans ces
pages. Ils s'apercevront, nous n'en doutons pas, (]ue jusqu'ici ils
ont passé bien légèrement sur une foule de textes très-impor-
tants. Ils conf liironl «jne cfus t\u\ les conduisent , ou bien ne
connaissent pas la Sainle-Kcrinuc, ou bien prennent à tâche d'en
voiler, d'en défigurer le sens dans leurs discours. Ils recpnnaltront
que les catholicjues, sans en appeler outre mesure à la parole
écrite, s'y conforment ce|)endant beamouf) mieux (ju'eux.
Enfio, ils scntinmt profondément le besoin d'une autorité qui
détermino la portée et la signification du texte sacre, aussi bien
({uo la b'gitimité de la tradition sur un grand nombre de points
de dogme et de dise ipline. Celte auloriH' et celle lia(liti(»n <'ga-
lemeul indispensables, ils ne les cherclieroni » i m- 1rs ir(»uviionl
pus en dehors do l'Église catholique.
HISTOIRE DE L'ARCHITECTURE SACRÉE
Du Miialrième au dlvième siècle, dans les anciens évé-
chés de Genève, Lausanne et Sion,
Pnr J.-D. RLAVIGNAC, architecte (1). I^usanne 1855. (Bri.lel, éditeur.)
Per visibilia, iiivisibilia demonstramus.
S" Gregorii Episf.
(nucxiKME article).
Ce^i.^.„^traiie de l'histoire des monuments du IV au
A s.ecle; c'est-à-dire de la période la plus obscure, la plus
d.ftic.ie, la moins explorée de l'archéologie chrétienne. Cette
remarque serait vraie dans tous les pays, à plus forte raison
doit-elle être maintenue pour le nôtre. Aussi est-ce sur un^ ma-
tière complètement neuve que s'exerce M. Blavignac. Les trois
d.oceses de la Suisse romande ont attendu longtemps un histo-
rien de leurs églises; mais, plus favorisés que bien d'autres ils
aiuonl des l'abord trouvé un historien unique, embrassant im-
médiatement le sujet entier à la clarté de vues d'ensemble- di-
nge par un système d'explorations qu'entourent les garanties
d un savoir seneux non moins que celles d'une expérience labo-
rieusement conquise. Or ceci est un grand avantage. Tandis
qu ailleurs il faut chercher les matériaux dans une foule de mé-
moires ou de travaux épars, sans connexion de pensée les uns
(1) Un vol. in-8 accompagné d'un alias renfermant 800 dessins.
atiS HISTOIRE DE LARCHITErTL'RE SACREE.
avec les autres, souvenl médiocres de scienrc el pru autorisés
i.ar les études antérieures des auteurs; ici nous sommes en pré-
sence d'une œuvre .p.i porte ren.preinte d'une pensée uniforme,
eu présence d'un homme du métier, el n<.n pas d'un simple
amateur peu expert pour juj^cr .les pr...éd..s .le construction .-t
d^ h disposition des mai.riaux ; .-n prés<-n.v d'.m homme .ndn
qui ..)nnaii Ihistoire, eompéienl . par (onséquent , pour opérer
entre les événemenls el les édifices des rapprochements toujours
instructifs.
L'ne (luesiion importante dans rhist..ire de 1 architecture esl
celle des régions monumentales. Elle frappe tout d'abord M. Bla-
vi^nac el ses recherches vi.-nnent à l'api'"' *'« eux qui en oui
n^essenti la valeur. Or l'on conçoit fa.ilement .pie celle cpies-
tion n'ait pu être abordée avec connaissance de cause que f..rl
rcc.Mum.nt. L.s . unh'S ar.héoloj,'i.pu-s prirent naissance il y a
irent.' ou .p.araul.- années en An^l.'t.Mre ; d.' là le /.èle pour les
vieux monununts se repandit en N..rmandie. M. de Caumont ,
qui a fait autorité si vite, appli.pia à la France les classilicat.ons
failes en Angleterre; touL.fois il les luo.iif.a avec ^ij.'ac,te, el
dans son .>uvrage , précieux par W m..uvement (^4^^.<:«t.on
qu'il a inaugure, nou-s voyons poiiidn; des divis \,.ny.\\v^.
Mais ces travaux de M. de Caumonl .1 de son école s.- sont sur-
tout appli.p"s aux monuments de la riche période gothique qui
s'etcn.l du \ir au XV sic. le. Les huit siècles anléheurs , con-
nus sous le u.»m de période r..mane ou romano-bysantme , n ont
pas élé l'objel d'un intérêt aussi vif; «les monographies assez,
nombreuses cependant ont porte le jour sur les .glises de celle
époque; mais il faut reconnaître, .piani à l'ensemble , que
le. classiliculions propos.es sont loin «le r.-n.lr- compte d.^s faits
..ccomidis. Il faut a.-.M.r.ler aussi .p.une noinem laiure générale
Cl uml.>. me .les muuuments sacres do celte longue p^Tiodc esl
bien dilUcile, sinon inabordabl... M. Ulavi.Miac, en s appliquant
uax edili.es .1., la Suiss.. r..man.i.., a bien vite reconnu l impos-
sibililé .le les Ua. rentrer dans les .ad.es de class.ficauon d..,à
couvenus. Par suite des ciir.mstances politiques, noire pays se
tn.uN-, .uianl à la culture inlell.ctnell.. el artistique, en avant
d.. tous l.s autres jus.pi'au M' siècle; des églises comme celles
UlâTOlUK Dli LAKClllTLCTUUE SACllÉE. 369
de Grandson , Nolre-Daine de Neufthalel , l'abbaye royale de
Payeine, sonl des exemples fort rares avant le X' siècle; ils
sont une prérogative qui dislingue nos diocèses des pays voisins.
En prcsencc de celle v«'gélation parlicidière, force élail de déli-
miter une régional do produire les caractères d'une classification
spéciale; c'est ce (pi'a fait M. Blavignac. Quand nous disons
clà&àilîeaiion , l'expression sert mal noire pensée. M. Blavignac
a garde de classer des monuments comme des objets d'histoire
naturelle. H cherche à déterminer les caractères dos écoles ar-
lisii(pies qui se sont vouées ù la construction des édifices. Or
c'est là le seul procédé convenable en pareille matière. Quelle
étrange idée que de traiter des monuments comme des objets
inapimés; comme s'ils ne relevaient pas de la pensée de l'homme.
Pourquoi les écoles d'architecture ne seraient-elles pas appré-
ciées dans leur génie intime, de même que les écoles de peiniu-
res ? Aussi la lecture du livre de l'architecte genevois a-t-elle
pour premier effet de faire suspecter ces nomenclatures où les
édifices sont considérés comme des couches d'animaux fossiles
superposés à l'exemple des terrains géologiques. Pour lui, il ne
cherche pas dans la présence d'un arc quelconque des caractè-
res pour grouper des monuments, ainsi qu'on le fait avec les for-
mes des pattes pour des oiseaux ou celles des corolles des fleurs
en botanique. Disons tout d'abord que les idées nouvelles
émises par notre historien sont un fait considérable en archéolo-
gie. Si le système qu'il propose pour les trois diocèses est fondé
en droit, il ne saurait manquer d'avoir un retentissement sur
l'histoire monumentale des régions voisines de la nôtre, et même
de la France entière. Aussi son ouvrage doit-il mériter l'attention
la plus sérieuse de la part des hommes compétents.
M. Blavignac distingue quatre écoles architecturales du IV®
au .V siècle.
I. Ecole gallo-latine, du IV' à la fin du VP siècle.
II. Ecole sacerdotale primaire, du VP au IX° siècle.
m. Ecole carolingienne, IX' siècle.
IV. Ecole sacerdotale secondaire, X' siècle.
M. de Caumont désigne ces quatre périodes sous le nom de
période romane primordiale, s'étendant du V® siècle jusqu'à la
.'iîO UISTOMih Ut L AlU-lintCI l ht sacréc.
Cil du \*. On voit la ilifférencc. Sans insisicrsur Icgécoles inter-
médiaires, on voii qu'en Fnince et surtout en Mormandie, où
écrit le savant archéoiojiîue , la |>ério«le d«' transition du [deiii-
cinlre :\ l'ogive, que M. iJlavignac place dans nos diocèses au
\* siècle, ne commence «ju'à la fin du M' siècle.
Ecule gallo latine. — l^a foi chrétienne fut annoncée dans les
Gaules, dont la Suisse romande faisait partie, dès le temps des
Apolres. Notre pays parait avoir été évangelise au second siè<le
de l'ère chrétienne, j)ar des disciples de saint Polhin et de saint
Irénée , «jui gouvernèrent tour à tour l'héroïque chrétienté de
Lyon. Le christianisme, qui déjù comptait des initiés dans le pa-
lais de Néron, ne tarda pas à se répandre dans l'armée, et l'on
sait que les légions loinaines porleient la foi du irucilie dans les
colonies les plus éloignées de l'empire. Si bien qu'au lY* siècle,
au luonuMil de la conversion de Constanlin. il y avait des évéques
dans toutes les villes de quelque importance. Ces chrétientés,
peu de temps après leur naissance, subirent le baptême de la
persécution. Il n'est pas d'histoire plus populaire que celle des
marlvrs de Lyon, et nos pays conservent un souNcnir précieux de
(Cite légion de HGOO hommes connue sous le nom de U-gion
Thébéenne, qui fui massacrée en entier dans une plaine du Bas-
Valais, le 22 se|)l('nibre de l'an 302 , ei donna à la Suisse ses
premiers patrons. O fut des ces tenq)S recules, au milieu dune
civilisation toute latine, que se constituèrent les trois diocèses
de la Suisse romande : Genève vers 360; Avcnches, plus tard
transft'ré r\ Lausanne, p.ir saint Marins, en idô; enlin saini
Theudule, le premier <'\è(pu' connu du \ allais, parut en 381 et
390 aux conciles d'Aquilée et de Milan. Tout est plei» du si»u-
veoir «le Home dans ces couimencj-meuls; le génie latin, qui
avait fondé ces coloni»'s, ces municipes , ces métropoles, enfin
toute cette civilisation conquérante établie sur les confins de la
barbarie, avait inspiré ces sénats d'évècpies «pii eonsliiuèrent
dans ces pays loinUiins runiK- de croyance et de dis( ipline qm
caracleriM- l'I-^glis»* calholiqiio.
Cependant les invasions (406 et 407) commenceot ; les barba-
res ravagent le pa>s; les villes sont dcliuiics; Aven(h<s, une
HiSTOinE i>E l'auchuectdre sacrée. 371
cité opulente , devient cet amas de ruines dont Ton contemple
encore les restes. Les Burgnndes s'établissent dans la vallée du
Léman : Genève devient la capitale d'un grand État, qui est le
premier royaume de Bourgogne. De la civilisation romaine,
il ne restait que le clergé catholique debout sur les ruines
aïKQncelées par le vainqueur. L'Église va au devant de ses
nouveaux maîtres et les convertit au christianisme. Les diffi-
cultés ne disparaissent pas, pour cela, car les Burgundes sont
inl'ectés d'arianisme par Gundisch, un de leurs rois. L'arianisme,
ce compromis rationaliste de ce temps-là, persécute l'Église, la
met en péril et domine jusqu'à la mort du roi Gondebaud, dont
le fds saint Sigismond revient à l'orthodoxie; puis, après de nom-
breuses guerres, la Transjurane est conquise par les Francs mé-
rovingiens qui dépossèdent Sigismond.
Ce sont les monuments sacrés construits pendant cette période
que M. Blavignac étudie sous le nom d'Ecole gallo-latine.
De ces constructions primitives, il ne reste rien ; à peine quel-
ques vestiges, des débris de fondations, des inscriptions mutilées,
des pierres éparses, quelques souvenirs traditionnels enfin, mal-
heureusement aussi confus que le reste. Ces premières églises,
on le conçoit, furent humbles comme les chrétientés qu'elles de-
vaient abriter; souvent on construisit en bois et môme avec
habileté, car l'on reconnaît la trace de ces charpentes se mêlant
plus tard aux procédés de l'art greco-romain. Des monuments
aussi précaires devaient subir mille hasards : ceux des incendies,
ceux de la guerre, ceux des migrations forcées des habitants.
Trois églises, toutes les trois placées sous le vocable de saint
Pierre ès-liens, ont précédé la cathédrale actuelle de Genève, dont
les parties les plus anciennes remontent au X^ siècle. Ce n'est
que par voie de conjecture, au moyen de vieilles fondations re-
trouvées sous le pavé de la dernière cathédrale , que l'on induit
quelque chose sur ces vieux témoins du catholisme à Genève.
Quelques marbres provenant de la première église , employés
vers l'an 500 à construire un mur d'enceinte , sont décrits par
M. Blavignac. L'un d'eux porte le chrisme monogramme com-
posé des deux premières lettres du mot Christos. ,
Au commencement du W siècle, le roi bourguignon Gonde-
bîiuil lit conslruiif, sur r('m|)lacc'iiu'nt dr la prcnii»To catliédralL',
un é«lilic«' i< rmim; par saini Sigisniund son tils, <*t (lonl la (U'iW-
Licc fut C(':lobrt'e pnr saini Avit, métropolitain de Vienne Tan
516. M. niaYi},'nac croit avoir reirouvc, vu 1850, dans If sol de
rofs'lisc artuelU', un fr.i;,Mni>nl de lot rdificc. C'rsi un pan de
uiur dont les juintoyonicnts ro^rcsentciii un treillis, souvenir de
la (ItNoralinn en cliarpcnicrie ; des poteries île ninsiruction sont
encastrées dans le bloca^'e de (elle uairaille.
L'église Si Victor, églised'un couvent souvent cité dans l'histoire
de Genève et dont le nom d'un de ses prieurs , Bonivard , moine
aposial tristomenl mc^Ié aux événements <|ui prér«''dèrent la f\é-
lurme, a perpétué le souvenir, dat»î de la dernière moitié du V*
sièclCk C'était une église circulaire, comme Saint-Vital de Ra-
veime, comme la latlifdrale d\\i\-l;i-<!liape|le. Kilo fut démolie
en 1533; les fondations furent reconnues au \\ UT siècle.
L'edilice vraisemblablement construit en bois par le roi Gon-
debaud, iraurait duré «ju'un siècle , car une trailition veut que ,
vers la 6n du M' siècle, une troisième cathédrale de Genève soit
bàlie par (ioniran , roi d'Oileans et de Houryogne. Les fouilb's
opérées par M. lJlavi<,'n;H' ne lui ont pas permis de restituer avec
ceiiiinde le plan roinplet de j'edilice; mais il a démontré que ce
dernier était accumj)agné d'une constniciion eiictdaire de vinj;t-
cinq piods de diamètre et qui a pu servir de baptistère. Des
fi-a^mcn(s de Miulpi res polychromes provenant de cette église,
ont été re;r<''i\»s * es fiagmenis sont extrêmement im|>ortants,
car ils iow ', \ p' ni) re apparition dans nos pavs de Part nouveau
et de h siatuaire rhrétienne appliqué-e -^ la décoration monii-
m<>nlaie. I '.n ; in s.i livre ici à me dissirt;iiion inti'ressante.
l>a preraiff' ';-:•• e abbatiale de Saint-Manri< •', flans ré-véche
de Sion, romoate au IV* '8îècl«. Théodore, évéjjue du Valais,
nisidani .dors; <>( todtirum (Marliçîny'*, l'avait fondée longtemps
avant sn mort '<!H\ Au Vl* siècle, le roi bourguignon saint Si-
fpsmond , qui ivaii !d>juré l'arianisme h Saint-Maurice, recon-
struisit l'abbtye ared ano extrême magnillcence. dette ép^lîse de
saint Si;. i ' " consoen'e m ;"»17. O ne sont lil d'ailleurs
que les ; ■ irjssilufles. l/abba\e « elèbre, le but de l.inl
«le pèNrina^, a cl»? reconstruit» p!usieur!J foi»; îl nr reste
MISTOIIIE DE L'AKCIUTIiCTUUE SA(MlÉL'. 373
debout aucune j)ar(i(' (juc l'on puisse raisonnablcmenl faire re-
monter à cette époque priiniiive.
Ainsi des souveniis do raicliileclure des derniers siècles de
l'empire romain apparaissent dans les monuments religieux de
cette première péi'iode; loulelbis le souille de fespril nouveau se
fait sentir soit dans les dispositions syml)oli(iues du plan de l'é-
diûce, soit dans les ornements.
Ecole sacerdotale primaire du VI" au IX' siècle. — Il n'est
pas de pays plus redevable que la Suisse aux institutions monas-
tiques. On ne peut remuer un seul instant la poussière qui re-
couvre les annales de ces siècles laborieux du moyen âge , sans
trouver la trace de ces foyers de lumière. Au moment où il sem-
blait que toute civilisation fût en péril, ils entretinrent, à l'om-
bre des cloîtres, le feu sacré des lettres divines et humaines. Us
plantèrent nos vignobles ; ils conservèrent les traditions de l'a-
griculture. Ce serait toute une histoire à faire que celle de ces ins-
titutions; mais il faudrait pour cette œuvre la plume d'un écrivain
catholique, car les historiens de la Suisse romande qui ont traité ce
sujet jusqu'ici, n'ont manifesté ni une suffisante impartialité, ni
surtout une connaissance assez exacte de la doctrine catholique,
pour ne pas commettre volontairement ou involontaii-ement les
plus incroyables bévues (1). Déjà nous avons assisté à la fonda-
tion de l'abbaye de Saint-Maurice, et voici que le cours du récit
de M. Blavignac nous amène au pied des vénérables murailles
de l'église de Romainmotier. Or, qu'était-ce que Romainmotier,
ce monastère perdu dans une gorge sauvage du Jura? Romain-
motier, comme Saint-Gall , comme Reichnau , est une fondation
du moine irlandais saint Colomban. Le peuple irlandais, dont on
connaît mieux les malheurs et la servitude moderne que les glO'
(I) Nous avons l'espoir de voir prochainement combler cette regrettable
lacune pour le diocèse de Lausanne. Il existe une liistoire des é\ èques et des
institutions monastiques de ce diocèse, écrite par le R. P. Schmidt, rcdemp-
toriste. Ce vénérable religieux fut contraint de s'enfuir de Fribourg en 1847,
après le sac de son couvent par Tarmée fédérale. Il se réfugia à Genève, où
il a achevé son travail. Après sa mort, survenue en 1852, ses manuscrits ont
été remisa Mgr 31arilley, qui a pris l'engagement de les publier.
371 IIISTOIME DE l'aRCUITECTUBE àACKÉE.
rieux scrviics des temps passés , fui par excellence le peuple
iiMNsionnaire des (-potpies liaritarcs. Il couviii de ses travaux les
Gaules nuTOYio^iennes. Saint Colonihan parut à la cour ilu rui
(i(»nlr:in; puis, sui\i de dise ij)lt's fidrics, il s't'iifonra dans les fo-
rêts de rik'lvétie. LU petit nund)re de pn^lres dispersés duus
les anciennes villes romaines suilisaient à peine alors à garder
les ruines des éf;lises, el ne |>ouvaient pas achever la conversion
des conquérants. Toutes les hordes n'uN aient pas à leur tête
des Clovis pour les entraîner vers le haptérne. Ce fut vei"s ces
peuples redoutés «pie se tourna le prosj-lytisme des Irlandais. Le
succès ne se lit pas loni^hinps attendre, les missionnaires du
Nord fondèrent de nomltreux «'lahlissemenls ; en outre, ils rani-
inèit ut le /ele des cloîtres déjà existants. Il \ eut <|uelquo chose
de «ela pour Homaiiimoiier, car avant l'apparition des mission-
naires irlandais, il y avait déjà un sanctuaire et une maison de
prière dans cette vallée (I).
Les moines irlandais, comme tous les moines catholiques, ne
|»rê( haient pas si-ulenx'nt par la |)arole et lexemplr d'une vie
pénitente, ils [)réeliait'nl aussi par l'art, ce grand mobile de l'É-
{çlisc catholique pour manifester la présence sensible «le N. S. J^
sus-Christ dans le monde à travers le temps. Aussi voyons-nous
les disciples de saint Colond)an laisser une trace durable de leur
passaj^e dans les «i-uvres architecturales élevées sous leur direc-
tion. On reconnaît leurs protédés de constriiction depuis le* ri-
ves de la Sa<'»ne et du Hhin jusque sur les bords de l'Adriatique
(i; M. <lc (tiiigins, dans lu |iicfuc<* <|(ril pbcr un devant du Cliatiulairr de
Rnmainmotïpr, ptibl'n? sons les auspices de la Sorit'lt' d'Histoire de la Suisse
romande, assure qu'il ri'snlte de l'exnmcn de plusieurs doeumcnls : I* qu'un
rmiil»Ke renoiwniu existait dans la vallée i la lin du VI' siècle; 9* que dans
la priMuièie aiiiice du siirlc suivant, cet ernntaj;e fui roiixerti en niimastèrc
et diilcpurtînnlrnn, roi de HourKonc; ô* que vers lan (iiti, lediw llauiMelène,
);ou\rrMeur tic la Transjiiraue, fit hilinin moiia.stt're plus ronsidérable. (,'e fut
vraisemlal)l)|einent celle dernière fondation qui sidùl linfluenre des moines ir-
landais. Le nom de llumainmolierfutdonnc àcc monahtèrepar le Pape Kltenne
II, qui y lit séjour en se rendant en France auprès de IVpMilclJref, potir sollin-
Icr sa protection contre les Lombards qui dûsulaienl l'Italie. /Omuinum mo-
nnstrrium roravil, dit le Cliartulairc après avoir énumdré les faveurs spiri-
luelle* r( temporelles dont le con\cnl fut combl»' parle PonUfe.
iiiSToiiii; ui; LAnciiirLcriiiE sackéiî. 375
et les Noisants des Apennins. Los formes ludimenlaires do i'arclii-
todure do Ronuiinniolier se distinguent à Sainl-Philibcrl do
Tonrnus , à Saint-Marlin de Colofjno , à Sainte-Marie du Capi-
tule, dans la niènio ville, enfin, au baptistère do Kavonne, dans un
travail de restauration évidennncnl postérieur à réieelion de l'é-
difice. Ce trait monumental qui communique une physionomie
caractéristique aux églises que nous groupons ici sous la direc-
tion de M. Blavignac, consiste en un système d'arcatures séparées
de deux en deux par des bandes murales. Ces bandes murales
sont parfois remplacées par des colonnes ou des pilastres ornés.
Appliqué aux murs extérieurs, ce système n'est plus un simple
ornement, il devient le premier indice du contrefort, cet élément
destiné à jouer un rôle prodigieux dans les développements ulté-
rieurs de l'architecture catholique.
Considérée dans son aspect général et dans ses détails , cette
architecture monastique des premier temps offre sans doute des
formes incultes, des traits grossiers. L'appareil de construction
accuse l'ignoiance des procédés habiles, plus souvent encore
l'indigence des matériaux et l'exiguité des ressources; mais à
travers ces hésitations, quel sentiment puissant de l'idéal! on
sent qu'un souille nouveau est venu animer celte architecture
gallo-romane, trop comptable encore de l'ornemenlation anti-
que. Le symbolisme s'était bien accentué dans les figures , dans
les peintures polychromes qui tapissaient les murailles dans ces
signes mystérieux dont, dès les catacombes, on avait multiplié la,
présence. Déjà quelques timides modifications apportées au plan
de la basilique primitive trahissent des efforts; après tout, les
édifices sacrés demeurent restreints dans leur étendue. Il fallait
que des moines, animés d'un sentiment liturgique profond, arri-
vassent pour donner cette impulsion, qui ne s'arrêtera qu'après
avoir édifié l'abbaye aux Hommes de Caen, la cathédrale d'A-
miens, celle de Cologne et tant d'autres monuments qui
aspirent à réaliser, dans leur immense étendue , l'idée de
l'infini , ce tourment do tous les cœurs d'artistes vraiment
chrétiens. Quand on considère ces églises étroites et basses,
ces nefs recouvertes de voûtes en berceau , imparfaites encore ,
mais où les fenêtres rayères s'accouplent ; ce plan où les res-
37(i inSTUlht DE L AIlCIilTiitrrUKE SACRÉE.
sauts il les ahsidt's se inultiplii>ni , on st'nl louic la >^nilé de
re\|ilic:uion <|iii attrilnie à ravèncnii'iit de Tare aij'u (ogive) le
déveluppcinent de l'anliiUi liiictatliolifiiicau \\V siècle. Ce dé-
vcImpim'iiicui lie piuviftil pas de la dcroincili' d'un aie, inaisl)i«'ti
d'uni' inipnlsioii atiisilipic , par coiisètpirnl idfal(>. Des moines
(pii sanciili^'ht leurs veilles par le rliaiil de ToHiee divin, ei lem"S
jours par l'étude, le lonroivi-nl, et ce sonleux «pii, duranl cinq
siècles, diri^'eni ses propres el lui [>r<'parenl son iiumcrtelle des-
tinée.
L'élude de M. Blavif,Miac sur Uomainniolier est des plusinstrnc-
livcs. Mais nous devons renvoNer au texte de l'aiileur pour plus
tie détails, (i'esl une verilalde révélation (pu- la description île
celle (urieusc ubbnyc cachée dans un vallon pen Iriipienti'. Un
intérèi puissant s'attache à ce spécimen si rare d'une église du
Xll' siècle. Pour l'auleur, c'est une i'orlune archéologique.
M. Blavignac groupe autour de l'ahbaliale de Komninniolier
les restes de l'église conventuelle «le Saint-Sulpice, sur les bords
du Léman, entre; Lausanne; el Morges. Cette église est construite
d'après les nii-mes pi'incipes que Komainiuotier. L ne circonstance
rend ces restes doublemenl précieux : il se trouve que l'abside
quia «Mé reconstruit à Homaiinnt»tier existe à Saint-Sidpice dans
sa pureté primitive.
Le clocher de l'église d'Orny, Ti-glisede llrelonnière, dans le
dio<'èsc de Lausanne, sont rapporlé«es par M. Blavignar h rjcixc
.epoqtie recidee. Il en rapproche aussi une crvple existant sous
l'église actuelle de Sainl-(îeivais , à (Jenève. dette rr) pte porte
en effet les caractères d'une consiinciinn |»ien antérieure aa ^-aste
et UH'dioi re «'dilice qui couvre W sol aujourdhni, leepiel ne date
que du \\ ' siècle.
I^e (;h.ipitre se termine pai- lui rapfirochement opéré entre l\o-
mainmotier, Saint-\ incenl de MAcon et Saint-Philibert de Tour-
nus. Celte dernière églis«> offrait a M. RIavignac un trop remar-
quable exemple d'ar< aliires à bandes muiales pour (|u'il ne frtt
pas lente de laire en sa faM nr une exception, en franchissant les
limiU's de sa région. Pour nous, nous ne satuions (pie regretter
de Aoir l'auteur se montrer aussi sobre de ces excursions , car
cIIm sont |)our lui l'occasion d'établir des termes do comparai-
son fort instructifs.
HISTOIRE DE l'aucuitecture sacrée. 377
Ecole caroUiK/ienne, /.V" cl commenrement du A" siècle. — Les
hisloricns du moyen àjjfe (|iii ont eu cours jusqu'à présent consen-
tent à représenter le règne de (^arlemagne comn)c un point lu-
mineux dans une nuit obscure. La prévention et surtout l'igno-
r.ince, seules peuvent autoriser ce procédé facile pour fran(;liir
sans travail des temps ingrats. Nous n'accordons pas (|uc cette
nuit ail existé. Une époque, qui produit des institutions monasti-
ques telles que le Mont-Cassin en Italie, Luxeuil, Bohhio etSainl-
Gall, CCS trois trois grandes ahbayes qui marquent le chemin de
l'apostolat de saint Colomban, les écoles saxonnes de Canlorbéry
et tant d'autres lieux d'c'ludes qui se rangent autour des cloîtres
et des cathédrales; des hommes tels qu'Isidore de Séville, saint
Grégoire de Tours , Bede et Alcuin , pourra passer pour une pé-
riode difficile, mais à coup sûr elle ne méritera jamais les mépris
qu'on a prétendu lui infliger. «L'histoire littéraire /dit un sa-
» vaut histoiien de ces temps reculés (l), ne compte qu'un petit
«nombre de siècles inspirés; elle connaît beaucoup de siècles
» laborieux. L'inspiration est une grâce : elle est d'un lieu et
» d'un temps, elle vient, elle se retire. Le travail, au contraire,
» est une loi; il est par conséquent de tous les temps; et Celui
«qui en a fait la condition de l'humanité, ne souffre pas qu'il
«s'interrompe jamais. Cependant, on s'arrête avec admiration
«devant l'âge d'or des littératures, aux courts moments où le
» rayon d'en haut vient éclairer l'époque de Périclès, d'Auguste,
» de Léon X : on n'a que de l'indifférence pour les périodes mé-
» ritoires qui d'un âge à l'autre ont conservé la tradition litté-
» raire. Nous ne savons pas tout ce qu'il a fallu de courage à des
» hommes assurés qu'ils n'auraient jamais les applaudissements
» du monde , pour se vouer à cette tâche obscure d'étudier, de
» commenter, de conserver la pensée d'autrui, la parole d'autrui,
» la renommée d'autrui. Il y a pourtant quelque attrait à s'enfon-
» cer dans ces siècles injustement délaissés, à voir de près le
» travail dans toute son aridité , le travail sans gloire , mais sans
» lequel plus tard l'inspiration serait inutilement descendue sur
» des âmes incultes. C'est le spectacle des temps qu'on appelle
(1) Ozanam. Études fjermaniqucs. T. II, ch. 9.
37^< HISTOIRE DE l'auciiitecti'hk ttAKée.
> l);ii l>:ii-«-.s, <ioiit il ne faut |>ns nior la liuihaiic, mais qu'on nii-
« rail cru moins ij^'imranls, si ou les a>ail iimiiis ij^noivs. »
Ce <iiii ne Nriii |i:is ilin- i|iir nous contosions i'iW'Iat du n*gnft
de riiailt'ina;,'!!»-' ; mais sfulcmcnl (jiic cfiic lumiôrr n'aiiraii pas
sa raison il'i'lie, si les siècles précédents ira\aicnl conseiv<r l'é-
lincclle. M. Blavi{(nac pense de nuîme, et nous l'avons vu, ses re-
cherches sur l'école archiiecturnle suscitée par la venue des
moines d'Irlande, jetiont un fjrand jour sur la j^'f-nération monu-
niiiilale (j'ii fireceda la venue du célèbre empereur. Sons son
règne survieiinenl de nouvelles influences; l'art romain est remis
en honneur; une innuence hysaniine est lrfs->ensilde surtout
sjar les bords du Hhin, qui furent à ce moment un point |iri\ilé-
gic; mais rinlluence que l'on peut appeler locale , <|ue nous ai-
merions mieux appeler litur}^ique , de l'architecture monasliqiif
du \ II*" siècle, se prononce aussi : c'est elle, en detiniiivc , (]ui
prévaut au milieu d«'s courants opposés; <'est elle surKMit <]ui
maintient le plan sacerdotal el ses développ«Mncnls syniboliques.
L'architecture «•arolin^'icnne < ompiera bien des élémmis partiels,
les coupoles, le chapiteau cubiipir, |>ar exemple . (jiii viennent
d'Orient; des souvenirs plus précis encore de l'an romain ; mais,
pour cela, il n'y aura pas d'imitation servile; vous ne \ernv,
pas la croix ^r<'('<)ue de Sainte-Sophie se reproduire intarie sur
les bords du Hhin ou dans nos vallées romandes. C'est ifttîjouis
le plan ccclésiasli(pie (pii demeure, et ces éléments étrangers,
.ippropriés , transformés, utilisés avec art par une conception
nouvelle, se fondent dans un ensemble (Tune incoolestable ori-
ginalité.
Trois écoles d'architecture doivent être distinguées au temps
de Charleinagne. M. lilavigiiac les (pialilie sous les litres d'écoles
Normande, Hhenane et Khodanique. L'école rhodanique s'étend
jusqu'à la Méditerranée; les monuments (pii en relèvent presen-
lenl le <ha|>iteau < orinthien renouvelé texiiiellemenl des Ro-
mains. C«'U\ derciole rhénane sont décorés du chapiieau ciiboidc
venu d'Orient. Quant aux monuments de nos trois évéchés , ils
présenit'iil uiM' fusion des caractères distinciifs des é<'oles (-aro-
lines du Midi et du Nord; toutefois avec une prédominance vi-
sible des principes de l'école sacerdotale des siècles précédents.
Beaucoup de gens , en traversant la petite ville vaudoisc de
HISTOlUr. DE L'vnCIIITECTUnE SACRÉE. 370
Grandson , sui' los hords ilii lac (!<' NeiicliAloI , se souviennent
de la défaite de l'arinf'e bourguignonne, si décisive pour la
destinée de Charles-le-Téméraire ; mais personne ne songe à
visiter l'église paroissiale : elle est aussi ignorée que remarqua-
l>le. Flspérons que la description de M. Blavignac lui vaudra
queNpic attention, elle en est digne à tous égards. Car pour cette
période carlovingienne, elle est un type aussi important que
RomainniMticr pour l'école sacerdotale primaire.
Une tradition locale veut que l'église de Grandson soit un an-
cien temple païen. Au premier coup-d'œil, on la prendrait plu-
tôt pour une basilique piimiiive; mais un examen plus appro-
fondi y fait reconnaître l'art catholique des écoles carlovingiennes.
Bâtie en croix latine régulièrement orientée, cinq travées sépa-
rent la nef des bas côtés. Les arcades de ces travées sont à plein-
cintre. Elles reposent sur des colonnes dont les fûts , en marbre
ou en granit, sont antiques pour la plupart et proviennent des
ruines d'Avenches. Une série d'arcades appliquées décore les
bas-côtés. La voûte de la nef centrale est en berceau; celle des
bas-côtés en quart de cercle; sur la croisée est une coupole rec-
tangulaire portant le clocher. Détail singulier, les voûtes du
transept sont en berceau et leur axe parallèle à celui de la
nef. On voit un retour aux principes de l'antiquité dans ces
colonnes ravies aux monuments romains et dans le système
des arcatures : la coupole trahit une imitation des dômes des
bords du Rhin. L'ornementation est des plus curieuses; les cha-
pitaux , tous variés , sont couverts de figures symboliques et de
feuilles végétales. Il faut étudier ces essais de la sculpture chré-
tienne de nos pays dans les beaux dessins de M. Blavignac; as-
surément ils épargneront bien des recherches , même à celui
qui contemplera l'original, car les intentions de ce symbolisme
ne sont pas toujours aisées à découvrir.
De Grandson, M. Blavignac nous transporte en Vallais, à Cla-
ges, village situé sur la route du Simplon, à deux lieues de Sion.
On trouve là une petite église sous le vocable de saint Pierre ;
elle fut érigée sur le lieu où saint Florentin, second évéque
d'Octodurum (Marligny), souffrit le martyre vers l'an 407. Saint
Pierre de Clages est un spécimen fort curieux des formes affec-
3'S() IIISTJllhR r»E l'aRCIIITECTURI; SAChtt.
U-cs |);ir l'an larlovin^ioii dans la Suisse iniTidionaU'. Ici plus
(le sou\('nirs des liords du Uliin, cneore moins do léminiseeoces
romaines. Le niouumenl poric au plus liuut |x>int lemproinie
dos l'colcs saci;rdoiales |)iimaii'i'.s. Par les formes, par 1»'S diuicn-
sioiis , par l'analogie des dt.'tails , Saiiii-l'ierre de (Ja}{es nous a
rappelé la célèhre abhuye de Sainl-Guillicin-du-I)ésorl «n Lan-
^u»'doc. Le cluchcr, de forme ocU)j;one , se divise en deux éia-
ges.
M. Blavignac rapporte encore à l'epoifuc eurolingienne le rlo-
oher de l'église Suinln-Magdelcinc ù Genève. Ce cloclier csl un
reste d'une ancienne église qui précéda l'édifice a<luel , lequel
ne remonte (|u'au W^ siècle : il piésente l'octogone caraeiéris-
lique de l'époque Caroline. C'est d'ailleurs une œuvre rudimen-
taire.
Le clocher de la ( alhediale de Sion oUVe trop de rapports a\ec
Saint-Pierre de Clages, pour qu'un rapprocliemonl entre ces
deux monuments ne soil pas facilement opéré ; il est carré ,
mais roilngone se dessine dans la pyramide tormiiiah'. La tour,
roctangidaire, est (,r('nolée connue celle de Sainl-Mailiu d'Ainay
à Lyon, monument qui lut ( oiisdtiit très-prohablement ù l'épo-
que <pie nous éludions.
pour c(>uq>leler ses études sur larl carolingien dans nos
cantons, M. lilavignac visite le trésor de l'abhayo do Saint-Mau-
rice (1), oui! trouve de nonilueux objets (|ui remontent à celte épo-
(!) 1,0 In-sor (lo S;iiMl-Maiiriio existe enenrc , on du moins n a ^nl>i
i|iio ppu d'nttoinlcs. One nVst-il possible «l'en dire anlanl i\c. toutes les
relises du Vnllais? Pourquoi faut il ipie nos yeux sniriil cnnslnmmrnl
nI11if;és h (jeni'vc par In vue. de rchipiaire;*, du rruix et anircs objets
ayant appartenu à des églises cl pntvcnnni de ec pays? Les marchanda
juifs ne font pas une tournée dans ce canton, qu'ils ne reviennent chargé*
des dépouilles opimes que l'insouriance du clerg»' leur livrf n vil prix. Si
i|ue|qnes-uncH de. ees ventes ont pu trouver «ne «xeusc «Uns les malhoors
«les temps et la néecs.silc île payer les misons exi^lcs par la (Confédéra-
tion après lalTaire du Sonderlmnd , assurément il n'en est pas toujours île
même. I/ignoranee du clergé- à l'endroit des rielicsses arti*>liques qu'il pos
sédi! est la principale cause de ces facilités que Irouxent lis juif^- (,)u«nd on
pense «|uc l'Evaugéliairc de Charleniagne, dont il est qucstnjn dans cet ou-
vrage, n étt' vendu pour quelque chose comme îiOO francs, et que le dcten-
irisTOir.E DE l'aucuitectuke sackée. 381
(|iiL'. Ce sont «les iTli(|uaii'cs, des vases de diverses Cormes dont
l»liisiciir.s irès-pn-eieuN el manileslement donnés par Cliarlema-
gne ; enlinildéciit le ceirhre Évangt'liaire, présenl du même eni-
percui' à la célèbre alibaye. A Lausanne et à Genève, ces trésors
ont disparu ; aussi M. Blavignac est-il réduit à citer textuelle-
ment les inventaires dressés par les déprédateurs au moment où ils
mirent une main spoliatrice sur ces ricliesses accumulées depuis
des siècles. Le trésor de Lausanne était d'une grande magnili-
ceoce en 1536; dix-huit chariots transportèrent ces présents
des fidèles à Berne; on les évalua à 125,000 louis d'or, sans
les ornements sacerdotaux et les pierreries. Ces dépouilles furent
le fondement du célèbre trésor de Berne, qui servit à Napoléon
pour la guerre d'Egypte. M. Blavignac décrit les collections avec
sa sagacité artistique habituelle. Nous admirons davantage en-
core le respect avec lequel il parle de ces ti-nioins de la piété
catholique, car en pareille matière, il touche à des points de
dogme que le protestantisme s'obstine à défigurer avec malveil-
lance.
Ecole sacerdotale secondaire , X'^ siècle. — Nous arrivons au
X*' siècle. L'empire de Charlemagne est depuis longtemps divisé.
Le royaume de Bourgogne .trîtnsjurane s'est reconstitué à la
suite des défaillances de ses successeurs. En 888 , Rodolphe 1"
prit possession de ce royaume qui comprenait une partie de
leur actuel en veut 12 à 15 mille francs. 11 serai! temps de voir cesser ces
scandales. Pour cela, Mgr l'évêque de Sion, à l'exemple de plusieurs de ses
vénérables collègues de l'épiscopat français , n'a qu'à interdire ces ventes
par une circulaire. Des prêtres nont pas le droit, sans autorisation, de dé-
pouiller les sanctuaires d'objets précieux, parce qu'ils en méconnaissent la
valeur. Si, comme il arrive souvent, les conseils de fabrique sont complices
de ces ventes , à plus forte raison l'autorité épiscopale doit-elle intervenir.
Ces observations peuvent s'appliquer, quoique dans une mesure plus res-
treinte, à la Savoie. Comment a-t-il pu se faire qu'une paroisse des environs
d'Annecy se soit dépouillée d'un fort beau tableau du moyen âge ayant ap-
partenu, avant la réforme, à une église de Genève? Un grand seigneur a
acheté ce tableau; puis il s'en est lassé, et il est venu le brocanter à Genève
chez un marchand de curiosités, qui la reçu en échange d'autres objets.
24
,'i82 MISTOIUK I>e L AHCIIITKCTUHB SACRKK.
l'Helvélir : li- \;ill:iis, le |\iys il»; Vaiid, le (icni'Nois , le (llia-
liLiis, t'L, sur II' Vfisaiu occidcnUil du .liir;i. l;i Hrcssc et la
Fraiiclu;-Cx)mlé. Sniis son siKct-sseur, K(id()I|>lic il, Tt-poux de la
reine lierihc et le plus «élèliie des rois Uud()l|iliiens, la liourgo-
j^ne transjuranc s'accrut un insianl du royaume d'Italie par droit
de complète. Mais ee prince, considérant (onimc impussiMe de
mainleiiir sous le même sce|)lre des hlals aussi consid«'raldcs ,
céda l'Italie à Huj,'Ufs d'Ailes. Il reçut en échange la Provence,
cl rèjj[na sans contestation des rives de l'Aar et du Uliin jusqu'à la
MéditerraïU'C. Le second royaume de iJoiirgngne dura jusqu'en
I0'2(i. Il est incontestable que CiUte é|»oque lut très-hrillantc et
que lu Suisse romande exerçait alors en Europe une prépondé-
rance (|u'elle n'a pas retrouvée depuis.
Il était nécessaire de rappeler ici le .si»iiveiiir il une e|)(>que
trop ouldiee. Ces délimitations géograpliiipies n'ont point été
sans influer sur les brillantes destinées de l'arcliitecture de nos
trois diocèses |>eudant ce \* siècle que l'on a trop servilement
riial)itudc d'envoyer aux gémonies de l'histoire. M. HIavignac
s'élève à juste titre contre cette accusation absolue de barbarie
infligi'c à un siècle qui brilla de la science de Gerbcrl cl compta
le moine Hieher au nombre de ses historiens.
Sous les rois Hudol|)hiens , comme sous les successeurs de
Charicmagne , les |)rincipes fondamentaux de l'architecture sont
toujours ceux de Ici oie sacerdotale piimaire. L'ordre de Saint-
Benoit est là qui en conserve la tra<liiion et l'esprit liturgique.
Mais les influences des écoles carolines en modilienl les caractè-
res d'une manière sensible. Au nord et sur les conlins germani-
(pies du rovaiinie, l'innuenic de Pecole rhénane est «'vidente.
L'église Noire-Dame de Nfîufchàlel , l'ondée par la reine llerthe ,
dans la |>ieiniéie moiii"' du X" siècle, se relie à «ette école par
ses disj)osiiions générales et ses chapiteaux ciiboides. Dans les
vallées du Rhône se lormule un style qui se relie aux traditions
antiques, et (pie M. Blavignac a nommé style rhodanitpie. 1^ ca-
thédrale de Genève el l'cglisc de Nolre-Dame-de-Valère, à Sion,
appartiennenl à cette école. A |)cu près sur la ligne de démarca-
tion de ces deux styles, se trouve l'abbaye; royale de Paverne,
(•levée à la lin de la dynastie Hudolphienne; aussi accuse-t-ello des
IIISTUIRB DE l'aUCIIITECTUHE SACREE. 383
formes rappchmi le slylc iliodaniqiie du royaume (rAilos
cl Tari iialicii de ce lem|)S-là. Imi outre : ces diverses églises
olîrt'iit (Tasse/, nombreuses sculptures oii M. Blavignac recon-
naît un i)rinoi|)e (roi-ncmcntalioii asiatique introduit en occident
soit à la suite des iriiipiions d"S Ncnnumds, soit par le contact
des missionnaires architectes qui depuis le commencement du
IX** siècle cvangélisaicnt la Suède et U; Dancinarck. Notre histo-
rien voit ces réminiscences orientales fort sensibles à Paycrne ,
où elles semblent s'être revivifiées par suite des invasions des
Madgyarsqui, en 927 et 9o4, arrivèrent jusque sur les rives du
L'-man.
Celte détermination précise de l'âge de monuments aussi im-
portants que les églises que nous venons de citer, est un des points
les plus neufs du système de M. Blavignac; carjusqu'à présent, en
France et ailleurs, les archéologues n'osent pas faire remonter des
monuments semblables au-delà du XF siècle. M. Blavignac assure
que l'on a trop abusé des terreurs de l'an raille, et que ce pro-
cédé commode de classification a été exagéré. Il s'applique sur-
tout à mettre en évidence l'état de civilisation comparativement
fort avancé dont jouissait la Suisse romande sous la dynastie
bourguignonc au X^ siècle. Ce système mérite la plus grande at-
tention , car il n'est pas seulement le résultat d'inductions, il
s'appuie sur des rapports historiques précis, sur des dates par-
faitement exactes. Il doit s'en suivre, à notre sens, la révision des
classifications des monuments des pays voisins : celle de la
France avant toutes les autres.
Eglise de Notre-Dame , à Neufchûtel , évêché de Lausanne. —
Cette église, dont la disposition est celle d'un rectangle, est divi-
sée en trois nefs que terminent des apsides circulaires. La croix
latine s'accentue dans le plan intérieur par la différence de hau-
teur des voûtes; sur la croisée du transept s'élève un dôme ou
coupole lumineuse : c'est la place de la tête du Christ. Sur le
lieu, correspondant au côté percé du Sauveur, les arêtes saillan-
tes des voûtes se croisent de manière à embrasser à la fois deux
travées ; ces dispositions symboliques sont peu communes.
L'église de Neufchâtel appartient à plusieurs époques. Il ne
384 HI^TOIHR I>F L'ABCHITH«m KK SAritÉE.
irsto do la ( <)n>lnr< lion |iriiiii(ivr (juo |«>s parlics oiientalrs, ri
elles pnniissenl n|>|)aninir à la pirmièro inoitir du X*" sièrie. Un
bas-relief, détruit aujourd'hui, li^nirant une reine présentant un
modMo d'«'j;liso. l'i la Sainlo-Viorgr, était sculpt»'- au-dessus de l'an-
cienne |)orie nu'ri(lii>nal('. Une insci i|ition annc\('-e indi<|uait «|u<'
Berthe, fuyant ses ennemis, en était la fondatrice. EnelTei, deux
fois, en 927 et 954, la reine Hertlie dut reculer devant les hor-
des des barbares d'Orient et se réfugier dans la tour «le Neufch^-
tel.
L'influence rhénane se marque : par la porte principale, sem-
i>labl(; à celle de la caihédiale de Hàle ; par le «ouronnement du
clocher, enlin par les « liapiteaux euboides qui se trouvent à l'in-
térieur et à l'cxiérieur du monument. L'arc aigu (ogite), que la
plupart des arcliéolof^ues ne font arriver syst»'maii(pienienl qu'au
Xll^ siècle, se pose ici avec assurance, sans exclure le plein-cintre.
11 V a progrès en toutes choses sur les siècles précédents : pro-
grès dans l'appareil de construction, progrès dans les sculptures;
des faisceaux de colonnes réunii's. selançanl iusqu':^ la voûte,
qui est en arèie et plus en berceau, remplacent le pilier ou la
colonne monocylindrique des siècles précédents. La porte prin-
cipale. très-inq)oi lante à étudier, pr»'senle les statues <le saint
l'ierre et dt; saint l'aul. Les chapiteaux sont iaBt»'tt tidMHdes, tan-
tôt rhodaniques ; ils sont couverts de sculptures.
Après une digression intéressante sur la véritable signilicalion
du mol ogive, l'auteur se transporte des l>ords du lac de Neuf-
( hàlel dans l'evéché de Genève . à Mouxi, village ignoré situé
entre le nioul Salè\<' el la petite ville »le La Roche. Il trouve là
une ancienne tliapelle , forfbien conservée, encore (prdle soil
conveilie en maison de paysan. Puis il passe à la descriplion de
Vabhaye royale de Paycrnr, évèche de Lausanne. G? grand mo-
nument, fondation «le la reine iWrthe, «pii l'eleva |>our «les reli-
gieux de Cluny, a été mis en «euNre vers 902. Cinq absi«les
semi-«irculain's le terminent à rorienl; la grande nef ««si plus
étroite «le cinq pie«ls à son origine occidentale «pie \ers sa jonc-
ii«)n avi'c le « lurur. Il faut \oir «lans cette disposition l'intention
«le rappeler c«' vaisseau «jue symbolise ll^glise. Des i>iliers car-
IllSTOlItE DE l'aIICIIITECTURE SACRÉE. 385
irs, l'cnforcds pour la |>luf)art de deux demi colonnes, genre
de groupement dont on a vu l'appariiion à Romainmolier, sé-
|)areul la nef des !)as-e(Ué.s. Le plein-cinlre ne règne pas
parioiii. L'arc aigu signale- à Clages et à JNeurciiàlel se montre
dans plnsicuis arcatures ; de beaux chapiteaux sculptes existent
dans le lianscpl et h; cli<eur; de simples failloiis à mouluies
couronnent les piliers de la ne!'. M. Blavignac décrit avee beau-
couj) de soin ces scul|)turcs qui révèlent les intentions du symbolis-
n)c le plus profond. En lésumé, dit l'auteur, de la même manière
que réglise carolingienne de Grandson présente la réunion des
j>rincipes décoratifs ilu Nord et du Sud, Tabbaye royale de
Payerne en offre la combinaison^ et celte combinaison , jointe à
rintrodiu'tion d'éléments (jui forment du tout un composé véri-
tablemcntoriginal, est digne de toute l'attention des arcliéologues.
Cette église prouve en particulier que la série d'emprunts à l'art
romain, caractérisant d'une manière si frappante les monuments
rliodaniques du XI^ siècle (Sainl-Trophime d'Arles et Saint-Gilles,
par exemple), n'était pas dans les idées de nos architectes à la
fin du \*^, car c'est à grand peine si dans l'église de Payerne ,
élevée dans levoisinage d'Avenches, dont le sol à cette époque était
couvert d'imposantes ruines, on retrouve quelques réminiscen-
ces de l'art antique. En France et en Angleterre, on ne manque-
rait pas d'assigner la fin du XF siècle, sinon le XIF, comme épo-
que de la construction d'un monument aussi beau et aussi com-
plet.
On attribue au roi bourguignon Rodolphe II la construction
de la forteresse des Allinges en Chablais. A ces châteaux , au-
jourd'hui dévastés, se rattache le souvenir si cher aux catholi-
ques de l'apostolat de saint François de Sales dans ces belles
contn'-es'. C'est en ellel dans le château des Allinges que s'éta-
blit le saint évêque pendant les trois années que durèrent ses
prédications et ses voyages auprès des peuples qu'il devait raçie-
ner au sein de l'unité catholique , après aviMr subi pendant 70
ans l'oppression bernoise. Les murailles, les tours crénelées sont
en ruines ; mais la chapelle oii François offrit si souvent le saint
sacrifice est demeurée intacte. Une société de missionnaires
savoyards, qui ont placé leurs travaux sous le patronage du saint
3HG IIIMOlIlh DK L'AIlCIIITtCTl HK SAChIe.
u rolcvo l'auifl longlcnips renversé. On a groupé autour du
sanctuaire de modestes coustruetions ; lieux d'étude ei de paix
siiij4uli("Tfm(Mil propres an rccucillcmt'nt et à la prière. Des prin-
lurcs (lu temps, passahlcuient conscrM'es, oriuMil roiic (Impolie
(|ui ne eompte pas moins de neuf siècles d'existence.
LeVallais, déjà peuplé de monuments sous f.liarlema^ne, ne
demeura point <'tranj,'er au mouvement arlisii(jue inauguré par
les rois boiu},'uignons. C'est sur les collines qui dominent la val-
lée de Sion qu'il nous faut chercher des témoijïnages brillants
de l'art catholique au X' siècle, en particulier sur celui de ces
monlicides cpii porte le nom île Valeria , de la mère du pn'fel
romain Campanus, l'une des martyrs de la légion thébéennc ,
dont le mausolée t'iait au pied menu* de la colline.
M. Blavignac donne un»; vue géui-rale du mont Valéria , qui
est un dessin du meilleur goût et de la plus scrupuleuse exacti-
uide. l)(n\ églises s'élèvent sur ce point culminant ; la plus con-
bidéiahle, qui surmonte toutes les autres constructions, est con-
sacrée à Noire-Dame, seule elle doit en ce moment attirer no-
tre attention. Sa forme est celle d'un rectangle termin*' par
une abside ciiculairc à la base et polygonale par le haut. Cette
abside est garnie de créneaux, de même (pie les autres [)arties de
l'édilice, dont la construction appartient à différentes époques.
Les fragments les plus anciens peuvent dater du MIT siècle; le
chd'ur et les chapelles adjacentes portent les manjues du X*.
L'arc aigu se pn'scnte à Valèic avec les caractères propres à ces
lenqts primitifs : grande largeur el peu d'élévation. Les piliers
(|ui su|)poi lent les an hes du sanelnaire sont stirmoniés de pilas-
tres à chapiteaux richement décorés. Les ligures sjmboliipies les
[dus variées s'y mêlent à une décoration végétale irès-originale.
Rodolphe 111, dernier roi de la Bourgogne iransjurane, uumté
sur le tiône en î)î)4, releva l'église et le monastère de Saint-
MMurice, (pie les Sarrasins avaient détruits en 940. On sait (jue
saint vSigismond , Inn des rois d(' la première dynastie bourgui
gnone, avait consiitm'' liehement celte abbaye. Rodolphe 1", le
fondateur de la seconde djnasiie iransjurane, avait ( eint la cou-
ronne à Saint-Maurice, et les caveaux de l'église, en 911, sou-
Nriitiit pour recevoir sa de|Minille m(trlelle. Rodolphe III ne pou-
niSToiRU DE l'arcuitecture sacrée. 387
vaii donc, sans taillirà la mémoire de sesancèlres, manquer de
relever ce monastère. De ces conslruclions du dernier des rois
Rudolpliicns, (|ui datent des premières années du X" siècle, il ne
reste yuère aujourd'hui (|ue le clocher; le couvent, oii depuis le
Xlle siècle les chanoines de Saint-Augustin remplacèrent les an-
ciens cénobites (ils suivaient la régie de saint Basile), fut rebâti
à diverses reprises; l'église joignant la montagne, plus d'une
lois écrasée par l'éboulement des rochers, fut démolie et recon-
struite sur l'emplacement actuel au commencement du XVII'' siè-
cle ; brûlée derechef en 1G93 avec les autres bâtiments de l'ab-
l)aye, elle fut remplacée par l'insignifiante construction que l'on
voit aujourd'hui. Triste monument, insigne exemple de la déca-
dence du goût et de l'oubli des notions artistiques; dernier ter-
me d'une longue existence , dont la vue impressionne pénible-
ment le voyageur préoccupé de tant d'événements mémorables,
de tant de personnages illustres dont le souvenir se rattache aux
annales d'un des plus anciens monastères de la chrétienté.
Le clocher est donc la seule partie de l'édifice qui doive être
décrite ici. Il n'olTre d'ailleurs rien de très-remarquable; cepen-
dant il devait être cité comme exemple complet d'un clocher de
la fin du X* siècle.
Eglise de Saint-Pierre ès-lienSj quatrième cathédrale de Ge-
nève. — Le lecteur se souvient des débris des premières cathé-
drales décrites par M. Blavignac comme vestiges de l'école gallo-
latine. Il s'agit maintenant de l'édifice qui subsiste encore
aujourd'hui, et dont l'auteur rapporte plusieurs parties impor-
tantes à ce X* siècle qui a laissé dans nos contrées un si brillant
témoignage de l'état de la civilisation pendant la dynastie Rudol-
phienne.
D'après des renseignements que l'on regrette de ne pouvoir
étayer de preuves plus authentiques, l'église Saint-Pierre de Ge-
nève fut reconstruite dès l'an 930 ou 950 à 1034, époque où elle
aurait été terminée. Des causes inconnues amenèrent la ruine
de plusieurs des parties de cet édifice, dont il est aisé de suivre
les reconstructions successives pendant les siècles suivants; mais
l'ordonnance du plan, une grande partie de la nef et des bas-
388 MC^ToinE i»K i.AhriiiTEcm m; sachll.
côtés appnriicniiciil à l'écolo qufi nous étndions. Or il faut sr
rapjKîIcr <|U(î pas nn archéolo^^uc de l'écoh» dominante nv vou-
drait faire nnumlrr <('s |»n'inirn',s assises au-delà du XI' fiièilc.
(^uelt|ues-iiiis mriiit' «lasseraient celte éj^lise parmi les monu-
ments de tiaiisitidii du roman ;i l'ogive. Hien rependant ne serDit
plus inexat I «pie celle denouiinaiion ; notre Saint-Pierre n'a
pas la même physionomie que lu calliédrale de ]N(;yt)ii , «jue
iM.M. \ iici »'i Ilamée ont |)résenté comme le type des édilices où
le pleinrcinlre s'unit à Tarc-aif^ (ogive). L'architecte de
Noyon, en eirei, a eu l'intention formelle d<* marier les «leux arcs
dans une eoneeplion uiiitpn;; à (jenèNc, rien de cela. L'édifice
commence ogival dès le X' siècle dans les arches qui réunissent
les pili»'is d(! la luT, puis le plein-( intre se montre dans les fen<^-
ires des has-c«'»lés. Survient une interruption des travaux; à
la reprise «l'œuvre an W siècle, ce n'est pas l'ogive qui repa-
raît, c'est l'arc plein-cintre, dans le triforium cl dans les chapel-
l«'s apsidales ; r«);;iv(; eniin renaît dans les croisées supéri<Mires.
Un assiste i«'i à une succession «l«> reprises d*«i'u\res ei non |»oint
à l'ext-cuiion d'un pian unique. Ces vicissitudes viennent à Taf)-
pui «le l'opiniou île M. Ulavignac «pii ilemonln*, par l'élnd»' des
nïonnmculs de noli'o pavs, «pie la s\noiiiuïie romane ou à plnn-
cin/re tout au moins est sans application chez nous, si tant est
fpi'elle «loive élre conservée ailleurs. L'arc aigu est enqdové dans
nos vallées aux IX' et X' siè«lrs ; aux XT cl Xll' siècles on le né-
gligi- pour l«! plein-cinire , puis il redcNienl dominant dans h*s
édilices jtosti'rieurs.
M. niaNJi^'nae res!iln«> rancinine ia«,a(l«' diinnlie «-n 17."jOpour
faire place au portail aclu»-!. Il s.'arr«"'leavcc uneconq»laisan« e liien
nalur«'ll«« devant la grande nef, «loni l'effet est si majestueux. C'est
là qu'il trouve ces archivoltes l»rillanles et «es piliers «le f«)rme
«rucifère, <:aiilonnés «le «lou/e c«)lonnes d«mt r«»rnemcnlalion
in'-s-rirhe esl du plus haut intérêt. Le» l»as-« ûtés c«)rrespondani
aux arches de la nef, les voi"iles «pii les couvrent et les fenêtres
«|ui l«!s eclair<>nl sont aussi «lu X' siècle , ces dernières sont à
pleiu-«inir«'. Les ihapiieaux d«' ««'s parlies am i«*nn«îs sont fort
nondu-eux , e! ;i eux seuls ils sulliiaiiiil p(»ur domur d«' la ««'lé-
iiisroinr DE l'ahciiitec.tuiie sacrée. 381)
brilr à ocltc loniarquiible ('glisc. On en compte plus de 80 pour
l'onlonn:mcc de la nef seulement. Ces chapiteaux, dont M. Bla-
vignac l'ail une élude complète qu'il faut suivre dans ses planches,
se ji^roupent en trois f atéij;ori(>s. La première conli<'nl les chapi-
teaux à simples niutils (rornemeni, empruntés soit à la llore ,
soit à la nature animée; la seconde , des scènes bibliques, et la
troisièuu' des sujets symboliques se reliant à des mythes géné-
raux. Cette sculpture est très-originale et puissante d'effet. Ne
pas oublier cependant qu'elle est combinée pour l'effet général;
elle ne cherche pas à captiver l'œil au dépend de l'ensemble. Les
architectes de nos jours, si inhabiles pour la plupart dans l'art
d'employer rorncment et la sculpture dans leurs édiGces, peu-
vent trouver dans l'étude de cette nef une remarquable leçon
d'harmonie. M. Blavignac ne sait pas parler avec indifférence
de ce beau monument, oii l'on peut étudier les phases de l'es-
prit humain par les travaux des générations qui ont apporté
leur pierre à l'édifice sacré pendant près de quatorze siè-
cles. Les parties qu'il vient d'étudier montrent combien grandes
furent les manifestations de l'art sacerdotal qui , au moment de
terminer sa course, semble avoi<* recueilli toutes ses forces pour
l'érection de cette belle église.
Ici se termine ce volume; avec le XV siècle une ère nouvelle
commence pour l'art dans notre pays, et ces phases diffèrent
essentiellement de la marclie de l'art antérieur.
Nous avons tenu à suivre M. Blavignac pas à pas. Il nous a
semblé qu'il n'y avait point de meilleur procédé pour faire ap-
précier la valeur de son livre, que de présenter un tableau com-
plet des monuments (ju'il a étudié avec une exemplaire patience.
La seule considération de cette série d'édifices vénérables, suf-
firait pour captiver l'attention. Il y a dans cette pensée si simple
en apparence, si difficile cependant à mettre à exécution, un
modèle qui devra toujours apparaître devant les historiens futurs
de l'architecture sacrée. Car c'est bien la première fois, croyons-
nous, qu'un plan semblable a été réalisé. Quand il n'y aurait
à louer, dans l'œuvre de l'architecte genevois, que la description
chronologique des édifices (jui ont manifesté pendant six siècles
A'Mi lilsTOint D£ L AIICIIITECTIKE SACRKE.
sur noiio sol le génie ariisli(jno de l'^Iglise caiholique , il fau-
drait faire grand é(at de son livre; mais des résultats scicntiû-
(|ues im()os:mls, desdcroiiverlcs iiKillendiics ont été la conclusion
légitime île ses éludes, tu l'gard à liuiporlam e de la question,
hieii que déj^i dans le cours de notre analyse nous ayons fait pres-
sentir la nouveauté de «es vues, qu'il nous soil permis d'insister
quelj]Mes instants encore. Le sujet en vaut la peine , et il n'esl
pas l'amilier pour tout le monde.
Ces points tie \ue nouveaux sont relatifs : à Tâgc des monu-
ments; aux destinées de Tare aigu ogive dans rarcliitecture du
moyen ;*ige; eiilin à rajjpaiitioii du (Oiitrefort. dont il faut sépa-
rer riiisloirc de celle de l'arc aigu, .i ipii on Ta trop élroitemenl
subftnloniié.
Kn France, depuis M. de Caumont , on ne veut pas admettre
4|u'aucun édifice important ait été construit avant l'an mille.
Faisant des terreurs inspirées aux populations du moyen âge par
cette année fatidi(ju(.' , h; point (entrai d'une théorie et d'un
système de classili( ation . les archéologues comlamnenl les
siècles précédents à n'être qu'une <po(pie de ténèbres «jui
n'aurait construit que d'inloiines monuments à peine dignes
d'être cités. Or, cette théorie, assez en harmonie peut-être
avec les faits en Angleterre cl en Normandie, a été appli-
quée, par une voie toute arbitraire, aux autres pays. L'au-
torit('' si légitime d'ailleurs de M. de Caumont lui a donne
force de loi; elle a dominé jusipi'à ce jour les congrès archéolo-
gi(]ues, les pid>lications périotliques , eiiliti les manuels d'archi-
tecture livrés à la circulation depuis dix ans. Celte opinion ne
domine pas seulement les arcluîologues amateurs, ecdesiasii-
ques ou laiques, les peintres et les scul|>teurs; mais, au grand
etonnemenl de bien îles g«;ns, elle s'est imposée sans restrictions
à des architectes compétents (1), à des hommi'S qui passent leur
(I) Voici eu i|iicls termes s'expriiiic M. VioUcl-Li'chic, »i> anliileclc, un lies-
^innttfiir habile, dans un travail i|iii traite «le la construetion des édifiées re
ligieiix en France depuis le commencement du rlirislianisnic jusqu'au XVI'
siècle (.i«H. nrrhvol. T. I ) :
• Depuis le JV sIitIc jusi|ir:iu \'. dil il. nous voyons lai I de rarchilecliire
IIISTOir.t; I»K l/Ar.CniTIXTLl5E SACUÉE. 391
vie dans les moniimcnls, bien placés, par conséquent, pourvc-
rifiei- les assenions, pour ('ludicr les reprises d'œuvres, pour ap-
précier, en lin mol, mille ciiconsiances <|ui doivent frapper les
hommes du métier. Il y a cependant des arguments de simple
bon sens qui contredisent celte théorie , et ceux qui osent en-
core les énoncer, sont bien étonnés de l'appui inattendu qu'ils
trouvent dans le livre de M. Biavignac. L'auteur donne des
dates à ses monuments ; souvent il les appuie sur des char-
tes authentiques et sur des pièces diplomatlcjucs incontesta-
bles. C'est ce qu'il fait pour l'abbaye royale de Paycrne ,
pour les reprises d'œuvre de Saint-Maurice , pour Notre-Dame
de Neuchàtel. D'autres fois par l'appréciation de certaines cir-
constances, il arrive à assigner à la construction des dates infini-
ment probables; il réunit enûn un tel faisceau de preuves, que
sans faillir à la raison et aux règles les plus vulgaires de la cri-
tique'historique , il lui devient impossible de ne pas secouer le
joug de la théorie de l'an mille. Voilà ce que M. Biavignac a fait
avec la plus grande simplicité ; sans attaquer ni réfuter personne,
il dit : Voilà les résultats où m'a conduit mon travail ; je ne ré-
fute pas, cai- ou je me suis abusé à chaque page, ou la tâche cri-
tique eût été trop forte.
La même réserve ne nous est pas imposée, et après avoir ap-
précié les conclusions de l'historien de nos trois diocèses , con-
clusions qui apparaissent entourées de toutes les garanties d'un
travail consciencieux, de toute l'autorité d'un homme de l'art,
autant que de celle d'un érudit expert dans les recherches his-
toriques, il doit nous êti'e accordé de vérifier la théorie de l'an
mille en étudiant ses bases et l'exposé de ses motifs.
se traîner péniblement à la suite d'un slyle imposé par les Romains. Vaine-
ment Charlemagne avait-il tenté de rajeunir le vieil empire, tout était après
lui retombé dans celte voie usée qui semblait être la dernière trace du paga-
nisme. Les très-rares monuments élevés durant cette période , et qui nous
restent en France, ne paraissent pas, comme en Italie, être l'expression d'une
idée bien fixe, d'un principe bien établi. C'est un amas assez informe de
traditions païennes mal digérées ; c'est un art qui ne participe plus de la gran-
deur et de la pureté d'exécution de la bcilir époque romaine, simple reflet,
souvenir faible, qui séleiiit pou à peu cl finit avec la fin du X*^ siècle. »
:i'j2
UiSTOIHE DE L ARCIlITECTl RE SACREE.
(^u'il SI' soil répandu des (Toyances |)opulairos dans le cours
du V siècle Inuehaiit Tau milli- . ipir Ix-aucoiip de (;ens, sur la
foi i\v rerlaines prophéties, aienl nu (pi'à «elle dale la fui du
monde allail \enir, e'esl iueonlestahie ; irop de inonuuienis eorils
porlenl renipreiiite de eeiie iradilion pour <]u'il soil possible de
nier. L'épocjue fatale une fois franchie, on trouve quelques rares
léninifj:najîes de la saiisfactinn (\\\c lit éprouver l'ahsciice du caïa-
elysnie predii ; Voilà lout. .M;iiiiienaiil à quel dej^'ré celle |)réoc-
cupation parvint-elle? eui-elle la nit'iiie iiiiensitcr dans tous les
pays? cul-elle sérieusement une |)Crlée aussi pen«rale «pron le
veut conclure? On n'en sait rien. Cesl pourianl sur le fail de
ceiUi [iréoccupaiion (jue l'on voudiail élahlir une des plus lué-
inorahles dates dans la marche de l'esprit hunuiin. Cette généra-
tion timide, courbt'e sous la peur et la superstition. Tan mille
une lois passe sans deli'imeiit , auiait pris un vol maj^nilique et
réalisé les «euvies les plus brillantes. Ceci est trop joli et Irop
bien arrange pour èlie expressément vrai. Loin d'èln- séduit
par celle thèse, nous y voyons pluit')l ime trace de cet esprit de
dénigrement et de dédain dont depuis trois siècles on poursuit le
moyen âge. Les mieux inieiiiionnés accorderont que Ti-poque fut
po('ii(jue; |)ar contre, «pie » c fut celle d'un peu|>le enfant. conq>-
lablc d'ignorance et de supersiilion. On ne prend pas garde que
c'est à ce peuple grossier et sans leitres que vonl |tailer saint
llernartl et All>erl-le-(irand. Knlin , un inolif capital pour taxer
d'exagération les archéologues au sujet «lu r«Jle «piil iont jou«'r à
l'an mille, c'eslqu'ils enonl trop besoin pour élayer leur système.
Si les faits parlaie^il de soi en laveur d«' la ih«''oric, il faudrait
s«* résigner à l'at-j'epler, «'ncor«' «pi'il en c«tûte; mais en est-il
ainsi? (Ju'il soit av<'r«' d'un«* manière générale, ri en«ore s«'ule-
iiietii pour qiielqu(>s localités, ipi'iin ««rtain n<>ndu'«! de gran«les
«'glises du shie roman aient «'l«' bâlits p«'mlan! les XI' et XIT
siècles, nous ne l«' voidons pas «-onlesler. Il u«' laui, dans aucun
sens, manquera l'histoire. Mais «pi'il (aille induire de là d'une
manière absolue que du IV au X" siècle, sauf la passager»' in-
Ihn-nce «le Charlemagn«' , on n'a vu i-n France, «n Alh-mague et
en Angh'terre, «pic de petites eglis«'s bâties en slyh" gall«»-lalin
ou roniaii luiiiiilil, cfsl l;i . ;i imlre sens, soutenir une tliese
HISTOIRE DE l'aRCHITECTUKE SACREE. 393
forcée qui violoiue les faiis. En cHel : encore que beaucoup de
documenls soient perdus, il en reste assez, et l'on possède les
dates précises de beaucoup de monuments que , d'après la clas-
silicaiion de M. de Caumont, il faut placer systcmaliquement aux
W et Xir siècles , tandis que les chartes veulent qu'ils aient
été construits, ou tout au moins commencés aux IX"^ et X*. Or,
et c'est ici qu'apparaissent les exigences du système, qu'arrive-
t-il en pareille occasion? Eh bien! on torture ces dates,
on les conteste, on les infirme ; puis, en définitive, quand l'évi-
dence contraint de les subir, on n'hésite pas à déclarer qu'il y a
eu deux constructions, et que l'incendie, une irruption des Nor-
mands ou des Sarrasins , ou tel autre hasard , a anéanti le pre-
mier édifice. Ceci est de règle absolue, et il n'est pas une mono-
graphie d'église romane secondaire où de pareilles aventures ne
soient introduites de vive force, le plus souvent sans preuves à
l'appui, pour expli([uer les reconstructions. Certes il y a eu des
incendies , il y a eu des guerres et trop d'incursions dévastatri-
ces; mais ce que les incendies, ce que les Normands ou les Sar-
rasins peuvent faire, c'est de ruiner une partie de l'édifice, c'est
de nécessiter des reprises d'œuvres ; c'est surtout d'imposer aux
constructions des temps d'arrêt considérables; mais ni flammes,
ni barbare quelconque, n'anéantissent un édifice de telle sorte
qu'il n'en reste pas de traces, que les fondations soient arrachées
de terre , et que les pierres soient au loin dispersées pour ne
plus intervenir dans les édifices subséquents (1).
Telles sont quelques objections , entre bien- d'autres , que
(1) Un seul exemple. La collégiale de Notre-Dame de Beaiine a été com-
mencée au X" siècle ; la date est précise et consignée dans les registres du
chapitre. Il y eut interruption au W siècle, puis reprise d'œuvre. Les re-
gistres donnent les dates de toutes les reprises d'œuvres et des travaux les
moins importants. Il n'est question ni d"incendie, ni de cataclysme quelcon-
que. Voilà pourtant une église que Ion brûle systématiquement, pour ne
faire dater sa construction que delà fin du XI* siècle. La cathédrale d'Autun
pourrait être l'objet d'observations analogues. Or c'est là l'histoire d'une
foule d'églises. En particulier de celles d'Auvergne , que l'on rajeuni de
deux ou trois siècles, pour complaire à la théorie à laquelle, quoiqu'on
fasse, elles donnent le plus éclatant démenti.
,'V.)1 IIISTOIUE DE L'ARCIIITECTUnE SAChéS.
î>ugytre le s>>t«'mo :irrlnul()^i(|U(' d • Vmi inillc Procrdani ;i | iu-
vei-se de loul li' morido, M. nhnignac ne s'rsl cinpi i.soiiiir ni dans
une classiiuulion ni dans un système , avant «juc de Taire sosre-
clierclies. il a suivi les |)ro},'rès de l'art depuis sa naissaneo;
j^uidé par riùsioirc , il a juxiapposé les dates »'t les édifi( l's , il
a coiifroulé les évcnemenls, et f^râc»* à une «riiitiue his(()ri(|ue
éclairée, il est airiNé à établir une cliaine (-lironulogi(|ue; puis il
a étmlié les monunicnls , il s'est identilié avec les piocé(l<''S de
construttion, il a reclierclie les reprises d'uiivres. Ni les ineen-
dies, ni les Normands, ni les Sarrasins ne lui ont fait déraiil.
Pour cela, il n'a pas eru devoir tout eédcr ; il reeoiinait leurs
traces et il les suit; nous l'avons vu soulevant le sol de la <|ua-
irième cathédrale de Genève, dessiner le |>lan des c.iiliédrales
primitives. V(»ilà ce que fiil notre auteur; puis, tout pesé , il
n'a pas ( lu <|u'il lui fût raisonnablement |»ossiblc de s'incliner
devant 1rs vieilles i lassilicaiions.
C'est ainsi ipi'il a riv aiiu-né à [)lacer au \' siècle des monu-
ments qu'en France on ne veut connaître qu'an XW. Or c'est là
un fait de la plus haute importance, et si nous avons essayé d'en
faire piessenlir la valeur, ce n'est point pour la vaine satisfaction
de comballre un système ; mais parce qu'il nous a paru que la
< ritique historique ei littéraire était fort intéressi'-e dans le d«bat.
Pour noire pavs, en particulier, l'impoi tance des rapproche-
ments qui surfissent de celte chronologie monumentale est con-
sidérable.
Nous n'insisterons pas lon^MUinenl sur les autres aperçus nou-
veaux du travail de M, Blavignac, notre analyse les ayant déjà
uns suflTisammenl en évidence. Quelques lignes seulement.
Des fl(tts d'encre ont été ih'qnMisés pour rechercher l'origine de
l'ai'C gigu (ogive). M. Hlavignac ne reconunence point celle re-
cherche. Il se contente de di-terniinei les moments de son em-
ploi dans les édifices qu'il a sous les veux. Il reconnaît l'arc
aigu dès le \\\V siècle, et a|)rès av(»ir étmlié les allernalives si
varices cl si peu explicables de son apparition, il conclut qu'il ne
lui est pas possible de soumettre les monuments île sa région aux
classifications «pii se fondeni sur la présence de l'are aigu ou du
IIISTOIHK LE L'viunilTECTlinE SACREE. 305
plt'in-cinlro pour caractériser les «'dilicos , cl snrtoui poiii- iléler-
inincr leur âge.
S'il ne s'ayissail que d'ogives rudimoniaires, comme à Clages,
on pouirail encore conlcslcr; mais coinmenl faire lenir (Jel)out
ce sysième devant la nel'de la cathédrale! de Genève, oii l'arc aigu
se pose avec tant de franchise? Or, d'après les idées qui ont
cours en France , il n'y a pas moyen de faire de Saint-Pierre de
Genève un édifice roman. H n'est pas davantage un édifice de
transition. Qu'est-il , en définitive? Les archéologues qui ont
passé de si longues heures à écrire des commentaires sur la ca
thédrale de Noyon, devraient bien nous le dire.
Un troisième point de vue découle de celte étude sur l'arc
aigu. M. Blavignac, qui a si bien discerné que dans le lan-
gage tecbnicpie, ogive veut dire contrefort, un plein, et non
pas un arc vide : ne peut abonder dans la ihéorie qui fonde le
système du contrefort sur l'apparition de l'arc aigu dans les mo-
numents. Le sysième du contrefort dérive des systèmes d'arcatu-
res à bandes murales , et il a été inventé bien des siècles avant
que l'arc aigu ait été appelé à jouer un rôle prépondérant.
Il résulte de ceci qu'il faut attribuer le système des
contreforts, qui est l'élément générateur important de l'archi-
tecture catholique, au génie inspiré des artistes. Il répugne de
fonder sur la découverte fortuite d'un arc celte marche expan-
sive du plan liturgique des églises catholiques. On se sent in-
disposé par celle prétention de vouloir faire reposer sur une cir-
constance aussi matérielle qu'un jeu du compas la marche pro-
gressive du système d'architecture le plus idéalisé qui ait jamais
existé. Encore une fois, il faut saluer ici le trait du génie.
Celle élude a été bien longue ; mais nous osons croire qu'elle
trouvera son excuse dans la nouveauté de la matière qu'il s'agis-
sait de faire connaître. Peu d'ouvrages offrent à cet égard autant
d'aiirailsque celui de M. Blavignac. Aussi bien s'agissait-il de
temps glorieux pour notre histoire , quoique singulièrement
oubliés; et ne dissimulerons-nous pas la satisfaction véritable
que nous avons éprouvée à nous identilier pendant quelques in-
stants avec une époque où le génie de l'homme s'exprimait en un
langage aussi magnifique , et rendait hommage à Dieu par des
li'.H'i IIISTOIIih Ut LAHClIlTtCTlKt SVCRtE.
œuvres ({iii *'\|)i imciii taiil «le (.Ikkm.'s. CV'si dire que nous iaisous
les V(L>u\ l)'N plus unlcnts pour voir M. Hlavi^iiac eonliouer buii
iravail cl nieuer à innuj une enlii-prise un , après avoir mis laiii
de vraie seience au service de l'espril le plus salace, il révèle les
qualités du travailleur le plus iulati^able counne le plus persé-
vérant.
Edouard Dufresne.
Cioni-vc, ft't»' lie sainlp Catherine de Sienne, iSî^i.
MÉLANGES ET NOUVELLES.
Genève. — M. l'abbé de Baudry est mort le 2 avril de cette
année, après avoir reçu, avec la foi et la piété qui ont embelli sa
vie, les sacrements de TÉglise. Il avait été professeur de théologie
dans la Compagnie des Sulpiciens; il était vicaire-général et cha-
noine honoraires d'Annecy. Le sentiment qui a rempli toute son
âme depuis de longues années a été de faire connaître et de faire
aimer saint François de Sales. M. de Baudry nous a laissé une Be-
lation des travaux de l'apôtre du Chablaù, et un Tableau de l'esprit et
du cœur de saint François de Sales; il travaillait encore, dans ces
derniers temps, à une vie complète du saint évoque de Genève.
M. Tabbé de Baudry était pénétré de l'espérance et du désir de ra-
mener les protestants à la vérité par une discussion pleine d'urba-
nité. Ses nombreux ouvrages, ses opuscules, sa correspondance, ses
articles dans les^/jua/esenfonl foi ; c'était sans contredit, entre les
défenseursde la religion, undesplus érudilsetdcsplus instruits tou-
chant la controverse protestante. Il avait un talent particulier pour
poursuivre, jusque dans leurs derniers retranchements, les subtilités
où les ministres cherchent à se réfugier. Il les invita, en de fré-
quentes occasions, à aller avec lui , soit publiquement, soit par let-
tres, jusqu'au fond des questions. Depuis ces dernières années, il
avait été singulièrement disillusionné sur la bonne foi de ses ad-
versaires; aussi les combattait-il avec une plus grande énergie, et,
tout eh conservant les formes indulgentes d'un style qui lui était
propre, arrivait-il constamment à faire ressortir le défaut total de
loyauté ou l'ignorance grossière des adversaires de l'Église.
M. l'abbé de Baudry avait salué avec bonheur l'apparition des
25
308 «éLAilGES ET .1(»l'VELLES.
Jnnalfi ; il les a soutenues de luus t>es moyens. L'Iiommagc que
nous rendons ici à sa niênioirc vénérée n'esl que le tribut du res-
pect cl de la reconnaissance.
"* Les six conférences des ministres prolcstauts, directement
dirif;ées contre la foi calliuiique, oui été aussi excentriques qu'elles
pouvaient i't'^tre : elles ne sont (|iit' la reproiluction de vieilles ob-
jections, de faits historiques délij^urés, d'allégations hasardées. Kl
à Genève, tout cela à cours, tout cela est pain béni pour raudiloirc
de la Madi'leiiie. (M'nève, comparée A la Franco, à l'Allemagne, à
l'Angleterre protestantes, est en arriére de \ingl-cinq ans sur le
fond cl sur la forme do la controverse religieuse, .\ltcndons la pu-
blication des conférences pour prouver la vérité de notre assertion.
Ce qu'il y a en de neuf, c'est la conférence sur la confession, dans
le genre de Roussel et de .Michelet, c'est-à-dire un dévergondage
révoltant de paroles t't d'idées qui dénoterait une intention profon-
dément déplorable dans l'orateur, s'il n'était pas plus charitable de
croire à la rtcAfssc de son imagination, à la nécessité d'abaisser la
controverse à un certain niveau , et A rinq)Ossibilité pour lui de
comprendre des institutions divines, dos grAces surnaturelles et des
vertus dont il n'a pas'niéme l'idée. Les rontroversistes genevois en
sont lA. Je veux qu'ils soient aveuglés par leurs préjugés, et je dis
du fond de mon Amo, comme Notr(^ Seigneur : Pardonne/.-leur, car
ils ne savent ce qu'ils font ; mais de pareils moyens employés |>our
attaquer les doctrines, les œuvres, le ministère du sacerdoce catho-
lique, depuis rinimlilt? et vertueux curé de campagne juscpi'à sainl
Alphonse de Liguori, sainl \ incent de Paul, ;»aint Thomas d'Aipiin,
sainl Augustin, ce îrest pas seulement un (uilrage, c'est une faute
et une défaite.
■" (Jucl contraste avec les sermons (lu Uévérend Père Hue, de
'ordre' de Sainl-Dominiipie, qui a prêché le Carême A Cienével
Quelle profonde et magnifique exposition des dogmes catholiques!
La pénitence, la prière, la confession, l'Eucharistie, l'fCglise, Jésus-
Christ, etc., etc. Quelle puissanciî d'application de l'ï-lcrilureSaintc!
Combien la conlro\ erse passionnée pàlil desanl cette >igourcusii
dogmatique «pii forliiie et augmente la foi , donne une base à la
morale et a\\ culte, et ra|>pro(ho les hommes au lion «le les diviser !
C'était un véritable bonheur de \oir cet honinur de Dieu, d'une
vie si austère cl d'un lalcnl si màlc , former autour de la chaire de
vérité un auditoire si compacte cl si attentif. Les protestants qui
MÉLAiNGtS ET .NOUVELLES. 390
ont suivi les prédicalions du Père Hue et celles de leurs niinislres ,
ont élé frappés du conlrastc.
"* Décidément M. Gaberel aspire à élargir le champ de sa haute
renommée ; il s'établit le troubadour des faits et gestes du Consis-
toire genevois pour l'étranger. Le Lien est son porte-voix ; mais
déjà ses colonnes ne peuvent plus sufUre, le journal-trompette sera
forcé de répéter la plainte du poète :
Grand cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire!
Nous n'aurions rien à voir à tout cela, si de bonnes gens, par
mégarde sans doute, ne substituaient parfois la lecture et les ora-
cles de la gazette à la lecture et aux oracles de la Bible. Par inté-
rêt pour ces âmes candides, nous nous croyons obligés de les infor-
mer que la vérité, les convenances et n)éme la lilléralure de la
correspondance du Lien ne sont pas à confondre avec les mêmes
choses dans les livres sacrés. Aussi, M. Gaberel ne nous paraît pas
donner des leçons de bon goût, lorsque , écrivant à son cher frère
du Lien, et retraçant les traits saillants des $iœ conférences sur la foi
réformée, il nomme tout court leurs auteurs : Bungener, OItramare,
Viollier, sans y adjoindre le terme de politesse : Monsieur. Cette
façon de s'exprimer n'est justifiable qu'à condition que M. Gabe-
rel traite ses héros en célébrités de carrefour, ce qui ne leur souri-
rait pas, ou en hommes éminemment supérieurs, ce qui ne serait
pas agréé par le public.
L'objet de la lettre qui nous occupe, ce sont donc les conférences
protestantes du mois dernier. En passant, l'auteur ose écrire que
M. Ernest Naville serait , de son côté, entré en lice pour seconder
le mouvement de prosélytisme dirigé par le Consistoire. Accoler à
ceux de ses confrères le nom de M. Naville, c'était sans doute une
bonne fortune pour le chroniqueur du Casino ; mais il s'est évidem-
ment trompé; ; M. Naville, croyons-nous^, sera peu sensible à cette
distinction que lui inflige M. Gaberel; il a trop souvent et trop
nettement séparé son attitude de celle des controversistes furibonds
et ignorants qui servent la société des Intérêts protestants, pour que
ceux-ci puissent se croire le droit de le glisser dans leurs rangs.
Pour relever le talent et le mérite de l'orateur, M. Gaberel
est contraint de nous apprendre la profonde décadence des croyan-
ces religieuses dans la cité de Calvin. Il affirme que le nombreux au-
ditoire de M. Naville se composait de personnes adoptant tout au plus
10() MÉLAlHf.Es tT NOllVLLtS.
U» prunifif» de (a nlujioit uuturtUe du i ////'■' siecU. Nous n'iiv«»ris
pas «le peiue à sousciiri! ;• la vérilt" do celliî assertion , el le lihro
examen peut revendiqiu'r sa bonne pari dans cet étal déplorable
des conjcienoes.
Après celle petite maladresse, M. fiabercl fail son article sur les
six bommes qui ont lu six diatribes di^corées du lilre de six confé-
rences fur la foi réformée. Vue f(»is do plus, ils ont fail savoir aux
auditeurs (|ue toute la reli<;ion prolestiuile consisii* a dénigrer le
catholicisme. Kn eiïet, rien de clair, rien de formulé Mir co qu'a-
doptent les ori^anes de la réforme n'est sorti de ee laboratoire. Il
e^st vrai que les eulotnnics el les insultes au eliri^tiauisme de di\-
buil siècles, de deux cents millions d'Iiumines el des plus beaux gé-
nies (]ui aient ennobli rbumanilé, sont tombées conmie une ijr^le
des lèvr«'sde ces nunislres réformés. .M. (îaberel s'en {;loiilie, nous
pouvons le croire. .Mais un dogme, une crovance prott^tanle res-
sortant de leurs discours, bien babile qui saura l'y découvrir ; à
peine ont-ils lancé en courant (]uel(|ues phrases vapues el sans con-
sistance, pour persuader à leurs ouailles (pie les quelques laml>eauv
de doctrine auxquels ils cherchent à s'ac«;r(Kher, sont loute la reli-
};ion de Jésus-Christ. .M. (Iaberel appelle cet amas de so|>l'.ismes el
do bile la belle prrdicalion ;;enevoise. Pour qui se respect»' encor»-,
celle ex|)ression est la dernière <|ui devrait venir sous la plume.
Possible qu'un certain nombre de cœurs façonnés au répimc hai-
neux de ilaivin, possible <|ue les rtmes déxoles dont le s.noir s'en-
cadre méthodiquement dans quehjues textes, trouvent admirables
ces redites de trois siècles ; mais assurément les étrangers \ior-
lent un ju^jenienl tout autre sur ces assemfdécs dont la piélé est
bannie el d'où l'on sort a\ei- un surcroît d'orgueil, de mépris et
d'aversion pour des frères catholiques. I.e sentiment imanime de
ceux (pii viennent à (lenève , catholiques ou protestants , et qui
vont entendre les discours du leuiplt*, ou lier ((in\ers.itu>u dans les
réunions particulières, c'est <|ue nulle part ils n'ont lenconlré pa-
reille élroitesse de \ues el pareiili* rat^e d'agression rcmlre des con-
citoyens. \ oici un fait a l'appui de ce que nous disons : lue dame
russe arrive à (jeneve ; elle est bientOl circonvenue, comme cela su
prati'jue si habilement ici*, par une foule de dames protestantes ;
quoiqu'elle soit grec(|U(' de religion, on ne manque pas de l'inviter
à venir recueillir sa part d'édilicalion des lèvres du ministre. Kilo
se laisse conduire A l'une des conférences. Peindre le lounTicnt
qu'elle é|)rouva pendant une heure, peindre l'impression de degoOt
MbLAMGES ET NOUVELLES. 40 t
«l d'effroi qui lui est resli'C de celle parole dite évangéliquc, c'était
au-dessus de ses propres forces. << Je tremblais qu'A chaque instant
les callioli(iues vinssent fondre sur rassembli-e et mellrc h; feu aux
quatre coins du temple; leur patience no me surprend pas moins
que la haine de leurs adversaires. » Cette dame a fait ensuite de-
mander une place dans l'église catholi(iue ; «illc y a suivi avec assi-
duité les sermons du Carême, et y a trouvé le charme et la paix
qui accompagnent partout la Parole de Dieu.
Dans sa lollrc au Lien , M. Gaborel cite quelques fragments de
chaque conférence. Ces passages sont si pauvres et si ridicid;;s, que
la meilleure réfutation serait de les retracer ; mais nous n'avons pas
autant de place que le Lien adonnera cette triomphante éloquence.
Voici, pour spécimen, l'extrait du discours de M. Cougnard :
....« L'Évangile veut que le fidèle adore Dieu seul, llomc fait
rendre un culte à la Vierge, aux saints, et même à la Croix. — La
Bible entière interdit les images. Rome en remplit ses églises et
encourage ouvertement l'idolàlrie. L'Évangile dit et répète : Son-
dez les écritures. Rome classe la lecture de la Bible parmi les fléaux
(lu temps. L'Évangile dit : C'est par grâce que vous êtes sauvé par
le moyen de la foi. Rome dit : Si quelqu'un atïirme que la foi seule
suflit pour obtenir la grâce, qu'il soit anathéme! — L'Évangile
défend d'user de redites dans les prières et dit que ce sont les
païens qui prient ainsi. Rome conserve ses litanies et vend des cha-
pelets. — L'Évangile dit : Ce ne sont pas les aliments qui nous
rendent agréables à Dieu, et ce n'est pas ce qui entre par la bouche
qui souille l'homme. Rome maintient les jours maigres, les jeûnes
et le Carême. L'Évangile veut qu'on célèbre le culte en langue
vidgaire. Rome ordonne de le célébrer dans une langue morte. L'E-
vangile veut que Tévêque soit mari d'une seule femme. Rome ne
veut pas qu'il se marie et prescrit le célibat à tous ses prêtres. Dans
l'Évangile, saint Pierre dit à Simon : « Périsse ton argent avec loi,
qui as cru que le don de Dieu peut s'acquérir avec de l'argent ! »
— Rome a vendu, vend et vendra le pardon et les grâces de Dieu.
Enfin l'Évangile est le plus redoutable adversaire de Rome, et con-
damne d'une manière directe et écrasante un grand nombre doses
doctrines et de ses pratiques. On ne peut ouvrir les saints livres
sans en être frappé. A cela que répond Rome? Elle anathématise
les sociétés bibliques, met la Bible à l'index, et envoie ses lecteurs
en prison. »
Pauvre M. Cougnard ! Pauvre M. Gaberel !
402 HÉLIMCES ET .tOUVELLES.
"■ I, 'affaire do (Ihcvrans a t'ti>juj;éc le 31 mars. Six acciiS«>sonl
«■•!«'■ ron(l;iniii(''s i\ tZO jours <)'<'mprisonii('m('nt, rinq ;'« -25 jours, un .'i
ti j«ur<, et un A 'iV heures âi' prison , Ions solidairemcnl aux frais.
I^cs condamnés se sont adresst^s au (îrand C.onseil qui, par sa com-
mission de (înW-e , a encore réduit la peine des douze premiers à 7
jours M'uleuient de delcnliud!! (]el(e indulgence du tribunal et du
<îrand (îonseil était prévue. Tout le monde était d'accord ; on avait
écarté l'accusation de violation de domicile; le prociireur-pénéral
avait proposé la [ténalilé la plus douce ; le président de la cour était
résolu à rester impartial; le gouvernement ne tenait nidiement A
apgraver la situation <,'énérale. MM. les avocats Dufresne et Bro-
cher ont parlé avec toute convenance et modération. F.e désapjMiin-
tement n'a été que pour les ardents, qui s'atlendai«'nt à 2, 3 cl
même 5 ans de travaux forcés. La colère cl la déconfiture ont été
visibles sur la place de l'hôtel de ville. Le dimanche suivant , une
ma^nilique croix en pierre a été inaugurée i Chevrans, au milieu
d'un concours de plusieurs mdliers de catholiques venus proces-
sionnelleuienl de toutes les paroisses environnantes. M. l'abbé Ba-
bel, curé du tlrand-Sacconnex , a de nouveau fait entendre, avec
sa chaleureuse cloijuence, les grands enseignenients delà foi catho-
lique sur la Croix, et M. le vicaire-général, curé de (lenève, a béni
ce nouvean monument, témoignage des sentiments des catholiques
de nos contrées.
(>c qui ressort «le loiile celle affaire, ("c^l que M. Hourril et IT-
nion protestante ont élr de trés-véi itables provocateurs et de trop
ardents zélateurs de la politico-religieuse propagande du protestan-
tisme autour de nous; propagande, du reste, bien plus menaçante
pour la Savoie (jue pour notn* canton ; et que la justice (jui con-
danuic et celle (jni fait gr;\ce (uit rétluil à leurs vrai»'s proportion>
les grandi crimes, les iauvageries, les ramlolitmei do nos paysans c.i-
lholi(pies.
La honte nest certainement pas p<tur eux.
Le sommeil et l'engourdissement ne sorit |)as non plus leur de-
\oir.
'" Nous avons vu rc()roduire A Saint-Pierre la parade de ra|M)s-
tasie de l'année dernieie. Ln menu* nond)re de pauvres hères, «le
la mine la plus piteuse, convertis à la manière usitée, venus d'on
n«; sait où, inconniis des calholicpies de «ieiu've. sans nom. sans va-
leur, ont eu le courage , à la lace de la lonlo gonooise , «le ren«ui-
MÉLAiMGES ET NOUVELLES. 403
cor à la religion de leurs pères , à la sainte Église catholique , pour
embrasser.... mais quelle religion ! mais quelle foi ! pour entrer,
mais (lans(|uelle église? Us no le savent pasoux-mèmes, les infor-
tunés !... On s'embarrasse bien de leur donner des croyances posi-
tives, quand on n'en a pas soi-même. On leur arrache la foi et on
les laisse dans le doute môme sur les principes fondamentaux de la
religion.
Les ministres se chargent 1;\ d'un triste bagage; l'honneur est
médiocre, le profit incertain, les conséquences douteuses. Ce qui
est très-palpable, c'est que les catholiques de Genève ont pitié de
ces pauvres hères qui ne sortent pas de leurs rangs, et que les pro-
testants raisonnables ont honte de pareilles conquêtes. Parmi ces
apostats, on assure qu'il y a des réfugiés français, des réfugiés ita-
liens, deux ou trois paysans et quelques filles de la Savoie plus ou
moins bien famées dans leurs villages.
A Genève, la parade n'a eu d'effet qu'un moment ; tout le monde
sait que c'est une affaire pour les convertisseurs et les convertis. A
l'étranger, la trompette protestante va sonner, parce que , après
tout, il faut avoir l'air de progresser. Mais, en définitive, confé-
rences fiévreuses et apostasies immorales, lout cela est ruineux pour
le protestantisme et glorieux pour le catholicisme.
*** Il vient de paraître chez M. Burdet, à Annecy, un petit livre
intitulé : Du commerce des consciences et de l'agitation protestante en
Europe. Nous ne donnons pour aujourd'hui que la table des chapi-
tres, pour faire voir dès l'abord l'importance de cet ouvrage :
I. Ce qui se passe au milieu de nous et dans presque toute l'Eu-
rope.
II. Jusqu'où s'étend la bonne foi des hérétiques.
III. De la bonne foi dans les synodes protestants.
IV. Y a-t-il de la bonne foi dans les missionnaires protestants?
\. Le libre examen des protestants se fait-il avec bonne foi?
VI. Les protestants qui cherchent à convertir à leur religion
sont-ils de bonne foi?
KM iKiAXGES ET :noi/vkllks.
lit i.\('i:. — Algérie. La jeune ÏCgIiso d'Afrique, quoique
aux prises avec des diriicull('>s inimagiiinblcs, en farc de besoin*:
dorjl on n'ose sonder la profondi'ur, a cependant admirablement
niarclu'. Comme toutes les u-uvres de Dieu , elle s'est vue |)n'sipi('
submergée à son berceau ; mais un vent du ciel et un pilote habile
l'ont arracliée à l'abîme et lancée sur les flots où elle vogue d'un
pas ft'rme aujourd'hui. Oue d'institutions glorieuses ne comple-l-
elle pas déjà dans son sein? Les Orphelinats, les maisons du Uon-
l'asleur, les écoles, les congrégations religieuses, la Trap|Mî de
Stauuëli, le noviciat de Kab-A/oun , les séminaires grand et |M<:(it,
qui rivalisent^ au moins par le bon esprit, avec ceux de la métro-
pole. L'orphelinat de Mus(a|)ha ne redoute aucune com|)araisou
avec les œuvres semblables eu Iùirop<', et on |M'ut douter qu'il y
ait en France une Trappe ipii puisse faire pAlir Slaouéli, Quel clergé
vigoureux, jeune, résolu, sur tous les points de l'Algéritî! Aujour-
d'hui courant la mer, demain montant à cheval, se dévouant avec
orgueil dans les épidémies et ré[)atidanl partout l'esprit de vie et de
charité! On l'a vu cette année, à la retraite ecclésiastique, éton-
nant les religieux eux-mêmes par son recueillement, sa piété, son
exactitude, son uiiion au chef i|ui gouverne cette f^glise. Quelle
armée de religieux et de leligieuses autour de ce pontife! Les Jé-
suites, les Lazaristes, les Trappistes, les Frères de la Doctriue-
Clu-élierujc, les D.imes du Sacré-Cœur, les Filles du Bon-Pa^leur,
et tout cela disséminé d'élape en étape jusqu'aux portes du désert.
L'action de tant de prêtres, de Frères, de Sœurs de Charité, de
tant (le dé\onernenls aiiplicpiés à la foi, n'est pas resiée stérile. Klle
a produit des fruits bien con^oianls au sein des populations euro-
péennes. Ces populations sans foi, venues de tous les coins de l'Eu-
rope, ont été, on peut le dire, en partie reconquises au christia-
nisme. De nombreuses conversions se sonf faites dans toutes les
classes de la société, ce qui a donné lieu A l'organisation du zèle et m
de la charité parmi les laïrpies.
Aujourd'hui, Alger |M)s>éde une société de Saint-Vinccnt-de-
Paul aussi édiliante qu'intelligente et active: une soriété de cha-
rité, qui verse des sommes considérables au sein «les pauvres, dans
laquelle les Dame;, non contentes <le donner l'aumône, vont en-
core elle-mémes, an nom de Jé>us-Chrisl, \ isiler, encourager »i
consoler ceux qui soufrrenl.
Nous ne dirons rien des villes secondaires; mais partout il y a
.IlliLAiNOtS El lAiOl VLLLfcS.
i05
oITorl pour iinilor les plus ^rrands centres dans l'accomplissement
des œuvres de relij^ion et de cliarilé chrétieimc.
Les protestants ont subi celte salutaire inlluence. lîon nombre
d'entre eux sont entrés avec amour dans le sein de Tfiglisc catholi-
que. Un écrivain protestant, qui exhalait naguère ses plaintes dans
un journal de France, portait a un sixième de la population protes-
tante le nombre des convertis sur la terre d'Afrique.
Angleterre. — H }' a quelques jours , on annonçai! des îles
d'Hyères la conversion et l'abjuration du Rév. William Scott, an-
cien minisire anglican et membre de l'université d'Oxford, baptisé
sous condition à Hyères, le llî mars. Aujourd'hui nous apprenons
(|uedeux Anglais convertis ont reçu dernièrement le sacrement de
conlirmalion dans la chapelle particulière de Mgr de Montpellier,
évéque de Liège. L'un d'eux, M. Hamillon, M. A. du Balliol-col-
lége, à Oxford, ap[)arlient à l'une des plus célèbres familles de l'E-
cosse. Il est rentré récemment dans le sein de l'Église, après avoir
été pendant quelque temps vicaire [ctirafe) de Christ-Church,
Keul-Road, à Londres.
iilBeitia^iie. — Le gouvernement prussien a inauguré l'an-
née 18oV par un acte qui lui méritera la reconnaissance de tous les
hommes religieux. L'obligation de respecter la loi qui prescrit le re-
pos du dimanche est rétablie dans toute l'étendue du royaume. On
attribue au roi cette mesure que les populations ont accueillie avec
joie comme un acte de foi chrétienne. 11 faut espérer que l'inertie
des hommes chargés de veiller à l'exécution des lois n'en neutrali-
sera pas, comme par le passé, la salutaire influence et n'empêchera
pas les heureux résultats que naturellement elle doit produire.
— L'Autriche vient de donner aux autres Étals un exemple que
la Prusse surtout devrait imiter ; il est expressément défendu aux
journaux autrichiens d'annoncer aucune publication maçonnique,
quelle qu'elle soit.
— On lit dans un journal protestant de Berlin, le Tempa, que
plus de deux cents ministres protestants sont affiliés , en Allemagne,
aux loges des francs-maçons.
L'église catholique proscrit les sociétés secrètes ; le clergé proles-
lant non-seulement s'abslient de les proscrire, il les encourage, il
se fait leur complice. En cela il <^st fidèle à lui-même, car ce sont
10(> MÉL\N(;KS et XH'VEILES.
les sociétés sccrèlcs du moyen Age qui ont maintenu et propagé les
hérésies de cette époque, mères du protestantisme.
— Nous apprenons qu'Ovcrbeek est proposé pour directeur de
l'acadéniio di's beaux-arts de Berlin.
Nous n'ajouloiis rien pour rendre nos lecteurs attentifs à cette
intéressante nouvelle. Ce serait assurément rendre un bel hom-
mage A i'arl chrétien que de mettre i la tête de l'académie des
beaux-arts, dans la capitale du protestantisme, le pieux et catholi-
que artiste, dont le génie heureusement inventif et Thabile pinceau
ont su imprimer un élan si remar(|uable à l'école des bords du
lUiiii, cl inspirer toute une |)léiade de graveurs et de peintres qui
ont uuveit cl continuent glorieusement une cru nonvelle dans l'art
chrétien.
— L'Allemagne catholique vient de faire une grande perte dans
la personne du docteur Kinthcl, l'un de ses plus intrépides défen-
seurs, et .i (|ui elle doit la belle réfutation du dernier écrit tlii pro-
fesseur Slahl, de Berlin. M. Kintel avait été quelque temps colla-
borateur de la .Nouvelle Gazette de Fruste; mais dès qu'il vit cette
feuille prendre une tendance anti-catholique, il se hâta de la quit-
ter. Il avait toute la confiance de léminent cardinal de Dicpcnbrock,
de si regrettable mémoire, et auquel il n'a survécu qu'une année.
BULLETIN BrBLIOGRAPHIQUE.
Harmonie du Catholicisme avec la nature humaine, par M"" L. de Chaillé,
née de Jussieu.
Nous nous sommes souvent demandé avec tristesse pourquoi, lorsque
quelques femmes d'un immense talent, reniant ce qui fait la seule vraie gran-
deur, le seul vrai bonheur de leur sexe , ont voué leurs facultés à attaquer
la religion, la société, la famille, il ne s'en est pas rencontré qui, également
douées, et mieux inspirées, aient relevé le drapeau abandonné par ces tran-
sfuges et soient venues prouver au monde que la foi n'éteint ni la poésie, ni
rintclligcnce, ni la vigueur dans les âmes qu'elle possède. Certes toutes les
femmes auteurs n'ont pas suivi la sombre voie ouverte par un célèbre chef
d'école ; on doit à plusieurs d'entre elles des romans irréprochables au point
de vue moral, d'excellents ouvrages d'éducation; mais ces gracieuses, ces
utiles productions ne dépassent pas en générai une certaine portée, elles ne
repoussent pas les anciennes attaques, elles n'en préviennent pas de nouvel-
les; elles entretiennent les bonnes pensées, elles n'en éveillent pas chez les
âmes déchues ou indifférentes; l'impression que ces œuvres produisent n'est
pas puissante pour le bien, comme l'a été pour le mal l'impression produite
par de trop célèbres livres. Ah ! c'est que la pierre jetée à une statue par
une main méchante ou seulement étourdie , imprime au marbre une meur-
trissure qu'un grand artiste peut seul réparer. C'est qu'il faut pour re-
hausser, pour venger les saines doctrines, des armes que la femme possède
rarement. La chrétienne pieuse et fervente met d'ordinaire au service de ses
humbles devoirs d'état toutes ses forces, toute son intelligence ; elle pratique
sa foi plus encore qu'elle ne l'écrit ; inspirée par ce sentiment profondément
religieux que M"" Sand appelle de Végoïsme (1), et que nous autres catholiques
appelons abnégation , la femme chrétienne sacrifie à son devoir et au bon-
heur des autres ses aspirations à la gloire pieuse de combattre le bon com-
(I) Pauline
408
il l.Ll.l 1> i'IM MM.n Vl-lllttl t.
Itat; rlle Irur sacrifie siirtunt ses guùls d'éluJr, sa traiiquillilc J'espnt, tout
ce (|(ril faut cnlin pour travailli-r à un ouvrage de haute portée.
Cepcnilaiit il s'est rencontré tout récemment une jeune femme qui , du
milieu d'une vie éminemment chrétienne, a élevé une de ces vuii inspirées
que les croyanls liénisscnl ri que les incrédules mêmes écoutent cliarmés.
Hecueillie au srin de Vubscuritc. connue elle le dit elle-même, dans Ir tilmcr
de sa rif, elle n'en a (|ue mieux entendu les soupirs et les murmures de
l'ilme, comme par une belle nuit d'été noire oreille perçoit les moindres
hruissemenls de la nature.
L'humilité de la foi a soudain révélé à M"" de Chaillé la science religieuse
avec l'art du grand écrivain , à tel point qu'en lisant son livre , on oublierai'
qu'il n'est pas celui d'un honmie, si ces formules : nous croyons , H nous
semble, si dilTérenles des formules tranchantes du pédantisnic, ne trulijssaicnl
la frumu- snnpie cl modeste. Le but de M"" de Chaillé n'a pas clé autant
d'exposer el de développer la doctrine calliolicpie, dont elle suppose ses 1er.
leurs sullisainment instruits, (]uc de faire aimer celle dortriiie, d'en faire
comprendre les rapports avec toutes les exigences de la nature humaine, et
de la venger de ces reproches si divers qu'on lui adresse , lorsqu'on ac-
cuse le catholicisme délrc trop inaccessible dans ses dogmes ou dans ses
pratiques. La meilleure analyse de cet ouvrage se résume par ces paroles
de Terlullion <|ui lui servent d'épigraphe : Témoignage d'une âme naturelle-
ment rhrélirnne. Oui, celte Ame essentiellenient chrétienne s'élève, sur les
ailes de la foi, jusqu'aux plus h:uiles régions; de là elle dislingue h la fois et
lenscndilc el les détails de l'harmonie cntholicpie , tous ses élémels in-
«iéparables les uns des autres, cl correspondant aux constitutifs de la nature
humaine ; comme une organisation essentiellement musicale suit la phrase
mélodique au milieu des parties de l'orchestre savamment combinées, l'inn'
chrétienne de Mme de Chaillé suil à lra\ ers l'Œ-uvrc céleste la pensée de son
auteur, et ce quelle a saisi, elle l'exprime a\ec une netteté, une chaleur qui
manquent à ces systèmes d'où la vie «le la foi est absenle.
Nous ne prétendon-^ pas donner une analyse complète de ce lK*au livre, et
otcr aux lerlcurs des Annales le bonheur de le lire en entier ; nous voudrions
au contraire leur en donner le désir; el ce serait défigurer l'ouvrage que de
briser celle chaîne de raisonnemenls el de déductions que Mme de Chaillii
déroule sans fatigue pour elle comme pour le lectetir. Nous désirons surtout,
cnlranl dans les vues de l'auleiir, engager nos frères égarés h étudier ce li-
%re. Parmi eux, dans toutes les séries protest.intes, il se pro<luit un malaise
toujours rroissanl ; elles ont beau, 5 force tlinronséquences avec leurs pro-
pres principes, cherchera (•ond>ler les lacunes que la Héforme a opérées en-
tre l'àme humaine et la religion, à réparer la scission produite entre la lerre
et le ciel, le vide se fait sentir à loulrs les intelligences d'élile, i chacune se-
lon sa mesure et se» exigences. A l'une il manque l'autorité, k une autre un
des sacrements ; celle-ci regrette l'unité de dogme , celle-li la variélé des
saintes pratiques. Dans le livre de Mme de Chaillé, plusieurs Ames en pn»ie
à «e \3guc mal.iisc trou^eraieut l'explication et le renu'-dc à des .soullranccs
que de nouvelles erreurs ne peuNent |H)int apaiser L":\me, comme le corps,
KULLETIN iiiiw,ior.i;.vi>iiiyi;L. Kt!)
a licsoiii qiic ses t'Iéincnls , soient dans un t'-quili^rc parlait, à l'abri de
In stircxeitation comme de h failiiesse. Madame de Cliaillé démontre
combien le ealliolieisme sait pondérer les forces, les misères de l'Ame, et sa-
tisfaire à toutes leurs exigences. .Nous n'en donnerons pour exemple que les
chapitres qui traitent de l'autorité et de la papauté , où la nécessité de la su-
prématie de rÉglisc est si bien établie dans l'intérêt même de la liberté de la
conscience, de l'intelligence, qui, en dehors de cette autorité divine, sont li-
vrées aux caprices arbitraires des opinions et des passions humaines. Ce qu'il
y a de plus triste, c'est que, semblables à rÉglisc de Laodicée qui se croyait
riche quand elle était aveugle et pauvre (1)^ ceux qui se sont soustraits à cette
autorité se croient libres quand ils sont asservis. « Car, dit Mme de Chaillé,
» les vérités séparées de leur principe, sans ensemble, sans lien, sans cette
» harmonie puissante devant laquelle Terreur s'évapore, les vérités errantes
» et désarmées deviennent l'instrument des passions , on les oppose les unes
» aux autres, elles se transforment, elles se dénaturent ; on leur conserve en-
» core le nom de vérité cependant, et Ihomme qui ne peut vivre sans ce bien
» suprême, à défaut de la réalité, se contente de son semblant Le droit
» d'indépendance spirituelle précède tous nos droits sociaux : c'est lui aussi
«qui les protège. Or ce droit, dans son principe, dans sa nature, dans sa
» réalité absolue, nous ne le trouvons sauvegardé qu'à Rome ; nous ne voyons
• pas son salut autre part que dans Rome et la papauté Par Rome toute
» individualité est abritée dans l'ordre religieux... Otez Rome, et aussitôt les
» flots de l'humanité montent et submergent partout la conscience, et le règne
«absolu de l'humanité sur l'humanité commence.... A Rome seulement l'u-
» nion intellectuelle de la force avec la faiblesse, de la science avec l'igno-
B rance, de l'indigence d'esprit avec le génie, à Rome seulement cette union
» se consomme , car cette union vient d'une source unique, la soumission de
» la foi qui a son principe dans la conscience, patrimoine de chacun qui nous
» fait tous égaux... Rome c'est le droit du barbare, le droit du sauvage, le
«droit de tous les peuples aux extrémités les plus reculées des connaissances
» humaines, le droit de la conscience à tous ses degrés de lumière^ de n'être
» enseignée que de Dieu... Tout entre dans l'enceinte de Rome..., et cha-
» que fruit y reçoit un signe distinctif qui le sépare de toutes les oppressions
« de la terre, qui l'élève au-dessus de toutes les puissances de l'humanité,
« et qui le rallie aux cieux. »
Puisque nous sommes, malgré nous, entré dans la voie des citations, si en-
traînante quand il s'agit de sentiments qu'on partage et d'un langage qui
captive, on nous permettra de transcrire encore quelques passages suscepti-
bles d'être détachés de l'ensemble sans être défigurés. Mme de Chaillé a des
mots heureux ; elle appelle le hasard un nuage dont la Providence se couvre
pour éprouver la justice de Vhomme; et voici la définition qu'elle donne
de la vertu d'humilité : « C'est le détachement du sens personnel, c'est une
I disposition de l'esprit qui lui fait déposer tout ce qu'il tient de lui-même,
» toute l'écume bouillonnante de ses propres conceptions, pour se présenter
(1) Apocalypse.
110 BlLLbTI> IUBLIU(.ilArillOli:.
» dans sa simple nature à la vt'rité éternellr , roninic nn miroir simple rt
> uni, où l'Ile puisse rcflt'cliir tous ses rayons. I/humiiilu n'est pas un senti
» ment craintif et limiile, c'est une connaissance certaine, c'est la première
> de toutes les sciences, c'est la conscience de soi, se déclarant avec généro-
■ site aux yeux de soi-même et aux yeux de tous; c'i-sl l'hurreur du men-
> songe, riiorreur du faux éclat, un besoin de réalité et de certitude que les
» ànies fortes et les grands cœurs doivent ressentir plus (juc les autres :
> amour du réel et du vrai par lequel riiomme doué des facultés les plus
» hautes préfère s'allaclier à la lumière incréée, tout recevoir d'elle et s'y
> perdre lui-même aux yeux du monde, plutôt que d'éblouir et d'entraîner
■ le monde par l'attrait de ses syst*:mes. >
On a beaucoup répété que la dévotion rend les esprits étroits, les âmes sè-
ches et froides, le langage aride et disgracieux, et que rien de poétique ne
pouvait se trouver au fond des intelligences sincèrement religieuses. (Quel-
ques passages empreints d'un vrai lyrisme qui forment le début tlu neuvième
chapitre intitulé : Itc la vie rffecliie, sufliraient à démentir cette allégation.
La mélancolie, cet élément inséparable de toute vraie poésie, s'y rencontre
comme dans les plus belles pages de Mme Sand ; tuais entre ces deux mélan-
colies, quelle dilTérencc ! la tristesse de Mn)e de Chaillé, c'est l'attente de
l'exilé, l'espérance avec le désir du retour; chez Mme Saud, c'est ce qu'elle
nomme elle-même la désespérance de l'Ame , qui a renie sa patrie et qui ne
peut s'en faire une nulle part. IS'ous ne pouvons résister au plaisir de tran-
scrire qucUpios-unes de ces lignes aussi remarquables par la profondeur de
la pensée (pie par son expression :
« Temps qui passe, et qui m'emporte, et qui m'entraîne avec tout le reste,
• j'imagine quelque chose qui n'est pas toi, qui est plus parfait que toi. qui
• est supérieur à toi ; tu n'es donc pas tout à fait mon maître, mais lu es éla-
■ bli pour une lin dont je suis l'objet. Tu m'emportes, mais aussi je veux
■ avancer; tu me fuis, mais je pourrai te ressaisir. Je veux contempler tes
» eaux profondes et interroger leur mjstèm, car il renferme tous les autres,
« celui de la vie et de la mort. Où allez vous donc, jours qui nous quittez, et
» pour(|Ui>i nous devenez-vous d'autant plus ehers que vous vous éloignez
• davantage? On dit qu'au déclin des années et dans les ondtres dernières
» qui en\ironnent notre trépas, souvent le souvenir des jours lointains se ra-
■ nime et la figure du passé se présente toute .rajeunie, comme le présage de
• quelque merveilleux réveil. C'est dans ce réveil que nous vous retrouverons,
> jours i|ui emporterez toute notre vie. .Non, vous n'allez pas au néant, mais
» à rétcrnilé. Quand vous nous avez quittés, \ous n'êtes |>as cette ninbre in-
• sai&issable, ce rien que vous semblez être ; vous êtes au contraire la grande
» chose , la base soliile , le témoignage éternel ipii nous reste ; car vous êtes
• l'épreuve, l'enseignement, la tentation, l'expiation, le repentir, la lumière.
• cl votre vision transfigurée, sans tache, saïus obscurité, sans nuage, fait
• partie de la vision qui nous attend dans les cieux. Temps qui semblaisétre
» un pouvoir destructeur et rruel, je ne veux plus voir en loi que le grand
• ministre d'étliliealion et d'immort.niité; tu passes comme un torrent r.ipide.
> et tes eaux sont \iviliantes, et loin d'y puiser l'oubli suprême, nous y pui-
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. /J H
» sons le souvenir clcriicl... Non, rien ne se perd de cette vie qui semble s'é-
> vanouir comme un rèvc; les heures qui s'envolent simmortalisent en pas-
» sant sur notre front ; et les minutes (jui nous échappent se retrouveront
» dans notre ciel, si elles ont emporté dans leur fuite les généreux battements
» du cœur, les pures aspirations de l'ûmc vers ce qui est inunuable et éler-
» ncl. »
Le livre se termine par ces lignes : « Rassure-toi donc, ô ma raison, qui
» le sens toi-même avec tes droits , tes doutes et ton ignorance ; l'Église de
» Jésus-Christ est sur la terre pour t'enseigncr ; rassure-loi, ô mon àme, qui
» as besoin de l'abaisser et de le soumettre! l'autorité légitime de l'Église de
» Dieu existe ici-bas ; rassure-toi, ô n)on cœur tremblant et déchiré, c'est dans
« la perte de tout que tout se retrouve, comme c'est dans l'abaissement de
» l'orgueil que se produit le relèvement de l'homme, et que s'annoncent les
premières lueurs de l'élcrnelle clarté ! »
Ce triple témoignage d'une âme nalurellement chrétienne n'en est-il pas
aussi la gloire et la consolation?
De Romont.
FIN DE LA TROISIEUE SERIE.
TALI.K DKS «VriÈltES
< o^Ti:\i i:s UA'xs i.\ Tiioisii:tii: sfrii:
Pages.
Aux ahonm-s, par M. Tnljl)»' Mi hmiilod. . . . 'i
Frt'di'iic ()/aiiam, par M. Edouard 1)( ikksnk. ... 7
Quelques J(*faut.s dus chrétiens d'aujourd'hui 52
Silualiun de Cienôve. — Chronnjue reli<,Mi;use (iO
— Chronique |)oliti(]ue Oti
Hullelin lilt.-raire G7, 128, 2G7, 330, 405
Du Taulorilc el de hi révolution, par Mgr Renui, évoque
dWrinecv Gi)
Fragments des conférences inédites du U I'. Nkwmaî». 109, lil
Prières cl souvenirs, par Octave DiCHos IIS
Mélanges ««l nouvelles 128, 188, 2GG, 313, 3!)()
Un dernier mot sur la religion de Leibnilz IV!)
La liberté religieuse à (lonèvc 170
l^ludes reli^ieuNCs sur IWIIemaguc 18.3
Histoire du caiilon de Vaud, par M. le docteur Verdeil (M*"*"
d«î Uomom) li)V
Les Mormons 205
De rKucharistie, etc., par l'ahhe E. (jiassav 223
^'!Iu(I(mI(! la doctrine catholique dans le concile de Trente. 2'*3
Du protestantisme à (icnéve, par M. Tahhé <î. Mkrmii.i.od. 2^)1
De l'essence de la vie ri'ligieuse, par le H. P. Da>7.a8, de l'Or-
<lre des Fréres-Précheurs 2Gî)
Histoire de rarchitecture sacrée du quatrième au dixième
siècle , dans les anciens évèchés de (ItMieve, Lausanne
et Sion, de J.-D. HIavignac, par E. Di kri:s>k. . . 28U, 3<»7
Lettre à un protestant sur le culte de la Sainte-Vierge. . . 303
!;\[>licalion, par .\. Nicolas 3311
Les ministres et la Hihie Siiîi
GKK^.VE. — MARC MEnUKG , I.MPRIMKrH-MBRAIRR , CORRATKRIK , 12.
ANMLES CATHOLIQUES
DE GENÈVE.
I
ANNALES
CATHOLIQIES
DE GENÈVE
l*ul>liécs sous la flircctiou de 11. Talibé
G. IIEIIUILLO».
PA fict unum ovilc , et «nus pastor.
(Paroies de N. s. J.-C.)
Posl tcncbras lux.
( Devise de Gekéve.)
QïïJjlTmÈMK: SÉMiME.
MARC MEHLING, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,
Curralerie, 12.
1854.
LE LIBRE EXAMEN
Jugé par les protestants.
L'agitation religieuse règne à Genève. A côté de la question in-
dustrielle et de la question des bonnes affaires; à côté de la
question politique locale; à côté de la question des chemins de
fer ; à côté de ces graves préoccupations , qui absorbent le plus
grand nombre des esprits spéculateurs et politiques, se présente
la question religieuse, et celle-ci tend à devenir prédominante ,
quoi qu'on fasse. Genève suit un courant irrésistible , et il est
bien naturel que ceux qui ont un intérêt à l'arrêter s'y oppose
de toutes leurs forces et par tous les moyens en leur pouvoir.
Les catholiques et le catholicisme, qui étaient proscrits à Genève
depuis 300 ans, y sont rentrés avec les Français; puis ils s'y
sont établis, lorsque les traités de 1815 ont formé autour de Ge-
nève une ceinture de paroisses catholiques devenues genevoises.
Ces paroisses sont elles-mêmes pressées par la France et par la
Savoie catholiques ; aussi aujourd'hui 12 à 14,000 catholiques
habitent Genève et ses faubourgs; ils se bâtissent une seconde
église ; ils prennent part au banquet du commerce et de l'indus-
trie ; ils jouissent de tous les droits politiques, et ils ont un or-
gane religieux, les Annales Catholiques, pour défendre leur foi
et leurs droits...
Je comprends parfaitement que les prolestonts s'en attristent
et s'en effraient. Prétendre qu'ils disent amen à un pareil mou-
vement ascenlionnel, c'est méconnaître le cœur humain, la puis-
G i.E unv.r. rwie?» jick pau les i'hotesta^its.
sanrc des souvenirs . la Tore»' di's |ir«'jiin«''S ; r'rsl (Irmnncicr l<'
sarrilire d'iin oij^ucil national ln'S-l«'gitim«* an point de vue t\f la
Home protestante d'ann^-fois; c'est vouloir riinmointion la plus
<lini('ile, celle d une erreur inxélérce, innée, cajoNe; celle d'une
erreur (jui est devenue une passion, une habitude, une gloire
même; erreur <|ni a moule les < aracières, le langage et les son
timenls des Genevois : Le lidre examen!!
Que nos cliers concitoyens no se donnent pas la peine de prê-
ter aux catholiques, ni des conspirations sourdes, ni des ma-
nœuvres odieus»'s, ni de noires |)erlidies ; qu'ils ne s'imaginent
pas que la haine et d'insolenies espérances guident et poussent
les catholiques n'-néchis et véritablement religieux. Non, il n'en
osl pas ainsi. La lutte qui se formule par des (•« rits, par des dis-
cours cl par des laits divers, est surtout dans les doctrines. Cette
lutte esl irès-sérieuse el parfaitement inévitable. C'est parce que
nous la croyons très-importante, c'est parce que, quels que
soient tin jour les triomphateurs, nous la regardons comme de-
vant prolondiint'ut n)o<lili)>r la physionomie! et la situation de
Genève, que nous sup|)lions les hommes qtii examinent sincère-
ment de (initier le terrain des peti's débats, des petites passions,
des préjugés vulgaires, des accusations banales, des |)etiles bro-
chures. Il s'agit de considérer attentivement l'état religieux de
Genève, mais surtout le principe dissolvant du protestantisme ,
afin de se rendre bien compte de la valeur de ce rpte les Gt'ne-
>ois |)i(>tesianls nppellmt leur adversaire : i.e r\TH<u.irisME.
Deux doctrines s<tnt en présence; la doctrine catholique de
l'autorité, la do( trine |iroteslante t\o libre examen.
La doctrine (l'autoi ité- .se formule ainsi : < Jésus-Christ , en
n donnant aux h<»mmes une religion sainte, en fondant son ICgIise,
» en donnant sa loi, en établissant ses .sacrements, sources de
» sauctincîMion et «le salut, a é'iabli une autorité visible, immor-
>. telle, inlaillibie, pour conserver, propager et enseigner cette
« religion, constituer cette if^glise, interpréter cette loi el distri-
■ buer ces sacn-ments. Cette l'église, «'est rÉglise catholique,
» apostoli(|ue et romaine. ■>
l>a «loctrine du libre examen pri\é cousist(> « à attribuer à U
«raison ind'M.linlJe jr droit ei le devoir d'interpréter librement
U-. Lir.r.R EXAULN JUGli PAU LES PnOTESTA?(TS. 7
» la Bible, (le prononcer sur son aullicnlicilé, sa canonicilé, son
» inspiration, cl d'en faire jaillir la religion <lc Jésus-Qirist, l'É-
» f;lisc (le Jésus-Christ, la loi de Jésus-Qirist, les sacremcnls de
» J(''siis-Clirisl. »
On le voit facilement, tontes les autres questions, en religion,
sont secondaires, et on déplace entièrement et insidieusement
le conllit, lorsqu'on va se jeter dans la discussion des croyances,
des textes controverses, des abus ou des erreurs des hommes;
le point litigieux est là. Vous vous escrimez sans fin et sans ré-
sultat, si vous restez sur un terrain lloltant , divisé, sans fond.
Le protestant répétera sans cesse : la foi sans les œuvres sauve ,
cl il trouvera des textes dans saint Paul qui appuieront son io-
terprétation. Le catholique répondra avec Jésus-Christ, saint
Paul et saint Jacques , que , sans les œuvres , la foi est morte , et
que riiommc n'est pas justifié par la foi seule, et non ex fîde tan-
tum.... Et puis après? Le doute, la profanation de la Parole
sainte, la division, la guerre. La seule grave question que doi-
vent EXAMINER les liouimes qui pensent > c'est la question fonda-
mentale. Y a-t-il une autorité divine et infaillible en matière de
religion, ou bien le libre examen privé est-il la solution et l'au-
torité définitives?
Nous nous proposons d'exposer la doctrine catholique de l'au-
lorité, d'en faire ressortir la nécessité, la divine origine, la per-
pétuité, la sainteté, et nous sommes profondément convaincus
que tous les protestants qui nous liront s'écrieront, dans l'intime
de leur âme :
Le principe catholique de l'autorité étant posé, les catholiques
sont parfaitement raisonnables et parfaitement heureux.
Le principe catholique de l'autorité est infiniment plus sûr,
plus pratique , plus universel , que le principe du libre examen
privé.
Le principe catholique de l'autorité est nécessaire, il est vrai,
il est divin.
Pour le moment je dois, comme introduction à des travaux
subséquents, amener l'attention des amis et des adversaires des
Jnnales sur la valeur du libre examen privé. Je demande à Dieu
de me donner la force et la lucidité du raisonnement, le calme
H LE LIBKK fAAVE.I JUGÉ PAR LES Pm>TESTA>TS.
el la ( liarité dv l'expression dont j'ai hesoiti pour «'rlaircr mes
lecteurs bienveillants ou prévrnu.s, et |)uur les amener à consta-
ter avec moi rinanilc alisolue du ce déplurahle principe destruc
leur (!•' toute Un , de toute certitude, de toute parole de Dieu et
raùuie de toute religion.
Il est une tncti(|uc de nos infortunés adversaires (|ue je dois
démasquer dès l'abord. Ils veulent faire croire à leurs a»leptes
égarés que nous sommes les ennemis «le la Parole de Dieu, de
la Bible, tandis que dans renseignement callioli(]ue cl dans la
prati(|ue de tout son culte, rien n'est plus vénéré, après Jésus-
Christ lui-même, (|uc sa sainte Parole, que la sainte Bible. Les
catholiques ont une telle Nénéraiion, une telle obéissance pour la
Parole de Dieu , pour la sainte Bible , qu'ils croient que Jésus-
Christ, afin de déterminer sûrement oii elle se trouve, aOn de la
conserver intacte, de la propager et de l'enseigner purement, a
fond<'^ une autorité visible et infaillible, sans laquelle sa s;iinte
Parole serait et est effectivement déchirée en lambeaux, défigu-
rée, odieusement et contiadicloirement inler|)nie(', et menu- ni<'e
par ceux-mémes (jui s'en disent les défenseurs. Les catholiques
ont nn tel respect pour la sainte Bible, qu'ils regardent comme
un crinie d'en changer un iota, de défigurer le sens d'un seul
de ses versets. Ils la placent sur un tr«*>ne d'hoimeurdans les con-
ciles; ils la baisent chaipie fois (jifon la lit dans les saints olfices;
ils ont parlont des chaires sacrées pour l'enseigner ; ils en font
a|)prendie |>ar cnur les pins beaux |»assages à leurs enfants; ils
en représentent les plus siihlinies et les plus touchants enseigne-
ments par la s( iilpinn; , la peinture el le luu'in, et à toute àme
(|ui vent la lire ave«' foi, sim|>licilé et amour, ellj l'olfre commt;
un aliment divin. Ce n'est cpie depuis l'apparition de la funeste
dt>ctrine du libre examen, qui diiruit la foi, deilie l'orgueil de la
raison privée , ébranle jus(]ue dans ses fondements rauloritc de
la sainte Bible, en mulli|ilie les mauvaises éditions, les traduc-
tions lalsifu'es et les iiili-rpreiiiiioiis cotUradirloires, (|ue l'r^ilise
a mis (|uelques faibles restricli(ms à la lecture de certaines Ira-
<lu( lions, dans l'inlérèt de la sainte Bible elle-même et des âmes
orgueilleuses ou légères.
L'univers est couvert de Bibles catholiques «n hiiin, en grec,
LE LllUlIi liXA.UE^ JLOÉ l'AK LES l'HOTtSTAiNTS. 0
en liéhrcu , (jm' loul l<; monde pciil lire sans exception ; Tiini-
vers est coiivcri de Bibles cailioli«]iies traduites dans toutes les
langues du inonde, dont l'aiiprohalion du Souverain Pontife ou
des évèques yaiantil rauilicniicilé et l'exaclilude. Tout l'univers
est couvert de livres de pii'té catlioli(|ucs où se ironve le Nou-
veau Testament loul entier, iivics (jui sont dans les mains de
tous les iidèles. La sagesse de l'Eglise est «'videnle dans les res-
trictions iiu'elle a portées engént'ralcpntre la lecture des mauvai-
ses Bibles, par respect pour la véritable ; et en particulier contre
les mauvais esprits qui s'y sont souillés par une lecture impru-
dente (1), ou qui s'y sont perdus en la soumettant aux plus témé-
raires ou aux plus absurdes interprétations individuelles.
«Nous donner l'Ecriture sans le sens, dit Bossuet, c'est nous
» donner un corps sans âme, une lettre qui tue. L'Écriture , sans
» sa légitime interprétation , l'Écriture destituée de son sens vé-
» rilable, c'est un couteau pour nous égorger; l'Arien s'est coupé
» la gorge par cette Écriture mal entendue, le Neslorien se l'est
» coupée, le Pélagien se l'est coupée. •■>
A l'autorité fondée par Jésus-Christ pour conserver et ensei-
gner sa divine Parole, non écrite par lui, mais en partie (2) écrite
par quelques-uns de ses disciples, et ex partie transmise par
eux verbalement, les protestants ont substitué l'autorité du libre
examen de la raison privée. Ils ont fait à chacun un droit de cet
examen et même un devoir. Alors apparaissent immédiatement,
sur la nature m»'me de ce libre examen , une foule de systèmes
parmi les protestants eux-mêmes.
Le premier système limite le libre examen par l'autorité des
confessions de foi , des décisions des synodes ou des souverains
chefs spirituels des religions nationales. Telle est la formule chez
(1) Dans une ville protestante que je ne veux pas nommer, j'ai vu une
Bible livrée à la curiosité de jeunes filles de la maison et des domestiques,
où la tranche noircie du livre attestait qu'on avait trop lu les livres ou les pas-
sages des livres saints qu'il ne fallait pas lire, et qu'on avait délaissé les plus
nécessaires enseignements.
(2) Il > a beaucoup d'autres choses que fit Jésus, et si elles étaient rap-
portées en détail , je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où
elles seraient écrites. (Ev. de st. Jean, ch. XXl, v. 2.5.)
10 LU LiOl;L i:\A.'Ub> JLUL l'Ail LES l'ItOTLSTANTS.
les an^lirans, les liiilicricns , les (iisci|il('s île la conrossion licl-
v«'ii<jiii', lin syrKxlr «le Doidieclil ; les calvinislcs purs n'exami-
niE.M ijue dans les limites posées |)ar ecs ai'Torités. L'inconsc-
(jiience ci la oonlradiriion saiileiji nnx veux dans re premier
syslèmo.
Le second système rcjellc les conTessions de foi en principe,
mais, dans la praliipie, ses adliérents se soumcMeni à Tenseif^'ne-
iiicnl de leurs ministres. L'incoiise<|Ucnee et la conlradiction sont
encitre plus grandes, parce «pie \ (tutoriié d'un indi>idu est en-
core plus minime <pie celle d'un corps, parce que les lumières
d'un individu sont «'ucore moins sûres, et enlin par<e que les va-
rialiuns sont alors l>4'aucoup plus faciles et plus nombreuses.
U' troisième système soumet la sainte liihle, son autlienticitt*,
sa «anoniiilé, son inspiration, son iriter|)ivtatiun à l'aitorité ali-
soliie de la raison iiidiNidiielle. C'i'st le rationalisme, le plus
C()nsé(|ueni des systèmes protestants, mais le plus destructeur de
toute foi, de toute révélation : il a dcKliiié feuille par feuille la
sainte Bible, profam* la Parole de Dieu, ruiné toute reli^'ion po-
sitive el ravagé toutes les contrées et toutes les intelligences <pii
en ont été les adeptes.
I.eijiiatrième s\sième a eieune n'aclion contre le rationalisme.
11 prend LEXAMi^N |irive pour un instrunrent , mais il soumet la
raison à l'autokité de la IJihb» ; système eu apparence plus re-
ligieirx , mais plus rétréci , plus Irompeirr, (pii conduit à l'indi-
vidiralisme mvstiijue. Avec rapparcnce de la première autorité
donnée à la liiblc , il ne soumet |)as moins son auilienticilé, sa
canonicité, son inspiration el son interprétation ù l'examen privé
de cj'Iui «pii n'v voil , n'y Kl , n'y coinjncnd (jue ce que sa raison
y voit, y lit et y comprerrd.
I-e ( iriqrrième système est ceirri des illuminés, des quakers,
des piétistes, des méiliodistcs oir momiers. (^es protestants c(»m-
premrent les énorin<'S coritia«li<tioiis , les incitiiseiprenccs et les
consecpiences d«'s quatn; systènu's ci-dessus «lir libre examen
j>rivé, isolé d'une action sitrnaturelle; et ne voulant pas de l'au-
loritf- irrfaiHible de l'I^lglise callioliipio, ils ont inventé une autre
«'Spèce de libre «xamen |)ri\e. Ils se tlonnent irire sorte dirrfail-
libilité irrdividnelle pai- la supposition fliine ins|tiraiion indivi-
r.n i.inr.1: F,XAME^' ji'cé r.vr. les trotcstants. I 1
iliit'lli- (If rKspiil-Sainl!! Il ost de Hiil que la pinivir intclligonco
Immaiiio, à force de se nourrir d'illusion, de fanatisme et d'or-
j;ueil , peut ariivcr jiis(Hif-là. M:iis, d'une part, cliaque individu
étant juge de la videur de son saint espiit privé, de la manière
dont ce saint esprit lui donne l'authenticité, la canonicilé , l'in-
spiration et rinterpi'(''lafion de la Bible; et d'autre part, des sec-
tes très-diverses, et des individus de la même secte, prétendant
à cette bienheureuse inspiration, tout en ne recevant ni la même
Bible, ni la même traduction , ni la même interprétation , même
sur des points fondamentaux , il en n'-sulte que ce système n'est
qu'ime déception de plus, et une d(''ception plus dangereuse
que toutes les autres ; elle est à la porte du fanatisme et de la
folie.
EnGn le sixième système est celui de M. Schérer, ministre et
professeur protestant qui a déserté l'église méthodiste de Genève,
dans laquelle lui , avec son libre examen et son inspiration du
Saint-Esprit, « il a vu que Christ n'était pas dans cette église; »
«que le protestantisme était dans l'ineapacité absolue de prou-
» ver l'inspiration dos livres saints; » « que ces livres n'étaient
ï que des autorités humaines pour mettre les âmes en rapport
» avec Christ;» « que l'inspiration privée pourrait arrivera le
» trouver et à s'y unir à l'aide de divers milieux qui n'ont nulle-
» ment besoin d'être divins... » Dernière phase du libre examen
privé qui a découvert, dans l'élude et l'enseignement de la Bible
et du système méthodiste, le moyen de reléguer la Bible elle-
même sur le second plan et à lui ôier son autorité sacrée...
Ainsi en est-il de toutes ces nuances du libre examen , qui
n'est, en définitive , que l'autorité de la raison faillible et privée
de l'homme se substituant, à force d'orgueil ou d'illusion, à l'au-
torité non-seulement de l'Église catholique, mais de la sainte
Parole de Dieu elle-même.
Le libre examen est la déification de la raison. C'est une ido-
lâtrie spiritualiste pire que l'idolâtrie matérialiste des panthéis-
tes sensualistes.
Mais avant d'entrer dans l'étude approfondie de cette thèse ,
il nous paraît utile d'exposer ici les diverses appréciations du li-
12 tr. i.inuL txAME?» jigé tau Lts vrotestant».
lire rxamni |»ri\f (ju'ni uni données les proteslanls oux-nit^mcs.
Nous les prenons dans les auteurs el dans les livres les plus gra-
ves de toutes les sectes.
(Ialvim. « \ray est, que nous ne nions pas que ce ne soil le
propre olllce de l'Église, de discerner l'Escriture Saincle, d'avec
les li\res suppose/...» (1). Puis, « Il est donc requis (pie la per-
suasion soil prise |)lus haut <pie des taisons humaines... assa-
voir du témoignage secret du Saint-Espril » (2).
Les A^ABAPTlsTEs. « Tous les écrits «lu INouveau Testament ont
été interpoli-s ou falsifiés » (3). Puis, o appuy«''S sur ['inspiration
ou ttinnitjnayt ilu Sainl-Lsprit, ils ont eii- justpi'à ne faire au-
cun cas des Ecritures » (4).
Calvin, en parlant des anabaptistes : «Quant à ce (pi'on en
void aucuns <iui sont séduits sous Vumbre de l'Évangile, el lire/
en diverses erreurs, sachons que jamais cela n'advient «jue par une
juste vengeance de Dieu. Saint Augustin dit bien vray, qu'arro-
gancc est mère de toutes les hérésies... » Si pM présomption nous
Venons à lutus séparer d'une conq)agnie rhrelienne, nous sommes
faits DIABLES (Ô).
(>ALViN : a 11 n'y a que des insensés manifestes qui puissent es-
pérer «pie sans le secours du ministère de la parole, ils seront
parfaits en Jésus-Christ. Tels sonl les orgueilleux qui penseni
que la lecture particulière de la Sainte Écriture leur sufTii lelh;-
mcnt qu'ils n'aient pas besoin «lu ministère commun de l'Église.
C'est précisénu'iil !«• c(jnlraire de la docirin»! de saint Paul , «pii
leur témoigne clairement que scion l'ordre établi par Jésus-Christ,
c'est s«'ulenu'nl par la prédication extérieure, en nous laissant
gouverner el pj'rlectionner par hs hommes, <|ue nous pourrons
entrer dans la structure de l'Église et éU'e parfaits en Jésus-
(I) Calvin. Opiisc. La rruir manière de reformer l'Église, cdil. Genève,
ICH.Col. 1-2 10.
(-2) r.ahin. liistK. Liv. I, cli. VII, ii. i, i.. 'iS. IMil. G«-iic\c, i:il»C.
(3) Iiist. Mrrcicr. De Vrspril des iiniibnidistes, p. TÀM.
(i) M..llicr. SymhnUtjue. Th. I. ■ .7.». T. II. p. I'.)l. Lach.it, !8Ô6.
(5) Calvin. Ojjusc. col. G«0 cl 15;>3. Kdil. de Genève, lUil.
LE LIItUL EWniiN JUGÉ PAR LES FKOTESTAriTS. 13
Christ. C'est là une ivgic iinivorsellc dont los plus hauts génies
ne sont pas plus cxcnipts que les i>clils esprits » (1)
Calvin, en parlant des libertins : « Esprits eseervelez qui per-
vertissent tous les principes de religion, pour voltiger après leurs
fantaisies, sous ond)re de révélation du Saint-Esprit (2). Je vou-
droyc Itien savoir d'eux qui est cest Esprit par l'inspiration du-
quel ils sont si haut ravis qu'ils osent contourner toute doctrine
de l'Escriture (3)... L'Espiit Saint n'a d'autorité envers nous,
s'il n'est discerné par une marque tiès-certaine (4)... »
Les libertins répondaient : « Nous discernons très-certaine-
ment l'Esprit Saint au seul éclat de sa lumière, tandis que Cal-
vin soumet l'Esprit de Dieu à l'examen des hommes, c'est-à-dire
au jugement de l'Église (5). »
M. MouLiMÉ , ministre genevois : « Il serait dangereux et in-
juste d'omettre les apocryphes dans l'édition des Livres Saints.
Ce coup d'autorité fournirait des armes aux incrédules et aux
juifs. Il serait attentatoire au droit des fidèles présents et à venir.
Il agrandirait le mur de sc'paration entre l'Eglise catholique et
les autres sociétés chrétiennes. Et ce serait prendre sur soi une
terrible reponsabilité devant Dieu en se âécluraxit juge infaillible
des controverses» (6).
M. Gaussen, ministre méthodiste à Genève, à M. l'abbé Com-
balol : « Le Concile de Trente est hérétique, parce qu'il n'a
pas, comme nous, rejeté l'inspiration des livres apocryphes » (7).
M. MoisoD. « Que faut-il pour découvrir le sens divin de la
Bible? Il faut l'y chercher pour soi, en s'en rapportant à son ju-
gement particulier ; c'est la voie naturelle» (8).
M. Panchaud. « Le droit de prononcer sur la fidélité des tra-
(J) Calvin. Conmient. in Ephes IV, V, II, ii. Comment, in 1 Tim. ill, 42
(2) Calvin. Inst. Liv. I, ch. IX.
(5) Calvin. N. I, p. 59.
(4) Calvin. Liv. I, ch. IX.
(3) Calvin. Liv. IV, ch. X.
(G) Moulinié. Notice, etc. In-8. Genève, 1828.
(7) Correspondance entre M. Combalot et un minisire protestant de Ge-
nève. Annales catholiques.
(5) Monod. Lucil., p. 122.
11 IL LIURE EXVMLK JtliÉ i'AK LtS PROTtsTANTS.
(Jmtions ou sur le sons dos Écriliires, a rie donne ù clia(|U<'
liiKIe» 1 .
M. Boi'CUER. « Selon nous, le Saini-Esprit parle directement
a clia(|ue lidèle ■ (2).
iM. MoNOD. « K('mar(|ut/ t|Uf l'assurant »• dniii je parle, cVsi
rassurante du salul, non une assurante d'inraillibililé. Je ne
dis pas (|ue l'âme fidèle sera lellemcnl éclairée sur loules les
ipu'sliuns de dortrine, (juclle ne pouira londter dans aucune
erreur, sur aucun puinl; je dis seulenienl qu'elle sera lellemenl
éclairée sur le l'ondemeni <lc la foi, qu'elle ne pourra s'y mépren-
dre . (3).
M. Mo>oD. « Après loul, cela n'est pas indispensable, car <»•
(pii importe pour moi, «'est d'avoir la vérité, non de prouver
(jue je l'ai » (4).
Le 1" sY>oi)E NATIONAL DES RÉFORMES FRA^^.A^s, tenu à Paris en
loo9 : 1 Les herélitpies, les contentieux... les rebelles contre le
Consistoire... seront du tout excommuniés et retranchés, non-
seulement des sacrements, mais aussi de toute assemblée » (ô).
Le sYiNODE CALViMSTE DE DoRDRECHT, dc 1 6 1 9 : " Lcs arméniens
sont excommuniés. >»
Les quakers ou Tremblelrs « uieni la nécessit<' de lire l'É-
criture Sainte » (fi).
M. GiRoo. « Sous aucun pn-lexle , par aucune raison , on ne
peut, SOUS l'KLNK DE DAMNA l'ION, négliger le commandement
du Seigneur de lire la Bible » (7).
M. GiROD : u Jésus-Cliiist conmiande à toit le monde de lire
toute IKcrilure en langue vulgaire » (8).
M. GiROD : * Nous convenons que |)Our lire la Bible avec fruit,
il faut une méthode; nous croyons «piil laul commencer par le
(J) Paiicliauil. !2' li\., |>. ~A.
(2) BoucluT, |i. 177
(5) Moiind, p. -H'À).
(i) Moiio.l.|..2«M>2(Ki.
(.•)) Ail. \\\.
(0) Mgr MaiiKi. I. |>. 1 1<.>.
(7) .M. (iiiud, |). ùi\.
(8) M. Giroil, |i. 55.
LE l.iniSL EXAMEN JUGÉ PAR I.CS PKOTESTANTS. 15
Nouveau Teslamcnt. Il faui certaines dispositions pour proliter
«le la Parole de Dieu ; celui «jui ne les a pas , (ju'il les demande à
Dieu, qui ne les refusera pas » (1).
M. OsTER : « Personne ne doit lire l'épitre aux Hébreux avant
d'avoir éludié l'Ancien Testament tout entier » (2).
Le synode grec de constantinople, de 1836 : « Condamnation
de toutes les versions de la Bible des hérétiques modernes, des
luihéro-calvinistes ou autres maîtres d'erreurs, faux apôtres,
destructeurs de la vraie foi et perturbateurs du peuple fidèle...
Ces Bibles n'ont pas de caractère canonique , elles sont écrites
dans un style pitoyable, elles fourmillent d'expressions inexactes
et impropres; elles sont remplies d'erreurs » (3).
Le comte de Zinzendorf, fondateur, en 1722, de la secte des
Hernhusters, ou Frères Moraves : « L'interprétation de la Sainte
Écriture n'est pas le point capital de ma doctrine... Il faut, pour
cela, un don que la nature m'a refusé » (4).
Barclay, l'un des chefs de la secte des Trembleurs : « Les
Écritures ne doivent pas être estimées cemme la principale ori-
gine de toute vérité et de toute connaissance, ni la première et
la plus complète règle de la foi et des mœurs ; elles ne sont
qu'une déclaration de la source, et non la source même. L'esprit
Saint est le premier et le principal guide; il est originairement
et principalement la règle de la foi » (5).
M, O'CoLLAGHAM , ministre anglican : « La Bible , sans expli-
cation et sans commentaires, n'est pas faite pour être lue par des
hommes grossiers et ignorants ; la masse du genre humain doit
se contenter de recueillir son instruction d'autrui » (6).
Le 22" SYNODE NATIONAL DES ÉGLISES RÉFORMÉES, tenu à Vitri, en
1617 : «D'autant qu'on a trouvé des fautes notables dans les
(1) M. Girod, p. U et 55.
(2) Oster. Le droit de tout homme, p. 34.
(5) .1. Wengcr. Bcitrage zur Kenntniss des gegenwœrtigen Geisler und
Zustandcs des Greichisclieii Kirchc in Gricchcnland und ïurkcv Berlin
1859, p. 179 et 144. ' '
(4) Haenighaus. II, p. 90.
(5) Barclay, p. 207.
(G) O'Coliaghan,. dans le Consei-vateur, T. III, p. 301.
H) LE LIBRE EXAMEN JUCÉ PAR LES PROTESTANTS.
«xeniphiiros imprimes «les Hiblos cntitTcs, ci Hans coux du Ndii-
veau Tt'siameni ci dos Psaumes à part, il est enjoint aux eonsis-
toircs «les églises où il y aura quelque imprimerie, de prendre
bien ^^artle que les imprimeurs aient «le l>«»iis « :ira«i« res. » « Les
ex«;mplaircs «.le M. T., imprimeur à Muntauban , doivent ^ire
supprimés, à cause des fautes en très-grand nombre de la «lite
impression, qui en alt«''rent le sens » (1),
JACiji'ES, premier roi prot«'slanl «l'Angleterre, dans la conle-
rcncc d'Hamploncourl , « défend qu'on se serve de la Bible de
Genève, la pire de toutes, «i «|iii eonlieni des notes fort partia-
les, fauss«'S, séditieuses et ressentant par trop les desseins d'un»'
àme danger«'usc » (2).
BocuART, protesUint : « La version d'Olivétan, revue jxir Cal-
vin, est Vaversion «les savants > '3.
MM. L. Bonnet ei Cu. Baup, protestants : a La version de
Martin parle un langage suranné, incorrect, obscur... Nous
avons une aversion prononcée pour toute traduction, qui à clia-
«pie instant nous livre la |)ensée apostolique comm«'ntée , para-
phrasé»', «'l non simpbmcnl exprimée... ÎSous retoucherons «l'une
main discrète et réfléchie la traduction d'Osterwald, dans tous
les passages où elle s'écarte évid«'mment «le l'original . et dans
ceux où elle le rend affaibli, «lé< olor«' » (4).
Martin Burer Sixtiis Amama, Marinx aflirme que «le toutes les
iradu« lions «lonl les églises réformées faisaient usag«', il ei'v en
avait aucune «pii s'érarlàl davantage «lu texte «triginal qn«' la
v«'rsion alleniamie de Luiher (.»).
M. Boi'ciiER : « La fausse interprétation de la liible est un mal
sans remède!!.. Le triage «lu vrai appartient à Dieu seul!! » f»
Sv>ol>F. PROTESTAIT I»E BERI IN, 18i(» : " L«'S livrCS SUMbnliques
il) Lo 2i' î-yninlc, olr. La ll;t\r. I71((.
{2) Chardon <lc l.i);!iy, p. 5.'>. Journal drs xarnnis, fi\^\^\. t\o 1707, p. 2.S^
(7t) Scncbicr. Ilisltiirc de Genève, T. 1, p. Hm. (iciièvr, ITW.
(1) I^ .Novpau T(*staiiiciit «le N. S. JésuvClirisI, avec {\e$ notes esplirnli-
vrs ri lies inlrodiiclions h rliac|tic livre, tl'apn's M. O. do (irrlarli . par I
Itoiinrl et Cli. Ilomi». T. I. pirf., p. H. F'aris. |Sl(i.
ui) Voyoz Mayrr. Hisl. vers. I.iilli., p. !>!î.
(G) M. lioiiclicr. L'hominp drvnnl la Ilibic. p. SCI et ifi'i.
LE LllUlt b\A>ILi> Il t.K l'.VK LKS PROTESTAMS. \7
coiiscncroiil, pour les ililleieiiles éylisiîs iiaiiuiiaU.'s , la valeur
qu'elles jugeronl à propos de leur donner, el (pi'ellos pourront
leur conserver, alors même qu'une profession de; loi commune se-
rait adopUM» par la conicrence » (1).
Miss Harriet Martineau : « Il est maniresiemenl absurde de
(lire d'une pari à un lionim(! qu'il doit déduire sa foi de la Bible,
et d'autre part de lui signilicr d'avance ce (|u'il doit cioire, sous
peine d'être damné » (2).
Le docteur Hengstenberg : « L'église évangélique allemande
ne reconnaît plus l'aulorilé des livres symboliques, et l'incrédu-
lité est publiquement enseignée par au moins autant de tliéolo-
giens el de supérieurs ecclésiastiques que la foi... Est-ce dans
un tel état que rÉvangélisme peut lutter comme Église contre
l'Lglise romaine, lorsque les divisions qui le déchirent sont plus
graves que celles qui le séparent du catholicisme (3)?
M. Malcolm, ministre américain: «Il serait impossible de
traduire les Saintes Écritures par écrit dans la langue du peu-
ple chinois, quoiqu'on puisse peut-être les faire comprendre par
une explication orale. » M. Malcolm en dit autant d'une version
malaise.
Luther s'écriait contre Emser relevant les innombrables fautes
de la traduction de la Bible : «Papiste, tu es un une; si c'est
une faute, qu'elle y reste, c'est ma volonté » (4).
Heilmann : « La Bible est plus difficile à comprendre que les
ouvrages d'Homère, de Thucidide, de Polybe et des autres au-
teurs grecs » (ô).
ScHELLiNG : « Il nous faudra donc chercher le palladium de
l'orthodoxie dans la connaissance des langues. Ainsi l'autorité
vivante est remplacée par celle des livres morts, écrits en langues
qu'on ne parle plus; autorité humaine et arbitraire qui enfante
(1) Conesp. 18i6. T. XIV, p. 547 à 3-49.
(2) La foi de l'Église universelle d'après les Saintes Ecritures, par miss Har-
riet Marlineau ; Irad. de l'angl., p. 60, 64, 66. Paris, 1854.
(5) Evangelische kirchen Zeitung. N. 27ot2S. 1844.
(4) Audin. T. III, p. 412.
(;)j In comp. Theol. dngm. 1761, p. 58
18 LK LIBRE i:\\ME> JIT.K PAR LES Pr<»TESTA.1TS.
un t'sclava^'C bien plus pesant (\uc l'autorilo catholique» (1).
La Bible 2 ne |)eut t^n* rf^^ard»*»- comme le fomli'monl d'un
système reiifîieux. Tous les partisans de la BiMf ont lire de ce
livre des dot iriiics souNcnt » utiiradirioircs , et s en sont servis
j>uur se perse( uicr les uns les aulrts ci |>()ur se condamner nm-
luellemcnt comme hérétiques.
Nous pouirions ajouter à ces appréciations du libre examen
par les protestants, cent autres textes non moins formels et non
moins curieux. Ia'. liLr(; examen, aux yeux de tous, est un instru-
ment usé, un instrument qui glisse dans la main, qui blesse et
qui coupe celui <pii s'en sert, que chacun retourne contre son
adversaire, pour en ùtre frappé à son tour. C'est l'arme de la
discorde, de la division, du doute, du scepticisme. C'est le scal-
pel qui va stigmatiser la sainte Parole de Dieu , déchirer la robe
sans coulure de Jésus-Chrtst cl mettre en lambeaux la Bible sa-
«rée sous le fouet exé'geiicjue de la pauvre et orgueilleuse raison
humaine, et de Texallalion des sectaires fanatisés.
Mais après ces voix relenlissanteseï reproduites, avec intention.
I)èle-méle , des protestants (h-courages, examinons la valeur in-
trinsèque du libre examen au ilambeati de la saine raison et (te
la parole divine.
(La suile prochainement.)
(1) Prof. D' von Stlielliug, Voilcsuiigcn ubor das akadeniis«h«r. miuIimiu,
200.
(i) Jcnar ;illg. I.itcratiirzcitimp. IS^l. N" iH.
LETTRE
DE M. AIGISTIIV COCHIIV A M. AIGISTE INICOLAS
Siif réliit (In paupérisme en Anp;Ieterre(l)
Monsieur et excellent ami,
Vous voulez bien me demander de relire, après mon retour d'An-
gleterre, le passage de votre livre sur le protestantisme^, qui est re-
latif à la peinture de la misère dans ce grand pays où il y a tant à
admirer. Vous me priez de vous dire simplement si votre récit et
votre jugement me semblent exagérés.
Je vous obéis, après m'être toutefois mis en garde contre mes
impressions, en les soumettant à la raison si pénétrante, si supé-
rieure de M. Benoist d'Azy, avec lequel j'avais le bonheur de voya-
ger; et avoir fait , dans les livres les plus renommés et les docu-
ments officiels, des recherches qui ont duré plus longtemps que
mon voyage lui-même.
Laissez-moi commencer par un aveu : votre livre semblera tou-
jours exagéré.
On trouve, en effet, exagéré, non-seulement ce qui sort trop vi-
siblement des bornes de la vérité , mais ce qui excède le degré , la
dose de vérité que peut communément porter l'homme, si aisé-
ment satisfait de demi-vérités comme de demi-vertus.
(1) Cette lettre se trouve dans l'appendice de la dernière édition du livre
de M. Nicolas sur le protestantisme.
20 I F.TTHK HK M. A. COCim
<!iéaluri!s d'uii juiir, i\c sarhnnt rien cl ne voulanl lien savoir
>ui' le grand prulilcnte de l'hérédité, .sur la Iransniissiun |Kiur(ant
trop corlaioe des disposilions physiques et des qualités morales, ù
plus forte rat.-^un répugnons-nous i\ recunnailre le lien de lilialion
t|iii unit les dotlrines , cette sorte de consétuienre dans l'erreur^
< ette loi de la logi(|uc qui force les idées, romme la loi de la pesan-
teur forée les rorps à suivre fatalement une pente irrésistible. En
majeure partie, les hommes ne savent ni remonter ni redescendre
le cours des idées ; ils se contentent de les voir passer comme l'eau,
et se moquent volontiers de ceux qui leur disent qu'en naissant
cette eau fut une goutte, et qu'à son terme elle sera un lorn-nt.
D'un autre côté, si l'on ne veut pas avouer l'orij^ine du mal, on
ne reconnaît pas davantage l'origine du hien. C'est une des plus
redoutables diflicullés des apologistes modernes de la religion d'a-
voir à prouvera l'homme (|ue le christianisme, qui^ après dix-huit
cents ans, est devenu conmie sa M-cvmlc nature , n'est pas sa nature
elle-même, et que tout ce que nous avons de grand, de beau et de
bon , nous le devons A celte source divine plus qu'à nous-mêmes,
('omme la teir(! ntontre les fruits et lache les racines des plantes
qu'elle a reçues dans son sein, cl semble tout tirer ainsi de .son pro-
pre fonds, nous aimons à croire et à laisser croire (jue ce que nous
avons d<' bon est venu sans semence, et par notre création. C'est ce
que Hossuct exprime quelque part, dans une si sublime invective :
« L'f^glise est la njére des sociétés modernes, et vous en profite/ !
» Mais croyez-vous (|ue Dieu l'ait fait mère sans la faire aussi nour-
' rice? Malheureux, vous acceptez les entrailles et vous rcpousëcz
» les mamelles !... »
\'ous lriom|>hcricz didicilemenl de ces dispositions , Monsieur,
si les auteurs des erreurs modernes les plus funestes ne venaient
eux-mêmes à votre secours. Car, en attaquant avec acharnement
rfcgiise, ils se font hautement gloire de descendre do l.ulher; sa-
chant bien ipi'on ne croit guère (pi'aux doctrines tpii orU su résister
à l'épreuve du temps, ces plébéiens aiment à se trouver des anctV
1res, et la généalogie qu'ils donnent à leur doctrine est précisément
celle (|ue votre sévère critique leur inflige.
.Mais la diflicuUé recommente, et le péril augutenle, quand, des
doctrines, vous passez aux faits, et du protestantisme aux sociétés
protestantes.
\ ous paraissez alors doublement exagéré : car vous avez contre
A n. A. NICOLAS. 21
vous les incnrablos légôrcl<''s de ceux qui vous lisent, et les bien-
lioiireusfs iucousétiuences de ceux dont vous parlez.
Il y a, eu elTel, d'exoellerUs, d'admirables prolestants. .\u nio-
Hient où j'écris, j'évoque au fond de mou cœur des noms que j'y
trouve entourés du plus profond respect. Comme certains catboli-
(piessont, pouileur malbour, devenus, sans s'en douter, de vrai*
protestants, certains proieslants sont , pour leur bonheur, devenus,
sans s'en douter, de vrais catholiques. La dernière illusion et le
ilernier écueil de la bonne foi des protestants qui veulent se con-
vertir est même de s'arrêter et de se croire déjà catholiques. Vous
avez lu comme moi un livre très-curieux d'un prolestant, dédié :
Jo our mothcr ihc cathoUc churvh in England.
Dès lors , comme on croit outrager le catholicisme en parlant de
mauvais catholiques, on croit aussi venger le protestantisme en
citant de bons prolestants. Partout où vous généralisez, ou particu-
brise, partout où vous portez un jugement collectif, on vous ré-
pond par des exemples individuels.
Ce sont ces exemples mêmes du zèle des bons protestants , dont
je veux m'emparer pour défendre votre thèse, en adoptant ainsi un
point de départ différent du vôtre pour arriver aux mêmes conclu-
sions.
En effet, on a dit que rien ne démontre mieux la nécessité de la
religion que l'impuissance des efforts faits pour s'en passer. De
même, rien n'a mieux prouvé à mes yeux la stérilité du protestan-
tisme sous le rapport de la charité que l'impuissance des énormes
efforts faits en Angleterre pour le rendre fécond, et ce sont ces ef-
forts dont je veux esquisser le tableau, rechercher les résultats,
puis constater l'inutilité désolante.
I. Je ne renouvellerai donc pas la peinture effrayante des misè-
res décrites avec tant d'éloquence par les écrivains que vous citez.
Ce qu'ils ont vu, je l'ai vu. Ma mémoire est encore tout assombrie
par ces épouvantables impressions. Ce qu'ils ont dit n'est, hélas !
que trop véritable.
On peut se sentir, devant de pareils spectacles , soulagé , comme
catholiques et comme Français, du poids de ces injustes calomnies
qui présentent toujours les nations catholiques et la France comme
le théâtre d'une misère qui est l'opulence , et d'une infortune qui
est le bonheur, comparées à la misère et à l'infortune dont l'Angle-
22 LfcTTKE DE M. A. COCIII.l
Icrrc présente, à côlé de tant de ^'randeur, rafniueantcunlr.isle 1 .
Mais un se sent tellement liiin)ilie et alliisté comme liumme, qu'on
a hâte de reporter ses regards vers des objets plus consolants, el je
veux vous les présenter :
Lisez le curieux livre de M. Sanipson Luw (1852). Il signale,
pour Londres seulement et ses environ , V91 sociétés ou établisse-
ments charitables, dont plus de la moitié ont été fondés dans ce
siècle ; leurs revenus sont d'environ 4d, 000,000 Ir. ^2;.
(1) Il serait hicii temps, d'nilleiirs. de bannir des diseiissions sérieuses
CCS calomnies sur la misère relative des nations callioliques et protestantes.
A part danlres raisons, la statistique, science peu partiale assurcrnetit , a
déjà fait justice de ces comparaisons arbitraires.
Les auteurs les plus expérimentés ( notamment .M.M. de Lurieu et Kumand,
des colonies agricoles), se servent communément de la table ci-jointe, dans
laipielle on peut justement contester les cliilTres qui représentent le nombre
absolu des pauvres , mais non les proportions relatiNCs établies entre les di-
verses nations :
Echelle comparative des nations européennes classées
par rapport au nombre des indigents.
Protestants.
/Angleterre, ^ in<ii^ent sur (i babilanls.
\ Pays-Bas, J - 7 -
y. Suisse, I — 10 —
Allctnagnc, I 'J<l —
1 France, I ■_•<• —
ratho(„jurs. ^^^„i,i^,„, , ^ iri -
l'rotrstanls. Dancniarck. I — i.*> —
( Italie, t — i'i —
Catholiques, j p„ri„ga|, j _ ^25 -
Protestants. Suède, t — i5 —
Catholiques. Espagne, I _ j<) _
Protestants. Prusse, I — T^^) —
Tunpiic. I — -iO —
Russie, I _ 100 _
SI Ion remarque que les <leux dernières contrées sont des pays de ser-
vage, — qui! na disjjaru (|ucii |H<»7 .1 tSll en Prusse, pays daiilcurs si nou-
veau, si complètement tranformé depuis riiKjuanlc ans {V. le livre de .M. Di-
tecrici), et composé de populations catlioli«|ues cl protestantes, — que la
Suède et le Danemarck sont peu peuplés, eu égard à leur territoire, etc., —
en un mot, si l'on se borne it comparer les contrées comjMirables, l'avantage
j l'honneur des contrées catholiques est énorme.
(2) J emprunte au I.Uernry (iazettf ( IW4) une autre Nialisliquc dont le
A. K. A. MCULAS. 23
Encore cet auteur ne comptc-t-il pas, soit les grands élablisse-
inenls de l'Iîlat, comme (Ireewicli , soit les écoles paroissiales, soit
surtout ces remarquables et puissantes corporations de la cité, dont
les plus importantes, bien antérieures i^ la Réforme, ont des reve-
nus et distribuent des aumônes énormes. Ainsi la corporation des
Fishmoiujers (fondée en 1*28V) a au moins 300,000 fr. de rente, et
celle des Goldsmilh (1327) a environ un million de renie. La plus
grande partie est distribuée en aumônes; une grosse somme est
employée en dîners. Qu'étaient les biens des monastères où l'on
jeûne auprès des biens de ces corporations où Ton dîne?
Comprenant dans ses évaluations, non plus Londres seulement,
mais l'Angleterre tout entière, et ses 17 millions d'habitants,
M. Robert Pashley, dans un ouvrage récent fort remarquable
résultat est encore supérieur. — Londres possède 530 établissements de
charité :
9:2 hospices, ayant nu revenu annuel de 2G6,92[> 1. st
12 sociétés dhygiène et de morale 5o,7t7
17 — pour les prisons 59,486
13 — pour les accidents des rues 18,526
14 — pour les accidents spéciaux 27,387
jKi — pour les ménages mixtes de Juifs. 10,000
19 — pour les artisans 9,124
12 — pour les pensions 23,667
la — pour aider le clergé 3.5,501
52 — pour diverses professions 33,467
50 — pour le commerce 2.j,000
186 asiles pour les vieillards 87,630
9 — pour les aveugles et sourds-muets. 2o,0o0
15 — pour les orphelins 45,4^5
la — pour les enfants des écoles 88,228
21 sociétés pour l'augmentation des écoles... 72,247
43 — pour les missions intérieures 519,703
14 — pour les missions étrangères 439,638
3 — non classées 5,232
530 1,642,653
La vente des livres religieux produit 100,0(10
Auxquels il faut ajouter, pour revenus divers. 160,000
Les établissements de charité de Londres ont
donc un revenu annuel d'environ 1,902,653
Ou 47,363,873 fr.
2i l.tTTKK l»K «. \. f;«H'HI>
(Pftuprrism ami l'twr lituir, IH.Vi', eslimc nin<l Ip«? rfs«:oiirt <
luirllfs d«' la charili^ :
Fuiidatioiis anciennes paroissiales. :}0,0(>().(MH) d
Divers iK'n.itauv cl t'lal)lissciiuMits. oO.CMMï.OOO
AiMiu'duîs iii(li\ idiiclli'S jiar a|i|mt\i»ualioii . 1()0.0()(),0(K)
Ta\o des pauvres. 150,000.000
ïolal. 330,000,000 fr.
\ oil» cerli'S d'amples sa(rili( i'-. mir ;:r.iinl»' arlivilr, un sujet de
sincère admiration.
Mais ce n'osl pas (oui.
On a consacré aux pauvres, en Anglelfiii". inii»->L'uU'MMni l»r.»u-
coup d'arf^cnl, mais une (juanliu* exlraordinaire de lois, sans comp-
ter les rej;lenienls et la jurisprudence.
M. Lundev, dans son recutùl spécial 1HV2 , a soin de prévenu
qu'il a réuni ou cité seulement les statuts importants et en vijfueui ,
et il en cite cent di\-scpt, depuis le fameux statut d'IMisabelli. Kn-
core M. Lumiev a-t-il dû publier, en 18o2, un second volume de
supplément.
IMus nombreux encore cpie les lois sont les livres, les mémoiro,
les Ltius buokf , les recherches de tout ^enre , soit oUicielles, soit
dues au /ele des particuliers qui se sont consacrés en Aufjleterre à
létude jle la >itualion des liasses pauvres et des moyens de l'amé-
liorer. Nulle part la statistique n'a tiresse des niii rosropes plus puis-
sants et recueilli plus de faits. Outre la grande enquête en huit vo-
lunies (pii jirécéda le f'oor Inir nnicndinn'.t arl de IH.'V». les rapports
«le la commission d'en(|uéle sur les charités , en \n^;lelerre, occu-
|)cnt quarante volumes. Les rapports des inspix'teurs des manufac-
tures, du /\>or liiic bnani, du fluanl of I/rallh, etc., f^rossissenl cl se
uuillipiient chaque année {V.
Les particuliers montrent, à la pourstiite des mêmes questions ,
une patience, une curiosité, une originalité tout à f.iil liritanni<|ues.
Dans l'ouvrage si curieux, quoique iiwonqtlil, de M. Ilcnry MaybeW
{/xmdun poor and Lmdon labour:, on lit la nujuographie de tous le-i
plus petits marchantls forains : rin(Iu>trie du inarrhund dm quatre
taisons, celle du Kiinafseur dr houh de cùjam , Sont classées , décri-
tes, étiquclécs. On trouve dans le même livre des cartes géojçraphi-
(I) M. .Navillr rilr le rlnllrr .Ir :>,i«»:i.lllK> fr.. immm 1rs .Ié|»cn*c5 ^eulcs de
rC% riitpièles cii |Ki>*.
\ M. A. NICOLAS. 25
quns -^ peine (•ro}'al»los , destinées A indiquer, par des tcinlcs plus
ou moins foncées, des lenseif^nenienls tels (juc celui-ci (je nne garde
bien de traduire en français) :
<V(j;j ihuu'itKj llie Dunihcr of proved raseii ofullenipliiKj la procure
thc migcarricKjc ofwomctr, in eccry 10,000 illegilimate birtli.
Ou bien encore :
Map s/ioinny tin- nuwhcr of persans cotnmilled for biyamij, etc.
Je cite cet ouvraj-o justement pour montrer jusqu'où va l'excès
des recherches, mais sans le mettre assurément à côté de beaux li-
vres comme celui de M. Pashlc} , comme le rapport de M. Coode,
ou les ouvrages plus anciens de Chalmers, d'Alison et de tant d'au-
tres écrivains.
C'en est assez , ce me semble , pour prouver qu'en Angleterre ni
la sollicitude ne manque au gouvernement et aux législateurs, ni
le zèle aux particuliers, ni la générosité aux riches , à l'égard des
pauvres.
Mais quel a été le résultat de ces efforts gigantesques?
II. « En un siècle (17^8-1848), dit M. Robert Pashiey, la popu-
lation de l'Angleterre a triplé à pou près; durant le même temps,
le paupérisme ofliciellemenl constaté est devenu htiit fois plus nom-
breux. «
La taxe, qui était d'environ 16 millions en 1680, a atteint 195
millions en 1817, et est presque constamment restée depuis au chif-
fre de 150 millions. Diminuée depuis 1834, grâce à la baisse du
prix du pain el à l'action du Poor kixo hoard , et réduite, en 1837,
à 100 millions, elle recommence à augmenter, et a atteint 130 mil-
lions en 1848, et 125 millions en 1850, quoique le blé ait baissé dans
la pro[)orlion de 25 shillings à i2,7 le quarter. Avant 1834, elle ab-
sorbait à peu près le sixième du revenu net de la propriété foncière,
et l'enquête a signalé des cas où la taxe avait totalement absorbé
tous les biens d'une paroisse entière (1).
(I) Rapport des eommissaires royaux de Venquêle sur l'administration des
lois des pauvres , 1854. j). 61. «.... Dans la paroisse de Cholesbury, comte
de Biicks, paroisse dont la population est restée à peu près stationnairc de-
puis 1801 , la taxe était, à une époque dont les vieillards se souviennent en-
eorc , seulement de 10 I. It sh. par an , et une seule personne recevait des
secours. Mais la taxe s'est élevée à 99 1. 4 sh. en 1816, a atteint 450 1. 5 sh.
en 1851 , et s'élevait à 567 1. en 1852, (juand il devint impossible de conti-
nuer sa perception, les propriétaires ayant renoncé à leurs revenus, les fer-
2(» i-iiTiiK m. «, V. (.<)«;iii>.
Eus iiuii Iroi' iiiilliuiis cit; |m>i>oimics rccoiNcnl l»'S si'r(Mir> piihlirs ;
t't'Sl plus criin >i\u-iiif (le la popiilaliuii «le rAii^Iflrriv «'l du pa>s
de (îallos, l'Irlande non loinprise. Sur ce nomlirc, il v a plusdi;
300,000 adulles validée, « lorsque l'Aulriclit' n'a (piiirif aimée de
228,000 soldais (1). »
iniois ;i Irur •■\ploi(;ilion, le pastriir ;i sa dimo. Le paslnir, M. Jrsion, rapporte
iju'fii octobre ^H7^-2, |ps olliciers de la paruissiC arrèlèreiit leurs livres, cl les
pauvres s'asseiiibièrent à sa porte pendant qu'il était au lit, deniandaiil con-
seil et assistance. En partie par ses petites ressources, en partie par la cha-
rité des voisins, en partie par des taxes levt'-es sur les paroisses voisines, ils
furent secourus quelque temps. Mais le liicnfaisaiit pasteur enga)rpD b diviser
toute la terre entre les |)auvres validrs, ajoutant (piil a\ait lieu d'espt'rer
qu'après deux ans, pendant lesquels les paroisses \oisines leur \ien(lraieiit
en aide , ces pauvres se suiliraient ainsi, ù iescvption, bien entendu, des
vieillards et des impotents, .\insi, ù Cholesbnry, la charge des pauvres n'a
pas seulement avalé (strallotcel up) la valeur entière du pays, il faut en ou-
tre l'assistance , pendant deux ans, d'autres paroisses, pour mettre les vali-
des, auxquels on abandonnait le territoire entier, en étal de se suflire; en-
core les vieillards et les iriqjotcnls restent-ils à la charge des paroisses voisines.
Heureusement, on ne nous a pas .signalé beaucoup de cas semblables... >
(1) D'après les rapports «lu Pnor lair bonrd, le chiffre devrait être réduit
à un million environ. Mais, commclc remarque très-judicieusement M. Pash-
ley, ces rapports ne tiennent eonq>te que du nondirc des pauvres qui figu-
rent sur les états officiels ù deux épo(|ues de l'annce, le 1" janvier et le 1"
juillet. Ce n'est pas plus indiquer le nombre des pauvres secourus dans l'an-
nce que les eenttiines tlindixidus tpii existent .i un jour donné dans la pri-
son de (loldlialh Field uii dans l'hôpital de Saint Thomas ne représentent les
milliers d iiidi\idus qui entrent dans ces établissements, ou en sortent dans
le cours d'une année. De longs calculs et les informations les plus multipliées
conduisent cet auteur à cette aflirmalion (ch. I, j). H) :
«... J'ai toutes les raisons suffisantes pour induire, on tenant compte de
toutes les déductions ù opérer, que, pendant les dix dernières années, le
paupérisme a compris eiixiron trois fuis plus de pauvres, chatpie année, que
«eux (|iii sont constatés comme secourus \ehar{jiitMe à tel jour donné. \x
inillioii inili(pjé représente donc trois millions, sur lesquels environ ôl)0,t)t)0
sont secourus in-dnor (dans les vvorkiiouscs), 2.70(),IK)0 out-door, i l'exté-
rieur. »
Il ajoute, page r>t) :
. yuc T) millions de ses habitants, appartenant à une classe ignorante, dc-
grailéc et misérable, reçoivent des secours publics, que ce nombre indique
l'existence dune classe plus nombreuse enrore à lacpicllc appartiennent ces
pauvres, classe peu s'en faut aussi ignorante , aussi dégradée . aussi misera-
ble qu'euxinénies: c'est re qui mérite i'atlention non-seulement des pliilan-
A .11. A, MCOI.AS. 27
A Londres seulemcnl , In taxe est répartie entre 307,000 indi-
gents (1), à peu près autant, remarque M. Pasbiey, qu'il y avait de
Romains nourris par la patrie sous Jules César, au ténioignajïe de
Suétone et de Dion (>assius. Les secours des corporations, des pa-
roisses et des particuliers tombent dans les mains du double de ce
nombre de pauvres (2), cnsorle (|ue Londres a réellement environ 1
pau>re sur quatre babilanls, et olliciellement 1 sur 8, tandis que
Paris n'a que 1 pauvre recevant les secours publics sur 16 habi-
tants (3).
Cette misère, si étendue, est-elle profonde? Hélas ! le degré de la
misère est plus efTrayant encore que le chiffre de la misère. C'est
ici qu'il faut se souvenir des effrayanis tableaux que nous avons
voulu éviter et auxquels nous ajoutons ce seul Irait : Tandis que
les pauvres ne sont que le sixième de la po[»ulation, la mortalité
parmi eux, chaque année, est le tiers ou le quart de la mortalité
générale.
iMais voici le fait saillant et caractéristique :
Les campagnes sont plus misérables que les villes ; les villes ma-
nufacturières elles-mêmes, avec leur activité semblable à un tour-
billon , recèlent moins d'infortunes que les campagnes. C'est l'in-
verse de ce qui se passe partout ailleurs.
Malgré les magnifiques progrès de l'agriculture, malgré le dé-
veloppement des chemins de fer (que l'on soumet à la taxe des pau-
vres quoiqu'ils ne produisent pas un seul pauvre) , malgré l'éléva-
tion du revenu de la terre , qui a presque doublé, entre 1790 et
1820, les comtés agricoles sont accablés d'un excès énorme de pau-
lliropes chrétiens, mais des polili(|ues pratiques, et il est grand temps qu ils
se vouent à faire faire quelque progrès à l'instruction et à la condition de la
masse d'i peuple. »
(i) In-door 69,000
Ouldoor 258.C00
507.000
(2) « Ajoutant les secours de diverses sources à ceux qui sont régis par la
loi des pauvres, nous constatons, pour le paupérisme de la capitale, une dé-
pense de 1,200,0001. st. (50 millions), distribués entre 800,000 pauvres.... »
(5) Chiffre officiel du recensement de 18o5.
Nombre de ménages. 29,li2
Nombre d'individus. Go,264
Population. 1,035,262
Rapport. 1 .sur 16,1
2S I KTTRI: l'i; M. \. «(»(im
l>^nsini*. (iuiiipaiL'S avec une extrôme sngacite aux districts inanii-
facluriers l), par M. Pashlev, ils oiïrent toujours une infériorité
foiiî*i(lt'rable , au point (jue , dans les dix i onitt's (|ui sont l'objet de
l'itude de cet auteur, comtes (jui sont la résidence choisie de l'a-
rislocralie, el lu pays par excellence de l'agriculture (â), il y a
(chose à peine irovalile plus de pauvres forcés de s'adress<'r à la
|)<iroisse qu'en Irlande. •< liéias! » s'écric-t-il avec une indignation
(|ui D'alténuu pas de pareils faits, « la race (idèle, boonète et in-
.' dustrieuse des Anglo-Saxons serait-elle dégradée au-dessous du
» niveau des Celtes! »
Sous le rapport de Vélat moral, même décadence, même renver-
sement des faits observés dans les pays catholiques.
Dans les campagnes non-seulement l'ignorance 3 est |)lus grande
que dans lus villes, mais Tintempérancc, les délits contre la pro-
priété, les naissances illégitimes, y sont infiniment plus communes,
et, chose incrovable I l'aliénation mentale y est beaucoup plus fré-
quente. De quelle atmosphère morale sont donc entourés ces mal-
heureux qui deviennent fous sous le ciel bleu et a'.i milieu de l'air
pur, plus souvent encore que; dans la vie agitée et malsaine des
villes !
Je pourrais, Monsieur, multiplier les chifTrcs et les exemples. Les
affirmations qui précédent, appuyées sur des documents authenti-
ques, suffisent anq)lem«'nt pour laisser tout esprit généreux sous le
poids d'étranges (oniradiclions dont il faut absolument sortir.
Tant d'argent, et pourtant toujours tant de misère ;
Tant d'associations religieuses et morales , et si peu de morale et
de religion ;
Tant de lois, et toujours tant de désordres et de crimes.
r/est lu un affreux problème, cl si j'étais .Anglais, je ne pourrais
il) l,:mta>lrr. Sl.ntTi.nl, WfslUi.liiij: (Il \orsksliirp.
(i) Urclfonl, IJorks. Hiicks, I)..rMl, Ksspx, Norfolk. Oxford, SufTolk, Snv
»c», Wills.
(ô) .M. Clay, cUa|)claia «Je la prison il.- l'rt>loii . s'exprime ainsi, dan» un
rap|M»rl : « Kn IH50, sur UVA't prisomiiors niàlcs, jVn ai trouvi' 074 qui ne
savaient pas lire , (546 ij^noraionl le nom du Sauveur et ne «.avaient pas un mol
de prière, tili ne pouvaient pas réciter dans leur ordre les noms des mois
de laimtc ; mais 710 connaissaient parfaitentenl le» aventure» de» voleurs
Turpin el Jacques .Slie|)pard, el les adnnraienl comme les amis de» pauvres,
disant que s'il» avaient volé, ils na\ aient fail que voirr In rirhff rn fnrrui
flrs pnuvrr». •
A M. \. .M«.:(»I..\S. 29
me consoler de voir mon |uiys se personDifier ainsi sous les Irails
liop coniuis du vieux Sisyphe; encore le fardeau de Sisyphe
ne faisait que retoniher sans cesse, mais s'il eùl chaque fois dou-
blé de pesanteur, il Teût iufaiilibleinenl écrasé.
III. Les tnorjt'iis de la charité, en Angleterre, étant si grands, et
les résultats si insuffisants, quelles peuvent être les causes de cette
stérilité?
Il serait téméraire et puéril de prétendre résoudre en quelques
pages une question si complexe. La logique est le pas de la pen-
sée ; or, raisonner trop vile , en un sujet si difficile , c'est comme
marcher trop vite sur un terrain scabreux et s'exposer à faillir.
Voici, en effet, l'erreur grave de raisonnement qu'il faut éviter :
Supposer que tous les progrès du paupérisme viennent des dé-
fauts de la charité, c'est conclure du nombre des maladies à l'inha-
bileté des médecins. Sans doute cette inhabileté, sans doute encore
l'étal arriéré de la science médicale, et l'inobservation générale des
préceptes les plus élémentaires de l'hygiène, ont une influence con-
sidérable sur le nombre et le résultat des maladies, mais elles n'en
sont pas nécessairement la cause, et sjrlout la cause w»i(/uf. Un
Irès-bon médecin est quelquefois impuissant.
De même, l'absence de l'esprit de charité dans une nation, et les
mauvais moyens employés pour soulager ou moraliser les classes
pauvres, ont une influence considérable sur les progrès du paupé-
risme, mais ce mal est si complexe, qu'il serait injuste d'accuser
de tous ses progrès l'impuissance des moyens charitables employés
pour le combattre.
Il serait facile de rattacher ces observations à des considérations
générales sur le rôle de la charité an milieu des sociétés chrétien-
nes. Si elle doit se dévouer à toutes les misères, quelle qu'en soit la
cause, comme le soldat doit s'attaquer à tous les ennemis, quel que
soit leur nombre et l'origine de la guerre, cependant on peut dé-
montrer qu'il est des causes de paupérisme qu'elle n'est pas nalu-
rellement destinée à combattre. Son divin auteur ne l'a pas desti-
née à suppléer le travail ni à autoriser le vice.
Or, quand une partie de l'organisation sociale est défectueuse,
quand des perturbations accidentelles, mais fréquentes, surexci-
tent, puis anéantissent brusquement le travail; quand une fatale
imprévoyance entraine dans les mêmes carrières plus d'individus
qu'elles n'en peuvent occu[»er; quand une mauvaise répartition de
'M) LETIRt DK M, K. CUCIII^
l;i |H>|)ulatiuii multiplie les causes de \icc en acniniubiit le» lium-
nies sur les m<^iiics |x)inls, en délniisant le mélange nainrel el salu-
taire des riches et des |»aii\res; (|iiarid les lois t'axorisent telle ou
telle partie de la natiun ; en un mot, quand aux pauvres déjà si
nombreux, qui sont pauvres par la nature et la condition humaine,
s'ajoutent les pauvres qtie fait la société, alors la charité, comme
un vaillant capitaine; acrahlé jiar des forces trop considérables, se
dévoue mais succondie, et peut ôtre vaincue, sans cesser d'ôire hé-
roïque.
(Juelqucs-unes de ces conditions sont aujourd'hui communes,
quoiqu'à des degrés divers, à la plupart des sociétés cbréliciuies :
la France comme l'Angleterre, comme la Belgique , comme TAlle-
magne.
Mais, en étudiant , en calculant le degré d'influence de chacune
des causes du paupérisme, on peut aussi calculer le degré d'in-
fluence de chacun des niovens employés à détruire ces causes, et
c'est celle élude qui conduit à distinguer entre les diverses nations
et à constater, à expliquer l'absence du véritable esprit de charité,
et la stérilité presque (ompléte des elForts tenlés pour soulager les
pauvres en Angleterre.
Il devient vile évident , par cette élude, que la cause principale
d«i |)aupérisnie en Angleterre est de Tordre moral |tlut("'t (|ue de
l'ordre |H)liti(|ue ou matériel , et (|u'elle n'est pas a«jtrc chose que
rinsuriisatue de la religion chargée d'entretenir dans la nation l'es-
prit de charité, el de rendre eflicace cl morale l'action de la cha-
rité.
Je réduis donc le problénie à celle formule en quelque sorte ma-
thématique : fiant dnnnr Ir même degré de paupèriime, et les même*
remmrcr* pour Ir romhattrr, Ir prolrflanti.^me produit uti effet inrnm-
purahlrment tnoitis ijrand que Ir ciilholicifme, et cette différence neit
e.rpUcnble que par l'infériorité des moyens moraux dont dispose le pro-
tcflantiame. Avec peu , le catholicisme fait beaucoup; avec beau-
coup, le protestantisme lait peu, et |M)ur ainsi dire rien.
La [dupart des écrivains, soit anglais, soit français, ne sont pas
de cet a\ is, et choisissent entre |)lusieurs causes auxquelles on peut
attribuer les maux <|ue nous anaivsons.
Les révolutionnaires, <\ui prennent l'audace pour la profondeur,
attaquent avec acharnement l(»ule la coiisiiiniion s(M-iale do l'An-
gleterre, l'aristocratie, la traiismisKion de la propriété, etc.; loutre
qui n'est pas réforme radicale leur semble palliatif puéril. Je me
V M. V. MCOI.AS. 31
dispense de disculor ces doctrines, el je confesse que, sauf cerlai-
ncs réserves, j'admire hautement la constitution sociale de TAngle-
Icrro, en la jiifïoanl moins d'apn-s ses princi[)es «pic d'après ses
friiils, (pii ont été In paix et la grandeur iiu'oni|)aral)l(! d'un peuple
assez bien inspiré, assez bien organisé, assez bien gouverné, pour
avoir évité les orages aux(niels tant d'autres ont failli succomber.
Kn général, les auteurs français (]ui ont écrit sur ces matières ac-
cusent l'énorme développement de l'industrie, ses variations désas-
treuses, les agglomérations qu'elle provoque. Cette cause est sé-
rieuse en elTet , et nous souscrivons à ce qu'ont si bien dit, à cet
égard, M. Faucher, M. Buret, et les rapporteurs des enquêtes mul-
tipliées qui ont amené les réformes de la loi des pauvres (182i), le
Factonj acf (18ii), et inspiré aussi, il faut le dire, beaucoup d'heu-
reux changements tout à fait spontanés. Nous nous rappelons celte
définition d'un lord illustre; une manufacture est une invention
pour fabriquer deux articles, du coton et des pauvres, a contrirance
for manufacturing Uro articles, cotton et pnupers. Mais, sans insister
sur des reproches si souvent reproduits, il convient de remarquer
ceci : comment l'industrie appauvrit-elle l'ouvrier? Est-ce en le
plaçant directement dans de mauvaises '"onditions matérielles? très-
rarement, surtout en ce moment. « Depuis dix-sept ans que je suis
» inspecteur des manufactures, dit dans son dernier rapport (mai
» 1853), M. Léonard Horner, je n'ai jamais vu pareille prospérité
» dans toutes les branches de l'industrie Je crois que les ouvriers
» n'ont jamais été mieux ; travail constant, bons salaires, nourri-
» ture et vêtements à bon marché...» Non, l'ouvrier industriel
souffre surtout parce qu'il est placé dans de mauvaises conditions
morales, soit parce qu'il est entre les mains d'un maître immoral ,
(|ui ne fait rien pour l'exciter à l'épargne, à la tempérance, à l'in-
struction , à la religion , soit parce qu'exposé dans les villes à plus
de périls pour sa vertu , à plus d'excitations pour ses désirs , il de-
vient lui-même immoral. L'action de l'industrie est donc une ac-
tion de démoralisation plutôt que d'appauvrissement. D'ailleurs,
puisque les classes agricoles sont plus malheureuses que les classes
industrielles , ce n'est rien expliquer que d'attribuer tout le mal à
l'industrie, de même que ce n'est rien corriger que de proposer des
moyens matériels, puisque le mal est principalement un mal moral.
Les auteurs anglais, pour la plupart, voient la cause des progros
du paupérisme dans les lois mêmes destinées à le réprimer, dans le
système de charité légale, et principalement dans les lois fameuses
32 lETItlL DE M. A. «;u(:iii.>
sur le doinii ile, lo dioil de roiilraindrc les ftaysaii^ à y ritlouriicr,
(*t la taxe obligatoire.
(J(icl(|iu'.s détail!» sur Thistoirc et Tcfipril de cns lois sotit iivc(fi»ai-
res.
La législaliuii sur los |),'uivk>^, eu AiigU;lerre, |)ful ède itailagcc
nj quatre périodes :
1" Depuis ré(alilis>cin('iil du clirisliaiiiisnic jus(|u'au (pialui/icinu
siècle, il n'est guère (|uc'stiuii de |)auperisu)c cl de \agubuiidage.
(^ela est dû à un mal et ù un bien, au servage cl ù r£glise. Le sei-
gneur, avec plui ou moins d'Iiuniaiiilé, prend soin de ses surfs. L'fv
glisc a re^'U la coutume et s'impose l'obligation de subvenir aux be-
soius dos pauvres au moyen des aumônes des lidèles; il est de rè-
gle, aux termes des canons, (|u'un quart au moins de ces aumônes
(loil toujours revenir aux pauvres. De plus les mona.Kleres meltent
la pauvreté volontaire au service de la pauvreté accidentelle. Des
précautions et des dispositions niullipliéos , contenues dans les li-
vres ccclésiaslicjues, tels «juc le Je O/Jlciu ilcmiusyuarii, assurent la
prudente et tendre dispensalion des secours. Celle maternelle in-
leivenlion UMnpére ce (|u'a\ ait de dur le servage qui, au rapport de
Froissard, » elail pire et plus étendu en Angleterre «pie partout ail-
leurs. M
2** A partir du qualorzièmo siècle jusqu'à la réforme, cinq cau-
ses me paraissent avoir déterminé un véritable débordement de
paupéri>me :
La disparition progressive de la féodalité, tpii lais.M* h> fardeau
tout entier des classes pauvres à l'figlise, dont les biens sont insut-
fisants ;
La gratide famine de Ll'iS, (pii enleva, dil-on, un tiers de la |>o-
pulalion ;
L'intervention n)aladroite et injuste du législ.ileur ('2.'>, Kdouard
Ml, *liitule of lahuiircii, 13.'iU), (pii, «mi voulant abaisser les salaucs
malgré la diminulion de la population , lit déserter les campaguos
«'t se former des bandes de vagabonds ;
Les gu«'ries < <)iilii»u('ll«'> , parlirulirremeiit les uui'rres d'Yoïk «•!
cl Lancaster ;
Lnfin le dévcluppemenl des villes, el In M^bsliludon ;;ia(luelle de
la giatidtr i\ la petite propriété. Le nombre des |)roprielaires | i/ro-
man, Franklin), au témoignage de Fortescne, était plas grand que
nulle part ailleurs. C'est dans le quinziènu* et le siù/ieme siècle «pic
la propiii'tt' s'agglomère, et au.o>il<')l on voit démolir les babilalions
^ M. A. MCOI.AS. 33
drs peliU fermiers et des pauvres, etélendrc les pAtures. Un ber'rer
cl un chien prennent la place de populations refoulées vers les vV
les. La loi ^,'», Henri VII, — 25, Henri VIII) estoblirrôn d'interve-
nir pour défendre de détruire les coliafres d où dépendent 20 acres
déterre, et de posséder pins de 2000 montons. « Ces inoffensifs
animaux, dit Thomas Morus (llopin), dévorent les hommes.»
3« La KéfornfKJ mcl le comble à tous les maux du paupérisme.
Irois ans après avoir fait, dans une loi sur les pauvres, Télo-e le
plus palehn des ordres mendiants, Henri VIII supprime tous les
monastères (1539). Leurs biens, que Burnel évalue à un dixième
du royaume, sont confisqués, et, au lieu dêlre donnés aux pauvres
entièrement et rapidement dissipés. Vous connaissez assurément.
Monsieur et ami, les aveux loyaux du protestant Selden sur les dé-
sastreux résultais de ce crime, et les regrets éloquents qu'il a inspi-
res de nos jours à un autre protestant, M. d'Israëli.
A Henri VIII remonte la double honte d'avoir tari la source de
1 aumône e| en même temps déchaîné le fléau des lois
Sans doute il y avait eu, dès les plus anciens temps, des mesures
législatives ; nous en avons cité de fort maladroites sur la fixation
du taux des salaires. Le domicile, ce lien naturel entre l'homme et
e heu qui la vu naître, soit vivre longtemps, avait été souvent dé-
fini en faveur de l'habitant. On voit toujours attacher, quoique par
des motifs divers, une grande importance au domicile , à tous les
moments do 1 existence des nations, au moment où l'invasion se
transforme en occupation , où l'homme se fixe et s'attache au sol
au moment où il repousse à son tour des invasions nouvelles et dé-
fend ses droi^ts contre de nouveaux venus, enfin, au moment où la
multiplicité de ses relations civiles ou commerciales rend nécessaire
I établissement d'un point juridique, centre officiel de ses affaires
, et de sa famdie. M. Coode cite des textes sur le domicile, extraits
des lois saxonnes, danoises et anglo-normandes, depuis le septième
Cl le huitième siècle jusqu'au douzième. Le pauvre, comme tous
les autres habitants, a besoin que son domicile soit fixé, et il l'est
d abord dans son intérêt, en même temps que les lois et surtout les
prescriptions de l'Église (1) tracent les règles les plus charitables de
1 hospitalité.
Sans doute encore d'autres lois avaient été justement consacrées
mun^l'uTv "'" "" '"'^"P''' '""''""' ""' suscipiendis homibus sine
munere, tire d un ninnuscnt ecclésiastique du onzième siècle.
.{1 Lmr.i. i>K }\. K. tiiKiiiN
a lu répressiuii du vdijaOonilage, el dans ces luis, cunime dans celles
(Taulrcs pa>s, à la iiiOiiu' i'|)0<|ue, Tospril brutal des siècles féodaux
cl le caraclère particuliérenienl dur de la rare unglo-saxunne so
pruduisonl par des peines (|ui paraissent bien cruelles aux mœurs
plus buinaines de nus temps, où nous ne voyons plus d'ailleurs le
vaj^abondaf^e se Iran^fornier en >rai brifjamlaije armé [lois d'Henri
//I,\i:i'6, Edouard I,l-2S6, Edouard III, 13W-1363, liichard II,
1288, Henri II, IVOi, I/niri /, lil3, Henri U, 1V27-1VVV, Henri
m, 1V95, citées par M. Coude). Mais, à compter dllenri \ 111 ,
cette brutalité n'a plus de tempérament. On ne lit, dans les textes^
(jue les mois de geôles, pain et eau , fouet , chaînes, fer rouge au
front , oreille coupée , gibet. « Celte partie de notre histoire, écrit
Richard Burn, en 17Gi, a loul Tair de rhisloire des sauvages d'A-
mérique, toutes les rigueurs y sont nommées, excepté le tatouage.»
El qu'esl-ce que c'est que le tatouage auprès de la cruaulé vrai-
ment païenne d'Edouard VI (1, Edouard VI, c. 3), qui dispose que
les mendiants seront réduits en e^ctavafje au profil de celui qui les
dénonce, ou, s'il refuse cet opprobre, au profit de la commune.
Mais, sans insister sur celle alrocilé, dont l'indignation publique
fit promptemenl justice, il faut constater que trois principes, en
matière de secours, rcmonlenl à la réforme :
A Henri VUl (27, H. VllI, c. 25, 1536), la taxe obligatoire;
A son fds Edouard M [l. Ed. M, c. 3, loi7], le droit de rcn-
vover de force le pau\re à son domicile de secours, droit renforcé
par Elisabeth ( ik, c. 5, 1572), puis par une loi de Charles II (14,
Ch. II, 1GG2), i laquelle on rapporte communément loul le mal,
el qui passa alors pres(jue inaperçue ;
A sa tille Elisabeth, l'obligation, pour les paroisses, de procurer
du travail aux pauvres, ou ce qu'on nomme aujourd'hui le droit
au travail.
Les auteurs prulestants accusent surtout la mesure de Charles II ;
mais il est inconlcstablc (jue ces trois mesures sont la conséquence
l'une de l'autre. Si clia(|uc [taroisse doit nourrir ses pauvres, non
pas dans la mesure de la libre charité de ses habitants, unis à l'E-
glise (ce qui est le principe de plusieurs bulles de Pa[>es) , mais en
vertu d'utu', taxe obligatoire, il est clair que d'une part le pauvre a
le droit de demander (|u'on le nourrisse, et de l'autre on a le droit
de le renvoyer où il doit être nourri. Or (el c'est là celte ligne dé-
licate qu'il est si ditlicile de ne pas dépasser), en apparence, rien de
plus simple, en réalité . rien de plus désastreux. Le secours, quoi
A. M, A. iMCOI.AS.
35
de plus juste, le domicile, quoi de plus naturel? Oui, mais le se-
cours/brrJ, c'est l'impôt inégal et illimité mis à la place de la cha-
rité ; le domicile forcé dans une des 15,535 communes d'Angleterre,
c'est une mesure qui donne à \\\\ pauvre homme la 15*^ millième
partie de son pays pour prison, et change les 15,53^1- autres en au-
tant de forteresses dont la porte lui est fermée (1).
Il faut rendre toutefois cet hommage à Elisabeth, qu'elle s'oc-
cupa beaucoup des pauvres. C'est à elle qu'est dû ce fameux statut
43® (IGOl), qui , résumant dans ce qu'elles ont de plus efficace les
lois précédentes, maintient la taxe, prescrit l'allocation de secours
aux impotents et aux vieillards, rétablissement de maisons de re-
fuge, l'allocation de secours, moyennant travail, aux valides, con-
fie le secours à l'administration locale. On a épuisé envers ce statut
toutes les formules de l'éloge, et on le regarde, soit à cause de sa
durée, soit à cause de ses principes, comme la charte de la bienfai-
sance publique en Angleterre. 11 n'y eût pas en effet de nouvelle loi
pendant soixante années ; mais on avoue que celle-ci fut mal exé-
cutée dès le début, les agents se montrant, selon le mot de lord
Coke, presque partout te'pidi aut trepidi. La' législation d'Elisabeth
ne se compose pas d'ailleurs que de cet acte , il avait été précédé de
neuf autres. Cette législation présente ainsi le même caractère de
tâtonnements et de variations que les lois des règnes précédents,
et que celles qui suivirent , sous Jacques P*", Charles II , William
III, Georges P'", Georges III, etc. Toutes ces lois, depuis la réforme,
oscillent entre deux extrêmes : ou l'on se délie des riches, et on les
taxe ; ou l'on se défie des pauvres , et on les parque , on les punit ,
on les chasse. « Toute cette législation, disait, en 1796, M. Pilt, en
» greffant sur de mauvais principes de mauvais remèdes, n'a rien
» produit que confusion et désordre. »
Il faudrait un volume pour résumer tous ceux qui signalent les
résultats désastreux du système de charité légale en Angleterre,
résultats qu'il est bon de mettre sans cesse sous les yeux de ceux
qui le souhaitent en France. Mais, sans entrer dans plus de détails,
je crois être fort modéré en demandant qu'on me concède seule-
ment ces deux points :
Le caractère général des lois que nous venons de citer n'est ni la
(1) Le discours de la reine, à l'ouverture du Parlement (18ï>4), annonce
heureusement une modification de cette loi du domicile force'', qui n'a guère
produit que des vexations et des procès sans nombre.
30 rrmvE de n. a. r.orni>.
roiiliaiuc dans la cliarilf du riche, ni mie grande tendnîssc pour lo
pauvre, elles ne respirent ni n'inspirent la chariU^ ,
I, abondance seule de ( es lois ne prouve pas une ^;raii(le abon-
dance de vertus. Ouand la lui louche de si prés ù l'ordre mural.
c'est pour impo$er les vertus que la religion ne sait plus intpirtr.
La loi extérieure vient ainsi au secours de la loi inlrrieure défail-
lante.
On arrive donc toujours ainsi, soit en étudiant l'état des pauvres,
soit on recherchant les causes de la pauvreté, en analysant le^
maux de l'industrie, en parcourant les lois, à constater ce fait prin-
cipal, Vinsuffisance de l'ordre t» oral en Angleterre.
4» Or, les réformes de 183» , qui sont la dernière période de la
législation charitahle, \iennenl comme à propos pour conlirmcr
cette appréciation. En eflet, ces réformes, d'abord peu im|>orlan-
les, si l'on excepte la création du Pvor Inu- hoard, et celles qui ont
suivi, sont dues A un mouvement charitable vraiment trés-puis-
.sant, très-remarquable. Mais quel esprit l'inspire?
Avant tout, le désir de faire intervenir de plus en plus la loi et
le pouvoir central. On demande à la loi des mesures sur toutes les
conditions de la vie de l'ouvrier : habitation, salaire, durée du tra-
vail, instruction primaire, lectures, plaisirs, mariages, et sur tous
les moyens de distribuer la charité, taxe, unions, dons et legs, fon-
dations, etc. On demande au pouNoir rentrai des agents, des bu-
reaux, des règles pour mettre en mouvement toutes ces lois. Knhn,
on demande au trésor des contributions nouvelles, et c'est à qui
proposera un s> tome liiiancier nouveau : système de lord Malmes-
bury, système de .M. d'israrli, sysliine de M. Coode. système do
M. Pasliley (sans parler des promesses du libre échange), cl tous
CCS systèmes, (|ui ne font d'aillrurs que déplacer et non diminuer lo
fardeau, ont toujours pour but de subslitu.r, par des combinaisons
diverses, une charge générale aux charges locales.
Ainsi, tout le monde demande que l'Ktal prenne de plus en plus
la t.kbo do réparer par la loi les >ices (pic la morale seule ne cor-
rige pas suffisamment , et l'Etal se met à celte tdchc avec intelli-
gence, avec résolnlioii.
Je n'exagère rien. Je ne prétends pas que les lois ne servent à
rien, que les aumônes ne font aucun bien, que les réformes du droit
civil ou des lois économiques, que les changements de systèmes
financiers ne sont pas utiles. Il serait bien ridicule de parler ainsi
en présence des grands résultats prwiuils par les mesures de sir
A M. A. M COLAS. 37
Uuberl Peel. Mais ce fait ciuininu Ions les autres : le devoir ne parie
pas assez liaul, il faut de plus eu plus faire intervenir le droit.
ïiglise anglicane, chargée de l'aire enseigner le devoir, où êtes-
vous donc? 11 n'est (|ucslion, dans tout ce que j'ai cité, (jue de lois,
de finances, de fonctionnaires, de bureaux, d'inspecteurs de morale,
d'ollicines de charité, jamais votre nom n'est invoqué... où êtes-
vous donc?
Je sais bien que dans d'autres pays, après des malheurs dont elle
a été victime, jamais complice, l'Église catholique n'est pas seule
chargée du soin des pauvres ; elle ne peut pas , pauvre et affaiblie
elle-même, se relever aussi promptement qu'elle a été détruite, et
faire le bien aussi vile qu'on fait le mal ; dans ces pays, on s'adresse
quelquefois par système, quelquefois par nécessité, à la loi. Mais,
au moins, après tant de persécutions, de rigueurs, de dédains, l'É-
glise de plus en plus réclame, et de plus obtient, cette prérogative
de faire le bien, qui vous échappe. Église anglicane! Pour vous,
c'est au milieu de toutes les faveurs que vous devenez stérile. Les
hommes vous ont fait reine; Dieu pouvait seul vous faire mère, et
il vous Ta refusé ; car je vois vos richesses, mais où sont vos sacri-
fices, vos forces, vos vertus? Où sont vos apôtres et vos martyrs de
la charité? Où sont vos serviteurs et vos servantes des pauvres? Où
sont vos pauvres volontaires? ou plutôt, vous avez des apôtres,
mais quel est leur succès? Vous avez des vertus, mais quel est leur
effet?
On me parlera de dévouements individuels, on me citera des
noms inflniment respectables. Je répondrai par cette fable de la
jeune mère indienne qui, ayant vu guérir un malade en lui présen-
tant un breuvage, approchait nuit et jour un vase vide des lèvres
de son enfant mourant. Cette mère était une bonne mère, mais son
vase était vide et ne contenait pas le breuvage vivifiant. C'est ainsi
que l'Église anglicane et les nombreuses associations qui en dé-
pendent peuvent être et sont en effet inutilement charitables. Elles
n'ont pas la vraie charité, et pourquoi? parce qu'elles n'ont pas la
vraie religion.
Un ministre anglican a fait cet aveu aussi profond que pratique :
« Quand je vais auprès d'un homme pour calmer ses remords , ex-
citer ses vertus ou apaiser ses douleurs, je lui souhaite la paix , mais
je ne la lui donne pas. Je ne puis lui dire : Vous avez fait une mau-
vaise action , allez au tribunal où elle sera jugée et pardonnée ; —
vous souffrez, allez à l'autel où Dieu lui-même viendra en vous
38 LETTht Dh M. \. COCim
|>our \utis ronsolcr. Je |iiiis <>lii> ronitnr iiti :uiii (|iii soiilinile la
saiiU' i SUD ami, je ne suis jamais connu*' un int'-dft in (]ui la lui
rond, u
Tiiut «e (j'ii iirrrùde Miflil à lair«' t-ont|iicn(iie li's «aiix'S de If-
tuiinante cl cuiileiiM' itiiilililé, dos i-tiurb eiiurines de lu cliariU-
protestante |>our diminuer la pauxielé cl souiaf^er le |)au\re.
On N\'X|)li(|ue des lors eommeni la besogne qui devrait t^lre faite
par la religion, l'Kjjlise et U- lilire dévouement , est laite par la loi,
le «{ouvernumeulet la contrainte.
Ces forces réunies n'atteignent pas l«'ur but, «'t combien en res-
leraient-elles pins éloignées encore, si l'Angleterre netail pas ce
qu'elle est, une puissance maritime en mt^me temps que commer-
ciale, si toutes les mers ne faisaient pas pour ainsi dire pariie de son
territoire, et tous les pa} s partie de son maiclie ; si elle n'avait
pas l'Australie cl la Californie, qui ont reçu, eu lHo'2, 3(>8,7(>^ de
ses enfants : si l'émigration et la famine n'avaient pas arraché ù
la malheureuse Irlatidf huis inillioiis île in enpiuli et» di.r «nu ^lie-
por. of colonial liiud and emigralion coinmiaioner», 1853.)
En somme. Thisloire delà législation charitable et du panp«''rismc
rn Anglelerie prouve à l'excès que, dans ce grand pavs, on nour-
I it le pauvre, un ne le moralise pas : je n'userais pas dire (pi'au lieu
de lui faire la charité, on lui fait la guerre, si ce mot n'était pas
prononcé par un des plus lemarquablrs écrivains qui aient Irailé
cotte matière, M. Charles Wcsltin Jh()2, /(emark.* un Ihrpour latrtj^
dans une page enq)reinte (l'une elo<pience expressive et douluu-
reus<> :
<i Ainsi, dit-il, apre.s unegueiie décent ipiaranle ans, nous avons
«enfin gagné une complète v iciuire . et fait nos ennemis prison-
» niers de guerre ; mais, comme i\ l'issue d'une guerre civile, nous
» trouvons (jiie nous avons épuisé nos ressources, dépeuplé notre
' pays, vicié ses mœurs, énervé son énergie, vl tju'en échange nous
> avons conquis un déserl isolé, fertile seulement en plantes dan-
I) gereuses , en animaux venimeux , en éléments contagieux, un
» territoire qui nous donne uniquement ile> êtres vi( ieux, degra-
» d6s, insouciants, dont nous ne liions ni Imnneur ni avantage, qui
" sont une entrave ù noire for( e, un lar«leau pour notre industrie,
" une souillure pour notre moiale, et une (onlagion de l'esince la
» plus mortelle pour notre bien-être national , et nous laistenl cx-
0 clusivement préoccupés des moyens de nous débarrasser d'un bu-
» tin si fatalement acquis. >'
A M. A. MCOI-AS. 31)
.... Ouolle admiration profonde excite, dans le cœur de tous
ceux qui visitent l'Angleterre, cette merveilleuse disposition qui
préside à toutes les relations, qui règne à tous les degrés, le senti-
ment de la justice, le respect de soi-même, le respect du droit que
cluKun possède, et de la place que chacun occupe !
Mais ce sentiment plus élevé, qui fait Fhonneur de la France,
malgré ses abus, ce sentiment divin de la charité, qui porte non-
seulement à respecter le droit du faible et la place du pauvre, mais
û les comparer, à les juger trop petits, à vouloir les élever, les di-
later, on le chercherait vainement dans ces mœurs et dans cette
législation , nées de la Réforme , qui ont ôté au riche toute vraie
charité, au pauvre toute dignité, toute reconnaissance. Au fond du
cœur de l'un et de l'autre on trouve, je l'avoue, et bien plus qu'en
France, la loi et le respect de la loi , mais c'est la loi des hommes,
ce n'est pas la loi de Dieu.
Je suis ainsi arrivé par une autre voie. Monsieur et ami, aux mê-
mes conclusions où vous ont conduit ces claires intuitions, qui sont
le don de votre esprit et aussi la récompense de votre logique.
Ah ! combien ardemment j'unis mes vœux aux vôtres, pour que
ce peuple si sage, si actif, si hospitalier, si libre, si grand, en tout
ce qui ne concerne pas la religion , ce peuple , qui semble destiné à
peupler le monde , rentre dans les liens de l'unité, comme le sou-
haitait d(*jà Bossuet, lorsqu'il adressait au duc de Perth ces admi-
rables paroles (Lettre du 14 mars 1689) : « Cent et cent fois, j'ai
» désiré avoir l'occasion de travailler à la réunion de cette grande
» ile, pour laquelle mes vœux ne cesseront jamais de monter au
» ciel ; mon désir ne se ralentit pas, et mes espérancesne sont point
B anéanties. J'ose même me conQer en Notre Seigneur, que l'excès
» de l'égarement deviendra un moyen pour en sortir. »
Auguste CocHiN.
'ItOMCWDK l'IiOTKSTAVTi;.
Di*ir«»i*<lc (*t <ll«i%Iuu.
M()nsoij,Tirur Cliarvaz , arcliovr(|ii(' do (irm^s , a ;ulr«vsc a >« >
ditwvsains dt's aii'rlisi<emenls sur Ivs tnenées des protestants. Il
l(!ursi};naliï le caraclèro déloyal des émissaires proiostaDts, leurs
disriiius f;ill:nicii\, Inir :ip|i«'l lf<iin|(('iir ;"i rrlrriliiiv, leur livrrs
r«'iii|)lisde faii^M-les, leurs nihleslalsitiees, h.'Ui- lanj?age plein de
calDinnies, leur argent rorriiptenr, leur appel aux passions, leurs
anviliaires pris parmi les mauvais «alliolicpies — Cva avrrtisse-
menl.s onl une haute pftrtfc. pujsipi'iis sorlrni de la plume d'un
si j,'raud «'\t'(juf «i duii si illuslre «'crivain; mais en les reprt) -
duisant c'ans \cs annales , nous ne tracerions pas de porii-aii>>
nouveaux à (ionève. Nous « royons plus utile d»» donner ici une
.\utc du |»liis {^rand intcrèl, tin-e de c»'s avertissements , au su-
jet du juj;( inenl porté par les piiotbsta>ts eux-mêmes sur les
émissaires de la |>ropaf;andc protestante. »
« Ce n'est pas sruliMitiii parmi les eatlioliqiirs «pif les «'mis-
saires des Soti«'t«'s piotrsiaulrs d'fxau^rlisaiion scuicnt la dis-
rorde et fomenicni la division. Les prolestants eux-nirnus m
l>i«'n fli's «'udrMiis s'rn |)lai;.,'ucul auK'rfMurnl. Voiri ce (pirii dit
un pasteur français : ■ Les théories exclusives ( les, dissidculs
évangeli(|ues) soulèvent des diseussions sans lin, irritent, détrui'
|'ROI'A(;a.m)e pkotkstante. 4f
Miii la |.;.ix el I :.mour, jciteni \o. (rouble dans les troupeaux, v
arrèlcnt le rèf;ne de Dieu. Kri voici des exemples :
•> On a prétendu ,pie l'union avec: l'Élat est un adultère. Ce
moi esl ariive jusqirà nos pi.ysans. L'église nationale une adul-
tcrc! oni-ils dit. Donc elle esl la i^rande prostiluée de Babylone ;
donc les pasteurs sont des ministres de la bêle , les bergers des
loups, la malédiction de l'église. C'est évident; nos paysans om
de la logique aussi, et les voilà, courant nos campagnes, annon-
çant partout cette trouvaille et laisant des ravages bien déplora-
bles. L'un me disait : J'aimerais mieux aller à la messe , que
d'aller vous entendre. Un instituteur s'écriait : Je ne veux rien
avoir à laire avec les rois de la terre ; je ne veux pas en recevoir
un traitement comme vos prétendus pasteurs.
» A l'ouïe de tout cela, une personne, toute épouvantée, me
disait; Mais, M., où en sommes-nous? Tout est donc perdu?
» Dans notre déparlement deux annexes ont été bouleversées;
dans l'une... on s'y esl battu ; dans i autre, le scandale a été tel
que le maire catholique a dû écrire au préfet une /e/fre que ce-
lui-ci nous a communiquée , et qui était bien humiliante pour
l'Evangile. Je pourrais citer une foule de faits de ce genre (1)...»
» Les discordes , les désunions exercent leurs ravages jusque
parmi les prosélytes que font les dissidents. « On a du temps de
reste, continue le même pasteur, pour disserter sans lin, parcou-
rir toutes les excentricités , et y renouveler les disputes de dix-
huit siècles. Mais on a beau faire, s'il y a des misères parmi nous,
il y en a aussi parmi les autres. La paix n'est pas môme dans cel
petils troupeaux. Il y a des scandales qui font cent fois plus de
mal à l'Évangile que ceux des incrédules de nos églises; car chez
les dissidents , ils viennent de gens qui passent pour convertis.
Oui, c'est du sein de ces églises que sortent ces discussions qui
nous font tant de tort ; c'est de là que sortent ces nuées de pe-
tits docteurs pointilleux qui enfantent toutes sortes de sectes ri-
dicules ; qui, tous les deux ou trois ans, après s'être bien traités
de chers frères et de chères sœurs, Unissent par ne plus pouvoir
(l) Lettres écrites de la Vallée dans VEspérance, journal nioleslanl '>7fê-
vriiT ISiO.
VJ 1 l\<H'V(.VM>E l'hOTESTANTE.
Si' soulFiir, cl lonl U'uv |M'ii(i' icvolulioti, toujours plus radicale,
juscju'à ((' (jiic, uvj'f Darhy, ils niciii loin nivcli" (1).
» On sf moquo de noire mode de recrutenjent. Voyons donc
comment nos frères se recruient. Ne vôulunl que des ilmes (jii'ils
croient converties, ils n'en trouvent pas toujours assez dans leurs
laniillcs. Alors, au nioNrn îles mots sc|)aralion , inonde, église ,
inlldèle, méchant, etc., ils viennent troubler les consciences des
gens simples dans nos éj,'lises. et réussissent à les j,'a','ner. Quand
ils ont ainsi lurlivemenl passé la main sous nos filets et enlevé
ces cœurs convertis, «|ui sont pour un pasteur aussi cUers que
ses propres enfants , ils parviennent à se maintenir en nombre ;
mais vivre de celte fa<^on, en faisant d<'s razzias chez nous et en-
suite nous conspuer, est-ce lovai?
» Un jour u[i niiiiislrt- dissident, hxjé chez moi, m'annonce
<pi'il a constitue une ('f^lise avec des nieu)l»res d(? mon troupeau,
et m invite à aller prendre la Cène avec lui. \}ï\ peu étourdi d'a-
bord , j'accepte pourtant, par esprit «le paix. (!ommc j'allais
m'approcbcr de la table, un diacre vint me |>rier de n'en rien
faire, parce que Ton \enaii de remarquer «pie , comme pasteur
natioual, jCiais im iuli(l<-le, .le fus ainsi excommunie.
» Celte année , un n-veil remanpialde a «u lieu dans mon
église; aussitôt nous avons vu arriver tous les quinze jours des
émissaires de plus en plus savants; ils ont commence l'attaque
par la question du salaire et de Babylone ; puis est venue la dis-
sidence , et enlin les extravaf,'ances du plymoutisme. N'ayant pu
H'Ussir «liez nous ( omme <lans une e},'lise voisine, ils ont dit que
nojis étions la maledi( lion de l'ef^dise, «pie nos S(jci(''tes «'laienl
des u'uvres du diable , etc. Tout cela a sa source dans la dissi-
dence. Ah ! si les [)asteurs nationaux allaient faire de semldaliles
choses dans les troupeaux «lissidents, nos frères prendraient-ils
bien |)atience? Si au moins ils nous laissaient trampiilles» (2)...
■» C'esi la dissidence dans toute sa i riidiie, exjiosée dans des
lirochures et des journaux re|>andns dans n<»s églises et renfor-
ces par fies agents sidtallernes cpii vont de maison en maison nous
il) \.' htprranff. iiiinirro ilii <i n)a^^ IHWl. (Si ll)irt.
PnOPACANDE Pr.OTESTANTE. 4Ô
appelaiil, comme je l'ai dit, minisires de la Bêle el des loups,
apostats, men enaiics , (.lierchanl à nous avilir auprès de nos
troupeaux et à les soulever contre nous. Ces choses font un de-
voii' aux pasteurs nationaux de se justifier, car tout cela atteint
leur caraclère moral. Se taire, c'est se condamner... Que de
prise cl de succès ne fournit-elle pas aux prêtres en divisant à
Tinlini les forces des chrétiens, par des disputes et des extrava-
gances qui sans cesse remettent tout en question. C'est là ce qui
donne l'arme la plus puissante aux agents du Pape; c'est de là
que, par une réaction toute natuielle, est sorti le puséisme » (1).
» L'auteur, parlant ensuite des pasteurs dissidents du canton
de Vaud , s'exprime ainsi en leur adressant la parole : « Mais
soyons justes ; vous avez appelé les nationaux infidèles, impies,
mondains, païens ; ils vous ont traités de mômiers et de jésuites ;
vous avez voulu leur enlever leurs droits et leur nom de chré-
tiens ; ils ont cherché à vous enlever vos droits de citoyens ;
vous les avez expulsés de la société religieuse ; ils ont essayé de
vous chasser de la société civile. C'est la loi du talion. Ils ont
mal fait, sans doute; mais avez-vous toujours fait très-bien?
Voulez-vous que ceux que vous regardez comme dirigés par Sa-
tan, aient plus de patience que vous, que vous dites dirigés par
le Saint-Esprit? Je ne sache pas que Jésus ait jamais proféré un
mot injurieux contre les mondains déclarés. Ce n'est pas dans
l'Évangile, c'est dans l'économie juive qu'on est allé prendre cet
esprit avec lequel on a souvent cherché à exterminer les Philis-
tins et les Amalécites modernes. Encore, dans l'église juive, Is-
raël selon l'esprit ne donnait pas à Israël selon la chair les noms
r('prouvés des peuplades cananéennes. C'est sous l'alliance de
grâce que cela s'est vu. Le Dieu du Sinai appelait les Israélites
qui l'avaient abandonné son peuple et ses enfants ; les enfants du
Dieu du Calvaire enlèvent ce nom à leurs frères qui leur semblent
inconvertis » (2).
Ce tableau des désunions suscitées par les évangélistes fait
sentir au pasteur écrivain la nécessité d'un principe d'autorité,
(I) L'Espérance, nuincro du .3 mars. {•2j Ibi(l..du(i mars.
41 nnU'AliA.MJK rHOTt»TA>TK.
(l'unu cunrcssioii de foi : « Alors, dil-il , on ne verrait plus :iii-
luDl lie laboiirriirs , de serruriers, de |i('rrui|uiers, de oordou-
iiiirs, t|uiil«'i' la rlianiu'. la lor^e, le rasoir et le tire-pied, se
donner le Ixmnrt de duch-nr cl inundrr nos i-^lises. Lt-s person-
nes de ces divers états einployci-s conuni- eolporlfurs et evanj^é-
listes par nos Sociétés seraient inainlenues dans de sages limites
et dans riiuniilité, tandis qu'actucllenient < liaeun arrive avec la
théorie «le sa secte, et c'est surtout son point de vue spé'cial
quil a en vue, parce qu'il a remarcpie cela dans ses chefs, tl sa
lliéorif, il la développe jusqu'à ses conséquences les plus Kfos-
sières. L un pr*'( lie la ^ani lilicalion pai laili' et s'enivre, niellant
sans façon sur le conqtle de la tentation < e <pi il devrait attri-
buer à son inieni|)eran(('. l/anire |iroii\e très-bien que sans la
tloctrine de riin|>utation , il n'y a ptjint de salut; un autre , pre-
desiinatien renfort é , montre <pie , les élus ne pouvant périr, il
n'est pas n<'cessaire de |»récher ri!i\anj;ile, et «pw le ministère et
l'd livre (le nos Sociétés sont du diable; un autre, «pie la loi ino-
rali- est aboli«', par««' «pie nous sommes sous la •^riuM ; un autre,
que puis<pie les ap«')tres bapiiNaieiit par imluer^ion, il tant faire
comme eux, et il va se r.ba|iiiser lui-même en se plon^«'ant «lans
le i\liôn«' ; un autre ne voit pas pounpnti il n') aurait plus de
prophet«'S, et il s'imajj;in<' «n èir»» un : il aniioii(;«- dont que Jésus
\A |iaiai!i-e. .\ussit«'il une multitude «le paysans sont saisis de ter-
reur, s'enferment dans leurs maisons, laissent leurs bestiaux sans
nouriitur«' liurb-r dans b's etabh-s, jiis«pi'à « «■ «pn-, !«• jour «-tant
|>asse et l«' Sauveur ir«'taiil pas Nenii, ils nlournenl un p«'U bon-
t«u\ a leurs tiavau\. Vn antre... mais arrétuDS-Dous ; ne levons
pas plus haut lu voib* qui convie nos misères... Demandons-nous
plut«')t où sont les [dus coupabb's «lans «es foli«s. Ils s«* tr«»uvenl
«lans l«' sein «In uiiiiistei°«' evaii^'eli«pi«' < (t).
I II aiiiie «locteur |uotestant déplore prof«)ndémenl la guerre
«pu- l«'s «•hi«'ti<ns reformés se font l«'s uns au\ aiUr«'s. Il la re-
garde • <-oinm<; |ilus fâcheuse que la lutte, « lia«pie j«mr |ilus ar-
dent«î «le V incrédulilè ghirrale contre la foi dans toutes It églises
ilr la lu forme, n « \x rcveil di- nos joins, aj«)Ute-t-il ensuite, a
(Il \. Hiprnitirr, iiiitiii-ni du |ô ninrs.
l'IiOP.Vr.V.MtK l'KOTKSTANTl-:. 45
eu des imperfections (|ui ont n'-agi d'iino manière «léplorable et
sur le monde et sur l'église : dans le monde, elles ont non pas
créé, mais multiplie et aggrave les préjugés, les inimitiés, les
oppositions; dans Téglis*^ , elles ont semé les disputes, les dis-
sensions, les secte » (l).
La Société de VJlliance évnngélique de Londres est une des
plus dangereuses alfilialions de propagande. Or voici comment
un journal protestant, le Chronicle du 29 octobre 1853, la juge
dans ses résultats : « A mesure que les années s'écoulent, VJl-
liance évangélique se présente à nous sous un aspect bien diffé-
rent de celui qu'elle avait à son origine. Jamais les annales du
fanatisme religieux n'ont (Hé souillées par un conclave plus im-
pétueux et plus turbulent de fanatiques zélateurs. Ils se réunis-
sent non pour compter les préjugés qu'ils ont adoucis et les mé-
sintelligences qu'ils ont dissipées, mais pour énumérer les pays
dans lesquels ils ont porté le brandon de la controverse et des
dissensions fraternelles. Ils se réjouissent des progrès de la dis-
sension et du schisme, et semblent travaillera amener partout
quelque commotion pour affaires religieuses. » « Les agents reli-
gieux de l'Angleterre, dit M. Muller, ont fait beaucoup de mal en
France à notre communion (protestante) par leurs intrigues théo-
logiques , en divisant notre clergé en deux partis aussi ennemis
l'un de l'autre que Genève l'est de Rome, et en suscitant même
des embarras au gouvernement dans les affaires religieuses » (2).
La Société de la propagation de l'Evangile a soulevé par ses
manœuvres de telles plaintes partout où elle a envoyé ses émis-
saires, que lord Palmerston lui-même a dû en tenir compte et lui
faire refuser inexorablement la lettre habituelle de la reine, pour
recommander des quêtes en sa faveur.
Les vallées vaudoises elles-mêmes ne sont pas exemptes de
ces dissensions. M. Wilks , zélé protecteur des mômiers vau-
dois , nous parle des désordres occasionnés par l'introduction
de ces dissidents. « Il est malheureux, dit-il, que ce retour à la
(1) VEspirance, \S février.
(2) Des baux-arts, etc.
40 l'IK)PAGA>UK PHOTt>TA.>7>..
loi t'I :iux |)rali(|U»'s de leurs |»ères ail exeili' la haine «le roiiv
qui uuraieul dû uiarciier eu Ule du uiuuveuienl. A diverses fuis,
des persunoes pieuses se sont vues inquiétées par de turl)ul(>nts
persécuteurs. Des visites oliicielles, des menaces, des prohibi-
tions, ont interrompu leurs réunions paisibles. Enlin le l*' no-
veniltiT dernier, les choses en sont \«'nues à un |Miinl (|ui ne me
permet plus de |,'ardiM plus lon}{tem|is le silence... Je sais,
ajouie-l-il , ipie phisicuis Ireres v ont etc (tlans les \allees) sé-
rieusement maltraites et ijuils portent en leurs corps les flétris-
sures du Seigneur J<>sus » 1 . En 1847, l'irritaiioD était encore
très-forte contre ces nouveaux sectaires , et les \ auiluis qui les
traitaient charitablement \Vhéréiique$, d'apôlns du diable , d'd-
mes damntrs, d'hyiiocriles, etc., etc., et (jui cherchaient à enqK'-
cher leurs réunions.
ti) Frtingrliran tuaydzinc, {'2 iU'crnihrc 1820. \ oyez .•nis>i 1rs .»/«<mirr.«
des vallrts vdiiddUcs. l'igiurol, iHil.
DU COMMERCE DES CONSCIENCES.
Nous avons annoncé le livre intitulé : Du commerce des con-
sciences et de V agitation protestante en Europe, publié chez
M. Burdet, à Annecy. A la lecture de cet ouvrage, on en recon-
naît l'auteur. En attendant la suite (jui va paraître prochaine-
ment, nous donnons ici le premier et le second chapitres.
Chap. I. — « N'avez-vous point rencontré quelques-uns de ces
marchands de conscience qui parcourent les campagnes, se pro-
mènent dans les villes , et se faufilent jusque dans le sein des
familles pour y semer le mensonge et la zizanie? Cette branche
de commerce, toute nouvelle parmi nous , prend une singulière
extension. Elle mérite d'être connue. Or, voici comment se pas-
sent les choses : il y a dans un village, à Arbusigny, par exem-
ple, à Esery, à Veigy, ou tout autre endroit, une pauvre famille
qui a des dettes et dont on est sur le point de vendre la chau-
mière qui lui reste pour l'abriter; aussitôt se présente un de ses
brocanteurs d'âmes qui sont à l'affût du malheur, afin d'en pro-
fiter pour leur commerce. Avec cet air de bonhomie que savent
si bien prendre les escrocs, il dit au chef de la famille : « Pau-
vre homme! vous êtes bien mal logé dans cette cabane si mal
fermée; vous devez avoir bien froid ! Comment le curé de l'en-
droit ne vous donne-t-il pas de quoi réparer votre maison et vous
bien habiller?... Tenez! moi, je suis ministre protestant, et
quand il y a des pauvres dans ma paroisse, je les assiste. Venez
^tn lilj COHMKHCE UËÂ CU.\SCIE.NCES.
domain dic/ moi, je vous rrmollrai une roiivcrturo pour nicitro
sur voire lil cl ({uelques vr-ifinniis pour vos eufauts. > Il s't-n
va «t laisse ces pauvres gens luut clialiis d'une si belle cliarilc.
La couverture arrive, ei le miiiisire prolesiaul ne larde pas à
la suivre. Celle lois il parle de reluire la maison cl assure «pie la
somme nécessnire se (rouv(>rail, si senlement relie pauvre fa-
mille était prolesiante au lieu d'être cailiolique. A ces mots, la
fenmie se révolte, et le jirédic alciir s'en va, sans laisser dans la
( liauMiicre autre chose <pi'un mauvais livre.
Dans un autre endroit , un ouvrier, <|ui n a «pie je travail de
ses bras p(tiir nourrii' sa femme et s<'s deux enfants, est tombé
malade. La misère et la laiui sont de bien mauvaises conseillères,
elles donnent de grandes tentations. Les marchands de cooscien-
ces le savent ; ils acconrenl et promettent du jciin à rcs malheu-
reux, pourvu (|u'ils consi'nlent à livicr leur consrienre. Hélas!
ils h; font.
Tout à ct'fté un créancier a fait subhaster la maison et le champ
«l'un pauvre laboureur qui navaii rien au monde <pie re petit
domaine ; les predieanls, <|ui suhodnrctit le malheur }K)ur en ti-
rer parti, \iennenl lui offrir de quoi payer sa dette s'il veut
abandonner sa religion. Il pleure et il promet.
lue |)auvn; mère veUN(î a deux enlanls (piVIle iraiiu* «le porte
«•n porle pour trouver de quoi les nourrir. Les brctcanteuts en-
voient vers elle des zélatrices qui lui demandent ses enfants,
promettant tle les elcvei- dans le bien-être et d'en faire «le bons
prolestants, (^ommc si elle voulait |)aeiiser avec le diable , la
pau\io mère en cède uo et garde l'auire pour Die».
Les acheteurs de cirnscienceR s'adressent de préférence et
avec assez de succès aux ivrognes, qui ont toujours besoin d'ar-
gent ; aux banquerouliers , qui ne demandent pas mieux (jne de
trouvei- une iilanche dans leur naufrage; aux Icinnies perdues,
(jui n'ont à vendre qu'une àme déjà bien gàl<e. et surtout aux
sim|)les et aux ignorants. On eu iroiixe partout. Dans leshcMids,
dans les «-abarets, sur les bateaux à vapeur, dans les voilures
publiques, le b>ng «iej» grands chemins, on rencontre des pn'*di-
cauts, des calé( hislJ's, des colporleurs, qui semblent disposés à
convertir tout le monde au culie de la Ilible.
DU COMMKHCK KKS CONSCIENCES. 19
Ils so }^'lisseiU (luiis (in nKif^asin, Jaiis un cai'é, dans une lahri-
(|ue, dans une auberge, ol n'en sorleni pas sans y avoir vendu ou
donné une Bible , accon»paj;née , pour l'ordinaiie, d'une petite
brocliiin! loule gonlléc d'infaniies conlie les catholi(iues, leurs
prêtres et leuis croyances. Si l'on repousse leur présent, ils le
l'ont rentier dans la maison eu le donnant au premier domestique
ou au premier enfant qu'ils rencontrent.
Pendant que les colporteurs distribuent les mauvais livres ,
que les catéchistes cherchent à endoctriner les ignorants, que
les commis-voyageurs marchandent les âmes, les prédicanls se
l'ont des auditoires dans les villes et annoncent : les uns la parole
de Luther; les autres la parole de Calvin ; d'autres la parole des
mormons; d'autres celle des méthodistes ; d'autres, enfin, leur
propre parole ou celle du premier venu. Ils ne sont pas difficiles
sur la qualité : ils couvrent tout cela du manteau de la Bil)le,
qu'ils élargissent assez pour couvrir même les plus ridicules in-
ventions.
Ce n'est pas tout : ils ont des écrivains gagés qui, pour la
vingtième fois, retouchent la Bible afin de la rendre aussi pro-
lestante que possible ; d'autres sont occupés à composer de pe-
tits et de gros livreà contre la doctrine catholique, des pamphlets
contre les prêtres, contre les institutions religieuses, contre les
sacrements, contre le culte des saints, et enfin contre toute vé-
rité prêchée dans l'Eglise.
Ce n'est pas tout encore ; mais, dans l'espérance d'être plus
favorablement accueillis des joyeux convives qui fréquentent les
cafés, les cabarets, les cercles, et tous les lieux publics, ils
font des journaux anti-catholiques qu'ils répandent partout avec
une étonnante profusion. Ils transforment la société en véritable
foire , où se vendent , s'échangent , se donnent ou s'imposent le
mensonge et l'erreur. L'Angleterre, la Hollande, la Suisse, Ge-
nève, sont pour eux des camps retranchés d'où partent les émis-
saires, les prédicanls, les catéchistes, les journaux, les libelles,
et en même temps les capitaux immenses qui sont nécessaires
pour alimenter cette propagande d'iniquités.
Pour multiplier leurs forces , les ennemis de l'Église sont or-
ganisés en sociétés, tantôt pid)liques, tantôt secrètes. Avec des
4
ôO ni' ro.nMEi-.rt mes r(»>srit>TE>.
iKiiiis cl des moyens diflcrenls, elles marclieni louies au iiirmc
but, la (leslriiction de ri<4,'lise. C'est une vasle conspiration dont
le centre est en Anglelcire et dont les t-amiticaiions embrassent
l'Euiope. I.os unions protestantes de Genève, celles de la Suisse,
les trois de llollaiulc, (•elles de la Prusse, <le la Suède et du Da-
nemark , sont , pour l'action , subordonnées à celles de l'Angle-
terre; mais, à (picbpie distance (pi'il soit du feutre, cluniue con-
spirateur, cluupie allilie, chaque émissaire se soumet an rùle qui
lui est dicté.
Cette grande entreprise a pour appui les gouvernements pro-
testants Cl cciw des ^gouvernements cailioli(]ues qui sont momen-
tanément eutic les mains des ennemis de TÉglise. Klle a pour
appui tous les francs-maçons, essentiellement ennemis du ca-
tholicisme en tant que reliirion positive et révélée. Enirn . elle a
pour appui la So<iélé biblique, dont le revenu (pii s'élève, dit-
on, à (juatre-vingts millions, est employé en gi*ande partie à
acheter des apostasies. Ainsi dans cette innombrable armée de
pervertisseurs , il y a des princes, des ministres, des diploma-
tes, «les capitalistes et des magistrats de toutes les cat(''gories.
Aussi ave/.-Nous entendu les cris qu'ils poussent quand on vient
à toucher, même légèrement , à (|uel(|ues-uns «le leurs «'niissai-
res.'.. Ou avait peine à comprendr«', il y a une ann«e, ce «jne si-
gnifiait r«>iiu'ut«> di|)louiatique «pii se fit en faveur des Mndiaï.
Aujourd'hui le mystère se laisse pénétrer. Q)u«'lqu«'s commis-
voyagetirs de la So« iél«'' étaient compromis, il fallait les sauver,
«;t |)our cela Tlùiiope s'est mis»' en uiouvement.
Jamais l'agitation r«îligieu3«' n'avait été aussi universelle. Au
set/.ième siècle, il y avait eu «les guerr«'s «ivib's, d«'s gu«'rres na-
tionales, qui avaient la r«;ligion pour «ans»'; u>ais il n'est pas
sûr «ju'il y ait jamais eu tant «ra««or«l pour ««imbattre la vraie
religion. C'est bien auj«)urd'hui que les nations sont réunies con-
tre le Seigiu'ur «'i contre son Christ. Il avait «'-lé dit dans l'Ecri-
ture : • Les portes «le l'enfer ne prev;iudrout pas «-onlr»- ell«-. »
L'enfer, «pii l'a entendu, a accept«'* le «léli, s'est mis «u «•am|)a-
gne, et voilà «ju'il ose es|)érer la victoir»'.
Avant de «lemander à «es missionnaires ce «juils veulent,
voyons v«'rs qu«'lles nîgions ils se dirigent, à «piels hommes ils
uv coiiMiiiu;!-; des consciencks. /il
s'adressent. Il y a dans tons les pays, et snrtout dans les pays
proieslanis, une foule d'honuncs devenus, par système, opposés
à toute cioyanee i-elii'ieuse, qui ne se contentent [)as dT'tre sans
foi, mais qui en toute rencontre se font gloire de leur incn-du-
lité, déblatèrent contre les croyances, contre les doctrines les
mieux avc^n'-es ; est-ce à eux cpie s'adresseront les livres, les dis-
cours et les tendres cajoleries des /('dateurs protestants? Pas du
tout... Il y a tout autour d'eux des indifférents qui se croient
créés et mis au monde pour gagner des écus, faire des spécula-
tions, manger, dormir, et (fuitlcr cette vie sans seulement s'être
demandé à eux-mêmes s'il n'y en aurait point une autre ; est-ce
à ceux-là que s'adressent les propagateurs de la Bible? Pas da-
vantage. Us voient une jeunesse vicieuse, qui connaît tous les
chemins, excepté celui qui mène à l'église ; qui lit tout, excepté
ce qui est écrit en faveur de la vérité et de la vertu ; est-ce à
ceux-là qu'ils se croient obligés de donner des conseils? Non;
sans doute ils les croient assez mauvais pour n'en avoir pas be-
soin. Le protestantisme est déchiré par les dissensions intestines.
Les hérésies , les sectes , les dissidences y sont plus nombreuses
que les villes, et |)resque aussi nombreuses que les personnes ;
est-ce aux protestants égarés qu'ils iront montrer la bonne voie?
Non, mille fois non.
Mais il y a dans les campagnes des paysans honnêtes, des fa-
milles où se pratiquent toutes les vertus chrétiennes ; des per-
sonnes de tous les âges, qui vont avec assiduité, les jours de di-
manche, entendre la parole de Dieu et prier avec tous les habi-
tants de la paroisse. Il y a des chrétiens fervents qui aiment Dieu,
qui respectent ses lois, qui sont remplis de charité pour le pro-
chain et se montrent en tout dociles enfants de l'Église.
Ce sent précisément ceux-là que l'on veut convenir. Cesl à
eux que l'on dit de ne pas aller à la messe, de ne pas écouter le
prêtre, de ne pas croire à l'autorité de l'Église, de ne pas se sou-
mettre à ses prescriptions, de regarder comme des mensonges
les explications qu'elle donne sur le sens des Écritures. Voilà, en
un mot, ceux à qui l'on dit : Soyez tout ce que vous voudrez,
mais ne soyez pas catholiques, et nous vous assisterons.
Ces convertisseurs d'une nouvelle espèce ne sont lancés par les
•">2 i»r roiniKRCE i»es <:»?(sniKNCES.
sociclc's sccrclos (|uu dans les pays caiholi(|iits. l/lialic , la
l'nincc, la Savoie on sont ciibléos. Ju;;c(>ns de ce <|irils foui ail-
leurs par ce (pie nous leur voyuns lairo autour do nous. A ne ju-
^cr (pie |»ar leur aveu do l'Union protestante de Genève, il y a
on Savoie seulement, plus de vingt commis-voyageurs pour le
commerce des conscienees : ce sont des ealecliistos, des prédi-
canls, des eolpûrt«.'urs de mauvais livres cpie Ton reiieouire par-
tout. Des ministres soudoyés par les zélateurs de Genève el de
l'Angleterre, provisoirement éiahlis dans des maisons parlieuliè-
res, iravailItMit à éhiver des temples dans le (Jialdais, dans le
haut Faucigny, dans la ville d'Annecy et à Ai\-les-Hains.
Les journaux sont un moyen de propagande qui n'a pas été
oul)lié par les propagateurs de rii('r(''sie ; la m«'^me socii'té qui a
ct;d>li à (îenève h; Semeur, a <''i:d»li à Clliamliéry le Glaneur. Ou-
tre ces deux organes , qui sont spécialement réservés aux inté-
rêts proli.'stants, les prédicants sont encore soutenus par tous les
journaux de la d('magogie, à laquelle ils sont alliés par les prin-
cipes et par la haine du catholicisme.
Ces tentatives de démoralisation seraient sans danger, si le
ministère sarde ne leur donnait son a|»pui ; mais (]uand le dt's-
oïdic descend de hiiui , il v;i vite et gagne de la loree en arri-
v;iiii (l;ms le li;is. Du rcsie, le ministère de Turin send)le, en ceci,
obéir au mot d'ordre qui a été donné à tous les gouvernements
de faire hi guerre à l'Kglise. Ce qui se passe dans le grand-du-
ché de Ba(h' , en Suisse, en Suède, «.'n Piémont, correspond à ce
(pii s'est paisé en Angleterre, en Portugal, et dans tous les pays
qui ont citusenii à s'enrôltM- dans la giUTre contre iRglise.
La conspiration est conduit*' avec ime apparente mod«'ration ,
dont on ne consent ù se départir que quand on <'st sur de la force.
(Test ainsi que les protestants ont proctdé dans tnus les t<nq»s.
Quand les cadiuliques de Corsior ont voulu, < omnu; ils on avaient
le droit, s'opposer à rétahlissemeul d'un prêche au milieu d'eux,
toutes les haionnetles de la république de G«nève odi éti' recpii-
ses pour aller nuposer silentîo ù (pu hpies honnêtes pères de fa-
mille qui ne voulaient pas que leins enfants pussent entendre
les leçons d'un héiélique.
Les prédicants qui demandent reiablissoment des temples dans
Dl' CoyUEKGIi DliS COi>ISCILiSC£S. 53
les communes catholiques se gardent l)ien de dire leur dernier
mot; s'ils demandent un temple dans la ville d'Annecy, c'est
pour les ouvriers protestants; à Aix, à Évian , à Saint-Gervais,
c'est pour les baigneurs protestants; à Chamonix, c'est pour les
naturalistes protestants qui vont visiter les glaciers. Ils ne man-
queront [)as de dire aussi (jue le Glaneur de Cliambéry n'est
établi que pour des protestants. La vérité est que l'on veut dé-
moraliser les populalions par l'ébranlement des croyances reli-
gieuses et l'extinction de la foi.
Le fait de cette conspiration quasi universelle nous étant
<'onnu , il reste à en examiner la cause et à se demander ce que
veulent ces émissaires de l'hérésie. Ont-ils la foi à l'œuvre qu'ils
ont entreprise, ou ne sont-ils que des corrupteurs mercenaires?
Chap. II. — Y a-t-il des piotestants de bonne foi?
A cette question , faite d'une manière générale , nous n'hési-
tons pas à répondre : Oui, il y a des protestants de bonne foi;
il y en a beaucoup, il y en a dans toutes les sectes protestantes.
Pour les catholiques instruits qui voient la lumière divine se
projeter sur tous les articles de leur ci^oyance ; pour ceux qui
se sont occupés de controverse et qui ont pu à loisir contempler
les subterfuges derrière lesquels sont obligés de se cacher les
enseignements du protestantisme ; pour ceux encore qui , après
avoir étudié la raison humaine, ont deviné jusqu'où devait con-
duire le libre examen des protestants, ils ne peuvent se persua-
der que la bonne foi puisse jamais se rencontrer dans un héréti-
que. Mais ceux qui ont acquis une certaine connaissance des
sociétés protestantes , ou qui ont connu d'une manière particu-
lière des personnes appartenant à quelques-unes de ces sectes;
ceux-là savent qu'ils s'en rencontre qui vivent sans aucune in-
quiétude et même sans aucun doute sur la religion qu'ils profes-
sent.
Nous ne parlons pas de la tourbe des incrédules, des maiéi-ia-
listes, des adiécs, qui ont, à force de volonté, réussi à fermer la
porte de leur intelligence à toute pensée religieuse ; mais de
ceux qui veulent et prétendent être chrétiens.
On comprend jusqu'à un certain point que les protestants
.5'1 1)1 ComitKCK DES COXSCIE^CEs.
jjuissiiii luiiihfi J;ins rnrt'ur sans s'vn duiilcr. .\\aiii, m m: sc-
paraiii de IKgliso, perdu la supivme ivglr dr la foi, ils sont
loniltés sous ruuloritc de la laison privé<r et se sonl ainsi soumis
à toutes le alurraiiiMis (|tii fieuNcnt oliscurcir l'rsprit humain.
Lue fois enseveli dans les lenèliics, il est plus dillicile (ju'on ne
pense d'en soriir.
Il ne faut pas onldier cpie riiuniine ne sait, en ^t'-néral. que ce
(]u on lui a ap|)ris. H parle (onime il entend parler, il pense
comroe on Ta fait penser, il raisonne comme il a entendu ni-
soooer, au moins jusipi'à ce qu'il ait appris que Ton p^'ut parler,
penser et raisonner autrement que lui. La première éducation
est tonte puissante sur l'enfant; or, cond>ien stjni (dili^'es de
passer leur vie entière sans avoir (Tauiie edneaiioii religieuse
«pie celle qu'ils ont reene dans renlance!
Il y a donc une foule tl'artisans, d'Iionnêles oiivi iers, de négo-
ciants, de chefs de famille, qui n'ont entendu que l'hérésie, fn''-
quentc que les temples de l'hért'sie, reçu «pu- les inspiraticms (!l
les soins de l'hérésie; qui n'ont puisé dans la famille, dans l'é-
cole , dans la société «pie les cnseigneinenis de riit'résie : «'om-
nieni ne s«'raieni-ils pas hérciiijues de b«miie foi, et n'ignorc-
rai«'nt-iU pas «e «pi'iU n'oiii jamais appris?
Il y a dans les classes plus ele\ees une foul«> «I hommes (|ni,
uussit«U après la première éducation , sont emportés par le tor-
rent des affaires vers h- c«)lé matériel «h* la vie et que rien ne ra-
mène à la pensée «h- Dieu, «h- laiilre vie «-t «le leur immortalité :
c«)inment ne serai«'nl-ils pas, de l>onn«' foi, dans l'erreur «pi'ils
«ml MU ee avec le lait?
La l)onn«' foi peut s«- trouver dans lln-resie, in«"m«' à c«"tie de
la scitîuce. Dis hommes instruits, des savants du premi«'r onlre.
qui s«»nl rentres dans le simu de l'I'Lglisc, ont affirmé qu'ils avaient
été l«)ngteinps dans l'in-résie, sans se douter «piils étaient dans
l'erreur.
Il v a d«)n( des prot«\siants «h* l»«)nn«' foi , «•! il y en a ln'aii-
«fiup; mais cen\-l;'i ils ap|>arliennent à l'ilme de l'église. Esp<'-
loiis «pi«' le Dieu «pii a fait dire par ses anges : " Paix aii\ h«»m-
nies «le bonne \ol(»nl«', » les r«'inellra sur le cli«'iiiin «le la v«'rii«'.
ou les jugera avec miséricorde quand il les appellera devant son
liibunal.
Les prolcsJants dt^ bonne foi sont faciles à reronnaîlre. Ceux
d'«MUiv eux (|ui ne vivent pas dans ce sommeil de rindillërence
(pii produit Tinsensibililéde lame, exercent toutes les vertus que
le christianisme inspire. Ils sont charitables, ils sont pieux , ils
prient, ils estiment la vertu dans les autres et l'encouragent par-
tout où ils la rencontrent. Sincèrement attaclu's à celles des vé-
rités chrétiennes (jui leur ont été enseignées, ils sont dans la
disposition d'admettre toutes celles qui leur seront connues
comme venant de Dieu. Comme il n'y a point de haine dans le
cœur, il n'y a point de fanatisme dans leur langage. Oh! non,
ceux-là n'insulteront pas aux catholiques, ne marchanderont pas
les âmes, ne paieront pas les apostasies, ne vendront pas le
ministère de la parole à ceux qui méditent la démoralisation gé-
nérale. Quand ils rencontreront des catholiques fervents, ils ap-
plaudiront à leur attachement à la foi et les encourageront à
rester lidèles aux pratiques de leur religion. Ennemis du men-
soDge et de la séduction, ils voient en nous des frères qui vont à
Dieu par un chemin dillérent ; mais ils aiment à nous rencontrer.
Aimons-les, prions pour eux, soyons, à leur égard, remplis de
pn'venance, d'estime et de charité.
Cette première question nous conduit à cette autre : Y a-i-il
des protestants de mauvaise foi? Nous sommes assuré que tous
ceux à qui on fera cette interrogation répondront que si la bonne
foi se trouve dans quelques-uns, la mauvaise foi se montre dans
un plus grand nombre encore. Il est impossible de penser à ses
prédicants sans mission, à ces acheteurs de consciences, à cette
foule de colporteurs de Bibles, de pamphlets , de mauvais livres
de toutes les natures et de tous les formats , sans éprouver, à
leur égard, un sentiment de mépris ; c'est la conscience publi-
que qui a imprimé sur leur front le sceau de la mauvaise foi.
Cherchons seulement à énumérer ceux des protestants qu'il est
impossible de ne pas classer parmi les hommes de mauvaise foi.
C'est une bien grande insulte que nous leur adressons; mais
est-il possible de faire autrement? pourquoi voudrait-on les mé-
nager? On Ta trop fait jusqu'à ce jour. On a cru qu'il fallait être
56 l'I COMMEHCE DLS <:oissriK:<iCES.
poli av«'r fux, <ni"il lallait user «le moiicmlioii, «le mcn:i^'pm(*nt
t'i (Je lioiiccur; a-l-on ;,'a^iH' (pnlciiii' (liost* par remploi do «•<•
moyen? Au roiilraire. A forre do leur adoucir la vérité, on a
réussi à leur faire croire «ju'on ne lu connni<«sait pus et tpi'on ne
les connaissuit pas eux-mêmes. On a peut-^lre scandalisé \e%
hini|tles callioliijiifs . <pii etainit sans » i-sse accablés d'injurt-s,
lamiis (pi'ils ne \o\aienl laiic ipie d humides révérences aux en-
nemis »le leur foi. Lisez, tout ce qui s'é<Tit en Anjiletcrn'. en Hol-
lande, à Genève, contre rKj;lise. contre le Pupe, contre les ca*
tlioliques en {général. Les dési}?ne-t-on jamnis autrement que par
les noms d'ultramontains, de pa|)istes, didolàires, d'cnranls de
liaal, des pharisiens, etc. Entende/, les évoques anj-licans parler
d'une mesure prise par le Souverain l'oiuire. nn-snrf i|ui avait
pnur 1)111 de laiic cnunaiire aux caihuliqin's anglais de quelle
juridiction spirituelle ils dépendaient. C'était une agression pa-
piste, insolente, insidieuse, atroce, basse, impie, prstHnitielIr,
horrible, audacieuse , impie, absurde, révoltante et ifiéprisnble.
Nous ne relevons pas la centième partie «les insultes grossières
adressées aux catholiques jiar les prédicateurs rt les écrivains
pioti'slants; mais d v en a assez pour li-tiitinjer les dures vérités
«pie nous (le\ons leur laiie cnlendi'cî. \e craij,'nons ilouc pas de
prendre dans la main du Sauveur le fouet dont il se servait pour
chasser les profanateurs du tenq>le et d'en frapper ces acheteurs
de consciences, ces vendeurs tlv m«i)s<in'^'es, ces profanatt'urs «les
«loclrines sacrées, laissons une fois à une trop juste indi^'uation
la liberté de la francluM'. liomme il n'y a dans notre cour au-
cun senlimefii de haine «outre les profesiaiits, qu'il s'y lrouv«- au
C(MUraire un amour Inin fraternil pnui ceux d'entre «mix en rpii
nous retrouvons de la loyauté et de la jusii«'e, nous reclamons le
droit de dire aux autres la vérité tout eniicie. sans l'entourer de
formes (pii la déduisent. Irascimini et nnlite prrcare.
Si la bonne fui devait se trouver (piel(|ue part, ce serait dans
les chefK de la société roli^ieuse. Examinons :
Kn repoussant l'autorité ibi Pape, les prolestants eu »mt, «ii
Ken«'ral, admis une autre. Pour eux. la so( ieie ndi^ieusc
a le même chef cpie In société civile Lein- prince, qu il
soil lionune on (piil sou femnu- . qnil soit mm nu qnil soit
I>|i COMMEKCE DES CONSCIEISCCS. 57
plusieurs, est Icnrpapo, l(Mir pontilb siipiôino , lo dirocteur do
leur coiisciiMicc , le léguhilciii" de N'iii" loi. Iloi's do l'Église ca-
tlioliqiie, hi religion est piuioiit une all'uire purement humaine
<pii , eonime loutes les atiires, est conduite par les hommes. En
Russie, c'est remperour (pii est le clielde l'église et (jui donne la
mission aux évoques de ses étals. En Angleterre, depuis qu'Henri
\ III s'est institué chef suprême do l'église, c'est le roi , c'est la
reine qui lient les clefs du paradis, car c'est elle qui règle ce
qu'il faut faire et ce qu'il faut croire pour y aller. Comme la
souveraineté religieuse est un droit inhérent à la couronne, les
souverains qui se succèdent ne sont pas tenus d'imposer à leurs
sujets les mêmes articles de doctrine qui ont été donnés par
leurs prédécesseurs. Ainsi, sous Henri VIII on condamne au feu
ceux qui ne veulent pas croire au dogme de la transsubstantia-
tion , et sous Edouard , qui se trouve Pape de l'église anglicane
à douze ans, on brûle ceux qui veulent y croiie. Les premiers
rois de l'église anglicane admettent leJ)aptême comme moyen
de justification, et la reine actuelle décide que cette cérémonie
n'est pas absolument nécessaire. Le roi de Prusse , ceux de Hol-
lande , de Hanovre , de Suède , les Conseils des cantons suisses
jouissent aussi de l'omnipotence religieuse sur les sujets et les ci-
toyens.
Nous demandons maintenant si tous ces papes et ces papesses
c|iii se sont constitués les interprètes de Dieu , peuvent avoir la
moindre foi à leur propre infaillibilité. Les historiens rappor-
tent que, vers les temps de la décadence du paganisme, deux
augures n'auraient pu se regarder sans rire. Serait-il possible
que les papes d'Angleterre, qui dtVrètenl une religion en trente-
neuf articles, et les papes d'Allemagne, qui décrètent la religion
d'Augsbourg, et ceux de la Suisse, qui abolissent toute religion
écrite, puisqu'ils ne veulent plus de confession de foi , pussent,
s'ils se rencontraient, se regarder sans rire? Non, cela n'est pas
possible. Il y a souvent dans les hommes des aberrations d'es-
prit; mais elles ne sauraient avoir cette constance dans une seule
catégorie d'individus; non encore les princes protestants ne sont
pas fous, au point de se croire les envoyés de Dieu, pour diriger
les consciences , interpréter l'Évangile et faire des religions à
58 l»l' COMMtKCE DES CONSCIENCES.
rusa};c de leurs sujets; mais rinlérêl politique en fait des hom-
mes (le mauvaise foi. Alin de mieux assurer rinié^rilé de Iciii
dt'spotisme, ils ont \oiilu joindre le droit di\in an dioil polilicjue,
la puissance spiiitiielle à la puissance civile, et se montrer aux
peuples tenant le },'laivc d'une main et de Taulrc les foudres du
ciel. On a souvent reproché aux princes des monarchies catholi-
ques de remonter an droit divin pour lé^'ilimer leur pouvoir; il
est hien étonnant que les satires des pid>licistes ne se soient ja-
mais dirij,'(''cs contre les princes protestants cpii s'adjugent le
droit divin et (pii prclendent en user sans aucun(; contestation.
Henri \ 111 concJamnait à être brûlé vif (piiconipie refusait
de le reconnaître comme souverain pontife de la religion , et
à la mort seulement (^euv qui s'avisaient d'en douter. Les rois
de Danemark , de Suède n'(''taieni pas plus doux à IT-gard de
ceux (jni refusaient de les legarder comme des denn-Dimx; cl
l'on pourrait se persuader (jue ces hommes sont de bonne foi !
Non. Ils étaient plus méprisables par la fourberie et la mauvaise
foi dont ils faisaient usage pour tromper les penj)les (juils n'é-
taient redoutables par leur férocité. t
Le 23 août 1536, le Conseil des soixante, ù Genève, décrète
l'abolition de la messe, slattie que chaque citoyen est tenu île
servir Dieu selon le |)ni' Kvangile, cl défend de faire aucune ido-
lâtrie papisti(|ue. Dans tous les cantons protestants, les C<*nseils
ont encore les mêmes droits et jouissent des mêmes prérogatives
divines. MM. Decrey, à Genève; Dtuey, à Lausanne, peuvent
ouvrir ou fermer des temples, envoyer et interdire des pasteurs,
réviser la Bible, corriger l'Évangile, abréger le calé'chisme cl
dire aux prédicanis <le la religi(»n ollicielle : Mie/ , instruisez
les nations, baptise/.-lesan nonnie Dtiiey et (onqiagnie.
Soutenir que ces hommes sont de bonne foi, ce serait soutenir
l'absunle. Ce qu'ils veulent , c'est de ne trouver aucun obstacle
à leur puissance, et, au moyen d'une théocratie menteuse, en -
« liainer les hommes, an non> de la religion. Il est triste de penser
«)unne fourberie sert de bas«' à la consiiinlion de tons les Etats
prolesianls de l'Europe, ei plus iijsie encore de \oir des princes
<atholi<pi('s envier cette siipreniatie , tpii les rendrait me|»risa-
hlcs sans les rendre plus puissants.
MÉLANGES ET NO[]VELLES.
Etats-Unis. — Voici ce que pense le Herald, journal protestant de
New- York, sur les ariens unitaires ou socinicns, à roccasion d'un docteur
Gibbs , qui n'a pas été nommé professeur de chimie à l'université de celte
ville. « L'infidélité » ne fait-elle pas autant de progrès à Genève qu'aux
Étals-Unis ?
«Si le docteur Gibbs, s'écrie le Herald, avait été repoussé parce qu'il ap-
partient à la religion méthodiste, épiscopale , baptiste ou même catholique,
un pareil acte, sans aucun doute, aurait été intolérant. Mais il y a une im-
mense dilTérencc entre- ces sectes et celle des unitaires, si grande en vérité,
que pour nous expliquer la sympathie témoignée pour le D'' Gibbs dans beau-
coup d'endroits, nous sommes forcés d'admettre que le caractère des unitai-
res est très-imparfaitement compris parmi nous.
» En bon Anglais, un unitaire est un être qui ne croit pas à la Trinité, qui
ne croit pas à la divinité de Jésus-Christ, ni à l'inspiration de la Bible; c'est
un infidèle de l'espèce connue sous le nom générique de déistes, parce
quils croient à l'existence d'un Dieu, et qu'ils se distinguent ainsi des athées
qui ne croient pas en Dieu. Le plus éminent unitaire du temps passé est pro-
bablement Voltaire, qui a jeté les fondements de cette doctrine dans ses œu-
vres philosophiques. Tous les unitaires n'ont pas tiré de leurs principes tou-
tes les conséquences que Voltaire en a fait sortir. Beaucoup d'entre eux ont
manqué de génie et de science pour rendre comme lui leurs blasphèmes po-
pulaires. Mais aucun de nos modernes unitaires ne diffère matérielle-
ment dans ses doctrines du sage de Ferney. Ils croient en un Dieu ou en un
pouvoir créateur; ils considèrent la Bible comme un excellent livre, inférieur
à Shaîkspeare, mais positivement supérieur à Platon; ils classent Moïse ^ le
Christ et saint Paul , parmi les hommes les plus éminents de l'antiquité. Les
développements de cette doctrine dans l'État de New- York sont récents,
mais pendant ces ving-cinq dernières années elle a fleuri à Boston et dans la
Nouvelle-Angleterre. La plupart de nos savants et de nos littérateurs sont
devenus unitaires ; beaucoup de ministres protestants ont adopté cette foi ; et
(>()
\1KI.ANGES ET >()lVtLLLS.
Cil général tous les sceptiques, reculant devant la réprobation atlarliée ;iu
nom de déiste ou d'infidèle, onl revêtu leur incrédulité du faux manteau de
l'unilarisme. La secte à laquelle appartient le D' Gibbs a été ou\ertemenl le
rece|)taclc de l'inlidélité depuis un quart de siècle. »
Il |)araU que « l'infidélité » ronge surtout la secte des presbytériens. Voici
rc qu'avoue un ministre de celle secte :
« Qu'avuns-nous vu au cummcnccmenl de ce siècle? L'église des puritains
après une expérience que tout devait favoriser, dévorée jusqu'au cœur par
le socinianisme, et non par un sociniaiiismc inqtortc, conmic lu peste, par
les miasmes délétères venus de Genève déj{énérée, de Ilailcr ou de Berlin ,
lie Itelfast ou de Munlauban , mais un socinianisme s'cnrariiiant , s'épanouis-
sant dans lo monde moral, par les lois naturelles de ce germe latent, pHmor-
dium vitipcl primordiuin inorlia, de tout le système des libres penseurs.
« L'ange des ténèbres a égoutté la rosée de ses ailes niaudites sur la Nou-
velle-Angleterre ; les chaires de ses villes et de ses paisibles villages sont oe-
eupées par des blasphémateurs. Méprisant la liturgie pure des temps anciens,
ils prêchent sans crainlc que Jé-sus-Cluist n'est pas le vrai Dieu : « Je crains
vraiment, disait Increasc .Malher, à l'aurore du puritanisme, je crains que la
.Nouvelle-Angleterre ne devienne la Hahylone de r.\mérique. »
» F^es uiiiversitalisles, enseignant t]u'il n'y a pas d'enfer, se vantent d'être
à eux seuls en possession de mille chaires sur cette terre maudite, parmi les
fils des puritains. En ISU). ils n'avaient que quatre-vingt-trois ministres j
muinlenant (IS'JO) ils en onl sept cents, et ils prétendent venir en (|uatrième
ligne dans l'échrllc des dénominations de l'I'nion. I^a Nouvcllc-.VnglcIcrre,
en prescpie totalité, est socinicime. et ii Boston, à une seule exception près,
toutes les vieilles ctmgrégalions sont unitaires. *
In ministre pniteslant. le D' David Ilice. conq)tnit en 1K:24, que dans le
Kenlucky,siir.'>('>i.r)l7 habitants proleslanls. r>^".I!>7 personnes adultes n'ap-
parlenaicnt à aucune profession n-ligieuse, et ipie plus de '»<K).t)(K( pcrsoimes
nu fréquentaient aucune église le dimanche.
Depuis, la population a doublé, mais tout nu profit «le l'élément anti-cliré-
lien, ou au profit du catholicisme. En I8'2i, celui-ci naissait è peine; aujour-
d'hui, il y a deux é\échés dans le Kentncky, Louisbourg et Covingtou. 30
églises, Cà) |)rvlres et S(),(IO(> calholiipies.
.%iiKlctei'rc. — Nous lisons dans une Icllre Irès-remanjuablc de
S. K. le cardinal Wiscman, archevêque de Westminster, à M. Jules (london,
les lignes sm'vantcs qui sont n|>|ilieBl)les }^ tous les pays :
« I'cr«<inne ne saurait nier que depuis la restauration de la hiérarchie le
sentiment protestant n'ait été surexcité et qu il n'y ait eu |>his d aigreur et
plus de violence qu'antêrieuremcul. MaLs pouvait il en être aulreujcnl? Quand
donc une grande action ilc l'Église s'esl-ellc acrom|ilic sans irriter ses en-
nemis quelcpie part t\n\\s puisse être ? Est-ce qu'à répocpie de saint Tliomas
de Cantorbéry la granile cause de la liberté cl de limlépcndance de l'Église
IIÉLANGES ET NOUVELLES. Q\
a otù g;.;r.,n. sans beaucoup do souffrances pour les innoceuJs et sans l'cffu-
sum de son propre san,, alors que tous ses paron.s c, tous .-eux ,,uid pen-
da.ent do lu, eurent re,u I ordre de quitter le royaume et s^-n^a^ùren n r
a.ns, h. en. de 1 lu-rcsie o.il opposlion des catholiques froids et indiffé-
ruy"'7?""" '''':'"" '"^ „,,,,, ,3i„t Grégoire VII et tant d'autres
n le. de h poursu.te de leurs plans pour extirper la simonie, pour assu-
le cCbat du clergé et pour s-affranchir de Tabus des investitures laïques^
Ks -ce que nous pouvons attendre un trailenu-nt diflérent de celui éprouvé
par tant d'autres aux différentes époques de lÉglisc ? .
iaif;;i:::^r?'^^'^"^ ^" '"^'"^^^^' ^'^^^■^-'^ -- ^-^^^'eun
.M^:nt'nX n-e'"r""" ,'" '°"'"""'" ~l-bles qui ont suivi cette
,.andc mesu.c? Je vous laisse, mon cher Monsieur, à vous, qui savez si
■en cela, .^ ,„.,. , ,„,, ,„„^,,^^ ,^^ ^^^^ ^^^ plusUIustres'c i d
pu., cette époque. Ce n'est pas à moi à établir des distinctions : toute breb s
garce qu. est retrouvée est égalen.ent chère au pasteur. Je me born n. sur
c pomt a deux observations. La première, c'est que les conversions dans les
1 sses n.oyennes, les plus importantes en Angleterre, ont été, d puTs lé
La seconde, c e.t que quelques-uns des convertis les plus distingués de
ce époque m'ont avoué que c'était précisément cette hdte de n trff ib
^ tcX :;^ ;: ^^''-^-^^'^-^ ^^ ^^ ^^ société, eties >;;:;^
"C ce conllit qm les ont amenés a 1 Eglise catholique. «
GenèTC. ♦" Nous apprenons par un journal protestant de Genève
.I"e le dmianche qui a précédé les élections communales dans tous le canton,
1 " "'''' ''"'°"' '' '^''' ""'''' '•^PP^'^ 1=» ^'-è'^iou de la Société
des uaen,s protestants (?), il a fait ressortir le devoir imposé à tous lespro
testants de mamtenir l'héritage chrétien que leur ont légué leurs pères et
M. le pasteur Rœrhich a invité ses paroissiens à coopérer' elon le r's moy'en
aux œuvres dont on venait de les entretenir. » ^
on. Société des intérêts prolestants, c'est-à-dire V Union protestante a
pour but avoue, dans son manifeste, . de faire pénétrer les priZes du p;o
testanusme au sein même du catholicisme. «Avis aux calholiq^e de no
campagnes. ^
•" VUniœi protestante vient de renouveler sur un autre point du canton
1 agression de Chcvrans. Un culte puMic a été ouvert au village de I andë!^"
4)2 MtLAXJES ET .>()D\ bl-LES.
paroisse de Cuinprsières. On annonce un semblublc ruUejtublir proirstani à
Vcrsoix , à une autre fXln'miU' »lu lanldn «le Genève Toutes ces provoca-
tions, loin de contriltuer ti lu conciliation et à lu paix publif|ue , ne feront
(|u'a};itor et irriter les populations de nos campagnes; loin d'afTaiblir la foi
«les cutlioli(|ues, tout cela ne fera <|ue l'augmenter. Nous croyons que jamais
le clergé catholique et les bonnes populations de nos campagnes n'ont eu plus
besoin d'exercer leur vigilance.
Dans les campagnes catholiques, les rlcciimis iiiuiii(i|(;ili-s, j 1 ixceplion
de deux ou trois, ont été bonnes; à Carouge elles ont été hostiles à la reli-
gion catholique, pur l'union des protestants avec les call»<ilii|ucs (jui veulent
la fusion des deux cinietièrcs. A (îenèvc la liste de l'union des démocrates et
des conscrvulcnrs a passé. Klle ne conlenail pas un seul nom calholicjue. Du
reste, la «piestion des chemins de fer absorbe même l;« ({uesllun religieuse
pour le moment.
**• De pauvres victimes de l'argent de VVniim prolrslaitle sont déjà reve-
nues à récipiscence ; il y a eu plusieurs abjurations publiques dans des com-
munes voisines de noire canton. Nous espérons pouvoir donner des rensei-
gnements curieux. Ce qui est frappant en Savoie, c'est l'entente parfaite qui
existe entre les agents de la propagande protestante et les agents des sociétés
secrètes démagogi(|iies. Quelle étude de mœurs! quelles tristes réalités pour
l'observateui' inq)artiul ! Il scnd)le (juc ces zélateurs des sectes et des révo-
lutions senicnl leurs victimes : ils savent juste quel est le mauvais sujet du
village ou la lille-mére qu'il faut gagner... .Nous avons sous les yeux des dé-
tails sur des faits frappants qui se sont passés h Sallanches , à Evirc et
autres communes voisines du canton. Dans le canton de Genève, les catho-
liques ne se laissent pas si facilement tromper; ds sont habitués au feu et ils
connaissent la tactique.
•** .Nous sommes stupéfaits en constatant comment les hommes sérieirx il
(ienève ne voient pas ou ne veulent pas voir le progrès effrayant de la dé-
moralisation parmi les pauvres. I>e conmierce des Ames flétrit de plus en
plus les caractères, affaiblit la foi chrétienne et crée une caste de malheureux
qui n'ont plus de frein, (|ui ne veulent plus travailler et qui se donnent au
plus offrant enchérisseur. Déjù beaucoup ont passé «l'un protestantisme fa-
cile à l'incrédulité et à un socialisme t«>ui ii l'Iicure pratique. Ajoutez îi cette
cause première d'une véritable dégradaliiui murale, tout le dissolvant des se-
dortions des grandes villes, des d:ingers que courent ces jeunes filles de
la campagne (|iii viennent, sans expérience et sans ressources, chercher <le
l'ouvrage à (ienève... Considérer, ce qu'il y a de désastres profonds dans la
vie d'atelier pour notre jeunesse , et juger si au lien d'un prosélytisme dé-
moralisant, il ne serait pas bien autrement important que rhaque culte s'oc-
iup:il séricoscniriil tl améliorer l'élal moral de ses ressortissants. I.a plaie esl
bien autrement profoiKle qu'on ne croit, surtout chez les protestants. Nous
connaissons les pauvres , nous connaissons les ateliers, nous entendons les
incroyables divagations de l'irréligion dans les lieux publies : c'est pournoiu
HÉLAfS(iES ET >i()LVLLLKS. 63
imc sliiptfaclioii de cl);ujiif jour en voyant le mal croissant, et l'absence de
niojcns l'flicaces de l'arrêter, pendant qu'on s'amuse avec une espèce d'a-
veupiemcnt incroyable à user son temps pour arracher la vraie foi à de pau-
vres gens, sans leur rien donner à la [)lacc. Une pauvre fille de la Savoie me
racontait, il y a quchiiies jours, tout ce qu'on lui avait dit contre la religion
catholique, surtout contre la confession cl contre les prêtres. Elle avait été
vaincue, entraînée ; je lui demandai : Mais dites-moi, que vous a-l-on dit qu'il
fallait croire? cjuclle est votre foi désormais? — Ah! me répondit-elle, on ne
nous a pas parle de cela.... — Mais croyez-vous maintenant au moins à la di-
vinité de N. S. Jésus-Christ? — Ah ! on ne nous a rien dit sur cela. — Mais
croyez-vous encore? — Ah! je ne sais pas. -- Croyez-vous au Symbole des
Apôtres? - Ah! je ne sais plus... Cette pauvre fille était accablée de ce qu'on
lui avait arraché de croyance, et de ce qu'on lui avait laissé d'ignorance et de
doute. Elle est rentrée sans bruit dans le sein de l'Église catholique.
*" Le Lien, journal protestant de M. A. Coquerel, qui représente assez
bien à Paris l'église nationale de Genève, traite rudement les méthodistes
français et les recordistes anglais. Il appelle de ce dernier nom, en Angle-
terre, la fraction la plus outrée du parti exclusif prolestant qui a pour or-
gane le Record.
La guerre est bien vive. Voici les paroles de M. Coquerel :
«Le Record croit-il les réformés de France prêts à se résigner à voir in-
terdire la sainte Cène à tout fidèle et la chaire à tout pasteur qui refuserait
de signer la théologie du Record ou de V Espérance?
» Croit-on qu'ils se soumettront à ce tribunal d'inquisition des mœurs qu'on
a essayé de rétablir dans quelques églises, et qu'ils consentiront à se voir
eux-mêmes, ou leurs femmes et leurs filles, cités à comparaître devant le con-
sistoire, et là, jugés, admonestés, censurés en public, excommuniés en par-
ticulier enfin? Croit-on qu'ils permettront à ce tribunal illégal de scruter leur
vie privée, de régenter l'intérieur de leurs familles, et de publier que tel ou
telle a commis un scandale toutes les fois qu'on aura violé quelque article de
son code étroit et formaliste ?
» Si c'est là ce qu'on pense, on se trompe; il n'y eut jamais plus complète
méprise, et nous apprendrons, s'il l'ignore, au correspondant du journal
anglais, qu'aujourd'hui, en France, au sein de nos églises, nombre de laïques
zélés et pieux accusent tout haut leurs pasteurs , et particulièrement ceux
(jue le Record attaque, d'user de trop de ménagements, et de ne pas expri-
mer avec assez de netteté et d'énergie la répulsion profonde qu'inspirent l'ex-
clusisme, ses allures despotiques et ses analhèmes anti-chrétiens.
» Ah ! c'est qu'il y a autre chose entre le Record et le Lien que des ques-
tions de personnes; il y a autre chose entre l'Alliance chrétienne universelle
et ceux qui damnent les hérétiques, entre l'Évangile et les confessions de
foi même diminuées des trente-quatre articles, entre l'esprit de Jésus-Christ
et l'esprit inquisiteur, persécuteur, pharisaique de l'intolérance.
Il est incontestablement faux que les agitations ecclésiastiques ont été
I
<)4 llÉLAMibS ET .><)LVLLEi>.
riiraïUccs par ceux sur qui leurs auletirs voudraient rn rejeter t'odieux.
Kilos datent de plus luin ; elles ont éd* pn)duiti*s, elles sunl entrclenuesi |»ar
cet esprit futal de discorde et dr. condanuialion ipii n'a qu'à ne montrer Ici
(pi'il est pour «'"Ire repoussé de tous.... » • Faudrait il que je u)'ab>licunc de
la C«'ne , parce que je ne pui> pas déclarer <|ne j'admets, avec le concile de
>ieée ou le synode de Donlreclil , de.> distinctions comme eelles-ci : fx fils
n'rst pas crà', mais rngntdrr, cl Ir Sainl-Ksprit n'cs( ni cric ni engendré,
mais procède du Pire cl du Fils. »
.Ainsi les nùihudistes et recordisles sont « iiMpiisileurs, |icrsécuteurs , piia-
risaïques , intolérants, despotes, hommes de discorde et de condarun<ilk)n.
huniuies danathèmes anli-clirélieiis. >
Va les laliludinaristcs de M. Coquercl n'adniellenl plus la suinte Trinité et la
divinité de Jé&ustllirisl, définies au concile {(t^néral de .Nicéc.
il en résulte que la cundamnatiun des niélliodisles est «claire et précise:*
mais (pie la foi de leurs adversaires se passe facilement de la clarlc et de la
précision dans la doctrine.
*•* l'n journal protestant detJenëve pnUe, entre autres jolies clioses de la
même espèce, à .M. l'abbé Mermillod, vicaire de (îeni^ve. les paroles suivan-
tes, que ecluici aurait prononcées h (îénes dans l'église de Sainl-Am-
broisc : « Les calliiilir|ncs de (iencve continuent la construction de la maisoti
on sera ADOIlKi; Marie, la Mère de Dieu.» Jii^e/ du reste, lecteurs, par une
pareille citation. Kt \oila conune Ion égare sciemment ici les prule&tanls et
comme on calonniie le clergé calliolicpie.
*** I^ persécution continue dans le grand-duché de Rade. Mgr l'arelievéque
«leFribnurg vient d'être soimiis.'i nn mandat d'arrcl. Il est gardé à vue par de»
gendarmes, et il ne peut comnmniqner aver personne qu'en leur présence.
FRAG^IENTS HISTORIQUES.
Iiitrofliietiuii du protcstautifmiic dans le canton
de l'and.
Les fondateurs de la Société dite des intérêts protestants,
n'ont pas craint de nommer, dans leur manifeste, la religion
catholique la religion de la contrainte^ en opposition à la leur
qu'ils appellent la religion de la liberté. Nous demanderons
à ces nouveaux champions de la réforme s'ils croient sé-
rieusement ce qu'ils disent, et s'ils s'imaginent que leur dra-
peau soit pur de toute violence. A les entendre , il semble-
rait que le protestantisme n'a eu que des apôtres aux paroles
mielleuses, aux formes douces, à l'air bénin. On croirait que
cette sainte réforme n'a été de toute part établie qu'à l'aide de
la persuasion , et que ses conquêtes ne sont dues absolument
qu'à la mystérieuse action du livre sacré.
Mais alors où ont-ils fait leur cours d'histoire, ces béats dis-
ciples de Calvin , qui ne savent rien des rigueurs de leur fonda-
teur, des provocations sanglantes de Luther, des cruautés d'Henri
Vin? Si nous voulions leur rappeler les fureurs des anabaptistes,
5
6(» FlUI.Mh.M» Ill>TOhloiE>.
les iiiassacics de Frnnkeiiliaiiscn, les rigueuis de Clirisiiern II,
les proscriplions d'Éilouard VII, le code d'Élisabcih ei le sort de
la nialliriireuso Irlande, ils nous jeiieraienl sans doute à la
l'ace le lanalisnw dfs li^iieiii's , l'edil de Nanles, les ilragonna-
des , la Haiiil-UarUiéleiiiY et cenl niiires faits que rignorancc ou
la mauvaise foi ralviuienne , après les avoir jieinls de ses plus
liii'iilnes eouleiirs , se plait à présenter comme élanl le fait de
la i('lif;iun eadiuli(|(ic, taudis qu'ils ne sont dus qu'à une politi-
que plus sou(;ieuse de son salut (|ue de celui de l'Église. Que
laiie d(jn( ? Nous ne sortirons pas de riiisloire de noire pays;
elle nous sullira anqtlemeni poui- prou\»T cpie le protestantisme
ne iùi pas dans son él;d)lissement une relif^ion de liberté, eiqu'à
Genève surtout il ne se consolida (pie par la contraintt de
riiomme qui faisait trembler devant lui les maj,'istrats et les ci-
toyens, et qui se nommait Calvin. Aujourd'hui, empruntons
(|uel(|ues données à rhistoire du canton de Vaud ; une autre fois
nous explorerons Genève.
Le canton de \ and était, av;int l.'j.Jti, une terre francliemenl
catholique. La plupart des villes et des lian)eau\ de ce beau
pays vivaient en |)aix sous la paisible domination «'es princes de
la maison de Savoie. I*ierre-IMiilij)pe, Amé-le-Granil , le comte
Vert, Amé \ III s'étaient tous fait aimer de leurs sujets. Enfants
soumis de TL^lise, les habitants de celte contrée reconnaissaient
pour leiw chef spiriitiel Tév^qtie de Lausanne, dont le sceptre de
firiiH-e s'éleudait sur les villes de Lausantu^ , d'Avenches. de
Huile, sur le cluUeau deLiKciiset les <|uaire paroisses de Lavaux ;
niais dont la crosse gouvernail tout le territoire renfermé entre
Auboniie et le i i\aj(e de l'Aai-. Ainion venait de mourir, enq»or-
tant dans la tombe la vénération de ses dioc«>sains, et son neveu
Sebastien de Moniraucon occupait le sièj;e de Lausanne, lorsque
les [)reniiers svmplônies de n'Iorniaiion se manilestèrent dans ce
pays jusqu'alors si traïupiille. (.Iiarles III, \\ sesCilté's, gouver-
nail le pays de Vaud; mais, il faut le dire, comnu' un prince
embarrassé de sa fortune. IMac»'- entre la France «pii convoitait
ses États, et l'Auliii lie qui lui disputait ses places «le guerre, il
ne pouvait donner qu'une demi-attention à tout ce rpii se pas-
l'IVAGMliM'S IIISTOKIOUES. C7
sait sur les conlins clos Étais confédérés de la Suisse cl sur les
rives (lu Léman.
Ce l'ut le moment où Genève s'agita pour reconquérir son in-
dépendance; où elle contracta avec Fril)0urg et Berne cette al-
liance qui lui coula sa loi. Ce lut le moment où les troupes ber-
noises promenèrenl surnos rives leurs étendards et demandèrent,
en l'cvanche des services rendus, les biens de l'évêché et l'cla-
blissement de la réforme. Ce fut l'époque où, pour arriver jus-
qu'à Genève , les commissaires de Berne exigèrent des villes du
pays de Vaud qu'ils traversaient la soumission la plus complète
non-seulement à leurs armes, mais à la réforme dont ils se firent
les promoteurs et les soutiens, parce qu'elle leur fournissait les
moyens de satisfaire leur cupidité. L'établissement du protes-
tantisme dans le canton de Vaud porte un cachet de violence tout
particulier. On peut dire (jue le despotisme bernois s'y est joué
de la foi des vaincus. Les lignes suivantes en sont la preuve.
Les premières paroisses du canton de Vaud où s'introduisit le
protestantisme furent celles des mandements d'Aigle, d'Olon, de
Bex et des Ormonts, qui faisaient alors partie des l>ailliages ber-
nois. A la suite des débats survenus en 1464 entre les Ormon-
tois et les prêtres du Gessenay au sujet de la délimitation de leur
territoire respectif, Berne avait offert à ces montagnards sa mé-
diation. Au bout de peu de temps, la médiation se changea en
un protectorat, et le protectorat en une véritable conquête. En
loOO , les habitants de la Joux de dessus et de dessous (ob und
nied dem Werld) regardaient Messieurs de Berne comme leurs
seigneurs et maîtres. Ce fut ce qui leur valut, en 1526, d'être
le premier théâtre des efforts de Farel.
A cette époque, les magistrats bernois tendaient déjà une main
amie aux sectateurs de Zwingli. Cependant, comme ils avaient
été les témoins presque oculaires des fureurs auxquelles se li-
vraient les anabaptistes au nom de la réforme, ils craignaient de
voir se reproduire parmi eux des scènes de désordre pareilles à
celles de la révolte des paysans. Il y avait néanmoins de chauds
partisans des doctrines luthériennes dans la ville de Berne. Ber-
chtold Haller en était un ardent promoteur, et il était puissam-
ment secondé dans son œuvre par le président Nicolas de Wat-
08 KHAt.îlt.MS IIISTOIilOl LS.
U'\ill»' , imbu cuinmr lui des principes nouveaux. Sur ces entrr-
lailes, on vil anivcr «le l>àle à Berne un crrlain réfD{»ié nomme
Ursinns, qui, cliaNSc «It* trllc ville à cause de ses opinions exal-
lées, élail à la reclienlio «l'un enclroii liospiialicr. iJerne le lui
fournil. Cet Ursinus n'étail autre que Fai*el, qui avait ju^* pra-
clent (le s'ahriler suus ce pseuduuynu'.
Farel élail Fianrais ; il alliait à la Ibii^ne <les f^ens du Midi une
ronstanie leuloniipie. Maniant parlaitenieni sa langue , il de-
manda aux magistrats bernois un poste oii il put lra\aillrr en fa-
veur de la réfoinie. Il fui rnvo\e dans le district tTAi^^le. où (a
langue fraiir.iise était populaire. A peine y fùt-il arri>é, qu'il
s'aperçut de la répulsion universelle (pi'excitaient les écrits de
Luther. Il prit alors un biais pour arriver à ses lins et s'annon(;:t
eomiue luaitrt; d'école. Froinenl us;i à Genève du même strata-
gème. Ils savaient l'un el l'autre comment, en enseignant les sim-
|>les Icllres aux. enfants, on peut faire arriver jusqu'aux parents
loui un corps de ducirinc. Le titre (rinsliluleur permit à Farel do
faire circuli-r dans le |)ublie de petits traites contre IKglise it)-
niaine et de dogmatiser secrètement. Uientôl ses allures furent
plus audaeieuses ; il éleva la voix en public el niiaqua iU' front
les croyances calltolicpies. Les habitants d'Aigb*, Mess«'S de l'ati-
dacc de Farel, allèrent porter plainte aux prépos«'s de la com-
mune et au gouverneur du districi, qui <ita le prédisant el V:ui-
monesla vei tenieni. Pendant (piehpie temps Farel se ninntn pins
resj-rvé ; mais bientôt il jeta le masipir ; el potir avt»ir le droit liv.
p^'^cher du li:iiii de l;i chaire d'Aigle, il demanda aux ntagisli'al.s
bernois une p;iiciile (h> ministre. Il robliiil. au grand m«'conten-
trmenl du prii|i|f d'Aigle, qui vit <lans irile mesure un |dan ar-
rêté de saper l'anltipu' foi. O fui sur ers cnln laites qu'eut lini
le fameux < olhxpu: bernois de l^rlH, oii il s'agissait <le savoir d
t/uoi l'on (levait s'en tenir. Farel s'y rendit; le ri'sullat de celle
ilispule lui de faire passer entre les mains de juges laïques une
autorité (pii eut iln n^ster éternellement au-dessus d<> la s[ilière
des pouvoii^ humains. Dès lors les Conseils se cruriMJl en droit de
doj{U)atiser, d'appiouMC, de rejeter ce qui etail ou n'ê-tait pas de
lui.
Les t.nnseils d<M laièrrut les rhels do paroisse aiïrancliis du
FRAGMENTS UISTORIQL'ES. GO
scrmonl pn'u; aux évèqucs , ol s»; n-servèrcnt le pouvoir d'eu
e\ii;<'r un nouvo:iu. La messe lui abolie et l;i démolition des au-
lels (icMiétée, Oi édit, '■^\)pii\^i ledit de ré formation, (ie\{\h •d\o\r
son effel dans louie l'élenduc des terres seigneuriales. Farel se
hâta d'en porter la nouvelle duns les dislriels français, où sa
publication suscita un oii universel de réprobation. Le peuple
presque entier, dit le Chroniqueur, le rejet.ait dans les quatre
mandements (1). Il fallut, pour le rendre exécutoire, la présence
de quatre commissaires. « Mais pour que les changements se
lissent avec les cg:irds dus aux faibles » (ce sont les termes de
1 edil), ils appelèrent le peuple à se prononcer sur le rejet ou
Tadoplioudu nouvid Évangile. De quelle manière furent recueil-
lis les suffrages? ajoute le Chroniqueur, nous l'ignorons. Mais
dans les paroisses d'Aigle , d'Olon et de Bex , la réforme eut la
pluralité des voix. Les Ormontois ne se laissèrent pas ébranler.
Si le Chroniqueur n'a pu recueillir aucun détail précis sur le
mode de sullVage adopté en cette circonstance , il sait du moins
comment la chose se passait ailleurs. Disons-en quelques mots,
pour juger de l'impartialité de ces comices, où la foi d'un peuple
4'iait soumise au jeu d'une votation. A un jour marqué, des hom-
mes d'armes convoquaient les chefs d'hoslels, ou pères de fa-
mille, sous la présidence des mandataires bernois. La harangue
usitée en faveur de la réforme terminée, le président de l'assem-
blée commandait à ceux qui votaient pour la messe de se met-
tre tous d'un côté, tandis que ceux qui adoptaient le prêche
passaient d'un autre. Les présents étaient seuls comptés; par
conséquent les malades, les vieillards, les infirmes, les servi-
teurs, les jeunes gens, les femmes el les enfants n'avaient pas mot
à dire, en un point où leur foi était en jeu. La pluralité des voix
était-elle en faveur du maintien du culte catholique, on licenciait
l'assembléejusqu'à nouvel ordre, en laissant les réformés libres de
demander, quand bon leur semblerait, un nouveau Plis, ou nou-
velle votation. Nonobstant , le prédicateur luthérien prenait pos-
session du bénéfice et prêchait dans la nef de l'église en faveur
de la minorité protestante, quelque minime qu'elle put être. Si,
(\) I,e Chroniqueur, p. H7.
70 HlAGMK.'MTS IIISTORlyl ti.
au loiilraiie, une niajoriié qut'lcon»|ue, d'une voix sculcnirni, sr
manircstail en faveur du pn'che, il fallait <|U(* tout ottuv eailiuli-
(|ue eessàl inun< iliaU-uirul. Ou luisait les statues, renversait les
autels, vendait les liieuldes , calices, «ilinires, aulies , eliasu -
I)les, etc., au |ii(»lit des sei^ueui's i I;.
Si dans une >ille ou conuuuue couipusee de |tlusieurs parois-
ses, l'cDsemble des voix dounail gain de cause à la vieille foi, on
en appelait à un vole par caU'gorle de paroisses, pour faire triouj-
pher l«'s niiniu'ilés.
Enliu, y avail-il des deux parts égalité de vuix, aussitôt des
émissaires se nietlaienl en campagne pour aller acheter des con-
sciences. Ils promettaient à l'un la dépouille du l)éu<'fiee, à V,\\\-
ire une corne de cliaiiip, une |)ieee de hetail a hon niartlié. Ou
cite une pj'tite localiii- aux alentours de Goumoens oii les voles,
se trouNant ef,'aleuient parlaj;és, on alla oiïrir un boisseau de hic
au porcher de la commune retenu sur ses j,'uérets, s'il approu-
vait les commissaires. Ce fut la voix de ce mist'rable, li'ulé peut-
ôtre par la faim , mais à coup siu* par la cupidité, qui servit à la
reforme de fatal ap|>oinl {'2). Il est à pr<'stimer qu'à Hex , à Olon
et à Aigle, les «allioliques appelés ;'i se prononcer sur ledit de
i-éformation , n'attachèrent pas une giand»' importance :^ celle
mesure nouvi-lle, »loiil ils ne ( <un|ti'enaient pas toute la purl/'C.
l^r au moment oii les mous<]uetaires Ixrnois se miient en de-
voir tie renverser les autels el de briser les siaïues, des hommes
de cœur min'nt une opposition formelle à cette nnivre de dévas-
tation. Farci, qui y présidait, fut insulte, menace et même vio-
lemment iVapp»'. L'emoi était général dans les (juatre mande-
ments. On vit s'organiser de toute part <les députât i(»ns qui se
rendirent à Berne pour réclamer le maint ien du culte catholique
et la conservation des prêtres, phués, par l'tdit, entre l'exil ou
la prévarication. Ces démarches n'eurent pas de succès, et il en
résulta un racc.onteniemeiu universel. I^^s pasteurs des paroisses
(I) Vcrdcil. Hisloirr du ranlim île Ynud. t. Il, |i. (iô.
Ci) Ce modo «le f.iirc |»(Milt'trc mi«'n\ .ippn-rii' que jamais, maintenant «|ni-
nou» voyons le radicalistnr frilxiiir^rois sr maintrnir .m |Mtuvoir i* l'aide di-
voûtions contre une majorité écrasante, connu* ft avouée.
FiUG.MEiSTS IliSTOUI^UbS. 71
se rctiirront en Vallais, où pcMidanl plusieurs années les caiholi-
<|ues d'Aigle el de Uev allrrenl clierther et recevoir de leurs
mains les secours religieux.
L'opposition desOrnionlois fut plus sérieuse. Ils avaient refusé
à Farel i'entn'-e de leur église et rejeté à l'unaniniilc' l'édil de
rélornie. Les eoniniissaiies, cpii leur avaient donnt; (jnelques mois
j>ou4- iHîJléchir, revinrent à la charge, à l'époque de la Pentecôte;
mais ils ne reçurent, pour toute réponse, que ces mots énergi-
ques : « Plutôt choisir de nouveaux seigneurs que de renoncer
ù notre foi. » Rodolphe N.Tgueli, le plus terrible des conmiissai-
res, fut délégué une troisième fois auprès de ces montagnards
tenaces comme les pierres des Ormonts. Pour les épouvanter,
il se fit accompagner d'une nombreuse escorte; puis, usant de
tous les moyens de rigueur que la loi bernoise mettait entre ses
mains, il frappa d'une amende de 10 llorins ceux qui s'étaient
opposés aux prédications tle farel, et les condamna à la prison.
Pour défaut de connivence avec le réformateur, les préposés de
la commune furent jugés incapables et faibles; on les destitua,
et tous les prêtres, vicaires, chapelains, furent bannis du pays.
Les commissaires installèrent à Ormont un ministre, nommé
Jacques Camerel, dont la vie fut plus d'une fois abreuvée d'amer-
tume. « Je n'y peux plus tenir, écrivait-il à Farel; je perds mon
temps et ma peine. Je n'attends que le jour où il plaira au Sei-
gneur de me sortir d'ici. »
Le temple était désert. Le gouverneur fit tout pour décider
les Ormontois à s'y rendre pour écouter le prédicant, il ne put y
réussir. 11 fallut un message exprès des Conseils de Berne,
adressé aux habitants de la Joux de dessus et de dessous. En
voici un fragment : « Nous vous mandons et commandons que
» vous fassiez conformes à nous et à nos autres sujets. Il serait
» donc bien étrange que vous dussiez demeurer en désobéissance
» et vous montrer rebelles à Dieu et à Nous vos supérieurs. »
Les montagnards ormontois restèrent inilexibles ; il fallut, pour
les vaincre, dit le Chroniqueur , le temps, la patience et la sévé-
rité. Orbes fut le second théâtre des exploits de Farel. A l'épo-
que des luttes avec le duc de Bourgogne, cette ville était tombée
au pouvoir de Berne ; mais comme Fribourg avait pris part aux
i 1 FHAcnedTS liisroRioues.
I isijiK's (le la piUTic , la soiivminru'' dr ci* pays appnrirnnil au\
<l» n\ villes ti(.' Fril>ourj; ri tic Berne. Kcliallnis v\ Orbes si-rvainu
aliernativcinont de résidence an huilli bernois cl an eliùielain
fribourgeois. Kn 1531, Jost de Diesbaib représenlail ù Orbes les
s(Mj,'nenrs bernois. Les réformés prolilèrent de sa préseiiee ponr
lenhT d'y inlrctdiiire leur cnlie. (Test l'artd (pi«' nous reironvons
encore dans celle «qnipee. I! était arrivé à Orbes le 2 avril avec
les déléj^tiés l)eiiiois, (]iii rinviièrent à prendre pnbli«piemenl la
parole dans ref,'lise. Celte proposition mil le penj)le en fureur; et
tons, bomines, femmes cl enfants s'y o|)posèrenl. Ce fut une vé-
ritable sédition, d'où Farel ne sortit sain el sauf <jue j^rAre à la
protection du bailli clie/. lecpiel il se n'fu^'ia. Le lendemain, il
voulut essayer de péi-orer sur la plac«' : nouvelle perturbation;
nouvelles insultes de la pan des femmes qui le jetèrent à terre
pour le fustij,'er. Il fallut rinlerventi<»n de Pierre de Gleyresse
pour l'arracher de buis mains. Kspeianl en imposer tlavanlaf^e,
Farel pria les députés de Berne de faire publier la pairnir (piil
avait reçue des seif^neiirs, portatit ordre à tous leurs sujets de le
favt)riser el de le soutenir dans ses prédications. La lecture ache-
vée , tous les auditeurs s'écrièrent (pi'ils n'avaient besoin ni d<;
lui ni de ses proches. Farel ne se tint pas ponr ballu ; b* diman-
che suivant , il lit une nouvelle tentative tout aussi infructueuse
<pie la première ; il parvint ce|)endaiit jusqu':! la chaire , mais il
n'eut pour auditeur (jue les députés de Berne, le bailli. Piern*
Viret , le maiire «Téenb» Pime Hoinain , b- rlijirbiii) S<'( restain ,
b'S deux llolard et (Jaudc Dardoniiier. .ban Ibdard avail ete
autrefois chanoine de la collégiale de S;nnt-Nicolas. à Fribour^.
Il s'é'iait relire du sanctuaire pour se marier. Christophe, Si»n
frère, était un (>nnemi acharné des prêtres. Maigre, dit le Chro-
niqueur, «ju'il se fut rau};é à rfc\an{;ile, il lui d<mnait grande
douleur et tristesse , à cause de ses violences el de la pauvre vie
«ju'il menait. Sa haine se tourna surtout contre le Pèr«î Juliani,
Irerr mineur de Sairil-Fran«;ois , (pii avait mis en doute du haut
i\i' la chaire la moralité des transfuges du catholicisme, llolard
porta plaiiitr au li.iilli contre le pn'dieateur. en jinMendant «pi'il
l'avait attacpié. Les commis-saires saisirent avec empressement
cel incident \>our forcer les bourgeois d'Orbes à suivre le prt^-
FKAGMENTS lllSTOKlyUES. 73
che. " Comme il p:u';iil, dirent-ils, dans une ordonnance, qu'a-
près avoir écoulé le moine avec attention, on a IVrnK; l'oreille à
nolie prc'dicaleur, nous voidons (jue la réliitalion de Farel soil
entendue, et pour celle cause , nous ordonnons que chaque père
de l'ainill»' ailic^ au prêche, sous peine de noire indignation.»
En même temps ils imposèi'ent la ville pour 200 écus d'or; c'é-
tait l'expiation du premier désappointement de Farel, qui voulut
avoir son tour. On annonça que pendant huit jours consécutifs
il ferait entendre sa voix. Le peuple, effrayé par les menaces,
se rendit aux deux premiers sermons ; mais le troisième jour
l'auditoire fut désert; il n'y avait plus que huit ou neuf brebis
lidèles. Holard , qui goûtait peu les moyens de la persuasion,
s'offrit pour tenter un coup de main; il se chargea d'aller abat-
tre dans les sepl églises d'Orbes les 26 autels qui y étaient éle-
vés... Le lendemain, en effet, il se mit à l'œuvre ; mais il éprouva
une sérieuse n'-sislance. Pierre Bovay, surtout, opposa la force à
la force. Holard alla chez le gouverneur l'accuser comme meur-
trier, et offrit de se constituer comme prisonnier, si on mettait
en arrestation tous les prêtres avec lesquels il demandait à être
confronté. Le peuple, instruit de sa plainte, craignit qu'on en
vint à des arrestations ; il se mit en armes et fit bonne garde de-
vant toutes les habitations des prêtres de la ville, jusqu'au 9 juil-
let, où le banneret Pierre de Fleur reçut l'ordre de faire assem-
bler les bourgeois d'Orbes pour sonder leurs dispositions au sujet
de la réforme. « Voulez-vous, leur demanda-t-il, persister dans
la foi de vos pères? — Que tous ceux qui sont de cet avis lèvent
la main. » Tous firent entendre qu'ils étaient résolus de garder
leur foi et d'imiter la vie de leurs pères.
L'épreuve tournait à l'humiliation de Messieurs de Berne; il
y avait de quoi les décourager. Alors ils attaquèrent les Claris-
les , qui furent sommées de venir écouter tous les jours le ser-
mon du prédicant. Ces pauvres sœurs furent tellement affligées
de cet ordre inique, que dix-sept d'entre elles sortirent de leur
couvent, le 28 juillet, et se réfugièrent à Hoseray, où les atten-
<lait la princesse de Luxembourg, qui les fit conduire en Bourgo-
gne. A peine la nouvelle de leur départ se fut-elle répandue dans
la ville, que les réformés allèrent demander au bailli la permis-
74 KhAG.ME.>T!> lll;«TOHIQlliS.
sion de survcillor l'iihlx'sso el les su'iirs qui cinicnt rosiéos <lnns
l«' monasièiv. Co lui pour eux une occasion f;ivor:ibl«' «le jM-ne-
Irer dans l'inleiieur du coiiveni, d'en louiller tous les recoins.
Ils s'inlroduisircnl dans lu cliapcllt-, luiscicni l'aulcl <■( dëcliirè-
renl les iniaf^'cs <|ui la décoraicnl. Les cailioliiiucs fureni indignés
de ces procèdes, el lors<|ue, la veille d<' .Norl, ils apprirent <|ue
les reformés s'étaient rasscnddés au couvent |K)ur y célébrer leur
culu', ils lond)ènMit sur eux à l'iniprovisie el les dispersèrent.
Quchpu's jours après, il pril fantaisie aux jeunes gens de la ville
cl des hameaux V(usins de se promener dans les rues, bannière
en léle, avec des branches de pin ù leurs <-liapcaux. Les commis-
saires bernois prirent relie dènionsiration pour un acte de bra-
vade, et lireiil jeter Ireiile (reiiire eux dans les prisons; ils du-
rent, en outre, payer les uns 100, les autres ôO ccus d'amende.
Tous ces essais partiels avançaient peu la cause de la nfcMine
dans le canton de \ aud. Les populations se montraient partout
attachées à la religion catholique, et nulle |)art les commissaires
bernois n'ctbtinrent des réponses favorables.
Ils se présentèrent à firandson, dont les habitants formulèrent
la déclaration suivante : « Nous vous supplions, pour l'honneur
» de Dieu, de nous laisser dorénavant vi\re et m<uirir en la ma-
nier»' de nos bous [in'dècesseurs, sans aucun empêchement , <"ir
en nulle auli-e loi tpie celle que nous tenons, irentendniis trou-
ver meilleur salut. Pareillement laissez nous demeurer en nos
anciennes lois, et que contrainte ne soit faite à nul de nous con-
tre sa propre conscience. > C'était la ré(»onse universelle , celle
des villes de M(judon, l'ayerne, Vverdon, etc.
« Quant aux prêtres, ilsét^iienl iniraitables , ■ dit Farci à son
<lis< iple Fabri ; «ces tonsurés si»nt très-mal dis|>oses envers
Jesus-(ilu isl. Ils méprisent toiii à lait la parole, ou pour mieux
dire ils la liaisseni mortellement. A peine les ctjrrigera-l-on à
coups de fouet. Il n'v aura pas n)o>en de tenir en bride aulre-
inent ces ânes qui braient conln; Jésus-* In isi. » l.euiede l'a-
rel à Fabri, 22 avril.)
On en «'tail là, lors<pie Berne, qui était de>«nue l'alliée de Ge-
m'ive , déclara la guerre au duc <J«' Siivoic pour avoir v\c\v des
preU'ntions sur ses anciens droits du vidommal dans celle cité.
FKAtiIaE^TS IIISTURI^UES. 75
De laii, IUm'Iic convoiciit le p;iys ([ui élail à ses portes; elle y
j(Ua ses troupes et en lit, eomme on lésait, la corniiièie au mois
«le juin 153C. Les villes, les hourj^s , les hameaux tro|) faibles
pour se détendre liient leui- soumission ; mais en se rendant, les
(Conseils niellaient |)ailoiit des réserves en faveur de leur foi et
du lilue excrciee de leur reiii;ion. Partout la elausc fut agi'éée,
mais nulle part observée; <ar pour consolider son omnipotence
politique et rcli^Meuse , Berne renforça de garnisons les places
fortes, et envoya dans toutes les localités un peu importantes des
prédicants. II s'agissait, pour elle , d'asseoir son pouvoir non-
seulement sur les ruines de la domination ducale, mais encore
sur celles de la juridiction épiscoi)ale. Que lirenl donc les sei-
gneurs de Berne? Au moment où François I" franchissait les
Alpes et envahissait les États du malheureux Charles III, ils don-
nèient à Na'gucii Tordre d'attacjuer la forteresse de Chillon et
d'aller planter son drapeau sur les louis de la vieille cathédrale.
L'instant était bien choisi pour ravir à Téveque Sébastien son
pouvoir. L'appui du dehors lui man([uait; il n'avait que quelques
sujets sans armes pour le défendre. Il jugea à propos de se di-
riger sur l'Italie ; son départ enhardit le général bernois qui di-
rigea ses troupes sur Lausanne, après avoir soumis Vevey, Saint-
Saphorin et Lutry.
La terreur précédait ses pas, tout pliait devant ses menaces;
aussi n'éprouvait-il pas de sérieuses résistances. A peine fut-il
maître de la ville, qu'il marcha droit au château de l'évêque
dont il proclama la déchéance et ordonna qu'on brisa les écus-
sons de l'autorité épiscopale. Les Lausannois étaient dans la stu-
peur; ils envoyèrent au général une dépulaiion pour se plaindre
de celte usurpation; mais il leur fut répondu par Na-gueli lui-
même, qu'il avait l'ordre de se mettre en lieu et place de l'évê-
que pour le temporel, et que pour le spirituel, on aviserait plus
tard. Les réformés étaient dans la place; ils ne gardèrent plus
de mesures; on les vit insulter publiquement la foi catholique ,
briser les images et profaner les églises. Le Conseil des Deux-
Cents crut les apaiser en leur concédant , pour célébrer leur
culte, l'église des Dominicains de la Madeleine; mais ils n'en
devinient que plus audacieux. Malgré les ternies positifs de la
70 FnA(.ME>TS lll>TOIl!0» t-S.
» oncrssioii , ils «•ominoncrienl ;i y irnvrrsrr les auirls cl ;» lacé-
rer \vs images, cl de là ils se lrans|>urlcrenl dans l'e^lise de
Saiiil-Fraii»;ois, «lii ils se livrcrcnl aux intimes excès. Des d<*puiés
partirent de I^ausanne pour Berne, aiin de se plaindre et do ré-
clamer le maintien du sii^c episcopal ei la c«tnservalion de leurs
anciens rèylemcnis. Ils declanrenl «pi'à Ic^'ard de la foi , la
Lourf^eoisie avait pris deux fois la résolution de vivre dans Tan-
oicnnr rclij^'ion, et «pi'ainsi on les laissât libres de vi\r<' cl mou-
rir dans la loi de leurs pères. On li's rc<,ui a\ec |>olitesse, cl on
clierclia à les apaiser en leur promeiiani qu'on s'arrangerait avec
eux de manière à ce (pi'ils fussent conlenls(l).
Qu'advint-il de toutes ces l»elles paroles? Les événements se
pressaienU'u Italie; rAntriclw cl la France y éiaienl aux prises,
la lij;ue luthérienne de Sinalkade lenail en è-cliec les princes <a-
tlioliipu's allemands; les Turcs éiaienl sous les murs de Vienne,
cl Hi'iuy \ III eiiirainait rAiij,'leierre dans le schisme. L'alten-
tion de l'Europe elail li\(!C sur ces ^'rands événenjents ; Berne
crut pouvoir terminer la lutte du catholicisme ei du protestan-
tisme pai- un f;rand coup; ce lut alors qu'elle lit Tédii fameux de
hi dispute , par lequel elle sommait lous les |>rétres , moines et
gens d'église, à comparaître à Lausanne le 1" wlobre (1636),
pour y rendre raison de leur foi et soutenir par ri-lcriture-Sainte
ce (pi'ils eusei^'naieiil. « l/issue d'niie telle dispute, dit avec
■ justesse l'historien Verdcil (2), n'était pas douteuse. Les refor-
» mes seuls posaient l<vs (jneslions. ffirmiiiaient la teneur des ihè-
o ses, et les Deux-CÀ'iils de llerne, transformes en lÀ)ncih', étaient
» seuls juges des controverses et décidaient en dernier ressort des
• articles de foi. C/CS bourgeois, «|ni avaient en perspective le
» partage des riches dépouilles de l'Kglise et de l'è-vècpie, le par-
» lage (h's immenses doujaiiies des couvents et des abbayes, des
» prieurés, pouvaient-ils être des juges impartiaux? »
Ce que l'on pr<vo\ail arriva, l'en de personnes se ren<lirent
à ce lonriioi ilieolo^iipie, contre lequel avait proteste Charles V,
en (pialite d'<'iiipereiir romain , prolecteiii' somnain de l'Kglise.
(Il Mniiiicl lie l^aiisaiiiic.
Ci) Toni. II. p ifi.
IKAGMbiNTS IIISTOUIOUES . 77
« Ix* pi'tii nombre de catlioli<|ues (pron vit nrrivor, dit Verdeil ,
élaieni déjà ou ébranlés dans leur loi , ou bien do ces hommes
sans conviclion, qui chcrchaicnl un préloxK^ pour abjurer et
pour endjrasscr b; parli b' plus fort » (1). Tels lurenl sans doute
Droguy, vicaire de Morges, Miniard , maître d'école de Vevey,
Jean Micbel, doyen de la même ville, et Ferrant de Loys, capi-
taine de la Société de la jeunesse^ qui ne prirent la parole que
pour s'avouer vaincus cl se déclarer réformés.
Les chanoines de la caibédiale n'y parurent pas; ils se bornè-
rent à protester contre cette lutte religieuse, qui n'avait aucun
caractère de léi,'alité, vu qu'elle était présidée par des magistrats
bernois, sans la sanction de l'évêque, seul maître spirituel à
Lausanne. On ne fit nul cas de leur protestation. Les actes de la
dispute furent envoyés à Berne, et le 19 octobre les baillis,
avoyers , châtelains, reçurent l'ordre de se transporter d'une
église à l'autre, et d'y interdire à tout prêtre l'exercice des cé-
rémonies catholiques , sous peine de disgrâce et de sévères pu-
nitions, d'y abattre sans retard toutes les images et autels, tou-
tefois avec bon ordre et sans tumulte. Il leur fut aussi enjoint de
commander aux dits personnages (les gens d'église) et à tous
autres sujets, d'aller entendre la parole de Dieu dans les lieux
les plus voisins où les prédicants étaient établis, de les écouter
bénignement et de les recevoir; le tout sans exception, contra-
diction , opposition , ni allégation , sous peine de la grave indi-
gnation des hauts seigneurs (2).
On n'avait pas attendu les ordres de Berne pour commencer
l'œuvre de destruction. Les réformés étaient sûrs à l'avance de
!a victoire et de l'impunité. Dès le lendemain de la dispute,
alors qu'il était commandé à chacun de vivre en bonne paix, les
convertis forcèrent les portes de la cathédrale, démolirent les
autels, abattirent le crucifix et l'image vénérée de la Vierge.
A peine les baillis eurent-ils reçu des seigneurs bernois l'or-
dre de procédera l'installation du culte réformé, qu'ils se livrè-
rent à leurs opérations. Celui de Lausanne, dit Ruchat, fut oc-
(1) Tom. Il, 11. 5j.
(2) Édit de réformalion.
7H IHAi.Ut.MS lllsT()l;lulh.>.
nipo pciidanl loiil le mois d'oclobro cl h; mois do novembre ;i al-
ler 6v liiMi vu lirii, avec une Itoiinc escorle, pour délruiro cl brù
Ici- les iinaf^cs , cl pour renverser les auiejs dans les éf^dises «le
son l>aillia{j;e. Il y avail, en ellet , dans eeiic (nnirce, de qudi
saiisfaire la cupidité des vaiiupicurs. Laus;innc claii alors un lien
de pèlerinaf,'e eeièhre ; des saneinaires nondirenx s'clevaieni sur
les ditTerenls eoleanv. La ealhédralo surloui , qui niarehaii en
maj;nilieencc après celle de Tolède , possédait un riche Irésor.
Les princes, les empereurs , les évoques , les l'apes avaieni con-
lribu(''S, |)ar leurs dons, à l'érlal du sanciuaire de la \'ier^e. el y
uvaicnt apptiidn de maf^nifuiues I:s volo. (i'eiaii une iroj) belle
proie pour ne pas exciler la convoilise de LL. EE. Des commis-
saires spéciaux lurent députés à Lausanne pour sem|»arer de ce
butin. A la première soniuiation qui leui liil laite, les chanoines
refusèreul d'en remettre les clefs. On s'assura de leurs ]MTSon-
nt's, et ils furent jetés en prison, où on les laissa plongés dans la
soullrance. Après pinsienis jours, on vinl leur proposer de choi-
sir entre la n lornie on l'exil; la rélonne avec une bonne pen-
sion, el l'exil avec la p;invrele. \ inj,'t-sept sur trente choisirent
ce dernier et noble parti. On les conduisit sur une barque <|ui lii
voile po m- tvian. Penilanl ce temps-là, le trésor était onvei t. Il
n'en sortit |>as imc obole qui ne prit la roule de Berne. L'or,
l'arjîcnt, les statues, les vas<'s précieux , les livres de prix, les
ornements d'église, tout fut emmené. Pendant plusieurs semai-
nes, de lourds ( lini-^'ements traversaient les villes de Moudon et
de l'avcrne. On se demandait ce que lout cela |Hiuvaii être. C'é'-
tait le biiliii bernois. Lorscpie le dernier envoi fut f.iit, le commis-
saire insi ii\it ces mots sur le pari heniin <|ui servait de leltr»'
«le voilure : Golt hnt lob! Dieu soil loué! l*ouvail-il envoyer à
l'adresse des Lausannois une plus amère raillerie (T /
(1) L iiivrstiain: ilo;. olijels préltMs par les Hcrnois existe ciicuro. Il do-
passe Idul rc qirun |><'til iina^inrr on (.til tic ririios&cs. Il y rsl fait mention
(|r t'JI rnlicos, iltml 70 pur or ol îiO nrgont dor»' ; il'iin encensoir pur or pesant
4U livres r> onces ; «l'une croix or tin, pcsnnt \H li\ res, enricliic d'un niliis «le
grand prix ; d'un cliof de >'. 1). pur or, jiesant S^)() onces, reufornté dans un
reliquaire enriclii de pierreries; d'une sLiluc de la Nitl'"^ por <>r. prs.ml KO
I UA(i.lII•^TS UISTOKiyUES. 79
En c'ilcl, ils s'claicnl laissrs dépouiller, ces bons bourgeois,
sans mol ilirc. Il est vrai que pour faire laire toulc r«''clanialion,
les vaiiitiuciirs loui- conciUlrrcni la propriéK- dos i\('\\\ couvents
do la Magdelcinc el de Sainl-Fianvois, les cin(i paroisses exis-
(anies dans hi ville, le prieuié de Sainl-Sulpice au bord du lac,
l'abbaye de Monicron , celles de Catherine et de Bellevau , avec
toutes leurs dépendances, et de plus, en ville, la ntaison dite le
l'icux iTêché, le clialet et le moulin de Gobet. Us permirent à tous
ceux qui se déclarèrent réformés de retirer les fondations qu'ils
pouvaient avoir faites, et leur ociroyèrenl les biens-meubles,
comme calices, ornements, etc., que leurs parents, jusqu'à troi-
sième liynée, avaient concédés aux églises ou paroisses.
C'était un appât séducteur ; plusieurs s'y laissèrent prendre,
et le Conseil en masse souscrivit cet acte, qui fut nommé Largi-
tion; acte qui n'est pas autre chose qu'un contrat fait entre des
pillards pour s'assurer la tranquille jouissance du fruit de leurs
déprédations.
Ce que les commissaires de Berne firent en grand à Lausanne ,
les baillis le firent dans leurs districts respectifs. Frisching de
Moudon se rendit à Morges, Nyon, Aubonne, Coppet et Cossonay,
où il fit abattre par.ses hommes d'armes les autels et les images.
Non content de renverser ce qu'il appelait ces signes idolàtriques,
il rançonnait les familles riches et leur faisait payer les frais de
démolition. D'un autre côté, les conseillers bernois Cyro , Fis-
cher, Scheilf, Augsbourg, se rendirent dans le pays Rosnond, el
usèrent partout des mêmes procédés.
livres, et d'une autre de Jésus-Christ, pesant 51 livres; d'une monstrance pe-
sanHG6 onces d'or de Turquie, avec une perle de grand prix; de 12 statues
des Apôtres du plus pur argent, pesant chacune 24 livres; de deux anges
d'argent pesant 80 livres; de 23 chandeliers d'argent, dont deux pesant 171
livres ; une foule de croix, de reliquaires, de riches missels à lettres d'or, de
barrelles, de ciboires, de théières et bassins d'argent, etc., etc. Rappelons
qu'ils emportèrent 80^i chasubles avec leurs manipules, dont Wo ornées de
croix enrichies de pierreries, GO l'ioles de damas, etc., etc. Les joyaux de la
seule chapelle de Dotre-Dame étaient d'une valeur immense. 1! n'y avait pas
moins de M pièces dilférenles en or pur, telles que couronnes, colliers,
cœurs, bracelets ornés de pierreries.
S^^ EnACVtNTÂ HISTOKIQIHS.
Daii.s plusieurs localités, il y eut im«' iuiif K'sislunce; ù Suinl-
S;i|>liorin, les liahiinnts s'aniuTml |K)ui' déffiidir Inir t'élise;
iiKiis ils furent trop taihies pour résister à rattn(|ue; il en fut de
uiêuie à Cliardonue et à (lorsiei'. Quand onap|>ri(, à Liilry, (|ue
le iKiilli de Lausanne était à Luccns, et <|u'il \ :\\.û\ livré aux
llannncs tous les oi'iienienls, lo Conseil lut e(tii\o(|u«'. On y ré-
s(»lul de sauve},'arder les o|>je|s ap|iarh'Maiil à l'éj^lise jusiprà des
temps meilleurs. Pour eela, on choisit une grotte écartée où on
irans|>orla la |»ierre des fonds liaplismaux, le erueilix, le Corpus
Duiuint , la custode. Celle grotte, dit \erdeil. de\ini |)Our eux
un lieu saint, <|u'ils ériairèrcnt comme un sanctuaire, (^'est assez,
dire «|ue ces braves gens, en entretenant dans ces nouvelles ca-
tacombes une lampe ardente, voulurent continuer à rendre
hommage au Dieu de IKurharistie. \ la sommaiiou qui leur
lut faite de remettre leur calice . ils répondirent qu'il était la
proprit'U' du maycir, ou chef de commune. Ci-taient ses ancê-
tres (jui eu avaient fait cadeau à Téglise. Pour lui, il le re|>rit ,
à la condition que si , par bonne fortune, Vèglise revenait à ton
premier être, il le restituerait.
Le culliî public était donc démoli, les autels renversés, les
prêtres lideles bannis. Cela n'empêchait |)as quelques familles
cutiioliques de conserver dans leurs maisons des chapelles parti-
culières, ou de loin en loin des prêtres disaient la messe avant
raur(»re. Le bruit s'en répandit ; les magistrats s*<n ondiragè-
retit. Comme si celle G<lelilé à la vieille foi eût été un crime, on
la punit d'une amende. « Comme jdusieurs se font «lire secrèle-
» ment la messe chez eux et y reçoivent les sacrements de l'é-
» glise romaine, le Conseil, |K)ur faire rosser ces m<\nieries. les
• défend sous peine de dix lÎNres. Donné à Lausanne, ce 17 no-
» vemhrc l.'>3fi » (1).
Maigre ( ela , le culte aniiipie restait cher au ctein' des habi-
lanls des villes et des campagnes. Ils allaient les uns dans le
Vallais, les autres dans les paroisses d'E»'hallens, d'Orbes et de
(irandson , où riiiifrvi-niion dr rribourg avait mainteiui l'exer-
(I) Mniuicl (1(* Lausanne, I.*m<S.
KHAGMENTS HISTORIQUES. 81
«•icr (lu ciilU' (•:Hli()li(|ii(', pour y ((îlobrci- los solennilés. C'f'liiit
tin abus aui{uel il fallait mettre orclie. Que firent ( es prétendus
apôtres de la tolérance? Ils intcrdiicot à leurs sujets la sortie de
leurs paroisses respectives les jours de fête, et menacèrent les
délinquants d'une amende de dix florins. Mais il fallait désar-
mas pour veiller à l'exécution de cette défense. Les baillis reçu-
rent l'ordre d'épier et de faire épier ceux qui allaient idolâtrer
hors du pays (1). Il y eut même une récompense promise aux
délateurs. A eux seuls, les gens d'Yvonoan , convaincus d'avoir
entendu la messe en terre étrangère, durent payer 200 florins
d'amende. Toutes ces mesures étaient impuissantes pour ratta-
cber le peuple de Lavaux au protestantisme. Car en 1538, les
ministres, rassemblés en synode, se plaignirent auprès des Con-
seils de ce que les baillis ne faisaient pas observer l'édit de ré-
forme. « Plusieurs d'entre eux, dirent-ils, sont en mauvais exem-
» pie par leui- négligence à aller au prêche ; des particuliers con-
«serveut des images dans leurs maisons, et des femmes portent
» des chapelets; des villages entiers ne vont pas entendre les mi-
» nistres. A Aubonne, les nobles, le châtelain, le secrétaire re-
» jettent la réformation; les barons de Grandson et de Coppet,
» et leurs femmes, s'opposent à la réforme; les principaux d'Y-
» verdon ne vont pas écouter la parole de Dieu, et pendant le
u prêche le peuple fait des insolences, tousse haut exprès, remue
nies bancs, sort de l'église, laissant le ministre prêcher tout
» seul. » Qu'imaginèrent ces messieuis pour parer à ces inconvé-
nients? Admirons encore les procédés de la religion de la li-
berté. Oo voyait encore des chapelets dans les mains des campa-
gnards ; pour les faire disparaître, il fut défendu de porter pater
noster sous peine : V homme de 30 sous et la femme </e 15.
Le prêche était désert : il fut enjoint à tous d'aller dimanches
et fêtes ouïr la Parole de Dieu, sous peine de 60 sous (2), et aux
baillis de mettre en prison les gentilshommes qui n'assisteraient
pas au prêche avec fidélité, de les y laisser jusqu'à ce queLL. EE.
(1) Vcideil, T. Il, p. i)0.
^2) Le Chroniqueur, p. ô.'JS.
\vs «'iiSMiii «liàiirN, ti lie 1rs hannir «mi «as df i«'H(livr , | ,. (;«•
lui \c son du l>ar«)n «le I>a Sarra, homme de cœur «pii aima mieux ,
dil l*i«'rr«' Fleur, perdre son bien el sa s«'igneurie «|U<' d'adiipiei-
la rt'fonne. Il se relira à Sainl-CJaude , oii il mourut en 1;>4I,
dans l:i pauvreté.
Il re|>ugn:iil aux parents de conlier leurs «iilanls , pour l'in-
strurlion, aux ministres ; les magistrats les y frirrèreni, en i'rap-
paiil tous ceux «]ui n'envoyaient pas h'urs enfants au «atecliisrae,
d'une amende pour la première r«iis, de lu pi is(»n jxiur la second»'
et la troisième, et du bannissement pour la «]uatrième (2).
Des pr«îlres allaient encore et venaient dans le pays; un se-
cond décret «le bannissement fut port*'* «ontre ceux <]ui pers«'v«''-
raient à baptiser ou à dire la messe (3). A Lutry, a Saint-Sajdio-
rin, à (iully, malgré toutes les défenses, on rouvrait les anciennes
t liapelles pour y pi icr ; par ordre de Tautorilé, les portes en fu-
leni murées s^4).
Il y avait donc dans le peuple du Ih-.iu pa\s île \ aud un atia-
ehemcnt ré«'l à la loi catholique. La loi y avait jeté de prof«>n«les
racinj's; il fallut plus «pie les édits de Fierne pour IV-n arracher.
Il lallni l<> temps, <pii emporta dans la tombe cette génération.
Les familles, privé«'s de la prt'sence de leurs prêtres, conser-
Ncrcnt longU'inps cm on- les pieuses traililions ; elles ne suivaient
«|u'(»lli( iellcment, pour ainsi «lire |»ar crainte, \v «ulle de la ré-
forme. Mais, à la longue, les vieillards qui avaient été baptises
calholi(pi(>s des<endirent dans la tomb«'; à leur place s'éb'va une
gcnéiation formée à IVm oie de la réforme, à «pii Ton ne lit «'on-
nailre la religion catholi(|ue «pi'en ac< iimulant «'ontr<> elle mille
préjugés. Ces pn'jugé'S subsistent encore «lans un«' foule «Tàmes,
«M \oilà ce qui <'lé\e cnirr «"es fr«'n's sépan's <l nous \r mui* fatal
• le séparation.
(I) Vi*rdeil, loin. Il, \t. VM.
Ci) Le Chronifiueur, p. ^fiO.
(3) Ibid.
(♦) Vrrclnl. loin. Il, j.. «iO.
LK PROTESTANTISME
KT LE LIBRI-; KXAJIE\.
Dans noire dernitM- ariicle sur h libre examen jugé par les
protestants , nous avons annoncé que nous examinerions avec
loul le soin et toute la gravité convenables la valeur intrinsèque
du libre examen en lui-même. Depuis lors, nous avons lu avec
attention le livre de l'illustre P. Perrone, de la Compagnie de
Jésus, recteur général du collège romain : Le protestantisme et
la règle de foi. La traduction française , faite avec l'agrément de
l'auteur, et dédiée à Mgr de Salinis, évéque d'Amiens, est due
à M. l'abbé Peltier, prêtre du diocèse de Reims.
L'apparition de cet ouvrage est un événement considérable
pour l'Italie, au moment où la propagande protestante, auxiliaire
complaisant de la propagande mazzinienne , emploie contre ce
•pays tous ses moyens d'action. Mais il importait en même temps
pour la religion que , par une traduction française , La règle de
foi du P. Perrone piit pénétrer dans toutes les contrées de l'uni-
vers, qu'elle fût étudiée par les catholiques cl les protestants
sérieux qui veulent aller jusqu'au fond de la question majeure
de notre siècle. La solution de celte question sera la conquête
définitive ou du catholicisme, c'est-à-dire de la vraie foi, ou celle
du rationalisme naturaliste et du socialisme pratique , qui sera
la vraie mort des âmes et des sociétés.
A Genève, les catholiques instruits liront le livre du P. Per-
H1 LE PI»OTtSTA?IT1Slt
roiH'; il sera lu aussi par les quelques pr«>i(sianls qui su» « iqxiu
lies (pieslions religiruses attt'nli\t-meiit , r"«'sl-;i-(iir«' «*n Johoi-s
(lu iiKUivenicnl fébrile des faiseurs de pclilr controverse, cl ilc
celle pr(ipaj;au(l(' de bas «-lajîe chauffée au profil de l'iilt'-e poli-
lico-proU'Nlauie ilu leuips. Ces protcsiaiits (|ui ne se paii'ol plus
des déclamniions de conférenciers sans bonne foi et sans science,
prentlronl connaissance de La règle de foi, d'abord à la sourdine,
puis successivement beaucoup d'autres les suivront, à mesure
(pie le respect humain et Ventournije stroui moins rxifjrauts.
Nous ne dissimulons pas , nous , la pensée (|ui nous guide :
nous cherchons à ap|»orter la lumière au milieu des ténèbre»
toujours si épaisses (piaccumule après lui le libre examen. Nous
voudrions amener tous les protcsianis encore reli(^ieux à peser la
valeur réelle de ce procédé- trompeur en matière de foi el esseiv-
liellcment anli-évan^'éli(pu^ et anti-rationel. Nous voudrions voir
a|>paraiire uu écri\aiii qui voulût sincèremeni discuiiT avec dous.
Non-seulcmenl nous ne reculerions pas à suivre uoe controverse
lé^'ulière par é-cril dans les Annales, mais nous la prov(Kpj4ins de
toutes nos foices pour l'avancement de la vérité- el (K)ur la plus^
grande diffusion de la luoiière et de la vie cliréiieone. Nous dou»
plaçons hardimeul sur levi-ritable terrain où les d(>u\ aroves doi-
venl combattre lo\alem(-nl el sans relàibe. Il ne s'agil pas seu-
lemenl pour les catholiques d'accumuler b-s conséquences el les
inconséquences du protest a niisine, de dérouler la longue chaîne
des variations des sectes ; il ne s'agit pas, de la part des protes-
tants, de découper «les le\l(-s sacré-s pour attatpier uiu- à une «les
croyances ou des pratiques du ( ulie catholitpie, ou < hacune des
absurdités ou d(-s sU|)erslitions qu'on |)réte benéNolemenl à un
(atholicisroc déligure et bâtard i » »' dont il s agit, c'est «l'- v.:»\iiii-
si ou veut de la foi, et (qu'elle est la hèole de la foi.
Les Annales n'écrivent pas pour les hommes de Genève, ca-
tholiciucs ou protestants , (pii n'ont aucune religion, et que la
froidi- indifferenee . les vulgaire» |>assions du sensualisme ou la
soif de l'or dominent. Ce serait peine perdue \ ce serait w>x cla-
vianlix in ticsrrto. Nous n'é-crivoas pas non [dus dans un but d'a-
gressjun , ponr le plaisir d'irriter les protestants de boone foi.
Nous regarderions comme contraire ai la conscience de faire de
I:T Li: LIBIVE bXARlEK. ^5
la coiiirovtTse pour de i:i <orilrov(!rsc ; nous n'avons pas com-
mencé l'allaipie, nous nous ddondons avec les aiincs lionnôles
<]uc nous voyons employées dans tous les siècles cliréliens par les
<ipolo;j;islcs de la relij^ion catholique. Notre ambition n'est pas
non plus de nous servir de la polémique dans un but politique.
Nous croyons même ([ue plus nous serons modérés dans les tei-
nies et forts dans la démonstration scripturaire , loj^ique et his-
torique , plus nous anivcrons à faire pénétrer celte profonde
conviction qui nous pénètre nous-mêmes , que la règle de foi
pr4)t<?stante est essentiellement fausse, el que la règle de foi ca-
tholique est essentiellement vraie.
Ce que nous aurions essayé de présenter avec nos modestes
forces et dans des limites resserrées, le P. Perrone le traite avec
ime grande puissance de science, d'exposition et de preuves. On
peut dire que la question est creusée jusque dans ses derniers
fondements.
Comme nous, il ne s'adresse pas aux hommes qui rejettent la
révélation, qui ne veulent plus de christianisme et de religion
positive et pratique. « Avec des gens de ce caractère, dit-il,
» toute discussion est inutile ; peu importe à leurs yeux quelle
» est la foi qu'on doit professer pour atteindre la fin si désirable
» à laquelle Dieu nous a destinés. Privés de tout principe fixe de
» vérité et de morale religieuse, ou. pour mieux dire, opposant
» une résistance obstinée au cri de leur conscience, à toutes les
» lumières de la grâce et même de la droite raison , esclaves
«d'intérêts matériels et de plaisirs brutaux, idolâtres d'eux-
» mêmes enfin, ils représentent trop bien ceux dont l'Esprit-
» Saint nous a laissé la description dans l'épître de l'apôtre saint
» Jude : «Hommes... impies, qui changent la grâce de noire
» Dieu en une licence effrénée et qui renoncent à Jésus-Christ,
» notre unique maître, notre Dieu et notre Seigneur... qui souil-
» lent la chair par leur corruption , méprisent toute domination
» et maudissent ceux qui sont élevés en dignité... condamnent
» avec exécration tout ce qu'ils ignorent, se corrompent en tout
» ce qu'ils connaissent naturellement comme les bêtes irraison-
» nables. Malheur sur eux , parce qu'ils suivent la voie de Cain ,
'> et qu'étant trompés comme Balaam et emportés par le désir
N<> Lt l'r.OTEsTA.>TISllh
• du ^:iiii, ils .s':ibai)ti«)iiiu>iit ;iu (Irrc^'lcinmi , <t <]iriniitani i.i
» rrbrllioii cl»' (loir, ils |HMiront ('«iium»- lui. (les lioinmp&-l;i sont
» le (If.slioDni'iir <les fosliiis <lc la cliariir, lorsqu ils v man^^'i'ni
• sans autiiMc iclciitic; ils n'oni soin (|tii' (|i> se nourrir «'U\-
■ inrmcs ; vo sont des nu«;rs sans eau (|Uc If vent cinitoitt» rii cl
» II; «•<• soni «Ifs ailut's qui no llcuiisscnl <|u'i'n auloinnc , dvs
o ai lui's slérik's, <luubU>nu>ni morts cl dcra<ini'8 ; ce sont d«'S va-
■ guos do la mer d'oii Sdiicnt, oommo une écunip salo, Icnrs in-
>rami«'s; ce sont des éloiles errantes auxquelles une iem|>^le
» noire cl ténébreuse est réservée pour l'éternité (1).» Je dirai
» d'eux avec le Dante, mais pénétré de douleur el dcplomnl de
» e«iur leur aveuglement :
I)i lur non (i curar. ma garda i- |i:).ss.i.
> J'écris pour les calholi<pies (jui ont besoin d'êlr»' raH\rmis
» dans leur foi et prémunis contre les pièges de Terreur; pour
■ ceux aussi d'entre eux qui, sans avoir le mémo besoin que les
«premiers, désirent mieux apprécier tout le prix delà vérité
D calli(ili(|ue , et jouir- davaiKa^e de son li'ionq>lie; cnlin , pour
• les protestants eux-mêmes qui, qiioicpie séparés de la vinie
» É;;lisr , professent cepeiidanl nue iclifjion , «pielle «pi'elle soit
• dailleuis, de denominalion clireiiinne, cl, adhérant au cliris-
» lianisme liistoriquc, positif, révélé, sont convaincus de sa nc-
■ ccssilé' poui" le bien de la société humaine. Pour ces derniers,
• l'ouvra^îe que nous entreprenons est d'une importance vitale.
> ()l)li},'«'s qu'ils sont |)ar le « araclére même des |>rincipes (|u'ils
» professent d'examiner sérieusement (juclle est la vraie tloclrine
► chrétienne, «piellc est la vraie K};lise éinblie par Jesus-C.hrist,
• ils trouveront dans la (pieslion foridarnenlale que nous débal-
• tons ici le moyen clair, facile et expéditif de rentrer sûrement
» dans la voie de la vérité. »
On voit que le P. Perione appartient à l'école «les ^raiuls mu-
trovcrsistes catholiques (|ui, comnre Mo'hler, Milner, le cartli-
nal Wiseman, le P. Newman, M. Nitolas, M. Foissel, tendent la
main, avej; la ihaiite dans le c(rur-, à leurs adversain-s |K)ur les
ir r a( her- à l'erieur r[ les introduire dans l'immense foyer de lu-
ll M .Intl. \ t
i; r L i: L I 11 II li L \\M EW . 87
iiiièrc, (r('s|»»i;mti' et de boiiln'iir (|ue leur ollVe li; caiholieisine.
Voici iiiie lit'lle |);i^e du I*. l'eironc sur les avantages et les
ellets de la loi :
«La loi siiinaiurelle el divine, donl ÎNolre-Seiyneur Jésus-
» (îlirisi est raiileiii' el le eoDsoinmaicur, est le don le plus su-
» bliinc el le plus précieux (pie Dieu ail fait à l'Iiommo. Par clic,
•> llwmmc est élevé au-dessus de sa nature; il pénètre le ciel,
» aiteiiii, conimt; s'il les avait présentes à ses sens , les choses
» divines, el adhère fermement à réternelle el immuable vérité.
» Dans elle consiste le fondement de la vie chrétienne, le principe
» et la racine de la jusiilieaiion el du salut, l'ancre ou le soutien
» de l'espé'rance, et elle ne i)eut être une loi vive el féconde sans
«avoir pour compagne inséparable la charité, qui en forme
» comme l'âme cl la vie. C'est par celle foi cpie le chrétien , se
» surpassant lui-même , voit d'un u'il indillérent les choses pas-
» sagères el périssables, méprise les attraits séducteurs que le
» monde lui présente d'accord avec les passions pour le détourner
» de ses immortelles destinées, devient courageux et fort contre
» toutes les traverses et les calamités de la vie , et , saluant son
» éternelle pairie qu'il contemple quoique de loin, est rempli de
»joie au milieu même de ses travaux, les plus pénibles. Sur
») cette foi, enlin, repose ce royaume immuable j ce trésor de grùce
» dont parle saint Paul écrivaniaux Hébreux (1), en même temps
» (ju'elle nous donne le moyen de plaire à Dieu (2) en le servant
» avec crainte et révérence , el d'atteindre notre fin, glii est fa
» sanctification de nos âmes (3).
» Mais aussi, c^est celte foi qui a toujours inspiré aux chré-
» tiens, dans le cœur desquels elle a jelé de profondes racines,
» des sentiments héroïques de bienfaisance et de générosité ; qui
» en fait d'actifs instruments de toute espèce d'œuvres pieuses
» et charitables pour le bien de la famille humaine, et des sour-
» ces de bénédiction et de salut pour la société civile elle-même.
» C'est elle qui a fait les sainis; qui, pour le bien des mortels,
» leur a fait opérer des miracles el prédire l'avenii', en leur
» communi(]uant, en qnehpie façon, la toute-puissance et la sa-
'!> Hcbr. XI!. :>S. it>) Ihid . Xf. G. [7v, 1 IVlr.. I. !).
» j^fsM' iiâèiui' de Dieu, «'l tu 1rs (oiisiiiuiiiii ;u ltiu<'s i\v l;i iialuru
• et (les siècles. C*csl elle qui l<>s :i tirés si souvent de leurs asi-
> les |H)ur les envoyer, à travers les «nées iiiu's, prêcher b pai\
• et la concorde aux annéi's en bataille; (|ui leur a donné le
o courafîe d'airronler la IVrocilé d'un barbare conrjurranl |>our
• saiiM r b's ( ités menacées de leur destruction ; <|ui les u con-
u iluils dans des leijesloiiilaines el inliospilalières j)oiii' s'y faire,
n non-seulenienl des apolres tie l'I-ivanj^ik', mais encore des lié-
•> rauls de la civilisation auprès de peuples sauvages et de liordcs
D barbares. Il est vrai «pie tous ces prodiges de foi étaient en
même hnips des prodiges d«; charité; mais celle cliaiile elle-
u même, d'oii ricevail-elle sa vie, son aliment, sa llamme lon-
D jours vive, sinon de la foi inébranlable tpii duminaii ces àmn,
» magnanimes? »
(leth" première ('xjtosiiion esl d(''jà, poiii* les lioinmos sans re-
ligion et sans loi dont pailaii loiii à Ilu'iire le I*. l'erroné, une
condamnation, une souffrance et une lli'irissure. NVsl-CC pas
• b'jà un mnllu iir pour un homme <pii s'isole sciemment do la plus
njorveilleuse et de la phis admirable des insfitniions (|ui aient
janiais dominé et civilisé riiiimanite , poin* se n-fngier dans b'S
bas fonds d'un matérialisme d(''gradaiii ou d.ms les abaissements
de l'indifferenre religieuse.' Celte belle |»:ige. à biquelle tons les
protestants non encore rongés j)ar le rationalisme et rincr«'dnliié
doivent adhérer pleinement, nous amène à donner une di-nnilion
de la foi'qii'ils puissent tous admettre avec nous.
« Or, ( (' précieux don du ciel , s'é-cric U' V. l'erroné , celle
» vertu surhumaine, (prest-ellc à propremenl parler.' I>«'s lh«*o-
• logiens en distinguent de deux sortes : la foi linbituelle, (]ui esl
• une habitude surnaturelle, divinement infuse dans rAmc» et
» par bupielle on se trouve disposé à admettre el à croire les vé-
» rites ié\»'b'es de Dieu; et la foi arluclle, tpii est propremenl
» I (Ile ipi'oti définit : in ferme assentiment de l'entendement corn-
• mantic par la vitlonlr, que dorinr, par un arir surnoturrl, aux
» rrriirs révélées de Dieu, t homme prévenu et c.rritc par la (jnïce.
• Celle <léfinition esl admise unanimement par tous les lliéolo-
» giens ratliolnpirs ; el b's proles|;iiiK mx-Miênies , ren\ du
ET LE LIBRE EXAMEN. 89
» moins (|iii lionnont encore tiux principes fondiimenianx du
» clirislianisme, ne; pciivcnl la récuser. »
« L'objet de la foi est la révélation de Dieu qui a reçu son en-
»licr di'Veioppenient de Jésus-Cliiisl Noire Seigneur et de ses
» premiers envoyés. Cet objet embrasse louies les vérités que
» Dieu a révélées; on ne peut faire d'exception ou de dislinciion
» pour l'une ou pour l'autre ; on ne peut pas accepter et croire
» l'une, et en même temps révoquer en doule ou répudier l'au-
» tre; attendu que la vérité est indivisible. »
Nous devons à l'objet de la loi un assentiment raisonnable et
prudent, un asseniimcnt ferme et inébranlable, un assentiment
obligatoire pour tous ceux à qui a été suffisamment promulguée
la vérité de Dieu , sous peine d'une éternelle damnation. Celui
qui ne croira pas sera condamné (1), celui qui ne croira pas est
déjà jugé (2).
Nous sommes encore d'accord avec les protestants religieux sur
cette autre proposition : Dieu a donné un moyen certain et sûr
pour connaître les vérités révélées. Ce moyen est la règle de
FOI. «Toutes les communions cliréliennes , dit le P. Perrone,
» sans en excepter les sectes protestantes, admettent une régie de
» foi prise dansée dernier sens. Quoique divisées entre elles par
» rapport aux clioses à croire, quoique en dissentiment par rap-
» port au principe sur lequel cette règle doit reposer, toutes s'ae-
» cordent pourtant à poser un principe suprême, quel qu'il soit
» d'ailleurs, comme règle invariable de ce que chacun doit tenir
» pour révélé de Dieu et pour objet de foi divine. Toutes en re-
» connaissent l'existence comme la nécessité , et c'est d'après
» cette règle qu'elles rédigent leurs livres symboliques et leurs
«professions de foi, à moins qu'elles ne soient du nombre
» de celles qui rejettent tout symbole, et jusqu'à l'inspiration des
» livres saints, et qui mettent de côté tout l'ordre surnaturel,
«comme le font les rationalistes purs et les naturalistes, dont
« nous n'avons pas à nous occuper. Tenons donc pour démontré
» que l'existence ainsi que la nécessité d'une régie de foi qui nous
» vienne de Dieu est un dogme admis d'un commun accord par
^ll I Jean m, 18. [ii, Marc XVI.
î)() It l'OTESTA.MISlK.
• les r.illioli<|llrs (l 1rs protosUillls ; et <|lir ci' llicorrnir suil la
B hasr (>( le rotxIciiK-iit iiu'oiiicsW' (!<' luiil Cl' i|ti<> nous aurons ;i
• dire dans ici uuvra{{('. Un curollairc éxidcnt «|ui si; di;duit nr-
• crss;iir('iucnt lir « •* prinri|>»', < 'rsl ijne iclle rèf;l«' de foi flani
» un<' roisdfUTniini'c «'i reconnue coninx* vouant de Dieu, comme
B voulue el |ue&crite par Dieu lui-même, il en résulte pour tous
» ( r(i\ (|ui radmelleut une stricte obligation de la suivre el de se
» laisser eiilii remiiil iliri;^er |)ar elle dans le détail de l<>ur
» crovance. »
Mais alors il s'aj^ii de roilieixlier i|uelles sont les propriétés
el les condilions de la véritable règle de foi. Or, où les pren-
dre, si c«' n'est dans l'idée et rofliee d'une règle vn géné'ial .
el dans la nature mêuïe de la foi? Donc colle règle doit avoir
pour propriété essentielle el pour condition indispensable :
1" d'tîlre cerlaine et sfire ; '2' d'élre aple à lever loul doule in
cas i\o coiilroNcrse j 3" d'èlre universelle, c'est-à-dire à la porlee
de loiis; 1" drire pcrpéiuelle el indefeclible.
.Iiisipi'ii i iKiiis stuiMuos d'accord avec tous les protestants doués
«le sens commun. Celui ipii ne veut ni de révélation, ni de Jésus-
Clirist , ni do foi , ni di* lègle de foi , ni îles |)ropriélés «le celle
régie, n'esi plus protestant, c'est un rationaliste, c'est moins en-
tore» c'est un sc«'pti(pie , el je dii;iis même, « l'est un liomiue
ilépoiirvu de lof^iipii- lialurelle. o
l.e «lissfMilimcnt sur la règle de /"oi' commence ici. L'Kglise ca-
lliornpio trouve le depi')! de la ri*>élalioii (li\iiie dans la pure pa-
role de Dieu, <pii nous a ele transmise par rKcrilure-Sainli- el
par la Iradilion orale; et pour «pie c«' «lep«"»l se conservât dans son
unilé et sou idenlilé, Jésns-dluisi la «•«)nfiéà une aiilorilé loii-
joiirs >ivanle cl |i:irl:ii)le, infaillible el indiMeclible, «pii esl l'au-
t«)rilc de rJ"!^lise calliitli«pie, «'est à-ilire t\u corps uiiivi'isel «les
i'\è(pies unis au «lief \isibU', le success«'ur «b* saint l'icn»', l'evi"'-
tpie d«! Honu', le Souveiaiii-Ponlib , « cnlrc de riiniic cailioliipie.
I/Kglise esl d«»nc, dans la «loclrine «allioliipie, la rcgb' }>roihaine
delà foi; «-i celU» règle possè«lc b's proprieles el les ««uulilions
esscniielles sans les<|uelles il n'y a ni li'gle, ni loi, ni pun* pa-
role (je Dieli.
I
LT LE LlKl-.li KVAMKiN. î) 1
I^ \i"f^\c (l(î lui proicslaiilo ;iii coiilrairc, |)r('s(iil(' plusieurs loii-
daiucs. Dansiiolrc prccodcnl ailick-, nous on indi(iuionso, parce
que nous y placions les règles inieiniédiaircs; le P. Perronelesrc-
duil à 3 : la rc<^\v llicosopliiiiuc, la règle ralionnclh; et la règle
héléroclile. La vi"^\(i thcosuphique, ou mystique, ou piélisie, esl le
libre examen privé de la raison individuelle , mais avec le se-
cours d'une prétendue illumination de Dieu à l'homme ; sa ten-
dance conduit au fanatisme ou à l'hallucination icligieuse. La
règle rationnelle est l'examen privé de la l'uison individuelle sans
celte illumination ; sa tendance est le rationalisme, le naturalisme
et rindillércntisme. La règle hétéroclite est un mélange de la rè-
gle catholique et de la règle proleslanie; c'est le système angli-
can. Le P. Perrone fait admirablement rcmar(juer que la règle
hétéroclite se détruit par elle-même, et que dans les deux règles
ihéosophique et rationnelle, ce qu'il y a de vrai appaitienlà la
règle caiholiiiue et se trouve dans cette règle, et que ce (jue Tune
des deux règles protestantes contient de faux et d'incomplet, est
combattu par l'autre. Le problème esl insoluble par leur res-
semblance comme [)ar leur différence, tandis (pie la règle catholi-
que lient le milieu, é(;laire, unit, coordonne les deux règles
incomplètes et satisfait ainsi aux grandes exigences de la rc-
vélaiion divine et de la nature surnaturelle de la foi, des pro-
priétés de la règle normale de la foi et des facultés mêmes de
l'homme intelligent, libre. et croyant.
L'ouvrage de rillusli'C recteur généial du collège romain a
pour objet, dans le j)remier volume, de montrer que les trois
règles protestantes sont fausses. La règle théosophique est arbi-
traire, trompeuse et propre à engendrer des conséquences mau-
vaises. La règle rationnelle nest pas plus vraie , puisqu'elle n'a
pas les conditions essentielles qui pourraient la rendre certaine
et sûre, apte à lever les doutes, universelle et à la portée de tous,
perpétuelle et indéfectible.
Voici les propositions formulées par le P. Perrone ; proposi-
tions développées, prouvées avec l'invincible autorité delà Bible,
de l'histoire, de la théologie, de la raison, de la morale et de la
polémique.
r Considérée au P()Ii>t de vie biblioie, la règle rationnelle
92 Lt l'ItOTEsTA^TISMIi
pidtt'staalc est dérectucusc, par rapport aux rondcmcnts que la
liihlr doit pr«'Slipp()SOi-.
"2" kllu n'a |)oiiii (l«> roiuicmiiii dans rÉiriiure clle-mému vl
y iroii\c an conirairc sa condamnation.
3° Ell<* Ironipic et niulilt* la parole do Dion.
4" Kllf rsl dt licinons»' dans son a[)pli(aiion biblique clle-
mènio.
rt" (loNSJDÉRÉE AU POIMT DE VI E HISTORIOIE . la IVglc ratiOD-
nclle piotestanlc a été inconnue à touie I aiititjuile chrétienne,
et même contredite par elle.
(i" Kllc a été suivie et pratiquée jiar tous les héréiiques, el
en ili«-oric elle est propre à jnslilier lonles 1rs lii-résies.
7" Klle est contredite par tous les ixlormateurs.
8" Elle n'a |)ainl été observée dans la prati(|uc par les protes-
tants eux-mêmes.
9" 1)<).>MDÉKÉE AU POINT DE VUE TUÉoLOGiouE , la rt};le ratiou-
lU'Ile |)rotesiante détruit l'unité de la foi , ainsi que l'unité de
communion que Jésus-Christ a établies dans son [église.
10' Klle dctiuit la notion même de la foi.
11° Klle rncne au rationalisme.
12" COi'^SIOÉRÉE AU POI!1T IlE VUE DE LA RAISOM ET DE LA MORALE,
la rè^'lc iMiioiinelIc protestante est contraire au sens commun,
répugne à riiumilite prcsirite par Jesus-Christ, est inqtralicable
I>our les croyants el impraticable |>our la conversion des infi-
dèles.
13° Enfin, considérée ai point de me pulémujie, la règle ra-
lionufljc j)roi<-sianit' , bien loin de |M>uvoir lermincr les contro-
verses, est propre à les ren<lre interminables.
La règle héccroclilc <le l'anglicanisme ne limt pas le milieu
entre la règle < atlioliipie et la rr^lc piuitsi.iiiir, ci rtiiln- «iaiis
celle du protestantisme nilionnel.
Dans le second volume, le P. l'erroné établit que la règle ca-
iliolicpie a loiis les caractères, toutes les proprictt's , toutrs les
i ons4*qiiriirrs d»' la vrai»! règle.
Je W» demande : V a-t-il, pour les prolestanis , un ouvrage je
ne dis pas plus imporlani . mais je dis |»lus ne» essaiie à lir»'? Il
F.T LF. Linni: examf.n. O^Î
s'agil pour eux do la loi, tir In rè},Mc do la loi, oi pnr conséquonl
du salut. Dire je suis prolesianl ; «lire j'admets le salut gratuit
par la foi seule; dire rien que la IJihIe et toute la Bible; dire je
tiens pour le libre examen avec ou sans inspiration, tout cela est
bel et bon, mais ne signifie obsobnneul rien; tout cela est abso-
lument ou faux, ou inutile, ou insullisant, si la règle de foi pro-
testante est telle (pie le démontre pai- d'écrasantes dc-monstralions
le 1*. Perrone. Et la supposition de bonne foi est gratuite, soit
que vous ne vouliez pas examiner un peut-être d'une effrayante
valeur, soit que vous ne puissiez pas l'examiner.
Nous offrons le combat à tous les prolestants désireux de s'in-
struire. Prenons chacune des propositions du P. Perrone comme
point de départ ou comme point de mire. Parce que , en dé-
finitive, la seule question fondamentale à traiter, c'est bien
celle-ci : Quelle est la véritable règle de foi ? Dans les Jnna-
les, nous donnons franchement nos principes , et nous les prou-
veions; qu'un autre journal pose comme nous ses principes an-
tagonistes dans le même ordre, et qu'il donne ses preuves. Les
catholiques trouveront à chaque pas la plus forte et la plus con-
solante démonstration de la vérité de leur règle de foi , et par
conséquent de leur foi elle-même, tandis que les protestants se-
ront forcément entraînés dans les derniers retranchements où
nous les pousserons de toutes nos forces, non sans doute pour
le coupable plaisir de les attrister et de les vaincre , mais avec
l'espoir qu'en présence de l'abîme du doute, de l'indifférence ou
de l'hallucination, ils se décideront à étudier la règle de foi ca-
tholique, revêtue des caractères les plus profondément divins ,
raisonnables et éclatants. Laissons de part et d'autre la polémi-
que de détail, la polémique de parti ; devenons des hommes d'é-
tude , de réflexion, de charité et de prière. La victoire, en dé-
finitive, sera à celui qui cherchera le plus sincèrement et le plus
chrétiennement le règne de la vérité, la plus grande diffusion de
la pure parole de Dieu, de la foi et de la charité de Jésus-Christ.
Nous donnerons prochainement la réfutation de la règle ihéoso-
♦)i 1 i; |'n«»TKST\>iTIS1iE hT LK I IIIKK 1. \VMK\ .
|ilii(|iit; <|iH' silivnil 1rs inrlhixIiMes , riiisloiir (1rs niélliodisics
iiiN-inr-iiios , n «Ir r«Mi\ lie Genève en parlnnlier. !S<»y» eR|M-
ions ne blesser |)ersonne el éehnrer loiil le monde, e:iiliolii|ue<
Il proiesiMiils : SeiiIruH'ni pttiieiice. relli'xion <•! éluile.
HISTOIRE DE GROMWELL,
PAR M. GUIZOT (1).
Le XVIII* siècle n'a pas connu Cromwell. Voltaire , en qui se
ri'sume l'époque, parle de lui avec celle vérité superficielle qui
l'ail illusion à tant d'esprit, bien qu'elle n'apprenne lien à per-
sonne. « L'Anj^lelerre, dil-il, devint plus formidable que jamais
sous la domination de Cronnvell, qui l'assujetlil en portant l'É-
vangile d'une main, l'épée de l'autre, le masque de la religion
sur la figure, et qui couvrit des qualités d'un grand roi tous les
vices d'un usurpateur (2). » C'est bientôt dit; ce qui est plus
vrai , c'est que Cromvvell était loin d'avoir tous les vices d'un
usurpateur ni toutes les qualités d'un grand roi.
Hume a mieux vu , mais le sectaire lui gâte et lui dérobe
riiomme d'État. Il a peine à pardonner à Cromvvell sa médio-
crité comme scholar ; et, comme orateur, «son langage plat ,
ennuyeux , obscur et embarrassé. » Il va jusqu'à dire que son
administration fut conduite sans aucun plan, et que sa politique
extérieure fut pernicieuse à Vintérêt national. « A tout prendre ,
conclut-il, son caractère ne parait pas plus extraordinaire ni plus
(1) Nous croyons être agréables à nos lecteurs en leur faisant lire ce re-
marquable travail. Lauteur, M. Foisset, occupe depuis longtemps la place
la plus distinguée parmi les écrivains français qui consacrent leur talent à
la défense de IKglise, pour que nous ayons à le faire connaître. Aussi avons-
nous garde dinsisler sur les mérites de ce morceau. Ils ressortent de soi.
Qu'il soit permis de dire seulement que c'est M. Guizot lui-même qui a sol-
licité le jugement de M. Foisset. Cet article a été publié dans le Correspondant.
(2) Siècle de Louis XIV (Introduction).
OVi MISTOinE I»E CUOMWKIL.
siri;;uli« r par lo nulaiif^e do tant d'absurdité» avrr lanl do |M'n<'-
irniion , (|uc pur l'alliage (1*11110 si violontc ambition ot d'un si
Tiiriotix fanalismc avec lanl d\'gard& puur la jitslice ri riunnn-
nilé. •
Siiard , (pii r(|)rosentail parmi nous la liiloraliiro anglaise au
commonoemenl du sioolo présent , n'est ipi'uii nllci d'Munio oi
«lo \'c)llaii'o. Il n<î s'o\pliipio point lo galimatias oi In trivialitr
du langage oïdinairo lio (.ronn>t'll. Il no cioit pas nionio an fana-
tisme du Proieclein do la ro|)ultliqno (rAngIctorrc. « Cromwoll.
suivant lui , «'tait trop éclairé pour n\'lr«' pas frapp«'' de oc «jn'il
y avait do ridionle et d'al)snr<lo dans lo langag«> ol «lans les idées
(l«'s litnnnics ignorants et grossiers aveo lesquels il vivait, mais
dont II, AVAIT l'air «Io partager le fanatisme pour le faire servir à
ses desseins. Il se montre fanarupio pour dominer d<'s fanati<pi«>s,
et il fallait Itien ado|ttor l«'Uf jaigoii j)onr gagiu'i- 1« ur o«)nlian«o. »
Tout le jugement (1«' Snaid sur Croiinvoll esl de celte profondeur.
N'est-il pas évident «pie (jomwell était trop éclairé pour n'avoir
|)as les idées de M. Suard .'
Les queirpies lignes d«' Bossn«i , «inore |)liis éloquonios que
Vraies (on l'a dit el j*en conviens) , tranohont, il faui l'avouer
Aussi, a\eo «es mes<piinos appréciations, et «li'm«'nrenl, sans «'«m-
(rodil, dans la nioinniio *]«■ tous à nn«- inoomparaldo lianlonr di^
peosée comme à une prodigieuse distance dv langage. Mais enfin,
ce (pii frappe le plus l«' grand oraleiir Ifuscjn'il vent peindre
Cromwell, e'esl riivpoeii.Nit.' du personnage.
Nous en étions là quand parurent l«'s deux premiers \olumos
do M. Guizot sur la révolution d'Anglelorre.
Cet ouvragi* ne reliahiliiait pas ("rom>v«'|| , mais il li' montrait
h l'fruvro «'l le faisait ( uiiquendre. On y \oyait rlair«'inonl l'es-
prit le moins théoricien, lo moins syst<'>maiique qui fut jamais, le
s«'otairo a\ant riiomiiu' d<' guorri' «'l le poliii<pio. mais l'homme
(iv guerre et le politicpie aussi dans le sectaire; par-dessus loui
l'homme d'action par oxrolleni:o, prenant chaque jour conseil do
la situation , prompl à en faire sortir au jour le jour loui ce
qn'olh' pouvait donner, mais trop o««-npé dn prosont pour eni-
Inassor par la ponsio un long avi-nir; «losospérant dos «hances
dn purilanisnie à la tlissolntion du Parl«-m«Mil de I(î28, et prêt à
IIIsrolUK l)K CUO.MWËLL. 97
passer en Ainùriquo si rimprudcnic pioclamation royale qui
prohiba rémij^Mation , no Tt'ùt rctonu on Angleterro; ropronant
ce (lossoin, m(''nie aprôs la coïidaninaiion cl roxj'culion de Slraf-
ford, mômo aprrs l'aclo de Cliarlos I" qui déclarait le Lonj; Par-
lement indissoluble, oi résolu à quitter son pays si la fameuse
Remontrance du mois de novembre 1641 n'eût été emportée à
la majoriié de quobiues voix (1) ; jusliiiant partout en un mot la
spirituelle parole du cardinal de Retz : «On ne monte jamais si
baut que lorsque l'on ne sait où l'on va. »
Celte figure extraordinaire , qui tient tant de place déjà dans
le premier acte de la révolution d'Angleterre, remplit à elle seule
tout le second acte, et par conséquent les deux volumes nou-
veaux de M. Guizot. Ce n'est pas le tort de l'auteur, mais c'est
le malbeur du sujet. En efFet, ce sujet attriste. Quel supplice
pour une âme bonnête que le iriompbe continu de la force et de
la ruse sur le droit, sur l'honneur, sur la vertu! Quel spectacle
que celui de Cromwell écrasant du pied tour à tour la monarchie
et la liberté, passant sur le corps, non pas de Charles I" seule-
ment, mais d'hommes tels que Falkland et Capell, pour s'asseoir,
extérieurement tranquille et admiré, au-dessus des lois de son
pays, salué par Christine de Suède comme le plus grand homme
du siècle, recherche, j'ai presque dit courtisé à l'envi par le roi
d'Espagne, par le grand Condé et par Louis XIV. Il est vrai qu'à
ce moment de son règne, Louis XIV, c'est Mazarin; mais cela
ne fait point que la mémoire de Cromwell sott un souvenir glo-
rieux, du moins pour la France. Puis, quelle sympathie peut
s'attacher à cette étrange physionomie? Je l'ai là devant moi,
reproduite par un burin habile, d'après la belle médaille de
Th. Simon. J'ai beau lire au-dessus de la tête du vainqueur :
The Lord of hosts, « le Seigneur des armées, » mot d'ordre que
Cromwell donna pour cri de guerre à ses troupes à la bataille de
Dunbar, il n'y a rien du héros dans ce portrait d'après nature.
Cette bouche est ignoble ; cette figure dans son ensemble est re-
poussante. N'était une certaine expression d'assurance et de force,
jointe à je ne sais quoi de confus, de brouillon et de brouillé
(I) Hallam, lome II. p. 39i. traduction revue et piiljlicc par M. Giiizot.
7
Î)H inSTOIRP. IIP nRO«>% kLL.
dans lus irails du peisoiina^c, un diinii d'iiii drii à la iliforie de
l.avaier.
Tel (|u"il est |toiii'Uiiit, I histoire n»- ptui passer Cnunwrll sons
silence. M. (lui/oi le reneonlrail (Kirl(»ui , debout ei $eul de sa
race (comme l'a dit Montesquieu d'un véritable Rrand homme,
riiarlcnia^ne). H «'*'l prescjue à lui s<'ul toute la repnlilique
(i'Anglelfrre. Foicr «•tait donc Imcu à l'Iiistorien de ceitr répu-
blique de peindre Cromwell. de pénétrer dans tous les replis de
ci'tte nature à part, si coin|)le\e et si ramassée en soi , comme
parle Bossuel, de nous la faire lire au dedans intus et in cule\
et de nous la rendre vivante, ainsi (|u'(in liomuu> avec qui nous
aurions \ccu et <pii agirait sous nos yeux, (".'est ce cpi'a fuit
M. Gui/.ot.
a J'ai montré , dit-il , la chute d'une ancienne monarchie et la
mort violente d'un roi digne de resp<'ct , (|uoi(pril ait mal el in-
jnslenienl goii\erne ses |)euples. J'ai niainlenant à racimter les
vains ellurts d'une assemblée rovululioiiiiaire poui- IcMider une ré-
pultli(pie, et le gouvernement toujours chancelant, bien (jue fort
et glorieux, d'un des|)0te révolutionnaire, admirable pour son
hardi et judicieux génie, quoi(pril ail attaque et détruit dans son
pays, d'abord l'ordre légal, puis la liberté. Les hommes (|ue Dieu
prend |>our iustrumcnls de ses desseins sont pleins de contradic-
tions et de mystères : il nu'le et unit en eux, dans des |>ropor-
li»>ns pritfondemeMt » a( lues, les qtialilés et les d«'fauts, les xcrtus
elles vices, les lumières et les erreurs , les grandeurs cl les fai-
blesses; et après av<»ii- renq)li leur lem|»s de l'éclat de leurs ac-
tions (îl de leur licslintM.', ils uemeirem ei x-mèmes oDs<:rRS au
seiM DELEi'R GLOIRE, cncensés et maudits tour à tour par le monde,
qui ne les connaît |>as. » On |ieut contester ce qu'il y a de trop
gênerai et d'absolu dans cette pensée; mais a|»pli(piée à Oom-
>vell, elle est, sans contredit, d'une rig(Uir<'iise justesse ; elle est
tout à la fois d'un mâle ospril et d'un grand écrivain.
Cela dit , M. Gui/ot tient parole, il racont»'. Niille pieieniion
àretl'et; point de portraits, point de parallèles, point de tableaux;
rien «pie le récil des faits. Mais tuui < e que nous raconte l'hislo-
rien, on le voit. On voit l'organisation du gouM-rnemeni républi-
cain, la formation du Conseil d'I-lial, analogue ;i celle des Corn i-
iiisroim. 1)1. cno.uNM.i.i.. 09
h'-s piTinanciils de la (À)nv(3iilion. On- \uii en iiirinc Icmps la
irpii^iiaiicc oiivcrie ou lalciilr du pavs, irpiij^iiaïKc (praiigmon-
teiil t'iKorc If im'inirc iniidiipied'im iiohU' prisoiiniei' do guerre,
lord Capell, el la puhlicaiion de VEikôn Basiliké, mal réfuté par
Millon : sublime génie de poèl(;, mais pauvre lèle ftolilique,
« éclatant el douloureux exempU; des illusions où l'imaginaiiGn
rêveuse, le raisonnement abstrait et le beau lanyage peuvent jeter
une intelligence su|)érieure et un noble cœur (I). »
On peut dire surtout, à la lettre, cpic le lecteur assiste à ces
iiois piocès si divers de lord Capell , du paniphlélaire Lilburn
et de l'héroïque Monlroso, qui manpient les dix-huit premiers
mois de la république d'Angleterre. M. Guizot excelle à repro-
duire les luttes judiciaires comme à nous rendre présentes « les
morts vertueuses el fortes. »
L'Angleterre de 1649 eut ses Communistes, ses ISiveleurs. Ils
lurent mis à néant en peu de jours |)ar la présence d'esprit el la
rapidité d'action de Cromwell. A peine en a-t-il fini avec eux que
son avant-garde débarque en Irlande. Cromwell la suit de près,
emporte d'assaut Drogheda , fait passer les moines et les prêtres
au fil de l'épée, et ordonne un égorgement qui dure deux jours.
L'hiver n'interrompt pas ses succès. Il en poursuit le cours mal-
gré le Parlement , qui le rappelle en vain , et ne quitte l'Irlande
que pour marcher en Ecosse comme général en chef, au refus de
Fairfax. Un moment on le croit perdu ; mais la folle présomption
des prédicants écossais leur fait livrer la bataille de Dunbar, où
ils sont écrasés. Charles II porte la guerre en Angleterre.
L'alarme est vive à Londres; mais le roi s'arrête à Worcester.
Cromwell l'y atteint après vingt-un jours de marche, et l'armée
royale est détruite. Les lecteurs n'ont point oublié la fuite de
Charles, dont M. Guizot a bien voulu leur offrir avant tous autres
(1) M. Guizot a gardé une impression plus favorable (}uc la mienne de la
polémique de Milton contre Saumaise. Maiscomineiitlui cchappc-t-il la phrase
(juc voici : « Saumaise s"en indigna, tomba malade et mourut? » Charles I"'
p( rit en janvier 1C<9. Saumaise publia sa Defensio rcQia la même année.
jMilton répliqua , si je ne me (rompe , en KiW , et Saumaise ne mourut qu'en
1653 (le 6 septembre).
100 illSTOIRE DE rHO«\%liLL.
I«'S ém<»uvanu>s |X'iipclips. (>» rocil a des ailos; on croiraii lire
dans \oliairo los avontiircs de Ch;irlps-Édonard.
!.«' triomplH* «omplcl «lo la npiihlitiiu' (Mi An^Uinrc , après
!a jcMirncc <!«' WorrosUT, est \o moment qur M. Guizot a choisi
pour passer en revue les relations de la révolution régicide avec
le conlinent. C'est assurément \îi une des parties les plus neuves
de son histoire. Kllc alioude en révélations : les archixes des
affaires étrangères ont «te ouvertes à rameur, et l'on peut dire
que nous avons pour la prcniicic fois le secret des négociations
entre la France et rAn^leierr»; républicaine.
On ne peut s'empêcher d'être surpris quand on voit l'indiffé-
rence de l'Europe monarchicpie, de l'Europe au \\ II* siècle, en
pn'sence de l'échafaud de Charles I*'. !/aud)assadeur de France
ne tenta cpioi «pie ce soit pour sauver le gendre de Ilriui IV, et
ne quitta Londres que trois mois après son exécution. L'ambas-
sadeur d'Espagne ne songea pas même à interrompre ses rela-
tions avec le Parlement républicain. Seul, le c/ar Alexis, père
de Pierre le Grand, rompit avec la rcvoluiion et chassa les né'go-
«ianls anglais de ses Etals.
Celle allilude hcsilanle <'t égoisie de l'Europe ollicielle, au
grand scandale de la conscience publique en France, en Espa-
gne, en Allemagne, en Hollande même, lut une faute immense.
C'est la première et p«(ii-êire la plus grave aiteinle qui ait été
porl«'e à la loi nionaïc lii(pie , celte seconde religion dis peuples
au XVir siècle. En effet , accepter ainsi à un degré quelconque
le jugement d'un roi par ses sujets, e'esi-à-diic le pire des assas-
sinats |)oiir un roi, l'assassinat juridi<|u<' , relui ipii all<*nle plus
encore à l'institution qu':\ la personne ro\air. n'ciaii-ce p(»inl,
de la part des mouar<]ues contemporains, amoindrir eux-mêmes,
aulanl «pi'il éiait en eux, l'.iurcole presfpie diNitie (pii les cou-
ronnait?
Sans doute ils ne se sentaient pas menacés; ils redoutaient
peu la contagion de l'exemple. Mais, en ce point, h-ur vue était
courte , et ils méconnaissaient , au grand «lonunage de l'axenir,
l'intime solularii»' di' tous les membres de cette grande famille
qui s'appelait encore la chrétienle. Ils ne ^oyaient pas que l'Eu-
iop<', ;m fond, ne faisait (pi'un depuis (harlemagne ; (pi'un siè-
IIISTOIKE DL GKUiUWliLL. 101
cl<; avait sullii pour (jirrllc devint féodale depuis la Sicile jus-
(prà l'Islande ; (juc r»'lincclle clectricpie dus Croisades l'avait
tout oiiiicic l'braiikH! (omnic un seul Iiomnio ; (ja'ciie avait suivi,
iruii nK'inr chiii partout, rcMiiraiiienieiit d(,'s mœurs clievalefes-
qiu's, et subi, d'un uièine contre-coup, à la lin du XV* siècle, la
réatiiun monarchique , eu Flandres sous les derniers ducs de
Bourj^ogne , en France sous Louis XI , en Angleterre sous Henri
VII, en Espagne sous Ximéncs. Ils ne se rendaient pas compte
de l'empire que prennent les idées quand elles ont un point
d'appui et de propagation pai^mi les peuples dans la communauté
d'origine et de religion. La réforme avait, certes, opéré sous ce
dernier rapport un déchirement profond ; mais enûn la réforme
invoquait sans cesse les livres sacrés qui sont communs à tous
les chrétiens, et l'Angleterre n'est pas tellement éloignée du
continent, qu'un volcan allumé dans ce pays ne put, à la longue,
occasionner ailleurs pins d'un tremblement de terre. Quand la
tête de Louis XVI tomba, l'on put voir que la royauté européenne
avait été décapitée dans la personne de Charles I".
Je sais bien que le nom de république , si effrayant aujour-
d'hui, n'effarouchait point alors; que l'insurrection pour cause
de religion, comprimée-en France, venait d'être canonisée tout
près de nous par la reconnaissance diplomatique des Provinces-
Unies des Pays-Bas dans toute l'Europe; cl que l'indifférence en
celte matière était entrée dans le Droit des Gens par le traité
de Weslphalie. Je sais bien aussi que la hache du bourreau avait,
sans soulever un orage européen, immolé la tête de Marie Sluari
un demi-sièele avant celle de Charles I". Mais la reine d'Ecosse
n'avait pas été condamnée à mon par ses sujets pour forfaiture
envers la nation dans l'exercice de la royauté ; et il y avait loin
encore d'Elisabeth se faisant elle-même justice de son ennemie ,
à la théorie du régicide légal et populaire , telle qu'elle ressor-
tait des écrits de Millon et de l'hommage rendu par les cabinets
monarchiques au triomphe insolent de celle doctrine personnifiée
dans Cronnvell.
Je trouve, à cet égard, dans M. Guizot un endroit qui , à la
première vue, paraît malheureux. « La paix de religion, dit-il,
rendit la politique à sa nature propre et à sa liberté; les croyan-
lOj III^TOIKF. UE IKU.VW tl.L.
tes ri It's liassions icligieuses ne dcM-itliTciil plus drs desseins
ni (Il N iilliances dos Llnts; Tesprit d'anibiliun <>ii de résistance
j raiiiltilidii, dr prt'|>ond('i:in(r on dindfprndancc, d'af^randis-
scMKiil i>u d'cquilibn', d(■^i^l l<> priii(-i|)al mobile de la ronduilc
des {^oiivernemenls dans les relations internalionnies... l^x révo-
lution d'Angleterre proliin de ce nouveau caractère, essentieVt-
ment Inique, de la polili(]ue coniemporaiiic. »
Jij^'iiore si je m'abuse, mais, si je comprends bien, il résulte-
rait de ces quelques lignes, d'une pari, qu'il y a contraste entre
la p<»lili(pie du \\V siècle et (elle {\\\ \\\V ; d'autre part, (pie la
seconde, essentitMlemeni laupie et dirigée par les inlerêls pure-
ment temporels, est un progrès sur la première, plus ou moins
sacerdotale et dominée par les passions religieuses.
Si tel était le sens de ce passage, il ne me semblerait pas en-
lièiement digne, je l'avoue, d'un aussi savant historien et d'une
intelligence aussi élevée.
Pour moi , je me persuade que la p<ili!iqne des inleièts est
aussi ancienne cpie l'égoisme humain, et j'ai peine à coiisitlerer
comm(; un progrès dans la direction des afl'aires humaines l'ab-
sence d'un conlre[»oids d'un ordre supérieur. Il ne s'agit pas ici
de théocratie (je ne disent»* pas avec \r Siècle, et M. Gui/ot con-
naît mieux que moi la valeui- des mots); il s'agit de savoir si la
saine polili(|ue doit leiiii- compte ou non des croyances religieu-
ses, fussent-elles à l'étal de passion ; si elles ne constituent pas,
elles aussi , nn intérêt sé-rieux même an point de >ne temporel;
si elles sont on non une hase judicieuse d'alliance entre les Étals;
si les guerres fondées sur cette cause sont essentiellement im|>o-
litiques. N'est-il plus du tout peinïis d'ein<tii.' un (hmie j cii
égard?
Notre siècle a «oonn des guerres de pn>pagande révolution
naire. Dira-t-rm <pi'elles fussent toutes inq»oIiti(|nes? N'est-il |>as
nalun-l rpie les guerres lomme les alliances prennent leur |M»int
d'appui où elles le trouvent? M. (iui/ot jugeail-il absurde une
ceii.iinr allinité , un certain rapprochement, nn (crlain concert
entre les tlaLs régis naguère par ce (pion nommait des tonsii-
iiilions, |iar opposition à ceux qui gravitaient dans l'orlùtc des
gouvernements absolus? N'a-t-il pas lui-mêfne pr<»( lamé :'i la tri-
lliyroillb Ub CKOMWELL. 103
biine («l c'est là sa gloire) que la politique extérieure de la
France doit èire calliolicjue? Les liommes d'l"]tal si sensf's de la
positive Anyli'terre n'adnietlenl-ils point qu'il est, au contraire,
dans son rôle de se porter partout à la défense et à l'extension des
intt'iêts protestants.' La politique russe, qui certes n'avait point
passé pour inhabile jusqu'à ce jour, n'obéit-elle pas depuis long-
temps à des considérations du même ordre? Je sais bien qu'en
tout ceci, c'est la puissance de leur pays que cherchent les hom-
mes d'État, et non l'exaltation de la vérité religieuse. Mais s'il
en était qui, tout à la fois politiques et croyants, poursuivissent
l'un et l'autre but avec l'ardeur d'une âme convaincue, en se-
raient-ils moins dignes de l'estime des sages?
On le voit, je vais droit au vif de la question; je n'entends rien
dissimuler, rien éluder, car, pour ma part, je ne taxe pas du
tout de folie le principe qui arma les Croisés, bien que les Croi-
sades aient été des expéditions généralement fort mal conduites.
Je trouve aussi judicieux, aussi légitime de se battre pour sa
croyance que pour un agrandissement de territoire ou pour le
point d'honneur maritime, comme il advint en 1652, à propos
du salut du pavillon, entre l'Angleterre et les Provinces-Unies.
Puis , M. Guizol le sait mieux que personne, la politique des
intérêts ne date pas du traité de Westphalie. Il est vrai que ce
traité a définitivement sécularisé la diplomatie, en éliminant la
médiation du Saint-Siège qui s'était maintenue jusque-là, plus
ou moins ellicaccment, dans la tradition européenne; mais je ne
vois pas clairement ce qu'on y a gagné. La présence d'un mé-
diateur aussi désintéressé , aussi ami de la paix entre les prin-
ces chrétiens qu'il fût possible de le souhaiter, n'était pas, ce
semble, trop fâcheuse. Leibnilz la regrettait à la fin du XVII*
siècle.
Quant à la politique d'ambition, il y a fort à dire. Constatons
d'abord qu'elle n'est pas si moderne. Celle qu'enseignait Machia-
vel avait essentiellement ce caractère. Louis XI et Ferdinand
d'Aragon, au XV* siècle, n'en ont guère connu d'autre. Fran-
çois I", quand il faisait alliance avec les Turcs ; Charles-Quint,
lorsqu'il laissait saccager Rome par des luthériens; Richelieu,
qui soudoyait les protestants d'Allemagne contre la maison d'Au-
loi lilATOIHK ni; CROXWKLL.
triche ei les parilaiiis tl'Anglelerrr coDirr Charles l'', ont
i)ratit|ué celte |)uliti(|iH' tixtliisiveineiit laifjuc. Il se peut qu'il n'y
eu ait |>uiul de |>lu8 proliuible (j'a>t)ue ixtutlani ijue cela nu
uiesl pas bien «leuioulre) ; mais M. Gui/.ol ne niera puint (|u'il
n'y ait une |K)liti(|(ie plus morale sans (Hre niaise; il n'entend
point assurément le contester et il en citerait sans tlifliculic do
décisifs et gUti ieiix e\empi<s. Je ( rains donc de plus en j)lus
d'avoir ntal compris en lui impuiiinl d'ap|)rouver ce «ju'il ne fait
(ju'cxpliquer sans «itiute.
Quoi qu'il eu suit, tout l'exposé de la politicpie exté-rieure de
Crom»ell, par son nouvel historien, est plein de lumière. On y
sent partout une main tpii a manié les hommes et les choses, un
lumime <pii a, lui aussi, u<},'ocié avec l'Europe, un historien
homme dKtat comme Thucyliile, coumie César, comme Clarcn-
dou.
• Ia: Parlenieiil républicain, ilil-il «'xccllimnient. eut, de s;i
situation au dehors, un heulinient juste, iiieu que confus et in-
complet ; il com|)rit qu'il était détesté des grandes monarchies
européennes, mais nullement menace, et il se conduisit envers
elles avec metianci; et lierté*, mais sans iii(|uielude ni enq)orte-
ment. Il ne se montra point pressé d>lrc reconnu par elles, ni
empre-ssé d'établir, auprès d'elles, les représentants de la ré-
publique, non qu'il ne ressentit, à cet égard, aucune inq)atience :
le >if désir d étie recoimu perrait de lenq)s en lrnq»s par des
voies indirectes. Mais le l*arlement n'en < onliaua pas moins do
se montrer sur i e point exigeant et patient à la fois. > Certes, on
ne saurait mieux dire.
M. Gui/.ol fait comprendre à merveille le parti (pie lira plus
lard Oomvsell de la jalousie invétérée des deux grandes |»uissan-
eesqui se disputaient alors ras<«'ndanl en Kurope, la France et
l'Kspagne; ni l'une ni l'autre ne >oulant se brouiller avec la Hé-
publi<|ue naissante, l'une et l'autre s'appliquant au contraire à
r«nNi suit à l'attirer dans leur camp, soit à In retenir du moins
«hins le camp ennemi. C'est ainsi <pie IKspagne d'aboni el la
Franci* un an après furent amenées à reconnaître un gouverne-
ment i^su du régicid»'. C'est ainsi encore »pie les nego<iations
ciiUf. Mazariii et Ci-omwell aboutirent à im iraiie d'.dlianee oiTen-
IIISIOIKE 1)K CHOUWELL. l05
siv«*, l'ii voilii iliit|iu'l 'rurciiue culeva Dunkcrquc aux Espagnofs
pour en ii'inellre les ciels à l'Auglclcire. C'est ainsi cnliii (|iraii
ni«'|>iis lin droit des geus , Croiinvell léixmdit aux avances de
IMiilippe 1\ et de Don Louis d»; Haro en attaquant Saint-Domin-
gue en pleine paix cl en volant la Jamaïque.
Rien n'a été plus roproelK' par les Anglaisa la mémoire du Pro-
tecteur que d'avoir soutenu contre l'Espagne énervée et déclinante
l'antique rivale de l'Angleterre, la France, un pays qui grandis-
sait à" vue d'œil. Cromwell en cela lit jireuve d'indépendance
d'es|)ril en s'élevaul haidimont au-dessus du préjugé naiional ;
mais, quoi qu'allègue Charles Fox poui- atténuer le tort de cette
conduite, l'Espagne mutilée de|)uis longlenq)s par la double
émancipation des Provinces-Unies et du Portugal , isolée de
l'Empire par le traité de Weslphalie, battue à Rocroy et à Lens,
oîi périt son prestige militaire avec son infanterie longtemps la
première de l'Europe; l'Espagne de 1657, malgré la grandeur
de son passé, ne jjouvaii faire illusion à Cromwell ; et, bien que
Saint-Domingue le tentai comme une proie facile, sa préférence
pour nous ne s'explique, ainsi que l'a fort bien dil M. Guizol,
que par sa haine contre Charles II et par l'aveugle désir de lui
enlever tout appui et tout espoir du côté de la France. L'intérêt
dynasii(pie (car Cromwell aspirait de tous ses vœux à fonder une
dynastie) l'emporta cette fois dans son esprit sur l'intérêt de
l'Angleterre.
Cependant Cromwell était profondément Anglais. « Je rendrai,
disait-il , le nom d'anglais aussi grand que l'a jamais été le nom
romain. » Ce langage n'était pas seulement politique dans sa bou-
che, il était sincère. On put le voir à l'attitude souveraine que
prit par ses ordres le pavillon anglais quand il parut pour la
seconde fois, en 1654, dans la Méditerranée; il sembla prendre
possession de celle mer, fit trembler Alger, abattit l'orgueil de
Tunis, reçut les hommages de Venise, imposa tour à tour à Malte,
à la Toscane, à l'Espagne. C'est de Cromwell surtout que date
la suprématie maritime de l'Angleterre.
Elle ne lui est due pourtant qu'en partie. Drake, sous Elisa-
beth, avait commencé la grandeur navale de son pavs. Deux hom-
mes qui n'aimaient point Cromwell, Henri Vane ei Robert Blake,
\{){y niMoihk ut cuomw kiL.
l'un comme clief du comité lie la marine et l'autre comme lioniine
de mer, l'onl l'éfinitivemeni fon<lée. Rien n'y cunlrihua plus qtn-
la superiorilt' relative des n;ivires anglais construits smis Char-
les r', navin's d'une fj;randeur iia otinue jiis(nie-l;i, résultat di-
rect de (elle nièuje taxe des vaisseaux dont l'illi-^alité fit empri-
sonner H:nn|)den et perdit l'inlVirtune iu«»nar(|ue. Toute la bra-
voure des lltillandais, rois de |;i mer aloi-s , toute l'Iialiileté' de
leurs meilleurs amiraux, Tromp et Ruytet*, ne put compenser
cet avantage de construction des bâtiments anglais de Charles
I" : sic ros non robis.
Nous louchons ici le plus brillanl épiso<lc de cette histoire et
celui peut-être (|ui fait le pins d'honneur à la plume de M. Gui-
7.01 ; i'injusli*, mais heureuse j;uerre de l' An^deterre contre les
l*rovinc«»s-Unics. Compare/ sur ce point l'historien français au
meilleur snns contredit des liistoriens an{?lnis qui onl raconté
cette guene; vous serez frappé de la supérionté du nouveau
récil sous le triple rapport de la lumière, de la vigueur el de
la vie.
La lumière esl sobre, mais pleine. On voit la Hollande froide
au lendemain du régicide et poussée même en se«Tet à l'hosti-
lité par le stalhoudir ritiillaunie II, gendre de Charles l*" ; juiis
sid)itemeni , à la mort de ce prince, raujent-e à une autre politi-
que |)ar le retour de l'arisioc ralie uiunieipale aux affaires; re-
biiice bi«'utot par les exorbitantes |)reieuiions de l'.Xngleterrc ,
qui nr veut pas seulement ralliance , mais bien h fusion des
<k"ux n'(»id)li<|u<'s et l'absorption dans son sein de la forte natio-
nalité n«M>rlandaise; blessée au c<rur par le fameux /fcff de na-
rigntion qui tuait son commerce avec la (iraude-Iiretagne (1) ;
reprenant les négociations avec nue sorte d'humilité qui fait de
plus en plus ressortir l'insupporlable hanienr des Anglais; com-
prnniise ncilgre elle jiar l:i liirle <le son amiral, qui refuse jl'a-
^1) \.'<ntr dr n(ivi(jnliiin inlcrili>iai( aux iia\ ires étrangers «l'iiniturter en
AnRlrlorrr auriini' inarcliaDdisr anlrr que les proiliiits du s«i| «m iJe l'iniliis-
trie «le leur pays. OéLiit le cdiij» le |tlii> rude inrun piil porter k la Hollande,
ijiii ne produil presqne rien , qni n'.i pas de niannraelnn'5. el d«tnt le eoni-
nieree de lran>p<)rl fiiisflil Imile In pr<i>.|iérilé.
iii.sToiiu. 1)1; (:l•.n1l^M■;I.r.. 107
baisser son pavillon clev;inl riscailic de [JUikc ; k- désavouant on
pure poiio cl no pouvant à aucun prix ôviicr une dôclaraiion ilo
?uoiTo (7 juillet 1652).
Il nVst pas aisé do di-lcnniiicr, ;"i la distance où nous sommes
do 00 qui s'est passé , (picllc |):iii cul Ciomwoll à celte résolu-
tion peu prudcnle, bien (pi'altsoutc par le sucées. On sait do
quels i-eplis il enveloppait sa i)cnséc, dans (juelles ténèbres il
ensevelissait ordinairement son action. Ce qu'il y a de certain,
c'est que le lord gi-néralissime était alors oisif à Londies, et que
l'homme (pu entraîna souvent le Conseil d'État et le Pailement
à déclarer la guerre fut S. Jolm, dont l'innuence était grande sur
l'esprit de Cromvvcll. Plus lard, devenu lord Prolecteur, celui-
ci soutint baulemenl le projet de fusion et d'absorption. Il paraît
sûr aussi que ^ ane, (jui diiigeait la marine, était opposé à une
rupture ouverte avec la Hollande, et que ce fut le parti militaire
surtout (jui se prononça pour celte enlrepiise.
Contre ralienle g('néral(,' de lEin-ope, elle tourna rapidement
à la grandeur de rAngleterre. Elle mit eh lumière un homme
admiiable, Robert Blake, grand homme de guern; et grand ci-
toyen , d'un courage a la fois entreprenant et phlegmatique ,
hardi, lésolu , sensé, généreux, d'un caractère grave jusqu'à
l'ausléiité, d'un désintéressement anlique , puritain et républi-
cain sincère jusqu'au bout et respecté jusqu'à la fin de ses ad-
versaires politicpics, servant son pays avec passion sous un chef
dont il réprouvait sans détour le despoiisme, marin à cinquante
ans, mort à cinquante-huit, et n'ayant eu besoin que de ce court
espace de huit années pour transformer la guerre maritime et
pour fonder, je le répèle , la suprématie navale de sa nation.
Avant Blake, on faisait consister le talent d'un amiral à tenir les
vaisseaux hors du danger; il fut le premier qui apprit aux gens
de mer à le braver, à mépriser même les forts qui gardaient les
ports, comme il fil en détruisant à Tunis ceux de Porto-Farino
et de la Gouletle et en brûlant dans le port même tous les bâti-
ments qui s'y trouvaient (1).
(1) Les châteaux forts, qui servaient alors de garde à lenlrée des poils,
claiciil ordiiiaircuicul bàlis sur le bord de Icau ; s'ils élaicut de quelque élé-
lus IIISTOIllE l»E ClKlMWia.L.
Ce lioros u rciiconiir dans M. diii/oi un hisionrn ili^iu- tir
lui. (aïs diifls «le géants euire lUakc- et lion»!», comine enin-
Ulako el Kiiyler, sont :iJniiral)l( nuiit racontes dans le livre (|ue
nous avons sous ïvs yeux. On a beaucoup vanté les batailles ^\r
M. Tliiers : il est un mérite au moins (\\\c j'ose leur refuser, celui
de la brièveté. M. (jui/ot n'a pas la prclinlion de transporter
dans l'histoire le lechni(pie et le drconslancié îles hullelins de
la Grande Armée; mais ses campagnes na\ales sont saisissantes
U'inlerêi, d(! NJvariii', île vérité. Qu'on \enille bien reliie le rérii
de Trafalgar dans M. Tliiers et les victoires iihernalives de la
flotte néerlandais^^ et de la Hotte anglaise dans M. Guizot : je ne
crois pas que celui-ei eût à se plaindre du parallèle ù aucun ti-
ire. Il est vrai qu'il Naut mieux ne pas faire de comparaisons;
car, dit sainte Tlnièse, les comparaisons sont odieuses.
Nous avons devant nous nue autre série de faits plus familiers
à M. Giii/ni, cl oii sa snpéiiorilé nous étonne moins : c'est la sé-
rie (les l*arlemenls de r.ronnvi.li.
Il est assurément bien remarquable que le dictateur anglais
n'ait pas cru |>ouNoir se |»asser de l'arlemi'iit. Et |)ouriant il n'en
put supporter aucun. I^ éclate l'inqxiissance de la force, lors
même ipi'i Ile est servie pai- le génie. Ce fut lu le cliàtimenl de
son Usurpation.
A peine a-t-il aneanli lesri»yalisies a \\ «>ic( sicr, qu'il se trouxe
aux prises a\ec cette coterie vii torieuse qui était tout c«' ipii res-
tait du Limg Parlement, cl qui a ^,'arde dans l'histoire le nnm de
Crouyion {liuinp). Il y a la des liouimes qui ont pris au srricux
la rc|)nl)liqne, et qui ri'donienl la pnponderance «roissante de
relemint unliiaire, désormais fait homme dans la personne de
Oomwi II. Pour diminuer cette prépondérance, ils réduisent
lamnc, sous prétexte d'économie. La lutte est engagée ; l'armec
prend sa ie\ anche en pdiiioiinant |K)ur tous les projets de ré-
vutioii, leurs lumlclH passiiioiil p.ir dossns les vai^siMiix, et ItiiMitol li-s forlr-
rcssc» pIics nu^ims traient dilrnilos par le feu supérieur d une grosse flotte;
s'ils «'taieiil plus bas , la m«us»|iieleric des gens de mer les rommandail el
en renilail la d«^fenHe impossible. Aujounlliui ils sont h quelipie dislanre du
rivage el presque au niveau des Ilots, ec ipii en rend l'attaque aussi jwu pru-
drille qu'elle clail alors sûre el fariliv
iirsnuKE i)i: ciiuiiwi-i.r,. (09
lormos civiles oi religieuses (jiii peinent la rendre populaire!, et
en insinuant la n»''ccssilé de eonvo(juer un antre Parlement. Ainsi
pi(|né pareil il élaii le plus vulnérable, le Rump essaie de se per-
pétuel- en se coni[>léiani |)ar des ('leeiions nouvelles. Cromwell
ne lui eu laisse pas le temps et le chasse.
Jamais cette scène inouïe n'avait ('té reproduite; à ce point de
re'alilé vivante et nue. On suit de l'œil tous les mouvements de
Cromwell, depuis le premier moment jusqu'au dernier; ses im-
patiences d'abord comprimées, bientôt renaissantes, puis faisant
explosion tout à coup: «Votre heure est venue... Le Seigneur
en a fini avec vous... Il a choisi pour son œuvre des instruments
plus dignes... C'est le Seigneur qui m'a pris par la main et qui
m'a fait Hiire ce que je fais. » On entend les ordres successifs que
donne le général en frappant du pied aux fusiliers qui ont en-
vahi la salle : «Faites-le descendre!... Faites-le sortir !... Met-
lez-lc à la porte! » On croit ouir de ses oreilles les injures vul-
gaires dont Cromwell apostrophe les membres qui défilent devant
lui. On le voit enfin, on le voit s'approcher du clerc de service,
lui prendre des mains le ])ill qui était près de passer, le mettre
sous son habit, sortir le dernier de la Chambre, faire fermer les
portes et rentrer à AVhile-Hall.
C'était justice au fond : le Rump avait mérité son sort. Mais
était-ce à Crom^vell à faire celte justice?
Cela se passait le 20 avril 1653. Le 4 juillet, CromvNell faisait
louverture du Parlement-Barebone. Les révolutionnaires mysti-
ques, sur lesquels l'homme de guerre s'était appuyé pour soa
dix-huit brumaire, dominaient dans cette assemblée. «. Elle n'é-
tait dépourvue, dit M. Gnizot, ni d'honnêteté, ni de patriotisme;
mais choisie directement par Cromwell , qui en nomma tous les
membres seul et en son propre nom , elle manqua de dignité
quand elle accepta le mensonge de son origine, et de bon sens
quand elle entreprit de réformer la société anglaise elle-même :
le Parlement-Barebone avait été pour Cromwell un expédient;
il disparut dès qu'il essaya d'être, sans lui, un pouvoir. » On se
rappelle qu'il finit par un suicide ; la majorité disloquée abdiqua
(décembre 1653).
Le 3 septembre de l'année suivante, un troisième Parlement
1 I O IIISTOIKK UE ir.()1l\N M I .
prcnuil séance. < rliii-ci i-luil issu de l'éleciion; ropposiiiou s \
iiouva iJoin vivcimiii rr|in'seiiu''c. Citninvcll rxim;i ri>n^;i^<iiiriit
«•rrit lie ne poiiil reinellri- en (|ueslion le Proieelonl. l'enl ein-
(|uanie membres refusèrent de signer («'l engagemeni el se rcli-
icrenl. Les idées preshyliriennes n'en prévalurent pas moins
dans les d«'lihéralions : le nouveau Parlement se mit à refaire la
ronstitution ; I humeur },'a{;na Ciomwell et l'assemldée fut dis-
soute au bout de ein<i muis.
Alors le Protecteur essaya de se passer du Parlemeni. Il eut
vingt mois d'un despotisme sans voile , tem|K'r<' par rinlégrite
des juges et par la tolérance religieuse, assez inégale d'ailleurs,
du chef de Tl-^tat. On ttoulTait à peiii bruit les complots républi-
cains; on rej)rimait avec liacas les tentatives royalistes. L'Ecosse
et l'Irlande, ineorpon'es à l'Angleterre, ciaienl traitées en pays
con(|uis ; la première, par Monk , avec rudesse, mais non s;)ns
arrière-pensée d'une restauration, et partant sous des ménage-
ments secrets; la dernière avec une sauvagerie (|u'Henri, second
fds du protecteur, ne pouvait atténuer que faiblement. Oscrai-jc
dire à M. Giii/oi «pi'il ne s'indigne pas assez de IVxjiroprialifiu
violente et de la déportation en masse de la plupart des proprié-
taires irlandais? Il ne paraît point s'être souvenu du dicton pro-
verbial : « en enfer ou dans le Connaught! » Mais l'historien sent
vivement les avanies à la luripie des jiroconstds «pic (Iromvvi-ll
avait imposé à l'AngU-terrc sous le nom de majors généraux. Il
flétrit à bon droit la rançon infligée au parti des Cavaliers par
l'inique taxe du dixième du revenu. Là nous le retrouvons tout
entier.
Cromvvell lui-même ne croyait pas ù rét«Tnité possible de ces
violences. La guerre ave<- l'Plspagne vint lui im[»oser des charges
auxquelles il ne pouvait sufllre sans taxes nouvelles; il crut de-
voir faire appel à un quatrième Parlement. Toutes les opposi-
tions coalisées ne purent y faire entrer qu'ime centaine de mé-
contents; tous ces nouveaux élus fun-nt ex<Ius comme indignes
par le Protecteur. Le nouveau Parlement, ainsi épuré, accorda
tous les subsides qui lui furent demandés. Mais le chef de l'État
allendnil fpiebpie chose de plus de cette assemblée. Voltaire dit
rpie (romvvell eût «-le fou s'il eut songé à se faire roi. On ne peut
iiiSToiRb Di: i:i.<ni\vri.(.. 1 I i
(loulor poui'lani (|u'il irnii vu rrwr lulio, coin est ôrlutant d'é-
vidence dans riiistoire; mais il voulait (|u'on |)arùt lui faire vio-
lence à cet é^'anl. Tout ce ujaiié^c est («lairt; <li" la plus vive
lumière par M. Gni/.ol. I-c titre d*- roi lui oMcri au l'rolccleur par
un vote solennel du l'arlcuiciit. I>a tauiillc dt- (Iromwell cl les
niajors g«''néraux, qui voyaient dans celle mesure on ne sait quels
avant-coureurs de restauration , U; conjuraient de refuseï-, mais
sans succès. Sur ces entrefaites, le colonel Pride , le même qui ,
le 6 décembre 1648, avait, sur l'ordre de son g(''néral , chassé
tout le paiti presbytérien de la Cliandjre des Communes, se mit
en tête de faire échouer la mesure, et il y parvint. Une pétition
contre le rétablissement du liire de roi fut signée par trente-trois
olliciers et présentée au Pailemenl : Cronnvell recula; il manda
la Chambre et déclina l'offre (jui lui était faite. Il accepta d'ail-
leurs la nouvelle constitution , qui rétablissait la Chambre des
Lords. Mais bientôt le désaccord devint tel enire les deux Cham-
bres, que le Prolecteur fut obligé de dissoudre encore ce Par-
lement (4 février 1658).
Le croira-t-on? ces avortements répétés n'avaient point re-
buté CromwcU. La confiance et l'argent manquaient. L'acquisi-
tion de Dunkerque plaisait à la nation. Le Protecteur songea sé-
rieusement à profiter de la popularité de celte conquête pour
convoquer un cinquième Parlement. Comme il agitait ce projet
avec ses conseillers les plus intimes, un complot royaliste éclata :
le docteur Hewet, ministre de TÉglise épiscopale, était l'un des
complices. Cet homme , justement honoré , célébrait en secret
chez lui le culte anglican, et la fille de prédilection de Cromwell,
lady Claypole , assistait habituellement à ces actes religieux.
Elle fit d'ardents efforts pour obtenir la grâce du docteur. Tout
lut inutile. Malade et passionnée , elle vit rapidement empirer
son mal et y succomba entre les bras de son père. Celte visita-
lion du ciel trouva la santé du Prolecteur ébranlée. Des désor-,
dres dans le foie et dans les reins, la gravelle , la goutte, les
soucis du pouvoir avaient altéré sa robuste complexion. La fièvre
se déclara, et elle fut mortelle. Il expira le 13 septembre 1658,
dans sa soixantième année.
Nous attendions ce moment suprême pour juger Croniwell.
I 12 ii:sToiiiE ut a\nn^Eix.
Cromwril ti:iii-il un ^nind lionimc?
Qir«'si-cr «jiriin priiid lionimc? Pour t^irr ainsi nommé , su f-
fn-il d'ôiro ^r:in(l |»:u- riniollif^'cncc et pnr la voWmtP? Ne faiil-il
pas surKiMi <^ii(' j,'raii(i par ràmc .' Cromurll pnt-il la vraie gran-
deur, relie de l'îhnc.' Ne fut-il pas au pins liant point un grand
fourbe? Grand homme, ^'land fonrlte. drux ni»>ls cpii liuilrnl de
se voir accouplés, eût dit Miiabcau.
Après lout, qu'y eut-il dans Cromwell ?
Son éli'vation? C'est là ce qui frappait par-dessus tout le
WII* et le Wlir si/îcles. La société de l'ancien ii'gime, où la
hiérarchie des rangs était si fortement assise et si enracinée dans
les mdnirs, ne pouvait trop s'étonner qu'un parNeuu , surmon-
tant l'obstacle de tant de barrières avant lui it-puices infrancliis-
sahles, fût arrivé à commander des armi'«s, Iticn plus, à s'empa-
rer du pouvoir souverain dans un pays jusque-lù soumis à une
monarchie, et à une monarchie héréditaire. On admirait Crom-
well en proportion do cet «'lonnemcnl. Mais nous «pii avons tra-
versé les révoluiiims, nous qui savons quel homme médiocre
était Robespierre et quelle place il a tenue pourtant dans le gou-
vernement d(^ la France avant le f) thermidor, nous qtii avons
\u l'année 18iS, nous admirons moiiisla foittme ré'voluiionnaire.
Son surc6s? II est remarquable sans doute que Cromwell soit
mort dans son lit , après avoir j^ardé justprau dernier jonr une
autorité plus absolue (pie celle d'aucun monarcpie de l'Anglc-
Icrre. Mais enfin, Cromwell a-t-il vraiment réussi? Que voulait-il
au fond? N'être, comme on le dit. qu'tm révolutionnaire heu-
reux et que le maître du moment? Il avait une hien autre ambi-
tion que celle-là ; il voulait rendre les Stuaris impossibles, et
poui cela incarner la révolution «lans une dynastie nouvelle,
dans une dvnastie solidaire du ri'>gici«le. celle de Cromwell ; il
vrtulaii transformer cette ré'volutiun en une nionarchie régulière;
en un mot , il votilait être roi, avec tm Parlement, non pas cer-
tes avec les Parlements de (Charles P', mais avec ceux d'Elisa-
beth (ne représentait-il pas, comme elle , les passions protestan-
tes de son temps.'); voilà ce qu'il votdaii. L'a-t-il fait?
Il s'est obstiné, avec toute l'opiniàtHMi' do son caractère, à
renouer la chaîne des temps; il s'est aliaclu' autant qu'il l'a pu
msTOïKt; iil: ciuniw ttr.. 1 13
à la liadiiioii iiMliDiialc cl parlonionlairc. Avec (iiicllc impuis-
sance! ou vient de le Noir. Toul ce que Ton peut r('ver d'cxpé-
(iienls sur ce terrain, expulsion violente, nomination directe,
pression élecloiale, éliminations, épuration préalable, il a toul
mis en œuvre, tour à tour et à son heure, et tout a échoué. Il a
essaye de se passer de ce rouage; il ne Ta pu. Lisez le témoi-
j;nage d(î son secrétaire intime, Thurloe? Cromwell est mort à
lemps ; il était, sous ce rapport, à bout de voie.
Ce n'était j)as le j)ouvoir d'clre obéi qui lui manquait ; ce pou-
voir, il l'a en jusqu'au bout, sans contrôle et sans limites, mais
précaire au fond, mais viager, mais troublé de terreuis person-
nelles toujours croissantes (1), qui ont, plus que la guerre, usé
sa vigueur native et hâté sa fin. Le cercle de ses fidèles allait se
rétrécissant de plus en plus amour de lui. Son gouvernement a
toujours été un gouvernement de minorité. L'Angleterre le su-
bissait; elle ne l'acceptait pas. Il le sentait et c'était une partie
de son supplice.
II possédait de puissantes qualités de gouvernement , qui le
nie? Mais qu'en a-t-il lait? Il a contenu les partis; c'est quelque
chose. Je me persuade, toutefois qu'il faut davantage pour être
un grand homme, Monk , si inférieur du reste à CromAvell,
trouva l'armée divisée, l'Angleterre en fermentation, les partis
aux prises, et il sut les maîtriser. Pourquoi? Parce qu'il avait,
comme Cromwell, une armée a lui. Monk, ainsi que l'a fait voir
M. Guizoï dans une étude historique de premier ordre , Monk,
pour le dire en passant, est un éclatant exemple de ce qu'on
peut accomplir de grandes choses sans être un grand homme.
Je ne veux pas comparer d'ailleurs le ferme bon sens du lieu-
tenant de Cromwell avec ce génie « capable de tout entrepren-
» dre et de tout cacher, également actif et infatigable dans la
i> paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce
) qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance; du reste
(1) Le pamphlet intitulé : KiUing no murder ( Tuer neslpas assassiner).
qui parut quinze mois avant la mort de Cromwell, avait mis le comble à ses
transes secrètes. Il n'osait, dit-on, coucher trois nuits de suite dans la même
chambre.
8
l 11 HISTOIRE DK r.flOMWELL.
•i si vi^ilaiii ti si pn-i à (ont , f|u'il n'a jamais inai)(|iu; les occn-
» sions •lu'ollc lui a pirscnloes. ■ Mais, je \o r»'|H;le , ce gi-ni»'
remuant et audacieux , pour cilcr Bossuet encore, qu'a-l>il fon-
de' l\it'n. (Jii'a-l-il laissi- iiiimcdiaKiiiciil apii's lui/ Lanardii»'.
I*r»u\c à jamais mcmorahii' que rim m- peut compenser pour
iMir nation la porte <ie s(m droit public. Qiiin/e jours après la
monde Cromwell, son pondre, lord Faulconlnid^e, désespérait
de sa succession (1). \ inyt mois plus taiil, Charles II était re-
connu roi par un Parlement lihrement élu , aux acclamations
presque unanimes des Trois-Royaumes. Le Protectorat avait
durt- cinq ans (2).
Qu'cst-il besoin après cela de s'appesantir sur des questions
secondaires, de discuter la politiiiue intérieure el extérieure de
Cromwell, son faible pour les Parlements, ses alliances et ses
conquêtes? — Les Parlements étaient une néiessite de sa situa-
tion; c'en fut une autre que sa reculade au sujet du titre do roi.
• Peu d'hommes, observe à bon droit M. Hallam , étaient meil-
leurs juf,'es que Cromwell de ce qnc l'audace peut emporter. »
L<irs(|u'il se contenait, ce n'était point pusillanimité, cotait sa-
gesse. — Ses alliances furent é'goistes. S'il fait la paix avec la
Hollande, c'est à une condition sur hupiclle il ne lléchit jamais :
c'est ipio le petit-lils de Charles I", (inillaumc d'Oranj^e, alors
enfant, celui qui fut plus tard Guillaume III, ne sera jamais stn-
tboutler. S'il recherche la Suède, c'est qu'il fennail les yeux sur
le péril dont cette puissance, de|)uis finstave-Adolphr, menavait
l'écpiilibie {\\\ Nord, pour no voir «puî l'éclat (pii rejaillirait sur
loi de l'allianc 0 et du suffrage public de Christine. S'il préfère
la France à rKspa;,Mio . c'est, je l'ai dit, parce qu'il veut à tout
prix isoler et décourager Charles II. — Ses «onepiêtes se rédui-
sent à la Jamaïque el à Dunkerque. La première fut un coup du
hasard. Cromwell n'y avait pas songé. Il avait organisé- contre
Saint-Domingue une expédition délovale et mal (ombinéo, qui
n'aboutit point et (pii par raccroc se rabattit sur la Jamaïque, ile
(1) \V.s le 28 scpirmbrc lf»,W. Thurloe, tome VII, p. 413.
(2) Du tu décembre KWô au ô septembre IGfiH. Le Protectorat fui iléfcn'
ù Cromwell nu nnin de r:irincr et non pas itu nom de In nation.
«
I
iiiSToinE in; <;ru>inN r-r.r. f 1 />
iiK'onimo, (loin nul no sonpronnnii aloi's l'inipoi lanco. Dunker-
<]ue n'était pas une conquête scnséo, une de ces conquêtes naïu-
lelles «pli restent à la puissance qui les a faites, comme il est
arriv»; des conquêtes de Louis \IV, le Houssillon , l'Artois, la
Flandre, l'Alsace, la Franclie-Comié.
Mais il est temps de finir. Je me laisse entraîner beaucoup
trop à discourii- sur le sujet, au lieu de parler du livie. C'est que
le livre de M. Guizot est du petit nombre de ceux qui appren-
nent beaucoup et qui font beaucoup penser. Puis on ne saurait
trop protester à mon gré contre la grande idolairic de notre siè-
cle, comme l'idolâtrie du succès. On doit des hommages aux
liommes supérieurs : on doit plus encore à la morale et à la jus-
tice.
El que ne me resterait-il pas à dire sur Cromwcll considéré
comme sectaire? Il n'est pas vrai qu'il ait commencé, comme
on l'a écrit, par le fanatisme et fini par l'hypocrisie. Cromwell a
toujours été sincèrement sectaire (tout autre mot serait trop fai-
ble, à mon sens); les lettres de sa jeunesse attestent cette sincé-
rité; elle respire, durant toute sa vie, dans ses épanchements
de famille les plus intimes. Les affaires devaient nécessairement
diminuer sa dévotion ; mais elles amoindrirent peu ce fanatisme
qui était dans son tempérament, et qui faisait A quelque sorte
le fond de son être. C'est par là qu'il était puissant sur ses co-
sectaires. La politique s'y mêla; il y eut la part de l'hyperbole
et de la fourberie, mais le fanatisme subsistait au fond. C'est ce
qui m'explique la gaîlé de si mauvais ton avec laquelle il bar-
bouille d'encre le visage d'Henri Martyn , de la plume dont il
vient de signer l'arrêt de mort de Charles V^. C'est ce qui me
fait comprendre regorgement de la Drogheda , de la part d'un
homme qui n'était pas sanguinaire. Cromwell commettait ces
crimes sans remords. Qu'était-ce à ses yeux que Charles et ces
papistes d'Irlande? Des enfants de Bélial, des Amalécites. Est-ce
que les Saints devaient autre chose que l'extermination à ces
réprouvés? Aussi voyez Cromwell à son lit de mort. « Dites-moi,
demanda-t-il à son chapelain , peut-on déchoir de l'état de grâ-
ce? » — «Ce n'est pas possible, » répond le chapelain. — « En
ce cas, je suis tranquille, car je sais que j'ai été une fois on état
I IG IIISTOIRL DL ( UONW t.Ll..
«Il- griicr. • (i<-tk- lr;in(|uillilc du Cromwell, ceUc lui iJaiib la pn -
ilostinalioii, clans rinaiiiissîbilité de la grâce, dans l'inutilité des
u'iivn's pour !«• salul, ii'oni-t.'llrs |)as do «iiioi faire ireniMer?
Celle uioil, d'aiiUts l'avaieiil ra«onlec; M. (jui/.ot l'a peinte.
Elle achève le polirait de Cromwcll. 11 lui revint un élan vers
Dieu ; il trouva des paroles pour une prière vraiment chrétienne.
A cela près, il mourut en homme vulgaire.
Noms le savons |)ar cmiii dcsoniMis. Le voilù ! le voilà! Ces
deux volumes nous le liMciii (uut entier, nous te montrent sous
toutes ses faces. Il passe et repasse d(;\ant nous sans cesse; là,
menaçant de sou jxtigiiard I/arry et sa bande de ISiveleurs; ici,
envoyant au Parlement le relevé froid et détaillé des trois mille
victimes de Droglieda ; jiliis loin, à cheval et plein de feu sur les
cham|>s de bataille de Dunhar elde>V(»rcester, ou, le lendemain
de ces victoires, dictant des bulletins d'une mâle énergie et
d'une humilité calcuh'e ; puis causant dans un apparent abandon
ave<- les chefs du Parleinenl, et passant dix-neuf mois à dissimu-
ler, spectateur inaclil , avant de lVa|»per le Humy. Ces i onNcisa-
tioos de Cromwell avec les principaux du Parlement ou de l'ar-
mée, avec ^^ hiti'lockc , avec Ludlovv, avec lord Iho^'ill et lord
Merlford, sont une des parties les plus curieuses île l'ouvrage tle
M. Gui/.ol. I/lHSlorien s'efface. Cromwell en |>ersonne est en
scène, successivement en présence des habiles de son |)arti, des
républicains austères ou des cavaliers. Kh bien ! un autre cAie
plus nnif encore, s'il est possible, de cette histoire, ce sont les
Discours du Trône du Protecteur. Hume les avait décriés à ton.
Ce sont des ( licfs-d'o iiNre d'artilice et d'habileté : la confusion,
le vague, rentorlillemenl et l'ambiguïté (pii y régnent, sont mer-
veilleusement appropriés à la scène et aux auditeurs; ce sont
évidemment autant df moyens de pins pour le succès.
FOISSET.
MÉLANGES ET NOUVELLES.
Nnèdc. -*— On lit dans un journal de Stockliolni , VAftonhlnd, du 9
mars :
«On se rappelle (|n'à la Diète dernière rélat du clergé s'adressa à S. M.
le roi, le priant de vouloir bien l'aire rédiger un nouveau Rituel (ainsi qu'un
catéchisme et un livre de psaumes ou cantiques), et qu'à cet effet Sa Majesté
nomma un comité composé des évéqucs Butsch cl Annerstedt, du doyen du
chapitre archiépiscopal, Knœs, du directeur Bjœrling, du professeur Bring,
et du prédicateur de la cour Wensiœ. Ce comité remit, le 6 février dernier,
à S. M. le roi son projet de Rituel. Ce travail a pour base le Rituel actuelle-
ment en vigueur 5 on s'est contenté d'y introduire quelques modifications
qui ont pour but, selon l'expression du comité, de donner au dogme une
expression plus claire et plus décidée.
» Parmi les changements de quelque importance, on remarque que l'invo-
cation usitée, au commencement de l'oûice de la grand'messe, disparaît et
est remplacé par quelques textes de l'Écriture plus propres à servir d'Introït
à la confesion des péchés ; que le Kyrie cl le Gloria major sont réintroduits
et doivent être chantés pour le peuple ; que l'Évangile doit de nouveau être
lu à l'autel, de sorte que le Graduel tombe entre l'Épitre et l'Évangile; qu'à
la messe où il y a communion il y aura ce changement, que l'exhortation pré-
paratoire sera faite au moment de la confession, et sera remplacée par une
prière d'actions de grâces; les rcsponsona seront toujours chantés par le
peuple, soit que l'officiant chante ou ne fasse que lire les strophes relatives,
de sorte que le peuple prenne une part plus active dans l'office divin.
» Le nouveau projet de Rituel introduit en outre un office liturgique à faire
à l'autel pour les supplications publiques , où seront réintroduites en grand
nombre d'anciennes formules de prières pour les oflices publics.
» Quant aux cérémonies du baptême, on y introduira de nouveau les ab-
jurations par lesquelles on renonce à Satan, à ses œuvres et à ses pompes.
On en exclut toutefois l'exorcisme et le signe de la croix, dont le comité dé-
118 MbLA>lik> LT NOLVLLtS.
»irerait cfpriiilanl l.i iciiilrudiictiun ; aiaù pour le inonient il n'ose pas ni-
tort* la proposer.
• pour la coiifossiuti, la furiuulc li'absoluliuii aindHionitrllr sera rciiiplu
cèc |);ir lii (li-iiiaiiile ailrosséc ;'i ceux (|ui se pré^etileiit à la eunfessiun : .Si
l'accusai iun de leurs péchés est sincère, dciuamle à laquelle on répondra
oui, et là-dessus l'absululion sera acconiéc avec la formule ab^ofu^.
■ Les chan;;enieiils pour la cunsécratioii des églifes, des é>t^i)ucs et des
prêtres sont moins esseiiliels.
» Comme a|ipendioe suit un projet de cliun^ement dans (|uclqucs-uncs des
colleeles et prières. »
Le nouveau Kilucl doit être soumis aux délibérations de la Diète suédoise,
(jui le rejettera, le modifiera ou l'adoptera. Or, cette Di/'tc se eom|H)sc des
députés de tous les ordres, paysans, bour^^cois, chevaliers et nobles, cl, pour
un t|uart seulement, des députés du clergé, parmi lesquels sont luéwc com-
pris ceux «les universités.
Les elian);ements proposés sont un retour, encore timide, aux formes du
culte catholique, et ré\élcnl l'existence en Suède d'un parti analogue au pu-
séi.snie ani^lais. Y aura-l-il dans la Dicte une majorité qui consente à favori-
ser ces tendances? C'est ce que nous ignorons. Mais, en tout cas, ce sera une
chose curieuse que de voir cette assemblée discuter sur les Introït, le Kyrie,
XeCluhn, le-, l'oUectrs, stir les exorcismes et le si;;ne de la croix. Voilà pour-
tant à quelle serNiludc le protestantisme a conduit l'é^^lise suédoise ; elle no
peut plus prier que selon la formule proposée par le roi et votée par le Par-
lement.
l'I(ut«-l uIn. — . Lorsque nous parlons des dévcloppcmentâ du catho-
licisme uu\ Ltats-l niï, nous craignons parfois de trop prendre r.' •> >u'*irs
pour des réalités. Mais aiin de nous rassurer sur l'exactiludc de no- j^<i-
lions, il nous suffit de lire ce que le* protestants pensent de l'étal p- >: (>
la vraie religion au milieu d'eux. C'est au rommeiieemenl de mai qu ' i. '
nombre dusNociatioiis de propagande Licnnenl,cliaqucunnée, leurs lo nub éi..
générales à .New-York. Deux délégués de tous les points des Ktuis-Cnis et
de I Angleterre se rendent ;i ces iiKtiinus, vl l'on y lit les rapports île ItK-'ii
\rc, le ré>timc de la sitiialioii tiiianeière, et une relalion ftiil exagérée des
résultat» obtenus. Ixs niistionnaiies pnilestants en i-'raiice ou en Chine, en
Italie ou ii Jérusalem , nu inanquent jamais décrire qu'ils sont sur le point
de convertir des nations entières; on e:,! s^ns cesse à la veille de réaliser
des succès dont le lendemain fuit toujours devant nous , et c'est ainsi que ,
depuis qu'il y a des sociétés bibliques, la creduliié la plus ingénue a .soutenu
le zèle des débonnaires souscripteurs. Cutlu année , nous nous sommes im-
posé la rude tache de lire la totalité des comples-reiidus de ces réunions ,
alin d'apprécier, d'a|très les proteslaiits, quels cluient les pn>grès de leurs
missions, et nous a\ons été fort agréablement surpris de n'y trouver mcn-
tiuunés i|uc les progrès... du catholicisme. Toutes les soriélés, avec nne
iioaniinité remarquable, jcUent le cri d'alarme .sur la force ciu'acquici l l'é-
lénienl catholique aux Klals-lnis. et Ion en .ippelle à ta législation, uu fana-
M^LAMUES ET INUUVELLES. 1 10
tisnic, au l)ras séculier, pour arrclcr des cnvahissenicuts dont on s'elliaic
comme d'une calamité publique. Après avoir déclare si haut que la liberté
dos cultes amène inévitablement la ruine du catholicisme, il est réellement
humiliant de voir la vraie foi tirer ini si {;rand parti d'un état social qui doimc
à l'erreur tant d'avantages matériels sur la vérité. Mais il faut bien reconnaî-
tre «|ue c'est l'hérésie, à iaciuelle est fatale la liberté illimitée dos cultes, et
l'cm lait ap|)el aux restrictions envers les catholi(]ucs, afin d'anéter les dé-
veloppements que le prosélytisme protestant ne peut conjurer. IN'os frères
séjjarés se trouvent situés entre le goulTre de l'inlidélilé qui les entraîne et le
port de la religion, dont ils voient briller le pliarc au n)ilieu d'eux. Mais
leurs pilotes, navigateurs mercenaires, se liàtent de tourner le dos à la lu-
mière pour continuer à ballotter l'équipage sur l'océan du doute. Peu à peu
les courants entraînent vers l'abîme; les nautonîers s'obstinent à endormir
leurs compagnons en blasphémant contre le port de salut, jusqu'à ce que le
tourbillon de l'irréligion engloutisse la secte, et alors les âmes d'élite que la
grâce soutient s'échappent du naufrage pour arriver au port de la vérité.
Voici ce que dit des progrès du catholicisme le rajiport lu à l'Union chrê-
liinne amcricdinc et étrangère, amalgame de dix sectes diverses qui ne se
réunissent que pour combattre \e papisme :
« En 1700, il n'y avait dans tous les Etats-Unis que 40 prêtres catholiques.
En 1808, riîglise américaine s'était organisée et comptait 1 diocèse, 2 évêqucs,
()8 prêtres, 80 églises, 2 séminaires, un petit séminaire et deux pensionnats
déjeunes fdies. En 1810,1elle renferme 41 diocèses, 7 archevêques, ô2 évê-
qucs, 2 vicaires apostoliqu.es, 1674 prêtres, 1722 églises, 20 collèges, com- T/fc^i* '
prenant 2247 élèves, et M2 écoles de jeunes filles. Le catholicisme a, déplus, / ^
pour le défendre ou le propager aux États-Unis, 20 journaux hebdomadaires, *" '
i journal mensuel , ^ revue trimestrielle, 2 annuaires publiés en anglais, en
français et en allemand. Le chiffre de la population catholique s'élève dans
l'Union à environ 5,000,000, ou un huitième de la nation entière. De
1854 à 1844, le personnel et la puissance matérielle de l'Église romaine s'est
accru, en Amérique, d'au moins 100 pour 100. Pendant les dix dernières an-
nées, les progrès de cette croj ance ont été dans la même proportion ; le nom-
bres des églises et des prêtres s'est même accru de 170 pour 100. »
V Union chrétienne ne s'est pas bornée à étudier les progrès de la religion
en Amérique ; elle s'est encore occupée de l'Asie, et voici un extrait du dis- ^*-
cours du Rév. Duff sur ce sujet : '^'' JL
« H y a trente ans, le papisme a ressuscité dans 1 Inde; il y avait sommeillé /
pendant une longue période; mais maintenant, partout ou vous allez, vous i^y
le trouvez à l'œuvre : dans tout l'Orient, vous rencontrez des couvents pour »/*
l'éducation de la jeunesse, et les protestants sont assez fous pour y envoyer A .
leurs enfants. Vous trouvez partout des collèges pour former des prêtres ea- *
tholiqucs. A Calcutta , le papisme, jadis si puissant, était tombé, jusqu'à ce
que de fanatiques prêtres irlandais et une armée de jésuites soient venus y
ranimer leurs erreurs, f^c pouvoir de Rome est plus grand que jamais dans
\C
\'2(^ >II LANtiES ET .NOUVELLES.
U- Miil ili- 1 liiilc. L:i i i.lc i-iili(tc c>C parscuu-i- de leurs églises, el les priCr--
sont résolus à Iranslornier le pays entier en un jardin |)a|iisle. >
Nous sommes toujours curieux de voir ce que lessociclês hibliiiues disent
delà IVanre et de nos voisins. Voici, dons le rnuport de H'nion chrrtimnr,
le passade t|ui nous coneerne, et l'on verra (|ur le lutliéraniMiie intoléranl de
la Suède, qui lrou\c ^vhcc tant ipi'il ne persécute ipie les eaihuliques, ne
pluit plus dèsqu il gcnc les prédications d<'s dissidents américains :
• Itossenius et .\hnfclt continuent 5 poursuivre leurs travaux en Suède an
ntiiieu d'une violente opposition . excitée par le clerjjé de l'église nationale.
Mais l'horizon de la Suède n'est pas enlicreinent noir, el même en ce pays
la vérité est en proférés.
• lue large porte est ouverte en Belgique pour la propagation de la vérité.
I.e comité a augmenté ses allocations ù ce pays. No» deux commissaires ré-
sident à Cliarleroi et ù Bruxelles, cl ]cur< irivuit ^.,n» suivi» .1.» y',,,^ .n-
courageants résultats.
» I/état des choses est tristement intércsN:mt en I i:mic. ii ( >.t iiuiiiicnaiii
extrêmement diflieile, sinon inqxtssible, aux missionnaires évan^éliqucs d'y
prêcher r^vançile autrement que dans les temples protestants des église»
établies. Il est grandement à craindre que des temps de terribles souffran-
ces n'approclient en France pour nos frères, à moins que Dieu ne \ienne A
notre secours. D'un autre cùlé, jamais la vérité n'a été accueillie avec plus
de joie par le peuple de Trance, cl des \illages entiers senddent disposés à
y aban<loinicr les erreurs du romanismc. Le comité a auguienlé ses opéra-
tions dans ce pays. En outre d'une allocation de t.'>,IN)Ofr. à la société évan-
gélii|ue de France, pour entretenir dix ou quiu/e missionnaires, une somme
de 50UI) fr. est donnccj la société évaii;:<'liquc de (îcnèxe.
> Kn Italie, la grande ajiosta.sic prit n;iissanee, et c'e»t là q '
son siège. I.a rcformatiun y fut snpprinu'-e dans le sang, el
niers temps, rien ne poux ait être f.iit nuxcrtcment pour pi
aux populations italiennes. .N!ais la Sardaigm- est maintenait'
lesVatidois du Piémont n'ont pas nioias de >ingt missionnaiics > .autii, Je
différents côtés. L'ne somme de ^,000 fr. a été appn>priée par le trésorier
pour la bonne œuxre en Italie, sur laquelle scmnu' ô(),()00fr. sont destinés
pour la construction d'un temple à Pignerol. cl ^2<)"M) fr. pour l'entretien d'ini
professeur "lu collège île I,n Tour. l'iie somme de fiCMM) fr. a de plus été
distribuée pour le soutien des nussionnaircs du Piémont.
• La rlhipclle de Home a été fort bien fréquentée cl a produit un grand
bien dorant l'année IK55. »
.Nous remarquerons que depuis plusieurs années les soiiclc.i bibliques se
l.imcnlent sur l'insuccès <lc b'iirs tentatives en France, laiulis qu'elles eélî;-
brent leurs espérances en Belgique et en Piémont. Nous laissons à nos lec-
teurs le soin de tirer lie cette ililTéreuce <le langage telle conclusion qu'il leur
plaira. — No» soldats apprendront sans doute ovec un sensible plaisir que
\r* Américains se préorenpenl sérieusement de l'étal de lenr Ame. Voici
rommeni s'exprime le Ilév. Kent, délcgné de In société biblique anglaise :
MKLANGtS bT .XHVELLES. 121
• Oiiiis la guerre oiiropéoniif (jiii se pr(''|iare, cliainic soldat ol chaque ma-
lelol anglais ont été pourvus (1111)0 liilile (applaiulisscmeiits). ISieii plus, des
hililes vont être données aux soldats et aux marins français , ainsi (pi'aux
i'urcs, et nous en a>ons fait une édition russe pour être distribuée auxcri-
soiniicrs russes qui pourront tomber entre les mains de la France cl de
iAngIctcrre pendant la guerre. »
Le total des recettes des principales sociétés de propagande des Etals-
l'nis a été en ISÎjS de 7,005,000 fr., ainsi décomposes :
Société américaine des Traités (Tracts). 2.07^j,('00
Société l)ibli(iue américaine. l,97î),0()0
Société américaine des Missions-Étrangères. 9.*JO,000
Si)ciélé des Missions de Tintérieur de lAniérique. Ofw.OOO
Union clirctiennc améiicaine et étrangère. 57^), 000
Société biblique américaine et étrangère. 220,000
Société de colonisation de New-York. 153,000
Société des Amis des Marins. 150,000
Société protectrice des femmes. 120,000
Société pour améliorer le sort des Juifs. 70,000
Total. 7,00y,000f.
Ses recettes avaient été, en 18;i2, de 6,560,000 ii\
Quels sont les résultats positifs obtenus avec cet or? Les rapports des so-
ciétés bibliques n'en signalent aucun. Jamais un chitTie quelconque de con-
versions, mais toujours une arilhmé(i(jue formià;iblc du nombre de volumes
disliibués, un détail des feuilles dimpression mises en circulation et des
iiilliards de caractères mis sous presse. Ainsi grossies, les additions ac-
!;uièrent d" Téliquence, et les zéros ont une grande valeur. Mais si ces so-
ciétés sont incapables de montrer les populations qu'elles ont réellement
jflvrriies au christianisme, elles n'en offrent pas moins des dangers en s'ef-
rçanl de détourner le peuple de la pratique de la religion. Le colportage
;;ib!ique, impuissant à créer un protestant, ne profite qu"à l'infidélité, et
l'homme simple auquel on jette un traité qui tourne sa religion en ridicule,
est plus exposé à perdre sa foi qu'à en clianger.
Lf protestantisme a une façon , sui generis , d'interpréter les paroles de
l'Evangile : a Allez et enseignez les nations. » Si cette manière de procéder
eut été la bonne , le Sauveur du monde n'aurait pas choisi douze Apôtres, il
aurait soldé douze imprimeurs.
.%ng;lcterrc. — La presse française, dans ses plus illustres feuilles
périodiques, présente depuis quelques années des changements d'opinion di-
gnes d'être notés. En général elle a acquis plus de mesure, plus de dignité,
plus de respect pour les croyances; elle a renoncé a ce système fatal de rui-
ner la foi dans l'esprit des peuples, parce qu'elle a fini par s'apercevoir qu'un
peuple sans religion n'est qu'un peuple de brigands.
Ainsi le Conslilulionncl, pendant si longtemps ennemi acharné de la mo-
narchie et de l'Église, s'est fait dévot. Le Journal rien nèbats, celte négation
1 22 «£LA^UK6 ET iNOUVELLES.
iiiranioe J«" loiiU" foi, rc !>(-r|iti<|uc «4nt'rilc \icnl enfin de dcroiivrtr dans le
|irulc»lanli.smc an);iais le inubile de suii syslciiic de tulénincc religieuse. Son
article sur ce Mijet est reii)an|uablc comme scuscnient écrit ; mais il l'eM en-
core plus par la place d'honneur qu'il occu|ic ii la première page de cejour-
ual. (,'esl ce ipii nous ennane ù le présenter à nos lecleurs.
.Nous ferons seulement rem.in|uer cpie la |ier]H-(uilc de la nation jcive est
attribuée à tort par M. dlsracli à la protection de Dieu, puixpie le Nouveau
Testament nous apprenti ipi'elle est relTct d'une malédiction.
«Le ministère an|;lais, dit le J. des Débals, vient d'épruuxer, dans la Cham-
bre des Connnunes, un échec assez désagréable qui ne peut airecleren au-
cune façon la situation politique, mais ijui donne une i<Iée de la situation re-
li^euse de r.AnjjIcterre. Il s'agissait du bill qui avait pour objet l'admission
des juifs dans le l'arlemcnt, el qui, après une lonj^uc et vive discussion, a été
rejeté par la (!liambre. C'est un mouvement sensible de réaction, cardepuis
une dizaine d aimées ce bill était régulièrement a<lu|)t)'- par la ( li.imbie des
Comnmncs. Il était, il est v rai, aussi régulièrcn^Mit rejeté par la Chandire des
Lords ; mais cette fois la (Chambre qui représente le plus immédiatement l'é-
lément populaire n'a pas même donné aux Lords la peine ou le plaisir d'offrir
ce sacrifice >ur l'autel de la vieille intolérance protestante. L'échec est désa-
gréable, surtout pour lord John Uussell , ipii avait fait depuis longtemps de
ce IhII une sorte de <|uesti(in persoimelle , mais il n'altère en rien la |)o-
sition des juifs en Angleterre, cai' le vote de la (lliandire des Communes, quel
qu'il fut. ne pouvait avoir aucune suite eflicace. Ln réalité, il vaut mieux que
le bill ail été rejeté; c'était une petite comédie jouée tous les ans aux dépens
des bénéiiciaircs , el nous ne voyons pas trop l'avantage qu'avaient les juifs
à se présenter chaque session aux portes du Parlement avec la certitude d'ê-
tre mis plus ou nu>ins poliment «lehors. Leur émnnci|»ali(Ui détînili\e est une
question qui dépend Immucoup plus de l'état de l'opinion publique que du bon
vouloir (le tel ou tel gouvernement , el il est évident cpi'en ce moment l'opi-
niiui publiipie de I Angleterre n'est rien moins que favtirable aux progrt's de
la tolérance religieuse. L'Anglelerre prêtera bien son eoncoiirs, même le con-
cours de ses armes, à la complète émancipation des dissidents, chrétiens ou
juifs, dans le royaume du (irand-Turc ; nous la verrons réclamer l'établisse-
ment de l'égalité politique el religieuse de toutes les classes ji (^nstantinople,
ou à >»ékin. ou à Home ; mais chez, elle, c'est différent. Chez elle, il y a tout
;mi plus vingl-rinq ans. le tiers de la population était encore ti létal de parias
exelu^ de toute participation dans les drtiils p(diti<pies, et il fallu la crainte
d'une révolution pour ouvrir aux dissidents, catholiques el autres, la |torlc de
la législature. Les juifs ne s«mt pas assez forts pour faire une révolution,
c'est pour(|uoi ils attendront encx)rc.
» On sait depuis longtemps que l'obstacle «pii s'oppose à l'admission des
juifs dans le Parlement, est la formule du serment, où se trouvent ces mois :
< Sur la vraie foi il'un chrétien. » On a souvent dit que la<:hambrede8Com-
muues aurait le pouvoir, par une sinqde iTsolutioii , île changer elle-même
la fiuiiiule du serment prêté par ses nwmbres ; mais celle résolution l'enlrai-
iierait inévitablement dan> un conflit, non seiilemenl avec la Chambre des
MELANGES El NOUVELLES.
123
I
l,(trds, mais aussi avec les cours de justice. I.a loi iiifli;;c une pénalité sé-
vère à tout Mienibre du l»;ii lenicnl (|ui sié-^crait sans avoir prêté serment ;
or, M. «le Kothscliild entrerait aujourd'hui dans la Chambre, «pic le plus sim-
ple citoyen aurait le dr«)it de le traduire devant les tribunaux, et les juj^es
ont déjà exprimé leur opinion très-décidée que la loi serait contre lui. Si la
Cliand)re des Cuumiuues insistait, on verrait renaître le conflit déjà engage
plus dune fois entre elle et les cours de justice, et «laiis lequel elle serait cer-
tainement encore battue. Laf«)rmu!e du serment ne |»cul «lonc être changée
que par une mesure législative émanant des trois branches de la législature,
et la question ne pourra jamais être résolue autrement.
« La séance de la Chambre des Communes a été extrêmement curieuse, et
nous en parlons ici d'après les impressions d'un témoin oculaire. C'est à
peine si durant tout le cours de la discussion il a été question des juifs; on
n'a parlé que des catholiques, et en réalité le vote de la Chambre a été dirigé
beaucoup moins contre les juifs que contre le Pape. M. de Rothschild a été
inondé d'eau bénite , nous demandons pardon de cette figure aux zélés pro-
testants ; mais le Pape, oh! ce pauvre Pape, il n'en serait pas resté un n.or-
ceau s'il avait été visible et tangible. C'était une véritable évocation du moyen
âge et du seizième siècle; Grégoire VII, Innocent III, Henri Vlll, Elisabeth,
Marie Tudor, les bûchers de Smithfield, la Babylone écarlate, la grande pros-
tituée des Sept-Coliines, tout le vieux personnel a reparu sous ses vieux cos-
tumes et avec ses vieilles déclamations. Les Anglais ne pensent plus, en ce
moment, à «ne descente des Français; mais ils ont toujours peur d'une des-
cente de capucins. Et à quel propos est venue celte nouvelle démosntration
de ferveur prote^stanlc? Lord John Russell, au lieu de présenter une mesure
-'•■•'■Miicnt particulière aux juifs proposait en même temps la suppression
.n . absurde formule de serment encore imposée aux catholiques, et qui
f"'ul être qu'une insulte faite à la religion même du serment. Ainsi, par
jclc d'émancipation du 1829, les catholiques romains, en entrant dans la
iiambrc, sont tenus de jurer de ne rien faire ni rien entreprendre qui
puiss'' porter dommage à l'église établie, e'est-à-dire à l'église protcslanle.
Lord John Russell a rappelé à cette occasion que sous Charles II le Parle-
ment avait voté une formule de serment par laquelle on jurait de ne jamais,
sous aucun prétexte, prendre les armes contre le souverain, ce qui n'empê-
che pas que ceux-là même qui avaient voté cette obligation furent les pre-
miers à s'en dégager et à faire la seconde révolution d'Angleterre, Le ser-
ment acluellemenl exigé renferme encore une autre formule qui du moins
n'a que l'inconvénient d'être ridicule; c'est celle par laquelle tout membre
du Parlement jure sérieusement de ne pas reconnaître les Stuarts comme
rois d'.\ngleterre. M. de La Palisse est n ort, Bayard aussi, Charles-Edouard
aussi. Lord John Russel trouvait donc qu'il était temps de laisser en paix les
cendres innocentes des anciens rois d'Angleterre, et proposait de retrancher
du serment celte formule puérile. En résumé, il présentait une formule gé-
nérale par laquelle la conscience individuelle aurait été respectée ; mais c'est
précisément parce que sa proposition était trop générale qu'elle a été rejelée.
» Les .\nglais n'ont point l'esprit philosophique ni gcnéralisateur. Pendant
t'J'i MbLANGKS ET .lOUVELLES.
<|u on rr;iiui- <'ii IjiI lalilr rase, en Annlelrrrc on fail Ifs rhan^onu-nt'.
niurcrau par morceau, l'un après l'autre. Ainsi, un jour on niinicllrn dans li-
Parlernenl les iallioli(|ues , un autre jour les t|uaLers; un autre jour, ear il
viendra, ce >era les jiiif>. Mais admettre tout le monde à la fois, pixiposor une
mesure par lai|iiellc il ne sera demandé compte h personne de sa religion,
c'est un procède à la française qui n'entre pas du tout dans le f;oùt anglais.
On finira peut-être en Anj^lctcrre par rendre justiee i» chacun ; mais ce sera
par telle ou telle raison d'inlért'l particulier, jamais en vertu d'un principe de
droit général. C'est ec (|ue M. >! Israeli a parfaitement saisi, et il n'est pas
douteux i|ue son discours n'ait beaucoup coiitriltué à faire rejeter le bill.
» M. disraëli votant contre une mesure présentée pour l'énianeipation de^
juifs, c'était un assez curieux spectacle; cl l'attention a été vivement éveil-
lée quand , à une heure du matin , on a vu ap|>araitre celte figure caractéris-
tique qui porte si distinctement l'empreinte de son origine. Rien ne prouve
mieux, du reste, la puissance d'un ^raïKi talent et d'une volonté opini.-ltre que
le stieeès obtenu dans celle discussion par .M. disraéli. Voulant à la fois com-
battre la mesure du niiiiistére et plaider la cause de la nice juive, il était né-
cessairement isolé parmi tous les partis; et de (]iiel(|ue côté qu'il se tournât,
il ne pouvait attendre ni un ;ipplauilissemeiit ni la moindre niar(|ue de sym>
|)atliie. Il ne pouvait se tirer de celte position dilticilc qu'à force de hardiesse
paradoxale, et c'est ce qu'il a fait. Il a reproché à lord John liussell de n'a-
voir pas osé demander directement l'émancipalion des juifs, et de vouloir
les faire entrer siibreplircment dans la t'hambre; et il a hardiment déclaré
que c'était parce «/ue et non pas fyM/<if/ue chrélieii(|ue le Parlement devait ad-
nieltrc les juifs.
< J'ai toujours pris, dit-il, la défense des juifs, parce que, selon moi, la race
juive est la famille envers laquelle la famille Immaine a le plus d'obligations,
(^hiand jentenils dire que l'admission des juifs détruirait le caractère chrétien
de cette assemblée, je disque c'est parce que vous êtes une assendilée chré-
tienne que vous leur devez une place au milieu de vous. Quand je considère
tout ce «pie nous leur devons ; (pie c'est par leur histoire, leur poésie, letirs
lois que nous avons été instruits, consolés, organisés; quand je songe ix
d'autres considérations d'un caractère plus sacré que je n'aborderai pas ici ,
je déclare que, comme chrétien, je ne puis repousser les réclamations d'une
race ^ laquelle les chrétiens doiVent tant...
» (l'est un peuple ancien , un peuple fameux , un peuple durable, un peu-
ple qui en pénéral riiiit par en venir à ses lins, rertainement j'espère que les
Parlements dureront éternellement ; mais je ne puis pas oublier non plus
que les juifs ont vu passer les rois assyriens, les pharaons d'Kgyple, le» cé-
sars romains et les califes arabes , et je ne suis pas pressé pour eux de les
faire violenter par l'opinion publique. »
» Tous ces mot» impopulaires tombaient comme «les gouttes d'ean glacée
au milieu du silence et des sourires «le. la Chandiie des (Communes . et il ne
fallait rien moins que le talent d'artiste de loraleur pour les faire necepter.
Aussi .M. d'Israeli nt-il senti le besoin de faire appel h «les sentiments pins
MÉLANCES ET NOUVELLES. 125
ir.Uioitnux , cl pour se tairo panlniincr son upolo^^ic <iu jutbisiiic , il a pris i»
pnrlio le Pape et la cuur tic Home. Il a demande (|iril y eut une formule juive
ilu serment eomme il y en a\ail inie protestante, wwv callioli(|ne, et comme il
\ en aurait, sans aucini doute, une lonlaine d autres. A deux heures du ma-
tin , la (]|iamlire a \olé ; le bill a été rejeté à une majorité de i voix , cl l'op-
position a accueilli le vote avec une explosion de cris cl d"a|)plaudisscments
i|ui ébranlaient les voûtes. Voilà où en est la liberté de conscience, non pas à
(lonstanlinople, mais à Londres. »
l'Vaiice. — Parmi les conversions qui ont eu lieu récemment, on
rite celle d'une demoiselle protestante, agéc de quarante-huit ans, née en
Suisse, dans le canton de Vaud. .MlieTapolet a fait son abjuration dans l'é-
glise de Sainte-Geneviève (Pantliéon), le 23 mai dernier. C'est après douze
années de sérieuse réflxcxion qu'elle a pris celte détermination. Invitée par
M. l'abbé Golliet , prêtre de Savoie, à ne plus résister à la grâce qui l'appe-
lait depuis si longtemps, elle voulut être préparée à la cérémonie de l'abju-
ration par cet ecclésiastique qu'elle a choisi pour parirain.
Mlle Tapolet est dans une position heureuse aux yeux du monde ; elle a
su mettre sous ses pieds tout respect humain et surmonter tous les obstacle*
((u'on rencontre ordinairement au milieu des honneurs, des plaisirs et des
richesses. Elle a demandé elle-même à Mgr l'archevêque de Paris la permis-
sion de faire publiquement son abjuration à Sainte-Geneviève , et c'est par
choix qu'elle a voulu faire celle belle action dans le mois que l'Église consa-
cre à honorer Marie.
!λI.^1S^E. — §»olcnre. — L'élection du nouvel évèquc de Bàle no
parait pas devoir se faire sans diflicultés. 11 existe déjà un conflit entre le
chapitre de Soleure et les États diocésains. Un concordat et la bulle de mai
1828 donnent au premier le droit canonique d'élire l'évêque; mais celui-ci
ne doit pas être une personne désagréai)le aux gouvernants de ces États, ce
dont le chapitre a à s'assurer avant l'élection , en présentant une liste de six
candidats où les gouvernements en question peuvent faire des éliminations,
mais en laissant subsister assez de sujets pour que le chapitre puisse encore
faire un choix. L'élection et les qualités de l'élu sont sévèrement examinées
dans une enquête faite par un délégué du Saint-Siège qui casse l'élection si
elle n'a pas été régulière ou si l'élu ne possède pas toutes les qualités requi-
ses par les Canons ; dans ce cas. on procède à une seconde élection, et si elle
n'est pas valide encore, le Saint-Père nomme directement l'évêque de Bàle.
Dans tous les cas, celui-ci doit être reconnu et confirmé par le Pape. Mais,
dans leur conférence du 25 mai. les députés de; Etats diocésains ont demandé
\'H'> >IKL\.M;KS et ^OlVEILES.
i|uc II' clia|iilrc lie iircsrnU'il (|u°iiii seul candidat rt iir l'éKit «liif <i\ rl^it
agréable ii leurs gouvernements. Ix cliapitro a n-fM>n«1u & ruoaniinilé le
même jour «lu'il ne pouvait suivre ec procédé, réprotn-é formellement par
le Siiinl Si«'j;i' et contraire au scnnenl que ses memlire* avaient prêté, «le
faire ol»siT\i'r la huile el le <lroil déleclion. Il demande qu'on sui\e le mode
de procéder qui est dans la rt'fjle et qui avait été suivi lors de la dernière
élection. I.e conflit en est là, il a été soulevé par les Klats ilinrésains. (|ui sont
ceux de Solcure, l.ucerne. Zu^, Ar}^o\ie, Hcrnc, Thurgovic et Uûlc-Campa-
gne. Le chapitre a transmis les actes à la nonciature qui en a référé au Saint-
SiéRC. F.es députés des États ont quitté Soleurc.
liciiève. — r.r dimanche à Genève. — A Genève les magasins sont
fermés le dimanche ; mais nous avons ù déplorer trois abus qui sont en même
temps de véritables inmioralilés : quchpics entrepreneurs se permettent de
forcer leurs maçons et leurs eharpcnlicrs ù travailler même pnbli<]ucment le
dimanche, sous peine de les priver de travail le reste de la semaine. Quel-
ques maires, dans les campagnes, tolèrent de scandaleuses infractions à la
loi religieuse et à la loi civile, qui prescrivent simultanément la cessation de
la culture, si ce n-'est dans les cas de nécessité. F.nfin, l'ininjense majorité des
fabricants d'horlogerie, de bijouterie et des autres branches de la fabrique,
obligent .ibsolumciil les ouvriers, sous peine d'expulsion, de travailler tous
les dimanches précisément de (i heures du malin à midi. Ni le sexe, ni l'i^e,
ni la santé, ni les plus légitimes exigences de la \ie corporelle, de In vie de
famille , de la vie religieu.se, rien n'y fait. Ou tr.ivailier, ou mourir de faim.
Quelques industriels catholiques ou méthmiisles font seuls exception. Et l'à-
pre soif du gain, l'incrédulitu systématique cl pratique est icitellcmenl invé-
térée, que nous ne voyons pas omment on pourrait arrivera mo«Iifierees
'cruelles et détestables habitudes de la fabrique jjenevoise. Il serait impossi-
ble d'arriver à <les transactions unanimes ; loutefois nous osons signaler le
mal profond (|ui ronge, étiole el \icie la population genevoise : nous émettons
le V(ru «pie des tentatives soient faites ; nous voudrions pouvoir donner les
noms des fabricants catholiques et protestants qui respectent le dimanche,
leur» ouvriers el l'honneur de n«>tre cité. Poiinjuoi protestants et catholi«|ues
ne s'enten«lraient-ils pas à cet égard? Pouri|uni, ou les maîtres ensemble, on
le» ouvriers ensemble, ou les un.s el les autres s'cntendant , ne pourrait-on
pas arriver à détruire un mal si profond el un scandale si érlalanl? Nous re-
cevrions avec bonheur el avec «léfércnec tous les renseignements que les
chefs «l'atelier» et les ouvriers voudraient bien nous donner. Non» nous bor-
nons aujourd'hui à ouvrir la brirlie. h exprimer un vreii, à solliciter une or-
ganisation et il réveiller les conscience';. Le respect du dimanche est la nm-
MKLANChS ICT NOIJVKLr.ES.
127
sciiuciu'c (le lii libelle relij;ieuse, il csl !\v:iiil:i^nix :i rindiislric. il osl néces-
saire à li» vie sanilairc, morale et chrélicnnc des |U)iiulalions.
— f.rs prnccssiona du Sninl-Sanrmrnl. — Les processions du Saint-
Sacienioiil ont eu lieu , dans toiilcs les paroisses du canton , avec un
redoublement de zèle et «le piété. Il sciiible que les populations callioli'
ipies aient voulu, par un sentiment spontané, manifester leur allaclicment à
la foi, précisément parce que les manœuvres de l'Union cl de la propagande
protestantes sont plus excentriques que jamais. Les ignobles exhibitions d'a-
l)ostats à Saint-Pierre , les tentatives de Cbevians et de Landccy n'auront
servi qu'à ranimer raltaclicmenldes catliolifpics pour la religion ; les élections
municipales en étaient déjà une preuve ; les magnifiques processions de la
rète-Dieu en sont une confirmation éclalante. Le Grand-Sacconncx, Cbêne.
Carougc ont été magnifiques : jamais les rues et les maisons n'avaient été
aussi gracieusement décorées de ileurs et de parures ; jamais une telle af-
lliience d'hommes n'avaient accompagné le Sainl-Sacrcmcnt , jamais une
cérémonie plus imposante. Ce qui a contribué encore à rallier les cathoU-
(jucs, h Carouge en particulier, c'est que certaines vclléité.s de faire suppri-
mer ou de troubler la procession du Saint-Sacrement s'étaient fait jour
A Genève, où la loi ne permet pas la procession du Sainl-Sacrcment, a eu
lieu, dans l'église de Saint-Germain, la première communion.
La FétcDicu est fête d'obligation pour les catholiques. La presque totalité
des magasins catholiques étaient fermés. Les Savoyards étaient restés chez
c:.\ pour leurs processions; les magasins protestants qui ne vivent que de
l'argent de la France et de la Savoie , étaient déserts. Beaucoup de protes-
tants allaient, endimanchés^ voir les processions de Carouge, Chêne, Veyrier,
Lancy ; la ville n'était sillonnée que par les catholiques se rendant en foule
;i leur église le matin et le soir, accompagnant leurs enfants. Cet aspect n'est
pas peu instructif au point de vue religieux et au point de vue industriel.
— Les outrages dan^ les rues. — Le Journal de Genève a cru devoir ac-
cuser de nouveau de calomnies les journaux catholiques étrangers qui ont di-
iîlgtié ics outrages grossiers et permanents dont sont assaillis chaque jour,
dans les rues de Genève , les ecclésiastiques du canton et les ecclésiastiques
étrangers. Non-seulement ces journaux étrangers n'ont pas catomn/é, mais
ils n'ont pas dit la vingtième partie de ce que nous pourrions dire. Les plain-
tes des prêtres de la Savoie et de la France ne cessent pas. Quant aux ec-
clésiastiques du canton, ils sont faits au feu, et ils attendent du temps une
amélioration dans les mœurs locales qui rapproche , à cet égard , Genève de
Londres, de Constantinople et d'Alexandrie. Les dénégations du Journal de
Genève tromperont tous ceux qui les liront.
— ProUslalion des huit. — Mgr l'archevêque de Gênes a dit , dans son
Mandement du 8 avril :
« Un autre moyen auquel ces traficants de consciences n'ont pas honte de
» recourir pour vous séduire, c'est l'argent. Un cri unanime d'indignation
» s'élève sur ce point dans toute l'Europe catholique, en sorte qu'il est aussi
» surprenant qu'inutile que les sectaires protestants aient l'audace de le nier.
\'2H MhLAM.KS KT XHVtLLKS.
» L est ce que |>n)clainriit «ruiie seule \oix, sans |>jrler«Je Itraueoup ilaulir-
p |ia> », !■ r rance, rilulie, la Suisse, el prinrip(tlmtml (imève. •
MM. Honlier, Hret, Hungeiirr, (Inlterrl, (■iiillcriiict, Ja<|(iet, Oltramare <-(
Second, « répondent par un driiuMili forniel, cl dcliciit r;iri'lievc)|ue de prou-
» ver son alié^ulioii , d devant Dieu cl devant les liomines , ils déclarent
> faux et calomuicux tout ce qui a été ou tvra dit sur (îenéveà rel é^ard. »
[Journal de Gnùre du 5 juin.
Tout cas pendable est niable.
l'n démenti ne détruit pas des fait*.
La protestation des Iniil est anéantie par celle de l'opinion publique.
Déclarer d'.*VA>cE faux el ealonuiieux tout ce qui «rrti dit , c'est un peu
fort.
Quant à ce qu'a dit M|;r rarchevèquc de Gênes, non-seulenirnl ce n'est ni
fatis , ni calnmiiirux , mais c'est parfaitement vrai . princiitaUmenl à Gt
néiT; et nous deiniMidtms à ces inuiislres ponripioi ils n'osent p.is donner
les noms de leurs apostats; de plus, nous leur demandons si ces apostats
n'ont reçu aucune aumône , aucun don , si on ne leur a fait aucune pro-
messe de placer leurs enfants, di; leur fournir des secours, de leur \enir en
aide. Nous connaissons quel<|ues pervertis, et plus d'un nous a aflirmc que
les motifs de leur désertion, c'est (|u'ils avaient ptusd'aumônes à espérer dans
le protestantisme; n'est-ce donc pas là exploiter la pau\reté et spéculer sur
les nnsères deccux <|ui soulïreul? (les faits se reproduisent partout ailleurs,
à (iéues, à Turin, à Londres, en Uel-iiiiue ; et nn^joère un perverti d'un petit
villape de Savoie. d'.\rbusipny, revenu à résipiscence, a réxélé les manèges
des convertisseurs (pii (btinicnt d'une ni:iin un Hvanpile frelaté el de l'autre
une pièce de monnaie. Nous savons qu'à Dijon, un mendire de la cour inq>é-
riale a dans les mains une procédure qui manifeste que dans la (lôlcd'Or les
mêmes manceuxrcs ont été enq)loyées ; et nous esi)érons (ju'une procédure
publique mettra au jour ces ignominies d'.nclion sur les pauvres. Nous deman-
dons de plus à M. Jai(|uet s'il n'est pas allé chez une famille italieinie. au Mo-
lard, mendier sa perversion , el ajouter des promesses de protection aux ca-
loninies contre nuire fui. (iràce à l'énergie de la fetnme, celte famille a résisté
aux séductions île la parole el de l'aigenl .Viiisi il est constaté qu'eu Ku-
ropc les intelligences élevées re\ieniienl à l'Kglise catboli(|ue, amenées par
leur» eonviclicms. et que les proleslanls clierclienl à pervertir le» pauvres en
organisant la traite des àmeteX. le annmrrcr des ennsciences!
— Cimetière de Caruuge. — Nous apprenons avec plaisir que l'airaire du
cimetière de ('arouge a idttenu ime solution satisfaisante, l'ne ligue de quel-
ques démocnttes irréligieux et des conservateurs protestants cle Ca ronge ,
conlre l'immense majorité des callniliques de cette \ille, voulaient arraclier
à ecuXM'i leur cimetière séparé , dont ds jouissaient paisiblement de tenq)s
immémorial el sous la garantie des traités et de la constitution. Sous l'ni.spi-
ration «lu journal conservateur protestant de (ienève, il s'agissait darraclier
a nos cimetières leur caractère religieux, cl d'opérer une fusion malérialisle
des morts, comme on voudrait en faire une des n i\ ants par liiKlifférenlisme. On
craignait le succès «le rint<déranre prolcsl.mte cl sm iali>le ; mais lopinion pu
lilique n a pas cessé de soulenir le droit. .M. l'ax' Vuv , l'auteur delà belle consul-
tation en f.oeur des catlioli(|ues. est entre au Ctinseil munici|tar. une petite
brochure populaire est vcini réveiller rasM)upissemcnl des emlormi» ; une
instruction pastorale a été lue en chaire : les élections du maire «tdes deux
.idjoints, en évinçant l'anjent promoteur de l'agitation, (|ui n'a eu (juc cinq
\oix. ont change la situation; et M. le maire de Carougc, soutenu parla lé-
galité el par toute la population de C.arnuge, a pris les mesures ciuivenables
pour que les ralholirjues aient leur cimetière séparé. D'ailleurs une dérision
du Conseil est venue confirmer l'arrêté du maire. <•. .M.
DEUXIÈME LETTRE A UN PROTESTANT.
LE PURCATOIliE.
Ce n'est pas l'espoir de vous démontrer une vérité et de vous
en convaincre qui m'engage à vous adresser quelques observa-
tions sur les points où «os croyances diffèrent : je n'ambitionne
pas un tel résultat. Quel que puisse être mon désir de vous voir
partager les convictions qui font le bonheur de ma vie, je ne me
dissimule pas l'impuissance d'une démonstration raisonnée lors-
qu'il s'agit de faire accepter une croyance. On ne croit bien que
les vérités qu'on aime. Or, comment prétendre que vous aimiez
dès l'abord des doctrines qu'on vous a toujours présentées
comme mensongères, absurdes et impies? C'est exiger l'impos-
sible.
Mon unique désir serait donc de parvenir à effacer de votre
esprit quelques-unes des préventions à travers lesquelles vous
êtes habitué à considérer nos croyances. En les connaissant
mieux, vous commenceriez à en juger autrement, et peut-être,
une fois que vous auriez compris les raisons qui nous les ren-
dent si chères, ne seriez-vous pas éloigné de les accueillir avec
le sentiment de respect et de sympathie dont tout cœur droit se
sent saisi à la manifestation d'une vérité qu'il avait jusque-là mé-
connue.
9
130 DEUXIÈME LETTRE A U.N l'HOTESTANT.
Une des preuves les plus frappâmes, selon moi, «le la vérité
tics dof^nics railiornjuos , c'est «pie ces tlof^mes trouvent leur né-
cessité, leur raison d'être, «l:ms l'amour «h* Vîinw pour son Dieu.
Cela seul sulliraii, il me scuilde. pour constater leur source «li-
vine et ctaMir leur incontestable légitimité.
Ainsi, TAmc <|ui aime son Dieu au-dessus de toutes choses
n'admettra jamais «l'antre inlerprcUnion des par«»lt's de Jésus-
Christ que celle qui répond le plus «lirectemenl à son amour. Il
laudra «piVlle croie à la I*rés«'nc<' ré«'lk' du cor|>sei du sang du
Sauveur se donnant ù elle loul entier dans l'auguste sacrement
tie l'Eucharistie.
Ainsi , l'âme qui aime son Dieu se reprochera ses moindres
transgressions , et n'aura d«' repos que lors«prelle aura fait
riuMuMc aveu de ses fautes. Elle ne «Icmandera pas de preuves
pour croire ù la divine institution de la Confession.
Ainsi, l'àmo «pii aime son Dieu ne pouira soutenir la pensée
«lu parailro dt-vant lui avant d'avoir espi»'-, autant «pi'il «'St en
elle, par ses larmes et son repentir, les infidélil«''S de sa vie ter-
restre. Elle croira au dogni«^ du Purgatoire, parce que ce dogme
ré|>ond à l«tulcs li'S exigemt's de son amour.
Tout est donc la consé«pience de ce «-ommandement : « Tu ai-
» mcras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
» âme, de tout ton esprit, «le tciutr-s tes forces. »
Mais il V a «'n«:ore un conimaiulcmcnt divin <|ue le Sauveur «les
hommes met sur la même ligne que le premier : « Tu aimeras
» t«»n pro«hain comme toi-mihue. »
C'est dans ce commandement, sans qu'il soit l)esoin de recou-
rir à d'autres commentaires , «pie l'âme chn-liennc trouvera
l'explication delà Prière pour les vwrts et de la Communion des
Saints.
Médite/ à ce point «le vue le sens de nos dogmes, et vous ver-
rez que le catholicisme n'est «pie le développement de ces deux
command«men!s «pii rcsumtnt toute la Loi «t les Prophètes.
P<'rinclt«'/.-inoi «le \oiis «.'xposer auj/iurd'liui «pn-lques |)ens<'c,s
au suj«'t de la Purification «!«• r.'iinc, ou du Piiigatoiie. .l'espire
que Vous y ir«)uv«'re7. la pn'uve «le ce que je viens «l'avancer.
Le dogme du Piirg;iloire , « royancc «pii s'est toujours hdélc-
DEl'MKML LKTTHL A l'y IT.OTESTAA'T. 131
nient niainicnuc dans l'Église, eomnic nous le prouve d'une ma-
nière irréfutable le constant usage de la Prière pour les morts,
est du nombre de ces vérités dont l'Ame diiélienne a déjà, pour
ainsi dire, le pressentiment. Ici , la raison n'a pas besoin de se
sonmellre en silence, pour adorer, sans le comprendre, un mys-
tère insondable proposé à la foi. Notre sens intime, la conscience,
ce rellei de la lumière éteinelle qui brille encore à travers les
ténèbres de noire ïiature dt'cliue , tout nous porte à adopter la
vérité sans objection et sans contrôle.
Les communions détachées de l'Église catholique ont bien pu
rc'pudier ofliciellemcnt cette croyance; mais, permettez-moi de
le dire, il m'est difficile de croire qu'au fond du cœur, dans vo-
tre for intérieur, vous n'admettiez pas, peut-être à votre insu, la
doctrine de la Purification.
En effet, la raison se révolte à la pensée que des Ames lièdes,
mondaines , à peine chrétiennes , si elles ne sont pas assez cou-
pables pour être à jamais réprouvées de Dieu, puissent être ad-
mises sans délai au partage de la gloire réservée aux âmes d'é-
lite, aux âmes saintes et pures qui n'ont connu, qui n'ont aimé,
qui n'ont servi que Jésus-Christ!
Que l'apôtre, qui a tout sacrifié pour prêcher la vérité ; que
le martyr, qui a versé son sang pour la foi ; que l'enfant, dans sa
pureté baptismale, ou l'humble vierge consacrée au Seigneur;
qu'un grand nombre d'autres âmes, ou innocentes encore, ou
sanctifiées par la charité, ne quittent la terre que pour s'envo-
ler vers les demeures éternelles, grAces aux mérites du Sauveur
qui leur en a ouvert l'entrée; cela se conçoit, parce que cela
s'accorde avec toutes les idées que nous avons de la justice et
de la miséricorde de Dieu. — Mais vous aurez beau repousser
les croyances catholiques, une voix intérieure vous dira toujours
que Dieu ne peut pas traiter comme des apôtres et des martyrs
cette multitude de chrétiens qui ne sont chrétiens que de nom ,
qui n'ont aimé que le monde, n'ont connu que les joies de la vie,
ces chrétiens qu'une foi vague et inerte a à peine préservés des
plus grands écarts, en un mot cette foule cVhonnêtes gens qui tien-
nent le milieu entre les criminels et les saints, et qui forment la
132 DEUXIÈME LtmiK A t« PROTLSTA?IT. 1
plus ^ruiiJu pariic de loulo sociélu humaioc, et m<^me de toiiic ^
société clir«''iiennc.
Hélas! en iraranl vv portrait, c'est de moi (|iic je parle, t est
peut-être de nous tous! — Il faut, me dire/.->ous, s'en leuietiie
avee eonliaaec à la miséricorde de Dieu. — D'accord : je le
pj'iise eouiuie vous; et sans cet espoir, que deNiendrions-uous à
la vue (le nos misères! Il n'en est pas moins \rai (jue rien de
souillé u'ciUrcra dans le royaume de Dieu , et <pi'une âme qui
n'a pas été renouvelée par l'amour et le repentir, n'est pas en-
«ore préparée à jouir de la félicité des saints , même lors<ju'elle
est assurf'-e de son i>ardou.
Il lui reste à pleurer ses fautes; il lui reste à se rendre moins
iiidij^ne, à force d'amour et de reconnaissance, de la miséricorde
de sou l'ère ci'lesle. Car cette âme, au moment où elle Nient de
quitter sa dépouille terrestre, ne peut plus se faire d'illusions
sur sou état : è'clairée tout à coup par la lumière divine, elle voit
toute la vérité sur les atTcctions, les désirs, les prèlérences qui
ont fait l'occupation de sa vie; en se séparant du corps, elle n'a
pas dt'>pouill«'' son individualité, elle n'a pas changé s:i nature.
Peut-elle, dans cet instant, ne pas é|)rouver les plus douloureux
re{;rets , le repentir le plus amer, à la \ue de Tiinploi qu'elle a
fait de toutes les j,Tàces qu'elle avait rc(;ues de Dieu? Peut-elle
son},'er, dans la confusion oii elle se trouve, à s'approcher de cette
splendeur (jui leblouii, à pénétrer dans le séjour île la sainteté
cl de l'amour? Ne voudrait-elle pas plutôt, s'il lui était possible,
expier par une nouvelle vie de larmes et de repentir les infidélités
et les ingratitudes de sa première existence (1)'P
Si vous le |)ense/. connue moi, nous êtes déjà bien près d'ad-
niettre le Purgatoire; car que sont les perplexités et les angoisses
de letteàme, sinon une épreuve douloureuse, et |)ar Ih même
un travail de puriliealion?
Que cell«' épreuve soit instantanée , ou plus ou moins prolon- i
gée, là n'est |)as le fond de hupiestion. 1/l^^^^lise. de|tositairc et
interprèle de la vérité, nous enseigne siuq>lement «pie l'âme clire-
(I) Il et l>ioii i-iilnnlii .]ii«- iioii». iic pnrlon» pa* iii ilrs ftmr< rjni <l»iiltcnt
la IfTii" <n olnl tir !>»•( lie iiioilil.
bliUXlÈMli LliTTIll: A IN l'IlOTESTANT. 133
lionne (iiii, au sorlir <lc ce monde, n'aura pas accompli pendant
la vie Tcxpialion des lauies (jui lui ont été remises par la miscri-
eorde divine, iiaversora un lieu ou un temps de peines purifian-
tes avant de pénélrer dans le séjour de la félicité éternelle.
« Les uns en ce monde seulement, dit saint Augustin, les au-
» très pendant et après cette vie, toutefois avant les suprêmes ri-
"gueurs dujugenjent, souffrent des peines temporelles. Mais les
"peines éternelles où le jugement précipitera les damnés, n'at-
» tendent pas tous ceux qui souffrent temporellement après la
'> mort. Car, redisons-le , ce qui n'est pas remis en ce siècle à
» plusieurs, leur sera remis dans le siècle futur, afin qu'ils échap-
» pont aux supplices éternels » (ï).
Voilà la croyance des premiers chrétiens et la nôtre. Cette
doctrine vous explique les paroles de Jésus-Clirist : « Le péché
» contre le Saint-Esprit ne sera remis ni dans ce siècle, ni dans
» le siècle avenir» (Matth. XII, 32); paroles qui n'auraient aucim
sens si l'on rejetait la croyance à une expiation après la mort.
Quant à la Prière pour les morts, elle est la conséquence im-
médiate et naturelle du dogme du Purgatoire, pour peu que le
lien de charité qui doit unir les hommes entre eux ne soit pas
complètement relâché. « Aimons-nous les uns les autres», —
<t portons les fardeaux les uns des autres», — « prions les uns
pour les autres»; n'est-ce pas là le cri incessant que la charité
fait retentir au cœur des chrétiens?
Et qu'est-ce, pour la charité, que les distances des temps et
des lieux, qu'est-ce que la mort elle-même? La foi et l'espé-
rance passeront; mais la charité n'est-elle pas éternelle?
Voyez l'admirable harmonie , l'accord divin qui unit toutes
nos croyances. Pendant que nous prions pour les âmes de nos
frères qui achèvent l'œuvre de leur purification, nous sommes à
notre tour l'objet des prières et de la tendre sollicitude des frè-
res qui nous ont précédés dans les demeures éternelles ! Cette
magnifique pensée n'est-elle pas la plus sublime réalisation du
vœu de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Qu'ils soient un, moti
Père, comme vous et moi sommes un ? »
(1) CilcdcDieu.. liv. 21, ch. li.
I3i DEIXIÈJIE LtTTKt \ lA IliOTLST \.>T.
Je ne sais, mais il nu- scinlile (|uu j'utirais perdu la incilk-uiv
iKirtie de mon cu'ur, si la foi à c«,'s do^'iurs consolateurs devait
jamais s'anéantir en moi! La charité traleruellc, sevrée de loutr
communication avec des auiis célestes (|ui prient pour moi , et
avec lus àmcs bien-aimces pour lesquelles, ù mon tour, j'adresse
à Dieu mes [trières de chaque jour ; celte charité, horn«'o aux
seuh»s relations de la terre, et juiNée de sa liberté d'expansion,
comme l'oiseau captif dont on a mutilé les ailes; est-ce lù la cha-
rité dos eofanis de Dieu !
O (pie je sais gré à notre Église d'asoir conservé pieusement
toutes ses divines croyances! Ou plutôt , que je bénis Dieu d'a-
voir fondé une Église immuable, assist«''e de son Esprit de vérité,
et par lû préservée de la commune instabilité des «hoses humai-
nes !
Gir quel serait le sort de nos saintes doctrines, si elles étaient
livrées à rap[)ré<.ialiûn de chacun de nous, l'un retranchant ce
que l'autre veut conserver, celui-là admcttani une interprétation,
celui-ci la répudiant ; un autre enlin proclamant comme inatta-
<|uable un<' vérité (ju'il démentira lui-même le lendemain !
Écoute/ plutôt Luther, l'auteur même de celte réforme «jui a
proscrit la doctrine ilu l'urgaioirc :
t II faut, dit il, que Von croie fermement au Purgatoire ; cl je
» sais qu'il est Ircs-vrai que les pauvres ànu'S y souflVent des dou-
» leurs inexprimables , et que l'on doit venir à hur secours par
«des prières, des jeûnes, des aumônes et par tous les moyens
» qui sont en notre |)ou\oir (1). »
Et c'est cependant ce même Luther (jui. après avoir décrété de
ce ton d'autorité la nécessité de la croyance au PurKaloire, l'ef-
face d'un trait de plume avec la même assurance, en déclarant
(dans les articles de Smalcalde), que ce <logme n'est qu'une pure
invention dial>oli<pie : mcra dinboh larval
Je ne m'appesantis pas sur cette triste divergence de convic-
tions dans un même indisidu. (/est le propre de l'homnu' livré h
lui-même, et n'olifissani |iliis iprà son capriiM' et à ses jcissions.
(I) k«lit. lalinc ilc WiUcinbcrj;, partie VII, fol. 7. Iii->lr. »ur «|ucli|iic> ai
• icics. (Cite dans les Confrronces «lu P. Nain|)(iii. Mil. i />
DEUXIÈME LKTTUL A LIS l'IUJTESTAKT. 135
Mais , avouons-le , mie pareille inconséquence prouve surabon-
daniincitl la m'-cessilé d'une autorité divinement inslitn(''e pour
niaiiilenir dans leur intéf,Milé el leur puret*'- primitives les dogmes
l'CNi-iés.
J'en ai pris rengagcmenl; je n'entrerai pas avec vous sur le
terrain de la «liscussion religieuse. Je n'entreprendrai donc pas
la tâclie ingrate de mettre en regard les contradictions des ad-
versaires de l'Église avec l'immuable fidélité des doctrines calho-
liipies. Les preuves abondent; mais, je le répète, ce ne sont pas
toujours les preuves qui ont la puissance de nous l'aire adopter
un article de foi.
Pour moi, je ne veux m'adresser qu'à votre cœur, et c'est lui
seul que je ferai juge de la convenance et de la raison du dogme
de la Purification, tel qu'il est compris dans l'Église catholique.
Ouvrons l'Évangile, et arrêtons-nous quelques instants sur
une de ses pages les plus émouvantes. L'admirable parabole de
l'Enfant prodigue va nous fournir des rapprochements qui ré-
pandront une vive lumière sur le sujet qui nous occupe.
Image fidèle de notre âme , ce fils ingrat a dissipé tous ses
biens; aux douceurs de la maison paternelle, il a préféré les
grossières voluptés d'une terre étrangère; il a vécu dans la fange
avec les plus vils animaux dont il a désiré partager la nourri-
ture... Enfin, tombé au dernier degré de l'avilissement et de la
misère, il songe à son père... Le repentir s'empare de son âme,
ses larmes se font jour : il est décidé, il ira se jeter aux pieds
de ce père offensé , il lui fera l'aveu de ses fautes, il lui deman-
dera la grâce d'être admis comme le dernier des serviteurs dans
celte demeure paternelle qu'il n'aurait dû jamais quitter. —
Voilà l'âme repentante revenant à Dieu.
Maintenant, que fait ce bon père, sous les traits duquel Dieu
lui-même a voulu peindre sa tendresse et sa miséricorde? Il court
au-devant du malheureux enfant, le reçoit dans ses bras, ne lui
laisse pas achever l'humble aveu de ses fautes, mais dans la joie
d'avoir retrouvé le fils qu'il avait perdu : « Hâtez-vous, crie-t-il
à ses serviteurs : apportez la plus belle robe et l'en revêlez ;
ornez sa main de l'anneau, et donnez des chaussures à ses pieds ! »
Permettez-moi de m'arréter à cette partie du divin récit. —
130 l>li( \lt«IK LETTRE A I >i PHOTLSTAM.
D:ins cet enfani prodij^'uc, ainsi reçu par son pire, nous voyons
Tàmo au sortir de ce monde. Elle c^t sur le seuil de la maison
paicrnille; le pardon est atcordc; lis désordres ei l'ingratitude
de la vie passée ont elé eflacés dans les tendres cuibrassemenls
d'un père miséricordieux. Mail tout esl-il terinin<^? Le HIs re-
pentant, en proie tout à la fois au trouble ei à la joie, à la con-
fusion et au bonheur, va-l-il oublier soudain les fiaillons qui le
recouvrent encore? — La rol)e brillante est apportée, les chaus-
sures sont préparées; voilà l'anneau d'or sur lequel est pravé le
sceau scif^neurial , symbole de puissance et d'auioriié... Mais à
qui donc sont destinés c<'S a|)|)réts? Otte somptueuse parure va-
l-elle couvrir ce pauvre voyageur encore souillé de poussière,
hûve, dé'fait, les pieds meurtris, le corps brisé par la fatigue de
la route et les émotions de la journ«''e? Est-ce que rien ne pn-pa-
rera la transformation qui doit s'opérer? Va-l-elle s'accomj)lir
brusquement, sans transition, sans permettre d'abord à des soins
(tllicieux de faire disparaître les traces attristantes de la souf-
france et du dtiiucnjcnt?
Ici, je l'espère, vous ne vous refuserez pas à admettre des détails
(pii . qu»ti<jue pass«''S sons silence dans le texte sacré*, n'en sont
pas moins une suite é'vidcnte du divin récit. Ces détails peuvent,
il est vrai, vous paraître vidgaires, mais vous me les pardonne-
rez en faveur de leur appli<'aiion.
Les serviteurs s'empressent donc d'obéir aux (»rdres ihi père
de famille. Pleins d'tme airectncusr conqiassion pour le jeune
homme, ils s'approchent , le sotJtiennent et guident ses p:is en-
core mal nlfcrmis. Où le condiiiscnt-ils.* La salb- des abîmions
a été préparée; une eau lim|)ide va couler sur les membns fa-
ligué-s du vovageur, sur ses mains, sur ses pieds ; tout son «'orps
va être [«irifié. bientôt la trace des anciennes souillures aura
disparu, et n'étaient les larmes «pii baignent encore son visage,
ses nobles traits auraient repris leur beauté native et leur pre-
mier éclat.
Qu'nn ajiporlc maintenant les véicnit-nts de féic ! Quo ces
pieds (haussent les riches sandales, et «pie l'anneau brille à
celte main ipii a recouvré sa blancheur! Les portes du palais
sont ouvertes, le festin est préparé, le père de famille attend sou
(ils!
DLUVIÈUK LETTIll- A Ui\ l'HOTESTANT. 137
Vous ave/, roconnii dans ros<iuisso de celle scène rimage de
la pnrilicaiioii «|ue l'Ame esl appelée à subir avant d'cnlrer dans
la demeure du Père céh'ste. I/analogio me paraît fiappanU;.
Dire/.-vous (jue l'enlanl prodigue a dû rejeter comme inutiles les
soins destinés à le rendie moins indigne des généreuses bonlés
de son père ? Ne se scra-t-il pas |)lu(ôt prêté avec joie, avec em-
pressement, à tout ce qui pouvait éloigner de ses yeux le souve-
nir de son ancienne abjection?
Ainsi en sera-l-il de l'âme chrétienne. Avant de revêtir la
robe de l'innocence pour paraître devant son divin Père , elle
voudra voir disparaître jusqu'à la dernière trace des taches qui
lui rappellent son existence passée. Loin de lui couler, le travail
de la purifie." lion ne lui paraîtra jamais assez prolongé au gré de
sa reconnaissance et de son repentir.
Quoique bien peu développées, ces simples considérations
vous donneront, je l'espère, une idée de notre doctrine sur le
Purgatoire , et dissiperont peut-être quelques-unes de vos pré-
ventions. Je voudrais pouvoir vous dire toutes les douceurs que
Tàme chrétienne puise dans la méditation d'un pareil sujet. Sans
doute, il ne faut pas nous dissimuler que, comme toute expiation,
notre purification sera douloureuse; mais quelles ne seront pas
fes consolations qui accompagneront ce temps d'épreuve ! L'âme
est assurée de son pardon ! Chaque instant la rapproche du terme
de ses souffrances, la purifie, la prépare aux joies éternelles qu'il
lui est déjà donné d'entrevoir ! N'est-ce pas là une béatitude an-
ticipée?
Et puis , il est encore une source de joies intimes et profon-
des que Dieu, dans sa miséricorde, lient en réserve pour l'âme
éprouvée. Vous le savez; — « Dieu, nous dit l'Écriture, a com-
» mandé à ses anges, et ils te garderont dans toutes tes voies. v
(Ps. 90.) Et si nos célestes gardiens nous ont accompagné si fidè-
lement pendant notre pèlerinage sur la terre , nous délaisse-
ront-ils dans le cours de la voie douloureuse qui nous reste en-
core à parcourir pour arriver au ciel? Vous venez devoir le
père de famille de la parabole confier à ses serviteurs le soin de
revêtir son enfant : « induite illuni;» qui ne reconnaîtra dans
ces serviteurs fidèles les saints anges chargés de nous conduire
I
13M UEUMK«t LtTTKK A IM l'MOTESTA>T.
au ciel? Avec «nielle sollicididr , avec (jui-l amour, n'nccompli-
roiii-ils pas it-iir pieuse mission? Et qui |)Ourra dire lu doucenr
4lescommunicutionsc]ui doivent s'étnhiir entre Tàme et «res purs
esprits?
Si la crainte de profaner d'augustes véritt'S par un langage et
des images trop terrestres ne retenait l'essor de mes pens<'"es,
j'aimerais à les laisser s'égarer avec confiance dans cet avenir
inysléiieux dont la foi nous periiicl cependant d'entrevoir les
clartés. J'aimerais à pressentir les consolations célestes que les
anges du Seigneur répandront sur les âmes confiées à leui-s
soins.
« O mon frère! dira peut-être l'un d'eux; à frère hien-aimé,
• loi que je n'ai jamais cpiitté |)endant ton pèlerinage sur la terre,
» te voilà enfin parnii nous!... Joie suprême! tu vas partager
• notre bonheur! Déjà nos frères dans le ciel saluent ta venue
» et tressaillent d'allégresse! Oh! si tu savais ce qui t'attend!...
» Encore un peu de temps... Courage! nous avançons! »
— «Anges (lu Seigneur, vous si saints cl si purs! répondra
• le pécheur, ne m'approchez pas! Je suis indigne de votre
> amour! Qui suis-je, lielas ! moi qui ai répondu [)ar tant d'in-
» gratitude à la boulé de Dieu, (pii suis-je pour «pic vous m'Iio-
» noriez de vos soins? O douleur! comme la vue de mes iniqiii-
■ lés me trouble et m'accable. J'ai oiïensé Dieu! offense* mon
• Père, mon Sauveur! Sa bt»nlé incompréhensible me pardonne;
*> mais moi, puurrai-je me pardonner jamais!... »
— « Pleure , mon frère ; tes larmes sont précieuses devant
» Dieu : aucune de ces larmes ne sera |)erdue devant lui. Ton
» humilité et ion repentir font la joie du ciel! Vois et»innie cha-
■ cun de les sou|)irs te rapproche de notre céleste patrie ! Tu
«pleures depuis <iue tu aimes! L'amour te donne des ailes!...
» Avance! avance toujours ! O si tu pouvais voir comme ton àmo
• s'éclaire et s'embellit aux yeux de Dieu! »
— « Mon Dieu! je vous aime! «lira l'àmc chrétienne; je vous
■ adore! Toujours souffrir pour vous, cl vous aimer toujours!
• (l'est ma (Jemaiido, mon Père, nous aimer et souffrir ! »
— « Vois, mon lièrc bien-aimé , vois ces clartés resplcndis-
» santés (pii nous aiinonecnt l'approrlie du ( iel... Dieu a entendu
DEUXIÈME I.ETTHK A UN PROTESTANT. 139
» les prières de les IVèrcs sur la ici re. L'Eglise , par la voix de
» tous ses enlanls, demande jour el nuil la délivrance ; elle prie
« au nom du Sauveur des hommes, dont le sang divin a elFacé les
» fautes de ta vie; à ce nom de JÉsi s, (jni fait tressaillir les eicux
» de joie, de rcspcet et d'amour, Dieu n'a écoute que sa misé--
» ricorde. Le temps de ton é|)ieuve est encore abrégé !.. Lève
» les yeux! \ ois les rayons avant-coureurs de la gloire céleste!
» Cette brillante poussière lumineuse, plus nombreuse mille fois
» (pie les astres du firmament, ce sont les âmes joyeuses de nos
» frères qui viennent te recevoir! Jour mille et mille fois béni!
»ô mon frère! Tu vas connaître ta patrie!.. »
Ainsi soutenue par les encouragements , par les consolations
qu'elle puisera dans l'amour des esprits célestes dont elle va de-
venir la compagne, l'âme s'élèvera insensiblement de clartés en
clartés vers le séjour de la lumière éternelle. A mesure que l'a-
mour de Dieu l'enilammera davantage , ce feu purifiant fera dis-
paraître , il faut l'espérer, jusqu'au souvenir des transgressions
effacées par la miséricorde divine; car pourrions-nous, hélas! à
la vue de nos fautes et de nos ingi'atitudes passées , goûter sans
mélange les joies du Paradis?
Et puis, une fois admise dans les cieux, oii donc l'âme s'arrê-
lera-t-elle dans son essor? Y aura-t-il des limites à sa marche as-
censionnelle? Ne sommes-nous pas destinés à avancer progressi-
vement dans la connaissance des perfections de Dieu, et dès lors
à l'aimer de plus en plus pendant l'éternité !
Ces vérités qui ne nous apparaissent jusqu'ici qu'à travers un
voile, et que nous pressentons sans pouvoir nous les expliquer,
nous seront peut-être manifestées pendant notre pèlerinage de la
terre au ciel. C'est peut-être là que se fera notre initiation à la
nouvelle vie qui nous attend ; c'est là que s'ouvriront pour nous
ces perspectives infinies où nos yeux éblouis pourront entrevoir
les glorieuses destinées réservées aux enfants de Dieu !
A.
SIKUlMIli hi:S )IISS10AS imkhlstwtks.
Hudolphc de liodl, missionnaire dans les Indes-Orientales.
Le prolcslaniisme , et parliculirromoni l'ôf^lise anglicane, a
toujours déploy»', |)<)ur la |)ro|)aj;alioH de ses priuripos délétères,
ce zèle, eel ai lianicuieni (pii, selon les paroles <lu Christ, est le
caractère Jistiuclif des enfunts des ténèbres. Il n'est aucun sa-
crilicc (pé'cuniaire) qui lui eoûle, dès qu'il s'a;;il de lutter, soit
en Eui-o|»e , suit sur les places loiniaiiies, contre le devouemenl
des missionnaires catholiques. Non-seulement la Société liiblique
de Londres dépense aniiucHlenienl une somme de l,*280,Ot)0 I. s.
(32 millions de francs) pour soutenir la cause de Terreur, mais
encore le gouvernement anglais accorde de riches subsides à l'œu-
vre des missions protestantes.
Quel est le n'-snltat de ces dépenses colossales.' — A en croire
les comptes-rendus des annales de la Société Bibliipie, on dirait
que la bénédielion céleste descend sur les travaux des mission-
naires anglicans ; < liaipie anin-e, d(>s milliers de nouveaux adep-
tes embrasseraient le eliristianisnx' protestant; la religion, pré-
cbée par ces apôtres-colporteurs, pénétrerait dans les mœurs
des nations «onverlies ; en un mol, on verrait se renouveler ton-
tes les mer>eilles opérées par un Franeois-\a\icr. Les mission-
naires prolestants, dont l'avenir déi»end «le l'activité qu'ils dé-
ploient, se gardent bien de relaUr eu\-inênies la sté-rilitc de
leurs rlVnrls. Néanmoins, il se rt iiconire p;uTois nn de ces boni-
STÉRILITÉ DES MISSIONS PROTESTANTES. 141
iiK's iiidépondants et sincères, qui ont on horroiir rcxploitaiion
(lo ropiiiion piil)lique par le moyen du mensonge et de l'inipos-
iiMo , et (lui prérèreiit la franchise et la véritc à la conservation
de leurs lonciions ou aux. applaudissements de la mullilude
aveuglée. Rodi lut un de ces caractères si rares à l'époque où
nous vivons.
Les feuilles politiques et historiques de Munich ont résume une
brochure de M. lîoulerweck (1), sur la vie et les travaux de Rodt.
Nous croyons faire une chose agréable à nos lecteurs en tradui-
sant l'intéressant article de la revue bavaroise.
« M. Rudolphe de Rodt est né à Berne. La dignité de son ca-
ractère, son amour de la vérité et la droiture de son cœur lui
avaient attiré l'aversion de ses collègues et de ses supérieurs.
Les troubles qui éclaièient dans le sein du protestantisme le
plongèrent dans les plus vives angoisses. Dès les premières an-
nées de son adolescence , il eut à lutter contre un père sévère
qui tenait aveuglément à l'église réformée. Les instances d'une
tante dévouée et pieuse furent seules capables de vaincre la ré-
sistance du jeune homme. Après avoir quitté l'académie de Berne,
Rodt se rendit à Genève (2) où l'on avait ouvert une école de
théologie moderne, indépendante de l'église et de l'État. Cette
capitale du calvinisme n'offrait plus de trace de christianisme :
l'église nationale y avait dégénéré jusqu'au socinianisme. On n'o-
sait plus prononcer dans les chaires le nom de Jésus-Christ; les
quelques prédicateurs qui en avaient le courage étaient chas-
sés des temples et forcés de former une église particulière (Bou-
terweck, p. 9). Ce fut dans ces circonstances que la Société évan-
gélique créa l'école évangélique dont nous avons parlé plus haut.
L'infortuné Rodt se flattait de trouver dans cette institution le
calme religieux que réclamait son âme agitée.
» Il fut trompé dans son attente. Dès le 8 mai 1833, il écrivit
à un ami qu'il avait laissé à Berne : « Pour avoir changé de do-
(1) Ch.-Giiil. Bnutenveck, directeur du gymnase d'Elberfeld.
(2) Il vint à icgiiso de l'Oratoire, ou église libre, que Téglisc nationale ap-
pela l'église luélhodiste.
|yf2 STÉRILITÉ DES MISSIONS PROTESTANTES.
micilo, je n'ai pas cliangô de caracièro. J»» suis toujours le nn^mc
Riidolplio avec ma froiiloni-, niûii n«^},'in(* <t mon apailiic, Mdii
amour poin" toi n'a pas suIm dalici'aiion ; romliicn de fois nr l'ai-
je pas souhaité ici près de moi ! — La lanterne de Diogène avec
la(]m'lle je n'ai cessé de clierclier <les amis sinerrcs est toujours
allumée, et, prohahlemcnt , clic le sera longtemps encore. Je
suis pourtant assez heureux pourfré(picnier(pieIques hommes qui
méritent d'être all'cctionnj'S ; mais je re},'rette vivement que tous
professent sur r<''f»lise des opinions (|ni diffèrent raflicalement des
miennes. » Cette lutte d'un cfenr rempli d'amour, mais vi«le de
foi, devait abouiii- à une tiédeur, à une indilfércnec désespérante.
C'est ainsi que Uodl, après avoir rapporté un entretien Irès-vif
qu'il avait eu avec un théologien , écrivait à son ami : « Le con-
traste de nos caractères me faisait sourire intérieurement ; h \,\
fin de la discussion, j'étais aussi froid qu'au commencement.»
C^tte franchise, cotte ouverture de cfcur ne doit pas passer in-
aperçue : eIN; trahit une indépendance i\r caraclèn* qui ne per-
met pas «le sacrifier la vérité dont on a la conviction. Cette qua-
lité, avouée par les biographes de Rodt, nniis met à même
d'apprécier les résultats d'une mission ilonl Kodt lut char^i'.
» A la prière de M. Abeel , missionnaire américain , et sur les
instances de M. Giores <|ui était revenu de Hen^ale à (îenève
pour re<'ruter des collaborateurs, lUxIl résolut de se vouer à l'd'U-
vre des missions. Le "23 juillet 18.3Ô il fut envoyé dans l'Inde par
le comité de <piel(|ues villes suisses associées. Il se rendit à Lon-
«Ires, s'eml>ar(pia à Liverpool, et, le 1 1 juin l.S3(i, il mit le pied
sur la terr»' iiidieime. Déjà auparavant il avait vw. admis au ser-
vice des missions anglicanes.
» En entrant dans une carrière «pii exige un dévom'meni com-
plet, le jeune missionnaire, on peut le conclure de ce (pii pré-
cède, ne s'était misa l'unisson ni avec lui-même, ni avec ses su-
périeurs. C'est ce qu'il indi(|ue dans une note de son journal ,
«Ml il parle de l'un de ses collègues <\\\\ a\:tii fait la traversée
avec lui. « ÎSos caractères , dit-il, sont bit ii dilleronts. Il est ar-
dent, très-impressionnable, et doit dire lout i c «pii lui pèse sur
le c<eur; moi, je' suis froid comme glace; sans être absolument
inaccessible à tout sentiment, je me mets en garde contre tous
STÉRILITÉ DES MISSIONS PROTESTANTES. 143
ceux pour lesquels je nV'proiive pas de la sympailiie. Il est in-
quiet, prompt, cl souvent trop précipité pour parler de l'Évan-
i;ile; laudis que je suis timide, lent cl parfois trop réfléchi. Il
croit à tout, je doute de bien des choses. Mais le Seigneur nous
a réunis ; et nous resterons ensemble aussi longtemps (pie telle
sera sa volonté. »
» Ces aveux si francs et si sincères pourraient nous dispenser
(Uenlrer dans de plus longs détails sur l'œuvre que ces messieurs
avaient entreprise. Comment, en efl"et, auraient-ils pu édifier so-
lidement sur une base si défectueuse. Nous ne croyons pas non
plus qu'il soit nécessaire de mettre les dispositions de ces apô-
tres protestants en parallèle avec celles du missionnaire catho-
lique. Celui-ci, renonçant à tous les biens temporels, ne brûle
que du seul désir d'annoncer la vérité une et éternelle du ca-
tholicisme; partout et toujours il est disposé à verser son sang
pour sa foi. Ni le souvenir de son ancienne patrie et de sa fa-
mille, ni la recherche des aises de la vie n'est capable de le dis-
traire un instant de l'œuvre qu'il a entreprise. La cupidité ne
lui fait pas dégrader son auguste mission au rôle d'agent d'af-
faires; sa pauvreté, ses sacrifices, son dévouement lui gagnent
les cœurs et préparent la voie à la vérité qu'il annonce.
1) Les grossières erreurs qui infestent les plages indiennes,
l'invincible résistance du paganisme , les excès du matérialisme
le plus impie, en un mot, la stérilité la plus complète des efforts
tentés par les missionnaires protestants durent sauter aux yeux
de Rodt , dès les premiers jours de son arrivée dans l'Inde ; en
effet, loin de diminuer le mal, les travaux des missionnaires sem-
blaient n'avoir eu pour résultat que la recrudescence de la cor-
ruption et de la démoralisation des indigènes. Les premières vi-
sites que Rodt fit aux écoles indiennes navi-èrent son cœur de la
plus vive douleur. Un jour il s'avisa de demander à un enfant de
dix ans quelle était son opinion sur les idoles; il obtint cette ré-
ponse : Il n'y a qu'un seul Dieu ; du moins telle est la croyance
la plus généralement répandue (sic) ; mais il y a en outre plu-
sieurs divinités inférieures.
» De telles découvertes étaient aussi poignantes pour le jeune
missionnaire que la solitude lui était accablante. Dans l'espoir de
i^l^l STÉRILITÉ UES MISSIORi» rROTi:STAKTES.
Irouvor «le r;i|»|)iii ci dr la consolation, il se rendit aii|>iès de ses
amis do DuiiUvan , à une petile dislanrc de Simamukx . \ oici
coinmenl son iiiograplic <lt'ciil le résultat de ses travaux : « Sa
prédication ne laissa pas que d'opérer du fruit; il eut seulement
à se plaindre du peu d'attention et de la manie de disputer cpii
distingue les Indit-iis. Malj;ré la modestie de Hoill dans ses ap-
préciations, malgré sa profonde humilité, il ne put se faire illu-
sion sur ce (pi'il entendait. » Dans une letli'c «|u'il écrit lui-même
de Calcutta, en juin I83(i, il avoue franchement I insuccès de
ses collègues. «On fait beaucoup ici pour TÉvungilc , dit-il;
mais il s'en faut bien que l'on fasse assez. Les travaux ties mis-
sionnaires ne sont pas très-féconds, du moins à en jugi-r par les
apparences; le terrain (ju'ils cultivent est très-résistant. Toute-
fois on rencontre par-ci par-là un Indien qui a le courage de re-
noncer à sa caste, c'est-à-dire de se séparer de son père, de sa
mère, de sa femme, de ses sœurs, de tout ce qui lui est cher, et
de s'exposer aux plus cruels traitements pour se fait»' baptiser
au nom de Jésus-Christ. Cependant les convertis ne restent |>as
tous, jus(|u'à la fin , tidèles à leur foi.... Les préjuges des païens
diminuent il'année en année. Lu grand nombre d'Indiens, après
avoir abjuré leurs superstitions, n'en deviennent pas meilleurs,
puisqu'ils ne sont iiue des déistes et des athées; ne confessant
pas .lesus-(.hi ist, ils n'ont la pliqxirt du temps à soullVir ni humi-
liations ni |>ersécuiions. La civilisation et les connaissances eu-
ropéennes v gagnent généralement du len ain ; plusieurs Indiens
parlent coulammeiil la langue anglaise. »
» Voilà donc à (juoi se bornent les résultats «le tant de dépen-
ses et de travaux : les préjugés des païens commencent à dispa-
raîtn' ! Les Indiens parlent l'anglais! mais ils ne confessent pas
Jesus-Christ et ncde\iennent pasuicilleurs! l^i civilisation et les
sciences européennes sont en v(»ie de progrès ! Ces expressions
«le Hodt sullisent |H)ur caracl<i iseï' l'ensemble des missions pro-
lestantes dans rinde. — Kl ^\u\>n ne s imagine point que cette
description s'appli<pic exclusivcnieiu aux grandes >ilh's, où l.i
corruption est ualurellenient plus piolomie; une seconde lettre
de Kodl, datée de Sunamuky, nous ap|H-end (pie les r;imp:iu'iHs
olfient un spectacle non moins désolant.
I
STtKILITt; DES MISSIONS rROTESTAISTES. 145
« Il y a ihjà plus d'im an que je prêche l'Évanj,'!!»; au milieu
(les paK'Hs; jiiscpi'à ce mouxenl, je tiai pu constater que mes tra-
vaux aient abouti au moindre succès. Je ne m'en étonne point :
sans une ^'làce paiiiculii'io et la rooprraiion de Dieu (qu'il faut
coucliM'e iieyalivemenl de lasU'rililc des iravaux !), 1 amené peut
êlie touchée et poussée à la foi en Jésus-Christ. Chaque fois que
je pai'le du Seiyiieur à nos pauvres Indiens , je sens iniiniement
l'impuissance tlont est frappée ma prédication. Ma qualité d'eu-
lopéen, et surtout mes relations avec les maîtres de la contrée
(sic), contraignent les Indiens à me témoigner extérieurement du
respect; mais, d'après leurs préventions religieuses, je n'en suis
j)as moins pour eux un homme odieux , un mangeur de viande
porcine, un mletschtscha, c'est-à-dire un impur. »
» Il était naturel que Rodt eherchât à quitter des lieux où il
s'était épuis*' en stériles efforts, et où il était resté aussi étranger
que le premier jour de son arrivée. Voici ce qu'il écrit le 17 juin
1838 : « Lorsque pour la dernière fois je traversai le village, je
jetai de mon siège élevé (éléphant) un regard silencieux sur les
deux rangées de huttes que je voyais à mes pieds. Je n'éprouvais
pas le moindre sentiment de tristesse ni de regret ; je n'aban-
donnais ni un ami. ni un frère, ni un homme dévoué, ni une seule
rnne qui aimât la parole de Dieu. Pendant plus d'une année j'a-
vais arpenté le village dans tous les sens ; j'y connaissais toutes
les habitations, tous les recoins; tous les habitants, depuis le
petit jusqu'au plus grand me connaissaient; et pourtant cet en-
droit était pour moi, comme s'il ne renfermait que des étrangers
ou des ennemis. Ils ont souvent entendu prêcher l'Évangile et le
nom de Jésus-Christ ; mais loin de s'en pénétrer le cœur, ils n'en
ont fait que l'objet de leurs railleries. »
» Rodt entra alors au service de la Société de missions de Lon-
ilres. Celle-ci favorise les tendances du parti démocratico-unio-
niste de l'église anglicane et est en opposition directe avec les
Episcopaux. Au dire de Bouterweck, elle laisse toute latitude
aux opinions de ses agents , et elle compte ses représentants
principaux dans les rangs des Indépendants. — De Sunamuky,
Rodt se rendit à Calcutta , où l'administration de deux villages
voisins lui fut confiée. Ici encore la bénédiction divine n'avait
10
M6 STÉRiMTÉ nés missions protestantes.
pas fi-ronih' Ir /ri»' tli's missionnuiros anj^licans. Voici «r fjiio nous
lisons dans une de srs kiircs dat«'o du 1 /> leMirr lHi'2 : « Nos
tliri'liens du Uàniàkàiscliok et de Ganjjri se distinguent [tar une
telle |)erversilé et une telle ignorance, tiuil faut la plus grande
patience pour les suppoiter. ■ Après avoir insisté sur l'oppres-
sion des pauvres cidtivateurs par les riches propriétaires, il con-
tinue : « Le plus grand obstacle (pii s'oppose au succès de nos
travaux sont les diffi-rentes sectes chrctienneu «pii se sont établies
à «ôté de nous , et principaleincnt les missionnaires de l'église
épiscopale. Ceux-ci disent linutement que nous n'avons [>as le
droit de conférer le iJaptêine, de disiiibuer la Cène et de bénir
les mariages. (Jiiand linconduite de lim de nos adeptes a été
punie par l'exclusion, le coupable se rend près des Episcopaux
<]ui l'accueillent ordinairement. »
• Ce n'est pas sans raison ipic Kodt attribue :1 la multiplicité
des sectes l'insuccès des missions protestantes; mais telle est la
destinée des églises séparées, qu'elles doivent fatalement enfan-
ter des sectes «pii désolent d'abord, puis dévorent leurs mères in-
fortunées. Paralysé |)ar ses propres eoreligioniiaiics, faut-il s'éion-
ntr <pic Kodi ait pu écrire le 7 juin 1843 : « J'ai agrégé cette
anm-e cinq ou six n)«'inl)res nouveaux! » Dans une autre circon-
stance, il fait ressortir le tort immense «pie les divisions intesti-
nes du protestantisme causent à Tieuvre des missions : « L'orga-
nisation des paroisses n'est qu'accessoire ; Vunité sérail la chose
principale.» L'unit*'! mais comment le protestantisme pourrait-
il la rt'-aliser, sans abjurer ses principes fondamentaux.'
Dans une excursion (pi'il lit au N.-O. du Bengale, en com|>agnie
de deux Indiens convertis au cliristianisme, llodi put se convain-
cre i\m\ la même malédiriiou pesait sur les autres nùssions pro-
testantes de l'Asie. Il enrichit son journal des relations de ces
deux compagnons. L'un d'eux rend compte de son séjour à
Krisnogar, où un missionnaire allemand, nommé Durr, était fixé
depuis luu' vingtaine d'années.
« Je me rendis à la maison de M. Durr. .le rencontrai pK>s de
riialiiialion un groupe de chrétiens <pii lisaient la Hible. Je m'ap-
pro« bai deux et leur dis :
» D. Frères, «omprenez-vous l'ifcvangib' que vous lise/ .*
STÉi;ll.lTh DES MISSU>i>.S ^^U^TK^TA^TI•S. 147
» H. Si nous nu le comprenions pas, eoninient pourrions-nous
on instruire les autres?
» Je continuai à les interroger cl leur demandai ce que .lésus-
Clirisl avait l'ail pour nous. La réponse l'ut : « Il s'est incarne
pour nous laclieter. »
» IJ. Comment pouvons-nous participera cette rédemption?
» R. En observant les commandemetits, en renonçant au péché
et en priant.
» D. Avons-nous la force suflisantc pour faire tout cela de
nous-mêmes? (sans la grâce?)
» R. Certainement; car nous. sommes maîtres de disposer de
notre cœur; nous pouvons modérera notre guise nos inclinations
ot nos penchants. Ainsi, par exemple, nous étions Indous; mais
nous nous sommes rendus dignes de devenir chrétiens.
» D. Quelle est la véritable religion?
» R. C'est ce que nous ne saurions dire avant d'avoir examiné.
» D. Vous vous seriez donc faits chrétiens sans examen préa-
lable?
» R. Plusieurs villages ont adopté le christianisme, nous avons
fait comme eux.
» Je voulus poursuivre mon interrogatoire; mais ils s'empor-
tèrent et me dirent : « Nous ne pouvons interrompre noire lec-
ture pour répondre à vos questions. »
» Le récit que Rodt adresse à ses amis le 12 novembre n'est
pas plus consolant.
« Nous arrivâmes à un endroit éloigné d'un mille seulement de
la résidence de M. A... (missionnaire). Je 6s arrêter le canot, et
me disposai à aller voir mon collègue. En route, je rencontrai
une petite rivière; un homme m'en indiqua le gué. Il me dit qu'il
était chrétien, et me montra du doigt plusieurs cultivateurs qui
professaient la même religion. Je lui demandai pour quel motif
ils avaient embrassé le christianisme (protestant). Il me répondit
sans détour : Pour de l'argent. Je lui adressai la même question
une deuxième et une troisième fois, et j'obtins toujours la même
réponse.
» A mon retour, je traversai un village dont toutes les familles
I 4H STtniLITK IttS Ml.SSm» I littTKMAMTtS.
;i r«'\<«'plion (le «Iriix on irois . étaient converties à noire reli-
^'ion. .r:ipp<>l:ii <|ii(>l<|ues hommes et leur dis :
« D. Ponrquoi vous êtes-vous faits chrûtiens?
u H. Pane «|ne nous croyons (pic le chrisli:misni< r>t vrai.
I» I). (Juavcz-voiis j^agnt' cl cpic j5aj,'iicre/.->ous désormais en
professant la religion chrétienne?
• D'ahord ils ne répondirent rien; puis l'nn denire eux nie
repli(pia : Nous "Jiaf^'nerons le ciel. — .le conlinu;ii m"«n ••\amcn :
> D. Qu'est-ce (|uc le Christ?
o R. Nous en avons entendu parler par Roschi (Saint); mais
nous ne savons ce qu'était le Christ ni ce qu'il a fait.
.) D. Âve/.-vous enicndu parler de sa mon?
» R. Non; nous n'en connaissons rien.
m D. \ve/-vous ét(J! baptisés?
» /». Non; peisonnc n'a été baptise dans notre village, e\-
< epié ceux qui savent le symbole et les commandements.
p Je continuai ma route et rencontrai un vieillard (]ui me dit
sp(mtanen)cnt (pi'il était chrétien, .le lui demandai le motif de
sa conversion. La léponse fut : < Pour faire comme les autres. »
• Une autre fois Rodt rencontra un musicien ambulant; le
missionnaire le sonda sur ses sentiments religieux; le dialogue
sui\aiil s'établit cuire eux :
« D. Vous porlc/ un instrument; faites-vous de la musi(pie?
(ihante/-\oufi des chansons?
» K. Oui : avec les Indiens je chante des ( hansons imlieinics,
avec les chrétiens, des cantiques.
» D. C'est un p('(lié que de servir deux ui;iitr(>.
» R. Je ne le nie |>as.
D I). Kst-ce bien faire (pie de pécher sciemment.'
» R. Notre père Adam a bien pi ihe ; pouri|uoi ne péchcrAis-
je pas? »
» Apn's avoir donné ces extraits, BontervNCck ajoute : • L*-
journal de Uodi ( iie néanmoins |>lusieurs faits isolés tpii témoi-
gnent d'un > if désir de s'instruire; plus d'une fois les predicanis
ont |iu admirer rattcntion des païens cl des mahomelans (pii
s'attroupaient dans les rues pour entendre leurs instructions.
Plusieurs dissertations et uK^me deux Bibles ont été distribuées
STÉUILITb l)i:S IIISSIOINS l'KOTLSTAMIiS. 1 4î)
à (U's brames ; il arriva ccpendaiu assez souveni (juc ces cadeaux
l'ureiil repousses ou renvoyés. »
» Après des écliccs si nombreux cl si constants, il faut avouer
que c'est une bien ebélivc consolation que deux conversions dou-
teuses, la disiiibuliou de deux Hibics, et l'atlenlion des auditeurs
(jui se groupaient autour des missionnaires plutôt par curiosité
que par sympalliie !
« Les rapports si peu liai leurs de Kodi durent produire une
inq^rcssion Câcheuse à Genève et à Londres : l'insuccès de la mis-
sion y était attribué à Tbomme et non à la chose elle-même,
o Mes amis de Genève, écrit Rodt le 31 mars 1839, sont frappés
de mutisme. Wcnger me mande qu'ils sont mécontents de moi
el qu'ils me croient dans l'erreur. — Mon erreur consiste à leur
avoir représenté notre cause dans l'Inde comme elle est en réa-
lité, sans l'embellir par des descriptions imaginaires. Je suis
suspect pour avoir dit franchement que nosli^avaux n'aboutissent
qu'à des résultats peu sensibles, que les Indiens ne se convertis-
sent que pour l'intérêt matériel , eie. Eh bien , si j'ai écrit en
ces termes, c'est que je ne pouvais pas en imposer; ces faits, je
les répète elles coniirme. PlûlàDieu que je fusse dans l'erreur!»
Rodl ne se trompait point; il ne peignait pas les choses sous des
couleurs trop sombres. Ce qui le prouve , c'est que la mission ,
loin d'avoir un succès plus consolant, continua à végéter. «Le
royaume de Dieu suit une marche douce et lente, » disait Rodl
pour se consoler, le 16 décembre 1841 et le 18 avril 1842;
mais le progrès était trop peu sensible pour sou impatience.
« En elïel, dil-il, peu, très-peu d'àmesse convertissent ; el parmi
les nouveaux chrétiens il est beaucoup d'hypocrites, qui font un
Dieu de leur ventre. » Quelque temps après , il lui paraît que
loin de progresser, le royaume de Dieu rétrograde. ^( Deux grands
obstacles arrêtent son essor : d'abord les sectes el les dissensions
qui divisent la mission, puis l'avarice el la cupidité qui trouvent
un aliment dans les richesses des Anglais et qui poussent à se
ranger du parti de ceux qui promettenl des sommes plus fortes
et une protection plus puissante. Quelques-uns de nos faux frè-
res s'avilissent jusqu'à séduire par l'amorce de l'argent les mem-
bres qui appartiennent à d'autres communautés. »
|.*,0 STÉniLIlK OES MISSIONS PROTESTANTES.
» Après cela il m- faiil pas s'iUoiincr que Hodl écrive la leilrc
stiivnnte, le 16 scpttinhro 1812 : « L'I-lf^lisc cir Dieu ne so IroiiYc
pas dans une siliiaiiun florissante. Ce n'est pas (\i\v le uoiiibre (1rs
cliréiiens soil peu considi rahle; je ne crois pas exagérer en
avançant que dans la seule |)rovince de Bengale, on peut en por-
ter le nombre à 10,000. Malheureusement la plus grande partie
ne sont cliréliens qur de nom ; je doute fort que l'on puiss4'
compter plus de ôOO fidèles qui retracent dans leurs niieurs la
foi «pi'ils pi'ofessent ! » Aussi ne voyons-nous pas poiir<pioi la
cause du protestantisme aurait fait de notables progrés pendant
les «piatre ou cinq années que Rodl consacra dans l'Inde à l'œu-
vre des missions? Les efforts de quarante à cimjuante années
n'avaien'-ils pas déjà, avant lui, abouti au néant? Ilodt s'exprime
à ce sujet avec une fraïubise étonnante, le 17 décembre 1842.
« Vers la tin du siècle dernier, on établit à Tschinsura (à une
petite distance de Calcutta) une station de mission, où fonction-
nèrent deux, trois et même quatre missionnaires. Ceux-ci, laii-
més du zèle le plus ardent, ont prêché l'Évangile une multitude
de fois dans les rues et sur les places publifjues. Et quel est le
résultat d'un travail opiniâtre de plus de quarante ans? Absolu-
ment aucun. Pas un seul Indien ne s'est converti à Tschinsura
dans l'espace de temps où trois ou quatre missitmnaires ont
trouvé leur t»mibeau dans cette localité. — Quant à moi, je ne
puis me llaiter d'avoir ete plus heureux; après avoir prêché l'É-
vangile plus <le mille fois, je n'ai pas la consolation de pouvoir
me dire «pie j'ai abouti au moiiidre résultat. Kst-ce luw raison
pour perdre courage? Ou ce que je dis est-ce peut-être dans le
but d'en imposer? Loin de moi! Je liens seulement à dire la vc-
ril«' et à représ4'nter la mission du IJengale dans son véritable
jour. Le tableau est nf)ir et triste; mais il a aussi ses traits lu-
mineux ! »
» Ht quels sont ces traits lumineux? Cinq mille indigènes, hu-
biiant au sud de Calcutta, se sont «onvertis depuis une di/.aine
d'années, et il est à présumer tjuau moins la disiime parité d'en-
tre etix sont de vrais fidèles; 400 de ce ces néophvtes sont con-
fiés à la vi{,;ilante solli<itude de Hodl; mannioins <ntelqur$-nns
sculemeni ( oiisoleni leur pasteur par leur coriduiit; vcritablcnuiit
STKKILITK DES IlISSIOiNS «'KO 1 tSTA^iTES. 151
fhit'liennc ; une vinglaine de nouveaux. ad(;[)les ont été inscrils
dans le courant de la dernière année ! Ainsi dans le nombre de
5,000 , il y a (piaire ou cinq cenls croyants sincères , et parmi
ceux-ci quelques-uns seulement ont une conduite conforme à
leur loi! On \oit ([ue le j,Mand nomhie de lidèies allégué par
Rodt, se réduit, en dernière analyse, à un chiffre bien peu con-
solant, à quelques-uns seulement. Encoie ces derniers n'avaient
pas été comptés avec beaucoup de soin; c'est ce que Rodt, ar-
rivé presque au terme de sa carrière, nous avoue dans une lettre
qui porte la date du 7 janvier 1843 : « Nous devons semer dans
l'espérance et au milieu des larmes. M... me dit dans sa dernière
lettre que je dois être bien persuadé que nous ne devons pas
compter sur la conversion de tous les Indiens ; il tâche de me
consoler en me rappelant la semence de l'Évangile , dont la qua-
trième partie, seulement, germa et porta des fruits. Je réponds
à cela que je n'ai jamais espéré que la quatrième partie de mes
auditeurs se convertît ; je n'ai pas même songé à en convaincre
le dixième ; cependant j'avais la confiance qu'au moins un seul
sur dix mille, que deux ou trois auditeurs de tant de milliers à
qui j'ai annoncé l'Évangile , seraient de véritables chrétiens : et
pourtant, je me suis trompé! »
» Il ^É* quelque chose de plus poignant que la stérilité des
efforts aéployés, c'est la corruption et la démoralisation des con-
trées où les missionnaires protestants se sont livrés à leurs tra-
vaux ; c'est la haine contre tout christianisme que montrent les
nouveaux convertis. C'est ce dontse plaintRodldans une leltredu
7 juillet 1838 : «La science et l'incrédulité font de grands pro-
grès dans les rangs de nos jeunes Indiens. Tout en méprisant la
religion de leur pays , ils sont les ennemis les plus acharnés du
christianisme. Je suis certain que dans un siècle , et peut être
plus tôt, Calcutta sera aussi incrédule que Paris à l'époque de
Voltaire, si le Seigneur n'y met la main. Je suis souvent tenté de
comparer mes collègues et moi à un Isaie ou à un Jérémie, qui
annoncèrent la parole de Dieu pendant plus de quarante ans ,
sans recueillir le moindre fruit. > Dans une lettre datée du 11
février 1840 , il ajoutait que, si l'idolâtrie marchait à grands pas
vers sa ruine , si 300 jeunes Indiens des familles les plus dislin-
ià'2 jrrKMILITÉ UKS «ISSIO.^IS PRUTtSTANTKS.
fjui'fs s'inslruisnirnl dans louU's les srit-nrcs oiiropécniM-s, si \\as
III) sur «Iix iH- «royaii a la reiip^ioii «les Hrnnirs, — il u'rn élail pas
iiKiins dfNolani «le voir le pt'iil noiiibi-o d«* ceux qui se converlis-
saii'iit au vrai ( liristinnisnio. La plupart se ronlrntmt d'applau-
dir à la rclij^idii (pii Irm* ost aniutncco, ri ne picnnciil pas iiirin»-
la prine «h* se faire bapiisor. • Un irès-grand nombre se passent
complèlement de louie relij^ion et s'a|)puieut sur une philoso-
phie creuse ipii les endurcit conire tout seuliment. ■
B Nous (h^vons ù la sincérité consciencieuse et à la droiture de
Rodi de posséder ces aveux pn'cieux. Cet homme, incapable «le
iransi^'cr un instant avec la vérité , n'i;,'norail pas »]ue la même
fran<hise ne di^iinj^Mie (pie bien rarement les nùsslMniialies pro-
testants. En efl'ot, à la lin de ses mémoires, il dit : < Tel est le
tableau de ce qui se passe dans l'Inde. Peul-êlie ai-je em[>lo)é
des couleurs trop sombres, mais je no le regrette point : j'es-
père avoir lait ainsi appi'écicr les comptes-rendus où Ton élève
sans mesur»; te (pi'il y a de bi<'n et de beau, et où l'on omet ce
qu'il y a d'aniigcant. »
» pour nous, nous le ré|>étons, lliistoire des missions protes-
tantes est la sentence du jugement lie Dieu. »
ESSAI
Siii* les clcclions ('piscoimles en général , cl en prliciilici*
dans les diocèses de Lausaiiiic et de Genève (1).
. I. Du temps des Apôlrcs, les premiers évêqiies fiirenl éla])lis
par eux, el le peuple n'avait aucune pari à leur élection (2) ; mais
dès que les églises eurent été formées, on permit au peuple de
concourir au choix de son premier pasteur. Déjà à la fin du F""
siècle, le pape saint Clément, en parlant de l'élection d'un évê-
que, dit qu'elle s'est faite avec V approbation de toute l'église (3),
c'est-à-dire du clergé et du peiqile.
Au III* siècle , saint Cyprien nous fait connaître quel était
alors l'usage de la chrétienté dans l'élection des évéques. « Il
» faut, dil-il, conserver el ohserver avec soin la tradition divine
» et l'usage apostolique en vigueur chez nous el dans la plupart
») des provinces, savoir que, lorsqu'il s'agit d'établir un évêque,
» les prélats les plus rapprochés de la même province doivent se
» rendre auprès du peuple auquel on veut donner un évêque, et
» que V évêque doit être élu en présence du peuple (4). » Ce pas-
sage prouve que le rôle principal, le pouvoir électif proprement
(1) Ce incinoirc est un travail inédit du R. P. Schniidt, rédeniptorisle ,
mort à Genève il y a trois ans. Ce savant religieux a consacré les loisirs de
toute sa vie à l'étude de riiistoirc ecclésiastique de la Suisse romande. Il a
laissé plusieurs manuscrits importants qui seront publiés.
(2) Act. Ap. XIV, 22 et Tit. I, îi. Clem. Rom. epist. \ ad Corinth. c. 42.
(5) CU'ui. R(.>m.!. c. c. ii. (i) Cyprian. epist. 68.
151 tS^VI Ml. LKS ÉLECTIONS. triM-Ol'ALtS.
(lil, :i|)|»:irl('iiail au\ cV('-(|Ui*s vuisins, i>l (|ue le peuple ne luisait
que donner t('nioign:if;c en faveur du mérite de Télu. Aussi un
célèbre historien |)i-oiestant dil-il à ce sujel : « Il esl cerUiin (jni'
■ dans la primitive éylise, le clergé d'un diocèse el les habitants
» de la ville épis( opale exerçaient une influence d<'*cisive sur le
» choix de leur pasteur suprême. Ils exprimaient Icui-s vœux, ils
«rendaient t«'inni;,'iia;,M' au sujel (1rs diverses personnes sur (jui
» le ( lioix |>ouvaii lomher, et les evécjues qui en décidaient ne
> manciuaient presque jamais d'y aNuir égard (I). ■ G"pendant
cette partiei|>utiun populaire ne rendait en aucumr façon l'aulo-
rilé épiscoj)ale dépendante des lidèles , qui tout en concourant
à l'élection de ré\êque, n'avaient aucun droit de le de|>oser. La
mission de révoque était regardée comme émanant directement
du Christ, et son ordination comme l'aMiNre i\u Saint-Esprit (2).
l'our celte raison saint (-ypiien, en présentant le nouNcI évèciuc
Célérinus à son église , dit aux fidèles (|u'il leur est d<»nné , non
par les suffrages des hommes, mais par la miséricorde de Dieu (3).
II. Sous Omsiantin le Grand et ses successeurs justprà l'éla-
Misseineni des peuples germaniipies dans l'empire romain , le
|>euple prenait encore part à l'élection des évoques; tantôt il
|)ro|>osait un candidat «jue c«>nlirmaient les «'véques de la pro-
vince, tanuU il admettait le candidat de ces derniers. D'après le
concile de Mcée, l'élection ihvait, autant <pie |K)ssible, être faite
par tiiuslcs évéques de la province, ou au moins par trois d'en-
lr«' eux. Le nn-lropolitain devait conliruier l'élection (4). Celte
dis|>ositit»n servit de nt)rnie en Oiient et en Oci'idenl. Le concile
d'Anlioche en 341 . ei le (inatiiènie ((uu iledeC^irthageen 398^6),
|M)rlèrent des décrets analogues, (/est ainsi (pie Nectaire ftii éta-
bli évê(|U(; de CA>nstantinople vers 381, du consenlement una-
nime des ('Véques assembb'S en concile, en présence de Vempe-
reur, et par le suffrage du clergé et de toute la cité (6). D'un
autre C(*»t('' Théodorel Màme l'élection de l'arii n Liicins, de ce
(I) lliirlrr. tulilr.iu tJrs iiistil., clo. .iu moyen hf,c. T. II. p. ^>S. (î) I Cor.
IV, l<l \rt.A|>. W,^. (I^) Cypr. cpisl. ."i. (ijConril. Mrnii. an ôlS. ran.
■Iclsdi. llarJiiiii, Coll. Coiic. I. TmH. i'.i) ILinliiiii. Coll. Conc. I.r. (i00rll»7H.
(6) Mansi, Cuil. Conclu, 580.
liSSAi SLU LliS ÉLhCTIOMS Éi'ISCOP.VLES. 1 «"iS
qu'elle n'avait vlr l'aile ni dans un synode d'évêques orlliodoxes,
ni par le suffroije du clergé, ni à la demande (pétition) du peu-
ple, comme le prescrivent les lois de V Église (1).
Durant celte période , les empereurs, (jucn regardait comme
les protecteurs de l'Église , prenaient aussi part à l'éieclion des
évêques, soit en les proposant, soit en les confirmant, et l'Église
croyait pouvoir leur permettre une certaine iniluencc par recon-
naissance pour les bienfaits qu'elle en avait reçus; mais lors-
qu'enlraîncs par l'exercice d'une autorité absolue et sans limi-
tes, ils s'arrogèrent des droits aussi désastreux qu'ils étaient
exorbitants, l'Église s'empressa de réclamer contre un pareil
despotisme (2).
Cependant les communautés chrétiennes perdirent peu à peu
leur influence , lorsqu'au lieu d'élire des candidats dignes , tels
qu'ils l'avaient généralement été dans le principe, leur choix
tomba souvent sur des sujets vains, ambitieux et même infectés
d'hérésie. On peut lire à ce sujet les plaintes de saint Jean Chry-
sostôme sur les désordres produits par les passions dans les élec-
tions aux fonctions ecclésiastiques (3). Déjà en 372 un décret du
concile de Laodicée interdit au peuple de prendre part aux élec-
tions, et dans la suite celles-ci devinrent , au moins en Orient,
l'affaire exclusive du clergé , des évêques de la province et du
métropolitain , lorsque des empereurs violents et despotes ne
nommaient pas les évêques de leur seule autorité et au mépris de
tous les canons de l'Église.
En Occident, les élections conservèrent plus longtemps leur
indépendance , parce que l'autorité de l'évêque de Rome y était
toujours un contre-poids à la puissance de l'État. On voit le pape
Sirice (385-398) admettre, dans l'élection de l'évêque, le con-
cours du clergé et du peuple (4) ; Céleslin I" (en 428) demande
le consentement du clergé, du peuple et de la municipalité (5) ; et
le pape saint Léon le Grand (vers 445), dans une de ses lettres,
pose en termes formels le principe que celui qui est chargé de
(i) Theod. hist. ceci. l\, 20. (2) V. les preuves dans Alzog, hist. univ. de
lÉglise, $ 12;jctl28. (3) Clirysostômc de Sacerdolio. L. I, c. 5, (4) Harduin.
1. c. 8jO. (.■)) Sirinond. Coiicil. Gali. I, .^7.
youvtrner tous, iloit aussi être élu de ttnts ; il exigu expresstMiU'iM
ptMir rrliuriioii tie rcvn|ii(' fvs suif) âges des citoyens, le lèmoi
ijiiage du peuple , le consentement des hommes hnnorahles (Aono-
ratorum), cl le choix du clergé; oi un prii plus loin : Vassentt-
metit des clercs, le témoignage des hommes honorables, te consen-
tement de la municipalili et du peuple (1); ce (|ui iio r<'mi>^(lir
pas néanmoins de s'elevi-r loiienicni conlro les «iemandes pr«'*-
teniieuses el souvent inconvenantes des peuples, el de reprocher
aux [)rélals d'avoir cédi' an ininnlle popnlaiir dans l'éleclion des
évoques (2). Aussi irouvons-ntms , >eis la lin du V*^^ siècle, dans
les Gaules, plusieurs cleelions faites par le mt'tropolitain el les
évt^ques de la proNince , sans éj;ard pour les \Oi\\\ ci les d(>nian-
des du peuple. Après la mort de Paul, évèqne de (!hâl(ins-sur-
Saônc , vers 470, sainl Patient, métropolitain de la provimc. y
vint avec d'autres évèques ses comprovinciaux. Ils trouvèrent
la ^ille divisée en trois |)artis, dont elia< un vantait son <'an
didat. Les pr»-lals , sans se mettre en peine des cris de la niid-
liludc, élurent un sainl prêtre, nommé Jean, et rordonnèrent
sans retard .'i . Qnelcpie.s années |>lns tard, le siéf;e métropoli-
tain de Bourses étant vaianl, saint Sidoine s'y rendit pour l'élec-
lion el y trouva un };rand nomhie de candidats, parmi les(|uels il
y avait même trois lai(|ues. Dans celle étrange confusion, comme
il était impossilile de |>arvenir à nn reMilial, tonie raflain; fut
remise a sainl Sidoine, qui nonuna Simpliee, lionime <lu monde,
mais irès-vcrtueux (4).
De tout ce «pu» nous venons de rapporter, on peut conclure
qu«' dans lé^'lise d'Octidenl. et en particulier dans It'S (iaules ,
le peuple en général el dans la règle , fui encore consullc dans
les élections, qu'il pouvait manifester son désir, exprimer ses
vœux, donner témoignage en fav(Mir de son candidat, mais que le
nieiropolilain el les evè(|nes jugèrent en delinilive d(! la dignité
et du mérilc des candidats, ci qu'ils n'enrent égard à la demande
(I) Lriiii. i'|iisi. 1(1. ('.( NValIrr, Manuel «lu droit caiiitn. 5 ^^- (^) '*'■
rpiM. t-î. [7,) A|.(.||. Si(I<.n. !.. IV. opi-l. 2.'5. (I> V Titlcnnint , Mi'm. rrrh-
T. XVI s. .Xpimli. .Sfrfoinr. :irt.2<»ct iM.
KSSAr Sl'R LES KLKCTIONS Él'lSCOrALES. 157
(lu |K'ii|)l(' (jiio lorsqu'cllo ôiait soincniic par les bonnes qualités
(le celui qu'il recommandait.
III. Depuis l'invasion des peuples germaniques dans les Gau-
les, ei surtout depuis rétablissement de la domination des
Francs, il se lit de grands changements dans l'élection des évê-
ques. Plusieurs des rois mérovingiens avaient toutes les passions
du Bas-Empire : l'ambition de gouverner les consciences et
même de régler la foi , les engagea encore à faire des évoques , à
les dt'poser, à convoquer les conciles , à corriger les saints ca-
nons (1). Dans le peuple, la tendance des esprits vers les choses
terrestres n.c lui permettait pas de comprendre qu'un homme, à
l'extérieur humble et pauvre , puisse être le digne représentant
du Seigneur du ciel et de la terre (2). Pour que la semence spi-
rituelle, germant parmi ces peuples grossiers, pût se développer
et se fortiûcr, il fallait bien que le clergé cherchât à gagner une
position ferme et solide, et à entretenir des relations continuel-
les avec les grands et les puissants, et que les évêques, en parti-
culier, fussent placés au niveau des princ(?s de la terre. Pour
cela, ces prélats durent acquérir des fiefs, bases du système po-
litique des Francs et unique moyen de se rendre respectable aux
yeux des grands. Le peuple, d'ailleurs, préférait toujours voir
une contrée entre les mains d'un seigneur ecclésiastique qu'en-
tre celles d'un laïque, son sort étant incomparablement plus doux
sous la conduite de la houlette que sous l'autorité du glaive (3).
Les évêques, du moins ceux qui étaient animés du véritable es-
prit de leur état, se servirent de la féodalité même pour accom-
plir leur importante mission spirituelle.
Mais cette féodalité les rendant vassaux des rois, les asservit
d'une manière très-préjudiciable à l'Église, et ne manqua pas
d'avoir une influence bien déplorable sur les élections. L'Église,
de son côté, protesta contre ces empiétements et chercha à pré-
venir les abus. Au deuxième concile d'Orléans (en 533) les Pères
se plaignent de ce que l'ancien mode d'élection est tombé en
(1) Ozanam, Études germaniques, II, 73. 529-335. (2) V. MûUcr, histoire
Suisse, T. I, p. 138. (3l V. Liebermann, discours funèbre sur iMgr Colmar,
cvèque de Mayence.
15S L55AI SlU Lhs hLtCTIUNS ÉPISCUi'ALES.
désuétude cl chiTchenl à le remcUrc en vigueur (I). Lr concili-
de Clerimmi (mi Auvergne, lenu en 635, et oii nous iroiivoiis,
parmi d'autres «'Vi'niies, ct'Iiii de \ iitduiiisse, ordoiiiu' (jiir la pro-
inulion des cvrcjucs se fasse par rélcctioti du clergé etde$ citoyens
et le consentement du métropolitain. La même disposiliun fut
prise par le troisième coiuile d'Orlcaiis rn ô-lS (2). Dans un sy-
node tenu dans la mî^nie ville, en àl!), auipicl assistaient les évo-
ques de Hesanron, de \ indonisse, d'CJelodiir en \ allais et le dr-
légué de l'évoque de Genève, on défendit d'aeheler l'cpiseopai
à prix d'argem on d'employer des lirigues pour y parvenir. L'é-
vè<juc d<»il être consaciè par le métropolitain, avec le consente-
ment du roi (eum voluntitle régis), suivant V élection du clergé et
du peuple (3). On dirait «pie les Pères de ce dernier eoncih- ont
voulu concilier les dioils de 1 Église avec les préteniions des rois,
en maintenant le concours du clergé cl du peuple dans l'élcc-
tion, et en exigeant en outre le consenlement du roi. Cependant
il ne sera pas inutile d'observer (juc les mots : cum volunlatc
régis, nian<pient dans plusieurs manuscrits (4), et pourraient
très-bien avoir été glissés plus tard dans ce canon par (pielquc
copiste ignorant ou par un éri ivain de cour. Aussi en oo7 le troi-
sième concile de Paris ordonna de iie consacrer évêtjue cpie celui
qui aura été demandé par l'élection libre du clergé et du peuple,
et de n'en imposer aucun soit par l'ordre du prince, soit par
d'autres moyens, contre la volonté du métropolitain ou des évé-
quesde la province (6). Ces droits du clergé et du peu|)le furent
encore sanctionnés de nouveau dans un autre synode tenu à Paris
en fîH on Ci\!i (> . Mais à peine cette dernière assemblée avait-
elle ordonne l'élection des évé(pies par le clergi" et le peuple,
sans l'intervention «les rois, qu'une constitution de Clolaire II , por-
tant ptd)licalion des actes du concile . en tempérait la discipline
par cette clause, « que l'élu serait offrrr du prince, on même «pic
■ le prince pourrait désigner un <irs clercs du palais , en ayant
(I) Sirnionil , Concil. Call. T. \. (2) Sirmond. I. c. (n) Conr. Aiirrl. V. .i|.
Man^i. T. IX. (l) Flirliant, analvM' *\c> roiuilrs. I, .*iiô ri Sirmomt. NoI.t .ni
h. Cnnril.np. Mniisi. I. r. IW. (S; Ilanliiin. III. :>.">0. (('.) IJ.iil. .%.'»!.
ESSAI su K LES ÉLKCTI(»NS Él'ISCOPALES. 159
» égard au niérilc et à la doclrine (1). » On sait (jue déjà alors
('xistaii l'école du palais avec un enseignement <jui préparait ses
disciples , selon k'ur vocation , à tous les devoirs de la vie reli-
iiiense ou de la vie publique (2).
Cependant les prétentions du roi paraissent avoir prévalu con-
tre les ordonnances et les protestations des évêques, renouvelées
encore au concile do Cliâlons en 650 environ '3', car il avait la
force en main, et elles prévalurent assez longtemps, de manière
qu'il n'y eut plus d'évéques que ceux qui furent nommés directe-
ment par les rois, ou approuvés par eux ou leurs délégués à la
demande du clergé et du peuple (4). Pour en donner un exem-
ple, nous choisissons deux faits, dont l'un eut lieu dans l'église
de Constance, l'autre se rapporte à l'évêché de Lausanne.
Le siège de Constance était vacant depuis plusieurs années ,
lorsqu'en 615 ou 616 Gunzo, duc d'Âllémanie, voulant faire
élire un nouvel évêque , convoqua à Constance trois évêques ,
ainsi (jue le vénéré Gall , fondateur du monastère de ce nom.
L'assemblée eut lieu le premier dimanche après Pâques, et nous
y trouvons les trois évêques^ les comtes d' Àllémanie, un nombreux
clergé et le peuple en foule. Le clergé rendit témoignage en fa-
veur de saint Gall, et le duc lui offrit Vévêché; mais le saint
ayant refusé comme étranger, et leur ayant recommandé Jean,
son disciple et enfant du pays , celui-ci fut accepté par tous; le
A\xc confirma l'élection au nom du roi, et les évêques V ordonnè-
rent (5).
Après le milieu , ou peut-être à la fin du VHP siècle, un évê-
que de Lausanne venait de mourir. Pour le remplacer, il n'est
plus question de convoquer les évêques de la province et le mé-
tropolitain , ni de demander l'assentiment du clergé ou le té-
moignage du peuple. Une lettre royale annonce à l'archevêque
de Besançon que le roi a résolu de donner l'évêché de Lausanne
(1) Mansi, X. 545. (2) Ozanam , I. c. H, ifil et suiv. (5) Nous y trouvons
les cvéques de Genève et de Lausanne. Mansi, T. X. col. M94. (4; V. les preu-
ves dans Sirraond, Concil. Gall. II. 654 et seq., et les formules de .Marculphe.
dans Baluzc, 11.579. (o) Walafrid. Strab. in vit. S. Galli , ap. Goldast , ror.
allem. T. I. Part. II.
t(i() e>SAI SIH LES KLECTiOKS Él'ISCOl'ALES.
d un tlf SOS clercs, lequel avail rendu :iuir(r«iis, :ui roi oticore
jeune, un service dont il voulait ainsi lui lénioif^'iier sa reconnais-
sance (I). On voit que celle elcc lion élail le faii ail>iirair<- tiu
souverain, (iei abus avail éle iiilroduil surtout sous (Ji;irl<-s Mar-
tel. i"-c prince, il est vrai, a>ail sauve Téglise des Gaules par la
victoire qu'il remporta sur les Sarrasins; mais la bataille cohia
cher à l'I^lise; ses Liens furent donnes en liris atix guerriers.
Charles, importuné de l'exigence de ses Icudes, leur jciail les
crosses des évêchés, et ces lidèles (pii n'avaient jamais (piiilé le
harnais , se faisaient ordonner en loutc hâte et au mépris des
intervalles ordonnés par les saints canons. Sous de pareils pas-
leurs, (jue sérail devenue l'Église?
Il p;iraît cependant que la forme des éleriions s'observait en-
<'0re (piclqucfois; mais, malgré celle :q)par«'nce de légalité, les
princes en élaienl les maîtres. Nous venons de voir ce que Char-
Icmayne s'esl permis envers l'église de Lausanne, et nous ap-
prenons d'ailleurs (jue son ('-pouse, la reine Uildegarde, ne restait
pas oisive, (piand elle pouvait faire élever ù l'cpiscopai des hon»-
mes ipii avaiiiil su gagner sou esiimc (2).
IV. I.« liberté fut rendue aux élections dès le commencemeni
du I\' siècle, par les ordonnances positives de C.harlemagne.
Dans un capitulaire de l'an SO.'} , rv prinec; s'ex|)riiMe ainsi :
« N'ignorant point les saints canons et voulant cpie I'ï-^îIisc
«jouisse plus librement de sa prérogative, nous ;i\nns accord»'
» a l'ordre ercltsiasti«pie «pu* les evéques soient élus par le rlergc
» et le peuple, d'après les saints canons , et choisis par»/ji les tia
n tifs (lu diocèse, sans acception de personnes ni de |>résents,
» pour le seul mérite de leur vie et de leur sagesse, etc. (3). ►
Otte concession fut renouvelée par Louis-le-l)ébonnaire en
816 (4). Cepemlanl l'usage de la sanction impériale s'élal>lil par
lui-même et par le fait, et il piirali <pir l'Église ne s'en allar-
mait point, romme nous verrotis plus loin. Eu ellVi , les pr(''lals,
continuanlà être les feudalaires des souverains, il importait aux
(») l».-nis''<><t<l- M-^r llirol. Kil.ln.lli. \ in.i'-l.. |..il.iliii. T. I. IMII, p. 2î»H'.>.
(S)Moi>arli S. GnII. «le poM. Caroli M. !.. I r. i. (Â) Bnluxc, I. i(»0. (4) Ilml.
.1(1 II ni)
liSSAl SIJH LES ELECTIONS KPIS^OPALKS. ICI
princes de s'assurer de leur lidélilé el de veiller à ce que les
licfs ne fusscnl point confiés h des sujets dont la soumission ne
serait pas assez certaine.
La forme dos élections était donc celle-ci : le clergé et ]o peu-
ple, en préscni'c ilii mélropolilain et de (]iiel(|ues évê(jues de la
province, faisaient choix d'un ecclésiastique de leur église ou
diocèse; le roi ou l'empereur consentait à l'élection, ou, si l'on
vent, la sanctionnait; le métropolitain, à son tour, la confirmait
et ordonnait l'évéque élu. Voilà ce qui était de droit; mais, dans
la pratique, les souverains ne se contentaient pas toujours de ce
(juc l'Église croyait pouvoir leur accorder, et déjà en 855 les
évoques assemblés à Valence se plaignirent hautement des usur-
pations des princes dans la nomination des évéques (1). Ces pré-
lats cherchèrent à y porter remède , en laissant néanmoins aux
rois une iniluence que celle des métropolitains devait contreba-
lancer et rendre moins préjudiciable... Quand un évêché était
vacant, l'église veuve demandait , par l'organe du métropolitain ,
la permission du roi pour procéder à l'élection; le roi, en l'ac-
cordant, nommait un des évêques de la province visiteur à l'ef-
fet de présider l'élection ; le métropolitain lui donnait ses in-
structions; le visiteur faisait faire l'élection par le clergé et le
peuple; l'acte de l'élection était transmis à l'archevêque ou mé-
tropolitain , qui l'envoyait au roi ; si celui-ci voulait confirmer
Téleclion, le nouvel évêque devait être examiné par les évéques
de la province et le métropolitain, qui l'ordonnait lorsque l'exa-
men lui avait été favorable; dans le cas contraire, il fallait pro-
céder à une nouvelle élection. Le prince, lorsqu'il n'approuvait
pas une élection , permettait quelquefois qu'on procédât à une
autre élection ; mais assez souvent il nommait lui-même le nou-
vel évêque , que les prélats soumettaient à l'examen usité , et le
métropolitain avait, dans ces circonstances parfois assez délica-
tes , à se conduire avec toute la vigueur et fermeté ecclésiasti-
que (2).
(I) Conc. Valent, can. 7. ap. Sirmond , III. 100. (2) Hinemari Rliem. epis-
lo\iepassim. Cfr. Sinrioiul, II. Gô5. 058 et seq. Eichhorn, Reichsu. Rechtsgcsch.
T. I. S 190.
Il
H»2 tSàU >Lll Lhs tLtCTIO.>s tl'IsCOl'ALtS.
\ . Il f^( ù croire (|ue la promotion des cvé(|uc8 cJc l^u&aone
s'esl toujours faitt; d'après les lois «'t les usages en vigueur à eos
l'ilTérniics cpoiiiics. (!)-|i(-iidaiii on Iniuve, au temps où nous
suMunes arri\es, (pitl(|iits di (ails mu- une «•Icciioii <|iii' nmis .li-
ions ra|)porter.
Hartmann, évêque de Lausanne, étant mort en 87 7 ou 87K, au
mois de mai, le pape Jean \ III, <lans imc lettre du 10 juin 878,
adressée à riiéodoric , artlievèipie deHesanron, dit tpie parmi
les (ils de lY'glisc de Lausanne, il s'est élevé des contestations au
suj(;t de l'élection d'un nouvel êv«*que , et pour c<' motif il oi-
donna à l'arclievêipic de ne consacrer devenue pour l'ej^lisc de
Lausanne , ni par ordre du roi , ni sur la demande du peuple ,
avant d'être venu en conférer avec lui (1). L'archevêque se rendit
à Troyes où le pape ouvrit un concile le 1 1 août 878. Le lô oc-
tobre de l'année suivante, .Jérôme, ivvque de Lausanne, souscri-
vit au concile d(^ Montale (2), ce qui prouve qu'il était déjà or-
donné ou consacii' à cette époque, sans «'ela il aurait si};n<' :
clectus ou vocalus cpiscopus. (lomment s'était faite son élection .'
Ce n'est pas par ordreduroi Charles-le-Gros, car celui-ci ne vou-
lut |>as 1<; reconnaiin;. Fut-il nomiué- et inq>osé par le pape? On
l'a dit et répété, mais sans le prou\er. \oici ce (|ue l'on trouve
dans des documents contenq>orains : .JérôuH', se voyant rejeté |>ar
le roi Charles-le-Gros, se rendit auprès du pape Jean \ III et le
sollii'ita de s'inli'i'cssi'r |>onr lui auprès lïu prin<"e. A cet elfet, le
pape é(ii\ii à Cliailes , le '20 juin SS(J , d le pria de recevoir en
Kniee le dit évôipie , en lassmant cpi'i/ lui gardera la fidélité ,
telle <fxu la lui doivent les évnjuis du itn/nume. Il ajoute <pie J«'*-
rôme a été élu régulièrement , <jue V archevêque a consenti d son
ulection, mais (|ue, pour cause de maladie, il a |>i'ié. par lettre,
les évêques consécrateurs de l'ordonner ,'i . Le pape écrivit en-
«■ore sous l:i mènie ilafe à Liutward , ('•vè<|Ue d»; Verc«'il rt chan-
eeli«-r i\\\ roi , ei le pi'i:i i\v se scr\ir de tout son crédit auprrs i\\x
piinn-, |K)ur qiir .IcKuni- lui //laifWrnu dans la |»ossession de son
«•vêché, en l'assurant <pic li- roi |ionna compter sursa lidélilé(4).
(I) M.msi, Coll Coiic. 1. Wll. sy. ^2i lliitl. :m0. ^ô; MnM^i . I. r t7K.
(4) Ibid. iii.
l-SS.VI SUU LLS ÉLt:<;TI<).>S KFISCOI'AI.KS. t G3
Ici, il n'csl plus quoslion ilo la permission à (lemnndcr nu roi,
pour laiio rélcclioii, ni «h; l'i-vècpie visiteur envoyé par le prince
cl «liarj^é des iusiru( lions du mélropoliiain, ni de la conlirmaiion
i\o réleeiion par le roi, suivie do Tordinaiiou do l'élu. Jean VIII
di'clarc loul simplement qu'il a été régulièrement élu , c'est-à-
dire eoid'oruiéuunl aux règles ôlahlies cl selon les saints canons;
il ajout(i dans ses deux dernières lellies que révéelK' lui a été
divinement accordé (divinitùs concessum) , que l'élection a été
confirmée par le métropolitain, et la consécration faite par ses
délégués. Il ne lui manquait que la sanction du souverain in-
troduite par l'usage et à raison des fiefs dont jouissaient les égli-
ses. Il paraît donc qu'à cette époque on n'observait plus , dans
le diocèse de Lausanne, cette longue sc'ric de formalités dont
nous avons parlé plus haut; peut-être aussi n'y avaient-elles ja-
mais été pratiquées, et s'y était-on attaché purement cl simple-
ment à la concession de Charlemagne qui garantissait la liberté
des éleciions, en se soumettant néanmoins à l'usage de demander
la sanction royale.
Cette sanction , Charles-le-Gros ne voulut point l'accorder à
Jérôme. Pourquoi? La raison était toute politique. Depuis la mort
de Charlcs-!e-Chauve, en 877, les Gaules, et la Bourgogne en
particulier, étaient en proie à des désordres qui compromettaient
même son existence sociale. Pour défendre l'Église et garantir la
sûreté publique , les évoques et les seigneurs élurent roi Boson ,
beau-frère de Charles-Ie-Chauve. Celle élection se fit à Mantale,
le 16 octobre 879, et le décret en est signé par vingt-trois pré-
lats, parmi lesquels nous trouvons Théodoric, archevêque de Be-
sançon, et Jérôme, évêque de Lausanne (1). Or, Charles-le-Gros,
qui, après la mort de son père Louis-le-Germanique (28 août
876), eut en partage l'AlIenianie et tout ce qui est compris en
deçà du Mein jusqu'aux Alpes (et par conséquent tout le pays de
Vaud) , s'offensa de cette démarche de Jérôme et ne voulut pas,
en sanctionnant son élection, reconnaître ses droit à l'évêché de
Lausanne. Mais il paraît que les mesures prises par le pape Jean
VIII , et la promessiî de fidélité de la part de Jérôme, eurent un
(I) Mansi, 1. c. 3Â0.
Mil ESSAI SVti LES ÉLECTIONS ÉPIST.OPALES.
liiMirtïUx succès, <-ar d'apK'.s dus documents des années suivait
les, Jcrùmc rontiiuia dr f^'oiivcrnrr \v diocôso, oi h rlironiifiic du
« artulairc; de LaUbanno nippurie son iiislilulion dtliniiive à l'an-
noc 881, la troisième après la mort de son prédécesseur (1).
Charks-Je-Gros. ayant été dé|>osé en 887, mourut l'année sui-
vante, llodolplic 1", un des descendants du ^^ elfe ('onrad, se lit
L-liro roi de la liour^oj^ne transjnrane, nouveau loyauinc fju'il ve-
nait de fonder et dont le ditKèse de Laus;inne faisait partie. Lf-
vripie .Icrôine mourut en 802 , et on lui donu;i un successeur,
examinons quelle forme d'élection on suivit en cette occasion;
mais il ne faut pas oublier (|u'à celte date Uodolplic I" n'avait
pas encore donné son diplôme en faveur de la libre élection de
l'évéque.
L'auteur de la clironicpie du ( arlulaire de Lausanne nous a
conserve l'acte authentique <le la promotion du nouvel évéquc.
D'après ce document, Jérôme eianl mori, le roi Rodolphe vint à
Lausanne avec rarehevèquc et un autre e\è(iue, désirant trou-
ver un sujet digne de ce siège. Cependant Rainfroi , archidiacre
de Jérôme, s'était fait élire du vivant même de cet évoque, ce
qui n'était pas permis. Le roi demanda aux assistants qui ils tlé-
siraient avoir pour évè<p»e; ils acclamèrent Boson le diacre,
élevé parmi eux et (|ui leur était bien connu. Ensuite l'archevê-
que demanda pourquoi ils l'avaient prié d'ordonner Rainfroi ; ils
re|>ondirenl qu'ils I av;)i«iit fait plutôt par ( rainiique par amour.
MorsTarchidiacre, pour défendre son élection, prétendait qu'elle
n'avait eu lieu qu'après la mort de Jérôme; mais on lui donna
un démenti formel, |)ar la rais(m (|u'ancune (-leciion ne pouvait
se faire sans te consentement du roi et sans la présence de l'ar-
chevfque ou de son délégué. Voyant t|ue ni le peuple, ni le clergé
ne le voulait pour évèjpu!, Rainfroi, déférant au «hsir de Rodol-
phe 1", s(! désista de ses préleulions. Aussitôt tous d'iuie V(»i\
acclamèrent boson et l'élurent évèijue. I^^llaient présents : Àrim-
bert (le prévôt dt; la cathédrale j, avec tout le clergé et le peujde,
hs iiiss/iur du rtn i-ii li.iiuI non)l)l'e, ele. i'î).
('i)Curlul. Eccl. Laus. l'dil. M-irtiunicr, |>. loi. \T^S. 277. iSS 280 n y T.i
(S) Carliil. F.ccl. Laiis y. WWWi.
ESSAI suii LLS iiLi:<;ii(>NS ÉPiscorALES. 105
Cet acte prouvi! : I" qu'à celle épocjuc, au moins le coiisenle-
iiieni du roi élait re(|uis pour réicelion ; 2" que le méliopoliiaiu
ou son déléi^ué devait y assister, et 3" <[u'elle se laisail par le
clerjjc cl le peuple. On y retrouve quelques-unes des formalités
en usa^c sous les Carlovingiens , mais beaucoup sinqjlifiées, de
manière (pie la part du prince était réduite à donner son eon-
senlemenl à réieclion, et à la sanclionoer en inveslissanl l'élu
des liefs de son église.
Quatre années plus tard, c'est-à-dire en 89G, Rodolphe I" fit,
sur la demande de révèque Boson , la concession dont nous
avons parlé , savoir : il consentit à ce que les enfants de l'église
de Lausanne pussent élire librement Vévcque , suivant les saints
canons. Or, nous avons vu que , d'après les saints canons , et
avant la concession de Rodolphe, l'évéque devait être élu parle
clergé et le peuple, en présence du métropolitain ou de son dé-
légué et d'autres évêques de la province ; que c'était au métro-
politain de confirmer l'élection et de consacrer l'élu, soit par
lui-même, soit par des évéques délégués; enfin que l'Église to-
lérait l'usage introduit à l'occasion des fiefs, qui consistait à per-
mettre au souveiain de donner une espèce de sanction à l'élec-
tion faite par le clergé et le peuple et déjà confirmée par le
métropolitain. Nous venons de voir aussi que dans l'élection de
Jérôme et de Boson ces formalités canoniques ont été observées.
La concession de Rodolphe I" ne pouvait donc porter sur aucune
de ces parties de la forme des élections; et, en eflet, elle n'en
modifiait ni n'en changeait aucune.
Nous en trouvons la preuve dans la première élection qui eut
lieu après la concession de Rodolphe I*'^ Boson, évêque de Lau-
sanne, étant mort en 927, on procéda à une nouvelle élection,
dont l'acte se trouve rapporté dans le carlulaire de Lausanne (1).
11 est trop important pour ne pas devoir être cité presqu'en en-
tier : « L'autoritc'^ divine (y est-il dit) et les règles des SS. Pères
» défendent d' établir un évêque s'il n'a été demandé et élu par le
» clergé et le peuple. C'est pourquoi l'église de Lausanne ayant
» perdu son pasteur, tous ont unanimement élu un homme noble
(1) Caitul. cil. p. ;jGct57.
IGG ESSAI SUn LES ÉLECTIU.>S ÉPISCUrALES.
m vi priidriii , assidu :iu service ili\iii , noinmt' Lihon , nr et élevé
» dans la même église. Lnsuilc ils runl priscnlé au roi cl JeiiKiiidi*
• pour leur év«>que. Le roi ruyuni exnniiné avec les é>è«jut's, les
m (oinlcs Cl les vassaux, /on» sans exi'cpiion le proclamèrent di-
. gnc (le l'rpiscnpat. L'clociion ayanl clc failo , le roi , selon iu-
» sayc ruxjal (more ri'j^is) accorda rcvrciié à Lihon , cl voulut
» </«i'i7 fût canoniquemcnt ordonné. Présenls : Adolp-.iudc, v\^-
■ (juc; le marijuis Hii^mics, llu},'iics, comte palatin , les conilcs
• Gui, Anselme, NNaj^ulle, évc(]ue; liéranger, cvéque de Iie$an-
• çon , a consenti, ainsi quElisagar, cvéque de lielley. Fail à
» Cliavornay. »
Nous retrouvons ici : 1" réipciion ou la demande faite par le
clergé el le peuple; 2° en présence du métropolitain cl de plu-
sieurs évêques; 3° l'éleclion examinée el consenlie par le roi, le
méiropolitain , les évêjpies el les grands; 4° le roi, en tant <]iie
souverain, accordant réviîcljé, c'est-à-dire les liefs dé|)endant de
la couronne , cl conscntanl à l'ordination, (pii devait se faire ca-
noniquemcnt, par le métropolitain, ou, en cas d'impossibilité ,
par ses délégué-s. On voii que rien n'est changé dans cette élec-
tion. Qu'avait donc accordé Ilodolplie 1".'
Hodolphe r' avait, dans la Bourgogne transjuranc, remplacé
le dernier empereur «•ailovingien , el, «omme nous ravnns ass(V.
répété, les évc(]ues avaient été fatalement entraînes dans les liens
do In féndalilé. Ce fui surloui au temps des guerres civiles des
Carlovingiens '830-87(r (pte les évéques, sur la fidélité destpiels
les princes comptaient plus spécialemenl , reçurent «le plus eu
plus des l»iens Irès-considéraldes de la rouronne en liefs; mais
les rois, de leur côté, prirenl de nouveau des hahiludes dange-
reuses pour la liberté des «'glisi's; on vil encore une fois dispa-
raître l'élection libre ilcs évèipies si nécessaire à la prospérité «!«•
l'Église , quoique Cliarlemague et LouiS-le-Débonnaire l'eusseul
garantie, el (pie le coni'ile de \ alence (en 8ô6) Vvùl rigoureuse-
nieni exigée. Les princes ne se faisaient pas de s<rupule de ré-
glementer et de contrôler les élections de la manière la plus ai-
bitiairc, d'eiivo\(i nu iiie à rordinalion des ccclcsiasliques de
leur cour, ci l'un mi , pai sniie de ces usurpations, placer sur
ESSAI SUIS I.ES KLKCTIONS EPISCOPALES. 107
les si('f,'os épiscopauK dos liomnios ôtningers et inconnus au dio-
cèse (lu'ils allaieni adminisircr, ou môme dos hommes souillés
do trimes, des jeunes gens perdus de vices (1).
L'ovèquo Boson , pour épargner à son église un semblable
malheur, demanda à Hodolplic l'"^ une garantie formelle pour
la libre élection des évoques de ce siège ; il ne demanda ni plus
ni moins que ce que Charlomagne avait accoi'dé par son capitu-
laire de 803, être que plusieurs églises des Gaules (comme cel-
les de Chidons, d'Orléans, de Trêves [2]) avaient déjà obtenu
des empereurs et des rois , savoir : que Vévêque ne fût pas
imposé par V omnipotence du souverain , mais élu conformément
aux saints canons. C'est là , en définitive , ce que l'évéquc de-
mandait et ce que le roi accorda pour le bien de l'Eglise. Donc :
V Rodolphe 1" ne céda à l'Église aucun droit qui auparavant
aurait appartenu au souverain ; il promit seulement de ne pas
usurper, à l'exemple de quelques princes , sur les droits de l'É-
glise.
2"^ Il n'accorda au peuple ni le droit d'élire l'évêque, vu qu'il
ne l'avait pas lui-même, ni le droit de faire cette élection indé-
pendamment du clergé, du métropolitain, des évêques de la pro-
vince, mais seulement de la faire suivant les saints canons. Donc :
3° En vertu du diplôme , ni le peuple seul , ni le peuple de
concert seulement avec le clergé, n'avaient à élire l'évêque;
ils pouvaient prendre à l'élection la part qui leur était assignée
par les lois et les usages de l'Église. Enfin :
4° En garantissant à l'église de Lausanne la libre élection de
l'évêque. le roi s'engagea à ne point nommer par lui-même et
directement, à ne point imposer au métropolitain celui qu'il de-
vait ordonner évêque, ni à l'Église celui qui devait la gouverner;
en un mot, il garantit à l'Église le droit qu'elle avait depuis des
siècles , de se donner elle-même ses chefs , et de ne pas les rece-
voir d'une main aussi bien étrangère que dépourvue d'autorité.
On voit, d'après ce qui précède, où l'on en vient en voulant
(t) V. Alzog, 1. c. g 10-2. (2) V. Mém. et Doc. de la Société d'hist., etc.,
de Genève, T. II. p. iôi.
Itih l.>>VI MK LKS ELECTIONS KPlSCUrALEs.
lendic au |H-ii|)li* (c ^\\^v lUMiulpIic 1" lui a accorde : on nv Um
(|uu le renvoyer aux anciens ranons de rKglise, à l'ancienne
forint' (If rricclion dos «^èquos; or, d'aim^'s ces amicnncs lois,
I'cUm tioii |>o|)ulaire , loin d'êln* iiidé|iendaii(t> cl (l( iiio(Talii|uc ,
liait limilcc par l'auiorilé d<'S cvù<|ues, du iné(ro|K>litain et m^me
assci souvnil par « fllr Au [*h\h\
{La suite au prochain numéro.)
DU COMMERCE DES CONSCIENCES.
CI». IV. L'horloger. J'espèi'e, Monsieur le Pasleur, que vous ne
leiez pas dillicullé d'avouer que vos désirs les plus ardents ne
sont pas de l'aire des chrétiens, mais seulement des anticatho-
liques. En acceptant la détestable mission que vous remplissez,
vous n'avez pas eu non plus l'intention de rendre les hommes
plus vertueux, ni de leur rendre le salut plus assuré; vous
remplissez une tâche qui vous est imposée ; vous faites un mé-
tier, mais un métier (jui vous avilit.
Le mômier. Je ne fais point un métier; je vous prie de croire
(jue je n'obéis qu'à mon zèle pour la parole de Dieu.
L'horloger. Ne vous trompez-vous point? Pour moi. Monsieur
le Pasteur, je crois que vous n'êtes, peut-être sans le savoir,
(ju'un instrument dont se servent les sectaires pour l'extinction
de la foi. Vous êtes envoyé par V Union protestante de Genève ,
dont peut-être vous êtes membre. Cette union s'est formée sous
l'inspiration de la Société biblique , autre union plus étendue ;
celle-ci s'est formée par les soins des libres penseurs et des francs-
maçons de l'Angleterre , et toute cette vaste machine , dont les
rouages s'engrennent les uns dans les autres, a été inventée pour
détruire l'Église , ce grand conservatoire de la parole de Dieu.
Voilà comment sans le vouloir vous travaillez à détruire la pa-
role de Dieu que vous croyez répandre. Les appointements que
vous recevez, les Bibles et les mauvais libelles qu'on vous donne,
les sommes que Ton vous confuî pour acheter des apostasies, les
I/O 1»L COJIJItllCK UtS CO.'NSCIMCfcS,
voyafïcs ijiif I un vous paie, les [>rinios dVnrourn^onionl acooi -
«Iccs à cnix (les |)rctli(:mis (|iii roussissent !<• mieux <);ins le
eomuierce «les Airn's , loul cela a éU' liilauet' dans le lunlm'l des
soeiélés scerèles pour les«juelles vous travaillez.
Le mômier. Je n'a|)|)urtiens uullenieni aux sociétés sccrrtos;
j'nimc trop ma libcrlé pour me vendre ou me donner à «ne so-
ciété. Je veux rester" libre de mes |»ensées, lihre <lc mes opinions,
libres de toutes mes actions et ni<"ine libre dans le système re-
li|^ienx «pie je choisirai. Lesalliliés aux sociétés secrètes sont liés,
enchaînés, ils sont esclaves et esclaves d«' la pire espèjc, car ils
n'ont pas même le droit de se choisir des opinions , ils les re-
çoivent des mailres qu'ils se sont donnés. Le nègre des colonies,
en portant ses fers et en plantant les cannes à sucre, peut au
moins pliiloso()hcr ù sa manière; le rran<-ma«;on, le carbonaro,
le ni\eleur, et tant d'autres <pii ont lait leurs vo-ux sous le poi-
gnard , ne |ieuveiit |ilus jouir de la liberté de penser et d'être
homuies, il ne sont «pic les machines de (piebpies adroits fripons
ipii les lont agir dans leur intérêt.
L'horloger. Prenez garde! vofts traitez bien mal ces hommes si
dangereux! l*ensc/.-NOUS (pi'ils méritent toutes les qualilications
dont \ous NOUS servez à leur «'ganl?
Le mômier. Non , je ne le pense pas. I^es sociétés secrètes ont
besoin dt; beaucoup de monde; voulant parvenir à régner dans
la société, à n'y voir d'autres doctrines, «l'aiitres principes que
les leurs, il tant «pi'ils agissent par l'opinion sur tous les intlivi-
dus, dans toutes les classes et dans tons les |»ays. Dès lors ils
ont besoin d'une hiérarchie parlaitement organisée. C'est une
immense armée <amp«'e sur toute I Ijirope. Le g«'néralissime,
qui est seul à ccmnaiire ses plans de bataille et le but <]u'il se
propose, donne ses ordres an\ diM-rs généraux de divi.sions .
ceux-<i aux généraux de brigades, » enx-ci aux cobmels, ceux-
ci aux (helsde baiailjons, cenx-<i aux capitaines, et par les of-
ficiers «les grades inférieurs jus(]u'aux simpb's soldats, qui sont
les derniers rouages de la machine. Je ne pense donc pas que
tous les alliliés soient «gaiement pervers. Ceux «les derniers de
grés sont «h; pauvr«'s instruments qu'il serait injuste de r«ndi<
reS|K)nsabl<*s du m.il ipiils lont sans m a\<iir l.i consci«'nc«' ; «e
uu comiulucl i»ls consciences. 171
sont les iKuoniKMtes, cl hicn ccriaincmcnl ces liinuniicUcs-là ne
sont |)as inlclliyeiuos; ollcs ne le seront jamais. Dans les socié-
lés secièics, il y a place pour loul le monde, même pour les hon-
nùles gens. Je lisais Taulre jour, dans les Jnnales catholiques de
Genève, un passaj^e qui cxplicjuc assez bien rcnscmble des per-
sonnes qui enircni dans celle oij^^anisalion ; le voici : « Les so-
ciélcs secrètes se composent en premier lieu d'une foule innom-
brable d'imbéciles dont on fait des porte-voix; ensuite d'une
certaine quantité de gras oisons que l'on plume , de vaniteux
puissants que l'on aveugle par de la fumée d'encens, et enlin de
quelques intelligences supérieures qui semblent obéir à un pacte
qui n'a pu être signé que dans l'enfer. »
L'horloger. Vous me failes peur. Monsieur le Pasteur; nous
sommes donc entourés de ces hommes qui sont prêts à tout faire,
même à nous égoiger, si les chefs le leur comniandeni?
Le mômicr. Hélas! mon bon ami, ce (juc vous dites n'est que
trop vrai. Nous sommes dans la société comme si nous étions
dans une forêl épaisse, toulTue , dont chaque buisson cache un
brigand. Au moment où le coup de silUet se fera entendre, nous
serons saisis par eux, et Dieu sait ce qu'ils feront de nous.
L'horloger. Mais pensez-vous, Monsieur le Pasteur, que les af-
fliliés soient bien nombreux?
Lemômier. Ils sont très-nombreux. A l'époque de la révolu-
lion française , les francs-maçons avaient gagné toute la partie
bourgoisc de la France, de la Savoie, de la Suisse et d'une par-
lie considérable de l'Allemagne. Aujourd'hui , oulre les francs-
maçons, il y a les sociétés politiques et même les sociétés écono-
miques, et, entre toutes ces associations, il y a une certaine
consolidarité qui fait que, dans les grandes occasions, les affiliés
se donnent la main. Le clergé protestant de l'Allemagne s'est
laissé envahir, les francs-maçons comptent parmi eux plus de
deux cent cinquante ministres du saint Évangile, on parle même
de quelques prêtres catholiques.
Vhorloger. Je dois vous avouer. Monsieur le Pasteur, que j'ai
jugé dès le premier moment de nos entreliens que vous étiez un
affilié.
Lemômier. Ah! fi ! lié! Non , jamais je ne me lierai, je suis
faii |)our cUc libre cl non |>uurôlre esclave. On me la |iru|M>si
fl j'ai réj>ondu au proiiiuleur : Volrn sociélé esl soi rèto, il faut
s'ungjgcr |>ar (riiurriblcs sernieiiis ù ne jamais laisser connaitre
ce (|ui s'y dil, ce (|iii s'y projet le Or, ce (jiii csl bon, ce <]iii est
jusle , ce qui esi uiile aux liomnies n'a pas besoin trêtre carliè
avec tanl de soin, .l'ai contre vous un argument (|ui est simple :
vous vous eacliez , donc vous lailes mal , ou vous ave/, mal faii ,
ou \ous voulez mal faire. Les bri^'rands, <jui s'associenl pour
égorger les passants sur le grand chemin, font comme vous, ils
se lient aussi par des serments et s'oblij,'cnt au secret. Je ne veux
être ni uii brigand social, ni un brif^and ()uliti(]uc . donc ]<' ne
|)uis êlre des vûiies.
Si voire but est honnête, l'aites-le connaître nu public. Christ
disait à ses apôiros : « Ce (|ue je vous ai dil en f)arli('ulior, prê-
chez-le sur les toits; » je vous dis aussi moi : Mciiez-vous au
grand jour! Dites-nous quels sont vos principes religieux, quelle
est voire morale , (juel est votre but. Diies-nous si vous parlez
de la iJible, ou du koran, si vous parlez de la raison éclairée par
la révidation ou de la rais(m encore livrée au brutalisnie des pen-
chants matériels de l'humanité; dites-nous si, dans votre polili-
qui;, \ous partiz du droit divin rapporte aux hommes par
riiomme-!>i<Mi, ou du <lroii de la force brutale qui <'-iail l'unique
loi des |>airDS; dites-nous si vous voulez conserver, accroître la
civilisation chrétienne, ou nous coudiiire à la barbarie par la-
uarcliit! du socialisme. Jus(|ue-là un homme intelligent ne peut
pas, ne «loii pas renoncer à sa personnalité et se livrer en awu-
gle à des gens qu'il ne connati pas.
L'horloger. Pourtant, vous m'avez dit qui- !<• phis ^laud nom-
bre; des franvs-maeous sortait en geiural de la classe intelli-
gente.
A<; tnninier. Oui, mon bon ami; mais ce sont en général ties
intelligences qui ne \oieul pas très-loin, .le vous dirai d'eux
conmie me disait une vieille taule dans sa chanson des naïvetés.
Les àncs que l'on cntpluic
.Ne VIII» pas loiis au nmulin
DU COMMERCE DES CONSCIENCES. 173
Non-sculemcnt un homme iniclli^'cnt ne peut pns s'nffilicr, mais
encore moins un lionnêto homme.
Lliorlogcr. Comment! pns un bonnèie homme parmi lesfrancs-
iiiarons.' N'est-ce pas clans la chisse des honnêtes gens cpi'ils se
n'cniient?
Le mômicr. Je vous rcîpontJrai encore avec ma vieille tante :
Totil CM)(iiiiii n'est [)as pcudii.
S'il nous était possible de voir tout ce cpii se passe dans les
antres des société secrètes, tous les Jénéhreux mystères qui ac-
compagnent les initiations, toutes les promesses qui s'y font,
tous les crimes qui s'y préméditent, nous serions peut-être for-
cés d'avouer (jue nulle part il n'y a autant de co(juins et de scé-
lérats.
L'horloger. Vous me confondez de plus en plus. Quoi ! des
coquins dans des sociétés où l'on trouve des princes, des rois,
des minisires d'État, des aml)assadeurs, des grands de toutes les
catégories...
Le mômier. Oui, il y a des grands dans les loges, les portes
ne sont pas assez larges pour laisser entrer tous ceux qui en veu-
lent. On en lait les chefs ostensibles du troupeau; mais dans la
réalité ils ne sont là que pour la montre. Ce sont, comme je vous
le disais loul-à-riicure, les oisons que l'on plume; derrière eux
il y a des éperviers qui s'emparent du duvet pour se faire un
bon nid.
L'horloger. 'V^oyez comme on se trompe! J'avais cru qu'il y
avait quelque chose d'honorable dans le titre de franc-maçon.
Le mômier. Ce titre est si peu honorable, que tous ceux qui
en sont revêtus le cachent avec le plus grand soin. Parlez des
sociétés secrètes devant un de ceux qui en font partie, il prend
assez ordinairement la parole pour assurer qu'il ne fait partie
d'aucune. Il y a dans la conscience de ces hommes quelque chose
qui leur dit qu'ils sont les ennemis de la société; il se rendent
jusqu'à un certain point justice à eux-mêmes, en se reconnaissant
digues de la réprobation publique.
L'horloger. Vous me dites que les adeptes font des serments
de garder le secret de tout ce qui se passe dans les sociétés aux-
171 M < OVItEKCe l>ES i:UNSCIEKCeS.
quelles ils n|>parlionnenl, rroycz.-voiis qu'ils soioni ol»li<,'és de les
irnir?
l.e vxômier. Non; si lo scniKMii du ( linu' |)ouv:)il produire iitn-
obligation «le conscienfe, ce serait celle de le di'voiler.
L'hnrlntjn-. .le suis lr<"'S-cf)nlfiil, Monsieur le Pasteur, de vous
avoir entendu parler sur les sociétés serrètes avec autant ifélo-
qucnce «jue l'aurait pu faire le meilleur catlioli(|uo romain. Je
vois avec plaisir que, sur ce sujet , nous sommes parfaiiemeui
d'accord.
/.c mômier. (;<tinmoni pourrions-nous ne pas l'^irc? Nous et
niiti nous admellons la révélation que les sociétés maçonniques
veulrui diii uiie. nous devons donc nous unir pour les conil»atlre.
L'horloger. Comment alors se fait-il <pie les liancs-nïac^ons
<on)ptcni dans leurs rangs im si grand nombre de ministres pro-
testants?
Le mômier. Hélas! c'est que parmi nous la foi s'en va . et , au
défaut dt' la foi, il faut bien se rattacher à «e (pu- la raison peut
nous donner. Les ministres de l'Kglise prolestante d'Allemagne
sont presque tous rationalistes. Ils sont donc fran< s-maçons
avant même que la se<l«' les ait enrùlcs dans son cercle de fer.
L'horloger. Je suis heureux de voir que vous n'aies pas franc-
maçon. J'eusse été' fort IVnthé d'être obligé de vous mépriser.
Mais fommenl se fait-il que n'i'lant pas des leurs, vous vous
soyez mis à leur soUh- pour coopérer de toutes vos forces au
grand travail de la démoralis:ition générale?
Lr vu'nnier. Moi! -i h-ur solde.' En dislribuanl li IlibU' , en
r\hort;Mil tout le moud*' à la lire, esl-<'e que je ne fais pas acte
de bon ( liréiien ? Esl-cc «pic jr ne ( oinliais pas contre les enne-
mis d(; la révé-lalion?
L'horloger. Non, Monsieur le l'astiiir; la Hible esta eux,
« omme •^ ujoi, comme :i vous, romme ;iu grand sultan qui ne la
re|>ousse pas, (nninir rljc rst à tous les sectaires «pli se parta-
gent rKniopr. \ uns m ave/ vuus-ménir <i(i' jilus dr ( «'Ul reli-
gions diiïrrentes qui prennent la Kible pour p«»int d«- départ.
Pniiiunni 1rs fr:in(s-ni:i< ons ne railnn-iiraieni-ils pas eoinnif
l.uil d':inlres?
Kn sonmeltani hi llddr an hbre e\;iu)<-n dr la raison, à l'inlfi'-
I»l COIlMbllCK DbS COiVSCIfclNCES. 175
prétation tlo Tindividu, vous en avez fait une parlic du domaine
de; la raison, vous l'avo/. assimilée aux produits de la raison,
vous en ave/ fail une couvre de la raison, le divin (pii s'y Irouve
disparaît pour ne plus laisser voir que Tliumain.
Le mômicr. Ici , je vous arrête. En appli(iuant le lihre exa-
men à la Hihle , nous ne peiiuettons pas à la laison d'aller trop
loin. Elle doit toujours s'arrêtei- devant la limite du divin. Puis,
(pjand nous interprétons l'Ecriture, nous avons la conliance de
ne pas tomber dans l'erreur, parce que nous sommes guidés par
l'inspiration du Saint-Esprit, qui ne manque jamais à ceux qui
lisent rÉeriture avec un esprit droit.
L'horloger. Vous me permettrez. Monsieur le Pasteur, de n'a-
voir pas une foi bien vive à l'Esprit qui dirige vos interprétations.
Ne lui avez-vous point coupé les ailes dans la crainte qu'il ne vous
mène trop haut? S'il voulait vous diriger vers l'arche qui surnage
au milieu du déluge, s'il vous montrait l'Église comme Tunique
refuge contre les erreurs de l'humanité , je doute que vous fus-
siez disposé à le suivre. Soyez sincère. Monsieur le Pasteur, vous
ne sauriez vous-même avoir loi à un Esprit qui se contredit à tous
les pas; un es{)rit qui se montre blanc à Luther, noir :i Calvin,
rouge à Sthork , et à mille autres d'un gris ténébreux où il est
impossible de rien déujêler? Ce n'est pas à vous qu'a été promise
l'inspiration. Quand le Sauveur disait : Je vous enverrai l'Esprit
siiinlqui vous apprendra toute chose, il parlait à ses apôtres, par
eux à son Eglise , à ceux (pi'il promettait d'assister jusqu'à la
fin des temps. Ce n'est donc qu'à l'Église qu'appartient l'infail-
libilité. Rentrez dans l'Église et vous comprendrez la parole de
Dieu. Vous combattrez sous les drapeaux de ceux qui la défen-
fendenl , au lieu de vous trouver dans les rangs de ses ennemis
les plus acharnés.
Le mômicr. Tout ce que je viens de vous dire sur Vordre des
francs-maçons doit vous prouver assez que je ne suis pas des
leurs.
L'horlofjer. Je crois voloniieis que vous n'êtes pas avec eux ,
mais vous êtes avec^ ceux, (ju'ils poussent, vous obéissez à ceux
qu'ils font agir.
Voyez, Monsieur le Pasteur, le monde entier est un vaste
17(> DU COMMERCE IiEâ CONSCIENCES.
«•Iiamp <1'' bntaillc où deux armées sont perpétuel lemenl en prc-
srne<'. l>'uHe tic ces armées peut être représ«'nlée par l'arclianfçe
Mirliel cl la léj^ion des anges, l'autre par le dragon sorti «le
l'enfer avee les démons : le parti du eiel et celui de l'onfer.
\ oule/.-vous parler sans figure? D'un crtlc vous aurez le monde
avec tous les appétits de la eliair, ee monde <pii mauilissait
rilomuic-DitMi, et d»; l'autre l'Eglise de .lésus-(.lirist ave»' sa vie
d'espérance et de spiritualité. Le monde, cpii veut vivre au pré-
sent, fait tous ses elTorts pour abattre riiglise (|ni prê( lie une vie
d'avenir. Le monde attaipic avec des armes matérielles, il a pour
lui les hoiubes , les canons, les fusils, les prisons, leseadiots,
les éehafauds, les tortures do tous les genres; l'Église, «pii ,
< ommc son tlivin fondateur, ne tire pas son pouvoir «le («•
inonde, n'a d'autres armes que la prière et les bénédictions. Le
inonde combat jiar le sang, et l'Eglise par la charité; le inonde
(•é«lanl à tout vent de doctrine , obéissant à tous b'S penchants
«lésordonnés de la nature, ne possédant pas une vérité li\e, est
dans un état de combat, de division et de perpétuelle anarchie;
mais quand il s'agit de combattre l'Église qui est une, qui est
infaillible et |terpétnelle , tous les éléments «lont se com[)Ose l«'
inoiidf se rcunisseiil et inarclicnt de concert pour la détruire.
Savez-vous, Monsieur le l'astinir, d'oii vient cet accord «le toutes
les iliseordaiices «outre I Kglise «le .b'sus-Cbrist? C'est «pie «•«'tl«'
Église est la seule opposition sérieuse que rencontre le mal.
L'Église catholi(]ue toute seule est opposée à toutes Icsern'urs,
à tous les vices , à toutes les injustices , à tous les désordres so-
ciaux «pii découlent de riinperb'ction de l'homme; est-il
étonnant que tons se réunissent «ontre elle? Son divin lon«lateiu
lui avait |>n'*dil cette destine<- «le |)«>rsé« ulion, et la plus magniti-
*\\\('. de ses |)réi-ogativ«'s est sans contredit d'èire en butte «'t «>n
opposition à tout «c «lu'il y a «le mauvais sur la terre.
Suppose/, maintenant que nous fassions le dénombrem«*nt des
«nnemis de l'Église, ne serions-nous point obligés de v«uis classer
au milieu «l'eiix.' Vous n'êt«'s ni un anlhr«)po|tliagc de la l*olin«'-
sie, ni un sauvage des forêts du Canada, ni un idolâtre de l'Asie,
ni un sehismatitpie de Kussie, ni un disciple de Mahomet, ni un
impie «l«( laré ; vous m'assuiie/ toui-à l'Iienr»' «pie voii*^ n'appar-
1)1 COMMI-IlCK llLS COiNSCIIi^CES. 177
icnio/. à aiiciiiu; des so<i('lt'S secrôlcs loiuh'es conlrc l'Église ;
mais irapparlmcz-vons à aucune des sectes qui par riiérésic so
sont séparées de l'Eglise? Ètes-vous resté dans celle barque de
Pierre Iioi's de laquelle il n'y a pas de salut? Monsieur \e Pas-
leur, vous éles dans r;iruiéc du mai; vous êles im des suppôts
(le Tenfor. Croyez-moi, séparez-vous de ces coquins î Vous valez
mieux «pie la plupart d'oulrc eux.
Vous ne voudriez pas marchera la suite des francs-maçons,
ei vous ne voyez pas que vous êtes par le fait un de leurs agents
les plus actifs?
Le mômicr. C'est de votre part une véritable calomnie , je
regarde les francs-maçons comme un fléau social, comme encore
plus ennemis des hommes qu'ils ne le sont de Dieu; j'aimerais
mieux mourir que de tomber entre leurs mains. Ne croyez pas
que celte manière de voir ne soit que de moi! Les protestants
connaissent les francs-maçons mieux que vous et ils les détes-
tent pour le moins autant. C'est un protestant, Monsieur Ecker,
un des publicistcs les plus distingués de l'Allemagne, qui vient
de publier une partie des droits qu'ils ont acquis au mépris des
gens de bien.
L'horloger. Ne vous fâchez pas. Monsieur le Pasteur. Je vous
ai déjà dit comment j'entendais votre afliliaiion à l'œuvre des
francs-maçons , permettez que je vous le répèle : Vous êtes en-
vové par la société établie à Genève /?our les intérêts protestants.
Celle-ci est allîliée à la Société biblique d'Angleterre et travaille
sous la même inspiration. I^a Société biblique est soutenue, en-
couragée par le gouvernement anglais qui par là a cru combattre
le papisme. Le gouvernement anglais est gouverné lui-même par les
premiers chefs de la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie ayant
pour but MmçrMe(wwîç'we, observez bien) de détruire la révélation au
[)rofit de la raison pure, lance contre l'Église toute l'armée du mal.
Persuadée que le catholicisme est le seul défenseur sérieux de
la vérité révélée , elle dirige contre lui tous ses moyens d'atta-
que ; elle soulève contre Rome les princes et les peuples; elle
soudoie la calomnie ; elle modifie dans ce sens les programmes
des universités; elle met sur pied toutes les sectes proîestantes ;
12
MH m rowERCR des r:o.iS(:iK>CES.
elle i:ii( s<aiiiiiii- |):ii- s;i (li|iluiiiaii(> les émissaires dont ell(> rou-
vre los j>a\s ( ailioliqiu's ; rlle fail circuler ses mois d'ordre à
travers loules les sociétés secrètes dont la trame est daos ses
iiKiins.
De tous les moyens qu'elle met en «luvre, celui sur lequel
elle compte le plus, c'est le protestantisme qu'elle considère
comme une transiticm nécessaire pour arriver à son but. S«'lon
les francs-maçons, tout était prêt pour passer ù rai)plicalion du
libre examen. Les intelligences n'attendaient «pie des Bibles |>our
s'ényinciper. La France, la Savoie, le Piémont avaient été prépa-
rés par le j^allicanisme. L'Aulricbe. la Toscane, la Bavière
l'avaient été par le josépliisme; et vous, lidèle émiss;iire des so-
ciétés maçonniques, vous êtes venu , Mtmsieur le Pasteur, pro-
poser à moi et à une foide d'autres catbolicjues honnêtes d'apos-
tasier notre foi pour devenir nous ne savons quoi ; car vous ne
le savez pas vous-même.
Vous avez cru rester étranger au travail des sociétés secrètes
<pie vous avez en linrreur, et voilà que non-seulement vous êtes
soldat de la grande armée du mal qu'elles conunandent ; mais,
comme émissaire protestant . nous vous trouvez placé à l'avani-
garde. vous porte/ les premiers eoups à la révt'lation.
Le mômier. Encore une fois , je suis si peu l'ennemi de la ré-
vélation, que je lui ai voué ma vie; je prêche la Bible qui en est le
dépôt. Je suis soldat fhrétien, ap«^tre de la révélation.
//horloger. Oui, mais de quelle révélation, grand Dieu! Une
révélation «jui en |)assant pas l'alambir de >otre cerveau s'est tel-
lement étiolée «ju'il n'y reste pas de quoi fournir le sujet il'un
acte de foi! Kn soimu'tlant l'I^ciiture à. la raison privée, vous
avez rompu avec la n'>elation et réduit le < hrisiianisme tout en-
tier à une simple question de pliilosopliie. \ Os doctrines pour-
ront être raisonnables; mais il y a loin d'une doctrine siuqde-
ment raisonnable à une do( Irine révélée. Je le rep»''- v<.ms êtes
l'un des soldais de la grande armée du mal.
Le mômier. Au nïoins m'accordcrez-vous assez d'esiime pour
eroire que je ne veux faire (pie du bien, et nu*me qu'en conseil-
lant ta leelure des Livres Saints, je ne puis faire cpie du bien.
Itl' COniIERCE DES CONSCIENCES. 1 7l>
L'horloger. Je m; veux pas ju^'er votre volonlr-; je me « on-
lenle «l'apprécier vos actions et les effets qu'elles doivent pro-
duire. Or, je dis qu'en ébranlant la foi des catholiques dont vous
voulez ou croye/. faiie des protestants, vous laites le mal et rien
que le mal. Fij^^urez-vous une àmc parfaitement chrétienne qui
connaît Dieu tel que son catéchisme le lui a appris, ([ui le prie
chaque joui' avec ferveur, (jui assiste avec exactitude à la messe
de paroisse où elle entend expliquer l'Évangile par le pasteur de
son âme ; une personne dont la conscience délicate jusqu'au
scrupule va se jeter aux pieds d'un prêtre du Seigneur, toutes les
fois que la faiblesse , l'oubli ou la puissance de l'occasion l'ont
entraînée dans quelque faute ; une personne qui se fortifie en
s'unissant à Jésus-Christ dans la sainte Cène, qui voit dans son
pasteur le représentant de son évêque, dans le Souverain-Pontife
le représentant de Jésus-Christ, et dans tous, cette Église con-
tre laquelle l'enfer ne pourra jamais prévaloir, un foyer de lu-
mière et un garant de toute vérité. C'est un père de famille qui
trouve dans sa foi , dans sa piété, dans les grâces que font cou-
ler en lui les pratiques religieuses, toute la force qui lui est né-
cessaire pour dompter une nature portée au mal. Content de son
sort, soumis aux lois de la Providence, il ne cherche nullement
sur la terre ce que son pasteur lui a dit cent fois de n'attendre
que dans le ciel. C'est vers ce port du repos éternel qu'il dirige
tous ses désirs; s'il souffre, il offre à Dieu ses souffrances en com-
pensation de ses péchés ; s'il est pauvre, loin d'envier ou de mau-
dire la fortune d'autrui , il accepte ses privations avec un cœur
soumis, il les envoie en avant comme un capital dont il recevra
les intérêts de celui qui a dit : Heureux lui-même du bon témoi-
gnage de sa conscience, il avance dans son pèlerinage, accom-
pagné de l'estime de tbule sa génération.
Mais il y a un serpent qui le guêie de loin et qui , jaloux de
son bonheur, vient lui faire entendre les paroles de la séduction.
Allongeant sa tête à travers les beaux fruits de l'arbre de la
science , il représente la docilité , la soumission aux lois du
maître comme un servage humiliant; il lui montre l'arbre de la
liberté et lui fait croire que ses fruits donnent la vie; cet homme
(»S0 in coatiiiKL i»Es (;<^^sclE^cES.
suniiiub<-, <'i, eu iu«'iiic (riups c(iie SU venu, soa l>oi)li»ur s'ôva-
uoiiit, sa Conscience souirrc , le repos fuit son ànie , la \xi\\
<(«iiue sa deiui.'tir« el ses enfaDt^i s'cntredi-cliin^nt.
Ce s«'rp<»ni , c'est vous , Monsienr le Pasteur, ce sont ces miU
liers d'a}<enl8 cornijUtnis qui . comme vous el par vos ordres,
parcourent nos campaf,'nes, qui s'introduisent au sein des famil-
les rliréiienncs pnui- y déposer !•• v«niu de l'erreur cl avec lui
toutes les inlirmiiés de rame.
Que dites-vous à ce catholique fervent dont je viens de vous
faire le portrait? Kii raliordaui avec ces paroles mielleuses par
les(iuelles vous vous croyez ohlif^é de remplacei- les rigides pa-
roles de la vérité, vous lui dites : < Mon bon ami, c'est bien
dommage que vous suiviez une fausse voie : le chemin que vous
a tracé l'Église calhoIi(|ue n'est pas celui <jui mène au ciel. Moi
je vous apporte celui que le bon Jc'-sus nous a ouvert. Voilà l'É-
vangile où l'on trouve tout ce (pii est nécessaire. Croyez au bon
Jésus et ne vous inquiétez pas de vos (cuvres; ce ne sont pas les
fcuvres qui sauvent, mais la foi toute seule. La messe est une
idohUrie, les pénitences sont «les (cuvrcs de superstition, le culte
des saints est une institution païenne, c'est le culte des demi-
«licux. Le culte de la Vierge est une abominable idolâtrie. A
<pioi bon vous «oufesser? les hommes n'ont pas le pouvoir de
remettre les péchés. Quand ils le font , ils usurpcut le pouvoir
<le Dieu. Croyez-moi, avec le bon Jésus dont vous lirez la |>arolc
dans ce livi-e, vous trouverez (|ne le salut est plus facile. On vous
lait croire à rinraillibilite de ri>glise, cest une erreur, il n'y a
d'infaillible (pie Dieu (pii parle dans l'Évangile. Puis en adoucis-
sant encore plus votre parole, vous l'accompagne/, des oflVes de
service qui se traduisent toujours |)ar (jes livres . >]>•<. bahille-
mentset des giiinées.
Le grand nninbre de ceux à (|ui vous vous adressez repoussent
vos offres en disant : Arrière I lils de Satan, la parole n'e&t pas
celle de Dieu, ta doctrine est de toi, et si elle ne vient pasdo toi,
clic vient de (picbjues autres hommes tpii valent encore moins
que toi. Je sais par (|uel iribiinal lioii m'arriver la v«Tité que
IH CO.iniEUCt UliS CONSCIENCES. 181
Dieu a hioii voulu apporior siu- la terre, j'en jouis avec sécurité,
va-t-cn !
Quelques-uns vous écoutoni avec piiié; mais ils onl trop peu
de courage et de lorcc pour vous dire ce qu'ils pensent de voire
triste métier.
11 en est qui tous écoutent itsscz pour caresser quelques-unes
de vos idées. Vous réussissez à faire couler dans leurs âmes une
froideur qui ne tarde pas à être suivie de Tindifférence religieuse
et de tous les désordres moraux qui marchent à sa suite.
Enfin, ils s'en rcnconirc qui, dépassant probablement vos con-
seils, rompent avec le clirisiianismc , puis avec Dieu et toujours
ayec la vertu. Ils ont eu le malheur d'admettre tous les men-
songes que vous leur avez dits et répétés sur les dogmes catho-
liques, et l'édifice de leur foi s'est écroulé. Comment n'auraieni-
ils pas été séduits? vous êtes instruits et ils sont simples ; vous
êtes dressés à la ruse , à la parole , à la dispute , eux ils étaient
sans défiance, et le trésor de leur foi était sans défense dans leur
cœur ; vous êtes entrés et ce trésor a disparu ; vous êtes riches,
vous avez étalé à leurs yeux de l'or et des espérances de fortune,
eux ils étaient pauvres, comment auraient-ils pu résister à la sé-
duction? Ils ont commencé par douter, et quand le doute, cette
maladie des âmes , a eu réussi à s'introduire dans eux , elle y a
porté lamort, la mort de toute croyance. Quand la foudre en-
tre par le toit dans une maison , elle descend d'étage en étage
jusqu'aux fondements, et elle ébranle tout l'édifice. C'est ce que
vous avez fait ; la religion avait élevé avec.peine et labeur dans
ces esprits l'édifice de la foi, et sur l'édifice de la foi celui de la
vertu; vous avez tout abattu.
Lemômier. Comment, tout abattu? Nous ne voulons détruire
que les préjugés; nous ne combattons pas la foi, mais seulement
la superstition ; est-ce que jamais nous avons dit un mot contre
la vertu?
Vhorloger. Qu'importe que vous ne parliez pas contre la vertu ,
si vous la rendez impossible en détruisant les motifs qui la font
vivre d-ans les cœurs? Il est impossible que dans votre travail de
destruction vous n'eussiez pas l'intention d'aller jusqu'à la vertu;
182 l't (.onutHCh lits (,ij.>.«)(;ih>(;KS.
mai> il n «st pas facile de s'urii^ter à inoilié chemin. Vos victi-
inrs sont plus consétpionlcs que vous. Une fois lancées sur la
\oic «les iM'f;:Uions , rllrs ne s'arrêlcnt plus jiis(|ii':i ce qu'il n'y
ail plus rien à nier. Leur soumission ù I Eglise «lail la [licrrc
angulaire de l'éditicc de leur foi ; vous avez arraché celle pierre,
idui Itimlie. Pouvait- il en être aulrenient? \ ous avez dit ù ces
huuinies de ne pas croire aux décisions de TÉglisc. Or, nier
un seul article de foi, c'est nier l'Kgiise qui a d«''rid<'' en vertu du
|X)uvoir qui lui a été donné par son divin fondateur; nier l'Église,
c'est nier Jésus-Christ qui l'a établie; nier Jésus-Christ,
c'est nier Dieu (]ui la ciivoy sur la terre; nier Dieu, c'est
nid riioiume (|ui est fait à son image; c'est nier la raison,
c'est loniher dans l'alisurtle, dans le scepticisme, dans l'anarchie
morale el dans ranarchie sociale. \ oilà, Monsieur le Pasteur, la
dernière cons«'quence de votre action sur les consciences. Ceux
à qui vous vous ôles adressé- el que vous avez pu séduire étaient
des hommes; vous en avez fait des espèces de monstres impossi-
l>les à reconnaître.
Le mômier. Vous parlez, Monsieur, comme si nous cherchions
a faire le vide dans les âmes, comme si nous voulions priver les
t!sprils do toute croyance et la vertu de tout fondement. Vous
vous trompez. Ce que nous voulons, c'est leur donner notre foi,
une foi raisonnable , une foi passée au crible de la raison ; c'est
de remi)laccr la religion de Home par la religion protestante.
l.'hurloijFr. Vous m'avez, déjà deux ou trois fois répé-té cette
absurdité ipii dans la réalité n'est qu'une défaite. Quand je vous
demande quelle religion vous donne/ à < <'s malheureux à qui
\ous arrachez la foi catholique, nous nu' riqwndez : la religion
de la Bible. Quand je vous demande ce que c'est que la llible .
vous me dites que c'est la religion protestante, et quand j»* «le
mande «:e que c'est que cette religion protestante, j'enten«ls s'c
lever une foule de voix plus nombreuses, plus discordantes que ne
Ir sont, an mois de mai, les voix des grenouilles dans un marais.
< I df)nl chacune répon»! : C'est la mienn»*! «'est la mienne!...
Il > a deux siècles, il > avait quehjues religions protestantes, dcv
religions (|ui |>ouvaieni s'enseigner aux honnnes. parce qu elles
DU COIMltHCt Dts COMSClËKCES. 183
avaicnl conservé quelques vcrilcs , ou même consacré quelques
erreurs; mais au siècle où nous somiiies parvenus , le dernier
coup «le marteau a été donné, il n'y a plus rien ù détruire, il n'y
a plus de rclif^ion proteslanle.
Il laui que je vous lasse connaiire où vous en êtes en fait de
proj^rès relif;ieu\. Voici la dernière formule du prolcslantisme,
elle vient d'être publii'e par un des vôtres et l'un des plus fanati-
({ues ennemis de Rome. Monsieur Gaberel, ministre en retraite,
a puhlii' une histoire du protestantisme de Genève jusqu'à nos
jours. « Le clergé genevois , dit-il , a proclamé un double prin-
»cipc, qui, nous l'espérons, deviendra la seule confession de foi
» de l'Église de Jésus-Christ. L'Évangile reçu comme autorité
» divine; et sur cette base j la liberté pour chacun de former sa
» foi selon les lumières de sa raison, les directions de sa conscience
» et le secours de Dieu. »
Si donc il vous prend fantaisie de me donner une religion toute
faite , je serai libre de vous prendre pour un ])atteur de fausse
monnaie et vous renvoyer à la formule protestante, d'après la-
«pielle il n'y a pas de leligion protestante; mais la liberté pour
chacun de former sa foi. Est-ce clair?...
Le mômicr. On voit bien que vous ne savez pas ce que vous di-
tes. Venez à Genève , vous verrez dans tous les quartiers de la
ville des temples où le peuple se rassemble; dans chacun de ces
temples il y a des prêches. Les ministres du Saint-Évangile y an-
noncent la parole de Dieu, la religion qu'ils y prêchent est là.
Vhorloger. C'est là que je vous attendais , Monsieur le Pas-
leur, je vous avais bien dit que votre religion protestante n'était
qu'une coalition formée pour détruire la religion ; j'avais besoin
pour vous d'une preuve qui fût à votre portée , et c'est vous qui
me la fournissez.
Je suis allé dans vos prêches, j'ai fréquenté tous vos temples,
j'ai entendu vos ministres, depuis M. Munier jusqu'à MM. 01-
tramare et Bungener. C'est ce dernier qui ouvre la marche. Il
entre dans son sujet de prouver que le Pape n'est pas le chef de
l'Église comme le croient les catholiques. 11 est vrai , selon lui ,
que le Sauveur des Iiommes a dit : < Tu es Pierre , et sur cette
184 fi' cnnMtKct iiES coN!>cie>cit6.
pierre je b:liirai mon Kglise. Jr le donnerai la ck-rdu royaiini*
des cieux.olc.» Mais Jésus-Clirisi n'y onicndait rien. cVsl à
M. Biinjrener h nous dire <e «pir cela si},'r)i(ic et no sij,'nifie pas.
M. (IdiigiKirt! (Icmonirc (juc rKj^lisc c:iili(>li(|ii(* n'rst pas la vé-
ritable Église, puisqu'elle est visible.
^\. Ollranian' s'esl escrim»' pcndanl une heure ù prouver (pie
Jésus-Clirisl n'a point établi de sacieuieuls, et «pM* < <s invrii-
lions sont dues aux prêtres catholiques.
Tous, dans dans la chaire comme au Casino, ont déblatère à
qui mieox mieux contre les saints , contre la Vierge , contre le
Pape, contre les cardinaux, contre les conciles et contre (oirt ce
qui semble avoir une odeur de xiité. Dîtes-moi, Monsieur le
Vasteur, si c'est en cela (jue consiste vt>Ire reli^'iuii. Qiw <les (ua-
leurs soldés pour cette lâche puissent consentir à débiu-r de tel-
les fadaises, cela se conçoit, on entend tous les jours dés plai-
doyers qui n'ont ni f)lus de vérité ni plus de raison ; mais cpi'il y
ait dans un auditoire assez nombreux une cri'dulilé assez inno-
cente , ou plutùi assez niaise pour les écouler sans rire, voîlà ce
qui ne peut se comprendre. J'étais allé pour savoir <:e que c'est
«pie le prolcstaiilisme, jn^'e/. de ma dé'Ceplion.
Le tnthnier. Avant d'exposeï- l:i doi^inalicpu' l'i-roniiéc et de dé-
rouler aux veux du public le tableau synoptique des vérités fon-
dainentales, sorties de l'I'Àrinire , au souille inspirateur du libre
examen , il etaii essentiel de déblayer le leiraiu des iiilelli^fin es
encombrées sous la masse des préjugés venus de Home.
L'horloger. Tout cela serait bien, si la religion protestante se
rencontrait qtielque part ; mais on a beau eniendre des sermons,
lire vos écrits religieux , suivr»- vOs journaux , pas un n'ose abor-
der sérieusement la «piestion religieuse. Dans ce |>ouding reli-
gieux, véritable pol-poiirri, formé par plus de deux «enis. sectes,
diies-hibi donc s'il en est uUi' seule que vos théologiens aient h-
courage de prêcher? Si, comme on l'assure, la religion réR»rihë<;
est une religion de progrès, la dernière venue doit être la med-
leure. Pourquoi donc, au lieu de parler des erreurs du callioli-
cisnie dont il na poini à se mêler. Monsieur Uiin^ener n'a-l-il
pas exposé- les beautés haimoiiiques i\\\ iiinniicnibnie? Kn faisani
nu coMMb'ur.K DES C(^^S(;lE^<;ES. 185
conniuirc les sainis d('s doniicrs jours, il jUirail du moins révèle
h ses audilotirs quoique dhosc de posilil", au lieu «le les endor-
mir par la coiiiiiiiiajion do ses romans sur le cailiolicisme.
Je ne sais pas, Monsieur le Pasleur, si jamais vous ave/, faii
une remanpie (|ui , selon moi , osl d'une grande importance. Un
seul coup d'a'il jeié sur la presse caiholique suffirait pour mon-
trer aux moins clairvoyants qu'il y a lù-dessous une religion vraie,
une doctrine positive, un enseignement motivé, une grande com-
munication du ciel à la terre. Sans trop s'inqiiiéter de ce qui se
passe autour d'eux, les docteurs de l'Église catholique, tout
brillants des lumières de Dieu, s'avancent au milieu des géncra-
lious , cl leur montrant l'Évangile d'une mSiti et la croix de
l'autre, ils disent nettement, clairement ce qu'il faut croire et
ce qu'il faut faire pour être sauvé. Suivant les tracés de saint
Thomas d'Acquin, le génie le plus vaste et le plus universel qui
ait apparu au monde , ils n'ont tous qu'un but, celui de vulgari-
sci- la science de Dieu, afin (jue tout homme venant de ce monde
puisse y marcher dans la lumière de la vérité. Les livres des
docteurs du catholicisme sont des expositions de la doctrine,
des explications de la Bible, des catéchismes, des théologies et
des livres ascétiques, destinés à réchauffer les âmes, à rendre
plus ardent le feu de la charité et entretenir ce dévouement tout
miraculeux, qui ne peut exister qu'avec le secours de la grâce
divine et la puissance de la foi.
Quand, en avançant dans la carrière, les docteurs de l'Église
rencontrent sous leurs pas les imondices qui y ont été déposées
par les révoltes de l'orgueil humain, quand ils trouvent la ziza-
nie semée par l'ennemi dans le champ du père de famille, ils ar-
rachent en passant la mauvaise herbe et continue leur chemin.
Les expositions , les explications , les défenses de la doctrine ca-
tholique sont innombrables.
Ayez la bonté, Monsieur le Pasteur, de me citer un seul ou-
vrage de théologie protestante , de théologie positive , ayant ap-
paru dans ces dernières années. J'ai soUs les yeux plus de cent
écrits divers, jetés dans le monde par les docteurs du protestan-
tisme ; savez-vous de quoi ils traitent? Tous s'évertuent à mentir
t8C i»t coaaeivci! uls cunacilnces.
coDtrc l'Église caiholiquc. Dans tout ce qu'enrante le proicsiun-
lisnie <'ii vSuisse, ;'i Genève, en Aileinaj;ne, en Anj,'leieiTC , en
France, il n'y a pas nne seule i-xposilion de foi , |(as un livre de
doctrine, pas une tliéulugie; mais partout, mais toujours, des sa-
tires contre le calliolicisme et ses insiitiiiions. (Juel aveu d'im-
puissance! Il faut aNouer (|u'en ceci les docteurs prutcslants font
preuve d'une grande prudence. Au point oii ils sont |)arvenus, un
traité de théologie sorti de leurs mains ne pourrait (}tre (|u'une
réfutation plus ou moins complète de toute la Bible. Aussi l'exé-
gèse de Strauss csl-il le meilleur ouvrage (pie l'on puisse attt'u-
dre. Kn tout détruisant d'un seul coup, il n'a rien laissé à faire
à .ses successeurs.
Parcoure/, la série des productions qui se sont faites dans la
Rome protestante , à commencer par Messieurs Malan , Ampevia
elGaussen, jus(]u'aux Miinier, aux OItramare, aux Archinard,
aux Bungener, aux Gaherel , aux Cougnard et à cent auin's , y
irouvc/.-vous autre chose <pie la re|>roduction des négations <lu
seizième siècle , des ohjelions dont le bon sens avait mille fois
fait justice, et des saletés extraites des fumiers «le la réforma-
lion .'
Vous vous étonne/., Monsieur le Pasteur, (pic je vous aie
range |>armi les agents du mal ; mais dites-moi : Entre ceux qui
encouragent la guerre au caiholic isme et (pii sont jdacés dans
les plus hauts rangs de la société, entre ceux «pii du haut des
tribunes parleaientaires et du bas des journaux (pi'ils salarient .
couvrent d'injures le Souvi-rain-Pontife el le> sou\erains catholi-
ques, entre ceux «pii paient le mensonge et qui sont places dans
les associations de toule espèce, entre ceux qui le fabriquent, le
colorent , le cachent sous les Heurs de lyle , entre ceux qui U'
reproduisent, ceux qui le pré( lient, et ceux qui le col|H)rlenl ,
n'y a-l-il pas une effrayante i onsolidarite? Ce concert dans l'i-
niquité ne vous montrc-t-il pas une vaste conspiration i|iii a pour
but de faire descendre l'impitte ei la ilénioralisation jus<pi an
dernier village des empires?
Dans celte digression, j'ai voulu nous nioiiirer ime lois de |»lu>
que le protestantisme n'esi pas luje religion; qti'en offrant uih
I)U COMMEKCK DES CONSCIENCES. 187
religion à ceux que vous réussissez à pcivcrlir, vous êtes
des trompeurs; que vous pouvez démolii-, mais non édifier;
enliu , (juc dans riiorrihle commerce des consciences auquel
vous vous liviez , vous ne pouvez parvenir qu'à laisser les inlcl-
ligenccs sans vérités, les vertus sans motifs, les passions sans
frein, les consciences sans guide, et l'Iiumanité sans loi. Votre
traite des âmes n'aboutit qu'à la mort.
MiiWfiKs i;t .\oi vki.lks.
Hume. — La Civiltà Callohca nous appriMid une riclic découvcrlo
failr <l;«iis les culni'omltos. Ce sont les tombeaux ilc rinij papes martyrs du
Iroisiènic sircle. Ou y lit les noms «les pontifes Aulère, Fabien. Eutyebien.
Lueius, et au premier rang se trouve saint Sixte II. Près de ces illustres con-
fesseurs de la foi reposait aussi une \ier;;e célèbre, sainte Cécile, tlont on ne
ronnaissail pas encore la M-rilable place. .M. le cliexalier de llossi, le savant
auteur de celte ilècouverte, a fait preuve dune admirable sagacité en mèn)C
temps que d'une profonde érudition. ï.c compte-rendu i|u'il a lu devant un
auditoire nundireux et di>lin(;ué , cl dont on promet In |)ublicatiun , s«'ra du
plus haut intérêt. — Plus de dix siècles s'étaient écoidés sur les décombres
nmoncelés tout autour île ces sanctuaires souterrains; il en restait des des-
criptions dans d'anciens itinéraires ; mais les Humains avaient perdu la trace
de celte vénérable demeure des morts. I,es barbares avaient pa<»sé par là,
cl ils n'avaient pas plus respecté la ville des ancêtres, i|ue celle «les contem-
porains. Ces cryptes de saint Callixte , lieu de pèlerinai'es très-fréquenté au
temps lies persécutions etiians les siècles innné«liatement |H>stérieurs, seront
donc rouvertes à la pieuse etiriosité des chrétiens; ils y verront «le frappants
vestiges de ranti<|uité de leur foi et «le leur culte des .saints. I^rtoutsur les
parois se lisent encore les invocations des anciens visiteurs aux martyrs
qu'ils y vénéraient. C'est une preuve, en confirmation de tant d'autres, <|ui
atteste la confiance des chrétiens du troisième et du quatrième siècle
ilans les prières des martvrs. Oh ! <|u"on c^t lienreux «le remonter, par une
in\ariable foi. jusqu'à ces généreux athlètes qui ont rciii des .\p«»trcs et tran-
smis aux générations calholiques la vraie doctrine du Sauveur! Mais qu'un
est ù plaindre , lursqu'cn retrouvant ces restes vénérés «les niartjrs et cette
foi «les premiers tcnqis, il faut se dire au fond du cœur : Je ne suis pas avec
MÉLANf.ES ET NOLVELLES. 1 H9
eux ;Jl> ne crois pas ce (|irils croiiMiL, on n brise la cliaiiie i|ui m'unissait à l'E-
glise ancienne, aux iiilcics d'autrefois, aux disciples des Apôtres!!
Géncs. — Une Icllrc de celte ville nous annonce que la propagande
protestante y continue son travail de perversion. Elle signale en même temps
la stérilité de ses menées et l'impopularité qu'elle s'attire de la part de tout
ce qui est honnête. Vn homme bien placé pour apprécier les résultats de ce
faux prosélytisme , le regarde comme un des événements les plus heureux
pour l'Église d'Italie. « I,o clergé se retrempe, les études se forlilient , les
0 prédications appropriées aux besoins du moment se multiplient, le peuple
» connaît mieux sa religion, lui face du zèle indiscret et Iracassicr des agents
» de la Société biblique, il faut hautement rendre justice à l'extrême prudence
» cl à la profonde sagesse du clergé. Le peuple est tellement excité par les
» provocations protestantes , qu'il ne faudrait qu'un signe , qu'une parole
» moins calme, pour les leur faire expier bien chèrement. Les protestants
» ne sauront jamais à quel point ils doivent remercier la sagesse et la pa-
» tiencc de ceux dont ils attaquent avec tant d'acharnement le caractère. —
» L'autre jour, deux étrangers soupçonnés d'avoir fait entendre quelques
«mots d'inprobation , pendant un sermon en génois, ont été entourés et
» suivis par le peuple, et ce n'est que par la protection de la force armée
» qu'ils ont pu éviter les plus grands malheurs. »
Genève. — Le Journal de Genève veut des faits pour retirer son
accusation de calomnie contre la presse catholique au sujet des injures
qu'ont à subir dans Genève les ecclésiastiques catholiques étrangers et na-
tionaux.
Nous pourrions lui faire un petit volume ; nous nous bornons aux faidi
suivants faciles à constater :
1° Pendant le séjour de la reine Amélie à Genève, son aumônier, accom-
pagné du duc d'Aumale et d'un vicaire de Genève, a été odieusement et lon-
guement outragé.
2" Deux ecclésiastiques de' la Savoie ont été insultés, frappés au Perron, et
ils n'ont dû leur délivrance qu'à l'intervention des catholiques de cette me.
5" L'un de MM. les vicaires-généraux de Chambéry a été obligé de se ré-
fugier dans un magasin des rues Basses devant d'indignes insultes, en de-
100 MtLA.IbE LT .>OL\LLLl;.
nuiiilant m W* erct<*siasli<|ur!i ilr la Savoie avaient bc5oiii lir sniif-rniiduii
pour \cnir j (jcn«'\r.
V M. Il" MipcriiMjr iltt (ïraïul Scmiiiairt- (r.\iiiHT\, accompagne «l'on ci-
toyen du canton, a étt^ gravement injurii^ dans les rues de (îenève.
S* A la sortie des cnfant!> du colli^gc et des autres établissements protes-
tants d'éducation publi«]ue, chaque ecclésiastique catholique qui a le malheur
de s'y trouver, est sur dVtrc insulté.
0* A Coulancc, d'indignes cris, d'indignes travestissements des chants sa-
crés catholiques, à grand renfort de porte- voix, ont pour$ui\i plusieurs jours
de suite , et plusieurs fois , au su de tout le cpiarticr, les vicaires de la pa-
roisse ; cl il a fallu la parole courageuse de l'un d'eux et rinter\ention éner-
gique d'un des premiers fabricants de Genève pour faire cesser ces loiéran-
les manières.
7* .Nous sommes autorisés à dire que M. le vicaire-général, curé de Genève,
et ses vicaires, ne vont pas un seul jour visiter leurs malades sans être in-
suites (1).
Le Journal de Génère dit : t Grâce à Dieu, nous n'avons pas de leçons d<-
tolérance à recevoir. »
Tant est grand le chapitre des illusions!!
— Est-il vrai qu'au concours de l'un de nos {trincipaux élablissemenls
(l'éduintioii pnlili(|ue, le professeur ait donné pour sujet de conqKtsition : Ir
Jugement dernier .'
Qu'une conqutsition faite par un étudiant catholique ait ëlc soumise, non
point au point de vue littéraire, mais au point de vue thcologique , h l'exa-^
men de M. Chenevière , qui a professé publiquement à Genève contre la
.Sainte Trinité et b divinité de Jésus-Christ?
Que M. (Ihenevière, dans sa censure, a fustigé le jeune catholique, parce
qu'il n'a été ni socinien, ni arien, ni protestant, mais simplement catholique?
N'y a-t-il pas là «le graves atteintes portées au bon sens, à la liberté reli-
gieuse et aux plus vulgaires convenances?
La frnnr maçonnerie. — l.e protestantisme est-il un instrument de la
franc maçonnerie? ou bien la franc-n>aronnerie est-elle un instrument du
protestantisme? I/illustre auteur «l'un petit onxrage que tout le monde lit en
ce moment en Savoie et à Genève, soutient la jtremii-re de ces deux pro-
positions. Lisez le chapitre IV du deuxième volume iHt rommerce des con-
seienrei et de C agitation protestante en Europe, ouvrage dédié aux môroicrs
de Genève et spéciali-ment à ceux «pii viennent en Savoie; avec cette épi-
graphe : « Il n'y a que l'athéisme qui puisse entrer dans un cœur d'où le ca-
» tholicismc «ist sorti. » Ce chapitre est admirable «le verve, de style, de rai-
(I) Aujourd'hui même, *j juillet, M. l'abbé Berlhier, secrétairf de Mgr
l'archevêque de Chambéry, accompagné de M. l'abbé Béehard. prt'lrr du
ranlnn «le (Jenevc. a l'-té insulté «lans les rues «le (ienève.
MÉLANr.ES KT NOUVELLES. 191
son; oui, la propagande protcshnte sert admirablemonl la propagande
rcvolnlionnaire.
Mais voici lui protestant alloniaïul (lui vient apporter dans un ouvrage sé-
rieux , complet, de deux volumes, rem[ilis de documents autlienli<jues, de
laits meontestables, la preuve irréfragable ipic le protestantisme a été dans
la main de la franc inaconucrie un auxiliaire puissant pour combattre le seul
adversaire dangereux pour la révolution, le catliolicismc. Nous invitons les
protestants qui ne sont pas francs-maçons à lire avec la plus grande atten-
tion l'ouvrage dont la traduction vient de paraître : La franc-maçonnerie
dans sa vérilable significalion ou son organisation, son but cl son hisloire,
par Ed. Em. Eckert, avocat à Dresde (1).
Tout catholique qui tient à sa liberté comme homme, à la liberté comme
citoyen, à la foi comme disciple de lÉvangilc et de l'Église, comprendra,
après avoir lu ce livre, que toute alliliation, même dans les rangs obscurs
des dupes et des niais, aliène sa liberté par des serments, des mystères et
une solidarité coupable ; que cette alïiliation porte atteinte à l'ordre social ,
puisque l'ordre des francs-maçons est évidemment un état dans l'Etat, un
état au-dessus de l'Etat, un état contre l'Etat; enfin qu'elle est, malgré l'em-
ploi de formules chrétiennes, véritables profanations et dangereuses trompe-
ries pour la plèbe des maçons, une conspiration permanente, d'abord et di-
rectement contre la religion catholique, et ensuite contre tout christianisme
positif quelconque.
L'ouvrage du docteur Eckert est la plus éclatante justification des décrets
des Souverains Pontifes contre les sociétés secrètes, et l'explication de la fu-
reur avec laquelle ces décrets ont été flétris par l'incrédulité , la révolution
elle protestantisme.
Quelles leçons sanglantes pour ces princes, ces aristocrates, ces riches, ces
propriétaires, petits et grands, qui ont donné tête baissée dans le panneau et
dans le gouffre! mais surtout quelle leçon pour les protestantismes encore
chrétiens, encore pratiques, encore religieux, dont on se sert comme d'une
machine complaisante et mépiisée, comme «d'une baliste» pour battre en
brèche le catholicisme, et qu'on brûlera ensuite comme un échafaudage ver-
moulu et inutile!
On a jeté les hauts cris contre M. Nicolas lorsqu'il a montré, par les plus
hautes démonstrations, la filiation du protestantisme et du socialisme. Au-
. jourd'hui, c'est un docteur protestant qui vient établir, par des faits patents,
celte parenté accablante.
Nous recommandons donc la lecture de l'ouvrage du docteur Eckerl à tous
les hommes sérieux. Quant aux deux thèses que nous avons posées en com-
mençant, nous différons quelque peu de l'auteur Du commerce des conscien-
ces et du docteur Eckert, et nous croyons que si le protestantisme est un in-
strument de la franc-maçonnerie, la franc-maçonnerie est aussi un instrument
du protestantisme.
(I) Cet ouvrage se trouve à Genève chez Marc Mehling, libraire.
19^ «ÉLA.IGES tT N01J> KLLEil.
Le Mruagn de la CHnrilé. - Nous anncinruns avec bonlipur un journal
lictKlomntlairo qui pnrail ù Paris ilrpuis trois mois ri ipii <li'-jît ulilionl un \«-
iilalilr suri'i's ; c'rst if Mrssiigrr fit la Charité, [lublii- suus la «lirrrlinu ili-
M. l'abl)!- Mullois, auinùiiior de l'Kiii|icrcur. Point de |i(ililique, point ilc dis
cu!>sion!i , point de controverses, mais lu parole êvan^eliquc de la clinrité ,
mais les œuvres de la clinrité eatliolique , mais le but profond de faire |>cné-
trcr la cliaritc parmi les riches et parmi le> pauvres. Nous voixlrions que les
catholiques de Genève lussent ec bon journal ; ce serait pour eux une conso-
lation et un encouragement. Nous voudrions que chaque famille protestante
en eut un exemplaire; que d'erreurs seraient redressées! que de préjugés
seraient dissipés! et puis il y aurait pour tous la puissante leçon des contras-
tes. Qu'on compare les œuvres de la charité catholique avec les incroyables
cl incessantes manu-uvrcs de V l'niun protesta ntr de («cncvc, cl on verra bien-
tôt où sont la vérité et la charité!
M. Mullois est l'auteur de plu^ieurs ouvrages pleins d'intérêt. .Nous avon*.
lu avec charme son Cours d'cluqueiicr sacrée populaire , ou essai sur la ma-
nière de parler au peuple- Ce n'esl pas moins qu'une réforme radicale qu'il
propose par le retour à la méthode sinq)le , évangélique, catéchislique des
grands convertisseurs de peuples , et spécialenient de saint Alphonse de Li-
gori. Tout le lumulc lira avec charme et profil les autres oun rages de
.M. l'abbé Mulltiis : .}ïa)turl de charité, dixième édition ; Livre des classes ou
rrim-ji, onzième édition; La rharilé iiu.r enfants, septième édition.
Nous ne croyons pas qu'à aucune éporpie de I histoire de l'Kglisc catholi-
que il y ait eu une telle fécondité de bonnes œuvres «|ue de nos jours; c'est
comme une expansion de la charité qui se manifeste par une multitude incal-
culable d'associations, d'œuvres religieuses, de dévouements, d'olTrandes, de
secours, de livres, «pii couvrent la France et se répandent ensuite dans tout
le reste de la chrétienté. Le siècle cpu aiira ilonné naissance aux r.«»nférenccs
de Saint-Vincent-de-Paul , aux Petites Sœurs des Pauvres, .i l'.Vssocialion de
la Propagation de la Foi. à l'Association de Pie |\ et Saint-Honifarc. sera un
grand siècle dans l'Kglise.
ESSAI
Sur les éleclioiis épiscopales m jJiéiiéral , e( en paKiculier
dans les diocèses de Lausanne et de Genève.
[Deuxième article. V. le mimcro précédent.)
«
VI. Passons à l'évêché de Genève. Pour ce diocèse, comme
pour celui de Lausanne , il est à présumer que la forme de l'é-
lection n'a pas été différente de celle des autres églises, puisque
nous ne possédons aucun document qui puisse prouver qu'il en
ait été autrement. Nous avons vu plus haut que plusieurs empe-
reurs et rois avaient accordé à certaines églises la libre élection
de leur évèque. Une lettre du pape Jean VIII nous apprend que
Charles-le-Gros , après avoir reçu la couronne impériale, ac-
corda à l'église de Genève, à perpétuité, la faculté d'élire libre-
ment son évèque parmi les ecclésiastiques du diocèse... Idem
serenissimus imperator eidetn Ecclesiœ electionem peremiter de
proprio clero donaverat (1). Cette concession doit avoir été faite
entre l'année 881, où Charles fut couronné empereur, et 882,
où Jean VIII mourut. Aussi l'église de Genève ne tarda pas de
s'en servir. Lorsque peu après le siège épiscopal vint à vaquer,
le clergé et le peuple élurent canoniquement Optandus ; mais
le métropolitain de Vienne, partisan de Boson, nouveau roi de
Bourgogne et ennemi de l'empereur, ne voulut point le consa-
(I) Joan. P. VIII. epist. 281 ap. Gall. chr. II. 59i.
13
101 I.SSAI SUK LKS ÉLECTIUKS LPISCOPALtS.
fVvr. l'ulir relie l'.iisoii , i<' jupe :i\aiil |iiis ('uiiiiuis.saiice de l'c-
|(M lion iiii;iiiimf' f;iil<' |i:ii le rler^t- et le |>«'ii|)l«' {jinmKjnitd re»-
tntiu nmnittm in cotUin Dptando elcrlione ., sur l:i «Irnciiuic de
I I iii(>oroiir — t*i los prirrcs du cleijïé (clcricis rjusdcm Ecclesia
stiijtjerenlibus) — ordonna liii-niêine le nouvel cvè(|ue cl lui
tloniia l'insliluiion (1). Ccpciidanl le m('li-o|>oli(nin ayant faii
saisir Oplaiid cl consacré un aulrc év«><jue à sa place, le pape
le soninia de le rétablir, sons peine d'excommunication, et le
eiia de comparaître devant son synod»' pour s'expli<pier sur sa
coruluite. Le nieiropolilain s'excusa tant hien (pu- mal ; mais le
pa|>e maintint l'assignation (pi'il lui avait donnée, ci l'on ne con-
naît pas les suites de celle affaire '2 .
Sous les rois l»ourgui},'nons (888-1032), la forme de l'clcciion
était probablement la même dans tous les évéchés de la Bour^o-
f(ne transjuiane ; ci par consi'quent elle se faisait à Genève
comme à Lausann**; <'esl-à-dire par le concours du clerpé et du
peuple, du iiielr(»polilaii), des cNeipies d»' la proxince et du pou-
voir KtNai. On ciic ime bMire dnn pape Benoît (Benoît \ , ou \'I,
• •Il \ II) ecrilc an peuple de (ienève , à l'occasion de l'élection
d Alda^andus, [lar la(]nelle il leur dit : a Les autres choisissent
m des évtVpies p<iur en faire des saints, et vous, vous avez élu un
» saint pour en faire un evècpie (3). » Si cette leiiro est bien
auihentii|ue, elle prouve que durant le X'sièrle. le peuple con-
courail encore à rt-leciion «les évèques de (icnève ; mais bien
eiiii'iidn. dans la mesure pre.criie pai- les saints canons.
Ml. l.M,v,,iie |ai 1.1 mort de Hodolphe III, en 1032. le
royaume de la Bour^o^ne transjurane lut i<(luit sous la domina-
lion (b's empereurs f,'ermani(pies, le droit du clergé ci du peu-
ple dans r«leclitm des évè(pies ne résista pas longtemps aux
< nNaliissemcnis des souverains, duni la pre|)ondérance fui bien-
ii'ii porliH' si l(»in, (pie non-sculemeni ils exclurent le cierge in-
férieur et le penj)lc de toule participation au choix, mais qu ils
s'anogèrenl encore la nomination exclusive des év^»|ues. Celait
une cons^'ipienec du système féodal, l ne autre conséquence non
(I) E|.isl. '2HI ri 29-2. CmII. Christ. .Wi rt Hm. (2) V. Fpist. 288 et 2JW. ap
.MaoM, coll. Cour. T. XVII. (S) I/vricr, «hronol. Iiisl. <Uv* mmlrs dr r.rnr\
ESSAI SL'K LKS ÉLECTIONS KPISCOPALKS. 195
moins dangereuse , l'ut que les (';vêques non-seulement s'enga-
geaient à êtn' personnellemcnl fidèles à leur seigneur suzerain ,
mais encore lui prêtaient le serment de fidélité, riiommage-lige,
en se mettant à genoux , les mains dans les siennes , d'où résul-
tait Tinvestiture des biens temporels de rÉglise. La transmission
de la crosse et de l'anneau, symboles de la dignité et de la puis-
sance épiscopalc, rendit cette investiture plus réelle et plus pé-
rilleuse encore , puisque l'empereur semblait conférer le spiri-
tuel de l'évèché aussi bien que le temporel. Cette manière de
donner l'investiture , et surlout le trafic que l'empereur Henri
IV faisait des évêcbés, rendait l'élection superflue et le sacre
une raillerie (1).
L'Église devait nécessairement chercher à se soustraire à celte
servitude; et, en effet, du moment où, sous Léon IX, elle es-
saya de se relever de ce profond abaissement, ses principaux ef-
forts tendirent à ces fins. Ainsi le concile de Reims, tenu en 1049,
sous Léon IX , conclut en déclarant que nul n'obtiendra la di-
gnité épiscopale, sans V élection du clergé et du peuple (2). Un
concile tenu à Rome en 1075, sous Grégoire VII , décréta que
quiconque accepterait de la main d'un laïque un évêché ou une
autre fonction ecclésiastique, serait déposé ; que tout prince qui
donnerait l'investiture de pareilles dignités serait excommu-
nié (3) ; et le concile de Clermont, célébré en 1095 sous Urbain
II, défendit à tout prêtre et évêque de prêter Thommage-lige en--
tre les mains du roi ou d'un la'ique quelconque (4). Urbain II
exprime sa pensée à ce sujet dans sa réponse aux députés de
Henri réclamant le droit d'investiture : « L'Église rachetée et
» libérée par le sang du Christ ne doit plus être rabaissée au
)' rang d'une servante ; or, elle y retomberait , si les évêques
«n'étaient élus que suivant le caprice des rois, s'ils devaient
» mettre leurs mains consacrées entre des mains laïques souil-
» lées de sang, et en recevoir le symbole de leur dignité spiri-
» tuelle » (5). Son successeur, Paschal II, dans un concile tenu
à Latran en 1101, renouvela avec vigueur la défense de l'inves-
(1) V. Hurler, tableau, ccl. Il, 244 cl siiiv. (2) Mansi, XIX. 7<f. '5; M.
XX. 403. (4) Ib. 817.
I!M» kî;s\i >« h i ks ellctions episcopaies.
lilurc (I;. O nt- Im iiuCn M lîi <|ue 1 eiii|>(Tciir Henri \ coni-
moiua «nlîn à iicocpier des proposilions l^^^-modér<M's tlo la part
<lii p;i|>c (.lalixh- II. L'«vr«|iie dr Laiisaniic. Gérard «le Fau«i},i)y,
éiail d«'légu(' de l'empereur pour ce premier essai de parifica-
linn (2). Ces discussions se lerminèrenl on 1122, à la diète de
Worms. Calixte II con>0(pia 1»^ concile (T'îumonique de Latran
1123) qui confirma les dispositions du concordai de Worms,
d'après lesquelles il fut décrété ce qui suit : a L'empereur abaii-
« donne à l'Eglise cailiolique toute investiture par la crosse et
u l'anneau, et consent à ce que, dans toutes les églises de l'em-
» pire , l'élection et la consécration se fassent librement , selon
» les lois ecclésiasli(]Ut's. Par contre le pape consent à ce que l'é-
' lection des prélats allemands se fasse en présence de l'empe-
'> reur, mais sans contrainte et sans simonie ; h ce que les élus
.) reçoivent l'investiture en Allemagne avant, en Italie eten liour-
« gogne après la consécration , non par la crosse et l'anneau ,
/> mais par le sceptre, et s'acqulicnt iiinsi de leur oldigaiion en-
» vers IVmpereur (3). » En 1125, Lothaire 11 consentit à ce que
l'élecifon de l'évéque ne se fit ]>lus en la présence, toujours in-
timidante, du prince, et à ce que l'cNéque prélat entre les mains
du souverain, après la consécration seiilemenl , non plus le ser-
ment de riionmtagc-lige, mais le serment de fidélil*' (4).
1-e résultai de la longue lutte entre les papes et l«»s enipereurs
lut donc la liberté des élections canonicpies : le droit du clergé
rt du peuple, et ceux du vulropolitaitK ftiieiii maintenus; l'em-
perenr donnait Vinvratiturr des liefs à l'eNcqne déjà consacré et
en recevait A* serment de fidélité.
Pendant toute celte époque de 1032 :l 1123, nous trouvons
à Lausanne cinrj «'véques , dont un seul, si nous en cro\ons la
(hroniqiie, parvint à l'épiscopai par «'lection; c'est Conon de
Hasembourg : « fuit electus Lnusnnnœ • (tt). Quant anx antres,
il est très-probable qu'ils furent promus par la faveur des cm-
(I) Hosson. Scliohsl. Comiiicnl.ir. a|>. Ilarzlicim, Conril. C.rnn. III. i7S.
(i) Mansi. \\l.^27t c( srr|. ^T^) V. Alzo^. I. c .: IW. iH. tiP». '217 ri 4IH.
(4)(:iiron. CnrI. j.. H.
tSîJAl SUK LbS ÉLKCTlOiMS ÉlMSCOPALES. 197
percurs. A Genève, on on compte quatre, mais on ne sait pas
non plus quel a été le mode de leur promotion.
Apn;s le concordat de Wornis, en 1122, et l'élection de l'em-
pereur Loiliairc , le siège de Lausanne était occupé par Gui de
Marlanie, S. Amédi'e, Landry de Durme et Roger, sans qu'au-
cun document nous parle d'élection, jusqu'à l'année 1212, où
nous lisons, dans la chronique du cartulaiie, celle de Bertliold de
Neucbàtel (1). il n'en est pas de même pour le diocèse de Ge-
nève, où, après la mort de Humberl de Grammont, Arducius de
Faucigny, prévôt de Lausanne, avait été élu, vers 1136, avec un
grand consentement du clergé et du peuple : tanto cleri popu-
lique consensu (2).
VIII. Peu d'années après, le deuxième concile de Lairan
(1139) suppose, sans le décréter, que les laïques ne prennent
plus part à l'élection, puisqu'il ne mantionne aucun ayant droit
d'y concourir que les chanoines de la cathédrale, auxquels il
ordonne, sous peine d'excommunication, de consulter dans l'é-
lection, religiosissimos viros, c'est-à-dire les abbés et les reli-
gieux (3). Cependant, pour dire vrai, il existait jusqu'à la fin du
Xir siècle, non-seulement dans les différents pays, mais encore
dans les différents diosèses, des usages divers pour les élections
des évêques , usages que l'on ne put rendre uniformes que par
degrés. Ici les familles nobles prétendaient avoir le droit d'être
consultées ; là les officiers séculiers des évêchés usaient quel-
quefois de violence pour faire élire leur favori ; ailleurs les
avoués des églises cathédrales , ou les petits princes des envi-
rons , usaient de toutes sortes de moyens pour faire élire leurs
parents ou leurs créatures (4). Innocent III , partant de deux
principes : a) qu'il était contraire à la nature qu'un chef fût
nommé par ses subordonnés immédiats, et h) qu'un laïque dis-
posât d'une dignité ecclésiastique, s'efforça, partout où des
laïques exerçaient encore le droit d'élection, d« le tranférer au
clergé. L'empereur Othon IV confirma aux chapitres des cathé-
(1) Cliron. Cail. p. Wi. (2) S. Bernard, cpisl. 27. (5) Couc. lai. 1[. caii. 28.
cf. Waller. 1. c % 230. (i) V. Hurler, I. c. II, 2(57 ctsuiv.
(i)H Ks.SVI SIR l.t> ÉLt(:THI.>> tnx uiVLI.s.
draliN le dioiui'i'leclion, le 22 mars ll'Oλ, el Frédéric II niiou-
>ola la intMne déclaraiion par sa hiilK* d'or donnée à Egger en
121 3, eu faveur d'Innocent III, el en 1229, en faveur d'Honorius
III I , Innocent III fit prnriamer, par le quaitièmc «oncile de
Latran, ronune loi g<''nerale de l'cj^lise, (pie les tliauoincs «-taient
seuls autorisés à procéder à l'élection, quoiqu'il ne désapprou-
vât pas, tant par convenance cpie par saj^esse , (pi'on eut égard
aux désirs du peuple el à ragréincnl du prince, comme on peut
le prouver par une foule de ses lellres.
Celle restriction apportée au droit d'«'lection peut aisément
être justifiée 1° parce (prelle s'est faite non par les papes seuls,
mais avec rasseiiliment des tv»''(pies et le consentement mt^me
«le l'aulorite laïque ; et |>arce «pie les papes n'ont fait autre chose
«|ue consacrer un usage «pii r«»mmen«;ail à s'élahlir |»euà |>eu, el
melire d«; lunilormite à la pla» e dune foule «lusages et de pn--
leniions parti«ulièrcs; 2" l'expérience avail démontré d'une
manière plus que sullisanlc que l'Église était mieux g(»uvernee
«pjand le choix était laissé au clerg«' lui-nu'me, et «pi'uue in-
lluence lai«|ue pouss«'e trop loin élevait sou\entà la dignité épis-
copale des hommes qui ne remplissaient point leur devoir cl ne
«■h«.'rehai«Mil pas à l'honorjT par K'iir «onthiile; 3" le p«Miple lui-
uu'mi' ne parait |)as aNoir r«grelle la p«'rle «le son iiillin-nee «piel-
< on«iue clans l'élection, puisque nous ne trouvons nulle part qu'il
s'en soit plaint. Au contraire, à (i«'h«'ve mènje, il parait «n avoir
été l)ien «'onlent. En clfet, l«irs<pi'a|>res la mort d*- levi'tjue Nan-
telnu' , >ers 1205, le «omte Guillaume de Genevois voulut éle-
ver sur le siège cpiscopul son oncle Gensin, chanoine de Vienne,
les chanoines de G«nè\e, chargés de l'élection, < henhèreni au-
pn-s «les bourgeois «!«' la \ille |»roi«clion contre les preh niions
du prince , el les bourgeois menacèrent d<' courir aux armes ,
si le comte ne laissait pas une eiiiitie liberté de « hoi\ (2).
\prcs tout, le peuph' asaii-il Weaucoui» p«rdu? son inlliunce
avait-elle, été si grand»' , de«isi\e mèmej'
(1) \V«l«n. I. (-. ri, lliirlt I. I.
LSSAI sur. LLS KLLCTIOiNS El'ISCOl'ALLS. 199
A (Mih'iidro le Citadin de Genève, l'éleotion se faisait \n\v le
peuple en conseil général , chacun y donnant sa voix d'approba-
tion ou dcrejcrdnn... Mais !M. Mallei fait à (.'O sujet une léllexioti
bien juste : « Éliani,'o syslèuie , clil-il , qui nn-connaît le carac-
» tère essentiel de l'évèque, celui de pasteur spirituel, de chel'
» du clergé du diocèse, dans le choix duquel l'élément ecclé-
» siastique doit par consC(|ucnl avoir sa légitime part; pour n'en
«faire qu'une sorte de inagisirat , issu d'une élection politique
» pure et simple, à la mani« rc de celles des républiques de l'an-
wtiquité... 11 fallait, ajoute-t-il plus loin, le concours du clergé
» et du peuple^ et le clergé était mis en première ligne » (1).
Bonivard dit que les évêques étaient « postulés par le peuple
et élus par le chapitre et le clergé de la ville (2). On voit que Bo-
nivard ne laisse au peuple que le droit da postuler, de deman-
der, et que. selon lui, l'élection d(;finitive appartenait au cleigé.
MM. Mallel , après avoir rapporté plusieurs passages de saint
Cyprien concernant l'élection , conclut : « Aux évêques voisins
» et au clergé appartenait le rôle principal, le pouvoir électif pro-
» prement dit. Le peuple était appelé pour faire connaître son
» vœu, donner témoignage pour ou contre les divers candidats,
» et dans le cas où il n'avait pas d'objection contre celui qui
K réunissait les suffrages du clergé, apporter à cet élu une adhé-
» sion nécessaire pour compléter son titre, en lui donnant l'atla-
» clie de la généralité du troupeau » (3). Les mots soulignés
doivent s'entendre non pas d'une adhésion essentiellement néces-
saire, puisque du temps même des Apôtres on établit des évê-
ques sans le concours du peuple , et du temps de saint Cyprien
on croyait que l'épiscopat était donné de par Dieu et son Christ,
et non de par le peuple.
Plus loin , le même auteur pose la question : < Comment se
passait cette élection (par le clergé et le peuple)? et il répond
avec beaucoup de justesse : « C'est ce qui n'est expliqué par
' aucun des documents que j'ai pu rencontrer. Mais il paraît évi-
» dent qu'il ne s'agissait que de choisir entre un petit nombre
(1) Mém. et Doc. de la Soi-. <l liLsl. de. ilt: tJcncvc. II. 105. (-2) Ib. p. 104 ut
105. (5) Ibul.p. m.
201) t6>VI slK Lt^ Kl.t(.TlO>> tflx (lIALtS.
» (le caiididut!» (|Ui.- leuilposiliuii, l'upiiiiun publii]ue, ou un pui^-
• suni |»utroii3^i', désignaienl coiiiroe étant seuls à ini^iiie d'aspi-
. rer à ccltt' liaiiU' dij^'iiilt". Déjà 1»; dtn\i(''iii<' ( onril»* d'Arles, vu
» 452, avait donné rexi-inpie d'une pareille limilaiion dans les
• choix en décidant < que les évéques de In province désigne-
■ raient trois candidats sur lcs(]uels de\rait juMler le choix du
■ clerm* et dos citoyens » {l). Sans (|u'une pareille rè^le fût ^é-
» neralement oMif^'aloire, on n'en comprend pas moins (]uc la
» force des choses limitait beaucoup le choix de l'évoque...
• Le clergé et les laiijues votairtit-ils ensemble? Cela n'est pas
«démontré. .\'esl-il pas plus pr»il»alde , au (oniraire, que le
• clergé, juge compétent dans le choix d'un ecclésiastique, et plus
» intéressé que personne à la nomination de celui qui allait être
m son chef, volait le |>remier, et <|u'ensuile on demandait au peu-
» pie s'il agréait le candidat dt'signé à ses suffrages par le prea-
» vis du clergé? C'est ce que semblent indi«pter les termes de
u <pie|(|iies éleclions : acclamatio et vocatio cleri, petitio plebis...
i/eleciion devait êlrc unanime; aussi, il'après ions l<s doru-
ments relatifs aux «'lections, le clergé et le peMpIr voimi concor-
des omnes, unanimi voto, omnium cotisensu. « La consecpienrr
• en est qu'il ne s'agissait pas ici dune de (es élections ou les
» voix, légalement «égales entre elles, toutes régulièrement ex-
■ primées sur des bulletins de suffrages, se recueillent sans e\-
• (.epiion aucune et se comptent numériquement... S'il ena\ait
» elé ainsi, rassend>lee se serait soun( r»l parlag«'e en majorité et
• en minorité, en fractions inégales. » Or, c'est ce (pron ne voit
jamais dans les anciens docunienls, oii toujours l'eleciion est
dite avoir ete iaitt; par un ac< or*l unanime, une < (uumuiu' voix.
■ Alors les volations po|>ulaires des démocraties antiques éi;iient
• dès longtemps oubli(ies, et le système arillimeiiqne des éle« -
» lions des gouvernements conslilulionnels modcrtus était loin
» d'(':trc invenlé. Il ne s'agissait pas d'ailleurs d'un droit electo-
• rai politi(|UC conféré au peuple ; on voulait seulement, comme
■ le disaient les papes Celesliu et I-eon, faire ensorte <|u'un trou-
» |Mau ne fut pas obligi" de subir un pasteur (onlre son firc
(I; Caii. 9i.
KSSAl St'll tliS ÉLKCriOiVS ÉPISCOI'AI.ES. 201
'^Aiillus invilis delur episcopus. Célcst. I. Qui prœfulurus est
omnibus ah oinnihus clùjalur , S. Léon); on voulait (jiic le peu-
» |>le consentit librement et de bon cœur à recevoir l'évèquc
» (|u'oii lui cit'siiiiail, plutôt cpi'ou ue l'appelait pour créer par
» sa volonté et ses sullVaycs un dignitaire eeclcsiasliipie. L'élee-
» tion se bornait donc probablement « une adhésion donnée par
» acclamation au candidat proposé, sans opposition du côl('; de
)- la faible minorité qui ne partageait pas l'avis général » (1).
A cette démonstration solide de M. Mallet, on peut ajouter le
sentiment d'un autre écrivain protestant, d'après lequel l'in-
fluence du peuple sur une ('lection ii'était guère avantageuse, et
la formule communément employée indiquait seulement qu'il ne
s'était élevé aucune opposition. Aujourd'hui encore , d'après le
pontilical romain, on interroge en ce sens les fidèles (2).
On voit (pic le peuple n'a pas été privé d'un droit bien es-
sentiel, et d'un autre coté l'élection ne pouvait que gagner par
ce changement, puisque le chapitre de la cathédiale , selon la
remarque de M. Mallet, léunissail à la fois la garantie du choix
et l'influence de l'instruction, de la noblesse et de la richesse (3).
Depuis 1 139 l'élection était ainsi l'aff'aire du chapitre de la
cathédrale , et devait se faire dans l'espace de trois mois après
la mort du dernier évéque ; ce tenii)S passé, le droit d'élection
appartenait au métropolitain, lequel aidé du conseil de son
chapitre et d'autres hommes prudents, et, dans les trois mois,
iivait à pourvoir l'église vaquante d'un pasteur digne de ces fonc-
tions. 11 devait le prendre dans le sein de l'église vacante, à
moins qu'il ne s'y trouvât aucune personne jugée digne, et lui
conférer l'ordination canonique. L'examen du sujet élu réguliè-
rement par le chapitre, et la confirmation de l'élection, apparte-
naient de même au métroijolitain (4). Telle était la règle géné-
rale , qui avait cependant ses exceptions , de manière que pour
bien des motifs les papes étaient obligés d'intervenir a) pour
cause d'irrégularité dans l'élection, b) d'empêchements dans la
personne élue, c) d'appel de la part dés électeurs ou de plu-
(I) Mcm. cl Doc. 1. c. p. 121-128. i2j Hmier. 1. c. p. 2()4.. (5) Méin. etc.
1. c. p. ii.3. (i) V. Walter, I. c. .^ 2ôl.
202 l>^\l SIH LES ÉLECTIONS ÉPISrOPALES.
hieurs personnes élues ;l la fois, </) de dispenses ù atcordei ,
e) de translation d'un si«''ge à un autre, f) de renonria lion vo-
lontaire et de destitution , et de riiilli- atiires motifs (|u'il serait
tiop louf,' d'enunuTer.
Durant cette période, il est à presiinnr «pie dans Téglise de
I^usannc les |)apcs ont dû intervenir pour plusieurs élections ou
nouMucr directement les titulaires. S. Amêdce '1144-1158),
Landry de Durne ; lir>!)-l 174; et Ko-er (1 17.'> enxiron - I-2I2)
élaieiii ciraii^ers au diocèse; un contraire Berclitojd de Nen-
châtel 1-212— 1220) ei Guillaume d'Ks.uMens (1221 — 1229)
appartenant au chapitre de Lausanne, furent élus par les cha-
noines. Aussi Berchlold IV, duc do Zieringen « avait promis
avec serment, en 1167, à S. Aniédée , ««vôque de Lausanne:
< guod libérant jiermitlerct fieri eleclionem in Lausannensi Eccle-
sià. o (lariid. de Lausanne. Msc. fol. !J8. Apiès la mort de «'c
dernier, le chapitre ne pouvant s'accdider sui- le choix et le
siège episcopal étant reste vacant pendant deux ans , le pape
Grégoire l\ nomma Honiface écolitre de Cologne, à rév(kh('
de Lausanne. Après sa n'signation vers 1238 ou 1239, le cha-
pitre se divisa de nouveau et lit une double élection ; enlin Jean
deCiossouay lut reconnu suer essivement dans les dilVérentes par-
li«»s du diocèseet le gouverna juscpie \ers 1273, SeS successeurs,
(iuillaume de C.hampvent (1273 — 1302), Gérard de Vuippens
(1302— 13I0^ et Oiton de Champveni 1310— 131 2^ avaient e|e
chanoines de Lausanne, ce qui nous autorise à croire «]uils ont
Clé élus par le chapitre, ainsi que les évoques suivants, sauf
|>eul-c'lre dctix ou trois exceptions, jusqu'à Guillaume de Men-
ihonay (1304^1400. Cependant Boniface I\ , qui siégeait à
Kome , avait nommé en 13iM e\rqne de L:iii>anne Jean Monachi,
trésorier de l'église de Hàle, mais il ne fm pas reçu. En 1406,
Guillaume de Menlhonay fut remplace par (Guillaume de (.hallant
I^140(i-1 L31), que le pape d'Avignon , Benoit Mil , avait noumie.
Guillaume assista au concile de Constance, ou Martin V fut élu
pape le 1 1 novembre H I 7 .
Bevenons aux evèques de Gene\e. sut U^qurU . i\ est vrai .
nous n'axons que Ires-peu d'«claircissements. Un a >u qu Ar-
ducius (1 13'»— 1 IK/>, aNail ele .lu p.ir le rierge et le peupl
ESSAI SLK LKS ÉLECTIOi\S ÉPISCOPALES. 203
Si N:\molnu\ son sucoossciir (1185 — 1205), a élo religieux de
la charlreiise d. Villon , il lallail riniervenlion du pape. Après
sa mon, les chanoines voulaient faire une élection, couinie nous
l'avons vu plus haut , cl furent soulcnus par les bourgeois contre
les prélcnlions du comte de Genevois. Cependant , couime nous
voyons cette fois parvenir à cet évèchc Bernard Chobert, chan-
celier de l'église de Paris et ami d'Innocent III, il est très-pro-
bable qu'il fut postulé par les chanoines, ou nommé immédia-
tement par le pape. Quanta Pierre de Sessons et Aimé de Grand-
son, qui étaient évèques de Genève de 1213 à 1260, nous n'avons
rien trouvé sur leur promotion. Il en est de même d'Aymon de
Menthonay et de Robert de Genevois (1268 — 1288). Mais Henri,
évéque de Genève depuis 1260 fut, comme religieux et étranger
au diocèse , nommé par le pape , comme le prouve un document
authentique (1). Il pourrait en être de même pour Guillaume de
Conflans (1288-94 environ), qui appartenait au chapitre deLyon.
La forme de la promotion de son successeur Martin (1295 — 1303)
n'est pas connue. Le chapitre élut, après sa mort, Aymon du
Quart , prévôt de Lausanne (2) ; il est à croire que Pierre de
Faucigny (1313 — 1342) a aussi été élu par le chapitre; l'élec-
tion de son successeur, Alamand de S. Joire (1342 — 1366), et
sa confirmation par le métropolitain de Vienne, sont prouvées (3);
le mode de celles de Guillaumç de Marcossai et de ses succes-
seurs jusqu'en 1388, ne nous est point connu. En cette année
(1388) l'évêque Adhémar Fabri de la Roche, mourut à la cour
du pape d\4vignon (Clément VIII, Robert de Genevois), et pour
celle raison , Clément nomma lui-même , par droit de réserve,
à l'évéché de Genève, Guillaume de Lornay (1388 — 1408);
après sa mort, le chapitre élut Jean de Berlrandis. Le pape
avjgnonais, Benoît XIII, prétendant aussi au droit de réserve, on
ne sait pour quel motif, nomma directement celui que le cha-
pitre avait nommé. Jean de Bertrandis fut reçu par le chapitre,
comme élu par lui et confirmé par le pape, ce qui était faux (4).
(i) Mém. etc. 1. t. p. Ii7 et 185. (2) Mém. de. I. e. p. 149. (5) Ib. 151-155.
(i) Ib. l.S7-f!jO. *
Il est piobalile <|uc tous les iieii\, le |)U|>e aus!>i bien qui; le rlia-
|)ilri-, vuiilureiU avoir iiuiinU'nu un droit vrai ou prétendu.
Nous Noyons cjirj criU' c|>o<|ut' les papes, «eux de Uonie aussi
Itieit «pie ceux d'Avignon, se réservaient en plusieurs occasions
la nomination directe des l'-Néques. (x'tle n'-iierve est souvent
(|ualiliee d'empit'lenienl et d'usurpation, de prétention exorlii-
lanle tie la cour de Home, e»c. Kxaininons sérieusement cette
«piesiion ; mais pour ne pas nous Iruuiper dans cet examen, con-
sidérons-la non d'après les idées de notre siècle , ni d'après un
système établi à priori, niais plaçons-nous d'abord sur le tet rain
ca(lioli<|ue, examinons le point controverse d'ajires les ide»s «le
repo(|ue et selon les circonstances du temps.
IX. Quelles étaient ces réserves apostoliques? a) En 1268,
Clément IV réserva au pape la nomination directe aux prélalu-
res ei bt-néfices vacants en cour de Home, c'est-à-dire dont le
lilulairc \enaii à mourir peiidaiii ipiii se irouNail ;l Home. Honi-
face Mil, Clément V ei Jean Wll renouvelèrent celle résene; et
do plus on retendit aux liiulaires rpii, venant à la cour de Rome
ou retournant cliez eux , mouraient à une dislance de Home de
deux journées; b) les papes d'Avignon en liront d'autres; on
voit Jean XXI! se réserver la provision aux pnlainros devenues
vacantes par l'acceptaiion d'une dignil»- ou d'un olFuc conféré
par le papo et inrompatilile avec le premier. Benoit XII se ré-
serva la provision aux dignités quelconques d<mt le lilulairc au-
rait éié déposé ou transféré à im autre poste, ou au sujet des-
(juclles le |»apc aurait acce()ié une renonciation, cassé une
élection, ou rejeté une postulation; vt'u\ dont les |)05scsseurs et
titulaires auraient éti- élevés au rang de patriarche, arcbevê-
que. etc., ceux enlin qui deviendraient vacants par la mort dim
cardinal ou «l'un autre mend)re de la cour pontificale, en quel-
«pie lieu que ce décès fût arrivé (1). A la vue de ces réserves,
«m s'écrie «prelles no tendaient f» rien moins qu'à dépouiller le$
chapitres de leur droit d'élection , le rlrrge et les fidrles du dio-
cèse de toute influence sur le choix «le l'élu, de rrrrr partout des
(l) Mém. etc. i r. p. i:)l-i:i<;. .I Walln, l r. ;' •A".'.».
KSSAi sn; i.LS lar-crioNS kimscofalks. 205
hommes à la divotion des popes, et de subt^enir à la pénurie dr
leurs finances; c) au concile de Consianco, Martin V, an lien de
rcnonccM' à tontes les réserves , se boina à déclarer " qne les
» éleclions épiscopales anraienl lien selon les formes canoniques,
» dans tons les eas qni n'étaient pas réservc's an Saint-Siège par
» la linlle de Benoît \II, de 1.3'Jo. Jdrcrjimen ^•oyez ri-dessus J^;
» elles seront soumises à la confirmation du pape, qni les eonflr-
» mera si elles sont régulières, à moins qne, pour une cause rai-
n sonnahle et évidente, de l'avis de ses cardinaux, Une juge con-
» venable de nommer une personne plus digne et plus utile l\
) rÉglise; si Télection n'est pas présentée à la confirmation
» pontificale dans le délai d'un mois et vingt jours, ou si elle est
» iirégniière, le pape pourvoira, c'est-à-dire nommera lui-même.
••A l'avenir, on n'attendra pas plus de vingt jours pour pourvoir
» aux églises vacantes, nonobstant l'absence de ceux qui ont
» droit d'élection » (1). A l'occasion de cette déclaration, on se
» plaint de ce qne l'extension donnée au droit de réserve se
trouvait ainsi définitivement consacrée; le contrôle du métropoli-
tain réduit à un simple hommage de forme après la confirma-
tion ; enfin le pape pouvait donner les évêchés à qui bon lui sem-
blait, même an mépris dune élection régulière, sous le simple
prétexte que la nomination de celui qu'il préférait serait plus
utile à l'Église, etc.
Ces réserves, quelqu'odieuses qu'elles puissent être, le sont
cependant moins qu'on ne pense. Car :
a) Celles de Clément IV. de l'année 1268, n'étaient pas si
absolues; ce droit réservé devait être exercé par le pape, dans
le mois, dès la mort du titulaire , et n^avait pas lieu pendant la
vacance du Saint-Siège, comme on le sait très-bien (2). D'ail-
leurs celte réserve était fondée sur un motif assurément bien
louable, savoir pour que l'église ne fût pas en souffrance par une
longue vacance du siège épiscopal.
h) Sans vouloir justifier tons les motifs pour lesquels les pa-
pes d'Avignon avaient fait tant de réserves, on peut dire que l'o-
pinion publique, l'enseignement presque général et ranlorilc' des
( I) MiMii. Pif. I. <■. |i. !(10. iH) Fil. \). \nicl l.'iîl.
J0(> KSSAI SIR I.K> KLECTIOMS ÉflSCOI-Alb!».
lioiuiiu!s l«'s |iliis savants en ilicolugie cl eu (li*oil canonique .
«•laifiil favoiahlrs à relie ^'randr aulurili* «les (>a|ws. Qui donr
pourrait li'in en faicc un niinc, s'ils nni mis en |iiaii(]ue ec que
lu ihéorie leui- |.ermenaii? G^s réserves , comme on saii, n'é-
laienl dteKleos <|ue jusqu'à ce (jue Vnutorité des papes avigno-
nais fût universellement reconnue. Donc, les |)ontifes étanl inlé-
rcsscs ù voir leur autorité reconnue dans l'Éj^lise universelle, le
meilleur moyen pour faire cesser le schisme, paraissait être la
nomination directe des év«*(|ues parles pa|)es, vu (pie les pasteurs
une lois reunis au chef, leurs troupeaux (le\ aient ne pas larder
non plus à s\v rattacher à leur tour.
Si souvent les chapitres ont été (h-pniiilles du droit d'élire, à
qui la faute ':^ Les chanoines se trouvaient irès-sou\ent iulluencés
par les intérêts des familles nobles; de là des divisions qui ren-
daient les élections iinpossihies, ou dangereuses, souvent irrégu-
lières ; de là les longues vacances au détriment des églises et
des fidèles, ou hien des «'lectioiis malheureuses, dont le résultat
était la promotion d un sujet plus laïque qu'ecclésiasli(pie, qui,
laissant à des administrateurs jtlus ou moins capables le soin du
spirituel, se bornait à gouverner eu prince et à faire le grand sei-
gneur. Dans de pareilles circonstances (et elles étaient fréquen-
tes aux XIV et XV siècles), la nomination directe par les pa-
pes, loin fl'élre im dommn^e ou une injustice, était un véritable
bienfait.
Le droit du clergé et l'inlluence des fidèles dans le chou: de
l'élu qu<' les papes auraient empêche par leurs réserves, n'exis-
taient plus depuis deux siècles, on l'a prouve plus haut. Quant
à celui des chapitres, il n'était (pie suspendu et non annulé.
La déclaration de Martin V au concile de Constance pourrait
paraître moins conforme aux besoins du temps et contraire à «les
droits acquis depuis longteni|)s ; mais il tant tenir < ompte des
circonstances dans lesquelles elle fut faite. (> pontife avait d'a-
bord nommé une ( ommissioii pour travailler à la reforme de Tn-
glise, soit dans son elirf, soit dans ses membres. Kllc se com-
posait de six lardinaux et des d<|iutes de chaque nation; mais
elle ne put jamais s'entendre, tant les propositions de ses mem-
lires éi.iirnt disf ordanies. Aussi les diverses nations lrouvère»i-
k.ns.vi sou r.KS ÉLECTro^s Lri.s((u>\i.Es. 207
files plus utile de remédier aux ;diiis l<s plus crinuls, on con-
cluant des concordats particuliers avec le pape. La déclaration
de Martin V est du 21 mars 1418, et déjà le 2 mai eurent lieu les
concordats avec l'Allemai^ne et avec les Français, et celui avec
les Anglais est daté du 12 juillet suivant (1). Le pape, voyant
(ju'une réforme radicale et C(»niplcte ('lait impossible , se pro-
posait de réduire peu à peu le pouvoir pontiiical à ses justes li-
mites, en commençant par réformer les abus les plus pernicieux.
Dans le même dessein d'une réforme successive, il annonça, «lans
dans la 14" session, que dans cinq ans un conseil (icuménique
serait tenu à Pavie. Il tint parole; mais des circonstances tout
à fait indépendantes de sa volonté firent remettre encore une fois
la grande aflaire de la réforme (2).
Ce <|ue nous venons d'exposer prouve que l'extension donnée
au droit de réserve ne se trouvait donc pas définitivement consa-
cré, comme on a bien voulu le prétendre. Quant aux autres points
de cette même déclaration, il est bon de remarquer :
1" Que Jes ('-lections épiscopales devaient avoir lieu selon les
formes canoniques^ dans tous les cas non réservés. Ainsi, de
Tassenliment du concile , les réserves devaient continuer indéfi-
niment, il est vrai, mais on n'avait pas renoncé au projet d'y
mettre ordre, et dans les cas non léservés, les chapitres pouvaient
user de leur droit.
2" Les élections épiscopables devaient à l'avenir éfre confirmées
par le pape. Ici , n'oublions pas que par suite des nouveaux con-
cordats, de la situation des chapitres et des églises métropoli-
taines, les princes séculiers pouvaient susciter bien desdiflicultés
et peser sur la nomination et la confirmation des évêques, si elle
avait été laissée au métropolitain; et celui-ci, comme sujet ou
vassal du prince, n'aurait pas été assez fort ou assez indépen-
dant pour s'opposer à des prétentions préjudiciables à la liberté
des élections et au gouvernement de l'Église. C'est pour cette
raison que le pape, indépendant sous le rapport temporel, et,
d'ailleurs, chef de l'Église universelle, se réserva la coniirmaiion
(i) Von der Flardt. iMagn. Concil. Con?(. T. I. lOo.'J-IOfiS. 1089-1082, et
T. IV. i;;r)f.-ir)7!). (-2) v. Àizog. i. c. :^27i.
UOîS »>>vi SI h LKS ÉLECTMIXS KPISCOI' M tS.
(les alertions. N'«Maii-«f; pas un hifiifaii |»om los ^•^lis(•s p;irn-
rilli«'rrs vl lin»' s:«go pl/rauliuM ;'
y il (Il esi de même pour la résciNc <jui' Mariiii \ avail fain-,
savoir <|uc pour une cause raisonnable et évidente, ei de l'avis
des rurdiiKiiix , il |)OinTait nommera la place de IVIii d'un clia-
|)ilre, une personne plus tliyne et plus utile à réglise. Oir souvent,
dans ces lemps-là, les élcelions faites par les ejiapiircs, maigre
leur régularit»' ei l'observance de toutes les formes, n'étaient pas
au profil des éjjilises, sans cela on n'aurait pas eu à déplorer dans
la suite tant de mauvais résultats. Si donc le pape , pour um
cause raisonnable et évidente à ses yeux et à ceux âo son conseil,
jugeait qu'un autre personnage serait plus utile à l'église, non-
sculenu'nt il pouvait, mais il devait même, du moins i]uel(]ue-
fois, préférer le bien de l'église à un droit dont les chapitres n'a-
vaient pas fait un us:ige assez conforme aux besoins du diocèse,
but dans Iccjuel on le leur avait cnnf»ré. Un auteur moderne fait
à ce sujet une obser\alioii qui s applique ties-bien a celte ques-
tion : " On a souvent, dit-il , adressi* aux papes le reproche de
• s'être attribue les droits des conciles |)rovinciaux 'on |>«'ut dire
» aussi des chapitres et des métropolitains, ; sans doute, comme
» nos princes (et nos gouvernements) se sont attribut' les droits
9 des diètes et des communes. Il s'ensuit seulement (]ue les as-
» semblées, diètes ou conciles mi élections bonnes et utiles par
• les cha|»itres), ne pou>ant plus avoir lien, d'après les disposi-
» lions des temps et l'esprit du siè<le . d'autres formes les rem-
» placèrent » (1). Si dans la suite et jusqu'à l'époque du con-
cile de Trente iXhi^), on a quebpies laits particuliers à repro-
cher aux papes, par rapport aux nominations des évéques de
Genève et de Lausanne, il ne faut pas oublier non plus elles
mauvais procédè's des cours souveraines et princières, et la posi-
tion que s'étaient faite les «hapitres.
Avant de terminer cet Essai, faisons encore quelques réflexions
qui répandront un peu «le lumière sur les aiii ibutions des papes.
I. 1,'Église, d'après saint Cyprien . luiule sur saini Vaiil . Tr.-
I Wallrr. I. I . .; !">.
KSSAI SU» IBS ttliCTIOKS ÉPISCOPAtES. 2(|y
Klise .SI me..., elle a dans le pape le centre de son unité, c'esl à
I". que se ■■a,.a,l,e,u .ou.e.s les ,-.,l|ses pa.lHulièrcs, comme cesl
j.uss> son ,lev„,r .le surveiller ee les pas.eurs et les brel,is, de
les conserver n„„-seulen.e„, ,la„s luni.o de la f„i , mais encore
dans „„,»„ cocUneure, vMle, ce qui li,i, rÉglise un, e, uni-
versele, la soc.e.e une e. ca.holiqne, sous le gouvernemen, d'un
hel su|„e„.c e. d'au.res chefs subalternes (les évéques) qui re-
lèvent de celu,-là. C'est ce qui es. de droù kin e, tmmiwé
II. L'institution des métropolitains et des provinces ecclésias
..nues, la for„e de l'élection des évoques, la arconsc ip es
diocèses ne sont que de droit eccUsiaHi^ue . e. par conséquen
var,aUe d'après les circonstances des temps et des lieu" '
III. Le pape, une fois admis comme chef de l'Église et centre
, "' '"'" 'f P»"™"- -ecessaire pour remplir le devoir qui lui
esttmpose de maintenir l'unité intérieure et extérieure ("^1"
de h fo. e, celle du gouvernement). Leibnit^ le re onnai fo
mollement dans sa lettre à Fabrieius (0pp. T, V p o-'s)
« Ouum Deus Deus sit ordinis, e, corpus unL Ècc eL' „i„
. eg,m,„e h.erarchiàque universalicontinendum/„™j.v;wr
n.a„istratus, term,„,s se justts coniinens, directoriâ notesiaie
>on,m,ue„ece.sarid ad applendum munus pro salu e EcclesiL
» agend, facultale inslructu.. „ Donc : tccles.œ
IV. Comme à une époque où les circonstances le demandaient
le Pûpe pouvatt donner des droits aux métropolitaitr ou leur
en a,sser l'exercice par consentement tacite 'il po" v;irauss
oCdWe?;""' '"^"^'''"''™' '^^ -"-entrement'
pour les ;: Us dirt'""' '^^^'"""^'»t. Il en estde mém^
V tes diots des chapitres, droits variables, comme ceux-
dtnrr: :::: :r "^ '-"'- ^■" -^ --• ^^^
uiMuti. II en est de même encore pour la forme dP IpIo..- ^,
evéques. que les papes pouvaien.'iaisser eCeer p 'T T
J|0 tSSAI SIK I.KS ÉLEimO^IS éPISCOPALtS.
U'iiips, < I |iuiii le besoin lif l'inién^l do r«''f;lise, et* qu'ils aNauMit
accoidr aux uns ri aux autres.
Ainsi touli' la conduilc des [)apcs , pur rappttrt ù la nomiiiulion
directe îles evi^cjucs, ou leur condrniaiion, etc., où l'on voudrait
voir (les usurpations, des excès, des empiétements, n'est à pro-
prement parler, «jue l'exercice d'un droit inhérent à la papauié,
exercice qu'elle pouvait se permettre , ou auquel elle |>ouvait
renoncer d'après l»?s exigences du temps et dos lieux. Voilà pour-
»(uoi nous trouvons, dans l'Iiistoiro, dos t'ptxjues où ces tiroits
paraissent moins , et d'autres où ils sont reconnus publiquement
et oxorcos à la faco du niondc onlioi-.
C'est ainsi (pie de nos jours, où les métropolitains «l les
ov^^ques, sujets du mt^mo souverain, sont nommés par lui à l'épis-
oopat , les pa|)os s'en réser>enl la confirmation et l'institution.
Dans les pays où il n y n plus de chapitres, ei où le souverain
n'a |)oiiU le droit ro(M)nnu de nommer les évéipies , le pape les
nomme par lui-mémo. Là au contraire où il y a des chapitres ,
dans dos pays soumis à dos princes non oatholi(|ues, l'élection
est déférée au chapitre el la oonlirmation réservée au pape ,
comme cela se pratique en Prusse, etc. Ailleurs, comme dans
l'Amérique du Nord , ce sont les évéquos ilv la province avec le
métropolitain , (pii présentent les candidats au pape.
Cette intervention suprême n'est pas nouvelle. Déjà au com-
mencement du \ ' siècle, S. Jean Chrysosiôme , menacé sur son
siéj,'oépis(opal, on appela an père commun de n^'^diso, Innocent I,
ipii prit t liaiidenient son parti \)\ ers lo milieu du IV' siècle, les
évoques Lucius d'Adriano|>le , Paul de Constantinople , Asclépas
de(ia/.o, Marcel d'Ancyro, les patriarches Athannse d'Alexan-
drie et Kustathe d'Antiocho, ayant ote chasses do leurs sièges par
les Ariens, ils s'adressèrent au pape Jules, |)Our obtenir leur
rétablissement, et les évé<]u«'s ariens de leur cAté s'adressèrent
au même pa|>o , pour l'en ompè«hor (2).
Dans la seconde moitié du l\V siècle, trois concile» d'Antioche
avant condamné et dépose Paul de Souiosaie, ev«\]ue d'Anti(M-ho.
.1 Aiinsl scrirv Har. n :i.l nii lot -j S M/n>f. ., 1 1 1 ri IT^I
ESSAI SVK LES ÉLECTIONS ÉPISCOPALESS 21 I
soutenu par la puissance séculière et par la faveur de Zénobie,
reine dePalmyre, l'empereur Aurclien (paien) , auquel Zénohic
dut succomber , décida que l'évêque d'Aniioche serait celui
que les éi'êques d'Italie et principalement celui de Rome nomme-
raient (1). Enfin S. Cypricn (an. 2ô3 — 257) engagea le pape
Etienne 1*"^ à déposer Marcien , évéque d'Arles , partisan des No-
vatiens, et à élire un autre à sa place (2); et le pape Innocent
I", dans un temps où les souvenirs étaient encore si récents et
si sacrés, aflirmait « qu'il n'y avait pas d'église, en Italie et dans
les Gaules, en Espagne, en Afrique, en Sicile et dans les îles
voisines , qui n'eût pour fondateur un évêque institué par saint
Pierre ou par ses succeseurs » (3).
Qu'on vienne, après tous ces témoignages, parler des empié-
tements des papes sur les droits du clergé et du peuple, depuis
Grégoire VII, qui a vécu au Xr siècle !! O ignorance! je ne veux
pas dire mauvaise foi, ou parti pris.
« Hœc olim meminisse juvabit. »
(1) V. Alzog, % i75. (2) Cypr. epist. ad. Steph. pap. (5) Innoc. epist. ad.
Dcunt. Eugub.
DKS AllTS E\ SlISSK AVANT LA IIKRHIME
On s;iii ( ombieii soiii rares «laiis noire Suisse réformép les
monuments plastiques plus anciens que le WT sièric. La sup-
pression (in culte cailiolique et de ses pompes fut aussi celle des
images soit peintes, soit sculptées; c'est le sens de l'inscription
qu'on lit encore dans la collégiale de Neucliâlel : L'idolâtrie fut
abolie (le céans par les bourgeois. Cependant, en d<'pit d'un zèle
dont les traces ne se voient que trop aux portails et sur les murs
de nos églises, cpielcpies rares et « urieux spécimens dos arts du
dessin cl de la peinture avant la renaissance, reviennent de temps
en teuq)S eu lumirre. Ces monuments, exclusivement religieux,
existaient en telle |)r()fusinn dans les temps qui suivirent immé-
(li;ii< iiK m le moyen Age, (pie le rigorisme le plus strict n'a pas
pu tout anéantir, maigre sa durée, Ot« aurait tort, en effet, de
croire «|ue cette destruction des peintures et des stalues «pii rem-
[)lissaieni nos couvents et nos églises, fiil uniquement l'affaire
d'un moment, «l'une flèvre bientAi calmée. On y revint à plu-
sieurs reprises , et ce <pii avait é( happé à lui premier destruc-
teur lut enlevé par un second, «pii agissait prescpie toujours avec
un ( araclère ofliciel.
\ oyez ce fpii se jtassa à (ienève, (|ui, «lès !«• XIV siè«le, avait
un grand mouvement commercial , «t «lont le «ommerce n'<'iait
pas étranger aux arts. On voit par d^anciens rercnsemenis «pu*
(I) Extrait «le la lOvur Suiiatf, avril \XiH. Ce roniarqnaljle arlirlr r«t ilù h
In pliinic (11111 protrsl.-itil ini|inrli.il, liililiopliilc In'-s ilisiingiii'.
DES AKTS EN SUSSE AVANT LA KÉIUKME. 21 ô
les ;irlistos cl les ouvriers exerrant des professions de luxe y
éiaicnl nombreux. Ses orl'èvres, ses sculpteurs en bois, ses ima
giers. avaient lenoni à eenl lieues à la ronde, A la Réforme tout
ce mouvement arlistiipie s'évanouit , et les artistes se dispersè-
l'cnl à Lyon, à Bourg, à Cliambery, à Grenoble, à Turin, etc.
Entre toutes les églises de Genève, celle de Saint-Pierre se dis-
tinguait par la magniGcence et la profusion de ses ornements.
« Elle était, dit Bonivard dans ses clironicpies, bien parée d'ba-
» bits d'église, calices, reliquaires, cliandeliers, paremenis d'au-
» tels, images, tableaux et semblables choses; mais l'Évangile
» a tout souillé bas. )- Un autre chroniqueur, Savion, en parlant
des sculptures qui décoraient l'ancienne façade de celte cathé-
drale, et qui furent alors brisées, ne peut s'empêcher de dire
que « de cela eurent grand regret les gens d'esprit et les ama-
» leurs d'antiquités, y Néanmoins, tout n'avait pas disparu. La
Réformation , nous apprend Senebier, en effaçant les peintures
qui ornaient les plafonds, avait respecté une belle figure de la
Vierge peinte à fresque dans une chapelle , et quelques autres
télés très-remarquables. Mais en 1643, le conseil et la vénéra-
ble compagnie des pasteurs arrêtèrent « de faire effacer les ima-
» ges qui se trouvaient encore à Saint-Pierre , vu que les capu-
» cins y venaient faire leurs dévotions. »
Néanmoins ce zèle religieux mal éclairé n'a pas seul amené
l'anéantissement des objets d'art antérieurs à la Réforme. Deux
autres causes y ont contribué : la cupidité et le mauvais goût.
Les métaux précieux et les pierreries entraient pour beaucoup
dans les ornements de nos églises. Le trésor de Saint-Pierre était
cité pour sa richesse. Celui de Notre-Dame de Lausanne ne le
lui cédait pas , à en juger par les inventaires que nous avons de
toutes ses dépouilles, où l'art et la matière luttaient à qui mieux
mieux, et qui furent transférées de Lausanne à Berne après la
conquête du pays de Vaud. Les douze apôtres d'argent, par
exemple, qui ornaient cette belle église, devaient être d'un
poids et d'une valeur considérables , à en juger par les piédes-
taux taillés dans les murs qu'on voit encore aujourd'hui. Les
finances de certains cantons suisses ont donc été singulièrement
améliorées par ces changements de destination de tant d'objets
précieux consacrés au culte.
Le mauvais guùl aussi a lail disparuitre , ou plutôt il a lais>4>
perdre une foule de productions des arts, dont le ^rand tort éuiii
eociui" l)ii'n plus d'ihre f<oilii<pit's que d't^lre papistes. Quoi (ju'il
soit bien prouvé aujourd'liiii (juc les (îdths n'ont rien inventé en
lait de style arcliitcciural et que l'ogive, entre autres, n'a rien
ù démêler avec ce peuple du Nord , on a flétri durant plusieurs
siècles de l'épitlièle de golhicjuc tout ce qui n'f'iail pas au ^oût
du jour, lequel n'était trttp souvnii (jue le mauvaisgoùl. Aut('nq)s
de la renaissance , par exemple , alors (ju'on cherchait à remet-
tre partout en honneur les (irecs et les Rf)mains, dans les arts
comme dans les letlics, on donnait par mejiris le nom de goihi
que ù tout ce qui s'éloignait du style classicpie de ces deux peu-
ples anciens. Les aristarques réussissaient ainsi à faire prendre
en pitit' tous ces monumenls du moyen âge qu'on voulait fair»-
passeï- pour liaibares en les ailiihuant à ces pciqiles de l'inva-
sion, dont le nom était devenu synonyme de misère, d'ignorance et
de hrulalile. On mettait au rebut , on abandonnait aux \ers des
milliers de meubles, de peintures, de sculptures et d'ornements,
que le goût actuel, passé rapidement du ton du mépris à celui
de l'admiration et de l'enthousiasme, paierait aujourd'hui de»
prix exorbitants.
Kslimons-nous donc liciiicux (jiiand de rares débris des âges
anciens qui ont surnagé dans cette triple tempête viennent
échouer sur nos rives et nous rap|)eler un autre culte, une autre
organisation sociale, d'autres mœurs et d'auties goûts, «pu fu-
i*ent toute la vie de nos pères.
Ce discours nous est suggér»' par un ancien tableau votif, pro-
\enant originairement d'une église de (ienève très-probable-
ment de Saint-I'ierre , qui vient de rentrer dans sa ville natale
après une émigration forcée de plus de trois siècles chez nos voi-
sin de Savoie. Cette peinture reunit à un degré suffisant les doux
mérites de la valeur intrinsèque comme art et de l'intérêt histo-
rique. Les connaisseurs s'accordent avec les antiquaires pour la
faire remonter à la sironde moitié du W siè< le. De plus, elle
est très-bien conservée et n'a pas subi tie restauration dans les
parties capitales.
Ce t.nbleau est peint à rrncausti(pic , pro( et e que les anciens
UES AKTS EN SUISSE AVANT LA RÈKOKiME. 215
connaissaient d<''jà et que !:« peinture à l'Iniile a remplacé; il
couvre un épais panneau de cliénc de plus de huit pieds de hau-
teur sur environ six de largeur. Le bois est enduit d'une légère
couche d'un plâtre très-fin, sur laquelle la peinture a ('té appli-
quée. On peut voir en divers endroits que l'artiste avait tracé
très-légèrement son esquisse avec une pointe avant de l'arrêter
définitivement avec la couleur. On remarque le même procédé
chez plusieurs peintres italiens du XV* siècle et même dans les
premiers tahieaux de Raphaël. Le style de notre tableau est ce-
lui des artistes qui ont précédé immédiatement la renaissance ;
il est sec, mais singulièrement expressif, surtout dans les figu-
res. Tout le fond est revêtu d'une couche d'or, comme dans les
peintures byzantines et les premières peintures italiennes. Les
divers compartiments qui occupent cette grande surface sont
séparés par des ornements sculptés en bois avec délicatesse, et
qui appartiennent au style gothique de la seconde époque. Ce
sont des arceaux avec des festons , des feuilles déchiquetées ,
des découpures en formes de compartiments flamboyants et poin-
tus. Tout au haut on lit l'inscription suivante, taillée profondé-
ment dans le bois en forme de légende et tracée en caractères
gothiques: i* hanc. tabvllam. fecit. fiebi. petrvs rvp. civfs.
ET. MERCATOR, GEBENAs. AD. S. S. Cette inscription est placée im-
médiatement au-dessus des images des saints personnages aux-
quels le tableau est dédié.
Un document récemment publié par M. le docteur Chapon-
nière dans les mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie
de Genève , est venu fort à propos nous édifier sur le compte du
marchand genevois , dont la richesse permit à sa piété de con-
sacrer une somme assez forte à cette peinture. On sait qu'en 1476,
au plus fort des guerres de Bourgogne , Genève n'échappa à l'oc-
cupation et peut-être même à la conquête dont les Suisses 'la
menaçaient que moyennant une imposition ou rançon de 26,000
écus d'or, grosse somme assurément pour cette époque. Afin de
trouver ce capital, il fallut imposer aux bourgeois ime taxe ex-
traordinaire , et pour cela estimer la fortune immobilière ei
mobilière de tous les particuliers. L'original du travail de la
2 I G Ul.» \lll> h> M ;»K V\\.>l I* litKJI.VI!.
cumini^-tioii lio ia\:tiii)ii uniiuiifo à cet cllcl existe jux ur(-|ii>i-s
de Genève, et M. le docteur (Ji:i|>unuiére vient de le publier (1).
Il nous apiirrnd <|ue |Kiruii les nombreux pelletiers ou incKissiers
(pie celle >ill(' conipuiit alors li^urail un certain Jean Huf) ou de
lUijit , Pellifiarius , ipii ilenicurail aux « onlins des (piartiers de
Saint-Gervuis et de la Corralerie. Ce dernier était particulière-
ment aiïecté aux tanneurs et corroyeurs («e «pii , pour !«• dire
en passant, renverse r»lymoloj;ie de M. (jalille , (|ui \eut «jue
l'ancienne Cort alerte fût ainsi appelée parce ({u'on y faisait cou-
rir les clie\aux. On y courratait bel et bien leur i tiir, mais on
ne les y exerçait pas).
Le Pierre Rup de notre tableau parait avoir été de la fa-
mille de Jean Uup de l'inventaire de H7ô, probablement son
lils, qui scion rusap;e du i<'m[)s avail embrassé la profession pa-
ternelle. On voil au |»i(;d du laltleau 1 imaj^e du donaieur, peinte
avec tout le soin que l'on donne aux portraits pour en assurer la
ressemblance. Il «'st vêtu d'un manteau de fourrur»- , et porte le
costume des riclies bourgeois du xv' siècle. C'est la bonne tigure,
à la fois fine, intelligente el cupide, d'un liomme d'environ cin-
quante ans.
Les images de sainl.s ri de personnages appartenant à l'allé-
gorie cbielienne sont super|>osécs et rtpartics sur trois rau^s.
Leur grandeur diminue à partir de la ligne inférieure. Dans le
bas, <t tout à coté du donataire' qui a ordonne le tableau, on
\oil saint Pierre , son patron, a\e«: les insignes bien connus «pu
lui assigne la légende dorée. La lAle en est remarquablement
belle. Ment ensuite saint .lean-Ha|itiste , autre ligure très-expres-
sive, où l'on peut reconnaître h- type «pii a scr\i à tous les
peintres italiens, el particulièrement à Pierre Perugin, le maître
tb* Rapbaël. Le troisième p<!rsonnage est un saint revêtu du ricbe
cosliune episcopal sous lequel on représente ordinairement saint
(iermain , saint ^icolas, saint Augustin el d autres évù<iues c;»-
(I) \.c rcbultiil «le l'évaluation «les lurns gcnc\oi<( fui de ôHîi.iirt floriu>
|)onr le» imrurublcs, et dr ^W.^^»^) florins jioiir 1rs biens ni«-ul»li's. A la vr-
rilif, «|urli|ucs grosses fortunes du lenips, eouuiie eelle de> Vorsouay, trou-
vèrent moyen d'i'clia|»|(er ;i la lave.
DES AKTS EN SUISSE AVANT LA KÉFOKME. 217
nonisés. Ce qui nous l'ccail croir*^ qu'on a voulu [KîinJie ce der-
nier, ce sont (les caractères phéniciens iiacés sur la couverture
ilu livre ricliemeol orné de pierres précieuses (pi'il licni dans
Tune de ses mains, tandis (jue dans l'auln' main on remarque
une brosse de ciieval ou étrille. L'un et l'autre signe semblent
pouvoir se rapporter ù l'illustre prélat d'Hippone (aujourd'hui
Bone en Afrique), Il ne faut pas oublier néanmoins que dans les
figures de la légende des saints , Augustin tient ordinairement
dans sa main un cœur enflammé. La quatrième figure est celle
de saint Etienne, reconnaissable aux pierres, instruments de son
martyre, que Ton voit dans sa main droite et sur sa tête. Cette
tête est empreinte d'un sentiment de mélancolie que les peintres
d'une époque postérieure ont bien rarement su rendre avec au-
tant de vérité et de force naïve. Ces quatre figures ont environ
quatre pieds de hauteur. Les ajustements sont peints avec une
conscience, un amour des détails d'autant plus remarquables que
ces soins donnés aux parties secondaires ne détournent pas un
instant l'attention que réclament tout d'abord ces belles têtes.
Le terrain que foulent les pieds des saints est émaillé de fleurs,
comme dans les tableaux italiens de cette époque. On distingue
dans la mitre du saint évèque des soleils rayonnants , que l'on
dit avoir été les premières armoiries de Genève.
Au-dessus de ces quatre figures principales sont quatre
autres images de saints et de saintes , mais seulement en buste
et de la hauteur d'un pied environ : ce sont la Vierge, tenant une
légende déroulée sur laquelle on lit Ecce ancilla domim et se-
CUNDUM VERBUMTUUM; saiut Autoinc, reconnaissable à sa clo-
chette et à son bâton à crosse en forme de T; sainte Catherine ,
tenant la roue instrument de son supplice ; et enfin un autre saint
en habit pontifical. La ressemblance que l'on remarque entre cet
évêque canonisé et celui qui est plus bas , tant dans l'air des
têtes que dans l'attitude, pourrait induire à penser que l'artiste
a voulu faire le portrait de l'évêque régnant alors et occupant le
siège de Genève. Cependant cette interprétation se concilierait
difficilement avec la chronologie.
Enfin , dans la partie supérieure du tableau , on voit planer
218 lits \in> E> >l l>sr. A>\>T 1.^ KÉKOHWE.
au-dcsMis de tous ces personnages huit anyes ailés et entoures île.
lirapcrics fanlasiiciucs, jouant de divers instruments. Cette pein-
ture fut achetée il y aquehpies années dans un villa};<! près d'An-
necy , où elle ornait une cj^lise de campagne, par M. le marquis
Léon Costa de Beaurcj;ard, le |>lus éclaire des amateurs dart
ancien et de littérature historique que possède la Savoie. Peut-
être avait-elle «-lé transf«''r<''e là par le chapitre des Machabées ou
de Saint-Pierre do (irnève , avec d'autres oriienienis d'éj^lise el
avec les reliques, au moment où surfit la Réforme. M. de Costa,
après l'avoir possédée quelque temps , vient de la céder par
voie d'échange contre d'autres objets d'art à M. Khun , anti-
quaire à Genève, dans le riche magasin du({uel on peut l'admirer
aujourd'hui.
E.-H. Gallueir.
LES RELIGIONS D'ANGLETERRE.
I.
LES IRWINGIENS.
Il y a environ vingt ans , certains minisires du Kirk, ou église
d'Ecosse , publièrent qu'une rénovation de l'Église chrétienne
allait s'opérer, et que les dons miraculeux du Saint-Esprit al-
laient désormais être répandus sur tous les fidèles , comme aux
temps apostoliques ; à cette nouvelle si étrange , se joignait un
formidable avertissement , l'annonce de la prochaine fin du
monde. Une circulaire imprimée avec luxe, adressée par ces
ministres à toutes les autorités spirituelles et temporelles de la
chrétienté, faisait savoir que le Divin Esprit, ayant récemment
élu douze apôtres, leur avait donné la mission d'inviter toutes
les nations à la pénitence et de préparer ainsi les voies au Sei-
gneur , dont le sanctuaire devait être bientôt reconstruit. Mal-
heureusement, l'ingratitude habituelle du monde suscita une
sorte de persécution à ces pauvres ministres , qui cependant se
disaient porteurs de si magnifiques nouvelles. L'église d'E-
cosse, qui s'était bien groupée autour de Knox quand il s'é-
tait agi de nouveautés hostiles au Saint-Siège , ne voulut
plus de nouveautés qui pouvaient la compromettre. Elle bannit
de son enceinte les hommes de la nouvelle lumière , et les força
2*20 I.LS »lKI,l<.IO.>> DA.X.LKTtRRK.
<r;illir biUir Inir tcinpif aillnirs. Kdouartl Irwinf; élaii rerlain»'-
iin'ui le plus nMii:ir(]ti:ilile d'«'iUro ces nHeurs , qui se croyaieiii
investis de fucullt's merveilleuses. L'ardeur avec la<]uelle il expo-
sait le doj,'ine de la n'-;{énôralii»u elin'tienue , le zèle élo<|ueni
de ses predicaliuns sur la eoiiii|)li(Hi du siècle, tirent «h* lui
rame ei le ciief do la secte ;i laipielle on a donné son nom.
Ses partisans ne se e(»iilenlèreiit pas de voir en lui un envoyé
du Sei{;neur, mais un Nrai pr«»plièie et un noUNel eNanyelislc;
celle opinion so maintint jus({u'en 1834, époque de la mon de
cet honmie (pie ses disciples ap[)elaient un an^'e, tandis que les
profanes lui dunnaienl le nuui d'imposteur.
I/lrwiiij^isme s'est ciabli principalement painii les esprits
faibles , impressionnables, invinciblemeni cnlrainés vers le mys-
ticisme, et possédés d'un désir passionne de trouver le seul vrai
tttrcail (lu salul. I^\^i^^' a beauionp insisté sur la necessiié de
prier pour obtenir une nouvelle etfusion des dons miraculeux
qui, sans i/u'on jiuisse s'en expliquer la cattse , ont été refuses
aux communions nfurmécs; cl ce n'est pas aux scids lr>\ingiens,
du reste, que colle pensée esl venue ; un grand nombre d'ecclé-
siastiques anglicans et presbytériens, entre autres Ifaldano Slo-
wart, dans un livre <|ui fit sensation, recommandent d'iuq>lorer
de Dieu le retour de ces grâces spéciales et surnaturelles, <pii
promises par le Cbrisi à son Église jusqu'à la consommation des
siècles, oni l'té cependant retirées aux protestants. Selon les
Irwingiens, le succès de ces suppli» allons avait ele (onqdel; les
inem))res de l'église renouvelée avaient été» soudain revélus
des dons miraculeux du Saint-Ksprit . et in\eslis d'une sainteté
inaltérable, laracUre de la primitive Kglise. La foi (|ue j)Osscdenl
ces sectaires à leur pouvoir de preiliro l'avenir, de guérir les
malades, de parler les langues étrangères, esl inébranlable,
et (|uand le scepticisme les presse d'arguments , ils lui opposent
leur propre expérience.
Comme d'après la doclrine des Irwingiens, ce. sont eux qui re-
présentent par avance ce (pie seront les saints du Clbrist dans le
règne (le mille ans, l'organisation de leur société est modelée
sur ce (juils appellent la liiéracbic de l'église |)rimitive , «ju ils
se croient ap|>eles à ressuscil<*r. Trois s(»rtes de l'asleurs , les
LES Ui-LKilO.NS liANGLETERrili . 221
;in^es, les anciens ei les diacres, sonl charges |>ai le Chrisl de
la direction de celle église donl il est lui-même le grand prêlre,
cl clia(|uc individu de ces irois ordres esl appelé à exercer les
lonclions de prophèic el d'apùlre , de pasleur ei d'évangéliste.
Chacune des églises parliculières esl gouvernée par un ange
assisté par plusieurs anciens , el la réunion de ces chrétientés
constituant l'église est dirigc'C par Dieu lui-même en la personne
de douze apôtres , qui nomment les prophètes, les évangélisles,
les pasteurs. Â l'appui de leurs institutions , les Irwingiens ci-
tent , avec l'aplomb habituel aux sectes les plus extravagantes ,
(les passages des Actes des Apôtres , des prophètes hébreux , el
surtout de l'Apocalypse. Les Irwingiens, atlribuani la rareté des
prophètes dans les temps modernes, à la négligence qu'on met à
prier et à pratiquer l'imposition des mains, s'adonnent à ces
deux observances comme ou le faisait du temps des Apôtres ,
el avec un zèle qui leur mérite immédiatement l'infusion des
dons miraculeux. Cependant, les croyants qui reçoivent ces grâ-
ces sont invités à n'en user qu'avec prudence ; car les secrètes
paroles murmurées par le Consolateur, peuvent être contrefai-
tes par la voix railleuse de l'esprit de mensonge, ou bien être
mal comprises el défigurées par les profanes ; aussi ne cite-t-on
guère les prédictions et les miracles qu'il est donné aux Irwin-
giens de faire pour l'édification et l'instruction de leurs frères.
On y croit , et c'est suflisant pour gagner des prosélytes. C'est
surtout en Angleterre, en Amérique el en Allemagne que la
secte a fait des progrès. Paris , incrédule et moqueur, leur a
fourni des auditeurs, mais pas de convertis. A Dublin, c'est dans
une église fort simple, appartenant naguère aux Frères chré-
tiens, qu'ils célèbrent leurs splendides cérémonies (1). Le main-
(1) Ces cérémonies ont récemment acquis en apparence un certain rapport
avec celles du culte catholique; « mais, nous disait un de ces nobles enfants
d'Oxford, qui de TAlma Mater des sciences humaines s'est jeté dans les bras
de l'Eglise , celle sainte mère des sciences divines, ce culte auquel notre
dogme de la Présence réelle donne une signification el une valeur, n"a plus sa
raison d"ètre, et ces cérémonies ne sont plus que des pratiques absurdes ,
parce qu'elles sont vides et sans motif. »
222 "> KIK.IO^S K> AX.I.HTERRE.
lifn pn»v«' «'i solennel de la congicgaiion nippcllo d'abord les
assemblées des quakers; mais tout à coup un prophète se lève,
se livre à des gesticulations frônctijpies et hurle quelques paro-
les confuses. « \ oici , s'écrie-l-il, voici vrtiir l'Epoux! Noie i, il
est venu! » Alors rins|)iré, ou le fou, (Ommence à prophétiser
avec »ine cxtrcnie volubilité, mais le plus ordinniromrnt en lan-
gue étrangère; c'est-a-dirc il vocilcre un bi/iirrc assemblage de
sons étranges et rau(]ues, avec autant de facilité que s'il n'avait
fait que cela toute sa vie ; et cela suflit pour persuader aux
croyants que le miracle de la Pentecôte se renouvelle journelle-
nunt parmi eux. Quelquefois, cependant, des scènes où l'ab-
surde se mêle à l'atroce se passent chez les ir^vingiens et rappel-
lent les convulsi(mnair»'S du siècle passé, les fanatitpios des
(lévennes , les crucilixious du canton de Zurich, tarii il est vrai
que l'âme humaine a besoin du surnaturel et du mystérieux , et
qu'en abjurant les merveilles dont l'Église catholicjue est l'uni-
que source vi'ritable, elle se condamne à adopter des fables d»*-
goûtantes , des pratiques ridicules, ou à tomber dans le maté-
rialisme.
A Klein-Schvverin , en Poméranie , un jour que quarante ir-
wingi»'ns •'•tai»'ni tranquilloniont assemblés, pour prier et chanter,
l'un d'eux s'écria rpi'il tiaii possédé du démon et supplia ses
frères de le délivrer de ces cruelles «'treinles. I>à dessus, les uns
s'efforcèrent de le maintenir à terre , d'autres coururent cher-
cher des bâtons, et frappèrent If fanatique jusqu'à ce qu'épuisés
de fatigue , ils siiiierrompireni pour lui demander conunent il
se trouvait. « Le diable est n'fugié dans mon gosier, « n-pondit
le malheureux, pâle et tremblant. « Par charité, mes frères,
faites-le sortir en pressant mon cou entre vos mains. » On s'em-
pressa d'obtempérer à ses instances, et avec tant de zèle, que
non-seulement l'esprit malin, mais l'esprit même de la victime
s'échappa. Quand on s'aperçut que le patient ne respirait plus,
on l'emporta ei on recommença la psalmodie, comme s'il ne se
fût rien passé d'extraordinaire.
1^ doctrine du Millmiimi , développée avec la hardiesse du
jug«'menl privé n de l'ignorance, j)araii «*lre le fond de l'Iruin-
gisme. Les deux résurrections «lont parle l' Apocalypse sont les
LES UKI,If;l(^^s en an(;leterhk. 223
sujets favoris des élucubraliuns protestantes ; les méthodistes
suisses et les calvinistes de Hollande sont tourmentés du désir de
comprendre ces signes mystérieux. De là l'origine de tant de
sectes nouvelles. En Angleterre , celte passion eut aussi son rè-
gne; sir Isaac Newton lui-même, non content de ces découver-
tes dans la route où il suivait Copernic, rêva d'autres découver-
tes et se mil à explicpier l'Apocalypse à sa façon.
M"** DE ROMONT.
LE PROTESTAMISMH ET M. DE REMISAT.
M. Charles de R«''musat a publié, dans la Hevur des Deux
Mondes, un ariiclc iiiliinlc : De la reforme et du prolestanlisnie.
Cet article est une espèce de couiple-rendu de VHistoire de
In réformntion du seizième siècle, par M. Mi'ile d'Aulti^^ne , lui-
nislre niclliodistc genevois.
M. Charles de Rémusat est un de ces hommes (jui , à l'aide
d'études et de réllexions sérieuses , cherchent à s'jipprocher de
plus en plus <lc la vérité ; mais (pii ne procèdent dans celle as-
cension intellectuelle (ju'avec lenteur et en conservant dans leur
progressiiju <juel(jues-uncs des allures de leur marche prccé-
<leDtc. Ce nVst pas un de ces esprits qui saisissent la vérité dans
toute sa puissance syntlietii|ue ; il lui reste l<>s lialiitudes et les
formules d'un éclectisme de bonne foi <pii, dans le parallèle
indécis des svslèmes , des idées el des f:iils, demeure encore à
certains ej^ards le fond de sa méthode. Mais il nous semhie que
M. Charles de Rémusat n'est pas homme à se contenter longtemps
d'une recherche incomplète de la vérité religieuse. On voit
qu'il la lui faut sans doute ccrlaine , entière; mais qu'il l'em-
luassera pour en faire sa vi«' lorsque , à l'aide de la grâce cé-
leste , elle lui apparaîtra avec son évidence intrinsèque et avec
la démonstration de; l'autorité divine rpii l'enseigne de la part de
Dieu.
Le liire de l'article de M. de Rémusat n'est pas, il me .semble,
ahsoluuH'nl e\;i( t, r'csl plutôt un»' ( onipar.nsoij du catholicisme
et du prolestaulismc qu il a tcnlcc et non pas une < duiparaison de
m; l'r.OTfcSTAlSTlS.Mli, VAC. 225
la réfonnc cl du protestantisme. Nous Uouyoiks hion à chaque
liajïo de son article la preuve d'une exploralion commencée;
mais nous osons lui dire qu'elle a singulièrement besoin de plus
amples devcioppomenls. M. do Kémusat n'a pas encore forte-
ujent pénétre ni dans le proicsianiisme, ni dans le catholicisme;
il prend pour des doctrines chez les protestants ce qui n'est
(pioiiiiiion , et il y oppose des opinions chez les catholiques
ipi'il croit être des doctrines. Il ne veut pas trop du salut gra-
tuit luthérien ; mais il ne craint pas d'ajouter qu'il « ne lui sem-
)' blc pas absolument contraire à l'esprit du christianisme, qu'il
» semble ressortir des termes des épitrcs de saint Paul, que sans
» certains versets de l'épître de saint Jaccjues , il oserait ajouter
>» qu aucun texte de l'Écriture ne le contredit formellement. »
Si M. Charles de Rémusat connaissait bien l'Écriture et rensei-
gnement de l'Église, il donnerait des conclusions diamétralement
opposées ; il dirait : « La doctrine du salut sans les œuvres est
» contraire à l'esprit du christianisme ; aucun des textes de saint
» Paul n'est absolument opposé à la doctrine catholique, et d'in-
» nombrables textes de l'Écriture conlradisent formellement le
» système protestant. » Pour en arriver-lù, nous supplions hum-
blement M. Charles de Rémusat de consulter soigneusement l'É-
criture, de lire saint Augustin, la Symbolique de Mœhler et
particulièrement la Symbolique de Buchmann , traduite par
M. Cohen, chapitres 1 et 2 de la quatrième section. M. Charles
(le Rémusat juge assez bien le salut gratuit protestant en présence
des trois idées fondamentales de la raison : l'idée du mérite et
du démérite, l'idée de la justice de Dieu , l'idée du libre arbi-
tre; aussi lui sera-l-il facile, quand il le voudra, d'arriver à con-
stater que la doctrine catholique, telle qu'elle est exprimée par
les Pères de l'Église, par le concile de Trente, et par Bossuet ,
dans son Exposition, est non-seulement rationnelle, mais encore
essentiellement biblique.
M. de Rémusat croit que « le luthéranisme fut un retour àcer-
» tains termes de l'Écriture ; c'est un démenti donné aux sug-
» gestions de la morale naturelle et de la philosophie dite du sens
» commun ; c'est l'affirmation et l'extension de deux dogmes
15
'2'm ir ri.oTtSTAMi>Ju
- runtbinoiil^iix : le |»<m lu- uiif;iDel el la rc(iciii|>lioti pur ledi^iii
» Mi'iliatciir. Ilifii loin de nier ces vrrih'S ( apilales du (tirisii:!-
' iiismi; , il scmlilr «|iic les protcsuwiis It-s «'xii^irciil. Avec eux,
» il y a pour ainsi tlirc un ac« roissenienl «le dogipc , el certainc-
• ment un ac croisseiiientde foi; car chez eux la foi lierile de loni
» re ipii esl enlevé aux nuvres , el eonlracle en «pieUpic sorie
» une vertu miraculeuse de [ilus. »
il y a dans ces lignes des aperçus très-lins; mais M. Charles
de Uémusai parait ne connaître les protestanls et les proiestan-
lismes cpie par (juclcpies livres «ui du sei/iènie siècle, ou dv «|uel-
ijue secle Ires-reslreinh' «pii a encore conser\e le doj,'nie du sa-
lul par la loi, tandis <|ue |>our la (ilupart des |>rotestants qui sont
rationalistes, la formule n'a plus «prune valeur d'opinion |)ar
opposition au < atliolicisme. A (jeneve, plusieurs prolèsseurK de
l'église ont combattu la do<'lrine luthérienne sur le salut; d'au-
tres se sont rapprochés de la doctrine ratholi(|ue sur les bonnes
u'uvros. Ceux-ci nient le p(<he oi iginel et sont pélagiens ; ceux-
là nient la divinité de .lesus-Clirist et sont ariens, et, f»ar «on-
séquenl, renversent de fond on ( ondde le système de la rédemp-
tion lulh<''ri<'nne ou calvinienne ; d'aiilies ne croient plus à
l'inspiration des livres saints; d'autres se divisent sur la nature
même de la foi ïl Or, le protestantisme eu est là en Allemagne,
en France, à Genève. M. «le Hémiisat vil sans doute ave<; «piel-
«pu's-uns de ces protestants encore religieux, «encore nourris de
ipiebpies-unes des vérités « hrétiennes «piils ont reçues du ca-
tholicisme ; mais <e n'est pas là le proiestantisuie, ce ne sont pas
les proi< slautiMU<>s Irjs <pie les fait et tels ipie les défait clia(|ne
jour le libre evauH'U individuel. Kl «est pr<'( isémenl parce qu'il
y a, aux yeux des proleslanls comme aux yeux des catholiipies,
« esay( ration,* ainsi que le dit M. de Hemusat, dans \v système
luthérien, que ce syslènio dépéril, et qu<", loin d'amener un ac-
rroissetnenl de dogme et de foi , il \ a plul«^l décroissJince jus-
qu'au pur rationalisme. M. de Rémus:it croil-il qu'un do^nie
puisse être accru en lui-même.' Non, sans doute. Croil-il «pi 'en
Vexarjcranl on puisse aiiguMiiler la loi.' Ne voii-il pas «pie par
M»n esicnsioti, le dogme «livin dcNicni unr opinion humaine ei
KT M. I>E HÉMUSAT. 227
mémo une eneiiri* Lt; péché oii^inel tel (juo l'<'iilciMl(;nl les lu-
I lierions cl les calvinistes n'esl-il pas on'eclivemonl anti-clirélien,
anii-philosopl)i(jue? Ne fait-il pas Dieu barbare, ol l'honime ma-
<liino et. victimo? 11 n'y a pas là accroissement àc dof^mc , mais
mine du dognio , luino ilc la vérité chrclicMinc. M. do Rémusat
confond le fatalisme avec la foi. A chaque instant on retrouve
dans son article celle confusion d'idées jus(iue dans les mots.
M. do Hénuisat est beaucoup plus fort en aperçus qu'en défini-
tions. Ce qui est enlevé aux œuvres ne profile pas à la foi, puis-
que la foi sans les œuvres est une foi morte, puisque l'objet de la
foi n'est plus qu'une « exagération, » par conséquent une faus-
seté el un mal, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de foi, mais croyance
erronée, opinion, exaltation, délire.
M. de Réniusai ne pardonne pas à ceux qui traitent le protes-
tantisme de « pure négation, de vide combinaison , d'analyse et
de polémique; » il lui croit trop d'empire sur les sociétés pour
admettre ces jugements, et il s'aulorise d'autant plus à les con-
damner, qu'il croit avoir trouvé jusiemcni dans les deux dog-
mes fondamentaux de la réforme « des exagérations de la foi. »
Sans doute c'est déjà un puissant argument que de donner les
portraits de Luther, de Calvin et de Henri VIII, avec l'énumé-
raiion des conséquences dissolvantes du libre examen; mais
j'estime qu'il faut aussi une discussion approfondie, comme
vient de l'entreprendre le P. Perrone, parce que le protestan-
tisme est en effet le plus grand événement des temps modernes,
la clef de la plupart des destinées et des révolutions des irois
derniers siècles; mais il me paraît que si quelques critiques, ou
(jnelques adversaires vulgaires peuvent mériter d'être rangés par
M. de Rémusat parmi « les gens qui, malheureusement, ne
» voient plus que désordre là où règne une certaine liberté, qui se
» rassurent par un égoisme pusillanime , une- frivolité sceptique
» et une unité silencieuse, » il y a aussi des noms et des ouvra-
ges qui ont su solidement mettre à nu la valeur historique , phi-
losophique et politique du protestantisme. Je ne rappellerai à M. de
Rémusat que Bellarmin,Rossuei,Fénélon, Mœhler, Balmès, Gœr-
rer, Mgr Rendu, Mgr Donney, Nicolas, M. Foisset, etc. Il est
22H l t l>nOTESTA.>TISME
i-vitlt'iii (|ur M. de Hciiiiisiii u'u |>:is encore eniiéremeni uppru-
loiidi If priucipe iiiêine du protcslaotismc et su part d'actioo re-
ligieuse et polilicjue dans les sociétés modernes. Ce i|ui ressort
de l'rinde des livres du |»roiesl;mlisnje el des notions protrsian-
les, c'est que rinfluence iiu'on lui attribue n'est due qu'à la part
de vérités et d'institutions catholiques ilont le |)rolestuntismc n'a
pu se dcpouillei- entièrement. Jus(jue dans ses deux apparentes
allirmations actuelles qui servent de point d'appui à la théorie de
M. de Ilémusat, il y a la vérité catholique (]ui demeure et vivitie
a leur insu les protestants encore religieux, et il y a les nc-f^a-
tions (|ui di\isent et dissolviMil implacahlcineni toute < rovance
(-1 toute institution prupremenl protestantes. L'allirmation catho-
lique, c'est le salui ^'latuii par la foi, dans le sens que lui dcm-
nent saint Paul el le concile de Trente, et comme l'expose avec
laiii de lucidité le grand Bossuet. La négation protestante, c'est
toute valeur méritoire refusée, malgré mille passages de l'É-
< rilnre, aux «euvres vivifiées par la grâce divine. Le crime des
lheol(»giens protestants, en ceci comme en beaucoup d'autres
points, c'est de prêter à rensei^iiemeiii catholique des erreurs
qui le rendent en elVet absurde et anii-i liiétien ; le mallieui- des
masses protestantes, «'est d'être enlreieniies dans une ignorance
déplorable des vérités cjtholi<pies.
M. <le Uémusat semble avoir trctnv»' , peut-être dans Bossuet
ou dans I inconjparable Syinholigue de Ma'hler, rencliaincmenl
des négations et des exagi-rations protestantes; en effet, la cause
première est bien dans l'idée que Luilier ci ( alvin se sont faite
de la dégradation opérée dans l'Iiomnie p:ti- le pêche originel;
la libation est rii;oureuse ; mais dans Molilci nous tron\oiis la
plus haute et la plus claire exposition de |;i docii ine catholique,
(|ui vient apporter la lumière au milieu des lenebres, des con-
Ua(li<:li(ms et des ruines, lantlis que M. de H<'musal laisse l'es-
prit de son le» teurdans le vague et dans b; doute. On voit que
l'dcrivain. cherche encore, et qu'il lui faut de nouveaux efforts
de son esprit pénétrant pour arriver à voir complètement la
lie.'inte, la moialit<' et la solidité dn principe < alholique.
le laisse aujourd'hui les pages de M. <leHêu)nsnt où il entre suc
1 r M. U!- l'.ÉMUS.VT. 220
le i<'n\)in liisi()ri<|UL' de fiiiis et (l';ip|)i('ciations qui demanderaient
de trop lonys développeinenls ; j'ai liàlc d'ariiver aux dernières
pages de M. de Rémusat. Ce sont celles qui m'ont le plus frappé
et où Tceiivain semhie rcMmir le plus d'idées incomplètes.
'( La foi chréliennc, dit M. de Rémusat, nous en dit da-
» vaniage qne la relij^ion p|iilosoplii(|uement comprise. Elle nous
» enseigne une révélation, c'est-à-dire que la vérité elle-même
» s'est montrée à la connaissance. Tous les cliréliens sont d'ac-
» cord sur ce point : Dieu s'est révélé à l'homme. La vérité re-
» ligieuse, en descendant sur la terre, a donclaissé après elle une
» vraie connaissance religieuse, et c'est la religion chréiienne ;
» mais elle aussi, parfaite dans son objet, elle ne le saurait èlre
■ dans l'esprit de l'homme. Manifestée à travers la chair, expri-
» mée en langage humain, encadrée dans les formes de notre in-
» telligcn(;e relative et limitée, elle ne peut être en nous ce
» (piclle est dans sa source divine. Elle se diminue, si j'ose
» ainsi parler, à notre mesure. Tout l'espoir, tout l'orgueil de
» notre foi ne peut que nous persuader, non pas que notre
» croyance est toute la vérité , mais qu'il y a vérité dans notre
» croyance. La grâce même ne transforme pas le fidèle d'une
» manière absolue. Jusque dans le saint l'homme reste, c'est- à-
» dire un esprit faible et un cœur fragile. Ce qu'on dit des saints
» se doit dire à plus forte raison de tous les hommes. Les chré-
» liens, même en possession de la vérité, ne sont pas infaillibles.
» 11 suit que le christianisme peut-être vrai, sans que les chré-
» tiens soient exempts d'erreur. C'est déjà une précieuse grâce
» que d'avoir reçu une croyance dans laquelle on est sûr que
«réside la vérité. Cette certitude, celte foi tout ensemble géné-
» raie et limitée, est celle de plus d'un protestant. Elle serait
» celle de tout le monde, si, à côté des dogmes fondamentaux
» du péché, de l'incarnation, de la rédemption, ne se plaçait
» une foi particulière dans un témoignage toujours subsistant
» de la révélation chrétienne. La religion que le Christ a ensei-
D gnée n'a pas été, comme d'autres connaissances de la vérité ,
» confiée uniquement à la tradition plus ou moins fidèle de l'hu-
» manilé. Le dépôt en a été divinement placé, — suivant les
230 It TROTEST^NTIMIK
■ proCesUinLs, (hiu* le luxie des licrilures, — suiv:int 1rs caiholi-
M|ues, ihins une liiôiarcliie inierpiète inspirée des Écritures,
o Là fsl le st'ul [>oini de dissidence profonde, et la rausc de
D l'inipuissancc commune des <allioliques et des prutesiunts à se
n convaincre réciproipiemenl.
■ Copendanl rantorité de rÉcriturc |)our les uns, rautorité de
» rÈijIise |)onr les antres, réduit sensiblement, mais ne sup-
• prime pas les sources d'erreur ni le prin( ipe des variations.
» Seulement ces. variations, attachées à la nature de Tesprit hu-
»main, doivent t'ire plus lares dans la constitution catholique,
> (pioiqu'ou ne puisse nussir à |>rouvcr tpfil n'y en ail jamais eu.
» Klles sont naturelles, elles sont inévitables dans le prolestan-
» lisrac. Là, le fidèle n'est mis, pour ainsi dire, en contact avec
n la vérité <pie par l'intermédiaire îles Écritures. Ces Écritures
> ins|>irees sont conçues dans le hin},'nj;e de l'Iiomme , lues par
» des yeux d hommes, comprises par une inielli};encc humaine,
» et la parole tomhe dans une rime dont la reli^'ioii ne nous dis-
» simule pas les inlirmiti-s. La foi en Jésus-Christ , suivant les
B protestants, doime le salut, elle ne donne pas l'infaillibilité.
• C'en est assez, j>our les pénétrer d'amour envers la suprême
» bonté et pour calmer les tourm<>nis de leur esprit, mais pas
• assez pour les ««lever à une conci'|>ii«)n totale et à une expres-
» sion définitive de la vérité chrétienne. Lo parole de Dieu nous
» a été dontiie pour nous jusiilirr, non pour nous illuminer de la
«vision céleste. Il s'agit de salut, non pas <le science, ilellaitT
» le péché et non de transformer l'intelligence, et par conséquent
» les variations de doctrines «pii se produisent nécess:nren>ent,
D les difl'erences d'orjîanisation. de lanpaj^e et même de dogmes,
» <pii ne pnrtt'Ut point atteint»' à <e dont il est dit : inum est ne-
» cestarium , peuvent ôtre des preuves de la petitesse ou de la
» moltiiilé de l'esprit des «hretiens , mais nullement Ac la faus-
• scte du christianisme. »
Cette page est sans contredit très-remarquable ; mais com-
ment un esprit aussi cultivé que M. de llemusal ne voit-il pas
que i«»utes • ces iidirmites «le la nature humain«> o «ju'il monir»*
si bien, doivent non-sculemcnl «*)lcr toute autorité tiiéorique^t
ET M. I)L KÉMUS.VT. 231
l>raii(iiie à riiistrumeni humain ot isolé du prolostnntismo , mais
cmorc aliamicr N? |)iiri(i|i(' luèinc de la révolalion, ot dès loi's
les dogirtes «du péché, de l'incarnaiion et de la révélation ?»
M. de Rémusai ne sait peul-èlre pas que su'i" la nature même de
rincarnaiion, par exemple, il y a une l'oule de systèmes chez les
prolesiauts en raison de ce que « les intelligences relatives et li-
mitées » des sectaires ont vu , ou méconnu , ou oublié , ou ina-
perçu dans les natures , la personne et les volontés du Fils de
Dieu. La distance n'est pas re/a/ti'c entre ces sectes principales
actuelles, elle est infinie. Si Jésus Christ est consubstantiel à son
père, comme le croient les Irinitaires anglais ; si Jésus-Christ n'est
pas consid)stantiel à son père, comme l'enseigne l'église de Ge-
nève ; si Jésus-Christ n'est qu'un homme doué de grâces surhu-
maines, comme le veulent les sociniens , il est évident que l'In-
carnation , la rédemption , le péché , l'autorité de la parole de
Jésus-Christ, la révélation divine elle-même n'ont plus qu'une
valeur essentiellement relative. Et aujourd'hui il y a à Genève
et en Allemagne des multitudes de protestants « qui, pralique-
» ment, ne sont pas sûrs d'avoir une croyance où réside la vé-
» rite. » Le protestantisme n'est pas le seul système qui possède
et admette comme témoignage de la vérité le texte des Écritu-
res ; loin de là , le protestantisme n'a opéré que par voie de re-
tranchement et de négation. L'Église catholique , avant la ré-
forme, jouissait pleinement, et elle jouit toujours, de ces trois
sources de démonstration de la vérité : l'Écriture et la tradition,
en première ligne, et la raison dans sa haute et juste part. Ces
trois moyens de démonstration ont été employés par tous les Pè-
res, tous les apologistes, tous les théologiens. Le protestantisme
a repoussé la tradition et l'Église, sans lesquelles pourtant il n'y a
plus d'Écriture authentique et d'interprétation sûre, et il a outré
l'autorité de la raison précisément en lui étant le contre-poids
nécessaire à sa fragilité et en augmentant les chances inévitables
de sa faillibilité. Le catholicisme est resté sur son terrain iné-
branlable, respectant tous les secours de Dieu ; ne permettant ni
à la critique exégélique ses attaques contre les livres, les textes
et le sens vrai de l'Écrituie ; ni au luthéranisme ses excès con-
23'i LK l'ROTKSTA>T|y.E>I
Ire la libcrl** liiiniaiiie ; ni aux luétliodislPS leur dédain de la tra-
dition ; ni à tous les scrlairosleur mépris de raulorilé «le TÉglise
»'nsi*if,'nante clabli»* par Jcsus-Clirisi. Dans la d(K irinc calhoji-
<|Ut', l'édilice est conii)!!'!, on senl ri on voit (ju'il est srriptu-
rairc, iradiiionnei, rationnel, ecclésiastique, tan<lis que le re-
tranchement de l'un de ces moyens de démonstration ei de
conservation de la révélation divine éltranle la valeur intrinsèque
et Tanlorité de cette ré\clatioti elle-méinc. H n>e semide que
M. de Rémusal n'a pas saisi complètement le caractère du pro-
teslantisnie, qui est palpable, quand on vit au milieu de [)rotes-
lantismes dissidents comme à (jenève. Il est U'ès-curicux de voir
ici à tout itistant, et cela depuis les débats de Luther avec Zv^in-
j;li et Calvin, combien, pour se combattre entre eux et pour
atta(|uer le catholicisme, les sectaires sont obligés de se ser-
vir des armes et des arguments catlioliijues, tant il est dillicile
de briser entièrement le faisceau que Dieu a établi . qu'il a uni
pour l'enseignement et la conservation de cette religion unique,
oii réside la vérité, la morale et le culte chrétien. M. de Remusal
atlmel « que les variations attachées à la nature de l'esprit hu-
main doivent être plus rares dans la constitution catholique...»
tandis (ju'elles sont naturelles et inévitables dans le protestan-
tisme. Et alors les |trotestantismes (pii avaient la prétention de
faire luire la lumière après les ténèbres du catholicisme, en sont
arrivés, à force de variations naturelles et iné>itables, à renoncer
à donner une valeur « scientili(p«e , » une valeur « d'organisa-
tion. • une valeur « dogmatique,» d leur religion, sans s'aperte-
voir (et c'est aussi, si j'ose le dire, ce que n'aperçoit pas entière-
ment M. de Rémusat) (pie les prétendues allirmations «portées
jusqu'à l'exagération, » n'ont plus eu ni de |)oint d'appui ration-
nel, ni de preuves scripturaires.
M. de Rémusat , en parlant du caiholieisme, dit (pie « l'auto-
» rite de l'Kglise réduit sensiblement, mais ne supprime pas les
> sources d'erreurs, ni les principes des variations; » «on ne
» peut réussir à prouver (pi'il n'y en ait jamais eu... » M:»is la
pensée de M. de Remusal est encore incomplète; il aurait du
Kl M. I)L Kli.MUSAT. 233
(lire les erreurs individuelles et les variations personnelles ^ puis-
(jne si l'aulorilé tic l'Église pouvait comporter en ollc-mênie des
sources d'erreur et de variations, elle ne serait plus une autorité
suflisanle pour enseigner une croyance objectivement vraie et
poui- iniposeï- une foi subjectivement sûre. Il va entre le pro-
tesianlisuie et le calliolicisine une dillcrence immense; c'est
(jue toutes les objections contre le catholicisme retombent
d'aplomi) sur le prolestantisnie , et que le protestantisme ne
subsiste pratiquement que par des contradictions manifestes
avec son principe; tandis que le système catholique est un
enchaînement profondément conséquent. La raison en est que
le catholicisme est une religion, une institution divine dans son
essence, son organisation, sa perpétuité, et essentiellement con-
forme aux lois de la nature humaine; tandis que le protestan-
tisme n'est, en dehors de ce qu'il a conservé du catholicisme,
ni une religion, ni une institution divine.
M. de Rémusat dit : «. Les variations du protestantisme peu-
» vent être des preuves de la petitesse ou de la mobilité d'es-
» prit des chrétiens, mais nullement de la fausseté du christia-
» nisme. » Cela serait vrai, si ces variations ne portaient que sur
les accessoires du christianisme ; mais quand elles portent sur
la nature même du christianisme, par exemple sur la divinité de
Jésus-Christ, sur l'incarnation, la rédemption, l'Écriture, la
tradition, l'Eglise, alors la question est bien de savoir si ce n'est
pas l'erreur ou un faux christianisme qui entre dans le domaine
de la croyance et de la foi de l'homme , « dans les formes de
» notre intelligence relative et limitée. » M. de Rémusut ajoute :
«Ce qui prouve que le reproche de variation est loin d'avoir
» tant de gravité, c'est que le protestantisme est resté une reli-
»gion, c'est que cette instabilité n'a pas affaibli la foi chez les
« protestants, c'est qu'elle n'a pas interdit la durée avec l'unifor-
» mité , c'est qu'elle n'a pas brisé et broyé en fragments impal-
» pables et pulvérisé le ciment et la pierre de l'Église du Christ. »
L'erreur grave de M. Charles de Rémusat est de croire que le
protestantisme est un, qu'il est une Église ; c'est de ne pas con-
naître l'état vrai des protestantismes si nombreux, si contraires
'23i II; IMIOTESTANTISMi;
à Gcncvo el aulrc |>aii. Saii-il iin'inu ic mot de M. U; comh'
Agénor Oc Gnsparin : « L'erreur (|iii vc^iw dans l'église iiaiio-
» nale de (îenève esl si énoniie, (|ue ne pas la signaler ce serait
■ s'en rendre eomplice... Les fondenienls même de l'Évangile
» sont joui iielleineiii renversés en sou nom. » tt si M. CliarU's
de Rémusai pénéiiait dans le sein des uuli*e8 secles de Genève,
s'il savait les innumbrahles et profondes (lissiden«'es de l'Allema-
gne , de rAngleleno cl des Ltals-Lnis, il venait bien que « la
toi est aiïaiblie. » S'il n'ignoiait pas (|u'il n'y a plus un seul cal-
viniste d'autrefois à Genève, il veiraii bien que « la durée • n'y
est pas, (U qu'il y a bien des éléments de « brises, l>roy«'S, im-
palpaldes, pulvérisés, » à l'exception lie ce que les protestants
ont conservé du cailiolicisme on de < i- (pi ils lui reprennent de
nouveau. Comment iraiileurs en seiait-il anliement avec le libre
examen individuel? Aussi un protestant de beaucoup d'esprit me
disait-il il y a peu de temps : a 11 n'y a des |)roieslants que |)ai-
» inconséquence avec leur principe, et le protestantisme ne \it
» que par ce qu'il a conservé d(> catholicisme ; » réilcxion pleine
de sens et évidente pour les lioniiiies (pii ont vécu au milieu des
protestants.
M. (,liarl<'s de Kémusai vent (pie n le protestantisme soit resté
» une religion. »
1' Pourquoi?
* Parce qu'il produit pleinement, dit-il , sur l'àme bumainc,
» le double edet de satisfaire la raison et d'exciter l'imagination,
» de réaliser ce mélange de sécurité et d'exaltation (pii ne paraît
• résulter daiiciine science et d'aucune croyance liumaine. »
Mais ce premier attribut |)ent s'appliquer à la poésie, au fana-
tisme, à 1 illiiminisme ; mais c'est maigre l'élément prolestant
(pi'il y a des protestants dont la raison soit satisfaite et dont l'i-
magination soit exaltée ; et, except»' cbe/ lespiétistes allemands,
les mcMliodistes de (ienève, les «juakers américains, il y a peu de
sécurité et d'exaltation. |ir('cisemenl en raison de l'emploi du
libre examen, (pii ne peut constituer (piiine science el une
croyance Immaines.
Pourtpioi encore?
2° « Parce (pic le piMiesianiisme esl pour la conscien( c une
ET M. OE KÉnrSAT. 23Ô
)' règle el une sanclion sacrée des devoirs qui oppose une ar-
» mure merveilleuse aux traits des passions, el qui divinise en
»quol(|uc sorte la morale. » Mais ce second allrijml s'applique;
à la philosophie sociniennc; mais Kant, dans sa critique de la
raison pure, a dit la même chose ; mais les livres des Mormons
vont jusque-là... M. Vinet l'a proclamé, et on sait assez quel
homme considérable il a été parmi les protestants. « Le pro-
Tt:STANTIS.ME n'eST PAS IINE RELIGION, MAIS LE LIEU d'lNK RELI-
GION. » Il est très-vrai que la Sainte Bible est encore pour beau-
coup de prolestants une « règle, » comme pour tous les catho-
liques; mais a celte règle» est subordonnée à l'examen privé
de celui qui se l'interprète , se l'applique et se fait sa sanction;
c'est là précisément l'élément prolestant. Si M. Charles de Ré-
musat vivait au milieu des masses protestantes , tandis qu'il ne
connaît que des intelligences d'élite, il verrait que le protestan-
tisme humanise la morale divine, au lieu de diviniser la morale
humaine....
Pourquoi enfin?
3" « Parce (pie le protestantisme s'empare assez puissam-
» ment- de l'esprit de la société pour lui commander un respect
» général et durable, et pour la dominer comme une loi invisible
» qui confirme et protège toutes les autres lois. » Mais ce troi-
sième attribut n'a eu sa réalité que là où un des protestantismes
historiques a régné exclusivement et en maître, comme à Genève,
avant que la liberté des cultes y eût introduit les dissidents et
les catholiques; en Angleterre, lorsque les bills de proscription
poursuivaient les presbytériens et les papistes; en Suède, il en
est encore ainsi, el le protestantisme y protège les lois de la plus
cruelle et de la plus inconséquente intolérance. M. de Rémusat
confond de nouveau ici la Bible avec le protestantisme , ce qui
est bien dilVérent. Encore une fois , c'est ce que les protestants
ont conservé du catholicisme qui continue à agir avec une cer-
taine puissance dans les pays ou dans les églises protestantes;
mais ce n'est proprement ni le libre examen individuel, ni l'er-
reur du salut gratuit par la foi, ni celle de la prédestination ab-
solue, éléments primordiaux du protestantisme, qui < protègent
» et confirment toutes les lois dans les pays protestants. » A Ge-
'23b l-K FBOTESTANTISëE
nèvo, plusieurs miuistrcsoiit écrit <onlrc lo salul ^'raïuit ol coiilie
la |)ri'iJL'sliii;ili()U ;il»«>tjluc' ; cl dans U's liabilutlcs de la vie, 1rs
prolcslanis rougissenl des principes cl des conséquences de ces
« exagératitins. »
■ Les attribuis que M. Charles de Kcniusal donne pour prouver
que le protesianiisnic est une religion, ne sont nullement ration-
nels, adéquats, exacts et vrais ; et quand on les admettraient, ils
ne seraient point applicables au prolestaiitisme, »< qui n'est point
» une religion, mais le lieu d'une religion. » M. Charles de l\e-
musai veut même que le protestantisme soit a un christianisme. •
Et voilà M. le comte Agétior de Gaspariii rpii nie (pie le protes-
tantisme genevois, et une inliuite d'autres, soient chrétiens; et
voilà le protestantisme de M. Cocpierel qui rejette lu Trinité, la
divinité de Jésus-Christ, c'est-à-dire les bases fondamentales du
christianisme ; et voilà le protestantisme de M. Scherer(]ui prouve
que les médiodis'es n'ont ni la vraie parole de Dieu , ni le véri-
table Christ. Si M. Charles de Rémusat avait <lit cpie malgré les
trois grandes erreurs du proteslanlisme, et par une très-heu-
reuse iucoQse(pience, les |»roteslants sont encore chrétiens, nous
aurions compris sa pensée. I.e protestantisme en soi est dans
l'impossibilité de consiiiuer une religion; ses trois prétendues
bases sont anti[)athi(pies à ce qui |)eui former une religion. Le
libre examen , le salut gratuit, la prédestination absolue sont
des négations cl non des allirmalions; qu'on les considère soit
au point de vue spi'culalif , soit au point «le vue pratique, « les
cxagéraiions » qu'ils reulermenl sont au fond des négations.
Lors<jue en théorie et en fait , le dogme , la morale et le culte
sont subordonnés à l'autorité individuelle de l'honHiie, il n'y a
pas la religion, il n'y a pas là le christianisme « un , p la foi
« une, • l'Église t une, » tpii constituent la religion de Jésus-
Christ, il y a des hommes et des pays plus ou moins religieux,
moraux, |iraliquaut un culte parmi les protestants; niais ce
n'est pas en venu du protestantisme, c'est maigre le protestan-
tisme. La religion a pour éléments les rapports àurnaiurels qui
existent entre Dieu et l'homme. Os rapports, (rest Dieu qui les
a établis, c'est Dieu (pii les a révélés par Jésus- Christ. Ces rap-
ports déterminent les vérités à croire, les devoirs 5 accomplir,
I-T M. I»E HÉnUSAT. 237
Ir ciillc à rendre à Dieu. (Ici cnsciyneineni de Jésus-Clirisl se
irouve dans sa Parole écriio ou non écrile. La conservaiion, la
prédicalion et rinlcrprélation de celle parole, de celle religion,
(l(! ces rapports , ont clé çonlu'os et devaient être confiées
à une autorité cnsoignanle, visii)l(', indéfectible, perpétuelle et
infaillible. Or, le protestantisme par lui-même, en tant que
l^rofestantismc , rejolle plusieurs de ces éléments constitutifs
de. toute religion ; il n'est donc pas une religion , il n'a rien
pour relier, pour unir, pour enseigner, pour garantir; et
voilà M. Charles de Rémusal qui, tout en le déclarant « une re-
» ligion, un christianisme, » permet à l'instant même à celte re-
ligion tous les genres « de divisions, » « d'exagération; » et ne
la voyant plus que « humaine dans l'homme , lui permet aussi
» toutes les diversités de notre nature.... » Là est encore l'erreur
grave de M. Charles de Rémusat; c'est une appréciation fausse
de l'idée de religion objective et du fait de religion subjective;
aussi à force de décompositions successives , la religion arrive
à n'être plus pour l'homme qu'une affaire de croyance et de
sentiments individuels. Le noble écrivain s'égare tellement ici
qu'il compare les «divisions» purement accessoires qui existent
dans le catholicisme avec les « diversités » protestantes qui
portent sur le fond même de la révélation , sur l'autorité des
moyens de transmission , de conservation de cette révélation.
M. Charles de Rémusal accorde au protestantisme la facilité
de satisfaire « la raison, l'imagination; » il semble deviner une
certaine action de la grâce dans les unies, et cependant il mé-
connaît le fait dominant du christianisme ; c'est que par le Saint-
Esprit dans l'Église et dans les âmes , la religion est non-
seulemeni divine dans son origine, mais elle aussi divine dans
la vie de l'Église et dans la vie des âmes. M. de Rémusat n'a
point encore pénétré dans cet admirable élément du catholi-
cisme; à peine s'il l'a aperçu. A son insu, je le crois, M. de
Rémusat est plus que protestant dans la distinction des reli-
gions « divines » et « humaines, » dans sa complaisance pour
« toutes les diversités, » et aussi dans celle autre erreur : « ces
«variations tant accusées sont peut-être des liens qui rattachent
» un plus grand nombre d'appelés au centre de l'Évangile. L'u-
•23H It rROTESTA>TIS«E
» niruniiiie rigoureuse des sNiiiholes on esl pouHtiro alién-c ,
» mais la somme de piéié en est accrue. ► Qjk.'IIc i^noranc^ de
la pcnsi'O, do la volontô, de l'amour de JosusChrisi ! quelle
ignorance de r»'iai dos esprils dans les masses prctlesiantes!
(|uelle ignoraocc de Genève en particulier! Je ne parlo pas
des callMiIitpics; mais ici où voii-on encore des proicsianls al-
tacliés à rtvangik? où voil-on la pielé ronaitro parmi eux? n'esl-
ce pas juslcmcnl chez ceux qui conservent ou reprennent des
symboles? clie/ ceu\ qui reviennent à admettre le <lo;(me «le la
divinité do Jésus-Christ.' (^est dans la réailion contre « la reli-
gion liiiniaine,» ou humanisée, que renaît <|nel<|ue ferveur.
M. Charles de Ucmusal ne peut-il pas se faire une idée de J'in-
fluence sur la |>i<''l«' , la raison, l'iniaginatidn , «pii n'-snilo de la
manière dcnlendre le dogme do riiicarnalion, do la rcdomjdion?
En Suisse , quels sont les cantons |)rotesiants où régnent encore
une certaine foi, une pratique pins pieuse du culte chrétien?
c'est précisément dans les populations du canton de Neuchâtel
et du canton do Rernc qui ont conservé le plus i\v symhole de foi
et de pratiques uniformes. Il en est de même en Allomagne; et
en .\ngleterro, la piéic, la foi, la crovance, le sentiment religieux
se manifestent surtout dans la sc« le «les pnséisies, à mesure
qu'ils .sont revenus à di's symboles plus fermes , |)lus explicites ,
et à un «ullo plus viviliant. Si M. do Hénuisat connaissait les
protcstantismes et h's protestants comme nous l«'s connaissons à
Gen«;ve, et comme nous les aNons connus dans presque toute
l'Europe, nous osons «lire qu'il écrirait tout autrement ; mais sur-
tout s'il coiiuaissait le catholicisme, il n'écrirait pas comme il a
écrit. N'a-t-il tlonr jamais «-onqKtré l'at lion sur la morale vl Mir
le cour de la doctrine des rouvres qui a forme saint Vincent «lo
Paul, et de la «lorti ino d«' la piolo «jui a forme saint rran«,ois t\t'
Sales, avec la doctrine des u-uvros inutiles, sans moi iie et mémo
«langereuse du protestantisme, cl encore plus avec la docirino
de la prédestination absolue? A clia«|ue instant, ses comparai-
sons manque d'exa«;tilnde , s«'s jugements de précision, ses ta-
bleaux do «•«)ulours v«'ritablos; et, sans l«' voidoir sans «lonlo. il
défigur«' et il liiimanise n la religion «livin»', » " la religion rhré-
tienn«', ► h- caiholicisme, la loi, an prolii du dernier roinnehe-
r.K PROTESTANTISME. 23fJ
meni du piuleslantisiiie place désormais à la porle de l'iiuliffé-
rence el de rincrédiiiilé. La philosophie du W^IIP siècle a dit :
Toulcs les religions sont lionnes; M. Charles de Rémusat vou-
drait pouvoir dire, en laisanl même l'honnenr au raiholicisme de
le placer tians la foule : i Toutes les diversités chrétiennes sont
bonnes. » Aujourd'hui cet écrivain satisfait contre les catholiques
les piotesianls de honne compai;nie qui lui ont servi de types;
demain il donnera des armes aux prolesiauts de Genève, où re-
louent « d'énormes erreurs et où les fondements de l'Évangile
» sont renversés, » (1) contre les protestants qui croient encore
à Jésus-Christ; tout à l'heure il n'y aura plus de «diversités»
rationalistes qui ne réclament une place au banquet (jue leur sert
M. Charles de Rémusat.
Il y a surtout dans l'article de M. de Rémusat trois idées faus-
^es ou incomplètes.
« La religion chrétienne est divine dans son origine et hu-
» maine dans Thomme. »
'< La religion comporte toutes les diversités de notre nature. »
« Le protestantisme est une religion. »
Nous opposons à M. de Rémusat les affirmations suivantes :
La religion chrétienne est divine dans son origine , et elle est
conservée divine dans l'Église catholique et dans l'homme par
une action surnaturelle qui l'empêche de dégénérer en une in-
stitution humaine.
La religion chrétienne en elle-même ne comporte aucune di-
versité quant aux vérités divines et aux éléments essentiels de la
morale, du culte et du sacerdoce qui le constituent; et comme
des diversités individuelles portant atteinte à ces éléments
peuvent se présenter à cause de la faiblesse de la nature hu-
maine, il est nécessaire qu'il y ait une autorité qui empêche la
diversité de prévaloir sur l'institution et l'action de Dieu dans
lÉglise et dans l'homme.
Le protestantisme, en tant que protestantisme , n'est pas une
religion . précisément parce qu'en vertu du libre examen indi-
viduel , il ne relie pas les hommes à Dieu et les hommes ensem-
(1) M. lecomlc Agénor de Gaspnrin.
2^0 KT «. Uh RKMl'SAT.
Mr, fl (|iril pormot à tous los esprits (Je d«''truin" l;i loi cl los «lé-
ineiils coiisiiiiilifs de la religion rlinlirnn»'.
Le proieslantismc , duns ses trois princi|>cs , le libre exnmen
individuel, le s:diit ;,Maluil et la pr<''destiiiali(»ii absolue, avec tou-
tes les nejjjations (jui en soiii les <(>nsi'(|iien(es, loin de deveiop-
|)er la piété, TalTaiblit et l:i dessèche en proportion du progrès
des diversités et des ncgatious.
Le protestantisme, par son litre m^'Hie et ses élénunis pro-
pres, restera à jamais une iU'},'ation inf<'(!onde , attendu (pie le
libre examen individuel nie l'Église et la tradition; que le salut
f^ratuil nie les (l'uvres vivitii'es par la grtlee, et que la prédestina-
lion absolue nie !«' libre arbitre de l'Iiomme.
Tout ce qu'il y a de vérité , de morale , de culte , d'autorité ,
de religion, de piété dans le protestantisme, lui vit'iit du cailioli-
cismc et se conserve plus ou moins, malgré le protestantisme.
A.
LITTÉHATIIU: PUOTtSTAMi:.
JULIEN OU LA FIN D'UN SIÈCLE, PAR M. BUNGENER,
«Je ne connais rien de plus méprisable qu'un fait,» disait
M. Royer-CoUard. Si un fait avéré ne peut servir d'argument
contre un principe, à moins d'en être l'inévitable, l'inséparable
conséquence, que peut-on inférer d'une collection incohérente
de faits, surgissant, non de la nature même des choses, mais de
l'invention d'un romancier?
Dans leurs incessantes attaques contre le Catholicisme , nos
adversaires sont condamnés au mensonge et à la négation ; l'af-
firmation claire, nette, positive, ne leur est possible que dans
les dogmes et les préceptes qu'ils ont conservés de la doctrine
catholique, et seulement en vertu de l'affirnialion antérieure de
l'Eglise. Ils savent bien nier, par exemple, la primauté de saint
Pierre, son séjour à Rome, l'institution du Siège Apostolique et
le martyre du premier Vicaire de Jésus-Christ; mais demandez-
leur quelque affirmation précise sur leur prétendue Eglise pri-
mitive et évangélique, sur l'authenticité et la transmission des
Livres saints, sur l'origine de ce Symbole des Apôtres qu'ils ac-
ceptent, quoiqu'il soit hors de l'Evangile, ils n'ont que des ré-
ponses vagues: «On sait, » disent-ils; «il est reconnu ; » et,
pour rejeter la tradition de l'Eglise, chaîne perpétuelle et glo-
rieuse, ils acceptent celle de Luther forgée parmi les propos de
table (Fische-RedeJ du pieux réformateur.
16
2yi4 I ITTKKATIRK l'KOTtSTANTE.
A (léfaiii tlimt .rallirmalion, ils oni rassi-rlion ^raïuiie; ré-
(tuils ù fabriquer j.; ne sais quel ignoble luannetiuin qu'ils appel-
lent V Eglise romaine, ils le livrenl aux risées et aux insultes de
rij,'norance, sans ciaintlre les invcsiiyatii.ns et les doutes de
leurs coreligionnaires; ear le préjugé entoure les proiesianis
«l'un Index plus s«Wère que celui de la Congrégation. La plupart
«l'entre eux liraient Voltaire et Strauss avec moins de scrupule
«pie Bossuet et Balmès.
Depuis quelque temps, la littérature protestante s'est enrichie
d'une masse de pamphlets, de nouvelles, de romans, oii l'on se
«lonne carrière contre nous d'aulani plus lil»rement que le mé-
rite littéraire de ces œuvres n'est pas de nature à les signaler à
l'attention et à la réfutation des écrivains < aiholiques.
Et, après tout, que prouveraient-ils aux protestants eux-
ïuêmes , s'ils se donnaient la peine d'être justes, de réfléchir?
De ce qu'il plaît à M. Bungener, ministre protestant, de supposer
un chevalier Julien, lils de Rousseau, qui, élevé comme un gen-
tilhomme, l)i<'n place au milieu de celle coterie impie et légère,
écume de la société franvaise, devient lui-même incrédule, mais
«pii, en même teuips, tourmenté d'un vague besoin de croire à
quelque chose, saiigloltc avec Rousseau, s'exalte avec Mirabeau,
sympathise avec Franklin, entre aux francs-maçons et se fait
mystifier par Saint-Germain; puis prend le métier de prêtre,
sans ûtrc même bien sûr quil y ait un Dieu, comme on entre dan^
un tombeau, et après quelques mois de séminaire et quelques le-
çons pour la forme, est ramené au désespoir par le ressouvenir
et la présence, d'une jeune lille prolestante (juil a autrefois ai-
mée; qui, enlin, violant une sépulture, y trouve la Bible d'un
curé catholique, né et mort protestant, et dans cette Bible, qu'il
ne connaissait qu'à travers les superstitions romaines, trouve la
vie, la lumière et la paix ; de cet amalgame de circonstances in-
vraisemblables, de situations fausses el forcées, aucun esprit
juste et loyal ne conclura, comme le voudrait l'auteur et comme
M"" Sand le déclare, que u tout prêtre est un athée ou un im-
bécile. »
Encore n'est ce pas la calomnie patente, manifeste, qui ré-
voIK' I.' plus dans ces «ruvres de mauvaise foi. Au dire de
LITTÉRATURE PROTESTANTE. 245
M. Bungenei- ei de ses émules, si parfois il se trouve dans les
rangs du Catholicisme quelque mérite ou quelque vertu, c'est
que ces hommes d'élite n'étaient pas catholiques au fond de
l'âme. Ainsi Pascal errait entre le doute et l'imbécilité qui lui
faisait faire acte de soumission à l'Eglise; Bossuet ne croyait
guère aux Pères, aux Conciles : son ouvrage de VExposition de
la Foi catholique n'est qu'un audacieux reniement ou une grande
imposture. Mgr Christophe de Beaun.ont n'allait pas au fond
des choses de peur de nôtre plus croyant, et faisait de bonnes œu-
vres pour s étourdir. S'il était possible, on ferait de l'auteur de
I Imitation un disciple de Wiclef ou de Hus ; mais il y a un cer
ta.n livre IV qui gêne; il est vrai que les éditions protestantes
le suppriment. Du reste, les suppositions ne coûtent rien • on
pénètre, on devine le secret des consciences : M"^ de Luxem
bourg raisonne comme M- de Gasparin, et «de quels poids,»
d.t-elle, «lautorité des hommes que j'ai pu respecter, serait-
« elle pour moi, quand je les vois n'être que les organes de ce
«grand corps qui ne m'inspire aucune confiance... Ou la reli
« gion n'est rien, ou il faut qu'elle ait une autre base. »
Et voici les idées que M. Bungener attribue au roi martyr •
«Louis XVI ne s'était pas interdit de chercher un peu ce que
« valait cette Eglise au nom de laquelle on lui donnait le titre
«de ro. tres-chrétien:... son esprit s'était singulièrement af-
« Iranch. des préjugés que la mémoire exploitait.» (Qu'est-ce
que des préjugés que la mémoire exploite?] «Fils aîné de l'E
« glise, ,1 n'avait eu que trop de facilités pour sonder les dérè-
« glements de sa mère; un homme qui fait des Evêques, qui sait
« comment se font les Papes, ne saurait avoir beaucoup de foi
« dans ces dieux de la foule, et le personnel des docteurs n'est
« plus un rempart pour la doctrine.»
Toujours cette même mauvaise foi qui s'obstine à confondre
hnst,tut.on d.vine de l'Eglise avec des hommes qui ne sont les
rf^eux de personne, pas même de la foule la plus ignorante
ma.s des hommes accessibles, par leur nature et non par le fait
du sacerdoce, aux fautes, aux passions, aux folies humaines'
roujours cette perversion des mots qui veut identifier l'infaillibi-
lité du corps enseignant sous l'inspiration divine, avec l'impec
.>/,(; iittkkathu: ii-.otkstante.
i^ab.liu. .10 rin.livl.l.., .,'•<• -•"-"'• ^- •♦• d'^'"'^''n"^ a erl«ee eu
.,„,,,i,H.. Qno nous imporU- Ir ,)fr5«n»W ,/r5 c/orfriir,? Cx. nesl
,K.s nous Mui . ^.baissons ainsi h. roli},'ion, re sonl U-s Alb.goo.s H
I..S \andois. qui, la mesu.anl au mniU' luMu.in, font <l.|K^ndre
,, ,„„,.,.. (h- la .lortrinc el r.flicarilr clos sarmnrnts dr I;. sa.u-
i.,,. cl.s .uinislros. Lo ^r^onne/ ,/c, ./ocr.ur, ciui transmellon. la
unnlô de la loi, n'a ,.as plus d'innurnc. sur nom- rrovanr.,
Le n'en a sur une <'uu salulair. la n.atirre du tuyau qn. I anu-no
,1.. la mon,a«nc : r'esl à h. sourn- .,uil laul .r.arder; et quelles
..„i ...e les origines du proleslaniisnie? Achevons relie . .tal.on :
, .u.lien donnail au roi une pr.-nvr d\slim. quand .1 le ju-
.. ,oail digne d. .oUMMcndrc que le sain, d.s p.upl.s n. ponva.l
.. ,,,, .lans rrxploiuaion el la drifu-alion de lous les .nsl.neis
,,..h;..,.s .!.• ri...nunc (sic); il en .Hail venu à eon.lun- qu un
« p..upl. ne sera jamais ni l»on, ni grand, ui eclairr, n. l.l.ns n.
« Lureux par le lait .lu Ca.holieism.. , et que parm. U's ehefs
.des peuples, eeux-là s.ulnu.n. p.uvcn. lappelof a l.ur a.de
« qui n'onl nul souci de sa cous. i( iu;r. »
On avail M.nvenl aeeus.' le Cadiolicismc .Ir l.r.s.r la l.b.Tie
l„nnain.., drloullVr les alTeclions humaines, d'élein<lrr la , a.son
humaine; n.ais il Hail .•és..nv à M. Hnog-ner A'. >->.. la <lc,f,cn.
Uon des in:*(inrls humains de l'homme.
.1, roi nosa pas aller plus loin; il naignail I éch.o que sa
. loi suhiraii. sd p.oNoquail les aveux dr Jul.en. •>
Nous avons fait . omm.= le roi : nous no somm.-s pas ail. s plus
loin dans cette 1.. tur.-, qui, des W début, nous ava.l .usp.re J
........m,. d..goûl. A .,uoi bon prendre le ».o.s.eme vo ume^ N
avions assez des prétendues opinions intiu.. d- .e Ids de s m
,,,,,,,,,, .nui S..S assassins, .ompta plus d un n..e.U ,^^^^^
taut.-.>cndan.,.n....aut.vsleslilsdupast..rlV,d.at h^V^
„,os, 01 pas un véritable Catholi.iue. N.n.s pouvions jug, r . •
•manière don, M. RungnuM clo> ait trail.M- b-s personnages d.
neation. Juli.n, .,ui n'a connu la HM- ,u a travers les ,« -^
nous catkoluiucs, apprend à la . onnaitre par .-s '"'- P- ^^ ;
l,.s annolalions du ministr. hnguon..,, .lont d br.se le s. I <
pour pouvoir prcndn- 1. précieux volunu- an l-nd .1 un tomb a
omnlsi. sais sa.ril..ge el sans tonvnr. il n.nnama.s pu s..
LITTÉllVTriil- rr.OTESTAME. 2^7
procurer une Bible dans les séminaires cl les hibliolliècjucs ca-
tliuliques. Au reste, Tauieur se hâte de dite que ce malheur
était tout à fait naturel et n'avait rien d'un sacrilège. Il y a à
cette occasion, et dans la scène de l'apparition de Saint-Ger-
main, de ces pages rebattues, de ces l'aniasmagorics ridicules,
comme il en traîne dans les romans les plus vulgaires, depuis
Ducray-Duminil jusqu'à A. Dumas : encore le bon Ducray se
donnait-il la peine d'expliquer ce qui send)lait fantastique et
suroalurel. Un niinistre du saint Evangile qui n'admet pas les
miracles, ne devrait pas évoquer des prodiges sans y trouver une
cause toute naturelle, aussi naturelle qu'à Vapparent sacrilège de
Julien.
Pourquoi? Celui-ci sera sans doute régénéré subitement : il
deviendra chrétien parce qu'il accepte une base qui rend chrétien
celui même qui ne connaît aucun des enseignements du Chris-
tianisme.
Une des preniièies vérités qu'il apprendra sans doute et (|u'il
mettra en pratique, c'est que ses vœux étaient illusoires, sinon
criminels. Il en sera donc délié et pourra se livrer sans crainte à
l'exercice de toutes les vertus. Par opposition, un certain curé
Cambel, ex-Jésuite, car un roman anti-catholique sans Jésuite
serait un mélodrame sans traître, un certain Cambol, type clas-
sique, deviendra fougueux Jacobin et persécutera Julien et la
jeune protestante qui, aimée de celui-ci, a repoussé la plus bru-
tale, la plus stupide déclaration qui ait jamais été hurlée sur les
théâtres de boulevard. de Romont.
(La fin au prochain numéro.)
MtLA\(iES ET NOIVELLES.
Genève. — Les ministres PEi>Tb pah ei \-m(mes. — M. Hust , mini>-
tri' niéllioilistc (jui a eu «ne piirl active tiaiis la créalioii de léjîlise lil>re, vient
lie publier ses nicinoires , dans lesquels il llagcllc les ministres de l'églisn
nationale, les accuse de nullité tliéologiquc et d'absence complète de foi; on
revanche, son livre reçoit de ceux-ci des aménités cvangéliques qui nous
donnent une idée de la manière dont ces docteurs se traitent en famille.
Nos lecteurs comprendront alors le ton i|u'ils emploient dans leurs controver-
ses contre nous.
L'école du théologie de Genèt'f peinte par M. le ministre BntI (Mémoires,
p. ^). — J'entrai en théologie vers la fin de IHOl).
Cette époque se ressentait encore fortement du caractère de la grande
révolution française, qui \enait à peine de se terminer : la doctrine, (|uaul
à l'église, et les nururs en général, élnient arrivées à un rel.-^chement dont
on ne peut facilement se faire aujourd'hui une idée ; la manière de v i\ re des
étudiant-^, aussi bien des étudiants en théologie que des autres, y eorresp»)!!-
dait : les propos, les chansons, les dessins sur les bancs des auditoires, la
conduite de (juelques-uns, étaient au-<lessous du lolérable.
Quant h l'enseignement, il y a un fait qui domine tous les autres, et qui
semblerait incroyable, mais «jui est au(henti<|ue. Pendant les quatre ans que
nous passions à étudier la théologie, et sauf l'usage (]u'on était obligé <lc faire
de l'Aiicien Testament pour apprendre un peu d'hébreu, en traduisant en-
viron cent psaumes pendant ces (|iiatre années, on n'ouvrait pat la Bthir
dans nos auditoires : ce livre y était inutile et inconnu ; en d'autres termes,
il n'entrait pas dans les cours; et, sauf son usage comme thème de langue,
on pouvait ne pas le posséder! Sans doute on nous en parlait quelquefois,
soit pour nous y montrer quelques beautés poétiques ou des mouvements
oratoires, soit pour appuyer les dogmes qu'on appelait de religion naturelle,
même celui d'une résurrection et d'un jugement h venir : mais, à part cela,
rien. Kt quant au Nouveau Teslamenl en particulier, comme plusieurs «le
nous savaient le grec, et (|uc les autres étaient censés le savoir, ce li\re ne
MÉLANUBS ET NOUVELLES. 249
paraissait ni comme thème .le langue, ni aulion.cnl. Aucun cours non plus,
m bon m mauvais, de doj^mali.iue chrétienne : cY-laitle déisme pur; et j'ose
bien d.re que, sauf la franchise qu'on n'y mettait pas, c'était un déisme im-
pudent...
Sous le rapport seicntifî.iue c'était la même misère ; et il ne pouvait en
être autrement. On ne cultivait alors en théologie un peu soigneusement que
lart oratoire; et encore négligeait-on complètement, en ce point, le fonds
des Idées, puisque à côté de Saurin, on nous donnait une masse de sermon-
naires catholiques romains...
Pour nous former à la piété, nous n'avions donc de secours qu'en dehors
de nos éludes , et particulièrement dans les petites assemblées auxquelles
tout nous ramène sans cesse, et qui formaient à notre malheureuse position
un léger correctif. C'est vers ce temps (1810) que fut fondée la Société des
Amis. Elle n a pas duré jusqu'à l'éclat du réveil en 1816; mais elle prit alors
un peu plus de solidité quaucune des précédentes, et nous allons la retrou-
ver dans nn moment. Elle se composait uniquement d'hommes, surtout de
jeunes gens, et elle comptait une vingtaine de membres.
On conçoit le triste effet que, dans cet état de choses, mes études théolo-
giques devaient produire sur moi, déjà si mal dirigé et si plein de contradic-
tions. D un côté, je tâchais, lorsqu'il lallait composer des sermons, de faire
un peu d'art oratoire: de l'autre , j'avais dès lors au fond de l'esprit, en fait
de rhétorique, le principe dans lequel je me suis enraciné de jour en jour,
savoir que, lEvangile étant en iui-méme une puissance de Dieu et une action
surhumaine, il faut le prêcher sans aucune préoccupation littéraire, sans au-
cun calcul de réthoriqne. J'ai trouvé plus tard ce principe tel quel dans Pas-
cal, qui dit ouvertement, dès le début de son admirable écrit sur VArl de per-
suader : «Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n'aurais garde de
» faire tomber sous lart de persuader, car elles sont infiniment au-dessus
. de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l'âme, et par la manière
» qu il lui plaît, p [Pensée, Ed. de Fougère, t. I. p. 1.55.)
Ce tiraillement produisait chez moi, en résultat, quelque chose de fort mé-
diocre ; et j'ai passé longtemps auprès de mes collègues et dans le public,
pour plus borné que je ne l'étais réellement.
Comme exemple de plus des continuelles contradictions de ma pauvre vie
d'alors, je dirai qu'à côté de mes lectures de Virgile et de Voltaire, et au
milieu de toutes sortes d'attachements et de projets ou de plaisirs futiles, je
composais (1811), du 1" au 4 octobre, pour notre Société des Amis un mor-
ceau très-développé et assez sérieux contre la danse. J'ai encore cette pièce
dont je donne un passage dans le 5^ volume. Elle commence académique-
raent par a messieurs, » mais elle arrive vite à « mes frères. » C'est évidem-
ment une pièce médiocre, mais qui peut intéresser comme document. J'y
vois, en souriant, ce style à amplification qui n'est certes pas dans ma nature,
et dont je sentais dès lors la monotonie, mais auquel j'étais arrivé involon-
tairement par la lecture assidue et tuante de Massillon, qu'on m^avait re-
commandée !
Je trouve dans ce même discours une note qui renvoie à « l'article 4 de
250 VtLAMtiES El MiUVELLES.
nos rij;lciiiiMils : » — «c qui conliriiic ce ijik' je \i«*iis de dire, que la tociétr
avait (It-jj pris quelque consistance , et que nous fuisions aussi des rèKle-
nicnts ! Du rcsle, cette société n'était pas strictement ortliecfoxe ; je me rap-
pelle quau grand scandale de quelques-uns d entre luius , qui étions déjà
plus éclaires, un brave homme nous apporta un jour avec admiration une
pancarte intitulée : c des devoirs de Vhttnnrtr homme. •
Dans mes papiers de celte épo<|ue, je a ois encore une conclusion d'un rap
port fait à la Sociilr du dimanche (la même que celle des Amis), cinq semai-
nes plus tard, le li ni>\endtre \H[{, |iar feu notre frère Kmpeyta. Toutes cf s
choses sont maintenant pour nous des reliques intéressantes. Il y avait dans
son morceau moins d'anqtlilication que dans le mien, et l'on y trou\ait moins
le caractère littéraire ; mais on y sentait da\anta^e le tempérament religieux.
Dans ces années de tliéulo^^ie, un 31. de Végobrc, réfugie français, ou
français de naissance et membre du consistoire de Genève, recevait de temps
en temps chez lui les étudiants en théologie pour leur parler, non de reli-
gion ni de piété, mais de littérature. C'est dans une de ces réunions que je
cornus une de ces pensées risibicmeni gigantescpies qui se présentent à l'es-
prit de gens qui se senlciil (|uelqucs moyens, et qui n'ont pas enc«)re eu ut-
casiun d'en reconnailre les bornes en se mettant à l'aHivre. ou qui trouvent
toujours ipielque laison particulière pour excuser leur faiblesse lorsqu'ils
en ont donné une preuve. M. de Végobre nous exhortait à profiter de nos
vacances pour faire quelque travail un peu sérieux et considérable. .Nous
n'avions plus à disposer que de trois semaines. — «Je veux faire une tragé-
die en vers, » lui <lisjo. — Il sourit et se récrie. — • Pour(|uiii pas, lui ré-
pondisje gniment. Voltaire n'a-l-il pas fait Zaïre t\ani cet espice de temps?»
— Il faut se souvenir que je suis né (ienevois.
On%oil par ces quelques molsijue, pour ce moment-là du moins, nu-s
rapports religieux avec mes amis s'i-laieut affaibli*. Kl en effet je continuui-<
à vivre <laus les contrastes dont la description souvent répétée pourrait las-
ser le lecteur. Outre tout ce que j'ai déj.'i indiqué en ce genn*. mes souve-
nirs de celte époque me rappellent trois choses bien différentes qui m'occu-
paient à la fois et qui achèvcfit le tableau «le ma vie bigarée.
r rt>iiq>(i>.ilion de la musi(|ue du grand morceau : i Je dirai* letdoulrurt.*
une de mes meilleures productions nuisieales, inédite;
2° Tnliiia î j'en dis ipielquc chose dans le SupjiUmenl :
Ty° M-tdnme de Krudener. C'est en 1H|!> que celle femme célèbre vint a
(lenève pour In première fois. Klle produisit, sur moi en particiduT. une
profonde impression. Sans doute elle se montait un peu elle-même; elle
cherchait J» arriver aux miracles par réchauffement, cl en se ballant les
flancs : mais je passais p.ir dessus ce c/tlé de son ministère. Non que j'aie
jamais douté de In parfaite possibilité des mirncles, en nos jours romme en
ceux des apôtres : au contraire, je suis convaincu, et je l'étais déj.t alors,
«ju'il s'en est fait dans tous les temps, et qu'il s'en fait nussi de nos jours
mais madame de Krudener n'en faisait pas. repemlant elle avait im fond de
foi cl de charité si réel cl si grand . qu'il lui était facile de prfnluire de lef-
fel sur loulc .'kme bien disposée: et, gràco a Dieu, je l'étais grandement, .m
l»^ÉLV^^.ES i:t nouvelles. 251
milieu lie loiitos mes fnihlosscs et de toulc mes infidélités : comme je le suis
encore i\ présent.
Le :i() décembre de celle niémc année 181/», 1rs Aiilricliiciis cnlraicnt ii
(îenève; el la pauvre Genève croyait reprendre vie. Mais elle allait mourir,
peu d'années a|)rès, de la longue consomption du socinianismc.
J'ai passé rapidement sur les cpiatre ans de mes études lliéologiqucs, parce
que c'est, comme l'époque précédente, une pauvre époipie d'un souvenir
pénible. A cété de pensées Irùs-ralionalislcs, dont je trouve des traces abon-
dantes sur les marges de mes livres, il me restait, il est vrai, un fond et une
persuasion ortiiodo-xes : mais, je l'ai déjà confessé, j'exprimais ces senti-
ments avec peu d'onction ; et mes professeurs me trouvaient désagréable.
Du reste, je me rappelle, ù cette occasion, un nouvel exemple de la déca-
dence où se trouvait alors la pauvre église de Genève. Un de nos professeurs,
parfait honnête homme, humainement parlant, mais franc déiste en théolo-
gie, me dit un jour au sujet d'un de mes sermons sur le péché originel :
«Voyez, M. Bost, tout cela est très-bon; mais ce n'est pas ainsi qu'd faut
prêcher. » C'est à celte époque que j'ai entendu faire un sermon dont l'ob-
jet était de prouver, par l'histoire des noces de Cana, que nous devons nous
donner du plaisir dans celte vie, cl même d'y engager les autres! Oui, ce
fin'cnl là les deux parties et l'objet avoué du sermon!
Mais revenons à notre Genève de 1814.. Le réveil, au devant duquel nous
marchons à grands pas, ne faisait encore point d'éclat : seulement nos petites
assemblées commençaient à inquiéter la Compagnie, notre clergé, plus clair-
voyant en cela que nous-mêmes. Je me souviens d'un jour où M. le pasteur
C. vint chez mon père pour lui demander de discontinuer ces réunions.
Peut-être fut-ce cette démarche de sa part qui fit dissoudre la Société des
Amis dont il a été question précédemment.
Je terminerai l'histoire de celte époque en mentionnant le penchant qui
nous portail vers le catholicisme romain, du moins mon ami Empeyta et moi.
Le socinianismc est un système si bâtard, si terre à terre, si faux, si en-
nemi de tout sentiment élevé, et d'un autre côté la religion de Rome of-
fre un système si complexe et, si élastique; à côté de son ioolatrie elle ad-
met si bien la foi à un Sauveur, et elle proclame tellement la doclrine de la
croix, que faute de mieux, et en présence de l'incrédulité générale, nous
nous sentions portés vers elle. Nous allions très-souvent à Saint-Germain,
seule église romaine qu'il y eût à Genève ; nous aimions le parfum de l'en-
cens, qui me rappelait, à moi, Newied, parce que les frères Moraves, sans
avoir d'autel, ni même de chaire, dans leurs salles d'assemblées, y brûlent
pourtant de l'encens en certains jours de fêtes : bref, toute la poésie de celte
conmiunion, d'ailleurs couverte du sang des chrétiens protestants, nous
éblouissait, et nous passàn.es plusieurs années combattus entre lattrail que
cette église exerçait sur nous par son élément chrétien, el la juste aversion
qu'elle nous inspirait par son élément idolâtre. Je me rappelle même que
plus tard, après la formation de l'église du Bourg-de-Four, M. Empeyta, qui
avait suivi Mme dcKrudener pendant quelque temps , était encore tellement
travaillé par un penchant vers cette église romaine, qu'il nous en parlait
2.")2 «tL.l.M.tS ET ^OlVtLl.tS.
»aii^ er>M-, ri «|iir lati(>uc, je lui «lis iin jour : • Kh bien! fais-lui culliuli(|uc.
et i|tii* ce .soil lini I > Il me répuiidil que je l'effrayais eu lui duiuiant crlle
liberté ; el je crois réellement que «lès lors nous n'en nvons |ilu> pari»?, «-t n'y
avons plus son(;é. Bien s'en faut, njouterai-je.
V«)i(i, par revanche, le ]iortrait «le «c ministre fait jiar un de ses confrères.
— .»f. BosI peint par le SeTiirur Gcnrrois. (août 18Ji4, p. 202).— M. lïosl
vient de faire paraître le premier volume de ses mémoire». Autrefois on ré-
servait nu public ce genre de confidences pour des cas rares, pour des hom-
mes (|ui avaient joué un rtjlc important. .Vnjonrd'hui. ce n'est plus ça. l/au-
teur la bien senti : il n'a pas intitulé son livre seulement : Mèrnoirrtdr M.
A. BosI ; chacun aurait demandé : «juc dites-vous? (|ui e^t-ce? qu'a fait ce
monsieur? Il s'est envchippé d'un titre pon)peux. comme d'un paletot qui
lui sied, et «|ui cache un peu le faible de parler de soi : .ytrmniift jHiuriinl
tenir à l'histoire du réveil religieux.
.V. Bost est un homme désintéressé, sincère, de bonne foi; il se croit un
personnage pour avoir favorisé ce qu'il décore du nom de réveil religieux ;
pour a\oir dit raca à bon nombre de pasteurs des églises nationales, el pour
avoir eu maille à partir avec les polices des nondireuses contrées dans les-
quelles il s'est fait craindre. C'est un homme d'esprit . surtout la plume à la
main ; son style est clair, vif, pittoresque, et il a le talent de se faire lire quoi-
qu'il se répète el qu'il parle toujours de lui. Sa fougueuse vivacité l'einporle,
et (|Uoiqu'il aime la vérité, souvent il la dénature et il avance le contraire de
ce qui est.
Il prétend que la compagnie des pasteurs de Gencvc se fîl interdire par le
Conseil d'Klat de répondre aux attaques ilont elle était l'objet, ce qui esl ab-
solument faux. Klle réclama, nu contraire, insistant sur ce i|u°il y avait d'in-
juste .i autoriser les attaques et iioîi les réponses a ces attaques. Il appelle
meniKinge les exercices de prédication qui" les professeurs «le thé«>logic exi-
gent de leurs élèves ; ce qui est au moins bizarre. Il ose dire «pi'tin enseignait
de son temps à (jenève, «lans l'.Xudiloire, un rtèitmr impudent. i|ue cette ville
élail livrée au déisme, qu'elle allait mouiirde la longue consomption du so-
cinianisme, puis sans s'inquiéter de se contredire, lorsqu'en 1R22 on le montre
en Angleterre comme une curiosité, et qu'il y est bien reçu, il reconnaît et
déclare que le titre de ministre de (ienère élail une puissante recommanda-
tion.
M. Bosl ne peut ilissimuler la haine ipic lui inspirent l«".s pasteurs des égli-
ses nationales. «J'allais débuter, dit-il, dans celle longue suite de guerres
que jai faites, en divers pays, a toutes sortes de faux docteurs, el en parti-
culier dnnsfîcnève, au parti, commenl dirai-jc? rationaliste? soeinicn? incré-
dule? AuciMi nom ne lui va exactement , h ce parti ignorant el flasque , sans
amour, sans vie el sans vérité, à celle atonie absolue de la foi, véritable oqua
tofana des àn>es , (|ui poussait la pauvre église de (îenève lentement i s*
perle. » Cette diatribe n'cmpécha pas, (juclqucs années plus tard, M. Bosl
de se réunir, avec de vifs tcmoign.igcs «le joie et irattarlicnicnl, à ces pas-
teurs sans vie el sans vérité, de se mettre sur les rangs pour «le\enir leur col-
lègue : et il ne les quitta de nouveau ijuc lorMju'il eut échoué dans le désir
IIÉI.AWCES tr AOUVIiLLES. '253
d'ublciiir iini> [ilaïc, (|iril n'amail pas desservie lonj^lcinp^. cai il laul qu'il
boujçe, ijuil courre et (jiiil Ijataille. C'est un lionirne qui n'est pas équilibré,
il va par sauls et par houils ; il étnct (tarlois les idées les plus élranpes : il
croit aux songes et aux miracles de nos jours; il se refuse ))ar principe les
études do science et do lillérature; il appelle liKiutrh leclure de Massillou
qu'on lui avait reconnuandée ; il déclame contre le talent oratoire : il soutient
qu'on ne professe pas l'Évanj^ile quand on n'en comprend pas tous les en-
seignements connue lui; il voit le christianisme dans les idées, dans l'acte
unique de la grâce; il nie l'ellicacilé des plus grands efforts pour mener une
vie clirétiennc; puis il hasarde le contraire quelques lignes plus loin. Les
heures de dévotion, Slundcn dn- audachl, ce beau livre qui a raffermi et
consolé tant d'âmes ébranlées et soulïrantes , il l'accuse de faire un vrai ra-
vage dans les esprits, par une fausse apparence de piété (ce qui signifie qu'il
n'enseigne pas tous les dogmes que M. Bost voit dans l'Évangile), il le dit un
livre diabolique. Se peut-il que des préoccupations faussent l'esprit à ce
point?
Enfin, M. Bost est essentiellement guerroyant; il s'en applaudit, il attri-
bue à sa violence le mérite de ses actes et de ses écrits, il se dit prédestiné
à la guerre , il parle de ses allures cosaques, il se compare à une mine qui
va sauter; et lorsque son père, pour lequel il professe des senlimcnls tou-
chants et vrais, lui recommande de ne pas casser les vitres, au moment où il
allait comme suffragant à la cure de Moroticrs, dans l'cvcché de Bàle, M. Bost
lui répond carrément : Je lis casserai (ouïes; et il a tenu parole. Aussi
quand on frappera une médaille en son honneur, l'exergue est toute trou-
vée : c il cassa toutes les vitres. j> D'ailleurs, if sait aussi bien que nous à
quoi s'en tenir, cardans le prospectus qui a précédé son premier volume, il
se dit un brouillon. >'ous sommes trop polis pour le contredire.
— De l'apostasie et de l'achat des âmes. — C'est là un fait évidemment
constaté que le protestantisme fait des recrues dans les pauvres qui se lais-
sent aller à quitter l'Église catholique, alléchés par l'appât des secours ou
des protections. Chaque jour nous apporte de nouvelles preuves; et nous
en trouvons une évidente démonstration dans lobslination que mettent les
ministres à taire les noms de leurs prosélytes. Leurs temples offrent plu-
sieurs fois les spectacles de ce qu'ils appellent réceptions ; et catholiques et
protestants s'accordent à dire qu'il n'y a là que des inneminali, sauf quelques
pauvres hères bien connus à Genève dont le mérite est de vivre aux dépens
de ceux qui leur donnent une apparence de religion. Naguère on a vu un
jeune Savoyard, V..., de 18 ans, nous avouer, devant une partie de sa fa-
mille, qu'il passait au protestantisme parce qu'on lui faisait apprendre un
état et qu'on lui donnait 20 fr. par mois, et qu'à la réception il aurait des ha-
bits neufs; à Carouge , un autre étranger, M..., était venu solliciter de M. le
curé un secours pour payer sa carte de séjour; M. le curé l'exhorta à tra-
vailler, et celui-ci le menaça de le faire repentir de ses exhortations. Depuis
lors il est passé au protestantisme; il a des ressources et du superflu, et sa
demeure est devenue un bureau d'adresse à l'usage des étrangers qui veulent
'251 MKLAMUES ET NOUVELLbS.
se faire prutcsIanU suus iH-néncc d'inventaire. Nous coiisl^itmis dunr iju a
(jfiH'Vc 1rs ministre» et leurs auxiliaires vont visiter les pau^ rrs catlmliqucs.
qu'iU leur oITrcnt «les sec«^urs, rt cjunnil c|urli|ues-uiis se laissent |>er%ertir,
personne n'ose ni prucinnier leurs noms ni dcclincr leurs qualités. Au reste,
c'est triste de voir rc-tle di');radulion de riionime t|iii se vend; et s'il n'y avait
la perte des unies, nmis nous réjouirions de xoir le protestantisme réduit à
se consoler de pareils succès, et défendre sa nationalité par des recrues
étran);ères de cet acabit. C'est l'iiisloire de Calvin qui protège ses oppressions
contre In liberté de Genève par des fanatiques étrangers qu'il a pu anuer.
A Lyon, les mêmes faits se reproduisent; M. l'abbé Cattct, vicaire-j^éné-
rai, le savant auteur de Ui l'rrilv ralholuiur démon(rr«- , \ient d en mettrr
quelques-uns en saillie dans une brocliine s\ir le méthodisme; en voici une
cilalion :
« ....Alors (jue nous tracions le tableau de ces honteuses manœuvres du
iuélliodismc pour se faire des prosélytes, nous a\ions la main pleine de cer-
tificat> des pau\ res callioliquos de nos contrées (ju'on avait séduits de la
sorte, et qui, honteux, repentants d'avoir pu se laisser ainsi acheter par les
apôtres du imuvrl fîrangilr, nous ont donné leur déclaration écrite touchant
un si pitoyable moyen de séduction employé à leur éjjard. Dejiuis cette épo-
que, nous avons envoyé à M. le recteur de l'académie de Lyon quatre eer-
UGcats de pères de famille qui déclaraient également avoir reçu de l'argent
pour envoyer leurs enfants à l'école des mômicrs.
Qu'elle est judicieuse et que nous aimons à la reproduire, la réflexion d'un
de ces hommes ainsi achetés, et dont nous avons fait recevoir r.ibjuralion
par un ecclésiastique sous nos ordres! IJourrelé de remords depuis (ju'il
avait eu la faiblesse de toucher le prix de son apostasie, il disait à sa femme,
qui était elle-même londtce dans ce piège : « Franchement, m.i femme, je me
défie d'une religion qui donne de l'argent pour se faire accepter. »
Or, en présence de tant de faits notoires, le Vomilê d'rrangflisatton osc-
ra-t-il encore soutenir qu'on ne donne pas de I argent dans sa petite église
pour s'attacher des suppôts?
.Mais, lors même qu'il n'y a pas toujours de somme comptée aux âmes \é-
nales qui se livrent pieds et niains liés au milhodismc, poil on dire avec le
rapporteur que les conversions ne sont iiullenient inlrrructt, lorsqu il est
patent que les convertisseurs mettent plus ou moins en jeu îles intérêts ma-
tériels pour décider les consciences perplexes y\\\\ se font marchander? Est-
ce qu'à Lyon tout le monde ne sait pas à quelles conditions un imprimeur cl
un libraire se sont faits mômiers, de «alholitiiies qu'ils étaient auparavant"
l/appùtdu gain les a entrainés vers ViQlisr prétendue èranQcUiiur. A l'un il ;•
dit : Vous impnmrrrz; à l'autre : Vous rrniln: 1rs proilurtion* dr nnirr
rgliêr.
.Nous pourrions citer encore l'exemple d nu chef ilc Iccole mrlhodisle «l<
notre ville, lequel s'était fait acheter pour devenir «l'abord jindicaiit, pui»
directeur de celte institution, et qui, en abjurant entre nos mains son heic-
sic. nous a laissé par écrit le témoignage qu'on intrrrsnniî le< enfants de sa
MÉLANGES KT NOUVELLES. 255
rlussc, dcMLla plupart claiont iii-s catli()li(|iies, en les défrayant de toutes les
fournitm-CT^fcC^cole, encre, papier, livres, etc., et cela, pour les attirer,
pour les endiSj^cr dansjlc niéliiodisnie et leur inspirer de runlipathic con-
Irc leur curé et les prêtres en {général.
N'est-ce pas. (railleurs, le même luolif diiilérèt qui, eu faisant entrer les
malades à l'infirmerie de la rue des l'autascpies, les fait apostasier? Et quand
l'auteur du rapport célèbre les services rendus par cet établissement créé
aux frais du parti, n'annoncc-t-il pas que la condition .«/«e^Md «o« imposée
aux catholiques infirmes pour y trouver place est de renoncer à la religion
de leurs pères? C'est ainsi qu'au dire du rapporteur, une jeune femme, fort
opposée à VÉrangilc, et apportée à cet hospice dans un état très-alarmant,
est morte au bout de trois jours, après avoir abjuré le catholicisme. Or, que
pensez-vous, honnête lecteur, de ce moyen nus en vogue parla charité mé-
tlindiste, non-seulement à l'inlirmerie de la rue des Fantasques , mais dans
les maisons privées, d'obséder de pauvres mourants pour qu'ils abjurent
leur foi, et de mettre à ce prix les services rendus aux malades?
Oh! si, entrant dans les détails de la cupidité ou de l'esprit mercantile
delà secte, nous venions signaler les trafics de Bibles, les souscriptions
de tout genre, les riches émoluments ou salaires affectés aux ministres , aux
catéchistes, aux colporteurs, à tout l'attirail d'une église improvisée et qui
vise ù l'éclat , vous conviendriez alors que c'est bien là qu'apparaît la reli-
ciON d'argkkt.
Maintenant faut-il être surpris qu'au sein d'une société abâtardie par l'in-
dilférentisme religieux, et où le culte du veau d'or est préféré à celui du
vrai Dieu, se rencontrent, surtout dans les rangs de la misère, des suppôts
convertisseurs ou convertis, tropsou\ent accessibles à l'appât d'un intérêt
matériel ? « Résiste-t-on longtemps, dit le docteur Dauern, à un argument dont
un billet de banque est l'enveloppe?
Ce qui doit nous surprendre davantage, c'est que des prêcheurs, se disant
évangélisles, ne rougissent pas de moyens aussi contraires à l'Evangile pour
se faire des prosélytes, ou plutôt pour faire des dupes. Au lieu d'en rougir,
le rapporteur du Comité d'évangéUsalion s'extasie sur les merveilleux suc-
cès de son église. »
A Loubans, un procès qui vient de se terminer constate les mêmes résul-
tais. Dans toutes ces manifestations d"aj)ostats, il est évident que l'argent est
le seul moteur de ces perversions.
Cliarité dii clergé. — Ce n'est point contre les Russes que l'ar-
mée française a eu le premier combat à soutenir: l'ennemi quelle a d'abord
rencontré est le choléra, dont on a , du reste, exagéré la gravité. Nous rc-
256 aÉLANOES hT XÏIVLLES.
coons à ce sujet de pn^cicux et ronsolants détails. Les premiers germes dr
la maladie, dévclop|uVs par le rliangcint-nt de cliiiiiiL |iar le» in(cm|)ërieA de
l'air, aiisi|ucllc.s il cluit iiiip')ssil)l(>, iiiaigrù les plus grandes pn-i-aulions, de
51* siiustrairr cunipli-tcriuMil, el par les pn\aliuii> iucvilalilcs de la vie des
ranips, se soûl produits à (îaliipoli. Là, nos soldats, surpris par le mal et
abaudouués par la population tur(|uc. grecque el juive, fra|)pfe de terreur,
se sont trouvés privés de beaucoup de secours . I>ieu «pic cliucuu dans l'ar-
mée ait fait preuve de zèle, de dévouement et de courage.
Mais Dieu, qui chùtie toujours en père, voulait dans ses desseins adorables
faire éclater la foi des uns et la eliarilé des autres. Des virtimes qui ont suc-
combé sur ce premier théâtre, non-seulemcnl aucune n"a refus(^ les grâces
et les consolations de la religion, mais tous les réclamaient avec empresse*
ment, les sollicitaient hautement sans aucun respect humain , généraux ou
soldais, et faisaient de leur vie ini sacrilice d'autant plu;» agréable à Dieu,
que ilans leur auu)ur-pro|)re militaire et dans un sentiment généreux «pic
chacun comprendra, ils étaient humiliés par ce genre «le mort. Plusieurs,
qui allendaienl de l'eau pour étaneher leur soif dévorante , se résignaient
doucement à la voix de l'aumûnier qui leur rappelait la 'Stùf endurée par le
Fils de Dieu mourant. Les scènes douloureuses et édiiiantes à la fois de celte
première épreuve doiuiaieut une éclatante sanction A la mesure impériale q\ii
a rét;tbli le service relij^ieux dans les armées de terre et «le mer.
Le cht>léra, en provotpiant li's dévouements de la charité, servira sans
doute encore à résouilrc une ((ueslion pendanic sur le service des hôpitaux.
On a pu voir «pie la régularité de radmiiiislratioii, la science «les médecins et
l'activité des infirmiers ifc sufTîsaienl pas pour relever le moral «les soldats
abattu en ces circonstances. Alors un appel a été fait aux maisons des Filles
de la Charité, h Constanlinople et h Smyrne ; et sur-le-champ six sont parties
avec un missionnaire de celle «lernièic ville potir le Pyrée ; cinq autres ont
été envoyées ii (îaliipoli et div au camp eeniral «le Varna, sans compter cel-
les qui sont enfermées dans les «leux hi'ipilaiix «>rganisés à C«uistantinople.
Spectacle louchant de voir ces Frani^aises apparailre . comme des anges «le
salut el de consolation, au milieu de leurs frères les soldats, qui tous les ac-
cueillaient avec une joie reconnaissante, et dont quehpies-uiis s'écriaient ilans
leur naivelé : • Nous ne m«)urr«)ns plus à rii«'ipilal. puisque nous y retrou-
vons nos scpurs. » (Vnivrrs.)
— Nous extrayons le passage suivant «l'une lettre i'cril«' par un ofticier de
l'armée expéditionnaire anglaise, en date de Munastir, près «le Pravadi.
C'est encore là on de ces témoignages arrachés forcément h l'erreur en
l'honneur de la sainteté de la religion catholique, témoignage d'autant plus
flatlrur que r«)n ronnail la force des préjugés des anglicans contre le catho-
licisme. .\ leurs ministres, la supériorité de l'élégance et du savoir-vivre;
aux n«'»lres la supériorité du dévouement, du sacrilice «le l'individu et de
roecomplissemenl des devoirs les plus «lini«'iles et les plus périlleux.
Crttc Icllro a paru dan» le Daily-MriP» :
« T«>ut près de ma lante se trouve .M. !S. ... prêtre calh«)lique, homme de
DIÉLANCES ET NOUVELLES. 257
très-bonne éducation, de grand sens, mais siirloul liommc iiifaligabic dans
I exercice de ses devoirs. Nous avons eu deux morts aujourd'hui à i'iiopilal,
tous deux appartenant à la religion protestante. Le ministre s'est donné bien
de garde de leur faire visite. Il ne m'est pas encore arrivé de le rencontrer
auprès des malades. Le sergent de l'hôpital qui ne quitte jamais son poste,
m'a déclaré ([u'il n'avait pas nus les pieds dans les salles depuis que nous
sommes arrivés à Varna.
Combif-n les clioses se passent différemment parmi les catholiques ! Il n'est
pas mort un seul d'entre eux sans qu'il eût reçu la visite de l'aumônier. Son
temps est constamment employé à visiter les malades, cl il est toujours à la
recherche de (juelque nouveau malade à consoler.
Il est incontestable que nos ministres sont trop bien élevés, accoutumés
à un genre de vie trop élégant et trop confortable, trop accoutumés aux raf-
finements de la délicatesse, fruits de l'éducation soignée et du bien-élrc,
pour être susceptibles des sentiments de sympathie du prêtre catholique en
laveur du pauvre soldat. Ceci est regrettable, car l'influence de notre église
ne peut moins faire que d'être amoindrie parmi les hommes témoins de ce
contraste.
Durant le cours de mon existence et dans tous pays, j'ai été à même de
faire cette observation, et aujourd'hui la vue des camps m'en offre un exem-
ple des plus frappants. »
Il esta croire que ces beaux exemples qui frappent si vivement l'esprit des
alliés, seront d'une puissajilc influence pour amener tôt ou tard le retour
si ardemment espéré de l'.Anglelerrc à la lumière de la vraie foi.
Géues, 17 août. (Correspondance particulière).... Notre vénérable ar-
chevêque était à Moùtiers, souffrant encore beaucoup des opérations qu'on
lui avait faites, lorsqu'il apprit le 28 juillet la nouvelle positive que le choléra
venait d'éclater à Gênes.
Il se mit aussitôt en route sans s'inquiéter nullement de la fatigue. Le
lendemain de son arrivée, il visita les trois principaux hôpitaux de choléri-
ques et les jours suivants il continua à visiter les autres. Le 14 de ce mois, il
fit sa dixième visite et chaque fois il administra la confirmation à tous ceux
qui ne l'avaient pas encore reçue. Sa présence au milieu des malades, les
paroles de consolation qu'il leur adressa produisirent le meilleur effet. Hier
encore, il a visité les hôpitaux de trois bourgs hors de Gênes, de Saint-Pierre
d'Arèna, de Sestri et de Pcgli. A Saint-Pierre d'Arèna, il a remis 100 francs
au président de la société de Saint-Vincent de Paul qui s'occupe avec un
258 MtLAX.tS ET >Ol\ ELLES.
lèlc tliRiic «reloges h visiU-r l'I ii soigner les pauvres rli(i|«^rii|itc$. A (Ji^no,
iiulgic la faiblesse ilc ses rossoiirres. il a tloniié mille francs à la suriéli-
niuniripale cliarj^re île secourir le> familles îles pauvres cpii son! victimes du
lerrihlc flt'au qui nous afflige. Le clergé et les onliTS religieux se montrent
ilignes de leur archevêque.
J'ai la cunsulatiun de vous dire que ceux qui s'étaient laisse gagner pac
l'argent de la propagande protestante, frappés par le choléra, sont rentré>
dans le sein de l'Kglise catlioli(|ue. Tout le monde sait, au reste, cpie la \éii-
lable charité est une Heur qui ne |icnt cpanouir dans leurs champs.
l'ruMi^c — Munsirr. — Nous avons eu <lernièremenl un procès de
presse fort iuléressant. Il était dirigé contre Mgr lA)ui> Itendu, rvè(|uc d'An-
necy, ou pluVot contre un écrit de sa main, le<|ucl a paru \'m\ dernier hW
librairie Hurler, sous le titre de : ISfces»i(é d'unr tntton des cnnfrtiiom rhW^
tiennes, lettre de Mgr Rendu, évéquc d'Annecy, à Sa .Majesté le roi de Vrw^ ;
se, traduction de F. Singer, avec une préface du baron d'.\ndlau. Cet écni
parait iuoir produit une vive sensation dans les cercles protestants, l'n or-
dre de le saisir fut expédié île IJcrlin par voie télégraphique. Dans le réqui-
sitoire, dressé à ce sujet, le ministère pvd)iic a soutemi que ce li^re expose
a la haine cl au mépris les doctrines et institutions de I église évangéliquc, et
il concluait pour ce motif à l'anéantissement du dit livre. Le tribunal na pas
admis l'accusulion ainsi formulée: toutefois il a trouvé dans l'écrit en (jues-
tion une vingtaine de passages choquants Uonl il a ordonné la suppression.
Le ministère public, méeonlenl de cet arrêt, cf» a appelé. Mais l'appel a
amené une issue très-opposée à celle qu'on voulait : le tribunal d'appel a re-
mis récrit entier en liberté. Il est parti de ce point de vue fort juste que l'au-
teur a en effet s')umi> la réfornialion et son principe à une crili<|ue très-vive,
mais qu'il n a ce|)e[ulant rien dit contre la confession protestante et sa doc-
trine, qui puisse être considéix' comme une dérisiiui. L'écrit est du plus
haut intérêt et mérite d'être lu par les catholiques comme par les protes-
tants. Le principe du protestantisme y est très nettement a|)précie et en
même temps l'auteur fait v<»ir comment ce principe à su prendre pied non-
seulement sur le terrain religieux, mais encore dans le domaine philosophi-
que et social.
DE i;édiic\t!on du clergé anglican,
LETTRES \ M. L ABBE A. D ALZON
Par un ministre converti (1).
y
Rome, 10 mars 4854.
Je suis vraiment inexcusable d'avoir tardé si longtemps à vous
écrire sur le sujet que vous avez bien voulu m'indiquer, lors de
mon passage à Nîmes.
Plusieurs raisons m'en ont empêché jusqu'ici.
Je m'étais pourtant mis à l'œuvre ; mais ce n'est pas chose
facile que de donner à un catholique une idée exacte de ce qu'est
aujourd'hui l'éducation du clergé anglican.
D'abord , il embrasse un grand nombre d'hommes instruits
dans les sciences comme dans les lettres. Mais, si on les consi-
dère comme ministres de la religion, il faut observer que ceux
qui ont quelque savoir, ou qui sont versés dans les matières re-
ligieuses, doivent généralement leur instruction à eux-mêmes,
et qu'elle est le résultat d'études faites par eux après leur entrée
(•ans le ministère.
I
(1) Ce converti est un des membres les plus illustres de l'université d'Ox-
ford. Alors qu'il avait des tendances catholiques, un de ses amis lui conseilla
de visiter l'Irlande, pour le dégoûter du catholicisme. Son voyage, en lui
montrant l'action des protestants essayant de pervertir les catholiques Ji prix
d'argent, le détermina à embrasser la vérité dans l'Église catholique.
17
*J<»0 KF. l'Éducation
t;«'S «•Imirs .«iuiil jiH'Nf|nc (olljours basCPS sui un >\>lfiii«' (le
liborié illiniil)»' ,T,'rst-à-(lii<' sur le iiicpris (l(> Utiii |>iinci|>(>
f^énoral c:i|):ibl(' do jaluiiiicr les sentiers de la théologie ot de
dt'-terminor les divisions principales de ees «'iiides ei les rela-
lioiii (jiii les uiii.ssenl ciilrc elles. Des iioiniiies ({ui pensenl el des
hommes qui éuidieiil sans penser sont ainsi lancés , à la merci
des (lois, sur un océan immense, sans carte ni boussole; deux
rivaj^es seulement leur ont eié si|j;nalés (omine devant ^trc évi-
tés : le papisme cl V'iiu it'-dnliic.
C'est entre ces deux limites (jue N's ministres anglicans étn-
dieiii par eu\-inèuies. Mais, (omnie ils sont plus capabN's d'é-
tudier (pic de pensi r par eu\-n>émes, le travail de la rellexion
les livre parfois à toutes les théories imaf^inahles. Du reste, il ne
manque pas piinni eux d'incrédules dans le véritable sens du
mut.
Ils sont d'aillein s lr»ip linmirits < i irnp circonspects pour en-
seigner CCS doctrines à leurs nuailles; et ils tiennent ass<'7. aux
avania^j's nialéricls de leur position pom- éviter toute démarcbe
qui la compronicttrait.
Laisse7.-moi ce|)endant essayer <le vous donner une idée de la
nature et de la somme de connaissjiiK «s (pie Tt-véque exige des
candidats |>our les admettre aux Hmclions du ministère. J'ajou-
terai peu de choses sur le système suivi ù Oxford en ce qui re-
garde ces matières ; car Oxford ne s'occupe de théobtgie que
comme université.
Le cierge anjj;lican , en f;eneral , n'a p;is de séminoireg ; il ne
professe ordinairement (|uc (c qui em:iiie «le cette idée protes-
tante de la fin média, entre trop el trop peu; c'est-à-dire d'un
((*>te les dissidents (de l'Église établie,, et les call»oli(|Ues
<le l'autre. Une idée dont les résultats méritent d'être étudiés
dans l'Angleterre moderne, la tolérance des contradictions,
maxime généralement adoptée , sert admirablement le système
polili(pie; (t son adoption ( (uiiine btrme de religion nationale
contribue singulièrement à rehausser l'autorité dont i cite reli-
gion tire son oiigine et sur bupielle elle est fondée.
T'est pourquoi tous les soins des ('vV-ques anglicans se tournent
vers l;i modération des opinions dans leurs sid)ord(»nnes. (Jn
UV CLEIir.É ANGLICA>. 2(i 1
poiil (lire (les plus éciaiif's que ce (ju'ils exigent de leurs ean-
didals pour l'ordinalion , c'est du bon sens dans les questions
pratiques de la religion ; et des autres, que tout ce qu'ils cher-
( lient, c'est (praueun laudidal ne présente des idées arrêtées
sur la théologie, ou ne lasse pressentir de telles tendances pour
l'avenir.
Ainsi , un jeune homme qui poursuivrait un principe théolo-
gique quelconcpie jusque dans ses conséquences serait, par cela
même, jugé incapable du ministère, et se trouverait découragé
de toute manière. L'exclusion d'un candidat est cependant un
cas exceptionnel.
H y a quelques dissidences parmi les évêques quant au choix
des livres et des sujets qui doivent faire la matière de l'examen.
Toutefois on peut se former, d'après le tableau suivant, une idée
assez exacte des ouvrages et des connaissances qui forment , en
général, la base de ces sortes d'examens.
I. — Histoire de l'Ancien Testament. — Notions sur les plus
importantes prophéties. — Texte grec du Nouveau Testament. —
Quelques dates servant de point de départ , comme la Vocation
d'Abraham, les Captivités, etc., et les dates plus remarquables
de l'Évangile et des Épîlres.
La connaissance de la version anglicane autorisée est rigou-
reusement demandée. C'est une question sine qua won exigée par
les universités ordinaires pour conférer les grades.
Dans les examens qui précèdent les ordinations, on est géné-
ralement sévère sur cette matière et on doit s'y étendre considé-
rablement.
U. — Preuves populaires de la vérité du Christianisme. Il
existe, sur cette question, des ouvrages assez remarquables dus
à des anglicans du dernier siècle et de la première partie de
celui-ci.
L'existence de l'Eglise et ses conséquences ne sont naturelle-
ment pas comprises dans ce chapitre, et l'on s'en abstient soi-
gneusement.
IH. —^ Une connaissance superficielle, telle qu'on peut l'ac-
quérir dans des manuels populaires, d'une courte période de
l'histoire ecclésiastique ; par exemple , jusqu'à la fin du second
20*2 i>i: l'kiiLi.atio>
ou (lu ti'ui^icmu siècle. Ces notions ne sont puuruiia pas nulis|>eii-
sables pour l'evameu, et rif^uoranec lolale ilc cette matière no.
xraii pas un »»l)sia« le au succès du candidat. Los ju^es n'ad-
metienl pas une discussion de sa part sur les premières h«r«'sies,
sur les caractères des premiers Pères ou les événements (|ui s'y
rapportent ; pas plus que la recherche d'un principe commun
entre les révoltes de tous les âges contre rautoritc de l'Église,
ni li'xanien des mira< les de l'Église , à moins (|ue cet examen
n'eût pour hiii »i pour effet d'en attaquer l'authenticité. Cepen-
dant, les livres liisloriipies d'Eusèlie, deSo/omène, de Socrate et
de riieodoret, sont lus à Oxford, et les aspirants «jui sont ordon-
nés sur les cerlificau de la Société d'Oxford sont quelquefois
ohligés de produire des pièces attestant qu'ils les ont étudiés.
IV. — Quel(]ues considérations courtes et populaires sur la
Réforme en Angleterre, lines de (pielque manu<>l, plus ou moins
ahrégé et superficiel, afin que le ( andidat, ainsi mis au < ourant,
soit prêt à repdndic à d'end)arrassantcs (piestions de conirovci-se.
On lui (lemandc encore d'avoir lu un volume d'un ouxrage
intitulé : Constitution ecclésiastique de Stooker , apologie de l'h-
glise anglicane contre les Puritains «In (piin/ième siècle.
\ . — Les trente-neuf articles de l'Église anglicane avec des
explications populaires, soutenues par des «ilaiions de l'Étrilure.
VI. — Une explication du Symbole des Apôlres. Le livre qui
sert de texte est l'ouvrage d'un évcMjue anglican du dix-septième
siècle, nomme Pearson.
C'est un li\rc d'une doctrine theologiquc assez grave et
saine, Jus(|u'aii traité sur la Sainte Eglise catholique, les Sacre-
ments, eti:. Il ttmlienl (piel(|ues chapitres dout<'Ux au sujel de
la double procession et du schisme grec.
VIL — On présente d'ordinaire, sui une feuille de papier,
l'énoncé de qui-hpus questions va^^ues sur les Sacrements; el
l'on demande au candidat de deuionirer qu'il n'y a (|ue deux Sa-
crements, que la doctrine catholi({ue de la transsubstantiation
détruit l'essence du Sacrement. 11 doit élablii- quelque i hose de
'Semblable aux \ues de Zwingli, qui sont les plus m'iKiiI. lucni
adoptées parmi les anglic ans.
1»IJ OLtlUib A.>0LICAM. 203
Deux ou liois (lucstions concernant la controverse protestante
sur la gri\ce, au choix de chaque évèque.
VIII. — Qiu'stions f^énéralcs sur la nature des fonctions d'un
ministre, les obligations (|uVlles imposent, les diflicultés qu'on
y rencontre et la manière la plus prudente de s'acquitter des
devoirs de pasleur.
IX. — Connaissance de la langue latine; ce (jui est cependant
toujours présupposé. Composition latine, laquelle n'a pas besoin
d'être très-forte, surtout si les questions relatives au N° VIII ont
été passablement traitées. Ces questions doivent être résolues
entièrement par le candidat et sont prises comme preuve de
son aptitude aux devoirs pratiques de son état.
X. — Une petite composition anglaise en forme de sermon.
Les matières importantes dans un examen, celles qui peuvent
être regardées comme réellement indispensable, sont :
La connaissance de TÉcrilure-Sainte, le grec du Nouveau
Testament ; — les trente-neuf articles ; — des réponses sufli-
santes sur la Réforme; — la preuve que le candidat n'est point
papiste, el qu'il n'est pas disposé à se montrer scrupuleux sur
la définition des sacrements du Baptême et de la Sainte-Cène;
qu'il ne croit pas à la transsubstantiation et qu'il regarde
la doctrine de la messe comme blasphématoire. Il ne doit
pas croire non plus à la consubstantiaiion de Luther, ni aller
aussi loin que Calvin el soutenir la prédestination absolue
comme^ corollaire de sa doctrine de la" présence réelle. Par
dessus tout, il lui faut une composition bien faite et conforme
aux idées rerues sur les qualités requises dans un bon et digne
pasteur. Cette dernière épreuve fera recevoir un candidat, fùt-il
Irès-ignorant dans les autres parties , si l'évêque est lui-même
une personne pratique. Il est indispensable que l'aspirant tire
les réponses à ces questions de son propre fond de piété et de
boD sens.
C'est à ce point de vue que nous devons étudier les principes
sur lesquels est fondée l'Église établie, apprécier ses tendances ;
car ce sont ces vertus pratiques et domestiques qui font son éloge
et qui constituent la seule force propre qu'elle possède ; c'est
là ce qui lui vaut l'appui moral, que, depuis longtemps, la par-
20 1 i>»- l'ki»i (VTini
lie- itiiclligenlr cl cchiiri'i.' (J<> hi iKilion ne lui :iur:iil pas nrconic
sans «Tla.
Il me faut icincllrc à une aiilre lois une conrh- rs»niis\<; iK-
renseij;iirnn'til d'Oxfortl; car j'ai (l<'jà dcpasse les bornes d'une
simple lettre. Kicn de plus intéressani, de plus curieux aussi, je
puis bien le dire, rien de plus (lisle (pie les dillieultis ipio rvn-
contre tout homme assez, coura^'cux |K)ur rherelier la verilù en
toute simplicité, pour vouloir approfondir et examiner les doc-
trines qu'on voudrait lui faire accepter sans examen.
Le temps ici est n>a^nin(|uo , «|uui(]ue parfois un peu froid.
Rome est un liNrc <pii fournit la matière en telle abondance
qu'on ne croit jamais pénétrer même à demi la moin*ire de ses
merveilles.
Agrée/., elc. .1.-11. IN»liE.>.
II.
Ilumr. J .nnl jsrii.
.\ Oxiord, il n'y a pas moins de ( iii<| ( liaires «le lliéologie :
1" Celle du Professeur roy;d ;
2° Celle (lu ProleNseiir de ladv Maimierite. Ainsi appelées
<lu nom de leurs fondaieins; ces deux chaires ont remplacé les
fondations antérieures à la Helurme.
3" Le Professeur d'Histoire e<clésiasii(pie ;
4° Le l'rofesseur de Th«''olopie pastorale ;
o" Celui d'Kxe^èse sacrée.
La Couronne nomme aux première, iroisième et (|uatrième
chaires, (pii sont louies les trois appelées Royales, parce «pi'el-
les doivent aux rois h'ur |V)n(Iaiion ; les diffen'Utes facidlè-s com-
posant l'Lniversité nomment, par l'Iection. à la deuxième et à la
cin(juième. Ces nominations s(mt souvent afTaire de partis politi-
ques et ont plus d'une fois donné lieu à de célèbres controver-
ses , lorsque les individus nommés se trouvaient les chefs ou les
represenianls des dillerentes religions (car cest là le tiire au-
quel elles aspirent) que l'Église nationale confond dans son sein.
Les candidats à l'ordination sont or(iin;iir( nient lenus île pro-
tlnirc des corlilicais oonslai:inl (jji'ils ont suivi deux ou irois des
cours d(! CCS piolVsseuis, ou au uioins un. Un cours se compose
de 18 y 20 leçons; cl, chez le Professeur royal, ces leçons se
lonl sans interruplion l'une après l'autre ; celles des autres pro-
fesseurs ont lieu dans l'espace de cin(( à six semaines.
Les sujets des leçons du Professeur royal consistent ijfénérale-
nienl dans des instructions, par exemple des commentaires dé-
veloppés des Epîtres de saint Paul sur le texte grec. Ces leçons
peuvent être quelquefois consacr<''es à revoir certains écrivains
ecclésiastiques qui ne sont pas exclusivement anglicans, ou plu-
tôt à dresser un catalogue des livres que l'étudiant pourra con-
sulter comme source générale de connaissances ihéologiques.
Le Professeur de lady Marguerite n'est pas , je crois , limité
dans le choix de ses sujets; mais on dit que l'auditoire de ce
cours est aujourd'hui peu nombreux et qu'il se compose parfois
d'une ou deux personnes, c'est-à-dire d'un descendant de la fon-
datrice, qui le suit pour l'honneur de sa famille, et de quelques
curieux qui éprouvent l'envie de pénétrer une fois dans le sancr
tuaire d'un temple de science si peu connu.
Le professeur de la troisième chaire fait ordinairement deux
cours simultanés, un pour les élèves plus avancés dans l'histoire
ecclésiastique, et l'autre pour les commençants. Les premiers
étudient Eusèbe ; les derniers, Socrate , Evagre, Théodoret et
quelquefois Bède. Ils font, en outre, une dissertation écrite par
semaine, laquelle est censée résumer ce qui a été vu pendant la
semaine. Ces dissertations sont quelquefois remplacées par une
série de compositions sur les hérésies ou les conciles. Il faut re-
marquer qu'au commencement de la Réforme, les Anglicans pré-
tendaient accepter les quatre premiers conciles généraux. Un
décret du parlement de la reine Elisabeth va même jusqu'à po-
ser ces conciles comme règle d'orthodoxie et menace tous les
contradicteurs de la hache ou de la corde.
Le professeur actuel le premier qui ait occupé cette chaire)
m'a fait cadeau d'un petit volume de thèses soutenues dans ses
cours, sur l'origine du pouvoir pontifical, dans lesquelles (chose
étrange) il admet des prémisses qui ont fortement contribué à
2t>0 l'C L iin v.KJioy
nie couUuirc ù l'une des solulion!» <|iii m Oui Ijii rinirrr au M*iii
de l'Église (-a(li()lii|Ui'.
I^c (|uairièiui; Frolristur lail un cours sur te «ju'on a|)peile
(iruni(|ueni('nt, je pense) la Théologie pastorale, doni le but prin-
cipal parait <^lre d'enseigner à cuni|)Oser des sermons et de
mainieuir des modrles approu\«'s de ministres de paroisses. I.e
prof»'Sseur actuel de celle eliairtî eu est aussi le premier profes-
seur ; elle fut instituée par le gouvernement , il y a environ dix
ans, eu même tenips t|U»î cell»' d'Histoiie e('el(siasii(pi('.
La ciu(juième chaire eonsiiuie la deruirre fondation. Feu le
docteur Ireland, doyen protestant de \\estminster, légua IU,000
I. st. par an pour payer un professeui- qui a la tâche d'inlerpré-
ler l'Écriture d'après les principes anglicans.
Le professeur <rhelueu i^le W Parcy) peut jusqu'à un certain
point élre rangé parmi les professeurs de théologie.
Ce dernier professeur, et tous les [nécédeuls, à l'excepiion du
professeur d histoire e(»lésiasti(pie, ont des canoiiicats dans l'E-
glise cathédrale d'Oxford , et , en outre , un revenu de plus de
1000 I. st. par an, à ce (ju'on dit.
Ces cours sont ouverts à tous ceux qui, en dehors des étu-
diants jouissant de places au collège et <pii sont en |X'iit nom-
bre, ont it-rmine le cours triennal d'humanités et de inadièma-
tiques, et qui ne coiiliniieut pas à vivre dans les murs tVun
collège, mai^ demeurent en ville, achevant ausNi vite que possi-
ble leur cours de théologie.
L'archevèijue Cranmer avait eu rinieniion de londcr, dans
tous les diocèses d'Angleterre, d«s séminaires sous le nom d'/:'-
cole de prophètes; mais les progrès de la Reforme ruinèrent
conq)lètemeut ce projet, to certain nombre d'écoles secondai-
res, dont (pielqucs-imes fort riches et fort iinportanies, furent
établies, la plii|>ai t, à a- cp»e je ci(»is, sous lerr^iie il KdouardN I.
Dans les temps modernes, trois ou quatre écoles de théologie
ont été fondées dans aul.int de \illes nit'tropoliiaines. Ces écoles
sont régies par quelques chanoines et contiennent chacune viog*
fludianls au plus , et quelques-unes trois ou quatre seulemeDt ,
seloo la popularité du régent ou de ses principes; mais Je
nombre, frailleiiis, en est si petit, n leurs ressources sont si in-
signilianlcs qu'elles forment des exceptions parlieulières , quoi-
ciirelles puissent rlr<' trôs-uliles, cliacunc dans sa sph^^e.
Supposons maintenant un jeun(,' homme de bons principes ,
animé du di-sir de se préparer aux éludes tliéologi<iues dans les
meilleures condiiions possibles.
Il doit d'abord avoir été reçu bachelier à l'université d'Ox-
ford, de Cambiidge, ou dans la petite université de Duiham pour
les comtés du Nord. C'est à vingt-un ans que l'étudiant passe
ordinairement cet examen; il ictourne ensuite dans ses foyers,
où il reste deux ans pour compléter ses études, ou bien il passe
un an en voyage sur le continent. C'est de ce voyage qu'il pense
revenir armé contre toutes les erreurs du papisme.
Sa pauvreté peut l'avoir obligé à se faire précepteur pendant
tout ce temps. Il faut qu'il produise, pour les trois ans qui pré-
cèdent son ordination , un certificat de bonne vie et de l)onnes
mœurs délivré, soit par le collège dans lequel il a fait ses élu-
des, soit par le ministre de la paroisse dans laquelle il vivait.
Dans quelques occasions , fort rares cependant , des scandales
d'université empêchent d'obienir ces certificats.
Nous supposons donc que notre ami ait passé une année en
voyage sur le continent , et une autre dans la maison de quel-
que respectable pasteur de campagne. Il s'en va ensuite passer
six semaines à Oxford ; et s'il a beaucoup de zèle, il y retourne
une seconde fois , pour assister, pendant six autres semaines ,
au cours de théologie, il choisit, comme les meilleurs, les cours
d'histoire ecclésiastique et de théologie pastorale. 11 trouve ce
dernier cours si restreint et si peu développé , si confus , et le
cours d'histoire si peu intéressant, qu'il ne sait comment passer
sa semaine sans perdre de temps et qu'il aime mieux retourner
de nouveau chez son respectable pasteur.
Il étudie , en ellét , quelque peu les questions relatives aux
temps apostoliques , à la supériorité des patriarches et des évé-
ques , à la suprématie de saint Pierre; il voit aussi la légion ful-
minante, les dormeurs d'Éphèse ; dans une vague lueur, il en-
trevoit un état de choses assez semblable au catholicisme de nos
jours. H questionne le professeur, mais en vain ; celui-ci arrête
la discussion , voulant faire son discours et éviter toute question
'HiH ut LiuvcKTios
ioi|>oriiiiie. Il tonloiilc son modeste phHc i»ar une ou deux ciui-
lions «le f|iiel<|ue auicur <Jes premiers temps, ipii n'u pas été lu
par ce (In nier, il il s'al>sii«Mit eiiiicreinent de [)arler dv I histoire
ecrlésiasli<|ue uioderne , au motnent où il faudrait émouvoir le
co'ur et iM-liaulVer le /.èle dr iinirc ami.
Les sèelics le«;ons dune eliaire iiiiivfrsilaire paraissent à rrlui-
< i ilii temps perdu en comparaison des jours passés ù récole du
villa^'e, elle/, les malades, à la di^lril>lltion des couvertures et à
ilaulres bonnes œuvres spiriluelles et lem|)orelles , en société
de son ami le pasteur et de Tépouse de celui-ci. Kn effet, la plus
importante partie de sa préparation est celle ipi il laii dans
(|iie|(|ue l'ciraile vertueuse de oetle espé<'e.
Il n y a, <lans l'K^'lise an^'licaue, aucune école, aucun cours
de tlié'olo^ie dogmatique; et, lorsque des (jueslions sur ces ma-
tières se |)résenteut à res|iril de noire ami , il s'intpiiète de ne
pouvoir les résoudre, ^on voisin enseigne et dit à ses paroissiens
que le baptême n'est pas régénérateur et que l'allirmcr, c'est dé-
truire rimmorlalité di' l'àme. Le professeur dit aussi : « Oui ,
c'est la delruiie. » Mais, s'il vient à d(>mander comment, en ce
cas, les pecliés peuvcni êire reniis , il ne i-e«;oit pas de réponse.
Quant à la piiiilence, le professent lui dii t|in., depuis la Hc-
forruf , on a balaxe toutes les corruptions papales <le la confes-
sion auriculaire et de la pénitence sacramentelle. D'un auiru
cùlé , le D' Pusey assure <|ue son professeur, d'accord on cela
avec quatre-vingt-dix-neuf anglicans sur cent, n'aliaipie (|ue le
mot d'auriculaire , et «pie l'Kglise d'AngU'li'rre cr«)it aux sacnî-
UMMils; «pu* s«>ulement elle n«' s'en sert pas et n'insiste pas sur
leur nécessité. Notre ami se relire alors, persuadé «pi'il peut tout
aussi l)i«'ri el même nii«Mi\ s'absou«ln' lui-m«''me.
.Sur presipu' lonii's les «piesiions «le «locirin«; à propos des-
«pielles les réformateurs oui soulevé' des «liscussions, el sur beau-
cou|> dfi celles «pii ne surgir<nt «pie plus lard, il est parfait«'-
ment impossible à <«■ bon jeune liomm«: de savoir (piebpie ciiose.
Au«-un angli«an, si on le pousse, ne v«>ut «liscuter; noire ami
peut essayer; mais ni son prolésseiir ni son futur évéque no coq-
sent«'nl absoluiin.'iil à se pronon««'i- «l«Tiiiiii\cui(Mi!. si «•<• n'<"^l sur
w ipii rt'Liardf !«• papisme.
IH' Cl.lilU.K A><;LI(,A.\.
•iOl)
C'rsl ainsi préparé (\huu jciiiic lioinnio se prêsenlo à ses
examinateurs ; il est censé avoir lerniiné ses éludes. Si, dans ses
reposes, il avance ce qu'on appelU; des principes outrés ; si, par
exemple, voyant enseigner (pie Jc-sus-Clirisl est réellement pré-
sent dans l'Eucharistie, il pense, lui aussi, annoncer à ses pa-
roissiens qu'il faut rendre un culte d'adoration à la sainte hos-
lie et au vin; ou si, en quel(|ue manière, il fait voir (jue ses
opinions tliéologiques sur une (piestion de controverse prêtent
aux attaques, aucun évêquc ne voudra le recevoir. Il le chas-
sera , le renverra de sa place ou le rejettera de quelque autre
manière.
Comme je l'ai déjà fait observer, il existe, dans deux ou trois
diocèses de l'Angleterre , autant de petits collèges, participant
de la nature d'un séminaiie. Dans aucun, il n'est permis de dis-
cuter les dernières conséquences des principes (extrême views) ,
si ce n'est en ce qui touche le proleslanlisme ; et même alors ne
le fait-on qu'avec les plus grands scrupules et une extrême dé-
fiance.
Il me semble que l'exemple des chefs de ces établissements
ou de leurs prédécesseurs, se mouvant si à l'aise dans un si
étrange système, est de nature à comprimer chez les jeunes gens
l'esprit de recherche et à leur donner insensiblement la persua-
sion que ce qui est si généralement adopté doit être nécessaire-
ment bien et justifié par l'expérience; car, en Angleterre et par-
liculièrement dans les collèges et les universités , en dépit do
l'orgueil insulaire à l'égard des étrangers , il reste encore un
très-grand respect pour la tradition, l'autorité ; et, bien que cette
autorité s'exerce avec les étranges anomalies qui caractérisent
l'Angleterre de nos jours, le sentiment de respect dont nous par-
lons n'en est pas moins réel.
Une conduite régulière, du bon sens et de la modération, tel-
les sont les qualités qui font recevoir un candidat dans les or-
dres sacrés. Les évêques désirent qu'il se marie de bonne heure
et qu'il s'établisse en honnête citoyen. Je crois pouvoir ajouter
que peu de classes de notre société anglaise sont plus régulières
dans l'ensemble , plus vertueuses et plus pures que les familles
de nos ministres. Il n'v a rien de sacerdotal ni de surnaturel en
270 l»K L KUICAIU» lil CLfchGt AM.LH A>.
eux ; iiKiis, (|u:iii(iun |>cusc <juo (|u<-l(|tif>s-uiisonlcu une roiiduile
dissolue pon<i:iiii Inu j<Minfssi- , (|ir:iiii-tiii ii'n été soumis à une
nïtmicre d»* vi\rt' it'j,'uli» rc, »|iie hcimcouj) jouisscnl d'iino :isso/.
j;iaiide iiisiince et (jue plusieurs iiuiuie sont riches, et cela dans
une socit'l»'" relâclu'e et voluptueuse; quand on pense que leur
position ne leur interdit (|uc ce qui serait scandaleux, il faui
nécessairement reconnaître, dans leurs bonnes uKJ.Mirs, une cir-
constance heureuse dans l'état acliicl de lAnglelerre.
Ils sont généralemeiii l»ien éle\és et possèdent des connais-
sances littéraires assez étendues ; mais, sauf quelipies rares ex-
cepiiuiis, ils n'ont j)oint culii\é le Naste champ de la science
tln'ologi(|uc et n'ont pas même le désir d'y pénétnîr.
Le clergé anglican a compté, il est vrai, quel(|ues savants
théologiens dans les temps passés, mais ils n'ont point eu de
8U<Tesscurs. Un ou deux onl apparu de nos jours, mais ils n'ont
été ou ne sont que des oiseaux de passage; l'anglicanisme n'est
pas leur ciel nalal.
Jf ne jtuis vous dire i|iir iics-pcii dr ciiosc au point de vue
8iatisli(|ue , trayant puiiu de livres auxquels je puisse recourir.
Touielois, on compte environ '27 evèques et 15, 000 ministres
intérieurs dans l'Église anglicane. Leurs revenus varient depuis
ôO et 80 I. st. par an jusipi':^ 20,000 I. st. On cite des revenus
d'évéques qui montent parfois -i 30,000 I. st. ; un seul a AO.OOO
L st. par an; sommes qui siiniraitiu à peu prt^'s à payer tout l'é-
piscopat irauçais.
Les revenus du clergé des paroisses dépassent rarement 1200
L st. ; le plus grand nftnibre ne s'é-lève guère au-dessus «le L50.
Cependant le clerg*- anglican, se recrutant dans le sein de l'aris-
tocratie et parmi les familles riches, possède de grandes proprié-
lés (>arlicidièn's; mais ce n'est pas la condition du clergé en gé-
néral.
Mais je dépasse les bornes de ujimi snjti ; pcruH ti«'/-moi de
6nir cette lettre en faisant des \<vu\ pour vous et votre œuvir.
Veuillez-bien vous sou\enir (jiieiquefois de moi à la Sainte-
Messe. M'oubliez pas non |»lus mon |>ays.
.I.-H. Pol-LEN.
STERILITE DES MISSIO^S PROTESTANTES.
(Sniio. — VoiiIelN"deJuillol.)
S'il fallait ajouter foi aux comptes-rendus des missionnaires
protestants et à leurs chiffres pompeusement alignés, le protes-
tantisme ferait des progrès incessants sur les plages lointaines ,
ot réparerait chez les peuplades sauvages les nombreux échecs
qu'il subit en Europe. Mais autant la fiction est loin de la réa-
lité , autant les rapports des apôlres de l'erreur sont éloignés de
la vérité. — Pour convenir il faut autre chose qu'un brillant
étalage et les courses de colporteurs pris à gages; il faut même
plus que des millions de livres sterling : les ténèbres ne se dis-
sipent que par une lumière dégagée elle-même de tout nuage ;
pour enflammer les cœurs, il faut qu'un feu sacré embrase l'àme
du prédicateur ; pour persuader il faut avoir une conviction iné-
luanlable. Or, ces conditions essentielles manquent au mission-
naire protestant; il transporte avec lui au-delà des mers le vide
de sa doctrine, les dissensions de ses coreligionnaires et la glace
de son âme. Faisant de sa mission un moyen d'exploitation ou
de spéculation personnelle, concentrant toutes ses affections
dans sa famille, il est incapable de cette générosité de dévoue-
ment dont le spectacle entraîne les esprits et les cœurs.
Les moyens les plus efficaces ne font pas défaut à la propa-
gande prolestante. Appuyée de toute l'influence des gouverne-
ments, séduisant par des promesses d'avenir, répandant l'or :V
pleines mains, ses missionnaires peuvent s'adresser à la vanité et
272 îTtKILITÉ DES MISSI()>> l'ROTFSTA^iTLS .
h la ciipidilô «los hommes de couleur ; tenanl plus :i la (juanlilr
(ju'à la (|ualih' de leurs adeples, ils confrrenl le baplt^me à des
uiillicrs de paieus , avant «jue ceux-ci possèdent les notions les
plus clénientaires du christianisme. Ces nouveaux chrétiens, dé-
sireux d'oiilcnir la (-nniiniKidoti des faveurs dont un les louihlc,
laissent ligurer leurs noms sur les listes des convertis, mais s'in-
quiètent peu des devoirs «pu* leur nouvelle relij^ion leur impose,
et souvent même rré»iuenient les temjiles des idoles en même
temps que les temples proteslanis. Paiterson . missionnaire an-
{^lican , clLoyard, orientaliste distinj;ué, stigmatisent en termes
énergiques cette singulière manière de convertir au ( liristia-
nisme. Aussi les nouveaux adeptes sont «levenus tell«nieni
odieux , «jue l'Indien les appelle chrétiens Je riz, pour rappclei-
qu'ils II adopieiil la icligioii des missionnaii-eN qu':)!!!! de se pro-
< urer un mo\en facile de sulisistance.
L'île de Cevian a clé le ilnàire des exploits des missionnaires
hollandais.
Aussi longtcni|ts (lu'elh* s était iniuvee s(mis la domination
portugaise, la religion catiioli(|ue avait joui d'une complète li-
berté. Les Thamels cl les Singhalois, liahilanl les premiers le
>'ord, les seconds le Sud de la grande Ile. avaient embiassé avec
îirdeur le i hrisiiaiiisme, sans «pie le gouvernemeni <i\il eût usé
de la moindre contrainte.
\ peine les Hollandais pjoieslants se furent-ils iiiqtlantes dans
l'ile que, par des inli igues adroitement tramées, ils organisèrent
une persé'cuiion terribhî contre les <-athorupies. Dans un traité
qu'ils exlor(iiU'renl du prince Radscha Singha de Candie, ils for-
< èrent celui-ci à chassi-r de son territoire tout prêtre romain, et
à le traiter comme un fauteur de toutes les révoltes et comme un
ennemi île tous les gouvernements. Ceci se passa en 1638. Il ne
fallut pas loiigleinp pour «pie le prince s'iipeiçut qu'iui l'avait in-
dignement induit en erreur. Lorsipii! \oulut reparer le mal qu'il
av:iit causé , il était trop tard. De KiiO à KiôB, les Hollandais
parvinrent insensiblement à su|»planter les Portugais. Maîtres «lu
t«'rr3in , ils appli«pièrenl leurs principes sur la liberté é\angéli-
qii«'. L«'s missionnaires « allioliqiies furent im|tit«nablement dé-
|>orli*s dans rhub*. «t nu nie riin d'inlre eu\ fut «lécapilé. pour
STKRILITl': lUvS MISSIONS IMIOTESTANTES. 273
n'avoir pas voulu découvrir une conspiration (jui lui avait été
conûée sous le sceau de la confession. Les horreurs des Icono-
clastes se renouvelèrent dans l'ile deCeyIan. La tolérance que les
Hollandais accordaient aux Brames et aux Boiidliistcs fut refu-
sée aux callioli(iues. Toutes les atiociti'-s qui avaient signalé les
anciennes persécutions furent réitérées.
Après s'être débarrassé de leuis adversaires, les Hollandais
voulurent commencer l'œuvre de la conversion de ces peuples.
Très-peu exigeants pour l'admission des néophytes, se conten-
tant d'une connaissance très-superficielle de la religion, ils en-
rôlèrent 180,000 Thamels. Deux prédicants étaient chargés du
soin de cette multitude de convertis. Les Singhalois , chez les-
quels le sentiment de la liberté était plus profondément enra-
ciné, résistèrent à celte violence; la séduction, les appâts des
promesses, les menaces et les amendes produisirent plus d'effet.
Mais ces conversions arrachées par la violence n'étaient que fac-
tices; loin de progresser, le christianisme rétrograda dans celte
contrée; ce fut au point qu'un missionnaire protestant de Galla
se demanda s'il ne serait pas préférable de ne pas baptiser les
enfants des indigènes.
Les missionnaires catholiques ne se laissèrent pas intimider
par la persécution : ils ne cessèrent de se maintenir à Jaffna et
à Manar. Un seul d'entre eux, le père Vaz, oratorien, convertit
près de 30,000 païens. Ces succès enhardirent les fidèles ; en
dépit des amendes et de la dégradation civile, les catholiques
lovèrent la tête avec une sainte audace; ils élevèrent des églises
à Calura et à Colombo, et célébrèrent les saints offices avec tout
l'éclat et la solennité que leur permettait leur pauvreté. Le gou-
verneur Hollandais", fidèle au système de persécution que la mé-
tropole lui imposait, exila les catholiques les plus influents à
Tuticarin, sur la côte de Coromandel. L'indignation des catho-
liques fut si vive et si générale , qu'on redouta une explosion el
que l'on crut devoir renoncer aux mesures violentes. De 1765 à
1796 les catholiques purent respirer.
Tandis que le catholicisme faisait des progrès rapides, le
protestantisme déclinait sensiblement. Le nombre de ses adep-
tes, qui s'élevnit en 1722 à o24,'>92, éiaii réduit vers la fin dn
274 STÉRILITÉ HtS VISSIONS PKOTESTAilTrS .
sit'cle à 300.00(1. Mais cos Indiens n'avairnt (lorhiciim <|ur l«-
nom. Stii" 1M2,0U(I ( liniiens dans la \illr do .lallri:i , foixanfe-
(fuatre soulenienl avait une conduile conforme an\ principes re-
lif,'i«'U\ qu'ils prolcssaienl. A Manaar, qui com[)laii 9000 hnp-
lisés, à (ialla el à Malura, qui en eumplaieni 89,000, quarante-
un adulles seulement avaient été admis à parlieipor à la cène.
La paix d'Amiens (1802) lit passer Tile de Ccylan sons la do-
mination l)ritanni(pie. Les \n|,'lais, tout en favoiisani les réfor-
més, laissèrent n«'anmoins la liltrrh- aux « allioliques. Les Sin^ha-
lois et les Thamels, habitués à une ionj^ue servitude, ne surent
pas d'abord secouer leuis chaînes, ils échan^rrenl Ir calvinisme
contre la religion de la nouvelle métropole. Mais dès (jn'ilss'a-
perçurcnt qu'ils pouvaient suivre la religion qui leur semhleraif
préférable, quand l'apostasie ne fut plus encouragée, quand les
emplois cessèrent d'élre le monopole de ceux qui étaient hapli-
s«'S, le proteslanlism»! dctlina rapidemenl. Le nond)re de 342,000
ounillesqu'v possédaient les Hollandais en 1801 fut réduit l'an-
née snixanle à 132.000. Bm hanan nous apprend qu'en 1806 on
ne pouvait d(''jà plus découvrir la moindre trace des missionnaires
protestants. Les Indiens embrassèrent en masse la religion ca-
iholi«|Ue, et le reste retonrna au culte de Bouddha.
()elle défection gt'nerale stimula le /.èlc des sociétés protestan-
tes. Lii société des missions, qui avait son centre à Londres,
«lépécha dans l'ile de r,('yl:iii do nombreux missionnaires; les
mélliodisies cl les anabaplisies les sniviicnl de près. Les moyens
les plus «nergiques furent employés jxdir faire rentrer les tran-
sfuges dans le sein du protestantisme. Tous les efforis furent
vains.
A la vue de cette impuissance, en présence des progrès du
catholicisme, Tenncnl , employé du gouvernement anglais, de
(|ui nous empruntons ces détails , émet l'opinion que le proies-
tanlisme ne peul avoir «l'avenir dans ces conlnMS lointaines
«piafirès que le calli(dicisme lui ama d«blayé le lorrain. Klrange
aveu de la stérilité de la religion protestante !
Mission du Cap de linnne-Kspèranre. — Avec les immenses
ressources dont ils jouissent , les missionnaires protestants de-
\raienl mo<lilier radicalement la situation morale et sociale de*
STtr.ii.iTi-; Di:s missions i'i;otkstv>tes. 275
naiions qu'ils évangéliscni ; on devrait voir les nations sauvages
se policer et se façonner insensiblement aux progrès de ta civili-
saliou européeniio. En leur inspirant, par exemple, le goût du
iravail, en dii igcanl leur induslrie naissante, on améliorerait in-
sensiblement leur bien-être matériel et spirituel, et l'on assure-
rait à la metiopole d'immenses débouches. En effet, l'homme
actif et laborieux non-seulement centuple la dose de ses jouis-
sances, mais encore il se procure par son travail même une inef-
fable satisfaction et sauvegarde sa vertu contre bien des séduc-
tions. Si la conversion des noirs par les protestants était sincère,
on les verrait déposer cette paresse qui, on le sait, est la mère
(le tous les vices. Mais les missionnaires protestants, n'ayant que
de rares sermons pour toute occupation , n'offrent pas eux-mê-
mes à leurs ouailles l'exemple du travail et de l'activité. Au lieu
de s'évertuer à utiliser les forces physiques et les facultés intel-
lectuelles des infortunés dont ils entreprennent la conversion, ils
semblent prendre à tâche de les énerver de plus en plus. Transi-
geant avec l'oisiveté qui distingue les hommes de couleur, crai-
gnant d'avoir à constater des défections nombreuses, s'ils con-
trariaient leurs inclinations, on les voit employer les sommes
énormes dont ils disposent à flatter la paresse des malheureux,
qui se trouvent sous leur lioulette.
Le docteur Kretzschmar nous donne là -dessus des détails cu-
rieux dans ses Esquisses sur VJfrique méridionale. Personne
mieux que lui n'est à même do nous fournir ces renseignements :
un séjour de quinze ans au cap de Bonne-Espérance lui a fait
connaître la vie intime des missionnaires et les résultats de leurs
ii'avaux. Ses Esquisses, publiées récemment à Leipzig, se dis-
tinguent par la vigueur, la véridicité et l'originalité; elles nous
prouvent que le protestantisme ne vit plus aujourd'hui que parce
qu'il a conservé une partie de la sève vivifiante qu'il a emprun-
tée au catholicisme. — Que le lecteur ne s'imagine pas que le
docteur a écrit dans un sentiment de malveillance contre le pro-
testantisme; il a fallu toute l'évidence de la vérité pour lui arra-
cher ces pages accablantes.
Wupperthal est une magnifique propriété que la société pro-
18
27*» STtr.ll.lTK l»KS MISSIONS l'ROTKST^NTtS.
i«'j.i.uiir iliciKiiir :i :iclini(''C : rllc > a depuis l(»n^lemp!^ eniro-
tcnii dos iiiissionnaircs :i grands frais.
IK's \c piPinirr j(»iir de son arriver au cai», Kici/schmar se
rcndil auprès du jiasieur piotesiaiil, A|»rès un ectuii entretien
sur la simniion des ouailles, le doeleur demanda si I établisse-
ment (pii avait ( nùie tant de sacrifices aux protestants d'Kurope,
pouvait euiiii se |)asser de subside. I^ réponse du missionnaire
lut que, sauf quelques légers secours, la populatidu pouvait se
siiflire à elle-même. « Nos ouailles, dit-il, vivent des légumes de
leurs jardins et du produit de leur indusiiie. ffommes et fem-
mes travailleni rhe/ les linur fermiers ou tultivaleurs , lorsque
l'école n'absorhe pas eom|>lèlement leur temps. «
Le missionnaire moiilra au dorieur les jardins i.int v.intes.
Grande fut la surprise du visiteur en voyant que le terrain qui
devait subvenir aux besoins des habitants avait une superficie de
douze pieds carrés. On y voyait (pielques plantes de simple
agrément ou du moins d'une utilité bien douteuse. Le docteur v
remarqua (pielques buissons de tailia, plante aromaiiipie dont la
fumée enivrante <'st aspirée par les colons au mnyeii de longs
tuyaux d'os creusés. Première déce[)tioii.
« Ht quelle est l'industrie «les bruns protestantisi-s .* Pour ne
pas exagérer, j'avouerai que la société rhénane a député quel-
<|ues frères chargés de donner à ses heureux protégés les pre-
miers éléments de l'iiKliislrie. Il y a don»" à Wupperihal un me-
nuisier, un chapi'lier el un «-ordonuier. On les a()pelle frères,
parce que le Saint-Elsprit est descendu sur eux. Appartenant à
l.i classe des ascètes, ils portent une c.iloiie noire et se condam-
nent à lie jamais sourire. Le menuisier est en même t<'mps vi-
caire du pasteur; le coid<mnier est chargé de s'oc< upei ilu m -
goce el de la sacristie; le chapelier cumule les titres de caté-
chiste el d'accoucheur. Dans les ateliers se trouvent quatre mi-
sérables bousilleurs; (pialre sur des centaines!» Deuxième
déception.
1-e traxail des colons compense-i-il rinsiinisance de ces deux
premieis moyens.' L«! (lo( leur, désireux rie « onuaiire à fond ré-
tablissement, l'examina sous toutes ses faces. Il \ii loiii un irou-
penii d'Indiens étendus sur des pe:nix d'ours , ils parnissaieni al-
1
SlhllILITi; Oi;S MISSKO-. l'KOTISTVMES H i
leodre que la manne céleslo vint resiauicr leurs cnlraillos. Il esf
vrai que Ir Boor n'a besoin d'un personnel nombreux (jue poui-
ensemencer ses champs et rentrer sa récolte. Mais alors même
il ne peut trouver des bras pour l'aider; c'est que, auprès d'une
population larce par l'oisivcti-, le lioor est eu mauvais renom ; à
la vue de ses irou|)eaux dc'cimés, de ses vij,'ri('s ravajjc-es , de ses
oies en fuite , de ses chevaux égarés ou blessés , il ose concevoir
des soupçons sur la liddité des ^am/s qu'il a à son service! Ef
puis le pasteur chargé du soin des âmes s'o[)posc à ce que ses
ouailles s'occupent parfois de ir.avaux manuels, sous prétexte que
l'école serait négligée.
JOn a profondément inculque- aux hommes de couleur qu'ils
jouissent de la lihcrlé : ils se gardent bien de l'oublier. IMus
de dix mille d'enlre eux circulent en vagabonds autour des
villes et des villages jusqu'à ce que la faim ou le besoin d'ean-
dc-vie les force de travailler quelques journées. Dans leurs
courses errantes, ils n'ont d'autre moyen de subsistance connu
que les nombreux troupeaux des fermiers. Si la justice parvient
à constater l'un ou l'autre vol commis par ces colons désœuvrés,
la philanthropie européenne a pourvu à ce que le coupable em-
portât de son emprisonnement de doux souvenirs qui l'engage -
rfint à la récidive. La paresse est tellement enracinée dans les
mœurs de cette population, que le docteur entendit un jour dire
à son propre domestique : « Le gouverneur anglais veut , dit-
on, porter une loi sur le vagabondage; eh bien, dansée cas,
nous nous rendrions tous à l'établissement de la société rhénane,
nous sommes libres, et personne n'a le droit de nous contrain-
dre de travailler. »
« Cet établissement est on ne peut plus préjudiciable à la mo-
ralité de tout le voisinage. Une grande partie des domestiques
abandonnent bientôt leurs maîtres pour se réfugier dans ce re-
paire de la fainéantise ; ceux d'entre eux qui étaient autrefois ac-
tifs et laborieux deviennent des vagabonds insolents et des hy-
pocrites fieffés. — Tandis que le maître travaille les six jours de
la semaine, les aides, lorsqu'ils veulent bien condescendre à
lui prêter leurs bras , sont d'une nonchalance et d'une somno-
lence désespérante : ce n'est pas en roulant dévotenifut les veux
27H nTKHII ITK ItK's IIISSIOMS l'HOTESTAMTES.
<|ii4* I Oïl ciiliivc les cli:iiii|ts; ve n't'sl |>as rn rhanlaiit des canti-
que» ni rn brcdoiiilhtnl des prières (|iie les ^'rains rentreroni
dans les {^ranges. Parfois même il est arrivé que des récoltes nni
Ole abandonnées ei ont pourri dans les champs , parce que des
ci>ntaines de fainéants, (pii s'engraissent dans l'étalilissement de
l.i société rlienan»', se sont i<'fiis«'S à se levi-r de lenr couche pour*
>enir vu aide au pauvre cidtivatenr. La colonie est remplie de
s'ihUs (|ui prient, (hantent, fument et croient ainsi avoir le droit
de porter les attributs du hon chrétien, le |>antalon cl l'habit
noirs; après avoir consacré de bien rares journées au travail, et
cela pour un salaire exorbitant , ils s'ima^'inenl |>ouvoir en em-
ployer le reste aux douceurs du fur nicnle. •.
» La très-grande partie des hoinines de coideur se réfugient
dans les stations de mission, n<m pour s'instiuire de la religion
«t y vaquer aux e\»i(ic<'s de pieté, mais pour y vivre dune ma-
nière plus conunode «'l |>lus confortable ; ils se font chrétiens
nnitpiemenl dans l'intention de jtoiivoir donner im libre cours à
leur inclination vers lu paresse. Kt qui oserait lesbhlnier? Ils
mènent une vie exempte de soucis; en échange de leurs courtes
prières et d'un visage allonge , ils voient tous leurs besoins satis-
faits par la philanthropie; protestante. Dans llnde orientale, clia-
<pie Indien baplist* est enirelt'nu aux frais des missiormaires, poui
la raison qu il perd sa caste , qu'il est exclu de la société de ses
frères et qu'il est traité comme le chien d'un paria; il ne serait
«jue juste qu'il fût soutenu par le missionnaire, si s:i conversion
liait séiieuse. Mais qui oserait aHirnier «|ue le néophyte s'est fail
bapliseï' pluitU par conviction que par paresse, ou par passion
pour l'eau-dc-vie? Il suflit d'avoir Nisiie rétablissement de la
mission sans pré-jugé , pour appré( ii r (piels éii-anges chr«'liens
Ihabitenl.
» A l'i-xception de (juciques pratitpies machinales , ils n'ont
aucune iidigion. La faute en esl moins à eux qu'aux missionnai-
res proteslants «pii leur donnent souvent des notions plus que
singulières sur le ( hristianisme. Voici un spécimen de leurs in-
structions; cet extrait esl texluel. « L'amour esl... l'amour. Il
» n'y a que l'amour au monde. Dieu esl ;imour, r.Vgnean esl
■ amour, le sang est amour, puiscpiil lave l<'s péchés du monde.
STHIIILIIK niiS Mlï)SI().\S n,0'llî)TAMh.S. 279
» El , nu's fi ('i es , rioyc/. à ruinour, soyez <lnns cl avec rainour.
» Par rainour vous viendrez au ciel ; |)ersoiinc n'arrivera au ciel,
» s'il n'a pas d'amour... Aimez donc voire voisin, voire épouse,
» votre bu'uf, voire âne ; aimez loutes choses; car, je vous le dis,
» l'amoui', oui l'amour — l'amour. — Amen (t). »
Nous croyons inutile d'insisler davantage. Qu'il nous suiHse
(le dire que les païens ne sont attires à la résidence de la mis-
sion que parla certitude d'y être héhcrgés, nouiris et protégés.
Toute leur religion consiste à joindre les uiains d'une manière
dévole, à roulei- les yeux , à prononcer quelques phrases senli-
meniales sur la misère de l'àme cl sur le sang (jui lave tous les
péchés. Le diable doit rire sous cape en voyant l'ignorance des
blancs qui se laissent aveugler par des jongleries si grossières.
« Après un séjour de quinze ans dans la colonie, je n'ai pas eu
la consolation de constater la moindre amélioration dans la si-
tuation morale et sociale des habitants. Que dis-je, améliora-
tion? Aux passions de la paresse et du vol sont venues s'ajouter
l'ignorance et l'hypocrisie. Est-ce qu'un frac noir n'est point
préférable à quelques génisses jadis gagnées honnêtement par
un domestique? Avant l'arrivée des missionnaires au Cap,
l'homme de couleur était laborieux, serviable et obéissant; au-
jourd'hui , quoiqu'il puisse à peine couvrir sa nudité , et qu'il
doive comprimer son estomac affamé en se serrant la taille d'une
courroie et en assujettissant un gros bouton sur sa poitrine, au-
jourd'hui il j)réfère s'étendre oisif dans l'éiablissement. Ce n'est
pas que le travail fasse défaut; plus d'une fois les fermiers voi-
sins se sont rendus à la station des missionnaires, pour y louer
(1) « Je n'ai pas en l'occasion, à Wupperlhai, dit le docleur Kretzschmar
dans un autre endroit, d'assister à une leçon de catéchisme donnée par les
missionnaires à leurs ouailles; mais j'ai été à même de recueillir le spécimen
suivant : Un missionnaire s'adresse à l'un de ses élèves et dit : » Nalium, qui
a apporté le péché dans le monde? c'est Jésus,» répondit un grand gaillard
de six pieds, velu d'un pantalun et d'un frac noirs. Le missionnaire se mor->
dit les lèvres et dit : « Tu te trompes, Nahum. Qui fut le premier homme?
A'oe. » — Prends le temps de réfléchir et dis-moi qui fut Noë ? — Les douze
Apôtres, s'écria ^'ahum triomphant, sans douter un instant qu'il n'eût résolu
ce problème épineux. »
280 simiMii UK> Mi»i(»\s n.iniM vMi >.
un doiiit sii<iuc , vt >oi(i la irponsc qu'ils ont ubliMiue : «Qui
vous a dil <|Uo je voulais ser>ir? Aujourrriiui nous no souimi's
plus (les esclaves, nous sommes libres; la «asie a eliaii';»', e'osl
au leur (J<'s blancs de (laNailler pour iiuiis. » !,<> noir saii en el-
fel (pril n'a pas besoin <|<' se j^rncr n (juil peut se ref)MS<r a\et
pleine seenrile sur la ridit iil<* pliiiantlii opie des prolest;iiits (rKii-
ropc.
»• L'aveu^lemeiil des missionnaiies ei leur résoluiion bien ar-
rêtée de ponisuivre quand même \r plan insens»'* qu'ils ont adopte
pour la conNersion des païens s'ex|)liqueraient, si les a|>ôtres du
protestaniisiue montraient du /èlcei du dévouement dans Texer-
« ice de leur ministère. Mais le lien <|ui les atlaebo à leurs ouail-
les est, jtour me seivir du lan^'a^'e des Hoois , aussi fra};ili'
qu'une c«»rdc de sable. Dans la dernière ;,'n(ire des CafTres, par
exemple, tous les njissionnair<s ont abandonne leurs résidences,
situées en derà des frontières, quoi<]ue les eliefs cairrrs leur eus-
sent donné Tassuranee ([u'ils ne seraient au<unement molesti's.
Leur peu de e<mfiance dans la j^énérosllé des vainqueurs les fît
fon^id» iTi- rominc des ennemis; leurs effets furent saisis comme
un buiin lej^iiimc Tonlc rKiir(»pe releniii dr j>lainies sur les
perles essuyées |»ar lis missiotmaires ; des sermons furent pro-
noncés, des colle» les furent faites en fa\('ur des vietimes. Au
lieu de cette générosité , mieux aurait valu les renvf)ver à leur
enclume ou à leur aiguille. »>
Le docteur Kret/.sclimar parait craindre lui-même cpion ne
taxe son récit d'exaj^éraiiim. Il en appelle au lémoi^'nape ima-
nime de la eobmie, oii , mieux que dans des conqiles-rendus
mensongers , l'on doit savoir cpiels ont été les résultats des mis-
sions protestantes. Dans les rapporis annuels faits par des mis-
sionnaires intéressés, on exalte les progrès accomplis dans la
vie morale cl sociale des noirs; mais telle est la convirlion de la
vérité , qu'on n'a jamais tenté d'organiser une collecie dans les
colonies ntèmes. l.a crédule Europe est le trésor d'où affluent Icjs
subsides. Depuis ipie le monde existe, on n'a jamais menii ave<:
i;iiii irinq)udence <pie dans les rapporis des juissionnaires pro-
trsianis. A défaut de faits patents, de nature à stimuler le />lc
des ardents, on recourt à 1' reelanie . à la li< ti<>n. (''est ainsi
SIKIIILITÉ DLS MISSIONS l'IlO I Lhl AMCsl. 281
qu'un a laii lédiger pur un lioUentot un uppel touclianl à lous
les chrétiens. Celte lettre, lue du haut de la chaire aux paysans
âv la Poméraiiic, produit sur eux Tinipression la plus profonde;
les bons Poniéranieiis se réunissent poui" répondre à leur frère
Holtenlut; celui-ci a la politesse de continuer la correspondance,
et le succès de la collecie est assuré. A la fête des missions don-
née à Berlin l'année dernière, on n'a pas manqué de recomman-
der instamment ce maiiéi^c. Mais noire bon doclcui- ne trouve,
pas d'expressions assez fortes pour llélrir cette fourberie.
« Les établissemenls créés pour la conversion des païens sont
assez connus , de même que les sommes énormes qu'exige leur
entretien. Celui qui contribue à celte bonne œuvre désire naïu-
rellement de connaître les brillants résultats obtenus par ses
cotisations; des rapports , des sermons, des revues, des feuilles
volantes contentent sa légitime curiosité. A en croire les récits
émouvants , les missionnaires protestants pénétreraient dans les
déserts les plus sauvages et s'exposeraient à la mort au milieu
des crocodilles , des lions , des serpents et des anthropophages,
plus redoutables que les animaux mêmes. Armés de la seule Bi-
ble , ils s'engageraient dans des pays inconnus; les noirs ornés
de plumes, brandissant leur casse-tête ou leur javelot mortel, se
précipiteraient furieux de leurs bois de palmiers sur le témé-
raire qui vient fouler leur sol... Le missionnaire, dans le zèle qui
l'emporte, renverse leurs idoles d'argile, ouvre sa Bible avec un
calme impeiturbable et commence sa lecture . n'importe en
quelle langue. Les sauvages écoutent ébahis, s'émerveillent,
sont touchés , tombent à genoux et baisent les bottes de cet
homme de Dieu, sans l'arrivée duquel ils étaient perdus à ja-
mais. Dans son premier rapport, le missionnaire informe que
plus de cent païens sont entrés dans la douce communion de l'Es-
prit et sont sortis de la nuit de la superstition par la grâce de
Notre Seigneur.
» L'Europe est annuellement inondée de comptes-rendus si
pathétiques , que c'est à faire verser des larmes aux rochers les
plus durs. Des Sauls et des Madeleines modernes parcourent les
plages lointaines, en cherchant le Seigneur; ils s'assoient déses-
pérés le long des chemins oîi ne passe pas un voyageur pendant
'2^2 .SIKIIILIIL DL.l JUI»I(I.\> IMlini.Sl \.>TK>.
iiiuic (1114- :iiiné(>. (°o|K*n(lani Diru cuiidiiit un missionRaire pfo-
leslani , lr(juel dtMuiiMr ces iiiisérnltlps créaiiires <|ui . (]n4M<|ii«-
aussi à^fts (ititî Malliiisalcni . ont (|iiiii(' Uur |»ôi«' et l«'ur iiirrc
pour le Sauveur cl sont t'Utrecs daus le sciu d'Abraham. (Vt^
laicnt dos sauvages, victimos de louies les passions et tout noirs
decriinos; jçrâce au zèl«î inl'alif^ahle du missionnaire, les voilà
devenus des héros de verlu ; le sang de VJgncnu les n lavés et
leurs (Unes sont revétuts d'un ru'Ieitirnt aussi hianc (juc la neige.
Mais ces houMues généreux, (|ui rtnonccni à tout pour iravailler
à l'uMivre de leur iterleclioii, oii faul-il donc les chercher ':' Dans
les eiahlissonients des siuiions? Mais nous a\ons \u ipiels sont
les habitants qui les peu|)lenl. Dans le régiment des chasseurs
hottenlols au service du gouvernement anglais? Mais on n'y
trouve (pie des rebelle> et des assassins. Partout j'ai vu les hi»m-
mes de couleur dans la siluatioii la plus (hplorable. Kn «pialih-
de médecin, je nie suis souvcni douve au chevei du lit des mo-
riltonils ;•! approche dt; la niorl eianl une pierre de loin lie iidail-
jible pour apprécier l'etal moi'al de l'Iioinnie, j'ai été a mèuie dr
lormei mon opinion. Partout je n'ai renconln* «jue rignorancr
la plus profonde et un mélange de phrases absurdes et incohé-
rentes sur le péché, le démon, le Ke(h>mpteur, l' Agneau de
Dieu, etc. (^)uelqnes \ei*sets d<' rKcriiur«'-Saint4* bredouilles nia-
cbinalemeni , e( pour la plupart du temps inintelligiblt*$ à celui
qui les f»rononcail, étaient le viatiipie du moribond, en facj» de
r^iemiie. D
On le voit . e'est la proclamation du principe luthérien sur la
justilicalion <pii tiansporle d'iurlij^nalion le d(M-leiir Krelyschmac.
Otle doctrine désastreuse fait des païens lescarrii alures les plus
monstrueuses du rhristianisme ; partout elle est le eommenen-
uuiil (t la lin, <'lli' est l'essence de la religion qui est pr«Vli«»e
aux pauvres sauvages. I.e docteur n'a copié (|uo tni|» fidèlement
leurs sermons; l'on ne saurait repondic à ses iiHerpellaiions,
lorsque , après avoir exposé ipiels sont les résultats di^s missions
protestant»'», il demande à (pioi MrAent les predi<'aiions des miu-
sionnair«'s dans les colonies i' Les éc(»le», où l'on est Juen loin de
négliger l'insiriM-iion religieuse, ne laissent à pou prè« rie» a
HMiror, le goMvei"neinont an^lai^n a pourvu à tous leurs besoinsu
STEUILITi; DLS MISSI(»?(S l'HOTESTANTES. 2^3
L<*s itisiimicurs reçoivent on moyoniie un ti-aitemcnt de 200 li-
vies (^0,000 Ir.); la rre(itienl:Uion de ces inslilulions est graluile.
« Pourquoi donc des savetiers et des ravaudeurs , tiui se disent
inspirés, vont-ils se charger de rinslruciion religieuse, eux qui
n'ont ni assez, de zèle ni assez d'apliludc pour se charger de cette
augusie l'onction.' »
Si du moins ils ne s'occupaient que de prédication, ou s'ils se
bornaient simplement à travailler au bien-être matériel de leurs
ouailles! S'ils faisaient comme ce missionnaire anglican à Ka-
minsberg dans le Namaqualand (c'était autrefois on forgeron sur
lequel le Saint-Esprit était descendu), qui conduisait un joli
troupeau de génisses à 600 lieues du Cap, pour le vendre au
prolit de ses ouailles! mais non , il faut qu'ils s'occupent de po-
litique. Laissons parler le docteur lui-même :
" Il est notoire que les missionnaires , aussi bien au Cap de
Bonne-Espérance que partout ailleurs, se mêlent de politique.
C'est à eux que l'on doit la propagation de nouvelles politiques
erronées. Nous ne croyons pas nécessaire de rappeler les intri-
gues ourdies à Tahiti et dans la Chine. Au Cap , les éiablisse-
menis uniquement destinés à civiliser et à moraliser les indigè-
nes se sont convertis en véritables arsenaux et en repaires d'as-
sassins; les feuilles de la Bibles ont servi à charger des fusils
meurtriers. Cairevier, la plus importante résidence des mission-
naii'es, était devenu une véritable caverne de brigands. Des
charges accablantes ont pesé sur les missionnaires, et un grand
nombre de circonstances les ont fait considérer comme les fau-
teurs de la révolte des Hottentots. On a fait une enquête, et la
justice les a acquittés; mais l'opinion j)ubli(iue a été loin de les
absoudre. « C'est à leurs œuvres qu'il faut les connaître, » s'est
écriée toute la colonie.
» Voici dans quels termes fut rédigé l'acte d'accusation con-
tre le révérend Read aîné, supérieur de la station de Catrevier.
« On sait que le révérend Read, peu avant l'explosion de la ré-
volte des Hottentots, prononça un discours politique de nature à
exciter la population. Il fît comprendre à ses auditeurs que leur
devoir d'homme, de père et de chrétien était de résister à toute
atteinte portée à leurs droits de la part d'un gouvernement ty-
iH-l MKKII.nK ors missions I'KOTLMA.MTES.
iaiini(iu«' il s'agissait d'uiio loi sui- le va^'jhoiidagr que le nou-
vt rniiiu'iil n'rlaii pas «joi^m- <lf poilrr à ceUe «'fKXjiie). C'esl
fçr:U-e ù ce discours incendiaire (pio les Hotieniois se sont ima-
j,'in«*s (|uc la rt'\<»|i«' éiail It'i^'ilim*'. • C-eri sfiail passe à Calre-
vier. Le 21 octobre 1850, un meeting se réunit dans l'église de
la môme ville, sous lu présidence du révérond Jos. Read, cadet.
On V déclara (|ue le temps était venu où les hommes de couleur
devaient se soustraire à la domination des blancs. (/'. Front.
Tnn. 20 mai lUrA.)
» L'évéque Gray dit, dans son Tour irough the Colony to Port
IVatnl , qu'il était à sa coniiaissanie (|ue l'upiriiou publique accu-
sait les missionnairi'S d'av<u'r poussé les Hoiieiiiots à la révolte.
Il avoue que , sans croire à leur'participation directe à cette le-
vée de boucliers, il est néanmoins persuadé que bnir système
d'éducation ne pouvait obtenir d'autre résultat. > Voici un ex-
trait de l'ouviage South Jfrica, du lieutenant-colonel Napier :
• Quant à nos tentatives de converiii- les païens, je suis intime-
ment |)ersuad(! <prelles ont complèleinen! écboué ; les CalTrcs
oui, on le sait, lait serNii- les Bibles de la mission à bourrer leurs
fusils. Plus que jamais les Hotteniols se livrent ù la boisson et
à la débauche; et, disons-le hautement à la honte des coupables,
une certaine partie «les gens respectables sont loin de leur don-
ner l'exemple de la moralité. »
I
lutéuatlri: piiotestaivte.
JULIEN OU LA l'IN D'UN SIÈCLE, PAR M. BUNGENER.
(Suite. — V. le N° précédent.)
Il est une assertion que M. Bungenor et ses émules n'ont jamais
risquée : ils n'ont jamais osé supposer l'apostasie d'un catholi-
que à la foi profonde, à l'esprit éclairé, au cœur humble, à
l'âme aimante. Un fait pareil les eût trop merveilleusement ser-
vis pour ne l'avoir pas reproduit dans mille récits. Mais nous les
mettons au défi d'enregistrer dans leurs listes de conquêtes des
noms plus estimables que ceux des Achilli, Gavazzi , Madiai, ou
de ceux qu'un intérêt humain, un immense orgueil ont effacés
du livre d'or catholique. Aussi n'ont-ils pas d'autres ressources
que de créer un incrédule vertueux, que la superstition dont il
porte les insignes, révolte et mène au protestantisme, ou bien de
présenter à leurs lecteurs un scélérat revêtu d'une soutane, et
de crier à la foule : « Voilà le prêtre! » (1)
Nous n'en sommes pas réduits à ces ignobles inventions quand
nous voulons démontrer la supériorité du catholicisme sur le
protestantisme. C'est le danger du système que nous nous al ta-
(I) Voir les mcmoircs de Selw\ ng, de Walpnle, de Swift cl les romans de
Fielding; auteurs protestants.
28(» 1 1 1 1 i;r.Ai i m. ri-.oïKM \m t.
ctntns ;i faire rcssoriir; nous ne supposons pas dt^s (rimes ei lie^
vices à scs|>ai-tisaMs : dans Géraldine ou V histoire d une conscience ,
l'auteur, par exemple, n'a pas elioisi pour la personnilication de
son pasteur un de vc^s hunliny parsons ('ministies chasseurs) du
siècle dernier, ou un de ces doyj-ns, hons vi\anis, de la cour de
Georges III el Georges IV, crihiés de dettes, ne résidant jamais
dans leur presltyière, loléranl oiiverlenjeni les vices el l'impit-té,
connivant même à plus d'un scandale, en \uc de (]ueh|ue bon
bénéfice; non, miss AgnoAv a peint un homme sincèrement et
pratiquement altacbé à sa religion; mais une (>pidémie le place
entre les deux (le\oirs qu'il a imprudemment «untulès. Le(]uel
\iolfra-l-il .' Sera-l-il mauvais père ou mauvais pasteur?
Exposer les principes et l'organisation de la religion proles-
tante, les mettre sans cesse aux prises avec ime logique rigou-
reuse, les siiivr»' dans leurs inévitables conséquences juscpraux
plus déplorables erreurs; à ces erreurs «pie les mille voix dis-
cordantes des sectes proclament en Angleterre et en Amérique,
opposer ces résultats à ceux (pii ili'-coulenl de la do( trine el des
pratiques catholiques ilans l'espril el les vues de l'Église, voilà
nos armes défensives. Nous n atiaipions pas, el nous n'avons pas
besoin de défigurer le protestantisme , comme nos advjTsaires
deligurenl notre sainte religion; «i on ne sait |tas assez combien
elle est méconnue parmi les meilleurs esprits protestants. Un
éminent orateur français donna il y a quelques années une suite
de (dnféren<es dans la chapelle caiholi(pie d'une ville de la
Suisse romande ; cette parole aussi orthodoxe (pi'ébxpiente, at-
tira une foule de protestants, et ils disaient en sortant de l'é-
glis<* : «Si la religion <\'ith(>li(|ue était telle «]ue M. de B... l'ex-
pose, nous rembrasserions dès demain ; niais ce n'est pas là le
caibolicisme de tout le monde. » Conmie si, parce qa'H y a plu-
sieurs proteslantisnu'S, parce que tout le monde peut se faire le
sien, il y avait plus d'un catholicisme! Mais ce nom même impli-
que l'impossiliiliie d»^ vanités de < royance : pour qu'elle soil
ttniverftetle, il faut qu'elle soit uni(pie. l^a grande diflirulté seni
toujours de persuader à nos pauvres frères égarés, à eeux qui ne
voient aucun danger, aucun mal à suivie • hacun leur peiii seii-
licr, ou à s'en frayer un nouveau . ipie nous n'avons tous qu'une
I.ITTÉHATUKR l'UOTESTAiNTE. 287
seule <'i même route , une voie unique où se pressent les plus
faibles esprits comme les plus grands génies; ils eomprennent
(linicilemenl qu'une diversité de facultés ne provo(|ue pas une
diversité de sentiments, (pie le Memorare , ii'pélé par la plus
ignorante de ces créatures, si superstitieuses à leurs yeux, est
ime effusion de cette grande âme de saint Bernard , arbitre et
conseil des rois. C'est que les prolestants ont des opinions reli-
gieuses, nous avons une croyance.
Ceux-là même qui ne refusent pas d'admettre l'explication et
la définition de notre doctrine, quand nous cherchons à dissiper
leurs préjugés, acceptent implicitement tout ce que leurs mi-
nistres leur en racontent, et s'ils ne croient pas aux écrits des
Saints Pères, la presse genevoise leur inspire une confiance abso-
lue. Aussi l'ouvrage qui nous occupe a-l-iTeu des succès dignes
des précédents écrits de M. Bungener, auteur d'une Histoire du
Concile de Trente faite en collaboration avec Fra Paolo Sarpi, et
de Sermons sous Louis XIF et Louis XF, qui, nous le croyons,
divertiraient fortMassillon, Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, rabl)é
Poule et Mascaron.
M. Bungener a profité des loisirs que lui laisse, nous ne dirons
pas comme lui, le métier de prêtre ^ mais la profession de pasteur,
pom* compulser et compiler les mémoires, les annales, les corres-
pondances de l'époque. Il a fait preuve de zèle plus que de bon
goût dans l'abondance de ses anecdotes , et il suppose que ses
lecteurs ne connaissent absolument rien des gens et des choses
de ce temps-là. Il ne leur fait pas même grâce des épinards de
M. de Bièvre, et il relie tout ce fatras suranné de façon à trahir
une ignorance complète du ton, du langage, des usages de la so-
ciété française. Raffinée jusque dans ses vices, elle était grossière,
par caprice seulement : c'était l'exception et non l'habitude;
encore rougissait-on de ce qui est maintenant entré dans les
mœurs. M. Bungener a beau éclater en anathèmes contre une
coterie que nous n'excuserons certes pas, il ne nous persuadera
jamais que tout était corrompu dans cette noblesse , dans ce
clergé qui , chez nos ennemis, ont fait estimer les noms de prê-
tre et de gentilhomme français; il ne nous fera jamais croire
qu'il n'y avait ni foi, ni conscience, ni honneur, dans une gé-
nérniion (|ui, en los reniant, pouvait sauver sa vie, cl qui courut à
réchafaud en mnereiant Dieu de la san^'lante expiation «pi'il lui
envoyait eoinnie un si{<iie de elénieni e. On ne fait pas plus de
l'histoire en racontant des historiettes, qu'on ne fait de la f>cin-
ture en amassant sur une toile les coideurs d»' la palette, sans or-
dre et sans dessin. Il ne connaissait rien du langage et des ma-
nières de la haute société , celui <pii prête à Madame île Luxem-
bourg et à sa fdle de flamboyants, de bruyants éclats de rire; qui
fait dire à M. «le Briss;ic : « /:n voilà encore une, de folie, que
ces courses! > Olui «pii invrnie une de^MJÙlaiilc f;ible sur la mort
de Madame de Deiïant , esprit Fort, il est vrai, mais non impie
de mauvais goût ; celui «pii met à tout moment dans la bouche
de ses personnages ces expressions , favorites peut-être à Ge-
nève : Dire des farces, faire des farces, farceur. En général, ce
livre est écrit dans ce langage que M. de Maistre appelle du
français de réfugié. Quand il sort de la vulgarit»', c'est pour s'en-
fltr d'une emphase inÙK'c des romanciers modtiiies, et, pour
écrire des phrases pareilles à celles-» i : • ine sorte de grince-
ment qui se promenait dans le sihncc. » Il n'est pas ju.Mpi'au Jé-
suite (^mbel qui ne se permette le Malédiction ! ! ! d Aniony ou
d'Hernani. La liste des incorrections et des inexactitudes serait
longue ; qu'on nous permette seulement de citer une rejouis-
sante proposition. Kn [)arlaiit des ouxiages de S<'arron. M. Bun-
gener dit : <« Le souvenir de ce grotesque fartcur |>ouvait-il
être décemment «'•voqué «levant le roi Louis XVI, dont ce
même farceur se trownii presque être un drs ancêtres p. lf)0,
V. 1).
L'ensemble de ce roman , s il a un ensemble, manque abso-
lument de portée. Kn s'étendant sur l'incapacité où est un prêtre
incrédule de ramener une âme à la foi, à la croyance, à la mo-
ralité , il prouve justement (pie ce prèire sacrilège ne comprend
rien à sa mission , «piil i\v connaît point la religion par lui pro-
fanée. Kn aceiimulanl Ions les vices, tous les crimes sur ses
|>ersonnages «alholiques, en les monlr.in! hypo< rites, ou en les
faisant renégats, en racontant les vertus, le courage, le roya-
lisme même de ses a« leurs protestants, il n'arrive pas à prouxer
MTTKKATl'RE PROTESTANTE. 28l)
aiiiio chose, sinon que les tiacJilions de piété , de devoir, de dé-
vouement, implantées par le catholicisme parmi les familles
patriarcales de la province, s'y (''talent (;onservées en dépit des
principes dissolvants de la Réforme, tandis que certaines natu-
les vicieuses portent leur dépravation sous la soutane, comme
sous la robe du magistral ou Tuniforme du soldat. Les catholi-
ques de France, de Navarre, de Bretagne et d'Allemagne, at-
tendent encore leur Waller-Scoti, et, certes, dans les livres
du romaïu'ier écossais , on pourrait déjà trouver plus d'un fait
historique en leur faveur, à opposer aux faits inventés par
JVI. Bungener, si l'on voulait s'en servir comme d'arguments. —
Quand l'auteur entre dans l'ordre des raisonnements, il n'en
produit aucun qui ait quelque valeur; plusieurs même sont des
aveux à la chaige du proteslaniisme. Qu'on nous permette d'en
donner un exemple ; ce sera notre dernière citation : « Les in-
» crédules, sortis de l'Église romaine, haïssent le christianisme,
» et, les nôtres, tout en ratlaquanl, le respectent, l'aiment,
» tiennent à pouvoir se dire qu'ils n'ont pas rompu avec lui. »
Nous pourrions demander à M. Bungener comment on peut
attaquer ce qu'on aime et ce qu'on respecte; nous préférons le
remercier d'une ri'flexion qui est toute à la gloire du catholi-
«isme. Si l'incrédule, sorti d'une communion réformée, n'a
contre la religion ni haine, ni terreur, c'est d'abord que cette
religion n'a jamais été un frein , ni un joug; c'est qu'il ne s'est
])as insurgé contre elle : il n'a fait que suivre une pente irrésis-
lible et descendre seulement de quelques degrés l'échelle de
négations posée par les premiers réformés; il tient à Socin ,
comme celui-ci à Calvin, comme Calvin à Luther. Qui peut dire
où le protestantisme finit, où l'incrédulité commence? Mais
celui qui fut catholique ne peut pas l'être plus ou moins ; il faut
l'être absolument , ou n'être plus rien; alors il doit briser vio-
lemment avec tout un monde , abjurer à la fois un magnifique
ensemble de croyances : il ne quitte pas, comme le protestant
incrédule, une masure plus d'à-moitié ruinée, il s'exile, en le
maudissant, d'un antique édifice que les siècles, en passant,
n'ont jamais altéré; il déleste et blasphème la religion qu'il nie ;
29it i.nrihVKiu: rHoTE^STAMiE.
mais sa hnine iiu^mo lui « ri<- (|Uo ce qu'il hait, existe. Il n(> voui
plus rroire , mais il craint, et c'est encore »m» resle de f(»i ; les
Hémons aussi tremblent devant Dieu qu'its aldiorrent. L'Éj^lise
est li«'re de celle haine, de cet acliarn«'ment des impies; elle ne
voudrait pas de cet amour et de ce renpect doni M. |{iinx;ener
leur sait l»nn \iri'. Il y a di\-liui( siècles, tonl un (tciiplc incr*'-
dule [>renait Marrahas sous sa protection et criait : « Murt à Je-
ms de IVazareth ! »
M. I*B RoMOKT.
DE LA CONTROVERSE RELIGIEUSE
\ GENEVE.
NOS CRAINTES ET NOS ESPERANCES.
Nous ne sommes pas de ceux qui rattachent au ciel les fers
qui flétriraient et meurtriraient la race humaine. Fils catholi-
ques de la Rome protestante , nous désirons , au contraire , pour
notre patrie , la plus grande somme de liberté compatible avec
le calme et l'ordre; pour nos croyances religieuses, le droit de
se produire aussi librement que les autres cultes si nombreux
et si divers à Genève, mais réunis tous par leur commune haine
contre le catholicisme.
C'est une chose digne de remarque que toutes les fois que
le clergé ou la religion catholiques sont haïs, ils le sont plus,
hommes et doctrines, que ne le serait une institution humaine.
Aussi voyons-nous sans surprise des hommes dont nous admirons
d'ailleurs le caractère, se laisser aller chaque jour à des diatri-
bes injurieuses contre nous , au lieu d'en rester à une discussion
calme et modérée. Nous le demandons une fois encore à nos ad-
versaires des cultes dissidents, leur est-il donc impossible de
s'abstenir de l'outrage et d'abandonner ce terrain des personna-
lités et de l'imposture sur lequel on regrette de les voir revenir
si souvent?
Pour nous, déjà nous l'avons dit dans les Annales catholiques^
c'est avec bonne foi qoe nous poserons sans cesse les questions
religieuses, qu'elles appartiennent à la théologie ou à l'histoire ;
19
202 riL IK i:il>TRU> hRSI: IttLK.I Kl St
mais c'est uy(>( lionne foi aussi que nous désirerions voir les écri-
vains protestants en peser le mérite et en apprécier la valeur.
En choisissant au-dessus des passions vul^'aircs notre vraie place,
nous ne taisons d'ailleurs (jue icniplir un de\oir. Quand on dé-
fend une doctrine aussi sublime que la doctrine catholique, on
ne saurait le faire avec trop de mesure et de calme, l^ dignité
des armes doit être en harmonie avec celle du sujet.
Au reste, excepté les intelligences éteintes ou prévenues , qui
ne comprend aujourd'hui que celte arme de la calomnie dont on
a tant abusé contre nous ne saurait prévaloir longtemps encore,
ï. luimanité a ses journées de haltes et de réllexions pendant les-
quelles, s'ioterrogeant dans le silence des passions, elle huit par
rejeter avec m»'pris les préjugés ou les préventions auxquels on
l'avait vue obéir le plus aveuglément. Cette raideur de termes et
de colères ne prouve-t-elle pas en outre que ce n'est pas comme
corps de doctrine, mais comme héritage de famille ou d'inléréis,
que les hommes qui trop souvent nous sont opposés mettent en
cause la religion réforuj«*e.' Ils seraient de bonne foi, s'ils appar-
tenaient à la vérité catholique ; mais l'impuissance de Terreur
les oblige à ( hercher dans les excès des moyens de défense. C'est
leur croyance (pi il faut accuser de leur fureur plutôt que leur
caractère.
Le caiholi» isme, lui, esl plus modère part e qu'il est vrai. Un
grand evèque écrivait dans le voisinage même de Genève ces re-
nianjuables parob's : • Si Ton compare le catholicisme ù lui-
même et dans différents siècles, et dans différents lieux , on est
étonné de la variété des formes sous lesquelles s'est présentée
aux yeux une foi (|ui na pas un insiant cesse d'être la même.»
Celte unité perpéiuellc est remarquable dans la foi catholique;
et cependant, devenu»- pclitr pour Us petit», l'hglise s'est assou-
plie en quelque sorte elle-même, mais sans dcNier ni fléchir, pour
élever jusqu'à clic, dans la longue succession des siècles, le&gé-
neratious <jui lui venaient avec leur fardeau de misères et d'in-
fortunes. Nous ne répéterons pas ici ce «pie nous avons déjà plu-
sieurs fois répété dans les JnnaUs catholiques au sujet des va-
riaiiom du prolestaniisme dont Bossuel a fait le plus éloquent
tabU-au. I.rs cnhinisifs d les lutluTiens savent .nsse/ bien cuv-
A r.ENKVE.
293
mêmes leur point de départ pour convenir d'un fait que nul ne
nie plus aujourd'hui au sein de la Réforme elle-même. Nous
insistons sur cette dernière pensée dont la démonstration se re-
trouve en chaque page des Annales catholiques où les citaiions
abondent. L<' protestantisme moderne n'est plus celui de Luther
et do Calvin. Le grand corps de doctrine s'est divisé en parcelles
moléculaires dont chacun des croyants ou non croyants saisit
quelques aiômes, usant et abusant, en vertu du droit de libre
examen, de la faculté laissée aux sectateurs de la Réforme de se
constituer au gré de leur caprice une religion plus ou moins for-
melle et marquée au sceau d'un rationalisme tout individuel.
Mais nous l'avons dit, pourquoi hérisser de toutes les épines
de la haine des controverses oîi tout serait digne et beau , si on
ne transformait en parti politique ce qui , d'après le principe
lui-même du protestantisme, devrait être logique et raison dans
toutes les circonstances? A quoi attribuer cette déviation radi-
cale?
Toutes les fois que nous avons discuté sérieusement une ques-
tion religieuse dans les Jnnales, ne nous a-t-on pas répondu par
des calomnies contre le clergé et contre nos croyances; par des
protestations contre l'invasion que le catholicisme a faite à Ge-
nève, en vertu des traités; par cette étrange distinction que nous
retrouvons dans toutes les colonnes de nos journaux hebdoma-
daires?
Les vieux bourgeois de Genève nous posent sans cesse leur an-
tique bourgeoisie comme un reproche. Ce n'est point raisonner,
car au moment où Calvin établit dans notre ville son système
d'intimidation, poursuivant à outrance ce qu'on appelait alors les
libertins et établissant dans une cité déclarée libre l'inquisition
théocraiique du Consistoire, il y avait déjà une vieille bourgeoisie
genevoise, nous aimons à le croire. Et que serait d'ailleurs, après
tout, cette question d'ancienneté si on remonte à celle de la
Suisse catholique?
Les héros du Grùtli étaient-ils de notre religion sainte, eux les
grands émancipaleurs , eux les hommes qui ont créé non pas la
bourgeoisie d'une ville, mais l'indépendance et les libertés na-
tionales?
2"Ji l>r I \ ( OMTKOYKRSK REMi.lhlSr.
Éinioni-iU i-aili<ili(|u«s ou protestants, les niontugnards géants
(|iii porteront de si rudes coups, et dans quatre batailles succes-
sives, :iu\ «'nvidiisscurs ('traiiyors. piosciuc à la voillr des temps
où la Hj-l'orni»' sf piiKliiisaiil , allait livitT Gcik-nc aux doctrines
de l'étranger, à l'émigralion religieuse étranger*'.'
L'histoire politicpie, comme l'Iiisloirc religieuse, s'accordeni
à prouver que la noiile et courageuse bourgeoisie suisse n'élaii
pas protestante dans les grands siècles oii s'opéraient des prodi-
ges d'héroïsme et où de misérahles révolutions, causées par les
ambitions de r«'goïsme personnel, n'avaient |»ns encore les moyens
(le se renouxeler à cliaque iiistaiil.
Les troubles poliiiipies, favorables quchiucfois et plus souvent
encore tiésavaniageux à la liberlf- et à la prospérité de notre pa-
irie helvélicpie , ni" seraient-ils pas au fond la conseipience de
l'incertitude des doctrines etdccettefCMm« de l'orgueil d«»ot parle
saint Jude dans son admirable éplire, fluctus feri maris spuman-
tes superbinmP (.'tst un fait qu'il serait facile d'«'tablir peul-êire;
«ar par une loi souveraine et sans exception, fondée sur la naiiire
(les êires, dans le mondi! inieliccuiel ei social comme dans le
monde plivsjqiie, clia«pic chose procède dune autre qui lie les
pensées aux pensées, les actes aux actes, de telle sorte (|ue ce
qui précède soit la raison logi(pie el le germe effectif de ce qui
suit. L:i société, comme Tindividu pris isolément, peut recon-
naître une erreur. Klle peut en revenir. Mais lexperience du
passé lui sert de leçon. Elle élargit son horizon moral, sans re-
passer jamais à travers ses états antérieurs, phases successives
de sa croissance.
Au moment oii éclata à Genève le schisme de Calvin, agrandi
plus lard de tous les schi.smes qu'on ienouve|;i ei de tous ceux
qui suivirent, la question politique, (|ni dominait clie/. nous la
situation, n'avait pour raison d'être ipie des ambitions person-
nelles au dehors, et au dedans d'autres prétentions non moins
personnellement ambitieuses. Dans tout le reste de l'Kuropc. il
y avait parité <lr position. Mais «liez nous, la politique prédo-
mina, parce cpi»; beaucoup d'intérêts froissés réclamaient. L'an-
cienne hourgeoisir genevoise sacritia Dieu ei je ndte antique à des
inierèts nialcriels ei eonsi-rpiemmeni secondaires. L'anaivse des
A r.R.>ÈVI:. "29 5
hislurit'iis de celle fjiuijdc se rt-soul luiile (Jaiis eelle alliiinalioii
simple et malheureuse.
On le voil, eu rappelant ici ee (|ue savent admirabN ineni les
hommes d'inlelligence qui, dans le protosianlisme même, oni
essayé de raisonner leur «onviclion, nous n'avons pas de ees ter-
mes injurieux plus familiers ({ue jamais aux controversistes de
la Réforme. Paicourani, riiistoire à la main, une phase de le-
gi'ellal»le a|)oslasie, nous en indi<pions la eausc en attendant qu'il
nous soit permis d'entier, dans un prochain article, en des dé-
tails circonstanciée et fondés sur les textes les plus authentiques.
Pourquoi nos adversaires ue procèdent-ils pas avec la même re-
tenue? Si le fait aflirmé par nous est dénué de vérité, eh bien ,
il leur est permis de le nier en donnant à leur négation l'appui
de preuves irrécusables. S'il ne l'est pas, ne serait-il pas plus
digne de leur part de laisser de côté la polémique outrageante
dont ils usent trop fréquemment, pour condenser en un tableau
véridique les faits que nous serions supposés alors avoir altérés?
Aune démonstration sincère, nous opposerions une démonstra-
tion qui ne le serait pas moins. La vérité aurait-elle à souffrir de
cette lutte loyale? Nous ne le pensons pas. Nous le déclarons
même avec la conviction la plus profonde, 'nous qui ne recher-
chons que le triomphe de cette même vérité, protestants et ca-
tholiques profiteraient alors également d'irae discussion courtoise
et généreuse.
Mais pourquoi est-ce toujours à nous à revenir, dans les Jn-
nales catholiques^ sur un argument dont nous avons déjà tant de
fois entretenu nos lecteurs?
Pourquoi tant de brochures protestantes vont-elles au sein des
familles catholiques provoquer l'apostasie?
Pourquoi tous les jours , dans les journaux de Genève et du
reste de la Suisse , tous ces faits le plus souvent controuvés sur
les prétendues conquêtes du protestantisme.
Pourquoi ces brochures captieuses répandues à grands frais
au sein des pauvres familles de notre pays que l'erreur n'a point
encore déprimées ?
Pourquoi la traite des consciences?
'jyfi l'I L\ i:(i>TKO\ hHSL RELIGIEUSE
Pour<|Uoi tant d'exiiressions injurieuses duns des libelles qu'un
miiliiplic?
Puiir«]uoi enfin le protestantisme n'ngit-U point tout simple-
ment et au grand jour comme le railiolicisinc, prouvant par ses
honncs u'Iimos, ses vrrlus et les iniraclfs de «liariU' (ju'il mul-
tiplie, la mission (jii'il a rerue du divin Hcdeinpleur .'
Pourquoi ces divisions de doctrines parmi nos adversaires?
Pc^urquoila désunion manifeste |>armi tous ces grands docteurs,
souvent incertains sur les |)(>inls les plus rondamciitaux de leur
crovance, vient-elle se résumer exenïplairoment dans une haine
commune qui, excluant les sectes contraires si nombreuses parmi
nous, n'a qu'un but et (ju'un point ilc mire constant, le (atholi-
tisme?
Pourquoi cela.'
Nous allions le demander encore. Mais à quoi bon? Celte haine
at'harnée de tous n'est-elle pas l'aveu tatite de la supériorité île
noir»! foi?
Nous le disions en commençant cet article, une institution |)U-
remcnl humaine ne soulèverait pas tant d'analhènies chez. d«*s
hommes qui ont apparlciui à < nie insiiuiiion par leurs ancêlres.
Et pourquoi encore, caiholiipirs de fîenève; oui, pourquoi
celte longue excommunicaiion de dioiispuliiiques à la(]uelle vous
ave/, été presque continuellement assujrni.s.' (Compte/, vous et
comptez les magistrats de votre croyante appelés à vous repré-
senter dans toutes les élections antérieures à «pielques années.
Mais repoussez toute idée de mépris et de haine, vous enfants
(Tun Dieu qui a repondu par le j>ardon au mépris et à Toiilrage
pendant sa vie et à l'heure sublime du sacrifice qui nous a ra-
chetés.
Par une contradiction digne de remarque el lesu-e cependant
presque inaperçue jus(|u 'à ce jour, les mêmes hommes qui pro-
clament la souveraineté de la raison de l'homme en matière re-
ligieuse et dogmatique , la liberté absolue d'examen , l'inlerpre-
taiion faiullative des textes sacrés de la Bible par l'autorito
individuelle de tous les sectaires, refusent aux catholiques seuls
le droit d'interpréter, de jugt-r par leur rai>on librement sou-
mise à l'iofaillibilite de l'i-^lise, ces mêmes textes sacrés? Ils or-
À (;t.\ÈVK. 297
^unisenl , ou plutôt ils réorganisent contre eux la monstrueuse
Union dont nous avons parlé déjà pièces en main ! Le principe
de l'autorité, base inébranlable de notre unité religieuse, aurait-
il sullit , lui seul , par celte terreur instinctive qu'éprouve le fai-
ble toujours en garde contre le fort, à leur inspirer cette haine
bouillonnante dont tant d'actes énumércs plus haut sont la tra-
duction formelle? N'est-ce point la désunion des membres d'un
culte sans unité possible qui a produit cette conspiration politi-
que des intérêts protestants contre les intérêts des catholiques
qu'elle menace, non pas seulement dans ce qui est du domaine
de la foi, mais jusque dans les éléments matériels de l'existence?
S'il en est ainsi (et c'est notre conviction profonde), les catho-
liques seraient coupables de ne point s'unir à leur tour pour
opposer à celle agitation fébrile le faisceau de leurs vertus, le
zèle intelligent du bien et la foi sincère de l'action toujours paci-
fique et charitable. Ils balancent presque par leur nombre celui
de leurs adversaires coalisés; ils sont plus forts par l'unité apos-
tolique et n'ont point seulement à défendre des intérêts, — ce
mot serait inconvenant si on l'appliquait aux droits imprescrip-
tibles de la conscience, — leur devoir est donc d'agir non point
comme l'agitation prolestante , par. l'emploi de moyens mysté-
rieux et désavoués par la morale, mais au grand jour, mais
simultanément par de pieux exemples , par la charité , par le
dévouement. Leur devoir encore, si peu nombreuses que puis-
sent être les conquêtes de l'erreur, qu'il faudrait plutôt peser
que compter, oui, leur devoir est encore, sous le rapport natio-
nal , de ne plus laisser, comme autrefois, à l'invasion d'une co-
terie la possibilité d'altérer, de tlélrir la foi au sein de nos fa-
milles pauvres, et celle de notre jeunesse par l'éducation.
S'il nous a été douloureux d'entrer en de pareils développe-
ments, dans ces pages inspirées par un esprit sincère de conci-
liation et par le désir ardent de voir enfin des adversaires, dont
beaucoup ont acquis notre estime, ne plus livrer leur polémique
religieuse aux lieux communs de l'injure, c'est, hélas ! parce que
chaque jour la fraction la moins intelligente du protestantisme
redouble d'efforts pour entretenir parmi les citoyens d'une même
patrie le foyer de la haine et des divisions.
298 1'» I * <().^TROVERSi; KEIHiltlSK
l n juur viriidra, nous en uvuus l'assuruix e , il Nieiidra [><»ur
Genève, |>oiir la Suisse cl pour \v monde enlier (de nobles inlel-
ligenres le préparenl en Angleterre , en Prusse el dans lous les
cercles jîermani(iues) ; un jour viendra où loul te](jue rfs()ril de
l'oryucilm révolte a crcé de |)rolisiations contre le ( atholiiisine,
se résoudra dans I unit»' divine appeltM! par le divin Maître
qui ne voulait (piim seul tioiipeau el (ju'un seul pasteur (1),
el rÉylisc, rassemblant tous ses enfanis sous ses ailes,
coiume la poule rassemble ses pelils, n'aliscra pnnr eu\ tous
ces fruits de bien et de prospérité même matérielle, que des
luttes incessantes, depuis les premiers siècles, ne lui ont point
permis de [)roduire.
m Nulle pari encore, l'action du cliristianismc n'a été cnlièrc
» el libre de toute entrave. Les trois |>remiers siècles se sont
• écoulés dans l'épreuve du san;,'. Les suivants ont été employés
• à lutter, lanlAl contre la barbarie, tantôt contre les efforts de
■ l'individualisme essayant de se substituer il l'univei-salité. Le
» moven à^e a été consume par le jçrand travail de la s<'paration
» el de la délimitation des pouvoirs. Au moment où rt(;lise était
» sur le poini de verser ses bienfaits sur les intelligences et sur
» la société, la rupture du \\V siècle est venue, comme un coup
» de luudre, arrêter l'o-nvrc de Dii-n.
■ N'allons pas croire cepemiant que ces dix-biiit siècles de
» lutte nuiNirent à ravaiicenieni du rè^n«' <le Dieu! I,e Sauveur
» des bomines «lisait aux disciples d Lmmaiis : Hommes sans
» intelligence el d'un cœur tardif i\ croire tout ce qn'onl ensei-
» gné b's propbètes, ne t'alloit-il pas que le (brist souffrit pour
• entrer ainsi dans sa gloire (2).' Il a fallu de même »pie r^>
. glise passât ()ar toutes les épreuves pour atteindre sa perfec-
» lion. (>'esl au milieu des combaUs sanglants soutenus contre le
> paganisme (jnelle a posé les diff/'renis arlicb's de cette consti-
» lutioii dont la base liieranbique avait l'ie jetée dans l'Kvangile.
» C'est au milieu des luttes contre l'empire (pielle a montré aux
» princes de la terre (pie, pour elle, rindépemiance et la vérité.
(I) Si Jrun, \, tn.
A (iK.lKVK. 299
» c'étaient la vie. C'est dans le creuset des contradictions , des
» discussions et des aitafjues de tout genre , que se sont fixés et
» épurés les éléments de sa loi. Désormais de nouvelles hérésies
«sont impossibles. Toutes les vérités catholiques, successive-
» ment attaquées, sont sorties victorieuses du combat. La marche
» de l'Eglise ne sera plus interrompue par la nécessité des con-
» cilcs : les oracles de TEsprit-Sainl, consignés dans nos sym-
» boles, sont gravés dans l'esprit et le cœui- des lidèles, en même
» temps qu'ils sont gardés dans l'Arche dont le Vicaire de Jésus-
» Christ tient la clef. Que les réformés rentrent dans l'unité, et
» le monde sera étonné des prodiges que l'Eglise enfantera. Sans
» doute elle aura toujours à combattre le vice inséparable de l'é-
» tat de liberté, et la philosophie, qui renaîtra tant que vivra l'or-
» gueil de l'esprit; mais ces deux ennemis sont peu à craindre.
» La vie n'est qu'éphémère ; il cède à la grâce pour rentrer dans
» la gloire , ou à la mort pour tomber dans les ténèbres exlé-
» rieures.
» Ne nous inquiétons pas non plus de la philosophie. L'arrêt
» qui jadis condamna les enfants de Babel pèse encore sur les
» philosophes; laissons-leur le soin de se détruire mutuelle-
»ment. Quand chaque jour verrait apparaître un de ces fiers
«esprits libres, tout affublé des oripaux du paganisme, il serait
»bien vile dépouillé et mis à nu par d'autres esprits libres, tout
» aussi opposés à ses dogmes qu'ils le sont à ceux de l'Evangile.
» L'erreur n'est vraiment dangereuse que quand elle est accou-
» plée à la vérité; or, la philosophie, comme le vice, ne laisse
» rien après elle. Si, dans les derniers temps, elle a fait tant de
» mal, c'est qu'elle était soutenue parle protestantisme, qui lui-
» même devait la vie à ce qui lui restait de croyance chrétienne.
» Le passé de la philosophie nous dit ce que sera son avenir.
» Parmi les milliers de philosophes qui ont enseigné la terre, pas
» un n'a laissé une religion, une secte , ou seulement une école
» portant son nom ou professant ses doctrines (1). »
Ainsi s'exprimait en 1848 l'éloquent évêque dont nous avons
1 1) Lettre au roi de Prusse, par Mgr Rendu, évêque d'Annecy.
MU) I>E I ^ ( 0>TROVERSE hEI.I(ilEl'!»E
rilc (|U('l(|Ucs pyioli's ;ai cniiiniciicfinf'nt iikmiip de «et arlitl»*.
Eu cmmnTMiit ciisiiilo los const'cjiiciicf^s de ce roioiir à runitt-,
il fuisaii j:iillir l:i r<>alisaiiMn do ce bnnlieiir im^mc matériel que
lecliiTclic avec tant d'ardciir rimmaniU' à travers tant d'épreuves
successives et »ie fatales expériences. Nous erovons , en effet ,
qu'alors seulement les peuples , n-unis dans un même esprit de
foi et de charité, rencontreront toute la somme de bonheur com-
patible avec l'infirmité de notre natniedéfjradée p:ir la déchéance.
(Jiioi «ju'il en soit, catholiques de (ienève et de la Suisse en-
tière, travaillez ensemble, travaillons résolument en donnant à
l'erreur re\em|)l<' de la vertu, en r<(lifiant par iios bonnes (ru-
vrcs, par notre zèle pour la maison de Dieu, à amener cette ère
de réconciliation <lont ravènemenl n'est plus retardé que par le
fanatisme de quelques hommes dans le camp de la Réforme et
par la tiédeur et riiidifférence relii^'ieusr- de (pu-lqnes-iins d'entre
nous.
Nous vous disions dernièrement encore que l'avenir du monde
est au catholicisme, cctntie qui Jes parles de Venfrr ne peuvent
prévaloir. Nous y retracions en même tenqis le tableau des con-
versions au catholicisme dont l'Angleterre, la Prusse et l'Alle-
ma^jne, aux circonscriptions protestantes si vastes, nous offrent
«harpie jour le consolant spectacle. Vous vous réjouissiez avec
nous lie trouver dans ces houimes ramené-s à la foi catholicpie par
la force seule du raisonnement et de la vérité, les intelligences
les plus droites et les f>lus hautes, des savants, des |»hilosophes,
des ma^'istrals, Inules conversions qui se pèsent et pourraient ne
point se compter. Aujounlliiii , \ous ramenant à des faits sem-
blables et plus consolants encore, nous vous répéterons les pa-
roles mêmes que nous vous adressions alors :
m Si la lutte religieuse continue, nous ne reculerons pas devant
.elle...
» Regardant la sérénité. des catholiques qui ne redoutent pas
«plus les Cdinbals «pi'ils ne s'éliraient de ipiehpies défections ,
» ces captifs du libre exann-n ne itounont s'emp«Vher «le «lin- :
• Jh ! que ne suis-je nVec eux partageant leur joie et leur espmrf
» Oui, quoi ()u'on dise, (|Uoi «ju'on fasse, ce mouvement actuel
• aura ces inévitables «onséipiences ; tous les subiront.
A GEKÈVE. 301
» Que les prolestants ne s'en inilent pas; ce n'est pas la vic-
» toire de l'homme, c'est la victoire de Dieu; c'est le temps, la
» force des choses, la véril»' qui l'emporteront.
» On peut sans déshonneur céder à de telles puissances.
» Que les catholiquos acceptent la lutte sans haine ni amer-
» tume, rf'pondant aux calomnies par la charilc ; qu'ils sachent
» bien que leur cause est la cause de la vérité, el que leurs priè-
» res et leur vie édifiante doivent hâter l'heure de la pacification.
» Les discussions qui ont pour juges le bon sens des hommes
» et la justice de Dieu, n'ont rien à craindre, même ici-bas ; elles
» peuvent être vives et douloureuses, mais elles attendent l'avc-
* nir avec confiance ! »
Un mot encore sur cet important sujet.
Éternelle comme Dieu, la vérité ne meurt jamais. Nous avons
entendu quelquefois des catholiques, dont le zèle est digne d'é-
loge sous plus d'un rapport, manifester, à propos de ce qu'ils
appelaient le progrès de l'hérésie, des craintes que quelques ré-
flexions suffiront à dissiper.
D'abord , ce progrès n'est point réel et il ne saurait l'être.
Partout en Europe un mouvement de retour vers la foi catholi-
que, longtemps abandonnée, s'opère parmi les intelligences pu-
res, sérieuses, profondes, investigatrices. En Angleterre et en
Prusse, on tourne contre le protestantisme cette arme du libre
examen dont la Réforme avait tenté et ose même tenter encore
de faire contre notre foi un instrument de mort.
Partout où il y a pureté de mœurs el science, le catholicisme
fait de nouvelles conquêtes.
Partout où l'étude peut venir en aide au désir sincère de con-
naître la vérité, il fait de nouvelles conquêtes encore.
Le protestantisme, doctrine de négation qui n'a de valeur que
par ce qu'il a emprunté au catholicisme, ne recrute sa milice
de sectaires que dans les bas-fonds de la société.
Est-il une famille que la faim dévore dans l'agonie de la mi-
sère? Le démon tentateur est là faisant briller l'or à ses yeux.
Est-il une âme égarée quelquefois par les théories politiques
du siècle et par le désir de voir l'humanité marcher dans des
voies plus libres? le démon tentateur est là; il n'offrira point de
30*2 l>e L\ CniHTROVKHSe RELIUIEl'àe
l'or (cos coiiscienrt's g«-nereuscs le rc|)(iussur:iient), in:ùs pjihini
de révoluiioris, dr ir;mslMiin:iiions s<»ci;dos, de lu fuliiie felicii»-
terrestre du -cm t- liiiiiiniii, ;id()|(iaiii louies les uiopies et les cii-
ressant, il se mêle à loin, par ses employés qu'il multiplie; el
si, par hasard , au poids «le l'exil s'ajoute eelui de liulorlUDr,
il u des espérances de position, <i soiiveiii plus que des espéran-
ces, à donner pour ap|)il ù des couNieiions défaillantes.
Esl-il dans «juehjues mansardes <le jeunes liommes sans tra-
vail, de jeunes lilles ou des femmes à (jui ne sullisent poinl leurs
ressources ({uoiidiennes? Le démon tentateur esi \ù donnant peu,
promctianl l>eau( oup ti sollicitanl pai tout et toujours l'aposta-
sie.
Nous n*avons dessiné que <piel(]ues linéameuls d'un tableau
sombre. Mais ce eonlour d'un portrait t|ue nous pourrions sur-
charger de détails non moins vrais, esl d'une incontestable Nérilé.
La capiation, toujours la eaptalion!
C'est l'évangile moderne de Téglise réformée.
G; (pic le code criminfl potirsuil en nialière de piopi itif it i-
riloriale,on l'exeri-e impunément et au giand jour |)0ur les âmes.
Le domaine céleste du Christ est livre à la bande noire des sec-
tes (pii le ravage à prix de promesses el d'argent. La comédie
annuePe <l«'S cents genevoises, qu'est-elle en dernière anahse?
Ce que d'autres on dit avant nous, la traite des consciences né-
cessiteuses.
Il «'Si malheureux, sans doute , et très-malheureux, ipu" lo
catholicisme genevois , dépouille de ses propriétés il y a trois
siècles, par les patriarches de la Vénérable Compagnie protes-
tante, les anciens gene\(»is, ne puisse soutenir qu'à peine ipiel-
(pies familles ^\uc la faim alllige; mais il \ a dans le plus grand
uombre résistance digne, heroupie, à un mal «pu: le di>in inspi-
rateur de l'Évangile a annoneé quand il a dit : /'vus aurez tau- 1
jours drs pauvres parmi vous. '
Il \j aura toujours des pauvres parmi vous. Mais l'achat des
conseicnccs a |)rix d'argent, à prix de placements ou do promes-
ses répugne essentiellenunl au i alholieisnie «p>i a d'ineffables
consolations à lepandre, eonsiilations maPrielles lorsqu il le
peut , mais eonsolations plus hautes sous le rapport spirituel el
A (.hyv.\ i;. 303
(Il l'ace (les malheurs qui ostnl à peine, laiil ils oui conservé la
pudeur d'une prohe lionnCloié , avouer leurs tentations et leurs
auj^oisses quotidiennes !
Les lionimes de zèle dont nous parlions plus haut s'eiïraient;
ils devraient simplement déplorer le malheur des circonstances
(pii ont privé le catholicisme des ressources dont il ne disposa
jamais que pour accomplir à la lettre les saintes paroles de l'É-
vangile : « J'ai eu faim, et vous m'avez nourri, j'étais pauvre et
vous m'avez vêtu. L'entraînement des passions développées dansée
siècle et à Genève surtout , au sein du peuple que nous voulons
libre comme il veut l'être, ne peut être qu'accidentel.
On revient d'une erreur lorsqu'on la reconnaît. Vous catholi-
ques de peu de foi, dont nous ne blâmons pas le zèle peu rai-
sonné , tant nous en respectons les motifs , croyez-vous que les
conversions acquises au protestantisme soient pour la plupart
sincères?
Croyez-vous que des convictions intimes ne se récrient point
contre les moyens employés?
Croyez-vous que tant d'hommes plus ou moins connus pour
n'avoir point de religion, recrutés partout, quelquefois parmi des
faussaires, des faillis , des condamnés pour causes immorales,
soient des conquêtes dont un culte quelconque puisse se montrer
l)ien glorieux?
Et ne savez-vous pas d'ailleurs que par une lactique dont l'ha-
bileté mondaine ne saurait être contestée, nos adversaires ont
plus d'une fois trouvé bon de faire reparaître dans leur comédie
annuelle des néophytes dont les noms, bien qu'inavoués par eux,
étaient depuis longtemps connus d'un grand nombre de catholi-
ques?
Rappelez-vous donc la réponse de Jésus-Christ pendant la tem-
pête, dont les flots assaillaient la barque qui portaient le divin
Rédempteur avec quelques-uns de ses apôtres :
« Domine, salva nos, perirnus,^ Seigneur, sauvez-nous, nous
périssons! s'écrièrent les apôtres. « Hommes de peu de foi, leur
répondit l'homme-Dieu, que craignez-vous? » Et il commanda à
la tempête. Le calme se fît à l'instant. Et leur foi raffermie par
I
;{0l DK l.i i;o>TROVERSE ntl.lGIKl>B
les effets (i'un nouveau pr<Kli}^M«, se pn-para pour riaulres luîtes
moins svnib»)Ii«|ues poul-êlre, mais plus lianj^tMcuses.
Vous li« mbk/ au sujet des hérésies? Le cliristianisnic ù peine
victorieux du paganisme par le martyre, n'eûlil pas ù en com-
battre et de la pire espèce? Depuis Julien l'Apostat, et avant
nu'me, »'num«re7. ses triomphes.
Dès le premier siècle de l'Église , plusieurs demi-chréiiens ,
mêlant à la doctrine du cliiislianisnie les pr«'jup;<s du judaïsme,
les systèmes de la philosophie païenne et les illusions de leur
imagination généralement surexcitée par des excès de toute na-
ture, tombèrent en diverses erreurs contraires à la foi.
Ils furent condamnés par les A[)ôtres et séparés de la commu-
nion des fidèles. Leurs sectes s'él«'if,'nirent (»u tombèrent dans
Toubli.
Dans le second siècle apparaissent les / nlnitiruens , combat-
tus eluijuemmenl par saint Innée. Leur erreur |>riiicipale était
de faire Dieu un composé de plusieurs êtres spirituels, d'en ad-
mettre toujours dans la sphère de la spiritualité de Dieu de
bons et de; niechanls, de nier la divinité de Jesus-Chrisl et la ré-
surrection des morts.
Comme le protestantisme, cette secte compta d'abord de nom-
breux adej)los, <pii ne purent longtemps s'entendre et tjui se di-
>isèrent en une inliiiile d autres sectes.
Les MarciontsUSy proclamant deux principes éternels et néces- 1
saires, l'un essentiellement bon, l'auire essentiellement mauvais,
se montrent prescpie à la même époque. Ils déclarent le mauvais
principe créateur du monde, formateur de nos corps et auteur
de l'Ancien Testament. Ils prétendent que le Christ n'est point
ne de la Vierge Marie et qu'il n'a pris que l'apparence de l'hu-
manité; qu'il n'a pas réellement soiillert et cpie les corps ne res-
susciteront pas à l'appel de Dieu au jour du dernier jugement.
Le corps des prêtres de l'Églisi' condaiiuia avec saint Irénée
cette monstrueuse hérésie, comme celle des Montanistes presque
contemporains, qui soutenaient que Montan , leur chef, inspire
par le Pnrnrht promis par Jésus-Christ , avait le droit de pro-
duire des doctrines nouvelles. Il ajoutait (jue l'.Église ne pouvait
absoudre des grands crimes ; «pie les secondes noce» étaient
A (iEi\È>K. 305
des ;uliill»''rcs ; (|iril n'était jamais permis de fuir la persécution ;
(|iril fallait observer dans Tannée trois carêmes.
(-e (ieiiiier trait de Terreur vous prouve déjà qu'il y en avait
nn observé par l'Eglise.
Dans le troisième siècle nous voyons les Sabeîliens, qui niaient
' le mystère de la Sainte Trinité. Cette négation ne montre-t-elle
pas que déjà ce mystère était une croyance adoptée par l'Église?
Les Novatiens viennent à peu d'intervalle. Le chef qui leur
donna son nom se sépara du Pape Corneille sous le piétexte qu'il
ne fallait pas admettre à la communion les chrétiens tombés
dans l'idolâtrie pendant les jours de la persécution. Il se fit
consacrer évéque par trois évêques dont il abusa de la sim-
plicité. Condamné par un concile, il fut chassé; ses nom-
breux sectateurs , qui renchérirent sur le rigorisme de sa doc-
trine au point d'exclure de la communion ceux qui avaient com-
mis des péchés pour lesquels on étaient soumis à la pénitence
publique, tels que VaduUére, la fornication, etc., furent séparés
de l'Église de Jésus-Christ et déclarés schismaiiques, parce qu'ils
avaient commencé d'eux-mêmes et sans mission légitime un en-
seignement non reconnu par l'Église.
A ces deux hérésies , ajoutons celle des Manichéens , qui ne
furentau fond que des plagiaires du Marcionisme, tout en croyant
en Jésus-Christ , et nous aurons une idée succincte des erreurs
qui s'étaient produites en haine de la véritable Église pendant le
troisième siècle.
Dans le quatrième siècle, les Donatistes supposèrent que les
sacrements administrés par les pécheurs étaient nuls. Ils regar-
dèrent comme complices de l'ordination de Cécilien non-seule-
ment les évêques africains de sa communion, mais le pape et les
évêques d'ouire-mer qui communiquaient avec lui. Ils en arri-
vaient à cette conséquence que toutes les églises du monde
avaient été souillées et qu'elles avaient cessé de faire partie de
la véritable Église de Jésus-Christ, réduite, suivant eux, au pe-
tit nombre de leurs sectateurs.
Cette dernière opinion n'est-elle pas aussi celle de la Ré-
forme ?
>(M> i>i^ lA (.o>Tno\ei($E ncLir.iEi'si:
Li'S Àrient nitMcnt la divinité de Jésus-Christ oi ils fiircni i oii-
(lamnt's «laiis l«' i<»noil»' <!»• Nicco, prmiicr coiuilo f^'énéral.
Les Macédoniens nii'reiil-la divinité du Saint-Ksprit et ils lu-
rent condanitM^s par le concile de Conslanlinople, second conrile
général.
L'n prcirc arien, nomme .\<'iitis, |>rfU'n<lit tpn' I r\(i|iic ti'cst
passupciicur au prêtre. O preshythinnism»- anticipé lut rcpouss»'*
par les défenseurs de la foi catholique, et la supériorité de l'e-
piscopat resta consacrée aux yeux des lidèles. Les Dnnatiftrs, les
ariens, les Macédoniens et le prêtre .4ètius, tels sont les princi-
paux hérésiarques que l'Éplise eut à combattre pendant le qua-
trième siècle.
Dans le cin^piième, \^^>\\s mi\i>ii> ir.s Pilagicns rpti nièrent
l'existence du pec lie originel , la nécessité de la p-.Ace pour la
sanctification et le salut. Cette doctrine erronée, si flatteuse pour
l'or^Mieil (lu cieur Iiiimaii) , se propagea qiiehpie temps, bien
(ju'elle eût ele condamnée par un graml iioml»i-e de conciles
particuliers.
Nous rencontrons à la même époque l'hérésie des .\estoriens,
condamnés dans le concile (ri%phèse, troisième concile général,
parce qu'ils soutenaient qu'il y avait deux personnes en Jésus-
t'Iirist, et que par consé(pient on ne pou>ait attribuer A sa per-
sonne «livine les in^stèies de la Nie et de la mort du Sauveur.
Les Eulirhèins enseignèrent alors (pie la nature humaine avait
été confondue avec la naïuic (li\ine dans la personne de Jésus-
Christ, et essayèrent, par conséquent, de détruire la ré:diié des
souffrances, de la mort et de la résurreeiinn de Jesus-Christ.
L'anathème du concile de Chalcédoine . (pratriènie concile géné-
ral, sépara de l'i'^glise les Eutichéins.
L'n pr(Mre de Harcelonne précéda de treize siècles les réfor-
mateurs modernes en alta(piani dans le cinquième, par des rail-
ferics et de frivoles raisonnements, le culte «les Saints, la véné-
ration (les reli(pies, le célibat. Saint .lér("»me lui opposa l'auinrité
de la tradition unanime de t(»utes les églises. Les prosélytes de
Vigilance furent peu nombreux ; mais les catholiques doivent re-
marquer avec édification l'iJentilé de la do( Irine et des pratiques
de l'Églisn à relie C|>0(|ue, avec les pratiques el la fkxtrine de
l'É^'liso dans notre si«îcle.
Le septième siècle produit les Monolhèlitrs , rpii soinenaienf
qu'il n'y a point en Jésus-Christ de volonté et d'action liumainc.
C'était atta(juer le mystère de la rédemption. Le concile de Con-
stantinople, quatrième concile général, déclara les Monothéliles
hérésiarques.
Voici venir dans le huitième siècle les Iconoclastes, ou briseurs
d'images, dont l'empereur Léon Tlsaurien fut en quelque sorte
le chef, comme il en fut le soutien. Le concile de Nicée prononça
contre cette innovation, et ses définitions devinrent, après quel-
(jues années, celles de l'Église universelle.
Dans les neuvième et dixième siècles, peu d'erreurs dignes
d'être définies et comptées.
Dans le onzième, nous trouvons l'accomplissement définitif du
schisme des Grecs commencé dans le neuvième siècle par Photius,
patriarche de Conslantinople.
Cette consommaiion d'un schisme dont un espoir de domina-
tion sur les églises d'Orient fut la cause unique, et qui ne s'o-
péra en réalité que par suite de raisons subordonnées et secon-
daires, un siècle et demi après la mort de celui qui l'avait susci-
té, comment la juger ?
L'autorité et les réclamations des pontifes de Rome étaient là,
s'appuyant, comme toujours, sur le droit écrit dans l'Évangile,
et repoussant de l'Eglise universelle ces fractionnements que tant
de fois ont lanté d'accomplir les passions humaines. Photius ne
recula pas. Michel Céruiaire, après lui, entraîna dans le schisme
les églises d'Orient , et d'autres ambitions de patriarches con-
slantinopolitains finirent par rendre irrévocable et compacte cette
division funeste. Pour se séparer de l'Église primitive , il fallait
un point de controverse. On ne voulut point, contrairement à la
r.royance admise, que le Saint-Esprit procédât du Père et du Fils.
On nia la primauté du pape. Mais on conserva tous les autres
dogmes professés par l'Église catholique, ceux en particulier des
sept sacrements, de la présence réelle du corps de Jésus-Christ
dans l'Eucharistie et le saint sacrifice de la Messe.
Cette croyance fondamentale, comment l'auraient-ils conser-
20
;J08 l't IV I iiM i,<i\ i.i.>t i.ia.MiM
\rr , en î>f scpaïaiu de l'Kfilisf romaine , si, ainsi tjUc \cs nlor-
inatciirs modernes l'ont alliinx- , rhf^li.sc romaine ne l'avaii pas
rue?
fitranger , arrliidiacre de Tours, essaie en mt^me lenips une
nej^'aiiori plus lapiiale, erllf de la Iranssubslaniialion , < 'es(-à-
(liif (lu ( lKin;4<'iiiciiI iiiitaciilciix (|iii se fait du |)aiii et du \ineu-
( haiisli(iu(s au torps el au sanj,' de J('sus-(!Im isl, «l cepcndani il
admel le dogme de la présent e réelle ! tirante eoniradielion ,
renouvelée depuis et condamne»' alors dans les eoneiles de Touis,
de Paris, de Vereeil . dans <leux eoneiles de Home, el par son
auleur lui-même. Ce do^'me de la iranssubslaniialion eiail donr
reconnu par rKj,'lis<', puis(pie Bélanger, «pii se rétracia plus lard,
le nia d'abord.
C'esl un lait (pi'on n'a |)oiut assez, reiuartpu" peui-éire , (pie
toutes les lu'it'sies sui"\enues dans la série des siècles sont uni'
constatation éclalanlc de rininuiiabiliie des doctrines et des priu-
» ipes professés par l'Ilglise catiiojiipie !
Au douzième siècle naissent les / audois, (pii < oniincncirtiii
par prêilier la nécessité de la pauvrolé pour le salut. .Sans doule,
la pauvreté dignement supportée est un aciieminement <-vangeli-
()ue vers le royaume l'ternel. Mais la consicb-rer comme indispen-
sable était aller trop loin peut-être; et daillt-urs, l'Kglise calbo-
lii]ue ne rcprocba d'abord <'ii réalité aux dis( iples du Lyonnais
\ aido (pie de prèclier sans mission. eu\ laiipies, «pie de jeler le
trouble dans les consciences, «jue tie prétendre (pie tous les chré-
tiens étaient prêtres par une diviiw» inspiration; ()ue d'attribuer
ù eux seuls la qualité de membres de la véritable l^lglise dont ils
excluaient le pape , les évê(|Ues et le clergé inférieur, en raison
des possessions temporell(>s dont ils disposaient. Il faut bien
ajouter qu'ils condamnaient toutes les cérémonies caiholitpies,
la loi du jeûne, la nécessité de la confession, les jirières pour les
morts, le culte des saints, la vén(!ration des images et des reli-
ques. Ils élaienl les aînés du protestitntisnie , (]ui n'a rejeté de
leur doctrine que ce (pii n'est pas compatible avec le bieo-ôlre
matériel.
Les .'llhigeoi» alTIigèrini à leur loin ri*'.glise de Jésus-Christ en
niani, < ouiine tant d'autres sectaires, la di\iiiii<du .Saiivem . et
V til.NKVt. {OU
en enseij»nanl «jne h- inoiuic éiail la création <lc l'csprii de t»'nè-
bres. Ils lojelaieni , onoiiHf. los sacrements o\ la discipline de
l'Église.
Il est inulilo d'ajouloi' à celle série d l«erêsiar<iiies appailenant
au dou/ièmc siècle les noms de Pierre de Bruys, de Henri de
Tanchelin et d' Arnaud de Brescia. Opposés de doctrine, ils sa-
vaient, comme la rc-lornie moderne, se ri'-unir et faire corps lors-
f|u'il était question d'atiacjuer l'autorité du clerf;*'-, les sacrements,
les lois et les pratiques de TÉglise.
Il est inutile de dire que l'anathème railiolique pesa sur rlia-
cun de ces sectaires.
Dans le troisième siècle, nous ne rencontrons que les Frati-
cellcs qui , vivant d'abord dans une pureté évangélique conforme
à l'esprit de l'Église, d<''générèrenl bientôt. La vie des membres
qui composaient cette société avait été d'abord exemplaire et
sainte ; elle devint bientôt scandaleuse, et l'Église catholique les
retrancha de son sein. Dès ce moment, ils s'élevèrent contre l'au-
torité pontificale, lui opposant la Sainte Écriture interprétée dans
leur sens; ils supposèrent une église invisible toute spirituelle.
Ils en disaient Jésus-Christ le chef et eux seuls les membres. Le
Donatisme , dont ils invoquèrent quelques principes , vint ajouter
à leurs erreurs corroborées de maximes albigeoises et vaudoises,
un plus haut point de culpabilité dangereuse. Mais alors l'ana-
thème ecclésiastique, en les frappant, les anéantit.
Le quatorzième siècle ne fut guère que l'écho somnolant dn
relui qui l'avait précédé. Aucune hérésie nouvelle de quelque
inportance ne s'y produisit.
Celui qui suivit porta dans son sein tous les orages. Wiclef et
Jean Huss étaient apparus.
Le libre examen protestant avait ses premiers apôtres. Luther
et Calvin, dans la période sécidaire qui succéda à celle dont nous
parlons, n'eurent plus qu'à tirer, des principes posés par leurs
devanciers moins heureux qu'ils ne le furent eux-mêmes, des con-
séquences dont les effets funestes à l'Église d'abord, le furent
ensuite à la société entière en créant l'antagonisme des pouvoirs.
Wiclef nia tous les dogmes de l'Eglise primitive. 11 se fit un
domaine de tomes les erreurs anathématisées avant lui. L'Angle-
.'MO i»r i.\ <:«»>TMovERSi: nKLiGir.rsr.
terre n'ss«»niii plus lanf Ir contrc-roup dr ces doctrines. Lois,
do^'tnes, nilic, |ir:ili(jtK'S n>ligieiis«*s, simpi»' saccrdocf, ôpisc»»-
pat, il i(iii;i (le loin déconsidérer. Plagiaire des Vuudois et des
lieféiiipies (les tem|)s anliTleiiis , il voidnl envelopper h foi ro-
m;iine dans iiii cataclysme pn'S(|ue universel. Pour lui, plus de
sacrcnicnis, plus de jeûnes, plus d'invocation de Saints. Il s'at-
tacha surtout à ex< iter Tenvie contre le cler}^'»'' en montrant au
peu|de les biens ecclt'siastirpies comme ime proie di},'ne de tenter
SI cupidité. Jean Huss ne fut presque en tout «pie l'imitateur un
pi 11 p;*dc de Wiclef dont il renouvela toutes les erreurs, mais en
les [»iè( liant ;i des |)opulalioi)s impressiouualdes. C'est alors que
reconimençireiii , mais sur nu théâtre immense, ces {guerres
(ruelles et sanglantes qui tôt ou lard, si l'unité religieuse ne vient
pas, se renouvelleront encore parmi ces mi^nies peuples, lassi-s
aujourd'hui «les années de douleurs et d'angoisses cpi'ont traverse
les générations dont nous sommes les enfants.
Nous arrivons au seizième sié«'le , ipie domine le génie «do-
qurni et l'apostasie de Luther. ï>iux mots seulement sur les doc-
iiiiios de ce fougueux sectaire (jue , dans son livre sur les f'a-
ria(wn$ protfsinulei , R«»ssuet, dans son impartialité » atliolique
é|o(piente, a prcsfjuo llatlé.
Le calme le plus profond régnait dans IKuiope entière «piand
Luther apparut. La foi des peuples, soumise ^ tant d'épreuves,
pendant N's si^M'Ies précédents, s'était )>artoui consolidée. Les
(hretiens, unis dans une inéme communion, respectaient tous
l'autorité de l'Kglise (pii, heureuse elle-niéme , apjtelait , mAme
temporelleineiii, tousses fds au |tartage de son bonheur.
Qu'une ipu'Stion fl'ordre religieux . une rivalit»'- de e<irps à
(iropos d'indulgences aient ()ousse Luther à ce point de haine
contre l'Église qu'on retrouve presque à chaque page de se*
écrits, nous sommes autorisés ft croire qu'il n'en est point entiè-
rement ainsi. S-ins nous montrer frondeur à sou sujet, comme le
fui Krasme , son contemporain, il nous semble que fvs Chan-
tons df fobU, qui ont ét«^ imprimées et traduites en français, que
son mariage, après le serment ecclésiastique d'usage, accusent
une antre inifndsion que celle d'une rivalilt' mesquine de mm-
merce 'comme on dit partni bs réformés^ entre (\ru\ corps reli-
\ t.i/s\:\ i;, '.} I (
gicux. \.cs chansons prouveni l'iibsence des mœurs piiivs, ei le
mariage coiilvaclc on dehors des lois ecclésiastiques , n'esta nos
yeux (junn corollaiie de celle intempérance que le fougueux
docteur nugustin manifesta jusque dans son langage de contro-
verse.
Ne nous arrêtons pas à ces misères si bien caractérisées dans
un article de la Revue des Deux-Mondes, écrit en 1839 par
M. Saissel, à propos de la résurrection du vollairianisme sous
une autre forme, qu'il conslalait p;ir des citations extraites de
Miclielet.
Le protestantisme luthérien n'a pas été seulement la négation
de l'autorilé spirituelle, il a été celle de toute autorité qui n'é-
tait pas celle de Luther, son auteur. Toutes les hérésies antérieu-
rement condamnées par l'Église se sont retrouvées en germes ou
en fruits dans les dogmes souvent contradictoires auxquels il a
cru devoir donner V autorité de son nom.
Il soutint, puis rojela la piimaulé ponlilicale du chef visible
de l'Église, dont l'infaillibilité lui devint odieuse aussitôt qu'elle
l'eut condamné. L'épiscopat, le sacerdoce, la messe, la confes-
sion , le célibat , les vœux religieux , le purgatoire, le culte des
saints, le jeûne, l'abstinence, le libre arbitre même et les sacre-
ments, à l'exception de deux (le baptême et la cène) déplurent
au grand novateur. 11 les supprima de son autorité privée. Le
ciilic qu'il inventa, en ne conservant des doctrines du christia-
nisme primitif que quelques parcelles, a été changé, modifié
dans son essence par les ministres qui l'enseignent aujourdhui.
C'est que l'erreur est variable, et que l'immutabilité dans les
doctrines appartient exclusivement à l'Église romaine, fondée sur
une base inébranlable , la parole de Jésus-Christ communiquée
à ses apôtres.
Nous avons exprimé déjà plusieurs fois notre pensée en bien
et en mal sur le calvinisme. Luther avait dit que l'Écriture-Sainte
est la seule règle de la foi. Il avait ajouté qu'à tous les chrétiens
est laissé le droit de l'interpréter à son gré. Cinq ans ne s'étaient
pas écoulés que la discorde régnait déjà dans le camp des Phi-
listins de l'Évangile. Carlostad rejetait le dogme de la présence
réelle admis par Luther, Zwingli et OEcolampade embrassèrent
'A\'2 m: I. \ i;(»>Tiio> Er.si. ntLii.iLisK
rupinidii tif i licrci>iai-(|U(* f»iUf;ii«u\ (|im« I' \IIimi;il;iii- ;i\;iit . \
puUc.
Calvin ajouta aux rnours de Luilirr en iiialièrc tli' «logiiu-s.
Il réforma la réforme du friand a^ilalciir allemand doni il a\ait
adoplc la plupart «les prin(i|)es. Luther n'avait admis «ju'unr
partie des hérésies des siècles précédents, Cahiii iriii;i d fri fain*
un faisceau, l^crivain remanjuaMe, lial)ile à mueprendrc ,
plub habile encun; à ilissiinu!» r les p<iistes de haine «-t dr
vengeance (|ui convaicnt dans sun ai«iriitc puiiijnc, le cha-
noine expulse de .\oyon , expidse dr (jenéve, puisa dans les
ressources de sou j^enie ce plan d'organisation th('-ocrati(|ue
i|ui , dès le jour de sa rentrée , devait «'craser les ennemis de
sou système ini]uisilorial.
(l'était la terreur orgaiiisi'-c a (kium- .soiix une .ippin tini-
exangclitpie. Le hncher de Michel SeiNet le teu)oigiie assez hau-
liinciil dans Ihistoire. (l'était la police des ramilles elal>li«' avec
tant d'art et e\er<'ée avec une si scrupuleuse oppression . «pi'il
n'était pas de secrets conliés au foyer domesticpie (pii rcvcisscm
longtemps ignorés du (".onsisloire.
En religicm. il rdrva Av sa iiiine aru iciiiie Ihén'sie oubliée
des iconoclastes.
Il raviva celle de N igilance à propos du ( ulic des saints, de la
vénération des reli<|ues et du («-libat, hérésie sur laipiellc avaient
passé on/e siècles d'indilTi-reut e.
Llu'resiarrpie Heranger, <p)i alUige les ( alholi<pies du on/iemc
sièrie, ni les Albigeois manichéens du douzième, payèrent leui
im|>ôt d'h('*résie posthume à cet homme hilieux, dont la haine du
nom catholi(pie surexcitait telleuïent l'oiganisation , cpiil avaii
perdu le sommeil. Wiclef, Jean Huss , Zwingli, Carloslad, tous
les temps et toutes les doi Iriiics srrvirnil a la composition de
son svndiolc, au(piel cependant il imprima une sorte d'unité' fac-
tice , «omhaitue avant et phis tard par ses pro|)res et remar-
quables écrits.
Consistoires, collocpu's et svnodes genevois furent pour le ré-
formateur des leviers d'a<:tion politicpie. Que les calvinistes les
plus «li-voués à leur eidtc lisent son premii-r cati'chismc et qu'ils
le com|>areut ave( h* secouil . ils en reconnaitront la différence
A <;iM,\ K. ,{ I j
kiir (les (juesliolis roiid;»ineiUales t'I cl(''li(;a(<'s clans l(>S(iiu;llcs lu
conti"i<li('li(»ii accuse rincerlitude, tomiiu' riiKcrliHKir acciiso le
délaut de conviction .
Remarquons, en passant, que Jean C/ilvin , (jui lecusail l'au-
lorilé du chef de l'Église catholique, du pape, s'était établi pape
genevois de son propie chef et pour sa plus grande gloire |)er-
sonnclle. Que signiliaienl , en réalité, les censures et les peines
canoniques, le droit même d'excommunier qu'il avait donné à la
juiidictioîi consistoiiale élahlic pai- lui? N'f'iail-co pas une pa-
pauté improvis('e? Pourquoi le grand réformateur refusa-t-il de
se conformer aux règlements faits dans un synode des ministres
de la prétendue réforme tenu à Berne? Pourquoi fit-il brûler
Michel Servet? Pourquoi fit-il emprisonner Genlilis? Pourquoi
fit-il chasser de Genève Okin, Bolzec et Castalion qui s'occupaient
de faire Dieu auteur dil péché et de la damnation des pécheurs,
de nier la liberté de Thomme , de soutenir enfin que Dieu a
soumis à une réprobation auiicipéc une multitude d'êtres hu-
mains, avant la prévision de leurs péchés, en leur refusant les
grâces nécessaires au salut?
Nous ne dirons rien de plus dans ce tableau rapide des héré-
sies sur Luther et Calvin. Nous avons admiré leur talent et dé-
ploré leurs erreurs. Qu'il nous soit toutefois permis de constater
que la doctrine de ces deux maîtres en hérésie avarié dans l'en-
seignement théologique dans la proportion du nombre des dis-
ciples que leur influence avait égarés , et peut-être aussi dans
celle des temps qui se sont écoulés depuis le jour où ils prêchè-
rent leur doctrine. L'Allemagne et la Suisse, plus hautement que
tout le reste de l'Europe, nous en disent quelque chose aujoui-
d'hui.
Comme si la coupe de l'erreur n'avait pas été épuisée , les
anabaptistes survinrent. La libre interprétation de l'Ecriture
Sainte, donnée en principe par la Réforme, devait amener de
toute nécessité une sorte de renchérissement sur les hérésies
précédemment en travail de publicité, de divisions et de guerres
religieuses à jamais déplorables.
Luther vivait encore lorsque la secte des Anabaptistes se
forma. Ils conclurent; malgré le sectaire émérilc qui les perse-
.{ I i |iK l\ rt»>1 KO\ l.liM r.Kl.li.lM >F.
enta (Il N< nu (K* >uii autorité p< i>oiinellf, ù l'inulilite itii buplt'iiic
pour K'N t iiraiii>, r^mnic incnpables de foi. IIh pn^i hèronl la ne-
ressilf tic iel>a[»liser ions ceux (|iii avaicnl mu le .sainl hap-
It^nio dans ccl à^'f (rij,'iit)raiM'('. (Ituiiinc Irur prt'miiT niaiin' i\v-
\i-iui liMir cnnfiui , ils prrsuaJrrr.iil a la foule ili* lfui>, ailrpirs
(|ut: luus 1rs rliretii-ns sont inspires, (piaud ils demandent les
lumières du rLspril 8;iinl. Leur inia^inaiiou s exalia, i-i hienlùi
on les vil app«ler la n-volle conlre la puissance t ivile, |)ru('lunu'r
non pas sculenienl l'égalité des rangs, mais le partage des biens.
Ils sont les aicux du commimisme moderne. Sous le souille fana-
li(]Ue de leur parole, la sédition, eoiiiilie un vaste iiKeiidie.
étendit ses ravages dans la plus grunde partie de TAIIemagne.
Il faill l'avouer eepeiidanl , il exista prestpie en nièiue temps
un»; autre seete danabaplisles appelés paLilitjues, (pii se repro-
duisit avec toutes les variations c<»minunes à Terreur dans l'Al-
lemagne, dans la Moravie, dans la Hollande. Les pacifiques
s'oeeupaienl de leligion seulement. .Mais ils se monirér«Mil con-
slaïuinent hostiles aux prolestanls, |>aree (pi'ils avaient eonserve
(pielqiie chose de la religion callioTupie, et aux < allioli<|ues, en
haine de l'iiivaiiable principe sur leipicl repose leur croyance.
L analraplisme a liiii par altontir à des exlra\a;;anc«'S et à toutes
les erreurs, (i'élait nu resnliat inc\iialilc de (elle preton«liie in-
spiration céleste dont chacun de ces sectaires prétendait axoir
reçu le don.
Le seizième siec le vil eclor»' aussi le Socinianismr. autre en-
l'anl de la reforme de Lniher et de Calvin. Les soeiniens furent
<laus leur erreur des logiciens habiles. Ils poussèrent le priinipc
de la Keloinie pi-oteslante à ses dernières limites. \u principe
du libre examen en matière leligieiise, ils ajonlereni ipn- pour
interpri-ter la ilibli' . il fallait deierminer le s«'n<. «le ses textes
d'api es le jugtîiiuut di* la raison, sur les objets dont il eiail ques-
tion dans les textes sacrés. C'était eontlure d'après la règle adop-
tée pur les calvinistes lorsqu'ils rej«'tèreni le dogme de la pré-
sence réelle, et d'après celle que les liiiheriens s'etai<<nl imposée
pour repousser le dogme de la iranssnbsianliatiou. De là, poul-
ies disciples do vSocin , rejet «le t(»iis It s mystères, oelul de la
Tiinile. (Il- |:i dixinilc et de l'incai nalion de .lesiis-ChrisI ; rejet
A (;K>È>t;. 3(5
lie la rcdcnipiioii, du péché originel et de la nécessité de In grâce.
Aucimc dortiinc erronée n'éiaii appelée à faire un plus grand
nombre de prosélytes ; mais ils se sont fails et se Ibnl sans bruit,
sans relentissonieul d aucune sorte. Le socinianisme n'est-il pas
au fond la négation de tout principe chrétien, et ne met-il pas à
Taise la conscience de ses sectateurs? Michel Servet, brûlé par
Calvin, avait été socinien avant la naissance de la secte qui au-
jonid'hui se j)roduit encore sous ce nom. 11 n'a ét('; brûlé par l'or-
dre du réformateur que par la force logique du raisonnement;
il avait tiré des doctrines professées alors à Genève les consé-
quences les plus rationnelles. Il y a péril , comme on le voit , à
examiner de trop près les doctrines des sectaires et à conclure
d'après elles!
Le socinianisme a enfanté le déisme, qui ne reconnaît que la
raison pour lumière et pour juge, et cpii , rejetant la révélation ,
n'admet que la religion naturelle. Du déisme sont nés les athées
(s'il en existe véritablement) , qui rejettent l'existence de Dieu
parce que leur raison ne peut concevoir l'existence de l'être in-
fini. Ces fruits funestes de la Réforme ne prouvent-ils pas toute
la vérité des paroles du divin Sauveur : Fous les reconnaitrez d
leurs fruits?
A mesure que nous avançons dans la série des âges, l'hérésie
perd sa physionie primitive, son cachet d'originalité. Elle repro-
duit, mais ne crée plus.
Ainsi, dans le dix-septième siècle, se montrèrent \es Jansénis-
tes. Jansénius , évèque d'Ypres, avait consigné précédemment ,
dans un livre qui ne parut qu'après sa mort, plusieurs hérésies
sur la matière de la grâce. Cinq propositions principales consti-
tuaient riiétérodoxie d(; sa doctrine : l'^Que les justes ne peu-
vent pas, en certaines circonstances, remplir quelques comman-
dements, et qu'il leur manque la grâce nécessaire pour le
pouvoir; '2° que l'on ne résiste jamais à la grâce; 3° que l'on
peut mériter et démériter sans la liberté, et avec la nécessité in-
térieure d'agir; 4° que les semi-pélagiens n'avaient été condam-
nés que parce qu'ils n'admettaient pas une grâce nécessitante ;
6" que c'est être semi-pélagien de dire que Jésus-Christ est mort
absolument potu' tous*les hommes.
.1 M» i»K i\ noNfRii^ tn^K nti.K.iti st.
Uiiii M tsl |iliis drscsppnmi <|iH' relie dùrlrine. J:inseiiiiis a\:iil
«labli pour liase de son syslème (|ue la libellé de riiomme a
eu- perdue |»ar le |ie(lié «le nos |»ieiiiie|-s parents, el «|ne dès lors
1 [loiniiie n'a^il |)as par le choix de sa >olonle , mais qu'il est
lU'Cessaircmi'ni tii'lerniine au him ei au mal f)ai' l'enlrainemenl
ijielectaùu) (!«» lu coneupiseeuee ou par celui de la {^rilce (|ui
aj^'issenl sur lui en proporlion de leur lori'e rclaiive, eomme
deux poids dans les deux bassins (i'unc balance.
(À'ile bén'sie , facilemenl re<onnaissabl«' , oui des puriisuns
dans les plus liaiiles rcf^ions de rintellij^ence el de la société. I.a
puissance civile la jtroléj^'ea en France. L<» (lape Innocent X la
condamna par une bulle adressée à tous les évoques cailioli(|ues.
publiée par les eNcques de France el reçue sans réclamation par
les autres «'Véquos de la catholicité.
Presque au seuil du dix-huilicme siècle, VlUuminismc, lils
adultérin de la Reforme protestante et du Jansénisme, creuse
un sillon nouveau dans le terrain friable et meuble des erreurs
biiniaines.
I/llliiminisnif «"^i une secte presque indéfinissable, tant nom-
breux et divers se produisirent les éléments (pii entrèrent dans
SI composition. On |>eul le ju^^er plutôt par i;es résultais que
par reosemble des erreurs qu'il professa. Né de la Réforme par
la libre interprétation «le la Bible, il «Mit avec le Janst-nisme une
remanpiable allinit«'. Ses partisans se prétendirent inspirés de
l'Kspril Saint. Kn Fran««' , ils jou«'renl aux miracles, après l'in-
lerdiction jelé«' |»ar Taulorité civib* sur leurs coiivi'nti«ul«'s, oii
de malheureuses \ictimes «l'un fanatisme iiiexplicabh* s«' soumi-
rent plus ou moins voloniaininent à des iortiir«"s inouïes. Kn
Allemagne, rilluminisine • ut un antre «araclèfe. Swedemb«»r;j,
<p«i . le preniier, en lit profession, avait prétendu, éclairt* d'une
lumière divine, avoir vu le jii^«'ment «hs l*)sprits el la .b-riisabin
céleste descendr»' sur la t«'rre. Il s'était cru en «ommunication
intime et «onslanl*- avec Dicii, dont il avait, disait-il. rei;ii la mis-
sion «le prêcher le ri'^^ne, au nom trois fois saint de .lesns-( Jirist.
I.'l'^çlis»' visible , rF^lis«' catholiipie dis|iar.iissait à ses yeux. Le
culte exlérieur disparaissait également. S uiiii a Dieu par la
pensée et par la \f»Ionté «-tait ress«'nce de la religion n«»uvelle.
G'IU' iiiiidii coiisiiiiiaii Vèglise véritable, et ceux (jni la prali-
()iiai('ni , à (jueliiiK- si'cle qu'ils apparlinssont , ('taifnt puriiiés,
saiiciilirs, iMisst'in-ils mémo éU- coiipahlcs d'actes cxltTieiirs les
plus désordonnés.
o On paivicnl à celte union, dit un écrivain de cette époque,
dont le nom ne nous est pascoiniu, en se menant on rapport avec
les es^nits célestes; car il est un monde invisible d'esprits qui
communicpient entre eux. L'homme acquiert ce grand art do
correspondance en lisant la Sainte Ecriture. Le flambeau céleste
ne lui fait jamais delaut. H commimique alors avec les esprits
humains, contme avec les esprit angéliques. Il agit sur eux par
la pensée et la volonté ; il pénètre les corps et les distances, dé-
couvre les secrets , produit des effets merveilleux, des extases ,
des guérisons prodigieuses, etc. »
Les visionnaires du XVIir siècle, sous le nom d'illuminés ,
n'étaient, comme on le voit, que les plagiaires du Gnosticisme ,
représenté dans le second siècle de l'Eglise pur Valenlin , et des
Priscillianisles, dont les excès furent mieux connus que leur
doctrine. Il y eut scission bientôt entre les disciples de Svvenden-
borg, el il en nacquii les Moraves, les Piétisles, les Martinistes,
les Mesmériens et ces Illuminés sansénistes dont nous avons parlé.
Au XIX® siècle, d'autres et d'aussi grandes hérésies ont de-
mandé à la presse le droit ou plutôt la permission de se répan-
dre. En haine du catholicisme, la presse les propagea. Malgré cet
oflicieux appui, dont on ne peut nier la puissance, elles sont tom-
bées presque toutes dans loubli, parce qu'elles résumaient toutes
les hérésies des siècles antérieurs.
Nous n'avoQs voulu que résumer en quelques pages le tableau
des principales erreurs religieuses dont l'humanité a parcouru
le cercle. Qu'elle ait épuisé tout le délire de l'orgueil, toute la
haine de l'impiété, toute l'audace du crime, nous l'avons vu et
nous le voyons. Mais un grand travail de rénovation se prépare.
Les hommes d'étude et de science, quelle que soit leur nation
et l'opinion religieuse dont les premiers retentissements les frap-
pèrent du berceau à l'âge mûr, ne se contentent plus de ce qui
leur fut enseigné avant l'éveil de leur raison. Ils recherchent la
vérité el la vérité les ramène , pour la plupart, au catholicisme
1IH iih I. \ «.o>Tr.n\ i;n>t in.Lii.itLSC.
«jiii NtuI :i (les toiisolaliuns |)oiir luules les misères, des sultiiions
pour lou.s K's (loiiU's t'I uue régit; iniiiuiubli.' à opposer à ces dan-
gert'usfs nvolirs (le ror^Micii, dans les doniùuniix coiidiais de
la vie.
Toulcs les licrésies humaines se sonl résumées dans le proles-
taiilisme. Elles y ont epiiix- inule leur force de pensée et d'ac-
tion. Ce qui le deinuiitre claiicincnt, c'est (]ue toutes les becles
se liguent contre noire relij,'iou caiholiijue, forte, seule compacte,
inébranlable, et (|ue racharnemeui de leur haine commune réus-
sit à peine à e\eiller «pu'Upies craintes peu cvan^jelifpies en des
âmes assurément bonnes, mais faibles, dont la voix seléve et erie,
comme celle des apôtres pcmlani Idrage : • Seigneur, Snuvez-
nous, nous'prrissons. »
La nomenclature (|ne nous avons donne»; des hérésies, en Ira-
versant d'un pas rapide une lon^^ue succession de siècles, pendant
lesquels le catholicisme, toujours aiiaipié, est sorti toujours vic-
torieux des luttes de l'erreur, doit rassurer l<*s âmes iiupiiè-
tes. Notre foi a traversé tontes les épreuves. Tous les pouvoirs
humains se sonl iij,Miés < oniic elle. Le creuset des persécutions
.sanj^lantes s'est elaij^i pour dcNorer nos frères des premiiTS siè-
( les. Dans ceux (pii suivirent, survinrent d antres persécutions,
painii lesquelles il faut placer an premi(>r rauf;, comme la |)Ims
dangereuse, ee'ilc de riiensic. Lh Mcn ! le catholicisme a-l-il
varié .'
La catholicisme a-t-il vn sa moi.sson céleste plus stérile? A-i-il
vu ses a pu 1res moins convaincus , moins ardiMits à en étendre le
domaine, moins unis dans l'universel désir de conquérir à Oieu
les âuu's indillerenles et égarées.'
De tout ce que nous avons dit , dans cet artich; , concluons en-
semble, lils g<Miéreux du catholicisme qui \i>e/ sur une terre <»ù
l'erreur prend, pour vous persécuter, tontes les formes, conclimns:
1" Que, pnis<|ue les milliers d hérésies nées, dans la succes-
sion des siècles et pres<|ue sans iuieii ii|)iinn. ponr semer l'ivraie
«lans le champ dn Seigneur, n Ont pn ni loi nn'r nn corp.* de doc-
trines Iradiiioniu'iles et ininuiables, ni nn i urps durable de ser-
lateurs, c'est parce qu'elles n'étaient point la \eriie.
'2" Qur la lon^'cvii»' du |in>tpstanlismc qui. sous s<»s différentes
K (;k.\kvk. -iW)
lorines ol réformes, a résumé toutes les hérésies des âges précé-
dents, et tendu la main à toutes les sectes comme à des auxiliai-
res, est menacée aujourdMiui.
3" Que puisque la vérité, divine émanation du Père céleste ,
ne peut point périr, les sectaires qui nous menacent au momer\t
même où déjà s'édaiicissenl leurs rangs, verront leur hérésie,
qui n'a été un peu plus durahleque par ce qu'elle avait emprunté
au catholicisme, s'anéantir bientôt dans les ténèbres d'un indif-
férentisme àoniVà réaction nécessaire (car toute action a sa réaction)
sera inévitablement un retour dos peuples égarés au catholicisme.
■i° Que ce retour est prochain. Que VUnion des intérêts pro-
testants à Genève est un symptôme de l'agonie des doctrines de
ht réforme calviniste. On ne s'unit point lorsqu'on ne craint pas.
Les doctrines mortes, ceu\ (pii en vivent tentent d'en galvaniser
h; cadavre et de lui imprimer un dernier mouvement dont il
n'aura pas conscience.
Catholiques, des signes infaillibles nous annoncent la victoire,
à nous enfants de la croix : In hoc signe vesices.
1° L'anarchie des croyances enfante au milieu de nos adver-
saires l'anarchie politicjue.
2" La tendance qu'ont les sectes nouvelles à ne plus s'attaquer
iiu pouvoir spirituel, mais au pouvoir temporel, et à rechercher,
même dans l'eireur, le principe d'autorité et d'unité qu'elles ne
trouveront pas assurément en dehors du catholicisme.
3° Le travail de retour de tous les hommes qui pensent sérieu-
sement, vers l'unité catholique.
Nous pourrions indiquer une multitude d'autres signes égale-
.ment consolants pour les amis sincères du christianisme. Nous ne
le ferons pas aujourd'hui, sous la réserve de rentrer plus tard et
avec des faits précis dans cette question dont l'importance ne
saurait être niée.
La mission des catholiques du canton de Genève et de toute
l'Europe est belle en ce moment, puisque l'exemple do leurs ver-
tus peut hâter le retour à la foi des dissidents que des préjugés
d'origine ou peut être des intérêts personnels retiennent encore
dans les chaînes de l'hérésie. Cet exemple de vertus et de gran-
deur, les catholiques le donneront au monde aujourd'hui comme
aux premiers siècles de l'Église, nous en avons l'intime conviciion.
Hl'LLKTIN lUHI.IOGKAPIllOlE.
La xéritc de l Eglise catholique démontrée, par l'ahbc ('attet,
ancien vicaire général de Lyon. 2v. in-8. Chez Périsse. Lyon.
Les elTorls du proiestaniisme nous volent de beaux livres en
faveur de noire foi. Après les travaux du I*. Perinne , voici une
d«'monslrution éclalanle et irréfutable de la vérité eatlioliquc ,
dans le livre de Tahbé Catiet. Le savant el pieux auteur eonnail
le protestantisme qu'il combat depuis longtemps; nul mieux que
lui ru- pouvait cxposeï- une défense romplète de l'Église catholi-
qtie. Il a eu le tah'ut de condenser, dans deux volumes, re que
renferment nos gros ti-aiies de ilieolngie. et surtout n(»us le félici-
tons d'avoir, en modernisant l'apologétirpie, parfaitement manifes-
té l'étroite conuexité qui existe entre le (bristiajiisme et le catbo-
licisme, el d'avoiradmirablement repondu aux besoins de la contro-
verscacliielle en faisant voir averliossuel «(pie lesmAmes principes
qui nous font clirétiens, nous font aussi catboliques. ■ ('c livre,
bien pensé et bien écrit , est une réponse à une provocation que
les cliefs du uïetliodiste avaient portée à l'auteur de prouver la
vérité de l'Église romaine. M. Cattet a accepté le défi, il a relevé
le gant (pii lui avait l'-té jeté, el il l'a fait av<'( la valeur d'un cliaui-
pion <pii ne reiu onire pas deux fois le même adversaire. Si nous
sommes bien informé, le parti protestant lui promit une réponse,
et il en est encore à ses promesses.
Le Souverain Pontife, dans un bref très flatteur adressé à l'au.
leur, a daigné le bénir pour ce travail et le remercier de l'avoir
enirepriH. retto approbation du Vicaire de .lésus-Cbrist nnim dis-
lU I.I.LTIA lMIWJ<)(;r.APH10l;F;. 321
jxMise (le loul éloge. Nous croyons devoir signaler à nos lecteurs
la nouvelle preuve que M. Caitet a mise en relief, des découver-
tes dans les Catacombes; de là icssort l'idenlilé du catliolicismc
de noire époque avec celui des premiers siècles, et nous ne pou-
vons mieux terminer ce rapide compte-rendu que par une cita-
lion qui révélera le plan et le style de l'auteur.
....Nous hisserons parler rÉcriltire, toujours si décisive auprès des pro-
testants; nous interrogerons l'histoire, la^^lradilion universelle des siècles
chrétiens, le témoignage même du genre humain sur le fait du catholicisme.
N"a-t-on pas dit constannnent que la religion chrétienne était un fait? Eh bien !
le catholicisme est aussi un fait : tous ces caractères qui doivent aous le
montrer vrai, son umtk, sa sainteté, sa catholicité, son apostolicité, etc.,
sont autant de faits, lesquels se prouvent comme tous les événements histo-
riques, comme rexislcnce de Rome ou de César. Or, une preuve de fait est
toujours l'argument le plus logique et le plus tranchant. — Enfin, la raison
théologique aura une force particulière contre nos adversaires, appuyée
quelle est sur un principe révélé et sur la foi des peuples chrétiens.
Quelques personnes, informées de la prochaine apparition de cet écrit, se
sont inquiétées du ton que nous allions ()rendrc vis-à-vis des protestants pour
ne pas les cho(|uer. Hélas! avons-nous répondu, lexpérience nous a appris
qu'une réfutation , quelque modérée qu'elle soit, sera loujouis choquante
pour l'orgueil hérétique. Les protestants, en particulier, qui ont si peu mé-
nagé l'Église romaine dans leurs actes et leurs discours, exigent néanmoins
qu'on les ménage à l'excès. Or, nous sommes bien résolu de garder envers
eux toutes les règles de la charité chrétienne ; à Dieu ne plaise que nous fas-
sions ici des questions de personnes! !Vous ménagerons donc, autant que
possible, nos frères séparés, comme individus. Jamais aucun nom propre ne
sera mis en scène, qu'autant qu'il s'agira d'un chef de parti qui se sera afli-
chc lui-même. C'est à l'erreur seule que nous en voulons; c'est contre cet
ennemi du genre humain que nous devons nous élever avec vigueur. Si donc
nous employons parfois un langage animé, ce sera celui de la conviction ;
nous ne ferons qu'imiter en cela nos modèles, les Pères de l'Eglise, les
grands controversistcs, comme Bossuet, qui s'armaient de toutes pièces, de
toute l'énergie de leur foi contre les hérésies. Nous suivrons, après tout, les
règles de la polémique tracées par Mnldonat, qui veut dans ces sortes de lut-
tes un style acéré et véhément, acer et vehemens. Voilà la part Je l'auteur.
Quelle doit être la part de ceux auxquels s'adresse principalement cet écrit?
Est-ce trop de leur demander la bonne foi, la Lrobité d'une conscience
droite, le désir de connaître la vérité pour l'embrasser avec amour, conmie
aussi d'apercevoir l'erreur dont on aurait été jusque-là victime, pour l'ab-
j\irer?...
MÉLANGES ET .NOIVELLES.
Genève. — Il y a (|ucli|uc temps une |iulértiiqtic s'était engagée rnlrt;
le Journal de Genève cl quelques feuilles des pays vtiisins, sur les insultes
faites nu clergé ilans les mes de noire \ille. Les ÀnnaUt .iv aient tenu à res-
ter en deiinrs de cette polémique ; mais la persistance de la feuille genevoise
à nier des faits évidents nous avait forcé à en sij^naler qtieliiucs-uns.
I)'honoral)les citoyens ont cru à tort que les Annales a\ aient accusé toute la
population de (Jenève de urossières paroles à regard du clergé cl de maheil
lance à l'adresse de la famille d'Orléans. Noire pensée a été mal inlcrpréléc ;
nous savons que les illustres exilés oui reçu ici l'accueil qui est dû au mal-
heur noblement porté ; nous savons aussi que bien des protestants déplurent
ees cris inconvenants que quelques hommes mal élevés jettent aux prêtres.
Conmie nous et avec nous, ils n|ipellent de tous leurs vœiiv les temp* où la
liberté sera prise au sérieux par tous et pour tous.
— Pendant que le proleslanlisme poursuit son œuvre de prosélytisme par
l'argent et en se glissant derrière les révolutionnaires , l'f.glise eatbnlii|ue
élève par In foi et la généreuse pauvreté de ses fils des universités ralholi
ques à Vienne et » Dublin: elle envoie ses prêtres et ses s<r<irs de rlinrilé
au milieu des eanq)s, et ce dévouement lui vaut l'admiration des .Anglais et
des infidèles.
— La littérature catholique s'enrichit de nombreux ouvrages qui honorent
notre foi, et le |)i'otestantisme , par ses hommes d es|irit , produit de gros li-
vres eummc celui de Napoléon lloussel, où par une maladroite comparaison
des nations calhuliqucs el des nations protestantes, il démontre que la reli-
gion protestante est la religion du confortable. Le Journal des Débalt, que
personne ne suspectera de partialité, a fait une spirituelle réponse à M. Rous-
sel ; nous la reproduirons prorhaiiuinent, car elle démontre parfaiirnieiit
f]u'h ce pri\ li- proirstanlismc n'e*«t qu'un matérialisme déguisé.
LETTRE
A M. L'ÂBBÉ CAILLÂT.
Monsieur l'Abbé,
Je vous remercie d'accepter jusqu'à mon retour la laborieuse
direction des annales Catholiques. Ma santé un peu affaiblie me
force , à mon grand regret , d'aller chercher quelque repos , et
vous avez compris que mon absence ne devait pas nuire à une
œuvre qui nous est chère.
Je ne puis vous le dissimuler, votre lâche est grande ! Appelé
à diriger une.Revue catholique dans une ville où le catholicisme
a droit de cité, mais où il rencontre encore des préjugés séculai-
res , des haines traditionnelles, votre cœur de prêtre et votre
loyauté souffriront souvent à la vue de la calomnie qui travestit
nos croyances et de l'intérêt qui spécule sur la pauvreté et le
malheur pour nous ravir des consciences malheureuses.
Cette polémique faite avec des objections vieillies et ce pro-
sélytisme abaissé n'auront qu'un succès d'un jour ; mais ils at-
tristent l'âme. Cette agitation protestante ne peut durer; créée
par des intérêts de partie soutenue par une société qui s'appelle
les Intérêts protestants, elle marche à la conquête des' âmes en
faisant briller quelques intérêts de ce monde, et, selon la spiri-
tuelle expression du Journal des Débats,, elle entasse une pile
21
32i I ETTRE \ «. I.ADME CAILLAT.
lie gros suus et proclame (jue la meilleure religion est celle où se
trouve le plus d'argenl et le plus élégant confortable. Dans une
ép<^»quc oii la raison ^'énérale est en tl«'cad«nce, oii la conscience
publique a perdu de son austère délicatesse, nous comprenons que
les hommes vaincus par la misère, froissc'-s jiar l'exil, accueillent
des opinions qui leur valent un(; aisance commode et sans fa-
tigue.
De là viennent les tristes et douloureux résultais de cette doc-
trine du bien-être ; le servilismc et la d<'>gradation des caractè-
res, la vénalité des âmes et le mépris de l'ordre surnaturel.
Grâce à Dieu, l'opinion publi(|ue se forme en Europe à cet
égard; ù Gènes, àTurin, en Brlj,'i(pie, comme âG<'nève, les hom-
mes sérieux, même protestants, gémissent de ce honteux trafic;
vous entendrez plus d'un aveu qui vous sera fait clandestinement
qu'une doctrine perd à jamais sa dernière influent e en se menant
il la remorque de toutes l<'s révolutions pour recueillir à prix
d'argent les conspirateurs on disi)onil)ilit<''.
Toutefois votre lâche sera consolante; plus d'une fuis nous au-
rez à entendre les secrètes inqui«'-iudes des âmes qui ont envie
d'arriver à la foi catholique. C'est là une des plus grandes joies
qui puissent être réservées à nos labeurs; c'est de voir que nos
efforts ont écarté quelques préjugés, ont fait briller un «clair sur
les ténèbres d'une âme, ont entr'ouvert uiir vue nouxelle à un
coMir avide de vérité! En présence d'une mass<> oublieuse des
grande pensées de l'éternité, en face de luttes incessantes, le
défenseur de la foi éprouverait une lassitude , s'il ne savait que
les âmes se contpiièrent une à une, et si Dieu ne le consolait en
lui faisant discerner un travail réel, (pioiqiic latent, qui enirainc
notre épo<|uc vers le catholicisme.
Partout, les plus fermes esprits viennent si? ranger sous le joug
de la foi catholique. En Angleterre , la s<ience n«»us donne ses
docteurs, et l'Iit-roisme des steurs de charité et des prêtres, au
milieu des champs de bataille, présente aux Anglais la vérité
sous la puissance de la diarilé. I/Allenvigne essaie de nouvelles
théories; elle prétend, avec Schclliiig, qu il faut opérer une
transaction avec le catholicisme, en Hmdant , par la liberté et
l'autorité, l'Église de l'avenir. Elle étudie notre vie. notre his-
LETTRE A M. LABBÉ CAILLAT. 325
loirc, nos arts, et elle devient respeclueuse. C'est toujours le
premier pas de la science véritable; elle admire, puis elle
abaisse le front devant une autorité supérieure. Les puséistes
d'Oxford ont creusé les premiers siècles, ils ont étudié les Saints
Pères, et, comme eux, les docteurs de l'Allemagne seront for-
cés de conclure que l'Église de l'avenir est la même que celle
du passé; que cette Église , c'est l'Église catholique , parce que
tous les temps sont à elle comme à Jésus-Christ son fondateur!
En France, en Suisse, surtout à Genève, malgré les apparen-
ces d'un organisme national ou d'un cadre méthodiste, le pro-
testantisme n'a plus ni une doctrine acceptée, puisqu'il rejette
les confessions de foi , ni un pouvoir qui le représente et le di-
rige. Il n'a donc plus ni le lien qui réunit les âmes, ni la foi com-
mune qui les rassemble ; il n'a qu'une communauté de haine contre
nous. C'est donc l'individualisme, c'est le règne de la raison qui
s'avance armé du raisonnement. Mais n'est-ii pas manifeste que
le raisonnement est aussi impuissant à rassembler les esprits su-
périeurs dans l'unité et l'universalité , qu'il est impuissant à re-
lier les multitudes dans la vérité unique. Les agitations qui se
succèdent dans le champ de la science, les sectes qui se persé-
cutent et se détruisent, les doutes qui croissent dans les âmes,
n'est-ce pas là de magnifiques témoignages de la stérilité de l'in-
dividualisme inhabile à édifier et actif à détruire. Les disputes
ont pris la place de la foi, l'union n'est pas même possible entre
deux âmes qui parlent ensemble des premiers problèmes de la
vie humaine. La séparation engendre la séparation, les sectes
se divisent, les écoles se suicident, les partis se fractionnent, les
intelligences s'isolent, se retirent au désert, et de là les plus fortes
gardent encore, par le prestige de la parole humaine, un cercle de
disciples; mais bientôt la parole perd de sa fraîcheur, les disci-
ples se lassent de leur chef; et le dernier débris d'une dernière
opinion meurt dans la tristesse de sa solitude. L'unité leur est im-
possible; ils n'ont qu'une agglomération d'éléments arbitraires;
une aggrégation fortuite de consciences; mais il n'y a pas so-
ciété, pas plus qu'il n'y a liaison dans un tas de pierres qui cou-
vrent le sol, pas plus qu'il n'y a union entre les sauvages qui
:i'2Vt I KTTnE K M. 1. VlUih r.MLLAT.
vi\oni nom:wlps dans les fon'ls incultes. Un «'crivain |troips!:ini
l'a d«''in«»nir«'' ; il sVcrio avec l'acci-nl tic la dunicnr :
"Nous n'av(»ns plus (l'uniic, |tlus tic ^gouvernement religieux,
» (>lus de rchilions oflicicllcs; nous ne sommes pas un cnsem-
» Me. Le consisloii-t; n'est «ju'nn iVayineni d'un ordre de choses
» dcfruit. Fragment sans prix et sans signilicatiou dans son isolc-
ument. D'ailleurs, les consistoires entre eux, et souvent les dif-
» férentes églises d'une consisloriale, sont en proie à ta plus fu-
» ncsie division. Les pasteurs se refusent récipro(|uement leurs
> chaires, prennent des résolutions contraires els'anaih<''mutisent,
» montrant d<' toutes manières (ju'ii.s >f. so">t plis les membres
n n'r.N r.OKPS, mais ai TAM HE membres l^iDÉl'E^^A^TS OL HOSTILES.
» Hélas! le sentiniciii de (cite dissolution prend clia(]ue jour
»> plus profondément racine dans la conscience des protestants
» français. Quel est ( clui (pii ose encore parler de noire église
» reformée? »
L'unité est donc absente; le |)rincipal élément de la so-
ciété- n'est pas là; l'action su|)érioure , l'organe d'autorité
a disparu. Oui d'ailleurs oserait se constituer eu autorite
dans l'iiidividiialisnu' .' Les pasteurs enseignent, il est viai ;
mais ils enseignent par une inconsécpience int^xplitable , ils
se posent en maîtres «juanil le libre examen devrait exister,
ei TindiNidualisme garder le sceptre religieux. Gîllc auto-
rité de fait , l»if n faible parce «prello n'est «pi'une contra-
diction palpable, a pourtant conservé au protestantisme (]uel-
qurs restes ile vie, (piel(|ues dél)ris de vérité; c'est à celte auto-
rité d'emprunt «pi'il doit son souille actuel. M. Schérer le
reconnaît. « L'autorité religieuse est absente... aussi nos chaires
» ont pu être envahies par toutes les nuances jiossibles de foi ou
«d'incrédulité, de pieie ou d'impiété... Notre église réformée
» privée à la fois de son «aractére do;:malique, de sa forme et de
» sa doctrine, privée de ce (]Mi l.i constituait comme église chré-
» tienne, a véritablement cessé d'exister.... son nom demeure,
» mais ho dé'signe plus qu'un cadavre, un fantAme, ou , si l'on
» veut, un souvenir et uuo espérance... Elle a cessé d'exister. •>
Coninienl donc ( roire l'eclise [lossible? b' lien d'uni<»n est rom-
i.i;rri;i, v m. L'Ar.r.i'; cvii.i.at. 327
pu, I aiiloriu'^ est en ruines , riiidividii snliic ses propres rêves;
cliaque lioiumo poursuit une k\ro cliréliennc dans des rcelierches
laborieuses; et tous mnrclienl dans des loules perdues, sans
guides, sans lumière. Quel désolant speelacle! l'union ihi monde
spirituel est brisé ! El il y a six ans, M. Scliérer, ailrislé à celle
vue , publiait avec IVancliise les craintes qui l'accablaient :
« L'église réformée est atteinte dans sa nature intime, elle a dis-
sparu ; son nom ne pare plus qu'un fantôme mutilé... Jfpigé des
» divisions cl des morcellements consommés par V individualisme,
» j'ai besoin de recbercber l'unité libre et simple de nos institu-
» tions presbytériennes. Cbrétien enfin et croyant, j'ai J)esoin de
» voir des erreurs pernicieuses abandonnées à leur propre néant,
» la vérité rétablie dans son droit... de voirie cbrislianisme évan-
«gélique enseigné, propagé, représenté par une société reli-
» gieuse qui en soit le digne et vivant organe. »
Ce n'est pas un écho isolé que cette voix; c"esl un accent uni-
versel qui s'échappe des entrailles du protestantisme. Partout
ses âmes les plus généreuses, ses esprits les plus hardis procla-
ment son impuissance. Ils n'ont trouvé dans son sein ni une paix
durable, ni une sereine possession de la vérité. Ils ont vu ses
divisions, ils ont assisté à ses discordes intestines, même sur
l'inspiration de la Bible, que les uns traitent d'amulette; ils
ont aperçu dans un récent synode de Fraucforl leurs divisions
sur la sainte indissolubilité du mariage, et il est impossible que
le spectacle de notre unité et de nos convictions ne les frappe pas
un jour de son mystérieux éclat.
Oui, quoi qu'on dise ou quoi qu'on fasse à l'enconire, il y a
dans notre siècle un mouvement religieux, un entraînement vers
l'Église. Tous le subissent de loin ou de près, et même ses en-
nemis les plus acharnés n'échappent pas à cette influence irré-
sistible. Plus que jamais l'Église apparaît comme le vivant organe
du christianisme évangélique, comme la libératrice du genre hu-
main, le témoin delà révélation, la gardienne de la vérité, la seule
puissance capable de donner la foi aux âmes, la seule autorité
assez forte pour rendre l'unité aux nations désolées par l'anar-
chie.
Pas plus que moi , Monsieur l'Abbé , vous ne désespérez de
3*i>< LtlThE A M. i/aBBÉ CAILLAT.
iioUr |);iNN i-l (i«'s liomiiifs >.éiieux (ju'il [)rodiiil encore. Ne dou-
te/ pas (le la mission que vous ave/, à n-iiiplir; aime/ lu, elle e:>t
j;ranile ; d'ailleurs nos chefs vénérés bénironl vos Iruvuux el en-
«ourai^eronl vos efforls.
Les circonslances el nos enn«'mis ont donne à nos .annales,
dans la presse catholique, une place importante que nous n'a-
vions pas le droit d'espérer. Fondée dans le but de répandre à
une |)rovocation protestante, notre revue devait suivre le Semeur
et re|)ondre à ses atiaijnes. Sauf (juehpies articles, le Semeur
s'est posé en insulieur vul{^aire ; nous avons cru de noire di-
j^nité (le le laisser vivre el mourir <ibscurémeni , sans nu'me
qu'il obtint l'ailliesion de ses amis et les silllets de ses advei-
saires.
Vous lui laisserez celle place que sa polémique a conquise; il
l'a justenK'nl méritée.
Il m'appaitieni moins qu'à |)ersonne de vous donner des con-
seils. >la jeune expérience me convainc toujours plus du malaise
cpii agile les consciences et rie rin(|niétude qui les travaille.
Oui, ave/ pitié de ceux qui cherchent sérieusement la foi; ils
soni à plaindre ; donnez-leur la vérité avec amour ; que nous re-
trouvions la suave el inellable lendresse (pi'avait saint François
d«; Sales dont nous possédons les éciils el dont nous voudrions
reproduire les merveilleux secrets du cœur.
I>aissez-moi vous redire ce que je me disais à moi-même en
inau;;urant celte llevue :
« Sachons éviter les deux excès «l'amollir, d'énerver la sainle
iniéj^rilé de nos croyances par d'imprudentes concessions, ou de
blesser par des formes impérieuses, pleines d'Apreté , l'adver-
saire que nous voulons c(mvaincre... Nous ne voulons jamais ou-
blier «pie la charité est inséparable de la vérité, sans nous ravir
pourtant le droit de flétrir les calomnies avérées ou les équipées
de la haine La sainle cause de la vérité redoute avant tout
les triomphes de la vanité et b's obstinations de ranionr-pr«)pre.
Que Dieu nous garde de ce double péril ! Ce serait pour nous
un snj«'t d'in<*onsolable douleur, si nous étouffions , par un n)Ot
même invol«)nlair«', h's s«'mences «]ui germent inconnues dans les
âmes cl qui, un jour pcul-ôlrc, sous rinlluence d'une parole
I.KTTRE A M. L ABBt CAILLAT. 32'.^
amie, s'épanouiront â la lumière catholique. H n'a fallu souvent
([u'une main affectueuse pour aider une intelligence à Iranchir
rabînic qui la sépare do la foi. « C'est déjà, disait Bossuet, une
assez grande peine aux gens que de leur montrer qu'ils ont tort ,
surtout en matière de religion. »
Puissions-nous faire iigréer à «juelques-uns de nos frères sépa-
rés celte parole qu'il attendent, cette main qu'ils recherchent!
Nous connaissons les talents de plusieurs; comme ils seraient
fructueux au service de la vérité ! Nous ne pouvons croire que la
paix religieuse et l'unité des âmes aient fui pour jamais nos con-
trées que Dieu a faites si brillantes ; nous épions des signes de
sérénité dans les incertitudes de l'avenir; nous les cherchons
d'un regard avide, et nous serons heureux de préparer à Genève
l'unité de la foi que nos vœux appellent et que le Sauveur du
monde a demandée à son Père comme le bien suprême des hom-
mes, au sein des divisions et de l'instabilité terrestres.
» Qu'ils soient un ! Sint unum ! »
C'est donc un organe catholique fondé à Genève ; vos mains
le soutiendront mieux que je ne pouvais le faire. Vous ne serez
pas isolé, vous aurez les sympathies de la presse catholique,
l'appui d'hommes influents dans le clergé et dans les laïques;
vous verrez de jeunes chrétiens venir essayer leurs forces dans
notre Recueil et réclamer une part de travail dans ce champ où
ils paraissent inexpérimentés d'abord, mais où ils seront plus
habiles un jour. Nos Annales , n'eussent-elles pour but que de
former un faisceau catholique de défenseurs , de développer la
vie scientifique et littéraire parmi nous , de montrer que nous
vivons, que cela seul suflirait pour fixer leur existence.
D'ailleurs, nous pourrons être un écho du mouvement catho-
lique et des efforts protestants en Europe. Placé entre l'Italie,
l'Allemagne et la France, notre recueil peut, mieux qu'un autre,
être l'interprète fidèle de nos luttes et de nos espérances. Des écri-
vains connus et aimés dans l'Église nous ont promis leur concours.
L'illustre archevêque de Gênes et le P. Perrone nous parleront
de l'Italie ; Dœilinger nous racontera cette admirable fermenta-
tion catholique qui se révèle au-delà du Rhin ; le savant évêque
330 LETTRE A » t'ABBé CAILLAT.
de Moniauban et M. l'aMn' «l'AI/on, vicaire-gt'néral «le Nîmes,
rediront à nos lecteurs la valeur théologiqne des proieslanls fran-
çais il de leurs écoles. Nos collahoraleurs et nos abonnés nous
soroiil lid»'les. \'ous le voyez, la i.li lie tsl bien alléj^ée; il s'agit
de la remplir. Je 1 ai lenlé ; je n'ose croire ù mon succès; je me
console en l'cspéranl pour vous.
Je ne vous délaisse pas ; je garde ma pari de responsabilité et
de labeurs. Je vais à Rome réparer ma santé ébranlée et retrem-
per mon âme dans la ville des grandes inspirations et des sain-
tes ménu»ires. Là se rencontre qu»;lque cliose de meilleur que
les livres, une terre pi-trie de ruines et de cendres, des monu-
ments pleins de souvenirs, et des hommes qui, avec l'austérité
de la foi, ont gardf la S("ience ff'-conde et la chaleur du nrur.
J'aurai la joie de contempler le «;éna( le des Poniiles venus de
tous les points du globe, rénnis autour de Pie I\, et préparant
celle solennelle d«'cision qui doit glurilier la Reine de l'Église,
la Mère de Ncitrc Seigneur Jesus-Chrisl. J'associerai nos lecteurs
à ces fêtes de la ville éternelle; ma parole, il est vrai, ne pourra
Ctre qu'un reflet lointain de ces splendeurs caiholicpies; mais ils
l'accueilleront comme le voyageur qui, au déclin du jour, ne
vovant plus h" soleil, se réjouit de regarder encore le nuage em-
pourpré de ses derniers leux.
Remercions-le de nous avoir fait >ivre dans un temps oii b;
prêtre n'a d'autres joies tpie de passer sans éclat et courageux,
semant la vérité, pansant les blessures et consolant lésâmes; re-
mercions-le de nous placerait milieu de ceux qui méconnaissent
son Église et d'être appelés à leur montrer sa grandeur et ses
ttienfaiis. Plus que jamais nous pourrons leur faire entrevoir les
glorieuses destinées qui semblent s'ouvrir devant elle; soyons
les plus humbles et les plus dévoués enfants de l'Kpouse <lu
Sauveur. Nous traNaillons pour Dieu ; nous savons que même des
efforts stériles ne sont pas sans prix à ses yeux, et, dans nos fai-
bles travaux, rappelons-nous avec joie ces paroles prophétifpies
«l'im célèbre penseur, de Joseph de Maistr»' : « Nous louchons ;i
la plus grande des époques n-ligieuses, oii tout homme est tenu
d'apporter, s'il en a la for( e , ime pierre pour l'édifice auguste
LETTRE A M. i/aBBÉ CAILLAT. 331
dont les plans soni visiblement arrêt(''s. La médiocrité des talents
ne doit elfrayer personne... L'indigent qui ne sème dans son
étroit jardin que l'ancili, la mendio oi le cumin, peut élever avec
confiance la première lige vers le ciel. »
L'Abbé Gaspard Mermillod ,
Missionnaire apostolique, Vicaire de Genève.
Genève, le 15 octobre \8M.
Fête de sainte Thérèse.
l]\ SPtClMt.V Dt i;\l»OLOGIt IMlOTESTAATt.
D;in.s noirt' nnnu ro du mois prcc «'dent , lums ;»vons fail ineii-
lion d'un cxciIltMJl compic-rondu , publie dans le Journal dts
Débats du 12, d'un livre de M. Napoléon Roussel. En relisant
ce travail spirituel et plein de verve de M. John l.emoinne, nous
n'avons pu «|ue nous confirmer dans noire première apprécia-
lion. L'écrivain «les Débais fail juslic»', avec une indignation qui
honore son sentiment religieux et sn foi clin'lienne, des absurdes
et al)«)minal)les principes qui ont servi de base à la nouvelle pro-
duction de M. Rouss«>l. Nous «-«uinaissons d«'puis longtemps la
pitoyable manii^re de «et «'irange apologiste du protestaniisme ,
dont la plume «b'vergondee ignore egal«'u»ent le r«'spe«t et 1'»'-
(|uile , et nous ne «louions pas «|ue si M. L«'m(>inne eut , comme
nous, connu les écrits anléri«'urs d«> M. Roussel, il n'eiU omis
dans sa critique la seule |iliiase qui honore cet «'HTrivain.
Les lecteurs «les ÀnnaUs seront, sans aucun «loute, enchantés
comm«' nous de lire tout «-ntit'r rintér«'ssaiit travail «le M. Le-
moinne. C'est une « riiique liiie «-i mordante d«' tout un genre 1
apol<>géii«|ue «pii est aujourd'liiii employé de préférence par les
ministres du saint Évangile. i
Les nations catholiques et les nations protestantes considérées sous
le triple rapport du bien-être, des lumières et de la moralité,
par Napoléon Roussel.
« Nous avions ouvert ce livre avec le désir d'eu dire tout le
bien «pie nous pourrions; mais, av«'c la meilleure volonté du
in SI'K<:iML> DE I.Al'OLOtilE l'KOTlis'l Ai^lTK. 33.'î
inonde, il nous est impossible de le considérer ni comme un bon
livre ni comme une bonne notion. L'auteur est, nous n'en faisons
uucun doute, un homme lionnêle et honorable ; et pourtant, avec
des intentions (|ue nous voulons croire excellentes, il a fait une
œuvre dont le dernier mot est le maticrialismc le plus cruel, le
plus insensible, le plus désespérant. En vérité, si un ministre de
rÉvan}j[ile n'a qu'une morale comme celle-là à présenter au
monde; si, protestant ou catholi(iue, quel qu'il soit, il n'a point
d'autre conclusion à tirer de l'histoire, alors il ne reste plus
aux hommes qu'à se bien nourrir, à se bien porter et à bien
faire leurs affaires; les plus riches seront toujours les plus ver-
tueux. Celte lecture serre le cœur; elle indignerait et elle révol-
terait si l'auteur n'était, nous en sommes convaincu, un homme
digne de respect; aussi désirons-nous que M. Napoléon Roussel
veuille bien prendre seulement pour son livre notre jugement et
nos reproches.
» M. Roussel a eu l'intention de comparer les nations catholi-
ques avec les nations protestantes sous le triple rapport du bien-
être , des lumières et de la moralité. Par malheur, dans cette
comparaison , la moralité , qui aurait droit à la première place ,
n'occupe que la dernière et la plus petite; les lumières viennent
au second rang, et, comme dans le titre, le bien-être s'étale, et
pour ainsi dire se carre sur le premier plan. Nous ne blesse-
rons point M. Roussel en disant qu'heureusement il n'est presque
point l'auteur de son livre; ce n'est guère qu'un assemblage
confus de citations prises à droite et à gauche, et mises en re-
gard pour les besoins de la cause. M. Roussel a de celle manière
accumulé deux volumes d'extraits par lesquels il démontre, à
grands renforts de chiffres, que les protestants sont infiniment
plus heureux dans ce monde que les catholiques; qu'ils ont plus
de rentes, plus d'actions industrielles, plus découverts d'argent,
plus de chemises et plus de bottes. Jusqu'à préseni nous avons
toujours cru qu'au jour du jugement dernier Dieu mettrait d'un
côté les bons el de l'autre les méchants; mais, dans le système
de M. Roussel , l'humanité est partagée en deux autres catégo-
ries : celle des gens gras el celle des gens maigres. Dieu ne son-
dera plus les reins et les cœurs, mais les estomacs. Si M. Roussel
.'i.'M IN spécime:^ Dr. i'apolocif. pr.((TESTA>Tr..
pt-rmcimii à >>;nni INnie do garder rt'iiirir du Paradis, ccrlai-
nemrnt il lui donncrail pour ronsignc, comme aux Tuileries, de
ne laisser passer (|uo les g«ns bien portants et bien v(''tus; dans
sa tlieol()|,'io, pour «-tro s;iu\é, une mise décente est do rigueur.
> Il faut voir avec (pielle com|ilaisancc M. Uousscl aligne les
comptes de tous \vs pays catliolitpies cl do tous les pays protes-
tants; c'est une véritable tenue de livres on partie double. Nous
pourrions d'abord contester, sinon roxaciiiude, du moins la va-
leur de SCS cbillros; dans Tappréoiation des faits moraux , il n'y
a pas de plus grande crroiir que de croire (pic deux et deux font
(pialic ; c'est de la pliilosopliio de boniitpie et do comptoir.
Dieu ne compte pas seuiomcnl les crimes (pii se conuiioiienl
contre les luis des lioiiimes, mais aussi ceux (pii se commeiient
contre ses propres lois. Il voit et il juge les intentions, pendant
(pie le (j)(le ne peiii voir ol atteindre (jue les actes, et la sociélé
la plus vertueuse à ses yeux n'osl pout-i'^tro pas celle à <jui la sla-
tistiipie donne le prix de morale et do bonne conduite. Il y a ,
par exemple , un n)ond)re de rAca(l(!'mie des sciences qui a in-
vente une carie de France divisée en départements plus ou moins .
colories, soltui (pie rinslrucii(m primaire y est plus ou moins ré-
pandue; que M. Koussel se serve de cetlf- espèce de jouj(»u pour
compter le nond)i(> de 4':i!li(ili(pies ou de protestants (|ui saveut
lire et écrire, nous le voulons bien; mais le nomlue do ceux tpii
seront sauvés, ni M. Iloussel, ni l'Académie des sciences mora-
les n'en sauront Jamais rien.
» Laissons donc de côté la (jnestion de moralité, et occupons-
nous do la (piesiion |»rimordial(^ du bien-("tro. Sur ce terrain,
M. Houssi'l et le pidiestaiilisMie re^miil en maiires : ils soûl les
plus riches. Voyez, pai exemple, l:i ligure «pie fait celte li'isle
ol sale Iilande à c('»t(Nle ses sd'iirs |»rol( Plantes! ,M. UdusscI nous
donn(> , d'après un ra|>porl ollicicl , le bilan d'une paroisse do
4000 habitants, < tous catholiques , • a-t-il soin d'ajouter; ni
ces 4000 calh(>li<|ues posscdont entre eux « une charrette , une
charrue, s(.*ize hersos , huit selles d'homme , doux selles de
l«ninii-, sept loui* helti's do table, (|ualre-vingt-trei/e chaises,
doux coni (]uarantc-lrois tabourois, vingl-se|>i oies, trois diitdcs,
jleux mnielais, huit paillasses, hiiii < handeliers de cuivre, trois
l'N sPEnniKN i)i; i.'vi'<m,u(;ii: i'kotest\inte. 335
inontros, une école, un prôtre, point de chapeaux, point de pen-
(liil(>s, point (le licites, point de navets, point de carottes...»
Aiirloiis-iioiis un peu dans relie noincnclaiiiie; M. Roussel en
(iu; des paj^es cuiirres cpii ne préscnlcul rien de nouveau pour
quiconque a vu le pays dont il parle ; el, après avoir achevé cette
sorle de visite à riiôpiial, il s'ccrie Irionqilialement : « Traver-
sons donc le canal, et, après avoir vu [Irlande catholique el ses
misères, contemplons l'Ecosse protestante et sa prospérité, »
» Comme les gens qui ont la jaunisse et qui voient tout jaune,
M. Roussel va déterrer du catholicisme jusque dans des coins où
on n'aurait jamais cru (pi'il pùl se nicher, licite, par exemple,
le récit d'une scène de pugilat qui se passe en Irlande, les com-
baiiants se niellant en pièces, les témoins les lavant avec du vi-
naigre et leur Taisant avaler de Teau-de-vie, enfin tous les accom-
pagnements habituels de ce genre d'exercices. Mais savez-vous
le scandale? C'est que ces Irlandais se battent à coups de fouet ,
au lieu de se battre à coups de poing, comme « les nobles bo-
xeurs exercés de l'Angleterre! » M. Roussel cile gravement ce
fait comme un exemple de la grossièreté des mœurs irlandaises
et catholiques. Quelle différence avec ces « nobles boxeurs ). pro-
testants et ces admirables coups de poing inspirés sans doute par
la foi! Mettez aux prises deux, boxeurs, l'un catholique, l'autre
prolestant, on les distinguera Tun de l'autre au plus ou moins
de vigueur des coups ; voilà un nouveau critérium auquel nous
n'avions jamais songé.
» Continuant son tour du monde. M, Roussel soumet au même
procédé de comparaison la Suisse catholique et la Suisse protes-
tante. Voici un voyageur qui arrive dans un canton catholique,
et son premier mot est : « Quelle malpropreté! quel teint jaune,
noir et livide ! » C'est convenu : tous les catholiques sont jaunes.
Voici encore une autre impression de voyage-, nous citons :
« Nous arrivâmes sur les deux heures à Fluellen ; cette terre
dn catholicisme nous fut annoncée par quatre goitreux , six ga-
leux , une demi-douzaine de malheureux en guenilles qui pa-
raissaient sortir du tombeau... » C'est, comme on voit, de mieux
enmienx ; tout-à-l'heure les catholiques étaient jaunes, à présent
ils sont tous galeux. Détournons nos regards de ce triste spec-
33(> l> 5rMHIK> ut LAPoKX.ir. PIU»Tr.STAXTE.
tacio , et hâtons-nous .ie U'S rasséréner par la vue dune terr.'
prolostante : -Que de vaU..ns! quelle eullure! s'éeric le tou-
riste cité par M. Uoussel. Que .l'alM,nd:.n. <• el .l'induslrie! Zu-
rich et ses beaux environs lur paraissent l'asile de la sagesse,
de la modération , de laisame el du Lcnlieur... Nous mirâmes
dans une chaumière où la maîtresse du lo^^is u..us olFrii du h.it
et des cerises, et plav^ sur la table neuf ou dix grandes cuillers
d'argent... » Entende/.-vous bien? dix euillers d'argent î Quelles
saintes gens! Ce ne sont pas .es galeux de catholiques, ces gens
livides, qui pourraient vous eu moulror autant ! Voulez-vous
suivre M. Roussel en Espagne? lii encore, à grand reoforl de
citations, il vous prouvera (lue les roules sont nud tenues, que
les auberges sont sales el qu'on y mange dans des ouverts dV-
lain; puis il c.Muparera celle terre du catholicisme a lAugletenv,
cette terre du protestantisme, qui s'annonce à son tour par «les
couverts d'argenl , par des chemins de fer. par du linge, etc.
. Nous ne tenons pas a ac. ompagner M. Uoussel dans toutes
ses pérégrinations; nn..s ne nions point l'exactitude de ses
comptes, et nous laissons au pr..l.-stanlisme le l.én« hee de son
..r-enterie. Mais M. Roussel, quand il voyageait en Irlande ,
par exemple, n'a-l-il jamais éprouvé le moindre remords de
conscience? Ne s'est-il jamais demande si l.s protestants n e-
laient pas pour quel.pie chose dans la misère de celle terre ca-
Iholi.pie? si les proi.stants ne représenlent pas plus d'un di-
xième de la population de l'Irlande, de quel droit ont-ils fait
main basse sur tout.-s Ws propriétés el tous les revenus de 1 K-
glise caiholi.pie? Et quan.l M. Roussel, puur prouver que les
caiholicpies ne sonl plus opprimés en Irlande, nou» du qu ils
ont quatre archevé.pies , vingi-imis évéques , deux mille . inq
,cnls églises, plus de deux mille prèires. n.mm.ut n a-t-il pas
„„ peu .radmiraiion pour ce peuple de mendiants qu. trouve
encore à prélever sur sa misère l'entretien de son Eglise, pen-
,lmt qu.' l.s cN.'.pies et les ministres protestants vivent grass.-
,„,.ni .1 planiur.usem.-nt du pro.luit de la confiscation? Com-
n.ent un mmis.n- .h- T^Aangile ne se. rappelle-t-il pas cette
simple parole : . Je vous .lis .n vérité, cette ,>auvre veuve a plus
,I.„HH. ,,ue tous ceux qui ..ni mis .lans le tronc ; car tous les au-
UN SPÉCIMEN l»K t. WouU.lM PKOTESTANTE. 337
très ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son
indigence même tout <c quVlIcî avait et tout ce qui lui restait
pour vivre. »
Mais M. Roussel a gardé pour la France le plus éclatant, le
plus invincible de tous ses aigunienls. Écoutez plutôt :
«Persécutés pendant des siècles, dépouilN's de leurs biens,
les protestants français devraient être aujourd'hui , non pas au
niveau , mais bien au-dessous du reste de la nation à l'égard de
la richesse. En est-il ainsi? Si nous ne voulions consulter que
l'opinion publique, nous pourrions dire que la conscience du
lecteur a déjà répondu... »
» Nous vous prions d'admirer en passant le singulier office
que remplit ici la conscience; mais laissons continuer l'auteur :
« Mais nous d(''sirons ne jien affirmer, pas même l'évidence ,
sans nous appuyer sur des documents. Ceux que nous nous som-
mes procurés sur ce point sont auihenliques et de la plus haute
importance dans la question... » — Ici nous avons frémi pour le
catholicisme. Que va-t-il lui arriver? Quelle tuile va lui tomber
sur la lêle? Rassurons-nous; c'est un sac d'écus, c'est une pluiede
gros sous. M. Roussel nous explique en détail qu'il s'est procuré
le relevé de la cote mobilière payée par les protestants du dé-
parlement de la Seine. La liste est lithographiée ; elle est entre
ses mains, et, d'après cette base, il trouve que la moyenne payée
par tous les habitants de Paris est de 33 fr. 14 c, et la moyenne
payée par les protestants, de 87 fr. 1 c. « Ainsi, dit-il, les pro-
testants français possèdent trois fois plus de richesses que leurs
compatriotes catholiques romains. )» Après un pareil coup , le
catholicisme doit se rendre ; décidément , il ne se relèvera
pas de la cote mobilière. Mais pourquoi M. Roussel , pendant
qu'il était en train de faire ses comptes, n'a-t-il pas consulté aussi
la cote payée par une autre partie de la population , à laquelle
nous ne voulons rien adresser de blessant, mais qui passe géné-
ralement pour assez bien cotée, nous voulons dire les Juifs. Qui
sait s'il n'aurait pas trouvé les Israélites encore plus riches, et
nécessairement encore plus vertueux que les protestants?
» Mais, encore une fois, nous ne voulons point contester les
chiffres de M. Rou;~sel ni troubler son triomphe. Nous le laissons
J.iS l> SPt(:iXK.> l»t LAr<»LO(.lh CKOTEliTANTL.
monter sur sa pyramide proiesuintc de pièces de cent sous et >
chanter son Gloria in excelsis. Il y a (|uel(|u'un qui a dit : «Je
vous dis eu vérité qu'il est Itien difTicilc (|u'un riche entre dans
le royaume des ( ii.-ux. Je vous le dis encore une fois : il est plus
aisé qu'un chameau passe |>ar le iruii d'une aiguille «|n il nr l'est
(pi'un riche enlr»; dans le rovaume des l'ieux. » Nous pourrions
faire encor «' (]uel(pu's autres citations qui vaudraient bien celles
de M. Uoussel, mais il n'est pas de notre conq)«'ienee de faire un
sermon. Ainsi que nous le disions en commençant , M. Roussel
a peut-être sincèrement cru laire im livre moral et religieux ;
l'esprit de secte l'a aveugh-, et nous regrettons d'avoir à répeler
que ses conclusions sont essentiellement matérialistes. •
J. L£XUI>>£.
l\ CONFESSION VOCALE DES PÉCHÉS
rRATIQlÉK PAR l'aNCIENNE SYNAGOGOE, ET ÉLEVÉE A LA DIGNITÉ DE
SACREMENT PAR JÉSUS- CHRIST DANS L'ÉGLISE ; AVEC L'N APPENDICE
SI R LA CONFESSION DANS LES SIÈCLES PAÏENS.
TRAITÉ IIISTORIQLE, ARCIIÉOLOGIOIE ET APOLOGÉTIQUE,
PAR LE PROFESSEUR D. liOuis VI!\'CE!%ZI (1).
Le prolestanlisme, aidé par l'or de la Grande-Bretagne, tente
tous les moyens pour corrompre la foi de la caiholique Italie, et
y implanter ses détestables doctrines. La Lombardie, et surtout
le Piémont, où il se cache sous le voile de la politique, ou plu-
tôt de la démagogie , sont principalement le théâtre de ses hon-
teux exploits et de ses coupables manœuvres. Le mensonge,
l'imposture , voilà son arme favorite. Il attaque nos dogmes les
plus sacrés, mais le dogme de la confession est peut-être celui
qui enflamme le plus la bile des émissaires des sociétés bibliques.
L'épiscopat, à la vue des loups dévastateurs qui fondent sur le
troupeau de Jésus-Christ, a élevé la voix pour le prémunir contre
la fureur des sectaires et contre leurs ruses , car bien souvent
ces émissaires se couvrent de la peau de brebis pour pénétrer
plus facilement dans le bercail du Seigneur et y exercer impuné-
(\) La confessione vocale dei peccali, praticata dalla Sinagoga anlica, e
înnalzata a sacramenlo da Jcsu-Christo nella Chiesa, con appendice inforno
alla confessione dcgli anlichi pagani ; trattato storico-archeologico-apologe-
ticO; del prof. D. Luigi Vincenzi. Romatipographia Paterne. iSSO. \ v. 8°. 140p.
22
JlO \K rOMFESSIO?» \(>( ALt KES PÉCHÉS.
iiiciii de plus gruuds ravjges. Des hommes l'inioenLs , par leurs
vertus et par leur science, ont joint leurs efforts à ceux des pre-
miers past«*urs , pour repousser les atla<pies de reiinemi el lui
opposer une barrière infranchissable. Ils ont composé des traites
solides el sultslaiiliels dans IcMpiels ils réfutent les uiensonj^es
de rinrésie el dcmonlient la Nerile des dogmes calholitpies. Au
nombre de ces savants et intrépides défenseurs du catholicisme
fij^ure l'illuslre Louis Vinccn/.i, professeur d'hébreu à l'Université
de Rome, membre du colléj;e |»liilosoplii<jue de cette ville, connu
du monde saNaiil par ses nombreux ira\au\. Il a fait |>araitre un
cxcellenl Traité sur la confession orale, dont nous allons donner
une rapide analyse.
Les proteslanls , accoutumés à manier larme de la calomnie,
ne cesse de crier : (|ue la confession est une institution inventée
par les moines; (|u'elle a pris naissance dans les siècles barba-
res , quand les l«''nèbr»'s du moyen âge enveloppaient l'Église ;
qu'elle n'a pas ('lé praiiipiée par les AjHtircs; que notre divin
Sauveur n'en a point parlé , et que ce rite était inconnu de l'an-
cienne Synagogue. Le célèbre théologien de Home réfute leurs
objections, cl démontre avec un rare talent ()ar nos s-ainls livres.
par la tiadilion, ijin- la confession était connue des llcbreux ,
(ju'elle a été prescrite par Jésus-(;iirisl, |)rali<piee par les Apô-
tres et par leurs successeurs dans les trois |»remiers siècles de
l'Église. Très-versé dans la connaissance des langues greccjuc
et hébraujue, il a recours aux textes originaux, com|)ulse même
les commcnlaires du Talmud , pour ex|)liquer le véritable sens
des passages de la iJibb' contestes par ses adversaires.
Dans le pniuiei- chapitre, il établit (|ue la (onfessioD orale
des péchés a ele prati(|uee dans la S\nag()gu»' comme partie in-
tégrale de la loi mosan]Uc. Il le |irouve par divers passages du
Pcnlaleuque, entre autres par relui du Lèvit.y V, 6, où il est or-
donné : «Que lors(|ue quehpi'un aura péché, il confesse d'a-
n bord la faute (pi'il a (ommise I . « Il démontre par plusieurs
(I) Il est vrai que l.i Viili^alc traduit : Pirnilmtiam agat prn pecralo. Mai*
le Icxtc hcbrrn »>l foruu-l : Confiirbihir in qun prccaril. La Bible de Zurirli
traduit : * Con/ilcalur quoil rà rt pcccnvit. » I.a liiblc anglicane Ir.iduil «g-i-
i.v (;o^^■ESSl(^:N vocale des i-éciiés. ."{il
;iulres passages de l'Ancien Testament, qu'il faut enlendie par
("onfession l'expression hébraïque Hilvaddah, et s'appuyer sur la
lituij^io de l'éj^liso syrienne; car les Maronites em|)loienl la
nit'me expression dans le même sens dans leurs rites. L'auteur
de la Mima parle claircmenl de la nécessité de la confession :
« A chaque sacrifice fait par les Hébreux , on doit nécessaire-
» ment faire la confession des péclics commis (I). » Les rabbins
les plus instruits, tels ijuc David kimclii , Salomon Bcn-Melec ,
Moyse Nacmanide, Maimonide, Abenezzra, etc., sont très-expli-
cites sur le même sujet; quelques-uns d'entre eux nous ont con-
servé la formule de confession usitée parmi les Israélites ; la
voici : « Je vous adresse mes supplications, Seigneur, j'ai péché,
» j'ai agi injustement, j'ai prévariqué, j'ai agi de telle et telle
» manière, voilà que je me repcns, et que j'ai honte de mesœu-
» vres, je ne retomberai plus dans ces fautes.» Les Juifs croyaient
que les sacrifices ne servaient de rien, que les péchés ne pou-
vaient être expiés, sans la pénitence et la confession. Il est in-
contestable qu'ils faisaient usage de la confession du temps de
Notre Seigneur Jésus-Christ, puisque les évangélistes saint Mat-
thieu et saint Marc disent formellement que tous ceux qui ve-
naient recevoir le baptême de saint Jean-Baptiste , confessaient
leurs péchés (2). L'auteur corrobore toutes ces preuves par l'au-
lorité de Flavius Josèphe (3), par celle de Philon (4), d'Origène
et de saint Augustin (5).
Quant aux Juifs modernes, Buxtorf nous apprend (6) qu'ils se
confessent à leurs rabbins, à peu près comme nous à leur lit de
lemcnt : « That he shaU confess Ihat he has sinned in thaï thing. » La tra-
duction de Le Gros est la même; etc.
(1) Abarbancl. Sur les ch. IV et V du Lévitique.
(2) Mallli,, III, 6; Marc i, 5. Nous ferons observer que les rabbins, de
même que les Grecs, ne confondent pas la pénitence et la confession, et se
servent d'expressions différentes pour exprimer Tune et l'autre.
(5) Antiquités judaïques, liv. m, ch. ix, n. 5.
(4) De Viclimis.
(5) Voir les textes nouveaux de saint Augustin sur la confession, découverts
par le cardinal Mai.
(6) Buxtorf, Synagoga Judœontm, c. 5.
,14*2 I * (;o.>FF.s.si().\ >(»( iiK i>tî» rtcii^s.
inoK. Les |>ius ignorants uni une formule ;{(M)éralc de confesHinn
qu'ils récitent , les autres confessent leurs péciiés on |iarticu-
lior(t).
Dans le dcuiiènie ( liapilre, M. Lduis \ inconi^i soutient <|ue lu
confession orale des péchés a passe de la synagogue dans TÉ-
glise chrétienne, (ju'elle a vU^ éle\ée à la dignii»' de sacrement
par Notre Sauveur, qui en a conféré Tadministraiion aux Apô'
très. Il prouve »jue le ministère sacre d Aaron a été transféré à
Jésus-Christ, et (|ne Jésus-Christ l'a confén- aux Apôtres et à
leurs sncccssenis, cpiand il leur dit : o ( Connue mon père m'a en-
« voyé, je vous envoie ; recevez l'Esprit-Sainl ; les pèches sen)ni
u remis à ceux à «pii vous les remettrez, etc. » Pur ces paroles,
le divin R<'denq)leur th'clarait ouvertement que le sacerdoce le-
\iti(pie elait alxdi , n'étant que l'ombre et la figure de celui du
Christ, le veril;d)le prêtre selon l'ordre de Melchisédec.
Dans les troisième et <|uatrième chapitres, il montre que le sa-
cn'menl de pénitence, an moyen «le la confession orale des pè-
ches, a ele prescrit et administre |)ar les Apoii'es dans IKglise,
conformément à la doctrine de Jésus>Christ, et que celte prati-
que n existé dans les trois premiers siècles. Il s'appuie sur di-
vers passages du Nouveau Testament , en particulier sur les
textes d(> l'ipitre de saint l'aul aux Corinthiens : Dédit nobis
ministerium rcconciliationii (2). Pro Chriito ergo legatione
futigimur (3); siu' ce verset des A( les des Apôlrcs : Mulli ne-
(lenltum renitbanl cunfilentes il annunlidtiles arlu.i $uo$ (^4). Il
cite les ext luples de la pécheresAc à laquelle le Siiuveur adresse
ces paroles : « 'l'es pi-ehés te sont remis; ■ ceux de Zachée, de
Penfant prodigne, ipii confesse st's péchés en disant : • J'ai |>é-
ché contre le ciel, etc.» « Pœnitcnliam agite,» d'i&ait saint
Pierre aux habitants de Jérusalem , et saint Paul à l'aréopage.
Ce dernier use du pouvoir «pi'il a de lier et de délier, en livrant
ù Satan l'incestueux de (iorinlhe. La Misna fait aussi mention de
(I) Dnm Calnirl., Ihiltim. dr la Ihblr, t. il. ji. Ii7.
{"!) 2Corinll... v, IH. «!».
(r»i ii.id.. v.'jt).
4' \(t. A|)o^l.. M\. I". \\
LA COiXFESSION V0«;AI.L DES l'ÉClILS. 343
l'excommunicaiion praliqui-e dans la synagogue (1). Il cilc en-
core CCS paroles de l'apôtre saint Jacques : « Confitemini al-
terutrum peccata vestra ; et prouve par le contexte et do savan-
tes observations pliilosopliicpics , par les interprétations des
Pères , et l'explication de Rosen-Midler, quoique ennemi de la
confession , que celte expression allerulrum ne peut s'entendre
réciproquement des pénitents et des prêtres, mais qu'elle doit
s'appliquer exclusement à ces derniers. Saint Clément, pape,
saint Denis l'Aréopagiste, saint Polycarpe, saint Irénée, évêque
de Lyon, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène , Eusèbe ,
l'auteur de l'histoire ecclésiastique, saint Cyprien , fournissent
des textes nombreux pour démontrer avec la dernière évidence
que la confession a été en usage dans les trois premiers siècles
de l'Église.
Dans le cinquième chapitre, M. Louis Vincenzi jette un coup
d'œil sur la doctrine des Pères les plus célèbres du quatrième
siècle, saint Ambroiso et saint Jérôme, en Europe; saint Basile
et saint Jean-Chrysostome , en Asie, et saint Augustin en Afri-
que, touchant les rites de l'Église primitive dans l'administration
du sacrement de pénitence, et montre que leur enseignement est
entièrement conforme à celui que professe de nos jours l'Église
catholique.
Le sixième chapitre contient un curieux appendice sur les ves-
tiges de la confession orale, trouvée dans les traditions du Paga-
nisme. — Tous les peuples , dès leur origine , ont manifesté un
attachement inséparable pour la religion et le sacerdoce, qui sont
{{) Il y est fait mention d'un endroit dans le sanctuaire, où rexconimunic*
entrait par une voie particulière. Interrogé par les assistants pourquoi il agis-
sait ainsi , il répondait : « Parce que je pleure ; » on lui disait ensuite ; « Que
» celui qui habite dans ce lieu te console. » Après qu'il s'était avoué coupable et
excommunié, ils reprenaient : «Que celui qui habite dans ce temple touche
» ton cœur et te donne d'entendre la voix de tes compagnons, afin qu'ils te re-
» çoivent de nouveau. » Le coupable s'arrêtait ensuite dans cet endroit, repen-
tant de ses fautes, jusqu'à ce qu'il obtînt, par les prières des assistants, d'être
admis dans le temple, dans la société des autre? Juifs, pour l'exercice de ses
devoirs religieux. Dans le cas où l'Israélite se serait montré impénitent, il était
chassé de la synagogue. (Buxtorf. Leœ. rabb., au mot: yiddui, p. loOô.)
311 lA «■.<)MrKSSIO> MXALE DES l'ÉCIIhS.
I«'s «1t'U\ bases sur l«'s<|Uollos rc|K)so cl s'aircrmil l'éiai social de
I hoiniiM*. Nos saints livres nous donnent des preuves évidentes
du rcs|)«'ct dont ou cnioiUMit les pn'-ires d'I^f^ypte. Oui les In-
diens, la «lasse des pliilusoidics, (jui elait la classe sacerdotale,
occu|>ail le premier ranj; <lans Tadminislration des choses spiri-
tuelles et temporelles. Home n'allei^Miit le plus haut dejfré de
^•raiideur cl de puissance, que parce «puî Numa inspira au peu-
ple le res|>ect des personnes «onsacrécs au culte. (Jie/ les an-
ciens Gaulois, les Druides avaiciii la plus grande pari aii\ allaires
pul)li(]ues. I)a!is loiiles les naliuiis, le prèire «'laii r«'j,'ar(le comme
le médiateur entre la l>i\inite et I liumtne : de la l'usage des sa-
criticcs. Mais les sacrifices que l'on faisait |)Our apaiser la colère
des Dieux, ne pouvaient <^lrc ellicaces (jue par le repentir du
coupable, et ce rc|)('nlir devait être accompaj^né de l'atyu de ses
crimes. L'auteur prouve par divers passaj^es de CiciTon, de Pla-
ton, (le Porphyre, d'Aristophane, d'Homère, de Pluiarque, d'Hé-
lodole, de Lucien, cic., (pie la confession lui prati(piée |>;ir les
l'^îyptiens , les Grecs, les Homaiiis, etc. Philosirate raconic
qu'Apollonius, voyageant sur le Nil, appela auprès de lui un cer-
tain Timasion, «pii dt'sirail apprendre de lui la sagesse. A peine
Timasion lui-il en présence d'Apollonius, que celui-ci lui dit :
«Oh! jeune KgNplien, exp(tse-moi ce (pie lu as fait de hien et de
» mal , afin ipic je le pardonne !<• mal , et (pie tu reçoives la
n |(Mian;^'c (|iieln mérites, si lu as lait le hien, ei lu pourras ainsi,
• comme mes C(»m|)agnons et moi. devenir |»hilosophe (IV • Gi-
eéron écrivait à Octave : Sit erranti niedicina confessio. Pour
être initié- aux mystères de Racchus et d'Adonis, il fallait se
confesser (2). Marc-Aurèle, en s'associanl aux mystères de Gé-
rés Eleusine, fut obligé de se confesser à l'hiérophante (3).
Ahel-Uémusal , savant orientaliste, parlant de la religion domi-
nante du Tliihel, dit (pi'on v fait usage de la confessiim aiii icii-
(\) IMiilostialr, tir il'Ai><>lli>niiis, I. iv. r. i>.
(3) L'abl»' (fiiillni^. Hrehrrrhe» sur la confession aurirulnirr, IK-K». <ln pciil
ronsnilrr, sur Ir m^nic sujet, un oiivrnfjc curieux du «Iculriir lloilrau, frère
<lii poèlr, inlilul('- : Ilislorin ronfrssionit nuricuinris. Pari*. tlW.", in-S. | vol.
[a) V'nllairc, //i.«/. grnrralr.
LA COiNI'tSSIO.N >()(:Af.l- DES TlicilKS. 345
lairc. Cluv. l(^s Cliinois , lorsqiio rcmpeioui" remplit roUu-o de
saciilicnleiir, il |)i"Ui(|ii(' un gr;iiid iionibrc de eéi(''motiics, parmi
lesquelles se trouve la confession (1). «[.a eonfession, dit avec
raison M. Guillois, est aussi ancienne que le monde; Adam pèche
eu transgressant le précepte du Seigneur, Adam l'ait l'aveu de
sa faute pour en obtenir le pardon. » L'Iiistoire nous montre les
grands coupables portant avec eux les bourreaux qui les tour-
mentent, le remords de conscience : l'aveu du ciime commis est
comme un soulagement aux peines inlérieures (jui déchirent
rame. La confession est naturelle à l'homme. Cela est si vrai
que les ennemis les plus acharnés du catholicisme n'ont pu mé-
connaître l'inlluence salutaire de la confession et les effets sans
nombre qu'elle procure à la société. Quelques communions pro-
testantes l'ont conservée. Elle est prescrite dans l'église angli-
cane (2). « Dans le rituel luthérien des églises danoise et norvé-
gienne, un article traite de la confession privée, qui est auricu-
laire. On y voit qu'après avoir déclaré ses péchés, le pénitent se
prosterne aux pieds du ministre, qui l'absout en vertu du pou-
voir qu'il a reçu de Dieu même pour remettre les péchés (3).»
Nos farouches républicains de 93 , qui avaient renversé de fond
en comble toutes les institutions catholiques, pour y substituer
un culte ridicule et monstrueux , avaient conservé un simulacre
de confession , et dans le dernier village de France , tout citoyen
était contraint de s'épurer devant les patriotes et de déclarer ce
qu'il avait fait pour ou contre la R(''publique.
Le remarquable traité de Louis Vincen?.i se termine par ces
paroles pleines de sens que nous croyons devoir reproduire :
«La philosophie moderne, se dépouillant du manteau sacré de
» la Révélation, rejetant loin d'elle le bouclier qui pouvait seul
» la préserver de l'erreur, veut être libre et indépendante. Elle
» veut secouer le joug si léger et si facile du sacerdoce , objet
» de la vénération de peuples dès la plus haute antiquité , du
(1) L'abbé Guillois, ibid ,ulsuprù.
(2) Hère sball the sick pcrson be movcd to make a spécial confession of
hissins... After which confession, the priest shall absolve him .. ( The book
ofcommon Prayer. Cambridge, 1716.) ( Visit. ofthe sick.)
(5) RilualeecclesiarumDaniœ et Noru'eggiœ,'\n-l2. p. 76.
,'{10 Ll CO.IKESMOM LOCALE DES PÉCIlÉS.
■ >a««T(locr , base i-ssciiiifllu ili' l'inlilice sorial , et dont niiriirir
» ualioii nv s'est sepaiée sans cojirii à sa perle. Si les peuples
» {Kiiens oui tant fuit |Kjiir consener parmi eux ce prestige si
» utile pour la couseivaiion de l'oi-dre , ijue ne devra-t-on pas
(faire aiijuurd hui au sein du (Jirislianisinc , dont le sucerdoc<*
» d«Jri\e de Jésus-Christ, Fils de Dieu, et dont il investit les apô-,
» très et leurs successeurs, non-scidement pour propaj^er la v»'--
• rilé au milieu des nations, mais comme médiateurs et inleprè-
» les de Si's volontés et ju^'cs de nos actions? L'empereur Tliéo-
» dose paraissant devant saint Anibroise en hahit de pénitent , cl
» reconiiaissiinl dans le saint «'vé(pie le pouvoir divin de lui re-
■ mettre son péché, prononça ses paroles : " Tuum est jtharma-
u ca oslendcre et miscere, meum suscipere.
■ Que les philosophes ne se fassent pas illusion, que les prin-
» ces et les ma^iistrats ne se fassent |)as illusion; (pie les réfor-
■ mateurs modernes des nations et «jue les peuples ne s'axeuglenl
■ pas. Il ne sulTii pas de crier : « Respect aux lois, » si celles-ci
■ ne sont pas proit'gées par la relij,Mon. Il ne suflit pas de criei-
■ Uelij,'ion, » si celle-ci n'est pas vénér(*e et regardée comme en-
» vovée du ciel, et descendue parmi les hommes, pour les sépa-
■ rer des hrutcs et les élever au ran;; des anges. Il ne suflit pas
» enfin de prononcer son nom MiMime, si ses ministres ne sont
» pas consultes comme conseillers, écoutés (omine des pères, rc-
» cherchés comme des médiateurs, ré'puiés comme juges, crus
» comiiur messagers de Dieu, visités et vénérés comme médecins
■ de nos âmes. »
L'ahhe lu. Hi.a:ic,, ( iii'' d'' Doina/aii.
POÉSIES V)l ViM (jALL mouel,
BÉNÉDICTIN Ui: NOTHE - DAMK - DES - IIERMITES (1).
Le volume que nous annonçons est une des œuvres littéraires
les plus remarquables que la Suisse allemande ait mis au jour
depuis longtemps. C'est du milieu de ces Hautes-Alpes où des
esprits simples et passionnés s'imaginent de loin ne voir qu'i-
gnorance et barbarie, c'est du sein de ces petits cantons (jui for-
ment le centre et le noyau de la Confédération Suisse, que nous
arrive ce volume. Empreint d'une tendance élevée, hautement
poétique, et d'une inspiration toujours pure, il est dû à la plume
d'un homme connu dans le monde savant et dont ce volume est
loin d'être le seul titre de gloire. L'auteur, Saint-Gallois d'ori-
gine (il nous l'apprend lui-même dans la pièce intitulée : Mon
village), appartient à cette illustre phalange des Bénédictins qui
a rendu tant de services à la science et aux lettres. Que l'on ne
s'étonne pas, dit-il dans une ingénieuse préface en vers, de voir
sur le titre de cet ouvrage le nom d'un Père, d'un religieux;
nous vivons dans une grande époque et il faut bien nous accoutu-
mer à entendre en ce monde des sons discordants et divers. Au
surplus, le Père Gall Morel soutient avec talent, par ses œuvres,
la renommée de son Ordre, et l'on reconnaît, dans toutes les
pages de son volume , un de ces esprits richement doués , un de
ces cœurs éminemment chrétiens toujours désireux d'utiliser leur
(1) Un volume de trois cenls pages environ. 1852.
^■iH nuMi^ Kl p. (.Ail. .Mor.iL.
(levouonu-iil au prolil de 1 liuinaiiilé. S'il avait besoin d une jus-
liticaiion, rc serait hien là, croyons-nous, la meilleure et la plus
concluante.
Os poésies comprennent d'abord , iinb-pendammont d'un
poème sur Notre-Dame-des-lb riiiiles , un (tilain nombre de
ciiants religieux dont la |>lupart, sinon tous, ont été mis en niu-
si(|iie et introduits dans plusieurs e;,'lises. Les chatils de Morl,
Les Mages, Le matin de Pûques et d'autres morceaux dignes d'ê-
tre cités, développent dans un style moelleux et simple à la fois,
plein de vie et de nerf, les sublimes vérités de l'Évangile. Au
nombre de ces cbants figurent, non sans distinction , quelques
pièces réunies sous le titre de Chants de Marie, et qui sont |)é-
nétrées comme les autres de l'esprit le plus véritablement clin-
lien ; car, « la croix ensanglantée, la croix victorieuse de la
mort, » est pour l'auteur « le seul bàion de voyai:»' ipii ne se
brise point. »
Il serait diflicile de dire tout ce «ju'il y a d'onction disi rète
et pénétrante, de suave |)oésie , dans ces pièces que la |)lume
iXiï béuédii lin écrit à la gloire de Dieu. L'auteur comprend mieux
(jue tout autre, ei avec celte modestie exempte d'aiïeciaiion qui
est d'ordinaire le cacliet du vrai talent, combien ees divins et
magnifiques sujets sont au-dessus de la force liumaine et dépas-
sent la |)ortcc de l'intelligence lu mieux tlouéc : «Musc lemé-
» raire , s'écrie-t-il par mcmients , laisse tomber ta lyre! jieiix-
» tu clianter les merveilles de Dieu? la (oupe liumaine |)eut-elle
» contenir une boisson «livine? • Kt ailleurs : « Ce n'est qu'en
baut (pie brille la vie dans sa pure splendeur. • On dirait une
alouette (pii s'élance vers les cieux sa("liant (pi'ime aile mortelb;
ne peut les atteindre. — Aussi ne trotiverez-voiis nulle part dans
ces poésies ces défaillances et cel abattement moral qui , sous
une ecorce en apparence religieuse, ne respirent (pruii sce|>ti-
cisme déguisé et cara( térisent beaucoup dduvres contenq)orai-
nes (|ui n'ont de religieux (|ue le nctm. Il serait curieux de
comparer, sous ce rapport, les |>oésies du père Gall Morel avec
qiielipies-iines des pot'siesde notre Suisse fran(;aise et notamment
des (aillons de \ aiid et de Cienève, aux poésies de Frédéric Mon-
neron, par exemple; soit an point de vue des idées, de leur élé-
POÉSIES DU P. (iALL >1(JIU:L. 340
vation véritahU?, de leur grandeur, la comparaison ne se sou-
liendiait guère, e( Tavaniage serait tout en entier en faveur de
Tilluslre bt'nédiclin.
Rien d'étroit ou dexagéré dans les pages qui sortent de sa
plume ; plus d'une fois, nous dit-il, il a rlé blessé dans la mêlée
Immainc, mais ses blessures sont cicatrisées , et l'on sent passer
tl'un bout à l'antre de son œuvre comme un souille viviliant de
cbarité. « La loi nouvelle, s'écrie-t-il, a établi l'unité des nations
et en quelque sorte une parenté entre des âges et des pays di-
vers. Ici-bas déjà, une terre enchanteresse, une terre promise,
se montre de loin à celui qui, à l'ombre des bannières de Dieu,
sait bravement se frayer une route vers le ciel. » — Sons cette
baute inspiration se montre une haute bienveillance , une cha-
leur d ame où l'homme disparaît pour ne laisser voir que le
chrétien.
Le volume renferme, en outre, des chants de voyage et des
poésies diverses. C'est ici que le talent de l'auteur nous appa-
raît sous une face nouvelle et que nous pouvons, pour ainsi dire,
mieux étudier et sa science et son cœur; tantôt nous le voyons
traverser le petit canton d'Unlervvald et faire pour son pays des
souhaits qui rappellent, au milieu des orages dont la révolution
de Juillet fut suivie , les vœux que Salis , du milieu de Paris ,
adressait à sa patrie, quelques années avant la révolution fran-
çaise. Tantôt nous l'entendons chanter un hymne du matin , sur
le sommet du Saint-Gothard ; nous le voyons tour à tour en Al-
lemagne et en Italie, à Munich , à Milan et à Gênes, et la même
voix qui s'est fait ouïr tout à l'heure sur les bords de la mer, se
fait entendre aujourd'hui, à côté des glaces éternelles, dans le
haut passage du Splugen.
A peine sorti des riantes contrées de l'Italie , il se trouve en
face de la sévère nature des Alpes, et, du sommet des montagnes,
il adresse un adieu qui n'est point sans mélancolie, à cette terre
merveilleuse qu'il vient de quitter. Mais bientôt, sous la forme
d'une apparition, de mâles pensées chassent en lui d'inutiles re-
grets : « Laisse-là ces larmes de femme, que l'air des montagnes
les dessèche sans retard ; laisse-Ià ces regrets insensés ! marche
d'un pas rapide et assuré, marche en avant à travers les éboule-
300 P(»tMt> lu r. (. U.I. \ini;hr..
tiiciiis (les rochers, car il)- ina^iiili(|ues récompeDses atlondeni
les fatigues de lou voyage. Olil vois, ces liomines héroïques ù
(|iii la pdsicrilé no refuse pas son admiration, vois-les se choisir
\ol(»nlaireinent de rudes chemins; lame s'eir<'inine an milieu
des roses; ce n'est i|iir par des elforls continuels vers un but
diflic ile à alleindrc , «|ui' m peux le forlilier dans les luttes de
riniclligence et t'ennohlir dans les coud)ais de la vie. — Ton
existence est seuildahle à ces rudes et âpres sentiers des Alpes,
(]ui , des plaines riantes de l'Italie , le reconduisent en Suisse ,
dans ton pays; mais, pour regagner la véritable patrie, la ptrie
d'en-liaui, il faut que ton âme se remplisse de courage, (\ voya-
geur ! cl tu ne pourras atteindre ce noble but que par l'épreuve
et les condials! »
On voit (jnel bel et noble essor s;iil prendre, dans ses poésies,
le docte religieux de Notre-Dame-des-Hermites. Ce n'est tou-
tefois qu'avec discrétion, je dois le dire, en les «-mondanl, en
les laissant on quehpie sorte deviner, que souvent ces hautes
pens^'cs sont ollertes au lecteur, dans ce remarquable volume
de poésies. On sent que sa poitrine bat avec force à toutes les
joies, à toutes les douleurs de l'humanile. Je n'en voudrais pour
preuve «|ue les slr()|thes qu'il ;idresse, sous le titre de liienvenue,
aux enfants de son frère mort en Italie, au moment où ils quit-
tent Milan |>our retourner dans le canton de Saint-(iall : « (>^u\
que Dieu a reunis pour la joie et pour la douleur, aux heures se-
reines et matinales de la vie. Dieu les réunit de nouveau et inti-
mement , dans leur cher pays , dans leur vieille patrie. Séparés
de bonne heure, ils s<; retroUNcnt après une longue absence, ils
mai'duiil en se donnant la main, à traM-rs la vie; leur soleil
couchant a tout l'éclat dr l'aurore; car le soleil des cœurs ne
s'obscurcit jamais. » ti quel noble sentiment, quelle commise-
rati(»n élevée dans d'autres pièces du volume, en particulier
dans la pièce intitulée : Le cadavre du Mrndinnt. ^o^s assistons
aux derniers instanlâ d'une pénible existence : un infortunt* vient
de finir sa journée. La jourut'c! a été bien longue ; tous ses frères
le repoussaient, il était ab.iiidoune de tt)us, et, à cette heure
suprême, le Dieu siuiveur lui accorde une céleste hospitalité.
Nul ne laisse «oïdei des pleurs sur sa tombe ; mais qu'importent
POÉSIES 1)1 P. (.Vl.r, MOREiL. 351
(!<• vains regrets? la paroi du tombeau est si épaisse; et, les re-
grets, le mort ne les entcnil pas ; puis, nous voyons, comme
dans un lahicau , ce mallicurcux voyaj^cur lasse- par la fa<iij;ue,
laissant échapper son bàlon de voyage, et, les mains pieusement
jointes , s'aelieminant vers le tombeau : « Ah ! s'écrie le Père
Morel , dors, dors, pauvre inforlun»'-, dors jusfiu'à l'heure des
joies divines! C'est toi qui m'apprends comment je dois vivre
pour me Sf'-parcr, joyeux, de cette terre; celui-là est bienheu-
reux au moment de la résurrection (jui a suivi dans ce monde
le dillicile chemin de la croix! » — Il serait ais('' de faire un plus
grand nombre de citations ; mais une traduction dans une lan-
gue étrangère ne saurait que décolorer le texte original dont elle
ne peut donner qu'une faible et insullisanle idi'e.
Je voudrais surtout, par cet article, avoir inspiré à quelques
personnes le désir de lire ces poésies, et avoir fait sentir à celles
qui n'ont point fait une étude spéciale de la langue allemande ,
toute la valeur des œuvres poétiques de notre compatriote ;
heureux qui peut concilier ainsi les belles-lettres avec des tra-
vaux plus scientifiques et plus sérieux encore, et avec de graves
et austères devoirs !
Inutile sans doute d'insister davantage ici sur la valeur litté-
raire et la portée de ces œuvres. D'autres journaux lui ont rendu
suffisamment justice, la Revue Suisse, entre autres , qui se pu-
blie dans notre Suisse romande, et dont le jugement, extrême-
ment favorable, mérite d'autant plus d'être rappelé que le cou-
rant d'idées qui règne à Neuchâielou à Lausanne est très-différent
de celui qui règne à Notre-Dame-des-Hermites. Ces vieux mo-
nastères, berceau de notre civilisation , ont eu sans doute quel-
quefois çà et là , comme toutes les institutions humaines, même
les meilleures, leurs jours de lassitude et de décadence, mais
leurs jours glorieux et utiles , mais leurs travaux prospères sont
inûniment plus nombreux , plus saillants; les méconnaître, c'est
degaité de cœur nier l'évidence, c'est être injuste à force de par-
tialité, souvent aussi, disons-le, c'est faire preuve d'une naïve et
profonde ignorance.
Jules VuY.
HISTOIRE Di: JKSLS-CIIIUST,
d'aPRKS les TKXTKS «;o>TEMP(tRAI>S,
PAU M. FOISSET(l).
Kt qua-rcbat viderc Jcsiim, (jiiiscssrl.
(Liir, XIX, Â.)
M. Foissci, (onsoillor à la cour imptrialo do Dijon, vinit dopii-
blicr uno Ilisfnirr de .V. S.Jrsus-(^hri.'<l. .Nous iircrovons pas pou-
voir mieux faire, pourmanifcsier dos svinpailiios à IN'-gard de ce
livre, que de reproduire la préface de J'ouNraf^e. En matières
aussi graves, à l'auteur seul appartient le droit de faire connaî-
tre et le but (ju'il s'est proposé, et le point de vue où il a jugé
bon de se placer. Qu'il nous soit toutefois accordé de dire que ce
>oIume se lit non-soulcnient avec l'intérj^t pénétrant et grave
(|ui s'aliaclie au sujet, mais qu'il procure en outre toutes les sa-
tisfactions d'une œuvre littéraire distinguée. Ces pages sont écri-
tes avec clarté, netteté- et élégance, elles se lisent avec agr»'-
menl. Puissent le zèle et les intentions de M. Foisset i^tre recom-
pensés par des fruits abondants et avant tout par la joie d'avoir
ramenés quelques Ames à Celui rjuil a voulu glorifier!
(I) \ vol. in-tf , P«rin. Vives. 2.". rue (^asscllf.
HISTOIRE DE JÉSUS-CIIKIST. .i;"),]
«Pourquoi lo tairo, mais commoni le dire? Parmi les savants,
parmi les Ictiiés, |)armi les hommes de loisir comme parmi les
liommes dallaiivs, il en est, et en trop grand nom))ie, pour qui
l'Evanj,'ile en vérité n'existe pas. Combien ne roni jamais lui
«ombien surioui l'ont oublie! Il eu est même, hélas! en qui le
Cl.risiianisme est tellement oblitéré, que , dans leur mémoire,
ils ont gardé plus de place à Jupiter qu'à Jésus-Clirisl. C'est
l'riucipalement en vue de ceux-là qu'a été écrite V Histoire de Je-
sus Christ d'après les textes contemporains.
L'auteur a fondé quelque espoir sur l'amour de la vérité, sur
rimporiance du sujet, sur la brièveté du livre : il s'est persuadé
que peut-être des faits de cet ordre, racontés sans phrases par un
homme du monde, attireraient la curiosité de quelques-uns;
qu'une fois la lecture commencée, on irait jusqu'au bout, et que
l'intime vérité du récit, la vertu de la parole évangéliqu'e, et la
grâce de Dieu, feraient le reste.
Tel était le dessein premier, tel est encore le dessein principal
de l'ouvrage.
Voilà pourquoi cette Histoire de Jésus-Christ s'ouvre par la
prédication de saint Jean et par le baptême du Sauveur, suivant
l'exemple donné par saint Pierre quand il commençait un de
ses discours en ces termes : « Vous avez ouï parier de la parole
qui s'est répandue dans toute la Judée, et qui a commencé par
la Galilée après le baptême que Jean a prêché. . Fos scitis quod
factum estverbumper universam Judœam, incipiens à Galilœa
post baptismum quod prœdicavit Joannes (Act. X, 37).
On se trouve ainsi tout d'abord en présence de Jésus-Christ
homme fait; on entre tout de suite et comme de plain-pied
dans sa vie publique. Son histoire commence comme une his-
toire ordinaire, j'ai presque dit comme une histoire profane :
« La quinzième année de l'empire de Tibère, Ponce-Pilate étant
gouverneur de la Judée, etc. . Ce sont du reste les propres ter-
mes de l'Évangéliste saint Luc : Jnno quinto decimo imperii Ti~
herii Cœsaris, procurante Pontio Pilato Judœam... Et par cela
seul, toute idée de mythe disparaît. On se sent en pleine his-
toire; on débute par une date précise et d'une authenticité com-
plète; le premier anneau de la chaîne du récit évangélique se
354 IIISTUIRE OK JfcSlii-CHMIST.
rive à un lexU» tle Tarite : Àuctor nominis fjUs {Chriglianorum
icilieet) Christus, qui , Ti'berio impernnte , per procuratomn
Pontium Pilatum fuppUrio n/}trlus crat (Annal. \V , M. Kl Ta-
(-iti> liii-ni^me est presque un conlompoiain : il était ne an rom-
mrnctMUPnt du rr^'iio do Néron, (iiiaraiilf-cirKj ans avant la mon
du dernier des Évanf,'élisles, de Tapùtrc saint Jean.
Ce n'est pas que la nouvelle Histoire de Jésus-Christ passe
sous silenee les merveilles de la eonceplion , de la naissance et
de l'enfance du Sauveur : à Dieu ne plaise ! Au moment où le
Sauveur proche à Nazareth, — à proj>os m^me de rumeurs (jui
remplissent alors la petite ville et que nous rap[>ortenl les Évan-
^élistcs : «N'est-ce point là ce charpentier, ce fils de Joseph?
n Nesl-ce pas lui dont la mère s'appelle Marie? > — l'auteur
saisit l'occasion de rapporter non-seuleinenl ce qu'on disait de
Jésus dans la bourgade oii il avait vécu jusqu'au baptiMuc de
Jean, miis encore tout ce qwo les Évanj^iles nous a|)prennent de
lui jus(|u'à sa trentième année. Saint Luc et saint Matthieu seuls
ont ici la parole : mais le lecteur est préparé d'avance à cette
poilion (lu riM'il «'vaniièlifpic par tout ce (|ui a éclaté déjà de sur-
naïutvl dans la vie publi<pie dr Notre Seigneur a\ant sa prédica-
tion de Na/.areth.
L'auteur, du reste, ne dispute pas; il raconte. Disons mieux,
il laisse raconter les témoins ocidaires et auriculaires; il les
interrompt le njoins cpi'il j)eut. C'est là ce qui fait surtout la
diirérence de son travail d'avec celui des modernes historiens de
Jésus-Christ. Le lecteur exempt de prévcniinns ju^'era si le sim-
ple résumé des t('moif,mages conten)(torains , lu sans comnien-
Uiire, n'emporte pas avec lui sa conclusion.
M. de Monialemhert écrivait à ^L Foisset : a Je ne comprenais
pas (ju'il puisse v a\oir une autr<' histoire de Jesus-(.hrist que
celle des quatre l^^vangélistes. n M. Foisset déclare qu'il no le
comprend pas davantage : seidenicul quelques explications sont
nécessaires à cet égard.
Nul n'ignore assurément que les actions et les paroles princi-
pales de Jésus-Christ ontj-ti- recueillies par deux témoins oculai-
res (saint Matthieu et saint Jean). et par (\ou\ conlem|)orains
^
I
msTuiKr. i»c Jiisus-ciiKi.sT. ;i55
(saint Marc el saint Luc) : ce quadrii|)lc récit est dans les mains
de tous les cln(''ti(Mis dej)uis dix-liuii siècles.
Mais on sait (juo les (juair*! Lvangrlislcs n'étaient pas des
écrivains de profession et que, par suite, ils n'attachaient pas
une bien grande imporiance à l'ordre des laiis. Il est donc fort
<liflicile, en les lisant, de rétablir dans son esprit la véritable
suite des événements, ce qui pourtant, dit très-bien le P. La-
cordaire à ce sujet, est d'un irès-grand intérêt pour en sebiir la
force.
On sait de plus que, précisément parce que les quatre Évan-
gélistes ne se sont pas copiés l'un l'autre, ils ne rapportent pas
tous les mêmes faits , ou bien ils ne les rapportent pas à la méiiie
place, ni avec les mêmes circonstances.
Pour embrasser d'une seule vue toute la vie de Jésus-Christ,
il ne suffit donc pas de lire successivement les quatre Évangiles i
il faut les combiner, les fondre en un seul récit, qui comprenne
tous les faits et mette chaque fait à sa véritable place.
Dire que cela est indifférent, c'est condamner d'immenses
travaux honorés par toute l'Église. En effet, nombre d'hommes
excellents s'y sont appliqués, à l'exemple de saint Augustin qui
écrivait, dès l'année 399 de l'ère chrétienne, ses quatre livres
sur l'accord des Évangélistes (De consensu Evangelistarum) .
^ Toutefois , parmi ceux qui s'en sout occupés depuis, les uns
n'ont pas écrit en français; les autres manquent de brièveté;
d'autres, ne voulant pas sacrifier une syllabe des textes évangé-
liques, les ont traduits avec une multiplicité de renvois qui fati-
guent l'œil et impatientent le lecteur. Il y a donc quelque chose
encore à faire.
Peut-être, en s'aidant de tout ce qui a été Aut jusqu'ici , n e-
tait-il pas impossible de parvenir à une combinaison meilleure
encore, comme aussi à une meilleure traduction des textes. C'est
toute la prétention du travail que nous annonçons.
L'auteur y parle en son propre nom : ce qui rend son allure
plus libre que celle d'un simple traducteur. Il ne dit rien que
d'après les textes; mais il n'était point assujetti, comme les au-
teurs des Concordes évangéîùjues, à n'en omettre aucun. H a
donc cru pouvoir, comme un prêtre qui écrivait la vie de Jéstis-
23
.{.*»<» HISTOIIlE I»E JÉSrS-CBHIST.
( liiist ;iii Wir su"cle (1), • ne prrndre des paroles do Noire-
8ci};n«'iir <|ii(' vc qu'il pourrait rendre p:nTaiienienl intelli^'iblc à
lom le monde, sans sorlir du iara( 1ère de son ouviaj,'e ; hiissant
;iu\ ilieolo},'iens à pxplit(uer ce qu'il y a de plus dillii lie. » Il se
l'est (lu permis (l'aui;irii uiitiiv que s;iint Jean lni-m«'nie déclare
n'avoir pas ju|;e nécessaire de lapporler tous les miracles de
son maître, ;i plus forte raison toutes ses |)aro|es ("2). On peut
néanmoins s'assurer (pie le Sauveur n'a prescjuc rien dit (jui ne
soit leproduil en (pielque endroit de cette Histoire.
Par c<'la même (pi'il y a ici autre chose (pi'une traduction,
l'auteur s'est également permis, de loin en loin, quelques mots
(|ui aident à comprendre. Ces mots sont foi t rares cl fort courts,
on se persuade (ju'ils ne sont pas disparates; c'est aux hons ju-
},'es ù |uononcer. Quant aux éclaircissements (jui auraient fait
disparate dans le récit, ils sont rejetés dans des noies où Ion
s'est elforcé de ne point perdre de vue le précepte du Sage : Ne
quid nimis.
Un mot encore sur ce (jiii tient a la iraduitiou. Il faut Iticn le
n-eonnaitre, chaque siècle a sa nuance de goût particulière. Le
tour lent et un peu timide des traducteurs du WII' siècle, est-
il liien ce (pi'il > :i de plus approprie à la f;içon de sentir du
XIX*? Pent-ôlre est-il permis d'en douter. Si nous ne nous trom-
pons, les versions les plus répandues de l'Évangile ne proiluisent
plus guère d'effet (|ue sur les âmes pieuses. Des textes évangéli-
ijues ainsi traduits ou para|)hrasés, on peut dire ce qu'a dit saint
Augustin des merveilles de la nature : Jssiduitate vilufrunt.
(7csi une monnaie frappée à une effigie d«''jù ancienne; une
longue ( irculalion lui a < omme «'njeve toute euqireiute. Kt pour-
tant on y est fait à ee point, qu'en voulant «'viter reffacemenl,
le mancjue de (ouleur et de relief, ou ris<pie de scandiliser les
lidèles. Kester simple , parfaitement simple, sans jamais rester
(1) I/ubbi^ de Saint Rtnl.
(i) .Multn quiilnni ol uliu signa fccit Jésus in conspcctu (li»ri|iuloruni suo-
rum. qu(r nnn suni scripla in Ubro. (Johann.. XX, W.; — Sunt aulcm et ali.i
inullQ (piT fcril Jrsiis ; quir si scritxintnr prr sogiil.i, ncc ipsinn .irtiitror muii
dum, capcrc ponsc eos qui scribcndi sunt libroi. (Ibid. X\I. "î'î '
HISTUlRt Ue JÉSUS-OUKI<r. .'i.w
nul ; (Mro /«eu/ (|u;iml on ne fait que traduiie, sans t'iie nouveau
{ut dicas MOVE. coninic [larlc saint Vincent de Lérins, non dicas
nova), c'est là une des grandes dini<!ultcs d'un sujet tant de fois
iraitét L'approbation do plusieurs princes de l'Église permet à
l'auteur d'espérer du moins <ju'il n'a pas manqué à l'ortliodoxie.
Mais ce «pii importe surtout, c'est la mise en ordre des textes.
Les neuf dixièmes des objections ressassées par Strauss tiennent
uni(iuement au ma«pie d'ordre apparent des récits évang(';liques.
Restituer chaque lait a sa véritable place, c'est en même temps
empêcher l'objection de naître dans l'esprit de ceux qui l'igno-
lent et la réfuter vistorieusement dans l'esprit de ceux qui la
connaissent. C'est à quoi l'on s'est par-dessus tout appliqué.
L'auteur est magistrat : à ce titre , il a quelque habitude de dé-
couvrir la vérité à travers les témoignages des hommes ; il a com-
paré les dépositions écrites des témoins de la vie de Jésus-
Christ, et il apporte avec contiance devant le jury du XIX'
siècle le résultat de son examen.
S'il avait rempli sa tâche, son livre serait le livre de tous; il
s'adresserait tout ensemble aux hommes de science et aux hom-
mes de foi ; il résoudrait les doutes des uns , il répondrait en
même temps à la piété des autres, car il conserverait à la Parole
do Dieu tout son parfum et toute sa vertu. INon que celte his-
toire prétende égaler le charme de la lecture directe des Évan-
giles. Rien ne supplée à l'impression qu'on éprouve lorsqu'on est
face à face avec un tel livre : l'original emporte tout. Mais si
celle Histoire de Jésus-Christ contribuait à faire relire les textes
eux-mêmes et donnait aux Évangiles un seul lecteur de plus ,
l'auteur croirait n'avoir pas perdu sa peine. »
Nous citons trois morceaux qui donneront une idée complète
de la manière de l'auteur :
« Tentation de Jésus. — Jésus, en se présentant au baptême
» de Jean, s'était mis au rang des pécheurs. En recevant ce bap-
» tême, il s'était voué à la pénitence; car ce qui distinguait le
» baptême de s^ens des autres pjirificaiions , en usage parmi les
i.'tH HISTOIRE ne JÉSl'S-OliRIST.
• Hibr<u\, r ( si (|u'il cCiit iino soric <rinili:ilion sulennf'llp à une
• vie pénitcnio (I).
• Jésus donc, plein de TK^prit saint, s'éloigna du Jourdain, et
- l'Esprit le poussa dans le dés«»rt, où il dev.'ùi <*li*e lente pî«rS:i-
» tan (par celui q<ii. d'après Taiiiique tradition ronsorvée dans la
» Genèse, avait ftordu le |»r(nii»r lionune , et qui devait axoir la
» lêie broyée par l'un des descendants de la première fennme^
» Aussi bien, J«'sus était envové de Dieu [Miurque sa vie ntortelle
» lût l'exemple pi(>|>(>se à toujours à l'imitation de tous les hom-
• mes; il fallait donc (pi 'elle ressemblât en tout h la nôtre, qu'il
»« fût soumis à toutes nos épreuves, qu'il fût bomme en tout, Imrs
•> en un seul point, le p«''cbé (2).
» Or, Jésus fut dans le d«'sert quarante jours et quarante nuits.
" sans autre compagnie que les bétes sauvages; et il était tent»'*
» par Satan. Durant tout ce temps il ne mangea point ; et après
» ce long jeûne, où les conditions co:nmimes de la vie pbysique
«avaient été suspendues, il fut lf>urmenié {>ar la faim (3).
» Alors le Tentateur lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, ordonne
> que ces pierres deviennent des j^ains. — Il est écrit, répondit
> Jésus : « l/lion)uie ne vit pas seulement de |)ain, mais de toute
• parole qui émane de Dieu » ^4}.
» Finsuite, S;itan le conduisit à Jérusalem sur le point le plus
» élevé du temple, et lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, précipite-
» toi en bas, car David à dit que Dieu a ordonné à ses anges de
• soutenir le Messie de leurs mains, de peur quil no heurte le
(!) Fgf> fiiiMrw hitptizo vos in aqita i.n pokmtemia» (Erasme traduit : An
pœnilrnliam). — Mattii.. m. II... Farite fnirtus dignns i-<«;mtfnti.» iIac.
Ml, 8). — Quant aux puriCications unliiiairrs des llél)rrii\, v. Exon., xxix, I;
LtTmc, VIII, C; — .Nihch., viii, 6, 7, H.
{% Trntatum autem pf.r ovmia, pro similiti dim., ahsnur pcccnto (S. Paul
aux llfbr., \\\ l.*i). — Tout li- inoiulo r(>nii:ii( le Icxli* tic la (îcni'sc : Inimi-
ttliax ponam tntrr le ri mulirrrm, inirr *rmrn lutim ri smirn illiux : ip$a
(IMCH «Inns rii^br.) rnntrrri rapui luum (m, JS>.
fSl FA rral in ârscrln \i. dirbu» ri xi. norlilnin, el Imlabatur a Snltina.
tratque cum brxlii»., (Marc i, 45)... hl nihit tnamhicavil in diebut iUis. rt
consummati» illi* esuriil [I.n:-, iv, i).
(Il {'.i'\j c>t l'cril dans le Drtiléronoinr, viii. i>.
À
IIISTOIKI; l»l: JtsUb-GURiST. 35ti
» pied conlro quelques pierre. Jésus répli(iua : « Tu ne tenteras
» poinl le Seigneur ton Diru » ,1).
» Satan le mena enlin sui- une montagne très-haute; ei, indi-
» quant du geste tous les royaumes de la terre, il dit à Jésus : Je
» te donnerai toute cette puissance et toute cette gloiie ; tout
» cela est à loi, si tu veux m'adoier. Jésus, prenant l'accent du
B commandement, lui dit : Retire-loi, Satan; car il est écrit :
«Tu serviras le Seigneur ton Dieu, cl tu ne serviras que lui
» seul 0 (2).
» Alois, toute tentation étant épuisée, celle de la sensualité,
» celle de la présomption, celle de l'orgueil et de l'ambiiion, le
» Tentateur, qui avait échoué trois fois, se relira de lui pour un
» temps. El, au même instant, les anges s'approchèrent de Jésus
» et le servirent (a). »
(1) DEtTKB., VI, 10. — Les paroles de David auxquelles Satan fait allusion
sont les versets H et 12 du psaume xc.
(2) Delter., VI, 13.
(a) El consummalo omm tentulione, Diabolus rccessit ab illo usque ad tem-
pus (Lie, IV, 15j... El ecce angeli accesserunt et minislrabanl ei (Matth.,
IV, 11).
Ce fait de la tentation de Jésus est à la fois un fait réel et un fait symboli-
que de l'ordre le plus élevé (v. Stolberg, Eschenraayer, Kuhn, Néander et
surtout le docteur Sepp, anaysés par M. l'abbé Chassay, Démonslrat. Evan-
gcliq., édit. de Migne, t. XVIIl, p. 189 et suiv ).
Une voix d"en-haut proclame Jésus le Fils de Dieu ; c'est là le premier
acte de sa vie publique. — L'épreuve est le second. — Le miracle person-
sonnel, celui de Cana, n'est que le troisième.
L'épreuve est la loi commune de l'humanité. Jésus , le modèle éternel ,
devait, pour l'exemple, subir cette loi commune, pour mieux nous montrer
comment on résiste au mal. — Mon qu'il ait été vraiment tenté en ce sens
que son âme ait été ébranlée par le Tentateur, mais il a été soumis au con-
tact et aux incitations de l'esprit du mal pour mieux nous enseigner la voie
du triomphe.
L'ange déchu ignore beaucoup de choses. Il savait que le temps prédit pour
l'avènement du Messie était arrivé; il soupçonnait que c'était Jésus; il lui
importait de s'en assurer; si Jésus eût failli, ce n'était point le Sauveur : de
là la triple séduction tentée par Satan.
De là aussi la triple victoire de Jésus sur les trois grandes convoitises de la
nature déchue, sur la tyrannie des sens, sur la présomption de l'esprit, sur
300 IlfSTOIRE DE JÉSIS-CHIIIST.
« E?iTtrnE?i AVEC NicoDÈME. — Jésus demeura ù Jérusalfiii
• durant toutes les solennités pascales , f:iisant hraucoiip il»* mi-
> raeles, et un prand nombre d'homm«'S crurent en lui.
■ Un pharisien, membre du Sénat <les Juifs et dtxleur de la
» Loi , vint le trouver pendant la nuit et lui dit : Maître, nous
■ savons que vous êtes un do< leur envoyé de Dieu ; nul, en effet.
» si Dieu n'est avec lui, ne saurait f;iire les prodiges que vous
» faites.
» Il est à croire que Nieodème demanda en outre ce «pi'il avait
» à faire pour entrer au ciel ; car Jésus, employant la lorme d'af-
■ lirmaiion la plus solennelle qui fut en usage parmi les Juifs, lui
■ répondit : En vérité, en vérité je te le dis, nul, s'd ne renaît une
■ sectmde fois, ne peut voir le royaume de Dieu. Comment , s'il
» ne renaît une se(onde fois! dit Nieodème; un vieillard peut-il
» rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois? Jé-
■ sus rép(»ndit : En vérité, en vérité je te le dis, nul, s'il ne renaît
» de l'eau el de l'Esprit saint, ne peut entrer dans le royaume de
» Dieu.
> On le >oit, Jé'sus pose ici le dogme de la nécessité d'une ré-
• génération spirituelle , dont le baptême est le symbole. Mais
» Nieodèuje était préocciq»»' de l'idée d'une seconde naissance
• (orjwrelle. Jésus, sansse départir du langage elliptiques! fami-
• lier aux Hébreux, essaie alors de lui faire sentir <pielle diffe-
» rence il y a entre la naissance spirituelle dont il pru le et In
reiii\rcmt-iil «le la voloiili-. Dieu n'a pns confié 1rs grnndrs disprnfalions do
sa ProNidonrr qu'à ceux qui se sont mnnirrs «lignes «le Lui «lans la lutte con-
tre le niRl. Aussi voyons-nous unei'|ireuve «le ce genre prért'tlrr l'instilulion
(lu Ju(lni<in)e : Alirahnni subit lépretne «le la fui el «le la lidelilc aui coni-
niandentents «li\ins, el e"esl quand il en est sorti victorieux que l'Ange lui
apporta la (irandc Promesse.
Or, s'il en a été ainsi de linstilulion pn'paraloire, «pie sera-ce de l'insti
lution définitive? Les hommes ne pouvaient «Mre sauvés qu'autant que In
puissance «lu nnl serait vaincue. Force est donc bien de reconnaître que la
Tentali«)n occupe dans I K\angile jii-te la place «pii «-.JUNient, au coninimce-
mcnl de riiistoirc proprement dite «le la v.ication «le J«suh : il coin citait évi-
drminrnl que la U('d<ni|)ti<)n de I Iniinanilé fût inaugurée par celte grande
victoire sur le génie «lu mal. Cf. Ftossirr. fUrvnlion* sur 1rs myttrrrt \%\'
.semaine.
iiiSTuiiic DE jtsLS-ciirusr. 3GI
» naissance commune ù tons les hommes. Celle-ci est toute <;liar-
» nelle , et tout ce (|ni en provient l'est aussi : « Ce qui est né
• de la cliair, dit .It'sus à Nirodème, est chair.» Mais la seconde
» naissance est toute spiriluclle, ainsi (juc les fruits qu'elle porte :
«Ce (jui naît du Saint-Esprit, ajoute Jésus, est esprit. » C'est
» par les œuvres seulement qu'on reconnaît celte régénération
» opérée par un piincipo invisible. Jésus en développe les effets
» sous un endjjèmc sensible, sous l'emblème du vent : « Lèvent,
» dit-il, souille où il veut; on entend sa voix, mais on ne sait
» d'où il vient ni où il va ; il en est ainsi de l'esprit dans l'âme
» qu'il régénère. »
» Toutefois, Nicodème ne comprit point et il^dit : Comment
«cela se peut-il faire?
» Jésus repartit : Quoi! tu est docteur en Israël et tu ignores
» ces choses !
» Ce n'est pas tout : Jésus n'est point seulement un docteur de
» la Loi , comme le pense Nicodème; il est un Révélateur, il est
» homme et Dieu tout ensemble. En effet, il continue en ces ter-
» mes : « En vérité, en vérité je te le dis. Nous n'affirmons que
» ce que Nous savons, Nous n'attestons rien que Nous n'ayons vu,
» et vous n'en repoussez pas moins Notre témoignage. Si vous re-
» fusez de croire des mystères que je vous expose sous des ima-
> ges tirées des choses de la terre (comme sont le vent et ses
» effets), comment croirez-vous si je les exprime dans le langage
» du ciel? Encore une fois, je ne dis que ce que je sais. Mais,
» pour savoir ces choses, il faut avoir été au ciel, et aucun homme
I) n'a été au ciel, sinon Celui qui est descendu du ciel, le Fils de
» V homme, qui est dans le ciel (a).
y> Jésus va plus loin. Après le dogme du Baptême, il vient de
» poser, vomme on voit, celui de l'Incarnation; il va poser celui
» de la Rédemption, celui du salut des hommes par le Christ. FI
» poursuit en effet :
(1) yemo ascendit in cœlum,nisi qui descendit decœlo, Filius hominis qui
EST in cœlo (Jean, m, 15). Jésus est Dieu ; comme tel, comme Verbe de Dieu,
il est dans le ciel. Et il continue d'y résider, bien qu'il se soit uni à la na-
ture humaine, bien qu'il se soit fait le fis de l'homme, le fils de Marie.
.'Ui'J IMSTOinii DE JKst 'S-CMRIST.
«(.oiiime Moysf :i fl<*vé dans la fuite d'Egypic un serpent
■ (l'uirain (."lu'il siiilisait de regurclor pour ^trc gucri de la nior-
■ sure des serpents du désert) [Ij, de mf^uw il faut «jue le Fils
B de rtioinme soit »'lev»' à sun tour f'alliisiiMi au cru(ilicm«'nt\ de
• ifllc sorte «pie tout lioniinr ipti croit eu lui ue périsse point,
» mais qu'il |>ossède la vie éternelle. Kn effet, DiEi' a aimé le
» «o>nE jrsoi''A i>oM>ER SON Fits iNioiE, afin que tout honnue qui
» croit en lui ne périsse pas, mais (ju'il ait la Aie à toujours.
» Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner
B le monde, mais pour le sauver.
o Celui qui croit en lui n'est pas condaume ; mais celui «jui ne
» croit point est jugé déjà, pan e cpi'il a refus»'- de croire au nom
» (lu Fils uni(pie de Dieu. Et la cause de cette condamnation ,
• c'est «jne la lumière est venue dans le monde, et que les liom-
» ujosonimi«'U\ aiuie l«'s ténèbres, parce«pie leurs actions <'>taieot
» mauvaises; car quiconque fait mal hait la lumière, et il ne vient
■ point à elle, de pour qu'il ne soit repris de ses œuvres. Mais
» ci'lui qui fait bien vient à la lumière; il ne craint pas que ses
■ a< lions paraissent, parce (prtlles sont faites selon Dieu ■ (2).
• Tout le Christianisme est dans ce discours : l'Incarnation ,
• la Ht'di'mptiMO par la ( j-oi\ , la re;^'énération des âmes par le
H Jiaptème et par une vie meilleure. On y voit mî^me distincte-
n ment les trois Peisonnes de la Trinité : le Père donne son Fils
w unique pour sauver le monde par Eui, et l'Esprit régénérateur,
» unissant à l'eau flu baptême son action inufe-puissante. trans-
• forme rimnime en une «•l'eature noiivrije. ■
« KriHH.tE. — Plus lard, Jra»; liis de Zabdai, le pécheur de
• Galilée, Jean, qui avait vu mourir Jésus sur la croix, i<:rivait
» ces paroles :
' Ce rjui était dés Ir rotnmmmnenl, — ce que nous avons vu
■ et scrute de nos yeux, ce (pie nous avons ouï du Verbe vivant,
» ce que nos propres mahs ot toiché, — nous en rendons témoi-
n pnage fie va ni vous.
(S] On n« saurait Irop ninlilrr ( r> part'lrj «If Jf>us-Chri-^l.
UISTOlKi; DL JtSUS-CURIST. 363
» Au COMMENCEMENT était LE Verbe, et le Verbe était en Dieu,
» ET LE Verbe était Dieu.
» Au commencement , il était en Dieu. Toutes choses ont été
» faites par Lui, et rien de ce qui a été fait me l'a été sans Lui.
» En Lui émit la vir; en Lui , la Lumière des hommes. La In-
» inière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point
» comprise.
» 11 y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean....
» H n'était pas la Lumière; mais il vint pour rendre témoignage
» de Celui qui était la Lumière, la Lumière vraie, qui éclaire tout
» homme venant en ce monde.
» Le Verbe était dans le monde, et le monde, fait par Lui, l'a
» méconnu. Le Verbe est venu dans son héritage, et les siens ne
» l'ont point reçu.
» Mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous
» ceux qui n'étaient pas les siens et qui L'ont reçu, à tous ceux
» qui croient en son nom...
» Et le Verbe s'est fait CHAIR, et il a habité parmi nous, plein
» de grâce et de vérité ; et nous avons vu sa gloire, comme Fils
» unique du Père.
» El nous vous prêchons ce que nous avons ouï et ce que nous
» avons vu , afin que vous entriez en société avec nous, avec le
» Père, avec son fils Jésus-Christ. »
I TIDE SIR LE «OVi;\ ACE.
lo artiste dans un cloitre (1).
Le soleil couchant rouj^issaii au loin ({uclques légers nuages.
La chaleur pesante s'allourdissait au frond des pèlerins fatigués.
Ils étaient deux précipiianl leurs pas sur la voie poudreuse. Le
plus jeune, appuyé sur son bàlon, dit à l'autre : Guido, vois-
in là-has , sur le liane de cette belle colline, comme les murail-
les nouvelles surgissent blanches dans les masses obscures?
Frère, disait l'autre, laisse-moi m'agenouiller ; bientôt nous
serons dans «es murailles bénies ; prions, je me sens si peu de
fermeté, que je n'aurai pas le courage d'une réponse d qui nous
oiivriia la porte; et toi, sauras-lu re|>ondre?
Prions, répondit le jeune homme... Kt la lune naissante rayon-
nait sur leurs fronts penchés, et la brise du soir agitait pour la
«lernière fois peui^^Ure leurs longs cheveux.
La nuit s'était faite dès longtemps, quand ils secouèrent la
poussière de leurs pieds à la porte du cloitre.
Que voulez-vous.' dit le frère portier. - • Vêtir Ihabit de saint
I)omini(jue. — Deo yratias.
Guido était un jeune peintre simple , doux et timide. Dans
(I) t>lto('tUflr n'est point une fiction ; clic est fondée surdos faits racon-
14^ s par Vasari cl le P. Marrhcsc.
J
ÉTUDE SLR I.i; M<Mt?( AGK. 365
raielier de son innîde et parmi ses condisciples, il était comme
la jeune lille (pii, le |)reuii('r jour de sa sortie de couvent, entre
dans un salon (l<' bal ; ou plutôt, le pauvre enfant, comme le pe-
tit agneau (pii a perdu de vue sa mère, et, se tiouvant égaré,
dans un troupeau étranger, bêle tristement.
Quand le soir venait, il j)renail le bras de son jeune frère, et
tous deux promenaient par la ville leurs vagues inquiétudes et
leurs pensées d'avenir.
Ils arrivaient ainsi à la porte d'une vieille chapelle. Là age-
nouillés, tous deux priaient avec la ferveur des cœurs jeunes.
Un soir, le petit dit à l'autre : Sais-tu ce que j'ai cru voir,
quand tu priais dans l'ombre? il m'a semblé que saint Domini-
que, vêtu de blanc, te bénissait et t'embrassait au front; et,
dans ce moment, je me suis senti attiré vers toi et comme collé à
ton habit. -- Guido répondit : Je ne sais si saint Dominique me
bénit et m'attire, mais je sens en moi quelque chose que je ne
puis nommer. As-tu vu le germe du jeune pêcher quand il écarte
sa dure enveJoppe? Ainsi je me sens travaillé intérieurement et
quelque chose y germe péniblement. Il est des forces énormes
accordées à l'homme ; tu as senti la puissance de la parole de
Giovani Dominici , le saint prieur de Fiésole; tu sais comme
elle ébranle l'intime de notre être ; eh bien, il est une force aussi
puissante, et je veux l'acquérir. L'art, petit frère, n'est pas la
reproduction servile de la nature , comme le croient quelques-
uns d'entre nous; il faut que l'homme y mette son âme, y infuse
son être. Comme la prédication sacrée,je voudrais faire naître des
sentiments profonds ; je voudrais exprimer tout ce que je sens et
tout ce que ma parole ne peut rendre. Oh ! si j'étais dominicain,
que je puisse jouir de la retraite, sans souci, sans distraction;
ah ! je le sens , je ferai quelque chose qui toucherait jusqu'au
passant affairé !
Et pourquoi, Guido, ne pas endosser le saint habit? je le pren-
drais aussi, je m'ennuie tant ici ! et je n'aime pas à voir rire quand
je fais le signe de la croix avant de toucher à mon pinceau comme
avant de me mettre à table. Si tu le voulais, comme nous serions
tranquilles tous deux! comme nous pourrions, à deux genoux,
prier la Sainte-Vierge dont tu esquisses toujours les traits!
306 ETlUtMKIt Mt)^E.> VGK.
Puiivrcs cnfuiits, quo la pensée de l'arl dominait , mais que:
les douces troyances enlouraiont, déjà le monde était amer pour
vous! Que serajl-ce, si vous viviez aujourd'hui .'
I/an 1108, dans iino crllulc de l'olit^iio , un pauvit; fit-re, le
visajçepiile, inclinait sa jeune t(Me que le rasoir avait rmdue sem-
blable à celle «l'un niotl. se iVappail la poitrine et pleurait.
Fia Rcnedelti> entra, et le voyant f)lon^'e en oraison, posa sur
la table la palette et les pinceaux (juil apportait dans les plis
de sa robe, el sur la pointe des pieds il s'en alla.
Guido , ou FraGiovani, sanglolte , solitaire; bien humble est
son visage, sa retraite est cachée, le nom de son pi^'re nVsi pas
connu ; on sait à peine son Age, n'était le poli de son front el la
vivacit»'' de son regard. Ce n'est «pie le dernier venu des pèle-
rins (pii aient deniondé la robe de bure.
Mais il se relève; voilà (jue les pinceaux frappent ses yeux;
son cœur bat à rompre; sa main tremblante s'allonge; A art
chéri! soupirc-l-il , et le voild à PdMivre... et la nuit passa en-
tière, et les matines sonnèrent , et l'aube blanchit à l'horison, et
le soleil éclairait sa cellide (juarid il se reposa.
Fra Benedeito, in(|uiet et n'osant le dire, vint frapper à sa porte
et entra. — Oh î la belle Viergi- <iui! vil ! oh! les cél(\<;tes re-
gards (piil rencontra! Le prieur, tous h s frères accoururent. A
eux aussi Marie apparut modeste dans sa gloire et toute rayon-
nante de beauté céleste. Et, «pioicpiele tableau fut à peine achevé,
il les (•niul si fort, qu'ils joignirent les mains et restèrent sans
voix.
Cependant, frère .lean, presque honteux, la t^te penchi-e avec
un doux et modeste souiii'e, se tenait debout, laissant pendre ses
bras. Kl si |)ieux elaii tout sou air, cpie le vi«Mix prieur, repor-
tant ses regards de la Vierge au jeune frère, lui dii : Merci,
frère Angélique.
Vous connaisse/ son nom! C'est le prince des peintres mysti-
ques; c'est l'artiste des célestes joies. C'est l'Angélique le bien
■ommé.
KTIDE SIR LK MOYEN ACE. .107
Haplin<>l a reçu le nom de divin. Rapliai-I rnprésenle la heanté
<M la ^'làce sans pariMlle. 11 donne, on l'admire... Fra Angelico
touche et fait rêver.
Avant de nu'iirc la main à ses mivres maj^mifiques , Sanzio a
vu , a admire les toiles de l'Angélique. Est-ce peu que cela? Le
jeune Raphaël est ému et touché ; l'idéale beauté surgit à ses
yeux, il se sent ap|)elé à créer aussi , et son cœur ardent aspire
à un avenir glorieux.
Le pieux frère soupire et prie, ses genoux pèsent sur la pierre ;
il se cache à tous les yeux, et, seul dans la nuit, il aime à rêver
du ciel.
Cependant sa renonunée s'étend au loin. On parle du frère
Angélique, on veut de ses tableaux à tout prix. Demandez au
prieur, répond l'humble frère, je ferai ce qu'il me commandera.
Et moins fréquents sont ses coups de pinceaux que ses aspira-
lions brûlâmes; ou plutôt (on l'a dit), la peinture est la mani-
festation de ses sentiments ardents; c'est sa manière de prier.
Une nuit que la lune éclairait les murs de sa cellule, il pensa
qu'il était beau de voir le ciel étoile; il se leva et alla s'asseoir
sur la margelle d'un puits profond. Se croyant seul, il se prit à
chanter d'une voix basse et sourde. De profondis clamaviadte
Domine \ mais quelqu'un continua le verset; et, tout étonné, il
reconnut le père Antoine. Ils s'aimaient tant, ces deux frères en
Jésus-Christ crucifié , qu'ils s'embrassèrent étroitement!
Antoine, depuis saint Antoine de Padoue, et Giovani, ou l'An-
gélique , causèrent longuement. Le saint donnait ses idées sur
l'art, et l'artiste l'écoutait. Mon frère, disait-il, si tu faisais
tout blanc le vêtement de la bienheureuse Vierge, elle me plai-
rait davantage, surtout quand tu la représentes glorifiée , et bleu
ou rouge seulement dans la vie humaine. Mais comment, ô Gio-
vani! dis-le moi , comment as-tu trouvé ce sourire céleste que
tu as mis tout dernièrement sur ses lèvres divines? — Je ne sais,
murmurait le fraie. — Mais où l'as-lu vu, ce sourire, dis-le moi.
— Je ne puis, répondait-il doucement, car sa modestie l'en em-
36^ tS!>AI ?IR LE .M()\K> Al.e.
p«^-|iail, il craignait «ju'oii le ciui favorisf «I»' bien; il voulait
Olrc le tljTDÎt'r de.s di-rnicrs. El ccpeiidaui la \ ii-rge bénir lui
était apparue ; il Pavait vue lui sourire doucement , et ce sourire
céleste , il l'avait gardé, il l'avait saisi, et son pinceau l'avait re-
tracé. Je lie sais, je ne |)uis, ô humilité chrétienne, «pii grandis-
sait si fort le ^'enie!
Mais, Antoine, serviteur de Dieu, qui souvent aussi avait reçu
de douces faveurs, coni|)ril celt»- pieuse réserve; il \it dans le
cœur candide du jeune honiin(>, connue dans l'eau de la citerne il
voyait se refléchir la lune , et l'enlouranl de ses bras, il pleura
de joie. Tous deux |>lcurèreni ainsi. El jns(ju'à l'aube ils se con-
tèrent leurs ineffables joies et jetèrent l'huile de leur charité dans
le brasier de leur pur amour!
Le talent de fra Anyelico ne peut pas s'analyser. On peut van-
ter la pureté de son dessin , la grAce de son coloris , la beauté
de sa composition; mais comment retracer ce «pii n'appartient
(pj'à lui seul, ce je ne sais cjuoi de céleste qui vous saisit à la vue
de ses toiles? H a crée un type de Christ et de Vierge (pii lui est
propre, type souverain qui le place au-dessus de Haphael. Ses
peintures merveilleuses ne |>euvent pas s'expliquer par le génie
seul; le génie est trop faible [>our de telles œuvres. On sent la,
la foi vive, la grâce surnaturelle. On est tenté de baiser celle
toile où a passé la main d'un saint. Ce n'est pas seulement l'œu-
vre d'un ange, c'est une relique sacrée.
Un cu'ur tout à Dieu, voilà le secret du frère. Quand il avait
mis toute son âme dans la figure du divin Maître ou de sa douce
Mère, l'extase qui le possédait ne lui permetiait pas de leioin-
ber tout à coup dans la realite ; il ne pouvait ainsi chuter du
ciel ; il fallait une transition, et sa main colorait au pied de son
tableau une figure plus humaine; il faisait partager son cxlase
à saint Domini<pic on à saint François , et <|uand il les avait
|uoslern(''s au pied du Dieu d'amour, luise relevait, et son œu-
vre était parfaite.
Qui a dfmné à l'Angélicpie ces idées élonnantes dans certains
KSSAI S[iR LE MOYEN AGE. 369
déluils qui seules suflîraicnt ù le faire acclamer génie? Où a-l-il
pris celle idée de placer la couronne hors de la main de Jésus,
à peine ellleurée de ses doiyls, dans son tableau du couronnement
de la Vierge? Comme si Dieu envoyait la couionne se placer
elle-même; pensée sublime, dit le Père Marchesc, qui rappelle
le fiât (le la ciéation.
Qui lui a insjjiré ce calme majestueux dans le Jésus-Dieu du
Jugement dernier, alors que tous les peintres le représentaient
terrible et irrité? L'Aiigélicpie le peint calme et étendant la main
pour éloigner les maudits; oh ! la sublime idée! A ce calme on
reconnaît Dieu, que nos passions n'agite pas.
Où a-l-il aperçu ces anges, qui, selon l'expression italienne :
sembrano piovuti dal cielo P Ah ! le secret de son art , c'étaient
ses sanglots au pied de la croix, c'étaient ses soupirs brûlants
que lui suggéraient la méditation de son sujet, alors qu'étendu
sur la pierre, il gémissait...
Mais voici qu'il se levait, comme Lazarre à la voix de Jésus; il
prenait son pinceau, son cœur battait violemment, il vivait dans
son œuvre, et vite, vile, il travaillait; la sainte image était déjà
dans sa poitrine et dans sa tête, toute belle et rayonnante, il lui
lardait de la voir sur la toile et devant lui, et, sa main frémissante
courrait (1)... L'œuvre achevée, il la regardait avec amour et
complaisance, et quelle qu'elle fût, la laissait sans la retoucher
jamais, disant naïvement, le cher frère, que Dieu l'avait voulu
ainsi. Quand on pénètre dans sa cellule , quand on regarde un
peu dans le cœur de ce frère étonnant , on comprend la suavité
de ses conceptions et la douceur de ses types ; on comprend ses
célestes joies. Voyez le pauvre dominicain, sa grande manche
retroussée et l'œil en feu, est-ce pour la gloire humaine? est-ce
pour l'argent qu'il se courbe sur la toile, qu'il use ses dernières
palpitations? Non ; c'est là sa vie, c'est là sa prière, c'est là sa
joie. Oh ! joie souveraine de l'artiste chrétien, qu'il ne sera ja-
mais donné de sentir qu'à l'artiste dans ces conditions.
(1) Vasari dit qu'il est incroyable qu'un seul homme fit autant, aussi \ile
et aussi bien.
:(70 ESSAI StK LE MnTI:> A<.E.
Sans «lontp, ô Ange de Fiésolo, dans un «.Mao d'amour trop fort
fjour ton cœur, il s'est rompu, cl ce lui là la mon.
Son «'piiaplic dit (ju'il donnaii aux pauvres le prix de ses ta-
bleaux : louchante fleur jetée sur sa tombe !
Claude Mermillod.
MÉLANGES ET NOUVELLES.
ROSIIO. — Le cardinal An^clo Hlaï. — L'illdslie cardinal
que la moii a frappé soudaincnienl dans la luiit du 8 seplembre
ISoV, a laissé parmi tous les savants de TEurope un si grand renom
que son éloge ne sera taxé par personne d'exagération, et que nous
pouvons commencer cette notice en disant qu'il lut la gloire du Sa-
cré-Collège et le prince des philologues de notre siècle.
Angelo Maï naquit le 7 mars 1782, à Schilpario, dans la vallée
de Scalve (province de Bergame). Ses parents voulurent qu'il s'ap-
plicàl de bonne heure à l'étude, et leur principal soin fut de dé-
ployer chez lui, en môme temps que les dons de l'intelligence, les
qualités du cœur.
Il eut pour maître le prêtre Louis Mozzi, qui avait appartenu à
l'illustre Compagnie de Jésus; sous la direction de son érudil con-
citoyen, le jeune Mai fit de grands progrès au séminaire épiscopal
de Bergame et se distingua dans toutes les parties de l'enseigne-
ment. Mais tout à coup il quitta son pays et, avec quatre de ses
compagnons d'études, se rendit à Colorno, où Ferdinand de Bour-
bon, duc de Parme, avait, avec l'agrément du Souverain Pontife,
Pic VII, permis au PP. Jésuites d'établir une maison.
Entré dans la Compagnie en 1799, Angelo Mai s'y appliqua avec
ardeur à l'étude, et cliez lui la piété était à la hauteur du mérite.
En 180V, il fut envoyé à Naples pour y enseigner les humanités.
Ce fut alors qu'au milieu de ses recherches comparatives sur les
auteurs classiques latins, grecs et italiens, il écrivit quelques com-
positions poétiques qui révélaient chez lui une ardente imagina-
tion. Mais la poésie n'était qu'un délassement, et son esprit tendait
vers un but plus élevé, vers des occupations plus sérieuses.
Contraint de (juitter Naples, il vint à Rome avec quelques-uns
24
.172 héi.\><;ks kt ><u vni.i.Hti.
ilt's menions di; la Compagiii»', vl après un couil si'joui (l.iiis la c.i-
pilale (lu monde culliuli(|iii> , il se rendit à Orvieio, où Tappelail
rarilie\é«|iie de celte Nille. Jean-l{a|)lisle Lanibruscliiiii. Là, il
s'appliqua à l'élude de la tliéulu^ie, puis à celle des lan^iie> hébraï-
que et grecque, et enfin de la paléographie, sous la direction des
cx-jésuiles esjyagnol;:, Monero el Manchaca. Dans cette dernière
science surloul, il ne tarda pas ù doenir passé niailre. C'est vers
cette époque (ju'il fui admis au sacerdoce.
Tandis (ju'il se livrait avec tant d'ardeur et de joie à un travail
ininiense (jui embrassait toutes les sciences divines et humaine^,
Anj;t'lo Mai se vit obligé d'obéir à la loi impérieuse en vertu de la-
quelle chacjue Italien devait revenir dans son pays natal. Alors il
alla à Milan ; Mozzi , son niailre dévoué, était avec lui, el en lui
procuranl la nomiiialion de docteur de la bibliolhéque Ambroisien-
ne, il lui ouvrit l'enlrée de ce sanctuaire de l'élude.
Tout le monde sait avec ciuels soins et quels frais le cardinanior-
roniée avail réuni dans cette bibliothèque une énorme quantité de
manuscrits précieux, envoyant dans toutes les parties de l'Europe
des savants à la recherche des ouvrages qu'ils pourraient achcler,
et leur ordonnant de faire copier ceuv qu'on ne pourrait se procu-
rer aulremeril. Mai, i\ la vue de lanl de richesses, conçut le projet
d'exhumer de l'ombre et de la poussière les trésors qui y étaient
enfouis. I.e voilà occupé >aM«. lehuhe à loiirner et relourner les par-
chemins, à examiner les palimpsoles confus el embrouillés, à pro-
mener partout un regard scrutateur, dans l'espérance de retrouver
quehpie nionumiiil de ranlicpic science. Il avail reconnu, en effet,
qut; parmi les <imi\ res classi({ues des auteurs de ranli(|uité, il en est
un certain nomlire de Ironijuées el d'autres qu'on croit perdues;
aussi, dans les recherches qu'il faisait sans cesse, élail-il guidé par
son désir de combler «juehjiie lacune de ce genre. Or, ses doclcs
veilles ne furenl point superfluiîs : toujours appli(|ué à déchiffrer
des textes que, soit le temps, soit l'ignoiance des hommes avail dé-
figurés, de palimpsesles chargés d'écrilure, de feuillets (|ui avaient
élè réunis au hasard, Mai eut le bonheur de (k'couvrir de véritables
trésors li\ où lanl d'autres n'avaienl su voir (jue des paperasses
inutiles.
Le premier fruit de ses excellents travaux fut le discours d'Iso-
crale : De pcrmutationr, (ju'il traduisit en lalin en lilluslranl dr
noies el d'une préface, el qu'il publia. Mustodixi avail fait paraître
le texte de rc discours, el Mai joignit à l'original la traduction et
MLi.\N(ii;s i;i' ^(MM,r,l:s.
873
(rim|i()itanU roiiinieiilaiies. Mais ce nV'tail là pour lui qu'un ossai.
Knrouragé puissamment par le succès d'une première lenlalive, il
ne se sentit (jue plus d'arclour pour conliuuer son œuvre. Sans se
laisser un instant clélourner do ses doitivs investi^^Uions, il réussit
en peu d'années i\ mettre au jour une foule d'ouvrages en tout ou
partie inédits. De 1813 à 1810, il présenta aux savants dos travaux
qui lurent accueillis avec enlliousiastne. Dans le nombre, nous ci-
terons des fragments d'Homère avec un grand nombre de peintures
également antiques et dont les sujets sont liiés des œuvres de ce
grand poète; les écrits inédits de Cornélius Fronton ; des lettres
inédites d'.^ntonin-le-Pieux, de iMarc-Aurèle, de Luciiis Verus et
d'Appien; des fragments de discours d'Aurélius Symmaque ; les
Antiquités romaines de Denis d'Halicarnassc, qui manquaient jus-
qu'ici ; des fragments inédits de Piaule, d'Isée, de Thémiste-le-
Philosoplie ; un ouvrage inédit de Porphyre-le-Philosopho ; quel-
ques écrits du juif Pbilon ; les anciens interprètes de Virgile; deux
livres des Chroniques d'Euséhe Pamphile ; trois livres de Julius Va-
lériiissur la vie d'Alexandre de Macédoine ; les VF et XIV livres
sibviiins; une traduction en langue gotliique desépîlres de saitjt
Paul et i](i> autres livres d<; l'Ecriture, par Tlfila. Par ces décoi!-
verles inestimables qu'il [)ublia, Angelo Mai rendit de grands ser-
vices aux amis des lettres. Son nom ne tarda pas à acquérir de la
célébrité. Tous les savants avaient les yeux fixés sur l'infatigable
investigateur de la bibliothèque Ambroisicnne.
En 1819, l'emploi de premier bibliothécaire de la valicane étant
devenu vacant, le cardinal Lilta et le cardinal Consaivi s'unirent
pour prier le Souverain Pontife Pie VII d'y appeler Angelo Maï,
bien certains que nul mieux que lui ne saurait le remplir. Le sa-
vant philologue se montra Irès-flatté de cette honneur, qui allait
lui permettre de poursuivre à Rome les travaux qu'il avait si bien
commencés à Milan. Ses recherches ne tardèrent pas en effet à être
couronnés de succès. Il découvrit dans la bibliothèque vaticane une
autre partie des livres de Cornélius Fronton cachée sous un pa-
limpseste : de plus quelques fragments du droit civil antérieurs au
code de Justinien, quelques discours de Symmaque, la Rhétorique
de Julius Victor, etc. Mais ce qui retentit le plus haut en Europe,
ce fut la découverte des six livres de la République de Cicéron, que
tout le monde savait bien avoir existé, mais qui, depuis le XIIÏ*^
siècle, étaient perdus sans que ni Pétrarque, ni Poggio, ni Bessa-
rione et tant d'autres patients investigateurs fussent parvenus à les
374 HKI.AMIES KT >OLVKl.l.hS.
ri'lrouM'r. l'iic Ullc j^loire l'tail réservée à Angcio Mai, et ce sera
puiir lui un lilru élernel aux }'eu\ Je lu puslérilé. A peine celle œu-
vre si iiii|icirlanle eùt-elle élé publiée par lui avec des noies exéj;é-
liijues cl lii>loii(]U(>s, (lu'ellu se répandit dans luule TKurope el fut
traduite dans presque luules les langues.
Nunimé chanoine de la basilicpie patriarcale du \ atic.m, et admis
dans le collcye de la prclatuie runiaine , An<;elo Maine suspendit
pas un moment ses excellents travaux. A Canipido^lio, en 182V, il
prononça un remarquable discours au sujet d'un concours artisti-
que, el il avait pris pour texte : Oi- l'accord muluel de la reliyion et
des arts; dans la môme année, il lut à TAcadémie catholique un
autre discours Sur les bienfailf de Pie l'il et du clergé eiirers lef let-
tres. A ces morceaux justement estimés, il i'aul joindre l'oraison fu-
nèbre eu latin qu'il pronon«ja dans la chapelle Sixtine lors(|u'on y
célébra les obsèques de Jean \ I, roi de Portugal, el un discours
Pro eligcndo ponti/ire qu'il lit entendre en présence du Sacré Col-
léj,'e au moment où Ton allait entrer au conclave où lut nommé le
pape (irégoire \^'I.
Les travaux publiés par Angelo .Mai eussent pu suflire à sa gloire,
mais ils ne suflisaient |)as à son aciivilé.
Dans le courant de l'année \Hl't , il lit paraître le Catalogue des
papyrus égyptiens de la l{ibliolhéi|uc du Vatican, réunis par les
papes Pi(! VII el Léon \1L et mis en ordre par lui. .NLiis ce travail
n'est rien, si on le compaïc à la collection des auteurs anciens, en
dix gros volumes, qu'il commença à imprimer en 1827. Il ne lent
pas plus lot achevée, (|u'il en publia une autre également en dix
volumes, sous ce titre : Clttasici Srriiilores e.r codicilius / alicanis editi,
entreprise qu'il ne pul mener à lin (]u'en 1838.
Sa renommée était devenue immense; toutes les académies se
disputaient Ihonneur de le compter parmi leurs membres. L'.Vn-
glelerre lui décerna une grande médaille d'or, où l'on voyait d'un
côté l'image du roi, de l'autre cet exergue : Jugelo Maio, paliusea-
taruni iiireiiluri atguc reslauratori.
.Mais si, à l'étranger, il était l'objet dt; mille honunagcs, sa patrie
non plus n'était pas indilVi i«>nte envers lui. En 1825, Bergamc
inaugura, avec des félcs, son portrait placé dans l'Athénée. Des
son avènement, Grégoire \\ 1 voulut donner une preuve éclatante
de son estime au savant bibliothécaire en le nommant secrétaire
de la S. Congrégation de la Propagande |1833). Le 12 février 18:{8,
Angelo Mai fut appelé au cardinala! en métnc temps que Mez/o-
MÉLANGES ri NOUVELLES. 3/5
fanli, io plus grand polyglotte (|iii ait jamais existé. Comme s'il eût
puisé dans cet honneur une nouvelle ardeur d'étude, Maï joignit
aux collections classitpies (juil avait déjà publiées une œuvre en
dix volumes encore, intitulée : Spicilegitim rotnanum,(\m fut ache-
vée en 18 V4.
F^a mort du cardinal Pacca ayant laissé vacante la préfecture de
la Congrégation de correction des livres de l'église orientale, cette
place fut, par ordre du Souverain Pontife, confiée au cardinal Maï,
Il fut nommé aussi préfet de la Congrégation de l'index ; mais il
échangea plus tard cette dignité contre la préfecture de la Congré-
gation du Concile, où il resta jus(pi'en 1853, c'est-à-dire jusqu'à
l'époque où il fut nommé bibliothécaire de la Sainte Église ro-
maine.
Toujours plein de force et d'énergie, le cardinal IMaï n'interrom-
pit point SCS études, et continua d'y consacrer autant d'heures qu'il
avait coutume de le faire dans sa jeunesse, (^est aux dernières an-
nées de sa vie qu'on doit la A'ouvelle bibliotlièque rfcs SS. Pères, en
six gros volumes (1). Mais l'illustre cardinal n'eut pas la satisfac-
tion de pouvoir terminer cette œuvre parvenue à sa moitié seule-
ment. Retiré à Albano, où il avait été chercher un peu de repos, il
y fut saisi d'une inflammation d'entrailles qui l'emporta en trente-
cinq heures, dans la nuit du 8 au 9 septembre de cette année, date
néfaste pour les sciences et les lettres, qui ont fait en lui une perte
irréparable.
Les dépouilles mortelles du cardinal Mai furent portées dans l'é-
glise Sainte-Anasiasie, dont il était titulaire; et le 13 septembre,
ses obsèques furent solennellement célébrées en présence de Sa
Sainteté Pie IX, qui rendait hommage à tant de vertus et de mé-
rites.
Le nom d'Angelo Mai occupera une place glorieuse dans l'his-
(1) Dans cette BibUolhvque, Angelo Mai a donné un fragment sur la Hié-
rarctiie de Denis TAréopagite ; deux autres fagments. lun de Denis d'Alexan-
drie, l'autre de saint Cyprien, un extrait du Traité de rincarnation, du pape
Félix 1" ; des fragments d'Origène et de saint Hippolytc ; une lettre de saint
Ambroise, une autre de saint Athanase, un commentaire de saint Basile sur
Daniel, un autre de saint Cyrille sui' saint Luc et sur les prophètes ; divers
écrits d"Eusèbe de Césarée, de saint Grégoire de Nysse, de saint Chrysos-
tome et de saint Jérôme, outre des poésies de saint Paulin de Noie et des
livmncs de saint Jean Damascène.
.■>7t> MCI-V.MiKS bT .MH'VLl.l.liS.
luiru dos ledres, 1 1 les «ouvres que ce savant a remises en iuinicrc
ItMonl i\ sa niémoiri* un »Hernel el lirillanl corlé^'e.
Mais, oulro lanl do litres oclalanls, il on (îst un qui ne coiilri-
Ixiera pas moins à la gloire de son nom : par un ncle suprême de sa
Noloiilt'", le cardinal Angclo Mai a Iôjïuo toul son patrimoine aux
pauvres de son pays 1). Tous les voyageurs amis de la science (jiii
visiteront, i^ Sainlc-Anaslasie, la tombe du grand philologue, sa-
lueront aussi en lui le bienfailcur des indigenlsde Scliilpario, celle
liunibli' cilé qui désormais est, par Angelo Mai, sortie de son obs-
curité.
— Ou lit dans \' /mi de la Heligion :
On nous t'crit do lloriio (|u"nn y altciid un ;;rantl nonibrr «l'évoijucs, cl
(|u'<)H verra arriver avec la plus grande satisfaction, aussi bien que les pré
l.its oniciellemcnl invités, ceux que leur dévolion y allirera.
f^cs uns el les autres prendront part, suivant leur rang, à la grande a
semblée générale du Consisloirc.
Celle assemblée générale sera préparée par des réunions particulières (pu
ne seront composées, nous écrit-on, que des seuls in\ ités .\7>«'f /«^mcn/.
C'est M;j;r Auliciqui a été non)niéscciélairedela Congrégation cunsisturiaie.
Pnrnii les prélats français (pii doi\ent se rendre à Home pour assistera ce
grand événrniont. ou annonce Mgr rarchcvèque de Pari-^ et >'N. SS. de Mai -
fcille et dAgen.
France. — On s.iit <]U(> Ir l(<nipsdu prov iiu i.dal du K. P. La-
cordairt^ est expiré, vl qui*, d'après les statuts de r(Jrdre, le grand
(i) Lnlre autres fondations pieuses que lit itvanl de mourir lilhislre car-
dinal Mai, nous rcmar(|uons deux eanonicats qu'il fonda dans l'égliso de
Sainte-An;islasie. I,a bibliotliè(]iie ipi'il lais'^e esl |»eutèlre la plus considéra
ble el la |ilus précieuse ipii ait janiais appartenu à aucun cardinal.
I.e Jnunidl tics Drbals ajoute, <ra|)rès sa correspondance de Rome dater
du 2i septembre, les détails suivants : « 1-e cardinal Aiigelo Mai a institué les
pauvres de son pays nalal ses héritiers universels, sauf les legs laissés à un
neveu et à ses domcslicpies. Celle succession est considérable. Le cardinal
avail n-liré des sonnnes élevées de diverses publications, mais la partie la
plus importante de sa fortune esl la nombreuse bili!iotlièi|uc qu'il ovail ras-
sembice à grands frais. On l'év.nlne à environ TO.OnO piastres, soit environ
'itK).(MN) fr. Par une clause spéciale du lestamenl, le gouvernement ponlili
«al c-l autorisé à acquérir celle liihliolliètpie pour la moitié de sa valeur. le
bruil eourl «pie le goiivernemenl renonce â ce privilège, el que celle eu!
leclion sera vendue, annonce propre à locllrc en éveil tous les bibliophile*
«les deux minides. »
Wli;LAi\(iKS ET yoUVIiLLES. 377
orateur ne pouvait ôlre élu. C'est le K. P. Danzas qui à été élu
pioviruial par le cliapilie de l'ordre, en romplacemenl de l'illustre
restaurateur des Dominicains en France.
— Au mois d'août dernier, M. le ministre de la guerre demandait
cent religieuses à la supérieure des filles de Saint-Vincent-dc-Paul,
pour aller desservir les hôpitaux de Conslantinople et de Varna. Le
même jour vifigt-d(îux religieuses quillaient Paris et partaient pour
l'Orient. Voici comment Ttine d'(;lk;s, qui appartient au diocèse
d'Arras, apprend à sa famille son départ et son arrivée à Conslan-
tinople :
Coiistaiiliiiople, ii septembre 185i.
Mes ehers parents,
Le l)t)n Dieu m'a choisie et m'a préférée à beaucoup de mes compagnes
pour une mission qui m'est bien chère. Le 24 d'août, notre très-honoréc
mère me demanda si je voulais me dévouer à aller à l'étranger. Chers pa-
rents, j'étais tellement contente que je ne pouvais croire ce qu'elle me di-
sait. Le même jour, à 0 heures du soir, nous sommes parties, 22 sœurs et
2 prêtres de la mission, pour aller soigner les soldats blessés et les choléri-
ques. Nous nous sommes embarquées à Marseille le 27, et nous sommes ar-
rivées à Constantinople 8 septembre. Pendant la traversée, nous a\ons été
malades du mal de mer.
Ma chère mère, je désirais bien vous écrire avant de partir de la com-
munauté; mais le temps m"a manqué : il a fallu faire le sac de suite, comme
les militaires. Notre traversée n"a pas été des plus agréables; nous avons
toujours eu le vent contraire. Vous comprenez bien qu'étant nigaude comme
je suis, n'ayant jamais vu que mon clocher et celui de la communauté, j'ai
eu un peu peur, surtout la première nuit que je passai sur mer. Jlais je me
suis bientôt habituée. Ce que le bon Dieu fera de moi, je n'en sais rien, mais
je suis toute prête à faire sa volonté. Nous sommes chez nos sœurs de Con-
slantinople. Là, on va nous distribuer, les unes pour rester, les autres pour
aller à la guerre. Je vous dirai que ce mot de guerre nous amuse beaucoup.
Mais enfin fîat. Nous avons été dans les camps des soldats. Comme ils étaient
contents de nous voir! Ce sont bien nos sœurs qui les soignent; mais elles
sont si peu nombreuses! Ces pauvres militaires n'auraient pas voulu les voir
partir et les laisser là! Le choléra a beaucoup cessé; mais il en est beau-
coup mort, et nos sœurs nous disent qu'ils sont morts presque tous après
avoir reçu les derniers sacrements. Ce sont eux qui demandaient les pre-
miers à se confesser. Je ne puis dire combien cela me fît de peine de voir
tant de jeunes gens malades , d'autres qui se mouraient : et cela m'a fait
prendre la résolution de faire tout ce que je pourrais pour leur être de
quelque utilité. — Chers parents , aidez-moi à remercier le bon Dieu de
m'avoir donné une vocation si belle. C'est un petit sacrifice pour moi de
378 XKLAKGeS tT M»l>fe:i.M^S.
quitter mes rliùrc» compagnes de Paris. Elles désiraient luulc.s |>.ii(ir: niai«
l<- bon Dieu m'a préfcréc. Que son yMui lunu suit béni!
RuMMle. — l'no lellro adross^»» de llanilioiir^ ;i V lnii< prinlance
Lilijr, sur 1rs «'t'oles iiiilitairrs ili- l;i lUissif, coiiticnl la nouvelle
stii\ariU' :
l>aiis «(urli|Ui>-!iiu's tic cos iii>tiluliiiiis nnlilairts, lics pntrcs cnlttoiit]urs
vont èlrr nppelcs ;i donner rcnsci;;norni-nl tic ot'tle religion ; tfilc innuvulion
nicrilf irélre rcrnart|uée dans les circonstances actuelles.
PriiKito. — On ('(-ril <li^ Hcriin. If 1.*> oclobro, ù la Gazette de
S I un II- :
Ia'. plan tic fonder une iiiiivcr>i(é c:tliioli(|nc (|iii représenterait plus exclu-
sivcnicnt (pic les uni\er!<il('-s cvislantcs les tendances cal!iidi(]nes dans la
sphère de In science et de renseignement, est l'objet de vives préoccupations
dans les cercles eatboliijues, et on dit (pic celle ({ucstiun a été soulevée der-
iiicrcnicnt dans les comités callioliipies. On assure qu'un des évéques les
plus zélés de rAlIcmngne a entrepris «le réunir les moyens d'exécuter ce
pliiri.
Frniirrort. — Le smk^Jo oniiiiei du |)ru(esl:iiilisnio alieniaiid
viiMil d'iuoir lieu ;'i Fraticiorl. Il s'e>l occtipi' de l'usage de In liiblc
dans la faniillc, dos refuges, de la snnclilicalion du dimaoche, du
liapli'Mne des ('iifanls, des assoiùalions de lion rompagnonago, de
Tari (•lir»''lien. Le docieur Sleinniaver de Bonn a jiistilié le hapl^^me
administré aux enfants. Pour tout homme (|ui suit avec attention
Tagilalion protestante en Allemagne, il lui est facile de conslaler
(pie les (■•h'-menls de di>isi()n «pianl à la criiyanee ne font qu'aug-
menler : e'est un vt'rrilahle eflroi qui s'empare des esprits quand on
peut craindre que les questions dogmatiques peuvent ùtre soidevées
dans un synode: il n'a d'i'>gal (pie la peur du calliolieisnie progres-
sant. Il n'est pas moin'» digne de remanpie que le proleslantismc
allemand pour galvaniser ses membres allant s'éparpillanl emprunte
tant (pi'il peut aux institutions et aux pratiques de l'Kglise rallioli-
«pie. On cojiie nos ordres d'iiospitalieres par les diaconesses ; nos
as.sociations de saint François Hégisel celles de l'illustre abbé Kol-
pierg par des associations ouvrières; nos conciles, nos synodes et nos
assenibh''es ealbolitpies par des réunions analogues. Nous croyons
(jue ce mouvement amènera A une élude comparative et sincère
des institutions de TEglise et servira à propager de plus en plus In
véritable foi.
.Mai-> l'iiii ideni iiuporUuil tlii »n notli- ihoIoI.wiI de Fr.UK lot I. c est
iiL:r.A\(.i:s i;t inouvei.les. 379
la discussion sur rc.ircKciicr rt la /inv.ssi7<f de rindùsolubililé du ma-
r'uujd! (jui aurait cru ;'i uw pareil revirerruMil? Le |)rofessPur Mul-
ler de Halle, Tavucal Tliesenar, ont soulevé couragcusenient la
question, ce dernier a cité le Temps, feuille protestante de Berlin,
(|ui doniu! le cliillrc des divorces en 18.')3 dans la seule capitale de
la Prusse, c'esl-à-dire 8oG 1 ! ! Les orateurs ont attaqué les gouver-
nements qui ont abandonné TEcriture sainte, ceux qui sont albéis,
révolutionnaires, troj) c.irih. Mais ils ont oublié toutes les tbèses
des tliéologiens protestants on faveur du divorce et la trop fameuse
consultation signée par Lulbcr, Melancblon, Bucer, Corvin, Lenin-
gen, Vinfert et Mélanlber, adressée au Landgrave Pbilippe de
Hesse. i<Si votre altesse a résolu d'épouser une seconde femme,
» nous jugeons qu'elle doit le faire secrètement, comme nous avons
» dit .1 l'occasion de la dispense qu'elle demandait ; c'est-à-dire qu'il
» n'y ait que la personne qu'elle épousera et quelques autres au be-
)) soin qui le sacbenl, en les obligeant au secret sous le sceau de la
» confession. Il n'y a pas ici à craindre de contradiction, ni de scan-
» dales considérables, car il n'est point extraordinaire aux princes
» de nourrir des concubines, et quand le menu peuple s'en scanda-
» Userait, les plus éclairés se douteront de la vérité. On ne doit pas
)j se soucier beaucoup de ce qui s'en dira pourvu que la conscience
» aille bien. C'est ainsi que nous l'approuvons. Votre Altesse a donc
» dans cet écrit non-seulement notre approbation ^;our tous les cas
» de nécessité sur ce quelle désire! ! ! r.
C'est tout bonnement l'approbation de l'adultère et de la biga-
mie. Le divorce n'en est qu'une conséquence.
La discussion de Francfort est donc d'une haute importance ; la
force des choses et de la vérité ramènera à la doctrine catholique
de l'unité et de l'indissolubilité du mariage chrétien^ tel que Jésus-
Christ l'a institué; à moins que le protestantisme ne se jette dans
le mormonisme. Qui sait?
Le synode a décidé :
1" D'inviter les gouvernements de l'Allemagne à rétablir les lois
matrimoniales sur leur base évangélique, et à faire disparaître tous
les motifs de divorce, excepté ceux qu'ont maintenus les réforma-
teurs (?)
2" De prier les grands dignitaires ecclésiastiques de refuser de
marier ceux qui se sont séparés pour d'autres raisons que les sus-
mentionnées.
.'iHO MKL.VX.KS KT >()1>L1.LES.
SftYolc. — Annkcy. — La Conlérencc de Saint-Viiiccnl-de-
l'aiil (l'Annecy vit'iit de perdre son président, M. (leorges Terrier,
mort A \'eyrior. La ville entière parlapc la douleur de cette perte,
car tout le monde admirait sa prolonde piété jointe aux plus aima-
bles qualités du cœur et de l'esprit.
L'avant veille de sa mort, il avait passé la nuit auprès des cho-
lériques dans riiùpilal d'Annecy, el c'est dans l'exercice de tel acte
sublime qu'il a conlraclé la maladie dont il est mort.
SiiImnc. — liKn>K. — Le / atcrlnud a constaté, dans un article
sur liî |)aupérisme, les ra\ages (jue cette plaie pul)li(|ue a causés de-
puis plusieurs années. Il résulte, entre autres, d'un rapport de la
direction de l'intérieur, fait en 18'*i, que Timportation de l'eau-
de-vie, qui, en 1811, n'était (|ue de (>'2,;{'iV pots, s'était élevée, en
18V.'i, à 77f$,300 pois; la l'abricalioii intérieure avait augmenté
dans la même |)roportion. \ la suite de la nouvelle loi sur les au-
berges de IH'Jfi , il s'élail ouvert un iiiillirr d'établissements nou-
veaux pour le débit des boissons. Jusiju'en 18i0, le nombre de»
communes qui s'imposaient des taxes pour l'entretien des pauvres
était de :i()7 ; les taxes elles-mêmes, Irés-mininws dans le principe,
s'élevaient déjà en 1817 à la somnu; annuelle de IU)(»,81>8 fr. ."j."j c,
cl quoique celte somme eût été fixée par la législature comme ma-
ximum , elle augmenta dés lors d'une manière effrayanle, malgré
les années abondantes el les temps j)rospéres (|ui avaient succédé à
cette époque de disette. En 18i0, le total arrivait à m>V,8o7 fr. 97c.
H n'y avait pas moins de soixante communes où la taxe allait de '2
à 8 1/2 pour lt)00. Le nombre des individus entretenus par les
communes s'élevait " en 180i>, i\ 10,(ilG; en 1 82-2, ;H 7,588 ; en
1828, à 19,997; en 18V0, à 32,0V7. Dans lo cbilTre de cette der-
nière année sont com|)ris VV78 enfants légitimes et 2V5tî illégiti-
mes, (;ntret(Mius aux frais des comniunes. On a compté !I!U> pères
de fan)illc valides qui avaient abandonné complètement femmes el
enfants A leurs communes. Depiiis 18V7, l'Llat a dépensé en secours
directs pour le>^ |)auvres, dans l'ancien raiilon, 2,875,308 fr.
UtLAi-NfiLS ET NOWKLLIiS.
381
lieiièTC. — Noire villoa recueilli depuis quelques années bon
iionihie (Je réfufçiés |)olili(|ues. lieaucoup manquaient de moyens
d'exisU-MU'c; pUisipuis joi;,'naienl dans le sentiment d'une môme
aversion et l'autorilé civile devant laquelle ils avaient fui, et Tau-
torité religieuse qu'ils savent opposée à la révolte armée et aux
exagérations du socialisme. l.'L'nion protestante de Genève s'ap-
plaudit de ces tempêtes qui lui jetaient des victimes. Elle n'a pas
un facile accès auprès des catholiques anciennement établis, lissent
af;uerrisà ses manœuvres; ils savent à quoi s'en tenir sur ses of-
fres el ses promesses ; la moralité de ses actes et la sincérité de ses
in(t;ntions sont trop percées A jour, pour que le miel de ses paroles,
ou le bruit de son argeiil aient chance de les séduire. Mais les pau-
vres étrangers; mais les nouveaux débarqués, qui ne connaissent
rien de la sainteté calvinienne el de la charité mercantile qui spé-
cule sur les consciences ; voilà une proie facile à circonvenir, à fas-
ciner, à juguler. Tout l'art du prosélytisme va là. Des agents postés
dans toutes les rues s'informent des mutations de domicile; ils
épior)l tous les nouveaux visages, ils se font dire Thistoire el la si-
tuation des ménages arrivants. Bientôt la famille étrangère voit en-
trer le Monsieur en habit noir et en cravate blanche. Il s'annonce
courtoisement comme Vemoyédu Christ, il s'excuse de sa hardiesse
sur son ministère et sur la plénitude de sa charité qui le presse
d'aller au devant de tous les chrétiens que la Providence lui envoie.
Puis, dans le cours de la conversation, il glisse adroitement quel-
que plirase hypocrite sur les vues intéressées des prêtres, sur les exi-
gences pénibles de la religion catholique, sur la bonté de Dieu, qui
ne regarde pas aux formes diverses sous lesquelles on le sert,
pourvu qu'on croie à sa Parole. L'accueil fait à ces avances lui ap-
prend ce qu'il peut espérer; s'il a affaire à des indigents ou à des
mécontents d'une conscience faible, il n'épargnera rien pour obte-
nir une perversion.
L'inion protestante aurait grand désir de signaler ses succès par
quelques noms honorables ; mais il ne lui est pas possible d'en con-
quérir; elle se rabat sans pudeur sur tout ce qu'elle rencontre; les
antécédents ne lui font pas confusion, elle fait flèche de tout bois.
Elle palrone habilement une société d'Italiens qui ont consenti
à abjurer leur foi par l'espérance d'avancer la marche de la révolu-
lion dans leur pays. Elle a placé à la tête de cette association semi-
proteslanle et semi-socialiste un courrier de Gènes, qui s'est dis-
382 lltLAX(;E.S ET MOI VELLES.
lingué dans les Iroublus de telliî ville , au j>oinl do juger prudent ,
après que le succès lui cùi fail défaut, de s'échapper de sa patrie
pour se rèfujjier àfionève. fleinonsieiir Hela, dev»>nu rlicf de seitc,
cl, on n(5 sait par la {jriko de (jiii, niinisire «les sacren)cnls dans sa
comniunatilé, a cru se faire honneur en annonçant son apostasie el
en faisant un appel à ses concilovrns d'Italie pour les inviter à ab-
jurer le calliolici«inie, conmuî nunon préliniitiain^ d'arriver à la ré-
publique. Son père, chrétien sincèie et ferme dans sa foi, a répon-
du à cet écrit par une lettre |)ubliée dans V/Iannonin, dont nous
reproduisons la traduction. File fera de mieux en mieux ressortir
la tendance des apostasies cpie l'on sollicite ici, et le caractère de
ceux qui y travaillent. Klle montrera aussi, par le déplorable exem-
ple de M. Reta, quelle funeste influence exercent les idées fausses
d'un parti polilicpnî ; comment elles pervertissent les meilleures dis-
positions et entraînent juscjuau sacrifice de ce que Ibommc a de
plus cher et de plus sacré, la conscience et la religion.
.4 Constantin lieta, ion père tns-afpigé.
Dans la vie d'ini père, il y a des moments Irès-soiennels, moments d'une
joie ineffable, quand Dieu lui donne avec en fils l'espérance de voir son nom
pcrpt'liic, cl d'avoir un soutien pour sa vieillesse. Il y a des moments d'une
douleur très-profonde, quand, dans la (lejir de ses espérances, il est con-
damné à perdre ccjncinc enfant cl qu'il ne peut le sonslrairc à la morl.
.l'ai éprouvé les premières consolations: heureux si le Seigncui ne m'avait
condamné qu'à souffrir ce dernier chagrin!
Il m'a fallu souffrir bien davantage. Mou fds Constantin n'est pas mort,
mais il a lui-même annonce dans les journaux qu'il n'est plus catholique. La
révolution, qui lui avait enlevé la patrie, lui a aussi enlevé la foi. J'étais ma-
lade, mes amis el mes collègues me cachèrent un numéro du Diritln et un
aulre de Httilia r Popolo. Ccpendanl le liruil de leur conlenu par\nil jiis-
qu a moi. je les chert-liai, j'ai aiisohmient voulu les lire; je l'ai ai lus cl je n'ai
jws pleuré, tant jetais pélrifié. Dieu sail cond)ien j'ai souffert el combien je
.souffre. Mon fils Couslantin, s'il avait pu l'iniager, n'aurait pas écrit ce qu'il
vient d'ccrire.
Dans le numéro \\0 du Din'lln il a [ndiliè (]u'i7 sr fait unr gloire dnp
partrnir à ht rommutiinilr rriniffrliqur dr (irnrrr, <'l dans VWiliaf Popnln,
nunuTo -2(it, il a nu'iiic «le plus cxplicile. cl. sadrcssanl aux (icnois. il leur
dit : I Ne croyez pas, messieurs cl concitoyens, que je prolcslc contre l'af-
lirmalion que je suis évangclique ; loin de là. au contraire, je me glorifie
d'avoir^mis entre moi et cette lèpre italienne, labyme que les Ktals-Inis cl
I AuKlclcrrc > ont placé, je veux dire la reforme . .le prie le lecteur de me
MKLA>(iKS ET ^OrVELLES. 383
ilispeiisor ilr Iranscrirc le rcslc. Je rcmcicic le lise de (ièiics diivoir scr|iios-
tréla feuille uù Tapostusic de mon iiU était publiée.
AussiliH fus-je remis de ccl étourdisscmcnt, qucj"ai cherche à me persua-
der que mon lils n'avail pas reçu de la nature un bon naturel, ou qu'il n'a-
vait pas étudié. Cette pensée m'aurait donné quel(|uc consolation et je pour-
rais dire, pour soulager mon cœur: Il s'égara par ignorance, il s'égara par
bonne foi. Mais cela n'est pas; le Seigneur a doimé à Constantin une belle
intelligence; il a beaucoup lu et il a cultivé les lettres. Il connaît le catholi-
cisme, il connaît la reforme; cependant il abandonne celui-là et il embrasse
celle-ci, et il s'en vante !
Si ce n'est pas un égarement d'esprit qui la bouleversé, serait-ce corrup-
tion de cœur? Je connais la grande responsabilité qui pèse sur un père, et
je me suis demandé à moi-même si l'éducation donnée à mon Constantin
avait jamais pu l'entraîner à un tel excès. Ma conscience ne m'a fait aucun
reproche ; la grâce de Dieu m'a assisté dans le devoir paternel, et, à mon
tour, je puis me glorifier de ne pas avoir contribué, ni par les exemples ni
par les doctrines, à l'apostasie de mon fîls.
Et toi-même, ô Constantin, qui m'es toujours plus cher, parce que tu es
plus malheureux, toi-même, je t'en prends à témoin. Dis si l'éducation que
je t'ai donnée et mes enseignements ont pu te conduire au précipice dans le-
quel tu t'es jeté ; dis-le, puisque la société demande compte aux pères des
méfaits des enfants ; dis-le, puisque une partie de la honte réservée aux apos-
tats tombe sur mes cheveux blancs.
Cependant mon lils n'a point le cœur corrompu; un faux pas, une ténacité
de résolution, une fermeté peu judicieuse de caractère l'a entraîné à labyme.
Mais je me félicite de ce qu'il étudie et qu'il enseigne l'histoire ecclésiasti-
que. Le grand Bossuet faisait déjà remarquer que les Anglais, tard ou tôt,
retourneraient au catholicisme par leur grand respect pour les choses an-
ciennes, par leur amour pour les éludes historiques. J'espère bien que mon
Constantin en recueillera aussi le même fruit. J'ai cherché dans ses lettres
qui m'ont donné et me donnent tant de chagrin, une parole de consolation,
et je l'ai justement trouvée dans la lettre publiée dans le DiriUo, où il dit
avoir donné un cours (ï histoire ecclésiastique.
Je serais curieux de connaître comnient il a traité la période de la ré/"orme.
Où était l'Église évangélique avant le XVP siècle ? Que croyait Genève avant
le 10 octobre doôO? Lui, ennemi de la violence, amant de la liberté, aura
bien vu que la nouvelle foi fut portée aux Genevois avec 14,000 Bernois et
20 pièces d'artillerie. Lui , ami de la civilisation et des bonnes mœurs, aura
trouvé que lapùtre de la réforme à Genève fut un certain Froment,
l'homme au plus haut point débauché et brutal, et qu'un de ses premiers af-
filiés fut Louis Bernard , qui découvrit le Christ dans une belle femme
qu'il corrompit de toute manière, ainsi que Calvin lui-même la écrit à Bul-
linger. — Mon fds qui, par amour pour l'Italie et la liberté, s'est fait éuan-
gélique, m'a rappelé ces malheureux Hongrois qui, par amour de la liberté
et de la pairie, se sont faits Turcs. Lui, naguère législateur, pourra étudier
dans l'histoire ecclésiastique le code donné à Genève par Calvin, code écrit
rWÎ «ÉLANOES ET NOl'VEI.I».
avec III) frr muge, coiniin' l'avoue iiii do ses apoloijislcs. Il Iroiivcr» lc« friiils
de ce code : Toussaint Masquin, exilé ù vie sous peine de la poleiice, |>our
avoir dit que la rcli)(iuit de Calvin sur la prcdeslinatioii olail coiilrairc aux
livres divins. ne»aiiron Dadaz, François Clienelat et Claude de (^liateauiieuf
condamnés à trois jours de prison, au pain et à l'eau, parée qu'ils avaient ri
pendant un sermon ridicule de (]al\in. — Trois enfants condamnés à la fus-
tigation en public, parce (juils avaient manqué au sermon pour aller man-
ger un gùlcau. — Je ne parle pas d'une centaine de faits de la même espèce,
ni de l'histoire de Michel Servet, qui est à la connaissance de tout le monde. Je
recommande à mon fils le livre du calviniste Galiffe, dans lequel il trouvera
Calvin peint impartialement, Calvin qui, dans l'espace de deux ans (1558-99),
dotait Genève de ili procès criminels.
Si quelqu'un accusait mon fils d'avoir vendu son àmc, je me lèverais le
premier pour le ciMnballre. Non, il n'est pas capable d'une aussi grande lâ-
cheté. Le malheureux s'est laissé tromper, voilà tout. Les soufTraiices de
l'exil ont eu le pouvoir d'abattre |)our un instant son esprit. .Mais je prie ses
concitoyens, qui sont les miens, de l'excuser; je prie les clccleurs qui jadis
l'ont envoyé comme leur représentant au parlement piémontais, d'avoir pi-
tié de lui. Qu'ils ne disent pas encore (|irils ont élu un apostat, un parjure :
j'ai une si profonde connaissance de mon fil», «le la bonté de son cœur, de
la rectilinle de ses intentions, que j'assure «[u'il ne mourra pas protestant.
La miséricorde de Dieu lui rendra sa foi, et le pardon tics hommes lui ren-
dra sa patrie.
Déjà Dieu a voulu (jue Vllalia c Popolo de Gènes, en publiant la lettre de
mon Constantin, ait déclaré ne pouvoir s'associer m (oui ù ses opiniont. El-
les doivent être bien impies, les opinions (|ui sont rejetées même par r//«-
lia e Popolo! Oh! Constant in, où t'a conduit l'esprit de révolte! Loin de
ton pays et de ton père, tu n'a plus de patrie. ]>lus de foi, plus un ami qui
ose publier en Piémont les pensées sans i)rolester qu'elles ne sonl pas les
siennes !
Moi aussi, autrefois, j'ai éprouvé l'amour île l'Italie, mais je l'ai éprouvé
tant qu'Italie et catholicisme étaient unis. Ce jour où l'on me dit que pour
être Italien il fallait cesser d'être catholique, j'ai reculé d'eflroi, cl je crois
mètre montré Ixui Italien en reculant. Et toi. ù Constantin, tu n'es plus Ita-
lien, puisque tu as '•esse d'être catholi(|iie. Crois-moi, tes lettres ont fait un
tort immense k la cause à laipielle tu appartiens. Tes concitoyens t'appellent
apostat, cl tu l'es marqué, malheureux, lu t'es marqué toi-même avec le fer
rouge de Calvin.
Les larmes m'empèchcnl d'écrire plus longuement. Je pardonne à ceux qui
ont tenté d'arracher le fils au père, el je les avertis iju'ils n'ont pas réussi.
Si la religion des proteslanls et des juifs ordonne aux pères de persécuter
leurs enfants (|ui sont passés à une croyance dilTérenle, la mienne me com-
mande, ô Constantin, de t'aimer davantage, parce i|u aiijourd liui tu es plus
malheureux. Il n'arrivera jamais que je l'oublie ou que je le renie. Dès à
présent, au contraire, je redoublerai me* soins pour loi. et souvent !<■'' I'<-
MKLANfiKS ET NOUVELLES. .'J8G
1res (le ton prio viciidroiil le rappeler ton eririic et ton dcvnir. Tant (|iic je
vivrais, tant (|uc tu vivras, j'aurais toujours Icspcrancc de pouvoir te rame-
ner à la v«îritable foi, el désormais je suis certain de ne pas descendre dans
le sépulcre avec le chagrin d'avoir laissé sur la terre un apostat.
Oui, l'exemple de les ancêtres t'empêchera, je l'espère, de lomber dans le
précipice que tu as ouvert sous tes pieds. Tu étais encore enfant (piand Ion
î^rand père mourut dans la paix du Sci<;neur. Ton cœur, alors innocent, fut
vivement ému de te voir enlever celui (]ui t'aimait tant. Souviens-toi avec
combien de foi cet homme éminemment catlioli(]ue a reçu les derniers se-
cours de noire sainte religion, après les avoir lui-même sollicités à plusieurs
reprises. Médite les paroles que, le 12 novembre 1820, le pieux el savant
curé défunt de S. Maria di Piazza, après avoir aidé notre vieux père à fran-
chir le grand passage de l'éternité, nous adressait en nous quittant. Oh ! com-
bien notre douleur fut soulagée en entendant la grave voix de l'oint du Sei-
gneur s'écrier : Prctiosa in conspeciu Domini mors sanclorumejus.
Gio Luca Reta.
FIN DE LA QUATRlEiME SERIE.
TABLi; IttS MAilKKES
Le libre examen jiig6 par les prolcslanls 5
Lettre de M. Aii'^iistin Cocliiii à M. Aii;.Misle Nieol;i> lî)
Pro|»a<,Mmle prulrstaiito. — Discord»' cl dix ision 40
Du » Kiiimene des consciences M, Ht?)
Mclaii-.s l't nouvelles 59, 117, 188, 248, 311, .W.)
Inlrodutlion du proteslarilisnu; dans le canton de Vaud. . . (i.'i
Le proleslaiilisint- cl li; lihri' l'xanu'n H',\
Histoire de Croniwill de .M. (iuizol, par M. Foisset 1>.">
Lettre à un [)rolt'slant sur le l'iu-;;aloire \i\i
Stérililé des missions protestantes IVO, 271
Essai sur les ùK;ctions épiscopales en «général, et en particulier
dans les diocèses de Lausanne et de (tenève, par le R. P.
Schmidt 153, VX\
Des aris en Suisse avant la réforme 212
Les ri'lifîiotis dWnpIeterre. — I. Les irwinjjions '. 21î>
Le prott'slaîilisintî et M. dt* Hémusat 222
Julien ou la lin d'un siècle de M. Kungener, par M de Komont. 2V1,
28:i
De rédtic.ilioii du ( ler;,'é anglican , lettres û M. l'abbé A. d'Al-
7on, par un niini>lre coinerli * 2o9
De la controverse religieuse à (îenève. — Nos craintes ut nos
cs()érances • 2îH
Itullelin nil>lio;;raplii(pie * . . . '.VU)
Lelhede M. TAl.l.e Merniillod :iJ:.\
l'n spécinien de rapolo;^ie |Toleslanle, par J. I.einoinue. . . 332
De la confession vocali^ des pccliés dans la SMiagogue, du pro-
fesseur N'incenzi, par M. l'abbé Hianc XV.)
Poésies du P. (iall Morel, par M. J. Vuy 3V7
Histoire «le Jésus-(Mirist, |»ar M. Foisset 35'»
Ktude sur le moyen Age. -- l'n artiste dans un clollre, par
M. Claude Meimillod 3ti2
H> nF. I.A TABI.i:
CKN^VF.. — MARC .MKHLING, IMPRINKIR-MBRAIRR, rORRATRRIF., 12.
ANMLES CATHOLIQUES
DE GENÈVE.
AN^ALKS
CATIIOLIQIES
DE GENÈVE
El llet iinum ovile, et uniis pastor.
^AHOLtS DE N. S. J.-C.)
Post tcncbras lux.
( Devise de Gexève.)
€'M.\QUiE3ME SEtiME.
MARC MEHLING, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,
T'orralorie, 12.
1854.
LK
SÂLDT GRATUIT ET M. DE RÉMUSAT.
M. Charles de Rémusat, dans l'ariicle de la Revue des Deux
Mondes que nous avons examiné au mois d'août dernier, a écrit
les lignes suivantes : « Le salut gratuit des protestants ne me
» seml)le pas absolument contraire à l'esprit du christianisme;
» il semble ressortir des termes des ëpîtres de saint Paul, et
» sans certains versets de l'épître de saint Jacques, j'oserais
» ajouter qu'aucun texte de l'Écriture ne le contredit formelle-
» ment. »
Quelle est l'idée que s'est faite M. de Rémusat du salut gra-
tuit protestant? Evidemment c'est l'idée commune, l'idée op-
posée à la doctrine catholique, l'idée que juge M. de Rémusat
lui-même, comme contraire «à l'idée de mérite et de démérite,
» l'idée de la justice de Dieu, l'idée du libre arbitre de l'homme,»
c'est le système de la prédestination absolue et du salut gratuit
par la foi seule sans les œuvres, sans les œuvres méritoires, et
même malgré les œuvres; c'est là le grand cri de Luther, et
surtout de Calvin.
Nous avons osé annoncer à iVl. Charles de Rémusat que s'il
connaissait bien l'Écriture Sainte et l'enseignement de l'Église
catholique, il dirait avec nous que «la doctrine du salut gratuit
* sans les œuvres est contraire à l'esprit du christianisme,
» qu'aucun des textes de saint Paul n'est absolument opposé à
(> i,K. SAM r i.iiA II II I r M DK hkmisat.
» la «loclriiie tatlioli(|iu'. cl tjiit- (rimioinhraltlcs loxlrs do l'K-
» criimc coiiirciliscnl roinielleineni h; syslimi' piolosianl. »
(Ju'il nous soii permis de pénétrer résolumcnl et prudemment
dans la tiladelle du salut gratuit protestant, d'en explorer les
1 einpaiis et les réduits, alin d'en dcinj^or les derniers partisans.
rSoiis l<: t'ci'uns sans passiuu cumme suns rusu; iiuus n'avons
ijuiiiie seule ainhilion : instruire solidement les c-atlioli(|Ucs sur
les erreurs (proii leur débile et i\non leur prête eliaipie joui-
avec une incidyabic outrecuidance; ouviir les yeux aux pro-
testants de bonne foi, et examiner môme s'il ne se manifeste pas
un sein du protestantisme un rapprocliement avec l'Église catho-
lique sur cette (juestion, la plus mave de toutes celles qu'a sou-
levées la réforme. Que Dieu nous |ti'êie aide et assisiance.
Or, avant tout, posons bien la cpiestion.
L'É},'lisr callu)li(pie ensci},'nr «pie .lésus-Cbrisl est mort pour
tous les hommes sans exception ; (piil veut h." salut de tous ; que
personne n'est prédestine par un décret abstdii et laial de Dieu
a la ré|)robation, que le salul est gratuit, «jue la foi et la grûce
sont nécessaires au salut; que les boimes u-uvres laites dans
l'étal de foi et de gràcc par le motif d(i la charité sont méritoir»s
devant DitMi.
(!«; saint eriscif^'iieiufiit repose sur la Parole de Dieu; il est
«'•cril en caracières iiiell'açables dans les saintes Kcritures et s|m'-
cialeineni dans saint l'an), ( oinnu- aussi dans toute la tradition
de l'Église catholicpie; il est exprimé doginali<pieinent dans le
décret louchant la Justiiicalion <le la sixième session du concile
général de Trente, enfin il est rendu de la manière la plus exacte
et la plus lucide «lans les pages suivantes du grand Uossuet
[Exposition dr In doctrine de ri^glise catfioliqur, para^'raplies (i
et 7] :
« Nous <rovons premièrement que non j>i( hts nous sont remis
gratuitement par la miséricorde divine d cause de Jésus-Christ
(("onc. Trid. Siss. \ I. (.. 0 . Ce sont les propres termes du con-
cile de Trente, (pii ajoute (Ibid. (',. H) (pie nmis sommes dits jus-
tifiés gratuitement, parce qu'aucune de ces choses qui précédent
la justification . soit la foi. soit 1rs a-itrrrs. ne p'tit mrrilrr rrllr
grthr.
LE SALliT (.HATI n Kl M. DE RKMtSAT. 7
• Comme l'Écrilure nous explique la rémission des pécliôs, lan-
lAl en (lisant (jue Dieu les couvre, et lanlùl en disant qu'il les
Ole, et qu'il les eilace par la grâce du Saint-Esprit, qui nous
fait de nouvelles créatures (Tit. III, 6, 6, 7); nous croyons qu'il
faut joindre ensemble ces expressions, pour former l'idée par-
faite de la justification du p(''clieur. C'est pourquoi nous croyons
qu(; nos péchés, non-seulement sont couverts, mais qu'ils sont
entièrement effacés i)ar le sang de Jésus-Chrisl, ei parla grâce
qui nous régénère; ce qui, loin d'obscurcir ou de diminuer l'idée
qu'on doit avoir du mérite de ce sang, l'augmente au contraire
et la relève.
» Ainsi la justice de Jésus-Christ est non-seulement imputée,
mais actuellement communiquée à ses fidèles par l'opération du
Saint-Esprit, ensorte que non-seulement ils sont réputés, mais
faits justes par sa grâce.
» Si la justice qui est en nous n'était justice qu'aux yeux des
hommes, ce ne serait pas l'ouvrage du Saint-Espril : elle est
donc justice même devant Dieu, puisque c'est Dieu même qui la
fait en nous, en répandant la charité dans nos cœurs.
» Sur le mérite des œuvres, rÉglisc catholique enseigne que
«la vie éternelle doit être proposée aux enfants de Dieu, et
» comme une grâce qui leur est miséricordieusement promise
» par le moyen de notre Seigneur Jésus-Christ, et comme une
» récompense qui est fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres
» et à leur mérite, en vertu de cette promesse» (Sess. VI, C. 16).
Ce sont les propres termes du concile de Trente. Mais de peur
que l'orgueil humain ne soit flatté par l'opinion d'un mérite pré-
somptueux, ce même concile enseigne que tout le prix et la va-
leur des œuvres chrétiennes provient de la grâce sanctifiante, qui
nous est donnée gratuitement au nom de Jésus-Chrisî, et que
c'est un effet de l'influence continuelle de ce divin Chef sur ses
membres.
» Véritablement les préceptes, les exhortations, les promesses,
les menaces et les reproches de l'Évangile font assez voir qu'il
faut que nous opérions noire salut par le mouvement de nos vo-
lontés avec la grâce de Dieu qui nous aide, mais c'est un premier
principe, que le libre arbitre ne peut rien faire qui conduise à
8 DKhAII I UliVIin II M. llKHKMtSAI.
I:i félicilé ét«Tnelle, <|irniitant qu'il esi uni el «>levé par le Saiol-
Ks|>rit.
• Ainsi, rÊglise sacliaiK que c'est ce divin Esprit (|ui fait en
lions, par sa s'rAce, tout ce que nous faisons de bien, elle doii
croire que les bonm^s œuvres des fidèles sont Irès-agréabN's à
Dieu, cl de {grande considéralion devant lui : et c'est jusienieni
qu'elle se sert du mot de mérite avec toute ranti<|uité cliréiiennc,
principalement pour sif^nilicr la valeur, le prix et la dignité de
ces o'iivres (pie nous faisons par la pràcc. Mais comme toute leur
sainteté >ieii( de Dieu qui les lail en nous, la même Kglise a reçu
dans le concile de Trente, comme doctrine de foi catholique,
cette parole de saint Augustin que Dieu couronne $es dons en
couronnant les mérites de ses serviteurs.
I Nous prions ceux (]ui aiment la vérité et la paix, de vouloir
l)ien lire ici un peu au long les paroles de ce concile, aGn qu'ils
se désahiisoni une fois des mauvaises impressions qu'on leur
donne de notre doctrine. • Kncore (jue nous voyons, disent les
» l'ercs de ce concile (Sess, ^ I, C. 16), que les Saintes Lettres
» estiment tant les bonnes œuvres, que Jésus-Christ nous promet
i> lui-même ipiun verre d'eau froide donné à un pauvre ne sera
■ pas privé de sa récom|)ensc; et que l'apôtre témoigne qu'un
» moment de peine légère, souffert en ce monde, produira un
» poids éternel de gloire: touiofois à Dieu ne plaise (pie le rhii'-
» lien se lie et se glorifie en lui-même et non en noire vSeigneur,
» dont la bonté est si grande envers tous les hommes, qu'il \eiit
» que les dons (pi'il leur fail soient leurs mérites. »
»(>elte doclrin(î est répandue dans loui ce concile, qui enseigne
dans une autre session (Sess. XIV, C. 8), que «nous, qui ne
» pouvons rien de nous-nn'^mes, pouvons tout avec celui (pii nous
» forlilic, en telle sorte (pie l'homme n a rien dont il se puisse
» glorifier, » ou ponivpioi il se puisse r(tnlier en lui-même; «mais
» que toute sa confiance et toute sa gloire est <n Jcsus-Christ,
» en qui nous vivons, en <pii nous méritons, en (pii nous satis-
» faisons, faisant de di};iies fruits de pénitence, (pii tirent leur
» force de lui, par lui sont olferls au Père, et en lui sont acceptés
» par le Pftre. »
■>(.('si |ioiir(pi()i iii'iis ilcmaiidons loni ii<>iis ispri iiu-» inni.
I.I-. SAM 1 (iUl I 111 ».l M. 1)1. UKMLSAl . 9
nous rendons grâces di; loin [)ar notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous confessons hautement (|uo nous ne sommes agréahles à Dieu |j
qu'en lui et |)ar lui, et nous iw. comprenons pas ({u'on puisse nous H
atlrihucr une autre pcnsc-e. Nous mettons tellement en lui seul ]
toute l'espérance de notre salut, que nous disons tous les jours a 1
Dieu ces paroles dans le sacrifice : «Daignez, ù Dieu, accorder
» à nous pécheurs, vos serviteurs, qui espérons en la multitude ,1
» de vos miséricordes, quelque part et société avec vos bienheu-
)' reux apôtres et martyrs , au nombre desquels ndus vous
» prions de vouloir nous recevoir, ne regardant pas au mérite,
» mais nous pardonnant par grâce au nom de Jésus-Christ notre
» Seigneur.»
Cette exposition du grand Bossue» est si claire et si franche
qu'elle étonne et qu'elle ravit à la fois.
L'illustre Mœhler, dans sa symbolique, n'est pas moins admi-
rable.
«L'Église enseigne dit-il, que dans l'homme déchu, il existe en-
core des facultés supérieures ; que ces facultés ne sont pas exclu-
sivement capables de pécher, maiscju'elles doivent concourir à la
régénération. Or, cet enseignement fil penser aux luthériens que,
selon nous, le bon usage de la volonté mérite la grâce sancti-
fiante. Effectivement ce serait tomber dans le pélagianisme que
de soutenir une semblable opinion, car alors ce ne serait plus
Jésus-Christ, mais l'homme qui mériterait la grâce; disons
mieux, la grâce cesserait d'être grâce. Pour éviter cette erreur
prétendue, les réformateurs dirent, que l'homme horriblement
dégradé, ne reçoit que dans la régénération la faculté de perce-
voir les choses divines.
«Mais voici le sens profond du dogme catholique. Le fini ne
peut, livré à lui-même, atteindre l'infini ; en vain la nature dé-
ploie-l-elle tous ses efforts, elle est incapable d'arriver au surna-
turel ; entre Dieu et l'homme il resterait un abîme immense, s'il
n'était comblé par la grâce. En un mot, il faut que Dieu s'abaisse
jusqu'à riiomme pour que l'homme soit élevé jusqu'à Dieu.
Aussi, dans le mystère de la réconciliation, c'est Dieu qui s'est
10 I.F. SALI 1 i.HAini I I M. ItKRKMlSAT.
\.ùi homme, mais ce n'ost point Thomme qui s'csl fuit Dieu. Or,
c'est ainsi ({ii'il i-ii .iirivo dans In régénération. Rien (|U*il pos-
sède »'noore îles luircs spiriliK'lles, riionimc loinlH- iio peut, par
leur Iton usage, vcnii- à la f^râco, mais il laiii «pic la fîràcc, loti-
jours misiTicordieusc, donne à nos fai iiltés la première consé-
cration diNinc ; il 1:1111 (prelh* nous |)ré|)aie à recevoir l'image
du Christ» (1).
El précisément sur le salui par la foi, le grand thc-ologicn alle-
mand n'est ni moins profond ni moins exact.
«La foi, dit le concile de Trente, esl le commencemenl du sa-
lut de l'homme cl la racine de la justiliralion ; sans elle il esl
impossihic de plaire a Dieu, ni d'arriver à l'association de ses
enfants. » Ce passage, toutefois, ne renferme pas une définition
proprement dite, écoulons le caléchisme romain : La foi est un
ferme assentiment par lequel l'esprit croit avec une certitude
pleine et entière à la révélation des mystères de Dieu. Ainsi la foi
est l'alliance de l'homme avec son anieiir, alliance qui s'effectue
par le moyen de l'inielligence, et «pii éveille plus ou moins les
sentiments du cœur; en un mol, c'est la lumière divine, l'illu-
minalion supérieure dans la(]uelle nous confessons les décrets
suprêmes, elle comprend les relations de Dieu à l'homme el de
l'homme à Dieu.
»(Jr, comme la justifu alion, dans le sens catholique, est la ré-
novation com|dète de riiomme, nécessairement l'Église de>ait
cnseij^ner (pie la loi seule ne rend pas juste devaul Dieu, qu'elle
est au contraire la condition première, indis|)ensahle pour le de-
venir, la racine sur laquelle est entée la justice de l'homme; le
sol où se féconde l'association d«'S enfants de Dieu. Mais lorsque
la foi passe (1(> l'intelligence dans la volonti'; lors<pje, pénétrant
el vivilianl les senliments i\u co'ur, elle enlanle Ihoinme nou-
veau créé selon Dieu; cpiaiid pour [»arler avec Séripando, la cha-
rité s'allume au foyer de la loi couime reiincille jaillit d(> la
pierre, alors, mais seulement alors, l;i jiisiilîr;iiioii est accom-
plie. (2).
[{) Symbolique. !.. 1, tli. III, J \'l.
(S) Syml)i.|i.|iic. 1. 1. <h. III, S i:>-
Il SAI.l T (iKATl 1 1 KT M. I)K KKML'SAT. 1 1
Enliij, au sujet dos bonnes (l'uvios, je cilc encore av«.'C hon-
lieur les lif^ncs suivaiUes du même docteur : .,
!>
«Par bonnes (euvres l'Eglise entend tous les actes moraux de *!
riiommc justilié en Jcsus-Christ, ou si l'on veut, les fruits de la
volonli' droite, de l'amour dirii,'<'' par la foi. Il ne s'agit donc
point de dévolions, de cérémonies, de pratiques extérieures.
Puisque l'Église ne voit plus de péché dans l'homme régénéré,
puisqu'elle enseigne que toutes ses facultés sont saintes, agréa-
bles à Dieu, il s'ensuit qu'elle doit soutenir la possibilité, l'exis-
tence et le mérite des l)onnes œuvres. On voit aussi que, par
une conséquence non moins rigoureuse, elle peut exiger l'accom-
plissement de la loi.
» Mais avant tout, nous devons bien le remarquer, l'Eglise
n'appelle bonnes que les œuvres faites en Jésus-Christ, elle ne
parle de l'accomplissement de la loi (jue dans Jésus-Christ. Voici
sur ce point l'enseignement du concile de Trente : «Puisque
Jésus-Christ, comme le chef dans ses membres, comme la vigne
dans ses pampres, répand sans cesse sa vertu dans ceux qui sont
justifiés, vertu qui précède, accompagne et suit toujours les bon-
nes œuvres, et sans laquelle elles ne pourraient en aucune ma-
nière être méritoires ni agréables à Dieu, il faut croire qu'il ne
manque plus rien à ceux qui sont justifiés, pour être estimés
avoir, par ces bonnes œuvres faites en la vertu de Dieu, pleine-
ment satisfait à la loi divine, selon l'état de la vie présente, et
avoir mérité la vie éternelle pour l'obtenir en son temps, pourvu
toutefois qu'ils meurent dans la grâce. »
» On voit également par ce passage dans quel sens les œuvres
sont appelées méritoires. Partant de ce dogme fondamental de
toute vraie religion que Dieu nous a donné l'existence, qu'il
nous réserve le ciel par un amour purement gratuit; supposant
d'ailleurs la foi dans cette vérité, nous appelons méritoires les
œuvres qui sont faites librement dans la vertu de Jésus-Christ,
et c'est pourquoi le saint concile ajoute : La honte de Dieu est
si grande qu'il regarde ses dons comme nos propres actions. Telle
est l'idée que l'Église a dans tous les siècles attachée au mot
mérite. Ainsi la proposition, le chrétien doit mériter la vie éter-
t2 l.l ?VI,IT I.KMIII Kl .M. DU «KMl SA I .
n«//«, veut dire qu'il doit en devenir di^ne par le Sauveur, i\u cu-
ire le ciel et l'homme il doii s'éiulilir une liaison intime, uu rap-
port aussi ttroit <pr<'nir(' je priiK i|»e et la conséquence, c'esl-à-
dirc entre la sanctilieation et la ^lorilication. Puisque la justice
est inhérente au fidèle, profondément enracinée en lui, il s'ensuit
que le salut de l'homme, enlé sur celle justice, se développe et
croît par les bonnes œuvres. La semonce céleste jelée dans le
juste doit porter des fruits pour le ciol » (1),
Bossuei résume la question par ces trois mots qui renferment
tout renseignement catholique. «Que les doctes de leur parti
cessent de nous objecter que nous anéantissons-I^gràce de Dieu,
en attribuant tout à nos bonnes œuvres, puisque nous leur avons
montré en termes si clairs, dans le concile de Trente, ces trois
points si d(.'cisifs en celte maticre : a Que nos péchés nous sont
» panlnnnés i>ar une pure miséricorde, à cause de Ji-sus-Chrisl;
» que nous devons à une libéralité gratuite la justice tpii est en
» nous par le Saint-Esprit; et que toutes les bonnes œuvccs que
I notis faisons sont autant de dons de la grâce.»
Ainsi le salut est gratuit de la |tarl de Jésus-Christ; dans
l'homme la foi et la grâce sont nécessaires pour le salut; le libre
arbitre subsiste; les bonnes œuvres sont méritoires en vertu des
mérites de Ji''Sus-(-hrisl, pai- la ftti et la grâce »jui les viNilient.
Avant d'exposer les systèmes piolestants sur le salui gratuit,
qu'il me soit permis de dire que la plupart des théologiens pro-
testants, et je h; dis sans entrer ici dans Texamen du plus ou du
moins de bonne foi, d'exactitude ou d'ignorance de chacun, ont
déliguré la doctrine catholique pour la combattre. Ils ont dit :
rÉglise catholique enseigne le salut non gratuit; l'Église catho-
lique ne regarde pas la foi comme nécessaire; l'Kglise catholi-
que accorde aux bonncîs «euvres sans la loi et sans la grâce une
valeur méritoire pour le salut ; l'Église catholi(|uc est pélagienne
ou seiui-p«'lagieMne.
INous (h'clarons «jue si l'Église caiholi<jue avait eu un pareil
onscignemcnl, ce serait effectivement l'erreur; non-seulemcni
1) S)nil)nlii|tic. L. 1. cil. III, S il.
II-. SAUT <iRAI.( 1 Kl M. DE RKMI SAT. 13
l'ÉfîIisc n'a jamais enseigné ces erreurs, mais elle les a toujours
combatlues. Nous disons l'Église caiholique, sans prétendre la
confondre avec les opinions individuelles d'un petit nombre de
théologiens qui sont restées sans valeur dognialifjuc en présence
des décrets des conciles généraux et particuliers, des bulles des
souverains pontiles, des ouvrages de la presque unanimité des
docteurs et des monuments de la liturgie universelle.
Quels sont donc en présence de la doctrine définie, claire,
positive de l'Eglise catholique, les systèmes protestants sur la
prédestination, la justification, le salut gratuit, l'inutilité et le
danger des bonnes œuvres?
La confusion est là comme dans toutes les autres parties des
croyances divisées et incomplètes des divers prolestantismes.
Les uns sont al.>solus et se cramponnent plus ou moins forte-
ment à l'idée de Luther et de Calvin, c'est la destruction du li-
bre arl)ilre de l'homme dans l'œuvre du salut.
D'autres plus ou moins mitigés se rapprochent de la doctrine
catholique.
Les autres se jetant dans l'extrême opposé, renouvelle le péla-
gianisme, c'est l'exagération du libre arbitre de l'homme.
Bornons-nous pour le moment au rôle d'historien.
Les luthériens s'accordent avec les catholiques en ce qu'ils
enseignent que sans justification il est impossible d'arriver au
salut, mais ils posent en principe que quoique justifié, l'homme
reste l'esclave du péché.... «L'homme reste ce qu'il est, aucun
» changement n'a eu lieu au dedans de lui;» «seulement ses pé-
» chés sont couverts par les mérites de Jésus-Christ,» et «ces
D mérites sont imputés par la foi seule. » Ainsi ni la charité, ni le
repentir, ni aucune autre vertu ne sera admise dans l'opération
de la justification. «Si dans la foi, dit Luther, un adultère pou-
» vait être commis, ce ne serait pas un péché (1). Quelque chose
» que tu fasses, dit Mélanchton, que lu manges, boives, ensei-
(i) Disp. Witt. lat. t. I, f. S23.
ik I.K SAl.l I (•RAIIIi I r M. ItJ. KKm>iT.
• gnos, J'ajoute quand tu drt^raig péchtr publiqutmcnt en le fai-
■ sant, no luis point aiicntion ù urs œuvres, suogc ù la promcssi
D (le Dieu!!!» Le sysl»'mc Intliérien admoi avec les calhuliques
la possibilité de perdre la grâce de la juslilicalion, mais scule-
incnl par « l'incrédulilé, » tandis «|uc les catlioliques croient
([u'ollc peut se perdre aussi par le pccln iiiDrlti, tandis qu(> Us
calvinistes enseignent (pirllc ne ptiii pas se perdre.
«Mais, pour coni|>léter l'exposilion de la doctrine luilir*-
riennc de la juslilicalion, il reste une (pieslion à examiner,
celle-ci : Comment lliomme parvient-il à celte foi.' D'après
la doctrine catliolicpie, la jusiilication csl le |)roduit de deux
actions, celle de Dieu et celle des hommes. Mais dans le
système lutlu'rien, l'homme n'est dans le royaume de Dieu
(prune pierre, une souche, (jui n'a d'autre force que celle de
la résistance. Il ne peut rien faire en sa faveur. Les symboles
Intht'riens enseij^nent »pie l'homme conserve une position ifuite
p:issi\e, et (pic Dieu seul fait nailrc dans rhoinine la foi néces-
saire à la justification. C'est là la doctrine de Luther, à laquelle
Melanchion arccda, dans les commenc^ments, ainsi qii'tm peut
le voir par la première édition d<î ses lAeux communs, avec une
docilité inconcevable. Mais après la mort du chçf on parut vou-
loir en revenir à des idées plus saines. Un pasteur de Leipzig;,
nomme Pfefjingcr, risqua d'ensoij;ncr que l'homme devait coopé-
rer; il s'appuyait sur Melanchion qui, dans ses éditions siibse-
(|uentes, traita la doctrine de Luther de rêverie manichéenne et
(l'énorme innisnngr. \ peine son ouvrage eut-il paru, l'an I. ').'>.'»,
qu'il fut attaque de tons les côtes. Amsdorf, principal gardien de'
l'orlhodoxie luthérienne, le iraiia d'enthousiaste, de partisan de
Thomas d'Aquin cl de Dun Scot, ci daposiat des doctrines de
Liilher, de Paul et du Christ. Pfefllnger se défendit à la vérité,
mais son ouvrage demeura sans résultai; sa doctrine de la coo-
pération de l'homme devint le but de toutes les attaques. On
l'appela du stinrrrjisme, et il partagea la deslin«''e de ions les ad-
versaires du protestantisme, c'est-à-dire qu'on lui atiribna des
idées diamétralement opposées à celles que contient son livre.
La formule «le concorde décida contre lui; ceux qui ne voulaient
LKSAMIT GRATUIT KT M. I)K HKMLSAT. 1*>
•'tilciuln' à aiicuno esprcf do roopôralion lriom|>li»"'r(!nl; la doc-
iiiiu" (le Liiilicr l'ut ciaMit; syinl»orK|ii(Miient (l).»
Il y cul m<'ine du vivant de Lulhcr uno grande querelle sur la
nécessité des bonnes (L'uvres, entre Georges Major et Amsdorf.
a Luther vivait encore quand Georges Major lut nommé pro-
fesseur à l'université de Witlemberg. Celui-ci avait joué un rôle
assez considérable dans les affaires religieuses du temps, il ne
manquait pas d'érudition, et il se distinguait parmi les autres
chefs de l'Église de Wittembcrg par la pureté de ses mœurs.
IMus tard, en l'an lor)2, il fut fait surintendant au pays de Man^-
feld. Ce fut cet homme dont la Providence se servit pour mettre
le monde en étal déjuger laquelle des deux doctrines contradic-
toires était celle des luthériens. Georges Major avait vu avec
douleur la corruption des mœurs, la perte de tout sentiment
d'honneur et de subordination parmi ses coreligionnaires. Il ne
tarda pas à reconnaître que la doctrine luthérienne de la justifi-
cation était l'origine de cette aflligeante position. Il jugea néces-
saire, d'après cela, de mettre plus en évidence le côté moral du
christianisme et d'insister sur l'exercice des bonnes œuvres. Il
n'était certes pas papiste, car il se montrait sans cesse prêt à dre
tout le mal possible du pape, que, comme les autres, il traitait
d'Anlechrist. Mais cela ne lui servit de rien. A peine eut-on ap-
pris qu'il insistait sur les bonnes œuvres, que l'on vit s'élever
contre lui tous les hommes regardés généralement comme les
colonnes de l'orthodoxie luthérienne, savoir : Amsdorf, Illyricus,
Gall Wigand, Merlin, Senepp. Major, si cruellement attaqué, fit
alors la déclaration suivante : < J'avoue que j'ai enseigné, que
j'enseigne encore et enseignerai toute ma vie, que les bonnes
œuvres sont nécessaires au salut et que personne ne peut jamais
se sauver sans bonnes œuvres. Quiconque enseigne autre chose,
fut-ce un ange descendu du ciel, qu'il soit anathème!» Major
n'avait nulle intention d'introduire du levain papiste dans son
Église, qui comptait à peine trente années d'existence; il pro-
(1) Symbol, popul., p. 319.
IR I.KSAI.» I t.UAMll t.l M. l)K Ul Ml >AT.
testa solonnellcnienl contre t«»utc insinuation de co j^onir, ii ile-
clara hautement qu'il ue prétendait enseigner d'autres doctrines
que celles que feu Luther avait Iui-m<'^iue enseignées. Les éclair-
cissenienls «ju'il donne sont tels en elVct, qu'il est impossible do
le rej,'arder comme un partisan de l'Antéchrist romain. Il refusa
tout mérite auv bonnes œuvres, et ne se rapprocha par consé-
quent pas autan! du papisme que r.\|M»logie, dans le passage où
elle dit (pie ces œuvres sont méritoires. Mais il suÛisail qu'il se
fût déclaré en faveur des bonnes œuvres en général et qu'il \e%
reconnût nécessaires, pour (pi'on le stigmatisât comme un apostat
du luthéranisme. Les gardiens de Torihodoxie regardèrent la
doctrine de Major comme si dangereuse, qu'ils le condamnèrent
comme le pape Tauiait pu faire, &\\ èiaii venu à Witlemberg
présider le collège des cardinaux. La polemi(iue devint très-vive;
les luthériens furent exhortés, conjurés de conserver la purglé
de la doctrine luthérienne, dans laquelle ils avaient persévéré
jusqu'alors, et de ne pas se laisser corrompre par le levain de la
charité et des bonnes auvres. » Un misérable qui aurait mis le feu
à quelques douzaines de villages et causé la mort de quelques
centaines de personnes n'aurait pu être traité avec plus de mé-
pris (pie ne le fut Georges Major. On le railla m(*me sur son nom.
«Major, disait-on, qui prétend annoncei- la parole, devrait bien
prendre garde de devenir un )ninor ou même un minimus, puis-
que le Seigneur a dit que celui qui se relâche sur le moiudre
commandement sera aussi le plus petit dans le royaum<î du fiel.»
Il faut convenir qu'il est assez dillicile de comprendre comment
on pouvait appliquer ce passage à Georges Major, qui combattait
précisément en faveur des commandements. «Major, disait-on
encore, a trois liancées qui sont toutes trois lilles de I Anlechrisi
et qui se donnent la main : ce sont les trois propositions : 1° Les
bonnes œuvres sont nécessaires au salut; 2*^ il est impossible
d'être juslitié et sauvé sans bonnes œuvres : 3" personne n'a ja-
mais été sauvé sans bonnes œuvres. » Amsdorf pronon(,a la sen-
tence suivante contie Major : «Quiconque enseigne cl prêche
» que les bonnes (ru\res sont nécessaires au salut est un péla-
» nien. V un apostat (pii renie Jésus-Christ et est ins|»ire du m<'ni«
rr: SAi.t T ORATi II r,r m. df, rf.misat. 17
os|)iit (iiii aiiiiiiait Mansing el Wioelius |1) lorsqu'ils sciiliront la
nécessité des bonnes œuvres contre le fcn docteur Martin, d'heu-
reuse niônioire. C'est |)oiir(|uoi mon compère, le docteur Geor-
ges Wajor a un esprit, un cœur el un sentiment papistes, et
([uand même il se retourne et s'explique, il ne fait en cela que
des tours de gobelet. Car ces mots : Les bonnes œuvres sont né-
cessaires au salut, sont impies, dangereux et suspects. En con-
séquence Georges Major persistant à soutenir que les bonnes
œuvres sont nécessaires au salut, il a déjà abandonné la pure
doctrine et renié Jésus-Christ.
Tel fut le sort de Georges Major. Mais on ne se borna pas en-
vers lui à des injures. Ne voulant pas renoncer à ses doctrines,
il fut, pour mieux manifester le trionjphe de la liberté de cons-
cience, arrêté et condamné à l'exil, trop heureux encore de pou-
voir conserver sa tête. La réponse à la question de la véritable
doctrine luthérienne est maintenant toute faite. Si elle avait été
conforme au premier système exposé, on aurait laissé Major en
paix (2).»
Les calvinistes ont été encore plus loin que les luthériens.
Voici les cinq articles du synode de Dordrecht (1619) qui sont
la quintescence de l'idée de Calvin formulé par ses disciples
eux-mêmes.
«Art. 1". De la prédestination divine. — Dieu , par un dé-
cret absolu, a élu pour le salut éternel un très-petit nombre
d'hommes, sans aucun égard à leur foi ou à leur obéissance. Il
a exclu, par le même décret, de la grâce qui sauve, toutlereste
des hommes, et les a destinés à la damnation éternelle sans au-
cun égard à leur infidélité ou à leur impénilence.
Art. 2. Du mérite et des effets de la mort du Christ. --Jésus-
Christ n'a souffert la mort pour personne autre que pour les
(i) Ces deux noms répondent, pour les luthériens, à l'idée que le reste
des chrétiens attache à ceux d'IIérode et de Pilate. Ils ont surtout en horreur
Wiclius, qui renonça au luthéranisme pour rentrer dans le sein de l'Église
catholique.
(2) Symb. pop. p. ô7-2.
2
18 i>: SAi.i'1 i.K '. I II I I I M. m. Kl >i( SA I .
élus sruls; il na poinl ( ii I iiiliiniuii liii-iintui-, cl il n'a |hiiiiI
reçu le comniaiidoincni de son IN rc, tic f;nre salisradion pour
h's pcrlics tif toul II' inonde.
An. .3. De la volonté de Vhommc dans l ilat nalunl. — Par
la cluile d'Adam, ses descendaïus tmi perdu leur libre aihilrc.
Ils sonl poussés, par une iiiéviuihle nécessilé, à faire ou à ne pas
faire loui ce qu'ils fonl ou ne fonl pas, soil bien soil mal ; «'lanl
pretlesliiu's à cela par un seciel dessein élcrnci el ellicace de
Dieu.
Art. 4. De la convers'ion. — Dieu pour sauver ses élus de la
masse coriom|>U(', cnj^'cndrc en eux la loi par un pouvoir égal
à celui par Iccpnl il ( km !•• monde cl ressuscite les morts; de
telle sorte que ceux auxquels il donne cette grâce ne peuvent la
repousser, el <pie les autres, étant n-prouvé's, ne peuvent la re-
cevoir.
Art. o. /)r la certitude de la persévérance. — Ceux (pii ont
uni; l'ois reçu par la foi celle j^râce ne p(Mivent en declmir, ni li-
nalcmeiil ni c(in)pleteiiienl, (pielle tpie soil l'enorinité des péchés
qu'ils Nieniieiit à commettre.»
Les lignes suivantes sont de Calvin lui-même, elles dépassent
toute idée.
! ! ! !
".le n'ignore pas que (piel(pies-uns trouvent rude et ne peuvent
» soulfrir qu'on attribue la foi aux réprouvés, pane que suint
» Paul dé'clare tpie c'est un fruit de notre élection. Mais celle
n ililliculié n'est pas mal aisée à résoudre. Car, (pioiqu'il n'y ait
» (|ue les prédestinas au s:iliii ipie Dieu éclaire de la lumière île
» la foi, el à (]ui il lasse vraiiiuiil Miiiir l'idlicaïc de l'hyaiigile,
■ rex|)erience pourlanl nous monire (]ue les réprouvés sont quel-
» quefois touchés d'un sentiment presque égal à celui des élus; en
» sorte que, selon leur opinitm même, ils doivent être mis au
» nombre des vrais (idcles.... Ce n'est pas (pi'ils comprennciii
■ quelle est la vertu du Sainl-Ksprit, ou (|uils la reçoivent d'une
» manière vive el solide, ou qu'ils soient é-clairés de la vraie lu-
a mière de la foi; mais Di(*u, pour les convaincre dans le fond de
» leur conscience el les rendre eniieremenl inexcusables, s'insi-
n )iur ilans leurs esprits et hur [dit smlir 1rs effets de son amour.
r.r sai.it «inATirr r.r m. nr. RKMiSAr. 10
» aiit;mi (jik^ sa honte- poiil être goùléc sans la vcriii de son Kspi il
» d'adoplion. »! ! !
Celle doctrine fail frémir et il esl facile de voir que par vole
de cons(''(jncnce elle renferme le salnl {^ratiiil en le délif,airant;
elle exi|Jo la foi en lui prètani une nature aulr(î que la véiilable;
elle exagère la grâce el elle anéantit avec le liljre arbitre les
bonnes œuvres de l'honinK;; elle doit même les faire et elle les
fail effectivement «mauvaises et détestables »
Les Mennomtes sont pres(|uo entièrement d'accord avec l'É-
glise catholi({ue sur la justification, la foi, el la foi rendue active
par la charité. Ils se rapprochent des luthériens en n'admettant
aucune coopt-ration de l'homme dans les forces qui amènent la
régénération.
Les Arminiens sont divisés : ils ont des textes dans leur pro-
fession de foi qui sont catholiques, d'autres qui sont lutliériens
ou calvinistes. Leurs plus grands théologiens Curullanus et Lim-
borch s'expriment comme des théologiens catholiques.
Les Quakers s'accordent aussi sur ce point avec l'Église ca-
tholique. Ils avaient la bonhomie de croire que la doctrine ca-
tholique faisait l'homme juste devant Dieu uniquement par des
œuvres extérieurs, telles que les jeûnes , pèlerinages et répéti-
tions irréfléchies de formules de prières.
Les SociNiEXs ne sont ni tout à fait luthériens ni tout à fait ca-
tholiques. «Ils diffèrent des luthériens en ce qu'ils n'admettent point
refficacilé du mérite de Jésus-Christ, elqu'ilsexigent, avec la foi,
l'obéissance aux commandements de Jésus-Christ. Celle obéis-
sance consiste à déposer le vieil homme, à s'abstenir de péchés
et à s'efforcer d'accomplir la volonté de Dieu. C'est en cela que
les sociniens s'accordent avec l'Église catholique. Quant aux
forces qui agissent dans la justification, le protestantisme des so-
ciniens est diamétralement opposé à celui des luthériens et des
réformés. Ces derniers soutiennent que Dieu seul fait tout et
l'homme rien; les sociniens disent que l'homme n'a nul besoin
du secours de Dieu, et qu'il ne lui est pas non plus départi. Ils
parlent à la vérité de certain aide que les hommes reçoivent de
Dieu; mais ils n'entendent par là que la force excitante qui se
*I0 I.K SAI.I I '.K\H II II >l. m KKMISAT.
(l'ouvc (Iniis les ciisei^'iieiiK'iiis cl les promesses de Jésus-Christ.
Kllc est iiccordée ù ceux qui croient à l'Évangile; mais les soci-
nieiis «'nsei^iiciU |>osiliv(Mnoiil ((!:il. Rac. 9, .370) «jiie, pour
croire à rilvaiigilc, on n'a pas Uesujn du secours de Dieu (T.»
Les SwEDEMBORGiEMs onl voiilu reuverscr la doctrine de Luther
qu'ils croyaient très-pernicieuse.
«Swedenborg imagina une nouvelle théorie pour la justifica-
tion. Seldu lui, il no saurait y en avoir sans régi'-nération et sans
sancliliralion intérieures. Il enseigne la remission des péchés,
mais il ne la l'ait pas remonter aux mérites de Jésus-Christ. Il
ne le pouvait pas, puis(|u'il avait combattu la justification. D'a-
près Swedenborg, une loi morte ne justifie point; pour pouvoir
justifier, il faut que la foi soit active par la «liarilé. Aliii de la
produire, il faut que les forces humaines s'unissent à rinlluence
(le Dieu sur les hommes (1). »
Les MÉTHODISTES n'ont pu éviter entre eux les plus graves dis-
sensions sur le sujet «pii nous occupe. La guerre se déclare en
1741 entre les deux chefs du méthodisme anglais Wesley et
Whitelield.
< Wesley, ilans ses sermons, avait laissé tomber quelques pa-
roles eu faveur de la grâce universelle. Lors(iuc dans un sermon
imprimé, il eut développé l'ensemble de son système mal com-
pris encore sur ce (ju'il nommait la grâce libre, Whitefield pu-
blia aussil(^t une réfutation chaleureuse de cet écrit théologicjue.
Depuis (c moment {\7 i\ , deux partis se formèrent, iloni l'un
avait son siège principal à Londres et rantre à Bristol. Les par-
tisans de WCsIcv étaient plus nombreux ; on en coinpi:iil 12,000
eu 1747. Wesley s'exprima en termes énergitpies contre la doc-
trine de Calvin. Si d'ailleurs il se prononça en faveur de la grâce
universelle, contre le particularisme calviniste, c'était moins
parce cpi'il adoptait le système de l'Église cvangélique luthé-
rienne) ipie par une tendance secrète vers l'arianisme, qui de-
(I) Synib. |>t>|). |). ô-ïti.
(3) Symb. pop. p. 32G.
LK SALI T (iRATlIT I T M. DE «KMISAT. 21
puis loMf^'lomps était n'pandu dans l'Église ûpiscopale. VVIiile-
fieUl luouriil ou 1770, en Ani( riqiie. Su mort ne fil point cesser
la discorde qui n'-gnail parmi les mélliodisles (1). »
En Suisse et même à Genève, écrivait Schrockh, où Calvin
avait établi son prcdoslinatismc, lo dogme rencontra au dix-sep-
lièmo siècle l'opposition la plus ('ncrgique (1).
«La quorclle sur la grâce, dit IJayle, partie de la tribune des
professeurs de Genève, se communiqua à la cbaire des prédica-
teurs, et s'étendit cnsuiie dans le soin des familles, où cliacun
adoptait les opinions du prédicateur avec lequel il était en rap-
port d'amitié ou de parenté. Les ouvriers s'abordait dans les
rues en se demandant les uns aux autres s'ils étaient pour la
grâce universelle ou pour la giâce particulière ; il en résulta
des désordres de toute nature. 11 y eut même un instant où l'on
crut au danger imminent d'une révolte qui aurait sans doute
entraîné la ruine de la république. Le conseil des Deux cents
s'en émut, et dans son assemblée il interdit sévèrement à cha-
cun de parler de la grâce. Alors tout rendra dans le calme. On
imposait silence aux défenseurs de la grâce universelle, parce
qu'on les regardait comme des novateurs. Les professeurs
qui avaient embrassé cette doctrine n'osèrent plus désormais eu
parler ni dans leurs sermons, ni dans leurs cours publics; ils
durent même signer un formulaire rédigé par le parti adverse.
Si depuis cette transaction on sembla s'être réconcilié, il n'en
est pas moins vrai que les Universalistes et les Particularistes
subsistèrent longtemps encore, de sorte que les esprits étaient
loin d'être calmés, et qu'ils nourrissaient les uns contre les autres
le même sentiment de répulsion. Les Particularistes cherchaient
surtout à empêcher les Universalistes de faire des prosélytes (1).»
En 1844 la guerre fut très-vive à Genève entre les métho-
distes et l'Église nationale. C'est à cette époque que M. Chene-
vière, pasteur et professeur de cette Église, publia son sixième
(1) Hœninghaus, T. H, p. 147.
(2) Schrœck, L. c. vol. VIII, p. 661.
(3) Haeninghaus. T. II, p. 109.
■22 l.t b.Vl.l J (.KAIlir il M. l»l. IIKMINVT.
essai iiuiluh- : a De la Prédestination et de (juelques dogmes cal-
vinistes combattus par la raison, le sentiment et i Ecriture. Le
hyslùrae de Calvin, formulé aujouKrimi |t;ii /.r salut tjratuit par
ta foi seule, y csl (It'-iiinli |)i('cc |»;ir pièrc. Je u ai pas à disriiler
it'i les <>|»iiiions peisuniiclles d».' M, (llienevière; je donne siude-
iihiil son ju^'enienl sur le calvinisme.
t Le calvinisme esl en opposition avec l'Evangile. \ oici le
resum<'' du Calvinisme, sans ndoucissemcul, sans périphrases,
mais sans exagération. « L'homme naît corrompu et condamne,
toutes ses actions sont odieuses à l'I^tre suprême. La loi el la
conversion de lliommc sont indt'pendantcs de lui ci de ses ef-
lurts, la foi lui esl donm-e gratuiiemonl, sa conversion est surna-
turelle, c'est un miracle aussi bien que la résurrection d'un
mon. Quand il csl une fois converli, les actions les plus crimi-
nelles ne penvcnl le faire déchoir de la grâce. La rédemption de
Jésus-Christ n'est |)as applicable à tous les hommes, son ellicace
<'st icslreinle aux prédestines et aux élus, car il y a prédestina-
tion à vie el à mort, à salut et à condamnation; a\ant que de
n;iilro, b; sort île cliarun est invariablement arrête ; entre les
liomnu\s, les uns sont destinés au bonheur sans les «einres et
maigre les «ruvres ; la foi seule justilie : les autres sont condam-
nés, cpielle (|ue soit leur conduite, et les peines «pfils auront à
subir sont éternelles. Totit se fait pour la gloire dcï Dieu, el celle
gloire n'éclate pas plus dans les hymnes des saints qu«; dans les
t ris de désespoir des damnés. »
»» Mêliez, continue M. Chencviere, nielle/. rKv;m,i;ile eriire les
mains de personnes impartiales et sensées, je garantis (pi'il n'y
en aura pas uni.' seule cpii puisse y trouver le calvinisme; il faut
pour cela, de toute nécessite', lautcuile absolu»; de personnes
en (jui l'on ail conliance , il faut des commentateurs caressants,
qui , aidés de leiq-s petits Irailés, de leurs mauvaises versions,
de leurs gloses, lient de force des passages détachés, et qui pro-
noncent avec douceur, mes frères, ma chère sœnr, vous êtes élus,
la gràc(' vous a enlacés, vous ave/, foi a noli-e système, nous irons
tous à la vie <ieriielle. Mais tous les autres, les membres de l'E-
glise jiiilionale, el. ;i leur lêK", ses pasteurs. <|iii oui ele nos ( liefs
ri: SAr.i T (iUAiLir r.r m. m. ri;mi svr. 23
spirituels ot nos professeurs, sonl des aveugles qui ne sont pas
chrétiens, ils seront tous d:imn<''s!
» Oui, voilà le calvinisuio. Quand Tl-ivangile dit : Vtillez, tra-
vaillez à votre salut avec crainte : il dit, ne craignez point, vous
êtes élus. Quand l'Evangile dit : Repentez-vous, faites de bon-
nes œuvres : il dit, Le repentir et les œuvres sont un piège.
Quand l'I-^vangile appelle, à son de trompe, au salut tous les en-
fants des liouiincs, il le fait à loreille de quelfjucs privilégiés.
Quand l'Évangile bénit, il dit anaihème. Quand l'Évangile dit
ciel, il dit enfei"! Le calvinisme est tiré à grand effort de paroles
isolées de saint Paul, qu(î l'on torture, que l'ensemble de ses le-
çons repousse, et que l'on a la prétention et l'espoir de natura-
liser de nouveau dans notre pairie. A quoi point ne faut-il pas
(pie les chefs de Tabazan adoucissent et assouplissent cette doc-
trine pour la faire goùtor à des femmes douces, pieuses, et dont
plusieurs seraient des modèles, si la préoccupation d'esprit,
l'exagération et le fanatisme ne gâtaient tout ce qu'ils touchent.
» Et sous les formes sévères que lui prête Calvin, l'Évangile a
un bras de fer; la fatalité dispose du sort des humains, et le
christianisme, si beau dans la bouche de son chef, devient une
loi cruelle. Oui, le calvinisme et son frère le méthodisme, sont,
de toutes les formes qu'a prises la religion dans un cerveau
d'homme, les plus rebutantes, et, dans les temps modernes, les
seules haïssables. »
La question du salut gratuit par la foi seule reçoit encore
chaque jour de rudes coups, malgré les efforts de l'école métho-
diste et l'appui que lui a prêté M. le comte Agénor de Gasparin
dans son livre Des, écoles du doute et de l'école de foi. L'année der-
nière Une requête respectueuse fut adressée au Consistoire de l'É-
glise nationale de Genève par deux pères de famille. C'était une
réaction calviniste ou méthodiste contre le socinianisme de l'É-
glise ofïjcielle. Elle attaquait solennellement le Catéchisme que
le Consistoire fait étudier dans les collèges, écoles et services
publics protestants, et le Premier catéchisme en neuf leçons d'his-
toire sacrée à l'usage des enfants, nouvelle édition adoptée par la
Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève. Ces deux caté-
ik 1.1. >AI.L i l.U.VILll 11 .M. Ut. Kl MISAT.
chismc sont accusé d'ariaiiismc, et spécialement sur la (|U(>sliuii
(|iii nous occupe. Voici conimenl la Requête prouve «pi^ils rcn-
fiTUicnl une aliération ou né^'alion de la doctrine du salut.
Le catéchisme. «.Icsus nous a sauvés 1", <n nous annonrani et
en nous conlirinanl par sa mort, le pardon de nos péclics sous
la condition de la ro|)eulance : 2° en nous offrant dans sa doc-
trine, dans son exemple et dans les secours du Saiiit-Ksprit, les
movrns de nous sanclilier et de nK'riler le saliK.
La Reqi'ète. «Pas un mot de la foi!.... Ce n'est donc pas la
mort de Jésus qui nous mérite le salut (aussi la foi n'est-elle
pas mentionnée); mais c'est notre propre travail de sancliiica-
tion.- u La pratique des bonnes œuvres nous assure le bonheur
éternel! Un Ce que le Fils de Dieu a fait se réduit par conséquent
à ceci. — «< Il nous a annoncé le pardon de nos péchés; mais il ne
Ta pas accompli «c» portant lui-mime nos péchés en son corps
sur le bois, et en devenant péché et malédiction à notre place. »
— Sa mort, qui est a un généreux sacrifice, » n'a d'autre but que
de confirmer V annonce du pardon de nos pèches; ce n'est pas le
sang de Jésus-Christ qui nous purifie de tout péché, c'est nous-
mêmes (pii nous en purifions au moyen de la doctrine et de Vexem-
ple de Jésus !!
Le Catéchisme «Est-il bien intéressant (! !) de nous rappeler
la mort de Jésus-Christ?
n R. Oui, car ( elle mort est le ^a|;e di* nuire récoiicilialitm;
cl ce souvenir nous porto à remplir av(M' soin les romliiidus né-
cessaires pour obtenir le salut éternel.
La REyi'ÊTE. «Encore une fois, ce n'est pas la mon de Jé-
sus-Christ qui nous obtient le salut; le catéchisme la réduit à
l'élal de simple souvenir, et ce souvenir doit nous porter ù rem-
plir nous-mêmes les conditions nécessaires pour mériter le salut.
— Voilà poiinpioi colle mort est pour nous simplement quehpie
chose d'intéressant. {!!•')
» Vous souffrez avec nous, Messieurs, conlinue la Requête, et
vous rougisse/ pour Genève en lisant de telles p.iroles; mais re-
connaissez aussi ave<- nous, <prelles sont la consetpience néces-
saire de l'arianisme. — Comment outrager la personne de notre
adorable Sauveur sans anéaiilir son «eiivr»'? — Au reste, si lu
I.K SAM T (iRATI ir Kl M. Di: «ÉMISAI. 25
praii(iiic (les bonnes œuvres est la source, la cause et le moyen
(lu saint, il faut nécessaiiemenl, pour maintenir une semblable
docirine, porler atteinte aux perfections de Dieu et obscurcir,
ou mieux, nier sa sainteté et sa justice. — Les deux catécliismes
vont jus(|ue là. Ils reconnaissent que nos œuvres sont îmjoor/ai-
tcs, et ils enseignent cependant qu'elles méritent le salut I !
Le Catéchisme. «Pourquoi l'Evangile promet-il le salut à
ceux qui pratiquent les bonnes œuvres?
K. Parce que Dieu, dans sa miséricorde, veut bien se conten-
ter de nos intentions et de nos efforts et les récompenser par la
vi(î éternelle. Il voudra bien couvrir de son support nos fautes et
nos faiblesses et nous accorder le bonbeur éternel.
La Requête. «Enormité qui renverse l'Evangile, qui compro-
met la sainteté de Dieu et qui anéantit par cela même la morale
cbrélienne!
» Le déisme le plus avoué n'a jamais rien enseigné de plus con-
traire à la Parole de Dieu! C'est de là, sans doute, que notre
peuple a tiré cette coupable formule d'incrédulité: «Dieu est
Irop bon pour nous punir. »
» Un pareil enseignement fait descendre ces catéchismes au-
dessous même du catholicisme romain; car en inventant le pur-
gatoire il a (lu moins rendu hommage à la sainteté de Dieu, dont
les yeux sont trop purs pour voir le mal, tout en ruinant, il est
vrai, parce purgatoire l'œuvre de Jésus-Christ, qui sauve entiè-
rement ceux qui s'approchent de Dieu par lui. (?)
«Dans un système religieux qui promet le salut aux bonnes
œuvres, la foi doit tenir bien peu de place et une place bien in-
férieure. En effet :
Le Catéchisme. «La foi est-elle nécessaire?
» R. Oui, puisque Dieu nous a parlé, ce serait être coupable
envers lui, et rejeter un puissant moyen de salut que de ne pas
croire à ses instructions.
La Requête. «La foi n'est donc qu'^n moyen de saint.... Du
reste, s'il est parlé de la foi dans le catéchisme, c'est une foi dont
l'objet n'est pas la personne et l'œuvre de Jésus-Christ, c'esl-à-
'JO LK SALtT tiRATl IT KT M. DE BKMlSAT.
dire, le {,'rnnd mystère de piété, mais simplcmonl les instructions
de l)i(Mi, ou en d'autres termes, ses priceplrs. »
CetlL' levée de boucliers des défenseurs du salut gratuit par la
foi seule sans les œuvres a amené sur le terrain M. André Arclii-
iiard, Tundes pasteurs do l'église nationale, <piia pnhlié une liro-
eliure intitulée : Le catéchisme de l'église de Genève défendu con-
tre la requtHe de dcuj: pères de famille, et sur la «piestion qui
nous occupe il porte un nouveau < onp de liaclie au système cal-
viniste. «Le système de la justification par la foi, dil-il, prêché
» indépendamment des œuvres, ou pn-conise aux dépens des œu-
> vres, a trouve dans Calvin son ûrj^ane \v, plus accompli, le plus
» rigoureux, le plus logique; et l'œuvre de Calvin, toute consé-
> quente qu'elle est, foirmille d'inconséquences, d'erbeirs de
Lor.iouE ET d'imperfections. » Kt pour qu'on ne puisse pas de-
( ouq)oser ou decoloier le système cahiniste, M. Arcliinard
ajoute, dans la note LL, les lignes suivantes :
u Un bon nominc de personnes croient pouvoir admettre
ceilains points de la doctrine dite orlliodoxe, el y atlaclienl une
grande importance (|ui , d'ailleurs, ne voudraient point enten-
dre parler de la prédestination. Mais il faut pourtant avoir un
système de croyances (|ui présente un ensend>le (pjel(|ue peu lié.
Or, dès qu'on en \ient à nier (]ue l'homme soit juge d'après ses
œuvres, et «pie ses ouvres aient aux yeux de Dieu au< un prix,
dès qu'on proclame la doctrine du |>e( lie originel , celle de la
jusiilicaiion par la foi el d'un salui, non-seulement oiïert, mais
encore donne gralnilemenl , il faut, si l'on n<' se paie pas de
mots, si l'on lient à avoir un système iliéologi(]UC tant soil peu
coordonné, il faut nécessairement arriver jusqu'à la prédestina-
lion. Il n'y a pas là de milieu ni de ménagements possibles. »
On le voit, nous sommes loin de l'ailîrmaiiou de M. Charles de
Hémusat : «Le salut gratuit des protestants ne me semble pas
» absolument contraire à l'esi^ril du christianisme ; il semble res-
» sortir des termes des épîtres de saint Vaul , et sans certains
• versets de saint Jaccjues , j'oserais ajouter (]u'aueun texlc de
■ rE( liinre ne le contn'dii formellement. »
M. SALIT (IRATI IT KT M. I)K RKMl SAT. 27
J'ose délier M. Charles de Rénuisat de sortir de ce labyiiullie
cl de me dire quel est le irai système protestant sur le salut
gratuit.
Mais (]uo |)onsoi-a le noble écrivain, quand nous aurons eu l'iion-
ncur lie lui iaiie faire connaissance avec riiouiuic le plus consi-
dérable, sans coniredit, de l'église nationale de Genève, M. le
pasteur Martin. Ce n'est pas un arion prononcé comme M. Che-
novièrc ; ce n'est pas M. Arcliinard produisant une brochure so-
ciniennc jetée à la volée. M. Martin est un théologien sérieux,
(pii croit à la divinité et au sacrifice de N. S. Jésus-Christ, qui
croit au libre arbitre de l'homme et à la grâce du Saint-Esprit.
M. Martin n'est ni do l'école méthodiste patronée par M. le comte
Agénor de Gasparin , ni de l'école rationaliste qui domine dans
l'église nationale genevoise. Ce n'est ni un batailleur de bas étage,
ni un piètre conférencier, c'est un protestant avec lequel on peut
discuter. Je ne dis pas cela pour le compromettre vis-à-vis des
siens, je le dis naïvement, sous l'impression de la lecture de son
livre.
C'est en 1846 et en 1847 qu'il a prêché ses conférences sur la
rédemption ; elles sont imprimées; je les ai non-seulement lues,
mais étudiées avec la plus grande attention. La question de la
prédestination, du salut gratuit, de la foi et des œuvres, y est
traitée ex professo.
Or M. Martin appelle le système de Calvin un système
« ÉPOUVANTABLE. »
Avec quel charme je retrouvais dans un excellent style, mal-
gré des erreurs et des imperfections d'expression résultant
de la forme prolestante à laquelle un catholique se fait dif-
ficilement, avec quel charme je retrouvais la plupart des doc-
trines catholiques sur le sujet qui m'occupe. Je n'ai donc pas
eu tort de dire en commençant cet article : n'y a-t-il pas quel-
ques lueurs d'espérance d'un rapprochement, si déjà on peut
s'expliquer et peut-être s'entendre sur la thèse la plus délicate,
la plus difficile et la plus importante qu'ait soulevée la réforme...
Que M. Charles de Rémusat et les bienveillants lecteurs des
Annales me permettent de leur faire connaître prochainement le
système de M. Martin.
A.
NOTICK BIOGRAPHIQUK
SDR
SÉBASTIi:.\ WERUO,
CIKF DE PRIUOIRO KT PKKVOT DU CHAPITRE DE SAINT TTICOLAS,
PAU M. PIERRE ESSEIVA.
M. Pierre Essciva, de Fribourg, vient de traduire le journal d'un priMrc
fribourgeois de In famille Werro, qui acroniplit le pèlerinage de la Terre-
Sainte vers la fin du seizième siècle (IfWO). ^ous sommes heureux de repro-
duire ici la notice destinée à faire connuilre la vie d'un prêtre savant et pieux
qui, dans les circonstances dilliciles où lèlalilissemenl de la reforme avait
placé le ralliolicisme en Suisse, sut conrilicr dans un beau caraclèrc les ver-
tus du citoyen et celles de disciple lidèle à IK^Iise. Parmi les fragments du
livre (|ui sollicitaient l'attention, il en est un qui nous a paru plus digne d'in-
térêt que les autres; c'est le chapitre où le voyageur raconte l'audience qui
lui fut accordée par le Pape Grégoire \lll pendant le séjour qu'il fit à Home.
Nous le plaçons ici. Au moment où notre vénérable évé(jue, Mgr Marilley,
prend place dans cet illustre sénat de jionlifes appelés par le successeur de
(Irégtiire \lll pour appuyer de leur autorité la délinilion d'un dogme cher à
Ions les catlioli(|ui's, on lira n>ec curiosité le récit de l'audience pontificale
d'un autre |)rélre fribouijîcois qui visita la Nilie sainte il y a trois cents ans,
le diocèse de Lausanne se ^^tlu^ant dans des circonstances singtilièrement
analogues à celles qui nous niïligenl aujourd'hui. Alors comme aujourd'hui
l'Kglise de I^usannc était veuve de son ]iremier pasteur. Il y avait 48 an-
nées que l'évèquc n'avait pas résidé sur les terres couliécs à sa garde. Alors
comme aujourd'hui un clergé fidèle veillait sur le troupeau, et à travers une
époque |ilciiic de périls pour la foi et pour les niu-urs , il parvint à sauver le
NOTU.K m«><;RAI'fllQ(,li SUR SKBASTIFN WKHRO. 29
(lt|)(M sacii- «li-s vi'-rilt-s c;illiiili(nii's. lui lilSI, les sollicitaliniis du |iri!vùl
Wcrro contriliiièrciil ptivir Ucancttiip à |iri-|):\rer le rclour du poiilifo absent,
il en sera de iiu^mc iioiir notre sièele, el nn Umv^ Icnips ne s"ccouicra pas
avant que les tristesses de l'exil ne soient finies jiour M^r Marilley. Les heu-
reux cvénenienls t|ui viennent de se passer autorisent tout espoir. Le peu-
ple fribourgeois n'est pas de ces peuples qui périssent, car il sait demeurer
fidèle aux vérités les seules capables d'instituer les nations sur des fonde-
ments solides.
L'illusire conciloyeii auquel nous thîvons cet Ilinéraire na(|uit
en lôôô, de François Werro , membre du Conseil journalier de
la ro|)ul)li(|ue, et de Marie AViclil, de Fribonri,'. Il eut un frère,
nommé François, qui dans la suite lui bailli de Chàtel-Saint-
Denis (1), el une sœur, Catherine, dont nous ignorons le sort.
Sans être dans roi)ulence , les époux Werro jouissaient d'une
honnête fortune, qui leur permit de cultiver les heureuses dis-
positions du jeune Sébastien et de former son esprit à la science
en même temps que son cœur à la piété.
Après avoir terminé ses premières études à Fribourg, sa ville
natale, Sebastien, âgé pour lors de 17 ans, se rendit à l'univer-
silé de Fribourg en Brisgau, où, au l)oul de deux ans d'études,
il obtint le diplôme de maître ès-ar(s. Ayant ensuite fréquenté
avec distinction les cours de théologie, il passa à Besançon, où
il reçut les ordres sacrés dans le courant de 1677, à l'âge de 22
ans. Aussi , lorsqu'il fut de retour dans sa patrie , le prévôt
Schneuwlin, vicaire général du diocèse el rigide observateur de la
discipline ecclésiastique , ne voulut-il point l'admettre à l'exer-
cice du saint ministère , avant qu'il se fut mis en règle pour son
défaut d'âge avec la grande pénitencerie de Rome. Sébastien
n'eut point de peine à se faire absoudre de son irrégularité, sous
la condition toutefois qu'il n'exercerait point les fonctions sacer-
dotales avant sa vingt-quatrième année. Enfin, le 9 février 1.578,
le fervent lévite eut le bonheur de célébrer sa première messe
dans l'église collégiale de Saint-Nicolas.
Ses rares capacités lui frayèrent bien vite le chemin des em-
[i) Un descendant de ce magistrat, M. le chancelier d'Etat Romain Werro,
a publié en 1841 une notice sur la vie et les écrits de r.iuteur, qui nous a
servi de guide dans la rédaction de celle-ci.
30 KOTK >: BI'M.RAIMllylK SI R «♦KBASTM^^ WKRRO.
plois. Depuis un an déjù il faisait partie de la Chambre dite (l<^s
Scolarques, chargée de la surveillance des écoles, cl du chapi-
tre (le Sainl-Ni( olas, dont il fut nonini»'- (rcmMiT sccrciaire, puis
chantre. A la mémo cpocpic, !«• prévôt Schncunlin, qui éprou-
vait pour lui une affection paternelle, se Tassocia en qualité (h;
secrétaire dans sa visite du diocèse. En 1579, il joignit à ses
autres fonctions celle de catéchiste , et il s'en actpiilta avec tant
de zèle , que la cure de Frihourg étant devenue vacante au com-
mencemeni de l'année suivante, le chapitre, qui avait coutume
de présenter à la bourgeoisie deux on trois sujets pour ce posie,
se borna à sa seule i)iésentation. Il y lui iiommi* à ruiianimiti'
des suffrages, le 7 février 1580. Deux mois auparavant, il avait
rempli la charge de promoteur an synode diocésain présidé par
le nonce Honhoméus, et avait été ensuite établi, avec le prévôt
Schneuwlin, exécuteur des constitutions synodales, avec le litre
de délégué apostoli(pie. Il fut encore préposé, avec le père Jean
Michel, cordelier, à l'examen des confesseurs et «les apirants aux
(ordinations ecclésiastiques.
Tous les instants (pii n'étaient point remplis par les soins im-
portants de son ministère, Sébasiien les donnait à l'étude. Versé
dans la connaissance des langues hébraïque , grecque et latine ,
il s'était composé une biblioihèipie choisie, où liguraienl, à côté
des Saintes-Écritures et des prières de l'Eglise, les imivres im-
mortelles de CicfTon , de l'Intarqne. de Platon. d'Aristote,.
d'Ovide et de Virgile.
Félix qui potuit rcrum cognoscerc causas
avait chanté le cygne de Mantoue , et ce vers avait reveillé un
écho dans l'àme de l'auteur. Les sciences naturelles, si mal ( om-
prises et si néglig«''es de son temps, avaient pour lui îles .iitrails
particuliers. Sous le titre de Physimrum libri A, il lit paraître,
aux premiers mois de 1581, le fruit de ses investigations dans le
domaine de la nature. Cet opuscule traite successivement de la
nature en général, de l'astronomie, des éléments, de la gt'né'ra-
tion, des mél«'ores , des fossiles, des plantes, des animaux, de
l'Ame el de ses facultés. Il n'offre plus de nos jours d'autre in-
\ovH (\\ir ( elni «riiiir pieire inilliaiie placée sur la route de !.•>
NOTK I. HKK.R AI'niQUE SI R SÉBASTIKN WERIU). 31
science pour nous aider à mesurer l'espace iimnense qu'elle a
paieoniu dans les trois sièch.'s ipii suivirent sa publication. Le
lecteur (pii ne possèilerail que des connaissances fort ordinai-
les en astronomie et en pliysiipie , n'y apprendrait pas aujour-
d'hui sans sourire que la terre est immobile au centre de l'uni-
vers, que les étoiles de première grandeur ne sont que cent sept
fois plus grandes que la terre, que les comètes sont des exha-
laisons visqueuses des astres enllammces par le soleil , que les
lleuves , après s'être déchargés dans la mer, retournent vers
leui' source par des canaux souterrains, que les huîtres croissent
et décroissent avec la lune, (|u'il y a deux couleurs primitives, le
blanc et le noir, dont le mélange produit toutes les autres, que
la terre humide et la putréfaction engendrent divers animalcu-
les, etc. Mais le système de Copernic, récemment découvert,
rencontrait encope beaucoup de contradicteurs, et Galilée, âgé
pour lors de seize ans, n'avait point encore inventé le télescope
ni créé la philosophie expérimentale. Tel qu'il était, le traité de
l'auteur paraît avoir été goûté à son apparition , car le célèbre
cardinal Sirlet, auquel il fit hommage, le plaça dans la bibliothè-
que du Vatican.
Au milieu de ses travaux de pasteur et de savant, Sébastien
nourrissait dans le fond de son cœur un projet qui témoigne de
toute la vivacité de sa foi, celui de visiter le berceau et le sépul-
cre du Sauveur. Des difficultés et des périls sans nombre l'atten-
daient sur sa route ; mais sa courageuse piété et sa confiance sans
borne dans l'assistance divine, lui firent surmonter tous les obs-
tacles. Il avait d'ailleurs devant les yeux l'exemple de nombreux
Fribourgeois qui, dans la première moitié de ce siècle, avaient
accompli le pèlerinage de Terre-Sainte. Nous citerons entre au-
ties François Arsent, Antoine Treytorrens , Humbeit de Praro-
man , iNicolas de Praroman , Jean Vogt et Pierre Falk , dont le
dernier succomba au moment où , pour la seconde fois, il allait
loucher le fortuné rivage de Palestine. Si la dévotion avait la
principale part au voyage de l'auteur, il n'en saisit pas moins
cette occasion d'étendre le cercle de ses connaissances par une
constante observation des hommes et des choses. Il nous a laissé
deux, relations manuscrites de son pèlerinage; la preiTiière, en
laliii, t^t iiii simpU' jourual, iliiiis l<(jiu'l il a coiisij^né péle-nn^lc
et à mesure qu'«'IU's se préscDlnicnl, ses impressions de rouie;
l'autre, en allemand, esl rcdii^'ée avec plus d'ciciuliif, d'ordre et
de soins. Elle a |»onr liire : Idnerarium von tirr saligcn Reiss
gun Rom und Ilierusalem , iras daselbst gesehen auch tras uff
(lem treg (Ifn Pilgcni iriilerfurt, hurz und //'nr/iaffi bescliriben
durch Sébastian // vrro, unitihdigen Pr (ester von Frgburg tiss
Nuchstlanndl. In lar 1;")81. N'ousavons soi^neusenjenleollaiionné
ces deux manuscrils, cl si dans la (raduciion nous avons dû don-
ner h\ picféri'nrc au second, le [trcinier nous a servi à élucider
el à c(un|)letrr en (pichpics endroiis le lexio allemand (I).
Rendu à sa patrie el à son posle, N' (•ur<' \N eiio iiaNailla avec
ardeur à réparer le temps enlevé à ses «hères ouailles. Il sentait
trop bien le prix de l'inslruclion, pour ne pas la répandre à flots
sur la jeunesse Irihour^eoise. Une plus grande dillusion de lu-
mières, notamment en relif^ion, lui paraissait un moyen assuré
de la préserver des aïK'inles du prolcstanlisme qui , a|>rès tout,
était aussi bien le IViiil de l'i^noianee cpie de rorf;ueil el de la
corruption des nueurs. Le vénérable P. Pierre Canisius, chargé
par le P. Kverard Meicnrian, ^M-néral des Jésuiies, de la fonda-
lion d'un collé-^e à Fribourj,', <tail arrivé dans cette ville le 10
décembre ITiSJ), en compaj,'nie du P. Robert Andrenus, Anglais.
Sébastien s'estima heureux de parlag(;r provisoirement son lo-
gement avec ces hommes de Dieu , el ce fut là l'origine de !'('-
troite amiiie qui le lia avec le P. Canisius juscju'à la mort de ce
dernier, en 1597. Grùce au concours du prévùt Schneuwlin et
au sien, les obstacles «pie r«'nc(tntra d'abord l't'lablissemenl pro-
jeté furent applanis. L(îs fondemenis du gynniase furent posés
en l;"i8r>, ceux du collège en 1586. Dix ans plus lanl , les deux
bâtiments étaient terminés el livn'-s à l'inslruclion publique.
Promu dans l'intervalle à la dignité de doyen , Sebastien , d«'-
sirant se eonlormer striclemenl aux «b'cisions du contile de
Trente, <pii interdisaient la pluralité des bénéfices, prolesta n<-
ft) I.c manuscrit allt'inand .t|»().trlifiit ;i In l>il)linlli('<|in* <Tonon)i(|in' Mi-
Frihoiirg. t/iiiilrr rsl la pr(ipritM«' dr M. If clianrclifi Weiro. qui a liirn
voulu le niellrp ;i notre ilispo^^ilion.
NOTIC.F. nior.UAIMIlOI F SI R SFKASTir.N WF.RRO. 33
point vouloir cumuler les fondions de doyen avec celles de curé.
Le gouvernement en référa au Souverain Pontife Sixte V, en lui
exposant que le curé Werro s'était constamment montré si pieux,
si assidu et si vii^ilant dans raccomplissement de son minis-
tère pastoral, qu'il ne pourrait y renoncer sans qu'il en résultât
une grande perte pour le salut des âmes. Sa Sainteté apprécia
ces motifs, et par rescrit du 8 juillet 1589, elle déclara compa-
tibles les fonctions de curé et de doyen ; par conséquent clic per-
meltait au titulaire et lui enjoignait même de garder les deux
bénéfices. Cette décision, communicpiée sous date du 1**" septem-
bre, par le nonce Paravicini, leva tous les scrupules de Sébastien,
pour lequel cette nouvelle dignité fut un nouveau stimulant à
son zèle. Mais le scandale public que donnèrent l'année suivante
deux compagnies fribourgeoises rappelées du service de France,
et l'inutilité de ses démarches auprès des autorités pour en ob-
tenir la répression, l'engagèrent à se démettre de tous ses em-
plois avec l'autorisation du nonce, et à se retirer à Rome, afin
d'y répéter ses cours de théologie au collège germanique.
Pendant les trois années qu'il séjourna dans la ville éternelle,
il assista aux funérailles de deux papes et en vit couronner trois.
Grégoire XIV, Innocent IX et Clément VIII. En 1592 Messei-
gneurs de Fribourg lui écrivirent pour le charger de complimen-
ter en leur nom ce dernier pontife, de lui offrir leurs services et
de l'assurer de leur soumission. Par une seconde lettre ils lui
témoignèrent leur satisfaction et leur reconnaissance pour la
manière dont il avait rempli leurs intentions. Le crédit et l'ha-
bileté de Sébastien le mirent bientôt à même de rendre de nou-
veaux services à sa patrie en conduisant à bon terme quelques
négociations qui lui furent ultérieurement confiées par le gouver-
nement du canton et par le chapitre de son église.
Après avoir passé par toutes les épreuves académiques et con-
quis le diplôme de docteur en théologie, il retourna l'année sui-
vante à Fribourg, oia les dignités qu'il fuyait ne tardèrent pas à
venir le chercher. Dès l'année 1597 il fut appelé au poste émi-
nent de prévôt du chapitre de Saint-Nicolas, puis à celui de vi-
caire-général du diocèse, que la mort de son ami Pierre Sch-
neuwlin avait laissé vacant. Le nonce eut beaucoup de peine à
3
lui faire ucccptci* relie dcrniùru charge que son hiiiniliié lui fai-
sait ju^er au-dessus de ses forces. Mais dans sa haute position
Scbasiien donloya toutes les i]ualiies de son piédéeesseur et en
preniirre lij^ne une couia^'euse franchise qui ne reeulait devant
aucune considération humaine, et une fermeté inébranlable dans
l'extirpation des abus. Cependant ces mêmes qualités devaient
être j)Our lui la source de nouvelles tribulations. Ces cnrûlemenls
au servii'e de France enii-eicnus par l'appas des pensions et des
titres exerçaient une action fâcheuse sur la moralité des citoyens,
et en lonienlant l'esprit de di\ision ei de castes, conduisaient
la répul)li(pie à de fatales dissensions. Aussi Sébastien voyait-il
de mauvais œil l'inlluence française alors toute puissante à Fri-
bourg el il ne lit point mystère de ses convictions. Il avait ou-
veiiement coiid)attu les |)ièlsconsidéiables faits dans les derniers
temps à celle couronne, il avait cherché à empêcher l'envcii de
nouvelles troupes et s'était pareillement élevé avec force contre
racccptatiou des pensions. Ce lanj^'a^e avait froissé une foide
d'intérêts privés et lui avait aliène des hommes dont l'appui lui
était le plus nécessaire. Désespérant dès lors d'opérer le bien
dans la mesure qu'il eût désiré, il se décida une seconde fois à
résijîner toutes ses fonctions, sauf (elle de prédicateur (1601\
I/évêque Jean d'Orot, lui écrivit à ce sujet une lettre très-alfec-
tueuse, où il déplore sa retraite et le supplie de ne point, pour
cela, le priver de ses lumières et de son expérience.
Libre désormais de se livrer tout entier à son ^oùt dominant
pour la prédication évan^jélique el pour la vie contemplative,
Sebastien continua à offrir jusqu'à son dernier soupir le jtarfait
modèle de toutes les vertus sacerdotales et surtout d'une ar-
dente charité qui ne pouvait «jue s'enllammer davantage par des
relations épistolaires avec l'évéque de Genève, François de
Sales (1). Son amour (lour les pauvres ne connaissait pas de
(t) Des Icllrrs adressées pnr saint François de Salos h l'auleur, deux sni-
los sont parvenues jiisqn".'» nous, conservées dans les arcliives de la fan>illr
WiMTo. Rllrs onl rapporl l'une et laiilrp ^i la f;rande ec^rénionic relipioii^r
qui eul lieu dans le ChaMais en seplen>l»rc l.WH. pour eél<'l>rer le retour do
«etle contrée :i la foi calliolii|iic. l,\ preinii-re csl ainsi conçue :
NOTH.r. BlnGnAl'HIOlK SIR SKBASTIF.N WKRRO. Ho
bornes ot lorsqu'il éiail dans l'impossibilité de les assisler par
lui-mt'inc il savaii intéresser sa famille en leur faveur par de
touchâmes paioles. Un elironiqiiour rapporte qu'il se faisait ser-
vir un repas abondant et (pi'assis auprès do sa table chargée de
mets, il élevait son âme à Dieu et méditait. Se tournant ensuite
vers ses domesti(iucs, il s'enquérait auprès d'eux des malades
les plus indij^^nts et leur faisait porter tous ces mets, n'en
gardant pour lui que la moindre part (1).
L'auteur nous a laissé plusieurs monuments manuscrits et im-
primés de son zèle pour la défense de la foi catholique, de sa
science et de sa piété. Le premier ouvrage qu'il livra à la publi-
cité, son traité sur la physique, était sorti des presses bûloises,
le second, de même que les suivants, parurent à Fribourg, où
une imprimerie avait été établie dans l'intervalle. Il est intitulé :
Fragstuck des christtichen Glaubens an die neuwe Sectische Pre-
digkandlen, erstlich durch den Hochgelelirten H. Johann Hayum
auss Schotlen, der Socielet Jesu Thoologum franzosisch heschri-
hen, demnach durch Sébastian Tf^arro Pfarrherrn zu Freyburg
in Uechtlands in das Teutsch gebracht und mit angehencktem an-
A Monsieur le prévôt de Saint-Nicolas de Fribourg.
Monsieur,
La dévotion des 40 heures a esté relardée, jusques au dimanche et jour de
St Barthelcmi, 22 et 2i de ce moys. Ccst pour un beaucoup plus grand bien.
Je vous ay bien voulu faire ce mot dadvis, affin que si quelcun de delà desi-
rait honorer cest action de piété de sa présence, il sacheminast pas envain
cesle semayiie. Mais aussi je voudrais que personne ne perdit courage de ve-
nir pour cette relardation, parsque la tardiveté sera recompensée d'une bien
grande consolation, si Dieu nous fait les grâces, que nous espérons. Je bayse
très humblement vos mains sacrées et me dis a jamais
Vostre phis humble confrère
et serviteur
Franc, de Sales, prevost de Si Pierre de Genève.
Le R. p. Chérubin et toute la brigade des serviteurs de Dieu, que nous
avons ici, vous salue très affectueusement. A Thonon, le 12 Aoust 1398.
Par la seconde lettre, écrite en lalin, le prévôt Werro est informé que la
dévotion en question doil encore être relardée par ordre supérieur.
(1) Friburgum Helvetiorum Nuilhonias. Chronique du XVIP siècle, tra-
duite du ialin et annotée par Héliodore Rœmy de Berligny.
30 >o||< I. llhN.UAfflKjl K StR SÉBASi;iF.^ W'KRRO.
(teren Theil rermchrct. (Jiiesliuiis sur lu loi cliiélicnne aux nou-
veaux prcditauts scciaires, écriies d'abord en français par le
irès-savanl M. Jean Ilayus (de la Haye), Ecossais th(i)loyien de
la St)ci('l«'' de Jésus, puis Iraduiles en allemand el augmentées
(I une seconde partie par Sébastien Werro, curé à Fribourg en
Nuillionie. — Ces questions étaient de nature à end)arrasscr les
apôtres de la réforme. Aussi les gouvernements de Zurich, de
Berne, de BAIe et de Scbaiïouse s'empressèreni-ils de demander
à celui de Kribouig la sujipression du livre au nom de la paix el
de la concorde entre conleilérés et sans doute aussi au nom du
libre examen.
En 1599 parut sous son nom une chroni(|ue universelle depuis
le commeiiceiucnt «lu momie jusipià la fin du seizième. Chro-
nica Ecclcsiœ cl Monnichinruin a anulilo mundo Sebastiani
ff^erronii Prœpositi friburgensis in JJelvelia, St Theologiœ doc-
toris nunc primum 7iova mclhodo elucubrata. Cet ouvrage assez
volumineux fut suivi en 1009 d'une nouvelle production égale-
ment latine inlilulee : De Phclothiœ. In candvum canlieurum /i-
hri, (|ui valut à l'auteur des letties très-llalteuses du cardinal
Paravicini et de notre célèbre compatriote Guilliman, historio-
graphe de la maison d'Auli-iebe. Deux années après il mil 'mi
jour un petit livre allemand : Der Roscnkranz Maria. Le Rosaire
de Mai ie, contenant des méditations journalières sur la vie de la
mère de Dieu. Nous possédons encore de lui un iraid' manus-
cril sur la religion, De Religione.
François Werro, frère de l'auteur, nous a transmis la date de
sa mort. Nous lisons en effet ces mots tracés en allemand sur la
première page de son Itinéraire : «Comme on complaii depuis
la naissance de N. S. Jésus-Cbrisl 1614 ans, le 27 décembre,
M. Sébastien Werro s'est endormi saintement dans le Seigneur.
Dieu veuille tous nous rejouir éternellement avec lui. Amen. —
Fr. Werro» Il était ainsi âgé de 59 ans, lors(pi'il alla recevoir
dans le sein de Dieu la récompense réservée à ceux (jui cmt com-
battu le bon combat. Ses de|)ouilles mortelles furent déposées
sous le chdur de l'église de St-Meolas, auprès de celles du père
Canisius et du prévôt Scbneuwlin (pi il avait tant aimes durant
sa vie.
NOTICE BlOOnAPIlIQLR SLR SÉBASTIEN WERUO. 37
Nous citons ici le chapitre 27 du journal de voyage :
— Audience du Saint-Père. — Saint Paul , voyageant en
Gièce, faisait diligence afin de C(''lébrer la Pentecôte dans une
ville (le premier ordre lelW; que Jérusalem (1). Nous éprouvions
alors quel(|ue chose d'analogue aux sentiments qui animaient
Tapôtre, car c'était pour nous une douce satisfaction de passer
dignement à Rome les solennités de la Pentecôte, de la Trinité
et de la Fête-Dieu. L'évèque de Verceil m'avait remis des let-
tres de recommandation pour le Protonoiaire Speciano et pour
le cardinal Sirlelo, qui me lirent le plus bienveillant accueil,
ainsi que pour le Saint-Père. En même temps il m'avait donné
toutes les directions nécessaires pour me comporter convenable-
ment en sa présence. Je ne comptais d'abord rester à Rome que
jusqu'à la Pentecôte. Dans l'intervalle je me proposais de de-
mander au Saint-Père lui-même l'autorisation de m'embarquer
pour la Terre-Sainte et de me rendre pour la Fête-Dieu à Ve-
nise, où j'espérais trouver un bâtiment en partance. Je dus néan-
moins dillerer mon départ à cause de la rencontre de plusieurs
fêtes durant lesquelles il n'est pas aisé d'obtenir une audience
de Sa Sainteté. Samedi, 13 mai, vigile de la Pentecôte, on célé-
brait l'anniversaire de l'élection de Grégoire XIII glorieusement
régnant. A cette occasion il y eut dans toute la ville des céré-
monies religieuses, des décharges d'artillerie et des feux d'ar-
titîce. Le palais était illuminé de six cents flambeaux placés en
dehors des croisées. Vint ensuite l'anniversaire de son installa-
tion ou de son couronnement qui coïncidait avec la Fête-Dieu
célébrée le 25 de ce mois. Ce joui- là Grégoire XIII entrait dans
la dixième année de son pontificat.
16 mai. Nous visitâmes les sept églises privilégiées dont j'ai
indiqué plus haut les noms. Je fis ce jour la rencontre du révé-
rend Paul HofTiCus, assistant des Jésuites, ci-devant provint ial à
Dillingen. Je lui représentai que le collège de Jésuites établi
dans notre patrie ne pouvait être mis sur un bon pied avant Par-
(1) Act. apost. XX.
38 Î^OTICK HHK.UAI'HKJI K fel H ^KBA•.T^:?^ \%EBRU.
rivée du Provincial. Il se munira mieux dis|>osé celte fois qu'il
ue l'avait été dans le temps à Diliingen, fjrâce aux ieilres que lui
avaient adressées le louable conseil et le révérend prévôt. Il
m'annonça donc (juc le père visiteur avait déjà reçu des instruc-
tions à ce sujet. Nous prolilàmes de son occasion pour écrire à
nos amis.
17 mai. Le Saint-Père étant parti le lundi de Pentecôte pour
sa villa de Montedraj^one, située à 1 i milles de Rome, je me d«'-
cidai, sur le conseil du capitaine des gardes, à m'y rendre pour
en obtenir une audience. Sa Sainteté étant sortie à l'heure des
vêpres, je l'abordai, en lui présentant la lettre de l'évéque de
Verceil, ainsi (pi'un mémorial contenant les différentes demandes
que j'avais à lui adresser, et qui étaient au nombre de quatre. En
premier lieu je demandai que les oraisons et les livmnes en usage
dans le diocèse de Lausanne, non contenues dans le bn'viairc
romain ou qui ne lui étaient pas absolument conformes, fussent
examinées par im cardinal et approuvées. Si j'émis ce vœu,
c'était pour m'acquiitcr d'une mission que m'avait confiée, avant
mon départ, le vénérable CliajMlre. En second lieu j'exposai que,
le prévôt de notre église de St-Nicolas étant autorisé à porter
la mitre comme un abbt* et devant élrc confirme dans ce privi-
lège par Sa Sainteté, il était à désirer qu'en labsen.ce d'un évé-
<|ue elle voulut biiii lui ( onlerer le pouvoir de consacrer les ca-
lices, les cloches et les corporaux. Celle demande ne m'avait
point été dictée par le chapitre; mais elle m'asait été suggérée
par l'évêque de Verceil, ainsi que le troisième point de mon mé-
morial qui avait irait à ta réforme des Augustins. Enfin je sup-
pliai Sa Sainteté de lrou\er bon que j'accomplisse mon pèleri-
nage au Sainl-Sepulcre.
18 mai. Le lendemain à la pointe du jour, conmie le Saint-
Père se rendait, selon son liabilndc, dans l'église voisine des ca-
pucins, pour y faire ses oraisons, je me représentai sur son pas-
sage et après avoir reçu sa bénédiction, j'entrai dans de plus
amples détails sur mes demandes de la veille. En terminant je lui
exprimai la reconnaissance du clergé fribourgeois pour sa solli-
citude palernelje envers la confédération et spécialement envers
la ville de Kribourg. Je suppliai Sa Sainteté de bien vouloir nous»
>0TI(:K niOJiRAPIIiyriCSl'R SKBASTIF.'H WKRRO. 30
honorer de la visite d'un saint évoque et légal qui remédiât à la
décadence du service divin et de la discipline ecclésiastique sur-
venue durant l'absence prolongée de l'évêque. Je l'assurai enfin,
comme il convenait, du profond d(''Vouement du louable conseil
et je reconunandai à sa conslanlo bénignité le diocèse de Lau-
sanne. Sur la demande de Sa Sainteté, combien d'années s'étaient
écoulées depuis l'expulsion de Tf-vècpie, je lui répondis ; qua-
rante-cinq ans. De là je pris occasion de lui repiéscnlcr, selon
ce que m'avait recommandé l'évêque de Verceil, combien il se- ^
rait à propos (pi'elle mandât à l'évêque de Lausanne, résidant à
Besançon, de visiter et d'administrer par lui-même son diocèse,
vu que ce prélat, cpioiquc de noble lignée et d'une éminente
piété, était plutôt enclin par caractère à vaquer à ses dévotions
qu'à réformer ce qui avait besoin de l'être. Après cela je sup-
pliai le Saint-Père d'excuser ma témérité, si je me permeliais
d'émettre un dernier vœu. Il n'ignorait pas que la supputation
des temps et la position des fêtes dans le calendrier s'éloignait
de plusieurs jours de la vérité, et que depuis les temps de Tem-
pereur Auguste il n'avait point été remédié à cet inconvénient.
Le besoin d'une réforme du calendrier se faisait donc vivement
sentir et il m'avait été assuré par de savants mathématiciens que
ce résultat ne serait jamais obtenu, à moins qu'il écrivit à Sa
Majesté impériale, aux rois d'Espagne et de France et à tous les
potentats chrétiens pour les engager à faire corriger cette erreur
par toutes les universités. Là dessus Sa Sainteté me demanda si
j'étais mathématicien, puis elle ajouta que déjà elle avait écrit à
ce sujet à l'empereur et à d'autres souverains, qu'en oulre le car-
dinal Sirleto était chargé d'examiner la question. Ce cardinal,
ainsi que je le sus plus tard, est un de nos premiers savants con-
temporains. J'appris également par le protonolaire Speciano
qu'on s'occupait depuis plusieurs années de la réforn)e du ca-
lendrier, et que la question marchait vers une prompte solution.
Arrivés à proximité de l'église, je pliai le genou devant Sa
Sainteté et je pris congé d'elle. Quant à la réponse à mon mémo-
rial, je devais la trouver en partie chez le cardinal Sirleto, en
partie chez le maître Dataire. Le pape entra dans l'église accom-
pagné de cinq cardinaux et de sa suite. Il était vêtu d'une longue
40 NOTICh BIlMiRAl'HI^lK SIR SEBASTIKM WKRRO.
soutane de drap l)lanc avec le rochel, sur lequel un camail rouge
descenilail jus({u'à la ceinture. Il portail en outre un large cha-
peau <t des mules hiancbes. Dans sa marche il s'appuyait sur
une canne dont la pomme était foruue d'une figurine d'ivoir.
A MONSIEUR LE DIRECTEUR
DES
ANNALES CATHOLIQUES DE GENÈVE.
J'ai appris que l'on va donner, dans les écoles rurales de noire
canton, des leçons d'histoire sur les principaux événements qui
ont eu lieu en Suisse, et en particulier à Genève, depuis l'établis-
sement du protestantisme. L'on dit aussi que les maîtres devront
suivre, pour guide, dans leurs leçons, VHistoire de la dation
Suisse par Daguet. Or, le premier volume de celle histoire est
écrit, en général, dans un mauvais esprit, et renferme un grand
nombre d'erreurs dont quelques-unes sont injurieuses à l'Église
catholique; c'est ce que j'ai déjà dit et prouvé dans l'Observa-
teur. Dans le second volume, M. Daguet paraît oublier que les
peliis cantons sont les fondateurs de la confédération helvétique
et qu'ils ont toujours montré le plus héroïque dévouement et le
plus généreux patriotisme pour défendre et conserver la liberté
de la commune patrie. — On est étonné de l'indifférence avec
laquelle il parle des guerres injustes entreprises par Zurich con-
tre les cantons restés Bdèles à la foi de leurs pères. Mais quelle
haine toutes les fois qu'il s'agit d'un ordre religieux qui a rendu
les plus éminents services à la Suisse ! Les maîtres consciencieux
se feront, sans doute, un devoir de consulter d'autres historiens,
••.: A MONSIKIR I.F. UIBKCTKl B<
pour i\o pas indiiiio en erreur leurs jeunes élèves. Mais tous au-
ront-ils le courage de se mettre en op|>usition avee l'esprit qui a
présidé aux choix des questions ù enseigner aux enfants? Il est
au n)oiiis permis d'j'pronvcr (pielque ( lainie. Ces Messieurs flai-
renl de loin ce qiron allcnd tleux.
Quoicpiil en soit, c'est une grande imprudence de Miiir, ilaiis
un canton mixte, tiailcr des questions très-irrilantes par elles-
mêmes et (|ui sont de nature à faire naître et à fomenter la haine
entre les citoyens. Les amis de la jeunesse doivent Teclairer, si
l'on cherche à la tromper; c'est ce molit qui m'a engagé à ré-
pon(h'e aux questions hisioriipies <pie l'on \a enseigner aux en-
fants de notre canton. Il me sera facile de faire les portraits des
apôtres de la bienheureuse réfonnation ; ]*• ir;iiiiai qu'à copier;
je les trouve déjà peints par eux-mêmes on les uns par les autres.
Ces portraits de famille feront peut-être, sur certains esprits, plus
d'impression (]ue la plus savante polémi(|ue, et tel qui aurait r»--
cusé tous les plus solides raisonnements contre la prétendue ré-
forme appréciera à sa juste valiMir, en considt'rant ceux qui lui
ont donne naissance, d'où ils tenaient leur mission, (lequel esprit
ils étaient, Luc II, 35, cl (|uellc sanction ieiii- vie, leur caractère
et leurs moMirs ajouiaieni à leur doctrine.
Diin antre côte, nous verrons si, comme on a I impudeur de
le dire dans une histoire imprimée à Genève, chez Julien elfils,
place du Bourg-de-Four, n. 71. 1843, nous verrons si Genève
a déposé les parures riches, mais tombantes et souillées du pa-
pisme, pour revêtir les blancs vêtements de l'Évangile. (Histoire
de Genève racontée aux jeunes Genevois, page 200.) La même
histoir<' parle des auteurs de la pr<''tendin> réforme en ces ter-
mes : /ît vous vénérablrs réformateurs , Farel, Froment, f iret ,
vous (Calvin, nrdnxt cl irrésistible athlète, Théodore de liéze,
doîice fujure qui nous accompafjnera lomjtrmps ; par vos soins,
un sang épuré et plein de sève circula dans tes membres de la ré-
publique régénérée. I*. lOG et p. 107. L'on serait tenté de croire
que c'est une vraie ironie, si l'on ne connaissait pas de quoi est
capahie le fanatisme méthodiste. — Dissensions coniinnelles, ré-
volutions Irequenies, prises d'armes, gut-rres civiles, sympathie
pour tous les troubles, dans loui les pays, envoi de ministre;»
I)i:S ANNAI.IIS CATIIOLIOLES. 43
pour sonicr dos doclriiies destructives du cliiislianisnie, asile of-
Icrl à tous les scandales de l'apostasie, impression et colporlage
de libelles remplis de blasphèmes contre les vérités que Dieu a
ri'véh'es, distrihution de l'or de l'Angletene et de la Hollande
pour renouveler avec «pielqucs pauvi-es calliolicpies la convention
déicide de Judas avec les Juifs. Voilà les blancs vêtements dont
l'Évangile de Calvin, selon même les historiens protestants, a
revêtu Genève.
9 novembre 1854.
Un citoyen du canton de Genèi'C.
Question prélliiiiuairc provoquée par le
qucstiounairc.
I. Ce qu'on entend par hérésie.
Vhérésie, selon saint Thomas, est une erreur volontaire qu'une
personne baptisée soutient, avec opiniâtreté, contre quelque vérité
de la foi catholique. Notre Seigneur Jésus-Christ a prédit que,
dans la suite des temps, il y aurait des hérésies. Matth. C. VII,
V. 15, gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous cou-
verts de peaux de brebis, et qui, au dedans, sont des loups ravis-
sants. Maiih. C. XXIV, V. 4 et 5. Prenez garde que quelqu'un
ne vous séduise; parce que plusieurs viendront, sous mon nom,
disant : Je suis le Christ, et ils en séduiront plusieurs. L'apôtre
saint Paul va jusqu'à dire : il faut qu'il y ait même des hérésies
parmi vous, afin qu'on découvre par là, ceux d'entre vous qui
ont une vertu éprouvée. Coi-. C. XI, v, 19. Remarquez toutefois
4V A MU<«!»1EI R LE DIRKCTfftR
(|ii(î cos parolps de rn[)ôlro no si^'nilicnt pas qiu; cciix i|iii sont
ht retiif ues \v soni nécessairemcnl. iNUri, cci les ! LluTcsio est un
grand ciinic aux yeux de Dieu, el saint l';iiil, en plusieurs eo-
droils de ses épines, ranailicnjaiisi'; p;ir conséquenl ceux (pii en
sont inleclés, le sont \kh leui- Éuuie, par leur i»igueil, par leur
esprit de désolK'issanee A lu loi de Dieu, par leur n-voiie volon-
laire contre Dieu lui-même; autrement TÉcrilure ne les condam-
nerait [»as. Le véritable sens des paroles du friand ap("»tre, que je
viens de citer, est donc le suivant : les lionuues sont si orgueil-
leux, la nouveauté a de si grands attraits pour eux, ils sont si
enntMnis de tout ce «jui (•oi)trari<' leurs |ten(liants pour les |>lai-
sirs, ils font si [)eu deirorls pour vaincre leurs passions, que plu-
sieurs, pour vivre au gré de leurs désirs déréglés, nieront les
vérités que Dieu enseigne aux hommes par Torgane de son
Église.
Aussi de tout temps il y a eu des hérétiques, comme de tout
temps il y a eu des blasphémateurs, des hommes esclaves de la
volupt«'',^les voleurs, des'inédisanis, des ivrognes, etc. (1).
Dès la naissance du christianisme, il y a eu des hérésiarques
qui ont attaqué successivement toutes les vérités delà foi : l'exis-
tence du péché originel, la nécessité du baptême, la liberté de
l'homme, la nécessité de la grâce, la di\inite de Jésus-thrisl, le
mystère de la Sainte Trinité, l'invocation des saints, etc. .\insi
l'Église a vu naître les Ariens, les Nestoriens, les Eutychiens, les
Pélagiens, les semi-Pélagiens, les Novatiens, etc., etc.; elle a
frapjié danatliènie tous cesenfanls rebelles; elle les a vuspasser;
elle seule est restée pour condamner encore ceux qui les imite-
ront dans leur révolte contre Dieu lui-même; et la victoire qu'elle
a remportée sur tous ces novateurs est une preuve évidi-ntoprelle
vient de Dieu, qu'elle est soutenue par la main tle Dieu, et que
conséquemment elle ne peut pas périr. Toutes les anciennes hé-
résies sont «''leintes, ou tellement allaiblies qu'on n'en parle pres-
que plus; celles qui alUigent aujourd'hui l'Kglise s'éteindront de
même successivement. L'Église toujours contredite, toujours pér-
il) Si Paul. (;iil. V
ItlS AN-VALKS r.ATnoMQL'KS. k6
sécutéc, souiïrirn cl frémira toujours, mais jamais elle ne suc-
romhcra; rassislance du Saint-Kspril ne rabandonnera jamais et
la l'era toujours iriomiilior de loulcs les puissances de l'enfer réu-
nies contre elle.
H. Llièrès'ie est un très-grand crime.
Quoi de plus injurieux, à l'égard d'un père, que la conduite
d'un enfant (|ui lui tiendrait ce langage : Vous m'avez fait plu-
sieurs commandements, ils ne me paraissent pas tous sages et
justes ; je ne tiendrai aucun compte de ceux que je trouve ou dé-
raisonnables, ou contraires à l'équité! Que deviendrait l'autorité
d'un père dont les enfants raisonneraient ainsi? Que servirait-il
de faire les lois les plus sages et les plus justes, dans un état
quelconque, pour y faire régner l'ordre, et respecter la propiiété
d'autrui, si cbaque citoyen croyait avoir le droit de rejeter celles
qui ne lui plairaient j)as? C'est néanmoins à la lettre, ce que font
les bérétiques; en cboisissani parmi les vérités révélées, celles
qui leur conviennent, et en rejetant celles- qui ne leur convien-
nent pas, en ne reconnaissant pour règle de leur foi que leur
raison individuelle, ils mettent en contestation la sagesse et la
justice divines, ils se prétendent plus sages et plus saints que
Dieu, en un mot ils font à Dieu la plus grave injure en refusant
de se soumettre à l'autorité qui parle en son nom. L'hérésie est à
l'égard de Dieu ce que le crime de lèse-majesté est à l'égard des
souverains, des magistrats, en un mot de tous les légitimes dé-
positaires de l'autorité. Le crime de lèse-majesté consiste à se
révolter contre le souverain, porte au mépris de l'autorité du sou-
verain et tend à la détruire; de même le crime d'hérésie consiste
à se révolter contre l'autorité de Dieu, représentée sur la terre
par l'Église, porte au mépris de celte autorité et tend à l'anéan-
tir, si elle pouvait être anéantie.
D'après ces simples notions que la droite raison nous donne
sur le crime des fauteurs d'hérésieS;, on comprend pourquoi les
livres saints lancent contre eux de si terribles anathèmes. Mal-
^6 « MoNsil ( R I.K. IIIRF.r.TFI R
heur (i vous, ijui dites que le mal est bien, et que le bien est mal ,
gui donnez aux ténèbres le nom de lumière, et à la lumière le nom
de ténèbres ; gui faites passer pour doux ce qui est amer et pour
amer ce qui est doux. Is. V, '20. Tes paivdcs s'ailrrsscnl à tous
li\s coiHcmptciirs tl<> r;iiitoritc diviiir «jui parlt^ aux hommes par
l'or^ano dr rÉylisc catliolifjiK'. Scluu le propliMo, \o premier
degré du «lérèglemenl de 1 liuuime est de souicnir que le mal est
bien, de faire passer l'erreur pour la vérilé, cl la voie large qui
conduit à la mort, pour une voie sûre (|ui mène à la vie. Le se-
cond degré qui est heaiiroup plus dangereux et que l'on peut
appeler le cond)le et la puniiion du premier, est de soutenir que
l(! bien est mal, de donner à la vci iié le nom de mensonge et
d'en faire un crime à ceux qui la suivent. Celui qui appi-llc les
ténèbres lumière, aime les ténèbres et veut les Taire passer pour
la lumière, et celui qui appelle la lumière ténèbres, hait la lu-
mière et n'a plus aucun moyen pour découvrir les ténèbres. Telle
est la conduite de tous les novateurs. La véritable lumière ré-
pandue sur la terre par l'enseignement de l'Église, ils l'appel-
lent ténèbres, et les ténèbres de leur raison individuelle, ils les
appellent lumière, ils aiment les t«'nèbres, délestent la lumière,
comment les éclairer! Il est écrit au chapitre 111, v. 7, de saint
Matthieu, que les Pharisiens et les Sadducéens venant vers saint
Jean-Bapiisit- pour recevoir son bapiéme, le saint pi(( iirseur les
appelait race de vipères. Saint Paul (Act. C. Xlll) étant à Pa-
phos, le proconsul Serge l'envoya chercher pour entendre de sa
bouche la parole de Dieu, mais là se trouvait un magicien qui
faisait tous ses efforts pour empêcher le |>roconsid d'embrasser
la foi. Alors saint Paul, rempli de l'Ksprii-Saint, et regardant
fixement cet homme lui dit : O homme plein de toute sorte de
tromperie et de fourberie, enfant du diable, ennemi de toute jus-
tice, ne resserez-i (lits jamais de j)erierttr les voies ilroiles du Sei-
gneur?
Fuyez, dit le même apôtre, à son disi iple Tite, fuyez celui
qui est uÉnKTiQt'E, après l'avoir averti une et deux fois. C. III,
v. 10. Saint Pierre appelle tous les faux docteurs des animaux
sans raison, qui ne suivent que le mouvement de la nature, il dit
qu'ils tiennent des discours pleins d' insolence et de folie et qu'ils
DKS A>.>AI,KS CAMIOI.lyi ES. 47
amorcent par les passions de la chair et les voluptés sensuelles,
ceux qu'ils vciilciii pcrdi'c; qu ils promettent la liberté, quoique
eux-mêmes soient esclaves de la corruption, ()irils donnent un
mauiuis sens, pour leur propre ruine, à certains passages des
épîtres de saint Paul, di/Jiciles à entendre. — Seconde épître de
saint Pierre.
Si quelqu'un vient vers lous, et ne fait pas profession de cette
doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne le saluez point,
dit saint Jean. Il saint Jean, C. 10.
III. Llièrésie favorise tous les vices, tous les crimes.
Quelle doit être la règle de notre conduite? C'est noire
croyance. Nous devons adorer et n'adorer que Dieu seul, parce
que nous croyons qu'il est et qu'il est seul le Créateur et le sou-
verain mahre de toutes choses. Qu'est-ce qui fait que nous res-
pectons, ou que nous devons respecter le bien d'aulrui même
dans les circonstances oîi nous sommes fondés à croire que per-
sonne ne nous voit, qu'il n'y a rien à craindre de la part des
hommes? C'est qu'il est écrit dans le fond de notre ame, dans ce
livre que nous appelons la conscience, que le vol est un mal,
qu'il ne faut pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas
qu'on nous fit, c'est que nous savons que Dieu défend positive-
ment le vol : cous ne volerez point, Exod. XX, 15, et qu'il con-
damnera les voleurs à l'enfer, s'ils meurent sans avoir réparé les
injustices qu'ils pouvaient réparer ou sans avoir la volonté de les
réparer quand ils le pourraient. Ni les voleurs — ne seront point
héritiers du royaume de Dieu. 1 Cor. C. VI, v. 10. Celui qui ne
croirait ni à l'existence de Dieu, ni à l'immortalité de l'âme au-
rait-il une probité à l'épreuve de quelque occasion facile de
s'enrichir aux dépens de son prochain, et dans des circonstances
où il s'imaginerait j)ouvoir le faire et couvrir son crime d'un voile
impénétrable aux yeux de la justice humaine? Eh bien! l'héré-
sie tend à détruire toute croyance, et par conséquent à favoriser
't8 A MO>SII I R l.r DIRK IKI R
toutes les passions, tous les vices, tous les éfTJrenu'nts de l'esprit
oi (lu cœur.
Quel est le principe fondanicninl de l'Inrcsie nppclec prote^
tanlisuie? C^est que tout lioniine doit prendre une bible, la lire,
et suivre la religion qu'il croit y trouver enseignée, et ne suivre,
dans la recherclie de cette préien<lue relij;i<)n, que les lumières
de sa raison individuelle. — D'après ce principe, c'est la raison
(pii juK"% t"! dernier ressort, de ce qu'il laut adinetire comme
wiù, ou rejeter comme faux, en matière de rcli^'ion. Or, une fois
qu'un lionunc s'est mis dans la Icte ipi'il peut rejeter lout ce qui
ne convient pas à sa raison individuelle, il n'y a plus rien de sa-
cré, d'immuablement vrai à ses yeux, parce que sa raison sera
toujours assez, complaisante pour trouver faux ce qui contrarie
ses liassions. Dès lors, dans cet bommc, ce seront les passions
qui feront la loi, sans qu'il y ait rien qui ))uisse les re|»rimer. Et
comme les passions qui ne sont retenues par aucun frein portent
à tous les vices, à tous les d('rèj,demenls, à tous les crimes, il s'en
suit (]ue riiomme (]ui éialilii sa raison ju;,'e, en deinici- lieu, de
sa foi et de sa conduite, devient nécessairement coupable de tous
les forfaits les |)lus criminels, nn alliée même, s'il se conduit
d'après ses principes.
Aussi, vovons-nous (pie les proiestanis (jni. en religion, re-
connaissent leur raison individuelle comme souveraine, absolue,
ne croient rien, si ce n'est t/u'il n'y a rien qu'ils srtictil obligés He
croire. Ils n'ont, même à l'égard des >eiiics fondamentales du
christianisme, que des opinions qui changent avec les Itmips, les
pays, les intérêts personnels ou naiionaux. Tout le symbole est
réduit, pour eux, à ces mots : tu croiras rr que tu voudras. Et
comme d'après le principe posé ci-dessus, la foi est la règle de
notre conduite, tout le décalogue, pour les |)rotestanis, esl ré-
duit à ces mots : lu feras ce que tu voudras.
De toutes les considérations qui précèdent on est amené à con-
clure : 1" que si les [>rolestants liraient loiHes les conséquences
(jui d(*coulent nécessairement de leurs prin( i|»es desirncteurs de
toute foi et de toute morale, il n'y aurait plus, parmi eux, ni
charit<\ ni humanité, ni probité; que toute \erlu en serait ban-
nie à jamais; (ju'il n'y aurait que l'égnisme et le règne brutal
du fort sur le faible.
DES ANNALES <;ATH0LiyiIF.5. M
2" Q[\o le |)iolosianlisino est cnnoini de toute autorité hu-
maine, tie loul gouvernement, quelle que soit sa forme. Le pro-
testantisme commence par se révolter contre l'autorité divine, il
se pose en Dieu ; comment ne m«''Connaîlrail-il pas toute autorité
humaine? Une fois que Ion s'est permis de citer à son tribunal
Dieu lui-même, d'examiner ses lois pour savoir si elles sont justes
ou nom, quel respect peut-on avoir pour les lois des hommes?
El une fois que l'on admet qu'il est permis de rejeter les lois qui
ne plaisent pas, c'en est fait de l'autorité, parce que les actes de
l'autorité même les plus justes, contrarient toujours quelques-
uns des penchants de l'homme.
ÏV. Comment les Pères de V Église et autres grands personna-
ges traitaient les hérétiques.
Saint Polycarpe , évêque de Smyrne et disciple de saint Jean
l'Evangéliste, ayant fait un voyage à Rome, rencontra dans cette
ville l'hérésiarque Marcion qui lui demanda s'il le connaissait.
Oui, répondit le saint évêque, saisi d'horreur, je te reconnais
pour le fils aîné de Satan. Une autre fois, il s'écria, en voyant
Cérinthe entrer dans un bain, fuyons de peur que la maison ne
tombe sur nous.
«Grande et belle leçon, dit un auteur en rapportant ce trait,
» relativement ù la conduite à tenir envers les hérétiques. Si ce
» saint et savant évêque, disciple des apôtres, si près de la lu-
» mière évangélique, n'a osé communiquer avec des sectaires,
» craignant le souille impur des faux docteurs, que penser de la
» témérité ou de la coupable indifférence des simples fidèles qui
» fréquentent leur société, lisent leurs livres ou écoutent leurs
» discours? — Saint Prosper appelle Pelage le serpent hritanni-
» que. Représentons-nous, dit saint Augustin (liv. cont. Donat.
» G. VIll), un homme qui soit chaste, qui observe la continence,
» qui ne soit pas avare, qui ne soit pas adorateur des idoles,
»qui exerce l'hospitalité à l'égard des indigents, qui ne baisse
A
:>(l A MO>SIKtll I.E DIRKTTF.IK
» iMisoiinc , «jiii «vil»' les conleslations, qui soit p:iiiriii »i nari-
» «juilU", (|iii no iluTclic à s'élcvi-r sur iicrsoniU' , <|ui ne poile
• envie ù personne , (jul observe la sobriété el la fru^alilc, mais
u (]ui soil liér('ii(ju«'. INuirtcla seul »)u'il est lierétique, personne
» ne peut en douter, il n'entrera pas dans le royaume de Dieu. »
Le passage suivant du même saint docteur semble avoir été
«'cril contre ces hommes «pii, de nos jours, montrent aux indi-
gents le Christ genevois sous la ligure d'une |>icce de monnaie.
o Prenez garde (lib. 2. ad Calecli. c. \\) que (jueUiue Arien
» ne surprenne l'Église. C'est un loup , connaissez-le bien ;
» c'est un ser|»ent, écrasez-lui la tcie ; il llalte, mais il lrom|>e;
» il promet beaucoup de ( lioses , mais il ne lient pas sa parole.
» Venez, dit-il, je vous assisterai; si la faim vous presse, je vous
•> nourrirai ; si vous êtes nus, je vous habillerai; je vous fourni-
» rai de l'argent, je réglerai ce (pic je pourrai donner, tous les
> jours à chacun. O loup tUFamé, Ct serpent rempli de malice, à
«serviteur infidèle! Malheureux hérétique, tu ne couvres ceux
► «pii sont nus que potii' les dépouiller de Ji-sus-Christ ; tu ne
» nourris ceux <pii ont faim que pour ravira leur âme la nourri-
» lure céleste; tu ne leur donnes de l'argent qu'afin qu'ils te
» vendent Jésus-Christ, comme Judas le vendit aux Juifs. ■
Kncure une lois, si le grand évoque d'IIippone avait vu ce qui
se passe à Genève en 1854, aurait-il écrit autrement contre ces
mômiers et ces ariens (|ui, une des mille Bibles genevoises falsi-
liées d'une main, une [)ièce de monnaie de l'autre, «piel(|ues pa-
roles du vieux serpent l«'iilateui- à la bouche, >ont dans les chau-
mières du caiiiwi et de la Savoie pour en chasser le vrai Christ
(pi'on yadoio, et y nuttie à sa place le Christ genevois, tout
barbouillé des immundiccs de la prétendue réformation.
Gennadius parle d'un certain Julien qui avait retenu toute la
[)crlidie et toute la dissimulation de Pelage, cl «pii , par les au-
mônes (pi'il faisait, dans tics tenq)s <le famine et de misère, en-
gagerait dans s(m hérési(! beaucoup de pcisoimes. Selon Origène,
le démon peut inspirer une certaine apparence de chasteté; ne
peut-il pas aussi inspirer' une charité ir'ompeuseà ceux qui tra-
vaillent sous SCS ordres, à la perte «lésâmes? Cette réflexion
d'Origènc nous fait comprendre pourtiuoi presque tous les héré-
DIS ANNAI.KS C A iiror.ioi r S. .'il
tiques oui conticfail la cliarilc, et se sont souvent présentés aux
peuples sous le manteau hypocrite de cette belle verHi, Cette
coutume qu'ont les ennemis de la foi d'étaler de fausses maxi-
mes de charité dans leurs discours , et d'en faire paraître dans
leurs actions, est donc un viai arlilicc de cet ospiit orgueilleux
qui a été le premier menteur. Et cet artifice , il y a longtemps
(ju'il est en usage à Genève. Voici ce ({ue je lis dans un de mes
bouquins : L'n nommé *** arriva à Genève avec deux pèlerines,
accompagnement ordinaire de tout bon apostat. Lorqu'on lui de-
manda ce (ju'il était cl d'où il venait, il répondit à ces questions
et déclara qu'il avait logé trois jours dans Vhôpital de Gez, et
qu'il venait pour rendre au nouveau prophète le vœu qu'il avait
fait depuis quatre années. « Celui qui l'interrogeait, édifié de sa
» dévotion, pria le fondateur de la chambre des prosélytes de
» changer son habit de pèlerin en un autre de drap de Hollande
» qui n'avait été porté que quelques jours. » Dès qu'il eut paru
sous celte décoration, on lui trouva d'abord une parfaite ressem-
blance avec Esaii qui vendit son droit d'aînesse pour une soupe
de lentilles, ce qui fournit alors la matière à ces vers :
Cet Esaû "* (je laisse le nom propre) afFainé de lentilles,
Renonce au droit du ciel, abandonne sa loi,
Pour avoir un habit avec quelques grenilles (i)
Que lui donne Farel pour le prix de sa foi.
Mais, diront quelques lecteurs, très-prudents et très-charita-
bles , du moins beaucoup plus prudents et plus charitables que
les écrivains dont je viens de rapporter les paroles , pourquoi
tous ces passages si injurieux à l'égard des protestants? A quoi
bon les rappeler? Ne vaut-il pas mieux, lorsqu'on parle de ceux
qui n'ont pas, comme nous, le bonheur d'avoir la vraie foi, n'em-
ployer que des termes qui ne causent aucun déplaisir?
Voici ma réponse. D'abord , je ne dis rien contre les protes-
tants; toutes mes paroles sont dirigées contre le protestantisme
ou contre l'hérésie en général; mais l'on comprend qu'il n'est
pas toujours facile d'expliquer en quoi consiste une erreur, sans
(1) Selon l'auteur, la grenillc vallait lrni« sous à Genève.
5i A MoN.sui u II lURi i ri t n
|):iilfr (If «iiix (jui l:i souiictiiiciil cl (|iii iravaillcni ;i hi |iropng(.-r.
H nv faiii |i(>inl birsseï- les riiueinis de la lui dans l'inlention d(;
les blesser; nous sommes d'aecord. Il ne laul pas dire la vi'rilé
luis(|u'elle les blesse, el «ju'il est nécessaire de la dire pour les
enipéelier de séduire les vrais croyanls; je ne suis pas de cet
avis. Je vous comprends , selon vous il faudrait, ù l'exemple de
qucbpics callioli(juos un peu avancés en loN'-rance, appeler /j/i.v-
teurs el vcnirablcs pasteurs ces messieurs (jui, contraiicmcnl au\
principes protestanls, monicni en tliaire pour commenter une
des mille Bibles nées du prolestanlisme, el déclamer contre la
Messe, conire la divine Kucharislie, contre l'invotalion des
saints, etc., etc. C'est vraiment av(»ir perdu la vraie notion de la
charité. Avec les deux cents millions de catholiques qui sont
sur le f^lobe, avec toute l'antiquilé chrétienne, avec tous les
plus grands lionimes, donl plusieurs n'ont i)as seulement étonné
le monde pai- la [(roloïKlt iir de leur génie, mais l'ont encore édi-
fié |)ar l'exemple tics vertus les plus sublimes , avec les Augus-
tin , les Jérôme, les Alhanase, les Thomas d'Aquin, les Bacon,
les Descaries, les Pascal, les Malebranche, les Bossuel, les Féné-
lon, etc., et fondé sur les divines écritures, je crois que la sainte
Messe est un vrai sacrifice établi par Jésus-Christ pour repré-
senter el coulinuer celui de la croix et nous en ap|»liqucr les mé-
rites; je crois que les saints qui régnent avec Jésus-Christ sont
à honorer el à invotpier; je ( lois (juil y a un purgatoire el que
lésâmes ijui \ sont détenues sont soulagées par les prières des
fidèles ; je crois toutes les vérités qu'enseigne l'Église catholique,
hors de huiuclle il n'y a <pi'erreur ou mensonge — Comment
voulez-vous qu'en restant attaché à ma foi, (pi'en conservant l'u-
sage de la droite raison, je puisse appeler vérurahlcs pasteurs ces
hommes qui blasphèment contre ce qu'il y a, à mes yeux, de
plus saint, de plus digne de vénération? Pour agir ainsi, il fau-
drait èlre un imbécile ou un fourbe.
Vous me répondrez p»iii-ètre : ih sont de bonne foi. Je n'ai
pas à décider (elle (pieslion , je la laisse ; il est toujours dange-
reux de s'expli(juer sur ce point. Dieu qui lit dans les plis el re-
plis de h conscience , Dieu qui connaii les motifs qui font agir
les hommes . I>i» u cpii ( onnait si tel houunc est dans l'erreur
DES ANNALES CATHOLIQLES. o3
iiinoccininoiil ou pour no vouloir pas ouvrir les yeux à la lu-
mi(''ro qui éclaire tout homme venant en ce monde ^ Dieu jugera
tous les hommes.
Qu'il me soii iK'anmoins permis de manifester ce qui se passe
dans le fond dt; mon àmc , lorsque j'entends pailer de la bonne
foi des ministres de la secte protestante. Remarquez que je
parle des ministres; il y a à Genève un grand nombre de sectes
qui ne sont que des subdivisions ou modifications des deux sec-
tes principales que constituent les ministres mômiers ou dissi-
dents et les ministres de Véglise nationale. J'emploie cette déno-
mination pour être compris; mais hors de l'Église catholique,
je ne reconnais aucune église ; je vois des assemblées de mô-
miers, des assemblées d'ariens, comme je vois des assemblées
de francs-maçons, de mormons, et rien de plus. Les ministres
mômiers admettent la divinité de Jésus-Christ; les ministres de
l'église nationale sont ariens , tous de droit , et la plupart de
fait. Je m'explique : On peut être ministre de l'église nationale
sans être obligé d'enseigner la divinité de Jésus-Christ, et même
en soutenant l'erreur contraire à ce dogme. Si l'on élevait le
moindre doute sur ce dernier chef d'accusation, je le prouverais
sans beaucoup de peine : 1° par les catéchismes; 2'' par les li-
vres de liturgie suivis à Genève; 3° par les différentes traduc-
tions de la Bible qui ont été faites à Genève; 4° par les thèses
publiques soutenues par les étudiants qui aspiraient à être mi-
nistres; o" par divers écrits de quelques ministres ; 6° par le té-
moignage de d'Alembert et par celui de J.-J. Rousseau, etc., etc.
Les ministres mômiers, pour prouver la divinité de Jésus-Christ,
et les ministres sociniens, pour la nier, s'appuient sur la Bible.
Le père est plus grand que moi, objectent les ministres de l'église
nationale, entachés d'arianisme; donc, Jésus-Christ n'est pas
Dieu. Le Père et moi nous sommes un, tout ce que fait le Père, le
Fils le fait aussi, etc., disent les mômiers, et ils ajoutent : l'Es-
prit Saint ne vous éclaire pas ; vous n'êtes pas dans la bonne
voie. Les ariens répliquent ; Qui vous a donné, messieurs les
mômiers, le droit de nous imposer vos croyances et de nous
condamner, si nous refusons de vous écouter? Prouvez-nous que
vous êtes éclairés d'en haut et que nous ne le sommes pas. Ces
A MON.'IEl K Li; UIRKCI hl R
faits, uicssicui;» les inùinicrs et messieurs les sociiiiens genevois,
prouvent évidemment deux choses : I" Qu'avec la IJibIc seule,
vous ne pouvez pas (^trc certains de découvrir la vérité en ma-
tière de religion, et que vous n'êtes pas éclairés les uns et les
autres par l'Esprit Saint, dans la reclierclic (!<• la vérité; autre-
ment il faudrait Mnsphémer et tomber dans l'absurde en disant
que rÉcriiiirc-Sainle et le Saint-Esprit ensei}în<'nt aux uns le
lion et aux autres le oui sur la même (juesiion. Vous êtes les
uns et les autres sans mission, vous ne pouvez vous appuyer que
sur votre raison individuelle pour enseigner au peuple quelle est
la voie du salut , ce. qu'il faut croire et ce «pi'il faut faire pour
arriver à notre lin dernière. Ne voyez-vous pas (jue vcius < réez
autant de religions qu'il y a d'individus capables de lire la Bi-
ble.' Ne voyez-vous pas que votis ouvrez la porte à toutes les ab-
surdités qui peuvent entrer dans la tête d'un homme guidé par
les faibles lumières de sa seule raison? à tous les dérèglements
dont est capable un homme «jui regarde comme permis tout ce
que sa raison obscurcie par les ténèbres des passions, ne lui dé-
fendra pas.' Lorsque vous piêchez au peuple, le seul uiniif de
crédibilité (jue \<tus puissiez lui présenter, c'est relui-» i :
Croyez ce que Je vous dis, parce (/tic Je le crois aussi; vous ne
pouvez donner d'autre garant , d'autre cauiiun de ce (pie vous
enseignez «pie votre raison individuelle.
Or, pouv\*z-vous de bonne foi [trésenter au |)euplo vos opinions
particulières sur la religion, comme des articles de foi? Ne vous
exposez-vous pas à lronq)er ceux qui vous écoutent et à les met-
tre dans le ( lu inin de l'erreur et de la perdition?
Tout nùiiislic protestant ipii prè« lie ses opinions au peuple, a
la témérité et l'orgueil de subsliiuer son autorité |)ersoniielle à
l'autorité de toute l'Église catholique. C'est un reproche (pie
J.-J. Housseau faisait aux ministres genevois, en ces termes :
Notre clergé, compose de petits barbouillons à qui V arrogance a
tourné la tête, ne sait ce qu'il veut, ni ce quil dit, et note l'in-
faillibililé à l'Église quafin de l'usurper chacun pour soi. Cor-
respondances, .3, V. p. 284, édit. Didot.
Ees ministres eoimaissent ou doivent connailre les «'crils des
SS. l'éres et des doeleurs de l'Église ; ces messieurs uni saiik
DES ANNALES CA rnOMQl ^.S 33
doule ces ouvrages dans leurs hiblioUièques, et ils peuvent en-
core les eonsulter à la bil)liolliè(jue publique de Genève. Or, ces
saints et savants personnai^es qui ont écrit au troisième, au qua-
trième, au cinijuicnie siècles, parlent du sacrilicc de la Messe,
de l'invocation des saints, de la prière pour les morts, absolu-
ment de la même manière qu'en parlent aujourd'hui les prêtres
de l'Kglise catholique. Ces saints auteurs étant voisins du temps
des apôtres, il leur était facile de connaître le véritable sens des
livres du Nouveau Testament ; les sectaires sont obligés d'en con-
venir. Aussi, de l'aveu même d'un grand nombre d'<''crivains pro-
testants, l'Eglise du troisième et du quatrième siècle était la vé
niable Eglise de Jésus-Christ, dans laquelle se trouvait la vérité.
Cependant les ministres soii mômiers, soit sociniens des sectes
diverses du protestantisme, viennent, sans donner et sans avoir
aucune preuve de mission divine , enseigner une doctrine toute
contraire à celle de tous les docteurs de l'Église, depuis le temps
des apôtres jusqu'à nous. Peut-on être de bonne foi, quand on
se met en opposition avec tous les docteurs de l'antiquité chré-
tienne , pour s'appuyer sur Luther, sur Calvin, sur Zwingle et
quelques-uns de leurs devanciers, tous apostats, libertins éhon-
tés auxquels nulle âme un peu honnête ne voudrait ressembler.
Un vieux Romain, Marcus Amilius Scaurus, accusé par un homme
sans foi d'avoir trahi la république, se contenta, pour se justifier,
de parler en ces termes : Romains^ un certain Farius accuse
Marcus Jmilius d'avoir trahi la république; Marcus amilius
le nie : qui faut-il croire? Le peuple, entraîné par l'assurance
de ce discours, se mit à applaudir l'orateur, et l'accusateur fut
confondu. Qu'il nous soit permis de nous écrier aussi : Les Jé-
rôme , les Augustin , les Athanase , les Grégoire , les Basile , les
. Bernard , les Thomas d'Aquin , tous ces grands et nobles génies
sont pour l'Église catholique; Zvvingle, Calvin , Henri VIII sont
contre l'Église catholique : qui croirons-nous? Peut-on, de bonne
foi, se séparer des docteurs de l'Église catholique pour suivre
les pères du protestantisme, gens sans foi, sans aveu, qui se sont
mis en opposition avec les Saintes-Écritures et avec les tradi-
tions, qui ont outragé les mœiu's de la manière la plus révol-
tante, qui n'ont été de l'avis de personne, et qui ne se sont pas
."iO V .M<>N-<li:lR I.K DIRtCTKlR
L-niemlus eux-mêmes? Nçsl-on pas lemé de se dire : Dans un»-
telle conduite, il y a orf,'ueil, pD-sumplion, dépravation du cœur,
il y a péclié contre le Saint-Esprit, ou comble de raveu^lemen».
On ne peut cooserver de Tamour pour l'Église et pour les âmes
que Jésus-Christ a raclielées de son sang, sans ôlre ému d'une
sorte d'indignation contre ces hommes téméraires et présomp-
tueux (jui tiennent tant d'âmes séparées de Jésus-Christ et de
son Église, et qui les coDduisent dans le chemin de la perdition.
Mais encore, voule/.-vous armer les citoyens les uns contre les
autres, souiller au milieu d'eux le feu de la discorde, prêcher
une croisade contre quiconque n'est pas catholique? Non, cer-
tes ! Ce ne sont pas là les doitrines de la vraie Église. La religion
(jue nous professons nous dit d'aimer notre prochain comme nous-
mèmc , de vivre en paix avec nos concitoyens , de nous montrer
bons et serviables à leur égard, de respecter leur honneur, leurs
biens, leurs personnes, do remplir envers eux tous les devoirs
de la vie civile. Et les catholiques ne sont pas en arrière avec les
dévoyés pour l'accomplissement de ces devoirs. Si l'union et la
confiance ne régnent pas dans le canton, ce n'est certainement pas
aux catholiques qu'il faut en attribuer la cause. A peine sommes-
nous sur la défensive dans les (piestions qui divisent les catho-
liques d'avec les protestants. Avons-nous fait une coalition ou
union c:itholiquo entre nous pour ruiner leur commerce , leurs
établissements cl pour leur couper les vivres, comme ils ont fait
contre nous une union protestante? Pour trouver dans l'histoire
quel(|ue chose d'aussi odieusement célèbre que l'union protes-
tante , il faudrait remonter à ce prince de cruelle et tragique
mémoire qui, pour exterminer le peuple de Dieu, avait ordonne
de faire périr tous les enfants mâles des Israélites. L'histoire ne
nous dit-elle pas, à chncpie page, que ces vieux enfants de l'apos-
tat de Noyon auraient voulu s'entourer de murs élevés jusqu'à
Uranus elde fossés creusés jusqu'aux antipodes, pour empêcher
l'accès de tout catholique ?
Le duc de Guize , François de Lorraine , était poursuivi par la
haine des calvinistes, parce «pi'il «'tait le soutien des catholiques
en Kranc<'. Lorsqu'il faisait le siège de Rouen , on lui amena un
gentilhonnne qui. f;in.iii>Hi' p:ir les d<<l;un;ilioii.s ei par les libelles
DKS ANNALKS CA IIIOMQLKS. 57
de quel(|iios ministres de la prétendue réforme, épiait l'occasion
de le poignarder. Ce malheureux déclara que l'intérêt de sa re-
ligion avait été Tunique motif de sa criminelle tentative. Or
ça, dit h prince, Je ceux vous montrer combien la religion que
je tiens est plus douce que celle de quoi vous faites profession.
La votre vous a conseillé de me tuer, sans m'ouïr, n^ayant reçu
de moi aucune offense; et la mienne me commande que je vous
pardonne j tout convaincu que vous êtes de m' avoir voulu tuer
sans raison. (Biographie universelle.)
Tels seront toujours les sentiments des vrais catholiques à
l'égard de leurs ennemis. Mais la religion, en nous recomman-
dant toutes sortes de bons procédés à l'égard de ceux qui sont
hors de la voie de la vérité , nous défend de laisser croire que
nous approuvons leurs erreurs, et nous commande de les signa-
ler pour en préserver ceux qu'ils cherchent à séduire. Elle nous
dit d'appeler, sans détour, erreur ce qui est erreur, hérésie ce
qui est hérésie, ministres du mensonge et du blasphème, ceux
qui prêchent le mensonge et blasphèment contre les vérités de
la foi. Elle nous dit que, dans nos discussions ou controverses
avec les novateurs quelconques, nous dcvons.marcher sur les tra-
ces des saints Pères ; de ces grands et immortels génies qui ne
mettaient point des coussins sous les coudes des faux prophètes,
mais qui, sans respect humain , et avec une noble fermeté, dé-
voilaient leurs ruses et leurs fourberies pour les empêcher de
séduire les fidèles. ?•
MÉLANGES ET \0l VELLES.
C^enèvc. — Lo chaiilier de loiislriuiioii de IVglise Noire-
Dame vienld'élre fermé. Les travaux demeiirenl suspendus jusqu'au
priulenips. firike à Dieu, l'édince a noliililemenl avancé celle an-
née. Le grand porlail d'enlrée, les porlails latéraux sont terminés.
Les fenêtres des nefs latérales, du transept cl des cinq chapelles
absidales sont achevées. Les ouvriers se sont arrêtés A la naissance
des voûtes des bas-côtés. On peut dire que cette grande œuvre est
parvenue à la moitié de sa course, et déjà il est possible d'admirer
le plan et la magiiilique ordonnance de Tédifice. L'église aura trois
nefs. Les nefs latérales se [)roloiigcront en déambulatoire autour
du chœur. (]etlc disposition, fort rare dans les anciens édifices sa-
crés de nos contrées, ne se rencontre, crovons-nous, qu'à la cathé-
drale de Lausanne ; elle sert très-favorablement la pompe du culte
et la grandeur des cérémonies callioliques. La chapelle de la Sair»te-
Vierg<*, placée au chevet de ral)side, cl quatre chapcllesde moindre
dimension, sont groupées de la manière la plus heureuse auprès du
sanctuaire; elles Tentourent comme d'une ^racit'use couronne. Les
connaisseurs admirent beaucoup la disposition du transept si habile-
ment agrandi par deux chapelles pratiquées dans les angles de la
partie supérieure.
Le st} le adopté est\:elui du plus pur treizième siècle au début.
Les ornements sont simples, ou plutôt il n'y en a que très-peu. Les
moulures S(! dislingu«*nt par l'ampleur et le relief. L'artiste, à l'in-
verse de la plupart des arcliilectes qui lentenl aujourd'hui I? résur-
rection des formes ogivales, n'a pas imaginé que le génie de ce style
résidât dans le menu des détails et la jtrofusion des ornements. Il a
prouvé, par l'exenqde, (|ue la pensée des mémorables édifices du
niouii Age e^t ailleurs «pie tians le ^èteuieut de kurfacc, quelque
IIKLAXJES I:T >«)LVF.I,I,I.S.
.'iO
brillant (lu'il soit ou qu'il puisse 6(re. Il prouve en oulie que le
sl\le ojjival se pri'te miciiv ([ue toul autre ù réaliser do notre temps
des conceptions originales, à la condition toutefois que l'artiste
créateur aura des idées, qualité essentielle qui n'est pas donnée il
tout le monde , et «|ui n'a rien de commun avec le sl^'le choisi.
Il n'y a (lu'iine voix pour louer la solidité et la beauté de l'exécu-
tion, non moins (|ue la (jualilé excellente des matériaux. En cela,
riiabile architecte, M. (Irigny (d'Arras), a été admirablement bien
secondé |)ar iM. (ligneux, (|ui est chargé de la direction des travaux
et du soin matériel de Tenlreprise. S'il était possible de poursuivre
les travaux pendant deux années encore avec autant d'activité que
celle-ci, on arriverait au terme de la maçonnerie , c'est-à-dire
de la partie la plus importante et la |)lus coûteuse de l'œuvre. Mais
pour atteindre avec cette rapidilé une époque aussi désirée etren-
«lue si nécssaire par l'accroissement constant de la population ca-
tholiques de Cicnéve, il faut que les aumônes atlluent et que le dé-
vouement des fidèles ne se lasse point. Les sollicitations doivent
être cette année d'aulant plus pressantes, que les circonstances ap-
parentes se montrent défavorables. Le triple Héau de la guerre, de
la cherté des vivres et de l'épidémie cholérique se présente pour
donner un autre cours et bien naturel à la charité privée, sur la-
quelle seule repose l'avenir de notre église. Il faut pourtant que
ces murs s'achèvent. Lauda Jérusalem dominum lauda Deum tuum
S ion .
— Le samedi 11 novembre mourait à l'hôpital catholique de
Plainpalais un jeune Italien. Environ quinze jours auparavant,
plein de vigueur encore, quoique très-souffrant, et jouissant de
toutes ses facultés, dont il a d'ailleurs gardé l'usage jusqu'à sa der-
nière heure, il avait reçu tous les secours que l'Église catholique
accorde à ses enfants dangereusement malades. Il s'était confessé,
il avait communié et reçu l'exlrème-onction. La cérémonie ache-
vée, il disait au prêtre en lui serrant la main, et d'une voix péné-
trée : Je suis bien content ! La sépulture a eu lieu le 13. Sur la de-
mande de quelques-uns de ses camarades , elle avait été fixée à 9
heures du matin. Cette heure convenait assez peu au clergé et à
l'église de Saint-Germain, qui précisément alors devaient être oc-
cupés par un autre service funèbre. N'importe; à 9 heures un vi-
caire, envoyé par M. le curé de Genève, était à l'hôpital de Plain-
palais et venait conduire, suivant la coutume catholique, le défunt
à sa dernière demeure. M. l'abbé récita les prières de la levée du
(">0 >lKI.AMiKS ET M)LVKI.LKS.
corps Cl se mit en roule. Il sort de l'enceinle de rhùpitai ; mais, au
lii'u de le suivre, les Italiens qui portaient le corps et qui formaient
le convoi prennent une autre dircclion, et malgré les remontrances
et les supplications de la sciMir Supérieure de lliôpilal, ils vont au
cimetière prolestant , non sans avoir caché la croix blanche du
drap mortuaire. Comme la carte exigée en |»areil cas n'avait pas élé
donnée au concierge, ils ne furent point admis. Force leur a donc
été de se rendre au cimetière catholique. Ils y sont allés, mais
sans [»rélre. Prés d'y arriver, comme si Dieu l'ut voulu leur
ménager une leçon et leur apprendre comment un enterre-
ment catholique doit se faire, ils ont rencontré un cortège funèbre,
bien dilTérenl du leur. C'étaient, qu'on nous permette de le (lire«'n
|)assanl, les membres de la Société de Sainl-\incent-de-I'aul qui
venaient , deux prêtres à leur tète , d'accompagner les restes mor-
tels de leur excellent vice-président, M. Hernard. Ces Italiens ont
donc enterré sans aucune prière, sans le moindre signe de ( alholi-
cisme, le cadavre victime d'une violence et d'un guet-apens si
odieux. Nous livrons ce fait à la publicité pour deux motifs. Nous
voulons, en premier lieu, que si ce récit arrive aux oreilles des au-
teurs de cet acte brutal, ils sachent bien qu'ils ne remporteront pas
une autre fois2un aussi facile triom|>he. Qu'ils se tiennert pour
avertis. Nous désirons, en second lieu, (pi'on apprécie û l'étranger
et que nos concitoyens protestants eux-mêmes ap|)rennent à mieux
peser la valeur de ces Italiens ennemis ou déserteur» du catholi-
cisme. Les voili peints par eux-mêmes. Après s'être probablement
battus comme des lièvres dans la Loml)ardie, ils \iennent agir
comme en pays conquis, sur la terre qui leur accorde une hospita-
lité imméritée. S'ils savent fuir devant les baïonnettes, du moins
ils sont capables d'insulter aux convenances et à la religion. Pourvu
qu'ils soient trente, ils osent tenir télé à une fenune, braver une
sœur de charité, celle-là même qui avait soigné, pendant deux
raois , chaque jour, les plaies de leur compalriole, malgré une in-
fection (]ui soulevait le c<L'ur. Leur vaillance a été plus forte que ses
prières; ils ont pu s'emparer d'un cercueil, faire un mort prison-
nier et emmener victorieusement... un cadavre; ils n'ont eu peur
que d'une chose, de la croix II! Nous rcconunandons fort ces héros
•» I église protestante italienne de Genève, si déjà ils n'en font partie.
— Nous pensons que les lecteurs des .hiualti liront avec plai-
sir la lettre suivante, écrite de Home par M. l'abbé Mermillod :
MF.I ANOFS ETNOI VKIJ.ES. 61
Roriic, le 17 novembre iSSi, fétc de S' Grégoire.
Mon bien cher ami,
Vous avez biUe de recevoir mes impressions d'arrivée dans la ville éter-
nelle, comme j'ai h mon tour besoin de les parlaf^cr avec vous; l'àme a des
joies qu'elle ne peut garder pour elle seule et (|u'ellc doit confier à l'amitié.
Personne, plus que vous, n'a des droits à lire dans mon cœur ces émotions
chrétiennes qu'y produit la ville des martyrs et la cité des saints. Notre
voyage a été presque un pèlerinage ; nous formions une pieuse caravane sous
la conduite de rarchevè(|ue de Gènes, de l'évèque d'Annecy, de l'évêque
de Saiiit-.Iean-de-Mauriomie et de notre illustre évêque exilé, Hlgr Mariliey.
Tour à tour nous avons pris la voie de terre et la voie de mer; nous avons
admiré celle route de Gènes qui cotoyc la niera travers des contrées parse-
mées d'orangers et d'oliviers : jeté un rapide regard sur Pise , celle ville
paisible dans ses souvenirs, cette cité sans bruit dont le Campo Santo est le
symbole ; nous n'avons pu que saisir au vol les merveilles de Florence, pleine
encore de l'éclat des Médicis ; pourtant nous sommes allés dans le couvent
de Saint-Mare baiser les reliques de saint Antonin , visiter la cellule de Sa-
vonarole et prier avec des larmes de ravissement devant les peintures de
frère Angelo de Fiesole. Comme celte Italie est bien la patrie des arts! le
peuple, presque enfant dans la vie publique, comprend les grandes choses
de la foi et du génie; et même dans ses jours de décadence, il a conservé la
grandeur du sentiment et l'exquise délicatesse de la poésie et de la peinture.
De Livournc à Civita-Vecchia, nous primes un vaisseau qui, en une nuit,
nous fit aborder au port des Etats pontificaux ; la traversée fut pleine de
charmes; le ciel était pur, la lune brillait et pas un souffle ne venait rider
cette immense surface des eaux. IVous nous promenions sur le pont, regar-
dant les cotes de l'ile de Corse, de l'île d'Elbe, de l'île de Sardaigne qui
fuj aient sous nos yeux, et le matin, à six heures, le jour de la Toussaint, à
la vue du magnifique spectacle du lever du soleil, nous posions le pied sur
les Etats du Souverain Pontife. Après avoir célébré la Sainte Messe dans la
cathédrale, nous fîmes route vers Rome. En quittant Civita-Vecchia, le voya-
geur traverse d'immenses plaines d'un aspect mélancolique ; l'œil n'y décou-
vre presque aucune habitation ; des prairies solitaires, semées de ruines et
peuplées d'aigles et de troupeaux. L'àme se recueille involontairement, elle
oublie les bruits du monde, les agilations des grandes villes; elle pressent
qu'elle va entrer dans une cité où rien n'est petit, où la vie terrestre n'est
que le vêtement d'une vie supérieure ; dans une cité où l'action divine ap-
paraît plus vivante encore que les créations colossales du peuple-roi. Je son-
geais alors aux pages mensongères de N. Roussel sur les nations catholiques
et les nations protestantes ; je ne les ai pas toutes lues; d'ailleurs elles sont
déjà tombées, mises en morceaux par le coup de fouet du Journal des Débats.
Je songeais donc que ce ministre du confortable aurait \\n [h{:me magnifique
à développer sur les alentours tristes et déserts de Rome, et les environs
de Genève, coquettement couverts de petites maisonnettes, de petits parcs,
«i2 MKLAXUF.S KT NOl'fEI.I.KR.
tic petits jardins ; «m !;> iii;iiii «li- rii<iiiiriii> a jelc sur une belle nature dos
beautés artificielles, des fantaisies de nénoriants qui ont l'ambition desri7f«.<.
1,0 confortable a pris la jdace de l'art , et les f;randes idées ont disparu de-
vant les satisfactions des sens et de la vanité, ('ne ville qui est un comptoir
de banquier doit avoir un autre entourage qu'une cité qui est un temple, un
autel et un reliquaire. Si ce n'était pas un anachronisme d'appeler encore
Genève la Rome protestante , je serais heureux de voir Napoléon Roussel
établir le parallèle dos deux Home ; dans cette peinture des deux villes se
trouverait l'expression évidenic de l'erreur et de la vérité. A Genève , nul
trace des souvenirs anciens, la tradition y est détruite, les }{loires chrélien-
nes oubliées, méconnues ou avilies; tout y indique un polit culte local , »ine
religion étroite, nationale, (|ui n'a point do passé et <|ui est parquée dans les
limites d'un canton suisse. A Rome, tout ultoslc qu'elle est la religion du
passé, du présent et de l'avenir, qu'elle possède la foi vérilable, la religion
une et universelle, (]u°clle a eu une prédeslinulion providentielle pour être
la métropole de la société chrétienne qui embrasse tous les temps et tous
les peuples. Aussi nous éprouvions une consolation inelTable d'arriver à
Rome le jour de la Toussaint, dans cette solennité où l'Kglisede la terre mêle
à la tristesse de ses chants d'exil les joies du ciel, on elle rassemble dans
une commune gloire ses fils de tout siècle et de toute nation, et montre à
nos regards sa couronne où apparaît la palme des martyrs et le lis des vier-
ges ; je relisais avec enthousiasme , en saluant de loin la coupole de Saint-
Pierre : O rerè bcala mater ccclesid, (imim rinanliiim yloriosus sanguis
rxornal... Flarihus ncc rosa nrc Ulia désuni (Bréviaire romain , jour de
la Toussaint).
Le Saint Père, dans sa paternelle sollicitude, a fait préparer aux évéques
et h leurs prêtres des appartements an Vatican et au Qnirinal ; il donne à tous
une inagniiii|ue hospitalité pleine de grandeur cl de bicnvoillance. C'est un
spectacle qui dès longtemps ne s'était pas vu ici, cette réunion de princes de
l'Église, venus de toutes parts, s'accueillanl avec une fraternelle afîeetion,
racontant les combats et les espérances de l'Kglise dans leurs diocèses. Cha-
que contrée a envoyé ici (|uelquos-uns de ses plus illustres prélats. Nous ha-
bitons le Vatican ; c'est comme un séminaire dévéques. Près do nous se trou-
vent les archevé(|ues de IJalliniore cl do New-York, qui nous ont redit les
merveilleux progrès de la jeune Hglise des Ktats-lnis; les évéques d Irlande
sont très-nombreux ; l'Angleterre a député le cardinal Viseman et i|uatrc au-
tres prélats; la Belgique a envoyé le cardinal de iMalines, les évéques de
Bruges, de Namur et île Tournay ; lAllemagne fournit à ce cénacle de pon-
tifes le cardinal Scliv\ar7.eid»erg, le primat do Hongrie, rarchovoque«leVienne,
l'arohcvoque de Miniich et lilluslre éNoquo de Mayence. (> dernier parle
avec espoir des combats du clergé dans le grand duché de Rade; la reine •
d'Espagne a fait les frais do \oyage, avec un éclat espagnol, .'i trois évéques
qu'elle a chargés d'être ses députés auprès du Saint Pontife pour solliciter la
proclamation du dogme de l'Immaculée Conception ; la France aura à Rome
«le nombreux évéques; les cardinaux de Reims, de Besançon, et l'ëvéqur de
MKI.ANOES ET NOIVELMS. 63
Marseille soiil di-jà arrivés. Les cvcV]ues crilalic sont en Irès-grand nombre.
Ilicn ne peut faire entrevoir la grandeur de cette réunion; c'est comme
une résurrection des conciles, et le Saint Pontife accueille tous ses vénéra-
bles frères avec une tendresse qui n'est pas de la terre, mais qui vient du
ciel. Souvent j"ai le bonlicur de contempler celle figure où la majesté et la
bonté se fondent ensemble; et quand, dans une audience accordée à notre
évéque, j'eus la joie indicible de magciiouilicr sous celte main qui bénit la
ville cl le monde, je sentais bien (pie celte main est vraiment celle qui a
reçu de .lésus-Clirist les clefs du royaume des cieux, la houlcUe pour pailrc
les agneaux et les brebis, que c'était en effet là Ihérilier de la grande pro-
messe : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.
Les assemblées pour la question de l'Immaculée Conception commence-
ront lundi prochain. Jusqu'à présent on a distribué aux évéques les travaux
faits par les congrégations préparatoires. On leur a communiqué neuf volu-
mes où se trouvent accumulées les réponses sur celle question de tous les
évéques du monde à l'Encyclique de Gaële et les livres faits à cet égard. On
voit que Rome agit avec une parfaite prudence et une sage maturité ; ce n'est
qu'après avoir «onstalé que celle pieuse et douce croyance est réellement
renfermée dans le dépôt de la tradition et qu'elle a sa place dans les vérités
révélées, que le Vicaire de Jésus-Christ prononcera cette grande décision
que l'Eglise attend avec confiance. La bulle va être soumise aux évéques ,
on ignore encore quelle sera la forme du décret, c'est le secret du cœur de
Pic IX. Le célèbre P. Perrone, que je vois beaucoup, et qui est bien dévoué
à nos chères Annales, qui a été le promoteur de celle question et sera, dil-
on, le cardinal de joyeux avènement de la Sainte-Vierge, ainsi que le P. Pas-
saglia, ont fait de beaux ouvrages où sont ramassés les souvenirs de l'Église
orientale, les textes des premiers siècles, la constance et l'universalilé de la
tradition sur ce point consolant de notre foi.
Les protestants trouveront étrange qu'au milieu des orages de la politique
et des bruits de guerre, qu'au centre des agitations de notre siècle, l'Église
songe à une pacifique réunion et se préoccupe d'un privilège de la Vierge-
Marie. Étrangers à notre foi et à nos sentiments, ils ne comprennent pas que
nous tenions à ce triomphe de la Mère du Sauveur; que l'Église, épouse fidèle
de Jésus-Christ; est la gardienne des gloires que Jésus a données à sa Mère.
A Rome, plus que nulle part, je les plains et je prie pour eux ; et naguère,
en célébrant la Sainte-Messe à la confession de Saint Pierre, sur cette pierre
sacrée qui recouvre les reliques des saints Apôtres, mes lèvres et mon cœur
répétaient avec enthousiasme ce symbole de ma foi, toujours attaquée et
toujours invincible : Je crois en Dieu, je crois en Jésus-Christ, je crois au
Saint-Esprit, je crois à l'Église catholique ; je le répétais, sur cette terre où
tant de martyrs l'ont écrit avec leur sang, sous celle coupole que Michel-
Ange a jetée dans les airs pour témoigner de sa vie féconde, en face de ces
ruines paiennes qu'il domine, en présence de ces monuments chrétiens qu'il
a fait surgir! Je voyais, suspendus à l'autel, un anneau et une croix pasto-
rale, insignes d'un évéque anglican converti, qui était venu déposer au tom-
beau de saint Pierre ces insignes d'un pontificat usurpé ; c'est le savant doc-
Ùk MKI.A>GES KT >Ul A P.I.LK5.
Umh hcs, tloiil 1rs Annalfi ont raconté la conversion, qui a placé comme
gage »|p son rrloiir a rKglise ce trophée de sa conversion. Je <lrinandai$ alors
au Dieu inailrc des ctrurs, à IKspril Saint, source de toute luniitVe, à Jésus,
prince des pasteurs, de ramener à la vérité tant d'Ames dont je connais les
angoisses stériles, de les conduire sur ce tombeau, leur faisant goûter un jour
la joie d'être catholiques, d'appartenir à cette famille religieuse, fondée par
Jésus-Christ, établie par les Apôtres, destinée à réunir tous les peuples et à
leur ouvrir le ciel.
Home prépiire de fjraiidcs fi-tes pour le triomphe de sa Reine; cette ques-
tion, pureDitiit Ihéologicpie. agile le monde: et niéme le journalisme mondain
iiécliappc pas à cette influence. Le Journal des t)ébals >ienl d'essajer ses
forces théologiques, et dans quelques articles, respectueux pourtant, mais
faibles de science, il discute comme on le ferait dans une classe de théologie.
Quels jours que les nôtres, où l'on voit le mou\ement religieux entraîner
dans sa marche même les plus indifférents! La conversion récente du frère
de lévéquc dOxford, du savant Vilberfoee, a ici un grand rcleiitisscmcnl ;
le cardinal Visman nous disait que IKglise, dans cette conversion, menait
d'extraire de l'anglicanisme tout ce «jui lui restait de théologie. Cet exemple
sera suivi. Il y a là de quoi nous consoler des recrues munimées que fait le
protestantisme aux dépens de la misère et de la faim.
On espère que la basilique de Saint-Paul pourra être consacrée par le
Saint-Père en présence des évoques étrangers. Cette basilique, avec ses cinq
nefs, est bien la sœur de celle du Vatican ; ses forets de colonnes, son autel
de la confession, formé de présents royaux, avec son obélisque donné parle
chef mahométan de la race arabe ; toute cette niagnilicence, qui éclate dans
celle église ressuscitée de ses cendres, atteste bien que Home est la gar-
dienne de la foi des Apôtres, comme elle conserve leurs illustres reliques.
Si elle a un soin filial pour les restes mortels do saint Pierre et de saint
Paul, si elle abrite leurs débris sacrés sous des voûtes d'or et de marbre,
elle n'en est pas moins fidèle à conserver leur doctrine, leur enseignement
et leurs paroles! Le chrislianismc primitif est \ivant encore; il se présente
aux regards sous toutes formes; cha(|ue pierre parle de lui. et.'» chaque pas
on rencontre une pensée religieuse ou un souvenir de notie histoire catho-
lique. Aussi, comme les protestants paraissent petits avec leurs discussions
interminables ; je souris en songeant (|u°ils osent contester le séjour de saint
Pierre à Rome ; mais c'est nier à Versailles l'existence de Louis XIV.
Je viens d'assister h une cérémonie ipii est admirable de simplicité et de
grandeur; le cardinal primat de Hongrie a reçn le chapeau dans un consis-
toire public bien nombreux, et demain nous aurons les solennités de la dédi-
cace de l'église de Sainl-!*iL'rre. Rome oITre <lans la terre de l'exil un reflet
quotidien des joies du ciel ; cha(|ue jour o sa fêle et sa mémoire ; nulle ville
n'est aussi favorable aux sainics pensées, aux sentiments religieux ; le cœur
et l'Ame du chrétien ont des jouissances qui ne lassent pas ; il y a presque un
avant-goût de la cité permanente, parce que tous ces souvenirs mullipliés
nous ramènent it la pensée unique du règne de Jésus-Christ dansPunirers.
Adieu. Imit à vous en Notre Seigneur.
i;a>.paril .MKKMILLOI), missionnaire •po>toliquc.
NI. L'ABBÉ PATTERSON w.
Sous le liue de Journal d'un voyage en Orient , avec noies
et appendice sur l'élat de la religion en Orient , il vient de pa-
raître , en anglais , un livre qui nous parait présenter de rinlc-
rèt au point de vue religieux. L'auteur , M. Patterson , aujour-
d'hui prêtre catholique, fil son voyage en 1849 et 1850, époque
où rexcitatioD parmi les anglicans était portée à son comble par
le célèbre procès Gorham. 11 était alors ministre protestant, maî-
tre ès-arls du collège de la Triuilé à l'université d'Oxford, et vi-
caire d'une paroisse de cette ville. Depuis quelques années il
éiaii puseysle. Trop jeune encore pour pouvoir se rendre compte
de toute la portée des principes mis en avant par le P. Nevvman
et ses collaborateurs, M. Patterson avait adopté avec ardeur les
opinions et les pratiques à demi-catholiques qui n'étaient chez
les auteurs de ce mouvement remarquable, que les conséquen-
ces de leurs principes religieux. A l'époque donc où le docteur
Newman et ceux qui le suivaient de plus près firent leur abjura-
tion, l'abbé Patterson et un grand nombre de jeunes gens se
trouvaient dans une position singulière. D'un coté leur magnus
Apollo , celui qui, tout en croyant seulement aiTermir les bases
minées de l'anglicanisme , avait donné la première impulsion du
retour d'Oxford à Rome, le P. Novman en était venu à reconnaî-
tre qu'en dehors de la communion tutélaire du Siège apostoli-
que il n'y a de salut ni pour la foi ni pour la discipline. D'un
(1) Le remarquable travail qu'on va lire nous est envoyé par un catholi-
que anglais,, qui a abjuré il y a peu de ten)ps les erreurs protestantes.
5
G6 M- ' ARIII- l'.nTKRSON.
aulrc côlé, cu\-mt-iins, imlms de la |Misiiasi(in (juc le |iiis('Vsmt'
t'Sl le juslc-milicii vuUr les cneiirs prolcslaiiloscl le calliolicisnu'
t'xclusir tUî ll(»m(', se irouvaionl aussi impuissants à suivre leur
chef (lu'à (lenicurcr imntobilcs dans colle voie doni le seul lermo
logique élail, d'après la dénionslraiion du V. Novman, une sou-
mission absolue à l'Église. Les anciens disciples du sa\anl tloc-
teur avaient donc beau se rejeter sur ses préeédenls ouvrages
anli-caiholiques , mais bien plus encore anli-prolesiants , ils
étaient comme malgrt- eux poussés au même résultat; car dans
l'abjuration du V. Newman se trouvait toute une rél'utaiiun de
ces mcMues ouvrages, réfutation de fait d\me immense portée.
Oulre cela, l'opposilion, la résistance des autorités anglicanes au
puseysme, et, nous pouvons le croire, les habitudes de piété, les
bonnes œuvres auxquelles ces jeunes gens étaient formés, étaient
autant de causes du travail secret ei incessant de leur esprit.
Il paraît que plusieurs d'entre eux , dans les angoisses de leur
agonie protcslantc , avaicnl lourm- leurs regards vers l'Orient.
Déjà depuis 1837, M. Palmcr, membre du collège de Ste-Marie-
Madeleine d'Oxford, s'était épuisé en vains clforts pour établir
dos relations avec l'église greco-russc. La tentative n'était pas
nouvelle chez les anglicans. Au dix-septième siècle, un arche-
vêque de Canlorbéry avait fait des démanches infructueuses au-
près du malheureux Cyrille Lurar, patriarche sehismaticpie de
Conslantinople , pour être reconnu par les Grecs comme chef de
l'église «catholique-réformée» de l'Angleierrc. M. Paiterson
et un de ses amis , M. Winne, membre du collège des Fidèles-
Trépassés (AII-SouIs) d'Oxford, et vicaire d'une paroisse de
cette ville , se décidèrenl à partir pour l'Orient avec l'idée
de voir de près ce qu'était l'état de cet antique christianisme
de l'Asie et de l'Afrique. Ayant besoin de repos pour le corps
et pour l'âme, ils se tournai(Mit vers l'Orient ; ils espéraient trou-
ver là une solution de leurs doutes, soit en reconnaissant parmi
les vieilles hérésies orientales une catholicité incb'pcndanlc de
celle de Rome, soit en arrivant à la conclusion contraire.
Ils étaient nuinis , nous dit M. l'alierson , de lellres (|ui leur
a\aient été remises par un ancien condisciple devenu évoque an-
glican , dans lesquelles ils étaient qualifu-s d'ecclésiastiques
M. I.'aHUK l'ATTKIlSON. G7
n anf,'lo-(ailioli(|ucs-ortliodoxcs, » cl icromiiiandés aux soins
cl à la communion de ions les cvêqucs « catlioli(|ncs cl orllio-
doxcs des cj^liscs orientales. » A la lc(-turc de lonles les peines
<jue se sonl données ces messieurs, on se dcmajide commcnl il
est possible que deux hommes instruits cl intelligents aienl dû
faire tant d'efforts pour arriver "l'i la connaissance d'un fait aussi
('datant (juc celui de la catholicité exclusive de l'Église.
Ce fait, auquel ils se licurtaieni à chaque pas, ils avaient des
moyens particuliers de l'apprécier; ils étaient compagnons de
voyage de M. Allies, cel autre émigranl du puseyme vers Rome,
dont il a élé question ces dernières années. C'est ici le cas de répon-
dre que nul n'arrive à la foi sans la grâce de Dieu, grâce absolument
indépendante des lumières nalurellcs, mais qui, pour porter tous
ses fruits , veut rencontrer la coopération de la bonne volonté de
l'homme. Ajoutons, en passant, que même avec celle bonne vo-
lonté , il faut aux Anglais, à moins d'un éclatant miracle, bien
du temps pour se désabuser de leurs préjugés religieux , dont.
l'empire a une inexplicable puissance. Nous n'avons pas le loisir,
dans un article comme celui-ci , de suivre pas à pas M. Patter-
son et son ami. En Egypte , en Nubie, en Syrie, en Grèce , ils
rencontrent les Cophtes, les Abyssiniens, les Jacobiles, les Nes-
loriens, les Grecs schismatiques et autres hérétiques de l'Orient.
Ils Irouveni parmi eux, d'un côté, le simulacre d'une autorité il-
lusoire, de l'autre l'ignorance et l'habitude aveugle, seuls ap-
puis de toute hérésie dogmatique. Ils reconnaissent alors que ce
que l'anglicanisme a de commun avec les schismatiques d'Orient,
c'est le principe de désunion et la haine pour l'Église catholi-
que ; partout ils retrouvent les missionnaires prolestants envoyés
par les soins de l'Angleterre et de la Prusse, fraternisant avec
l'élément rationaliste qui commence à travailler les schismes
usés de l'Orient. Si un évéque Cophte de la haute Egypte les in-
vite à célébrer avec lui la communion, ce n'est nullement qu'il
reconnaisse en eux des « ecclésiastiques anglo-catholiques, »
mais bien parce qu'ils les estime hautement comme étant émis-
saires de l'évêque anglo-luthérien de Jérusalem , colporteurs de
Bibles, avocats du libre examen, et, avant tout, hostiles à l'É-
glise de Rome. S'ils trouvent des prêtres arméniens en Syrie ,
68 M. i/aUHK I'ATTKRHO.
pleins d'«*gards el «le polilrsse, cr n'est |>:is (|iie ( ciixm i l»'s lini-
nenl jxnir [in'lros Icj^iiinies , iléposimires de la saine docirine n
dispensateurs (les sacrenienls de l'K^lise ; mais, an rontraiie,
eVsl «ju'ils les reconnaissent pour Anf^lais , pour pr<»iesianls ,
par cons(''<]iicnl, f^ens cclnirùs et aceommodants en matière
«le foi. Pour eux . Arméniens, ils sont prêts à nier toutes les vé-
rités , bonnes seulement pour le [)euple i};norant , et à iransi},'<'r
avec les vieilles hérésies sur la personne du Sauveur, pourvu
(|u'on leur aide à détruire TK^Iisc détcsti-e d'Occident el à
former une « nation » protestante sous la protection i\r l'Anj^le-
terrc, comme il y en a une catlioli(|ue sous la tutelle de la France
el de l'Auirichc, cl une grecque sous celle du czar. Les expé-
riences que nos voyaj^eurs faisaient en Orient «'taient donc des
|)lus <lécisives contre la théorie puseyste. Si, en Occident, même
en Anglelerre, ils ne se trouvaienl pas assez à l'abri de celte ma-
jestueuse vérité calholi<pic qui les attirail, «pioique voih'-e et
déligurée par les préjugés et la mauvaise foi de trois siècles d'i-
solement dans les ténèbres de Terreur, en Orient ils se sentaient
cenl fois plus mal à leur aise ; « honteux , » ils nous le disent
eiix-nu'mes, il'appartenir au radicalisme religieux qui s'y mon-
trait si évidemment l'ami et le conqilice de tout ce qui s'oppose
ù toutes les autorités , lanl légitimes qu'illégitimes. En elfct , si
••n Kuropo il est évident que tout chiislianisme qui ne s'appuie
pas sur le principe de l'auioriie (el (jui dit autorité dit l'a|)e, ou
ne dit rien), csl prêt à disparaître, en Orienl on peul dire (pie
déjà il a disparu. Les sectes n'y ont qu'une vie factice, poliiicpie
ou sociale, en tant qu'elles tiennent à leur ancienne indépendance
du souverain turc. Oite indep(M)dance, elles tâchent de la uiain-
lenir ou eu s'aliachanl ;'i la lUissie, |)ouvoir soi-disanl <ons<'r-
vateur, à la longue, le plus desirnctenr de tous; ou en se suici-
dant ouvertemcnl en faveur du |(rotestantisme qui jette ses
iilcls dans toutes les eaux troubles (1).
(I) Nous appelons la Russie le pouvoir radical par excellence, parce qu'il
ne vilquc de dcslniclion. Si, selon le mol profond de Nnpok'on III. le |k»u-
voir c()nscr\atcnr sort (|iicIt|U('rois d'inic légalité li>pociitc cl iiubi-rilc pour
renircr d;iiis l'ordre, le dospolismc, au conirairr, n'a |i(inr loulc loi «pic la
M. I.AUnK l'ATTKRSON. f>«)
L)c nos jours, on ;i vn des «''}j;lis«'S scliisi»aii(|ihs cnlièrcs , cl
mémo une (''j^lisc cailioli(|ii(', vu Orient et dans l'Kuiopc; orien-
tale, tlisparailrc dans le gouflVc du despotisme moscovite; celles
(|ui ne périssent |)as do celte façon violente s'en vont se dissol-
Nanl par leiii' tiision avec le proieslaniisme an^Mican, prussien,
lulliérien , calviniste et pliiloso|>lii(|ue de M. Goliat , évoque an-
{^iican de Jérusalem, par la {^'ràco di* Victoria et la laveur de Fro-
déric-Guillaume. Ainsi nos voyaj;curs anglicans reconnaissaient
de plus en plus que leurs idées puscystes n'étaient qu'un rêve ;
(|u'il n'y avait en Orient nulle église ealliolique vivant dans l'iso-
lement d'une véiitablo antiquité et d'un ])ays «'gaiement éloignés
de Rome. Mais si celle «< recherche de la meilleure des républi-
(jues, » ainsi qu'ils la révaieni , ne réussissait pas à leur gré , ils
liouvaient cependant autre chose qui la valait l»ien. Comme le
prince abyssinien de Johnson , en cherchant l'impossible , ils
s'emparèrent du vrai. A chaque pas qu'ils lirent dans ce pays de
désillusions , à côté des fausses églises , ils en voyaient une qui
|)résenlail toujours ces mêmes caractères de vérité qu'ils s'effor-
çaient de trouver ailleurs. C'est ainsi que séduit par le mirage
dcslruclioii de 1 ordre. C'est ainsi que la Russie, taisant profession dune Cs-
spècc de synerétisme politique, viole fous les droits de Ihumanité en agglo-
niérnnt dans son sein meurtrier toutes les races et toutes les croyances. Elle
est incapable de rien organiser; elle ne fait qu'accumider les cléments du dé-
sordre qui se fera un jour le châtiaient même de cet abus de pouvoir. Les
faits parlent trop haut pour qu'il soit nécessaire d'insister. Cependant nous
en citerons un récent et peu connu. En 1849, après la guerre de Hongrie, le
czar distribua beaucoup d'ornements et de livres liturgiques parmi les égli-
ses des sujets slaves schismatiques de son alliée rAutriche. Dans ces litur-
gies, on trouve le nom de Nicolas comme chef de « l'église orthodoxe, » sub-
stitué partout à celui du patriarche schismatique de Constantinople. Et les
millions d'ùmes de l'église ruthéniennc, de celle des Géorgiens et des Armé-
niens , que sont-ils devenus sous la protection moscovite? Croient-ils (par
ukase impérial) aux dogmes du czar et de son « vénérable frère le saint sy-
node de Pétersbourg?» (parnobile fralrum) , ou ne sont-ils pas abandonnés à
l'incroyance qui les ronge lun et l'autre? Et la Grèce, la Grèce où les hautes
classes sont travaillées par le rationalisme des universitaires à la Coletti , la
Grèce où le peuple est entretenu dans une ignorance fanatique par le clergé
gréco-russe, lui préparait-on un meilleur sort? Heureusement Dieu, per
Francos, en dispose autrement.
7(» M. I Mini: rMTKHSoN
(l'un dt^srri suhloneiix , il ;iirivc parfois (|ue le voya^oiir cgar»'*
lin' son prolit de son nit-m- imiiic, »ii ii(»iiv;ini une source d'eau
]»iin; (|iii lui :iiir;iii aiilrcinciit et li;ip|>(''. Los lici<''sios de l'Oricni
Ncinblaienl à leurs yeux rcNivrc d'uni* vie de coiiiiptiun à la voix
du protestantisme. De la tombe des siècles ils voyaient sortir
une armée de vieilles erreurs <pii , oubliant leurs haines mu-
Itu'lles, venaient se ranger sous l'étenilard d'un confrère nou-
veau. Il les embrasse et les réchaulTo toutes lour à tnur, dans
sou ample sein, embrasé d'un lèu <pii n'a rien de céleste, puis
elles viennent se jeter chacun»' à sa j^iiise, sur le commun ennemi
«pii les condamnait toutes dès leur orif,'ine. Diriges par les cris
confus de cette armée déloyale, nos anglicans s'apercevaient par
là même que son ennemi devait être des plus respectables. Les
sectes orientales ne reconnaissent le protestantisme pour leur
<hef (jue parce qu'il présente l'ensemble de toutes leurs néga-
tions individuelles ; tandis (jue l'Église catholique, objet de leurs
\ieilles inimitiés, ne cesse, au ctmlrairc, de proclamer des vé-
rités (jue chacune de ces sectes admettait à son idur. Lalliance
donc entre les invalides orientaux et leur chef occidental était
a leurs yeux plus «jue suspecte. La certitude qu'ils venaient d'ac-
quérir (pie le protestantisme n'est essentiellement (pie pure
iiegaliou, cl qu'il ne saurait exister un instant sans emprunter
l'être à la vérité môme qu'il s'efforce de détruire, devenait pour
M. Pallcrsttn et son ami le inolif |>ro('hain de leur conversion à
la foi calhujique.
Mais il y a encore bien loin de la conversion naturelle à
la soumission surnalurclie que demande l'Église calholi(iue ,
et pcul-ètrc nos voyageurs n'auraient-ils jamais fait ce grami
pas , s'ils n'avaient lini par demander sur le Calvaire même et
auprès du tombeau du Seigneur la lumière de la vraie foi ,
(pjcllc (prelle lût, et la grâce d'accomplir la volonté de Dieu à
loui prix. M. Palt(M'son ne fait pas un miracle de sa conversion
accomplie à Jérusalem ; cependant nous pensons (jue , dans le
fond de l'âme , il rcconiiait ipic le changement opéié en lui et
sou ami , deux jours après leur arrivée dan:» la sainte cite, le
\ cndredi-Sainl 1850, était une grAce toute spéciale non-seule-
ment dans le fond, mais aussi dans la forme. On ont dit (pie la
M. i/ahhi; i'Arir.KS(^>. 71
Proviilfucc leur avait roscrvo une hicn douce consolaiion de
|)lus ; c'est sculemciil a()r('.s leur conversion (ju'ils ont eu l'occa-
sion de voir qu'à côté d<,'s rava^^es faits par la religion (ju'ils ve-
naient d'ahiiirer, il y a cliez les Orientaux un mouvement tout
céleste dos âmes droites et sincères de toutes les sectes vers le
seul refuge de ceux qui aiincnl la Nerilé. Chez, les Cophtes, chez
les Grecs, chez les Nesloricns, cl surtout chez les Arméniens d<!
la Turijuie (jui ont é(;ha|)pc à rannexion russe, |)ai' huiucllc le
siège patriarcal d'Etchemiazin, formant jadis leur centre reli-
gieux, leur a été arraché, il y a une tendance prononcée vers le
catholicisme. Le primat de cette secte à Constantinople, et plu-
sieurs meudtres de son clergé, sont connus comme très-favora-
bles à un retour à l'obédience du Saint-Siège ; et des conversions
remanpiables, la publication d'un journal et de différents livres
écrits dans ce sens, donnent de grandes esjtèrences pour l'ave-
nir.
Dans les circonstances présentes, nos lecteurs demanderont
peut-être avec intérêt quel edet la guerre avec la Piussie pour-
rail produire au |)oint de vue religieux. Selon ce que nous dit
M. Patterson, il paraît que le schisme grec présente bien moins
que les autres sectes des motifs de consolation à l'âme chrétieime.
Fidèles aux traditions et aux antécédents de Constantinople, les
Grecs s'appuient de plus en plus sur le pouvoir temporel. L'esprit
astucieux et rampant du clergé flaire depuis longtemps de quel
endroit lui doit arriver la protection qu'il ne demande plus
qu'au nom du gouvernement ottoman. On s'étonne que la diplo-
matie anglaise, sous lord Palmerston, ait pu laisser le czar, pen-
dant de longues années, libre de construire un second empire
gréco-russe au sein même des Etats du sultan. La nullité de la
France en Orient depuis 1830 ne demande pas d'explication.
Malheureusement le gouvernement de Louis-Philippe y faisait
uioins que rien ; car en se taiguant de ses droits de protection
sur l'Église latine en Turcjuie, il empêchait l'Autriche et les au-
tres puissances catholiques de faire le peu qu'elles auraient pu
[»our résister au mal. Après dix-huit années de gouvernement,
Louis-Philippe laissa pour monument de son zèle pour la reli-
gion et pour les intérêts de sa patrie en Orient, l'érudit M. Botta
M. I VltlU l'A I I titSO>.
oonxme consul à Jériisakiii , et son |>ro|)i'c itoriiaii , assez, mal
pcini, |«uii' ilécorer les murs de l'cglise latine dn Saint S<'|uilcre,
qu'il ne Mnilail ni proli'-^'iT Ini-niênio ni laisscM' proii-^or par les
autres, l'cndani que ers anni'fs pn-cionses {irret'ocnbili' trmpus)
s'écoulaient, la Russie taisait dis pro^M'ès immenses. Elle minait
une grande et iiilliienio partie de i'Klat turc, et , selon toutes les
apparences, ili\ ans de |)lus de rèync à Louis-lMiilippe en France
et il lord Palmerston en Angleterre auraient rendu la guerre
d'aujourd'hui inutile, sinon à tout jamais impossible.
Celte guerre nous semble capable d'agir pour le bien duehris-
tianisme par deu\ moyens diiliiciiis. |ji premier lieu, elle emp«^-
( liehunaiclie du despotisme moscovite qui, en écrasant le sultan,
détruirait avec lui toutes les croyances (ju'il est obligé de pro-
léger, même celle des Grecs, que le c/.ar suUoipio par ses soins
])aterncls depuis plus d'un demi-siècle. D'un autre côté, avec
(piellc justice la France et l'Angleterre pourront-elles jouer on
Tiutpiic le même jeu déloyal et contraire aux lois des nations
qu'elles dénoncent, avec raison, clie/. le c/.ar comme subversif du
pouvoir ottoman? Or, dans la destruction du pouvoir russe dans
les Etats du sultan, et dans l'ajjslention de la même poliiiqu»; de
la part des autres puissances, nous voyons de grandes espéran-
ces pour l'avenir de TÉglisc en Orient. Que la protection civile
des Grecs scbismaiiques non sujets du sultan appartienne à la
Russie, (|ue les catlioliipies du rit latin jouissent de celle de la
France et des autres puissances catliolicpies, que les protestants
aient é'galemenl une protection consulaire anglaise ou prussienne,
il n'en peut être autrement tant que le sultan et son gouverne-
ment seront musulmans. Mais si l'inlégrité de l'enqure ottoman
est désirée de bonne foi par l'Europe, elle ne manquera pas de
le maintenir en pleine et inde|)ondantc possession de ses droits
souverains sur ses sujets de toutes les croyances. Dans cet éiiit
de choses, la religion aura tout à gagner. Le schisme greco-
russc tombera dans une nullité complète, comme religion, aussi-
tôt «ju'il aura perdu l'appui du c/.ar. Le principe protestant ne
pourra |»as opérer ce qu il lait chez nous, iiiNcler le terrain jon-
ché des ruines d'anciennes erreurs; ce terrain réclame et ob-
liemlia la ( nlitire lilire du luissidiiiiaire de la loi. .Jamais le prn-
M. I. \I!IIK l'ATTKUSON. /.5
h'stnniismc nioUt'im; no pourra s'érij^cr en système religioux
sans l'appui do la force mah'ricllc. L'Église callioliquo, au con-
ir.ure, ne demande que la vraie liberté, aulani «|u'ellc peut l'cs-
pcrer on pareilles circonstances. I.o Saini Sioj^e, nous apprend
M. PalU'rsou, a loujoiirs reprouM' raf^'^'io^Mtion des convorlis su-
jets du sultan au rit latin, paico <|u'il craignait (|mc Ton ne se lit
(Miholicjuc pour gagniM' la protection consulaire des puissances
catliolicpics. L'Église exige que ceux qui se convertissent soient
toujours aggrégés au rit de leur race, ce qui ne les émancipe nul-
lement de leur d<''pondance civile du sultan. L'ouvrage de
M. l*atterson est public depuis 1851 ; il prévoyait d(''jà ce qui
est arrive' depuis, et ce fut pour lui une grande consolation
de voir que les succès du rationalisme protestant et la domina-
tion du scliisme grec en Turquie n'étaient dus qu'à la protection
russe et anglaise. Le catholicisme n'avait évidemment, pour
toute cause de ses succès, que ses forces intrinsèques, sa mis-
sion et sa fin divines. L'ouvrage que nous parcourons nous pa-
raît intéressant non-seulement au point de vue religieux, comme
témoignage de ce que peut la vérité catholique dans des circon-
stances aussi dillérentes que sont celles où se trouvent l'Orient
et l'Occident, mais aussi au point de vue politique. Pour ceux
qui sont catholiques avant tout , il paraît dillicile de concevoir
une sympathie profonde dans la guerre actuelle , soit pour les
Turcs, soit pour les Russes. Si nous comprenons bien la situa-
tion , il nous semble évident que nos vœux devraient être pour
la conservation , sous de nouvelles conditions , du pouvoir otto-
man , attendu que sa dissolution immédiate tournerait bien plus
au prolit de l'incroyance qu'à celui de la religion. Tôt ou tard
cette dissolution aura lieu ; espérons qu'en attendant l'Église
aura eu le temps de jeter de profondes racines parmi ces races
égarées depuis tant de siècles dans l'erreur et l'ignorance. Elle
ne demande pour cela qu'une vraie liberté d'action, car l'expé-
rience lui montre que la protection des princes est presque
aussi nuisible que leur tyrannie.
Si l'on demandait maintenant à M. Palterson quel est, selon
lui, l'avenir probable du mouvement puseyste en Angleterre, il
répondrait, pensons-nous , que tout en s'attendant avec raison à
M. I. Ainii; I'.vtti;b^»>.
iiii assez ^raïul nuinbrc de lonvcrsions im|>orlanies opirécs par
rinfliioncc des opinions (rOxIonl , on s'ahuseraii ccpcMuIani, en
s'ima^'inant «pu- rAnglrierre vn général se rapproche <Ie la foi
par cette voir. La pensée t\r M. Patterson s'expliquera si on vcu^
remonter à l'origine et à l'histoire du pusosmc Kn 1833, de
nouveaux empiétements du gouvcrneuïent sur les droits que s'ar-
roge l'église pioteslanle olliricllc, donnèrent à Irtirs (-liain[)ions
I occasion de recliereher les principes iondamenianx de l'unité,
de la visibilité , de rindépcndance cl de l'autorilé de ce corps
inysti(pie de Jésiis-Clirisl , qui est l'Église : principes dont on
avait peu à peu |)erdu la tradition, même comme théorie. Mew-
nian, l'usey et leurs confrères proclamèrent hautement ces prin-
cipes, vraisemblablement sans en prévoir les conséquences logi-
ques, c'est-à-dire l'ajjandon du schisme anglican et la soumis-
sion ù l'autorilé île Ihylise cailioli<pie. Leurs yeux se dessillèrent
peu à peu seidement, soit par la renonciation explicite des auto-
rités anglicanes à ces nïémes principes , soit par l'impuissance
qui s'«'u suivait pour eux de les mettre en pratique, soit encore
par leurs études apfjrol'ondies de la (piestion et les lumières qui
en jaillissaient , mais surlimt , nous le répétons, par le profond
sentiment religieux (jui dominait en eux, et leur désir ardent de
connaître la \érilé. (^e|)endant tous ne marchèrent pas d'un pas
égal. Les attaches du cœur, de la volonté, les pré-jugés de l'édu-
cation, l'intelligence et la conscience mal «'clairées, les habitu-
des, les relations de famille, de sociét»'* , présentaient des obsta-
cles plus ou moins diflicilcs à vaincre suivant la position de cha-
cun. Aussi , voyons-nj)Us (piehpies-uns des premiers partisans
du pnseysmc devenir catholiques setdement à présent, c'est-à-
dire vingt ans après le d('-i)ut du mouvement , ^'l neuf ans après
<pie son illustre chef, le I*. Nowman , «mi a donné l'éclalxinte so*
Inliun par sa soumission à l'Église. Il y a beaiicou|t de jeunes gens
surtout qui ne sont devenus puseystes que par l'éducation ou
par sentiment , et ipii ne comprendrom bien c<»s principes et
leurs légitimes consé(piences «pie Ix'auconp plus tard. Il est un«'
grande fraction «lu |>arti dont on ne p<>ul garantir la bonne foi.
llhe/. plusieurs, uiw haut«! inl«'lligen«e ne h'ur permet p:is «le
s'abuser sur la portée des principes «pi ils ont reconnus, mais ils
>l. I.'.VHHK l'.VTTKIlSnN. 75
n'onl pas l»î f,ouraf,'(' de leurs eonviclions, et perdant peu à peu
la ediiscience et la perception de ces vérités gênantes, ils se
jeiienl dans l'indilTérence , puis dans l'abîme d'une incrédulité
absolue. D'anlres, plus bornés, ne veident pas leconnaître que
leui- ancienne j)()siii()n n'est |)ius tenable. (londaninés par la
v()i\ publi<pie à un juste ridicule , ils s'eiïorccnt de réhabiliter
rid*'»' delà socle en jouant au piiseysuie de 1833 vinf,'t ans trop
lard , et ils sirrilcnl de la faiblesse de leur succès. On les re-
irouve de temps en temps dans les journaux ameutant une pa-
roisse pour le chant d'un»; litanie ou le droit de porter un sur-
plis en chaire , traquant un pauvre évéque jusque dans le sein
paisible de sa nombreuse famille pour porter plainte contre un
confrère qui ne prêche pas à leur gré sur la Cène ou la succes-
sion apostolique du minisière. Sévères envers ceux (|ui ne les cs-
linicnt |)as pour les seuls vrais repr(''senlants de l'Église domi-
nante, ils n'en sont que les enfants terribles , et troublent en
vi'iitables cauchemars le doux sommeil de toute la haute offi-
cialité anglicane. Tout en singeant ce que bon leur semble, le
culte et même la croyance de l'Église catholique, ils la craignent
et la haïssent ('gaiement , et reproduisent ainsi le type usé des
schismatiques de l'Afiique et de l'Orient. Mais hors ce parti
même (qu'on pourrait appeler la reductio ad absurdum de la
secte), les opinions puseysles, quoique assez répandues parmi
les gens instruits, ne se propageront jamais dans les masses.
C'est un système insaisissable , trop flottant, trop fondé sur des
appréciations raffinées, et savamment sophistiques pour agir sur
loute une nation.
L'Angleterre reste encore dans la masse profondément pro-
testante. Sans doute, elle commence à être puissamment re-
muée, et dans les classes hautes et dans le peuple des gran-
des villes, pai- le rationalisme, de sorte que beaucoup d'hom-
mes pensants et agissants n'y sont pas plus chrétiens aujour-
iriiui que les Allemands non piétistes. Cependant la grande
classe moyenne, la plus étendue et la plus influente sous tous les
rapports, est rivée à l'habitude du protestantisme national tel
qu'il était au seizième siècle. L'isolement et l'esprit tout maté-
riel des Anglais suffisent à peine pour en donner une raison :
M. I. AllllK l'ATTKBSoN.
nuis la prriive «>n rsi <|u'aucun ininistùie n'a pu jiis(|u'à piésciil
.se |>asser de recourir a(i cri do no popery ! (à bas \o Papel) dans
les inoinriils drcisils dos «'Icciions i;<'nérales. Tour à lour nous
voyons les Tories, les \Vlii},'s ri les radiraiiv venir |»n»lcsier à
U<»me <|u'ils ne la (ont nullemenl par conviction, mais seulement
parce (jue la nation l'exi^'C. l*oliii<jue làelic qui ne leur pa^nera
jamais cet appui du Saint-Sit'-^'e «pi'ils reelien Ik-ui pour venir à
l»oul de l'Irlande , ollVatU à l'K^'lise îles promesses de protection
<|ii'on ne leur demande pas, et qu'ils savent eux-mêmes ne |>as
pouvoir tenir. Selon nous, illaudiades instruments d'une trenq»e
liien autrement forte qu(; la tentative puseysle, pour rompre les
liens «lu vieux protestantisme national. Ia»s conversions qui s'ef-
leetuent par ce moyen y contriliueni sans doute en ébranlant
r«'j,'lisc dominante, dépositaire de la tradition anti-eaiholique,
mais la nation en j,'eneral veut èlre desaliusée par la loyique im-
pitoyable du rationalisme. Quand on reconnaîtra enfin l'impossi-
bilité de croire à la Tiinilé et à l'incarnation sur la foi d'un vieil
acte du Parlement d'Klisabetli , quand les derniers débris du
symbole an^dican ne présenteront plus l'apparence d'un boule-
vard contre l'incrédulité du siècle, alors peut-être verrons-nous
un retour vraiment considéraMeà la vciité. Pour le moment le pre-
mier acte (b; ce grand ilrame u'rsi «pie eommi'ucc. <>ommc dans
les premiers siècles de notre ère le paganisme romain, ainsi de
nos jours la religion anglaise rampe encore à travers les fertiles
campagnes et les bourgs tlorissanis du pays, à peint- entend-elle
parler delà tempête qui viendra un jour fondre sur ses paisibles
possessions, et la mettre en déroute pour jamais.
L'hglise de Dieu n'invite pas, elle attend en sûreté le déluge
<lévastat«Mir. tlle verra en frémissant se produire bientôt sous ses
yeux dans ranii(|ue ile des saints, les dernières scènes de
cette longue tragédie dont depuis trois siècles l'Europe est le
flieàtie , mais clb; n'v reconnailra «pi'un nouvel accomplissement
de ce mot de son maître : toute plante tjin n'est pas plantée par
mon Père céleste doit ètrctlvracinée. Portée sur les Ilots tnmnliucux
<|ni font sond>rer toute autre banpie «juc celUî do Pierre, cil»!
s net upe à accueillir les naufrages rari uantes in gurgile vasto
qui viennent s y nfugier. Déjà, sous les ordres de l'Iiabile |>iloto.
M. i.'ahhi-; i'atti;iiso>. 77
les (It riiicis \onu.s, à Icuiloiir, iMiircnt de colli; nu r Iioublé»' les
lilcls chargés du Galilrcn.
On a ()S('' < riliipn^r Tà-piMtpos du •^laïul aclc d<' rclalilisscmcni
(le la Im( rai( liic vatlioluiiic m Aii^lrione. C'est un acte <lu Sou-
verain Pontife; coinnu! tel, nous ne nous i-econnaissons pas le
ilioil lie 1(^ discuter. A lui de cnninuinder, à nous d'oiiéir. Quel-
(pies-uns, qui ne se perniclliaienl pas de hlànier la déniarclie en
elle-même, eriliipicnt cependant la manière dont la volonté du
Pontife a été accomplie. Pour parler net, on a accusé le cardi-
nal-aiehevêqiu; de AVestminster d'un imprudent éclat; mais cet
telat, il ne Ta nnllemcni rechcrclié. Ce qu'on appelle le hasard
a voulu qu'il revint de Ronui revêtu de la pourpre impériale de
rKi;lise; car le Souverain Pontife, en l'aggrégcant au Sacré Col-
lège, voulait (ju'il resta à Home; il ne changea d'avis que pour
condescendre aux instances réitérées des catholiques anglais.
C'est ainsi que ses actes furent revêtus dun éclat indépendant
el de sa propre volonté et de celle du Souverain Pontife. Cet
éclat était-il regrettahie? Non, certes! il ne l'était pas, parce
<iue le moment était arrivé où il fallait que l'Église se montrât et
lit entendre une voix capable de dominer de menaçantes cla-
meurs. Outre cela, la bonne foi des âmes droites courrait risque
d'être abusée par les prétentions du puseysme , qui s'arroge le
nom et l'autorité de l'Église-mère. Il ne l'était pas, enfin,
parce que la servitude où depuis trois siècles les catholiques
croupissaient sous la persécution , et l'atmosphère protestante
qu'ils respiraient, avaient nui à l'esprit de courage et à la fer-
veur généreuse qui doivent se retrouver dans l'Eglise de Dieu en
tout temps et en toutes circonstances. Aux yeux de la foi, ce que
Dieu opère en Angleterre de nos jours se résume donc sous deux
chefs : 1" Il prépare son Eglise et il la désigne ouvertement par
l'établissement de la hiérarchie et l'organisation qui en d('!COule,
pour une nouvelle lutte dont nous ne voyons que les commen-
cements; 2° il appelle quelques âmes dont les motifs ne sauraient
être suspects , à la foi catholique, comme prémices de ce qu'il
réserve dans le secret de l'avenir.
II est bon de rappeler que le même homme illustre auquel
le Pasteur de l'Église a confié le gouvernement suprême de
7S M. I.Alini l'ATTKRS«»V.
son troupeau en .\nj;lclcrrc , \v. cardinal \N iseiiian esi | jn-
sliiimcrit (le ce double nsnli.it. j>ès son airivéc en Anglu-
U'ire comme vicaire aposloli(|ue, il a travaille à retirer l'É-
ylisc anglaise de son obscurité et à la replacer là oii elle
élait avanl la réforme. Il la trouva clans les cauicond»cs; il
la laissera dans les basili»pies. D'un autre cMc , ce fui lui <pii
sui apprécier, ijui comprit, et par consé(pient put convain-
( re et amener à la foi les nombreux sectateurs de Newman ei de
Pusey. Ici, selon nous, se borne l'aurore divine pour le moment.
Dieu, créateur et conservateur de toutes les choses , ne déiruii
rien, pas même Terreur : il la laisse se détruire elle-même.
Quand Torgucil de la raison liuuiaine en révolte aura accom|)li
son œuvre en Anj^leterre , quand l'orale suscité par le démon,
ennemi aveugle de notre race, aura passé par toute la terre, ver-
ra-l-on de nouveau rarc-cn-ciel de la misé-ricorde divine? Dieu
parait, à nos yeux, l'avoir décrété, car il n'inspire pas son Vi-
caire sans but ni sans raison ; il ne commence que ce «ju'il veut
achever un jour.
Amenés par l'ouvrage de M. Paiterson à jeter un coup d'œil
rapide sur l'Orient et l'Occident, nous ne pouvons pas nous eni-
pècherde laire la réilexion ipie l'avenir iinundial de l'Ej^lise <'n
général semble plein d'espérances consolantes. Le principe des-
tructeur du protestantisme a fait son u'U\re. Kngendré lui-
même |>ar le pèche qui perdit la race humaine dans son
origine, il a donné la vie à une lignée qui d«'*vore ses pro-
pres aieux et ses derniers rejetons. Le rationalisme et le so-
cialisme font actuellement le tour du monde en «lissolvanl tout
ce <pii s'oj>pose à leur action en dehors de TK^^Iise de Dieu. Cer-
tes il y a loin des puseystes d'Oxford, ou des arméniens à moi-
tié* catholiques de roiislaiiiino|)le , aux hé^M'Iiens , aux disciples
de Feuerbach de Ijerliii, et aii\ soiialisies à la manière de Louis
Blanc de France; mais il est néanmoins vrai aujourd'hui, comme
il l'était il y a dix-huit siècles, (pie celui qui n'est pas avec .b-
sus-Christ en son Églises est contre lui. L'action de ceux qui \eu-
leni empêcher le mal sans être en possession du seul vrai re-
mède, est nulle. Malgré' eux, ils sont entraînés par leurs dcvan-
«iers ; heureux si déjà, sur le bord de l'abîme où <)n veut
M. l.'AHItr. l'ATTKHSON. 71)
les onioncei', ils s'aperroivciii (|ii'il n'y ;i de saliil (ineii s<' sou-
incllanl à raïUoriK'î du Clirisl dans son Mj^'liso. Il nous csl doiiné
(le voir do lous les (•ùlés <l(> f (!s ànics dioilcs s(î sauvant ainsi du
mal qui \vs menace de si près. Jamais raitilndo du monde civi-
lisé ne fut plus mena(;anie pour l'I-^giisc (juc depuis les derniers
siècles, cl cepondanl la ra^'c de ses ennemis n'a aliouli (pi'à leur
propre dél'aiu.'. Kn voulant écraser V infâme , les [)erséculeurs
hétérogènes du christianisme se sont iniiiucllemciit Trappes à
mort. Les peuples , gisant meurtrissons leurs coups, commen-
cent à se retourner vers leur vrai libérateur, et depuis le lever du
soleil jusqu'à son coucher, on invocpie de nouveau le saint nom
du Sauveur. Certainement le mal ne s'était jamais montré, selon
la phrase expressive de saint Paul (1), agile à nous attaquer de
lous les côtés, comme il l'est de nos jours. Apprenons donc, tout
en détestant le principe monstrueux du mal , l'hydre ensemble
et le proiée des hérésies, à regarder ceux qui en sont victimes,
sous quelle forme (jue ce soit, avec la plus grande charité, avec
un désir ardent de les en voir délivrés , avec l'espérance qu'ils
sont de bonne foi, et que tôt ou lard ils seront parmi les bien-
heureux déserteurs de la grande armée rebelle. Il nous faut tâ-
cher de les comprendre eux-mêmes; car c'est là un pas très-con-
sidérable vers la vérité , pour ceux qui la cherchent de bonne
foi. M. Paiterson, nous dit-il, s'est proposé, en publiant son jour-
nal , la double fin de faire connaître la vérité parmi ses anciens
confrères protestants, et de faire comprendre l'erreur à ses com-
patriotes catholique. Nous lui souhaitons tout le succès mérité
par ce but qui devrait être cher à toute àme catholique.
(1) Circumstans peccalum. Héb. di. XIII.
\hs labiés lonniaiilrs, du siiiiialiiicl en géiicittl
cl lies csprils,
l\ir le comlc Agéisor de GASPAIUN.
Deux vol. in- 12. l*aris 185 V.
M. (le Gasparin est intrépide. A peine vienl-ii de consacrer
800 pages in-8 au d(Velop|>ement dun sy.slèuic de lliéopneustic
l>il)li(|uc, <pi'il nous envoie deux volumes destinés ù pourfendre
les tables tournailles, les espiits, Us revenants, les sorciers;
mais avant tout et surtout la doctrine dv Tl-^ylise catlioliiiuc lou-
thani le surnaturel et sa persistance dans le monde. C'esl ce
dernier point ipii nous a l'ail tenter la lecture de la récente pro-
duction du fécond et j)rolixe écrivain. M. de Gasparin est un
peu reniant leirible du protestantisme (Paujourd'liui. Par une
outrance que Ton a voulu a|)peler chevaleresque, il en a si bien
mis <'n relief et les extrémités désastreuses ]>our la raison et les
consé(juences funestes jiour tout ('tal social lé^ulier, (pi'à lire
ses écrits il y a toujours (pielques enseignements 'A recueillir.
Individualiste freneli<|ue, M. de Gasparin |)oiisse jus(prau bout
les consé(iuences du piincipe protestant. Il n'en veut conserver
que le caractère d'émancipation absolue. Aussi n'a-l-il trouvé
assc7. pure pour lui aucune des innombrables tormules des ré-
formés. Il s"est érii^é un système biblique i»ropre des dogmes
l)i;S TABLKS TOLRNANTKS, TTC. 81
spcciuiix , une ili(!oloyi(; pariiciilière. Isole <lc l<jui le monde, r<;-
lire sur les hauteurs do sa consciente individuelle, il tire à 1)0U-
lets rou{4;es sui- les divers c:iin|>s réformés, ei prend plaisir à
susciter force <juerelles (piil e.sl ludiile à l'aire durer.
M. de Gasparin aime à vivre dans ces almosj)lières conien-
lieuscs où chacun prétend l'Esprit Saint pour soi , où l'on
se dispute à coups de passajijes bibliques et de prophéties; où
chacun l'ait assaut de prétentions exégéiiques. Un de ses grands
amusements consiste à embarrasser ses adversaires. Il les con-
liaint souvent alors à mettre à nu le nc'-ant de leurs théories et à
révéler le dessous des cartes (juils auraient intéiêt à cacher.
C'est là pour lui le comble de la jouissance.
Triste spectacle que do voir ces prédicants, ministres ou laï-
ques , chacun défendant seul son système et sa manière de croire
en Dieu; chacun s'érigeani à lui-même son Christ historique on
mystique ; chacun enûn se bâtissant à part son église visible ou
invisible. En dehors de l'animosité anii-calholiquc , il n'y a quo
cela dans le mouvement des idées protestantes.
L'an dernier, M. de Gasparin publiait un grand travail , les
Ecoles du doute et V école de la foi. Il en a élé rendu compte ici,
et le lecteur a pu apprécier les gigantesques prétentions d'un
système sur l'inspiration des Écritures, où l'absurde ne le dis-
pute qu'à la béate satisfaction de l'invcnieur. C'est bien là le fa-
natique scripiuraire par excellence. Il n'y- a point lieu d'exposer
ici de nouveau ce système. Disons seulement qu'il avait poui-
objet principal la négation de la doctrine catholique (plus ou
moins conservée, par débris inconséquents, dans les divers pro-
tesiantismes) sur Tinfaillibiliié de la tradition et l'enseignement
de l'Église touchant la formation du canon et l'interprétation des
livres saints. M. de Gasparin ne veut ni église visible chargée de
conserver le dépôt des vérités de la foi, ni sacerdoce ayant mis-
sion de les enseigner. Il veut que chacun adhère et croie en Jé-
sus-Christ par une expérience personnelle acquise au contact de
la Bible. « Nous ne sommes pas réduits , dit-il , à bâtir aujour-
» d'hui tout le christianisme sur la démonstration périlleuse des
» miracles du Sauveur et de ses apôtres. Ces miracles, manifes-
» talion nécessaire de la divinité de Jésus-Christ , ces miracles
6
SI nf:STABLKSTOtR?IA!«TKS, KTC.
• sonc coriainsà nos y<'u\, piiis(|u<r \o recueil divin les r:i|»|>or(o;
• mais les mir.'ules ne sont pas h's ^Mianis du livre ; c'est le livre
» (|iii esl le j,Mr:ml des miracles. »
On le voit, M. de (îaspaiin , qui accepte le ténioi^na^e lin-
niain ei historique pour présenter aii\ lioniines la personne d<;
Jésus-Christ , pour leur faire dir»' : « Jamais homme n'a |)arle
conune ccl homme; » et de là les contraindre, par une inconce-
vable série d'arguments, ù accepter sa Bible (avec son canon à
lui), M. de Gasparin , disons-nous, récuse lout lémoipnage hu-
main, par consé(iu<Mil toute tradition qui veut attester les mira-
cles de Jésus el des apO>trcs. Car, dit-il, si ce témoigna^'t;
humain est accepté à l'égard du Christ et de ses disciples immé-
diats , comment l<> lécuser alors rju'il viendra m'attesicr des
miracles ulteiieuis? Or ceux-là, je n'en veux point. Donc je
dois écarter, quant aux premiers, l'aulorilt- du témoignage. On
comprend maintenant l'inierêl si pressant i|ui a porté M. de
Gasparin à douer la lettre matérielle de IKcriture d'une vertu
lhéopneiisti(iue toute particulière.
Ici se rencontre le trait d'union entre le livre sur V Ecole de la
foi et celui sur l(;s Tables tournantes. Dans le premier, l'auteur
prétend établir la divinité de Notre Seigneui" Jesus-(Jirist et le
canon biblique sur une simple preuve de seîitiment, résultat do
['expérience personnelle. Il croit aux miracles et aux faits de la
vie de Jesus-Christ, parce qu'il les trouv(; relates dans la Bible,
non parce que ce sont les apôtres ou autres contemporains
(|ui en ont transmis le récit, car il se réserve de dire que les
apôtres et les évangélistes , en dehors du moment précis où ils
tenaient la phmic pour écrire leur pari des Kcrilures , étaient
parfaitement faillibles et capables d'induire en erreur touchant
la personne de leur Maître. Or, le livre sur les tables tournantes
se propose de prouver, en (»utre , que depuis la disparition des
apôtres, il ne s'est passé aucun fait miraculeux, et M. de Gas-
parin de s'écrier : « Qui donc compromet les miracles de Jésus-
Christi* vous, vous seuls, avec votre théorie du témoignage; vous,
avec votre surnaturel apocryphe , non moins attesté (|ue celui
de l'Évangile , et dont la fausseté se trahit nécessairetncnl. En
d'autres termes , reprouvons le témoignage de l'Kglise calholi-
I>i:S TAIU.ICS roi lOAMKS, I.TC. 83
«jut! allesianl h's miracles du Sauveur, car si nuiis ra(ce[)tons
l»(»ur valide, nous soinnies aussi obligés de raceopler allesianl
les loui'beries el les faux ntiraeles (|ir*'llr iiii|)ose an ^eiire humain
depuis di\-huil cenls ans. »
Qu'esl-ce à dire? Enlend-on allirni< r cl dcnioniicr l'imposiuie
eoniinuelle de l'Église eailioliquc? M. de Gaspuiin n'a pas d'au-
tre 1)111. I.e point de vue du sectaire apparaît ici dans son entier,
l'oinl de sninalurel, ni divin ni satani<pie, dans le monde, de-
puis la disparition des apôtres.
essayons d'anaivser.
La première partie de Tonviage, lori distincte des autres, est
consacrées aux labiés tournantes. M. de (iasparin prend une po-
sition mixte entre ceux (pii ne veulent voir dans le phénomène
qu'un mouvement résultant de l'action musculaire, et ceux qui
évoquent les esprits. Il admet des tables tournantes , mais non
des tables parlantes et clairvoyantes, il n'accorde pas seulement
le mouvement, mais le soulèvement à distance, sans contact en-
tre la table et le cercle des expérimentateurs. Il accorde aussi
que la table répond aux nomlM-es pensés. L'hypothèse d'un fluide
agissant sous rintluence de la volonté est insliluée pour expli-
«luer les phénomènes.
L'opinion de M. de Gasparin est qu'en tout ceci il n'y a rien
de merveilleux ; que ce sont là tout simplement des phénomènes
naturels d'un ordre nouveau , que la science oflicielle a le tort
de dédaigner. Jusque-là , rien de mieux. Mais nous n'avons pas
su voir quel paili l'auteur a tire des phénomènes des labiés,
soit pour débouler les sorciers, soit pour donner quelque explica-
tion plausible des faits réputés miraculeux.
Dans la seconde partie , qui embrasse les deux tiers du pre-
mier volume et le second en enlier, l'auteur traite du surnaturel,
d'abord en général ; puis il étudie successivement des catégories
paniculières de faits, qu'il a soin, bien entendu, de choisir à
son gré.
Partout interviennent les préoccupations de l'auteur; surtout
sou système scripiuraiie ; même alors qu'il a raison, il y a tou-
jours en sa manière quelque chose de tendu , d'excessif qui ré-
pugne au vulgaire sens commun. C'est ainsi qu'il débute par une
84 UKS TABI.KS TMIHÎIASTKS, KT^.
(Ii:iiril>r siii \v kinoif^'iia^e uii , an milieu di! vérités banales ilc-
bili-es aver une vélicmenco ainusanle, se mêlent d'élraiif^es »txa-
f^éraiions. Puis, il lallail s'y altenilrc. r^>riture est mise en
scène : « I/hriiluie , dit M. de (iasparin , ne nous autorise à
» cioiri' ni à la prodigalité des miracles divins ou saianiqnes, ni
»à la condnualion jimhahle des miracles après 1rs apôtres , ni
• à un Satan, |)néril rival de Dieu et partageant la souvcrai-
» neté, ni aux possessions, grossier matérialisme, ni à l'ensom-
» ble d'une tradition qui vient se résumer dans la peur du dia-
» blc. » Enfm, après une discussion sans portée sur les fraudes,
Taulcur classe les faits extraordinaires et miraculeux sous trois
ordres de causes : l'excitation nerveuse, l'action lluidique, l'Iinl-
lucination.
Les faits sont des aventures de sorciers, d'astrologues et de
magiciens; des relations de maladies nerveuses épidémiques,
les récits de quelcjnes événements C(''lèbres, tels que les convnl-
sionnaires jans«''nisles au tombeau du diacre Paris, les j)roplièies
protestants des Céveunes, enfin la fameuse liistoire des nrsulines
de Loudun , considérées comme possédées |)ar la plupart des
conlenq)orains, comme malades par certains médecins , comme
lonrbes pai' plusieurs. Là trouvent place les esprits frap|)eurs ,
les médiums, etc. Qjiani aux miracles attestés par l'Église catlio-
liques, qui devraient tenir ici la plus grande place, il n'en est
pas question. Chacun est longin-mont réfuté ; et la thèse de
M. de Gasparin , « point de surnaturel , » arrive comme le dé-
nouement nécessairemcnl \ictoricnx d'une lutte aussi partiale-
nient prolongi-e.
Tel est le parti extrême (jue M. de Gasparin a cru deMtir
adopter pour la plus grande gloire de la Bible.
Voyons dimc ce (|ue dit la Bible.
Il ne s'agit point ici de présenter la défense de ILglise qui croit
à l'incarnation permanente de J.-C. dans l'Eucharistie. Cette
Église, après 18 siècles de luttes, aflirme sa croyance au surna-
turel avec une confiance ('gale à celle des premiers jours. Klle vit
dans le surnaturel comme; dans son élénn-nt; elle touche au
(ici ei à la terre , et elle ne cesse d'admirer et de constater les
faits miraculeux par lescpiels .lésns-r.hrist témoigne de sa puis-
IH'.S lAItr.KS KM H>A\rF.S, KIT. 85
santé cii la pcrsoiiiK! cic ceux (|iii oui la loi cloiil parle l'apôUe ,
coUc foi qui transport! les montaj,'nes.
Encore une fois, l'Éj^'llse eatlioliiiiie n'a pas besoin de jiislidca-
lion; elle s'allirme et elle passe. Mais ouvrons l'Kvangile et li-
vrons-nous à lUM! simple vériliealion.
ÎM. de Gasparin a autant de f,'Oiit pom- torturer les textes que
nous en avons \)vu. Il eni])l<)ie Ibree paires à faire diie à cpielipies
passages le conltaire de ee cprils veulent. Nous aurons garde
de le suivre dans ces argumentations aussi peu claires que déci-
sives. Il sullira de citer les endroits des Écritures qui motivent
notre conliancc en la promesse <;vangélique.
Il y a d'abord les célèbres passages de saint Jean : Celui qui
croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera encore de
plus grandes. Et tout ce que vous demanderez à mon père en mon
nom, je le ferai [Si Jean XIV, 12-13j.
Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai
(Si Jean XIV, 14).
En vérité je vous le dis , si vous demandez quelque chose
à mon Père en tnon nom, il vous le donnera (Si Jean XVI, 2.3).
Puis le passage non moins clair de saint Marc (XVI, 17, 18),
lors(|ue Jésus-Chrisl apparaît aux onze, après sa résurrection, el
leur dit : Jllcz par fout le inonde prêcher rÉvangile à toute
créature... Foici les miracles qui accompagneront ceux qui au-
ront cru. Ils chasseront les démons en mon nom; ils parleront de
nouvelles langues. Ils prendront des serpents avec la main, et s'ils
boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera aucun mal. Ils
imposeront la main sur les malades, et les malades seront guéris.
Dans saint Luc, XVII, 6 : Le Seigneur leur dit : Si vous aviez
de la foi seulement comme un grain de Sénevé, vous diriez à ce
mûrier : déracine-toi et te va planter au milieu de la mer, et il
vous obéirait.
Au moment où Jésus-Chrisl dessèche le figuier, il ajoute : En
vérité je vous le dis : si vous avez de la foi et si vous n'hésitez pas
dans votre cœur, non-seulement vous ferez ce que je viens de faire
à regard de ce figuier, mais quand même vous diriez à cette
montagne : ôte-toi de là et te jettes dans la mer, cela se fera. Et
quoique se soit que vous demandiez dans la prière, vous l'obtien-
drez, si vous le demandez avec foi (Si Marc XXI, 21, 22).
8(> l»»-> lABI.I-.H Tnl HNANTfcS, KTC
Môme r«-( il (i:iiis saint Man\ XI, 23, 24, :ivo< l;i l^rtmilr ijut-
rumqur, ^jricoHoi'E, «ommo dans s;iint Jean.
El cncopp : Mes bien-aimts , si notre carur ne nous condamne
point, nous avons de l'assurance devant Dieu , et quoique ce soit
que nous lui demandions , nous le recevrons de lui ^ fepiirc dr
saint Jcuo, IV, 21, 22).
\oilà les textes on M. de (îaspitriii prétend voir que .lesus-
(Inisl limite sa |>i(tmcsse, ipiil la reslreinl aux apùlres. De
(piel droit disiin;,Mi(-t-il la oii Jésns-Clirisl ne dislin^ue pas? de
(piel droit resireini-il la |)arole de Jcsus-Christ ? C'est f,'raluile-
meni et arbitrairement «jii'il borne aux temps des apôtres des
promesses évidemment sans limites et (ju'il raeeonrcit le bras do
Dieu depuis dix-sept siècles.
Tous ces textes sont une voix unanime. Ils se fortifient l'un
|»:ir l'autre. Voyez plut('»t.
Quand Jésus-Christ disait (Si Jean XIV) : Quodcumque petieri-
tis, tout ce que tous demanderez ; il ne s'adressait pas aux seuls
apôtres, mais à tous ceux (pii rroiraiciii iii lui dans la suite des
siècles.
C'est le passaf^e de saint Marc (\VI) qui exerce le plus l'ar-
},'Utic de M. dr Gasparin. Il est , en effet , si formel , si sim|)le ,
qu'il y avait lieu d«' le commenter avec abondanre pour y trouver
que le don des miracles devait <^lre limite aux apôires et à leurs
disci|>les immédiats.
Ce passaj;»' consacre la perpéiuile du surnaturel infernal
«omme celle du surnaïuid divin, f oici 1rs miracles qui accom-
pagneront ceux qui auront cru. Ils chasseront les dnnnns, etc.
C'est le premiei- ordre* de miracle (pii soit promis à ceux qui
croiront à la prédication apostoliipie , ils chasseront les démons
au nom de Jésus-Chrisi . Il restera donc sur la terre des démons
a chasser, même après rosccnsidu du Saineur, car Jésns-Chrisl
a prononcé (.elle |>arole au momeui même de son ascension ; or,
relie promesse est conçue en des t«'rnK's si nets, si précis, si pé-
remploires , qu'elle denieure invincible «'onire tous les faux -
fuyants de M. de Gasparin; surtout si on la rapproche du texte
«le saint Matthieu, WVII, 18 : Toute puissance m'a été donnée
dans Ir ciel et dans lu terre.
DKS TABLES TOIHNANTHS, KTC. 87
Imi ellcl , (.Ile n'a traiitrcs limiCes (juc la prôdicalion de l'É-
vangile ; elle «'Si la consécralion eMéiieiirc lU? la divinité de
celte prédication j donc elle diircia auiani (prelle. Pourquironque
a lo s«îns lt)j;i(in(!, ces paroles se ticnnoni par nn lissn lellcmcnl
serré, «piMi n'y a pas moyen d(! passer à travers.
Mais, objecte encore M. de Gaspurin, enlendc/,-vous que cette
déclaration garantisse à jamais, à tout chrétien, le don des mi-
racles?
Eh! mon Dieu,oni, nous l'entendons ainsi; il n'est point né-
cessaire d'être constitué en dignité dans l'Église pour faire des
miracles, les laitpics les plus obscuis en ont lait. Ce (|ui est né-
cessaire, c'est délie anime de cette loi qui peut lrans[)orter les
montagnes; et ceux (pii ont ce degré de loi ont toute une in-
tensité de vie cliréiienne |)r(»portionnée à l'intensité de leur foi.
Ceux-là, on les appelle des saiints.
Et ne dites pas que c'est là une distinction arbitraire comme
celle de M. de Gasparin. Celte restriction est de Jésus-Christ
lui-même, car c'est Jésus-Chrisi qui a dit devant le liguier des-
séché : Si vous avez la foi et si tous n'hésitez point dans votre
cœur.
Et ailleurs (Si Marc XI), toujours au sujet du figuier, le même
lerme revient : Quiconque dira à celle montagne , ôte-loi de là
et te jettes dans la mer, et cela sans hésiter dans son cœur; mais
croyant que tout ce qu'il aura dit arrivera, il le verra en effet ar-
river.
Voilà ce que Jésus-Christ entend par croire , quand il s'agit
d'obtenir des miracles. C'est à celte intensité de foi seulement
qu'il a promis que la loute-puissance de Dieu ne lui ferait pas
défaut.
M. de Gasparin de s'étonner. Quoi! dit-il, tant de miracles
depuis la Bible, et si peu pendant la Bible??? Ne pas oublier
que M. (le Gasparin ne croit qu'aux faits consignés dans l'Écri-
lure. La Bible elle-même, cependant, a dit qu'elle ne disailpas
pas tout.
Voilà de quelle manière en usenl avec l'Écriture ces personna-
ges qui font foi en d'autres occasions de croire à l'infaillibilité
littérale du texte , et de lui rendre un culte approchant du féti-
88 DKS TAIII.KS TOIR!«A>TF.S, KTI .
iliiMiio. L'tiiUure «'Sl cxt-rllonie, mais à la condilioii (Hi'rllc ex
|)riinora loulcs les fantnisios df nom* esprit.
M. de Gas|)arin ne fait pas moins do violencp au sens com-
mun (;l à la raison univi'iselli' (pi'aiix lexies sacrés. C'est jnslire.
On l'a vu , rameur se jjroposc la i:lrlie honni^te et modérée
de eonvaincre l'Église cadiolique d'imposlure, alors (jirelle
allirme sa loi aux laits miraculeux et cju'ellc eu |>résente à la >é-
ueration des lidelcs. Noijà la thèse : ou tout ce (juc M. de Gas-
parin avance pendant deux volumes n'a point de sens. D'emblée
nousosons lui faire un reproche, celui d'avoir manqué de francliise.
Il pose la question, il en esquive les preuves. Certes, c'était le
lieu de combattre corps à corps avec l'Église caiholitpie, «le l'at-
taquer sur It.' terrain des canonisations, de faire le procès aux
saints «ju'elle rev«'re ; d'en démolir au moins quebpies-uns entre
les |>lus considérables. C'étaient b's vies de saint Fian«;ois d'As-
sise, de saint François Xavier, de sainte Thérèse, de saint Fran-
çois de Sales «ju'il fallait cribler à jour. Un ricanement furtif
n'est pas une épreuve critique. Les vies de ces adnjirables ser-
\iieurs de Dieu, ont été continuellement ^loriliées par les mira-
cles; le surnaturel y éclate à clKupie pas; leur foi si énergique,
si intense, si déj^'a^'c'-e d'attaches terrestres, ressemble si peu à
celle du commun des hommes, cpion ne s'étonne plus de les voir
transporter les montagnes, vaincre la iiaiiire et dominer les élé-
ments. Voilà ce «pie nous éprouvons en présence de c<'s admira-
bles s«'rviieurs de Dieu qui sont «Tailleurs, comme tant d'autres,
des |)ersonna|,'es <]«• riiisloire. Les préi«''riter, c'est faire acte in-
sif^ne de faiblesse.
Quand on a le verbe si li«'r, il siérait davdir le vrai «-otira},'»'
«le son «»pinion et «le s'atta«pu'»' aux re(.'lles «liHi«"ultes du sujet.
Quelques pages insignifiantes sur b's «-rreurs des l«''moif,'nages
ne suHisent pas [)Our «onvaincn' l'Église de fraud«'s «lans «es
procès d«' «'anonisation si lents, si circonspects, si graves «lans
b'urs actes , ««l dont la procé«lure , au siècle dernier, confondit
d une manière si éclatante les préjugés «l'un anglican «lont la «'on-
version est «lemeurée «élèbre. .M. de (iasparin croit-il an«''antir
pour niiiis les pag«'s admirables «le s, uni Augustin dans la «iH* de
Dieu, iiii It- saint e\èipie priii lame tant de faits miracideu\ doni
DIS I AIII.I.S KIIIUNAM i;S, KTC. 89
il a ô.U' le tiMiKiiii, ceux en parliculier (|ui échilèreiil lors de l'io-
vciiiioii (lu (îoips (io saint l^liofine, I(ï picmier mailyrc, et les si-
j^iics oxlraordinaircs (|iii accoinpafîiirn'ul la (h'-coiivcrlo <los corps
(le saint Gcrvais et dv saint l'rulais par saint Anihroisc. Il osl nn
iiiiiaclo qnc l)oancou|i de saints ont opér»'-, saint l)oiniiii(|uo cl
saint François Xavi(M- en paiiicidii r, c'est la rcsurrection des
morts. M. de Gaspaiin a i^arde d'en pailer et île nous dire par
quel sorliléyc ces ('•vén<Mn('iils se [)r<)dniscnl. Nond)r(! de ces faits
sont inhérents à l'histoire; si on les nie, ce n'est pas seulement
le surnaturalisme qu'on nie, c'est le rondement de toute cerli-
iiide. Contester ainsi les merveilles d'une vie telle (jue celle de
sainte Catherine de Sienne, celle lemme sublime qui fil sortir les
Papes de l'exil d'Avignon ; de sainte Thérèse , la gloire des Es-
pagnes , c'est nier la vertu dans son plus bel éclat, élevée à la
plus haute puissance par !a loi la plus intense, c'est méconnaître
le génie dans toute sa force. S'il ne faut pas se fier à sainl Au-
gnsiiu ou à sainl Bonaventure , touchant des faits qu'ils ont vu ,
à (jui se lier?
M. de Gasparin prétend Montaigne pour lui, et il ose se poser
simplement comme son continuateur. Il offre au lecteur un frag-
ment où Montaigne se moijue des faux miracles, c'est très-bien;
nuiis pourquoi donner à entendre qu'il n'admet aucun miracle,
ce qui est faux (1). C'est par la même tactique déloyale que M. de
(1) Voici ce que dit Montaigne, au livre 1*' des Essais, chap. i20 :
« Quand nous lisons dans LJouchet les miracles des reliques de sainct
llilairc, passe; son crédit n'est pas assez grand pour nous osier la licence
d'y contredire : mais de condamner d'un train de pareilles histoires, me sem-
ble singulière impudence. Ce grand sainct Augustin tesmoigno avoir veu ,
sur les reliques sainct Gcrvais et Prolaisc à Milan, nn enfant aveugle recou-
vrer la vcue ; une fenmie, à Carihage, cstr.e guarie d'un cancer parle signe
de la croix qu'une fenmie nouvellement baptisée lui feit; Hesperius, un sien
familier, avoir chassé les esprits, qui infestoient sa maison, avecques un peu
de terre du sepulchre de nostre Seigneur; et cette terre depuis transportée
a l'eglisc , un paralytique en avoir esté souhdain guari ; une femme, en une
procession, ayant louché à la chasse sainct Estienne, d'un bouquet, et de ce
bou(piet seslant IroUé les yeulx , avoir recouvré la vcue pieça perdue; et
plusieurs aultres miracles, où il dict luy mesme avoir assisté : de quoi accu-
serons nous et lui cl deux saincis evesques Aurelius et Maximinus, qu'il ap-
W HKS TABI.KS TOI r.^ANTtlS, V.TC.
do Gaspariii laisse iroire que les dncleurs Caliiuil ri livii'w lien-
unit tous lus miracles des mysli(|iics el lous les cas d«; posses-
sions i>our des cas de folie, du seul fait <|uc ces messieurs en
nu'llenl en discussion un ceriain nombre, el, nous nous empres-
sons de le dire, avec une parfaite comptlcnce.
Kncore une fois, il s'agissait ici de discuter les miracles aux-
tpu'ls rEj,'lise a donn<'' la },'araniie de son examen. Au lieu de
cela, M. de Gasparin nous enlretienl de faits louchani lescjucls
l'Kglise n'a rien décidé; des miracles attribués à Gassner, par
exemple, et de ceux du prin<e llolienlolie, (ju'il nomme des mi-
racles ullramontains, de la croix de Miyné, des slyj;maiisées du
Tyrol , qu'il nomme des miracles catholiques. Comprenne <pii
pourra la dillerence. Ces sectaires ont, en vérité, des imagina-
tions prodi^'ieuses. Puis il tourne court , après (juehjues pro|)os
«le commis voyageur, sur les reliipies, et il assure quil le faut
louer de sa modération. C'est se motpier. Qu'est-ce autre chose,
(piécette modération, sinon la reculade la |)lus complète? Dn
pareil acte se devrait laxei- de déloyauté, s'il n'y fallait voir,
avant tout, l'irrésistible témoignage de défaillance d'un esprit
extravagant engagé dans une entreprise impossible.
Il est un livriî c<lèl»re entre tous ceux qui traitent de ces ma-
tières, autant par l'imposante notoriété de son auteur cpie par
la science admirable ipi il révèle; c'est la Mystique sacrée de
l'illustre protestant converti Gierres. Un homme sérieux, tpii au-
rait eu (pielque rcsptîcl de soi et de ses lecteurs, se serait gard*'
de n'en pas entreprendre la réfutation. M. de Gasparin pass«-
outre fièrement et il triomphe.
Si seulement il avait essayé imc discussion s(''rieuse sur un
fait particulier; par exenqde, sur le récit de la litpielaclion
du sang de saint Janvier, écrit par l'historien Hurler, étant en-
core protestant, alors qu'il présidait le Consistoire de SchalTliouse.
Mais ne croyez |)as (pi'il accorde de pareilles satisfactions. Il est
pfilc |U)iir SCS recors? sera ce d'ignorance, sinipicssc, facilite? onde malice
cl iinposlnrc? Ksl-il homme on noslrc siècle si inipndcnl, 4]ui pense leur
cstre coniparid)le. soil en verin cl piott', soit en .«i.ivoir, iugcmcnt cl snlli-
sancc ? •
ni:S TAIILKS roi IIN.VMI'.S, KTC. 91
l)i(Mi plus commodo de courir sus aux pclitcs hisloires de sor-
ciers. Là, ou |K'nl vaincio loul :• rais<'.
Diions-uous (ju'il y a eu de faux miracles ? Eli, mon Dieu î en
laul-il d'autre preuve que le soin extrême qu'apporte rEj,dise à
vérilierceux qu'ell»; estime dignes d'être soumis à son examen?
Tout croire aveuglément est tine grande faiblesse, sans doute;
mais tout rejeter systématiquement n'en est pas une moindre.
Oli ! les vaillants espiils (pio ceux (pii eontestcnl tout surnaturel I
S'il n'y avait pas de vrais miracles , on ne se donnerait pas la
peine d'en faire de faux. La fausse monnaie n'existe qu'à la fa-
veur de la bonne qui est en circulation.
Ayant considéré, dit Pascal (1). d'où vient qu'il y a tant de faux miracles, de
fausses révélations, de sortilèges, il m'a [)aru <iuc la véritable cause est qu'il y en
a de vrais ; car il ne serait pas possible (ju'il y pùI tant de faux miracles, s'il n'y
en avait de vrais, ni tant de fausses révélations, s'il n'y en avait de vraies, ni
tant de fausses religions, s'il n'y en avait une véritable. Car s'il n'y avait ja-
mais eu de tout cela , il est comme impossible que tant d'autres l'eussent
cru. Mais comme il y a eu de très-grandes choses véritables, et qu'ainsi elles
ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que pres-
(jue tout le monde s'est rendu capable de croire aussi les fausses. El ainsi,
au lieu de conclure qu'il n'y a point de vrais miracles, puisqu'il y en tant de
faux, il faut dire au contraire qu'il y a de vrais miracles, puisqu'il y en a tant
(le faux; et qu'il n'y en a de faux que par celle raison qu'il yen a devrais;
et qu'il n'y a de même de fausses religions que parce qu'il y en aune vraie.
L objection à cela, que les sauvages ont une religion : mais c'est qu'ils ont
ouï parler de la véritable, comme il paraît par la croix de Saint-André, le
déluge, la circoncision, etc. — Cela vient de ce que l'esprit de l'homme, se
trouvant plié de ce côté-là par la vérité , devient susceptible par là de toutes
les faussetés.
Qu'il y ait donc des faits controversables ; qu'il y ait de nom-
breuses erreurs commises; qu'il faille surprendre des fraudes,
des défauts de jugement et démasquer des impostures, là n'est
pas la question. Encore un coup, qui en a jamais moins douté que
I Église, (jue l'on accuse de pousser à la crédulité supersti-
tieuse? Si M. de Gasparin eût borné sa lâche à l'effort louable
de dépister le faux surnaturel , les intrigues de quelques mal-
lionnêlesgens, d'agrandir le champ des effets naturels et scien-
H) Pensées. Edit. Lcfcbvre. Paris 18t7.
\)1 l»KS T IIII.KS TiM n\ WTKS, KTC.
iili<|iios par .!»'s rechorclu's sui- la naiiiir des moiivoini'nls lluitli-
(|m'S el le magnclisnu', il aiirail bien irn'-rilé de la xrii»'. Mais la
passion le perd; loiile firaviii- rahaiiddiiuc. Il demciirr jiisipraii
lioiit lidèle à la maxime qu'il Hawaii l'an deiriirr dans un di-
ses livres : (fn ne saurait haïr médiocrement V Eglise catholique.
Aussi la linine est lu plus forte, ei le chrétien bildi(|ue inspiré
ne rougit ()as de mille gravelures voltairiennes et «les propos
liahiltiels dt; l'inipiflé la plus lésolue.
Ce pitint d<' nuc capital : la persistance du surnaturel di-
Nin (''tant é<artée , Tceuvie de railleur' «'Si-elle de (piolipir prix ,
lournit-elle queUpies clartés touchant les possessions , la niajîie ,
les revenants et les manifesialions des esprits auxquels l'appa-
lilion des tables tournantes a rendu quelque crédit?
\voir mal posé les (juestions, avoir déserté la discussion sur
le point essentii'l, sont déjà des torts considérables (pii intliuient
d'avance les conclusions secondaires. Voyons cependant.
M. de Gasparin ne croit pas au surnaturel dÎNin dipuis
les apôtres, il ne croit pas davantage au surnaturel diabolique;
i(»Mt au moins V expérience personnelle ne l'y porte pas en ce mo-
ment. C'est pourtant lui (jui écrivait il y a six mois, dans /p.v
Ecoles du doute : Le catholicisme est le chef-d'œuvre du diable ,
et le diahlc est le prince du monde. Ces incoher«'n<es accroieni
bien leur valeur pour une It-ie bii-n organisée, mais passons et
eouienlons-nous d'être louclu's de ce débris d'ancienne («»n-
science en notre laveur; cai- à l'endroit des catholi«pies, il n'ap-
paiaii pasipi'il se suit o|>éré des changements dans l'opinion d<'
M. de (jaspaiin. Quoi «pi'il en soit , pour le «piart d'heure, no-
tre théologien réformé constitue le diable à l'état de roi fai-
néant; il assure que de|Miis la Hible Sa Majesté est rentrée dans
ses appartements. C'est pour des raisons expérimentales de cette
force que le ministre Coquerel ié|»rouvait l'autre jour le dogme
du pèche originel en style larmoyaiil. L'Kglise caiholi<pie n'a pas
aiilaiu de bonheur, elle croit au démon; elle garde la parole de
la Bible , in nomine mco demonia ejicient. Mon nom étant invo-
ijué, ils chasseront les démons.
L'état de possession dont il est lant parlé dans les temps apos-
toliques, avait des caractères propres admis par les païens et les
DIS lAIII.KS r()lU>AMi:S, KIC. 93
.liiils. aussi l)i(ii ([lie j»;ir les < lirt'liens. Si on le considère comme
un élal iialm«'l : de ce qu'il ii'exisle plus, ou ne s;iur;iii conclure
(|iril n'îi juin. lis existe'-. De (•<• (luaujouicriiui il n'y a plus de lé-
preux. |)ersoniie ne voudra soutenir qu'il n'y en a jamais eu.
Si on le considère , el c'est là son vrai caractère , comme un
étal surnaturel , quant à la fréiiucncc el quant aux raisons de se
produire, il devient l'analogue des autres faits surnaturels. Ce
sont là des matières sur lesquelles l'Kgiise n'a donné, que nous
sachions, aucune délinition de de'tail. Ou ne peut donc hasarder
(|U0 des conjectures; nous ne voulons pas nous v livrer.
Mais on a voulu expliquer l'clai de possession par un état de
maladie. L'explication a toujours échoué pour les faits bibliques.
Quant aux faits ultérieurs à ceux des trois ou quatre derniers
siècles, sur lesquels une critique, fort permise assurément, s'est
exercée dans tous les sens : eh bien, la confusion la plus extrême
résulte des théories contradictoires avancées pour les expli-
quer. Certes , nous ne voudrions pas contester les progrès de
la science , et nul n'est plus disposé à rendre hommage à des
travaux consciencieux tels que ceux de MM. Calmeil et Brière de
Boispiont sur la folie ; mais nous ne pouvons dissimuler qu'à notre
sens les théories de M. Calmeil sur les épidémies de démonopa-
diie sont trop absolues. Si tel de ces faits rentre fort ration-
nellement dans les cas de folie, si la théorie moderne des hal-
lucinations explique plusieurs phénomènes d'une manière sa-
tisfaisante, d'autre part il y a des circonstances graves devant
lesquelles la science échoue. De même qu'il a été impossible
d'assimiler les possessions bibliques à aucune des maladies con-
nues, il est tels de ces exemples d'épidémies nerveuses où la
science est à bout de voies, arrêtée qu'elle se trouve par des
circonstances insolites. Il résulte de là que les tentatives d'inter-
prétation n'engendrent pas toujours des convictions définitives.
Il en est de même pour la magie. L'Église non plus n'a rien
d('fini à cet égard ; mais elle a proscrit la magie dans ses conciles,
donc elle croit à la possibilité d'un pacte entre l'homme et les
esprits de ténèbres. La sorcellerie, qui avait rempli toute l'an-
tiquité , était punie comme un crime dans toute l'Europe. La
plupart des sorciers se réfugiaient dans ses arcanes. Il y a
Î)V •»• > iAHi.h> r(tiu>AMi.>, i.n .
eu «le nomluoux (M volumineux procès contre les sorciei*s, sui-
vis <le condamnations capitales. Dire que les magistrats qui ont
concourus ù ces arrêts dunint des siècles n'ont su ce (ju'ils fai-
saient, et que les aveux par eux ohienus des accus«''s ne prouvent
quoique ce soit , c'est un peu hasarde, il est <ertain que très-
souvent les individus incriminés de sorcellerie ont avoué le fait
sans avoir sid)i la torture. Le Parlement de BourgO},'nc jugea un»;
cause de celle nature veis le inilien du dix-luiitièmc siècle; ou
ne saurait rejeter une pareille cimdamnalion sur les ténèbres du
moyen âge, sur le fanatisme, sur ravetigiement des juges. Au
moins faut-il admettre qu'il y avait des hommes rpii croyaient à
la magie, qui avaient eu sérieusement la coupable pensée d'en-
trer en relation intime avec le diable et qui croyaient sérieuse-
ment y être parvenus, puisqu'ils en convenaient au péril de leur vie.
il y a beaueou|) de légèreté dans tout ce qui a été dit sur et'
triste sujet , et on a regret de voir un homme religieux tel que
M. deGasparin, s'emparer de ces friperies vollairiennes , pour
en tirer un bill d'accusation non seulement contre l'Église, mais
encore contre l'ancienne magistrature française, la première
magistrature de l'Europe civilisée.
M. de Gasparin voudrait faire de la magir une prérogative des
pays catholi(pi('s; et Ton pourrait eiier ici son diili\rambe sur
les sorciers piilissant j>arl(tut <levant la himitre biblique reton-
tjuise |»arle protestantisme. Il est fâcheux, pour celle prétention,
(|ue l'histoire ra|)porlc (jue jamais les épidémies de sorciers ne
furent plus nombreuses qu'au 16' et au 17' siècle, dans les pays
réformés. A Genève, on peut compter, ù cette époque, par cen-
taines les condamnations capitales pour cause de sortib-ges. As-
sun-ment alors on était en pleine lumière réformée, et la Bible,
au dire des pasteurs de Genève, céb'e jiendant tant de siècles
par le clergé catholi(pie, exeieait toute sa puissance. Ce courant
d'idées était si prépondérant ilans le pays, <pje nous voyons les
ministres, pour résister aux succès de la prédication de saint
François de Sales dans le Chablais, ne pas savoir trouver d'autre
expédient (pie de l'accuser de sorcellerie. Malgré toules les af-
firmations de M. de Gasparin, il n'y a qu'A ouvrir un livre d'his-
toire sérieuse pour voir qu'après la refoi'me !•• peupb-' i\u pays
i>KS ta»m:s Toni NANTIS, i.n;. î)o
(le Vaiul tomha dans la supcrslition et accorda plus (|uc jamais
coniiance aux sorciers. Les lois hernoises furent ohlij,'ées d'inli-r-
vonir mainic lois. On lit dans Ruclial (llisl. ccclés. du canlon de
Vaud) «lu'il y eut en IG16 assemblée des ministres de la classe
de l.ausanne. Là on demanda à tous ce ([u'ils pensaient touchant
la cause de la multitude des sorciers (jui se trouvaient dans le
pays. La preuve (|ue dans les temps calliolitpies il était fort peu
(pieslion de sorcellerie dans le pays de \ aud, c'est (]ue le synode
de Berne, en lo3*2, ne traite pas de cette matière, qui le préoc-
cupe coniinuellenient GO ou 80 ans plus lard. Aujourd'hui en-
core le paysan vaudois est plus inleclé de croyances superstieu-
ses que ses voisins de France, de Savoie ou de Frihourg. M. de
Gasparin a tout près de lui, à Valleyre, un sorcier célèbre, qui
pratique la fumigation magique dans les (-tables où se trouvent
des bestiaux malades. Que ne Iravaille-t-il à détourner de son
métier ce persoimage. Ce scrait-là une œuvre pie tout aussi
agréable à Dieu que d'enrichir de subsides les entreprises d'(''-
vangélisaiion protestantes. On pourraitciier bien d'autres témoi-
gnages. M. de Gasparin, qui ne voit jamais le moyen agc qu'à Ira-
ver les vésanies de son imagination , parle des procès faits à
des animaux malfaisants par les oflicialiiés des évêques de Lau-
sanne, et il s'empresse, avec la plèbe des demi-savants, de pré-
senter ces actions judiciaires comme des actes de superstition
et de barbarie, ce qui est donner à ces faits la couleur la plus
mensongère.
Voici ce que dit M. Léon Ménabréa (1) dans l'introduction à
son savant mémoire sur VOrigine, la forme et Vesprit des juge-
ments rendus au moyen âge contre les animaux :
Dans le temps où Ion imagina de faire des procédures aux animaux nui-
sibles, afin de les obliger à déserter les lieux où ils exerçaient leurs ravages,
on n'était pas assez aveugle pour croire (juc ces créatures brutes fussent
douées de conscicnec, cl qu'on dût les placer au niveau de l'homme : ces
procédures ne constituaient primilivcmonf qu'une espèce de symbole des-
tine à ramener le sentiment de la justice parmi des populations qui ne con-
(1) Chambér> ISiT). in-8.
90 !»>> lABI.KS TOI IINANTKS. KT«:.
iiai<i>.iioi)( ilr ilrnit ({tic le ilroit «lu |ilii>> fort , i-t de loi i|iir la loi de l'intidii-
daliiin cl de la \iolcncc.
Au niovLMi â^r . alors que Ir dc^sordrc planait sur la socit'ttS <|uc le fail)lf
restait sans np|iui contre le puissant , «pic la propriélé demeurait exposée a
toutes sortes d'attentats, «le dévastations, de rapines, il y axait je ne sais
quoi de beau dans la pensée <pii assimilait l'inscrte des champs au chef-
d'œuvre de la création, et qui rendait l'un l'éf^al de l'autre. Si l'on devait en
elTet respecter la retraite du vermisseau, combien à plus forte raison ne fal
lait-il pas que rtiomnic respectât l'honnue, et que chacun se pouvernit selon
l'équité! Ces idées, par leur exagération même, étaient destinées à impres-
sionner vivement les esprits, et à réveiller chez le peuple le cidie des ver-
tus sociales. Il y a plus, en considérant les ravages des insectes comme des
fléaux que le ciel envoyait pour la punition du méchant, on amolissait les
cœurs endurcis , on les forçait à s'avouer coupables ; les cérémonies reli-
gieuses pratiquées en pareil cas, n'avaient d'autre but que de fléchir la colère
divine et de consommer l'amendement des pécheur.*. Quant à l'anathème
(|u'on fulminait d'habitude contre les bétes nuisibles, et qui servait de com-
plément à la |)rocé(liire. il faut bien se {garder de le confondre avec l'excom-
munication proprement dite. Uni ignore en elfet que les censures de l'Kglise
ne peuvent alTccter (jue ceux-là seuls ((ui font partie du corps des fidèles, et
<juc les créatures privées de raison ne sauraient y être soumises? Il ne s'a-
gissait donc ici que d'une espèce de malédiction ou d'imprécation semblable
à celle dont les livres saints fournissent de si fréquents exemples; ce qui est
prouvé d'ailleurs par la formule des sentences que l'on rendait dans les cau-
ses de ce genre
Il est |)i(]ii;uit <]iiocf* soit jtisi('iiir>nt le roi l.oiiis \IV, (jiic M. de
Giisparin, on bon piolcslanl, honore d'iiiic iiiiiiiiiie personnelle,
qui ail fait cesser les cx< oulions judiciaires pour cause de
sorcellerie. C'est aussi un souverain catholique qui rend l'iiat
civil aii\ piotc-ilants de France, pitis do 40 ans avant le hill d ••-
nian( ipalion des callioli(|ties en Anglelcrre, cela à une époqu»'
où dans tous les Etats protestants n^gnail celle législation draco-
nienne que M. de Gasparin réprouve si justement dans la Suède
d'atijourd'htii.
Pour les tables, M. de Gasparin leur dit : \'ous irez jusquc-l;i,
et pas plus loin. Vous tournerez, vous vous soulèverez à distance
des opératetirs ; votis deraonlrerez l'existence d'un agent fltiidi-
<jue se produisant sous l'empire de ctMiaines circonstances don-
nées, et sous l'imptilsion de certaines personnes. Quant à parler,
à rendre des oracles, à manifester les volontés des moris, à d<'-
voilfi- raveiiif. vous n'y prclcndrez |)oinl. En ceci, le scnliiui m
i)i:s lAHMiS roMiNAS riis, i:tc. 97
(l(; M. (Ir (iaspiiiiii pai-iil loil jiislc. Il rapproche le iiiouvenK'nt
l]tii(li(|ia> (l(>s tables (lu nia;<nétisme animal, avec, qui il u plus
(l'une anal()jj;ie. Chez Ions deux, CD ellet, môme incohérence des
Ksidiats, même incertitude d'action, même penchant :\ ne se
produire (|ue sous rinilucnce d'in(li\i(îus privilcfjics, même va-
j;ue (juant aux conclusions à tirer, même impossibilité pour re-
produire, à volonté, deux ou plusieurs lois des elFcts semblables;
partout même inaptitude des deux aj,'enls à réaliseï- des données
fixes cousiantes , certaines , en un mol scient i(i(pies. Il est grand
dommage, vraiment, que M. de Gasparin n'ait pas limité son
ambition à celte ipieslion des tables et du magnétisme. Il aurait
été utile , actuel ; tandis qu'en se laissant aller au gré de son
humeur, il a gaspillé inlructueuscment un sujet immense, des
plus graves, celui du surnaturel. A chaque pas son incompétence
éclate , et le lecteur se sent d'autant plus dispose* à la lui repro-
cher, qu'il se montre plus absolu dans ses assertions et plus
acerbe dans ses formes.
C'est dire que M. de Gasparin fait bonne guerre aux esprits
frappeurs, aux spiritualisles, aux médiums, à toutes les préten-
tions prophétiques et mystérieuses qui osent se greffer sur les
mouvements rotatoires. On trouvera dans son livre force rensei-
gnements sur les mœurs des tables fluidifiées et sur celles des
inspirés ou des nerveux qui les mettent en œuvre. M. de Gas-
parin veut que pai'mi les protestants d'Amérique les seuls uni-
tariens se soient abandonnés aux esprits frappeurs, et il les per-
sécute à merci. Il faut voir, dans cet acharnement , l'animosilé
d'une querelle intestine de secte à secte, car l'assertion est trop
tranchante. A Genève , où les tables ont aussi leur petite secte
(parmi les protestants), qu'en est-il? Le fait eût été bon à éclair-
cir. La mansuétude dont fait état M. de Gasparin devient
fort équivoque, alors qu'il se prend de détester les gens; sa co-
lère contre les uniiariens le fait bien voir.
Il ne resterait plus maintenant qu'à conclure et à essayer de
tirer quelques enseignements du livre de M. de Gasparin; mais
un dernier fdon, dans ces >ftstes volumes, attire notre attention.
A travers celle mêlée d'esprits , de revenants , d'apparitions,
de lycanlhropes, de possédés que M. de Gasparin fait passer sous
7
Uë i»i> 1 Aiii.i.s roi n.NAMHS, I rr.
nus v(Hi\, il (Si un r\cm|)hurc dr possession dont il linit din- un
Mioi, car il n'c'si pas h; moins intt'rrssani de la f,'al(rir. (xMIe
l»oss«'ssioii, c'est rcllr (h; M. de (jasparin Ini-inênu' ; c'est le ror-
( U* d'idées fixes où son imagination u |>ris racine; et n'allez, pas
croire que la recherche soit oiseuse, car c'est dans ces ar-
canes de sa pensée (ju'il faut surprendre les motifs déterminants
qui ont enj^aj,'é Tauleur à faire la chasse aux esprits.
(Jiii l'eût jamais pensé! M. de Gasparin prend la parole pour
déjouer une conspiration; oui, nnc < onspiiaiion de l'tdtramon-
lanisme conire les piolestanis : « Il ne sert de rien , dit-il en
» maints endroits du livre , de se faire illusion ; nous assistons à
>» rien moins «pi'à une levée de l)OU(diers. h ime manifestation
» (h)nl la portée ne saurait être méconnue. Indépendamment du
• rôle considérable (|ue remplit le spiritualisme américain
» comme orj^anc de runitarismc, il a pris au milieu de nous
') une gravité particulière depuis (pi il a été adopte ouvertemeni
» par le parti ultranionlain. (le parti ne dissimule |ias ses pro-
» jets |)leins de niciiaces pour nt)tre civilisation et pour nos li-
i>bertés; il saisit avec anicur l'occassion qui lui est offerte di'
» réhabiliter ses traditions et son moyen âge, »
V ous voyez tl'ici le tlièm(; s'arran},'er dans la tète de l'elferves-
cenl écrivain : l'Éj^lise s'appuyant sur les tables pour n'habili-
ter la magie, les sorciers, lcses[>rits, les épreuves judiciaires, le
moyen âge enfin. Les biuhers de la future inquisition éclairent
II! rè\e, <i de nouv(;lles dragonnades sont la sanction inévitable
de ces «loctrines terrifiantes. Les chefs du mouvement sont le
j(Mirnal V/nivcrs, M. le marcpiis de Mirville, M. Gougrnot des
Mousseaux (1), les évétpies de France, etc. On va dire (|ue c'est
là un conte à dormir debout, une histoire forgée à plaisir. Qu'on
prenne le livre, (|u'on le veuille bien parcourir, on ne trouvera
j)as un chapitre oii ces idées ne tiennent |)la<'e ; ou |>lutôl «pi'on
se borne au dernier chapitre, où l'auteur, pour la centième fois,
(I) M. de MirvilIc ri M. «les Mousseaux , •auteurs dc'crils récrnls sur le
surnuturel et les esprits. Ces messieurs <»nl soutenu la liièse tliamc'lrnlcineni
••pposco à celle de M. de Gasparin.
DKS TAULKS TOIRNANTKS, ETC. U\}
nioicn lij,'nescs;ir|^imifnis. (/csi l;i (|n'oii pourra screiidr*; coin|)l<:
(les pi'éocciipatioDs (|iii a^'ilrnt anjoiinl'lmi nombre do protes-
lanis. On ne j)enl se faire une idée du conianl de folN.'s idées qui
anime ces imaj^inalions sectaires. Hicn de sain, rien de [)Osé,
rien de solide dans ces têles oii les aspirations d'un Tilx-ralisme
enVén(' se trouvent aux pr-ises avec les fantômes d'une fraveur
maladive. El M. de (ias|)aiin n'est pas nu <;\emplaire unique.
Il ne reproduit, avec un peu plus d'intensité, (pièce que disent
bien d'aulies.
(Juoi d(! surprenant (pic la foule, parmi les protestants, soit,
à l'endroit des eatlioli(pies , imbue d(! préjugés aussi imbéciles,
(piand on voit nn homme tel que M. le comte de Gasparin , un
homme qui a du monde , qui se pique d'érudition et de lecture ,
<pii se piipie surtout de sagesse et d'être un type de loyauté, se
faire l'écho de ces absurdit(»s, de ces mille mensonges qui vou-
draient être méchants, si avant tout le ridicule n'en faisait jus-
tice.
D'abord il est convenu qu'en tous lieux les protestants sont
opprimés, tout au moins qu'ils sont en bulle à mille attaques d(;
la part de celte fameuse conspiration, qui aurait les jésuites pour
meneurs , le journal VUnivers pour organe , pour instruments
celte masse passablement compacte d'évéques, de prêtres, de
lidèles qui se contentent, chacun à son rang dans la hiérarchie,
d'être modestement catholique et d'obéir à l'Église, sans lui op-
poser les petites restrictions de leur amour-propre, à l'exemple
des Débats ou du Siècle^ ces pharisiens du libéralisme que les
protestants alTectent toujours de considérer comme les types dd
catholicisme éclairé qui leur convient.
Mais à qui M. de Gasparin persuadera-l-il que les protestants
soient aujourd'hui persécutés en Europe.^ qu'ils le soient en France
surtout, où certes leurs coudées sont assez franches, où les libres
penseurs, à tous les degrés de l'échelle sociale, ne cessent de
les entourer d'une sympathie extérieure , par manière d'opposi-
tion et de précaution contre l'Église. M. de Gasparin n'a-t-il
pas joui outre mesure de la liberté de parler à temps et à contre
temps ; n'est-il pas un enfant gâlé du laisser faire et laisser passer
moderne en fait d'opinion ; n'a-t-il pas eu l'aide obligeante de
KHJ I»ES TABLW T«U B>ANTKS, KTC*
loMi II- moiulo, jus(|irà celle de ces c:»ilioli«jiii's «ju'il hail si vi-
goiiii'iisiiiicnt? Ne cioil-ll pas loiil à la TraïKe de noire icmps ;
t(tiM, jiis»jirà ee lilrede nolili'sse <|iii aiiréilii iiéaiil sa Itouigedise
tainille.'(Juijaiuaisu comprimé les fantaisies de sa couscicncc elles
éclals de son zèle? assnivnient personne, si ce n'est peni-êiieses
amis on ses proches tprinipoilunenl ses ardeurs indiscrètes. S'il
fallait voir dans co jeu de la persécution auiic chose qne les im-
pressions personnelles de M. de Gasparin, on en trouverait le pré-
texte dans le dépit des j>artisans d'une cause (jui s'anioin<lrit, (pioi
(lu'elle fasse. Car l'ayilation n'est pas le proj^rès, pas plus «jue la
colère n'est de la force; pas plus que le vertige d'un esprit in-
<piiet ne ressemble à la sérénité d'une âme maîtresse de soi.
On n'est point persécuti', mais on serait enchanté de l'être un
peu. C'est évident à l'ardeur que l'on met à exploiter quelcjnes
éclaboussures occasionnées par des lenlalivcs prosély tiques par
iri>p provoquantes, ou par des connivences polili<jues suspectes.
Le bilan de l'agitation protestante de ces dernières années est
possible : qui a lieu de s'en réjouir? On sait les violences de l'An-
gleterre; vh bien, le mouvemenl tle retour au catholicisme a-t-il
cessé de suivre sa marche dc|)uis la conversion des Newman et des
Manning, jus(iu'à celle du deuxième Gis de l'illustre Wilberforce,
<pii recevait naguère à l'aiis le sacrement de conlirmation dans la
(hapelle du nonce du Pape? Sauf cette masse que les intérêts
politiques dirigent , à laipielle d'ailleurs la prévention séculaire
et l'ignorance invincible oblitèrent l'entiaidemenl, M. de Gaspa-
rin croit-il (pi'adversaiies ou amis, chacun ne sache pas exact»'-
menl ce (ju'il faut j)enser de l'agence proselyiicpie organisée par
le Consistoiie de Genève?
M. de Gasparin ne pouvait manquer de placer ici qut'hpies
pages halciauies d'indignation sur l'édit de Nantes. \ (juoi bon
tout ceci et cette fureur de camisard fé'bricitani à propos de ta-
bles tournantes? à quoi bon, si ce n'est parce que M. «le Gaspa-
rin met sa passion partout hors de propos, el qu'il ne veut pas
perdre une occasion de peisuader à son cercle d'auditeurs (jue
les actes du gouverjiemenl de Ix>uis \IV étaient des actes de foi
ratlnili(iue. l.a laclicpie est sans doute excellenie pour enti'cte-
tcnir l'animosité; mais comment la juger au nom de la raison/
DKS rAIIM'.S TOI RNANTKS, KTC. 101
Ces violences de poI»iini<|u«' ne nous leivonl pas accorder un in-
sianl d'asscnlimenl à l'aclcdc la Révocation, (|ui eut toujours no-
ire sin(-t;re léprohaiioii ; mais toujours est-il «[u'uiie autre atti-
tude serait convenabU; aujourd'hui poui- parler de ces lunestes
événements. D'ailleurs, il ne faut [loint prendre le change; c'est
puérilité que d'évoquer sans cesse ces débats d'un autre ûge,
alois (jue tous les toi ts sont réparés. Si h^s ealholi(pies avaient
assez peu de diynilé ipie d'ayir d(^ même et de l'aire étalage de
sensibilité en renouvelant le souvenir des persécutions qu'ils ont
endurées, ils auraient d'amples motifs d(> réci'iminalion. N'é-
laicnl-ils pas hier par milliers sui- les éehaidauds de 931' les at-
teintes portées à la liberté de la Suisse caiholi(pie par la guerre
du Sondcrbund, ne sont-elles pas encore llagrantes? Mais trêve
à ces souvenirs douloureux que nous aurions garde d'évoquer
dans le but assurément l)i<'n misc-rable d'intenter un procès de
tendance. La laiblesse de l'adversaire se trahit à attirer ainsi le
débat de questions doctrinales dans cette atmosphère conten-
tieuse.
L'Église catholique suivit à toutes les révolutions; elle triom-
phe des efforts redoublés du génie de l'impiété et des inimitiés
politiques. Grâce à Dieu , jamais sa faiblesse , au point de vue
humain, ne fut plus apparente ; jamais à aucune époque de l'his-
toire elle ne fut plus libre de protections temporelles; tes at-
taques ne lui font pas défaut. Cependant elle fournit sa course,
elle donne des témoignages permanents de fécondité et de puis-
sance spirituelle. Les conversions d'Angleterre sont une des
preuves les plus convaincantes de la force virtuelle et intrinsè-
que d'une doctrine. Voilà des faits qui se passent au grand jour
et que ne sauraient étouffer ni la conspiration du silence , ni le
tumulte des passions soulevées. Et c'est a ce moment que l'on
ose insinuer que l'Église ne triomphe que par la persécution et
qu'elle se dispose à en rouvrir la carrière.
La conspiration ultramontaine ne veut pas seulement ramener
l'ère des persécutions, elle va ressusciter le moyen âge.
S'il est un fait avéré, c'est le désordre produit par l'apparition
des tables au milieu du protestantisme américain. Les Etats-
Unis sont la patrie des esprits frappeurs, des spiritualistes et des
Kri DKS TABI.Ks un H>iNTKS. KTf.
tnediums. Kii biiro|><.>, l<^iil < ela na prnddii (|u Un «'(Tet de curio-
sité. En l'rance, oii les imaginations travaillent si vite, an niilicn
(le renlrainiMUL-nt Jii jeu (|iicl(|iies-Mns lirent inler\enir W Mirna-
lurel. De là un peu d eniuliun cliex les laibles, des scrupules
pour plusieurs. Sur ces enirefaitos, deux ou trois cvèqucs ont
pris la parole pour faire cesser ce trouble passager. Ils n'ont rien
(lelini. Ils déclarèrent seulement le jeu inutile et oiseux , (|ue
riiillu(!nce des esprits dt; ténèbres pouvait s'immiscer dans ces
sortilèges nouveaux ; partant, que le commun des mortels ferait
bien de s'abstenir, n'ayant pour dislinj^uer le vrai du faux, ni le
discernement ni la compétence nécessaires.
Et tout a été uni. \oilà comment on tranche les ipiesiions
dans la société catholique, et comment le calme se rétablit; ce
«jui ne veut pas dire que les personnes «pii désirent poursuivre
l'élude du sujet dans un but scientilicpie ne conservent |)as leur
liberté. MM. de Mirville et des Mousseaux demeurent à l'etal de
sa\anls (|ui ont ('-tudié le sujet à un point de vue <pii leur est
exclusivement propre , et ils gardent la responsabilité entière «le
leurs opinions comme de leurs actes. Ils n'ont pas fait, d'ail-
leurs, un bruit considérable. Il y a un an, alors »)ue l'on était au
fort de la curiosité surexcitée , Vi'nivcrs publia trois ou quatre
articles des auteurs précités, et analysa quel(|ues journaux amé-
ricains qui parlaient des spiriCualisles. \ oilà à quoi se monte
cette fameuse conspiration ultramontaine qui voudrait ramener
le moyen âge. «Lenioven âge oii personne, assuie M.deGaspa-
» rin, n'était sur du lendemain, ni de sa liberté, ni de la bouchée
» de pain noir réservée à sa famille, ni de l'honneur de sa fdle
» ou de sa femme. » (M. de Gasparin parle ici du droit du sei-
ijiicur. Il va sans dire qu'il adopte ta version de l'opéra conii-
«jue.) Le portrait continue de la sorte pendant dix pages. Gîs
trois lignes suflisent pour caractériser la manière.
M. de Gasparin couiprend-il tout ce «piil y a de puéril ù déni-
grer une époque (|ui eut sa grandeur et ses points obscurs, ni
l»lus ni moins que la notre? Au moment où tant de savants du
premier ordrt- consacrent leiirs veilles a manifester le réde si
admirabbi di* l'Église catholique qui conserva la science, les let-
tres, b's .iris a travers les siècles les |)lus laborieux de Ihis-
DIS TAIIF.I'.S TOliRNANTES, KTf. lOil
idin", la position de contraclidcMir est peu liononhle. Si les arls,
si U's IcUiT's n'avuicni eu pour soiiliciis, à cette ('pcxpie, <pie les
Vaudois ei les AII)ij,'eois , les seuls auciilres spirituels (\uv. le
chiislianisme de M. de Gasparin conseille à reconnaître comme
gardiens de la doctrine pendant cette épo(juc diflicile, l'esprit hu-
main n'aurait, croyons-nous, yuère lieu de se {,doriner aujour-
d'hui.
\ Tinstani nous arrivent (juelques pages remarcjuables écrites
par un éniiueni ( ritique (1 1, aussi autorisé en matière historique
qiw !>!. de Gasparin l'est peu. Nous ne résistons pas au désir
d'en extraire un fragment sur ce moyen âge que M. de Gasparin
ne veut connaître (pi'à travers les lieux communs d'une science
équivoque. Aussi bien fait-il bon d'échapper un moment à une
atmosphère de sols mensonges.
Ceux qui vfuleiil soir l'Europe leodale imnibleincnl et docileinoiil pros-
Icnu-e aux pieds du Saint-Siège , (jui envisagent le Pape comme le chef
suprême, incontesté, comme le couronnement régulier de iédilice féodal,
ceux-là sont forcés d'oublier bien des choses. Ils oublient les révoltes con-
tre lautorilé pontificale, si fré(iucnlcs dans ces âges d'indiscipline. Ils ou-
blient les luttes incessantes des Papes contre le principe féodal, qui, à Kome
niènie, cuire les mains de ces terribles dues lombards, a fait le malheur de
leur cité et ramerlumc de leur vie. Ils oublient comment les Papes ont en-
suite |)oursuivi le principe féodal dans le sein de l'Eglise, où, introduit par
les évéques et les prêtres de race barbare, il menait avec lui la simonie, le
concubinage, les allures anli-saecrdolales, l'asservisscmenl de l'Eglise au
pouvoir temporel, à titre de vassalité : comment ils ont été amenés à le com-
battre chez les Empereurs, lorsque ceux-ci, Teutons plutôt que Romains,
chefs de la société barbare et féodale plutôt que souverains civilisés de l'Em-
pire chrétien, ont défendu leur droit d'investiture, c'est-à-dire leur droit
d'asservir cl de corrompre l'ÉgUse; comment ils l'ont combattu enfin dans
les institutions et dans les mœurs, condamnant, à rencontre du torrent qui
entraînait les sociétés, et le duel judiciaire, elles épreuves juridiques, et les
guerres privées, et l'astrologie, et les sortilèges, et toutes les superstitions
du germanisme. Remarquez que dans ces luttes, malheureusement, le clergé
local a faibli plus dune fois ; les évéques, entiainés et par leurs souvenirs
d'origine, et parles penchants de la société à laquelle ils appartenaient,
et par la proximité du pouvoir qui pesait sur eux , ont cédé par mo-
ments à la pression du despotisme féodal et du nationalisme barbare. De
(l) Correspondant, livraison de novembre iStii, article de M. Champagne,
sur les Queslions historiques de M. Lenormant
luv
WS TABI.K-S TOUBNAWTM, KTC.
Monic seule est venur constamincnl la force et la lumière, la rt'sislance ini-
pcrtuihablc au lual, i rasscrvisscmcnl de lÉgiiso. nu germanisme amirl.ré-
tien, h la superstition, à la barbarie, l-t rcla. avant loul, gràre à la mission
•livinc et à la puissance surnatiireil.- ,1e la Papauté, niais price aus.si, humai-
ncmcnl et secomlairomonl. ù la sil.iali,.n Ké..Krnp|,i,,ue et historique de larilé
.hoisie de Di.u pour tUre le centre du pnivemement .le son Kglise. Rome a
traverse le moyen à},'e en le combattant et lo dominant, plutôt qu'en sassi-
milant à lui. L'art du moyen i^gc no. pour ainsi dire, point laissé de trace
dans son enceinte ; ses institutions ne sy sont jamais implantées. Home est
demeurée, au milieu de celte grande enfance des peupks , pleine d'années,
de maturité et d'expérience, supérieure à leurs faiblesses, étrangère h leurs
ignorances, comme une n.èrc au milieu déjeunes enfants, n.ais denfants
sans cesse révoltés. Sa gloire a été .le cond^Ulre plus encore ,,ue de gouver-
ner, .le plier sous elle ce sic^cle rebelle plut.'.t que .le lavoir paisiblen.cnl fa-
çonné à son image, den être la courageuse, patiente, laborieuse, et souvent
contestée dominatrice, bien plut.'.t qu'une reine paisible et toujours obéie.
Hevcnons à M. de Gaspariii.
Le style se ressent des dispositions de l'écrivain. On nimap^'i-
miaii pas quelque chose de plus confus, de plus faiii,'uani à lire
que .s..n livre. De l'esprit, des connaissances variées, de la cha-
leur même dans l'expression, no siilTiseiit pas pour dissimider les
inconvénients d'un esprit faux, .huuais un moment de calme ; de
linveciivc et de la véhémence toujours et contre tout le monde.
(,)uelqu'un disait «levant nous : M. de Gasparin est possé<l«- par
son idée, il ne la possède jamais. On no saurait mieux oaraolé-
riser l'homme. L'ordre ne nait pas chez lui II ressasse sans cesse
son thème de onspiration , et la liirour <lo tout dire l'entraîne à
uno prolixité insaiiabio. Le lecteur, à cha<jue instant dévoyé, ne
sait auquel entendre. Ce pédantisme impérieux si pou autorisé
l'indispose plus qu'on ne peut dire. L'injure, dans ce livre, dé-
passe môme les bornes permises à la passion. Est-ce se montror
soi;,'neux de .sa dignité (jue d'appeler grossier matérialisme la
croyance aux esprits et aux sacrements dans l'Église caiholicpie?
Qu'a donc fait Jé.su.s-Christ quand il est descendu dans les eaux
du.lourdain? Les j^'cns do cetto sorte ont sur tout une demi-
science (jui les perd. La haine île l'Église est mauvaise con-
soillèro. S'il y a un mauvais p.irti :i prendre dans un.' .pirsiion,
à coup siir ils l'adoplont.
Cet ouvrage fera tort indtihiiahlomoni à la réputation déjà
DIS TAIII.KS TOL'RNANTKS, KTC. lOo
roiupromisc de M. de Gasparin. Ln livre sur les Ecoles
<le la foi avait fait douter de sou jugement. Celui-ci |)Our-
i;iit , en outre, mettre en question sa loyauté même, s'il n'était
|):ir trop visiltle que la passion le df'hnrde. Ses amis prolestants,
qui avaient espère lrouvei«Mi lui l'étoile d'un docteur, se montrent
fort embarrassés de cet individualisme pointilleux, toujours prêt
à s'é|)urer aux dépens de ses proches, indiscret jusqu'à révéler,
pour sa plus giande yloire, les misères intimes du parti. Quant
aux catholiques, ils ne peuvent qu'être satisfaits : car ces excès
n'aboutissent qu'à montrer sous un verre grossissant, dépouillées
• (l'artiGce et de ménagements humains dont elles ont grand besoin,
les négations protestantes. Or, nul procédé n'est comparable à
celui-là pour manifester combien la raison, la science et la cha-
rité do Jésus-Christ s'opposent aux conclusions téméraires des
réformateurs du seizième siècle.
LKTTHK l>i; HOMi:.
L'IMMACULÉE CONCEPTION.
L(! plus j^iîMifl cvénoincnl des tnmps modernes est ucconipli.
Le Souverain INmlire, le \ icaire de .lesiis-dlirist a prononcé la
parole suprême au milieu tie luiiies les s|>lend«'urs de Rome, en
présenee de la plus an^usle assemblée du monde. Plus de deux
eenis ('vèipies, oij;aiU's de l'Église enseignante, |)rès de(|uaran(e
nnlle lidèles, représentanl rÉj^lise enseignée, prosternés dans la
hasilicpie de Saint-Pierre, ont reçu avec des altendrissenx'Uts
divins le d«'erei solennel île rimmacidée Conception de la sainte
Mère de .lésus-Clirisl Notre Sauveur. De tels spectacles appa-
raissent rarement dans le cours des Ages ; c'est un éclair des fêtes
du paradis i|ui \ieiii illunnner les Irislesses de notre vallée
d'exil, (piand le ciel prèle à la terre (pielijues rayons fugitifs de
ses pompes «'ternelles. Après cette majestueuse el émouvante
c«''rémoni«;, tous s'écriaient : Il n'y a rien ici-bas qui puisse sur-
passer IT'clai de c«'tle solennité!
Je vous ai promis un réc il ; ma promesse est une lourde
eliarge; la parole humaine ne ieira(e pas ces merveilles; mou
< o'in ne pouNaii eonienir ses einolinns. il se ii(»nv.ni à l'eiroii
/
I.'lMMArLI.KK CONCKiniON. 107
«laus sa IVôlc onvcloppr, il «'prouviiit dos soiUimenls <!<; foi oi âo
hoiiliciir (|iii (Iclxddaicnl cti ai(<'nls «le irconnaissancc (l'avoir
OU', appelé (lo Dieu h conicrnpior \r piodi^çf? vivanl do rnriito ca-
tli()li(pic. Je ne puis rprihaïK-licr, avcr noiro pauvre lani^'age Im-
maiii, eerpiej'ai eiiirevn comme un rellet des clarlés du eiel.
Les préludes do la fêle faisaient pressentir sa grandeur. Déjà
la fête de la dédicace de la basilicjue de Sainl-l'ierre avait eu une
splendeur inaccoutunK-e par la présence des piélats ; le premiei'
dimanche de W/cent, suivant l'usage, la solennité des quarante
heures, qui se succède dans toutes les églises de Rome, commen-
çait dans l'église du prince des apôtres. Le Saint-Père l'inaugura
par une procession admirabii; ; après les cérémonies de la cha-
pelle papale, Pie IX, précédé des évoques de toutes nations, tra-
versait la foule et la bénissait avec le Saint-Sacrement qu'il por-
tait en faisant le tour intérieur du temple. La vue du Sauveur
voilé sous les espèces eucharistiques, porté par son Vicaire, en-
touré de ses pontifes , produisait sur mon âme une de ces im-
pressions qui la transportent au-delà des mondes visibles et lui
laisse une empreinte incfTaf^able. Plus que jamais je sentais la
puissance du culte extérieur; je comprenais que l'Église était
bien l'épouse de Jésus-Christ et la mère des hommes, en prépa-
rant à son fondateur un triomphe parmanent qui rappelle sa
glorieuse entrée à Jérusalem, et en élevant nos esprits vers les
idées surnaturelles à l'aide d'un symbolisme qui s'empare de
nos sens et les met au service de l'âme. Pendant plusieurs jours
le Saint Père permit l'exposition publique de toutes les insignes
reliques dont Rome est la dépositaire fidèle : la crèche, la croix
de Notre Seigneur, la lance qui ouvrit le cœur de noire Dieu , le
voile de sainte Véronique, les clefs des Apôtres; et, par une fa-
veur spéciale, Pie IX voulut, l'avant-veille de l'Immaculée Con-
ception, célébrer la messe dans la basilique vaticane et donner
la sainte communion aux membres des Conférences de Saint-
\ incenl-de-Paul. Plus de quatre cents membres romains et
étrangers eurent le bonheur de s'asseoir à la table sainte, et
j'eus l'ineftable consolation de m'adjoindre à eux. Le Pape ne
voulut pas ([ue ces jeunes et fidèles apôtres do la charité conser-
vassent poui- eux seuls les joies de celte matinée; après avoir
108 II TTni: 1)1 BoMK.
fuit descendre dans leur cri'ur le Dieu-liommc cl après les avoir
luni , il Its (liat^'ca de porier à leurs proiégés une part de ces
joii's, en leur doruianl douze milh; francs ù <lis(riltuer. C'<'l:«ii
une douce préparation à la fètc pour I»' cœur du Pontife, pour
les membres des Sociétés de Saint-Vinceni-de-Paul et pour leurs
pauvres. H y eut une ncuvaine préparatoire de prières, de pré-
dications; un jeûne de vij,'il(; strict fut ordonné; et après que la
science et la prièic eurent ainsi ouvert les voies à un acte so-
lennel, arriva ce jour glorieux et béni. La veille au soir, maigre
une pluie toireiitielle , l«>s Romains illuminaient leurs demeu-
res et annonçaient par leur enthousiasme qu'ils comi)!enaient la
grandeur du fait qui allait se passer dans leur cilé. Le lende-
main 8 décembre, le ciel était beau, le vent avait balayé les nua-
ges, et Thorison apparaissait avec cette pureté qu'offre l'Italie
après quelques jours d'orage. Toutes les cloches de Home caril-
lonnaient un joyeux angélus; elles ne rappelaient pas seulement
la cé'Ieste salutation de l'ange à la Vierge Marie , mais elles an-
nonçaient la prochaine acclamation de la terre à la Heine du
ciel. Je célébrais la Sainte Messe, et , le cœur ému, songeant à
celte mystérieuse attente du monde catholique qui , a cette
heure, avait les yeu\ tournés vers Home, je pensais à Genève où,
an milieu de tant dt' préoccupations terrestres, se rencon-
trent aussi de nobles cœurs qui regardent la ville éternelle; je
pensais aux imes qui restent étrangères à ces joies de la foi ; je
priais, agenouillé dans celte immense basilique (|ue la foule en-
vahissait à grands flots.
A 8 heures , la cérémonie commence ; le Souverain Pontife se
rend à la chapelle Sixtine où raitendaient les cardinaux revêtus
de la chasuble blanche et d'une mître de soie; les évécpies parés
«le la chape blanche et de la mître de lin. Pie I\ porte la tiare ;
il est placé sur le siège gestaloirc. La procession se met en mar-
che. Les gardes nobles, les eameriers, le cierge, les |)rélats, les
généraux d'ordres religieux , les abbés , chefs de grandes ab-
bayes, les évoques, les archevé(iues, les cardinaux, puis le Sou-
verain Pontife, qui s'avance entouré d'affection et <>n>ironne
lie respe<ts. La procession descend le maguiliijue escalier du \ a-
lican; elle marclu' enlVe celle colonnade <jui oHie à la vue de
l/iMMACt'LKE CONCICI'TION. 109
si hollos pcrspeciivcs. Elle passe dcvanl la slaliie équestre de
(ioiisiaiiliii, (|ui dm tressaillir au souvenir de Ricci ; elle entre
dans la l)asili(|uc et se rend à raulel de la eonl'ession. Les évê-
(|iies chantent les litanies des saints; la foule unit sa grande voix
à la voix des pontifes; ces invocations à la Sainte Trinité ces
|)rièrcs à la Sainte Vi<;r{j;e, aux saints Apôtres, aux confesseurs,
aux martyrs , ces demandes faites aux saints d'intercéder pour
nous, ce chant de tout un peuple, ce cri de l'Église de la terre
à l'Eglise du ciel, cette union des combattants et des glorifiés ,
ces deux mondes qui se relient entre eux par la prière, ces sou-
pirs de l'exil et ces accents de triomphe qui se confondent en-
semble et préparent une auréole à la Mère de Di(.'u, tout prédis-
posait l'âme à de grandes pensées. La vue de ces deux cents
mîlres (pii précédaient la tiare, cette succession de pontifes ve-
nus de tous les points de l'univers, ces prélats de l'Australie
cpii chantent avec les évéques de France; ces pontifes des Etats-
Unis qui harmonisent leur voix et leur marche avec les chefs
des diocèses allemands ; cette réunion de deux cents hommes
pris parmi les plus illustres de leur génération , qui ne forment
qu'un cœur et qu'une ame, qui ont une même foi et une com-
mune affection, qui s'entendent admirablement; n'est-ce pas là
un phénomène qui révèle l'unité dans toute sa force , et montre
que l'esprit de Dieu qui unit est là dominant l'esprit de l'homme
qui divise toujours? INi aucune assemblée délibérante, ni un con-
grès scientifique, ni une conférence de diplomates, ni un synode
(|uelconque de ministres prolestants choisis parmi les plus droits
et traitant les problèmes les plus simples de la terre , ne pour-
raient offrir une image lointaine, une idée affaiblie de cet har-
monieux accord sur les choses religieuses. Pendant que l'on
chante les psaumes de tierce, le Saint-Père, assis sur son trône,
reçoit tour à tour les membres du Sacré Collège, de l'épiscopat,
qui viennent, chacun dans son rang, renouveler à ses pieds
l'hommage de leur obéissance; ces formes respectueuses, ces
démonstrations qui caractérisent la hiérarchie catholique, ont
une grande valeur et n'abaissent personne; rien n'est bas, a dit
quelqu'un, quand c'est l'amour qui s'abaisse devant un Dieu !
La messe poniilicale commence ; le Vicaire de Jésus-Christ
I II) I.KTTHK UK RUMK.
est onloiiic a I aiilcl de <|ua(rf cardinaux el dis deux plus au-
» M'us arclievt'<|uos ; rar«ln'V(*'(|Uo i\i' Paris avait lanj^ parmi <ii\.
II s«j trouvait à ct'iic do rarilM.'vrcpic de Turin. Je ne puis nous
redire eu dilail lo rit pimiitical; mais il porte reniprcinic du
syndxdisme le plus élevé; on sent (pie c'est la plus haute auto-
rité <pii ofl're le plus {;rand sacrifice au Souverain Maître du ciel 1
L epilre el rKvanf;ile sont cliautés en grec el en latin par des dia-
cres el des sous-diacres (pii ont leurs vêlements particuliers.
A|»rcs rEvanj;!;ile, les doyens des cardinaux, avec les patriarches
de leylisc j^rcc(pie unie, un arclie\èque arménien et un é\èque
laiin, se présenieni devani le Pape el lui demandcnl de porter le
décret sur l'Immaculée Conception. Pie IX re|)ond en invitant à
implorer les lumières do l'Esprit Saint; il lombe à genoux, en-
louue le f^ e7ii Creator d'une voix l'orle et émue ; tous le clianteni
avec lui, les pontifes, quarante mille fidèles, le corps diplomaii-
(jue, les olFuiers. Rien n'était beau comme ce concert unanime
d'une loulo inmiensc qui n'a (ju'un cdur et qu'un cii de foi. €'«•-
lait bien la reproduction de la Pcnlecôle, rallcnie mystérieuse
de l'Esprit Saint. Pie l\ se lève; il se fait un grand silence; le
\ icaire de Jésus-Christ, qui doit conlirmer ses frères dans la foi,
ouvre la houche; il va prononcer une parole qui fixe à jamais
dans le synd)ole catholique une vérité pieusement accepléejus-
(pio-là; sa voix esi vihranle et pleiiUMl'émotion ; il dé-clare ipic
la cioyanco de l'Immacnlfe (loncipiion a été rév«'lée par Jé-sus-
Christ, el <pie celui (pii aura laudaco d(! la rejeter dans son cœur
a lait naulra;.;!! dans la foi el est sépar»' de l'Eglise. Le Saint
Père ne peut achever; ses larmes trahissent son émotion, il s'ar-
lêle , inqniissanl à la dominer; de douces larmes de bonheur
coulent de tous les yeux. Il essuie ses yeux et achève celte lec-
ture solennelle. Par un concours étrange de circonstances, un
rayon de soleil, formant comme un faisceau de lumièi-e, vient se
jouer à ses pieds; el pendant la déclaïaiiDU du diacre, il monte
peu à |)eu jusque sur son front. L(; visage du Pontife était rayon-
nant ; là, debout sur les relicpios sacrées de saint Pierie. devani
les Pontifes, en face des cvéques représentant toute la catholi-
cité, Pie IX prononce une parole qui va éire portée aux exlré-
mil<''s de la terre, ipie douze cent millions d'àujcs accopleroni
l/i.MMACtLKE CONCEPTION. 1 I t
avec une joyeuse soumission , qui est cliie en une; soûle lanf,'ue ,
(|ui va élre iransmise à lous les peu[)les, et que tous ils enien-
tlnuit dans leurs lanf;uos. A c(!l inslant, le canon du fort Sainl-
Ange ra()piit à la vilUî clcinellc; loutcs les cloches lui répondi-
rent, la joie éclate dans les regards de tous les assistants, heu-
reux d'avoir contemplé celle admirable scène et d'avoir vécu à
Rome à celle heure solennelle dans Thisloire de l'Église , au
milieu de cette réunion rare et privilégiée.
De vous dire quelles pensées, quelles émolions passèrent alors
dans toutes les âmes, je ne l'essaierais pas; nulle d'entre elles
ne sait elle-même tout ce que Dieu lui a fait sentir. Le frisson
parcourt les membres, le cœur bat fort, les yeux sont mouillés
comme si l'on avait devant soi une apparition surnaturelle! L'âme
vivait alors de la foi qui l'inondait; quel instant que celui où une
déclaration semblable est faite au monde ! le successeur de saint
Pierre constate et affirme que cette croyance est dans le trésor
des vérités révélées dont l'Eglise est la gardienne inviolable.
Désormais ce dogme prend sa place dans le cœur des fidèles , il
passe de l'état latent à l'éclat de croyance manifestement révé-
lée; le témoin sûr et infaillible de la révélation en a rendu l'ir-
réfutable témoignage. A la vue de ce divin spectacle si expres-
sif, si parlant, qui exprimait si bien la vie de l'Église, l'on se
sentait heureux et fier d'être catholique, d'appartenir à celte
grande société des âmes qui se rangent humblement sous le joug
tutélaire et béni de l'autorité de Jésus-Christ , à cette famille
qui jouit de la certitude de la vérité dans l'unité, parce qu'elle
possède un organe institué pour enseigner perpétuellement et in-
variablement la doctrine révélée.
Le saint sacrifice de la Messe s'acheva avec ses magnificences ;
avec le rit si touchant et si symbolique de la première commu-
nion des apôtres assis à la table du Sauveur; la Messe achevée,
l*ie IX béni le peuple et entonne le Te Deum. Alors, comme au Feni
Creator^ par un mouvement spontané , étranger aux usages des
messes pontificales, toute celte foule chante avec un accent de
joie; elle était ravie du triomphe de la Reine du ciel; puis le
Souverain Pontife s'avance dans la chapelle des chanoines pour
couronner un tableau de la Sainie-\ ierge d'une magnifique cou-
112 LETTIU; l)K UHMi;,
roiine d'or enrichie de pierres précieuses. Le ( Imiir clianui It-
Hegina cœli lirtarc pendanl (pic h» iniiin de Pic l.\ plaçait ce dia-
drnjc sur la iclc de la \ icr},'C immaculée, cmbicuie de Tcloile
hrillanlc que le décret venait d'ajouter à l'auréole dont la pi<''tc
liliale de l'Église a décoré son Iront.
Jamais les Romains n'avaient vu une foule [»lus serrée, plus
compacte et plus recueillie se piesser sous les voûtes de Saint-
Pierre. 11 est consolant de penser qu'au milieu des agitations
matérielles de notre épcKjnc, un fuiiicli^Meux prf'occupe les âmes
à ce point qu'il devienne le fait capital de nolro siècle. La solen-
nité du matin fut comph'lée le soir par de magnifiques illumina-
tions; la coupole de Saint-Pierre élincelait de mille feux; toutes
les lignes de raidiitecture, de la colonnade se dessinent en traits
de feu; les maisons sont pavoisées, les églises sont rayonnantes
de clartés ; les rues les plus splendicles et l'impasse le plus caché
ont leurs feux de joie ; nul ne reste étranger à cette fête de la
Sainte-Vierge. Des orchestres sont dressés devant les églises ; des
chants pieux se font entendre de toutes parts; des académies
tiennent de brillantes réunions. J'assistais au Capitole, sur ce
mont oii les trioni|>hateurs anciens venaient cueillir leur triple
couronne, au irioinplie plus pacilnjuc cl [)his grand de la Mère
de Dieu, à une séance de l'académie des Arcades. Le cardinal
Wiseman lut un discours admirable de foi et «le grâces, et des
académiciens vinrent tour à tour jeter une cliannanie llcur de
poésie italienne aux pieds de la Sainte-Vierge Immaculée. Le
lemlemain, le Saint-Père réunit dans un consistoire tous les car-
dinaux et tous les évéques; dans une admirable allocution latine,
il passa en revue l'état du monde, ses craintes et ses espérances*
il parla avec douleur des attentats du Piémont contre la liberté
de l'Église ; il signala la plaie des sociéti's secrètes, de l'indilTé-
rence, du rationalisme, des études sans religion et sans christia-
nisme ; il montra aussi les grandes raisons d'espérer cette renais-
sance religieuse qui se voit presque partout et qui est due en
partie aux Conférences de Sainl-\ incent-dc-Paul. Cette parole
si haute du Souverain Pontife, prononcée dans une réunion aussi
solennelle, empruntait aux circonstances une sanction nouvelle.
Il avait entendu tous les évéques dans l'intimité; sa voix était
I.'lMMACULKE CONCKI'TK». 113
<;omiiie un écho do roui ce (ju'ils lui avaiciil îippris des luîtes du
mal , (lu (ravail du Iticu , du grand cr du beau dans chaque iia-
liou. Qiudlc dillcrcnce entre ce consistoire et les partages par-
lementaires et les synodes protestants ! Le cardinal de Ronald, au
nom de tous les j'vêques, remercia avec effusion le Saint- Père du
décret porté, de sa bienveillance paternelle, et Pie 1\ lui répon-
dit en italien avec des paroltîs si belles, si gracieuses, si affec-
tueusement bonnes, si intelligentes, ([ue tous les évêques en
éprouvèrent une sainte et douce émotion. Pie l\ a l'âme d'un
saint , le cœur d'un père , et il passe à Rome pour le premier
orateur de l'Italie; c'est vous dire quelles paroles devaient s'é-
<-happer de ses lèvres , chargées par Jésus-Chrisl de bénir les
villes et le monde.
Le dimanche, à 8 heures, eut lieu la consécration de la basili-
que de Saint-Paul hors des murs, sur la voie d'Ostie. Cette ba-
silique, destinée à servir de tombeau au grand apôtre, remplace
le monument à jamais regrettable qui a été détruit en partie par
un incendie. Reconstruit par les deniers de la chrétienté , pavé
d'or et de marbre, orné de colonnes que tous les souverains,
depuis l'empereur de Russie jusqu'au chef mahométan de la
race arabe , ont envoyé au chef de l'Église , cette basilique im-
mense exprime la puissance pontificale qui, dans nos jours d'é-
puisement et d'égoisme, a su créer un semblable monument.
Ailleurs les trésors protestants sont impuissants à restaurer des
cathédrales que leurs deniers n'ont pas construites, et Fvome con-
serve une force toujours jeune dans sa durée perpétuelle. Nos
rits de consécration d'église sont une attestation de la foi à la
présence réelle de Jésus-Christ ; pour nous, un temple n'est pas
une demeure froide, des murailles glacées et insignifiantes; mais
c'est la demeure du Fils de Dieu , le tabernacle du Sauveur qui
vient habiter parmi nous ; c'est l'autel où s'immole son amour,
c'est le rendez-vous des âmes qui cherchent un refuge ici-bas
pour s'élever dans les hauteurs de la foi et de la charité. Aussi
l'Église consacre-t-elle par des onctions saintes ces pierres qui
doivent abriter nos grands mystères. La cérémonie commença à
Sheures; Pie IX fit d'abord une allocution sur les gloires de sain
Paul, sur les travaux de ce docteur des nations, justement appelé
8
114 Ml I III l)K HOMK.
le vase d'élcclioii, puis il rotriua ù farauds iraiis riiisloirc de l:i
lKisili(jUc, el il m;mircsl:i sa jnie (li* la cDiisacicr au inilirii de lanl
d iliusires eN<*iiac'.s. Il cul la dclicale alinitifin de se laire aidcM-
dans cette cérémonie par les cardinaux étrangers; les cardinaux
tic Lishonne, «le Tolètlc , de Lyon, de Ilcsançon , de Reims, de
Hoiiyrio, le cardinal W iseman el le cardinal Scliuar/enbcrf,'. les
cardinaux de Malines el de Napks. Maigre la dislance de Rome,
la foule était nombreuse el ne pouvait trouver place dans cette
vaste enceinte. A une lieun; et demie, la Cf-icmonie se termina
par la bénédiction de Fie IX, dont la \o'\\ et le regard expri-
maient le bonlieur.
Toutes ces fêtes que Rome vient de montrer au monde mani-
festent sa vie. Je redisais avec fierté celle parole de Rossuet :
Nou , Rome n'est pas épuisée ; sa voix n'est pas éteinte dans sa
vieillesse; elle est bien le centre du cbristianisme, toutes les na-
tions relèvent d'elle; elle est la reine du monde par la \ériiéel
par la charité. Les peuples qui n'ont plus voulu de sa douce ei
divine autorité s'en vont à Tanarcbie des ûmes, à la ruine des
doctrines, ou à l'esclavage, des esprits. Elle vient de m'olTrir,
dans ces trop rapides solennités, le triple raractère, qui n'appar-
tient «pi'à l'Église de Jésus-Christ, de l'unilé , de la per|>eiuité,
de l'universalité. J'ai vu lous les temps apporter leurs recber-
clies hisioi iqiies , leurs témoignages de science à son décret
dogmatique; lous les peu[»les le reccNoir par l'organe de lems
évéques; j'ai entendu celle décision lomber des lèvres d'un seul
homme qui I im|X)se au monde, parce qu'il l'a reçue de Dieu par
la tradition. Quel morlel a ce pouvoir incomparable de parler a
toute la terre, et d'être écouté d'elle avec joie et soumission? Un
auteur dit quelque part que si une cérémonie a la prétention
d'être grande sans être soutenue pflr de grandes réalités qui lui
correspondent, il y a dispropuilion entre sa forme el sa matière.
Le caractère factice et faux (|ui vn résulte ne saurait tromper le.
seiiliment public ; le bon goTit <'sl froissi*. Le président du con-
sistoire de Genève, l'archcNêipic anglican de Canlorbéry, le mé-
tropolitain de Moscou, seraient tous les maîtres, si cette idt^
leur passait par la tête, de se mettre à prononcer une décision,
à bt'nir. du haut d'un clnchrr, leurs \illes et le monde; in;iis
i
l'iMMACILKI: COMKI'TION. 11. ■>
«Dimiic tli( fs (le ciilii's locaii\ , (réj^lisos niilionales, leur clKU'g<!
sciail-rllc (l(> taille à se iiaiisser avec f^iàcc jusqu'à celte liéiié-
diciiun iiiiiveisellc? On ne joue pas, comme on vont, le rôle de
père commun. Le Poniife de la seule Église qui ait engendre' des
enfants parmi tous les peuples, est le seul qui puisse se trouver
à Taise, avoir un maintien naturel elêtre accepté dans la majesté
de cet acte.
N'y a-l-il pas dans celte sollicitude de l'Église calholi(iue à
Faire à l'apùtre saint Paul un niagnirnjue sépulcre et un glorieux
lombeau, à recueillir la plus légère parcelle de ses saintes reli-
«jues, un signe ('vident de sa fidélité à garder ce qui vaux mieux
que ses cendres, ses paroles, sa doctrine sacrée? N'y a-t-il pas,
dans la joie de l'Église à constater les privilèges si grands de
Marie , mère de Jésus , à chanter ses litres de gloire, un carac-
tère manifeste de son inviolable attachement au Sauveur? Elle
est donc Ihéritière des apôtres et l'épouse de Jésus-Christ.
Quelques esprits frivoles ou incroyants trouveront cet acte de
l'Église bien étrange. Le monde s'agite sur ses bases, et dans
cet ébranlement universel, dans ces bruits de guerre et ces com-
motions générales, le Pape porte paisiblement le décret sur
rimmaculée conception. Oui, ce sont là les grands soucis de
l'Église, parce que les agitations des temps sont passagères et
qu'elle garde les vérités qui sont éternelles. Quand la flotte de
Lépante luttait afin de sauver l'Europe d'un souverain musul-
man , un Pontife, qui portait le nom de Pie, appelait les fidèles
à l'humble récitation du rosaire; les incrédules riaient peut-être
de cet acte insignifiant ; mais la victoire docile répondait à l'ap-
pel du Pape. Pie IX suit encore cette tradition; à l'heure où
l'hérésie anglaise semble perdre son hostilité et prête ses forces
aux puissances catholiques pour arrêter les flots envahisseurs du
schisme, il fait saluer d'un glorieux titre la Sainte Vierge. Sur
le cratère d'un volcan, au milieu des révolutions, en exil ou
dans le triomphe , la Papauté garde les dogmes sacrés de la ré-
vélation, et ailleurs ils sont tombés des mains impuissantes à
les retenir. Qu'il est doux d'être catholique ! Plaignons les âmes
étrangères à l'Église; prions pour elles; de tristes préjugés les
M(i I I I I III lU ItoMI — I. IMMACI'LKF. r.ONCKPTION.
éloif^nciil «le la Ijinillo universelle et les exilent déjà ici-bas des
|)lus douces satisfaciiniis de l'esprit et des meilleures joies du
«uMir.
Gaspard Meriillod,
Missionnaire apostolique.
Home, le 11 décembre, fétc dcSlDatnaso.
MKI-ANOKS KT NOUVELLES.
tiEHKVK. — Pendanl que les villes de Lyon et de Marseille,
qui possèdent les deux plus célèbres sanctuaires en Phonneur de la
Sainle-Vierge; pendant que d'innombrables cités catholiques célé-
braient à l'envi, avec tant de magniGcence et de toi, la fête de rim-
roaculée Conception de la sainte Mère de Dieu, Genève catholique
avait aussi sa pieuse et louchante solennité. Genève où se perpé-
tuent depuis trois cents ans, et aujourd'hui plus que jamais, les
plus incroyables attaques contre les privilèges de la Sainte Vierge
Marie; Genève où on est arrivé à une négation presque générale
de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, du péché originel et
de la nécessité du baptême ; Genève où on ne comprend plus rien, ni
au libre arbitre de l'homme tombé, ni à la rédemption de Jésus-
Christ Homme-Dieu, ni à la grâce du Saint-Esprit, Genève a vu
le 8 décembre, dans l'église de Saint-Germain, à toutes les messes
et aux exercices du soir, de nombreux Gdèlcs venir adorer le divin
Sauveur du monde dans le sacrement de son amour, et honorer sa
très-sainte Mère Immaculée; les communions ont été très-nom-
breuses. Toutes les pensées étaient à Rome, tous les cœurs étaient
aux pieds de la Reine du ciel. Rien de plus émouvant que le mo-
ment où, après le sermon du soir, M. le curé de Genève, au pied
des saints autels avec tout le clergé, a entonné spontanément l'in-
comparable cantique Magnificat. Tous les fidèles, hommes et
femmes, ont fait retentir l'église de leurs voix. Ils étaient les té-
moins et les acteurs de celte parole et de celle prophétie qui n'ont
leur réalisation qu'au sein du catholicisme : Quia fecil mihi magna
qui potens est. Celui qui est tout puissant a fait en moi de grandes
choses... Ecce cnim cahoc heatam me dicent omneè generationcs, ci
toutes les générations m'appelleront bienheureuse Quand il fut
118 MÉI.AMJES KT MOI VKI.LF.S.
dt'cidé, il V a Irois ans, que la notivi'lle (>gliso qui se cotislruil à (ie-
néve sérail stius le vucahle de Nulre-Danie de rininiaoulée Coueep-
lion. on répoiidail à un vœu de lous les calliuli(|ues. Le Souverain
l'onlife, dans la pruclainaliuD du dogme , avait, indèpcndaninienl
de l'avis de loul Tépiseopat, émis \o. v(ru el le sentimenl de Ions les
fidèles. Il faut avouer ipio si les ealliolicpies de (icnévc onl su ré-
sister à Tatmospliére délétère de la eilé de Calvin qui ne met au-
runc borne à ses outrages à la Sainte Mère de Dieu, c'est bien à leur
foi el à leur confiance envers Marie (ju'ils le doivent. (Jue sera-ce,
(|uand le nouveau sanctuaire élevé à la gloire de Dieu et en l'hon-
neur de la Vierge Immaculée pourra retentir des hommages des
catholiques de (jenève !
— On nous communique la pièce suivante :
./ VuHsiVur le Prv^ident et à Vessieurs les JUembres du Luineil d''État
de la Hcpublique et Canton de Genève.
Décembre 1854.
Monsieur le Président et Messieurs,
Les soussignés cx|>oscnt avec respect qu'en vertu d'une conven-
lioM con( lue entre cinq canlons dont celui de (lenéve fait partie.
« onvenlion tlonl le texte ne se trouve point au Ikcueil des Luis, mais
dont l'existence n'est pas déniée, l'entrée de notre canton est in-
terdite à Sa (irandcur Monseigneur l'évéque du Lausanne et de
fienéve. Otte mesure frappe à la lois le pasteur el les ouailles;
elle n'est ni dans l'esprit de notre temps, ni dans nos niœurs, ni au-
torisée par nos lois.
Les soussignés ont gardé le silence aussi longtemps qu'ils onl pu
••spérer de voir révoquer par ses au'.<;urs mêmes celle >enlence de
bannissement : mais puisqu'elle est indéfiniment maintenue, les
soussignés croiraient manquer à leur double devoir de chrétien et
de <-ito>ens s'ils n'appeIai(Mil pas rallenlion la plus sérieuse du Con-
seil d'iitat sur un état de choses aussi préjudiciable dans Tordre de
la religion que contraire ii la justice dans Tordre temporel.
Les Iributjaux seuls oui (pialilé |)our prononcer des peines . no-
tauimenl celle du banni.ssemenl ; i'évèt|ue n'a été ni accusé, ni mis
en jugement, ni condamné par aui un Iribimal, soit do notre can-
ton, >>oil d'un canton étranger ; el, a supposer, ce qui n'est pas,
qu'il» >e IrouMtl alteiut par nue sentence d'un tribunal d'un autre
canton, la n<MJ^ elle lonslitulion fédérale ne garantit de lanlttna
mki..vn<;ks i:t noi vkli.i.s. 119
canloii (jiic ri'xociilioii clos jugcmenls tivilî- ; or, un jiigcmoiil civil
ne |)(Mil jii prononcer de peine antre qn'nne amende, ni slaliier sur
des points élrangcrs an\ inlérùls pécuniaires ou aux droits des fa-
niilli's.
La nouvelle conslilulion fédérale, noire pro|)re conslilulion et
nos lois ne permet lent à aucune autorité d'interdire par mesure de
police le lerriloiic du canton à un citoyen suisse qui n'est atteint
d'aucune condanuiation. Elles consacrent, au contraire, le droit de
libre élablissenienl.
Les soussignés ne sauraient donc comprendre comment il pour-
rail être fait à l'évéquo du diocèse une position différente de celle
de tout autre citoyen suisse; position qui le met au-dessous des
heimathloses et des étrangers. Les traités auxquels Genève doit
son nouveau territoire , et le bref d'incorporation au diocèse de
Lausanne, obtenu du Pape à la demande même du gouvernement,
garantissent le libre exercice de la religion catholique ; il y est sti-
pulé que l'évêque ne sera jamais inquiété dans le cours de ses visi-
tes, et le traité de Turin maintient dans le territoire sarde cédé les
lois et usages qui y étaient en vigueur relativement à la religion au
30 mars 1815. Ces dispositions sont inconciliables avec toute pré-
tention d'une autorité quelconque d'interdire par voie administra-
tive l'entrée du canton à l'évoque du diocèse, surtout quand cet
évèque est citoyen suisse.
Indépendamment des entraves que le séjour forcé de leur évèque
en pays étranger entraîne pour les catholiques du canton en tout
ce qui tient A l'ordre spirituel, et de la gêne qui en résulte pour eux
dans l'exercice du plus cher et du plus sacré de leurs droits, les
soussignés ne doivent pas laisser ignorer au Conseil d'Etat que la
mesure arbitraire dont leur évèque est victime les atteint plus que
lui. ils ont le droit d'avoir leur évoque au milieu d'eux toutes les
fois que celui-ci le juge utile ou nécessaire, et ce droit ne peut ni
ne doit être sacrifié aux prétentions ou aux convenances du gou-
vernement d'un autre canton, d'un canton à qui nous ne devons
rien, dont nous ne sommes point solidaires, et qui, s'il fait ses af-
faires selon son bon plaisir, n'est assurément pas fondé à demander
que l'on biffe en sa faveur les articles des lois et des constitutions
de Genève qui garantissent les droits religieux des catholiques de
notre canton.
Dans l'ordre civil, la mesure dont il s'agit est de nature à éveiller
l'inquiétude et la défiance chez tous les citoyens. Qui pourra, après
12:) MFI.ANCKS KT NOLVKLLKS.
un |>areil anlôcédenl, se croire A l'abri de l'arbilmirc".' Oui pourra
>L' bercer de l'espoir de >oir ses droits pailiculiers mieux respectés
i|ue ceux de l'évOque, c'esl-;i-dire ceux (b' (nii< b>s catholiques en-
>emble?
Si révt^pie arriviiil inopinément à tlené\e, se trouverait-il d'ail-
leurs un fonctionnaire (|uel(oiu|ue qui 0'i;U prendre sur lui la res-
ponsabilité de rarrestalion ou de rex|)ulsion? Kn \ertu de quoi
pourrait-il être requis de procéder? La convention de Fribourj^ n'a
atiiunc existence publi(|ue; et, fùl-elle insérée au Herueil drs Lois,
elle ne changerait pas pouj- cela de caractère.
Les soussignés, bien convaincus que toutes ces pensées se sont
plus d'une lois présenlé(>s à l'esprit des nia;.'islrals, déposent avec
confiance entre les mains du (Conseil d'Llat l'expression de leur
douleur et de leur désir de voir ordonner le retrait d'une prohibi-
tion injurieuse pour celui qui en est l'objet, alTligeantc pour tous
les catholiques, allcnlatoirc i\ bîurs droits, et pardessus tout par-
faitement inutile.
Dans l'espoir légitime <(ue le gouvernement se rendra à leurs
vœux, les soussignés prient le (Conseil d'Klat de daigner agréer
riiun)niaç[e de leur profond respect.
[Suiretil Irf iifjnalurff.
('elte pétition , pleine de force quant au fond et de convenanctî
«lans la forme, si* couvre, ou plutôt est déjA couverte de noms. Il
est des communes où tous les catholi(|ues, membres du (irand «"on-
s»;il, maire, adjoints, conseillers munici()aux en léle, ont signé,
dans les autres l'immense majorité. (Quelques éclairée seuls, qui
n'ont |)as le sentiment catholique, fenmt exception. L'honneur de
riniliali\e revient à (pielque>i simples citoyens, obscurs , si l'on
vent, mais hommes de caractère et de foi. Ils ont pensé que le mo-
ment était bien choisi, et nous le croyons comme eux. Il y a quel-
ques semaines, on aiiiail pu soupçonner, sons «elte démarche, une
manœuvre |)oliti({ue ou électorale: aujourd'hui, impossible.
.\ Fribourg, d'où est parti le coup qui nous a enlevé notre évé-
«|ue, une demande analogue a été adressée dernièrement au (îrand
(inuseil. t^elui-ci y ac(piies«"era ou non. Mettons la chose au pire el
aduH'ttons (|u'il fasse cette fois encore la sourde oreille. Terminant
>uii existence anti-républicaine et renouveh' en IS'itl, on peut pro-
pliétiser s;uis crainte ce (pi'il sera alors. Les dernières élections en
tioni un sur i,Mranl ; il u'v .1 ipie le f'(»»i/"»''//^rp' cpii puiosc découv 1 ir
Mi:iwVN<;r.s i r Nnrvr.i.LKS. 121
iiiie vicloirc pour lui dans la quintuple défaite qui a été inflif^ée à
son [)arli le 13 novembre. Une fois arraché au despotisme qui pèse
sur lui, h'riliour^' ranpcrn parmi ses premiers devoirs le ra[)p('l de
rév(\jtie. Il faudra bien (|ue (ienève or» fasse autant. Pourquoi donc,
au lieu do marcher à la remorque d'un autre gouvernement, celui
de ('icnève ne le précéderait-il pas dans les voies de la réparation?
Il V aurait là évidemment plus de noblesse. On ne prétextera pas
(jue ce serait contraire aux principes démocratiques, à la volonté
du peuple. Le peuple, que cela re<]farde, la popidalion catholique
réclame son premier pasteur. A (Ienève, le gouvernement de t^'i-7,
(|ui a prêté les mains ii l'inique mesure de son exil, est tombé. Le
gouvernement actuel est donc parfaitement placé. Aussi nous le di-
sons avec assurance : Si le Conseil d'Etat entend ses propres inté-
réls, s'il veut sincèrement la réconciliation, quelle belle occasion
pour lui ! Nous verrons s'il saura êlrc indépendant, juste et habile.
— Un nouveau cours de conférences d'hommes a été ouvert
pendant le mois dernier, dans la salle du Fort-de-l'Ecluse. Ces
conférences, continuées sur différents points depuis 1853, témoi-
gnent du zèle que met le Consistoire à maintenir l'œuvre inaugu-
rée dans le temple de la Madeleine. Toutefois, le choix des sujets
traités dernièrement nous a paru fort remarquable jiar son côté
inoffensif et presque étranger au but primitif de ces assemblées.
Nous comprenons que les ministres protestants soient vite au bout
de leur symbole ; mais, auraient-ils sitôt épuisé le chapitre des er-
reurs de l'Église romaine, et le répertoire des calomnies dont elle
est l'objet, ou bien jugeraient-ils enfin convenable de renoncer à
ce genre de déclamation? Quoi qu'il en soit, les conférences de ce
mois ne présentent j^lus le caractère belliqueux de leurs sœurs aî-
'•c»''Hs. F.n p^TcI, sur quatre réunions qui ont déjà eu lieu. Tune a été
remplie par un rapport qu'a fait M. le professeur Munier du synode
de Francfort, auquel il avait assisté comme délégué de l'église de
Genève. Deux autres séances ont été consacrées, par M. le profes-
seur Alph. Favre, à des considérations géologiques sur la formation
et la structure de la terre. Nous ne pouvons qu'applaudira un genre
d'instruction (jui n'est point de nature à soulever les passions popu-
laires ; mais il nous est impossible de ne pas voir dans quelle pénu-
rie se trouvent les prédicateurs de la réforme lorsqu'ils n'attaquent
pas l'Église catholique, et ceci nous rappelle les prédications de
certains ministres américains dont l'un annonçait dernièrement un
im MÉLANUKs I:t >Ol VELLKS.
s«M mon sur ce siijol : Uf légumes sont les settls alitncnts autorhet par
la pu iule tic JJifu.
M. Bungener seul esl leslé sur le lenaiii de la controverse. Il a
parlé (In rOlv de la Bilile au cuniinrncenient itii moyen t'uje, pour éla-
blii un contrasle eulre la tonduile de rKj,'lisc à celle é|)oque et de
nos jours. Ouhlianl les phrases pompeuses par lesquelles il annon-
çail, en 1853, (jue Lullier avait découvert la Cible, comme Chris-
tophe Colouil) rAuiéri(|uo, il sV-sl a|»pliqué, celle fois, à uioulrei
que la Bible, au commencement du moyen dge, était le livre des
>avants et des ignorants, ouvert à lous ; que tout ce <|u*il y avait
(le lumière à celle é()0(jue était mis au servie»' de la Bible pour la
faire connaître, pour la traduire, pour la copier. Témoins les ef-
forts des Croisades, des Virhilas, des saint (Jrégoire l'^ des Bédé,
des Cbarlemafjne, tles Alcuin, des Oltfried, pour la propager.
Or, pendant (|ue ces considérations sont |)résentées au Fort-de-
rKtluse, on distribue aux calholi(|uos de {)elites brochures desti-
nées à les convaincre qu'ils doi\ enl lire la Bible et que l'/^glise les
y convie par la voie de ses Pérès, de ses conciles et de ses Papes.
Pourquoi toujours allecler de confondre deux ([ucstions bien diffé-
rentes, la lecluie de la Bible et la libre interprétation de ce livre
divin? Oui, Tf-lglise catholi(|ue permet la lecture des Livres saints
à toutes les Ames droites qui y cherchenl la vérité. Oui, elle la re-
garde comme la parole de Dieu, et elle la respecte beaucoup plus
que lie le font les j)roleslanls. Elle ne va pas la jolcr dans tous les
carrefours, la livrer à rinterprélalion privée du premier libertin ou
du premier impie qui se présente, la distribuer aux ignorants et aux
sauvages en leur disant : Lise/ et faites-vous une religion. Mais
e'esl elle qui Ta transmise intacte aux générations actuelles; c'est
elle qui maintenant veille A sa conservation en prohibant toute ver-
sion inlidéle. Voyez, de quelle vénération elle l'environne dans ses
conciles cl dans toutes ses cérémonies religieuses. ^ oyez surtout
avec quel respect elle en consulte les oracles sacrés. Elle ne l'ouvre
jamais pour en saisir le sens profond , sans interroger en mémo
temps tous ces témoins ({ui nous ont transmis les enseignemer>ls
des .Vpûlrcs, sans demander aux écrit.s des premiers docteurs, aux
lilhurgies, aux monunu'iits |)ublics, aux prali(|ues religieuses des
égli>es (juellc a été la foi des premiers disciples de l'Iivangile. Pour-
quoi toutes ces précautions? Pour préserver la parole de Dieu du
mélange des o[)inions humaines en s'assurant de ce qui a été cru
toujours et partout.
3iFLAN(ii;s 11 >()tvi;i,M:s. *23
<:e que rtglisc déJend, ce n'osl donc poinl la Icclmc de la Bible,
va sont los traduclioiis enlachées d'hérésie, c'est rinterprétalion
arhilraire (pic peiil en doniior Tespril privé. Si rK<^lisc n'a pas le
droit do dirijfor les fidèles dans cette locturc, que font donc les mi-
nistres eux-mêmes? Après avoir pendant une année exposé le
principe do la sullisance de la Bible, leur devoir était donc de des-
cendre de la chaire et de laisser la Bible à leur place, en Tabandon-
n.int au libre examen de chacun.
— Un journal de (ienève s'est occupé des travaux et du prix des
travaux de construction de la nouvelle église de Notre-Dame. Nous
sommes aulorisé à aflirmer qu'il n'y a dans les assertions de ce
journal à cet égard qu'inexactitude et énorme exagération.
— Jamais la félc de Noël n'a été plus belle que cette année dans
l'église de Saint-Germain de Genève. Concours immense, commu-
nions nombreuses, recueillement parfait. Mais nous avons la dou-
leur d'avoir à constater un grand scandale dans l'église paroissiale
de Carouge. Quand les Cdèles de cette ville sont arrivés, à 1 1 heu-
res et demie, pour assister à la messe de minuit, ils ont trouvé l'é-
glise envahie par des tapageurs venus de Genève. Pendant tout
l'oflice, même au moment de la communion, il y a eu force propos
outrageants contre la religion, insultes aux femmes, plaisanteries
indignes, conversations impudentes, que. le clergé et les catholi-
ques de Carouge n'ont pu empêcher, malgré tous leurs efforts.
Pendant la messe, les cafés et les cabarets, contrairement à la loi,
ont été encombrés de gens venus également de Genève. Y a-t-il eu
préméditation? est-ce un coup monté? L'autorité n'a-l-elle rien su
ou rien pu faire pour protéger la paisible population de Carouge?
Cette manière d'entendre la liberté des cultes de la part des tapa-
geurs de Genève a reporté tout naturellement nos souvenirs vers
ce temps où on envoyait 50 gendarmes, armés de menotes, puis
ensuite des compagnies de milice, pour protéger le culte provoca-
teur d'un ministre protestant à Chevrans!!
P. -S. Nous apprenons avec plaisir que la police fait des recherches.
Nous avons le droit d'espérer que l'année prochaine les lois seront
observées et la liberté des cultes assurée. Quant à nous, citoyens
catholiques de Carouge, nous saurons au besoin faire respecter no-
tre église. In ciloyen de Caroufje au nom de plusieurs.
\1\ MKI.%%<il-S F.T KOl'VKI.I.KS.
^illNWK. — .Holcuro. — Ln h'atholischr Airchfnzeitung ^ Ga-
zelle ecclésiaitifjur cat/tulii/ur de la Suiise], qui st' publie .i Soleure ,
«lopiiis s«'|)t ans, annonce qu'elle conlinuera à paraHre , aidùe de
nouxcaux collaboraleurs. Fidèle à son litre, elle ne s'occupera pas
plus de politique que par le passé; elle demeurera une feuille reli-
gieuse, callioli(|iio ; et, sans omettre les nouvelles de l'extérieur,
i|ui entrent dans sa sphère, elle traitera spécialement les objets qui
intéressent l'Eglise en Suisse. Nous espérons pour nos amis la bé-
nédiction de Dieu et un succès toujours croissant.
— Dans le consi>loire sccu'l du 1(1 novembre, N. S. I*ere le PajM^
a contirmé réiccliun de Mgr (^liarles Arnold au siège é|)isco|>al de
BAle. Cet événeucnl comble les vœux des fidèles de ce diocèse ut
inspire les plus douces espérances.
Xti?. — Sur les bords riants du lac de /ng sélève le cbilteau
dL' Huonas. M. le chapelain J.-A. iJruhin a loué celte maison avec
quelques parcelles de terrain, pour y fonder un élablis.seroent d'é-
ducation en faveur de jeunes ouvriers. Il a commencé sans bruil ,
au printemps de cette aiinée , et les succès qu'il a obtenus l'encou-
ragent ù donner à son projet une plus grande extension. M. Bruhin
prend de jeunes garçons destinés A devenir de* ouvriers, leur fait
enseigner une jirofession par des maîtres éprouvés qui demeurent
dans rél?blissemcnl même, et il leur distribue le bienfait d'une
éducation pro[ue :\ faire d'eux de bons et chrétiens ouvriers. Cette
œuvre , toute de charité , se soutient et marchera, nous l'espérons.
Le concours de bienfaiteurs génénMix, une pension modique pavé(î
par les apprentis, pension dont le chilTre est réglé sur les circcuis-
lances, le produit de la vente des objets confectionnés dans la mai-
son, et par de-^sus tout le dévouement actif et désintéressé du foii-
dal(Mir, telles sont les ressources. I/élablissement n'a aucun fonds;
aussi comptons-nous sur un ln'urcux résultat. Dieu lui-même sera
le ban(|uier.
Dans un rapport dale du îl novembre, .M. Ibuhin rend le compte
suivant du but et des conditions de l'entreprise : n Apprendre une
profi'ssion à nos élèves, leur donner l'inslruclion et l'éclucation ,
voili^ ce «jutî nous nous proposons. Kn premier lieu , nos enfants
doivent traraillrr, et travailler avec application et assiduité, afin
d'a((|uérir l'habitude de racti\itè et ranu)ur du travail. Ceux dont
rallt'iilion et la constance méritent d'élre réi om|)ensées, oblien-
neril lie travailler ehaqiii' jour <|ii('lqiu's iristanh pour eux-mêmes,
MKhAN<iKS i:t nouvkllks. 125
(Ml bien ils reruivotit une modeste ^ralilicatiou qui est déposée dans
une caisse d'épaigne et peut être employée, sous la surveillance du
directeur, ;\ des œuvres (ruiililé ou de bienfaisance. Ils se forment
ainsi de bonne heure à Vécouomie et à la charité.
» La plupart ont un prand besoin d'instruction. Ils en reçoivenl
une qui les met en étal de; f,'agner honorablement leur vie. Le
chant leur est particulièrement cnsei^'né ; en même temps qu'il les
maintient dans luie gaité honnête, il leur fournit le moyen de se
procurer à eux-méracs et aux autres des jouissances variées, sans
([u'il leur soit nécessaire de courir après certaines sociétés musicales
ou dans les estaminets.
» Le point principal est sans doute Vèducalion. Ici l'éloigncmenl
de la vie légère et frivole agit puissamment. Tel jeune homme qui
aurait été perverti par les compagnies et les occasions , deviendra
facilement un bon sujet, parce qu'il vil loin d'elles.
» Ajoutez à cette absence de dangers l'instruction religieuse qui,
grAces à la vie de communauté, est plus pratique, intéressante, qui
saisit et pénètre l'existence entière. On s'efforce, en outre, d'inspi-
rer aux enfants l'amour de la simplicité ; on les accoutume à se
contenter sans exigences, à obéir, à aimer leur prochain et à met-
tre au-dessus de tout l'amour et la pratique de leur religion , et le
salut de leur âme.
)- En un mot, l'établissement doit offrir autant que possible une
vie de famille simple, mais douce, bonne et catholique. On ne veut
pas élever les enfants comme des gens destinés au cloître, mais les
disposer à mener plus lard une vie chrétienne et honorable dans le
monde. »
Le digne chapelain réclame ensuite l'obole de la charité, et il
termine ainsi : « Mais votre fonds, où est-il? me deraandera-l-on.
Nous comptons sur l'intérêt des hommes de bien ; nous comptons
principalement sur la Providence, qui n'a jamais fait défaut aux
œuvres entreprises pour sa gloire avec la bénédiction de l'Église. »
Honneur à ce langage et à ces sentiments 1 honneur au prêtre
modeste el zélé qui comprend si bien une des nécessités les plus im-
périeuses de notre époque ! Que Dieu accorde succès et prospérité
à cette nouvelle et intéressante création !
126 MKI.AM.KS V.r >OI VKLI.KS.
i:Tii%!\c;i:BI. — France. — M. (!(• (îasparin s'indique,
ànnsU's ^rrhirvi Jucliristi(itii:>mr, \\ novonilire, dn coricerl dV'UxTs
pavù par par les prolcslniils cux-im^mi'S au d(>vuiienu>nt do nos
Sœurs de Cbarilû pnrties pour l'OrienJ. Toujours pr<^t A insulter ce
(|ui a une ap|)arcnce de calholicisnie, il devient roniique à force de
haine. Il se réjouit et il sattriïte en nu-me temps de ce que l'Anf^le-
lerre aussi envoie des sœurs. Voyez, dit-il, lu protestantisme n'o>l
pas moins fécond en héroïsmes (jue l'Kglise romaine. Ouel honlieur
pour M. de (ïasparin 1 .\Jai>. o cauciiemar! il voit là un nouveau
pas fait dans la voie qui ramène rAn<^leterrc protestante au catho-
licisme. Nous sommes assez de ci'l avis. « Dans cette noble .\ngle-
terre, ajoute .M. de (las|)arin, couverte d'd'uvres si>onlanées, et où
la foi ( hrélicnne fait chaque jour des miracles, on n'a pas craint
d'insinuer qu'à moins d'eniprunter au\ catholiiiucs leurs corpora-
tions de sdHUs, le protestantisme ne saurait enlourerde «oins V:\me
et le corps de ses malades, de ses blessés !
» Oui, on a eu cette audace. Il n'y avait pourtant qua ouvrir les
yeux pour s'assurer (juo sans ongagcments, sans costume et sans
célibat, l'Angleterre protestante sait trouver des milliers d'évangé-
listes, de colporteurs ei de missionnaires (grassement payés), des
maîtres pour les écoles déguenillées, des lecteurs de la Hible pour
l'armée d'Orient [ù intré|)idité ! , des hommes et des femmes em-
pressés à accepter, au nom de C.brisl, les devoirs los plus rebutants
ou ménie les plus périlleux. Il n'y a point de sœurs do la charité en
Angleterre ! .Mais (jue sont les chrétiennes qui visitent les malades,
qui pensent les blessés, qui veillent? »
Puisque M. de Gasparin fait une question , il nous permettra de
répondre. Voici ce <|ue dit une feuille at)glaise, le Cunrdiam , de
ces chrétiennes proleslatiies (|ui, en .\ngleterre, visitent les mala-
des, pansent les plaies et veillent :
<«.... L'idée générale qu'on se fait d'un hc^pital anglais est celle
d'un lieu où, pour rien, les pauvres ont tous les soins et tout le con-
fort que l'argent procure aux riches ; et des personnes incapables
de déguisement répètent souvent aux pauvres qu'ils trouveront
aux hôpitaux, avec le secours de la plus haute scieiue, des atten-
tions et une considération qu'ils chercheraient vainement ailleurs.
■> ... Les pauvres, eux, racontent, eu (|uittanl rh(*>|)ital, ce (ju'ils
ont soutlert et \u soulTrir, cl leur réjiugnaïuc aussi enracinée «ju'u-
niversclle pour la plupart des hôpitaux , ne peut être ignorée de
persotmes lanl soit peu au (ouranl de leurs pensées et de leurs ha-
MRLANGKS HT NUIM.I,I,i;S. 127
l)iludo.s. Un sentiment général el profond sur unr question prali-
(|U(' fi'cst passou\(Mil sans fondtMnent, et nous croyons (ju'il no l'est
pas (lu tout en celte cirronslanciî. Notre profire expérience, par
lapport i\ diMix des grands hôpitaux de Londres, nous donne Jicu
de croire qu'une (illo honnête pounait diflicilenient entrer en un
lieu plus propre à la dénioraliscir, ou une pauvre femme chercliant
des soins tendres et minutieux, tomber entre des mains plus gros-
sières.
» Ces expressions sont sans doute très-fortes, mais nous prions
nos lecteurs de croire que nous ne les appliquons ni sans fondement
ni sans considération. Non-seulement ils ne dépassent, mais ils
n'atteignent même pas la force des termes dont se servent souvent
les membres de l'administration et du service médical de ces éta-
blissements. Dans un excellent petit livre, qu'on vient de publier
sur la question qui nous occupe, on ne trouvera que trop de preu-
ves tirées des sources les plus authentiques, et conduisant aux con-
clusions les moins satisfaisantes, et pour prouver une évidence trop
longue à détailler, nous n'avons rien de mieux à faire que de ren-
voyer à cette publication. Le résultat de cette étude ne peut être
autre que de prouver jusqu'à quel point, nonobstant le bien qui se
fait dans certains hôpitaux, une réforme serait nécessaire par rap-
port à la négligence, à la dureté, à l'indécence qu'on y rencontre,
jointes à ce froid mépris des plus délicats sentiments, encore plus
faciles à froisser dans l'accablement de la maladie. Des témoins ha-
biles et expérimentés avouent franchement ces vérités qu'on ne
peut faire remonter qu'à une seule et unique source. Les méde-
cins sont aussi habiles que nombreux ; le chapelain mal payé et
épuisé fait tout ce qui dépend de lui, mais ni le chapelain ni le mé-
decin ne peuvent remédier au mal, car ni l'un ni l'autre ne peu-
vent passer auprès du malade ces longues heures du jour et de la
nuit, où il a besoin de soins constants et affectueux ; ni l'un ni l'au-
tre ne peuvent veiller à son chevet , lui lire , lui parler, lui rendre
enfm ces innombrables services d'où dépend toujours un bien-être
comparatif, et souvent même la vie.
» Tous ces soins sont le partage des infirmières^ et il est certain,
comme règle générale , qu'une classe moins propre à ce service ne
pourrait être choisie. Mercenaires sans éducation, négligentes,
égoïstes, souvent indécentes, ivres, et toujours trop peu nombreu-
ses, il leur arrive même d'être criminelles dans leur cruauté, et sans
citer le passage où ce fait est constaté, nous y ajoutons foi. » etc.
Le reste est à l'avenant.
1*28 MKI.AMJKS KT >ol VKI.I.KS.
Af.CDBD DES MINISTRES PROTESTANTS SIH I.KS POINTS KONDAMENTAl \
ni CHRISTIANISME, ET 1" SIR CETTE QtESTION : JÉSLS-CIIRIST EST-
II. 1)1 Kl ?
M. Bosl, pasteur à Sedan : « On peut discuter sur Homère, on ne
II' peut sur Josus-dlirisl... Jésus-Christ se donne comme le vrai
Dieu, il dit : Celui qui m'a vu a vu le Père. Ses apôtres le procla-
ment le vrai Dieu et la vie éternelle, etc.. Si cela est faux, le chris-
tianisme n'est ])lus (ju'une duperie; Jèsus-Christ un imposteur;
sainl Paul un sol ou un fourbe, et ceux (]ui ont soulevé le inonde,
des niais qui se sont laissé prendre aux beaux dehors d'un charla-
tan , ou des escrocs qui , à force d'habileté , ont fini par obtenir les
uns cl les autres le seul résultat qu'ils pussent espérer, le mar-
tyre )> (1).
M. Archinard, pasteur à (îenèvc : « Si l'on veut donner au mot
Dieu le sens qu'y donnaient les Orientaux, celui d'être élevé en di-
gnité, soit parmi les hommes, soit au-dessus des hommes, nous ne
ferons i\ cela aucune dilTîcullé, Christ est l'être le plus rapproché
de Dieu qu'il y ait, le Fih unique, le Fils hien-aimc du Père. Mais
veut-on dire (|u'il est le Dieu souverain qui doit être seul adoré, et
duquel procèdent toutes choses? oh! alors, voilA ce qu'il nous est
impossible d'admettre » (2U
Art fuite a chaque numéro.
(1) Observations sur la profession de foi du \l\' siècle, de M. Eug l'el-
Iclan. Paris, rue Tronchet, "2. iS.'it. P. ôR.
(2) Le catécliisnic de lé};lise de Genève défendu, etc. (îenèvc IWCî. p. 17.
L.ES . VAUDOIS OV MOYKIV \GE ,
LKllR OHIOrNI-: ET LKl'K LITrÉKATURE
d'aPRK!» LKS travaux les plus récents DK la CRITIQUK
PROTESTANTE.
.Non cniin possumus aliquid adversus veritateni,
sed pro vcrilatc. (II' cp. ;ul Cor. XIII, 8.)
Deux opinions, dont l'une est précisément la négation de l'au-
tre, ont prévalu jusqu'à nos jours sur l'hisloire de l'hérésie vau-
doise. L'une est l'opinion des écrivains catholiques ; l'autre, celle
que les Vaudois du Piémont ont accréditée depuis l'époque de
la réforme.
Les partisans de la première , s'appuyant sur les témoignages
des historiens catholiques du moyen âge , font remonter l'origine
de cette secte à la seconde moitié du douzième siècle, et regar-
dent Pierre de Vaud, ouValdo, comme en étant l'auteur (1). D'a-
près eux, Valdo et ses adhérents conservèrent primitivement les
dogmes catholiques, et ne contestèrent d'abord à l'Eglise que sa
(1) Son véritable nom était probablement Valdes ou Valdez. Le prénom
de Pierre parait pour la première fois dans un manuscrit de Strasbourg du
quinzième siècle. V. Herzog, die romanischen Waldenser, etc. p. H2 et Ho.
130 I.Kâ VA( IKtIS DL MUYKK AGR.
Iiirrurchii*. Jus(|u'à la iiti du moyen âgo , quoi(|iir plus ou ntoiiis
ennemis «le l'K^'lisc i-onjainc , ils no cln'irlièi»!nt ««'pcndanl |ias à
rompre ouvcrlcmenl avec elle. Ce ne lui qu'au sei/ièiuc siècle
(comme le démonlrent, à l'aide de documenls, h'S écrivains ca-
lliolitjues), à daler de la réforme , que le schisme vaudois s'aC-
complil dans le vrai sens du terme , ei que la secie devint con-
forme, ou à peu près, dans ses doymes, avec \> proleslanlism»'.
L'autre opiuion, que les Vaudois, depuis leur adhésion à la re-
forme, surent faire accepter pendant près de trois siècles à l'his-
toire protestante , est, connue nous l'avons dit, diamétralement
opposée à la première. Quoique ses défenseurs ne soient pas
d'accord entre eux sur l'époque précise de l'origine de la secte
(ils hésitent entre les temps apostoli(iucs, le siècle de Constantin-
le-Grand, l'époque carlovingionnc, le onzième siècle , les temps
de Bérenger de Tours et les premières années du douzième siè-
<le!), ils sont unanimes pour lui revendiquer une existence an-
térieure à Valdo et entièrement indépendante de lui, ainsi «piune
confession de foi de tout temps analogue à celle de la réforme.
D'après eux, linlluence que les nouvelles doctrines du seizième
siècle exercèrent sur l'église vaudoise ne serait qu'une odieuse
fiction, née dans la cervelle de gens ennemis de l'Évangile, in-
téressés à noircir les saintes origines d'une religion qui les ac-
cuse d'idolâtrie et de mensonge. Ils fondent leur assertion sur
une série de manuscrits (piils iniaginent avoir paru dans les pre-
mières années du douzième siècle, au sein même des \ audois du
l'iémont.
Tant (juc les Vaudois n'eurent all'aire qu'à leurs adversaires
naturels, ils eurent beau jeu. Ils purent sans peine persuader ù
leurs adeptes, et à ceux que la haine contre l'Église romaine dis-
posait en faveur de leur étrange système, (juc leur histoire avait
été déligurce à dessein et par esprit de paiti; «ju'on ne pouvait
ajouter U>\ aux lécits calomnieux d'idolâtres qui , n'ayant pu
réussira les extirper par le fer et par le feu, avaient dû naturel-
lement laire tous leurs ellorts pour les déuigrxîr, car leur secte
étant d'origine apostolitpie, la pureté de la doctrine les couvrait
de honte, en prouvant jusqu'à l'évidence que Uomc avait étouffé
sa foi primitive sous de grossières superstitions, et réalisait dans
LES VALDUIS DU MOYIIN AGE. 131
son sciu la propliélic de l'Apocalypse. D'ailleurs , nos preuves
sont là , (lisaient-ils. Nous possédons des documents authenti-
ques d'une haute anti(piiié. Ces documents ont vu le jour au
commcncenuMit du douzième siècle. Donc notre religion ne peut
avoir pour auteur, comme nos ennemis veulent le faire croire ,
Pierre de Vaux , qui ne commença à prêcher ses doctrines que
vers l'an 1170. El puis, examinez ces précieux trésors que nous
avons hé'rités de nos pèios; voyez quel esprit évangélique ,
quelle pureté de doctrine , quelle exposition franche et jamais
contradictoire des vérités bibliques! Est-ce là ce qui caracté-
rise une secte qui vient de naître ?
Sans doute, dès que l'on admet avec les Vaudois, comme pro-
duction des premièî'es années du douzième siècle, certaines œu-
vres de leur littérature, dont le contenu , on ne saurait le con-
tester, tranche d'une manière fortement prononcée avec les
dogmes de l'Église romaine , on ne peut faire autrement que
d'attribuer à leur secte une origine antérieure à Valdo, et de
concéder que ce n'est point à cet hérésiarque qu'elle est rede-
vable de ses principes religieux. D'ailleurs, une secte, à peine
à son berceau, n'aurait pu formuler un symbole aussi net, et qui
fût aussi unanimement accepté. Les sectes, à leur origine, ne pré-
sentent jamais le caractère de l'unité. Elles tâtonnent encore,
elles hésitent, elles cherchent un point d'arrêt, et ce n'est qu'a-
près un long enfantement, après bien des vicissitudes, après des
luttes sans cesse renouvelées , qu'elles arrivent , — quand elles
y arrivent ! — à une décision en matière de dogme.
Mais la haute antiquité dont les Vaudois se sont plus à hono-
rer leurs manuscrits, et dont ils se sont prévalus jusqu'à nos
jours , comme d'un argument péremptoire de leur foi soi-disant
évangélique, est-elle un fait avéré et incontestable? C'est préci-
sément là la question, et ce ne sont plus leurs adversaires qui en
doutent, ce sont des amis, tout aussi intéressés qu'eux à faire
valoir leurs prétentions. Des critiques protestants, remarquables
par leur pénétration et leur profond savoir, se sont pris, dans
ces dernières années , à contester aux manuscrits en question
l'exactitude des dates que Léger leur avait assignées. Ils leur
ont découvert des traces d'une origine infiniment plus récente.
132 I.KSVAIIHUS l>r .MI>YKN A(.K.
liirti loin de pouvoir les l'aiie remonter aux preniicrcs aiiDées «lu
12' siècle, un examen aiienlifei oonseicncieux les a (!onvaineus
(ju'ils l'iaieni mémo do heaiicoup posiérieurs aux lemps de l'Iié-
résiarquo Pierre de \ aux. De plus, ils se soni assuiés (|u'il exis-
tait tout une catégorie de manuscrits qui présentaient, au point
de vue du dogme, un caractère encore éminemment catliolicpie.
(]'esl TAngletorre , où la tradition vaudoise avait trouve long-
lemi)s de si nombreux et zélés défenseurs, (|ui a donné le signal
de la réaction, et rendu aux écrivains catholiques du moyen âge
la justice <|ue leurs adversaires leur avaient si hardiment refusée.
C'est au savant M. Mailand (pi'esl due la gloire d'avoir, le pre-
mier (dans un rcmarquahie travail (pi'il lit paraître en 1832),
ouvert la nouvelle voie dans hupieile est entrée la crili(pie pro-
testante louchant la lilléiatuie vaudoise (1). D'autres érudils
de ses compatriotes ne tardèrent pas longtemps à marcher sur
ses traces. Monsieur Todd, frappé de l'importance de ses décou-
vertes, se livra à de nouvelles recherches, et en lit connaître le
résultat dans un ouvrage (ju'il publia à Dublin, en IS-iO, sous le
litre de : Dissertations sur les prophéties relatives à l'Anté-
christ (2), cl (lai\s son Catalogue raisonne des manuscrits vau-
dois de la bibliothèque du Trinity-Collége de Did)lin, (ju'il lit in-
sérer dans le British Magazine (liv. d'avril, mai et juin). M. Gilly
lui-même, dans l'édition qu'il donna, en 18ol , do l'Évangile
vaudois de saint Jean, refusa toute authenticité aux dates de Lé-
ger, et M. Fabcr, (jui fut louglcmps un ardent représentant de
l'opinion vaudoise, renonça à ses idées favorites, et déclara loya-
lement (|ue, à part le manuscrit de rAntechrist, dont rantiquil»'
ne lui semblait pas en tout point contestable, il donnait raison à
ses devanciers.
Cependant , et l'on est enlin convenu de leur rendre celle jus-
lice, la première impulsion donnée à la critique des manuscrits
vaudois, est partie des historiens cailioli(pics eux-mêmes. L'il-
luslre évoque de Maux avait déjà, au livre onzième de son Hi$-
(1) Facls aiuls tlocMiinoiils illuslralivc of llic liislory, doctrine aiid rites i»f
Ihe ancicnt Albif-cnscs and Waldoiiscs. I.ondon. IKli.
(2) Discnurscs on Ihe prophccicsrclatingto Anlichrist. Dublin. IRU).
I.KS VAl DOIS 1)1 MOVKN AOi:. 133
toire (les f" arialions , fait (luelqucs obscrvalions très-fondées sur
plusieurs productions de la lillérature vandoise , observations
((ui auraient pu nieiire depuis longtemps les historiens protes-
tants sur la voie de la v«''rilé , s'ils ne se lussent laissé aveugler
par l(!ur singuliei- axiome, (pie toutes les donn<''CS des auteurs ca-
llioliques sur l'origine de la secle défavorables à la tradition
vaudoise , (''laicni nvccssaircment cvyoi\ùp<^, tandis que celles qui
parlaient en sa faveur, étaient inconte slahlvmcnl justes.
L'Allemagne , ce pays classique de la science et des recher-
clierclios [)aiiontes et consciencieuses , ne pouvait rester en ar-
rière de ce giand mouvement imprimé par l'Angleterre à la cri-
tique des manuscrits vaudois. Aussi , peu d'années après la
publication des travaux de M. Todd, un savant professeur de
l'université de Halle, le docteur Herzog, lit paraître une disser-
tation intitulée : De Jfaldensium origine et pristino statu (1848),
qui fut suivie de près d'un article inséré par le même auteur
dans la Reiue de théologie et de philosophie chrétienne (1850),
sous le titre de : Quelques observations sur Vorigine et les doc-
trines primitives des Faudois. M. Herzog démontra que la Con-
fession de foi, à laquelle on avait attribué une si haute antiquité
(on la faisait dater ni plus ni moins que de Tan 1120), n'était
autre chose, dans ses parties essentielles, qu'un extrait littéral
du rapport qu'adressa, en 1530, au réformateur OEcolampade,
le célèbre G. Morel , sur l'état de la secle dont il était un des
principaux représentants. Il trouva, en outre, que plusieurs por-
tions du même écrit indiquaient évidemment une époque de
beaucoup postérieure au douzième siècle. Ses découvertes ne
s'arrêtèrent pas là. Une élude minutieuse du catéchisme vaudois
et du livre de VJntechrist, que l'on faisait remonter, le premier
à l'an 1100, le second à l'an 1120, le convainquit que ces dates
étaient entièrement fautives, et que ces deux documents, si vé-
nérables aux yeux des protestants par leur prétendue haute et
incontestable antiquité, et si concluants en faveur des prétentions
de la secle vaudoise , au dire même de savants que l'on aurait
cru plus compétents en semblable matière, étaient beaucoup plus
modernes qu'ils ne se l'étaientimaginé. La Nohla Leyczon,\2i plus
connue d'entre les poésies vaudoises et que Raynouard avait re-
J3i LKS VAlDdlS Dl, M(iVi;>" a(;f.
produite en entier, mais l'orl ineonectcmeni, d'après le texte du
manuscrit de Genève, dans son Choix des poésies des trouba-
dours JI, 73], fut aussi l'objet d'une étude sérieuse de la |>arl
de réminent professeur. Il se persuada toujours plus (pie Rav-
iiouard avait assigiu- à ee poème une fausse date, et (ju'il remon-
tait tout au plus aux dernières années du douzième siècle. Enfin,
la date si ancienne de 11-20 (pie l'on altrihuait an traité du Pur-
ijatoire , lui parut |)lus (jue prublémati(juc , et il n'hésita pas à
considérer cet écrit comme une production de la fin du siècle
treizième.
Les reclierclies criti(]ues du docteur Herzog donnèrent lieu au
récent ouvrage sur les Vauduis du moyen âge de son savant com-
patriote, M. Diecklioff, licencié et privat-docent en théologie de
l'université de Gd'ttingue (1). M. Dieckholf reprocha vivement à
ses devanciers de s'être occupés pres(]ue exclusivement de pré-
ciser l'origine la plus ancienne des manuscrits vaudois , tandis
que le point le plus injporiant , selon lui, était de connaître la
date la plus n'-cente qu'il fiit possible de leur assigner. A cela,
Ton peut réjjondre, comme le fait M. Herzog dans im premier
travail dont nous nous réservons de parler plus tard , qu'il est ,
sans nul doute, de la plus haute importance pour l'hisloire du
developpentcnl successif de la secte, de connaître rcj)()(iuc la plus
récente possible de chacune de ses productions religieuses, mais
(]ue ce ne peut être là runi(iue point nécessaire ; que M. Dicckhon"
a eu le tort d'être, à son tour, trop exclusif. Que sert-il, en ef-
fet, de savoir si tel écrit vaudois a paru dans la première on dans
la dernière moitié du seizième siècle , dès que c'est un fait ac-
(piis à la criti(pic histori(pie , (pi'il est en tout cas postériettr à
l'introduction de la réforme dans les vallt-es vaudoises du Pié-
mont? Évidemment, dès (jue l'on est d'accord sur ce dernier
|ioint, l'écrit en qu(;stion ne peut plus servir de soiuce pour con-
naître les conditions religieuses de la secte ant(''ri('uremenl à la
reforme. Que la lédaclion de tel manuscrit appartienne au
commencement , au milieu ou à la lin du treizième siècle ,
ti Die \\ :lll|l■ll^):^ iin MiUrlalIcr. Zwci liistoiisclio t'nli-rsiifliiiii(;rii Vdii
A. NV. DicckliolT. Lie. iitid Privi>t-(l(»ccnl «1er Tlicologio m ('fœtlingcii. 1851.
Li:s VAiDOis ni! moykn A(ii: . 135
toujours osl-il qu'il ne peut plus êlrc allégué à l'appui f'e la Ira-
tlilion sur ranti([uilé de la seclo et sa priorité au temps de
Valdo.
Quoi([ue dépourvu des précieuses ressources diplomaiiques
dont sut profiler plus lard , ainsi que nous le verrons , le profes-
seur Herzog, M. Dieckliolî a rendu néanmoins de notables servi-
ces à l'étude d(î la littérature vaudoise, bien que, peut-être, il
se soit laissé trop entraîner par son [)rincipe, en cherchant à dé-
montrer que la plupart des manuscrits ne remonTaient pas au-delà
du seizième siècle. Son principal mérite est celui d'avoir fait une
des plus cuiieuses découvertes et d'avoir ainsi jeté un jour im-
mense sur une partie considérable des écrils de la secte vau-
doise. Il est parvenu à démontrer que la Confession de foi de
l'an 1431 des frères Bohèmes (Hussites ou tahorites) a servi d'o-
riginal à un grand nombic de manuscrits publiés par Perrin et
Léger, savoir le catéchisme , les divers traités sur le purgatoire,
l'invocation des saints et le jeûne.
Cette découverlc suggéra naturellement à son auteur l'idée
que d'autres manuscrits pourraient aussi dériver de la même
source, et l'induisit à supposer que même La nobla Leyczon
avait pris naissance au sein des Taboritcs vaudois.
De tout ce que nous avons dit jusqu'ici il résulte un fait de la
plus grande importance , et que nous tenons à constater, c'est
que presque tous les écrils favorables à la haute antiquité de la
secte et à l'orthodoxie protestante de ses dogmes, appartiennent
à une époque relativement récente , el qu'ils sont , les uns pos-
térieurs à l'an 1431, c'est-à-dire à la Confession de foi des frères
Bohèmes, les autres à l'an 1532, c'est-à-dire aux négociations
religieuses qu'entama G. Morel avec les réformateurs OEcolam-
pade et Bucer, et au synode d'Angrogne, qui eut lieu le 12 sep-
tembre 1532, comme le prouve un manuscrit de Dublin, el non
le 12 décembre, comme le pensait Léger.
Ce résultat cependant, du aux travaux successifs des divers
critiques protestants modernes que nous avons mentionnés, ne le-
vait pas toutes les difficultés. La tradition vaudoise pouvait allé-
guer encore en sa faveur une série de manuscrits auxquels la
critique ne savait assigner une diite précise. Mais une fois dé-
|;}6 i.Ks %AiiM)is ni M(»yk> agk.
inoniro t|ue h'iir contenu conirodisail inanifesiemeni l'opinion
|iro|)af;éc par les Vaudois depuis la réforme sur rorigine antique
de leur secte cl leur perpétuelle unité doctrinale ; qu'il était op-
posé ù celui des manuscrits que la critique avait déclarés d'une
époque de beaucoup postérieure à Valdo; cpi'il liarnionisait ,
enfui, d'une manière étonnante avec les récits des écrivains ca-
ihuliqucsdu moyen âj^c, alors l'opinion vaudoise perdait évidem-
ment son dernier, son uniijue point d'appui, et la véracité de ses
adversaires recctail un éclatant témoignage. Or, ce point impor-
tant et qui devait nduirc à néant les prétentions des Vaudois
du Piémont, M. Her/og avait cherché à le prouver dans Ifcrit
(|ui prt'céda l'ouvrage de M. DicckholT, autant que le lui permet-
taient , du moins , les faibles secours dont il pouvait disposer.
Quoi(ju'il ne se fût pas douté lui-même des larges emprunts que
les Vaudois du moyen âge avaient faits aux Hussites (Taborites),
il avait découvert, cependant, que la littérature vaudoise pré-
sentait un caractère gé'néralement défavorable à l'opinion à la-
(juelle elle avait servi de base.
C'est précisément cette découverte, nous aurions dû le dire en
son temps, qui constitue un des principaux mérites du travail de
M. Her/.og, et lui donne une valeur (pio n'ont pu méconnaître deux
de ses plus ingénieux et plus savants adversaires, MM. Hahn et
Dieckhoff , quoique peu satisfaits de sa méthode et surtout des
résultats qu'il avait tiré de ses laborieuses recherches. Kolre
intention n'est point d'initier nos lecteurs à la polémique ii la-
quelle dimna lieu , de la part de ces doux écrivains, la disser-
tation du théologien de Halle (I). Il suflira «le dire que M. Dicc-
kholV, que nos ItMieurs auront pu croire, d'après son premiei-
ouvrage, nécessairement favorable aux vues de M. Hcrzog, sur
l'origine moderne et les conditions primitives de la secte vaudoise,
formula, au contraire, de graves objections contre elles, dans une
< rilique animée qu'il lit insérer, en 18/>0, dans une des premiè-
res Revues théolo^'itpies de l'Allemagne protestante, le RepcrUt-
(\) La rriliqucdo M. I':iliii. tlicolnj^u'ii ln>ONtiii)é 111111 icrlaiii partiprulo
tant cil Alloin:ii;iic, cl aulciii dnn j;ryiul (riixail sur les licrcliqucs au moyen
.IRC, so Iroiive ilaiis les Sttidicn uiid Krilikcn, de rannce |K50.
LES VAUDOIS DU MOYEN AGE. 137
rium de Hcuter. Il prll le parti, un pou singulier, sans doulc, de
nier ncllement rimporlance cl(^ la qncsiion d'origine que M. Her-
/.og avait posée en premier lieu, et prétendit, de plus, que ce
(lerniornr l'avait aucunomonl résolue. Suivant M. DicckhofTIa tra-
dition vaudoise ne niait point (juc les ('crivains catholiques du
moyen âge n'eussent eu en vue la même secte que celle à laquelle
elle revendiquait une origine antérieure à Vaido , elle affirmait
seulement que , ayant défiguré à dessein son histoire , et pour
des raisons dogmatiques, leur autorité n'était d'aucune valeur.
M. Dieckhoff a eu le tort, comme le fait observer M. Herzog,
d'avoir méconnu, dans tout le cours de sa réfutation, un point
qu'il n'aurait pas dû perdre de vue, et qui détruit ses objections,
c'est que la tradition vaudoise ne s'était appuyée, jusqu'à nos
jours, que sur une classe toute particulière d'écrits, dont la date
était de beaucoup trop récente pour servir de preuves à l'anti-
quité de la secte et à l'orthodoxie soi-disant évangélique de ses
doctrines primitives. Comparés à d'autres écrits d'une origine
antérieure, et qui sont encore tout empreints de catholicisme,
ils ne prouvaient qu'une chose, c'est qu'à l'époque où ils paru-
rent, la secte professait des dogmes tout à fait opposés à ceux de
sa première confession de foi ; c'est qu'elle n'était plus la même,
mais avait renoncé à l'élément catholique qui la caractérisait
fortement dans le principe, pour embrasser l'élément protestant.
La distinction chronologique de celte double catégorie d'écrits,
dont les plus anciens avaient encore une forte saveur de catholi-
cisme , tandis que les plus récents se ressentaient tout à fait de
l'influence protestante, justifiait donc pleinement ce que disaient
des doctrines et de l'origine de la secte les écrivains catholiques
du moyen âge.
Les historiens catholiques, M. Herzog l'avoue avec une impar-
tialité qui lui fait honneur, ont été les premiers à faire ressortir
la prédominance du principe catholique dans la littérature vau-
doise antérieure au seizième siècle. Bossuet, dans son Histoire
des Fariations, et bon nombre d'auteurs après lui , avaient fait
la remarque que les Vaudois se rapprochaient beaucoup plus,
avant la réforme, de l'Église romaine que du protestantisme.
L'unique reproche que leur fait M. Herzog est celui d'avoir donné
138 LVS VAL DOIS Dt' MOYEN AGE.
:i celle prédominance de irop fortes proportions, et d'avoir mc-
c (»nnu, dans les origines de la sec le, l'existence du principe lor-
inel du protestantisme. Bossiiet a eu le toit, selon lui, de ne pas
Noir (pi'il y avait clic/, les preniicis \ audois deux |>artis, le parti
statioiiiiaire, qui tenait encore aux dogmes catholiques, et le
parti plus avancé qui clierchait à rompre toujours plus avec
l'ancien ordre de choses religieux , et qui devait finir par l'em-
porter. Une secte qui , tout à l'heure , professait des principes
cminemmenl catholiques, aurait-elle pu, en un moment, et sans
(]u'il se fut opéré préalablement dans son sein un changement
(|uelcon»jue , manifester des tendances aussi piononcées pour la
réforme? Sans pit'tendre criliijuer l'opinion d'un Dossuet , ni
celle qu'(''mit , dans ses Recherches historiques sur la véritable
origine des Faudois (1836), un très-savant et fort judicieux écri-
vain de nos jours, Monseigneur Charvaz, archevècpie de Gênes,
bien plus auioris*' (jue nous pour se prononcer en pareille ma-
tière, nous ne pouvons nous empocher de croire l'explication de
M. Herzog plus probable et |)lus conforme aux lois ordinaires
qui président à la marche des sociétés. Qu'un individu change
de religion comme on change de vêtement , par l'effet d'un pur
caprice, cela est possible ; mais qu'une société tout entière re-
nonce subitement à la religion de ses pères; que des milliers
d'individus abdicpienl tout ù coup des croyances aimées jus-
cju'alors, et qui formaient la base de toutes leurs institutions do-
meslicpies elpul)li(]ues, pour embrasser un svnibole en tout point
opposé à celui cjui avait prévalu jusqu'au moment même de la
révolte, cela nous semble au moins sujet ù contestation.
Que lasse enfin de trois siècles d'obéissance servile à lu su-
prématie d'un Parlement, l'Angleterre se Ivve tm jour, et par un
mouvement spontané, pour rcconcpiérir sa première foi, dirons-
nous alors qu'elle l'aura fait par caprice? Evidemment non. Elle
l'aura fait jtar suite du grand travail (|ui s'opérait dans son sein,
depuis le moment où l'heresie lui fut im|)Osee par les plus atro-
ces tourments; elle l'aura fait, parce qu'en elle fermentait de-
puis trois cents ans l'élément catholicpie, que lc;s amendes, les
prisons, les chevalets et les échalauds de la bonne reine Elisa-
beth n'avaient pas réussi à étouller; [larce cjue les conversions
r.KS VAIDOIS Dt; MOYKN A(;i.. i39
(';laicni nombreuses cl puissantes , parce que les hommes émi-
ncnls qui avaient courageusement renoncé à une religion qui ne
pouvait les satisfaire, ni sous le rapport du sentiment moral, ni
sous celui de rintclligcnco, avaient fini par cnlraîncr les masses,
déjà bien dis|)Osées, dans la voie bénie dans laquelle ils étaient
entrés à force de prières, d'humilité et de science. Il ne nous est
pas non plus possible de croire que la réforme au seizième siè-
cle ait été une siuq)le guerre de fantaisie faite à l'Église. Que
même des milliers d'individus aient embrassé alors les idées nou-
velles, ou plutôt, hélas! des idées qui n'avaient rien moins que
le mérite de la nouveauté, pour satisfaire simplement d'ignobles
passions, et se défaire d'un joug qui pesait trop à leurs esprits
charnels, nous le concédons d'autant plus volontiers que l'his-
toire est là pour le prouver; mais qu'une grande partie de l'Al-
lemagne, de la France et de la Suisse , se soit jetée , en masse et
spontanément, aux pieds des chefs de la révolte, par l'effet d'une
simple velléité, nous pensons que l'histoire est aussi là pour dé-
mentir cette assertion. Elle nous montre, en effet, que des hé-
résies nombreuses , qui renaissaient toujours sous d'autres
formes, à mesure qu'elles s'éteignaient, travaillaient, depuis
longtemps et profondément, la société chrétienne, et qu'une ré-
volte ouverte contre l'Église devait en être, un jour ou l'autre,
l'inévitable conséquence. Même en Angleterre , l'orgueil anglo-
saxon , plus fort encore que l'attachement à l'autorité et aux an-
tiques usages, froissé depuis les temps de Guillaume-le-Conqué-
rant par des institutions qui n'étaient pas nationales, avait ouvert
la voie à la réforme, laquelle, en tant que religieuse, fut un ca-
price peut-être, mais ne le fut pas au point de vue politique.
H nous semble donc que le ministre protestant Jacques Bas-
nage de Beauval , n'avait pas tort d'écrire , dans son Histoire de
V Église (II. f. 1445), ces paroles citées par M. Herzog : « Si les
Vaudois n'avaient rien eu de commun avec les réformateurs que
leur haine contre l'Église romaine, pourquoi envoient-ils des dé-
putés au fond de la Suisse ? Comment , au retour des députés ,
reçurent-ils sans résistance la réformalion si éloignée de leur
doctrine?
Cependant cet écrivain du dix-septième siècle a eu
140 LKS VAl DOIS Dl MOYH.N AGK.
«crtaincmeni lorl de prélcndro que rinlroduciion dt-s principes
de la réforme eut lieu dans le sein des V audois piéuionlais sans
rësislance, car résistance il y eût de leur part, comme le démon-
tre, par leurs propres documents, le professciir de Halle. Et
cela devait être, car réiémciit c:ulu)li<ine, «luoicpie allaibli, exis-
tait encore. Leurs tentatives, d'un cote, d'entrer en négociation
avec les réroimaleiirs, pour recevoir d'eux des ('claircissements
et des enseignenicnis en matière de dogme, et, de l'autre, rin'--
sitaiion qu'ils témoignent à les accepter, prouvent clairement la
coexistence chez eux du principe protestant, qui les attirait vers
les novateui'S, et du principe catholique, (]ui les empêchait de
rompre avec les doctrines de l'Église. M. Ilerzog lait à ce sujet
l'observation suivante dont on ne saurait contester la justesse.
L'orthodoxie soi-disant év:in^élique , on l'orthodoxie dans le
sens protestant, que la tradition neo-vaudoise, c'est-à-dire celle
que les Vaudois piémoutais ont propagée depuis la reforme, pré-
tend revendiquera la secte avant le seizième siècle, est absolu-
ment incompatible avec les instances pressantes de celle-ci auprès
de Bucer et d'OEcolampade, pour obtenir de ces deux rélorma-
leurs des conseils et des instructions en l'ait de dogmes.
Les deux {principes contradictoires (jui caractérisaient alors
l'hérésie vaudoise, no pouvaient exister longtemps simuliane-
ment ; l'iiii des deux devait céder le pas à l'autre. Il ne restait
aux Vaudois qu'un pas à faire; ou de rentier dans le sein de l'K-
glise romaine, ou de se plonger toujours plus profondément dans
l'erreur. Ce fut, en effet, ce qui arriva. Les uns se déclarèrent
loyalement catholiques, et renoncèrent pour toujours à leurs opi-
nions héréliiiues, tandis que les autres, chez lesquels prédomi-
nait le principe protestant , s'éloignèrcnl chaipie jour davantage
de l'orthodoxie romaine. Lés brillants succès, ajoute M. Herzog,
qu'obtint St Vincent Ferrier (le Lacordaire espagnol de ces temps,
en lanl que [irédicaleur célèbre et dominicain), dans les vallées
vaudoises du Piémont, au commencement du quinzième siècle ;
la facilité avec la(pielle , à la iin de ce siècle, et dans les pre-
mières années du suivant , de nombreuses communes vaudoises
se réconcilièrent a\ec l'Kglise lomaine, montrent clairement le
rùté calholi(jue de la secte, tandis que les tendances protestai!-
I.KS VAl'DOIS DI M()Yi;.\ AGK. 141
tes se manireslcnl pnr l'altraclion qu'elle éprouve vers loule in-
HueiKX' nouvelle et anli-cailioli(|ue. C'esl ainsi que nous la voyons
se rapprocluT successivouicnl des disciples d'Ainaud de Brcscia,
des frères du libre esprit^ des soeiélés mystiques des contrées
rhénanes, plus lard de la secte des Hussiles, surtout des Tabo-
rites , dont elle emprunte les doctrines , jusqu'à ce que , enfin ,
fali^'uée de son vagabondage religieux, elle se laisse absorber par
la réforme.
Encouragé par les féconds résultats auxquels l'avaient con-
duit ses laborieuses recherches, résultats qu'il consigna, comme
nous l'avons dit , dans sa dissertation sur l'origine et les condi-
tions primitives des Vaudois, le docteur Herzog, avec celte heu-
reuse ténacité qui distingue les savants de l'Allemagne, résolut
de poursuivre son œuvre jusqu'au bout. On connaissait depuis
longtemps l'existence à Genève de bon nombre de manuscrits
vaudois; mais ce fui seulement vers l'an 1840 que l'on apprit,
dans l'Europe continentale, que la bibliothèque de Dublin en
possédait aussi de la môme catégorie. Les citations de M. Mo-
nastier, dans son Histoire de l'église vaudoise (1848), celle du
docteur Gilly, dans un ouvrage déjà mentionné, et particulière-
ment le Catalogue raisonné de M. Todd , firent comprendre à
M. Herzog l'importance de ce nouveau fonds , et l'engagèrent à
entreprendre une expédition scientifique dont Genève et Dublin
devaient être le but.
Heureusement pour lui , il put commencer le grand travail
qu'il préméditait, et dont il était loin de se dissimuler les diffi-
cultés, par l'cxnmen 'd'un des manuscrits les plus récents, le
codex de Zurich du Nouveau Testament vaudois, qu'il trouva, à
Strasbourg, dans la maison de l'un de ses savants amis, le pro-
fesseur Reuss. Il compara minutieusement, et d'un bout à l'au-
tre, le texte de saint Jean , tel que le portait ce manuscrit , avec
celui du même Évangile, publié par le docteur Gilly, à Londres,
en 1848, d'après le manuscrit de Dublin. Il copia, en outre, une
partie des autres Évangiles et des Épîtres, tout en cherchant à se
rendre compte , à l'aide de la Vulgate , des expressions dont le
sens lui paraissait obscur.
Initié de la sorte à la langue des manuscrits vaudois, il se ren-
142 « KS VAIUOIS Dl MOVKN AGE.
(lit à Genève, dans lintenlion d'enlreprendre une étude sérieuse
de «eux (|ue contenait la bibliothèque de cette ville, convaincu
(jue les exlrails «jui en avaient été faits, et (|ui depuis lon^'tein|>s
étaient connus du public, devaient être iusuflisauls et incorrects.
En effet, il s'aperçut bientôt que tout élaità ref;ure, que les com-
pilations précédentes étaient extrêmement défectueuses sous le
double rapport de la forme et du contenu. Son travail fut en con-
.séquence surtout un travail de révision. Il collaii(tnna avec les
manuscrits genevois les copies qu'il en avait fait faire, ainsi que
le texte des documents que M. Halm avait ajoutés , sous le titre
de suppb'ments (Beilagen), à son Histoire des f audois. Son at-
tention se porta particulièrement sur des manuscrits restés jus-
qu'alors inconnus au public, il transcrivit en grande j)artie de sa
propre main le traité du Purgatoire (Purgatori) , laissant à ses
copistes le soin de faire le reste , qu'il confionia ensuite lui-
même avec l'original. De plus, il fit de nombreux extraits d'an-
tres écrits dont le contenu lui paraissait de (pielque importance.
De Genève M. Her/og j)rit la route de Dublin , en passant par
Grenoble, dont la bibliothèque contenait un manuscrit vaudois
du Nouveau Testament qu'il tenait à connaître. Le célèbre pro-
fesseur trouva dans la bibliothèque de Dublin, outre des exem-
plaires identiques à ceux de Genève , et dont il n'eut qu'à noter
les variantes, des originaux d'ouvrages de la plus grande impor-
tance (|ui uKUKpiaient à la collection genevoise , et qui n'avaient
jamais été publies. 11 y découvrit aussi le texte manuscrit d'au-
tres écrits vaudois, connus jusqu'ici du public par des copies dé-
figurées ou fragmentaires, qu'il corrigea et compléta sur le texte
original. Quant à plusieurs autres traités sans grande valeur,
<jue lui uftVit aussi la même bibliothèque, il se contenta d'en
prendre connaissance.
Le manuscrit dublinois du Nouveau Testament vaudois fut
aussi l'objet de son exan)en. L'académie royale des sciences de
Berlin l'avait chargé d'en faire une copie à l'usage de la biblio-
thèque rovale de cette capitale. Mais, après avoir transcrit de sa
propre njain les dix-neuf premiers < hapiires de saint Matthieu .
il s'aperçut «juc ce travail , accompagné de celui de la révision
qu'il n'oserait confier à nul auii c, prolongerait trop son séjour en
LES VAUDOIS DU MOYF.N AGK. 143
Irlande où il avait d'aulros manuscriis à étudier, l'idée lui vint
alors de s'adresser au docteui- Gilly do Norham, dont il avait
fait la connaissance par rcntieniisc du cliovalier Bunsen, and)as-
sadeur prussien à Londres, en le priant de lui faire i)arvenir à
Dublin un copie de ce Nouveau Testament, que le docteur Gilly
possi'dait déjà depuis plusieurs années, lui promettant de la
confronter attentivement avec l'original, sous (condition toutefois
de pouvoir la prendre avec lui à Halle. M. Gilly y consentit; il
y allait, du reste, de son intérêt, et M. Herzog put la transcrire
plus lard en entier de sa main, dans l'hiver de 1851 à 1862. Il
collaiionna aussi, en partie à Dublin, en partie à Halle, avec le
manuscrit copié de Dublin , celui de Zurich , que le professeur
Reuss avait mis à sa disposition, confrontation dont les résultats,
ainsi que ses observations sur le manuscrit du Nouveau Testa-
ment vaudois de Grenoble, se trouvent dans une dissertation de
M. Reuss sur les Traductions vaudoises de la Bible, insérée dans
la Revue de théologie et de philosophie chrétienne (1851, mois de
juin ; 1852, mois de décembre ; et 1853, mois de février).
Les manuscrits que le professeur Herzog put consulter à Pa-
ris et à Cambridge , étaient peu nombreux , mais non cependant
sans utilité pour le but qu'il se proposait.
Quoique versé, sans doute, dans la connaissance de quelques-
unes des langues romandes , et surtout du provençal , connais-
sance qui facilite infiniment plus que le latin l'accès à l'intelli-
gence du dialecte vaudois; bien qu'aidé de la Vulgate pour
l'interprétation du Nouveau Testament, le docteur Herzog dut
rencontrer quelques difficultés dans la traduction des manuscrits
qui devaient servir de complément à ses précédentes études. Le
dialecte vaudois n'est, selon toute probabilité, qu'une ramifica-
tion modifiée de la langue provençale (une des plus belles créa-
tions de la lingua rusttca des Romains, et se parlait jadis dans
le sud de la France, dans le nord de l'Italie occidentale, et au
nord-est de l'Espagne) [1]. 11 est loin d'avoir été, comme le sont
(1) V. Dicz, Grammalik der romanischen Sprachen, l, p. 77; et pour les
analogies frappantes du dialecte vaudois avec le provençal, Raynouard ,
Choix des poésies originales des Troubadours, vol. I, p. 13, 15, et vol. II, p.
ikk i'i^ VAl DOIS 1)1 MO%E> AGK.
depuis (luelques aiuiccs les autres langues i oinandes , l'obj»'!
d'une élude spéciale. Nous regreitons inliiiimenl cpie le profes-
seur Di«'z, de l'uiiiversitc de Bonn, n'ait pu, faute de ressources,
consacrer dans son admirable Grammaire des langues romandes
(3 Yol. Bonn 1836-1844), une plus grande place au dialecte
vaudois. il eût éclairci , nous en sonnnes sûr, bien des diQicul-
tés. An moyen de son excellent système de la fornuition des mots
dans les langues issues du latin vulgaire, il aurait facilité Tiotcl-
ligencc de cet idiome provençal, et, ce t|ui «'tait plus nécessaire
encore poui- le travail liistoritpie du docteur Hor/.oj,' , résolu pai
son étonnante perspicacité, en partie, du moins, le diilicilc pro-
blême de la classification des manuscrits vaudois. Haynouard ,
si compi'teni en matière do philologie romande, a donn»- néan-
moins dans des erreurs passablement graves. C'est ainsi que ,
selon le professeur Herzog (1), il attribue, dans son Lexique ro-
mand, à un ancien écrit vaudois, un passage qui appartient à un
traité relativement fort moderne sur les sacrements, et emprunte
aux Taboriies. Le même savant ne trouvait aucune difliculté à
faire remonter aux premières années du dou/.ième siècle le fa-
meux poème de la Nohla Leyczon , ainsi que l'écrit de Vy^ntc-
chrisl, se fondant à tort sur la langue de ces deux jiroductions
pour prouver la vérité d'une assertion qui ne devait pas manquer
de procurer une grande joie aux admirateurs de la prétendue
antiquité de la secte vaudoise. Le texte tpi'il a donné des poèmes
vaudois (car on sait (ju'il u'enlrait pas dans le cadre de son tra-
vail de s'occuper des œuvres vaudoiscs en prose, dont la langue
est, du reste, absolument id<;nlique), surtout celui de la jyobla
Leyczon^ est incorrect en près de deux cents endroits; il faut
cependant dire que celte inexactitude, inconcevable chez un sa-
vant aussi distingué et aussi scrupuleux, doit être attribuée i)lu-
tôt au copiste qu'il avait charge de transcrire le poème en ques-
tion, d'après le manuscrit de Genève, qu'à lui-même.
Si Raynouard a pu se tromper de la sorte, (jue sera-ce de
Perrin et de Léger?
C'est à ce long voyage, à la possession acquise, on le voit, à
(I) Die rotnanischcn Waldcnscr, préface, p. G.
LKS VALDOIS DU MOYEN AGIC. 1 Vo
force de paiicnce , de Ions ces précieux trésors , inconnus jus-
qu'alois au continent do rEuio|)e, on partiellement livrés au pu-
l)lic par des éciivains (|ui en méconnaissaient la valeur, ou
avaient à tâche de la dissimuler, que nous devons le grand ou-
vrage que publia, l'année dernière, le savant professeur de Halle,
sur les Faudois romands (1).
C'est à cette œuvre consciencieuse, nous tenons à le dire, de
peur qu'on ne nous fasse l'honneur d'une science que nous som-
mes infiniment éloif^nés de posséder, que nous avons recueilli ,
ù part la méthode et quelques observations d'une très-mince va-
leur, les notices que nous avons données des divers travaux dus
au\ critiques protestants de nos jours sur les origines de la secie
vaudoise et les époques de leur littérature.
Par l'exactitude de ses recherches et la persévérance qu'il a
mise à examiner un à un les manuscrits vaudois des bibliothè-
ques de Genève, de Grenoble, de Lyon, de Paris, de Cambridge
et de Dublin , le docteur Herzog est parvenu à rétablir les textes
dans leur intégrité. Les extraits corrects qu'il en donne à la fin
el dans le corps de son ouvrage , seront bienvenus des amateurs
des langues romanes, et nous espérons que son savant collègue,
M. Fuchs, et tant d'autres de ses illustres compatriotes qui ont
rendu dans ces dernières années de si éminents services à la plii-
lologie romande, en tireront un utile parti. Mais ce que notre
cœur souhaite avant toute chose , c'est que le travail de M. Her-
zog serve d'encouragement aux historiens présents et futurs qui
s'occupent ou voudront s'occuper, sans se laisser aveugler par
l'esprit de parti , de l'étude d'une hérésie dont l'histoire a été
bien autrement défigurée , jusqu'à nos jours , par ses adhérents ,
que par ses adversaires naturels. Les catholiques, quoique habi-
tués déjà aux réhabilitations historiques, si glorieuses pour l'É-
glise , de la part de grands historiens protestants , prendront in-
(1) Die romanischen Waldenser, ihre vorreforraatorischen Lustaende und
Lehren, ihre Reformation im scchszehnten lahrhundert, und die Rueckwii-
kungen dersclben, hauptsœchlich nach ihren eigenen Sciiiiflen dargcsielit
von D'' Herzog, ord. Professor der Théologie in Halle. Halle, Ediiard Anton
18.^5.
10
1 VG I.KS VAIOOIS nt MOYF.K AOK.
lêrél à la nouvelle phase fl:ii)s l;n|ii(II<' est cmice l'histoire d'unr
secio «jiii , hier encore, se n'iranchuil si fièrcnn'nt derrière s.'i
prélenilue origine aposloliijue el la perj)«'luiie de sa foi 1;. Au-
jourd'hui, si elle ne veut donner un (h'-nienti aux preuves les plus
formelles, elle esi obligée de confesser qu'elle est née dans les
dernières années du douzième siècle, qu'elle a pour auteur, non
pas un apôtre, mais un sinq)le mar( liand de Lyou, et (|uV*lle n'a
réussi à formuler un symbole qu'en se jetant, après trois siècles,
et plus, de stériles tàtoiuiemenls, dans les bras de la réforme.
Peut-être, si Dieu le pcimel, donnerons-nous, dans un pro-
chain article, aux lecteurs des .annales, une analyse suceinte de
l'ouvrage <lu docteiu' Herzog. Sans les retenir longtemps sur le
terrain un peu aride, sans doute, mais ft'cond en résultats im-
porlauls , lie la classinculiou par ordre de dates <les n)anuserits
vaudois, au point de vue du savant professeur, nous les ferons
assister successivement, avec lui , aux origines et aux |iremi«MS
mouvements religieux de la secte vaudoise , aux emprunts con-
sidérables (|u'elle fait d'abord aux Pères de l'Kglise, et en gé-
néral aux dogmes catlioli(pies, puis ù la Inile incessante qui
s'engage dans son sein entre deux principes incompatibles et (pii
entravent l«)ng(eni|)S >a uiarelie, \r. |)iinci|>e caili(»li»|ue qui la re-
lieiil encore et le principe [)rotesl:int (pii n'allend |)lus qu'une
puissante inilueni i; du dehors |)onr l'enlrainer tout entière dans
l'abîme de l'erreur. Nos lecteurs verront que les \ audois de
M. Herzog ne sont plus tels que nous les représentaient naguère
encore les histoires, ou plutôt les romans protestants. Ils suivent
le système des variations inlK'rentes à l'erreur, el (|ui cara( -
(I) C'est ce que les Vaiulois du Piônioul ont hoin ilc faire croire ù leurs
atlcples cl à ceux qu'ils rhorchi-nl à entloctriupr. l'n pauvre calliolique qui,
par pure ignorance , nous voulons bien rniluicllrc , avait apostasie pour em-
brasser lliéré^ie \auiloisc, nous rrponilail inxariableiuenl , et du ton d'un
lioinnic priifondcinenl convaincu, loulos les fois i|ue nous lui pariions des
ori;;ines de lu réforme, qu'il se souciait fort peu d'OKioIampade et de lUicer,
qu'il n'avait rien de Pomm\in avec les réformateurs, qu'il lui suflisail de sa-
voir, pour se confirmer dans sa foi nouvelle, qu'il la tenait de l'apôtre saint
Paul el que, de toul temps . les Vaudois avaient professé les mOmcs croyan-
ces religieuses !
m:s vaudois du moyen m.k. 147
lérisenl loules les sccios , depuis les temps apostoliques jusqu'à
nos jours. Ce ne sont pas ces êtres tels que se plurent à
nous les dépeindre les partisans du jugement privé ou les enne-
mis de rÉglisc. Ils n'occupent pas, non plus, au sein du moyen
âge, le rang important que leurs descendants leur ont si complai-
samnU'nt altribui'. Hien loin, enfin, de pouvoir |)r(''tendre à l'au-
réole de sainteté dunt leurs admirateurs les ont entourés, ces
sectaires donnent lèio haissco dans toutes sortes de travers, et,
tout en déclamant contre les corruptions de l'Église de Rome,
que personne ne condamnait plus hautement que l'Église elle-
même, ils participent [)lus que tous les autres aux misères spi-
rituelles du moyen âge.
Que nos lecteurs ne s'imaginent pas, cependant, que Herzog
soit le moins du monde hostile à la secte vaudoise. S'il en'a mis
les origines et la vie dans leur vrai jour, cela n'a point été par
opposition, mais pour obéir à la vérité. iVous ne pouvons rien
contre la vérité , dit-il avec saint Paul , mais seulement pour la
vérité. Pour rassurer toutefois la secte , qui pourrait se montrer
fort peu satisfaite du procès qu'il lui intente, et pour calmer la
douleur qu'elle pourrait éprouver, en voyant ses archives les
plus secrètes livrées sans façon aux regards des profanes, et ses
fraudes pieuses dévoilées au grand jour, il s'efforce de lui per-
suader que tout cela ne saurait nuire à son existence et à sa pros-
périté actuelles, et que les églises protestantes ne lui en témoi-
gnent pas moins le même intérêt cordial et actif, qu'elle a su leur
inspirer dans tous temps !
Henri Stevenson.
I)K
L'ÉDUCATION PUBLIQl'K
DA>S LE
rA:%T<»\ Di: gk^kvk.
Le plus grand inlérêi d'un peuple , c'est l'éducniion de ses
enfants.
L'é(lur;iiion pr«''|)ure la nioraliié, la dij^nité, la force, le bon-
heur et ravcuir des nations.
Le plus grand fl«'au des États , c'est un mauvais système d'<''-
ducation.
L'éducation qui nVnibrassc pas tout l'Iiomnic est une «'dura-
tion incomplète.
L'éducation qui ne formera que le corps , pour le seul déve-
loppement des forces ou des grâces musriilnires, ne fera que des
automates de sérail ou des nomades du désert.
L'éducation qui n'opérera pas à la fois sur les facultés et sur
les caractères, afin de développer le bien et de vaincre le mal
inhérents à la nature humaine , cette éducation ne pourra faire
que des hommes manques.
L'éducation (pii ne donnera à la jeunesse que des connaissan-
ces sans croyances, des sentiments sans vertus, des aptitudes sans
i)K l'kducath» pluliqlk, ktc. 149
le f,'rnnd [jrincipe du devoir et du sacritice, cette éducation n'en-
laïuera (ju'une décadence progressive.
L'éducation qui ne sera établie que dans un but exclusif, l'é-
lémeiii p()liti(]ue, par exemple; l'éducation qui ne saura pas
harmoniser les diverses lins de l'homme, afin de Taire concourir
toutes les forces; l'éducation qui méconnaîtra la destinée su-
prême de l'homme, sa destinée sociale, sa destint-e de famille,
sa destinée piivée, celle éducation n'enfantera jamais des nations
vigoureuses ni des chrétiens sincères.
L'éducation qui déclassera les inlluences actives par lesquel-
les les hommes sont formés; qui, par exemple, mettra la reli-
gion à la queue de l'éducation , l'autorité paternelle en dehors ,
cette éducation faussera dès l'abord le jugement de la jeunesse
et régarera dans des voies fatales.
L'éducation qui ne fait que de l'instruction n'est qu'une mé-
canique pour produire des esprits vains, des cœurs rétrécis, des
caractères faibles, des vertus sans consistance.
L'éducation purement civile, politique ou administrative, est
le signe sensible de la décadence morale d'un peuple.
L'éducation sans religion est le plus grand châtiment que la
Providence puisse laisser infliger à un peuplp ingrat et indiflé-
rent.
Dans les pays éclairés par la lumière et la grâce du christia-
nisme, l'éducation doit être chrétienne, et non-seulement l'édu-
cation, mais l'instruction.
Ces principes sont vrais en eux-mêmes , et peu de personnes
les contrediront; mais il y a des hommes à système, des pays,
des époques et des institutions qui font plier ces principes ou qui
les dénaturent dans l'application.
Dans le canton de Genève, nous vivons sous l'empire non-seu-
lement de la liberté des cultes, mais encore, chez les protes-
tants , de la liberté de conscience , et môme de la liberté de n'a-
voir ni culte, ni conscience, ni religion. C'est un fait, un fait
inévitable, fatal, si vous voulez, mais enfin légal, constitution-
nel et même fédéral.
Dans le canton de Genève, nous sommes en présence de deux
conséquences de ce fait : l'instruction publique et la liberté
150 1>K LKim Alli> IlULlylK
d'enseigoeineul, qui n'est ct'pondanl réalisable ()ue dans certai-
nes loealitc's, ei t|ui ne supporte qu'avec de grandes peines la
lonenrrence puissanie et liclii; do rinsiriiction publi(]ne.
Dans le canton de Genève , l'inslruelion |>ul)li(jue est pure-
ment civile cl poIiti(|ue; elle a pour de la relij,'ion, elle la relè-
gue à la queue de ses lois, de ses règlements et de ses écoles;
eUe est, il est vrai, en présence de la liberté des cultes et des
nou-culles; elle a peur aussi de la liberté d'enseignenieni , ei
elle la combat, tant (juV-lle peut, du moins, par l'énergie de son
budget.
L'Académie, le Collège, le Gymnase, à Genève, sont compo-
sés en immense majorité de professeurs et d'élèves protesianls.
L'enseignement y est donc ou protestant, ou rationaliste, ou avec
absence totale de toute croyance religieuse; c'est même là la per-
fection du genre. Il y a bien des professeurs de religion qui don-
nent des le< ons non obliyatuircs et entièrement en dehors de
renseigiieincnl; mais ces leçons ne sont suivies «pie par les
|)rolestanis, dont les parents appartiennent au système religieux
du ministre professeur (I).
A Carouge, le Collège est devenu niixte d'exclusivement ca-
ilioliipie qu'il était en vertu des traiti's de 1815.
Les ('coles piimaires sont purement civiles. Elles sont compo-
sées d'enfants catholiques dans les campagnes cat[)oliques, et
d'enfants protestants dans bîs campagnes protestantes. Qiu'bjues
l'iifanls prolestants vont dans les l'cob's composées en majoril»'
d'enfants catholiques, et vice versa.
A Genève, il y a des écoles secondaires mixtes et des écoles (2)
primaires de trois espèces. Ecoles de catholiques on majorité ,
écoles de protestants en majorili'*, écoles mixtes proprement di-
tes. On a mis des régents proiestiints dans des écoles d'enfants
«:;flholi(pies, ei des régents calboliipies dans des écoles d'enfants
protestants. Le système poursuivi av«c suite et acharnement ,
c'rsi donc celui des écoles mixtes avec tles leçons de religion en
(I; Il y a un cliii|u-I;iiii callinliciuc pour los (]ucl(|U(-s rnlholiqurs. niait son
riiscigncnicul u'v>{ nullcnioiit obligaloiir.
(i) On viiit «|utjr no parle ici i|ur des écoles gouMincinfiilalfs.
DANS LK CANTON DR GENKVK. 151
dehors; l'innuciirc des minisires de la religion est devenue nulle
ou dérisoire ; le elioi\ des régenls cl des régentes, les méthodes,
l'ordre réglementaire, la eensure des livres d'école cl de prix,
rinspection de la discipline , de la moralité des enfants et des
fonctionnaires, tout, en un mot, est devenu rouage, omnipotence,
bon plaisir gouvernemental. La loi de 1848 a été élasliquement
pliée à ce syslènK! par un règlement monstre, inapplicable et
inappliqué, vexation permanente contre les régents, contre les
élèves, les communes, les parents et les ministres de la religion.
Et tout ce système bâtard , sans vie , sans moralité, sans ave-
nir, coule au peuple l'c-nornie somme de 270,000 francs.
Et il n'a produit aucun résultat avantageux au point de vue
même scolaire , si ce n'est de faire de la noble carrière des in-
stitutcuis de la jeunesse une cairière d'agents plus ou moins po-
litiques, soumis à toutes les vicissitudes, les peurs, les souples-
ses des changements de gouvernements ; si ce n'est aussi de
dénaturer la véritable éducation de l'enfance par l'afFaiblisse-
ment de l'autorité paternelle, de l'autorité de la religion, de l'au-
torité des maîtres, etparrénervemenl des caractères, des mœurs
et de l'esprit de travail lui-même.
Le clergé catholique a, dans le temps, réclamé contre la loi.
La loi volée, il a momentanément conservé l'espoir qu'un règle-
ment administratif saurait concilier tous les droits , toutes les
exigences de la religion, de la famille, de la commune et de
l'Etat. Le règlement de 1849 est venu détruire loutes ces illu-
sions : les écoles ont été officiellement déclarées mixtes; toutes
les réclamations, même les plus modérées et les plus convena-
bles de l'autorité ecclésiastique ont été entièrement méconnues.
Mais tout cet échafaudage sans consistance ne lient plus à rien.
la loi est insuffisante, le règlement vermoulu; les régents se dé-
ballent entre le poignet gouvernemental et l'influence des fa-
milles et des conseils municipaux ; le malaise est général, l'ex-
périence est faite, le système est jugé.
Et quand on considère le mouvement européen qui fait par-
tout abandonner ces essais avortés d'écoles et d'une instruc-
tion publique mixtes et matérialisées; quand on voit de tou-
tes parts les pères de famille, les communes, les provinces,
152 I)K I.'kIUCATION l»l OI.IQI K
iiiéiiu' les pliiN liublilt'S naguère à rintliu^nce du clirjj;»', venii
(Itinander à grands cris le renversement de systèmes réprouvés
par une expérience funeste, et exiger des garanties contre des
utopistes , des livres et des mt'tiiodes qui n'ont enfanté que des
ruines , on se sent pi-nétrc de douleur en vovanl le canton de
Genève non-seulement retardataire danslemouvement régénéra-
tciu" eurojiéen, mais encore rcstani à l'élat de pélrilicatinn dans
une voie tpii ne conleiilo |)orsonne et qui obère tout le monde.
Nous allons incessamment assister à des discussions importan-
tes dans le Grand Conseil du canton de (îenève, puisque M. Pons,
l'auteur du système actuel, nous promet de demander la révision
de la loi sur Tinslruc lion |)nl)iique. Nous suivrons ces discus-
sions avec le plus grand intérêt, sans passion, comme sans op-
pctsilion préconçue; il nous sullit aujourdMiiii de bien poser les
questions.
Deux systèmes vont se irouver en présence, <piant à l'insirue-
lion primaire, la seule qui nous (»c( upe dans le présent travail.
Premièrement, le systènie absolutiste ou de la loi et du règle-
ment actuels. Ecoles mixtes, instruction sans ('-ducation , choix
des régents, des livres et des méthodes uniquement et souverai-
nement goUM'inemental ; ronclionnaircs subissant toutes les in-
lluenccs mobiles de la poliliipu' el des partis qui arrivent tour à
tour au pouvoir.
SecondemenI, le système de la ( oncilialion, où tous les droits
soient respecli'S et où toutes les b'gilimes inlluenccs soient appe-
lées à apporter leur concours pour le bien commun.
Le système actuel est né du radicalisme nivelenr ipii a voulu
léguer par la dc-moralisation et ipii, sous le prétexte de la liberté
illimitée des consciences «•! (h-s croyanc es . a su cré-cr lomnipo-
lence gouvcrnenicnlale.
Le gouvernement actuel suivra-l-il les mêmes ericmenis?
<!ontinuera-t-il raccaparement d<' ses adroits prédt'cesseurs?
\ oudra-t-il maintenir le système des écoles mixtes, maintenir
l'arbitraire el la tactiipie des partis dans le choix et le sort des
régents, l'hostilité dans les méthodes el les objets de l'enseigne-
nii-nl, I indilléreiice religieuse d.ins l'educalion de la jeunesse, el
la défiance systémaii(|ue coniie je pdiivuir palernel ei conire le
DANS I.lî CANTON DE (JENÈVE. 153
clorg»'? Nous îitlondons ; ninisccqno nous croyons fernicmont ,
sous IVinpire d'iiniî cludc npprofondio du système acluol , du
sonliment sérieux ot paiienl des populations, du mouvement gé-
néral européen, c'est que !a contiiination entêtée et rétrograde de
l'absolutisme incroyant rendra le mal plus désastreux et chaque
jour plus dillicile à guérir.
Combien a été plus sage le canton de Vaud. Il respecte entiè-
rement la liberté d'enseignement dans les paroisses catholiques
des bords du lac. Lausanne, ÎNyoïi, etc., ont leurs écoles calholi-
<pies , et l'autorité supérieure rend hommage chaque année à
rexcellenie tenue de ces écoles paroissiales. Dans plusieurs com-
munes du district d'Echallens, les populations sont mixtes;
alors les catholiques ont leurs écoles et les protestants les leurs,
sous la direction du déparlement et de la loi de l'instruction
publique ; mais en même temps dans des conditions qui respec-
tent tous les droits, facilitent tous les rapports et obtiennent, je
crois, la perfection de l'instruction primaire dans le district d'E-
challens.
Dans le canton de Genève, les écoles mixtes pourront êlre
violemment imposées aux catholiques, mais elles ne seront tou-
jours regardées que comme un état anormal et provisoire. I-e
clergé catholique les sait condamnées par l'Eglise, il en connaît
les dangers pour la foi, il en constate chaque jour les vices pal-
pables pour l'éducation religieuse f t pour la formation des intel-
ligences , des caractères et des vertus qui forment l'homme de
la famille et l'homme de la société. On ne fera jamais compren-
dre à des catholiques tant soit peu religieux qu'on puisse
élever des enfants avec un pareil système ; les communes
sont sous la même impression , et le département de l'ins-
truction publique sait exactement le nombre des conseils
municipaux qui réclament à grands cris contre la présence de
régents qui ne leur vont pas. Tout le monde est dans la gêne :
l'autorité civile, l'.autorité communale, l'autorité ecclésiastique,
les régents eux-mêmes ; il n'y a entre tous ni confiance, ni con-
cours. On a voulu faire des régents des propagateurs d'une édu-
cation sans croyances positives, des agents électoraux, des an-
tagonistes des curés; on a voulu ladicaliser l'instruction piibli-
15V DF l'ÈDIC.VTIOJJ I'I III. lyi K
«|ue. ei on a lue les écoles, on a mal «'levé les enfants , oi on a
inéconlenlé loul le inonde.
Veiit-on la conciliation, veul-on le progrès? veut-on la mora-
lité de la jeunesse? veut-on la vériiahU' é<lucalion? Eh Itien,
avec toute la convenance et l'Iiumililé qndii a droit d'exiger de
nous, mais aussi nous servant d'une longue expérience pratique
et d'une étude de l'étal de l'instruction dans les pavs de l'Eu-
rope que nous avons parcourus , nous donnerons modestement
nos idées. Ce sera aux hommes qui ont droit et devoir ù prendre
ce qu'il y a d'applicable à nos contrées.
Une école mixte doit être ainsi di-finie :
C'est une école où le mailre peut être indilléremment catholi-
que ou protestant, ou sans religion aucune; qui doit ne jamais
parler de religion à ses élèves , jamais de leur religion , et tout
au plus de celle religiosité en général ipii n'est qu'un leurre, une
duperie et une sourde destruction de toute religion positive, et
particulièrement de la religion catholique. Une école mixte,
c'est celle où on retranche la prière caiholiquo pour la rempla-
cer par une prière à la manière des ihéophilantropes , c'est-à-
dire une prière qui ne va ni au cœur des enfants, ni au cœur de
Dieu, et (jui n'<'st (|u'une continuelle hostilité contre les saintes
prières de l'Écriture Sainte et de rKglise. Une école mixte est
une prédication continuelle d'indifférentisme religieux, soit par
ce qui s'y passe, soil par ce qui ne s'y passe pas. Une école mi-
xte sera toujours, en définitive, une ("cole rationaliste, atten-
du que la direction des études, le choix des livres, l'es-
prit de l'enseignement de l'hisioire seront toujours dans la
main des autorités qui sont en niajniité rationalistes, soit
au Grand Conseil , soit au C/rnscii d lùai , soit dans l'admi-
nistration, soit dans le but suprême du système adopté. Une
école mixte prive le régent du ressort vital de toute éduca-
tion : la religion; son autorité n'est reçue que comme venant
d'un homme, d'une administration civile; son action est toute
mécanique, toute réglementaire. Les mois et les phrases sacra-
mentels sont : le IU<jlemrnl, Vlns/urtrur et le Département. Mais
le iioiii de Jésus-Chiisi, rKvangilc «le Jesus-Clirisl, les ravissau
les paraboles de l'Évangile, le regard de Dieu, l'offense faite à
DANS LE CANTON DK GENÈVE. 155
Dieu , les (îxempics des jeunes saints , modèles do la jeunesse ,
toute celle action inlime de la loi , de respérancc , de la charité,
de riiumililé, de la répression chrétienne inspirée et obtenue par
la crainte et par l'anioui- de Dieu, tout cela est banni des Hîvres
du maître et de l'éducation des écoles mixtes; les régents sont
des fonctionnaires gouvernementaux , tandis que dans la nature
même de leurs belles et modestes vocations , ils ont aussi une
mission qui vient du père, de la mère, de l'Église et de Dieu. Eh
bien, on leur cadenaiera la bouche, le cœur et la foi. On se dé-
fiera singulièrement des régents qui sortiront des rigueurs des-
séchantes du règlement , on leur imposera le serment de ne pas
penser ou parler autrement que le département, et on notera avec
faveur le régent qui aura su s'incarner à l'image et à la ressem-
blance de l'idée. Oh î combien on est appelé à gémir avec l'E-
glise, avec les pères et les mères de famille, avec les véritables
amis de la jeunesse et du pays , et aussi avec les bons régents
qui voient le mal qui se fait et le bien qu'on les empêche de faire !
Il faut encore ajouter que le système bâtard des écoles mixtes
n'est ni dans la constitution de Genève, ni dans la loi sur l'ins-
truction publique. Avec la constitution, on peut avoir un excel-
lent règlement, des écoles excellentes, et cela sans porter at-
teinte ni à la liberté des cultes, ni à la liberté d'enseignement, ni
à la juste part de direction de l'autorité civile.
Mais, hélas! les épreuves et les essais ne sont pas à leur fin.
Nous examinerons prochainement quelles seraient les institutions
et les modifications qui pourraient amener une conciliation sincère
et donner à rinslruction primaire une vie, un progrès qui leur
manquent tolalement. En attendant, nous croyons faire un vérita-
ble plaisir à nos lecteurs en citant les pages suivantes que nous
extrayons d'un Mémoire adressé à Mgr Marilley en 1849, par
M. Dunoyer, vicaire général, curé de Genève (1) :
« La loi du 25 octobre 1848 sur l'instruction publique dans le
canton de Genève vient de recevoir son complément et son in-
terprétation par le règlement des écoles primaires en date du 21
' (i) Ce mciiioiie a été imprimé cl rend» imltlic au mois d'août 18i9.
lo<» DE L'ÉDlCiTION PI BLIQIF.
juin 1840, anrU' par le (lé|)arlpn»enl do l'instruction pul)li(|U«-,
«•n vertu d'une autorisation préalable du Conseil d'Étal.
» Avant d'examiner les dispositions de ce règlement, qui dé-
truisent toutes les espérances du cler^'»'- et des catlioliques du
canton de Genève, (piant aux },Mranlies (ju'ils avaient droit d'at-
tendre; dispositions qui, d'ailleurs, accroissent leurs légitimes
alarmes pour l'avenir, je crois devoir exposer à \ olro Grandeur
les motifs londamenlaux et l'Iiisloriciue des réclamations, mal-
lieureusent infructueuses, qui ont eu lieu, et les pièces olliciel-
les qui s'y rattachent.
» I.c catholicisme, dans tout ce (|ui concerne l'educatiim de la
jeunesse, est placé sur un terrain «piil ne peut jamais abandon-
ner, et qu'il doit sans cesse défendre, parce que le salui des
âmes, la conservation de la vraie foi, le bonheur des peuples, la
f<licité des familles s'y rattachent essentiellement.
» La religion que Notre Seigneur Jésus-Christ a apportée sur
la terre et qu'il a donné à son Église la mission de conserver et
d'enseigner, est le l)ien suprême de l'homme ici-bas : elle est
pour lui la règle infaillible, illiiminali\e et parfaite de son intel-
ligence, de son cœur, de ses mœurs, de ses droits, de ses de-
voirs. La religion prend l'homme au berceau et elle ne l'aban-
donne pas jusqu'à ce moment solennel oii il va lendre compte à
Dieu de sa vie tout entière.
Or, c'est par l'éducation chrétienne de l'enfance et de la jeu-
nesse que les hommes sont formés, .^on-seulemenl l'édjication
développe les facultés de leur esprit, mais surtout elle règle leur
jugement, développe leur caractère, aiïermii leui- niuralité; et ,
bien plus encore, elle doit faire pénétrer dans tout 1 honinie les
principes, les sentiments et les habitudes (jui perfectionnent le
véritable chrétien pendant le pèlerinage de celle courte et dilli
eile vie.
» L'éducation est, aux yeux des calholiipies , inséparable de
la religion, cl ils regardent comme un grand malheur pour les
âmes, pour les familles et pour les sociétés, ce fatal divorce
qu'on semble voidoir parfois réaliser entre ces deux éléments
dr la vie morale et sociale des hommes.
" L<'s catholiques sont égalemeni < otiNainnis ijuc l'instruction
D.v>s LK CANTON i)K (;F,?ir;vi:. 157
et rcnseignemcnl sans réducalion , comme l'rducaiion sans la
religion, est plus souvent un flrau qu'un avantage; et, plus que
jamais aujourd'liui , cclto vt'i-ité leur est démontrée par l'état
des sociétés , et les révélations effrayantes des statistiques euro-
péennes sur la criminalité.
» Les catholiques croient que la religion et la famille ont des
devoirs sacrés à remplir dans le choix des instituteurs de l'en-
fance, parce que ces instituteurs, appelés à des rapports conti-
nuels avec les enfants, exerçant sur eux l'autorité de leur posi-
tion et de leurs exenq)lcs, ont une grande inducnce sur la jeunesse
et peuvent faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal.
> Ces instituteurs doivent donc recevoir leur mission si esti-
mable, si importante, de la religion et des parents; et si le pou-
voir civil, en ce qui le concerne, a le droit de lui en donner une,
il ne peut, sans usurpation, empiéter sur un terrain qui n'est pas
le sien.
» Les catholiques savent que les écoles purement civiles ,
c'est-à-dire d'où la religion est bannie, ou bien dans lesquelles
son action est illusoire, sont un grand malheur, parce que ces
écoles, ne donnant qu'un enseignement purement mécanique, ne
forment point des citoyens dévoués et des chrétiens éclairés;
elles facilitent alors l'invasion de toutes les erreurs et de toutes
les passions.
» Pour un instituteur, n'avoir pas une tendance^ une influence
positive religieuse , c'est avoir une tendance dangereuse , une in-
fluence désastreuse dans l'éducation. L'absence du bien ici con-
stitue le mal.
» Les catholiques, instruits par l'expérience, forts des déci-
sions du Souverain Pontife Pie IX, savent très-bien que les écoles
primaires mixtes sont un véritable désastre non-seulement pour
leur religion, mais pour toute religion positive ^ et que le résul-
tat le plus ordinaire de ces mélanges est de conduire la jeunesse,
au moins à la plus funeste indifférence religieuse, lorsqu'elle n'a-
boutit pas au scepticisme.
» Enfin les catholiques ne pourront jamais admettre que l'au-
lorité civile, ici ordinairement protestante en fait, et forcément
indifférente en droit, surtout dans une république démocratique,
158 DK L'ÉDI'CATIO.% i>l BLIUIK
Cl (i:iiiN un |)a\s iiiiMc, où lu liberté des cultes est écrite dans la
conslituliuii, puiss»- absuihcr tous les droits de la r<'lif;ion et des
pères de famille eatLolicjiies, et se constituer une suprématie sur
réduralion, ou une inQuence sans limites sur les jeunes généra-
tions.
o C'est sous l'empire de ces principes claiis <l simples (pie li*
clergé «lu canton de Genève n'a pas cessé de réclam«'r auprès
de Votre Grandeur ù l'effet d'obtenir, par son entremise auprès
du gouvernement , les garanties sans lesipielles les écoles ne
peuvent remplir le but de leur existence.
» Jusqu'à la loi du 25 octobre 1848, le système adopté, quel-
(|Ue imparfait ({u'il fût, reconnaissait des écoles catboliques et
le plac(!t de rcvè<]ue pour les régents dans les écoles eallioli-
ques; les livres étaient soumis à lui coiuiole préalable qui ollVait
des garanties suffisantes, et tous les curés pouvaient exercer une
beureuse influence sur les ('cctles; ils l'ont exercée en ellét avec
avantage et sans égoisme personnel , de l'aveu même des parti-
sans des idées nouvelles. »
Voici comment Mgr Marilley s'exprimait au commencement
de sa dépèclie du 20 septembre 1847, à M. le conseiller d'Etat
Pons :
« Vous m'avez l'ail rin»iineur de in'adresser le 1.5 de ce mois
le projet de loi sur l'enseignement religieux dans les établisse-
ments d'instruction publique du canton de Genève, et vous me
demande/, de vous transmeitre mes observations sur ce projet.
» Je répondrai, Monsieur le Président, à vos vomix, avec toute
la francliise et avec tout le soin qui convi(Mineni dans <ette cir-
constance grave pour la religion et pour l'éducation ; mais ,
avant de reprendre cbacjue article du projet, pernuttez-moi de
bien [)reciser les principes qui dominent, au point de vue des
catboliques, les questions d'application, principes que j'ai déjà
eu l'avantage de vous exposer verbalement dans l'entretien que
vous ave/ eu l'obligeance de m'acrorder.
» L'instruction religieuse, cbe/ les cailioliques, appartient es-
sentiellement au curé de chaque paroisse, c'est une de ses obli-
gations les plus sacrées; il doit la remplir à l'égard de tous les
DANS m: canton i>k (;k>kvi;. 159
oiifanis, (jirils soionl ou non dans les écoles; aucune disposition
lc}j;isl:itive ou adniinisiraliv»' no [mmiI à cet égard rcgiemenler ce
(Iroil on ce devoir. Si les ('colcssonl callioliquos dans sa pai'oisse,
il pi'ul y l'aire ses insiiuclions, el conller au régent la simple ré-
citation de la lettre du catéchisme ; s'il existe d'autres écoles, il
lui appartient d'examiner si, par le personnel du régent, par la
nature de renseignement, il peut leur donner l'appui moral de
son action pastorale.
» La question grave n'est pas celle de l'instruction religieuse
que les enfants auront toujours, quelles que soient la loi et l'é-
cole, la question sérieuse est celle de r(''ducation. Or, aux yeux
(les catlioliciues , l'i-ducation domine l'instruction et elle en est
inséparable, l'école est le suiiplémeni de la famille, le maître est
le représentant des parents , il est appelé à former, non-scule-
met l'intelligence, mais le cœur, mais les sentiments, les habi-
tudes religieuses des enfants, el à faire fructifier chaque jour les
enseignements de la foi par ses exemples et par son influence au
dehors et au dedans de l'école. Tel est et lel doit être le régent
aux yeux des catholiques ; cl si l'Etal constitue l'enseignement
au point de vue purement scolaire , les pères de famille, les pas-
teurs des âmes, r(''véque surtout, ne peuvent rester étrangers à
la constitution et au personnel des écoles. Il ne s'agit nullement,
veuillez bien le croire. Monsieur le Président, d'une prétention
envahissante ou exagérée , mais d'un concours harmonique , ai-
dant sincèrement les efTorls judicieux du gouvernement, tout en
maintenant les droits et les devoirs des pères de famille et de
l'Église, dans l'intérêt non-seulement de l'instruclion religieuse,
mais de l'éducation catholiijue des enfants catholiques. J'éprouve
le vif désir d'entrer dans toutes les vues larges du gouvernement,
puisqu'elles créent une concurrence avantageuse pour tous les
genres de progrès; mais il me paraît que tous les efforts du lé-
gislateur doivent tendre à environner l'école primaire de tous les
moyens de perfection qui satisferont à la fois les droits de la re-
ligion, les devoirs du clergé et des parents, et empêcheront un
malaise certain qui nuirait infailliblement à l'école si elle était
privée de plusieurs des conditions essentielles de son exis-
tence normale, et un jour peut-être porterait atteinte à d'autres
160 UK l'kdlcatiom 1>( III.IOI k
inlérûis non moins j,'ravi's. Vous êles suDsdoiilr, Monsieur le
Présidenl, trop proiondémcnl occupi' d«'s (|ucslions confession-
nelles (jui agitent notre pays, pour ne pas apercevoir que la so-
lution de la plupart des dilliculiés ne se trouvera (jue dans la lé-
gislation qui laissera partout les catholiques et les protestants
régir leurs affaires religieuses et l'éducation de leurs enfants d'a-
piès leurs croyances. »
Enfin le clergé , par l'organe des archiprêtres du canton , s'a-
dressa, mais toujours en vain, au Grand Conseil. Voici sa lettre,
|)leiiie de dignité et de sens :
o Nous avons pris connaissance du nouveau projet de loi sur
l'instruction puhlicpie; après un mûr examen du système géné-
ral qu'il renferme, et en particulier de ce qui concerne l'instruc-
tion religieuse , nous avons l'honneur de vous adresser nos res-
pectueuses observations.
» Nous estimons (jue le projet tond à constituer des écoles
mixtes et purenuMii civiles, conirairemenl, pour plusieurs de nos
écoles, aux traités, et, pour toutes, aux droits des pères de fa-
mille, aux exigences d'une bonne éducation et à l'esprit de la
religion catholique.
» Le Souverain Pontife Pic 1\ , par un acte solennel , a dans
ces derniers temps rappelé les principes de l'Église à l'égard des
écoles mixtes.
» Le clergi' catholique avait l'espoir que son concours désin-
téressé, intelligent el dévoué, ne serait pas repoussé, et que
l'influence de la religion ne serait pas ainsi déconsidérée cl
anéantie, là où elle est un devoir, un droit et un bienfait.
» Nous ne demandons, Monsieur le Président et Messieurs,
rien que de légitime, aucune position envahissante ou exception-
nelle pour le clergé catholique, aucune disposition qui nuise à
la bonne harmoni»' entre les citoyens, aux droits de TRitat, aux
progrès de l'instruction, nous désirons seulement conserver le
droit el la possibilité de faire du bien aux enfants et aux écoles
de nos paroisses.
» En conséquence nous vous prions, Monsieur le Président et
Messieurs, de vouloir bii n maintenir par la loi aux ("coles cathn-
DANS LE CANTON DR GENÈVE. 161
li(jnes (lu canloii loiir caractère d'écoles catholiques , avec leurs
habitudes et leurs usages religieux, et à Monseigneur noire évê-
que ou à ses délégués, la surveillance générale des intérêts de
la religion dans ces écoles; de déterminer que des garanties se-
ront données, pour que le choix des régents et d'inspecteurs ca-
iholi(pies puisse inspirer toute confiance aux parents; de laisser
à Messieurs les curés la faculté d'exercer leur sollicitude pasto-
rale sur les écoles, au nom de la religion et de la morale dont
ils sont les gardiens, dans l'étendue de leurs paroisses; enfin de
donner à l'autorité ecclésiastique le droit de réclamer efficace-
ment si , dans les livres d'enseignement , il y avait des choses
portant atteinte à la religion et aux bonnes mœurs.
» Nous as'ons la ferme confiance , Monsieur le Président et
Messieurs, que vous voudrez bien prendre en grande considéra-
tion notre juste et respectueuse réclamation.
» Elle exprime les sentiments de l'unanimité du clergé et de
l'immense majorité des pères de famille catholiques du canton
de Genève.
» Nous avons l'honneur d'être avec respect , Monsieur le Pré-
sident et Messieurs, vos très-humbles et obéissants serviteurs.
DuNOYER, vicaire général, archiprétre et curé de Genève.
Baillard, archiprétre, curé de Chêne. Greffier, ar-
chiprétre, curé de Carouge. »
On le voit facilement, le clergé catholique ne demandait que
ces quatre points : 1° De conserver à leurs écoles leur caractère
catholique; 2° d'obtenir des garanties dans le choix des régents;
3° de laisser à MM. les curés la faculté d'exercer dans les écoles
leur sollicitude pastorale ; 4° de maintenir à l'autorité ecclésias-
tique le droit de réclamer efficacement au sujet des livres.
n
LA
LIGUE D'OR OU LA LIGUE BORROMÉE.
Les lecleurs des annales se souviennent pciii-rirc (ju'iin Av.
nos collaborateurs a promis (voir noire numéro de novembre
1851, p. Ai, A'2) «le traiter les (pieslions liisiuii(pies dont l'en-
seignement est piescril dans les éeoles priniaiies du canton.
Noire savant et lionorable ami tient parole, et il aborde aujour-
d'Iiui la «piesiion suivante, si pleine d'int«''rêt et de grands sou-
venirs. Amis de notre foi et de noire pairie, nous im|)rimons avec
un véritable orgueil les pag<'s qu'on va lire. O vieilb" Suisse ca-
ilioli(|ue, «pie tu étais belle !
La ligue d'Or ou la ligue Borroméc est une alliance que les
cantons c.itliolicpies conliaclrrent eiilre eux pour conserver la
vraie loi, la loi cailioliipu', et s'opposer au\ efforts continuels
que les cantons devenus héréliiiues Faisaient pour proleslantiser
le reste de la Suisse. (Mallel, hist. des Suisses, lom. 111, p. 34(».
Hist. de la Suisse, p. loO. Daguet, I/ist. de la nation suisse. H'
part., p. 68.)
I.A L11.LK d'oK or LA LIGIK BOMROMÉE. Hï.i
KIU' lut conclue l<; 1" octobre 1586, à Lucernc , entre les
cuntons suivants : Luccrne, Uri, Scliwii/, Lnterwald, Zug, Fri-
hourg et Soleure. Ces sept Klals s'engagèrent , par l'organe de
leurs députés, à rester inviolahlenient attachés à la religion ca-
tholique, cl à se secourir mutuellement contre les attaques des
hérétiques. On l'appela Ligue d'Or, probablement à cause des
heureux fruits qu'on en attendait pour le triomphe de la vraie
foi, et Lùjuc li or r ornée, sans doute en Tlionneui' du grand et
saint cardinal de ce nom, (pii avait été le plus zélé défenseur de
la cause caiholi(pie en Suisse. (Daguet, p. 68, IP part.)
Cette alliance, que I\I. Daguet nous représente '\V part. p. 68]
comme violant le principe de la souveraineté cantonale en ma-
tière religieuse, sapant la Confédération par la base, déchirant
l'alliance éternelle de 1291^ <?/ brisant le corps helvétique en deux,
était-elle juste? Etait-elle fondée sur des motifs légitimes? Voici
ma réponse : Tout homme qui lira riiisloire de la Suisse, de-
puis l'établissement du protestantisme, et qui ne sera pas aveu-
glé par l'esprit de parti, sera forcé de convenir que les catho-
liques, en concluant cette alliance, opposèrent la force à la force,
et usèrent du droit de légitime défense. Quelques traits histori-
ques , dont plusieurs seront tirés, de préférence, de l'ouvrage
de M. Daguet, adopté dans les écoles de notre canton, prouve-
ront ma thèse d'une manière incontestable.
« Les progrès de la réformation remplissaient le cœur de
» Zvvingli de joie et d'espérance. Le désir de consolider ces
» progrès et de les étendre à toute la Suisse, lui suggéra le pro-
» jet d'une alliance offensive et défensive des villes protestantes.
» Siir de Zurich , où son influence dans les affaires d'Etat crois-
» sait tous les jours, il s'adressait au gouvernement de Berne, et
«secondé par Roust , il parvint à gagner les magistrats de ce
» canton... Bàle , où dominait OEcolampade, Mulhouse, Schaff-
» house et Bienne, ne furent pas difliciles à persuader. C( s
» cinq Etats réunis formèrent, avec la ville autrichienne de Con-
» stance, une alliance séparée, sous le nom de Combourgeoisie
n chrétienne (Christliche Biirgerrecht). Un conseil secret fut
» établi à Zurich , sous la présidence de Zwingli , pour diriger
» les affaires de l'alliance séparée qui venait d'être conclue. Ce
IGV I.A LKit K d'oH <»l I.A l.ll.l K BOKHOM^JÏ.
» SondcrbunU |)ioi«'sl;iiu iriiia les adversaires, qui y 0|)posèrrnt
• nussilùt un .So/i(/er/>u/ir/ (:;ulioli(|U(! formé par les Eials d'Uri,
• Scinvitz, Underwald, Lucerne , Zug , Fribourg, auxquels se
. rallia l'Etal du Valais » (avril 1529). îDa-îiiel, II' part. p. 22. )
Voilà donc les ranlons protesianis <|(ii sont les premi<'rs à s'al-
lier avec des étrangers, ei dans l'intenlion avouée de décaiho-
liscr la Suisse entière. « La ligue protestante avait pris l'inilia-
» live d'une alliante avec un Etal étranger, avec Constance, dont
» il s'agissait de protéger la foi el la liberté contre l'AnlriclH-.
» Les cinq cantons s'étayèrenl de cel exemple pour s'unir à la
• maison d'Autriclu; elle-même. A Zurich, l'exercice <lu cnlie
» catholique était sévèrement interdit, même hors du canton, de
» sorte <|iif les Zuricois restés fidèles au catholicisme ne pou-
» vaienl pas même aller dans les cantons limitrophes pdur assis-
» 1er au service divin. (Daguct, ibid. p. 7.) A Berne, de grosses
«amendes el l'exclusion des charges publiques étaient la puni-
» lion des catholiques qui refusaient d'apostasier (Daguct, p. IG).
» A Bâie, un édil qui accordait la liberté de conscience mécon-
» tenta les réfoiinés. Au nombre de 2000, ils prirent les armes
» contre leurs adversaires qui n'étaienl que 600 (8 février 1529).
» Les actes de vandalisme qui avaient manpié la victoire des
» réformés à Zurich el à Berne se re|)r(»duisircnt à Bàle ; le bour-
» reau en léte , ils dévastèrent ta cathédrale el firent don/e feux
» de joie sur la place publique, des objets d'art qu'ils avaient
» trouvés dans cette église et dans les autres tenqdcs de la ville.
» (Daguet, p. 19.) Partout les hérelicpies pénétraient en aimes
» dans les églises, aballaienl les autels, brûlaient les images, de-
» truisaieni les plus magniliques monuments de l'art, pillaient les
» vases sacres ainsi ([ue d'autres objets précieux, «-t faisaient ven-
» dre à renchère les vêlements sacerdotaux ; car c'est par ce
» vandalismeci ces sacrilèges que se signala la révolution religieuse
» du seizième siècle. (De Haller, p. 63.) Les protestants s'élaienl
•> alliés avec le landgrave d(; Hesse pour le ujaintien de ce qu'ils
» appelaient leur réforme. (De Hidler, p. 66.) Les Zuricois el leS
• B(!rnois lenlèri-ni d'introduire de vive force leur réforme dans
» les bailliages communs ou ils n'etaienl pas les seuls maîtres ,
» et même dans les cantons catholiques où ils n'avaient rien \
i.A liglkd'oh ol la liglk HoKuo.^iiit:. 165
» iliie. De llallcr, p. 66). Zwingli vouluil la guerre qu'il envi-
« siigeail (•(•niinc un moyen d'écraser ses adversaires et de faire
j> IrioMiplu'i- la réforme dans loute la Suisse. » (Daguel. |). 24.)
«Le 3 juin 1529, les Zuricois déclarèrent ouvertement la
» guerre aux cinq cantons; mais ils pâlirent et reculèrent en
» voyant que les catholiques s'étaient aussitôt réunis en masse et
» se trouvaient prêts à se d(''fcndr(;. » (De Haller, p. 68.) Les
cantons neutres, presque tous protestants, et des députés de
|)lusieurs villes d'Allemagne, se portèrent pour médiateurs pour
empêcher que la (pierelle ne fût vidc'e par les ai-mes. Et effecti-
vement ils firent accepter une paix (le 16 juin) qui ne fut que si-
mulée et qui ne contenta aucun des deux partis. « Toujours do-
» miné par le dessein d'anéantir le catholicisme ei de faire
» triompher la réforme dans toute la Suisse, Zwingli ne se las-
» sait pas de prêcher la croisade protestante contre les catholi-
» ques des cinq cantons. Transformant la chaire en une tribune
» politique, il répétait sans cesse à ses concitoyens : Il n'y a pas
» de salut possible pour la patrie^ que lorsque la réforme aura
y> fait le tour de la Suisse. » (Daguet, p. 28.)
Poursuivant sans relâche ses tentatives de propagande protes-
tante , il eutrepiit de faire réviser le pacte fédéral , afin de dé-
truire le principe d'égalité entre les cantons, d'anéantir les can-
tons primitifs et de doimer la suprématie à Zurich et à Berne.
Si les petits cantons ne veulent pas consentir à cette révision du
pacte dans le sens que je l'entends, disait-il, il faut tirer Vépée et
les y contraindre par la force. Un mémoire dans ce sens fut pré-
senté au gouvernement de Berne. (Daguet, p. 30.)
Dans ce fameux mémoire , il menace les cantons protestants
de la colère divine , s'ils refusent d'exterminer les catholiques
qu'il désigne sous le nom de Philistins. « Après s'être débarrassé
» du parti des nobles qui pouvait entraver son plan de décatho-
» lisation , Zwingli commença à l'exécuter dans le Rheinihal et
» laThurgovie, où les prêtres furent chassés; à Saint-Gall, où Zu-
» rich travailla à établir la domination exclusive de son canton ,
» au détriment de celle du prince-abbé et des cantons catholi-
» ques de Schwilz et de Lucerne, co-protecteurs de l'Abbaye. »
Les députés de ces cantons réclamèrent dans plusieurs diètes
)()6 I.A I.IGIK uViR 01' LA LIGl'E BdRROMKK.
contre la violation «lu trait«'' conclu à Cappcl 16 ou 16 juin
1529 , «jui gaïamissail la liluTl»' de conscience dans les l»ailli;i-
gcs communs; mais les partisans de Zwingli ne tinrent aucun
compte de leuis justes represeniaiions (p, 3'2).
« Dans les seijjneuiics communes, les cantons protestants, ei
> Zurich surtout, violèrent ouvcTtemeni le traité de paix de 1529.
» Partout ils soutenaient la minorité rebelle, et prétendaient (aire
» embrasser et faiic prévaloir leur nouvelle réforme. S:ms aucun
» nouveau motif, ils interdirent à leurs voisins, les cin(| cantons
» catlioliques, le commerce du blé et du sel, afin de les affamer-
» et de les soumettre ensuite pour les punir de leur fidélité' à
» l'ancienne religion. » (De Haller, p. 7i.^
Zwingli prononça, le 21 septembre lo31, un discours pour
exciter les Zuricois à la guerre; il s'exprimait en ces termes :
« Levez-vous, attaquez; les cinq cantons sont en votre pouvoii-.
» Je maicherai à la t«'lc de vos rangs et le premier à rennemi.
» Là, vous sentirez la force de Dieu, car lorsque je les barangue-
» lai avec la vérité de la parole de Dieu et leur dirai : qui cber-
» cliez-vous, inq)ies.* alors, saisis de terreur et de crainte, ils ne
> pourront répondre, mais ils tomberont en arrière, et prendront
» la fuite comme les juifs, à la montagne des Oliviers , devant la
> parole du Christ. \ ous verrez (pie Paitillerie qu'ils auront bra-
» quée contre vous se tournera contre eux et les foudroyera eux-
n niémes. Leurs pi(|ues, leurs hallebardes et autres armes ne
«vous blesseront point, mais les blesseront eux-mêmes. «> (De
Haller, p. 78.)
Les cantons catholiques , irrites au plus liant <legré en voyant
la manière indigne dont les Zuricois et en général t(Uis les parti-
sans de Zwingli violaient le Irait»* de Cappel , toutes les séduc-
tions, tous les moyens inicpics auxquels ils avaient recours pour
répandre leurs erreurs dans toute la Suisse , menacèrent de re-
courir aux armes pour obtenir justice ; Zurich et Berne rr-
pondirent aux menaces pai- des préparatifs de guerre. Hisl. dr
la Suisse, |). 144.
\lors les <-in(| cantons eaiholitpies . Lucerne , Uri , Scinvitz . j
llndenvald e! Zug adressèrent aux Ktals de Zurich et «le Berne i
le manifeste suivant : /'ous propaycz chaque jour votre noureau j
LA LIGUE d'or OU LA LIGUK BORItOMÉi:. 167
culte par la ruse et par la violence : devons-nous souffrir que la
sainte foi de 7ios pères disparaisse entièrement du sol qu'ils nous
ont transmis en héritage? fous aliénez nos sujets, vous encoura-
gez les rebelles, vous avez souffert que les révoltés du Rheinthal
outrageassent le bailli d'f nderwald, vous avez dépouillé Vabbé de
Saint-Gall de ses droits et de ses biens. Nous avons invoqué le
droit fédéral, et vous avez été sourds à nos réclamations. Que
Vépée décide entre vous et nous, puisque vous l'avez voulu. Dieu
sera notre arbitre, (flist. de la Suisse, p. 144, 145.)
Celte déclaraiion fut bientôt suivie des lioslililés. Le 11 octo-
bre les Zuricois et les catholiques se livrèrent bataille à Cappel,
dans le canton de Zurich, sur le revers occidental du mont Al-
bis. Les Zuricois furent entièrement défaits et prirent la fuite
dans le plus grand désordre. Us perdirent, dans cette journée
si funeste pour le parti hérétique, dix-neuf canons, quatre dra-
peaux , toutes leurs munitions , et au moins quinze cents hom-
mes, parmi lesquels on comptait vingt-sept magistrats et quinze
prédicants. Zvvingli lui-même fut trouvé parmi les morts, cou-
vert de blessures , mais respirant encore. Un officier catholique
d'Underwald lui demanda s'il voulait se convertir et se confesser,
et comme il répondait par un signe négatif, ce môme officier lui
porta un coup mortel en lui disant : Meurs, hérétique endurci, et
reçois le commencement du châtiment que tu mérites pour avoir
abandonné ta religion et armé tes frères les uns contre les autres.
(Hist. de la Suisse, p. 145, de Haller, p. 79.)
« Le corps de Zvvingli , écarlelé d'abord par le bourreau de
» Lucerne , fut livré aux flammes et ses cendres mêlées à celles
» d'un animal immonde qu'on immola sur le champ de bataille. »
(Daguel, p. 34.)
Le 24 octobre 1531, les Zuricois , revenus de leur première
frayeur et renforcés par leurs alliés de Saint-Gall , du Toggen-
bourg, de la Thurgovie, des Grisons, de Berne, de Bàle, de So-
leure et de Neuchâtel , cherchèrent de nouveau les catholiques
pour leur livrer bataille. Lausanne leur avait envoyé 80 hommes
et Genève 200. L'armée des partisans de Z>vingli se trouva ainsi
portée à près de vingt mille hommes , forces bien supérieures à
celles des cantons orthodoxes. Elle marcha sur le canton de Zug,
I(i8 I V I li.l I l> Dit Ol I.A MOI K lIllHRltMKK.
Il, chemin faisant, les Bernois pillera tu le nionnstëre de Mûri ;
ils n'auraii'iit pas su passer devant une église ou dc>ani un rou-
venl, sans les dévasier. Les liirétiques /uingliens s'avancèrcni
jusqu'au pied du Zug^'erljerj^ . ou nionl de Zug; c'i-iail sur celle
hauteur que les ailendait l'armée catholique peu nombreuse,
mais pleine de coiiraf^'e et conduite par des cficfs Iiahiles dans
lescpiois elle avait la plus ^^laiide conliance (halaille du Goiihel).
Jean Hug, de Lucerne, à la t^^te de six ou sepl cents hommes
d't'-lite , lomha à rimprovisie , à tleiix heuies {\n malin , au clair
de la lune, sur un corps de cinq mille hommes, ipii s'éiaienl le
plus avancés, el les défii entièrement. Deux mille hommes lom-
hèrenl sur le champ de bataille ou dans des précipitées. Les Zu-
ricois perdirent , dans cette déroule, un f^rand nombre de leurs
bourgeois, et onze canons. iJoianus , ministre biilois el disciple
d'OEcolampade, fut du nombre des lues. Celle nouvelle victoire
fut un nouveau sujet de trioni|»lie pour les r atlioliqiics ; mais elle
ne les etiorgueillii point; ils commencèrent à rendre grùces à
Dieu, selon la pieuse coutume de leurs ancêtres; ils témoignè-
rent aussi leur reconnaissance à la Sainte Vierge , qui , disaient-
ils, connaissant le dessein des ennemis de piller Kinsiedicn , les
avait frappésd'aveuglement. Ils élevèrent sur le champ de bataille
une cha|>elle en l'honneur de saint Séverin, dont ce jour portait
le nom , el ils ordonnèrent (ju'il y d'il, dès lors, à perpétuité,
un service annuel pour les âmes des leurs morts en combattant
pour la liberté el la foi , el que l'on fit aussi, chaque année, une
procession pour rendre grâce à Dieu de la victoire remportée sur
les heréiiiiucs. I/ist. delà Suisse, p. HG, Mallei. t. ML p. KJÎ),
Daguet, p. 34, de Haller, p. 81.)
Les Zuricois qui avaient refusé, à plusieurs reprises, de sous-
crire à des conditions de paix pleines de douceur et d'i'-quité,
lurent oblig»'- de baisser leurs bannières devant les vain(]ueurs
de rappel el du Goubel. Ils signèrent la paix telle qu'il plut à la
générosité v.l à la modération des cantons cailioli»pies de la leur
donner. Voici les principales dispositions de ce traite de paix ,
signé' à Dennikon, près de Baar, dans le canton de Zug, le 6 no-
vembre l/>31 .
Il porl;til en siibsl:m( »• <. i|ii<- les Ziiiiciiis devaient el voiilaielil
I.A LK.l K l)'nu Ul LA I.Kil 1. ItURROMKK. 1()l>
«laisser les cinq canlons iivec leurs alliés et leurs adhérents,
» dès à présent et à l'avenir, dans leur ancienne, vraie et induhi-
» table fui chrétienne , sans les inquiéter ni imporlnnci- par des
» chicanes ou des disputes, renonçant à tout mauvais sul)it.'rfuge,
»à louic arrière-pensée, à louic ruse et fraude; (jue de leur
«> c(")lé , les cinq cantons Nonlaicnt aussi laisser les Zuricois et
» leurs adh('rents libres dans leur croyance ; «jue dans les sei-
» gneuries communes, dont les cinq canlons étaient co-souverains,
» les paroisses qui avaient embrassé la nouvelle /oj' pourraient la
» conserver, si cela leur convenait, que celles qui n'avaient pas
» encore renié Vancienne foi seraient pareillement libres de la
» conserver, et qu'enlin celles qui voudraient reprendre la vérï-
» table et ancienne foi chrétienne^ auraient le droit de le faire...
» De plus les Zuricois s'engageaient à rétablir les ornements que
» leurs troupes avaient gâtés ou enlevés dans les églises, et à les
» réparer décemment. Les Bernois et leurs adbérenls étaient
» expressément exclus de ce traité, etc., etc.» (De Haller, le ba-
ron d'Alt, Hist. des Helvétiens.)
Toutes ces conditions étaient d'une grande modération, si l'on
considère les vexations et les perfidies dont les zwingliens de
Zurich et des autres cantons s'étaient rendus coupables à l'égard
de leurs confédérés catholiques. « Cependant, s'écrie le protes-
» tant Mallet, combien n'en dut-il pas coûter aux Zuricois de
» signer ainsi, en quelque sorte, leur condamnation? Après tout
» ce qu'ils avaient fait pour anéantir la religion catholique en
» Suisse, ils étaient forcés de la qualifier d'ancienne, vraie et in-
» dubitable foi chrétienne. La leur était nommée simplement la
» religion de Zurich. Ce fut ainsi que le parti protestant fut puni
» de son zèle outré et de son intolérance ! La leçon était sévère,
«mais à un certain point méritée et peut-être nécessaire. »
(Mallet, t. III, p. 174.)
Quelques jours après, les Bernois déconcertés se soumirent
aux mêmes conditions de paix que Zurich avaient acceptées et
dans les mêmes termes. « Ils reconnurent donc aussi , par im
» traité formel, que la religion catholique est l'ancienne, >raie et
» indubitable foi chrétienne , et que celle qu'ils venaient d'intro-
» duire était une religion toute nouvelle et par conséquent fausse.
170 I.V I.IOIK I»'<»R 01 I.A I.KjI K UOKRUMKK.
. De plus, il s'i'iigagèrenl à payer trois mille éous pour images
n bris«''es cl ornements diirnits (i;iiis Tabbayc de Mûri cl dans
» tl'Miitres ('glises, et deux mille six cents cens d'or ponr frais
» de la guerre, à libérer le canton d'L'nderwald des charges
» qu'on lui avait imposées, cl à laisser rentrer dans leur patrie
» les habitants du Grindeiwald, bannis pour avoir défendu leur
». ancienne religion. » De Haller, p. 77, 78. j
Après la paix de Denniknn , les cantons apostats ne montrè-
rent ni plus de lidelitc aux traités, ni une plus grande tolérance
tpraiiparavaiii. lue fois (pie fut évanouie la peur «pie les Bernois
et les /uiicdjs avaient éprouvée à la suile de la delailc de Caf)-
pel cl de celle du Goubel , ils recommencèrent, au mé>pris des
trailés, à travailler clic/ eux et dans les bailliages communs à
l'œuvre de la d«''fatholisaiion de la Suisse. Dès qu'ils avaient
proclamé qu'il <'(ail permis à chacun de prendre dans la Bible
ce ipii lui loinieni cl de rejeter ce qui ne lui convient pas, il
«'•tait toiil naUirel (pi'ils suivissent ce principe en pn|iii«pic et
qu'ils inieipréiasseni les traités d'une manière favorable à leurs
intérêts ei à leurs opinions religieuses. Le gouvernement de Zu-
rich prononça la peine du bannissement contre (juiconque com-
inunierail, nn-me hors du canton, selon le rite de l'Église catho-
lique. (Dag., p. 3X.) La justice bernoise avait ado|)lé le principe
siiivaiii : Si la majorité d'une paroisse se déclarait pour le pro-
che, la minorilé devait se soumettre , et la religion cath(dit/ue était
abolie; sij, au contraire , la majorité l'emportait pour la ntesse,
la minorité protestante demeurait libre de professer publiquement
ce qu'elle appelait la par<de de Dieu (de llallei). Les calholi(]iies
de robeiland n'obtinrent de rentrer dans leur patrie cpi'à la
condition expresse d'apostasier. (Daguet, p. 38.)
Les cantons restés fidèles à la vraie religion, témoins des ef-
forts continuels (]ue faisaient les cantons dt'voyés pour étendre
leurs erreurs sur tout le sol hehéiiqne, témoins de leurs inlide-
liies aux irailes ei de leurs supercheries , témoins des horreurs .
des actes (riiiipiete, des sacrilég(»s à peine cr(»yables commis
par les Bernois dans le canton de \ aud, dans le Chablais, à Ge-
nève et dans le pays de Gex , se crurent obligés de faire une
LA I.K.l i; non 01 I.V I.K.I K HOimOMKK. 171
alliance (la liguft d'Or) entre eux pour conserver leur foi el leur
lilierié.
Voici le Icxlc clo ce pacte qui honorera à jamais les sept can-
tons catli(>Ii(itu's qui \r. sij,'nèrcnl :
« Nous, th'légués des villes cl des campagnes des sept cantons
» catholiques de la ConftMh'iation suisse, «!t revrlus des pouvoirs
»> nécessaires , savoir : pour le canton de Lucerne, Louis IMifer,
» chevalier, porte-étendard et prùteur actuel , Henri Flekeins-
» tein , pr«Heur de l'année précédente , S<''baslien Feer, porte-
» étendard, Nicolas Kiis et Joseph Holderneger, tous deux séna-
» teurs ; pour le canton «l'Uri , Jean-Jacques Frogcr, chevalier,
» lieutenant actuel , et Melchior Spiz, S(''nateur; pour le canton
» lie Scinvitz, Christophe Sriiorno, chevalier et porte-étendard,
» et Gaspard Abyberg, l'un landammnnn de cette année, l'autre
» de l'année passée ; pour le canton d'Underwald inférieur, Jean
» Waser, chevalier, porte-étendard et landammann ; pour le
» canton d'Underwald supérieur, Jean Rosacher, landammann;
» pour le canton de Zug, au nom de la ville et de la campagne,
• Henri Ellener, sénateur; pour le canton de Fribourg, Bonne-
» grâce Wild , et Martin Goilrau , tous les deux trésoriers et sé-
» nateurs.
» Dans cette circonstance, nous, en vertu de l'autorisation du
» gouvernement de notre canton, réunis dans la ville de Lucerne
>poiir prendre les résolutions suivantes, faisons connaître à tous,
» par ces lettres , que les chefs et les magistrats suprêmes de
» nos cantons, comme nous-mêmes aussi, nous en sommes aujour-
» d'hui les témoins, ont été réduits à voir, depuis longtemps,
» avec une grande douleur et une profonde affliction , que plu-
» sieurs nations et peuples du monde chrétien, se rendaient cou-
» pables d'une trahison indigne à l'égard de la religion chré-
» tienne, véritable, ancienne, catholique, apostolique et romaine,
» hors de laquelle il n'y a point de salut : trahison, nous ne pou-
>■ vous le dire qu'avec horreur, qui a pénétré jusqu'à nos portes,
«et même jusqu'au seuil de nos maisons; car c'est à ce point
» qu'en s'éloignant de la voie et des traces de nos pieux ancêtres
» on est devenu étranger à la susdite vraie foi catholique.
«Une douce espérance nous animait, que le Dieu de bonté et
172 I.A I.llilF. D'uR or LA LIGie BORROMF.E.
B de miséricorde nurnii mis un terme à ces maux, e( qu'il aurait
•> Fait briller enfin le soleil de lu grAcc et la lumière de la vérité
» sur les transfuges de la foi. Mais la j^randeur de nos |M''clirs v
»a mis sans doute un ol>siacl«'; car, an lontrairc, i»n voit ces
» hommes devenir évidemment plus obstinés cl plus opiniâtres,
«comme il nous est bien permis île le conclure des actes, des
u alliances et des ligues, qui, de leur part, se succèdent sans
»> cesse, et comme nous le prouve suffisamment une expérience
') journalière. Il est donc clair que le prince des ténèbres est
» l'âme de ces alliances et de ces actes, parce que tous ces en-
" nemis de la foi, quoique loul-à-fail iropinions contraires, sur
«d'autres points, s'accordent sui un seul point, c'est-à-dire à
vouloir l'abolition de notre véritable religion catholi(jue , et
» réunissent tous leurs ellors pour la déraciner entièrement.
» Mais, comme le Tout-Puissant, par sa miséricorde, a daigné
» nous conserver dans la lumière de la véritable religion, d'une
«manière adniirabh' et pleine de bonté , afin (pie nous demeu-
» rassions lidèlos aux exemples de nos ancêli'es, rette considéra-
» tion nous porte à désirer que non-seulement nous-mêmes, mais
• avec nous nos contemporains, et encore nos arrière-neveux ,
» aient le cœur i)én(''tré de ce bienfait inellable de la IVovidence ;
D qu'avec nous ils en rendent à la divine Majesté de justes, de
» très-soumises et de très-humides actions de grAces, et qu'ils
» prient ardemment le Tout-Puissant, aiin qu'il veuille nous con-
• server toujours à l'avfnir dans celte saint»' religion , avec la
» même miséricorde. Kl puiscjuc, comme nous avons dit tout à
» l'heure , les écrits des novateurs s'aggravent et se mulliplienl
» (le jour en jour, nos magislials suprêmes, ayant considère sr-
» rieusement la chose comme il fallait, et eu égard à ces temps
o dangereux et extraordinaires, tout mûrement pesé, ont arrête,
» pour eux et leurs descendants, dans l'ordre et de la manière
» (|ui suit, et ont de plus d(Uiné mandat à nous, leurs délègues
•> et procureurs, d'exécuter la chose en leur nom, savoir :
» 1° Nous, les sept cantons eatlioiiques susdits, nous nous re-
» cevons et nous reconnaissons muiuellemenl pour de iideles.
» de chers et anciens alliés, sous la loi du |>a(ie juré, |H)ur des
» concitoyens et des couq)atriotes attaches à la confession de
I.A LIGLK DOU UL LA LIGLK UOHUOMKK. 173
» rancicnne roligion railiuliquo roiiininc, ol nous renonçons tout
» à liiil , Cl à jamais pour nctus cl pour nos descendanls, à loulc
» loiiression «m ronée cl suivie par les seclaires. Nous nous recon-
» naissons, cMi oulie, i'C(i[)iû([iienunl pour des fr«Mes sincères elvé-
» riiablc's, tels (pi'il faudra nous reconnaître, nommer et consi-
» déror ù l'avenir, non-seulement en paroles, mais en fait, dans
)' toutes les leltros et pièces, tant publiques que privées, abso-
» lumeiit comme si nous étiitns des frères naturels, de sorte que
» chacun d'entre nous se n'jouisse du bien qui arrivera à qui
«que ce soit de nous, comme si ce bien lui arrivait à lui-même,
«et que chacun de nous s'allligo de mal cpii arrivera à chacun
» de nous, comme si ce mal lui arrivait à lui-même.
» Quoique nous soyons parfaitement instruits de ce que nous
» devons faire dans les cas do m'-cessité et de danger, en vertu
» des alliances et des conventions précédentes, lesquelles con-
» ventions et alliances ne sont point abrogées par la présente ,
«mais restent dans toute leur vigueur ; néanmoins, pour une
» cause de la plus grande importance, nous avons cru qu'il con-
» venait d'ajouter ce nouveau pacte aux précédents , puisque
» notre pensée unanime et notre résolution arrêtées, d'un com-
» mun accord et pour toujours, sont de persévérer entièrement,
«constamment et fermement dans la religion chrétienne, an-
■ cienne, véritable, certaine, catholique, apostolique et romaine,
» et de vivre et mourir dans son sein, comme nous espérons que
» le Dieu tout-puissant nous en accordera la grâce.
«Ainsi donc, nous nous sommes promis mutuellement, et
» nous nous promettons, par la force et par la vigueur des pré-
» sentes, tant pour nous que pour nos descendants, à perpé-
» tuité (car nous voulons que ce pacte les lie constamment et
» inviolablement) , que nous, les sept cantons catholiques, nous
» nous défendrons et nous nous soutiendrons, et que nous nous
» regarderons comme étant obligés de nous défendre et de nous
» protéger principalement et avant tout, dans l'exercice de notre
» susdite religion chrétienne, catholique, apostolique et romaine.
» C'est pourquoi , si l'un ou plusieurs de ces sept cantons
» (veuille la bonté du Seigneur tout-puissant ne le permettre ja-
» mais), se montraient enclins à abandonner cette religion, les
17 V l-A LKil r. I) OH ul I.A LIOl i: IIDHRDMKK.
u ;iuirt's cantons seiai<'nl obligés d'employer la pei-suusiun <iu
» nH^uH' la force ponr retenir et faire persévérer «lans la susdit*'
» relijj'ion ce canton ou ces caillons |>réls à aposlasier. De plus,
. les cantons demeurés fidèles seraient ol>lig«s d'arrêter en quel-
» que lieu «pie ce soit les auteurs de cet attentat de schisme , el
» de les punir selon qu'ils le mériteraient.
u De la même nianicic , nous, les sept cantons cjtlioli(pies ,
«promettons, en nous obligeant volontairement les uns envers
■ les autres , de nous défendre et de nous soutenir réciproque-
» ment, dans l'exercice de la susdite véiitabU' religion, de tout
» noire pouvoir et de tous nos efforts, aux dépens même de nos
» biens et de nos vies, contie ions ceux, sans aucune exception,
» (pii nous menaceraient d'une invasion ; de telle sorte que ni un
» pacte plus ancien , ni un pacte plus ré( eut , «jue l'on pourrait
> faire à l'avenir, ne puisse empêclier d'aucune manière cette
» mutuelle défense, ni offrir une occasion d'excuse, commen-
» taire, tergiversation ou objection. Mais nous nous promettons
y> réciproquement, en termes clairs et pr«''cis, que si l'un ou plu-
» sieurs tles se|)l cantons étaient envahis d'une façon hostih* et
» à main armée, pour cause de religion, quoique sous un autre
» prétexte inventé, nous, les autres cantons, nous nous cinpres-
» serions de voler à leur secours, de tout notre pouNoir, par tous
» nos efforts et par tous nos moyens, et, comme nous avons dit,
I) soit qu'un seul , soit que plusieurs cantons fussent envahis, et
» de leur fournir des secours jusqu'à ce (pi'ils fussent entière-
» ment délivres de celte calamité. Et, comme on peut violer les
» droits, h'ser les intérêts, el ruiner les affaires des autres, non-
» seulement dans une guerre ouverte el parla voie des armes,
» mais aussi en recourant à |)lusieurs autres genres d'injustices
» et d'intrigues, en consécpience, nous déclarons hautement, par
«les présentes, que si l'un de nos cantons alliés éprouvait de
» ces agressions déguisées de la part de quel(]ue autre <pii ne s(.-
» rait pas de notre religion calholi(pie, et (|ue si l'un ou plusieurs
» de nos cantons alliés se voyaient forcés de recourir aux armes
I) pour se défend.ie contre la violence lyrannitpie el l'injustice de
n nos ennemis, nous, les autres cantons, sciions obligés et tenus
» par devoir, de prt-ter secours aux opprimés, de la manière ei
LA LIGl'E d'or ou LA LIGLE BORROMÉi:. 175
» (lîins l;i forme (juc nous avons exposée plus liaui, et comme s'ils
» avaient élé attaqués à main armée. Ce pacte chrétien , formé
» (Miiro nous, pourra cire publié de nouveau, et confirmé par un
«nouveau serm«,*nl , toutes les fois que le magistrat le jugera
«utile ou nécessaire, alin que noire postérité le connaisse
» comme nous, et que la mémoire ne s'en efface point, en obser-
» vant cependant cette condition expresse^ qu'il n'y soit rien ôté
» ou changé, et pourvu (ju'on n'en formule pas de nouveaux ac-
))tcs, mais que ces premiers-ci soient laissés avec toute leur
» vigueur.
» Enfin, voulant que tout ce qui est renfermé et écrit dans ces
» présentes , ait toute sa force de nos jours et à perpétuité , et
«ne subisse aucun changement, nous tous, délégués ci-dessus
» nommés, revélus par nos chefs et par nos magistrats suprêmes
»des pouvoirs convenables, après avoir examiné nos consciences
» et confessés nos péchés, avec une véritable douleur, nous avons
» reçu la sainte communion, pendant la célébration solennelle de
» la messe du Saint-Esprit, dans l'église paroissiale de Lucerne,
»<ivec les cérémonies et solennités chrétiennes récitées en pa-
» reille circonstance.
» Ensuite, le jour déjà mentionné dans ces présentes lettres ,
» au nom de la Très-Sainte Trinité, à sa gloire et à sa louange,
» ainsi qu'en l'honneur de Marie, reine du ciel , mère de Dieu,
» et de toute l'armée céleste; pour notre commune consolation
» et celle de notre patrie, pour la conservation, la propagation et
«l'accroissement de notre véritable religion catholique, nous
«avons prononcé un serment et un vœu solennels, en levant la
» main, et avec la teneur des paroles accoutumées, en la présence
» de Dieu et de tous les saints. Et de plus, voulant aussi, par la
«force des présentes, lier et obliger fermement et irrévocable-
« ment, pour l'avenir, nos seigneurs et magistrats avec tous les
« nôtres et leur postérité , en vertu du pouvoir et du mandat re-
» çus d'eux à cette fin, nous jurons et faisons vœu, en leur nom
«et place, et promettons nous-mêmes , conjointement avec eux ,
» d'observer avec une fidélité inviolable et à perpétuité , tout et
«chaque article de ce qui est contenu dans ces lettres, et de
«l'exécuter ponctuellement, sans aucun commentaire, aucune
176 l'A LKilK I)\>K Ut l.A LIGI i: IIUIIHOMÉE.
• fraude, aucune hésitation, selon toute la force et la valeur dos
• présentes , desquelles sept copies ont «';té laites mot à root, et
p munies du sceau propre et ordinaire de chacun des sept can-
» tons, et tous les sept cantons en ont reçu un exemplaire.
» Fait et exregislré le dimanche, après la féie de saint Fran-
■ çois d'Assise, confesseur, l'an 1586. Ainsi soil-il. »
Il serait dilTicilo de trouver dans I histoire des nations un plus
noble témoignage d'aiiaclicmeut à la loi, d'amour à la patrie, de
courage et de fermeté ])our la défense de l'une et de l'autre.
Aussi, par leur foi vive, par leur courage héroïque, les cantons
signataires de la Ligue d'Or triom[)hèreni-ils de tous les efforts
et de toutes les ruses de l'hérésie pour pénétrer vhci eux; el les
annales de la Suisse conservent le récit des faits d'armes si glo-
rieux par lesquels ils défendirent el leur indépendance el la re-
ligion qu'ils avaient reçue de leurs pieux ancêtres. Cappel, \\'i\-
mergen, Gugel, rediront à tous les âges ce que peuvent des
hommes de foi el de cœur, quelque petit que suit leur nombre.
Il est donc constaté par les faits historiques les plus multipliés et
les plus authentiques, que les Bernois el les Zuricois cherchaient
toutes les occasions el tous les moyens de répandre, soit ouverte-
ment , soit secrètement , leurs nouvelles erreurs au milieu des
cantons orthodoxes, de conspirer contre l'indépendance de ces
mêmes cantons, et de les vexer en toutes manières, pour les faire
aposlasier. Déloyautés, trahisons, infidélités :hix traités, ruses,
perfidies, violences, tout était mis en jeu avec une entente et une
pers<''vérance diaboliques pour réaliser le vœu de Zwingli : Il ny
a de salut possible pour la patrie que lorsque la réforme aura fait
le tour de la Suisse.
L'Église catholique avait béni les drapeaux des \aleureux en-
fants de l'Helvélie au jour des combats , el appelé sur leurs ar-
mes la protection du Dieu des aimées. L'Kglise, du Rhin an Lé-
man, avait couvert le sol helvétique de monuments religieux ,
d'institution de bienfaisance, témoignages de reconnaissance
pour des faveurs de tout genre obtenues d'en haut. C'est à l'É-
glise que les Suisses, comme les autres peuples chrétiens, de-
vaient leurs lois, leurs mours, leur éducation, leur civilisation ;
ei cependant l'Église n'avait pas d'ennemis plus archarnés que
LA IJGLK d'où 01 LIGUE BORROMÉK. 177
les liaMlanls des cantons devenus liércliques. L'unilé catholique
ne laisail de toute la la Confédération des descendants de Tell
«ju'une seule l'aniille lieurcuse , forte, puissante et (jui jouissait
de la plus grande estime chez les nations étrangères. Mais, lors-
que les cantons apostats curent rompu le lien de l'unité reli-
gieuse, on les vit tourner, avec une fureur incroyable, contre
leurs confédérés restés lidèles à l'ancienne et vraie religion, ces
mêmes armes <iui jusqu'alors n'avaient été rougies que du sang
des ennemis de la commune pairie. Peut-on lire sans frémir
d'horreur les moyens que prirent les Bernois pour anéantir la
vraie foi et implanter l'hérésie dans l'Oberland, à Château-
d'OEx, dans le canton de Vaud , à Genève , dans le pays de Gex
et le Chahiais! Que d'actes de froide impiété et de basse ven-
geance! Injustices criantes, cruautés étudiées, attentats aux
mœurs, incendies, meurtres, pillages, sacrilèges horribles ; voilà
les hauts faits par lesquels les novateurs se signalèrent dans les
malheureuses contrées qu'ils envahirent. Que de pertes irrépa-
rables pour les arts et pour les sciences , dans cette guerre sau-
vage faite au sein de notre infortunée patrie, aux châteaux , aux
couvents, aux bibliothèques, aux chartes des seigneuries , aux
églises, aux croix, aux vases sacrés, aux tableaux religieux, aux
ornements d'autels, à tous les objets destinés à servir au culte
divin ! Notre pays, après l'occupation bernoise, ressemblait à ces
contrées ravagées jadis par les vautours du Nord ; il n'aurait pas
présenté un plus triste aspect quand il aurait été envahi par une
bande de Vandales. Les cantons restés fidèles à l'antique et vraie
religion, comme ils rappelaient, témoins des crimes et des per-
fidies des hérétiques, témoins des tentatives qu'ils faisaient con-
tinuellement pour établir les nouvelles erreurs sur la ruine de la
vraie foi et pour dicter la loi on Suisse , ne devaient-ils pas
craindre non-seulement pour leur religion , mais encore pour
leur indépendance? En ces circonstances si graves et si péril-
leuses , c'était pour eux un droit sacré et un devoir impérieux
de réunir leurs efforts pour conserver leur liberté politique et
pour empêcher l'hérésie de planter au milieu d'eux son drapeau
sur lequel on lisait déjà : troubles, divisions, guerre civile, ré-
volte, incrédulité, arianisme, socialisme, communisme. Les can-
12
178 I. \ i.iiii F. i> oB or i.i<;i r. iioRROMKK.
tons qui :ivaiciil npostnsiés épuisaiont tous les moyens qiio Irui'
donnaicnl la supériorité iU\ noml»n', rinllucnce des richesses n
les st'diictions des piédicanis novalcurs, poui* étondro leur domi-
nation et leurs laussos doctrines sur touie la Suisse. Qui oserait
dire <pie les Etats restés cailioliques n'avaient pas le droit de faire
une alliance pour sauvegarder leur nationalité et leurs croyances
relij,'ieuses? Si quel(|u'un avait voulu ravir aux cantons lldèles
leurs montagnes, leurs chalets, leurs troupeaux, est-ce qu'on
les blâmerait d'avoir pris le moyen de défendre leurs pro-
priétés, rh(''ritagc de leurs pères? Eh l)ien ! les zuingliens vou-
laient ravir aux fondateurs et aux plus intrépides défenseurs de
la Confédération helvétique la vraie foi , la foi qui nous éclaire
sur nos destinées éternelles, (|ui est une source ahondante de
consolations inelîahles pour nous dans ce monde, qui nous mon-
tre le chemin d'une meilleure patrie et qui nous aide à y mar-
cher; c'est un bien plus précieux que les richesses, que la li-
berté ; les catholi(]Ucs avaient «loue le droit de se li},'uer pour
défendre ce bien. En cela, ils ne faisaient rien de contraire aux
intérêts de la commune patrie, ils travaillaient à sa conservation.
Sans les cantons j>rimihfs, il y a longtemps peut-être que la
Suisse aurait eu le sort de tant d'autres républi<jues. Il y a long-
temps que ces doctrines anti-sociales (pii ont fait de quelques-
uns des petits Etats de notre patrie le refuge de tous les apostats,
de tous les brouillons, de tous les ennemis de l'ordre et la terre
classicpie des révolution, aurait attiré sur elle la vengeance des
puissances voisines.... Quod Deus avertatl
MÉLANCES ET NOUVELLES.
GEilÈVE. — Voici trois mois que siège le Grand Conseil issu
des dernières élections du mois de novembre. On sait de quels élé-
ments hétérogènes il se compose. D'une part une majorité bigarée
formée des membres les plus ardents de VL'nion protestante coalisés
avec un groupe socialiste. De l'autre, la minorité renfermant les
débris du parti Fazy. Cette législature promet d'être fertile en in-
cidents singuliers. Tous ne pourront être consignés dans ce recueil ;
mais nous aurons garde de négliger ceux qui intéressent la reli-
gion. Genève, ce coin de terre, est destiné, dans les vues de I? Pro-
vidence, à présenter en raccourci les phases successives que le dé-
veloppement nécessaire du principe protestant impose aux pays
qui l'ont adopté de gré ou de force. Cette série d'expériences que
doivent subir les consciences, ces modifications imposées périodi-
quement non-seulement aux formulaires des églises, mais encore
aux dogmes les plus importants, toutes ces variations sont d'un
haut intérêt.
Deux questions de cette nature sollicitent aujourd'hui notre at-
tention. Elles viennent d'être l'objet de graves délibérations ausein
du Grand Conseil. L'une est la suppression du serment imposé aux
députés; l'autre, une proposition ayant pour but la séparation de
l'Église et de l'État.
La question du serment est la même que celle qui se présente en
Angleterre depuis que les électeurs de la Cité s'obstinent à envoyer
chaque année au Parlement un juif, le baron Lionel de Rotschild.
A Londres, croyons-nous, la formule sacramentelle n'a pas été abo-
lie. Un sentiment chrétien que nous respectons fort a empêché la
suppression d'une coutume qui avait déjà eu si grande peine à s'é-
180 MKI.ANGKS KT .NOlVKI.LtlS.
largir pour facililcr Taccùs dus députùs calholiqucs. CeUc tcnacilu
dan» It; respccl rsl , en tlrlinilivc* , un liummagc rendu au principe
rlirolien.
A (Icnèvc, à la première sommation, le corps législalif a suppri-
mé le permcnl. C'est là un signe de décadence morale et un ténioi-
gnagne d'abaissement du vc-rilalde esprit clirélien, (jue cet empres-
sement do tout un corps à abandonner un usage séculaire. La dis-
cussion avait été bien plus longue alors qu'il s'était agi de modifier
la prière <jui ouvre les séances. Kt pourquoi celte suppression? est-ce
pour admettre unjuil"? pas le moins du monde; mais uniquement pour
consentir à l'opinion singulière d'un citoven qui s'est mis entête de-
puis quelques années de ne plus prêter de serment. On dit, par contre,
qu'il a |)romis à Dieu de ne plus ùler son chapeau devant |)ersonne,
ce qui le fait ranger au nombre des quakers. Si encore te citoyen
avait rendu au pays qtielque service important, s'il s'était signalé
par quelque découverte ou quelque action d'éclat ; mais il n'en est
rien. Il s'agit d'un liommc honorable, sans doute, mais qui ne dif-
fère en rien de tout le monde. En d'autre temps, ce scrupule eût
été fort blAmé et le Conseil ei"4t, sans délibérer, passé à l'ordre du
jour sur la requête. Aujourd'hui, tellement les consciences se sont
énervées et les convictions amollies aux dépens d'une sorte de sen-
sibilité bannale, on a couiru au devant de ce <jue le plus grand
nombre appelle un trait d'originalité. Il est évident que les motils
(]ui ont porté M'" à solliciter la suppression ne sont pas les mêmes
(jui uni décidé le (^on>eil à la voter.
.Mais, dira-t-ou, la fonuiile du serment, encore qu'elle ail élé
inudifiée pour faciliter l'accès des catholiques, émanait de l'église
nationale pro'cslanle. Ce sont les sentiments de celte église qu'elle
entendait bien représenter. Le citoyen en (jueslion doit donc être un
opposant de ^églis(^ nationale. C'est là ce qui vous trompe, M *** se
fait affranchir du serment pour satisfaire une conviction domcsti-
(lue. Il est [)arlisan de la liberté religieuse absolue quant à l'indi-
vidu et (inaiit à la famille, lùoule/.-le un instant, vous serez con-
fondu de ses respects pour ce (|u'il appelle les dilTérentes croyances.
H va donc se renfermer dans l'individualisme ou tendre, par son
action, à propager les convictions de la secte particulière |>our la
gloire de laquelle il fait si grand étalage de sentiment. Eh bien,
non ; il n'eu sera pas ainsi. M*** sera peul-êlro individualiste ou
d'une petite religion privée dans son cabinet ou entre les rideaux
de son lit ; peut-être n'assistera-l-il jamais au prêche ; mais en pu-
MÉLANGKS KT NOrVKLLKS. 181
blic il soiidont rtW'liso n;itionalo ; il participe A ses œuvres extérieu-
res ; il sera môme un de ses diacres et l'un des membres les plus
ardents de la société des Intêrêls protestants; il fera des œuvres de
prosélytisme ; il favorisera de tous ses efforts les agences organisées
pour grossir le troupeau réformé.
Pourquoi cette inconséquence? Ici nous touchons à un Irait
de mœurs protestantes Ires-frappant à Genève : Le citoyen en
question, et avec lui beaucoup d'autres, prétendent bien con-
server leur émancipation complète dans le for intérieur de la con-
science. Ils auront le droit de croire ceci ou cela, et avant tout celui
de ne croire à rien ; mais il faut conserver et entourer de protection
l'église nationale comme force matérielle contre le catholicisme ,
comme une sorte d'abri bannaloù s'installeront de temps en temps,
pour la forme du moins, nombre de consciences indifférentes ou
dévoyées , pas assez soucieuses de religion pour courir sus aux
aventures de l'individualisme, bonnes pourtant pour faire nombre
dans le troupeau protestant ; admirables surtout pour faire la guerre
aux catholiques, pour hurler contre les jésuites et les ullramon-
tams; utiles toujours, quand ce ne serait que par l'argent qu'elles
se laissent prendre pour les caisses des diaconies et les sociétés d'é-
vangélisation. L'église nationale n'est donc plus qu'une force ma-
térielle, qu'une machine de guerre. Elle serait bien vite abandon-
née, si le catholicisme n'était pas là pour stimuler les zèles et réchauf-
fcrla vieille inimiti(>. II ne faut pas chercher d'autre cause à cette sorte
de fusion apparente qui s'opère aujourd'hui entre les méthodistes
et les demeurants de l'église de l'Etat. Quel fait instructif! A-t-on
jamais vu des incrédules se faire catholiques, même pour la forme,
dans le but de faire la guerre à la réforme? Dans le protestantisme
genevois, cette monstrueuse promiscuité est visible. Quelle preuve
plus manifeste de la décadence intime de l'église nationale !
Cette question du serment nous a conduit un peu loin. Mais il
fallait bien apprécier la notoriété du citoyen qui a mérité d'obtenir
qu'une pareille concession fût octroyée aux scrupules de sa con-
science. Il fallait constater les motifs de l'indifférence du Grand
Consed. Il fallait enfin constater rélal intérieur de cette église qui
accepte les services d'un homme qui refuse son serment et qui en
désavoue les dogmes ; du moins ses actions , pesées au poids de la
logique, autorisent à tirer cette conclusion.
Oii^ciissiou Hnv la séparnlioiB de l'E^li»c et de B'E-
iat. — Cette proposition a été introduite par M. Duchosal , un
182 MKLANGFlS ET :<t(>tVKLLES.
des membres tlii |)arli radical. Quel a été son but? Nous no sa-
vons y voir que. l'indice d'un senlimeol d'indifférence, ou plu-
tôt d'hostilité formelle ù l'endroit de toute religion. Toute sa vie,
te tribun de la démocratie j^onevoise a afliclié l'irréligion la plus
fornu'lle. Il n'a laissé échapper aucune oi'casion [>ubli(|ueou parti-
culière de témoigner de son sentiment. La protestation de respect
(|\ie, dans l'occasion présente, il a cru devoir faire en faveur des
convictions d'autrui, est pure plaisanterie de sa part.
Le but principal de la proposition de M. Duchosal est un acte
d'opposition dirigé contre l'aristocratie et le parti conservateur pro-
testant. V.n dépit de deux révolutions successives ; en dépit des en-
traves imposées à l'église nationale par la constitution de ISI$1, il
voit celte église d'Etat , cet instrument de domination aristocrati-
que relever la tête ; il voit le parti radical succontbant sous l'atta-
que des conservalcurs qui ont repris leur drapeau en criant sur
tous les tons que M. Fazy sacrifie le protcstantisn)C aux jésuites.
Il voit tout cela, et il n'imagine pas de meilleure vengeance qtie de
mettre la main sur les biens de l'église nationale, estimant que c'est
lui enlever son dernier élément de cohésion et son suprême moyen
de puissance.
\ l'endroit des catholiques, les intentions de >L Duchosal ne sont
pas meilleures. Héat révolutionnaire , il en est encore à croire que
l'Église callioli(jue doit s'écrouler, dès que ses prêtres n'émarge-
ront plus au budget ofliciel ; mais , pour le qi*;«rt d'heure , les ca-
tholiques du canton de (îenéve ne lui causent pas grand souci ;
c'est avant tout aux conservateurs protestants qu'il en veut.
Nous ne dissimulerons pas notre opinion. S'approprier de cette
manière les biens de l'égliso genevoise, c'est commettre un acte vé-
ritable de spoliation. Nous n'avons pas deux poids et deux mesu-
res, comme les conservateurs protestants, qui n'ont [)as assez de
cris pour réprouver à Cicnéve ce qui les enchante à Turin et A l'ri-
bourg. >L Duchosal, un enfant dé (îenëve, un des produits directs
de l'école protestante, est la verge révolutionnaire destinée i\ les
cluUier de leur continuel mépris des principes, de leurs applaudis-
sements à toutes les entreprises spoliatrices dont les catholiques ont
été les victimes. Qui a produit des convictions analogues i* celles
de i>L Duchosal , si nombreuses à (ienéve , si ce n'es! cette classe
d'hommes d'Etat dont le parti conservateur a fourni les plus célè-
bres e( (|iil ont été les promoteurs de toutes les mesures socialistes
MKLANUES ET NOUVELLES. 183
dôcrélccs contre les catholiques, cette cause de tous les ferincntsde
discordes civiles qui troublent la Suisse?
Quant i\ nous, catholiques, si la séparation s'accomjjlissait, nous
serions les victimes d'un vol véritable , car le traitement de notre
clerj^é , jfaranti par les traités de Vienne et de Turin , n'est qu'une
indenmilé représentant les biens ecclésiastiques enlevés à nos com-
munes j)ar la première révolution française. Uu des membres du
(irand Conseil, M. (ialilTe , n'a pas craint de dire que quelques
membres exclusifs de PÈglise romaine applaudiraient à la procla-
mation du principe de la séparation, parce qu'ils y verraient le coup
de grdce donné au culte protestant. Cette assertion est formelle-
ment calomnieuse; c'est là une induclion gratuite lancée pour pro-
duire de TelTet dans la discussion. Ces exclusifs dont parle M. Ga-
lifTe sont apparemment le clergé et les catholiques soucieux des
intérêts de leur religion. Eh bien , ceux-là ont toujours protesté
contre toute idée de séparation, la considérant comme devant
déterminer une spoliation des biens du clergé, perturbatrice
des droits des populations catholiques et les mettant immédiate-
ment dans un étal d'infériorité précaire et dangereux vis-à-vis du
protestantisme oppresseur. Ces opinions ont été soutenues maintes
fois dans des brochures et des écrits périodiques. Nous mettons
M. Galiffe au déli de prouver son allégation. Si quelques rares in-
dividus nés catholiques favorisent la cause de la séparation, c'est
qu'ils affectent à l'endroit de l'Église les mêmes sentiments d'hosti-
lité que M. Duchosal professe à l'égard de toute religion.
Les partisse sont dessinés dès le début de la discussion. Les par-
tisans de la séparation sont les radicaux et les membres des sectes
dissidentes de l'église nationale. Les radicaux, sauf des nuances de
peu de valeur, sont entrés dans le sentiment de M. Duchosal. Ils
veulent la séparation, parce que les ministres de l'Église nationale
font trop de politique; parce que sous Je prétexte de religion , ils
ont enlacé le pays dons les trames d'une institution inconstitution-
nelle qu'on a nommé les diaconies; institution qui fait beaucoup
plus de politique que d'œuvres charitables. Celle opinion a été sou-
tenue par MM. Fazy et Carteret. Us ont ajouté que la séparation
serait une conquête libérale et qu'il était digne de Genève de don-
ner un aussi beau complément aux conquêtes du seizième siècle.
Le tout mêlé d'insinuations touchant les conservateurs qui veulent
faire de l'église un instrument de règne et de pouvoir.
18i MKI.AXil.S r.T NOIVKI.LKS.
Los dissidents onl élu plus timides, moins francs et plus parta-
gés dans l'expression de leurs désirs.
Les uns se sont lancés dans les utopies du système \inet qui
nie à TLtat la puissance d'être chrétien ; les autres onl vanté le dé-
veloppement intrinsèque que prendrait l'esprit religieux dans l'hy-
(lothése de la séparation ; ceux-ci onl fait Téloge de l'Amérique en
déltilant les hannalilés que l'on sait sur ce point ; ceux-là révélé de
curieux détails sur la situation intime du protestantisme à Genève.
Le principe de l'union de l'église et de l'Klat n'est |)lus vrai, a dit
M. llogel. (( Il n'est plus dans la réalité des faits. Ce système ne
» peut se soutenir que s'il y a réellement une union religieuse en-
» tre tous les membres du troupeau ; mais ce n'est pas l'état actuel ;
« il n'y a (|u'ii ouvrir les yeux |)our le voir et pour reconnaître qu'il
» y a des églises diirérentes, cl que cette église nationale, qui est
» censée compacte , est remplie d'opinions contraires. Il n'y a au-
» cune convenance di niaiiilenir une position qui n'existe (|ue dans
>. les mots et que les (ails démentent quotidiennement. >•
Ces dissidents yeulenl bien élever à leurs consciences des sanc-
tuaires particuliers. Ils onl bien l'opinion de la supériorité de leurs
doctrines propres, ils se regardent comme inliniment plus pieux
que les nationaux ; cependant un grand nombre parmi eux veu-
lent conserver l'église de l'Jitat. Ils la tiennent pour une /^flr;a<7uc(l)
lé/ardée. Ils ne lui accordent aucune estime; toutefois ils n'osent
la renverser. La l)arraque doil sul)sister pour servir d'abri à ces
nuillitudes inintelligentes, grossières de sentiments , dépourvues
(lu sens spirituel, (|ui n'auront jamais Pinslincl religieux assez dé-
licat pour goûter les cbarmcs de la dissidence. Si la barraque
tombe, où ira cette foule et que deviendra le protestantisme géné-
ral? L'église nationale peut bien être arienne , entacbée d'unita-
risme, désolée par tontes les imperlections qu'entraîne avec soi
l'église multitude; cependant elle entretient l'esprit prolestant,
r'est-à-dire l'esprit anti-catlioli<pu! : motif déterminant pour la
«onserver.
Les adversaires formels de la séparation se ratlacbcnl au vieux
parti consi'rvateur prolestanl. Ceux-là ont horreur de la dissidence.
Ils la considér(;nl comme un fanatisme. Ils poursuivent surtout en
elle la prédestination calviniste (|ui répugne au libéralisme mo-
lli (, !•>! Il- In Mil' ii-ilr ( lie/ 1rs mil IiiuIi-Iin ilissuli ni- |ii.ii r (Irsifjiirr I r-
f;li»i* n;ilioiiulc.
MÉLANGES Et NOUVELLES. 185
dcnio et qu'ils n'oiil plus assez do foi pour embrasser. Au tolal,
l'esprit religieux , assez vif chez certains dissidents , s'est relire de
ces soutenants de l'église nationale. Ils dissimulent mal leur incré-
dulité, moins bien encore leur incohérence dogmatique. Le chris-
tianisme , chez eux , se réduit à quelques préceptes moraux ; des
dogmes précis, ils ne s'en soucient guère et les taxent d'intolérance.
Ils veulent donc aussi de l'église comme d'un abri pour la multi-
tude. Ils se rendent parfaitement compte de l'avantage que don-
nerait sa disparition à la dissidence d'abord , puis au catholicisme
si solidement assis, disent-ils, sur son principe d'autorité. Il ne
faut pas trop nous désorganiser vis-à-vis de l'Église romaine, nous
aurions l'air trop misérables et nous verrions se produire chez nous
le spectacle d'églises dissidentes pauvres stipendiées par rélrau-
Mais la grande raison qui empêchera la séparation , c'est la pré-
sence des traités de Vienne et de Turin qui garantissent l'existence
légale de l'Église catholique dans le canton de Genève. Radicaux
dissidents et nationaux, tous voudraient s'en débarrasser, tous ont
insinué que le moment serait bien opportun pour dépouiller les ca-
tholiques, alors qu'à Turin gouverne un ministère si libéral qui dé-
truit les couvents et met la main de la révolution sur les biens ec-
lésiastiques. Tous les mauvais instincts du protestantisme, sa soli-
darité avec le socialisme, sa haine stupide à l'endroit d'une popu-
lation qui lui rend mille services et dont il ne saurait se passer,
ont apparu dans ces propositions tendant à la destruction des trai-
tés ; mais, grâce à Dieu, et pour le salut des faibles, les traités sub-
sisteront. Il ne lient pas à la mauvaise volonté des Genevois pro-
testants et du ministère Cavour qu'ils soient détruits ou qu'ils du-
rent. Les actes de Vienne et de Turin sont garantis par la France
et l'Autriche. Or, en ce moment-ci il ne serait pas sage de violer
ces traités, cela pourrait amener des complications. Nos gouver-
nants n'ont point dissimulé cette difficulté.
L'existence légale de l'Église catholique continuera donc, et
avec elle , par le fait môme , celle de l'église nationale protestante.
Il résulte de tout ceci la conclusion curieuse que c'est la présence de
l'Église catholique à Genève qui fait vivre l'église nationale pro-
lestante. Sans nous , on ferait bon marché de celte barraque dont
les radicaux n'ont nul souci ou se détient comme d'une puissance
politique qui leur est adverse ; que les dissidents méprisent comme
professant de fausses doctrines; à laquelle les suprêmes demeu-
IHtî MKLAXit:') KT NOtVKLLILS.
i;iii(s du nalionalismc n'ont plus foi. parce que les vérités subslan-
lii'lles du t liristiaiiisrne si', soiil |)iilvériséos cliez. eux. Les calboli-
(|ues enipùdienl i'é(,'iisc nationale de tomber, comnte la corde sou-
tient le pendu. C'est un protestant qui a prononcé celte parole.
\o'\\à le résumé clair el net «le la discussion. Il i ous fait trop
il'bonneur pour en rien dissimuler.
Pour nous, demeurant dans lu réalité et Tactualité des faits,
nous n'irons pas discourir sur l'essence de l'Ktat tbrélien et sur les
caractères mysli(|ues île rF{;i;lise. Nous sommes francbemenl op|K>-
sés au principe de la sé|)aralion , [larce que ce serait donner notre
adbésion à un vol commis à notre détriment. Nous nous abriterons
jusqu'à l'exlréniilé derrière les traités de ^ icnne r,[ de Turin, parce
«ju'ils sont les sauvegardes de notre existence. Ils nous ont rendus
de trop bons services en nous préservant des atteintes de la mal-
veillance protestante pour (jue nous soyons tentés de l'oublier. O-ci
n'est pas et ne doit pas élre une (piestion de sentiment de noire
part, mais une grave question d'intérêt.
Maintenant, dans l'bypolbèse de la séparation accomplie, que
deviendra rïîglise catboli(|ue dans nos pays? pourrons-nous exis-
ter? Cba(|ue moment sullit à sa peine. Nous verrons alors ! Disons
seulement (pie durant celte discussion, nos adversaires eux-mêmes
nous ont rendu justice, el (juc. tout en ayant la ferme pensée que
le principe de la séparation pourrait nous procurer quelques em-
barras, pour cela , dans leur opinion , nous ne conlinuerions pas
moins à vivre.
Nous n'aurons pas moins bonne opinion de nous-mêmes que nos
adversaires.
Il faut d'ailleurs s'entendre sur le mol séparation. H ne saurait
avoir la même si{;nilicalion pour les calboliques et pour les proles-
lanls. Dans le protestantisme, la notion d'Kfîlise n'existe pas, elle
est abolie ; tout au |)lus se peut-il accorder que les dissidents en
aient resaisi une idée vague, un sentiment peu dèlerminè. Mais
les églises dites nationales, que sont-elles, sinon IJùlal promulguant
des dogmes comme une cbarle, les taillant, les conservant, les ré-
formant au gré des circonstances et de ses volontés ? ('/est là le sort
de l'église anglicane, tout comme celui de l'église genevoise.
Cbez les calboliques, au contraire, l'Klal el l'Eglise sont toujours
<b'mt!uiés dislincls. L'Eglise, c'est la sociclé des (idèles répandue
par toute la leire, conliaclant alliance avec les divers |H)U\oirs
(enqiorels : alliance variable suivant les lieux «l suivant les temps,
MÉLANGES ET NOUVELLES. 187
s'cxprimanl le plus souvent par des traités concordataires des-
tinés i rcg^er les matières litigieuses cl les droits respectifs. Là,
TEgiise demeure toujours une puissance séparée, exprimant ses
dogmes, ses droits et ses volontés. Les combats qu'elle ne cesse de
soutenir depuis qirelle existe , n'ont jamais eu d'autre |)i iiicipe et
d'autre lin que le maintien de son intégrité.
Cette permanence de l'intégrité, de l'unité de TEglise catholique
qui a traversé les temps aux prises avec toutes les civilisations , est
un continuel sujet d'irritation pour les prolestants. Ils sentent par-
faitement qu'il y a là une puissance devant laquelle ils demeurent
bien faibles, malgré leurs efforts. Cette puissance qui, pour nous,
n'est pas autre chose que l'assistance divine, les protestants ont tou-
jours été tentés de l'attribuer à l'appui du pouvoir temporel. L'ex-
périence des événements commence à les faire revenir de celte er-
reur. L'Eglise catholique, dans des vicissitudes bien diverses, a
donné trop de preuves de vitalité pour qu'ils n'en demeurent pas
frappés. Un peu plus ou un peu moins de couvents, un peu plus ou
un peu moins d'émoluments pour le clergé, ne constituent pas le
fait de la permanence de l'Eglise, Nous avons recueilli dans les dé-
bats que nous analysons le témoignage sensible de modifications
réelles produites à cet égard dans bien des esprits. Siau moinscette
intelligence plus exacte du fait de l'Eglise catholique servait à éta-
blir un mode de vivre plus équitable I
L'Eglise catholique est si bien une puissance intrinsèque, qu'aux
Etats-Unis, où le fait de la séparation est consommé, les prolestants
ont longtemps imaginé que le sol ne serait pas viable pour elle. Au-
jourd'hui que l'expérience témoigne qu'il n'y a pas de sol si ingrat
où nos missionnaires ne puissent implanter la hiérarchie, déjà la
jalousie se montre. Des sociétés secrètes formidables se sonl orga-
nisées au sein du protestantisme et de l'incrédulité, qui ont pour cri
de ralliement : Mort au catholicisme! Il ya peu de mois un de nos
compatriotes, un prêtre fribourgeois,leP.Bapst, est mort des suites
deviolences commises sur sa personne pardes assassins appartenant
à ce carbonarisme américain. Combien d'autres violences dont le
souvenir pourrait être invoqué 1 Eh bien I dans les rangs du pro-
lestantisme, trop de gens se trouvent qui s'émeuvent fort peu de
ces brutalités dont une nation civilisée devrait rougir. On répond
que l'Eglise catholique devient trop forte, qu'elle risque de com-
promettre la constitution libérale des Etats-Unis, laquelle, après
tout, ne doit pas servir à proléger indéfiniment les progrès d'une
188 MKLAIVGES ET NOUVKLLF.S.
l'glisc onvnhissanlc (|ui porlc lo germe du despotisme partout où
l'Il.^ sVlaMit.
Ces faits sont instructifs ; ils servent à faire comprendre |)Our-
(juoi, mùmo ««n dcliors de la position do droit propre aux catholiques
du canton de (Icnève, nous soruuics ftn l peu fanalifjues de ceN i(lée>
de séparation telles (jue les adoptent les protestants. Notre Kglise
est séparée de l'Klat depuis son orij,Mne autant qu'elle pourra ja-
mais l'être. Ce sont lA des léinoi^na^'es de laiMesse que iKfçlise-
mére no saurait donner. (Juoi qu'on fasse et (juni qu'on dise, le
catholicisme tient dans le monde une trop grande place pour qu'il
ne faille pas, de prés ou de loin, toujours compter avec lui. A vrai
dire , c'est là >ine condition do lutte inéviiable , mais c'est aussi et
avant tout un "ase d'immortalité.
o"n"
Une réclaniatioii «le 11. «le (■amparln. — M. de (ïaspa-
rin nous écrit la lettre suivarWe :
Rivage, li janvier 1855.
Monsieur,
On m'envoie aujourd'hui voire numéro de décembre contenant
vingt-cinq pages d'injures à mon adresse. Je vous abandonne \o-
lontiers ma personne , y compris mon caractère et mon bon sens;
mais je dois au nom <jue j<î porlc de relever l'assertion (fort bles-
sante dans votre pensée) que renferme la phtase suivante : a Ne
doit-il pas tout à la France de notre temps ; tout , jusqu'à ce litre
de noblesse qui a tiré du néant sa bourgeoise famille? »
Sans débat(i-e les (|ueslions de bourgeoisie et de noblesse, ques-
tions que je sais réduire à leur juste valeur, je vous dirai ceci, puis-
(|u'un procédé inouï de discussion me force A mentionner ces mi-
sères :
Ce n'est pas <■ la France de noire lemps >- (pii a im|>rinu' les al-
manachs militaires d'avant 1789, où figure M. de Ciasparin mon
grand'père. Ce n'est pas » la Fraru-e de notre tctnps >< qui scellait
à la mémo épo(jue les hUtres de nu)n gratuPpère du cachcl, des ar-
mes et de la devise de ma famille. Ce n'est pas en verlu d'un acte
«le « la F*'rance de noire lem|»s, «i (|u';^ l'extitïclion de la branche aî-
née, les titres qu'ell(> [lorlait ont été recuillis par la branche ca-
delle.
J'allend- de vous, Monsieni . l'inscition de ma lettre.
A. de (iASi>Ani>.
MKLANUKS Kl «OLVKLLKS. 189
Il faut avouer (iiie voilà imo singulière réponse. Le faux-fuyant
esl adiuiralile. Ilrsl comniodi! tlo se relrancber derrière romission
«l'un quarlit'r de noblesse , de se retirer du débat et de ne répon-
dre à rien. Nous avions risqué à Tcndroit des outrances de M. du
(■asparin la qualification de clievalcres(iue. Voudrait-il nous en
faire repentir? S'enfuir en appelant d(\s injures un travail où l'E-
criture, rhistoire, les sciences sont confrontées tour à tour avec les
incroyables développements d'une tbèso scandaleuse, la tactique
esl aisée. Nous n'avions pas cru si bien dire en répondant ù M. de
Gasparin , qu'il n'a pas le courage de ses opinions autant qu'il le
veut bien faire paraître. Comnienl, un écrivain emploie deux lourds
volumes à essayer de prouver la disparition de l'élément sur-
naturel dans le monde depuis les apôtres, il tire la conclusion
que l'Eglise catbolique, qui allirnie l'existence du surnaturel, est
une école d'escroquerie, d'ignorance et de superstition ; il l'accuse
même de faire mentir la Hible. Le critique repousse les allégations
du sectaire avec l'indignation d'un bomme blessé dans ses senti-
ments les plus intimes, et AL de (lasparin se prétend injurié. Où
en sommes-nous? Combien de gens font à Genève un crime aux
catholiques d'être venus au monde! M. de Gasparin voudrait-il
leur enlever jusqu'au droit de la discussion ? Un écrivain nous ou-
trage, et nous aurions tort d'étudier la physiologie intellectuelle du
caractère qui engendre de pareils excès !
Essayons de lui donner satisfaction eu égard au quartier de no-
blesse.
Dans la pensée de l'auteur de l'article , il s'agissait uniquement
du titre de comte qui n'est venu que fort récemment illustrer le
nom des Gasparin. Nous avions placé ce titre au nombre des lar-
gesses dont Napoléon T"" combla la famille. Plusieurs même
assiirent que cette inscription au livre dor serait de date
bien plus récente. Quoi qu'il en soit, nous reconnaissons à
l'instant notre erreur; Monsieur de Gasparin tient à un quar-
tier de noblesse de plus, il l'aura. Nous le faisions dater de son
père; il veut n'être point privé de sou aïeul, qu'à cela ne tienne.
(Je grand'père , cependant, est de ces personnages dont, pour l'or-
dinaire, on naime guère à évoquer la mémoire, car ce grand'père
n'était rien moins qu'un révolutionnaire de la pire espèce, un con-
ventionnel, enfin un régicide. La Biographie universelle nous le
donne bien comme possédant la particule nobiliaire, mais nulle-
ment ce titre de comte qui a contribué plus qu'on ne pense à poser
190 MKLA-SGES KT .NOl VELKKS.
son lu'til-fils dans lo monde prolrstant. Elle dit aussi que vc
(lasparin-là servit dans les années du roi Louis XVI, ainsi que
nous l'écrit M. Agénor, puis qu'inOdéle au souverain qui lui avait
rendu l'état civil et le droit de servir dans les armées françaises , il
s'abandonna aux passions révolutionnaires les plus violentes, qu'en-
Un il vota la mort du roi en lui refusant l'appel au peuple. Plus
tard , Napoléon 1" combla de faveurs les CIs du régicide et leur
laissa cent mille francs par son leslamenl.
Voilà ce qu'était ce grand'père (jue M. de Gasparin nous repro-
che d'avoir laissé dans l'ombre. Ouanl aux bienfaits de la France
moderne , ils nous semblent assez visibles pour que nous n'ajons
rien à retirer de notre parole.
Trèvo sur ce déplorable grand'père. Que M. de (lasparin soit
d'antique lignée, s'il y a droit, nous y consentons de grand cœur;
mais à la condition qu'il se voudra bien souvenir du vieux dicton
jadis si fort en honneur : .\oblesse oblige. S'il veut être vraiment
noble, qu'il le soit par le caractère autant que par le nom. Ou'il
donne à tous, sinon l'exemple d'une discussion calme et modé-
rée, du moins exempte de ces entraînements qui lui commu-
niquent un caractère fanatique. Il est une mesure permise à
l'expression des convictions, quelles qu'elles puissent être, lien
est une permise même à la passion. Mais nous n'accorderons ja-
mais que racbarnemenl que M. de Gasparin met à dénigrer et à
travestir la doctrine catholique, son histoire et ses enseignements,
soit de la discussion régiilièrc et digne de respect. Surtout que
M. de Gasparin veuille bien abandonner à notre endroit le parti do
l'ignorance systématique. Il a plus à y gagner encore que nous. Il
est telles choses qu'un homme , dans la position qu'il prétend , ne
peut pas, ne doit pas ignorer, sous peine de mériter cet oubli mi-
séricordieux de l'opinion publique qui met le personnage à l'abri de
toute controverse et ses œuvres en dehors de toute discussion.
MKLANGKS KT NOIIVRI.LKS. 191
l<:TR.%I%f>li}BI. — France — Les Àrchivefi du Christianisme,
(l.uis un arliclc signé Hosl el destiné à combattre l'Immaculée Con-
((>|)lion, emploient les arguments suivants :
<( Nous ne parlerons ni des déclarations de l'Ecriture sur les au-
tres enfants qu'elle eut après son mariage, ni de sa longue inintel-
ligence quant à la divine mission de son Fils, ni des leçons qu'elle
eut à recevoir de lui, ni du vide qui se fit autour d'elle aussitôt
après l'ascension de Jésus, ni du silence complet, parfait, profond,
que gardent sur son compte toutes les épîlres du Nouveau Testa-
ment, qui nous parlent de la foi chrétienne en la développant, sans
dire un mol de Marie , el le livre des Révélations qui nous mon-
Ire le ciel ouvert, le ciel habile^ le Père, le Fils, le Saint-Esprit, les
saints anges, les anciens, les êtres vivants, !es martyrs, les saints,
et qui ne nous marque pas la moindre place pour Marie, qui ne
fait pas à sa présence la moindre allusion. »
Nous ne répondrons pas aux arguments, aux blasphèmes de
M. Bosl; on y a répondu cent fois. M. Bosl n'aurait qu'à ouvrir une
théologie catholique quelconque. Nous nous contenterons de la ré-
flexion suivante : Le proteslantisme dénigre, abaisse, hait la mère
de Notre Seigneur Jésus-Christ; M. Bosl va jusqu'à la damner.
L'Eglise catholique l'aime, la loue et la glorifie. Qui a raison, le
proleslantisme ou l'Eglise? El quelle est donc la religion du Christ,
relie qui insulte et méprise, ou bien celle qui vénère et exalte
la mère du Christ? El comme la diatribe de M. Bosl doit être
agréable à celui qui a dit : Tes père et mère honoreras, afin que tu
vives longuement. Les journaux de Genève se sont mis égale-
ment en frais d'esprit contre le dogrne de l'Immaculée Conception.
Nous laissons passer ces flots d'injures. Nous croyons que c'est le
génie de l'erreur et du mal qui les soulève, el qu'il les soulève parce
qu'il sent son empire menacé. Et nous aimons à répéter les paroles
suivantes de Mgr l'évêque de Montauban dans son Mandement au
sujet de l'Immaculée Conception :
(V Si nous en croyons à un pressentiment général, aux aspirations
des plus saints personnages de ces derniers temps, la proclamation
authentique de la doctrine et du sentiment de l'Eglise sur la pré-
rogative de Marie conçue sans péché , sera le prélude d'une ère de
prospérité et de bonheur, de paix et de renouvellement de la piété
dans tous les Etals catholiques. Nous avons même la confiance que
le sein de l'Eglise cessera alors d'être déchiré par le schisme et par
192 MÈLANtit:S KT NOIVF.LLES.
l'Iu'ri'sio , ot f|iifi nos frères sc'part's viendront en foule se réfugier
sous la houIclU' du \ icaire de Jésus-Christ. Puisse-t-il en être ainsi !
c'est la grAce que nous demandons avec ardeur par rintcrccssioii
de Celle que l'Eglise félicite si souvent dans ses ofliccs d'avoir
triomplié seule de toutes les hérésies cl de les avoir anéanties dans
tout l'univers. » Fiat, fiât!
AllciiiHjçne. — A la conversion récente du savant Robert
Wilherforce, vient s'ajouter la suivante : Le comte de Stolberg, pe-
til-Ols du célèbre historien de ce nom, converti en 1808, est ren-
tré, il y a quelques jours, dans le sein de l'Eglise catholique, A Kal-
tern (Tyrol).
Cet heureux événement nous en rappelle un autre un peu dif-
férent. Un M. De Sanctis, religieux et prêtre catholi(|ue, apostasia
en 1847. Il publia un pamphlet contre le sacrement de l'énitence et
vint ù Genève où il fut accueilli et choyé. C'était naturel. Nous
croyons même qu'il a été appelé à parler plus d'une fois dans des
assemblées du culte prolestant. Or la Lucc cvanQdica,']o\xn\d\ pro-
testant de Turin, annonçait eu novembre dernier « que M. De Sanc-
tis, ministre du Saint-Evangile.... a été par la vén. Table de l'E-
glise vaudoise, dkmissio.nnê a l'instant de l'emploi d'évangélislc.»
Dans la Buona Xoiella, autre journal de la secte vaudoise, on a
aussi inséré la lettre de doidlution de M. De Sanctis. Pourquoi cette
destitution? On ne le dit pas; mais —
On voit qu'il y a conversions et conversions.
LE
SALOT GRATUIT ET M. DE RÉMOSAT.
II.
Les doctrines de la prédestination, de la justification, du salut,
de la grâce et des œuvres ont toujours été des mystères redouta-
bles hors de l'Eglise. Tandis que se rencontrent, s'unissent et
s'harmonisent, dans la foi catholique, la sagesse, la justice et
la bonté de Dieu; la rédemption, l'amour et la grâce de Jésus-
Christ; le libre arbitre, la moralité et la sanctification de l'hom-
me , au contraire , dans tous les systèmes anciens ou nouveaux
qui ont voulu changer quelque chose à l'ordre souverain du
Créateur, en modifier les relations, en forcer les conséquences,
les plus funestes aberrations sont venues, avec toutes sortes de
maux pour l'humanité, constater une fois de plus, qu'il ne faut
rien moins qu'une autorité infaillible pour enseigner les vérita-
bles rapports de Dieu avec les hommes. Le génie , la plus sa-
vante exégèse, les intentions les plus pures, la raison la plus
droite restent parfaitement incapables de fixer la croyance , de
l'imposer à soi-même et aux autres. Qu'ils sont donc téméraires
les hommes qui , sur des matières d'une si haute portée , disent
à l'artisan des villes ou au laboureur des champs : «Prenez une
13
19» I.K SAUT r.HATC IT l-T M. M lil^-MlSAT.
» Hil»!»' plus ou moins compkic, plus ou moins hirn Uaduiir, ( i
» résolvez les plus inribles problèmes de la naluie de Dieu, de
» la rédeinpiion de Jésus-Clirisi ei de la liberté de l'homme 1 »
Les plus j,'rands {,'énies de l'antiquité, les sommités de la icfor-
malion thi sei/ième siècle s'y sont brisés; aujourd'hui, hors de
rEf,'lise caiholifpie, l'anarthie et le doute conduisent incessam-
ment les iniellij,'en( <'s é},Mrées et les cœurs faciles aux extrêmes
de rincn'dujiié et de la sujx-rslition, et vous osez dire : Prenez,
lisez et décidez !!
Pour nous, plus nous éludions et les erreurs des hommes, ei
la doctrine de l'Kj^lise, plus nous nous sentons heureux, tout à
la fois d'avoir un guide divin dans nos éludes, et de découvrir
tous les jours davantage par la contemplation des vérités ca-
tholiques, la sûreié, la beauté et le ravissant éclat de la mani-
festation de Dieu.
Mais ce qui a aussi un cliarmc particulier, c'est, dans le cours
d'une vie de méditation, de travaux et de prière, de rencontrer
parfois (juebpi'une de ces âmes, en dehors de la société et de
l'unité caih()li(pies, qui reçoivent cependant ses bénignes inlluen-
ces et qui viennent des lointaines plages des opinions humaines
et individuelles, ap()orter leur lénioiguage <'onlre l'erreur.
Je dois le dive, en lisant les Conférences de M. Martin sur la
rédemption (\), j'ai «prouvé ce charme; ei, avec toutes les r<'-
serves n('cessair«'s, je dis (pie ce ministre, dans la question de la
justification, de la foi, <le la grâce et des uuvres, est souvent
catholique, peut-être sans le savoir et certainement sans le vou-
loir. Evidemment M. Martin reste et restera ministre protestant;
si quelquefois nous pouvons tomber à peu près d'accord ensem-
ble surquehjues parties de la grande thèse ipii nous occupe , la
chose n'en ira pas plus loin. Il est visible (pi'il n'a pas encore
éiiidit' la qui^siion de l'Rglise et des saciements de la même ma-
nière (ju'il a étudie celle de la juslilication ; et comme mille (hai-
nes enlacent ses idées et ses sentiments dans une position fixée,
il est d'une immense diffîculté , je ne dis pas impossibilité, (pi'il
arrive à comprendre et à exposer, à l'instar des plus célèbres
(I) M. Martin est pasteur do l'église nationale ilc (lencvo.
LK SAIXT «RATUIT ET M. DK RKMtSAT. 195
ininisircs anglicans ([iii so sont faits catholiques, les magoifiques
et inal((''rahlos nisci^'ncmcnts de l'Ef^liso.-
M. Martin a certainement le talent de l'analyse et de l'exposi-
lion ; il a beaucoup travaillé, il a commencé à pénétrer dans les
ouvrages des grands théologiens catholiques, il a comparé les
systèmes protestants, et, semblable à ces docteurs d'Oxford et
de Heidelberg qui ont délaissé le salut gratuit par la foi seule
sans les œuvres, il est arrivé à peu de chose près à enseigner à
son auditoire acad('nii<iue et choisi de Genève, qui certes ne s'en
doutait guère , plusieurs des doctrines du concile général de
Trente. Sans doute c'est une autre phraséologie ; sans doute la
teinte protestante, les accessoires protestants y sont nombreux ;
sans doute il y a plusieurs erreurs capitales; mais enfin , nous
arrivons à dire ensemble : « La prédestination absolue est un
» système « épouvantable » (1). Le salut est gratuit en tant qu'il
» précède tout, que Jésus-Christ ne nous devait rien; que sans
» la foi , sans la grâce , sans la chai'ité , sans le libre arbitre de
» l'homme, sans sa part dans sa propre sanctification (« les bon-
» nés œuvres »), il n'y a pas de salut!! »
Oui, nous en sommes-là tous les deux ; et dans une joie que
je voudrais faire partager à M. Martin et à tous les protestants,
je me demande si la grande barrière étant franchie, d'autres lu-
mières et d'autres rapprochements ne se feront pas.... Je ne de-
mande, pour cela, que des études consciencieuses et fortes, de
la droiture , une portée d'esprit élevée et le généreux désir de
réaliser la pensée et le sentiment du cœur de Notre Seigneur Jé-
sus-Christ : l'unité des chrétiens dans la même foi, una fides ,
et dans la même charité, m charitale.
Je dois justifier ici mon jugement au sujet de M. Martin.
Dans sa dernière conférence de 1846 , M. Martin traite de la
CONSCIENCE et il soutient ces trois propositions :
1° La foi au pardon gratuit augmente le respect pour la loi
morale.
2" La foi au pardon gratuit est le plus sur mobile pour la
sanctification.
(1) Martin, T. II, p. 105 et 205.
196 LK SALIT GRATUIT IT M. I»l ItKMISAT.
3° La foi au pardon f^raluil donne, soulo, la paix :'i la rons-
cicnco de riioniinc.
M. Marlin expose «juc * Tcsscncc; du pardon j,'iainit , c'osi ,
» comme son nom l'indique, d'ôlre donné pour rion ; > « qu'une;
• condition y est attachée, la foi;» et que la foi (1), c'est la
» confiance en celui (]ui pardonne , le rc^^ret d'avoir mal fait cl
» le désir de bien faire. »
Il met en présence de ce système celui qui considère l'Iiom-
me comme « ne |)0uvani obtenir son pardon de Dieu qu'après
» l'avoir mérité par (pRlcpie «liose, après s'être sanctifié, après
» avoir fait des bonnes œuvres. » Il commence alors un duel à
mort entre ce qu'il appelle le Pardon par la loi de grâce, el le
Pardon par la loi des œuvres. Hien entendu le premier pourfend
le second.
Si M. Martin avait cru combattre la doctrine catholique dans
cet hétérogène système du Pardon par la loi des œuvres sans la
gratuité de Jésus-Christ (*2), sans la foi , sans la grâce, et avec
des œuvres purement humaines , évidemment il aurait montré
une ignorance de la doctrine catholique qui condamne tout cet
échafaudage bien autrement que ne peut le faire M. Marlin;
aussi cet écrivain n'a-t-il dit nulle part qu'il s'exprimait ainsi
contre le catholicisme, c'est le système socinien, le système pé-
lagien qu'il a sans doute voulu foudroyer; et il a bien fait, et
nous sommes d'accord avec lui , sinon sur la valeur des défini-
tions,, du parallèle et des arguments , du moins sur l'inanité' du
« pardon par la loi des œuvres seules. » En lisant les Conféren-
ces de 1847, ou peut croire à un changement de front, à une
modification profonde dans les idées de M. Marlin; mais sans
(i) Celte définitiun ncsl pas exacte. « Or la foi, dit saint Paul, est le fon-
» dément des choses ijue l'on doit cspcier, et Ui pleine conviction de celles
» qu'on ne voit pas. » « Est autem fldrs sprrttndnntm subslantia rervm, ar.
» gumentum non apparcnlium. » (lleb. \I. I). — La foi est une vertu sur-
nalui-clle par laquelle nous croyons en Dieu cl toutes les vérilt's qu'il nous
a révélées par son Eglise. Dans la foi, il y a trois objets essentiels : les vé-
rili't de Dieu à croit e, la gnlce qui agit el la ro/nn(<'' qui adhère fermement.
huinbleMiciit et enlièremcnt.
Ci) Saint Paul, a.l II. .m. III. 2i. Conc. Trid. .«^ess. 6. ^8.
LE SALLT (illATC IT KT M. DE RÉMLSAT. 197
nous arrêter à l'impression que nous avons épiouvée à cet
«'•yard, nous devons dire qu'en présence du système pélagien ,
les trois propositions de la thèse de M. Martin sont vraies, si
dans le terme de la foi aupardon gratuit se trouve , comme il le
tait prcsscntii- et comme, il le dira lormellement plus tard, t la
» sanctification ou les bonnes œuvres avec la foi, le libre arbitre
» de l'homme et la grâce de Dieu. »
Nous arrivons aux conrércnccs de 1847. L'année précédente,
M. Martin traitait de I'Expiation; cette année, c'est de la Sanc-
tification. Voici le titre des six conférences :
1° Nécessité de la sanctification.
2" Union du pardon gratuit et de la sanctification.
3° Nature et degré de la sanctification.
4° L'homme dans l'œuvre de la sanctification.
6" Dieu dans l'œuvre de la sanctification.
6° Développement et résultats de la sanctification.
Ces conférences sont suivies d'un Essai sur la prédestination,
où M. Martin justifie l'expression d'ÉPOUVAiNTABLE dont il s'est
servi en qualifiant la prédestination calviniste ; il prouve que
cet épouvantable système est contraire aux Saintes Ecritures, et
il montre que, soit dans l'Eglise primitive et dans l'Eglise du
moyen âge, soit dans les églises réformées anglicanes et améri-
caines, V épouvantable est condamnée ou abandonnée. On le voit,
nous sommes singulièrement loin, M. Martin et moi, de l'idée de
M. Charles de Rémusat.
Dans la première conférence, M. Martin admet que les mots
conversion, sainteté, bonnes œuvres, sanctification, désignent au
fond la même chose ; il se propose d'examiner la sanctification
en elle-même et dans ses moyens de la produire ; « l'opposition
du pardon gratuit et de la sanctification qui , loin de s'exclure ,
se complètent et s'unissent pour former un seul tout, n'est
qu'apparente » « Je prouverai, dit-il, que la libre volonté de
l'homme est un élément essentiel de son changement moral ; qu'il
est appelé à prendre à ce changement une part telle, qu'il de-
vient complètement responsable du résultat , et qu'ainsi , en ce
\\)H I.K SALIT GRATin ET M. DK MKMLSAT.
sens, la saiiciilicalion est véiilablemenl l'œuvre Je l'homme. »>
• Je |)rouvcrrai ensuite que si l'action de l'Iiomme est nécessaire
pour (ju'il puisse se sanctifier, cependant elle ne sufTil pas; si peu
même , qu'il est vrai de dire que toute sa volonté et tous ses
efforts ne sauraient rien produire dans un ordre de faits ,
sans le secours de Dieu , sans l'inlluence de la grâce , de son
Saint-Esprit, et «pi'ainsi , en ce sens, la sanctilicaiion est vérita-
bk'uicnl Vœuvre de Dieu. » Après avoir écrit de belles payes sur
la sainteté de Dieu et sur la nécessité de la sainteté de l'homme
pour le salut, il termine par ces paroles bien propres à renver-
ser cette malencontreuse assertion de M. Charles de Uémusat :
« Le salut gratuit semble ressortir des termes des épilresde saint
» Paul, et ffMcun texte de l'Ecriture ne le contredit formellement. »
n Mais si je voulais rapporter ici , s'écrie M. Martin , toutes les
déclarations semées dans nos Ecritures pour allesler cette irré-
fragable vérité, que la sanctification est nécessaire à l'homme
pour être sauvé, je n'en finirais pas! Un instant seulement encore
pour entendre là-dessus l'apôtre de la justification par la foi, le
j)rédicaieui' par excellence du pardon gratuit, afin de voir si, se-
lon saint l*aul, les d iivies font |)eu de chose poiu- le salut. Je ne
citerai cju'unc ou deux de ses pai'olos paiini vingt autres sembla-
bles : Ce ne sont pas ceux qui écoulent la loi qui sont justes dé-
liant Dieu, ce sont ceux qui iobservent qui seront justifiés. Gar-
dez-ious donc de tous amasser un trésor de colère pour le jour
de la colère et du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun
selon ses œuvres. Il donnera la vie éternelle à ceux qui, par la
perséiérance dans les bonnes oeuvres, cherchent la gloire^ Vhon-
neur et Fimmortalité. El <|Ue dit de lui-même, à cet égard, cet
liomme de loi.' Je traite durement mon corps et je le tiens as-
sujetti, de peur qu après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-
même rejeté. Saint Paul donne-t-il peu d'inq^ortance à la sain-
teté.' — Mais quoi! n'esl-ce |)as lui encoriî (jui fait cette décla-
ration si précise cl si nelle : Sans la sanctification, personne ne
verra le Seigneur. »
Dans sa .seconde conférence, M. Martin vent ciablir qu'il y a
niiinn du pardon giatuit et de la sanclilicalion. « La sanctili-
caiion chrélieniir. (lii-il, tsi piuenient la manisfestalion exte"
LE SALUT GUATUIT HT M. DK IlÉMLSAT. 10!)
rieiiie du [lardon gratuit » Ce pardon est accordé à la loi
seule sans les œuvres... » < Aussi quels que soient ses anlécé-
denls (M à (lurhiuc moment <iuo la flamme de la foi s'allume ou
se rallume dans son âme, que ce soit hier, aujourd'hui ou de-
main, il est aussitôt, par cela même, réconcilié, uni à Christ, en
étal de },'râce devant Dieu.... (1)
Il est évident que ces (rois phrases sont des erreurs. La sanc-
tification n'est pas qu'une manifestation du pardon gratuit... Le
pardon n'est pas accordé à la foi seule... La foi ne suffît pas pour
la réconciliation avec Dieu , pour l'état de grâce , pour l'union
avec Jésus-Christ —
Ce sera M. Martin qui se chargera tout à l'heure de le prou-
ver. Mais qu'il me soit permis de faire observer que le système
de M. Martin ne peut pas être complet tant qu'il n'admet pas les
moyens institués par Jésus-Christ pour opérer la réconciliation ,
Vétat de grâce et Vunion avec Jésus-Christ, c'est-à-dire les sa-
crements de réconciliation, sacrements qui donnent ou augmen-
tent la ^r(2ce, sacrements d'wnton avec Jésus-Christ !!I Mais ce
comph-ment nécessaire du christianisme, ces inventions de la
miséi'icorde et de l'amour de Jésus-Christ étant méconnus ou
niés pour la plupart, ou étant défigurés dans les systèmes protes-
tants, surtout dans ceux qui sont calvinistes, M. Martin est, par
la force même de ses négations, obligé à clore encore ses idées.
S'il abandonnait la pointe d'aiguille où il se place, il tomberait
aussitôt en plein calvinisme épouvantable à ses yeux, ou en plein
catholicisme impossible pour lui. Je recommande cette observa-
lion à l'examen des hommes sérieux.
Ce qui aide M. Martin à passer par dessus la difficulté ou la
contradiction , c'est qu'il exige , « pour obtenir le pardon par la
» foi, que cette foi soit sincère (2). » « Pas autre chose, » dit-il.
(1) Il y a une autre phrase du même genre et de la même conférence qui
est encore plus louche qu'elle n'est inexacte: a la sanctification ne vous est
nullement nécessaire pour le passé, le pardon, mais elle vous est nécessaire
pour l'avenir, le salut. »
(2) M. Martin change la valeur habituelle du mot, de l'idée et des condi-
tions de la sincérité.
200 LB SALLT UflATl'IT ET M. UK KEMISAT.
La foi sincère est celle qui se manifestera par l'amour... L'a-
mour est une joie, une force, il est aussi la source de la vie mo-
rale. « Et voilà pourquoi, s'«''crie M. Martin, il est profondc'ment
vrai, que ce n'est que la foi cliréticuiie <jui produit la sam tilica-
tiou , parce qu'elle seule produit l'amour, et par conséquent le
dévouement, qui est le lanf,'agc d«^ l'amour. Celui (jui ne sent
que de Id crainte pour Dieu, se ferait rebelle, s'il l'osait. Com-
ment se sanctilierait-il ! L'infortuné ne travaille que par force,
et il lui manque ce qui donne la force. Tandis que celui qui
aime est sanctilié par cela même; car Vamour, dit saint Paul,
est l'accomplissement de la loi. — Et cette foi, qui imprime à
l'àme un si puissant entraînement vers ce qui est paix, joie, sain-
teté, c'es-à-dire vers Dieu, celle fui, en remontant ainsi toujours
à la source infinie de toute perfection et de toute félicité, y
puise sans cesse de nouvelles forces. Elle s'alimente et s'enri-
iliil dans ce saint commerce : plus elle donne, plus elle reçoit ,
et plus elle reçoit, plus elle donne. C'est alors qu'on voit , dans
le cœur du chrétien, la foi et la sainteté se fortiliant, se dévelop-
pant l'une par l'autre et grandissant ensemble; comme nous
rainionce, au reste, et nous le promet avec tant de clarté' cette
parole de l'Ecriture : f^otre foi agissant par vos œuvres ^ par los
œuvres votre foi devient parfaite.
» Voilà pourquoi l'Evangile ne fait qu'un , du pardon gratuit
et de la sanctilication, ou si vous voulez, de la foi et des œuvres
(car il n'échappe sans doute à personne ici que c'est, au fond ,
celte question qui nous occupe). Voilà pourquoi l'Evangile ne
sépare jamais l'une des autres, pas plus (pj'on ne peut séparer
la plante de sa racine ou le fleuve de sa source. Voilà pour(]Uoi,
enfin, nous devons tous nous pénétrer de celle vérité. Car on
|)eut se faire des illusions sur sa foi; et plus d'une personne,
(jui serait fort étonnée et peut-être irrité-e, si on se permettait de
douter de la sienne, ne se préoccupe pas assez peut-être de cette
intime union de la foi et des œuvres dont parle l'Evangile. •
Et M. Martin, combattant « la foi de tête, » o la foi sentimen-
lale ei des larmes, » ajoute les paroles de saint .lar(jues : • / ous
avez la foi? Montrez-moi votre foi sans les «lUives ; pour moi,
je vous motUrvrai ma foi f>nr mes ouvres. Comme un corps sang
I-i; SAIA'T (iUATLIT Kl M. I)K HKMISAT. 201
dme est mort, de même la foi sans les œuvres est morte ^ et elle ne
pourra pas t>ous sauver. » « El prenez -y garde, tous les apôlrcs
lienncnl le rnt^nio langage. Qu()i([u'il puisse leur arriver parfois,
et suivant le besoin, d'insisler davantage, tantôt sur l'une, tan-
tôt sur l'autre des deux laces de la rédemption, au fond , leur
pensée est constamment la même ; il n'y a de diiïérence entre eux
que la différence de leurs auditeurs. Saint Paul s'adressant à des
chrétiens judaisans , qui prétendaient n'avoir pas besoin de la
grâce qui est en Jésus-Christ et voulaient donner leurs œuvres
comme équivalent du salut, saint Paul leur dit : C'est par grâce
que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et ce n'est point par
les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Saint Jacques, que
quelques-uns se plaisent, je ne sais pourquoi, à opposer à saint
Paul sur ce point, saint Jacques, s'adressant à de tels hommes,
leur parlerait de la même manière ; mais il écrit à des chrétiens
(jui se jetaient dans un excès opposé, en croyant à l'inutilité des
œuvres pour le salut. Alors l'apôtre combattant, non pas la foi
sanctifiante que prêche Paul , mais la foi de tète en laquelle se
confient ces insensés , l'apôtre leur dit ce que vous venez d'en-
tendre. Saint Paul, s'adressant à de tels hommes, leur parlerait
de la même manière. Que dis-je leur parlerait P II leur a parlé;
et je vous en ai cité des preuves qui, certes, ne sont pas équivo-
ques. Eh ! c'est saint Paul qui, de tous les apôtres peut-être, est
le plus abondant dans l'union intime et nécessaire de la foi et
des œuvres; c'est lui qui nous fournit, à cet égard, les formules
les plus précises et les plus nettes ; témoin celle-ci encore , qui
pourrait résumer tout le sujet : Ce qui sert en Jésus -Christ, c''est
la foi agissante par la charité, ou l'amour.»
Dans la conférence sur la nature et le degré de la sanctifica-
tion, M. Martin se fait ces questions : « Qu'est-ce donc que cette
» sanctificaiion qui m'est si nécessaire? En quoi consiste-t-elle
» positivement? Et comment puis-je savoir, enfin, si je la possède
» ou si je ne la possède pas? » Question de toute gravité, puis-
qu'elle revient à celle-ci : si je mourais maintenant , serais-je
sauvé, serais-je perdu?» Selon lui, la sanctification chrétienne
consiste en deux choses :
1° Le changement du cœur..., l'intention..., et le seul motif
•201 l.V. SALIT GBATllT KTM. DK KKMl SAT.
» i|ui puisse rnidrc nos actions bonnes, c'est qu'elles soient fail«'s
o par amour pour Dieu cl dans le dessein,de lui plaire. » Voici
une belle page de M. Martin : « Kli hien, il n'y a qu'un seul mo-
tif (|ui puisse rendre lionnes nos actions, c'est (ju'elles soient
failts pai- amour pour Dieu et dans le dessein do. lui plaire. IVé-
r« ni- (juel<|uc chose à Dieu, et par conséquent obéir ù une au-
in- impulsion (pie la sienne, c'est précisément l'inverse de la
.san( lilication. L'iiounne qui est ainsi ne peut pas faire des œu-
vres chrétiennes; il faut auparavant «|u'il change son cœur, qu'il
aime Dieu : c'est la régénération. — El je n'imagine pas que
personne veuille contester le [)rincipeque je NÎensde poser et (|ui
est la base de tout, savoir : qu'il n'y a de bon moral «pie ce (jui esl
conforme à la volonté de Dieu ei fait dans le dessein de lui plaire.
Car, d'abord , vouloir admettre qu'un être opposé à Dieu puisse
devenir saint, ce serait admettre une sainteté en opposition avec
Dieu, ce qui esl nou-seulemenl une inq)ossibilité, mais une con-
tradiction dans les termes. Dieu, s'il esl Dieu, est la source unique
de tout bien , el hors de lui il n'y a <pic mal 1' : c'est un axiome
philosophi(|ue. Va (piaiil aux motifs de la conduite;, si l'homme
ne les puise pas dans l'amour de Dieu , il les puise nécessaire-
ment dans l'amour de soi ou du monde : c'est le péché. — Il
vous esl donc très-facile de reconnaîtie que celui qui n'aime pas
Dieu, fera naturellement de mauvaises œuvres, mais qu'il ne
peut pas en faire <pii soient réellement bonnes, en d'autres ter-
mes agréables à Dieu ; car (elles nu*mes de ces œuvres qui sem-
bleraient bonnes, ne le seraient (ju'en apparence, puiscpie le mo-
tif nfn est pas bon. Ainsi, deux hommes pourraient avoir une
vie parfailemenl semblable à l'extérieur, et paifaiiemeni oppo-
sée aux yeux de Dieu. !■ « Et prenez garde, (pii lui a donné son
cœur tout entier. Ce serait une dérision que d'imaginer qu'il suf-
lise de le donner en partie ; celui qui s'en réserve tme part, au
fond ne donne rien. Qu'est-ce qu'un cœur partagé? Ce n'est au-
tre ( liose (pi'un cœur tout entier soumis au monde, (]ui regrette
seulemenl, parfois, de ne l'ôlre pas à Dieu. Mais, sans poursui-
vre ici des raisonnements superllus , laissons parler l'Eiritnre;
elle est assez explicite ;'i cet egaid. La raison souveraine vous le
il) 1,1! sci-diid ineinbrc lie la proposition n■c^l >rai que fccundum quid.
LE SALUT GRATi;iT KT M. I)K HKIM» SAT. 203
(lil avec toiUc l'anloiilé (|iii lui apparlicnt : Nul ne peut servir
deux maîtres ; il minera l'un et il haïra l'autre . Celui qui aime
le monde, V amour du Père n est point en lui. Lo Tiès-Haul ne
soullre point de partage. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de
tout ton cœur, de tonte ton âme et de toute ta pensée. C'est là le
premier et le plus grand commandement ; et il ne peut pas ne pas
l'êlrc. Oui , changer son cœur, le donner tout entier à Dieu ,
voilà le premier trait de la sanciilicalion chrétienne. »
2" Le second irait de la sanciilicalion clirélicnne selon M. Mar-
tin, c'est d'agir en conséquence du changement du cœur, c'est
de montrer son amour par ses œuvres..., c'est l'obéissance aux
coniinaridcmenls de Dieu, c'est robcissance à tous ces comman-
dements, c'est la sainteté entière. « Je ne veux pas dire, ajoute
très-bien M. Martin, que la sanctification ne soit pas nécessaire
au salut ; j'ai prouvé trop hautement le contraire par toute l'E-
criture. Je ne veux pas dire que la sanctification chrétienne ne
soit pas telle que je vous l'ai présentée, c'est-à-dire, selon le
Christ lui-même, la sainteté parfaite; elle ne peut pas être au-
tre chose. Mais il y a bien de la différence entre dire, qu'il faut
absolument faire des œuvres pour être sauvés , ce qui est très-
vrai, et dire que si l'on manque à quelques-unes, on est irrémis-
siblement perdu , ce qui est très-faux. Il y a bien de la diffé-
rence entre dire , qu'il ne faut jamais s'arrêter dans le chemin
de la sanctification, jamais croire qu'on a fait assez pour Dieu et
son salut, mais qu'il faut toujours, au contraire, tendre au but
qui est la perfection chrétienne , ce qui est très-vrai ; et dire ,
qu'il n'y aura de sauvés que ceux qui seront parfaits dès ici-bas,
ce qui est très-faux. »
Puis, après des pages très-remarquables sur les œuvres faites
par amour pour Dieu et par le désir de lui plaire, il ajoute :
« Mais vicns-je vous dire par là : Soyez certains de votre salut?
Ah ! à Dieu ne plaise que je vous le dise, je vous tromperais !
Saint Paul lui-même avait peur d'être rejeté; et c'est lui qui nous
avertit que nous ne sommes sauvés qu'en espérance. Vous ne
pouvez être assurés de votre salut , que si vous êtes assurés de
voire persévérance ; eh ! que de sérieux avertissements dans
l'Écriture pour nous tenir en crainte à cet égard. Que d'exem-
ples on a pu voir de disciples de Jésus qui se croyaient fermes et
2Ui Lh SALI 1 (.HATl H Kl M. l)i: UKMI SA1. "
qui iont tombés. Je ne puis donc dire au chrélicn qui se ton\or-
lit, .|ut' tr que lui (lis:iii rapùlrc des gentils: iVe f enorgueillis I
point, mais crains. Considère la bonté et la sévérité de Dieu, sa
sévérité à l'éyard de ceux qui sont tombés, et sa honte à ton égard,
pourvu que tu répondes toujours à cette bonté : autrement tu se-
ras aussi retranché. El alors , ajoute saint Pierre , cette dernière
condition devient pire que la première. A Dicn ne plaise, encore
une fois, (pie je elierclie à vous jeler dans une sccuriie (|ui pour-
rail vous perdre ! »
Le résumé de ces pages, c'est, selon M. Martin, «qu'une
» sanctiiicalion imparfaite, si c'est imolontairement qu'elle resie
» telle, n'enqiêcliera pas (pie vous soyez sau\és. >
Si nous avions le temps, nous prouverions que toute cette le-
çon est la lélialtiliialioii du libre arbitre t'i des o'uvrcs dans la
sancliHcalion de riioimne ; qu'elle leiahlit l'Iiumilité et la crainte
de Dieu dans les âmes, qu'elle arrive à la distinction des péchés
graves et des |)éclies véniels, et inccssanmienl aussi à la doctrine
du puri^aioire. Le germe y est.
Mais c'est surtout dans la confcrenee intitulée : L'homme dans
l'œuvre de la sanctification, ipie M. Martin porte le dernier couj)
à « Vépownntnble » justiliealion ealvinisle.
C'est un écrivain hors ligne que celui <pii , à renctmtre des
esprits superficiels cjui croient tout savoir et qui méprisent «e
qu'ils ne comprennent pas, a su se défier de ses forces en son-
dant les grands nivsières des rapports de Dieu et de l'homme, et
respecter les grandes luttes de res|)rit humain si dédaignées par
la h'-gèreté et l'ignorance de notre siècle. Je cite avec plaisir les \
pages suivantes : » En effet, à celle question, i]ui paraît d'abord i
simple, se trouvent inevilablemenl lices les «pieslions les plus
dillieiles, les plus profondes, les plus redouiables. Nous abor-
don un terrain hériss»' d'obstacles, sem('' de précipices cachés ou
découverts, et oii nous marchons sans cesse entre deux abimes,
la liberté humaine et la grâce divine. D'un côté l'action la plus
mystérieuse, les décrets les plus insondabh'S du Très-Haut, pro-
fondeurs inaccessibles à la pensée <le riionime. De l'autre, l'es-
sener n»»*ine de l'esprit hinnain, les nionvt iiienis les plus intimes
de 1 .'iint , profondeurs <pii ne sont guère mieux connues que ccl-
LK SALIT (illATITT KT M. 1)1. lllbUSAT. 205
les (ic Dieu. Va cr (iiu; nous cliercfions, ce sont les rapports qui
unissciU CCS deux mystères.
» Si je in(^ lias;ird:iis à vous jinrlcr ici des innombrables diffi-
cultés dont on s'est pn'-occupé à l'occasion de la grâce, si je vous
demandais d'oxamincr et de résoudre (;e qu'il l'aut comprendre
et ce qu'il faut croire sur la grâce prévenante, la grâce suHisante,
la grâce ellicace , la grâce universelle, la grâce irrésistible et
bien d'autres... je risquerais sans doute de faire naître dans mon
auditoire , si ce n'est un sourire moqueur, du moins un grand
éloiiiuinient de u>e voir ressusciter tant d'incompréhensibles sub-
tilités scliolastiques , si parlaiienicnt inutiles et si parfaitement
oubliées.
» Et cependant, sous ces noms dédaignés, je ne ferais que vous
demander d'examiner et de résoudre si Dieu est juste, si Dieu
est saint, si Dieu est bon , si Dieu connaît tout, si l'homme est
libre , s'il peut se sanctifier et se sauver, en un mot , je ne ferais
que répondre à votre question. — Sous ces noms dédaignés, je
ne ferais que rappeler ces luttes gigantesques de la pensée où se
trouvaient engagés les intérêts du monde et où de si grands noms
se sont illustrés, Bossuet et Leibnitz, Pascal et ses adversaires,
Luther et Calvin, Rome et Genève, toutes les églises de la chré-
tienté, la grande philosophie dil moyen âge, et vers les premiers
siècles, saint Augustin et Pelage. — Sous ces noms dédaignés,
je ne ferais que répéter les problèmes que discutaient, bien
avant le christianisme, les Platon, les Aristote, les Épicure, les
Zenon et toutes les écoles de la Grèce païenne. El si je prête
l'oreille aux échos affaiblis de ces philosophies primitives nées
dans l'antique Orient , c'est encore de ces problèmes qu'ils me
parlent. Car, sous ces noms dédaignés, sont des problèmes qui
tiennent à la racine même de l'âme et des destinées morales de
l'humanité; tellement que, de nos jours encore, les philosophies
les plus excentriques, les plus dégagées de toute entrave divine
ou humaine, les rencontrent, quoi qu'elles fassent, s'en préoc-
cupent et les résolvent. — Qu'est-ce donc qui peut justifier le
rire des moqueurs sur ces noms dédaignés? Leur ignorance ou
leur légèreté. »
La thèse de M. Martin, dans cette conférence, c'est de prouver
•200 I.E SAM I I.KA7I II 11 M. DK RKMlàAT.
<jii«- I lioinim: est libre cl responsable de sa sancliûcaiion ; il y
p'ussii farilcmnit (>ar \c rnisotiiictncnt vi par l'Écrituro; oi pre-
scniaiil aussilôl le s\tème de la predesliiKilioti cahinisie, il s'ex-
prime ainsi : « Cette doctrine enseigne que tous les hommes
naissi'tu dans le pèche et la condamnaiion, et «piils y restent et
y resteront, (]Uoi (]u'ils fassent, (piui (|u ils veuillent; que Dieu
jette chacjue année sur ce globe des millions d'iHres pour celle
affreuse destinée ; que tous ces êtres sont, quant à la sanctifica-
tion et au salut, des cadavres, qui ne peuvent prendre vie que
par le secours de Dieu , et que ce secours, l)i»'u le leur refuse.
Seulement, dans ce vaste cimetière d'Ames immortelles, Dieu en
prend quelques-unes, indépeiid;iniment de louie (cuNre et de
toute dis|>osiiion de leur part, et il leur communi(|ue sa grûce.
Mais, même alors et depuis lors, ces ûmes ne font rien; elles
n'ont pas la moindre sanetilicaiion qui leur soit propre, quelque
imp;nfaite fju'on la suppose ; Dieu fait tout en elles : c'est même
nue sanclificalion e'iîingère <|n'il leur inq)Ute. — Au milieu de
si inconcevables erreurs, il y a <pielques vérités. Par exemple :
riiommc ne peut rien s:»ns le secours de Dieu, c'est vrai ; mais
ce secours, il peut toujours l'obtenir. Le monde gît dans le pé-
ché et la condamnation, c'est vrai; mais, avec la volonlé libre
et la spontanéité de Tàme , tout s'explique : c'est l'homme qui
est l'auteur de son |)éché et d(! sa perdition. Sans cela , t'est
Dieu. >
M. Martin appelle encore ce dogme calviniste : « Cet affreux
SACRIFICE «le l:i liberté liuin;iine — celte nniOE perversion «les
Écritures ce tekiuble do^me — » « Sur (pioi , ajoute-l-il ,
nous fondrions-nous , enfin , pour enlever à l'homme sa liberté
morale? Est-ce peul-tUro sur l'Iùriture? Oui, il y a trois passa-
des diflicilcs sur ce sujet dans saint Paul. Mais il est impossible
d'oublier, à celte occasion , l'averiissemenl de l'apôtre saint
Pierre, «juand, parlant aussi des mystères cachés de la volonté
divine, il rnppelle ce ipie dit sur ce point .«o/i frère hien-nimé
Paul, qui écrit dans toutes ses épitres selon la sagesse qui lui a
été donnée lorsqu'il parle de ces choses; mais, entre ces choses,
ajoulc-l-il, tV y en a de difficiles à entendre, dont quelques person-
nes iqnornntes cl mal affermies thtnurncnt le sens. F'renons ^'nrdo
m; SAi.i T «jnATMT i:t m. or. hicmusat. 207
(le n'i^li'c |):is (U- ces ixrsomics; c'osJ iiii nvcilis.sciiK'iit sôricnx
pour toul lo nioiicle. I.cs passngcs cloiil il s'aj,'it peuvenl s'expli-
(pi(M- d'iiiK" manière saiislaisanto , sans recourir à un systôm»; de
pi'cdcstiiialion (pli n'a ctc l'orinulé qno bic^n (l(;s siècles après l'a-
|tôire. Mais, (piainl nous no pourrions pas les expliquer, coni-
nuMii renverseï-, par trois passaj,'es oitsenrs , loulc l'Écrilure, si
claire eisi peremploire sur la liberté de riioinnKî ? Quelle étrange
mélliodc d'interprétation I et où n'irail-on pas ainsi? Oui, toute
ri-lcrilure, d'un bouta l'auire, lait appel à la libre volonté de
riionime ; car «n'est-il ()asévidentquc, quand Dieu nous dit : que
» votre volonté se porto à ceci et ne so porte pas à cela , il nous
» montre que nous avons un libre arbitre , dont il veut que nous
» usions bien. » Mais, poiii* l'aire sentir toulo la force de l'Écri-
ture sur ce point, il l'audrait, en vérité, la citer tout entière. »
Enfin , M. Martin , dans la cin<|uième conférence, se propose
d'établir « l'action pleine et entière de la grâce divine aussi liau-
» temenl et aussi franchement (ju'il a établi lo libre concours de
» riiomme dans l'œuvre de la sanctification. »
«La volonté de l'homme, dit-il, est libre et doit nécessaire-
» ment concourir à l'œuvre de la sanctification; mais elle est in-
» capable d'opérer seule et par elle-même la sanctification. »
«Oui, s'écrie M. Martin, le péché , voilà ce qui mine notre vo-
lonté et lui enlève sa force pour le bien , comme un ver caché
dans la plante et qui la dessèche; le péché, celte terrible mala-
die de l'âme humaine, qui ne lui ôle pas , sans doute, le souve-
mv du bien précieux, qu'elle a perdu, la santé morale, qui ne lui
ôle pas même le désir, mais qui lui ôle le pouvoir de la recou-
vrer. Quel homme sérieux, s'il prèle l'oreille , ne peut entendre
celle voix au fond de son cœur? J'ni la l'olonté de faire le bien,
mais je ne trouve pas le moyen de V accomplir . Je prends pourtant
plaisir à la loi de Dieu, selon V homme intérieur; mais je l'ois
une autre loi dans mes membres, qui combat contre la loi de mon
esprit et qui me rend esclave de la loi du péché. Quelle vérité!
quelle connaissance du cœur humain ! quelle profonde philoso-
phie dans ce passage de saint Paul ! »
El non-seulement la grâce est nécessaire, mais « la grâce jore-
vient tous les hommes; ^ et M. Martin l'établit par l'Écriture et
906 LE SALIT (.RATl n II M. I>K RKMISAT.
licrase \c cruel système calviniste qui ne faisait mourir Jésus-
riuist (jut' pour un nombre fixe et préci«''(eruiiné de pri'deslinés.
Enlin il prouve (juc la grâce n'est pas irrésistible, mais suffisante.
oCcla est nécessaire, dil-il, ptiistpic si l'Esprit de Dieu nous con-
traignait au bien, nous cesserions d'êlre libres. Notre obéissance
deviendrait semblable à celle de l'astre qui suit, et suivra jus-
qu'à la lin des si«'cles, la ligne qui lui fut tracée dans l'espace;
c'est-à-dire que nous tomberions dans la classe des choses , au
lieu de demeurer dans la classe des êtres, des êtres moraux, tels
que Dieu les voulut dans sa sagesse et sa bonté. — Au reste ,
l'Écriture est positive à cet égard. Elle nous dit , en tout autant
de termes, que l'homme peut résister au Saint-Esprit. » Et non-
seulement on peut résister à la grâce, mais « la grâce est sulli-
n santé pour (juiconque veut suivre ses inq^ulsions, et elle croit
» en lui à mesure qu'il en use mieux... La grâce, ajoute M. Mar-
» lin, produit ainsi et développe dans l'âme tout ce que Dieu de-
» mande, le repentir, l'amour, la sainteté, eu un mot la foi et les
» œuvres , ces impérissables conditions du salut. » En6n il ter-
mine par ces paroles : « Quoi qu'il en soit de nos explications
plus ou moins complètes, plus ou moins heureuses, il n'en reste
pas moins certain que les deux principes sont également vrais :
il faut, pour la sanctification, l'action entière de l'homme et l'ac-
tion cnlière de Dieu. Ce sont là les deux faces de la conversion ;
elle a son côté divin comme elle a son côté humain. Déterminer
leurs contours et leur exacte proportion , c'est inutile et c'est
impossible; mais il faut les reconnaître tous les deux. Nier l'un,
l'aflion divine, c'est tomber dans le stoïcisme antique ou le pé-
lagianismc moderne ; nier l'autre, l'action humaine, c'est tom-
ber dans le fatalisme antique ou la prédestination moderne; les
accepter tous deux , sans vouloir les mesurer et les déûnir, c'est
la vérité. »
Je laisse, comme beaucoup moins saillante, la dernière confé-
rence, sur le d<''veloppemcnt et les résultats de la sanctification.
Le développement, selon M. Martin, a lieu par la vigilance et la
prière ; les résultats sont le bonheur ici-bas et le bonheur du
ciel.
Tel est le système de M. Martin. Je le demande, au milieu
I.K SALLT GRATIIT KT M. DK BÉMUSAT. 209
des hésitations d'un esprit individuel, qui ne croit pas à son in-
faillibilité et qui avoue francliemenl et humblement qu'il tremble
en présence de dillicultés et d'abîmes; au milieu des erreurs,
des contradictions cl des inconstMiuenccs d'un système néces-
sairement incomplet, puisque les deux thèses de l'Eglise et des
sacrements l'ont défaut ; au milieu des exigences d'un enseigne-
ment à Genève , sous l'œil de sectes dissidentes et hostiles ; je
le demande, le livre de M. Martin n'est-il pas un événement?
N'esi-ce pas le vieux calvinisme et le méthodisme actuel ruinés
par leur base? ^'est-ce pas un fait nouveau et grave que la réha-
bilitation du libre arbitre de l'homme , de la foi , de la grâce et
des œuvres? N'est-ce pas un pas sérieux vers le catholicisme,
puisque M. Martin arrive précisément à plusieurs des solutions
du concile général de Trente , et que plusieurs de ses définitions
dogmatiques, plusieurs de ses propositions théologiques et mo-
rales sont entièrement conformes à la doctrine catholique? Il y
a donc un point de contact , un point de départ pour l'examen ,
la discussion et le rapprochement. Du moins pouvons-nous dire
que nous avons trouvé un adversaire sérieux, et j'oserais presque
dire avec lequel il y aurait du charme à se mesurer.
M. Martin croit avoir rendu un grand service au protestan-
lisme en le dégageant de « 1 'épouvantable » doctrine de la jus-
tification calviniste. II a raison dans un sens; mais avec sa sa-
gacité, et son livre fait foi qu'il n'en manque pas, comment ne
voit-il pas qu'il a sapé l'édifice par son fondement, et qu'il a
accéléré le courant vers le pélagianisme ou vers le catholicisme?
Calvin, à qui cependant M. Martin rend des hommages obligés
d'admiration, est détrôné, et il est détrôné à Genève par un mi-
ni&lre de cette J^énérahle compagnie des pasteurs de Genève qu'il
avait fondée; son système n'est pas même relégué dans rou])li,
il est déclaré à la face de Genève « épouvaintable , » et cela au
milieu d'un auditoire genevois qui applaudit le démolisseur de
l'édifice de Calvin. La prédestination absolue s'écroule; le salut
gratuit de par Calvin s'écroule; la négation du libre arbitre de
l'homme s'écroule ; la foi sans la sanctification ou les œuvres
s'écroule ; et aujourd'hui dans Genève, chaque protestant aurait
honte d'avouer qu'il croit Pt qu'il pratique « I'épouvantable. »
14
ojo I K SAM T <;nATrn i t m. i>f. rk.misat.
l/infaillil>ilit(- ilti iiiaiirc disparaii; rinlaiHihilit/; do lu ruisnii in-
dividuelle disparaît; l'inrailliliililé du libro examen dispaïaîl ;
rinfaiHihilité de rinspiraiion du piéliste disparaît; il ne reste
dehoiil , invaria])le et pur, que la inéc.essité de l'aulorilé el de
rinfaillibililé de l'Éj^lise catholique; la <livinité de la sainte pa
rôle de Notre Seif^neur .lésus-Clirist. I/liomme justifié gratuite-
ment par la grâce et par la rcdeinplion de Jésus-Clirisl (1),
riiomme justifié par la foi... l'homme justifie, non-seulement par
la foi, mais aussi par les œuvres rendues méritoires par la foi et
par la grâce qui les vivifient —
A.
(I) Rom. [II. ^U.
w.KH VAC uoiM nv no\K^ AC>ii:
u'aprls m. herzog (1).
Ch. II. (H. Mv. l, r,li. II.)
■littérature vaiicloise. Sou berceau et son antiquité.
La littérature vaudoise, depuis l'origine de la secte jusqu'à la
Réforme, se réduirait à fort peu de chose, si nous en croyons les
écrivains catholiques du moyen âge. Quelques traductions delà
Bible en langue vulgaire, auxquelles Vaido aurait donné la pre-
mière impulsion ; des extraits, rangés sous des titres communs,
de S. Augustin, S. Jérôme, S. Ambroise et S. Chrysostôme ; un
petit nombre d'essais, plus ou moins heureux, de revêtir d'une
forme poétique des sentences empruntées aux docteurs de l'É-
(1) Il n'est pas nécessaire di; prévenir nos lecteurs que le ton du présent
article et de ceux qui suivront, nesl pas celui qui caractérise l'ouvrage de
M. Herzog. En protestant loyal et qui sait respecter toute conviction sin-
cère, le professeur de Halle ne s'abaisse jamais, il est vrci, à ces mesquines
déclamations à l'endroit de l'Église qui défigurent malheureusement des tra-
vaux, d'ailleurs méritoires, de plusieurs de ses coreligionnaires ; mais il n'en
est pas moins un grand apologiste des principes de la réforme.
212 I.KS V.Vl IHMS 1)1 M<tVr.N A(ii:.
^'lisr, «i siiiioiii à r('vtV)ut' d'Hipponc ; telles seraient, selon eux.
les seules œuvres littéraires que riién'sie vnudoisc aurait enfan-
tées peiulaiit les trois |)i"<'nii<'rs sirclesct jtius (j(^ son existence (I).
Les premières années du sei/iéme siècle devaient-elles être plus
fécondes? Ce n'était guère probable, vu l'extrême ignorance du
clergé vaudois à cette épo(|ue. George Morel écrivait, en 1530,
au réformateur OEcolampade, que les Vaudois de son temps dont
rinleutiou était de se vouer à l'étal ecclésiaslicpie, ne connais-
saient pas même l'alpliabei. « Un leur enseigne d'abord à épc-
ler, disait-il, et une lois (|u'i!s sont parvenus à savoir lire, on
leui' l'ait apprendre par cœur les évangiles de saint Jean et de
saint Matibieu , les épîtrcs catboliques et une bonne partie des
épîtres de saint Paul. »
Il faut être juste, ce|K'ndanl. Les liistoriens cadioiiques anté-
rieurs à la réforme se sont sûrement trompés en donnant à la lit-
térature vaudoise des premiers siècles d'aussi maigres propor-
tions. Non pas (jue les assertions de Perrin (2) aient grand droit
à notre conlianee, car Periin était tort intéressé dans la partie;
et, d'ailleurs, il faisait trop bon marcbé de l'épitbète de ri"«/j: li-
vres. N'appelait-il pas fort vieux un ouvrage dans le(]uel se
trouve cité Laurent Valla, ce philologue tant connu du quin-
zième siècle! Mais il n'est pas du tout inipr<»l»al)le, comme le sup-
posait déjà le savant auteur des Centuries de Mnfjdebourg, ¥\.\-
cius lllyrieus, <pie des éeiits vaudois aniérieurs au sci/ième sièlo,
se fussent «'-garés dans le trouble des persécutions. Ils se seraient
retrouvés plus lard, en paitii," du moins, puis«|ue, selon M. Her-
7.0g, (piebpies-uns des itianuscrits vaudois i\uo nous possédons
actuellement prcnèdent de «piebiues années l'i-poque de la ré-
forme.
Quoi qu'il en soit, la révolution religieuse du seizième siècle
(1) V. Etienne de Bourbon, lic scptcm donis Spirilus suncli dans la cullcc-
tio judictorum de Duplcssisd'Argenlié. Paris 17i8. I, S.")!)! ; cl Yvonct, trac-
talus de hœrcxi pauprruin di l.ugduno in Martene cl Dur. thés, anecd. T.
V. f. ^78 .sq.
(2) Son ouvrap;e parut à (ienèvc en IGlHet lf>l'.>. Il conlicnt trois parties;
la première traite de {'histoire des Vaudois, la seeonde de celle des .Mbi^joois :
«ians la troisième se trouve tin recueil de document?.
I.I.S VA! DOIS I)t MOVKN AGK. ^lij
inipiiina à raciiviic liiioraiie des Vaudois un nouvel essor. Ils se
virent alors dans la néccssilé d'appnyer sur dos documents leur
pr('l(;nlion à une liaule auiicpiilé (1), cl leur assertion tant soit
peu hasardée, i\\w réglise vandois(î antérieure au seizième siècle,
éiait déjà en pleine possession des doctrines professées plus tard
par la réforme. Ils se mirent à publier, en conséquence, force
livres qu'ils liront passer pour des productions de vieille date (2).
Quel(iues-uns des documents publiés par Perrin et S. Léger ap-
partiennent à celte catégorie.
Quelle est l'origine religieuse de la litléraiure vaudoise telle
qu'elle nous est parvenue? Ne se eomposcrait-elle que d'écrits
Iiussitcs, surtout taborites, traduits ou retouchés? C'est ce que
M. Herzog croit pouvoir hardiment allirmer d'une notable partie
des œuvres de la secte vaudoise, mais non de toutes sans excep-
tion, comme le veut M. Dieckhoff. En effet, celles qui sont em-
pruntées aux Hussiles, se distinguent des autres par un type tout
particulier. Elles présentent un caractère didactique très-pro-
noncé. De nombreuses citations des Pères de l'Église, accompa-
gnées souvent de l'indication des livres et des chapitres d'oîi elles
ont été lirées , leur donnent un certain air d'érudition que l'on
chercherait vainement dans les autres. L'oppostion contre l'É-
glise y prend un ton plus tranché; le slyle même en est souvent
différent et rappelle celui de la scholastique du moyen âge. Les
autres écrits se ressentent aussi, il est vrai, des idées taborites,
mais il est possible qu'ils aient été seulement retouchés sous
l'influence des doctrines professées par les frères bohèmes. En ad-
mettant comme vraie cette hypothèse de M. Herzog , il faudrait
reconnaître qu'il existe dans la littérature vaudoise une classe
d'écrits antérieurs à l'introduction dans la secte de l'élément
hussite.
(i) Voyez, sur les causes qui ont porté les Vaudois et les protestants à
s'attribuer une plus haute antiquité qu'ils ne Font, Tintéressant chapitre IV
des Recherches historiques sur la véritable origine des Vaudois , de Mgr
Charvaz. Paris 1836.
(2) C'était là aussi, on le sait, la grande manie de l'époque. On aimait tant
alors, en Italie surtout, donner un air de vétusté à des œuvres toutes moder-
nes î
•il » i.KS \ \i i»<»i> Di .>i(»VK.> a«;k.
l'n Miiiv |>roblt;me à lésoïKlir , <i (|iii n'ollre pas de minces
«lillirnUés, esl celui du berceau de la lilicraïuie vaudoise. Où
;i-l-('lle pris naissanco? CUo/ quels Vaiidois? (ilie/ ceux du Pié-
iiioiil, de la l'niNcnce mu du |);iii|>liine? Avant d'ahorder celle
quesiitiu. rappelons un laii impoi tant ei que ikhis avons signale
dans notre précèdent arli<le, c'est que les léj;ères différences
enlre la langue des docuuienls vaudois et celle dos Irouhadours
nous obligeui d'admettre , avec Haynouard et Diez , que la |)re-
mière ne peut être tprun idiome , un dialecte de la lan^'ue pro-
vençale.
Il est tout clair que le problème pos»- par M. Herzog devait
paraître au moins oiseux à l'Iiislorien Perrin. (détail pour cet
«•crivain un article de foi que les Vaudois avaient habité les val-
lées du Piémont de temps immémorial. Il ne se permit ja-
mais le moindre doute à cet égard. Comment donc supposer un
instant que la littérature vaudoise tût née sur un autre sol ,
(prelle ne fût pas originaire des f allées? Les historiens vaudois
depuis Léger (1) ont prétendu <|u'il existait eoire la langue ar-
luelle des Vaudois du Pié-mont et celle des anciens documents de
la s(>cie, des an-.dogies telles, (ju'il n'était pas permis de douter
de leur identité. Lue conlVonlatinn minutieuse, et faite avec ("e
tact philosophi(|U(> (|ui le distingue, enlre l'idiome moderne vau-
dois et celui des manus( rils , a cf)nvaincu M. Her/og que cette
opinion était dénuée de tout fondement.
Lue autre circonstance le porte à croire que le dialecte parlé
dans les vallées vaudoises du Piémont n'est point celui des ma-
nusciits. Les décisions du synode d'Angrogne sont écrites dans
une langue qui se rap|)roche singulièremenf de l'italien. Or,
{l) Jean Lojîcr. aiiU'iir. au iJix->>0|tlièine sièi-le, cIHih' Histoire genèrnk
fies rylisrs du Pivmiinl. Climlcs Huila , i]iic jiersoiiiu' ne taxera tl'injusliic
•■nvrrs les iicn-lHiiios, le traite de brouillon, tVlumunc pervers, incorrigible.
«le iTrti lyran el i]c,inenleur. Sluria d'itniia, T. VII. L.XXV. V. Mgr Char
\a/., flecherches, clc. p. 10. Il ne faut pas le roiifondre avec son oncle An-
toine Lc^er, pliil(>l'j|;uc d'un ^rand mérite , el qui , dans le bul d'un rappru-
ilu-nienl enlre réj;li>c nrce(|iie el léglisc réformée, entretini avec le palriai
ehe (ImIIIo I.uiar ime ronespondanie «ini a clé en partie pid>liée par J. .\\
mon. dan^ le-. Miitiiimnilf: dr lu rrlifiinii des (irees.
LES VAIDOIS l) 1 YlOVIùN AGK. 215
nous savons (jue ce synode l'ut convoqué ;\ l'insligaiiou des Vau-
dois tVanvais, dans le hiil d'engager ceux du Piémont à embrasser
la réforme. Les Vaudois piémonlais durent naturellement former
la majorité des assistants. (",e fui eonséquemment dans leur
idiome (jue se n'-digèrent les décisions du synode, à moins de
vouloir admettre, contn; toute probabilité, qu'on eiJl sacrifié la
langue de la majorité au désir de complaire à une petite fraction
de Vaudois italiens accourus du fond de la Calabre et de l'Apu-
lie pour prendre pari au synode.
On pouirait oitjecter à cela que le dialecte vaudois, l(d (ju'il
se parle de nos jours, et dont nous possédons un spécimen dans
la traduction de l'ancien poème du Novel Sermon, publié par
M. Hahn (H, 701), et dans le Sent évangile de nostrc Seigneur
Gcsu-Christ counfourma Sent Luc e Sent Giann, rendu enlengua
Faldesa par Bert (Londres, 1832), est totalement différent de
l'idiome des arrêtés du synode d'Angrogne. Mais entre ces deux
traductions et le synode, il s'est écoulé un espace de trois siècles,
et, d'ailleurs, les deux spécimens en question ne représenieul
qu'un des paiois des Fallées.
Il est donc à peu près certain que les documents vaudois qui
ont été conservés ne sont pas originaires des Vallées. Quel est
donc leur pays natal? Vouloir le déterminer d'une manière pré-
cise, est chose impossible ; mais le manuscrit de Dublin qui con-
tient, à côté des décisions du synode d'Angrogne, les transac-
tions de George Morel avec les réformateurs OEcolarapade et
Bucer, jette au moins un grand jour sur la question. En effet,
ces transactions sont écrites dans la même langue que celle des
documenis vaudois. C'est là un fait hors de toute contestation.
Or, Morel , nous le savons , était natif de Traissinières , en Dau-
pbiné. La langue qu'il parlait ne pouvait être eonséquemment
que celle des Vaudois de la Provence et du Dauphiné. Ajoutez à
^cela que la plupart des anciens écrits de la secte, ainsi (|u'un
exemplaire vaudois du Nouveau Testament, ont été découverts ,
au seizième siècle, dans la vallée de Pragelas, qui fait partie du
Dauphiné.
Passons maintenant, avec M. Herzog, à la question d'antiquité.
D'une part les différences peu sensibles (jue présente , sous le
2l(» I.KS VAlDulS UL MUYF.> AL.K.
rapport do la langue, le lexie dos négociations de More! , com-
paré à celui des autres productions de la littérature vaudoise ,
et, «le rauiie, les nuances légères (pii disiingtieiit les écrits em-
pninlés à la secte des lahoriies de ceux (pii datent d'une épo«pie
antérieure, feraient croire, selon lui, (pie la litli'-ratnrede la secte
vaudoise ne remonte pas, en général, au-delà du (|uinzième siè-
cle. D'un autre côté, cependant, elle présuppose évidemment un
degré de culture (pii n'est guère en harmonie avec celle des
V^uidois de cette époque, car l'ignorance que G. Morel repro-
chait, en 1530, à la grande masse des \'audois de son temps,
caractérisait aussi fort probablement ceux du siècle précédent.
La liuérature vaudoise, en effet, nous transporte au sein d'une
civilisation llorissanle. Il y est fait mention de richesses considé-
rables plongeant les habitants d'une nature exubérante dans tou-
tes les délices de la vie sensuelle; de cantadors faisant retentir
les airs de leurs chants mélodieux ; de contrées où fleurissent le
commerce , la science et l'art ; où les sages de ce monde $avi
d'aquest mont) étalent pompeusement les trésors de leur élo-
quence et de leur érudition. Comment concilier un pareil étal
de choses avec cette espèce de barbarie qui dégradait, au quin-
zième siècle, les V'audois de la Provence, du Dauphiné et du
Piémont? Comment penser que ceux-ci eussent dé capables de
traduire le Nouveau Testament en entier, de composer surtout
des l'crils <pn r(''vèlent une connaissance passablement étendue
des Pères de l'Église? Cette objection ne manque pas d'une cer-
taine portée; cependant il n'en faudrait j)as inH-rer que la litté-
rature vaudoise appartient à une époque antérieure à r«''tablis-
semenl des Vaudois dans les vallées et sur les hauteurs des Alpes
Cotliennes, c'esl-à-diie au treizième siècle. Pour que celle hy-
pothèse fût vraie, il faudrait admettre que, dans le long <ours de
«leux siècles , le dialecte vaudois n'eût subi que des altéraiions
coni|)arativement très-légères.
I.KS VAIDOIS Ut MOVEN Mil.. 217
Cil. III. fil. II. L. Ch. I.
Orijçiiic «lu nom «Ick Vnu«loiA». liCiiri» «loctrluem
aiitériciirciMent à riufliicnce liussite.
Nous avions promis à nos lecteurs de ne pas les retenir trop
longtemps sur le terrain des manuscrits vaudois. Nous ferons
plus, nous ne disons pas mieux; nous sauterons à pieds joints
tout le troisième et le quatrième chapitre qui terminent le pre-
mier livre de l'ouvraye de M. Herzog. Nous l'avouons, il nous en
coûte beaucoup d'abréger de la sorte; car les soixante et quel-
ques pages que ce savant théologien protestant a consacrées à ce
que nous pourrions appeler un catalogue raisonné des manuscrits
vaudois, constituent évidemment la partie essentielle, la base
même de son travail sur les Vaudois du moyen âge. Elles n'of-
frent pas seulement un vif intérêt aux amateurs de vieux parche-
mins, elles sont indispensables à connaître pour quiconque veut
apprécier la nature , la validité des arguments dont notre auteur
s'est appuyé pour démontrer l'architecture toute moderne du
temple vaudois. C'est donc à contre cœur, nous le répétons, que
nous les passons sous silence ; mais comment faire un triage
parmi tant de matériaux , quand chacun d'eux est nécessaire à
la construction de l'édifice? Et, d'ailleurs, serions-nous bien sûr
d'être goûté du public entier des Annales? Laissant donc à ceux
qui seraient tentés de connaître de près la forme, le caractère,
làge, le contenu et jusqu'aux vicissitudes de fortune des archi-
ves vauddises , le soin de recourir eux-mêmes au texte original ,
nous transporterons nos lecteurs sans plus tarder au sein même
de la secte. Selon M. Herzog, trois époques bien distinctes ca-
ractérisent son histoire : l'époque antérieure à l'influence de
l'hérésie hussite, puis celle où sa littérature est toute empreinte
!2I8 I.KS \ Al IHIIN IM M(>\KNA<iK.
(iii lype religieux des frères bohème» , et, enfin, r«'|>o<|ue de |;i
irforme, où le protescinlisnic xii-nl à son loin iiMulilicr le smh-
lidle des descendants de \ aldo.
Nous ferons pi-j-céder la première épocj^e de «piehjues obser-
vations snr rori^'iiit' tniit ((nncsicr du nom des Vuudois. Celle
ipicNiion «Myniiil()j^i(|Uf csi. on le conçoit, d'une telle importance,
<|Uf nous ne saurions l'onjellre.
(Quoique Vaido ait vécu au sein d'une société oii l'hérésie avait
<ii'j:i jeté de prolondt-s racines (1), la secte vaudoisc doit cepen-
dant reconnaître en lui son véritable fondateur. C'est de lui , et
de lui seul, (|u'elle a tiré son nom, comme le certili<-nt presqu'à
Ti naniuiite les auteurs les plus dignes de foi i\u douzième siè-
cle, les plus anciens liisloiieus vaudois; plus encore, les Vautlois
eux-mêmes (^2). Le nom qu'il |)oilc , d'une orlliogra|ilie incer-
taine (3), (pioique irès-répandtf au moyen Age, mais qui, selon
toute proltabilit»', doit s'écrire Valdes ou \ aide/, n'est point un
surnom <pii lui eût été ap|)liqué à raison de sa liaison avec des
li<-reti(pics d'une dénouiiiiatiun ideiiliipie, mais Itien un véritablt;
nom propre. Ce qui le prouve tout d'abord, c'est le (omplet si-
lenc(; <pie j^Miderit tous les écrivains callioliques de son temps
sur un fail qu'il eùl i-lé celles dans leur iiiterêl de faire ressor-
tii-, pour donner plus de poids à leurs accusations. C/Ommeni
'!) Le nianiciicisinc giioslicjiic, toujours le inèiiic dans son essence , quoi-
i|iif rovi'lanl mille formes diverses, était venu des bords de TEuplirate se
transplanter, au eomniencemenl du onzième sièrie , dans la haute Italie et
dans la France méridionale. V. Hurler, llist. du Pape Innncrnt III, etc.
!.. IV. Nicolas, Du pnilrsdmtismr, clc. p. ^>^)l cl sui\ . Paris JK.'ji. Pour le
douzicme siècle, voyez suiloul Micliclcl, llisl. de France, III, cli. VI.
(2) Les frères de Bohême écrivaient, dans la j>réface à leur confession de
foi de l'an 1573, en parlant des Vaudois : hontm eccicstœ nuxtri» muUo an
liquiora, quce nnmen hahent a H'aMo, qundam cire Lugdunensi. ut perhi-
lienl. Notez bi»'n ces derniers mots : ut pcrhibent. Ils se rapportent évidem-
mciil aux Vaudois dont il est ici question, et ne sauraient élr» équivalents
de ut frr(ur. Ce ne fut qu'à dater île la réforme, et pcut-circ sur les instan-
ces de Théodore de llèze, que les Vaudois renièrcnl leur vérilable ori^ine.
lô) NValdus, Waldius. Valdesius, Valdisius, W alilensis, Valdensis ; dans un
niauu.oerit de Cambridge yaldetm; dans celui de Strasbourg ir«W»«; Valrio
dans Pcrrin, Léger, (lillcs.
I.IS VALDolh 1)1 MO\l.> A«ii;. 219
coiK ilit-r leur ignorance à ce sujet avec l'asserlion (jue la secte
vaudoise élail coniuu^ depuis lon^'lenips aux hahiianls de Lyon,
la p:iliie de \ aldo, cl (|Uf ce lui là le inotij' piineipal pour lecjucl
l'art lievi^iiue de celle ville excouuuunia le reformateur des rives
(lu Rhône?
Mais, a-l-on dil, dans le poème de la Nobla Leyczon qui perle
la date de JlOO, il esl déjà fait uienlion des fraudes. Consé-
tjucunuenl le nom de \ audois ne peut venir de Vaido qui ligure
seulement dans l'histoire soixante-dix ou même qualre-vingls
ans plus laril. A celle ohjfclioii , si formidahle aux yeux des
pariisans de la liauie anli([uilé de la secle , M. Her/og répond :
Puisque dans ce poème il esl question des Faudès, la date de
1 100 qu'on lui assigne est évidemuicnt eironée. En effet, il saule
aux yeux (pie, dans le passage en question (t), Faudès'^si un
nom injurieux donne par les callioliques à la secle, et que celle-
ci repousse avec indignation. Nous savons , par les auteurs ca-
iholicpics du moyen âge, que les Vaudois ne s'étaient jamais
appelt'S eux-iiiêmcs de ce nom, mais se donnaient celui de pau-
peres, pauperes de Lugduno, ou pauperes de spiritu. La secle
élail conséquemment connue à l'Église au temps où vivait le
(Xièle de la Nobla Leyczon. Or, jusqu'au troisième concile de
Latran, que convoqua en 1179 le Pape Alexandre III, il n'en est
pas tait mention. Les premières traces certaines se rencontrent
seulement dans les Statuta synodalia Odonis , episcopi Tul-
lensis, de l'an 1192 (2). La date de 1100, communément attri-
(i) Nous le citons, d'après le texle correct de M. Herzog : tMa Vcscrip-
lura di, e nos a poen ver, — Que si ni a alcun bon que ame e lema Geshu
Xrisl, — Que non volha maudire ni jurar ni mentir, — ni avotrar ni au-
cir ni prerre Vautruy — ISl vcnjar se de li seo enemis, — Uh dion qu'el es
Vaides p degne e punir, k (V. 5G7-572.) C'est-à-dire : Mais l'écriture dit, et
nous pouvons le voir, — Que, s'il y a quelque bon (homme de bien) qui aime
cl craigne Jésus-Christ, — Qui ne veuille maudire ni jurer ni mentir, — Ni
comnieltrc adultère, ni tuer, ni prendre l'aulrui (le bien d'autrui), — Ni se
vcnj^erdc ses ennemis, — ils disent que c'est un Kawdès et digne d'être puni.
M. nieckholY s'appuie de ce passage pour démontrer que le poème a pris
naissance au sein des frères bohèmes, parce que ceux-ci considéraient comme
un ternie injurieux le nom de Vaudois cl n'en voulaient à aucun prix.
(2) Selon M. Ilerzog. lo Pnpc F.ucins Itl. dans son décret de l'an 1184, ne
"220 I.tS » Al «OIS DL MUYKN AM..
biici; ;iu |n)fmr vaudois , osl <Joiu- une hypothèse puretnem gia-
tuiie cl en tontradiclion ouverle avec Thisloire. D'ailleurs, la |
lan;,'ue dans laquelle est ccrilc la Nobla Leyczon osl irop mo-
dcrne, pour qu'on puisse en l'aire remonlcr la comiiosiiion aux
premières annj'cs du dojiztème siècle.
(JueUjiic variées i]iw soient les formes sons les(|nelles se pré-
senlo , depnis les écrivains du moyen ;"i^e jusqu'à nos jours, le
nom (le \audois, nous relrouvons invariablement dans chacune
d'elles la consonne d (1), ce qui rend impossible i'éiymologie
de iol (vallis) , que la tradition vaudoise, se basant sur quelques
passages isolés et d'untî anloril»' tout au moins fort eonlesial>lr,
a eliercln'' à faire prévaloir à partir de la réforme. La dt'rivalion
de Vaido a, déplus, en sa faveur, l'analogie d'une infinité de
nom de sectes.
Le premier auquel est dû l'honneur de l'étrange étymologie
que la pitqiarl des historiens vaudois , et surtout dans ces der-
niersjtemps Mi\L l'eyran. Bon et Muston, ont lente de faire va-
loir, par es|»ril de°par(i, sans doute, plutôt que par ignorance,
est en même temps [le premier écrivain qui ail traité des Vau-
dois, Bernard de Foni-Caudc (ou Font-Cald), mort en 1193.
« Dicti siint f'alilcnscna, dii-il dans son livre Jdversus Falden-
sium sectam, nimirum a l'alU densa, eo quod profundis et densis
rrroruni tenebris involvunlur. » (Jni ne voit ici, du reste, une
allusion allégorique qui n'exclu! aiiciinemcnl la possibilité d'une
inciilioniic point le nom ih* \'au(Iois. Mgi° Cliarva/ paniit ciiu'llic uik^ opi-
nioii contraire, en assurant, à propos du passage de l'altlu" de Fonl-Caudc,
que, sous I.uciuslll, iIVsl question pour la première fois du nom de Vau-
dois, et que ce Pape [prononce eireclivcmenl leur condamnalion au concile
de Vt-rone, en i 18-i (p. ÔC, 57). Les sectaires condamnés étaient-ils vraiment
des Vaudois? Il nous semble (|u'à celte époque VaIdo et ses disciples étaient
encore tolérés p;ir IKglisc. Kn| tout^cas, le nom lui-même de Vaudois n'est
pas uienlioiuié^dans le drrreltim.
(I) Les Vaudois s'appellent Vaudes dans la yobla Jxyczon; Valdes, dans
IVpIlre des frères de Bohême au_roi Ladisins ; Valdeiii cher Wallher Mapos ;
H'iidnys, dans les statuts de révé(|ue Odon, de \\9i: WnldnisfS, dans l'K-
dirluiu llde[)lionsi, Ariigonum re;;is. et dnns relui d'Ollion IV, de 1108; ainsi
que ( lii'z Kliennc <h\Uourl>on, Moneta et nnires auteurs catholiques du moyen
Age ; vaudnix enjranrais nioilerne.
IIS VA! Dr»IS ni MOYKN AGK. 2Î1
connaissance exacte , chez Bernard , de la vérilahle oii},'ine du
inol?
Il en est de même du passage de V Àntihœresis d'Eberard de
Hélhune, en Flandre, le seul aussi qui ail omis la lettre d , cWi-
demmenl ù dessein, pour donner plus ample carrière à sa ma-
nière de jouer sur les mois. « Quidam autcm, ce sont ses paroles,
qui N allensens 5e appcllant , co quod in valle lacrymarum ma-
neant. » l.e même auteur ne dérive-t-il pas aussi le nom de Mon-
lanistes de montani, les montagnards. Ces sectaires lurent ainsi
dénommés, selon lui, parce qu'ils s'étaient rf-l'ugics- dans les gor-
ges des montagnes, pour échapper aux persécutions. D'ailleurs,
de quelle autorité |>eut être celle d'un auteur qui vivait à une si
grande distance du théâtre de l'hérésie vaudoise? Certes son éty-
mologio ne saurait contrebalancer celle d'écrivains bien plus à
portée que lui de savoir ce qu'il en était de la véritable origine
de la secte. Du reste , ce (pi'il y a d'incontestable, d'après Ebe-
rard lui-même, comme l'observe très-justement Monseigneur
Charvaz, c'est que les V audois de son temps, en parlant de
vallées, entendaient par là le monde même, qu'ils regardaient
comme une vallée do larmes, et ne songeaient nullement aux
vaux et aux vallées vaudoises (1).
L'analogie du nom des Vaudois avec celui des habitants du
canton de Vaud, en Suisse , est frappante , sans doute , mais ne
conclut absolument rien en faveur de l'étymologie favorite; car
vouloir dériver, de nos jours encore, de val ou vallis, le nom de
Vaud , ce serait commettre là une bévue tout au plus pardon-
nable aux étrangers, comme l'avouait Ruchat lui-même (2).
Mais il est temps d'arriver à riiistoire. On nous pardonnera
d'avoir tant insisté sur une question de nom, en se rappelant que
ce n'est pas une question de mots, comme le dit fort bien l'au-
teur des Recherches, puisque les écrivains vaudois en font dépen-
dre celle de leur origine et de leur ancienneté.
Un vif désir de puiser à la source même de l'Évangile , désir
(1) Recherches historiques, etc. p. iôo. édit. de Paris 1836.
(2) Ruchat, Abrégé deVhist. ecclés, du canton de Vaud, p. \\l, ihIU. Vuil-
lemin. Laiis. 1858.
^^2 I.KS VAl IHll"' 1)1 M(tVK> \(iK.
(loiii l;i léalisulion lrans|Kni<' dans les ic^inris lis plus suliliiiit>s
(le l;i loi li (le r;unoiir loiilc fiiiii' liiiiiiltlniiciii soiiinisr à l'K-
^lisc, mais qui aboulit iiHvilaMciiioiii à de rnneslcs ( onsc(|U('nci's
(juaiul il proc«'de, <oiiini(' < e lui le cas dans Vaido, de vagues as-
piraiioiis religieuses el d'une conception eironi'-c de la mission
de Tespril humain dans les choses d<; Dieu, fui, sans aucun
doute, la cause première de l'hérésie vaudoise. C'est ce «juf
nous apprend, en ternies non équivoques, l'historien Etienni' de
Bourbon, de; l'ordre des Dominic ains , (pii avait passé plusieurs
années à Lyon et ( onnaissail inlimement un piètre des amis il<>
Valdo. « .indiens d'angelia , écrit-il en parlant de ce dernier,
cum non esset multum lilleratus , curiosus intcUi<jerc quid ilirr-
rent, lecit pactum cum dictis sacerdotibus, alleri uttransferrct pi
in vulgttri, alleri ut scribcret quœ ille dictilaret» (1). \ aido, pour
satisfaire à ce qu'Etienne, avec un peu de malice, sans doute,
appelle une simple curiosité , mais qui , au fond , conmie le
prouve toute la conduite de cet hé-résiarque, était h; fruit d'une
surexcitation religieuse , conclut avec deux ecclésiastiques de
l'Église romaine une sorte de traité, d'après letjnel l'un devait lui
traduire les Évangiles en langue vulgaire, tandis (jue l'autre ser-
virait de secrétaire à l'interprète. La traduction une fois ache-
vée, il s'en empara, la lut assidûment et chercha à bien se péné-
trer de son contenu. L'idé-e do s'ériger en prédicateur et de faiie
profiter ses concitoyens de ses éludes bibliques, ne lui vint |)as
dès l'abord. Il faut lui lendre cette justice, d'autant plus (|ue
l'auteur que nous venons de citer, et dont les témoignages font
auloritc', est très-j)Ositil à cet égard. Ses disciples qui, à l'exem-
ple de leur maître, se piquaient de conformer leur vie aux ensei-
gnements de l'Évangile et de les observer à la lettre, ne se mê-
lèrent pas, non plus, dans les commencements, d'endoctriner le
peuple. C'est ce (piafrume ^ vonei lui-même, <]ui n'eût pas man-
qué, si le fait eût été vrai, comme l'ont assuré quelques auteurs,
de le faire ressortir, car les Vnudois ne paraissent guère avoir été
{{) Sloplianus de Borbonc , iil de licilinilla : t.ibrr dr Vil dnnit spirihis
sanrti. IV parle, Cap. XXX. iipnil Krlhinl., T. I. p. IKiot spq.
i.KS v.\i i)»»i> IX >i(>vi:n A<iK. '2-2'.\
dans ses goùis (1). Mais la prédication ne devait pas se faire
longtemps atton<lre. Valdo et ses disciples voulaient être apôtres
en toute chose. A Texomple des disci|)les du Sauveur, ils avaient
renoncé à tous les biens de la terre. Jusque-là, l'initiation n'é-
tait encore qu'iniparlailc; comme les apôtres, il fallait aussi
prêcher. Pour le moment donc, le chef de l'hérésie vaudoise et
ses partisans se conlenlèieiit de se reunir entre eux, pour s'(;di-
lier par la lecture de la Bible, comme ces bons habitants de Me(/
dont parle le Pape Innocent 111 , dans sa lettre aux chrétiens de
cette ville (2).
Ne croyez pas, cependant, que Valdo et ses disciples eussent
eu d'abord la moindre velléité de créer une secte et de se mettre
ainsi en opposition directe avec l'Église. Leur schisme ne date
vraiment que du moment où, sopposant aux conseils du Sou-
verain Pontife et aux exhortations paternelles de l'évêque de
Lyon , ils persévérèrent à s'adonner publiquement à la prédica-
tion. Ce fut alors seulement que, au cri de : Il vaut mieux obéir
à Dieu qu'aux hommes, ils déclarèrent ouvertement la guerre à
l'Église. Leur désir de connaître les Saintes Écritures n'avait na-
turellement en lui-même absolument rien de condamnable aux
yeux de l'orthodoxie romaine (3). C'est ce que M. Herzog avoue
avec franchise et en historien sincère qui ne cherche point à dé-
(1) « Apud Lugdunum fucrunl quidam scmpliccs laïci qui, quodam spirilu
inllammati, et super ceteros de se prapsumcntes. jactabant se veile omnino
vivcre secundum Evangelii doctrinam , et illam ad iiUeram perfecto sevare.
Poslea cepcrunt ex se, ut plenius se Christi discipulos et apostoloium suc-
cessorcs osleuderenl, etiam sibi prœdicalionis ofïicium jactanler assumcrc. »
M. Ilerzog paraît altiibucr à Yvonet le Traclalus de hœresi panpcrum de
Lugduno, d'où est extrait le passage que nous venons dévoiler. Cet auteur
vécut, selon lui, sous le pape Grégoire X.
(2) Innoc. III, epist. lib. II. ep. 141.
(5) Le Pape Innocent III écrivait aux habitants de Metz qui se réunissaient
pour s'édifier mutuellement par la lecture des Saintes Écritures : « Le dé-
sir d'apprendre les Saintes Écritures et de vous édifier par leur lecture, est
certainement chose recommandable. Ce que nous désapprouvons seulement,
c est que vous teniez des réunions secrètes , qu'il vous prenne fantaisie de
prêcher, etc.» Ep. II, 141, 142. Y. Hurler, Hisl. du Pape Innocent III. etc.
Liv. 14'.
•J-2» I.KS VAI UOIS 1)1 M«»YK>" AGI:.
iKiliin 1 It's faiis |)ai esprit de syslèiut*. L'Éj,'lise ne mettait au-
mutiiH'nl à l'index, les traductions de la Bible en laii^'ue vulgaire,
lille n'exi^çeait qu'une chose , cl en cela elle aj^'issait avec une
parfaite sagesse , c'est que les versions fussent conformes à la
tradition catholique de tous les siècles. Il faut le dire, cepen-
dant, il y avait chez \ aldo (juehpie chose d'anormal et (pii faisait
pressentir en lui le fuliir no\aleur. Un sim|)l(' laKiuc comme lui,
sans instruction quelconque (1), qui jusqu'alors ne s'était occup»'-
fjuc du négoce, et cpii, tout à cou|), se sent possédé d'un ardent
désir de sonder les Écritures de lui-même, sans le secours de
l'Église, dont il ne parait jamais avoir compris la véritable mis-
sion, réalise, dansée but, un jtlan tout entier de sa conception ;
s'associe deux prêtres i)(»iir en obtenir, à ses Irais, une traduc-
tion de la Bible (Jans sa langue maternelle (2); un laïque;, disons-
nous, qui, en |»Kiii moyen âge, réunissait en lui-même tant d'é-
léments proleslants, devait inéviiablement , un jour ou laulre,
se croire appelé à réformer l'Église. II su peut, comme le croit
Monseigneur Charvaz , que l'honnête négociant de Lyon ne son-
geât d'abord qu'à fonder un ordre religieux de pauvres i>olon-
taires. Les démarches (pi'il lu au|>rès d Innocent III , quehiues
paroles à ce sujet de l'abbe trUrspeig, témoin oculaire, el le
fait qu'un grand nombre de Vaudois marquants de la secte , tels
(|ue Duiaml d'Iluesca , Guillaume de Saini-Anlonin , Bernard et
plusieurs de leurs frères, obtinrent du Pape , après avoir abjuré
leurs erreurs, l'autorisation de former une nouvelle association
sous le nom (\c pauvres catholiques (paupcrcs calholici), sem-
bleraient confirmer cette hypothèse. Cependant, qnoi(]uo Valdo,
comme saint lMan(.ois d'Assise, son conlempoiain, eût rencmcé à
toute occupation mondaine, abandonné tous ses biens, fait vnii
(i) Sine scicntia, sine lillcralura, dit Alain de llslc, Ip docteur universel
dn douzième sièch-. V. M^îp Cliiirvaz, piôros jiislificalives , n" 2. Rcinier «lit
de Valdo «]uil était aliqudnluliim liKnnlus. Il n'i-tail cependant pas cap.dilo
de lire la Viilgali-. Que ponvait êlre, au douzième siècle, un Immme de lel-
Iru qui ne savait pas le lalin !
(2) De laïques catholiques qui aient pourvu à une tradurliun de la Bible ,
Hurler ne rnnnnil que fînillanmi' le Coufiuèran» el Valdo.
l.i;S VAIDOIS in MilYF.N A(iK. 225
de paiiYiclc , i|uand des richesses considérables lui permeltaicni
de vivre dans le luxe , et cela pour se conformer littéralement
au dénùmenl du Sauveur, il n'était guère homme à fondor un
ordre de frères mineurs. Si, à la vue de cet ami qu'une mort su-
bite frappait à ses cùlés , il se lût, comme Luther, réfugié dans
uu couvent, comme lui aussi, soyez en certain, il en serait tôt ou
rard sorti pour guerroyer contre l'Église (1).
Le point de départ de la secte vautloise fut donc la Bible. Les
aulres hérésies qui pullulaieni au moyen âge , même celle des
Cathares , quoique ceux-ci s'appuyassent souvent de la Révéla-
tion divine pour donner à leurs erreurs quelque apparence de
vérité, étaient parties d'un principe différent. Quoi qu'il en soit
de l'assertion peut-être exagérée du Pscudo-Reinier, que loi
paysan vaudois savait par cœur tout le livre de Job, tel autre le
Nouveau Testament en entier, toujours est-il que les Saintes
Ecritures formaient l'occupation principale, même exclusive,
des premiers disciples de Valdo. Walther Mapes (Gualterus Map-
peus), qui rencontra quelques-uns d'entre eux au troisième con-
cile de Latran, en 1 179, raconte qu'ils présentèrent au Souverain
Ponlife im volume contenant des traductions en langue vulgaire
de diverses parties de la Bible. On aurait tort d'en conclure ,
cependant, que les Vaudois eussent, en général, une connais-
sance fort étendue des Écritures. Leurs interprétations étaient
souvent vacillantes, indécises. Il n'en pouvait être autrement.
Grâce aux disciples de Jean Huss , et, plus tard, aux réforma-
teurs, ils firent de rapides progrès dans l'exégèse biblique. Nous
parlons de l'exégèse protestante , il n'est pas besoin de le dire.
George Morel , dans les ]Sé(jociat'ions que nous avons souvent
(i) M. Herzog dit que Valdo était doue d'un esprit trop indépendant pour
devenir jamais le fondateur d'un ordre religieux. S'il entend par là l'esprit
d'insubordination aux lois de l'Eglise, nous lui donnons parfaitement raison.
Sinon, nous pourrions bien lui opposer saint Fi-ançois d'Assise. Le caractère
indépendant de ce saint, qui fut en même temps un poète sublime, ne lem-
pécha pas de créer un des plus beaux ordres dont puisse s'honorer l'Église.
Mais , tout en étant indépendant , dans le noble sens du mot, saint François
était d'une admirable humilité. Nous pensons que cette vertu manquait au
réformateur des rives du Rhône.
15
iiieniiunnces, aNuiie en lernies formels Tignorance do ses co-
religionnaires ù ce siijei, lis se penneltaienl aussi souveni de
grandes licences dans leurs ciiaiions des textes de la Parole de
Dieu. Cependant on ne saurait leur en faire un reproche, <ar les
écrivains catholiques du moyen Age n'étaient pas toujours plus
exacts.
Un Irait caract«'risti<jue de la secte vaudoise, d«''jà à l'époque
qui nous occupe, et qu'il est bon de constater, comme consii-
luanl évidemment , qnoi(|u'à son insu , un véritable antagonisme
entre elle et IKi^dise, eonïme l'observe avec raison M. Her/.og .
c'est la prédominance prescpie exclusive quelle accorde au Nou-
veau Testament sur l'Ancien. C'est ce qui ressort avec évidenre
de plusieurs passages de la Nobla Leyczon et du commentaire
vaudois du Cantique des Cantiques (1). Dans la suite, nous voyons
aussi la secte traduire le Nouveau Testament tout entier, et seu-
lement quelques livres de l'Ancien. Selon Morel lui-nu^me, les
Vaudois ne connaissaient guère que l'Évangile. Toutefois ce se-
rait donner un démenti à riiisloirc de soutenir avec Vvonet qu'ils
n'admettaient point l'Ancien Testament. Sous ce rapport, ils
n'avaient rien de commun avec les Cathares. Toutes les fois qu'ils
trouvaient moyen de le concilier avec leurs vues particulières
sur le Nouveau Testament , ils ne mancpiaient pas de l'utiliser.
Il nous reste d'eux bon nombre de sermons auxquels des pas-
sages de l'Ancit'n Testament servent de textes. Leur commen-
taire du Cantique des Canlicpies y fait de fréquentes allusions,
et, ce qui importe encore plus, leur plus antique poème, la ^'o-
H) On a cm que le commentaire vaudois du Cantique des Cantiques, au-
quel il est difficile d'assigner une date précise, nctailquune simple imitation
d'une des nombreuses interprétalions en vogue au moyen âge. M. Hcrzogesl
convaincu qu'il n'en est rien. Il ne lui trouve aucun rapport avec les célè-
bres scrnums de saint Bernard de Clairvaux sur ce sujet; et quoique l'cxc-
gèse vaudoise de ce livre divin offre , dans plusieurs détails , des traits frap-
pants de ressemblance avec les explications qu'en donnèrent Aponius, au
huitième ou neuvième siècle, Angeiomus et saint Bruno d'Asti, il ne conclut
pas cependant de là à une contrefaçon, mais trouve la raison de ses analo-
gies dans une sorte de tradition cxégctiquc du Cantique des Cantiques qui
aui-ait traversé le moyen ftpe cl servi aux commentateurs de source corn-
niiinc
IIS VUDOIS ni MOYEN MiV.. 227
hla Leycion, en parle en tonnes positifs comme d'une révélation
divine (1).
De l'assertion du mt'me Yvotiet que les Vaudois se vantaient
d'observer littéralement (ad liHcras) la doctrine évangéliquo, il
ne Huidrait pas conclure que la secte vaudoise , avant la période
de l'induence hussite, se fût attachée, dans l'interprétation des
Écritures, exclusivement au sens littéral. Bien loin de là, ils
procédaient absolument comme les callioliqucs , et mettaient ii
profil, dans rinlérél de leurs doctrines, l'interprétation allégo-
rique. Dans leurs plus anciens écrits , surtout ceux qui sont an-
térieurs à la pt'riode hussite, le sens figuré joue même un rôle
important. Ils s'étaient aussi approprié les principes exégétiques
consacrés par les docteurs de l'Église. L'auteur du commentaire
du Cantique des Cantiques admet, en termes bien exprès, la
quadruple interprétation, savoir la littérale, l'allégorique, la
iropologique ou morale, et l'anagogique. Dans le livre intitulé
Fertucz (2), dont le type si éminemment catholique a fait croire,
bien à tort cependant, qu'il avait quelque moine pour auteur,
le triple sens pratique, moral et allégorique, se manifeste d'une
manière incontestable. Les secrets de Dieu , dit l'auteur dont
nous parlons, se divisent en quatre parties, « l'histoire (estonia),
l'allégorie (ewaZe^fon'a) , la tropologie (trippologià) [sic], et l'a-
(1) Nous n'en citerons que les deux vers li8 et H9 : « Jîotas autras en-
segnas Dio al seo poble fey ; — El li pac XL an al désert, e lor done la ley. »
La Nobla Leyczon, de 479 vers, n'est autre chose qu'une suite d'exhortations
à la pénitence. L'auteur profite de son argument pour passer brièvement en
revue l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, et celle de l'Église de-
puis la fin des temps apostoliques. Ce poème est d'une haute importance, en
ce qu'il développe occasionnellement les principes religieux des premiers
Vaudois. Le mot de leçon, comme on le voit, a ici un sens plus étendu que
dans le langage de l'Église.
(2) Cet écrit, qui appartient à la période antc-hussite, contient l'énuméra-
tionetla description de vingt-cinq vertus, entre autres la componcion delcor,
la confession, la penilenlia, la caslila et la pura entencion. Et soutenir,
après cela , que les Vaudois ont de tout temps professé les principes de la
réforme ! Pas un seul dogme catholique, dans tout le livre, qui soit attaqué.
Le Pseudo Rcinier prétend que les Vaudois rejetaient le sens mystique de
ce livre. On en a conclu qu'il n'avait pas pour auteur un Vaudois. Bien à
tort, car les sectaires dont parle ici cet auteur ne sont pas les Vaudois romans.
2-iM i»%AM>oi>ni M^>v^^ \c,F..
n:i^o^ii> (enigoienl). L'histoire , c'esl le lexle des Écriiurps (|ui
raronlc toul uiiiiiiont les choses visibles du Créateur; VaUégorie,
c'esl le sons mélangé (renlcndeaient inescla), caché sous l'his-
toire; la Iropologie est la paiole «jui a pour but l'édilication de
râroe et regarde surtout les mœurs des saints (costumas de li
saut); Vanagogie est la connaissance des choses célestes, de \'v-
lernité, de la trinité, de la béatitude des anges et de leurs joies
futures. »
^ous nous sommes arrêté à dessein sur la méthode e\ég<''ti-
(|ue adoptée par les Vaudois avant le quin/iéme siècle. Elle
prouve assez clairement, il nous senddc, (pie, sous le rapport de
la forme , la secte portait dans ses origines un cachet encore
passablement cailiolicpie. Nous verrons bieniôt (jue Bossuet ne se
trompait guère en attribuant aux premiers disciples de Vaido
une confession de foi différente, en bien des points, de celle de
la réforme.
Henri Steve>'som.
i
DE L'ANTI-CIIRISÏ.
Il est un personnage mystérieux auquel font allusion quelques
passages de la Bi])le , assez obscurs pour avoir exercé les re-
cherches de plus d'un ili('>ologien et pour avoir soulevé de vives
discussions parmi les savants. C'est cet homme de péché, cet être
malfaisant et puissant qui dut apparaître avant le dernier et glo-
rieux avènement du Christ, et qui doit faire une guerre acharnée
aux adorateurs du vrai Dieu , aux serviteurs du Christ ; ce per-
sonnage , nous rapi)elons Jnte-Chrisl, précurseur du Christ;
telle est, du moins, la version qu'en donnent plusieuis auteurs.
En anglais, en allemand, en italien, on dit Jnti-Christ, ennemi
du Christ. Cette dénomination nous paraît un peu vague et ne
désigne pas cet être mystérieux d'une façon plus claire que tant
d'autres ennemis du Christ, tels que les Empereurs romains,
Mahomet, Arius; en l'admettant, on arrive aisément à con-
clure avec Grotius , le rév. Hammond et d'autres savants que
l'Anii-Christ est déjà venu, soit dans la personne de Cali-
gula ou d'Héliogabale qui se firent adorer comme Dieu," ou dans
les traits de Simon le magicien et des Gnostiques. Mais celte ap-
pellation d'Anti-Christ servait trop bien les haines protestantes
pour la négliger. En Angleterre, il fallait persuader à des popu-
lations dont l'ignorance fit tout le succès de la réforme, que l'E-
glise était l'ennemie de la religion ; on en vint à assimiler l'Anti-
Christ avec le Pape, et par une sorte de métonymie, à tout le
catholicisme. Cette opinion eut aussi ses partisans parmi les cal-
vinistes de France, et nous trouvons qu'un synode tenu à Gap en
1603, inséra dans ba confession de foi un ai ticle uù le Pape était
di'crélé Anti-Clirisl.
Si l'on ne savait «lucllc est l'épaisseur des voiles jetés sur l'in-
telligence pai- l'esprit de |)arti , on pouirait s'émerveiller et se
demander comment on a pu , soit dans VJnle, soit dans VJntt-
Qirist, voir l'Éj^lise constituée par >olre Sei},'neur il y a dix-huit
siècles, et (jui n'a donc pas attendu les derniers jours pour ap-
paraître; cette Église dont la deNise, sur les bûchers du paga-
nisme, parmi les persécutions du protestantisme, ou les sarcas-
mes de la philosophie, fut toujours « tout pour la croix et par la
croix. » Kt il ne faut pas croire que ce soit une de ces aberra-
tions où entraîne la première fureur des guerres civiles, dont la
raison <'l le temps font justice. Sur dix Anglais de la bonne vieille
suuclie (of ihe old stock) auxquels vous demanderiez ce qu'on doit
entendre i)ar Anti-Christ, se|)t au moins vous répondraient : « C'est
» la grande prostituée de Babylone, c'est l'Évèque hérétique et
» schisniati(juc de Uome , c'est l'idolâtrie papiste.» l*eut-élre
(|Uel(]ucs-uns vous diront avec un peu plus d'urlianite, (jue c'est
le romanisme (1).
Un numcio de la Bibliothèque instructive, petite publication
catholique (pii a pour but de neutraliser l'eilét des Tracts de la
propagande prolestante en Angleterre , contient sous ce titre :
Célébration de A'oël chez iJnti-Christ, un article plein d'aperçus
et de rapprochcnn'nts assez picpianis. Peut-être nos lecteurs nous
sauront-ils gré deleur euollrir la traduction aussi littérale (jue le
permet la simplicité d'un langage adressé particulièrement aux
classes pauvres.
fY>lélira(ioii «le :\oël vUvm. T Aiili-4 liriot.
\u\ premiers jours du iMolestantisine , le roi d'Angleterre
avant demandé à un noble de sa roui- < «■ qui lui faisait si vive-
[l) ,Nt)Us truuxoiis le coiiiiiiciilaire mii\;iiiI liaiis un 1 r.sCainnil anglais,
sur lu (leiixii-nic t-pitrc aux Thcssalonicicns : . Cette épilre |)orte la preuve
» la pins inconleslahlo tic son inspiration divine, dans le lalvlenn «incllc fait
» de IKtîlise romaine sous le no.ii d'AnliCliris». » Sni\ent îles tiéveloppe
nienls que tes deux lifîiie.s lais.sent dexnicr.
i)K i/anti-<:iii(Ist. 231
iiicni désirer de visiter Rome , le grand seigneur répondit qu'il
était curieux d'entendre rAnli-Christ dire son Credo.
Il serait à désirer (juc tous les protestants partageassent cette
curiosité ; s'ils faisaient réciter le catéchisme à celui qu'ils ap-
pellent Anti-Christ , ses réponses les surprendraient assez pour
les l'aire douter de ses droits à ce titre. Car quelque soit l'obs-
curité répandue sur les passages de l'Écrilure concernant ce
mystérieux personnage, on en infère que bien loin d'adorer ou
Dieu, ou son Christ, il usurperait plutôt leur place sur l'autel et
s'y ferait adorer lui-même comme Dieu. Et cependant ceux qui
ont parcouru les pays de la catholicité, et qui en connaissent les
usages et les mœurs, ont dû se convaincre que non-seulement
l'Eglise catholique adore le Christ , mais que sa vie intime ,
comme sa vie extérieure , n'est qu'un acte continuel d'adoration
fervente. Le Christ est le soleil autour duquel l'armée ecclésias-
tique opère sa rotation perpétuelle avec ses fêtes, ses jeûnes, ses
temps de deuil et de réjouissance. A l'exemple de la sainte Mère
de Jésus, l'Église suit son divin Maître de la crèche au sépulcre
avec le plus ardent amour; elle le reçoit dans ses bras à sa
naissance, elle se tient désolée sur le Calvaire, elle pleure au-
près de son tombeau , se réjouit à sa résurrection et triom-
phe à sa glorieuse ascension.
Nos adversaires n'ignorent pas le respect et l'amour que nous
portons à tout ce qui a de près ou de loin quelque rapport avec
le Sauveur, car c'est justement ce respect et cet amour qu'ils
traitent de superstition.
Oui, nous vénérons la crèche où le Christ naquit; la colonne
où il fut enchaîné , les clous, la croix, tous les instruments enfin
de sa passion; nous vénérons, nous aimons plus tendrement en-
core ses saints, ses images vivantes sur la terre , et sa bienheu-
reuse Mère , car d'elle seule , il a pu être dit que Jésus était les
os de ses os, la chair de sa chair.
Le culte même que nos ennemis outragent le plus, l'adoration
du Très-Saint Sacrement , qu'est-elle, si ce n'est l'adoration de
Jésus? Chacun sait bien que nous ne nous prosternons pas de-
vant du pain et du vin, mais que nous courbons nos corps et nos
cœurs devant ces espèces, sous lesquelles la foi nous enseigne
Î32
Dh L .\.> Il CIIKIM'
que se cache le Christ. Que les prolesianls repoussent lacrovancc
à la |nrsence n'clle, s'ils le veulent; mais qu'ils ne nient pas,
car ils ne le peuvent, «pie ce soit au Christ, :i lui st'ul «pie notre
âme adresse se:» adorations.
Celte adoialion «'sl-elle un des attributs «le r.\nli-Clirist?
Los lûtes de No»! \iennent nous sujjjj'érer ces ienexi«>ns : Qui-
con«|ue a eu le bonheur de se trouver à pareille épo(jue parmi
des caihoIi(iues , a pu se convaincre, quelle que soit d'ailleui-»
sa manière favorite «le passer ce saint jour, «pie l'objet, la pensée
de celte f«^'le sont retracés par TÉylise ;iux inh-lligences, aux
cœurs, aux yeux des fidèles avec une vivacité, une intensité dont
le prol«'sianlisme n'a aucune iilée.
Au reste, Nû«'1 apporte tant de bonheur avec lui, ijue son in-
lluence, comme un rayon joyeux , va pour un instant Tondre les
glaces du protestantisme, y réchauller les sombres abîmes des
populations dans ce pays oii toui à la surra«c est si souriant, «)ii
loui esl si désolé au Ibiid. Je ne sais quel gai rréniissein«'nl par-
court à Noël les cœurs de presque tous les Anglais; des feuilla-
ges verls, des baies rouges «lécoreni les églises et les cliapelh-s;
les rues retentissent de chants particuliers auxquels on donne
«Micore le vieux nom français «le Corroies \ on se salue en échan-
geant avec cordialité ces paroles : «Joyeux Noél pour vous! »
Le liceuf et le pudding, «pii sont les formes que . dans ce froid
< liniîit, la j«>ie aflVcle le plus volonliers, fument sui" plus «l'une
table qui ne les voii j;iinais à «lautres époques de l'année; peut-
être m«*nie que ilans les dep«'>ls de mendicité on accorde, ce jour-
là, une disiiibution de gruau.
Ce n'est pas des festins de No«l que nous volons tirer des com-
paraisons défavorables entre la célébration de ce jour en Angle-
terre et dans la catholicité. Lhabilud(! de se régaler dans toutes
les occasions joyeuses n'ist pas protesianU', mais nationale ; il «'ii
était de même du temps où nos aïeux les Saxons étaient encore
païens au fond «le leurs forêls. C'él;iii, nous rJ«onle-l-on. an mi-
lieu de leurs ban«piets (pie leurs esprits séchaulfaient pour les
grandes choses. Nous savons aussi «pi'à l'époque de notre con-
version au christianisme, le bon Pape saint (îrégoire«»rdonna que
le peuple eut la permission de tuer des l»«ruls et «les moutons.
DE i/ami-ciiiust. 233
;iliudc se régaler aux fêtes de l'Église comme on l'avait fait jus-
•m'alors aux f«Hes des idoles (1). Nous n'avons certes pas la pen-
sio (le trouver mauvais ce que dans sa sagesse le Saint Père
;ivail auloris»;, en considéralion d'un climat froid, qui fait d'une
:ii)ondante nourriture une condition indispensable, et cela à un
point (jue les peuples du midi ne peuvent concevoir. INos aïeux
Saxons, avec leurs proportions aihlétiques, ne pouvaient suppor-
icr ni le travail pénible, ni l'abstinence prolongée. Combien,
lii'las! doivent souffrir nos pauvres écrasés sous la fatigue et la
lai m !
La différence entre les catholiques et les protestants anglais qui
lous deux aiment la fête de Noël, c'est que les premiers l'aiment
pour l'amour du Christ, d'une façon beaucoup plus distincte et
|)Ius précise ; le nom même de cette solennité est tout catholique ;
(iirist's mass (Messe de Noël). Pour les protestants, la première
partie de ce mot n'offre qu'une idée incertaine, confuse, la se-
( onde syllabe a perdu son sens.
Examinez la partie olliciellement religieuse de la fête, et voyez
tu quoi elle consiste : dans les églises de l'Etablissement angli-
, can, sur les baies et les feuilles de houx, qu'est-ce qui vous parle
I lie la naissance du Sauveur? On y lit le chapitre de l'Évangile
I (\u\ raconte cet événement et quelques-uns des psaumes qui le
I prédisent ; peut-être y prêche-t-on quelquefois un sermon sur la
; Nativité; mais rien ne varie la routine monotone du culte, rien
' , u'appelle la dévotion des assisiants aux pieds du divin Enfant, ni
• ne témoigne de celle de l'Église. Quant aux chapelles des dis-
I sidents, oii tout est laissé davantage à la fantaisie, ou à la spon-
II tanéité des individus , la solennité du jour y est célébrée tantôt
d'une façon plus chrétienne , tantôt avec plus de froideur encore
que dans les églises de l'Etablissement. Partout le sermon paraît
être le point essentiel , ce qui fait dépendre la célébration de la
fête de la voix , du talent d'un homme , au lieu d'en donner la
charge à l'Église.
(1) De là vient probablement que le mot feasl signifie également fêle et
régal; «le là aussi vient probablement le mot fiançais festin, dont l'élymolo-
gic n"a rien de commun avec le latin.
234 i>r. i.A>Ti-(.nnisr.
Je voudruis que tout protestaiil qui assimile le caiholitisnic à
rAnii-Clirisl, pûi éire iransporlé pendant la nuil de Noël ù Rome
ménie, dans ce contre de la caiholiciié. A rasi)ect de la joie
universelle dont toute la ville est irradiée, il pourrait croire (jue
la naissance d'un nouveau-né vient de léjouir les ca'urs de tou-
tes les familles; les rues, aussi claires (]u'en plein jour, sont en-
i'onibr«''OS de la foule qui s'empresse de se rendre à la Messe de
minuit. C'est |)ar cette messe nocluine en riionneur de la nais-
sance de Notre Sauveur à pareille heure , (jue l'Éj^lise marque
celte fêle, la plus douce entre toutes les fêles; ce privilège n'est
donné qu'à >ioel; à Noél seulement aussi, chacjue prêtre peut
dire plus d'une messe; chacun d'eux offre trois fois le saint
sacrilice , et cet usage a un sens mystique; c'est pour com-
mémorer les trois naissances de Notre Seigneur : Sa naissance
divine, naissance qui lut de toute éleriiilé, sa naissance himiaine
dans le temps, sa naissance spirituelle, par la grâce, dans l'Ame
d«'s fidèles. Dans l'église de Sainle-Maric-Majeure, qui a le bon-
heur (le posséder un morceau de la sainte crèche de Hethlécm ,
la première messe se célèbre en pn-sence du Saint Père , avec
une solennité dont on donnerait dillicilement la moindre idée. La
Messe de minuit, à Sainl-I'icrre , est aussi d'une imposante ma-
gnificence; l'ollice (jui la précède est composé de psaumes dits
en plain-chant , et cntre-mêlcs de versets qui racontent la visiie
des anges aux bergers; la musi(pie de ces stances est admirable-
ment adapté'c aux paroles et fait songer aux mélodies (pii du-
rent llottcr dans les cieux lorsque la trompette c<''leste répéta :
Gloire à Dieu et paix sur la terre! Un grand nombre de paysans
<les environs de Rome liassent touie la nuit à l'i-glisc de Saint-
Pierre, et ce sont eux surtout «pii la remplissent ce jour-là ; car
les habitants de la ville préfèrent aller à leur église de paroisse
pour y faire leurs dévolions. Ce n'est pas, du reste, à Rome seu-
lement que la solennité de Noèl est belle; partout où la Messe
de minuit est permise, même au fond de quelque petite mission
en Angleterre, les protestants seraient étonnés de remarquer tout
ce <|ue la foi, le /.èle, la dévotion peuvent trouver d'ingénieux
et de poétique pour rendre la solennité inqtosanle et louchanle,
malgré la pauvreté des moyens. C'est que la source de tout don
DK i/anti-ciikist. 235
paituit, do toute lumière, de loule beauté, est cachée dans le
oulte catholique et fait ruisseler, pour ainsi dire, sur lui toutes
SCS ^l'àccs. Pendîint les fêtes de ]\o<'l , dans toute la catholicité ,
V Enfant Jésus est constamment ollert à nos regards et son adora-
lion présentée à nos âmes. Le moindre doute ne peut se glisser
ilans l'esprit du plus ignorant des enfants sur l'objet des céré-
monies de Noël , et au(;un d'eux ne court risque de confondre
t'tle fête avec celle du vendredi saint, comme j'ai entendu faire
parmi des enfants des écoles de charité en Angleterre. Dans la
plupart des églises, sont des représentations de grandeur nalu-
rclle des saints personnages qui entouraient la crèche, et les
plus simples d'entre les simples d'esprit sont ainsi familiarisés
dès l'enfiince avec les noms de Jésus, de Marie et de Joseph.
Toutes les boutiques sont garnies de petits objets et de petites
lîgurines qui peuvent servir à faire des crèches pour chaque fa-
mille ; et plus d'un pauvre enfant en Italie amasse soigneusement
sou sur sou pour se faire une petite crèche qu'il place dans l'en-
droit consacré à la prière, qu'on trouve invariablement dans
loute maison catholique. Là il brûle une bougie chaque jour,
pendant la durée des fêtes, et chante l'hymne populaire de Noël,
dont voici le refrain :
« O saint enfant Jésus ! qui avez été ainsi abaissé pour moi ,
enfant Jésus, fontaine d'amour, je vous donne mon cœur. »
Quelque soit plus tard la vie de cet Italien, il est difficile que
l'image du Bamhino et les associations qui s'y rattachent s'effa-
cent entièrement de sa mémoire.
Les protestants peuvent trouver puérile cette manière de rap-
[leler et d'enseigner la naissance du Sauveur; mais ils ne peuvent
nier que tout, dans un pays catholique, ne vous présente ce sou-
venir à chaque pas. Le grand plaisir de l'Allemagne catholique,
«et arbre que l'Allemagne protestante elle-même a conservé et
(|ui s'est récemment introduit parmi nous, avait aussi son sens
(t son nom chrétiens qu'il a perdus par la transplantation. Quel-
ques esprits plus moroses que sérieux pourront penser que c'est
chose profane d'associer des noms saciés avec des jeux d'en-
lants; mais dans l'esprit de l'Église qui sait combien la simpli-
( ité, la naïveté de l'enfance ont de prix aux yeux de celui qui a
236 1H-. i.'am i-t.iiiusi .
dii ; « Laisse/ \eDir à moi ces enfants ; le royaume des deux est
» pour ceux qui leur ressemblent ; » l'Église ne voit pas de pio-
f;mali«>n dans celte association de l'idée religieuse avec celle des
innocentes joies de l'enlancc, dans ce jour surtout où Jésus a|>-
parul enfant au monde qu'il venait sauver. L'arbre de Noél s'ap-
pelle en Allemagne l'arbre de l'Enfant Jésus; les cadeaux sus-
pendus à ses branches se nomment les dons de l'Enfant Jésus, et
la reconnaissance enfantine (jui s'implante dans ces jeunes cœurs
u'est-elle pas une préparation à une gratitude plus éclairée, plus
profonde qu(î n'inspire |)lus l'arbre de Noél, mais la naissance du
(ilirisl ei la rédemption du ni(»nde?...
Suivent quelques détails sur la nature et la distribution de ces
petits prt'sents, qui n'ont rien d'intéressant pour nos lecteurs
déjà familiarisés avec «'ette coutume allemande; nous demandons
la permission de les remplacer par une question : Si on deman-
dait à un biahme, à un Iman, ou même à iin,rabl)in, lafpielle des
deux communions a ('té llélrie par l'autre du nom d'Anti-Clirist,
celle (jui a banni de ses temples, de ses cimetières, de la vie de
famille, loul ce qui peut, en parlant aux sens, lixer l'esprit, y
rappeler le nom et l'amour du Christ, ou bien celle qui garde
si fidèlement le souvenii- de Jesus-Çlirist; et qui le représente à
toutes les phases, à toutes les heures de la vie des fidèles, ces
sages souriraient à l'idf'-e (pie ce catholicisme qui a porté et j)orte
encore le nom du Christ à travers les nations, ce catholicisme
qui se dresse toujours et partout devant leurs dogmes, ce ca-
tholicisme leur redoutable adversaire, ait jamais pu être appelé
Vennemi du (lin'st.
De Homomt.
MÉLANGES ET NOUVELLES.
GE^KVE. — Un projet de loi a été présenté par M. Duchosal
au Grand Conseil pour la séparation de TÉglise et de l'État. 11 s'a-
gissait tout bonnement de supprimer l'église nationale protestante
et l'Église catholique à Genève; mais, du moins, M. Duchosal
demandait, par son projet, qu'on traildl avec la cour de Sardaigne
pour l'annulation, du traité de Turin. Le Grand Conseil a nommé
une commission composée de MM. Duchosal, Fontanel, Turrel-
lini, général Dufour et Gabriel Oitramare. M. Duchosal et M. Fon-
tanel appartiennent au parti radical ; M. Turreltini, ancien procu-
reur général, est membre de la haute aristocratie et de Tune des
sectes séparatistes de Genève; M. le général Dufour et M. Oitra-
mare sont de l'église nationale. Les trois premiers, formant la ma-
jorité, ont chargé M. Turrettini d'être le rapporteur d'une loi en-
core plus excentrique que celle de M. Duchosal. La minorité, par
l'organe de M. Oitramare, l'a repoussée. M. Turrettini propose
la séparation hic et mine sans s'inquiéter des traités : on trai-
tera après, si on peut. D'accord, comme dissident, avec les démo-
crates-socialistes et avec les radicaux pour renverser l'église na-
tionale protestante actuelle, il devient niveleur, et, pour être juste
et conséquent^ il faut détruire aussi l'Église catholique. Et pour
cela, il s'agit de leur supprimer tous moyens d'existence. En con-
séquence .
L'État ne donnera plus un centime à aucun culte.
Les COMMUNES ne pourront plus entretenir aucun culte.
Les ÉGLISES ne pourront posséder aucun bien.
Les INDIVIDUS ne pourront être forcés de soutenir aucun culte.
Vous avouerez que c'était bien là le sublime du genre, si ce n'é-
238 IIKI.A?CGES FT »50l VEI.LKS.
lait |>as lo genre le plus injusle ol le plus odieux. C'est ce qu'on up-
pt'Iie ici la si'paration de l'Église el de Tf^lat. Selon nous, t'eut
été, du moins cii droit, sinon en fait, la destruction de toute reli-
gion, à la honte de l'Iltal.
Kien de [)lus bizarre et de plus curieux que la discussion sur ce
projet qui a eu le mérite d'agiter singulièrement tout le canton.
Nous croyons que cette discussion contient de graves enseigne-
ments pour les catholiques comme pour les protestants. Nous y re-
viendrons avec soin. Samedi dernier, A l'ouverture de la séance du
Grand Conseil, M. le président a lu, au milieu d'un silence parfait,
une lettre de M. Dunover, N'icaire général, (^uré de (îenève, et de
tout le clergé du canton, demandant le rejet de la loi. Nous donnons
cette lettre ci-a[)rés. La discussion s'est engagée de nouveau, mais
avec des modilications évidentes dans le langage des orateurs. L'as-
semblée a ensuite rejeté le projet de loi par ^0 voix contre 21. Ce
vote est d'une certaine gravité comme expression d'une situation
nouvelle. Les catholiques et les conservateurs ont voté ensemble
et formé la majorité contre les démocrates-socialistes, les radicaux
et les sectes dissidentes.
Voici la lettre de M. le vicaire général Dunoycr :
Cicnève, le 14 février 1855.
Monsieur le Président cl Messieurs,
Les soussignés ont pris connaissance du projet de loi présenté au
firarul (lonscil sur la séparation de 1 ï-iglise et de l'tvtat. Sans s'im-
miscer dans ce qui est étranger aux droits et aux intérêts de \'È-
glise catholique, ils se sont appliqués à une étude approfondie de
ce |)rojet.
Dûment autorisés par nos supérieurs ecclésiastiques, et sans vou-
loir entrer pour le moment dans l'appréciation des détails d'une loi
dont nous ne pouvons pas encore connaître toutes les modifications
possibles, et par conséquent toute la portée , nous nous croyons
. obligés de vous exprimer les sentiments qui nous dominent.
IVemièrcment , le principe même de la loi et ses conséquences
.sociales sont marqués d'un tel caractère dindiffèrence religieuse,
qu'ils outragent le christianisme, base de toute législation, de tout
ordre dans les sociétés éclairées des lumières de l'Évangile. La loi
placerait lo canton de Genève dans un isolement flétrissant au mi-
lieu de l'Kuropc qui n'est civilisée que parce qu'elle est chrétienne.
Secondement, les trois articles de la loi, ainsi que les disposition^
MRI.AN<ir:S KT NOtVF.LLKS. 239
transitoires, sont, en co qni rcf^ardo l'figliso catholique cl les ca-
tholiques, esscntiellenient et la plupart textuellement contraires
aux droils, avantages et usages r»',ligieux , que nous garantissent
le traité de Paris, le traité de Vienne , le traité de Turin et le bref
d'incorporation du canton de tlenèvc au diocèse de Lausanne.
Troisièmement, lo [jrojet de loi, sans entente préalable avec les
hautes puissances qui ont cédé au canton de (lenèvc les paroisses
catholi(|ues, brise plusieurs contrats synallagmatiques et méconnait
les conditions mêmes de la cession de territoire et de l'incorpora-
tion diocésaine.
Dans la prévision des malheurs et des diiVicultés graves dont l'a-
doption du projet de loi menace la patrie commune, le clergé du
canton de Genève croit devoir vous supplier, Monsieur le Président
et Messieurs, de repousser ce nouvel élément de complications sé-
rieuses et de divisions inévitables jeté au milieu de nous.
Nous sommes avec respect, Monsieur le Président et Messieurs^
vos très-humbles et très-obéissants serviteurs.
Suivenl les signatures.
— On lit dans une lettre adressée au Lien par M. Gaberel, les
lignes suivantes :
« Une récente découverte a vivement intéressé le public ami des
faits historiques. C'est la détermination positive de la maison où
est mort Calvin et où, après lui, Théodore de Bèze a passé le reste
de ses jours. La tradition indiquait la rue des Chanoines; un sa-
vant et infatigable paléographe, M. Théophile Meyer, a collalionné
tous les actes notariés du seizième siècle concernant les immeubles
de cette localité, et il a trouvé que la demeure où les réformateurs
ont vécu et sont morts est précisément la maison de la cure catho-
lique ! Toutefois, il n'y a plus de trace de l'édifice du seizième siè-
cle ; cette partie de la ville fut reconstruite vers 1760, et, chose cu-
rieuse, cette môme demeure d'où les chefs de l'Église dictaient les
sévères ordonnances touchant les excès du luxe et les vices du
temps, fut transformée en un somptueux hôtel où les mœurs de la
cour de Louis XV eurent accès, ensorte que le peuple disait : Le
luxe est entré dans Genève par la porte cochère de M. B. Enfin, de nos
jours, la fabrique catholique a succédé à cet opulent propriétaire.
Du reste, l'incertitude où l'on est demeuré touchant le séjour et les
tombeaux de nos réformateurs tient au spiritualisme de la foi de
nos ancêtres. Témoins de la facilité avec laquelle le peuple passe
•2V0 »IKLA!<GKS KT NOIVF.M.KS.
<iii < ui(c dos souvenirs au cullc des localités et des reliques , les
\ieiix réfornu'S oui caclir soij^neuscinent les traces matérielles de
leurs grands liutiiuies ; ils ont été si réservés dans les louanges ,
qu*il faut des travaux très-compliqués pour réunir les faits de la
vie (les pasteurs du seizième siècle. »
Admettra (pii voudia cette mystique el bienveillante interpréta-
tion , si peu conlbrme au sentiment général des peuples à l'égard
des grands hommes. Si M. (îabcrcl voit une dilTérencc entre le
culte des reliques et le culte des souvenirs, au moins il ne devrait
pas voir un danger dans h's louanges (lu'on aurait accordées aux
réformateurs. L'histoire, plus impartiale, nous a appris que ces
hommes n'ont pas légué à leurs contem()orains des souvenirs qui
méritassent un culte.
— On lisait dans VUnivers du 10 décembre 1854 :
<. La plus singulière de toutes les sectes auxquelles l'interpréta-
tion individuelle de la Hible ait donné naissance dans ces derniers
temps, est celle des Mormons. Peu de temps après son apparition
en Amérique, il y a environ vingt ans, des émissaires du mormo-
nismc s'occupèrent de faire des recrues en Angleterre. Le rel;\chc-
ment de leur morale et les avantages temporels qu'ils offrent à leurs
néophytes ménageaient à leur nou>cllc do( tiine un accueil favora-
ble et ne lardèrent pas à leur assurer de nombreux prosélytes dans
la Grande-Bretagne. 11 est pénible et honteux de l'avouer, mais
c'est un fait que des milliers d'individus , hommes et femmes , ont
abandonné leur religion pour croire aux ré\eri(;s de Smith, le pro-
phète mormon, el ont quitté leur pays pour aller sur les bords du
Lac-Salé, aux Etals-Unis, praii(|uer en liberté une religion dont
les rites el les pratiques immorales ne seraient poiul tolérées par
les lois anglaises. Le nombre des néophytes du mormonisme qui
ont déjà émigré s'élève à plusieurs milliers, et pourtant il en reste
encore beaucoup en Angleterre. Les missioiuiaires de la secte, ré-
pandus par tout le |)ays, se gli<s»'nt dans les carrefours et les ré-
duits des cités, où ils font journellement de nouvelles recrues. Il est
consolant pour les catholiques de savoir que jusqu'à présent les en-
fants d(^ la véritable Église n'aient point cédé aux séductions de
ces imposteurs. C'est des rangs de l'hérésie qu'ils tirent leurs pro-
sélytes. Comme nous venons de le dire, leurs progrès, dans ces der-
niers temps surtout, sont devenus assez considérables pour alarmer
les honmu's sérieux el rédéchis. Des soiiélés ont été organisées et
MKLANGES ET NOUVELLES. â^Vl
des souscriptions rcnioillios dans le but d'opposer un antidote aux
progrès du mal. Reste à savoir quels seront les succès de ces asso-
ciations ; ce qu'il y a de certain, c'est que tandis que des mission-
naires protestants perdent leur temps en vains efforts pour perver-
tir les soldats «atlioliciues iVanrais, malades ou blessés, dans les bô-
pilaux de Scutari et de Canstantinople, les apôtres américains du
mormonisme entraînent des milliers de dupes, dans les trois royau-
mes, à renier le cbrislianisme et la |{iblo.
)' La contagion du mormonisme ne se renferme point dans la
Grande-Brelajjine ; elle s'étend, à divers degrés, à tous les pays où
les croyances protestantes diminuent. Les régions Scandinaves, où
la foi dite réformée règne depuis longtemps sans rivale, lui ont
fourni une plus ricbc moisson d'adeptes (jue les Iles-Britanniques.
Nous apprenons de temps à autre que des cargaisons de ces néo-
phytes ont fait voile de quelque port du Nord pour l'Amérique, où
ils vont s'installer au foyer de leur secte, le Lac-Salé.
» Il est à remarquer que jusqu'à présent le mormonisme n'a fait
ses recrues ni dans les rangs élevés, ni chez les pauvres, mais dans
cette classe de la société qui a reçu une demi-éducation, sufîisanle
pour lire la Bible et pour l'interpréter à sa façon. C'est précisément
cette somme de connaissances bornées, imparfaites, se joignant à
un grand développement des passions animales et à un désir sans
frein de bien-être matériel et de plaisirs sensuels, qui a préparé les
voies aux prophètes mormons parmi les protestants. C'est là une
des déplorables conséquences des doctrines dites réformées, qui
rejettent toute autorité en matière de religion, et qualifient les en-
seignements de l'Église catholique, en ce qui concerne la mort ilica-
tion et l'abnégation, d'erreurs et de superstitions. On a dit aux pro-
testants de lire la Bible et de tirer chacun sa religion du texte sa-
cré ; ils l'on fait, et de la Bible même ils ont appris à rejeter les
doctrines bibliques, justifiant ainsi ce mol de Bossuet : « que pour
être chrétien il faut être catholique. »
Ce qui se passe en Suisse est une démonstration de plus à l'appui
de l'article qu'on vient de lire. La Kirchenzeitung de Soleure ra-
contait naguère que le mormonisme gagne des adeptes dans les
cantons protestants, notamment à Zurich. Tout récemment, à
Rumlang, un citoyen est mort un quart d'heure après avoir été
baptisé par un prêtre mormon. Le Journal de Genève du 8 février
nous apprend que les mormons font aussi chez nous des prosélytes,
et qu'ils se permettent de les immerger à la jonction de l'Arve et
16
243 MKLAMGKS RT .'«OtVI'.LI.FS.
du Hhôni'. I/hospico drs alii-ms rst (oui \m'< de là. Nous n'avons
pas ouï diro qu'un seul catholique ait [lassé à cette abominahlo
secte, laquelle, comme on sait, admet et professe la |>olv^ainiu.
Ali ! si Ton voulait ouvrir les yeux ! Ce seul fait ne donnc-t-il pas h
renéchir?
— Nos lecteurs connaissent M. César Malan. Auteur et chef du
inouvcmcni méthodiste à (îenéve , il fonda une église dite du Té-
moignage cl s'en élal)lil lo pasteur. Il aurait pas>é peul-ètrc pour
un homme de (|uelqiie imporlancf, s'il n'eùl j jmais écrit. Mais il s'est
mis à lancer des fusées de brochures contre le catholicisme qui ne
s'en est jamais douté. Dés lors, adieu la gloire! adieu le prestige!
L'étoile de M. Malaii a pAli (()ul-;Ufail. C'est à peine >i on se .sou-
vient de lui. Nous croyons ccpendanl (|u'il vil encore. On nous de-
mande si la proclamation de l'Immaculée Conception l'a lai.ssé
muet. Nous parierions que non. Nous devons ajouter que si une
nouvelle production » si sortie de sa [ilunie, nous ne l'avons pas lue
et nous ne la lirons pas. Pour lire, dit un auteur, il faut être
éveillé. Au lieu de nous imposer une charge par trop forte, nous
préférons citer ici une a|>préciation de la science, du style et du
genre de M. .Malan, tracée par un protestant, dans le AiV/i, journal
des églises réformées de France.-
Voyons le livre du Rév. docteur César Malan :
Pourrai-je entrer jamais dans V/Cglisr romaine auisi longtemps
que jr croirai toute la liihle'] (Jucstion soumine à la ronêcirnce
(le tout lecteur chrétien, par le Uévércnd docteur (]ésar .Malan, pas-
teur de l'église du Témoignage, àCicnèvc. — Bruxelles, librairie
( hrélienne évangélicjue, IS.'iV, in-12 de ."iii pages. V édition, re-
vue et de nouveau augmentée par l'auteur.
« Ce livre, — celui de ,M. Malan, — laisse après lui un profond
sentiment de tristesse. Conmicnt ! c'est lace qu'a su écrire pour dé-
fendre une si belle cause, un homme dont les cheveux ont blanchi
dans ce genre de luttes; qui, en cerlaiiis pays, très-faciles à con-
tenter dés qu'on atlaiiuc le papisme, passe pour un théologien con-
sommé, qui a fait assez de bruit pour que son nom ait percé en
bien des endroits la couche épaisse d'indiiïérence qu'on opposait
naguère au protestantisme et aux protestants, et qui, par consé-
quent, a plus de chances qu'un autre pour que son livre soit acheté
par le passant (pii l'a vu étalé chez le libraire. — Oh ! c'est triste,
triste !
MKI,ANGI.S KT NOIVKLLEH. 2'|3
» Suppose/ donc que, par niullieur, un Français catholi(|U(; ,
ayant reçu l'inslruclion variée, sinon profonde, (jue donnent nos
lycées, se procure cv. livre dans l'inlcnlion d'y éludicr le [irotcs-
(anlisinc. Je vous demande en grAcc comment il ne sera pas rebuté
mille fois de la forme lourde , déclamatoire, alFectée, incorrecte et
injurieuse que la discussion a revêtue tout le long de l'ouvrage. On
ne dit pas élever (p. 1), mais soulever, proposer une question. Celte
phrase de la p. 9 : IHcn îles ans se sont écoulés depuis que fécrivis ce
qui précède, est affreuse. Sur/titusser (p. 93) ne veut pas dire exalter,
mais élever le prix d'une chose déjà chère. L'Etat Civil (p. 248) n'a
jamais voulu dire les autorités civiles. Mais assez sur le style ! Pas-
sons aux agréments de la discussion , dont voici quelques spéci-
mens. La Vulgate est une version adultère (p. 46). Les apocryphes
sont une loupe gangrenée (p. 55). Nous trouvons (p. 194) les Pères
du Concile de Coustance qui se livrent à l'ordure. A la p. 452, après
avoir parlé de ces pauvres recluses du moyen âge qui s'enterraient
vivantes dans une cave et croyaient parla gagner leur salut, l'au-
teur ajoute gravement que c''est ainsi qu'on hait Dieu, quon sert Sa-
tan. Comme tout cela est spirituel et aimable ! Inutile d'ajouterque
pour l'auteur, Rome est toujours la prostituée de l'Apocalypse
(p. 169). N'oublions pas non plus que, toujours selon le révérend
docteur, c'est l'ancien serpent (p. 37) qui sème dans VEglise des
ylriens, des Pélagiens, des Sociniens, des Unitaires, des Néologues et
des Nationalistes. Comme nous ne doutons pas un instant que nous
ne soyons, à vos yeux , rangés dans l'un quelconque des grains de
ce chapelet de mécréants, si ce n'est dans tous à la fois, grand
merci, M. Malan !
» Veut-on juger maintenant du savoir théologique et historique
du révérend docteur? A la p. 17, le symbole de iXycée ou d\4thanase
est déclaré conforme aux Saintes Ecritures. P. 21 et 133, l'auteur
affirme que les Lollards, les Albigeois, les Vaudois, etc., remon-
tent aux Apùlres. Que dis-je? Dès la préface, l'auteur se proclame
descendu d'une de ces antiques familles qui ont gardé , depuis les pre-
miers siècles de VEglise apostolique, le pur dépôt de la parole de Dieu.
Voilà une prétention nobiliaire un peu forte ! Pourquoi ne pas tout
de suite imiter ce seigneur allemand dont l'arbre de généalofrie
commençait à Noé? Quant à ce fait qu'aujourd'hui, la prétention
qu'avaient les sectes du moyen âge de remonter aux apôtres n'est
plus soutenable, l'auteur n'a seulement pas l'air de s'en douter.
Mais nous aurons mieux encore. Non-seulement (p. 24) Irénée est
2m MKI.A?jr,K5 KT ?<0t VF.I.I.KS.
r\li> conimr puslt'iit-ui ;i (Mi-riuMil tl'AlcxaiiHrie cl p. 3G<>) cl à Cj-
pricn ; non-seiilenirnl p. 95) on fait mourir a» I\* siècle Isi-
dore de Sévillc, qui csl mort on Vt'Mt; non-srulenien( p. 81) Hégi^-
sippc nous csl annoncé comme Ir prrmifr dea l'èrtn i/ui ail puhlié
l'hittoirr lie l'Kgli^e, mais cnroro on pn^tt'nd que rautoritiWlo la
tradition, par opposition à ri>ri(uro, était inconnue auv premiers
siècles (p. 3i), que ces messagers du Sauveur allèrent chez tous les
peuples du monde, qui enleiidirent lesap(Mrcs chacun dans sa lan-
gue (p. 51), que la conIcssioM do loi vaudoise fut rédigée |)lusieurs
siècles avant la réformalion p. 101). Ne soyons pas surpris de ce
•pic (p. 90) on «ile parmi les églises futhodoxes, dont la tradition
est opposée à celle de Homo , les Monophvsites dH)ricnl connus
sous le nom d'Arméniens et, de Jacobites. ÇSua dis-jc? les Nesto-
riens fp. 100^ ont trouvé grilce devant le docteur, si impitovahic
pour les Ariens, et sont cités in gluho avec les autres. Du reste, cela
peut bien aller de pair avec l'idée que les églises des Indes ont été
fondées par saint Thomas 'p. 103), que Ton peut invo(|uer Alha-
nase, Chrysostome et Augustin p. l'^^<, en faveur de la tolérance
religieuse ; qu'Hermès, Rarnabas, Ignace et Polycarpe (p. 184) écri-
virent du temps que Pierre vi\ait encore, et que Papias mort en
Ki.'Vl est un esprit fécond en iloclrincf immjinairei qui (lori.ssait vers
la fin du second siècle. Oh ! M. Malan, quel coup vous portez, sans
le savoir sans doute, A la défense du Canon ! Ht maintenant vous
nous permetlre/. de vous dire i|iie, quand nous lisons dans ^otro
ouvrage que les Pères en général favorisent la doctrine de l'inacti-
\ité de l'homme dans l'œuvre du salut p. M)2 et celle du salut
gratuit (p. V15 ; que Denvs de Corinllie ;p. 29î> fut Vun des hom-
mei le» plus dislinguês de son Irtnps et par ton saroir et par la faintclé
de $es mfrur.< ; (jue les Pères apostoliques fe plaisent à entrer dans les
moindres détails de la vie chrétienne ((). 70^; que Justin martyr et
Tortullicn (p. 2V0) repoussent très-expressément l'idée d'un sacri-
lice dans la Cène, nous ne |)ouvons nous cm|)écher de nous deman-
der si vous parlez sérieusement ou si vous avez jamais lu dans vo-
tre vie <'es autorités que vous alléguez si carrément.
» Noire langage est vif, et nous voudrions ne pas oublier que
nous [>arlons à iw vieillard. Après tout, ce n'est pas des personnes
qu'il s'agit ici, mais des choses, de la chose en (jutslion ; c'est l'hon-
neur et la défense du protestantisme, et nous nous mépriserions
nous-mémc , si nous pouvions rester froid et calme en voyant l'un
et l'antre compromis par do telles... maladresses. »
— Les Actes et (Iestes merveilleix de la cité w. (jeihève
NOl VELLEHENT CONVERTIE A L'IivA>Gll.E, KAICTZ Dl TEMPS DE LA RÉ-
FuRMATioN ; par Anloiiu; Fruraciil. Mis en lumière par Gustave Re-
villiuJ. Genève 185V. in-8.
Le Levain du Caliininne ou Commencement de Vhérésie de Gé-
nère^ par la sœur Jeanne de Jussie, est depuis longtemps devenu
excessivement rare cl ne se trouve plus que dans quelques biblio-
thèques publi(|ucs, ou entre les mains d'un [)elil nombre de biblio-
philes. M. Au;;usle Uevilliod l'a fait réimprimer en 185.3, en suivant
fidèlement Tèdition donnée en IGll à Chambéry par les frères V>\x-
four.
La sœur Jeanne de Jussie était religieuse de Sainte-Claire à Ge-
nève à l'époque de la rét'ormation ; elle quitta cette ville avec les
autres religieuses de son couvent pour se retirer à Annecy, où elle
mourut dans un dgc fort avancé. « Les historiens, dit l'éditeur
\) 'M. Uevilliod), ne nous donnent aucun détail sur le commence-
ment de son existence qui, sans la réformation, se serait écoulée
u tout entière sans bruit, à Tomljrc du cloître et dans les austérités
» de la pénitence. » Et il ajoute : « Echo de tous les bruits vrais ou
' faux qui arrivaient jusqu'à elle, ce n'est ni une fldélilé histori-
» (jtie bien rigoureuse, ni surtout une bien grande impartialité
» qu'il faut chercher dans la sœur Jeanne; mais son livre offre un
» tableau singulièrement naïf des mœurs du temps, écrit en style
• peu grammatical, même au point de vue de l'époque, lequel, tou-
tefois, n'en a pas moins gardé son charme par le naturel et par
» une certaine saveur locale. »
Un livre écrit dans la langue du seizième siècle n'est à la portée
que d'un très-petit nombre de lecteurs. La sœur Jeanne de Jussie
ne saurait donc faire grand mal. Les réserves de M. Revilliod au
sujet de Tinexactilude et de la partialité de l'auteur, doivent d'ail-
leurs prémunir suflisamment tout bon lecteur prolestant contre le
danger. Remarquons néaimioins, en passant, que tous ceux qui ont
écrit sur l'histoire de Genève citent la sœur Jeanne , et que jamais
elle n'a été accusée ni convaincue d'erreur grave ou volontaire, ni
d'injuste partialité. Fervente catholique et religieuse de Sainte-
Claire , elle ne pouvait avoir ni les sentiments ni le langage d'un
prédicant de la réforme. S'il y a là matière à reproche, brûlez éga-
lement tout ce qui a été écrit en sens contraire, car vous ne sauriez
exiger qu'un auteur soit condamné pour crime de partialité par
cela seul qu'il n'est pas des vôtres. Fort heureusement la partialité
•2\f} MI.I.A.Ntil'.S II >nl \ I I.I.KS.
l'I riin(tarhalili' se recoiinaissenl A de loMl autres caractères, et
l'on cil juge par de tout autres rèj,des.
(Quoiqu'il en soit, .M. Uevilliod n'a pu luire sans e\|)iation une
lionne «mi\ re, car c'en e>l une que «le nous avoir donné Jeanne do
Jussic. Poursuivi par des scrupules de conscience, ou harcelé par
les liiéroplianles tle Tlnion Protestante, il s'est cru astreint à une
sorte d'amende honorahie, cl il vient de publier la Chronique de
Froment, restée jusqu'à ce jour inédite, cl que les magistrats de
(ienève, it répo([ut; où elle fut r^'digée, avaient cru condamner à un
é'.eruel oubli, en la mettant sou« clef dans les archives de la ville,
ioul ce que le travail de Fromenl pouvait renfermer d'intéres-
sant ou d'utile en a été, selon nous, extrait depuis lon|;lemps. l/ou-
vrage entier ne tentera probablement que la curiosité d'un bien
petit nombre de lecteurs. Force déclamations, injures grossières,
( vnismc révoltant du langage, peu de faits, abondance de contes
fabriqués à plaisir, le tout en un stvie détestable, tel est le résumé
de l'œuvre de l'homme qui partage avec son compatriote Farel le
triste honneur d'avoir apporté à (Icnève les premières lueurs du
nouvel Evangile.
Eolrc mille preuves de la défiance que doit inspirer cet auteur,
qu'on nous permette d'en donner une seule :
M Donc il fiist trouvé (p. lO.i au couvent de Sle Claire seulle-
)' ment par conte faict 1700 œulx de poulaille, qui estovnt desia
.. gaslés. » C'est sans doute .M. Froment (|ui a fait le com[)te, car
nul autre n'en dil mot, non plus plus (jue des hallndff cl roiuieau.r
iriimourettr, tlvsfjueh en furnil Iruurrz un grand noinhre dans leurs
(Uambrcs. Pourquoi donc s'en aller à Annecy, au lieu de rester à
Cienève où tout les conviait à rester, où elles auraient trouvé la li-
berté cl le mariage?
Nous avons, pour juger du mérite de Fromenl et de la foi qui!
mérite, peu de chose à faire, d'autres ayant avant nous pris ce
soin. M. Hevilliod ne pouvait Tii^norer, et le lecteur a droit de lui
reprocher cette ignorance aflectée, et les vains elforls tentés pour
déguiser le peu de valeur de l'ouvrage cl de rouvrier.
Nous lisons en effet, dans la préface, p. 7 : « La seigneurie trouva
» plusieurs injures cl choses dé>bonorantes ^on ne dil pas pour qui],
» elle lit retirer tous les exemplaires... aucun n'est connu. » El l'on
ajoute, p. H : « Dés lors la fiersonne de Froment acheva de rentrer
n complélt-menldans lOnibre ; il renonça, nou>diseiil les historiens,
)' à la charge de ministre, pour pieiidre: place dans les (>onseils. et
MÉLANT.FS KT NOUVIÎLLKS. 247
» cri lioinmc (|iii avait exercù une si ^'lande iiinnonce sur l'inlro-
» diictiuii (le la reforme û (îenève, occiipail sur la fin de sa vie une
niodeslc place de notaire. »
Mais d'abord les Fra|:^nicnts historiques publiés par M. (Ire-
nus rapportent, p. M) (an l.iG'i), les termes exprès des registres du
Petit Conseil, qui accusent Froment dVrrctirs et de prolixité. La
mauvaise réputation de l'auteur (on va le voir), l'absence totale de
retenue qui est le trait distinclit" de son lanj^age, et la haine aveu-
gle qui lui fait inventer ou accueillir les fables les plus absurdes,
tels fuHMit, à notre avis, les motifs de la suppression ordonnée à
Tinstant même où il publiait son travail.
Au risque de compromettre l'humilité du Auinl, citons encore les
Fratjtnenls histon(jiu's, et souvenons-nous que ce sont des extraits
des registres du Conseil de Genève. On y lit, p. 20 (an 1552) :
« Antoine Froment est reçu notaire public. »
P. 20 (an 1553) : « Antoine Froment est reçu bourgeois, comme
» ayant été un des premiers ministres de l'Évangile en cette ville.»
P. 30 (an 15G2) : « Antoine Froment, prisonnier pour soupçon
» de paillardise, est démis du Conseil des Deux-Cents. »
P. 43 (an 1572) : « Permis à Antoine Froment de revenir en celte
M ville, vu ses services passés, et quoiqu'il se soit mal conduit de-
M puis son départ. »
P. 47 (an 1574) : « On lui permet d'exercer le notariat. »
Ces courtes notices, fort bien connues de M. Revilliod, ou qu'il
a pu et dû connaître, car il cite lui-même les Fragments historiques,
sulTisaient pour le mettre sur la voie, s'il eût voulu , et il aurait
vraisemblablement trouvé dans les registres mêmes des renseigne-
ments plus complets.
Calvin faisait assez peu de cas de sou frécur&cur , s'il est permis
d'en juger par les deux textes que nous allons rapporter.
Le premier est tiré de la lettre 387, adressée à Viret : a Froment
» rapporte (c'est Calvin qui parle) que la reine de Navarre est
w mieux disposée que jamais. Tu sais cependant qu'on ne peut
» ajouter une foi entière à tout ce qu'il dit ; car l'honneur d'avoir
» été admis à l'audience de la reine l'a tellement enflé d'orgueil ,
» qu'il me parait avoir perdu le peu qui lui restait de raison. »
Le second se trouve dans les adieux de Calvin mourant aux mi-
nistres de Genève, recueillis par le ministre Pinaud. « Quand je
» vins premièrement en cette église... il y avait maislre Antoine
» Saulnier, et ce beau prescheur Froment, qui ayant laissé son de-
2»S ilfcl-.V.MjUS tl >OLVELLti.
u vantier s'en montoit en chaire, puis s'en rctournoit i sa boutique
D où ii jasoil ot ainsi faisuil (Joul)lc sermon » ;1 .
Froment n'était pas plus content de ceux qui étaient venus après
lui, et il ne les ménage ^uèl•e. « Il y en a aus>ii d'autres, dit-il ('2 ,
» qui sont cause de ^'rand/ escandalle/... qui sont les bien venus
j) entre ceulx qui sont sourtis d'une niesme religion, moines, prebs-
» très, jacopins ou courdelliers comme eulx, aflin qu'ilz n'accusent
w l'un l'aultre s'il/, ont faict des abominations, des mescbanc;*tez
» ou dissolutions en leurs convens : des (|ut'lz en est sorti beaucoup
» de grandes l'ascheries en l'Eglise et l'Kvangile |)ar eulx vitupéré;
» car ilz sont si effrontés qu'ilz ne se soucient que d'estre veulx, et
» de complaire aux prirjces pour avoyr quelque nom... les quelz
>; ont esté et sont bien si hardis de reprendre ceulx qui leursem-
y> bicnt cslre vehemcns eu reprehcnsions, ou en leurs prédications,
•» ceux qui ont ahattit si soubdainvmcnt la pa])aulê, $ans concilie, ou
n pur aventure sans euLi- ou leur avoir demandé conseil. » Si ces der-
niers mots ne sont pas à l'adresse de Calvin, de ses collègues et des
magistrats en charge à l'époque où écrivait Froment , ils n'offrent
aucun sens raisonnable.
Nous pensons en avoir assez dit pour mettre le lecteur en état de
juger |»ar lui-même de la valeur de Froment. En dépit de la re-
liure antique . du papier cliamuis, pour simuler fort mal la vétusté,
en dépil d'une sorte de luxe typographique et des belles initiales
dans le goût du seizième siècle, les ./vtrs ri Cestes merveilleux reste-
ront enfouis dans les plus obscurs recoins des bibliolhè(|ues. Jamais
une mère chaste ne permettra qu'ils souillent les yeux et le cœur
de sa lille ; et aucun père honnête n'en conseillera la lecture ;\ son
lils. Le langage de l'auteur est, du reste, à lui seul une barrière
(I) Lettres de .Icaii Calvin, Paris i8.ji, vol. Il, p. î)li-575. Liîilitcur dis
Icltres ajoute à ce texte la note suivaiilo, (jui n'est pas sans inlérrt, venant
d'un protestant zélé : t On sait que Froment se présenta d'al)ord à Genève
» en qualité de maître d'école. Esprit vain cl léger, il ne s»if pas rester h la
» lianleur de son rùlc glorieux comme missionnaire de la réforme. Il aban-
» donna, en lî>.'>ô, le ministère de IKvanjîile, acheta un oflicc de notaire, «l
» mérita plus dune fois par sa conduite inconsidérée, les censures de i.i
> .seigneurie. ■
I.a lettre à Vircl ncst pas tirée de ce rcrncil, dont les deux premiers vo-
lumes qui ont paru ne rcnferniciil i|iif les lettres françaises, celle à Viret est
en latin.
Ci) l*. ON cl passim.
MICLAMiIsS I:T iNOl'VlilXKS.
249
sutlisanlc corilrc une indiscrèle curiosité. Autant il y a de naïveté,
de f^rAce et de clarté dans le style parfois incorrect, si l'on veut, de
la bonne sœur Jeanne , autant la plume et le langage de Froment
sont rudes, obscurs et entortillés. L'obscénité a seule le pouvoir de
délier la bouche de cet homme. L'n soldat de Tamerlan n'eût écrit
ni mieux ni plus mal dans l'ivresse.
Tout mauvais, tout méprisable qu'est ce livre, il a pourtant un
(ôlé ulile pour les hommes, malheureusement en si petit nombre,
qui cherchent la vérité. Car l'iniquité qui ment à elle-même, inen-
tila e$t iniquilas sibi , est condamnée à se punir de ses propres ira-
postures. Les plus irrécusables témoignages ont dès longtemps éta-
bli que la réforme de Genève fut l'œuvre de la violence, et que
les prêtres et les moines qui s'y jetèrent étaient des gens perdus de
débauche. Le livre de Froment n'est , d'un bout à l'autre, qu'un
long commentaire de ces deux vérités. C'est à Messieurs de Genève
de voir s'il en réjaillit beaucoup d'honneur sur leur sainte et bien-
heureuse réformation.
Certains livres , certains noms sont un peu comme les bâtons
flottant sur l'onde :
De loin c'est quelque chose et de près ce n^est rien.
Bonnivard , dont on affectait tant de parler, n'a-t-il pas été tué
par ceux qui se sont avisés de publier ses Chroniques et son Traité
de la police de Genève? Nous croyons M. Revilliod destiné à appren-
dre , par sa propre expérience , qu'il eût été mieux pour sa bourse
et pour sa réputation d'éditeur, de laisser Froment aux vers qui le
rongeaient en silence dans les archives de Genève.
C'est une maladresse , si toutefois il est permis de l'appeler par
son nom ; mais elle n'en est pas moins très-réelle. Comment M. Re-
villiod , qui appartient à la meilleure société , a-t-il oublié qu'au
sortir d'une excellente compagnie, on ne va pas à la taverne boire
avec des valets , et , ce qui est pire , avec des gens dont un valet ne
voudrait pas pour ses serviteurs.
Nous parlons sans rancune ; la bonne sœur Jeanne a si bien
plaidé chez nous la cause de M. Revilliod , que nous serions dispo-
sés à pardonner à celui-ci beaucoup de choses , si l'indulgence ne
lui devait être aussi nuisible qu'elle serait coupable de notre part.
Les lithographies dont il a orné son livre, et dont le nom et le faire
jurent passablement avec un volume destiné à singer le seizième
siècle, étaient tout au moins fort inutiles. S'agit-il purement d'un
caprice d'éditeur? Nous n'avons rien à dire, et nous ne dirions
i50 MKI.AStiKS l'.T >OrVELLE8.
elTocliveincnl rien , si le fond ne perçait pas trop visiblement sous
la forme. l'our(|iioi, en regard de la p;ij,'e -W, celte veuve enccinle,
oiilouréc d'eiiTanls en pleurs, et qui apporte à un pr("^tre ou à un
moine horrible à voir une bourse très-lourde? S'agit-il d'un fail?
l'as le moins du monde ; c'est tout bonnement le commentaire pour
les yeux d'une partie d'un discours de Froment.
Ou'est-ce encore, en regard de la page l'o.i , que celte liidcuse
rc|)roduction d'une ancienne gravure qui, dit-on, reproduisait elle-
même une peinline Irouvée dans ré''lise du couvent des Domini-
cains à Plaiiipalais? Il sera |)ermisde douter de rexistence de celle
gravure aussi longtemps qu'on n'en indiquera ni le possesseur, ni le
lieu où on peut la voii-. Jusqu'alors, nous aurons le droil de faire
honneur de ce cbef-d'œuvre à \'imjcuii:u.v crayon de M. (jandon ,
Tarlisle de M. Revilliod. Et quand la gravure originale sera pro-
duite, il resterai prouver qu'elle fût la copie fidèle de l'iMm^r trou-
vée au couvenl de Plainpaiais. Cela ne serait pas facile, la descri|)-
tion donnée par Froment n'étant pas en tout d'accord avec l'ignoble
barbouillage offert par M. Revilliod à ses lecteurs. Enfin, veut-on
cpiun moine dévergondé ait tracé ou peint sur les murs de son
église, pour blasphémer contre le Pape et contre l'Eglise, quelque
chose qui ne peul-élre décemment nommé ni décrit, (pie s'en sui-
\ra-t-il? (Juel |)rofil pour le lecteur ou pour la réforme? il y a de
ces fables dans Luther et dans Rabelais, les plus grands maîtres en
ce genre; ajoutent-elles un atome au mérite de ces deux écrivains?
sont-elles du moindre poids contre l'Eglise? Non. Mais elles témoi-
gnent de la haine de leurs auteurs et du mauvais goût de ceux qui
les exhument aujourd'hui. A coup sûr, si le fils de M. Revilliod
était surpris par son père à copier Viininje du moine de l'iainpolaiii ,
l'enfant aurait les oreilles tirées, et le maître de dessin serait igno-
minieusement chassé.
Nous passons volontiers sur mainte autre peccadille de ce genre,
pour arriver à un grief plus sérieux.
A la suite du texte «le Froment se trouvent '20\) pages d'extraits
«les registres publics et de notes supplémentaires. C'était l'occasion,
ou jamais, si M. Revilliod l'tùl voulu, «l(> rectifier mainte erreur ou
mainte imputation calomnieuse. Maispoinl, il va droil son che-
min, sans plus se soucier de la vérité qu'un Turc. Témoin l'empoi-
sonnement de Viret, mis par Froment sur le c()m|)te du chanoine
d'Orsièrcs, qui fut pourtant acquillé, comme l'a fait voir M. lialilTe.
/.a fin couronne riFurre, dit-on; pour rendre tomplèlo la parure
mklan(;ks kt nolvellks.
251
de la sienne, M. Rcvilliod y a joint (p. Cl) une petite dissertation
du ininislre Flomiiois sur Vintinidirité des gens de C/ùjUse de Genève
arant la n'fi>rnnilion. Oui sans doute, il y avait û Genève, avant la
Information, dos ecclésiasti(|M('s dont la vie était un scandale; la
sd'ur Jeanne de Jussie vous Ta dit. El ce qu'elle vous a dit de Ge-
nève, Bossuet, les Papes, les conciles, les historiens, les lois de TE-
glise vous le disent pour une foule d'autres lieux. Mais ces ecclé-
siastiques déréglés étaient beaucoup moins nombreux que vous ne
voulez le faire croire. Vos historiens et vos registres témoignent que
fort peu de prêtres embrassèrent la réforme, que presque tous quit-
tèrent la ville pour ne pas apostasier, et que Genève se remplit de
prêtres apostats et de moines défroqués des pays voisins. Expli-
(juez-nous, si vous le pouvez, comment ce qui attirait les uns avait
la vertu de chasser les autres. Et si vous ne trouvez à ce problème
aucune solution raisonnable, convenez qu'il y avait dans notre
clergé d'alors plus d'honneur, de foi et de vertu qu'il ne vous plait
de lui en accorder. Dans un corps aussi nombreux que le sacerdoce
catholique, il se trouvera toujours des membres malades ou gangre-
nés. Nous le savons. Mais nous n'avons vu nulle part le mariage
opposer au désordre une barrière plus forte que ne fait le célibat ;
et sans aller à Constantinople , nous trouverions aisément de quoi
rédiger une petite chronique scandaleuse sur le compte de gens
j très-régulièrement engagés dans l'union conjugale (1).
Au fond , la dissertation Flournois n'a pris place à la suite de
Froment qu'à raison de la phrase finale (p. CV) : « Pour ce qui est
» des religieuses de Ste Claire, le registre n'en dit point de mal ; il xj a
y> apparence qu'elles étaient plus sages; si non castiores , saltem
» CAUTiORES. » (Plus prudcutes, sinon plus chastes.)
Fort bien, M. Revilliod ; fort bien. Vos registres, vos chroniques,
vos historiens ne vous fournissent contre ces pauvres filles aucune
arme; vous l'avouez; mais elles ne passeront pas impunément de-
vant vous. Aucun fait, aucun indice ne vous donnant le droit de
vous ériger en juge , vous vous contentez du rôle de diffamateur.
(1) L'impertinence des béats du mariage s'attire de temps à antre un juste
châtiment. Une dévote genevoise, appartenant à une des meilleures maisons
de la ville, s'avisa, il y a quelques années, dédire à M. l'abbé Chéney, alors
vicaire de cette paroisse : Mais, M. l'abbé, comment est-il possible que vous
vous passiez de femme? Comment faites-vous? — Et vous, 3Iademoiselle ,
comment faites-vous vous-même? lui répondit son interlocuteur; la conver-
sation ne fut pas poussée plus loin.
"lo'î MËLA?IUES ET NOtVELLES.
Vous lavez Irès-bicn que le soupçon lance' à propos trouve le» oreil-
les el les esprits ouverts. La sœur Jeanne de Jussie a paru sans
qu'un mot de votre part soit venu ternir sa réputation; tV a fallu
(nous choisissons A dessein ces termes) expier cette faute en faisant
respirer à vos lecteurs la calomnieuse liaU-iiic du ministre Floiir-
nois. Froment, sans cela, ne fût peut-être point sorti de l'oubli.
En voili bien assez sur Froment et sur son livre, (ienève va le
compter parmi les f/loricu.T monumenls de la réforme, et rien ne dé-
montre mieux l'aveuglement de l'orgueil et de l'esprit de parti. On
nous jette sans cesse à la face comme un reproche la Saiiil-Barthé-
lemy, la révocation de l'Édit de Nantes, les Dragonnades, etc., et
l'on ferme les yeux sur sa propre histoire. Nous ne parlons ni de
rirlande, ni de l'Angleterre, ni de la Suède, ni de toutes les autres
parties de l'Europe où s'est établie la réforme. Sans sortir de (ie-
nève et sans autres documents que ceux fournis par nos adversai-
res, nous venons leur dire : (îenève était toute catholique: quel-
ques brouillons , favorisés par les machinations de Berne . et usant
de violence, y apportèrent un culte dilTérenl ; une partie des habi-
tants finit par se laisser séduire ; mais le plus grand nombre voulait
rester fidèle à l'ancien ordre de choses; un tiers au moins de la
population émigra pour se soustraire à l'apostasie. Pendant de lon-
gues années, deux temples suflirent aux réformés; Saint-Germain
avait été transformé en boucheritî d'abord , puis en magasin d'ar-
tillerie (1) ; en l.'ilK», les propriétaires ne trouvaient pas pour leurs
maisons des locataires a la seule cfiargr d'en entretenir les toitures.
Les noms de la plupart de vos anciennes familles ne subsistent plus
que dans les villages de la Savoie ou du pays de tîex , où elles s'é-
taient réfugiées. El vous osez nous parler de tolérance et de liberté
de conscience, quand vous êtes riches des dépouilles de vos cora-
palrioles chassés de leur pays pour leur fidélité à la foi de leurs
pères! Cessez de vous moquer de nous. Le temps a pu faire
disparaître les pierres des autels employées aux plus viles usa-
ges (2) ; mais il n'effacera jamais la mémoire de la rapine et de la
violence. Les princes catholiques ont souvent employé la rigueur
pour abattre les nouveautés en matière de religion. Entre leur con-
duite et la vôtre ou celle de vos pareils, il y a toute la différence
vl) Froment.
(2) On s'en servit, dit Frotncn», pour los cfioùls do la ville, les lieux d ai-
sance cl le gibet.
MKLANfiKS ET NOUVELLES. 253
qui sépare le père do famille se mainlonanl chez lui , do l'usurpa-
teur qui s'empare du bien du voisin. Kssayez une bonne fois de ré-
pondre à celle question : Dr quil droit n-l-on pu imposer la réforme
uux catholiquci qui n'eu voulaient pai^'! El ne dites pas : Novis vou-
lions seulement être libres de pratiquer notre religion. C'est un
mensonge. Pas un de vos réformateurs ni de vos apôtres n'a tenu
ce Ianga{]fe. Tous ont dit : Détruii^om r/îglÏM' catholique.
Elle est encore debout , Dieu merci ; mais la vôtre esl bien ma-
lade. La nôtre esl accoutumée à perdre des soldats et à gagner des
batailles. Parcourez le monde, vous trouverez partout les marques
de la sépulture que ses ennemis ont reçue d'elle.
ÉTRAUGER. — France. — Nous ne résistons pas au plai-
sir de citer les lignes suivantes d'un mandement que Mgr l'arche-
vêque de Paris vient d'adresser à ses diocésains à son retour de
' Rome :
« Ce qui nous frappait par dessus loul dans nos communications
intimes avec le Souverain Pontife , dans tous nos rapports avec les
hommes éminents qui sont associés à toutes ses sollicitudes, et qui
de près ou de loin l'aident à porter le lourd fardeau du gouverne-
ment de l'Église , dans celte atmosphère de Rome où nous respi-
rions, et qu'on représente quelquefois au dehors comme ardente
et troublée , c'est la sérénité des esprits, c'est la sagesse, la modé-
ration et l'universelle bienveillance qui en fait le fond pour ainsi
dire. Rien de heurté , d'aigre et d'absolu : on ne met de l'énergie
et une juste ténacité qu'à sauver les principes; toujours prêt, du
reste, à entrer en composition avec les faits, avec les besoins, avec
les nécessités des temps et des pays.
» Celte disposition à la conciliation et à l'accommodement se
rencontre partout à Rome , soit qu'elle appartienne à la nature
des esprits, soit qu'elle vienne d'une longue pratique du gouverne-
ment dans le centre d'un vaste empire qui embrasse aujourd'hui,
comme autrefois, des temps et des peuples divers.
25% MKLA?ir.RS KT %oi v(:i.i>:s.
u r.cux qui so plaignent des lonlciirs du Saint-Siège oublient que
le temps est souvent son meilleur ministre , et qu'un peut pren-
dre du temps (|uaMd un sait qu'un est éternel.
'■ (]eux (|ui raetusenl d'iniprudeme et d'exagération le jugent
peul-élrc d'après certains hommes sincères, sans doute, mais ex-
clusifs et ardents qui foui professioD d'un grand dévouement |>our
lui, mais qui trop souvent risquent de le compromettre par des
vues, des pensées ouliées et un zèle intempérant.
» EnGo, ceux qui l'aHligent par leurs révoltes et ne parviennent
pas à s'entendre avec lui, oublient la sainteté et l'inviolabililé des
principes dont il a le dépôt, loiilenl aux ()ieds la loi de Dieu, et s'é-
tonnent ensuite de l'inflexibilité de TKglisc et de ses rigueurs. Klle
ne serait pas inflexible s'ils ne poussaient pas à bout sa |)atiencc, et
il serait facile de s'entendre avec elle si, outre le sacrifice de ses
intérêts, on no lui demandait pas encore le sacrifice de la vérité. »
AlltMiiasiK'. — On lit dans la /'o/A«/*a//e de Cologne :
« D'après des lettres de la frontière polonaise du 10 février, on
a envoyé , il y a (|uel(|uc temps , dans toutes les communes du
rovaume de Pologne, des circulaires oflicielles par les(|uellcson fait
connaître A tous les noms de trois princes russes déclarés traîtres A
la patrie et apostats, « parce qu'ils ont abandonné la foi ortlio<loxe
(c'est-à-dire le rite grec), et qu'ils se sont fait adnieltre dans Vi.-
glise catholique , se réunissant , dit la ciculaire, aux ennemis de la
patrie russe. » Il n'est pas dit clairement dans la circulaire si ces
trois princes ont efTeclivenient quille la Hussie et passé «lans les
rangs ennemis, ou si leur simple conversion au catholicisme motive
les expressions de la circulaire. >»
Dans un temps où le gouvernement catholique du catholique
Piémont poursuit les ordres religieux avec tant de haine, nous ai-
mons à reproduire les vers que l'on va lire. Ils sont extraits d'une
|)oésio intitulée : l<* Huinrs ih l\-ihhnt/r ilr JHoutirif. insérée dans
MKLAM'.KS KT ><>l VI.IJ.IS. 255
une publicalion qui a paru ù Porrcnlruy vn IS.'ri. L'nulcur est un
ininislre proteslant.
Oh I qu'ils sonl loin, ces temps, et que je les envie I
Ces temps où l'on avait un but à contiuérir.
Où le monde était plein do jeunesse et do vie.
Où la parole, au moins, d'œuvres était suivie.
Où l'on savait vaincre ou périr I
Hommes heureux ! sachant ce que c'est qu'espérance,
.C'était vers l'avenir que vous tourniez les yeux ;
Vous n'avez pas connu la triste indifférence,
Vous avez cru ; — la foi, surmontant l'ignorance,
Vous rendait aciifs et joyeux 1
Qu'elle est loin, cette époque, à jamais disparue,
Où le moine, à la fois apùtrc ou laboureur,
iManiait d'une main la bêche et la charrue,
El de l'autre montrait à la foule accourue
Le ciel et la croix du Sauveur !
Un monde surgissait des débris du vieux monde,
Informe encor, cherchant et sa route et ses lois ;
Mais, astre bienfaisant dans cette nuit profonde.
Rocher fixe au milieu des reflux de cette onde,
On voyait se dresser la croix.
Et ceux qui la portaient sur les monts, dans la plaine,
Au milieu des forêts, c'étaient des hommes forts.
Dont chaque battement de cœur, et chaque haleine
Appartenaient à Christ, et dont la vie est pleine
De dangers, de luttes, d'efforts.
ArCORD I>ES MINISTRES PROTESTANTS SI R LES POINTS FONDAMEJtTAl \
Dl" (.IIRISTUMSME. — SIR LK PÉCHÉ ORIGINEL.
M. J. Martin, pasteur à (jciièvc :
« La base de la Rédemption chrétienne, c'est le péché enraciné
dans l'honinie... Y a-t-il oui ou non un profond désordre dans
rbonimc? Ou, si l'on veut, ot sous une forme plus précise : Nous
est-il possible d'admettre que l'homme soit tel qu'il est sorti des
mains du Créateur, tel qu'un Dieu saint l'a aouIu? J'en appellerai
à l'expérience universelle et ù votre sentiment intime pour vous
faire résoudre cette question (négativement)...
» Deux faits immenses et simultanés (car il n'y 3 point de temps
en Dieu) se trouvent à l'origine de notre race, sa chute et sa ré-
demption... De l'un de ces faits sort le péché qui envahit comme
une lèpre toute la postérité d'Adam, attaquant et détrui>ant son
héritage de bonheur et de paix sur la terre et dans le ciel... A la
chute de l'homme , Dieu , pour qui toutes choses sont présentes ,
Dieu vit, comme il la voit maintenant, notre malheureuse race dé-
chue et perdue » (l^.
M. Athanase Coquercl, pasteur à Paris :
" Me voici amené à vous prouver laborieusement deux choses :
la première, que dans les commencements d'une vie humaine,
avant que l'être humain ait vu le jour, et après, avant l'éveil de
raclivilé, de la conscience, de la raison, durant les jours de vie
instructive et végétative, pour ainsi dire il n'y a ni péché, ni souil-
lure, ni condamnations ; et la seconde, que nous ne sommes en rien
coupables d'un premier péché commis sans notre participation ,
avant notre existence, il y a des milliers d'années, par un autre» [2).
(i) Conférences sur la Rédemption, Genève 1846, p. 4 1, iii, W, î».
(2) t'n dogme nouveau ronrernant la Vierge Marie. Paris lS^i^^. p. V
LE PROTESTANTISME
Condamné ù ne ponvoir ni se définir, ni se pronver.
Il n'appartient qu'à la véritable Église de savoir dire ce qu'elle
est, par une délinition nette d'elle-même, et de fournir des preu-
ves de sa divine existence. Par contre, une religion qui ne peut
ni se définir, ni se prouver, est convaincue par là même de faus-
seté. Demandez à la plus spécieuse des hérésies d'essayer de se
définir, et de vous fournir des preuves de la vérité de son Église,
vous la forcez de mettre à nu, avec l'absence de ce double
avantage, toute sa misère. Pourquoi l'Arianisme , par exemple,
malgré tout le fracas qu'il fit au quatrième et au cinquième siè-
cle, malgré la puissance des Césars qui le soutint, et malgré les
nombreuses populations qu'il entraîna à sa suite, ne put-il jamais
se faire passer, auprès des esprits clairvoyants, pour la véritable
Église du Christ, et lomba-l-il bientôt en ruine comme un fra-
gile édifice, ouvrage de la main de l'homme? C'est qu'au lieu
de définir sa raison d'être , et de prouver sa divine existence ,
cette grande hérésie n'apparut au monde que pour l'effrayer par
ses blasphèmes et ses violences contre l'antique Église, surpren-
dre les simples par la subtilité de ses sophismes, porter enfin le
ravage dans la société chrétienne.
Nous en sommes fâché pour le protestantisme : n'est-il pas ,
17
258 1.1 l'Hitn >i AMisMi.
à l'insiar tl<' I aiiuiiisiiu' , cuiKhininé nussi :i («'Hl' oxin'mc iiidi-
^once de inan<|iu-i' de déiiniliuii et de ptruvc, ;ui point de ne
|)ornoir |>i<)duire un lilre sculciuonl probuhie de la vérilé de son
églisi' ou il<" sa reli^'ion .*
Voyons d'abord, dans un premier article , l'imixiissanie de
celte iiop fameuse réformation ù se délinir comme Église, ou
( oinmc une soci('lé relijj;i('use fond«'-e par Jésus-Christ. Nous fe-
rons loudier au doiyl , dans un deuxèuïe article, son impuis-
sance à fournir des preuves de sa vérité.
JS:^ V^. — liC |»rol«'%taiilisiiic Hitiik «Irlliiillon.
N'avons-nous pas droit d'appliquer à la réforme protestante
ce qu'on a dit de l'hérésie en jîc'néral. i]uellc nest, à tout pren-
dre, qu'une ncjation des vérités chrétiennes professées jusqu'à
elle, ou encore une protestation contre l'ancienne Église qu'elle
a pris fantaisie d'abandonner, au mépris des doctrines tradition-
nelles remues dans tous les siècles chrétiens.' Or, ainsi (jue nous
l'avons fait remarquer dans un ouvrage récent : La vérilé de
V Église catholique démontrée, on ne délinit point une négation ,
ni une protesiation, parce qu'on ne saurait delinir le néant.
(",'esl un fait historique (pj'à peine né , le prolestaniisme se
divisa en autant d'églises ou de sectes dissidentes qu'il comptait
de principaux chefs se disant réfoi niateurs : église luthérienne,
église anabaptiste, église zwinglienne , église calviniste ou ré-
formée, église anglicane sous Henri VIII. Puis ces premières
fractions de la réforme de se subdiviser à mesure que les chefs
ou les disciples avançaient dans la voie des innovations. Le monde
chrétien vit avec «''lonneuieiit la multitude de sectes enfantées
chaque jour |)ar \v protestantisme, lesquelles s'arrogeaient tou-
tes à Tenvi le titre fastueux d'Kglise du Christ. Ne sont-elles
pas, aujourd'hui, innombrables les sectes protestantes qui pul-
lulent en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, aux
États-Unis, et (pii à ieiu t(.nr ani( lient la mi'me prétention d'être.
r.<INDAM.>K A M. l'Ol VOIR M SK UKI IMK M Si: i'RdI VER. 2'V.)
clKKUiie en parliciilier, l'cglisoi la plus/JMre, la \ûusévangéliquel^
Il n'csi pas jusqu'aux diverses sociétés des Frères Moraves, des
Mormons, des l'ielisles de iM iissc, des Mélliodistes d'Ecosso, de
Genève ou d .\njéri(iue, espèces d'eiilhousiaslcs aux doctrines les
plus dis()arales et lesplus exeenlri<iues,(|ui no crient, chacune de
soncoié : C'est moi qui suis la véritable Eglise du Christ! Or, en
présence do ces niorcellemenis du proleslanlisnic, au milieu des
lul(es,(lesdécliireinenLs de tant (\v. |)aiiis rivaux ou (régliscs aux
prises les unes avec les auies, et l()rs<pi'il ne reste debout, parmi
ces prclendus réfonnés, qu'un prle-niêle ou le chaos, le moyen,
pour les chercheurs de la véritable Église au sein du protestan-
tisme, de savoir où elle est, de prononcer quelle est celle de
toutes ces sectes aniipaihiques qui ressemble par quelque en-
droit à l'Eglise du Christ, ou qui se définit du moins comme so-
ciété un peu régulière? Ce qu'il y a de plus clair dans ce tohu-
bohu de la nouvelle réforme , c'est l'impossibilité d'un rappro-
chement entre des ennemis jurés, tels, par exemple, que les Lu-
thériens et les Sacramentaires, les calvinistes et les Quakers, qui
se lancent mutuellement des anaihèmes. Le savant auteur de
La Réforme contre la Réforme a donc eu raison de dire que
« l'c'lat actuel du protestantisme le rend indéfinissable. »
De l'ait, la logique ne dit-elle pas qu'il faut, pour une défini-
tion exacte ou un peu valable , qu'elle signale dans son genre
prochain la chose qu'on veut faire connaître, c'est-à-dire que
celle-ci se définisse par des caractères propres et tellement dis-
tinctifs, qu'on ne puisse confondre l'objet en question avec d'au-
tres d'un genre plus éloigné. Ainsi la vraie Église devra-t-elle
être distinguée , par sa définition , de toutes les sociétés qui ne
seraient pas elle, ou qui seraient schismatiques, hérétiques. Eh
bien! qu'on nous montre, dans la fourmilière des sectes du
protestantisme, une seule d'entre elles qu'il soit possible de dé-
finir suivant cette première règle de la logique! Essayez donc,
par exemple, de définir la société luthérienne en termes propres,
avec des caractères distinctifs assez saillants pour l'empêcher
d'être confondue, dans sa définition, avec toutes les autres sectes
ses rivales, qui, comme elle, ont la prétention d'être la véritable
Église du Sauveur ! Vous n'y réussirez pas.
2<)0 I.K l'ROII.M AM ISMI.
Wai.-», tJiioiii Us clrleiiscurs tic la M'ioriikaiion , |jour(|utii ne
jugcriez-vous |>a$ de la vcrih' de nus églises, ou du pruU'&iaii-
lisnie en gj-néral, par lu vérilé de leurs docirincs? — Parce que,
répondrons-nous, la voie de discussion est ini[)ralicaltle, impos-
sildc pour la nuiliilude ; parce «pie trois siècles tre\|M'ricncc
vous la d(-inon(rent interminable chez les ministres même les
plus instruits; parce <]u\'nlin, niellant à la place d'une autitrité
décisive en matière de reiif^iun votre examen individuel , essen-
liellcmenl dis|)uteur, vous ne faites surgir (priaccrtilude, fluc-
tuation d'esprit sur tous les objets de la foi, Siins en excepter
la (]Ucstion capitale de la v<ritable E;^lise. Au moins, pour met-
tre un terme ù vos éternelles divisions , vous laudrail-il un lien
cxléricur capable de raltaclier enire eux les membres épars de
votre éylise. Que ne leur avc/.-vous donne, à celle fin, une prt)-
fession de loi coinimiiie, précise, iinariablement ariêlee!... Mais
au lieu (le cela . vos formules de croyance se sont mullipliées à
l'infini, avec des variantes ou même d'énormes cliani^'cmenis.
sans <|uc vos adeptes aient jamais su à la(|uelle il fallait s'atta-
cber de préférence : Confession de foi de Saxe, confession d'Aug-
sbourg, confessions d'Helvétie, — de Belgi()ue, — de Pologne,
— d'Angleterre, — de France, etc., etc. Et, pour qu'il ne soit
pas dit (praucune de ces professions de foi est sans retour ci
pourra désormais fixer les esprits , l'Assemblée de Berne de
1628, où présidaient avec les seigneurs du Petit et du Grand
Conseil des cantons suisses, les cliauds partisans triine révolu-
tion religieuse , déclare dans son acte de séparation d'avec l'É-
glise romaine , appelé aussi sa confession de foi , qu'ELLE faisait
CETTE RÉSERVE DE POUVOIR AJOl TER OU RETRANCHER aUX dix articles
qui la composent, lorsqu'elle uécouvrirait ouel^ue « iiose ue
MEILLEUR. Il faut couveuir qu'une pareille réserve, de la pan des
nouveaux dogmatis<'urs, élail faite pour t'der toute certitude,
toute confiance à leurs décisions.
Qui ne sait, du reste, qu'après ces milliers de professions de
foi, dont aucune ne s'est conservée dans son texte primitif, et
qui, pour la plupart, ont été, dès leur origine, une lettre morte,
les corypliées des diverses braïuhes du prolcslanlisine se sont
pris, de guerre lasse, à renoncer enfin aux formules de foi, jugées
r.ONDAMNK A >K l'Ol Vdiri M SI. Ili:i I.M!( M SU l'BOLVKR. 2()1
imililesou iiuapahlcs de incitrc un lerino à lanl de divisions in-
lestines qui déchirent el consument toutes les sociétés proies-
laulcs,
Maiiilouanl au uùlieu dt- ces iiuessanles vaiialious, de ces
conllils de «locliiues ou de partis opposi'S, et lorsipi'il n'apparaît
datuniii côté un signe certain de vérité doctrinale, découvrez
il(»nc un corps d'Ej^lise (pii ressemble à celle de Jésiis-Cluist ,
dont 1 iiiiitt' el la YJsihiliié sont les premiers éh-menls!
Mais, s'écrient les réformés de tous noms, n'avoiis-nous pas
l'Écriluie |)0ur siyiie ou éloudard de l'Iiglisc du Christ, comme
point de ralliemeui de toutes nos sectes dissidentes, et gage au-
thentique de leur vérité? — Et nous de répondre à ces argu-
mcntaieurs : Faites aiteuiion que ce livre des Écritures, dérobé
ù l'antique Église [)ar tous les héréliqiies qui désertaient son
camp, se trouve entre les mains des errants comme entre celles
des vrais croyants. Par conséquent, un tel livre, dont toutes les
sectes prétendent se faire un bouclier pour couvrir leur déser-
tion et leurs erreurs, ne saurait être le signe caractéristique de
la divine institution d'aucune d'elles, pas plus qu'elle n'est le
lot particulier de celle-ci ou de celle-là.
\'ous osez dire encore, en présence de la confusion flagrante
du protestantisme, que la Bible est un point de ralliement pour
toutes vos sectes si étrangement divisées. Ah î dites plutôt qu'elle
est pour elles un brandon de discorde, un champ de bataille,
une arène où chacun tirant à soi le texte sacré, s'en dispute leslam-
beaux. Eh! ne voyez-vous pas que, par l'inévitable abus du droit
d'interprétation individuelle des Écritures, départi, au nom de
Luther et de Calvin, à tous, sans distinction de savants ou d'i-
gnorants, vous faites disparaître ce prétendu signe d'une Église
vraie dans votre réforme, comme dans toute secte qui se targue
aussi bien (juc vous d'avoir la Bible entre les mains? Comment
donc, après cela, oser dire du Saint Évangile qu'il est, pour
ceux, même qui en abusent manifestement, un gage authentique
de vérité leligieuse?
Mais, puisqu'il s'agit ici de la détinition d'après les Écritures,
question vitale pour le protestantisme, qui veut tout voir dans la
Bible et par la Bible, ce livre divin lui viendra-t-il en aide, en
•2f>-2 II l'Mull SI AMl^MI
lui fouriiishaiii du inniiis <jui'l(|U(>s tornios pour sr dt-liiiii? Ouvre/
ri-^anj^ile, et vous ne verroz nulle part, tians ses |>nges sacrées,
fij^uror rEj,'lise pn-lcndue réformée, ni direeiomeni, ni indirer-
tcment. Au lieu de justifier votre séparation d'avec le Souverain
Pontilc el le corps des Kvèques, Ii'f^itiines successeurs de Tau-
toriié apostolique, cel Évangile csl l'inllexiltle accusateur de l'u-
surpation du sanctuaire pai- le moine augusiin et consorts, sous
le beau nom de la icforine.
Ce qui est positif, c'est qu'après qu'on a maintes fois défié les
docteurs du protestantisme de trouver dans l'Éfriture un seul
tiail caracleiisli(pie de TKglise i\u Christ (pii soit applicable à
«juehpi'une de leurs églises réformées, ils sont restés muets de-
vant un pareil déli. Ne craignons pas de reproduire, à propos de
ce silence des Écritures à l'endroit du protestantisme, une preuve
expérimentale dont Mgr \ illecoiirl, «véque de la Hoclielle, vient
dii nous faire part. Ce prélat, entrant dans une ville de son dio-
cèse, au milieu d'un grand concours de lidèles catholiques, vit
venir à lui un ministic mômier (pii, lier de sa science biblique,
crul l'embnrrasser par celte brusque apostrophe : « Monsieur
» ré'vèqiie , me montrerez-vons (|uelque pan d.ins rÉciiture la
» délinili(»n de l'Kglise romaine? — A vous, Monsieur l'interro-
» gat<Mir, rt'pond r(">èque, de n'-soudre tout le premier la «pies-
» tion. Puisque vous ^o^e/. toul dans la Uible , votre unii|ue ora-
» cle , de grâce, monti'c/.-nous indiquée, par quelque texte de
» riù riturc , votre église libre d'hcosse ou votre Méthodisme! n
Le ministre, qui ne s'attendait guère à celte rétorsion, balhniia
et tiiiit |)ar declaiei' (pi'il ne pouvait. « Eh bien! reprit le prélat,
» un «athorupie Icra ce que ne satirait faire un protestant ;
» voici l'Église romaine bien deliuie i)ar l'Évangile : (.'est i.'éni-
- FICE DIVIN BATI SI R SAINT IMeKI\F,, ET COÎSTRE I.EOl'EL LES PORTES
» HE l'enfer ne PRÉvAinRONT JAMAIS. Vssuiv'-ment , continua l'é
» vêqiie, ce sont I)ien là les propres paroles de .lésns-Chrisl : Tu
» es Pierre, et sur cette pierre je hd tirai mon Eglise, et les portes
" fie Venfrr nr prérnudmnt point rnntre rllr. n Inutile d(» jliro
quel fut le désappointement du ministre. Au lieu d'une victoire
doni il se llallail, il n'emporla que la honte de la défaite el le
blâme de ses coreligionuaiiis |n>ur ^ou inqirudenie pi-ovocalioii.
((»DAM>K A m: I'OI VOIU M SK l>KI IMU M SK PUOLVKR. H'hi
.Jurit'u :ivait si bien compris qiraucune des secles protestantes
ne peut se délinir comme Église, qu'en désespoir de cause il est
venu joler dans If puhlic celte ('irange d«';finition de l'Église de
Jésus-(Mirisl : «Elle est, dit-il, la colleciion ou l'agglomération
» de toutes les sociétés religieuses qui admettent les articles fon-
» damcntaux. » Une d«'linilion aussi inattendue que bi/arro pou-
vait-elle être prise au sérieux? Le siècle de Louis \IV la regarda
comme le fruit d'une imagination en délire; et, aux yeux même
des sages protestants, c'était le monstrum horrendum, informe,
ingens, dont parle le poète. Personne, alors, ne comprenait com-
ment un amalgame de sectes aux dociiines si opposées, si con-
tradictoires pouvait, aux termes du nouveau système, formel- un
tout, aboutir à l'unilé dune seule Église : comme s'il fût possi-
ble de faire de l'harmonie avec des éléments hétérogènes qui se
repoussent, qui s'excluent mutuellement.
H est vrai qu'atin de tempérer l'odieux d'un tel système , son
inventeur posait pour condition de cette Église dont il agrandis-
sait indéliniment le cercle par l'adjonction de tant de sectes di-
verses, que chaque membre de ce corps-monstre admettrait les
articles fondamentaux. — Mais , lui demanda-l-on , quels sont
ces articles fondamentaux? Là fut l'embarras du ministre de
Rotterdam. On avait cru, jusqu'à Jurieu, que tout dogme révélé
par Jésus-Christ était un article fondamental de croyance pour
tous les chrétiens; mais il plaît au ministre de faire un triage,
dans le trésor de la Révélation, des points à sa convenance, sans
pouvoir expliquer néanmoins pourquoi tel article est fondamen-
tal et tel autre ne l'est pas. A tout prendre, il n'y eut guère
qu'un point bien précisé par le ministre comme fondamental :
celui de la divinité de Jésus-Christ. Partant, pour avoir sa place
dans celte agglomération de sectes déclarée Église par Jurieu ,
il fallait au moins la foi en Jésus-Christ Homme-Dieu.
Mais une autre célébrité protestante , le philosophe Locke ,
trouva la condition de cet unique point fondamental encore trop
rigoureuse, disant qu'iY su^saj7 de croire au Christ envoyé de Dieu.
Or, faire si bon marché de la divinité de Jésus-Christ , n'était-
ce pas saper dans sa base l'édifice du christianisme? Les Soci-
niens devenaient de plein droit , dans ce système lalitudinaire ,
2(>4 l-i-: l'HoTtSTAVnSMK
eofanis de l'Eglise, l'ai li; laii, celte tiit-orie uii(i-chré(ieiiDc du
philosophe d'oulrc-mer, dorinaiii eniréc duos la sociélé fondée
par Jé.sns-(.lirisl à tous les iin|iies (|iii rojcllciil sa «livinilé, éiait
le s)slèuîe lecliaiille de l'aiisl»; Socin , qu'avait poursuivi à ou-
truDce le chef de la n'forme ù Gcdùvc. Et cepciiduiu, voici qu'au-
jourd'hui un tel sytèuie aurait prévalu non-sculeniont chez la
pliq)arl des beaux esprits du protestanlisuie d'Allcmaj,'ne, d'An-
jîleterre et de Suisse, mais dans réj^lise natiotiale »le Genève
elle-même... Comment ne pas voir, cependant, qu'avec une si
horrible dénégation de la divinité du Christ, mise en vopue dans
la reroruu', IKgliso, dont le \<ibe éternel cesse d'être le londe-
mcnl et la vie, ne serait plus (pi un ouvrage de l'homnii' , |»ar
consecjueiit une société tout humaine ; et le rult<' des chrétiens,
d'où le Dieu de vérité se trouve banni, ne sérail plus qu'une af-
faire de convention entre les hommes, un simulacre de rite divin
où le blasphème prendrait la place de Tadoration !
Pour ne pas rester en arrière de ces réformés progressifs,
ceux (le France ne viennent-ils pas d'allicher à Paris, dans le
ttinpie de Penlemons , le même sociuianisme fait pour soulever
la conscience des viais cioyants? Le pasteur Athanase Coi]uerel.
dans s<m discours en date du 7 janvier 1856, contre Tlmmacu
lée Conception de Marie, a essayé lui aussi de |)i-oduire une deli-
nilion de son Eglise ; mais, au lieu de la défmir catégoriquement
et dans sa natni'e, il se contente de signaler, à son point de
vue, une double dillVrence entre la reforme et le «atholicisme.
Quelles sont dtjiie ces deux différences? — La prendère,
vous dit le pasteur calviniste, c'est que les catholifiues croient à
la divinité de Jésus-Christ, taudis que les reformes la rcjetliMit.
Merci , Monsieur Cocjuerel , pour votre candide aveu, dont la
France chrétienne saura prendre acte î — La secondi; «lilférence
serait, suivant le pasteur, la déification de Marie vison adoration
de la part des catholicjues. Pour le coup , nous nous élevons
contre une si atroce calomnie. Où donc le savant doctcui- a-t-il
vu, chez les catholiques, la déification et l'adoration deMarie(l)?
(i) Si nuti» a\i<)u<( à \i>ii|}cr ici lu fui ruinuiiio cttiilri' tnic >i uulrtt)!CiiM-
(ONDAMM A M l'Ol>t)|U M SK i>i:i IMR M SK l'IlOI VfK. 2().'>
Kvidcinmriii, la seconde clUrércnco, donnée pour si caracié-
nsti<|ut' onlie le cailiolicisnio ei la réforme proleslanlc, est une
pure invoniion de son rspril av('iij,'lénionl pirvcnn tonlic l'hf^'lise
romaine. Nous no suivrons donc pas M. Coipieicl père dans lou-
les les diva},'aii(>ns de son discours; il nous sullil de savoir
(priiomme du libéralisme prolcslanl le plus avancé , il fait de la
réformalion au di\-ncuvicme siècle une sociélc- de déistes. Voilà
pourlant ce qu'on appelles, dans le proleslanlisme actuel, une
délinitiou leciinicpie de l'Église du Christ I Mécontents des vains
essais de ces modernes délinissrurs d'é^^dises protestâmes, qui,
au lieu de délinir la rérormo par un côté du moins spécieux, l'ont
ravalée en la déûnissant par ce qui fait sa honte : le vide des doc-
trines, l'absence complète de la foi en Jésus-Christ Dieu, les Mé--
ihodistes et autres puritains se sont pris à revenir aux détinitions
de l'Église mises en avant par Luther, Calvin et consorts. Sans
doute que les nouveaux sectaires, se disant évangéliques, auront
cru donner à leur église plus de relief, la rendre plus spirituelle,
plus céleste, en la mettant sous l'égide des patriarches du protes-
tantisme; tandis qu'en réalité ces délinitions sont encore plus
insignifiantes (jue celles qui les ont suivies, et qu'au fond elles
ne définissent rien. Quelles sont, en effet, les définitions de l'É-
glise mises en avant par les premiers réformateurs? Selon Lu-
ther, VÉglise est l'agrégation des saints qui croient et obéissent
accusation, nous rappellerions au doclc pasteur quil affecte ici la plus pro-
fonde ignorance sur réconoraie de l'Incarnation, reconnue dogme fondamen-
tal chez les anciens protestants aussi bien que dans le catholicisme. Il est
vrai qu'aujourd'hui, comme toujours, l'Église catholique honore Marie en sa
qualité de 3Ière de Dieu , si expressément contenue dans l'Écriture. L'É-
Tangiie ne dit-il pas du Fils de Marie : Il sera appelé Emmanuel, ou Dieu
avec nous (Matth. I, 25); et encore : Le Verbe s'est fait chair... et ce Verbe
était Dieu, ET tiEvs erat Verbim (Joann. I). Pourquoi dès lors,. Monsieur le
Pasteur, venir faire ici le procès au concile dÉplièse pour avoir déclaré Ma-
rie Theotocon ou Mère de Dieu? Est-ce que l'union hypostatique de la per-
sonne du Verbe à la nature humaine n'assure pas un si beau titre à celle qui
adonné le jour à Jésus-Christ ? — Mais, parce que 3Iarie a été crue et saluée
par tous les siècles chrétiens Mère de l'Hommc-Dieu, peut-on induire de là
qu'elle soit une divinité aux yeux des calholiques, et que ceux-ci feront de
Yidol(\trie en la priant, en l'invoquant comme la plus parfaite des créatures,
comme la plus puissante protection auprès de son divin Fils ?
H'A'y l.K PRUTKSTANTISMI
tiu Christ (Lib. dt- Consil. Pl Eeclcs., |)ail. III); sL-loti r,al\iii
ri ses émules, cest la société des justes, on encore la réunion des
prédestinés (Inslit., lih. IV, cup.l). Orque pensez-vous, lecleur,
do ces ddinilions l'ii termes à peu près identiques? \ eus foni-
ellcs voir l'Église de Dieu, ou vous éuonceui-<'lles un sij,'ne iiidi-
i:uifde sa présence ici-bas? Connaî(riez-vous, par hasard, quels
M)nt les saints, les ilus de Dieu, les prédestinés?... A coiq> sûr,
il y aura toujours, dans l'Église du Christ , des saints , des élus ;
mais quels sont-ils? C'est là le secret de Dieu , et nul homme ne
portant au front le signe de sa sainteté ou de sa prédestination ,
nul aussi ne saurait dire avec certitude qu'il est (7m , (pi'il est
prédestiné. Saint Paul lui-méuie, t(»ut en afhrmant (jue sa ro«-
science ne lui reproche rien, ajoute aussitôt : Je ne suis pas, pour
cela, justifié (I Cor. IV, i). Il vous dit encore (|u'i7 craint qu'a-
prés avoir prêché aux autres, il ne soit lui-même réproux
(Ibid. IX, 27). Enfin l'Écriture vous déclare que personne au
monde ne sait *'i7 est digne d'amour ou de haine (Ecclés. I!l, 8).
A plus forte raison ne pouvez-vous savoir si tous les membres
de telle ou telle sociét»'* religieuse ont cet heureux pri\ilége d'ê-
tre autant de saints, t\e justes, de prédestinés.
\ oiri cependant que les églises méthodistes de \\'erley et de
iM. Empeyiaz seraient une réunion de saints otx di'. prédestinés. Si
vous en croyez aux exaltés de ces églises ^r«n^f/»7UM , chacun
d'eux serait sur <lc sa saintet*- ou de sa prédestination. Laissons-
les à leur béatitude. H n'en est pas moins vrai qji'en dennissanl
l'Église par son côté le plus invisible, celui d'un troupeau de
justes, de parfaits, d'élus de Pieu, les chefs de la réforme, au
lieu (le définir l'Église du Christ toujours éclatante de visibilit*-,
vous donnent la détinition d'une chimère , ou d'une société (pii
n'est point de la terre, puisfpi'ici-bas il y a nécessairement mé-
lange de pécheurs et de justes. L'Évangile ne vous dit-il pas que
l'Église est un champ où i ivraie se trouve mêlée au bon grain
(Matth. XIII, 25)? et, sehm saint Paul, ne renferme-l-elle i>as
des vases d'honneur et des vases d'ignominie Rom. IX, 21)?
Trêve dimc sur toutes ces definiiions protestantes de l'Église,
dont le moindre \ice est d'être un non-sens, lorsqu'elles ne sont
(•.ONI»AM>K A >K l'<U VOIR M SI-, hKI-IMIt M SIC l>IU)l VKK. '207
pas évorsivos de toute i('lif,'i(»n , ou (iircllcs no vous uW;nenl pas
droit M la ruine de la sociélc luiidee ();ir Jésus-Cliiist.
Le moyeu , eu ellVt , (juavec votre système du lihi'o examen
tiuo société l'eli^'ieuse puisse rester deltoul? VOus ne pouvez, pas
n)èmc, à raison d<'ce dissolvani le plus aclil d'un corps religieux,
«■'lahiir sur quehpie base solide une socic'lé quelconque. D'après
le princi|)e plnlosopliique, Prius est esse quam esse talc , il faut
(Tabord former une société, avant de nous la donner pour reli-
gion ou pour Eglise. Or l'examen individuel rend, chez vous ,
impossible l'existence d'un corps de doctrines, comme d'un
corps de croyants. Faites donc, si vous pouvez, un corps d'Église
aux croyances uniformes, alors que, par votre sens privé ou in-
dividuel, vous individualisez les doctrines pour en faire des opi-
nions particulières; alors que vous étiolez votre société en sépa-
rant, en isolant les uns des autres tous ses membres.
Nous avons donc eu raison de dire que la réforme protestante
est indéfinissable au point de vue d'une Église, puisque, contrai-
rement aux règles de la philosophie et de la théologie des siècles,
elle ne s'est jamais délinie par son origine, par sa nature, ni par
aucun des caractères intrinsèques et extérieurs de la véritable
Église.
Il est pourtant un fait capital qui peut fournir aux églises pré-
tendues réformées de quoi se définir en termes les plus significa-
tifs; car un point culminant domine toute la question du pro-
testantisme et apparaît clairement à tous les regards : c'est le
fait de sa rupture éclatante avec la seule Eglise de l'époque où
surgirent les réformateurs; c'est la séparation violente de Luther
et de ses émules du sein de cette mère-Église qui les avait nour-
ris. Alors, en rompant avec la catholicité, ils rompirent avec l'u-
nique autorité religieuse qui fût dans l'univers ; ils donnèrent au
monde le hideux spectacle d'un schisme , d'une révolte contre
tous les pouvoirs existants. Eh bien ! à ce point de vue, nouveaux
religionnaires, définissez votre église réformée et vous serez dans
la vérité de Thistoire...
Votre réforme, ainsi envisagée, sera en définitive une rupture
des prétendus réformateurs Luther, ZAvingle, Calvin, Henri VIII,
avec la giande Église seule rayonnante de visibilité et d'aposto-
iiiilé. Ce sera nue révolution (|ui u bris*'* in pensoo clireticiiii)'
(le l'Europe et bouleversé jusque dans leurs fundemeuts lu plu-
part des Etats européens.
Mais cpie résultera-t-il d'une paioille dctinilion mise sous les
yeux de vos adeptes? Ils venonl dans le prolisianlisme , non
rÉ^lise du Christ, dont les réformateurs désertèrent la bannière,
mais un calaclysiu»', un bouievt'rsemciit dans l'ordre reli^'ieux et
social, cniin nii scandale ipii accusera élcrnelleniont les auteurs
de la réformation de s'éire posés en ennemis de tous les pouvoirs
icni|)urcls comme spiiituels. IJaylc lui-même l'a ainsi compris :
« Le changement des prolestants, dit-il, \enani de ce qu'ayant
«espéré une grande liberlé, pourvu (ju'ils sec«)uassenl le jou^
* papal , ils éprouvaient «pie le joug de la puiss^ince séculière
u sous lequel il Icui- fallait vivre n'était pas plus doux » (1). El
le pliilùsoplie prolcslani de ralilier ces paroles l)icn connues de
Grolius, au sujet des réformés : « Impatients de toute sujétion ,
ils troublèrent tous les empires où ils prévalurent. » Aussi aiiri-
bue-l-on à une autre célébrité protestante ce mot (|ui équivau-
drait à une définilion phîine de justesse : « Les proleslanls sont
ainsi nommés, parce (pi'ils ont protesté contre toutes les vérités
reçues et contre tous les pouvoirs. »
Ali ! plai},'nons nos IVères séparés de leur impuissance ù se dé-
linir comme Église et comme religion I Ils donnent par là le
droit à tout homme réfléchi de tirer celle conséquence Ingicph,'
contre leur reforme, tju'elle n'est qu'une abstraction, nullement
la vérité religieuse.
L'Abbé Cattet,
Jncien f'îcairc-(>cnéral.
(I) Dictionn. de Ka\lc, t. I", p. I.'ii.
t.KH VAVDOIN »l llOYi:^' AiiE
d'après m. HKRZOr,.
Ch. m. H. L. II. Ch. II.
!^ultc de la période ante-husïiite. Emprunts faits
aux Pères et Docteurs de l'Eglise. La perfection
chrétienne. L.a prédication. Le célibat et le pur-
g:atoire. Ea paui^-reté.
Tout en recourani à la Bible comme source première de la
vérité chrétienne , Valdo et ses disciples ne dédaignèrent point
d'emprunter aux Pères, et, en général, aux Docteurs de l'Église.
L'hérésie vaudoise professait ainsi, dans ses origines, deux prin-
cipes, dont l'un révélait ime tendance nouvelle, tandis que l'au-
tre était encore éminemment catholique. Dans la pensée de son
chef, ces deux principes ne formaient entre eux, cependant,
aucune espèce d'antagonisme. 11 s'était adressé à deux savants
prêtres de l'Église romaine , absolument irrépréhensibles sous
le rapport de l'orthodoxie, pour connaître par leur intermédiaire
le contenu de l'Évangile ; ce furent aussi eux qui l'initièrent, par
27(1 I.KS > Al I»U|> Dl MM\K>A»iK.
il»' noinl>nMi\ «Mraiis iraduits en langue vulgaire, aux œuvres
lies Pères et des Docteurs. I.a niarclie «ju'il suivit devait néan-
moins, (jnoiqu'à s(»n insu, l'entrainer i«*»t ou lard dans de funes-
tes erreurs dogniati(|nes. En effet, au lieu d'interroger d'abord
l'enseignement de l'Église, la tradition catholique de tous les
siècles, et de sonder ensuite les Écritures, il aborde l'Évanpile
sans préliminaires (|uelc()n(|ucs, et, concluant de rintailliluliit;
de la Divine parole à celle de sa propre raison , il ne songe à la
iradilion (jiie pour la mellre en harmonie avec son sens particu-
lier. Mais SCS adhérents ailoptèicnl le ntème système. Vous di-
mande/. comment ils s'y prirent pour concilier l'exégèse des Pè-
res de l'Église avec des doctrines que l'Église avait toujours con-
damnées? Il n'y avait qu'un moyen, c'c'taitde glisser adroitemeni
sur les passages contraires à Tinterprélalion nouvelle, et de ne
citer, en les tronquant toutelois et en les isolant du contexte,
qjie ceux dont le sens paraissait lui être favoraMe. C'est aussi
ce que iircnl Vaido et ses partisans, comme le ceriilie Yvonct ,
et nous savons qu'en cela ils eurent malheureusement , et ont
encore, d'ingénieux imitateurs.
L'assertion d'^'vonct , et celle non moins positive d'un autre
écrivain caiholicpie du nioyenâge, Moneta, relativement aux lar-
ges emprunts <|ue liieni les premiers Vaudois aux Pères et aux
Docteurs de l'Eglise, est » oulirnit'»' en Ions points par les docu-
ments mêmes de la secte. 11 y est fait uientiou d une traduction
vaudoise du commentaire de saint Chrysostome de l'Évangile de
saint Matthieu. C'est aussi à des docteurs catholi(pies (ju'il faut
attribuer prohalilemenl les originaux de plusieurs sermons et
traités (|ue nous possédons encore. L'ancienne littérature vau-
doise abonde en citations des Pères. Pour ne |ias nommer les
(|ii:iire granrs docteurs saint Vrnhidise, saint Augustin, saint Jé-
rôme et saint Ciregoire , «pie Naido avait promis de sa propre
bouche au Souverain Pontife de prendre pour guides dans ses
étufles bibliques, comme l'assure Moneta, il est frr'quemment
parle , dans les •'•criis antérieurs à la réforme, de saint Chrysos-
tome, de saint liernard de Clairvaux , de Hugo de Saint-Victor,
du Pape Saint Sixte, <\r saint Léon-le-Grand, et même du célèbre
mallre flrs sentences Pierre Lombard. An frrgirr dt Canfolln-
I.r.S VAl DOIS 1)1 MOVl-N A(.K. 271
/ion, production de vieillr date , n'est aiiinî ( lioso qu'un recueil
de sentences tirées des Pères. Dès rinlroduclion, l'auteur de ce
livre déclare dénuée de tout fondement solide une croyance re-
ligieuse (jni n'a poiiii pour l»as(; l'autorité des Saints. Bien loin de
la mépriser, il la met sur la même ligne (|ue celle des hommes
inspirés de l'Ancien Testament.
Il est même ù croire (jue, sans ses ('tudes palristicpies, éludes
singulièrement dércclncuses , sans doute, puisqu'il ne connais-
sait les œuvres des Pères que par quelques fragments isolés ,
Valdo n'eût pas accordé une si haute importance au principe qui
devint ensuite le mobile de toute son existence, 1 imitation du
dénùment de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'Évangile, il est
vrai, dépeignait en traits admirables la nudité du divin Maître,
le danger des richesses et la béatitude céleste réservée aux pau-
vres volontaires; mais ce furent surtout lesgraves et incessantes
exhortations des Docteurs de l'Église à dédaigner les biens pas-
sagers de ce monde , qui engagèrent le chef de la secte vaudoise
à faire consister dans une vie austère et dépouillée le fondement
même de la vie chrétienne.
Ceci nous conduit à quelques observations sur l'idée de la
perfection chrétienne au point do vue de Valdo et de ses parti-
sans. Une conformité littérale à la pauvreté du Christ qui, maî-
tre de toutes les richesses de la terre , les méprisa toutes et en
signala les grands dangers, telle était, selon eux , la condition
sine quâ non de la vie spirituelle et de l'héritage céleste. Plein
de cette pensée , Valdo jeta aux pieds des pauvres les trésors
considérables qu'il s'était acquis peut-être, comme Zachée, par
des voies illégales, et ne conserva que le strict nécessaire pour
vivre et se vêtir. Il exigea de ses adhérents le même sacri6ce , et
le nom de Pauvres de Lyon s'attacha longtemps aux partisans
de la secte nouvelle. Ils s'appelèrent eux-mêmes, comme le
prouvent les plus anciens documents vaudois, lipaures, lo paure
pôble de Dio, et leur église prit le nom de la Gleisa de li paures.
« Dans la manière superstitieuse , dit l'auteur des Recherches ,
dont ils entendaient imiter les apôtres en tout, ou pour mieux
dire, depuis les pieds jusqu'à la tête, ils portaient, selon les
uns, une espèce de chaussure coupée par dessus, de manière ù
IV.H VAl'ItOl!) I>f MOYF.?( A«JK.
laisser voit les pieds nus; selon d'autres, une espèce de saixtis
inarqui's «l'une croix on d'un autre signe en forme de houcliers,
pciisanl fjiie telle avait é\*' la chaussure des apAlres , bien que
l'Écriture ne dise mot sur ce sujet. »
Les écrits (pii appartiennent à la p«'Miode ante-liussitc, revien-
nent constamment sur la niressité de se dépouiller, pour l'a-
mour de Jésus , de tous les biens terrestres , et sur les périls
éternels auxquels s'ex|»osont les liclies. Dans la Glosa pater,
l'une des nombreuses interprétations vaudoises de l'Oraison Do-
minicale ''quelques-nues, disoiis-lo en passant, insistent longue-
ment sur la vertu de chasteté et le dogme de la traiissubslanti.i-
lion), nous lisons ces paroles : « Malheur à vous, riches qui trou-
vez votre consolation ici-bas!... Bienheureux les pauvres en es-
prit, car le royaume des cieux est à eux!... » Le royaume des
cieux n'est promis qu'aux reray religios, à ceux qui suivent le
Seigneur dans la l;iiiu cl la nudiié. Lo Fergier de ConsoUacion
appelle la pauvrclt- une vertu sublime, causa aulisshna , et le
commentaire du Cantique des Cantiques lui donne le nom de
gloriosa paureta. Force citations des saints Augustin, Jérôme,
Grégoire et Bernard de Clairvaux viennent ici corroborer les pré-
ceptes évangéliqucs.
La prédication, nous l'avons dit, ne lut poui- les nouveaux sec-
taires qu'une conséquence naturelle (1(> leurs droits exclusifs à
la succession des apùlres. A leurs yeux , les prêtres de l'hglise
romaine ne pouvaient plus préu-udre à ce titre. Pour continuer la
chaîne apostoli(pie, il fallait d«'ux choses, une sainteté parfaite et
une profonde connaissance des Écritures. Or, eux étaient saints,
et jtersonne ne poss<''dait comme eux les viM-ités bibliqties. Ils ne
prononçaient pas, il est vrai , ranathèrne sur tous les fidèles de
l'Église, pas môme sur la totalité du clergé; quelques-uns, ils
voulaient bien l'admetire , s'étaient conservt's purs des corrup-
tions du siècle. Mais le i)etit nombre de prèlres qui ne s'«''taient
pas encore agenouillés devant le veau d'or et Baal , ne remplis-
saient que la première condition requise. Ils étaient saints, mais
en même temps ignorants des Écritures. Le peuple avait besoin
d'être éclair»' et sanctilie tout à la fois. L'Église, déchue de sa
priniiei'c j^M-anrlenr, :iv;iii perdu, pensaient-ils dans lenr hiiuii-
I.KS VAl'DOIS Di; MOYKN AfiK. 273
lilé, tous stvs .Iruiis M In ,ivili.s.,ion <lu .nondo. \ aido et ses par-
tisans se crurent donc appelés de Dieu à renouveler le saint
in.mslere. Eux seuls joignaient à la foi vraiment apostolique l'é-
olaiant lenioi^naK^c de l'exemple. Ils s'érigèrent donc en prédi-
«^^'t«'"rs. \aldo ouvrit la marc l.e. Il se n.ii à haranguer la foule
dans les rues et sur les places pul.li,,ues. Des disciples zélés ne
tardèrent pas à tout quitter pour le suivre. Hommes, femmes,
gens de tout métier, sans cula.re, sans ins.rueiion quelconque
se reun.rent at.tour du nouvel apôtre qui leur enseigna l'Évangile.'
Entrâmes par leur zèle, ils parcoururent les villages pêle-mêle
dans une confusion étrange, pénétrèrent dans les maisons, se
nièrent dans les églises, prêchant - hommes et femmes — et
engageant à faire de même quiconque avait à cœur la gloire de
».eu(l). Quel spectacle! Mais il n'y avait pas encore désordre,
dit M. Herzog, car rien n'était encore ordonne-!
Dans les commencements, nous le voyons, tous les partisans
de la nouvelle secte prêchèrent, sans distinction d'âge ni de
sexe Quiconque s'entendait à répandre la Parole de Dieu n'a-
vaUHl pas le droit de le faire ? Saint Jacques n'avait-il pas dit ex-
pressément que toute grâce et tout don parfait viennent d'en
haut (2)? Jésus n'avait-il pas repris saint Jean d'avoir voulu em-
pêcher un homme, qui n'était pas de ses disciples, de chasser un
démon en son nom (3)? Et l'apôtre saint Paul n'avait-il pas
enfin, écrit aux Philippiens ces paroles : « Pourvu que le Christ
soit annoncé en quelque manière que ce soit, je m'en réjouis et je
m en réjouirai toujours» (4)? Hommes, femmes, tous étaient
donc appelés à la prédication , dès qu'ils avaient pour but uni-
que la gloire du Seigneur. Ils étaient de simples laïcs c'est
vrai; mais saint Grégoire avait déclaré en termes formels que
J\^^V^ f" '■'PP'"'' ïécrivain calholiquc du ,uoyen âge Etienne de
Bourbon, dont Pauturité ne saurait être suspecte. D'ailleurs, qui nel^con
naît dans cette confusion de la secte vaudoise à son origine Ttra t carac"
tenslique de toute révolution? e «^ , le irait carac-
(2) S. Jacq. I, 17.
(ô) S. Marc IX, 37-59.
H) S. Paul aux Pliilipp. 1. l'i-js.
18
LES VAt'IK>IS IH MoVF.N ACiK.
qiiicon<iue avail entendu au dedans de lui la voix de Tninour, de-
vail faire enlendrc au prochain la voix de rexhortaiion. El,
d'ailleuis, le bienheureux Forlunaïus el E(jnitius, dont parle lo
niêine saint dans ses dialogues, avaient «té de simples laies, et
dans des temps plus rapprochés, Raymond, surnommé Paul,
avait «tonné Th^lis*' pur ses n«)inl>r«'iix miracles.
Tels étaient , en ellét , les singulieis arguments sur lesquels
s'appuyaient les premiers Vaudois, pour prouvera l'Église, par
l'Kvangilc et l'histoire, «ju'ellc avail ton de s'opposer î'i leur vo-
cation divine !
Le célibat, la virginité formaient au moyen âge l'élémenl in-
dispensable de la perfection évangélique. Les premiers partisans
de la socle vaudoisi; a<lmirent pleinement c«' [>rincipe et l'appli-
«juèrent surtout à ceux i]ui se ^ollaicnl au ministère de la prédi-
cation. Leurs «crils le prouvent amplement. I)'apr<'s la Anbla
Lcyczon , rexhortaiion à la virginité caract«'-rise le Nouveau T<s-
tamenl el le dislingue de l'Ancien (1). L'auteur de ce poème va
plus loin encore el considère la vertu de cliastelc, dans le sens
catholique du mol, comme une condition essentielle de l'imitation
de Notre Seigneur Jésus-Clirisl, a Jucunc bonne œuvre, dit le
livre des f'crlucz, na de mérite sans lu chnslelc des pensées, ni la
chasteté des pensées sans celle du corps. () mes bien-aimés, soyez
beaux de corps, et beaux de cœur. Comme s'exprime l'apôtre
(noie/, bien ceci), la f'icrge ne pense quaux choses de Dieu et à
ce quelle doit faire pour lui plaire , de manière à être sainte de
corps et sainte de pensées. » Dans le fergier de Consollacion ,
nous trouvons c<*s paroles: «La chasteté est un doux fruit, la
joie (liiOmCj la sainteté du corps; elle est sœur des anges, sœur
de Jésus et i>E Marie sa mèhe. » A l'appui de celt«' doctrine si
émincninienl caih(»rKpie, sonl cités saint Augustin et saint Ber-
nard. Valdo lui-même, si nous en croyons une tradilinn catholi-
que (2), voua ses deux filles au clolirc.
(1) V. 242 : La ley vrlha maudi lo vrulir qur fiur non ha porta, la no-
velha consclha gardar vrrgencta.
(2) Clironicoii anonymi canonici lauduncnsis. V. Recueil des liistoricns.
Vol. XII, I». GHO.
i.v.T* VAi uuia uu Jiinr.n ;nii'.
L;i |);mviric vi lit virginité, telles furent donc les deux vcrius
fondamentales qu'exigèrent de leurs prédicateurs les premiers
Vaudois. Seniblal)lcs en cela à rapùlre saint Pierre , ceux qui
étaient déjà mariés, au dire de TMistorion Yvonct, renoncèrent
à leurs femmes.
Les femmes ne furent cependant pas longtemps tolérées par
la secte en leur (lualili'- de piédicaKîurs. Ordre leur fut donné,
la moralité publi<|ue le léclamail, de garder le silence et de se
coDstituer en ordre religieux.
En s'adonnant à la piédicalion , les Vaudois se mettaient né-
cessairement en opposition directe avec la hiéraichie catholique.
Aussi l'archevêque de Lyon leur conscilla-i-il sagement, en 1170,
de ne plus pérorer. Intimer aux vrais successeurs des apôtres
Tordre d'abdiquer leurs droits ! C'était agir en Pharisien, en en-
nemi du Christ. Les Vaudois répondirent nettement à l'arche-
vêque qu'il fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Cepen-
dant, chose singulière, et qui démontre clairement l'ignorance
de ces sectaires, ils se considéraient encore, malgré tout, comme
membres de l'Église. Comment expliquer autrement le fait, no-
toire qu'ils se présentèrent , neuf ans plus tard , devant le Pape
Alexandre 111 et le concile de Latran , demandanf, avec instance
qu'on sanctionnât leur étrange apostolat? La réponse qu'ils re-
çurent, on le conçoit, fut négative. Ils n'en continuèrent pas
moins à exercer les fonctions qu'ils s'étaient arrogées, ce qui
contraignit le Pape Lucius 111 (1) à prononcer contre eux, en
1184, l'excommunication, qui fut renouvelée plus lard à plu-
sieurs reprises, et d'abord par Innocent 111 , en 1215, au qua-
trième concile de Latran.
(1) Hâtons-nous de corriger ici une erreur que nous avons commise dans
une note du précédent arlicle. Le Pape Lucius III avait effectivement con-
damné les Vaudois. Nous maintenons cependant que le nom de Vaudois ne
se trouve pas dans son décret.
•27«i I.KS VAIDOIS Dl MOTK5 AGK.
Cil. III. ^W. U.C. III.)
liii pénitence. I^e |»ur;(a(<»lre. liOM pécli^N mortelw «*t
IcN |»écli«*«» 'koiiielM. liU contrition, la c«>nrcNhlon et
la satisfaction.
Qu'annonçaient donc Vaido et ses disciples dans les villes et
les villages, dans les rues, sur les places publiques, dans les
églises, dans leurs rc'unions secrètes? Ils pn-cliaient la péni-
tence, a Faites pénitence, s'écriaicnt-ils, car le royaume des
cieux est proche I Le jour du Seigneur, le jour du grand juge-
ment est proche; tremblez, pécheurs, et préparez-vous! » C'é-
tail-là, du reste, la grande |)réoccupation du jour. A l'époque
où parut riiércsiartiuc Vaido, on aitendail de nouveau, avec
tremblement, la lin du monde. Depuis la naissance du christia-
nisme, chaque siècle avait été saisi de la mémo épouvante. De
nos jours aussi, comme «lu temps de saint Paul , «jnelques âmes
pieuses se demandent , en f:ice des nuages qui s'accumulent à
rhori/.on, si la dernière heure du mon<le tardera de sonner. Au
moyen âge, les monstrueux enl'antenunts de la liberté religieuse
et certaines prophéties lugubres, qui n'étaient guère propres à
rassurer les esprits, légitimaient un peu la crainte des bonnes
âmes. Une prédiction sinistre plongeait alors l'Europe dans la
consternation. Elle annonçait (pi'en 1185, au mois de septem-
bre, — la date était précise, — la terre entière serait en proie
à toutes les horreurs de la peste cl de la famine. Elle ajoutait
même qu'une ellrayante destruction menaçait l'univers. En 1198,
le bruit courait parmi les populations en émoi que l'Antéchrist
s'était montra; aux portes de Bàbylone. Joachim de Flora con-
firmait l'allarme universelle paries paroles prophéticpies : Omnc
tcmpus a \'20() ultra astimo pcn'culosum.
I r.s > \u>ul^ 1)1 Movio \(;ii. 277
li n'esl pas im|>rol)abl(> que l'allcnle générale d'une épouvan-
table cataslruphe lut pour *piol(|ii(; cliosc dans la vocation à la-
(pielle so crurent appelés Vaido cl ses adhérenis. Klle explique
aussi riiumeuse succès «prohiinrcni auprès delà loule consternée
Icui's premières prédications.
La Nobla Leyczon n'esl \)ùs la seule à rappeler aux âmes
qu'elles doivent se tenir prèles pour la venue prochaine du Fils
de Dieu. Le scrn)on Tcmor del Segnor, le Commentaire du Can-
tique des Cantiques et le traité De las tribulacions renferment de
longues el solennelles exhortations à la pénitence.
Aux prédications sur la (in du monde qui n'arrivait pas, suc-
cédèrent celles sur l'inconstance et la caducité des choses hu-
maines. Grand nombre d'écrits remontant aux premiers temps
de la secte vaudoise, sont pleins de considérations sur ce sujet.
» O poussière , s'écrie entre autres l'auteur de Li parlar de li
philosophe, traduisant en sa langue les paroles sublimes d'une
religieuse du dixième siècle, ô poussière, pourquoi t'enorgueil-
lis-tu? Ton enfantement n est-il pas péché , misère ta naissance^
ta vie douleur et agonie ta mort? Pourquoi engraisses-tu ta chair
et Vornes-tu de choses précieuses, elle que vont dévorer bientôt
les vers du sépulcre? » (1) Le poème de la Nobla Leyczon, celui
de la Barca , le Temor del Segnor sont tous empreints de ces
idées. A ces réflexions se joignent souvent des descriptions de
l'inexorable jugement de Dieu, dans lequel il sera rendu à cha-
cun selon ses œuvres. « Alors, dit la Nobla Leyczon , on verra
le Fils de la Vierge descendre du ciel sur les nuages... » Ces
paroles ont servi de texte au sermon del Tudyci , un des plus
anciens de la secte.
Le dogme du Purgatoire tel que l'entend l'Église est partout
rejeté, quoique d'une manière indirecte, dans les premières pro-
ductions de la littérature vaudoise. La Nobla Leyczon s'était déjà
exprimée là-dessus en termes qui pourraient prêter à équivoque,
(1) « Opolver, perque te ensoperbisses, lo concebament delqual escolpa, la
naysser miseria, lo riore pena, lo morir anguslia. Perque engrayssas la
loa carn de cosas prcciosas c la bornas, laquai li verni son a devorar d'aqui
a pocjorn al sepulchre ? »
278 LES VAl DOIS IH MOYKN \(.K.
mais dont le vériialile sens est facile à discerner. « L'Écriture
dit , et nous devons le croire . que tuit home del mont per duy
chaminz tenren: li bon iren en yloria e li mal al tormeut.» • Qui-
conque n'ajoute pas foi à cette double distinction , continue lo
|ioctr, quil sonde les ncritures depuis le commencement. » « Que
celui qui souffre pour la gloire de Dieu se console abondamment ,
car aussitôt après avoir quitté ce monde (al partir d'aquest mont).
le royaume de Dieu lui sera ouvert (1). Le Temor del Segnor, !»•
porinc de la liarca, V^vangeli de li A sermenz et le traité de la
Penitencia , écrits qui appartiennent tous, selon M. Hcrzo}^, à
l'ipoquc dont nous nous occupons, paraissent unanimes à faire
consister le Pur^'atoire dans une soumission volontaire aux épreu-
ves de cette vie. Si , d'un côté , les plus anciens auteurs ca-
tiioliqucs du moyen âge, tels que Alain de l'Isle , Bernard de
Font-Caude , Pierre Lemoine [Petrus Monaclius et le véritable
Rainier (2) sendileiit avoir eu raison de ne pas affirmer que les
premiers Vaudois rejetaient absolument le doj^nie caili<tli(pie, il
»'st permis de croire aussi qu'Yvonet ne sVsl pas trompé en leur
attribuant pour maxime : Non esse purgalorium.
Les prédicateuis \au(luis ne se ronienlèrent pas d'exhorter au
repentir. Comprenant, comme l'Église, qu'une connaissance
exacte de la naturr et de la j^iandciir du pf-cbé était indispensa-
ble à une vrai(î pénitence , ils entrèrent ù ce sujet dans les plus
minutieux détails. Ils condamnèrent surtout l'orgueil , la déso-
béissance el l'incrédulité, causes premières des égarements de
riionmie et de sa condamnation éternelle. « Le trait dislinctif de
riiduime rejeté de Dieu, dit l'auteur tlu /'ergier de Consollacion,
empruntant les paroles de saint Grégoire, c'est l'orgueil. L'or-
(1) .V. L. V. 49, 20, r>7:), :>?«>.
(2) Voici lo titre di" In Siimnia aullicnlujuf de Ituiiiicr ; Suiiima de i'alhd
ri» et Ij'onittis seu Pauperibus de Lugdunn, reproduite dans Mart. et Dur.
Tiies. anecd. Paris i7i7. T. V. f. t7'»9 sq. Il f;iul se garder de confondre l'o-
riginal avec le texte altéré et considéraMemenl augmenté du même ouvrage,
tel qu'd se trouve dans la Max. Ribl. Palriim. T. XXV. i.^Vl sq. On peut
( Dhsulter sur la di><liiictii)n imporl.inte à «'lablir entre les deux textes, la dis-
sertalinn critique du savant lluMilogien protestant (îicseler : />r Riiiunh
SarrhuHi Summn de C ri L. mmmrnlalio rritini. titi'tlingue IXTJl.
LES VAL'DOIS IH MOYKN \(il\. 270
gueil, c'est la désobéissance envers Dieu, désobéissance qui lit
chasser Adam du paradis el rexclul du royaume de Dieu. » Nous
pourrions nous étendre lonj,'uemcnt, avec M. Ilerzog, sur le
clia[)ilre du péché, au point d(! vne des [)remiers Vaudois. Le
temps et Tespace ne nous le pciinetlenl pas. Nous nous conten-
terons de relever un p(jinl impoitant, c'est que, dans ses origi-
nes, la secte; ne professa point reiVrayant dogme de la prédesti-
nation absolue. Klie admeliail rranchemenl (juc le premier
homme, en se séparant de Dieu , avait agi spontanément, avec
h\ conscience pleine et entière de sa désobéissance. Le Créateur
lui avait donnéune liberté absolue d'action ; il pouvait choisir en-
tre le bien et le mal (1). Quoique souillé par le péché dès sa
naissance, l'homme, lils d'Adam, n'avait point perdu la grâce
divine du libre arbitre. Il d<''pendait de lui de se soustraire, avec
l'aide de Dieu , par la foi et les bonnes œuvres, à la condamna-
tion éternelle.
Quoique assez disposés, comme plus tard les calvinistes, à
voir l'enfer au l)oui de la moindre prévarication , les adhérents
de Valdo ne rejetèrent cependant pas d'abord la distinction entre
les péchés mortels et les péchés véniels. C'est ce que prouve un
passage de leur poème Lo Paxjre éternal, composé à la louange
de la très-sainte Trinité.
Les Vaudois, nous l'avons dit et nous le répétons à dessein,
insistaient donc particulièrement sur la pénitence. Elle formait,
selon eux, une des doctrines fondamentales du Nouveau Tes-
tament. Par elle, l'homme pouvait s'approprier la grâce de Dieu.
L'auteur du Fergier l'appelle la guérison de l'âme, l'espoir du
salut. « L'homme sauve son dme par la pénitence , est-il dit dans
un autre livre , comme le pellican délivre ses enfants de la mort
en les abreuvant de son propre sang. » « Élève-toi par la péni-
tence jusqu'au Christ, s'écrie, dans un sermon sur la régénéra-
tion spirituelle, un prédicateur vaudois; c'est vers lui que nous
devons voler par les veilles, la prière, les aumônes et les bonnes
(1) Nobla Leyczon . V. 17.
liHO I.KS VAIUU1> 1)1 .>H»>K>' AUt.
(ruvres » (1). Dans un autre sermon (2) sur les saintes femmes
i|ui se procurèrent des parfums précieux pour embaumer le
I orps (lu Sauveur, se trouvent ces paroles : « La première (Ma-
rie-Madeleine) achète de la myrrhe : la myrrhe, c'est la connaK-
sauce et la douleur du pèche. La deuxième (Marie, mère de Jac-
ipus) se procure de Valoès, plus amer encore que la myrrhe :
ialoès, c'est la confession qui rejette du cœur la corruption pu-
ridura) cachée du péché et le purifie. La troisième (Maric-Salome)
se munit de baume, le plus amer de tous : le baume représente la
satisfaction par les bonnes œuvres (la satisfaciou diî Tobra en la-
quai es granl lavor). Ces trois vertus, la contricion, la confes-
sion et la satisfacion, semblables à trois précieux parfums, for-
ment Vonguent spirituel de la pénitence , un cnj^ent esperytal ,
local es apela pencdeuc/a. >
Sans la contrition ou la componction (componcion) , point de
pénitence possible, (lisaient avec l'hi^liso les j)aiiisans de Vaido,
et sans la confession vocale, la contrition n'a aucune valeur.
« // n'y a point d'espoir de guérison, déclare le livre des Fertucz,
tant que le fer reste enfoncé dans la plaie ; point de guérison pour
Ir péché, tant quil n'est point comme arraché du cœur par la
confession.» Mais était-ce au prêtre (pi'il fallait faire d'aboid
r;iveu de ses fautes? A Dieu, disaient les Vaudois, et, apiès
Dieu, à son minislre. Eu cela, (]U(ii tpreii pense M. Her/o},' , ils
se conformaient sliicienuMit à la doctrine de TKglise (3). Leurs
(I) V. le sciiiioii viuid(;is sur le Icxlc : Sia renovela im- l'rspnit. Man.
Kcncv. N'SOfi : voUi m <tul pcr pvtttdcuczn al pai (?i dcl solrlh, çi) es Jexus
('hrixt... al cal drven volar pcr vcyilias v pcr oraciau^v pcr almouas c pcr
liiitias nhras.
i->) Mail. gcii. ^i-im.
(3) Nous ne voyons pas sans rcgici i|iic M. Ilor/.d}; ait ronscrvé sur k-
(lofçmc ratlinliqiio île la roiifcssioji les ]>ri'jii';(''.s aussi «'Iranm's (jii'iiijuslcs de
SCS rorcli};ioniiaires. € Les Vaiidnis, dil-il, mirent <le nouveau ru |)ralii|ue le
^rand principe du la pritnithc Kglise ca(li(>li(|ue , i|uc le pécheur, avant de
s'ouvrir au prrire, devait verser ses pi rliés daliord dans le sein paternel de
Dieu.» Comme si IK^Iisc romaine n'avait pas de tout temps professé la même
iloclrinc! Quel est donc le catholique sincère et éclairé (|ui ne croie violer
une des lois les plus formelles de sa religion, en s'approchant du tribunal de
la pénitencr, sans s'être présenté préalaldemml devant le tribunal de Dieu^
i,i:s VAi uois Di; moven âge. 281
pasleurs dcvaicni exiger des fidèles une confession niinulieuse,
ei leur imposer des pénitences sévères, le jeûne, Taumône, des
prières fervenles. « Par là, dit le poète de la Nobla Leyczon ,
Vdmc trouve son salut , per aqucstas cosas iroba l'arma salva-
niont. La secle vaiuloise ne conci-dail cependant pas à ses minis-
tres le pouvoir de l'absoluiion. Elle l'avait formellement refusé
aux prêtres de l'Église romaine , à tous les Papes depuis saint
Sylvestre, à tous les cardinaux, à tous les évêques , et naturel-
lement à tous les abbés. C'est ce que déclare le même poète du
ton le plus solennel , avec toute la gravité d'un docteur infail-
lible (1). Etienne de Bourbon avait donc raison de dire, en par-
lant des Vaudois : Si veritatem suœ credentiœ fateanturj ponunt
solum Deum a peccatis absolverc. Que faisait alors le confesseur?
Il écoutait seulement les aveux du pénitent et lui donnait de sa-
lutaires conseils {2]. « Quand tu te présentes devant le confesseur.
Avant d"ouvrir son cœur au prcire, ne fait-il pas son Sauveur le premier
confident de ses misères? ^'■expose•t-il pas à Lui d'abord toutes les plaies
de son âme, et n'est-ce pas d'abord en sa présence qu'il plaure sur elles?
N'est-ce pas dabord et avant tout son pardon qu'il invoque? Il y avait au
moyen âge, comme de nos jours, des chrétiens légers qui se jetaient aux
pieds du prêtre, avant d'avoir examiné sous les yeux de Dieu l'état de leur
conscience. Personne n'en disconvient. Mais les abus font-ils la règle? Que
diraient donc de nous nos frères séparés, si nous jugions de leurs doctrines
d'après la conduite de ceux qui les transgressent? C'est cependant là leur
manière d'agir, quand ils imputent à l'Église les fautes de quelques-uns de
ses membres.
(1) Nobla Leyczon. V. 408-413. Ce passage ne laisse pas que d'être fort cu-
rieux , à noire avis. L'auteur, en refusant à tous les Papes depuis saint Syl-
vestre le pouvoir, accordé par Jésus-Christ aux apôtres, de lier et de délier,
ne concède-t-il pas par cela même à tous les Souvcrams Pontifes des trois
premiers siècles le droit d'absoudre et de condamner? Pourquoi ceux qui le
suivirent en furent-ils donc privés? Parce qu'avec saint Sylvestre et les pré-
tendues donations que ce Pape reçut de Constantin, la corruption s'était glis-
sée dans l'Église et l'avait transformée en la Babylone de l'Apocalypse. C'é-
tait là, on le sait, une des étranges conjectures de la secte vaudoise, et que
des historiens protestants, même sérieux, se complaisent à répéter. Mais
alors, pourquoi les Vaudois ne faisaient-ils pas dépendre aussi, comme pour
les sacrements, le pouvoir de l'absolution de la sainteté des prêtres? Il nous
semble qu'il y avait au moins là une grande inconséquence.
(2) Liber Sententiarum. f. 25)0: ille eut fit confessio peccalorum, solum-
modo dat consilium.
i^2 lis vAi uois ni moyi:n m.v..
u dit l'auieur de la liarca (v. 308-3*23), tiens-lui ce latujage :
» Moi, pécheur, je me présente devant Dieu et vous, afin que
» vous me fassiez part de vos conseils et m'inspiriez ttne sincère
j> péiiilencc... Confesse ensuite et rlairemetil tous tes pèches, sans
"attendre d'être interrogé. Commence d'abord par les sept pé-
» chés capitaux, puis raconte ceux des cinq sens, et tes transgres-
» sions des dix commandements. Dis ensuite si lu as tenu de
«mauvais discours, médit, maudit, blasphémé. Quand tu as
)' fait ainsi l'aveu sincère et détaillé de toutes les fautes, prends
» courage etpromcts de n'y plus retomber, mais de suivre fidèlement
» les bons conseils (le bon conselh) qui te seront donnés, et de
i> faire une vraie pénitence, si tu ne veux encourir la damnation
>y éternelle... » Nous eussions pu nous dispenser, sans doute, de
(itei- lexlucllement ce long passage; mais nous nous sommes
proposé , en le faisant, un double but, celui de confirmer notre
asseilion et de faire parla nos lecteurs do la formule de confes-
sion toute catholique en usage chivi les premiers \ audois. D'ail-
leurs, riiistoire que nous traitons doit être, plus que tout autre
peul-<^lre, basée sur des faits. Elle a été si falsifiée jus(pi'ici par
les partisans de la secte vaudoise, <ju'on aurait de la pnnv à nous
croire, si nous allirmions sans donner des preuves jtalpahles de
la vérité de nos paroles.
I. a régénération sjtiriluclle était, avec raison, et conformément
à renseignement de TEglise, considérée par les \auilois connue
la garantie d'un consciencieux repentir. Ils insistaient fortement
sur le baptême de l'esprit, reconnaissant toutefois avec la tradi-
tion caiholi(jue que sans le baptême d'eau la régc'-nération n'a-
vait aucune valeur, selon ces paroles expresses du Sauv<'ur men-
tionnées dans le Commentaire du Cantique des Cantiques : Celui
qui ne renaît de Veau et de l'esprit , ne peut entrer dans le
royaume des f ieux [l].
(1) ranha/ (toi fsl Ir litre (lu doininrulairo'* C. IV, 8. M. Hurler a donc eu
lorl «l'aflirnïer que les Vaudois eiisei^uaieul riiiutilitê du l)npti^ine par l'eau.
I.I'.S VAl DOIS AL MOYEN AGIi. 283
Ch. IV. (H. II, IV.)
liafol sans les oeuvres est morte. La charité. IjCJub
fftatiii u'appartient <|ii*à Dieu. La pau^^eté et la
eliastcté. Le sacrement dn mariag^e. La contem-
plation et la vie relig:ieuse. La prière. Les trois
orcires de la chrétienté. Il faut vénérer les Saints.
Les premiers Vaudois professaient sur la justitîcaiion une doc-
trine en tout conforme à l'orthodoxie romaine (1). D'accord
avec la tradition catholique de tous les siècles, ils admettaient
que par la foi nous devenons les enfants adoptifs de Dieu adopta
en filhs de Dio) , et que sans elle les œuvres n'ont aucun mérite
quelconque. D'un autre côté, leurs écrits font ressortir avec plus
de force encore que la foi ne saurait justifier l'homme aux yeux
de Dieu sans l'amour, sans les bonnes œuvres. Les passages où
il est déclaré que les œuvres sont indispensables au salut éternel,
sont innombrables. « Notre foi est-elle morte, dit l'auteur du
» Fergier, citant les paroles de saint Bernard, le Christ est aussi
» mort en nous. Si Vamour se refroidit , la foi meurt comme le
» corps dépouillé de Vâme qui fait sa vie. » « Saint Jacques, est-
» il écrit dans le livre du Novel Confort, déclare en termes formels,
» explicites, que V homme ne saurait être justifié par la foi seule;
» la foi sans les oeuvres est vide et morte. » a Jl y a deux choses —
ce sont les paroles du Commentaire vaudois du Cantique des
Cantiques (IV, 8) — il y a deux choses au moyen desquelles la
» sainte Église s'élève jusqu'au Christ, la foi et V œuvre , et l'une
» n'a aucune valeur sans l'autre, la fe e l'obra , e l'una non val
(l) Non pas, sans doute, lorlhodoxic romaine (clic que la représente à
dessein ou par ignorance le protestantisme.
28!> LES VAlJDOIS DU MOYEN AOE.
srncza l'obra. La foi et les bonnes œuvres sont les deux joues de
1(1 bien-aimée. » L'aiileiir insiste à plusieurs reprises sur la justi-
ficacion de las obras.
L'amour île Dieu et du prochain, ou la cliarilé dans le sens
le plus élendu du mot, est aussi un thème favori des pre-
mières productions vaudoises. Il faut le dire à la louange des
adhérents de Valdo, ils n'avaient pas encore pour l'Église qui
les avait bannis de son sein , rette haine passée dans le protes-
tantisme, pour ainsi dire, à l'étal de dogme. Ils se soumirent
d'abord avec résignation à la position diflicile qu'ils s'étaient
créée cux-mémos , vn faisant la guerre à la hir'rarchie romaine.
Les malins diront peut-être que c'était là le seul parti à prendre
pour une faible minorité on face d'une majorité redoutable. Nous
pensons cependant que, en rejetant comme indigne du chrétien
tout esprit de vengeance, les anciens Vaudois étaient miis aussi
par un sentiment de pit'té. 11 \ allait néanmoins, il faut bien
l'avouer, beaucoup de leur intérêt à prêcher aux populations, et
surtout aux autorités, la nécessité d'aimer le prochain. Qui-
conque, au moyen âge, secouait le joug de l'Église, se révoltait
par cela même contre l'autorité civile. Lespartisansde Valdo, en
professant des principes hérétiques , s'exposaient donc à élret
traités en malfaiteurs, en pcrluibateurs du repos public. Pour
échapper aux persécutions, il fallait eonséqueniment insister
sur la loi de grâce qui ordonnait, |>ar opposition à la loi mo-
saupie, de pardonnera tous. C'est aussi là, en ell'et, ce que ré-
pétaient sans cesse les sectaires de Lyon. Ils allaient même jus-
qu'à soutenir, contrairement à l'Évangile , qu'à Dieu seul était
réservé le droit de châtier. Lojus glndii de l'autorité séculière
était à leurs yeux incompatible avec le précepte évangélique de
l'amour. Les révolutionnain.'s de tout tcuq)s n'ont pas professé
nn principe différent, que je sache. On comprend pourquoi. Ce
principe tiécoulait aussi chez les Vaudois de leur tendance essen-
liellenicnt protestante à exagérer le sons de certaines doctrines
bibliques, sans chercher à les mettre en harmonie avec d'autres
«pii ne sont contradictoires qu'en a|)parence. De nos jours encore,
on le sait, le droit du glaive et consequcmment celui de la guerre,
est déclaré, par plusieurs chauds partisans de la réforme, direc-
LES VAUDOIS DC MOYKN AGK. 285
tement contraire à l'esprit du christianisme. Sur ce point, comme
sur tant d'autres , l'hérésie donne la main , malgré elle sans
doute, mais par une conséquence nécessaire de ses principes,
aux ennemis de toute autorité.
Les deux vertus principales au point de vue de la secte vau-
doise, dans la première période de son existence, étaient donc
la pauvreté et la chasteté. Nous avons vu que les sectateurs du
réformateur lyonnais faisaient de ces deux vertus l'apanage in-
dispensable de quiconque embrassait le ministère de la prédi-
cation. Mais pour que la pauvreté fût méritoire aux yeux de
Dieu, deux conditions étaient requises : elle devait être sincère,
spontanée, et en même temps laborieuse. C'est ce que prouvaient,
d'une part, l'exemple d'Ananie frappé soudain de mort pour
avoir retenu en secret une partie de son bien , et , de l'autre ,
celui de saint Paul renonçant sans arrière-pensée à tout pour l'a-
mour de Dieu, mais travaillant aussi de ses propres mains, pour
n'être point à charge à ses frères dans la foi.
La chasteté , de son côté , exigeait qu'on s'abstint même de
toute espèce de familiarité avec les personnes du sexe (familia-
rita de las fermas). L'auteur du Fergier est très-sévère à cet en-
droit. Il s'arme même de nombreux passages tirés des Pères et
de quelques paroles mordantes d'un certain philosophe Secun-
dus, pour prouver à ses lecteurs que les femmes sont, tutte quan-
te , une source de perdition pour l'homme. Il ne faudrait pas en
conclure, cependant, que les Vaudois rejetassent le sacrement
du mariage (1). La Nohla Leyczon recommande expressément la
tidélilé dans le mariage , qu'il appelle un noble contrat. Gardes
ferm lo malremoni, dit le poète au vers 88, aquel noble couvent.
L'Epistola Fideli enseigne que le mariage est le quatrième (sic)
sacrement de l'Église, et l'auteur du sermon De las noczas (ma-
nuscrit de Dublin, n" 3), s'élève avec force contre les hérétiques
(1) C'est là une grave erreur que M. Hurler a aussi reproduite dans sa
biographie d'Innocent III. Les quelques pages que cet écrivain, d'ailleurs si
consciencieux, a consacrées aux croyances religieuses des Vaudois, offrent
plusieurs inexactitudes de ce genre. M. Jager en a rectifié quelques-unes dans
des notes ajoutéesàla traduction française dcM. Alexandre de Saint-Chéron.
•2S() I.KS VAIDOIS V\ MOYF.N AGK.
qui avaicnl déclaré, conlraircmoni à la foi, l'union conjugale
chose illicite. Les adliérenls de Valdo professaient cependant à
leur tour une doctiine anliscripluraire, en refusant ù riiumaiiie
faiblesse le droit de recourir au septième sacrement pour échap-
per aux dangers que signale saint Paul (1 Cor. VII, 2, 5, 9). C'est,
du moins, ce que nous croyons pouvoir inférer, en toute jus-
tice, de plusieurs passages de leurs écrits, que l'extrême déli-
catesse du sujet ne nous permet pas de citer textuellement.
Quelques paroles plus positives encore du Pscudo-Reinier, et
que nous passons également sous silence, viennent à l'appui de
notre opinion. Elles nous montrent que les catholiques du moyen
âge accusaient même la secte de voir un pcchi' mortel dans «e
que la loi de grâce concédait pourtant au chrétien comme frein
à ses passions. Le point de vue purement mosaïque sous lequel
les premiers Vaudois envisageaient l'union conjugale, ferait
supposer aussi qu'ils n'admettaient pas même comme légitime
aux veux de Dieu l'instinct naturel qui porte les deux sexes à
s'unir, dans l'espérance, comme s'exprime le cait'chismc du
concile de Trente, de se secourir et de s'aider mutcllcment, afin
de supporter plus aisément les incommodilcs de la vie, les in-
firmités et les peines de la vieillesse. On s'étonnerait de la ten-
dance asc«''ii(iue (jui dislingue, en génc'ral , les doctrines primiti-
ves dc§ \ audois , si l'on n'y reconnaissait un des traits caract»'-
ristiques de toute hérésie à son début. Dépouillées, par une
conséquence inévitable de leur principe fonrlamcntal, de cet ad-
mirable esprit de tlisccrnemenl (|ui est un(^ des marques évi-
dentes de la perpétuité, dans TKglise, du don de la Pentecôte,
les hérésies ont toujours, dans la morale, comme dans le dogme,
penché vers les cxlrèmi's. Uemarcpiez aussi (pie les doctrines re-
ligieuses nées en dehors do TKglise et par opposition à ses ensei-
gnements, sont presque toujours anti-sociales et contraires aux
lois de la nature. Elles ne font d'ordinaire aucun cas des besoins
(lu cci'ur dcrhomme, quelque légiiimcs qu'ils puissent être d'ail-
leurs. Ceci s'expli(puî facilement. L'harmonie complète des lois
divines avec celles qui ré'gissent la nature humaine, ne se ren-
contre (|uc dans le catholicisme.
Tout en considérant le mariage comme honorable , la secte
LES VAIDOIS DL MOYEN AGE. 287
vaudoise faisait néanmoins, comme l'Église, une part bien autre-
ment belle à la virginité. Elle constituait, nous le répétons, avec
la pauvreté, le caractère distinclif du chrétien parfait, du ucray
Religios. Ces deuwertus introduisaient l'âme dans le sanctuaire
de la vie contemplative. « La contemplacion, dit l'auteur du f^er-
gier, cesl l'élévation à Dieu de Vdme qui a renoncé à tous les
biens de ce monde. « « Qu'il est doux^ est-il dit dans le livre des
Fertucz, de demeurer jour et nuit dans la maison de la contem-
plation! Ju dehors tout est danger, car au dehors sont la tem-
pête et le trouble qui donnent la mort. » Mais pour atteindre au
plus haut point de sainteté possible à la créature humaine, il ne
suffisait pas encore d'être chaste et pauvre ; il fallait aussi châtier
la chair par de nombreuses et dures pénitences (motas aspreczas),
et par le jeûne. L'oraison (oracion, auracion), nécessaire à tous
les degrés de la vie spirituelle, l'était aussi et avant tout à ceux
qui aspiraient à la perfection. C'était sur les ailes de la prière
que le chrétien chaste, pauvre et voué aux bonnes œuvres^ péné-
trait à travers les chœurs des séraphins et des chérubins jusqu'au
tribunal du Souverain Juge. Remarquez bien ceci : la prière,
pour être agréée de Dieu , devait être accompagnée des bonnes
œuvres. Telle était la doctrine qu'enseignaient les anci,ens Vau-
dois. C'est ce que déclare positivement l'auteur du Fergicr.
« Nos prières , dit-il avec saint Cyprien, ne s'élèvent vers Dieu ^
qu autant que nos œuvres ont de mérite à ses yeux. »
Le peuple de Dieu formait , selon les anciens Vaudois , trois
classes distinctes. Ceux qui embrassaient la vie contemplative
et vivaient, conséquemment, comme le Sauveur et les apôtres,
dans la pauvreté absolue et la chasteté, occupaient le premier
rang dans l'Église de Jésus-Christ. C'étaient là \e& parfaits (per-
feit). Le royaume de Dieu devenait leur partage. Après eux ve-
nait la noble cohorte [guarnicion] des chrétiens vierges qui, sans
renoncer entièrement à tous les biens terrestres, se contentaient
cependant du strict nécessaire, donnant le reste aux pauvres.
Leur héritage était la nouvelle terre promise à ceux que le
Christ appelait les bienheureux. Dans la troisième catégorie se
trouvaient placés les époux vertueux , qui pratiquaient les bon-
nes œuvres et élevaient leurs enfants dans la crainte de Dieu. A
2H8 I.KS VAIIMUS I»l ^lOYKN AGE.
«'iix seraient adressées au faraud jour du jugoment final les con-
solantes paroles du Sauveui- : Venez à moi , vous les bénis de
mon l'ère. Cette triple classification correspond exactement au\
trois ordres des moines, des ecclésiastiques et des hommes nia-
ri«''S, dont parle Joachim, l'abbé de Floi-a (1). Tous les chréiieiis
avaient ilroit aux diNines promesses, mais la plus glorieuse paii
était, nous le voyons, réservée à ceux qui préféraient aux dou-
ceurs de la vie conjugale la chasteté parfaite et la pauvreté (2 .
Le nombre trois paraît avoir eu , du reste , aux yeux des Vau-
dois, une signification fort mystérieuse. Ils y reviennent sans
cesse dans leurs écrits. On dirait qu'il constituait pour eux l'es-
sence mémo du christianisme. La distinction de Dieu en trois
personnes, ce dognu' fondamental de la religion révélée, et dont
ils ne se lassaient pas, avec raison, de faire ressortir rextréme
importance, avait sans doute contribué à leur faire envisager sous
un triple point de vue toutes les vérités chniiennes. C'était en
trois époques qu'ils divisaient le développement de l'humanité:
r<'*po(iue antérieure à la loi mosaïque, celle de la loi et l'époque
du christianisme. A celle triple partition correspondaient les
trois lois <pie Dieu donna au\ hommes, la loi naturelle, celle de
Moïse, et la loi de grâce. Ils comptaient frow venues distinctes
du Sauveur, qui s'était manifest*' d'abord dans la chair |>ar le
mystère de llncarnalion , se révélait an\ siens pai- l'infusion de
son esprit, ei apparaîtrait de nouveau au monde au jour du ju-
gement. Nous avons vu qu'ils distinguaient, comme l'Église du
reste, la pénitence en trois parties, la contrition , la confession
et la satisfaction. L'homme avait trois ennemis principaux, le
monde, son corps et le démon. Nous verrons plus lard que la
hiérarchie vaudnise subit aussi cette loi générale, et qu'elle con-
sistait dans révèqu(! , le pièlre et le diacre. Ils repn-sentaicnt
la croix sous la forme d'un T, et le Sauveur crucifié un pied sur
(1) V. Engclliarl. Kirclicngcsrhirhtliclic l'iilcrsucliungcn, p. 4ii-73.
(2) Dans un trait»'; vauduis de la I)il)linthè(|nc do Paris, les religieux sont dé-
peints comme formant la plus noble portion du peuple de Dieu, et supérieurs
par leur rmi de ehastelé , h ceux qui pr.nlicpient crUe vertu sans en oviir
pris renfoncement solennel.
I.F.S VA( DOIS I)t MOYEN A(JE. 280
l'autre, cl constiqiicinincnl percé sculcmeni de Iro'is clous, ce
qui leur valut de sévères réprimandes de la part d'Innocent III,
à cause du scandale que causait leur innovation (1). Leur tort,
au fond, a moins été celui d'attribuer une valeur mystérieuse au
nombre trois, que d'en avoir fait une espèce de cbiffrc cabalis-
tique.
Les doctrines vaudoises exposées jusqu'ici , cl puisées à la
source même des documents de la secte, sulTiraienl à elles seules
pour justifier les assertions des écrivains caiboliques du moyen
âge. En présence de faits aussi authentiques, que croire main-
tenant de la véracité des historiens vaudois? Ont-ils eu raison
d'aflîrmer que leurs adversaires avaient pris à lâche de falsifier
les croyances de leurs aocéires? N'est-il pas évident que, si leurs
pères avaient certaines tendances que le protestantisme appelle-
rait orthodoxes, ils étaient bien éloignés cependant de professer
des principes absolument homogènes à ceux de la réforme? Les
Vaudois français avant le seizième siècle ne voulaient pas même
concéder que leur confession de foi différât de ceile de Rome.
Fides, dit Moneta, en parlant d'eux (ut ipsi dicunt), una est in
ecclesia romana et in congregatione IFaldensium , licet discre-
pantia in operibus.
Que pensait la secte vaudoise , dans l'origine, de l'invocation
des Saints? Ici, il faut en convenir, elle n'eut pas besoin de la
réforme pour être hérétique. Non pas qu'elle refusât, comme le
prétend Yvonet, à l'Église triomphante la faculté d'entendre les
prières des chrétiens ici-bas; elle n'avait pas encore résolu ce
grand problème qu'il était réservé seulement aux profondes lu-
mières des novateurs du seizième siècle de trancher d'une ma-
nière infaillible; mais elle n'admettait pas que l'armée céleste
pût intercéder auprès de Dieu en faveur de sa sœur militante.
Les saints assistaient d'en haut aux luttes spirituelles des fidèles,
à leurs souflVances ; ils voyaient les efforts incessants que faisait
le prince des ténèbres pour entraîner les âmes avec lui dans l'a-
bîme éternel ; ils entendaient leurs gémissements et jusqu'à leurs
(I) y. Hmtcr. Liv. XIV.
19
21)0 I KS VAllMUS 1)1 MOVF.N A(;« .
soU|)irs, inaih ils n\ |juu\;ii(*iil rien ! Sans doiile , du regard iU
inlcno^'oaient le Fils de Dieu, le suppliant de secourir ceux qui
coudialtainit pour l'amour de son nom, mais le Fils de Dieu res-
tait impassible; il eût été au-dessous di^ui , le Toul-Puissanl,
d'accorder la moindre ^râcc aux liahiianls <lu ciel, IVil-c»" mt^me
à sa propre mère! Quelle étrange doctrine! Quelle belle part
de béatitude faite aux élus! Les documenis vandois ne lienneni
pas, il est vrai , ce langiige ; mais , nous le demandons, peul-on
tirer d'autres conclusions de leur croyance , que les saints en-
tendaient sans doute les prières de leurs frères sur la terre ,
mais ne pouvaient intercéiler auprès de Di(;u en leur faveur?
Voyez aussi «pielle incons«'<pience! Les Vaudois priaient, comme
les protestants, les uns pour les autres; ils intercédaient auprès
du Seigneur les uns pour les autres; le Seigneur les écoutait, les
exauçait souvent, et il n'écoutait pas, il n'exauçait passes amis
intimes, ceux cpii avalent versé leur sang jxmr lui, s'étaient
pour lui fait brûler à petit feu, scier, décapiter, écorclier, fla-
geller jusqu'à la mort, même crucilier!
L» secte vaudoise jirofessait cependant une grande vénération
pour les saints, el surtout pour Marie. La Mère de Dieu est appe-
Ifc dans le poème de la Mubla l.ryczon la /'ergena glortasa, nos-
Ira tlona (1). l-e li\rc «les Trihulacions contient ces paroles :
« Vaine est la crainte de celui qui redoute de renoncer à la com-
munion de son père et de sa mère, el qui n'a point peur de per-
dre celle de Dieu et de la rierqe Marie. » « Après Dieu ,
est-il dit dans la Glosa patrr , nous devons d la hirnhcurcusr
Vierge Marie (beata vergena) les plus grands honneurs d'entre
toutes les créatures, car elle est la mère du Christ. » — La Mère
do Dieu bienheureuse! Klle qui voit soulïrir ses enfants, les frè-
res de son lils bien-aimé, el ne peut obtenir de Lui la moindre
grice pour eux! — lit ailleurs : Ceux qui participeront aux
noces célestes sont le Christ el In f'iergc la \ icrge après le Clirisi'
el tôt lo content de l'ost cclestial e la cumpagnia de li esleja.
(I) V. 30. :j| 1,21(1.
LES VAIDOIS DL MOYF.N AGK. 291
Marie porlo aussi le glorieux lilre que lui donne l'Église de
Reine du Ciel, Regina del cel. Les Vaudois lui adressaient le sa-
lut angt'lique Jve Maria, mais conséquents avec leur principe,
ils omettaient la prière finale, par laquelle l'Église réclame son
inlcrcession.
H. S.
CKNÈVE Al COMMEXCEMEXT W \W SifXLE.
Qu'était Genève au commenrement du sei/ièmc sircio?
Avant que do n'pnndro à celte demande, je prie les lecteurs
des Jnnales de ne pas perdre de vue que les questions histori-
ques que je traite ici , sont enseignées dans les écoles de notre
canton , et qu'elles sont (lélij,'ur('es par plusieurs des maîtres
charges de l'instruc tion des enfants. Sans cette dernière consi-
dération , les Jnnalcs n'auraient pas choisi le moment actuel
pour parler de rétablisseuunl , des causes el des effets du pro-
testantisme , parce qu'il est dillicilc d'en parler sans dire des
choses qui, par elles-m^mes, sont de nature à causer de l'irriia-
lion dans un pays dont la po|>ulation est composée de catholitpies
et de protestîuits obligés d'avoir des rapports continuels les uns
avec les autres. Mais, puisqu'on enseigne des erreins »pii peu-
vent avoir les suites les plus funestes pour les jeunes gens, n'est-
ce pas un devoir poiii- tout lion citoyen de dissiper ces erreurs?
On re[)résente les evécpies conimi' des tyrans sous lesquels gé-
missait la vieille Genève catholique. On apprend aux enfants :i
saluer comme une aurore de liberté , de prospérité el de bon-
heur, le jour oii les salelliH'S «le l'apostat de Noyon usurpèrent
le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel des princes-<'véquesde
Genève. Le radicalisme , né de l'impiété el de la révolte , le so-
cialisme «le m«*me race, et, de plus, aux gages de l'Union pro-
lesiani»' genevoise , illuniin«s tous l«'s deux par les log«îs maço-
(iKSKVE Al (.OMMiiXMCMEM l)L XM*" SliXLi:. 293
niques (1), l'arianisme de l'église nationale, le mélhodispie des
lourbcs niùmiors : tous ces agents d'iniquité se tendent la main
et mettent tout en œuvre pour faire germer dans le cœur des en-
fants et pour y entretenir la haine contre tout ce qui tient à la
religion catlioli(|Uc, et surtout contre ceux qui sont les gardiens
de ses dogmes et de sa morale. Ne pas avertir les pères et les
mères de famille des pièges qui sont tendus à leurs enfants, se-
rait un crime.
Qu'était Genève au commencement du seizième siècle? Cette
«juestion renferme implicitement les deux suivantes : Quelle
était la religion profcssi'e par les habitants de Genève, et quelle
était la constitution politique, ou la forme du gouvernement de
Genève au commencement du seizième siècle ?
Ce qui constitue une société , une communauté quelconque ,
bien organisée , c'est la religion professée par les membres de'
celte société, ce sont les lois qui régissent celte société. La reli-
gion et les lois fondées sur la religion , le pouvoir divin commu-
niqué aux hommes pour le bonheur des hommes, le pouvoir
émané de Dieu , exercé sur la terre par les représentants de
Dieu , dans l'ordre spirituel et dans l'ordre temporel , voilà la
source divine de toute justice, de toute vertu et la base de l'or-
dre social. Aussi, un peuple , une réunion d'hommes ayant des
lapports les uns avec les autres , sans principes religieux quel-
conques, est encore à trouver. Vous découvririez plutôt une ville
bâtie dans les airs. Partout où vous rencontrerez des hommes
(|ui vivent ensemble, vous y verrez de même des lois écrites ou
des coutumes qui prescrivent certains devoirs à ces hommes ,
pour l'avantage de tous, et qui décernent certaines peines con-
tre ceux qui nuiront au bien commun de la société , ou à celui
des individus en particulier.
La destinée de l'homme sur la terre n'est-elle pas de servir
Dieu, son Créateur, et de concourir au bonheur des autres hom-
mes avec lesquels il est appelé à passer les quelques jours de vie
CI) Nous pourrions noninici- un citoyen qui occupe une place importante
cl:ms le canton et qui disait, dans une lionorabic compagnie : Il y a quatre lo-
ges qui ont agipour me faire arriver à la place que j'occupe.
29i liENKVF Al t:oMMK>«:KJIl-:.M 1)1 Wl»^^ SIKtLK.
qui lui suul dunnés? Or, d'après cette double lin, il doit obser-
ver les lois émanées immédiatement de Dieu lui-même ou de ses
représentants, ilans l'ordre spirituel , «-t celles (|ui sont portées
par ses re|»résenianis , ilans l'ordre temporel, (les dernières lois
règlent principalement les rapports que les hommes ont les uns
avec les autres, pour les choses de ce monde, et si on les consi-
dère en elles-mêmes, et dans la forme du pouvoir où elles pren-
nent leur source, elles sont ce (pi'on a|t|)elle la constiiuiion po-
litique d'un jiays.
Demander à l'hisloir*' ce qu't'tait un peuple à tel siè( le, à une
épociue deteiminée, c'est demander principalement tiuelle était
la religion professée par ce peuple et quelle était la constitution
politique qui le ii'gissait.
Quelle était la religion professée par les Genevois depuis les
premiers siècles du clirisiianisme?
On dira peut-être : à quoi bon ces détails historiques dans
lesquels vous entrez? Voule/.-vous nous prouver l'existence du
lac Léman? Encore une fois, j'ai en vue les écoles, et l'on verra,
dans un autre article, la connexion naturelle qui existe entre ce
que je vais dire et ce que je dirai plus tard.
La religion des GencNois, depuis les premiers siècles du chris-
tianisme, était la religion catholi(|ue. Tout nous le rappelle :
l*" Les églises de Genève construites avant le seizième siècle por-
tent le nom d'un saint ou d'une sainte. On v voit la belle cathé-
drale de Saini-l'i«'rre, l'église de Sainte-Madeleine, celle de
Sainl-Gervais ; ces noms nous disent <pie «es édifices ont été
consacrés à Dieu, sous l'invocation du saini ou de la sainte d(mt
ils portent le nom. N'est-ce pas une preuve évidente que ces
saintes maisons ont été bAlies pour les assemblées religieuses
d'un peuple (|ui honorait saint Pierre apAlre , sainte Madeleine
pénitente, saint Gervais niariyi? Les habitants de Genève, avant
le seizième siècle, honoraient les saints, connue font et ont tou-
jours fait les catholiques; ils n'étaient donc ni calvinistes, ni mô-
uiiers ; ces sectaires ne rendent aucun ImuncMi- aux saints, |)as
même ù la Reine de tous les saints, et ils sont ainsi en contradic-
tion avec cette prophétie de la bienheureuse Mère du Verbe in-
carné (Luc I) : Dénormais je serai appelée bienheureuse par toutes
«ilCNÈVl!; AL COMMKNCKMKNT DU XVl' SIIXIJ:. 205
les générations. Voyez, les l('mi>los que les disciples de Calvin et
aiilres liéréli(iucs ont conslruils pour y faire le prêche et y lire
une des mille Cibles nées du prolestanlisinc , ils n'ont point le
nom d un saint ou d'une sainte; c'est le temple de la Fuslerie ,
le lemplc du l*ré-B6ni, le temple de la Pélisserie, celui de la rue
du Tabazan, réiçlise anglicane, le temple des Luthériens, et bien-
tôt on verra aussi le temple des Mormons.
2° Les noms des rues. Il y a, à Genève, la rue du Purgatoire,
la rue des Corps-Saints, la rue des Chanoines; donc il fut un
lemps où il y avait à Genève des chanoines , et où le peuple ge-
nevois croyait au Purgatoire et honorait les reliques des saints;
les anciens genevois n'étaient donc ni calvinistes, ni mômiers.
3° Les inscriptions qu'on lit encore sur les dalles de Saint-
Pierre, sur les murs et sur les vitraux du chœur, témoignent que
cet édilice est l'œuvre des catholiques. « Un grand nombre de
» tombeaux ont été découverts dans l'église (de Saint-Pierre);
» ces sépulcres appartenaient à des ecclésiastiques inhumés avec
» leurs vêlements dont les restes, la chaussure surtout, étaient
» presque toujours reconnaissables ; devant le premier grand
» autel se trouve le corps d'un prélat renfermé dans un sarco-
» pliage en pierre, il est revêtu de ses ornements sacerdotaux, les
» débris de la crosse, un calice et sa patène sont renfermés dans
» ce tombeau qui est demeuré intact. Il paraît résulter des re-
» cherches auxquelles s'est livré M. l'archiiecle Sordet, au sujet
)> de ce tombeau, qu'il contient les restes de Jean de Courtecuisse,
» évêque de Genève dès 1420, et mort dans cette ville le 4 mars
» 1423. » (Rapport sur les reclieiches et les travaux exécutés en
1850, dans le temple de Saint-Pierre, par J.-C.BIavignac,p. 13.)
Ce prélat, docteur en théologie de la faculté de Paris, professa
la théologie dans cette ville, et en fut nommé évêque. Peu de
temps après il passa du siège épiscopal de Paris sur celui de Ge-
nève. Il laissa, par testament, 500 livres au clergé de Genève,
pour quatre services solennels pour le repos de son âme. C'était
un homme distingué par sa science; la bibliothèque de Genève
])Ossède quelques-uns de ses manuscrits.
L'histoire nous fait connaître les noms des évêques de Genève,
depuis les lemps les plus rapprochés de l'établissement de l'é-
•2Wi GEXTKVE Al COMMKMCEMt.M 1)1 XM'MlXl.i:.
};lise calliuiiquc , jusqu'à Mgr Maiilloy, aujourd'litii évùcjue de
Lausanne el de Genève , quoicjue la tyrannie radicale rcinpc^clie
de résider dans son diocèse el de porter les cunsolalions de son
saini ministère aux fidèles confiés ù ses soins et qui soupirent
après'le jour fortuné où il leui seia duniu' de recevoir sa béné*-
dittiou cl d'entendre sa voix hien-ainiée. L'histoire nous montre
ces évêques en communion avec les successeurs de saint Pierre,
les chefs suprêmes de toute rKj,dise. Genève était donc caiholi-
(|ue. La chapelle des iMacchahées (puî l'on voit adossée à la ca-
ilicdrale de Saint-Pierre, fut construite en 140G, par les soins et
aux frais de Jean Fraczon, cardinal, connu sous le nom de cardi-
nal de Brogny. Elle était placée sous l'invocation de Marie. Après
avoir retenti , pendant plus d'un siècle, du chant des louanges
de Dieu, elle a été cliangc'e par les calvinistes en auditoire; des
professeurs ariens, incrt-dules, rationalistes, y sont venus tour à
luur développer leurs faux systèmes. Le cardinal de Brogny fut
nommé évêipie de Genève, mais il mourut avant cpie de se ren-
iln; dans son nouveau diocèse et fui enterré, comme il l'avait de-
mandi", dans la chapelle des Macchabées.
C'est un évêque de Genève , Guillaume de Lornay, <pii fit pla-
cer au clocher de Saint-Pierre la grande el belle cloche qu'on y
voit encore et (ju'il a|)pela CUmencc, en Ihonneui' de son ancien
maître et ami Clcineni \ II, issu de la maison des comtes de Ge-
nevois. Klle fut fondue [)rès du bas de la tour sur la<iuelle elle est
montée, ei cul pour parrains les quatre syndics.
Elle portait l'inscription suivanle :
« Laudo Drum verum, plebem voco, congrego cleruni.
« Defunclos ploro, pestem fugo, fesia decoro.
« Vox niea cuncloium fit terror dû'monioiiim. »
Je loue le vrai Dieu^ /appelle le peuple, je rassemble le clergé, Je
pleure les morts, je inels en fuite la peste, /embellis les fêtes ; ma voijc
inspire la terreur à tous les démona. Un auteur |>rotestant, après
avoir raj)porté' celle inscri|)tion, fait la n'Ilexion suivante : « Celle
» espèce de filleule d'unanlipapt.' d'Avignon semblait prédestinée
» à sonner l'heure de la réformalion (|ui devait soustraire Genève
à la suprématie de Home. A b(»n eiilendeiir salui. > Ce sont de
CCS soilcis d'amaliililcs que l'on i cnconlic fretpiemmeni chez les
<;e>i;vk ai (.»)MMi:m:i:mi:.m du xvi" sikcli;. 297
dévoyés. Et moi, je dirai, à mon leur, que la belle Clémence
doit bien }j;émir do jouer le triste rôle auquel l'ont condamnée
Farel et Calvin.
Laudo Dcum vcrum. Et aujonid'inii elle loue le Christ gene-
vois. Or, qu'est-ce que ce Christ? Pour ({uelques ministres, c'est
III) être qui n'est ni Dieu, ni homme, mais une nouvelle catégo-
)ic dans la classe des êtres. « Dans cent quatre-vingt-dix-sept
» sermons prêches par nos pasteurs depuis plus d'un demi siè-
» de, dit M. Empaytaz, pas un seul où l'on trouve une profession
» de loi sur la divinité du Sauveur. » Aux yeux des autres mi-
nisiies, ce Christ, d'abord léformé par Calvin et qui a subi mille
métamorphoses depuis, dit à ses disciples : Lisez une des Bibles
augmentées, diminuées, corrigées, falsitiiées par le protestan-
lisme , et après votre lecture, trouvez-vous que pour être dans
la voie du salut il faut être arien? soyez arien. Trouvez-vous
que les mômiers sont dans le bon chemin? faites-vous mômiers.
La religion perfectionnée et superflue de l'un de nos députés [1]
(comme dit la Revue de Genève) vous paraît-elle encore meilleure
(jue l'arianismede M. Chenevière et que le méthodisme de M. Ma-
lan? embrassez vite cette religion swper^ne. Ne craignez rien :
l'usure, la fornication , le divorce répété tant qu'il vous plaira ,
ne vous excluront pas de mon royaume, et il ne vous reste plus
rien à faire, si vous croyez en moi. On peut appliquer soit aux
calvinistes ariens , soit aux mômiers , ce que dit l'anabaptiste
(1) Ce député, descend en ligne droilc de Tun de ces hommes qui, au
seizième siècle, quittèrent Lucqucs pour venir à Genève vénérer les glo-
rieuses et saintes cicatrices de .Ican Calvin et embrasser le système religieux,
ou plutôt l'expédient pour se passer de religion , enseigné par ce nouvel
.npôtre... L'on dit que quelques-uns de nos compatriotes de lune des sectes
dissidentes sont allés, ces derniers temps, en Italie pour y porter la bienfai-
sante lumière de leur évangile perfectionné, et prêter leur secours aux maz-
ziniens pour l'œuvre de la régénération de ce pays. Toutefois, ajoule-t-on, le
zèle de ces nouveaux missionnaires peu aguerris ne s'est pas soutenu en
jtrésence du choléra; à la première apparition de ce fléau, ils ont rejoint
leurs pénates. Nous ne disons cela que d'après le bruit public; si la chose
est réelle, espérons que nos correspondants nous ferons connaître les noms
des pieux pèlerins, alin (jue nous puissions leur payer notre tribut de recon-
naissance.
■2W (iKMKVE AU COMMH^CtMKM Ut Wi'^ iilKCLb.
Scliwenlfcld : Leur évangile consiste à maudire le Pape... ils se
funt du dn(jme de la justifiralion jtnr ta foi de nouvelles iudul-
(jcnces à ion marché, du rejet du libre arbitre un motif de négli-
ger le bien , du non mérite des œuvres cl de la satisfaction de
Jésus-Christ, une source de fausses consolations.
Plebem voco. Elle «'l.iil (IcstitK'»' à a|)|)clt'r aux loiiclianles cl
belles solninih's du culte (•atlinli(jue un |)iu|)le de (ri»y:inls ; cl
elle convoque un peuple (pii , île p;ir (',;ilvin et les ralionalisles
4jui lui ont sueeéde, a la lihei lé de croire ce que lui enseigne la
déesse raison, el mémo de ne rien croire.
Congrego cUrum. Depuis Jésus-Christ jusqu'à nous, il y a
toujours eu des évoques et des prêtres , et il y en a eu à Genève
peu de temps après la venue Ao Jésus-Clirisl. Les év/^qucs , les
prêlres , les relij,'ieu\ , >oilà le cleryé <prelle rassemldaii jadis,
dans le lieu saini. Depuis irois cent vinf,'t ans, au mois d'août,
elle convo(jUC des hommes qui s'appellent ministr<'S et qui lom-
Immu dans la plus manileslc conlradieliun , toutes les ibis qu'ils
njonieni en chaire pour parler de religion. En effet, ils disent à
leurs auditeurs : Lisez la Bible, n'écoutez (jue la IJihIe, que cha-
cun de vous suive la religion cpi'il trouve dans la liihlc , el non
celle (m'y décijuvro un autre. Kl maigre ce principe l'ondamcn-
\\i\ du protestantisme, chaque ministre monte en chaire pour im-
poser son système religieux, ses opinions en matière de religion,
aux autres hommes cpii lisent aussi la Hible et (]ui peuvent tout
aussi bien que les ministres prétendre ù l'inspiration divine.
M'est-ce pas, comme leur disait Rousseau, n'ôter Viiifaillibihtr
à V Eglise qu'a fin de V usurper chacun pour soi? (Corresp. 3, \ ).
/>rfunrtas ploro. \ l'unisson des coMirs calvinistes, elle ne dit
mol en laveur des défnnls... Pestem fugo. Elle <'sl au service de
riiérésie l:i pins fnnesie de lonies les pesles, dans ce
.Miseraiilt; sejutir (le toute .«posla.si»', *
D'opuiiàliwle, d'orgueil el (riiere«>ie.
KoNSAIIl».
Festa decoro. Il ny a plus de létes. Un sermon lu ou Tniitle-
incnl (h'Itilé par un arien rationaliste, un psaume de Clément
.M.irol chanté sur \m air ula( ial . esl-ec une féie .' Tout rc y»/i In
GENÈVK AU COMMENCKMEÎMT DU \\l^ SIÈCLK. 290
fille de Sion avait de heau lui a été enlevé... Ses souillures ont
paru sur ses pieds, et elle ne s'est point souvenue de sa fin... Les
ennemis de Jérusalem ont porté leurs mains sur tout ce qu'elle
(liait de plus désirable , parce quelle a Vu entrer dans son sanc-
tuaire des nations, au sujet desquelles l'ous aviez ordonné, Sei-
(jneur, qu elles n'entreraient jamais dans votre assemblée... Com-
ment les pierres du sanctuaire ont-elles été dispersées? Notre hé-
ritage est à ceux d'un autre pays, et nos maisons sont entre les
mains des étrangers. (Jérémic.)
f^ox mea cunctorum fit terror dœmoniorum. Le démon est le
premier menteur, et ceux ([ui enseignent Teneur en matière de
l'eligion, sont les menteurs les plus dangereux et les plus crimi-
nels.
Quelle était la constitution politique de Genève au commen-
cement du seizième siècle?
II y avait à Genève trois pouvoirs distincts : celui de l'évêque,
celui des citoyens et celui du Vidomne (l'ices domini gerens) , ou
représentant des ducs de Savoie. Dans l'origine , le Vidomne
était le lieutenant des comtes de Genevois; plus tard, le pouvoir
des comtes de Genevois passa aux ducs de Savoie.
Pouvoir de l'évéquc. L'évêque était souverain, et, en cette
qualité, il s'était réservé le droit de faire grâce. (Franch., art.
14.) Il avait «ous sa dépendance immédiate le Conseil épisco-
pal qui Jugeait , de droit , toutes les causes ecclésiastiques et
celles qui concernaient une somme excédant la valeur de soixante
sous. Il était toujours permis d'en appeler des autres tribunaux
à celui du Conseil épiscopal, etc., etc.
Pouvoir des citoyens. Les intérêts de la commune de Genève
étaient administrés par quatie fondés de pouvoir, appelés pro-
cureurs ou syndics, qui étaient nommés par le peuple, mais qui
recevaient leur juridiction de l'évêque ; ils s'adjoignaient ordi-
nairement vingt conseillers. Il leur appartenait de rendre la jus-
tice criminelle dans la ville. Dans le jugement des causes crimi-
nelles , ils étaient assistés de quatre jurés élus par les citoyens.
Lorsqu'il y avait une sentence de mort à exécuter, les syndics
la <"onimuni(juaieni au Vidomne avec cette injonction : J vous,
Monsieur le Fidomne , mandons et commandons de faire mettre
:{00 (.i:>i:vKAi com.mkmkmi-m in xvi' sikcli .
ù exécution notre sentence de mort. Le Vidomnc éiaii tliai};».- de
Aiirc conduire le condumné jusque dcvanl lu porte des comtes de
(jenevois; lu il faisuil crier par trois fois: J\'y a-t-il personne
ici pour vwns de Cencvois, seigneur de Gaillard? A lu Iroisièm»*
luis, le cliûieiaiu de Gaillard s'avanrail à clieval cl l<> \ idomue
Jui remettait le criminel avec ces paroles : Messeiyneurs les syn-
dics ont condamne cet homme ^ je vous commande de mettre leur
:>entence à exécution. Le cliàlclain remellaii le coupable au hour-
reau et Texécution se faisait à Cliampel, qui dépendait de la ju-
lidiction de l'évèque.
La commune de Genève était représentée j)ar le Conseil f^é-
ueral qui se composait des chanoines, au nom du clerjjé, et de
tous les chefs de famille, sans distinction de rang ni de fortune.
Il était convoqué au son de la f,Mande cloche, et s'assemblait deux
lois, de droit, chaque! année, au cloilie de Saint-Pierre, le di-
manche après la Saint-Martin, pour Oxer le prix des denrées, et
le dimanche après la Purilicalion , pour l'élection des quatre
.syndics. La commune avait sa milice armée, sa police, ses corps
<le métiers, ses franchises. Elle s'im|)Osail elle-même, et répar-
lissaii les taxes. La police, pendant le jour, se faisait au nom de
l'évéquc, et les arreslaiions avaient lieu de la part du Vidomnc
Depuis le coucher du soleil ju.sepi'au matin , c'est aux syndics
f|u'appartenait le droit de police, etc., etc. •
\ idomne. Le Vidomne était un lieulenanl laïque <pii re|ire-
bculail dans Genève le comte du Genevois, mais (jui tenait sa
mission de l'évèque. Il était juge des causes civiles concernani
une valeur (pii ne dépassait pas soixante" sous. Ce magistrat
avait le droit de police depuis le lever jusqu'au coucher «lu so-
leil. L'intendance des prisons, le pouvoir de mettre en arresta-
tion les coupables de délits civils et de faire exécuter les senten-
ces de mort «pi'avaii'ut prononcées les syndics, en matière
irimiiielle , lui apparlenaienl aussi. On ne poUNait plaider au
tribunal du Vidomne que de bouche et en langue romane ou pa-
tois; le latin et les écritures en étaient lormellemenl exclus, ei
si l'on était mécontent «le son jugement, on eu ap|>elail au Con-
s«;il de l'éNèque, le souverain d'oii enKinait tout droit de justice.
Noilà quelles élaieni les pi incipules aiiribuiions de ces trois
GKNKVK \l roMMKNCK.MKNT 1)1 Wl'' SlKn.K. 301
pouvoirs; « :itlrilmiioiis (jiii, bien comprises o.l maintenues de
i. bonne loi, dit M. Galille (Mal., etc. T. 1", p. 7), n'auraient
» occasionné aucune espèce de confusion , et auraient assuré
» dans la comuuinaui»' l'ordre le plus parlait, au grand avantage
» de tous trois , car il est impossible de concevoir un état de
" clioses plus admirable en lliéorie, et la pratique en était si
» facile, que la perversité seule pouvait y mettre des entraves.»
« Sa constitution (de Genève) [Galiffe, Malér., p. 11] réums-
» sait ce qu'il y a de meilleur dans les trois principales formes
» de gouvernement. La démocratie y prédominait en ce que les
» citoyens ne pouvaient être poursuivis et jugés au criminel que
» par des magistrats de leur cboix , et ils nT'laient entravés par
» aucune espèce de condition de naissance ou de fortune, ni pour
» les électeurs, ni pour les éligibles.
» L'aristocratie avait tout le poids que lui assurent dans une
» société bien organisée la faculté de faire beaucoup de bien, le
» prestige des noms historiques, et les agréments extérieurs ré-
» sultant dune éducation plus soignée, et de la fréquentation
» babiluelle du grand monde. Les listes des syndics et conseils
» font foi du nombre de nobles de première classe qui prenaient
» part à l'administration de la ville avec de simples artisans.
» La monarchie, représentée par l'évéque, existait dans un de-
» gré absolu sous le rapport de la souveraineté , mais bien limité
» sous celui de son exercice. Son attribut le plus important ei
» le plus utile, celui de faire grâce, subsistait dans toute sa
» force... »
« Les citoyens (Galiffe, Mater., etc. T. I, p. 9) étaient aussi
» heureux que possible. Libres sous la souveraineté plutôt nomi-
> nale qu'effective d'un prince essentiellement , et presque né-
» cessairement pacifique , ils en profitaient pour faire un com-
» merce immense et très-lucratif, qui les conduisait ordinaire-
» ment en peu d'années à toutes les prérogatives et à toutes les
» jouissances de la noblesse féodale, car ils acquéraient des ter-
» res seigneuriales et formaient des alliances illustres. La ville
» était d'ailleurs remplie de gentilshommes et de chevaliers des
» plus grandes maisons , qui tenaient à honneur ou avantage de
» s'intituler cilovens de Genève — »
3(^ GKNKVE Al' COMMKNCF.MKM l>l Wl'' SIKCI.K.
oJNos liisloriolis (IWiil.. p. M) oui beaucoup crili(|ué celir
» consliluiioii (ju^ils iroiil poiril comprise, cl qui me paraîl « c-
» pcndanl bien lumineuse; ils ny (»nl vu (juun conllil de juri-
» (liciiuns qui n'existait point dans le fait , et ils ne se sont pas
» donné la peine d'en clienher les motifs (lui sont assez évidents.
» Avec r(''piscopat cl les foires (Ihid., Il, p. 3), le Vidomnr
» n'était point un liors-d'œuvrc gênant, comme on Ta dit. Si un
» prince ecclésiastique ne devait pas se mêler des peines capiia-
»les, il devait encore moins eniietenir un bourreau pour les
» exécuter. Les citoyens , qui avaient le droit de prononcer les
» sentences, ne devaient pas avoir celui de les accomplir. D'au-
» tre part, le commerce amenait à Genève une foule d'étrangers
» qui se seraient défn-sde la justice municipabî et qui comptaieni
» sur celle d'un prince; neutre, intéressé à se faire une grand»'
» réputation d'équité. On payait son intervention et sa bienveil-
» lance ; mais on ne payait point au-delà de leur valeur les im-
» menses avantages qu'on en relira tant que prospérèrent les
» foires, si l'on considère que ses Etals enclavaient la ville «le
» tous côtés et qu'elle ne pouvait avoir de commerce et même de
» subsistances que de son aveu. Ainsi, tant qu'il se contenta de
» ses droits légitimes et du reveini qu'ils lui produisaient, l«'
» maintien de son autorité lin un bonheur national. »
Ce serait ici le lien de faire connaître les franchises ou libertés
dont jouissait la commune de Geuevc sous le gouvernement <le
ses princes-évéques; mais les bornes prescrites à un arlicle
d'une Revue, ne permettent |)as de rai>porler les soixante et dix-
sept articles dans lesquels elles sont renfermées. On peut les
voir au long dans les hisloriens de Genève. Je me contenterai de
mentionner ici quelques-uns des droits et priviléfçes qu'elles ga-
rantissaient aux citoyens.
Les citoyens nommaient de droit leurs syndics ou procureurs
(art. 23 des Franchises). Les syndics avaient le droit de police
pendant la nuit ^art. 22). Les citoyens ne |V)uvaient être distraits
de leurs juges, et ces juges «'taieni leurs pairs ou des citoyens
({ui lorinaient un jury (art. 12-14). Toute accusation secrète
était défendue. L'accusateur devait se constituer prisonnier en
nïèine letnps ipie l'aci use <lait arrêté (art. 10. lil. 7i). Celui
GENÈVE XV COMMENCEMENT 1)1 XVI^ SIECLE. 303
(|iii donnait une ("uilioii no pouvait être retenu en prison (art.
10, 61, 74). Le vol de t;rand chemin, le meurtre, le crime de
haute trahison faisaient seuls déchoir de ce droit. Les mesures
de capacité , d'aunajjc et de poids , étaient déterminées par les
lois. Les héritiers succédaient par testament ou ab intestat, sans
(jue rEp;lise ni la commune eussent rien à réclamer. Si les héri-
tieis étaient absents, la commune faisait administrer l'hoirie jus-
([u'à la présentation des ayants droit (art. .34, 35). Les biens des
citoyens étaient à l'abri de toute confiscation (art. 19). Les ci-
toyens établissaient eux-mêmes des impôts et des percepteurs
pour les recueillir (art. 28-67). Ils pouvaient faire rédiger par
les notaires et se faire expédier par eux les testimoniales dont ils
avaient besoin ; personne ne pouvait y mettre opposition (art. 54).
Tel était le code des Franchises de Genève, qu'un évêque,
Adhémar Fabri , prélat éclairé et sage législateur, fit recueillir
et publier en 1387, le 23 mai, dans la cathédrale de Saint-
Pierre, avec le concours et l'approbation du chapitre. Tout évê-
que, à son avènement, devait jurer de les respecter et de les
maintenir. Tous les officiers de l'évêque et tous les magistrats ,
en entrant en charge, devaient faire la même promesse, sous la
foi du serment.
En 1430, le Conseil ordonna qu'en en lirait deux ou trois cha-
pitres à chacune de ses séances. En 1444, Félix V, devenu évê-
que de Genève, donna une bulle solennelle de confirmation de
ces mêmes Franchises, en y faisant quelques modifications. « On
» comprend , dit Mallet , que les Genevois durent s'empresser de
7. saisir l'occasion que leur offrait la fortune, d'un pape devenu
» leur évêque en même temps qu'il était chef de la maison de
■ Savoie , pour obtenir la confirmation de la charte de leurs li-
» bertés.n Elles furent les seules lois de Genève jusqu'à l'apos-
tasie de cette ville, et plusieurs de leurs dispositions survécurent
à cette révolution religieuse qui semblait devoir anéantir tout le
passé.
Ce court exposé de la constitution politique de Genève suffit
pour nous prouver d'une manière évidente que les citoyens de
cette ville jouissaient, sous le gouvernement paternel de leur
prince-évêque , de la liberté la plus étendue et la plus sage , et
;10'» r.F.>KVF AI ( n>l>|KM.KMKNT lU XM' MKCI.E.
(ju'ils n'uvaicni |t(iii-»*iic rini à cinicr :i vvu\ de loui auire cpo-
(|ue. Qufll»' (lilléreiice enire lo n'{j;inu' de douceur, de protec-
tion , d'ordre, de fermeté, tout au profit «les membres de la
petite commune genevoise, et le sceptrtî de fer, et les lois inqui-
sitoriules, lois de sang et de vexation du nouveau pape de Ge-
nève, Jean Calvin! An reste, ce i\uq je dis des bienfaits des cv»"--
ques de Genève, à l'égard de leuis sujets, je le dis de tous les
évoques en général au moyen âge. Partout ils se montrèrenl les
amis et les prolecteurs des libertés communales; il est môme
des auteurs d'un grand poids qui soutiennent que la nninion
des gens du peuple en commune est leur leuvre. Aussi , au
moyen âge , le régime doux et paternel avec lequel les évoques
gouvernaient les peuples soumis à leur autoriti* était proverbial.
Les anciens genevois se plaisaient souvent à déclarer, de leur
propre mouvement , en assemblée générale , qu'ils regardaient
leur prince-(''vê(pie comme leur souveiain légitime. N'est-ce pas
une preuve sans réplique qu'ils voyaient dans la personne de leur
évéque non un tviau, mais un père, mais un prolecteur, mais
le défenseur zélé el sincère de leur liberté elde tous leurs droits?
Voi<i une de ces déclarations faite en 1420, el rapportée par
Sppn (Preuve de l'Ilisl. de Genève, n" 51) :
« Depuis plus de 400 ans la ville de Genève, avec ses fau-
o bourgs, s«m teiritoire et sa banlieue, est sous le baul domaine
» et sous la pleine et entière juridiilion de l'évéque; le peuple
» se jilait à reconnaître aujourd'liui , comme l'ont fait ses ancê-
» 1res, la domination el la puissance de l'Église de Genève et de
» son »'-vé«|ue. »
La charge de Vidomne était conûée , de temps immémorial, à
(pieb]ue membre de la famiUe des « omtes de Genevois, vassaux
desévêques de Genève ; elle leur avait été romme inféodée pour
leurs bons services. Us avaient encore la garde du château de
l'Ile. Dans la suite des temps, les comtes de Genevois furent
sup|)lantés, dans cette prérogative, par les ducs de Savoie; el
soit les comtes, soit les ducs eurent plus d'une fois le désir de
voir passer sous leur domination une ^ille dont le si-jour, stir les
riantes rives du Léman. Icin était si agn'-able.
Amédéc \ 111 ne dissinuila point ce désir; Genève riche, rom-
GESKVK Al COMMF.NCKMF.NT Dl WV SrKCLK. 305
uierçanle, au milieu desesEtats, lui faisait envie; mais en princo
loyal et fiilMc à ses scrmenis, il commença par en faire la pro-
position à révèquo qui éiail alors Jean de Pierrecisc ou de Ro-
clietaillée, lui promettant, en retour, une indemnité avantageuse.
Jean de Pierrecise , sachant bien qu'il n'était pas maître ab-
solu de Genève , mais que le peuple avait des droits et des fran-
chises, ne voulut prendre aucune dclib('raiion sans consulter le
vœu public sur une question aussi importante. Il fit donc réunir,
au son do la grande cloche , au cloître de Saint-Pierre , les syn-
dics, les curés des sept paroisses, le Conseil, en un mot tous les
représentants de la commune , et les invita à délibérer sur la
proposition faite par le duc Amédée VJIl le dernier févr. 1420 .
Jamais le Conseil général n'avait été si nombreux ; il était
composé de 727 assistants. Or, comme il n'y avait dans tous les
cœurs qu'un seul vœu, celui de vivre sous la dépendance dun
maître dont on connaissait les bienfaits , il n'y eut dans toutes
les bouches qu'une seule voix.: Five notre prince-évêque ! Et
à l'unanimité fut volée cette adresse touchante qu'une députation
alla déposer aux pieds de l'évêque Jean. (Spon , preuve do
l'hist. de Genève, n" 54.)
«Depuis plus de quatre siècles, Genève et ses dépendances ont
» toujours été, avec tous leurs habitants, sous l'entière autorité
)de l'Église et de l'évêque, qui en est le chef. Les habitants,
» ainsi que leurs ancêtres, n'ont jamais été traités par lui qu'avec
» douceur, bienveillance et bonté , et ils ont toujours été gou-
» vernés dans un esprit de paix et de tranquillité. Ils ne peuvent,
» ne doivent et ne veulent reconnaître d'autre seigneur, sans
» l'ordre exprès de l'évêque , leur supérieur unique et immé-
» diat. P»ien, d'ailleurs, ne commande un tel échange, à une
» époque où les citoyens n'ont plus pour voisin que le duc de
» Savoie, prince ami de la justice, de l'ordre et de la paix, des
» prélats surtout et des ministres de l'Eglise , prudent, zélé ca-
» Iholique, et prêtant à la ville aussi bien qu'à son Église l'ap-
» pui bienveillant et amical qu'elles ont toujours trouvé auprès
» de ses ancêtres. Pour eux, loin de consentir à aucun change-
» ment, ils sont décidés à vivre et à mourir, comme leurs pères,
» sous l'autorité de lÉglise de Genève, et si l'évêque promet de
20
:{()(*) «.K>KVK AL C«»MMK>CEME>T Ul wT SIÈ( LE.
• ne coiiseulir jamais à aucune aliénation, ils promelteni, de leur
n côtt', tle l'aider cn\rrs el contre tous, de leur soumission, de
a h'urs conseils, de leurs biens cl de leurs personnes. »
Ainsi s'exprima Jean Iludriot au nom de la commune.
L'évètjue, vivement touché d'une si noble ré|)onse el d'une si
grande marque de dé\ouemcnt, y répondit par le serment solen-
nel de rester uni à la cité, de la protéger el de la défendre, il
proposa même un pacte d'union mutuelle envers ctconlre tous,
pacle que les éviîipies à leur avènement, ei les syndics à leur en-
trée en charge, jureraient d'observer lidélemenl. Le 19 mai sui-
vant, le Conseil général de la commune se nunii, el 727 chefs
de f^imille signèrent le pacte. L'évéque, la main sur la poitrine,
jura de l'observer d'une manière inviolable , el les syndics firent
le ni('nie serment, la main sur l'Kvangile. Un prince qui invite
ses sujets à délibérer s'ils veuleni lui rester soumis ou changer
de maître, est un phénomène peut-être unique dans les fastes de
riiisloire. Cette condescendance de la pari de l'évéque est une
preuve (ju'il ne craignait pas d'être accusé de dureté el d'injus-
tice dans son administration ; comme aussi la conduite du peu-
ple, dans cette circonstance, est une preuve qu'il saNait appr»'-
cicr la sagesse el ré<|uil«'' de son souverain. Ce lait à lui seid
prouve, sans réplique, que les citoyens genevois, bien loin de
se croire asservis, se regardaient, au contraire, comme libres el
heureux sous la houlette de leur évéque.
Aussi, les historiens protestants sont forcés, par les faits qu'ils
trouvent consignés dans les annales de Genève, de rendre hom-
mage à l'équité , à la douceur, à la sagesse «les évoques qui la
gouvernèrenl pendant si longtemps.
« Arduiius, après avoir gouverné son troupeau avec autant de
"Sagesse que d'énergie pendant cin(]uante ans, mourut le 1"
» août 118â
» Quelle ville pourrait avoir reçu plus de bienfaits de ce grand
• prélat? Elle (Genève) lui doit peut-t'-trc sa liberté. On peut,
» en effet, croire qu'Ardutiiis a eu la plus haute iniluenrc sur les
» destinées de Genève. Sa haut»* naissance, les liens qui l'unis-
» saienl à des princes puissants, la longueur de son épiscop.il ,
n se joignirent à la noblesse de son caractère et à son énergique
GENi;VK AI COMMENCEMENT Dl XYI*^ SIÈCLE. 307
» adresse pour affermir et enraciner l'indépendance de Genève ,
» en dépit de la maison puissante qui l'entourait de toutes paris
» et en convoiiail ardomnicnl la possession. Nous avons vu qu'à
» la même épo(pic , à la lin du douzième siècle , plusieurs des
» évôchés qui , à la chute du royaume de Bourgogne, s'étaient
» constitués en principautés indépendantes, commençaient à s'a-
» baisser sous le joug des princes laïques voisins. C'est ce qui ar-
» riva successivement aux sièges situés dans les Etals des comtes
» de Savoie (Tarentaise, Maurienne, Aosle, Belley). Il est proba-
» ble que sans la résistance d'Ardulius, Genève, soumise aux
» comtes de Genevois, aurait passé, avec les autres Etats de ce
» prince, à leurs puissants successeurs les Comtes de Savoie.
(Piciet de Sergy, tom. 1", p. 272;.
L'évêque Nanlclme, qui succéda, en 1186, au grand Ardulius,
s'opposa à de nouvelles tentatives d'envahissement de la part du
comte de Genevois, et il fit confirmer par l'empereur Frédéric
Barberousse , encore vivant , les privilèges et l'indépendance de
son Église ainsi que de la cité de Genève.
« Genève, dit le même auteur, au milieu de cet abandon où
» les protecteurs des peuples les laissaient alors plongés, conli-
» nuait à recevoir de ses Evêques des bienfaits de toute nature
» (au XIV* siècle) [tom. II , p. 13]. La plupart de nos évêques
» (Sénebier, Journal de Genève^ 8 janv. 1791) s'intéressèrent
» avec chaleur et avec succès à Genève, et lui conservèrent ses
» droits, aux dépens de ses revenus qu'ils sacrifièrent. Il faut le
» dire avec reconnaissance , nous devons à plusieurs d'entre eux
» noire liberté personnelle.»
«Pendant plus de 800 ans (James Fazy, Précis de l'hist. de
» Genève) l'accord entre la cause du peuple et celle de la reli-
» gion , fit de Genève une ville très-avancée : les lois y étaient
» douces; les violences qui déshonoraient d'autres pays y étaient
» moins répétées; à peine si la torture y était appliquée. La con-
» fiscaiion des biens n'y existait pas , et il ne reste aucune trace
» dans cette période de ces procès monstrueux faits aux opi-
» nions. »
Ardulius, et Jean de Rochetaillée , sauvent l'indépendance de
Genève. Adhémar Fabri fait recueillir les Franchises de cette
;{08 (.K>KVK Al (.()mmem:emi:>t m .\m sii:ci,i:.
villo cl en forme un code de lois donl on :idn)ire encore aujour-
d'Iiiii la sagesse ei la doucenr, afin que les Évéques et les ci-
lovcus 1rs connaissent lùcn vl que tous les ohscrvenl rulMoment.
Tous les cvêques favoiisent le développenicnl moral cl industriel
de la Cité, el rcnrichissenl d'institutions de bienfaisance ou de
quchiue monument précieux. Et aujourd'hui , dans ces églises
([u'élcvércnt des mains callioliques , dos prédicanis môniiers ou
iiriens invitent h' pauvre peuple à bénir llitcrnel d'aNoir délivré
Genève de la tyrannie des Évoques. El aujourd'hui , un succes-
seur des Ardutius, des Fabri, des de Brogny, distingué aussi par
ses lumières et par ses vertus , est banni de Genève , sans qu'on
puisse lui reprocher autre chose, si ce n'est de défendre les inié-
réls de la religion avec une noble fermeté el de s'opposer aux
desseins iniques de l'impiét*'" radicale alliée avec l'hérésie. Jéru-
salem, Jérusalem qutp occùlis prophelas, et lapidas eos qui ad te
missi sunt, quoties volui congregare filios tuos, quem ad modum
C.nllina congregat pullos suos sub nias, el noluisti? (Mailh.
\.\lll,37.)
LETTKE
A M. FAZYPASTEUR,
Ancien Président de la Sociélé Ëconomique de Genève.
Vaimiii est vobis aiite lucem siirgere. (Psalm., iHH)
Monsieur,
\'ous avez consacré une grande partie de votre vie a la défense
des intérêts de l'église protestante de Genève. Dans les conseils de
la république et dans vos écrits, votre voix et votre plume se sont
toujours montrées fidèles à la devise : Tout pour Genève, tout contre
Rome. Vous n'avez laissé perdre par votre faute aucune occasion de
nous attaquer ou de nous nuire, et à défaut des occasions, vous
n'avez, non plus que bien d'autres, reculé devant aucun prétexte.
Tant de dévouement à votre cause, tant d'ardeur à combattre la
nôtre , eussent mérité , ce semble , ou plus de succès , ou du moins
une mauvaise fortune moins opiniâtre. Encore si vos compatriotes
se montraient reconnaissants de vosefTorls, les revers qui n'ont
cessé de vous atteindre seraient moins cruels. Mais celte consola-
tion même vous échappe. Dans un moment d'ivresse politique, sur
laquelle vous avez eu tout le loisir de verser d'amères larmes, quel-
qu'un essaya de vous décerner le litre de grand citoyen , et je ne
vois aujourd'hui personne qui s'en souvienne. A tout prendre, vos
.MO IKTIKi; A M. FAZV-PASTI IK.
jii^'fs les jilus inodérOs i-l K's plus ùquilnblos sonl encore ces catLu-
litHU'S «[lie vous awi comballus avor laiil d'acliaiiiomenl , el qui
lionorent en vous la franchise que vous miles toujours et partout ù
M)us prùsoiilcr coninic leur irrécoiuiliable ennemi. Ils vous liono-
reraienl davantaj^e eneore si celle franchise eill été plus contpléle,
et si l'ardeur de l'antagonisme ou les nécessités de la tactique ne
vous eussent jamais entraîné au-delà de ce qu'autorisent les règles
de la guerre. Aujourdhui vous ne reliriez pas sans y trouver ma-
tière à une ample cl juste critique telle de vos brochures et tels de vos
discours, ceux par exemple où, nouveau Latlliaiolais, vous frappiez
d'estoc et de taille sur les pauvres Jésuites qui n'étaient pas là pour
se défendre, en présence de catholiques qui riaient de vos efforts et
de voire érudition d'emprunt, de radicaux pour (jui vous tiriez les
marrons du feu, et de conservateurs protestants comme vous, mais
(pii voyaient fort bien que vous dépassiez le but. Ne vous étes-vous
jamais pris à regretter que les enfants de saint Ignace ne soient
plus à Schwytz, à Sion, à Fribourg et à Lucernc? Ces regrets ho-
noreraient voire cœur, voire caractère et \olre espiil, j'aime à y
croire. Les bons Pères de la Société vous laissaient fort tran(|uilles,
et si vous n'aviez attisé le feu qui a consumé leurs demeures, les
./.•sij(7(s (/(' Geiure régneraient probablement encore sans partage
dans la cité de Calvin.
On a fait chez vous preuve de bien peu de clairvoyance. // fi'y
(( . dit-on, si bon cheval qui ne bronche. Mais toufr une écurie! Kli
bien, oui, toute l'ècuric a bronche; pas un do vos magistrats les plus
populaires d'alors, pas un des professeurs les plus en vogue do vo-
tre académie, pas un de vos minisires, pas un do vos linartciers
écoutés dansiienève à l'égal de Calchas, (|ui ait éventé la mine et
reconnu que les jésuites atla(|ués ici par un certain parti étaient
des jésuites fort innocents, fort peu catholiques, et coupables, tout
au [)lus, d'avoir de l'argent et des places; en un mol, di^ gouverner
l'Kglise et l'Etat. La Compagnie des Pastetirs, jésuite; l'Acadé-
mic, jésuite; la Société Ecoiiomicjue et les aulres bourses protcs-
lanles (|ui faisaient de votre église la plus opulente église du mon-
de, eu égard au nombre de ses membres, jésuites. MM. Higaud,
('ramer, Fazy-Pasleur, etc., etc., jésuites! Kt de par qui, s'il vous
plait? De par leur simplefue cl comme légitime chiltiment infligé
par des maios très-coupables à ceux qui ont applaudi aux larrons
LKTTKK A M. 1 AZY-l'ASTllL II. 311
d'Aruu et aux [)illards de Fribourg, ou qui les ont laissé faire (1).
La Providence, Monsieur, s'est chargée de continuer à travers les
siècles deux ouvrapfcs dignes d'étude, mais composés à douze siè-
cles de dislance Pun de l'autre; je veux dire fMctance, de Mortibus
perscculorum, et Spclman, de non temerandis Ecclesiis. La dernière
page n'est pas encore écrite. Dieu n'a pas LAle, et les uns et les
autres nous pouvons avec juste cause le remercier de sa longanimité.
Au surplus, qu'a fait la Suisse en chassant les Jésuites des can-
tons où ils étaient établis, où on les regrette, où on les rappellera
dés que la persécution protestante et radicale sera apaisée? D'un
champ fertile et fécondé par leurs sueurs, vous avez envoyé les ou-
vriers dans un autre où le père de famille réclamait leur ministère ;
vous vous êtes couverts de honlo, et vous avez , surtout à Genève ,
fait à votre église protestante un mal irréparable. Voilà de quoi
vous montrer, en vérité, bien tiers!
Si, Monsieur, vous vous étiez abstenu de prononcer notre nom et
de nous mettre en cause dans votre récent écrit sur la Séparation de
VEfjlhe et de l'Etat; si d'autres personnes, imitant votre exemple
ou mues par un même sentiment, n'eussent, ou par écrit ou dans
le Grand Conseil de Genève , cherché à se faire contre cette sépa-
ration une arme de la faveur qu'à les en croire la proposition Du-
chosal devait trouver chez les catholiques , je n'aurais point pris la
liberté de vous adresser cette lettre. Mais puisque à propos d'une
de vos éternelles querelles de ménage, il vous a plu de faire en-
core une fois le coup de feu contre nous, souffrez, je vous prie, que
je vous réponde; cela est de bonne guerre, et je suis sur le terrain
de la défense. Le langage de la vérité pourra vous paraître sévère ;
mais si je ne me trompe du tout au tout, vous ne m'accuserez du
moins pas de manquer aux égards dus à tout adversaire, et plus
encore à la vieillesse.
Selon vous. Monsieur, la séparation de l'Eglise et de l'Etat ex-
pose Genève au danger d'être conquise par les ullramontains (2).
(1) Certaines pages de M. de Maistre, si M. Fazy-Pasteur pouvait aujour-
d'hui surmonter son antipatiiie pour l'auteur, lui apprendraient ou lui rap-
pelleraient, car jai peine à croire à son ignorance sur ce point, qu'il est des
châtiments dont l'exécution nest jamais confiée à un homme d'honneur ni
à un honnête homme. C'est pour le coupable une aggravation de la peine.
(2) Réflexions sur la séparation complète entre l'Eglise et l'Etat, par
M. Fazy-Pasteur.
.■ii2 I.tl IRE DK M. KAZY-PASTFIR.
I.'.iM'ii est d'uni' iiaïvoU' impayable. Mais d'abord s'entiMid-on bien
(juaiid on parli" de riiiiioii ou de la s»'()aiatioii de l'I-lglise et de TK-
tal? J'ai toujours admiré la l'acililé, la bonhomie avec lesquelles à
(ienùve vous vous lance/ dans les qucistions les plus épineuses, sans
en connaître la portée, sans vous être assurés d'un lil pour sortir
(lu lal>yrinlbe, plus d'une fois sans le moins du monde vous douter
do (juoi il s'agit.
Dieu nous ayant créés pour le connaître, l'aimer, le servir, et par
ce moyeu méiitcr la vie éternelle, il n'est pas permis à l'homme
d'oublier en aucun instant de sa vie la lin pour laquelle il est fait ,
à laquelle il doit rapporter toutes ses actions, et qui est la posses-
sion de l'auteur de son être. On ne conçoit j^uère comment la so-
ciété politi(|ue, assemblage de tous les individus dont une nation se
compose , et qui n'est établie que pour leur assurer le moyen d'ac-
complir en paix le temps de leur pèlerinage terrestre, pourrait ou
devrait avoir ù cet égard uwc autre règle que l'individu, comment
elle pourrait ou devrait faire abstraction du Dieu dont chacun de
ses membres fait profession de suivre la loi ; comment, en un mot,
Ihomme religieux, si vous prenez, à [)art cha(iue individu de l'es-
pèce, pourrait être matérialiste dans le gouvernement de la société,
et ne tenir, en donnant des lois à lui-ménuî et à ses semblables,
nul compte de celles auxcjuellcs Dieu l'a soumis.
Jusqu'ici nous serons, je crois, d'accord, si j'en juge par quelques
ligties de la dernière partie de vos /{cflcjioiis. Mais ici aussi nous
allons commencer à nous séparer.
{La suifr (tu jiforhitin numéro.)
MtLAXGliS ET NOUVELLES.
CJKHiiVK. — La station du Carême est prêchée cette année
à Genève par M. l'abbé Desgnorges, membre de la Société des Mis-
sionnaires de Lyon. Dès lepremier jour, Péglise de Saint-Germain
a été remplie par une assistance pressée et attentive. Le dimanche
et le mercredi ont eu lieu les conférences pour les hommes ; Téglise
était également entièrement occupée. L'orateur est resté sur le ter-
rain des grandes vérités de la foi et de la morale évangélique; et
il n'a pas cessé de captiver les esprits et les cœurs par une éloquence
douce et persuasive. Les premières conférences pour les hommes
ont eu pour objet le développement des vérités suivantes. Une reli-
gion sans mystères ne serait qu'une religion humaine et fausse : les
mystères sublimes du christianisme sont un témoignage éclatant
de sa divinité. — Les causes des erreurs des hommes en matière
de religion sont l'orgueil humain et les passions. La seule Eglise ca-
tholique qui combat elïicaceraent ces deux sources du mal, est la
vraie religion. — La vérité d'une vie à venir est la plus démon-
trée, la plus nécessaire et la plus grave à méditer par un homme
raisonnable et par un chrétien... — Rien de plus consolant que le
spectacle de cette foule compacte , recueillie , qui se presse autour
de la chaire sacrée. Il semble que plus les ennemis acharnés de la
religion catholique emploient de moyens de perversion que ré-
prouvent la raison, la conscience et TÉvangile, plus les catholiques
de Genève sentent le besoin de se rattacher à cette religion qui ne
varie pas, au milieu des variations, et qui sanctifie les âmes que
voudraient lui arracher l'incrédulité et le libertinage de l'esprit et
du cœur.
SllSSi:. — 5<oIeure. — Le dimancbc, 18 courunl , a en
litHi la consécration de Mgr (Charles Arnold , évùque du diocèse de
Haie. F.e consécralour êlail Mj;r Jo.in-l'ierre Mirer, évùque de
Saiiit-(iall, assisté des al)bés d'KirïsidIen el de Mariastcin. La cé-
rémonie , honorée de la présence de Son Excellence Mgr Joseph
H(tviéri , chargé d'allairos du Sainf-Siége en Suisse, a eu lieu sui-
vant les helles et s^niboiiijues prescriptions du pontifical romain ;
el quand, ù la lin , le Je Deum a été entonné, le bruit du canon
s'est mêlé au son joyeux des cloches pour arnioncer au loin (|ue les
catholiques de Soleure venaient de recouvrer un pasteur cl le clergé
un chef.
Au repas olliciel (jui a suivi, des discours ont été échangés. Voici
celui du représentant du Souverain Pontife :
Monseigneur, Messeigneurs,
Messieurs les députés cantonaux, Messieurs les conseillers
d'Ltat, Messieurs les chanoines, Messieurs les magistrats
de la ville, Messieurs,
La solennité à laquelle nous venons d'assister nous a réjoui tous ;
elle a réjoui la ville entière de Soleure. Elle réjouira également les
hauts Etals dont ce diocèse est composé, parce qu'ils auront à trai-
ter avec un évé(jiie doué de sagesse, aimant la justice et la paix ,
plein de charité et animé «l'un zèle trempé dans la douceur.
Celle solennité réjouira aussi les autres callioli(|ues diocésains,
parce qu'ils vont enlin recevoir leur pasteur bien-aimé , qui , par
ses paroles de vie el par >es cxcm[)les, conduira ses ouailles dans
le chemin droit du salut. Mais ce n'est pas assez..
Je vois dans cette heureuse solennité (|ui a réuni tant d'illustres
magistrats , le principe d'un aciord plus étroit v[ d'une harmonie
plus intime entre les deux pouvoirs de l'Eglise cl dt s hauts Etais
diocésains : ce qui nous comble de joie , surloul moi qui n'ai rien
|tlus i\ cœur (|uti de voir cimenlées parloiil v^''^ bonnes relations, et
de les < imcnlcr moi-même , en tant (pi'il dépend de moi, sachant,
ainsi que l'expérience nous le dit, que la bonne harmonie enlre les
deux pouvoirs est une source do bnnbeiir et de tranquillité tant
pour les gouvernants que poïir les gouvernés.
Veuillez donc, .Monseigneur, suivre ce chemin, el attaché au
Saint-Siège dans l'exercice de vos droits, ainsi que dans l'accom-
plissement de vos devoirs sacrés, rendez respectueusemenl A César
n- (|ui lui appartient ; alors il vous entourera de -on respect, cl vous
MKl.ANGK^ I T NOl VKI.LKS. 315
icndra ce qui appartient à Dieu. C'est ainsi que la justice et la paix
se donneionl le haiser d'amitié durant le temps de votre épiscopat.
N ive donc celle bonne harmonie I
Le nouvel évOque de BAle a répondu en français :
Excellence,
Permettez que je vous remercie de ce que vous avez voulu avoir
la bonté de venir à Solcure et d'honorer de votre présence mon sa-
cre et rehausser cette sainte cérémonie. Placé sans aucun mérite,
seulement par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint Père, sur
le siège épiscopal, je m'efforcerai de bien remplir les graves devoirs
qui me sont imposés. Oui, Excellence, je partage les sentiments et
les principes que vous venez d'exprimer. Je chercherai « à donner
à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. » — Veuil-
lez transmettre, s'il vous plaît, cette expression à Sa Sainteté, dont
vous êtes le noble et digtie représentant; veuillez lui dire que je
suivrai toujours la règle que je me suis imposée depuis que j'ai reçu
les saints ordres, ~ la règle : « Sois bon prêtre et bon citoyen ; sers
bien ton Dieu, sers bien ton Eglise, sers bien ta patrie. »
Puis, s'exprimant en allemand, Mgr Arnold a remercié Sa Gran-
deur l'évéque de Saint-Gall el les deux prélats assistants d'avoir
bien voulu déférer û son désir et d'êlre venus à Soleure. Il a égale-
ment exprimé sa reconnaissance aux délégués que les gouverne-
ments des sept cantons formant le diocèse de Bàle, avaient députés
à cette fête. Puis il est revenu sur l'idée, exprimée par Mgr Bo-
viéri, de l'accord entre l'Eglise et l'Etat :
« C'a été, a-t-il dit, une malheureuse pensée du siècle dernier
de représenter TEglise et l'Elat comme des ennemis nécessaires et
forcément jaloux l'un de l'autre, comme si tous deux n'avaient pas
le même but élevé , j'entends le vrai bonheur de l'humanité, et
comme si l'Eglise n'avait pas besoin de l'Etat , ni l'Etat de l'Eglise.
Si l'esprit de la religion de Jésus-Christ est un esprit qui doit em-
brasser et pénétrer toutes les relations humaines, et si celles-ci
n'ont de valeur et de stabilité que quand elles sont sanctifiées par
cet esprit , il n'est pas facile d'imaginer qu'il puisse y avoir une in-
stitution humaine quelconque avec laquelle l'Eglise ne soit en con-
tact de quelque manière plus ou moins rapprochée. »
Nous sommes heureux, pour terminer, de rappeler im trait digne
d'un évêque. Pendant que Mgr avait à sa table les différents digni-
•nr» MÉLAN«iKS I:T >0I VKI.I.KS.
Uiires présouts î"! son sa« ic , il faisait pai liii|u;r à un petit banquel,
dans la maison des orphelins, les enfants de Técole fondée par le
romilé des pauvres. Les prisonniers n'ont pas été davantage ou-
bliés.
*"*• — Le jjonvcrnenienl de te petit et pauvre canton a donné
IGOO fr. pour la couslruttion d'une église tatboliquc à Herne.
l^THA.^Cil^lt. — Orient. — On lit dans le Livu du 2\ fé-
vrier un extrait textuel d'un rapport de MM. Frossard, Hœhrich et
<.liardon, aumôniers protestants de l'armée d'Orient. Kntre autres
trais du dé\ouenient do ces Messieurs, eux-mêmes accusent lu
suivant :
« Le jeudi iio nous avons commencé nos visites aux hôpitaux.
.Nous les avons continuées jusqu'à ce jour, sauf un jour, pendant
lequel un de nous a été légèrement indisposé, et un autre où le
temps était trop mauvais pour s'aventurer dans les boucs du pavs.»)
•Ne vous semble-t-il pas entendre un enfant (|iii «rie : Papa, je
>ais me mouiller les pieds !... Ht que cette abnégation est curieuse,
comparée à celle des aumôniers catholiques qui sont morts ou qui
nieurenlà la peine, au témoignage des juiirnanv anglais eux-mê-
mes. Le l*ére Parabère, ù cb(îval sur un «anon, pour se trouver au
nulieu du feu avec sus soldats, nous parait un peu plus admirable cl
plus chrétien (|ue ceux (jui viennent |»iteuscment vous dire : lo
temps était trop mauvais
.%ll<*niiij(iic. — Lcsvnode annuel du protestantisme allemand
.\ 111 lieu il y a (|iicl(|ucs mois à Kran» fort. Il s'est occupé de l'usage
de la iJible dans la famille , des refuges, de la sanrlilicalion du di-
manche, du baptême des enfants, des associations de bon compa-
gnoiiage, de l'art chrétien. Le doclenr Sleinnia\er de Honn a ju>-
lilif le baptême adniini>lrr aux enfants. l*our tout liumnic qui >uil
MKI.ANGES ET NOITELLES. iJlT
avec altcnlion l'agilalioii prolpstantc en Allemagne, il lui est facile
de constater que les élénienls do division quant à la croyance ne
font qu'augmenter : c'est un véritable effroi qui s'empare des es-
prits quand on peut craindre que les queslions dogmatiques peu-
vent élre soulevées dans un synode; il n'a d'égal que la peur du
catholicisme progressant. Il n'est pas moins digne de remarque
que le proteslanlismo allemand , pour galvaniser ses membres al-
lant s'éparpillant, em[)runle tant (|u"il peut aux inslitulions et aux
pratiques de l'Eglise catholique. On copie nos ordres d'hospitaliè-
res par les diaconesses; nos associations de saint François Régis
et celles do l'illustre abbé Kolping par des associations ouvrières;
nos conciles, nos synodes et nos assemblées catholiques par des
réunions analogues. Nous croyons que ce mouvement amènera à
une étude comparative et sincère des institutions de l'Eglise et ser-
vira à propager de plus en plus la véritable foi.
Mais l'incident important du synode protestant de Francfort,
c'est la discussion sur Veccistence et la nécessité de V indissolubilité du
mariagel Qui aurait cru à un pareil revirement? Le professeur
Muller de Halle, l'avocat Thesenar, ont soulevé courageusement la
question ; ce dernier a cité le Temps, feuille protestante de Berlin,
qui donne le chiffre des divorces en 18o3 dans la seule capitale de
la Prusse, c'est-à-dire 856 !! Les orateurs ont attaqué les gouver-
nements qui ont abandonné l'Ecriture Sainte, ceux qui sont athées
révolutionnaires trop civils. Mais ils ont oublié toutes les thèses des
théologiens protestants en faveur du divorce et la trop fameuse
consultation signée par Luther, Melanchton , Bucer, Corvin , Le-
ningen, Yinfert et Mélanlher, adressée au landgrave Philippe de
Hesse.
La discussion de Francfort est donc d'une haute importance; la
force des choses et de la vérité ramènera à la doctrine catholique
de l'unité et de l'indissolubilité du mariage chrétien, tel que Jésus-
Christ l'a institué ; à moins que le protestantisme ne se jette dans
le mormonisme. Qui sait?
Le synode a décidé :
1° D'inviter les gouvernements de l'Allemagne à rétablir les lois
matrimoniales sur leur base évangélique, et à faire disparaître tous
les motifs de divorce, excepté ceux qu'ont maintenus les réforma-
teurs (?).
2" De prier les grands dignitaires ecclésiastiques de refuser de
318 MKrA>GES KT ?f()L VF.LI.E».
marier ceux qui se sont Si'parés pour d'autres raisons que les sus-
menlionnées.
— l'ri publicistc distingué, M. Auguste Lewald, et le pasteur
d'une commune libre [Freic Cemeindc , M. (jiese, sont rentrés dans
le sein de TEgliso catholii|ue, ce dernier ù Munster.
— Le chancelier du royaume de Prusse, M. Charles-Louis-Au-
guste de Wcgnern , décédé il y a quebjues semaines, a laissé tous
les ouvrages calhuliques que renfermait sa bibliothèque à la pré-
vôté catholique de Kienigsberg. Dans son testament, il parle des
sentiments d'amour et de respect qu'il a toujours eus dans le cœur
pour l'Eglise catholique; et ra|ipulaiit la sentence de saint Augus-
tin : In nccessariis unilas , in duhiig liberta» , in omuibut charitat , il
écrit des paroles où l'on peut voir l'expression d'une pensée qui
empêche un grand nombre de protestants d'abjurer l'erreur : Puis-
sent, dit-il, l'Eglise catholique et l'Eglise protestante, jutqxCau mo-
ment de leur réunion sous le f icuirc Je Jésus-Chrisf , tnoment qui ne
peut jjlus cire éloigné, s'aimer et se tolérer mutuellement !
.•inglrtcrro. — Statistique religieuse des iles brilanniquef. —
D'après le calendrier ecclésiastique de l'année courante, on compti;
en Angleterre: 1 archevêque , 12 évéques et environ D(>0 prélro
séculiers ou réguliers; 17 maisons religieuses d'hommes, 85 item
«le fonjmes, ()î>7 églises et chapelles. En Ecosse, il y a trois vicaires
apostoliques, i:)V prêtres, 5 maisons religieuses (dont la plus an-
cienne n'a été fondée qu'en 1835, à Edimbourg, par Mgr (iillis,
encore vivant) , 1 collège, IVl églises et chapelles. L'Irlande ? '»
archevêques, 31 évéques, 280'i- prêtres séculiers, (itl couvents, 13;{
maisons de sœurs, 29 collèges et séminaires; population catholi-
que, 7 millions. Dans les colonies et possessions anglaises il y a 50
évéques, dont (piehjues-uns sont seulement coadjuteurs.
Ainsi le clergé irlandais est fort restreint proportionnellement au
nombre des fidèles ; il le faudrait trois fois plus considérable pour
satisfaire aux besoins du culte. En .Angleterre, quoique, proportion
gardée, il soit plus nombreux , il le faudrait le double au moins
pour soigner les fidèles et |)Our augmenter les conversions. Malheu-
reusement il ne s'est pas accru l'auru-e dernière, les ordinations
ayant à peine suppléé aux vides faits par la mort. Mais si le clergé
n'est pas devenu plus nombreux, il n'en est pas de même des édi-
fices sa» rès, et c'est chose, importante atissi. Enviror» 'lO nouvelle*
MÉLANGES lîT NOrVELLES. MU
églises ont été consacrées ; cinq d'entre elles sont dues à cinq gé-
néreux bienl'aileurs.
Nous voyons augmenter les conversions dans la classe distin-
guée : l'I ministres proU'slaiils ont (piilté leurs bénéfices pour ren-
trer dans le giron de la véritalde Eglise. On doit mentionner spé-
cialement, outre M. Wilbcrforce, deux ministres qui enseignaient
à Oxford, un à Cambridge et un autre de liante naissance. Les laïc»
ont donné leur part à l'Eglise calbolique. Parmi les 3'i- principaux
convertis, on compte trois lords.
llollaïKle. — Nous lisons dans les Précis historiques , sur \a
statistique religieuse des Etats de la Hollande, les intéressants dé-
tails qui suivent. Ils sont empruntés aux listes ofliciellcs du gou-
vernement :
« Le nombre des catholiques dans les cinq diocèses d'UtrecLt,
de Harlem, de Bois-le-Duc, de Bréda et de Ruremonde, est de
l,80i,V08. Les juifs y sont au-delà de 60,000.
« Sans compter les chapelles, les annexes et les communautés
religieuses, il y a :
Dans les diocèses doyennés
D'Utrecht. 15
De Harlem. 16
De Bois-le-Duc. 13
De Bréda. 6
De Ruremonde. 11
61 911 1648
« Le budget est chargé , pour les différentes sectes protestantes ,
de la somme de flor. 1,640,688; pour les catholiques de 536,244.
Ce qui, réparti sur le nombre des catholiques et des protestants,
donne 74 fl. pour chaque protestant, et seulement 36 pour chaque
catholique ; soit flor. 855 pour chaque dominé, et flor. 302 pour les
curés et vicaires. Notez bien qu'ici il n'est question que de ce que
paie le gouvernement. Il y a encore diverses autres sources de re-
venus communaux, et bon nombre de bénéfices anciens actuelle-
ment entre les mains des protestants, entre autres plusieurs com-
mandeurs de l'Ordre Teutoniqne , et la plupart des prébendes de
Tancien diocèse d'Ulrecht. Aussi de temps en temps on trouve des
annonces comme celle-ci : « Décédé M. NN..., chanoine d'Utrecht,
paroisses
prêtres
236
371
198
333
222
431
77
155
178
358
320 MKLA!VGF.S F.T NOLVF.I.LKS.
signé veuve NN., née HH... » Il paraît même que loutc celle agi-
tation antipapislc de Tannée dernière «onlrc Pérection des éveillés
provenait eti yrando partie de la peur que ces soi-disant chanoiiu ^
avaient ou feignaient d'avoir d'être enfin obligés de faire reslilii-
tion de ces liicns volés autrefois à l'Kglise catholique.
'( Dans nos colonies, il y a aussi encore bien des iniquités à ré-
parer. Citons un exemple. La population des iles de Curaçao, etc.,
dans les Indes-Occidentales , est de lî>,.'lo2 catholiques , r>H7V pro-
testants et 8«»2 juifs. Cependant la [)resque lolalilé des emplois est
dans les mains des protestants, et le nombre des employés juifs ,
sous tous les rapports , est même supérieur à celui des calholiques.
A peu près tout ce qu'il y a de lucratif est entre des mains anti-ca
Iholitjues.
« Ces colonies, ainsi que celle de Surinam dans la (îuyane, con-
tiennent un grand nombre d'escla\es. Il y a bien des catholiques
parmi eux. Les maîtres sont généralement protestants, et les ins-
pecteurs souvent juifs. Il s'y commet bien des horreurs. Un ou-
vrage intéressant ([ui vient de paraître, et qui est dû à M. Van
Hoëvell, membre de la seconde Chambre, donne des détails bien
tristes. 11 est intitulé : De Salvcm en de I rigen. »
L'EGLISE PROTESTANTE
Condamnée î> ne pouvoir so prouver.
Si le prolesianlisnie ne peut se définir comme Eglise, il peut
encore moins, à ce titre, prouver qu'il est d'institution divine,
qu'il vient en droite ligne des Apôtres. Eh ! à qui une Eglise née
d'hier demanderait-elle des preuves de son origine apostolique,
ou de sa vérité, lorsque ni la raison, ni la tradition, ni l'Ecriture
ne lui viennent pour cela en aide?
1* La raison, dont le rationalisme protestant veut faire son
premier chef de preuve, que peut-elle en faveur delà Réforme
considérée au point de vue d'une Eglise? Rien pour établir sa
vérité, et beaucoup pour la convaincre d'erreur.
Voyons d'abord l'impuissance de la raison protestante dans la
recherche de la vérité de l'Eglise :
Tout le monde sait quelles sortes de vérités sont du ressort de
la raison humaine. Les questions de l'ordre purement intellectuel,
d'ontologie, de métaphysique, de mathématiques, lui appartien-
nent naturellement, ctfournissentample matière à l'esprit raison-
neur, qui peut, sur ce terrain, s'exercer, se débattre, subtiliser
tout à son aise. Mais quand il s'agit d'un fait positif, il faut d'au-
tres motifs de crédibilité que le raisonnement : ce sont les
témoignages, les monuments historiques qui doivent décider de
21
.'l>0 l'eOMSE I'ROTKSTAKTK
l'exislcnce de ce fail. Kh bien ! riiisliiuiion de i'E^'lise pr Jésiis-
<;iirist, (|iioi(|ue d'un oidre siiriKiinrel, est un fail positif, aussi
[lairnl qu'il (Si oMiaordiiiaiie ; il osi par consé«juciil du domaiiif
dei'hisloire, cl s'«''lablil, comme lous les aulrcs fails mémorables,
surielémoigiiagc du j^'enrc humain. Quand il s'a^'ii surloui d'un»-
E},'lise ayant le privilt-j^'c d'être persévérante et de frapper lou-
jours les regards des hommes par l'éclat de sa visibilité, un tel
fait porte avec lui son évidence extrinsèque. Or comment ne pas
voir qu'un raisonnement, ici, sérail un hors-d'œuvre, parce qu'on
ne laisonne point sur rcvidoncc; |)arcc (ju'un fait «'datant ou de
noloriété publique se prouve par lui-même et n'a pas besoin
d'autre «lémonstraiion.'
L'institution de l'Eglise n'est pas seulement un faii ca|iiial
dans l'histoire , le plus grand événement qui se soit produit dans
l'univers; elle est le résultat de la libre volonté de Dieu, la
manifestation de son Verbe, de sa vérité, «le sa loi sainte |)ar le
ministère apostolique; en un mol, c'est le mon«le moral créé par
Jésus-Christ. Comment, après cela, ne pas voir qu'il n'y a plus
à laisonner sur une telle instilulion , qui existe comme le ciel l'a
déterminée, l'a révélée à la terre; qu'il faut, dès lors, l'ac-
cepter dans les conditions que lui a faites le Dieu révélateur?
En face d'une Eglise ainsi établie par un décret de la souveraim;
Sagesse, trouve/, donc matière au raisonnement!.. Evid«'nimcnl,
loule discussion , toute action d«' r«'spi il humain serait un para-
logisme, alors qu'elle s'exercerait sur un objet au-dessus de sa
sphère. Vous aurez beati raisoun«'i' sur la Maie Eglise, dirons-
nous aux protestants jaloux «l'honorer leur Ueforme d'une si
belle «lualification , cet édifice religieux restera ce que la main
du Tout-Puissant l'a fait, inébranlable sur sa pierre angulain*,
le Christ (\\i'i était hier, qui est aujounrhui «t <|ui sera dans les
siècles des siècles (Hebr., XIII, 8).
Ces principes d'une saine philosophie une fois posés, n'y a-l-
il pas lieu d'èlre surpris de l'cxorbitanle prétention (prafliclient
à cette heure les rationalistes protestants sur le fait ou sur la
nature de l'Eglise, expression de la volonté de Jésus-Christ?
Voici qu'ils viennent soumettre au conlr«jle de leur raison in<li-
vidnojle ce fait merveilleux et siirliumnin : c'est-h-dire que ,
r.ONDAMNKK A NK POUVOIR SE PROUVER. 321
rapetissant une si haute institution, ils la feraient descendre au
niveau de l'esprit de chaque individu , et mettraient ainsi la dé-
bile raison de l'homme à la place de la raison divine !!
Sans doute que les grands raisonneurs de la Réforme n'auront
pas fait attention à cet autre principe élémentaire de la théolo-
}j;ie , que le doij;me de la vérih- dr l'Eglise, comme les autres
dogmes de l'Evangile, est objet de la foi, et non de raisonnement
et de discussion. Certes , s'il n'est pas permis à un chrétien de
raisonner sur le mystèic de rincarnaliou , il ne doit pas lui être
permis davantage de raisonner sur celui de l'Eglise !
Le grand Apôtre n'appelle-t-il pas l'Eglise le Corps de Jésus-
Christ, Corpus Curisti (1 Cor. XVII, 27; Eph. I, 23); corps
animé par le Verbe de Dieu, dont la vie ineffable doit se manifes-
ter constamment par des actes de sainteté et de vertus éclatan-
tes, par d'immenses bienfaits répandus sur la société humaine ,
par des miracles qui signaleront cette Eglise dans tous les âges ,
et que seront forcés d'admettre ses plus grands ennemis : les
païens , les hérétiques , les Centuriateurs de Magdebourg eux-
mêmes. Enfin , et l'homme attentif ne peut s'empêcher de le re-
connaître, ce corps du Christ, appelé l'Eglise, est marqué des
traits distinctifs de V unité , de la catholicité, de Vapostolicité :
autant de caractères divins, ostensibles, pleins d'actualité, et
pour ainsi dire palpables à force d'évidence; car il faut que nul
homme ne puisse échapper aux rayons de l'Eglise du Sauveur,
pas plus qu'on n'échappe aux rayons du soleil en plein midi ,
parce que , de l'aveu de nos adversaires , cette Eglise est deve-
nue l'arche du salut pour tous, le rendez-vous, l'asile des en-
fants de Dieu.
Ainsi Dieu se plait-il à confondre les fiers raisonneurs de la
Réforme, en marquant son Eglise d'un sceau de divinité si ma-
nifeste et si inimitable, qu'on ne puisse, à moins d'être aveugle
volontaire , s'empêcher de la voir, de la discerner entre toutes
les fausses sociétés religieuses, comme la Citéj dont parle Jésus-
Christ , placée au sommet de la montagne , Civitas supra montem
posiTA. (Matih. V, 14.)
Voilà donc que , par sa nature , le corps de l'Eglise est essen-
tiellement visible, qu'il tombe par là même sous les sens, au
322 l'eolisk protestante
|)oirU <IUL' ces sens ju^eni, tliscorneni, louthenl, pour ainsi dire,
ce corps divin. Kli bien! en pr«sence d'une visibilit*'- aussi per-
péluellequ'éblouissanle de clarlé, quelle place, encore une fois,
rcsle-l-il au raisonncnienl?... Au lieu donc de raisonner ù perle
de vue sur ce grand fait de l'inslilulion cl de la perpéluclle
existence de l'Eglise, un clirciien «le honiie foi n'a plus (ju'à em-
brasser celle colonne de vérité^ comme l'appelle sainl Paul , co-
LUÎINA ET FlUMAMEMl» VERITATIS. ("2 TJin. 111, 15.)
Le mal des enlhousiaslcs de la lU-lorme a été de se laisser
prendre au cliquetis des paroles de Luilier el autres beaux dis-
coureurs du parti. Us se crurent dans une almospbère de lu-
mière, lorsqu'ils n'étaient (ju'illusionnés par les t'iincellcs d'une
éloipience de tribun. Telle fui la fascination d'un grand nondire
de lettrés de l'époque , qu'ils virent dans la réforraalion le chef-
d'œuvre du génie de l'homme; qu'ils écoutèrent, de préférence
à la voix de l'Eglise , la voix de V Ecclésiaste de f iitemberg (1) ,
croyant sur parole le nouveau réformateur, el prenant pour
règle de leur foi les divagations de leur esprit privé. C'esl donc
à dire qu'ils abandoimèrenl de gaité de cœur l'Eglise que Jésus-
Christ, soleil de justice , avait entourée de ses splendeurs, pour
suivre les pâles lueurs de la raison humaine , sans s'apercevoir
qu'ils déplaçaient le foyer des vraies lumières; pnis(ju'ils le
voyaient du côté de I homme , tandis «pie ce foyer existe du c«5lé
de Dieu, ou de son Eglise, «{ui en esl ici-bas la personnilicalion.
Comme s'ils eussent oublié qu'en disani à son Eglise : (>ui
vous écoute m'écoule Luc \ , IG , Jésus-Christ a établi «elle-ci
son organe, son oracle sur la terre; «ju'il en a fait par là même
un grand foyer de lumière pour instruire , pour éclairer les na-
tions! Ah I pourtjuoi , au lieu d'aller se p«'rdre dans les nues, en
prenant le vol de l'aigle , ces génies suj)erbes n'ont-ils pas imité
plus modestement le lis de la vallée, qui s'épanouit aux rayons
de l'astre du jour et re«:oit ses salutaires influences!... Pour par-
ler sans figure, «jue n'onl-ils olxi à la plus haute et la plus b'-gi-
iim«,' autorité qui lût au monde! Leur ol>éissan«:e, alors, eût été
(1) C'est le nom (|iio .sr «loiiiiail l.ullicr.
CONDAMNÉE A NK POUVOIR SE PROUVER. 323
raisonnable , selon l'expression du grand Apôlrc : ratioinabile
oBSEouiUM. (Rom. Xil, l.)
De fait, lorsqu'au seizième siècle apparut la Réformation, il
existait une Eglise éminemment visible, remplissant l'univers de
son nom el de son autorité; qui montrait à tous les regards un
corps de pasteurs la dirigeant, et un Souverain Pontife marchant
à sa tête ; qui, dès lors, était en conformité avec l'Evangile, tant
par son admirable unité de hiérarchie que par l'union de ses
membres entre eux et avec son chef principal ; en sorte qu'elle
faisait un seul bercail sous la houlette de ce pasteur suprême, se-
lon la parole de Jésus-Christ : unum ovile et unus pastor. (Jean
X, 16.)
Eh bien ! voyez l'inconséquence des premiers réformateurs et
de leurs disciples! Tandis qu'il était si rationnel de s'attacher à
l'Eglise catholique . société religieuse unique dans l'univers par
tout son ensemble , ces étranges novateurs ont abandonné son
étendard , fermé les yeux à ses traits étincelants de vérité , et
bouché leurs oreilles à son enseignement , dont l'orthodoxie ,
pourtant, était assurée par la présence de Jésus-Christ promise
aux Âpolres et à leurs successeurs, tous les jours ^ jusqu'à la con-
sommation des siècles. (Matth. XXVIII, 20.)
En revanche , par un renversement de l'ordre , les nouveaux
rationalistes , mettant leur autorité privée à la place de cette
grande autorité , leur raison individuelle à la place de celle de
l'Eglise, se sont précipités dans la voie du libre examen ou de la
discussion des doctrines, pour arriver plus sûrement , disaient-
ils, à la connaissance de la véritable Eglise. L'ignorant comme
le savant étaient également appelés à une telle discussion. On
avait beau dire aux inventeurs de ce système qu'une pareille
tâche était au-dessus du commun des intelligences; les prévenir
qu'en suivant la voie si scabreuse du sens privé, on ferait néces-
sairement fausse route ; qu'après tout, Jésus-Christ, voulant sau-
ver le monde par son Eglise, avait dû mettre à la portée des es-
prits les plus vulgaires la connaissance de celle Eglise, fanal du
genre humain : des considérations si puissantes ne pouvaient
arrêter dans leur marche ces fougueux rationalistes. Le sort en
était jeté ; et il fallait , pour dessiller les yeux des coryphées du
:]-2\ i/tOLISE PROTESTANT!-:
parti, (jue lu raison qu'ils invo<]Uuient se louriiài contre leur ré-
iDiint' pour la démolir et en faiie la piemière vieliuie de leur
pernicieux syslcme. L état actuel du protestantisme, où chacun
se fait une religion à sa guise, n'est -il pas, pour Tesprit le plus
opiniâtre, la démonstration du triste résultat de la raison mise
au service de chaque individu? — Qu'a produit le rationalisme
protestant? 11 a égaie tous ses auteurs et ses propagateurs, au
point de les mettre aux prises les uns avec les autres et de les
empêcher de pouvoir jamais s'entendre entre eux sur une for-
mule de loi. El parce qu'ils n'ont pu se tixer sur le corps des
vraies doctrines, ils n'ont pu davantage arriver à la connaissance
de la vraie Eglise , dont , selon eux , ces doctrines devaient être
le véhicule et le signe indicateur. Aussi le protestantisme , de
nos jours , est-il effrayé lui-même de son anarchie, de son frac-
lionnement en des myriades de sectes qui se déclarent toutes
également Eglise du Christ, sans qu'aucune puisse, plus qu'une
autre, alléguer une raison probable de sa vérité, pour mériter la
préférence sur ses rivales.
Voilà donc, chez nos frères séparés, la raison opposée à la
raison, et les esprits livrés à d'éternelles lluctuations , sans sa-
voir de (piel côté se ranger!
Les adorateurs de la pure raison au sein du protestantisme,
doivent donc être, niainlenani , convaincus par leur propre expé-
rience qu'ils ont abusé de celte raison, lorscpiils <»nt voulu la
prendre pour pierre de touche de la véritable Eglise. Le principe
de l'examen individuel , mis en vogue parmi eux , loin de four-
nir une preuve de la vérité de la Réforme au |)oint de vue d'une
Eglise, est devenu entre leurs mains une arnir meurtrière, le
rouleau de division dont parle saint Augustin , «pii a mis en piè-
( es le prolestaniismc et lui a fait peidie poui' jamais les premiers
éléments d'un corps d'Eglise. Il ne lui est reste au lieu du Chris-
tianisme, ou d'une religion positive, qu'un je ne sais quoi de
\ague nommé par Benjamin (Constant la religiosité.
Ainsi est-il clair comme le jour, d'après ce premier aperçu
^>ur l'insunisance de la raison humaine dans la grande question
«le la \érité de l'Eglise, «pu- la Réforme protestante ne saurai!
r.ONDAMNKK A NE POl/VOIR SE PROUVER. 3'25
puiser :i celle source des preuves de son inslilulion divine, ni se
faire valoir raiionnellemenl à tilrc d'Eglise.
Par contre, cette raison, qui n'est d'aucune ressource au pro-
icstantismc se disant Ej>;lise du Christ, va nous fournir force ar-
guments pour le combattre , pour le renverser de fond en
comble. Ce second aperçu ne sera pas le moins curieux, par
l'embarras où il doit jeter les ardents défenseurs de la raison
protestante.
Nous croyons entendre d'ici un ministre de Genève, assez peu
versé dans ime question de philosophie qui n'est cependant pas
transcendante, nous adresser celte apostrophe : Quel rôle faites-
vous donc jouer à la raison de l'homme? Ne vous mettez-vous pas
en contradiction avec vous-même , alors qu'interdisant l'usage
de la simple raison pour juger, apprécier au fond ou dans sa na-
ture la vraie Eglise , vous donnez un libre essor à cette même
raison pour combattre notre Réforme, qu'il vous plaît d'appe-
ler fausse Eglise? — Et nous de répondre : Faites donc attention,
Monsieur le ministre , que ces deux Eglises sont de nature
bien différentes ; qu'elles doivent, par conséquent, avoir aussi
leur appréciation dans un ordre d'idées tout différent. L'une,
savoir la société fondée par Jésus-Christ , est création de Dieu ,
et l'autre , qui est l'ouvrage d'un hérésiarque , est nécessaire-
ment création de l'homme. Parce que la première est un fait
surhumain, un dogme positif, une Eglise enfin qui a ses fonde-
ments sur la sainte montagne, selon l'expression de l'Ecriture,
fundamenta ejus in montibus sanctis (Ps. LXXXVI, 1), elle est
dès lors au-dessus du contrôle comme de la conception de
l'homme : celui-ci n'a plus qu'à s'incliner devant la souveraine
raison de l'Instituteur de cette Eglise, qui l'a marquée de son
sceau divin.
Parce que , au contraire, la seconde société , qu'on appellera
hérésie , fùt-elle décorée du beau nom de réforme , est d'inven-
tion tout humaine; elle se ressentira naturellement de son ori-
gine terrestre; elle portera, par conséquent, avec elle le cachet
de l'humanité , ses variations, ses imperfections, toutes les fai-
blesses de l'inventeur. ]1 est visible qu'alors ma raison est dans
son élément, qu'elle use de son droit, en s'emparant de cette
3i(i L ËGLISK PKOTESTANTK
|nodiiclion (Je l'esprit humain pour la soumcllre au scalpel de sa
triiique. Ne voulant pas trop allongor cet article, disons seule-
ment nue, jetée au creuset de la laison, la Kélormc n'en l'ait jail-
lir aucune preuve en faveur de son Eglise multiple; (ju'elle
trouve , au contraire , dans cette raison des preuves péreraptoi-
rcs et accablantes contre tout le protestantisme.
La raison, en premier lieu, ne fournit point d'argument ca-
pable d'étayer la Réforme protestante en sa qualité d'Eglise, soit
(pion l'envisage dans son origine, dans ses premiers chefs, dans
les causes ou les motifs de son ap|>arition au sein de l'Europe
chrétienne, soit qu'on la considère dans ses progrès et ses ré-
sultats : parce que la raison y voit partout, au lieu d'un ouvrage
divin, le jeu des passions humaines, le fruit malheureux de la
licence ou de l'amour des nouveautés.
Les défenseurs de la cause protestante ont dépensé tout leur
esprit en sophismes, on d(''clamations contre le catholicisme. De
nos jours, M. Merle d'Aubigné , dans son Histoire de la Réfor-
malion, s'est fait l'écho de ces diatribes, de ces calomnies ù
l'endroit de l'Eglise romaine. Tandis qu'il donne au protestan-
tisme tous les reliefs d'une belle cause, d'une Eglise sainte, il
nous dépeint des plus noires couleurs l'anii^pie Eglise qu'ont
abandonnée les réformateurs. QmA dommage pour la véracité
de l'historiographe, qu'aux veux des hommes instruits, son apo-
théose de la Uéforme, conimt; ses violentes attacjues contre le
«atholicisrae, ne soit, à tout prendre, qu'un tableau de pure fan-
taisie ou d'imagination !
iVlais (juand même, dirons-nous aux détracteurs du catholl-
4-isme, toutes vos accusations ramassées sur la tête des Pontifes
romains el de toute l'Eglise catholique seraient aussi fondées en
raison qu'elles sont fausses ou exagérées, les torts de celle-ci par
hasard , juslilieraient-ils rationnellement vos innovations reli-
gieuses? Singidière logiipie des argumeutateurs de laRt'formc,
de demander leurs preuves aux griefs vrais ou supposés de leurs
adversaires ! ... Le grand reproche, par exemple, dont vous croyez
a( ciibler I Eglise romaine, serait les abus de l'epocpu;, qui, selon
vous, detnandnicnl fie votre part wie prompte réformation. Mais,
de bonne foi, ces abus, réels ou énormément grossis, donnaient-
CONDAMNÉE A NE l'OUVOIR SE PBOLVEll. 327
ils la mission divine à Lullier, à Calvin, pour se faire eux-mêmes
les réformateurs de la Catholicité?.. Voilà, cependant, la savante
argumentation qui arma au seizième siècle le moine saxon contre
l'Eglise oii il avait reçu le jour; qui lui fit élever autel contre au-
tel, et lui inspira l'audace de porter une main sacrilège sur TarcAe
sainte; de vouloir, dans sa fureur, démolir cette antique Eglise
qui a reçu de Jésus-Christ des promesses d'immortalité !l
N'arrêtons pas trop longtemps sur ce terrain brûlant nos frères
séparés ; il suffit d'en appeler ici à tous ceux qui sont au courant
de la controverse protestante; qu'ils disent s'ils ont remarqué,
dans les arguments des défenseurs de la Réforme, autre chose
que des arguties, de misérables chicanes, des injures à l'adresse
de l'Eglise romaine ou de ce qu'ils ont gracieusement appelé le
papisme, la Bahylone, la Prostituée...
Voilà donc qu'en premier lieu la raison fait défaut à la cause
protestante, incapable qu'elle est de fournir aucune preuve de
vérité à l'Eglise ou aux Eglises réformées.
Mais, en second lieu, cette raison, qui ne dit rien en faveur
du protestantisme, ne se prononce-t-elle pas contre sa prétention
d'être l'Eglise du Christ? entendez ces quelques arguments de
l'inflexible raison :
«Votre réforme, dira-t-elle au protestantisme, est une religion
d'un jour, une Eglise née d'hier; mes lumières naturelles me
disent qu'un homme ne saurait prendre la place de Dieu pour
faire une religion; partant, le fabricateur de votre édifice soi-di-
sant religieux, se nommât-il Arius, Luther ou Calvin, ne sera,
à mes yeux, qu'un mauvais génie, et, aux termes de l'Ecriture,
un fabricateur de mensonge. Qu'une raison aveugle ou égarée
prenne cette production de l'esprit humain pour une merveille,
qu'elle lui fasse un piédestal pour l'encenser comme un chef-d'œu-
vre de l'esprit humain, il n'en saurait être ainsi d'une raison saine
et éclairée. Envisageant sous ces diverses faces l'Eglise bâtie par la
main de l'homme, elle fera ressortir tous les vices, mettra à nu
toutes les misères, celle surtout d'avoir manqué de la mission
venue directement du ciel, ou par légitime succession des Apô-
tres : et alors de demander à l'usurpateur des droits sacrés de
Jésus-Christ : Qui vous a chargé de refaire le Christianisme, de
328 i/kglisk protfstame
rehàlir cei cdilice loïKié par le Sauveur tlu monde? Évidemment
r<)uvra{;e sorti do vos mains osl une entioprisc l«''mérairc, im
hoirible atleniat contre la Divinité, dont vous usurpe/, les proro-
gatives sous le nom hypocTite de réformateurs. »
Puis, ultacpiani la Réforme par son principe du libre examen,
la droite raison lui lait ce raisonnement d'une lo^'irpic non moins
rigoureuse : Votre principe de liberté religieuse, proclamé si
haut par Luiher et reçu universellement chez vous comme base
de toute la Réfome, a donné le droit à tous vos religionnaires de
laire ceipi'onl lait les premiers réiormateurs à l'égard de l'Kglisc
avec laquelle ils ont rompu si violemment. De plein droit, par
conséquent, tous les génies aventureux du proli'stantisme pour-
ront se taire leur religion à part, ajouter des schismes au schis-
me antérieur, des scissions à votre première scission ; et à force
de morceler la société protestante, la réduire aux inllniment pe-
tits, à néant!.. Or ost-il possible (jue Dieu ail créé son Eglise sur
ui}e base aussi ruineuse? N'est-il pas absurde de supposer une
société divine, portant avec elle ce principe du libre examen,
<lissolvanl le plus a<tird'un corps social, le glaive i\m doit inévi-
tablement lui donner le coup de mort?.. Il est donc logiquement
prouvé (|u'une Eglise, dans de pareilles conditions, ne saurait
être l'œuvre de Dieu.
Laissons parler encore la raison d'après des faits notoires :
D'une part, dit-elle au protestantisme, vos diverses Eglises im-
provisées par Luiher, par Calvin, par un Henri VllI, par un
Georges Fox, sont di-pouillécs de tous les caractères qui distin-
guent l'Eglise du Christ : elles n'ont ni sa Constante visibilité, ni
son invariabilité de doctrines , ni son unité de foi et de sacre-
ments, ni sa catholicité, ni son apostolicité. J'ai donc droit de
conclure, par rapport à cette absence totale de signes caractéris-
tiques de la vériit' religieuse , «pii devraient briller dans vos
('glises, qu'elles sont, à tous égards, marquées au coin de la faus-
S«'l<''.
D'autre part, ajoutera la raison, lorsque, l'histoire à la main,
i*' vois votre Réiormation s'annoncer, dès son début, par les
scandales et les divisions de ses chefs , par ses révoltes contre
tous les pouvoirs existants, par les déchirements de la société
CONDAMNÉE A ISL POLVUlK St l'KOLVr.K. 329
européenne , le gros bon sens me dit : Non , ce n'est pas là la
religion de J«''sus-Clirisi, ni l'Eglise fondée par les Apôtres!
Eh bien! celle conclusion lirée d'un tel ensemble de faits
accusateurs du protestantisme, n'est-elle pas des plus logiques
contre tous les échafaudages d'Eglises qu'a élevés la Réforme?
Mais si, le Hambeau delà raison à la main, un sage prolestant
entrait dans les entrailles mêmes du sujet, et qu'il parcourût
certaines pages de l'histoire de la Réformaiion, il y verrait des
faits assez peu édifiants, des principes de morale fort étranges
sur la perte du libre arbitre, sur la prédestination absolue au
ciel ou à l'enfer, sur l'inulilité des bonnes œuvres, sur la poly-
gamie, etc. Or ce protestant à l'esprit droit pourrait-il s'empê-
cher, en face de pareils méfaits et de si déplorables maximes,
de les stigmatiser, de signaler au monde chrétien et civilisé leur
opposition directe non-seulement avec l'Evangile, mais avec la
loi naturelle elle-même ?
D'après ces diverses considérations, les puritains de la Ré-
forme devraient, ce semble , être désenchantés d'une raison dont
l'usage, en matière religieuse, les a si visiblement égarés.
Il est donc vrai qu'autant la raison est impuissante pour éta-
blir ou pour ébranler la vérité de l'Eglise de Dieu, autant elle
a de force pour déconcerter, démolir pièce à pièce l'hérésie des
derniers temps, qui veut se poser en institution divine.
Ainsi est-il évident, aux yeux de tout homme réfléchi, qu'il
n'est pas possible à la Réforme protestante de s'étayer de la rai-
son humaine, d'en extraire une seule preuve de la vérité de son
Eglise.
2° Le protestantisme, qui ne saurait demander des preuves de
sa vérité à la raison, n'en demandera certainement pas à la Tra-
dition qu'il renie, qu'il repousse, comme lui étant lout-à-fait
contraire. Quelque jour, dans une thèse spéciale, nous excipe-
rons de cet aveu des prolestants par rapport à l'opposition de
l'enseignement traditionnel avec celui de la Réforme, pour en
faire, contre le protestantisme en général, un sujet d'argumenta-
tion qui devra à tout jamais le convaincre d'erreur, écrasé qu'il
sera sous le poids d'une si haute autorité.
3;JU I- ÉGLISE l'BuTESTAKTK, ETC.
Dans notre prochain article, nous verrons si lEcrilurc Sainte,
ce j^Tand cheval de hataiih* du f)rotcstanlisme, doit lui fournir,
comme il s'en Halte, des preuves plausibles de sa vérité reli-
gieuse.
L'Abl>é Cattet,
Chanoine cl ancien Vicaire-Général.
ROME, PARIS, GENÈVE.
A MONSIEUR BUNGENER.
H a plu à M. BuDgener, ministre prolestant à Genève, d'a-
dresser 5 Mgr l'archevêque de Paris une lettre intitulée : Rome
à Paris, à Toccasion du mandement de ce pontife sur la procla-
mation du dogme de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge.
Non, il n'est pas possible de trouver, dans les annales des
écrivains prolestants, une telle suffisance, une si prodigieuse dé-
pense de fiel et d'insinuations déloyales; non, rien ne dépasse la
fatuité de ce monsieur se posant en docteur, en juge, en criti-
que, en prophète, en spadassin. Quoique Français il y a peu
d'années encore, il méconnaît toutes les convenances de style et
de position, et il a su prendre déjà toutes les allures de celle
polémique seclaire qui mêle sous des formes mielleuses l'in-
jure à la perGdie. M. Bungener est riche en adverbes restric-
tifs ou dubitatifs, à l'aide desquels il égratigne jusqu'au sang en
faisant patte de velours.
M. Bungener est à Genève ministre d'une des sectes protes-
tantes qui n'a ni profession de foi , ni dogme , ni conviction ar-
rêtée. Il est accusé par les dissidents d'être « hérétique, » de ne
pas croire à la divinité de Jésus-Christ, d'avoir une Bible falsi-
fiée , d'enseigner un catéchisme arien; sa mission principale ici
est de faire des conférences contre la religion et le clergé caiho-
332 ROMK, PARIS, (;k>kvi:.
liqucs pour faire des apostats; licii de plus audacieux cpic sa
tactique, rien de plus pauvre que son exégèse, sa science t h t'-o-
logique cl son arf^umcntation. Il est vrai qu'il n'a guère le temps
que d'être écrivain lilléraleur cl romancier.
Mais n'est-ce pas un devoir pour nous de prouver que nous
n'exagérons rien en donnant ainsi le portrait de M. Bungencr?
Voyez comme cet « liomme » se pose facilement et comme il
appelle plus facilement encore Mgr l'arclievéque de Paris au tri-
bunal de sa supei be autorité :
« Monseigneur, le jour où l'Immaculée Conception a été pro-
clamée à Notre-Dame, si vous aviez par hasard levé les yeux sur
une des hautes galeries, celle qui l'ail face à voire trône, vous
y auriez vu un homme fort respectueux dans sa tenue, mais évi-
demment étranger aux détails de votre culte, et, sans affecta-
tion, n'y prenant point part. Cet homme est celui qui vous
écrit , et c'est à vous (|ue j'adresse «es pages. — « Pourquoi
à l'archevêque? » me dira-t-on peut-être. — « Pourquoi à un
autre? » répondrai-je. Vous avez été ce jour-là. Monseigneur,
non un homme, mais un symbole, et un double symbole. En or-
donnant de croire, vous étiez celui de l'autorité; en acceptant
vous-même ce que vous imposiez au nom du Pape, vous dcv<'nieï
celui de l'abdication personnelle, de TindiNidu cessant d'être et
s'absorbant dans l'unité. Rien donc, dans mes reniarques, qui
vous soit personnellement hostile. Vous étiez l'incarnation d'un
.système ; c'est ce système que je n'ai pu m'empècher de con-
damner au nom de la conscience, de la raison, de l'Évangile. »
En vérité, il est bien regrettable (|ue Mgr Sibour n'ait pas vu
cet « homme, » que cet « homme étranger au détail de notre
culte, » se permette pourtant tout à l'heure d'en parler comme
un aveugle de la lumière; cpie «cet homme» annonce des
« remarcjues sans hostilité personnelle, » quand il va deux pa-
ges plus loin outrager l'homme et le Pontife par les insinuations
les plus envenimées. » M. lîungener n'a pu s'empêcher de <on-
» damner le système dont Monseigneur Sibour est l'incarnation ; »
< 'est bien fâcheux, en vérité, pour le .système et |>our l'archevê-
K(»Mi-:, PAnis, (ii:>KVK. 333
(|iio de Paris surtout, puisque le jugement pontifical tle M. Bun-
gcner est prononcé au nom «de la conscience, de la raison et de
l'Évangile ».... selon M. Bungener
On va voir ce que c'est que « la conscience , la raison et VÈ.-
n vangile » de ce nïonsieur.
Quand on lit un livre, une brochure ou un pamphlet sectaire*,
ce qu'il importe fort au lecteur qui veut l'apprécier à sa juste
valeur, c'est de dégager le fond de la forme, et de formuler clai-
rement les axiomes de l'écrivain.
M. Bungencr, dans la pompe de nos cérémonies et dans les
iionneurs rendus à rarchevèque , ne voit « qu'une église trans-
» formée en boudoir» , « des vanités éblouissantes »....,
« l'homme qui devient, par les hommages qui lui sont rendus,
» plus que Dieu, plus que la Vierge elle-même.... »
Comme on sent qu'effectivement M. Bungener reste « évidem-
ment étranger au détail de notre culte ! » Mais alors comment
se permet-il de parler de ce qu'il ne sait pas, de ce qu'il est
incapable de comprendre? Il prétend ne juger que « les faits »,
sans parler de la « théorie, » et il conclut que « Mgr Sibour se
fait plus que Dieu , plus que la Vierge elle-même » Quelle
ignorance du sens catholique, quelle ignorance de la nature hu-
maine, quelle ignorance de la Bible!... Les magnificences des
costumes et des cérémonies prescrites par Dieu lui-même ne re-
haussaient aux yeux du peuple d'Israël la dignité des pontifes
qtie pour sanctionner leur autorité et contribuer à la gloire de
Dieu. Et si « les apôtres n'allaient pas dans un tel appareil, »
c'est que l'Église avait 300 ans de persécution à subir avant
que Constantin permît l'ouverture des basiliques chrétiennes et
plaçât la croix sur le Labarum et sur sa couronne. De même que
la simplicité du culte des patriarches a précédé les somptuosités
du tabernacle et l'éclat du temple de Jérusalem, de même la sim-
plicité du culte des catacombes a dû précéder la majesté du culte
public et solennel. Mais comment vouloir qu'un «homme»
qui arrive de Genève à Notre-Dame de Paris avec une idée
préconçue, une hostilité systématique, avec le froid glacial de
Calvin dans le cœur, et la nudité du temple de la Fusterie ,
puisse rien comprendre à ce que nous comprenons, à ce que
33i K«»MK., l'ARIS, GK.nkVK.
ijous :>ciiions si bien, nous cailioliques? A nos yeux , l'arcluvO-
que de Paris resie « liomnie, » vl ù ses propres yeux il s'humilie
;tvoc d'auianl plus il«^ Iraycur «fu'il csi plus «'levé; le pontife esl
honoré parce <ju'il est consacré à Dieu bien plus (ju'Aaron, ei
parce qu'il csl le successeur des Apôires; et loin d'être plus
que Dieu ou la Vierge , la majesté de Dieu et riionnoiir de sa
Sainte Mère nous paraissent d'autant plus grands que ■ riiomuie»
et le ponlife s'entourent de plus de solennité pour offrir i la Di-
vinité seule le sacrifice d'adoration , de reconnaissance et d'a-
mour, et pour proclamer avec plus de splendeur les privi^'^ges
de la Mère du Sauveur du monde. Vous êtes étranger à tout cela,
Monsieur Bungener, et vous y resterez encore étranger. Non-seu-
lement vous n'avez pas le sens cailioli<|ue, mais vous ^les sous
l'empire du parti pris, et vous savez pourquoi.
M. Bungener va donner tout à l'heure sa leçon dogmatique et
calviniennc sur le dogme; mais il lui faut avant essayer d'une
tentation et d'une insulte particulières au clergé de Paris, « aux
pauvres petits prôtres, » et le voilà osant écrire les lignes sui-
vantes :
« Ils sont là , me disais-je , trois ou <|uatre cents prêtres de
tout rang, les uns plus loin, les autres plus |)rès de celle écla-
tante dignité, mais tous également lelipsés, écrasés par elle, et
tous, pourtant, pouvant espérer d'y arriver. Vous avez été prê-
tre, Monseigneur, avant d'être évêque ; vous |)Ourriez dire mieux
(jue moi ce que de send)lables spectacles peuvent éveiller d'am-
bition sous une soutane de jeune homme, et ce (jue la divine hié-
rarchie, comme dit votre mandement, y reçoit d'impressions nii-
sérablcmenl liurnain<s. Que d'autres nous vantent cel;i»(onimc
une organisation habile ; je n'y vois (jue la tentation oiganisé-e, le
cœur et l'esprit enchaînés. Oui, pauvre petit prêtre pertlu tout
là bas dans la foule, cette mitre pourrait un jour resplendir sur
ton front. Tes yeux brillent à cette pensée; ton cœur bal... mais
écoute : Mul ne dcNient maître, dans l'Kglise, s'il n'a été- pro-
fondéineot soumis cl ne paraît devoir l'être à tout jamais. Un
moment de réveil, un ccaimencemenl de résistance, un doute,
un rien, et le voilà cloué , juscpi'à la mort , où tu es; heureux si
HUMK, l'AHLS, GENÈVK. 335
un 110 l\>ii chasse pas. Soumissiun , suiiinissiun encore, ahilica-
lion pleine el puiTaito, voilà le seul moyen, ici, d'être el de res-
ter quelque chose. »
Où M. Biinp[ener a-l-il trempé son pinceau? Autant de lignes,
autant de sottises. Où a-i-il trouvé de ces prêtres catholiques
éclipsés, écrasés, cloués, enchaînés, à sa façon? Où a-t-il rencon-
tré de ces j)rètres pouvant espérer d'arriver à la dignité d'ar-
chevêque, nourrissant sous la soutane Vamhition de la mitre,
avec ces yeux brillants, ce cœur qui bat? Esl-ce là un argument,
un enseignement? est-ce là la condamnation que M. Bungener
nous annonçait au nom de la conscience, de la raison et de l'É-
vangile? Quand on se permet un pareil outrage à tout un clergé,
c'est d'abord qu'on est parfait ignorant des sentiments du prêtre
catholique , el qu'à défaut de raison on s'arme de fades inven-
tions. Et M. Bungener appelle cela sa « conscience » et son
« Évangile.... d
Alors arrive le tour de Mgr Sibour. M. Bungener (juge/ de
sa « conscience , » mais aussi de sa perfidie sectaire) craint de
s'aventurer...; « il n'écoute que le bruit public, on dit que...
» Je n'en sais rien... mais certainement tout n'est pas faux....
ï c'est possible.... peut-être.... Je crains bien.... vous avez
» cru... laissez-moi croire... » Et puis, sur de pareilles autori-
tés, ou plutôt sur de pareilles trivialités, cet « homme de la
» galerie qui aurait voulu attirer les regards de Mgr Sibour, » va
lui jeter à la Ggure ces phrases calomnieuses : « Vous avez été
» peu partisan non-seulement de la proclamation , mais du
» dogme;... » « vous avez émis à Rome des idées médiocrement
» favorables; votre clergé avait su vos velléités contraires;... »
« deviez-vous parler ainsi après ce qu'on avait su ou cru sa-
» voir?... » o Rome même trouve que vous avez trop obéi,... »
« Laissez-moi plutôt croire qu'il vous en coulait de parler, et que
» vous avez hésité, en homme d'honneur et en chrétien, devant
» un acte qui allait risquer de paraître un abandon de vous-
-même... » Puis, M. Bungener, après une insulte à Fénélon ,
flnit par ces mots : « Mais laissons cela , c'est une affaire entre
» Dieu et vous. »
22
• i'Mt UOMr. PARIS, (iK.IÈVK.
Nous aurif/ dû ;ijouifi- ; cl M. lWtii},'»-iii.'r ;... lui, le jugr de
rarchevê<|ue de Paris, du cierj;»' de Paris; lui (]iii parle « d'hun-
nenr » et (|ui ouMie (|ue sa prcinièrc loi dc-fend rinsinualioD pcr-
lide; lui qui parle de « ciirislianisuie » el (|ui ne ^aïi pas «|uel
est le sien el celui de sa secie I El si cela élail une affaire entre
Dieu et Monsei^Munir Sihuur, puunpioi vous en nièlr/.-vous?
pounpioi toutes ces astuces que l'arclievùque de Paris ue relè-
vera même i>as, nous en avons l'espoir, et que chaque prôlre el
chaque catholique du diocèse de Paris traitera avec le mépris
que méritent ces manières de faire oblicjucs que M. Bun^^cnor
appelle « sa conscience, sa raison el son Lvanyile. n
Après le clergé cl « les pauvres petits prôlres; » après Mon-
seigneur rai(lu'vét|ue, arrive la ipieslion du dogme. « M. IJun-
» gêner ne veut pas s'y ariêter longien)|)S : elle n'est |>as la priu-
» cipale à Paris ; elle ne l'a pas élé à Uome. » Voyez (piclh- grave
autorité que celle de M. Bungener dominant la question à Rome,
à Paris et dans toute la catholicité! Tous les évéques du monde
ont donné un avis idenli(pie; la maiiiléslaiion de la loi et du
bonheur des populations catholiipies est universelle; mais
M. Bungener en sait davantage certes «pie tous nos évê(|U< s...
Il sait n les vices » du dcriet du Pape; ail devient clair comme
• le jour, dit-il, cpie rimmaculée Conception, si elle avait vi\
«pour elle lous les témoignages des siècles, serait article de foi
adofjuis des siècles, depuis les premiers siècles.» Pour moi, il est
clair connue le jour (jue .M. Bungener ne sait pas même ce que
c'est que le premier (lev(»ir di- la logique. Conmie si l'unanimité
des témoignages obligeait rhgiise de se piononcer liic et nunr...
(domine si à Nicee, a Consianiiuople, à K|>hès(', à (.ialcedoine, on
était arrivé trop lard pour déiinir des dogmes qui, jus(|u'à chacun
de ces conciles, n'éiait'ut que des croyances revêtues d'unanimes
ténroignages... Comme si M. Bungener, accordant à la réforme
du seizième siècle le pouvoir d'apercevoir, comme il ledit, «le
nouvelles vérités, el à lous les siècles celui de faire pr(»gresser
la religion; «"onime si lui, aujourd'hui voyant ou enseignant au-
tr«'ment «pie Lniher, «jue Calvin, «pi«' M. Mahin «-l que M. Gaus-
sen, et même s'accordanl le droit de changer de dogmes, ou de
morale, ou «le culte, du jour au lendemain, sous tine leriurc
HOMF., PAMIS, <iF.Ni:vi:. 'X]7
plus lihro clo la Bible on sons une impression plus forte de
son esprit; couiine si M. liuiiyeiier avait hoiinc j,'râce de ve-
nir l'aire le procès à l'tj^lise cailiolique... El il faut encore re-
marquer que ce lin joùleur nonlcnd rien à la théologie, à la
tradition , ù la définition des articles de foi, par la raison toute
simple, il est vrai, qu'il est hors d'(''lat d'avoir une notion exacte
de ce que c'est qu'une profession de foi, une croyance, un dogme,
de ce que c'est même que la loi. On est stupéfait d'une telle
usurpation et d'une telle (ontradiciion. Kt |niis, avec quelle dé-
sinvolture ce romancier -théologien-rationaliste vient contester,
en quelques pauvres assertions de son esprit, les témoignages de
la sainte Bible, des Apôtres, des Pères de l'Église! Comme il est
content de citer saint Bernard en le défigurant totalement! Quelle
science, quelle exégèse, quel terrible pourfendeur des évoques
de toute la chrétienté, des théologiens de tous les siècles et de
toutes les églises, des évèques réunis à Rome! Quelle grave et
puissante autorité que celle de M. Bungener, ministre à Genève,
auteur d'un odieux et immoral roman contre le clergé catholi-
que, se posant en présence de l'Écriture Sainte, de la tradition,
de l'Église , des populations catholiques de l'univers manifes-
tant leur bonheur de voir une de leurs plus chères et de leurs
plus unanimes croyances élevée à la dignité d'un article de foi !
Ah ! si iM. Bungener, avant d'écrire sa faible et orgueilleuse bro-
chure à Mgr l'archevêque de Paris, avait lu les seuls mande-
ments des grands évêques de France, et entre autres ceux de
Mgr l'évèque de Poitiers, de Mgr l'evèque d'Orléans! etc., etc. ;
mais quand on n'a rien compris dans le mandement de Mgr l'ar-
chevêque de Paris, comment aurait-on compris quelque chose à
la science , à la théologie , à la piété de tous les évèques du
monde?
Mais M. Bungener ne voulait pas « s'arrêter longuement sur
la question du dogme. » A mes yeux , il a été trop long et trop
court ; ce qui « l'indigne » surtout , c'est que Rome a parlé ;
« elle a fait de rien (pielque chose, » et il se prend de déses-
poir en voyant « les évêques se faisant comparses sur le grand
«théâtre de Saint-Pierre... perdant leur dignité de Français et
»d'évéques. » Il est humilié de voir « l'Église gallicane (ceci est
X\H Kii.Mi , l'vRis, GK>èvr.-
délicieux) oublier ilo i;i|>|»il< r ;ni Dieu du Vatican (|u'il esi
> homme, • et ces « deux cenls évt'(|ucs sanclionnanl la contis-
ncaiion suprême que Home irvail depuis mille ans. » ■ Ce (pu-
D j'admire, dil-il, ce n'eslplus la hardiessedu Pape, mais la V(^tl•e,
» Monseigneur. » « Vous vous ôles enivre du despotisme que vous
«avez respiré au \'aiiran. On ne s'appr(»clie pas impunément,
» même à genoux , d'un homme qui s'est lait Dieu ; toujours , eu
n revenant, on se croit un peu Dieu soi-même. » Puis les tirades
hahiluelles sur «la Papauté,» sur le «catholicisme im|)uissaut, >
puis sur a le tiône ébranlé du Pape, » puis sur « Pie IX qui a
» su rougir du zde aveugle de Mgr Sihour, » |>uis sur « Paris
« humilié des abaissements de son archevêque devant le Pape. »
Puis M. Bungener s'avance lui-même, « et sans être de P:iris ,
n dil-il, sans être même catholique, on peut encore s'affliger
» d'un si coui|)let abaissement de l'homme devant l'homme. »
El alors, quesiiounant Mgr Parchevêquc de Paris avec celte
audace de tous les sectaires iuconsé<pients, avec cette phra-
séologie de ces écrivains qui montent sur des é<hasscs poui-
se faire écouler : * Et c'est pour cela , Monseigneur, que
> je vous demanderai en terminant, sans ironie aucune (la bro-
» churc en esl pleine d'un bout à l'autre), d'homme à homme,
• de chrétien à chrétien (?), ce que vous attendez du grand acte
» dont il vous a fallu paraître si joyeux et si heureux. » Com-
bien nous désirons à Genève que Monseigneur Sibour ne ré-
j)on(le pas à « cet homuio n de la galerie de Nolie-Dame , à ce
« chréiien « <pii m; croii pas même à la divinité de Jésus-
Christ, à la nécessité du baptême, et qui passe son temps,
ici à Genève , à faire d'odieuses courerenc<'s pour tromper les
prolestants et pour arracher la foi à de pauvres fdles de la Sa-
voie en défigurant le catholicisme.
M. Hungener estime, lui, que Mgr sert lincredulite et l'hé-
résie, alfaiblil le christianisme et la foi, le système catholi(|ue
et le pouvoir absolu du Pape... Et pourquoi toutes ces calami-
tés? parce que Monseigneur :
1° « A mis sur le st^cond plan Vidée de la ledemption par la
croix. »
«OMl-, l'AUIS, (iICMCVl.. 339
2" « A reguidc le salut du genre humain de plus en plus
comme l'œuvre de la Vierge. »
3° a A aidé les peuples à une véritable adoration de la Vierge.»
4° « A fait de la Vierge l'espérance, la Providence et la divi-
nité des chrétiens. »
ô" o Et s'est fait à Paris le plus grand ennemi du christia-
nisme. »
Quand on pense que de pareilles absurdités sont la pàlurc
des infortunés protestants de Genève qu'on égare ; quand on
pense que ce sont là les déclamations d'hommes qui devraient
être sévères et qui se disent ministres du Saint Evangile! J'au-
rais presque envie d'évoquer, à la manière de M. Bungener, les
anciens controversistes protestants, les Claude, les Jurieu , les
Leibniz, les Grolius, les Moulinié ; que diraient-ils, en voyant
jusqu'où s'est abaissée la controverse genevoise?
Luther a eu ses communications avec le démon ; il avait son
génie. M. Bungener n'a pas reçu, lui, des inspirations si puissan-
tes , il a tout vu à Notre-Dame , dans le mandement de l'arche-
vêque de Paris , dans la solennité de Rome , dans l'Immaculée
Conception de la Sainte Vierge, dans l'autorité et l'enseigne-
ment de l'Eglise catholique, il a tout vu sous une influence qui
l'a égaré, enivré, passionné; ce n'est plus Vombre de Calvin qui
a dirigé sa plume, c'est « le rire de Voltaire qu'il a entendu à la
» lecture du décret à Notre-Dame, et qu'il a entendu plus aigre
» en lisant le mandement de l'archevêque de Paris. »
Tout M. Bungener est là ; maintenant sa brochure s'explique ;
seulement Voltaire voulait écraser Vinfâme, qui était pour lui le
christianisme; pour M. Bungener, c'est le catholicisme.
Voltaire ne rit plus, pas même au Panthéon; M. Bungener
ne rira pas toujours...
Le christianisme ne sera pas sauvé par les ministres-roman-
ciers qui se croient «appelés du ciel à le soigner.» «L'arbre éter-
nel, » c'est le catholicisme aux pieds duquel sont venus se bri-
ser de siècles en siècles les hérésies, les rodomontades, les
suIUsances, les calomnies et les perfidies des faiseurs de bro-
chures.
LOGIQUE
Par W W. 1*. Gratry, prèliT de TOratoii'e
de rimmacuhT Conception.
Le I'. Gratry a quuraiiie ans, cl il y a trois années à f>eine
i]ue son nom est connu du public. AumAiiier de l'Ecole normale
alors, on se souvient avec quel éclat et quelle supériorité il en-
tra en lutte avec un professeur de cette institution, M. Vacbe-
rol. L'occasion du conflit était une Histoire des philosophes d'yi-
lexandrie, où l'élève de M. Cousin , non content de travestir la
doctrine callioli(|ue, s'abandonnait à tous les errements de l'bé-
jîélianisnie. V Etude sur la sophistique contemporaine révéla : à
la France un esprit pbilosopliique de plus ; à l'Église un défen-
seur docte en toutes sciences. Adversaires et amis, personne ne
se nit'prit sur la valeur de ce manifeste. Encore bien (|u il n'eût
jamais rien publié, il était évident que l'auteur n'était pas plus
uDvice dans l'art d'écrire que dans la culture des bautes scien-
( es. Le P. Gratry recueillait la récompense de s'être préservé
mieux que nul antre en ce siècle de cette impatience de publi-
cité qui de nos jours fait avorter tant d'intelligences. En France,
quelqu'un l'a dit (1), ce qu'on a appris la veille on le professe le
il) M. t'oi>scl, i|iii ;i rci-dc-illi ers iloluiU luoniapliKHir.» dans une anilysr
Liiliquo du t'ruHé df ta cunniiituancr de Diru. Lorrcs|». janv. 1895.
LOCIOIR. 341
lendemain, lo snilcndemain on l'imprime. Ainsi nu j)oinl fait le
W Grau y.
Me en ISUo, «'ninK'né enfant en Allemaf,'nn, pnis ramené en
France, élève de Henri IV et de Saint-Louis, lauréat de l'Univer-
sité aux coneours g(';néraux , — Prix d'honneur en 1824, —
apiès cinq années de cette incrédulil»' de collège on restent la
plupart, il avait eu l'insigne bonheur de retrouver la foi. Tout
entier au sentiment de la vérité reconquise, il voua sa vie à la
joie sainte de la faire connaître et aimer par d'autres. Il voulut
donc étudier les sciences (car elles sont à Dieu comme les let-
tres), et voyant une auréole sur le Iront des élèves de l'École
Polytechnique , il souhaita d'appartenir ù celte École. Mais il
avait dix-neuf ans et denn, et il ne savait pas faire une addition.
Néanmoins, il mit sa confiance en Dieu , se présenta en mathé-
matiques spéciales sans avoir entendu parler de mathématiques
élémentaires, et , au bout de l'année, il entrait à l'École Poly-
technique.
Là, il partagea son temps entre la science et la lecture de VJ-
mitation, unie à la méditation assidue de l'Écriture sainte. Dé-
signé , après deux ans passés dans ces fortes études, pour suivre
la carrière du génie, il donna sa démission , et, rentré dans sa
liberté, il partit pour Strasbourg, où un autre converti, élève
comme lui de l'Université de France , M. Bautain , fondait une
école de philosophie catholique. 11 y avait là un groupe déjeu-
nes hommes admirables d'amour de Dieu , d'élan , de courage et
de dévouement (1). M. Gratry entra dans les saints ordres avec
eux et comme eux se fit humblement professeur au petit Sémi-
naire de Strasbourg. Il y demeura douze ans. Pris comme de
force pour diriger le collège Stanislas, de Paris, il poursuivit ses
chères éludes malgré ce fardeau; il s'était habitué à mener de
front le travail de la pensée et le reste , en portant tout ce qu'on
peut porter d'activité extérieure.
(1) M. de Boiinecliose, aujourd'hui cvcque d'Evrcux, M. Cari, directeur du
collège de Juilly, M. l'abbé Ratisbonne, historien de Saint-Bernard, M. l'abbé
Goschler, ancien supérieur du collège Stanislas, Mgr Level, supérieur de
Saint-Lonisde Rome, etc., etc.
C'était un jou^ louicfuis : l'abbé Grairy le rompit, et rindii
rnlin à quelque loisir, re<,u , après des examens sérieux , doc-
teur en théolofïie, il devint aumônier do l'École Normale, d'où il
sortit, comme on s;iil, par son duel pliilosophi(]ue :ivec M. Va-
clierot. C'est alois qu'il se sentit appel»' ;i concourir avec quel-
ques hommes d'élite à une oeuvre jurande et sainte, à la fonda-
tion d'un institut rclif^'ieux spéeialenjeni \our i\ la direclion de la
|)reini«''ie ('-ducaiion cléricale : j'ai nommé le nouvel Oratoire.
Il faudrait revenir ici sur la méprise à laquelle ce nom d'Ora-
toire avait induit un écrivain fort rt'pandu dans le monde , un
académicien (l) fjui voyait là non sans applaudissements un
},'erme d'antagonisme contre une Société partout et toujours
odieuse aux ennemis de l'Église. Dans la préface de la seconde
édition de la Connaissance de Dieu, le P. Gralrv a dissipé tous
les nuages. Il a enlev»'- à M. de Kémusat tout prétexte pour lui
faire jouer un rôle équivoque. Moins que les autres, les lecteurs
des annales s'étonneront de celte légèreté qui a entraîni- l'Iiis-
lorien d'Aheilardà commettre d'aussi graves erreurs. L'écrivain
qui avait prétendu juger du protestantisme d'aujourd'hui d'après
des formules surannées depuis longtemps délaissées par lui ,
pouvait fort bien attribuer au nouvel Oratoin> les tendances
(rop[)osilioii ilun prclrridu liln-iaiisine. C'éi;iii dans l'ordre.
Mais quelle ignorance de ses propres contemporains! Est-il per-
mis de parler de la sorte d'hommes qui Nivent au grand jour,
d'hommes que l'on coudoie à chaque instant? Kn vérité, voilà
pour la gravité académique de ces bévues compromettantes.
Ce préambule était nécessaire pour parler d'iui homme trop
distingué désormais pour qu'il soit permis d'ignorer son histoire.
Il n'est point dans notre dessein de parler ici longuement du
Traité de la connaissance de Dieu, ce livre fournit une brillante
carrière. Il a méiilé les suffrages académiques. Il est entre les
mains do cette classe de lecteurs heureusement de plus en plus
nombreuse qui se plail à voir un grand esprit unir la ferveur
«l'une solide piété aux investigations d'une science transcendante.
ili M. (If ili-iimvil. il.iriN l.i liiiitr tle.\ Ihu.i M«ndc%.
Il a conquis des syinpalhies jiiS(|Uo sur les icncs rélorniécs(l),
|)uur l'ortlinairc si peu comptables de justice à l'endroit des œu-
vres caiholiciues. La France reconnaissante n'hésite pas à placer
le P. Gralry à côté de de MaleWranclie. C'est à la fois formuler
nu éloge exempt d'exagération et caractériser les mérites de
l'œuvre. La Connaissance de Dieu rappelle la Recherche de la
vérité et les Entretiens métaphysiques. C'est la même imagination
brillante. C'est la même abondance dans le discours. C'est le
même soin de parler une langue pure dont les élégances ex-
cluent toujours la manière. Le P. Gratry a peut-être plus de
grâce que son devancier; il n'a pas moins d'éloquence. Assuré-
ment il possède à un plus haut point ce don si précieux de ré-
pandre son âme dans ce (pi'il écrit.
La logique a suivi de près la Connaissance de Dieu. Il se voit
aisément que les deux livres ont été composés simultanément.
L'un est le complément de l'autre. Le Traité de la connaissance
de Dieu n'est en déluiilive (ju'unc application de la Logique;
des motifs secondaires ont seuls déterminé le P. Gratry à inter-
vertir l'ordre naturel. C'était de sa part une question de tacti-
(jue. Il n'a pas voulu effrayer tout d'abord le lecteur par la con-
(J) Nous désignons ici surtout le travail si distingué de M. Secretan, pro-
fesseur de philosophie à Ncuchàtel , publié dans la Bévue Chrélienne. Tou-
tefois , fidèle à ses habitudes d'individualiste , M. Secretan parle trop des
convictions du P. Gratry comme dun christianisme rationaliste et expéri-
mental. C'est à la fois méconnaître ihonime et la doctrine qui fait sa force
et sa lumière. Pourquoi faut-il que ce jugement si bienveillant et si autorisé
se termine par quelques lignes qui sont une véritable tache ! Il va là autant
d'erreurs que de mots. Qui M. Secretan croit-il abuser en amplifiant jusqu'à
l'absurde une assertion isolée du comte de Maislre et en l'appliquant, par
voie dinsinuation et de conséquence, à l'Eglise catholique entière? Que dire
de ce plat mensonge touchant la bulle i.neffabilis? Cette malheureuse con-
clusion serait-elle un passeport nécessaire pour avoir l'honneur d'écrire dans
\i Revue Chrélienne? A lire M. Secretan, on l'aurait pu croire supérieur à
celte immense faiblesse de travestissement qui déshonore si souvent la polé-
mique des partis adverses à la doctrine catholique. Tout en demeurant dans
ses lignes, l'auteur de la Philosophie de la liberté d^uraM pu s'épargner cette
défaite : car c'en est une pour un homme qui veut être sérieux que de tom-
ber à ce point dans le dénigrement vulgaire. Quel éclatant démenti à cette
diatribe que le livre qu'il vient d analyser !
n'i'i i.ooiyvF.
.Mdcralioii ilc ces aspciilcs sèches cl rudes doiil du a riialiiliide
d'oiKoiiier le leime do logi()uo. L'événement a parlaiiemeni jus-
lilié des prévisions fondées sur une oxacie appréciation de la na-
ture des intellif^ences et de leur médiocre intensité». Le lecteur,
ravi par les paf,'es élo(pienlcs de la Connaissoticc de Dieu , s'em-
presse aux dillicultés de la Logique; il va sans hésiter, et le
/.èle immi'dialcnieiit trouve sa ré<on)pense.
Kn ellel, la luj^iijuc n'est point puui- le P. Gratrv une sèche ex-
position des formes du langage; elle n'est pas pour lui, comme
on le dit vulgairement, l'art lechnicpie du raisonnement enseigné
par une méthode ingrate et méticuleuse. Pour le P. Gratrv,
comuje pour Leibniz. , la logique, c'est l'art d'employer sa raison
non-seulement à juger ce tjui est doimé , mais encore à trouver
ce qui est caché. Le docte prêtre se représente comme tm lionmie
«jui, après avoir traversé la vie jus<|u'à l'automne dans un travail
sans relâche ; après avoir blanchi à la charrue de l'étude , pour
l'amour de la vérité seule, essaie, après la récolle, d'apprendre
aux plus jeunes otivriers l'ensemble des travaux qu'il faut subii-,
des lègles et des industries (pi'il fatit connaître, des semences
«juil faut avoir, des lléaiix (pi'il faut eviler pour arriver à une
moisson. Il espère <pie les conseils et les discouis de ce bienveil-
lant laboureur seront utiles à ses jeunes frères et sauront en ame-
ner quebpies-uns à l'art de produire dans le champ de leur
âme, sous le soleil et la rosée de Dieu, le vin et le froment de la
vc'rité.
Telle est l'ambition du P. Gratrv : aider ceux qui cherchent
la vérité, la vérité entière. Dans tous les sens, dans tous les or-
dres de choses; la vérité pour sa beauié, pour l'amour des hommes
et pour Tamoui' ch; Dieu. \oilà le princij)e et le|)oint de dé-part.
Puis il faut tra\ailler sur cette semence. Dieu ne cesse de semer
dans notre âme. Comme |)iéparalion préliminaire, ce n'est pas
notre esprit, mais notic volonté (pi'il faut applicjuer d'abord aux
données de la vérité. Le Maître l'a dit, il faut faire en soi-même
la vérité avant de la connaître. La loi de la volonté, pour ne
pas corrompie la semence, est de prt'ft'rer toujours Dieu à soi
même et au mondi". Cette sorte de rericjncement ;i soi-même et an
inniidc , pour préb-rer Dieu, c'est la nwrl philosophique doni
i,i)(,i(^n !• . 34.')
païK'iii SiHiait' tl IMaloii , l'osl rimilaiioii morale du sacrifice
(•vaii^'clit|ii('. La tin dciiiicic dr la raison consiste à eolrer dès
ccUc vie en niioKiuc coniinrnicint'nl de rapport direct avec
Dieu. Il y a iks croyants (jui repoussent de la Loj^iquc, comme
mi allVeux mélange, toute mention de celle fin dernière. Mais,
pourrait dire la raison , pouripioi sé[)arer l'idée de mon but ter-
restre et ridée de mon but rélestc ; pourquoi ne les jamais
comparer et n'en point saisir les rapports poui- embellir mon but
terrestre par la sainte perspective du ciel? Comment ne pas voir,
ajoute le P. Gralry, qu'un des plus grands obstacles qui empêche
la raison d'arriver à son but terrestre, c'est qu'elle ignore ou
mt'connail son bul céleste. La raison ne peut impunément s'ab-
straire du désir naturel de connaître Dieu et des continuelles
excitations surnaturelles qui la poussent à sa lin dernière. Ne
refuser jamais à la raison, surtout à la raison flexible des jeunes
hommes , l'ensemble des données de l'ûme sur Dieu et le dou-
ble flambeau des deux lumières. Agir autrement, on ne le voit
que trop , c'est s'exposer à tenir sous le boisseau la meilleure
des deux.
Tels sont les préliminaires que le pieux oralorien donne à sa
Logique. C'est bien là une logique vivante, la seule digne de ten-
ter des esprits sérieux, comme la seule capable de captiver les
jeunes intelligences; à cet âge oîi il est afl'aire de si grande im-
portance de tourner sans cesse le cœur de l'homme vers le but
souverain.
Ici intervient une définition de la certitude. C'est, dit l'auteur,
un étal de l'âme qui en exclut le doute. Mais quel peut être cet
étal de l'âme qui exclut le doute et engendre la certitude? Pour
le P. Gralry, comme pour saint Augustin, pour saint Thomas,
pour saint Bonaventure, Descartes, Leibniz et tout le dix-sep-
tième siècle, « le fondement de la certitude est la lumière de la
raison , lumière que Dieu met en nous et dans laquelle il nous
parle. » Nous voyons et nous jugeons tout en Dieu , en ce sens
que nous ne connaissons et ne jugeons que par la participation
de la lumière de Dieu. Car la lumière de la raison est une cer-
taine participation de la lumière divine. C'est ainsi que nous
voyons et jugeons les choses sensibles par le soleil, c'est-à-dire
3V0 I.DOlvJLl..
par la luiuien: du suleil. C't'Sl puui'({Uui suinl Augustin a dit :
l.os principes évidenls des sciences ne peuvent ôlrc vu», s'ils ne
sont illumines par leur soleil, c'est-à-dire par Dieu. De même
dune ijuc pour Noir les ol)jels sensibles, il n'est pas nécessaire de
voir la substance du soleil , de même , pour voir les vérités in-
telligibles, il n'est pas nécessaire de voir l'essence de Dieu
(saint Thomas). Donc dans la vue des idées et dans la vue du
monde, Dieu, d'une certaine manière, et nous parle et se mon-
ire. C'est de sa vérité, c'est de sa véracité que vient à notre es-
prit toute certitude. Descartes a dit : o La rè^le que j'ai posée,
savoir que les choses que nous conc<'vons clairement sont toutes
vraies, n'est assurée qu'à cause que Dieu est, et que tout ce
qui est en nous vient de lui.» C'est ainsi que toute science est
en Dieu , d'après la profonde parole de saint Paul : « C'est en
Dieu que nous vivons, «juc nous sommes et i\ue nous nous mou-
vons. »
A ce sujet IcP.Gralryse livre à un lumineux commentaire d'un
texte de S. Thomas. Ils'aj,'ilderamplilicalion de l'anj^e de l'Ecole
sur le passaf,'e des psaumes : « >ous verrons la lumière , Sei-
gneur, dans ta lumière. » A notre sens, ce commentaire résout
certaines objc.'ciions faites par des thomistes stricts au P. Gra-
try sui' qui'l(|ues passages de la Connaissance de Dieu. Ces der-
niers, se défiant un peu des tendances platoniciennes du P. Gra-
iry, reprochant à sa pensée de ne |>as conserver assez, de soli-
dité à travers rai)ondance de son style, étaient tentés de croire
que , donnant dans l'erreur de Malebranche, il ne distinguait pas
sufTisamment la vue naturelle de la vision intuitive de Dieu ; la
lumière de raison de la lumière de grûce. Voici la conclusion
du nouvel oratorien :
« La vue de la vcrité dans la connaissance naturelle, c'est la
vue non pas de la lumière créée , mais bien de la lumière de
Dieu ; c'est-à-dire de la lumière dont brille Dieu même. Et cela,
parce que la lumière de raison n'est autre chose que le reflet de
la lumière de Dieu en nous. C'est ce reflet qui rend notre àmc
image de Dieu. Donc, «piand la raison voit la lumière qui est en
elle et qu'elh; voit l'âme Timagii de Dieu, ce n'est pas seulemeni
l'empreinte qu'elle voit, comme l'empreinte du cachet sur h
LOGIQLE. 347
cire, c'csi aussi une lumière et une lumière qui est celle dont
Dieu brille , mais reflétée en nous. Aussi n'est-ce point la sub-
stance nit'nie de Dieu (pie nous voyons, c'est son image, l'image
de sa substance formée en nous par la lumière même dont Dieu
brille. »
De tout ceci, il résulte qu'il faut comparer avec saint Thomas
la certitude naturelle de la raison à la certitude surnaturelle de
la foi. C'est la même loi dans les deux ordres si différents par
leur substance. L'on adhère aux principes par la lumière natu-
relle dans laquelle, d'une certaine manière. Dieu nous parle,
comme on adhère aux choses de la foi par la lumière surnatu-
relle dans laquelle , d'une autre manière. Dieu nous parle. Les
deux ordres sont parallèles. Aussi bon nombre de philosophes,
depuis Arislote jusqu'à Kant et aux Ecossais, appellent foi l'adhé-
sion à l'évidence naturelle des principes.
La certitude ne trompe pas, parce que dans toute certitude,
c'est Dieu, la vérité mémo, que l'esprit entend. La certitude est
une paix que seul l'Esprit de Dieu peut donner.
Les fondements de la certitude une fois établis , le P. Gratry
s'applique à manifester les causes de nos erreurs. Si Dieu nous
parle et nous instruit, comment se fait-il que la philosophie soit
le lieu principal de l'erreur? La réponse est celle que l'on devait
attendre d'un esprit aussi tendre dans l'expression de sa piété
qu'ardent à la poursuite de la connaissance.
Le premier et le principal vice de la philosophie est de cesser
d'être pratique pour demeurer exclusivement spéculative. Avec
la connaissance de la vérité, la vraie philosophie veut l'amour et
la pratique du bien. Toute spéculation isolée qui ne jette point
en même temps ses racines et dans l'intelligence et dans le cœur,
n'est qu'une tentative sophistique. «Dans l'homme, a-t-on dit,
lu lumière seule est vaine. La lumière seule ne suflQt pas. -» La
chaleur et la lumière réunies forment la vie totale. La philoso-
(iii phie ne saurait être une lumière sans chaleur, sinon ce n'est plus
])(i que l'art des sophistes, ce vain et faux travail dont Pascal dit :
ejl o Toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine. »
al) Donc, de toutes les causes d'erreurs, la première et la princi-
\i\ pale , c'est la spéculation isolée , c'est le sommeil de l'âme qui
3^8 KM. loi F.
préli'iul thnclur la vérité sans s'appuyer sur la praiiiiue «lu
bien. Il en osi d'autres encore qui sont autant (le formes diver-
ses des vices inh.'lIciMuels.
L'un des travers les plus ap|)areuls de la philosophie sépart-e
(qui veut agir en dehors des solutions chrétiennes), est la pour-
suite des questions vaines et celle des questions insolubles ; abus
qui vient d'une prétention vicieuse : la prétention à la dèmonslra-
lion ahsulue et à la (Uittoustraliun dtductivc continue.
La prétention de la démonstration absolue provient d'une sorte
dimmoralilé radicale, espèee d'egoisme insiineiif dans lequel
l'esprit se croit centre, |)oinl de départ, cause |)remière de vé-
rité. Or, res|)rit créé n'est pas source de vérité, mais seulemeni
le canal de vérité. Il n'est pas la limiière, il en est le témoin.
La prétention à la «lémouslration déduclive consiste à vouloir
appliquer à tout l'un des deux procédés de la raison, le syllo-
gisme ou principe d'identité, ce qui est appauvrir l'esprit hu-
main, cpii possède un autre procédé (lialccii(jue.
Ces deux prétentions sont absurdes. La |)liilosopliic ne sau-
rait subsister <lans le vide ; elle doit reconnaître une vérité pour
base et point de départ, de même que les autres sciences, I< s
malhémaiiques en particulier, qui reconnaissent des axiomes.
Quant à la prelenliitii déduclive couiinue, la philosophie doit en
admettre les bornes aussi bien que les mathématiques. Bacon
vous dira, dans son langage ingénieux , qu'il a connu celte phi-
losophie orgueilleuse suspendue entre le ciel et la terre, c'est-à-
dire sans base expérimeolale terrestre ni céleste, ei lirani tout
de sa propre substance. C'est elle qu'il comparait à l'araignée,
à l'araignée suspendue, elle aussi , entre le ciel et la terre, au
rentre de sa toile, dans ce domaine inconsistant , fragile, nuisi-
ble, captieux, qu'elle a tiré de sa propre substance; insecte
malfaisant, égoïsie , qtie l'on doit écraser, viiieux et impuissant
rival de l'admirable cl généreuse abeille qui lire du suc des
fleurs le miel dont elle nourrit les hommes. L'abeille, image de
la philosophie véritable, suivant Bacon , toujours cité par le P.
(irairy ; l'abeille ne tire pas de sa propre substance la matière
de son œuvre, mais la recueille sur les flc'urs où la distille la
sève lerreslre, oii la dépose la losée du (ici : les parfums de la
l.()<ilQ(E. 8^9
icrre unis à la rosée du ciel soiK la siil)Slaiu(! do son travail;
l^racieuse et profonde image de ce que doit êlre la maiière du
travail liiiinaln. Le spcc'tacio de la nature, lo goût des choses de
Dieu, les données expeiinieulales terrestres et les données céles-
tes surnaturelles, voilà la double base de l'œuvre philosophique
et le vrai sang de la pensée de riionime.
Ces fondements de la logique une fois posés , le philosophe
entre dans le détail. H aborde l'étude des procédés de l'intelli-
gence dans son opération sur les trois mondes au sein desquels
rhomine vil : la nature visible, l'âme et Dieu.
Il y a deux procédés de l'esprit, pour marcher dans le do-
maine de la connaissance : le syllogisme et l'induction; le syl-
logisme, qui piocède par voie d'idenlilé et déduit d'un principe
ce qu'il contient; l'induction, <pii prend son point de départ
non comme principe, mais comme simple point de départ,
comme base d'élan inlellecluel pour s'élever à de plus hautes
vertus.
Ces deux procédés reposent sur deux principes que l'on peut
appeler principe cVidcnlité ou de contradiction , et principe de
transcendance.
Le premier procédé, le syllogisme, est le plus connu; le se-
cond, très-incomplètement décrit, à peine soupçonné par les
maîtres, est celui que le P. Gratry s'applique le plus à mettre
en évidence. C'est le côté le plus original de son travail. Nous
allons voir quel immense parti il en tire et combien de vues fé-
condes il accumule autour de ce point de vue nouveau.
Mais auparavant que d'étudier directement ces deux principes,
l'auteur les considère en regard de la doctrine qui les nie.
Cette élude incidente implique toute la question du panthéisme.
Ici commence une guerre à outrance. Le P. Gratry ne traite
pas le panthéisme comme un adversaire avec lequel un savant
qui se respecte puisse consentir à se mesurer. « Nous n'entre-
prendrons point, dit-il , la réfutation d'Hegel, cette personnifi-
cation dernière et la plus complète du sophisme panthéiste. On
ne réfute pas les sophistes, on les cite, on les décrit, on les
classe, on les emploie, mais on ne se commet pas avec eux,
parce qu'avec eux la victoire même est ridicule. Beau triom-
35n HM.iyiF.
I»hi', 11) ellci, (|iiL> d'airather à un adv» rsair«î terrassé I aveu t\uc
(|uelque chose exislo; que Ton on peun^tre cerlaiii ; que le mal
el le bien sonl contraires; que les contradictions ne sonl pas
identiques. On ne réfute donc pas ces sophistes, on les emploie
comme «lenjonsiralion par l'absurde, llégcl, sous ce rapport, est
jxiur nous d'un usage excellent et presque continuel, comme
conlradic'icur direct cl (•••mpict de lonics les vérités, comme
destructeur praiicpic et ilutnicpie de toute logique el d<' toute
raison... » Cicéron se faisait dire, dans un de ses dialogues .
« Vous venez de rayer Kpicure de la liste des philosophes. » Le
I*. Gratrv prétend pour lui le même éloge touchant Hegel de
la pari de toute raison (jui ne sera pas entamée d'avance par la
sophistique du professeur allemand.
La lutte s'engage et «'Ile se prolonge. Il est impossible d'en
♦•numérer ici tous les incidents.
Il faut lire en eniicr ce; chapitre où l'erreur est poursuiNie
jusque dans ses derniers reiranchements. On suit l'auteur sans
regret dans cette descente vers les mystères de la mon el de la
décomposition intelleciuelle. Ces spectacles sonl salutaires.
Les deux procédés dialectiques, le syllogisme et l'induction,
sonl mis en pr«'sence du panlh<''ismo, el l'on voit à l'insiant com-
ment il se lait (pie le panthéisme soit devenu une question de
logique.
Hegel détruit le procède syllogistiquc d'ideniile, en allirmant
que les contradictoires sont identi(]ues.
Le procède dialectique d'induction ou de transcendance dans
la considération du lini aflirmc l'inlini par la négaiion des limi-
tes ; Ib'gel le retourne en a|)pliquant rallirmaiion à la limite, la
négation a l'ètrif.
C'est là tout le système; mais cet énoncé snflit |>our faire
comprendre (pi'Ilégel détruit tonte raison en détruisant les deux
procèdes de la raison, el (juil n'aboutit, en délinilive, qu'à at-
teindre la forme la plus radicale el la plus savanle de l'alhéisme.
Ces monstruosités sonl de grande importance; car pour Tespril
humain la (piestion est toujours celle-ci : DiEr ou non. Par un
choix libre el secret de chaque âme, il y a des esprits qui d«'s-
ccndent vers les ténèbres, il y en a qui montent vers la lumière
de Dion. La ronuiilc d llcf,'(l, ridfiiliti; de \ c(re <'l du néant, est
l'expression de celle lendancc vers les ténèbres , qui du m^mc
coup pose que Dieu n'est pas et que la raison n'a ni révidcnce
positive de ridoniité, ni l'évidence négative de la contradiction,
par cela niènie (jue les contradictoires sont identiques.
Ici le P. Gratry met en présence Hegel et Arislote , et l'esprit
re^fueille de ce rapprochement un enseignement lumineux et
tl'une larc énergie. Il montre- Aristole dénonçant les sophistes de
son temps, mettant le doigt sur la plaie, analysant l'erreur jus-
qu'à ses dernières racines, montrant à l'avance toutes les ex-
trémités d'Hegel.^ Voilà un homme qui , en pleine lumière chré-
tienne,recule jusqu'à Gorgias et Hérocliie. Il n'est pas simplement
un sophiste, c'est le sophisme par excellence, car il s'est identifié,
il s'est assimilé toutes les formules de ses devanciers.
Le P. Gr.atry n"e^^|as moins concluant alors qu'il met le pan-
th<Ssme d'Hegel ^en^ffésence du principe de transcendance. Il
le 4îours«it sans relâche, textes en main, et ne lui donne pas
trêve qu'il ne l'ait dépouillé de tout prestige, qu'il n'ait mis à nu
toute sa misère. Il montre aussi la vanité des prétentions du
professeur allemand, quand il ose invoquer à l'appui de son sys-
tème les sciences naturelles, physiques et mathématiques. Le
. P. Gratry a l'esprit géométrique le mieux doué. Il manie avec
la plus grande aisance l'arme de la science, et c'est merveille de
le voir s'avançant avec la confiance que lui communique la vé-
rité qu'il défend, au milieu de ces monstrueuses rêveries. Mais
ces abus de la science et de l'histoire ne sont que surajoutés au
système; le fond est ce que démontre surabondamment le sa-
vant religieux; l6 fond, le germe de ces divagations, c'est la
dialectique telle que l'ont maniée les sophistes de tous les temps;
c'est la raison oilentée en sens inverse de la direction légitime et
retournée, par irn crime de la volonté libre, contre Dieu et vers
le néant; c'est le procédé dialectique principal de la raison qui,
à la vue des êtres limités, efface toutes les limites pour conce-
voir Dieu; c'est ce procédé même retourné; c'est la pensée
effaçant la notion de l'être pour s'efforcer de concevoir des
limites infinies, c'est-à-dire le néant. Mais , ajoute avec une im-
placable résolution le P. Gratry, la raison ainsi retournée ef
23
iirof:iin«> tlaiis les es»piils |jr«varicatrurs, se venge el montre sa
r.lesu- orij,'ine en les menant , av«'C une infaillible rectitude et
une irrésistible force, là où ils doivent aller: à l'absurde absolu,
manifeste, avec son ( rilêriiim el son caractère propre, la «ontra-
iliciion dans les termes.
Quelques-uns de vouloir s'étonner el de s'écrier : Est-ce donc
là ce paiitlit'isnie si redoutable qui a boulevers»'- la science tiu
soin de la nation la plus savante; de rLuro[)e; ijui a troublé ail-
leurs tant de tôles philosophiques; qui a enivré de ses concep-
tions folles les sectes socialistes? Se peul-il qu'il puisse être ré-
iluiidc la sorte à deux ou trois formules exirav;j^'anios? D'autres,
plus lamiliers avec les syslèuies pliilosup|ii(pi«'s, tout en protcs-
laul de leur cloignenienl pour le panthéisme, chez Hegel ou au-
tre pari, feront re|)roche au docte oratorien d'avoir si fort mal-
traité une dûiirine erronée peut-être dan!^Mj)rincipes, funesl(i
assurément dans ses conséquences, mais, i^è^ tout, disent-tls,
puissante par son influence el son retentissement sur les di-
vers ordres de la science. Si grand est l'orgueil implanté dans les
ànies |>ar une longue habitude du rationalisme, cpu- Ton se prend
a admir»r une doctrine, même perverse, par le fait que son dé-
veloppe nient et sa construction logique attestent la force de
l'esprit humain. On se plaira à énunurer les prétextes spécieux
et habiles dont clic s'enioure, les mirages dont elle se paie, les
illusions dont elle se nourrit, les préjugés qu'elle entretient, les
fausses apparences sur lesquelles elle s'appuie, les •''(]ui\o(p)cs
qu'elle propage; cela pour grandir un triomphe dont on devrait
rougir au nom de l'humanité cl de la raison outragée. En célé-
brant les grandeurs du panthéisme hége-lien, otï croil faire hon-
neur à l'esprit humain ; on veut l'admirer à tout prix, même alors
qu'il s'égare.
Ces ménagements, ces admirations pour l'hégélianisme sont
surtout le fait de rationalistes protestants; cela se conçoit sans
peine de la part de savants pour lesquels la notion de la >érité
intégrale n'existe pas , pour qui le christianisme lui-mêiue n'est
qu'une yihilosophie mobile au gré du tcmpéremmcnt intellectuel
et du travail expérimental de chacun.
Le savant catholique, arme de la vérité intégrale, identifié par
L04;iOlF.. 3.>J
toutes les facultés de son inlolligenre ;i la solennelle exposition
c]ogm;iti(|iie de rÉj,'lise, ne saurait pratiquer celle indulgence.
Il croirait favoriser l'erreur. Il lui semhlerail pactiser avec elle.
Il a trop de liàlc d'élever une barrière contre l'eau trouble que
produit le faux système , afin de préserver de son contact le flot
pur de la vérité tpii doit à jamais être libre de mélange avec le
mensonge et les mystères d'iniquité.
C'est dire que nous ne saurions faire reproche au P. Gratry
d'avoir courru sus au cnur de la question; d'avoir dévoilé l'er-
reur, de l'avoir radicalement détruite. Celte victoire complète
d'un prêtre qui parle au nom de la foi et n'écrit que pourglori6er
Dieu et son Église , pourra déplaire à tant d'hommes qui entre-
tiennent avec le rationalisme sous toutes ses nuances , des rap-
port que l'on veut croire libres d'engagements compromettants.
Il était temps que le verdict fut prononcé avec celte sévérité.
Oui , le panthéisme hégélien doit faire horreur à toute intelli-
gence honnête. Mais le P. Grairy ne l'a pas montré seulement
insultant à la raison , il l'a manifesté ridicule , impuissant sur
tout esprit vraiment libre. Interrogeant l'histoire, il l'a signalé
comme une vieille erreur déjà confondue par Arislote et Platon.
La cause est finie.
On ne saurait trop dévoiler le panthéisme de nos jours. Il s'est
glissé partout. Il a introduit ses solutions malfaisantes dans les
sciences naturelles, dans la cosmographie, dans la physiologie.
Que de lumière sans chaleur, parlant peu féconde, n'a-t-il pas
répandu dans le livre du Cosmos de M. de Humboldt, celte vaste
encyclopédie où l'on regrette l'absence d'une inspiration plus
élevée. La physiologie de Muller, celle de Burdach en sont im-
prégnées. Combien de jeunes gens nous reviennent d'Allemagne
complètement familiarisés avec Videntité des contradictoires! Or
c'est là un abaissement manifeste de la raison contre lequel il
ne faut pas cesser de prolester.
Ce souflle panlhéistique répandu dans la science moderne,
n'est pas moins malfaisant que le naturalisme proclamé par le
dix-huitième siècle. Il se peut dire qu'il en poursuit avec ser-
vilité les errements , et qu'en définitive le résultat est le
même. L'oubli de toute métaphysique sérieuse, le mépris de
•*'^* I.OCIOtiE.
l-on.uloKie, e(, m:,l(jré ,lcs d.„cga.io„s .|u il f3u. savoir ,„■<.„-
dre ,,ou,- ce ,,uç.l..s v.!.,,, , l'aiheisn,,- ,,n„ou, , .elles son, le,
conclusions dos de.,. s.vs.èn,es. La ,,ul™,i,,„c dusavan.ora.orien
avec M Vacl,e,oi a dès long.emps dissipe- dos doutes descn
.nposs,l.los Plus f.anc, le sensualisme vol.airien accuse cuver!
.emen. ses dosso.us ; son a.laque os. de vi.e force, par là nu'me
".uosnel.es, ,1 ne renverse ouvenemon, aucune véri.o, mais il
Z^rT'""'- * '^"^■''""P-" "« "-ô-es dune in.p'ar.iali.é
preleuduo .1 ne pa,v,en. ,,ue plus sùromen. à ruiner .ou.e véri.é
dans I ,nielligen,e qui s'abandonne à son cnseiguemen.
Le prei^ier volun.e se .ermino pa,' IVxposé dos modes du svl-
Irr n '"■'"" """"' '""' '""""« '=" ^'■"'"'^"^^ -'-puis
Ans.o.e e le n a pas varié. Il n'y a pas lieu de l'exposer ici;
d, ons seule.,,e„. q„e ce„e é.ude sur le syllogisme es. suivi
d une ad„„ral,le d.ssoria.ion oi. l'a,.,our compa.e les deux pro-
cède, de la ra.sou . le syllogisme e. l'iuduc.ion dialoc.inue. Il
ce dance de la vue ph.losophique s'uni, dans „„ merveilleux ac-
rd:c:.o" """'' '^ '"" '""■■ '"■'• '"■ '^ "'- ''-'-''^
Edouard Dufresne.
(la fin au prochain numéro.)
NOUVELLE CONFÉRENCE DE FRIBOURG
DU II AVRIL 1866.
Les catholiques du canton de Genève d'abord, puis ceux du
canton de Fribourg et ceux du canton de Neuchâtel, ont adressé
à leurs gouvernements respectifs des pétitions motivées, signées
à d'immenses majorités, pour obtenir la rentrée de Mgr Maril-
ley dans son diocèse.
Les Conseils d'Etat des cantons de Fribourg, Vaud, Neuchâ-
tel et Genève (Berne s'est réservé le protocole ouvert), ont cha-
cun envoyé deux délégués à Fribourg , où une conférence a eu
lieu entre eux le 11 avril.
La demande si unanime des catholiques a été rejetée.
Voici le procès-verbal de cette séance :
« Lecture faite des principales pétitions et des résolutions des
conférences des 16 et 17 août et des 30 et 31 octobre 1848, et
des principales pièces relatives à l'objet en tractation, et après
un exposé historique des actes et des événements qui se ratta-
chent à cette question, la discussion a été ouverte.
» Fribourg, conformément à ses instructions, propose de dé-
clarer que l'entrée de l'évêque Marilley est impossible aussi
longtemps que l'Etat ne sera pas d'accord avec l'autorité ecclé-
:)5(» >ul VELLE CU?i»EllKKCK DE VltlBUl RG.
siasti(|ue sur les divers points principaux sur lesquels les deui
:iulorilés sont en dissentiment.
> (lonroiint-nienl à ses instructions, Fribourg soulève le point
di- vue fédéral de cette (juestion dans le sens que la confi-rence
veuille examiner rdpporiuiiité d'en iianiir l'autorité fédérale,
sous le rapport de l'ordre et de la tranquillité publique.
» f'aud. Le déb-gué déclare n'avoir ni pouvoirs, ni instruc-
tions, mais qu'il est cliargé de référer à son gouvernement.
» Il pense, toutefois, que son gouvernonjent donnera les mains
a toutes les eun( liisions (pii pourraient i^tre prises et «jui ten-
draient à régler celte affaire, plus particulièrement importante
pour le canton de Fribourg.
n 11 estime que le rappel de révècjue Marilley ne serait pas
opportun et qu'il ferait un effet extrêmement fûcbeux sur la po-
pulation du canton de Vaud. Si cependant les autres Etats du
diocèse devaient trouver nécessaire de consentir, sous certaines
réserves, à la rentrée de ce prélat, il a la conviction que le gou-
vernement de Vaud ne s'y opposerait pas.
■ Il doute, par contre, que le Conseil d'Etat du canton de
Vaud consente à faire intervenir dans cette (juestion l'autorité
fédérale.
» Quant à une réponse à faire aux pétitionnaires , il propose
d'en charger les délégations de Fribourg et Genève.
» JS'euchdtel. La délégation déclare n'avoir pas d'instructions,
et qu'elle référera 5 son Conseil d'Etat sur les propositions qui
pourraient «^Ire faites.
» Elle fait, au reste, connaître que, poiir le canton de Neu-
chûtel , le renvoi de l'évéque , et en général les résolutions des
confc'-rences des 30 et 31 octobre 1848 ont force «le loi , et ne
pourraient être révoquées sans une d«''cision du (îrand Conseil.
» La délégation estime aussi qu'il serait à désirer (|ue l'auto-
rité fédérale pût être nantie de cette affaire, mais elle appelle
l'attention sur les inconvénients (]ui résulteraient il'un refus de
la Conb'deration de s'en ( liarger.
• Genève déclare avoir pleins-pouvoirs, sauf ratification, l^
délégation reconnail (|u'it s<Tait im[)ossiblc de rappeler l'i'véque
Marillcv dans les circonstances actuelles, mais elle reconnaît en
NOUVELLK CONFKRKNCK DK FRIBOl'IlG. 357
même temps l'urgence de trancher, si possible , définitivement
la question. La députation consentira ù examiner s'il convient de
nantir les Grands Conseils de chaque canton diocésain, en leur
sounu'liani un projet de concordat conforme aux résolutions
précédentes, afin de calmer les populations et de leur démontrer
quahsiiaciion faite i\o la personne de Marilley, on désire ré-
gler les rapports entre l'Église et TEtat.
» Cependant, une réponse étant à faire aux pétitionnaires, elle
devra être conçue dans le sens des délibérations de la confé-
rence du mois d'octobre 1848. Cette réponse pourrait insister,
entre autres, sur la circonstance que le siège de l'évéché n'ayant
été accordé à Fribourg , en 1593 , que sous la réserve que l'é-
voque se soumettrait aux lois du canton et n'introduirait aucune
innovation, et que ces conditions ayant été violées, cette rési-
dence est devenue impossible jusqu'à ce que les rapports entre
l'Église et l'Etat aient été réglés.
» Après une préconsultaiion générale , on procède à la dis-
cussion spéciale des divers points soulevés.
>> Fribourg propose de ne rien décider encore sur la question
de savoir si l'on veut s'adressera la Confédération, mais de ré-
server cette question à une prochaine conférence.
» Quant à une réponse à faire aux pétitionnaires, la déléga-
tion propose d'en charger les délégations de Genève et de Fri-
bourg, dans ce sens : que le rappel et la résidence de l'évéque
à Fribourg n'est possible qu'à la condition que les rapports en-
tre l'Etat et l'Église soient préalablement réglés.
» Genève est arrivé . par l'ensemble de la discussion , à re-
connaître que la rentrée de Marilley, avec ou sans condition, est
devenue impossible; qu'elle est incompatible avec le maintien de
l'ordre public et la dignité de l'autorité civile. Il formule, en
conséquence, les propositions suivantes :
» 1° De maintenir de plus fort les résolutions des 30 et 31
octobre 1848;
» 2° L'autorité de chaque canton répondra à ses pétitionnai-
res de la manière qu'elle trouvera convenable, mais dans le sens
et les limites des résolutions susdites.
n En suite de la discussion et des diverses propositions , l'on
;t58 XUMII.h ( IIM KHI X >. A miBoMll..
|tar;iii Kt-néralomcni d'accord à laisser tomber, pour le moment,
rt'\;imen dr la <|ucsiion au point de vue fédéral. La proposition
de ciiarj^'cr les députaiioiis ou les (lonseils d'Etat de Genève et
de Fribourg d'une rédaction uniforme de réponse ù faire aux
pétitionnaires, est retirée.
» La discussion étant terniinrc, le j)résident n'-sumc comme
suit les hases des décisions à prendre par la conférence :
» Connaissance prise des pétitions adressées aux autorités de
Gencvf, de Neucliâlel et de Fribourg, pour demander le retour
de Marilley dans le but d'exercer des ibnciions «-piscoijales;
» Fondé sur l'exposé historique des faits qui se sont passés
depuis l'épocpie des premières résolutions de la «conférence des
cint) cantons formant le diocèse dit de Lausanne et de Genève;
» Vu les nombreuses cl infructueuses démarches tentées par
les Etats de Fribourg et de Genève dans le but de faciliter la
condusion d'un concoidat tendant à régler les rapports des Etals
avec l'Église catholique;
» Vu la réponse faite par la cour de Rome, par l'intermédiaire
du chargé d'afl'aires Bovieri, datée de Lucerne , l"mars 1853,
à la dernière démarche collective des deux Etats, en date du
'22 décembre 18o2, les cinq cantons décident :
» 1" De maintenir les résolutions arrêtées dans la conférence
tenue à Fribourg les 30 et 31 octobre 1848.
» '2° Les autorités do chat|ue canton répondrimi, dans les li-
mites el conformément aux dites résolutions, aux pélitions adres-
sées par les ressortissants de chaipie Elal, concernant la rentrée
de Marilley comme chef <lu diocèse.
» Les délégués des Etats de Genève el de Fribourg déclareni
dors el déjà adhérer à ces décisions, sous réserve de ratification
de leurs commettants.
Les délégués des Eiats de Vaud el de Neuchâtel déclarent
comme acte de vérité le résumé de la conférence, se réservant
d'en référer à leurs commettants el de communiquer leurs déci-
sions dans le plus bref délai.
» Ainsi fait el délibéré à Fribourg, le 11 avril 1855, pour
•"'iresoumis"ù la ratification des Conseils d'Etat des cinqcanloos.»
Genève, le 30 avi il 1855.
LU CLERGÉ DU CANTON DE GENÈVE
A Monsieur le Président et à Messieurs les Membres du
Conseil d'Etat du Canton de Genève.
Monsieur le Président et Messieurs,
Nous avons pris connaissance du procès-verbal de la conférence
qui a eu lieu à Fribourg le 11 avril.
Cette conférence repousse les vœux des catholiques du diocèse
de Lausanne et de Genève qui demandaient avec une touchante
unanimité que Mgr Marilley, leur évoque, leur fût rendu. Elle se
réfère aux résolutions de la conférence de Fribourg des 16 et 17
août 1848 ; elle maintient les résolutions de la conférence des 30 et
31 octobre de la môme année; elle fonde ses résolutions actuelles
sur les démarches tentées, dit-elle, par les Etats de Fribourg et de
Genève, dans le but de faciliter la conclusion d'un concordat, et
elle décide que cbaque canton répondra aux pétitionnaires confor-
mément aux dites résolutions.
Sans nous arrêter à relever ici Poubli des convenances que dé-
note la rédaction de ce procès-verbal, nous sommes dominés par le
besoin de vous dire dès l'abord, Monsieur le Président et Messieurs,
quelle impression profondément douloureuse les catholiques du
canton de Genève ressentent en ce moment en voyant leurs vœux
si légitimes et si pacifiques ainsi méconnus ; et aussi quel sentiment
répulsif leur a fait éprouver une intervention insolite dans une so-
lution qu'ils avaient sollicitée seulement des magistrats de la répu-
blique de Genève. Le clergé du canton de Genève, consolé par l'as-
sentiment dont il est entouré de toutes les populations catholiques
du canton, doit à l'Eglise catholique entière, à son vénéré évèque,
à tous ses concitoyens, à ses magistrats, la manifestation solennelle
et réfléchie de ses principes.
1^ Le clergé et les catholiques du canton de Genève, soumis res-
pectueusement aux lois et aux autorités constituées cantonales
et fédérales, conteste, de la manière la plus catégorique, aux can-
(OMS «h* Berne, «le Fi ibouig cl de NeucbAlel, le droit de s'imniisct r
dans les afliiires i'e(li'si;isli(|iies <lu canluii de (leiieve. Olte ini-
niixlion sérail, pour le canlon d»' (ienéve, Taliénalion d'une parlif
dtî s«m iiidé|iendanee el i]i'S droits sacrés «ju'une partie des « ito_ven>
genevois tiennent de pln>ienrs sonrees également inviolables. ("«•
(|iic Herne, Fi iliuur;;, N and el NeiicliiUel lU' pj'nvenl faire datjs no-
Ire canton, ils ont le dioil de le dénicir à (iene\edans leurs cantons
respectifs, el dans leurs alTaires ecclcsiasliijues qnelcon(|ues. Fa
conférence de Fril)our<( est illéf^ale el inconslitulionnellc û (ienùve.
|]|le est contraire au l'acte fédéral qui a limité à une seule restric-
tion le sacrilice des libertés cantonales au point do vue reli;iieu\.
File usurpe un pouvoir temporel, spirituel et pénal, arbitraire m
debors des lois ; elle est en outre repoussée par b;s catboliques du
canton de (îenéve, parce qu'elle crée contre eux, contre leurs li-
bertés el leurs droils, une majorité d'Ftats protestants puissants el
ime majorité «b; déléjjués protestants naturellement bosliles,ou poui
le moins ignoiant les priiuipes et les iiislilulions de la religior\ ca-
Iboliipie, cl Ncnant s'ingérer dans des localités, des intérêts «'t des
situations qui ne sont pas de leur compétence. Les décisions de la
louférence de Fribourg sont donc, pour les calboliques du canton
•le (îenéve, comme non avenui s.
2" Fe clergé dû canton de Ficnéve renou\elle la déclaration (ju'il
a faile publiquenient et par toutes les voies en son pouvoir en IHiS.
de ses sentiments de totale répulsion conirtî b^s résolutions de la
conférence de Fribourg des IG el 17 août, allendu :
Premièrement, (jue ces résolutions sont sibismali(|u»;s en elles-
ménies el coiulanuiées par le Souverain Pontife de la sainte Fglise
lalbolifjue, aposioli<jue et ron)aine , ainsi qu'il consle en particu-
lier de la proleslalion de Son l'minence le cartiinal Soglia, en dale
du ;}0 septembre 1HV8, adressée au Directoire fédéral.
Secondement, que ces fatales résoluliotjs.sotil spécialenjenl con-
traires aux ilroiis el usages (|ue la religion catbolique lient dans
le canton de (ieuéve, et sans aucune parité avec ce(jui se pa^.se dans
les cantons de Herne, de Fribourg, de \'aud el de Neucbiitel, de ses
anli(jues prérogatives, des traités de cession de Paris, de N ienne et
de Turin, du bref d'incorporation qui a réuni ce canton au diocèse
de Lausanne; (|u'elle tient aussi des plus solennelles promesses du
canton do (ienévc (|ui avait demandé lui-même et oblenu cette
réunion ;i certaines conditions, parmi les(|uelles se trouve, pour les
calbolicjues, le droit de ne |)as être privés de voir leur é\éque exer-
«•er librement ses fonctions el « u'cln jamais trouble dan* ses ritifrs
jiasfuialrs. »
Troisièmement, attendu que ces résolutions sonl , comme la
simple lecture le démontre , un produit irjapplicable de passions
\\m autre temps, et le résultat d'une ignorance évidente des pre-
miers éléments <le la foi et de la discipline de l'Fglise, comme aussi
<les conditions essentielles <)e la liberté religicust^ dans un canton
mixte.
Le clergé el les calboli<|ue-. du canton de (ienévc ne pourraient
.3
jamais se soninotlic aux dt'cisions arbitraires et scliismaliqucs de la
conférence, di; Fril)ourg, sans ahditiiier leur qualilé de catholiques.
Nous tenons à nos dioils religieux, ;;énéraux (;l particuliers, et nous
ne reconnaissons (|u*aii Sou\erain l'ontife le pouvoir de les modi-
lier, sans abandonner le sincère désir de voir régner la bonne har-
monie qui doit exister entre l'Eglise et l'Etat.
3" Le clergé et les catholiques du canton de (ieneve nadmettetit
pas davantage les décisions de la conférence de Fribourg des 30 et
31 octobre 18i8. Ils restent pleins de soumission aux iribiinaux ré-
guliers de la Confédération helvéli(|ue et aux tribunaux réguliers
du canton de Genève; mais ils ne peuvent croire qu'un tribunal
exceptionnel, arbitraire, tel que l'a été la conférence de Fribourg,
puisse , sans observer mémo les formes conservatrices de la liberté
des citoyens et de la libre défense des accusés , sans jugement con-
tradictoire, sans publicité, condamner, arrêter, emprisonner, exiler
sur une terre étrangère, un évéque catholique, un citoyen suisse,
et surtout priver les catholiques du canton de Genève du droit de
recevoir leiu- évéque, canoniquement institué, reconnu par le Saint-
Siège , qui n'a contrevenu à aucune loi du canton , et contre lequel
il n'a jamais été formulé aucune plainte, de quelque nature que ce
soit. Ces convictions se sont successivement affermies par la pro-
testation du Chargé d'affaires du Saint-Siège du 31 octobre 18i8,
par celle de Son Eminence le cardinal Soglia, secrétaire dEtat, du
10 novembre 18i8, par la lettre du Saint Père lui-même du 21 jan-
vier 18V9, par celle de Nos Seigneurs les évêques de la Suisse à
Mgr Marilley, et enfin par la protestation itérative du 30 janvier du
Saint-Siège.
i" Enfin le clergé du canton de Genève estime que si le gouver-
nement de (jenève croit avoir à faire des démarches auprès du
Souverain Pontife, le gouvernement de Fribourg n'a rien à y voir :
les situations sont entièrement différentes, et l'indépendance can-
tonale doit rester complète. Si Fribourg s'est adressé à la cour ro-
maine, c'était uniquement , et nous le savons de science certaine ,
pour ses affaires cantonales, et Genève n'avait point à s'en préoccu-
per. Et si notre Saint Père le Pape, et les catholiques du can-
ton de Genève, n'ont pas regardé les communications de Fribourg
à Rome comme sérieuses, c'est qu'elles étaient dérisoirement main-
tenues sur le terrain des résolutions schismatiques et arbitraires
des conférences de Fribourg des IG et 17 août et des 30 et 31 oc-
tobre 18i8, etque, par là même, elles rendaient tout arrangement
impossible dans ces conditions.
En conséquence, Monsieur le Président et Messieurs, nous ve-
nons, dominés par le cri de notre conscience et parles sentiments
de nos droits et de nos devoirs, nous venons protester, de la ma-
nière !a plus explicite, contre les résolutions de la conférence de
Fribourg du 11 avril, comme contraires aux droits del'Eglise catho-
lique, aux droits de notre évéque, du clergé et des catholiques du
canton de Genève.
Vous iiuu!» pernicUrt'Z, Monsieur le Président el Messieurs, de
repousser |K>ur iiolri" ( ompte la responsahililé des tonséqueiiees
(jui |ieu\enl résulter de ce nouvel élémcnl de dillicidlés introduit
si nialheureuseinent et si inulilcmenl d.ins le canton de (ienéve, el
(ju'il eût été si facile d'éviter à jamais par l'application de la seule
justice et de la véritable liberté relijiieuse.
Vous trouverez juste, nous n'en doutons |)as, <|ue nous transmet-
tions la présente protestation au haut-Cons -il fédéral, à Son Excel-
lence le ciiar^'é d'affaires du Saint-Siège et aux lé^'alioiis des hauls-
Etals signataires des traités de Paris, de \ ienne et de Turin.
Nous sommes avec le plus profond respect.
Monsieur le Président et Messieurs,
Vos très-humbles el obéissants serviteurs.
Suirent Irs sif/nalures.
NOLVKM.K C0!SI"I-;RI:>CIÎ de FltlBUl'RU. 359
Toute la Suisse sait (ju'il n'y a pas un seul des faits allégués
contre Mj^r Marilley <jui puisse soutenir un moment la discus-
sion devant un tribunal régulier quelconque.
En particulier le canton «le Genève na jamais articulé un seul
j,Miel' contre Mgr Marilley ; il n'y a jamais eu le moindre démêlé
ni politique , ni ecclésiastique entre l'évêque et l'aulorilé can-
tonale.
En outre, jamais il n'y a eu ni identité^ ni similitude entre la
situation ec«;lésiasti(iue des canton de Berne, Fribourg, Vaud et
JNeuchâtel, et celle du canton de Genève, L'évêque porte même le
litre, reconnu légalement par le gouvernement de Genève, d'évêque
de Lausanne et DE Genève. Le canton de Genève est, au point de
vue canonique et au point de vue des relations entre les deux au-
torités civile et ecclésiastique, dans des conditions toutes diffé-
rentes de celles des autres cantons Le canton de Genève a con-
servé, en vertu des traités de Paris, de Vienne et de Turin, tous
ses droits et usages propres , et l'évêque est tenu , aussi bien
que le gouvernement civil, de les respecter. Le Pape seul peut
les modifier (protocole de Vienne). Le bref d'incorporation
du Pape Pie VII, de 1819, est tellement catégorique à cet égard,
et les promesses de Genève en l'homologant sont si catégoriques
que, en vérité, il faut fermer les yeux à la lumière pour ne pas
voir l'énorme distance entre les deux positions. La pétition des
catholiques du canton de Genève redemandant leur évêque a
exprimé ce fait palpable avec une force invincible. Aussi avions-
nous une confiance entière dans le Conseil d'Etat, et nous atten-
dions-nous à une simple levée d'interdit qui eût été à la fois de
la bonne politique, de la justice et de l'habileté, au moment sur-
tout où, au Grand Conseil, viennent d'être proclamées tant de
belles professions de foi sur l'indépendance , sinon la séparation
de l'Église et de l'Etat. Aujourd'hui c'est un joug de fer posé
sur l'Église catholique dans le canton de Genève, malgré les
traités, malgré l'acte d'incorporation, malgré la constitution
cantonale, malgré la constitution fédérale, malgré le droit civil,
le droit criminel, le droit de police, malgré la liberté religieuse,
malgré même les plus vulgaires lois des convenances et de la po-
litesse..., et tout cela pour traîner les catholiques du canton de
300 MOI VELLK CONKKRK.XIK «K KBIBUIRG.
GiMicvc à la remorque des passions politiques du canton de Fri-
Iniurg
Catholiques du canton de Genève, qui aviez agi cependant
avec tant de prudence et avec tant de respect pour les lois et
|)Our les magistrats, sentez-vous TalTront qiù vous est lait? Esl-il
assez sanglant? El vous, clergé catholique du canton de Genève,
coniprene/.-vous comment on paie votre sagesse dans maintes
circonstances?
La demande des catholiques de Genève est rejetée, et par qui?
Par ceux qui n'ont aucun droit dans notre canton, par une
ronference qui n'est ni léf?ale, ni impartiale, ni instruite. Et
c|iii donc a permis aux Fribourgeois, aux Neuchâtelois , aux
Vaudois de venir, sans en connaître le moindre mot, toucher à
nos droits et usages ecclésiastiques, que nous tenons, nous, de
l'Église, et dont nous jouissions déjà sous la France et sous la
Savoie? Qui donc leur a demandé un concordat, un changement
de situation, eux protestants ou ennemis de notre religion, sans
nous consulter et même malgré notre pélition si claire et si
lormelle? Nous, nous ne voulons ni i\i\ régime ecclésiastique
ancien et actuel de Fribourg, ni de l'asservissement du canton
de Genève et de la religion catholique aux cantons de Berne, de
Fribourg, de Vaud et de Neuchâiel. Ils n'ont rien à voir chez
nous, comme nous n'avons rien à voir chez eux.
Quant aux délégués du Conseil d'Etat de Genève, nous le di-
sons avec une vive douleur, ils ont agi contre le sentiment
et la volonté manifestés des catholiques; ils ont compromis les
droits du canton, des catholiques et de l'Église catholique dans le
canton de Genève, en les rivant à une conférence d'abord essen-
tiellement illégale, et ensuite essentiellement schismatique.
Les catholiques sont profondément blessés. La plaie est sai-
gnante. Qui la guérira?
Oui, la conférence actuelle de Fribourg est schismatique.
Llle renouvelle et conlirme les décisions des 16 et 17 août 1848;
décisions condamnées par l'Église. Voici ces décisions :
« Les cantons se lient par concordat conclu dans l'intérêt de
l;t paix publique en matière religieuse et ayant pour but de faire
respecter leur souverainlé , sans porter alteinle au dogme, à la
NOtVULLi!: COi>tÉRE>iCt Uli FRUIOlR<i. 361
foi et au libre exercice du culte catholique. — Ils se déclarent
solidaires de toutes les résolutions prises, ainsi que des mesu-
res d'exécution.
Le concordat sera soumis à la ratification du Directoire fédé-
ral.
L'évêque sera sommé par le gouvernement de se soumettre
sans restriction à la constitution et aux lois du canton, à re-
noncer à toutes prétentions contraires et notamment d l'exercice
du place t pour la postulation aux bénéfices, tel qu'il a été intro-
duit abusément par les consiilutions synodales. Le gouverne-
ment de Fribourg lui déclarera qu'il méconnaît à une autorité
quelconque le droit d'intervertir la charte constitutionnelle par
des ordres ou émissions contraires. En conséquence, il deman-
dera que tout ordre, mandement pastoral, publication de revé-
cue, soient soumis à l'approbation de l'Etat, et que les constitu-
tions synodales soient mises en harmonie avec les lois civiles.
» Cette démarche sera appuyée par les cinq Etals sur le point
de vue de l'intérêt public et de celui de la religion catholique.
» Pour le cas où l'évêque n'obtempérerait pas à celte som-
mation, en cas de résistance formelle à un concordat souverain
de plusieurs cantons, il en sera déféré au Directoire qui avisera
aux mesures les plus efficaces pour faire cesser le trouble ré-
sultant de cette résistance.
» Les cantons se réservent en outre leurs moyens d'actions ,
en retirant au titulaire leur placet pour V exercice ultérieur des
fonctions épiscopales.
» Les Etals concordants déclarent que dès la première vacance
du diocèse, ils entendent faire usage du droit de souveraineté,
en se réservant la nomination de Vévêque. Cette nomination aura
lieu par des délégués nommés par les Conseils d'Etat respectifs
dans la proportion suivante :
» L'Etat de Fribourg enverra 4 délégués , de Genève 2 , de
Vaud 1, de Berne 1, de Neuchûtel I.
» Cette délégation sera présidée par le premier député nommé
de Fribourg.
> L'élu prêtera le serment de fidélité aux constitutions et aux
lois des cantons compris dans le diocèse.
3Hi NOLvr.i.i.K ( ()>rKRK>t K m KniBoi rg.
. La ^()Ml^ÀTlo^ des membres de la cour éptscopale stra sou-
mise à Vapprobation du goui'ernement dans le lorriloire duqut^l
réxèque aura sa résidence.
I» La nomination des doyens sor.i soumise dans cha(|ue canton
j Vnpprohalion du gouvernement lespeclif.
» Les candidats à réiai ecclésiastique seront, avant leur en-
trée an sacerdoce , soumis dans chaque canton a un examen de-
vant une commission mixte, et suivant un programme uniforme.
Cet examen constatera que les candidats posiièdenl les coonais-
saoces et les capacités nécessaires pour Vexercice de leurs fonc-
tions.
» Le candidat, une fois admis par l'évêque et le gouverne-
mt'ut respectif, pourra aspirer «an« autre permission épiscopale,
à tous les bénéfices vacants du diocèse, sous réserve toutefois
des cas de discipline eccNsiaslique ou d'empêclieraenl notoire
survenu depuis son admission.
» Les cantons ouvriront des négociations avec le Saint-Siège
pour la suppression canonique des fêtes, ou leur translation sur
le diinanclio, et pour la diminution des jours déjeune et d'ab-
stinence.
» Les cantons s'engagent , pour le cas où ces négociations
n'auraient pas un résultat satisfaisant, à refuser toute sanction
pénale aux fêtes, qui ne sont pas instituées ou contirmées par la
loi civile, à l'exception générale des dimanches et spécialemeni
pour le culte catholiipie, la Fête-Dieu, Noël, l'Assomption, la
Toussaint, l'Annoncialion , pour le culte evangélique reformé,
le Vendredi saint et TAnnonciation.
» Les cantons concordants déclarent ne reconnaître en matière
de culte catholique, d'autorité spirituelle que pour ce gui regard
la foi et les sacrements. Ils renouvellent les réserves faites dans
le temps contre V ad mission des décisions du Concile de Trente,
réserves qui, sauf la foi et les sacrements, <»nt eu pour but d'as-
surer aux gouvernements la continuation des aniicjues droits ,
libertés et franchises de la Suisse, et \imr someraineté en ma-
tière de discipline, de police et de haute surveillance du culte.
Les cantons déclarent, au stirplus, que tous les fonctionnai-
res et bcnéficiers cccbsiastiques auront droit à Vnppui de lati-
NOl VIl.Li: COM ÉlîKNCi; iJI. MUDOlU(i. 363
loriié civile ;)our Vexercice de leurs fonctions dans la limite des
lois, et que l'Etat les prolégera jmur la considération et le res-
pect dus à leur (lii,'nité.
» Les dclé^u()s leront les propositions suivantes :
» Les cantons concordants exigeront Vexequalur pour toute
publication venant du Saint-Siège.
» Ils ne toléreront plus sur leur territoire de port d'habits
distinctifs pour les ecclésiastiques.
» Les délégués prendront en outre part aux ouvertures qui
pourraient être faites, et ont le pouvoir d'en formuler et d'y
adhérer suivant la marche de la discussion et dans le sens de la
présente instruction.
» Ils sont autorisés à se joindre aux propositions qui se rap-
procheraient le plus des points de celle instruction.
» Le projet de concordat sera soumis à la ratiûcation défini-
tive du Grand Conseil.
» Les 16 et 17 août iJ
La simple lecture d'un pareil document suffit pour faire com-
prendre que JAMAIS les catholiques du canton de Genève ne se
soumettront à de pareilles énormités.
Le 30 septembre 1848, le cardinal Soglia (1) écrivit au Direc-
toire fédéral, au nom du Souverain Pontife, pour réclamer contre
ces détestables décisions de Fribourg, plus schismatiques en
tous points que celles même de la conférence de Bâle de 1834.
En ce qui concerne spécialement le canton de Genève, le secré-
taire d'Etat du Saint-Siège s'exprimait dans des termes aujour-
d'hui devenus d'une extrême importance pour les catholiques.
Qu'on les lise avec attention :
De la Secrétairerie d'Etat de Sa Sainteté.
Rome, le 30 septembre 18i8.
MM. les bourgmestres et Conseil d'Etat de Phonorable canton de
Berne, Directoire fédéral.
Les feuilles publiques ont récemment annoncé que les délé-
(1) Voir les 1"' et 4°"' documents sur la liberté de l'Eglise.
:4}i^ >0I VF.I,I.K «.OMFKBFNO: Dl FKIBOIIK..
uues iïcs ciin\ caillons dont se compose le diocèse de I^ausnnne
Cl Genève, N«^naieni d'approuver de leurs voles une instruciion
du Conseil d'Eial de Frihour^' remplie de nouvelles et insuppor-
tables entraves pour T^^^iise callioli<|U('. et que, de plus, la con
vention délibérée enlre ces dcié^'nes sous la forme de celle in-
slruclion elail soumise aux raiilicalions des Grands Conseils
canlonaux el du Directoire fédéral. Celle nouvelle a profondé-
ment alUi^îe le cn'ur du Sainl Père. La sollicilude que ses augus-
tes prédécesseurs el lui-même ont toujours monlrée pour la
Suisse , la modération extrême avec laquille il a ttdéré tout ce
que l'on pouvait rejeter sur le mallnur des temps, la longanimité
avec laquelle il a autorisé les sacrifices (piil était possible à l'K-
glise de faire, lui donnaient l)ien le droil d'attendre un autre
résultai.
Et réionnemenl se joint à la douleur lorsqu'on réfléchit que
les lois en question sont proposées, non j^as en un temps ou de
rupture absolue avec le culte (ailiolique , ou de pure tob-ram e ,
mais en un lemps où les lois de la Confédération promulguent et
sanctionnent la liberté de conscience. De lelle sorte que ce
qui, à une autre époque , pouvait être , non pas assurément con-
forme à la justice, puisque cela était conliaire au droit naturel
el divin de l'Église, mais du moins conforme aux institutions ci-
viles et polilicjues de certaines parties de la Suiss»', se trouve au-
jourd'bui en conlradiction manifeste avec ces institutions. La li-
berté de conscience, en efl'et , ne peut se réduire à une pure
liberté de foi intérieure, dont les actes échappent naturelle-
ment il l'empire des lois humaines ; pour que celle liberté soit
réelle, il faut (pi'elle s'étende a racconq^lissemenl des devoirs
que la religion impose à chacun, selon sa condition el selon la
posilion qu'il occupe dans l'Église.
Pour que les lidéles aient le libre exercice du culte catholi-
que, il est nécessaire qu'ils puissent recevoir les sacremenls et
entendre la Parole de Dieu , de prêtres et de pasteurs légitime-
ment établis, selon les lois canoniques, car ces lois les obligent
à s'abstenir des praticpies du cidie , plutôt (pie de se mettre en
commuiii(»n avec des pasteurs qui n'auraient pas été inslilués
ranoniipiement.
Pour (pie les pasteurs aient le libre exercice du culte, il est
nécessaire qu'ils puissent instruire les bdèles de la Loi de Dieu,
sans dép(;ndre en cela des lois civiles ou du bon plaisir des gou-
vernements; il est nécessaire qu'ils puissent librement , selon le
diciainen de leur propre conscience et selon les lois de l'Eglise,
donner ou retirer I institution aux pasteurs de l'ordre inférieur ;
il est nécessaire cpiils puissent, avec une pleine indépendance,
NOl VKI.I.K r.ONFKRF.XIK UV. l'RinOI RC. 365
admeilro dans le sanctuaire ceux qu'ils juj^ont dignes et en ex-
clure les indignes; il est nécessaire (|n'ils puissent librement,
lorsqu'ils ont ('le légitinieinenl institués , garder l'exercice de
leur autorité, car, d'après les htis de l'Église, il ne leur est pas
permis d'y renoncer; il est n<''cessaire enlin (ju'ils puissent obéir
aux publications du Saint-Siège, communicjucr avec le Saint-
Siège en toute liberté et mettre à exi-culion ses actes de juridic-
tion dans Us alTaiics ecclésiastiques, car c'est le propre de l'É-
glise cailiolique d'avoir un chef su|)rèmede qui tous ses membres
dépendent. Tout cela est nécessairement compris dans la liberté
de culte, car en dehors de ces conditions , il devient impossible
d'exercer le ministère èpiscopal sans trahir ce qu'a de plus sa-
cré la conscience du prêtre catholique.
Or, aucune des ( onditions ci-dessus ne demeure sauve avec la
convention qu'on suppose faite par les députés des cinq cantons :
la servitude qu'elle impose au clergé va jusqu'à lui interdire un
costume qui le dislingue des laïques. L'Église , au contraire ,
même dès les premiers temps, et alors que le costume ecclésias-
tique n'était pas encore arrêté, a toujours exigé que la modestie
cléricale se distinguât d'une manière ou d'une autre des usages
du monde. El non-seidemenl l'Église, mais tous les peuples, ont
toujours cru nécessaire que le prêtre portât dans ses vêtements
comme un souvenir continuel des devoirs de son état , a6n que
dans le commerce des hommes il fût sans cesse rappelé au res-
pect de soi-même et maintînt parmi les autres la dignité de son
caractère.
En des circonstances aussi graves, l'auguste chef de l'Église
ne peut donc pas garder le silence, et puisqu'il dépend encore
de la sagesse et de la justice des Grands Conseils cantonaux et
du Directoire fédéral de prévenir les funestes conséquencesquc
produirait un tel acte , Sa Sainteté a ordonné au secrétaire d'E-
tat soussigné d'appeler sur ce point la sérieuse attention de Vos
Seigneuries Excelleniissimes, et par elles celle des Grands Con-
seils.
Quant à l'honorable canton de Genève en particulier, le sous-
signé ne doit pas négliger de rappeler que si, en 1819, le Sainl-
Siége consentît à séparer cette Église du diocèse de Chambéry
pour l'unir à celle de Lausanne, ce fut en considération de quel-
ques articles de la constitution cantonale par lesquels étaient
confirmées les garanties en faveur de la religion stipulées par le
roi de Piémont dans les traités de Vienne et de Turin, garanties
violées plus tard par la convention que le canton imposa au dé-
funt évêque Mgr Venni, et que le Saint Père désapprouva so-
lennellement dès qu'il en eut connaissance, en 1844, bien que
Wm; NorVF.I.I.K < ONKKHK.X K l(K KHIR(»I K(. .
celle couveolion ne déiruisU pas ces garanties au nn^ne dcprif
que le ferait le nouveau concordat des cinq cantons dont il evt
inniiitciiaiit (]uostion.
l)t' nu'iiK' , il est nécessaire de rappeler que si le Saint-Sié{?e
m 1820, aiiloiisa l'cvcviiie et le clcif^é de Genève à |)rè(er ser-
nieni de lidelilc à Ttlal cl d'ohéissance à srs lois, le Saint-Siège
ne le fit que parce que ce serment «Icvenail licite, en vertu d'une
d«''claraiion solennelle du gouvernement cantonal, portant qu'on
n'eiiU ndail |)ar le serment ohligcr le clerf,'é à rien de contraire
aux principes de la foi catholique ni aux ordonnances de C f^<jlise.
11 en résulte (jiie si celte declaralioii ciail impliciicment révo-
quée , comme il paraît (|u'elle le serait par le nouveau concor-
dat, l'autorisation de prêter serment, donnée par le Sainl-Siége,
le serait aussi.
Enlin, ni pour le canton de Genève, ni pour aucun des quatie
autres cantons, le Saint-Siège n'a connaissance d'aucuoe con-
cession qui ait mis des limites à son droit d'élire librement l'»'-
vêque.
Le Saint-Siège a certainement toujours eu l'habitude de choi-
sir des personnes étrangères aux intrigues mondaines, et par cela
même non suspectes aux gouvernements. Mais le Saint-Siège ne
peut reconnaître à aucun gouvernement, comme procédant de la
souveraineté temporelle, le droit de nommer les èvê<|ues. Quant
aux causes canoni(iues pour lesquelles la nomination des évoques
a été accordée à d autres gouvernements, elles ne se sont jus-
qu'à présent jamais pièsenleos dans les cantons dont il s'agit.
C'est pouripidi , sur tons ces points, le Saint-Siège ne peut
s'empêcher de réclamer hautement contre les prétentions ma-
nifestées par les députés des cinq canions. Pour user envers Vos
Seigneuries Excelleniissimes d'un procédé amical , Sa Sainteté
a ordonné au soussigné de leur adresser le présent office, se
(lallant que cela snilira pour lui épargner la nécessité' d'en venir
à d'autres actes, auxquels sa conscience l'obligerait devant le
monde catholique, si les raisons ci-dessus n'étaient pas suffi-
samment appréciées.
Le soussigné profite bien volontiers de cette occasion fionr
exprimer à \ os Seigneuries Excelleniissimes les sentiments de
sa considération la plus disiinguè'e.
J. Card. Soglia.
Le clergé du canton de Genève protesta en chaire contre les
décisions de la conférence schismaiique de Fribourg. Voici les
paroles qui furent [)ronon( «'esdans toutes les églises catholiques,
le 18 septembre 1848 :
NOl VF.LLKS œ>FÉKr.>CF, DE iniBOIRf;. o<)7
«Los membres du clcrj^é ealliolique, citoyens du canlon de
Genève, ont pris eonnaissance du projet de loi présenté au Grand
Conseil du canlon de Friltonrj,' le 11 août dcinicr.
» Ils n'ont ni la mission, ni la prétention d'exprimer leurs
pensée sur ce projet, en ce qui conceinc les intérêts généraux
de la religion dans le diocèse et l'éducation publique dans le
canton de Fribourg; mais il est de leur droit et de leur devoir,
en tpialité de citoyens genevois, de protester solennellement en
ce qui regarde renseignement llw'ologique réglementé par ce
projet, attendu que cet enseignement est simulian»'- pour tous
les ressortissants du diocèse;.
I. Les paroisses cédées pai- la France et la Sardaigne au can-
lon de Genève, en vertu des traités de Vienne, de Paris et de
Turin, ne peuvent peidre , en vcilu d'une loi quelconque, les
droits que ces traités leur ont garantis. Or, parmi ces droits,
celui de la liberté d'enseignement en matière tliéol()gi([ue, inhé-
rent d'ailleurs à l'autorité ('piscopale, ne peut faire l'objet d'une
question au point de vue historique et catholique.
» IL En outre, le canton de Genève a été distrait du diocèse
de Chambéry pour être réuni au diocèse de Lausanne par le bref
du Pape Pie Vil, du 20 septembre 1819. Cette mutation a eu
lieu '( aux prières du gouvernement de Genève et de toute la
» Confédération suisse, et sur l'assurance donnée au Souverain-
» Pontife que la religion catholique serait maintenue de la même
» manière qu'elle l'était sous les princes de la maison de Sa-
»voie...» Et il est porté aux registres de l'Etat de Genève (V
octobre 1819) que «ce bref prononçait le dit démembrement,
» reçu avec reconnaissance par Genève, rappelle expressément
» le protocole de Vienne et le traité de Turin, qui s'y réfère
» comme le fondement des droits du gouvernement de Genève
» et la règle de ses devoirs pour le maintien et la protection de
» la religion...»
III. Enfin, et indépendamment des droits attachés à la consti-
tution divine de l'Église catholique, apostolique et romaine, les
catholiques du canton de Genève jouissent de ceux que leur
confère la constitution de la république et canlon de Genève, du
24 mai 1847, qui proclame la liberté des cultes. Cette consti-
tution ne pose de limites à celte liberté qu'en ce qui concerne
l'exercice extérieur du culte, el elle rappelle « les traités aux-
» quels la constitution ne peut déroger en rien et qui reste en vi-
» gueur dans toute leur intégrité. »
» Les membres du clergé catholique , citoyens du canton de
Genève , protestent donc avec tout le respect convenable , mais
aussi avec toute l'énergie de leurs convictions el de leur foi ,
24
:|(,H >Ul VKLLK CONFÉRENCE DK FRIBOLRG.
;ai\ lins de ilélcndrc leurs ilioils cl les droits des cailioiitjurs
«onlre h'S dis|)(»siliuiis thi projet de loi sur rinstruclion puhli-
quo do Friboiirg en ce qui concerne renseignement Ihéologique.
» Fait à Genève, le 18 septembre 1848.»
l'uis ce même clergé écrivit à Monseigneur Marilley la lettre
suivante :
« Monseigneur,
» Nous avons pris connaissance d'un document inlitult' : In-
siructions i>our la conférence entre les cinq cantons intéressés aux
affaires du diocèse de Lausanne et Genève.
» INous nous sommes assurés que les stipulations que renferme
ce document sont au moins à l'étal de jirojot.
» Tout voire clergé, à l'unaniniilé, Monseigneur, a été pro-
fondément ému à l'apparition d'un j)laii si évidemment suhveisif
de la conslilution divine de l'Fglise, de son indépendance, de
ses lois canoniques, de ses droits, et pai- conséquent de la re-
ligion elle-même.
» Tous les fidèles catholiques de nos paroisses eut éprouvé la
même indignation et la même douleur que nous.
» Aussi, sous l'empire de cette unité et de cette union , qui
(onstiluent la famille diocésaine, dont Votre Grandeur est le
Pasteur légitime et le Père chéri, nous venons déposer à vos
pieds l'expression filiale et respectueuse de notre ailachemenl
inviolable, de notre inalt* rable soumission à vous. Monseigneur,
notre evêque, successeur des Apôires, envoyé de Ji-sus-Christ ,
et à noire sainte mère l'Église ealholi(pie, aposloli(iue et romaine,
dans la personne de Sa Sainteté le Pape l\.
» Que votre cœur brisé soit surabondamment consolé par
cette déclaration solennelle de tout votre clergé.
> Oui , Monseigneur, nous sommes tous prêts , s'il le faut , à
subir la uïort même pluiùt (pie de nous soumettre et de sou-
mettre jamais les fidèles catholiques aux prétentions usurpatrices
cl schismatiques renfermées dans ce document, et nous renouve-
lons entre vos mains, dans toute la pb'nitude de notre foi et de
notre ailachemenl à l'Église, la promesse de n'admettre aucune
modilicaiion (pielconqne en matière de discipline qui ne soit
sanclionnée par \ nWo. Grandeur ei par le Souverain Pontife.
» Si Votre Grandeur est accal)lée sous le poids des épreuves,
si nous ressentons chacune de ses souffrances, nous trouvons
touiefois une consolai ion bien grande à coniempler la sérénité
d ànie et la feiincle inébranlable que .h'sus-Christ donne à son
serviteur ; et en pojlanl tour à tour nos regards sur le Père com-
NOUVEIXE CONFÉRK.NCR I)K FRIBOLbG. M)')
mun des fidèles el sur noire bien-aimé évêque, nous répétons les
adorables et fécondes pciroles du Sauveur des hommes : Beati
qui perseculionem patiuntur pr opter justiliam .. . Beati estis cum
maledixerint vohis , et persecuti vos fuerint , et dixerint omne
malum advcrsùm vos tnentientes propter me : Gaudete, et exul-
tate : quoniam merces vestra copïosa est in cœlis... (St. Mailli.
c. V.)
» Nous sommes avec le plus profond respect,
» Monseigneur,
» De Votre Grandeur,
» Les très-humbles et irès-ohéissants serviteurs.
(Suivent les signatures.)
Bientôt intervinrent les résolutions de la conférence de Fri-
bourg des 30 et 31 octobre 1848, qui prononcèrent l'expulsion
de Mgr Marilley de son diocèse.
Voici ces résolutions :
« Les gouvernements des hauts Etats de Berne, Fribourg,
Vaud, Neuchâiel et Genève, sur le territoire desquels s'étend le
diocèse dit de Lausanne et Genève;
» Vu les délibérations des délégués réunis à Fribourg, en con-
férence pour les affaires diocésaines ;
» Vu également les actes qui se rapportent à la conduite de
l'évéque Etienne Marilley dans les événements dont le canton de
Fribourg a été le théâtre ;
» Considérant que le gouvernement de Fribourg n'a accordé
en 1593 la résidence dans le canton aux évêques de Lausanne,
fugitifs depuis longtemps de leur siège épiscopal, qu'à la condi-
tion qu'ils se soumettraient aux lois du pays, qu'ils respecte-
raient les libertés et franchises de l'Etat, et qu'ils se comporte-
raient d'une manière pacifique et amicale ;
» Que ce gouvernement est toujours resté au bénéfice de ces
droits et réserves, nonobstant la tolérance dont il a usé à l'égard
de certains actes;
» Que l'évéque Etienne Marilley a évidemment violé les con-
ditions de résidence stipidées en 1593, en refusant dans plu-
sieurs circonstances de reconnaître la suprématie du pouvoir ci-
vil en matière temporelle, et notamment en résistant en dernier
lieu aux sommations qui lui ont été adressées par le Conseil
d'Etat, de se soumettre à la constitutions cantonale, garantie par
la Confédération.
•S70 r(iti \i:i.i.K conkf.renck ui i hihiiik<..
• (Àtnsidéiant t|ii il :i itiiissaiiimcnl coniribué par ses discours
«•1 SOS cxcilaiions, cl suiioui |):ir la Ix-iicdiiiioii qu'il a faiic îles
drapeaux des reltelles, à la loriualiou delà ligue (|ui, en l^i7,
n amené la guerre civile en Suisse et nus l'indipendance de la
pallie en danger;
u Que c'est par une cMrônie indulgence cl par égard pour le
(aiaclère dont il est revèiu , ipi'il n'a pas éti' atteint alors par
les mesures dont on a happé de grands coupables;
» Considérant que loin d'être ramené à rol)servation de
ses devoirs par les procédés dont il a été l'objet, l'évèque
Kiienne Marilley n'a cessé, depuis cette mallieureuse époque,
denlraver dans leur administralion les auloriles constitutionnel-
les, soit en taxant dheietiques ri de scliisniaticpies la conslilu-
lion cl les lois, s»til en cliercliant à en)|)èclier leur exéculion par
des cin ulaiies incidieuses, notaumient par celles des 11 IcNrier
et 18 septembre 1848, soil encore en refusant à l'étal le droit
d«' collature et celui de supiême inspection siii- l'instruciion pu-
blique;
» Qu'il a (le plus, par ses circulaires du 18 seplemlire el sui-
vant, pioviMpif le relus fait par un grand n(»nd)re de pré|)0sésde
< ommunes de prêter le serment prescrit à leur entrée en fonc-
tions, et augmenté par là les dillic ult<''s de l'administration pu-
bli<|ue;
» Considerani cpie de l'ensemble tie ces actes, il résulte que
l'évêqur Kiit une Marilley aspirait à se placer, en matière tem-
porelle , au-iiessus du pouvoir civil , et (pie dès lors il ne restait
plus au gouvernement que de b* mettre en denteure de se pro-
noncer d'une manière catégorique;
Que le Conseil d'Elat l'a fait en le sommani, jtar son oflice du
H octobre 1818, de déclaier jusipi'au '2'.i du menu* mois s'il
voulait se soumettre sans restriction à la constitution et aux lois
(j'u canton ;
■ Que celte sommation a été appuyée par plusieurs Etals dti
diocèse, et que les autres Etats s'apprêtaient à prendre la même
mesure, lorscpie leur attention a ilù se lixer sur de plus graves
circonstances ;
» Considérant ipie l'évéciue Marilley a ré-pondu à ces somma-
tions par un manifeste portant la date du 23 octobre, lequel
renferme non-seulement un refus positif de se soumettre aux jus-
tes exigences du Conseil d'Elat de Fribourg , mais contient en
outre la preuve cpu- ce prdat n"a |)as renonce à ses preieniions
usurpatrices en conlinuanl à s'arroger le droit de contrôle sur le
gouvernement (h* l'Etal;
» Considérant «pu! ce dernier acte de ri'sisiancc a été suivi
dans la nuit du 2'.i au 24 <)Clobre de mcuivemeuts insurrection-
nels dans plusieurs parties du canton de Fribourg;
NOUVELLE CONFÉRENCE nr: FUinOI RO. 371
i> Que ces troubles onl ôlé oxcilés cl diiij^'és puv los pnrlisans
el mènic pur les plus proches parcnls de révê(|uc Marilley, et
(pi'ils sont le résultai évident de la conduite provocairice de ce
prélat;
Qu'ils oui nécessité une nouvelle oecupaiion militaire du
("intdu <lc Fiiltourj,', par les troupes des cantons voisins, et que
de |j;ran(ls ui;m\ vont peser une seconde fois sur ce |)ays;
ilonsideraui (pu* le Cons«'il (THlal, pour metti-e lin le plus
j)romptcnienl possible à celte situation crilicjue, a , f)ar mesure
de haute police, ordonné la translation de l'évécpie Etienne Ma-
rilley hors du territoire fribourgcois, et qu'il a dû le conûer à
la garde des autoiilés du canton de \ and, jusqu'à ce que des
décisions ultéi-ieures aient été rendues à son égard;
» Considéiaul (pje le retour de l'évéque dans le canton de
Frihourg et son séjour dans une partie quelconque du diocèse
est incompatible avec le maintien de la tranquillité publique;
» Que ce prélat a perdu la confiance et la considération qui
sont nécessaires à l'exercice des hautes fonctions de l'épiscopat;
» Qu'il est urgent de mettre un terme à un état de choses qui
couqiromet sans cesse la paix dans le canton de Fribourg et
menace le repos de la Confédération entière ;
» Usant de leurs droits de souveraineté, les Etals sus-nommés
onl d'un commun accord arrêté les résolutions suivantes :
Art. 1. Etienne Marilley n'exercera plus de fonctions épisco-
pales pour le diocèse dit de Lausanne el Genève.
Art. 2. Le séjour dans les cantons sur le territoire desquels
s'étend le dit diocèse lui est interdit.
Art. 3. Le Conseil d'Etat du canton de Fribourg prendra
les dispositions convenables pour l'administration provisoire du
diocèse. Il avisera de plus aux préliminaires propres à amener
la réorganisation de l'évôché. *
Les présentes résolutions ont été délibérées par les délégués
soussignés , pour être soumises à l'adoption des gouvernements
respectifs, à Fribourg, les 30 et 31 octobre 1848.
Pour copie conforme : Les délégués de l'Eiat de Berne,
H. Stockmar, Im. Oberstec.
Les délégués de l'Etat de Fribourg,
ScHALLER, L. PicTET. — Le chancelier : D. Berchtold.
Le délégué de l'Etat de Vaud,
H. Druey.
Les délégués de l'Etat de Neuchâtel,
(Sauf à référer) Piaget, J. Steck.
Nous prouverons plus lard, dans les Annales, que pas un
372 XOl VKLLE CUNKBRKNCI-: DK KRIBOt HC.
lies considérants n'est vrai , ei que pas une des décisions n'est
jiiih' «'t légale.
Nouvelle réclamation du Saini-Siége, nouvelle protestation du
clergi' du canlon de Gom-vr , nouvelles adresses, nouvelles pé-
titions, et en |iarli(uiier l'adresse de tous les évéques de la
Suisse.
Voici la protestation de Son Excellence le chargé d'affaires
du Sainl-Siége eu Suisse :
./u gouvernetneut de Fribourg.
Luccrue, ce 31 octobre 18^.
J'ai appris que Sa Grandeur Monseigneur Etienne Marilley, évû-
«pie (le Lausanne et de (ienève, a élu le 2o du courant enlevé par
la force armée de sa résidence épiscopale de Fribourg el transporté
au cliAteau de Chillon.
En |)réscnce d'une telle mesure, inusitée en Suisse depuis des
siècles «'l exécutée à um; épo(pie de civilisation el de liberté, je ne
saurais, pour ce qui me concerne, <,farder le siien(;e. Je dois à la
• barge que j'ai Tbonneur do ren>plir auprès de la Confédéralion
suisse de vous adresser celle lettre, en vous présentant les observa-
lions suivantes :
La cause principale de la dite mesure se trouve dans lo refus de
se soumeltrc aux somnialions que vous lui aviez adressées. Or,
c'est uniipiement dans ce que la conscience lui défendait «ju'il no
s'y est pas soumis. Je ne dois pas croire. Monsieur le Président et
Messieurs, que vous ayez, voulu conirnindre sa conscience, parce
<jue ce serait porter alteinle à ce que l'Iiomme a de plus sacré. Ce-
pendanl. en voulant excu.»er rintenlion, ou trouve dans voire ul-
litiinlum nue véritable conlrainle de fait, puis(|ue vous y sommez
♦»a (irandeur de se soumeltrc sans restriction à la con&lilulion can-
tonale, tandis (jue celle-ci, en garantissant Veuercice de la religion
calliuliijur, la restreint ilans le» limilcin de l'ordre ptildir et des lois. Si
l'on ne veul point de réserve dans la soumission au statut cantonal,
on n'en doil apporter aucune A l'exercice de la sainte reliyiot).
En outre, dans les sommations faites à Monseit^neur l'èvêque el
dans >Gslois, il y a des exigences louchant la discipline générale
de l'Eglise (pi'uu évéque ne |)eut pas accorder. Il n'appartient
•|u'au Saint I*ére de moililier celle discipline pour des molifs gra-
ves el légitimes. Tattt (pic ces modilicalions ne sont pas obtenues,
révê(pie doil se soumettre à la discipline existante el la faire res-
pecter.
» (^)uanl A ces modilicalions (pie vous pourriez désirer, je sais que
Sa Grandeur nous a invités plus d"uiu> lois, direclement ou indirec-
tenienl, ;\ vous entendre avec h; Saint-Siéj^e. Je ne i)uis moi-même
que vous réilérer celle invilalion, parce que c'est là l'unique moyen
NOLVELLE CONFÉRKNCK DK KHIBOl RG. 373
de (ennincr toutes les dinioiiltés ot <le rétablir lo calme cl la sécu-
rilt! parmi les populations «atholitiues. Car vous ne l'ignorez pas,
Monsieur le Président cl .Messieurs, les mesures que vous avez
adoptées à l'égard de Mgr Marilley inquiètent fous les bons catho-
liques du diocèse, qui se voient j)rivés de l'action de leur pasteur;
elles in(iuièlent le clergé et étonnent tous les honnêtes gens de la
Confédération, à quelque confession qu'ils appartiennent, sans par-
ler de l'elVet qu'elles produiront plus loin. Elles peuvent aussi ame-
ner do fiicheuscs conséquences, dont on ne saurait calculer la por-
tée.
Je dois de plus vous faire remarquer que ces mesures déplora-
bles sont en o|)posilion soit ?vcc le pacte lédéral qui va cesser, soit
avec la constitution qui le remplace. Et comme le statut de la Con-
fédération qui garantit la liberté de culte est placé au-dessus de
toutes les constitutions cantonales, on ne doit s'écarter de celui-ci,
ni dans la teneur de ces constitutions, ni dans leur interprétation.
Mais écrivant à un gouvernement catholique, qui doit et déclare
vouloir respecter la religion catholique, il me suflîra de lui signa-
ler, dans un but de conciliation et de paix, la gravité de ces mesu-
res par rapport à la religion, pour l'engagera rendre la liberté à
son évêque. Elles portent atteinte à la liberté de culte, à l'inviola-
bilité des évoques, pasteurs sacrés revêtus de la plus haute dignité
dans la hiérarchie d'ordre instituée par Jésus-Christ lui-même, et
destinés par son Vicaire sur la terre, le père commun des fidèles,
à gouverner une portion des enfants de l'Eglise. Elles portent at-
teinte aux lois générales de l'Eglise, aux droits sacrés du Saint-
Siège, dont le Saint-Père est le dépositaire, et doit pour cela main-
tenir l'indépendance pastorale dans l'administration des diocèses.
Ainsi, Messieurs, si d'un côté mon devoir m'oblige à protester,
comme je proteste en effet, contre l'arrestation de Mgr Marilley,
en réclamant sa mise en liberté, de l'autre je vous prie de peser
mûrement les réflexions que je vous présente, afin qu'elles vous
engagent à accomplir au plus tôt cet acte de justice, en espérant
alors que les négociations que vous entamerez avec le Sainl-Siége
seront couronnées de succès.
J'ai l'honneur. Monsieur le Président et Messieur, de vous as-
surer de ma haute considération. (1).
J. BoviERi, Camêrier d'honneur de Sa Sainteté, chargé
d'affaires du Saint-Siège.
De la Secrétairerie d'Etat de Sa Sainteté, 10 novembre 1848.
Messieurs les bourgmestres et Conseil d'Etat du louable canton de
Berne, Directoire fédéral.
Dans le moment même où le Saint Père, avec une juste confiance,
(i) Ces protestations ont été renouvelées les 29 et 50 janvier 18bl par
S. Exe. !Mgr Boviéri, chargé d'affaires du Saint-Siège en Suisse.
3T'i >0l VELLK «■.<»KÉRE!<fi:E I)K MIIRdlRC.
s'iillL'iulail il \oir arriver une ri'ponse salisf.nsanlc à la note que le
soussi;;!!»'' cardinal seiTclain; d'Klat avait eu l'Iiorineur d'adresser à
\ os Seigneuries I']xc'ell(M)(i»sinit's sous la date du 'M si'[)lcmbre
dorniei', un fadieux événement est venu renouveler sa douleur.
Les au(orilé> fiibouigeoisos ont [iroeédé i\ des voies de f.iit contre
la itcrsninie niùnn* du vénérable évécpie do Lausanne et de (lenévc.
l'ne circulaire où le prélat rapiielait aux fidèles les obligations
relatives à l'acte religieux du stMinent, ujie circulaire où il ne fai-
sait aucune rénexior» sur les loiscantonaU's, mais seulement il aver-
tissait l(îs lidéles d'exaujincr dans leur conscience si la promesse
(|u'on exigeait d'eux serait conforme aux lois de Dieu et de l'E-
glise, avant de la donner sans restriction ; une circulaire enfin dans
laciuelle il défendait aux curés d'ajouter aucun commentaire, a été
considérée comme une déclaration (]\.ic la constitution du canton
était l»éréti(|ue. J^t par ce nuttif elles ont fait intimer à l'évéque,
(|ue < etie même circulaire, si elle n'était pas révoquée, on toute
autie publication faite sans autorisation préalable du gouverne-
ment, serait |iunie et regardée comme un acte de révolte et de pro-
vocation à la désobéissance aux lois.
I.e gouvernement de Fribourg trouva encore un grief contre l'é-
véque dans le refus do «elui-ci à se soumettre aux lois (|ui feraient
dép»MuIre la ( ollalure d<'S bénéfices ecclésiastiques enlieicment de
laulorité ( ivilo , et (jui voudraient régler l'enseignement nn'me
tbéologicjue
La constance avec laqin'lhî dans ces deux questions l'évéque a
sauvegardé un droit ((ui n'était pas le sien, mais de l'Kglise, a paru
un motif sullisant à un seul des cinq cantons dont les populations
calbolicjiies composent le diocèse de Lausanne et Genève, non-
seidement pour l'enlever violemmerU de sa résidence, mais aussi
pour le garder en prison comme un coupable d'Klat.
Le soussigné cardinal croit inutile d'expliquer ici les raisons qui
ompècbaienl Mgr .Marilley il'agir dans ces deux occasions d'une
manière dillérente de ce ([uil a fait. Il est de toute évidence que
les (•atboli(jues se trouvent (lan>^ l'impossibilité de prêter un serment
civil sans aucune réserve, pour l'obéissance qui est due aux lois de
Dieu et »le l'Kglise. D'ailleurs en point, aussi bien (jue celui de la
liberté (jue l'ICglise doit avoir dans son enseignement et dans le
cboix de ses pasteurs, s«; trouve assez développé dans la note |)ré-
citée du 30 se[)teml)re.
Le Saint l'ère ne peut donc refuser ni faire attendre l'appui de
sa voix apostolique à l'égard d'un évéque innocent. Kt en récla-
mant la liberté du |)rélat Ct son prompt retour à son siège, il croit
agir non-seulement d'après la justic e, mais dans l'intérêt mén)e du
gouvernement. Puisqu'il y aura sans doute parnù les catlioliques
uf) certain nombre qui, en soulevant leurs regards au-dessus delà
terre, béniront le Seigneur d'avoir donné :\ la Suisse un de ces
evéncnuuits (|ui raniment la foi dans les peuples, mais il y en aura
d'autres «pii, si aucune voix ne s'élevait pour la défense de la jus-
tice, pourraient se croire ai;lorisés par la nécessité à opposer la
NOLVIiLLE conférkm:!, DK I lUBOLn*;. 37o
violence conlro la violence, et le cœur paternel de Sa Sainlelé au-
rait encore la douleur de voir s'aij,'rir cette malheureuse plaie que
les haines politiques ont ouverte dans le sein de la Suisse.
Le soussigné ne doute pas que Vos Seigneuries Excellenlissimes
ne reconnaissent la justice de cette réclamation, et qu'elles vou-
dront en faire communication le plus tôt |)ossibIe aux autorités du
canton de Frihourg, en y ajoutant vos bons onices. Il profite do
cette occasion pour vous renouv»'ler l'expression de sa haute consi-
dération.
J. Cardinal Soglia.
Et aujourd'hui, au moment où on se berçait de l'espérance de
la pacitication religieuse; au moment où tous les catholiques
du diocèse offraient à leurs gouvernements respectifs le moyen
honorable d'un arrangement devenu alors possible, la confé-
rence de Fribourg du 11 avril vient solennellement sanctionner
les projets schismatiqnes d'août 1848 contre la religion catholi-
que , et les illégalités et les violences d'octobre contre la per-
sonne de l'évèque!!
Les catholiques ne sont pas assez bornés pour se laisser pren-
dre à l'unique démarche concordataire faite à Rome . ils sa-
vent parfaitement que si on a fait une ouverture, c'était en pro-
posant des impossibilités, et avec la volonté de se donner les
gants d'intention conciliatrice sans franchise. Les catholiques
ne sont pas assez bonnasses pour se laisser escamoter, sans une
profonde indignation , leurs droits et leurs usages religieux, ec-
clésiastiques et constitutionnels , au profit d'un pouvoir confé-
rencier arbitraire, illégal, qui travaille contre eux.
Les catholiques attendaient la justice, l'impartialité, la paix
confessionnelle de leurs concitoyens , de leur Conseil d'Etat, et
de leur Conseil d'Etat seul....
Ils se sont parfaitement trompés.
Que feront, sous ces oppressions, les catholiques et le clergé
catholique du canton de Genève?
I
MÉLAXGKS ET NOIVELLES.
ti^l'I.'\ÈVK. — La station quadragésimale a été terminée à (jc-
nève le jour de Pâques par la communion générale des hommes.
M. l'abbé Desgcorgc's a prêché ce jour quatre fois. Le matin pen-
dant la communion, it la grand'messc, à la réunion dos domesti-
ques et le soir à ime dernière réunion d'hommes. Toujours même
affluence, même empressement, mémo recueillement. Celle année,
le nombre des catholiques qui ont eu le bonheur de faire leurs Pû-
quos s'est tellement accru, qu'il a fallu faire plusieurs communions
générales, indépondammont de la communion qui n'a pas cessé
d'être distribuée cha(|uc jour à toutes les messes, dans la semaine
comtiie le dimanche. M. l'abbé Dcsgeorges a su admirablement
comprendre le caractère, les dispositions et les besoins do la pa-
roisse de Genève , et il nous a quittés emportant la confiance , la
reconnaissance et l'affection de l'unanimité des catholi(|ues qui ont
eu le bonheur d'assister à ses prédications si pleines de foi, do cha-
rité et de prudence.
l-:TH.%\<«i:it. — Or<^Mnlc. — \.es Jnnates de la fh-opagalion
il* la foi du mois de mars contiennent un extrait du deux letlroi
MICLANGKS I.T >()l VKI.I.KS. 377
écrites de rArchipel dos Navigateurs (Océanie), par le l\. P. Fon-
bonnc, inarisle, à M. Moyne, cur6 de Causon, el à .M. Marcel, curé
de Fourneau. On nous permetlra de mettre en relief le passage
(suivant :
H De la Nouvt'lle-(]alédonie nous avons fait voile pour l'Archipel
dos Navigateurs. Ici, la guerre allumée par les rivalités jalouses de
tribus à tribus, ou de chefs à chefs, est suspendue depuis quelques
mois ; mais on parle de la recommencer de plus belle, aussitôt que
seront terminées quelques grandes embarcations que construisent
pour cela des Européens. Ces luttes presque incessantes achèvent
de démoraliser la population, et sont un des grands obstacles au
progrès religieux. Toutefois, le prêtre en profile encore pour exer-
cer sa mission de foi cl de charité, en donnant aux vieillards, aux
femmes et aux enfants un asile souvent respecté du parti vain-
queur, et en portant aux blessés el aux mourants des remèdes et
des consolations. Ces pauvres infidèles établissent alors la compa-
raison entre le ministre protestant el le prêtre catholique.
» Il y a quelque temps le ministre, notre voisin, voyant se rap-
procher de sa maison le théâtre de la guerre, se dépêcha de fuir
avec sa femme et ses enfants ; il ne reparut que quand la paix fui
conclue entre les naturels. Ni les représentations de ses ouailles, ni
la crainte du ridicule n'avaient pu le retenir. Celte fuite déprécia
beaucoup son parti. Dans une assemblée très-solennelle, où tous
les ministres se trouvèrent réunis avec les chefs de l'île, ceux-ci
en prirent occasion de leur reprocher publiquement, et en termes
tout à fait injurieux, leur cupidité, leur tyrannie el leur pusillani-
mité. Un de nos catéchumènes acheva admirablement, par la plai-
santerie, ce que les premiers avaient commencé par la colère. Il
faut vous dire qu'il est de bon ton, parmi les chefs de Samoa, d'a-
voir habituellement à la main, quand ils sortent, un bâton où per-
che un pigeon familier. Ce pigeon a ses heures de repas, ses pro-
menades très-réglées, et, s'il cherche à s'écarter, on le rappelle sur
sa branche en frappant dans le creux de la main et en criant :
« Pô I pô ! pô 1 » et à ce cri l'oiseau, s'il est docile, revient vile au
perchoir. Or, le caléchumène dont j'ai parlé, se tournant vers le
ministre déserteur, au milieu de son discours, l'apostropha sans
pitié par cette allégorie :
« Un pigeon étranger, lui dil-il, est venu dans nos bois; il nous
a séduits par son beau ramage. Nos chefs ont assemblé pour lui
leurs familles, ils ont dit à leurs enfants : Construisez une belle
378 Mii.\>».iN Kl 'sorvKi.i.KS.
râpe pour le pigeon élranger. Dans ccllc! éléganlc volière, nos lils
.ippurlaicnt clipque jour la rncillcuru nonrrilure, et nous venions
tous faire au ramier mille caresses. Or, un jour, cerlaiu hruil ef-
iVava le pigeon »'lranger; el peiuianl qu'on voyait ces papistes
odieux accourir au milieu de nos guerriers pour verser sur leurs
plaii'S Tcau qui fait \i\re, lui, timide, sVcliappait |)0ur aller bien
loin... Nous avions beau lui crier du rivage : l'o 1 jk^ 1 pu! pigeon!
Toiseau eiïarù nu revint pas à sa branche; il fuyait A lire-d'ailes,
emmenant avei- lui toute sa couvée. >.
» Ce langage nous montre assez (|u'on ne se gôue pas avec les
ministres, el que leur crédit a scnsiblemenl baissé depuis Tarrivéo
des missionnaires. Comment pourrait-il en être autrement? Les
s;iuvages niùme parviennent loi ou tard à discerner le mensonge de
la vérité, el à distinguer Tesprit avide du marchand (|ui cherche
la fortune, du dévouement apostolique qui demande uniquement
lies Mues pour les conduire; au ciel. \'oyez de près ces mêmes
hommes qui, en Europe, déclament contre le luxe du clergé ; venez
les voir ici, entourés de dix ii douze domestiques, se faire porter
triomphalement autour de nos iles sur les épaules des insulaires,
dans un palanquin soigneusement ombragé; tandis (jue le prêtre
fait le môme chemin à la huilante chaleur du jour, ou par la pluie,
le bAton i la main, la chaussure souvent en lambeaux el les pieds
déchirés, i travers les roches, les coraux, les sables mouvants, les
rivières el les précipices. N'enez voir les taxes qu'imposent annuel-
lement CCS minisires du sainl Evangile, en vivres, huile de cocos,
nattes fines, argent, etc., pendant que le jiauvre mis>i(tnnaire par-
tage ses menues ressources avec les naturels. Ileureusemeeit la des-
tinée de l'erreur est de n'avoir qu'un temps, el dans nos iles son
règne est déj:\ compromis. Qui aurait voulu «roirc, par exemple,
«juau début de notre apostolat aux Navigateurs, nous élèverions
une école catholique, une maison centrale de religieux, el la pre-
mière église en pierre de nos missions, au l)eau milieu de la pro-
priété de IMilchard ? Qui aurait cru que, dans la position la plus
imporlanle cl la plus apparente de ccl Archipel, on verrail succé-
<ler si lot le pauvre babil du prêtre au costume du ministre-con-
sul, el à la place de son pavillon la croix d'un évé(|ue calholicjue?
Qui aurail cru (jue tout cela serait fait par le ministre même, au
milieu des vmiférations de ses confrères et des menaces de tout
son parti? C'est (|ue Dieu aime A tirer la gloire de sa religion des
effoi Is même que font ses ennemis pour la détruire. »
MKLANGF.S Kl \<K VI.I.I.IIS. 379
l<'raurc. — Dans la coinniuno de Sainl-Michcl (Basses-Alpes),
cil 1851, i\ la siiilc d'une juste cl sévère décision de Tévéque dio-
césain, une partie de la population avait appelé des prédicateurs
proleslanls. Aujoiird'liui l«* prutcslantisine n'y compte plus un seul
prosélyte. Derniéreniciil la jiopulation tout entière , réunie dans
l'église [laroissiale, réparait d'une manière éclatante ses égare-
ments passés, à roccasion de la clôture du jubilé. Celte sainte jour-
née fera é[)o<iue dans les souvenirs du pays. Tous, hommes et fem-
mes, brebis restées fidèles et brebis égarées, étaient confondus
dans un même sentiment de ferveur et de foi; tous se sont ap-
prochés de la table sainte avec recueillement et cette ardeur qu'in-
spire une sincère et profonde conviction. On demande quelquefois,
à quoi bon les jubilés? Voilà. (Univers du 29 mars.)
Savoie. — On lisait dans le Courrier des ytlpes du 10 avril.
« Ce matin, le Ilév. Delavigne a reçu, dans l'église raélropoli-
laine de Chambéry^ en présence d'un grand nombre de Cdèles ac-
courus à cette touclianle cérémonie, l'abjuration d'un ministre de
l'église anglicane, M. John Syndar Wright, associé en théologie du
(Collège royal de Londres, chapelain de la colonie anglaise du che-
min de fer en Savoie. M. Wright a reçu sur les fonds sacrés du
baptême catholique les prénoms de William-Augustin-Marie; il a
eu pour parrain M. CostadeBeauregard, et pour marraine Mme la
marquise de la Serraz.
n M. Wright appartenait au petit nombre des dissidents de
bonne foi que le culte de Terreur ne satisfait point, quoiqu'ils en
aient subi les inspirations dès leur enfance. Fatigués par le doute
qui s'empare d'eux à mesure que leurs études s'avancent dans la
recherche de la vérité, ils demandent à toutes les religions la ré-
vélation d'une lumière qui calme et remplisse leur àme.
» M. Wright, poussé par ses instincts religieux à l'étude de la
théologie, était entré dans le clergé anglican où il s'était distingué
par sa science et son zèle. Aussi fut- il désigné pour venir en Sa-
voie pour travailler au succès de la propagande biblique qui
essaie de s'y implanter depuis quelques années.
» A peine eut-il mis le pied sur cette terre classique du catholi-
cisme, sur celte terre que les sueurs de saint François de Sales ont
rendue féconde ; à peine eut-il vu de près la piété des populations,
les vertus de notre clergé , en un mol la religion catholique dans
son articulation la plus complète, que les mouvements de son cœur
lui firent entrevoir que la paix et la vérité étaient là.
» Par un bonheur providentiel, par une de ces coïncidences que
:jhMI MKLANtiKS F.T XOIVF.I.I.KS.
Dieu ménage A ses élus, M. Wriglil arrive à (^linmbérj au ( oni-
rnencemenl d'une slalioii de Carême prôchée par le Rév. Delavi-
gue, de la Compagnie de Jésus. Cel éminenl orateur, cet ap<Mre si
éloquent, si persuasif , si entraînant , avait attiré dès son début
toute la population autour de la chaire. Prolondémcnl versé dans
l'étude des livres saints et dans l'histoire ecclésiaslifpie, chaque
jour le P. Delavigne développait dans un style niagnili(iue les preu-
ves irrécusables des principaux dogmes catholi(jucs. M, Wright
vint assister à ces confcrentes où l'on ne savait ce que l'on devait
le plus admirer de la logique de l'argumentation ou des richesses
oratoires. Il v vint et il y lut convaincu. Kt quand cette conviction
se fut emparée de lui, il n'hésita |)as à aller se jeter dans les bras
du ministre dont la parole l'avait éclairé, le supplier d'achever son
œuvre en le rendant digue d'être rcru dans le sein de l'Église ca-
tholifiue.
» Chez riiomme droit dont l'àmc n'aspire qu'à la possession de la
vérité morale, les sacrifices, pour l'acquérir, ne comptent pour
rien, et réellement M. Wright est un de ces hommes, car pour de-
venir catholique, il a tout sacrifié (1). 'loule sa position linanciére
d'abord ; car ses fondions étaient largement rétribuées, il recevait
5000 francs par an ; toute la considération de ses coreligionnaires,
dont son abjuration lui a aliéné les sympathies à jamais peut-être ;
tout l'avenir de sa famille , car il est marié, péro de plusieurs en-
fants cl sans fortune. Mais qu'importent pour lui tous ces biens
éphémères dans la balance (»u il les a posés? Ne vaudra-l-il pas
mieux pour sa famille et pour lui de vivre pauvre dans le sein de
la grande famille catliolique, que do devoir une existence même
brillante à la pratique cl à la propagation de l'erreur? M. Wright,
(I) Nous recommandons ce qui suit à 1 attention du Journal de Génère,
qui a cm devoir noter soigneusement que M. de Costa et Mme la marquise
de la Serraz avaient été généreux envers It'ur filloul. S'il est vrai, ce que
nous ne savons pas, cl ce que le Journal de Genève ne sait pas plus que
nous, qu'ils lui .lient accordé un souvenir, nous sommes prêts à parier qu'ils
ne lui ont pas alloué JKXX) francs de rente en ronipensation de la somme ('gale
à laquelle il renonçait en devenant catholique, et que ni eux, ni d'autres ne
lui ont promis un sou pour le convertir. Le trafic des Ames est connu....
mais à Genève seulement. Qu'on nous permette ce mol familier : il nous
seml)le que le Journal de Genève mouche les autres lorsqu'il se sent mor-
veux. Parmi ses prosélytes, pnnrrait-i! nous en citer un qui ait sa(<rific non
pas îiOOO frnnrs. mais cinq sous pour se faire protestant?
MÉI.ANUES Kl NOl VIXLKH. 381
d*aillcurs, esl un homme lellrô, c'est un savant professeur de lan-
gues et d'hisloire , les universités catholiques seront Gères de le
recevoir.
» Aussitôt que son projet fut formé, il l'annonça odicicllement d
la petite église anglicane vers laqiiollo il avait été envoyé. Nous sa-
vons déjà que son désinléresscmcnl, que son exemple entraînent d'au-
tres conversions. -»
— Une cérémonie touchante se passait dernièrement à la mé-
tropole de Clianibéry. Les quelques personnes venues à l'église
pour entendre la messe, se sont retirées vivement émues du spec-
tacle auquel elles ne s'atlendaionl point. C'étaient un ouvrier al-
lemand et une jetine allemande, Jean Krœber, de Hesse-Darms-
tadl, et Marie Schenk, du canton de Berne, qui venaient, au pied
des autels, abjurer le protestantisme et recevoir successivement,
les sacrements de baptême, de pénitence, de mariage et d'eucha-
ristie.
Les deux néophytes s'étaient préparés depuis plus de deux mois
à cet acte important par les soins de M. Delacquis, professeur au
collège national, qui a été chargé de recevoir leur abjuration et de
leur administrer les sacrements. Leurs parrains étaient MM. Du-
cret et Labully, professeurs, et les marraines Mlle Viviand, dame
de charité, et Mlle Favre, institutrice.
9VS DE LA CINQUIEME SEBIK.
TABLi: OKS MATIÈRES
Paj,'cs.
Le salut gratuit et M. de Rémusat 5, li)8
Notice biographique sur Sébastien Werro, par M. P. Esseiva. 25
Sur le queslionnairi' des écolus pritiiaires de (ienèvc il
M. labbé Pallerson (»o
Des tables lournaules, du surnaturel en général et des esprits,
par le comlc Agénor do (lasparin ; par E'" 80
Lettre de Home. — L'Immaculée Conception, par M. l'abbé
(j. Mermillod , missionnaire apostolique 10î>
Les Vaudois du moyen Age, leur origine et leur littérature,
d'après les travaux les plus récents de la critique protestante,
par H. Stewenson 129,211, 2t>9
De l'éducation publique daD« le caDlon de <jenèvc 1^
La ligue d'Or ou la ligue Rorromée 1(J2
De rAnli-Cbrist, par M. de Komont 2i!>
Le protestantisme condamné à ne pouvoir ni se déûnir, ni se
prouver, par l'abbé Callet 2."i7
(ieneve au commencement du seizième siècle 2î>2
Lettre à Monsieur Fazy-l'asleur :U)î>
L'église protestante condamnée à ne pouvoir se prouver. . . lU'J
Rome, Paris, (ienève. — A M. Rungcner 331
Logi(|ue, par le P. (iralr} , prêtre de l'Oratoire de l'Immaculée
Conception , par K. Dufresne 3i0
Nouvelle conférence de Fribourg du 11 avril 1855 355
Mélanges et Nouvelles :i8. 117, 179,237,313,370
H\ 1)1, I \ lAHIK.
GRNKVF.. — MARC MKIII.i:«(;, IMPRIMItlR-MBRAIRR, CORRATERiR, 12.
BX 802 .A55
SMC
Annales catholiques de
Genhve.
AIP-1689 (MCAB)
BOOK DOES NOT
CiRCuLATE